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Full text of "Lettres de la révérende mère Marie de l'Incarnation (née Marie Guyard) première supérieure du monastère des Ursulines de Québec"

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LETTRES 


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MÈRE  MARIE  DE  LINCARNATION. 


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LETTRES 


DE   LA    RATÉRBNDB    MArM 


MARIE  DE  L'INCARNATION 


(NEE  MARIE  QUTARD) 


PREMIÈBK  SUPÉRIRURR  DU  MONASTÈRE  DES  UBSULINES  DE  QUÉBEC 


NOUVELLE  EDITION 

AUOMBNTéB    DB    HUIT   LBTTRBS    INéDITBS    BT    ANNOTÂB 


PAR 


L'ABB£    RICHÀUDEilU 

AaUur  d«  U  Vil  Di  LA  vinteAsts  M*ui  Maeii  dk  l'Iroaruatior,  etc.,  «u 


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PARIS 

LEIPZIG 

f-iM*t»<B    IMTBBltATIONAX^  •  CATHOUODB 

L       A. 

KITTLBR,   OOMMIttlONMAllta 

Ru«  BonaparUa  66                -> 

Ouerstrasse,  84 

V^«  H.  CAS'i'EKMAN 

£ditcub  pontifical,  iifPRiiicuii  Dc  L'<v£cui 

TOURNAI 

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Imprtmatur. 


Tomaci,  iS^  ftbruarii  4876, 


D.  O.  H  ALLEZ,  Vic.-Gen. 


LETTRES 


DE   LA    RftVÉRRÏfDB    MArR 


MARIE  DE  L'INCARNATION 


(NEE  MARIE  QUTARD) 


PREMIÈBK  SUPÉRIRURR  DU  MONASTÈRE  DES  URSULINEd  DK  QUÉBEC 


NOi:VKLLE  KDITION 

AUOMBNTBB    DB    HUIT   LBTTRBA    INéDITBS    BT    ANNUTKB 


PAR 


LABB£  RICHAUDEilU 

AnUnr  de  l«  Tib  di  la  TkvteABLs  MniB  Maeib  dk  l'Ii*car!I4tioii,  etc..  «te 


TOME    SECOND.         •'•':    '.l: 


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PARIS  usipzia 

OrmUTHKIALB  - CATHOUQCB      .     L.     «.     KITTLBB.    COMMIStlOB!«  AlkB 

Km  loaapftrlB,  U  ^*  OutntrasM,  U 

V«  H.  CASTERMAN 

ixMTEUB  poimncAL.  imprimeur  oc  L'érlLui. 
TOURNAI 


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LETTRES 


MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION 


LETTRE   CXIII. 


K   SON    FILS. 


Elle  dit  a*ec  asturance  que  Disa  a  touIu  le  rélalilistement  da  iod  manaitire, 
qDBlqoe  ipparaoca  qu'il  j  eQtdu  coDlrair*.  —  Troubleade'Fraace,  dans  lasquela 
le«  Millau  rrantais  ont  été  plus  i  craindre  en  quelque  façon  que  lei  Iroquo». 
—  RaiiODi  pourquoi  il  n'élait  pas  eipédieal  pour  un  temp»  d'appeler  dai 
religieuM*  da  France.  —  L'archeviqua  de  Rouen  le  déclare  ordinaire  du. 
CuMcl'i  et  en  fait  laa  fooetioo*. 


Mon  très -cher  fils. 


Voici  la  réponse  à  votre  lettre  du  13  d'avril  ;  car  tou- 
chant les  afTaires  générales  du  pays  et  les  particulières 
de  notre  Communauté,  je  vous  ai  amplement  écrit  par 
trois  autres  lettres  que  vous  avez  reçues,  ou  que  vous 
recevrez  de  moi  cette  année.  Cette  quatrième  est  pour 
vous  parler  confidemment,  et  pour  vous  dire  en  premier 
lien  que  j'ai  été  affligée  de  ce  que  la  lettre  que  je  vous 
écrivis  l'année  dernière  vous  ait  fait  de  la  peine,  vous 
donnant  sujet  Uecroire  que  c'était  de  vous  que  je 
'  parler  ori^^^^^ursonne.  Mais  pourquoi  de 
[j'avf4LJ^^^^^^^tak£^isque  je  n'en  avais 
}  de  me  venir. 


lOUi     UROITI     R£SBRVK«. 


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1899 


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LETTRES 


DK    LA    VàNÉKABLlS 


MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION 


LETTRE   CXIII. 

A    SON    FILS. 

Elle  dit  avec  assurance  que  Dieu  a  voulu  le  rétablissement  de  son  monastère, 
quelque  apparence  qu'il  y  eût  du  contraire.  —  Troubles  de'France,  dans  lesquels 
les  soldats  français  ont  été  plus  à  craindre  en  quelque  façon  que  les  Iroquois. 
—  Raisons  pourquoi  il  n'était  pas  expédient  pour  un  temps  d'appeler  des 
religieuses  de  France.  —  L'archevêque  de  Rouen  se  déclare  ordinaire  du. 
Canada,  et  en  fait  les  fonctions. 

•     Mon  très-cher  fils, 

Voici  la  réponse  à  votre  lettre  du  13  d'avril  ;  car  tou- 
chant les  affaires  générales  du  pays  et  les  particulières 
de  notre  Communauté,  je  vous  ai  amplement  écrit  par 
trois  autres  lettres  que  vous  avez  reçues,  ou  que  vous 
recevrez  de  moi  cette  année.  Cette  quatrième  est  pour 
vous  parler  confidem ment,  et  pour  vous  dire  en  premier 
lieu  que  j*ai  été  affligée  de  ce  que  la  lettre  que  je  vous 
écrivis  Tannée  dernière  vous  ait  fait  de  la  peine,  vous 
donnant  sujet  de  croire  que  c'était  de  vous  que  je 
voulais  parler  en  tierce  personne.  Mais  pourquoi  de 
vous?  je  n'avais  garde  de  le  dire,  puisque  je  n'en  avais 
pas  la  pensée  ;  et  cette  pensée  n'avait  garde  de  me  venir, 

LBTTR.  M.    II.  *  1 


2  LETTRES 

puisque  je  sais  assurémeDt  que  cela  n'est  pas.  Je  vous 
parlais  de  certains  reproches  que  nos  Mères  de  Tours 
m'avaient  faits  assez  mal  à  propos,  quoiqu'assez  inno- 
cemment; et  je  touchais  en  tierce  personne  celui  qui 
en  avait  été  l'auteur,  ne  le  voulant  pas  nommer  pour 
le  respect  que  je  lui  porte  et  pour  les  obligations  que  je 
lui  ai.  Croyez  donc,  mon  très-cher  fils,  quertout  ce  que 
vous  m'écrivez  m'est  d'autant  plus  agréable,  que  je  n'y 
reconnais  que  de  la  vérité  et  de  la  solidité. 

Je  trouve  tout  ce  que  vous  me  dites  touchant  notre 
demeure  en  ce  pays  ou  notre  retraite  en  France,  dans 
le  véritable  raisonnement  que  la  prudence  peut  produire. 
J'ai  les  mêmes  sentiments  que  vous;  mais  l'exécution 
s'accorde  rarement  avec  nos  pensées,  comme  le  remar- 
quent ceux  qui  ont  connaissance  de  la  conduite  de  Dieu 
sur  ces  contrées,  où  il  semble  que  sa  Providence  se 
joue  de  toute  la  prudence  humaine.  Je  suis  aussi  cer- 
taine que  sa  divine  Majesté  a  voulu  notre  rétablisse- 
ment, et  que  la  vocation  que  j'ai  eue  d'y  travailler  est 
venue  d'elle,  que  je  suis  assurée  de  mourir  un  jour. 
Nonobstant  cette  certitude  et  les  dépenses  que  nous 
avons  faites,  nous  ignorons  ce  que  le  pays  deviendra. 
Il  y  a  pourtant  plus  d'apparence  qu'il  subsistera  qu'au- 
trement, et  je  me  sens  aussi  forte  en  ma  vocation  que 
jamais,  disposée  pourtant  à  notre  retraite  en  France, 
quand  il  plaira  à  Dieu  de  me  la  signifier  par  ceux  qui 
me  tiennent  sa  place  sur  la  terre. 

Madame  notre  fondatrice  est  aussi  dans  la  même 
disposition  quant  à  sa  vocation, mais  non  pas  pour  son 
retour  en  France,  Dieu  ne  lui  ayant  pas  encore  donné 
cette  grâce  de  dénûment;  au  contraire,  elle  a  de  si  forts 
mouvements  de  nous  bâtir  une  église,  que  les  insultes 
des  Iroquois  n'empêchent  pas  qu'elle  ne  fasse  amasser 


DE  LA  MËRE  MARIB  DB  l'INCARNATION.  3 

des  matériaux  pour  ce  dessein .  On  la  persuade  forte- 
ment de  n'y  pas  penser;  mais  elle  dit  que  son  plus  grand 
désir  est  de  faire  une  maison  au  bon  Dieu;  ce  sont 
ses  termes,  et  qu'ensuite  elle  lui  édifiera  des  temples 
vivants.  Elle  veut  dire  qu'elle  fera  ramasser  quelques 
pauvres  filles  françaises  écartées  (éloignées,  ou  aban- 
données), afin  de  les  faire  élever  dans  la  piété,  et  de 
leur  donner  une  bonne  éducation,  qu'elles  ne  peuvent 
avoir  dans  leur  éloignement.  Elle  n'a  point  eu  d'inspi- 
ration de  nous  aider  dans  nos  bâtiments  ;  tout  son  cœur 
se  porte  à  son  église,  qu  elle  fera  faire  peu  à  peu  de  son 
revenu,  qui  est  assez  modique.  M.  de  Bernières  lui 
a  envoyé  cette  année  cinq  poinçons  de  farine,  qui  valent 
ici  cinq  cents  livres.  Il  nous  a  aussi  envoyé  une  horloge, 
avec  cent  livres  pour  nos  pauvres  Hurons.  Que  direz- 
vous  à  tout  cela?  Pour  moi,  toute  ma  pente  intérieure 
est  de  me  laisser  conduire  à  une  si  aimable  Providence, 
et  d'agréer  tous  les  événements  que  sa  conduite  fera 
naître  de  moment  en  moment  sur  moi. 

Je  parlais  encore  ce  matin  à  deux  personnes  très- 
expérimentées  dans  les  affaires  du  pays,  touchant  deux 
filles  que  nous  voulons  faire  venir  de  France  pour  les 
faire  converses.  Il  n'y  trouvent  nulle  difficulté;  pour 
moi  j'y  en  trouve  beaucoup  :  premièrement  à  cause 
des  dangers  de  la  mer,  secondement  à  cause  des  trou- 
bles du  royaume,  et  enfin  à  cause  de  la  société  ou  con- 
jonction (contact)  des  personnes.  C'est  pour  cela  que 
nous  n'avons  point  encore  pris  de  résolution.  Pour 
l'hostilité  des  Iroquois,  ce  n'est  pas  ce  qui  nous  retient. 
Il  y  en  a  qui  regardent  ce  pays  comme  perdu,  mais  je 
n'y  vois  pas  tant  de  sujet  d'appréhender  pour  nous, 
comme  l'on  me  mande  de  France  que  les  personnes  de 
notre  sexe  et  condition  en  ont  d'appréhender  les  soldats 


4  LBTTRB8 

flrançais.  Ce  que  Ton  m'en  mande  me  fait  frémir.  Les 
Iroquois  sont  bien  barbares,  mais  assurément  ils  ne 
font  pas  aux  personnes  de  notre  sexe  les  ignominies 
qQ*on  me  mande  que  les  Français  ont  faites.  Ceux  qui 
ont  habité  parmi  eux  (parmi  les  Iroquois)  m*ont  assuré 
qu'ils  n'usent  point  de  violence ,  et  qu'ils  laissent 
libres  celles  qui  ne  leur  veulent  pas  acquiescer.  Je  ne 
voudrais  pourtant  pas  m'y  fier,  parce  que  ce  sont  des 
barbares  et  des  infidèles.  Nous  nous  ferions  plutôt  tuer 
que  de  nous  laisser  emmener,  car  c'est  en  cette  sorte 
de  rébellion  qu'il  tuent  ;  mais,  grâce  à  Notre- Seigneur, 
nous  n'en  sommes  pas  là.  Si  nous  avions  connaissance 
des  approches  de  cet  ennemi,  nous  ne  l'attendrions 
pas,  et  vous  nous  reverriez  dès  cette  année.  Si  je  voyais 
seulement  sept  ou  huit  familles  françaises  retourner  en 
France,  je  croirais  commettre  une  témérité  de  rester; 
et  quand  bien  même  j'aurais  eu  une  révélation  qull  n'y 
aurait  rien  à  craindre,  je  tiendrais  mes  visions  pour 
suspectes,  afin  de  nous  attacher,  mes  sœurs  et  moi,  au 
plus,  sûr  et  apparent.  Les  Mères  Hospitalières  sont 
dans  la  même  résolution.  Mais,  pour  vous  parler  avec 
simplicité,  la  difficulté  qu'il  y  a  d'avoir  les  nécessités 
de  la  vie  et  du  vêtement  fera  plutôt  quitter,  si  Ton 
quitte,  que  les  Iroquois  :  quoiqa'à  dire  la  vérité,  ils 
en  seront  toujours  la  cause  foncière,  puisque  leurs  cour- 
ses et  la  terreur  qu'ils  jettent  partout,  arrête  le  corn* 
merce  de  beaucoup  de  particuliers.  C'est  pour  cela  que 
nous  défrichons  le  plus  que  nous  pouvons.  Le  pain 
d'ici  a  meilleur  goût  que  celui  de  France,  mais  il  n'est 
pa^  du  tout  si  blanc  ni  si  nourrissant  pour  les  gens 
de  travail.  Les  légumi?es  y  sont  aussi  meilleurs  et  en 
auâsi  grande  abondance.  Voilà»  mon  trè»<^her  fiK  où 
aoos  en  sommes^  au  regard  des  Iroquois. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'IN CARNATION.  5 

J'entre  fort  dans  vos  sentiments  touchant  la  nécessité 
de  pourvoir  pour  l'avenir  à  l'observance  de  nos  règles. 
Pour  le  présent,  je  le  dis  à  ma  confusion,  je  ne  vois 
pas  en  moi  une  seule  vertu  capable  d'édifier  mes  sœurs. 
Je  ne  puis  répondre  de  l'avenir,  mais,  à  ce  que  je  puis 
voir  de  celles  qui  sont  passées  de  France,  je  m'assure- 
rais de  la  plus  grande  partie  comme  de  moi-même;  et 
quand  même  elles  y  voudraient  repasser,  ce  qu'elles 
sont  bien  éloignées  de  faire,  celles  du  pays  que  nous 
avons  faites  professes  ayant  été  élevées  dans  nos  règles 
et  n'aj'ant  jamais  goûté  d'autre  esprit,  seraient  capables 
de  le  maintenir.  C'est  pour  cela  que  nous  ne  nous 
pressons  pas' d'en  demander.  De  plus,  la  plaie  que  ta 
main  de  Dieu  nous  a  faite  est  encore  trop  récente,  et 
nous  en  ressentons  trop  l'incommodité.  Nous  craignons 
encore  qu'on  ne  nous  envoie  des  sujets  qui  ne  nous 
soient  pas  propres  (ne  nous  conviendraient  pas),  et  qui 
aient  de  la  peine  à  s'accommoder  au  vivre,  à  l'air,  aux 
personnes.  Mais,  ce  que  nous  appréhendons  davantage, 
est  qu'elles  ne  soient  pas  dociles,  et  qu'elles  n'aient'  pas 
une  bonne  vocation  :  car  comme  elles  apportent  un 
esprit  différent  du  nôtre,  si  elles  n'ont  de  la  soumission 
et  de  la  docilité,  elles  auront  de  la  peine  à  s'accom- 
moder, et  nous  peut-être  à  les  souffrir. 

Cette  contrariété  d'esprit  a  déjà  fait  repasser  deux 
Hospitalières,  et  cet  exemple  que  nous  avons  devant  les 
yeux  fait  le  sujet  de  ma  crainte.  Car  quelle  apparence 
de  faire  faire  mille  ou  douze  cents  lieues  à  des  personnes 
de  notre  sexe  et  de  notre  condition,  parmi  les  dangers 
de  la  mer  et  des  ennemis,  pour  les  renvoyer  sur  leurs 
pas.  J'aurais  de  la  peine  à  me  résoudre  à  cela,  à  moins 
d'une  nécessité  absolue,  comme  si  une  fille  était  si 

• 

arrêtée  à  vouloir  s'en  retourner  qu'on  ne  la  pût  retenir 


6  LETTRES  ' 

tju'avec  violence  et  peut-être  au  préjudice  de  son  sahit. 
J*avais  un  grand  désir  de  faire  venir  ma  nièce  de  Tln- 
carnation,  qu'on  ni*a  mandé  plusieurs  fois  être  sage  et 
vertueuse,  et  avoir  une  grande  vocation  ;  j'eusse  même 
pris  plaisir  à  la  dresser  en  toutes  nos  fonctions,  et  en 
tout  ce  qui  regarde  le  pays.  Mais  la  crainte  que  j'ai  eue 
qu'elle  ne  fût  pas  contente,  et  de  l'exposer  au  bazard 
d'un  retour,  m'a  retenue.  De  plus,  j'ai  de  Tâge,  et  en 
mourant  je  la  laisserais  dans  une  solitude  qui  lui 
serait  peut-être  onéreuse.  Et  enfin,  les  empêchements 
que  les  Iroquois  apportent  au  christianisme,  ne  nous 
permettant  pas  d'avoir  comme  auparavant  des  filles 
sauvages,  ce  lui  serait  une  peine  bien  grande  de  se 
voir  privée  de  la  fin  pour  laquelle  elle  serait  venue. 
Car  à  vous  dire  la  vérité,  ce  point  est  extrêmement 
pénible  et  abattant.  Comment  une  jeune  fille  aura- 
t-elle  le  cœur  d'apprendre  des  langues  très-difficiles, 
se  voyant  privée  des  sujets  sur  lesquels  elle  espérait 
les  exercer?  Si  ces  hostilités  devaient  durer  peu  de 
temps,  l'esprit  ferait  un  efibrt  pour  vaincre  cette  répu- 
gnance; mais  la  mort  viendra  peut-être  avant  la  paix.^ 

Voilà  ce  qui  m'a  arrêtée  pour  ma  nièce,  nonobstant 
le  désir  que  j'avais  de  la  satisfaire,  et  la  consolation 
que  j'en  pouvais  espérer  :  car,  étant  éloignée  de  vous 
et  hors  des  occasions  de  vous  voir,  elle  m'eût  été  un 
autre  vous-même,  puisque  vous  êtes  les  deux  personnes 
pour  lesquelles  mon  esprit  fait  le  plus  souvent  des 
voyages  en  France  ;  mais  plutôt  dans  le  cœur  de  notre 

(1)  Nous  avons  fait  remarquer  au  Chapitre  XV  de  la  Vie  de  notre  vénérable 
Mère  qu'il  y  eut  une  diminution  de  séminaristes  sauvages  pendant  les  trois 
premières  années  qui  suivirent  l'incendie  du  monastère;  mais  ensuite,  la  paix 
ayant  été  faite  avec  les  Iroquois,  la  confiance  succéda  à  la  crainte,  et  on  grand 
nombre  d'élèves  indigènes  furent  confiées  aux  Ursulioes. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'IN CARNATION.  7 

aimable  Jësus,  où  je  vous. visite  lun  et  Tautre  dans 
les  souhaits  que  j*y  fais  de  votre  sanctification  et  de 
la  parfaite  consommation  de  tout  vous-même.  Mais  je 
fais  un  sacrifice  de  cette  satisfaction  à  mon  divin  Jésus, 
abandonnant  le  tout  à  sa  conduite  pour  le  temps  et 
pour  l'éternité.  Il  sait  ce  qu'il  veut  faire  de  nous,  prenons 
plaisir  à  le  laisser  faire,  et  si  nous  lui  sommes  fidèles, 
notre  réunion  sçra  d'autant  plus  parfaite  dans  le  ciel 
que  nous  aurons-  rompu  nos  liens  en  ce  monde  pour 
obéir  aux  maximes  de  son  Evangile.  Mais  revenons 
à  notre  propos. 

Nous  ne  nous  pressons  donc  pas  de  demander  des 
soeurs  de  chœur  en  France,  et  nous  croyons  qu'il  faut 
un  peu  diflFérer,  afin  de  prendre  des  mesures  si  justes 
que  nous  et  elles  n'ayons  pas  sujet  d'être  mécontentes. 
Nonobstant  néanmoins  ioutes  les  raisons  que  j'ai  appor- 
tées, nous  ne  pourrons  nous  dispenser  de  demander 
deux  sœurs  converses,  et  peut-être  dès  cette  année. 

Je  ne  sais  si  je  vous  ai  dit  ailleurs  que  comme  il  n'y 
a  point  ici  d'évêque,  celui  de  Rouen  a  déclaré  qu'il 
nous  en  tenait  la  place.  Et  pour  se  mettre  en  possession, 
il  a  institué  pour  son  grand-vicaire  le  révérend  Père 
supérieur  des  missions,  lequel  d'ailleurs  étant  le  prin- 
cipal ecclésiastique  du  pays,  nous  nous  reposons  sur 
son  autorité  pour  la  validité  de  nos  professions,  après 
la  consultation  qui  en  a  été  faite  en  Sorbonne,  signée 
de  six  docteurs. 

Quant  à  ce  qui  vous  touche,  n'attribuez  point  à  un 
défaut  d'affection  si  je  ne  vous  ai  pas  envoyé  les  papiers 
que  vous  m'aviez  demandés  ;  je  ne  les  gardais  que  pour 
cela,  car  autrement  je  les  eusse  fait  brûler  après  avoir 
satisfait  à  mon  supérieur,  qui  m'avait  demandé  de  les 
écrire,  et  qui  me  les  avait  remis  entre  les  mains  :  mais 


8  LETTRES 

comme  je  vous  le  mandais  Tannée  dernière,  un  autre 
feu  les  a  consumés.  Néanmoins,  puisque  vous  le  voulez, 
si  je  puis  dérober  quelques  moments  à  mes  occupations, 
qui  sont  assez  continuelles,  j*écrirais  ce  que  ma  mémoire 
et  mon  affection  me  pourront  fournir,  afin  de  vous 
l'envoyer  Tannée  prochaine. 

Voilà,  mon  très-cher  fils,  comme  la  vie  se  passe  ;  si 
notre  bon  Dieu  n'y  suppléait  par  l'infusion  de  ses  grâces 
actuelles,  qui  pourrait  subsister?  Je.  vous  confesse  que 
je  n'ai  point  de  quoi  me  plaindre,  mais  plutôt  que  j'ai 
sujet  de  chanter  ses  miséricordes.  Je  vous  assure  qu'il 
me  faut  un  courage  plus  que  d'homme  pour  porter  les 
croix  qui  naissent  à  monceaux,  tant  dans  nos  affaires 
particulières  que  dans  les  générales  du  pays,  où  tout 
est  plein  d'épines,  parmi  lesquelles  il  faut  marcher  dans 
Tobscurité,  où  les  plus  clairvoyants  sont  aveugles,  et 
où  tout  est  incertain.  Avec  tout  cela  mon  esprit  et  mon 
cœur  sont  dans  le  calme,  et  ils  attendent  de  moment 
en  moment  les  ordres  et  les  événements  de  la  Provi- 
vidence,  afin  de  s'y  soumettre.  Toute  Tobscurité  qui 
se  rencontre  me  fait  voir  plus  clair  que  jamais  dans 
'ma  vocation,  et  me  découvre  des  lumières  qui  m'étaient 
obscures  et  inconnues  lorsque  Dieu  me  les  donnait  avant 
que  je  vinsse  en  Canada.  Je  vous  en  parlerai  dans  les 
écrits  que  je  vous  promets,  afin  de  vous  faire  connaî- 
tre et  admirer  la  conduite  de  la  divine  bonté  sur  moi, 
et  comme  elle  a  voulu  que  je  lui  obéisse  sans  raison- 
nement humain,  me  perdant  dans  ses  voies  d'une 
manière  que  je  ne  puis  exprimer.  Notre  chère  Mère 
de  Saint-Joseph  étant  au  lit  de  la  mort,  me  prédit  que 
j'aurais  bien  des  croix  à  supporter.  Je  les  attends,  mon 
très-cher  fils,  et  les  embrasse  .à  mesure  qu'elles  se  pré- 
sentent;  et  après  tout,  notre  cher  Sauveur   me  fait 


DE  LA  MÉRB  MARIE  DE  L'INCARNATION.  9 

expérimenter,  que  son  joug  est  doux  et  son  fardeau 
léger.  Qu'il  soit  béni  éternellement  d*âvoir  tant  d*égard 
à  mes  faiblesses  qu'il  ait  voulu  goûter  toute  lamertume 
de  la  croix  pour  ne  m'en  laisser  que  la  douceur. 

Quand  je  vous  parle  de  notre  pauvreté,  ne  croyez  pas 
que  je  "vous  demande  rien,  sinon  des  prières,  que  j*estime 
pour  moi  de  véritables  richesses.  Je  laisse  tout  le  reste 
à  la  conduite  de  la  divine  Providence,  qui  est  sura- 
bondamment riche  pour  subvenir  à  nos  besoins.  Je  vous 
assure  qu  elle  ne  nous  a  pas  encore  laissé  manquer , 
parmi  toutes,  nos  pertes,  du  nécessaire  à  la  vie,  non 
plus  que  du  vêtement,  et  qu'elle  a  paternellement  pourvu 
à  tout.  Et  même  dans  la  longue  maladie  de  la  bonne 
Mère  de  Saint-Joseph,  cette  Providence  nous  a  telle- 
ment aidées,  qu'elle  n'eût  pu  être  mieux  secourue  en 
France  au  milieu  de  ses  parents,  ôté  l'incommodité  du 
logement.  Je  vous  ai  déjà  parlé  de  sa  mort,  je  n*en 
dis  rien  ici  davantage*.  Je  perds  à  cette  privation,  mais 
je  me  console  de  ce  que  Dieu  la  possède,  car  sans  cela 
la  perte  d'un  si  digne  sujet  me  serait  extrêmement 
sensible.  Mais  enfin  Dieu  soit  béni  de  tout;  il  est  mon 
tout  et  ma  vie,  en  quelque  part  que  je  puisse  être. 

De  Québec,  1652. 


w 


lettre:  cîiT. 


»L    trXS    DS    9SS    S(S^TrH.9. 


?fo«r<^Ies  iiwiitt«»  des  OnifiiiiUL  —  Ls  FcBaça»  las  dâfom  «c  laar  (J^ubebC 
!•  f\iitV'.  •— '  ritum'»  €flMij#  uuutLV  me  pir  Iff  rai  de 


9b  teSs-daère  et  fsâf-aiméé  saur. 

L'amour  €fc  la  TiedeJAcrs  aoft  Totre  vie  poor  rékemité. 

J'ai  fsçi  TGkre  lettre  datée  de  la  fia  de  mars,  dans 
kifjflMe  fai  tmawé  m  graad  rajet  de  rendre  grâces 
à  9fotr8:-96^gnear  pour  les  bëaédktioQS  qnll  Terse  sur 
"P^HSn  ùmîUe  et  sor  toos  en  partienBer.  Je  le  prie  de 
Hém  fenre  tocu  saints.  Cest  oà  noos  derons  tons  aspi- 
fisr^  et  à  ({«H  lUKBs  deroQS  traTainer  sans  cesse,  pois- 
(iv»  éeA  noire  unique  nécessaire,  qni  n  empêchera  pas 
p6!»rtaftl  ta  n^oee  <m  Dîen  toos  a  appelé  en  ce 
môt^éf  pottrra  que  toos  rapportiez  tont  à  cette  fin, 
Mm  me  à  soD  dernier  point  de  Tne. 

La  eompasiion  que  vous  avez  de  nos  croix  est  une 
«Mt(\xie  de  Totre  bon  cœur  et  de  Tafiéction  que  tous 
a^ê^  pour  ce  payt ,  où  elles  foisonnent  aussi  bien  qu*en 
^otr^  France,  dont  nous  continuons  d'apprendre  les 
déêMiren.  Nous  apprenons  que  six  cents  Iroquois  ont 
Msié^é  \eê  Trois-Rîviêres,  et  que  notre  très-cher  Père 
P(n$^et  eni  entre  lenm  mains,  ce  qui  afflige  universel- 
iétùeuî  tout  le  pays.  Mais  le  révérend  Père  Mercier, 
iopërieur  des  missions,,  a  tellement  fortifié  ce  lieu  que 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNGARNATION.  1 1 

les  Français  y  sont  en  assurance.  L*on  craint  seulement 
qu'ils  ne  brûlent  les  moissons,  comme  ils  ont  déjà 
commencé.  On  parlemente  avec  eux  pour  échanger 
le  Père  et  un  homme  qui  est  avec  lui  contre  d'autres 
prisonniers  Iroquois  que  nous  avons.  On  ne  sait  point 
encore  l'issue  de  cette  négociation.  Ces  misérables  ont 
tant  fait  de  rav/tges  en  ces  quartiers,  qu'on  a  cru  quelque 
temps  qu'il  fallait  repasser  en  France.  Tous  ces  bruits 
néanmoins  sont  dissipés,  et  depuis  quelques  mois  ils 
n'ont  point  paru.  L'habitation  de  Mont-Réal  leur  a 
puissamment  résisté  et  donné  la  chasse  avec  perte 
de  leurs  gens.  Maintenant  on  fait  les  récoltes  qui  sont 
belles.  Avec  cela  il  vient  du  secours  de  France,  ce 
qui  console  tout  le  pays,  car  c'eût  été  une  chose  déplo- 
rable s'il  eut  fallu  venir  à  cette  extrémité  que  de 
quitter.  Plus  de  deux  mille  Français  qui  l'habitent  et 
qui  ont  fait- de  grandes  dépenses  pour  s'y  établir, 
n'ayant  point  de  bien  ailleurs,  eussent  été  misérables  ; 
et  de  plus,  les  sauvages  n'ayant  pas  assez  de  force 
pour  résister  aux  Iroquois,  ils  eussent  été  en  des  hasards 
continuels  de  perdre  la  vie  et  peut-être  la  foi.  Mais 
enfin  nous  attendons  le  secours  que  M.  de  Maisonneuve, 
gouverneur  de  Mont-Réal,  amène  de  France,  où  il 
était  allé  exprès.  Cependant  priez  Dieu  qu'il  protège 
deux  mille  sauvages  qui  se  sont  assemblés  en  un  lieu 
hors  de  l'incursion  des  Iroquois,  et  qui  veulent  venir 
ici  pour  lier  le  commerce  avec  les  Français.  Ils  auront 
de  la  peine  à  passer,  parce  que  les  Iroquois,  qui  les 
haïssent  à  mort,  comme  les  restes  de  leur  carnage, 
occu[ient  les  passages.  S'ils  peuvent  venir  jusqu'ici, 
on  aura  le  moyen  de  les  instruire,  et  la  porte  sera 
ouverte  à  de  plus  grandes  nations.  Comme  cette  affaire 
est  de  conséquence,  je  vous  la  recommande,  et  à  tous 


) 


12  LBTTRB8 

• 

C6QZ  qoi  aiment  Taugmentation  da  royaume  et  de  la 
gloire  de  Jésus-Christ.  Nous  avons  de  trèsi-bonnes 
séminaristes,  entre  lesquelles  il  y  en  a  une  que  Dieu 
a  élevée  dans  un  état  d'oraison  très-particulier,  et  qui 
est  dans  une  pratique  de  vertu  qui  y  correspond. 

Vous  me  demandez  des  graines  et  des  oignons  de 
fleurs  de  ce  pays.  Nous  en  faisons  vçnir  de  France 
pour  notre  jardin,  n*y  en  ayant  pas  ici  de  fort  rares 
ni  de  fort  belles.  Tout  y  est  sauvage,  les  fleurs  aussi 
bien  que  les  hommes.  Aidez-moi  de  vos  prières  dans 
mes  grandes  nécessités.  Quoique  j'aie  la  santé  bonneip 
je  cours  sans  cesse  à  la  moft,  et  une  pauvre  pécheresse 
comme  moi  a  besoin  de  secours  pour  le  passage  de 
l'éternité. 

De  Québec,  le  12  a(mt>1653. 


LETTRE  CXV. 


A    UNE    DE    SES    SŒURS. 


Aprè«  Itti  «Toir  montré  que  connaîtr*  et  aim«r  U  Cœur  da  Jisus-CntisT,  c*ett 
Im  vé»itabl«  scitDc«  dt%  sminto,  «Ue  rexkorto  à  demander  en  «oo  nom  la 
coavertioD  dea  taura^M  inâdélea. 


Ma  très- chère  et  très^aimée  soeur. 

L'amour  et  la  vie  de  Jésus  soit  votre  vie  pour  réternitë. 

Pourquoi,  ma  très-intime,  ne  vous  souhaiterais-je 
pas  toutes  sortes  de  biens  dans  la  grâce  et  dans  la 
gloire,  puisque   vous  voulei  être  toute  de  corps  et 


DE  LA  MÉRB  MARIE  DE  L*INCARNATION.  13 

d'esprit  aa  suradorable  Verbe  Incarné?  Soyez  ignorante 
tant  qù*il  vous  plaira  des  choses  de  la  terre,  pourvu  que 
vous  le  sachiez  et  que  vous  le  connaissiez  vrai  Fils 
de  Dieu,  le  maître  et  souverain  amateur  des  âmes, 
vous  êtes  savante  de  la  science  des  saints.  Mon  Dieu  ! 
ma  très- chère  sœur,  pourrais-je  vous  avoir  jamais  dit 
un  mot  qui  vous  eût  portée  à  faire  un  véritable  et  pur 
acte  d*amour  envers  ce  divin  Sauveur?  ce  me  serait 
une  très-grande  joie  de  vous  avoir  inspiré  quelque 
chose  qui  pût  tourner  à  sa  gloire.  Qu'à  la  bonne  heur^ 
soit  que  vous  preniez  vos  repas  spirituels  dans  sa  sainte 
parole!  le  Saint-Esprit  y  résidant,  c'est  ce  qui  enflamme 
les  cœurs  et  les  consume  peu  à  peu,  jusquà  ce  (}u'ils 
soient  au  point  où  il  les  désire  pour  en  faire  des  sujets 
dignes  d'habiter  cette  cité  sainte  et  si  bien  munie  dont 
vous  me  parlez,  savoir  le  sacré  coeur  de  Jâsus.  Quand 
on  est  parvenu  à  cet  aimable  séjour,  on  se  repaît  et 
on  se  plaît  en  celui  qui  se  repaît  et  qui  se  plait  parmi 
'les  lis.   Il  s'y  fait  des  repas  mutuels  de  l'âme  et  de 
Jésus,  de  Jésus  et  de  l'âme,  qui  donnent  une  vie  qui 
fait  perdre  à  la  créature  la  vie  sensuelle  qu'elle  avait 
par  l'attachement  aux  choses  du  monde'.  Lorsque  vous 
y  serez  arrivée  par  la  miséricorde  de  notre  très- aimable 
Jésus,  ayez  compassion  des  âmes  qui  né  le  connaissent 
pas,  qui  ne  le  louent  pas,  qui  ne  l'aiment  pas.  Ah  !  qu'il 
y  en  a  dans  cette  Amérique  de  cette  misérable  condi- 
tion! Et  ce  qui  est  plus  déplorable,  qu'il  y  en  a  dans 
le  christianisme,  qui,  aveuglés  par  le  péché,  sont  encore 
plus  coupables  que  ces  premiers!  Faisons  notre  possi- 
ble pour  tirer  les  uns  et  les  autres  de  ce  grand  pré- 
cipice où  ils  seront  perdus  sans  ressource,  si  nous  ne 
gagnons  le  cœur  de  Dieu,  afin  qu'il  lui  plaise  de  leur 
donner  des  grâces  efficaces    pour  gagner  les  leurs. 


14  LKTTRB8 

I^Pi^UtM  t^M  H\«lii  le  0êU86  de  Jésus-Christ,  et  ne  donnez 
\\{^\\\i  \\^  U^vi^  êU  Pt^re  <$ternel  qu*il  ne  tous  ait  accordé 
\\\\  K^\  lUMuU*^  k{û  tH^s  pauvres  âmes  détachées  da 
V^\V^VMM^  ^^  «vui  ttl«.  l)^mandei-les  lui  par  ses  propres 
^VMh^^  ^  |Vh«^  kM  |M\>iu^îS$M  qa  il  lui  a  faites  disant  : 
v*V^^^HH^^M*w«(iK  ^  jk  w»«  *»WKnti  liwitei  kt  aolûnu  pour 
VVM^ .  !l^  W«  Wi  ^  4i^«i;uidMsSs  MO  sang  a  «ié  bien 
Î^^Wn  'i*  v>^$f*«?i*»t  tîiii&ù»  a'«i  pas  encore  en  son 
lf»/^WA  îiHWM*Jirt  ^5mi«k^  ^?«  J«s«^  Wfts  AimMnOn  aussi 
l^-^*t**^8k*iï*i  ^î<*^  xi5«Wtoè  50s»&r  «  ^^  loi  appar- 
^^H.^  ^;;  :f>).  :â^  ^fvî;**  «  litoMT  i«»  c»  aâaire  si 

1^  >^^^;  >iyis  ftnT»  ij^^  îw^^^ismu;  ««»  la  «arciciiàe  «Aes 

>^^^  si^4;Vv^^^  .ir>ià^~  4iii|ïr.  :^Wir  '4uvt?^  -iiMte  ^5 
>^  ^K<<*M^"^.  A^^  ]Mk^\  iMir   Af^i^t:  ift  ;^a8»  ia 


iiiiiiinifi'i'r 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*IN€ARNATION.  15 


LETTRE    CXVl. 

A    SA    PREMIÈRE    SUPERIEURE    DE    TOURS. 
•  {La  Mère  Françoise  de  Saint-Bernard.) 

Guérisons  miraculeuses  arrivées  par  TinvocatioD  de  la  Mère  Marie  de  Saiut- 
Joseph.  —  Elle  témoigne  combien  la  persécution  de  l'Eglise  lui  a  été  sensible, 
et  quelle  Ta  portée  néanmoins  avec  paix  et  tranquillité.  —  Son  zèle  pour 
le  salut  des  âmes. 

Ma  très -révérende  et  très-honorée  Mère, 

J'ai  reçu  toutes  vos  lettres,  qui  m'ont  apporté  la 
consolation  que  j'attendais  de  votre  bonté  et  pieuse 
affection  au  regard  de  notre  chère  défunte,  votre  bonne 
fille.  Plus  je  pense  à  elle,  plus  je  Taime,  et  le  ressou- 
venir que  j'en  ai  m'est  aussi  doux  qu'il  était  au  moment 
que  je  l'ai  perdue.  L'on  m'écrit  à  son  sujet  de  divers 
endroits  de  la  France  d'une  manière  qui  fait  voir 
l'amour  et  la  dévotion  que  l'on  a  conçus  pour  elle. 
C'est  un  effet  de  nos  lettres  et  du  récit  de  sa  vie,  que 
le  révérend  Père  Le  Jeune  a  fait  dans  la  Relation.  Ses 
vertus  ont  fait  une  telle  impression  dans  les  esprits 
et  dans  les  cœurs,  qu'il  semble  que  l'onction  du  Saint- 
Esprit  se  soit  répandue  en  tout  ce  que  l'on  a  écrit 
pour  embaumer  les  âmes  qui  ont  de  l'amour  pour  la 
sainteté.  On  nous  demande  quelque  chose  qui  ait  servi 
à  sçn  usage,  et  l'on  nous  prie  de  faire  des  neuvaines 
à  son  tombeau.  Une  personne  de  qualité  me  mande 


16  LETTRES 

qu'an  religieux  savant  et  de  vertu,  qui  lui  est  intime 
ami,  lui  a  dit  qu'ayant  par  tout  le  corps  des  douleurs 
si  aiguës,  qu'elles  lui  eussent  donné  la  mort  si  elle 
eussent  continué,  il  invoqua  la  Mère  de  Saint-Joseph, 
et  que  sur  Tlieure  il  sentit  un  notable  soulagement; 
ce  qu'il  attribua  aux  mérites  et  à  l'intercession  de  cette 
chère  Mère.  Une  autre  personne  de  qualité  m'a  assuré 
qu'elle  avait  reçu  une  semblable  faveur  dans  une  extré- 
mité de  mal  dont  elle  était  attaquée  depuis  plusieurs 
jours.  Ce  que  vous  me  mandez  de  ma  sœur  Isabelle 
Pavy  est  considérable  (remarquable)  et  m'a  fort  consolée. 
Dieu  soit  béni  de  ses  miséricordes  ! 

J'ai  eu  une  joie  toute  particulière  de  ce  que  le  récit 
que  je  vous  ai  fait  de  cette  chère  compagne  vous  ait  été 
agréable.  Il  ne  faut  point  dire  que  j'ai  eu  de  la  peine 
à  cela  à  cause  de  l'embarras  de  nos  affaires.  Sachez, 
ma  très-bonne  Mère,  que  ni  les  veilles,  ni  le  temps, 
ni  le  travail  ne  m'ont  jamais  rien  coûté  à  son  égard. 
Outre  son  mérite  particulier,  vous  me  l'aviez  donnée 
comme  ce  que  vous  aviez  de  plus  cher.  Âh  !  mon  intime 
Mère,  qu'il  se  trouve  peu  de  sujets  semblables  à  cette 
chère  fille!  Ce  sont  des  phénix,  et  à  peine  un  siècle 
en  peut-il  produire  un.  Vous  me  faites  espérer  son 
tableau.  Cela  nous  la  remettra  devant  les  yeux,  et 
donnera  de  la  consolation  à  celles  qui  l'ont  vue,  et  de 
la  vénération  à  celles  qui  viendront  après  nous. 

Quand  est-ce  que  j'arriverai,  ma  très-chère  Mère, 
au  port  où  a  surgi  ma  fidèle  compagne?  Quelle  voie 
pourrai-je  tenir  pour  y  arriver?  Si  je  suis  fidèle  à  Dieu, 
je  crois  que  ce  sera  celle  de  la  croix;  non  pas  de  petites 
croix,  car  je  serais  proche  du  terme  il  y  a  longtemps, 
puisque  j'en  porte  quantité  de  cette  nature  depuis  plu- 
sieurs années.  Elles  ont  bien  grossi  depuis  un  an,  que 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION.  17 

j*ai  vu  les  affaires  de  ce  pays  dans  un  état  si  déplorable 
qu'on  les  croyait  à  leur  dernière  période.  L'on  projetait 
déjà  de  tout  quitter,  et  de  faire  venir  des  vaisseaux 
de  France  pour  sauver  ceux  qui  ne  seraient  pas  tombés 
en  la  puissance  de  nos  ennemis.  Si  vous  me  demandez 
où  était  le  point  de  ma  croix,  je  vous  dirai  que  c'était 
dans  la  perte  générale  de  FEglise,  et  de  tant  d'âmeis  que 
je  voyais  qui  allaient  demeurer  dans  leur  aveuglement. 
J'ai  souffert  à  ce  sujet  un  martyre  intérieur  :  car  je 
me  suis  donnée  à  Dieu  pour  victime,  afin  de  porter 
seule  les  peines  et  les  tourments  qu'il  plairait  à  sa 
justice  d'exiger  de  moi  et  sur  moi  pour  apaiser  sa 
colère.  Je  n'ai  pas  été  digne  d'être  exaucée  dans  toute 
l'étendue  de  mes  désirs  et  de  mes  inclinations  inté- 
rieures. Notre  très-cher  Père  Poucet  a  été  plus  heu- 
reux que  moi,  parce  qu'ensuite  d'une  offrande  semblable 
qu'il  avait  faite  publiquement  de  lui-même  en  prêchant, 
il  fut  aussitôt  exaucé  ;  car  allant  faire  un  acte  de  charité 
à  une  pauvre  veuve,  il  fut  pris  et  emmené  par  les 
Iroquois.  Peut-être  sera-t-il  de  lui  comme  d'un  autre 
Isaac,  et  que  sa  volonté  detre  immolé  sera  acceptée 
pour  l'effet  par  Celui  qui  connaît  le  fond  et  la  sincérité 
des  cœurs  do  ceux  qui  lui  font  de  semblables  offrandes. 
Nous  en  attendons  l'issue;  car  dès  qu'il  a  été  entre  les 
mains  de  ces  ennemis  barbares,  ils  ont,  par  des  voies 
toutes  contraires  à  leur  férocité  ordinaire,  demandé 
la  paix  et  l'amitié  des  Français.  On  leur  a  accordé  une 
cessation  d'armes  en  ramenant  (à  condition  de  ramener) 
notre  chère  victime. 

Voilà  l'état  présent  de  nos  affaires,  après  deux  ou 
trois  miracles  que  Dieu  a  faits  en  faveur  de  ce  pays 
lorsqu'on  le  tenait  comme  désespéré.  Âh  !  mon  intime 
Mère,  que  ne  suis-je  digne  d'être  immolée  pour  la  gloire 


LBTTR.   If.    II. 


} 


18  LETTRES 

de  ce  grand  Dieu  !  Obtenez-moi  cette  insigne  grâce  en 
la  manière  qai  sera  la  plus  agréable  à  sa  divine  Majesté, 
car  Je  ne  veux  ni  vie,  ni  mort,  ni  respiration  que  dans 
son  agrément.  Oh!  qu'il  est  doux,  quoi  qu'on  souffre 
des  martyres  en  diverses  manières,  de  rouler  tous  les 
moments  de  sa  vie  dans  les  volontés  d'un  si  bon  Dieu. 
Mon  cœur  vous  dit  plus  que  ma  plume.  Rendez,  s'il 
vous  plaît,  des  actions  de  grâces  à  sa  bonté  des  faveurs 
qu'elle  me  fait  dans  ma  vocation.  Je  vous  dis  à  l'oreille 
qu'on  se  trompe  souvent  en  matière  de  vocation,  et 
ce  que  le  bienheureux  M.  de  Genève  (saint  François 
de  Sales)  dit  est  très*véritable,  que  toute  inspiration  est 
pensée,  mais  que  toute  pensée  n'est  pas  inspiration. 
Je  Tai  expérimenté  dans  la  fidèle  correspondance  que 
notre  chère  défunte  a  eue  à  sa  grâce,  car  elle  m'a 
raconté  que  dans  les  commencements  son  attrait  était 
dans  de  bonnes  pensées;  mais  Tissue  a  bien  fait  voir 
que  c'était  un  bien  inspiré  et  non-seulement  pensé. 
On  s'imagine  quelquefois  qu'un  certain  feu  passager 
est  une  vocation;  non,  mon  intime  Mère,  les  événe- 
ments découvrent  le  contraire.  Dans  ces  feux  momen- 
tanés, on  tient  plus  à  soi  qu  à  lobjet  qu'on  envisage  ; 
et  aussi  Ton  voit  que  ce  feu  étant  passé,  les  pentes  et 
les  inclinations  demeurent  en  leur  assiette  ordinaire 
de  la  nature. 

Je  vous  dis  donc  que  mes  croix  pour  llntérêt  de 
TEglise  ont  été  grandes  :  mais  après  tout^  comme  il 
est  très- doux  et  très-juste  de  suivre  les  volontés  d'un 
Dieu  si  aimable,  je  regardais  notre  chère  maison  de 
Tours  pour  y  retourner,  ou  un  autre  lieu  de  France 
pour  y  fonder  un  monastère,  ainsi  qu  il  est  porté  dans 
le  contrat  de  notre  fondation.  Dans  l'un  et  l'autre 
de  ces  deux  expédients»  je  n'euase  rien  voulu  entre- 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  19 

prendre  sans  Tordre  et  la  direction  de  mes  supérieurs 
légitimes.  C'est  pour  répondre  à  ce  que  vous  demandez 
que  je  fais  cette  petite  digression.  Pour  mon  particulier, 
dans  toutes  ces  rencontres  mon  cœur  était  si  calme  et 
tranquille,  que  je  n'aurais  pu  lui  donner  un  mouvement 
contraire  à  sa  tranquillité. 

A  présent  on  traite  de  la  paix,  et  l'on  parle  de  faire 
venir  des  ouvriers  de  l'Evangile,  pour  faire  une  grande 
mission  à  Ontario,  qui  est  à  dix  journées  au-dessus 
de  Montréal.  L'on  fait  état  dy  mener  encore  des  sol- 
dats, et  d'y  bâtir  un  fort,  afin  de  s'assurer  du  lieu, 
parce  que  ce  poste  étant  au  milieu  de  plusieurs  grandes 
nations,  ce  sera  Une  retraite  pour  ceux  qui  iront  annon- 
cer l'Evangile.  Je  sais  bien  que  je  n'irai  pas,  mais  l'in- 
térêt de  la  gloire  de  Dieu  dans  le  gain  des  âmes  me 
consume,  dans  l'attente  que  l'affaire  soit  au  point  où  on 
la  souhaite.  Je  n'irai,  dis-je,  pas,  car  ce  n'en  est  ni  le 
temps  ni  ce  qui  est  convenable  à  ma  condition  :  mais 
ces  missions  nous  donneront  des  filles,  quand  elles 
seront  établies.  Je  ne  regarde  pas  le  présent,  mais 
l'avenir,  m'estimapt  heureuse  d'être  employée  dans  lé 
fondement  d'un  si  grand  édifice,  tant  au  regard  des 
Français  que  des  sauvages,  puisque  les  âmes  des  uns  et 
des  autres  ont  également  coûté  au  Fils  de  Dieu.  Sans 
l'éducation  que  nous  donnons  aux  filles  françaises  qui 
sont  un  peu  grandes,  durant  l'espace  de  six  mois  ou 
environ,  elles  seraient  des  brutes  pires  que  les  sau- 
vages. C'est  pourquoi  on  nous  les  donne  presque  toutes 
les  unes  après  les  autres,  ce  qui  est  un  gain  inestimable 
pour  ce  pays. 

Vous  direz,  je  m'assure,  que  je  ne  suis  pas  sage 
d'avoir  à  l'âge  de  cinquante-trois  ans  les  sentiments 
que  je  vous  déclare  (que  je  vous  manifeste).  Mais  pensez 


âU  LETTRES 

ce  qall  tous  plaira  ;  si  Ton  me  disait,  il  faut  mainte- 
nant partir  ponr  aller  aux  Indes,  on  à  la  Chine,  on  aux 
Iroquois,  afin  d*en  apprendre  la  langae  et  de  travailler 
à  leur  conversion,  me  voilà  prête,  mon  intime  Mère. 
Mais  je  ne  sois  pas  digne  de  ce  bonhear;  mon  cher 
Jjtsus  m^occape  à  d antres  choses;  je  roale  dans  sa 
volonté,  je  snis  contente,  et  quelque  croix  qall  m*arrive, 
je  ne  veux  point  sortir  de  ce  centre.  Voilà  ma  vocation 
et  ma  disposition,  pour  laquelle  je  vous  supplie,  au  nom 
de  notre  divin  Sauveur  et  Maître,  de  lui  demander 
que  je  lui  sois  fidèle,  car  je  nai  rien  de  moi  que  le 
péché  et  llmperfection. 

Je  crois  ce  que  vous  me  mandez  de  notre  chère 
maison  de  Tours»  et  je  me  persuade  aisément  que  la 
paix  et  Tunion  y  sont  au  point  que  vous  le  dites.  Le 
chef  ayant  les  qualités  de  Tamour  et  de  la  charité  en 
éniinence»  il  ne  se  peut  faire  que  les  membres  ne  parti- 
QÎpeut  à  la  douceur  de  ses  influences.  Je  ^ue  cette 
Qhère  Communauté,  et  la  conjure  de  me  considérer 
toujours  comme  un  membre,  quoiquindigne,  d*un  corps 
si  précieux.  Je  me  recommande  à  ses  prières,  et  la 
QOKJ^^  ^^  ^^  ^^^  V^^  ^^  ^^  mérites. 

Di^  Québec  1653. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNGARNATION  .  21 


LETTRE  CXVII. 

À   LA   SUPERIEURE   DES   URSULINES   DE   DIJON. 

Les  Iroqnois  feignent  de  chercher  la  paix  :  cependant  ils  assiègent  les  Trois- 
Rifières,  et  prennent  le  révérend  Père  Poncet  prisonnier.  —  Nouvelles 
propositions  de  paix. 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 

La  paix  et  Tamoui*  de  notre  divin  Jésus  pour  mon 
très-humble  et  très- affection  né  salut. 

J'ai  reçu  les  lettres  qu'il  vous  a  plu  de  nous  écrire.  Il 
faut  avouer  que  votre  charité  est  des  plus  cordiales  et 
des  plus  obligeantes;  aussi  est-ce  notre  bon  Jésus  qui 
en  est  l'auteur,  et  rien  ne  peut  sortir  de  cette  source 
sainte  qui  ne  la  fasse  connaître.  Si  votre  charité  est 
grande,  nous  avons  de  nouveaux  besoins  pour  vous  la 
faire  exercer  :  car  les  Âgnerognons,  qui  sont  une  nation 
Iroquoise,  sont  venus  en  si  grand  nombre,  que  nous 
eussions  tous  été  enveloppés  dans  un  même  carnage,  si 
la  bonté  divine  ne  nou^  eût  préservés  par  une  voie  toute 
miraculeuse.  L*on  avait  fait  courir  ici  une  fausse  nou- 
velle ,  qu'ils  avaient  guerre  avec  d'autres  nations  de 
cette  Amérique.  Au  même  temps  une  compagnie  des 
Onontagerognons ,  qui  sont  une  autre  nation  des 
Iroquois,  se  présenta  pour  demander  la  paix,  disant 
qu'ils  ne  voulaient  plus  faire  qu'un  peuple  avec  les 
Français,  les  Algonquins  et  les  Hurons.  Cette  rencontre 


22  LBTTRB8 

nous  fit  facilement  croire  que  la  première  nouvelle  était 
véritable,  et  que  le  bruit  qui  courait  que  six  cents 
hommes  des  Âgnerognons  avaient  dessein  d'assiéger  les 
Trois-Rivières  était  faux.  Le  commun  s'étant  ainsi 
laissé  aveugler  aux  apparences,  ne  se  défiait  de  rien. 
Mais  le  révérend  Père  supérieur  des  missions,  homme 
très-zélé  pour  le  bien  public,  estimant  qu'il  fallait  tou- 
jours se  tenir  en  défiance,  travailla  puissamment  à 
faire  fortifier  cette  habitation  des  Trois-Rivières,  contre 
le  sentiment  même  des  habitants  du  lieu,  qui  attachés  à 
leurs  affaires  particulières,  n'avaient  point  d'envie  de 
les  quitter  pour  travailler  à  la  forteresse.  Cependant 
quelques  contradictions  que  le  Père  trouvât  à  son  entre- 
prise, les  fortifications  furent  achevées  et  tous  les  habi- 
tants mis  à  couvert  des  surprises  de  l'ennemi.  A  peine 
trois  semaines  furent  écoulées,  que  six  cents  Iroquois 
dont  on  nous  avait  menacés,  parurent  à  dessein  de 
mettre  tout  à  feu  et  à  sang,  sans  exception  d'âge  ni 
de  sexe,  ce  qu'ils  eussent  fait  assurément,  si  le  lieu 
eût  été  dans  l'état  où  ils  croyaient  le  trouver.  Tous  les 
habitants  du  village  des  Hurons  ayant  eu  avis  de  leur 
approche,  se  retirèrent  aussitôt  dans  le  fort,  et  de  la 
sorte  ils  ont  évité  le  carnage  aussi  bien  que  les  Fran- 
çais. Il  est  si  vrai  qu'ils  voulaient  tout  exterminer  et  se 
rendre  les  maîtres  de  la  place,  qu'ils  avaient  amené 
leurs  femmes,  leurs  enfants  et  tout  leur  bagage  afin  de 
s'y  établir. 

Au  même  temps,  le  révérend  Père  Poncet,  très-digne 
missionnaire,  et  qui  demeurait  à  Québec,  c'est-à-dire, 
à  trente  cinq  lieues  des  Trois-Rivières,  étant  sorti  pour 
aller  rendre  quelque  devoir  de  charité  à  une  pauvre 
veuve,  fut  pris  par  un  parti  de  cette  troupe.  La  nouvelle 
en  étant  venue  à  Québec,  les  habitants,  qui  l'aiment 


DE  LA  MËRE  MARIE  DE  L*INCARNATION.  23 

eomme  lear  Père,  prirent  aussitôt  les  armes  et  couru- 
rent après  ces  barbares  pour  renlover  de  leurs  mains. 
Ils  les  poursuivirent  de  si  près  qu*il  ne  s'en  fallut  pas 
trois  heures  de  temps  qu  ils  ne  les  attrapassent,  car  ils 
trouvèrent  encore  le  feu  allumé  dans  un  lieu  d*oii  ils 
venaient  de  sortir.  Ayant  visité  ce  poste,  ils  virent  écrit 
avec  du  charbon  sur  un  arbre  que  le  Père  avait  pelé  : 
Père  Poncet  ;  et  sur  un  autre  :  Francheteau.  Ils  trouvèrent 
encore  le  livre  du  Père,  qu*il  avait  laissé  à  dessein,  et 
rayant  ouvert,  ils  y  lurent  ces  paroles  :  «  Nous  sommes 
pris  par  les  Âgnerognons  ;  ils  nous  ont  traités  jusqu'à 
cette  heure  avec  toute  civilité.  »  Nos  gens  ayant  lu  ces 
paroles,  prirent  de  nouvelles  forces  et  ramèrent  avec 
courage  jusqu'à  un  fort  habité  par  les  Français,  où  ils 
furent  contraints  de  rester  pour  passer  la  nuit.  On  leur 
dit  là  qu'ils  étaient  morts  s'ils  passaient  ofttre,  et 
qu'assurément  il  y  avait  du  malheur,  parce  que  les 
canons  et  les  fusils  des  Trois-Rivières  avaient  tiré  sans 
cesse  toute  la  journée.  Trois  de  la  bande,  nonobstant 
le  danger,  se  détachèrent  pour  aller  porter  la  nouvelle 
de  la  prise  du  Père  aux  Trois-Rivières,  qui  était  à  deux 
lieues  de  là.  Ils  passèrent  au  travers  de  l'ennemi  à  la 
faveur  de  la  nuit,  et  entrèrent  heureusement  dans  le 
fort.  La  nouvelle  qu'ils  portaient  obligea  à  parlementer 
avec  l'ennemi  dès  le  lendemain,  afin  d'échanger  quel- 
ques prisonniers  pour  le  Père.  Ils  acquiescèrent  à  cette 
proposition.  Mais  comme  il  n'y  a  nulle  foi  dans  les 
infidèles,  ils  trouvèi;ent  moyen  de  gagner  un  sauvage 
de  l'habitation,  qui  leur  promit  de  leur  donner  entrée 
et  les  faire  maîtres  de  la  place.  L'espérance  qu'ils  avaient 
que  ce  dessein  leur  réussirait,  fit  qu'ils  ne  se  pressaient 
pas  de  rien  conclure  sur  les  propositions  qui  leur  avaient 
été  faites,  et  qu'ils  avaient  acceptées.  Mais  la  trahison 


24  LBTTRES 

ayant  été  découverte,  et  les  Français  qui  étaient  allés 
après  le  Père  étant  venus  au  secours,  ils  perdirent  cœur 
et  demandèrent  la  paix.  Quoiquon  ne  se  fiât  pas  tout 
à  fait  à  eux,  on  les  prit  au  mot,  à  condition  qu'ils 
rendraient  le  Père  incessamment.  Mais  il  se  trouva  par 
malheur  que  ceux  qui  Tavaient  enlevé  l'avaient  déjà 
fait  embarquer  pour  le  mener  en  leur  pays.  Ils  ont 
envoyé,  à  ce  qu'ils  ont  dit,  deux  canots  avec  un  capitaine 
pour  l'amener,  et  ensuite  ils  se  sont  retirés  à  la  faveur 
des  propositions  de  paix,  après  avoir  ravagé  les  mois- 
sons et  tué  les  bœufs  et  les  vaches  des  habitants  qu'ils 
ont  trouvés  dans  la  campagne.  Avant  que  de  venir  aux 
Trois-Rivières ,  ils  avaient  attaqué  Montréal,  d'où  ils 
avaient  été  repoussés,  et  oti  ils  n'avaient  eu  d'autre 
avantage  que  de  prendre  quelques  sauvages  et  Français 
qui  étainnt  à  l'écart. 

A  présent  deux  ou  trois  de  leurs  nations  nous  recher- 
chent de  paix  et  ont  fait  des  présents  pour  cela.  Le 
rendez- vous  est  donné  aux  Trois-Rivières,  où  les  Fran- 
çais, Algonquins,  Hurons,  et  autres  alliés  se  devaient 
aussi  trouver.  Si  nos  ennemis  disent  vrai  et  que  la 
paix  qu'ils  témoignent  désirer  soit  constante,  la  porte 
sera  ouverte  à  l'Evangile  dans  toutes  les  nations  de 
cette  Amérique.  Mais,  dans  toutes  les  règles  de  la 
prudence,  on  ne  peut  s  y  fier,  car  jusqu'ici  on  n'a 
remarqué  que  trahison  et  perfidie  dans  leur  conduite. 
Mais  enfin  nous  voyons  sur  nous  des  protections  de 
Dieu  à  leur  égard  qui  sont  toutes  miraculeuses.  Il  les 
aveugle  pour  ne  pas  voir  leur  force  et  notre  faiblesse, 
car  s'ils  voyaient  les  choses  comme  elles  sont,  ils  nous 
auraient  bientôt  égorgés,  mais  cette  bonté  infinie  les 
retient  par  sa  main  toute-puissante,  afin  qu'ils  ne  nous 
nuisent  point.  L'affaire  de  la  paix  ou  de  la  guerre  sera 


^     DB  LA  MËRB  MARIB  DB  L'INGARNATION  .  25 

conclue  dans  un  mois,  qu'ils  ont  demandé  de  terme 
pour  aller  consulter  les  anciens  de  leur  pays.  Dieu  par 
sa  Providence  nous  donne  ce  temps-là  pour  faire  les 
moissons,  car  s'ils  eussent  continué  à  les  brûler  comme 
ils  avaient  commencé,  nous  eussions  été  réduits  à  une 
famine  mortelle. 

On  remarque  trois  ou  quatre  miracles  de  Dieu  sur 
nous  en  tout  ce  qui  s'est  passé  en  ces  dernières  attaques  ; 
je  dis  des  miracles  évidents,  qui  nous  fortifient  beau- 
coup, nous  faisant  voir  que  ce  ne  sera  point  l'industrie 
humaine  qui  nous  tirera  de  la  persécution  des  Iroquois; 
mais  la  seule  bonté  divine,  qui  pouvant  changer  les 
cœurs  de  pierre  en  des  cœurs  de  chair,  peut  faire  de 
ces  barbares  des  enfants  d'Abraham.  Ceux  qui  ont  des 
présents  pour  la  paix  ont  invité  nos  révérends  Pères 
d'aller  en  leur  pays.  Mais  la  prudence  ne  permet  pas 
de  se  presser.  Si  la  paix  se  fait,  la  foi  s'y  introduira 
infailliblement.  C'est  une  chose  digne  de  votre  piété, 
ma  très-bonne  et  très-chère  Mère,  de  tâcher,  avec  votre 
sainte  Communauté,  de  gagner  le  Cœur  de  Dieu,  afin 
qu'il  plaise  à  sa  bonté  de  gagner  ceux  de  ces  barbares.  , 
Il  est  temps  qu'il  soit  loué  et  béni  de  ceux  qui  l'ont 
méprisé  jusqu'ici,  et  qui  ont  mis  tant  d'obstacles  à  sa 
gloire.  Je  vous  rends  mes  très-humbles  remercîments 
pour  la  grande  charité  qu'il  vous  a  plu  de. nous  faire. 
Nous  tâchons  de  reconnaître  auprès  de  Notre -Seigneur 
vos  continuels  bienfaits  que  vous  avez,  d'un  si  grand 
cœur,  augmentés  encore  cette  année.  Permettez- moi 
s'il  vous  plaît,  de  saluer  votre  sainte  Communauté;  et 
de  la  prier  d'agréer  le  très-humble  salut  de  la  nôtre. 

De  Québec,  le  6  septembre  1653. 


M  LETTRES 


LETTRE  CXVIII. 


   SON    FILS. 


M»  W  ttiifoii  d^M  pfta4|7nqtt9  <!•  mIbI  Bmon  qull  hti  avait  «rroyé,  «t  lai  dît 
«M  tMl«Mttla  «ir  aoa  4èévati«i  à  la  sapérioricé.  —  Da  q—Ha  aaaièra  aOa  a 
^atwfoii  4*Mrik<a  U  MacNila  <Jia  Di«a  à  aoa  éfacd. 


Moa  trde^eher  et  bien-aimé  fils. 


L'uftoiur  et  ta  Tie  de  Jtscs  soit   notre  rie   pour 


?e^  Totre  lettre  en  date  du  troisième  jour  d*aTril« 
et  eaeesatMe  Tagréable  présent  qui  raccompagnait.  Yooa 
aies  bien  sii^  de  dire  que  ça  été  pour  ma  conaolatioii 
(|«ie  ^oœ  me  Taures  envoYé  :  car  en  effist  jea  ai  été  trà»> 
ooaeolée^  et  j'ai  rendu  à  Dieu  et  à  son  Saint-Esprit  mes 
tr^bumMee  actione  de  grâces  de  celles  qall  iroaa 
oommuaique^  tant  en  ^otre  particalier  pour  irotre  saiie- 
tiâcaûon.  que  dee  talents  qull  toos  donne  pour  aider 
le  {prochain»  soit  par  Texercice  de  la  prédicatiim^  soit 
par  I  économie  do  la  charge  qall  vous  a  mise  eaatte  les 
maiîid.  J  espère  que  sa  divine  Xajesté  ne  ^ntm  abaa- 
Jona^ra  jamoiss  pendan4  que  vous  seres  un  ftièie  dis- 
pest^aieur  ie  ses^  bien^^  car  il  dit  Jans  i*5^angile  à  soa 
scTV'Ueur  iuèie     y^mt^^  Am  ei  fiiétê  ^iwUêm.  ptarcB  fat 


^C«li  M9C  «te  i<i«iHr^  *jaai^  99«*«»^p<«Mtf  jl  Y< 


DE  LA  MÈRE  MARIB  DB  L'INC ARNATION .  27 

VOUS  avez  été  fidèle  en  peu  de  chose,  je  vous  élèverai  et  consti- 
tuerai sur  beaucoup. 

Mais  savez-vous  bien,  mon  très-cher  fils,  qu'il  ne 
m*a  jamais  été  possible  de  lui  rien  demander  pour  vous 
que  les  vertus  de  TEvangile,  et  surtout  que  vous  fussiez 
l'un  de  ses  vrais  pauvres  d*esprit.  Il  m*a  semblé  que 
si  vous  étiez  rempli  de  cette  divine  vertu,  vous  pos- 
séderiez en  elle  toutes  les  autres  éminemment;  car 
j'estime  que  sa  vacuité  toute  sainte  (le  vide  des  choses 
créées  que  la  pauvreté  d'esprit  établit  dans  une  âme) 
est  capable  de  la  possession  de  tous  les  biens  de  Dieu 
envers  sa  créature.  Puisque  vous  voulez  que  je  vous 
parle  sans  réserve,  il  y  a  plus  de  vingt-cinq  ans  que 
la  divine  bonté  m'a  donné  une  si  forte  impression  de 
cette  vérité  à  votre  égard,  que  je  ne  pouvais  avoir 
d'autres  mouvements  que  de  vous  présenter  à  elle,  lui 
demandant  avec  des  gémissements  inénarrables  que  son 
divin  esprit  faisait  sortir  de  mon  cœur,  que  cette  divine 
pauvreté  d'esprit  fût  votre  partage.  L'esprit  du  monde 
m'était  pour  vous  un  monstre  horrible,  et  c'est  ce  qui 
m'a  fait  vaincre  tant  d'oppositions  qui  se  sont  formées 
à  vos  études  ;  parce  que  dans  les  sentiments  que  Dieu 
me  donnait  à  votre  égard,  je  voyais  qu'il  fallait  se 
servir  de  ce  moyen  pour  parvenir  à  ce  que  je  préten- 
dais, et  pour  vous  mettre  dans  l'état  oti  vous  pouviez 
posséder  cette  véritable  pauvreté  d'esprit. 

Je  rends  de  très-humbles  actions  de  grâces  à  sa  bonté 
de  l'attrait  qu'elle  vous  donne  pour  la  vie  mystique. 
C'est  une  des  dépendances  de  cette  pauvreté  d'esprit, 
laquelle  purifiera  encore  ce  qui  pourrait  être  de  trop 
humain  dans  l'exercice  de  la  prédication,  que  je  ne 
TOUS  conseille  pas  de  quitter,  si  ce  n'est  qu'il  cause 
du  dommage  à  votre  perfection,  ou  à  votre  santé,  ou 


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DE  LA  MËRE  MARIE  DE  L*IN CARNATION.  29 

révérend  Père  Lallemant  m'avait  dit  que  je  demandasse 
à  Notre-Seigneur  que  s'il  voulait  quelque  chose  de  moi 
avant  ma  mort,  qui  pût  contribuer  à  sa  gloire,  il  lui 
plût  de  me  le'  faire  connaître.  Après  avoir  fait  ma  prière 
par  obéissance,  je  n'eus  que  deux  vues  :  La  première, 
de  m'ofFrir  en  holocauste  à  la  divine  Majesté  pour  être 
consumée  en  la  façon  qu'il  le  voudrait  ordonner  pour 
tout  ce  désolé  pays;  et  l'autre,  que  j'eusse  à  rédiger  par 
écrit  la  conduite  qu'elle  avait  tenue  sur  moi  depuis 
qu'elle  m'avait  appelée»  à  la  vie  intérieure.  Pour  la 
première,  j'en  parlai  sur  l'heure  à  mon  révérend  Père, 
en  lui  parlant  de  mes  autres  dispositions  présentes; 
mais  pour  l'autre,  j'eus  de  la  confusion  de  moi-même, 
et  n'en  osai  rien  dire.  Cependant  cet  Index  était  le  point 
de  l'afiaire,  qui  joie  revenait  continuellement  en  l'esprit, 
avec  un  scrupule  d'avoir  écrit  ce  que  j'avais  projeté 
de  VQUS  envoyer  sans  la  bénédiction  de  l'obéissance. 
Il  est  vrai  que  mon  supérieur  m'avait  obligée  de  récrire 
les  mêmes  choses  que  j'avais  écrites  autrefois  et  qui 
avaient  été  brûlées  avec  notre  monastère  ;  mais  c'était 
l'intention  que  j*avais  de  vous  les  envoyer  qui  me  faisait 
de  la  peine,  pour  ne  l'avoir  pas  déclarée.  Enfin  pressée 
de  l'esprit  intérieur,  je  fus  contrainte  de  dire  ce  que 
j'avais  celé,  de  montrer  mon  Index,  et  d'avouer  que 
je  m'étais  engagée  de  vous  envoyer  quelques  écrits 
pour  votre  consolation.  Je  lui  dis  l'ordre  que  j'y  gar- 
dais, qu'il  approuva;  et  il  ne  se  contenta  pas  de  me  dire 
qu'il  était  juste  que  je  vous  donnasse  cette  satisfaction, 
il  me  commanda  même  de  le  faire.  Je  vous  envoie  cet 
Index,  dans  lequel  vous  verrez  à  peu  près  l'ordre  que 
je  garde  dans  l'ouvrage  principal  que  je  vous  enverrai 
l'année  prochaine,  si  je  ne  meurs  celle-ci,  ou  s'il  ne 
m'arrive   quelque    accident    extraordinaire   qui    m'en 


\\\  1.KTTRB8 

v«iM|uV«h0i  ul  |p  (Aohorni  den  retenir  une  copie  pour 

^M|M^'^^^^^'  *^^^^  t'(m|Uoii  (I0  1a  mer. 

miu  Us  \l0«it«^tii  ilouo  quo  jai  commencé  pour  vons. 
l>^  ^mUs  \U\  WwW^  nuvji  aventures;  c*est-à-dire,  non- 
^^^Iv'^^^v^Ht  \io  \v  \)ui  »Wt  pa$$è  dans  rintériear,  mais 
v^H^^M^^  xJo  Uu«Umiv  ^^xiorieun?,  sa^cHr  des  états  00 
»^^»  tsi^^^  ^l.^H»  lo  *:\Vîo  et  viAn$  la  religion,  des  pro- 
>^,,v,«x>^  ^k  HVi»sK<;i-o;!t  lio  I\i?a  «r  2ÎOÙ  de  mes  actions, 
x;<^  .^««c^  ^wMj^\^ix.  sv:«:tK:  v  v^^c*  ji  ile^ê,  ec  géoérale- 
.#.^^.*  s*  :<;.>!  ^,t  >v«t.:M.rv  ;ri*r  ,«îtî"iei'  v:a»  zae  poarrsz 
^N*^-.Vs  .**x%ij  xVwf.tct:^A\  x'cir  V*  ;.'ar'«?  le*  rscses  simple- 


>^■*'*^^»i•  "^  -S  V"*    >k         ^»l5^       ''^^        «^^ 

^         ^...  ...      ^.       >-        %  -*  r. -r.:*-:i^       '4,     TTCÏI?*£*    £    uns 

^       ,.    *    *  ■  x        »  ■     ■  ■;        ^.  r»m.    Z2       ^^-iA.*  iCr      Jl,     ■UT 


DE  LA  MËRB  MARIB  DB  L'iNCARNATION.  31 

au  dehors  comme  elles  se  passeat  intériearement. 
Lorsque  je  présentai  mon  Index  à  mon  supérieur,  et 
qu'il  en  eut  fait  la  lecture,  il  me  dit  :  Allez  sur-le-champ 
m'écrire  ces  deux  chapitres,  savoir  le  vingt-deux  et 
le  vingt-cinq.  J*obéis  sur  l'heure  et  y  mis  ce  qu'il  me 
fut  possible,  mais  le  plus  intime  n'était  pas  en  ma 
puissance.  C'est  en  partie  ce  qui  me  donne  de  la  répu- 
gnance d'écrire  de  ces  matières,  quoique  ce  soient  mes 
délices  de  ne  point  trouver  de  fond  dans  ce  grand 
abîme,  et  d'être  obligée  de  perdre  toute  parole  en  m'y 
perdant  moi-même.  Plus  on  vieillit,  plus  on  est  incapable 
d'en  écrire,  parce  que  la  vie  spirituelle  simplifie  l'âme 
dans  un  amour  consommatif,  en  sorte  qu'on  ne  trouve 
plus  de  termes  pour  en  parler. 

Il  y  a  vingt  ans,  je  l'aurais  fait  plus  avantageu- 
sement et  avec  plus  de  facilité;  et  il  y  aurait  des 
matières  qui  donneraient  de  grands  sujets  d'admirer 
la  grande  et  prodigue  libéralité  de  Dieu  à  l'endroit  d'un 
ver  de  terre  tel  que  je  suis:  car  j*ai  laissé  quelques 
papiers  à  ma  révérende  Mère  Françoise  de  Saint- 
Bernard,  qui  sont  mes  oraisons  des  exercices  de  dix 
jours,  que  l'obéissance  m'obligea  d'écrire;  j'avais  fait 
encore  quelques  autres  remarques  dans  un  livret  tou- 
chant  les  mêmes  matières.  Si  j'avais  ces  écrits,  ils  me 
serviraient  beaucoup  et  me  rafraîchiraient  la  mémoire 
de  beaucoup  de  choses  qui  se  sont  écoulées  de  mon 
esprit.  J'ai  laissé  deux  exemplaires  de  tout  cela,  car 
comme  mon  directeur  voulait  avoir  mes  originaux, 
j'en  fis  une  copie  dans  un  petit  livret,  pour  m'en  servir 
dans  les  occasions.  Lorsque  j'étais  sur  le  point  de 
quitter  la  France,  je  retirai  adroitement  les  originaux 
qui  depuis  sont  demeurés  avec  les  copies.  J'ai  depuis 
demandé  les  uns  et  les  autres  à  cette  révérende  Mère, 


38 

afin  qu'on  ne  "nk  «Ban  écrit  de  ma  msm  dans  le 
monde»  mais  elle  me  les  a  refiiaée  absolmnent,  annme 
^e  me  mortifia  beaucoup»  avant  mon  départ»  parce  que 
j*avaia^  brûlé  quantité  d'antres  papiers  de  cette  natore. 

C»  écrits  dont  je  iriens  de  parler,  regardait  seole- 
ment  la  conduite  de  Dien  sor  moi  dans  la  France.  Pour 
le  Canada»  il  me  »rait  difficile  d'écrire  tontes   les 
dii^^ositions  qù.  je  me  suis  trouvée  depuis  que  Dieu  m'j 
a  appelée.  Jy  ai  soul&rt  de  grandes  croix  de  la  part 
de  Dieu»  des  créatures»  et  de  moi-m&ne»  qui  suis  la  pire 
de  toutes^  J'en  dirai  quelque  petite  chms  ;  mais  il  7  a 
bîdn  des  raisons  qui  mobiigent  de  taire  le  reste»  et  je 
crois  que  c'est  ta  volonté  de  Dieu  que  j'^x  use  de  la 
wrte*  Si  j'avais  votre  oreille»  il  nV  a  point  de  secret 
eu  mon  ct»ar  que  je  ne  voulusse  vous  confier.  Je  vous 
ferais  volontiers  mes  contestons  générales  et  partica- 
lièn^  Dieu  vous  avant  marqué  de  son  caractère  saint 
Vqu^  voj^es  par  là  que  je  n  ai  point  de  réserve  à  vrotre 
4giburd»  ^(  quil  ny  a  que  la  distance  des  lieux  qui 
eitti^lie  uotre  commerce  pour  les  cixoses  de  Dieu^  car 
U  u'^u  taut  poiut  avoir  dauire  dans  le  temps  ni  duis 
réteruité.  Afin  donc  que  cet  Imka:  demeure  seeret»  je 
Teuierme  <^u  cette  lettre»  laquelle»  par  la  «qualité  des 
zaati^àrt^  que  j>  traite»  vues  vojrea  quelle  doit  être 
p^iTiicuUère  à  vous  et  à  moi.  ^ 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L INCARNATION.  33 


Premier  état  d'oraisoo. 

1.  Par  lequel  Dieu  fait  perdre  à  Tâme  Tafifection  des 
choses  vaines  et  des  créatures  qui  la  tenaient  attachée. 

2.  Inclination  grande  à  la  fréquentation  des  Sacre- 
ments, et  les  grands  effets  que  ces  sources  de  sainteté 
opéraient  en  elle,  particulièrement  l'espérance  et  la 
confiance  en  Dieu. 

3.  Elle  se  sent  puissamment  attirée  par  les  cérémonies 
de  l'Eglise. 

4.  Du  puissant  attrait  quelle  a  pour  entendre  les 
prédications,  et  les  effets  que  la  parole  de  Dieu  opérait 
en  elle. 

Second  état  d'oraison. 

5.  Changement  d'état  par  lequel  Dieu  illumine  l'âme, 
lui  faisant  voir  la  difformité  de  sa  vie  passée. 

6.  Puissants  effets  par  une  opération  et  illumination 
extraordinaire,  causée  par  le  sang  de  Jësus-Christ. 

7.  Confession  de  ses  péchés  ensuite  (aussitôt  après)  de 
l'opération  précédente. 

8.  Dieu  lui  donne  le  don  d'une  oraison  actuelle  et 
continuelle,  par  une  liaison  à  Jësus-Christ. 

9.  Diverses  illuminations  en  suite  (par  suite)  de  cet 
esprit  d'oraison;  plusieurs  vertus  lui  sont  aussi  données, 
particulièrement  la  patience,  l'humilité,  et  surtout  un 
grand  amour  pour  la  pauvreté  d'esprit. 


LBTTR.  M.    II. 


X 


»4 


tk^v  r^  t^Otfl  Dieo  lai  donne  xxn  esprit  de  pénitenoe 
U .  Pw  tttM  «t  vi<s  motifii  qui  la  p«teat  à  cet  esprit 
tt  l?w  vvv»s^^>(»  v^oie  Du»  ^t  naîsn  pour  Im  faire 


• 

4.' 


^^  THih^  li^rwC  Tiîm;.  ^s^^tts:  lljmmw  Tkﻄ  il  Sa  ^iange 
>6    î'nnr  tnMi^î^  àr  nr^^^tm  j?«r  lâsiL  nb  Haie 


k.  <• 


:"  ^>^-  W^i^.  THm:  1lt>^^;l.^ï«'  ite»  t^  la  jnmiigat  des 
w»^x^««VKs  ^'  ^^^  ^«^rfv^  L*^'   «T^vauttle  imanipirtriT  par 

îX-Kv  .s%  .NN>   i.  xNArr^?^  *5f*^-  ^i*»  fe  aMmde.  P^nt 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DB  L*INGARNATION.  35 

19.  Le  grand  tracas  da  monde  n*est  pas  capable  de 
divertir  Tâme  de  la  vue  de  son  objet  spirituel,  par 
lequel  elle  est  portée  à  de  plus  grands  actes  de  vertu. 

20.  Elle  souffre  un  martyre  dans  le  monde,  le  voyant 
si  contraire  à  la  vie  et  aux  maximes  de  Jâsus-Christ. 


Sixième  état  d'oraison. 

21.  Par  lequel  Dieu  appelle  Tâme  à  un  état  de  pureté 
intérieure  extraordinaire,  laquelle  par  sa  miséricorde 
il  opère  en  elle. 

22.  En  suite  de  Topération  précédente,  les  trois  per- 
sonnes de  la  Très-Sainte  Trinité  se  manifestent  à  elle 
d'une  façon  extraordinaire,  et  lui  donnent  diverses  vues 
des  opérations  de  Dieu  dans  les  anges  et  dans  les 
âmes,  pures. 

23.  Diverses  connaissances  lui  sont  données  sur  la 
distinction  des  attributs  divins. 

24.  Des  dispositions  qui  sont  passivement  données 
à  rame  pour  la  mettre  dans  un  état  de  pureté  capable 
des  grandes  opérations  que  Dieu  veut  faire  en  elle,  qui 
la  font  languir  d'amour  et  aspirer  au  divin  mariage. 


Septième  état  d'oraison. 

25.  Par  lequel  la  très-sainte  Trinité  se  découvre 
de  nouveau  à  Tâme  d'une  manière  plus  haute  et  plus 
sublime  que  la  première;  et  en  cette  opération  la 
deuxième  personne  divine  la  prend  pour  son  Epouse. 

26.  Les  effets  que  ce  divin  mariage  de  l'âme  avec 
la  eacrée  personne  du  Verbe  opère  en  elle. 


3& 

?;.  Ea  oec  élal  dTcniHn  Feiprit  oftiDlaleM^ 

4t»  dMMs  et  la  terwe^  dcà  senaût  isse  contiiMrile 
«CSMe  eus  faBvwr  de  la  aemnie  prrOTtiiia  fiiôe. 

2S.  Le  Sa&sl*Eipnt,  par  ime  modoa  cpatîaftlf,  loi 
6ûb  Amoier  mn  égît  haf amp  par  npfiiQrt  t^n  famiort) 

4  celui  dix  Caxttiqtte  d«s  castiq^ia. 

29.  Laogcean  am^^oreoses  de  lame  dazts  lesquelles 
eQe  ne  Ttt  picts  en  elle^  mais  en  Celai  qoi  Fa  toat 
absorbée  en  ses  amoors. 

30.  D'une  snspensîmi  oa  opération  qm  fût  agoniser 
r&œ»  la  tenant  dans  nn  martyre  d'amour  extrâme. 

31.  Dix  soalagement  qui  Ici  est  donné  dans  cette 
opération  si  cniciliaDte^  sans  lequel  il  ne  Im  serait  pas 
possible  de  Tirre  snr  la  terre. 

32.  NonTeUes  souffrances  et  angoisses  de  Fâme  de  se 
^oir  encore  retenue  dans  te  monde^  puisque  le  corps 
ne  meurt  pas;  et  du  soulagement  que  Dieu  faxi  donne 
à  ce  sujet. 

33.  Des  moyens  dont  Dieu  se  sert  pour  lui  faire  quitter 
le  monde  et  ses  parents»  afin  de  Tattirer  dans  la  religion. 

34.  Des  pièges  que  le  diable  lui  dresse  pour  s  y 
opposer. 

Eiaitième  état  (fondson. 

35.  OÙ  est  compris  ce  que  Dieu  opère  en  Tâme  dans 
ce  nouvel  état  de  vie. 

36.  Troisième  grâce  par  l'opération  de  la  trôs-sainte 
Trinité,  où  les  trois  Personnes  divines  se  communiquent 
à  rdmo  dune  manière  plus  sublime  qu'auparavant. 

37.  De  rintelligence  que  Dieu  lui  donne  de  plusieurs 
passages  de  TEcriture  sainte,  au  sujet  du  sacré  Verbe 
Incarné. 


DE  LA  M£RE  MARIB  DE  L'iNCARNATION.  37 

38.  Elle  souffre  de  grandes  peines  intérieures;  et 
comme  la  divine  Majesté  se  sert  des  révérends  Pères 
de  la  Compagnie  de  Jésus  pour  Taider. 


Neuvième  état  d'oraison. 

39.  Qui  porte  une  grâce  particulière  d'aider  spiri- 
tuellement le  prochain. 

40.  Vocation  particulière  pour  procurer  le  salut 
des  âmes. 

41.  Dieu  lui  manifeste  sa  volonté,  lui  révélant  qu'il 
veut  se  servir  d'elle  dans  la  mission  de  Canada. 

42.  Les  moyens  dont  Dieu  se  sert  pour  venir  à 
l'exécution  de  cette  vocation. 

43.  Désirs  qui  consument  l'âme  touchant  le  salut 
du  prochain;  et  l'exécution  de  la  volonté  de  Dieu  sur 
ce  dessein. 

Dixième  état  d'oraison. 

44.  Par  lequel  Dieu  fait  mourir  l'âme  à  ses  désirs, 
et  en  ce  zèle  qui  semblait  la  dévorer,  voulant  triompher 
d'elle  en  lui  ôtant  sa  volonté. 

45.  Elle  demeure  heureusement  captive  dans  les 
volontés  de  Dieu,  qui  lui  fait  voir  qu'il  veut  être  le 
Maître  dans  l'exécution  du  dessein  du  Canada. 

46.  Révélation  que  Dieu  donne  à  un  saint  homme 
touchant  la  vocation  de  le  servir  au  salut  des  âmes  dans 
la  mission  du  Canada,  ce  qui  s'accorde  avec  les  opéra* 
lions  que  la  divine  Majesté  fait  en  N.  à  ce  sujet.  (C'est 
elle-même.) 


3S 


47.  Pur  lequel  Diea  oblige  rime  de  |wifmifre 
rooéctdioQ  de  son  deasein. 

4S.  Ce  qui  se  passe  ei  Fâme  dans  cette  poonmie, 
DÈeii  exéciEtixit  ce  denein  ^cès  ïeBoamm  et  Tëppnh 
tes»»  des  sapârieurs^ 

-fi.  Dsipositioa  et  xvàto  de  Ken,  qm  fiûtTsir  à  rime 
ee  qaeOe  aorm  à  sonfBrir  an  Canada;  et  comme  il  fan 
■anf  fiintin  sa  «jute  TohmÉtf^ 

50.  Lamoar  a^ee  leqiurt  eQe  s'abandonne  ans  fispo- 
ssJE&»s  et  ocdonnainres  dirines;  et  Hncfinatan  qnTdle 
Rsseiu  de  se  consomnar  pour  Jssus-G&usr  en  rofeonr 
dftses&venrsw 


51.  Lime  expânmente  ce  qi»  Diea  loi  aivait  bit 


>.MH« 


^.  Dtiuws  coftttw&tîaiB.  DispQKimnn  inÉânsnraa 

5&  La  laisiDi  p^ïtt  ftnawinnp^  et  ïmpt^ 

>4    311^  eagêiàMBa»  des  ^gnattiw» 

Iw**  Cînnaw  ei&^  se  wsiçonii  àoa  sas  ùoiinm 

:)«  iecài»  iir  ^a  wc^^ccxini  «  ie  Ji  gnûiEBï  â»  la 


DB  LA  MËRB  BiARIB  DB  L*INCARNATION.  39 


Treisième  état  d'oraison. 


57.  Dans  leqnel  par  une  ^râce  spéciale  que  Tâme 
reçoit  par  Tentremise  de  la  sainte  Vierge,  elle  est 
délivrée  en  un  moment  de  ses  crucifiantes  dispositions. 

58.  La  grande  paix  qu'elle  possède  dans  un  nouvel 
amour  que  le  sacré  Verbe  Incarné  lui  donne  pour  ses 
divines  maximes. 

59.  Le  grand  amour  et  union  de  sa  volonté  en  ce 
que  Dieu  fait  et  permet  en  elle,  hors  d'elle,  dans  les 
accidents,  etc. 

60.  L'âme  ayanl  connu  la  volonté  de  Dieu,  qui  veut 
se  servir  d'elle,  l'exécute  avec  amour,  et  sa  divine 
Majesté  lui  fournit  des  grâces  pour  cette  exécution. 

61.  Présence  et  assistance  de  la  sainte  Vierge,  qui 
accompagne  l'âme  dans  cette  exécution,  d'une  manière 
extraordinaire. 

62.  L'âme  se  consume  de  plus  en  plus  dans  les 
amours  du  sacré  Verbe  Incarné.  Divers  eâets  de  cet 
amour  consommatif. 

63.  Les  différences  qu'il  y  a  de  cet  état  aux  précé- 
dents, quoiqu'ils  semblent  avoir  quelque  ressemblance, 
au  sujet  du  sacré  Verbe  Incarné. 

Honneur,  gloire,  et  louanges  au  surador'able  Verbe 
Incarné. 

Il  me  semble,  mon  très-cher  fils,  que  cet  écrit,  court, 
mais  substantiel,  vous  donnera  une  sufSsante  intelli* 
gence  de  l'esprit  intérieur  qui  me  conduit,  en  atten- 
dant que  je  puisse  vous  en  donner  une  plus  ample 
connaissance.  Priez  le  Saint-Esprit  qu'il  lui  plaise  de 
me  donner  la  lumière  et  la  grâce  de  pouvoir  le  faire. 


ii}  LETTRES 

Sii  aoD  saint  nom  en  doit  être  glorifié.  Il  m*a  fait  de 
grandes  et  amples  miséricordes,  auxquelles  j'ai  été 
infiniment  éloignée  de  correspondre.  C'est  pourquoi 
je  crois  que  sa  divine  Majesté  m'ayant  préparé  une 
grande  place  dans  le  Ciel  si  je  lui  eusse  été  fidèle, 
Vaura  donnée  à  quelque  âme  plus  correspondante,  et 
peut* être  à  ma  chère  et  fidèle  compagne,  la  Mère 
Marie  de  Saint*Joseph«  Ma  privation  est  grande,  mais 
elle  est  moindre  que  je  ne  mérite.  J'aime  la  justice  qui 
venge  les  injures  de  Dieu,  et  je  me  glorifierai  en  cela 
même  quil  sera  glorifié  en  ses  Saints^  même  à  mon 
exclusion.  C'est  de  là  que  je  possède  la  paix  de  cœur, 
quil  y  ait  des  âmes  selon  son  divin  plaisir.  Qa*il  aoit 
b^ni  éternellement. 

J'avais  donné  charge  qu'on  tous  envoyât  une  Gopîe 
du  Y^oii  que  j  ai  fait  à  nos  Mères,  de  la  vie  et  de  la  mort 
de  notre  chère  défunte.  On  me  mande  qu'on  ne  Fa  pas 
encore  fait«  parce  que  cet  écrit  est  tombé  entre  les 
mains  du  révérend  Père  Le  Jeune.  Ce  boa  Pènre  en  a 
pris  oe  qu'il  a  voulu  pour  mettre  dans  la  Relation, 
aana  que  je  Ten  eusse  prié.  Il  m'a  beaucoup  oblige 
do  le  faire,  mais  il  m'eût  fait  un  singulier  plaisir  de 
ne  point  faire  paraîti^  mon  nom.  Moi  qui  ne  savais 
rien  de  tout  cela,  étant  lectrice  au  réfectoire»  je  me 
trouvai  justement  à  commencer  par  cette  histoire.  Xea 
eua  de  la  confusion  et  la  quittai  pour  la  faire  lire  à 
une  autre.  Le  souvenir  de  cette  chère  Mère  m*est  pré- 
oieu\,  et  je  ne  pense  à  elle  et  non  parie  qa*avec 
teudresA^.  Dieu  noua  fasse  la  grâce  de  rimiter  aûn  de 
pai  ticiper  Si\x^  biena  qu  elle  pot^ède. 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DB  L*IN CARNATION.  41 


LETTRE   CXIX. 


A   UN£   DAME   DE   SA   CONNAISSANCE. 


Estime  qu'on  doit  aroir  pour  la  grftce  de  la  vocation  à  la  Foi. 

Je  ne  croyais  pas  pouvoir  trouver  le  loisir  de  vous 
écrire;  mais  puisqu'il  me  reste  ce  petit  moment,  je 
ne  puis  le  laisser,  passer  sans  me  donner  cette  satis- 
faction, et  vous  donner  un  nouveau  témoignage  de 
mon  affection  et  de  celle  que  j*ai  pour  vos  enfants.  Je 
les  pré&ente  souvent  avec  vous  à  notre  bon  Jfisus. 
Car  c'est  en  lui  que  je  vous  vois  et  que  je  me  familiarise 
avec  vous.  Aimons  sans  cesse  ce  divin  Sauveur,  qui 
nous  a  tant  fait  de  miséricordes,  que  nous  soyons  les 
enfants  de  Dieu  et  ses  frères  par  la  grâce.  Ah!  que 
lui  avons-nous  fait  pour  nous  avoir  choisis  à  l'exclu- 
sion de  tant  de  pauvres  sauvages  qui  ne  le  connais- 
sent point!  Faisons  une  estime  particulière  de  cette 
grâce,  qui  mérite  infiniment  au  delà  de  toutes  nos 
reconnaissances.  N'oubliez  pas  dans  vos  prières  cette 
nouvelle  Eglise  ni  les  ouvriers  de  l'Evangile,  non  plus 
que  notre  petit  Séminaire,  afin  que  tous  travaillent 
au  service  de  Dieu,  et  que  sa  bonté  multiplie  à  l'inQni 
le  nombre  de  ses  enfants.  Je  suis  toute  à  vous\ 

(1)  Cette  lettre  n'est  pas  datée  ;  mais  Cl.  Martin  la  met  à  cette  place. 


42  LBTTRB8 


LETTRE  CXX/ 


A    SON    FILS. 


Elle  s'excuse  d*aToir  tardé  à  lui  envoyer  le  récit  de  sa  vie  spirituelle.  —  Motifs 
pour  lesquels  elle  s'y  est  enfin  décidée.  —  Elle  se  prémunit  contre  l'opinion 
favorable  que  l'on  pourrait  avoir  d'elle  à  cause  des  grAces  qu'elle  a  reçues. 


Mon  très- cher  et  bien-aimé  fils, 

L'amonr  et  la  yie  de  Jésus  soient  notre  vie  et  notre 
amour  pour  le  temps  et  pour  l'éternité. 

Il  y  a  quelques  années  que,  par  une  sainte  franchise, 
vous  me  pressez  de  vous  faire  le  récit  de  la  conduite 
quil  a  plu  à  la  divine  Majesté  de  tenir  sur  moi,  et  dé 
vous  faire  part  des  grâces  et  des  faveurs  qu'elle  m*a 
faites,  depuis  que  par  son  infinie  miséricorde  elle  m*a 
appelée  à  sont  saint  service.  Si  je  vous  ai  fait  attendre, 
ne  vous  donnant  pas  la  satisfaction  que  vous  désiriez, 
et  n'écoutant  pas  vos  prières,  quoiqu'elles  procédassent 
d'un  véritable  sentiment  de  piété,  ce  n'a  pas  été  par  un 
défaut  d'afiection  ;  mais  ne  pouvant  me  surmonter  pour 
me  produire  en  ces  matières  à  d'autres  qu'à  Dieu  et 

(1)  Cette  Lettre  ne  se  trouve  pas  dans  le  volume  intitulé  :  Lettres  de  la  véné- 
rable Mère  Marie  de  f Incarnation,  publié  par  Dom  Cl.  Martin,  et  il  en  est  de 
même  de  la  12Ô*  qu'on  trouvera  plus  loin.  Cl.  Martin  ayant  inséré  ces  deux  lettres 
à  la  fin  de  la  Préface  de  la  Vie  de  sa  mère,  ne  jugea  pas  à  propos  de  les  repro- 
duire dans  le  volume  des  Lettres. 

Cette  Lettre  CXX  était  jointe  aux  papiers  qu'elle  envoyait  à  son  fils;  elle  en 
parle  dans  la  suivante. 


\ 


DE  LA  MÉRB  MARIB  DE  L'iNGARNATION.  43 

à  celui  qui  me  tient  sa  place  sur  la  terre»  j'ai  été  obligée 
de  garder  le  silence  à  votre  égard,  et  de  me  mortifier 
moi-même  en  vous  donnant  cette  mortification.   Ce 
retardement,  que  vous  avez  pris  pour  un  refus  tacite, 
ne  vous  a  point  rebuté;  vous  m'avez  conjurée  de  nou- 
veau par  les  motifs  les  plus  pressants  et  par  les  raisons 
les  plus  touchantes  que  votre  esprit  vous  a  pu  fournir, 
me  faisant  de  petits  reproches  d*affection,  et  me  repré- 
sentant que  je  vous  avais  abandonné  si  jeune,  qu'à  peine 
connaissiez- vous  votre  mère;  que  non  contente  de  ce 
premier  abandonnement,  j'étais  sortie  de  France  et  je 
vous  avais  quitté  pour  jamais  ;  que  lorsque  vous  étiez 
enfant,  vous  n'étiez  pas  capable  des  instructions  que  je 
vous  donnais,  et  qu'aujourd'hui  que  vous  êtes  dans  un 
âge  plus  éclairé,  je   ne  devais  pas  vous  refuser  les 
lumières  que  Dieu   m'avait  communiquées;  qu'ayant 
embrassé  une  condition  semblable  à  la  mienne,  nous 
étions  tous  deux  à  Dieu,  et  ainsi  que  nos  biens  spiri- 
tuels nous  devaient  être  communs  ;  que  dans  l'état  où 
vous  êtes,  je  ne  pouvais  vous  refuser,  sans  quelque 
sorte  d'injustice  et  de  dureté,  ce  qui  pouvait  vous  con- 
soler et  vous  servir  dans  la  pratique  de  la  perfection  que 
vous  aviez  professée  ;et  enfin  que  si  je  vous  donnais  cette 
consolation,  vous  m'aideriez  à  bénir  Celui  qui  m'a  fait 
une  si  grande  part  de  ses  grâces  et  de  ses  faveurs  célestes. 
Je  vous  confesse  que  ce  second  coup  m'a  touchée,  et 
que  depuis  que  mon  cœur  l'a  reçu  je  me  suis  sentie 
comme  forcée  de  m'entretenir  avec  vous  dans  mes 
lettres  de  plusieurs  points  de  spiritualité.  Mais  ce  n'était 
pas  ce  que  vous  souhaitiez  ;  vous  avez  cru,  et  avec 
raison,  que  j'usais  de  réserve  en  votre  endroit,  comme 
^û  effet  j'en  ai  usé  pour  les  raisons  que  j'ai  alléguées. 
Mais  enfin,  pressée  par  vos  raisons,  et  vaincue  par  vos 


44  LETTRES 

priôres,  j'ai  communiqué  Votre  désir  à  celai  qui  dirige 
mon  âme,  lui  représentant  que  je  ne  pouvais  plus  de 
moi -môme  user  de  refus  en  votre  endroit,  et  que  s'il  était 
nécessaire  de  le  faire  davantage,  il  me  fallait  un  ordre 
do  sa  part.  Non-seulement  il  a  trouvé  bon  que  je  vous 
donnasse  cette  consolation,  mais  il  m'a  commandé  de 
lo  faire.  C*est  pourquoi  je  le  fais,  après  avoir  invoqué 
le  secours  du  Saint-Esprit  et  reçu  la  bénédiction  de 
Tobéissance. 

Ne  croyes  pas  que  ces  cahiers  que  je  tous  envoie 
aient  Hé  prémédités  pour  y  observer  un  ordre,  comme 
Ton  fait  dans  des  ouvrages  bien  digérés  :  cela  ne  m'au- 
rait pas  été  possible  dans  Tétat  où  Dieu  me  tient,  et  la 
Yoio  par  où  sa  divine  Majesté  me  conduit  ne  peut  me 
poru\ettre  de  garder  aucune  méthode  dans  ce  que 

Lt^rsque  j*ai  pris  la  plume  pour  commencer,  je  ne 
savais  pas  un  mot  de  ce  que  j'allais  dire;  mais,  en  ëcri- 
Taiu«  Tesprit  de  grâce  qui  me  conduit  ma  fait  produire 
w  qu  i)  lui  a  plu,  me  faisant  prendre  la  chose  dans  son 
(Mriueipi^  et  dans  sa  source^  et  me  la  faisant  conduire 
)u$v{u'à  IVut  où  il  me  tient  aujourdliui.  et  toojoan  avec 
Wauvvup  iilnterrapcic'Q.  et  parmi  un  grand  divertisse- 
tti^rj  v^^'rAa^ment>  de  ncis  affaires  domestiques. 

Whis  ;)«^nser^2  p<eut-ètre  qult  v  a  peo  d^&arits  ponr  tant 
«fSjUStttj^  vie  viie  spùi^ixelle.  pien^iant  k«tiielks  la  divine 
W^te  ut  a  Eût  p>a$wr  par  beanecctp  dcttts  tk  d*expé- 
(WtKi^tk  M;iis  ;e  xv^ots  iiCTii  «^^se  Diieii  avant  des  voies 
^i^^ftk^ttiïeik  p^r  câL  ù  ow*i!2Ci;  S»  iœ«.  it  v  ea  a  qiselques- 
ifcot^  ovv?^  ctt  i;*«K:  jt  pt*!:»»  ^durv».  ec  a  auras  ttont  i  on  ne 
V«ira:i}  ^«j^ri.^  viii  :v^xt.  Of ui«  ^xii  ^c^eiHt  ^&»  grâces  qui 
:^^  itv^otihfc^  gviiaQ  ^ti^OïS  ije$  :»a»  «aiïé'Àsscs  et  infameors 
;{«^ttQ  i^  givoiân  ^  vi^j^t^^  «d^oum^  vQOft  pMEem  voir 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INGARNATION.  45 

dans  plusieurs  chapitres  ou  articles  de  ce  que  j'ai  écrit, 
où  j'ai  dit  ce  que  j*ai  pu  dire  et  passé  sous  silence  ce  que 
je  n'ai  pu  exprimer.  Si  vous  avez  des  difficultés  sur  les 
matières  ou  sur  la  façon  de  m'expliquer,  mandez-moi 
vos  pensées  et  vos  doutes,  en  me  désignant  le  lieu, 
et  je  tâcherai,  avec  l'assistance  du  Saint-Esprit,  de  vous 
satisfaire. 

Vous  m'avez  quelquefois  témoigné  qu'il  n'y  a  rien 
d'où  vous  tiriez  tant  de  profit  pour  votre  avancement 
dans  la  vie  spirituelle  que  de  ce  peu  de  lumière  que  Dieu 
me  donne,  et  qu'il  me  fait  coucher  sur  le  papier  lorsque 
je  suis  obligée  de  vous  écrire  chaque  année  :  cette  pen- 
sée ne  me  fût  jamais  tombée  dans  l'esprit;  mais  si  cela 
est,  qu'il  soit  éternellement  béni  d  un  succès  si  heureux  : 
car  s'il  y  a  du  bien,  il  vient  de  lui  et  non  pas  de  moi, 
qui  ne  suis  qu'une  misérable  pécheresse. 

Si,  faisant  la  lecture  des  écrits  que  je  vous  envoie, 
il  vous  vient  à  la  pensée  ce  qui  a  pu  fléchir  (incliner) 
la  bonté  divine  à  me  faire  de  si  grandes  miséricordes, 
et  a  me  prévenir  de  la  sorte  des  bénédictions  de  sa  dou- 
ceur, je  vous  dirai  que  j  y  ai  souvent  fait  réflei^ion,  et 
qu'après  y  avoir  bien  pensé,  je  n'ai  rien  vu  en  moi  que 
misères  et  indignités  :  ou,  si  du  côté  do  la  créature  il 
peut  y  avoir  quelque  cause,  je  n'en  puis  donner  d'autre 
que  vous,  que  j'ai  abandonné  pour  son  amour,  dans  un 
temps  où,  selon  toutes  les  raisons  humaines,  vous  aviez 
le  plus  besoin  de  moi,  et  surtout  de  ce  que  j'en  avais  eu 
le  dessein  et  pris  la  résolution  avant  même  que  vous 
fussiez  au  monde.  SU  y  a  d'autres  motifs  qui  aient  pu 
attirer  sa  miséricorde  sur  moi,  ils  me  sont  inconnus. 
Et  après  tout,  ce  n'est  point  à  nous  d'entrer  dans  les 
ressorts  de  sa  providence,  ni  de  pénétrer  les  secrets  de 
sa  conduite  sur  nous;  mais  seulement  de  conclure  qu'il 


46 

r«  rniim  yoqIu  tant  mroir  égard  à  sa  crëafam»  et  qoe  ri 
9M  nM9^rtiH?rUw  ont  été  si  magnifiques  en  notre  endroit 
^n  tîitit  ito  tuantôces»  cest  on  effet  de  sa  pure  libAalité. 
C^r  9i  j^  nnts  at  abandonné  dès  votre  enfance  par  le 
tM4*uvvut^nt  de  sa  tçràce,  sans  toos  laisser  d*aatre  appui 
uu^  9ti  ^^rv^tid^Qw  toute  pure»  il  tous  a  pria  aoua  sa 
t*tA*ivs:ticci  patvrt\«?Ue  et  tous  a  richement  pourra,  tous 
i.^»<5(iv<(  IVuoeur  de  TOUS  appeler  à  son  serrice  dans  k 
K»n»i'e  l?rvv'oU*UQe  dans  son  conseil  étsnd,  ainai  qull 
H^Ht-uit  iH^it  l'iXv'uueur  et  lagràœ  de  me  le  praenettre. 
\  Vttft  siMv^  vfvoc  ^e^iucoup  $a^ê  en  me  perdant,  et  mon 
vV^k't^'tvmrvKtt;  Tc<fô  ;!  ête  uùle:  tt  moî  paroUeBent 
v-t'^îî  <<r^« -v  >f*t  tvifô  ce  icw  ;  ^vui»  de  cher  et  d'unique 
Hvrtt  V  ^«^fit^hè,  >êda:  ;ta  nuc  ^>uus  jl^uxc  TQkmtsttRnient 
rv^^f^n  y  ^?v  ^t«$^  tvvm^;  xnic  nuus  iaos  lie  aeia  de  ce 
X^t    vstv  iiîtr^tiNUi  Tac  ».  ^"ucttiim.  mâan 

^h'kV  %v^  x'e**^  ^-^^  w*n^  5sa?tjc 
*    -vvr»-  ^*-*f^  *^^?>;    ^•^'^lîiwr  :ia 

Sh^^     ,^Jt^*^♦ft^wm«*%     '•K.-  sirr     f^4!i^«M:  «ase£.    SBIF  ipiï 

•vNt^-'^N'^  •p^.-H'*»  ■•- «:  ï^*-^'  jî-   Ks«Q^   fr  sm^  iaxR  des 
^^s-     ^    A.  t>?*    ^riNè»*'^   ♦    ^r!«*en»^  ^  nsnaK  qn!il 


DE  LA.  MÈRE  BIARIE  DE  L'INCâRNATION.  47 

me  comble  de  ses  richesses,  je  ne  vois  point  que  je 
corresponde  à  ses  grâces,  ni  que  je  seconde  ses  desseins  : 
ce  qui  fait  que  je  ne  me  lasserai  jamais  de  dire  que 
c'est  gratuitement  et  par  sa  pure  bonté  qu'il  m'a  fait 
et  qu'il  me  continue  encore  ses  faveurs.  «  Confessons 
donc  et  louons  le  Seigneur  parce  qu'il  est  bon  et  que 
ses  miséricordes  sont  éternelles.  »  (Ps.  133.) 

Agréez  donc,  mon  très-cher  fils,  le  présent  que  je 
vous  fais,  si  tant  est  que  les  hazards  de  la  mer  lui 
permettent  d'arriver  jusqu'à  vous.  Si  vous  y  trouvez 
quelque  chose  qui  puisse  servir  à  votre  édification  et 
à  votre  avancement  spirituel,  je  bénirai  l'Esprit-Saint, 
qui  m'a  aidée  à  produire  (manifester)  mes  sentiments 
pour  votre  utilité.  Ah!  mon  très-cher  fils,  rendez- vous 
digne  d'être  le  temple  véritable  du  Dieu  vivant;  videz- 
vous  de  tout  pour  faire  place  à  son  divin  Esprit.  Je 
crois  que  c'est  le  dessein  que'  Dieu  a  sur  vous,  car  j'ai 
appris  qu'il  vous  appelle  à  la  vie  mystique,  ce  qui  m'a 
extrêmement  consolée.  Mais  c'est  là  un  grand  point, 
et  peu  de  personnes  connaissent  l'importance  de  cette 
vie  cachée,  qui,  pour  être  conforme  à  son  nom,  ne  peut 
souffrir  de  mélange. 

Quand  je  parle  de  mélange,  je  ne  veux  pas  parler  des 
emplois,  quoique  dissipants,  que  l'on  peut  avoir  dans 
les  affaires  temporelles  et  extérieures,  surtout  lors- 
qu'elles se  rapportent  à  la  gloire  de  Dieu  et  au  salut 
du  prochain.  Quand  Dieu  y  appelle  une  âme,  il  lui 
donne  son  double  esprit  pour  vaquer  au  dedans  et  au 
dehors,  en  lui  et  pour  l'amour  de  lui,  soit  qu'il  faille 
commander,  quand  il  nous  a  élevés  à  la  supériorité, 
soit  qu'il  faille  obéir,  quand  il  nous  tient  dans  la  dépen- 
dance et  dans  la  soumission.  C'est  ce  que  notre  divin 
Midtre,  le  suradorable  Verbe  Incarné,  nous  a  voulu 


IH  LKTTRES 

Mpproiutiv  lorf(iu*il  a  dit  «  qQ*il  est  la  porte,  et  que 
M\\\  (|ul  ontrt>  par  lui  dans  la  bergerie  entrera  et 
«a\M ((ru.  ol  K\vx\\  trouvera  sa  nourriture  :  •  ce  qui  doit 
•Vu(oiuUv  do  00  double  esprit. 

Mh^ii  lo  uu^luni^>  que  je  veux  dire,  c*est  nous-mêmes, 
\W\\i,  pour  lonliuaire^  nous  sommes  remplis,  et  qui 
iHit  quo  9ou;ik  lomlre  de  la  gloire  de  Dieu,  ou  sous 
pu'UAlo  vlo  \iUo\iuo  autre  motif  de  piété,  nous  courons 
f^p»\V  le*  Hpivùi$  do  uotre  propre  excellence,  ou  de 
uouv^  pivptv  Huiour.  CeU  se  laic  si  finement,  que  quel- 
.^uciVux  Iokh  i^lu^jfe  ccl:ùr^5?  y  sou:  pris  et  trompés,  en 
wiw  xjuV.îii  ^>  jvrdcc:»  v:a  ou  mcios  ils  souffnmt  un 
;it.4MvJ  u^vW^cîuo 'C  vUrtcj  ^dL  Terra  e«  »:a2s  la  vie  spîri- 
vuv>;\\  x>.H  Us*  5^\:î  ;?i^a;i:3ivi$  par  le  Saine-Esprit  qui, 
>vu;    s\x  5i.iu^c:\  5^*  rx^tt  î  $;uja;>mea^  inexorable  en  leur 
xSix:i\s;^  <^  :»iv;tù  xvit^viace  i^ux.  js  laiauit  passer 
Aii^  mv\x  :  v<iîi<i-va;^  :r<?:!>^*ruci.iiiû»5*  aai  puziâent  et 
.v*Ks*\i*v   ?.su'  M^v;>*^viî*.  jti;i  .{sL;^4aiic  paridâs  de  leurs 
>^S4,.iU;\\^   .N  ^s^w^Uv  ^.^c$  i^;re  ^a  ïoxpîe^  et  plus 
^-*iv\^t^^s\^N  .4  ..i^xM»^  $a;*  ^<ux ;u^ :n%f^  ec  sur  leop  con» 
..M^;vx  N^.i^xv^.v  .if*.ù*.u\î?  >^sXxsur  iti  l'^i^rih  diviii,  ce 
Vkx«%.;    ,^  ;  .•,\i\  ,tù    ^5;^i^^   .u  *t^55stem  ii*  Tififi»  parce 
v«N-   ^V>»-**  a>».\av'.u    ^gu"   ï?  ,,?aiiâs*4  rae  jszcs  propres 
;«^\<s\3s  ^N  v«\v««ev\ii.    s^:  <u4U  ;ai$  ^iâ^  jmiB  i<2  veut; 
yy   .xV    .\  >\\«vN    >.42Qs3k&:%   ^    rv-i&«tsr  a.  Ziisit»  ils  se 


DB  LA  MERS  MARIB  DB  L'INCARNATION.  49 

soit  au  monde;  que  ce  vaisseau  peut  tomber,  et  eo 
tombant  se  briser  et  perdre  toutes  les  richesses  qu'il 
contient;  et  enfin  quil  n'y  a  rien  d'assuré  en  cette 
vie  où,  quelque  apparence  que  nous  ayons  de  sainteté, 
nous  ne  pouvons  dire  si  nous  sommes  dignes  d'amour  ou 
de  haine. 

Je  suis  seulement  assurée  d'une  chose,  que  Dieu  ne 
me  manquera  jamais  de  sa  part,  mais  que,  de  mon 
côté,  je  puis  me  perdre  en  mille  manières  par  mes  fautes 
et  par  mes  infidélités.  C'est  pourquoi  je  vous  prie,  mon 
très-cher  fils,  d'avoir  un  grand  soin  de  mon  salut,  vous 
souvenant  de  moi  lorsque  vous  serez  au  saint  autel,  et 
priant  la  divine  Majesté  de  m'envoyer  plutôt  un  supplice 
plus  cruel  que  mille  martyres,  que  de  permettre  que  je 
lui  sois  jamais  infidèle,  en  dégénérant  des  hautes  pen- 
sées et  des  généreux  desseins  que  doivent  avoir  ses 
eofants  :  et  surtout  qu'il  lui  plaise  me  faire  digne  que 
l'humilité  soit  mon  poids.  Je  lui  fais  pour  vous  la  même 
prière,  prosternée  aux  pieds  de  Jésus  notre  souverain 
Maître  et  Seigneur,  étant  obligée  de  vous  procurer  en 
sa  grâce  et  en  son  amour  les  mêmes  biens  qu'à  moi 
qai  suis, 

Mon  très-cher  et  bien-$iimé  fils. 
Votre  très-humble  et  très-afiectionnée  Mère, 

Sœur  Marib  de  l'Incarnation  R.  U.  I. 
De  Québec,  la  NoumUe-France,  le  9  août  1664. 


LBTT&.   M.    II. 


50  LBTTRB8 


LETTRE   CXXI. 


AU    MéME. 


ElU  lui  parle  d»  la  Rtlation  d«  sa  m  qa*«lle  loi  «iToie,  et  de  la  manière  atee 
laquelle  elle  l'a  tente.  -—  Pourquoi  Dieu  permet  que  eeox  qui  gooTenieat  les 
âmee  soient  tentée.  — >  Us  ne  doîfent  pas  pour  cela  quitter  leur  onplm. 


Mon  très-cher  et  bien-aimë  fils, 

J*ai  mis  enfin  entre  les  mains  dn  révérend  Père 
de  Lionnes  les  écrits  que  je  tous  ai  promis,  afin  qall 
vous  les  donne  en  main  propre.  Je  les  mets  au  hasard 
d'être  perdus  à  cause  des  dangers  éminents  de  la  mer  : 
mais  il  y  a  bien  des  choses  plus  importantes  que  Yon 
risque  cette  année.  Je  vous  ai  simplement  exposé  mes 
sentiments  sans   ordre  ni  politesse  (élégance),   mais 
dans  la  seule  expression  de  mon  esprit  et  de  mon 
cœur.  Si  j'eusse  voulu  faire  des  comparaisons  et  des 
discours  pour  me  faire  entendre,  cela  aurait  tir^  i 
longueur,  et  j'aurais  étouâé  la  pureté  de  Tesprit  des 
choses  que  j'ai  écrites,  qui  ne  peuvent   souffrir  de 
mélange.  Je  vous  dis  par  la  lettre  que  j'y  ai  jointe^ 
que  si  vous  y  avez  des  difficultés  vous  pouvez  me  1 
proposer  en  me  marquant  les  endroits;  mais  vous  n< 
devez  en  attendre  la  réponse  que  l'année  suivante, 
cause  des  grandes  aflaires  qui  m'occupent  dans  l 
temps  que  les  vaisseaux  demeurent  à  notre  port. 

Pour  lln4kx  que  je  vous  envoyai  Tannée  demiàre,  je 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INGARNATION.  51 

l'ai  suivi  en  sa  substance;  mais,  en  écrivant,  l'esprit 
qui  m'a  fait  produire  mes  sentipients,  m'a  souvent 
obligée  d'en  changer  l'ordre.  Je  n'ai  pas  eu  le  loisir 
de  relire  ce  que  je  vous  envoie,  et  beaucoup  moins 
d'en  faire  une  copie.  Si  néanmoins  le  vaisseau  du 
Père  ne  part  sitôt,  il  me  faudra  faire  un  acte  d'obéis- 
sance au  révérend  Père  Lallemant,  qui  est  d'en  faire 
écrire  une  copie  par  ma  chère  Mère  de  Saint- Athanase, 
qui  a  été  ma  supérieure,  et  en  qui  seule  je  pourrai 
avoir  cette  confiance.  Cela  néanmoins  ne  laissera  pas 
de  me  mortifier  beaucoup,  mais  je  passerai  par-dessus, 
parce  que  si  ces  écrits  venaient  à  être  perdus,  vous 
pourriez  exiger  de  moi  un  second  travail  que  je  ne 
serais  peut-être  pas  en  état  d'entreprendre.  Le  tout 
contient  environ  deux  cents  pages.  Mais  si  j'eusse  pu 
dire  ce  que  Dieu  a  fait  en  mon  âme  par  sa  sainte  et 
divine  opération,  il  y  en  aurait  eu  bien  davantage. 
Si  même  j'eusse  écrit  les  choses  dans  les  temps  où 
elles  sont  arrivées,  et  lorsqu'elles  étaient  récentes, 
cela  aurait  été  encore  bien  plus  loin.  Mais,  absolument 
parlant,  il  m'aurait  été  impossible  de  dire  tout  ce  qui 
s'est  passé  dans  l'abondance  de  l'esprit.  Les  choses 
symboliques  ou  qui  se  peuvent  attacher  à  quelque 
forme  ou  sujet  qui  tienne  de  la  matière,  se  peuvent 
étendre  ;  mais  Dieu  ne  m'a  pas  conduite  par  ces  voies- 
là.  Il  est  saint  et  magnifique,  qu'il  soit  béni  en  tout 
et  partout  I 

Vous  me  proposez  quelques  doutes  sur  tlndex  que 
Je  vous  ai  envoyé^  :  vous  en  trouverez  l'éclaircissement 
dans  les  cahiers  que  je  vous  adresse,  et  il  vous  sera 
(&cile  de  distinguer  les  états  d'oraison  qui  ne  font  rien 

0)  On  a  ta  oei  Indeœ  dans  la  Lettre  GXVIII,  ci-dessus  page  26. 


l 


liV  LKTTRU 

lui  l'vinii  MuliMlarilifil,  roaii  à  rélévation  que  Dieu  ùit 
il  luui  Aiud  tit  Hiix  dilata  que  produisent  ses  impreasiou. 

t.<%  rôvériiiul  rèra  I^e  Jeune  a  bien  raison  de  dire  . 
%\\\\\  \\\'i\  axaroén  en  la  vertu.  Ce  n*a  été  que  pour  mon 
Uu\u.  c^t  ja  |uiiH  asHurer  que  je  lui  ai  de  très-grandes 
ohu^^luaiai  \\owv  tous  les  soius  qu*il  a  eus  de  ma  per- 
^xiu"^^  :  s>\\  uu  mot«  c'est  un  saint  homme  qui  voudrait 
^^^  fouA  vH^ux  qu'il  conduit  fussent  saints  comme  lui. 
^Kx  .^^(«  W  siuUtaatiel  de  mes  croix  dans  les  écrits  que 
t^  wvxv^  ^nvoio;  mais  vous  pouvez  bien  juger  qa*ii  se 
^!\v^\^  un  uv^mbrt)  inuombrable  de  croix»  tant  domes- 
Kv^^s^  ^ut'ivciugèi'oe.  qui  ne  se  peuvent  dire.  J*en  si 
^x^  ^\i  X':iuv>  pari,  mais  notre  bon  Jsscs  m'en  a  donné 
v^vxi.-.  vU  ;^vt\>  quellt;»  ont  toutes  produit  de  bons 
;^\vs,  ;;^  $4i  àixiuo  Mc^jetftê  eu  a  tiré  sa  gloire.  De  sorte 
,^v  N»  :iu  vM  vl«M  wvncrHiliocion8«  cela  est  passé,  et  Dieo 
:».  \  .<^;»o  j'Hucrt;^  ;wutimeucs.  Je  pourrai  encore  en 
\x.x:.  v%  ^;!itf^i\>  qu'il  eu  :$erH  Je^  même  si  je  lui  sus 
^^\r«  :u.   \i  061  bs>iï  ^(  ^leiu  de  miaéricorde  envers 

^:  v^i'quoi»  luou  rrd^Hïiier  dls^  voua  atfrayeg-VDOS 
.«  !iL  .^c%\  ;uc  vous  souitlrtM,  puisqu'elle  ne  aéra  qns 
/K^*%  vo^ic  >wu  Ji  u'étt^-^crHoà  -Heu/  Pour  moi»  j*eatzme 
^^.s.c?  '.i.*«^  ^a;wcfccL«i^ai.e4le«  ^  40^  la  nonviBautë  du 
^w^«v*a<^va%.  oàuw  iox  ài^pmutioti»  «iea  peraonnas 
^Mv  ^v^w.x  iwv^  i  :oaùULi>»^  ''oM  rdii  maître.  Il  &at 
«ww.^  ^  N.jf;v^^*(«^*  '<i4'  V.  -ou^  jce;^  :^ar  .e  goav^Ksie- 
u».^..  %  >i  ^^M^^oUM^.ii^^tiie  ^i  a  -  ertiauie  vie  «le  Peqirit. 
•  «^j^    u^^^diw.  '«4»    ii\<<4><^  X  pft>uvt»«^.  II  importa  beau* 

v^.     «.«    >i«..x  vv4<«Ao^    .^s    Hiji6;i«KMK   idn   lulen  avant 

•     ■  -  to 

.  \^v>^^'^^^>p    «i   •>>   -vkViiA.^  •  u  '  vut^uiôQie,  *'uaa  ayejc  de 

*     ^  ...j  ,*g^^.*».     j>    .k.t:^>>«       '544     ji    :»  jomc  'ie    la 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION  .  53 

nimes  font  de  lourdes  fautes,  ne  voulant  pas  passer 
outre,  et  choisissant  Tétat  de  vie  qui  leur  semble  devoir 
les  exempter  de  telles  et  telles  souârances.  Elles  quittent 
celui  où  la  divine  Majesté  voulait  se  servir  d'elles.  Elles 
sortent  de  ses  saintes  dispositions,  et  cela  Toblige  de 
les  laisser  dans  les  mains  de  leur  conseil,  puisqu'elles 
aiment  mieux  suivre  leur  route  que  la  sienne.  Pourquoi 
donc  vous  défiez- vous?  Armez-vous  de  courage  et  de 
confiance,  votre  salut  est  entre  les  mains  d'un  très-bon 
Père. 

Pour  l'autre  point,  j'en  dirai  comme  du  premier.  Le 
diable  voit  que  vous  contribuer  au  salut  d'une  âme  ;  il 
vous  attaque  à  ce  sujet,  afin  de  vous  faire  quitter  cette 
bonne  œuvre.  Il  ne  le  faut  pas  croire  ;  c'est  son  ordi- 
naire de  livrer  de  semblables  assauts  aux  serviteurs  de 
Dieu,  pourles  empêcher  d'avancer  sa  gloire.  J'en  connais 
un  qui  était  dans  des  hasards  et  des  dangers  extrêmes, 
au  milieu  d'une  barbarie  où  on  lui  livrait  d'étranges 
combats.  Il  en  était  presqu'au  mourir,  car  cela  dura 
plusieurs  années.  Il  en  a  remporté  des  victoires  sans 
nombre,  sans  quitter  pourtant  les  fonctions  de.  son 
ministère.  J'en  sais  un  autre  qui  a  eu  une  maladie 
qu'on  estimait  mortelle,  pour  avoir  soutenu  des  com- 
bats extrêmes  sans  cesser  de  garder  la  fidélité  qu'il 
Rêvait  à  Dieu  dsms  toutes  ces  circonstances.  Je  vous 
lusse  à  penser  combien  toutes  ces  résistances  lui  ont 
mérité  de  couronnes.  Ne  laissez  donc  pas,  pour  toutes 
vos  croix,  le  bien  commencé  ;  l'oraison  et  la  mortification 
seront  votre  force.  De  mon  côté,  je  ferai  pour  vous 
auprès  de  Dieu  tout  mon  possible,  afin  que  sa  très- sainte 
Tolonté  s'accomplisse  en  vous. 

Pour  mon  particulier,  je  suis  en  assez  bonne  santé, 
grâces  à  Notre- Seigneur.  Nous  avons  fait  nos  élections. 


54  LETTRES 

oh  Ton  m'a  continuée  en  ma  charge  contre  hk»  incli- 
nation ;  mais  il  m*a  fallu  sabir  le  jong.  Priei  Noire- 
Seigneur  qoll  me  fàœ  la  grâce  de  le  porter  comme 
il  fant,  et  comme  il  le  désire  de  moi. 


De  QuOee,  le  12  août  1654. 


LETTRE  CXXII. 

A    UNE    DAME    DE    SES    AMIES. 

Il  e»t  daDg^reuz  de  Dégligwr  ion  salut.  —  Pmr  oeCta  ■égligonea,  Vàmm  lonto 
de  précipiee  en  précipice^  d'où  il  eet  difficila  de  te  raleT«r. 

Ma  trôs-chère  sœur. 

Je  TOUS  salue  dans  le  cœur  tout  aimable  et  tout 
adorable  de  notre  bon  Jâsus,  source  tîtc  de  tous  les 
biens  de  la  grâce  et  de  la  gloire. 

J*ai  su  qu'il  vous  a  été  un  bouquet  de  myrrhe,  et'  que 
de  bonne  grâce  vous  l'avez  porté  sur  votre  sein.  Pour- 
quoi, ma  très-chère  sœur,  me  scellez-vous  les  croix  que 
notre  bon  Dieu  permet  vous  arriver?  Croyez-vous  que 
je  n*aie  pas  assez  de  courage  ou  de  volonté  pour  vous 
aider  à  les  porter?  Je  le  ferais  très- volontiers  pour  la 
grande  part  que  je  prends  à  tout  ce  qui  vous  touche. 
Vous  me  dites  en  passant  quelques  mots  de  votre  fille, 
mais  je  crois  qu'il  y  a  quelque  chose  de  plus  ;  et  quoi* 
que  je  ne  sache  rien  de  bien  formel  de  son  procédé,  je 
ne  laisse  pas  de  lui  écrire  sur  ce  que  j'ai  appris  qu'elle 
est  trop  libre,  et  qu'elle  n'a  pas  la  crainte  de  Dieu. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  55 

Cela  m'étonne,  vu  que  vous  l'avez  si  bien  élevée,  et 
qu'on  m'avait  mandé  qu'elle  était  douce  et  innocente. 
Ab  !  ma  bonne  sœur,  que  le  ménagement  de  notre  salut 
est  une  grande  chose  !  Dès  qu'une  âme  vient  à  le  négli- 
ger, elle  tombe  de  précipice  en  précipice,  en  sorte  qu'il 
lui  est  difficile  de  se  relever.  Il  faut  pour  cela  de  grands 
coups  de  grâce  et  des  secours  efficaces  que  Dieu  seul 
peut  donner.  Je  vous  assure  que  la  part  que  je  prends 
à  tout  ce  qui  vous  touche,  m'a  rendu  cette  nouvelle  plus 
sensible  qu'aucune  autre  que  j'aie  reçue  depuis  long- 
temps.  Les  pertes  temporelles  me  touchent  peu,  parce 
que  notre  bon  Dieu  a  assez  de  pouvoir  pour  relever 
la  créature;  mais  il  n*en  est  pas  de  même  d'une  âme 
qui  lui  résiste  et  qui  lui  lie  les  mains  par  sa  rébellion. 
Il  faut  pourtant  prier  sans  remise,  et  espérer  un  coup 
puissant  de  sa  miséricorde  pour  cette  âme  qui  refuit 
(fuit  à  la  vue  du  devoir)  de  lui  rendre  la  fidélité  qu'elle 
lai  doit.  Je  me  lie  à  vous  à  cette  intention  pour  faire 
ce  qui  me  sera  possible  pour  la  réduction  de  ce  cœur. 
Cependant,  ma  chère  sœur,  aimons  notre  divin  Epoux 
pendant  que  les  autres  ne  l'aiment  pas.  Cachons-nous 
dans  cette  pierre  vive,  dans  cette  masure  trouée  de 
toute  parts  par  ses  divines  plaies,  et  trouvons-nous-y 
ensemble  pour  ne  vivre  plus  que  de  sa  vie  divine  et 
de  ses  influences  saintes.  Tâchons  d'y  faire  amende 
honorable  pour  toutes  les  âmes  qui  négligent  leur 
8alut,^  afin  qu'elles  soient  trouvées  dignes  de  revivre. 
Redoublez  vos  vœux  et  voeI  prières  pour  l'avancement 
de  la  conversion  des  pauvres  Iroquois.  L'on  va,  l'on 
vient,  l'on  travaille  pour  cela  ;  mais  comme  ce  sont  des 
Barbares,  l'on  n'attend  rien  que  de  Dieu. 

De  Québec,  le  13  août  1654. 


50  LBTTRR8 


LETTRE  CXXIII. 


A    UNE    DE    SES   SŒURS. 


Chacna  doit  Undre  an  ci«I  par  des  moyens  confomMa  à  sa  eonditÎMi.  —  Les  lûana 
do  la  grico  tt  do  la  gloire,  sont  les  aenii  TéritaUes  bioas. 


Ma  très-bonne  et  très-chôre  sœur, 

Jésus  et  sa  sainte  More  soient  votre  nniqae  et  entiàre 
consolation. 

Ce  m*en  est  toujours  une  bien  grande  d'apprendre 
iiu'ils  TOUS  protègent  et  qulls  donnent  la  bénédiction 
k  Tos  affaires.  Il  faut  tout  attendre  et  tout  espérer  d*un 
si  bon  Dieu,  qui  est  le  Père  des  orphelins  et  le  protec- 
teur des  veuTes.  Je  dis  encore  qui  est  le  Père  de  tous, 
car  ses  miséricordes  sont  infinies.  Nous  rexpérimentons 
en  ce  bout  du  monde,  où  la  paix  continue  depuis  un  an, 
ce  qui  facilite  beaucoup  les  afiairéb  de  Dieu  au  sujet 
du  salut  des  âmes.  Les  affaires  temporelles  du  pauvre 
peuple  prospèrent  par  la  liberté  du  commerce^  Nous 
espérons  que  cela  continuera  pour  la  gloire  de  Dieu  et 
pour  la  consolation  de  son  peuple.  Cest  une  chose  ravis- 
sante de  voir  la  ferveur  de  nos  chn$iiens  sauvages.  Si 
noos  Tovons  dans  quelque  temps  dlci  les  Iroquois  con- 
vertis, comme  Ton  y  travaille  puissamment^  nctre  joie 
::e  se  pourra  exprimer.  Ah  !  ma  chère  sœur,  que  c'est 
j::ie  ^r^aie  chose  que  le  salut  des  àmâs  qui  ont  coàté 
:oct  le  sao^  eu  Fils  de  Dieu!  ^ue  la  mort  SHuit  douce. 


DB  LA  MERE  BIARIB  DE  L'INCARNATION .  57 

endurée  pour  un  si  digne  sujet!  Oh!  plût  à  Dieu  que  la 
mienne  y  fût  toute  consumée  !  Mais  je  ne  mérite  pas 
un  si  grand  bonheur. 

'  Vous  me  consolez  de  me  donner  des  nouvelles  de  vos 
enfants.  Je  les  présente  de  bon  cœur  à  notre  bon  Jésus, 
et  le  prie  de  les  vouloir  remplir  de  son  Saint-Esprit  pour 
la  conduite  de  leur  vie.  Pour  vous,  ma  très-chère  sœur, 
vous  approchez  tous  les  jours  aussi  bien  que  moi  de 
l'éternité.  Nos  dispositions  pour  ce  passage  sont  difié- 
rentes ,  selon  la  différemce  de  nos  conditions.  Nous 
tendons  à  une  même  fin,  à  un  même  paradis,  à  la 
jouissance  d'un  même  Dieu  ;  nous  devons ,  chacune 
selon  notre  état,  nous  y  préparer  et  mettre  ordre  à  nos 
affaires.  Vous  avez  à  ménager  votre  salut  particulier 
en  gouvernant  prudemment  votre  famille,  en  élevant 
vos  enfants  dans  la  crainte  de  Dieu,  et  en  les  pour- 
voyant d'une  telle  manière  qu'ils  fassent  plutôt  leur 
salut  que  leur  fortune  :  et  moi  je  dois  travailler  au 
mien  en  me  consumant  au  service  de  Dieu  et  m'ofirant 
en  holocauste  à  sa  divine  Majesté.  Prenons  donc  cou- 
rage, ma  très-bonne  sœur,  pour  servir  un  si  bon  Maître. 
J'espère  que  nous  nous  verrons  un  jour  dans  la  céleste 
patrie,  pour  nous  conjouir  de  ses  grandeurs;  et  que 
nous  y  bénirons  ensemble  ses  miséricordes  de  ce  qu'il 
nous  a  élues  pour  ses  enfants. 

Je  vous  offre  chaque  jour  à  sa  divine  Majesté,  et  je  ne 
fais  nucune  action  pour  son  service  à  laquelle  vous 
n*ayez  part,  car  mon  cœur  et  mon  esprit  sont  très-unis 
au  vôtres.  Je  vous  le  répète  et  vous  l'inculque  encore 
^6  fois  :  faites  tout  votre  possible  pour  donner  à  vos 
enfants  plus  d'estime  de  la  vertu  que  de  tout  ce  qui  est 
8Qr  la  terre.  Tout  cela  passera  comme  le  vent,  mais  les 
biens  de  la  vertu  suivent  jusque  dans  Tétemité  ceux 


58  IJETTaJB 

qui  las  ont  aimés,  ^oas  penaerex  peut-être  que  je  suis 
indisposée,  puisque  je  yoqs  p^e  de  la  mort  :  nui  ma 
chère  aœar,  je  sois,  grâce  à  Notre-Seignenr»  en  très- 
bonne  santé,  et  y  ai  été  toute  Tannée;  mais  psree  que 
je  Tondrais  être  délivrée  de  œ  corps  mortel  pour  jouir 
de  Dieu  dans  une  meilleure  ^ie,  je  parie  ¥oIoBti0n 
de  ce  que  j'aime  et  de  ce  que  je  souhaite. 

De  QuOec,  le  13  août  1654. 


LETTRE   CXXIV. 


\   U!US   KBUGXBUSB   URSUUNB   DB  aLLBS-fiIIBr<aKa. 


Ma  révérende  et  très-chère  Mâie, 

L'amour  et  la  vie  de  Jbsus  soient  notre  vie  et  notre 
amour,  pour  le  cemps  et  pour  Téternité. 

Si  œ  iivin  Sauveur  vous  donne  de  Tamoar  pour  moi, 
il  Qe  oi'en  Joone  pas  moins  pour  vous..  Cest  une  marque 
qu'il  veut  que  zios  oosurs  soient  unis  dans  son  amour 
ec  Mince  iilection.  De  mon  côté»  je  le  sens  et  lieESfén- 
awn(e>  ^  je  tacherai  de  conserver  cette  liaison  toute 
ma  vie ,  ;e  vous  le  dis  sans  oompiimens  ec  sans  iiccioB, 
mou  ukûme  Mère.  Vous  me  consoiet  beaocoap  do  ma|^ 
^>r^nure  ^ue  les  travaux  de  ma  révérende  Mare  de 
Dampierr^  ec  les  vôtres  praspèrenc  avec  bénédictîoa. 
Aâ:  ju  il  lait  bon  m  Mûriâer  pour  le  servîoa  d'an  ai  boa 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  L'INCARNATION.  59 

Dieu  I  vous  verrez  à  l'heure  de  la  mort  de  quel  prix  sont 
les  peines  et  les  mortifications  que  Ton  souffre  pQur  son 
amour.  J*admire  qu'en  si  peu  de  temps  vous  ayez  tant 
avancé  que  de  faire  recevoir  le  coutumier.  Peu  à  peu 
les  pratiques  se  rendent  plus  solides.  Ce  serait  un  grand 
avantage  que  ma  chère  Mère  prieure  fût  continuée, 
et  que  vous  demeurassiez  avec  elle,  car  elle  me  témoigne 
qu'elle  a  en  vous  une  entière  confiance.  Mais  est-il  vrai, 
chère  Mère,  que  ce  monastère  soit  si  pauvre  et  si  déchu? 
Il  est  bien  difiScile  de  réparer  ce  malheur  (autrement) 
qu'en  recevant  des  novices.  Je  prie  Notre-Seigneur 
d'y  vouloir  mettre  la  main .  J'espère  que  si  la  discipline 
régulière  s'y  garde  comme  il  faut,  le  temps  et  la  patience 
remettront  le  temporel  en  son  premier  état,  et  peut-être 
dans  un  meilleur  et  plus  florissant.  Ne  perdez  donc 
point  courage,  ma  très-chère  Mère,  travaillez  pour  Dieu 
et  pour  cette  pauvre  maison. 

Pour  nous,  nous  nous  relevons  peu  à  peu  de  notre 
incendie.  Notre-Seigneur  nous  a  tellement  favorisées 
de  ses  bénédictions ,  que  nous  sommes  aussi  bien  logées 
qu'auparavant.  Nous  devons,  à  la  vérité,  mais  nos  dettes 
vont  en  diminuant,  et  nous  avons  affaire  à  des  personnes 
qui  ne  nous  pressent  pas.  Maintenant  que  la  paix  est 
faite,  nous  avons  beaucoup  d'emploi  (d'occupation)  en 
sorte  que  si  quelqu'une  de  nous  venait  à  manquer; 
il  nous  faudrait  par  nécessité  faire  venir  des  sœurs  de 
France,  supposé  que  la  mer  fût  plus  libre,,  car  nous 
appréhendons  plus  à  présent  les  Anglais  que  les  Iroquois. 

Quand  je  vous  dis  que  nous  noufi  relevons  peu  à  peu, 
06  n'est  pas  que  nous  ne  manquions  de  beaucoup  de 
choses  ;  mais  cela  n'est  rien  en  comparaison  de  l'extré- 
mité où  nous  nous  sommes  vues.  Après  tout,  la  divine 
ProYidence  est  une  bonne  Mère,  quand  on  s'appuie  plus 


no  LKTTRB8 

Aur  dIIp  <|I1ii  Mur  Ion  forces  humaines,  qui  sont  toqjoun 
rMiiiIppi  0I  tfMKiniitatitoi.  Ainsi,  ma  chère  Mère,  conao- 
liMin  iinuM  011  fitlo,  et  elle  aura  soin  de  nous.  ^  Noos 
feiMuiiifsM  olinrgiV^s  irun  grand  nombre  de  filles  en  notre 
««iiiiiimiiH»  sur  w  soûl  appui.  L*on  me  fait  quelquefois 
U«Mi  «lUt^slUtus  sur  w  sujet,  .et  on  me  demande  ai  j*ai 
Ù^iuUlioii  |HUir  tout  cela.  Je  réponds  que  noua  aTons 
^vU0  \V>  U  Tn^vldono^  Hn  etlet,  je  my  sens  très-forte, 
i)l  ^(^  110  (M>i  «^tuH>re  jamais  manqué.  Remerciei-la 
|S'Mr  m\M,  uKm  mkituo  M^re«  et  noobliex  jamaia  de  me 
iHuv  im^ri  U^  vv\»  pri^rw.  et  du  mérite  de  Toa  bonnes 


:  ^^rrsy  cxxt 


V    5^>i>*     '«'«!.*. 


*•••**     "<'**^    *«>fiw«!5s    !Wtrt>6^    j^trrîfà^^    '.i 


DE  LA  MËRB  MARIB  BB  L'iNGARrÏATION .  61 

que  les  Iroqaois  lui  avaient  tait  souffrir.  Depuis  ce 
temps-là  il  nous  a  paru,  par  tout  ce  qui  s'est  passé, 
que  Dieu  s'est  contenté  de  l'offre  que  ce  bon  Père  lui 
a  faite  de  mourir  comme  victime,  afin  de  l'apaiser 
et  de  donner  par  sa  mort  la  paix  à  tout  le  pays.  Car 
depuis  ce  temps-là  les  Iroquois' n'ont  fait  que  des  allées 
et  des  venues  pour  la  demander.  Et  ce  qui  est  le  plus 
merveilleux,  ceux  des  nations  voisines  qui  ne  savaient 
pas  ce  qui  se  passait  chez  les  autres,  sont  venus  en 
même  temps  pour  traiter  avec  nous.  Pour  marque  qu'ils 
demandent  la  paix  avec  sincérité,  ayant  appris  qu'une 
nation  barbare  avait  pris  un  jeune  homme  de  l'habi- 
tation de  Montréal,  et  qui  était  le  chirurgien  de  la 
colonie  française,  ils  l'ont  racheté  à  leurs  dépens  et 
l'ont  rendu  à  son  habitation.  Ils  ont  fait  des  présents 
considérables,  afin  qu'on  leur  donnât  des  Français  pour 
hiverner  avec  eux  et  être  les  témoins  de  leur  fidélité. 
On  leur  en  a  donné  deux  qui  se  sont  volontairement 
offerts.  Durant  tout  le  temps  quils  ont  demeuré  parmi 
eux,  ils  les  odt  chéris  et  aimés  extraordinairem'ent, 
et  enfin  ils  les  ont  ramenés  au  printemps  perlant  avec 
eux  des  lettres  des  Hollandais  qui  assurent  que  c'est 
tout  de  bon  que  les  Iroquois  demandent  la  paix. 

Tout  le  long  de  l'année,  les  Français,  les  Hurons, 
les  Algonquins,  et  les  Montagnais  ont  vécu  ensemble 
comme  frères.  L'on  a  fait  les  semences,  les  récoltes 
et  le  trafic  avec  une  entière  liberté  ;  et  cependant  les 
pauvres  sauvages  en  général  n'osent  se  fier  aux  Iroquois, 
après  tant  d'expériences  qu'ils  ont  de  leur  infidélité. 
Us  disent  sans  cesse  à  nos  Français  que  les  Iroquois 
sont  des  fourbes,  et  que  toutes  les  propositions  de  paix 
qu'ils  font  ne  sont  que  des  déguisements  qui  tendent 
à  nous  perdre.  Ils  le  disent  encore  aux  Iroquois  mêmes, 


*^^  LBTTRB8 

f>M  (|u)  A  |i0riM  tout  gâter  et  rompre  pliu  que  jamais. 
\Uiii  Piilin  Ion  Iruquois  ont  poursuivi  avec  tant  dlns- 
imiop.  (lu'oii  fioiit  roiiUu  à  leur  prière.  C'est  une  chose 
fi(hiiit-Al>lo  iIp  \w  ontiuiUro  haranguer  sur  les  affaires 
tlp  l*t  \i*\\\ .  our  ild  nont  voulu  se  servir  que  des  per- 
•9tMiiip*9  Ipm  |tlu9  vHiu^iilôrables  d*entre  eux  pour  être  les 
miiliii«Aa«UMu*9  i(o  co  trHÎtê.  et  ceux  qui  les  ont  entendus 
Hvmtpiii  siwxU  out  botiucoup  de^prit  et  de  conduite. 

Vm  uum^  ilo  juUlot  dfi^ruior,  ils  sont  venns  trouver 
W  iv*  iîou>rvrtKHir  ito  U  NouvijUe-France  et  les  révé- 
ivkia<  iVtvt.  oii  ;^^*rO«  (.'lus^i^urs  conseils  et  présents, 
♦uvxjuoîM  .»n  i  i\5ivuUu  d«?  piut  ec  vi autre,  on  leur  a 
«^-x^^avv  ;u\t:i  iViv  trîiiç  :«  ▼tsicsr  «  qull  ferait  le 
^vii.  .i\^  .i?if.^  ot.Kj  r^iica^  '^oar  vMnaaltie  sUs  conspi- 
•4..  u-   ^^^x  i.iitck   v;  jv^^r  Xi}  ;ak  gaix  Lrf  revécead  Père 

Ni  n'%i».iu.'  •x^Ui'  ,^4;i^  inw  jxx  launète  :eaafi  homme 
ï-x.iv-M*^   i'«*  ^.»itr«i    leur    i^iV/mijatfattr    Ils  isnireat 

à'jv'NX  Mi\^«i,Miit;  vrv«i>.  ï^  xti  tXTîiur  î^K  i  jur^nLâmis 
^M\     »\ok    rA«Q<>^-4T^   .vui'^^i^'^mi    :vmiatt   iss    jgr*»   par 

M*      ^.,*..>     Jî       0£>      eî^,    1 4<tîf >,      il      OtkUSUOà     -SlCfUUS 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  L'INGARNATION.  63 

Us  Ini  disaient:  Prie  le  Maître  de  nos  vies;  fais  ce 
que  tu  sais  qu'il  faut  faire  :  car  nous  autres,  nous  ne 
sommes  que. des  bêtes.  Nous  te  déclarons  que  nous 
voulons  embrasser  la  Foi,  et  croire  en  Celui  qui  est 
le  Maître  de  nos  vies.  Nous  aimons  les  robes  noires, 
parce  qu'ils  aiment  la  pureté  et  qu'ils  ont  la  véracité, 
et  qu'ils  is'intéressent  dans  les  affaires  de  leur  trou- 
peau. Ils  disaient  cela,  parce  qu'ils  avaient  vu  comme 
ils  s'étaient  exposés  à  la  mort  chez  les  Hurons,  afin 
de  les  secourir.  Ceux-là  même  qui  avaient  fait  mourir 
les  Pères  de  Bréjbeuf  et  Garnier  lui  donnèrent  les 
livres  qu'ils  leur  avaient  ôtés  au  temps  de  leur  miM*- 
tyre,  et  qu'ils  avaient  gardés  depuis  comme  des  choses 
dont  ils  faisaient  estiihe.  On  apporta  ensuite  plusieurs 
enfants  au  Père,  afin  qu'il  les  baptisât.  Une  esclave 
huronne  fort  bonne  chrétienne,  ayant  instruit  une 
grande  fille  durant  le  temps  de  sa  captivité,  la  pré- 
senta aussi  pour  être  baptisée.  Le  Père  lui  dit  :  Pour- 
quoi, ma  sœur,  ne  l'as-tu  pas  baptisée?  Ne  t'ai-je  j^as 
autrefois  instruite  sur  ces  matières?  Elle  repartit  : 
Je  ne  croyais  pas,  mon  Père,  que  mon  pouvoir  se  pût 
étendre  sur  de  grandes  personnes,  mais  seulement  sur 
des  enfants  malades.  Alors  le  Père,  la  trouvant  suffi- 
samment instruite,  la  baptisa. 

Dans  ce  bourg  qui  était  celui  des  Onontageronons, 
et  la  capitale  de  la  nation,  le  Père  trouva,  parmi  les 
esclaves,  les  Hurons  qui  composaient  autrefois  son  trou- 
peau au  boui^  de  Saint-Michel.  Ces  pauvres  captifs 
voyant  leur  bon  Père,  furent  comme  ressuscites  de 
mort  à  vie;  et  pour  leur  donner  la  joie  entière,  il  les 
confessa,  et  leur  administra  les  Sacrements.  Consi- 
dérez, je  vous  prie,  les  ressorts  admirables  de  la  divine 
Providence.  Dieu  a  permis  que  ces  pauvres  chrétiens 


*'X  wt  c 


uitiu:  m^  urif  pu?  c^  Durnare^  pour  j£  sAm  ^âe  lenr 
liuiiiii     ''ihJi  Ht  fiuin  fiuz  (lu:  laur  on:  dnimir  ik 

HUlir^f    Q4b^  IneU.  €r«    (tu.    i)h'   I6U  1IB!3XL  6CX  ^ 

««jmencefc  u«:  îl  Jui,    Cf^  par  eiiz  gnïif^  ont  oookzniet 

leh    J'eret   e:   iiOU§   ciLitf  ajiitelifiin  isE  "RI^^hs   sKnioL 

AuittL  leurf  amnasBaQenr^  ii  (nn  jiBf  nuaigiié  àe  doqi 

reiiUre  Tislif^.  lit  ubt  aaïuîré  uw  fiémixifirînes  sumgei, 

i<»  ezitenaairt  uhauier  ie^  ioMng»  ôe  Dieu  en  trai 

iaii('uef  diilereiiitib.  Ii£  étaieui  ravis  de  Ibe  Toir  à  bin 

ùrcîsNéeE  a  ih  fraLcaïBe.  MaÏF  ce  gui  is  toiicfa&  le  {dus, 

lui  ue  -voir  que  ht  nous  louchani  en  rien,  nous  en  fU- 

fiiouf  estimt.  ieE  aimaui  et  caressant  comme  les  màrei 

aimeui  et  caresBeni  leurs  enfants.  Mais  je  i^tourne  an 

J^ère  riue  J  ai  laisfiê  jfiarmi  les  Iroqnois. 

(Ues   peuples   donc  firent  de  beaux  présents   et  en 

grande  quantité;  mais  le  plus  précieux  fat  oèlni  qui 

signifiait  qu'ils  voulaient  croire  en  Dieu,  et  un  autre 

pour  être  présenté  à  Achiendasé,  c'est  ainsi  qu'ils  appd- 

lent  le  révérend  Père  supérieur  des  missions,  afin  qull 

envoyât  des  Pères  en  leur  pavs  pour  y  faire  une  maison 

fixe.  I>ès  lors  ils  désignèrent  une  très-belle  plaoesnr 

le  bord  d'une  grande  rivière,  où  est  Tabord  de  toutes  lei 

nations.  Lorsqu  ils  jetaient  les  projets  de  cette  habiu- 

tion,  il  arriva  une  chose  remarquable.  Il  y  a  prodM 

de  ce  lien  une  grosse  fontaine  qui  se  dëchai^  dans  un 

grand  bassin  que  la  nature  a  formé  pour  recevoir  s» 

eaux.  Nos  Français  en  ayant  goûté,  ont  trouvé  queOe 

était  salée.  Ils  en  ont  fait  bouillir  de  l'eau,  et  ont  trouri 

one  c'est  une  saline  qui  fait  de  très-beau  et  très-bon  sef. 

Les  sauvages  qui  fuyaient  cette  eau  et  la  prensmot 

pour  nn  poison,  trouvèrent  admirable  cette  iaQO&<i^ 

faire  du  sel  d'une  chose  si  méchante,  et  tieunan^  ^ 
fonr  ui  mincie  des  Français.  Ce  n'est,  ^  ^  TtfX«iA« 


'4 


*■,. 


DE  LA  MÈRB  MARIB  DE  l'iNGARNATION.  65 

lais  06  sera  un  trésor  pour  les  Français  qui  doivent 
aller  habiter. 

Lorsque  le  Père  était  là,  on  levait  une  compagnie 
e  deux  mille  hommes,  pour  aller  en  guerre  contre  la 
ation  du  Chat/  Le  capitaine  qui  devait  la  commander, 
tait  Fun  des  ambassadeurs  qui  étaient  venus  demander 
%  paix.  Lorsqu'il  fut  prêt  à  partir,  il  vint  prier  le  Père 
ni  l'avait  instruit  en  chemin,  de  le  vouloir  baptiser. 
fais  il  7  trouva  de  la  difficulté,  et  lui  dit  qu'il  lui 
onférerait  ce  sacrement  à  son  retour  de  la  guerre, 
liais,  mon  frère,  repartit  le  sauvage,  tu  sais  que  je  vais 
n  guerre,  et  que  je  puis  y  être  tué  :  si  je  meurs,  me 
^romets-tu  que  je  n'irai  point  dans  les  feux.  A  ces 
laroles,  le  Père  le  baptisa. 

Le  Père  étant  à  Onontagé,  il  arriva  un  accident  qui 

ensa  tout  rompre.  Le  feu  prit  dans  le  bourg  sans  qu'on 

fl^t  comment,  où  il  brûla  vingt  cabanes,  chacune  -de 

nquante  ou  soixante  pieds  de  long.  C'était  pour  (de 

itnre  à)  faire  croire  à  r^es  barbares  que  le  Père  était 

rcier,  et  qu'il  avait  fait  venir  le  diable  pour  les  brûler. 

x>mmenQait  déjà  à  se  disposer  à  la  mort,  connaissant 

imeur  de  ces  païens.  II  s'avisa  néanmoins  d'un  moyen 

loi  réussit,  savoir  de  les  aller  consoler  par  le  moyen 

ion  hôte,  et  de  leur  offrir  un  présent  pour  essuyer 

B  larmes.  Ils  se  sentirent  si  obligés  de  cette  compas- 

que  le  Père  leur  témoignait,  que,  bien  loin. de 

ter  contre  lui,  ils  demeurèreàt  pleinement  confirmés 

es  Français  et  les  Pères  étaient  leurs  amis. 

I  Iroquois  ont  ramené  le  Père  selon  leur  promesse, 

tte  nation  située  au  sud  du  lac  Erié  s'appelait  en  langue  da  pays  nation 

throDDODs.  «  Nous  rappelons  la  nation  du  Chat,  dit  la  Relation  de  1654, 

ill  y  a  dans  leur  pays  une  quantité  prodigieuse  de  chats  sauvages,  deux 

8  plus  grands  que  nos  chats  domestiques,  mais  d*an  beau  poil  et  précieux. 

l.  M.    H.  5 


\. 


ii.Hio  |i.  li'tin.i:  'jijjirt  avaient  mar'iué.  Il  n'est  pas  croyable 
I.i.  M  \rn  1- f  iirir.;ii}i  il  nos  nouveaux  chrétiens  ont  été 

I  iMo  iiit  r:iih   irljHii-,  i:l  flc  l'iieureux  succès  de  sont 
iiM.t: .    Il  irhhul.  iiruiriiiiiiit  uiui  (liinculté qul  empêchai 
.|ii».  1.1  |uio  lin  lui.  i'iili«*îr('.  C'est  que  les  Agnerognons 

II  .i\. lit  ni  |Miiu(.  |iMru  dans  tous  les  conseils  qui  furent 
«.iiu:>  i\  i^u\\\\i\y,\\  ro  qui  faisait  craindre  qu*ils  ne 
«ou\:l^.^«Ml(  tpiiiU|U(^  mauvais  dessein.  Mais  les  Hurons 
,  \ii  \  i\.»uM»(  v'io  iMivo\ôs,  ot  qui  sont  de  retour  du  joar 
,.■...;.  o;\i  upporio  qu'ils  sont  du  parti  de  la  paix,  et 

iî  \  .\  ti;ît  Mr.'î  do  oraiudro  lie  leur  part;  que  s'ils 
.•    ,'  \,'-.i  IMS  i:vi;N^\<  aux  assemblées,  ils  en  ont  fait 

■ 

.  ,x  .A.  xv.x  w".>.::'/.  ;;i'.'.s  cil  OU'  t^è  empèchés  par  la 
..  .    V     ..    X  i\,:  /  '.  .•,::■, :v  ".^'s  sauvoiTt's  de  ia  nouvelle 

..X    .\x    \4'.  :,s   .v;'s  r.'\î::-    i:::o   ian.?  le  même 

•w  .NX  .  /,    ,».•.•  :  ;  ■;    t;-?  r-    ;.-fcl5  Pères  iront 

..A  i    •..:.     /•;v.\»..:ii  iVïc  ^rfriûe  Fran- 

A    \  .  .  •  i    .t:<  ;>.;:csr*c:ca  poar  cinq 

^.      ■        »  \  .:  ....!i.:.j:::.  i  ;*  ^i^rcer  leur 

.  .  '  >v  -i    :  '•:.:  ::^Tïi.":.  -'"iic  ■;:ie  les 

V  ■^^..        •■:.•    \  i..  '"-u  /:n  peut 

.--<:...   ^.-:^  li  iL:Lse 
■..  '  ..s-.>i.i-  L^iîirs  choses. 


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DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L INCARNATION.  67 

pour  vivre  et  pour  avoir  des  laitages.  Cette  paix 
augmente  le  commerce,  particulièrement  des  castors 
dont  il  y  a  grand  nombre  celte  année,  parce  qu'on  a  eu 
la  liberté  d'aller  partout  à  la  chasse  sans  crainte.  Mais 
le  trafic  des  âmes  est  le  contentement  de  ceux  qui  ont 
passé  les  mers  pour  venir  les  chercher,  afin  de  les 
gagner  à  Jésus-Christ.  L'on  en  espère  une  grande 
moisson  par  l'ouverture  (l'initiative)  des  Iroquois.  Des 
sauvages  fort  éloignés  disent  qu'il  y  a  au-dessus  de  leur 
pays  une  rivière  fort  spacieuse  qui  aboutit  à  une  grande 
mer  que  l'on  tient  être  celle  de  la  Chine.  Si  avec  le  temps 
cela  se  trouve  véritable,  le  chemin  sera  fort  abrégé, 
et  il  y  aura  facilité  aux  ouvriers  de  l'Evangile  d'aller 
dans  ces  royaumes  vastes  et  peuplés  :  le  temps  nous 
rendra  certains  de  tout. 

Voilà  un  petit  abrégé  des  affaires  générales  du  pays. 
Quant  à  ce  qui  regarde  notre  Communauté  et  notre 
^minaire,  tout  y  est  en  assez  bonne  disposition,  grâces 
à  Notre-Seigneur.  Nous  avons  de  fort  bonnes  sémina- 
ristes, que  les  ambassadeurs  Iroquois  ont  vues  à  chaque 
fois  qu'ils  sont  venus  en  ambassade.  Comme  les  sau- 
vages aiment  le  chant,  ils  étaient  ravis,  comme  j'ai 
déjà  dit,  de  les  entendre  si  bien  chanter  à  la  française; 
et  pour  marque  de  leur  afi^ection,  ils  leur  rendaient 
la  pareille  par  un  autre  chant  à  leur  mode,  mais  qui 
n'était  pas  d'une  mesure  si  réglée.  Nous  avons  des 
Baronnes  que  les  révérends  Pères  ont  jugé  à  propos 
que  nous  élevassions  à  la  française  :  car  comme  tous 
les  Hurons  sont  à  présent  convertis,  et  qu'ils  habitent 
proche  des  Français,  on  croit  qu'avec  le  temps  ils  pour- 
ront s'allier  ensemble,  ce  qui  ne  se  pourra  faire  que 
les  filles  ne  soient  francisées  tant  de  langage  que  de 
mœurs.  Dans  le  traité  de  paix,  on  a  proposé  aux  Iro- 


1^8  LBTTRBB 

qaois  de  nous  amener  de  lears  filles,  et  le  révérend 
Père  Le  Moine,  à  son  retoor  de  lenr  pays,  noas  devait 
amener  cinq  filles  des  capitainesses,  mais  roccasion 
ne  lui  en  fat  pas  favorable.  Ces  capitainesses  sont  des 
femmes  de  qualité  parmi  les  sauvages,  qni  ont  voix 
délibérative  dans  les  conseils,  et  qoi  en  tirent  des  con- 
clusions comme  les  hommes,  et  même  ce  furent  elles 
qui  déléguèrent  les  premiers  ambassadeurs  poar  traiter 
de  la  paix. 

Enfin  la  moisson  va  être  grande,  et  j'estime  qu'il 
nous  faudra  chercher  des  ouvriers.  L*on  nous  propose 
et  Ton  nous  presse  de  nous  établir  à  Montréal;  mais 
nous  n'y  pouvons  entendre  (consentir)  si  nous  ne  voyons 
une  fondation,  car  on  ne  trouve  rien  de  fait  en  ce  pays, 
et  Ton  n'y  peut  rien  faire  qu'avec  des  frais  immenses. 
Ainsi,  quelque  bonne  volonté  que  nous  ayons  de  suivre 
Ilnclination  de  ceux  qui  nous  y  appellent,  la  prudence 
ne  nous  permet  pas  de  faire  autrement.  Aides-noos 
i  bénir  la  bonté  de  Dieu  de  ses  grandes  miséricordes 
sur  nous,  et  de  ce  que,  non-seulement  il  nous  donne 
la  paix,  mais  encore  de  ce  que  de  nos  plus  grands 
ennemis  il  en  veut  faire  ses  enfants,  afin  qu'ils  par-* 
tagent  avec  nous  les  biens  d'un  si  bon  Père. 

De  Québec^  le  24  de  septembre  1654. 


M 


DB  LA  MÈRE  MARI£  DB  L'INGARNATION.  69 


LETTRE   CXXVI. 


AU  MÊME. 


Bile  le  conjure  de  faire  ea  sorte  qoe  les  papiers  qu'elle  lui  envoie  ne  soient 
connus  de  personne,  et  de  les  Jeter  au  feu  au  cas  où  il  se  verrait  en  danger 
de  mort. 

Mon  très-cher  et  bien-aimé  fils, 

L*amour  et  Taffection  que  j'ai  pour  vous,  et  la  con- 
Bolation  que  je  ressens  de  ce  que  vous  êtes  à  Dieu 
m*ont  fait  me  surmonter  moi-même  pour  vous  envoyer 
les  écrits  que  vous  avez  dësirës  de  moi.  Je  les  ai  faits 
avec  répugnance  et  les  envoie  avec  peine.  Mais  puisque 
la  grâce  et  la  nature  ont  surmonté  toutes  mes  incli- 
nations, j*ai  à  vous  dire  toutes  mes  intentions  là-dessus  ; 
c'est  que  je  ne  désire  pas  que  qui  que  ce  soit  en  ait  la 
communication  et  la  connaissance  que  vous.  Je  me 
confie  (j'ai  confiance)  que  vous  me  garderez  la  fidélité 
9Qe  je  vous  demande,  et  qu'après  vous  avoir  accordé 
^  que  vous  avez  demandé  de  moi,  vous  ne  me  refu- 
serez pas  ce  que  je  désire  de  vous.  Et  parceT  que  l'on 
^t  des  visites  dans  les  maisons  religieuses,  je  vous 
ptio  d'écrire  sur  la  couverture  :  Papiers  de  conscience, 
afin  que  personne  n'y  touche  et  n'y  jette  les  yeux  sans 
«empale.  Avec  cette  précaution,  les  personnes  de  votre 
condition  peuvent  facilement  garder  des  papiers  de 
cette  nature,  où  personne  ne  peut  avoir  de  vue. 
Si  vous  veniez  à  tomber  malade  et  que  vous  fussiez 


ida  piii    (f  dois  altii»  iâsor^ïîâ.  <9ivavs^[fis  à  ma 

l^tU    lUTL  :H71II  -lii    Htf   lei   lÛT^   Tfflir  À  j&  'TOIIS 

^yUu   )1(HI  tifs  l'jattiiiiuiM .  mua.  nua  (3rè9H*&er  fils,  je 
iui»  U!iit':iaf  fa  :t£  aiioi:.  s  ^lus  :Hs»  .maec  éddÊEé  pour 

\>rn.^  jiKir^f  £sr  juurrsf.  ijdn.  uLid^  jssb&  guis  >riBipKs- 
-iyvii  iiur  *:^rrrrt  isim.  ic  iisf  -xmu  jiaHiiE  gins  ibcile- 
m*iir  T^ii^iivii  imr  iL  THtnqMht  m  jl  duasi  qpt  je 
UHmuBûf  h:  sfflèr*  a*  "^iw^ 


>cBiir  l^«.ïai  ùt  rm^vcmuHuL .  C  T.  I. 


/#f  IfuÂMi.   u  !r.  (il  tmemfp'i  JuZk. 


t*m»«inT   *•■  «in  errr^rw^f.  —  Trphwm    i!inif' mnm.  rmmianp  • 

Mot  trèp-rner  e:  bier-aimé  fils. 
Liti  Tie  e:  Tninoor  de  Jésus  «oies:  Totre  vie  et  Totr^^ 

^(    roD5   a'    ém:  par  T^n«  les  vai^eanx  qui  «w^ 
partis    Celte-c:  L^esi  QXixxn  petit  abrégé  des  astres^ 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION.  71 

afin  que  si  elles  sont  perdues,  vous  puissiez  avoir  de 
nos  nouvelles  par  ce  dernier  navire.  Je  vous  envoie  les 
papiers  que  je  vous  avais  promis  et  les  ai  confiés 
au  révérend  Père  de  Lionnes  pour  vous  les  mettre  en 
main  propre.  Je  vous  demande  le  secret  que  vous 
m*avez  promis,  car  je  ne  veux  pas  que  personne  en 
ait  la  vue  que  vous.  Si  vous  voyez  du  danger  que  cela 
arrive,  brûlez-les  plutôt,  ou  même,  afin  que  mon  esprit 
soit  en  repos,  renvoyez-les-moi.  Vous  y  trouverez 
l'éclaircissement  de  certains  points  que  vous  me  de- 
mandez, si  tant  est  qu'ils  arrivent  jusqu'à  vous. 

Pour  ce  que  vous  m'avez  proposé  et  qui  vous  regarde 
en  particulier,  ne  vous  affligez  point,  et  ne  désistez 
(ne  cessez)  point  de  faire  la  charité  à  cette  bonne  dame. 
C'est  la  nouveauté  de  cet  emploi  qui  vous  cause  cette 
peine  ;  quand  rexpérience  vous  aura  rendu  plus  aguerri, 
il  n'en  sera  pas  de  même.  Toutefois,  quand  il  en  serait 
de  la  sorte  toute  votre  vie,  il  ne  faudrait  pas  cesser  de 
faire  la  charité.  Le  diable,  qui  a  peur  qu'on  la  fasse, 
fait  d'ordinaire  ces  sortes  d'ouvrages  pour  intimider 
les  âmes.  Je  connais  un  saint  homme  qui  en  est  martyr, 
mais  qui  ne  laisse  pas  de  poursuivre  généreusement 
8a  pointe;  faites-en  de  même  pour  l'amour  de  Dieu 
et  pour  le  salut  de  cette  âme. 

Pour  votre  autre  aflFaire  qui  vous  donne  tant  d'exer- 

<^îce,  c'est  aussi  une  tentation  en  une  manière;  et  en 

^ne  autre,  c'est  un  exercice  que  Dieu  vous  donne.  Vous 

ti'ouverez  quelque  chose  de  semblable  dans  mes  écrits; 

▼ous  y  verrez  aussi  les  suites  et  les  succès.  Il  faut 

r     passer,  mon  très-cher  fils,  par  diverses  tentations  et 

i     afflictions  pour  parvenir  à  la  pureté  de  corps  et  d'esprit 

^xieDieu  demande  de  nous;  et  pour  cela  il  faut  avoir 

*.  ^D  grand  courage  et  être  impitoyable  à  soi-même. 


72  LBTTRB8 

autrement  Ton  n^avancera  point  dans  cette  voie  de 
l'esprit.  Tous  les  saints  ont  passé  par  là  pour  être 
saints.  Je  ne  me  mets  pas  du  nombre,  car  je  suis  une 
grande  pécheresse;  mais  voyez,  je  vous  prie,  par  où 
j*ai  passé  l'espace  de  plus  de  sept  ans,  et  encore  aupa* 
rayant  en  diverses  rencontres.  Il  n'est  pas  possible 
de  vivre  longtemps  dans  la  vie  spirituelle  sans  passer 
par  ces  épreuves.  Je  vous  envoie  donc  au  lieu  allégué, 
et  de  mon  côté  vous  pouvez  croire  que  vos  intérêts 
me  sont  trôs-chers  pour  les  recommander  à  notre 
bon  Jésus. 

Pour  ma  disposition  du  corps,  elle  est  asse?  bonne, 
et  je  ne  me  sens  pas  encore  beaucoup  des  incommodités 
de  l'âge,  sinon  que  ma  vue  s'affaiblit.  Pour  la  soulager 
j'use  de  lunettes,  avec  lesquelles  je  vois  aussi  clair 
qu'à  l'âge  de  vingt-cinq  ans;  elles  me  soulagent  encore 
d'un  mal  dé  tête  habituel,  qui  en  est  bien  diminué. 
Je  suis  aussi  devenue  un  peu  replète  :  les  personnes 
de  mon  tempéramment  le  deviennent  en  ce  pays,  où 
l'on  est  plus  humide  qu'en  France,  quoique  l'air  y  soit 
très-subtil.  Mais  laissons  le  corps  pour  la  terre,  et 
donnons  notre  esprit  à  Dieu. 

Je  vous  ai  déjà  écrit  une  lettre  des  nouvelles  du  pays. 
Depuis  ce  temps-là,  deux  des  nations  Iroquoises  se  sont 
mises  mal  ensemble.  Le  sujet  de  leur  différend  est  que 
toutes  deux  avaient  demandé  des  Pères.  L'une,  qui  est 
celle  des  Âgnerognons,  demandait  le  Père  Chaumonnot, 
et  que  les  Hurons  se  donnassent  à  elle  pour  vivre  ensem- 
ble et  ne  faire  plus  qu'un  peuple  ;  mais  elle  ne  voulait 
pas  qu'on  parlât  de  la  Foi.  Les  Ânnontageronons 
demandaient  aussi  les  Hurons  avec  des  Pères,  et  vou- 
laient recevoir  la  Foi.  Les  Hurons,  qui  sont  libres, 
ne  voulant  pas  s'engager,   promirent  successivement 


DE  LA  MËRE  MARIE  DE  l'iN CARNATION.  73 

aux  uns  et  aux  autres  qu'avec  le  temps  ils  iraient  les 
visiter,  et  cependant  qu*ils  prissent  patience.  Ils  firent 
cette  réponse  pour  se  défaire  adroitement  de  ces  peuples, 
à  qui  ils  ne  peuvent  se  fier  après  tant  d'expériences  qu'ils 
ont  de  leur  infidélité.  Un  Père  donc  fut  envoyé  aux 
Annontageronons,  avec  ordre  de  visiter  aussi  les  Âgne* 
rognons.  Mais  le  temps  lui  ayant  manqué,  il  ne  put 
rendre  visite  à  ceux-ci,  mais  il  demeura  chez  les  pre- 
miers, où  les  autres  nations  Iroquoises  s'étaient  rendues, 
et  convinrent  de  recevoir  la  Foi.  Le  Père  apporta  ici 
cette  bonne  nouvelle,  qui  donna  bien  de  la  joie  à  tout 
le  monde,  et  pour  exécuter  un  si  bon  dessein  on  jugea 
à  propos  qu'il  y  retournât  lui-même.  Lorsqu'il  était  en 
chemin,  les  Âgnerognons,  piqués  de  jalousie,  furent  à 
sa  rencontre,  feignant  d'être  amis,  mais  par  une  four- 
berie digne  d'une  nation  barbare,  lorsqu'ils  furent  à  la 
portée  du  fusil,  ils  firent  une  décharge  sur  sa  compagnie, 

• 

Un  capitaine  qui  l'accompagnait  par  hbnneur  fut  tué, 
plusieurs  Hurons  furent  blessés,  et  les  autres  faits  pri- 
sonniers. Un  autre  capitaine  qui  restait,  leur  dit  :  Mes 
frères,  qu'avez- vous  fait?  Je  vous  déclare  la  guerre. 
Ils  ne  se  mirent  pas  beaucoup  en  peine  de  cette  décla- 
ration, mais  s'adressant  '  au  Père,  ils  lui  dirent  qu'il 
n'avait  point  d'esprit  d'avoir  préféré  les  autres  à  eux; 
et  lui  ayant  fait  ce  reproche  ils  le  laissèrent,  disant 
qu'ils  ne  voulaient  point  de  mal  aux  Français,  mais 
aux  Hurons  et  aux  Algonquins,  et  qu'ils  les  voulaient 
tous  tuer.  En  efiet  ils  font  tout  leur  possible  pour 
exécuter  leur  dessein. 

Nous  avons  pourtant  appris  que  ce  ne  sont  pas  les 
anciens  de  la  nation  qui  ont  fait  ce  coup,  et  même 
qu'ils  l'ignorent;  mais  que  c'est  un  bâtard  d'un  Hollan- 
dais et  d'une  Iroquoise,  lequel  vit  en  Iroquois,  car  ces 


fi 

ffft  \f^m^vM  (f^  iâicn  (ait,  mhtil  et  vaillant,  qui  ressem- 
u)^  H  tfH  UMfti\Jtttn,  ftxpj^.pté  qa*il  a  a  point  de  barbe. 
Vh\\^  i^fff^  ^^  ^f^t  mnqnaate  hommes,  tant  Harons 
i\\^'A\Hhhf\H\M,  qui  Irt  poursuivent;  s'ils  le  peuvent 
)fHu^iUn,  iifMt  Citit  drt  lui,  car  c'est  un  malheureux  qui 
4V|t)'f««rf  H  U  fm  Hfc  A  la  paix.  Mais  je  reviens  au  Père. 
M  |ii*fH«MlM|f.  mm  olkAmin  jusqu'à  Montréal,  où  il  ne 
Huk  |..H  |.lMri  (Al;  Mrrivtt  que  les  autres  nations  Iroquoises 
kui  Mii'tifArdht  ttd«  ilciputéa  pour  le  complimenter  et 
ii»i  uuci  (Ion  (iri^a^nU.  Ils  lui  Ûrent  de  nouvelles  pro- 
i^i^^UtuiM  qu'iU  voulaient  croire  en  Dieu,  et  le  prièrent 
>ïi.  4'i  \\u\i\km%\ç  uviio  «e^i  frères  île  venir  les  instruire. 
%\.,  ïui  ihv^ulMMrt^nà  un  prê^tent  pour  le  convier  douvrir 
u^4  V -u^  ^i^HM*  l^iou  \H>03(ivJèr^r  ce  qulls  allaient  faire 
'k*^\  \^uai4i^uvàui«  iHkur  te  ven^r  de  ilnjure  qalls  lui 
M-M-*ui  i>ii.o  \s'kU  \M^M  cù  $t>nc  les  oJiaires:  mais 
..uM^i.i  w«u.i  -àvcA  i'C'r(  t>teu  r^uiar*^iiê«  il  nV  a  point 
1  Mv; tut44u..ii  4  >%:^  't'«^:v/*^'ïi«  ^ufcoac  'i^^zami  ils  sont 
•mUmoit.;!  i  >u.»i|  ^>  )  (>.:  ^ixc  ^i^â  av^c  tîux.  OU  ue  Laîssc 
;♦  **  i».  ...  -  .*iv  \:i.  x<:*i  ^''UuirH.  Ll*s  Fèr^»  voûC  «îC  vien- 
MM',  u../-  ,-.i  j'wti,>«i:«.  :i.  --iiA  r^cnir^juemtîQt  voni  et 
•  »î.'»H''*     »•  ♦.    U4a:,>i    oujiKiiH    tvtîc   ietiauce.  Prions   le 

;  '    i*«'.4i"t^.       • ..!.    .'-    Ut    M-ui    (Ue   auus    la    levons 


■■Mi 


DB  LA  MBRB  MARIfi  DB  L'INGARNATION.  75 


LETTRE  CXXVIII. 

A     UNE     DAifE     DE     SES    AMIES. 

Elle  là  console  en  tes  afflictions,  et  lai  enseigne  qne  la  croix  est  rinstroment 

avee  lequel  Dîea  fait  les  saints. 

Ma  très-chère  sœur, 

JËBU8  soit  notre  unique  tout  pour  Téteniité. 

Il  ne  peut  se  faire  que  je  ne  mlntëresse  en  tout  ce 
qui  TOUS  touche,  puisque  mon  cœur  est  uni  au  vôtre 
d'une  façon  toute  particulière.  Portons  donc  ensemble 
▼otre  croix  en  l'unissant  à  celle  de  notre  très -adorable 
Jésus,  qui  en  adoucira  les  amertumes  par  la  douceur 
de  son  esprit.  Il  sait  le  moment  qu'il  a  destiné  pour 
convertir  cette  âme;  et  c'est  une  chose  assurée  qull 
ne  la  veut  pas  perdre,  si  elle-même  ne  le  veut;  mais  je 
ne  la  crois  pas  encore  dans  cet  abîme  de  misère,  je  la 
crois  plutôt  dans  une  ignorance  grossière,  qui,  par 
sa  stupidité,  ne  comprend  pas  l'importance  du  salut. 
Dieu  permet  peut-être  la  perte  de  ses  biens  et  les 
maladies  de  ses  enfants  pour  lui  ouvrir  les  yeux,  et 
la  rendre  plus  soumise  à  ses  volontés  et  plus  humble 
à  votre  égard.  Voilà  ce  que  Notre-Seigneur  voas  réser- 
vait pour  votre  sanctification  et  pour  l'achèvement  de 
votre  couronne.  Pour  mon  particulier,  la  bonté  divine 
m*a  aussi  gdgdée  à  lui  par  la  croix  ;  c'est  pourquoi  je 
l'estime  très-précieuse,  comme  llnstrument  par  lequel 


U  1^(1  Kw  minb.  riaiM  donc  à  m  miséricorde  qne  noQi 
9^,x\^«  tt^i^if^  nux  adorables  desseins  qa*eUe  a  rar  nous 
v^^  tv  lv^|vi  sXk^  «m  visites. 

^^^  «^Hit  nvmv^ttx  chrétiens,  ils  sont  dans  des 
i^HV^^  «K'^R^r^UliM  v{ai»  sans  mentir^  font  hooia  à 
9V^\  't^^  9V^I  »^  datt9  le  ehristianime;  demandez  leur 
)h»*!«9»^xv)^!j^^*v^  à  N^n^j^eitjmeizr»  comme  anaâ  de  ceux 
Nt<^  ^iN*^^  V4»  $<f^MiKJt  Q^cttbw.  captifs  c&ffic  Is  InN|oois, 
sHf  "KH^iHjiirVjtA  tv^  t^o^w  câpàTité,  Us  se  maizitKBDenk 
^^>«^>ii^t  ^  ^ii  ti(^  v^^i^Qii  bmr  a  âosôgnée  i  ce  ^ 
^♦^  i^ti!^  vr^  tN^lc  wiWtt  <tt  viea  aonums  •(«n»  Im.  nais- 
>i^KV  ^t^><v^  i>mvt  iiittunrilemimc  incanacsilSL  Ds 
i?4^>s^  a\v^  4,  xyiJ^r  STM^imc  ^lum  i«  wras  »zb  o&iai- 

rVM    <M^   >H**<    ^^  ^e^^H^  4^^«IM(^ 


DB  LA  MfiRB  HARIB  DB  l'INCARNATION.  77 


LETTRE  CXXIX. 

A  UNE  RELIGIEUSE  URSULINE,  MAITRESSE  DBS  NOVICES. 
{La  Mère  Angélique  de  la  Valliêre.) 

Elle  lui  fait  paraître  son  zèle  pour  les  missions,  et  lai  demande  le  secours  • 
de  ses  prières  et  de  celles  de  ses  noTioes,  afin  qu'il  plaise  à  Diea  de  les  faire 
réussir. 

Ma  révérende  et  trôs-chôre  More, 

J'ai  reçu  une  consolation  toute  particulière  d'appren- 
dre de  vos  nouvelles  par  vous-même.  Je  n'aurais  garde» 
mon  intime  Mère,  d'attribuer  à  froideur  le  silence  que 
vous  gardez  à  mon  égard.  J'ai  trop  de  preuves  de  la 
bonté  de  votre  cœur  ;  faites  ce  qu*il  vous  plaira,  j'aurai 
toujours  cette  créance,  et  que  vos  prières  avec  celles 
de  vos  bonnes  filles  sont  très-précieuses  devant  Dieu 
pour  le  Canada,  et  en  particulier  pour  notre  séminaire. 
Continuez,  s'il  vous  plait,  ou  plutôt  redoublez  votre 
ferveur,  afin  qu'il  plaise  à  sa  divine  bonté  de  donner 
sa  bénédiction  aux  missions  que  l'on  va  commencer 
aux  nations  Iroquoises.  Il  est  sans  doute  que  le  diable 
s'y  opposera  de  tout  son  possible,  comme  il  a  déjà  fait. 
Mais  Celui  pour  l'amour  duquel  nos  révérwds  Pères 
vont  s'exposer,  est  plus  fort  qu'eux.  Il  y  en  a  déjà  un 
de  parti;  deux  autres  partiront  cette  semaine  avec 
quelques  Français  :  et  si  ces  commencements  réussis- 
sent, .l'on  y  enverra  un  gros  de  Français  au  printemps 
prochain.  Encore  une  fois»  priez  Dieu  pour  ce  grand 


i 


i ^  LETTRES 

dessein.  Si  j*étais  petit  oiseau,  j  j  volerais  pour  y  rendre 
À  ma  façon  mes  petits  services  à  notre  bon  Jésus. 
Vous  apprendrez  au  long  toutes  les  nouvelles  du  traité 
lie  paix  qui  se  passa  dimanche  dernier  en  présence 
de  plus  de  cinq  cents  personnes.  Mon  intime  Afère, 
obtene2-moi  de  la  bonté  divine  la  grâce  de  la  persévë* 
rance  et  de  la  fidélité  à  ma  vocation  à  son  service  dans 
cette  nouvelle  Eglise,  et  je  lui  demanderai  pour  vous 
et  pour  voire  chère  troupe,  que  j*embras8e  de  tout 
mon  cœur.  la  véritable  sainieté.  Cest  dans  ce  senti- 
ment que  je  continuerai  d  être  dans  Famour  de  notre 
bon  JEsrs  votre... 


LETTRE    CXXX. 
A  5r'>   r::  >. 

I>r  Yncf^Wenct  rit  itor  nmnnr  (if  Iiipc.  —  Ooe  i«  uniftiiow  et  les  épieuit  ont 
pour  Uu\  de  iiiiri  i.vji ri ,-*<•:  in  jinipf  <innf  i&  vnif  àt  ia  sMinieie^  mais  qM  tî 
Tor.  I.'  pn»nc  pa-i» .  ".ip*  Tirr^îiiisfiiî  ui.  t-fit?:  »-xiLa«irc.  —  Tentatîoa  d« 
ilftiirpr  *tî»  ji«iu*«  lU  sni.  soit  .  *i^  inrx«îven»ffiiw».  «•  remèdes.  —  EDf 
iltnoipw  M  don  leur  di  r»  (ini  rieu»  rit  »»  «îicieaee*  ivukot  ntouwr 
«n  RrniK». 

.T'*i  reçu  jfc  ieir-re  eue  vou?  me  ûiies  être  votre 
«^*v»i'nc.  Le  Tivi^i^iic  :  è.re  df  l.\c»niies  est  peut-être 
)r  jorreurïjf  ia  i.r£-.ir.U'r£  eue  le  i.ai  lOis  eac^wrcçne. 
,V  suis  bien  aist  çut  ies  j^faeT^  Q^e  je  t^dus  si  envoyés 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  79 

ne  soient  point  tombés  en  d  autres  mains  que  les  vôtres. 
Ce  ne  m'eût  pas  été  une  petite  mortification  s*il  en  fat 
arrivé  autrement,  comme  vous  lavez  pu  remarquer 
par  les  précautions  que  j*ai  apportées  pour  les  rendre 
secrets.  Je  les  avais  recommandés  bien  particulière- 
ment à  ce  révérend  Père,  quoiqu'il  ignorât  ce  que 
.c'était;  mais  enfin  Dieu  soit  béni  de  ce  que  le  tout  a 
réussi  jusqu'ici  selon  mon  désir. 

J'ai  appris  de  quelques-uns  de  mes  amis  que  vous 
êtes  prieur  aux  Blancs-Manteaux  à  Paris,  c'est  ce  que 
je  ne  puis  concevoir,  puisque  vous  êtes  de  Tordre  de 
Saint- Benoît  où  l'on  porte  le  noir;  vous  m'éclaircirez 
ce  mystère,  si  vous  le  jugez  à  propos.  Quoi  qu'il  en 
soit,  (se  m'est  un  très-grand  contentement,  que  vous 
serviez  notre  bon  Dieu,  en  quelque  lieu  et  en  quelque 
qualité  qu'il  vous  mette. 

Si  vous  avez  senti  votre  cœur  ému  en  lisant  les 
grandes  miséricordes  que  la  bonté  divine  nous  .a  faites 
à  vous  et  à  moi,  j'ai  été  puissamment  consolée  dans  la 
créance  que  vous  aurez  fait  quelque  acte  de  pur  amour 
de  Dieu.  Car  j'estime  tant  ce  pur  amour,  que  je  me 
tiens  noti-seulement  payée  de  la  peine  que  j'ai  eue  à  les 
écrire  ;  mais  jô  voudrais  encore  faire  des  choses  «que 
je  ne  puis  dire,  et  qui  ne  sont  pas  même  en  mon 
pouvoir,  parce  que  le  pur  amour  mériterait  une  corres- 
pondance infinie;  et  je  suis  bornée  dans  mes  opérations 
aussi  bien  qu'en  moi-même.  Demeurons-en  là,  et  bénis- 
sons Celui  qui  n'est  que  charité,  et  qui  est  par  conséquent 
le  pur  amour. 

J*ai  vu  et  considéré  tous  les  articles  de  votre  lettre, 
qui  me  prépare  bien  de  l'ouvrage,  qu'il  me  serait  impos- 
sible d'entreprendre  maintenant.  Pour  l'amour  de  Celui 
qui  nous  a  tant  aimés,  il  faut  que  vous  preniez  patience; 


80  LETTRES 

ce  me  sera  un  travail  poar  le  printemps  prochain,  si 
Dieu  me  conserve  la  vie,  auquel  temps  je  répondrai  . 
à  vos  articles  et  interrogations  à  loisir.  Il  vaut  mieux 
en  user  de  la  sorte  que  de  faire  plusieurs  pièces  déta^ 
chées.  Je  vous  dirai  seulement  ici  que  j*ai  remarqué 
que  vous  avez  de  la  peine  dans  un  point  qui  vous 
regarde,  et  où  vous  vous  appliquez  au  sujet  de  votre 
salut.  Je  vous  demanderais  volontiers  pourquoi  voui 
demeurez  si  fort  dans  la  crainte,  car  je  ne  doute  point 
que  ce  ne  soit  une  tentation  ou  une  épreuve  que  Dieu 
permet  pour  vous  épurer.  Il  en  fait  bien  souvent  de 
même  aux  âmes  qull  veut  faire  avancer  dans  la  vie 
spirituelle  ;  mais  si  elles  n'y  prennent  garde,  elles  sont 
retardées  par  cela  même  qui  leur  avait  été  donné  pour 
leur  avancement,  ne  se  servant  pas  de  cette  épreuve 
selon  l'intention  de  Dieu.  Au  lieu  de  s'humilier  et  ds 
s'abandonner  à  sa  conduite,  sans  désirer  savoir  curieuse- 
ment ce  qui  arrivera  d'eux  (qui  est  le  point  de  la  tenta- 
tion), ils  perdent  le  temps  en  des  réflexions  vaines 
et  superflues. 

Mon  très-cher  flls,  Dieu  a  des  bontés  immenses  sur 
les  âmes  simples  et  qui  se  conflent  en  Lui.  Défaites- 
vous  donc  de  ce  désir,  qui  vous  jetterait  dans  un  fâcheux 
labyrinthe,  ce  qui  ôterait  à  votre  âme  la  capacité  et  la 
simplicité  requises  pour  recevoir  les  pures  impressions  . 
de  Dieu.  Vous  remarquerez  que  les  trop  grandes 
réflexions  vous  nuisent,  et  que  lorsqu'un  saint  prophète 
fut  nonmié  l'homme  de  désirs,  il  lui  fut  dit,  ouvre  la 
bouche  et  je  la  remplirai.  Ce  remplissement  de  bouche 
s'entend  de  la  dilatation  de  la  volonté  et  non  des 
réflexions  de  l'enteûdement.  Un  autre  dit  :  J'ai  ouvert 
la  bouche  et  j'ai  attiré  l'esprit.  Tout  cela,  nion  très-cher 
flls,  regarde  la  volonté,  qui  plus  elle  est  simple,  plus  elle 


D£  LA  MÈRE  MARIE  DE  L INCARNATION.  81 

est  capable  des  impressions  de  Tesprit  de  Dieu.  Formez- 
vous  à  cette  pratique,  je  vous  en  conjure,  et  croyez  que 
nous  avons  un  Dieu  qui  a  eu  jusqu'à  présent  et  qui  aura 
encore  à  Tavenir  soin  de  vous.  Faites  donc  en  sorte 
de  ne  pas  détruire  par  votre  propre  opération  ce  qu'il 
édifie  en  vous.  Nous  en  parlerons  plus  amplement  dans 
l'écrit  que  j'espère  vous  envoyer  l'année  prochaine. 
Cependant  tâchons,  vous  et  moi,  de  nous  rendre  fidèles 
à  Dieu,  et  de  profiter  de  ses  grandes  et  immenses  misé- 
ricordes sur  nous.  Vous  m'obligez  infiniment  de  m'ofifrir 
tous  les  jours  au  Père  Eternel,  en  lui  offrant  à  la  sainte 
Messe  le  sacrifice  de  son  Fils  ;  je  vous  prie  de  me  conti- 
nuer cette  grâce.  Vous  avez  aussi  part  à  tous  mes  petits 
biens,  disons  mieux,  à  tous. les  biens  que  Dieu  fait  en 
moi  et  par  moi,  car  de  moi-même  je  ne  puis  rien  que 
la  misère  et  le  péché. 

Il  est  vrai,  mon  très-cher  fils,  que  c'est  de  vous  et  de 
ma  nièce  que  j'ai  voulu  parler  en  faisant  le  récit  de  mes 
tentations.  Notre-Seigneur  m'a  donné  pour  son  salut 
et  pour  le  vôtre  un  amour  si  particulier,  que  je  ne 
pouvais  vivre  vous  voyant  dans  le  monde  où  l'on  court 
tous  les  jours  des  risques  de  se  perdre.  Il  me  semblait 
donc  en  ce  temps-là  que  j'étais  chargée  de  votre  salut; 
ainsi  ne  vous  étonnez  pas  si  je  souffrais,  vous  voyant 
tous  deux  marcher  dans  des  voies  qui  vous  en  éloi- 
gnaient. Nous  en  dirons  davantage  une  autre  fois. 

Je  suis  à  présent  dans  l'exécution  d  une  affaire  qui 
ma  ci-devant  causé  de  grandes  croix.  Ce  sont  deux 
de  nos  sœurs  qui  veulent  retourner  en  France  dans  la 
maison  de  leur  profession.  L'une  est  de  Tours,  l'autre 
est  de  Ploërmel  en  Bretagne,  toutes  deux  de  diverses 
Congrégations.  La  première  a  demeuré  avec  nous  plus 
de  onze  ans,  et  l'autre  plus  de  douze.  Il  y  a  près  de 

LBTTR.  M.    II.  -6 


«*^  LKTTRR8 

f«hM|  iiMM  «iiin  Jn  ootrihatii  oe  dessein,  et  qae  je  les  exhorte 
h  MM  t«iiHlt'n  (lihMnii  A  lour  vocation;  mais  Dieu  n*a  pas 
iIhiiiiiI  MMunM  (In  ((rAoo  A  mes  paroles  pour  les  retenir. 
Vmiim  |mmivom  oroiro  que  des  esprits  si  peu  affermis 
HMMiMinniMMlont  \H\n  lumuooup  une  Communauté;  je  ne 
MiV^|)lli|Uo  |mM  dnvnnta^v  il  suiBt  de  vous  dire  qne 
i«i«llo  \^v\\\\  o»t  uut>  do  celles  dont  j*ai  voulu  parler 
M\  oonuu^MUViuout  de  m»  seconde  supériorité.  Ce  n'est 
\\f\'^  \\\w  \S^  ne  9\nont  deux  Nmnes  filles,  qui  sortent 
d>^\>s^  uo^ii  {\\\v  |vii\  et  douceur  et  STec  des  obédiences 
di^  U'\>\«  iiU(s'ivutv$  vie  KrmnvV  foQ«2éâs  sur  des  infir- 
\^^\hw  ^U'  xv^'^vk  ^;u  K'ct  re«rwjM  ec  TKîubies.  Il  nous 
.'^«^\^u  >^xM^î<svï^$  xSîe  Nwtïcvvir^  rC:»  dcox  de  les  voir 
h^^tM'*^-  x^^-^nV  ^n>$  >cWv  à  I^x»xjà^  <»  sucre  chère 
xW-  V  ^.^  vV  i<Nfcr  xvvr  â^-c^  xi»  ^À:a  i^i  peut  tirer 
^  X  \v-v  sy^  ^v  ^.v  .t4:.7îi  it^  $;!..»?  »t  xTszci^aBes  à  la 
yA-  V    N^  'Vnv  s^  t^  Nwy  *>î  ïkfCTîr  r 'nTfnrmaaiTtf  Mais 


y>     v....\ 


*    vV«V      -^    ^   H  ^'^ï*^     '<v" 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNGARNATION.  83 


LETTRE   CXXXI. 


A   UNB   JEUNE   NOVICE. 


Elle  lui  témoigne  sa  joie  de  ce  qu'elle  se  donne  à  Dieu,  et  l'exhorte  à  dtre  Adèle 

à  la  gr&ce  de  sa  ▼ocation. 


Ma  très-chère  et  bien-aimée  fille, 

Ma  nièce  m'ayant  mandé  que  vous  avez  la  bonté  de 
vous  souvenir  de  moi ,  je  m*en  suis  ressentie  votre 
obligée,  et  j*ai  toujours  espéré  cela  de  la  fermeté  de 
votre  affection.  Je  vous  assure,  ma  chère  fille,  que  je 
me  souviens  aussi  de  vous  dans  mon  éloignement,  et 
que  j'ai  toujours  conservé  l'amour  et  raffection  tendre 
que  j'avais  pour  vous  lorsque  je  demeurais  à  Tours. 
Cela  étant,  il  ne  se  peut  faire  que  je  ne  ressente  une 
consolation  très-grande,  apprenant  que  vous  vous  êtes 
donnée  à  Dieu  et  qu'il  vous  a  mise  dans  la  voie  des 
saints.  Oh  !  que  vous  êtes  heureuse  de  ce  qu'il  vous  a 
fait  cette  grande  miséricorde!  Je  l'en  remercie  de  tout 
mon  cœur,  et  lui  demande  que  ce  soit  pour  vous  y 
faire  marcher  en  vérité  et  avec  fidélité,  afin  que  vous 
puissiez  parvenir  au  but  où  vous  aspirez.  C'est  peu 
à  un  voyageur  d'entrer  dans  le  droit  chemin  qui  doit 
le  conduire  à  son  terme,  s'il  n'y  marche  et  s'il  n'y 
avance;  et  il  est  inutile  à  une  âme  d'être  appelée  dans 
la  voie  de  la  perfection,  si  elle  n'avance  de  vertu  en 
vertu;  et  si  elle  ne  fait  ses  efibrts,  avec  la  grâce  de 


84  LETTRES 

Celui  qui  l'y  a  appelée,  pour  y  marcher  à  pas  de  géa. 
Demandez-lui  aussi  la  même  chose  pour  moi,  je  y< 
en  conjure,  et  croyez  que  je  suis  en  loi,  votre... 

De  Québec,  le  2  d'octobre  1655. 


LETTRE   CXXXII. 

A   SON   FILS. 

Les  Iroquois  Agnerognons  continuent  leur  hostilité.  —  Ils  demandent  la  paf'-^ 

qui  enfin  devient  universelle. 

4 

Mon  très-cher  fils, 

Je  ne  serais  pas  satisfaite  si  voyant  un  vent  nord-est, 
qui  arrête  le  navire  à  notre  port,  je  ne  prenais  un 
moment  de  loisir  pour  vous  dire  un  mot  des  bontés 
de  Dieu  sur  nous  et  sur  ce  pays,  qui  ne  subsiste  que 
sur  Tappui  de  sa  divine  Providence.  Je  vous  en  ai  dit 
quelque  chose  par  le  premier  vaisseau,  mais  nous  ne 
savions  pas  encore  tout  ce  que  notre  bon  Jësus  faisait 
pour  nous.  Nous  lavons  su  et  expérimenté  depuis. 
Ce  que  vous  apprîtes  Tan  passé  est  donc  véritable,  que 
les  Iroquois  avaient  fait  la  paix  avec  nous,  excepté  une 
(de  ces  nations),  qui,  piquée  de  jalousie  de  ce  qu'un 
Père  avait  visité  une  autre  plutôt  qu'elle,  leva  les  armes 
pour  se  venger  sur  les  Français  et  sur  les  sauvages 
leurs  alliés.  Les  autres  ont  toujours  été  fidèles  dans 
les  paroles  de  paix  qu'ils  avaient  données.  Celle-ci  a 
.   continué  son  hostilité  jusqu'au  commencement  de  juillet 


DE  LA  MËRB  BfARIB  DB  L'iN CARNATION.  85 

avec  tant  d'opiniâtreté,  qu'à  peine  pouvait-on  trouver 
un  lieu  où  l*on  pût  être  en  assurance.  Après  la  fonte 
dès  neiges,  ils  ont  fait  plusieurs  massacres  tant  des 
Français  que  des  sauvages  qu'ils  ont  trouvés  à  Técart. 
Ils  ont  pénétré  jusque  dans  des  lieux  où  on  ne  les 
attendait  pas,  dans  la  pensée  qu'ils  leur  étaient  incon- 
nus et  inabordables;  mais  ils  y  ont  été  conduits  par 
des  renégats  qui  en  savaient  le  secret.  Ils  nont  pu 
rien  faire  au  gros  des  Français,  parce  que  durant 
rhiver  on  a  fait  diverses  courses  sur  les  neiges,  dont 
des  chea)ins  battus  leur  ont  fait  peur  et  les  ont  obligés 
de  se  retirer,  car  ils  sont  plus  traîtres  que  vaillants. 
D'ailleurs,  les  Âlgonguins  voyant  les  Français  prendre 
cœur,  se  sont  aussi  animés,  et  dans  les  courses  qu'ils 
ont  faites,  ils  ont  pris  plusieurs  barbares  de  considéra- 
tion. Ils  en  ont  brûlé  ici  quatre  tout  vifs  avec  des  tour- 
ments horribles,  et  cependant  ce  ne  sont  que  des  roses 
en  comparaison  de  ce  qu'ils  font  souffrir  aux  Français 
et  à  nos  sauvages,  quand  ils  en  peuvent  attraper.  Ces 
quatre  patients  dont  je  viens  de  parler  se  sont  con- 
vertis à  la  foi  et  ont  été  baptisés  avant  leur  mort. 
Leur  conversion  a  été  facile,  parce  qu'ils  avaient  déjà 
entendu  parler  de  la  foi  à  des  chrétiens  qui  avaient  été 
captifs  en  leur  pays,  de  sorte  qu'ils  se  ressouvenaient 
facilement  de  nos  mystères  et  des  choses  nécessaires 
au  salut,  lorsque  le  révérend  Père  Chaumonnot  les 
assistait  au  supplice. 

Une  femme  Âlgonquine  ayant  été  enlevée  par  les 
Iroquois  avec  toute  sa  famille,  son  mari  qui  était 
étroitement  lié  de  toutes  parts,  lui  dit  que  si  elle 
voulait,  elle  pouvait  les  sauver  tous.  Elle  entendit  bien 
ce  que  cela  voulait  dire  :  c'est  pourquoi  elle  prit  son 
temps  pour  se  saisir  d'une  hache,  et  avec  un  courage 


86  LBTTRB8 

noDpareil  elle  fend  la  tête  an  capitaine,  coupe  le  col 
à  un  autre,  et  fit  tellement  la  furieuse  qu'elle  mit  tous 
les  autres  en  fuite  ;  elle  délie  son  mari  et  ses  enfants 
et  tous  se  retirent  sans  aucun  mal  en  un  lieu  d'assu- 
rance  (de  sûreté). 

Les  Algonquins  ont  fait  plusieurs  bons  coups  sem- 
blables, étant  envenimés  au  dernier  point  contre  les 
Iroquois,  et  avec  raison,  parce  qu'ils  ont  quasi  anéanti 
toute  leur  nation  par  leur  férocité.  Les  Hurons  de 
leur  côté  les  ont  aussi  attaqués,  et  se  sont  furieusement 
battus.  Ces  barbares  sont  encore  venus  aux  prises  avec 
les  Français  de  Montréal  et  des  Trois- Rivières,  où  ils 
ont  été  si  malmenés  qu'ils  disent:   N*allons  plus  là, 
parce  que  ce  sont  des  démons.  Le  grand  nombre  de 
gens  qu'ils  ont  perdus  dans  tous  ces  démêlés,  ne  leur 
a  pas  permis  d'attaquer  les  habitations,  mais  seule- 
ment quelques  familles  écartées.  Le  coup  le  plus  funeste 
qu'ils  aient  fait  a  été  à  l'Ile-aux-Oyes,  où  un  honnête 
bourgeois  de  Paris  nommé  M.  Moyen,  qui  avait  acheté 
cette  place,  s^était  établi  avec  toute  sa  famille.  Il  fut 
surpris  le  jour  du   Saint- Sacrement,  tous  ses  gens 
étant  à  l'écart  Lui  et  sa  femme  furent  massacrés,  et 
leurs  enfants,  avec  ceux  d*un  honnête  habitant,  emmenés 
prisonniers.  Dans  un  autre  lieu  quatre  serviteurs  de 
M.  Denis,  bourgeois  de  Tours  établi  en  ce  pays,  ont 
aussi  été  surpris  et  massacrés.  Plusieurs  autres  l'ont 
encore  été,  entre  lesquels  s'est  trouvé  un  frère  de  la  Com- 
pagnie (de  Jësus)  qui  faisait  chemin  (voyageait).  Tout 
cela  s'est  fait  par  trahison  :  de  sorte  qu'on  a  eu  toutes 
les  peines  imaginables  à  faire  les  semences  pour  cette 
année,  chacun  étant  si  effrayé,  surtout  de  ce  qui  est 
arrivé  à  M.  Moyen,  que  l'on  n'avait  ni  vigueur  ni  cou- 
rage. De  plus,  il  était  venu  un  bruit  que  les  Anglais 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DE  L'INGARN ATION .  87 

étaient  à  l'Acadie  avec  quatre  vaisseaux  de  guerre,  et 

qix*ils  avaient  encore  quelques  navires  qui  croisaient 

à  l*entrée  do  fleuve  de  Saint-Laurent,  pour  arrêter  les 

vsiisseaux  que  nous  attendions,  et  venir  ensuite  se  rendre 

nnsiîtres  de  Québec.  N*eût-on  pas  dit  qu'étant  ainsi  entre 

deux  écueiis,  nous  étions  tous  perdus?  On  le  disait,  et 

pour  mon  particulier,  quoique  je  ne  veuille  que  ce  que 

i^otre  bon  Dieu  voudra,  je  vous  confesse  que  voyant 

le  christianisme  à  deux  doigts  de  sa  ruine,  mon  cœur 

^oufiQrait  une  agonie  que  je  ne  puis  exprimer;  et  il 

'^^t  avouer  qu'il  n'y  a  point  de  croix  pareilles  à  celles 

4w:mi  viennent  de  la  gloire  de  Dieu  intéressée  au  sujet 

^  ^^  salut  des  âmes. 

En  juillet,  un  vaisseau  nantais  parut  ici  sans  nous 
^S:^porter  aucune  lettre  ;  mais  il  nous  donna  bien  de  la 
J^^^ie,  nous  apprenant  que  l'Anglais  n'était  pas  si  proche 
^^  nous,  mais  seulement  qu'il  était  à  l'Acadie  pour  des 
^^^Taires  de  marchands.  Ils  se  sont  néanmoins  saisis  de 
^■^a  pays-là  pour  se  récompenser  (dédommager)  de  ce  qui 
l<^iir  est  dû,  et  ils  ont  emmené  M.  de  la  Tour,  à  qui 
pays  appartenait,  prisonnier  en  Angleterre.  Ainsi 
de  nos  peines  fut  levée,  et  le  peuple  commença 
^  respirer.  Il  arriva  au  même  temps  que  plusieurs 
l^ïtKiaois^  entre  lesquels  il  y  avait  de  leurs  capitaines, 
furent  pris  par  les  Français,  tant  de  Montréal  que  des 
^roiS'Rivières,  ce  qui  humilia  ces  barbares  au  dernier 
^int  On  ne  fit  point  d^  mal  néanmoins  aux  captifs, 
^ioon  de  les  enfermer  en  prison  les  fers  aux  pieds, 
^  qui  leur  semblait  doux  en  comparaison  du  feu. 
Eox  de  leur  côté,  sachant  que  nous  avions  de  leurs  prin- 
cipaux capitaines,  traitèrent  les  nôtres  doucement,  et 
loéme  les  ramenèrent  d'eux-mêmes,  demandant  de 
fVBOMr  la  paix.   Ils   étaient    si  empressés  en  cette 


-"^r-i/^rv.p-.e^.i:  i....^iii.r>  :.-a  J:-izL*3ia.  la  jîor  rendit 
U'iïr..  ./;  njî  via    -Tir?  ^eiis.  uia  la  .da  j^i^f^jw*  encore 

\.\  :>:::u»  r^în.-*.  ês  soir»  lariaixa  ir-Siraoises  qai 
x-^^uirs  v.Ti  .Fin  tr«:  i^cic^.  lanrïïrr  ^ar  jc^irs  amba»* 
liiïi/î-i'T.  ::i»az.'  ./irilîis  l'-^inr  "cn.cnirs  T«a  en  amis« 
î;*;:.'»  ^x^r^=ti:  i:ii!ia.  ic^ir  i  j^fnliid  ieçci*  le  trAité 
'•#*  .'i;:v.ci::*i.  1^  "ils.  .«i5  _Lriîrr:g:ii:i25  izçcrtèrentdes 
.^/.:'<K  li^  Z.:i.AZ:ii.*.  :ii  ".-moi  r^.-iitv:  :^e  c'était  sans 

^  ^  ^ 

>/,;/. /î»^  V'-  -^  "'"^  r^'iLeri:-:^-:"  li  ;aix.  E;  enfin  on 
}r<:.'>J.i\  i^^.f  i'ta  rnis-r^-r.t^r».  ziais  qui  s*était 
^î^A.^..   lami-  -r^iT,  Ics  ii:::cr:ig;LjT.-i:?  es  lasorait  qnita 

r>t^  A^fer:rr.:u  Lézji^'zZ':  irn-r  qu'ils  veulent  la 
y>..x.  z:.^Ji  4T^:  :ir:r=  r»:s;nr>^:z.  ::i':^  ne  la  veulent 
r^i'aTec  i-râ  Frai'^ai».  iî  -:z  aT«  les  Hurons  et  les 
\\y/i:,y:,.z.%.  C-rU  zr:  -c-r  i  ;a3  é:ê  endèrement  accordé, 
rnaia  ?^Tl^n:cr.:  ;-5:-'i  if  «raines  liziites,  hors  les- 
({uh\>,^  ;»  leur  sera  i-rmis  iexrrcer  woie  sorte  d'hos- 
ti^if/,  c-n  s^r:*5  r-c-ai.ii::r:5  ^a'ils  ne  les  pourront  attaquer 
dans  nos  halîtavlons  l'raL  j.'.:sc5-  Cela  a  été  accordé  et 
s'observe;  mais  je  L'y  vois  guère  d'assurance,  parce 
r|ue  ces  nations  se  haïssent  au  dernier  point,  à  cause 
des  massacres  qu'ils  ont  faits  les  uns  sur  les  autres. 
Ost  là  la  cause  du  mal  que  souffrent  nos  Français, 
car  comme  ils  sont  obligés  de  soutenir  nos  nouveaux 
chrétiens,  ils  sont  souvent  enveloppés  dans  leurs  que- 
relles et  dans  leurs  différends. 

CcH  sauvages  néanmoins  ont  persisté  à  demander 
un  missionnaire.  On  leur  a  donné  le  révérend  Père 


DE  LA  MÈRE  MARIE  D^  L*INGARNATION.  89 

Le  Moine,  qai  est  parti  avec  eux,  accompagné  de 
deux  Français.  Depuis  leur  départ,  l'on  a  toujours 
été  en  paix,  et  les  Français  se  sont  retirés  dans  leurs 
habitations,  qu'ils  avaient  presque  tous  abandonnées, 
pour  se  réfugier  ici.  L'on  a  fait  avec  liberté  la  récolte 
des  grains;  on  a  fauché  les  prés  et  on  a  fait  la  pêche 
de  l'anguille,  ce  qui  a  causé  une  joie  universelle  à  tout 
le  pays.  De  plus,  un  second  vaisseau  est  arrivé  et  nous 
a  apporté  nos  autres  nécessités.  En  tout  cela  nous 
voyons  une  providence  admirable  sur  nous  tous,  qui 
BOUS  fait  revivre,  lorsque  nous  pensions  être  au  tombeau. 

Ceux-ci  étant  parj;is,  les  ambassadeurs  des  Onon- 
tageronons  et  des  autres  nations  iroquoises  sont  arrivés 
ici,  et  nous  ont  dit  qu'ils  avaient  rencontré  le  révérend 
Père  Le  Moine,  qui  en  effet  a  écrit,  et  que  les  Âgne- 
rognons  leur  ont  raconté  tout  ce  qu'ils  avaient  fait,  mais 
qu'ils  leur  ont  reparti  qu'ils  ne  voulaient  point  de  paix 
avec  restriction,  mais  entièrement  et  avec  tout  le 
monde,  ce  que  le  révérend  Père  nous  confirme  par 
sa  lettre.  Or  ceux-ci  sont  bien  avec  nos  chrétiens,  ce 
qui  nous  console  à  un  point  que  je  ne  puis  vous  dire. 
Il  s'est  fait  de  part  et  d'autre  un  grand  nombre  de 
présents  pour  affermir  cette  paix,  dont  je  n'ai  pas  le 
loisir  de  vous  faire  le  détail.  Le  tout  s'est  passé  à  Québec 
avec  beaucoup  de  magniScence  en  présence  de  cinq 
à  six  cents  Français  et  de  tous  les  sauvages  de  ces 
contrées. 

L'une  des  principales  circonstances  de  cette  paix , 
est  que  ces  peuples  ont  déclaré  qu'ils  voulaient  se  faire 
chrétiens,  et  que  les  Français  allassent  s'établir  en 
leur  pays;  c est-à-dire  qu'on  y  fit  des  missions  et  que 
l'on  y  bâtit  une  maison  fixe  pour  les  révérends  Pères, 
comme  on  leur  en  avait  fait  faire  une  aux  Hurons, 


Af  ^f,f\t\  0|r>v,n  i/*nr  donnât  dès  à  présent  cinquante 
Wff%ft^ff%i^  f/.nr  jftf/^r  !ft«  fondements  d'ane  bonne  alliance. 
T'rrif  f'^ift  \f*nr  ^  ^fA  arîoordé,  excepté  ce  dernier  point 
fUf-fit  M\  n  tr^.iu'x^  IV'xécation  an  printemps.  On  leur 
•»  ^^r%\Mi\M\i  f\hut\fi.  i\(tnx  Pèrcs  avec  nn  Français  poar 
|A4  i/t^f^riir^  i\t\un  la  Foi.  Les  révérends  Pères  d'Ablon 
h\  (\)\miii\ituuui  florit  ceux  sur  qui  le  sort  est  tombé. 
Un  nVîAlirri^nl.  Ii/^urr^ux  d'avoir  été  choisis  pour  cette 
^fflf  ii|iri«n.  ^l  II  nn  fin  peut  dire  avec  combien  de  zôle 
h\  lin  tni-viMir  iU  n'almiidonnent  aux  hasards  qui  en  peu- 
vnnl.  riMlvnr.  ('nr,  mins  parler  des  dangers  de  mort  où 
l<i  Mronili)  dp  non  pouplos  les  peut  jeter,  ils  vont  endurer 
iii'4  ii*ivAn%  i)ui  no  (tout  pas  imaginables  aux  personnes 
\\\s\  ho  «^ivont  pnM  oo  quo  oost  que  d*être  dans  un  pays 
l''Mi'mo.  \ionu\^  di)  tou«  les  secours  dont  les  Européens 
*«v»iHl»UMii  no  wo  |»v>uvoir  pa$$er.  Cependant  ces  braves 
\»M\iK»M  \lo  rKvrtHiîilo  V  volent  comme  s'ils  allaient 
*/»i  t*«iv4^ii«,  ^«(j  vjuiitKl  il  *»j:it  de  gagner  des  ânàes  à 
W'<v^  \'H\\\x\\  00.M  <în  c^!;i  quils  mettent  leur  bonheur, 
«uuMi^,,,.  ^i^y  mOztv.'*  ^:l  v^xis  î«  inn;?n?»  de  la  nature. 
w^u  I.4λ!,  î^^  xosut?  ix)  \\^ixs  !if$  laicassaileors  à  Québec, 
»':<  ii.n4.t  v^ir,  \^\^>vvjt  vi*i5i:cur^  :ois»  vTcmjiie  aossi  une 
.^♦,*ji.*j:*,.stïxx>  i^v^*  vi  A*itf;\!j^!ii*  \«;as  les -xvQcs  râzalés 
iiui\  <sî<  xiNOîHiiiu^îitoitt  i  uur  nciie.  ^ar  o'esr:  ainsi 
juM    iM  .?\;4J    4.i»;v4'     "s  jiii   :jrs  in  «insniier  plaisir 


DE  LA  MËRB  MARIB  DB  l'IN CARNATION.       91 

le  priait  de  nous  envoyer  des  filles  iroquoises  pour 
être  instruites  parmi  celles  du  séminaire,  et  qu'elle  les 
tiendrait  comme  ses  sœurs.  Il  agréa  sa  proposition 
recevant  un  petit  présent  qu'elle  lui  fit,  et  admirant 
l'esprit  et  l'adresse  de  cette  jeune  fille.  Elle  en  fit  autant 
à  la  capitainesse,  qui  lui  promit  sa  fille  en  lui  faisant 
des  caresses  tout  à  fait  extraordinaires  à  des  sauvages. 
Le  révérend  Père  Chaumonûot  en  ayant  catéchisé  trois 
durant  quelque  temps,  deux  ont  été  baptisés  en  notre 
petite  église.  Ce  sont  les  premiers  du  christianisme 
des  Sonnontouaeronnons  et  des  Onnontageronnons.  Je 
vous  laisse  à  juger  si  nous  avons  chanté  de  bon  cœur 
le  Te  Deum  dans  cette  cérémonie.  Nous  l'avons  fait  les 
larmes  aux  yeux  et  la  jubilation  dans  le  cœur,  voyant 
ceux  qui  ci-devant  détruisaient  le  christianisme,  l'em- 
brasser avec  tant  de  dévotion  et  devenir  enfants  de 
Dieu. 

Le  révérend  Père  Chaumonnot  m'a  écrit  de  Montréal, 
d'où  il  va  partir  pour  Onnontagé,  et  me  mande  qu'il 
a  déjà  six  catéchumènes  et  une  petite  église  volante; 
ce  sont  ceux  qui  ont  été  baptisés  ici.  Il  me  dit  que  la 
capitainesse  que  nous  avons  vue  ici  lui  a  donné  charge 
de  me  mander  qu'elle  prie  Dieu,  et  même  qu'elle  y 
invite  les  autres  ;  que  je  prenne  courage,  et  qu'elle 
m'enverra  sa  sœur,  sa  fille  qu'elle  nous  avait  promises 
ici  étant  encore  trop  petites.  Elle  le  répète  deux  fois, 
tant  elle  a  le  cœur  à  cela.  Il  est  vrai  que  je  lui  ai 
envoyé  une  robe  pour  sa  fille,  avec  d'autres  présents 
pour  les  femmes  de  sa  suite.  Ils  ont  fait  le  récit  à  une 
troupe  de  leur  compagnie  qu'ils  avaient  laissée  à  Mon- 
tréal du  bon  accueil  qu'on  leur  avait  fait  ici;  ils  en 
ont  été  si  touchés  qu'ils  sont  venus  exprès  pour  nous 
voir.  Les  femmes  sont  entrées  dans  le  séminaire  où 


nonn  l#nr  avoTUi  rViit  rdsnxu  '^  'ionné  àea  prémania  selœi 
lenr  ç^émfi.  Vonii  Mnes  snrprxa  'ies  adresMa  qall  faut 
Avoir  ponr  ;^n^r  Tes  àmea  égarées  à  la  foi.  Ah!  qoll 
nons  tarde  que  nous  voyions  ane  troupe  dTroqooises 

'ah  notre  îi^iDAire!  Ch!  «mbioi  nous  les  chéririons 
ponr  lamoar  de  Ceiai  qai  a  rëpanda  son  aang  ponr 
f^lled  aosni  bien  '{oe  pour  nausi  Q  est  important  que 
nonfi  en  ayons  ponr  servir  d  otages,  à  cause  des  révë- 
rendfi  Pères  qni  sont  à  leur  pays.  Entre  les  présents 
publics  il  y  en  a  nn  ponr  ce  sujet,  sans  avoir  néanmoins 
trfrnoif^né  que  c'est  poor  servir  d*otage,  mais  seulement 
(|tie  o'eflt  ponr  la  foi;  aussi  est-ce  le  principal  motif. 
Nous  avons  avec  nos  noaveaox  chrétiens  hurons  une 
troupe  d'Iroqaois  qui  n*ont  pas  voulo  s'en  retourner 
Aveo  leurs  ambassadeurs,  afin  de  se  faire  instruire  en 
la  foi ,  ravis  du  bon  exemple  que  nos  chrétiens  lenr 
ont  donné. 

IiO  rdvérend  Père  Chaumonnot  a  mandé  que  la  capi- 
(ainosso  dont  j*ai  parlé,  sait  déjà  chanter  à  la  messe, 
tvmmo  le  font  nos  chrétiennes  huronnes,  et  qu'elle 
^i  »i  fti^léo,  qu'elle  va  convoquer  les  autres  pour  venir 
A  la  prif^ro.  Lo  révérend  Père  d'Ablon  ne  faisant  que 
d'arriver  de  France,  et  par  conséquent  ne  sachant  pas 
hiAn  la  lanjarue,  elle  est  continuellement  auprès  de  lui 
afin  de  la  lui  enseigner  et  de  lui  apprendn  des  mots. 
J^  ne  puis  vous  parler  plus  en  détail  de  ces  afisins, 
non  plof  qne  des  ferveurs  de  nos  bons  chrétiens,  et  des 
vertus  béroïqnes  qu'ils  pratiquent,  lesquelles  dosaxaeot 
do  )s  confusion  à  ceux  qui  sont  nés  dans  le  christis* 
ni^^mo.  ppî^F  pour  eox,  priez  pour  la  eonveision  des 
Iroqooîs,  prier  pour  les  ouvriers  de  lIBvangile;  enfifi 
ptiHi  fowr  moi,  afin  qu'il  plaise  à  la  bonté  divine  ne 

flillk  «liiiéhoorde  en  me  pardonnant  mes  péchés,  et 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  9â 

qu'elle  me  donne  la  grâce  de  la  persévérance  dans  ma 
vocation,  que  j'estime  plus  que  toutes  les  choses  de  la 
terre.  Je  la  prie  de  vous  faire  saint. 

De  Québec,  le  12  ^octobre  1655. 


LETTRE  CXXXIII. 

A   LA   SUPÉRIEURE   DES   URSULINES   DE   TOURS. 
{La  Mère  Ursule  de  Sainte-Catherine,) 

Bile  fait  na  récit  détaillé  de  tout  ce  qui  8*e8t  passé  dans  Tupioii  des  religieuses 
de  Tours  et  de  Paris  au  Canada,  et  dans  le  changement  des  constitutions  de 
ces  deux  Congrégations.  —  Elle  justifie  sa  Communauté  de  quelques  plaintes 
qu'on  avait  faites  contre  elle. 

Ma  révérende  et  trôs-honorée  Mère» 

Votre  sainte  bénédiction. 

C'est  ici  la  réponse  à  votre  lettre  de  oonfiance,  pour 
laquelle  je  vous  la  demande  entière  avec  le  secret, 
excepté  à  ma  révérende  Mère  François  de  Saint- 
Bernard,  pour  laquelle,  non  plus  que  pour  vous,  je 
xi*ai  rien  de  caché.  Tous  les  intérêts  de  votre  maison 
sont  les  miens,  et  N...,^  a  eu  raison  de  dire  qu'ils  m'ont 
beaucoup  coûté  depuis  que  j'en  suis  absente:  mais 
elle  y  mêle  une  certaine  confusion  de  faits  qui  m'oblige 
à. vous  en  donner  un  éclaircissement  véritable. 

(\)  L'une  des  deux  religieuses  Ursulines  de  Tours  qui,  après  être  venues 
à  Québec,  n*aTaient  pu  y  rester,  et  étaient  retournées  à  leur  monastère  de 
profession. 


94  LETTRES 

Il  est  vrai  que  durant  les  six  années  de  ma  premiôn 
supériorité  j'ai  eu  des  peines  qui  ne  sont  pas  imagi- 
nables pour  soutenir  notre  droit,  quoique  cbacno  crût 
cherclier  Bieu  et  lui  rendre  un  grand  service.  Je  vous 
dirai  que  le  révérend  Père  Vimoad,  dans  la  compagnie 
duquel  nous  passâmes  en  Canada,  avait  connaissance 
d'une  maison  de  notre  Congrégation,  de  la  supérieure 
de  laquelle  il  avait  reçu  un  déplaisir  assez  notablSL 
Cette  action  lui  avait  fait  une  telle  impression,  qull 
craignait  que  toutes  nos  maisons  ne  fussent  semblables 
à  ce  qu'il  avait  vu  en  celle-là.  Il  était  néanmoins  tràa- 
satisfait  de  notre  chère  défunte  (la  Mère  Marie  de 
Saint-Joseph)  et  de  moi,  nous  voyant  par  la  miséri- 
corde de  Dieu  dans  une  très-exacte  régularité.  La 
première  année  il  ne  fut  question  que  d'un  petit  règle- 
ment du  jour;  voilà  la  pure  vérité.  La  bonne  Alère 
de  Sainte-Croix  se  laissa  conduire  comme  un  enfant, 
et  sans  autre  examen  elle  prit  notre  habit,  afin  de  se 
conformer  à  nous.' 

Mais  pour  prendre  la  chose  de  plus  haut,  je  vooi 
ferai  ressouvenir  de  ce  qui  était  arrivé  à  Paris,  où 
le  révérend  Père  Vimood  eut  un  sensible  déplaisir  de 
ce  que  ta  Mère  de  Saint-Jérôme  ne  nous  fut  pas  acco^ 
dée.  Nous  n'en  eûmes  pas  moins  que  lui,  parce  qne 
nous  allions  simplement  en  ce  que  nous  faisions,  va 
même  que  le  révérend  Pore  dom  Raimond  m'avait  dit 
que,  puisqu'il  fallait  faire  cette  union,  il  la  fallait  faire 
de  bonne  grâce.  Nous  entrâmes  dans  son  sentiment, 
et  nous  aimions  autant  rexéonter  d'abord,  que  d'atten- 
dre à  un  autre  temps.  Le  révérend  Père  Vimond,  k 


(0  La  Uiro  C«dl«  •!■  U  Cfgir,  ils  la  CcmmunanU  de  Diappa,  l'était  jnM 
ï  la  M4Tar4#£l|^^ri^yÉStApQEH^AUDp  fw^tt  rn  n  om^ti  t  pour  la  ^-frf** 


DB  LA  MÉRB  MARIB  DE  L*INCARNATION .  95 

.  voyant  donc  privé  de  ce  qu'il  désirait,  n'insista  pas 
davantage,  mais  il  témoigna  que,  l'année  suivante,  pour 
une  il  en  ferait  passer  deux  assurément. 

Cependant,  comme  vouls  dites,  les  Mères  de  Paris 
appréhendaient  autant  le  mélange  que  vous,  car  elles 
vont  droit,  et  ce  sont  des  personnes  d'expérience,  qui 
ne  se  laissent  pas  facilement  aller  à  la  passion,  mais 
qui  pourvoient  prudemment  à  leurs  affaires,  afin  de 
86  conserver  la  paix,  et  d'éviter  les  mauvaises  suites 
qui  pourraient  la  troubler.  C'est  pourquoi  la  chose 
étant  tombée  en  d'autres  mains  en  premier  ressort  ;  je 
veux  dire  que  le  sort  pour  le  Canada  étant  tombé  sur 
nous,  elles  abandonnaient  le  tput  entre  les  mains  de 
Dieu.  Leurs  amis  néanmoins  s'intéressaient  pour  elles, 
à  cause  des  services  qu'elles  avaient  toujours  rendus 
à  la  Mission.  Ce  fut  ce  qui  les  obligea  de  prier  le 
révérend  Père  de  La  Haye,  que  Monseigneur  notre 
archevêque  avait  chargé  de  nos  personnes  et  de  nos 
affaires,  de  me  proposer  de  passer,  ma  compagne  et 
moi,  dans  la  Congrégation  de  Paris.  Le  révérend  Père 
leur  repartit  qu'il  se  donnerait  bien  de  garde  de  nous 
faire  faire  un  si  lâche  coup.  On  ne  le  pressa  pas  davan- 
tage, se  promettant  que  quand  nous  serions  à  Québec, 
abandonnées  à  notre  propre  conduite,  je  ferais  tout 
ce  qu'on  voudrait.  J'avais  déjà  dit  mes  pensées  sur  ce 
point  au  révérend  Père  de  La  Haye,  qui  m'avait  donné 

'  avis  de  tout  ce  projet,  en  suite  de  quoi  nous  ne  pen- 
iftmes  plus  qu'à  faire  le  voyage.  Voilà  tout  ce  qui  se 
passa  en  France. 

Quand  nous  fûmes  à  Québec,  on  recommença  à  pen- 
ser aux  moyens  d'exécuter  le  dessein,  et  de  faire  passer 
-  des  sœurs  l'année  suivante.  Madame  notre  fondatrice 
si  nous  n'y  voulûmes  pas  consentir,  que  dans  l'égalité. 


96  LETTRES 

à  quoi  l'oD  s  accorda  volontiers  ^  Vous  sarez  ce  qai 
86  passa,  et  les  lettres  qui  furent  écrites  à  Rome,  les* 
quelles,  bien  quelles  eussent  été  envoyées   à  bonne 
intention,  m'ont  causé  une  partie  des  croix  que  j*ai 
souffertes.  Les  deux  bonnes  Mères  qai  noas   forent 
envoyées  de  Paris,  à  lexclusion  des  nôtres  de  Tonn, 
ignoraient  tout    ce    qui   s'était   passé,   sinon   qa*eUei 
croyaient  simplement   que  nous   allions   passer  dam 
leur  Congrégation,  et  prendre  leurs  règlements  et  tout 
ce  qui  s'ensuit.  Ce  fut  en  cette  occasion  qa*il  fallut 
développer  toute  laâaire  et  se  déclarer,  non  publique- 
ment, mais  dans  une  consulte  particulière  ;  car,  grâce 
à  Notre- Seigneur,  nous  n'avons  jamais  eu  de  piques 
ni  de  prises  par  ensemble  dans  notre  petite  Commu- 
nauté pour  tous  nos   accommodements.   Ces    bonnei 
filles  avant  été  très- tien  élevées  dans  une  maison  fort 
régulière,  ont  toujours  été  dans  le  devoir  d*une  ob8e^ 
vance  et  dune  obéissance  pleine  d'édification.  Eilee 
prenaient  conseil  et  avis  des  révérends  Pères,  et  nous 
aussi  ;  elles  leur  communiquaient  leurs  griefs  et  leurs 
afiaires,  et  nous  les  nôtres.  Elles  croyaient  donc,  comme 
je  viens  de  dire,  que  nous  allions  passer  dans  leur 
congrégation.  Lon  m'en  porta  la  parole,  à  laquelle  je 
repartis  que  ceîait  une  union  que  nous  voulions  faire 
avec  elles,  et  non  p-as  un  changement  de  notre  ordre 
dans  le  leur;  que.  pour  exécuter  cette  union,  elles 
prissent  no;re  habit,  et  que  nous  ferions  comme  elles 
le  quatrième  vœu  d'instruire;  ei  ou  ensuite  de  ces  deux 
j'riricifaux  [lOisTs,  nous  ferions  un  accommodement  pro- 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L  INCARNATION.  97 

é 

pre  pour  le  pays^  par  le  conseil  et  le  jugement  des  révé- 
rends Pères  et  avec  le  consentement  des  communautés 
dont  nous  étions  sorties.  Ce  fut  en  cette  rencontre  qu'il 
me  fallut  soutenir  un  grand  combat,  et  faire  voir  que 
je  n'étais  pas  si  flexible  en  un  point  si  important,  qu'on 
86  l'était  imaginé.  Je  me  comportai  dans  tous  les  respects 
possibles,  mais  toujours  avec  vigueur  et  fermeté.  Après 
tout  il  en  fallut  demeurer  à  mes  deux  propositions,  et 
Ton  me  dit  qu'on  ne  me  presserait  pas  davantage  sur  ce 
IK>int  ;  aussi  ne  Ys^-t-on  pas  fait. 

Combien  pensez-vous  que  ce  fut  un  grand  sacrifice 
à  ces  deux  bonnes  filles  de  quitter  Thabit  dans  lequel 
elles  avaient  fait  profession  !  Cela  leur  fut  assurément 
très-difficile,  surtout  le  faisant  sans  la  participation  ni 
le  consentement  de  leurs  Mères.  Dans  leur  Congré- 
gation, outre  leurs  constitutions,  elles  ont  un  très- 
grand  nombre  de  règlements  jusques  sur  les  moindres 
éhoses,  de  sorte  que,  dans  les  grandes  et  dans  les 
petites,  elles  sont  aussi  réglées  dès  leur  noviciat  que 
leê  anciennes.  De  jeunes  filles  ainsi  élevées  et  ayant 
pris  un  pli  d'observance  sur  toutes  choses,  sont  bien 
empêchées  quand  ils  leur  faut  quitter  leurs  coutumes  ; 
et  celles-ci  étant  éloignées  de  leurs  Mères  devaient  sans 
doute  être  généreuses  et  hardies,  pour  prendre  ou  laisser 
les  choses  nécessaires  à  une  union.  Elles  passèrent 
néanmoins  ce  premier  point,  prenant  notre  habit,  que 
la  Mère  de  Sainte*Croix  avait  déjà  pris,  comme  j'ai  dit, 
dès  notre  arrivée,  avec  une  simplicité  d'enfant.  Afin 
de  leur  donner  courage  à  faire  ce  premier  pas,  nous 
fîmes,  notre  chère  défunte  et  moi,  leur  quatrième  vœu, 
conditionné  néanmoins  et  pour  autant  de  temps  que 
noas  demeurerions  en  ce  pays.  Cela  se  fit  le  soir  en  la 
présence  seulement  du  révérend  Père  Vimônt;  et  dès 

LBTTR.  If.    II.  7 


le  lendemain  aiann  -iïles  prirenr  les  habits  que  jaTais 
tenu  *ûas  jrèta.  ivec  beancouD  ie  iloacenr  et  sans  fSûre 
paraître  aacaa  signe  :e  m^ccontemement.  Ensuite  de 
cette  action  faire  :e  ;an  ^i  iaatre.  noaa  demeurâmes 
Mutes  fon  iraniîTiiiles. 

Ces  homies  dlles  ûrenz  ':iea  naraitTe  Lear  Teita  en 
cette  rsaconrre.  csœ  :)utre  ,a'li  a'j  avait  rien  dans  leur 
habit;  <iai  aoGraohài:  iu  a^rre.  étanr  entièrement  dissem- 
biable,  elles  se  virent  -:ien  êIoign«îea  de  leur  attente. 
On  leur  avait  :ait  enteniire  lue  nous  leriona  ce 
rait  vieiqTÏaatre  reii^ease  [oi.  'jaittant  son  Ordre  était 
entrée  danm  le  lenr.  et  vii  pour  cei  eifet  avait  refait 
so-ecneLlenienL  ses  v^'ix  i  la  grille.  Mais  je  ▼ona  laisse 
à  penser  si  la  ciière  iéi';in:e.  rî  nioi  qui  étais  en  charge, 
eu.?sio::s  rait  :in  si  lûkhe  tour  à  notre  Congrégation 
et  à  notre  xaiicn  :e  T:iirs.  Je  :asse  platôc  retoamée 
en  France  si  la  Tî^Ienoe  7  :*i:  survenue  et  qnelle  eût 
pa^s.^  pîjs  avan:.  ilaîs.  x^ime  je  vous  ai  fait  remar- 
'ZZ^T.  lorsr.  l'on  me  v::  constante  en  ma  résolution, 
on  me  laissa  en  paii.  Je  rcrtais  îous  les  coups*  car  notre 
chère  compagne  étan:  jeuze,  on  croyait  que  quand  je 
serais  ahattne  on  en  viendrai-  facilement  à  bout.  Je  ne 
i'aSigeais  pcin:  ie  mes  croix,  parce  que  je  voyais  que 
Notre-Seigneur  ramigeâ::  d'ailleurs.  En  ce  point  néan- 
moins je  me  sentis  cbiigee  de  lui  faire  connaître  rimpor- 
tance  de  Tâifaire.  Elle  en  demeura  vivement  touchée, 
et  avec  une  constance  et  fermeté  digne  de  son  esprit 
elle  déclara  sa  Tokmté  qnand  il  fut  temps  et  à  qni  il 
appartenait.  Je  rii  encore  dans  mon  cœnt«  quand  je 
pense  aux  n^onies  qa*dle  fit,  qui  sm^^^s?^^^^  ^^J^^ 
dence  et  en  s^ene  ime  personne  de  soiiiv^.^^n^'^'^ 
avec  tant  de  .modestie  et  de  «tenue,^^^^^^^^ 
qpi1elki]r^«i»tt|wjiioio8  de  vertu  que  c^  ol^^^^^^^*"^ 


DE  LA.  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  99 

Cette  affaire  étant  vidée,  il  fallut  passer  à  nos  petits 
règlements»  qui  changeaient  toutes  les  coutumes  et  les 
façons  d*agir  de  nos  chères  filles,  ce  qui  leur  fut  encore 
une  circoncision  bien  rude,  quoique  le  tout  fût  dan^ 
une  très-grande  justice  et  équité.  Les  personnes  que 
leurs  Mères  avaient  chargées  de  leurs  affaires  eussent 
bien  désiré  de  les  contenter,  mais  aussi  ne  voulaient- 
elles  pas  nous  contraindre  ouvertement  dans  les  choses 
qui  nous  eussent  fait  tort.  Mais,  par  sous  main,  j*en 
étais  pressée  par  diverses  persuasions  qui  m'étaient 
plus  pénibles  et  crucifiantes  qu'une  violence  manifeste, 
laquelle  enfin  eut  tout  d'un  coup  son  éclat.  Ce  fut  en 
cette  rencontre  qu'il  me  fallut  faire  à  moi-même  une 
Tiolence  des  plus  grandes  que  j'aie  souffertes  en  ma  vie. 
Car  avoir  des  démêlés  avec  des  saints  pour  qui  l'on  a 
toute  la  créance  (confiance)  et  toute  l'affection  possible  ; 
ne  pas  acquiescer  à  leurs  raisons,  capables  d'ébranler 
à  cause  de  leur  solidité  ;  en  un  mot,  se  voir  dans  un  état 
actuel  et  dans  une  obligation  précise  de  leur  résister, 
c*e8t  une  croix  nonpareille  et  d'un  poids  insupportable. 
11  en  fallut  néanmoins  venir  là,  et  faire  de  petits  règle- 
ments dans  une  juste  égalité,  en  attendant  une  personne 
qui  nous  pût  aider  à  passer  plus  avant,  n'en  voyant  pas 
loi  de  |[)ropres  pour  le  faire. 

Tout  cela  s'est  passé  dans  ma  première  supériorité, 
à  la  fin  de  laquelle  Dieu  nous  a  envoyé  le  révérend  Père 
léc&me  Lalemant,  que  je  consultai  sur  tout  ce  qui 
i*$tait  passé,  et  lui  déclarai  l'état  présent  de  notre  affaire. 
U  la  posséda  parfaitement,  en  ayant  manié  d'autres 
en  France  qui  y  avaient  bien  du  rapport  et  qui  étaient 
0èm  plus  épineuses.  Il  entra  dans  les  véritables  senti- 
jlldOts  d'union,  s'éloignant  de  toute  partialité,  et  se 
^pprtant  en  toutes  choses  comme  un  homme  juste 


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■r:..,'f/r.  ,j,,r.  iiielones-unes  ont  eues  sur 

"    '    '.iiiiM  >;    '/;i]M  a  pu  dire  que  nous  avions 
'     '  I  ••    '•'•  r.'iriî  rt.  non  do  Tours.  Examina 

'     '      '"ii'ip- 1(110  dnns  lo  substantiel  ii  v  a 

r    I  '"     .»  •    I    tit-ï  (pip  do  l'aris.  Je  le  rëpèc. 
'   .••        ••  '  .^^-  .'<    vons  YtMTOz  que  je  dis  ia 

"  •      ;»..•.    ,;.  ,1  ,j-,  {.^,  5^^>m   qJ  Jg  Paris 

'  •     .  /  «  V   r  U^  ucureâD.  tant 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L INCARNATION. 


101 


par  la  nécessité  du  climat,  que  pour  rédification  des 
peuples  auxquels  nous  eussions  été  inutiles  si  nous 
avions  voulu  faire  toutes  choses  comme  en  France. 
Mais  dans  ce  qui  regarde  ces  constitutions  et  règle- 
ments, nulle  n*a  été  contrainte,  je  vous  en  assure,  ma 
très-chère  Mère.  Mais  passons  aux  griefs  qu'elle  et  sa 
compagne  ont  proposés  contre  nous.  Pour  moi  je  me 
confesse  fort  coupable,  mais  vous  souffrirez  bien  que 
je  justifie  une  Communauté  qui  cherche  Dieu  en  vérité; 
et  je  crois  être  obligée  de  le  faire. 

Lorsqu'elles  (les  deux  religieuses  de  Tours)  arrivèrent 
ici  nous  n*avions  qu'un  règlement  propre  pour  le  jour 
(provisoire),  le  vœu  d'instruire,  la  forme  de  potre  habit 
de  Tours,  notne  chant  et  notre  jeûne  du  samedi.  Les 
aatres  observances  se  pratiquaient  selon  le  règlement 
du  jour.  Mais  comme  ce  n'était  qu'un  règlement,  excepté 
ces  quatre  points  essentiels,  elles  ne  croyaient  pas  être 
obligées  de  le  garder  non  plus  que  d'obéir  aux  supérieurs 
d'ici.  Par  cette  erreur,  quelque  bonne  que  fût  leur 
conscience,  il  ne  se  pouvait  faire  qu'elles  ne  tombassent 
quelquefois  en  des  fautes  extérieures,  qui  pour  être 
petites,  ne  laissaient  pas  d'être  matières  de  croix, 
quelquefois  assez  pesantes  à  notre  chère  défunte  et  à 
moi,  qui  eussions  bien  souhaité  de  les  voir  dans  un  état 
parfait. 

Il  nous  fallut  donc  travailler  à  nos  règlements  (défi- 
nitifs); et  quand  nous  fûmes  à  régler  nos  classes,  les 
Mères  de  Paris,  qui,  dans  leurs  pensionnaires,  ont  une 
première  et  une  seconde  (maîtresse),  et  au-dessus  de 
ces  deux  là  une  générale,  eussent  bien  souhaité  que 
puisque  nous  avions  pris  le  vœu  d'enseigner,  nous 
prissions  le  règlement  entier.  Mais  ces  deux  bonnes 
filles  (les  deux  venues  de  Tours)  firent  instance  à  ce 


102  LETTRES 

qu'il  y  eût  deux  sœurs  égales,  et  des  aides  autant  qoll 
en  serait  besoin,  et  au-dessus  de  toutes  une  directrioe 
où  préfète  des  classes.  Comme  la  Mère  N.  fat  de  oe 
sentiment,  tout  cela  fut  accordé  avec  beaucoup  de 
douceur  par  les  Mères  de  Paris.  Cependant  je  voyais, 
clairement  que  celles  qui  pressaient  si  fort  pour  Fëgalité 
des  maîtresses  changeraient  bientôt  de  sentiment,  oe 
qui  est  en  effet  arrivé.  Le  règlement  néanmoins  fat  fait 
et  ensuite  exécuté.  Une  sœur  qui  ne  venait  que  de  faire 
profession,  fut  mise  égale  avec  la  Mère  de  Sainte-Croix, 
qui  a  vingt-huit  ans  de  profession,  laquelle  8*y  comporta 
très-bien.  Moi  qui  sortais  de  charge,  j*y  fus  mise  avec 
la  Mère  Anne  de  Notre-Dame,  qui  agissait  avec  autant 
ou  plus  d'autorité  que  moi.  Mais  je  n^  fus  qae  fort 
peu  de  temps,  parce  qu'il  me  fallut  prendre  le  soin 
des  novices. 

Cette  égalité  d'autorité  dans  une  si  grande  inégalité 
d'âge  et  de  profession  commença  à  leur  ouvrir  les  yeux. 
Elles  virent  encore  plus  clair  quand  elles  y  furent  elles- 
mêmes  employées  avec  de  plus,  jeunes  qu'elles  ;  et  elles 
reconnurent  que  quand  elles  firent  tant  d'instances  sur 
ce  point,  elles  manquaient  d'expérience.  Cependant  la 
chose  était  faite,  et  cette  égalité  est  bonne  si  nous 
avions  toujours  de  jeunes  filles,  parce  qu'en  en  donnant 
deux  pour  aides  à  une  ^ui  serait  maîtresse  en  chef, 
on  satisferait  à  tout;  et  cest  ainsi  que  nous  en  usons 
aujourd'hui.  Néanmoins,  encore  que  le  règlement  fût 
bon,  et  qu'il  fût  mis  en  pratique  dès  qu'il  fut  fait,  l'expé- 
rience qu'elles  en  eurent  leur  fit  changer  de  sentiment, 
et  les  porta  à  vouloir  défaire  ce  qu'elles-mêmes  avaient 
fait.  Mais  on  ne  voulut  pas  les  écouter  :  car,  ma  chère 
Mère,  si  nous  venons  à  changer  les  règlements  et  les 
constitutions  à  mesure  qu'ils  nous  incommodent,  que 


DE  LA  MÈRB  MARIE  DE  L'INGARNATION.  103 

sera-ce  de  la  religion?  Voilà  pourtant  le  premier 
grief  qu'elles  exposent  contre  nous  pour  excuser  leur 
retour.  Quoiqu'il  en  soit,  depuis  qu'elles  nous  ont 
quittées,  nous  sommes  dans  une  paix  toute  pleine 
de  l'esprrt  de  Dieu,  et  chacune  garde  sa  Règle  avec 
bénédiction. 

Leur  second  grief  est  que  nous  sommes  ici,  ainsi 
qu'elles  disent,  deux  Congrégations.  Pardonnez-moi, 
ma  très-bonne  Mère,  nous  ne  sommes  pas  ici  deux 
Congrégations,  mais  nous  sommes  une  Congrégation 
composée  de  deux,  dans  une  très-étroite  et  très-intime 
union  de  l'esprit  de  Dieu;  et  je  vous  assure  qu'elles  sont 
si  bien  unies,  que  nous  n'y  faisons  pas  plus  de  réflexion 
que  si  nous  étions  toutes  sorties  d'une  même  Commu- 
nauté. Quand  nous  pensons  à  nos  Congrégations  de 
France,  ce  n'est  que  pour  les  aimer  et  nous  lier  à  elles 
par  une  charité  mutuelle  et  par  une  association  de 
prières.  Le  temps  fera  connaître  que  cette  union  a  été 
voulue  et  ordonnée  de  Dieu.  Il  est  bien  vrai  que  dans 
les  apparences  humaines,  si  nous  fussions  toutes  sorties 
d'une  même  maison,  nous  n'aurions  point  eu  d'affaires 
(de  difficultés)  pour  nous  unir.  Mais,  mon  intime  Mère, 
qui  nous  aurait  soutenues  et  fait  subsister  ici  ?  Car  de 
ce  que  j'ai  vu  et  expérimenté,  il  y  a  plus  de  dix  ans 
qu'il  nous  aurait  fallu  retourner  en  France,  n'y  ayant 
eu  que  vous  et  nos  Mères  d'Angers,  de  notre  Congréga- 
tion, qui  nous  eussent  assistées.  Ce  n'est  pas  qu'il  faille 
regarder  à  ce  temporel  ;  car  si  Dieu  en  avait  ordonné 
autrement,  il  nous  eû^  donné  ce  que  nous  n'avons 
pas  vu  JQsqu'ici.  Mais  aujourd'hui  je  vois  deux  corps 
(la  Congrégation  de  Paris  et  celle  de  Bordeaux)  unis 
en  nos  personnes,  pour  prier  pour  nous,  sans  parler 
de  l'assistance  temporelle  qui  nous  aide  à  garder  nos 


104  LETTRES 

Uà|ilâ0  et  notre  Institut,  à  Tédification  de  cette  non- 
vallâ  Eglise. 

lia  troisiôme  grief  ou  prétexte  est  que  nous  ne  fairoiiB 
riau  iu),  et  que  nous  sommes  inutiles  au  Canada.  Les 
Mupérleura  et  tout  le  pays  sont  des  témoins*  irrépro- 
olmblds  de  la  vérité.  Elles  avaient  peut-être  un  grand 
ooumga.  et  tout  oe  que  nous  faisions,  pour  grand  qull 
tMx  paraissait  petit  à  leur  zôle.  Gela  regarde  Tintérienr, 
dout  la  jugeaient  appartient  à  Dieu,  et  je  n'y  veux  point 
^i^uâtrar.  Mais  pour  le  dehors,  c*est  une  vérité  publique, 
^ua  dapuia  notre  rétablissement  après  notre  incendie, 
\a  Sâminaira  est  sensiblement  augmenté.  Le  nombre 
da  n^  âUas  a  tallament  accru,  et  nous  avons  été  si 
aaivt^Ai'tlâa»^  que  j  ai  été  contrainte  (à  mon  grand  regret) 
dVu  l'^tXi^ar  (Plusieurs  qui  sen  allaient  les  larmes  aux 
\i^u.\,  laudia^  qua  je  pleurais  dans  le  cœor.  Je  vous  dis 
\>^\;»u(  Oiau  la  vérité,  ma  très-chère  Mère»  et  je  vous 
H^uiv  qua  uou;»  $oauae$  tellement  surchargée,  que 
«4^UJi  uu  luiracla  uoo;»  ue  pourrions  subsister.  Cela  est 
\u  <;^i  gsMmu  da  t\>u(  le  monde  ;  il  esc  encore  plus  vu  et 
l4uK>i  cv^Juu  dt^  l>i^u  ;  v^^U  Q0U2»  sa£c.  Il  nous  assistera 
^ii*  liM  x^it^  quil  plaira  i^  :^  Providence  d'ordonner. 
v>v^  dxàiH  ^ta2U  pi\)«ji:$«M  ;  ciu:$;»i  ;e  crois  que  cela  suffit  pour 
i^.>ii,tUvr  U\>lv^  vVmaiaLiaucu  auprès  de  vous  et  de  nos 
oh<>iVv>i  \lvi>M«  V\mc^  v)ie;^  j  u:M;es  dC  âquitubliss  ;  jogez-en, 
\U  v\>uc\  i^huT^  iih>a  uuiuio  Mtjrt^.  Je  :suis  toute  à  vous 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  l'iNGARNATION.  105 


LETTRE    CXXXIV. 


A    SON    fILS. 


Etablissement  de  la  Foi  chez  les  nations  Iroquoises  supérieures,  et  nouvelles 

hostilités  des  Iroquois  Agnerognons. 


Mon  très-cher  fils, 

Jésus  soit  notre  vie  et  notre  amour  pour  le  temps 
et  pour  Téternité. 

Comme  les  vaisseaux  sont  arrivés  ici  dès  le  mois 
de  mai,  aussi  s*en  rétournent-îis  promptement.  Celui 
par  lequel  je  vous  écris  lève  l'ancre,  un  autre  est  déjà 
parti,  et  comme  je  ne  vous  dis  rien,  dans  mes  autres 
Lettres  de  Tétat  de  notre  nouvelle  Eglise,  j'ai  cru  pour 
votre  consolation  devoir  vous  en  dire  quelque  chose 
par  celle-ci. 

Dès  Tannée  dernière  on  fit  un  traité  de  paix  avec  les 
cinq  nations  Iroquoises,  l'une  desquelles,  qui  est  voisine 
des  Hollandais,  eut  de  grandes  difficultés  que  les  Hurons 
et  les  Algonquins  fussent  compris  dans  le  traité.  Ils 
y  consentirent  néanmoins  à  de  certaines  conditipns, 
savoir  qu'ils  garderaient  la.  paix  avec  eux  jusqu'à  de 
certaines  limites,  hors  lesquelles  il  leur  serait  libre 
d'exercer  leurs  hostilités  comme  auparavant.  Quant 
aux  Français,  la  paix  était  sans  restriction  et  sans 
limites.  Tout  cela  s'est  observé  jusques  au  printemps, 
que  les  Agnerognons,  c'est  le  nom  de  cette  nation, 


UW  LETTRB8 

ttuijotiri  fourbes  et  méchants,  noas  ont  fait  voir  ce  que 
Ton  pout  attendre  d'une  nation  infidèle,  et  qui  ne  connaît 

point  JltHÎJR-ClIRIST. 

Au  mdnio  temps  que  la  paix  fut  conclue,  deux  de  nos 
n^*<^rtMulfl  Pares  furent  envoyés  aux  Iroquois  supérieurs, 
\\\\\  los  avaient  demandés  avec  beaucoup  d'instance. 
U»  partirent  avec  leurs  ambassadeurs  à  la  vue  des 
A)ruort>Ki^^^)^  toujours  envieux,  mais  qui  dissimulôrent 
^U^r»  ItHir  onvie.  Ces  Pères  furent  reçus  partout  avec 
\)o  i^riiiuls  tt^moiijnages  d'estime  et  d'affection,  tous  ces 
l^^upW  lour  allant  au  devant  de  gîte  en  ^te,  afin  de  les 
h^u  Kraitor.  I\Ns  quils  furent  arrivés,  les  principaux 
4e«  u;itions  rassemblèrent  et  les  firent  asseoir  les 
^ir^HttWn  ^lan^  leurs  Conseils.  Ils  furent  reçus  et  régalés 
v^^  Q\,^;i^  tv^ur  à  tour  d  une  manière  extraordinaire,  parce 
^^^'^M  W  r^ii^rUait  comme  des  hommes  Tenus  du  ciel. 
tV>(ii  t^^ur^^  K^  r^Wêr^nd  Pèr^  Chaumonnot  commença 
A  ^rv^c  ^  U  bVi  et  à  enseigner  à  faire  des  prières 
^^K^^M^<itibe^t.  U  i\xi  êvvucê  e(  admiré  de  tous,  en  sorte 
^W;st  i9(^  9^^VLii  (vur  ua  hv>auxie  prodi^eux.  Ces  exer- 
hHw^^  sN&ri  vvc^^r^txè  ;ou?  L hiver  ;ivec  caa(  da»iduité, 
>t^^^  s^X^j*-*  vC  :ttA:rtx  ;uîS^:iVjt  îcir  la  chaçelîe  dlâoûree 
^w  ^.•^M5^  ^i^v^5î^v\  5e  vrnfat;er  cojwiea  ie  eecte  Eglise, 
;jk\^;i  i(j^t^  i^  :.'"a>ccUk  w  i«eîn^iz«5ti5  jciai,  les  Ptos 
v^  r^v^X'if^^  ^:vit>K^K'  iik^  ^mt^  ^uoT  XL»  la  MesK  et  tear 
sNKwi  >tsfr/  HVVTi  i^  u^  ïuïi  ïa:  ârrmfflt  il»  irwiTèfent 
\^w  V^^>^  <NHttvV«  j^:%v  {021^  xiius  JtHtr  zitmmii  ils  firent 
l^^v*^'^'>  ov  H>i*.viSiviLnQut^  ^ixi  .tmttc  nçmés  en  leur 

V  ovvi«x>  ..iîSM.xv     i.iit^  Ut   ^nns«i    lUL  ùa  tenu. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INGARNATION.  107 

plus  grand  nombre  de  Pères,  afin  de  les  distribuer 
dans  les  bourgs,  et  tout  ensemble  une  peuplade  de 
Français  pour  faire  une  habitation  fixe.  L'on  est  con- 
venu à  cet  effet  d'un  lieu  commode  à  l'abord  des  nations 
qui  viendront  trouver  les  révérends  Pères  pour  com- 
muniquer  avec  eux  de  la  religion,  et  les  Français 
pour  traiter  d'aflTaires.  Le  révérend  Père  d'Ablon  partit 
aussitôt  avec  quelques  Onontageronons  et  Sonontouae- 
ronons,  qui  sont  les  plus  grandes  et  les  principales 
•  nations  de  ces  peuples,  et  après  bien  des  fatigues  ils 
arrivèrent  ici  au  temps  de  la  passion.  Ils  firent  leur 
demande  à  M.  le  Gouverneur  et  au  révérend  Père 
supérieur,  qui  ayant  appris  les  beaux  commencements 
de  cette  mission  et  les  grandes  merveilles  que  Dieu  y 
avait  opérées  en  si  peu  de  temps,  conclurent  qu'il  fallait 
la  fortifier  par  le  secours  d'un  plus  grand  nombre  de 
'missionnaires.  Alors  ce  révérend  Père,  qui  est  un 
homme  vraiment  apostolique,  fit  de  si  puissants  efforts 
pour  cette  glorieuse  entreprise,  qu'en  peu  de  temps 
cinquante-cinq  Français,  y  «compris  quatre  Pères  et 
trois  Frères,  furent  prêts.  Ils  partirent  d'ici  en  mai  avec 
un  zèle  et  une  ferveur  nonpareils.  Dans  cette  com-' 
pagnie  il  y  avait  quelques  soldats  de  la  garnison,  que 
M.  Dupuis ,  honnête  gentilhomme  et  qui  avait  com- 
mandement dans  le  fort,  s'était  ofiert  de  conduire. 
Lorsqu'il  me  fit  l'honneur  d0  me  dire  adieu,  il  m'assura 
avec  une  ferveur  qui  ne  sentait  point  son  homme  de 
guerre,  qu'il  exposait  volontiers  sa  vie,  et  qu'il  s'esti- 
mait heureux  de  mourir  pour  un  si  glorieux  dessein. 
Tout  cela  ne  se  fait  qu'avec  des  frais  immenses,  mais 
les  révérends  Pères  sacrifient  tout  pour  le  service  de 
Dieu  et  pour  le  salut  des  âmes.  Et  pour  moi  je  ne  puis 
comprendre  la  grandeur  de  leur  courage  en  ces  ren- 


108 

contres,  car  rieir  ne  lenr  coûte  qnand  il  s'agit  de  gagner 
des  âmes  à  Jésus -Christ. 

Les  Agnerognons  ayant  appris  qne  le  dessein  était 
formé  d'envoyer  des  Pères  et  des  Français  aax  nations 
supérieures,  afin  dy  faire  nne  habitation  et  une  maison 
fixé,  devinrent  tout  furieux  et  renouvelèrent  leur  envie, 
dans  la  pensée  que  cette  alliance  dm  Français,  Hurons 
et  Algonquins  avec  leurs  voisins  serait  leur  mine  avec 
le  temps.  Afin  donc  d'en  traverser  Texécution,  ils  se 
cachèrent  dans  un  bois  au  nombre  de  quatre  cents,  afin  * 
de  les  surprendre  au  passage.  Us  laissèrent  néanmoins 
passer  le  révérend  Père  Supérieur  avec  sa  troupe, 
mais  quand  il  fut  éloigné,  en  sortent  qu'ils  ne  pouvaient 
plus  être  vus  ils  se  jetteront  sur  un  grand  nombre  de 
canots  qui  suivaient,  conduits  par  le  révérend  Père 
Mesnard  et  un  Frère,  et  sans  rien  dire  ni  écouter, 
pillent  et  battent  outrageusement  tous  ceux  qui  se 
trouvent  sous  leurs  mains,  feignant  de  ne  pas  les  con- 
naître. Puis  comme  s'ils  se  fussent  relevés  d'un  songe, 
et  faisant  les  étonnés,  ils  s'arrêtèrent  tout  à  coup  et 
leur  dirent  :  Hé  quoi!  c'est  donc  vous!  Hélas!  vous  êtes 
nos  frères,  nous  pensions  que  vous  fussiez  Algonquins 
et  Hurons,  que  nous  avons  droit  d'attaquer  hors  les 
limites  désignées.  Nos  Français  voyant  bien  que  ce 
n'était  (|U*une  fiction,  les  appelèrent  fourbes  et  perfides, 
leur  disant  qu'ils  auraient  guerre  ensemble;  et  voyant 
que  la  partie  n'était  pas  égale,  ils  se  séparèrent. 

Ces  barbares  continuant  leur  rage  et  leur  dépit, 
vinrent  de  nuit  et  sans  être  vus,  dans  l'Ile  d'Orléans; 
et  It)  matin  voyant  une  troupe  d'hommes,  de  femmes 
«st  ilVnfaiits.  tous  Hurons,  qui  plantaient  leur  blé  d'Inde, 
lU  «0  ruèrent  sur  eux,  en  tuèrent  six,  et  enlevèrent 
tous  lâs  autres  au  nombre  de  quatre-vingt-cinq,  qu'ils 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DK  L'iNCARNATION.  109 

UèreDt  dans  leurs  canots.  Tout  cela  se.  fit  sans  que  les 
Français  en  eussent  connaissance,  et  même  s'ils  eussent 
encore  tardé  cinq  ou  six  heures  à  faire  leur  coup  leur 
capture  eût  été  bien  plus  grande,  parce  qu'ils  en  eussent 
enlevé  trois  ou  quatre  cents,  qui  étaient  venus  entendre 
la  messe,  et  qui  devaient  ensuite  s'en  retourner  en  leur 
désert,  mais  qui  apprenant  dés  fugitifs  ce  qui  s'était 
passé,  se  retirèrent  dans  le  fort.  Nous  fûmes  tout  surpris 
de  voir  le  fleuve  couvert  dp  canots  qui  venaient  vers 
Québec,  surtout  quand  on  sut  que  c'étaient  des  Agne- 
rognons,  qui  par  le  traité  de  paix  et  encore  selon  la 
parole  qu'ils  avaient  donnée  tout  nouvellement  aux 
révérends  Pères,  ne  devaient  poini  passer  les  Trois- 
Kivières.  Gela  fit  croire  qu'ils  étaient  aussi  bien  enne- 
mis des  Français  que  des  sauvages.  C'est  pourquoi 
les  maisons  écàrtéels  demeurèrent  désertes,  chacun  se 
retirant  à  Québec,  ou  néanmoins  il  n'y  avait  pas  de 
forces,  chacun  étant  allé  à  .ses  affaires.  Ils  passèrent 
devant  le  fort,  où  l'on  crut  qu'ils  allaient  aborder,  mais 
faisant  signe  qu'ils  étaient  des  amis,  ils  passèrent  outre 
et  continuèrent  leur  chemin,  jusqu'à  ce  qu'ayant  vu 
des  maisons  abandonnées,  ils  crurent  qu'on  s'était  retiré 
par  défiance  qu'on  avait  d'eux,  ce  dont  ils  furent  telle- 
ment choqués  qu'ils  enfoncèrent  les  portes,  pillèrent 
tout  ce  qu'ils  rencontrèrent,  puis  s'en  allèrent  aux  Trois- 
Rivières  chercher  à  qui  vendre  leur  picorage  (butin 
de  maraudage). 

Nous  avons  su  par  un  chrétien  qui  s'est  sauvé  de 
leurs  mains  demi-brûlé  et  deux  doigts  coupés,  qu'ils 
ont  emmené  nos  captifs  en  leur  pays,  et  qu'ils  leur  ont 
donné  la  vie,  excepté  à  six  des  principaux  chrétiens 
qu'ils  ont  condamnés  au  feu.  L'un  deux  nommé  Jacques, 
très-excellent  chrétien  et  préfet  de  la  congrégation,  a 


110  LETTRES   . 

signalé  sa  mort  par  sa  foi  et  par  sa  patience.  Parce 
qu'on  remarquait  en  lui  une  piété  plus  éclatante  qne 
dans  les  autres  on  Ta  fait  brûler  trois  jours  de  suite, 
durant  lesquels  il  pria  et  invoqua  sans  cesse  le  saint 
nom  de  Jésus,  exhortant  de  paroles  et  par  son  exemple 
ses  compagnons  de  supplice.  Quelque  violent  qu'ait 
été  son  martyre,  l'on  n'a  pas  entendu  de  sa  bouche  une 
seule  plainte.  Enfin  il  a  expiré  en  saint»  et  nous  l'esti- 
mons tel.  Celui  qui  nous  a  rapporté  cette  histoire,  après 
s'être  sauvé  du  feu,  courut  plusieurs  jours,  jusqu'à  oe 
que  par  une  providence  de  Dieu  il  fit  rencontre  da 
révérend  Père  Supérieur  et  de  sa  troupe  à  quatre 
journées  d*Onnontagé,  qui  est  le  lieu  où  doit  se  faire 
l'habitation  française.  Ce  pauvre  homme  s'en  allait 
mourir,  ayant  fait  plus  de  quatre-vingts  lieues  en  pe^ 
dant  son  sang  ;  mais  le  révérend  Père  fit  à  son  égard 
tout  ce  qu'il  fallait  faire  dans  une  semblable  rencontre, 
et  après  l'avoir  mis  en  état  de  marcher,  il  .lui  donna 
escorte  pour  le  conduire  à  Montréal.  Nous  attendou 
de  jour  à  autre  les  nouvelles  de  l'arrivée  de  nos  rêvé* 
rends  Pères.  Priez  pour  toutes  ces  affaires,  mon  très- 
cher  fils,  comme  aussi  pour  nos  bons  chrétiens  sau- 
vages qui  se  sont  tous  réfugiés  à  Québec  en  attendant 
qu'il  plaise  à  Dieu  de  calmer  cette  tempête. 

De  Québec,  le  14  août  1656. 


DB  LA  MÈRB*  MARIE  DE  L*INGARNATION.  111 


LETTRE   CXXXV, 


AU    MÊME. 


Après  l'avoir  blftmé  de  ce  qu'il  ne  lai  écrivait  pas  assez  souvent,  éiïe  lui  donne 

un  avis  important  touchant  ^oraison. 


Mon  très-cher  fils, 

.  La  sainteté  et  pureté  de  Jësus  soit  notre  sanctification;. 

J'ai  reçu  seulement  la  lettre  par  laquelle  vous  me 
dites  que  vous  m'écrirez  par  une  autre  voie.  Voilà 
cependant  cinq  navires  arrivés  à  notre  port  sans  que 
Jen  aie  reçu  d'autres  de  votre  part.  Il  faut  que  je  vous 
accuse  d'un  peu  de  paresse;  et  que  je  vouspdise  qu'encore 
que  je  sache  votre  bonne  disposition,  et  par  vous  et  par 
d'autres,  et  que  cela  me  suffise  pour  le  préisent,  vous 
ne  devez  pas  néanmoins  vous  contenter  de  me  le  faire 
savoir  par  une  seule  voie,  autrement  vous  me  mettez 
au  hasard  de  ne  point  savoir  de  vos  nouvelles. 

Le  révérend  Père  Jérôme  Lalemant,  notre  bon  et 
charitable  Père,  repasse  en  France,  taût  parce  qu'il 
y  est  rappelé  que  pour  accompagner  M.  de  Lauzon 
notre  Gouverneur,  qui  y  retourne  aussi.  Ce  nous  est 
une  affliction  bien  sensible  de  le  perdre,  car  outre  que 
c'est  une  perte  générale  pour  tout  le  pays,  notre  Ootn- 
munauté  y  perd  plus  que  tout  autre.  Il  a  fait  nos  conisti- 
tutions,  nos  règlements,  et  généralement  tout  ce  /qui 
nous  est  nécessaire  pour  vivre  dans  une  parfaite  r4gu^ 


1 1  s  LKTTRBS 

larit^.  Le  rdvërend  Père  Dom  Raymond  et  lui  sont  les 
deux  porsounes  du  monde  auxquelles  Notre- Seigneur 
lu  a  H^e  plus  particulièrement  pour  la  direction  de  mon 
Auio;  ot  jai  à  oolui-oi  des  obligations  infinies  pour  les 
gratulos  assistances  qu  il  m'a  rendues  dans  mes  néces- 
sitais. Je  vous  prio.de  lui  en  témoigner  de  la  reconnais- 
sance et  do  le  recevoir  selon  son  mërite;  car  cest  un 
homme  de  grande  considération  pour  sa  doctrine, 
proVité  et  sainteté,  sans  parler  de  sa  naissance  qui  est 
Âsse?  vvnnue  dans  Paris.  Nous  nous  flattons  de  Tespé- 
n^r.oe  ^1:11  revier.dra,  maïs  son  grand  âge  y  pourra 
rù^ure  ^;e  lV:»fiv:u-::;on:.  11  vous  aime  et  chërit  beau- 
vv\:;\  f  î  ot^î:e  s^;:'e  rAis.^n,  sàr.s  les  auires,  tous  oblige 
A  >k;  rvr..;:v  ',e  rèc;j^rv^^ue  tî  ronr  voas  et  pour  moi.    - 

,>  vo;:s  r^v.u-rv.e  .:«»  rcire  ^rèse^k;  ei  prie  Notre- 
$fV^Tî<i;r  ôe  vouloir  è:::^  vc::^  rê^zi^n**;  je  vous 
prie  ôc  n*^  Vv\îs  rv.;r.;  r.:'£'nrir  rz  friis  jotit  moi  :  je  sais 
lit  \>râ<-  t^c  v;\:r<  oo^;:r,  Kfcis  jr  &fci$  aossi  que  les 
persîi^rn*>s  r*^rikît*us^  Tif  tot^;  ^as  ;-:*ï:î  ce  qi»  leur  bonté 
}^i:r  suiî^t^rr.  k  OAn^"  ;?£  >&  r^.::rre:^  çn'elîes  ont  profes- 
sa- S.  vc^ns  é:\€7  *i'i;r.  ^îr^i-rt  rc.  et:  ùz  commerce  dans 
k  mon^x  r*ft7  is  *Vir<vrAôr.  ^l  fcu^rsmâiji-  >e  toss  prierais 
«^e  riM"î5  r-?iVi:r<':  4%^  anM* ,  ma:?  milim  îe  sais  que 
Vx*^iîs  v;v<»r  ôflr?:^  ;a  Tî'-Tr^éiU- .  ^r  voDs  ôenkanàe  senlemait 
<jnr  v,>n5  r^>r»s  ^r.  rc*v;:ri;v  pour  jt  c»el  lOàrmi  ]es  anges 
OT  îe^^  ^sirts.  «k*  .fisshiun.v  -Gc^soDe;?  n:»n5  avons  eneore 
p)TO  *i<"  >^^^ir.  cïvt  *i<  <v".ît  «i?i5  honimes. 

\>«?i  îv/svi^r  ^^^^•JÀ'  re7;:n  s^eTvirte  de  me  faire 
wiVivr  fSi^nrçnx"*i.  vcï?  relî^ie^i;^  c^raii:  vèîu^  ot  noir,  vkw 
Monwt^^  port;^  k  rs>rt.  r»?*  ?-Ar*«>-Manîâaux.  Gène 
>laT9M  ajnnw  ^t<-  «>T>^^^  r.ïin>  r<îs  .v^r^iœer.rtrnienK  ponr 
W^  S^^rvîlw  iie  î*  ^PAinv  '•  -fr^î:.   ou.  rîAjôii:  hahiCéi 


D£  LA  MËRE  MARIE  DB  L'IN CARNATION.  113 

réforme,  d'en  changer  le  nom  :  ce  n*est  plas  là  un 
mystère  pour  moi.  Pour  ce  qui  nous  regarde,  je  suis 
bien  aise  que  vous  approuviez  maintenant  notre  demeure 
en  Canada.  Il  est  vrai  que  c'est  un  pays  de  Croix  pour 
les  serviteurs  et  pour  les  servantes  de  Dieu,  mais  comme 
c'est  le  partage  des  saints,  nous  sommes  d'autant  plus 
heureux  que  nous  sommes  dans  un  lieu  où  l'on  en 
trouve  en  abondance  et  avec  bénédiction. 

La  manière  de  l'oraison  dont  vous  me  parlez,  qui 
tient  rame  unie  à  Dieu  sans  penser  à  autre  chose,  est 
très-bonne  quand  elle  se  termine  à  la  solide  pratique 
de  la  vertu  :  car  bien  que  dans  l'oraison  actuelle  on  ne 
réfléchisse  pas  sur  telle  ou  telle  vertu,  quand  néanmoins 
l'opératioi)  est  de  Dieu,  l'oraison  porte  son  effet  dans 
les  occasiops.  Dieu  laissant  dans  l'âme  un  mouvement 
ou  inclination  au  bien  plus  forte  que  ne  fait  une  oraison 
commune.  Vous  verrez  quelque  chose  de  semblable 
dans  récrit  que  je  vous  envoie,  dont  le  révérend  Père 
Lalemant  a  bien  voulu  être  le  porteur  afin  de  vous 
le  mettre  entre  les  maiDs. 

Dans  une  lettre  particulière,  je  vous  mande  les  nou- 
velles de  ce  pays.  Pour  mon  particulier,  ma  santé  est 
bonne,  grâces  à  Notre- Seigneur  ;  je  l'emploie,  après 
le  soin  de  notre  Communauté,  à  faire  bâtir  une  petite 
église  que  Madame  notre  fondatrice  nous  donne,  et 
dont  elle  a  voulu  que  je  prisse  la  conduite.  Ce  travail 
m'occupe  assez,  parce  qu'il  faut  tout  faire  par  ses  mains, 
nourrir  tous  les  ouvriers,  et  enfin  faire  de  grands  frais, 
quoique  nos  édifices  soient  pauvres  et  petits. 

L'offrande  que  vous  faites  de  moi  chaque  jour  au 
saint  autel  m'est  très-précieuse;  j'y  trouve  mon  bon- 
heur, parce  qu'étant  offerte  au  Père  Eternel  avec  son 
Pils  bien- aimé,  j'espère  que  je  ne  serai  pas  rejetée. 

LSTTK.   M.    II.  8 


114  LBTTRB8 

Prenez  courage  dans  les  choses  spiritoellea,  notre  bon 
Jésus  vous  aime. 

C'est  ici  la  première  lettre  que  j'écris  en  France.  La 
navires,  qui  sont  cinq  en  nombre,  sont  arrivés  à  la 
fln  de  mai  et  au  commencement  de  juin,  ce  que  Ton 
n'avait  point  encore  vu  ;  c'est  pourquoi  ils  partent  de 
bonne  heure,  et  c'est  ce  qui  me  presse  d'écrire  à  nos 
amis,  et  à  vous  qui  m'êtes  le  plus  cher  de  tous. 

De  Québec,  le  24  Juin  1657.  • 


LRTTRE    CXXXVI 


AU    MEME. 


Bll«>  lui  témoifme  le  désir  qii>lle  a  d«  m  perfactioD.  —  Dmh  ••  attit  des  mfllietiûw 
ft>rpor«llefi  |>oiir  détacher  les  Ames  des  cFéeturee,  —  BUe  loi  pvle  d*iiiie  maUdîe 
extrême  dont  Notre- Seigneur  l'a  gnerie. 


Mon  très-cber  fils, 

jRsus  soit  notre  vie  et  notre  tout  pour  le  temps 
et  |>our  Tét^rnité. 

J'ai  reçu  toutes  vos  lettres,  tant  celle  de  Tannée 
dernière,  qui  s'est  trouvée  dans  le  paquet  de  nos  Mères, 
que  vos  dernières,  écrites  de  cette  année.  Je  ny  veux 
pas  répondre  A  présent,  cette  première  vme  étant  trop 
prédpiMa.  Oa  aot  est  aenleiiient  pour  voua  témoigner 
la  OQMallBim  que  je  reçois  duque  année  lorsque 
J^ippiMMll  4a  Toa  nonvdlea  et  le  déair  que  vous  srar 
4è  ItW  J^Ufom  ^  à*èbte  tout  A  Jssits-Oedust  et  au 


fit** 


DE  LA  MÈRB  MARIE  DE  L'INOARNATION  .  115 

tràs-sainte  Mère,  dans  les  yoîes  de  la  véritablô  sain- 
teté. C'est  ce  qae  je  demande  à  Dieu  plusieurs  fois  le 
jour,  particulièrement  en  ce  temps  où  la  zizanie  ne 
86  mêle  que  trop  avec  le  bon  grain,  et  où  le  mensonge 
veut  passer  pour  la  vérité  sous  un  manteau  trompeur. 
Dieu  nous  envoie  plutôt  à  vous  et  à  moi  la  mort  la 
plus  désastreuse  du  monde,  que  de  permettre  que  nous 
tombions  en  ces  pièges.^ 

Je  ne  sais  où  celle-ci  vous  trouvera,  c'est  pourquoi 
je  l'adresse  à  ma  nièce  de  Tlncarnation.  Cette  bonne 
fille  me  mande  les  obligations  qu'elle  vous  a  pour  les 
grands  soins  que  vous  avez  de  tout  ce  qui  peut  lui 
servir  pour  conserver  Tœil  qu'elle  est  en  danger  de 
perdre.  C'est  une  âme  qui  tâche  ^'aller  à  Dieu,  et  à  qui 
son  infirmité  a  beaucoup  servi  pour  la  détacher  des 
créatures  et  d'elle-même.  Sa  bonté  sait  bien  prendre 
son  temps  pour  sanctifier  ses  élus. 

Pour  moi,  il  y  a  déjà  quelques  mois  que  j'ai  quitté 
ia  charge  (de  supéneure),  ce  qui  m'a  été  d'une  consola- 
tion toute  particulière,  ayant  toujours  eu  plus  de  pente 
à  obéir  et  à  être  dans  la  dépendance  qu'à  commander. 
Ce  n'est  pas,  ce  me  semble,  une  vertu  en  moi,  car  je  me 
trouve  en  mon  centre,  étant,  comme  je  suis,  dans  la 
soumission.  Je  suis  néanmoins  dans  un  office  bien 
divertissant  (distrayant)  dans  le  Canada,  c'est  d'avoir 
le  soin  du  temporel;  mais  ce  qui  me  donne  du  repos 
dans  le  tracas,  c'est  que  Dieu  est  partout,  et  qu'il  n'y  a 
lieu  ni  afiEaires  qui  nous  puissent  empêcher  de  l'aimer 
aetuellement. 

Lorsque  nous  avons  reçu  nos  lettres  de  France,  j'étais 
dans  une  maladie  qui  m'a  mise  à  deux  doigts  de  la  mort. 

(l)  Bile  parle  des^meDéee  insidieuses  da  janséoisme. 


^K-'i 


r/''-^   y-îiacA   -T/^ir     ->  'j^   :n    -oaaeillerua    33»   les 

-{i«.^«*^<9   f/^    >   YVPT    i«^  ^era  TU  jrantt    Tien   jour  a 

^//  ryn^t^Y   f  v.i^?n->   uw  penonnes  ie  inaiisé  41x1  la,  viâ- 
•A^+  »^r->-r^n^   '>5r;  îor^esi  te  Timiés  aonc  xa  acnaoïL  nuxiel 
A  «^rfrA  ^^<^4  î*Aj5^;/*n«   iTOr*naî  i  rxne  ;eizne  ûîî&  qtxi  a  de 
l/#Mt«fW.  ^/fr<*r^.  >J1^  On  .iii  iic  i^u'aiL»  est  sage  et  rele- 
fr'^'f,  fffiin  f-z^^A^  \  :ciCÂXi%  d'une  prouccioa  de  Dieu 
^i^rf  ftfitH^uU^^,  \A   f^nn  M>XÀf£n  de  grandes  brèches 
lUifit  ii*n  o^'Af^nuft^^  /Ja  parloir.  Ain  il  y  a  sujel  de 
ffoMi-  /jM*4  |V<|//ijf;iffrn«nt  serait  son  bonheur,   comme 
Il  r«  ^•f/î  h  mirt^  rMff,  rléfante  la  Mère  Marie  de  Saint- 
.tfiqM|th    Jm  rliff  iffijt  cola,  mon  très-cher  fils,  afin  que 
1  rMiff  Hiftwlf')^  h  yfinrrn  A  Tœil  (que  vous  observiez  toutes 
f»hrinnq  utni»  ijrnfMln  Htinnlion),  et  que  vous  vous  infor- 
mlf'9  il»«  («Mil  t  nU,  (In  nrninte  qu'elle  ne  faeise  un  coup 
^  \i\  liV>f^»'r»    .PaI  inintix  Hlinë  vous  en  écrire  qu'A  tout 
^\si\'(^,  \M*h»i»  <|M0  |n  lUï»  oonfie  on  vous.  Je  pense  qu'il 
v^syi  \\\\t^  \\s\sn  «*ii  A^rl  vli^R  A  oœur  ouvert  à  ma  révérende 
MAvi^  tVAV^V'Mi^i*  il**  Saint -Uornard,  la  priant  de  vous 
,iivo  i\M^<t«Vn\w<^nt  iPK^  |vn;sAN^.  Faites  donc  cela  pour 
*?^m.MSV  <V  INiAn.  WiNii  IvAî^-ohw  fils,  «t  voos  m'oldigeies 
''ï^^ni'»'»nf .  «NNn-m/^  .'infini  il^  v^ir  aonvent  le  ré^éreod 

V,  ^,^•  v^MpT-rT.  '    V*^^lÊ  In*  «vonf  mi^  entre  lef: 


DE  LA  MÊRB  MARIB  DB  L'iNGARNATIÔN.  119 

notre  plus  véritable  ami.  Voilà  que  les  navires  vont 
partir,  adieu  pour  cette  année. 

De  Québec,  le  2  de  septembre  1657, 


LETTRE   CXXXVIIL 


AU   MEME. 


Progrès  de  la  Foi  parmi  les  nations  Iroquoises.  —  Passage  des  religieases  de 
France  en  Canada.  —  Solution  complète  da  malentendu  qui  avait  eu  lieu  entre 
elle  et  son  fils.  —  Opposition  de  Tamour-propre  à  l'esprit  de  Dieu. 


Mon  très-cher  fils, 

La  vie  et  l'amour  de  Jésus  soient  notre  vie  et  notre 
amour. 

J'ai  reçu  de  trop  bonnes  nouvelles  des  missions 
iroquoises  pour  ne  pas  vous  en  faire  part.  J'ai  appris 
depuis  trois  jours  que  le  progrès  de  l'Evangile  y  est 
grand.  Le  révérend  Père  Mesnard  seul  a  baptisé  à  Oneioou 
et  à  Oioouen  quatre  cents  personnes.  Les  autres  mis- 
sionnaires en  ont  baptisé  à  proportion  dans  les  lieux  de 
leur  mission.  Le  diable,  qui  enrage  de  ces  commence- 
ments et  qui  craint  encore  plus  pour  l'avenir,  a  suscité 
an  trouble  pour  détruire  ce  que  les  Pères  ont  édifié. 
Il  rend  la  jeunesse,  qui  de  soi  est  déjà  guerrière,  extrê- 
mement revêche,  la  portant  à  nuire  aux  chrétiens  en 
tout  ce  qu'ils  peuvent.  Et  parce  qu'ils  n'osent  pas  encore 
8*élever  contre  ceux  de  leur  nation,  ils  se  jettent  sur 
les  Hurone  leurs  anciens  ennemis.   Ils  en  ont  tué 


IZf) 

trtnz^,  tout  petits  que  grands,  et  en  ont  fait  quarante 
nutr^.n  prisonniers.  Les  anciens  en  ont  bien  da  déplaimr, 
mais  hn  jeunes  ne  les  craignent  pas,  ny  ayant  point 
/Ja  fi^ilice  parmi  ces  peuples. 

FViur  ce  qni  regarde  notre  monastère,  j'écris  à  nos 
MAros  do  Tours  à-roccasion  de  deux  sœars  de  notre 
Congrégation  que  Ton  doit  prendre  en  Bretagne  poor 
nous  los  envoyer  à  la  prochaine  flotte.  Je  les  remercie 
pour  coito  année,  à  cause  de  quelques  changements 
(rii(rair(!N  qui  sont  survenus  à  notre  maison,  et  partica- 
lIAromont  pour  les  grandes  pertes  que  nous  avons 
fiiitos.  Il  est  vrai  que  je  goûte  fort  l'avis  que  vous  noue 
(lonnoz  au  sujet  du  passage  des  religieuses  de  France, 
ni  (|Uo  dos  flilos  du  pays  nous  seraient  plus  propres 
pour  notro  esprit,  que  d'autres  qui  y  apportent  on 
oNprit  (étranger.  Tout  cela  est  vrai  et  nous  l'expérimen- 
tons ;  nmis  il  ne  se  trouve  pas  encore  assez  de  sujets 
on  0(^  puy«i.  Ou  bien  on  les  marie  fort  jeunes,  ou  elles 
n'ont  pas  ilo  vocation,  ou  elles  ne  peuvent  apporter 
do  quoi  sul)sister,  ce  qui  est  nécessaire  absolument, 
notrt^  i\>n\munnuté  étant  très-pauvre  et  ne  pouvant 
rtHVvoir  dos  samrs  de  chœur  qu  à  cette  condition  :  car 
(HHir  dos  ^H^nvorses^  nous  en  avons  reçu  trois  ou  quatre 
)vinir  rioUv  Ootto  n^Wssité  nous  oblige  de  recourir  en 
V>:^n\V,  oum^  quo  pour  le  présent  nous  avons  besoin 
\lo  )vi>$<Nnno$  fai(o$  ei  qui  soient  en  état  de  servir,  an 
hou  ^n  on  WKW^ul  des  novic«s  il  faut  aitendre  long- 
l^wj\<.  0»  <^«vvw^x  apTvVst  avvnr  Ken  anendu,  il  est  inoer- 
).^in  ï^)  ^r^os  ar.^^r.t  î^  t;ii<»:$  nécessaires  pour  les 
^•!^v>;!i  .îV,:>^  v\vi^r•:ur^a;:î^.  Uaszéf  Jlenùdre  nous  en 
x'?v^n\^r>,^iïi^«i  .^^;:x.  ;::>^  .^^^  .-iMi^ï>e  CwsiKiésadon.  Celle 
,v  î'^Ar^  5i<-  ;?\vï:x  A  ^c^è::^.  vviie  oe  TiMi»  sk«$  a  manqué. 
i>fc;  .s\  \\N«$  xv>«^  <<£  ,1  XA  ji«  wta  à  ims  «œ  (ont 


DE  LA  MÈRE  BIARIE  DE  L'iNCARNATION  .  121 

n'ait  été  égal,  et  que  nos  Mères  de  Tours  ne  nous  peu- 
vent blâmer  de  manquer  d'affection  pour  elles.  Nous 
avons  cinq  professes  d'ici  ;  savoir,  une  du  pays  et  quatre 
qui  sont  venues  de  France,  en  leur  habit  séculier.  Nous 
avons  actuellement  deux  novices  et  deux  de  nos  pen- 
sionnaires qui  postulent.  Nous  avons  quatre  professes 
de  la  Congrégation  de  Paris.  Et  quoique  nous  soyons 
ainsi  assemblées  de  divers  endroits,  nous  vivons  ensem- 
ble comme  si  nous  étions  professes .  d'une  même  Con- 
grégation et  d'une  même  maison,  sous  la  conduite 
de  ma  révérende  Mère  de  Saint  -  Athanase  qui  m'a 
succédé  dans  la  charge.  Mais  quelque  union  que  nous 
ayons  ensemble,  si  nous  trouvions  des  sujets  propres 
dans  le  pays,  nous  n'en  demanderionis  point  du  tout  en 
France,  pour  le  bien  de  notre  Communauté  et  pour 
éviter  les  inconvénients  dont  vous  me  parlez,  qui  sont 
réels  et  véritables.  Mais  enfin  Dieu  est  le  Maître  de 
tout;  il  est  notre  véritable  Supérieur,  et  en  cette  qualité 
c'est  à  lui  à  pourvoir  aux  nécessités  de  la  Communauté, 
et  à  lui  chercher,  où  il  lui  plaira,  des  sujets  propres 
à  le  servir  dans  les  desseins  qu'il  a  sur  nous  dans  ce 
bout  du  monde. 

Voici  la  dernière  lettre  que  vous  recevrez  de  moi 
cette  année,  parce  qu'il  ne  nous  reste  ici  qu'un  vais- 
seau qui  lève  l'ancre  pour  partir.  Celle-ci  n'est  qu'une 
réitération  de  celles  que  je  vous  ai  déjà  écrites  en 
matière  de  mon  affection  pour  vous,  ne  vous  ayant 
rien  mandé  que  pour  l'amour  que  je  porte  à  votre  âme. 
Nous  n'avons,  vous  et  moi,  qu'une  seule  chose  à  faire, 
qui  est  de  servir  Dieu  dans  Tétat  et  dans. la  voie  où 
il  nous  veut;  cela  nous  est  évident.  Vous  aurez  peut- 
être  été  mortifié  de  quelques  points  de  mes  lettres,  et 
vous  aurez  cru  que  je  suis  dans  l'inquiétude  au  sujet 


12e 

(lê  raffuire  dont  il  est  question.  Je  tous  avoue,  et  je 
Toaff  Tai  déjà  dit,  qae  j'ai  eu  Fesprit  affligé,  joiais  non 
pai  inquiété.  Mais  vous  m'avez  donné  de  Téclaircisse- 
ment  sur  mes  doutes  dans  la  lettre  que  vous  m'avei 
riorite  par  M*  d'Argenson,  notre  nouveau  gouverneur, 
sn  sorte  (|ue  Je  suis  satisfaite.  N'en  parlons  donc  plos; 
parlons  seulement  de  nous  avancjBr  en  la  vertu  et  dam 
la  voie  de  Teuprit  intérieur,  où  l'on  goûte  Dieu  et  toutes 
Ion  vclrltéa  divines.  Il  me  semble  que. je  suis  encore, 
hton  éiol(;née  de  la  pureté  que  demande  ce  fond  inté- 
rit^ur,  J*en  découvre  quelque  chose,  mais  je  ne  le  tient 
pas»  paiTio  que  je  suis  encore  attachée  à  une  natare 
(kihlo.  IVa)riIe  et  susceptible  des  impuretés  de  la  tem. 
Ah!  mon  Dieu!  quand  serai-je  délivrée  de  ce  moi- 
\\\Mw  si  |>6u  Adèle  à  l'esprit  de  la  grâcef  Quoique 
dans  mou  fond  je  ne  veuille  ni  vie  ni  mort,  quand  je 
|i^U9t^  ui^nmoins  à  la  mort  ou  que  j'en  entends  parler, 
uu>»  vNV^ur  «^(^panouit  et  se  dilate,  parce  que  c'est  elle 
sjut  doà  mt^  délivrer  de  ce  moi-même,  qui  me  onit 
(>tu«  stu<^  tout^«  l^  choses  du  monde.  Priei  la  divine 
Nv»çi^  ^îuVtlt^  mVn  vt^livr^  par  tes  vwes  qui  lui  seraient 
l\^  ^^!u>  ^r^L^t^  et;  quelle  sait  m^éîre  bas  ptos  proprei 


DE  LA  MÈRE  MARIE  t)B  L INCARNATION.  123 


LETTRE   CXXXIX. 

AU   MÊME. 

.  dispose  les  ftmes  à  de  hauts  desseins  par  la  solitude.  —  Tout  profite  à  une 
ne  qui  se  conserve  dans  Funion  avec  Dieu.  ^  Etat  de  ses  affaires  domestiques 
de  oelles  du  pays. 

Mon  très -cher  fils, 

Jésus  soit  notre  vie  et  notre  amour. 

Voici  la  réponse  à  votre  lettre  du  28  août,  que  j'ai 
jue  avec  deux  autres  de  votre  part,  auxquelles 
jpôre. pareillement  répondre  avec  le  temps. 
Puisque  Dieu  vous  a  mis  dans  la  solitude,  et  qu'il 
us  en  donne  de  l'amour,  c'est  une  marque  qu'il  veut 
ras  faire  quelque  nouvelle  grâce,  et  qu'il  a  dessein 
)  vous  fortifier  et  de  vous  fonder  (affermir),  afin  de 
)nvoir  travailler  dans  les  services  qu'il  demande  de 
)ns.  Car  c'est  la  conduite  que  sa  majesté  tient  pour 
ordinaire  sur  ceux  dont  il  veut  se  servir  dans  la 
nduite  des  âmes.  J'ai  été  très -consolée  d'apprendre 
e  vos  études  n'apportent  point  d'empêchement  au 
^vice  de  Dieu;  c'est  une  marque  qu'il  demande  cela 
vous  dans  votre  solitude.  Je  loue  et  estime  le  de^^sein 
e  vous  y  avez  pris,  qui  ne  tend  qu'à  la  sainteté; 
^is  je  vous  dirai  un  mot  sur  le  point  que  vous  dites 
d  vous  donne  de  la  peine.  Le  peu  d'expérience  que 
ti  m'a  fait  connaître  cette  vérité,  qu'il*  faut  bannir 


1 24  LETTRES 

toQs  les  raisonnements  saperflas  et  les  réflexions  trop 
fréqaentes  sur  ces  sortes  de  matières,  qai  pour  lordi- 
naire  sont  platôt  des  tentations  que  des  choses  réelles. 
Je  crois  que  ce  qui  vous  travaille  de  temps  en  temps 
est  de  cette  nature,  et  je  tire  cette  conclusion  de  It 
consolation  que  vous  ressentes,  lorsque  dans  vos  peines 
TOUS  vous  abandonnez  à  Dieu  et  à  sa  sainte  conduite 
sur  vous. 

Je  suis  ravie  de  Huclination  que  Diea  vous  donne 
pour  la  perfection,  vous  appelant  par  état  a  sa  sainte 
union.  Vous  êtes  obligé  de  vous  mêler  de  diYerseï 
affaires,  tant  pour  le  spirituel  que  pour  le  temporel 
dans  lesquelles  il  ne  se  peut  faire,  dans  la  condition 
de  la  faiblesse  humaine,  qu'on  ne  contracte  un  peu  de 
poussière.  Ces  sortes  de  fautes  ne  sont  pas  des  infidé- 
lités, mais  des  fragilités  qui  se  guérissent  par  ce  fond 
d'union  avec  Dieu  dans  le  cœur  et  dans  Tesprit.  Oai, 
les  actes  réitérés  dans  cette  union  sanctifient  merveil- 
leusement une  âme.  Et  n'estimez  pas  que  les  distrac- 
tions que  vos  études  ou  vos  affaires  vous  causent  soient 
des  infidélités,  si  ce  n'est  que  vous  vous  amusiez  trop 
à  raisonner  sur  des  matières  curieuses,  ou  contro- 
versées, ou  sujettes  à  la  vanité,  ou  enfin  contraires  à 
lesprit  de  Jësus-Christ.  Quand  une  fois  Dieu  a  fait 
présent  à  une  âme  du  don  de  sapience  (sagesse)  et  de 
celui  d'entendement,  ce  qu'il  fait  ordinairement  dans 
cette  union,  les  distractions  ne  nuisent  point.  Je  prie 
sa  bouté  de  vouloir  vous  départir  (donner  en  partage) 
Tun  et  l'autre  pour  sa  plus  grande  gloire,  pour  votre 
.sarotification,  et  pour  le  bien  des  âmes  qu'il  a  sou- 
mises  à  votre  conduite.  Je  ne  sais  si  vous  ne  goûtef 
point  tellement  les  douceurs  de  l'union,  que  l'action 
passe  en  votre  esprit  pour  une  distraction.  L'action 


DB  LA  MËRB  MARIB  D£  L*INCARNATION.  125 

émanée  des  sources  dont  je  viens  de  parler  est  une 
espèce  d'oraison,  parce  qu'elle  vient  de  Dieu  et  se  ter- 
inine  à  Dieu.  Ainsi  ne  vous  afiSigez  point  dans  vos 
emplois,  et  ne  distinguez  point  ce  qui  est  le  plus  parfait, 
ainon  dans  l'état  où  vous  êtes,  et  où  vous  ne  vous  êtes 
pas  mis  de  vous-même. 

Quand  on  appartient  à  Dieu,  il  f^ut  le  suivre  où  il 
veut;  et  il  en  faut  toujours  revenir  à  ce  point,  de  se 
perdre  dans  sa  sainte  volonté.  J'estime  que  c'est  ce 
que  l'esprit  de  Dieu  veut  dire  dans  l'Ecriture  :  Elle  aura 
nom,  ma  volonté  est  en  elle.  Pour  arriver  à  cette  perte 
il  faut  vivre  de  foi,  car  elle  dit  encore  :  Mon  juste  vivra 
de  foi.  Sortez  donc  des  peines  qui  agitent  votre  esprit, 
autrement  vous  tomberiez  dans  l'inconvénient  que  votre 
ami  vous  a  marqué,  après  quoi  votre  perfection  souf- 
frirait une  grande  altération,  et  le  trouble  intérieur 
traverserait  les  saintes  entreprises  que  vous  avez  con- 
çues pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  le  service  de  l'Eglise. 
M.  de  Bernières  me  mande,  et  le  révérend  Père 
Lalemant  me  le  confirme,  que  Ton  nous  veut  envoyer 
pour  évéque  M.  l'abbé  de  Montigny,  qu'on  dit  être  un 
grand  serviteur  de  Dieu.  Ce  serait  un  grand  bien  pour 
ce  pays  d'avoir  un  supérieur  permanent,  et  il  est 
temps  que  cela  soit,  pourvu  qu'il  soit  uni  pour  le  zèle 
de  la  religion  avec  les  révérends  Pères  Jésuites,  autre- 
ment tout  irait  au  désavantage  de  la  gloire  de  Dieu  et 
da  salut  des  âmes.  Ces  personnes  qui  disent  que  les 
;  Jéraites  gênent  les -consciences  en  ce  pays,  se  trom- 
.  pent,  je  vous  en  assure;  car  Ion  y  vit  dans  une  sainte 
liberté  d'esprit.  Il  est  vrai  qu'eux  seuls  ont  la  conduite 
f  des  âmes,  mais  ils  ne  gênent  personne,  et  ceux  qui 
cherchent  Dieu  et  qui  veulent  vivre  selon  ses  maximes, 
ont  ia  paix  dans  le  cœur.  Il  pourrait  néanmoins  arriver 


:'P. 


\9t    .^rî^tir.â    ;m     ;      la    .araïc    TeaoÉB.  vie  racourir  à 

l'iinrpps    -n    r^r    -iiir   -^îaeacarae^meroii  aouiiaiteki 

:n  -r^nur-   .^lea  r.ooâ  e  .aiuie  jamcpars&mÎBëncQrdft! 

..•»  .rn-iuôid    :ii    uiâfle  .eor  l'oi  -ât  rompa  la  pan. 

.!.«  -cvaiesi  ..^nid    "snsmre   :e  l'aiie  aïoorii^  idob  ki 

>-rP5  ^î  v.ria    re  Jranoaià   /n  :^iaiims  aToe  eox;  noii 

N'être- reîffnéir  .îa   .  '.roieffsa  :?£  ttm  ^ie  leurs  iwmim 

^anf9    a  ^nccn   .ii    u   :a  "^ai.  7e  Tnoa  en  parl^û  ptai 

^n   onfiT  laiiâ  ;iiè  lucre  .ecire.  .'ecs  numre.  Jointe  aux 

'lari-^eS    .rr  a   ner.   ;ui  ^oar  ,r\nu3.  r'aiî  que  nous  w 

i^mantionâ   i::cv.i2ie  ;'^i:;^eaâe  :e  France  cette  anuéâL 

il   7  %  rrncore    ice   uizre  /ru5on  ionc  je  ▼ous  pariii 

.'^nnée  lem.rrre.  îavrir  .èi   :errea  ioe  Xocre-âeusiieiir 

a  permijs  oonii  irr:ver.  l\iTan^veiile  'ie  nos  moiaMHUf, 

an  ?r^nii   Toar^iLioa    uHXjmaagné  fiin  coup  de  toi- 

nerre  écrasa  en  m  Jionienc  .a  jhuict  «le  notre  mëtairie, 

îiia  non  nœafâ  ^r  -HTrasa  notre  .abourenr.  ce  qoi  nous 

mit  '^n  perte,  le  pias  iô   juaire  mille  livres.  Depdi 

<1enx  joarî.  il  aoos  est  e^.icore  irrivé  on  autre  accident 

[I  ne  f'^.staif;  jius  ea  ?e  .ieu-îa  qa'one  petite  maison  oè 

nog  ger.s  'le  Tî^viil  avaienc  i»acume  de  âe  retirer,  cif 

p»onr  la  ^ange.  aoun  l'avioas  ^t  rebâtir  dans  laooor 

d^;  no^re  monastère.   |ai  n'âst  éloigné  de  notre  teffl  #j 

r|ne  d'an  demi-'iaart  de  lieae.  Sar  les  huit  hearesA  1^^ 

floir,  les  Iroqaoiâ  ont  appelé  de  loin  un  jeune  hoouw  f^ 

t\n\  y  d^mearait  seal  pour  faire  paître  nos  faœoA  i  l^-j^ 

dft«««iri  c/mtùe  Ton  croit,  de  l'emmener  vif.  comflw*  fc^ 

«vwifint  fait  A  on  vacher  quelques  jours  aaparanat  ft^^^ 

<;«  ji  fi fifl  homme  e»t  demeuré  ai  effrayé,  qu'il  a  qaiW  hi^^^ 

l«  rrinlAon  pour  «lier  se  cacher  dans  les  haliewdel»  1^.^.^ 

'•Mri»|mj(iio.  Ktant  revenu  à  loi.  il  est  venu  nous  direca  j^:;^^ 

»M<'II  avait  eiiteadut  et  aussitôt  nos  gens  au  noœtae 

•'«  tllll  tmà  JÊtât  pour  aller  défendre  la  pUoe.  Maisib 


Ot( 


'.  * 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  127 

sont  arrivés  trop  tard,  parce  qu'ils  ont  trouvé  la  maison 
en  feu  et  nos  cinq  bœufs  disparus.  Le  lendemain  on 
les  a  trouvés  dans  un  lieu  fort  éloigné,  où,  épouvantés 
du  feu,  ils  s'étaient  retirés,  ayant  traîné  avec  eux  une 
longue  pièce  de  bois  où  ils  étaient  attachés.  Dieu  nous 
les  a  conservés,  excepté  un  seul  qui  s'est  trouvé  tout 
percé  de  coups  de  couteau.  La  maison  était  de  peu 
de  valeur,  mais  la  perte  des  meubles,  des  armes,  des 
outils,  et  de  tout  l'attirail  nous  cause  une  très -grande 
incommodité.  C'est  ainsi  que  sa  bonté  nous  visite  de 
temps  en  temps.  Elle  nous  donne  et  elle  nous  ôte;  qu'elle 
soit  bénie  dans  tous  les  événements  de  sa  providence  ! 

Ce  n'est  ici  que  ma  première  réponse  :  j'espère  vous 
écrire  par  tous  les  vaisseaux;  mais  j'ai  tant  d'embarras, 
mon   très-cher   fils,  dans  l'économie  de  nos  petites 
affaires  temporelles,  que  je  ne  puis  écrire  que  par 
reprises.  C'est  moi  qui  aurais  grand  sujet  de  dire  que 
je  suis  distraite  sans  fin,  et  que  je  commets  un  nombre 
innombrable  d'infidélités  à  Dieu,  qui,  par  sa  bonté,  ne 
me  rebute  pas  ;  mais  plutôt  il  me  continue  ses  grâces 
et  ses  miséricordes.  Pour  vous,  continuez  généreuse- 
ment à  le  servir,  employant  les  talents  qu'il  vous  donne 
selon  sa  volonté  et  de  la  manière  dont  il  sera  le  plus 
glorifié.  Je  le  prie  d'y  donner  sa  bénédiction,  et  de 
mettre  sur  votre  langue  et  dans  votre  cœur  les  pro- 
ductions de  son  esprit,  afin  que  sa  parole  ne  soit  point 
Jiée  ni  étouffée  en  vous  par  des  respects  trop  humains, 
et  que  par  une  sainte  hardiesse,  accompagnée  d'une 
l^udence  divine,  vous  puissiez  rendre  au  prochain  les 
Mcours  dont  sa  grâce  vous  rend  capable.  Je  suis  en  son 
jsint  amour  ce  que  vous  savez;  et  en  vérité  je  suis  votre... 

De  Québec,  le  24  août  1658, 


128  i£rrsEB 


ConÎTi ration  secrète  le»  '.rvnuais  -rantr?  o  .aferemia  ?Ana  Jéaaâas  «C  la  Fin- 
irais. \uu  -^n  etact  arertu.  •«  re«ire*ic  recreteiaem  i  TfniiriMi  —  Phijil te 
mêmes  Pores  le  reunzzcer  lixx  IrL*«iaois. 


Mon  rrès-oher  dis. 


L'amoar  et  la  vie  ie  Jésus  soient  notre  Tie  et  ootn 
amour  pour  le  temps  et  pour  l*éteraitë. 

Dans  les  lettres  que  je  tous  ai  écrites  de  ce  qui  s'est 
passé,  je  ne  vous  ai  point  parlé  de  cette  noaTeUe  é^ôse. 
Je  ne  veux  pas  laisser  partir  ce  ▼aisKaa  sazis  toos 
en  dire  un  mot  en  auendant  la  Relation^  qui  tous  ea 
parlera  plus  au  long.  Celle  de  Tannée  dernière  tous 
apprit  l'espérance  qu  II  j  avait  d*un  grand  progrès  de 
notre  sainte  toi;  mais  à  la  iin  vous  vîtes  une  lettre,  qui 
donnait  sujet  de  craindre  ce  qui  est  arrivé.  Lorsque 
les  aHairea  de  Dieu  écaient  dans  la  plus  belle  disposition 
du  monde,  une  troupe  diroquois  forma  one  oonspi- 
ration  de  massacrer  tous  les  réTérends  Pères  et  tou 
les  Français  de  leur  maison  et  de  la  garnison.  C'était 
un  ouvrage  des  démons  enragés  de  ce  qa*on  leur  am- 
cbait  tant  d'âmes.  Ce  dessein  barbare  eût  réossi  sans 
doute,  si  an  Iroquois  chrétien  n  en  eut  arerti  les  Pères 
en  êecretf  et  de  mettre  ordre  au  plus  tdt  à  leurs  affidree. 
GamBl^fti^  «onDiit  le  génie  des  sauvages»  Ton  vit  bi^ 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L INCARNATION.  129 

que  le  dessein  allait  pins  loin,  et  que  la  résolution  était, 
après  avoir  défait  les  Français  qui  étaient  sur  le  lieu, 
de  venir  ici  sous  une  amitié  déguisée,  pour  mettre  tout 
à  feu  et  à  sang.  C*est  pourquoi  les  Pères  donnèrent  aus- 
sitôt avis  en  ces  quartiers  de  ce  qui  se  passait,  pendant 
qu'ils  cherchaient  les  moyens  de  se  sauver.  Gela  leur 
était  assez  difficile,  ne  le  pouvant  faire  sans  canots  ;  mais 
parce  qu'ils  n'en  avaient  point,  et  qu'ils  n'en  pouvaient 
faire  sans  le  secours  des  sauvages,  ils  prirent  la  réso- 
lution de  faire  de  petits  bateaux  semblables  à  ceux  de 
notre  Loire.  L'on  y  travaillait  sans  cesse  dans  le  grenier 
et  cependant  l'on  donna  avis  aux  Pères  qui  étaient 
dispersés  en  mission,  de  se  trouver  à  jour  nommé. 
Il  est  à  remarquer  que  depuis  le  matin  jusqu'au  soir, 
la  maison  des  Pères  était  continuellement  pleine  de 
monde,  à  cause  du  grand  abord  des  nations  Iroquoises. 
G*était  là  que  se  tenait  le  conseil  des  anciens;  et  le  jour 
désigné  pour  partir,  il  devait  s'y-  faire  une  assemblée 
générale  extraordinaire  des  sauvages.  Âân  de  les  sur- 
prendre (de  leur  donner  le  change)  on  s'avisa  de  leur 
faire  un  festin.  Â  cet  effet,  un  jeune  Français,  qui  avait 
été  adopté  par  un  fameux  Iroquois,  et  qui  avait  appris 
leur  langue,  dit  à  son  père  qu'il  avait  songé  qu'il  fallait 
qu'il  fit  un  festin  à  tout  manger,  et  que  s'il  en  restait 
on  seul  morceau,  infailliblement  il  mourrait.  Ah!  répond 
cet  homme,  tu  es  mon  fils,  je  ne  veux  pas  que  tu 
meures  :  fais-nous  ce  festin,  nous  noangerons  tout. 
Les  Pères  donnèrent  les  porcs  qu'ils  faisaient  nourrir 
pour  en  conserver  l'espèce  dans  le  pays,  et  afin  de 
vivre  en  partie  à  la  française.  Ils  donnèrent  encore 
tes  provisions  qu'ils  avaient  d outardes,  de  poissons 
et  autres,  et  tout  cela  joint  avec  ce  que  le  jeune  Fran- 
çais avait  pu  avoir  d'ailleurs,  fut  mis  en  de  grandes 

LBTTR.  M.    II.  9 


130 

chaadièrea  pour  préparer  le  banqaet  à  la  mode  dei 
saayages. 

Toat  étant  prêt,  ils  commencèrent  à  manger  pendant 
la  nuit;  ils  se  remplirent  de  telle  sorte  qolls  n'en 
pouvaient  pins.  lia  disaient  aa  jeone  homme  qoi  faisait 
le  festin  :  Aie  pitié  de  nous,  enYoie-nous  reposer. 
L'antre  répondait  :  Je  moorrai  donc.  A  ce  mot,  moorir, 
ils  se  creyaient  de  manger,  afin  de  Tobliger.  Il  faisait 
en  même  temps  joner  les  flûtes,  trompettes,  tamboon, 
afin  de  les  faire  danser  et  de  charmer  Tennoi  d*an  à 
long  repas.  Cependant  les  Français  se  préparaient  i 
sortir.  Ils  faisaient  descendre  les  bateaox,  et  embarquer 
tout  ce  que  Ton  avait  dessein  d'emporter,  et  tout  cela 
se  fit  si  secrètement,  qu'aucun  sauvage  ne  s'en  aperçai 
Tout  étant  disposé,  l'on  dit  au  jeune  Français  qall 
fallait  adroitement  terminer  le  festin.  Alors  il  dit  à 
son  père  :  C'en  est  fait,  j^ai  pitié  de  vous,  cessez  de 
manger,  je  ne  mourrai  pas.  Je  m'en  vais  faire  jouer 
d'un  doux  instrument  pour  vous  faire  dormir,  mais 
ne  vous  leve^  que  demain  bien  tard;  dormez  jusqu'à 
ce  qu'on  vienne  vous  éveiller  pour  faire  les  prières. 
A  ces  paroles  on  joua  d'une  guitare,  et  aussitôt  les 
voilà  endormis  du  plus  profond  sommeil.  Alors  les 
Français  qui  étaient  présents  se  séparèrent,  et  vinrent 
s'embarquer  avec  les  autres  qui  les  attendaient.  Rema^ 
quez,  s'il  vous  plaît,  que  jamais  ce  grand  lac  ou  fleuve 
n'avait  porté  de  bateau,  à  cause  des  sauts  et  rapides 
d'eau  qui  s'y  rencontrent,  et  même  pour  le  traverser, 
il  fallait  porter  les  canots  et  le  bagage  avec  beaucoup 
de  peine.  Il  survint  encore  un  nouvel  accident,  savoir 
que  le  lac  commençait  à  geler.  Cependant  les  bateaux 
de  nos  fugitifs  voguaient  avec  une  vitesse  nonpareille 
parmi  tous  ces  périls  et  entre  les  bancs  de  glace  qu'iLs 


DE  LA  MËRË  MARIE  DE  L*INCARNATION.  131 

avaient  des  deux  côtés.  Ils  se  suivaient  tous  en  queue, 
parce  que  la  rivière  étant  prise,  il  fallait  suivre  le 
premier  qui  ouvrait  le  chemin.  Enfin,  par  un  secours 
de  Dieu  que  l'on  estime  miraculeux,  ils  se  sont  rendus 
en  dix  jours  de  temps  à  Montréal,  ce  qui  est  une 
très-grande  diligence,  sans  qu'il  leur  soit  arrivé  aucun 
accident,  soit  de  la  part  des  Iroquois,  soit  du  côté  des 
glaces  et  des  autres  dangers  de  la  navigation. 

Les  barbares  étant  éveillés,  et  voyant  que  le  jour 
se  passait  contre  l'ordinaire  sans  entendre  parler  de  là 
prière,  ni  faire  (ni  qu'il  se  fit)  aucun  bruit  dans  la  maison 
des  Pères,  furent  bien  surpris.  Ils  le  furent  encore 
davantage  lorsqu'étant  entrés  dans  la  maison,  ils  ne 
trouvèrent  ni  personnes,  ni  meubles,  ni  bagages.  Ils 
virent  alors  que  les  Français  s'étaient  retirés,  ce  qui  les 
étonna  fort,  car  ils  avaient  si  bien  caché  leur  conspira- 
tion, qu'ils  ne  croyaient  pas  que  personne  du  monde 
en  eût  la  connaissance.  Mais  la  manière  de  leur  retraite 
les  étonna  plus  que  tout  le  reste;  car  sachant  que  les 
Français  n'avaient  point  de  canots  et  d'ailleurs  le  fleuve 
86  trouvant  glacé,  ils  ne  savaient  que  penser.  Il  survint 
encore  un  accident  qui  porta  leur  étonnement  à  l'extré- 
mité; car  il  neigea  toute  la  nuit,  et  ne  voyant  point 
de  vestiges  d'hommes  sur  la  neige,  ils  ne  purent  s'ima- 
giner autre  chose,  sinon  que  les  Pères  et  les  Français 
s'étaient  envolés.^ 

Les  sauvages  voyant  leur  conjuration  découverte, 

(1)  Quand  on  lit  en  détail  \t  récit  de  cette  évasion,  de  quelques  Jésuites  et  des 
diiquante-trois  Français  qui  étaient  avec  eux,  on  est  porté  à  la  regarder  conune 
une  miniature  des  plus  mémorables  retraites  militaires  dont  l'histoire  fasse  men- 
tion. En  effet,  jamais  aucune  de  celles  qui  ont  réussi  n'a  offert  plus,  et  peut-être 
autant  de  difficultés.  La  mort  de  tous  les  Français  était  certaine  s'ils  ne  parve- 
naient à  s'échapper  ;  <*  mais,  écrivait  l'un  des  Pères,  comment  partir  sans  être 


»f  «p  •oiitant  'î«*n  .  ae  ea  rrrincaia  iraiwit  à  main  forte 
..^nr  ■'iWTP'  'a  eaerrp.  rnvoverent  aa  niaa  tôt  des  présents 
inx  nations  ^-nisines  .ai  ear  étaient  alliées,  aân  d'en 
ùr^T  'in  "^econr?  :\n  remua  «'.e  :a  nécessité.  Les  Françm 
îp  l^nr  :Mi^  -raient  zi  :ans  .a  :rainxe  ^lua  les  cinq 
nations  .roonoisi»  ze  sunissaxc  ^naonfale  pour  voir 
nons  rav9i£rer:  -^c  iTanc  Tiftme  me  !es  Pères  rnasent 
.^rriv^s  :]9  rusaient  ^arae  xsnmmeiie.  <ie  crainte  de 
^nrnrise.  .^orront  .iyant  aopns  iiue  trois  Français  avaient 
sffi  -n»*s  nrnrne  :»*  jJontreai  :ar  ^»a  Iroonoia  Onneîoa- 
iïteronon?  "«Mià  :onc  a  jnwre  léciarèe  de  part  et 
d*^nrrp  ''bacnn  -hjbt:  lana  .a  «:raini&.  ^iiacan  néanmoins 


'«i^'iT^*    :-ji  :•*    '"^^«du-^-  :  Lar;?s  .*  ::atre  sausozi.  .Jin  ^'èoiar  sas  iaaardui f 

:^rr»  ^••r*  r?i»-r*«t'^:'»    ai^rai»-oTr   «9>A3TT£a.    r  :cmnieni  i«L  il  ,>caia.  f  Pjg 
■.-l'nT*  '^^  '^jtr:»'"?-»    :»"t.«  i^'-'c*   aie  -a    -u":*ca-  âi  *  ^en»  ??*«. 

r  :7.*  v*n^3i'#  jf  JTr'**'*^ti^  ytsK^iaJ9.  'Zm  zm    itshbs  :m  :acT  pis  fi 

.'^"•;'^i2*  •*  yrrry  f-»;^?"^  vi  r^««  11  irvLi  irar.  &  nmimn-Mi.  icaf  JcMotC 

f4rr?«  t'j^  :i*fnfiTf»  #<  jf^ym-pt^mm  ni  1»  wb  â«  maboai,  lû  Ih  îBsroNrii 

•  Of  ^/  7^<  ^M4il1  I  II  î)^r*mvoÎ9  jcru  m»  jeu  avec  unt  d'admse  que  cftaev 
T'-ï^iH  *«/*f^/?M*  I  li  )■»?•  {««^JiqM.  Cr«UJt  à  qui  jetterait  dei  cm  {i2asp«fu<K 
^99f  im  MffttM>f  I  c»  f«t«  jv«.  DO  diitribna  dei  prteeaU  à  eenz  qui  fainiaf  i» 
^Ivi  4*  fiHfll.  ilfS  ^  0Mtrir  nivi  qv  vue  quarantaine  de  noa  gcu  /umM 
•V  44»'t«  4ibfl  b  ltMl«figH  d«  toal  notre  équipage.  Tout  lembaïqaeiDMt «iK 
•«l»»ta  M  U  f«ffltt  f)tt).  1<»i  wntiAa  e»  re Umit  et  sont  bicntM  pris  par  Je  Mwaf. 
Al'fH  ^l'tfli  f9HflM9l  fitf  «nP  iwM*  de  derrière  et  nous  now  embsrqitoei  «1 
Ait*  ^i\»n  i  1^*tt  •ivvtffvt,  qui  faiment  lee  tins..-. 

■  La  l*9iMf  I^Miniée  «ttlt  la  pluadaB«ereuae;car«ïeilioijaoiiMn«« 


DE  LA  MERE  MARIE  DE  L*1N CARNATION.  133 

attaque  et  se  défend.  L'on  a  pris  plusieurs  de  ces  bar- 
bares, et  plusieurs  ont  été  tués.  Eux  de  leur  part  ont 
tué  une  femme  algonquine  et  en  ont  pris  deux  autres 
avec  leurs  enfants.  L'une  des  deux  fut  si  courageuse 
qu'elle  perça  le  ventre  de  son  Iroquois  de  son  couteau. 
Ses  compagnons  en  furent  si  effrayés  qu'ils  laissèrent 
armes,  bagages,  les  femmes  et  les  enfants  qu'ils  tenaient, 
et  s'enfuirent.  Ces  captives  étant  ainsi  délivrées,  appor- 
tôrent  leur  butin  aux  pieds  de  M.  le  Gouverneur,  qui 
tient  en  ses  prisons  vingt  et  un  des  plus  fameux  de 
toutes  les  nations  iroquoises,  qui  sont  bien  étonnés 
de  se  voir  si  à  l'étroit,  quoiqu'on  ait  soin  de  les  bien 
traiter.  Ils  ont  prié  M.  le  Gouverneur  d'envoyer  un 
d'entre  eux  en  leur  pays  pour  renouer  la  paix  et  y  faire 

rent  de  Dotre  fuite,  ils  nous  eussent  coupé  le  chemin,  la  rivière  étant  très- 
étroite  et  se  terminant,  après  dix  lieues  de  chemin,  par  nn  précipice  affreux, 
où  nous  fûmes  obligés  de  mettre  pied  à  terre  et  de  porter,  l'espace  de  quatre 
heures,  notre  bagage  et  nos  canots  par  des  chemins  perdus  et  couverts  d'une 
forêt  épaisse. 

»  Dix  jours  après  notre  départ,  nous  trouv&mes  le  lac  Ontario  encore  gelé  en 
son  entrée  ;  il  fallut  prendre  la  hache  pour  fendre  la  glace  et  se  faire  un  passage  ; 
nais  ce  fut  pour  entrer  deux  jours  après  dans  une  chute  d'eau,  où  notre  petite 
flotte  fut  sur  le  point  d'être  engloutie.  Nous  nous  trouv&mes  au  milieu  de  brisans 
qui  élevaient  des  montagnes  d'eau  et  nous  jetaient  dans  autant  de  précipices.  Nos 
hateanx  se  trouvèrent  bientôt  chargés  d'eau,  et  tous  nos  gens  dans  une  telle 
confusion,  que  leurs  cris  mêlés  au  bruit  du  torrent  nous  faisaient  regarder  le 
Banfrage  comme  inévitable. 

•  La  frayeur  redoubla  &  la  vue  d'un  de  nos  canots  englouti  dans  un  brisant  qui 
barrait  le  passage  où  était  néanmoins  la  seule  route  que  les  autres  devaient  suivre. 
Trois  hommes  furent  noyés,  un  quatrième  échappa  &  peine.  Ceux  qui  furent  noyés 
ânisnt  communié  le  matin. 

•  Le  3  d'avril  nous  abordâmes  &  Montréal,  d'où  les  glaces  n'étaient  parties  que 
}•  jour  même.  Le  17  nous  étions  aux  Trois-Rivières  et  le  23  &  Québec.  Partout 
^  DOQS  regardait  comme  des  gens  venus  de  l'autre  monde.  » 

Ls  véoérable  Mère  s'est  trompée  en  disant  que  les  fugitifs  arrivèrent  en  dix 
^^  à  Montréal  ;  ils  en  mirent  quatone  ;  elle  parait  avoir  ignoré  l'accident  où 
«     tftfii  ito°UBA>  furent  noyés. 


134  LETTRES 

retonmer  les  Pères.  Cela  leur  a  été  accordé,  et  l'on  eo 
espère  un  bon  succès. 

Le  chef  de  ces  prisonniers  faisait  ses  plaintes  il  y  a 
peu  de  jours  au  révérend  Père  Chaumonnot,  lui  disant 
qu*il  n'avait  point  d'esprit  de  les  avoir  quittés,  et  qae 
c'était  lui  qui  était  la  cause  de  tout  le  mal  ;  qu'on  le 
regardait  comme  le  premier  homme  du  monde,  et  qu'en 
cette  qualité  on  le  faisait  présider  dans  tous  les  Conseils; 
qu'on  les  blâmait,  mais  que  c'était  à  lui  qu'on  devait 
attribuer  tout  le  blâme  ;  que  pour  l'acte  d'hostilité  qui 
s'était  exercé,  il  n'était  pas  venu  de  lui  ni  des  anciens, 
mais  de  quelques  jeunes  brouillons  qui  n'avaient  point 
d'esprit;  puis  il  ajouta,  parlant  de  M.  le  Gouverneur: 
Ononthio  nous  méprise,  nous  sommes  maintenant  ses 
chiens  d'attache;  encore  s'il   nous  faisait  ses  chiens 
domestiques,  en  sorte  que  nous  pussions  aller  par  l& 
maison,  cela  serait  supportable.  Mais  quelques  plaintes 
que  fasse  ce  sauvage,  il  est  nécessaire  de  les  teo^^ 
à  l'attache,  car  ils  prendraient  bientôt  la  clef  des  chaïU-P^ 
si  on  les  faisait  chiens  domestiques,  ainsi  qu'ils  diseX^*' 
L'on  a  dressé  des  articles  de  paix  dont  les  ambassadei^  ^ 
sont  les  porteurs.  Le  plus  essentiel  de  tous  est  qu*^^ 
ne  leur  accordera  point  le  retour  des  Pères  qu'ils  t^^ 
donnent  des  otages,  savoir  des  filles  pour  être  gardé^^ 
dans  notre  séminaire  ;  car  pour  des  hommes  ou  d^^ 
garçons,  il  n'y  a  nulle  assurance. 

Vous  apprîtes  l'an  passé  ce  qui  était  arrivé  aux  pau- 
vres Hurons  que  le  révérend  Père  Ragueneau  menait 
à  Onontagé  sous  la  bonne  foi  des  Iroquois,  et  de  quelle 
manière  ils  furent  massacrés.  En  cette  troupe  il  y  avait 
de  bonnes  Huronnes  qui  avaient  été  nos  séminaristes 
et  qui  étaient  encore  très- excellentes  chrétiennes.  Il  y 
avait  surtout  une  jeune  veuve  qu'on  menait  exprès  pour 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  L'INCARNATION .  135 

donner  bon  exemple  aux  femmes  Iroquoises.  Elle  fat 

prise  captive  par  un  barbare  qui  lui  voulut  ravir  son 

honneur  à  une  descente  qu'on  fit  à  terre.  Cette  femme, 

quoique  faible  et  délicate,  se  dégagea  de  ses  mains 

et  prit  sa  course  dans  le  bois,  en  sorte  que  ne  la  pouvant 

suivre,  il  fut  contraint  de  Tabandonner.  Il  se  rembarqua 

avec  sa  compagnie,  et  elle  cependant  demeura  perdue 

dans  cette  immense  forêt  oii  jamais  homme  n*a  habité, 

mais  seulement  toutes  sortes  de  bêtes  sauvages.  Elle  fut 

bien  trente  jours  sans  manger  autre  chose  que  des 

racines  d'herbes  sauvages.   Enfin  se  voyant  à  deux 

doigts  de  la  mort,  elle  se  traîna  le  mieux  qu'elle  put 

snr  nne  roche  au  bord  de  Teau,  s'abandonnant  à  la 

Providence  de  Dieu.  Comme  c*est  une  personne  d'oraison 

^  de  vertu,  elle  s'entretenait  sur  la  roche  avec  Dieu 

OQ  attendant  la  disposition  de  sa  volonté.  Mais  ce  divin 

Père  des  abandonnés,  qui  ne  la  voulait  pas  perdre, 

permit  que  de  quelques  canots  que  le  révérend  Père 

^dperron  conduisait  aux  Iroquois,  on  aperçut  quelque 

<^ho8e  remuer  sur  la  roche.  Il  y  voulut  aller,  mais  il  fut 

pi>évraa  par  un  Iroquois  qui  la  mit  dans  son  canot, 

disant  qa  elle  était  sa  captive.  Elle  ne  fut  pas  néanmoins 

^ngtemps  en  son  pouvoir,  parce  que  le  révérend  Père 

^racheta;  et  après  l'avoir  fortifiée  il  lui  donna  la  liberté. 

Quand  elle  fut  arrêtée,  ses  sœurs  et  sa  nièce  furent 

iQassacrées,  et  comme  c'étaient  d'excellentes  chrétiennes, 

J6  crois  qu'elles  sont  bien  avant  dans  le  ciel.  Elle  seule 

fiit  ramenée  des  Iroquois,  où  les  révérends  Pères  ont 

iainé  eoTiron  cinq  cents  chrétiens,  sans  pouvoir  faire 

autrement,  et  c'est  le  sujet  de  leur  douleur,  car  ces  bons 

oéc^bjtes  sont  dans  un  danger  imminent  de  perdre  ou  la 

Fdoa  la  vie.  Cela  fait  qu'ils  soupirent  après  leur  retour 

afin  de  les  aider  et  de  risquer  leurs  vies  avec  celles  de 


136  LBTTIUIS 

leurs  enfanta  en  Jsbus-Christ.  Ils  ne  les  aarueot  januù 
abandonnés,  si  la  nécessité  ne  les  eût  obligés  de  venir 
mettre  en  assurance  les  Français  de  nos  habitatioDS. 
Car  ces  barbares  avaient  résolu,  après  avoir  défait  ceux 
qui  étaient  en  leur  pays,  de  venir  sous  ombre  d'amitié 
fondre  dans  toutes  les  habitations,  et  par  trahison 
y  mettre  tout  à  feu,  après  avoir  tout  pillé.  Vons  vojrei, 
mon  très-cher  fils,  de  quel  accident  Notre- Seignear 
nous  a  délivrées,  et  comme  il  ne  fait  guère  bon  se  fier 
à  des  barbares  lorsque  les  démons  leur  possèdent  le 
cœur;  car  il  est  sans  doute  que  cette  conjuration  est 
un  ouvrage  de  ces  princes  des  ténèbres,  qui,  envieux 
du  grand  progrès  i)ui  s'était  fait  en  si  peu  de  temps, 
veulent  étouffer  cette  nouvelle  Eglise  dans  son  bercean. 
Les  Iroquois  Àgnerognons  n'ont  fait  aucun  acte 
d'hostilité  depuis  quatre  ans  au  regard  des  Français. 
Les  Hollandais  même  de  la  Nouvelle-Hollande,  dont  ils 
sont  voisins,  demandent  des  Pères  pour  les  assister, 
parce  qu'en  certains  cantons  le  nombre  des  catholiques 
est  plus  grand  que  celui  des  hérétiques.  De  plus  il  y  s 
une  colonie  d'Anglais  catholiques  dans  une  terre  non- 
vellement  découverte,  qui  étant  fugitifs  de  leur  paji 
pour  la  Foi,  sont  venus  s'y  établir.  Il  n'y  a  de  la  nou- 
velle-Hollande chez  eux  que  pour  deux  fois  vingt-quatre 
heures  de  trajet.  En  général  les  Hollandais  ont  très-bien 
reçu  le  révérend  Père  Le  Moine,  quoiqu'il  fût  dans  soi 
habit  de  Jésuite,  ce  qui  facilitera  beaucoup  la  commo- 
nication  aux  Agnerognons,  parce  qae  lé  commères  eft 
grand  entre  les  Français  et  les  Hollandais  ;  et  actoslie- 
ment  voilà  à  notre  port  uneWqoedo  ce  pays-H?iu 
c'y  en  retourne.  Pour  notre  colonie  française,  cUb 
multiplie  de  telle  sorta  qwe  \e  çays  tfe&t  plus  recon-  t^ 
naisaable  iifl»-6i**°'^"'iMiag>!>àtMiVa.ïi^6tt&te\\Bmi»t       ' 


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DE  LA  MËRE  MARIE  DE  L*INGARNATION.  137 

bëoi  les  labours,  que  la  terre  donne  des  blés  très-bons 
et  en  assez  grande  quantité  pour  nourrir  ses  habitants. 
L*air  y  est  plas  chaud,  à  présent  que  la  terre  est  plus 
découverte  et  moins  ombragée  de  ces  grandes  forêts 
qui  la  rendaient  si  froide.  L'hiver  néanmoins  y  a  été 
long  cette  année,  et  comme  les  semences  ont  été  tar- 
dives, il  y  a  encore  à  présent  des  blés  à  couper.  Voilà, 
mon  très-cher  fils,  en  abrégé,  ce  que  vous  verrez  plus 
au  long  dans  la  Relation,  si  vous  vous  voulez  donner 
la  peine  de  la  lire.  Continuez,  je  vous  prie,  de  me 
recommander  à  Notre-Seigneur  ;  et  surtout  n'oubliez 
pas  nos  pauvres  chrétiens  qui  sont  aux  Iroquois,  non 
plus  que  le  dessein  que  les  révérends  Pères  ont  pris 
de  les  aller  secourir  au  péril  de  leur  vie.  Je  n'ai  pas 
le  temps  de  relire  ma  lettre,  excusez  mes  fautes  et 
Fempressement. 

De  Québec,  le  4  d'octobre  1658. 


LETTRE   CXLI. 


AU     MEME. 


Èanfé»  d'un  éréque  à  Qaébec.  —  AccroissemeDt  notable  de  la  coloDie  de  Mont- 
fitl.  —  Lea  Iroqvota  eontiouent  leurs  hostilités.  —  La  mort  da  révérend 
.  ?lw  dt  Qnaa,  jteuite. 


Mon  très-cher  et  bien  aimé  fils, 

^'      -^- •-•--«=«^^  jQH^  grande  privation  de  voir  un  navire 

e  point  recevoir  de  lettres  de  votre  part. 


J'ai  poïirar.r    rfr:     /loir.":   ^erauajée   ;{ae  vous  m'aviez 
.If^rit;  mai:.  ,'  -î    -n.  -z    ^  le  21e  suia  paa  trompée,  que 
vos  lettres  "jr.ii  rfi"    :aL.i    e  premier  vaisseau,  qui  nous 
apportait  :a  no\v*v.'>.  ne  lOTia  aurions  on  évêque  cette 
annfle,  mais  n::  -11  ;.an  ;':e  ^or.aremps  après  les  autres. 
Ce   r^^tarlemer.r,    1  :ai:    r:e   nous    avons    plutôt  reçu 
févêque  «lae  '.a  i'  aT-ri'.e  l'ii  nous  le  promettait.  Mais 
ça  été  une  nL-r4ar,ie  =urpriae  en  toutes  manières.  Car 
outre  le  bonheur    lui  revient  à  tout  ie  pays  davoir 
un  supérieur  îcoi'i^iasrique,  oe  lui  est  une  consolatioD 
davoir  un  homme  a«.ar  Irr:?  qualités  personnelles  sont 
rares  et  extraor  iin-iires.  Sans  parler  de  sa  naissance 
oui  est  fort  iîlustr?,  car  il  es:  de  la  maison  de  Laval, 
c'est  un  homme  d'un  haut  mérite  et  d'une  vertu  singu- 
lière. J  ai  bien  compris  ce  que  vous  m'avez  voulu  dire 
de  son  élection;  mais  que  l'on  dise  ce  que  l'on  voudra, 
ce  ne  sont  pas  le?  hommes  qui  l'ont  choisi.  Je  ne  dis 
;.as  que  c'est  un  saint,  ce  serait  trop  dire  :  mais  je  dirai 
avec  vérité  <|u  il  vit  saintement  et  en  apôtre.  Il  ne  sait 
c'r  que  c'est  que  respect  humain.  Il  est  pour  dire  la 
"T  iriv:  à  tout  le  monde,  et  il  la  dit  librement  dans  les 
:-:.  :  .:.'ros.  Il  fallait  ici  un  homme  de  cette  force  pour 
::'.r:?r  la  médisance,  qui  prenait  un  grand  cours,  et 
.  .    ;  :"i::  de  profondes  racines.  En  un  mot,  sa  vie  est 
-.T^nr'àire  qu'il  tient  tout  le  pays  en  admiration. 
-::-'  iL-.ime  ami  de  M.  de  Dernières,  avec  qui  il  a 
iiviiit  :?r  quatre  ans  par  dévotion;  aussi  ne  se  faut-il  pas 
-j..»:,i!Trr  •:.  avant  fréquenté  cette  école,  il  est  parvenu 
'..I  tî:  ■•in-r  de^ré  doraison  où  nous  le  vovons. 

I  iii-r^a  de  M.  de  Dernières  l'a  voulu  suivre.  Cest 
i..i  .rtîiaii  z^^aâlhomme  qui  ravit  tout  le  monde  par  sa 
iiMfU^jsntt.  E  veut  se  donner  tout  à  Dieu,  à  l'imitation 
•it  tfin  oncle,  et  se  consacrer  au  servi^^?  de  cette  oou- 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION.  139 

Telle  Eglise  ;  et  afin  d'y  réussir  avec  plus  d'avantage, 
il  se  dispose  à  recevoir  Tordre  de  prêtrise  des  mains 
de  notre  nouveau  prélat.  Je  vous  ai  dit  que  l'on  n'atten- 
dait pas  d'évêque  cette  année.  Aussi  n'a-t-il  rien  trouvé 
de  prêt  pour  le  recevoir  quand  il  est  arrivé.  Nous  lui 
avons  prêté  notre  séminaire,  qui  est  à  un  des  coins 
de  notre  clôture  et  tout  proche  la  paroisse.  II  y  aura 
la  commodité  et  l'agrément  d'un  beau  jardin;  et  afin 
que  lui  et  nous  soyons  logés  selon  les  Canons,  il  a  fait 
faire  une  clôture  de  séparation.  Nous  en  serons  incom- 
modées, parce  qu'il  nous  faut  loger  nos  séminaristes 
dans  nos  appartements;  mais  le  sujet  le  mérite  et  nous 
porterons  cette  incommodité  avec  plaisir,  jusqu'à  ce 
que  sa  maison  épiscopale  soit  bâtie. 

Dès  qu'il  fut  sacré  évêque  à  Paris,  il  demanda  au 
révérend  Père  général  des  Jésuites  le  Père  Lallemant, 
qui  depuis  trois  mois  était  recteur  de  la  Flèche,  afin  de 
l'accompagner.  C'est  un  bien  pour  tout  le  pays,  et  pour 
nous  en  particulier  ;  pour  moi  encore  plus  que  pour  tout 
autre.  Car  je  vous  dirai  en  confiance  que  je  souffrais 
dans  la  privation  d'une  personne  à  laquelle  je  puisse 
communiquer  de  mon  intérieur.  Toute  Tannée  j'ai  eu  un 
mouvement  intérieur  que  Notre-Seigneur  m'enverrait 
da  secours.  Il  l'a  fait  lorsqu'il  était  temps;  que  son  saint 
nom  en  soit  éternellement  béni! 

Vous  savez  ce  qui  s'est  passé  les  années  dernières  au 
sujet  de  M.  l'abbé  de  Quellus.  Il  est  à  présent  directeur 
d*im  séminaire  de  prêtres  de  Saint-Sulpice  de  Paris, 
qae  M.  de  Bretonviliers  a  entrepris  de  bâtir  à  Mont- 
réal, avec  une  très-belle  église.  Cet  abbé,  dis-je,  est 
descendu  de  Montréal  pour  saluer  notre  prélat,  il  était 
établi  grand-vicaire  en  ce  lieu-là  par  Mgr  l'archevêque 
de  Rooen,  mais  aujourd'hui  tout  cela  n'a  plus  de  lieu. 


I 


■  M*  . 


-r  «on    -îKo:"?!^    '^«Ff»      .iâ  "rofgng  aêazuzioins   de  la 

:e  ia  F7ècne.  .  .  n.  ~  '*^.  laire  rem  a'izzL  coup  i  etabiiBmneBt 
11?  rrenr^^  '  \imilâ9.  .xi  -lersier  "TTiwmn  avam  ammë  i 
.'et  ^rS&t  m  jrana  ^.ùmDre  :d  diles.  Oa  noua  {iraflH 
lassi  'le  Ivjhs  "  'Casiir.  =:ais  mma  ne  âornines  pas  en 

cat  de  :e  'aire.  IJJzr  lorre  Preiac  auzai  i.'Î2iapection  sur 
~oat  oeia.  .aoiaTzii  2e  ^on  :ci  joesona  le  dire  d'éréqne 
le  P^4îr<»e.  -e  non  ras  :e  '^oeôec  oa  de  Canada.  Ce  titre 
i  oien  aie  arier  m  ..^noe:  maia  oeia  s'eac  riait  de  la 
sorte  .la  ^aiet  ina  -luEercM  ai  rss  emra  la  conr  d0 
Rome  »rt  i*eae  îie  Jrance.  le  roi  veoi  que  Uévèque  de 
Tanada  »:èneiiûe  le  /ii  et  lu  rareté  sennâzu  de  fidâité 
nine  es  atres  .e  Jrance:  eï  le  Saim-Père  prétaid 
avoir  meiiiue  iiroir  ;  arncmier  -iana  les  aationa  étran- 
gères: .;esï  pour  :eia  .uii  zoos  a  eavoyé  on  évêque 
non  oomme  rYêuce  -la  ::avs.  jiaia  :omnie  commiamrB 
apostolinae.  sous  iâ  titre  -rsranser  i'évèqae  de  Pétrée. 

Vons  ères  ec  .ôine  ::ea  .-u&ires'ie  ce  pava.  ElUes  sont 
comme  eiies   ^caiem;    ivani   me  les  Iroqaois   eussent 
fait  la  paix,    'ar    Ls  .•-rît  -ompae  .  et  ont  déjà  pris 
ou  iué  aeui'  Français    ia-ia   one  rencontre  où  on  ne 
les  attendait  pas.  ^  où  aiéme  on  ae  croyait  pas  qaTJi 
eussent  de  maurai'   iesseins  -jontra  les  Français.  Il» 
ont  déjà  fait  brûler  :oat  vif  an  de  leurs  priaonnien; 
ce  sera  merveille  si  les  antres  ont  meiUeur  traite- 
ment. L'on  a  aussi  depuis  tué  onze  de  leurs  gem 
et  l'on  se  donne  de  garde  des  autres  :  car  ton  a  app» 
d'an  Himm  captif  qui  les  a  .imtkéa,  <\«^^  ^  ^tsi 
noe  piteurts  année  pour  vetx^t  ^^è^«*  ^"^'^g  .,ï, 
oliréilMt,  «i  ownaie  je  crois,  a.u\axA  Ae  ^^^^^ ^ 
pOttffWii  00  Haron  s'est  saov^  à^ceite  ^^*     ^  ^^ 
(l'InittUftlt  «ù  M  «ait»  voyant      uu  canot  a 


DR  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  141 

allait  harponner  de  Tanguille,  le  laissa  passer  pour  se 
jeter  dessus  quand  ils  ne  seraient  plus  unis  et  en  état 
de  se  défendre.  Qe  captif^  touché  de  tendresse  pour  ceux 
de  sa  nation,  se  déroba  de  ses  maîtres,  qui  étaient 
descendus  à  terre,  et  retourna  sur  ses  pas  donner  avis 
à  ses  compatriotes  du  dessein  des  Iroquois,  et  du  danger 
où  ils  étaient.  Ils  s'embarquèrent  au  plus  tôt  et  lui  avec 
eux,  et  tous  ensemble  vinrent  en  diligence  à  Québec, 
où  ils  donnèrent  avis  des  entreprises  des  Iroquois  : 
sans  cela  il  y  eût  eu  bien  des  têtes  cassées  :  car  outre 
les  Hurons  qui  n'eussent  pu  éviter  leur  rage,  ils  se 
seraient  glissés  parmi  les  moissonneurs  qui,  sous  la 
bonne  foi  de  la  paix,  travaillaient  sans  crainte  et  sans 
défiance.  En  effet,  cela  est  arrivé  aux  Trois-Rivières, 
où  ils  ont  pris  les  neuf  Français  dont  je  viens  de  parler. 
A  l'heure  où  j'écris  ceci,  M.  notre  Gouverneur  ost  en 
campagne  pour  leur  donner  la  chasse  ou  pour  en  pren- 
dre quelques-uns.  Ce  qui  Fa  fait  sortir  est  que  les  Iroquois 
qu'il  tenait  prisonnniers  entre  deux  bons  murs  fermés 
de  portes  de  fer,  ayant  appris  que  leur  nation  avait 
rompu  la  paix,  et  croyant  qu'on  ne  manquerait  pas 
de  les  brûler  tous  vifs,  ont  forcé  cette  nuit  leur  forte- 
resse, et  ont  sauté  les  murailles  du  fort.  La  sentinelle 
tes  voyant  a  fait  le  signe  pour  avertir,  et  aussitôt  l'on 
s  couru  après.  Je  ne  sais  pas  encore  si  on  les  a  pris, 
car  ces  gens-là  courent  comme  des  cerfs. 

Vous  m'étonnez  de  me  dire  que  nos  Mères  nous  vou- 
laient rappeler.  Dieu  nous  préserve  de  cet  accident  !  Si 
jioas  n'avons  pas  quitté  après  notre  incendie  et  pour 
^iites  nos  autres  pertes,  nous  ne  quitterons  pas  pour 
Iroquois,  à  moins  que  tout  le  pays  ne  quitte  ou 
^  If n  supérieur  ne  nous  y  oblige,  car  nous  sommes 
^%100  d'obéissance,  et  il  la  faut  préférer  à  tout.  Je  suis 


142  LETTRES 

néanmoins  trompée  si  jamais  cela  arrive.  Uon  dit  bien 
qu'une  armée  des  ennemis  se  prépare  pour  venir  ici: 
mais  à  présent  que  leur  dessein  est  éventé,  cela  ne  leur 
sera  pas  facile.  Si  néanmoins  Notre-Seignear  les  lais- 
sait faire,  ils  nous  eussent  perdus  il  y  a  longtemps, 
mais  sa  bonté  renverse  leurs  desseins,  nous  en  donnant 
avis,  afin  que  nous  nous  en  donnions  de  garde.  Si  l68 
affaires  étaient  en  hasard  (danger),  je  serais  la  première 
à  vous  en  donner  avis,  afin  de  vous  faire  pourvoir  à 
nos  sûretés,  puisque  nos  Mères  vous  en  confient  lear 
sentiment.  Mais  grâces  à  Dieu,  nous  ne  voyons  et  ne 
croyons  pas  que  cela  arrive.  Si  pourtant  il  arrivait 
contre  nos  sentiments,  ne  serions-nous  pas  heureuses 
de  finir  nos  vies  au  service  de  notre  Maître  et  de  les 
rendre  à  Celui  qui  nous  les  a  données?  Voilà  mes  sen- 
timents que  vous  ferez  savoir  à  nos  Mores,  si  vous 
le  ju^^iz  à  propos. 

Mon  sentiment  particulier  est  que  si  nous  soufi'rons 
on  Canada  pour  nos  personnes,  ce  sera  plutôt  par  la 
pauvreté  que  par  le  glaive  des  Iroquois.  Et  pour  le 
pays  en  général,  sa  perte,  à  mon  avis,  ne  viendra  pas 
tant  du  côté  do  ces  barbares  que  de  certaines  personnes 
(jui,  par  envie  ou  autrement,  écrivent  à  Messieurs  de 
la  compagnie  (des  cent  associés)  quantité  de  choses 
fausses  contre  les  plus  saints  et  les  plus  vertueux,  et 
qui  déchirent  même  par  leurs  calomnies  ceux  qoi  j 
maintiennent  la  justice,  et  qui  le  font  subsister  par 
leur  prudence.  Comme  ces  mauvais  coups  se  font  ea 
cachette,  on  ne  les  peut  parer;  et  comme  la  nature  cor- 
rompue se  porte  plutôt  à  croire  le'  mal  que  le  biao, 
on  les  croit  facilement.  De  là  vient  o^e  Vonqu'oa  y 
pense  le  moins,  on  reçoit  ici  des  o^^t^  ^^  ^^  ^^ 
t?ô»-l!^9te»    Eu  tout  cela  Dieu  Oic^^Nxfe^Çf^^^^^^^ 


DE. LA  MÈRE  MARIE  DE  L INCARNATION.  143 

offensé,  et  il  nous  ferait  une  grande  grâce  s*il  purgeait 
le  pays  de  ces  esprits  pointilleux  et  de  contradiction. 

Le  dernier  vaisseau  s'est  trouvé  infecté  de  fièvres 
pourprées  et  pestilentielles.  Il  portait  deux  cents  per- 
sonnes, qui  ont  presque  toutes  été  malades.  Il  en  est  mort 
huit  sur  mer,  et  d'autres  à  terre,  presque  tout  le  pays 
a  été  infecté,  et  l'hôpital  rempli  de  malades.  Mgr  notre 
Prélat  y  est  continuellement  pour  servir  les  malades 
et  faire  leurs  lits.  On  fait  ce  que  l'on  peut  pour  l'en 
empêcher  et  pour  conserver  sa  personne,  mais  il  n'y 
a  point  d'éloquence  qui  le  puisse  détourner  de  ces  actes 
dTiumilité.  Le  révérend  Père  de  Quen  par  sa  grande 
charité  a  pris  ce  mal  et  en  est  mort.  C'est  une  perte 
notable  pour  la  mission  :  car  c'était  l'ancien  mission- 
naire des  Algonquins,  où  il  avait  travaillé  depuis  vingt- 
cinq  ans  avec  des  fatigues  incroyables.  Enfin  quittant 
la  charge  de  supérieur  des  missions,  il  a  perdu  la  vie 
dans  l'exercice  de  la  charité.  Deux  religieuses  hos- 
pitalières ont  été  fort  malades  de  ce  mal  ;  grâce  à  Dieu, 
notre  Communauté  n'en  a  point  été  attaquée.  Nous 
sommes  ici  dans  un  lieu  fort  sâin  et  exposé  à  de  grands 
vents  qui  nettoient  l'air.  Pour  mon  particulier  ma  santé 
est  très-bonne.  Je  ne  laisse  pas  de  soupirer  puissam- 
ment après  l'éternité,  quoique  je  sols  disposée  à  vivre 
tant  qu'il  plaira  à  Notre-Seigneur. 

De  Québec,  le  1659. 

Otite  lettre  n'a  pas  d'autre  data;  mais  comme  elle  parle  de  l'arrivée  de  Mgr  de 
liml,  et  que  ce  prélat  fit  son  entrée  &  Québec  le  12  juin  de  cette  année  1659, 
éfii  doit  Atre  «ntérienre  à  la  sjiivanto  datée  du  25  septembre. 


144  LETTRES 


LETTRE   CXLII. 

A   UNE    RELIGIEUSE    URSULINE. 

L«  bonheur  qn'il  y  a  d'être  détaché  du  monde  pour  serrir  Dieu.  ~  Que  las  amitiés 
sont  saintes  et  salutaires  quand  on  s'aime  en  Jbsub-Gbrist. 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 

Je  ne  puis  vivre  davantage  sans  vous  renouveler 
l'amoar  et  l'affection  qae  mon  cœur  a  ponr  le  vôtre, 
que  je  sais  être  tout  à  notre  divin  Sauveur.  CTest  ce 
qui  me  donne  une  grande  joie,  ma  très-chère  Mère,  et 
me  fait  rendre  mes  actions  de  grâces  aux  pieds  sacrés 
de  notre  adorable  bienfaiteur,  de  vous  avoir  tirée  des 
misères  du  monde,  où  il  est  peu  connu  et  encore  moins 
aimé.  Ne  sommes-nous  pas  trop  heureuses  d*ôtre  du 
nombre  de  ses  enfants,  et  en  un  état  oh  il  ne  tiendra 
qu'à  nous  de  devenir  des  temples  chéris  et  magnifiques, 
où  le  Saint-Esprit  prendra  ses  délices?  Je  lui  demande 
cette  grâce  pour  vous;  demandez- la-lui  fortement  pour 
moi,  je  vous  en  supplie  de  toute  mon  affection.  Je 
vous  remercie  très-humblement  de  la  sainte  union  et 
cordialité  que  vous  avez  avec  ma  nièce  :  ce  m'est  une 
consolation  très-particulière  de  savoir  qu'elle  s'appro- 
che des  âmes  qui  sont  proches  de  Dieu  et  de  son 
adorable  Fils,  notre  divin  Sauveur.  En  cette  sainte 
compagnie  les  liaisons  sont  sanctifiantes  et  remplies 
de  bons  effets.  Continuez-lui,  s'il  vous  plait,  cette  faveur. 


DE  ijl  mërb  harib  ds  l'incarnation  .  145 

et  à  moi  par  cons^qaent  qni  tous  souhaite  tout  ce 
qu'une  âme  peut  posséder  de  grâces  dans  la  sainte 
dilection  de  Jésus.  C'est  en  Lui  que  je  sois  très- 
sincèrement... 

De  Québec,  le  25  de  septembre  1659. 


LETTRE   CXLIII. 

A    SON   FILS. 

Qne  c'nC  une  eiMltenla  snion  aveo  Dieu  de  faire  sa  toIodM.  Qd'iI  ne  faut  poiot 
■baadoDner  lea  affaires  qne  Dieu  demande  de  nous,  encore  qu'il  toit  diffldla 
de  l«i  faire  sang  contracter  quelque  souillure. 


Mon  très- cher  et  bien-aimé  flis. 

Je  ne  doute  point  que  vos  forces  corporelles  ne 
diminuent,  votre  grande  retraite,  le  travail  de  llétude, 
le  soin  des  affaires,  les  austérités  de  la  règle  peuvent 
en  être  la  cause  ;  mais  nous  ne  vivons  que  pour  mourir. 
'Et  ne  vous  mettez  pas  en  peine  si  un  grand  recueille- 
ment voua  fait  passer  pour  mélancolique;  l'on  a  pres- 
que toujours  dit  cela  de  moi,  et  c'était  lorsque  mon  esprit 
'était  en  de  très-grandes  jubilations  avec  Dieu,  C'est 
fque  les  joies  qui  viennent  de  Dieu  et  celles  qui  naissent 
"des  créatures  sont  bien  différentes,  et  le  monde  ne  voit 
ôrdinairi'mrnt  que  ce  qui  est  du  monde. 

N'e'iirnfi!  pas  non  pitis  votre  vie  misérable  pour  êt.T-3 

des  Affaires  :  tes  maints  ont  souvent 

Iden  plus  épineuses.  Lorsqu'il  vous 


146  LETTRES 

Fera  atile  d'avoir  celte  présence  de  Dieu  actuelle,  fixe 
et  arrêtée,  qui  tous  semble  incompatible  aveo  tant  de 
Eoins,  il  TOUS  la  donnera.  Vous  la  possédez  en  une 
manière,  en  faisant  la  Tolonté  de  Dieu.  C'est  nne  haute 
grâce  qu'il  tous  fait  dans  Totre  faiblesse,  de  ne  rien 
omettre  de  tos  obligations.  J'en  rends  mes  très-humbles 
actions  de  grâce  à  sa  bonté.  Prenez  donc  courage  et 
consumez-vous  au  service  d'un  si  bon  Mattre.  La  modé- 
ration de  vos  passions  n'est  pas  un  moindre  présent 
de  fta  libéralité.  Cela  rend  un  homme  plus  capable 
d'affaires,  et  de  les  conduire  selon  Dieu  avec  le  pro- 
cliain.  C'est  là  une  marque  de  sa  vocation  dans  les 
«m|)lois  que  l'obéissance  vous  impose,  et  c'est  cette 
vocation  (jui  vous  fait  aimer  la  justice  et  les  autres 
vorlus  qui  se  rencontrent  dans  la  poursuite  de  vos 
sff'aircfl.  Mais,  hélas!  qui  ne  contracterait  des  impuretés 
ttn  maniant  les  affaires  de  la  terreî  qui  ne  souffrirut 
quelques  piqûres  en  touchant  si  souvent  des  épioesl 
C'est  là.  mon  très-cher  fils,  le  sujet  de  ma  douleur: 
car  quelque  présence  de  Dieu  qu'on  puisse  avoir,  l'on 
passe  par  tant  de  souillures  qu'il  est  très-difficile  de 
n'en  être  pas  taché.  Mais  c'est  une  grande  miséricorde 
de  Dieu  de  ne  les  pas  aimer,  car  ce  que  l'on  aoaSn 
d'elles  en  est  d'autant  plus  méritoire.  Je  ferai  avec  k 
triraps  une  revue  sur  les  choses  spirituelles  dont  tob 
irii)  demandez  de  l'éclaircissement;  le  départ  préià^U 
du  vaisseau  ne  me  permet  pas  de  la  faire  â  prteot 
Kxcuscz-moi  donc,  je  vous  en  prie,  poisqae  je  nir 
résolue  de  vous  donner  avec  le  temps  la  satisfait 
que  vous  désirez  de  moi. 

J'ai  appris  (juo  les  hr.  -]'■]'■■''         "'       -".  i  'i'-'^  f'"''- 
vi;lles  et  mauvaises  i  '■  ''^'^'*'^^- 

autant  ou  plus  quâ 


DE  LA  MBRE  MARIB  DB  l'IN CARNATION.  147 

^on  m'a  encore  mâDdé  qu*il  se  débite  un  livre  de 
niorale  fort  pernicieux  où  l'on  justifie  la  doctrine  des 
autears  relâchés.  Mon  Dieu!  est-il  possible  qu'il  se 
trouye  des  esprits  si  peu  discrets,  que  de  mettre  en 
iomière  des  choses  non-seulement  inutiles,  mais  encore 
préjudiciables  au  salut?  Je  prie  la  divine  bonté  d'y 
mettre  la  main  et  de  purifier  son  £glise  que  l'on  souille 
311  tant  de  manières.  Si  j'étais  digne  de  passer  par  le 
Tea  pour  expier  tous  ces  désordres,  je  m'y  exposerais 
ie  très-bon  cœur.  Pour  nous,  mon  très-cher  fils,  n'en- 
trocs  point  dans  ces  partis;  détestons  la  mauvaise 
morale  aussi  bien  que  la  fausse  spéculation,  (doctrine) 
afin  de  suivre  celle  qui  est  la  plus  conforme  à  l'esprit 
dé  Jssrs -Christ  et  de  l'Eglise  son  Epouse.^  Adieu  pour 
cette  année.  Je  ne  me  recommande  point  à  vos  prières  ; 
je  Sais  que  j  y  ai  bonne  part,  et  que  vous  et  moi  ne 
tommes  qu  un  en  Dieu. 

be  Québec,  le  11  oetdnt  1659. 


il  PiiMnn  £aés  àaam  ms  \mtgm.  !a  ▼«aérabU  lUr»  cAoïûîfBC  «»  «kc^atsMat 

P*v  <t  ;aiiifnifiTvg.  £1I«  ierai:  laiu  iori:^  cette  'iupoHii^^a  a  ^  pie»  ii  I^âra 

•  ^  <  ie  ?**€*  ;  aiais  en  peiit  d^n  iJimi  iT>'iae  r^J-pHue  *a«i  aimiatlft,  «t 

&«LMC  pae  ca  zra^  ^aafsr  ie  le  r^mtr  leoiit».  .^  »9ce,  9Uk  oiéme 
|sftc«  lie  Xcc2^S«i{acar  ai  rr^z  ar»r.igae  «c  ^i ..  .il  ïccarda  ^iu^>i  » 


LETTRE  CXLIV. 


AU    MEME. 


Ommid  J«b  IroqnolB  sur  QnAbcc.  —  Défuie  dm  Françtii,  d«a  Algooqriiia 
•t  dei  HoroDi  par  eea  twrbam. 


Mon  très-cher  fils. 

Gomme  voilà  un  navire  qui  va  partir  eu  grande 
diligence  pour  porter  en  France  la  nouvelle  des  acci- 
dents qui  nous  sont  arrivés  cette  année  de  la  part  des 
Iroqaois,  et  pour  aller  quérir  des  Tarines,  de  crainte 
que  cette  ennemi  ne  ravage  nos  moissons,  Je  n'ai  psa 
voulu  manquer  de  tous  faire  un  abrégé  de  ce  qui 
s'est  passé,  afin  que  tous  nous  aidiez  à  rendre  grâces 
à  Dieu  de  sa  protection  sur  noua,  et  à  lai  demander 
son  assistance  pour  l'avenir. 

Pour  commencer,  vous  saurez  que  les  Algonquins, 
qui  sont  très- généreux,  ayant  pris  quelques  prisonnien 
sur  les  Iroquois,  en  ont  fait  brûler  quelques-uns  selon 
leur  justice  ordinaire,  tant  ici  qu'aux  Trois-Rividrei. 
C'est  la  coutume  d»  captifs  quand  lia  sont  dans  les 
tourments,  de  dire  tout  œ  qu'ils  savent  II  en  fut  brftlâ 
un  le  mercredi  de  la  Pentecôte,  qui  étant  examiné  par 
le  révérend  Pore  Chaamonnot,  dit  qu'il  y  avait  ui» 
armée  de  huit  mille  hommes,'  qui  avaient  leur  rendei- 


I  uni  ii;.|ii 
Â|btudel>ulloci!U.(N.d«CLlIutJ 


DE  LA  HËRE  MARIB  DE  l'iNCAR NATION.  149 

VOUS  à  la  Roche-Percée  proche  de  Montréal,  où  qaatre 
cents  autres  devaient  venir  lea  joindre  pour  venir 
ensuite  tous  ensemble  fondre  sur  Québec.  Il  ajoutait 
que  leur  dessein  était  d'enlever  la  tête  à  Ononthio.  qui 
est  M.  le  Gouverneur,  aân  que  le  chef  étant  mort,  ils 
pussent  plus  facilement  mettre  tout  le  pays  à  feu  et 
à  sang.  Il  dit  qu'à  l'heure  qu'il  parlait,  ils  devaient 
être  ou  dans  les  îles  de  Richelieu  ou  à  Montréal  ou 
aux  Trois- Rivières,  et  qu'assurément  quelqu'un  de  ces 
lieux  était  assiégé.  En  eQet,  on  a  su  depuis  qu'ils  étaient 
à  Richelieu,  attendant  le  temps  et  la  commodité  de 
sous  perdre  tous  et  de  commencer  par  Québec.  Je  vous 
laisse  à  penser  si  cette  nouvelle  nous  surprit.  'Ce  même 
jour  le  Saint-Sacrement  était  exposé  dans  notre  église, 
où  la  procession  de  la  paroisse  vint  continuer  les  dévo- 
tions qu'on  avait  commencées  pour  implorer  le  secours 
de  Dieu,  dès  qu'on  sut  qu'il  y  avait  des  Iroquois  en 
campagne.  Mais  la  nouvelle  de  cette  grosse  armée 
qu'on  estimait  proche,  donna  une  telle  appréhension 
r  &  Mgr  notre  évêquo  qu'il  n'arrivât  mat  aux  religieu- 
[  ses,   qu'il   ût  emporter  le  saint  Sacrement  de  notre 
[église,  et  commanda  à  notre  Communauté  de  le  sui- 
Ivre.  Nous  ne  fûmes  Jamais  plus  surprises  :  car  nous 
n'eussions  pu  nous  imaginer  qu'il  y  eût  eu  sujet  de 
^crainte  dans  une  maison  forte  comme  la  nôtre.  Cepen- 
dant il  fallut  obéir.  Il  en  fit  de  même  aux  Hospita- 
hières.  Le  saint  Sacrement  fut  pareillement  ôté  de  la 
||)arois8e. 

Après  les  dépositions   du  prisonnier,  il  fat  arrêté 

F  rju'on  ferait  la  visite  des  maisons  religieuses,  pour  voir 

i  elles  étaient  en  état  de  soutenir  (résister).  Elles  furent 

^---"'^  "^'"-fiurs  fois  par  M.  le  Gouverneur 

Bsoite  l'on  posa  deux  corps  de 


DE  LA  MftRfî  MARIE  DE  L'INCARNATION .  151 

assurance.  Les  sauvages  chrétiens  étaient  cabanes  dans 
^a  cour,  et  à  couvert  de  leurs  ennemis/ 

Quand  les  habitants  nous  virent  quitter  une  maison 
aussi  forte  que  la  nôtre,  car  celle  de  l'hôpital  est  mal 
Bitnée  au  regard  des  Iroquois,  ils  furent  si  épouvantés, 
qalls  crurent  que  tout  était  perdu.  Ils  abandonnèrent 
idQrs  maisons  et  se  retirèrent,  les  uns  dans  le  fort,  les 
antres  chez   les   révérends    Pères ,    les   autres   chez 
Mgr  notre  évoque,  et  les  autres  chez  nous,  où  nous 
avions  six  ou  sept  familles  logée?,  tant  chez  nos  domes- 
tiques que  dans  nos  parloirs  et  oâSces  extérieurs.  Le 
faste  se  barricada  de  tous  côtés  dans  la  basse-ville, 
où  Ton  posa  plusieurs  corps  de  garde. 

Le  lendemain,  qui  fut  le  jeudi  de  la  Pentecôte,  le 

révérend  Père  Supérieur  ramena  notre  Communauté, 

<^*était  le  jour  auquel  nous  devions  élire  une  supérieure, 

^  le  trouble  ne  nous  eût  obligées  de  le  différer.  L'on 

ou  usa  de  même  huit  jours  de  suite  :  le  soir  on  emme- 

^^t  les  religieuses,  et  le  matin  sur  les  six  heures  on 

'^9  ramenait;  mais  nous  fûmes  privées  du  Saint-Sacre- 

^^t  jusqu'au  jour  de  la  fête ,  que  Mgr  notre  évêque 

^^t  la  bonté  de  nous  le  rendre,  parce  que  la  visite 

de  notre  monastère  ayant  été  faite,  on  jugea  que  les 

^iigieuses  y  pouvaient  demeurer  en  sûreté  et  sans 

^Sfainte  des  Iroquois,  et  néanmoins  qu'on  ne  laisserait 

pas  d'y  faire  la  garde  jusqu'à  ce  que  Ton  eut  reçu  des 

iMKivelles  des  habitations  supérieures»  que  Ton  croyait 

fibre  assiégées. 

Aq  commencement  de  juin,  huit  Hurons  renégats 

(1)  C«tte  Témàeoot  d«s  JéfoiUs  tst  aDJourdlmi  U  cueriM, M  (»éBiè4é\Ê^  caUiA 
dnle,  jdhe  badliqne  d«  XoCre-Dame  de  Québec,  depoû  U  l*'  octotr«   1^74. 
lA  eoo  âctncOe  de  U  caserne  est  eeUe  ancienne  cour  des  Jésaius  àusU  |iaf  li» 
IftHin  d»  nacanatû». 


152  LETTRK8 

et  iroquoisés  furent  vers  le  Petit-Cap»  qui  est  envirofl 
six  lieues  au-dessous  de  Québec;  et  au  même  tempf 
une  hoDoête  veuve,  qui  s'était  retirée  ici,  8*avisa  d'aller 
visiter  sa  terre  avec  sa  famille.  Comme  elle  travaillait 
avec  son  gendre  à  son  désert,  sa  fille  et  quatre  enfante 
qui  étaient  restés  au  logis,  furent  surpris  par  ces  infi- 
dèles, qui  les  enlevèrent  et  les  chargèrent  dans  leurs 
canots.  La  nouvelle  en  fut  aussitôt  apportée  à  M.  notre 
Gouverneur,  qui  avec  le  zèle  infatigable  qu'il  a  pour  la 
conservation  du  public,  envoya  une  troupe  de  Françaii 
et  d*Âlgonquins ,  pour  poursuivre  ces  barbares,  l^ 
Algonquins  qui  savent  les  routes,  se  mirent  en  embuS' 
cade  justement  où  il  fallait,  et  ils  avaient  donné  f^ 
certain  mot  du  guet  aux  Français,  pour  les  distingO-^^ 
de  Tennemi,  car  cétait  au  commencement  de  la  nvL^^ 
où  ils  eussent  pu  se  prendre  les  uns  les  autres  po^^ 
les  ennemis.  Enfin  le  canot  parut,  et  les  Algonquin 
ayant  dit  :  Qui  va  là?  les  ennemis  voulurent  prendre  is 
fuite,  mais  nos  gens  se  jettèrent  dessus,  et  txvèreiit 
tant  de  coups  que  le  canot  en  fut  percé,  et  coula  à 
fond  avec  un  de  ces  barbares.  Les  autres  furent  pris, 
et  la  femme  et  les  enfants  délivrés.  Cette  captive  ayant 
entendu  des  voix  quelle. croyait  lui  devoir  être  favo- 
rables eut  tant  de  joie  quelle  leva  la  tête,  car  ses 
ravisseurs  Tavaient  tellement  cachée  quelle  ne  pou- 
vait voir  ni  être  vue  auparavant.  Sa  joie  fut  courte, 
car  elle  fut  blessée  à  mort,  et  un  petit  enfant  qu'elle 
avait  à  la  mamelle  eut  un  coup  de  balle  à  un  orteil. 
Elle  mourut  saintement  peu  de  jours  après,  louant 
Dieu  de  l'avoir  sauvée  du  feu  des  Iroquoîs,  qui  lui  était 
inévitable.  Nos  gens  s'en  revinrent  victorieux,  amenant 
leurs  prisonniers  avec  des  cris  de  joie.  On  dbnha  la 
vie  à  un  qui  n  avait  pas  plus  de  quinze  ans  :  les  autres 


DR  LK  MÈRB  MAR1£  DE  L'INCARNATION.  153 

turent  brûlés,  et  s*étant  convertis,  mourarent  chrétien- 
nement et  dans  l'espérance  de  leur  salut.  Ils  ont  con- 
firmé à  la  mort  ce  que  l'autre  avait  dit,  qu'ils  s'éton- 
fiaient  que  l'armée  tardait  tant,  et  qu*il  fallait  que  les 
TroÎB-Rivières  fussent  assiégées.  Cela  semblait  d'autant 
plus  probable  que  Ton  n'entendait  point  de  nouvelles 
if  une  chaloupe  pleine  de  soldats  que  M.  le  Gouverneur 
avait  envoyée  pour  faire  quelque  découverte,  non  plus 
que  de  deux  autres  qui  étaient  montées  il  y  avait 
quelque  temps. 

Le  huitième  du  même  mois,  on  nous  vint  dire  que 

l'année  était  proche  et  qu'on  l'avait  vue.  En  moins  d'une  f 

demi-heure,  chacun  fut  rangé  en  son  poste  et  en  état 

le  se  défendre.  Toutes  nos  portes  furent  de  nouveau 

tuurricadées,  et  je  munis  tous  nos  soldats  de  ce  qui  leur 

Stait  nécessaire.  En  ces  moments  un  de  nos  gens  arriva 

de  la  pêche,  et  nous  assura  avoir  vu  un  canot  où  il  y 

HTait  huit  hommes  debout,  et  que  ce  canot  était  du 

8aut-de*la-Chaudiôre,  qui  est  une  retraite  des  Iroquois. 

Cda  fit  croire  que  l'alarme  était  vraie,  qui  néanmoins 

le  trouva  fausse.  Les  Français  étaient  si  encouragés 

<|u'i]8  souhaitaient  que  Tafiaire  fût  véritable  :  car  M.  le 

GooTemeur  avait  mis  si  bon  ordre  à  toutes  choses, 

^  nirtout  à  son  fort,  qu'il  l'avait  rendu  comme  impre- 

luible,  et  chacun  à  son  exemple  avait  quitté  toute 

fnjear.  Je  dis  pour  les  hommes,  car  les  femmes  étaient 

ioQt  i  fiait  efErayéea.  Pour  moi,  je  vous  avoue  que  je 

né  eu  aucune  crainte,  ni  dans  l'esprit  ni  à  Textérieur. 

/a  n'ai  pourtant  guère  dormi  durant  toutes  ces  alar* 

mes.  Mon  oreille  faisait  le  guet  toute  la  nuit,  afin  de 

l'être  pas  surprise,  et  d*être  toujours  en  état  de  fournir 

i  wm  soldats  les  choses  dont  ils  eussent  eu  besoin  en 

iTattoque. 


154  LETTRES 

Le  lendemain  on  vit  arriver  les  chaloupes,  dontoa 
était  en  peine.  Elles  apportèrent  les  tristes  nouvelles 
de  la  mort  de  nos  Français  de  Montréal,  qui  étant  allés 
au  nombre  de  dix-sept,  accompagnés  de  quarante  tant 
Hurons  qu'Algonquins,  pour  surprendre  quelques  Iro- 
quois,  furent  pris  eux-mêmes  et  mis  en  pièces  par  ces 
barbares.  L'action  est  généreuse,  quoique  Fissue  n'en 
ait  pas  été  favorable.  Voici  comme  le  révérend  Père 
Ghaumonnot  en  parle  dans  une  lettre  qu'il  écrit  sur  la 
déposition  d'un  Huron  qui  s'est  sauvé,  et  qui  a  va  toat 
ce' qui  s'est  passé. 
f      Dès  le  mois  d'avril  1660,  dix-sept  braves  Français 
volontaires  de  Montréal,  prirent  le  dessein  de  se  ha8a^ 
der  pour  aller  faire  quelque  embuscade  aux  Iroquois, 
ce  qu'ils  firent  avec  l'approbation  et  l'agrément  de  ceux 
qui  commandaient.  Ils  partirent  accompagnés  de  qoa* 
rante  sauvages,  tant  Hurons  qu'Algonquins,  bien  manifl 
de  tout  ce  quj  leur  était  nécessaire.  Ils  arrivèrent  Ifl 
premier  jour  de  mai  suivant  en  un  fort  qui  avait  été  fait 
l'automne  passé  par  les  Algonquins  au  pied  du  Long' 
Saut  au-dessus  de  Montréal.  Le  lendemain,  jour  de 
dimanche,  deux  Hurons  qui  étaient  allés  à  la  découverte 
rapportèrent  qu'ils  avaient  vu  cinq  Iroquois  qui  venaient 
vers  eux,  aussi  pour  découvrir.  L'on  consulta  là-de88Q9 
ce  qui  était  à  faire.  Un  Huron  opina  qu'il  fallait  descen'* 
dre  à  Montréal,  parce  que  ces  Iroquois  pouvaient  êtr9 
les  avant-coureurs  de  l'armée  qu'on  nous  avait  annonce 
devoir  venir  fondre  sur  nous,  ou  que  s'ils  n'étaient  pa* 
des  espions  de  l'armée,  ils  étaient  au  moins  pour  avertie 
le?  chasseurs  de  cette  embuscade,  et  par  cet  avis  1» 
rendre  inutile.  Annotacha,  fameux  capitaine  huroa* 
résista    fortement   à   cette    proposition,  accusant  d^ 
couardise  et  de  lâcheté  celui  qui  l'avait  faite.  On  suivit 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  155 

lentiment  de  C6  dernier,  et  Ton  demeura  dans  ce  lieu, 
18  le  dessein  de  faire  le  jour  suivant  une  contrepalis- 
le  pour  fortifier  celle  qu'ils  avaient  trouvée,  et  qui 
tait  pas  de  défense.  Mais  les  Iroquois,  qui  étaient  les 
Dontageronons,  ne  leur  en  donnèrent  pas  le  loisir, 
*  peu  de  temps  après,  on  les  vit  descendre  sur  la 
ière  au  nombre  de  deux  cents.  Nos  gens,  qui  fai- 
ent  alors  leurs  prières,  étant  surpris,  n'eurent  le 
dr  que  de  se  retirer  dans  cette  faible  retraite,  laissant 
lors  leurs  chaudières  qu'ils  avaient  mises  sur  le  feu 
ir  préparer  leur  repas.  Après  les  huées  et  les  salves 
fusils  de  part  et  d'autre,  un  capitaine  onnontàgeronon 
inça  sans  armes  jusqu'à  la  portée  de  la  voix  pour 
nander  quelles  gens  étaient  dans  ce  fort,  et  ce  qu'ils 
ciaient  faire.  On  lui  répond  que  ce  sont  des  Français, 
irons  et  Algonquins  au  nombre  de  cent  hommes,  qui 
Daient  au-devant  des  Nez-Percés.  Attendez,  réplique 
atre,  que  nous  tenions  conseil  entre  nous,  puis  je 
dodrai  vous  revoir;  cependant  ne  faites  aucun  acte 
lostilité,  de  crainte  que  vous  ne  troubliez  les  bonnes 
iroles  que  nous  portons  aux  Français  à  Montréal. 
9tirez-vou8  donc,  dirent  les  nôtres,  à  l'autre  bord  de 

rivière,  tandis  que  nous  parlementerons  de  notre 
irt.  lis  désiraient  cet  éloignement  de  l'ennemi,  pour 
roir  la  liberté  dé  couper  des  pieux,  afin  de  fortifier 
Qr  palissade.  Mais  tant  s'en  faut  que  les  ennemis 
lassent  camper  de  l'autre  côté,  qu'au  contraire  ils  com- 
oncèrent  à  dresser  une  palissade  vis-à-vis  de  celle 
)  nos  gens,  qui,  à  la  vue  de  leurs  ouvriers,  ne  lais- 
*rent  pas  de  se  fortifier  le  plus  qu'ils  purent,  entre- 
nt les  pieux  de  branches  d'arbres  et  remplissant 

tout  de  terre  et  de  pierres  à  hauteur  d'homme,  en 
vie  néanmoins  qu'il  y  avait  des  meurtrières  à  chaque 


156  LETTRES 

pieu  gardées  par  trois  fusiliers.  L*ouYrage  n'était  pas 
encore  achevé  que  l'ennemi  vint  à  l'assaut.  Les  assiégés 
se  défendirent  vaillamment,  tuèrent  et  blessèrent  on 
grand  nombre  d*Iroquois  sans  avoir  perdu   un  seol 
homme.  La  frayeur  qui  se  mit  dans  le  camp  de  Tennemi 
leur  fit  prendre  la  fuite  à  tous,  et  les  nôtres  s'estimaiest- 
déjà  heureux  de  se  voir  quittes  à  si  bon  marché.  Quel* 
ques  jeunes  gens  sautèrent  la  palissade  pour  couper 
la  tête  au  capitaine  Sonnontatonan,  qui  venait  d'être 
tué,  et  Térigèrent  en  trophée  au  bout  d'un  pieu  sur  la 
palissade.  Les  ennemis  étant  revenus  de  la  frayeur 
extraordinaire  dont  ils  avaient  été  saisis,  se  rallièrent, 
et  durant  sept  jours  et  sept  nuits  entières  grêlèrent  dm 
gens  de  coups  de  fusils.  Durant  ce  temps-là  ils  brisèrent 
les  canots  des  nôtres,  et  en  firent  des  flambeaux  poor 
brûler  les  palissades,  mais  les  décharges  étaient  n 
fréquentes  qu'il  ne  leur  fut  jamais  possible  d'en  appro* 
cher.  Ils  donnèrent  encore  une  seconde  attaque  plna 
opiniâtre  que  la  première;  mais  les  nôtres  la  soutinrent 
si  courageusement,  qu'ils  prirent  la  fuite  pour  la  second» 
fois.  Vingt  d'entre  eux  se  retirèrent  si  loin,  qu'on  ne  les 
revit  plus  depuis.   Quelques  Onnontageronons  dirent 
depuis  à  Joseph,  qu'ils  tenaient  captif,  que  si  les  nôtres 
les  eussent  suivis  les  battant  en  queue,  ils  les  eussent 
tous  perdus.  Hors  le  temps  des  deux  attaques,  les  ooops 
que  tirait  lennemi  sur  la  palissade  n'étaient  que  ponr 
empêcher  les  assiégés  de  fuir,  et  pour  les  arrêter  en 
attendant  le  secours  des  Onnieronons   qu'ils  avaient 
envoyé  quérir  aux  îles  de  Richelieu. 

Que  d'incommodités  souffraient  cependant  nos  Fran- 
cis! le  froid,  la  puanteur,  Tinsomnie,  la  faim  et  latoif 
les  fatiguaient  plus  que  lennemi.  La  disette  d'eau  était 
si  grande,  qu'ils  ne  pouvaient  plus  avaler  la  farina 


DE  LA  MÈRB  MAftIB  DE  L*INGARNATION.  157 

886  dont  les  gens  de  guerre  ont  coutume  de  se 
rrir  en  ces  extrémités.  Ils  trouvèrent  un  peu  d*eau 
I  on  trou  de  la  palissade,  mais  étant  partagée  à 
e  en  eurent-ils  pour  se  rafraîchir  la  bouche.  La 
lesse  faisait  de  temps  en  temps  quelques  sorties  par- 
us les  pieux,  car  il  n'y  avait  point  de  portes,  pour 
?  quérir  de  l'eau  à  la  rivière  à  la  faveur  de  quantité 
usiliers  qui  repoussaient  l'ennemi;  mais  comme  ils 
ent  perdu  leurs  grands  vaisseaux,  ils  n'en  portaient 
de  petits  qui  ne  pouvaient  fournir  à  la  nécessité 
loixante  personnes,  tant  pour  le  boire  que  pour  la 
imité.  Outre  cette  disette  d'eau,  le  plomb  commença 
anquer  ;  car  les  Hurons  et  les  Algonquins  voulant 
indre  à  chaque  décharge  des  ennemis,  tant  de  jour 
de  nuit,  eurent  bientôt  consumé  leurs  munitions. 
Français  leur  en  donnèrent  autant  qu'ils  purent, 
B  enfin  ila  furent  épuisés  comme  les  autres.  Que 
nt-ils  donc  à  l'arrivée  de  cinq  cents  Agnieronnons 
)nnieronons  qu'on  est  allé  quérir?  Ils  sont  résolus 
combattre  en  généreux  Français  et  de  mourir  en 
s  chrétiens.  Ils  s'étaient  déjà  exercés  à  l'un  et  à 
tre  l'espace  de  sept  jours,  durant  lesquels  ils  n'avaient 
que  combattre  et  prier  Dieu  ;  car  dès  que  l'ennemi 
ût  trêve,  ils  étaient  à  genoux,  et  sitôt  qu'il  faisait 
e  d'attaquer,  ils  étaient  debout,  les  armes  à  la  main, 
près  les  sept  jours  de  siège,  on  vit  paraître  les 
)ts  des  Agnieronnons  et  des  Onneioutronnons,  qui 
i  devant  le  petit  fort  de  nos  Français,  firent  une 
3  étrange,  accompagnée  d'une  décharge  de  cinq 
8  coups  de  fusils,  auxquels  les  deux  cents  Onnon- 
ronnons  répondirent  avec  des  cris  de  joie  et  avec 

• 

B  leur  décharge,  ce  qui  fit  un  tel  bruit  que  le  ciel, 
erre  et  les  eaux  en  résonnèrent  fort  longtemps. 


158  LETTRES 

Ce  fut  alors  que  le  capitaine  Annotacha  dit  :  Nooi 
sommes  perdus,  mes  camarades.  Et  le  moyen  de  ré- 
sister  à  sept    cents   honmies   frais   avec  le  peu  ds 
monde  que  nous  sommes,  fatigués  et  abattus!  Je  ne 
regrette  pas  ma  vie,  car  je  ne  saurais  la  perdre  dans 
une  meilleure  occasion  que  pour  la  conserTation  du 
pays;  mais  j*ai  compassion  de  tant  de  jeunes  enfante 
qui  m*ont  suivi.   Dans  l'extrémité  où  nous  sonuDSi 
je  voudrais  tenter  un  expédient  qui  me  vient  en  l'esprit 
pour  leur  faire  donner  la  vie.  Nous  avons  ici  m 
Oneiouteronnon,  je  serais  d'avis  de  renvoyer  à  sei 
parents  avec  de  beaux  présents,  afin  de  les  adoudr, 
et  d'obtenir  d'eux  quelque  bonne  composition.  Son  soi- 
timent  fut  suivi,  et  deux  Hurons  des  plus  considéraUei 
s'ofirirent  à  le  remener.  On  les  charge  de  beaux  pré- 
sents,  et  après  les  avoir  instruits  de  oe  qulls  avaient 
à  dire,  on  les  aide  à  monter  sur  la  palissade  pour  ta 
laisser  glisser  ensuite  le  long  des  pieux.  Cela  fait,  on  te 
met  en  prières  pour  recommander  à  Dieu  l'issue  de  cette 
ambassade.  Un    capitaine   huron,  nommé   Eustacbe 
Thaouonhohoui,  commença  au  nom  de  tous  à  apostro- 
pher tous  les  saints  et  les  bienheureux  du  paradis  d'oa 
ton  de  prédicateur,  à  ce  qu'ils  leur  fussent  propioes 
dans  un  danger  de  mort  si  évident.  Vous  savez,  dit-ili 
ô  bienheureux  habitants  du  ciel,  ce  qui  nous  a  condoits 
ici  ;  vous  savez  que  c'est  le  désir  de  réprimer  la  foieor 
de  riroquois,  afin  de  lempécher  d'enlever  le  reste  de 
nos  femmes  et  de  nos  enfants,  de  crainte  qu'en  les 
enlevant  ils  ne  leur  fassent  perdre  la  Foi,  et  eneuite 
le  paradis>  les  emmenant  captifs  en  leur  pays.  Vous 
pouvez  obtenir  notre  délivrance  du  grand  Maître  de 
nos  vies,  si  vous  len  priez  tout  de  bon.  Faites  mainte* 
naut  ce  que  vous  jugerez  le  plus  convenable;  car  pour 


I 

E 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INCARNATION.  159 

nous,  nous  n'avons  point  d  esprit  pour,  savoir  ce  qui  ^ 
iftOQs  est  le  plus  expédient.  Que  si  nous  sommes  au  bout 
r  de  notre  vie,  présentez  à  notre  grçnd  Maître  la  mort 
i  que  nous  allons  soufifrir  en  satisfaction  des  péchés  que 
I  nous  avons  commis  contre  sa  Loi,  et  impétrez  à  nos 
pauvres  femmes  et  à  nos  enfants  la  grâce  de  mourir 
twns  chrétiens,  afin  qu'ils  nous  viennent  trouver  dans 
le  oiel. 
l  Pendant  que  les  assiégés  priaient  Dieu,  les  députés 
[  entrèrent  dans  le  camp  de  lennemi.  Ils  y  furent  reçus 
I  avec  une  grande  huée,  et  au  même  temps  un  grand 
i-  nombre  de  Hurons  qui  étaient  mêlés  parmi  les  Iroquois, 
^^  vinrent  à  la  pallissade  solliciter  leurs  anciens  compa- 
f  triotes  de  faire  le  même  que  leurs  «députés,  savoir  de 
^  venir  se  rendre  avec  eux,  n'y  ayant  plus,  disaient-ils, 
L,.  d'autre  moyen  de  conserver  leur  vie  que  celui-là.  Âh  ! 
^  que  l'amour  de  la  vie  et  de  la  liberté  est  puissant! 
A  ces  trompeuses  sollicitations,  on  vit  envoler  vingt- 
quatre  de  ces  timides  poules  de  leur  cage,  y  laissant 
seulement  quatorze  Hurons,  quatre  Algonquins  et  nos 
dix-sept  Français.  Cela  fit  redoubler  les  cris  de  joie 
daiig  le  camp  de  l'ennemi,  qui  pensait  déjà  que  le  reste 
allait  faire  de  même.  C'est  pourquoi  ils  ne  se  mirent 
plus  en  peine  d'écouter,  mais  il  s'approchèrent  du  fort 
à  dessein  de  se  saisir  de  ceux  qui  voudraient  prendre 
la  fuite.  Mais  nos  Français,  bien  loin  de  se  rendre, 
commencèrent  à  faire  feu  de  tous  côtés,  et  tuèrent  un 
boa  nombre  de  ceux  qui  étaient  plus  avancés.  Alors 
Auuotacha  crie  aux  Français  :  Ah  !  camarades  vous  avez 
tout  gâté,  encore  deviez-vous  attendre  le  résultat  du 
^oseil  de  nos  ennemis.  Que  savons-nous  s'ils  ne  deman- 
<ioront  point  à  composer,  et  s'ils  ne  nous  accorderont 
poiut  de  nous  séparer  les  uns  des  autres  sans  acte 


160 


LETTRES 


dliMtilitë,  comme  il  est  80Q?ent  arrivé  en  de  sembla- 
bles rencontres?  Mais  à  présent  qoe  tous  les  avei 
aigris,  ils  vont  se  mer  sur  nous  d'une  telle  rage  qna 
sans  doute  nous  sommes  perdus.  Ce  capitaine  ne  rsi« 
sonna  pas  mal,  car  les  Iroquois  voyant  leurs  gens  tak 
lonqulls  sV  attendaient  le  moins,  furent  transportéi 
d  un  si  grand  désir  de  se  venger,  que  sans  se  soucier 
des  coups  de  fusils  qu*on  tirait  incessamment,  se  jeta- 
tènent  à  corps  perdu  à  la  palissade,  et  s'y  attachèrent 
au-dessous  des  canonnières  où  on  ne  leur  pouvait  phu 
nuire^  parce  qull  nV  avait  point  d*avance  d*où  Ton  pftt 
les  battre.  Par  ce  moyen  nos  Français  ne  pouvaivit 
plus  empêcher  ceux  qui  coupaient  les  pieux.  Ils  démon^ 
tert  deux  canons  de  pistolets  qulls  remplissent  jusqu'au 
gou.et^  et  les  jettent  sur  ces  mineurs  après  y  avoir  mis 
le  feu.  Mais  le  fracas  ne  les  ayant  point  fait  écarter,  ib 
s  aTisère£t  de  jeter  sur  eux  im  baril  de  poudre  avec  usa 
mèche  allumée.  Mais  par  malheur  le  baril  n'ayant  pai 
été  poussé  assex.  rudement  parniessus  la  pallisaade  as 
lieu  de  tcmber  du  ciMe  ds  ennemis  tomba  dans  le  fort 
cil  prenant  feu.  il  br^la  aux  uns  le  visage,  aux  antres 
les  mains,  et  à  tous  il  ota  la  rue  im  assez  long  tempi, 
et  les  s^it  hors  à  ér&t  de  combattre.  Les  Iroquois  qm 
étaiexit  à  la  sape  s  aperçaren;  de  Favantage  que  cet 
acc^idoDt  leur  dorr  ait.  Ils  s  en  prévalurent  et  se  saisirent 
de  toctes  les  meunnères  que  ces  pauvres  aveuglei 
veraiexit  de  cuitter.  On  vit  bientôt  tomber  de  côté  et 
d'autre,  tari'^Sî  un  Huror,  TJLn:ô;  un  Algonquin,  tantôt 
un  Franç.^i^  en  Sk'^rte  qnen  peu  de  temps  une  partie 
iîo$  as^iô^rt^  jte  tron^èreni  mc^ns,  et  le  reste  blesaA. 
In  Fnsrs^^Aîs.  or&  cr.^nt  que  ceux  qui  étaient  blessAi 
nu^^t  Trou$>ont  <  :;oore  a^s^rx  de  Tîe  pour  expérimenter 
U  oruHiito  (lu  feu  des  Iro;;i2o;$,  acheva  des  tuerlaploe 


i 


DE  LA  MÈRB  MARIK  DE  L INCARNATION.  161 

grande  partie  à  coups  de  hache  par  un  zèle  de  charité 
qu'il  estimait  bien  réglé.  Mais  enfin  les  Iroquois,  grim- 
pant  de  tous  côtés,  entrèrent  dans  la  palissade  et  pri- 
rent huit  prisonniers  qui  étaient  restés  en  vie,  de  trente 
qui  étaient  demeurés  dans  le  fort,  savoir,  quatre  Fran- 
çais et  quatre  Hurons.  Ils  en  trouvèrent  deux  parmi  les 
morts,  qui  n'avaient  pas  encore  expiré;  ils  les  firent 
brûler  inhumainement. 

Ayant  fait  le  pillage,  ils  dressèrent  un  grand  échafaud 

sur  lequel  ils  firent  monter  les  prisonniers,  et  pour 

marque  de  leur  perfidie,  ils  y  joignirent  ceux  qui 

s'étaient   rendus    volontairement.    Ils    tourmentèrent 

cruellement  les  uns  et  les  autres.  Aux  uns  ils  faisaient 

manger  du  feu;  ils  coupaient  les  doigts  aux  autres, 

ils  en  brûlaient  quelques-uns  ;  ils  coupaient  à  d'autres 

les  bras  et  les  jambes.  Dans  cet  horrible  carnage,  un 

Oneiouteronnon  tenant  un  gros  bâton,  s'écrie  à  haute 

voix  :  Qui  est  le  Français  assez  courageux  pour  porter 

ceci?  A  ce  cri,  un  de  nos  compatriotes,  qu'on  estime  être 

René,  quitte  généreusement  ses  habits  pour  recevoir  à 

nu  les  coups  que  l'autre  lui  voudrait  donner.  Mais  un 

Huron  nommé  Annieouton,  prenant  la  [parole,  dit  à  l'Iro- 

quois  :  Pourquoi  veux-tu  maltraiter  ce  Français  qui  n'a 

jamais  eu  que  de  la  bonté  pour  toi?, —  Il  m'a  mis  les  fers 

aux  pieds,  dit  le  barbare.  —  C'est  pour  l'amour  de  moi, 

réplique  Annieouton,  qu'il  te  les  a  mis,  ainsi  décharge  ' 

sur  moi  ta  colère  et  non  sur  lui.  Cette  charité  adoucit  le 

barbare,  qui  jeta  son  bâton  sans  frapper  ni  l'un  ni  l'autre. 

Cependant  les  autres  étaient  sur  l'échafaud  où  ils 

repaissaient  les  yeux  et  la  rage  de  leurs  ennemis,  qui 

leur  faisaient  souffrir  mille  cruautés  accompagnées  de 

brocards.   Aucun   ne  perdit  la  mémoire   des  bonnes 

instructions  que  le  Père  qui  les  avait  gouvernés  leur 

urm.  M.  XI.  Il 


1 62  LETTRES 

avait  données.  Ignace  Thaouenhohoui    commença  à 
haranguer  tout  haut  ces  captifs,  «  Mes  neveux  et  mes 
amis,  dit-il,  nous  voilà  tantôt  arrivés  au  terme  que 
la  foi  nous  fait  espérer.  Nous  voilà  presque  rendus 
à  la  porte  du  paradis.  Que  chacun  de  nous  prenne 
garde  de  faire  naufrage  au  port.  Âh!  mes  chers  cap- 
tifs, que  les  tourments  nous  arrachent  plutôt  Tâme 
du  corps  que  la  prière  de  la  bouche,  et  Jésus  du  cœur! 
Souvenons-nous  que  nos  douleurs  finiront  bientôt,  et 
que  la  récompense  sera  éternelle.  C'est  pour  défendre 
la  foi  de  nos  femmes  et  de  nos  enfants  contre  nos  enne- 
mis, que  nous  nous  sommes  exposés  aux  maux  que  nous 
souffrons,  à  Texemple  de  Jësus,  qui  s*oflfrit  à  la  mort, 
pour  délivrer  les  hommes  de  la  puissance  de  Satan, 
leur  ennemi  ;  ayons  confiance  en  lui  ;  ne  cessons  point 
de  rinvoquer;  il  nous  donnera  sans  doute  du  courage 
pour  supporter  nos  peines.  Nous  abandonnerait- il  aa 
temps  où  il  voit  que  nous  lui  sommes  devenus  plus 
semblables,  lui  qui  ne  refuse  jamais  son  assistance  aax 
plus  contraires  à  sa  doctrine,  quand  ils  ont  recours 
à  lui  avec  confiance  i  »  Cette  courte  exhortation  eut  un 
tel  pouvoir  sur  Tesprit  de  ces  pauvres  patients,  qu'ils 
promirent  tous  de  prier  jusqu'au  dernier  soupir.  Et, 
de  lait,  le  Iluron  échappé  huit  jours  après  des  mains 
des  Iroquois,  a  assuré  que  jusqu'à  ce  temps-là,  ils  ont 
prié  Pieu  tous   les  jours,  et  qu'ils  s'exhortaient  l'un 
l'autre  à  le  faire  toutes  les  fois  qu'ils  se  rencontraient. 

Jusquici  est  la  dêposiiion  du  Uuron  qui  s'est  sauvé* 
sans  quoi  ion  ne  saurait  rien  de  cette  sanglante  tra- 
gt\iio.  Il  y  a  sujet  d'esjvrer  qu'il  s'en  sauvera  encorô 
v;Uv\sîuo  autre  vjui  nous  dira  le  reste.  Ce  Huron  qui  se 
i::-^:uo  I.ouis,  et  qui  est  un  exoeilem  chrétien,  était 
réservé  pour  ècr^  Vrùîê  dans  le  pays  emiemi,  et  pour 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*IN CARNATION.  163 

cela  il  était  gardé  si  exactement,  qu'il, était  lié  à  un 
Iroquois,  tant  on  avait  peur-  de  le  perdre,  aussi  bien 
qu'un  autre  Huron  qui  courait  le  même  sort.  Ils  ont 
invoqué  Dieu  et  la  sainte  Vierge  avec  tant  de  ferveur 
et  de  confiance,  qu'ils  se  sont  échappés  comme  mira- 
culeusement,  vivant  en  chemin  de  limon  et  d'herbe, 
et  courant  sans  respirer  jusqu'à  Montréal.  Louis  m'a 
raconté  à  notre  parloir  sa  grande  confiance  à  la  sainte 
Vierge,  et  que  comme  il  était  lié  à  l'Iroquois  endormi, 
un  de  ses  liens  se  rompit  de  lui-même,  et  (|u'étant  ainsi 
demi-libre,  il  rompit  doucement  les  autres  et  se  mit 
entièrement  eh  liberté.  Il  traversa  toute  l'armée,  quoique 
l'on  y  fît  le  guet,  sans  aucune  mauvaise  rencontre,  et  se 
sauva  de  la  sorte.  Ils  ont  rapporté  qu'un  Iroquois  ayant 
rencontré  un  Français,  lui  dit  :  Je  t'arrête;  et  que  le 
Français,  qu'on  dit  être  celui  qui  par  commisération 
acheva  de  tuer  les  moribonds,  et  qui  avait  un  pistolet 
en  son  sein,  dont  les  ennemis  ne  s'étaient  pas  aperçus, 
le  tira,  en  disant  du  même  ton  :  Et  moi,  je  te  tue,  et  le 
tua  en  effet. 

Sans  les  connaissances  que  ces  Hurons  fugitifs  nous 
ont  données,  on  ne  saurait  point  ce  que  nos  Français 
et  nos  sauvages  seraient  devenus,   ni  ôii  aurait  été 
l'armée  des  ennemis,  qui  après  la  défaite  dont  je  viens 
de  parler,  s'en  sont  retournés  en  leurs  pays,  enfiés  de 
leur  victoire,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  grande  en  elle- 
même.  Car  sept  cents  hommes  ont-ils  sujet  de  s'enor- 
gueillir pour  avoir  surmonté  une  si  petite  troupe  de 
gens}  Mais  c'est  le  génie  de  ces  sauvages,  quand  ils 
n'auraient  pris  ou  tué  que  vingt  hommes ,   de  s'en 
^urner  sur  leurs  pas  pour  en  faire  montre  en  leurs 
pays.  L'on  avait  conjecturé  ici   que  Tissue  de  cette 
Affaire  serait  telle  qu'elle 'est  arrivée,  savoir  que  nos 


164  LETTRES 

■ 

dix- sept  Français  et  nos  bons  sauvages  seraient  les 
victimes  qui  sauveraient  tout  le  pays;  car  il  est  certain 
que  sans  cette  rencontre,  nous  étions  perdus  sans  res- 
source, parce  que  personne  n'était  sur  ses  gardes,  ni 
même  en  soupçon  que  les  ennemis  dussent  venir.  lis 
devaient  néanmoins  être  ici  à  la  Pentecôte,  auquel 
temps  les  hommes  étant  à  la  campagne,  ils  nous  eussent 
trouvés  sans  forces  et  sans  défense  ;  ils  eussent  tué,  pillé 
et  enlevé  hommes,  femmes,  enfants;  et  quoiqu'ils  n'eus- 
sent pu  rien  faire  à  nos  maisons  de  pierre,   venant 
fondre  néanmoins  avec  impétuosité,  ils  eussent  jeté  la 
crainte  et  la  frayeur  partout.  On  tient  pouf  certain  qu'ils 
reviendront  à  l'automne  ou  au  printemps  de  Tannée 
prochaine;  c'est  pourquoi  on  se  fortifie  dans  Québec. 
Et  pour  le  dehors,  M.  le  Gouverneur  a  puissanHnent 
travaillé  à  faire  des  réduits  ou  villages  fermés,  où  il 
oblige  chacun  de  bâtir  une  maison  pour  sa  famille,  et 
contribuer  à  faire  des  granges  communes  pour  assurer 
les  moissons,  faute  de  quoi  il  fera  mettre  le  feu  dans 
les  maisons  de  ceux  qui  ne  voudront  pas  obéir.  C'est 
une  sage  police,  et  nécessaire  pour  le  temps,  autremeot. 
les  particuliers  se  mettent  en  danger  de  périr  avec  loa 
familles.  De  la  sorte,  il  se  trouvera  neuf  ou  dix  rédoi 
bien  peuplés,  et  capables  de  se  défendre.  Ce  qui  est 
craindre,  c  e^t  la  famine,  car  si  1  ennemi  vient  à  Tau — 
tonme,  il  ravagera  les  moissons  ;  s*il  vient  au  printemps  • 
il  empêchera  les  semences. 

Cette  crainte  de  la  famine  fait  faire  un  efibrt  aix 
vaisseau  qui  nest  ici  que  du  13  de  ce  mois  pour  ^Ues* 
en  Fra:*oe  quê/ir  des  farines,  afin  den  avoir  en  réserva 
pour  .e  temps  de  la  nécessité,  car  elles  se  gardent  ic*^ 
i  •a^iieuis  année^i  quand  elles  sont  bien  préparées;  e't 
vîuh:;.:  le  pa\s  en  sera  fourni»  on  ne  craindra  pas  taa* 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNG ARNATION .  165 

ce  fléau.  Ce  vaisseau  fera  deux  voyages  cette  année, 
ce  qui  est  une  chose  bien  extraordinaire,  car  quelque 
diligence  qu'il  fasse,  il  ne  peut  être  ici  de  retour  qu'en 
octobre,  et  il  sera  obligé  de  s'en  retourner  quasi  sans 
s'arrêter. 

L'hiver  a  été  extraordinaire  cette  année,  en  sorte  que 
personne  n'en  avait  encore  jamais  vu  un  semblable,  tant 
en  sa  rigueur  qu'en  sa  longueur.  Nous  ne  pouvions 
échauffer  ;  nos  habits  nous  semblaient  légers  comme  des 
plumes,  quelques-unes  de  nous  étaient  abandonnées 
(résignées)  à  mourir  de  froid;  à  présent  il  n'y  paraît 
point,  nulle  de  nous  n'étant  incommodée. 

L'armée  des  Iroquois  est  venue  ensuite,  mais  nous 

n'en  avons  eu  que  la  peur,  si  peur  se  peut  appeler, 

car  je  n'ai  pas  vu  qu'aucune  de  nous  ait  été  hors  de 

sa  tranquillité.  Le  bruit  même  de  la  garde  ne  nous 

donnait  nulle  distraction.  Nos  gens  n'entraient  dans 

^otre  clôture  que  le  soir  :  ils  en  sortaient  le  matin 

pour  aller* à  leur  travail,  notre  dortoir  étant  toujours 

bien  fermé.  La  nuit  on  leur  laissait  les  passages  d'en 

bas  et  Jes  offices  ouverts,  pour  faire  la  ronde  et  la  visite. 

Tomates  les  avenues  des  cours  étaient  barricadées,  outre 

environ  une  douzaine  de  grands  chiens  qui  gardaient 

les    portes  de  dehors,  et  dont  la  garde  valait  mieux,  sans 

comparaison,  que  celle  des  hommes  pour  écarter  les 

gaavages;  car  ils  craignent  autant  les  chiens  français 

que  les  hommes,  parce  qu'ils  se  jettent  sur  eux,  et  les 

déchirent  quand  ils  les  peuvent  attraper. 

Voilà  un  abrégé  de  ce  qui  s'est  passé  en  cette  Nou- 
velle-France depuis  la  fin  d'avril;  s'il  arrive  quelque 
chose  de  nouveau,  nous  vous  le  ferons  savoir  par  les 
derniers  vaisseaux.  J'ajouterai  à  tout  ce  que  dessus,  que 
^*  Dailleboust  est  mort  de  sa  mort  naturelle;  c'est  une 


166  LETTRES 

grande  perte  pour  Montréal,  dont  il  était  gouYemenr. 
Je  le  recommande  à  vos  prières. 

De  Québec,  le  25  juin  1660. 


LETTRE   CXLV. 

AU   MÊME. 

KiAt  «iu  paj*.  —  S^*  propre»  dispositioc*.  —  EHo^  Je  il^r  r«T*|«e  de  Pétrèe, 
«c  Je  M.  d'Arv:eB403.  iDJav^rctfar.  —  AccîTÏ'e  de  la  Mère  de  rioearottioD 
•iaa»  Tiw  mesures  Je  défesde  ccstr»?  l«s  rrcqaois- 

Mon  très-cher  fiK 

Jai  reçu  votre  lettre  du  A>  mars,  sans  avoir  vu  le» 
autres  dont  vous  me  parlez.  Loa  dit  quelles  ont  été 
brouillées  et  ensuite  portées  à  TAcadie  (Nouvelle-Ecosse). 
Si  cela  est  nous  ne  pourrons  les  recevoir  que  Tannée 
prochaine-  Celles  de  M.  le  Gouverneur  et  de  nos  révé- 
rends Pères,  et  quasi  toutes  les  autres  sont  tombées 
ds^ns  la  mèuîe  tortune.  U  me  suffit,  mon  très-cher  fil», 
que  jaie  apt^is  de  vous-même  votre  bonne  disposition 
,^tat  de  sautci  pour  en  rendre  grices  à  Celui  qui  vous 
la  douue.  Je  vous  ai  ùéjà  écrit  une  lettre  bien  ample 
par  le  pivmier  vaisseau  parti  au  mois  de  juillet,  une 
airre  plus  courte,  par  le  révérend  Père  Le  Jeune,  et 
uao  iivi^èmo  {.vHr  un  autre  navire,  afin  de  vous  ôter 
rappréhensiou  que  vous  pourriez  avoir  à  notre  sujet, 
emoiuiaat  parler  ces  iusultes  que  nous  font  les  Iroquois. 
Noire  Iva  Uieu  nous  en   a  délivrées  par  sa  grande 


DE  LA  MÉRB  MARIE  DE  L'INCARNATION.  167 

lis^ricorde  ;  ils  sont  retournés  en  leur  pays,  et  pendant 
i*oxi  traite  avec  eux  pour  l'échange  de  quelques 
isonniers,  on  prend  favorablement  le  temps  pour 
irr^er  les  moissons.  Elles  sont  déjà  bien  avancées, 
;  les  nôtres  sont  faites;  car  on  ne  lève  les  grains 
d'en  septembre;  elles  vont  quelquefois  jusqu'en  octobre, 
1  sorte  que  la  neige  surprend  les  paresseux. 
Depuis  quelques  mois  les  Outaouak  sont  venus  avec 
n  grand  nombre  de  canots  chargés  de  castors,  ce 
[ui  relève  nos  marchands  de  leurs  pertes  passées,  et 
3LCCommode  la  plupart  de?  habitants  :  car  sans  le  com- 
merce, le  paj's  ne  vaut  rien  pour  le  temporel.  Il  peut 
se  passer  de  la  France  pour  le  vivre  ;  mais  il  en  dépend 
entièrement  pour  le  vêtement,  pour  les  outils,  pour 
lô  vin,  pour  l'eau-de-vie,  et  pour  une  infinité  de  petites 
coQd  inodités,  et  tout  cela  ne  nous  est  apporté  que  par 
le  Oaoyen  du  trafic. 

Auprès  ce  petit  mot  de  l'état  du  pays,  je  réponds  à 

votre  lettre,  après  vous  avoir  dit  que   Dieu  par  sa 

lûis^ricorde  me  conserve  la  santé,  et  que'  toute  notre 

Communauté  est  dans  une  paix  et  dans  une  union  aussi 

parfaite  qu'on  le  saurait  souhaiter.  Notro  révérende 

Mère  de  Saint-Athanasea  été  continuée  en  sa  charge  dans 

Vélection  que  nous  avons  faite  au  mois  de  juin  dernier. 

Pour  moi  j'ai  toujours  les  aflfaires  de  la  maison  sur 

les  bras,  je  les  porte  par  acquiescement  aux  ordres 

de  Dieu,  car  toute  ma  vie  j'ai  eu  de  l'aversion  des 

choses  temporelles,  surtout  en  ce  pays  où  elles  sont 

épineuses  au  point  que  je  ne  vous  puis  exprimer.  Mon 

cœur  néanmoins  et  mon  esprit  soiit  en  paix  dans  les 

tracas  de  cette  vie  si  remplie  d'épines;  et  j'y  trouve 

Dieu,  qui  me  soutient  par  sa  bonté  et  par  sa  miséricorde, 

et  qui  ne  me  permet  pas  de  vouloir  autre  chose  que 


\ 


108  LETTRES 

ce  A\}ï\\  voudra  de  moi  dans  le  temps  et  dans  réternité. 
Par  co  peu  de  mots,  vous  voyez,  mon  très-cher  fils, 
ma  disposition  présente,  et  que  je  suis  à  la  bonté  divine 
par  labandon  d  un  esprit  de  sacrifice  continuel.  Je 
no  sais  si,  ayant  passé  soixante  ans,  il  durera  encore 
longtomps.  Des  pensées  que  le  terme  de  la  vie  approche; 
sans  i^uo  j  y  fasse  réflexion,  me  donnent  de  la  joie  : 
mais  quand  je  men  aperçois,  je  la  mortifie  pour  me 
lonir  eu  mv^n  esprit  de  sacriîîce,  et  pour  attendre  ce 
cv'ir,"  final  dans  le  dessein  de  Dieu,  ei  non  dans  la 
;;ikîAÙon  où  mon  esph;  voudrai:  s'emporter,  se  voyant 
sur  îo  jviuî  deure  dèira^  des  liens  de  cette  vie  basse 
^  Tertvsstre.  o;  si  pleine  ^:e   pié^^es  :  car  sans  parler 
i^^  vvux  du  dehors  qui  soc:î  liiûnis.  qui  ne  refuirait 
vVïiX  iî^  îa  r*sîu:>e.  ^u:  plus  ils  virillissest,  plus  ils  sont 
s^î>::is  tx  k  ora:::.:rpi  rVI^j  I^if-.  p::isqu'ii  veut  que 


\l*rr  rs^'-M^i*  î^^;^I«  es;  :^^  i-r  ;f  to^::*  laî  mandé  par 
TïW^  vcw^^^r.tes.  «v::r.  r^s-sfir  rû  i::3exîbîe.  Zélé 
Tv^r.r  ?a'.»  ohwcv*c  vc:  .v  ;z':l  rr:ii  îr^rc-dr  aiiementer 
)k  ÇK\T^  à^  ?:;>:.  ^:  .T.f,;.x:rCt£  Tirer  -f  pMn;  céder 
^r  *v  c^:  V  »:  .vrîr^r:"  7=  r.5^  Tiri^T  rccs^re  vu 
fv^r^i^ir.r^   r^<:.:T  ^\   ?fcrr.fr    :if   .-:..  te  re*   ir::x  pMnls- 

n>M>4V    \f   ri'TTs   ^.J5s  :•:*:   f    tr    t.  c^    ...-usr.ijî    îe?   riens 

iVMV     .^><      vv^V     '^Vi-'^      Cl    ..     %     'i^'r.-:     Ûi:    TU-XIXTeiê.   Ce 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  169 

Jt  pas  tant,  tout  en  irait  mieux  ;  car  on  ne  peut  rien 
3  ici  sans  le  secours  du  temporel.  Mais  je  puis  me 
aper,  chacun  a  sa  voie  pour  aller  à  Dieu.  H  pratique 
3  pauvreté  en  ^a  maison,  en  son  vivre,  en  ses 
ibles,  en  ses  domestiques;  car  il  n'a  qu'un  jardinier, 
L  prête  aux  pauvres  gens  quand  ils  en  ont  besoin, 
n  homme  de  chambre  qui  a  servi  M.  deBernières. 

ne,  veut  qu'une  maison  d'emprunt,  disant  que 
nd  il  ne  faudrait  que  cinq  sols  pour  lui  en  faire 
,  il  ne  les  voudrait  pas  donner.  En  ce  qui  regarde 
nmoins  la  dignité  et  l'autorité  de  sa  charge,  il  n'omet 
vine  circonstance.  Il  veut  que  tout  se  fasse  avec 
Onajesté  convenable  à  l'église,  autant  que  le  pays 
peut  permettre.  Les  Pères  lui  rendent  toutes  les 
t stances  possibles,  mais  il  ne  laisse  pas  de  demander 

prêtres  en  France,  afin  de  s'appliquer  avec  plus 
^iduité  aux  charges  et  aux  fonctions  ecclésiastiques. 
1".  le  Gouverneur  (M.  d'Argenson)  fait  de  son  côté 
aître  de  jour  en  jour  son  zèle  pour  la  conservation 
pour  l'accroissement  du  pays.  Il  s'applique  à  rendre 
ustice  à  tout  le  monde.  C'est  un  homme  d'une  haute 
tu  et  sans  reproche.  Je  vous  ai  mandé  par  mes 
'nières  lettres  les  soins  qu'il  a  eus  pour  notre  conser- 
LioD,  étant  venu  lui-même  plusieurs  fois  dans  notre 
)nastère  pour  visiter  les  lieux  et  les  faire  fortifier, 
donnant  des  corps  de  garde,  afin  que  nous  soyions 
)rs  des  dangers  des  Iroquois,  dans  le  temps  de  leurs 
îmuements.*  En  votre  considération,  j'ai  souvent  l'hon- 
eur  de  sa  visite,  outre  celles  qu'il  donne  à  notre  réve- 


il) L'extrémité  du  couvent  à  IWit  était  la  limite  de  la  ville  de  ce  côté.  Il  résul- 
it  de  là  que  les  Ursulines  pouvaient  être  les  premières  exposées  à  la  fureur 
*  sauvages. 


î;7K>k  LRTTRSS 

r«^ctie  M^K.  Il  Y  a  toujours  à  profiter  avec  lai,  car  il  m 
i^.t^  ;ue  vie  Dieu  et  de  la  vertu,  hors  la  nécessté  de  bo 
iâiûjre«^  <îue  nous  lui  comoiuniquons  comme  i  m 
:j%^r?sea:xe  de  ccnfiance  ei  remplie  de  charité.  U 
1  ~A;ar.e»  Ie$  viêvotiocs  publiques,  ecaac  îe 
iooaer  l'exemple  aux  Frac<;ais  ec  à  nos  noaTeanx  diM 
leu».  Nous  avoirs  rerrda  grloes  à  Diea  ea  appRBU 
)u':i  -itait  wnciitué  en  sa  charge  pour  troLi  ans.  la  jà 
i  ^tb  aDiver^iie  es  pabli^ae.  ec  ziocs  soafiKsmoi 
4U  :i  y  :uc  oouLinué  par  Sa  Majesté  ie  reste  L»  ses  jam 
S%  Mes^ieurs^  àe  ia  Compagnie  savoieu.!:  «a  mécise^  i 
i^mpiûieraieuc  i;s«^rémeac  i  se  procurer  ce  litm.  à  eu 
3iemefr  c(  1  :cuc  ^e  uavs. 

Lift  !x}niies^  Mèn:s  Hospitaiières  qui  vinrgxc  TamM 
lernière  s^étauiir  à  Mouînâai.  oui  :jté  a  la  viaîLe  i 
repttftiittr  trii  if  rauoe.  Leur  :omLaiiun  i^tait  Hitr?  1< 
;e  M.  N.  ns:eveur  le;*  "iiiiles.  lui  -^sc  3iar 
lU  ittH<.uiaireft;  ec  jomme  ^  :ùarJ>3  ^c  ses  ?iexs  aoié 
^ai^iâr  .es  ieuier»  ie  :**»  yauvrw*  illes  5^^;-  «m  œ« 
"t:*  ruveiOjjjjes,  -t  -u  es  icuc  jouime  Ténias.  Mai 
Mgr  'luir-  '-^'•tiaf.  es»  i  •t?i.triatî*,  ^ur  a  .•e^i'iete  laih 
1  :i,e  i..i*f?â*:uititî  irti*  •c:>  .:ai. li.îiii'.s  .'i  .■loat;^^ai.  .arc 
•4jut  '.ea  .liiè»  i  uue  ^v>>.Liù^   'trr'Li  ■{.   «iiii-jau-ja.  Ja  aixi 

.vf«Aa%      uc  .:uus  ..c     uUvitjiisi.         'iici*    :*HUâ    Li:ê  XlIUaEBH 

^ .  -..*        ..>  i  ..*'--       -a-.       ^...      Ti"'.  1.    .«".    -:i  iiS 


DR  LA  MËRB  MARIE  DE  l'iNGARNATION.  171 

a  serait  arrivé  si  l'armée  des  Iroquois,  qui  venait  ici 
qui  Dons  eût  trouvées  sans  défense,  n'eût  rencontré 
[•sept  Français  et  quelques  sauvages  chrétiens,  qu'ils 
t  pris  et  menés  en  leur  pays.  Je  vous  en  ai  mandé 
istoire  bien  au  long  dans  une  autre  lettre.  Â  présent 
16  leur  retour  a  donné  le  loisir  de  se  fortifier,  l'on  n'a 
18  tant  sujet  de  craindre,  surtout  dans  nos  maisons 
I  pierre,  d'où  l'on  dit  qu'ils  ne  s'approcheront  jamais, 
irce  qu'ils  croient  que  ce  sont  autant  de  forts.  Nonobs- 
Dt  tout  cela,  nous  avons  fait  une  bonne  provision 
t  poudre  et  de  plomb,  et  avons  emprunté  des  armes 
il  sont  toujours  prêtes  en  cas  d'alarmes. 
GTest  une  chose  admirable  de  voir  les  providences 
les  conduites  de  Dieu  sur  ce  pays,  qui  sont  tout  à  fait 
hdessoB  des  conceptions  humaines.  D'un  côté,  lorsque 
m  devions  être  détruits,  soixante  hommes  qui  étaient 
rtis  pour  aller  prendre  des  Iroquois  ont  été  pris  eux- 
Smes  et  inunolés  pour  tout  le  pays.  D'ailleurs  les 
ançais  d'ici  et  les  Algonquins  prennent  presque  tous 
i  avant-coureurs  des  Iroquois,  qui  étant  exposés  au 
I.  découvrent  tout  le  secret  de  la  nation.  Enfin  Dieu 
tiHime  les  orages  lorsqu'ils  sont  prêts  de  fondre  sur 
I tètes;  et  nous  sommes  si  accoutumés  à  cette  Provi- 
DOe,  qu'on  de  nos  domestiques  que  je  faisais  travailler 
los  fortifications,  me  dit  avec  une  ferveur  tout  animée 
eoofiance  :  *  Ne  vous  imaginez  pas,  ma  Mère,  que 
m  permette  que  l'ennemi  nous  surprenne;  il  enverra 
dque  Horon  par  les  prières  de  la  sainte  Vierge,  qui 
n  donnera  tous  les  avis  nécessaires  pour  notre  con- 
Tation.  La  sainte  Viercre  a  coutume  de  nous  faire 
te  (aTear  en  toutes  occaâions.   elle  le  fera  encore 
«Tenir.  •  Ce  discours  me  toucha  fort,  et  noua  en 
feffet  dès  le  jour  même  oa  le  lendemain,  .^uô 


172  LETTRES 

deux  HuroDS  qui  avaient  été  pris  et  qui  a'étaient  sauvés 
comme  miraculeusement  par  Fassistance  de  la  sainte 
Vierge,  arrivèrent  et  apportèrent  la  nouvelle  de  la 
prise  de  nos  Français,  et  que  l'ennemi  8*ëtait  retiré 
en  son  pays. 

Cette  nouvelle  fît  cesser  la  garde  dans  tous  les  lieux, 
excepté  dans  les  forts,  et  tout  le  monde  commença  à 
respirer,  car  il  y  avait  cinq  semaines  qu*on  n'avait  point 
eu  de  repos  ni  de  jour  ni  de  nuit,  tant  pour  se  fortifia 
que  pour  se  garder.  Pour  moi,  je  vous  assure  quej*étaii 
extrêmement  fatiguée;  car  nous  avions  vingt-quatre 
hommes  sur  lesquels  il  fallait  que  je  veillasse  conti- 
nuellement pour  leur  donner  tous  leurs  besoins  de 
guerre  et  de  vivres.  Us  étaient  divisés  en  trois  corps 
de  garde^  et  faisaient  la  ronde  toute  la  nuit  par  des 
ponts  de  communication  «  qui  allaient  partout  :  ainsi 
ils  nous  gardaient  fort  exactement  Je  veillais  au-dessos 
de  tout  cela.  Car  erccne  que  je  fosse  enfermée  dans 
notrv^  dortoir,  mon  oneille  néanmoins  faisait  le  guet 
u>uto  la  r.uit  do  crainte  c  alarme^  et  pour  être  toujours 
prv^ie  à  ooruerà  rcv$  soI<?ais  les  munitions  nécessaires 
«ru  va:$^  aat:;ftvrv:e.  Mi'un.  nous  fûmes  heureuses  d'être 
cUvivntVs  de  «*  finieAU.  et  Ton  en  chanta  le  Te  De^m 
^r.  tv^ut^\?  It«  i^^î:5^s.  K  V  a  p?è$  de  cinq  mois  qullse 
ùu  ;ou;«i  io$  \^uns^  uu  s;*!^;  s<I«:iseî  cù  le  saint  Sacre- 
ux^'r.;  e^iî^:  ^;*xjxvs5c>.  a^r,  cu\I  ^^^aise  à  Dieu  de  prot^gtf 
V  jv^x;?.  Voî*À  n:v^r.  jv»ir;^'r  r^a^a.  il  dut  qtie  je  finisse. 
v\ui*  ;î^urrIîÀr,:  d;?  ^^rv:^î  tvx?  rrt^n»  aux  nôtres,  et  de 
;tcu*  prvvi;?^  e?vvw  v^hI^^  ie  2a«  lêvérends  Père» 

-  s   ^'<k;\        y   :  "  Âr  *rtWîSB>nr  IfiX*-^ 


DB  LA  MÈRB  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  173 


LETTRE    CXLVI. 

A   SON  ANCIENNE   SUPERIEURE   DE   TOURS. 
[La  Mère  Françoise  de  Saint-Bernard.) 

biens  renfermés  dans  la  croix.  —  Vives  alertes  à  l'occasion  des  Iroquois.  — 
De  la  pauvreté  et  du  soin  des  affaires  temporelles.  * 

Ma  révérende  et  très-honorée  Mère, 

C'est  avec  bien  de  la  joie  que  j'ai  reçu  votre  lettre, 
X  est  la  première  et  Tonique  qui  m'ait  été  rendue  de 
^tre  part  cette  année.  Je  ne  lai  reçue  que  vers  la 
i-septembre,  quoique  lès  premiers  navires  aient  paru 
notre  port  sans  nous  donner  aucune  nouvelle  de 
otre  chère  maison  de  Tours.  Cette  privation  ne  nous 
pas  mises  peu  en  peine  de  vos  chères  personnes,  et 
le  vous  plus  que  de  toute  autre,  mon  unique  Mère, 
fais  enfin  votre  lettre  m'a  fait  respirer,  et  m'a  donné 
m  grand  sujet  de  rendre  grâces  à  la  divine  bonté 
168  forces  quelle  vous  donne  pour  porter  le  poids  des 
âeheux  événements  qui  suivent  le  cours  de  la  vie 
iQmaine,  et  surtout  ceux  que  la  divine  Providence 
ordonne  pour  la  sanctification  des  saints.  Mon  intime 
tfère,  nous  ne  sommes  pas  bien  éloignées  d'âge,  ainsi 
^ous  ne  serons  pas  longtemps  sans  connaître  à  décou- 
vert les  biens  et  les  avantages  qui  sont  enfermés  dans 
es  croix  et  dans  la  vie  cachée  des  âmes  choisies.  La 
^nne  Mère  Le  Coq  les  voit  à  présent,  et  elle  se  rit, 


1 


174  LETTtlBS 

8*il  faut  ainsi  parler,  de  la  bassesse  des  opinions  hom 
nés.  Pour  mieux  dire,  elle  voit  la  vanité  et  raveug 
ment  du  cœur  humain,  qui  se  brûle  à  la  lampe  e 
la  fumée  :  vous  entendez,  mon  aimable  Mère,  ce  ( 
je  veux  dire  par  cette  énigme.  J*ai  été  surprise  de 
mort  si  subite  de  cette  Mère,  car  comme  elle  non 
écrit  des  lettres  bien  amples,  nous  étions  sur  le  pc 
de  lui  faire  réponse,  mais  nous  avons  converti  (toai 
notre  soin  à  faire  pour  elle  des  prières  publiques 
particulières. 

Si  le  vaisseau  qui  est  parti  d*içi  au  mois  de  jui 
est  arrivé  à  bon  port,  vous  aurez  appris  de  nos  n< 
velles  dès  le  mois  d*août,  vous  ayant  écrit  des  leti 
bien  amples,  qui  vous  apprennent  tout  ce  qui  s*est  pa 
ici  au  sujet  des  Iroquois,  qui  nous  ont  bien  taillé 
Touvrage  aux  mois  de  mai  et  de  juin.  J*ai  cru  l 
obligée  de  vous  mander  dans  la  sincérité  comme 
choses  se  sont  passées,  pour  prévenir  ce  que  l'on  aai 
pu  vous  écrire,  ma  très-chère  Mère,  et  qui  aurait 
vous  donner  sujet  de  craindre  pour  nous,  à  cause 
votre  bon  cœur  pour  vos  filles.  Cet  orage  a  pa 
lorsque  Ton  croyait  tout  perdu  :  de  sorte  qu'on  a  fait 
paix  les  moissons  que  Ion  croyait  devoir  être  ravag 
par  cet  ennemi.  De  plus.  Dieu  a  envoyé  aux  marchai 
pour  plus  de  cent  quarante  mille  livres  de  castors,  j 
l'arrivée  des  Outaouak,  qui  en  avaient  soixante  can 
chargés.  Cette  bénédiction  du  ciel  est  arrivée,  lorsq 
ces  messieurs  voulaient  quitter  ce  pays,  ne  croyi 
pas  qu'il  y  eût  plus  rien  à  faire  pour  le  commer 
S'ils  eussent  quittée  il  nous  eût  fallu  quitter  avec  eu 
car  sans  les  correspondances  qui  s'entretiennent  à 
iavour  du  commerce,  il  ne  serait  pas  possible  de  si 
sihtt)!*  ici.  Vous  Yovez*  mon  intime  Mère,  comme  Di 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l/lNCARNATION.  175 

par  sa  sagesse  infinie  rétablit  les  affaires,  lorsqu'on  les 
croit  entièrement  désespérées.  C'est  là  sa  conduite  ordi- 
iiaix*e  sur  ce  pays,  qui  fait  que  les  plus  éclairés. s*y 
conf^sseQt  aveugles.  On  ne  laisse  pas  de  se  préparer 
à  bî^n  recevoir  Tennemi,  s'il  retourne.  Comme  Ton  s'y 
attend.  C'est  pourquoi  l'on  se  fortiSe  en  la  manière  que 
je  vous  l'ai  mandé. 

Pour  ce  qui  est  de  notre  petite  famille,  la  paix  et 
et  Tunion  y  régnent.  Nous  sommes  plus  riches  en  biens 
spirituels  qu'en  ceux  du  siècle  :  car  je  vous  confesse 
que    xious  avons  toutes  les  peines  imaginables  à  subsister 
apr&s  tant  de  si  grands  accidents  que  Dieu  a  permis 
nou^  arriver,  et  dont  nous  ne  saurions  nous  remettre. 
J'espère  néanmoins  que  Dieu  qui  nous  a  amenées  à  sa 
nou^^^elle  église,  nous  assistera,  et  qu'à  présent  que 
0OUS    sommes  rebâties,  les  dépenses  ne  seront  pas  si 
gran  des.  Nous  faisons  de  grands  frais  pour  notre  sémi- 
naire; non  qu'il  y  ait  un  grand  nombre  de  filles  sau- 
vages sédentaires;  mais  parce  qu'on  nous  donne  plu- 
sieurs filles  Françaises,  pour  l'entretien  desquelles  les 
çarents  ne  peuvent  fournir  que  peu   de   chose,  et 
d*autres  ne  peuvent  rien  donner  du  tout  :  et  ce  qui 
est  à  remarquer,  les   Françaises  nous  coûtent  sans 
comparaison  plus  à  nourrir  et  à  entretenir  que  les  sau- 
•  vagesses.  Dieu  est  le  Père  des  unes  et  des  autres,  et  il 
&nt  espérer  de  sa  bonté  qu'il  nous  aidera  à  les  assister. 
Nous  avons  toutes  participé  à  la  joie  que  nous  ont 
Apportée  les  nouvelles  de  la  paix  :  ^  car  outre  l'intérêt 
9Qe  nous  devons  prendre  au  bien  commun,  nous  espé- 
rons que  ce  pauvre  pays  s'en  sentira  par  la  liberté 


(1)  II  s'agît  de  la  paix  entre  la  France  et  l'Espagne,  signée  le  7  novembre  1659, 
*^<lQifat  suivie  du  mariage  de  Louis  XIV  avec  l'infante  d'Espagne. 


ITO 


des  pâflB&?E9  i^  j^  TiHg  ji£  eiouùefix  en  sera  plu 
grand  e:  ;i.w  -L:r».  f^  Tem-kz»  5,-^  Isan  Majestés  noos 
doûDCTVin  ÎL  siîi:»Eï  irrorr^  isf  fir.r?e:nÎ5,  pour  lesquels 
on  na  ;:t»  Ij*  îihi&iei  :x"t  jas  exterminer,  si  Ion 
peut,  zSt  h.jLL\  ilts  r.ei  k  ^ss^i^s^&t  d'eux  ni  pour  la 
paix,  LÎ  p:cr  îl  ::l.  11  iS*  "li^  fcxpériences  que  l'on 
a  de  leur  itrrî::tf.  l:z.  "z^zr.  i'I  stîxe  de  lenrs  gens  en 
prisoD,  po::r  ks.-^ls  :c  :i^^  dTechanger  nos  Français 
qu'ils  tieLXiéiiî  ^:£r»i. 

Pour  ce  q -:  €5^  le  1^1  i:«po5ition  particulière,  je 
suis,  moD  iiLTLZTre  ^êrç.   î&i:^  une  aussi  grande  paix 
qu'elle  se  fuiss*  s::iha:;cr  p^rmi  les  divers  événe- 
ments des   choses  :rès-en:d3anie3  qui  se   présentent 
chaque  jour,  et  qaas:  à  chaque  moment;  en  sorte  que 
si  notre  bon  Dieu  ne  sV  trouvait,  il  t  en  a  assez  pour 
faire  perdre  courage.  Peur  tous  parler  simplement, 
c'est  ici  un  pays  de  soum'ances  pour  les   personnes 
religieuses,  surtout  pour  celles  qui  ont  des  charges 
et  le  maniement  des  affaires.  J  en  ai  toujours  été  chargée 
depuis  que  vous  m'avez  donnée  à  cette  nouvelle  Eglise; 
et  partant  il  ma  toujours  fallu  être  dans  la  croix.  Mais 
il  y  faut  expirer  à  limitation  de  notre  Maître;  et  je  ne 
la  changerais   pas ,  sinon  par    l'ordre  d'une  volonté 
Hupéricure,  contre  tous  les  biens  de  la  terre,  quoique 
tout  mon  esprit  ait  sa  pente  à  la  solitude  et  à  une  vie 
retirée.  J  aspire  au  repos  a6n  de  me  disposer  à  1 
mort.  I/on  se  rit  de  moi  quand  j'en  parle,  parce  qu'o 
ni(i  voit  agir  dans  nos  affaires  comme  une  personn.'^ 
(|ui  ainio  Taction,  je  veux  dire  avec  allégresse  et  saik^  ^ 
olia^frin.   Mais  on  ne  voit  pas  mon  fond,  qui  est  (L^ 
vouloir  aimor  partout  son  unique  bien;  et  c'est  poi^x" 
ci'la  «|U(^  }{)  lais  l)on  visage  en  suivant  ses  ordres.  0^ 
n'o.^l    pas  asM'z   (lo  faire  la  volonté  de  Dieu,  il  faut 


DE  LA  MÈRB  MARIB  DE 'l'iN CARNATION.  177 

V  faire  avec  aftiour  dans  rintérieur.  et  de  bonne  grâce 
'.  aztërieurement.  Voilà  comme  je  vis,  mon  unique  Mère, 
*  quoique  toutes  mes  actions  soient  mêlées  d'imperfec- 
,tion.  Adieu,  ma  très-bonne  Mère;  donnez-moi  toujours 

à  Notre-Seigneur  par  le  saint  amour  duquel  je  vous 

embrasse,  et  suis... 

De  Québec,  le  23  de  septembre  1660. 


LETTRE   CXLVII. 

A    UNE   RELIGIEUSE   URSULINE   DE    TOURS. 

Klle  la  console  de  la  mort  d'un  de  ses  parents  et  d'une  religieuse  de  ses  amies.  — 
On  ne  doit  point  être  surpris  quand  on  apprend  la  nouvelle  de  la  mort  de 
quelqu'un  qu'on  aime.  —  Bonne  régularité  des  Ursulines  de  Tours.  —  Il  faut 
toujours  croître  en  vertu,  et  cet  accroissement  est  une  marque  qu'elle  est 
véritable. 

Ma  révérende  et  très- chère  Mère, 

Je  ne  doute  point  que  vous  n'ayez  vivement  ressenti 

la  mort  de  votre  bon  oncle  qui  était  aussi  votre  bon 

Pore  spirituel.  C'est  sans  doute  une  grande  privation 

à  ses  amis,  et  singulièrement  à  vous  qui  aviez  tant  de 

^^nflance  et  de  facilité  à  lui  ouvrir  votre  cœur.  Mais 

ônfin,  vous  irez  un  jour  avec  lui  dans  le  séjour  des 

j  Wenheureux,  où  vous  vous  parlerez  esprit  à  esprit,  et 

[  7  glorifierez  Dieu  d'une  nouvelle  manière.  Ah  !  ma  chère 

Mère,  quand  serons-nous  dans  ce  lieu  de  bonheur?  Quand 

^ons  embrasserons-nous  dans  la  pureté  des  Saints? 

Nous  avons  aussi  appris  la  mort  de  notre  chère 

LSTTR.  M.    U.  '  12 


» 


178  Lettres 

Mère  Le  Coq  ;  et  par  la  même  voie,  nous  avons  reça 
de  ses  lettres.  Cela  est  surprenant  à  la  vériié,  mais 
pourtant  la  brièveté  et  Tincertitude  des  moments  qui 
ne  sont  pas  à  notre  disposition  doivent  faire  que  noas 
ne  soyons  surpris  de  rien,  surtout  quand  nous  appre-- 
nons  la  mort  de  nos  amis.  Quoique  nous  ayons  resseot%^ 
la  perte  de  cette  chère  Mère,  nous  avons  été  très-aisa  ^ 
de  la  savoir,  a6n  de  lui  pouvoir  rendre  nos  dernier^^ 
devoirs.  Nous  l'avons  fait  de  cœur  et  d'afifection  pa^T 
une  communion  générale  et  par  un  service  solennel 
chanté  par  le  révérend  Père  supérieur,  car  cette  bonm  ^ 
Mère  était  canadienne  d'afifection. 

Pour  nous,  nous  sommes  toutes,  grâce  à  Notr^- 
Seigneur,  dans  une  bonne  santé,  et  ce  qui  vous  doxt 
le  plus  consoler,  dans  une  union  aussi  douce,  et  darm^ 
une  paix  aussi  profonde  que  nous  saurions  la  souhaite  ^' 
Je  bénis  Dieu  de  celle  que  vous  me  dites  être  dans  vott*^ 
sainte  maison  de  Tours.  Je  crois  qu'elle  est  telle  qia^ 
vous  le  dites,  et  que  la  divine  bonté  y  bâtit  sur  de  boo-^ 

fonds.   Je  n'oublierai  jamais  ce  que  j'y  ai  vu  da»^ 

• 

l'éducation  des  sujets    qui  la  sanctifient  aujourd'hts^^ 
par  leur  vertu  et  par  leur  régularité.  De  celles  que  j*J^ 
ai  vues,  je  juge  de  celles  qui  y  sont  entrées  depuis  notr^ 
absence,  puisque,  grâces  à  Notre-Seigneur,  j'y  ai  remar- 
qué un  esprit  foncier  capable  de  se  communiquer  et 
de  persévérer.  Je  prie  la  bonté  divine  de  le  vouloir 
augmenter;  car  la  sainteté  veut  toujours  croître,  et  ses 
accroissements  montrent  qu'elle  est  véritable. 

Nous  avons  fait  nos  élections,  où  la  révérende  Mère 
de  Saint-Athanase  a  été  continuée  en  sa  charge  de 
supérieure,  et  moi  en  celle  de  dépositaire,  qui  ne 
me  donne  pas  peu  de  tracas  :  mais  Dieu  le  veut,  j'en 
suis  contente,  puisque  cest  son  bon  plaisir.  J'espère  que 


bfi  LA  MÈRE  MARIB  DE  L*INCARNAtiON.  lîO 

^ous  me  manderez  Tannée  prochaine  le  succès  des 
nôtres;  je  prie  Dieu  cependant  quelles  réussissent  à  sa 
gloire.  Je  vous  supplie  de  me  continuer  votre  assis- 
tance auprès  de  Notre* Seigneur,  et  de  croire  que  je  suis 
en  lui,  avec  autant  de  sincérité  que  de  vérité,  votre... 

De  Québec,  le  28  de  septembre  1660. 


LETTRE    CXLVIII 


A    SON    FILS. 


^  eomptiit  à  aoe  ioârmité  habituelle  dont  il  était  incommodé,  et  l'exhorte 
à  la  patience.  —  Elle  s'excuse  de  se  rendre  à  la  prière  qu'il  lui  avait  faite 
^^  traiter  des  matières  spirituelles. 


Mon  très- cher  fils, 

•J'ai  enfin  reçu  vos  trois  lettres  avec  une  joie  d'autaat 
plos  sensible,  que  j'avais  quasi  perdu  Tespérance  de 
^  recevoir.  La  cause  de  ce  retardement  est  que  nos 
i^nets  et  ceux  de  nos  amis  ont  été  brouillés,  mais  enfin 
%et  nous  avons  tout  reçu.  Je  crains  bien  que  la 
inode  faiblesse  que  vous  ressentez  n'augmente  de  plus 
6&  plus.  Il  n'y  a  rien  qui  afifaiblisse  tant  que  les  causes 
}Q6  vous  me  dites;  et  ce  qui  est  incommode  à  votre 
infirmité,  c'est  le  genre  de  vie  que  votre  règle  vous 
oUige  de  garder.  J'ai  ressenti  vivement  votre  infirmité; 
mais  Dieu  soit  béni,  vous  êtes  à  lui  plus  qu'à  moi,  et 
TOtre  vie  et  la  mienne  sont  entre  ses  mains.  C'est  ce 
|ae  j'ai  à  vous  dire  pour  votre  consolation  et  pour 
oiotîf  de  patience  et  d'acquiescement  aux  ordres  de  Dieu. 


180  LBTTRB8 

Ce  n*e8t  pas   manque  de  bonne  volonté  si  je  ne 
m'entretiens  avec  vous   de   choses  spirituelles  selon 
votre  inclination  et  la  mienne  :  mais  je  sois,  aussi  bien 
que  vous,  si  accablée  d'affaires,  que  tout  ce  que  je  puis 
faire  après  y  avoir  satisfait,  c'est  de  m'acquitter  des 
observances  régulières.  Je  soupire  après  la  retraite 
et  la  solitude,  mais  il  n'est  pas  en  ma  disposition  de 
choisir  cet  état.  Ce  n'est  pas  que  du  côté  de  Dieu  mon 
esprit  ne  lui  soit  attaché  par  son  attrait,  et  que  mon . 
cœur  n'ait  le  bien  d'être  uni  à  sa  divine  Majesté,  avec 
sa  privante  et  sa  grâce  ordinaire.  M.  de  Genève  dit 
qu'il  y  a  des  oiseaux  qui  en  volant  prennent  leur  réfeo- 
tion.  Je  suis  de  même  en  matière  de  la  vie  de  l'esprit, 
car  dans,  les  tracas  où  je  suis  attachée  par  nécessité, 
je  prends  la  nourriture  solide  et  continuelle  que  je  viens 
de  vous  dire.  Ainsi  je  vous  assure  que  je  ne  puis  rien 
écrire  des  choses  spirituelles;  et  si  je  le  pouvais  faire, 
il  n'y  a  rien  qui  me  donnât  tant  de  satisfaction  que  de 
vous  donner  ce  contentement.  Demeurons-en  là,  s'il  vous 
plaît,  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  à  Dieu  d'en  disposer  autre- 
ment. Cependant  pensons  à  nous  sanctifier  dans  ces 
tracas,  vous  et  moi,  puisque  le  plus  parfait  et  le  pins 
agréable  à  ses  yeux  est  de  suivre  ses  ordres.  Pour  moi, 
j'ai  un  fort  attrait  de  m'offrir  dans  tous  les  moments 
en  esprit  de  sacrifice,  et,  en  m'oubliant  moi-même, 
me  laisser  consumer  à  Celui  qui  fait  gloire  d'avoir  des 
âmes  anéanties. 

Vous  m'avez  fort  obligée  de  n'avoir  pas  communiqué 
nos  écrits  pour  être  insérés  dans  l'ouvrage  de  ce  bon 
Père  qui  compose  l'histoire  de  Canada.*  Il  y  a  plus  de 

(1)  Cé  sont  1m  mémoires  qui  ont  servi  à  composer  Ttiistoire  de  sa  vie.  (Nota 
de  a.  Martiiu) 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*IN CARNATION.  181 

ix  ans  qu'il  me  presse  de  lui  donner  quelque  chose 
8  semblable;  je  m'en  suis  toujours  excusée.  Je  ne  sais 
i  le  révérend  Père  Lalemant  ne  lui  en  a  point  donné 
es  mémoires;  il  l'a- pu  s'il  l'a  voulu,  car  c'est  l'homme 
u  monde  qui  me  connaisse  le  mieux  :  s'il  l'a  fait  c'a  été 
ans  m'en  parler.  Mourons  entièrement  au  monde, 
t  disons  avec  un  saint  :  C'est  alors  que  nous  serons 
entablement  servantes  de  Jësus-Christ  si  le  monde 
e  voit  rien  de  nous.  Comme  je  m'unis  à  vous  en  tous 
»  biens  que  la  divine  bonté  fait  par  vous,  aussi  ce  que 
)  fais  en  lui,  car  sans  lui  je  ne  puis  rien  faire,  est 
areillement  à  vous.  Demeurons  dans  cette  union  et 
^mmunication  de  biens  pour  l'amour,  pour  l'honneur 
t  pour  la  gloire  de  Jésus.  Mes  autres  lettres  vous 
[sent  les  nouvelles  du  pays. 

De  Québec,  le  13  d  octobre  1660. 


LETTRE  CXLIX. 

A   UNE   RELIGIEUSE   URSULINE   DE   TOURS. 

{La  Mère  Ursule.) 

r  l'évéque  ordonne  que,  contre  la  coutume,  la  charge  de  maîtresse  des  novices 
soit  élective,  et  que  la  supérieure  ouvre  les  lettres  des  religieuses. 

Ma  révérende  et  très -chère  Mère, 

Voici  un  petit  mot  que  j'ai  cru  devoir  vous  écrire 

conâance  au  sujet  de  ma  chère  Mère  N.  Comme 

e  a  confiance  en  moi,  elle  me  fait  voir  quelques-unes 


i 


182  LETTRES 

de  ses  lettres,  et  j*ai  remarqué  dans  celle  qu'elle  vous 
écrit  au  sujet  de  Télection  d*une  maîtresse  des  noTioes, 
certaines  choses  où  elle  se  méprend  un  peu,  ne  sachant 
pas  entièrement  comme  elles  se  sont  passées.  Mais  vous 
pouvez  bien  m*en  croire,  puisque  le  tout  est  venu  à  ma 
^connaissance,  et  s*est  même  passé  à  ma  vue,  ayant 
toujours  accompagné  notre  révérende  Mère,  à  cause 
de  la  charge  où  je  suis,  et  de  celle  où  j*ai  été.  Voici 
donc  comme  la  chose  s*est  passée.  Mgr  notre  Prélat 
ayant  fait  venir  notre  révérende  Mère  au  parloir,  après 
qu'elle  fut  confirmée  en  sa  chaîne,  il  lui  déclara  qu'il 
voulait  que  la  maîtresse  des  novices  le  fut  aussi  des 
jeunes  professes,  et  que  cette  charge  fût  sujette  à  Télec- 
tion.  Cette  proposition  nous  surprit  extrêmement,  et 
pour  en  empêcher  Texécution,  nous  contestâmes  fort. 
Mais  quelques  raisons  que  nous  pussions  dire,  il  ne 
voulut  point  nous  écouter.  Ce  que  nous  pûmes  obtenir^ 
Ait  que  cette  élection  serait  seulement  pour  trois  aos, 
sans  conséquence,  et  comme  un  essai  qui  nous  ferait 
voir  le  succès  de  ce  changement  Notre  révérende  Mèr» 
ne  laissa  pas  d*en  avoir  bien  du  déplaisir,  parce  quelle 
était  dans  la  résolution  de  continuer  cette  chère  Mère» 
dans  cette  charge,  en  laquelle  elle  s*était  trèsbieca. 
comportée.  Mais  rélection  fît  tourner  les  choses  autre-- 
ment;  car»  comme  vous  savez,  en  matière  de  choix  » 
on  ne  dispose  pas  des  voix  comme  Ton  veut.  Le  toa^ 
se  fît  assurément  selon  Dieu»  et  dans  la  sincérité,  voq0 
pouvez  m'en  croire»  car  je  suis  témoin  oculaire  de  tout 
ce  qui  s'est  passé.  Or  je  vous  dirai,  dans  la  confiance, 
que  la  rais<^Q  peur  laquelle  on  n*a  pas  jeté  les  yeux  sof 
elle  dans  rélection»  est  quelle  est  trop  libre  à  dire  «es 
sentiments  et  quelle  les  change  un  peu  trop  facilement, 
ce  •{•Il  chc«{ue  extrêmement  celles  qui  ne  coanaisseat 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION .  183 

pas  son  fond  :  car  au  reste  elle  est  très-vertueuse  et  très- 
exacte  en  matière  de  régularité.  Mais  il  y  a  de  certains 
faibles  qui  nous  accompagneront  jusqu'à  la  mort,  quel- 
que saint  que  nous  soyons,  et  quelque  vertu  que  nous 
puissions  avoir. 

Vous  jugerez  de  ce  peu,  mon  intime  Mère,  ce  que 

je  veux  dire,  et  je  me  suis  résolue  de  vous  en  donner 

un  avis  de  confiance,  afin  qu'à  l'avenir  vous  .ne  croyiez 

pas  légèrement  tout  ce  que  l'on  pourra  vous  mander. 

Il  y  a  de  petits  soulèvements  de  cœur  excités  par  une 

passion  secrète,  qui  font  faire  des  saillies  dont  on  a 

quelquefois  le  loisir  de  se  repentir,  parce  que  cela  étant 

passé,  on  voit  les  choses  tout  autrement  qu'on  ne  les 

voyait  dans  l'émotion.  Au  reste,  quoique  la  Mère  N. 

eût  un  peu  de  mortification  en  ce  changement,  elle  n'en 

[      fit  rien  paraître  néanmoins  ;  maià,  d'un  esprit  qui  parut 

'      fort  dégagé,  elle  fit  voir  qu'elle  en  était  très-aise,  et  elle 

^en  assura  encore  dans  le  particulier.  Je  l'ai  crue,  car 

i^  la  crois  sincère.  Il  est  très- vrai  que  notre  révérende 

^èwr^  la  traite  avec  beaucoup  d'amour  et  de  confiance, 

^t  ^lle  est  une  de  celles  avec  qui  elle  communique  des 

Affatires  importantes  de  la  maison,  parce  qu'elle  a  un 

fort;  bon  sens  quand  elle  est  dans  son  assiette  de  vertu 

ordînaire,  et  cela  me  console  beaucoup.  Elle  est  parfois 

fàotiée  contre  moi,  ou  pour  mieux  dire,  elle  en  fait  le 

semblant,  de  ce  que  je  ne  lui  dis  pas  tout  ce  que  je  sais  ; 

BÎ  je  ne  le  fais  pas,  ce  n'est  pas  manque  de  confiance, 

mais  il  faut  que  je  garde  le  secret  à  qui  je  le  dois.  Vous 

^oyez,  mon  intime  Mère,  que  je  vous  ouvre  mon  cœur 

pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  l'amour  que  je  vous  porte 

ainsi  qu'à  cette  chère  Mère,  que  jo  voudrais  cacher 

dans  mon  cœur  en  de  certaines  rencontres. 

Je  me  sens  encore  obligée  de  vous  donner  de  l'éclair- 


ISI  LETTRES 

oissement  sur  ce  qu'on  vous  écrit  qu*on  voit  ici  toutes 
luvsi  lettres.  Il  est  vrai  qu*on  les  voit,  mais  on  ne  les 
ouvre  et  on  ne  les  lit  pas.  Mgr  notre  Prélat  ayant 
onionnë  à  notre  révérende  Mère  d'ouvrir  les  lettres 
qu  on  envoie  de  France,  elle  est  seulement  obligée  de 
itoupro  le  cachet,  et  c'est  ce  qu'elle  fait  afin  d'obéir  : 
mais  je  vous  assure  qu'elle  ne  les  lit  point  du  tout 
J^  TOUS  écris,  et  vous  pouvez  m'écrire  en  confiance 
UMit  M  que  vous  voudrez,  avec  assurance  que  cela  ne 
ji^m  va  que  de  moi.  Il  en  est  de  même  de  celles  que 
»^^$  M^rM  et  nos  amis  nous  écrivent,  et  de  celles 
qu^  Qi>us  leur  écrivons.  Nous  nous  sonmies  toujours 
^jNirâ^  cn^tu^  fidélité,  noire  révéïtende  Mère  et  moi,  lors- 
^^»^  n<m$  ;iiT)Mis  été  successivement  en  chaiige,  afin 
4^  )a»$iNr  la  lil^nê  à  nos  Congélations  de  nous  écrire 
li^^i  o^  «qu'il  iMir  phdrs. 

U  âi^i  ^11^  <>rax  cui  to«$  cvli  écm  oRte  particularité 
^^KMEit  pM  oc^wpris  ilu)ffi«k^n  ce  Moaiseigneor,  qui  con- 
:»$^  w^V'XiM^lK  Minsi^  ,^  Txss  ô«  Toos  dire,  dans 
^>rai^  J^tirwaiU:^  o^  ïvtt;^c>^  >  c:mSxq.  D  a  eo  raison  d'en 
trwr  4^  )a  ;s»^r^^  riuv>^  ct>^  k  r^je  •on  qnelqne  chose 
45?»  ;w»;^faW  <x;  «cf  tr*  :xwrT«CKDiœ:  «  enfin  il  faut 
^ï««rà^r  ^:«i^î^w  î>C7W  i  i:  j«î**  vrcr  cx^ni^e  supérieure 
^Wftî  Ih'^^aj:»  «*fc  iï^  »  i.i«w..^  îjrrref-ikous  donc 
^xw  X'^ç?sf  ^viiD£A::r«AV  <*cr;3iJL-:^^  jc  s:  t:io$  m^aimez, 
^^ci^x^<^  <4^  ^v  <t}^  ^tf  v.ri»  iîâ^  ss;  ^cûnsbliie.  Xa)oiiterai 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INGARNATION.  185 

à  tout  cela,  que  notre  révérende  Mère  et  moi  sommes 
dans  une  aussi  parfaite  intelligence  que  si  nous  n'étions 
qa*un  cœur.  Il  ne  se  passe  rien  et  elle  n'entreprend 
rien  qu'elle  ne  me  le  communique,  et  qu'elle  ne  me 
'  demande  mon  avis  :  ce  qui  noue  et  serre  notre  union 
trôs-étroitement.  Vous  savez  ce  que  vous  êtes  avec 
ma  chère  Mère  de  Saint-Bernard;  il  en  est  de  même 
de  notre  révérende  Mère  et  de  moi.  De  là  vient  que 
dans  la  maison  nous  ne  faisons  point  de  différence  de 
Congrégations.  Il  y  en  a  pourtant  dont  les  sentiments 
ne  sont  pas  tout  à  fait  morts  pour  leur  ancienne  demeure, 
ce  qui  m'afflige  sensiblement.  La  Mère  Marie  de  Saint- 
Joseph  était  toute  d'or  à  ce  sujet.  Elle  est  morte,  et 
elle  jouit  à  présent  de  la  récompense  qui  était  due 
à  fi(on  grand  détachement.  Le  vaisseau  qui  doit  partir 
presse  si  fort  que  je  suis  obligée  de  finir,  pour  vous  dire 
que  je  suis  sans  réserve,  votre... 

De  Québec,  le  13  d'octobre  1660, 


186  LETTRES 


LETTRE   CL. 

A    UNE    JEUNE   RELIGIEUSE    URSULINE. 

Elle  l'exhorte  à  mourir  à  elle-même,  et  à  s'avancer  sans  relâche  dans 

la  perfection. 

Ma  très- chère  et  bien-aimëe  fille, 

Puisque  vous  le  voulez,  j'en  suis  contente,  je  vous 
donne  cette  qualité,  et  je  vous  embrasse  comme  telle 
dans  l'aimable  cœur  de  Jâsus  notre  unique  et  surado- 
rable Sauveur.  Ce  m'est  toujours  une  nouvelle  joie  de 
ce  que  vous  lui  apparteniez,  et  de  ce  que  vous  vouliez  le 
suivre  sans  réserve.  Qu'il  fait  bon,  ma  très-chère  fille, 
de  l'aimer,  mais  de  l'aimer  de  la  bonne  manière,  c'est- 
à-dire  en  mourant  à  soi-même  mille  fois  le  jour  en 
esprit  de  sacrifice.  L'état  où  sa  divine  bonté  nous  a 
appelées,  vous  et  moi,  nous  donne  le  moyen,  par  pré- 
ciput  à  tous  les  autres  états,  de  le  faire.  Que  nos  cœars 
n'aient  donc  plus  de  mouvement  que  par  l'esprit  de  ce 
divin  Maître,  qui  absolument  et  sans  réserve  veut  être 
l'esprit  de  notre  esprit.  Il  a  des  jalousies  qui  ne  se 
peuvent  exprimer,  à  ce  que  nous  ne  nous  écartioiu 
jamais  de  sa  divine  et  douce  maîtrise.  Je  crois,  ma 
bien -aimée  fille,  que  vous  êtes  dans  la  disposition  de 
lui  tout  céder,  et  de  courir  plus  que  jamais  dans  la 
voie  du  saint  amour.  Je  lui  demande  qu'il  perfectioDue 
encore  en  vous  cette  sainte  disposition,  parce  qnil  J 


/  DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNGARNATION  .  187 

de  continuelles  ascensions  à  faire  dans  le  chemin  de 
;  perfection,  qui  ne  trouvera  point  de  terme  que  dans 
Heroité.  Demandez-lui  aussi  pour  moi  que  je  lui  sois 
dèle  en  cette  course.  Je  souhaite  plus  que  je  ne  puis 
DUS  le  dire,  que  veus  et  ma  nièce  soyez  toujours  unies 
Eir  le  lien  de  la  sainte  dilection  ;  ce  lui  sera  un  grand 
\rantage,  puisque  nos  faiblesses  veulent  du  secours 
ans  une  affaire  aussi  importante  Qu'est  celle  de  notre 
drfection,  que  je  sais  bien  que  vous  cherchez  en 
>as  aimant.  Âimez-vous  donc  et  aimez-moi  en  Celui 
li  n'est  que  pureté  et  amour.  Je  suis  en  lui  toute 
)tre... 

De  Québec,  le  23  octobre  1660. 


LETTRE   CLI. 


A   SON   FILS. 


les  affaires  da  Canada  depuis  le  mois  de  juin  ju8qa*en  novembre.  —  Desseins 
Iroqaois  découverts.  —  Mort  chrétienne  de  quelques  Français  par  les 
as  de  ces  barbares. 


Mon  très-cher  et  bien-aimé  fils, 

vous  ai  écrit  par  tous  les  vaisseaux.   Voici   le 

r,  que  je  ne  puis  laisser  partir  sans  me  consoler 

DUS,  vous  disant  adieu  pour  cette  année.  Plusieurs 

is  honnêtes  gens  de  ce  pays  sont  partis  pour 

i  France,  et  particulièrement  le  révérend  Père 

le  y  va  pour  demander  du  secours  au  roi  contre 


188 

■ 

nos  ennemis,  que  Ion  a  dessein  d'aller  attaquer  en 
leur  pays.  L*on  espère  qne  Sa  Majesté  en  donnera, 
et  en  cette  attente  Ton  fait  ici  nn  grand  nombre  d6 
petits  bateaux,  qui  ne  sont  guère  plus  grands  que  les 
canots  des  Iroquois  :  c'est-à-dire,  propres  à-  porter  quiiue 
ou  vingt  hommes.  II  est  vrai  que  si  Ton  ne  va  humilier 
ces  barbares  ils  perdront  le  pays,  et  ils  nous  chasse- 
ront tous  par  leur  humeur  guerrière  et  carnassière. 
Ils  chasseront,  dis-je,  ceux  qui  resteront,  car  avant 
que  d'en  venir  là,  ils  en  tueront  beaucoup,  et  tous  si 
on  les  laisse  faire.  Il  n*y  a  nulle  assurance  à  leur  paix» 
car  ils  n*en  font  que  pour  allonger  le  temps,  et  prendra 
Foccasion  de  faire  leur  coup  et  d'exécuter  leur  dessein^ 
qui  est  de  rester  seuls  en  toutes  ces  contrées,  afin  d'^ 
vivre  sans  crainte,  et  d'avoir  toutes  les  bêtes  pooa 
vivre  et  pour  en  donner  les  peaux  aux  Hollandais 
Ce  n'est  pas  qu'ils  les  aiment,  mais  parce  qu'ils  on" 
besoin    de   quelques-uns  par  le   moyen    desquels  ïim 
puissent  tirer  leurs  nécessités  de  l'Europe  et  comme  1 
Hollandais  sont  plus  proches  d'eux,  ils  traitent  pi 
facilement,  non  sans  leur  faire  mille  indignités  qn^ 
les  Français  ne  pourraient  jamais  souffrir;  mais  l'amour 
des  biens  de  la  terre,  et  le  désir  d'avoir  des  castors 
font  que  les  Hollandais  souffrent  tout. 

Voilà  le  véritable  dessein  des  Iroquois,  comme  no&c 
l'avons  appris  d'un  Huron  chrétien  de  la  dernière 
défaite,  qui  s'est  sauvé  d'une  bande  de  six  cents  As 
ces  barbares,  qui  venaient  ici  cet  automne  pour  nous 
surprendre  et  pour  ravager  nos  moissons.  Il  ajoute  qaa 
pour  retirer  quatorze  Oiooueronons  qui  sont  dans  les 
fers  à  Montréal,  ils  allaient  paraître  en  petit  nombre 
devant  l'habitation  avec  un  pavillon  blanc,  qui  est  le 
signe  de  la.p{râ».£8ÎgnAiiit  la  vouloir  demander.  Car 


DE  LA  MËRB  MARIB  DE  L'iN CARNATION.  189 

ils  disent  que  les  robes  noires  voyant  ce  signe,  ne 
manqueront  pas  d'aller  au  devant  avec  quelques  Fran- 
çais, qu'ils  prendront  les  uns  et  les  autres  afin  de  les 
Changer  avec  leurs  prisonniers,  et  que  l'échange  fait,  ils 
^  jetteront  sur  les  Français  afin  de  les  détruire.  Mais 
^vant  que  de  les  exterminer,  ils  ont  envie  d'enlever  les 
femmes  et  les  filles  pour  les  emmener  en  leur  pays. 

Le  Huron  fugitif  ajoute  à  tout  cela,  qu'il  est  arrivé 

^  ces  six  cents  barbares  un  accident  qui  pourra  bien 

j^8  faire  retourner  sur  leurs  pas  sans  rien  faire.  Comme 

^fe  se  divertissaient  en  chassant  à  l'eau  un  cerf  ou  vache 

^aoTage,  l'un  d'entre  eux  voulant  tirer  sur  la  bête 

pour  l'arrêter,  tira  sur  le  chef  de  l'armée  et  le  tua;  et 

^mme  ces  gens-là  sont  fort  superstitieux,  ils  ont  tiré 

m     augure  de  ce  coup,  que  leur  guerre  n'irait  pas 

)ien.    pour  eux,  et  qu'assurément  il  leur  arriverait  du 

nallieur.  Dans  cette  pensée,  qui  passait  en  leur  esprit 

pour    une   conviction,  ils  commencèrent  à  défiler,  et 

le    captif  prit  occasion  de  là  de  s'enfuir,   ayant  les 

plaies,  de  ses  doigts  coupés  et  brûlés  encore  toutes 

fraîches. 

C^est  ce  même  captif  qui  nous  a  appris  la  fin  de  nos 
Fi'^nçais  et  de  nos  sauvages  chrétiens,  qui  avaient  été 
pris  au  printemps  dernier,  après  s'être  défendus  jusqu'à 
l'extrémité.  Il  dit  qu'ils  les  ont  tous  fait  brûler  avec 
des  tourments  et  des  ignominies  horribles.  Ils  ont  souf- 
fe^  la  mort  avec  une  générosité  qui  épouvantait  leurs 
^ans.  Le  dernier  mort,  à  qui  l'on  hachait  les  doigts 
P^Ti.  à  peu,  se  jetait  à  genoux  à  chaque  pièce  qu'on  lui 
f  ^Upait,  pour  remercier  Dieu  et  le  bénir.  Avec  tout 
^la,  il  était  demi-rôti  :  car  on  les  a  fait  brûler  à  petit 
tea,  ces  barbares  étant  pires  et  plus  démons  en  cruauté 
Hûe  les  démons  même. 


190  LETTRES 

Toutes  ces  connaissances  ont  tellement  animé  lei 
Français,  qu'ils  sont  résolus  de  détruire  ces  misérables 
par  eux  et  par  le  secours  qu'ils  attendent  de  France.  Us 
ne  peuvent  plus  dififérer  leur  perte  après  tant  d'hosti- 
lités et  de  ruptures  de  paix.  Autant  qu'ils  en  prennent, 
ils  les  mettent  entre  les  mains  des  Algonquins,  qui  sont 
gens  de  cœur,  fort  bons  chrétiens  et  très-fidôles  aux 
Français,  qui  les  traitent  (les  Algonquins. traitent  les 
Iroquois)  comme  ils  sont  traités  quand  ils  sont  pris. 
Vous  vous  étonnez  de  cette  résolution,  et  vous  dites 
que  cela  répugne  à  l'esprit  de  l'Evangile  et  des  apôtres, 
qui  ont  exposé  leur  vie  pour  sauver  les  infidèles,  et 
ceux  même  qui  les  faisaient  soufifrir.  Mgr  notre  Prélat 
a  été  de  votre  sentiment  ;  il  a  même  fait  apprendre  la 
langue  à  M.  de  Bernières  pour  aller  les  instruire;  vous 
savez  combien  de  fois  nos  révérends  Pères  y  sont  allés 
pour  le  même  sujet  :  tout  nouvellement  ils  ont  Yovln 
y  aller  pour  faire  un  dernier  effort;  mais  on  les  a 
retenus  comme  par  violence,  le  péril  étant  trop  évident 
et  inévitable.  Après  tant  d'efforts  inutiles  et  d'expé- 
riences  de  la  perfidie  de  ces  infidèles.  Monseigneur  a 
bien  changé  de  sentiment;  et  il  tombe  d'accord  avec 
toutes  les  personnes  sages  du  pays,  ou  qu'il  les  faille 
exterminer,  si  Ton  peut,  ou  que  tous  les  chrétiens  et 
le  christianisme  (Ju  Canada  périssent.  Quand  il  n'y  aura 
plus  de  christianisme  ni  de  missionnaires,  quelle  espé- 
rance y  aura-t-il  de  leur  salut?  Il  n'y  a  que  Dieu  qui 
par  un  miracle  bien  extraordinaire  les  puisse  mettre 
dans  la  voie  du  Ciel.  Il  est  tout- puissant  pour  le 
faire.  Priez-le  de  cela,  si  c'est  pour  sa  gloire,  et  s'il 
y  a  encore  parmi  ces  barbares  quelque  âme  prédestinée 
qu'il  veuille  sauver,  comme  il  en  a  sauvé  six  ou  sept 
cents  ces  dernières  années,  que  les  révérends  Pères 


I 

DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INCARNATION.  191 

y  ont  prêché,  et  fait  les  fonctions  d'apôtres  avec  des 
travaux  incroyables. 

Dans  le  déplorable  état  où  sont  les  afifaires  com- 
munes du  pays ,  peut-être  que  nos  Mères  seront  en 
peine  de  nous,  et  qu'elles  penseront  à  nous  rappeler 
auprès  d'elles.  Si  elles  sont  dans  cette  disposition,  je 
vous  supplie,  mon  très-cher  fils,  d'en  détourner  le  coup  : 
car  outre  que  nous  ne  sommes  pas  en  danger  pour  nos 
personnes,  nous  n'avons  point  de  peur.  £t  de  plus,  soyez 
assuré  et  assurez-les  que  s'il  y  avait  quelque  péril 
évident,  Mgr  notre  Prélat  n'en  ferait  pas  à  deux  fois;  il 
ferait  mettre  les  Hospitalières  et  les  Ursulines  dans  un 
même  vaisseau,  et  nous  renverrait  en  France.  Mais, 
grâces  à  Notre-Seigneur,  le  mal  n'est  pas  à  cette  extré- 
mité; et  quoique  l'intention  des  Iroquois  soit  de  nous 
chasser  ou  de  nous  détruire,  je  crois  que  celle  de  Dieu 
est  de  nous  arrêter  et  de  faire  triompher  cette  nouvelle 
Eglise  de  ses  ennemis.  Adieu  pour  cette  année. 

De  Québec,  le  2  de  novembre  1660. 


l«$ 


LKTTRKS 


I.FTTRE    CLÎÎ. 


A  î  K  5ïTTVKTnT:F  nRi  rn?n.îSE?  nr  tours. 


Mer  ''«rrH^rA*^!*!^  Hi^  Tmiw  j    fw:   iiDT«niii«r    te 
?K  ^i'îfr     —  Me:  3e  P^tr#e  *«>;  ^llv:  nio*  ioiL 


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Mfi  iTè^révérende.  e:  trè£*hQiuirâe  Itère, 

Votre-  MiriT^  Mn^^iictiar.. 

Jr  vn\  p^  ^u  troinnée  er  apprenam  le  chaxiqi 
Nofro-SeiCTwir  f.  fai:  de  x-otrf  personne  panr.goimav 

m 

bîeri.  TnoT:  imîTPr  Wèrt .  f :  ;-'eL  &:  renàr  mes très-Jnnnhli 
5ïc*l^on<  rtf  (TThc-^s  ?  '''':;:  oi:.  vonf  aTaÎT  chcÙBie  dff 
l- oif^i.  pvftp:  onc  fdi:^>    -r.    orr  flonii-.  leurs  sufiMpï 

.1;    spiv   hnr     r^      :     \ij"     ■  nTi'^iïf véfiD-:    d'avoir  tf 

4 

j^v»v'»^^-^  \:.  'HArv.-.iit.  w.    '-T:    iiaTis  .  ïiupanenee  dele^» 

i'-^r-rATtiT-Pt     (if^T     Mfi  l.•^^^     i:     i-TT*     rTaiiT    tOmbé 


«fi     Ji     vr.r.5   ê.:    .::*     :::;•;:    N;-Mi:ï:ti:,:    t*  Ul  remertàff 


■^TTi^rr  ^L.  «rr^ii     ^'"ï-^îr::  •  {,h  .    vons  a  l'ail  Cep*" 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  193 

dant  cette  pièce  ne  nous  servira  pas  peu  dans  nos 
affaires  présentes  dont  je  vais  vous  faire  le  récit. 

Il  paraîtrait  par  votre  grande  lettre,  que  nous  ayons 
de  Vinclination  à  changer  nos  constitutions.  Non,  mon 
intime  Mère,  nous  n'avons  nulle  inclination  qui  tende 
à  cela.  Mais  je  vous  dirai  que  c'est  Mgr  notre  Prélat 
qui  en  a  quelque  envie,  ou  du  moinâ  de  les  bien  altérer  : 
voici  comme  la  chose  s'est  passée.  L'année  dernière, 
lorsqu'il  faisait  sa  visite,  quelques-unes  de  nos  sœurs 
Im  firent  entendre  à  notre  insu,  qu'il  serait  bon  qu'il 
noQs  donnât  un  abrégé  de  nos  constitutions.  Il  ne  laissa 
pas  perdre  cette  parole,  car  il  en  a  fait  faire  un  selon 
son  idée,  dans  lequel  laissant  ce  qu'il  y  a  de  substantiel, 
il  retranche  ce  qui  donne  de  l'explication  et  ce  qui  en 
peut  faciliter  la  pratique.  Il  y  a  ajouté  ensuite  ce  qu'il 
lui  a  plu ,  en  sorte  que  cet  abrégé ,  qui  serait  plus 
propre  pour  des  Carmélites  ou  pour  des  religieuses 
h  Calvaire  que  pour  des  Ursulines,  ruine  effectivement 
iMtre  constitution.  Il  nous  en  a  fait  faire  la  lecture 
par  le  révérend  Père  Lallemant,  qui  n'a  pas  peu  donné 
i  Dieu  en  cette  action,  parce  que  c'est  lui  qui  a  le 
plus  travaillé  à  nos  constitutions.  Il  nous  a  donné  huit 
mois  ou  un  an  pour  y  penser.  Mais,  ma  chère  Mère, 
I*affiiire  est  déjà  toute  pensée  et  la  résolution  toute 
ptm  :  nous  ne  l'accepterons  pas,  si  ce  n'est  à  l'extré- 
^té  de  l'obéissance.  Nous  ne  disons  mot  néanmoins, 
pour  ne  pas  aigrir  les  affaires  ;  car  nous  avons  affaire 
^  un  Prélat,  qui  étant  d'une  très-haute  piété,  s'il  est 
:  ^Uie  fois  persuadé  qu'il  y  va  de  la  gloire  de  Dieu,  il 
I  n'en  reviendra  jamais,  et  il  nous  en  faudra  passer  par 
ft  ^  ce  qui  causerait  un  grand  préjudice  à  nos  obser- 
M  ^068.  Il  s'en  est  peu  fallu  que  notre  chant  n'ait  été 
M    ^^vbranché.  Il  nous  laisse  seulement  nos  Vêpres  et  nos 

1 


wnu  M.  n.  13 


«^^ 


74r.^ihr>fl.    in»i  iotz5  ^haznana  'smmxe  toos  Curiez  an 
*emp.^    "iTii?   /4râi5    i   Tiers.  Pour  la  gruuf messe,  il 
7^a*   iirile  iOii    ::iazTce   i  Toix  irniœ,  n'ajant  nui 
éi^^ivi  \  là  :aL  3e  :aii  soir  i  Farîa  soie  à  Toars.  mais 
<9eu.emeQ?:  i  :e  lœ  si^a  «prit  lai  roggère  être  poar 
le  miteux.  Il  :ruj:ir  la^  ^^^^a  ae  prenions  de  la  vanité 
en  chanranr  ^r.  yza  acoâ  oe  ionnians  de  la  comptai- 
sant;^  au   iecLon.  Vons  oe  ^liancans  plus  aoz  messes, 
parc^  '. ':Le.  :::-iL  :eia  ioone  le  la  «iistraction  au  célé- 
brer.:, kZ  :^:;'I1  D.'a  pcLui;  7*1  cela  aillean.  Notre  conso- 
lation en  XGZ  cela  est  mil  a  ea  la  bonté  de  nous 
donner  po^r  directeur  le  révérend  Père  Lallemant,  qui 
est  notre  meilleur  ami.   ec  avec  qai  nous  pouvons 
traiter  conâdemmen;.  Fi  a  un  soin  incroyable  de  nous, 
tant  pour  le  spirituel  que  pour  le  corporel;  et  comme 
il  est  très-bien  dans  son  esprit,  il  rabat  bien  des  coups 
quil  nous  serait  difficile  de  supporter.  Xattribue  toot 
ceci,  au  zèle  de  ce  très-digne  Prélat;  mais,  comme  vous 
savez,  mon  intime  Mère,  en  matière  de  règlement, 
l'expérience  doit  l'emporter  par-dessus  toutes  les  spé- 
culations. Quand  on  est  bien,  il  faut  s'y  tenir,  parce 
rjue  l'on  est  assuré  qu'on  est  bien;  mais  en  changeanti 
on  ne  sait  si  l'on  sera  bien  ou  mal.  Je  vous  ai  fait  ce 
récit,  ma  très-chère  Mère,  afin  que  vous  jugiez  si  nous 
voulons  changer  nos  constitutions,  et  pour  me  consoler 
avec  vous  dans  la  peine  que  je  soufire  sur  ce  s^jet. 

De  Québec,  le  13  de  septembre  1661. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INCARNATION,  195 


LETTRE    CLIII. 


A   SON   FILS. 


X^ 


Toyaat  dégagé  de  Tembarras  de  ses  affaires,  elle  Texhorte  à  profiter  da  repos 
que  Dieu  lui  donne  pour  faire  un  amas  de  vertus.  —  Elle  parle  de  sa  dévotion 
au  Cœur  du  Verbe  incarné,  à  la  sainte  Vierge  et  à  saint  François  de  Paule. 


Mon  très-cher  fils, 

J'ai  reçu  avec  une  consolation  toute  particulière  vos 
trois  lettres,  qui  toutes  m'ont  appris  que  Notre-Seigneur 
vous  a  rendu  la  santé.  Je  vous  avoue  que  je  craignais 
que  ce  mal  ne  vous  emportât,  et  j'avais  déjà  fait  mon 
sacrifice  en  dénuant  mon  cœur  de  ce  qu'il  aime  le  plus 
sur  la  terre,  pour  obéir  à  sa  divine  Majesté.  Mais  enfin 
vous  voilà  encore;  soyez  donc  un  digne  ouvrier  de  sa 
gloire,  et  consumez-vous  à  son  service.  Pour  cet  efiet 
je  suis  très-aise  que  vous  soyez  hors  de  Compiègne,  où 
les  soins  des  affaires  temporelles  partageaient  votre 
esprit.  Servez-vous  de  ce  repos  comme  d'un  rafraî- 
chissement que  le  Ciel  vous  présent^  pour  faire  de 
nouveaux  amas  de  vertus  et  de  bonnes  œuvres,  et  pour 
employer  toutes  vos  forces  à  la  gloire  de  Celui  pour  qui 
nous  vivons.  Vous  avez  bien  commencé,  et  j'ai  pris 
plaisir  à  l'adresse  avec  laquelle  vous  avez  saintement 
te>mpé  Mgr  d'Angers  au  sujet  de  la  réforme  de  saint 
Aubin.  Il  faut  quelquefois  faire  de  semblables  coups 
pour  avancer  les  affaires  de  Dieu,  qui  a  soin  après  cela 


196 

d^essayer  les  disgrâces  qui  en  peuvent  naître  de  la  part 
des  créatures.  Vous  en  avez  une  preuTe,  puisque  ce 
grand  Prélat  vous  aime,  et  que  son  esprit  n'en  est  pas 
plus  altéré  contre  tous. 

J'apprends  encore  que  vous  servez  Dieu  et  le  prochain 
par  vos  prédications.  Vous  m*avez  beaucoup  obligée 
de  m'envoyer  celle  que  vous  avez  faite  des  grandeurs 
de  Jfisus,  et  vous  avez  raison  de  dire  qu'elle  traite  d'an 
sujet  que  j  aime.  Je  Faime  en  eËTet,  car  tout  ce  qui  parle 
des  grandeurs  de  notre  très-adorable  Jfisus  me  plait 
plus  que  je  ne  puis  vous  Texprimer.  Je  vous  laisse 
à  penser  si  mon  esprit  n'est  pas  content  quand  je  reçois 
quelque  chose  de  semblable  de  mon  fils,  que  j'ai  toujours 
souhaité  dans  la  vie  de  TEvangile  pour  en  pratiquer  les 
maximes,  et  pour  y  annoncer  les  louanges  et  les  gran- 
deurs du  sacré  Verbe  incarné.  Vous  n'aviez  pas  encore 
vu  le  jour  que  mon  ambition  pour  vous  était  que  vous 
fussiez  serviteur  de  Jêsts-Chbist,  et  tout  dévoué  à  ses 
divins  conseils,  aux  dépezis  de  votre  vie  et  de  la  mienne. 
La  pièce  est  belle  et  bien  conçue  en  toutes  ses  droons- 
tances,  mais  je  crains  que  ces  grandes  pièces  d'appareil 
ne  vous  peinent  trop,  et  que  ce  ne  soit  en  partie  la  cause 
de  vos  épuisements.  3  y  remarque  un  grand  travail, 
mais  la  douceur  d'esprit  s*y  trouve  jointe.  Si  j'étais 
comme  ces  saints  qui  entendaient  prêcher  de  loin, 
je  prendrais  plaisir  k  vous  entendre,  mais  je  ne  sois 
pas  digne  de  cette  grâce.  Il  est  à  croire  que  nous  nous 
verrons  plutôt  en  Tautre  monde  qu'en  celui-ci.  Dien 
néanmoins  a  des  voies  qui  nous  sont  inconnues,  surtout 
dans  un  pays  flottant  et  incertain  comme  celui-ci,  où 
natorellement  parlant,  il  nV  a  pas  plus  d'assurance 
qu*aux  feuilles  des  arbres  quand  elles  sont  agitées 
par  le  vent. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION .  197 

Vous  me  demandez  quelques  pratiques  de  mes  dévo- 
tions particulières.  Si  j'avais  une  chose  à  souhaiter 
en  ce  monde,  ce  serait  d'être  auprès  de  vous  afin  de 
verser  mon  cœur  dans  le  vôtre,  mais  notre  bon  Dieu  a 
fait  nos  départements  où  il  nous  faut  tenir.  Vous 
savez  bien  que  les  dévotions  extérieures  me  sont  diffici- 
les. Je  vous  dirai  néanmoins  avec  simplicité,  que 
j'en  ai  une  que  Dieu  m'a  inspirée,  de  laquelle  il  me 
semble  que  je  vous  ai  parlé  dans  mes  écrits.  C'est 
aa  suradorable  Cœur  du  Verbe  incarné  :  il  y  a  plus  de 
trente  ans  que  je  la  pratique,  et  voici  l'occasion  qui 
me  la  fit  embrasser. 

Un  soir  que  j'étais  dans  notre  cellule,  traitant  avec 
le  Père  Eternel  de  la  conversion  des  âmes,  et  souhaitant 
avec  un  ardent  désir  que  le  royaume  de  JTësus-Christ 
fût  accompli,  il  me  semblait  que  le  Père  Eternel  ne 
m'écoutait  pas,  et  qu'il  ne  me  regardait  pas  de  son  œil 
de  bénignité  comme  à  l'ordinaire.  Cela  m'affligeait; 
mais  en  ce  moment  j'entendis  une  voix  intérieure  qui 
me  dit  :  Demande-moi  par  le  Cœur  de  mon  Fils,  c'est 
par  lui  que  je  t'exaucerai.  Cette  divine  touche  eut  son 
efifet,  car  tout  mon  intérieur  se  trouva  dans  une  com- 
munication  très-intime  avec  cet  adorable  Cœur,  en  sorte 
que  je  ne  pouvais  plus  parler  au  Père  Eternel  que  par 
lui.  Cela  m'arriva  sur  les  huit  à  neuf  heures  du  soir, 
et  depuis,  vers  cette  heure-là,  c'est  par  cette  pratique 
que  j'achève  mes  dévotions  du  jour  ;  et  il  ne  me  souvient 
point  d*y  avoir  manqué,  si  ce  n'est  par  impuissance 
de  maladie,  ou  pour  navoir  pas  été  libre  dans  mon 
action  intérieure.  Voici  à  peu  près  comme  je  m'y  com- 
porte lorsque  je  suis  libre  en  parlant  au  Père  Eternel. 

«  C'est  par  le  Cœur  de  mon  Jésus,  ma  voie»  ma  vérité 
et  ma  vie,  que  je  m'approche  de  vous,  ô  Père  Eternel. 


198  LETTRES 

Par  ce  divin  Cœur  je  vous  adore  pour  tous  ceux  qui 
ne  vous  adorent  pas  ;  je  vous  aime  pour  .tous  ceux  qui 
ne  vous  aiment  pas  ;  je  vous  reconnais  pour  tons  les 
aveugles  volontaires  qui  par  mépris  ne  vous  reconnais- 
sent pas.  Je  veux  par  ce  divin  Cœur  satisfaire  au  devoir 
de  tous  les  mortels.  Je  fais  le  tour  du  monde  pour 
y  chercher  toutes  les  âmes  rachetées  du  sang  tràs- 
précieux  de  mon  divin  Epoux.  Je  veux  vous  satisfaire 
pour  toutes  par  ce  divin  Cœur.  Je  les  embrasse  pour 
vous  les  présenter  par  lui,  et  par  lui  je  vous  demande 
leur  conversion;  voulez-vous  souârir  qu'elles  ne  con- 
naissent pas  mon  Jésus  et  qu'elles  ne  vivent  pas  pour 
lui  qui  est  mort  pour  tous?  Vous  voyez,  ô  divin  Père, 
qu'elles  ne  vivent  pas  encore.  Ah  !  faites  qu'elles  vivent 
par  ce  divin  Cœur.  y> 

C'est  ici  que  je  parle  de  cette  nouvelle  Eglise,  et  que 
j'en  représente  à  Dieu  toutes  les  nécessités,  puis  j'ajoute  : 
«  Sur  cet  adorable  Cœur  je  vous  présente  tous  les 
ouvriers  de  l'Evangile  ;  remplissez-les  de  votre  Esprit- 
Saint  par  les  mérites  de  ce  divin  Cœur.  »  Des  ouvriers 
de  TEvangile  mon  esprit  passe  aux  Iroquois,  nos  enne- 
mis, dont  je  demande  la  conversion  avec  toute  l'instance 
qui  m'est  possible.  Puis  je  parle  de  deux  âmes  que  vous 
connaissez,  et  je  dis  :  «  Sur  ce  sacré  Cœur  comme  sur 
un  autel  divin,  je  vous  présente  N.  votre  petit  serviteur 
et  N.  votre  petite  servante;  je  vous  demande,  au  nom 
do  mon  divin  Epoux,  que  vous  les  remplissiez  de  son 
esprit,  et  qu'ils  soient  éternellement  à  vous  sous  les 
auspices  de  cet  adorable  Cœur.  »  Je  fais  encore  mémoire 
(le  quelques  personnes  uvec  qui  j'ai  des  liaisons  spiri- 
tuelle», et  des  bienfaiteurs  de  notre  maison  et  de  ceto 
nouvelle  Eglise.  Je  m'adresse  ensuite  au  sacré  Verte 
tnoamé,  tt  je  loi  dis  :  •  Vous  savez»  mou  hiea-mi    f  ^ 


DE  LA  MËRB  BfARIE  DE  L*INCARNATION.  199 

totat  ce  que  je  veux  dire  à  votre  Père  par  votre  divin 
Cœur  et  par  votre  sainte  âme;  en  le  lui  disant,  je 
TOUS  le  dis,  parce  que  vous  êtes  en  votre  Père  et  que 
Totre  Père  est  en  vous.  Faites-donc  que  tout  cela 
s'accomplisse,  et  joignez-vous  à  moi  pour  fléchir  par 
▼otre  Cœur  celui  de  votre  Père.  Faites,  selon  votre 
parole,  que  comme  vous  êtes  une  même  chose  avec  lui, 
toutes  les  âmes  que  je  vous  présente  soient  aussi  une 
même  chose  avec  lui  et  avec  vous.  »  Voilà  Texercice 
du  sacré  Cœur  de  Jésus. 

J'envisage  ensuite  ce  que  je  dois  au  Verbe  incarné, 
et  pour  lui  en  rendre  mes  actions  de  grâces,  je  lui  dis  : 
«  Que  vous  rendrai-je ,  ô  mon  divin  Epoux,  pour  les 
excès  de  vos  grâces  en  mon  endroit?  C'est  par  votre 
divine  Mère  que  je  veux  vous  en  rendre  mes  recon- 
naissances. Je  vous  offre  donc  son  sacré  Cœur,  ce 
Ciœur,  dis-je,  qui  vous  a  tant  aimé.  Souffrez  que  je  vous 
aime  par  ce  même  Cœur,  que  je  vous  offre  les  sacrées 
mamelles  qui  vous  ont  allaité,  et  ce  sein  virginal  que 
vous  avez  voulu  sanctifier  par  votre  demeure  avant 
que  de  paraître  dans  le  monde.  Je  vous  l'offre  en 
action  de  grâces  de  tous  vos  bienfaits  sur  moi,  tant 
de  grâce  que  de  nature.  Je  vous  Toffre  pour  l'amende- 
ment de  ma  vie,  et  pour  la  sanctification  de  mon  âme, 
et  afin  qu'il  vous  plaise  me  donner  la  persévérance 
finale  dans  votre  grâce  et  dans  votre  saint  amour.  Je 
vous  rends  grâces,  ô  mon  divin  Epoux,  de  ce  qu'il  vous 
ait  plu  choisir  cette  très-sainte  Vierge  pour  votre  Mère, 
de  ce  que  vous  lui  ayez  donné  les  grâces  convenables 
à  cette  haute  dignité,  et  enfin  de  ce  qu'il  vous  ait  plu 
oous  la  donner  pour  Mère.  J'adore  l'instant  sacré  de 
votre  Incarnation  dans  son  sein  très-pur,  et  tous  les 
divins  moments  de  votre  vie  passagère  sur  la  terre. 


200  LETTRES 

Je  VOUS  rends  grâces  de  ce  que  vous  vous  soyez  voulu 
faire,  non-seulement  notre  vie  exemplaire  (le  modèle 
de  notre  vie)  par  vos  divines  vertus»  mais  encore  notre 
cause  méritoire  (la  source  des  mérites  pour  notre  salut) 
par  tous  vos  travaux  et  par  Teffusion  de  votre  sang. 
Je  ne  veux  ni  vie  ni  moment  que  par  votre  vie. 
Purifiez  donc  ma  vie  impure  et  défectueuse  par  la  pureté 
et  perfection  de  votre  vie  divine,  et  par  la  vie  sainte 
de  votre  divine  Mère.  » 

Je  dis  ensuite  ce  que  Tamour  me  fait  dire  à  la  très- 
sainte  Vierge,  toujours  néanmoins  dans  le  même  sens 
que  ce  que  je  viens  de  dire,  et  je  ferme  par  là  ma 
retraite  du  soir.  Dans  les  autres  temps,  mon  cœur 
et  mon  esprit  sont  attachés  à  leur  objet  et  suivent  la 
pente  que  la  grâce  leur  donne.  Dans  l'exercice  même 
que  je  viens  de  rapporter,  je  suis  le  trait  de  Tesprit,  et 
ce  n*est  ici  qu'une  expression  de  l'intérieur.  Car  je  ne 
puis  faire  de  prières  vocales  qu'à  la  psalmodie,  mon 
chapelet  d'obligation  m'étant  même  assez  difficile. 

Je  porte  au  cou  une  petite  chaîne  de  fer  depuis  plos 
de  vingt-trois  ans,  pour  marque  de  mon  engagement 
à  la  sainte  Mère  de  Dieu  ;  je  n'y  ai  point  d'autre  pra- 
tique, sinon,  en  la  baisant,  de  m'ofifrir  pour  esclaye 
à  cette  divine  Mère. 

Accommodez- vous,  je  vous  prie,  mon  très-cher  fib, 
à  ma  simplicité  et  excusez  ma  facilité  (mon  ingénuité). 
Jo  puis  dire  comme  saint  Paul,  que  je  fais  une  folie, 
mais  je  dirai  aussi  avec  lui  que  c'est  vous  qui  me  con- 
traignez de  la  faire.  J'ai  encore  composé  une  oraison, 
qu'un  de  mes  amis  m'a  mise  en  latin,  pour  honorer 
la  double  beauté  du  Fils  de  Dieu  dans  ses  deux  natures 
divine  et  humaine;  voici  comme  elle  est  conçue  :  Domoi 
Jssu^ChristBi  aplendor  patemœ  gloriœ^  et  figura  subztaiùi» 


.  I 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARN ATION .  201 

0JUS.  Vota  renovo  illius  servitutis  qua  me  totam  geminœ 
pulchritudini  tuœ  promisi  redditurarh  ;  omnemque  gloriam  quœ 
hie  haberi  aut  optari  potest  rejicio,  prœter  eam  qtia  me  vere 
ancillam  tuam  in  œternum  profitebor.  Amsn,  mi  Jesu/ 

Ce  qui  m'a  donné  le  mouvement  à  cette  dévotion  de 
la  double  beauté  du  sacré  Verbe  incarné,  c'est,  qu'étant 
un  jour  en  notre  maison  de  Tours  dans  un  transport 
extraordinaire,  j'eus  une  vue  de  l'éminence  et  sublimité 
de  cette  double  beauté  des  deux  natures  en  Jësus- 
Cheust.  Dans  ce  transport  je  pris  la  plume  et  écrivis 
des  vœux  conformes  à  ce  que  mon  esprit  pâtissait 
(éprouvait,  étant  passif  en  cela).  J'ai  depuis  pei:du  ce 
papier.  Etant  revenue  à  moi,  je  me  trouvai  engagée 
d'une  nouvelle  manière  à  Jésus-Christ,  quoique  quelque 
écrit  que  ce  puisse  être  ne  puisse  jamais  dire  ce  qui 
86  passe  dans  l'âme  quand  elle  est  unie  dans  son  fond 
(aussi  profondément  que  possible)  à  ce  divin  objet. 
Dans  ce  seul  mot  :  Figure  de  la  substance  du  Père,  l'esprit 
comprend  des  choses  inexplicables;  Tâme  qui  a  de 
l'expérience  dans  les  voies  de  l'esprit  l'entend  selon 
l'étendue  de  sa  grâce;  et  dans  ce  renouvellement  de 
vœux  à  cette  double  beauté,  l'âme  qui  est  une  même 
chose  avec  son  Bien-Aimé  entend  ce  secret,  comme  elle 
entend  celui  de  sa  servitude  envers  lui. 

Je  vous  ai  autrefois  parlé  de  la  dévotion  à  saint 
François  de  Paule  :  car  je  crois  que  vous  n'ignorez 
pas  que  ce  fut  notre  bisaïeul  qui  fut  envoyé  par  le  roi 
Louis  XI,  pour  le  demander  au  Pape  et  pour  l'amener 

(1)  Seigneur  Jésus,  splendeur  de  la  gloire  du  Père,  et  figure  de  sa  substance, 

J«  noouvelle  le  Tœu  de  dépendance  absolue  dont  j'ai  promis  l'hommage  à  TOtre 

^ble  beauté;  et  je  renonce  &  toute  gloire  qui  puisse  être  possédée  ou  désirée 

'^^Mt,  hors  celle  de  me  proclamer  votre  Téritabie  servante '&  jamais.  Ainsi 
•ftS*  :i T. 


202  LETTRES 

eD  France.  J'en  ai  bien  entenda  parler  à  mon  grand 
père  ;  et  même  ma  tante,  qui  est  morte  lorsqne  j'anii 
quinze  ans,  avait  vu  sa  grand'môre,  fille  de  œ  bisaied, 
qui  la  menait  souvent  au  Plessis  pour  visiter  oa 
saint  homme,  qui  par  une  pieuse  affection,  faisait  I0 
signe  de  la  croix  sur  le  visage  de  cette  petite  en  la 
bénissant.  C'est  ce  qui  a  toujours  donné  une  grands 
dévotion  à  notre  famille  envers  ce  grand  Saint.  Hm 
grand'père  nous  racontait  cela  fort  souvent,  afin  d'as 
perpétuer  après  lui  la  mémoire  et  la  dévotion,  comms 
il  l'avait  reçue  de  son  aïeul. 

Voilà  le  récit  d'une  partie  de  mes  dévotions,  que  jt 
vous  fais  avec  la  même  simplicité  qae  vous  me  l'avei 
demandé.  Souvenez-vous  de  moi  dans  les  vôtres,  car 
de  mon  côté  je  ne  fais  rien  que  vous  n'j  ayez  bonne 
part. 

De  Québec,  U  16  de  septembre  Î661. 


LETTRE   CLIV. 


Franfftii  louucrtt  par  l«t  troqaoî*  Agneroonoiu.  —  Lm  Iraqooii  «(ifci'"' 
ij«auiDd«Dt  la  pkii.  —  Aecideiiti  et 


Mon  tràs-cfaer  fils. 


Enfin,  après  avoir  été  loogtaBpt  attendus,  laiw* 
seaux  ont  paru  à  notre  porf  li  mois  de  suptenlA 
et  ils  noua  oDtâaMiÉ^W|ÉMMriftfioiâ-'J'Avaaeiffi 


**A 


DE  LA  MÈRB  MARIB  DB  L'INCARNATION .  203 

qui  vient  ici  pour  être  notre  Gouverneur.  J'avais  déjà 
Wfiçsns  de  vos  nouvelles  par  un  navire  pêcheur;  sans 
cela  j'eusse  été  en  peine  de  vous  ;  mais  Dieu  soit  béni 
de  ce  qu'elles  soient  bonnes,  et  que  je  vous  sache  dans  les 
dispositions  que  sa  divine  bonté  demande  de  vous  ! 

Je  ne  doute  point  que  vous  n'ayez  été  en  peine  à 

notre  sujet,  à  cause  des  mauvaises  nouvelles  qui  furent 

portées  en  France,  l'année  dernière,  touchant  la  persé- 

eutbn  des  Iroquois.  Ils  ont  encore  fait  pis  cette  année 

que  toutes  les  précédentes,  ayant  tué  ou  pris  captifs 

plos  de  cent  Français  depuis  Montréal ,  où  ils  ont 

commence  leurs  ravages,  jusqu'au  Cap  de  Tourmente, 

qû  est  la  dernière  des  habitations  françaises.  Ils  sont 

Tonu  dans  111e  d'Orléans,  d'où  les  habitants  se  sont 

presque  tous  retirés,  pour  éviter  les  carnages  qu'ils  ont 

vos  chez  leurs  voisins.  De  là  ils  ont  été  au  delà  de 

Tàdoussac,  pour  courir  après  nos  nouveaux  chrétiens, 

toi,  au  nombre  de  plus  de  quatre-vingts  canots,  étaient 

allés  en  traite,  accompagnés  de  deux  de  nos  révérends 

Pères,  et  de  quelques  Français,  à  la  nation  des  Chiris- 

fino&t,  qn*on  dit  être  fort  nombreuse. 

I    Ces  bons  néophytes,  et  surtout  nos  révérends  Pères 

[  ont  renoontré  en  leur  chemin  un  grand  nombre  de 

iuifiges,  à  qui  ils  ont  annoncé  la  parole  de  Dieu;  mais 

Q  se  lecr  a  pas  été  possible  de  passer  outre,  les  Iroquois 

ajut  éfé  jusqu'à  cette  nation,  qu'ils  ont  écartée  et  fait 

Aîr  CM?: me-  les  autres  en  des  lieux  qu'on  se  sait  pas 

eœore.  Cesi  par  une  pro^ectios  toute  particulière  de 

la  Uns^  bonté  que  nos  Pères  et  nos  chrétîeni  ont  éU 

réi:  car  ces  barbares  a.Iaien:  de  lieu  en  Eea 

les  Toeaar  et  les  surprendre.  Nos  gens  trouvaieei 

BmmpÊtfË  ^>a^5«  fraîche?  e:  :e::r?  feox  encore  aîlumét: 

t  fOM  ton  oss  i^Dgers  ils  soi.:  arrivés  à  Ik/a  yx^ 


204  LETTRES 

extrêmement  fatigués  de  leurs  travaux,  dont  la  faim 
n'a  pas  été  le  moindre  ;  car  ils  ont  pensé  mourir  faaie 
de  vivres,  n'osant  chasser  à  cause  de  l'ennemi. 

Entre  les  Français  qui  ont  été  tués,  M.  le  sénéchal 
fils  aîné  de  M.  de  Lauzon,  est  le  plus  considérable.  C'était 
un  homme  très-généreux  et  toujours  prêt  à  courir  sur 
l'ennemi,  et  toute  la  jeunesse  le  suivait  avec  ardeur. 
Lorsque  l'on  eût  appris  la  nouvelle  des  meurtres  arrivée 
en  l'Ile  d'Orléans  et  à  Beaupré,  il  y  voulait  aller  à  touiB 
force  pour  chasser  l'ennemi;  on  l'en  empêcha  avec 
raison.  Mais  la  sœur  de  madame  sa  femme  ayant  son 
mari  proche  de  l'Ile,  où  il  était  allé  à  la  chasse,  n'eut 
point  de  repos  qu'elle  n'eût  trouvé  quelque  ami  pour 
l'aller  dégager.  M.  le  sénéchal  \oulut  en  cette  ren- 
contre signaler  l'amitié  qu'il  lui  portait.  Il  part  lui 
septième  dans  une  chaloupe  qui  étant  vis-à-vis  de  la 
maison  du  sieur  Maheu,  qui  est  au  milieu  de  File, 
et  qui  avait  été  abandonnée  depuis  quelques  jours,  il 
la  fit  échouer  à  marée  baissante  entre  deux  rochen 
qui  font  un  sentier  pour  aller  à  cette  maison.  Il  y 
envoya  deux  de  sa  compagnie,  pour  découvrir  s'il  n'y 
avait  point  d'Iroquois.  La  porte  étant  ouverte,  l'un  d'^ix 
y  entra  et  y  trouva  quatre-vingts  Iroquois  en  embus- 
cade, qui  le  tuèrent  et  couriiVent  après  l'autre,  qui, 
après  s'être  bien  défendu,  fut  pris  tout  vif.  Ils  allèrent 
ensuite  assiéger  la  chaloupe,  où  il  n'y  avait  plus  que 
cinq  hommes ,  qui  se  '  défendirent  jusqu'à  la  mort. 
M.  le  sénéchal,  qu'ils  ne  voulaient  pas  tuer,  afin  de 
l'emmener  vif  en  leur  pays,  se  défendit  jusqu'au  dernier 
soupir.  On  lui  trouva  les  bras  tout  meurtris  et  hachés 
des  coups  qu'on  lui  avait  donnés  pour  lui  faire  mettre 
les  armes  bas  ;  ils  n'en  purent  venir  à  bout,  et  jamais 
ils  ne  le  purent  prendre.  Après  sa  mort,  ils  lui  cou- 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  L'INCARN ATION .  205 

parent  la  tête  qu'ils  emportèrent  en  leur  pays.  Ainsi 
nos  sept  Français  furent  tués,  mais  ils  tuèrent  un  bien 
plus  grand  nombre  dlroquois,  dont  on  trouva  les  osse- 
ments quand  on  alla  lever  les  corps  des  nôtres,  leurs 
gens  ayant  fait  brûler  les  corps  de  leurs  morts  selon 
leiir  coutume,  et  laissé  ceux  de  nos  Français  entiers. 

Après  cette  expédition,  ces  barbares  se  retirèrent  à 
la  hâte,  voyant  venir  le  secours  que  M.  notre  Gouver- 
neur envoyait,  mais  trop  tard  :  car  il  n*eut  nouvelle  de 
la  rencontre  que  par  M.  de  l'Ëspinay,  qui  est  celui  pour 
g[m  l'on  s'était  mis  au  hazard,  lequel  ayant  entendu 
le  bruit  des  fusils,  fit  voile  vers  Québec  pour  avertir 
ga'il  y  avait  du  malheur.  Mais  quand  il  sut  que  c'était 
pour  lui  que  l'on  s'était  exposé,  il  pensa  mourir  de 
loaleur.  Son  frère  était  du  nombre  des  sept,  et  les 
BUitres  étaient  des  principaux  habitants  qui  voulurent 
rendre  service  en  cette  occasion  à  M.  le  sénéchal. 

Depuis  ce  temps  l'on  n'a  encore  vu  que  des  massacres. 
Le  fils  de  M.  Godefroid  étant  parti  des  Trois-Rivières 
pour  aller  aux  Attikamek  avec  une  troupe  d'Algonquins, 
ils  furent  attaqués  et  mis  à  mort  par  les  Iroquois, 
après  s'être  vaillamment  défendus,  et  avoir  tué  un 
Bfrand  nombre  d'ennemis. 

Ces  barbares  ont  fait  «beaucoup  d'autres  coups  sem- 
blables: mais  Montréal  a  été  le  principal  théâtre  de 
leurs  carnages.  Madame  D'Ailleboust,  qui  a  fait  un 
voyage  ici,  m'a  rapporté  des  choses  tout  à  fait  funestes. 
Blie  m'a  dit  que  plusieurs  habitants  furent  tués  par 
Kiirprise  dans  les  bois,  sans  qu'on  sût  où  ils  étaient, 
DÎ  ce  qu'ils  étaient  devenus.  On  n'osait  les  aller  cher- 
cher, ni  même  sortir,  de  crainte  d'être  enveloppé  dans 
un  semblable  malheur.  Enfin  Ton  découvrit  le  lieu  par 
[e  moyen  des  chiens  que  Ton  voyait  revenir  tous  les 


206  LBTTRE8 

jours  saouls  et  pleins  de  sang.  Cela  fit  croire  qati 
faisaient  curée  des  corps  morts,  ce  qui  affligea  sensiUa- 
ment  tout  le  monde.  Chacun*  se  mit  en  armes,  pour  as 
aller  reconnaître  la  vérité.  Quand  on  fut  arrivé  au  lias, 
Ton  trouva  çà  et  là  des  corps  coupés  par  la  mdtML 
d'autres  tout  charcutés  et  décharnés,  aves  des  têtes,  dat 
jambes,  des  mains  éparses  de  tous  côtés.  Chacun  pritiai 
charge,  afin  de  rendre  aux  défunts  les  devoirs  de  la 
sépulture  chrétienne.  Madame  D*Ailleboust,  qui  9i*a 
raconté  cette  histoire,  rencontra  inopinément  un  hommeb 
qui  avait-  attaché  devant  son  estomac  la  carcasse  d*Qii 
corps  humain,  et  les  mains  pleines  de  jambes  et  de  bras. 
Ce  spectacle  la  surprit  de  telle  sorte,  qu'elle  pensa  moiuif 
de  frayeur.  Mais  ce  fut  tout  autre  chose  quand  ceux 
qui  portaient  ces  restes  de  corps  furent  entrés  dans  li 
ville,  car  Ton  n'entendait  que  des  cris  lamentables  dai 
femmes  et  des  enfants  de  ces  pauvres  défunts.. 

Nous  venons  d'apprendre  qu'un  ecclésiastique  éè 
la  compagnie  de  Messieurs  de  Montréal,  (Sulpicien^ 
venant  de  dire  la  sainte  Messe,  se  retira  un  peu  à  l'écari 
pour  dire  ses  heures  en  silence  et  recueillement,  assai 
proche  néanmois  de  sept  de  leurs  domestiques  (fâ 
travaillaient.  Lorsqu'il  pensait  le  moins  à  l'accideol 
qui  lui  arriva,  soixante  Iroquois  qui  étaient  en  embiuh 
cade,  firent  sur  lui  une  décharge  de  fusils.  Tout  perd 
qu'il  était,  il  eut  encore  le  courage  de  courir  à  ses  gani 
pour  les  avertir  de  se  retirer,  et  aussitôt  il  tomba  mort 
Les  ennemis  le  suivirent  et  y  furent  aussitôt  que  lui 
Nos  sept  Français  se  défendirent  en  retraite,  mais  ili 
ne  purent  si  bien  faire  qu'un  d'eux  ne  fût  tué  et  lUS 
autre  pris.  Alors  ces  barbares  firent  des  huées  extraort 
dinaires  pour  marque  de  la  joie  qu'ils  avaient  d'avoil 
tué  une  robe  noire.   Un  renégat  de  leur  troupe  k 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  207 

dépouilla  et  se  revêtit  de  sa  robe,  et  ayant  mis  une 
chemise  par-dessus  en  forme  de  surplis,  faisait  la  pro- 
cession autour  du  corps,  en  dérision  de  ce  qu'il  avait  vu 
faire  dans  Fëglise  aux  obsèques  des  défunts.  Enfin  ils 
loi  coupèrent  la  tête ,  qu'ils  emportèrent ,  se  retirant 
en  diligence  de  crainte  d'être  poursuivis  par  les  sol- 
dats du  fort.  Voilà  la  façon  dont  ces  barbares  font  la 
guerre.  Ils  font  leur  coup,  puis  ils  se  retirent  dans  les 
bois,  où  les  Français  ne  peuvent  aller. 

Nous  avons  eu  des  présages  funestes  de  tous  ces 
malheurs.  Depuis  le  départ  des  vaisseaux  de  1660,  il 
a  paru  au  ciel  des  signes  qui  ont  .épouvanté  bien  du 
monde.  L'on  a  vu  une  comète,  dont  les  verges  étaient 
pointées  du  côté  de  la  terre.  Elle  paraissait  sur  les  deux 
à  trois  heures  du  matin,  et  disparaissait  sur  les  six 
à  sept  heures,  à  cause  du  jour.  L'on  a  vu  en  l'air  un 
homme  en  feu,  et  enveloppé  de  feu.  L'on  y  a  vu  encore 
un  canot  de  feu,  et  une  grande  couronne  aussi  de  feu 
du  côté  de  Montréal.  L'on  a  entendu  dans  l'Ile  d'Orléans 
un  enfant  crier  dans  le  sein  de  sa  mère.  De  plus  l'on 
a  entendu  en  l'air  des  voix  confuses  de  femmes  et  d'en- 
fants avec  des  cris  lamentables.  Dans  une  autre  ren- 
contre l'on  entendit  en  l'air  une  voix  tonnante  et  hor- 
rible. Tous  ces  accidents  ont  donné  de  l'efifroi  au  point 
que  vous  pouvez  penser.^ 

(1)  La  Mère  de  rincamation  parle  d'après  des  récits  qui  circulaient  au  moment 
où  elle  écriTait,  et  très-^certainement  elle  ne  prétendait  pas  en  garantir  la  Térité. 
On  sait  que  les  météores  affectent  toutes  les  formes,  et  qu'il  est  facile  à  une 
hnaginalion  effrayée  de  se  figurer  des  fantômes  lorsqu'il  n'y  en  a  qu'une  ébauche. 
On^rra  néanmoins  par  la  Lettre  CLIX  et  par  les  remarques  que  nous  y  ajou- 
tons, qu'il  se  passa  certainement  à  cette  époque,  au  Canada,  des  choses  en  ce 
pan  qu^il  n'est  pas  possible  d'expliquer  sans  recourir  à  une  cause  surnaturelle  : 
ntrement  il  faudrait  supposer  que  toute  une  population  disséminée  sur  une 
éUndoe  de  plusieurs  centaines  de  lieues,  eût  été  hallucinée  au  même  moment  et 


208  LETTRES 

De  plas,  Ton  a  découvert  qu'il  y  a  des  sorciers  et  i 
magiciens  en  ce  pays.  Cela  a  paru  à  Toccasion  d*0Ji  ' 
meunier,  qui  était  passé  de  France  au  même  temps  qw 
Mgr  notre  Evêque,  et  à  qui  Sa  Grandeur  avait  fait  faire 
abjuration  de  Tbérésie,  parce  qu'il  était  huguenot  Cet 
homme  voulait  épouser  une  fille  qui  était  passée  avee^ 
son  père  et  sa  mère  dans'le  même  vaisseau,  disant  qu'elle 
lui  avait  été  promise  ;  mais  parce  que  c'était  un  homme 
de  mauvaises  mœurs,  on  ne  le  voulut  jamais  écouter. 
Après  ce  refus,  il  voulut  parvenir  à  ses  fins  par  les 
ruses  de  son  art  diabolique.  Il  faisait  venir  des  démons 
ou  esprits  follets  dans  la  maison  de  la  fille,  avec  des 
spectres  qui  lui  donnaient  bien  de  la  peine  et  de  l'effiroi. 
L'on  ignorait  pourtant  la  cause  de  cette  nouveauté; 
jusqu'à  ce  que  le  magicien  paraissant,  l'on  eut  sujet 
de  croire  qu'il  'y  avait  du  maléfice  de  la  part  de  ce 
misérable,  car  il  lui  apparaissait  jour  et  nuit,  quelque- 
fois seul,  et  quelquefois  accompagné  de  deux  ou  trois 

pendant  des  mois  et  môme  des  années  entières.  Or,  il  y  aurait  en  cela  un  mirad* 
qui  surpasserait  les  prodiges  que  Ton  refuserait  de  croire. 

Quant  aux  sorciers  et  aux  interventions  diaboliques  dont  parle  la  ▼énérs^'* 
Mère  dans  l'alinéa  suivant,  il  a  été  de  bon  ton  depuis  deux  siècles  de  rejeter  sM^ 
examen  tous  les  récits  de  ce  genre.  Mais  aujourd'hui  les  hommes  sérieux  croî^'*' 
devoir  procéder  autrement,  depuis  que  l'on  a  exhumé  de  l'histoire  un  gr^^ 
nombre  de  faits  pareils,  juridiquement  constatée.  Supposera-t-on  qu'à  toutes  ^^ 
époques  antérieures,  tous  les  hommes  dont  les  tribunaux  étaient  composés,  toos 
les  juriconsultes  éminents,  dont  les  écrits  feront  autorité  jusqu'à  la  fin  des  siècl^t 
se  soient  trompés  grossièrement  sur  des  faits  visibles,  palpables  et  qui  aujourd'/taJ 
ne  pourraient  induire  personne  en  erreur.  Il  faudrait  dionc  aussi  qu*un  grand 
nombre  de  sorciers  qui  faisaient  des  aveux  complets  se  fussent  imaginé,  sans  le 
moindre  fondement,  qu'ils  faisaient  des  pactes  avec  le  démon  et  que  ces  pactes 
avaient  pour  résultat  les  forfaits  qu'on  leur  reprochait. 

Les  savants  modernes  nient  tout  ce  qui  contredit  leurs  idées.  Ils  ont  nié  les 
aérolithes  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  été  écrasés  par  l'évidence;  ils  nient  les  stigmates, 
les  miracles  de  Lourdes,  etc.,  et  le  tout  sans  examen.  S'ils  le  pouvaient,  ils 
nieraient  les  tables  tournantes,  ils  aiment  mieux  n'en  pas  parler. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L  INCARNATION.  209 

autres,  que  la  fille  nommait,  quoiqu'elle  ne  les  eût 
jamais  vus.  Monseigneur  y  envoya  des  Pères,  et  il  y  est 
allé  lui-même  pour  chasser  les  démons  par  les  prières 
de  l'Eglise.  Cependant  rien  n'avançait,  et  le  bruit  con- 
tinuait plus  fort  qu'auparavant.  L'on  voyait  des  fan- 
tômes, l'on  entendait  jouer  du  tambour  et  de  la  flûte. 
Ton  voyait  les  pierres  se  détacher  des  murs,  et  voler 
çà  et  là,  et  toujours  le  magicien  s'y  trouvait  avec  ses 
compagnons  pour  inquiéter  la  fille.  Leur  dessein  était 
de  la  faire  épouser  à  ce  malheureux  qui  le  voulait 
bien  aussi,  mais  qui  la  voulait  corrompre  auparavant. 
Le  lieu  est  éloigné  de  Québec,  et  c'était  une  grande 
fatigue  aux  Pères  d'aller  faire  si  loin  leur  exorcisme. 
C'est  pourquoi.  Monseigneur  voyant  que  les  diables 
tâchaient  de  les  fatiguer  par  ce  travail,  et  de  les  lasser 
par  leurs  bouffonneries,  ordonna  que  le  meunier  et  la 
fille  fussent  amenés  à  Québec.  L'un  fut  mis  en  prison, 
et  l'autre  fut  enfermée  chez  les  Mères -Hospitalières. 
Voilà  où  l'affaire  en  est.  Il  s'est  passé  dans  cette  affaire 
bien  des  choses  extraordinaires  que  je  ne  dis  pas  pour 
éviter  la  longueur,  et  afin  de  finir  cette  matière.  Pour 
le  magicien  et  les  autres  sorciers,  ils  n'ont  encore  rien 
voulu  confesser.  On  ne  leur  dit  rien  aussi,  car  il  n'est 
pas  facile  de  convaincre  des  personnes  en  cette  nature 
de  crime. 

Après  cette  recherche  des  sorciers,  tous  ces  pays  ont 
été  affligés  d'une  maladie  universelle,  dont  on  croit 
qu'ils  sont  les  auteurs.  C'a  été  une  espèce  de  coqueluches 
ou  rhumes  mortels,  qui  se  sont  communiqués  comme 
une  contagion  dans  toutes  les  familles,  en  sorte  qu'il 
n'y  en  a  pas  eu  une  seule  d'exempte.  Presque  tous  les 
enfants  des  sauvages,  et  une  grande  partie  de  ceux 
des  Français,  en  sont  morts.  L'on  n'avait  point  encore 

"•«TTR.  M.    11.  14 


^10  LKTTRES 

TU  uhô  semblable  mortalité»  car  ces  maladies  se  tour- 
aaient  en  pleurésies  accompagnées  de  fièvres.  Noos 
^n  avons  été  tous  attaqués;  nos  pensionnaires,  nos 
•éminaristes.  nos  domestiques  ont  tous  été  à  Textré- 
niité«  Enfin,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  en  vingt  per- 
sodWM  dans  le  Canada  qui  aient  été  exemptes  de  ce 
mal  ;  lequel  étant  si  universel,  on  a  eu  grand  fondement 
de  étoile  que  we  misérables  avaient  empoisonné  Tair. 
VoiU  deux  fléaux,  doni  il  a  plu  à  Diea  d*exercer 
ceti^  ao'UVdile  Kgli^e  :  lun  est  celui  dont  je  viens  de 
parier,  car  Ton  u  avaii  jamais  tant  vu  mourir  de  per- 
«OAUiei»  en  Canada  comme  Too  a  vu  cette  année  ;  1  autre 
Mt  la  ))erMOUtio«x  de»  Iroqaoiîs.  ^ixà  tient  tout  le  pays 
dan»  de^  a^^twhexiùofiLS  eoaÛLiMiLdSv  car  il  faut  avouer 
qu^  »11»  ax aient  laUrwâe  di»  Frdii^;aBS«  ei  ails  savaient 


!_  » 


;ï 


nocr^  taiOA.^»  lU  atou»  euâsenû  Ui^jsi  textanaines;  mais 
l>Wu  Im  aveulie  par  la  beat»  ^;js!iL  a  fsmr  Dons,  et 
}'e«pèiv  quiL  uocj»  ûvcri;$era  rjajoo»  Jr*  sa  pcoteetion 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'IN CARNATION.      211 


LETTRE   CLV. 

AU    MÊME. 

L«e8  Iroqoois  Agneronons  continuent  leurs  hostilités,  et  les  Onnontageronons 
nous  demandent  la  paix.  —  Conduite  de  M.  d'Argenson  dans  son  gouverne- 
ment  de  la  Nouvelle-France. 


Mon  très-cher  fils, 

Je  vous  ai  écrit  une  grande  lettre,  par  laquelle  vous 

avez  pu  apprendre  une  partie  de  ce  qui  s*est  passé 

cette  année  dans  notre  Canada.  Depuis  les  événements 

que  je  vous  ai  écrits,  quelques  Français  et  sauvages 

«e  sont  sauvés  du  côté  des  Onnodtageronons  où  les 

Pères  s'étaient  établis  avant  la  rupture  de  ces  peuples. 

Us  nous  ont  rapporté  qu'il  y  a  dans  cette  nation  plus 

de  vingt  Français,  à  qui  elle  a  donné  la  vie.  Ils  ajoutent 

que  les  Iroquois  supérieurs  n'ont  pas  entièrement  perdu 

68  sentiments  de  religion  que  les  Pères  leur  ont  inspi- 

es  ;  ils  ont  emporté  la  cloche  chez  eux,  et  l'ont  suspen- 

ae  dans  une  cabane  qu'ils  ont  convertie  en  chapelle. 

]  j  font  souvent  les  prières  comme  les  Pères  faisaient. 

obligent  les  Français  de  s'y  trouver,  et  s'ils  y  man- 

]t,  ils  les  battent  et  les  contraignent  de  faire  leur 

•  jjs  disent  encore  que  quand  les  Pères  quittèrent 

j0S  femmes,  qui  ont  voix  délibérative  dans  les 

^u    moins  celles  qui  sont  choisies  pour  cela, 

V    ;sept  jours  entiers  la  perte  qu'elles  faisaient; 


212  LETTRES 

les  enfants  firent  de  même.  Il  était  temps  nëanmoim 
que  les  missionnaires  et  les  Français  quittassent,  parce 
que  la  conspiration  était  formée,  et  sur  le  point  de 
sexécuter.  Voilà  ce  que  les  captifs  qui  se  sont  sauvés 
nous  ont  rapporté. 

Peu  de  temps  après,  les  ambassadeurs  de  ces  nations 
supérieures  sont  venus  ici  prier  qu*on  leur  donnât  des 
Pères  ;  et  pour  marque  de  la  sincérité  de  leur  demande, 
ils  ont  encore  rendu  quelques  Français,  qui  nous  ont 
confirmé  ce  que  les  premiers  nous  avaient  dit.  L'on 
fait  des  recherches  pour  savoir  si  ces  sauvages  ne  te 
mêlent  point  avec  les  Agneronons,  mais  Ton  n'apa 
encore  rien  découvrir.   L'on  a  souvent  tenu  conseil  | 
sur  ces  affaires,  de  crainte  de  surprise.  Enfin  il  a  été 
résolu  que  le  Père  Le  Moine  irait  avec  eux  en  leur  ; 
pays,  pour  tâcher  de  découvrir  si  la  paix  qu'ils  demaa- 
dent,  n'est  point  un  piège  pour  nous  surprendre.  Il  est 
donc  parti  avec  eux,  avec  ordre  de  se  rendre  ici  en 
leur  compagnie  à  un  jour  destiné,  afin  de  faire  son  ! 
rapport.  S'il  y  a  de  la  sincérité  dans  la  recherche  qu'ils 
font  de  la  paix,  on  la  conclura  avec  eux,  et  avec  trois 
autres  nations  qui  leur  sont  alliées,  et  où  il  y  a  plus 
de  quatre  cents  captifs  chrétiens.   Cependant  l'expé- 
rience que  l'on  a  des  trahisons  de  ces  peuples,  nous 
a  fait  craindre  qu'ils  no  tuassent  le  Père,   et  quils 
ne  se  joignissent  ensuite  aux  Agneronons  pour  venir 
détruire  nos  habitations,  lorsqu'ils  se  reposeraient  dans 
l'attente  de  la  paix;  ce  qui  a  fait  que  l'on  s'est  toujours 
tenu  sur  ses  gardes,  comme  si  l'on  eût  été  dans  uiiô 
pleine  guerre.  Et  en  effet,  nous  avons  appris  que  les 
Agneronons  ont  fait  des  présents  à  celui  qui  conduisait 
le  Père,  afin  de  le  tuer  en  chemin,  ce  que  lui  ni  aucun 
de  sa  suite  n'a  voulu  faire,  mais  ils  lui  ont  fait  un 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  213 

brt  bon  traitement,  et  Tont  mené  en  assurance  en 
Bur  pays,  où  il  a  été  reçu  avec  tout  l'appareil  et 
outes  les  acclamations  possibles. 

Le  Père  est  de  retour  avec  ses  conducteurs,  qui, 
K>ur  marque  de  leur  sincérité,  nous  ont  encore  amené 
le  nos  Français  captifs,  avec  promesse  de  nous  en 
endre  encore  dix  au  printemps.  Tous  ces  captifs  n*ont 
K>int  été  mutilés,  mais  plutôt  ils  nous  assurent  que 
168  peuples  les  ont  traités  comme  leurs  enfants,  et 
[qIIs  ont  mên^e  racheté  de  nos  gens  des  mains  de  nos 
tniiemis,  afin  de  nous  les  rendre.  Ils  demandent  tous 
Qstamment  qu'on  leur  envoie  des  Pères  pour  les  inst- 
ruire, je  crois  qu'on  ne  leur  manquera  pas;  mais, 
iprôs  tout,  Dieu  est  le  maître  des  cœurs  des  hommes, 
et  lui  seul  sait  les  moments  de  leur  conversion.  Si  l'on 
avait  la  paix  avec  ceux-ci,  qui  ont  plus  de  seize  cents 
bommes  de  guerre  sur  pied,  l'on  pourrait  humilier  les 
Agneronons,  qui  n'en  ont  pas  plus  de  quatre  cents. 
C'est  ce  que  l'on  a  dessein  de  faire  l'an  prochain,  si 
te  roi  envoie  le  régiment  qu'il  a  fait  espérer  ;  car  ils 
ont  fait  des  assemblées  publiques,  où  ils  ont  conclu 
rt  protesté  de  ne  faire  jamais  de  paix  avec  les  Français. 

Vous  avez  raison  de  dire  que  si  nous  sommes  atta- 
^és  par  ces  barbares  lorsqu'il  n'y  a  plus  de  navire 
à  Dotre  port,  ils  nous  serait  impossible  de  nous  sauver, 
car  il  n'y  a  point  ici  de  porte  de  derrière  pour  fuir. 
Btoù  fuirait-on?  dans  les  bois?  où  l'on  se  perdrait,  et 
dont  les  sauvages  savent  les  retraites.  Les  Iroquois 
néanmoins  tous  ensemble  ne  pourraient  avoir  le  temps, 
ivec  une  armée  sur  les  bras,  de  détruire  nos  maisons 
la  pierre,  pourvu  qu'on  eût  des  vivres  et  quelques  gens 
loar  nous  garder  et  pour  les  empêcher  de  mettre 
I  feu;  car  c'est  ce  que  l'on  appréhende  le  plus,  les 


214  LETTRES 

coavertares  étant  de  bois,  et  à  la  portée  de  la  maio. 
Les  nôtres  sont  à  deux  étages,  et  ainsi  il  y  a  moins 
à  craindre ,  et  Ton  pourrait  attendre  le  secours  ordi- 
naire des  vaisseaux  qui  sont  ici  deux  ou  trois  moii 
Tété.  De  plus,  ces  barbares  viennent  ordinairement  an 
printemps,  aux  mois  de  mai  et  de  juin,  et  à  Tautomne, 
et  ils  veulent  expédier  leurs  affaires  en  trois  on  quatre 
jours  ;  car  comme  ils  ne  portent  que  fort  peu  de  vivres, 
ils  souffriraient  la  disette  et  se  détruiraient  eux-mêmes. 
Enfin,  j'espère  que  la  bonté  de  Dieu  nous  fera  la  grâce 
de  mourir  à  son  service  en  ce  pays.  M.  notre  Gouver- 
neur ayant  interrogé  un  de  nos  Français  sur  toutœ 
qu'il  avait  vu  dans  sa  captivité,  a  appris  qu'il  n'était 
pas  bien  difficile  d'aller  détruire  les  Agneronons  par  œ 
côté  ici;  c'est  ce  qui  l'a  obligé  d'écrire  au  roi,  aux 
reines,  et  aux  seigneurs  de  la  cour  d'envoyer  le  secours 
directement  à  Québec,  et  de  changer  le  premier  dessein 
qui  était  d'aller  attaquer  ces  barbares  par  le  côté 
des  Hollandais.  Priez  Notre-Seigneur  pour  l'exécution 
de  ce  dessein,  et  pour  la  conversion  des  autres  qui 
demandent  la  paix. 

Enfin,  M.  le  vicomte  d'Argenson  nous  a  quittés,  ne 
pouvant  attendre  davantage,  à  cause  de  ses  infirmités, 
qui  lui  ont  fait  demander  son  retour  en  France.  Outre 
cette  raison,  je  vous  dirai  en  confiance  qu'il  a  eu  à 
souffrir  en  ce  pays,  dont  il  a  été  chargé  sans  avoir 
pu  avoir  du  secours  de  la  France,  si  bien  que  Timpuis- 
sance  où  il  s'est  vu  de  résister  aux  Iroquois,  iie  voulant 
pas  dégarnir  la  garnison  de  Québec,  de  crainte  que  par 
quelque  surprise  les  ennemis  ne  vinssent  s'emparer  du 
fort,  lui  a  donné  du  chagrin,  qui  a  pu  beaucoup  con- 
tribuer à  ses  infirmités.  Il  s'est  trouvé  des  esprits  peu 
considérés  qui  ont  murmuré  de  sa  conduite,  et  qui  en 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*IN CARNATION.  215 

ont  fait  de  grosses  plaintes,  capables  d*offeDser  un 
homme  de  sa  qualité  et  de  son  mérite.  Il  a  souffert 
cela  avec  beaucoup  de  générosité.  L'impuissance  néan- 
moins où  il  s'est  vu  de  secourir  le  pays,  le  défaut  de 
personnes  de  conseil,  à  qui  il  pût  communiquer  en  con- 
fiance de  certaines  affaires  secrètes,  le  peu  d'intelli- 
gence qu'il  avait  avec  les  premières  puissances  du  pays, 
et  enfin  ses  indispositions  qui  commençaient  à  devenir 
habituelles,  l'oat  porté  à  se  procurer  la  paix  par  sa 
retraite.  Son  successeur  l'a  laissé  commander  jusqu'au 

>    jour  de  son  embarquement,  et  cependant  (en  attendant) 
il  a  fait  la  visite  de  tout  le  pays  qu'il  a  trouvé  très-beau 

V  à  qui  aurait  de  la  dépense  à  y  faire;  mais  le  peuple 
étant  pauvre,  il  n'y  a  qu'une  puissance  souveraine  qui 
paisse  le  mettre  en  valeur.  Après  sa  visite,  il  est  venu 
.  rejoindre  M.  d'Ârgenson,  à  qui  il  a  dit  tout  haut  que 
si  Ton  ne  lui  envoyait  l'année  prochaine  les  troupes 
qu'on  lui  avait  promises,  il  s'en  retournerait  sans  atten- 
dre qu'on  le  rappelât,  qu'il  le  priait  d'en  donner  avis 
à  Sa  Majesté;  et  qu'à  son  égard  il  s'étonnait  comme 
il  avait  pu  garder  le  pays,  et  subsister  dans  son  gou- 
vernement avec  si  peu  de  forces.  Pour  notre  particulier, 
nous  perdons  beaucoup  en  M.  d'Argenson ,  car  c'était 
un  homme  très-charitable  à  notre  égard,  et  qui  ne 
laissait  passer  aucune  occasion  de  nous  obliger.  Il  me 
faisait  souvent  l'honneur  de  me  visiter  en  votre  consi- 
dération, ainsi  lobligation  étant  commune  à  vous  et 
à  moi,  je  vous  prie  de  lui  témoigner  vos  remercîments 
et  les  miens. 

De  Québec,  le       octobre  1661. 


216  LETTRES 


LETTRE    XLVI 


AU    MEME. 


Mortalité  arrivée  en  France.  —  Trahison  des  Iroquoii  décoaterte.  —  Zèle  mer 
veilleuz  de  la  Mère  de  l'Incarnation  pour  le  saint  des  ftmes,  et  à  poortoir  stf 
moyens  de  les  instruire. 


Mon  trôs-cber  fils, 

» 

J*ai  reçu  trois  de  vos  lettres,  seulement  depuis  peu 
de  jours,  les  deux  vaisseaux  qui  sont  à  notre  port  depuis 
deux  mois  ne  nous  ayant  apporté  ni  lettres,  ni  nou- 
velles de  votre  part,  ni  de  nos  chères  Mères  de  Tours. 
Nous  avons  seulement  appris  que  les  calamités  de  la 
famine,  et  des  maladies  mortelles  qui  ont  couru  par 
toute  la  France,  ont  particulièrement  fait  leurs  ravages 
sur  la  rivière  de  Loire.  Ces  bruits  que  les  passagers 
ont  fait  courir,  m*ont  fait  penser  que  vous  et  nos  Mères 
pouviez  être  enveloppés  dans  une  mortalité  si  unive^ 
selle.  Mais  enfin,  vos  lettres  m*ont  ôtée  de  peine  et  m*ont 
appris  que  vous  vivez  encore  et  elles  aussi.  Il  ny  a  que 
ma  chère  Mère  Françoise  de  Saint-Bernard   et  mon 
très-bon  Père  doœ  Raymond,  qui  ont  payé  le  tribut, 
et   qui    sont  dans  la  patrie  qu'ils  ont  tant  désirée. 
Quoique  leur  mort  m'ait  été  très -sensible,  la  première 
mayant  élevée  et  conduite  fort  longtemps  dans  la  vie 
spirituelle,  je  ne  laisse  pas  d  envier  leur  bonheur,  étant' 
persuadée  qu  il  n'y  a  rien  de  plus  agréable  ni  de  plus 


DE  LA  MÈRB  MARIE  DE  L*IN CARNATION.  217 

souhaitable  que  de  quitter  le  corps  pour  aller  jouir 
de  Dieu. 

Les  Iroquois  ont  recommencé  leurs  meurtres  aux 
environs  de  Montréal  dès  le  commencement  de  l'au- 
tomne,  nonobstant  leurs  beaux  pourparlers  de  paix. 
CeiUL  néanmoins  qui  tuent  sont  les  Âgneronons,  et  ceux 
qui  demandent  la  paix  sont  les  Onnontageronons  et 
les  Oiogneronons  ;  mais  il  n'y  a  pas  lieu  de  se  6er  aux 
uns  ni  aux  autres.  Le  révérend  Père  Le  Moine  est 
avec  ces  derniers,  qui  avaient  promis  de  le  ramener 
rantomne  dernier.  Ils  n'en  ont  rien  fait,  et  nous  avons 
appris  qu'il  est  aussi  captif  parmi  eux  que  les  captifs 
même  ;  et  à  présent  l'on  ne  sait  s'il  est  mort  ou  vif. 
Au  commencement  de  l'été,  un  de  leurs  capitaines 
ramena  un  captif  et  dit  que  quatre  cents  de  leurs  gens 
voulaient  le  ramener.  L'on  envoya  ici  ce  capitaine  pour 
voir  M.  le  Gouverneur,  qui  reconnut  à  sa  contenance 
et  à  celle  de  ses  gens  qu'il  y  avait  quelque  fourberie 
cachée.  Gela  fit  qu'on  se  défia  d'eux  et  qu'on  les  traita 
avec  réserve,  ce  qu'ils  remarquèrent  bien  et  s'en  retour- 
nèrent assez  mécontents.  Quelques-uns  de  la  compagnie 
s'étant  arrêtés  à  Montréal,  et  étant  un  peu  gaillards, 
déclarèrent  aux  Français  le  dessein  de  leurs  compa- 
triotes,  qui  était  qu'en  effet  quatre  cents  des  leurs 
doivent  ramener  le  Père  et  le  reste  des  captifs  Français, 
pois  faire  bonne  mine  comme  amis,  se  familiarisant  et 
allant  de  maison  en  maison  afin  de  s'insinuer,  et  tout 
d'un  coup  faire  main  basse  partout.  Les  ambassadeurs 
eorent  le  vent  que  leur  dessein  était  découvert  et  firent 
lear  possible  pour  faire  passer  les  autres  pour  men- 
tears.  Cet  avis  néanmoins  a  obligé  M.  le  Gouverneur 
de  grossir  sa  garnison  et  celle  des  Trois-Rivières,  afin 
de  86  tenir  toujours  sur  ses  gardes. 


218  LETTRES 

GependaDt  les  Âgneronons  continuent  leur  carnage. 
M.  Vignal  qui  avait  été  notre  confessear  et  à  qni  nout 
avions  des  obligations  incroyables,  est  tombé  entre 
leurs  mains,  et  a  été  mis  à  mort  par  ces  barbares  avec 
trois  hommes  de  sa  compagnie.  M.  Lambert,  migor, 
un  des  vaillants  hommes  qui  aient  été  en  ce  pays,  a 
été  tué  dans  un  combat,  et  douze  Français  avec  lui. 
Ils  ont  encore  massacré  quatre  vingts  sauvages  Algon- 
quins et  Montagnais  qui  s'étaient  cachés  dans  les  mon- 
tagnes; mais  ces  barbares  les  y  ont  bien  su  trouver. 
Nous  ne  savons  encore  ce  qui  est  arrivé  au  révérend 
Pore  Le  Moine  ni  à  nos  captifs  Français,  non  plus  qu'an 
révérend  Père  Mesnard,  qui  est  chez  les  Outaouak, 
avec  lesquels  il  devait  faire  un  tour  cette  année  en 
ces  quartiers,  où  ils  devraient  déjà  être  rendus.  Les 
Iroquois,  qui  en  ont  eu  vent,  se  sont  cantonnés  par 
toutes  les  avenues,  afin  de  les  enlever  avec  toutes  leurs 
pelleteries.  On  dit  qu'ils  devaient  venir  trois  ou  quatre 
cents  de  compagnie.  S'ils  viennent  heureusement  (échap- 
pant aux  Iroquois,)  les  marchands  de  France  qui  sont 
venus  dans  cette  attente  gagneront  beaucoup;  comme 
au  contraire,  s  ils  sont  détruite,  nos  marchands  perdront 
leur  voyage.  Lun  deux  m*a  dit,  aujourd'hui,  qu'il  y 
perdra  pour  sa  part  plus  de  vingt-mille  livres. 

Mais,  hélas  !  tout  considéré,  ce  qui  est  à  déplorer,  ce 
sont  les  âmes  de  ces  peuples,  dont  la  plupart  ne  sont 
pas  encore  chrétiens.  S*ils  étaient  venus  ici,  ils  y  eussent 
hiverné,  et  Ion  eût  eu  le  loisir  et  la  commodité  de 
les  instruire  pour  les  baptiser.  Chacun  tend  à  ce  qull 
aime  ;  les  marchands  à  gagner  de  l'argent,  et  les  révé- 
rends Pères  et  nous  à  gagner  des  âmes.  Ce  dernier 
motif  est  un  puissant  aiguillon  pour  piquer  et  animer 
un  cœur.  J'avais,  Thiver  dernier,  trois  ou  quatre  jeunes 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DE  l'iNCARNATION.  219 

sœars  continuellement  aaprès  de  moi  pour  assouvir 
le  désir  qu'elles  avaient  d'apprendre  ce  que  je  sais  des 
langues  du  pays.  Leur  gri^Bd|f  avidité  me  donnait  de 
la  ferveur  et  des  forces  pour  les  instruire  de  bouche 
et  par  écrit  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  ce  dessein. 
Depuis  TA  vent  de  Noël,  jusqu'à  la  fin  de  février,  je 
leur  ai  écrit  un  catéchisme  huron,  trois  catéchismes 
algonquins ,  toutes  les  prières  chrétiennes  en  cette 
langue,  et  un  gros  dictionnaire  algonquin.  Je  vouis 
assure  que  j'en  étais  fatiguée  au  dernier  point,  mais 
il  fallait  satisfaire  des  cœurs  que  je  voyais  dans  le 
.  désir  de  servir  Dieu  dans  les  fonctions  où  notre  Institut 
nous  engage.  Priez  la  divine  bonté  que  tout  cela  soit 
pour  sa  plus  grande  gloire. 

Nous  attendons  de  jour  à  autre  deux  vaisseaux  du 
roi,  oh  il  n'y  a  que  deux  cents  hommes  d'armes,  le 
reste  étant  des  familles  et  des  gens  de  travail  que 
Sa  Majesté  fait  passer  gratis,  afin  que  le  pays  en  soit 
soulagé.  Mais  elle  nous  fait  espérer  un  puissant  secours 
l'an  prochain  pour  détruire  entièrement  l'Iroquois.  La 
très-sainte  volonté  de  Dieu  soit  faite.  Nous  n'avons 
pas  été  trop  inquiétés  dans  ces  quartiers  de  Québec 
par  ces  barbares,  toute  leur  attention  étant  à  Montréal 
et  à  guetter  les  Outaouak.  Priez  pour  nous,  je  vous 
en  conjure,  car  nous  avons  encore  une  autre  croix 
bien  plus  pesante  que  celle  des  Iroquois,  parce  qu'elle 
tend  à  perdre  le  christianisme.  Je  vous  en  parlerai 
dans  une  autre  lettre,  l'empressement  de  ce  vaisseau 
qui  part  m'obligeant  de  finir  et  de  me  dire.... 

De  Québec,  le  10  août  1662. 


220  LETTRES 


LETTRE   CLVII. 

AU   MÊME. 

Désordre  effroyable  causé  par  Tusage  du  vin  et  de  Teau-de-TÎe.  Mgr  Tévéqne 
de  Petrée  va  eu  France  pour  y  apporter  remède. 

Mon  très-cher  fils, 

Je  vous  ai  parlé  dans  une  autre  lettre  d'une  croix 
que  je  vous  disais  m'être  plus  pesante  que  toutes  les 
hostilités  des  Iroquois.  Voici  en  quoi  elle  consiste.  Il 
y  a  en  ce  pays  des  Français  si  misérables  et  sans 
crainte  de  Dieu,  qu'ils  perdent  tous  nos  nouYeaux 
chrétiens,  leur  donnant  des  boissons  très- violentes, 
comme  du  vin  et  de  Teau-de-vie,  pour  tirer  d'eux  des 
castors.  Ces  boissons  perdent  tous  ces  pauvres  gens: 
les  hommes,  les  femmes,  les  garçons  et  les  filles  même; 
car  chacun  est  maître  dans  la  cabane  quand  il  s'agit 
de  manger  et  de  boire  ;  ils  sont  pris  tout  aussitôt  et 
deviennent  comme  furieux.  Ils  courent  nus  avec  des 
épées  et  d'autres  armes,  et  font  fuir  tout  le  monde,  ^ 
soit  de  jour  soit  de  nuit;  ils  courent  par  Québec  sans 
que  personne  les  puisse  empêcher.  Il  s'ensuit  de  là  des 
meurtres,  des  viols,  des  brutalités  monstrueuses  et 
inouïes.  Les  révérends  Pères  ont  fait  leur  possible  pour 
arrêter  le  mal,  tant  du  côté  des  Français  que  de  la 
part  des  sauvages;  tous  leurs  efforts  ont  été  vains. 
Nos  filles  sauvages  externes  venant  à  nos  classes,  nous 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  221 

ar  avons  fait  voir  le  mal  où  elles  se  précipitent  en 
livant  Fexemple  de  leurs  parents;  elles  n*ont  pas 
!mis  depuis  le  pied  chez  nous.  Le  naturel  des  sauVdges 
it  comme  cela.  Ils  font  tous  ce  qu'ils  voient  faire  à 
mx  de  leur  nation  en  matière  de  mœurs,  à  moins 
l'ils  ne  soint  bien  affermis  dans  la  morale  chrétienne, 
n  capitaine  algonquin,  excellent  chrétien  et  le  pre- 
iér  baptisé  du  Canada,  nous  rendant  visite»  se  plai- 
dait disant  :  Ononthio,  c'est  M.  le  Gouverneur,  nous 
le,  de  permettre  qu'on  nous  donne  des  boissons. 
Qus  lui  répondîmes  :  Dis-lui  qu'il  le  défende.  —  Je 
i  ai  déjà  dit  deux  fois,  repartit-il,  et  cependant  il 
en  fait  rien;  mais  priez-le  vous-même  d'en  faire  la 
5fense,  peut-être  vous  obéira-t-il. 
C'est  une  chose  déplorable  de  voir  les  accidents 
nestes  qui  naissent  de  ce  trafic.  Mgr  notre  Prélat  a 
it  tout  ce  qui  peut  s'imaginer  pour  en  arrêter  le 
(urs,  comme  une  chose  qui  ne  tend  à  rien  moins  qu'à 

destruction  de  la  foi  et  de  la  religion  dans  ^es  con- 
tes. Il  a  employé  toute  sa  douceur  ordinaire  pour 
itoarner  les  Français  de  ce  commerce  si  contraire. 
la  gloire  de  Dieu  et  au  salut  des  sauvages.  Ils  ont 
éprise  ses  remontrances,  parce  qu'ils  sont  maintenus 
LF  une  puissance  séculière  qui  a  la  main  forte.  Ils 
i  disent  que  partout  les  boissons  sont  permises.  On 
ar  répond  que  dans  une  nouvelle  Eglise,  et  parmi 
\8  peuples  non  policés,  elles  ne  doivent  pas  l'être, 
lisque  l'expérience  fait  voir  qu'elles  sont  contraires 
la  propagation  de  la  foi  et  aux  bonnes  mœurs  que 
^n  doit  attendre  des  nouveaux  convertis.  La  raison 
a  pas  fait  plus  que  la  douceur.  II  y  a  eu  d'autres 
intestations  très-grandes  sur  ce  sujet.   Mais  enân« 

zèle  de  la  gloire  de  Dieu  a  emporté  notre  Prélat 


tèi  LETTRES 

et  Ta  obligé  d'excommunier  ceux  qui  exerceraient  ce 
trafic.  Ce  coup  de  foudre  ne  les  a  pas  plus  étonnés  que 
le  feste.  Ils  n'en  ont  pas  tenu  compte,  disant  que  l'Eglise 
n'a  point  de  pouvoir  sur  les  affaires  de  cette  nature. 

• 

Les. affaires  étant  à  cette  extrémité,  il  s'embarque 
pour  passer  en  France,  afin  de  chercher  les  moyens  de 
pourvoir  (remédier)  h  ces  désordres,  qui  entraînent  après 
eux  tant  d  accidents  funestes.  11  a  pensé  mourir  de 
douleur  à  ce  si^get,  et  on  le  voit  sécher  sur  pied. 
Je  crois  que  s'il  ne  peut  venir  ^  bout  de  son  dessein 
il  ne  reviendra  pa$,  ce  qui  serait  une  perte  irréparable 
pour  cette  nouvelle  Eglise  et  pour  tous  les  pauvres 
Français.  Il  se  fait  pauvre  pour  les  assister;  et  pour 
diiv  eu  uu  m^t  tout  ce  que  je  conçois  de  son  mérite, 
U  pone  )t^  maniues  et  le  caractère  d*nn  saint.  Je  vous 
prie  ^e  reeoiaiua:iv!er  et  de  faire  recommander  à  Notre- 
$eijjnieur  une  affaire  si  isiportante>  et  qnll  loi  plaise 
<ie  uoos^  renvo>ver  m^cre  bon* prêtât,.  Père  et  véritable 
pw^ieur  ^e$  àme$  v^ai  lui  $oat  commises. 

Vcu$  T^ve9  v((ie  m^  lettre  ne  puie  que  de  Taffidre 
vtui  me  vw*§^  i*^  pI^J»  '^«î  vrœor.  parce  que  Jy  vois  la 
M^^^i^^tj^  v£e  l>i!ea  viiêi^acKe.  rEgiise  mjéprisée,  et  les 
iot^^  ^^it)^  It^  oUtt^r  êvblenc  cfie  se  perdre.  Mes  antr» 
W<itit>^  irè{;^z>5JiîvxjL0  iox  v0î3»s 


BE  LA  MËRB  MARIB  DB  l'iN CARNATION.  223 


LETTRE    CLVIII. 


AU   MÊME. 


Le  ro?  envoie  des  Commissaires  dans  la  Nouvelle-France  pour  prendre  possession' 
du  port  de  Plaisance,  et  pour  examiner  la  nature  et  la  qualité  du  pays. 


Mon  très-cher  fils, 

L*on  yieDt  de  me  donner  avis  qu'une  chaloupe  va 
partir  pour  aller  trouver  les  vaisseaux  du  roi  qui  se 
sont  arrêtés  à  soixante  lieues  d'ici,  sans  qu'on  ait  jamais 
pa  faire  obéir  le  capitaine,  quoiqu'on  lui  ait  commandé 
d0  la  part  du  roi  de  venir  à  Québec.  11  s'excuse  sur 
la  saison  qu'il  dit  être  trop  avancée,  aucun  navire 
*  n*ayant  jamais  monté  si  tard  jusqu'à  Québec,  ajoutant 
que  son  vaisseau  étant  de  quatre  cents  tonneaux,  il 
risquerait  trop  dans  le  fleuve.  Mais  la  véritable  raison 
est  qu'il  a  peur  qu'on  ne  le  châtie  de  sa  mauvaise 
conduite  dans  le  temps  de  sa  navigation,  ayant  fort 
maltraité  le  gentilhomme  quB'Sa  Magesté  envoie  pour 
TBoonnaître  le  pays^  comme  aussi  M,  Boucher  qui  était 
le  porteur  des  lettres  du  roi,  et  enfin  tous  les  passagers 
<iu*il  a  presque  fait  périr  de  faim  et  de  soif,  comme 
en  effet  il  en  est  mort  près  de  quarante.  Il  n'avait  des 
vivres  que  pour  deux  mois,  et  il  en  a  été  quatre  en 
chemin.  Il  a  aussi  arrêté  au  même  lieu  l'autre  vais- 
seau qui,  n'étant  qu'une  flûte,  eût  pu  monter  jusqu'ici, 
et  s'en  retourner  même  après  la  Saint-Martin,  d'autres 


224  LETTRES 

semblables  en  étant  partis  pins  tard  les  années  dernières. 

M.  de  Monts  qui  est  le  gentilhomme  dont  j*ai  parlé, 
est  venu  ici  dans  une  chaloupe,  et  il  est  retourné  pour 
débarquer  trois  ou  quatre  cents  personnes  qui  sont  dans 
ces  grands  vaisseaux,  et  les  vivres  qui  sont  nécessaires 
pour  leur  hivernement.  Toutes  les  chaloupes  et  barques 
de  ce  pays  y  sont  allées,  ce  qui  nous  Cause  une  cod- 
fusion  que  Ion  n avait  point  encore  vue.  Comme  noos 
ne  recevons  nos  paquets  que  peu  à  peu ,  nous  ne 
faisons  aussi  nos  réponses  que  par  de  petits  mots  par 
les  chaloupes  qui  vont  file  à  file  hux  grands  vaisseaux. 
C'est  donc  par  la  chaloupe  qui  va  partir  que  je  vous 
écris  celle-ci  pour  vous  dire  ce  que  M.  de  Monts  a  fait 
dans  sa  commission.  Il  a  pris  possession  en  chemin  da 
fort  de  Plaisance  aux  Terres-Neuves,  oti  il  y  a  pêcherie 
de  morues  dans  un  détour,  à  six  cents  lieues  de  France, 
et  dont  les  Anglais  ou  les  Hollandais  voulaient  se  ren- 
dre les  maîtres.  Il  y  a  laissé  trente  hommes  de  guerre 
pour  le  garder,  avec  un  ecclésiastique  et  des  vivres 
pour  rhiver. 

Depuis  ce  lieu- là  il  a  considéré  les  terres,  les  mon- 
tagnes, les  fleuves,  les  rivages  et  leurs  avenues.  Il  est 
venu  à  Québec,  dont  il  a  visité  les  ports  et  les  environs 
de  rhabitation.  A  la  faveur  d'un  vent  nord-est,  il  est 
monté  en  un  jour  aux  Trois-Riviôres ,  oti  il  a  établi 
pour  gouverneur  M.  Boucher,  qui  avait  déjà  commandé 
en  ce  lieu.^  C*est  lui  qui  a  porté  en  France  les  lettres 

(  1  Les  tltffceaJants  de  cet  homme  de  bien,  qne  l'on  appelle  encore  aajovidliBi 
U  ijrttndpirt  Boucher,  soot  réparés  en  plasiears  branches  et  familles  honorables 
•i<»  la  Duhi««te  caoadieoDe.  Le  grand-{-ère  Boacher  moamt  à  qnatre-Tingt  qoiott 
ft.M.  laii^aiit  «luir-.ze  eufaiits,  dont  deux  pnètres  et  cae  religieuse  UrsnliDe.  Noos 
•  .Ci  .a.:  c..tiL4::ro  pou  a-huiruMe  leâlameat  dans  notre  écrit  intitulé  :  Coursée 
>.^n»  f  .ji.imun  tti  quariiikU  lerons.  Peu  afrès  sa  mort,  on  lai  comptait  cect 
Ml.  lUAutc  (>ctitft  eiifantt. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  225 

et  les  commissions  de  M.  le  Gouverneur,  et  qui  les 
a  présentées  au  roi,  qui  l'a  écouté  avec  une  bonté 
extraordinaire,  et  qui  lui  a  promis  d'envoyer  ici  un 
régiment  l'année  prochaine,  avec  de  petits  bateaux  pour 
voguer  sur  la  rivière  des  Iroquois  Agneronons,  que  Sa 
Majesté  veut  détruire,  afin  de  se  rendre  le  maître  de 
tout  le  pays.  Nous  estimons  que  c'est  pour  cela  que 
Sa  Majesté  a  envoyé  M.  de  Monts  en  commission  pour 
faire  la  visite  du  pays.  Après  que  ce  gentilhomme 
eut  examiné  toutes  choses,  il  est  tombé  d'accord  sur 
tout  ce  que  M.  le  Gouverneur  avait  mandé  au  roi,  et 
que  M.  Boucher  lui  avait  confirmé  de  bouche,  que  l'on 
peut  faire  en  ce  pays  un  royaume  plus  grand  et  plus 
beau  que  celui  de  France.  Je  m'en  rapporte,  (je  ne 
juge  pas  d'après  ma  propre  opinion),  mais  c'est  le 
sentiment  de  ceux  qui  disent  s'y  connaître.  Il  y  a  des 
mines  en  plusieurs  endroits  ;  les  terres  y  sont  fort  bon- 
nes; il  y  a  surtout  un  grand  nombre  d'enfants.  Ce  fat 
un  des  points  sur  lesquels  le  roi  questionna  le  plus 
M.  Boucher,  savoir  si  le  pays  était  fécond  en  enfants. 
Il  l'est  en  effet,  et  cela  est  étonnant  de  voir  le  grand 
nombre  d'enfants  très-beaux  et  bien  faits,  sans  aucune 
difformité  corporelle,  si  ce  n'est  par  accident.  Un 
pauvre  homme  aura  huit  enfants  et  plus,  qui  l'hiver 
vont  nu-pieds  et  nu-tête,  avec  une  petite  camisole 
sur  le  dos,  qui  ne  vivent  que  d'anguilles  et  d'an  peu 
de  pain;  et  avec  tout  cela  ils  sont  gros  et  gras.  M.  de 
Monts  s'en  retourne  bien  content,  et  se  promet  bien 
de  venir  nous  revoir  dans  huit  mois  pour  continuer 
les  desseins  de  Sa  Majesté.  Priez  la  Majesté  souveraine 
que  tout  réussisse  pour  sa  gloire. 

De  Québec,  le  6  de  novembre  1662. 

LBTTR.  M.    II.  15 


znb 


LETTRE  CLIX. 


AU    MÊME. 


Unlntlôn  <lti  (rtmhlemADt  de  terre  arrivé  ati  Canada  dans  Tannée  1663, 

et  de  tes  effets  merTeillenx. 


Mon  très- cher  fils, 

J*Ai  réservé  k  vous  faire  séparément  le  récit  do 
Iromhlement  de  terre  arrivé  cette  année  dans  notre 
Nouvelle- France,  lequel  a  été  si  prodigieux,  si  violeot 
0i  si  effroyable,  que  je  n*ai  pas  de  paroles  assez  foitee 
pour  Texprimer;  et  je  crains  même  que  ce  que  j'en 
lUmi  no  passe  pour  incroyable  et  pour  fabaleox. 

\k^  troisième  jour  de  février  de  cette  année  1663, 
\iuf^  fi>miuii^  sauvage^  mais  très-bonne  et  très- excellente 
ohri^tif^uii<\  ^tant  éveillée  dans  sa  cabane  tandis  que 
t^vu«  K^  ^utr^  dormaient,  entendit  nne  Toix  distincte 
^t  «Hioiilf^  ^)ui  lui  dit  :  ]>ans  deux  jours  il  doit  arriver 
vW^  \'K\>$i(^  bien  ^^auantes  ei  merretUenses.  Et  le  len- 
^H^^K^iiH  U  unNiie  t^aica^e  étant  dans  la  Iwét  avec  m 
^VH^r  (\^^r  à^irv^  $a  pcv^vis^»  joanalièffe  de  bois,  elle 
>*^\v>*..*îil  stvjfcÇ"x5fr.'^eœw  îa  m^àsie  v«x  i^ai  lui  dit  :  Ce 
*v*^>A  sV^^ft*^:^  ^w:?^  !i«i  vHtrvç  ec  s£x  &i«r>BS  da  aoir  que 
VN^  W^'tv  ^i^s^irti^  ^j^"^^  <rc  v(tt  eue  ts^nnâfiara  ^  ose  manière 
v^si)»¥s^^V«  V^.V  ?t^>^^ct9^  v«v  ^ euje  arts  essendii  à  ceux 
J^H^  ^  y\^>^wr3«iK  <*i^  ^ir^îrw^a  xx?^r  ^oiiLiiSSDfim»  ce  quelle 
^HMMk  ^^^MW!e  ^i^^$«^i»^.  ^  >iVatau  xn  «aftic  i&e  son  ima- 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*IN CARNATION.  287 

;ion.  Cependant  le  temps  fut  assez  calme  ce  jour-là, 
ancore  plus  le  jour  suivant. 

lie  cinquième  jour,  fête  de  sainte  Agathe,  vierge  et 
rtyre,  sur  les  cinq  heures  et  demie  du  soir,  une 
•sonne  d'une  vertu  éprouvée,  et  qui  a  de  grandes 
nmunications  avec  Dieu,  le  vit  extrêmement  irrité 
itre  les  péchés  qui  se  commettent  en  ce  pays,  et  en 
me  temps  elle  se  sentit  portée  à  lui  en  demander 
tice,^  Pendant  qu'elle  oflFrait  ses  prières  à  la  divine 
ijesté  pour  cette  fin,  et  aussi  pour  les  âmes  qui  étaient 
péché  mortel,  afin  que  sa  justice  ne  fût  pas  sans  misé- 
orde,  suppliant  encore  les  martyrs  du  Japon,  dont 
1  faisait  la  fête  ce  jour-là,  d'en  vouloir  faire  l'appli- 
;ion  selon  qu'il  serait  le  plus  convenable  à  la  gloire 
Dieu,  elle  eut  un  pressentiment,  ou  plutôt  une 
lurance  infaillible  que  Dieu  était  prêt  de  punir  le 
ys  pour  les  péchés  qui  s'y  commettent,  surtout  pour 
mépris  qu'on  y  fait  des  ordonnances  de  l'Eglise.  Elle 
put  s'empêcher  de  désirer  ce  châtiment,  quel  qu'il 
t  être,  puisqu'il  était  arrêté  dans  le  décret  de  Dieu, 
18  qu'elle  eût  aucune  vue  de  ce  que  ce  pourrait  être, 
continent  après,  et  un  peu  avant  que  le  tremblement 
îvât,  elle  aperçut  quatre  démons  furieux  et  enragés 
X  quatre  coins  de  Québec,  qui  ébranlaient  la  ierre 
30  tant  de  violence,  qu'ils  témoignaient  vouloir  tout 
iverser.  Et  en  effet  ils  en  fussent  venus  à  bout  si 
personnage  d'une  beauté  admirable  et  d'une  majesté 
rissante,  qu'elle  vit  au  milieu  d'eux  et  qui  lâchait 
temps  en  temps  la  bride  à  leur  fureur,  ne  l'eût  rete- 

)  Elle  parle  de  la  Mère  Saint- Augustin ,  religieuse  de  THôtel-Dieu,  regardée 
me  une  sainte  pendant  sa  vie,  et  dont  la  mémoire  est  encore  aujourd'hui  en 
de  vénération  au  Canada.  Sa  vie  a  été  publiée  en  1671  par  le  Père  Rague- 
I,  Jésuite.  Elle  forme  un  volume  de  500  pages  in-S®. 


228  LETTRES 

nue  lorsqu'ils  étaient  sur  le  point  de  tout  perdre.  Elle 
entendit  la  voix  de  ces  démons  qui  disaient  :  Il  y  a 
maintenant  bien  du  monde  effirayé;  nous  Toyons  bien 
qu'il  y  aura  beaucoup  de  conversions,  mais  cela  durera 
peu,  nous  trouverons  bien  le  moyen  de  ramener  le 
monde  à  nous.  Cependant  continuons  à  ébranler  la 
terre,  et  faisons  notre  possible  pour  tout  renverser. 

Le  temps  était  fort  calme  et  serein,  et  la  vision 
n'était  pas  encore  passée,  que  l'on  entendit  de  loin  un 
bruit  et  bourdonnement  épouvantable,  comme  si  un 
grand  nombre  de  carrosses  roulaient  sur  des  pavés  avec 
vitesse  et  impétuosité.  Ce  bruit  n'eut  pas  plus  tôt  réveillé 
l'attention,  que  l'on  entendit  sous  terre  et  sur  la  terre 
et  de  tous  côtés,  comme  une  confusion  de  flots  et  de 
vagues  qui  donnaient  de  l'horreur.  L'on  entendait  de  tou- 
tes parts  comme  une  grêle  de  pierres  sur  les  toits,  dans 
les  greniers  et  dans  les  chambres.  Il  semblait  que  les 
marbres  dont  le  fond  de  ce  pays  est  presque  tout  com- 
posé, et  dont  nos  maisons  sont  bâties,  allaient  s'ouvrir 
et  se  mettre  en  pièces  pour  nous  engloutir.  Une  pous- 
sière épaisse  volait  de  tous  côtés.  Les  portes  s'ouvraient 
d'elles-mêmes,  d'autres  qui  étaient  ouvertes  se  fer- 
maient. Les  cloches  de  toutes  nos  églises  et  les  timbres 
de  nos  horloges  sonnaient  toutes  seules,  et  les  clochers 
aussi  bien  que  nos  maisons  étaient  agités  comme  des 
arbres  quand  il  fait  vent;  et  tout  cela  dans  une  horrible 
confusion  de  meubles  qui  se  renversaient,  de  pierres 
qui  tombaient,  de  planchers  qui  se  séparaient,  de  murs 
qui  se  fendaient.  Parmi  tout  cela  l'on  entendait  les  ani- 
maux domestiques  qui  hurlaient.  Les  uns  sortaient 
des  maisons,  les  autres  y  rentraient.  En  un  mot  Ton 
était  si  effrayé,  que  l'on  s'estimait  être  à  la  veille  du 
jugement,  puisque  l'on  en  voyait  les  signes. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  229 

Un  accident  si  inopiné  et  en  un  temps  auquel  les 
jeunes  gens  se  préparaient  à  passer  le  carnaval  dans 
des  excès,  fut  un  coup  de  tonnerre  sur  la  tête  de  tout 
le  monde,  qui  ne  s'attendait  à  rien  moins.  Ce  fut 
plutôt  un  coup  de  la  miséricorde  de  Dieu  sur  tout  le 
pays,  comme  on  l'a  vu  par  les  effets  dont  je  parlerai 
ailleurs.  Dès  cette  première  secousse  la  consternation 
fat  universelle.  Et  comme  l'on  ignorait  ce  que  c'était, 
les  uns  criaient  au  feu,  croyant  que  ce  fut  un  incendie, 
les  autres  couraient  à  l'eau  pour  Téteindre;  d'autres 
se  saisirent  de  leurs  armes,  croyant  que  ce  fût  une 
armée  Iroquoise.  Mais  comme  ce. n'était  rien  de  tout 
cela,  ce  fut  à  qui  sortirait  dehors  pour  éviter  la  ruine 
des  maisons  qui  semblaient  sur  le  point  de  tomber. 

On  ne  trouva  pas  plus  d'assurance  dehors  que  dedans  : 
car  par  le  mouvement  de  la  terre,  qui  trémoussait 
sous  nos  pieds  comme  des  flots  agités  sous  une  chaloupe, 
on  reconnut  aussitôt  que  c'était  un  tremblement  de 
terre.  Plusieurs  embrassaient  les  arbres  qui,  se  mêlant 
les  uns  dans  les  autres,  ne  leur  causaient  pas  moins 
d'horreur  que  les  maisons  qu'ils  avaient  quittées  ;  d'au- 
tres s^'attachaient  à  des  souches  qui,  par  leurs  mou- 
vements, les  frappaient  rudement  à  la.  poitrine.  Les 
sauvages,  extrêmement  effrayés,  disaient  que  les  arbres 
les  avaient  bien  battus.  Quelques-uns  d'entre  eux 
disaient  que  c'étaient  des  démons  dont  Dieu  se  servait 
pour  les  châtier,  à  cause  des  excès  qu'ils  avaient  faits 
en  buvant  de  l'eau- de-vie,  que  les  mauvais  Français  leur 
avaient  donnée.  D'autres  sauvages  moins  instruits,  qui 
étaient  venus  à  la  chasse  en  ces  quartiers,  disaient 
que  c'étaient  les  âmes  de  leurs  ancêtres  qui  voulaient 
retourner  dans  leur  ancienne  demeure.  Pxé venus  de 
cette  erreur,  ils  prenaient  leurs  fusils,  et  faisaient  des 


290 

déchaînes  en  Tair  contre  une  bande  d'esprits  qui  pas- 
sait» à  ce  qu'ils  disaient.  Mais  enfin  nos  habitants  aussi 
bien  que  nos  sauvages  ne  trouvant  nul  asile  sur  la 
terre»  non  plus  que  dans  les  maisons,  tombaient  la 
plupart  en  défaillance;  et  prenant  un  meilleur  conseil, 
entraient  dans  les  églises  pour  avoir  la  consolation  d*; 
périr  après  s'être  confessés. 

Cette  première  secousse»  qui  dura  près  d'une  demi* 
heure»  étant  passée»  on  commença  à  respirer;  mais  oe 
fut  pour  peu  de  temps»  car  sur  les  huit  heures  du  soir 
il  recommença,  et  pendant  une  heure  il  redoubla  deai 
fois.  Nous  disions  matines  au  chœur»  les  récitant  partie 
à  gCDOUX  dans  un  esprit  humilié,  et  nous  abandonnant 
au  souverain  pouvoir  de  Dieu.  Le  redoublement  vint 
trente-deux  fois  cette  nuit-là»  à  ce  que  m'a  dit  une 
personne  qui  les  avait  comptés.  Je  n'en  comptai  pour- 
tant que  six»  parce  que  quelques-uns  furent  faibles,  eH 
quasi  imperceptibles.  Mais  sur  les  trois  heures  il  y  en 
eut  un  fort  violent»  et  qui  dura  longtemps. 

Ces  secousses  ont  continué  l'espace  de  sept  mois,  quoi- 
qu'avec  inégalité.  Les  unes  étaient  fréquentes,  mais 
faibles;  les  autres  étaient  plus  rares,  mais  fortes  A 
violentes  :  ainsi  le  mal  ne  nous  quittante  que  pour 
fondre  sur  nous  avec  plus  d'effort,  à  peine  avions-noos 
le  loisir  de  faire  réflexion  sur  le  malheur  qui  nous 
menaçait,  qu'il  nous  surprenait  tout  d'un  coup,  quel- 
quefois durant  le  jour,  et  plus  souvent  durant  la  nuit. 
Si  la  terre  nous  donnait  tant  d'alarmes,  le  ciel  ne 
nous  en  donnait  pas  moins,  tant  par  les  ^hurlements 
et  les  clameurs  qu'on  entendait  retentir  en  l'air,  que 
par  des  voix  articulées  qui  donnaient  de  la  frayeur. 
Les  unes  disaient  des  hélas  :  les  autres,  allons,  allons; 
les  autres,  bouchons  les  rivières.  L'on  entendait  des 


DB  LA  MËRB  MARIB  DB  L'INCARNATION.  231 

raits  ta&tôt  oomme  de  cloches,  tantôt  comme  de 
iûons,  tantôt  comme'  de  tonnerres.  L'on  voyait  des 
(ux,  des  flambeaux,  des  globes  enflammés  qui  tom- 
Eiient  quelquefois  à  terre,  et  qui  quelquefois  se  dissi- 
ajieiit  en  Taîr.  On  a  vu  dans  Tair  un  feu  en  forme 
homme  qui  jetait  les  flammes  par  la  bouche.  Nos 
omestiques  allant  par  nécessité  durant  la  nuit  pour 
DUS  amener  du  bois,  ont  vu  cinq  ou  six  fois  pour 
ne  nuit  de  ces  sortes  de  feux.  L'on  a  vu  des  spectres 
pouvan tables  ;  et  comme  les  démons  se  mêlent  quel- 
aefois  dans  le  tonnerre,  quoi  que  ce  (le  tonnerre)  ne 
>it  qu'un  effort  de  la  nature,  on  a  facilement  cru  qu'ils 
)  sont  mêlés  dans  ce  tremblement  de  terre  pour  aocroî* 
*e  les  frayeurs  que  la  nature  agitée  nous  devait  causer. 
Parmi  toutes  ces  terreurs  on  ne  savait  à  quoi  le  tout 
bootlraii  Quand  nous  nous  trouvions  à  la  fin  de  la 
lurnée,  nous  nous  mettions  dans  la  disposition  d'être 
Dglouties  en  quelque  abîme  durant  la  nuit;  le  jour 
tant  venu,  nous  attendions  la  mort  continuellement, 
6  voyant  pas  un  moment  assuré  à  notre  vie.  En  un 
lot,  on  séchait  dans  l'attente  de  quelque  malheur 
niversel.  Dieu  même  semblait  prendre  plaisir  àcon* 
rmer  notre  crainte.  Une  personne  contemplative  étant 
avant  le  Saint-Sacrement  pour  tâcher  d'apaiser  la 
olôre  de  Dieu,  et  s'offrant  à  lui  d'un  grand  coeur  pour 
ire  la  victime  de  tous  les  maux  qui  menaçaient  son 
auple,  elle  fut  soudain  saisie  de  frayeur,  comme  aux 
pproches  d'une  personne  d'une  grande  majesté ,  et 
nssitôt  elle  aperçut  un  personnage  extrêmement  redott-> 
ible,  revêtu  dun  habit  tout  couvert  de  cette  devise  : 
}uiê  ut  Deus  ?  Il  tenait  en  la  main  gauche  une  balance 
ont  les  bassins  étaient  remplis,  l'un  de  vapeurs,  et 
autre  d'écriteaux  qui  disaient  :  Loquere  ad  cor  Jeru&alem, 


I    *\^v*i«v  vxik>^ '^•vt'i^»*  :«*j5Si  jsrt:C^fi&  «Ifr  ^TT -finir 

.  N.   .  ■  V       -,.  v-^       *■. -V       I  .  .liîv       '.UÎ5-      V  TÛT 


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X. 


DB  LA  MËRB  MARIB  DB  L'INGARNATION.  833 

renversés,  et  partie  enfoncés  en  terre  jusqu'à  la  oime 

des  branches.  L*on  a  vu  deux  rivières  disparaître; 

Von  a  trouvé  deux  fontaines  nouvelles,  l'une  blanche 

comme  du  lait,  et  l'autre  rouge  comme  du  sang.  Mais 

rien  ne  nous  a  plus  étonnés  que  de  voir  le  grand  fleuve 

de  Saint-Laurent,  qui,  pour  sa  profondeur  prodigieuse, 

ne  change  jamais,  ni  par  la  fonte  des  neiges,  qui  fait 

ordinairement  changer  les  rivières,  ni  par  la  jonction 

de  plus  de  cinq  cents  rivières  qui  dégorgent  dedans, 

sans  parler  de  plus  de  six  cents  fontaines  très-grosses 

pour  la  plupart,  de  voir,  dis-je,  ce  fleuve,  changer  et 

prendre  la  couleur  de  soufre  et   la   retenir   durant 

huit  jours. 

Quelques  sauvages  que  la  crainte  avait  chassés  des 
bois  voulant  retourner  dans  leur  cabane,  la  trouvèrent 
abîmée  dans  un  lac,  qui  se  flt  en  ce  lieu-là.  L'on  a  vu 
^e  grange  proche  de  nous  se  coucher  sur  un  côté, 
puis  sur  l'autre,  et  enfln  se  replacer  en  son  assiette  \ 
A  relise  de  Beaupré,  qui  est  celle  du  Gbâteau-Richer, 
la  terre  trembla  si  rudement  le  mercredi  des  cendres, 
que  l'on  voyait  trembler  les  murailles  comme  si  elles 
enasent  été  de  carte.  Le  Saint-Sacrement,  qui  était 
^posé,  tremblait  de  même.  Il  ne  tomba  pas  néanmoins, 
ftyant  été  retenu  par  une  petite  couronne  de  fleurs  con- 
tre-faites (artificielles).  La  lampe,  qui  était  éteinte,  tomba 
trois  fois,  mais  l'ecclésiastique  qui  avait  le  soin  de 
cette  église  l'ayant  fait  allumer  et  remonter  en  son 
lien,  elle  ne  tomba  plus. 

Nous  avons  appris  de  ceux  qui  sont  venus  de  Tadous- 
sac  que  le  tremblement  y  a  fait  d'étranges  fracas. 


(1)  Ce  ùâi  darient  plot  facile  à  comprendre,  quand  on  sait  qae  presque  Uwtet 
im  eomatgmetàooM  étmitnt  en  boia* 


2ii4  LBTTRE8 

Durant  Tespace  de  six  heures  il  a  pla  de  la  cendre 

en  si  grande  quantité,  que  sur  la  terre  et  dans  les 

barques  il  y  en  avait  un  pouce  d'épais.  L*on  infère  de 

là  que  le  feu  qui  est  enfermé  dans  la  terre  a  fait  jouer 

quelque  mine,  et  que  par  Touyerture  qall  s'est  faite, 

il  a  jeté  ces  cendres,  qui  étaient  comme  du  sel  brûlé. 

Ces  messieurs  disent  que  les  premières  secousses  de 

la  terre  les  épouvantèrent  extrêmement,  à  cause  des' 

étranges  effets  qu'elles  causèrent  ;  mais  que  ce  qui  les 

etlVaya  le  plus,  et  qui  parut  aussi  le  plus  extraordinaire, 

tùi  que  la  marée,  qui  a  ses  heures  réglées  potir  monter 

et  descendre,  Qt  qui  baissait  pour  lors  il  j  avait  peu 

de  temps,  remonta  tout  à  coup  avec  un  effroyable  bruit. 

Trois  jeunes  hommes  étaient  allés  de  compagnie 

chercher  des  sauvages  pour  leur  traiter  de  Teau-devie; 

IHin  deux  sétant  écarté  pour  quelque  nécessité,  il  lui 

apfMirut  un  spectre  effroyable  qui,  de  sa  seule  vue,  pensa 

1«  AUk  mourir  de  frayeur;  il  retourna  aussitôt,  quoi- 

qaavee  peine,  joindre  les  deux  autres,  qui  le  voyant 

ainsi  «^rtravi^  commencèrent  à  le  railler.  U  y  en  eat 

an  néanmoins  qui  rentra  en  lui-même,  et  qui  dit  :  Il 

nV  a  ivarUni  pas  ici  de  quoi  rire;  nons  portons  des 

KMi$$iM>$  aux  $auva^^e$  contre  la  défense  de  l'Eglise, 

^t  IViM  nox)$  T^ui  peui-étK  punir  de  notre  désobéis- 

MtHV.  A  OM  fvftTv\e;s^^  i'^s  retiCUTcèrent  sor  leurs  pas; 

f^  ;^vr  A  {>^:iTï^  :\în»ii- Jis  cahanés^  ^oe  le  tremUemest 

<W|wrtJ^  i^^r  oa^van;?  i  lecir  raft,  en  «rce  qalls  eurent 

/^rA  -rï^^Y^ïW  Si^r.  â;?  ia  p^ir»^  à  »  sani^er.  C<t  accident 

NNîTii  *i)(i  fw^wiî^vr  i«r  èî  wci»  çne  îe  Cad  les  persé- 

Kr;  rr.vî/^^;  r.^  .^>^Tn*n  £Vi  à  TaàiinMac  il  y  avait 
.NNA  bT^î^rrtîi  A-xKr^?  c<:*  •■iMÀwâaii;  en  Tsni.  et  incrai* 
nN\>^w.i  Avi   !/^  v<i?>;i«(tk<^x   7i$  jLOXii  à  icnMBttl  abîmés 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DB  L*INGARNATION.  235 

0t  enfoncés  au  niveau  du  rivage.  Et  ce  qui  estmerveil* 
leax,  ils  se  sont  avancés  dans  le  grand  fleuve  plus  avant 
que  la  rivière  de  Loire  nest  large  dans  ses  plus  grandes  ' 
crues.  Ils  ont  retenu  leurs  arbres  et  leur  verdure»  et 
aujourd'hui  cest  un  plat  pays.  Je  ne  sais  pas  pourtant 
qui  osera  y  marcher  le  premier,  quoique  Tassiette  ait 
belle  apparence.  Un  jeune  homme  de  nos  voisins  allant 
en  traite,  voulut  descendre  au  bord  d'une  rivière  qui 
n'avait  point  encore  paru,  curieux  de  voir  comme  les 
choses  s'étaient  faites  ;  dès  les  premiers  pas,  il  enfonça 
ei  avant  qu'il  allait  périr  si  on  ne  l'eut  retiré,  ce  que 
Ton  fit  avec  peine. 

Voilà  le  lieutenant  de  M.  le  Gouverneur  qui  arrive 
de  Tadoussac.  Il  rapporte  que  les  tremblements  y  sont 
encore  aussi  fréquents  et  aussi  furieux  que  dans  leurs 
commencements.  Ils  arrivent  plusieurs  fois  le  jour 
'  et  plusieurs  fois  la  nuit.  Cependant  j'écris  ceci  le 
dixième  de  juin,  c'est-à-dire  qu'il  y  a  déjà  quatre  mois 
et  demi  que  ce  fléau  dure. 

La  chaloupe  qui  est  arrivée  à  notre  port  il  y  a  peu 
de  jours  ayant  laissé  le  grand  vaisseau  à  Qaspé  pour 
prendre  le  devant,  se  trouva  fort  en  pçine,  étant  proche 
de  Tadoussac.  Nous  avons  appris  du  secrétaire  de 
M.  le  Gouverneur  et  d'un  jeune  homme  de  nos  voisins, 
qui  retournaient  de  France,  qu'elle  sautait  et  tremblait 
dune  étrange  manière,  s'élevant  par  intervalles  haut 
conmie  une  maison;  ce  qui  les  effraya  d'autant  plus 
qu'ils  n'avaient  jamais  rien  expérimenté  de  semblable 
dans  la  navigation.  Dans  cette  frayeur  ils  tournèrent 
la  vue  vers  la  terre,  où  il  y  avait  une  grande  et  haute 
montagne;  ils  la  virent  soudain  remuer  et  tournoyer 
comme  pirouettant,  et  tout  d'un  coup  s'enfoncer  et 
s'abîmer,  en  sorte  que  son  sommet  se  trouva  au  ras 


286  LBTTRB8 

de  la  terre  uni  comme  une  glace.  Cette  rencontre  leur 
fit  bien  vite  prendre  le  large  de  la  riyière,  de  crainta 
que  le  débris  n'arrivât  jusqu'à  eux. 

Le  grand  navire  prenant  quelque  temps  après  la 
mdme  route,  fut  surpris  du  tremblement»  Un  honn^ 
homme  qui  était  dedans  m'a  dit  que  tous  ceux  du 
vaisseau  croyaient  être  morts,  et  que  ne  se  pouvant 
tenir  debout,  pour  l'effort  de  l'agitation,  ils  se  mirent 
tous  à  genoux  et  se  prosternôrent  sur  le  tillac  pour 
se  disposer  à  la  mort.  Ils  ne  pouvaient  comprendre 
la  cause  d'un  accident  si  nouveau  :  car  tout  le  grand 
fleuve,  qui  en  ce  lieu-là  est  profond  comme  ane  mer, 
tremblait  comme  la  terre.  Pour  marque  que  la  secousse 
était  grande,  le  gros  câble  du  navire  se  rompit,  et  ils 
perdirent  une  de  leurs  ancres,  ce  qui  leur  fut  une  perte 
bien  notable.  J'ai  su  de  ceux  qui  sont  arrivés  dans  ces 
vaisseaux  qu'en  plus  de  douze  endroits  dlci  à  Tadoûssae, 
qui  est  distant  de  Québec  de  trente  lieues,  les  grands 
(Vacas  causés  par  les  secousses  de  la  terre  en  plusieurs 
endroits,  principalement  vers  les  deux  caps  dont  j'ai 
parlé,  ont  fait  que  les  montagnes  de  roches  se  sont 
ouvertes.  Us  ont  vu  quelques  petites  côtes  ou  éminences 
qui  si^  sont  détachées  de  leur  fondement  et  qui  ont 
Uis|viru,  faisant  de  petites  anses,  où  les  barques  et  les 
clialvHipoâ  se  pourront  mettre  à  Tabri  durant  les  tem- 
P<(Mm.  C'^t  une  chose  si  surprenante  qu*on  ne  la  peot 
qua$^i  oonc^voir.  et  tous  les  jours  on  apprend  de  sem- 
hUN^  prodig^e^  L'on  avait  beaucoup  de  crainte  que  oes 
KMili^t^rwiuents  arriva  sur  les  eôDes  du  grand  fleave, 
))V4i  <Miip^>ha$s^iit  la  navifiration.  mais  enfin  on  Dd 
oA'^it  }vft$  ^u'i^^^  pui$$eiii  nuiiv^  pourvu  quon  ne  vogae 
)\M»1  durw^i  i;ft  i)uù^  car  akirs  il  t  annit  du  péril. 

:^)  kx$i  A^^.^.rt$  01):  ô)è  ^  T^mMes  du  cteé  de  Tadousssc, 


DB  LA  MËRE  MARIB  DE  l'INGARNATION.  237 

ils  ne  l'ont  pas  été  moins  du  côté  des  Trois-Rivières. 
Une  personne  de  foi  et  de  nos  amis  nous  en  a  écrit 
des  particularités  étonnantes.  Et  je  n'en  saurais  faire 
plus  fidèlement  le  récit,  qu'en  rapportant  ses  propres 
paroles.  Les  voici  : 

«  La  première  et  la  plus  rude  secousse  arriva  ici  le  cin- 
quième de  février  sut  les  cinq  heures  et  demie  du  soir. 
Elle  commença  par  un  bruissement,  comme  d'un  ton- 
nerre qui  grondait  sourdement.  Les  maisons  étaient 
dans  la  même  agitation  que  les  arbres  dans  une  tem- 
pête, avec  un  bruit  qui  faisait  croire  à  plusieurs  que 
le  feu  pétillait  dans  les  greniers.  Les  pieux  de  notre 
palissade  et  des  clôtures  particulières  semblaient  dan- 
ser; et  ce  qui  était  le  pjus  effroyable,  fut  que  la  terre 
s'élevait  à  l'œil  de  plus  d'un  grand  pied  au-dessus  de 
sa  consistance  ordinaire,  bondissant  et  roulant  comme 
des  flots  agités.  Ce  premier  coup  dura  bien  une  demi- 
heure.  Il  n'y  eut  personne  qui  ne  crût  que  la  terre 
devait  s'ouvrir  pour  nous  engloutir.  Néanmoins,  comme 
les  maisons  sont  toutes  de  bois,  car  il  n'y  a  pas  de 
pierre  aux  Trois-Rivières,  l'effet  extérieur  se  termina 
à  la  chute  de  quelques  cheminées.  Mais  les  effets  qui 
paraissent  les  plus  considérables  se  sont  faits  dans  les 
consciences,  et  ils  ont  heureusement  continué  jusqu'à 
présent 

«  Au  reste,  nous  avons  remarqué  divers  symptômes  de 
cette  maladie  de  la  terre,  s'il  faut  ainsi  parler.  Comme 
les  tremblements  sont  quasi  sans  relâche,  aussi  ne 
sont-ils  pas  dans  la  même  égalité.  Tantôt  ils  imitent 
le  branle  d'un  grand  vaisseau,  qui  se  meut  lentement 
sur  ses  ancres,  ce  qui  cause  à  plusieurs  des  étourdis- 
sements  de  tâte;  tantôt  l'agitation  en  est  régulière  et 
précipitée  par  des  élancements  qui  font  craquer  les 


238  LETTRES 

maisons,  surtout  durant  la  nuit,  que  plnsienrs  sont  tm 
pied  et  en  prières.  Le  mouvement  le  plus  ordinaire  est 
un  trémoussement  de  trépidation,  ce  qa*on  pourrait 
attribuer  à  des  feux  souterrains,  qui  causent  encore 
un  autre  effet  :  car  comme  ils  se  nourrissent  de  matitoe 
bitumineuse  et  ensouffrée  quils  consument,  ils  forment 
en  même  temps  dessous  nos  pieds  de  grandes  concavités, 
qui  résonnent  quand  on  frappe  la  terre ,  comme  l'on 
entend  résonner  des  voûtes  quand  on  frappe  dessus.  « 
Voilà  ce  que  Ton  nous  écrit  des  Trois-Rîviôres. 

L'on  assure  aussi  que  Ton  a  vu  un  spectre  en  Pair 
portant  un  flambeau  à  la  main,  et  passant  de  TOuett 
à  l'Est  par-dessus  la  grande  redoute  de  ce  bourg  des 
Trois-Rivières.* 

Ce  qui  est  hors  de  doute,  selon  le  rapport  de  plusieurs 
de  nos  sauvages  et  de  nos  Français  des  Trois-Rivières, 
témoins  oculaires,  est  qu'à  cinq  ou  six  lieues  d'ici  les 
côtes  de  part  et  d'autre  de  la  rivière,  quatre  fois  plus 
hautes  que  celles  d'ici,  ont  été  enlevées  de  leurs  fon- 
dements, et  déracinées  jusqu'au  niveau  de  Teau,  dans 
l'étendue  d'environ  deux  lieues  en  longueur,  et  de  plas 
de  dix  arpents  en  profondeur  dans  la  campagne,  et 
qu  elles  ont  été  renversées  avec  leurs  forêts  jusque 
dans  le  milieu  du  canal,  y  formant  une  puissante 
digue  qui  obligera  ce  fleuve  à  changer  de  lit,  et  à  w 
répandre  sur  ces  grandes  plaines  nouvellement  décou- 
vertes. Il  mine  néanmoins,  et  bat  sans  cesse  par  la 
rapidité  de  son  cours  cette  île  étrangère,  la  démêlant 
(la  détrempant)  peu  à  peu  avec  son  eau,  qui  est  encore 
aujourd'hui  si  trouble  et  si  épaisse,  qu'elle  n'est  pto 


(1  <  Aujourd'hui  cet  ancieu  bourg  des  Trois- Ri Tières  est  une  ville  épiaoopalc^ 
la  provÎDce  ecclésiastique  de  Québec. 


M,  » 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INGARNATION.  239 

potable.  Dans  ce  violent  transport  il  8*est  fait  un  tel 
débris,  qu*à  peine  un  arbre  est  demeuré  entier,  étant 
pour  la  plupart  débités  en  longueur  comme  des  mâts 
de  navire. 

Le  premier  saut  si  renommé  n'est  plus,  étant  tout 
à  fait  aplani.  Le  ravage  est  encore  plus  grand  et  avec 
des  circonstances  plus  surprenantes  vers  la  rivière  de 
Batiscan.  Il  y  avait  alors  cinquante  personnes  de  ces 
quartiers,  tant  Français  que  sauvages,  dans  les  liôux 
où  le  tremblement  a  fait  de  plus  grands  ravages  et 
crusé  de  plus  profonds  abîmes.  Comme  ils  ont  tous 
été  dans  Teffroi,  et  contraints  de  s'écarter  pour  se 
garantir  des  précipices  qui  s'ouvraient  sous  leurs  pieds, 
je  remarquerai  seulement  quelques  circonstances  que 
j'ai  tirées  de  quelques  particuliers,  car  chacun  n'ét«ait 
attentif  qu'à  soi-même,  et  aux  moyens  de  se  sauver  des 
ouvertures  qui  se  faisaient  à  ses  côtés. 

Ces  mines  naturelles  ayant  donc  commencé  à  jouer 

en  ce  lieu,  aussi  bien  qu'ici  sur  le  couchant  du  soleil, 

le*  cinquième  de  février,  continuèrent  leurs  ravages 

toute  la  nuit  jusqu'à  la  pointe  du  jour,  avec  des  bruits 

comme  d*un  grand  nombre  de  canons  et  de  tonnerres 

effroyables,  qui  mêlés  avec  celui  des  arbres  de  ces 

forêts  immenses,  qui  s'entrechoquaient  et  tombaient 

à  centaines  de  tous  côtés  dans  le  fond  de  ces  abîmes, 

faisaient  dresser  les  cheveux  à  la  tête  de  ces  pauvres 

errants.  Un  sauvage  d'entre  eux  étant  à  demi  engagé 

^8  une  ouverture  qui  se  vit  dans  sa  cabane,  en  fut 

i^iré  avec  beaucoup  de  peine  par  ses  compagnons. 

Un  Français  s'étant  échappé  du  même  danger,  et  étant 

^tourné  pour  prendre  son  fusil,  que  la  crainte  lui  avait 

fait  oublier,  fut  obligé  de  se  mettre  dans  l'eau  jusqu'à 

h  ceinture,  en  un  lieu  où  ils  avaient  auparavant  fait 


^4«» 


.«A.   . 


.flitir  >n.  .1  s  exposa  i  :e  pôii.  parce  qae  sa  râ 
l^nenUAir  it^  ^on  :isiu  Izr^  ^aoragea  usTicnant  tous  on 
i^oriprs  %nx  .vmonâ.  .Ji  "Oidient  en  i'air,  à  ce  qnlli 
rij^aienr.  ;t:.^a]<^r.t  :e  'einza  -m  '.emps  des  décharges  de 
i^nrt  ruiiil.s  .ivef?  le  zraziaes  oizêes  pour  les  époaTanter 
et  :enr  lonner  la  chasse.  Zêcse  ioirée  et  toate  la  nuit 
iifl  3#»nrirenr  1.^^  .oad^  ie  !haienr  étonijhnties. 

I/aatre-s  aïonr  ^snr4  yiils  avaient  va  des  mon- 
tAf(n^n  Ventrechonaer  ^et  iisparaitre  à  leurs  yeux.  D'u- 
tre»  ont  ^n  les  ^uariers  ie  rocher  s'élever  en  l'air 
juanu'à  la  drue  ies  arr.res.  J'ai  parié  à  un  qui  courut 
tonte  la  nuit,  a  mesure  luîl  voyait  la  terre  s'ouvrir. 
Ceux  qui  fraient  plus  éloignés  et  au-delà  du  grand 
débris,  a«sareat  qu'eu  rerouruanc  ils  ont  côtoyé  plm 
fie  dix  lieues  iiani^  eu  avoir  pu  découvrir  ni  le  commen* 
cerment,  ni  la  au.  ni  30 ader  la  profondeur;  et  ils  ajou- 
tent r{ue  côtoyant  la  rivière  de  Batiscan,  ils  ont  trouté 
de  jff^nds  charigementâ,  uy  ayant  plus  de  sauts  où  ib 
en  avaient  vu  auparavant ,  et  les  collines  étant  toat 
k  fait  enfoncées  dans  la  terre.  Il  y  avait  ci-devant  ane 
hante  montage,  aujourd'hui  elle  est  abîmée  et  rédoita 
A  un  plat  p^ys  ;)ussi  uni  que  si  la  herse  7  avait  passé; 
Y(9h  voit  reniement  en  quelques  endroits  quelques  ezM- 
rnit^m  des  arbres  enfoncés,  et  en  d'autres  des  racines 
qui  Houi  demeurées  en  l'air,  la  cime  étant  abîmée  dam 

la  k'iTe. 

A  la  vMe  do  Beaupré,  un  maître  de  famille  ayaot 
piivo^'M  un  do  Hcs  domestiques  à  la  ferme,  cet  homiDft 
vit  RiMidiiiii  un  fou  grand  et  étendu  comme  une  ville; 
i|nfdi|Uo  w  U\\,  on  plein  jour  il  pensa  mourir  de  frayent 
p|.  tout  lo  voisinage,  qui  vit  la  même  chose,  en  fat 
oxirOtni'inont  t^|u>uvanté,  croyant  que  tout  allait  périr. 
l)ti  grniul  lou  ui^'unuoinâ  ^e  jeta  du  côté  du  fleuve,  le 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INCARNATION.  241 

sa  et  alla  se  perdre  dans  Tlle  d^Orlëans.  Un 
e  qui  Ta  va  m*en  a  assurée,  et  c'est  une  personne 
de  foi. 

:erre  n'est  pas  encore  affermie,  et  cependant  nous 
es  au  sixième  de  juillet,  car  je  n'écris  que  par 
es,  et  à  mesure  que  j'apprends  les  choses.  Les  exha- 
s  brûlantes  qui  sont  continuellement  sorties  de 
re  avaient  causé  une  si  grande  sécheresse,  que 

les  semences  avaient  jauni  :  mais  depuis  quelques 
il  y  a  eu  des  tourbillons  et  des  orages  furieux  du 
lu  cap  de  Tourmente;  cela  surprit  tout  le  monde, 
arriva  durant  la  nuit.  Ce  fut  un  bruit  épouvan- 
causé  par  un  déluge  d'eau  qui  tomba  des  monta- 
ivec  une  abondance  et  une  impétuosité  incroyables. 
Qoulins  furent  détruits  et  les  arbres  des  forêts 
inés  et  emportés.  Ces  nouvelles  eaux  firent  chan- 

cours  de  la  rivière,  son  premier  lit  demeurant 
lé  et  à  sec.  Une  fort  belle  grange,  qui  était  toute 
I,  fut  emportée  toute  entière  à  deux  lieues  de  là, 
e  se  brisa  enfin  sur  des  roches.  Tous  les  bestiaux 
s  côtés-là,  qui  étaient  en  grand  nombre  à  cause 
)lle8  et  vastes  prairies  du  pays,  furent  emportés 
;  rapidité  des  eaux.  Plusieurs  néanmoins  ont  été 
s  à  la  faveur  des  arbres,  parmi  lesquels  s'étant 
es  mêlés,  on  les  a  retirés  après  que  le  fort  du  torrent 
passé.  Les  blés  en  vert  ont  été  entièrement  ruinés  ; 
D-seulement  les  blés,  mais  encore  toute  la  terre 
pièce  de  douze  arpents  a  été  enlevée,  en  sorte 
l'y  est  resté  que  la  roche  toute  nue.  Un  honnête 
le  de  nos  voisins,  qui  était  alors  en  ce  lieu-là,  nous 
iré  qu'en  six  jours  qu'il  y  a  resté,  il  n'a  pas  dormi 
heures,  tant  les  tremblements  et  les  orages  lui 
onné  de  frayeur. 


rra.  m.  ii. 


16 


242  LETTRES 

Au  même  moment  que  le  tremblement  a  commencé 
à  Québec,  il  a  commencé  partout,  et  a  produit  lei 
mêmes  effets.  Depuis  les  monts  de  Notre-Dame  jusqu'à 
Montréal,  il  s'est  fait  ressentir,  et  tout  le  monde  en  a  été 
également  effrayé. 

La  Nouvelle-Hollande  n'en  a  pas  été  exempte,  et  \m 
Iroquois  qui  en  sont  voisins  ont  été  enveloppés  dam 
la  même  consternation  que  les  sauvages  de  ces  quar- 
tiers. Comme  ces  secousses  de  la  terre  leur  étaient 
nouvelles,  et  qu'ils  ne  pouvaient  deviner  la  cause  de 
tant  de  fracas,  ils  se  sont  adressés  aux  Hollandais  pour 
la  demander.  Ils  leur  ont  fait  réponse  que  cela  voalait 
dire  que  le  monde  ne  durerait  plus  que  trois  ans.  Je 
ne  sais  d'où  ils  ont  tiré  cette  prophétie. 

Le  29  de  juillet,  il  est  arrivé  à  notre  port  de  Québec 
une  barque  de  la  Nouvelle- Angleterre.  Les  personnes 
qui  sont  descendues  de  ce  vaisseau  disent  qu'étant  i 
Boston,  qui  est  une  belle  ville  que  les  Anglais  ont 
bâtie,  le  lundi  gras  à  cinq  heures  et  demie  ils  eurent 
le  tremblement  comme  nous  l'avons  eu  ici«  et  qull 
redoubla  plusieurs  fois.  Ils  rapportent  le  mêmd  de 
TAcadie  et  du  Port-Royal,  place  qui  a  autrefois  appa^ 
tenu  à  M.  le  commandeur  de  Razilly,  et  qui  a  depuis 
été  emportée  par  les  Anglais.  L'autre  côté  de  i'Acadie, 
qui  appartient  à  MM.  de  Cangé  et  Denis,  de  notre  ville 
de  Tours,  a  ressenti  les  secousses  comme  partout 
ailleurs.  Cette  barque  nous  a  ramené  cinq  de  nos  pri- 
sonniers Français,  qui  étaient  captifs  aux  Iroquois 
Agnerognons,  et  qui  se  sont  sauvés  à  la  faveur  des 
Hollandais,  qui  les  ont  traités  fort  humainement, 
comme  ils  font  de  (à  l'égard  de)  tous  ceux  qui  se  retirent 
chez  eux. 

Des  sauvages  d  un  pays  très-éloigné  ont  été  pressés 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION  .  243 

de  se  retirer  en  ces  quartiers,  plutôt  pour  se  fairç 
instruire  et  assurer  leurs  consciences  que  pour  éviter 
les  tremblements  qui  les  suivaient  partout.  Ils  ont  dé- 
couvert une  chose  qu'on  recherchait  depuis  longtemps, 
savoir  rentrée  de  la  grande  mer  du  Nord,  aux  environs 
de  laquelle  il  y  a  des  peuples  immenses,  qui  n*ont  point 
encore  entendu  parler  de  Dieu.  Ce  sera  un  grand 
champ  aux  ouvriers  de  l'Evangile  pour  satisfaire  à  leur 
zèle  et  à  leur  ferveur.  On  tient  que  cette  mer  conduit 
à  la  Chine  et  au  Japon  ;  si  cela  est,  le  chemin  en  sera 
bien  abrégé. 

Je  reviens  à  nos  quartiers  où  nous  sommes  tou- 
jours  dans  les  frayeurs^  quoique  nous  commencions 
à  nous  y  accoutumer.  Un  honnête  homme  de  nos 
amis  avait  fait  bâtir  une  maison  avec  un  fort  beau 
moulin,  sur  la  pointe  d'une  roche  de  marbre  :  la  roche 
dans  une  secousse  s'est  ouverte,  et  le  moulin  et  la 
maison  ont  été  enfoncés  dans  l'abîme  qui  s'est  fait. 
Noos  voici  au  treizième  d'août;  cette  nuit  dernière  la 
terre  a  tremblé  fort  rudement  ;  notre  dortoir  et  notre 
séminaire  en  ont  eu  une  forte  secousse,  qui  nous  a 
réveillées  de  notre  sommeil,  et  qui  a  renouvelé  notre 
crainte. 

Je  ferme  cette  relation  le  vingtième  du  même  mois 
sans  savoir  à  quoi  se  termineront  tous  ces  fracas, 
car  les  tremblements  continuent  toujours.  Mais  ce  qui 
est  admirable  parmi  les  débris  si  étranges  et  si  univer- 
sels, nul  n'a  péri,  ni  même  été  blessé.  C'est  une  marque 
toute  visible  de  la  protection  de  Dieu  sur  son  peuple, 
qui  nous  donne  un  juste  sujet  de  croire  qu'il  ne  se 
fâche  contre  nous  que  pour  nous  sauver.  Et  nous  espé* 
rons  qu'il  tirera  sa  gloire  de  nos  frayeurs,  par  la  con- 
version de  tant  d'âmes  qui  étaient  endormies  dans  leurs 


244  LETTRES 

péchés,  et  qui  ne  pouvaient  s'éveiller  de  leur  soa^meil 
par  les  simples  mouvements  d'une  grâce  intérieure. 

De  Québec,  le  20  daoùt  1663, 


Remarques  sur  la  Lettre  CLIX, 
dans  laquelle  la  Mère  Marie  de  V Incarnation  décrit  le  tremblement 

de  terre,  arrivé  au  Canada  en  1663. 

La  description  que  fait  de  ce  tremblement  de  terre  la  yénérable 
Mère  Marie  de  Tlncarnation  est  tellement  merveilleuse,  que  Ton  serait 
tenté  de  croire  à  une  grande  exagération,  si  sa  vie  bien  connue  oe  lâ 
montrait  exempte  de  ce  défaut,  restant  calme  et  maîtresse  d*6]le-méiD6 
dans  des  circonstances  où  presque  personne  ne  serait  capable  de  con- 
seryer  son  sang-froid,  et  si  elle  était  seule  à  s'exprimer  comme  elle 
le  fait  sur  ce  prodigieux  événement.  Mais  les  écrivains  du  temps, 
comme  le  Père  Jérôme  Lallemant,  nommé  par  deux  fois  supérieur 
des  missions  du  Canada,  et  la  religieuse  qui  rédigeait  les  AnnalM 
de  THôtel-Dieu  de  Québec,  confirment  ce  que  raconte  notre  vénérable 
Mère.  Le  Père  Charlevoix,  plusieurs  écrivains  américains  et  M.  Tabbé 
Ferland,  Thistorien  par  excellence  du  Canada,  ont  manifesté  leur 
étonnement  et  leur  admiration  en  reproduisant  ces  récits  ;  mais  ils 
n*ont  pas  eu  la  pensée  de  les  révoquer  en  doute. 

Seul,  Thistorien  canadien  Garneau  a  traité  la  chose  avec  légèreté, 
mais  son  autorité  est  singulièrement  amoindrie  pour  ceux  qui  savent 
qu*ajant  séjourné  quelque  temps  à  Paris  vers  1830,  il  eut  la  faiblesse 
de  prendre  goût  aux  leçons  de  Michelet,  ce  qui  ne  put  avoir  lieu  eaos 
endommager  quelque  peu  sa  foi  primitive  et  lui  inspirer  des  préven- 
tions ou  au  moins  de  la  défiance  pour  les  personnes  qui  font  passer 
la  foi  et  la  piété  avant  tout.  Peut-être,  sans  Tinfluence  de  latmosphère 
parisienne,  n*eùt-il  pas  exprimé  le  regret  que  les  Huguenots  qui  se 
bannirent  eux-roémes  de  France  par  attachement  à  une  religion  qulls 
Hvouôront  n*dtro  nullement  nécessaire  au  salut,  ne  soient  pas  venus 
HU  C'unada. 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  l'INGARNATION.  245 

Disons  cependant  à  la  louange  de  Garneau  que,  même  après  son 
TOjage  en  France,  il  resta  fidèle  à  la  pratique  des  devoirs  da  catho- 
licisme. Mais  pour  mieux  faire  juger  la  manière  dont  il  apprécie  le 
récit  de  la  yénérable  Mère  Marie  de  Flncarnation,  nous  allons  repro- 
duire celui  du  Père  Jérôme  Lallemant,  qui  devait  être  et  fut  en  effet 
rendu  public  Tannée  suivante,  1064  ;  par  conséquent  Tauteur  savait 
qa*il  serait  lu  et  jugé  comme  historien  par  tous  les  témoins  oculaires 
des  choses  qu*il  racontait. 


CHAPITRE  I. 

«  

Trois  soleils  et  autres  météores  apparus  en  la  Nouvelle-France. 

• 

«  Le  ciel  et  la  terre  nous  ont  parlé  bien  des  fois  depuis  un  an.... 
Le  ciel  a  commencé  par  de  beaux  phénomènes,  la  terre  a  suivi  par 
de  furieux  soulèvements....  Nous  avons  vu  dès  Tautomne  dernier  des 
serpents  embrasés,  qui  s'enlaçaient  les  uns  dans  les  autres  en  forme 
de  caducée,  et  volaient  par  le  milieu  des  airs,  portés  sur  des  ailes  de 
feu.  Nous  avons  vu  sur  Québec  un  grand  globe  de  flammes,  qui  faisait 
un  assez  beau  jour  pendant  la  nuit,  si  les  étincelles  qu*il  dardait  de 
toutes  parts  n'eussent  mêlé  de  frayeur  le  plaisir  qu'on  prenait  à  le  voir. 
Ce  môme  météore  a  paru  sur  Montréal  ;  mais  il  semblait  sortir  du  sein 
de  la  lune,  avec  un  bruit  qui  égale  celui  des  canons  ou  des  tonnerres  ; 
et  s'étant  promené  trois  lieues  en  Tair,  fut  se  perdre  cnôn  derrière  les 
grosses  montagnes  dont  cette  île  porte  le  nom. 

»  Mais  ce  qui  nous  a  paru  plus  extraordinaire  est  l'apparition  de 
trois  soleils.  Ce  fut  un  beau  jour  de  l'hiver  dernier,  que  sur  les  huit 
heures  du  matin,  une  légère  vapeur  presque  imperceptible  s'éleva 
de  notre  grand  fleuve,  et  étant  frappée  par  les  premiers  rayons  du 
soleil  «  devenait  transparente,  de  telle  sorte  néanmoins  qu'elle  avait 
assez  de  corps  pour  soutenir  les  deux  images  que  cet  astre  peignait 
dessus.  Ces  trois  soleils  étaient  presque  en  ligne  droite,  éloignés  de 
quelques  toises  les  uns  des  autres,  selon  l'apparence,  le  vrai  tenant 
le  milieu  et  ayant  les  deux  autres  à  ses  côtés.  Tous  trois  étaient  cou- 
ronnés d'un  arc-en-ciel,  tantôt  paraissant  avec  les  couleurs  de  l'iris, 
puis  aprôs  d'un  blanc  lumineux,  comme  si  au-dessous,  tout  proche,  il 
j  eût  eu  une  lumière  excessivement  forte. 


246  LETTRES 

•  Ce  spectacle  dura  plus  de  deux  heures  la  première  fois  quMl  parat. 
C'était  le  septiôme  de  janvier  1663;  et  la  seconde,  qui  fat  le  14  da 
même  mois,  il  ne  dura  pas  si  longtemps,  mais  sealement  josqo^à  ce 
que  les  couleurs  de  Tiris  venant  à  se  perdre  petit  à  petit,  les  deux 
soleils  des  cdtés  8*éclipsèrent  aussi,  laissant  celui  da  milieu  comme 
victorieux. 


CHAPITRE   II. 


Tremble-terre  uoÎTenel  en  Canada  et  sea  effeu  prodigieoz. 


*  Cl)  fut  le  cinquième  février  1663,  sur  les  cinq  heures  et  demie 
du  $oir.  qa*an  grand  bruissement  s*entendii  en  même  temps  dans  toote 
retendue  du  Canada.  Ce  bruit  qui  paraissait  comme  si  le  feu  eût  été 
dan$  lets  maisons,  en  fit  sortir  tout  le  monde,  pour  fuir  un  incendia 
si  i2h>ptnê;  mais  an  lieu  de  voir  la  famée  et  Im  flamme,  on  fut  bies 
surpris  de  voir  les  muraiUds  se  balancer,  et  toutes  les  pierres  se 
r^mui^r»  «»mme  si  elles  se  fussent  déuu^hées.  Les  toits  semblaieot 
se  cvHLTber  en  bas  d'un  côte,  puis  se  renverser  de  lautre;  les  clocbes 
^csaaaien;  d>l!e^Kéaie:^  :  le^  roa:re$«  les  soliveaux  et  les  planchm 
v*?» v^^^i^^^  «  ^^  ^'^'^^  bondissa:;«  fusant  danser  les  pieux  des  palissades 
<â>Kae  facv>a  «^ui  ce  rjkraiss;&:t  pj^  ofcvuble,  si  nous  ne  Feussions  voe 
e:x  cirer*  ecinxts. 

•  Al.vr*  .4n^c::  svxrt  deic^r?^  I«  ari-^a^x  s'enraient,  les  en£uita 
pC^<:?^c.;  i*:;*  I«  ruc*^  I^«  ^csi:?s  et  1»  rVziaes  saisis  de  frayeur 
»<?  **x^«rt  C'ii  *^  rv^^jT.ir'.  jVJjMui:  a  :cc::  ncdic;  devoir  éire  ou  acca- 
KhAI^  ;jcv;4  ^>e«  r::i::^iS'  i^$  im:^*^^  c;^  eiz^ev^lis  dizs  qselque  abîme  qui 
$V.l^t  o<ivrî,r  5cc:ii  I,'cr*  riseCs.  Le»  zis^  rrcusercês  à  genoax  dam 
'a  *sn\^  x'Twa;  5i'.:îj»^r,vwi>f  ;  *•»  A^rr»  riissea:  ie  r^ste  de  la  nuit  a 
'5Vv>?<v^  rjkrvv  ^^-^  Iv^»  :,*rry^<:?!fiii>ù*  cca'X^ii  îccjccps  avec  un  certain 
>c:^>.''^  ïivx$ic^^  ««'^dk>k^^  1  c^vi,  i^  :::Avir»  -x:  sec:  siir  mer,  et  tel 
<,(V  <;'^/v;i>W';i^^#  oa;  Tv«s*ra..  tat  ,•«*  McciCKses  I»  sÀaès  soulève- 
-sv.^  ;j{  ,v  ,NV  r  :x^  .*  ^c^vf ^^T^i^'T .  $u^  .^iai.  le  iêscirire  êcait  bien  plas 
i^xU'^.f  /AT*  >w  vc',^^!:.  ,  «t»>ix^  rtU  ▼  *n  .vaLTitt  ea3e  les  arbres, 
;/'  >v»  Kv^xv»ï,  j^^^.rrîi*/.   .^-^  i>.'Q^^.;i!iimiias  jiurs  branches,  mût 


DE  LA  MËRE  MARIE  DE  l'INGARNATION.  247 

sauter  les  uns  sur  les  autres,  avec  un  fracas  et  un  bouleversement  qui 
fit  dire  &  nos  sauvages  que  toute  la  forêt  était  ivre. 

»  La  guerre  semblait  être  même  entre  les  montagnes,  dont  les  unes 
se  déracinaient  pour  se  jeter  sur  les  autres,  laissant  de  grands  abîmes 
aux  lieux  d  où  elles  sortaient  ;  et  tantôt  enfonçaient  les  arbres  dont 
elles  étaient  chargées,  bien  avant  dans  la  terre  ;  tantôt  elles  les  enfouis- 
saient les  branches  en  bas,  qai  allaient  prendre  la  place  des  racines  ; 
de  sorte  qu'elles  ne  laissaient  plus  qu'une  forêtide  troncs  renversés. 

•  Pendant  ce  débris  général  qui  se  faisait  sur  terre,  les  glaces 
épaisses  de  cinq  ou  six  pieds  se  fracassaient,  sautant  en  morceaux 
et  8*ouvrant  en  divers  endroits,  d'où  s'évaporaient  ou  de  grosses 
famées,  ou  des  jets  de  boue  et  de  sable  qui  montaient  fort  haut  dans 
l'air.  Nos  fontaines  ou  ne  coulaient  plus,  ou  n*avaient  que  des  eaux 
ensoufrées  ;  les  rivières  ou  se  sont  perdues,  ou  ont  été  toutes  corrom- 
pues, les  eaux  des  unes  devenant  jaunes,  les  autres  rouges  ;  et  notre 
grand  fieuve  de  Saint-Laurent  parut  tout  blanchâtre  jusque  vers 
Tadoussac  :  prodige  bien  étonnant  et  capable  de  surprendre  ceux  qui 
savent  la  quantité  d'eaux  que  ce  fleuve  roule  au-dessous  de  l'Ile 
d'Orléans,  et  ce  qu'il  fallait  de  matière  pour  les  blanchir. 

»  L'air  n'était  pas  exempt  de  ces  altérations  ;  car  outre  le  bruisse- 
ment qui  précédait  toujours  et  accompagnait  le  terre-tremble,  l'on  a  vu 
des  spectres  et  des  fantômes  de  feu  portant  des  flambeaux  en  main. 
L'on  a  vu  des  piques  et  des  lances  de  feu  voltiger,  et  des  brandons 
allumés  se  glisser  sur  nos  maisons,  sans  néanmoins  faire  autre  mal 
que  de  jeter  la  frayeur  partout  où  ils  paraissaient.  On  entendait  même 
comme  des  voix  plaintives  et  languissantes  se  lamenter  pendant  le 
silence  de  la  nuit  ;  et  ce  qui  est  bien  rare,  des  marsouins  blancs  jeter 
de  hauts  cris  devant  le  bourg  des  Trois-Rivières,  faisant  retentir  l'air 
de  beuglements  pitoyables.... 

•  On  mande  de  Montréal  que  pendant  le  tremble-terre,  on  voyait 
les  pieux  des  clôtures  sautiller  comme  s'ils  eussent  dansé  ;  que  de  deux 
portes  d'une  même  chambre»  l'une  se  fermait  et  l'autre  s'ouvrait  d'elle- 
même;  \\XQ  les  cheminées  et  le  haut  des  logis  pliaient  comme  des 
branches  d*arbres  agitées  du  vent  ;  que  quand  on  levait  le  pied  pour 
marcher,  on  sentait  la  terre  qui  suivait,  se  levant  à  mesure  qu'on 
haussait  les  pieds,  et  quelquefois  frappant  les  plantes  assez  rudement, 
et  autres  choses  semblables  fort  surprenantes. 

>*  Yoici  ce  qu'on  en  écrit  des  Trois-Riviôres  :  «  La  première  secousse 


248  LBTTRB8 

»  et  la  plus  rade  de  tontes  commença  par  nn  bmissement  semblable 
«*  à  celai  dn  tonnerre;  les  maisons  aTaient  la  même  agitation  que  la 
«•  coupeaa  (la  citoe)  des  arbres  pendant  an  orage,  avec  on  bruit  qui 
n  faisait  croire  que  le  fea  pétillait  dans  les  greniers. 

n  Ce  premier  coap  dara  bien  nne  demi-heare,  qaoiqae  sa  grande 
*>  force  ne  fût  proprement  qne  d*un  petit  quart  d'heore.  Il  vlj  en  eot 
n  pas  an  qui  ne  crût  que  la  terre  dût  8*en(r*oavrir.  Aa  reste,  nous  aTOUS 
>*  remarqué  que,  comme  ce  tremblement  est  quasi  sans  relÂche,  aosn 
»  n*est-il  pas  dans  la  même  égalité  :  tantôt  il  imite  le  branle  d'an  grand 
n  vaisseau  qui  se  manie  lentement  sur  ses  ancres,  ce  qai  caase  &  pla- 
n  sieurs  des  étourdissements  de  tète  ;  tantôt  Tagitation  est  irrëguliére 
»  et  précipitée  par  divers  élancements,  quelquefois  assez  rudes,  quel- 
>*  quefois  plus  modérés.  Le  plus  ordinaire  est  un  petit  trémoussemeat 
>*  qui  se  rend  sensible  lorsque  Ton  est  hors  du  bruit  et  en  repos.  Selon 
*»  le  rapport  de  plusieurs  de  nos  Français  et  de  nos  sauvages,  témoiai 
^  oculaires,  bien  avant  dans  notre  fleuve  des  Trois-Riviôres,  à  doq 
••  ou  six  lieues  d*ici,  les  côtes  qui  bordent  la  rivière  de  part  et  d'autre 
n  et  qui  étaient  d'une  prodigieuse  hauteur,  sont  aplanies,  ayant  été 
»  enlevées  de  dessus  leurs  fondements  et  déracinées  jusqu'au  ni?eaa 
^  de  l'eau.  Ces  deux  montagnes,  avec  toutes  leurs  forêts,  ayant  ià 
n  ainsi  renversées  dans  la  rivière,  j  formèrent  une  puissante  digtie, 
*>  qui  obligea  ce  fleuve  à  changer  de  lit  et  à  se  répandre  sar  de  grandes 
•*  plaines  nouvellement  découvertes ,  minant  néanmoins  tontes  oei 
*>  terres  éboulées,  et  les  démêlant  petit  à  petit  avec  les  eaux  de  U 

-  rivière,  qui  en  sont  encore  si  épaisses  et  si  troubles,  qu'elles  font 
**  changer  de  couleur  à  tout  le  grand  fleuve  de  Saint-Laurent.  Jugex 
»  combien  il  faut  de  terre  tous  les  jours  pour  continuer  depuis  prés 
«*  de  trois  mois  à  rouler  ses  eaux  toujours  pleines  de  fange. 

"  L'on  voit  de  nouveaux  lacs  où  il  n'y  en  eut  jamais  ;  on  ne  voitplos 
»  certaines  montagnes  qui  sont  engouffrées;  plusieurs  sauts  sost 
*•  aplanis  ;  plusieurs  rivières  ne  paraissent  plus  ;  la  terre  8*est  fendue 
"  en  bien  des  endroits  et  a  ouvert  des  précipices  dont  on  ne  trouva 
H  point  le  fond.  Enfin  il  s'est  fait  une  telle  confusion  de  bois  renversés 
•*  et  abîmés,  qu'on  voit  à  présent  des  campagnes  de  plus  de  mille 
•^  arpents  toutes  rases  et  comme  si  elles  étaient  tout  fraîchement  làboa* 

-  rées,  là  où  peu  auparavant  il  n'y  avait  que  des  forêts.  » 

•*  Nous  apprenons  du  côté  de  Tadoussac  que  l'effort  du  tremble- 
terro  n'y  a  pas  été  moins  rude  qu'ailleurs  ;  qu'on  y  a  tu  une  plaie 


DE  LA  MâRE  MARIE  DE  l'INGARNATION.  249 

I  cendre  qai  traversait  le  fleuve  comme  aurait  fait  uu  gros  orage, 

que  qui  voudrait  suivre  toute  la  côte  depuis  le  cap  de  Tourmente 
sque  là,  verrait  des  effets  prodigieux.  Vers  la  baie  dite  de  Saint- 
lul,  il  7  avait  une  petite  montagne  sise  sur  le  bord  du  fleuve,  dun 
lart  de  lieue  ou  environ  de  tour,  laquelle  s*est  abîmée;  et  comme 
elle  n'eût  fait  que  plonger,  elle  est  ressortie  du  fond  de  Teau  pour  se 
anger  en  îlette,  et  faire  d*un  lieu  tout  bordé  d*écueils  un  bâvre  d*assu- 
nce  contre  toutes  sortes  de  vents.  Plus  bas,  vers  la  Pointe-aux- 
ouettes,  une  forât  entière  8*é(ant  ^étacbée  de  la  terre  ferme,  s*est 
issée  dans  le  fleuve  et  fait  voir  de  grands  arbres  droits  et  verdoyants, 
i  ont  pris  naissance  dans  Teau  du  jour  au  lendemain. 

»  Au  reste,  trois  circonstances  ont  rendu  ce  tremble-terre  trôs- 
marquable  :  La  première  est  le  temps  qu'il  a  duré,  ayant  continué 
sque  dans  le  mois  d*août,  c'est-à-dire  plus  de  six  mois  ;  il  est  vrai 
le  les  secousses  n*ëtaient  pas  toujours  également  rudes  :  en  certains 
idroits,  comme  vers  les  montagnes  que  nous  avons  à  dos,  le  tinta- 
larre  et  le  trémoussement  j  a  été  perpétuel  pendant  un  long  tmnps  ; 
iid*autres,  comme  vers  Tadoussac,  il  y  tremblait  d'ordinaire  deux 
t  trois  fois  le  jour  avec  de  grands  efforts,  et  nous  avons  remarqué 
Q*aQx  lieux  plus  élevés,  Témotion  (l'agitation  du  sol)  était  moindre 
n'du  plat  pays. 

•  La  seconde  circonstance  est  touchant  l'étendue  de  ce  tremble- 
>rre,  que  nous  croyons  être  universel  en  toute  la  Nouvelle- France; 
ur  nous  apprenons  qu'il  s'est  fait  ressentir  depuis  l'Ile-Percée  et 
^é,  qui  sont  à  l'embouchure  de  notre  fleuve,  jusqu'au  delà  de  Mon- 
réal,  comme  aussi  en  la  Nouvelle-Angleterre,  en  l'Acadie  et  autres 
teux  fort  éloignés  :  de  sorte  que,  de  notre  connaissance,  trouvant 
.^e  le  tremble-terre  s'est  fait  en  deux  cents  lieues  de  longueur  sur 
^t  de  largeur,  voilà  vingt  mille  lieues  de  terre  en  superflcie  qui  ont 
'^blé  tout  à  la  fois  en  même  jour  et  à  même  moment. 

?>La  troisième  circonstance  regarde  la  protection  particulière  de 
^hu  sur  nos  habitations  :  car  nous  voyons  proche  de  nous  de  grandes 
tirertures  qui  se  sont  faites  et  une  prodigieuse  étendue  de  pays  toute 
ordae,  sans  que  nous  ayons  perdu  un  enfant,  non  pas  même  un 
beveu  de  la  tête.  Nous  nous  voyons  environnés  de  bouleversements 
!  de  ruines,  et  toutefois  nous  n'avons  eu  que  quelques  cheminées 
fmolies,  pendant  que  les  montagnes  d'alentour  ont  été  abîmées. 
m  Nous  avons  d'autant  plus  de  sujet  de  remercier  le  Ciel  de  cette 


250  LBTTRB8 

protection  tout  aimable,  qu'une  personne  de  probité  et  d*une  vie  irri' 
procbable,  qui  avait  eu  les  pressentiments  de  ce  qui  est  arrifé  al 
qui  s*en  était  déclarée  a  qui  elle  était  obligée  de  le  faire,  Tit  en  espnti 
le  soir  même  que  ce  tremble-terre  commença,  quatre  spectres  efEroji- 
bles,  qui  occupaient  les  quatre  cétés  des  terres  voisines  de  Québec, 
et  les  secouaient  fortement,  comme  voulant  tout  renverser.... 

»  Les  sauvages  avaient  eu  des  pressentiments,  aussi  bien  que  bi 
Français,  de  cet  horrible  tremble-terre.  Une  jeune  fille  sauvage  algoa- 
quine,  âgée  de  seize  à  dix-sept  ans,  nommée  Catherine,  qui  a  toigoon 
vécu  0n  grande  innocence...  a  déposé  avec  toute  sincérité  que,  la  noit 
avant  que  le  tremble-terre  arrivât,  elle  se  vit,  avec  deux  autres  filki 
de  son  âge  et  de  sa  nation,  dans  un  grand  escalier  qu'elles  montsient, 
au  haut  duq^uel  se  voyait  une  belle  église  où  la  sainte  Vierge  afae 
son  Fils  parut,  leur  prédisant  que  la  terre  tremblerait  bientôt,  que 
les  arbres  s^entre-choqueraient,  que  les  rochers  se  briseraient  aiae  ' 
rétonnement  général  de  tout  le  monde.  Cette  pauvre  fille,  bien  surpriw 
de  ces  nouvelles,  eut  peur  que  ce  ne  fussent  quelques  prestiges  da 
démon...  Le  soir  du  même  jour,  quelque  peu  avant  que  commeaclt 
le  tremble-terre,  elle  s*écria  toute  hors  de  soi  :  Ce  sera  bi^tétl  os 
sera  bientôt  I 

»  Voici  une  autre  déposition  bien  plus  particularisée,  que  nous  aYOU' 
tirée  d'une  autre  sauvage  algonquine,  âgée  de  vingt-six  ans,  fort 
innocente,  simple  et  sincère,  laquelle  ayant  été  interrogée  par  deux, 
de  nos  Pères  sur  ce  qui  lui  était  arrivé,  a  répondu  tout  ingénuemeot, 
et  sa  réponse  a  été  confirmée  par  son  mari,  par  son  père  et  par  s» 
mère,  qui  ont  vu  de  leurs  yeux  et  entendu  de  leurs  propres  oreilles 
ce  qui  s'ensuit.  Voici  sa  déposition  : 

n  La  nuit  du  4  au  5  février  1663,  étant  entièrement  éveillée  et  ai 
plein  jugement,  assise  comme  sur  mon  séant,  j*ai  entendu  une  Toix 
distincte  et  intelligible  qui  m*a  dit  :  Il  doit  arriver  aujourd'hui  def 
choses  étranges,  la  terre  doit  trembler.  Je  me  trouvai  pour  lors  saisis 
d'une  grande  frayeur,  parce  que  je  ne  voyais  personne  d'où  pût  pro- 
venir cette  voix.  Remplie  de  crainte,  je  tâchai  de  m'endormir  avec  asseï 
de  peine  ;  et  le  jour  étant  venu,  je  dis  tout  bas  à  Onnentakité,  mon 
mari,  ce  qui  m'était  arrivé.  Mais  lui  m'ayant  rebutée,  disant  qoeje 
mentais  et  lui  en  voulais  faire  accroire,  je  ne  parlai  pas  davantage. 
Sur  les  neuf  ou  dix  heures  du  même  jour,  allant  au  bois  pour  bûcha 
(oouper  du  bois),  à  peine  étais-je  entrée  dans  la  forêt,  que  la  môme 


DE  LÀ  MËRE  MARIE  DE  L'INGARNATION.  251 

t  entendre,  me  disant  la  môme  chose  et  de  la  môme  façon 
t  précédente.  La  peur  fut  bien  plus  grande,  moi  étant  tonte 
regardai  de  tous  côtés  pour  voir  si  je  n'apercevrais  personne, 
ne  parut.  Je  bûchai  donc  une  charge  de  bois,  et  m*en  retour- 

ma  sœur  à  ma  rencontre,  à  laquelle  je  racontai  ce  qui  me 
rriver.  Rentrant  dans  la  cabane  avant  moi,  elle  dit  à  mon 
ma  mère  ce  qui  m*était  arrivé;  mais  comme  tout  cela  était  fort 
laire,  ils  Técoutèrent  sans  réflexion.  La  chose  en  demeura 

cinq  ou  six  heures  du  soir,  où  un  tremblement  de  terre 
,  ils  reconnurenX  que  ce  qu*ils  m'avaient  entendu  dire  avant 
it  que  trop  vrai.  *» 


vons  voulu  rapporter  en  entier  le  récit  du  Père  Lallemant, 
e  lecteur  puisse  voir  lui-môme  combien  il  s'accorde  avec  celui 
e  Marie  de  Tlncarnation.  Il  est  bon  de  remarquer  en  môme 
3  le  Jésuite  et  la  vénérable  Mère  rapportent  non-seulement 
mt  va  de  leurs  yeux,  éprouvé  et  senti  durant  six  mois,  mais 
eur  écrivait  simultanément  de  tous  les  points  du  Canada, 
ons  pas,  en  outre,  que  si  le  Père  Lallemant  se  fût  laissé 
xagération,  les  habitants  du  Canada,  Français  et  sauvages, 
n  après,  eurent  connaissanc.e  de  sa  relation,  n'auraient  pas 
ie  réclamer  :  or  les  réclamations  eurent  précisément  lieu 
sens  opposé  :  car  voici  ce  qu'on  lit  dans  la  relation  de 
rite  par  le  Père  Le  Mercier,  qui  avait  remplacé  le  Père 
t  dans  la  charge  de  supérieur  des  missions  :  «  Deux  Français 
y  foi,  qui  ont  parcouru  toutes  les  côtes  de  Tadoussac  et  de 
yOy  ont  assuré  que  la  relation  de  l'année  1663  n'avait  exprimé 
tié  les  désordres  causés  par  les  tremblements  de  terre  en 
iers.  « 


i 


«f  ^Vf»  ^  «^  '/t^smaXÊt  jLàX  'jBRnaâàB:  poor  iob  eoTOjer 
m  Mftiirtn  te  ,;;rad  'zsmnioDBaK  éa  terre  que  nom 
#*f ^vw  ^fpéfimmixé  mi  <^  psvs  depins  fe  eisqoième  de 
tArff^^f  ,M/vtM  r^xo^îrrnx^ntnTis  oieore^  et  aoQs  ne  Bavons 
f)''i4/V^.  Ar  /^n6i  U  ji#!:  termini^ra,  a'ëtant  pas  encore  entiè* 
f^ffr^ffi  ^Ann4.  ^on  en  lentoDS  des  secousses  de  tempi 
^tf  iMtfffU,  \é^n^\n0i\\^f  bien  qaelles  ne  soient  pas  violen* 
/^«,  Uh  \H)nfmui  phê  (ïeffnjer  la  natare,  qui  appréhende 
^l>  |rMHf  tl  f94i  nVmt  fait,  grâces  à  Diea,  aucun  fracas 
flMXM  ihn  i\h\\n  htih\l6n,  mais  il  s'en  est  beaucoup  fait 
IhmI  MiiliMir  (In  nouN.  Il  faut  mourir  une  fois  et  non 
|<liiH!  Ni  IHmii  viMil.  quo  nous  mourions  de  ce  genre 
(1»^  >HMtf^  hM  Duii  il  P<^*  Tagrëer?  La  mort  est  la  peine 
tiM  \\M\\^^  s\\  Moun  mourions  tous  comme  criminels. 
N^'•«t  v\^  |M^  ^w  1^1^^  ^^^  \U^gner  au  coupable  la  nature 
\h  ^'Mw  t\s\y\\\\s^s[  *^l  ^^v^^  |vi*  5i(U  c^mpable  de  lechoiairl 


DE  LA  MARB  marie  DE  L*INCARNATION.  253 

livine  volonté,  pour  accomplir  en  moi  son  bon 

f 

• 

Iroquois  nous  laissent  en  paix,  nous  n'en  savons 
raison,  sinon  peut-être  que  les  tremblements  de 
les  épouvantent  aussi  bien  que  nous  :  ou  plutôt 
otre  bon  Dieu  ayant  pitié  de  nos  faiblesses,  ne 
as  nous  affliger  en  toutes  manières  ;  qu*il  en  soit 
ternellement. 

ce  peu  que  je  vous  écris,  vous  pouvez  juger  que 
^position  est  assez  bonne  tant  pour  le  corps  que 
Tesprit  :  toujours  dans  sa  tranquillité  ordinaire, 
le  nos  affaires  extérieures  soient  assez  grandes, 
ys  porte  (occasionne)  cela,  surtout  quand- on  est 
les  charges  principales.  J*en  appréhende  une, 
le  je  ne  veuille  que  ce  qu  il  plaira  à  notre  bon 
car  je  m'abandonne  à  la  conduite  de  son  esprit, 
isseau  qui  lève  lancre  me  presse  extraordinai- 
t,  c'est  pourquoi  il  me  faut  finir, 
là  une  éclipse  de  soleil  qui  commence,  il  est  entre 
t  une  heure  :  si  elle  paraît  en  vos  quartiers  ce 
tre  sur  les  sept  heures  du  matin,  je  ne  vous  en 
ire  Fissue,  car  il  me  faut  fermer  ma  lettre. 

e  Québec,  le  1^  de  septembre  1663. 


i 


254  LETTRES 


LETTRE  CLXI. 

AU     MÊME. 

• 

Elle  est  remicê  contré  ton  gré  dans  la  charge  dé  sopérieure.  —  DitpoiHkni 
admirables  de  son  intérieur  dans  les  tremblements  de  terre.  —  DiSkmot 
de  l'union  avec  Dieu  dans  les  affaires  extérieures  et  dans  le  temps  de  ronÛMs.    , 

Mon  très-cher  fils, 

Le  retardement  de  votre  lettre,  qui  ne  vient  que  de 
m*être  rendue,  ne  me  permet  pas  de  m'entretenir  long- 
temps avec  vous.  Je  vous  dirai  seulement,  afin  que  vom 
ayez  compassion  de  moi ,  que  nos  élections  ont  ëé 
faites,  et  que  la  charge  de  la  Communauté  est  tombée 
sur  mes  épaules.  Le  fardeau  est  lourd  et  difficile  à 
porter  dans  un  pays  comme  celui-ci  ;  mais  enfin  il  fant 
se  consumer  jusqu'à  la  fin.  J'aurai  soixante  et  quatre 
ans  le  vingt-huitième  de  ce  mois  ;  n'avais-je  donc  pas 
raison  de  résister  à  mon  élection,  afin  de  demeurer  eo 
repos  et  de  me  disposer  à  la  mort?  Mais  il  ne  faut  plus 
rien  dire,  le  plus  parfait  est  de  se  taire  et  de  se  soumettre 
aux  ordres  de  Dieu,  et  de  ceux  qui  nous  tiennent  sa 
place. 

Je  vous  ai  envoyé  le  récit  des  tremblements  épou- 
vantabl^s  qui  sont  arrivés  dans  tout  le  Canada,  et  qui 
n*ont  pas  moins  fait  trembler  les  hommes  que  la  terre. 
Tour  mon  particulier,  je  n*en  ai  pas  été  plus  émue, 
Notre -Seigneur  mayaut  donné  des   sentiments  bien 


DE  LA  MÈRB  MARIE  DE  l'iNGARNATION.  255 

différents  de  ceux  de  la  crainte.  Car  je  vous  dirai  en 
passant  que  j'ai  été  plus  de  deux  mois  qu'il  ne  se  passait 
jour  que  je  ne  me  misse  en  disposition  d'être  engloutie 
toute  vive  dans  quelque  abîme,  parce  qu'on  ne  savait 
pas  où  ni  quand  un  tremblement  si  violent  ferait 
rupture.  Il  l'a  faite  en  divers  endroits,  comme  vous  le 
▼errez  dans  la  relation  que  je  vous  en  fais.  Il  n'a  néan- 
moins blessé  personne,  notre  bon  Dieu  ayant  voulu 
faire  miséricorde  à  son  peuple  et  lui  donner  le  temps 
de  faire  pénitence. 

Puisque  j'ai  commencé  à  vous  dire  mes  dispositions 
intérieures  dans  ces  rencontres,  je  vous  avouerai  ingé- 
nuement  que  je  n'ai  jamais  expérimenté  d'état  qui  m'ait 
mise  dans  qn  si  grand  dépouillement  de  la  vie  et  de 
tout  ce  qui  est  au  monde.  J'avais  dans  mon  esprit  une 
impression  de  ces  paroles  du  Fils  de  Dieu  :  La  Sagesse  est 
justifiée  par  ses  enfants.  (Luc.  vu,  35.)  Je  ressentais  en 
même  temps  dans  mon  âme  une  émotion  qui  me  faisait 
approuver  le  procédé  de  Dieu ,  et  qui  me  pressait  de 
chanter  dans  ce  même  fond  (sur  ce  sujet)  quelque  chose 
de  grand  pour  le  louer  et  bénir  d'un  accident  qui  mena- 
çait tout  le  monde  de  sa  ruine.  Je  sentais  encore  une 
pente  de  tout  moi-même  qui  me  portait  à  m'offrir  à  la 
divine  Majesté  pour  être  la  victime  de  tous  les  péchés 
des  hommes,  qui  l'avaient  obligé  de  faire  1^  châtiment 
que  nous  avions  devant  les  yeux.  Pour  cet  effet,  je  dési- 
rais d'être  chargée  de  tous  ces  péchés,  comme  s'ils  m'eus- 
sent été  propres,  afin  d'en  recevoir  seule  le  châtiment. 
J'eusse  voulu  même  que  toutes  ces  abominations  eussent 
paru  aux  yeux  des  hommes  comme  mes  propres  crimes. 
Tout  moi-même  était  dans  cette  pente  et  en  ce  désir, 
sans  pouvoir  prendre  d'autre  disposition  que  de  bénir 
sans  cesse  le  souverain  pouvoir  de  sa  divine  Majesté 


:i36 

àur  toote  .a  lamre.  ^  sur  *oaa  hes  cœurs  quand  il  les 
veut  ébraniêr.  Lcs  zrosBes  Tiontagnw  et  toat  ce  grand 
fond  <ie  manire  :onr  ces  contrées  sont  toutes  composées, 
ne  loi  sont  .ne  les  pailles  a  mouvoir,  et  tant  de  per- 
sonnes \\ie  a  avaient  pu  iéeûir  les  foudres  de  TEgliae, 
se  sont  amoiiies  et  ohan^ees  eu  un  moment.  Au  même 
temps  qu'il  noos  a  epouvaniés  par  la  secousse  des  choeei 
qui  nous  portent  et  qui  nous  enyironnent,  nous  avoiii 
eu  ia  consolation  de  voir  des  cœurs  inflexibles  et  enda^ 
cis  s'amollir  et  ievenir  aussi  souples  que  ces  marbres 
dans  le  temps  <Ie  leurs  mouvements.  ACais  de  mes 
dispositions  venons  aux  vôtres. 

Je  bénis  Dieu  de  la  santé  et  des  forces  qull  vous 
donne,  puisque  vous  les  employez  à  son  service.  Pour 
vos  dispositions  intérieures,  elles  me  paraissent  con* 
formes  à  Tétat  où  il  vous  appelle.  Prenez  garde  néan- 
moins de  vouloir  trop  avancer  avant  le  temps.  Qoand 
il  voudra  que,  nonobstant  vos  occupations  extérietares, 
vous  ne  le  perdiez  point  de  vue,  il  fera  cela  lui-même. 
Et  de  plus,  quand  son  esprit  se  sera  rendu  le  mmtre 
du  vôtre,  et  qu'il  se  sera  emparé  de  votre  fond  poar 
voQs  tenir  dans  l'union  intime  et  actuelle  avec  sa  divine 
Majesté  par  une  vue  d'amour,  toutes  vos  occapations 
ne  vous  pourronc  distraire  de  ce  divin  conmierce.  Je 
dis  dans  ce  fond,  parce  qu'il  n*est  pas  possible  de  traiter 
en  ce  monde  des  affaires  temporelles  sans  s  j  appliquer 
avec  l'attention  convenable  du  jugement  et  de  la  raison. 
En  cet  état  d'union  et  de  commerce  avec  Dieu  dans  la 
suprême  partie  de  lame,  on  ne  perd  point  sa  sainte 
présence  ni  ce  divin  entretien  avec  lui;  mais  il  (mi 
faire  cette  distinction,  qu*il  y  a  deux  manières  de 
s'entretenir  et  de  jouir  :  lune  est  que  quand.on  est  dans 
^JMI'  ^llf^''''''^^''  actuelle  est  plus  libre  ;  non  quelle 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  257 

ne  le  soit  toujours;  parce  que  c'est  le  Saint-Esprit, 
principe  de  la  vraie  liberté,  qui  en  est  Tauteur  et  le 
moteur  :  au  lieu  que  dans  les  affaires  extérieures  une 
partie  de  Tâme  est  occupée  au  dehors,  le  jugement 
et  les  autres  facultés  nécessaires  à  ces  affaires  étant 
obligés  d*y  mettre  leur  application,  et  en  quelque  façon 
de  se  distraire.  C'est  néanmoins  dans  ces  rencontres 
qne  servent  les  vertus  cardinales^  et  toujours,  nonobs- 
tant la  distraction,  avec  quelque  sorte  d'union.  La 
différence  de  ces  deux  sortes  d'union  et  d'entretien  avec 
Dieu,  est,  que  quand  on  est  actuellement  occupé  au 
dehors,  l'union  est  d'un  simple  regard  vers  son  divin 
objet,  et  on  ne  lui  parle  que  par  de  petits  moments, 
quand  il  le  permet  et  qu'il  y  donne  de  l'attrait.  Mais 
quand  l'âme  est  dans  un  plein  repos  et  qu'elle  est 
entièrement  dégagée  de  l'embarras  des  affaires,  elle  est 
plus  épurée  du  sens,  et  alors  elle  traite  et  converse  avec 
Dieu  comme  un  ami  fait  avec  son  ami. 

Vous  avez  raison  de  dire  que  votre  perfection  consiste 
à  faire  la  volonté  de  Dieu.  Vous  serez  toujours  dans 
rembarras  des  affaires  conformes  à  votre  état  ;  et  dans 
cet  embarras  il  vous  donnera  la  grâce  de  cette  union 
actuelle,  si  vous  lui  êtes  fidèle.  Son  Esprit-Saint  vous 
donnera  le  don  de  conseil  pour  tout  ce  qu'il  voudra 
conmiettre  à  vos  soins,  de  sorte  que  vous  ne  pourrez 
rien  vouloir  que  ce  qu'il  vous  fera  vouloir,  ni  faire  que 
ce  qu'il  vous  fera  faire.  Voilà  où  son  esprit  vous  appelle. 
et  où  vous  arriverez  selon  le  degré  de  votre  fidélité. 

Et  ne  vous  étonnez  point  si  vous  voyez  des  défauts 
dans  vos  actions;  c'est  cet  état  d'union  où  l'esprit  de 
Dieu  vous  appelle  qui  vous  ouvre  les  yeux.  Plus  cet 
esprit  vous  donnera  de  lumière,  plus  vous  y  verrez 
d'impuretés.  Vous  tâcherez  de  corriger  celles-là;  puis 

LBTTR.  M.    II.  17 


258  LETTRES 

d'autres,  et  encore,  d'autres;  mais  vous  remarquerez 
qu'elles  seront  de  plus  en  plus  subtiles  et  de  différente 
qualité.  Car  il  n'en  est  pas  de  ces  sortes  d'impuretés 
ou  défauts  comme  de  celles  du  vice  ou  de  l'imperfectioii 
que  l'on  a  commise  par  le  passé,  par  attachement»  oo 
par  surprise,  ou  par  coutume.  Elles  sont  bien  plus 
intérieures  et  plus  subtiles,  et  l'esprit  de  Dieu,  qui 
ne  peut  rien  souffrir  d'impur,  ne  donne  nulle  trêve  i 
l'âme  qu'elle  ne  travaille  pour  passer  de  ce  qui  est  plos 
pur  à  ce  qui  l'est  davantage.  Dans  cet  état  de  plus 
grande  pureté  l'on  découvre  de  nouveaux  défauts  encore 
plus  imperceptibles  que  les  précédents,  et  le  même 
Esprit  aiguillonne  toujours  l'âme  à  les  chasser  et  à  s^ 
purifier  sans  cesse.  Elle  se  voit  néanmoins  impuissante 
à  s'en  garantir,  mais  l'Esprit  de  Dieu  le  fait  par  d( 
certaines  purgations  ou  privations  intérieures,  et  pai 
des  croix  conformes,  ou  plutôt  contraires  à  l'état  dont  il 
la  purifie.  Ma  croix  en  ce  point  est  souvent  l'embarn 
des  affaires  oîi  je  me  trouve  presque  continuellement  — 
Prenez-y  garde,  vous  trouverez  cela  en  vous. 

Je  prendrais  un  singulier  plaisir  de  m'entretenir  avecHJ 
vous  de  ces  matières  spirituelles,  selon  les  question: 
que  vous  m'en  faites;  mais  quand  je  le  pense,  ou  qa< 
je  veux  le  faire,  l'occupation  m'en  dérobe  le  temp*  - 
J'écris  bien  vite,  mais  il  y  a  plus  de  deux  heures 
que  je  suis  à  ce  bout  de  lettre.   Sans  cesse  on  m^ 
distrait,  et  autant  de  fois  je  reprends  la  plume  sans 
pouvoir  finir. 

Pourquoi  avez -vous  tant  de  répugnance  d'aller 
demeurer  en  votre  pays?  C'est  là  une  imperfection.  H 
y  faut  voler  si  Dieu  le  veut  ainsi.  Ce  n'est  pas  que  je  ne 
vous  excuse  sur  les  grands  embarras  que  vous  dites 
qu'il  y  faut  essuyer;  mais  le  don  de  force  vous  y  attend 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  259 

>ieu  vous  y  veut.  Le  temps  me  presse,  il  me  faut 
r  malgré  moi.  Adieu,  mon  très-cher  fils. 
e  vous  ai  envoyé  par  une  autre  voie  le  récit  des 
tablements  de  terré  arrivés  en  Canada.  Ils  ont  agité 
n  quatre  cents  lieues  de  pays.  Je  l'ai  écrit  en  forme 
journal;  ainsi  ne  trouvez  pas  étrange  si  vous  ne 
^ez  pas  de  suite  en  quelques  endroits  ;  c'est  que  j'ai 
urdé  l'ordre  du  temps  plutôt  que  celui  des  matières, 
n'y  a  rien  qui  ne  soit  véritable. 

.   De  Québec,  le  18  d'octobre  1663. 


LETTRE  CLXIL 


A     UNE     SUPÉRIEURE     d'uRSULINES. 


lui  parle  d'une  réponse  à  des  questions  qu'on  lui  avait  faites,  réponse  dont 
^«a  chargé  une  de  ses  jeunes  religieuses.  —  Difficulté  de  soumettre  les  filles 
^uvages  à  la  vie  cloîtrée.  —  Elle  lui  envoie  une  description  en  vers  du  trem- 
^ment  de  terre.  —  Promesse  d'envoyer  un  pied  d'élan  quand  la  saison  le 
^rmettra. 


Ma  révérende  et  très-honorée  Mère, 

Votre  sainte  bénédiction. 

Nous  avons  reçu  votre  lettre  si  tard,  que  les  navires 
mt  près  de  s'en  retourner  en  France,  il  m'a  fallu 
iprunter  la  main  d'une  de  nos  jeunes  professes,  fille 
ne  des  principales  familles  de  ce  pays,  pour  pouvoir 
isfaire  aux  questions  qu'il  vous  a  plu  me  proposer, 
us  verrez  bien  que  ce  n'est  pas  une  sauvage,  quoi- 


260  LETTRES 

qu'elle  soit  native  de  ce  pays,  où  lee  esprits  sont  fort 
bons,  doux  et  dociles.  Nous  en  ^  avons  quatre,  et  lei 
autres  sont  venues  de  France,  t^  unes  séculières,  lei 
autres,  comme  nous  qui  avons  fondé ,  religieuses 
professes. 

Nous  avons  fait  épreuve  des  filles  sauvages,  elles 
ne  peuvent  durer  en  clôture.  Leur  naturel  est  fort 
mélancolique,  et  la  liberté  d'aller  où  elles  veulent  étant 
retenue,  augmente  cette  mélancolie.  Nous  en  avons 
élevé  à  la  française,  qui  savent  lire  et  écrire;  nous  les 
avons  mariées  avec  des  Français  ;  les  révéreiirift  Pères 
et  nous,  nous  sommes  cotisés  pour  cela.  Il  nooft  mi  coûta 
Tannée  passée,  pour  le  trousseau  de  deux,  six  cents 
livres;  nous  les  avons  nourries  et  entretenues  fane 
un  an«  1  autre  quatre.  Elles  savent  lire  et  écrire  et  sont 
fort  bien  pourvues»  habiles  en  leur  ménage,  aussi  sages 
et  posées  que  des  Françaises.  On  les  prend  pour  Fran- 
çaises^  parce  qu*en  leur  prononciation  elles  ne  difièrent 
point  des  Françaises. 

U  fiiut  que  je  vous  dise,  ma  très-honorée  Mère,  qu'il 
eett  X1NIU  des  filles  ^n  ce  pajs-cî,  qui  sont  de  vos  qoar- 
tii^r^»  et  entre  autres  une  qui  a  demeuré  à  la  Visitation. 
KUi>  dit  v^uon  leur  a  donn^*  .aux  \lsitandine8),  contre 
Yv^r^  Yv^>ttU\  une  maison  qui  est  vis-à-vis  de  votre 
UHXuiisti^r^.  par  où  i»  allait  sous  terre;  il  me  semble 
^wir  eâti^ttdu  puier  à  nos  M^fes  de  France  de  cette 
IU4U^^A  <ii'^  4Ui(»  M^  w>crt^  arcbevèque  vous  v  a  con* 
trtixutet^.^  vVU  cn^t  ^le£l  dT£r.  ma  c&ke  Mdre.  Est-ce 

'«.    Vsi.x  V  \wii  ^w*.u  :kmb^   vKirutr    Hl  vntn^cmiift  Xûn  À  ITIiicBrBatioii  &  été 


DE  LA  MARS  MARIB  DE  l'iNGARNATION.  261 

vrai?  Je  m  iais  qui  en  â  tant  appris  à  cette  fille;  il 
semble  qu'elle  saefae  tout  ce  qui  se  passe  en  votre 
maison,  de  laquelle  néanmoins  elle  parle  avec  honneur 
et  estime. 

tTai  supplié  le  révérend  Père  du  Grux  de  vous  visiter 
et  faire  part  de  ce  que  je  lui  écris  au  sujet  des  grands 
tremblements  de  terre  arrivés  en  ces  contrées.  Je  vous  en 
envoie  le  récit  en  vers,  que  je  vous  supplie  aussi  de  lui 
communiquer,  et  il  vous  l'expliquera.  C'est  une  bonne 
personne  de  piété  qui  les  a  composés,  en  suite  des  efiets 
de  ce  grand  tremble-terre.  Tout  y  est  véritable.  Ayez-le 
donc  pour  agréable,  et  toutes  mes  révérendes  et  très- 
honorées  Mères,  que  je  supplie  d'agréer  mes  très- 
humbles  saints. 

Je  vous  dirai  qu'après  l'arrivée  de  Monseigneur  votre 
digne  prélat,  nous  avons  fait  notre  élection.  J'ai  été  mise 
en  la  charge  de  Supérieure  malgré  moi;  mais  il  m'a 
fallu  subir  cette  mortification.  Obtenez  de  Dieu  qu'il 
me  fasse  la  grâce  de  m'en  bien  acquitter.  Pour  ce  que 
vous  demandez,  si  nous  avons  un  évéque  diocésain, 
nous  avons  un  évêque  envoyé  par  notre  Saint-Père 
le  Pape,  en  qualité  de  son  grand-vicaire  apostolique 

jamais  demdoré  dans  le  voisinage  des  Ursulines.  Ces  dernières  furent  plusieurs 
fois  en  contestation  avec  une  communauté  dite  de  Sainte-Marie- Magdeleine 
relativement  à  Tôcoulement  des  eaux  par  un  canal  qui  passait  sous  la  rue,  pour 
traverser  ensuite  la  propriété  des  Ursulines.  Il  est  probable  que  l'arcbevdque 
sera  intervenu,  et  que  de  là  sera  venue  l'histoire  d'une  maison  avec  tunnel 
sous  la  rue. 

La  supérieure  qui  dirigeait  la  communauté  de  Mons  en  1663,  et  à  laquelle 
cette  lettre  fut  écrite,  était  française  et  arrière-grand'tante  de  la  supérieure 
actuelle. 

Cette  lettre  est  imprimée  pour  la  première  fois,  ainsi  que  cinq  autres  qu'on 
trouvera  plus  loin,  savoir,  les  lettres  CCI,  CCVIII,  CCXI,  CCXIX  et  CCXXI. 
Ces   six  lettres  nous  ont  été  communiquées  par  la  révérende  Supérieure  des 
Ursulines  de  Mons,  qui  en  ont  conservé  les  précieux  autographes. 


262  LETTRES 

en  toute  la  Nouvelle-France.  Il  y  a  quelques  raisoos 
pour  lesquelles  il  ne  se  nomme  pas  titulaire,  qui  sont 
du  droit.  C'est  un  homme  saint,  le  père  des  pauvres 
et  du  public.  (Tétait  un  seigneur  de  la  maison  de  Laval, 
qui  s*est  donné  à  Dieu  dès  sa  jeunesse.  Le  roi  Taime 
beaucoup  pour  son  mérite  et  ses  qualités.  Sa  Majesté 
voulait  le  retenir  en  France  ;  mais  Tamour  que  ce  bon 
prélat  porte  à  cette  nouvelle  Eglise  a  fait  qu'il  a  supplié 
pour  y  revenir. 

Ma  trôs-honorée  Mère,  je  vous  supplie  de  nous  conti- 
nuer l'honneur  de  votre  affection.  Vous  m'avez  demandé 
un  pied  d'élan  ;  mais  ce  n'est  pas  la  saison  d'en  trouver. 
Je  ne  manquerai  pas  de  vous  en  envoyer  un,  si  je  vis, 
l'an  prochain.^  L'empressement  dans  lequel  nous  som* 
mes,  ne  me  permet  pas  de  voas  entretenir  davantage 
pour  le  moment.  Je  suis 

Ma  révérende  et  trôs-honorée  Mèrô, 
Votre  très-humble  et  très-obéissante  fille 

Marie  de  l'Incarnation. 
De  notre  Séminaire  des  Vrsulines  de  Québec,  le  20  doct,  1663. 

P.  S.  —  Il  y  aune  jeune  fille,  nièce  du  révérend  Père 
Rousseau,  Jésuite,  qui  pourra  vous  dire  des  nouvelles 
de  notre  maison.  M.  de  La  Marque,  son  frère,  la  ramèo6 
en  France.  Elle  est  de  votre  ville. 

(1)  Voir  la  note  que  nous  avons  mise  à  la  Lettre  XXXI 11,  ci-dessus  1. 1,  p*  ^^    W 


'i 


\ 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  263 


LETTRE  CLXIII. 

A     UNE     RELIGIEUSE     DU     CALVAIRE. 
Mère  de  la  TrocTie,  qui  depuis  est  morte  Oénérale  de  son  Ordre») 

ait  le  récit  de  la  translation  du  corps  de  la  Mère  Marie  de  Saint- Joseph, 
sa  sœur,  de  ses  anciens  cercueils  en  d'antres  nouveaux. 

Ma  révérende  Mère, 

s  avez  bien  de  la  bonté  de  vouloir  vous  souvenir 
i  et  de  me  continuer  l'honneur  de  votre  affection, 
part,  je  vous  assure  que  la  mienne  est  entière 
^otre  chère  personne,  à  laquelle,  puisque  vous 
[ez  bien,  je  suis  ce  que  j'étais  à  ma  chère  Mère 
de  Saint-Joseph,  votre  très-aimable  sœur  et  ma 
lèle  compagne.  Je  vous  dirai  une  chose  que  vous 
3Z  pas  marrie  de  savoir,  qui  est  que  notre  petite 
étant  faite,  nous  avons  enlevé  son  corps  du  lieu 
tait,  pour  le  mettre  dans  un  cimetière  que  nous 
fait  faire  sous  notre  chœur.  Nous  avons  eu  la 
té  ou  plutôt  la  dévotion  de  voir  en  quel  état  était 
»rps.  La  nécessité  de  le  changer  de  cercueil  a 
;é  notre  dessein  :  car  encore  qu'il  fût  enfermé 
IX  cercueils,  le  premier  était  pourri  ;  l'autre  qui 
e  cèdre,  ne  l'était  pas.  Nous  trouvâmes  toute  sa 
3onsumée  et  changée  en  une  pâte  blanche  comme 
;,  de  l'épaisseur  d'un  doigt.  Son  cœur,  qui  avait 
it  de  saints  transports  pour  son  Epoux,  et  son 


;..  f. 


264  LBTTRB8 

cerveau,  qui  avait  été  Torgane  ds  tant  de  saintes 
pensées,  étaient  encore  entiers.  Tous  ses  ossementa 
étaient  placés  chacun  en  son  lieu  naturel  :  le  tout  sans 
aucune  mauvaise  odeur.  Au  même  temps  que  nous 
fîmes  l'ouverture,  nous  nous  sentîmes  remplies  d'une 
joie  et  d'une  suavité  si  grandes,  que  je  ne  vous  puis 
l'exprimer.  Dans  la  crainte  que  nous  avions  de  trouver 
de  la  corruption,  ou  quelque  chose  qui  pût  donner  de  la 
frayeur  à  nos  jeunes  sœurs,  nous  voulûmes  visiter 
le  tout  en  secret.  Mais  ayant  trouvé  les  choses  ^ans 
l'état  que  je  viens  de  dire,  notre  révérende  Mère  fit 
appeler  toute  la  Communauté  pour  lui  faire  part  de  la 
consolation  dont  nous  étions  intimement  pénétrées.  Et 
pour  rendre  à  cette  chère  défunte  nos  derniers  devoirs 
de  charité  et  d'affection,  l'on  se  mit  à  lever  les  osse- 
ments. Les  mains  de  celles  qui  les  touchaient  sentaient 
une  odeur  comme  d'iris.  Les  ossements  étaient  comme 
huileux,  et  ayant  été  lavés  et  essuyés,  les  mains  et  les 
linges  avaient  la  même  odeur.  Ni  la  vue,  ni  le  manie- 
ment des  os,  ni  cette  masse  blanche  ou  chair  consumée 
n'ont  donné  nulle  frayeur,  comme  font  ordinairement 
les  cadavres  des  morts  ;  mais  plutôt  elle  inspirait  des 
sentiments  d'union  et  d'amour  pour  la  défunte.  C'était 
à  qui  baiserait  ses  ossements,  et  à  qui  lui  rendrait 
la  première  ce  dernier  devoir  de  piété. 

Après  avoir  satisfait  notre  affection,  nous  remîmes 
ses  os  dans  un  nouveau  cercueil,  avec  un  écrit  en 
parchemin  qui  fait  mention  des  principales  vertus  de 
cette  chère  Mère,  de  son  zèle  pour  la  conversion  des 
âmes,  de  sa  maison,  de  ses  parents  ;  puis  ayant  enfermé 
ce  cercueil  dans  un  autre,  nous  l'avons  posé  sur  des 
soubassements,  afin  que  si  un  jour,  par  quelque  ren- 
versement d'affaires,  il  nous  fallait  retourner  en  France 


l 


'   DE  LA  MÉRB  MARIB  DE  L*INOARNATION.  265 

nous  le  puissions  facilement  emporter.  Le  révérend 
Père  supérieur  des  missions,  dans  le  service  que  nous 
fîmes  en  cette  action,  nous  fit  une  très-belle  exhortation 
sur  ce  changement  de  cercueil,  sur  Fodeur  de  ces 
ossements,  sur  cette  pâte  blanche,  et  principalement 
sur  les  vertus  héroïques  de  cette  âme  sainte.  C'est 
Tunique  de  notre  Communauté  qui  soit  morte  en  ce 
pays  depuis  vingt-quatre  ans  que  nous  y  habitons.  J*ai 
pensé  vous  envoyer  de  ses  ossements  pour  être  mêlés 
avec  les  vôtres,  lorsque  vous  irez  au  tombeau,  mais 
j'ai  eu  crainte  qu'ils  ne  fussent  perdus  avant  que  d'arri- 
ver jusqu'à  vous. 

Chère  Mère,  il  fallait  vous  faire  ce  récit  pour  votre 
consolation  et  pour  celle  de  toute  votre  illustre  famille, 
au  sujet  de  ma  très-chère  compagne,  dont  la  mémoire 
nous  est  et  nous  sera  toujours  précieuse  et  en  odeur 
do  bénédiction.  Je  finis  en  vous  assurant  de  la  sincérité 
de  mon  cœur  et  de  l'affection  avec  laquelle  je  suis.... 

De  Québec,  le  1663. 


(1)  Le  cercueil  de  cette  excellente  religieuse  fut  ouvert  le  3  de  novembre  1661, 

par  la  permission  de  l'Evdque.  Outre  ce  qui  est  rapporté  en  cette  lettre,  on  a 

remarqué  que  cette  p&te  blanche  étant  mise  sur  un  fer  chaud  ou  sur  des  charbons 

ardents,  elle  fondait  comme  de  la  cire  ou  de  Tencens,  et  exhalait  une  très-douce 

odeur.  Il  en  était  de  môme  des  morceaux  de  son  cœur  que  Ton  mettait  sur  îe 

feu.  Et  une  religieuse  qui  avait  aidé  à  laver  les  ossements  s'étant  saisie  d*un 

morceau  de  ce  cœur  pour  le  porter  sur  le  sien  par  dévotion,  durant  le  temps 

qu'elle  le  porta,  on  ressentit  l'odeur  d'iris  dès  qu'on  s'approchait  delle.  Dans 

cette  cérémonie,  le  révérend  Père  Lallemant  ât  une  exhortation  touchante  dans 

laquelle  il  prit  pour  thème  ces  paroles  du  seizième  chapitre  de  TEpItre  aux 

Romains  :  Saluez  Marie  qui  a  beaucoup  travaillé  parmi  vous.  Après  avoir 

rapporté  les  vertus  héroïques  de  cette  fille  et  donné  une  explication  morale  de 

cette  p&te  blanche,  de  cette  odeur  d'iris,  et  des  quatre  nœuds  de  sa  ceinture,  qui 

étaisnt  les  symboles  de  ses  quatre  vœux,  et  qui  étaient  aussi  demeurés  sans 

corruption,  il  ne  fit  point  de  difficulté  de  l'appeler  sainte,  disant  qu'il  la  croyait 


266  LETTRES 


LETTRE   CLXIV, 


A    SON    FILS. 


Le  roi  se  rend  le  mattre  du  Canada,  où  il  envoie  nn  intendant  pour  recevoir  en 
son  nom  les  hommages  des  habitants,  et  y  établir  des  officiers  pour  y  exercer 
la  justice  et  y  maintenir  la  police. 


Mon  très-cher  fils. 

Un  vaisseau  qui  vient  d'arriver  et  qui  se  dispose 
à  un  prompt  retour  m'oblige  de  vous  écrire  un  mot, 
encore  que  je  n'aie  point  reçu  de  vos  nouvelles  ni 
d'aucun  de  nos  monastères  de  France.  Je  crois  qae 
vous  savez  que  le  roi  est  à  présent  le  maître  de  ce 
pays.  Messieurs  de  la  Ck)mpagnie  ayant  appris  qu'il 
avait  dessein  de  le  leur  ôter,  ils  sont  allés  au  devant 
et  le  lui  ont  offert.  Il  les  a  pris  au  mot  avec  promesse 
de  les  dédommager,  et  ainsi  ce  changement  s'est  fait 
sans  beaucoup  de  peine.  Les  navires  du  roi  nous  ont 
ramené  Mgr  notre  Prélat,  qu'on  nous  dit  avoir  eu  bien 
du  démêlé  en  France  au  sujet  des  boissons  qu'on  donnait 
Hux  sauvages,  et  qui  ont  pensé  perdre  entièrement 

«u  d^l  liant  un  t^^••haut  degré  de  gloire.  Quelques  aimées  après,  roccaiioii 
•>t*nt  pr*t#nlé#  d'ouvrir  ton  cercueil,  il  ne  se  trouTm  point  de  corruption  dtni 
lu  ii«h»(nn<>*  d#  ton  r(»rv(»au,  mais  on  la  trovra  réduite  à  deux  petites  boules  qui 
<^ui*nl  dur*»»  oottiroe  In  pi^rr^.  Vorei  plus  loin  la  Lettre  CLXVllI. 

Nou»  i\jo«(<»ron«  A  »*«lte  note  de  Claude  Martin  qn'aujourdliai  encore  les 
\  r#ulm«»»  d«  gu^bw  téni^rent  et  invoquent  la  Mère  Marie  de  Saint-Joseph.  (>n 
ootteerv*  Mi  |Mrti»U  au  réftoloire. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION.  267 

tte  nouvelle  Eglise.  Il  a  fait  le  voyage  en  la  compa- 
lie  d'un  nouveau  gouverneur,  que  Sa  Majesté  nous 
ivoie,  son  prédécesseur,  qui  ne  Ta  été  que  deux  ans, 
ant  parti  avant  son  arrivée.  Le  roi  a  encore  envoyé 
rec  eux  un  intendant,  qui,  depuis  son  arrivée,  a  réglé 
utes  les  affaires  du  pays.  Il  a  établi  des  officiers  pour 
ndre  la  justice  selon  les  règles  du  droit.  Il  a  encore 
abli  la  police  pour  le  commerce  et  pour  l'entretien 
î  la  société  civile.  Il  s'est  fait  rendre  foi  et  hommage 
inéralement  de  tous  les  habitants  du  pays,  qui  ont 
nfessé  tenir  du  roi  à  cause  de  son  château  de  Québec. 
Eins  les  règlements  qui  ont  été  faits,  Québec  se  nomme 
lie,  et  la  Nouvelle-France,  province  ou  royaume.  L'on 
élu  un  maire  et  des  échevins  ;  et  généralement  tous 
3  officiers,  qui  sont  gens  d'honneur  et  de  probité,  ont 
é  faits  par  élection.  On  remarque  entre  tous  une 
•ande  union.  Mgr  l'Evêque  et  M.  le  Gouverneur  sont 
immés  les  chefs  du  Conseil.  On  parle  de  faire  bâtir 
i  palais  pour  rendre  la  justice,  et  des  prisons  pour 
fermer  les  criminels,  les  lieux  qui  servent  à  cela 
mt  trop  petits  et  incommodes.  M.  notre  Gouverneur, 
il  se  nomme  M.  de  Mesy,  est  un  gentilhomme  de 
>rmandie  très- pieux  et  très-sage,  intime  ami  de  feu 
.  de  Bernières,  qui  durant  sa  vie  n'a  pas  peu  servi 
le  gagner  à  Dieu. 

L'on  a  pareillement  établi  l'usage  des  dîmes,  qui 
nt  destinées  pour  l'entretien  d'un  séminaire  fondé 
r  notre  évêque,  qui  doit  par  ce  moyen  faire  bâtir  des 
lises  partout  où  il  sera  nécessaire,  et  y  entretenir  des 
êtres  pour  les  desservir.  Ces  églises  seront  comme 
s  paroisses,  mais  ceux  qui  y  présideront,  au  iieu 
curés  seront  appelés  supérieurs,  dont  l'évêque  sera 
chef  :  le  surplus  des  dîmes  doit  aller  à  l'entretien  des 


368  LBTTRB8 

pauvres.  Ce  digne  prélat  a  déjà  fait  bâtir  une  maison 
à  Québec  pour  l'évêque  et  pour  loger  le  gros  de  son 
Séminaire.  Enfin  tout  cela  sonne  gros  et  commence 
bien,  mais  il  n'y  a  que  Dieu  qui  voit  quelles  en  seront 
les  issues,,  l'expérience  nous  faisant  voir  que  les  succès 
sont  souvent  bien  différents  des  idées  que  Ton  conçoit 
Les  épouvantables  tremblements  de  terre  que  l'on  a 
expérimentés  dans  tout  le  Canada  contribuent  beaucoup 
à  l'union  des  personnes,  car  comme  ils  tiennent  tout  le 
monde  dans  la  crainte  et  dans  l'humiliation,  tout  le 
monde  aussi  demeure  dans  la  paix.  On  ne  saurait 
croire  le  grand  nombre  de  conversions  que  Dieu  a 
opérées,  tant  du  côté  des  infidèles  qui  ont  embrassé 
la  Foi,  que  de  la  part  des  chrétiens  qui  ont  quitté  leur 
mauvaise  vie.  Au  même  temps  que  Dieu  a  ébranlé  lei 
montagnes  et  les  rochers  de  marbre  de  ces  contrées, 
on  eût  dit  qu'il  prenait  plaisir  à  ébranler  les  consciences; 
les  jours  de  carnaval  ont  été  changés  en  des  jours  de 
pénitence  et  de  tristesse;  les  prières  publiques,  les 
processions,  les  pèlerinages  ont  été  continuels;  les 
jeûnes  au  pain  et  à  l'eau  fort  fréquents  ;  les  confessions 
générales  plus  sincères  qu'elles  ne  l'auraient  été  dans 
Vexirémité  des  maladies.  Un  seul  ecclésiastique  qui 
gouverne  la  paroisse  de  Château-Richer,  nous  a  assuré 
qu'il  a  fait  faire  lui  seul  plus  de  huit  cents  confessions 
générales.  Je  vous  laisse  à  penser  ce  qu*ont  pu  faire  les 
révérends  Pères  qui  jour  et  nuit  étaient  dans  les  con- 
fe^ionoaux.  Je  ne  crois  pas  que  dans  tout  le  pays 
il  y  Bit  un  habitant  qui  n'ait  fait  une  confession  gêné- 
raie.  Il  ife$t  trouvé  des  pécheurs  invétérés,  qui,  ponr 
nssiirtr  Umt  conscience,  ont  reconmiencé  la  leur  plos 
49  tniê  M§»  On  a  vu  des  réconciliations  admirables, 
fm  «fMMBfi  i6  mettant  à  genoux  les  uns  devant  les 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INGARNATION.  269 

autres  poar  se  demander  pardon  avec  tant  de  douleur 
quMl  était  aisé  de  voir  que  ces  changements  étaient  des 
coups  du  Ciel  et  de  la  miséricorde  de  Dieu,  plutôt  que 
de  8^  justice.  Au  fort  de  saint  François-Xavier,  qui  est 
de  la  paroisse  de  Sillery,  il  y  avait  un  soldat  de  la  gar- 
nison, venu  de  France  dans  les  navires  du  roi,  le  plus 
méchant  et  le  plus  abominable  homme  du  monde.  Il  se 
vantait  impudemment  de  ses  crimes  comme  un  autre 
pourrait  faire  d'une  action  digne  de  louange.  Lorsque 
le  tremblement  de  terre  commença,  il  fut  saisi  d'une 
frayeur  si  étrange,  qu'il  s'écria  devant  tout  le  monde  : 
Qu'on  ne  cherche  point  d'autre  cause  de  ce  que  vous 
voyez  que  moi  ;  c'est  Dieu  qui  veut  châtier  mes  crimes. 
Il  commença  ensuite  à  confesser  tout  haut  ses  péchés, 
sans  rien  avoir  devant  les  yeux  que  la  justice  de  Dieu 
qui  l'allait,  à  ce  qu'il  croyait,  précipiter  dans  les  enfers. 
Ce  fort  est  à  un  quart  de  lieue  de  Sillery,  où  il  le  fallut 
porter  à  quatre  pour  se  confesser,  la  peur  l'ayant  fait 
devenir  comme  perclus.  Dieu  a  fait  en  lui  une  si  heu- 
reuse et  si  entière  conversion,  qu'il  est  aujourd'hui 
un  modèle  de  vertu  et  de  bonnes  œuvres. 

Voilà  l'état  du  Canada,  tant  pour  le  spirituel  que  pour 
le  temporel.  A  quoi  j'ajouterai  que  le  roi  ne  nous  a  pas 
envoyé  des  troupes,  comme  il  l'avait  fait  espérer,  pour 
détruire  les  Iroquois.  On  nous  mande  que  les  démêlés 
qu'il  a  dans  l'Italie  en  sont  la  cause.  Mais  il  a  envoyé 
en  la  place  cent  familles  qui  sont  cinq  cents  personnes. 
Il  les  défraie  pour  un  an,  afin  qu'elles  puissent  facile- 
ment s'établir  et  subsister  ensuite  sans  incommodité. 
Car  quand  on  peut  avoir  une  année  d'avance  en  ce 
pays,  on  peut  défricher  et  se  faire  un  fond  pour  les 
aanées  suivantes» 

De  Québec,  le  1663. 


270  LETTRES 


LETTRE    CLXV. 


AU   MEME. 


Ses  sentiments  touchant  la  translation  da  corps  de  saint  Benoit  dans  iim 
magnifique  chftsse,  an  mois  de  mai  de  Tannée  1653.  —  Générosité  aree 
laquelle  elle  abandonna  son  fils  en  se  rendant  religieuse,  et  depuis  enoort  to 
allant  en  Canada.  —  Effet  de  cet  abandonnement* 


Mon  très-cher  fils, 

J*ai  reçu  deux  de  vos  lettres  cette  année,  la  première 
desquelles  me  parle  de  vos  dispositions  particalières, 
et  l'autre  me  fait  le  récit  de  la  translation  du  corps  de 
Saint-Benoît,  votre  glorieux  Père  et  le  mien,  parce  que 
j'y  ai  çu  toute  ma  vie  une  dévotion  particulière.  C'est 
à  cette  dernière  que  je  réponds  par  celle-ci,  et  que  je 
me  sens  pressée  de  vous  dire  que  j*ai  eu  une  aussi 
grande  tendresse  de  dévotion  dans  mon  éloignement 
que  si  j'y  eusse  été  présente.  Je  n'ai  pas  ressenti  seule 
la  douceur  de  ce  sentiment,  mais  encore  toute  notre 
Communauté  et  nos  révérends  Pères,  à  qui  j'ai  com- 
muniqué votre  lettre.  Ils  ont  même  trouvé  si  belle  et 
si  riche  l'estampe  de  cette  magnifique  châsse  qu'ils 
l'ont  voulu  retenir.  Nous  avons  tous  béni  la  divine  bonté 
d'avoir  donné  à  ce  saint  patriarche  de  si  bons  enfants, 
qui  ont  fait  un  si  riche  et  si  digne  sanctuaire  à  leur 
Père.  Une  bonne  religieuse  bénédictine  de  Reims. a 
envoyé  une  croix  faite  du  cercueil  de  ce  grand  saint 


DE  LA  MÉRB  MARIE  DK  L'iNCARNATION.  271 

à  madame  d'ÂilIeboust  sa  sœur,  qui  est  avec  noas.  Vous 
me  mandez  que  vous  m'envoyez  de  son  suaire,  je  n*ai 
point  reçu  cette  sainte  relique,  que  je  projetais  de 
mettre  avec  celles  que  nous  avons  déjà.  Si  elle  est 
perdue,  cette  privation  me  causera  bien  de  la  douleur, 
quoique  je  n'en  doive  pas  avoir ,  n'étant  pas  digne 
de  la  posséder.  Enfin  je  loue  votre  Congrégation  de 
l'effort  qu'elle  a  fait  pour  cette  magnifique  châsse, 
comme  aussi  ces  bons  Abbés  commendataires  qui  y  ont 
bien  voulu  contribuer.  Il  était  bienséant  qulls  rendissent 
un  peu  pour  le  beaucoup  qu'ils  retirent  des  monastères 
de  ce  grand  patriarche. 

L'on  s'attendait  à  Tours  qu'à  l'issue  de  votre  chapître, 
vous  seriez  envoyé  en  l'un  des  deux  monastères.  Je  ne 
vous  sais  pas  mauvais  gré  de  la  répugnance  que  vous 
y  avez,  car  la  proximité  des  parents  cause  souvent  de 
l'embarras  et  détourne  quelquefois  de  Dieu  ;  mais  quand 
la  divine  Providence  l'ordonne,  et  que  cela  n'est  pas 
recherché,  il  faut  baisser  le  col  et  se  soumettre;  s'il 
y  a  de  la  mortification,  il  la  faut  prendre  en  patience. 
Mais  enfin  puisque  le  repos  que  vous  trouvez  à  Angers 
vous  fait  aimer  ce  lieu-là,  je  suis  bien  aise  que  vous 
y  soyez  retourné.  Ah!  mon  très-cher  fils,  qui  eût 
jamais  dit,  mais  qui  l'eût  pu  même  croire,  que  vous 
et  moi  étant  demeurés  seuls  après  la  mort -de  votre 
père,  la  divine  Majesté  vous  regardât  dès  lors  pour 
vous  faire  posséder  le  grand  et  inestimable  bonheur 
de  la  profession  religieuse  ;  et  même  qu'il  vous  eût  fait 
naître  pour  des  charges  si  honorables  et  pour  des 
emplois  si  éclatants?  C'est  assurément  parce  que  je 
vous  ai  abandonné  pour  son  amour,  et  que  je  ne  lui 
ai  jamais  demandé  ni  or  ni  richesses  pour  vous  ni  pour 
moi,  mais  seulement  la  pauvreté  de  son  fils  pour  tous 


272 

les  deux.  S*il  ▼oos  poorroit  en  la  manière  que  vous 


l'expérimentez,  e«t  que  sa  libéralité  est  aussi  certaine 
qae  sa  Toionté.  Ses  promesses  ne  manquent  point  à 
ceux  qui  espérait  en  lui. 

Vous  souTenez-voua  bien  de  ce  que  je  vous  ai  dit 
autrefois,  que  si  je  vous  abandonnais,  il  luirait  soin 
de  vous,  et  qull  serait  votre  père.  Cest  pour  cela  que 
je  n*ai  jamais  rien  fait  de  si  bon  cœur  ni  avec  tant  de 
confiance  en  Dieu,  que  de  vous  quitter  pour  son  amour, 
étant  fondée  sur  son  saint  Evangile  »  qui  était  mon 
guide  et  ma  force.  Et  lorsque  je  m'embarquai  pour  le 
Canada  et  que  je  voyais  Fabandon  actuel  que  je  faisaiB 
de  ma  vie  pour  son  amour,  j'avais  deux  vues  dans 
mon  esprit.  Tune  sur  vous,  l'autre  sur  moi.  A  votre 
sujet,  il  me  semblait  que  mes  os  se  déboitaient  et  qu'ils 
quittaient  leur  lieu,  pour  la  peine  que  le  sentiment 
naturel  avait  de  cet  abandonnement  Mais  à  mon  égard 
mon  cœur  fondait  de  joie  dans  la  fidélité  que  je  voulais 
rendre  à  Dieu  et  à  son  Fils,  lui  donnant  vie  pour  Tie, 
amour  pour  amour,  tout  pour  tout,  puisque  cette  divine 
Majesté  m'en  rendait  digne,  et  me  mettait  dans  l'occa- 
sion, moi  qui  était  la  lie  du  monde. 

Je  reviens  au  saint  suaire  que  vous  m'avez  envoyé. 
J'en  regrette  la  perte,  dans  la  crainte  qu'il  ne  tombe 
en  des  mains  qui  ne  l'honoreront  pas  comme  il  le  mérite. 
Agréez  le  respectueux  salut  de  notre  Communauté,  et  k 
très-humble  remercîment  qu'elle  vous  en  fait  avec  moi. 

De  Québec,  le  16  août  1664. 


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DE  LA  MÈRE  MARIE  DR  L'INCARNATION.  273 


LETTRE  CLXVI. 


AU    MÊME. 


Reste  des  tremblements  de  terre.  —  Le  Roi  continue  de  peupler  le  pays.  —  Les 
Iroquois  continuent  d*exercer  leurs  hostilités  :  ils  sont  défaits  par  les  Algon- 
quine.  —  La  foi  pénètre  chez  les  Papinachois.  —  Eloge  de  la  piété  d'une 
femme  sauvage. 


Mon  très-cher  fils, 

Je  vous  écrivis  rannëe  dernière  ce  qui  s'était  passé 
en  ce  pays  touchant  les  tremblements  de  terre.  Vous 
serez  peut-être  bien  aise  d'apprendre  s'il  en  reste  quelque 
chose,  et  s'ils  n'ont  point  causé  quelques  accidents 
funestes.  Pour  le  premier,  la  terre  a  encore  tremblé  en 
quelques  endroits,  mais  légèrement,  et  ce  ne  sont  que 
des  restes  des  grandes  secousses  de  l'année  dernière. 

Pour  l'autre,  nous  craignions  la  peste  ou  la  famine  ; 
Dieu  nous  a  préservés  de  l'une  et  de  l'autre.  Il  se  trouva 
qu'après  les  grandes  secousses,  et  les  feux,  tant  sou- 
terrains que  ceux  qui  étaient  sortis  par  les  ouvertures 
de  la  terre,  une  extrême  sécheresse  avait  comme  brûlé 
la  surface  de  la  terre  et  consumé  toutes  les  semences. 
Ensuite  de  ces  aridités.  Dieu  permit  qu'il  tombât  des 
pluies  en  si  grande  abondance,  que  les  torrents  sem- 
blaient avoir  emporté  tout  le  reste  de  l'herbe  et  tout 
ensemble  l'espérance  de  faire  aucune  moisson.  Le  con- 
traire est  arrivé,  car  la  moisson  a  été  si  abondante, 

UKTTR.  M.    II.  18 


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DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCaRNATION.  275 

ias  étendus,  à  moins  d'être  roi  lui-même  et  absolu. 
Dcore  que  les  Iroquois  soient  fort  humiliés,  tant  par 
:u erres  qu'ils  ont  sur  les  bras,  que  par  les  maladies 
I  mortalités  que  Dieu  leur  envoie,  ils  ont  néanmoins 
des  courses  en  ces  quartiers  lorsqu'on  ne  les  y 
cSait  pas.  Ils  ont  enlevé  deux  grandes  filles  fran- 
8  avec  quelques  Français  et  sauvages,  puis  en 
f;  tué  quelques-uns,  ils  ont  pris  la  fuite  seton  leur 
ixne. 

i  même  temps  que  cette,  troupe  faisait  son  ravage, 
.eurs  des  principaux  des  natiors  iroquoises  appro- 
eut  de  Montréal  pour  demander  la  paix  aux  Fran- 
»  et  du  secours  contre  leurs  ennemis.  Ils  étaient 
:^gés  de  grands  et  riches  présents  pour  des  sauvages, 
on  tient  qu'il  y  en  avait  pour  huit  ou  dix  mille 
es.  Mgr  notre  Evêque  et  M.  le  Gouverneur  y  étaient 
8  pour  les  recevoir  et  pour  entendre  leurs  propo- 
>ns.  Cependant  les  Algonquins,  qui  en  eurent  le 
t,  les  allèrent  attendre  au  passage,  et  pressèrent  si 
I  leur  embuscade  qu'ils  tombèrent  dedans.  Les 
|uois  firent  des  clameurs  étranges,  disant  qu'ils 
aient  faire  la  paix  avec  eux  aussi  bien  qu'avec  les 
nçais.  Les  Algonquins,  qui  sont  leurs  ennemis 
rtels,  s'en  moquèrent,  après  avoir  tant  de  fois  expé- 
enté  leur  perfidie  et  mauvaise  foi.  Ainsi,  sans  les 
ater,  ils  en  taillèrent  en  pièces  autant  qu'ils  purent, 
ent  les  autres,  et  enlevèrent  tout  le  butin.  On  eut 
1  de  la  peine  à  sauver  ceux  qui  avaient  pris  le 
ant  à  Montréal,  et  il  fut  nécessaire  que  les  Français 
*  fissent  escorte  assez  loin,  et  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent 
s  de  l'incursion  des  Algonquins.  Les  uns  disent 
Is  voulaient  la  paix  tout  de  bon,  et  les  autres  qu'ils 
aient  pour  tromper  comme  par  le  passé  :  Dieu  seul 


276 

sait  ce  qui  en  est   Encore  qoe  les  Français  n'aient 
nnliement  trempé  dans  cette  affaire»  tous  les  Iroqnois 
néanmoins  croiront  qoe  ce  sont  enx  qui  ont  fait  jouer 
ce  ressort  poor  les  détraire,  et  il  ne  faat  point  dootar 
qu'ils  ne  fassent  leur  possible  pour  s'en  venger  sur  noi 
habitations,  si  ce  n'est  que  la  crainte  qulls  ont  dei 
Français,  qu'on  leur  a  dit  qulls  se  disposent  à  leur 
aller  faire  la  guerre,  ne  les  retienne,  ou  platAt  que  li 
protection  de  Dieu  sur  nous  ne  les  empêche. 

Les  Iroquois  fermant  les  oreilles  aux  paroles  de 
l'EvaDgile,  et  endurcissant  leurs  cœurs  à  la  grâce  que 
Dieu  leur  présente,  sa  bonté  divine  en  appelle  d'aatrei 
qui  seront  plus  fidèles  et  en  feront  mieux  leur  profit. 
Ce  sont  des  peuples  qui  habitent  vers  la  mer  du  Nord, 
qu'on  tâche  de  découvrir  depuis  si  longtemps.  Le 
révérend  Père  Nouvel,  de  la  Compagnie,  s'étant  em- 
barqué l'automne  dernier,  avant  que  les  glaces  fussent 
dans  les  rivières,  afin  d'aller  hiverner  chez  les  Mon- 
tagnais,  la  chaloupe  où  il  était  s'entrouvrit  lorsqa'oa 
y  pensait  le  moins,  en  sorte  que  lui  et  toute  sa  com- 
pagnie, voyant  que  le  mal  était  sans  remède  et  qa'ili 
allaient  couler  à  fond,  ne  pensaient  plus  qu'à  se  dispo- 
ser à  bien  mourir.  Le  Père,  néanmoins,  eut  un  moa- 
vement  de  faire  un  vœu  à  la  Sainte-Famille,  à  laquelle 
tout  le  pays  a  une  très-grande  dévotion  pour  beaucoup 
de  raisons.* 


(1)  On  célébrait  au  Canada,  le  troisième  dimanche  après  Pâques,  la  îètê  d«li 
Sainte-Famille,  double  de  deuxième  classe.  L'office  arait  été  compote  pir  It 
fameux  Santeuil,  ce  qui  n'est  pas  une  reconmiandation.  Il  y  a  encore  à  la  cM' 
(Irale  un  autel  et  une  confrérie  de  la  Sainte- Famille.' 

Les  Ursulires  de  Québec  possèdent  un  tableau  de  la  Sainte- Famille,  que  Toi 
croit  avoir  été  fait  par  un  Récollet  en  1700.  L'enfant  Jésus  y  parait  admoMsur 
un  petit  sauvage. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  277 

Le  vœu  ne  fat  pas  plus  tôt  fait,  qu  ils  se  trouvèrent 
hors  de  péril  d'une  manière  si  extraordinaire,  qu'on  la 
tient  pour  un  effet  miraculeux.  Par  cette  même  protec- 
tioD  ils  furent  encore  sauvés  de  la  main  des  Iroquois,  qui 
lenr  dressaient  partout  des  embuscades.  Enfin,  sa  com-v 
pagnie  le  conduisit  aux  Papinachois  qui  avaient  déjà 
TO  quelques  Européens  pour  la  traite  dans  les  nations 
plus  proches  où  ils  s'étaient  avancés.  Le  Père  les  caté- 
chisa, et  trouva  en  eux  des  cœurs  si  disposés  à  recevoir 
la  semence  de  l'Evangile,  qu'il  les  instruisit  sans  diffl- 
oalté.  Ils  étaient  ravis  de  lui  entendre  parler  de  la  Foi 
et  encore  plus  de  l'embrasser.  Ceux-ci  lui  offrirent  de 
le  mener  en  d'autres,  nations  plus  peuplées.  Il  s'y 
accorda,  nonobstant  les  grandes  diâScultés  du  chemin, 

-^  dans  lequel  on  rencontre  jusqu'à  douze  portages.^  Mais 
cet  excellent  Père  surmonta  tout  cela  par  Tardeur  de 
ion  zèle,  et  trouva  de  la  douceur  dans  toutes  ces 
fktigues,  dans  l'espérance  de  gagner  des  âmes  à  Jâsus- 
Christ.  Il  entra  dans  ce  pays,  où  jamais  un  européen 
n'avait  mis  le  pied. 

Ce  peuple,  néanmoins,  avait  entendu  dire  qu'il  y  avait 
un  Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  et  qu'il  y  avait 
nn  paradis  pour  récompenser  les  bons,  et  un  enfer  pour 
pnnir  les  méchants.  Au  même  temps  que  le  Père  leur 
eût  fait  l'ouverture  de  notre  sainte  religion  et  de  ce 
qu'elle  contient,  leurs  coeurs  et  leurs  esprits  ravis  d'aise 
se  rendirent  traitables  et  dociles  comme  des  agneaux. 

^  Ite  sont  de  langue  montagnaise,  qui  est  en  usage  en  nos 
quartiers,  ce  qui  fut  un  grand  avantage  pour  le  Père. 
Lorsqu'il  leur  montra  dans  un  grand  tableau  les  fins 

(1)  Endroits  où  l'on  est  obligé  de  porter  les  canots  par  terre,  soit  à  cause 
(Time  chate  d*eaa  ou  de  la  rapidité  du  courant,  soit  parce  que  Ton  quitte  une 
rivière  pour  en  prendre  une  autre. 


278  LETTRES 

dernières  de  l'homme,  et  particaliôrement  l'enfer  qui  est 
destiné  pour  les  méchants  et  pour  ceux  qai  ne  croient 
pas,  ils  s'écrièrent  :  Cache  ce  lieu-là,  il  nous  épouva&te, 
noas  n'y  voulons  pas  aller  ;  mais  bien  en  celui-là,  mon- 
trant le  paradis.  Ils  étaient  affamés  d'entendre  parler 
de  nos  Mystères.  Il  y  en  eut  un  qui,  dans  le  ressen- 
timent qu'il  eut  des  douleurs  et  des  souffrances  de 
Notre-Seigneur  pour  le  salut  des  hommes,  prit  une 
discipline  qu'il  aperçut  parmi  les  meubles  du  Père,  et 
s'encourut  dans  le  bois,  où  il  se  traita  d'une  étrange 
manière.  Il  s'en  vint  trouver  sa  femme  à  qui  il  présenta 
la  discipline;  elle  la  prit  et  alla  en  faire  autant,  puis  elle 
retourna  en  sa  cabane  où  son  frère,  s'étant  aperçu  de  ce 
que  son  mari  et  elle  avaient  fait,  prit  cet .  instrument 
et  alla  faire  le  même. 

Ils  se  sont  tous  fait  instruire,  et  le  Père  les  ayant 
trouvés  disposés,  a  baptisé  plusieurs  adultes  et  un  grand 
nombre  d'enfants.  Ils  l'ont  prié  d'aller  hiverner  avee 
eux:  comme  la  moisson  est  grande,  il  ira  avec  an 
second,  selon  la  promesse  qu'il  leur  en  a  faite.  Peut-être 
passeront-ils  plus  avant,  car  ces  bons  sauvages  lui  ont 
promis  de  le  conduire  à  la  grande  mer  du  Nord,  sur 
les  rives  de  laquelle  il  y  a  beaucoup  de  peuples  séden- 
taires. Il  n'y  a  que  pour  un  mois  de  chemin  de  ce 
lieu-là  et  qui  est  fort  aisé.  Voilà  une  conquête  bien 
précieuse,  priez  la  bonté  divine  qu'il  y  donne  sa  béné- 
diction et  des  forces  aux  ouvriers  de  son  saint  Evangile 
pour  supporter  les  grands  travaux  qui  se  rencontreront 
dans  son  exécution. 

Il  est  bien  juste  que  je  vous  dise  quelque  chose  de 
notre  petit  séminaire.  Nous  y  avons  eu  cette  année 
une  bonne  veuve  assez  âgée,  nommée  Geneviève, 
algonquiue  népisirinienne  de  nation,  laquelle  sachant 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION  .  .  279 

que  nous  ne  recevions  point  des  personnes  de  son  âge, 
nous  fit  prier  par  des  personnes  que  nous  ne  pouvions 
refuser.  Elle  vint  me  trouver  pour  me  dire,  que  c'était 
le  grand  désir  qu'elle  avait  d'être  instruite  qui  lui  faisait 
faire  tant  de  poursuites  ;  qu'elle  avait  des  sœurs  igno- 
rantes, qu'elle  voulait  se  rendre  capable  d'instruire,  n'y 
ayant  point  de  robes  noires  en  son  pays  pour  le  faire  ; 
que  son  dessein  était  de  jeûner  le  carême  comme  nous, 
et  de  prier  durant  tout  ce  temps-là,  ce  qu'elle  ne  pou- 
vait pas  faire  dans  sa  cabane.  Je  lui  accordai  enfin  sa 
demande,  voyant  le  zèle  avec  lequel  elle  parlait  :  car 
depuis  vingt-cinq  ans  que  nous  sommes  en  ce  pays,  je 
n'ai  point  vu  de  sauvagesses  ferventes  comme  celle-là. 
Elle  nous  suivait  tous  le  jour  aux  observances  du 
chœur,  où  elle  n'était  point  satisfaite  qu'elle  ne  fit 
comme  nous,  et  quand  elle  ne  pouvait  le  faire,  elle  disait 
plusieurs  chapelets  et  elle  faisait  des  oraisons  jacula- 
toires toutes  pleines  de  feu.  Elle  ne  se  lassait  point  de 
prier,  ni  de  se  faire  instruire  sur  les  mystères  de 
notre  foi.  Madame  d'Âilleboust  ayant  hiverné  chez  nous, 
elle  allait  souvent  la  trouver  pour  apprendre  d'elle 
quelque  prière,  ou  quelque  point  de  catéchisme.  Elle 
me  suivait  en  notre  chambre  afin  que  je  lui  parlasse 
de  nos  saints  mystères.  Durant  même  nos  récréations 
elle  ne  pouvait  nous  laisser  libres,  sans  qu'il  fallût  lui 
parler  de  Dieu,  otT  répondre  à  ses  demandes. 

Elle  faisait  souvent  le  récit  de  ses  aventures,  et  un 
jour  entre  autres  elle  me  dit  :  J'ai  beaucoup  de  fois 
expérimenté  le  secours  de  Dieu  dans  la  ferme  créance 
que  j'ai  en  lui.  Il  m'a  gardée  partout.  Revenant  de  mon 
pays  en  celui-ci  pour  me  faire  instruire,  nous  fîmes 
rencontre  des  Iroquois,  qui  donnèrent  bien  de  la  crainte 
à  mon  frère  et  à  toute  notre  troupe;  je  me  jetai  contre 


:iH{)  LETTRES 

• 

(lanfl  les  Iierbiers  où  je  disais  à  mon  frère  :  Prends 
courA{(o»  mon  frère,  crois  en  Celui  qai  a  tout  fait,  et 
il  nous  sauvera  des  mains  de  nos  ennemis.  Je  ^exho^ 
tais  sans  cesse  pendant  que  les  balles  des  fusils  siflGiaient 
i\  nos  oreilles  tout  autour  de  nous,  et  Dieu  nous  pro- 
t<5goa  si  puissamment  en  cette  rencontre,  qu'il  n'y  eut 
pas  un  seul  de  notre  troupe  blessé,  ni  même  aperça 
do  Tonnemi  que  nous  voyons  tout  près  de  nous. 

Son  mari  étant  mort  en  son  pays,  qui  est  à  plus  de 
cinq  cents  lieues  d*ici,  n'y  ayant  plus  d'église,  elle  ne 
voulut  pas  Y  laisser  son  corps,  mais  avec  une  générosité 
nonpareille»  elle  prit  la  résolution  de  l'apporter  ici 
pour  lo  faire  enterrer  dans  le  cimetière  des  chrétiens, 
Htin  qu  au  jour  du  jugement  il  ressuscitât  avec  eux. 
l/otVot  suivie  la  résolution,  car  elle  apporta  le  corps, 
parùo  sur  son  dos,  partie  en  canot  jusquanx  Trois- 
Kîvii^r^$«  où  elle  le  fit  enterrer  le  plus  honorablement 
quelle  put.  faisant  dire  des  messes  pour  le  repos  de 
sou  ;Uue.  Klle  e$t  inconsolable  quand  elle  pense  que 
$^<ii  enfant;^  sont  mor^  sans  baptême,  et  sa  douleur  ait 
uu  jvu  souls^v  ,:uani  elle  r'ii:  rêâexioa  quêtant  dans 
,vw  l:ux?eî5.  AU  lu.nzis  ils  ze  bcdleroaî  pas  conmie  les 
Av.ijLl:^  ^-t  i::^:iren:  5az5  éîre  ccMci^n*.  Un  seul  loi 
>^«?s  rwc^  ^ui  c$:  :acrt  chr^èciez  i  l'i»  ie  dix  ans;  mais 
vdrw  ^iivxi:  sj  ncn  ^L.«  1  i  v^  rarler  à  :in  jongleur, 
.*L^?  .'r^::::  ;;::,  z^  jci::  iizrotf  rcor  «  cêrhê-Ià.  Elle 

ie  u:  xr^  :ru:?er'j,vci'^.  3i*l^  i  ùlt.  ic^xoi  i  notre 
:$^uxiaa:r^  i X3  .-^isCL'r  ^z:  iri:;  jiîr»:  itf  rcce  à  son  fils, 
ida  ;(«  acu*  cîisni'.'cs  ::c$  îr.tîr«s  lai  s;<^aiies  rcur  le 


DR  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INGARNATION  .  .  281 

nous  considérant,  elle  disait  à  Dieu  :  Conservez  ces 
bonnes  filles,  qui  depuis  le  matin  jusqu'au  soir  sont 
tQUJoars  auprès  de*  vous,  et  qui  ne  font  autre  chose  que 
▼OQs  servir.  Lorsqu'elle  rencontrait  quelque  instrument. 
de  pénitence  elle  voulait  s'en  servir,  surtout  de  la  cein- 
tare  de  fer,  mais  nous  modérions  sa  ferveur,  et  ne  lui 
laissions  pas  f^ire  tout  ce  qu'elle  eût  bien  désiré. 

Le  jour  du  Vendredi- Saint,  elle  fut  puissamment 
touchée  dans  la  considération  de  la  passion  de  Notre- 
Seigneur.  Durant  nos  Ténèbres,  elle  fondait  en  larmes, 
par  l'impression  <)ue  Dieu  lui  donna  de  l'amour  qu'il 
avait  porté  aux  hommes  en  endurant  pour  eux  de  si 
extrêmes  tourments.  Etant  revenue  à  elle,  je  ne  sais, 
dit-elle,  où  j'en  suis,  mais  je  n'ai  jamais  expérimenté 
chose  pareille  ;  le  diable  ne  me  voudrait-il  point  trom- 
per? Je  l'emmenai  en  notre  chambre  pour  l'entretenir  sur 
ce  grand  mystère.  Là  j'achevai  de  la  combler,  ou  plutôt 
^  Dieu  par  mon  moyen,  de  douleur  et  de  consolation. 
Elle  considérait  avec  attention  nos  cérémonies  du 
cbœur,  qu'il  lui  fallait  expliquer,  après  quoi  elle  ne 
pouvait  sortir  de  son  admiration  et  disait  que  nous 
imitions  les  anges  et  les  saints  qui  sont  au  ciel. 

Elle  voyait  fort  clair  dans  son  intérieur.   Un  jour 

qu'elle  était  fort  pensive,  on  lui  en  demanda  le  sujet; 

JB  considère,  dit-elle,  que  je  suis  bien  méchante.  Il  me 

semble  que  je  fais  ce  que  je  puis  pour  ne  point  offenser 

Celui  qui  a  tout  fait,  et  cependant  je  me  vois  toute 

.    remplie  de  péchés.  Depuis   peu  un  homme   m'avait 

*   dérobé  une  robe  de  castor  en  ma  présence,  sous  prétexte 

V  de  me  la  garder.  Je  courus  après  lui  pour  la  retirer; 

je  n'étais  pas^  néanmoins  en  colère,  et  je  ne  lui  voulais 

point  de  mal  :  cependant  je  sentais  en  moi  une  malice 

qui  me  voulait  tromper.  Elle  voulait  distinguer  par  ces 


p^kTolM   "eâ^   le  ht  zrâee  (faToc  fiflciîottîon  de  la 

Lft  cnîtèm^  dénier^  Itgr  riocre  Ptâaft  admiDistra 
te  nskcmneot  de  conârzsaticn.  Elle  a'oi  avait  poiot 
encore  entendu  parier^  parce  qu'elle  néiait  pas  en  ce 
p»yn  ia  première  fois  -lall  le  coofifra.  (Téiaxt  dans  notre 
^lUe  qtxe  la  cérémonie  devait  se  faire.  Elle  voyait  que 
Ton  instruisait  plosieurs  de  nos  pensionnaires  ponr 
recevoir  ce  sacrement,  et  le  sérieux  avec  leqnei  on 
agissait  loi  fit  croire  qae  c'était  qnelqne  chose  de  saint 
et  de  grande  importance.  Elle  allait  et  venait  par  la 
maison  cherchant  quelqu'un  qui  put  lui  dire  ce  que 
c'était.  Ne  trouvant  personne,  parce  que  toutes  étaient 
occupées,  hélas  !  dit-elle,  on  ne  mlnstruit  point,  et  voilà 
qu'on  instruit  les  enfants.  Je  m'attachai  à  elle  pour  lai 
donner  l'instruction  nécessaire.  Elle  était  ravie  de  toat 
ce  que  je  lui  disais,  surtout  de  ce  que  par  la  vertu  de  ce 
sacrement,  elle  serait  plus  forte  contre  les  tentations 
du  démon,  plus  forte  et  courageuse  dans  la  Foi,  et 
qu'elle  en  porterait  la  marque  dans  le  ciel  aussi  bi^ 
que  (lu  saint  baptême.  Dès  qu'elle  eût  reçu  le  sacrement, 
ollo  demanda  congé  daller  à  Sillery  pour  faire  paît 
do  son  bonheur  à  ses  parents  et  à  ses  amis  sauvages. 
Kilo  IcH  prêcha  avec  tant  de  ferveur,  qu'ils  n'avaient 
point  (lo  paroles.  Enfin  son  frère  revenant  à  lui  loi  dit  : 
Hélas  t  nous  sommes  de  belles  créatures  pour  concevoir 
et  expérimenter  de  si  grandes  choses! 

Kilo  était  continuellement  auprès  de  ce  frère  pour 
lompôchor  de  traiter  de  l'eau- de- vie.  Un  Français  vou- 
lant se  servir  de  lui  pour  en  porter  un  baril  en  cachette 
aux  Trois- Rivières,  elle  n'eut  point  de  repos  qu'il  ne  : 
loùt  quitté.  Tu  i>ériras,  lui  disait-elle»  Dieu  t'abandon- 
nera» et  le  diable  sera  partout  avec  toi.  Enfin  elle  vint 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INCARNATION.  283 

à  bout  de  son  dessein.  Bile  nous  quitta  pour  aller  aux 
Trois-Riviôres  chercher  des  femmes  de  sa  nation,  pour 
les  empêcher  de  se  jeter  dans  une  occasion  qui  les  eût 
pu  écarter  de  Dieu  et  des  pratiques  chrétiennes. 

De  Québec,  le  18  août  1664. 


ir 

i- 


LETTRE  CLXVII. 

A   UNE   RELIGIEUSE   URSULINE   DE   TOURS. 
(La  Mère  Angélique  de  la  VaUière,) 

Elle  l'assure  que  son  dessein  est  de  mourir  en  Canada,  et  la  console  au  sujet 
d'une  de  ses  parentes  engagée  dans  une  occasion  dangereuse  pour  son  salut. 

« 

Ma  révérende  et  très-  chère  Mère, 

«Tai  reçu  votre  très-chère  lettre,  dans  laquelle  votre 
cœur  parle  plus  que  votre  plume.  Il  me  semblait  en  la 
\  lisant  que  j'étais  avec  vous,  et  que  nous  nous  commu- 
niquions cœur  à  cœur.  J'ai  bien  compati  aux  afflictions 
âe  votre  Communauté,  et  encore  plus  particulièrement 
ftu  travaux  que  vous  avez  soufferts  pour  en  secourir 
1m  membres  malades.  Je  ne  puis  que  je  n'admire 
comme  vous  en  êtes  revenue,  eu  égard  à  votre  faiblesse 
ût  à  la  délicatesse  de  votre  tempérament  ;  mais  Dieu 
V^\  veut  encore  augmenter  vos  mérites,  vous  laissant 
^vre  dans  de  si  grandes  infirmités,  vous  a  donné  de 
OOQvelles  forces  pour  soulager  les  infirmes  mêmes. 

Je  savais  déjà  la  mort  de  ma  chère  Mère  de  Saint- 
Alexis,  mais  je  vous  avoue  quen  lisant  le  récit  que  vous 


284  LETTRES 

m'en  faîtes,  j'en  ai  été  paissamment  attendrie.  Votre 
Commanaaté  a  beaucoup  perdu  en  perdant  an  si  digne 
sujet  ;  mais  notre  bon  Diea  qai  ne  regarde  qae  sa  gloire 
et  le  bien  de  ses  élas,  a  voulu  attirer  à  lui  cette  âme 
candide,  innocente  et  si  aimable,  afin  de  la  faire  parti- 
ciper aux  délices  de  sa  gloire  aux  dépens  des  doulean 
qu'en  doivent  ressentir  nos  chères  Mères  et  ses  amies. 
Je  n'ai  eu  garde  de  l'oublier  après  sa  mort,  elle  me 
touchait  de  trop  près  durant  sa  vie,  aussi  bien  que  nos 
bonnes  Mères  vos  chères  défuntes,  à  qui  notre  Comma- 
nauté  a  rendu  ses  devoirs. 

Vous  avez  raison  de  croire  que  j'ai,  envie  de  mourir 
en  cette  nouvelle  Eglise;  car  je  vous  assure  que  mon 
cœur  y  est  tellement  attaché,  qu'à  moins  que  Dieu  ne 
l'en  retire,  il  ne  s'en  départira  ni  à  la  vie  ni  à  la  morL 
Vous  croyez  peut-être  que  ce  sont  les  filles  et  les  fem- 
mes sauvages  qui  nous  retiennent;  mais  je  vous  dirai 
ingénument  mes  sentiments  à  ce  sujet.  II  est  vrai 
qu'encore  que  notre  clôture  ne  me  permette  pas  de 
suivre  les  ouvriers  de  l'Evangile  parmi  les  nations  qui 
se  découvrent  tous  les  jours,  étant  néanmoins  incor- 
porée comme  je  suis  à  cette  nouvelle  Eglise,  Notre- 
Seigneur  m'ayant  fait  l'honneur  de  m'y  appeler,  il  me 
lie  n  fortement  d'esprit  avec  eux,  qu'il  me  semble  que 
je  les  suis  partout  et  que  je  travaille  avec  eux  en  de  si 
riches  et  si  nobles  conquêtes.  Lorsque  nous  sommes 
arrivés  en  ce  pays,  tout  était- si  rempli,  qu'il  semblait 
aller  croître  en  un  peuple  innombrable;  mais  après 
qu'ils  ont  été  baptisés.  Dieu  les  a  appelés  à  lui,  ou  par 
des  maladies,  ou  par  la  main  des  Iroquois.  C'est  peut- 
être  son  dessein  de  permettre  leur  mort  de  peur  que 
la  malice  ne  changeât  leur  cœur.  Il  y  en  a  pourtant  encore 
un  grand  nombre,  mais  c'est  peu  en  comparaison  de  ce 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION .  285 

qui  était,  car  de  vingt  à  peine  en  est-il  resté  un.  Ce 
n'est  donc  pas  à  leur  endroit  que  nous  sommes  le  plus 
occupées,  quoique  nous  fassions  notre  devoir  à  leur 
égard  tant  au  dedans  qu'à  la  grille  et  aux  autres  occa- 
sions, notre  monastère  étant  le  refuge  de  celles  qui 
sont  en  danger  de  faire,  naufrage  dans  la  Foi  avec  leurs 
maris  ou  leurs  parents  infidèles  ;  mais  c'est  à  Tendroit 
des  filles  françaises  ;  car  il  est  certain  que  si  Dieu  n*eût 
amené  des  Ursulines  en  ce  pays,  elles  seraient  aussi 
sauvages,  et  peut-être  plus  que  les  sauvages  mêmes. 
Il  n'y  en  a  pas  une  qui  ne  passe  par  nos  mains,  et  cela 
réforme  toute  la  colonie  et  fait  régner  la  religion  et  la 
piété  dans  toutes  les  familles.  Outre  que  Ton  a  institué 
en  ce  pays  une  Congrégation  de  la  Sainte-famille  pour 
la  réformation  des  ménages,  dans  laquelle  les  hommes 
sont  conduits  par  les  révérends  Pères,  les  femmes 
associées  par  des  Dames  de  piété,  et  les  filles  jusqu'à 
ce  qu'elles  soient  mariées,  par  les  Ursulines.  Elles  se 
rangent  les  dimanches  chez  nous,  où  une  de  nous  a  le 
soin  de  leur  faire  Tinstruction,  dans  laquelle  on  ne  fait 
que  conserver  en  elles  les  sentiments  et  les  pratiques 
qu'on  leur  avait  déjà  enseignés  dans  le  séminaire. 
Yoilà,^  outre  nos  sauvages,  les  liens  qui  me  lient  à  la 
sainte  volonté  de  Dieu  ;  outre  que  le  pays,  qui  se  peuple 
beaucoup,  nous  donnera  encore  bien  de  la  pratique  en 
peu  de  temps,  soit  à  Québec,  soit  ailleurs. 

Mais  je  reviens  à  vous,  ma  très-chère  Mère,  et  à  ce 
qui  vous  regarde.  Tous  vos  proches  me  touchent  de 
prôs,  et  le  sujet  qui  vous  afflige  m'afflige.  J'en  ai  eu  la 
eonnaissance  dans  ce  bout  du  monde,  où  je  vous  dirai 
que  nous  avons  entrepris  de  faire  l'espace  de  dix 
semaines  de  grandes  dévotions  et  de  grandes  pénitences 
en  Ihonneur  de  la  passion  de  Notre-Seigneur,  afin  qu'il 


286  LRTTRKS 

plaise  à  sa  bonté  d'y  mettre  ordre,  et  d'opérer  le  salât 
de  qui  vous  pouvez  juger  :  et  indépendamment  de  tout 
cela,  j*ai  encore  en  mon  particulier  cette  affaire  fort 
à  cœur.^  Consolez- vous  donc,  mon  intime  Mère,  sous 
cette  pesante  croix.  Continuez  -  moi  votre  charitable 
affection,  je  vous  en  supplie,  et.de  me  regarder  proche 
de  vous  quand  vous  êtes  devant  Notre-Seignear,  car 
quelque  éloignée  que  je  sois  de  vous,  je  serai 
votre.... 

De  Québec,  le  19  août  1664. 


LETTRE  CLXVIII. 

A    UNE   URSULINE   DE   TOURS. 

Nouvel  éloge  de  la  Mère  Marie  de  Saiut- Joseph. 

Ma  révérende  Mère, 

Vous  me  témoignez  de  la  joie  de  ce  que  j'ai  mandé 
Tannée  dernière  à  votre  sœur  religieuse  du  Calvaire, 
touchant  la  découverte  de  la  Mère  Marie  de  Saint-Joseph^ 
votre  sœur  et  la  sienne,  et  ma  très-chère  et  très-fidèla 

(1)  11  s'agissait  de  la  fameuse  Madame  de  la  Vallière,  alors  le  scandale  de 
France  et  de  l'Europe  entière,  et  parente  de  la  religieuse  de  Tours  à  laqnell 
écrit  la  vénérable  Mère.  Ce  fut  pour  obtenir  sa  conversion  que  les  Ursalii 
de  Québec  tirent  dix  semaines  de  grandes  dévotions  et  de  grandes  péuitence^ 
outre  que  la  Mère  de  l'Incarnation  avait  en  son  particulier  cette  affaire  tort 
cœur.  Or,  on  sait  que  Madame  de  la  Vallière  se  fit  carmélite  et  mourut  ap 
avoir  passé  trente-cinq  ans  dans  la  pénitence  et  les  austérités  du  cloître. 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DE  L'iNCARNATION.  287 

ipagne. ,  Je  vous  assure  que  je  ressens  tous  les  jours 
plaisir  singulier  dans  le  seul  ressouvenir  de  ses 
his,  et  de  la  douce  conversation  que  nous  avons  eue 
emble  lorsqu'elle  vivait  parmi  nous.  J'en  ressens 
ore  un  plus  grand  dans  le  sentiment  que  j*ai  de  sa 
3itë,  ne  doutant  point  qu'elle  ne  jouisse  de  Dieu  et 
sa  gloire.  Nous  avons  ici  une  sœur  qui  a  recours 
lie  en  tout  ce  qu'elle  entreprend,  et  elle  m'assure 
)lle  ne  lui  recommande  rien  qu'elle  ne  l'obtienne  de 
u  en  sa  faveur.  Elle  lui  attribue  aussi  la  grâce  de 
vocation  religieuse,  qu'elle  dit  avoir  reçue  de  Dieu 
ses  prières,  en  levant  les  obstacles  qui  l'attachaient 
s  le  siècle.  Nous  expérimentons  très-souvent  son 
)urs  depuis  que  nous  sommes  sorties  d'une  affaire 
}-épineuse  que  nous  lui  avions  recommandée  auprès 
grand  saint  Joseph. 

^ous  me  demandez  une  chose  que  je  ne  vous  puis 
order,  puisqu'elle  n'est  pas  en  ma  puissance;  c'est 
cette  pâte  blanche,  qui  était  autour  de  son  corps, 
vous  dirai  que  comme  nous  avions  ouvert  son  cer- 
il  en  secret,  ayant  seulement  permission  de  le  chau- 
de lieu,  après  que  nous  eûmes  lavé  ses  ossements 
B  les  renfermâmes  aussitôt  avec  son  cœur  et  cette 
)  blanche  dans  un  double  cercueil  neuf.  Nous  réser- 
les  néanmoins  quelques  petits  ossements  dans  une 
;e,  parce  que  les  Mères  Hospitalières  qui  avaient 
li  changé  leurs  sœurs  défuntes  de  cercueil  et  de 
etière,  et  qui  nous  avaient  aussi  envoyé  de  leurs 
iments  pour  les  mettre  dans  un  coin  du  cercueil  de 
■e  chère  Mère,  nous  avaient  aussi  demandé  des  siens 
r  les  mettre  avec  ceux  de  leurs  sœurs,  pour  marque 
Tétroite  union  que  nous  avons  ensemble.  Nous  en 
D8  aussi  retenu  pour  nous  par  dévotion,  et  pour 


288 

l'amour  qae  nooa  portons  à  cette  fidâic.  Epouse  de 
JiîsrjS'CfiaiST.  CTest  ce  qui  me  fit  dire  rannée  dernière 
à  votre  chère  sœar,  qae  j'avais  pensé  lai  en  enTojer 
pour  les  mettre  avec  les  siens,  quand  Notre-Seigneor 
l'appellerait  de  ce  monde. 

J'avais  la  même  pensëe  pour  ma  révérende  Mère  de 
Saint-Bernard,  parce  que  c'était  sa  chère  Mère  anni 
bien  que  la  mienne.  Mais  ayant  appris  qu'elle  avait 
payé  le  tribut  à  la  nature,  je  n'ai  pas  cm  devoir  passer 
plus  avant.  Non  que  j'eusse  la  pensée  d'envoyer  dei 
reliques  comme  d'une  sainte,  car  quelque  estime  qae 
nous  ayons  de  la  vertu ,  il  n'y  a  que  Dien  qui  sache 
assurément  si  elle  l'est,  ni  que  l'Eglise  qui  la  poisse 
déclarer  telle.  Mon  dessein  était  seulement  de  les 
envoyer,  afin  qu'on  les  conservât  comme  Ton  consene 
les  meubles  rares  que  l'on  a  hérités  des  personnes  que 
Ton  aime  beaucoup.  Pour  mon  particulier,  je  l'invoque 
tous  les  jours,  et  son  souvenir  m'est  en  bénédietioB, 
aussi  bien  qu'à  toutes  mes  sœurs.  Recevez  donc  ce  qoe 
je  vous  envoie  de  cette  très-chère  et  très-aimable  Sceor; 
et  je  vous  l'envoie  parce  que  vous  me  Tavez  demandé, 
car  je  n'aurais  osé  le  faire  autrement,  quelque  estiise 
i^ue  j*en  tasse,  et  si  persuadée  que  je  sois  que  la  ne 
'le  cette  chère  Mère  a  été  toute  cachée  en  J£sus*C!hrisi 
par  ia  grande  humilité,  par  sa  patience  héroïque,  psr 
.fa  ciortiâcaûon  continuelle,  et  par  sa  trôs-intime  onioB 
aT«ic  uieu.  Agréez,  s  il  vous  plaît,  le  très-humble  saint 
Ut  'xijiites  nos  soeurs,  et  le  mien  en  particulier. 


DE  LA  MÈRB  MARIB  DB  L*IN CARNATION.  289 


LETTRE   CLXIX. 


A   SON   FILS. 


de  M.  de  Tracy  &  Québec.  —  Il  se  disj^ose  à  combattre  les  Iroqaois. 
Divers  météores  et  phénomènes  qui  ont  paru  cette  année. 


Mon  très-cher  fils, 

nme  il  vient  cette  année  un  grand  nombre  de 
Baux  en  Canada,  qui  doivent  aussi  8*en  retourner 
'ance,  nous  avons  le  moyen  de  vous  donner  plus 
mt  et  plus  tôt  de  nos  nouvelles  que  les  années  der- 
B.  Il  en  est  déjà  arrivé  cinq,  dont  deux  sont  partis 
8*en  retourner,  et  un  troisième  doit  lever  l'ancre 
deux  jours,  M.  de  Tracy,  lieutenant-général  pour 
ajesté  dans  toute  l'Amérique,  est  arrivé  il  y  a  plus 
linze  jours  avec  un  grand  train  et  quatre  compa- 
,  sans  parler  de  deux  cents  hommes  de  travail 
ont  divisés  dans  les  vaisseaux.  Enfin,  il  doit  y 
deux  mille  personnes,  tant  en  ce  qui  est  venu 
ce  qui  reste  à  venir.  Les  compagnies  qui  sont 
ées  sont  déjà  parties  avec  cent  Français  de  ce 
et  un  grand  nombre  dé  sauvages,  pour  prendre 
rant,  s'emparer  de  la  rivière  des  Iroquois,  y  faire 
brts,  et  les  garnir  de  munitions.  L'on  fait  cepen- 
ici  un  grand  appareil  de  petits  et  de  grands 
LUX  plats  pour  passer  les  bouillons  de  l'eau  qui  se 
)ntrent  dans  les  sauts.  Les  provisions  de  vivres 

imu  M.  u.  19 


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>  '/;'^' iviH*i     41»  X vu -*t^aaiii  *r.  ia  TTanîîoa  vUaoîk 

«/^»,  /  i^'**y  »six:f  t:u  iMibfmuh,  afin  qiie  rien  ik  zudioi 
|ii«M  unttééft^f  itMxî  i:xi4(iition.  Il  a  fait  des  merràto 
ilfuia  li.a  îliid  i]ii  ïAniArUiHii,  OÙ  il  a  réduit  tout  le  monih 
.1  riitii'iuofUM'U  lin  ito)^  iKitiM  ocipérons  qu'il  ne  ferai* 
«ukImi  ilfihfl  iiMilan  loH  mitions  du  Canada.  Voilà  Fétll 
lU»^  flu^p^iq  pnur  In  ^tuivortuMUont  des  hommes. 

»\mu   *M^lni  ilo  hiou,  lo   IS  d«s>  décembre  de  Y 
. ^M^^^,Mv.  ^1  ï^juu<  mu<>  iMnuM<*  A  Oa;>iwo,  vers  l'heure  de 
fv.  .  î  •      .n.;^i.^ii,^  jx-^ruJ  ,iusi^ui  s'jc  beciKs  du  matin 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  291 

• 

continaa  quelque  temps.  L'étoile  ou  la  tête  de  ce 
étéore  paraissait  carrée,  sa  queue  était  comme  des 
lyoDS  qui,  par  saillies,  semblaient  jeter  des  influences 
mcer  des  vapeurs).  Ces  rayons  étaient  tournés  du 
M  de  la  terre  entre  le  -nord  et  le  nord-ouest.  Elle 
ontait  encore,  et  venant  du  côté  du  sud,  elle  portait 
i  queue  à  côté  d'elle.  On  a  remarqué  qu'un  matin  on 
i  vit  porter  sa  queue  du  côté  du  sud,  puis  elle  sembla 
mber  à  terre,  et  ses  rayons  tournés  vers  le  ciel, 
dpuis  ce  temps-là  elle  n'a  plus  paru.  Le  même  jour 

soleil  a  paru  en  se  levant  entouré  d'un  iris  (arc-en- 
el)  avec  ses  couleurs  ordinaires  ;  et  une  vapeur  noire 
^rtit  du  soleil,  et  de  cette  vapeur  un  bouton  de  feu. 
Le  vingtième  de  décembre,  sur  les  trois  heures  après 
idi,  l'on  vit  paraître  trois  soleils  éloignés  les  uns  dés 
itres  d'environ  un  quart  de  lieue  ;  ils  ont  duré  environ 
le  demi-beure,  puis  ils  sont  venus  se  rejoindre  au 
^leil  ordinaire. 

L'on  a  encore  senti  la  terre  trembler  plusieurs  fois 
n  ces  quartiers,  mais  légèrement  et  assez  peu  de 
rmps.  Â  Tadoussac  et  dans  les  forêts  voisines  elle  a 
femblé  plus  souvent,  et  aussi  fortement  qu'elle  ât 
;.7  a  deux  ans. 

Le  deuxième  de  janvier,  l'on  découvrit  une  seconde 
Uttète  semblable  à  la  première.  Sa  queue  était  longue 
*  soixante  pieds  ou  plus  ;  elle  différait  de  la  première 
Q  ce  qu'elle  portait  sa  queue  devant  elle.  Il  en  a  paru 
De  troisième  au  mois  de  février,  presque  semblable, 
icepté  qu'elle  portait  sa  queue  après  elle,  et  qu'elle 
iraissait  le  soir,  sur  les  six  heures,  au  lieu  que  les 
lires  paraissaient  le  matin.  * 

L'on  a  vu  plusieurs  fois  des  feux  voler  par  l'air.  Ce 
nt  peut-être  des  restes  des  tremblements  de  terre. 


292  LETTRES 

laquelle  étant  demeurée  ouverte  en  plusieurs  endroits. 
E  laissé  aux  feux  souterrains  des  issues  libres  pour 
s'élever  en  l'air.  On  a  aussi  remarqué  une  espèce  de 
dard  fort  élevé  en  l'air  ;  et  parce  qu'il  était  directemeit 
entre  nous  et  la  lune,  en  sorte  qu'il  semblait  qu'il  f&t 
dans  la  lune  même,  il  y  en  a  qui  ont  cm,  et  qui  est 
dit,  qu'on  avait  vu  la  lune  percée  d'une  flèche/ 

Les  Iroquois  ont  fait,  l'hiver  et  au  printemps,  pla- 
sieurs  meurtres  sur  Jes  Français  et  sur  les  sauvages,. 
tant  à  Montréal  que  dans  les  bois. 

Quelques  Algonquins  Nipisiriniens  venant  ici  eai 
traite  au  nombre  de  vingt-cinq  canots,  eurent  prise 
avec  les  Iroquois,  qui  leur  vinrent  à  la  rencontre. 
Quelques-uns  d'entre  eux,  qui  fhrent  pris  et  emmenés, 
s'étant  sauvés  depuis,  ont  rapporté  que  les  Iroqaoii 

(1)  Le  Père  Le  Mercier,  Jésuite,  dans  sa  Relation  de  1665,  après  afoir  déoit 
la  position  et  la  marche  des  comètes  dont  parle  la  Mère  de  rincamation,  s'expiÎBi 
comme  il  suit  relativement  à  divers  météores  et  tremblements  de  terre. 

«  Le  27  décembre  1664,  la  lune  se  fit  voir,  après  minait,  d'ope  façon  bisi 
*  surprenante  :   car  la  moitié  était  rouge  comme  du  sang,  et  l'autre  moilié  a 
lumineuse  qu'elle  éblouissait  les  yeux. 

1*  Le  19  janvier  1665,  sur  les  cinq  heures  trois  quarts  dn  soir,  on  enteoditi 
comme  sortant  de  sous  terre,  un  son  qui  fut  pris  pour  un  coup  de  canes.  l\i^ 
entendu  par  des  personnes  éloignées  de  trois  ou  quatre  lieues  les  unes  des  totni-  1^^ 
Un  demi-quart  d'heure  après,  il  parut  sur  Québec  un  globe  de  feu  qui  ne  fit  9* 
passer  et  qui  répandait  une  si  vive  lumière,  que  Ton  voyait  conmie  en  pliifl  j^'^ 
des  maisons  éloignées  de  deux  lieues.  |^ 

»  Dans  la  suite  de  Tannée  on  en  a  vu  plusieurs  autres  semblable!,  ttst  â 
Québec  qu'au-dessous  de  Tadoussac  et  dans  le  chemin  des  Trois- Rivières. 

1*  Outre  les  médiocres  tremblements  de  terre  et  des  bruissements  fréqocBti 
dans  les  côtes  voisines,  la  terre  a  tremblé  extraordinairement  àseptoabo» 
lieues  d'ici,  et  deux  ou  trois  fois  dans  une  même  nuit,  avec  une  extrême  fiolcoc^- 
Le  jour  de  saint  Mathias,  aux  environs  de  Tadoussac  et  à  la  Malbaye,  lei  trto* 
blements  de  terre  furent  si  fréquents,  que  les  sauvages  et  on  de  nos  Pères  qB 
hivernait  de  ce  côté-là  avec  eux,  assurèrent  qu'ils  n'étaient  pas  moins  viol^^ 
que  cens  qui  se  firent  sentir  en  1663.  •• 

Voir  oe  qUe  noua  Avona  dit  après  la  Lettre  GLIX,  ci-dessus,  page  226. 


'a 


I 


f 

DE  LA  MâRB  MARIE  DE  L'INCARNATION.  293 

stient  transporté  leur  principal  village  de  l'autre  côté 

la  riviôre,  et  que  quand  leurs  femmes  vont  aux 

amps  pour  travailler,  il  y  a  toujours  quelque  nombre 

Qsidérable  douleurs  jeunes  guerriers,  qui  les  devan- 

it  et  qui  les  gardent  durant  leur  travail.  Cette  pré- 

ation  nous  fait  croire   qu'ils  sont  avertis  que  les 

ançais  ont  dessein  de  leur  faire  la  guerre.  Ce  ne  sont 

18  les  Hollandais  qui  sont  leurs  voisins,  mais  bien 

Anglais,  qui  se  sont  rendus  les  maîtres  de  tout  ce 

lis  possédaient  et  qui  les  ont  chassés.  Cette  conquête 

it  faite  par  ceux  de  la  Nouvelle-Angleterre,  qui  sont 

(Tenus  si  forts,  qu'on  dit  qu'ils  sont  plus  de  quarante 

Ile.  Ils  reconnaissent  le  roi  d'Angleterre  pour  leur 

nce ,  mais  ils  ne  veuleiit  pas  en  être  tributaires. 

i  habitant  d'ici,  mais  qui  n'y  était  pas  bien  vu,  parce 

e  c'était  un  esprit  de  contradiction  et  de  mauvaise 

meur,  se  retira  chez  les  Anglais  il  y  a  environ  deux 

,  et  leur  donna,  à  ce  que  l'on  croit,  la  connaissance 

beaucoup  de  choses  du  pays  des  Iroquois,  et  du 

id  profit  qu'ils  en  pourraient  tirer  pour  la  traite, 

en  étaient  les  maîtres.  On  croit  que  ce  peut  être 

lison  qui  les  a  portés  à  attaquer  la  Nouvelle-Hol- 

).  Voilà  ce  que  nous  avons  pu  apprendre  de  nou- 

jusqu'à  ce  jour.  Je  vous  prie  de  ne  me  point 

r  en  vos  prières. 

î  Québec,  le  28  de  juillet  1665. 


LETTRE   CLXX. 

A   SON  FILS. 

Vision  par  laquelle  Dien  l'anit  dUpotte  &  •apport«r  lee  doolenn  iTniu  Ii»|m 
maladie.  —  Sa  Sddiité  et  la  patience  hérolquei  dan*  aea  donlenn.  —  Di 
I'dUIîU  d«a  tentation*.  —  Explication  de»  .trois  étMa  de  la  contenpUtioi 
passive. 

MoD  très-cher  fils. 

Je  reçus  l'année  dernière  nne  lettre  de  oonÛanoe  de 
votre  part,  à  laquelle  je  ne  pns  répondre  à  canse  (fane 
grande  maladie  dont  il  a  pla  à  la  divine  bonté  de  ms 
visiter.  Elle  a  darë  près  d'un  an,  et  je  n'en  sais  pu 
encore  bien  guérie,  mais  je  me  porte  beaaconp  mienx 
que  je  n'ai  fait.  Sa  divine  Majesté  m'y  a  disposée  d'ans 
manière  extraordinaire  et  tout  aimable,  en  sorte  que 
je  n'ai  pas  été  prise  au  dépourvu.  Vous  serez  peut-être 
bien  aise  d'eu  savoir  l'origine  et  les  suites ,  je  vous 
les  dirai,  afin  que  vous  m'aidiez  à  louer  ses  divineB 
miséricordes. 

Avant  que  de  tomber,  je  vis  en  songe  Nôtre-Seigneur— 
attaché  à  la  croix  tout  vivant,  mais  tout  couvert  da» 
plaies  dans  toutes  les  parties  de  son  corps.  Il  gémissaïM 
d'une  manière  très-pitoyable  (attendrissante.)  étant  port^ 
par  deux  jeunes  hommes,  et  j'avais  une  forte  impresûoKS 
qu'il  allait  chercher  quelque  âme  fidèle  pour  lui  demaïk.-' 
der  du  soulagement  dans  ses  extrêmes  douleurs.  Il  ïoe 
semblait  qu'une  honnête  dame  se  présentait  &  lot  poor  J 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  295 

• 

et  effet;  mais  peu  après  elle  lui  tourna  le  dos  et 
abandonna  dans  ses  souffrances.  Pour  moi,  je  le  suivis, 
9  contemplant  toujours  dans  ce  pitoyable  état,  et  le 
egardant  d'un  œil  de  compassion.  Je  n'en  vis  pas 
avantage,  mais  mon  mal  arrivant  là-dessus,  il  me 
emeura  dans  l'esprit  une  impression  si  forte  et  si 
ive  de  ce  divin  Sauveur  crucifié,  qu'il  me  semblait 
avoir  continuellement  devant  les  yeux,  mais  qu'il  ne 
ie  faisait  part  que  d'une  partie  de  sa  croix,  quoique 
les  douleurs  dussent  des  plus  violentes  et  des  plus 
isupportables. 

Le .  mal  commença  par  un  flux  hépatique  et  par  un 
panchement  de  bile  par  tous  les  membres  jusque 
ans  le  fond  des  os,  en  sorte  qu'il  me  semblait  qu'on 
le  perçât  par  tout  le  corps  depuis  la  tété  jusqu'aux 
ieds.  J  avais  avec  cela  une  fièvre  continue  et  une 
olique  qui  ne  me  quittaient  ni  jour  ni  nuit,  en  sorte 
^ue  si  Dieu  ne  m'eût  soutenue,  la  patience  me  serait 
iobappée,  et  j'aurais  crié  les  hauts  cris.  L'on  me  donna 
les  derniers  Sacrements,  que  l'on  pensa  réitérer  quel- 
que temps  après,  à  cause  d'une  rechute  qui  commença 
par  un  mal  de  côté  comme  une  pleurésie,  avec  une 
Dolique  néphrétique  et  de  grands  vomissements  accom- 
pagnés d'une  rétraction  de  nerfs  qui  m'agitait  tout  le 
orps  jusqu'aux  extrémités.  Et  pour  faire  un  assem- 
lage  de  tous  les  maux,  comme  je  ne  pouvais  durer 
n'en  une  posture  dans  le  lit,  il  se  forma  des  pierres 
BUS  les  reins  qui  me  causaient  d'étranges  douleurs, 
&DS  que  ceux  qui  me  gouvernaient  pensassent  que 
B  fût  un  nouveau  mal,  jusqu'à  ce  qu'une  rétention 
^^urine  le  découvrit.  Enfin  je  rendis  une  pierre  grosse 
^mme  un  œuf  de  pigeon,  et  ensuite  un  grand  nombre 
&e  petites.  L'on  avait  résolu  de  me  tirer  cette  pierre. 


296  LBTTRB8 

mais  entendant  parler  qu'on  y  vonlait  mettre  la  main, 
j'ens  recours  à  la  très-sainte  Vierge  par  un  Memarm 
que  je  dis  avec  foi,  et  au  môme  temps  cette  piem 
tomba  d'elle-même,  et  les  autres  la  suivirent. 

Cette  longue  maladie  ne  m'a  point  du  tout  ennuyée, 
et  par  la  miséricorde  de  notre  bon  Dieu  je  n'y  ai 
ressenti  aucun  mouvement  d'impatience,  j'en  dois  tonte 
la  gloire  à  la  compagnie  de  mon  Jtisus  crucifié,  son 
divin  Esprit  ne  me  permettant  pas  de  souhaiter  on 
moment  de  relâche  en  mes  souffrances,  mais  plutôt 
me  mettant  dans  une  douceur  qui  me  tenait  dans  la 
disposition  de  les  endurer  jusqu'au  jour  du  jugement 
Les  remèdes  ne  servaient  qu'à    aigrir  mon   mal  et 
accroître  mes  douleurs;  ce  qui  fit  résoudre  les  médeciDi 
de  me  laisser  entre  les  mains  de  Dieu,  disant  quêtant 
de  maladies  jointes  ensemble  étaient  extraordinaires,  et 
que  la  Providence  de  Dieu  ne  les  avait  envoyées  que 
pour  me  faire  souffrir.  Etant  donc  ainsi  abandonnée 
des  hommes,  toutes  les  bonnes  âmes  de  ce  pays  tai- 
saient à  Dieu  des  prières  et  des  neuvaines  pour  ma 
santé.  L'on  me  pressait  de  la  demander  avec  elles,  mais 
il  ne  me  fut  pas  possible  de  le  faire.,  ne  voulant  ni 
vie  ni  mort  que  dans  le  bon  plaisir  de  Dieu.  Mgr  notre 
digne  évêque  m'en  pressait  aussi,  et  je  lui  repartis 
que  j'étais  dans  l'impuissance  de  le  faire.  Ce  très-bon 
et  très-charitable  prélat  me  fit  l'honneur  de  me  visiter 
plusieurs  fois;  le  révérend  Père  Lallemant  me  rendit 
toutes  les  assistances  d'un  bon  père  ;  la  Mère  de  Saint- 
Âthanase,  notre  assistante,  quoiqu'elle  f&t  chargée  à  mon 
défaut  de  toute  la  maison,  voulut  être  mon  infirmière; 
et  ni  elle  ni  aucune  de  mes  sœurs,  quoiqu'elles  me  veil- 
lassent jour  et  nuit  avec  des  fatigues  incroyables,  ne  fat, 
par  la  miséricorde  de  Dieu,  ni  malade  ni  incommodée. 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  297 

A  prient  je  me  porte  beaucoup  mieux,  la  fièvre 
in*a  quittée,  sinon  qu'elle  mô  reprend  comme  font  mes 
douleurs;  et  toujours  il  me  reste  une  grande  faiblesse 
et  un  dégoût  avec  la  colique  continuelle  et  le  flux  hépa- 
tique, qui  ne  m'a  pas  encore  tout  à  fait  quittée.  Mais 
tout  cela  me  paraît  comme  des  roses  en  comparaison 
du  passé.  Je  marche  par  la  maison  à  l'aide  d'un  bâton. 
J'assiste  aux  observances,  excepté  à  l'oraison  qui  se 
fait  à  quatre  heures  du  matin,  parce  que  mes  maux 
me  travaillent  un  peu  en  ce  temps-là. 

Je  rends  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  vous  ait  aussi  rendu 
Yotre  santé,  et  des  sentiments  de  patience  qu'il  vous 
a  donnés  en  votre  maladie.  Pendant  le  cours  de  la 
mienne,  sa  divine  Majesté,  toujours  aimable  et  toujours 
pleine  de  bonté  en  mon  endroit,  m'a  fait  fa  grâce  et 
l'honneur  de  me  tenir  une  aussi  fidèle  compagnie  dans 
mes  souffrances  qu'au  temps  de  ma  santé  dans  les 
emplois  et  dans  les  affaires  qu'elle  désire  de  moi.  Quand 
une  âme  se  rend  fidèle  à  ses  desseins,  i\  la  conduit 
quelquefois  dans  un  état  où  rien  ne  la  peut  distraire, 
où  tout  lui  est  égal,  et  où,  soit  qu'il  faille  souffrir, 
soit  qu'il  faille  agir,  elle  le  fait  avec  une  parfaite  liberté 
des  sens  et  de  Tesprit,  sans  perdre  cette  divine  présence. 
Mais  venons  à  ce  qui  vous  touche. 

Vous  me  marquez  dans  votre  lettre  quelques  poîïits 
de  confiance  touchant  vos  croix  intérieures.  Je  vous 
en  ai  obligation,  car  je  vous  dirai  que  cela  m'a  servi 
pour  aider  une  âme  qui  s*est  adressée  à  moi,  qui  est 
dans  de  semblables  peines  depuis  cinq  ans.  Elles  ont 
commencé  par  les  mêmes  occasions,  mais  je  ne  sais  si 
elle  aura  la  même  fidélité  pour  combattre  et  pour  per- 
sévérer dans  son  combat,  parce  que  son  grand  mal  est 
que  la  volonté  est  attaquée;  et  elle  l'est  d'une  manière 


298  LBTTRB8 

si  violonte,  qu'elle  tombe  assez  souvent  sans  savoir  ce 
qu'elle  fait.  Cela  donne  bien  de  la  peine  à  son  directeur, 
qui,  pour  éviter  de  plus  grands  inconvénients,  la  prive 
souvent  de  communier,  et  quelquefois  assez  longtemps, 
ce  qui  la  porte  à  des  agitations  inconcevables  :  car  elle 
s'en  prend  à  Dieu  par  des  cris  et  des  paroles  qui  me  font 
frémir.  Ce  que  je  trouve  de  bon  en  cette  personne  est 
qu'elle  est  fidèle  à  découvrir  ses  plaies  au  médecin  de 
son  âme,  ce  qui  me  fait  espérer  que  Dieu  lui  fera  miséri- 
corde ;  et  d'ailleurs,  on  ne  peut  voir  une  personne  plus 
humble,  plus  douce,  plus  charitable,  plus  obéissante.  Les 
peines  de  N.  ne  sont  pas  de  cette  qualité,  elles  sont  dans 
l'imagination  et  dans  l'entendement,  où  elle  s'imagine 
qu'un  ou  plusieurs  démons  lui  parlent  continuellement, 
et  cette  imagination  la  trouble  quelquefois  de  telle  sorto 
qu'elle  croit  leur  répondre  et  leur  acquiescer,  ce  qui 
n'est  pas,  parce  que  sa  volonté  est  tellement  gagnée 
à  Dieu  que  le  démon  n'y  peut  faire  brèche.  Cette  grande 
croix  sera  sans  doute  la  matière  de  sa  sanctification, 
car  depuis  le  matin  jusqu'au  soir  elle  traite  avec  Dieu, 
lui  donnant  des  marques  de  sa  fidélité,  par  l'acquies- 
cement qu'elle  rend  à  son  esprit  et  à  sa  conduite  sur 
elle.  Mgr  notre  Evêque  n'a  point  de  crainte  à  son  égard, 
non  plus  que  le  révérend  Père  Lallemant,  à  cause  de 
sa  fidélité  au  regard  de  la  tentation,  et  de  sa  soumission 
au  regard  des  ordres  de  Dieu  ;  et  moi  j'ajoute,  à  cause 
des  bas  sentiments  de  son  esprit,  car  elle  s'estime  la 
plus  misérable  de  la  terre.  Elle  se  recommande  à  vos 
prières,  et  je  vous  la  recommande  particulièrement. 

Pour  vous,  je  bénis  Dieu  des  grâces  qu'il  vous  fait 
dans  la  vie  intérieure.  Oh!  que  c'est  un  heureux  par- 
tage d'y  être  appelé  et  de  s'y  rendre  fidèle!  Prenons 
courage  jusqu'au  bout  de  la  carrière.  Les  peines  que 


DE  I/A  MÊRB  BiARIB  DE  L'INCARNATION.  299 

VOUS  avez  expérimentées  vous  ont  fait  da  bien  ;  et  de 
plus  elles  vous  peuvent  beaucoup  servir  en  la  conduite 
des  âmes.  C'est  une  conduite  de  Dieu  assez  ordinaire 
de  faire  passer  par  de  grandes  épreuves  ceux  dont  il  se 
veut  servir  dans  la  conduite  des  autres,  aûn  qulls  con- 
naissent les  maladies  de  leurs  inférieurs  par  leur  expé- 
rience,  et  qu'ils  y  apportent  des  remèdes  plus  propres 
et  plus  convenables. 

Dans  la  même  lettre  à  laquelle  je  réponds,  vous  me 
parlez  de  quelques  points  d'oraison  qui  spnt  assez 
délicats.  Je  vous  y  répondrai  autant  que  ma  faiblesse 
me  le  pourra  permettre.^  Je  vous  dirai  donc,  selon  mon 
petit  jugement,  qu'en  matière  d'oraison  surnaturelle, 
car  c'est  celle  dont  vous  m'entretenez,  je  remarque  trois 
états  qui  se  suivent  et  qui  ont  leur  perfection  particu- 
lière. Il  y  a  des  âmes  qui  ne  passent  pas  plus  avant  que 
le  premier;  d'autres  sont  élevées  jusqu^au  second;  d'au- 
tres enfin  parviennent  heureusement  jusqu'au  troisième. 
Mais  en  chacun  de  ces  états,  il  y  a  divers  degrés  ou 
opérations,  où  le  Saint-Esprit  les  élève  selon  quil  lui 
plidt  pour  sa  plus  grande  gloire  et  pour  leur  perfection 
particulière,  toujours  avec  des  caresses  qui  n'appar- 
tiennent qu'à  un  Dieu  d'une  bonté  infinie. 

Le  premier  état  est  l'oraison  de  quiétude,  où  l'âme 
qui  dans  ses  commencements  avait  coutume  de  s'occu- 
per à  la  considération  des  mystères,  est  élevée  par  un 
attrait  surnaturel  de  la  grâce,  en  sorte  qu'elle  s'étonne 
elle-même,  de  ce  que,  sans  aucun  travail,  son  enten- 
dement soit  emporté  et  éclairé  dans  les  attributs  divins, 
où  il  est  si  fortement  attaché  qu'il  n'y  a  rien  qui  l'en 


fX)   Voir  une  explication  plus  détaillée  de  ces  divers  genres  d'oraison,  ou  états 
^  M*MMX»m,  dans  notre  Vie  de  la  vénérable  Mère,  chap.  II,  III  et  IV. 


300  LETTRES 

puisse  séparer.  Elle  demeure  dans  ces  illnstrations  saoa 
qu'elle  puisse  opérer  d'elle-même,  mais  elle  reçoit  et 
pâtit  (éprouve  d  une  manière  passive)  les  opérations  de 
Dieu,  autant  qu*il  plaît  à  sa  divine  bonté  d*agir  en  elle 
et  par  elle.  Après  cela  elle  se  trouve  comme  une  éponge 
dans  ce  grand  océan,  où  elle  ne  voit  plus  par  distinction 
les  perfections  divines  ;  mais  toutes  ces  vues  distinctes 
sont  suspendues  et  arrêtées  en  elle,  en  sorte  qu'elle  ne 
sait  plus  rien  que  Dieu  en  sa  simplicité,  qui  la  tient 
attachée  à  ses  divines  mamelles.  L*âme  étant  ainri 
attachée  à  son  Dieu  comme  au  centre  de  son  repos 
et  de  ses  plaisirs,  attire  facilement  à  elle  toutes  ses 
puissances,  pour  les  faire  reposer  avec  elle.  D*oti  elle 
passe  à  un  silence  où  elle  ne  parle  pas  même  à  celui 
qui  la  tient  captive,  parce  qu'il  ne  lui  en  donne  ni  la 
permission  ni  le  pouvoir.  Ensuite  elle  s'endort  avec 
beaucoup  de  douceur  et  de  suavité  sur  ces  mamelles 
sacrées,  ses  aspirations  néanmoins  ne  reposent  point, 
mais  plutôt  elles  se  fortifient  tandis  que  tout  le  reste 
se  repose,  et  elles  allument  dans  son  cœur  un  feu  qai 
semble  la  vouloir  consumer;  d*où  elle  entre  dans  rioac- 
tion  et  demeure  comme  pâmée  en  celui  qui  la  possède. 
Cet  état  d'oraison,  c'est-à-dire,  l'oraison  de  quiétude, 
n'est  pas  si  permanent  dans  ses  commencements,  que 
l'âme  ne  change  quelquefois  pour  retourner  sur  les 
mystères  du  Fils  de  Dieu  ou  sur  les  attributs  divins; 
mais  quelque  retour  qu'elle  fasse,  ses  aspirations  sont 
beaucoup  plus  relevées  que  par  le  passé,  parce  que  les 
opérations  divines  qu'elle  a  pâties  dans  sa  quiétude 
l'ont  mise  dans  une  grande  privante  avec  Dieu,  sans 
travail,  sans  effort,  sans  étude,  mais  seulement  attirée 
par  son  divin  çgiprii  Si  elle  est  fidèle  dans  la  pratique 
des  TidaMaiÉÉiHI::demuide  d'elle,  elle  passera  oatre 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATIQN.  301 

et]  elle  entrera  plus  avant  dans  le  divin  commerce  avec 
son  bien-aimé.  Cette  oraison  de  quiétude  durera  tant 
qa*ii  plaira  à  Celui  qui  agit  sur  Tâme  ;  et  dans  la  suite 
de  cet  état  il  la  fera  passer  par  diverses  opérations, 
qui  feront  en  elle  un  fond  qui  la  rendra  savante  en  la 
science  des  Saints,  quoiqu'elle  ne  les  puisse  distinguer 
par  paroles,  et^  qu'il  lui  soit  difficile  de  rendre  compte 
de  ce  qui  se  passe  en  elle. 

Le  second  état  de  l'oraison  surnaturelle,  est  l'oraison 
d'union,  dans  laquelle  Dieu,  après  avoir  enivré  l'âme 
des  douceurs  de  l'oraison  de  quiétude,  l'enferme  dans 
les  celliers  de  ses  vins  pour  introduire  en  elle  la  parfaite 
charité.  (Gant.  i.  4.)  En  cet  état,  la  volonté  tient  l'empire 
8ur  l'entendement,  qui  est  tout  étonné  et  tout  ravi  des 
richesses  qu'il  voit  en  elle;  et  il  y  a,  ainsi  qu'au  pré- 
cédent, divers  degrés  qui  rendent  l'âme  un  même  esprit 
avec  Dieu.  Ce  sont  des  touches,  des  paroles  intérieures, 
des  caresses  d'où  paissent  les  extases,  les  ravissements, 
les  visions  intellectuelles,  et  d'autres  grâces  très-subli- 
mes qui  se  peuvent  mieux  expérimenter  que  dire,  parce 
que  les  sens  n'y  ont  point  de  part,  l'âme  n'y  faisant  que 
pâtir  et  souffrir  ce  que  le  Saint-Esprit  opère  en  elle. 
Quoique  le  sens  ne  peine  pas  en  cet  état  comme  il  faisait 
dans  les  occupations  intérieures  qui  ont  précédé  l'oraison 
de  quiétude,  l'on  n'y  est  pas  néanmoins  entièrement 
libre,  parce  que  s'il  arrive  que  l'âme  veuille  parler  au 
dehors  de  ce  qu'elle  expérimente  dans  l'intérieur,  l'esprit 
qui  la  tient  occupée  l'absorbe,  en  sorte  que  les  paroles 
lai  manquent,  et  les  sens  mêmes  se  perdent  quelquefois. 

Il  se  fait  encore  un  divin  commerce  entre  Dieu  et 

* 

rame  par  une  union  la  plus  intime  qui  se  puisse  ima- 
0ner,  ce  Dieu  d'amour  voulant  être  seul  le  Maître 
aI>iolu  de  l'âme  qu'il  possède. et  qu'il  lui  plaît  de  caresser 


<■  (>»lll 


l'IOF  LKTTRR8 

H  (rhnnornr  do  lu  Morte,  ot  no  pouvant  soofirir  qae  rien 
prnnnn  pnrt  i\  ootto  jouiasance.  Si  la  personne  a  de 
l^rnndnii  onnupuiions,  ollo  y  travaille  sans  cesser  de 
pAtir  00  (|un  Dion  fait  on  elle.  Cela  même  la 
pnroo  quo  les  Rona  tétant  oecupds  et  divertis  t 
I  Âmo  on  ont  plus  libre.  IVautres  fois  les 
porolloA  ot  la  vie  inAme  lui  sont  extrêmement 
A  oauffo  du  commorce  qu  elles  1  obligent  daroar  swlrn 
ori^aturoA  :  elle  $*en  plaint  à  son  bien-aimé« 
do«  part^los  do  rKpouse  sacnîe  :  Fuyons,  num  h 
^llm^:  À  fMirf,  ^Oaxt.  7.  IL^  Ce  sont  des  plaTtit»; 
ix^ui^o»  qui  (Ta^oiit  le  cœur  de  llSponx  pour  iaxpt  h 
Kpou^  do  nouvelles  caresses  qui  ne  se  pBxz^en; 
mor  ;  A  il  somMo  qu'il  la  confirme  dans  sbe 
plu»  excellentes,  et  que  les  paroles  cjn'il  & 
dites  A  ses  apôtres  soient  accomplies  en  elle. 
oft>1  e^les  le  sont  au  fond  de  Tame  :  Si  aueUn: 
if  r^fimrrai-^  ei  wfm  P/rr  T  aimera  :  noua  «taurroa.  as.  uir 
V  fiTTfmsi  fwr'Y  à/inwurr.  .tloAX.  14,  zîS,  L'âniÊ.  ôi^-Sk.. 
rinoente  ceu^  Tcnié,  d  où  naît  le  iroisiàme  ^ttTû 
qui  ess  le  mariaire  sninr-nel  et  iLystiout. 

Oe  troisième  éia;  de  l'ûraisoL  passive  on 
^w  If  pins  snhhiite  ùi  Txtns.  Les  sens  t  son: 
îihr»,  onc  l'iimt  du:  t  es;  narvenne  '^^  ^dsc~  ac 
distrartinr.  aimB  ]&  emnioif  ot  se  condluoi  1 
1i  lu:  tau:  néannininf  avoir  xxl  irram.  coxnss 
que  la  natun  aernenr^  uênuée  de  ton:  b«!ox7^ 
du  cMî-  lit  Vamt.  I)ieL  ^éianT  leliemeiî'  emBar^  tèL 
orJil  es;  commt  u  lonc  ut  st  suQstanc^.  Oe  r.i.;*r»«» 
fssi  s:  sunti.  e:  î.  diTiL   qiu  ]ùl  Ijûl  tiSc:  luirir-^yic» 
i.  iaiii.  w^as:  m  éi^:  ;.-3Tmanen:  on  i'anse  e^nifin^c-* 
i».i  îraii.rjîii--   i:  son-  iîui  nei  n^  ;;.  pec  oicrrtn  * 
siMirar^  £;  Êe^  resiir*-  éon:  l  sol  oieir-Aunr  -ûaiL^-tr* 


:-«»*^i  >*i 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION  .  303 

épnrë  de  tout  mélange,  autant  qu'il  le  peut  être  en  cette 
vie  ;  et  par  ces  mêmes  respirs  elle  lui  parle  sans  peine  de 
ses  mystères  et  de  tout  ce  qu'elle  veut.  Il  lui  est  impos- 
sible de  faire  les  méditations  et  les  réflexions  ordinaires, 
parce  qu'elle  voit  les  choses  d'ua  simple  regard,  et  c'est 
ce  qui  fait  sa  félicité  dans  laquelle  elle  peut  dire  :  Ma 
demeure  est  dans  la  paix.  (Ps.  75.  3.)  Elle  expérimente  ce 
que  c'est  que  la  véritable  pauvreté  d'esprit,  ne  pouvant 
vouloir  que  ce  que  la  divine  volonté  veut  en  elle.  Une 
chose  la  fait  gémir,  qui  est  de  se  voir  en  cette  vie  sujette 
.  à  l'imperfection,  et  d'être  obligée  de  porter  une  nature 
.  si  corruptible,  encore  que  ce  soit  ce  qui  la  fonde  dans 
l'humilité.  * 

Je  reviens  au  sujet  qui  m'a  fait  faire  cette  digression, 
et  je  dis  que  quand  une  âme  est  parvenue  à  ce  dernier 
état,  ni  l'action  ni  les  souffrances  ne  la  peuvent  distraire 
ou  séparer  de  son  bien-aimé.  S'il  faut  souffrir  les  dou- 
leurs de  la  maladie,  elle  est  comme  élevée  au-dessus 
du  corps,  et  elle  les  endure  comme  si  ce  corps  était 
^  séparé  d'elle-même,  ou  comme  s'il  appartenait  à  un  autre. 
Voilà,  ce  me  semble,  mon  très-cher  flls,  les  points  que 
,  -vous  m'avez  proposés,  auxquels  je  vous  réponds  selon 
^  ma  petite  expérience.  Je  ne  sais  pourtant  si  ce  que 
^:  fen  ai  dit  est  bien  à  propos,  tant  à  cause  de  mon  igno- 
"^  rance,  que  pour  mon  peu  de  loisir,  joint  à  ma  très- 
-^  grande  faiblesse,  qui  ne  me  permet  pas  de  faire  une 
^  application  forte  et  sérieuse  à  quoi  que  ce  soit. 


E:- 


De  Québec,  le  29  de  juillet  1665. 


I 

/ 


304  LETTRES 


LETTRE  CLXXI 


AU     MÊME. 


Elle  témoigne  le  plaisir  qu'elle  a  de  le  voir  religieux.  —  Jalousie  des  geni  ds 
monde  contre  les  religieux  et  les  serviteurs  de  Dieu.  —  Effets  mirtcuieiiz 
arrivés  par  la  dévotion  à  la  Sainte-Famille. 


Mon  très-cher  fils, 

Je  vous  ai  déjà  donné  avis  par  mes  dernières  lettres 
que  j'ai  reçu  trois  des  vôtres  cette  année.  J'ai  été  bien 
consolée  d'apprendre  votre  meilleure  disposition.  Et 
moi  je  vous  dis  que  je  sors  d'une  maladie  mortelle  qui 
a  duré  une  année  entière.  Notre-Seigneur,  qui  m'en 
a  tirée  par  sa  bonté,  sait  si  ce  sera  pour  longtemps.  A 
présent  que  je  vous  écris,  je  me  porte  beaucoup  mieux, 
en  sorte  que  j'assiste  aux  exercices  de  la  régularité.  Je 
suis  encore  faible,  mais  comme  je  suis  d'un  bon  tem- 
pérament, je  surmonte  les  difficultés  sans  m'en  trouver 
plus  mal,  mais  plutôt  je  sens  que  par  ces  petits  efforts 
mes  forces  se  rétablissent. 

Par  la  grande  lettre  que  je  vous  ai  écrite  il  y  a  pea 
de  temps,  je  vous  ai  fait  le  récit  des  dispositions  de 
mon  intérieur  durant  cette  maladie.  Je  vous  fais  encore 
réponse  touchant  quelques  points  d'oraison  dont  vous 
me  parliez  l'année  dernière,  n'y  ayant  pu  satisfaire  pour 
lors  à  cause  de  ma  maladie,  je  tâche  de  m'en  acquitter 
autant  que  ma  faiblesse  le  peut  permettre.  Si  j'étais 


DE  LA  MËRE  MÂRIB  DE  L'INCARNATION.  $05 

che  de  vous,  mon  cœur  se  verserait  souvent  dans 
ôtre,  pour  m*entretenir  avec  vous  des  grandeurs  de 
pe  bien-aimé.  Car  je  ne  puis  exprimer  la  consolation 
mon  âme  de  savoir  que  vous  ne  voulez  aimer  que 

et  que  Fesprit  intérieur  vous  y  tient  lié  si  étroite-- 
it.  Je  vous  aime  plus  pauvre  religieux  que  si  vous 
z  monarque  de  tout  l'univers.  Vous  me  dites  que 
'on  exécute  dans  votre  Congrégation  le  statut  qui 
te  que  Ton  fera  des  cellules  séparées  pour  lès  reli- 
QX  qui  voudront  vivre  solitaires,  vous  serez  des 
miers  qui  se  présenteront  pour  les  remplir.  Je  ne 
is  pas  que  Dieu  demande  cela  de  vous.  Il  faut  à 
sent  vous  abandonner  à  sa  conduite  aux  dépens 
votre  repos.  Puisque  Dieu  donne  de  si  heureux 
grès  à  votre  Congrégation,  et  qu'il  se  présente  tant 
monastères  à  réformer,  elle  a  besoin  d'un  grand 
ttbre  d'ouvriers;  et  puisqu'il  vous  donne  l'esprit  de 
duite,  il  faut  que  vous  fassiez  profiter  son  talent 
ant  de  temps  que  l'obéissance  le  voudra  de  vous, 
lendant  soyez  supérieur  par  humilité,  et  commandez 

obéissance. 

>ans  vos  progrès  vous  souffrez  persécution;  c'est 
t-être  ce  qui  vous  fait  prospérer.  Que  ces  sortes 
persécutions  ne  vous  abattent  donc  point  le  courage, 
it  que  Dieu  aura  des  serviteurs  sur  la  terre,  le 
ade  leur  sera  toujours  contraire.  Nous  sommes  ici 
bout  du  monde,  et  nous  ne  laissons  pas  d'expéri- 
iter  cette  vérité.  On  ne  saurait  croire  combien 
l'y  est  trouvé  de  calomniateurs  contre  Mgr  notre 
lat,  contre  les  révérends  Pères,  contre  nous  et  contre 
werirs  personnes  de  mérite  ;  et  cela  pour  la  plupart 
plus  souvent)  à  cause  du  temporel.  L'on  a  écrit  des 
res  diffamatoires  qui  sont  allées  jusqu'au  roi,  qui 


LBTTR.  M.    IX. 


20 


306 

a  découTert  les  fourberies  des  calomniatears,  et  nimo- 
cence  des  senriteors  de  Dieo.  M.  de  Tracy,  qui  porte 
le  nom  de  Tice-roi  de  FAménque,  étant  arrivé,  a  va  ai 
clair  dans  ces  afiaires,  qnll  en  a  donné  an  second  avif 
au  roi,  en  suite  de  quoi  ceux  qn*on  avait  vooIq  abaisser 
par  pore  envie,  sont  estimés  pins  que  jamais,  et  leuv 
ennemis  humiliés  par  la  privation  de  leurs  charges. 

Nous  n'avons  pas  été  exemptes  de  ces  croix;  car 
on  a  voulu  nous  faire  perdre  nos  concessions,  disant 
que  nos  titres,  tout  confirmés  qu  ils  sont,  ne  soient  qae  • 
fourberies.  Cela  était  en  débat  au  temps  que  j'étais 
quasi  à  Textrémité.  Notre-Seigneur  néanmoins  me  fit 
la  grâce  de  me  donner  assez  de  forces  pour  écrire 
contre  ces  Messieurs.  J'envoyai  mes  papiers  à  M.  le 
Gouverneur,  le  suppliant  de  surseoir  cette  affaire  jusqu'à 
l'arrivée  de  M.  de  Tracy  qui  réglerait  les  choses  après 
en  avoir  pris  les  connaissances.  Il  m'accorda  cette 
grâce  malgré  ces  Messieurs,  qui  déclamaient  d'ane 
étrange  manière  contre  moi.  M.  de  Tracy  ayant  pris 
connaissance  de  l'affaire  nous  a  promis  sa  protection, 
et  il  attend  que  M.  llotendant  soit  arrivé  pour  régler 
toutes  choses.  Vous  voyez,  mon  très-cher  fils,  que  les 
serviteurs  de  Dieu  souffrent  partout,  mais  que  la  divine 
Majesté  prend  leur  cause,  et  le  temps  pour  la  faire 
réussir. 

Je  vous  dirai  avant  que  de  finir  celle-ci,  que  Notre- 
Seigneur  a  fait  paraître  cette  année  des  effets  extraor- 
dinaires de  sa  toute-puissance  par  des  miracles,  ou  du 
moins  par  des  effets  miraculeux,  qu'il  lui  a  plu  d'opérer 
par  l'invocation  de  la  Sainte-Famille.  Et  comme  quel* 
ques-uns  se  sont  faits  en  faveur  de  quelques  soldats 
français,  vous  ne  sauriez  croire  combien  la  dévotion 
à  cette  Famille  sainte  s'est  répandue  dans  toute  l'armée. 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION  .  307 

Je  me  réserve  de  vous  en  faire  le  détail  dans  une  autre 
lettre*  où  j'espère  vous  parler  des  préparatifs  à  la  guerre 
des  Iroquois.  Cependant  je  vous  supplie  de  demander 
à  Dieu  qu'il  me  donne  les  véritables  dispositions  qui 
me  sont  nécessaires  pour  l'éternité.  ' 

De  Québec,  le  30  août  1665. 


LETTRE   CLXXII. 

AU    MÊME. 

Bmbrasement  de  Téglise  et  du  fort  de  Tadoussac.  —  Accident  faneste  surTenu 
mux  Uraulines.  —  Arrivée  de  Tarmôe  française  à  Québec.  —  OrAces  obtenues 
par  la  dévotion  à  la  Sainte-Famille. 


Mon  très-cher  fils, 

Je  me  suis  don;ié  la  consolation  de  vous  écrire  plu- 
sieurs lettres.*  Par  celle-ci,  qui  est  la  quatrième,  je  vous 
dirai  que  Notre-Sjdigneur  nous  a  envoyé  cette  année 
des  sujets  d'affliction  aussi  bien  que  de  consolation 
et  de  joie.  Nous  venons  d'apprendre  que  le  fort  de 
Tadoussac  est  brûlé  par  accident  avec  l'église  et  la 
maison.  C'est  une  très-grande  perte,  parce  que  c'était 
une  retraite  pour  le  trafic  et  un  refuge  pour  les  Fran- 
çais et  pour  les  sauvages.  C'est  pourquoi  comme  il  n'y  a 
nulle  apparence  d'abandonner  les  uns  et  les  autres  aux 
incursions  des  ennemis,  je  crois  que  l'on  sera  obligé 
de  rétablir  le  tout  au  printemps  prochain. 

Depuis  quelques  jours  il  nous  est  arrivé  une  affaire 


308  LETTRES 

bien  épineuse.  Deux  de  nos  domestiques  ont  fait  on 
mauvais  coup,  d'où  il  s*est  ensuivi  la  mort  d*un  homme. 
Comme  cela  s*est  passé  dans  la  maison  où  nous  logeom 
nos  domtestiques,  de  neuf  qui  y  étaient  restés,  on  en 
enleva  six  tout  à  la  fois,  qu'on  mena  en  prison  dans 
le  château.  Trois  de  la  compagnie  étant  malades,  os 
les  laissa,  mais  on  y  envoya  une  garnison  de  soldats 
pour  les  garder.  Nous  en  avons  retiré  quatre  à  la  faveur 
de  nos  amis,  lesquels  ont  été  déchargés  aussi  bien  qae 
les  trois  malades.  L'on  diffère  le  jugement  des  deux 
autres,  jusqu'à  ce  que  l'on  ait  attrapé  les  deux  coupa- 
bles, qui,  après  avoir  fait  le  coup,  avaient  pris  la  fuite. 
Les  deux  qui  sont  en  prison  seraient  déjà  exécutés, 
sans  la  faveur   des   personnes    puissantes  que  nous 
employons,  afin  qu'on  ne  fasse  rien  sans  prendre  une 
véritable  et  entière  connaissance  du   mal.    Noos  ne 
pouvons  dire  encore  ce  qui  arrivera. 

Si  Dieu  nous  frappe  d'une  main,  il  nous  console  de 
l'autre.  Enfin  tous  les  vaisseaux  sont  arrivés,  et  nous 
ont  amené  le  reste  de  l'armée  avec  les  personnes  les 
plus  considérables  que  le  roi  envoie  pour  secourir 
le  pays.  Ils  ont  pensé  périr  tous  à  cause  des  tempêtes 
qui  les  ont  arrêtés  quatre  mois  dans  le  trajet.  Aux 
approches  des  terres,  impatients  d'une  si  longue  nayi* 
gation,  ils  ont  trop  tôt  ouvert  les  sabords  de  leurs 
navires,  ce  qXii  a  fait  que  l'air  y  étant  trop  tôt  entré, 
la  maladie  s'y  est  mise,  qui  a  causé  bien  de  la  désola- 
tion. D'abord  il  en  est  mort  vingt,  et  il  a  fallu  en  mettre 
cent  trente  à  Thôpital,  entre  lesquels  il  y  avait  plusieurs 
gentilshommes  volontaires,  que  le  désir  de  donner  leur 
vie  pour  Dieu  avait  fait  embarquer.  La  salle  de  l'hôpital 
étant  pleine,  il  en  a  fallu  mettre  dans  l'église,  laquelle 
étant  remplie  jusqu'aux  balustres,il  a  fallu  avoir  recours 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INGARNATION.  309 

aux  maisons  voisines,  ce  qui  a  extraordihairement 
fatigué  toutes  les  religieuses  «  mais  ce  qui  a  aussi 
excellemment  augmenté  leur  mérite. 

Les  vaisseaux,  quoiqu'en  grand  nombre,  étant  rem- 
plis d'hommes  et  de  bagage,  nos  nécessités  et  rafraî- 
chissements sont  demeurés  en  France  pour  la  plupart. 
Nous  en  serons  très-incommodées,  mais  il  faut  un  peu 
pâtir  avec  les  autres.  Je  bénis  Dieu  de  nous  avoir  mises 
dans  un  pays  où  plus  qu'en  aucun  autre  il  faut  dépendre 
de  sa  divine  Providence.  C'est  là  où  mon  esprit  trouve  sa 
consolation,  car  parmi  tant  de  privations  nous  n'avons 
encore  manqué  ni  de  vivres,  ni  de  vêtements,  mais 
plutôt  il  me  semble  dans  mon  cœur  que  nous  sommes 
toujours  trop  bien. 

Quant  au  reste  de  l'armée,  elle  est  en  bonne  réso- 
lution de  signaler  sa  foi  et  son  courage.  On  leur  fait 
comprendre  que  c'est  une  guerre  sainte,  où  il  ne  s'agit 
que  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des  âmes  ;  et  pour 
les  y  animer,  on  tâche  de  leur  inspirer  de  véritables 
sentiments  de  piété  et  de  dévotion.  C'est  en  cela  que  les 
Pètes  font  merveille.  Il  y  a  bien  cinq  cents  soldats  qui 
ont  pris  le  scapulaire  de  la  sainte  Vierge.  C'est  nous 
qui  les  faisons,  à  quoi  nous  travaillons  avec  bien  du 
plaisir.  Ils  disent  tous  les  jours  le  chapelet  de  la  Sainte- 
Famille  avec  tant  de  foi  et  de  dévotion,  que  Dieu  a  fait 
voir  par  un  beau  miracle  que  leur  ferveur  lui  est 
agréable.  C'est  en  la  personne  d*un  lieutenant,  qui  ne 
's'ëtant  pu  /trouver  à  l'assemblée  pour  le  réciter,  s'était 
retiré  dans  un  buisson  pour  le  dire  en  son  particulier. 
La  sentinelle  ne  le  distinguant  pas  bien,  crut  que 
c'était  un  Iroquois  qui  s'y  était  caché,  et  dans  cette 
créance  le  tire  quasi  à  brûle-pourpoint ,  et  se  jette 
aussitôt  dessus,  croyant  trouver  son  homme  mort.  Il 


310  LBTTRB8 

devait  Tétre  en  effet,  la  balle  loi  ayant  donné  dan^ 
la  tête  deux  doigts  au-dessus  de  la  tempe.  Mais  la 
sentinelle  fut  bien  étonnée  de  trouver  son  lieutenant 
à  terre  tout  en  sang  au  lieu  d'un  Iroquois.  On  le  prend, 
on  fait  son  procès  :  mais  celui  qu'on  croyait  mort  se 
leva,  disant  qu'il  demandait  sa  grâce,  et  que  ce  ne  serait 
rieii.  Et  en  effet  on  le  visita,  et  on  trouva  la  balle 
enfoncée  mais  Thonmie  sans  péril,  ce  qui  a  été  approuvé 
miracle.  Cette  occasion  a  beaucoup  augmenté  la  dévo- 
tion dans  l'armée,  où  les  révérends  Pères  de  la  Compa- 
gnie font  merveille.^ 

Nous  voyons  encore  d'autres  miracles  sur  les  dévots 
de  la  Sainte -Famille.  A  sept  lieues  d'ici  il  y  a  un  bourg 
appelé  le  Petit-Cap,  où  il  y  a  une  église  de  Sainte- Anne, 
dans  laquelle  Notre-Seigneur  fait  de  grandes  merveilles 
en  faveur  de  cette  sainte  Mère  de  la  très-sainte  Vierge. 
On  y  voit  marcher  les  paralytiques,  les  aveugles  recer 
voir  la  vue,  et  les  malades  de  quelque  maladie  que  oe 
soit  recevoir  la  santé.  Or  depuis  quelques  jours,  une 
personne  qui  avait  perdu  la  vue,  et  qui  avait  une  parti- 
culière dévotion  à  la  Sainte -Famille,  fut  menée  à  cett» 
chapelle  pour  demander  à  Dieu  sa  guérison  par  l'inter^ — 
cession  de  sainte  Anne.  Mais  cette  grande  sainte  n^ 
voulut  pas  lui  accorder  cette  grâce,  qu'elle  savait  êtr^i 
réservée  à  Tinvocation  de  la  Sainte-Famille.  On  Iv^ 
ramène  donc  à  Québec  devant  l'autel  de  cette  FamilteP 
sainte,  où  la  vue  lui  fut  rétablie.  Voilà  ce  qui  se  pasa^ 
à  présent  en  ces  quartiers.  Dieu  est  bon  et  miséricor-^ 
dieux  dans  tous  les  endroits  du  monde  envers  ceux  qojS 


(1)  Le  Père  Le  Mercier,  Jésuite,  dans  sa  Relation  de  1665,  racoote  le  oésxi^ 
fait  à  peu  prè8  dans  les  mêmes  termes.  Il  ajoute  d'autres  faits  non  moixB# 
frappantf» 


z 


DB  LA  MftRB  MARIB  DB  l'incarnation.  311 

le  veulent  aimer  et  servir.  Aimons-le  donc  de  tout  notre 
oœur;  servons-le  de  tout  notre  pouvoir,  et  il  versera 
sur  nous  ses  bontés  et  ses  miséricordes. 

De  Québec,  le  30  de  septembre  1665. 


LETTRE   ÇLXXIII. 


AU    MÊME. 


Naufrage  da  Vice- Amiral  retournant  en  France.  —  Le  pays  se  peuple  et  devient 

meilleur  de  jour  en  joar. 


':  Mon  très-cber  fils, 

rSi  les  lettres  que  je  vous  ai  écrites  cette  année  sont 
drivées  jusqu'à  vous,  c'est  ici  la  cinquième  que  vous 
!:     devez  avoir  reçue  de  moi.  Mais  je  suis  fort  en  doute 
"    90e  le  grand  nombre  que  j'ai  écrites  en  diverses  villes 
dô  franco  y  soient  arrivées,  parce  que  le  Vice-Amiral, 
^0  la  flotte  du  roi,  où  étaient  nos  plus  considérables 
'^Ponses  et  les  papiers  de  nos  plus  importantes  affafres, 
^  ^Eiit  naufrage  à  deux  cents  lieues  d'ici.  Ce  que  nous 
«av^c>ns  de  certain  de  cet  accident  est  qu'il  n'était  pas 
^<^ore  hors  des  terres,  qu'il  s'est  brisé  sur  des  roches, 
-  l'oint  le  monde  néanmoins  s'est  sauvé  à  la  réserve  d'un 
lûatidot.  L'on  a  pareillement  sauvé  une  bonne  partie 
du    iDagage,  ce  qui  me  laisse  quelque  espérance  que  nos 
lettrées  et  nos  mémoires  auront  échappé  du  naufrage. 
C^t  accident  arriva  la  nuit,  tout  le  monde  étant  couché 
^^  en  repos,  excepté  les  pilotes,  et  tout  d'un  coup  le 


312  LETTRES 

vaisseau  coula  à  fond  entre  deux  roches.  Il  y  avait 
trois  honnêtes  dames  qui  allaient  en  France  pour  leon 
affaires;  il  fallut  les  tirer  du  péril  par  des  poulies 
attachées  au  haut  du  mât,  puis  les  enlever  par  le 
moyen  des  cordes,  avec  des  peines  nonpareilles,  pour 
les  mettre  sur  des  roches.  Tous  se  sont  retirés  sar  les 
monts  de  Notre-Dame,  qui  est  le  lieu  le  plus  stérile 
et  le  plus  froid  de  l'Amérique,  n'ayant  que  pour  donze 
jours  de  vivres,  qu'ils  avaient  sauvés  du  débris,  M.  de 
Tracy  a  ordonné  à  trois  vailseaux  du  roi,  qui  sont  partis, 
de  prendre  tout  ce  monde  en  passant,  ou  au  cas  qulls 
ne  puissent  aborder  et  qu'on  soit  contraint  de  les 
laisser  hiverner  sur  les  roches,  de  leur  envoyer  des 
vivres  pour  huit  mois.  Il  a  encore  envoyé  du  monde 
pour  leur  donner  secours  :  nul  n'est  encore  de  retour; 
nous  en  attendons  des  nouvelles. 

Nous  avons  été  affligés  de  cet  accident,  mais  nous 
n'en  avons  pas  été  surpris  ;  parce  que  depuis  que  nous 
sommes  en  ce  pays,  l'on  n'avait  point  encore  vu  de  si 
grandes  tempêtes  sur  la  mer  ni  dans  le  grand  fleave 
que  cette  année.  Les  douze  vaisseaux  qui  sont  arrivés 
ont  pensé  périr.  Le  treizième,  qui  était  la  frégate  de 
M.  de  Tracy,  a  coulé  à  fond  à  l'entrée  du  fleuve,  où  oa 
l'avait  vue.  Tous  ses  gens,  toutes  ses  provisions,  tout 
son  bagage  a  péri,  ce  qui  le  recule  un  peu  dans  ses 
affaires,  à  cause  des  grandes  dépenses  qu'il  est  obligea 
de  faire  et  du  grand  train  qu'il  doit  entretenir.  Voil^, 
mon  très-cher  fils,  les  accidents  de  la  vie  humain^, 
qui  nous  apprennent  qu'il  n'y  a  rien  d'assuré  dans    l^ 
monde,  et  que  nous  ne  devons  attacher  nos  cûfe-n^^ 
qu'aux  biens  de  l'éternité. 

^  L'argent,  qui  était  rare  en  ce  pays,  y  est  à  pr^^^/ 
fort  commun,  ces  Messieurs   y  en  ayant  bea^xç^^^ 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iN CARNATION.      313 

apporté.  Ils  payent  en  argent  tout  ce  qulls  achètent, 
tant  pour  leur  nourriture  que  pour  leurs  autres  néces- 
sités, ce  qui  accommode  beaucoup  nos  habitants. 

Les  cent  filles  que   le  roi  a  envoyées  cette  année 
ne  font  que  d'arriver,  et  les  voilà  déjà  quasi  toutes 
pourvues.  Il  en  enverra  encore  deux   cents  l'année 
prochaine,  et  encore  d'autres  à  proportion  les  années 
suivantes.  Il  envoie  aussi  des  hommes  pour  fournir  aux 
mariages,  et  cette  année  il  en  est  bien  venu  cinq  cents, 
sans  parler  de  ceux  qui  composent  l'armée.  De  la  sorte 
c'est  une  chose  étonnante  de  voir  comme  le  pays  se 
peuple  et  multiplie.  Aussi  dit-on  que  Sa  Majesté  n'y 
▼eut  rien  épargner,  y  étant  excité  par  ces  seigneurs  qui 
Bout  ici,  et  qui  trouvent  le  pays  et  le  séjour  ravissant 
en  comparaison  des  îles  de  l'Amérique  d'où  ils  viennent, 
et  où  la  chaleur  est  si  extrême  qu'à  peine  y  peut-on 
▼ivre.  Ce  pays-là  est  riche,  à  cause  des  sucres  et  du 
tabac  que  l'on  en  transporte,  mais  il  n'y  peut  venir 
de  blé.  leur  pain  est  fait  d'une  certaine  racine  dont  la 
nécessité  les  oblige  de  se  nourrir.  Mais  ici  les  blés,  les 
lâgomes,  et  toutes  sortes  de  grains  croissent  en  abon- 
dance. La  terre  est  une  terre  à  froment,  laquelle  plus 
on  la  découvre  des  bois,  plus  elle  est  fertile  et  abon-* 
*aûte.  Sa  fertilité  a  bien  paru  cette  année,  parce  que 
le»  tarines  de  l'armée  s'étant  gâtées  sur  la  mer,  il  s'eat 
wttvô  ici  des  blés  pour  fournir  à  sa  subsistance  sans 
îùre  tort  à  la  provision  des  habitants. 

Cette  abondance  néanmoins  n'empêche  pas  qtfil  y  ait 
ici  un  grand  nombre  de  pauvres;  et  la  raison  est  que 
VJjad  une  famille  commence  une  habitation,  il  lui  faut 
«w  ou  trois  années  avant  que  d  avoir  de  quoi  se 
Jjwnr,  sans  parler  du  vêtement,  des  meubles  et  d\me 
™»ité  de  petites  choses  nécessaires  à  reutretiea  d  uw 


314  LBTTRB8 

maison;  mais  ces  premières  difficoltâs  étant  passées, 
ils  commencent  à  être  à  leur  aise,  et  slls  ont  de  la 
conduite,  ils  deviennent  riches  avec  le  temps,  autant 
qu'on  le  peut  être  dans  un  pays  nouveau  comme  est 
celui-ci.  Au  commencement  ils  vivent  de  leurs  grains, 
de  leurs  légumes  et  de  leur  chasse,  qui  est  abondanto 
en  hiver.  Et  pour  le  vêtement  et  les  autres  ustensiles  de 
la  maison,  ils  font  des  planches  pour  couvrir  les  mai« 
sons,  et  débitent  des  bois  de  charpente  qu'ils  vendent 
bien  cher.  Ayant  ainsi  le  nécessaire,  ils  commencoït 
à  faire  trafic,  et  de  là  sorte  ils  s'avancent  peu  à  peu. 

Cette  petite  économie  a  tellement  touché  ces  Mes- 
sieurs les  ofiSciers,  qu'ils  ont  obtenu  des  places  pour 
y  faire  travailler,  ainsi  il  est  incroyable  combien. oe 
pays  se  découvre,  et  se  peuple  partout.  Mais  ce  que 
Ton  recherche  le  plus,  est  la  gloire  de  Dieu  et  le  saint 
des  âmes.  C'est  à  cela  qu'on  travaille,  comme  aussi 
à  faire  régner  la  dévotion  dans  l'armée,  faisant  com- 
prendre aux  soldats  qu'il  s'agit  ici  d'une  guerre  sainte, 
où  il  y  a  plus  de  profit  à  faire  pour  le  ciel  que  de  for- 
tune pour  la  terre.  Il  y  en  a  bien  cinq  cents  qui  ont 
pris  le  scapulaire  de  la  sainte  Vierge,  et  beaucoup 
d'autres  qui  disent  le  chapelet  de  la  Sainte-Famille  tous 
les  jours.  Ils  ont  tant  de  dévotion  à  cette  Famille  sainte, 
que  Dieu,  pour  récompense  de  leur  Foi  et  pour  accroître 
leur  ferveur,  a  bien  voulu  faire  des  miracles.  Je  vous 
en  ai  parlé  ailleurs ,  c'est*  pourquoi  je  ne  le  répète 
point  ici. 

Je  vous  ai  dit  dans  une  autre  lettre  qu'une  partie 
de  l'armée  a  pris  le  devant  pour  se  saisir  de  la  rivière 
des  Iroquois,  et  faire  des  forts  sur  ses  rivages  dans  les 
passages  les  plus  avantageux.  Â  quoi  j'ajoute  que  nos 
chrétiens    algonquins  sont   allés   camper  avec  leurs 


DE  LA  MÈRB  H ARIB  DE  L*INGARNATION .  315 

familles  à  Tabri  des  forts  et  de  ceux  qui  les  gardent. 
Ils  font  de  grandes  chasses  où  leurs  ennemis  avaient 
coutume  d'en  faire  et  d'enlever  la  meilleure  part  de 
leur  pelleterie.  Leur  chasse  est  si  abondante  qu'on  dit 
que  chaque  jour  ils  prennent  plus  de  cent  castors,  sans 
parler  des  orignaux,  et  autres  bêtes  fauves.  Eu  quoi  les 
Français  et  les  sauvages  s'aident  mutuellement.  Les 
Français  défendent  les  sauvages,  et  les  sauvages  nour- 
rissent les  Français  des  chairs  des  bêtes  qu'ils  prennent, 
aprôs  en  avoir  enlevé  les  peaux,  qu'ils  portent  aux 
magasins  du  pays.  M.  de  Tracy  me  dit,  il  y  a  peu  de 
jours,  qu'il  avait  mandé  tout  cela  au  roi,  avec  les  autres 
avantages  que  l'on  a  pour  faire  la  guerre  à  l'ennemi 
juré  de  notre  Foi.  Joignez  vos  prières  aux  nôtres,  afin 
que  Dieu  verse  ses  bénédictions  sur  une  entreprise 
si  avantageuse  à  sa  gloire. 

De  Québec,  le  29  (^octobre  1665. 


LETTRE    CLXXIV. 

A    UNE   religieuse'  URSULINE    DE    TOURS. 
(La  Mère  Charlotte  des  Anges.) 

Elle   répond  avec  une  admirable  douceur  et  modestie,  à  quelques  faux  bruits 

que  l'on  avait  fait  courir  contre  son  monastère. 

Ma  révérende  et  très-intime  Mère, 

Notre  bon  Dieu,  qui  n'a  pas  encore  voulu  de  moi, 
veut  que  je  réponde  à  votre  lettre  toute  remplie  de  la 


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-=-    -_îtr    .::i^^^  lizreac le.  maa  intima 
•^-.-:r-::^  iT-:r  .rs  .^eiiziensea  *ie  France 
:a;.;    >5  jz-rTTss    ":i  a3iir  îur  mer  les  ont 
v>-  ^ji:    >  -^'..;    :  -  ^  i  zTiaîre  1  Bourges,  aaxant 
r..4  -r.  7  .-^c:sj.  I  ^  =!i  i  sicare  i  Roaen  eti 
>>-  »      -r       -.v^     ^-    :.-iâ  irr^^ors  aonpareilles  pour 
'•  a-'    '   ':.'\  \  \r^    îâZ;5  :éilc3  d-f  divers  antre! 
^a^-rv-     ..-^  v.Vry?  t^;ljciî-:.i.  ixcs  n'appelions  qoe 
f*  '■",/  ^,-  f'^-^^    iP-.'-'^î  :-:î  Ic::r  Tûcation,  quelles  ont 
'1'/;;-    ';^'3i  ..5^-,:  ^r.  >.-.-'*.  -^^  hien  approuvée  (constatée), 
n  y  n,  Tmf.  r^,,.^;^-»'^  -e  notre  CongrégatioD  qui  a  on 
finlpfd  flAnir  'if.  vfjfiir  ici,  et  du  mouastôre  de  laquelle 
on  n  i'^f'.ni  ;ifj  rév^^rfiud  Père  Ragueneau,  qu'on  y  avait 
innnfh'i  r|n  TrMirft  que   l'on  a  renversé  ici  tontes  oof 
iMitinfil.nliorin  pour  y  niottro  celles  de  Paris,  outre qaafl* 
IH<«  tin  rlioppH  biori  particulières,  capables  d'offenser  les. 
i^'v^iH^nd»  Vi^vo.H  qui  ont  travaillé  à  raffermissement  de 
no<r«  .union.  Cette  l>onne  fille  néanmoiDs  mande  i  » 


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318  LETTRES 

attendant  mieux.  Je  vous  prie  de  présenter  mon  très- 
humble  salut  à  ces  chères  Mères  qui  sfe  souviennent  de 
moi.  Je  vous  embrasse  avec  elles  dans  le  Cœur  amou* 
reux  de  Jésus. 

De  Québec,  le  3  de  septembre  1666. 


LETTRE   CLXXV. 

A   SON  FILS. 

Il  ne  faut  se  prescrire  aucun  terme  dans  TOraison,  mais  se  laisser  oondoire  par 
l'esprit  de  Dieu  jusqu'à  ce  que  lui-même  nous  arrête.  ^-  Etat  où  il  arrête  les 
Ames  fidèles,  qui  est  celui  où  elle  était  lorsqu'elle  écrivait  cette  lettre.  —  Son 
inçlifférence  et  sa  résignation  pour  les  charges. 


Mon  très-chçr  fils, 

Voici  la  réponse  à  votre  lettre  de  confiance,  qui  m'a 
également  consolée  et  édifiée.  Je  crois  que  le  Saint- 
Esprit  vous  a  donné  les  saints  mouvements  qui  youB 
ont  tant  pressé  le  cœur  ;  et  c'est  un  plus  grand  avan- 
tage pour  votre  bien  que  le  tout  se  soit  passé  en  esprit 
de  foi,  que  si  vous  aviez  eu  des  visions  on  quelque 
chose  extraordinaire  de  sensible,  qui  sont  bien  souvent 
sujettes  à  l'illusion.  Il  y  en  a  pourtant  de  véritables  qui 
viennent  de  Dieu ,  mais  ce  qui  se  fait  en  l'âme  par 
l'opération  de  la  Foi  est  plus  sûr  et  d'un  plus  grand 
mérite  ;  et  cela  conserve  mieux  l'esprit  d'humilité.  Vive» 
donc  en  la  possession  de  cette  divine  sagesse.  J'ai  bieo 
compris  tout  ce.  que  vous  m'en  avez  écrit,  selon 


DB  LA.  HABB  HABIB  DB  L'INCARNATION.  319 

t    petites  Inmièrea  que  la  bonté  de  Dieu  me  donne  dans 

I    la  oommuoication.  foncière  par  laquelle  elle  me  fût  la 
grâce  et  l'honneur  de  me  lier  à  elle. 
Il  me  semble  néanmoins  que  tous  donnez  une  borne 

'  à  l'esprit  de  grâce  qui  toqs  conduit,  lorsque  vous  dites 
que  c'est  à  l'esprit  d'oraison  et  d'union  que  tous  devez 
Toas  attacher  pour  le  reste  de  vos  Jours.  Non,  ne 
croyez  ^as  cela,  â  moins  d'une  révélation  bien  avérée  ; 
parce  que  dans  ce  nouTel  état  d'alliance  où  tous  êtes 
entré  aTec  la  sagesse  éternelle,  si  vous  lui  êtes  fldôle 
tous  irez  toujours  de  plus  en  plus  en  de  nouvelles  com- 
monications  aTec  elle.  C'est  un  abîme  sans  fond  qui 
ne  dit  jamais,  c'est  assez,  aux  âmes  qu'elle  possède.  Je 
TOUS  avouerai  bien  une  chose  que  j'ai  expérimentée  être 
véritable,  que,  dans  le  cours  de  la  vie  spirituelle,  il  7  a 
des  écarts  où  l'âme  soufii'e  de  saintes  inquiétudes  et  des 

,     impatiences  amoureuses,  quoiqu'il  lui  semble  être  dans 

^  la  jouissance  de  son  unique  bien.  Il  la  fait  jouir,  puis  il 
M  retire  pour  la  faire  courir  après  lui.  Ce  sont  des 
jeux  de  cette  adorable  Sagesse  qui  est  descendue  du  ciel 
foUT  jouer  dans  le  monde,  et  potv  pren^  ses  àivertiêsements 
I  avec  les  enfants  des  hommes.  (PROV.  vill,  31.)  Ces  divins 
états  ne  finissent  point,  jusqu'à  ce  que  cette  même 
Sagesse,  a^ant  purifié  dans  son  feu  l'âme  dans  laquelle 
■    «lie  se  ptait  d'habiter,  elle  la  possède  enfin  parfaitement 

i.    dans  son  fond,  où  il  ne  se  trouve  plus  d'inquiétude,  je 
y  veux  dire  plus  de  désir,  mais  une  paix  profonde  qui 
I  par  expérience  est  inaltérable.  Je  ne  Teox  pas  dire  qae 
l'on  deviendrait  impeccable,  car  ce  serait  une  illosion 
</?  J^  présumer  ;  mais  on  jouit  de  la  liberté  des  enfants 
iffi  jyi^u  ^YQc  une  douceur  et  tranquillité  ineffables.  Les 
"'        — '-—  ■    ^  tgj  Texations  des  démons,  les 
M,  les  croix,  les  peines,  les  ma- 


320  LETTRES 

ladies,  ni  quoi  que  ce  soit,  ne  sauraient  troubler  ni 
inquiéter  ce  fond,  qui  est  la  demeure  de  Dieu,  et  je 
crois  qu*il  n'y  a  que  le  péché  et  l'imperfection  volontaire 
qui  le  puissent  faire. 

Mais  comme  dans  le  ciel,  outre  la  gloire  essentielle, 
Dieu  fait  goûter  aux  bienheureux  des  joies   et  des 
félicités  accidentelles,  pour   faire  éclater  en  eux  sa 
magnificence  divine^  ainsi  dans  ces  âmes  chéries  où 
il  fait  sa  demeure  en  terre,  outre  cette  possession 
foncière  qu'il  leur  donne  de  lui-même,   il  leur  fait 
quelquefois  sentir  un  ^panchement  de  joie   qui  esL 
comme  un  avant-goût  de  l'état  des  bienheureux.  II 
a  bien  néanmoins  de. la  diâférence  entre  cet  état  fon 
cier  et  cet  autre  accidentel,  parce,  que  ce  dernier  es 
sujet  au  changement  et  à  l'altération,  au  lieu  que  1 
premier  concentre  de  plus  en  plus  l'âme  dans  son  Dieu 
pour  lui  faire  trouver  un  parfait  repos  dans  une  par 
faite  jouissance. 

Ces  âmes  ainsi  avancées  ont   trouvé  leur  fin  e; 
jouissant  dans  leur  fond  de  Celui  qu'elles  aiment;  e 
ce  qu'elles  pâtissent  extraordinairement  hors  de  ce  fon' 
n'est  qu'un  excès  de  sa  magnifique  bonté.  Quoi  qtfi 
arrive,  elles  sont  contentes  en  elles-mêmes,  et  ne  veulen 
rien  que  dans  l'ordre  de  sa  très-sainte  et  suradorabl 
volonté.  Si  elles  se  trouvent  engagées  dans  les  affaires^ 
temporelles,  il  ne  leur  est  pas  besoin  de  faire  tant  i0^ 
réflexions  pour  trouver  des  raisons  ou  des  réponses* 
convenables  en  celle  dont  il  s'agit,  parce  que  Celui  qai 
les  dirige  intérieurement  leur  met  en  un  moment  daoH 
la  pensée  ce  qui  est  à  dire  ou  à  faire.  La  façon  mêm^ 
avec  laquelle  elles  prennent  et  envisagent  les  choses   ^^^ 
fait  voir  en  elles  la  droiture  et  la  direction  de  l'esprit  de  ^^  ^ 


Dieu.  Ce  n'est  pas  qu'elles  ne  se  sentent  portées  et   I^ 


i 


I 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*IN CARNATION.  321 

qu'elles  ne  se  portent  en  effet  à  demander  conseil  à  ceux 
qni  les  gouvernent  et  les  dirigent  sur  la  terre,  parce 
que  Dieu,  qui  veut  que  nous  nous  défiions  de  nous- 
mêmes,  nous  soumettant  à  ses  serviteurs,  se  plaît  à 
cette  soumission,  et  veut  que  nous  en  usions  de  la  sorte. 
11  est  très-difficile  à  ces  âmes  qui  jouissent  ainsi  de 
Dieu  de  rendre  compte  de  leur  intérieur,  parce  que 
Tétat  où  elles  sont  est  une  extrême  simplicité,  et  qu'elles 
y  sont  perdues  en  Dieu,  qui  est  l'unité  et  la  simplicité 
mêmes. 

Jusqu'à  ce  que  vous  soyez  arrivé  à  ce  point,  courez 
et  avancez  sans  cesse  dans  les  embrassements  de  votre 
divine  Sagesse.  Elle  vous  arrêtera  au  temps  de  son 
or'donnance,  et  vous  conduira  par  son  Esprit-Saint  en 
to^t  ce  que  sa  divine  Majesté  voudra  de  vous.  Par  ce 
P^u  de  mots  vous  voyez  que  votre  lettre  m'est  tombée 
oxi^tre  les  mains  :  elle  n'a  été  vue  ni  ne  le  sera  de  per- 
sonne, puisque  vous  le  voulez.  Si  vous  y  prenez  garde 
de  près  vous  connsutrez  ma  disposition  présente,  car 
1*^ pondant  à  l'état  où  vous  êtes,  je  vous  ai  insensible- 
i^cnt  dit  celui  où  je  suis  par  la  miséricorde  de  Celui  qui 
J^ous  prévient  de  tant  de  grâces. 

Quant  à  ma  disposition  corporelle,  je  suis  devenue 

^^trêmement  faible  par  mes  grandes  maladies,  qui  ont 

dâjà  duré  deux  ans,  durant  lesquels  je  me  suis  très-mal 

^oqaittée  de  ma  charge.  Je  souhaite  le  repos  et  ma 

déposition,  avec  tranquillité  néanmoins,  l'Esprit  qui 

^e  fait  la  grâce  de  me  diriger  ne  me  permettant  pas  de 

^en  vouloir  que  dans,  la  conduite  de  ses  adorables 

A^seins  sur  moi.  Je  rends  de  très-humbles  actions  de 

St'âces  à  la  Bonté  divine  de  toutes  celles  qu'elle  vous 

•  ^^t  et  qu'elle  veut  vous  faire  si  vous  lui  êtes  fidèle. 

^est  un  point  qui  me  manque,  car  je  serais  bien  autre 

LITTR.  M.    n.  21 


\ 


322  LETTRES 

que  je  ne  suis,  si  j'avais  correspondu  à  toutes  se$ 
faveurs. 

De  Québec,  le  22  de  septembre  1666. 


LETTRE  CLXXVI. 


AU    MÊME. 


Cérémonie  remarquable  faite  &  Québec  en  la  translation'  des  corps  de  laio^ 
Flavien  et  de  sainte  Félicité.  —  Arrivée  de  Tarmée  française  am  psyi 
Iroquois. 


Mon  trôs-cher  fils, 

Je  vous  suis  extrêmement  obligée  du  riche  présem^ 
des  saintes  reliques  que  vous  m'avez  envoyées.  Noui^ 
les  garderons  précieusement  et  avec  vénération  dans  ut^ 
lieu  destiné  à  cet  effet,  où  nous  avons  quatre  châsse^ 
que  nous  exposons  sur  l'autel  aux  fêtes  solennelles^ 
Dans  la  translation  des  saints  corps  de  saint  FlavieiB^ 
martyr  et  de  sainte  Félicité,  que  notre  Saint-Père  » 
donnés  à  Mgr  notre  Evêque  pour  ce  pays,  nous  avoB9 
eu  notre  part  aussi  bien  que  les  deux  autres  maisons 
religieuses.  Il  ne  s'était  point  encore  vu  dans  ces  con^ 
trées  une  si  belle  cérémonie.  Il  y  avait  à  la  procession 
quarante-sept  ecclésiastiques  en  surplis,  chappes,  cha- 
subles et  dalmatiques.  Gomme  il  fallait  porter  les  reli- 
ques dans  les  quatre  églises  de  Québec,  nous  eûmdf 
la  consolation  de  voir  cette  magnifique  cérémonk  h^ 
M.  de  Tracy,  vice-roi,  M.  de  Courcelles,  gouveroeafr  fi^ 


■  ><■■■.■■ 


DB  LA  MÉRB  MARIE  DB  L*1NGARN ATION .  323 

vec  les  denx  plus  considérables  de  la  noblesse,  per- 
dent le  dais.  Les  plus  élevés  en  dignité  d'entre  les 
cclésiastiques  portaient  les  quatre  grandes  châsses  sur 
es  brancards  magnifiquement  ornés.  La  procession 
ortant  d*une  église  y  laissait  une  châsse.  La  musique 
te  cessa  point,  tant*  dans  les  chemins  que  dans  les 
ttations.  Monseigneur  suivait  les  saintes  reliques  et 
a  procession  en  ses  habits  pontificaux.  Peu  de  jours 
auparavant,  il  avait  consacré  et  dédié  l'église  cathé- 
drale avec  une  pompe  magnifique,  et  il  espère  con- 
acrer  la  nôtre  l'année  prochaine.  Je  n'aurais  jamais 
se  espérer  de  voir  une  si  grande  magnificence'  dans 
^lise  du  Canada,  où,  quand  j'y  suis  venue,  je  n'avais 
en  vu  que  d'inculte  et  de  barbare.  C'est  une  chose 
laissante  de  voir  M.  de  Tracy  dans  une  exactitude 
erveilleuse  à  se  rendre  le  premier  à  toutes  ces  saintes 
rémonies,  car  il  n'en  perdrait  pas  un  moment.  On 

^vu  plus  de  six  heures  entières  dans  l'église  sans  en 
^tir.  Son  exemple  a  tant  de  force  que  le  monde  le 
it;  comme  des  enfants  suivent  leur  père.  Il  favorise 

Soutient  l'Eglise  par  sa  piété  et  par  le  crédit  qu'il  a 
i^versellement  sur  tous  les  esprits.  Ce  qui  nous  fait 
sandre  que  le  roi  ne  le  rappelle  l'année  prochaine, 
^t  qu'en  effet  on  nous  a  donné  avis  que  Sa  Majesté 
i  fait  équiper  un  vaisseau  magnifique,  pour  le  faire 
tourner  en  France  avec  l'honneur  qu'il  s'est  mérité 
&Q8  ses  grandes  commissions. 

U  est  parti  pour  se  trouver  en  personne  à  la  guerre 
MQtre  les  Iroquois  de  la  Nouvelle-Hollande,  qui  sont 
Moc  qui  empêchent  les  autres  nations  de  croire.  Il  a 
lit  son  possible  pour  les  gagner  par  douceur,  mais 
*iont  des  brutaux  qui  n'ont  pu  se  laisser  vaincre  par 
^  oharme  qui  gagne  tous  ceux  qui  ont  quelque  reste 


324  LETTRES 

de  raison.  Selon  la  supputation  de  la  marche  de  l'armée, 
le  combat  a  dû  être  livré  ces  trois  derniers  jours  passés 
dans  le  premier  bourg.  Si  Dieu  bénit  ce  premier  effort 
les  deux  autres  seront  attaqués  ensuite.  Ils  ont  de  boDS 
forts,  ils  ont  du  canon,  ils  sont  vaillants,  et  sans  doute 
ils  donneront  de  la  peine.  Mais' nos  soldats  Français 
sont  si  fervents  qulls  ne  craignent  rien,  et  il  n*y  a  rien 
qu'ils  ne  fassent  et  qu'ils  n'entreprennent.  Ils  ont  entre- 
pris de  porter  des  canons  sur  leur  dos  dans  des  sauts 
et  portages  fort  difficiles.  Ils  ont  porté  même  des  cha- 
loupes, ce  qui  est  une  chose  inouïe.  Il  semble  à  toute 
cette  milice  qu'elle  va  assiéger  le  paradis,  et  qu'elle 
espère  le  prendre  et  y  entrer,  parce  que  c'est  pour  le 
bien  de  la  foi  et  de  la  religion  qu'elle  va-  combattre. 

Nous  avons  appris  ces  nouvelles  depuis  quelques 
jours,  et  l'on  nous  assure  de  plus  que  toute  l'armée 
est  en  bonne  santé;  que  M.  le  Gouverneur  conduit 
l'avant-garde,  et  M.  de  Chamblay  tient  l'arrière-garde. 
M.  de  Salières  est  le  colonel  du  régiment,  et  M.  de 
Tracy,  comme  généralissime,  commande  à  tout  le  corps. 
Nos  nouveaux  chrétiens-sauvages  suivent  l'armée  fran- 
çaise avec  tous  nos  jeunes  Français- Canadiens  qui 
sont  très-vaillants,  et  qui  courent  dans  les  bois  conuna 
des  sauvages.  Nous  ne  saurions  avoir  de  nouvelles  da 
combat  de  plus  de  quinze  jours.  Cependant  toute  cette 
nouvelle  église  est  en  prières,  et  l'on  fait  l'oraison  ^^ 
quarante  heures,  qui  continue  dans  les  quatre  égi\g^ 
tour  à  tour,  parce  que  du  bon  ou  du  mauvais  sf;^n^ 
de  cette  guerre  dépend  le  bien  et  le  mal  de  tout  I9  q^  ^ 

Voici  la  troisième  fois  que  nos  Français  son^  all^  v^' 
leur  pays  depuis  le  mois  de  février,  au  g^^^^^* 
nement  des  Anglais  et  des  Iroquois  même,  c^    ^^^^J^ 
vent  oomprea^  Q9ii»ii6  ils  ont  seuletueiit   ^"^  v^ 


DB  LA  MÉRB  MARIR  DR  L'INOAH NATION  HdH 

prendre  ce  voyage.  M.  de  Traoy  n'eat  parti  irioi  avt)o 

le  gros  de  Tarmée  que  le  jour  de  reialtatioi»  da  dninta 

Croix,  et  Ton  tient  qu'ils  sont  arrivés  là  apràs  un  nuns  ilu 

diemin.  Je  vous  dirai  plus  au  long  des  nouvallas  da  uatta 

expédition  après  leur  retour,  ou  aussiU^l  qua  mnu  an 

anroxn  appris  par  des  voies  certaines,  i^our  lo  prtisant 

je  voub  prie  de  trouver  Uon  que  je  finisse  pour  livundvi^ 

TO  pen  de  repos,  étant  fort  fatiguée  du  grand  n4>inl>ra 

ic  lettres  que  j'ai  écrites.  Il  ne  m'en  reste  j>tts  plus 

de  quancnte  à  écrire,    que  j'espère  envoyer  par  la 

dernier  vaisseau.  Tse  cessez  point  de  prier  poui*  nous. 

Ik  Quéùet.  le  10  docUAre  ÎOW;, 


ETTKK    ''.•LXXV^î 


;     VM     m    st;^    .^{.tVb,' 


lapwmièr- vu*^    *.- 1,.    v^ru:  i>^    iâi^*^-  pani'  c-i.*.>'C 

•M»  vous  Uuiii»--    •îï,..^p     »j-    i^ui..ifctii<i^.     ^.     i^^.^  c^. 

Wrei  4i^  i-^  fcii,,;^p  j,^^^..  ^.._  .^^.  ^^..  ,^^^,  ^.^^.   ^^^,, 
™sre  iierfruiii,.     ^     • . 
JBa  sant'   t?*    ^^ 
«le  jDe  Mii-^  i«*^... 


fréquentes  cotiques,  lesquelles,  qiioiq[iie  seosibleB,  ne 
m'empêchent  pas  de  faire  ma  charge  ni  de  garder  mei 
Règles.  Ce  m*est  un  grand  plaisir  ée  naaSrir  quelques 
petites  douleurs  en  ce  monde,  où  notre  bon  Jésus  en  a 
souffert  de  si  atroces  pour  notre  amour.  Remerdes-Ie, 
je  vous  prie»  de  la  grâce  et  de  rhonneor  qall  me  fûti 
de  me  faire  part  de  sa  croix. 

J'avais  dessein  de  vous  mander  des  nouvelles  de 
Tarmée  qui  est  allée  aux  Iroquois,  mais  nous  n'ea 
avons  encore  rien  appris.  J*espère  que  j*aurai  quelques 
moments,  soit  de  nuit,  soit  de  jour,  pour  en  écrire 
quelques  particularités  à  quelqu'un  qui  vous  en  fera 
part.  L'on  a  ici  au  château  de  Québec  plusieurs  de  ces 
barbares  captifs,  qui  pleurent  comme  des  enfante, 
voyant  qu'on  est  allé  détruire  leur  nation.  Ce  qui  lear 
fait  encore  plus  de  dépit,  est  qu'on  leur  fait  faire  on 
grand  nombre  de  raquettes  pour  aller  contre  leurs  gens  : 
c'est-à-dire  qu'ils  font  des  armes  pour  se  faire  battre. 
Quoiqu'ils  travaillent  contre  leur  gré  et  qu'on  les  fasse 
obéir,  on  ne  les  moleste  pas  néanmoins,  et  en  cela  ils 
admirent  la  bonté  des  Français.  Le  bâtard  Flamant, 
qui  est  un  fameux  Iroquois,  est  traité  à  la  table  de 
M.  l'intendant  comme  un  grand  seigneur;  M.  de  Tracy 
lui  a  donné  un  bel  habit  à  son  usage,  afin  de  rhonorer, 
et  lui  a  promis  la  vie  avant  que  de  partir  pour  l'armée. 
Il  n'est  point  aux  fers  comme  les  autres,  et  il  a  la  liberté 
de  se  promener,  mais  il  est  gardé  de  plusieurs  soldats 
(]ui  ne  le  quittent  point.  On  le  traite  avec  cette  honnê- 
teté, parce  qu'ayant  pris  un  proche  parent  de  M.  de 
Tracy  avec  quelques  autres  gentilshommes,  il  ne  lear 
a  fait  aucun  mauvais  traitement,  mais  il  les  a  ramenés 
dans  une  entière  bonne  volonté.  Lorsque  l'armée  fat 
rangée  pour  partir,  M.  de  Tracy  la  fit  passer  devant 


DE  LA  MÉRB  MARIE  DE  l'INCARNATION.  327 

loi,  et  lui  dit:  Voilà  que  nous  allons  chez  toi,  qu'en 
âi«htu?  Les  larmes  lui  tombaient  des  yeux,  voyant  de  si 
belles  troupes  et  en  un  si  bel  ordre.  Il  repartit  néan- 
moins :  Ononthio,,  c'est-à-dire  grand  capitaine,  je  vois 
bien  que  nous  sommes  perdus,  mais  notre  perte  te 
coûtera  cher  :  notre  nation  ne  sera  plus,  mais  je  t'avertis 
qu'il  y  demeurera  beaucoup  de  ta  belle  jeunesse,  parce 
que  la  nôtre  se  défendra  jusqu'à  l'extrémité.  Je  te  prie 
seulement  de  sauver  ma  femme  et  mes  enfants  qui  sont 
en  un  tel  endroit.  On  lui  promit  de  le  faire  si  on  pouvait 
la  reconnaître,  et  de  la  lui  amener  avec  toute  sa  famille. 
Nous  ne  savons  pas  encore  le  succès  de  cette  entreprise  ; 
Dieu,  qui  est  le  Dieu  des  armées,  le  sait.  S'il  a  combattu 
pour  nous  nous  avons  la  victoire.  Que  sa  très-sainte 
▼olonté  soit  faite,  parce  que  dans  l'ordre  de  cette  volonté 
il  est  glorifié  par  nos  pertes  aussi  bien  que  par  nos 
prospérités. 

De  Québec,  le  2  de  novembre  1666. 


LETTRE    CLXXVIII. 

A    SON    FILS. 

Les  Français  s'emparent  des  villages  des  Iroquois,  les  pillent 

et  y  mettent  le  feu. 

Mon  très-cher  fils, 

Je  vous  ai  ci-devant  écrit  les  dispositions  de  la  guerre 
cwntre  les  ennemis  de  Dieu  et  du  repos  public,  me 


réservant  à  vona  en  dire  Fiaoe  qnand  f  en  annûs  appris 
des  aoavelles  certaines.  Cest  ce  que  je  Tais  foire  par 
celle-ci.  !\f .  de  Tracy,  M.  notre  GoaTemear  et  M.  dd 
Chanmont  partirent  d'ici  en  personne  poor  aller  an  pays 
des  Iroqaois  agneronons,  qoi  tonche  la  NoaTelle-Hol- 
lande,  possédée  à  présent  par  les  Anglais.  L'année  était 
composée   de  treize  cents  hommes  d*élite,  qni  tons 
allaient  an  combat  comme  an  triomphe.  Us  ont  marché 
par  des  chemins  des  plos  difficiles  qn'on  se  pnisse 
imaginer  :  parce  qnll  v  fant  passer  à  gaé  plosieurs 
rivières  et  faire  de  longs  chemins  par  des  sentiers  qui 
n'ont  pas  pins  d'nne  planche  de  la^e,  pleins  de  souches, 
de  racines  et  de  concavités  très-dangereoses.  Il  y  a 
cent-cinqnante  lieues  de  Québec  aux  forts  qu'on  a  faits 
sur  la  rivière  des  Iroquois.  Ce  chemin  est  assez  facile, 
parce  que  l'on  y  peut  aller  en  canot  et  en  chaloupe, 
y  ayant  peu  de  portages  ;  mais  passer  au-delà,  c'est  une 
merveille  que  l'on  en  puisse  venir  à  bout,  parce  qall 
faut  porter  les  vivres,  les  armes,  le  bagage  et  toutes  les 
autres  nécessités  sur  le  dos.  M.  le  chevalier  de  Chan- 
mont m'a  assuré  que  pour  avoir  porté  son  sac  où  il  y 
avait  un  peu  de  biscuit,  il  lui  vint  une  grosse  tumeur 
sur  le  dos  ;  car  il  faut  que  les  chefs  se  chargent  aussi 
bien  que  les  autres,  aucune  bête  de  charge  ne  pouvant 
aller  par  des  lieux  si  étroits  et  si  dangereux.  Ils  se  sont 
vus  en  des  périls  extrêmes  dans  des  rivières  et  rapides 
d'eaux,  où  à  cause  de  la  profondeur  et  de  l'incertitude 
du  fond  ils  ont  été  obligés  de  se  faire  porter  par  les 
sauvages.  Un  suisse  voulut  porter  dans  un  mauvais  pas 
M.  de  Tracy,  qui  est  un  des  plus  grands  hommes 
que  j*aie  vus;  quand  il  fut  au  milieu,  où  heureusement 
■^         h  se  trouva  une  roche,  il  le  jeta  dessus,  étant  sur  te 
^         point  de  tomber  en  défaillance.  Un  Huron,  fort  et  coa- 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNGARNATION.  329 

rageux,  se  jeta  aussitôt  dans  l'eaa  pour  le  retirer  du 
danger  et  le  porter  à  l'autre  bord. 

Dieu  les  favorisa  beaucoup  dans  une  autre  rivière, 
où  il  y  avait  de  l'eau  jusqu'à  la  ceinture;  toute  l'armée 
passa  en  deux  heures  de  temps.  Dès  qu'elle  fut  passée, 
la  rivière  haussa  de  neuf  pieds.  Si  cette  crue  était  arri- 
vée deux  heures  plus  tôt  tous  les  (lesseins  eussent  été 
renversés,  et  l'armée  eût  été  contrainte  de  revenir  sans 
rien  faire.  Cet  accident  étant  évité,  il  fallut  faire  beau- 
coup de  chemin  par  des  montagnes  et  par  des  vallées, 
et  ensuite  passer  un  grand  lac  à  la  faveur  de  plusieurs 
caïcs  (esquifs)  que  l'on  fit.  L'on  fut  ensuite  en  terre  ferme 
jusqu'aux  Iroquois,  mais  l'on  se  trouva  dans  une  peine 
bien  fâcheuse  :  le  pain  manqua,  et  Ton  fut  réduit  à  la 
famine.  Mais  Notre-Seigneur,  pour  les  intérêts  duquel 
on  s'était  exposé,  y  pourvut  abondamment  par  la  ren-^ 
contre  d'un  grand  nombre  de  châtaigniers  si  chargés 
de  fruits,  que  toute  l'armée  fut  repue  de  cette  manne. 
.  Ces  châtaignes,  quoique  petites,  sont  meilleures  que  les 
marrons  de  France. 

L'armée  arriva  proche  des  Iroquois  le  jour  de  sainte 
Thérèse.  Il  faisait  un  temps  si  fâcheux  de  pluies, 
d'orages  et  de  tempêtes,  qu'on  désespérait  quasi  de 
pouvoir  rien  faire.  M.  de  Tracy  néanmoins  ne  perdit 
pas  cœur,  mais  il  fit  marcher  ses  troupes  toute  la  nuit. 
Cependant  les  Iroquois  ignoraient  qu'une  armée. fran- 
çaise allât  les  attaquer,  et  on  les  eût  surpris  sans  doute, 
^i  quelques-uns  des  leurs,  qui  dans  la  marche  avaient 
^^  rencontrés  et  battus  par  les  Algonquins,  n'eussent 
^^  donner  avis  dans  les  bourgs,  qu'ils  avaient  rencontré 
^^19  Français  et  des  Algonquins,   qui    apparemment 
^^naient  les  attaquer.  L'alarme  se  mit  aussitôt  parmi 
^Ua;  et  afin  de  se  mettre  en  état  de  se  défendre,  ils 


330  LETTHES 

firent  t'oir  les  iemmes  et  les  eaîiants.  Nos  gens  avan- 
çaieni:  tamboar  Partant  voulant  les  attaqa^  de  force 
sans  chercher  d'aatres  roses  oa  adresses  que  lear 
coarage  et  la  protectioa  de  Dieu.  Les  antres,  qnelqae 
réaolation  qu'ils  enasent  de  se  défendre,  les  Toyant 
approcher  en  ordre  et  sans  crainte,  forent  tellement 
salais  de  peur.  qne.  aana  attendre  l'attaqd'e,  ils  aban- 
donnèrent lenr  village  et  se  retirèrent  dans  on  antre. 
Nos  gens  y  entrèrent  sans  résistance.  le  pillèreot, 
et,  après  y  avoir  mis  le  fen.  ponrauivirent  rennenû 
dans  le  village  ou  il  s'était  retiré.  Les  [rcqaois  qni 
avaient  monté  snr  la  montagne,  voyant  {'armée  qni  leur 
paraissait  de  pins  de  qcatre  mille  hommes,  s'écrièrent 
à  an  aanvage  des  cotres  :  Akaroe.  ta  noas  Ms  pitié  et 
toua  lea  Français  aosai:  voilà  hnit  cents  de  nos  gens 
an  prochain  boaig,  très-bien  mimis  et  r^olos  de  h 
bien  battre,  crois  qa'ils  vont  tailler  en  pièces  tout  ce 
monde  qaé  ta  vois.  L'antre  loi  répondît  :  Les  Françaïi 
iront  et  moi  aassi. 

Ils  disaient  cela  pour  faire  les  braves,  mais  dam 
le  fond  lis  forent  si  eiïrayés,  qa'étant  allés  donner  avii 
  lear  chef  de  ce  qo'ils  avaient  vn,  il  n'en  demeara  pu 
moins  épouvante.  Il  entendait  vingt  tamboors  qni  fai- 
saient on  brait  étrange,  et  voyait  en  même  temps  lea 
Français  venir  droit  à  loi  tète  baissée.  II  ne  les  attendit 
pas,  mais  il  ftit  le  premier  à  prendre  la  faits;  toat  le 
monde  le  snivit  en  sorte  qae  leur  quatre  boargs  demen- 
rèmit  vides  Sommes,  mais  si  remplis  de  vivres, 
dTnstensiles  et  de  tontes  sortes  de  commodités  et  de 
meables,  que  rien  ne  leur  manquait.  L'on  croyait  d^ 
tmnver  qne  des  chanmines  et  des  hottes  de  bergen 

;  de  bâtes,  maïs  tout  fut  troavé  si  beau  et  si  agréable, 
i  tous  CËOZ  de  sa  juite  en  éiaieDt 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNGARNATION.  331 

snrpris.  L'on  voyait  des  cabanes  de  menuiserie  de  six 
vingts  pieds  de  long»  et  larges  à  proportion,  dans 
chacune  desquelles  il  y  avait  huit  ou  neuf  familles. 

La  première  chose  que  l'on  fit  fut  de  chanter  le  Te 
Deum,  pour  louer  Dieu  d*avoir  surmonte  lui-même  ses 
ennemis  par  la  frayeur.  Les  quatre  ecclésiastiques  qui 
accompagnaient  l'armée  dirent  la  sainte  Messe;  après 
qnoi  l'on  planta  partout  la  sainte  Croix  avec  les  armes 
de  France,  pour  prendre  possession  de  toutes  ces  con- 
trées pour  Sa  Majesté:  Pour  feu  de  joie,  l'on  mit  le  feu 
aux  quatre  bourgs,  dans  toutes  les  cabanes,  dans  tous 
les  forts,  et  dans  tous  les  grains,  tant  ceux  qui  étaient 
amassés  que  ceux  qui  étaient  encore  sur  pied  dans  les 
campagnes.  Les  cabanes  et  réservoirs  étaient  si  rem- 
plis de  vivres,  qu'on  tient  qu'il  y  en  avait  pour  nourrir 
tont  le  Canada  deux  années  entières.  L'on  brûla  tout 
après  que  l'on  eût  retenu  le  nécessaire  pour  la  subsis- 
tance de  l'armée.  Les  bourgs  n'étaient  distants  les  uns 
des  autres  que  de  trois  ou  quatre  lieues,  et  l'on  avait 
fiedt  entendre  à  M.  de  Tracy  qu'il  n'y  en  avait  que  deux. 
Mais  il  se  trouva  heureusement  une  femme  Âlgonquine 
dans  la  troupe  de  nos  Algonquins  qui,  en  sa  jeunesse, 
avait  été  captive  aux  Iroquois,  et  qui  dans  une  autre 
lenoontre  avait  été  reprise  par  ceux  de  sa  nation.  Elle 
dit  à  M.  de  Courcelles  notre  Gouverneur  qu'il  y  en  avait 
qoatre,  ce  qui  le  fit  passer  outre  avec  M.  le  chevalier 
de  Cfaanmont.  Il  était  presque  nuit  quand  le  troisième 
Alt  pris,  en  sorte  qu'il  semblait  impossible  d'aller  au 
foatrième,  particulièrement  à  des  personnes  qui  ne 
lavaient  pas  les  chemins  ni  les  avenues.  Cette  femme 
aéanmoins  prit  un  pistolet  d'une  main  et  M.  de  Cour- 
«riles  de  l'autre,  lui  disant  :  Viens,  je  m'en  ^ais  t'y 
imdiiire  tout  droit.  Elle  les  y  mena  en  effet  sans  péril; 


332  LETTRES 

et  afin  de  ne  point  trop  s  engager  témérairement,  l'on 
envoya  des  gens  poar  épier  ce  qni  était  dedans.  II  se 
trouva  qae  tons  venaient  de  prendre  la  faite,  à  la  nou- 
velle qu'ils  avaient  entendue  que  Tannée  allait  fondre 
sur  eux. 

Voici  comme  on  le  sut.  L'on  trouva  là  deux  vieillea 
femmes  avec  on  vieillard  et  un  jeune  garçon;  M.  de 
Tracv  voulut  leur  donner  la  vie,  mais  les  deux  femmes 
aimèrent  mieux  se  jeter  dans  le  feu  que  de  voir  brûltf 
leur  bourg  et  perdre  tous  leurs  biens.  Le  jeune  enfant, 
i|ui  est  fort  joli,  a  été  amené  ici.  L'on  trouva  le  vieillard 
sous  un  canot,  où  il  sétait  caché  quand  il  entendit  les 
tambours,  s  imaginant  que  c*étaient  des  démons,  et  ne 
croyant  pas  que  les  Français  voulussent  les  perdre, 
amis  qu  ils  se  servaient  de  leurs  démons,  c'est  ainsi 
iiuils  appelaient  leurs  tambours,  afin  de  les  épouvanter 
et  de  leur  donner  la  chasse.  Il  raconta  donc  que  les 
Iroquois  des  autres  villages  s  étaient  retira  en  ce  der- 
nier qui  était  le  meilleur  et  le  plus  fort,  qulls  Tavaient 
muni  d'armes  et  de  vivres  pour  résister  aux  Français, 
et  qu'ils  v  avaient  même  fait  de  grandes  provisioDS 
d'eau  pour  éteindre  le  teu.  en  cas  qu'en  IV  allumât; 
mais  que  quand  ils  eurent  vu  cecie  grosse  armée,  qni 
psiraissait  de  plus  de  quatre  mille  hommes,  ils  furent 
si  etËrajes,  que  le  capitaine  se  leva  et  <ih  aux  autres  - 
Mes  frères»  sauvons-nous,  touu  Le  monde  est  contre 
nous.  Disant  cela.  iL  prit  la  fuite  le  premier,  et  tous  l^s 
antres  le  suivirent. 

Us  ne  se  trompaient  pas  de  croire  Farmée  si  ncoa- 
breuse;  elle  paraissait  telle  2ième  à  nc^  Français,  et 
M.  de  Repentigny,  qui  oommandai!i  so«  habitants  Fran- 
çais» m*a  assaré  qu'étant  monté  s^r  !â  montagne  poor 
éteaunix  ail  uj  avait  point  quelques  ennemis,  ii  jeta 


l 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  L  INCARNATION.  333 

la  yne  sur  notre  armée,  qui  lui  parut  si  nombreuse 
qu'il  crut  que  les  bons  anges  s'y  étaient  joints,  dont 
il  demeura  tout  éperdu  ;  ce  sont  ses  termes.  Quoiqu'il 
en  soit,  Dieu  a  fait  à  nos  gens  ce  qu'il  fit  autrefois  à  son 
peuple,  qui  jetait  l'épouvante  dans  l'esprit  de  ses  enne- 
mis, en  sorte  qu'ils  en  demeuraient  victorieux  sans 
combattre.  Il  est  certain  qu'il  y  a  du  prodige  dans  toute 
cette  affaire,  parce  que  si  les  Iroquois  avaient  tenu 
ferme,  ils  eussent  bien  donné  de  la  peine,  et  eussent 
fidt  un  grand  déchet  à  notre  armée,  étant  fortifiés  et 
munis  comme  ils  étaient,  hardis  et  orgueilleux  comme 
ils  sont.  Car  nous  avons  l'expérience  que  les  Agnero- 
nons,  qui  est  la  nation  iroquoise  dont  nous  parlons, 
ne  cèdent  à  personne  ;  tous  leurs  voisins  n'osaient  les 
contredire;  il  fallait  que  tous  se  soumissent  à  leurs 
conseils,  et  ils  venaient  à  bout  de  toutes  leurs  entre- 
prises par  malice  et  par  cruauté.  Mais  cette  déroute  les 
a  réduits  à  la  dernière  des  humiliations  où  une  nation 
peut  être  réduite.  Que  deviendront-ils?  où  iront-ils? 
Lon  a  brûlé  leurs  bourgs;  l'on  a  saccagé  leur  pays; 
^  saison  est  trop  avancée  pour  se  rebâtir;  le  peu  de 
S^ain  qui  est  resté  de  l'incendie  des  moissons  ne  sera 
Ma  capable  de  les  nourrir,  étant  au  nombre  de  trois 
*^ile.  S'ils  vont  chez  les  autres  nations,  on  ne  les  rece- 
^^.pas,  de  crainte  de  s'attirer  une  famine;  et  de  plus 
*I»  se  rendraient  méprisables,  parce  qu'ils  les  ont  empê- 
^^^es  de  faire  la  paix  avec  les  Français,  et  qu'à  leur 
^jct  ils  ont  encouru  leur  indignation  et  se  sont  mis 
^  danger  de  tomber  dans  un  semblable  malheur.  L'on 
*^  sait  encore  où  ils  se  sont  retirés.  Si  dans  leur  fuite 
^  rencontrent  la  nation  des  Loups  leurs  ennemis,  ils 
•^ïàt  perdus  sans  ressource. 

toutes  ces    expéditions  étant  faites,  les  Français 


334  LBTTRBS 

chargés  de  butin  et  des  vivres  nécessaires  pour  aller 
jusqu'à  un  fort  au-delà  du  lac  où  ils  en  avaient  laissé 
en  réserve,  se  mirent  en  chemin  pour  leur  retour. 
M.  de  Tracy  avait  bien  envie  d'aller  à  Oneiou  pour  sd 
faire  autant  qu'à  Agnié;  mais  la  saison  était  trop 
avancée,  et  il  y  avait  sujet  de  craindre  que  les  rivi&res 
ne  vinssent  à  se  glacer.  Etant  arrivés  au  bord  du  lac, 
ils  se  trouvèrent  dans  une  peine  extrême,  car  ils  le 
trouvèrent  si  enflé  qu'il  n'était  pas  possible  de  le  tra* 
verser,  même  avec  des  machines.  Mais  Dieu,  qui  leur 
avait  donné  tant  de  marques  de  son  assistanoe  en 
d'autres  rencontres,  ne  les  abandonna  pas  en  celle-d. 
Comme  l'on  allait  et  venait,  l'on  aperçut  dans  les  het- 
biers  de  grands  arbres  creusés  en  bateaux,  que  Ton  crut 
7  avoir  été  cachés  par  les  Iroquois.  On  les  tira,  et  les 
ayant  trouvés  propres  pour  voguer,  on  s'en  servit  pour 
passer  toute  l'armée.  Je  vous  laisse  à  penser  si  l'on 
rendit  grâce  à  la  divine  Bonté  d'une  faveur  qu'elle  avait 
faite  si  à  propos.  On  fit  brûler  les  bateaux,  et  Ton  repassa 
les  autres  lieux  effroyables  dont  j'ai  parlé,  de  la  m&m 
manière  qu'on  les  avait  passés. 

C'est  une  chose  merveilleuse  d'entendre  parler  de  la» 
beauté  et  de  la  boDté  de  ce  pays-là.  Il  y  a  une  trèa- 
grande  étendue  toute  défrichée  ;  on  y  voit  de  très-bell 
prairies,  où  l'herbe  croît  haute  comme  des  hommes  ;  1 
cannes,  ou  tuyaux  de  blé  dinde  sont  de  dix,  de  dous0 
et  de  treize  pieds  de  hauteur  ;  les  épis  ont  une  grande 
coudée,  et  il  y  a  à  chaque  épi  plus  de  quatre  centii 
grains.  Les  citrouilles,  qui  valent  les  pommes  de  rai* 
nette  de  France,  et  qui  en  ont  le  goût,  et  les  faisoies  y 
croissent  à  foison.  Les  Iroquois  étaient  pourvus  de  tout 
cela,  et  comme  j'ai  déjà  dit,  ils  en  avaient  pour  nourrir 
deux  ans  tout  le  Canada.  Nous  sommes  ici  dans  un  bon 


DB  LA  MËRB  MARIE  DE  L*INCARNATION.  335 

terroir,  mais  celui-là  vaut  mieux  incomparablement. 
L'on  saura  si  le  roi  désire  que  Ton  y  établisse  des  colo- 
nies françaises. 

Les  cabanes  qu'on  a  saccagées  et  brûlées  étaient  bien 
bâties  et  magnifiquement  ornées  ;  jamais  on  ne  l'eût  cru. 
Elles  étaient  garnies  d'outils  de  menuiserie  et  d'autres , 
dont  ils  se  servaient  pour  la  décoration  de  leurs  cabanes 
et  de  leurs  meubles.  On  leur  a  enlevé  tout  cela  avec 
bien  quatre  cents  chaudières  et  le  reste  de  leurs 
richesses. 

Notre-Seigneur  a  exaucé  par  sa  bonté  les  prières  que 
nous  faisions  ici  pour  le  succès  de  cette  guerre.  L'orai- 
son de  quarante  heures  a  été  continuelle  depuis  le 
premier  d'octobre  jusqu'au  second  de  novembre,  que 
nous  avons  appris  des  nouvelles  de  M.  de  Tracy  et  de 
Vannée.  Lea  prières  n'étaient  pas  moins  continuelles 
dans  les  familles  en  particulier  que  dans  les  églises 
pour  le  public;  mais  ayant  appris  la  nouvelle  de  la 
déroute  des  ennemis,  nous  avons  changé  nos  prières 
®ii  actions  de  grâces,  et  le  Te  Deum  a  été  chanté  avec 
^ucoup  de  pompe  et  de  solennité.  Il  y  avait  ici  pin- 
ceurs captifs  des  nations  iroquoises  :  M.  de  Tracy,  au 
Wtour  de  l'armée,  en  a  fait  pendre  un,  faisant  com- 
prendre aux  autres  que  c'est  parce  qu'il  a  été  infracteur 
^^  la  paix  et  qu'il  était  cause  du  malheur  qui  est  arrivé 
&^X  Agneronons  par  les  mauvais  conseils  qu'il; leur 
^▼a.it  donnés.  Cela  étonna  étrangement  ces  barbares 
VA  tremblaient  comme  des  enfants,  dans  la  crainte 
4^*ils  avaient  qu'on  ne  leur  en  fit  autant.  Le  bâtard 
i'iainant  craignait  plus  que  les  autres,  parce  qu'il  était 
^®  plus  fameux  d'entre  les  Iroquois.  M.  de  Tracy  néan- 
moins lui  a  donné  la  vie  et  l'a  renvoyé  chercher  ses 
S^Hs  fugitifs,  avec  ordre  de  leur  dire,  que  s'ils  remuent 


336  LETTEIES 

davantage  il  les  ira  voir  de  rechef,  mais  qu'ils  n'en 
seront  plus  quittes  à  si  bon  marché.  Il  en  a  encore 
envoyé  trois  ou  quatre  de  chaque  nation,  pour  leur 
porter  la  nouvelle  de  ce  qui  est  arrivé  aux  Agneronoos, 
et  leur  dire  qu'ils  aient  à  faire  savoir  leurs  intentions, 
faute  de  quoi  il  fera  pendre  tous  ceux  qui  restent  ici 
de  leurs  gens.  Ils  ont.  fait  de  belles  promesses  ea  pa^ 
tant,  je  ne  sais  s'ils  les  garderont. 

Je  vous  écris  ce  petit  abrégé  pour  vous  faire  bénir 
Dieu  de  ses  grandes  assistances  sur  nos  Français,  qui 
sont  tous  de  retour  en  bonne  disposition,  et  sans  aucune 
perte  de  leur  bagage,  sinon  que  deux  canots  ont  tourné 
dans  les  bouillons  d'eau. 

Au  même  temps  que  nos  Français  faisaient  brûler  les 
bourgs  des  Iroquois,  il  semblait  que  Dieu  voulût  nous 
en  donner  lui-même  des  nouvelles  par  plusieurs  feux 
qui  ont  paru  dans  les  forts,  et  même  en  celui  de  Québec 
En  l'un  de  ceux  qu'on  avait  faits  sur  le  chemin  des 
Iroquois,  les  soldats  qui  le  gardaient  pensèrent  mourir 
de  frayeur.  Ils  virent  en  l'air  une  grande  ouverture,  et 
dans  cette  ouverture  des  feux  d'où  sortaient  aussi 
des  voix  plaintives  avec  des  hurlements  efiProyables. 
C'étaient  peut-être  les  démons  qui  étaient  si  enragés  de 
ce  que  Ion  avait  dépeuplé  un  pays  dont  ils  avaient  été 
si  grands  maîtres  depuis  un  si  long  temps,  et  de  ce  que 
l'on  avait  dit  la  Messe  et  chanté  les  lonanges  de  Diea 
dans  un  lieu  où  il  n'y  avait  jamais  eu  que  des  impuretés 
et  de  l'abomination.  Je  recotnmande  à  vos  prières  la 
conversion  de  cette  barbarie.  Dieu  les  a  détruits,  sao{ 
qu'il  y  en  ait  eu  un  seul  de  perdu,  peut-être  ne  les  a-t-il 
humiliés  que  pour  leur  salut. 

De  Québec,  le  12  de  novembre  1666. 


DB  LA  MBRB  BfARIE  DE  L'IN CARNATION.  337 


LETTRE   CLXXIX. 


A   LA   SUPÉRIEURE   DES   URSULINES    DE    TOURS.* 


Elle  lui  témoigne  sa  joie  de  son  élection  à  la  charge  de  supérieure. 

Ma  révérende  et  très-honorée  Mère, 

Votre  sainte  bénédiction. 

Je  n'ai  pas  la  patience  d'attendre  les  lettres  de  nos 
chères  Mères  de  Tours  pour  leur  rendre  les  témoignages 
ordinaires  de  mon  affection.  Un  vaisseau  qui  va  partir 
me  donne  une  occasion  trop  favorable  de  le  faire.  J*ai 
seulement  su  par  une  voix  extraordinaire  que  la  bonté 
de  Dieu  a  fait  ^  le  choix  de  votre  chère  personne  pour 
gouverner  votre  sainte  Communauté.  J'ai  été  consolée 
dans  la  créance  que  sa  divine  Majesté  a  trouvé  en  vous 
mie  âme  selon  son  cœur,  en  vous  élevant  dans  une 
place  où  votre  humilité  n'aspirait  pas.  C'est  ainsi,  mon 
ûmable  Mère,  qu'il  traite  ses  amis  et  qu'il  élève  les 
âmes  humbles  :  que  son  saint  Nom  en  soit  béni  éter- 
nellement! Dans  une  lettre  que  j'ai  reçue,   je  vois 
clairement  que  nos  Mères  et  nos  Sœurs  ont  été  extrê- 
mement consolées  de  cet  heureux  choix.  Je  me  joins 
i  elles  pour  participer  à  leur  joie  et  à  leur  bonheur. 

(1)  Son  humilité  est  recoramandable  en  cette  lettre,  en  ce  qu'étant  supérieure 
^^i  bien  que  celle  à  qui  elle  écrit,  elle  lui  demande  sa  bénédiction,  et  se  com- 
^^  &  son  égard  comme  son  inférieur.  (Note  de  Cl.  Martin.) 

LBTTa.  M.   II.  22 


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ocstesT  ti^  a  la.  i"Wi  lu  ôe  la  ^yfee  de  Saint- 

irania  trais  ans.  LToil  veosc:  amni:  ms  âmce  atemiie  que 

pMT  vQiB  paijpf  "nnBèEHDBBK.  je^  9B8  &  rsvie  (Tatoîr 
qoekniiKr  pestai  hbox;.  >) ok  jV  li  c^  ratfihpfiigit  en 
sufte-nuil  me  soBiiis  qoe  je  sKsia  miiiuliâe  d^oi  goénr, 
laTétast  aari»  'ma-  ^"aanthi  ooiiiL  on  nefae  tténor  et  os 
lien  orécienx  iin  me  lie  étreiiiHff  refit  à  mire  dt^în  Sio- 
venr.  Rendes-Toi  :zràces.  i  il  ^^as  plait»  pour  moi  de  tant 
(te  favAfire  «mil  mir  rait.  et  obteneK  de  sa  bonté  que  /en 
famé  Tosage  {n'etle  iémre  «ie  moi. 


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0<^  QuAec.  is  2S  jmdUt  1667. 


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DE  LA  M&RB  MARIB  DE  L'INCARNATION.  339 


LETTRE  CLXXX. 

A    UNE   RELIGIEUSE   URSULINE   DE   TOURS. 
{La  Mère  Marie  de  la  Nativité.) 

BU6  la  félicite  de  ce  qa*elle  soit  déchargée  de  la  supériorité.  —  Qae  la  grftce 
supplée  au  défaut  de  l'industrie  naturelle  dans  les  supérieurs  légitimes. 
—  Qu'il  faut  mettre  de  la  différence  entre  la  sévérité  et  l'exactitude  dans 
on  supérieur.  —  Elle  déplore  le  refroidissement  du  siècle  pour  les  maximes 
de  FErangile. 

Ma  révérende  et  toute  chère  Mère, 

Vous  voilà  au-dessus  des  nues  de  vous  voir  déchargée 

de  la  supériorité  ;  et  de  ma  part  je  me  réjouis  avec  vous 

de  ce  que  vous  n'avez  plus  ce  pesant  fardeau  sur  les 

%ules,  et  de  ce  que  vous  êtes  retirée  dans  votre  petit 

irfd  comme  le  saint  homme  Job  l'était  dans  le  sien  ;  je 

lû'assure  que  vous  y  multiplierez  vos  palmes  comme  lui. 

Que  ne  ferez- vous  point  là,  chère  Mère,  pour  gagner  le 

oœur  de  Dieu,  afin  qu'il  bénisse  la  nouvelle  conduite 

4n11  a  donnée  à  notre  sainte  Communauté?  Celles  qui 

y  sont  préposées  n'auront  pas  peu  de  croix  à  supporter, 

^V^Qt  point  été  jusqu'ici  en  des  charges  qui  leur  aient 

!^Q  donner  des  expériences  et  des  lumières  pour  la 

adulte.  Mais  je  me  reprends  :  où  les  industries  natu- 

^iles  et  les  connaissances  acquises  manquent,  la  divine 

^nté  supplée  quand  on  entre  dans  la  bergerie  par 

•^Itii  qui  en  est  la  porte,  par  notre  bon  Jfisus.  Or,  elle 

choisi  des  âmes  sages  et  vertueuses,  qui  n'aspiraient 


r^'^    .^^.      -"-,;     -B-  -^Tra  --ea  -rnu  iev»»r»^    e  tis  a 

■ 

•i".    .-.r f-v-r    -nr  "AniTr.  Il  .8  ini  rn  peut  ^rnser  les 
<rwjîA5>T'Arîa  :àirisî,i«.  IToa.  3ÛIL   TiTimA  ilèTB.  aayef 
/■.**<î  >  Vîr,rr;ri*iTi  v    je  .onieor  rn  ^Dcre  ime  sar  ce 
•»;:«*^     >   '.'r:55f   ^»i    jea    le   !case   inami  il  s'agit  de 
-^•/*.*îA?'>  ./w    :rciTA  1.5^  Norre-S^gnenr.  donc  ceoz  qui 
/r,T'-'rrf^if  .»>•   loiveat  regiire  :iii  >x>nipte  crès-exact 
.',^  'îisrt»;r*;  'rfAtWr,  ^;îe  -isî  îht  son  iêciin:  c'est  pour  cela 
itjr*  îr  .if.hfifié  1^  Vjroa  eî  iea  esprits  veut  régner  et  a 
^^  .«  p/r-r:^  A  ?e  ,aiiîser  iémire.  Cela  est  déplorable. 
f^p.  ^A   ji)^,  .^n  maximes  ie  JHsua-CflBisT  vont  sanéan* 
^i«r«!^nt  /tflrï9  îe5t  âmes  qall  avait  choisies  et  appelées 
p^fnf  }^  y  fftire  régner.  Pleorons  ce  malheur,  nioa 
r^rMA  AfAf A,  é(t  tâ^^hons  de  larrêter  par  nos  voeox,  si 
//^^  M  tê  fftm^fmn  par  nos  paroles  et  par  nos  exemplei 
iMêOM  <Ia  nunpfinûre  la  justice  de  Celai  qai  y  &i  à 
thii  \hl4rimnA,  Mais  jo  ne  sais  pas  digne  qnll  m'écoate, 
MNI'  Jm  «iilfi  \k  plus  infidèle  du  monde  dans  son  service, 
ii  J'nI  plim  ilo  heNoln  (|u'on  le  prie  pour  moi  que  je  ne 
Il  llull  pHil*  Jpour  les  autres;  mais  vos  prières  loi 


•    ■       la         '     . 


DE  LA  MBRB  MARIE  DE  l'INGARNATION.  341 

seront  plus  agréables  et  le  fléchiront  plutôt  que  les 
miennes. 

De  Québec,  le  9  de  septembre  1667. 


LETTRE  CLXXXI. 


A    SON   FILS. 


Sa  patience  héroïque  dans  ses  inârmités.  —  Sa  profonde  humilité,  s'estimant 

inférieure  en  vertu  à  celui  à  qui  elle  écrit. 


Mon  très- cher  fils, 

Un  navire  qui  doit  partir  demain  me  porte  à  vous 
écrire  ce  mot,  quoique  je  n'aie  ei\core  reçu  aucune  de 
iros  lettres.  J'ai  pourtant  appris  de  vos  nouvelles  par 
un  autre  moyen,  et  je  sais  que  vous  êtes  à  présent  au 
monastère  de  Bonne-Nouvelle  de  Rouen.  Il  faut  servir 
Dieu  où  il  vous  appelle,  et  il  me  suffit  de  savoir  que 
e*68t  la  voix  de  Dieu  et  non  votre  propre  choix  qui  vous 
a  appelé  en  ce  lieu-là,  pour  être  satisfaite.  Cette  non- 
▼elle  qui  m'est  venue  par  hasard,  m'a  ôtée  de  la  peine 
nù  j'étais  à  votre  égard.  N'en  est-ce  pas  une  bien 
*  grande  de  voir  quatre  vaisseaux  arrivés  il  y  a  assez 
[  loogtemps,  et  deux  autres  qui  viennent  d'arriver,  sans 
'  lien  apprendre  de  la  personne  qui  m'est  la  plus  chère 
4mûB  le  monde?  cela  me  donnait  sans  doute  de  l'inquié- 
tiide,  quoique  je  vous  voie  continuellement  en  Dieu. 
^  Ce  ne  sera  donc  ici  qu'un  petit  mot  pour  vous  visiter 
éè  bonne  heure,  et  pour  vous  dire  ma  disposition  qui 


342 

est  bonne,  poisqne  les  croix  sont  les  déttœs  de  itsoL  \ 
Je  ne  me  remets  point  de  ma  grande  maladie;  elle  t 
des  suites  très*donIoareares  à  la  nature,  quoiqu'elle 
se  les  soit  apprivoisées,  et  qu'elle  se  smt  aooontaméeà 
la  souffrance.  Du  côté  de  mon  esprit,  fy  ai  de  rattache, 
et  j*ai  peur  que  mes  lâchetés  nobligent  la  divine  Bonté 
de  me  les  ôter  ou  de  les  adoucir.  Ces  croix  me  sont  â 
aimables  et  ces  douleurs  si  précieuses,  que  de  mon  o6té 
je  les  aimerais  mieux  que  tous  les  trésors  et  toutes  les 
délices  de  la  terre,  même  les  plus  innocentes.  Notre  bon 
Dieu  m'y  fait  tant  de  grâces,  que  tous  ces  accidents  ne 
m'empêchent  point  de  garder  mes  règles.  Le  fond  de 
mon  mal  est  toujours  un  flux  hépatique  qui  me  Uesà 
depuis  trois  ans,  quoique  auparavant  je  n'eusse  jamais 
été  attaquée  de  ces  sortes  de  maux.  Je  sois  si  faible  que 
je  ne  puis  me  tenir  à  genoux  le  quart  d*une  messe,  et 
encore  faut-il  que  je  sois  appuyée.  Cette  faiblesse  vient 
de  ce  que  je  ne  prends  pas  assez  de  nourriture  pour 
soutenir  l'effort  de  ce  mal,  parce  que  celle  que  je  prends 
en  un  jour  n'est  pas  le  quart  d'un  repas  ordinaire,  et  ne 
serait  pas  suf9sante  pour  nourrir  un  enfant. 

Depuis  Pâques  mon  mal  a  augmenté,  en  sorte  qu'au- 
jourd'hui on  ne  sait  comment  je  puis  vivre.  Le  peu 
d'aliments  que  je  prends  est  accompagné  d'un  dégoût 
étrange ,    à    cause   que   tout   me   paraît   comme  de 
Tabsinthe,  ce  qui  me  donne  une  mémoire  continuelle 
du  fiel  de  la  Passion  de  Notre-Seigneur  ;  et  c'est  ce  qui 
me  rend  mon  état  aimable,  et  me  le  fait  chérir  conuoe^ 
une  chose  émanée  de  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  (fA 
m'a  voulu  avantager  de  cette  grâce.  Cette  amertuno 
néanmoins  ne  me  cause  point  de  vomissements,  mais 
seulement  des  soulèvements  de  cœur  qui  causent  le  , 
dégoût  et  le  rebut  de  quelque  nourriture  que  ce  mt,  i 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INGARNATION.  343 

irce  qu'elles  prennent  tontes  le  même  goût  dans  ma 
^iiche.  L'amertume  est  si  grande  qu'elle  me  coupe 

langue  par  son  âcreté.  Enfin  c'est  que  mon  foie 
Invertit  tout  en  cette  humeur.  Je  n'eusse  jamais  cru 
L*il  y  eût  tant  de  délices  dans  les  soufifrances  si  je  ne 
^v^ais  expérimenté  depuis  plus  de  trois  ans.  J'en  ai  eu 
c^ore  une  nouvelle  expérience  dans  l'abcès  qui  s'était 
riné  dans  la  tête  il  y  a  trois  mois,  et  qui  m'avait 
ndue  sourde  d'une  oreille.  Il  me  causait  des  douleurs 
t^Têmes,  sans  parler  de  l'incommodité  que  j'en  rece< 
im,  tant  dans  les  parloirs,  où  les  affaires  m'appelaient, 
e  dans  la  communication  avec  mes  Sœurs  ;  et  cette 
c^cmmodité  me  peinait  plus  que  la  douleur  môme, 
iroe  que  les  autres  en  souffraient.  Enfin  l'abcès  a  crevé 

s'est  vidé  par  la  même  oreille  avec  un  surcroît  de 
xileurs;  ma  surdité  s'en  est  allée  avec  lui,  et  main- 
aant  je  suis  à  mon  ordinaire. 
J'ai  appris  que  l'on  propose  à  Rome  les  Religieux 
t  Totre  Congrégation  pour  peupler  un  célèbre  menas- 
re  qu'un  Seigneur  a  fait  bâtir  en  Pologne  :  si  ce 
dssein  réussit  Dieu  en  tirera  beaucoup  de  gloire,  et 
ertes  cela  appartient  à  votre  ordre,  puisque  vous  êtes 
B8  premiers  Pères  de  la  Religion  chrétienne  dans  ce 
prand  royaume.  Je  serais  ravie  s'il  plaisait  à  la  divine 
lif&jesté  se  servir  de  vous  dans  cette  grande  expédition  ; 
nais,  mon  très-cher  fils,  j'apprends  que  vous  êtes  infirme 
yt  que  vous  portez  une  grande  faiblesse.  Je  voudrais 
Moir  quelle  est  cette  infirmité  et  si  elle  est  habituelle 
^  passagère.  Pour  les  passagères,  il  n'en  faut  pas  faire 
Mat  quand  il  faut  faire  ce  que  Dieu  demande  de  nous  ; 
^8  les  habituelles  sont  à  craindre.  Si  néanmoins  sa 
^^ne  Majesté  demandait  cela  de  vous,  allez  à  la  bonne 
^ure,  vous  serez  tout-puissant.  Dans  i!incommodité 


344  LBTTRR8 

de  mon  mal  habituel  je  deyrais  toujours  garder  le  lit 
et  être  dans  lluactioD.  Cependant  je  ne  m'arrête  pas 
un  moment.  Je  suis  la  première  levée  et  la  dernière 
couchée,  et  il  est  rare  que  je  prenne  du  repos.  J'assiste 
à  toutes  les  observances.  Il  7  a  quatre  mois  que  j'écris 
continuellement  des  lettres  et  des  mémoires  pour  dos 
affaires  de  France;  enfin  je  fais  ma  charge  par  la  misé- 
ricorde de  Dieu,  quoique  les  affaires  soient  épineuses 
en  ce  pays.  Remerciez-le  des  assistances  qu'il  me 
donne  et  des  miséricordes  qu'il  me  fait.  Demandez-lni 
encore  qu'il  agrée  tous  les  moments  de  ma  vie  comme 
une  victime  soumise  à  sa  conduite  et  dévouée  à  son 
amour.  Je  lui  demande  la  même,  chose  pour  vous,  et 
je  m'en  vais  communier  à  cette  intention,  afin  qu'il  loi 
plaise  disposer  de  vous  comme  d'une  victime  que  je  lai 
ai  offerte  il  y  a  longtemps. 

Quand  j'ai  appris  que  vous  étiez  malade  et  si  affaibli, 
j'ai  pensé  que  nous  pourrions  bien  nous  rencontrer 
dans  le  chemin  de  l'éternité.  Mais  une  autre  pensée  a 
suivi  cette  première,  que  si  nous  nous  rencontrons  dans 
ce  chemin,  vous  arriverez  le  premier  au  terme,  puisque 
je  n'ai  point  de  vertu  et  que  déjà  vous  me  devances 
dans  l'état  où  Dieu  nous  a  appelles.  Je  n'ai  que  dix-neof 
ans  de  naissance  plus  que  vous,  et  ces  années-là  me 
donnent  de  la  confusion.  Vous  étiez  religieux  que  voos 
n'aviez  guère  plus  de  vingt  ans,  et  moi  j'en  avais  trente 
un.  Enfin  vous  avez  plus  travaillé  que  moi,  mon  très- 
cher  fils  :  achevez,  ou  plutôt,  que  Dieu  par  sa  bonté 
achève  son  œuvre  en  vous.  Priez- le  qu'il  me  fasse 
miséricorde  et  qu'il  oublie  tous  mes  défauts.  Cependant 
je  jouis  d'une  grande  paix,  parce  que  j'ai  affaire  à  on 
bon  Père  qui  m'a  toujours  fait  de  grandes  grâods* 
¥^(mèg§j^         les  continuera,  et  qu'à  la  mort  il  me 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARN ATION .  345 

recevra  dans  son  sein  sous  la  faveur  de  sa  très-sainte 
Mère.  Quand  vous  en  apprendez  la  nouvelle,  mendiez- 
moi  le  plus  de  messes  que  vous  pourrez,  je  vous  en 
supplie;  j'ai  cette  confiance  en  vous. 

De  Québec,  le  1667, 


LETTRE   CLXXXII. 

AU   RÉVÉREND   PERE   PONCET   DE   LA   COMPAGNIE   DE   JÉSUS. 

BlU  ]m  parle  des  progrès  de  la  religion  et  de  l'Etat  dans  le  Canada.  —  Elle 
Fentretient  de  ses  dispositions  particulières,  surtout  de  sa  joie  dans  les  souf- 
frances. —  Elle  le  remercie  de  quelques  reliques  qu'il  avait  envoyées  à  son 
monastère. 

• 

Mon  très-révérend  et  très-honoré  Père, 

Nous  avons  été  consolées  autant  qu^on  peut  l'être, 

d'apprendre  que  vous  êtes  encore  en  ce  monde,  et  que 

notre  bon  Jésus  vous  a  conservé  dans  les  fatigues  d'un 

ti  long  et  si  pénible  voyage.  Je  m'assure  que  les  croix 

B6  vous  y  ont  pas  manqué  ;  je  m'en  console,  car  je  sais 

q;ue  vous  les  aimez.  Mais,  mon  cher  Père,  ne  nous 

verrons- nous  point  encore   quelque  jour  pour  nous 

tDtretenir  de  nos  aventures?  Notre  divin  Msdtre  le  fera 

quand  il  lui  plaira;  et  si  c'est  sa  plus  grande  gloire, 

fl  vous  fera  revoir  cette  église  qui  vous  a  tant  coûté. 

^oi2t  y  est  à  présent  magnifique,  et  c'est  une  bénédic- 

^oii  de  Dieu  de  voir  l'union  qui  est  entre  Mgr  notre 

*^ôque  et  nos  révérends  Pères.  Il  semble  qu'eux  et 


346  LBTTRB8 

MM.  du  séminaire  ne  soient  qu*an.  M.  de  Tracy,  qoi 
m'a  déclaré  ses  sentiments,  en  est  ravi,  comme  aussi 
de  la  majesté  de  l'église  et  des  grandes  actions  de  piété 
de  ceux  qui  la  servent.  Vos  Pères  y  éclatent  à  l'ordi- 
naire, et  en  font  l'un  des  plus  grands  ornements.  Vous 
verriez  vos  petits  enfants  qui  commençaient  de  votre 
temps  à  connaître  les  lettres,  porter  aujourd'hui  la 
soutane  et  étudier  en  théologie.  Votre  collège  est  floris- 
sant. Bit  notre  séminaire,  qui  n'est  qu'un  grain  de  sable 
en  comparaison,  fournit  d'excellents  sujets.  Vous  aves 
vu  de  petites  filles  à  qui  nous  avons  depuis  donné 
l'habit,  et  d'autres  à  qui  nous  sommes  sur  le  point  de 
le  donner,  toutes  destinées  pour  le  chœur.  Vous  pleu- 
reriez de  joie  de  voir  de  si  heureux  progrès,  et  on 
moment  de  votre  réflexion  sur  l'état  où  les  choses  ont 
été  et  sur  celui  où  elles  sont,  vous  ferait  oublier  tons 
vos  travaux  passés.  Vous  nous  avez  vues  trois  religieu- 
ses, qui  ont  eu  l'honneur  de  faire  le  voyage  en  votre 
compagnie,  aujourd'hui  nous  sommes  vingt,  et  nous 
en  demandons  encore  en  France.  Le  révérend  Père 
Lallemant  est  toujours  notre  bon  et  infatigable  Père. 
Que  vous  dirai-je  de  moi-même?  Pour  l'intérieur, 
mon  très-cher  Père,  je  suis  telle  que  vous  m'avez  vue, 
sinon  que  je  suis  pire  pour  la  vertu.  Pour  le  corps, 
il  y  eut  trois  ans  au  mois  d'août  que  Dieu  m'envoya 
une  maladie  d'un  flux  hépatique  que  j'ai  encore.  Il  m'a 
mise  jusqu'aux  portes  de  la  mort,  où  j'ai  reçu  toos 
les  sacrements.  Cette  maladie  a  été  accompagnée  de 
divers  accidents  et  de  douleurs  des  plus  aiguës.  Quoique 
j'en  sois  encore  malade,  Notre- Seigneur  me  donne  les 
forces  de  pouvoir  garder  nos  règles.  J'ai  par  sa  grâce 
jeûné  le  Carême  passé,  mais  à  présent  on  m'interdit 
le  jeûne  à  cause  du  peu  de  nourriture  que  je  prends, 


09  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNOARNATION  .  347 

à  raison  d  une  amertume  de  bouche  qui  donne  le  goût 
de  fiel  à  tout  ce  que  je  mange,  et  me  cause  un  mal  de 
cœur  continuel  avec  des  coliques  qui  ne  cessent  point. 
Tout  cela,  mon  aimable  Père,  fait  mes  délices,  et  quand 
je  pense  à  mes  douleurs,  il  me  semble  que  je  possède 
un  trésor.  Nous  avons  dans  notre  cœur  un  crucifix 
ravissant.  Quand  je  Tenvisage,  je  lui  dis  :  C'est  tous, 
mon  bien-aimé,  c'est  vous  qui  me  faites  souffrir  ;  puis 
mon  cœur  se  dilate  dans  mes  petites  souffrances,  sur- 
tout dans  le  goût  de  mon  fiel  ou  absinthe,  car  mes 
coliques  ne  sont  que  des  roses  en  comparaison  de  cette 
amertume.  Dans  nos  élections  qui  furent  faites  le 
Carême  dernier,  j'estimais  que  la  Communauté  aurait 
pitié  de  moi,  et  qu'elle  me  déchargerait  de  la  supériorité; 
elle  n'a  pas  écouté  mes  prières  ;  ainsi  il  m'a  fallu  subir 
ce  second  joug,  et  joindre  ce  fardeau  à  celui  de  mes 
douleurs.  La  très-sainte  volonté  de  Dieu  soit  accomplie 
en  moi  ;  il  me  donne  cette  charge  à  l'âge  de  soixante- 
sept  ans  ;  il  me  donne  aussi  des  forces  pour  les  porter, 
car  je  sens  une  vigueur  toute  particulière  dans  les 
affaires  et  dans  la  conduite,  quoiqu'il  nous  en  arrive 
de  très-épineuses. 

Madame  notre  fondatrice  court  à  grands  pas  dans 
la  voie  de  la  sainteté.  Je  suis  ravie  de  la  voir,  et  si 
vous  la  voyiez,  vous  le  seriez  comme  moi.  Nous  vous 
sommes  obligées  de  la  sainte  relique  qu'il  vous  plut 
nous  envoyer.  Nous  avons  reçu  ce  précieux  dépôt  avec 
des  chants  d'allégresse,  et  pourtant  les  larmes  aux 
yeux,  mais,  larmes  de  joie  et  de  dévotion.  Cette  chère 
dame  n'a  point  voulu  entendre  la  proposition  que  vous 
m'avez  faite,  d'en  faire  part  à  la  paroisse,  disant  que 
vous  ne  lui  en  dites  rien.  C'est  pour  notre  église,  dit- 
elle,  la  paroisse  a  deux  corps  saints  entiers.  Quand 


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DE  LA  MËRE  M ARI£  DE  L'INCARNATION  .  349 


LETTRE   CLXXXIII. 

A   SON   FILS. 

uois  demandent  la  paix  aux  Française  —  Mission  aux  Outaouak  et  autres 
nations  plus  éloignées.  —  Retour  de  M.  de  Tracy  en  France. 

Mon  très-cher  fils,  ' 

70US  ai  fait  savoir  par  une  autre  lettre  ce  qui  s'est 
cette  année  au  sujet  des  Iroquois,  et  comme,  par 
:e  conduite  de  M.  de  Tracy,  ils  sont  venus  après 
iéroute  nous  demander  la  paix.  Deux  nations 
lées  de  soixante  lieues  Tune  de  l'autre,  et  qui 
it  les  plus  orgueilleuses  et  les  plus  cruelles;  ont 
'emières  fait  cette  démarche.  Celles-ci  et  toutes 
très  ont  été  si  effrayées  de  la  perte  des  Agnero- 
3t  du  grand  courage  des  Français,  qu'ils  n'avaient 
lés  jusqu'alors  que  comme  des  poules,  qu'ils  s'ima- 
nt  qu'une  armée  française  était  toujours  à  leurs 
es  et  les  suivait  partout.  Dans  cette  frayeur,  ils 
é  heureux  d'avoir  entrée  pour  demander  la  paix, 
e  sorte  qu'ils  ont  acquiescé  à  toutes  les  conditions 
ur  ont  été  proposées  :  savoir  de  ramener  tous  nos 
s  de  l'un  et  l'autre  sexe,  et  d'amener  ici  de  leurs 
es  pour  otages  des  Pères  et  des  Français  qui 
^  envoyés  dans  leur  pays.  Tout  cela  s'est  exécuté 
nt  en  point.  Les  Pères  sont  partis  avec  quelques 
ais  et  quelques  Iroquois,  qui  durant  leur  captivité 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DB  l'INCARNATION.  351 

ftd,  aller  et  venir  comme  un  insensé.  Cette  jeune 
e  cependant  ne  faisait  que  se  rire  de  lui,  et  tout 
le  roâensait  point. 

IX  avec  qui  nous  avons  la  paix  sont  les  Agneron- 
Bt  les  Oneiousteronnons.  Il  y  a  encore  les  Onon* 
:>nnons,  les  Oiogneronnons  et  les  Sonnontoueron- 
qui  n'ont  point  encore  paru.  Ils  disent  pour  raison 

se  préparent  à  la  paix,  et  ils  s'excusent,  disant 
ont  déjà  fait  ici  onze  ambassades,  sans  qu'on  leur 
onné  satisfaction.  La  vérité  est  que  ces  peuples 

naturellement  orgueilleux,  ils  ont  de  la  jalousie 
I  que  les  autres  les  ont  devancés;  et  de  plus,  ils 
me  grande  guerre  contre  les  Andastaoueronnons 
Nouvelle- Suède.  Ils  donnent  néanmoins  espérance 
le  printemps  prochain,  et  voilà  où  nous  en  sommes 
les  Iroquois. 

la  Nouvelle-Hollande,  aujourd'hui  occupée  par  les 
ds,  appartenait  au  roi  de  France,  on  serait  maître 
[is  ces  peuples  et  on  y  ferait  une  colonie  française 
rable.  Les  forts  qui  ont  été  faits  sur  le  chemin  des 
lois,  sont  demeurés  avec  leurs  garnisons  :  l'on  y 
îhe  beaucoup,  surtout  au  fort  de  Chamblay  et  à 

de  Soret.  Ces  Messieurs  qui  sont  fort  honnêtes 

sont  pour  (sont  gens  à)  établir  (avec  la  permission 
>i)  des  colonies  françaises.  Ils  y  vivent  de  ménage, 
ant  des  bœufs,  des  vaches,  des  volailles.  Ils  ont 
3aux  lacs  fort  poissonneux,  tant  en  hiver  qu'en 
)t  la  chasse  y  est  abondante  en  tout  temps.  Tous 
it  en  bons  chrétiens.  Les  révérends  Pères  et 
les  ecclésiastiques  y  vont  faire  des  missions,  outre 
\i.  l'abbé  de  Carignan,  aumônier  du  régiment,  fait 
lidence  au  fort  de  Chamblay,  autrement  de  Sainte- 
^.  L'on  a  fait  des  chemins  pour  communiquer 


à 


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-  ■•«»   '^r-nanons-   -r  --:nr  "lea  leora  aiîaiiei  parte 
mivs  T^  :.à  \';îir  .ivac  les  îamiiiea  aa  deys. 
-?r  -;^!:Tr  .v^ns  .mnee  ^oaize-vnigc-àoizzB  alla  te 
.••:ncB   ::îi  .^onr  ic-i  ^^yTP^*»   cour  la  Dinsart.  à>ie^ 
•Tas  «^   ■    les  izenaoe  inivau.  à  im  1  oïl  danne ob» 
LOixanon  -r  lea.  -t-^-tihï  cour  noir  mois.  -*iin    ioîlr 
iijasmr  ièii8t!»tg  i5â  '6rre9  pour  senxmsiir.  H  ^ 
'zm  '::r.  zmmi  zoTnnre  «l'hommea  aux  dépen 
\2i  ^renr  :  :iâ  je  pavs  se  peuple.  Sa  Majesté  a 
Licore  -^arore  ita  cneYanz;^  :aYaies*  chèTres^  moiioai, 
on    .  r      rurTULc  ::î  raT5   le  ^Tonneaux  et  d'animanx 
.'inescniaes.     a.  iiLiaa  i  loone  pour  nom  part  dflox 
5ii^    'iTaiea  ec  :in.  :ceTau  :aiLC  pour  la  chamxe  qw 
jor  !e  oîiarm.  . 2.  :iz  ùue  ic5  rroupea  sea  retooraeraÉ 
.a    rjcnaiJi;  ziaLî  :.  '  '.  ^^parence  que  ia  piua  gramb- 
artxe  ^jrscera   .:i     omme   .^auitancs,  v  troaYant  d6V 
.'rrcs  .;ai;à  g  Taraient  reu-^^re  pas  dans  leur  pays, 
joaizc    .'iix  -^yggioLig,     is   révérends  Pères  v  mt 

m 

xtrememenc  j^nês^  «=  reveremi  Père  Alloues  qui  a  éi# 
.e!zx  os  'Ox  imcuaK  ans  uaon  iic  pu  apprauiiB 
.e^  <«  oaveiies.  -5«  ::*venu  :a  mois  iaoùt  dendtf 
;rf>e     rî?   :rtn3     e    eîte  iiaaon*   ,ai  ont  lait  le  voyap 

iVir  A  'T^iw.  =  on  1-ère  a  rapporté  que  ne  pouvant 
jiSL^sner  -^  orar  :es  .  utaouaK.  pour  ia  Foi^  il  âe  rtsoitf 
/it'û^r  -nerrfîer  m  uxne  leupie  plus  âuscepâbie  è 
vrre  grAce-.  Il  1  :'air  i  je  les&ein  quau>rze  ou  quin» 
^^r.r.Q  lenes  :•»  .-aeniin  -hl  sorte  qu'il  en  a  tronf^ 
m  Tès-nrmrrEui  lui  ieac  rendu  très-docile,  etqoii 
r-^^n  ^an^  r^siatance  La  iemence  de  TEvangile.  Il* 
^  r.flip^i?^  "rcî3  :!8at  joarante,  dont  trois  cents  sont 
^o^r^^  npr^.^  ^ivoir  reca  Le  japtème.  Ceux-là  étaient  to 
/i^ill?»r'U  '^t  les  enfanta,  car  an  ne  confie  ce  Sainreinetf 


V 

\ 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DE  L*INCARNATION .  353 

i^  autres  qu'après  de  grandes  dispositions  et  des  mar- 
ies de  persévérance.  Voyez  quelle  grâce  Dieu  a  faite 
ceux-là,  qui  seraient  à  présent  dans  l'enfer  pour 
ternité. 

Ce  Père  a  extrêmement  souâert  dans  cette  mission. 
iwsnt  deux  ans  il  n'a  presque  vécu  que  de  gland  et  de 
ci.on  qu'il  ratissait  sur  des  roches.  Je  lui  demandai 
Dament  il  avait  pu  vivre  de  cette  mauvaise  nourriture, 
<}uel  goût  il  y  trouvait.  Tout  semble  bon,  me  dit-il, 
:^«lui  qui  a  faim.  Pour  manger  cette  mauvaise  viande, 
la  faisait  bouillir  dans  de  la  lessive  pour  diminuer 
DQertume  du  gland,  auquel  il  mêlait  ensuite  son  limon; 

cela  composait  une  sagamité  noire  comme  de  l'encre 

gluante  comme  de  la  poix.  Voilà  le  festin  de  cet 
^vrier  de  TEvangile,  sans  parler  du  pain  de  douleur, 

veux  dire  des  autres  travaux  de  la  mission.  Il  est 
>Xïc  venu  quérir  du  secours  pour  travailler  avec  lui 
Bms  cette  grande  nation.  Il  a  trouvé  des  Pères  disposés 

cela,  avec  lesquels  il  est  parti,  n'ayant  resté  que 
H>i8  jours.  Ils  sont  allés  d'abord  à  Montréal,  pour  faire 
e  voyage  avec  les  Outaouak,  de  qui  ils  n'ont  pas  eu  peu 
l^aanjÛTrir  ;  parce  qu'ayant  fait  embarquer  leur  bagage. 
Me  barbares,  par  je  ne  sais  quelle  quinte,  le  rejetèrent 
kterre  avec  les  Pères  et  le^  Français,  quelque  récom- 
piose  qu'on  leur  pût  promettre.  Ces  Pères  furent  extrê- 
Qement  affligés  de  se  voir  dans  l'impuissance  de  passer 
filtre.  Deux  néanmoins  d'entre  eux,  savoir  le  Père 
klois,  et  le  Père  Nicolas,  se  jetèrent  à  la  dérobée  dans 
box  canots  séparés,  sans  autre  bagage  ni  provision 
[lie  leurs  écrits  des  langues  sauvages,  en  sorte  que 
I  Dieu  ne  fait  un  miracle  en  leur  faveur,  adoucissant 
ft  cœur  de  ces  barbares,  ils  mourront  de  faim  et  de 
Ikiaère,  ayant  trois  cents  lieues  à  faire  en  leur  corn- 

Lrm.  M    II.  23 


^  — 

rirmC  'Um  «'nrraiMiair 
iiitimi  'fy  :àkr  «tmr 

prtl#  <»  FnoMv  »  6Kfiivé  on. 
pMFT  r^mneiMr 

MT  il  a  fine  iâ  des 

60^  «Ureymdtt  ni 

4  te  gyaiute  uiésé  ie  no. 

te  ttôoife  par  «Si  bonnoi 

MémplM  de  Téfts  €k  de  EdigiHftçAa 

le  peyt.  9<m»  pefdaos  htmcniy 

il  nùm  bit  t^re  me  chapelle  qoi  bd 

deux  mine  diu)  cents  libres.  Cest  le 

notm  AyoAn  ea  depais  que  nous 

NotJii  nonhaiterioM  pour  le  bien  de  FEgiiee  el  de  iod 

lo  Oan^la  que  Sa  Majesté  le  Tonlât  ravnjBt.  Notf 

priff rorm  pf^ar  cela;  joignez  tos  prières  aux  nOtm. 


.*  1*  -■  ' 


Iffl  Québec,  U  1H  doctabre  1667. 


h 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE.L'iNCARNATION.  355 


LETTRE  CLXXXIV. 


AU    MÊME. 


l'entretien  familier  avec  Dieu  fortifie  l'âme  dans  les  emplois  extérieurs 
distrayants.  —  Elle  parle  encore  de  l'amour  qu'elle  a  pour  les  souffrances 
'elle  endure. 


Mon  très-cher  et  bien-aimé  fils, 

!e  8ont  ici  les  dernières  voies  par  lesquelles  tous 
evrez  de  nos  lettres  cette  année.  Dans  le  peu  de 
ips  qui  me  reste  de  vie  rien  ne  me  contente  comme 
m'entretenir  avec  vous.  Mais  c'est  avec  douleur  et 
lO  un  sentiment  de  compassion  que  j'apprends  l'état 
faiblesse  où  vous  êtes.  Infailliblement  vous  vous 
usez  trop  dans  les  fonctions  de  votre  charge,  quoi- 
)  je  voie  bien  que  Dieu  vous  honore  beaucoup  de 
18  donner  de  si  nobles  emplois.  Mais  j'estime  que 
18  vous  laissez  trop  abattre  par  la  grande  austérité 
vos  règles.  Si  vous  voulez  rendre  du  service  à 
tre- Seigneur  vous  devez  vous  fortifier  et  vous  cou- 
ver. Mais  il  semble  que  vous  soyez  las  de  vivre. 
!  pourquoi  ne  voulez-vous  pas  vivre,  puisque  votre 
>  est  si  bien  employée  pour  Dieu  et  pour  son  service? 
vous  possédez  cet  entretien  amoureux  de  cœur  avec 
^u,  vous  êtes  heureux  dès  cette  vie.  En  cet  état  les 
plois  n'empêchent  pas  l'union  avec  Dieu,  mais  ils 
tsent  toujours  l'âme  dans  son  centre,  qui  est  Dieu, 


^t  \it  titwçoaÊBt  à  idb  pins  haine  et  pim  [TfMte  vdqii 
^àvee  [ai.  .Si  toos  Timies  ;eciff  [a  ti»  aor  les  éedb  foa 
je  70IU  ai  anxr^iâ  eiLToyes.  tdob  ume^  qpe  Jaî  été 
plomeon  années  en  cec  éiaiL  qui  me  donnait  une  gmds 
force  pour  porter  ea  ^raranx  â  les  gnmda  ngeli  de 
dUtraction  que  j'avais  cfaea  znoiK  frère^  avec  lefod  fa 
douoré  onze  ans.  Cet  âat  change  Tâme^  et  fl  la  eo^ 
doit,  en  râevant  de  piia  si  ploa,  à  ramoa  Is  ptai 
intime  arec  la diTine  Majesté.  Sares  pomt  de  voloBfaL 
laisKx-vQns  condmze  à  son  (iiTm  esçrxki  c'ait  es  faH 
j^ammnàÉB^  de  VOUS.  9oit  pouT  le  jqrirffaiftl,  aoik  fsarlei 
^npiois  eztârîeaia;  crayea-flifli,  je  Tona  en  aoppfie. 

Je  vona  ai  mandé  par  mes  précédentes  IirttRt  It 
disposition  de  ma  santé,  je  ^^n^tmir»  4  *vaiZ8  dire  qiK 
je  sois  dana  on  canmmel  âat  de  auuirranee  dans  mos 
floz  hépatique  qni  ne  me  qmtïB  points  et  que  je  porta 
il  y  a  pins  de  tims  ans.  Je  sonSn  de  grandas  eoliqBei 
caosées  par  une  hnmenr  de  bile  qni  se  jette  ëans  mt 
booche,  en  sorte  qne  j  7  ai  tonjonra  cnnune  da  fiel,  qui 
me  donne  du  d^oût  de  tontes  sorta  d*aîiB&aita.  Aoemi 
remède  ne  me  soulage,  an  contraire,  une  dragme  (quiire 
grammes)  de  rhubarbe  me  met  i  Textrémité;  siee 
tout  cela  je  ne  pois  mourir,  d'où  Tckl  iniëre  que  Dieo 
Teut  que  je  soufOre,  et  j  en  ai  lesprit  s  conTsinco, 
que  de  moi-même  je  ne  voudrais  pas  guérir  pour  tooi 
les  trésors  de  la  terre.  Je  chéris  tant  mon  mal,  qne 
j'ai  peur  d  7  avoir  de  1  attache.  Je  souhaiterais  bîa 
que  Ton  ne  s'en  aperçût  pas,  mais  Ton  ne  peut  cscier 
cette  sorte  de  maladie,  à  cause  de  ses  drconstasoei. 
Nonobstant  ma  faiblesse  et  mon  état  languissant.  As 
rna  encore  continuée  dans  ma  chaige.  II  me  TtAIlo 
fiubir  puisque  Dieu  le  veut  On  dit  que  les  penoiuia 
qui  ont  tant  de  bile  sont  colères;  je  ne  le  sois  1»^ 


4 


k- 


DE  LA  MÊRB  MARIE  DE  L'IN CARNATION.      357 

et  mon  cœur  ne  peut  porter  d'aigrear.  Cette  humear 
de  bile  s'étant  formée  tout  d'un  coup,  se  répand  par 
tout  le  corps  et  y  cause  une  maladie  universelle.  J'étais 
d'une  constitution  fort  saine  et  robuste,  aujourd'hui  tout 
mon  tempérament  est  changé.  On  dit  que  c'est  le  trop 
grand  travail  qui  l'a  changé  et  corrompu  de  la  sorte; 
et  moi  je  dis  que  c'est  la  bonté  de  Dieu  qui  m*a  envoyé 
cette  maladie,  de  laquelle  je  la  remercie  de  tout  mon 
cœur  comme  d'une  preuve  de  l'amour  qu'elle  me  porte. 
Qu'elle  en  soit  louée  et  bénie  éternellement  des  Anges 
et  des  Saints. 

De  Québec,  le  19  éCoctobre  1667. 


LETTRE    CLXXXV. 


AU    MÊME. 


Elle  recommande  qa'ou  lui  dise  des  messes  après  sa  mort,  qu'elle  croit  être 
proche.  —  Sainteté  que  Dieu  demande  d'une  âme  qu'il  admet  à  son  union. 
—  II  y  a  une  Traie  et  une  fausse  paix  dans  la  vie  spirituelle. 

Mon  très-cher  et*bien-aimé  fils, 

Je  me  suis  donné  la  consolation  de  vous  écrire  par 
plusieurs  voies.  Celle-ci  n'est  que  pour  réitérer  la  sin- 
cère amitié  que  je  porte  à  votre  personne,  qui  m'est 
la  plus  chère  du  monde.  Je  vous  recommande  que 
Quand  vous  aurez  appris  la  nouvelle  de  ma  mort,  vous 
®e  procuriez  des  révérends  Pères  de  votre  Congréga- 
^on  le  plus  de  messes  que  vous  pourrez.  J'attends  cette 


in»  t^?»  qmwssmnaBB 

.a»  tout  4  fagOTffrm-  cS^THiKaaBaiedfr^BHiB 
t^^ifs^  un.  <tiCttftTW  artàniîaBiHMaïc^  doit:  nB-sKvir  dOhv- 


le  rj)lp»aiifri*aL£aa.àaâeftgaDB(iflftgEàaBB» 
;âi  âi  mai  tiarrBwwnim  iOg  pour  f!gia.ja  bmMani 
-emi)»  d»»  [ô  nnrCTBiTTKL  iL  DiflK  m-  zm  fut  onÉEi- 
^nrtU^  par  :âa  sm&aaK  'le  CF^àm^  (TâoreB  oeia  qw 
^e  m^MCimft  rxcha  <ie  ^nnza  aTcàn  et  par  vofcn  mofoi 
von  'ioaa  Pèzes:  ;^s  :-e^  TraaRnriff  lOfr  vom  j  genam 
^^eifngmaiit.  xàxi  vaa^  par  Toa  "■^'""^^*  efe  ps  la 
lefin,  je  piziaKt  bififooc  liier  jouir  de^  Cakd  «job  om 
<y»iir«3«  nioa  àoze  veojoa  ainiiv  ec  bëflir  âBOiflilema^ 
Ah  !  que  nnna  ionna  «lonmma  uaand  iumb  naaa  «erraai 
i%tfaMh4a  poar  toatoms  à  cec  emploi  ! 

U  y  ^  enviroa  ^oaraiice  ans  loe  sa  divine  ^bjeM 
m^,  f(t  i«  q^àce  ec  llionnenr  ia  j^gniftur  à  mon  âme 
^|n>M^  7onUit  «{oe  tiésormais  je  la  louafise  sur  la  terre 
^.^nm^  1^  Amibes  ^  les  Sainta  La  looent  dans  le  ciel. 
Kf  p^tir  nfi(t,  (^fit  sa  borné  me  mit  &l  cet  état ,  d'où 
il  ^^«f,  ^nmiivi  ie  très-grandes  favenrs.  Maia^  mon  très- 
/*h^r  t\\n,  il  n'y  a  point  de  doute  qne  J7  ai  mêlé  beao- 
Mrtiif  (]i^  nrioi-méme  et  de  mon  amour-propre.  Cest  oe 
i\ii\  rrt'n  fuif,  Ini  dire  un  nombre  infini  de  fois  ce  verset 
'tff  l 'nrilrrii^fo  ;  helMa  quU  intelligit?  Ab  occultis  meis  munia 
wr  Pn  finpf  |>hr  qno  je  n'aie  un  grand  nombre  de 
IiMmmU  i|mI  fin*  nriril,  manifestes,  mais  j'en  ai  incompa- 
t'itiluttiiMt!  ilnvrudnK<M|ui  me  sont  cachés.  Et  pour  tout 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DB  l'iNGARNATION  .  359 

la,  comme  aussi  pour  les  fautes  que  j'ai  commises 
ins  la  vie  spirituelle  par  mon  peu  de  correspondance 
ses  adorables  desseins,  par  mes  omissions  et  par  mes 
tiens,  je  vous  prie  de  vous  ressouvenir  de  m'en  obte- 
r  le  pardon  dans  vos  saints  sacrifices.  La  pureté  que 
eu  demande  d'une  âme  à  qui  il  fait  l'honneur  de 
Dner  accès  auprès  de  sa  divfne  Majesté  par  une  con- 
ànelle  union,  est  d'une  grandeur  et  d'un  prix  inesti- 
iiUe  ;  c'est  ce  qui  me  fait  craindre,  quoi  qu'effective- 
3iit  mon*  âme  possède  une  paix  que  je  ne  puis  vous 
primer.  Obtenez-moi  encore  que  cette  paix  soit  véri- 
t>le;  parce  que  dans  la  vie  spirituelle  il  y  a  de  fausses 
ix,  aussi  bien  que  de  véritables.  Lorsque  j'ai  com- 
3ncé  cette  lettre  je  n'avais  pas  la  première  pensée 
vous  entretenir  de  tout  cela,  'mais  notre  bon  Dieu 
en  a  donné  le  mouvement,  et  son  esprit  a  emporté 
1*  plume  pour  avoir  recours  à  vous  pour  la  sûreté 
B  affaires  de  mon  âme.  Sa  bonté  me  donne  une  grande 
nflance  dans  les  sacrés  trésors  de  l'Eglise,  riche  du 
âcieux  sang  de  son  Fils  notre  divin  Epoux  et  surado- 
.ble  Sauveur.  Celle-ci  est  la  dernière  que  vous  rece- 
!^z  de  moi  cette  année,  c'est  pourquoi  il  vous  faut 
ire  adieu. 

De  Québec,  le  30  d octobre  1667. 


3»i 


LETTRE  CLXXXVL 


^r    MEME. 


E 

r 
I 


W  oint  dos  ffllv  aninifHi.  —  Etacda 
S€fikgi  qQ.*clln  nmbaC  à  iimc  Ut  OiiMrfa 


ce  sim  wtim  marraillMix  pw 
its  UniiiiB»  de  Québec- 


M<m  trâs-ch^  fils. 

Voici  la  réponse  à*  Totre  troisiôine  lettre.  Je  toi» 
remercie  autant  qall  m*est  possible  de  la  sainte  el 
précieuse  relique  qae  yoxïs  m*aTez  envoyée  :  elle  tiendn 
place  dans  on  beaa  reliquaire  d*où  nous  avions  ôté  la 
reliques  pour  les  mettre  dans  Tautel  de  notre  Egli» 
lorsque  Ton  en  fit  la  consécration.  Vous  m*ayez  obligea 
de  m*en  envoyer  les  attestations,  parce  qu'elle  doit  être 
exposée  au  public.  Quand  je  vis  cette  sainte  relique 
mon  cœur  fat  ému  de  dévotion,  et  je  remercie  ce  grand 
saint  d'honorer  ce  pays  de  ses  vénérables  dépouilles. 
Je  vous  remercie  encore  une  fois,  mon  trôs-cher  fils. 

Vous  croyez  que  je  vais  mourir.  Je  ne  sais  quand  arri- 
vera cet  heureux  moment,  qui  me  donnera  toute  à  notre 
divin  Sauveur.  Ma  santé  est  en  quelque  façon  meilleare 
que  les  années  dernières,  mes  forces  néanmoins  étant 
extrêmement  diminuées  il  faudrait  peu  de  chose  pour 
m'emporter,  surtout  n'étant  pas  tout  à  fait  quitte  de 
ce  flux  hépatique,  qai  m*a  duré  si  longtemps,  et  con- 
•ervant  tocgours  l'amertume  de  ma  bouche  qui  donne 


DE  LA  MËRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  361 

le  goût  d'absinthe  à  tous  les  aliments  que  je  prends. 

Je  m'y  suis  accoutumée,  autrement  il  faudrait  mourir 

ie  faiblesse.  Cependant  mon  esprit  est  content  dans 

Dette  infirmité,  qui  me  fait  continuellement  souvenir 

de  l'amertume  de  Notre-Seigneur  en  croix.  Avec  ces 

incommodités  je  garde  mes  règles.  J'ai  jeûné  le  Carême 

et  les  autres  jeûnes  de  l'Eglise  et  de  la  règle;  en  un  mot 

je  fais  ma  charge,  grâces  à  Notre-Seigneur.  Je  chante 

si  bas  qu'à  peine  peut-on  m'entendre,  mais  pour  réciter 

à  voix  droite  j'ai  encore  assez  de  force.  J'ai  peine  de 

me  tenir  à  genoux  durant  une  messe;  je  suis  faible  en 

oe  point,  et  l'on  s'étonne  que  je  ne  le  sois  pas  davantage, 

eu  égard  à  la  nature  du  mal  qui  m'a  duré  si  longtemps 

avec  une  grande  fièvre. 

Nous  espérions  avoir,  par  ce  voyage,  ma  chère  Mère 

Cécile  de  Reuville  de  l'Enfant- Jésus,  religieuse  de  Rouen, 

tt  je  me  disposais  à  lui  apprendre  la  langue  Algonquine, 

1D6  persuadant  qu'elle  y  serait  propre  et  qu'elle  y  aurait 

de  la  fermeté,  car  ces  langues  barbares  sont  difficiles, 

M  pour  s'y  assujettir  il  faut  des  esprits  constants.  Mon 

occupation,  les  matinées  d'hiver,  est  de  les  enseigner 

à  mes  jeunes  sœurs  :  il  y  en  a  qui  vont  jusqu'à  savoir 

l  les  préceptes  et  à  faire  les  parties,  pourvu  que  je  leur 

\  *  traduise  le  sauvage  en  Français.  Mais  d'apprendre  un 

fiombre  de  mots  du  dictionnaire,  ce  leur  est  une  peine, 

|.-n  leur  sont  des  épines.  De  nos  jeunes  sœurs  il  n'y  en  a 

!  tn'uûe  qui  pousse  avec  vigueur.  La  Mère  assistante  et 

î  l%Mère  de  Sainte-Croix  y  sont  assez  savantes,  parce  que 

;  dans  les  commencements  nous  apprîmes  le  dictionnaire 

JN^oœur.  Comme  ces  choses  sont  très-difficiles,  je  me 

^Qis  résolue  de  laisser  avant  ma  mort  le  plus  d'écrits 

^nU  me  sera  possible.  Depuis  le  commencement  du 

.Qarâme  dernier  jusqu'à  l'Ascension  j'ai  écrit  un  gros 


36S  LBTTRJB8 

livre  Algonqoiû  de  lliistoire  sacrée  et  des  choses  saintei» 
avec  un  dictionnaire  et  on  catéchisme  Iroqnds,  qjàd  l| 
on  trésor.  L*année  dernière  j'écrivis  nn  gros  dictionoaiie  |i 
à  Talphabet  Français;  j*en  ai  un  antre  à  Talphabet 
sanvàge.  Je  vons  dis  cela  ponr  vous  faire  voir  qui 
la  bonté  divine  me  donne  des  forces  dans  ma  fiuUew 
pour  laisser  à  mes  sœnrs  de  quoi  travailler  à  «a 
service  pour  le  salut  des  âmes.  Pour  les  filles  firu- 
çaises  il  ne  nous  faut  point  d'autre  étade  qae  celle  à 
nos  régies  :  mais  enfin  après  que  nous  aurons  bii  m 
que  nous  pourrons,  nous  devons  nous  croire  des  m- 
vantes  inutiles  et  de  petits  grains  de  sable  au  fond  di 
l'édifice  de  cette  nouvelle  Eglise.  Je  vous  écris  par  tonin 
les  voies,  mais  comme  mes  lettres  peuvent  périr  Je  voui 
répéterai  ici  ce  que  je  vous  ai  dit  ailleurs  de  nos  emidoii; 
puisque  vous  désirez  que  je  vous  en  entretienne. 

Premièrement,  nous  avons  tous  les  jours  sept  roii- 
gieuses  de  chœur  employées  à  l'instruction  des  fillM 
françaises,  sans  y  comprendre  deux  converses  quisoflt 
pour  l'extérieur.  Les  filles  sauvages  logent  et  mangettl 
avec  les  filles  françaises;  mais  pour  leur  instructioB 
il  leur  faut  une  maîtresse  particulière,  et  quelquefotf 
plus,  selon  le  nombre  que  nous  en  avons.  Je  viens  d0 
refuser,  à  mon  grand  regret,  sept  séminaristes  algon- 
quines,  parce  que  nous  manquons  de  vivres,  les  officien 
ayant  tout  enlevé  pour  les  troupes  du  roi,  qui  en  mas- 
quaient. Depuis  que  nous  sommes  en  Canada  nous  n'es, 
avions  refusé  aucune,  nonobstant  notre  pauvreté;  é 
la  nécessité  où  nous  avons  été  de  refuser  celles-ci,  m'a 
caui^é  une  très-sensible  mortification  ;  mais  il  me  ft 
fallu  subir  et  m'humilier  dans  notre  impuissance,  qui 
nous  a  même  obligées  de  rendre  quelques  filles  fran- 
çaises à  leurs  parents.  Nous  nous  sonmies  restreintes 


DE  LA  MËRB  MARIB  DE  L'INCARNATION.  363 

ize  françaises  et  à  trois  sauvages,  dont  deux  iro- 
ses  et  une  captive  à  qui  Ton  veut  que  nous  apprê- 
ts la  langue  française.  Je  ne  parle  point  des  pauvres, 
sont  en  très-grand  nombre,  et  à  qui  il  faut  que 
i  fassions  part  de  ce  qui  nous  reste.  Revenons 
s  pensionnaires. 

on  est  fort  soigneux  en  ce  pays  de  faire  instruire 
illes  françaises,  et  je  puis  vous  assurer  que  s'il  n*y 
t  des  Ursulines  elles  seraient  dans  un  danger  côn- 
el  de  leur  salut.  La  raison  est  qu'il  y  a  un  grand 
bre  d'hommes;  et  un  père  et  une  mère  qui  ne 
Iront  pas  perdre  la  messe,  une  fête  ou  un  dimanche, 
leraient  leurs  enfants  à  la  maison  avec  plusieurs 
mes  pour  les  garder.  S'il  y  a  des  filles,  quelqu'âge 
Iles  aient,  elles  sont  dans  un  danger  évident,  et 
^rience  fait  voir  qu'il  faut  les  mettre  en  lieu  de 
té.  Enfin  ce  que  je  puis  dire  est  que  les  filles  en 
ays  sont  pour  la  plupart  plus  savantes  en  plusieurs 
ières  dangereuses  que  celles  de  France.  Trente 
}  nous  donnent  plus  de  travail  dans  le  pensionnat 
soixante  ne  font  en  France.  Les  externes  nous  en 
lent  beaucoup,  mais  nous  ne  veillons  pas  sur  leurs 
irs  comme  si  elles  étaient  en  clôture.  Elles  sont 
les,  elles  ont  l'esprit  bon,  elles  sont  fermes  dans 
ien  quand  elles  le  connaissent  :  mais  comme  plu- 
rs  ne  sont  pensionnaires  que  peu  de  temps,  il  faut 
les  mdtresses  s'appliquent  fortement  à  leur  éduca- 
,  et  qu'elles  leur  apprennent  quelquefois  dans  un  an 
*e,  à  écrire,  à  jeter  (calculer  au  moyisn  de  jetons), 
[)rières,  les  mœurs  chrétiennes,  et  tout  ce  que  doit 
ir  une  fille.  Il  y  en  a  que  les  parents  nous  laissent 
d'à  ce  qu'elles  soient  en  âge  d'être  pourvues,  soit 
*  le  monde,  soit  pour  la  religion.  Nous  en  avons 


rsvv 


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''   '  ■  ''"       *    x.'V -:■•:.:   eLsuiie  et  elles  fo* 

'     '     '    •  •  ' ^'  *;%f^  <«  M.  Boucher,  qui  a*i 

'        *     '  -tii^'n  'it.:  1  rf,iz  fuvières.  D'autres  ^etou^ 

.';  /'    '      '•"•"  I  "M  r-fr  rf«iivM|rpp;  !»iios  parlent  bienfran* 

j«|iM  '  '  '  '  '*'  "»'  'Hit.  M  ,|;,|,n  |;|  looture  et  dans  récriture. 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DE  l'INCARNATION.  365 

Voilà  les  fraits  de  notre  petit  travail,  dont  j'ai  bien 
"îonlu  vous  dire  quelques  particularités,  pour  répondre 
aux  bruits  que  vous  dites  que  Ton  fait  courir  que  les 
Ursulines  sont  inutiles  en  ce  pays,  et  que  les  Relations 
ne  parlent  point  qu'elles  y  fassent  rien.  Nos  révérends 
Pères  et  Mgr  notre  Prélat  sont  ravis  de  l'éducation  que 
nous  donnons  à  la  jeunesse.  Ils  font  communier  nos 
filles  dès  rage  de  huit  ans,  les  trouvant  autant  instruites 
qu'elles  le  peuvent  être.  Que  si  l'on  dit  que  nous  sommes 
ici  inutiles,  parce  que  la  Relation  ne  parle  point  de 
nous,  il  faut  dire  que  Mgr  notre  Prélat  est  inutile,  que 
son  Séminaire  est  inutile,  que  le  Séminaire  des  rêvé- 
i^ds  Pères  est  inutile,  que  MM.  les  Ecclésiastiques 
de  Montréal  sont  inutiles,  et  enfin  que  les  Mères  Hos- 
pitalières sont  inutiles,  parce  que  les  Relations  ne 
disent  rien  de  tout  cela.  Et  cependant  c'est  ce  qui  fait 
^  soutien,  la  force  et  l'honneur  même  de  tout  le  pays. 
Si  la  Relation  ne  dit  rien  de  nous,  ni  des  Compagnies 
<M  Séminaires  dont  je  viens  de  parler,  c'est  qu'elle  fait 
élément  mention  du  progrès  de  TEvangile  et  de  ce 
^  7  a  du  rapport  :  et  encore  lorsqu'on  en  envoie  les 
exemplaires  dlci  l'on  en  retranche  en  France  beaucoup 
de  choses.  Madame  la  duchesse  de  Sennessay  qui  me 
^  rhonneur  de  m'écrire  fous  les  ans,  me  manda 
ramée  dernière  le  déplaisir  qu'elle  avait  eu  de  quelque 
^l^oie  qu'on  avait  retranché,  et  elle  me  dit  quelque 
^1^^  de  semblable  encore  cette  année.  M.  Cramoisy 
Vii  imprime  la  Relation  et  qui  aime  fort  les  Hospita- 
'^^ï'es  dlci,  y  inséra  de  son  propre  mouvement  une 
^*ttiie  que  la  Supérieure  lui  avait  écrite,  et  cela  fit  bien 
*^  bruit  en  France.  Mon  très-cher  fils,  oe  que  doub 
^•'•ms  en  cette  nouvelle  Eglise  est  tu  de  Dieu  et  non 
'^  des  hommes;  notue  clôture  couvre  tout,  et  il  eut 


366 


LETTRES 


difficile  de  parler  de  ce  qu'on  ne  voit  pas.  Il  en  est  tout 
autrement  des  Mères  Hospitalières  :  l'hôpital  étant 
ouvert  et  les  biens  qui  s'y  font  étant  vus  de  tout  k 
monde,  on  pourrait  louer  avec  raison  leurs  charités 
exemplaires.  Mais  enfin  elles  et  nous  attendons  It 
récompense  de  nos  services  de  Celui  qui  pénètre  dam 
les  lieux  les  plus  cachés,  et  qui  voit  aussi  clair  dans  la 
ténèbres  que  dans  les  lumières,  cela  nous  suffit. 

De  Québec,  le  9  août  1668. 


LETTRE  CLXXXVII. 

A  LA  SUPÉRIEURE  DES  URSULINES  DE  DUON. 

Elle  lai ^ parle  du  progrès  de  la  Foi  en  Canada,  et  lui  dit  son  senttÉMt 
tOQcliaiit  la   vénérable    Mère  de  Saint-François-Xayier ,  dont  elle  Ini  vnà  11 
envoyé  la  vie. 


Ma  révérende  et  très-honorée  Mère, 

Jésus  soit  notre  vie  et  notre  tout  pour  l'éternité. 

J'ai  eu  la  consolation  de  recevoir  votre  chère  lettre 
par  la  première  voie,  dont  je  vous  suis  infiniment 
redevable.  Je  ne  doute  point,  ma  très-chère  Mère,  qitf 
les  gens  de  guerre  qui  ont  été  si  longtemps  prodi6 
de  votre  pays,  ne  vous  aient  causé  de  grandes  iBCom* 
médités  et  des  pertes  fort  considérables.  II  en  a  étf 
de  même  en  ces  contrées,  où  nous  ne  pouvions  pl0 
subsister,  si  la  divine  bonté  ne  nous  eut  donné  la  paît 
Cette  grâce  du  Ciel  continue  et  a  ouvert  la  porte  i 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  367 

rangile  de  tous  les  côtés  de  cette  Amérique,  où  les 
isionnaires  de  la  Compagnie  de  Jésus  se  sont  répan- 
d'un  courage  qui  ne  se  peut  exprimer.  En  voilà 
ore  une  troupe  qui  va  partir  pour  les  Iroquois,  où 
.  instruit  avec  liberté  ces  nations,  qui  étaient  si 
)ces  et  si  cruelles,  non-seulement  aux  Français, 
is  encore  aux  sauvages  chrétiens.  C'est  un  miracle 
la  toute-puissance  de  Dieu,  de  les  voir  aujourd'hui 
eux  et  si  traitables,  qu'ils  vivent  avec  nous  comme  si 
is  n'étions  qu'un  peuple.  Priez  Notre-Seigneur,  ma 
s-aimée  Mère,  qu'il  donne  de  grands  succès  à  de  si 
reux  commencements.  Le  diable  y  met  de  grands 
tacles,  mais  tous  ses  efforts  sont  moins  que  des 
es  d'araignées  contre  les  desseins  de  Dieu, 
fous  avons  reçu  avec  joie  et  avec  consolation  la  vie 
la  vénérable  Mère  de  Saint-François-Xavier.  Elle 
ts  a  paru  ravissante,  et  il  est  évident  que  cette 
îheureuse  Mère  était  remplie  de  l'Esprit  de  Dieu, 
r  notre  Prélat  et  MM.  ses  Ecclésiastiques,  aussi  bien 
i  nos  révérends  Pères,  l'ont  lue  avec  satisfaction, 
ivec  action  de  grâces  à  Notre-Seigneur  d'avoir  donné 
monde  une  si  sainte  âme,  qui  avait  tant  d'amour  et 
t  de  zèle  pour  cette  nouvelle  Eglise.  On  la  regarde 
comme  l'une  de  ses  protectrices,  à  présent  qu'elle  est 
18  le  ciel  et  en  état  de  la  protéger.  Enfin  nous  l'avons 
imuniquée  aux  personnes  de  la  plus  haute  piété 
ces  contrées,  qui  l'ont  lue  avec  -vénération,  et  qui 
ent  Dieu  des  bénédictions  qu'il  a  répandues  sur  sa 
\raote.  Je  vous  remercie  de  nouveau  du  présent  qu'il 
18  a  plu  nous  faire  d'une  si  sainte  vie.  Je  vous  rends 
ces  pareillement  de  votre  charitable  aumône.  Vous 
\  une  de  nos  principales  bienfaitrices  par  la  conti- 
ttion  de  vos  bienfaits  ;  les  autres  se  lassent  quelquefois 


368  LBTTRB8 

de  nous  en  faire,  oa  du  moins  ils  les  interrompent,  fooi 
ôtes  infatigable  et  vous  ne  vous  lassez  point.  Nos  sémi^ 
naristes  et  nous  offrons  à  Dieu  nos  prières  pour  vous; 
en  reconnaissance,  donnez-nous,  s'il  vous  plaît,  pari 
aux  vôtres,  et  agréez  les  très-humbles  respects  avw 
lesquels  je  suis.... 

De  Québec,  le  9  août  1668. 


LETTRE   CLXXXVIII. 

■ 

A   SON   FILS. 

Alliance  des  Français  avec  les  Anglais  établis  dans  la  noiiTalle  Hdlaods.— 
Progrès  des  Missions  chez  les  nations  iroquoises,  montagnatsat,  oatsonk  ^ 
autres  plus  éloignées.  -—  Nouvelle  comète.  «-  Nouveau  tremblemaot  de  tinii 

Mon  très-cher  fils, 

Celle-ci  est  pour  vous  donner  des  nouvelles  de  cette 
Eglise,  en  attendant  que  vous  en  receviez  de  plot 
amples  par  la  Relation.  Avant  la  fonte  des  neigoi 
le  révérend  Père  Pierron  arriva  à  Québec,  où  il  apporti 
la  nouvelle  de  ce  qui  s'était  passé  chez  les  Iroquois.IIâ. 
souffert  des  fatigues  extrêmes  dans  son  voyage;  pan» 
que  ne  pouvant  marcher  avec  des  raquettes,  il  tombai 
souvent  dans  des  trous  dont  ses  jambes  ont  été  bleasAi; 
mais,  comme  c'est  un  homme  généreux,  il  a  suriiKmtf 
toutes  ces  difficultés ,  en  sorte  même  que  l'on  nto 
aurait  rien  su  sans  l'homme  qui  raccompagnait 

Il  a  rapporté  que  c'était  une  chose  assurée  que 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION.  369 

s'étaient  emparés  de  la  Noavelle^HolIande  et  de 
Il  le  sait  d'original  (première  source),  parce 
)mmandant  l'envoya  quérir  aux  Iroquoîs,  où  il 
mission,  et  étant  allé  le  trouver,  il  le  reçut  avec 
p  de  civilité,  l'assurant  de  sa  protection  tandis 
emps)  qu'il  demeurerait  dans  le  pays.  Il  y  avait 
3  qu'on  ne  lui  avait  riçn  apporté  de  l'Europe, 
n'en  avait  appris  aucunes  nouvelles.  Le  Père 
pprit  et  lui  donna  espérance  de  la  paix,  et  que 
ées  navales  s'écartatit,  il  pourrait  recevoir  des 
issements,  car  il  était  dans  la  disette  de  beau- 
choses,  aussi  bien  que  ses  troupes.  Ils  eurent 
e  un  grand  entretien  de  controverses,  après 
se  séparèrent  avec  de  grandes  démonstrations 
.  Le  dessein  de  ce  général,  ainsi  que  nous 
appris ,  était  principalement  de  sonder  dans 
les  intentions  des  Français,  parce  qu'il  craignait 
irmée  française  n'allât  l'attaquer,  comme  elle 
it  les  Iroquois,  ainsi  que  l'on  en  avait  fait  courir 

^re  a  rapporté  que  les  Iroquois  l'ont  traité,  et 
IX  de  sa  suite,  avec  beaucoup  de  douceur,  qu'ils 
t  la  parole  de  Dieu  avec  ardeur,  qu'ils  voient 
lisir  baptiser  leurs  enfants  et  leurs  moribonds, 
3  que  plusieurs  adultes  reçoivent  ce  sacrement, 
couvent  exactement  à  la  chapelle  aux  heures 
ies  pour  les  prières;  et,  pour  marque  de  leur 
ont  eux-mêmes  fait  la  chapelle  et  les  logements 
es  dans  les  bourgs  où  ils  résident.  Le  Père  est 
iourné,  et  en  a  même  quatre  autres  avec  lui. 
)  qui  regarde  les  Agneronnons,  où  sont  les  Pères 
et  Perron, 
révérends   Pères   Brias   et   Carheil   sont  aux 

M.  II.  24 


OnneioQSteroiinoDfl ,  oà  iU  n'ont  pas  été  reçus  ayee 
moins  d'accueil.  Les  sanTages  les  traitent  avec  tout  le 
respect  possible  et  se  font  instruire  avec  une  dodliiii 
merveilleose.  Ils  les  riaient  de  leurs  dtroaiUes  si 
fiusoles  (foséoles),  et  de  Uë  dinde  assaisonné  de  poisaoo 
boncané,  qui  sont  leors  plos  grands  festins;  car  il  n*y  s 
point  de  chair  ni  de  poissons  dans  ce  pays,  sinon  lon- 
qn'on  fait  actaellement  la  chasse  on  la  pêche.  Ces  deux 
Pères,  aussi  bien  que  les  deux  antres,  font  de  grands 
progrès  dans  la  Foi,  mais  il  y  a  nn  malheur  qui  Isi 
traverse  étrangement;  c'est  que  les  Anglais  et  les  Hol- 
landais traitent  (vendent)  à  ces  peuples  une  prodigieuse 
quantité  d'eau^le-vie  et  de  vin  dont  ils  e'enivrent  sans 
cesse.  Il  s'ensuit  de  là  des  batteries  et  des  meurtres 
continuels,  car  cette  sorte  dlvresse  les  rend  brutaux  et 
insensés,  en  sorte  que  les  Pères  même  en  quelques 
occasions*,  en  souffrent  de  grandes  insolences.  Ces 
insultes  faites  aux  Pères  donnent  bien  de  la  peine  au 
anciens,  qui  craignent  qu'on  ne  les  quitte,  et  qu'on  ne 
prenne  de  là  occasion  de  rompre  la  paix.  Ils  en  ont  fait 
des  excuses  et  tout  ce  qu'ils  ont  pu  pour  essuyer  (effacer) 
cette  faute.  Ces  sortes  de   boissons  sont   de  graods 
obstacles  à  la  Foi,  et  elles  mettent  les  choses  en  état 
de  ne  baptiser  que  les  vieillards,  les  enfants  et  les 
moribonds,  jusqu'à   ce  que  ce  désordre  ait  cessé  oo 
diminué.   Les  cinq  nations   iroquoises  et  tous  leon 
bourgs  sont  infectés  de  ce  poison.  Si  Manhate,  OvàDgè 
et  les  lieux   circonvoisins   appartenaient  au  roi  à» 
France,  l'on  ferait  de  toutes  ces  contrées  une  magniâgoa 
Eglise. 

Voici  une  seconde  nouvelle  que  nous  venons  d'ap* 
prendre  par  le  moyen  des  Iroquois,  qui  la  tiennent  dai 
AjQglais  leurs  voisins;  savoir  que  la  paix  est  faite  entra  r^^Q 


DB  LA  MÊRB  MARIB  DB  L*IN0AKNAT10N.  37 1 

les  Couronnes,  et  que  par  le  traité  la  nouvelle  Hollande 
demeure  aux  Anglais,  et  que  TAcadie  est  rendue  au  roi 
de  France.  Il  y  a  donc  un  nouveau  général  anglais  A 
Manhate,  qui  a  écrit  plusieurs  lettres  aux  Pares  pour 
l6s  prier  d'envoyer  des  Iroquois  pour  nous  apprendre 
l6s  nouvelles  de  cette  paix,  et  nous  dire  qu'il  est  ami 
des  Français.  Il  a  écrit  même  à  M.  notre  Oouvornour 
uie  lettre  toute  pleine  d'amitié.  11  ne  s'oppose  point  A 
ee  que  les  Pères  prêchent  la  foi  de  nos  mynU^rnn  aux 
Iroquois  ;  mais  il  n'est  pas  content  que  les  Kran/^ais  de 
Montréal  traitent  (fassent  le  commerce)  avec  eux,  par(;i5 
406  cela  diminue  leur  pelleterie,  et  par  conséquent  Umr 
rerenu.  Voilà  comme  chacun  cherche  ses  intérêts. 

Le  révérend  Père  Gamier  étant  heareus^^ment  finir  A 
iQoontaé,  y  a  été  reçu  avec  tous  les  applaudissements 
Pûssîbkt.  La  première  marqua  de  hienveillan/^^e  'jrj'on 
^  I  rendue,  a  ^  de  lui   faire  une  f>elle  cbafA^^lle 

f^feoras  et  un    logement    de    même.   Tous   s^  foui 

• 

^Mlnire  aTec  empnsêement  et  font  de  ttr^u^^hn  instari- 
^i  ee  qu Achiendasé .  cett  ainsi  f^^'iln  ^pp^iU^ut  \h 
'Nrefti  Père  Soi^êrieur  (Ua  M:isio£*.<i ,  Hé^H  aristi 
^^*euju  arec  eux.  Le  P-^re  ..e:.r  a  -î.t  q«3'A';r-,^r*';^i;^ 
*  fcrrirt  aiier  «a  l-wr  pajs,  I'-aî^»  \z^.  ^rj%  fr^r;  y^, 
*•  iTML^V^.  é:a;t  trr-T^  ^  Qv4'^::     ^*  v  '  ^^-^ 


o*  » 


372  LETTRES 

dant  les  révérends  Pères  mîssioDnaires,  et  le  priant  de 
soutenir  la  Foi  par  son  autorité.  Dans  cette  assemblée 
un  excellent  chrétien,  huron  de  nation,  fit  une  belle 
harangue,  dans  laquelle  il  dit  aux  Iroquois  qu'ils  ne 
s'imaginassent  pas  que  les  Français  les  considérassent 
ici  comme  des  esclayes  ;  mais  que  TOnonthio  dlci,  qui  est 
M.  le  Gouverneur,  et  le  Grand  Ononthio  de  France,  qui 
est  le  roi,  voulaient  que  leurs  enfants  et  ceux  des 
Français  s'alliassent  ensemble,  afin  de  ne  faire  qu'on 
même  peuple.  Il  fit  cette  proposition  sur  ce  qu'il  i^ 
appris  que  Sa  Majesté  veut,  à  ce  que  Ton  dit,  que  \em 
révérends  Pères  élèvent  un  nombre  de  petits  garçons 
sauvages  et  nous  un  nombre  de  petites  filles  à  la  fran  . 
çaise.  Si  Sa  Majesté  le  veut,  nous  sommes  prêtes  de  1- 
faire  par  l'obéissance  que  nous  lui  devons,  et  surtoina 
parce  que  nous  sommes  toutes  disposées  à  faire  ce  qtM 
sera  à  la  plus  grande  gloire  de  Dieu.  Cest  poartan  - 
une  chose  très-difficile,  pour  ne  pas  dire  impossibles 
de  les  franciser  ou  civiliser.  Nous  en  avons  l'expériencv 
plus  que  tout  autre,  et  nous  avons  remarqué  que  difl 
cent  de  celles  qui  ont  passé  par  nos  mains,  à  peiD<« 
en  avons-nous  civilisé  une.  Nous  y  trouvons  de  1^ 
docilité  et  de  l'esprit,  mais  lorsqu'on  y  pense  le  moiiw» 
elles  montent  par  dessus  notre  clôture  et  s'en  vos/ 
courir  dans  les  bois  avec  leurs  parents,  où  elles  troo 
vent  plus  de  plaisir  que  dans  tous  les  agrémente  de  m 
maisons  françaises.  L'humeur  sauvage  est  faite  daJi|^ 
sorte;  elles  ne  peuvent  être  contraintes  ;  si  elles  lestât 
elles  deviennent  mélancoliques,  et  la  mélancolid lai ff i^ 
fait  malades.  D'ailleurs  les  sauvages  aiment  extraw^  |sb 
dipairement  leurs  enfants,  et  qu^^iià  \\a  savent  qu^ 
sont  tristes  ils  passent  par  desB\^i,^^R^3^ft^^«l*^^*^*^^^ 
pour  les  ratiiir,  et  il  les  fout  reud^iss.^^^^^'^^^^'^**  P 


1 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  373 

Horonnes,  des  Algonquines,  des  Iroquoises;  celles-ci 
•ont  les  plus  jolies  et  les  plus  dociles  de  toutes.  Je  ne 
tais  pas  si  elles  seront  plus  capables  d'être  civilisées 
l  V^e  les  autres,  ni  si  elles  retiendront  la  politesse  fran- 
l  çaise  d^ns  laquelle  on  les  élève.  Je  n'attends  pas  cela 
belles,  car  elles  sont  sauvages,  et  cela  suffit  pour  ne  le 
ï  pas  espérer.  Mais  je  reviens  à  nos  missionnaires. 
é  Voilà  le  révérend  Père  Millet  qui  part  pour  les  Iro- 
çuois.  C'est  celui  qui  vous  a  rendu  visite  à  Rouen. 
■ïl  m'a  visitée  plusieurs  fois  à  votre  considération  et  m'a 
donné  le  paquet  dont  vous  l'aviez  chargé.  Il  s'en  va  offrir 
Bozk  sacrifice  avec  autant  de  joie  que  s'il  allait  en  para- 
dis «  Les  sauvages  l'emmènent  sous  la  qualité  d'Achien- 
ia«é,  c'est-à-dire  celui  qui  est  honoré.  En  voilà  déjà  six 
iQi  l'ont  devancé,  de  seize  que  l'on  demande;  il  faut 
on  peu  attendre  pour  le  reste,  car  un  ouvrier  de  l'Evan- 
gile n*est  pas  si  tôt  formé  pour  ces  peuples  barbares. 

"Vous  vous  souvenez  bien  des  travaux  que  le  révérend 

Pare  Dalais  a  soufferts  les  années  dernières  dans  les 

eontrées  des  Outaouak,  et  comment  il  fut  rejeté,  avec 

ton  compagnon,  des  sauvages  de  cette  nation  quand 

tt  voulut  s'embarquer  pour  y  retourner.  On  croyait 

qu'il  était  mort,  avec  le  révérend  Père  Nicolas  et  un 

n  Frère,  parce  que  l'on  n'en  avait  point  entendu  de 

[loiiveUes.  L'on  a  appris  depuis  que  ces  barbares  les 

nt  dans  leurs  barques,  mais  sans  provisions  ni 

odités.  Enfin  Dieu  les  a  protégés,  et  après  des 

inconcevables,  ils  sont  arrivés  dans  ces  grands 

fuies  pays/  De  là  ils  poussèrent  vers  les  nations 

aTaieni  déjà  en  partie  catéchisées,  où  ils  ont 

beancoup  d'âmes  à  Dieu. 

révérend  Père  Nicolas,  nonobstant  ses  fatigues, 
Asvena  mut  ses  pas  pour  amener  ici  une  nation 


374  LETTkBS 

d0  sauvages  qui  n'avaient  jamais  vu  d'Européens.  Ib 
ont  tous  le  nez  percé  avec  quelques  grains  ou  poils 
de  bêtes  d'une  belle  couleur  qui  y  sont  pendus.  Ib 
étaient  très- chargés  de  castors,  qui  ont  bien  accommodé 
nos  marchands.  Ils  ont  été  si  satisfaits  des  Français, 
qu'ils  sont  résolus  de  venir  ci-après  faire  leur  traite 
avec  eux.  Les  Outaouak  leur  avaient  fait  entendre  que 
les  Français  les  feraient  brûler  s'ils  passaient  outre, 
mais  i\f  ont  reconnu  depuis  que  ces  barbares  les  entre- 
tenaient  dans  cette  crainte  afin  d'avoir  leur  pelleterie 
pour  rien  et  de  les  venir  traiter  eux-mêmes.  Les  Pères 
les  ont  désabusés,  et  c'est  pour  cela  que  le  Père  Nicolas 
les  a  amenés  lui-même  pour  leur  frayer  le  cheminât^ 
les  retirer  de  la  crainte  où  ils  étaient.  Admirez  cette.«s 
charité,  il  y  a  trois  cents  lieues  d'ici,  et  il  a  entrepri 
ce  long  voyage  dans  la  seule  espérance  de  gagner 
âmes  à  Dieu.  Il  les  a  ramenés  avec  un  autre  Père  et  q 
Frère  coadjuteur,  et  comme  cette  moisson  est  grande, 
il  y  en  a  encore  d'autres  qui  se  préparent  pour  les  suivre. 
La  mission  du  révérend  Père  Nouvel  aux  Montagnai 
et  aux  nations  du  nord  est  florissante.  Ce  sont  les  sau- 
vages les  plus  soumis  et  les  plus  dociles  pour  nos  saints- 
mystères,  que  Ton  ait  encore  rencontrés.  Il  y  a  peu  d^ 
temps  qu'il  en  amena  cinq  cents  à  Tadoussac,  qaL 
témoignèrent  une  extrême  passion  de  voir  Mgr  notr^ 
Prélat.  Sitôt  que  Sa  Grandeur  en  fut  avertie,  elle  partie 
pour  aller  les  visiter  et  les  féliciter  de  leur  soumissio» 
à  la  Foi,  et  pour  ne  pas  perdre  une  occasion  si  favo- 
rable, elle  donna  le  sacrement  de  Confirmation  à  ceux 
qui  se  trouvèrent  disposés  pour  le  recevoir.  Sa  charité 
l'avait  porté  peu  de  temps  auparavant  à  aller  visiter 
tous  les  forts  jusqu'à  celui  qui  est  le  plus  proche  des 
Iroquois,  où  il  conféra  le  même  sacrement  à  ceux  qui 


DB  LA  MâRE  MARIE  DE  L'INGARNATION.  375 

']  ne  l'avaient  point  reçu.  D'autres  Pères  vont  joindre  le 
j  Père  Nouvel  pour  accompagner  les  sauvages  dans  les 
^  bois  durant  leurs  chasses  et  dans  leur  hivernement.  Les 

• 

autres  sauvages  hurons,  iroquois,  algonquins,  monta- 

gûais,  seront  assistés  par  nos  révérends  Pères  depuis 

Montréal  jusqu'au  cap  de  Tourmente  et  aux  environs, 

1  durant  leur  hiver.  Ceux  qui  ne  peuvent  plus  aller  à  la 

^   chasse  resteront  à  Québec,  où  ils  seront  soulagés  selon 

je  corps  et  selon  l'âme.  Voilà  la  disposition  de  cette 

^E^lise  pour  cette  année. 

L'on  a  vu  en  ce  pays  une  comète  en  forme  de  lance  : 

elle  était  rougeâtre  et  enflammée,  et  si  longue  que  l'on 

n'en  pouvait  voir  le  bout.  Elle  suivait  le  soleil  après 

couchant,  et  n'a  paru  que  peu  de  temps,  perdant 

lueur  à  cause  de  celle  de  la  lune. 

La  terre  a  tremblé  assez  fortement  au  mois  d'avril 

dernier,  et  ce  tremblement  a  duré  environ  deux  Miserere. 

Il  a  fait  du  débris  vers  le  cap  de  Tourmente,  et  on  l'a 

ressenti  dans  toutes  ces  contrées  jusque  dans  les  Iro- 

..  quois.  Nous  ne  nous  en  sommes  aperçus  qu'une  fois 

à  Québec,  mais  il  a  été  fréquent  bien  avant  dans  les 

î    terres,  où  nous  n'avons  pas  encore  appris  qu'il  ait  fait 

g   du  fracas.  L'hiver  a  été  aussi  doux  que  j'en  aie  vu  en 

«   Firance,  et  l'été  aussi  chaud  et  aussi  brûlant  que  dans 

^    les  îles  de  l'Amérique.  Il  n'a  presque  point  plu,  et  néan- 

b  ntoins  toutes  ces  saisons  extraordinaires  n'ont  causé 

^    aucun  dommage  aux  biens  de  la  terre.  Je  vous  supplie 

^  vous  ressouvenir  devant  Dieu  des  besoins  de  cette 

^lise,  de  notre  Communauté  et  des  miens  en  particulier. 

De  Québec,  le  l''  de  septembre  1668. 


ut  ai 
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^  fc  ■  ^ 


Miin  -r=w-în«r  £a. 


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^^jsm.TA^.'^^  *j^  v.rjs  -s:  f-aroriL  par  InrosLliB  Xotr^ 
V^^^/v?  ^  v"^^  ^xnii-râu  Piirr  ce  îtî  aie  r^v^  je  laî^ 
';>/,'t  <vri<^  :Mii#^  v>c£:ii  H:ir^.  ra  û  &iancs  pcivr  li  ooa^ 
';  0M  ^>.  6^J^^  si^ilKA  ;  'Tt^ii^iIL  HT  ftii  i^«K  Tiogt-et-on^ 
f^.;>(r^t^<  r,/^a^ri::;/>îr^  tâ&:  en  pelkSl(^a]laires  que  dom»^ 
Uf\n0^,  il  ^  ;!i  ^iorlinzire  cf&^iiante  à  dn-^iuuici^xisq  per^ 
nf*Uf9^,  f*A  f\n\  est,  poar  le  pays,  one  charge  qui  demanda 
/|^7ff  ii/zirin  ^t  d^n  pfîiii^  sans  relâche.  Vous  auriez  de- 1*- 
|mifi'5  A  croire  crirnbien  les  affaires  7  sont  de  difScil9 
iti'juptnutff'U'mcjit ,  cfjpendant  Ion  8*en  tire,  et  fmr  1» 
tnMrUufnUi  rlo  I>ieu  mon  esprit  et  mon  cœar  sont  dans 
un  hunn\  ^r/irid  rcpoH  que  si  je  n*avais  rien  à  faire,  e'fc 
i|iin  iioiiN  fuHHumH  bien  riches.  C*est  une  conduite  qo^ 
Ifi  ilivinn  honM  n  toujours  tenue  sur  moi  depuis  que  je 
ntn  (M)tniinN,  ni  (|uo  j*ai  expérimentée  dès  mon  enfance, 
M|»pnyi^<*  Hwv  0(^t<o  parole  de  Notre- Seigneur,  que  celui 
(fNf  *f»  rf»M//f»  f»M  IU(*u  fw  sera  jamais  confondu.  C'est  ce  qui 
^\\\^  \)\U  Irouvor  lo»  choses  d'une  même  façon,  le  travai/ 
ooiwiui^  lo  tvpos,  ot  le  repos  comme  le  travail.  Dieo 


iU 


^ 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DB  L'iNCARNATION.  377 

artout  aimable,  et  ses  conduites  me  sont  égale- 
dorables. 

i  me  demandez,  dans  une  de  vos  lettres,  qui  est 
onne  qui  eut  une  certaine  vision  que  j'écrivis  en 
!  après  le  tremblement  de  terre.  Vous  avez  peut- 
u  que  c'est  moi.  Non,  Dieu  ne  me  conduit  pas 
tte  voie.  La  personne  étant  morte  cette  année, 
s  la  nommerai.  C'est  la  Mère  de  Saintr Augustin, 
ise  Hospitalière.  Elle  est  morte  jeune,  mais 
le  de  vertus.  Les  grâces  que  Dieu  lui  a  faites 

fondées  sur  trois  vertus,  qui  sont  l'humilité, 
ité  et  la  patience.  Pour  vous  en  donner  quelque 
,  je  vous  dirai  qu'il  y  a  quelques  années,  une 

ce  pays  fut  vexée  des  démons  par  la  malignité 
tains  magiciens  et  sorciers  venus  de  France  (car 

les  honnêtes  gens  il  nous  vient  de  terrible 
3);  l'un  d'eux  la  rechercha  en  mariage,  mais 
)  il  était  soupçonné  de  ces  maléfices,  elle  lui  fut 
3.  Il  'en  fut  tellement  irrité,  que  pour  se  venger 
'efus,  il  voulut  avoir  par  ses  malignités  ce  qu'il 
.  pu  obtenir  par  la  bonne  voie.  Il  y  a  quelques 
1  que  je  vous  mandai  cette  histoire,  je  ne  la  répète 
Pour  faire  court,  cette  fille  étant  continuellement 
et  agitée  des  démons,  fut  mise  dans  une  chambre 
^pital  où  elle  servait  même  les  malades;  et  par 

de  Mgr  notre  Prélat,  la  garde  en  fut  donnée 
ère  de  Saint- Augustin,  qui  y  acquiesça  avec  une 
)  soumission  d'esprit,  mais  avec  une  grande 
lance  naturelle.  Cette  bonne  Mère  la  gardait 
I;  nuit.  Le  jour  le  démon  ne  paraissait  pas,  mais 
t  il  faisait  du  ravage,  agitant  cette  fille  d'une 
e  manière,  et  lui  donnant  une  vue  importune 
magicien,  qui  lui  apparaissait  accompagné  de 


miifing  twasarat,  àmm  naam  bbb  Tnimriw  dTeofor 
i0t  inrnsir  ymm^  ^iSL  a^nr  snr  cette  file,  étam 
WD.fUxxs»  cuiHaMF  BE*  flBl&  S  giii  iïSgiiBe  cb  anit 
ùmxM  M  «m.  Id»  nffiBing  flnmgrtB  de  œ  qw  cette 
Mh»  lEBrou:  «ms  -anc  0  nm  la  poreté  de  tttté  flUe, 
iii;  iggagniMHMifc,  fg  11B  ionus  MàsiBB  et  la  battaient 

qaihd 


nttaïain  sur  ^  enrw  nuniasifiiix  jobbe  gse  c*étaieiit 
ti»  r»iii^s  «ïc  -wwr  xBf  ôm  -jrtrmrmK  SoB  eonfeeseoT 
2L^  ta*  jsjL  vrpiae  s^  mif-  iiiii  Jt  facaa  acâr  oomiDe  de 
/«icre  I»  lïiaçff  uTiuif  arsc  logna.  Elle  aoaffiait  tout 

JHTfriTiiiwy  ^  n  chaiitép 

•amép  ^  cnâse  iie  r<s£7st«r.  llgr  Botn  EvAq[ii0  et  ao^ 
eontfggr  aawâea  gpaia  ce  fvî  se  iHHait.  et  ToulaieDfl 
prademiBeK  qmt  ie  ttwc  âecxorit  aecrat  I>i6a  fortifiiM 
cette  If  ère  dam  ce  gnrad  traTaîl  par  le  aeecmn  da  râfé— 
rend  Père  de  Brébenf,  qui  loi  ajyaraiaaait  aoawnt^ 
et  la  coDfolait  dans  aea  traTaox.  Enfin  lea  '  démona  e0 
les  magiciens  se  retirèrent  par  1  mterceaaÎQn  de  ce  aainS 
homme,  qui  a  répanda  ffon  sang  poar  le  sontien  de  bu 
Foi  en  ce  paya.  Après  tant  de  victoires  remportées  aor* 
les  démons  par  cette  Mère,  Notre-Seignenr  lai  a  fait^ 
des  faveurs  très-signalées,  la  visitant  et  la  careaaanfcs 
beaucoup;  surtout  il  lui  a  donné  de  grandes  victoires 
aur  les  maiioa  esprits,  qui  lui  ont  fait  d*étranges  guerrea 
juaqu*à  la  mort.' 

(1)  hêê  ta?anU  motlernaf  et  surtout  les  médecins  rejettent  a  priori  tovct 
interventiou,  toit  des  bons^  soit  des  mauvais  esprits,  soit  mdme  de  Dieo,  àMm 
tout  ce  qui  touche  A  l'ordre  naturel.  Quand  on  allègue  des  faits  qulls  DepsBfw/ 
eipliquer,  ils  nient  ces  faits  aussi  longtemps  qu'il  leur  est  possible.  LonqDlif  m 
peufsnt  plus  les  nier,  ils  aiment  mieux  en  donner  une  explication  qui,  pour  «si- 
Nl#M«ii  B*a  pM  !•  moindre  sens,  que  d'avouer  qu'il  pourrait  bien  j  avoÂ'  ^ 


DB  LA  MÈRB  liARIE  DB  L'INGARNATION  .  379 

CTest  donc  à  cette  grande  servante  de  Dieu  que  la 
révélation  dont  je  parlai  après  le  tremblement  de  terre 
lut  faite;  pour  moi  je  ne  mérite  pas  que  Notre-Seigneur 
nie  fasse  des  grâces  si  relevées  et  si  extraordinaires. 

Puisque  j'ai  commencé  à  vous  parler  de  la  Mère 
de  Saint-Augustin,  j'ajouterai  ici  encore  quelque  chose. 

•  foulque  chose  de  surnaturel  ou  d'extranaturel.  Le  fait  des  stigmates  de  Louise 

Lateau  en  est  un  exemple  entre  mille.  Pendant  plus  de  six  ans,  une  foule 

^esprits  forts,  les  corps  savants  eux-mêmes  prétendirent  que  la  supercherie 

Mt  trop  certaine  par  elle-même  pour  qu'il  fût  à  propos  de  la  constater.  Puis, 

fitnd  le  nombre  des  témoins  qui  affirmaient  le  fait  parut  enfin  trop  imposant, 

^ieadémie  de  médecine  de  Bruxelles  nomma  une  comxnission  qui  fut  chargée 

éê  démontrer  que  tous  ces  prétendus  témoins  étaient  des  imposteurs  ou  des  niaie. 

•IfAlheureusêment  (pour  1* Académie),  la  commission  fut  forcée  de  reconnaître 

iH  l^s  stigmates  étaient  réels,  incontestables,  et  tels  dans  tous  les  détails  que 

^*^lx-xiiaient  tous  les  témoins  depuis  près  de  sept  ans.  Les  docteurs  belges  ne 

l^ttcft-fc.  pas  embarrassés  pour  si  peu  ;  ils  décidèrent  gravement  que  la  maladie  de 

ooi^K^  Lateau  est  une  névropathie  sttgmaUçtue,  Si  on  leur  demande  ce  que  c'est 

'^^^^  névropathie  stigmatique,  ils  donneront  une  réponse  ;  mais  cette  réponse 

^"^^p^bl  dire  :  nous  n'en  savons  absolument  rien.  Ces  sauvages  de  l'Amérique 

1  ^s^-oyaient  que  la  terre  était  portée  pa^  quatre  gros  éléphants,  et  à  qui  on 

i^^k-xida  par  quoi  étaient  portés  les  éléphants,  répondirent  qu'ils  n'avaient  pas 

0^^    à  cela.  C'était  plus  droit  et'plus  franc. 

savants  ne  veulent  pas  plus  croire  aux  sorciers  et  aux  possessions  des 
Qs  qu'aux  stigmates  provenant  d'une  cause  surnaturelle  ;  mais  une  foule  de 
^trats,  au  moyen  Age  et  jusqu'à  ces  derniers  temps,  ont  déclaré  certains 
B  ^^^^md  nombre  de  faits  de  sortilèges,  après  les  avoir  constatés  par  les  enquêtes 
M  1^1 '^is  sérieuses  et  des  dépositions  de  témoins  les  plus  dignes  de  foi.  N'est-ce 
iou(2  Tien  que  cette  autorité  f  Les  prétendus  savants  de  l'époque  actuelle,  qui 
pvoxaonçent  sans  vouloir  même  examiner,  méritent-ils  plus  de  confiance  f 

^^is  nous  avons  une  autorité  qui  surpasse  infiniment  celle  de  tous  les  tribu- 
1^^^  et  de  toutes  les  académies  :  c'est  l'autorité  de  l'Evangile,  de  Dieu  même, 
<pù  %*e8t  incamé  pour  détruire  l'empire  de  Satan.  Il  faut  ou  renoncer  à  l'Evangile 
it  tu  christianisme,  ou  admettre  la  possibilité  des  possessions  diaboliques,  et  le 
^  Uiéme  de  ces  possessions  en  certains  cas.  ,l\  faut  ou  se  séparer  de  l'Eglise, 
<Mi  croire  avec  elle  que  les  pactes  réels  et  efficaces  pour  le  mal  peuvent  avoir  lieu 
**^  les  démons,  puisque  telle  est  manifestement  sa  croyance.  Qu'est-ce  que 
'^  Station  de  Notre-Seigneur  dans  le  désert,  sinon  une  proposition  de  pacte 
^  lui  fat  faite-  à  trois  reprises  par  Satan  ? 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INGARNATION .  381 


LETTRE  CXC. 

A   UNE   RELIGIEUSE    URSULINE    DE    TOURS. 
(La  Mère  Françoise  de  Saint-Oermain.) 

Elle  lai  parle  avec  éloge  de  sa  sœur,  la  Mère  Marie  àe  Saint- Joseph. 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 

J'ai  reçu  votre  lettre  fort  tard  et  j'y  réponds  à  la  hâte 

presque  aussitôt  qu'elle  m'a  été  rendue.  Je  bénis  Dieu 

la  singulière  protection  qu  il  donne  à  taute  votre 

re  maison,  des  grâces  qu'il  vous  fait  en  particulier, 

6  la  paix  et  union  qui  règ^nent  dans  le  gouvernement 

ma  révérende  Mère  prieure.  Cette  excellente  Mère 

*    digne  de  louange  d'imiter  celles  qui  l'ont  devancée 

CBS  la  charge.  C'est  la  marque  d'un  esprit  bien  fait, 

<)ue  l'esprit  de  Dieu  la  possède  et  la  conduit.  Je  ne 

i-xquerai  pas  de  faire  ce  que  vous  désirez  de  moi,  car 

1:1s  êtes  bien  près  de  mon  cœur,  et  je  vous  regarde 

cnine  une  autre  Mère  de  Saint- Joseph,  ma  chère  com- 

gne  et  votre  bonne  sœur.  Vous  me  priez  de  vous  dire 

^Ique  chose  d'elle,  et  d'autres  m'en  écrivent  et  le 

dirent  aussi.  Vous  devez  avoir  gardé  les  mémoires 

^  je  vous  envoyai  après  sa  mort,  et  ceux  que  je  vous 

encore  envoyés  depuis  touchant  la  translation  de  son 

>^ps  de  son  premier  cercueil  dans  un  autre.  Ces  sortes 

papiers  ne  doivent  pas  se  perdre,  et  je  les  avais 

^its  fidèlement  dans  la  pensée  que  nos  Mères  les 


382  LBTTRB8 

garderaient  mieux  qoe  moi.  Nos  Mères  de  Paria  se 
sont  servies  de  ce  que  le  réyérend  Père  £e  Jeane  avait 
pris  dans  ces  mémoires  pour  mettre  dans  sa  Relation. 
Le  révérend  Père  du  Creox  qui  a  fait  l'histoire  do 
Canada,  me  demandant  chaque  année  des.  nouvelles 
pour  les  7  insérer,  je  lui  ai  mandé  beaucoup  de  choses 
de  cette  chère  Mère,  qu*il  a  fait  imprimer;  et  même  oe 
qui  arriva  à  sœur  Isabelle  Pavy  avant  sa  mort  est 
couché  dans  cette  histoire.  Il  y  a  quelque  temps  qne 
DOS  Mères  de  Paris  nous  demandèrent  une  attestation 
de  ce  qui  était  arrivé  au  Frère  Bonnemer.  Nods 
l'envoyâmes  signée  de  sa  propre  main.^ 

M .  de  Bernières  me  manda  avant  sa  mort,  que  Diea 
lui  avait  fait  de  grandes  grâces  par  l'invocation  de  cette 
heureuse  Mère.  Il  y  a  ici  de  nos  sœurs  qui  disent  le 
même  à  leur  égard.  L'une  d'entre  elUes  m'assure  qu'elle 
lui  est  redevable  de  la  grâce  de  sa  vocation.  Pour  moi, 
je  puis  assurer  qu'elle  m'a  rendu  de  grandes  assistances, 
et  je  ne  fais  nul  doute  qii'elle  ne  soit  bien  puissante 
auprès  de  Dieu,  pour  moyenner  auprès  de  sa  divine 
Majesté  des  grâces  intérieures  et  l'amortissement  des 
passions  à  ceux  qui  l'invoquent.  Sa  mémoire  nous  est 
aussi  récente  que  si  elle  était  encore  en  vie  parmi  nous. 
L'on  a  encore  universellement  l'impression  de  sa  vertu, 
et  je  ne  connais  personne  qui  blâme  en  aucune  manière 
sa  conduite,  soit  dans  sa  conversation,  soit  dans  ses 
actions  ordinaires.  Lorsque  je  croyais  mourir  de  ma 
grande  maladie,  je  me  réjouissais  dans  la  pensée  que  j6 
la  verrai  dans  le  ciel,  quoique  bien  éloignée  d'elle. 
Enfin,  chère  Mère,  je  vous  estime  heureuse  d'avoir  une 
si  sainte  Sœur  et  si  puissante  avocate  dans  le  cieL 

^1)  Ce  qui  arriva  au  Frère  Bonnemer,  après  la  mort  de  la  Mère  Ifirie^ 
Saint-Joseph,  est  rapporté  ci-dessus,  à  là  fin  de  la  Lettre  CVIII,  u  I*'.  p.  ^1* 


\ 


DB  LA'MÈRB  MARIE  DE  L*INCARNATION.  883 

Vous  me  demandez  les  lettres  que  feu  monsieur  votre 
père  et  madame  votre  mère  écrivirent  à  cette  chère 
More  sur  le  sujet  de  son  passage  en  Canada  ;  cela  m'est 
impossible  parce  qu'elles  furent  brûlées  à  notre  incendie 
avec  tous  nos  autres  papiers  de  dévotion.  Pour  moi, 
je  laissai  volontairement  brûler  les  miens,  quoique  la 
pensée  me  fût  venue  de  les  sauver  avec  ceux  qui  regar- 
'  dent  les  principales  affaires  de  notre  maison,  que  je  mis 
à  la  hâte  en  sûreté.  Priez,  chère  Mère,  pour  notre  petite 
Communauté,  qui  vous  salue  avec  bien  de  la  tendresse, 
et  surtout  souvenez- vous  de  celle  qui  vous  est  invaria- 
blement, dans  le  Cœur  aimable  de  Jjâsus,  très-humble 
servante. 

De  Québec,  le  15  septembre  1668. 


LETTRE   CXCl. 

A   UNE   RELIQIBUSE   URSULINB   DE   TOURS. 
{La  Mère  Marie  de  la  Nativité,) 

\ 

lUa  se  réjouit  de  la  voir  soaffrir  avec  patience  les  doaleon  d'ane  grande 
maladie  ;  et  par  une  amitié  tonte  surnaturelle,  elle  lui  en  désire  encore  de 
pins  grandes. 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 

J*ai  reçu  cette  année  deux  de  vos  lettres,  dont  la 
première  m'apprend  que  notre  bon  Jésus  vous  a  atta- 
chée à  la  croix  par  une  maladie  bien  douloureuse.  Si 
^Ue  dure  longtemps,  voua  y  acquerrez  bien  des  cou- 


384  •  LETTRES 

ronDes.  Je  bënis  la  bonté  du  Maître  qui  dispense  les 
croix  à  ses  amis,  de  la  paix  et  tranquillité  qall  donne 
à  votre  esprit  dans  de  si  grandes  douleurs.  J*ai  été 
surprise  apprenant  lït  qualité  de  cette  maladie,  de 
laquelle  je  navals  jamais  ouï  dire  que  vous  eussiez 
été  attaquée  par  le  passé.  Cela  me  fait  croire  que  ce  ne 
sera  peut-être  qu'une  infirmité  passagère,  et  je  prie 
la  divine  Bonté  que  cela  soit,  si  c*est  pour  sa  plus 
grande  gloire  :  mais  si  elle  en  a  disposé  autrement, 
et  qu'elle  veuille  vous  élever  à  une  plus  haute  sainteté 
par  la  voie  de  la  souflFrance,  je  la  supplie  d'accroître  vos 
douleurs,  et  de  vous  faire  un  modèle  de  patience  à  la 
gloire  de  notre  bon  Jésus.  Vous  voyez  par  là,  chère 
Mère,  que  je  vous  souhaite  ce  que  saint  Philippe  de 
Néri  et  le  bienheureux  Félix  se  souhaitaient  l'un  à 
l'autre  :  savoir  des  peines ,  des  souffrances ,  des  maf  - 
tyres,  parce  qu'ils  ne  vivaient  plus  à  eux-mêmes,  mai^ 
à  Celui  qui  était  mort  et  ressuscité  pour  eux.  Bonrr 
courage,  mon  aimable  Mère,  puisque,  outre  les  souf — 
frances  du  corps,  celles  de  l'esprit  viennent  encore  jC 
la  foule.  Le  prochain  s'en  mêle  et  ajoute  douleur  sur^ 
douleur.  Oh  !  que  cela  est  ravissant,  et  que  Dieu  vou* 
envoie  de  biens  !  Mais  si  Dieu  même  se  met  de  la  partiel 
et  que  sa  main  vous  touche,  ce  sera  encore  bien  autres 
chose.  Ah  !  chère  Mère,  s'il  vous  conduit  une  fois  parr 
cette  voie,  vous  crierez  à  lui,  parce  qu'il  n'y  aura  que 
lui  qui  puisse  donner  remède.  Il  tue,  il  vivifie,  il  mène 
les  âmes  jusqu'aux  portes  de  la  mort,  puis  il  les  ramèn 
et  les  fait  revivre. 

Vous  avez  voulu  recueillir  ses  droits,  et  Ton  vous 
a  trouvée  sévère,  parce  que  les  débiteurs  ne  payent  pai^ 
toujours  trop  bien.  Voyez  ce  qu'en  dit  l'Evangile,  et 
vous  trouverez  que  les  débiteurs  ont  persécuté  jjisquà 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INCARNATION .  385 

la  mort  les  serviteurs  qui  recaeillaient  les  droits  du 
Maître.  Souffrez  donc  volontiers  pour  l'amour  du  Maître 
de  la  vigne  ;  il  saura  récompenser  au  centuple  les  peines 
et  les  reproches  que  vous  aurez  endurés  pour  son  ser- 
vice. Je  vous  estime  la  fille  du  monde  la  plus  heureuse 
de  n'avoir  pas  été  remise  en  charge;  notre  bon  Jësus 
vous  a  traitée  en  ami  de  vous  détacher  d'une  croix  pour 
vous  attacher  à  une  autre,  de  la  croix,  dis-je,  de  la 
supériorité,  pour  vous  attacher  à  celle  de  la  maladie 
et  de  la  persécution,  que  j'estime  plus  aimable  parce 
qu'on  y  souffre  davantage.  Bénissons  les  conduites  de 
notre  très-aimable  Epoux,  qui  veut  que  nous  soyons 
toujours  avec  Lui,  puisqu'il  veut  que  nous  soyons  tou- 
jours dans  la  croix.  Si  nous  vivons  encore  Tannée 
prochaine,  vous  me  direz  de  vos  nouvelles,  et  je  vous 
dirai  des  miennes. 

C'est  ici  la  dernière  voie  par  laquelle  mon  cœur  se 

rêpandra  dans  le  vôtre,  et  vous  assurera  que  mon  âme 

demeurera  toujours  collée  à  votre  âme.  Cependant  je 

serai  en  peine  de  vous  jusqu'à  Tannée  prochaine,  la 

g^randeur  de  votre  maladie  m*en  rendant  l'issue  dou- 

l^use  et  suspecte.  Je  juge  de  votre  mal  par  le  mien, 

et  de  vos  dispositions  par  les  miennes.  Dans  ma  maladie 

d^  quatre  ans,  ma  joie  et  ma  paix  étaient  dans  le  cru- 

^ifi^.  Je  lui  disais  que  c'était  lui  qui  me  faisait  souffrir, 

®t  qui  me  faisait  aimer  la  souffrance.  Vous  avez  eu  le 

loisir^  toute  cette  année,  à  l'infirmerie,  de  vous  entre- 

*®ïiir  avec  cet  amour  crucifié,  et  je  ne  doute  point  que 

^OQs  ne  lui  ayez  tenu  le  même  langage  que  moi,  puisque 

"^ous  en  avez  ressenti  les  mêmes  effets.  Vous  vous 

réjouissiez  d'être  en  solitude,  il  fallait  que  la  croix 

^ous  y  accompagnât,  afin  qu'elle  fût  semblable  à  celle 

de  notre  divin  Sauveur.  Pour  ce  qui  me  regarde,  sa 

LBrnK  if.  II.  25 


386  LBTTR98 

boDtë,  qnoiqne  je  sois  extrêmement  faible,  m'a  fait 
la  grâce  d'écrire  mes  lettres,  qui  sont  en  si  grand 
nombre  qne  yoos  en  seriez  effrayée.  Une  main  de 
papier  est  aussitôt  expédiée,  et  j'en  ai  la  main  si  lasse 
qn'à  peine  la  pnis-je  porter;  et  néanmoins  il  faut  qu'elle 
prenne  courage  jusqu'à  la  fin,  il  ne  m'en  reste  plus 
qu'environ  quarante  qui  doivent  être  expédiées  vers 
la  fin  de  ce  mois.  Mon  Dieu,  que  je  serai  heureuse 
quand  je  me  verrai  déchargée  de  ce  fardeau  qui  est 
attaché  à  la  supériorité!  Mais  non,  il  faut  prendre 
patience  :  c'est  un  effet  de  l'amour-propre  de  désirer 
de  se  voir  déchargée  de  ces  fardeaux.  Il  nous  les  fant 
porter,  ma  chère  Mère,  autant  de  temps  que  notre  bon 
Jésus  l'ordonnera.  Agréez,  s'il  vous  plaît,  le  trôs-humble 
et  très-respectueux  salut  de  notre  Communauté.  Vons 
y  êtes  connue  comme  si  vous  y  étiez,  car  l'on  vous  y 
tient  pour  cauadienneL  Adfeu  pour  cette  année. 

• 

j 
De  Québec,  le  15  de  septembre  1668. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION .  387 


LETTRE    GXCII. 

^^   UNE   SUPÉRIEURE   D  URSULINES    DU  MONASTERE  DE    SAINT-DENIS 

EN   FRANCE. 

^Me  lie  avec  elle  une  union  sainte  et  une  communication  de  biens  spirituels 
«t  lui  décrit  la  pauvreté  de  son  monastère.  —  De  quelle  manière  on  francise 
'es  sauvages. 

C*est  moi,  ma  trôs-chère  Mère,  qui  ai  perda  dans 
^  l^rivation  de  vos  chères  lettres.  Il  y  avait  longtemps 
^^  je  vous  connaissais  de  réputation  par  le  moyen 
3  x^évérend  Père  de  La  Haye  et  de  défunte  mademoi- 
1^1^  de  Luynes.  L'amour  et  l'estime  qu'ils  avaient  de 
^t;:re  vertu  me  sont  devenus  communs  avec  eux,  et  si 
^  <3e  temps-là  nous  eussions  été  en  état  de  demander 
^s  religieuses  en  France,  nous  nous  fussions  adressées 
^xix  pour  nous  aider  à  vous  demander  à  votre  sainte 
^xximunauté. 

^dais  Dieu  ne  l'a  pas  voulu,  et  il  vous  réservait  pour 
i  rendre  les  grands  services  que  vous  lui  avez  rendus 
^puis,  et  que  vous  lui  rendez  encore  pour  sa  plus 
^«inde  gloire.  Par  la  lettre  que  vous  avez  eu  la  bonté 
^  m'écrire,  je  connais  que  l'aflFection  pour  le  Canada 
c^vis  est  toujours  demeurée  dans  le  cœur,  puisque  par 
^tre  bienveillance  vous  voulez  bien  en  épouser  les 
^'t^rêts,  et  surtout  ceux  de  notre  séminaire.  Cela  me 
'^che  le  cœur  d'une  nouvelle  émotion  d'amitié  pour 
^^i«,  mon  aimable  Mère;  car  je  n'aurais  osé  présumer 


388  LETTRES 

que  Yoas  pensassiez  seulement  à  noos,  et  à  moi  en 
particalier.  Mais  puisque  notre  bon  Dieu  le  veut,  lions 
donc  une  nouvelle  et  indissoluble  union  et  commu- 
nication de  biens  spirituels,  moi  avec  vous,  et  notre 
Communauté  avec  la  vôtre.  Nous  vous  aimons  toutes 
cordialement  et  nous  ne  doutons  point  de  votre  affection 
réciproque  en  notre  endroit.  Votre  cordiale  lettre  en 
fait  foi,  comme  fait  aussi  celle  que  vous  avez  écrite 
à  ma  Mère  de  Saint- Athanase,  notre  assistante. 

Je  n'ai  pas  manqué  à  ce  que  vous  désirez  de  moi 
à  l'égard  de  cette  vertueuse  dame.  Je  me  donne  Thon- 
neur  de  lui  écrire,  quoique  je  ne  l'entretienne  que  de 
civilités.  S'il  plaisait  à  notre  bon  Dieu  de  l'inspirer 
d'aider  notre  pauvre  séminaire,  elle  ferait  assurément 
une  œuvre  de  grande  charité  :  car  je  vous  dirai  sin- 
cèrement qu'il  est  fort  chargé,  et  que  pour  toutes  ses 
charges  nous  n'avons  nulle  fondation  pour  nos  filles 
sauvages,  mais  seulement  pour  quatre  religieuses  qui 
les  doivent  instruire.  Depuis  près  de  trente  ans  que 
nous  sommes  en  ce  pays,  celles  que  nous  avons  nourries 
et  entretenues  de  tout  dans  le  séminaire,  ne  Tout  été 
que  par  un  effet  de  la  divine  Providence. 

Nous  avons  francisé  plusieurs  filles  sauvages,  tant 
huronnes  qu'algonquines,  que  nous  avons  ensuite  ma- 
riées à  des  Français,  qui  font  fort  bon  ménage.  Il  yen 
a  une  entre  autres  qui  sait  lire  et  écrire  en  perfection, 
tant  en  sa  langue  huronne  qu'en  notre  française  ;  il  n'y  a 
personne  qui  la  puisse  distinguer  ni  se  persuader  qu'elle 
soit  née  sauvage.  M.  l'Intendant  en  a  été  si  ravi,  qu'il 
l'a  obligée  de  lui  écrire  quelque  chose  en  sa  langue 
et  en  la  nôtre,  pour  l'emporter  en  France  et  le  faira 
voir  comme  une  chose  extraordinaire.  Sa  Majesté,  qui 
a  envoyé  des  troupes  en  ce  pays,  voyant  que  Dieu  y  a 


fti 


DB  LA  MËRB  fiCARIB  DE  L'iNGARNATION.  389 

béni  ses  armes,  désire  que  Ton  francise  ainsi  pea  à  peu 
tons  les  sauvages,  afin  d'en  faire  un  peuple  poli.  L'on 
commence  par  les  enfants.  Mgr  notre  Prélat  en  a  pris 
un  grand  nombre  à  cei  effet;  les  révérends  Pères  en 
ont  pris  aussi  en  leur  collège  de  Québec;  tous  sont 
yêtus  à  la  française,  et  on  leur  apprend  à  lire  et  à 
écrire  comme  en  France.  Nous  sommes  chargées  des 
filles,  conformément  à  notre  esprit;  mais  quoique  nous 
les  ayons  élevées  depuis  que  nous  sommes  en  ce  pays, 
nous  n'avons  néanmoins  francisé  que  celles  dont  les 
parents  l'ont  bien  voulu,  et  quelques  pauvres  orphelines 
dont  nous  étions  les  maîtresses  ;  les  autres  n'étaient  que 
passagères  et  demeuraient  avec  nous  un  mois  ou  un 
peu  plus,  puis  elles  faisaient  place  à  d'autres.  Mais  à 
présent  il  les  faut  toutes  franciser  et  les  vêtir  d'habits 
à  la  française,  ce  qui  n'est  pas  d'une  petite  dépense, 
car  il  n'y  en  a  pas  une,  non  plus  que  des  petits  garçons, 
qui  ne  coûte  pour  le  moins  deux  cents  livres  à  entre- 
tenir. Feu  mademoiselle  de  Luynes  nous  assistait  beau- 
<^up,  car  elle  nous  envoyait  des  étoffes  pour  les  vêtir, 
^t  une  bonne  aumône  pour  aider  à  les  nourrir.  Elle 
^^ait  dessein  de  faire  une  fondation  à  cet  effet,  et  quand 
^Hd  tomba  malade,  elle  chargea  son  testament  d'un  legs 
^iisidérable,  mais  la  mort  l'ayant  surprise  avant  que 
^ô  \g  signer,  rien  n'a  été  exécuté.  Par  sa  mort  nos  filles 
^Uft^i  bien  que  nous  sont  demeurées  sans  appui,  car 
^  pi:^^sent  il  n'y  a  que  deux  honnêtes  dames  en  France 
<lûi  nous  envoient  chacune  cinquante  livres  pour  notre 
«éminaire.  L'embrasement  de  notre  monastère  arriva 
^  xiQême  temps,  et  ces  deux  accidents  joints  ensemble 
ïiovis  réduisirent  à  la  dernière  pauvreté.  La  seule  Pro- 
^dence  de  Dieu  a  rétabli  notre  monastère  et  jious  a 
^^i^es  en  l'état  où  nous  sommes  à  présent.  Mais  quoique 


390  LETTRES  • 

nous  fussions  réduites  à  l'hôpital,  nous  retînmes  tou- 
jours nos  chères  séminaristes,  que  nous  estimons  notre 
plus  riche  trésor  en  ce  monde,  et  pour  lequel  nous 
avons  quitté  la  France,  nos  Mères  et  tous  nos  amis. 

Voilà,  mon  intime  Mère,  une  petite  partie  de  nos 
aventures  passées  et  de  notre  état  présent;  soyez  Tavo- 
cate  de  notre  pauvre  séminaire,  si  notre  bon  Jtisus 
et  sa  sainte  Mère,  notre  vrai  support,  vous  en  donnent 
les  mouvements.  Nous  eussions  été  ravies  si  la  bonne 
Mère  de  votre  maison  fût  passée  cette  année  avec  celle 
de  Rouen  ;  mais  Mgr  notre  Prélat  a  tant  vu  de  remises 
pour  cette  dernière,  qu'enfin  il  s*est  lassé,  et  dans 
la  nécessité  où  nous  étions,  il  a  bien  voulu  que  nous 
prissions  des  novices  de  ce  pays.  Nous  en  avons  donc 
reçu  quatre,  et  une  cinquième  est  sur  le  point  d'entrer. 
Mais  nous  voyons  bien  que  pour  maintenir  l'esprit  reU- 
gieux  en  ce  pays  il  nous  faudra  toujours  avoir  des 
religieuses  de  France.  C'est  pourquoi,  ma  très-cbère 
Mère,  nous  nous  adresserons  à  vous  dans  les  occasions. 
Nos  révérends  Pères  nous  ont  parlé  si  avantage^ement 
de  la  sainteté  de  votre  maison,  outre  ce  que  nous  en 
savons  dailleurs,  que  nous  ne  croyons  pas  mieux  faire 
que  de  nous  adresser  à  vos  bontés  pour  vous  demander 
des  filles  qui  soient  jeunes,  pour  pouvoir  satisfaire  anx 
devoirs  de  l'Institut,  et  qui  puissent  s'accoutumer  au 
climat  froid  de  ce  pays,  où  les  personnes  âgées  ne 
saccoutument  pas  si  facilement.  Je  vous  réitère,  ma 
très-chère  Mère,  la  sincère  aflFection  de  mon  cœur 
pour  votre  âme;  je  vous  demande  aussi  la  vôtre  dans 
l'intime  union  de  notre  divin  Sauveur,  dans  laquelle 
je  suis  votre.... 

De  Québec,  le  21  de  septembre  1668. 


D£  LA  MÊRB  BiARIB  DB  L'INGARNATJON.  391 


LETTRE    CXCIII. 

A    SON    FILS. 

Quoiqu'il  faille  craindre  rélévation  dans  les  charges,  il  faut  néanmoins  s'afatan- 
donner  à  Dieu.  —  Elle  parle  de  son  oraison  de  respir,  et  de  la  crainte  qu'elle 
avait  de  déchoir  de  la  grâce,  quelque  élevée  qu'elle  fût  dans  les  voies  de 
Dieu.  —  Protejïtton  de  la  sainte  Vierge  sur  son  monastère  et  sur  elle  en 
particulier. 

Mon  très-cher  et  bien  aimé  fils, 

J'ai  reçu  vos  deux  dernières  lettres  par  les  deux 
derniers  vaisseaux;  et  de  vos  nouvelles  particulières 
par  mesdames  N.  et  N.,  qui  n'avaient  pas  assez  de  bou- 
ches pour  m'en  dire  et  à  nos  amis,  tant  elles  étaient 
ravies  de  vous  avoir  vu.  Dieu  soit  béni  des  dispositions 
qu'il  fait  de  votre  personne;  elles  sont  extraordinaires, 
mais  ce  n'est  pas  vous  qui  faites  le  choix  de  vos  emplois. 
Je  ne  m'étonne  pas  si  vous  avez  été  surpris  de  ce  dernier 
que  vous  exercez,  puisqu'en  eflfet  nous  devons  tou- 
jours sentir  de  nous-mêmes  ce  que  nous  sommes  en 
vérité.^  Laissez-vous  néanmoins  aller  au  gré  de  la 
conduite  de  Dieu  sans  aucun  regard  sur  vous-même; 
vous  ne  vous  tireriez  pas  de  cet  abîme,  puisque  nous 
n'arriverons  jamais  jusqu'au  fond  de  notre  néant.  Tout 
ce  que  je  souhaite  à  votre  égard  n'est  point  pour  vous- 
même,  ni  à  cause  de  ce  que  vous  m'êtes  selon  le  sang; 
je  vous  le  souhaite  pour  Dieu,  et  afin  que  vous  soyez 

(1)  Dom  Cl.  Martin  venait  d'être  nommé  ÀMistaot  du  Père  Qéùéral. 


392 

an  digne  instnunent  de  sa  gloire  :  je  conjure  la  divine 
bonté  de  toos  rendre  tel.  Pour  mon  particalier,  je  tooi 
ayone  qné  mes  véritables  sentiments  pour  tous  et  pour 
moi»  sont  de  craindre  l'élévation.  Sor  la  noavellQ  que 
vons  m'apprenez  de  llionnenr  que  Totre  très-rëvérend 
Père  Général  et  mes  aufares  révérends  Pères  vùua  fai- 
saient de  vous  élever  à  la  charge  qae  tous  aves  i 
présent,  je  commençai  à  craindre;  mais  ayant  fiât 
réflexion  devant  Diea  sur  cette  matière,  mon  espit 
s'arrâta  par  une  autre  pensée  qui  me  consola,  que  les 
serviteurs  de  Dieu  se  laissent  conduire  à  son  esprit» 
et  que  si  vous  n'eussiez  eu  la  crainte  de  Dieu,  ils  n*aa« 
raient  pas  jeté  les  yeux  sur  vous  pour  un  si  haut 
emploi.  Voilà  ce  qui  s'est  passé  en  moi  à  votre  ^:ard» 
en  suite  de  quoi  je  me  suis  laissée  aller  à  traiter  avee 
notre  divin  Sauveur  sur  la  fidélité  de  ses  promesses. 
Sa  bonté  m'avait  fait  l'honneur  et  la  miséricorde  de  om 
promettre  qu'elle  aurait  soin  de  vous,  quand  je  voua 
quittai  pour  son  amour,  et  pour  obéir  à  ce  qu'elle  deman- 
dait de  moi.  Voyez,  mon  très-cher  fils,  si  vous  n'expé- 
rimentez pas  la  vérité  et  Teffet  de  ses  divines  promesses. 
Après  une  fidélité  si  manifeste,  pourquoi  vous  et  moi 
aurioDS-DOus  soin  de  nous-mêmes  pour  désirer  ceci  ou 
cela?  Tenons-nous  toujours  dans  le  dernier  lieu  et 
cachés  dans  notre  poussière  ^.  notre  divin  Midtre  nous 
trouvera  là  et  nous  en  tirera  si  c'est  pour,  sa  gloire  et 
pour  notre  bien.  Il  est  si  bon  qu'en  établissant  sa  gloire 
il  moyenne  (procure)  notre  sanctification.  Je  l'ai  toujours 
éprouvé  et  si  vous  voulez  vous  étudier  à  considérer 
ses  saintes  démarches  en  la  conduite  de  votre  vie  ek 
des  états  où  il  vous  a  fait  passer,  vous  y  remarquerez 
cette  vérité,  capable  de  faire  fondre  des  cœurs  d'amoar 
pour  un  Dieu  si  libéral  et  si  magnifique. 


DB  LA  MÈRE  MARIB  DE  L'INCARNATION.  393 

Pour  moi,  mon  très-cher  fils,  je  n'ai  plus  de  paroles 
aux  pieds  de  sa  divine  Majesté.  Mes  oraisons  ne  sont 
antres  que  ces  mots  :  Mon  Diea  !  mon  Dieu!  soyez  béni, 
d  mon  Dieu  !  Mes  jours  et  mes  nuits  se  passent  ainsi, 
et  j'espère  que  sa  bonté  me  fera  expirer  en  ces  mots, 
et  qu'elle  me  fera  mourir  comme  elle  me  fait  vivre.  J'ai 
dit  en  ces  mots  :  je  dirais  mieux  en  ces  respirs,  qui 
ne  me  permettent  pas  de  faire  aucun  acte;  et  je  ne  sais 
comme  il  faut  dire  quand  il  faut  parler  de  choses  aussi 
nues  et  aussi  simples  que  celles-ci,  qui  consomment 
mon  âme  dans  son  souverain  et  unique  bien,  dans  son 
simple  et  unique  tout.  Me  voyant  sujette  à  tant  d'inflr- 
mitéii,  je  croyais  selon  le  cours  des  choses  naturelles 
qu'elles  me  consumeraient,  et  qu'elles  ne  se  termine- 
raient que  par  la  mort  L'amour  qui  est  plus  fort  qu  elle 
y  a  mis  fin,  et  par  la  miséricorde  de  Dieu,  me  voilà 
à  peu  près  dans  la  santé  que  j'avais  avant  une  si  longue 
iiialadie,  sans  savoir  combien  elle  pourra,  durer. .  Il  ne 
^importe,  pourvu  que  la  sainte  voloaté  de  Dieu  soit 
^ite  ;  mais  je  ne  crois  pas  que  ma  fin  soit  bien  éloignée, 
^^at  parvenue  à  la  soixante  et  dixième  année  de  mon 
%d.    Mes  moments  et  mes  jours  sont  entre  les  mains 
^®  c^clui  qui  me  fait  vivre,  et  tout  m'est  égal,  pourvu 
Qu'ils  se  passent  tous  selon  son  bon  plaisir,  et  ses 
^oi^^ables  desseins  sur  moi.  Dieu  ne  m'a  jamais  con- 
duit;^ par  un  esprit  de  crainte,  mais  par  celui  de  l'amour 
et  (i^  la  confiance. 

^ijand  je  pense  néanmoins  que  je  suis  pécheresse, 

et  c^^e,  par  le  malheur  de  cette  condition,  je  puis  tomber 

eB  "t^i  état  que  je  serais  privée  de  l'amitié  de  mon  Dieu, 

îe^viis  humiliée  au  delà  de  tout  ce  qui  se  peut  imaginer, 

^We  me  sens  saisie  de  crainte  que  ce  malheur  ne 

m'arrive.  Si  cette  crainte  était  de  durée  je  ne  pourrais 


394  LBTTRBS 

ni  vivre  ni  Bubsister,  parce  qu'elle  regarde  la  aéparatioD 
d*an  Dieu  d'amour  et  de  bonté,  dont  j'ai  reça  plus  de 
grâces  et  de  miséricordes  qu'il  n'y  a  de  grains  de  sable 
dans  la  mer.  Mais  la  confiance  d'un  seul  regard  dissipe 
cette  crainte,  et  me  détournant  la  vue  d'un  objet  si 
fianeste,  fait  que  je  m'abandonne  entre  les  bras  de  mon 
céleste  Epoux  pour  y  prendre  mon  repos. 

Je  me  sens  encore  puissamment  fortifiée  de  la  pro- 
tection de  la  très-sainte  Vierge,  qui  est  notre  divine 
Supérieure,  par  le  choix  spécial  et  par  le  vœa  solenndi 
que  notre  Communauté  en  a  fait  depuis  plusieurs 
années.  Cette  divine  Mère  nous  assiste  sensiblement; 
elle  nous  donne  un  secours  continuel  dans  nos  besoins, 
et  elle  nous  conserve  comme  la  prunelle  de  son  œil. 
C'est  elle  qui  soutient  notre  famille  d'une  manière 
secrète,  mais  efficace;  c'est  elle  qui  fait  toutes  nos 
affaires  ;  c'est  elle  qui  nous  a  relevées  de  notre  incendie 
et  d'une  infinité  d'autres  accidents,  sous  le  poids  des* 
quels  nous  devions  naturellement  être  accablées.  Comme 
nous  n'avons  pu  avoir  des  religieuses  de  France,  elle 
nous  a  donné  six  novices  qui  sont  toutes  de  très-boni 
sujets,  capables  de  nous  aider  à  soutenir  le  poids  de 
nos  fonctions,  qui  croissent  de  jour  en  jour.  Que  puis-je 
craindre  sous  les  ailes  d'une  si  puissante  et  si  aimable 
protectrice?  Remerciez  la  divine  bonté  et  cette  saiote^^ 
Mère  de  leur  assistance  sur  notre  petite  Communaaté..^ 
et  sur  moi  en  particulier,  qui  suis  la  plus  infirme  et 
plus  imparfaite  de  toutes. 

De  Québec,  le  12  doctobre  1668. 


r/i 


DE  LA  MËRE  MARIB  DB  L INCARNATION.  39& 


LETTRE  CXCIV. 


AU    MÊME. 


paix  favorise  les  ouvriers  «le  l'Ëvangile.  . —  A  l'imitation  «le*  révéremU  Père* 
uites,  les  ecclésiastiques   travaillent  dans  les  Missions.  —  Emplois  ordi- 
naires «ies  sauvages.  —  Il  est  difficile  de  les  polir  et  civiliser.   —  Maladies 
universelles  que  l'on  dit  6tre  les  effets  des  comètes. 


MoD  très-cher  flis, 

Depuis  que  noap  jouissons  du  bonheur  de  la  paix, 
08  missions  fleurissent  et  prospèrent  avec  beaucoup 
bénédiction.  (Test  une  chose  merveilleuse  de  voir 
6  zèle  des  ouvriers  de  FEvangile.  Ils  sont  tous  partis 
"|)our  leurs  missions  avec  une  ferveur  et  un  courage 
^ni  nous  donnent  sujet  d'en  espérer  de  grands  succès. 
Cette  paix  des  Iroquois  et  des  autres  nations  a  fait  tant 
de  bruit  en  France,  et  a  tellement  frappé  plusieurs 
personnes  du  zèle  de  la  gloire  de  Dieu,  que  M.  Tabbé  de 
Quejlus  est  venu  cette  année  et  a  amené  avec  lui  plu- 
sieurs ecclésiastiques  pour  Montréal.  Plusieurs  d'entre 
eux  sont  de  qualité  et  de  naissince,  gens  bien  faits ,^  qui 
portent  la  piété  dépeinte  sur  le  visage.  M.  Tabbé  de 
Fénelon  n'a  point  eu  de  honte  de  se  faire  compagnon 
d*un  ecclésiastique  plus  jeune  que  lui  dans  une  mission 
iroquoise,  à  l'exemple  de  nos  révérends  Pères.  La 
moisson  est  grande;  Dieu  envoie  aussi  des  ouvriers 
à  proportion. 


Mgr  notre  Prélat  entretient  en  sa  maison  an  certain 
nombre  de  jeunes  garçons  sauvages,  et  aatant  de  Fran- 
çais, afin  qn'ëtant  élevés  et  noarris  ensemble,  les  pre- 
miers prennent  les  mœars  des  antres,  et  se  francisent 
Les  révérends  Pères  font  de  même;  Messienrs  da 
séminaire  de  Montréal  vont  imiter.  Et  qnant  aox 
filles,  nous,  en  avons  aussi  de  sauvages  avec  nos  pen- 
sionnaires françaises,  pour  la  même  fin.  Je  ne  sais  i 
qaoi  tout  cela  se  terminera,  car,  pour  vona  parlw 
franchement,  cela  me  pardt  très-difficile.  Depuis  tant 
d'années  que  nous  sommes  établies  en  ce  pays,  ntHU 
n'en  avçns  pu  civiliser  que  sept  on  huit  qni  aient  été 
francisées  ;  les  autres,  qui  sont  en  grand  nombre,  «ont 
toutes  retournées  chez  leurs  parents,  quoique  trèi- 
bounes  chrétiennes.  La  vie  sauvage  leur  est  si  char- 
mante à  cause  de  sa  liberté,  que  c'est  un  miracle  de  le> 
poavoir  captiver  aux  façons  d'agir  des  Français,  qulli 
estiment  indignes  d'eux,  qui  font  gloire  de  ne  tra- 
vailler qu'à  la  chasse  ou  à  la  navigation  ou  à  la 
guerre.  Ils  mènent  leurs  femmes  et  leurs  enfants  à 
leurs  chasses,  et  ce  sont  elles  qui  écorchent  les  bêtes, 
qui  passent  les  peaux,  qui  boucanent  les  chairs  et  le 
poisson,  qui  coupent  tout  le  bois,  et  enfin  qui  ont  le 
soin  de  tout  le  ménage,  tandis  que  les  hommes  root 
chasser.  Quand  ils  sont  dans  leurs  cabanes,  ils  regar 
dent  faire  leurs  femmes  en  petunant  (fumant).  Tout 
leur  travail,  outre  ce  J}uc  je  viens  de  dire,  est  de  fair» 
leurs  cabanes  et  les  berceaux  de  lenrs  enfants,  leurs 
raquettes,  leurs  trônes  (traîneaux)  et  leurs  canota. 
Tout  autre  ouvrage  leur  pardt  bas  et  indigne  d'eax. 
Les  enfants  apprennent  tout  cela  quasi  dès  la  nais- 
sance. Loi  tamma  et  les  filles  canotent  (font  manœii' 
vrer  les  chuoIs)  comnio  les  hommes.  Jugez  de  ta  l'î' 


DB  LA  MâRE  MARIE  DB  L'INCARNATION.  397 

ist  aisé  de  les  changer  après  des  habitudes  qu'ils 
x)ntracteQt  dès  Tenfance,  et  qui  leur  sont  comme 
laturelles. 

Depuis  mes  dernières  lettres,  le  pays  a  ressenti  Jes 
effets  de  la  comète  qui  parut  au  mois  davril  :  savoir 
les  maladies  de  rhumes  qui  ont  été  universels  et  si 
l&cheux,  que  plusieurs  ont  été  à  deux  doigts  de  la  mort. 
Os  commençaient  par  des  ébuUitions  comme  de  rou- 
g^eole;  et  ils  étaient  accompagnés  de  fièvres  continues, 
le  maux.de  gorge  et  d'autres  accidents  dangereux. 
PeAonne  néanmoins  n*en  est  mort.  Depuis  six  semai- 
nes notre  infirmerie  a  toujours  été  remplie.  J'en  ai  été 
littaquée  comme  les  autres,  sans  pourtant  aller  à 
llnfirmerie.  J*ai  été  seulement  huit  jours  sans  me  lever 
k  quiatre  heures,  à  cause  de  la  fièvre  et  de  la  toux.  L'on 
dit  que  ce  sont  là  des  effets  de  la  comète,  mais  je  crois 
que  ce  sont  des  coups  de  la  justice  de  Dieu,  qui  comme 
un  bon  Père  veut  châtier  son  peuple.  Quoi  qu'il  en  soit, 
cette  comète  n'a  causé  aucune  malignité  sur  les  blés, 
dont  la  moisson  a  été  abondante ,  en  sorte  qu'il  y  a 
wjet  d'espérer  que  l'on  trouvera  de  quoi  nourrir  tout 
le  monde.  Nous  en  rendons  nos  actions  de  grâces  à 
Celui  qui  nous  comble  de  tant  de  biens,  et  qui,  nourris* 
sant  les  oiseaux  du  Ciel,  ne  refuse  pas  aux  hommes, 
quoique  pécheurs,  leur  nourriture  et  leur  soutien. 

De  Québec,  le  17  ^octobre  1668. 


f 


J<. 


398  LBTTRB8 


LETTRE  CXCV. 

A   SA   NŒCR,    RELIGIEUSE   URSULINB. 

Elle  lui  parle  de  la  coDdnite  de  Diea  sur  son  fils  et  sur  elle,  et  des  dti 

où  est  UD  religieux  élevé  dans  les  charges.        • 

Ma  très-chère  et  bieD-aimée  fille, 

J*ai  reçu  cette  année  quatre  lettres  de  votre  part:^ 
vous  ne  sauriez  davantage  m'obliger  que  de  me  donner  ^^ 
de  vos  nouvelles  par  toutes  les  voies  ;  si  j'en  avais  de  ^ 
plus  fréquentes,  je  me  donnerais  aussi  plus  souv^  « 
la  consolation  de  vous  donner  des  miennes,  mon  coeur  ^ 
étant  tout  à  fait  attaché  au  vôtre  et  à  celui  du  Père  ^ 
Martin.  Sachant  que  vous  êtes  tous  deux  à  notre  bon  - 
Jésus,  c'est  ma  joie  de  vous  voir  en  lui ,  et  de  loi 
demander  votre  perfection,  comme  je  lui  demande  la  ^ 
mienne  propre. 

Je  crois  que  vous  avez  su  plus  tôt  que  moi,  que  le^ 
Père  M.  (Claude  Martin,  son  fils)  est  à  présent  à  Paris  s 
en  qualité  d'assistant  du  révérend  Père  Oénéral.  VM 
m  en  écrit  avec  confusion  de  se  voir  élevé  en  cettee 
charge.  De  ma  part,  j'ai  toi]gours  craint  l'élévation  poa 
lui  et  pour  moi,  et  je  n'ai  jamais  rien  demandé  à  Die 
pour  lui.  que  de  lui  faire  la  grâce  d'être  un  véritable 
pauvre  d  esprit,  caché  en  lui  et  aux  yeux  des  créatures- 
J  ai,  ilis-je,  demandé  à  Dieu  pour  lui  ce  que  j'ai  demanda 
pour  moi  ;  et  je  le  demande  aussi  pour  vous,  ma  chère 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INGARNATION  .  399 

• 

le,  que  je  voudrais  pouvoir  placer  dans  le  cœur  de 
►tre  divin  Sauveur,  vrai  Père  des  pauvres.  Mais  cepen- 
.nt  Notre- Seigneur  a  élevé  ce  pauvre  homme  dans 
s  charges  honorables  dès  sa  jeunesse,  ce  qui  me 
Eidait  inconsolable  sans  un  mouvement  qui  me  dit 
L^  la  divine  Majesté  en  veut  peut-être  faire  un  instru- 
3ût  de  sa  gloire  :  cela  m'arrête  et  me  fait  acquiescer 
ses  conduites  sur  moi,  et  sur  celui  que  j'ai  abandonné 
10  son  inspiration  dès  son  enfance.  Ah!  ma  chère  fille, 
*\\  est  bon  de  s'abandonner  à  corps  perdu  entre  les 
Gis  de  Dieu,  et  de  ne  s'appuyer  que  sur  la  providence 
xn  si  bon  Père  !  Je  vous  le  dis  en  confiance  pour  sa 
3ire,  cet  enfant  était  encore  au  berceau  qu'il  m'était 
1  possible  de  rien  demander  à  Dieu  pour  lui  ni  pour 
:^i,  sinon  que  nous  fussions  de  ses  véritables  pauvres. 

voyais  la  pauvreté  de  l'Evangile  préférable  à  tous 
s  empires  du  monde,  et  elle  me  semblait  d'un  si  grand 
ix  que  toutes  les  choses  de  la  terre  ne  jne  paraissaient 

comparaison  que  de  la  poussière,  et  comme  rien. 
Xnfin  la  divine  bonté  a  conduit  les  choses  oh  vous 
i  voyez,  et  comme  nous  les  expérimentons.  Après 
l'elle  eut  fait  ces  grâces  à  mon  fils  et  à  moi,  vous  étiez 
LUS  mon  esprit  comme  la  chose  qui  me  restait  la  plus 
lère  dans  le  monde  :  j'entrepris  de  poursuivre  auprès 
>  la  divine  Majesté  qu'elle  eût  la  bonté  de  vous  en 
»tirer,  et  de  vous  donner  à  son  bien-aimé  fils.  Elle 
l'a  enfin  écoutée,  et  elle  vous  a  appelée  par  des  voix 
Bsez  extraordinaires.  Vous  ne  sauriez  croire  combien 
6  coup  de  grâce  a  donné  de  repos  à  mon  esprit,  ni 
ombien  mon  âme  s'est  épanchée  en  la  présence  d'un 
ibon  Dieu,  pour  lui  en  rendre  mes  actions  de  grâces, 
iue  reste-il  donc,  ma  plus  que  très-chère  fille,  sinon 
le  correspondre,  à  des  grâces  si  éminentes  et  à  des 


400  LETTRES 

dons  si  inestimables  par  un  générenx  mépris  de  nous- 
mêmes,  du  monde  et  de  Tesprifc  du  monde,  qui  est  si 
glissant,  qu'il  se  fourre  dans  les  états  les  plus  sublimes 
et  dans  les  actions  les  plus  saintes.  Ah!  mon  Dieu, 
si  nous  avions  une  fois  obéi  comme  il  faut  aux  mou- 
vements et  aux  attraits  de  la  grâce,  que  nous  serions 
heureux!  Nous  expérimenterions  les  douceurs  de  cette 
béatitude  qui  fait  enfants  de  Dieu  ceux  qui  la  possèdent 
Quant  au  Père  Martin,  il  faut  que  je  vous  dise  qu* ayant 
appris  qu'il  était  auprès  du  révérend  Père  Général,  j'ai 
demeuré  quelque  temps  craintive  dans  la  pensée  que 
l'élévation  est  souvent  la  veille  de  quelque  chute,  soit 
spirituelle,  soit  temporelle,  et  que  le  plus  sûr  pour  un 
religieux  est  de  demeurer  en  son  lieu,  caché  aux  yeux 
des  autres  et  aux  siens  proprés.  Une  autre  pensée  qui 
succéda  à  la  première  rendit  le  calme  à  mon  esprit, 
que  les  supérieurs  de  l'Ordre  établis  à  la  conduite  et 
au  choix  des  £^itres,  avaient  l'esprit  de  Dieu,  et  que 
si  ce  pauvre  religieux  n'avait  été  homme  de  bien,  ils  ne 
l'eussent  pas  élevé  en  cette  place  :  ainsi  je  ne  pensai 
plus  quà  le  recommander  à  Dieu,  ce  que  je  fais  de 
toute  mon  affection,  et  je  vous  prie  de  joindre  vos 
prières  aux  miennes. 

De  Québec,  le  20  doctobre  1668. 


DE  LA  MËRB  MARIB  DB  l'iN CARNATION.  401 


LETTRE  CXCVI. 


A   SON  FILS, 


Retour  de  M.  Talon  en  France.  —  Personnes  ramassées  et  envoyées  en  Canada. 
—  De  la  nature  et  qualité  des  fruits  de  ce  pays-là.  ^  Eloge  d'un  honnête 
bourgeois  de  Québec. 


Mon  très^cher  fils, 

Enfin  voilà  M.  Talon  qui  nous  quitte  et  qui  retourne 
en  France,  au  regret  de  toijt  le  monde  et  à  la  perte  de 
tout  le  Canada.  Car  depuis  qu*il  est  ici  en  qualité 
d'intendant,  le  pays  s'est  plus  fait  et  les  affaires  ont 
plus  avancé  qu'elles  n'avaient  fait  depuis  que  les  Fran- 
çais  y  habitent.  Le  roi  envoie  en  sa  place  un  nommé 
M.  de  Bouteroue,  dont  je  ne  sais  pas  encore  la  qualité 
ni  le  mérite. 

Les  navires  n'ont  point  apporté  de  malades  cette 
année.  Le  vaisseau  arrivé  était  chargé  comme  d'une 
marchandise  mêlée.  Il  y  avait  des  Portugais,  des  Alle- 
mands, des  Hollandais,  et  d'autres  de  je  ne  sais  quelles 
nations.  Il  y  avait  aussi  des  femmes  maures,  portugai- 
ses, françaises  et  d'autres  pays.  Il  est  venu  un  grand 
nombre  de  filles,  et  l'on  en  attend  encore.  La  première 
mariée  est  la  mauresque,  qui  a  épousé  un  Français. 
Quant  aux  hommes,  ce  sont  des  gens  qui  ont  été  cassés 
du  service  du  Roi,  et  que  Sa  Majesté  a  voulu  être 
envoyés  en  ce  pays.  On  les  a  tous  mis  au  Bourg-Talon 

LBTTR.  M.    U.  26 


402  LETTRES 

à  deux  lieues  d'ici,  pour  y  habiter  et  le  peupler.  Qaand 
ils  auront  mangé  la  barrique  de  farine  et  le  lard  que  le 
Roi  leur  donne,  ils  souffriront  étrangement  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  défriché.  L'on  ne  veut  plus  demander  que 
des  filles  de  village,  propres  au  travail  comme  les 
hommes;  l'expérience  fait  voir  que  celles  qui  n'y  ont 
pas  été  élevées  ne  sont  pas  propres  pour  ici,  étant 
dans  une  misère  d*oti  elles  ne  se  peuvent  tirer. 

L'estime  que  je  vous  fis  les  années  dernières  des 
citrouilles  des  Iroquois  vous  en  a  donné  de  l'appétit 
Je  vous  en  envoie  de  la  graine,  que  les  Hurons  nous 
apportent  de  ce  pays-là,  mais  je  ne  sais  si  votre  terroir 
n'en  changera  pas  le  goût.  On  les  apprête  en  diverses 
manières  :  en  potage  avec  du  lait  et  en  friture;  on  les 
fait  encore  cuire  au  four  comme  des  pommes,  ou  sous 
la  braise  comme  des  poires  ;  et  de  la  sorte  il  est  vrai 
qu'elles  ont  le  goût  de  pommes  de  rainettes  cuites.  Il 
vient  à  Montréal  des  melons  aussi  bons  que  les 
meilleurs  de  France;  il  n'en  vient  que  rarement  ici, 
parce  que  nous  ne  sommes  pas  tant  au  sud.  Il  y  a  aussi 
une  certaine  engeance  qu'on  appelle  des  melons  d'eau, 
qui  sont  faits  comme  des  citrouilles,  et  se  mangent 
comme  les  melons  ;  les  uns  les  salent,  les  autres  les 
sucrent;  on  les  trouve  excellents,  et  ils  ne  sont  point 
malfaisants.  Les  autres  plantes  potagères  et  les  légu* 
mages  sont  comme  en  France.  L'on  en  fait  la  récolte 
comme  du  blé,  pour  en  user  tout  l'hiver  jusqu'4  la  fin 
de  mai,  que  les  jardins  sont  couverts  de  neige. 

Quant  aux  arbres,  nous  avons  tles  pruniers,  lesquels 
étant  bien  fumés  et  cultivés  nous  donnent  du  fruit  en 
abondance  durant  trois  semaines.  On  ne  fait  point 
cuire  les  prunes  au  four,  car  il  n'en  reste  qu'un  noyau 
couvert  d  une  peau  ;  mais  on  en  fait  de  la  marmelade 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION.  403 

avec  du  sucre,  qui  est  excellente.  Nous  faisons  la  nôtre 
avec  du  miel,  et  cet  assaisonnement  suffit  pour  nous 
et  pour  nos  enfants.  On  fait  encore  confire  des 
groseilles  vertes,  comme  aussi  du  piminan,  qui  est  un 
fruit  sauvage,  que  le  sucre  rend  agréable.  L'on  com- 
mence à  avoir  des  pommes  de  rainette  et  de  calville, 
qui  viennent  ici  très-belles  et  très-bonnes,  mais  Ten- 
geance  en  est  venue  de  France.  Voilà  nos  ménages  et 
nos  délices,  qui  seraient  comptées  pour  rien  en  France, 
mais  qui  sont  ici  beaucoup  estimées. 

Le  porteur  de  la  présente  est  M.  de  Dombour,  qui  va 
en  France  pour  accompagner  madame  Bourdon,  sa 
mère.  Je  vous  prie  de  les  recevoir  avec  des  démonstra- 
tions d'amitié,  parce  que  c'est  une  famille  que  jaime  et 
chéris  plus  qu'aucune  de  ce  pays.  Ils  n'ont  pas  voulu 
partir  sans  vous  porter  un  mot  de  ma  part,  afin  d'avoir 
la  consolation  de  vous  voir  et  de  vous  parler.  M.  Bour- 
don était  procureur  du  roi,  charge  qui  lui  fut  donnée 
à  cause  de  sa  probité  et  de  son  mérite.  Il  avait  avec 
moi  une  liaison  de  biens  spirituels  très-particulière. 
Car  sous  son  habit  séculier,  il  menait  une  vie  des  plus 
régulières.  Il  avait  une  continuelle  présence  de  Dieu 
et  union  avec  sa  divine  Majesté.  Il  a  une  fois  risqué 
sa  vie  pour  faire  un  accommodement  avec  les  Hollan- 
dais, à  l'occasion  de  nos  captifs  Français  :  car  cet 
homme  charitable  se  donnait  entièrement  au  bien  public. 
C'était  le  père  des  pauvres,  le  consolateur  des  veuves 
et  des  orphelins,  l'exemple  de  tout  le  monde;  enfin 
depuis  qu'il  s'est  établi  en  ce  pays,  il  s'est  consumé  en 
toute  sorte  de  bien  et  de  bonnes  œuvres.  Il  avait 
quatre  filles  qu'il  a  toutes  données  au  service  de  Dieu, 
et  sa  générosité  a  fait  ce  coup  avec  beaucoup  de  plaisir 
et  de  suavité.  Deux  ont  été  Hospitalières,  il  y  en  a 


404  LETTRES 

une  de  morte;  les  deux  aînées  sont  Ursulines  en 
notre  monastère  et  sont  très-bonnes  religieuses.  Il  loi 
restait  deux  fils,  le  plus  jeune  fait  ses  études  à  Québec, 
et  Taîné  est  celui  qui  vous  présente  cette  lettre.  Je 
les  considère  comme  mes  neveux ,  et  c'est  ce  qui 
fait  que  je  vous  recommande  celui-ci  avec  tant 
d'empressement. 

Quant  à  madame  Bourdon,  elle  a  une  grande  incli- 
nation de  vous  voir.  Cette  dame  est  un  exemple  de 
piété  et  de  charité  dans  tout  le  pays.  Elle  et  madame 
d*AilIeboust  sont  liées  ensemble  pour  visiter  les  prison- 
niers, assister  les  criminels,  et  les  porter  même  en 
terre  sur  un  brancard.^  Celle  dont  je  vous  parle,'  comme 
la  plus  agissante  et  portative  (prompte  à  faire  des 
démarches  de  zèle),  est  continuellement  occupée  à  ces 
bonnes  œuvres  et  à  quêter  pour  les  pauvres,  ce  qu'elle 
fait  avec  succès.  Enfin  elle  est  la  mère  des  misérables, 
et  rexemple  de  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres.  Avant 
que  de  passer  en  Canada,  où  elle  n'est  venue  que  par 
un  principe  de  piété  et  de  dévotion,  elle  était  veuve 
de  M.  de  Monceaux,  gentilhomme  de  qualité.  Quelque 
temps  après  son  arrivée,  M.  Bourdon  demeura  veuf 


(1)  Le  femme  duD  gouverneur  de  province  et  celle  d'un  procureur  du  roi  assit- 
tant  les  criminels  au  supplice  et  portant  elles-mêmes  leur  corps  au  cimetièro  sur 
un  brancard,  ne  seront  probablement  jamais  imitées  par  des  personnes  de  Jeu* 
sexe  et  de  leur  condition  ;  mais  de  pareils  traits  donnent  lieu  d'admirer  l'héroïsme 
dont  la  nature  humaine  est  capable  quand  elle  est  inspirée  par  la  foi  et  souteoiM 
par  la  piété  chrétienne.  La  folie  de  la  croix,  qui  est  la  sagesse  divine  humanisée, 
se  montre  1&  dans  toute  sa  splendeur. 

De  nos  jours  on  a  vu  une  pauvre  ouvrière  de  campagne,  Agée  de  quinze  oo  fsiz^ 
ans  seulement,  porter  seule  au  cimetière  dans  une  brouette  des  cadavres  deci^ 
lériquet  dont  personne  n'osait  approcher.  Les  hommes  y  firent  peu  d'stteoti^ 
mais  Diea  a  troavé  cela  si  beau,  qu'il  a  récompensé  Louise  Lateau  coom^    ' 
,  ;4lU|  il  lui  a  donné  la  décoration  divine  des  stigmates.  ^ 


i  -*  j 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  405 

avec  sept  enfants,  dont  aucun  n'était  capable  d'avoir  soin 
de  son  père  ni  de  soi-même.  Elle  eut  un  puissant  mou- 
vement d'assister  cette  famille,  et  pour  cet  effet  elle 
se  résolut  d'épouser  M.  Bourdon,  dont  la  vertu  lui 
était  assez  connue,  mais  à  condition  qu'ils  vivraient 
ensemble  comme  frère  et  sœur.  Cela  s'est  fait,  et  la 
condition  a  été  exactement  observée.  Elle  se. ravala  de 
condition,  pour  faire  ce  coup  de  charité,  qui  fut  jugé 
en  France,  où  elle  était  fort  connue,  tant  à  Paris  qu'à 
la  campagne,  comme  une  action  de  légèreté,  eu  égard 
à  la  vie  qu'on  lui  avait  vu  mener,  bien  éloignée  de 
celle  du  mariage.  Mais  l'on  a  bien  changé  de  pensée, 
quand  on  a  appris  tout  le  bien  qui  a  réussi  de  cette 
généreuse  action.  Car  elle  a  élevé  tous  les  enfants  de 
M.  Bourdon  avec  une  débonnaireté  nonpareille,  et  les 
a  mis  dans  l'état  ot  il  sont  à  présent.  Je  vous  ai  fait 
ce  grand  discours  pour  honorer  la  vertu  de  cette  dame 
et  de  sa  pieuse  famille,  et  pour  faire  voir  qu'il  y  a  des 
personnes  d'honneur  et  de  mérite  en  ce  pays.  Témoignez 
de  l'amitié  à  celles-ci  ;  elles  le  méritent. 

De  Québec,  le  1668. 


406  LETTRES 


LETTRE  CXCVII. 

A   UNE   RELIGIEUSE   URSULINE   DE   TOURS. 
(La  Mère  Marie  de  la  Nativité.) 

Elle  lui  témoigne  les  désirs  qu'elle  a  de  mourir,  afin  de  jouir  de  Dieu,  et  la  joie 
d'être  &  la  veille  d'être  déchargée,  afin  de  8*y  préparer. 

Ma  révérende  et  très- chère  Mère, 

Je  n*ai  qu*un  petit  quart  d'heure  à  vous  donner,  le 
vaisseau  étant  prêt  de  faire  voile.  Je  veux  remployer 
pour  dire  que  vous  êtes  et  serez  toujours  mon  intime 
Mère,  pour  laquelle  mon  cœur  porte  tous  les  bons 
désirs  et  tous  les  sentiments  d'une  amitié  des  plus 
sincères.  Nous  avons  reçu  tout  ce  que  votre  libéralité 
nous  a  envoyé  cette  année;  nous  l'avons  présenté  de 
votre  part  à  notre  divin  Maître  et  à  sa  sainte  famille. 
Tous  ces  beaux  présents  me  font  beaucoup  d'honneur  ; 
mais  je  fais  un  transport  de  cet  honneur  à  Dieu,  puisque 
c'est  pour  Lui  et  pour  son  amour  que  vous  les  faîtes. 
Il  est  le  rémunérateur  de  ceux  qui  donnent;  je  le  prie 
d'être  le  vôtre  et  de  vous  donner  une  très -ample 
récompense. 

Je  me  réjouis  de  ce  que  nous  perdrons  bientôt  les 
connaissances  de  la  terre  pour  n'avoir  plus  de  commu- 
nication qu'avec  les  citoyens  du  ciel.  Ma  santé  ne  laisse 
pas  d'être  un  peu  meilleure,  mais  je  ne  sais  si  ce  sera 
pour  longtemps  :  je  sais  seulement  qu'une  personne 


DB  LA  MÊRB  MARIE  DE  l'iNCARNATION,  407 

de  soixante-dix  ans  ne  peut  pas  aller  loin  ;  et  j'en  suis 
toute  glorieuse,  parce  que  je  serai  délivrée  du  plus 
grand  de  mes  ennemis.  Je  soumets  néanmoins  tous 
mes  désirs  à  ceux  de  Dieu  ;  que  sa  très-sainte  volonté 
soit  faite. 

J'ai  été  consolée  d'apprendre  que  votre  santé  est 
meilleure.  Cette  convalescence  vous  fera  peut-être  con- 
courir dans  votre  élection,  qui  va  se  faire  quasi  au 
même  temps  que  la  nôtre.  Pour  moi  je  suis  ravie  d'en 
être  exempte  pour  jamais  ;  le  temps  et  l'âge  m'en  excu- 
sent légitimement.  Que  si  Dieu  me  donne  plus  de  santé 
qu'à  l'ordinaire,  c'est  peut-être  pour  me  donner  le  moyen 
de  me  disposer  à  bien  mourir,  et  pour  me  préparer  plus 
efficacement  à  comparaître  en  sa  présence.  Ayez  pitié 
de  moi,  mon  aimable  Mère,  et  priez  Notre- Seigneur 
pour  ma  véritable  conversion,  comme  je  le  prie  de  vous 
donner  une  véritable  sainteté. 

De  Québec,  1669. 


LETTRE   CXCVIII. 

A   SON   FILS. 

Description- touchante  de  sa  vocation  à  l'état  religieux,  et  de  la  conduite  de  Dieu 

sur  elle  et  sur  son  fils. 


Mon  très-cher  fils, 

Un  navire  de  France  est  arrivé  à  notre  port  vers 
la  fin  de  juin,  et  depuis  il  n'en  a  paru  aucun.  Celui-ci 


408  LBTT 

nous  a  apporté  de  vos  nouvelles,  qui  m*ont  donné  sujet 
de  louer  Dieu  de  ses  bontés  sur  vous  et  sur  moi.  La 
plus  grande  joie  que  j'aie  en  ce  monde  est  dy  faire 
réflexion,  et  je  vois  que  celle  que  vous  y  faites  sur 
Texpérience  que  vous  en  avez  vous  touche  vivement, 
et  qu'elle  vous  est  utile.  N'êtes- vous  pas  bien  aise,  mon 
très-cher  fils,  de  ce  que  je  vous  aie  abandonné  à  sa  sainte 
conduite  en  vous  quittant  pour  son  amour?  n*y  ave^ 
vous  pas  trouvé  un  bien  qui  ne  se  peut  estimer?  Sachez 
donc  encore  une  fois  qu'en  me  séparant  actuellement 
de  vous,  je  me  suis  fait  mourir  toute  vive,  et  que  l'Esprit 
de  Dieu,  qui  était  inexorable  aux  tendresses  que  j'avais 
pour  vous,  ne  me  donnait  aucun  repos  que  je  n'eusse 
exécuté  le  coup  :  il  en  fallut  passer  par  là,  et  lui  obéir 
sans  raison  (sans  raisonnement),  parce  qu'il  n'en  vent' 
point  dans  l'exécution  de  ses  volontés  absolues.  La 
natare  qui  ne  se  rend  pas  sitôt  quand  ses  intérêts  y  sont 
engagés,  surtout  quand  il  s'agit  de  l'obligation,  d'nne 
mère  envers  un  fils,  ne  pouvait  se  résoudre.  Il  me 
semblait  qu'en  vous  quittant  si  jeune,  vous  ne  seriei 
pas  élevé  dans  la  crainte  de  Dieu  ;  et  que  vous  pourriez 
tomber  en  quelque  mauvaise  main,  ou  bien  sous  quelque 
conduite  où  vous  seriez  en  danger  de  vous  perdre;  et 
ainsi,  que  je  serais  privée  d'un  fils  que  je  ne  voulais 
élever  que  pour  le  service  de  Dieu,  demeurant  avec  lai 
dans  le  monde  jusqu  à  ce  qu'il  fût  capable  d'entrer  en  - 
quelque  religion,  qui  était  la  fin  à  laquelle  je  l'avais^ 
destiné. 

Ce  divin  Esprit  qui  voyait  mes  combats,  était  impi- 
toyable à  mes  sentiments,  me  disant  au  fond  du  cœur  :  - 
Vite,  vite,  il  est  temps,  il  n'y  a  plus  à  tarder,  il  ne  faits^ 
plus  bon  dans  le  monde  pour  toi.  Alors  il  m'ouvrait^ 
la  porte  de  la  religion,  sa  voix  me  pressant  toujours 


DB  LA  MÊRB  MARIB  DB  l'INGARNATION.  409 

par  une  saute  impétuosité,  qui  ne  me  donnait  point 
de  repos  ni  de  jour  ni  de  nuit.  Il  faisait  mes  affaires, 
et  mettait  les  dispositions  du  oôté  de  la  religion  d*une 
manière  si  engageante,  que  tout  me  tendait  les  bras, 
en  sorte  que  si  j'eusse  été  la  première  personne  du 
monde  avec  tous  ses  avantages,  je  n'y  eusse  pas  trouvé 
plus  d'agrément  (bienveillance).  Dom  Raymond  faisait 
tout  ce  qu'il  fallait  auprès  de  ma' sœur,  et  lui-même 
me  lÀena  où  Dieu  me  voulait.  Vous  vîntes  avec  moi, 
et  en  vous  quittant,  il  me  semblait  qu'on  me  séparât 
l'âme  du  corps  avec  des  douleurs  extrêmes.  Et  remar- 
quez que  dès  l'âge  de  quatorze  ans  j'avais  une  très-forte 
vocation  à  la  religion,  laquelle  ne  fut  pas  exécutée 
parce  qu'on  ne  correspondait  pas  à  mon  désir;  mais 
depuis  l'âge  de  dix-neuf  à  vingt  ans  mon  esprit  y 
demeurait,  et  je  n'avais  que  le  corps  dans  le  monde, 
pour  vous  élever  jusqu'au  moment  de  l'exécution  de  la 
volonté  de  Dieu  sur  vous  et  sur  moi. 

Après  que  je  fus  entrée,  et  que  je  vous  voyais  venir  • 
pleurer  à  notre  parloir  et  à  la  grille  de  notre  chœur;  * 
que  vous  passiez  une  partie  de  votre  corps  par  le  gui- 
chet de  la  communion;  que  par  surprise  voyant  la 
grande  porte  conventuelle  ouverte  pour  les  ouvriers, 
vous  entriez  dans  notre  cour;  que  vous  avisant  qu'il 
ne  fallait  pas  faire  ainsi,  vous  vous  en  alliez  à  reculons, 
afin  de  pouvoir  découvrir  si  vous  ne  me  pourriez  voir  : 
quelques-unes  des  Sœurs  novices  pleuraient,  et  me 
disaient  que  j'étais  bien  cruelle  de  ne  pas  pleurer, 
et  que  je  ne  vous  regardais  pas  seulement.  Mais  hélas! 
les  bonnes  Sœurs  ne  voyaient  pas  les  angoisses  de  mon 
cœur  pour  vous,  non  plus  que  la  fidélité  que  je  voulais 
rendre  à  la  sainte  volonté  de  Dieu.  La  batterie  recom- 
mençait lorsque  pleurant  vous  veniez  dire  à  la  grille 


410  LETTRES 

qu'on  vous  rendit  votre  mère,  ou  qu'on  vous  fit  entrer 
pour  êti^e  religieux  avec  elle.  Mais  le  grand  coup  fat 
lorsqu'une  troupe  de  jeunes  enfants  de  votre  âge  vinrent 
avec  vous  vis-à*vis  des  fenêtres  de  notre  réfectoire, 
disant  avec  des  cris  étranges  qu'on  me  rendît  à  vous  : 
et  votre  voix  plus  distincte  que  les  autres  disait  là  qu'on 
vous  rendît  votre  mère,  et  que  vous  la  vouliez  avoir. 
La  Communauté  qui  voyait  tout  cela  était  vivement 
touchée  de  douleur  et  de  compassion,  et  quoiqn'aucune 
ne  me  témoignât  être  importunée  de  vos  cris,  je  crus 
que  c'était  une  chose  qu'on  ne  pourrait  pas,  supporter 
longteqips,  et  qu'on  me  renverrait  dans  le  monde  pour 
avoir  soin  de  vous.  A  la  sortie  des  grâces,  lorsque  je 
remontais  au  noviciat,  l'Esprit  de  Dieu  me  dit  au  cœur 
que  je  ne  m'affligeasse  point  de  tout  cela,   et  qu'il 
prendrait  soin  de  vous.  Ces  divines  promesses  mirent 
le  calme  en  tout  moi-même,  et  me  firent  expérlmeoter 
que  les  paroles  de  Notre-Seigneur  sont  esprit  et  vie,  et  qu'il 
était  si  fidèle  en  ses  promesses,  que  le  ciel  et  la  terre 
passeraient  plutôt  quune  seule  de  ses  paroles  demeurât  mm 
son  effet  :  en  sorte  que  si  tout  le  monde  m'eût  dit  la 
contraire  de  ce  que  m'avait  dit  cette  parole  intérieure^ 
je  ne  l'eusse  pas  cru. 

Depuis  ce  temps-là  je  n'eus  plus  de  peine  ;  mon  espri 
et  mon  cœur  jouissaient  d'une  paix  si  douce  dans  l 
certitude  que  je  ressentais  que  les  promesses  de  Dieu, 
s'accompliraient  en  vous,  que  je  voyais  toutes  choses 
faites  à  votre  avantage  et  des  suites  (ressources  suivies), 
pour  vous  faire  avancer  dans  les  voies  que  j'avais  dési- 
rées pour  votre  éducation.  Incontinent  après  vous  ffttes- 
envoyé  à  Rennes  pour  faire  vos  études,  puis  à  Orléaus, 
la  Bonté  divine  me  donnant  accès  auprès  des  révérende 
Pères  Jésuites  qui  eurent  soin  de  vous;  vous  savez  lea 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L  INCARNATION .  411 

secours  d  e  Dieu  à  ce  sujet.  Enfin,  mon  très-cher  fils, 
vous  voilà  aussi  bien  que  moi,  dans  Texpérience  des 
infinies  miséricordes  d*un  si  bon  Père  :  laissons-le  faire, 
nous  verrons  bien  des  choses  si  nous  lui  sommes  fidèles  ; 
continuez  de  le  prier  pour  moi. 

De  Québec,  le  30  de  juillet  1669. 


LETTRE   CXCIX. 


AU  MÊME. 


l^rogrès  de  la  Foi  chez  les  Iroquois,  Outaoaak  et  autres  nations.  —  Industrie 
des  Pères  Jésuites  pour  attirer  les  sauvages.  —  Zèle  d'un  jeune  laïque  qui 
s'était  dévoué  au  service  des  Missions. 


Mon  très-cher  fils, 

J'si  cru  devoir  vous  faire  un  petit  abrégé  des  nou- 

^aJles  de  cette  Eglise  en  attendant  que  la  Relation  vous 

^^    cionne  de  plus  amples.  Vous  saurez  donc  que  les 

^Qv^ers  de  l'Evangile  sont  répandus  dans  toutes  les 

^^tions  Iroquoises,  où  ils  ont  été  reçus  comme  des 

P^^^onnes  très-considérables  en  toutes  manières.  Le 

^^^"^rend  Père  Pierron,  qui  seul  gouverne  les  villages 

^^    l^s  bourgs  des  Âgneronons,  a  tellement  gagné  ces 

P^^^ples,  qu'ils  le  regardent  comme  un  des  plus  grands 

géc^ies  du  monde.  Il  a  eu  de  très-grandes  peines  à  les 

ré^viire  à  la  raison,  à  cause  des  boissons  que  les  Anglais 

et  les  Flamands  leur  donnent.  Il  a  pris  la  liberté  d'en 

écrire  amplement  au  général  des  Anglais,  qui  a  aussi 


412  LBTTRB8 

ponyoir  ror  les  Hollandais,  pour  lui  faire  comprendre 
llmportance  de  cette  mauvaise  pratique,  tant  du  cMé 
de  Dien  qui  est  offensé,  que  de  celai  des  sauvages  qui 
en  perdent  le  corps  et  Tesprit.  Il  a  marne  interpoii 
rautorité  du  roi,  lui  représentant  que  Sa  Majesté  ne 
souffrirait  jamais  que  Ton  perdît  un  peuple  qui  êsi 
soumis  à  son  obéissance.  Le  gouverneur  a  reçu  béni- 
gnement  ses  avis  avec  une  requête  des  anciens  Iroquois 
qui  se  plaignent  qu*on  tue  leur  jeunesse  et  ruine  leuxv 
familles  par  ces  boissons.  Vous  pouvez  juger  de  là  Â 
le  Père  n*a  pas  gagné  le  cœur  de  ces  anciens,  puis- 
qu'il les  a  réduits  (soumis)  dans  une  matière  si  délicaa^ie 
et  si  préjudiciable  à  la  foi,  qu*on  ne  pouvait  aborA^^r 
les  bommes  à  cause  de  leur  ivresse  qui  était  pres(i^^«e 
continuelle.  Si  ce  général  tient  sa  parole,  comm^  il 
a  fait  depuis  ce  temps-là,  ce  sera  un  grand  ob8t&.<sle 
levé  pour  rinstmction  de  ces  peuples. 

Comme  le  Père  a  divers  vices  à  combattre,  il  a  aca^ssi 
besoin  de  différentes  armes  pour  les  surmonter.  Il  sen 
trouvait  plusieurs  qui  ne  voulaient  pas  écouter  la  parole 
de  Dieu,  et  qui  se  bouchaient  les  oreilles  lorsqu'il  v^oo- 
lait  les  instruire.  Pour  vaincre  cet  obstacle,  il  s*est  Br^sé 
d'une  invention  admirable,  qui  est  de  faire  des  figures 
pour  leur  faire  voir  des  yeux  ce  qu'il  leur  prêche  dcî 
parole.  Il  instruit  le  jour,  et  la  nuit  il  fait  des  tableauc-^ 
car  il  est  assez  bon  peintre.  Il  en  a  fait  un  où  l'enfer  e^^ 
représenté  tout  rempli  de  démons  si  terribles,  tant  pa:::-  ^ 
leurs  figures  que  par  les  châtiments  qu'ils  font  soufiri^  ^ 
aux  sauvages  damnés,  qu'on  ne  peut  les  voir  sans^^ 
frémir.  Il  y  a  dépeint  une  vieille  iroquoise  qui 
bouche  les  oreilles  pour  ne  point  écouter  un  jésuite 
qui  la  veut  instruire.  Elle  est  environnée  de  diables  ^ 
qui  lui  jettent  du  feu  dans  les  oreilles  et  qui  la  tour-  ^ 


DB  LA  MJËRB  MARIB  DB  L'iNCARNAT|ON  .  413 

mentent  dans  les  autres  parties  de  son  corps.  Il  repré- 
sente les  autres  vices  par  d'autres  figures  convenables, 
avec  les  diables  qui  président  à  ces  vices-là»  et  qui 
tourmentent  ceux  qui  s*y  laissent  aller  durant  leur 
vie.  Il  a  aussi  fait  le  tableau  du  paradis,  où  les  Anges 
sont  représentés,  qui  emportent  dans  le  ciel  les  âmes 
de  ceux  qui  meurent  après  avoir  reçu  le  saint  baptême. 
Enfin  il  fait  ce  qu'il  veut  par  le  moyen  de  ses  peintures. 
Tous  les  Iroquois  de  cette  mission  eh  sont  si  touchés 
qu'ils  ne  parlent  dans  leurs  conseils  que  de  ces  matières, 
et  ils  se  donnent  bien  de  garde  de  se  boucher  les 
oreilles  quand  on  les  instruit.  Ils  écoutent  le  Père  avec 
une  avidité  admirable,  et  le  tiennent  pour  un  homme 
extraordinaire.  On  parle  de  ces  peintures  dans  les  autres 
nations  voisines,  et  les  autres  missionnaires  en  vou- 
draient avoir  de  semblables,  mais  tous  ne  sont  pas 
peintres  comme  lui.  Il  a  baptisé  un  grand  nombre  de 
personnes.  Les  Iroquois  désirent  avec  ardeur  qu'une 
colonie  française  aille  s'établir  avec  eux  ;  le  temps  fera 
voir  ce  qui  sera  à  faire.  , 

Outre  les  villages  d'Âgné,  les  quatre  autres  nations 
Iroquoises  sont  gouvernées  par  les  révérends  Pères 
Jésuites.  Il  y  a  pourtant  un  petit  bourg  séparé,  où  deux 
ecclésiastiques  de  Montréal  ont  hiverné.  La  parole  de 
Dieu  est  prêchée  partout  et  la  mission  est  si  ample 
qu'il  n'y  a  pas  des  ouvriers  à  demi  (pas  moitié  de  ce  qu'il 
fiaudrait).  On  en  a  demandé  en  France  et  on  en  attend 
par  les  vaisseaux  qui  sont  à  venir.  Tous  ces  bons  Pèrei; 
souffrent  de  grands  travaux,  mais  ils  sont  encouragés 
par  le  fruit  qu'ils  voient  de  leur  travail,  et  de  ce  que 
la  connaissance  de  Dieu  et  de  Jâsus-CHRisT  se  répand 
par  tout  le  monde. 

Les  révérends  Pères  Allouez  et  Nicolas  ont  amené 


A 


414  LETTRES 

cette  année  six  cents  Oataoaak,  qui  ont  apporté  à  nO^ 
marchands  une  prodigieuse  quantité  de  pelleteries,  &^ 
qui,  par  même  moyen,  recherchent  les  occasions  de  fair*^ 
la  paix  avec  les  Iroquois,  contre  lesquels  ils  avaietB-i 
exercé  un  grand  acte  d'hostilité.  Pour  faire  cette  cha^- 
rité  à  cette  nation,  ces  révérends  Pères  ont  fait . ci  a.  ^ 
cents  lieues  de  chemin,  mais  la  charité  fait  tout  entre- 
prendre et  tout  souffrir.  Ils  sont  aussi   venus  pocair 
quérir  du  secours  et  des  ouvriers  du  saint  Evangil^^  : 
Car  ils  ont  trouvé  de  grandes  nations  très-peu plée^s, 
entre  lesquelles  il  y  en  a  particulièrement  une  qui  famit 
publiquement  professsion  de  croire  et  d'embrasser  not.  re 
sainte  Foi.  Un  des  plus  grands  biens  pour  Tavancem»^  ut 
de  ces  peuples  est  qu'ils  ne  sont  point  attachés  à      la 
polygamie.  Cette  nation  est  bien  au-delà  des  Outaoua^k, 
et  il  y  en  a  d'autres  encore  plus  éloignées.  Le  révérend 
Père  Claude  Dablon  est  déjà  parti  pour  aller  joinc3re 
ceux  qui  sont  au  pays  et  pour  gouverner  ces  mission^-là 
qui  vont  être  les  plus  glorieuses  de  cette  Amérîqi^  iie, 
tant  pour  le  nombre  dames  qui  y  habitent  que  pour 
les  grands  travaux  qu'il  y  faut  supporter.  Le  révérend 
Père  Allouez  m'a  rendu  visite,  et  je  l'ai  trouva  si 
changé  par  fies  grandes  fatigues,  qu'à  peine  peut-ofl 
le  reconnaître.  Avec  cela  il  est  dans  une  ferveur  ravis- 
sante et  dans  un  désir  qui  le  brûle  de  retourner  à  son 
église,  qui  ne  lui  sort  point  de  l'esprit,  de  crainte  qu'a ^^ 
son  absence  le  diable  ne  lui  ravisse  quelqu'une  de  s^^^ 
brebis.  Il  retourne  seul  en  cette  grande  mission,  et  les^^^. 
autres  dans  les  leurs.  Le  révérend  Père  Dablon,  qu:^^^ 
doit  avoir  Tinspection  sur  toutes,  s'arrêtera  à  trois  cent^  ^ 
lieues  d'ici,  afin  de  leur  donner  les  soulagements  et  le^-^ 
secours  nécessaires.  Il  va  faire  en  ce  lieu-là  une  maisoi 
fixe,  où  les  missionnaires  s'assembleront  dans  les  néces- 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*ING ARNATION .  415 

sites  pour  consolter  ensemble,  et  y  trouver  leurs  rafraî- 
chissements, qu'on  leur  enverra  de  Québec.  Les  Iroquois 
poursuivent  puissamment  Texécution  de  ce  dessein,  afin 
qu'on  les  soulage.  L'on  a  baptisé  dans  ces  missions -là 
un  grand  nombre  de  sauvages  adultes,  mais  incompa- 
rablement plus  d'enfants,  de  malades,  de  moribonds. 

Au  même  temps  que  nos  révérends  Pères  sont  partis, 
Mgr  notre  évêque  a  envoyé  deux  ecclésiastiques  de 
Montréal  à  quelques  nations  du  côté  des  Outaouak. 
Ils  sont  dans  une  ferveur  admirable  :  aussi  ont-ils 
besoin  de  cette  grâce,  ayant  à  passer  des  lieux  dange- 
reux, pour  les  bouillons  d'eau  qui  s'y  rencontrent. 

M.. L'abbé  de  Fénelon  ayant  hiverné  aux  Iroquois, 
nous  a  rendu  une  visite  dans  un  voyage  qu'il  a  fait  à 
Québec.  Je  lui  ai  demandé  comment  il  avait  pu  sub- 
sister n'ayant  eu  que  de  la  sagamité  pour  tout  vivre 
et  de  l'eau  pure  à  boire.  Il  m'a  reparti  qu'il  y  était  si 
accoutumé  et  qu'il  s'y  était  tellement  fait,  qu'il  ne  faisait 
point  de  distinction  de  cet  aliment  à  aucun  autre;  et 
qu*il  allait  partir  pour  y  retourner  et  y  passer  encore 
l'hiver  avec  M.  Trouvé,  qu'il  n'avait  laissé  que  pour 
▼enir  quérir  de  quoi  payer  les  sauvages  qui  les  nour- 
rissent. Le  zèle  de  ces  grands  serviteurs  de  Dieu  est 
admirable. 

Deux  ecclésiastiques  du  séminaire  de  monseigneur 
viennent  de  partir  pour  visiter  et  instruire  toutes  les 
personnes  des  habitations  françaises.  Ils  ont  bien  deux 
œnts  lieues  à  faire  dans  ce  circuit  (voyage  d'aller  et 
devenir). 

Je  ne  fermerai  pas  cette  matière  des  missions  sans 
vous  dire  un  mot  du  bon  Boquet  qui  ne  fait  qualler 
etvenir^dans  toutes  les  missions;  aussi  l'appelle-t-on 
par  divertissement  le  courrier  apostolique,  parce  que 


416  LETTRES 

dès  son  enfance  il  sest  dévoaô  an  service  des  missions. 
Il  s'acquitte  de  son  office  de  courrier  avec  une  géné- 
rosité nonpareille.  Il  fait  le  circuit  des  lieux  où  sont  les 
Pères,  et  à  peine  est-il  de  retour  qu'il  part  pour  recom- 
mencer ses  courses ,  et  faire  des  voyages  immenses 
parmi  des  hasards  continuels.  Dieu  lui  donne  des  forces 
pour  de  si  grandes  fatigues.  Il  ne  se  soucie  non  plus 
de  sa  vie  que  de  la  paille.  Il  est  sans  cesse  en  danger 
de  la  perdre  par  quelque  coup  de  hache.  Il  est  connu 
de  tous  les  sauvages,  qui  le  craignent  et  l'estiment,  car 
comme  il  sait  les  langues,  il  leur  rend  sans  cesse  le 
change  quand  ils  font  quelque  insolence.  Il  sait  parfai- 
tement tous  les  chemins,  c'est  pourquoi  il  conduit  nos 
Pères  dans  leurs  missions,  traînant  à  son  col  leurs 
hardes  et  leurs  provisions.  Etant  arrivé  il  ne  se  repose 
point;  il  pense  à  pourvoir  les  Pères  de  leurs  nécessités; 
il  va  à  la  pêche  du  poisson,  qu'il  fait  sécher  et  boucaner 
pour  assaisonner  leur  sagamité.  On  le  nomme  le  coa^ 
rier  apostolique;  je  le  nommerais  volontiers  le  visiteur 
évangélique,  car  il  va  de  mission  en  mission  visiter* 
les  ouvriers  de  l'Evangile,  et  partout  il  fait  ce  quej^ 
viens  de  dire.  Il  nous  apporte  de  leurs  nouvelles  et 
leur  reporte  les  nôtres.   Il  est  de  retour  depuis  buife 
jours  et  nous  a  appris  que  tous  nos  Pères  sont  en  bonna 
santé,  qu'ils  font  de  grands  fruits  chacun  de  leur  côté» 
et  qu'ils  ont  baptisé  beaucoup  de  sauvages.  Les  lettres 
que  les  Pères  ont  écrites,  confirment  la  même  chose. 
Je  vous  écrirai  par  une  autre  voie  les  autres  nouvelto 
du  pays. 

De  Québec,  le  1"^  de  septembre  Î669. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION  .  417 


LETTRE    ce. 


p      f 


AU   REVEREND   PERE   PONCET,    JESUITE. 
Industrie  des  révérends  Pères  Jésuites  pour  convertir  les  sauvages,  —  Bile  fait 

i 

avec  adresse  l'éloge  du  Père  à  qui  elle  écrit. 

Mon  révérend  et  très-cher  Père, 

lïoQS  avons  été  trompées  de  ne  vous  point  avoir  cette 
Aiànée  :  nous  faisions  déjà  notre  compte  que  vous  suc- 
céderiez au  révérend  Père  Lallemant,  si  Dieu  l'appelait 
de  ce  monde,  dans  les  secours  spirituels  et  temporels 
',  4^'il  nous  rend.  Nous  avons  pensé  le  perdre  cette  année, 
i   nuûs  nous  nous  consolions  dans  Tespérance  de  trouver 
^-  tu  vons  un  autre  lui-même. 

t.  Tous  nos  révérends  Pères  sont  en  des  ferveurs  non- 
P  P4tteilles.  Le  révérend  Père  Pierron  fait  des  merveilles 
«  Agné  avec  ses  tableaux.  Vous  savez  qu'il  est  assez 
^n  peintre,  et  il  en  a  fait  un  grand  de  l'enfer  qui  est 
Croyable  au  dernier  point,  plein  de  diables  et  de  sau- 
nages damnés.  L'on  y  voit  les  instruments  des  supplices, 
^  feux,  les  serpents  et  autres  semblables  représenta- 
tions effroyables.  On  y  voit  dépeinte  une  vieille  qui 
M  bouche  les  oreilles  de  peur  d'entendre  un  Jésuite 
4ui  veut  l'instruire.  Les  diables,  après  l'avoir  tentée, 
Ift  tourmentent  et  lui  jettent  du  feu  dans  les  oreilles. 
Qu'elle  n'a  pas  voulu  ouvrir  à  la  parole  de  Dieu.  Il  a 

.  UTTR.  M.   n.  27 


Ni. 


418  LfiTTRBS 

ùâi  an  dutre  tableau  da  paradis,  où  les  Anges  enlèvent 
les  âmes  des  saunages  qui  meurent  après  avoir  reçu 
le  Baptême.  Ces  pauvres  gens  sont  si  ravis  de  voir  ces 
figures,  que,  bien  loin  de  se  boucher  les  oreilles,  ils 
suivent  le  Père  partout,  et  le  tiennent  pour  le  plus 
grand  génie  du  monde.  Il  y  a  une  femme  iroquoise 
si  fervente  et  si  zélée  pour  nos  saints  mystères,  qu*eUe 
sert  de  dogique  (catéchiste)  au  Père,  allant  de  cabane 
en  cabane  pour  instruire  et  pour  faire  les'  prières. 
Votre  révérence  saura  tout  cela  du  révérend  Père 
Chaumonot;  je  m'oublie  de  moi-même  de  lui  en  parler. 
Votre  révérence  a  été  en  ces  lieux-là  :  elle  y  a  semé, 
et  les  autres  recueillent  le  fruit  <ie  ses  travaux.  Je 
m*â88ure  qu'elle  n'en  aura  pas  moins  de  mérite  que 
si  elle  les  moissonnait  elle-même.  Ses  mains  mutilées 
en  reluiront  dans  l'éternité,  aussi  bien  que  les  autres 
parties  de  son  corps  qui  ont  porté  tant  de  meurtrissures, 
et  que  ses  oreilles  qui  ont  été  remplies  de  tant  d'injnres 
et  de  brocards.  J'en  ai  encore  le  sentiment,  mon  très- 
cher  Père,  et  je  bénis  Dieu  qui  vous  a  donné  le  moyen 
de  le  pot'ter  et  de  le  glorifier  en  votre  corps  par  vas  souffrances. 
Âh  I  je  ne  soufire  rien,  et  je  mourrai  sans  avoir  rien  fait 
ni  souffert.  Si  les  ouvriers  du  saint  Evangile  ne  me 
font  la  grâce  de  me  faire  part  de  leurs  travaux,  je  serai 
très^mal;  ils  me  le  font  espérer,  et  c'est  ce  qui  me 
console  dans  mes  pauvretés.  Faites-moi  toujours  part 
des  vôtres,  mon  très-cher  Père,  et  souvenes-vous  de 
notre  convention  ;  ^  nous  raccomplissons  de  notre  part, 
et  comme  nous  croissons  en  nombre,  nos  petits  Mens 
spirituels  augmentent  de  même.  Pries  la  divine  Bonté 


CL  Mjtnis.': 


l 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L INCARNATION.  419 

% 

d*y  donner  sa  bénédiction,  puisqu'il  y  va  de  votre  intérêt 
aussi  bien  que  du  nôtre. 

De  Québec,  le  7  d'octobre  1669. 


LETTRE  CCI. 

A  LA  SUPÉRIEURE  DES  URSULINES  DE  MONS. 

Bile  la  remercie  de  lui  avoir  appris  qu'il  y  a  un  grand  nombre  de  monastères 
d'Ursulines  de  la  Congrégation  de  Bordeaux  en  Flandre  et  en  Allemagne.  — 
Nouvelles  du  Canada  et  du  couvent  de  Québec.  —  Elle  remercie  les  Ursultnes 
de  Mons  de  ce  qu'elles  font  faire  une  nouvelle  vie  d'Anne  de  Beauvais.  — 
Eloge  de  la  défunte  Mère  Marie  de  Saint-Joseph.  —  Conversions  parmi  les 
sauvages. 

Ma  révérende  et  plus  que  très-chère  Mère, 

Jâsus  soit  notre  vie  et  notre  amour  pour  le  temps 
et  pour  l'éternité. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  avez  eu  la  bonté  de 
ixi*ëcrire,  avec  tout  l'amour  et  le  respect  que  je  dois 
à  la  bonté  de  votre  cœur,  si  charitable  et  si  cordial, 
de  vouloir  bien  se  souvenir  de  ses  pauvres  sœurs  qui 
sont  en  ce  bout  du  mopde.  Jje. chéris  la  rencontre  que 
▼DUS  avez  faite  du  révérend  Père  Pierron,  le  frère 
duquel  demeure  proche  de  notre  monastère,  dans  la 
maison  principale  de  leur  compagnie  en  ces  contrées, 
lequel  m'a  rendu  votre  chère  lettre,  laquelle  me  comble 
de  joie  et  notre  Communauté,  y  apprenant  que  notre 
ordre  est  étendu  dans  les  lieux  que  vous  me  désignez. 


420  LETTRES 

i 

Je  savais  bien  que  les  révérendes  Mères  Ursalioes  de 
la  Congrégation  de  Paris  étaient  établies  en  Allemagne 
et  même  dans  la  ville  impériale,  mais  j'ignorais  que 
notre  Congrégation  de  Bordeaux  possédât  ce  que  votre 
bonté  me  décrit;  j*en  rends  de  très-humbles  grâces  A 
Notre- Seigneur  et  je  m*en  conjouis  avec  vous,  mon 
aimable  Mère,  et  avec  nos  bonnes  Mères  de  Bordeaux, 
en  répondant  à  la  lettre  qu'elles  me  font  Thonneor  de 
m'écrire. 

Permettez-moi,  s*il  vous  plaît,  de  vous  demanderai 
vous  êtes  sorties  de  notre  maison  de  Bordeaux,  on  si 
quelques  religieuses  de  Bordeaux  sont  allées  fonder  che2 
vous  un  monastère  où  ensuite  vous  seriez  entrées  de 
manière  que  vous  auriez  embrassé  notre  institut  en 
votre  pays  comme  les  filles  Canadiennes  issues  des 
Français  habitants  de  ce  lieu,  se  sont  faites  religieuses 
avec  nous. 

Donc  pour  répondre  à  votre  juste  inclination  d*appren- 
dre  quelques  particularités  de  notre  Communauté,  nia 
très-chère  Mère  :  premièrement  je  vous  dirai  qu'il  y 
a  plus  de  trente  ans  que  nous  sommes  établies  à  Québec, 
qui  est  le  port  où  abordent  les  navires  de  France. 
Lorsque  nous  y  sommes  venues,  il  n'y  avait  que  cinq 
ou  six  petites  maisons  tout  au  plus;  tout  le  pays  était 
de  grandes  forêts  pleines  de  halliers.  Maintenant  Québec 
est  une  ville,  au  delà  et  aux  environs  de  laquelle  se 
trouvent  quantité  de  bourgs  et  villages,  dans  une  étendue 
de  plus  de  cent  lieues.  Dans  ces  commencements  noas 
étions  entourés  de  sauvages,  les  hommes  et  les  femmes 
nus  jusqu'à  la  ceinture ,  excepté  l'hiver  qu'ils  étaient 
couverts  de  peaux  de  bêtes.  La  hantise  (fréquentation) 
des  Français  les  a  fait  se  couvrir,  tant  les  uns  que  les 
autres,  modestement.   Nous  confmençâmes  par  leurs 


DB  LA  MËRB  MARIB  DB  L*IN CARNATION.      481 

flllea  et  leurs  femmes,  en  leur  donnant  à  entendre  qulls 
avaient  chacun  un  ange  que  Dieu  leur  donnait  pour 
les  garder  des  démons,  et  qu'il  s'enfuirait  si  elles  ne 
se  couvraient  pas  modestement.  Les  révérends  Pères 
Jésuites  leur  faisaient  de  longs  sermons  à  ce  sujet.  Nous 
avons  appris  leur  langue  par  précepte  et  par  étude 
dôs  le  commencement.  Toutes  ces  nations-là  que  nous 
trouvâmes  habiter  en  ces  lieux  sont  bons  chrétiens  à 
présent,  et  ils  élèvent  leurs  enfants  et  familles  comme  les 
Français  ;  mais  ils  n'ont  point  de  maisons  de  charpente, 
seulement  des  cabanes  d'écorce  soutenues  de  grosses 
perches  de  cèdre,  qulls  démontent  lorsqu'ils  veulent  aller 
à  la  chasse  dans  les  grands  bois,  où  généralement  tous 
vont  hiverner  ;  au  printemps  ils  reviennent  en  leur  lieu. 
Cest  la  façon  des  Algonquins,  car  les  autres  nations 
sont  sédentaires.  Tous  ne  vivent  que  de  leur  chasse  et 
de  blé  d'Inde,  duquel  ils  font  de  la  bouillie;  ils  se  vêtis- 
sent de  leurs  peaux  de  bêtes  et  ils  en  font  aussi  des 
couvertures  dont  ils  se  couvrent  comme  de  manteaux 
dans  l'hiver. 

Dès  le  lendemain  de  notre  arrivée,  l'on  nous  amena 
les  filles  sauvages  et  celles  des  Français  qui  trafiquaient 
en  ce  pays,  ce  que  l'on  a  continué  jusqu'à  présent. 
Gomme  ce  pays  a  augmenté,  nous  avons  pour  l'ordinaire 
vingt  à  trente  pensionnaires.  Les  françaises  nous  don- 
nent cent  et  vingt  livres  de  pension  ;  nous  prenons  les 
filles  sauvages  gratuitement  :  encore  leurs  parents,  qui 
sont  passionnés  pour  leurs  enfants,  croient  nous  obliger 
beaucoup.  Dès  qu'elles  entrent,  ils  remportent  leurs 
haillons,  nous  les  donnant  nues;  nous  les  dégraissons, 
car  ils  se  graissent  tous  à  cause  qu'ils  ne  portent  point 
de  linge.  Il  nous  faut  chercher  de  quoi  les  vêtir,  etc.,  ce 
qui  nous  charge  grandement  :  toutefois  la  bonté  de  Dieu 


Doos  a  flidées,  en  aorte  qoe  nous  na^worn  pas  eacore 
manqué  (fassister  ces  chères  néophytes  et  de  sabsister 
en  ce  pays,  où  les  frais  sont  immenses,  quoique  nous 
i^<ms  un  bien  petit  reTonu.  Pour  les  externes,  je  ne 
puis  pas  dire  le  nombre,  parce  qull  y  en  a  partie  que 
le  froid  très-grand  et  les  neiges  obligent  de  demeurer 
rtÛTer  en  leur  maison.  Enfin  nous  avons  toutes  celles 
de  la  haute  et  basse- ville;  les  Français  nous  amènent 
leurs  filles  de  plus  de  soixante  lieues  d*ici,  quoique 
Mgr  notre  Prélat  ait  établi  des  nudtresses  d'écde  à 
Montréal  pour  suppléer  en  ce  lieu  en  attendant  que 
nous  y  soyons  établies. 

Nous  sommes  vingt-deux  religieuses,  dont  trois  sont 
encore  novices;  en  ce  nombre  il  y  a  quatre  sœurs  con- 
verses. Nous  sommes  encore  six  professes  de  France; 
les  autres  ont  fait  profession  en  ce  pays.  Sept  d*entre 
elles  et  deux  novices  sont  filles  du  pays,  les  autres  sont 
de  France. 

Madanie  de  la  Peltrie  est  toujours  avec  nous,  c'est  une 
sainte.  Nous  ne  pouvons  pas  beaucoup  nous  augmenter, 
à  raison  que  tout  est  exorbitamment  cher  en  ce  pays. 
Il  ne  nous  est  mort  que  trois  religieuses  depuis  que  nous 
sommes  établies  en  Canada  :  savoir,  ma  chère  Mère  de 
Saint-Joseph,  une  converse  de  France  et  une  de  chœur, 
aussi  de  France,  sœur  du  gouverneur  de  ces  contrées, 
qu'il  avait  amenée  de  France  avec  madame  sa  fenmie. 
Elle  entra  parmi  nous  et  y  fit  son  noviciat  et  sa  pro- 
fession. Nous  en  avons  renvoyé  deux  qui  ne  nous 
convenaient  pas. 

Toute  notre  Congrégation  vous  sera  très-obligée,  ma 
très-chère  Mère,  de  faire  remettre  en  état  la  vie  de 
la  vénérable  Mère  Anne  de  Beauvais  :  car,  selon  que 
je  l'ai  appris  de  feu  ma  Mère  de  Saint- Bernard,  entre 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L*INCARNATION.  423 

les  bras  de  laquelle  elle  rendit  Tesprit,  cette  vie  n'était 
ims  correcte  ni  faite  régulièrement.^ 

Pour  ce  qui  regarde  le  récit  (la  notice)  de  ma  chère 
Mère  de  Saint- Joseph  ma  compagne,  lorsque  je  l'envoyai 
en  France  c'était  seulement  pour  nos  chères  Mères 
de  Tours,  d'où  nous  étions  sorties,  afin  de  leur  donner 
sujet  de  louer  Dieu  des  grâces  qu'il  avait  faites  à  cette 
bonne  fille.  Elles  l'avaient  élevée  dès  son  enfance  et 
elles  s'étaient  imposé  un  grand  sacrifice  en  la  laissant 
sortir  de  leur  maison.  Je  fus  fort  surprise  d'apprendre 
qQ*un  de  nos  amis,  qui  se  doutait  que  j'envoyiais  ce  récit 
à  DOS  Mères,  ouvrit  mon  paquet  et  le  mit  entre  les  mains 
du  révérend  Père  Le  Jeune,  procureur  des  Missions, 
qui  avait  été  longtemps  le  directeur  de  cette  sainte 
âme  en  ce  pays.  Le  Père  inséra  cette  notice  dans  la 
Relation  après  l'avoir  fait  imprimer. 

• 

(1)  Anne  de  Beaavais,  née  &  Bordeaux  vers  1586,  fut  associée  aoz  fondatrices 
des  Ursulines  de  cette  Ville,  en  1606.  Elle  avait  reçu  des  talents  naturels 
tellement  remarquables,  qu'elle  sut  presque  aussitôt  lire  que  parler,  et  que  sa 
raison  fut  développée  bien  avant  l'Age  ordinaire.  Choisie  à  quatorze  ans  par 
on  riche  bourgeois  de  la  ville  pour  être  l'institutrice  de  ses  filles,  elle  étonna 
par  sa  capacité  et  surtout  par  une  piété  incomparable.  Tontes  les  jeupes  per- 
sonnes du  quartier  voulurent  l'avoir  pour  directrice,  et  s'étant  réunies  sous  sa 
conduite  en  une  pieuse  association,  elles  vivaient  comme  de  petites  religieuses, 
prenant  la  discipline  et  pratiquant  toutes  les  austérités  du  cloître. 

Devenue  Ursuline,  Anne  fut  nommée  sous-prieure  d'une  fondation  à  vingt-«t-un 
ans.  Remise  au  noviciat  pour  éprouver  son  humilité,  elle  y  demeura  comme  dans 
on  paradis,  rapporte  un  de  ses  historiens.  Nommée  ensuite  plusieurs  fois  supé- 
rieure, elle  mourut  à  Saumnr  dans  l'exercice  de  cette  charge.  On  lui  attribua  des 
miracles  avant  et  après  sa  mort. 

La  Mère  de  l'Incarnation  connaissait  sa  vie  publiée  en  1621  ;  mais  ayant 
appris  qu'on  venait  d'en  publier  une  nouvelle  en  Flandre,  elle  la  demanda  à  la 
supérieure  de  Mous,  et  elle  réitéra  plusieurs  fois  cette  demande,  ainsi  qu'on 
le  verra  plus  loin. 

Anne  de  Beauvais  étant  tombée  dans  un  oubli  immérité,  nous  nous  proposons, 
arse  le  secours  de  Dieu,  de  publier  sa  vie  de  nouveau. 


4^  LBTTRB8 

L'année  d'après,  nos  Mères  de  Tours  me  mandôrant 
qu'elles  avaient  eu  connaissance  de  sa  mort  avant  d'^ 
avoir  reçu  la  nouvelle;  voici  comment.  Une  bonne  sœur 
converse  qui  l'avait  élevée  et  soignée  dans  le  pensionnai 
étant  encore  en  son  lit,  la  semaine  que  la  Mère  mourut, 
elle  s'entendit  appeler  par  elle  lui  disant  :  ma  sœur, 
tenez- vous  prête,  vous  partirez  bientôt.  Incontinent 
elle  alla  à  la  chambre  de  notre  Mère  de  Saint-Bernard, 
prieure,  et  elle  lui  dit  :  Notre  Mère,  la  Mère  de  Saint- 
Joseph  est  morte,  elle  m*a  apparu  et  m^a  dit  :  que 
je  mourrai  bientôt  et  que  je  me  tienne  prête.  En  effet, 
cette  bonne  sœur,  nommée  Sainte-Elisabeth  de  Sainte* 
Marthe,  tomba  malade  et  mourut  après  quelques  jours. 
L'arrivée  des  vaisseaux  fit  conndtre  à  nos  Mères  la 
vérité  par  nos  lettres.  Plusieurs  personnes  ont  reçu 
de  grandes  grâces  intérieures  après  l'avoir  invoquée, 
et  même  la  grâce  de  la  vocation  religieuse.  Lorsqu'elle 
était  au  lit  de  la  mort  elle  voyait  que  nous  appréhen- 
dions une  mauvaise  affaire  préjudiciable  à  notre  Com- 
munauté; elle  nous  dit  sansliésiter  :  Ne  vous  mettes  pas 
en  peine,  cette  affaire  se  terminera  par  une  telle  voie  ; 
en  effet,  la  chose  qui  était  de  très-grande  conséquence, 
arriva  comme  elle  l'avait  dit.  Elle  avait  encore  ajouté  : 
«  Lorsque  je  serai  morte,  je  le  demanderai  à  Dieu  et 
cela  arrivera.  »  Il  est  arrivé  plusieurs  choses  qui  nous 
ont  fait  expérimenter  l'efficacité  des  prières  de  cette 
sainte  âme.  Je  la  connaissais  à  fond,  ayant  été  novice 
avec  elle  et  toujours  ensemble  jusqu'à  la  mort. 

Il  arriva  un  grand  accident  à  M.  de  la  Brétaiche,  son 
beau-firôre,  qui  avait  grande  compagnie  chez  lui  pour 
une  partie  de  chasse.  Lorsqu'il  se  munissait  de  poudre, 
une  étincelle  de  feu  tomba  sur  un  baril,  qui  à  l'instaDt 
enleva  la  salle  et  les  planchers  et  tout  ce  qui  était 


DE  LA  MÈRB  MARIE  DE  L*INCARN ATIOM .  425 

dedans.  Monsieur  fui  enseveli  sous  les  ruines  ;  madame 
de  la  Brétaiche,  sœur  de  notre  chère  Mère*  également  ; 
elle  était  enceinte  de  huit  mois.  Aussitôt  tout  le  monde 
se  mit  en  mouvement  pour  soulever  les  décombres,  et 
découvrir  les  victimes  que  Ton  estimait  mortes.  On 
avait  beau  les  appeler,  Ton  ne  recevait  aucune  réponse. 
Enfin  Ton  trouva  Monsieur  enseveli  dans  les  débris 
et  respirant  un  peu.  On  trouva  Madame  encore  plus 
profondément  ensevelie,  et  auprès  d'elle  le  tableau  de 
notre  chère  Mère  de  Saint- Joseph,  qui  n'était  pas  endom- 
magé le  moins  du  monde.  On  porta  cette  dame  quasi 
morte  sur  un  lit.  Etant  un  peu  revenue  à  elle,  elle  dit 
qu'elle  avait  invoqué  sa  bonne  sœur  de  Saint-Joseph  ; 
et  pour  ce  tableau  l'on  ne  sait  comment  il  avait  été 
porté  là,  parce  qu'il  était  pendu  en  un  lieu  qui  en  était 
éloigné.  Quoique  cette  bonne  dame'  eût  été  sous  cette 
grande  ruine,  elle  ne  fut  point  blessée  et  accoucha 
quelque  temps  après  d'un  bel  enfant.  Cette  protection 
fut  attribuée  aux  prières  de  la  Mère  de  Saint- Joseph  ; 
il  y  eut  Un  miracle  évident  en  cette  rencontre,  parce  que 
naturellement  M.  et  madame  de  la  Brétaiche  en  devaient 
mourir.  Je  dois  ajouter  que  quand  on  tira  ces  bonnes 
personnes  de  dessous  les  ruines,  elles  étaient  tellement 
couvertes  de  pierres,  graviers,  poussière  et  bois  qu'on 
ne  pouvait  juger  que  ce  fussent  des  formes  humaines. 
La  mémoire  de  cette  chère  Mère  nous  est  en  bénédiction. 

Les  sauvages  hurons  ont  encore  la  mémoire  fraîche 
de  notre  chère  Mère,  ils  l'aimaient  grandement  à  cause 
que  sachant  leur  langue,  elle  les  instruisait  avec  une 
grande  charité. 

Vous  savez  que  les  révérendes  Mères  Ursulines  de 
Paris  font  les  chroniques  de  tout  l'Ordre,  elles  en  ont 
donné  connaissance  à  notre  Congrégation,  et  on  leur 


426  •  LETTRES 

envoie  des  mémoires  de  toutes  parts.  Notre  chôre  Mare 
de  Saint-Joseph  y  tiendra  bonne  place.  Nos  Mères  de 
Bordeaux  m*ont  mandé  qu'elles  en  ont  été  averties.' 

Il  faut  que  je  vous  dise  un  mot  de  l'état  présent  de 
cette  nouvelle  Eglise.  Vous  avez  autrefois  entendu 
parler  des  Iroquois,  peuples  qui  ont  exercé  de  grandes 
cruautés  à  l'endroit  des  révérends  Pères  de  la  mission 
et  des  Français,  en  les  massacrant  partout  où  ils  lei 
pouvaient  rencontrer;  maintenant  ils  se  sont  rendus 
souples  à  notre  sainte  Foi  ;  ils  forment  un  grand  peuple 
et  habitent  un  grand  pays  ;  ils  font  baptiser  tous  leurs 
enfants  et  tous  se  rendent  assidus  à  la  prière  et  à  Fins- 
truction.  L'on  a  de  plus  découvert  de  grandes  nations, 
qui  sont  à  plus  de  cinq  cents  lieues  au-dessus  de  nous, 
tous  barbares  qui  n'avaient  jamais  entendu  parler  de 
Dieu  ni  vu  des  Français.  Il  s'est  trouvé  que  Diea  a  telle- 
ment disposé  leurs  cœurs,  que  ce  sont  les  plus  afihbles 
du  monde,  tellement  dociles  qu'ils  veulent  embrasser 
notre  sainte  Foi  dès  qu'ils  ont  entendu  parler  de  la 
grandeur  de  nos  saints  mystères  ;  ils  font  baptiser  tous 
leurs  enfants  pendant  qu'eux  se  font  instruire.  Il  faut 
que  vous  sachiez  que  ce  n'est  pourtant  pas  une  petite 
affaire  que  de  convertir  les  sauvages;  ce  sont  des  gens 
très-superstitieux,  qui  basent  leur  créance  sur  leurs 
songes  ;  s'ils  songent  qu'ils  veulent  tuer  un  homme,  ils 
le  tuent,  etc.  Ils  ont  plusieurs  femmes  et  ajoutent 
oréanee  aux  sorciers  et  aux  devins,  bien  que  ces  pré- 
tendus sorciers  ne  soient  que  des  jongleurs  assez  sem- 
blables aux  bateleurs  de  l'Europe.  Il  ne  faut  rien  moins 
qu*un  miracle  pour  les  convertir.  Maintenant  la  diviiiô 

(1)  Lm  Chroniques  de  VOrdre  de  Sainte-Ursule  furent  en  effet  împrioéeti 
Pub  en  1673,  on  an  après  la  mort  de  la  Mère  de  rincarnatlon;  maU  od  n>i 
îtik  dit  dft  la  Mère  de  Saint-Joeeph. 


DB  LA  MËRE  MARIB  D9  L*INGARNATI0N.  427 

Majesté  les  touche  et  leur  donne  confiance  aux  ouvriers 
du  saint  Evangilç.  Ils  craignent  le  feu  de  l'enfer,  dont 
on  leur  fait  des  peintures,  ainsi  que  du  paradis;  ils 
admirent  cela  et  ils  croient. 

Né  vous  lassez  point,  mon  aimable  Mère,  ni  votre 
sainte  Communauté,  de  prier  pour  cette  nouvelle  Eglise, 
et  n'y  oubliez  pas  notre  petite  famille,  qui  vous  remercie 
avec  moi  de  l'amour  et  estime  que  vous  faites  de  ma 
chère  compagne  de  Saint-Joseph.  Lorsque  vous  aurez 
le  beau  livre  que  vous  faites  imprimer,  vous  nous  ferez 
une  grande  charité  de  nous  l'envoyer.^  Il  faudra,  s'il 
vous  plaît,  en  faire  l'adresse  au  révérend  Père  Paul 
Ragueneau  de  la  Compagnie  de  Jésus,  procureur  des 
missions,  pour  remettre  à  Sœur  Marie  de  llncarnation, 
religieuse  Ursuline  à  Québec;  c'est  que  je  sortirai  de 
charge  en  mars  prochain,  mes  six  ans  étant  finis. 

Permettez- moi  de  saluer  votre  sainte  et  révérende 
Communauté,  que  je  supplie  avec  vous  d'agréer  les 
très-humbles  respects  de  la  nôtre.  Obligez-moi  de  plus 
de  recommander  cette  mission  à  toutes  mes  révérendes 
Mères  de  notre  Ordre  de  vos  contrées,  que  je  salue  avec 
un  profond  respect;  je  vous  remercie  de  vos  beaux 
....  Vous  avez  trop  de  bonté  pour  nous  et  pour 
moi  en  particulier  qui  vous  suis  sans  réserve,  ma  révé- 
rende et  très-intime  Mère, 

Votre  très-humble  et  très-obéissante  servante 

en  Jésus-Christ, 

Sœur  Marie  de  l'Incarnation.  R.  U.  I. 
De  notre  Séminaire  des  Ursulines  de  Québec,  le  7  d!oct.  1669. 

(I)  Sile  parld  probablement  de  la  Vie  iiou?elle  d'Anne  de  Beaa?aia.  Ceat  aq 
^t  un  bêan  ?olume,  petit  in-4o  de  360  pages,  a?ec  eix  grandes  gra?araa,  doftt 


428 


LETTRE   CCII. 


A  lA   SDFÉEIEDRE    DES    UKSULIHES    DE    SAINT-DENIS    EN    FRAHCB. 
{La  Mirt  Marie  Oe  Satnte-Catheritu.) 


ffil 

^^  flU< 

^^H  en 

^^^     port 


Bll»  l'sihort*  à  la  Miuion  de  U  MirtÎDiqne,  «t  lai  montre  qu'il  (knt  m 
lotitci  lei  contradiction*  quand  il  faut  randre  aerrice  t  Dian  dana  eea  aortM 
d'entrepriaei . 

Oui,  ma  trôa-hoDorée  Mère,  je  sais  tout  à  toos  dans 
l'union  dn  cœur  tout  aimable  de  noire  bon  Jësds;  et 
non-seulement  à  tous,  mais  encore  à  votre  sainte 
Communauté  que  j'honore  infiniment.  Son  zèle  pour 
le  saint  des  âmes  me  console  à  un  point  que  je  ne  pois 
exprimer,  et  ta  nôtre  chérit  l'union  sainte  que  tooi 
et  elles  voulez  bien  avoir  avec  nous.  Nons  avons  reça 
vos  lettres  si  tard,  que  nous  avions  déjà  perda  l'esp^ 
rance  d'en  recevoir  cette  année.  Une  personne  de  France 
.  nons  a  écrit  par  le  premier  vaisseau  qui  est  arrivé  en  c^^ 
pays,  que  vous  étiez  parties  pour  les  îles  de  la  ifarï^^ 
nique,  ce  qui  me  fit  désirer  d'en  apprendre  la  ^^^W^^ 
et  louer  Notre-Seigneur  du  choix  qu'il  avait  fait  (f&^  ^/^ 
fllles  pour  cette  mission.  M.  de  Tracy,  comme  aoi  ^^^^^ 
personnes  de  créance  (dignes  de  foi)  qui  ont  /a/f  "^^^z  *** 
en  ce  pays-là,  nous  ont  assuré  que  les  Urav  *"ot„  ^ 

\^ 

ûlim  reprSïBDtent  Anna  de  BeaDvaia  aox  différaotea  4^,^^       . 

portMll  etl  eototM  da  méduillonB.  «aUèioatiiiMa,  -.        ,.„^' V. 

Canuoia.  ^^V 


DE  LA  MËRB  MARIB  DE  L*IN CARNATION.  429 

auraient  un  grand  emploi,  et  qu*on  leur  amènerait  des 
pensionnaires  de  toutes  les  îles,  où  il  y  a  an  grand 
nombre  de  personnes  fort  accommodées  (ayant  de  la 
fortune),  qui  ont  de  la  peine  de  retenir  leurs  filles, 
et  ne  peavent  leur  donner  Téducation  nécessaire  pour 
être  bonnes  chrétiennes. 

Il  y.  a  trois  ans  que  nos  Mères  de  Tours  furent 
demandées  pour  ce  dessein  :  je  ne  pus  savoir  alors  ce 
qui  en  empêcha  Texëcution  ;  mais  j*ai  su  depuis  que  la 
guerre  qui  était  entre  la  France  et  TÂngleterre  leur 
avait  donné  de  la  crainte,  comme  aussi  ce  grand  oura- 
•  gan  qui  avait  fait  tant  de  débris  en  ce  pays-là.  Mais 
quoiqu'il  faille  avoir  de  la  prudence,  et  user  de  précau- 
tion en  semblables  entreprises,  il  faut  pourtant  beaucoup 
donner  à  la  Providence,  et  s'abandonner  à  ses  ordres, 
lorsque  sa  volonté  nous  est  connue  par  le  conseil  des 
personnes  sages  et  éclairées.  Si  Ton  ne  faisait  de  la 
^rte,  l'on  abandonnerait  souvent  des  biens  que  Ton  voit 
^^ossir  après  un  peu  de  patience.  J'ai  vu  plus  d'une 
'^is  former  des  desseins  de  nous  renvoyer  en  France 
^^r  la  crainte  des  Anglais  et  des  Iroquois  :  et  lorsque 
^^tr^   monastère  fut  brûlé  vous  auriez  de  la  peine 
oroire  les  peines  et  les  afflictions  qu'il  nous  fallut 
à  ce  sujet,  et  combien  il  nous  fallut .  livrer  de 
pour  résister  à  de  bonnes  têtes  dont  la  force  et 
dence  semblaient  le  devoir  emporter.  Nous  voilà 
oins  encore;  Dieu  a  donné  sa  bénédiction  à  notre 
>ï^i<:^ité,  et  il  a  fait  avouer  à  ceux  qui  avaient  conclu 

retour,  que  Dieu  nous  veut  en  Canada  pour 

iter  les  filles,   tant  Françaises  que  sauvages. 

Térité  les  premières  seraient  pires  que  les  der- 

s'il  n'y  avait  ici  des  Ursulines  pour  les  élever 

ultiver. 


DB  LA  MËRB  MARIB  DE  l'INGARNATION.  431 

» 

en  perfection,  qu'elle  allait  par  tout  son  village  pour 
instruire  les  grands  et  les  petits,  afin  de  les  attirer 
à  la  Foi.  Elle  a  été  extrêmement  persécutée  de  sa 
nation,  mais  enfin  elle  est  demeurée  victorieuse  malgré 
Tenfer  et  ses  suppôts. 

Je  vous  suis  bien  obligée  de  la  bonne  volonté  que 
vous  avez  eue  de  nous  offrir  de  vos  chères  filles,  et  à 
elles  d'avoir  été  si  bien  disposées  à  venir  nous  aider. 
Vous  êtes,  possible,  plus  canadienne  que  moi,  puisque 
vous  y  avez  l'esprit.  Suppléez  à  mes  défauts  et  à  mes 
lâchetés  par  vos  prières;  et  si  j'ai  encore  quelques  petits 
biens,  je  vous  y  donne  la  part  qu'il  plaira  à  notre  divin 
Maître.  Mais  faisons  mieux,  mon  intime  Mère,  que  nos 
biens  soient  communs.  Agréez,  s'il  vous  plaît,  le  très- 
respectueux  salut  de  notre  Communauté,  qui  vous 
demande  la  permission  de  saluer  aussi  la  vôtre;  ce  que 
je  fais  plus  particulièrement  après  vous  avoir  embrassée 
dans  l'aimable  Cœur  de  Jësus. 

De  Québec,  le  11  iToctobre  1669, 


432  LBTTRB8 


LETTRE   CCIII 


A   SON  FILS. 


Elle  le  remercie  de  quelques  liyres  qu'il  loi  a  envoyés,  particulièrement  dru 
intitulé  :  MédUaiUmt  chrétiennes,  et  d'an  antre  qui  porte  pour  titre  :  Miméf 
bénidietinê.  —  Son  sentiment  de  l'an  et  de  l'aotre. 


Mon  très-cher  fils, 

Voici  ma  lettre  d*adieu.  Le  vaisseau  unique  qui  &A 
retenu  par  force  à  notre  port  doit  lever  Tancre  samedi 
prochain,  ou  lundi  au  plus  tard;  autrement  il  serait 
contraint  d'hiverner  ici.  La  terre  est  déjà  couverte  de 
neige,  et  le  froid  fort  aigu  et  capable  de  geler  les  cor- 
dages. Avec  tout  cela,  M.  Talon  n*est  point  arrivé  ni 
ses  deux  navires  ;  dans  le  sien  seul  il  y  avait  cinq  cents 
personnes,  et  Ton  est  ici  en  très-grande  peine  de  ce 
retardement,  qu|  fait  juger  qulls  ont  relâché  en  France, 
ou  qu'ils  ont  péri  par  la  violence  de  la  tempête,  qui 
a  été  si  horrible  que  nous  l'avons  prise  pour  un  ouragan 
semblable  à  ceux  qui  arrivent  dans  les  îles. 

Je  me  suis  réservée  à  cette  voie  à  vous  remerder 
de  vos  beaux  et  excellents  livres  :  premièrement  de  vos 
méditations  que  Ton  trouve  ravissantes  et  très -propres 
pour  des  personnes  religieuses»  car  elles  mettent  aa 
jour  les  lumières  cachées  dans  l'Evangile  d'une  manière 
claire  et  nullement  embrouillée.  Notre  Communauté 
est  toute  pleine  de  reconnaissance  en  votre  endroit 


DE  LA  MARS  MARIE  DE  l'INGARNATION.  433 

pour  un  si  riche  présent.  Nous  allons  commencer  à  nous 
en  servir  pour  faire  nos  oraisons  ordinaires.  Nous 
avons  aujourd'hui  fait  celle  de  sainte  Ursule  qui  nous 
a  semblé  si  belle  et  si  bien  prise,  que  notre  Communauté 
m*a  pressée  de  vous  prier  de  nous  en  faire  pour  toute 
roctave  de  cette  grande  sainte,  notre  patronne.  Nous 
avons  la  confiance  que  vous  nous  ferez  cette  charité  de 
laquelle  je  vous  supplie.  Vous  avez  si  bien  réussi  en 
celles  que  vous  nous  avez  envoyées,  que  j'attends  de 
la  bonté  de  Dieu  qu'elle  vous  remplira  de  son  esprit 
pour  donner  un  semblable  succès  à  celles  que  je  vous 
demande.  De  rechef  notre  Communauté  vous  remercie; 
mais  sa  satisfaction  ne  sera  point  entière  que  vous  ne 
lui  ayez  accordé  la  prière  qu  elle  vous  fait  par  mon 
moyen.  Vous  pouvez  juger  par  mes  sentiments  de  la 
consolation  que  j'ai  de  vous  voir  en  l'état  où  vous  êtes, 
et  de  ce  que  Dieu  se  sert  de  vous  pour  aider  les  âmes 
à  le  servir.  Sa  bonté  m'a  fait  la  grâce  de  trouver  en 
vous  abondamment  tout  ce  que  je  lui  ai  demandé. 
Que  son  saint  nom  en  soit  béni. 

Je  vous  remercie  encore  de  votre  ravissant  livre  de 
VAnnée  Bénédictine.  Si  vous  ne  m'aviez  assuré  que  c'est 
Touvrage  d'une  fille,  je  ne  l'eusse  jamais  cru,  ni  mes 
sœurs  non  plus  que  moi.  Cette  brave  Mère  est  très- 
éclairée,  et  avec  sa  science  l'esprit  de  Dieu  y  a  travaillé. 
J'admire  cet  ouvrage,  et  vous  nous  avez  infiniment 
obligées  de  nous  faire  un  si  beau  présent.  Nous  avons 
tous  les  jours  une  lecture  commune  d'obligation,  nous 
la  ferons  dans  ce  bel  ouvrage  :  hors  ce  temps-là  les 
sœurs  sont  affamées  de  cette  lecture,  et  c'est  à  qui 
aura  le  livre  pour  y  lire  en  particulier.  Elles  ont  raison, 
parce  qu'on  ne  peut  rien  lire  de  plus  utile,  puisque 
ce  sont  des  vies  de  Saints,  où,  outre  la  doctrine  qui 

LBTTR.   M      II.  28 


434  LETTRES 

contente  l'esprit,  on  trouve  encore  des  exemples  à 
imiter.  Encore  une  fois,  que  j'aime  cette  généreuse 
fille,  et  que  je  lui  veux  de  bien!  Si  elle  est  de  votre 
connaissance  et  quelle  soit  à  Paris,  je  vous  prie  de 
la  visiter  de  ma  part  et  de  l'assi^rer  de  l'estime  que 
j'ai  pour  elle  ;  car  en  vérité  on  peut  la  mettre  au  rang 
des  personnes  illustres  dô  notre  sexe.  Dieu  est  admi- 
rable dans  ses  communications  ;  son  Esprit-Saint  souffle 
où  il  lui  plaît,  et  il  n'appartient  qu'à  lai  de  faire  de 
grandes  choses  avec  de  faibles  instruments.  Toute 
notre  Communauté  vous  remercie  encore  une  fois  et 
vous  présente  son  très-respectueux  salut.  Adieu  pour 
cette  année. 

De  Québec,  le  21  ^octobre  1669, 


LETTRE   CCIV. 

AU     MÊME. 

Le  roi  continue  de  peupler  le  Canada.  —  M.  Talon  part  de  France  pour  j 
retourner.  —  Tempête  effroyable  arrivée  à  Québec  et  sur  la  mer.  ^  Tronblet 
entre  toutes  les  nations  sauvages  et  les  Français  ;  ils  sont  apaisés  par  U 
prudence  du  Gouverneur  des  Français  et  du  Père  Chaumonot,  Jésuite.  — 
Forme  de  justice  des  sauvages  contre  les  homicides.  —  Découvertes  dt 
nouvelles  mines  et  de  nouvelles  carrières. 


Mon  très-cher  fils, 

J'ai  reçu  votre  dernière  lettre  par  les  mains  de 
madame  Bourdon  et  de  son  fils,  qui  en  même  temps 
ont  été  ravis  de  pouvoir  me. dire  de  vos  nouvelles.  Ils 


DE  LA.  MËRB  MARIE  DE  l'INGARNATION.  435 

'  86  sentent  comblés  du  bon  accueil  que  vous  leur  avez 
fait,  et  comme  ce  sont  de  mes  meilleurs  amis,  et  que 
c*est  à  mon  occasion  que  vous  leur  avez  rendu  cet 
honneur,  je  vous  en  remercie  de  tout  mon  cœur. 

Madame  Bourdon  a  été  chargée  en  France  de  cent 
cinquante  filles  que  le  roi  a  envoyées  en  ce  pays  par 
le  vaisseau  Normand.  Elles  né  lui  ont  pas  peu  donné 
d'exercice  durant  un  si  long  trajet,  car  comme  il  y  en  a 
de  toutes  conditions,  il  s'en  est  trouvé  de  très-grossières 
et  très-difiSciles  à  conduire.  Il  y  en  a  d'autres  de  nais- 
sance, qui  sont  plus  honnêtes  et  qui  lui  ont  donné  plus 
de  satisfaction.  Un  peu  auparavant  il  était  arrivé  un 
vaisseau  Rochelais  chargé  d'hommes  et  de  filles,  et 
de  familles  formées.  C'est  une  chose  prodigieuse  de  voir 
l'augmentation  des  peuplades  qui  se  font  en  ce  pays.  Les 
vaisseaux  ne  sont  pas  plutôt  arrivés  que'  les  jeunes 
hommes  y  vont  chercher  des  femmes,  et  dans  le  grand 
nombre  des  uns  et  des  autres  on  les  marie  par  trentai- 
nes. Les  plus  avisés  commencent  à  faire  une  habitation 
un  an  devant  que  de  se  marier,  parce  que  ceux  qui  ont 
une  habitation  trouvent  un  meilleur  parti  ;  c'est  la  pre- 
mière chose  dont  les  Qlles  s'informent,  et  elles  font  sage- 
ment, parce  que  ceux  qui  ne  sont  point  établis  souffrent 
beaucoup  avant  que  d'être  à  leur  aise.  Outre  ces  maria- 
ges, ceux  qui  sont  établis  depuis  longtemps  dans  ce 
pays  ont  tant  d'enfants  que  cela  est  merveilleux,  et  tout 
en  foisonne.  Il  y  a  quantité  de  belles  bourgades,  des 
villages  et  des  hameaux,  sans  parler  des  habitations 
solitaires  et  écartées.  Le  roi  a  renvoyé  ici  des  capitaines 
et  officiers,  à  qui  il  a  donné  des  forts,  afin  qu'ils  s'y 
établissent  et  qu'ils  s'y  pourvoient.  Ils  le  font,  et  plu- 
sieurs sont  déjà  fort  avancés. 
L'on  attend  de  jour  en  jour  M.  Talon  que  le  roi 


.436  LBTTRB8 

renvoie  pour  régler  toutes  choses  en  ce  pays,  et  les 
former  selon  le  dessein  de  Sa  Majesté.  Il  a  cinq  cento 
hommes  avec  lui,  et  seulement  deux  femmes  de  qualité 
avec  leurs  suivantes.  Uarriôre-saison  où  nous  sommes 
nous  fait  craindre  avec  raison  qu'il  ne  soit  arrivé  quel- 
que malheur  à  son  vaisseau  et  à  un  autre  qui  raccom- 
pagne, parce  que  depuis  quinze  jours  il  est  survenu  ond 
si  horrible  tempête  qu*on  craint  qull  ne  soit  perdu.  Il 
7  a  pour  cet  effet  trois  bâtiments  qui  croisent  rembon- 
chure  de  la  mer,  afin  de. voir  si  Ton  ne  découvrira  point' 
les  vaisseaux  ou  quelques  débris.  Les  maisons  de  la 
basse-ville  de  Québec  ont  été  fort  endonmiagées,  la 
marée  s*étant  enflée  si  extraordinairement,  qu'elle  a 
monté  jusqu'au  troisième  étage.  Il  7  a  encore  bien  des 
maisons  abattues  dans  la  haute -ville.  La  tourmente 
a  été  si  violente  partout  que  notre  maison  tremblait 
conmie  aux  tremblements  de  terre.  Le  toit  et  les 
chevrons  du  logis  de  nos  domestiques  ont  été  emportés. 
Nos  clôtures  de  charpente,  et  celles  de  Mgr  Tévêque, 
des  Hospitalières,  des  révérends  Pères,  et  les  autres 
de  cette  nature  ont  été  renversées.  On  estime  la  perte 
que  cette  tempête  a  causée  dans  Québec  à  plus  de  cent 
mille  livres.  Voilà  le  sujet  de  nos  inquiétudes  au  regard 
de  M.  Talon,  dans  lequel  le  pays  ferait  une  perte  irré- 
parable s'il  avait  fait  naufrage,  parce  que  le  roi  lui 
ayant  donné  tout  pouvoir,  il  fait  de  grandes  entreprises 
sans  craindre  la  dépense. 

II  est  vrai  qu'il  vient  ici  beaucoup  de  monde  de  France 
et  que  le  pays  se  peuple  beaucoup.  Mais  parmi  les 
honnêtes  gens  il  vient  beaiacoup  de  canaille  de  l'un 
et  de  l'autre  sexe,  qui  causent  beaucoup  de  scandale. 
Il  eût  été  bien  plus  avantageux  à  cette  nouvelle 
Eglise  d'avoir  peu  de  bons  chrétiens,  que  d'en  avoir  un 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  L*INGARNATION .  437 

grand  nombre  qui  nous  cause  tant  de  trouble.  Ce  qui 
fait  le  plus  de  mal  c*est  le  trafic  des  boissons  de  vin 
et  d'eau-de-yie.  On  déclame  contre  ceux  qui  en  donnent 
aux  sauvages,  on  les  excommunie,  l'évêque  et  les  prédi- 
cateurs publient  en  chaire  que  c*est  un  péché  mortel  ; 
et  nonobstant  tout  cela  plusieurs  se  sont  formés  une 
conscience  que  cela  se  peut;  et  sur  cette  erreur  volon- 
taire ils  vont  dans  les  bois  et  portent  des  boissons  aux 
sauvages,  afin  d'avoir  leur  pelleterie  pour  rien  quand 
ils  sont  enivrés.  Il  s'ensuit  de  là  des  impuretés,  des  viols, 
des  larcins,  des  meurtres;  et  le  désordre  a  été  si  loin 
cette  année  que  nous  avons  été  à  la  veille  de  voir  toutes 
les  nations  sauvages  en  combustion  entre  elles,  où  s'unir 
ensemble  pour  venir  fondre  sur  les  Français.  Voici 
comme  les  choses  se  sont  passées. 

Trois  soldats  français  ont  tué  un  capitaine  iroquois 
des  plus  considérables  de  la  nation,  après  Tavoir  enivré 
d'eau-de-vie;  et  ayant  caché  son  corps,  ils  ont  volé  sa 
pelleterie.  Ces  assassins  ont  été  découverts  et  mis  en 
prison,  et  de  la  sorte  Tafiaire  est  demeurée  quelque 
temps  assoupie.  Mais  elle  s'est  réveillée  par  un  accident 
plus  funeste  que  le  premier.  Trois  autres  misérables 
Français  ont  massacré  de  la  même  manière  et  pour  la 
même  fin  six  personnes  de  la  nation  des  Loups  qui  sont 
amis  des  Français.  A  cette  nouvelle,  toute  la  nation  a 
pris  feu,  et  ne  pouvant  s'imaginer  que  les  Français 
leurs  amis  fussent  capables  d'une  si  grande  perfidie,  ils 
ont  cru  que  les  Iroquois  en  étaient  les  auteurs,  parce 
qu'ils  étaient  alliés  d'une  nation  contre  laquelle  les 
Iroquois  étaient  en  guerre.  Sur  ce  soupçon,  ils  ont  pris 
les  armes  et  déclaré  la  guerre  aux  Iroquois.  Les 
assassins  étant  ici  de  retour  avec  la  pelleterie  des  assas- 
sinés, qui  monte  bien  à  trois  mille  livres,  ils  ont  voulu 


438  LETTRES 

faire  croire  qu'ils  avaient  fait  ce  gain  à  la  chasse  ;  mais 
la  justice  de  Dieu  a  permis  qu'un  des  assassins,  n'étant 
pas  satisfait  de  ses  associés,  a  découvert  leur  crime  à 
quelqu'un  qui  l'a  révélé,  et  le  bruit  commençant  à  s'en 
répandre,  ils  ont  aussitôt  pris  la  fuite.  Les  sauvages  en 
ont  eu  le  vent  et  ont  été  sur  le  point  de  rompre  la  paix 
qu'ils  avaient  faite  avec  nous,  et  qui  a  tant  coûté  au  roi. 
Ce  qui  rendait  l'affaire  plus  embarrassée,  c'est  que  nos 
Pères  étant  dispersés  en  toutes  ces  nations-là,  il  y  avait 
sujet  de  craindre  qu'ils  ne  fussent  égorgés  avec  tous  les 
Français  qui  les  accompagnaient.  Le  feu  qui  s'était 
allumé  entre  les  Loups  et  les  Iroquois  commençait  à 
s'échauffer  contre  les  Français,  ces  deux  nations  se 
sentant  également  offensées  et  se  joignant  ensemble 
pour  se  venger.  En  voici  un  commencement  :  Quatre 
guerriers  de  la  nation  des  Loups  ont  attaqué  une  maison 
française  où  il  n'y  avait  que  deux  valets,  le  maître 
étant  absent.  Ils  feignirent  de  demander  de  l'eau-de-vie 
pour  observer  le  monde  qui  y  était,  et  la  voyant  sans 
beaucoup  de  défense,  ils  la  pillèrent,  et  enlevèrent  l'eau- 
de-vie  et  tout  ce  qui  était  à  leur  bienséance.  Ils  vou- 
lurent titer  les  valets,  mais  ceux-ci  furent  assez  hardis 
pour  se  saisir  des  armes  de  quelques-uns  de  ces  sau- 
vages, avec  lesquelles  ils  se  défendirent  quelque  temps, 
puis  s'étant  saisis  de  l'argent  de  leur  maître,  ils  l'allèrent 
trouver  au  lieu  où  il  était  pour  lui  donner  avis  de  ce 
qui  s'était  passé.  On  va  sur  les  lieux,  où  l'on  trouve  la 
maison  brûlée  et  trois  personnes  mortes,  savoir  deux 
sauvages  que  les  deux  valets  avaient  couchés  par  terre 
en  se  défendant,  et  la  maîtresse  que  les  autres  sauvages 
avaient  tuée  avant  que  de  se  retirer. 
Ce  qui  a  encore  aigri  les  affaires  du  côté  des  Iroquois, 
|M  les  trois  soldats  assassins  dont  j'ai  parlé,  ayant 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  439 

• 

S  interrogés,  l'un  d'eux  a  déposé  que  les  deux  autres 
aient  proposé  d  empoisonner  dans  les  occasions  autant 
^roquois  qu'ils  pourraient.  Ce  bruit  a  éclaté  et  nous 
mis  dans  la  dernière  crainte  que  les  Iroquois  ne 
ssent  mourir  nos  révérends  Pères,  et  qu'ils  ne  vinssent 
^traire  nos  habitations  écartées,  comme  les  Loups  ont 
lit  celle  que  je  viens  de  dire. 

Pour  comble  de  division  et  de  malheur,  les  Outaouak, 
ui  sont  amis  des  Français,  ont  exercé  un  grand  acte 
'hostilité  sur  les  Iroquois,  ayant  pris  ou  tué  dix-neuf 
3  leurs  gens.  Ce  sont  toujours  des  sujets  d'ombrages 
IX,  Iroquois  de  se  voir  attaquer  par  nos  alliés,  et  à 
»us  des  motifs  de  crainte  pour  une  rupture  général^ 
la  paix.  Mais  il  s'est  présenté  une  occasion  qui  a 
une  jour  à  rétablir  toutes  choses  dans  leur  premier 
3tt.  Six  cents  Outaouak  sont  venus  ici  au  mois  de 
Ulet  dernier,  chargés  de  pelleteries  pour  leurs  traites. 
I  7  ont  beaucoup  gagné  et  nos  marchands  encore  plus, 
ais  ce  n'est  pas  tant  le  trafic  qui  les  a  amenés  que  lé 
isiT  de  faire  leur  paix  avec  les  Iroquois  par  le  moyeq 
^8  deux  Pères  qui  les  ont  accompagnés  depuis  leur 
^ys  jusqu'ici;  et  il  y  a  de  l'apparence  que%e  sont  ces 
^xxx  Pères  qui  les  ont  apaisés  en  ce  qui  regarde  leur 
tërêt,  et  qui  les  ont  portés  ensuite  à  faire  cette 
^marche. 

Pour  travailler   plus   fortement  à  cette   affaire  et 
limer  les  autres  remuements  dont  tout  le  Canada  était 

* 

enacé,  Mgr  le  Gouverneur  s'est  transporté  à  Montréal, 
^  était  le  rendez- vous  de  toutes  les  nations  intéressées, 
^pendant  Taffaire  a  paru  si  importante  à  Mgr  notre 
vêque,  qu'il  a  fait  faire  des  prières  publiques  et  des 
faisons  de  quarante  heures  à  l'alternative  dans  toutes 
^8  églises  de  Québec.  Tous  ces  peuples  étant  donc  à 


440  LETTRES 

Montréal,  plutôt  néanmoins  pour  leurs  chasses  et  pour 
leurs  traites  que  par  un  dessein  prémédité  de  parler  de 
la  paix,  M.  le  Gouverneur  a  pris  occasion  de  les  assem- 
bler, et  le  révérend  Père  Chaumonot,  qui  est  éminem- 
ment savant  dans  toutes  les  langues ,  harangua  si 
fortement  et  avec  tant  de  bonheur,  selon  le  génie  des 
sauvages,  que  moyennant  des  présents  pour  ressusciter 
les  morts,  essuyer  les  larmes,  aplanir  les  chemins  et  les 
difficultés  du  commerce,  tout  fut  apaisé  de  part  et 
d'autre,  et  les  traités  de  paix  renouvelés.  Les  Outaooak 
ont  rendu  aux  Iroquois  trois  de  leurs  captifs  avec 
promesse  de  leur  en  rendre  encore  douze  qu'ils  avaient 
laissés  en  leur  pays,  dont  les  Iroquois  ont  voulu  que 
M.  le  Gouverneur  se  soit  rendu  caution. 

Les  affaires  étant  ainsi  terminées,  M.  le  Gouverneur 
fit  passer  par  les  armes  les  trois  soldats  assassins  en 
présence  de  toutes  les  nations  assemblées,  afin  de  leur 
persuader  que  lui  ni  les  Français  n'avaient  point  eu  de 
part  à  leur  crime.  Ils  furent  tous  surpris  d'une  justice 
qu'ils  estimaient  rigoureuse.  Car  vous  remarquerez  que 
parmi  eux  quand  un  sauvage  en  tue  un  autre,  ils  ne 
le  font  point  mourir;  mais  pour  ressusciter  le  mort,  l'on 
donne  son  ncm  à  un  autre,  au  choix  des  intéressés, 
lequel  prend  dans  la  famille  le  rang  de  parentage  que 
tenait  le  défunt.  C'est  ce  qui  étonna  les  Iroquois,  de 
voir  que  Ton  faisait  mourir  trois  Français  pour  un 
des  leurs  qui  avait  été  tué.  Ils  firent  même  de  grands 
présents,  afin  qu'on  en  lassât  au  moins  vivre  deux, 
et  ne  pouvaient  regarder  les  patients  sans  pleurer 
de  compassion  et  de  douleur.  On  leur  dit  que  c'était 
la  coutume  des  Français  d'en  user  ainsi,  et  que  dans 
ces  rencontres  on  en  faisait  mourir  deux  pour  la  justice, 
et  un  pour  celui  qui  avait  été  tué.  Il  fit  aussi  rendre 


'k 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INCARNATION.  441 

à  la  veuve  toute  la  pelleterie  que  les  soldats  avaient 
enlevée,  et  les  choses  étant  ainsi  apaisées,  chacun 
8*en  retourna  en  son  lieu.  Voyez  les  suites  de  ces 
misérables  boissons.  L'on  n'avait  point  encore  vu  par 
le  passé  les  Français  commettre  de  semblables  crimes, 
et  l'on  ne  peut  en  attribuer  la  cause  qu'à  ce  pernicieux 
trafic. 

Je  reviens  encore  à  M.  Talon.  Si  Dieu  le  fait  arriver 
heureusement  au  port,  il  trouvera  de  nouveaux  moyens 
d'enrichir  le  pays.^  L'on  a  découvert  une  belle  miné 
de  plomb  ou  d'étain  à  quarante  lieues  au-delà  de  Mon- 
tréal, avec  une  mine  d'ardoise,  et  une  autre  de  charbon 
de  terre.  Mon  dit  sieur  est  pour  (homme  à)  faire  valoir 
tout  cela  avec  avantage.  Il  a  déjà  fait  faire  une  très- 
ample  brasserie  avec  de  très-grands  frais.  Il  a  encore  fait 
de  grands  ouvrages  dans  Québec  et  ailleurs;  et  si  Dieu 
lui  inspire  de  retrancher  le  commerce  des  boissons, 
c'est  ce  qui  achèvera  d'immortaliser  sa  mémoire  dans 
cette  nouvelle  Eglise.  Je  ne  vous  parle  point  ici  de 
l'Eglise,  ni  de  ses  progrès,  ni  des  travaux  de  ceux 
qui  la  cultivent  et  qui  tâchent  de  l'étendre  dans  toutes 
les  nations  de  notre  Amérique.  Je  l'ai  fait  par  une  autre 
voie,  et  si  j'ai  omis  quelque  chose,  vous  pourrez  l'appren- 
dre dans  la  Relation. 

De  Québec,  le       d octobre  1669. 

(1)  Voyez  la  Lettre  prôcédeDte,  où  il  est  parlé  de  M.  Talon. 


442  LETTRES 


LETTRE  CCV. 

AU    MÊME. 

M.  Talon,  après  une  farieose  tempête,  arrive  enfin  en  Canada,  où  les  référtnda 
Pères  Récollets,  qui  en  araient  été  les  premiers  missionnaires,  reTienoeiit 
ayec  lui.  —  Progrès  de  la  Foi  chez  les  nations  iroquoises ,  outaouak  et 
antres.  —  Prodiges  miraculeux  en  faveur  du  saint  baptême.  — -  DécouTerte  d« 
la  grande  baie  du  Nord  par  un  Français  tourangeau.  —  NouTelle  peuplade 
pour  le  Canada. 


Mon  très- cher  fils, 

r 

Votre  première  lettre  m'a  apporte  une  très-sensible 
consolation,  m'apprenant  que  Dieu  vous  a  renda  la 
santé.  J'ai  admiré  sa  bonté  sur  vous,  de  ce  qull  yoqs 
a  donné  des  forces  pour  porter  jusqu'à  présent  les  austé- 
rités de  votre  ordre,  attendu  que  vous  étiez  d'une 
complexion  assez  délicate.  Que  son  saint  nom  soit  béni 
de  ses  conduites  sur  vous  et  sur  moi.  Mais  il  faut  vous 
dire  quelque  chose  de  l'état  présent  du  Canada. 

Enfin  M.  Talon  est  arrivé  à  Québec.  Il  a  pensé  faire 
naufrage  une  seconde  fois  proche  de  Tadoussac,  où 
une  tempête  jeta  son  vaisseau  sur  des  roches  et  le  mit 
sur  le  côté.  Tous  ceux  de  l'équipage  eurent  une  plus 
grande  frayeur  qu'à  leur  premier  débris  (naufrage)  :  car 
je  crois  que  vous  avez  su  que  son  vaisseau,  q\ie  nous 
attendions  toute  l'année  dernière  avec  une  extrême 
inquiétude,  fut  emporté  de  la  tempête,  et  qu'il  s'alla 
briser  sur  des  roches  proche  de  Lisbonne  en  Portugal. 


DE  LA  MÈRE  MARIB  DB  L'INGARN ATION .  443 

itte  année  son  navire  est  demeuré  fixe  entre  des 
ches  effroyables,  en  un  lieu  où  la  marée  monte  et 
dsse.  Ils  demeurèrent  là  jusqu'à  ce  qu'elle  remontât, 
bus  commencèrent  à  faire  des  vœux  et  à  demander 
liséricorde  à  Notre-Seigneur.  Ce  vaisseau  qui  devait 
^e  brisé  en  pièces,  et  tout  le  monde  perdu,  fut  enlevé 
tns  aucune  rupture;  au  contraire,  par  un  bonheur 
espéré,  au  lieu  qu'il  avait  fait  grande  eau  durant 
ute  la  traverse,  en  sorte  qu'on  était  obligé  de  pomper 
^ntinuellement ,  la  grande  secousse  qu'il  avait  eue 
ir  les  roches  le  resserra  de  telle  sorte  qu'il  ne  fit  pas 
le  seule  goutte  d'eau  depuis. 

II  a  amené  avec  lui  six  Pères  Récollets  qui  viennent 
rétablir  en  ce  pays  :  car  ce  sont  les  Pères  de  cet 
*dre  qui  en  ont  été  les  premiers  missionnaires.  Ils 
ont  dônieuré  jusqu'en  l'année  1625,  que  les  Anglais 
Stant  rendus  les  maîtres  du  pays,  ils  furent  obligés 
^  quitter,  aussi  bien  que  les  Pères  Jésuites  qui  ne 
isaient  que  d'y  arriver.  Les  bons  Pères  Récollets 
valant  aller  aux  Hurons  se  noyèrent,  excepté  quelques- 
Qs,  qui  retournèrent  en  France.  Depuis  ce  temps-là 
XXV  maison  s'est  ruinée  faute  de  réparation,  et  leurs 
^rres  ont  été  occupées  par  divers  particuliers,  qui  ne 
:*oyaient  pas  qu'ils  y  dussent  jamais  revenir.'  Cependant 
«  y  voilà  avec  la  permission  du  roi,  dans  le  dessein 
d  se  rebâtir  sur  leurs  anciens  fondements.  Ce  sont 
98  religieux  fort  zélés,  que  leur  provincial,  qui  est 
n  homme  considérable  parmi  eux  et  qui  a  des  qualités 
EHinentes,  est  venu  lui-même  établir.  Il  nous  a  asBuré 
ûe  pour  le  bien  de  la  paix  ils  laisseront  les  terres  aux 
Brticuliers  qui  les  possèdent,  parce  qu'ils  font  un  vœu 
*è8-étroit  de  pauvreté,  et  qu'ils  se  contenteront  d'un 
^H  petit  espace  pour  se  bâtir.  Ils  vont  se  rétablir  sur 


444  LETTRES 

leurs  anciennes  ruines,  et  cependant  (en  attendant)  ils 
sont  logés  à  notre  porte,  et  notre  église  est  commane 
à  eux  et  à  nous. 

Les  missionnaires,  dont  Ton  a  encore  accru  le  nombre 
cette  année,  sont  répandus  partout.  Ils  souffrent  de 
grandô  travaux  pour  apprivoiser  la  barbarie  des  Iro- 
quois  supérieurs,  qui  sont  plongés  dans  des  superstitions 
extraordinaires.  Ce  sont  les  Sonontoueronnons,  ou  le 
révérend  Père  Firmin,  qui  les  instruit,  a  besoin  du 
courage  que  Dieu  lui  donne  pour  demeurer  avec  eux, 
car  il  y  souffre  la  faim  et  la  disette  de  tout. 

Les  autres  Iroquois  respectent  les  Pères,  mais  les 
boissons  que  les  Anglais  leur  donnent  comme  voisins 
(car  je  parle  des  Agneronons)  les  abrutissent  de  telle 
sorte  qu'il  n'y  a  nulle  assurance  pour  la  foi,  sinon  aux 
vieillards,  aux  femmes  et  aux  enfants.  Ce  n'est  pas 
qu'ils  ne  croient  ce  que  les  Pères  leur  enseignent  et 
qu'ils  n'assistent  aux  prières  le  matin  et  le  soir,  mais 
la  fragilité  les  emporte,  et  ils  ne  sont  plus  à  eux  quand 
ils  voient  ces  liqueurs.  Pour  les  Onontageronnons,  ils 
sont  tous  gagnés. 

Enfin  le  fameux  capitaine  Garaconthié  a  été  baptisé 
par  Mgr  notre  Prélat.  Il  a  rompu  les  liens  qui,  par 
faiblesse  humaine,  le  retenaient,  et  il  n'a  pu  vivre 
davantage  sans  être  chrétien.  Il  y  a  longtemps  qu'il 
l'étaif  dans  son  cœur  ;  il  faisait  tout  son  possible  pour  la 
conversion  de  ses  compatriotes  ;  il  délivrait  les  captifs 
français;  il  apaisait  tous  les^ désordres;  il  protégeait 
les  missionnaires,  et  il  n'y  avait  invention  dont  il  n'usât 
pour  entretenir  la  paix.  M.  le  Gouverneur  a  été  son 
parrain,  et  lui  a  donné  le  nom  de  Daniel.   • 

Ce  sont  les  Algonquins  qui  excèdent  le  plus  en  l'ivro- 
gnerie en  ces  quartiers,  par  la  faute  des  Français  qui 


DE  LA  MÊRB  MARIE  DE  L*INCARNATION.  445 

leur  donnent  des  boissons.  Et  ce  qui  est  le  plus  déplo- 
rable, ils  y  accoutument  leurs  femmes  et  leurs  enfants, 
de  sorte  que  cette  nation,  qui  se  perdait  autrefois 
sans  la  foi,  si  Dieu  n*y  met  la  main  va  se  perdre  dans 
la  foi. 

Les  missions  des  Outaouak  sont  florissantes  :  les 
missionnaires  néanmoins  y  soujQTrent  de  grands  travaux, 
particulièrement  par  le  défaut  de  vivre.  Mais  ils  ont 
cette  consolation  que  l'on  ne  porte  point  de  boissons 
dans  un  pays  si  éloigné.  Ces  peuples  les  écoutent  avec 
un  respect  incroyable.  Le  révérend  Père  Allouez,  qui 
entend  six  langues  sauvages,  en  a  plus  particulièrement 
le  soin;  et  comme  ces  pauvres  gens  n'avaient  jamais 
▼u  de  Français,  ils  vont  au-devant  de  lui  les  mains 
jointes,  s'inclinant  et  l'appelant  le  bon  Manitou,  qui  est 
an  nom  d'honneur.  Ces  peuples  sont  les  plus  éloignés 
et  les  derniers  découverts.  Ce  Père  qui  les  instruit  est 
un  miracle  de  la  grâce;  à  le  voir  on  dirait  qu'il  n'a  ni 
force  ni  santé,  et  cependant  il  est  infatigable,  et  on  ne 
peut  rien  voir  de  plus  laborieux.  L'on  a  encore  décou- 
vert une  autre  nation  qui  aboutit  à  des  peuples  innom- 
brables. Le  révérend  Père  Marquet  y  a  été  envoyé,  et 
parce  que  la  moisson  est  grande,  l'on  a  envoyé,  tant 
à  lui  qu'aux  autres,  un  secours  considérable  d'ouvriers. 

Il  est  arrivé  une  chose  bien  remarquable  et  qui  a 
donné  une  grande  estime  du  baptême  en  la  mission  du 
révérend  Père  Dablon.  Un  enfant  mourut  incontinent 
après  avoir  reçu  ce  sacrement  ;  et  comme  la  terre  était 
toute  couverte  de  neige,  en  sorte  que  ses  parents  ne  le 
pouvaient  mettre  en  terre,  ils  relevèrent  en  Tair  sur 
un  échafaud,  où,  pour  lui  faire  honneur,  ils  l'ornèrent 
et  entourèrent  de  peaux  et  de  porcelaines.  Une  nuit, 
les  loups  affamés,  sentant  l'odeur  d'un  corps  mort, 


446  LBTTRBB 

•ortireiit  du  bois  ait  montèrent  rar  Fédiafkad.  Ib  à&T(h 
f^mit  l6B  peaux»  iM  porcelaines,  et  toot  oe  qjûâ  onsit 
fenjfiutt,  jnais  ils  ne  tonchôrent  point  à  ce  pettt;  ange. 

Le  matin  étant  yenn,  les  sauvages  Tinrent  voir  cette 
merveille,  et  tons  commencèrent  à  loner  et  «rtimer  le 
saint  baptême.  Ce  miracle  n*a  pas  seal0m^  eu  son 
effet  an  lien  où  il  est  arrivé,  mais  s'étant  répanda  dans 
les  nations  voisines,  il  a  donné  partout  un  grand  crédit 
à  là  foi.  Gela  est  arrivé  au  lieu  où  f  on  a  fait  une  maison 
fijtô  pour  assembler  les  missionnaires  de  temps  en 
tttnps,  et  où  on  leur  porte  d*ici  tous  leurs  besoins. 

l^ur  ce  qui  est  des  afEaires  temporelles,  le  rot  fait 
ici  de  grandes  dépenses,  il  a  encore  envoyé  cette  année 
cent  dnquante  filles  et  un  grand  nombre  de  soldats  et 
d*o£SicbMrs  avec  des  chevaux,  des  moutons  et  des  chèvres 
pour  peupler.  M.  Talon  fait  exactement  garder  les 
ordres  du  roi.  Il  a  commandé  qu'on  fasse  des  chanvres, 
des  toiles  et  des  serges;  cela  a  commencé»  et  grossira 
peu  à  peu .  Il  fait  faire  une  halle  à  Québec,  une  brasserie 
et  une  tannerie  à  cause  du  nombre  prodigieux  de  bêtes 
qu'il  y  a  en  ce  pays.  Ces  manufactures  n'étaient  point 
en  usage  par  le  passé  en  Canada,  mais  si  elles  réus- 
sissent elles  diminueront  beaucoup  les  grandes  dépenses 
qu'il  faut  faire  pour  faire  tout  venir  de  France.  L'on 
presse  tant  qu'on  peut  les  femmes  et  les  filles  d'appren- 
dre à  filer.  On  veut  que  nous  l'apprenions  à  nos  sémi- 
naristes, tant  françaises  que  sauvages,  et  on  nous  oflSre 
de  la  matière  pour  cela. 

L'on  introduit  encore  un  triple  commerce  en  France, 
aux  îles  de  l'Amérique  et  à  Québec.  Trois  vaisseaux 
chargés  de  plauches  de  pin,  de  pois  et  de  blé  d'Inde 
voDt  partir  pour  aller  aux  îles  ;  là  ils  déchargeront  leurs 
marchandises  et  se  chargeront  de  sucre  pour  la  France, 


DE  LA  MÉRB  MARIB  DB  L'iNCARNATION  .  447 

d*où  ils  rapporteront  ici  les  choses  nécessaires  pour 
fournir  tout  le  pays.  Et  ce  triple  commerce  se  fera  en 
un  an.  L'on  fait  encore  la  pêche  des  morues  à  cent 
lieues  d'ici,  laquelle  étant  bien  entretenue  produira  des 
revenus  immenses.  Voilà  pour  faire,  avec  le  temps, 
on  grand  pays  qui  enrichira  les  marchands.^  Pour 
nous,  notre  fortune  est  faite  ;  nous  sommes  la  portion 
de  Jësus- Christ,  et  Jésus-Christ  est  notre  portion,  et 
nos  gains  sont  de  tâcher  à  le  posséder  en  pratiquant  nos 
Règles  et  faisant  ses  volontés.  Priez  la  divine  Msgesté 
de  nous  faire  cette  grâce. 

Il  y  a  quelque  temps  qu'un  Français  de  notre  Tou- 
raine,  nommé  des  Groiseliers,  se  maria  en  ce  pays;  et 
n'y  faisant  pas  une  grande  fortune,  il  lui  prit  une 
fantaisie  d'aller  en  la  Nouvelle-Angleterre  pour  tâcher 
d'y  eh  faire  une  meilleure.  Il  y  faisait  l'homme  d'esprit, 
comme  en  efifet  il  en  a  beaucoup.  Il  fit  espérer  aux 
Anglais  qu'il  trouverait  le  passage  de  la  mer  du  Nord. 
Dans  cette  espérance,  on  l'équipa  pour  l'envoyer  en 
Angleterre,  où  on  lui  donna  un  vaisseau  avec  des  gens, 
et  tout  ce  qui  était  nécessaire  à  la  navigation.  Avec 
ces  avantages  il  se  met  en  mer,  où  au  lieu  de  prendre 
la  route  que  les  autres  avaient  coutume  de  prendre, 
et  où  ils  avaient  travaillé  en  vain,  il  alla  à  contre-vent, 

(1)  Ces  détails  et  ce  que  l'on  a  vu  dans  les  lettres  précédentes  bous  montrent 
la  xèle,  l'intelligence  et  les  vues  élevées  de  Louis  XIV  et*  de  son  gouvernement 
dans  la  colonisation  du  Canada.  On  veut  créer  une  source  de  richesses  et  de 
prospérités  pour  la  mère-patrie  ;  mais  on  cherche  en  même  temps  les  vrais  et 
■olides  avantages  et  des  colons  et  des  indigènes.  On  ne  fait  pas  consister  le 
bonheur  humain  dans  la  fortune  et  le  bien-être  matériel  ;  on  sait  que  l'homme 
act  créé  à  l'image  de  Dieu  et  destiné  au  ciel,  et  l'on  a  pour  sa  haute  dignité  le 
rMpect  et  les  égards  qui  lui  sont  dûs.  Voilà  pourquoi  on  considère  la  foi  catho- 
liqae  et  le  sentiment  religieus  comme  des  éléments  indispensables  d'une  coloni- 
sation sérieuse  et  solide. 


n 


*-v 


1  f 


448  LETTRES 

ei^  id  bldUr^^be^hé  qu;il  a  trouyë  la  giwMle  JipiM  dn 
^to^^•^^ y*  tfa^v4,mi  gran4  peuplât  et  a  çhwsg&ti» 
jki^ifj^fin,  9m  mnvm  de  pelleterie  pbor  dm  MPunes 
i)llO|eii8e9i.  p  est  retourné  ea  Angleterre,  qîl  h^mM, 
ac4ctt|Aé  *râBgt,jaiUe  ëcus  de  récompeiiiset.^  Ta  ^Int 
l^ir^Uer  de  la  Jarretière,  que  Ton  dH  prenne  dl9#§ 
fort  honorable»  Il  a  prif  possession  40;  69  «grai4fpl|i 
|io||i:4e  W|i  44ngleterre,  et  pour  sw  partieuUfirle  mM 
^^in^ç^eiitpçadçt^pa.  L'on  a  fait  pne  gazette  ei(  J^â^ 
terre  ponr  louer  cet  aventûneir  français.  ^  Il  4tmk  Imai 
J9^.quand  ihyyfkt  ^4»  ^t  fit  grande  connsissanoe  iivee 
mp^tant  è^  capse  do  la  patrie,  qu'en  ccmsldératioii  dkone 
de  siQS  Itères  de  Tours,  chez  le  père  de  laquelle  il  wnià 
demeuré.  Sa  femme  et  ses  enfemts  sont  encwe  i<». 

De  Québec,  le  27  iaoùt  1670. 


LETTRE    CCVI. 

A   LA   SUPÉRIEURE   DES   URSULINES   DE   TOURS. 
(La  Mère  Joubert  de  Saint- Joseph,) 

ElU  la  félicita  <!•  ce  qa'elU  est  déchargée  de  sa  supériorité.  —  ATintâg»  dt 
cettx  qui  ne  sont  point  en  charge.  —  Hiver  rigoureux  de  cette  année  m 
Canada. 

Ma  révérende  et  très-chôre  Mère, 

Vous  avez  bien  raison  de  vous  réjouir  d'être  dégagée 
de  votre  charge,  aussi  bien  que  moi  qui  le  sais  de  la 
mienne,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  dès  le  douzième 
de  mars  dernier.  Je  soupirais  depuis  longtemps  après 


DB  LA  MÈRB  MARIE  DB  l'IN CARNATION.  449 

ce  bonhenr.  Pais  donc  que  vous  et  moi  avons  ce  que 
nous  avons  souhaité,  bénissons  Celui  qui  a  rompu 
nos  liens,  et  jouissons  avec  action  de  grâces  de  la  paix 
qu'il  nous  donne.  Je  vous  assure,  chère  Mère,  que  la 
charge  d'autrui  est  pesante  quand  Ton  pense  qu'on  aurait 
assez  de  soi  à  garder  :  et  je  ne  m'étonne  plus  de  la  plainte 
que  fait  l'Epouse  des  Cantiques,  en  disant  :  qu'on  Ta  faite 
la  gardienne  des  vignes,  et  quelle  a  bien  de  la  peine  à  garder 
la  Henné.  Vous  expliquerez^  mieux  ce  passage  que  moi, 
c'est  pourquoi  je  le  laisse  à  votre  méditation.  Cepen- 
dant tirons  avantage  de  la  grâce  que  Dieu  nous  fait  en 
ce  point.  Je  ne  suis  pas  néanmoins  si  libre  que  je  n'aie 
encore  un  petit  troupeau  à  gouverner  aussi  bien  que 
vous  :  ce  sont  nos  jeunes  professes  et  nos  novices,  qui 
sont  en  tout  au  nombre  de  sept.  Priez  pour  elles,  et  je 
n'oublierai  pas  les  vôtrea. 

Tous  les  hivers  sont  fort  froids  en  ce  pays,  mais 
le  dernier  l'a  été  extraordinairement ,  tant  pour  sa 
rigueur,  que»  pour  sa  longueur,  et  nous  n'en  avons  point 
encore  expérimenté  un  plus  rude.  Tous  nos  conduits 
d'eaux  ont  gelé,  et  nos  sources  ont  tari,  ce  qui  ne  nous 
a  pas  donné  peu  d'exercice.  Au  commencement  nous 
faisions  fondre  la  neige  pour  avoir  de  l'eau,  tant  pour 
nous  que  pour  nos  bestiaux;  mais  il  en  fallait  une  si 
grande  quantité  que  nous  n'y  pouvions  suffire.  Il  a  donc 
fallu  nous  résoudre  d'en  envoyer  quérir  au  fleuve  avec 
nos  bœufs,  qui  en  ont  été  presque  ruinés  à  cause  ^e 
la  montagne  qui  est  fort  droite  et  glissante.  Il  y  avait 
encore  de  la  glace  dans  notre  jardin  au  mois  de  juin  : 
nos  arbres  et  nos  entes  qui  étaient  de  fruits  exquis  en 
sont  morts.  Tout  le  pays  a  fait  la  même  perte,  et  particu- 
liôrement  les  Mères  Hospitalières,  qui  avaient  un  verger 
des  plus  beaux  qu'on  pourrait  voir  en  France.  Les  arbres 

CBTTK.    M.    II.  29 


450  LSTTRKB 

qui  portent  de»  fhilts  sauvages,  ce  sont  i>a#  morts;  aim 
Dieu  nous  privant  des  délicatesses,  et  nous  laissant 
le  nécessaire,  veut  que  nous  demeurions  dans  notn 
mortification,  et  que  nous  nous  passions  des  donœan 
que  nous  attendions  à  l'avenir.  Nous  y  sommes  aooon* 
tumées  depuis  trente  et  nn  an  que  nous  sommes  ea 
Cis.pays,  en  sorte  que  nous  avons  eu  le  loisir  d'oublier 
les  douceurs  et  les  délices  de  l'anciennâ  France'. 

De  Québec,  le  î"  de  septembre  Î670. 


LETTRE   CCVn. 


A   OME   RELIGIEUSE   URSULINE   DE    TODHS. 
iLa  Mire  FrvnçoUe  de  Salra-On'matn.) 


BlU  lui  nod  compta  da  m  diepoiition  tant  iDUrienra  qnTextéria&ra,  at  «II*  tA 
en  peu  d«  moU  l'éloge  de  la  Uère  Muie  de  UNatiritè. 


Ma  révérende  et  trôs-cbôre  Mère. 

Votre  lettre,  que  j'ai  reçue  avec  joie,  m'a  encore 
trouvée  en  ce  monde.  Dieu  veuille  que  ce  soit  ponr  sa 
gloire  !  Je  suis  sa  victime,  il  m'immolera  selon  son  bon 
plaisir;  c'est  ce  que  j'attends  à  tous  moments,  mon  âge 
xt^j.  oblige.  Vous  voulez  que  je  vous  dise  ma  disposition: 

dit  toms  1",  p*ge  203,  qa't  Québec  na  trçàà  ds  trmi 

au-deuoo*  de  liro  n'est  pu  regarda  comms  eiCMiif  :  p<n' 

,  en  «ff«t,  que  le  Ihennomètre  deacend  plut  bu.  Il  d'm(  m 

la  nvercute  gelei,  ca  qid  luppoie  bu  moïnt  qurule  dtfrti 


DE  LA  MÊRB  BiARIE  DE  L'INCARNATION  .  451 

j'ai  passfé  l'hiver  en  assez  bonne  santé,  en  sorte  qae 
Dieu  m'a  fait  la  grâce  de  jeûner  le  carême.  Quinze 
jours  après,  j^âî'  eu  une  petite  maladie  qui  a  donné 
l'alarme  à  mes  sœurs,  car  dès  qu'on  nie  Voit  un  peu 
mal,  on  croit  que  je  vais  mourir.  J'en  suis  revenue  par 
de  certaines  poudres  chimiques  qui  ont  diminué  de 
moitié  cette  grande  amertume  de  bouche  qui  m'était 
restée  de  ma  grande  maladie.  Voilà  pour  ma  santé,  ma 
chère  Mère  ;  mais  pour  la  sainteté ,  j'y  vais  à  pas  de 
plomb.  Cependant  je  touche  la  soixante  et  onzième 
année  de  mon  âge  ;  il  est  temps  d'y  travailler  ou  jamais. 
Priez  notre  bon  Jésus  ,  qu'il  me  donne  des  grâces 
efficaces  pour  cela. 

Je  me  conjouis  avec  vous  du  succès  de  votre  élection, 
à  laquelle  Dieu  a  donné  bénédiction  par  le  choix  que 
vous  avez  fait  de  ma  révérende  Mère  Ursule.  La  nôtre 
s'est  faite  avec  un  semblable  succès  par  le  choix  de  ma 
révérende  Mère  de  Saint-Athanase.  Cette  élection  n'a 
rien  changé  dans  les  cœurs.  Vous  béniriez  Dieu  de  voir 
la  grande  paix  et  la  sincère  union  dont  nous  goûtons 
les  douceurs.  Certes  si  Dieu  fait  sa  demeure  dans  la 
paix,  nous  devons  bien  croire  qu'il  habite  dans  notre 
petit  Séminaire;  et  c'est  un  trésor  que  nous  estimons 
plbs  qii^'tous  cèuxde  la  terre. 

Oté  la  nécessité  que  nous  avons  tous  de  mourir,  je 
dirais  que  vous  s.teÈ  fait  une  grande  perte  par  la  mort 
de  ma  chère  Mère  Marie  de  la  Nativité.  C'était  une  âme 
vraiment  assujettie  à  Dieu.  Je  ne  sais  aucune  particu- 
lai^fté  dé  ÈSL  mort  qiie  celles  que  j'ai  apprises  par  sa  lettre 
cîrcûlaire,  qui  est  courte,  mais  onctueuse  et  succulente. 
L'on  eh  aurait  néanmoiiisi  pu  dire  encore  davantage; 
mais  j'ai  présumé  qu'on  avait  réservé  de  parler  de  ses 
grandes  vertus  dans  les  Annales  de  notre  Ordre,  ou 


452  LETTRES 

dans  quelque  autre  (iessein  :  la  sainte  volonté  de  Dieu 
soit  faite.  Quoiqu'il  en  soit,  je  la  crois  grande  dans  le 
ciel,  et  j'invoque  son  secours  et  sa  médiation  auprès 
de  Dieu,  aân  qu'il  me  conduise  dans  les  voies  de  la 
véritable  sainteté. 

De  Québec,  te  2  de  septembre  1670. 


LETTRE  CCVIII. 

A    LA.   SUPÉRIEURE   DES    URSULINES   DR   HONS. 
ILa  Mère  CicUe  <te  Saint-Joteph.) 

Elle  la  raiii«rcis  da  différents  cadEaai,  «t  «lie  lai  damanda  la  liite  dei  mabou 
d'Ureutines  lortiei  de  Liège.  —  Le  cardinal  de  Sonrdit,  par  eommiiuon  di 
Saint-Siéfe,  a  agrégé  ft  la  CoDgrégation  de  Bordssui  tontes  l«i  maisoM 
d'Ur^uliaes  aortles  de  Liège.  —  Union  étroite  de  charité  entre  la  Congr*- 
gfttion  de  Pari*  et  celle  de  Bordeani.  —  NouTellea  da  paja.  —  Ella  iMni* 
la  Via  d'Anne  de  Beauvaii. 


Jësus,  Marib,  Joseph. 
De  notre  Monastère  de  Québec,  le  12  de  septembre  1670. 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 
Jésus  soit  notre  vie  et  notre  amour  ponr  l'éternité. 
C'est  avec  nn  sentiment  de  joie  que  j'ai  reçu  votre 
■£lière  lettre,  puisque  mon  cœur  se  sent  uni  à  vôtre 
dphère  persoDne  très-particulièrement.  Je  suis  étonnée 
vous  n'ayez  pas  reçu  celle  qae  je  me  donnai  l'hoD- 
teur  de  vous  écrire,  le  révérend  Père  Pierron  V&yant 


DE  LA  MÈRR  MARIK  DR  L'lNCARNy\T10N.  453 

mise  dans  le  paquet  qu'il  adressait  au  révérend  Père 
Pierron  son  frère,  aussi  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
auquel  vous  aviez  confié  celle  que  vous  eûtes  la  bonté 
de  m'écrire.  J'ai  reçu  la  vôtre  de  cette  année  par  un  des 
révérends  Pères  qui  est  venu  en  ce  pays,  avec  votre 
boîte  de  petite  Jésus  et  les  images  qui  étaient  dedans. 
Vous  êtes  trop  obligeante,  ma  très- chère  Mère,  de 
vouloir  bien  vous  souvenir  de  vos  Sœurs  qui  sont  si 
éloignées  de  vous,  et  de  moi  en  particulier,  qui  mérite 
l'oubli  des  saintes  âmes.  Je  loue  votre  dévotion  à  la 
sainte  enfance  de  Jésus;  l'on  y  est  grandement  dévot 
en  ce  pays;  mais  ce  n'est  pas  en  la  pratique  du  vingt- 
cinquième  des  mois,  cela  est  enclavé  en  une  Confrérie 
à  la  Sainte-Famille;  c'est  notre  grande  dévotion.  Une 
personne  de  France  nous  en  a  envoyé  un  très-beau 
tableau,  qui  est  en  notre  chœur  (car  nous  tenons  chœur 
ici  comme  en  nos  maisons  de  France).  Votre  petit  Jésus 
est  très-beau,  l'on  nous  en  envoie  de  France  qui  n'en 
approchent  pas;  plusieurs  de  mes  Sœurs  en  ont  dans 
leurs  chambres.  Je  vous  remercie  très- humblement  de 
votre  charitable,  présent  et  des  bonnes  volontés  que 
vous  conservez  pour  nous.  Si  vous  avez  la  bonté  de 
nous  écrire  j'ai  trouvé  une  voie  assez  sûre,  c'est  par 
le  moyen  de  M.  Talon,  intendant  pour  le  roi  en  la 
Nouvelle-France.  Il  a  eu  de  grandes  commissions  en 
Flandre  de  la  part  de  Sa  Majesté  ;  il  a  bien  des  intelli- 
gences en  ces  pays,  car  il  m'a  dit  qu'il  a  été  en  votre 
maison  et  qu'il  y  a  deux  des  filles  d'un  de  ses  amis. 
Il  m'a  promis  de  vous  faire  tenir  mes  lettres,  et  de  vous 
envoyer  une  adresse  pour  les  réponses.  Par  celle  que 
je  vous  écrivis  l'année  passée  je  répondais  à  toutes  vos 
questions  fidèlement,  et  je  vous  faisais  des  demandes 
sur  la  manière  dont  vous  êtes  établies  dans  les  lieux 


454  LETTHE» 

OÙ  vnus  êtes,  et  si  vous  étiez  sorties  de  notre  couvent 
de  Bordeaux.  J'ai  reçu  cette  année  une  lettre  de  ia 
révérende  Mère  de  la  Roque,  prieure  de  ce  Monastère, 
qui  m'en  a  instruite,  ce  qui  m'a  donné  une  consolatioa 
bien  grande  de  ce  que  notre  saint  Ordre  est  dilaté  eu 
tant  d'endroits.  Cette  bonne  Mère  m'a  envoyé  une  liste 
de  toutes  nos  maisons  de  France  et  de  ce  qu'elle  connaît 
de  vos  quartiers,  avec  commission  de  vous  l'envoyer. 
Mon  aimable  Mère,  je  vous  supplie  s'il  y  a  quelques  uns 
de  vos  Monastères  qui  y  eoient  omis,  de  m'en  envoyer 
le  nombre  et  les  lieux  de  leur  situation,  pour  les  ajouter 
à  la  liste  que  je  vous  envoie.  Cette  bonne  Mère  prieure 
de  Bordeaux  est  ravie  de  savoir  que  nous  avons  l'hon- 
neur do  votre  communication .  elle  vous  salue ,  et 
embrasse  toutes  les  saintes  religieuses  qui  sont  sorties 
de  Liège  ;  elle  m'a  chargée  de  vous  demander  ai  la 
révérende  Mère  de  Maipreu  et  la  révérende  Mère  Pria- 
que,  avec  lesquelles  notre  révérende  Mère  de  la  Croix 
avait  grande  communication,  et  qui  les  aimait  d'une 
tendresse  admirable ,  sont  en  vie.  Cette  bonne  Mère 
de  la  Roque  dont  je  vous  parle  est  sa  chère  fille,  qui 
était  entrée  au  noviciat  à  douze  ans;  il  y  a  cinquante- 
huit  ans  qu'elle  est  religieuse;  elle  vous  supplie,  si 
la  révérende  Mère  Prisque  vit  encore,  de  lui  présenter 
son  très -affectionne  salut;  elles  se  sont  souvent  écrit 
l'une  à  l'autre,  et  celle-ci  le.  continuerait  sans  la  diffi- 
cnlté  des  voies.  Cette  bonne  Mère  me  dit  que  vous  êtes 
nos  véritables  Sœurs  et  que  ça  été  Mgr  le  Cardinal 
de  Sourdis  qui,  par  commission  du  Saint-Siège,  vous 
a  incorporées  en  notre  Congrégation  ;  Dieu  en  soit  béni 
éternellement,  mon  aimable  Mère.  Demeurons  donc 
en  cette  sainte  union,  je  vous  en  conjure  pour  l'amour 
de  Dieu.  La  révérende  Mère  de  la  Roque  me  charge 


DE  LA  MERE  MAEUB  DE  L  INCARNATION .  455 

encore  de  vous  dire,  <itie  dans  le  livre  de  la  chronologie 
de  rOrdre  des  Ursulines,  qui  se  fait  au  couvent  du  fau- 
bourg Saint-Jacques  à  Paris,  vous  êtes  placée  avec 
notre  couvent  de  Bordeaux  comme  une  des  glorieuses 
émanations  que  le  Saint-Esprit  en  a  tirées  et  qu'il  nous 
a  mises  au  cœur  comme  un  lien  indissoluble.  Cette  chro- 
nologie qui  se  fait  à  Paris  est  fort  avancée,  et  n*est  pas 
prête  d*être  achevée.  Les  maisons  de  notre  Congrégation 
y  envoient  leurs  mémoires  pour  les  choses  remarquables 
de  leurs  Sœurs  défuntes.  Notre  Congrégation  est  fort 
unie  à  celle  de  Paris.  L'une  étant  très-conforme  à  l'autre, 
nous  n'avons  point  eu  de  peine  de  nous  unir  avec  leurs 
Sœurs  qui  sont  avec  nous  ;  il  semble  dans  les  mœurs, 
fonctions  et  accord  en  toutes  choses,  que  nous  soyons 
sorties  d'une  même  maison.  Il  y  a  d'autres  couvents 
et  congrégations  d'Ursulines  en  France,  mais  il  n'y  a 
pas  semblables  rapports;  outre  que  ce  sont  les  deux 
Congrégations  les  plus  nombreuses,  celle  de  PàHs 
a  bien  autant  de  couvents  que  la  nôtre  ;^  elles  nous 
écrivent  de  toutes  parts  et  nous  ont  rendu  bien  de 
l'assistance  pour  nous  aider  en  nos  chères  Canadiennes. 

(1)  Od  voit  par  cette  Lettre,  et  par  plusieurs  autres,  que  la  Mère  Marie  de 
rincarnatloD  s'est  regardée  toute  sa  vie  comme  appartenant  &  la  Congrégation 
de  Bordeaux.  Mais  à  ses  yeux  c'était  un  simple  fait  historique,  sans  importance, 
quant  aux  relations  et  aux  témoignages  de  charité.  Pour  son  cceur,  toutes  les 
Ursulines  étaient  des  sœurs,  sans  distinction  de  telle  ou  telle  Congrégation.  Qu'il 
nous  soit  permis  d'exprimer  le  vœu  que  ces  dispositions  si  conformes  &  Tesprit  de 
Notre-Seigneur,  et  qui  sont  générales  dans  ce  saint  Ordre,  animent  toutes  les 
filles  de  sainte  Angèle  sans  une  seule  exception.  Peut-être  serait-il  hon  que  le 
mot  même  de  congrégation  fut  relégué  dans  l'histoire,  et  qu'il  ne  fût  ni  prononcé, 
ni  écrit,  ni  insinué  dans  les  relations  de  churité  f 

Il  paraît,  d'après  ce  que  dit  la  vénérable  Mère,  qu'à  l'époque  où  elle  écrivait, 
les  Congrégations  de  Paris  et  de  Bordeaux  avaient  moins  d'intioûté  avec  les 
antres  qu'entre  elles.  Nous. pouvons  dire,  très-heureusement,  qu'il  n'en  est  plus 
de  même  aujourd'hui. 


\ 

456  LETTRES 

Il  était  parti  deux  révéreDds  Pères  Jésuites  de  vos 
quartiers  pour  les  missions  des  sauvages,  il  y  en  a  on 
nommé  le  révérend  Père  Robo,  lequel  a  tellement  fatigué 
à  assister  les  soldats  malades  de  son  navire,  qu*il  en  est 
mort  lorsqu  il  arriva  au  premier  port  du  Canada,  où  est 
une  des  belles  missions  ;  on  le  mit  à  terre  où  il  rendit 
l'esprit;  ainsi  il  fit  là  son  sacrifice,  sans  passer  plas 
avalât,  comme  un  autre  saint  François-Xavier;  il  moanit 
seul,  assisté  d'un  bon  frère.  Le  révérend  Père  Crépieal 
nous  a  dit  que  le  Père  Robo  avait  deux  cousines  en 
Flandre,  qui  avaient  grand  désir  d'être  avec  noas; 
l'on  en  a  même  parlé  à  Mgr  notre  digne  Prélat,  je  ne 
sais  s'il  répondra  à  ce  point.  Goname  nous  dépendons 
de  lui,  et  que  le  révérend  Père  Robo  est  mort,  on  ne 
nous  a  pas  pleinement  informées  de  cette  affaire.  Si 
cela  avait  pu  réussir  nous  aurions  embrassé  ces  chères 
filles  d'un  grand  cœur,  comme  nos  très-chères  et  Men- 
ai mées  Sœurs. 

Puisque  M.  Talon  m'a  assurée  de  faire  parvenir  nos 
lettres  et  les  réponses,  suivant  son  billet  d'adresse,  si 
vous  avez  pour  agréable,  ma  très- chère  Mère,  de  nous 
honorer  de  vos  lettres  et  de  nous  envoyer  quelque  chose, 
vous  pouvez  prendre  cette  voie.  Nous  serons  bien 
consolées  d'avoir  le  livre  (la  Vie)  de  la  vénérable  Mère 
Anne  de  Beau  vais.  ^ 

.  Nous  avons  un  mortuaire  (nécrologe)  fort  bien  fait, 
conforme  aux  Rubriques;  je  vous  remercie  très- hum- 
blement de  votre  bonne  volonté.  On  nous  l'a  envoyé 
de  France;  l'on  n'imprime  point  encore  en  ce  pays; 
il  nous  a  fallu  faire  des  Règlements  convenables  pour 
cela,  et  bien  qu'ils  ne  soient  qu'à  la  main,  Mgr  notre 


(1)  Voir  d-dasfiM  oim  note  à  la  Lettre  CCI,  page  423. 


DB  LA  M£RB  marie  DE  l'INGARN ATION .  457 

Prélat,  qui  est  vicaire  apostolique,  les  a  approuvés, 
c'est  comme  si  Rome  y  avait  passé.  De  sa  même  auto- 
rité il  a  approuvé  notre  établissement  en  Canada. 

Un  grand  Jésus  de  cire  se  romprait  à  cause  des  chocs 
qui' se  souffrent  dans  un  si  long  trajet;  nous  serions 
ravies  d*en  avoir  un  beau;  mais  c'est  dommage  de 
risquer.  Je  vous  rends  mes  très-humbles  remerciements 
de  votre  offre  charitable,  ma  très-chère  Mère,  comme 
de  toutes  les  bontés  que  vous  avez  pour  nous  ;  toutes 
mes  Sœurs  vous  présentent  leur  très- respectueux  salut 
et  vous  rendent  très-humble  grâce  de  votre  souvenir; 
permettez-moi  de  saluer  votre  sainte  et  religieuse  Com- 
munauté, que  j*honore  et  respecte  beaucoup. 

Toutes  les  missions  ont  de  nouvelles  bénédictions 
de  Dieu,  pour  les  grandes  conversions  qui  se  font  par 
les  travaux  de  nos  révérends  Pères;  cest  une  chose 
étonnante  de  voir  jusqu  oti  vont  ces  grands  serviteurs 
de  Dieu,  qui  trouvent  jusque  dans  les  extrémités  du 
monde  des  peuples  qui  se  rendent  dociles  à  écouter  la 
doctrine  sainte  qu'ils  leur  enseignent. 

Nous  avons  de  jolies  séminaristes  de  trois  nations; 
nous  leur  apprenons  à  vivre  à  la  française,  à  lire  et 
à  écrire  ;  ce  sont  les  délices  de  nos  cœurs,  je  les  recom- 
mande à  vos  saintes  prières.  Soyez  donc  persuadée  que 
vous  êtes  bien  proche  de  mon  cœur  et  que  c'est  sans 
réserve  que  je  vous  y  suis  en  celui  de  Jésus,  ma  révé- 
rende et  très-intime  Mère,  très-humble,  obéissante  et 
obligée  servante. 

Sœur  Marie  de  Tlncarnation,  R.  V. 

Je  suis  sortie  de  la  charge  de  supérieure  du  mois 
de  mars  dernier,  mes  six  ans  étant  finis;  celle  qui  l'était 


levant  mm  y  ^*  estréet  ez  mot 
;'oii  m'a  encore  ctULiWùÊi  «le»  ieiAU&a 
novices:  unes  U'wa^  ma.  chère  M&dk. 
!a  erâce  rie  aren  hies  acomtcsi  D 
mes  es  ce  payn»  aotr&  revéFeiBie  jidËce 
%Tf)ii0  succédé  t'cEZxa  a  i'aaire  eiL  la 
rxiaifl9ii  :  je  coinmffnfatt  en  anrraoc 
le  Samt-JosniL  le  naam  m 


iBBBiKe  ift^  "Ghiib  «I  h 


Mère  Céeiie  ae  SaifiiB-^iiciHx:  neiigseBiK 
tarent  domiâea  pour  ^ ;iMiiii^a   j^ 


lettre:  cciiL 


iC  HXVEBHTID 


41  :^««  * 


40  Dî€8  rar  elle  a  awieti»  -éÈé  m  la  ssBimiEe  co:  ^sfie  ai 

vy.r  les  amalVEUcâ  ie  -*â:;:&  ârin^  xsnnîtxiKL  TnBSfxeUe 
<»  fiY*  »  f!*Kr^  imafiisssiaiHiifsrc.  ITnr  un»  »fe  qse 
y^vw  hnrîêsf  ^^afis^î»»}^  î*  *asL  oi  vn»  &»:  s^iat.  oeo 
<#éi^  dbftr  F99f«f.  MI  pênes  fi^ 
Hmum  éâÊÊÊ  la  trfakaiflMlde  vuksité  Ae  Diea. 


DE  LA  MERE  MARIE  DE  L INCARNATION.  4^9 

La  révérende  Mère  de  Sainte- Catherine  de  Sienne, 
supérieure  des  Ursulines  de  Saint-Denis,  me  mande 
que  ni  elle»  ni  ses  bonnes  sœurs  n*ont  pas  encore  perdu 
Tespérance  dexécuter  leur  dessein  pour  la  Martinique. 
Je  prie  Dieu  qu*il  réussisse  si  c  est  pour  sa  gloire  :  pour 
pous,  nous  nous  contentons  de  notre  pauvre  Canada, 
qm  se  multiplie  beaucoup.  Pour  cela  nous  demandons 
des  religieuses  en  France  pour  nous  aider,  quoique 
xi0!;is  soyions  déjà  vingt-deux.  Votre  Révérence  appren- 
dra, par  la  Relation,  les  admirables  progrès  de  la  foi 
par  les  travaux  excessifs  et  par  le  zèle  incomparable 
de  vos  Pères,  Les  révérends  Pères  Récollets  sont  un 
nouveau  secours  au  pays  pour  les  Français  seulement, 
mais  Qon  pas  pour  les  missions,  où  Tesprit  de  leur 
Ordre  ne  les  porte  pas  tant. 

Quant  à  la  Mère  de  Saint- Augustin ,  de  la  vie  de 
laquelle  vous  me  demandez  mon  sentiment,  je  vous 
dirai  entre  vous  et  moi  que  je  ne  suis  pas  trop  savante 
en  ses  affaires.  Je  sais  seulement  quà  son  extérieur 
elle  était  dans  la  vie  commune,  comme  une  bonne 
religieuse  doit  être.  Lorsqu'elle  était  en  santé  (car  elle 
était  presque  toujours  malade)  elle  était  une  fidèle 
ol;)servatrice  de  ses  Règles.  Mais  depuis  que  j*ai  su  les 
étranges  tentations  et  les  pwsécutions  atroces  que  les 
démons  lui  avaient  suscitées  jour  et  nuit  Tespace  de 
seizp  ans,  j*ai  cru  que  c'était  là  sa  plus  grande  maladie  : 
je  rappelle  grande,  parce  qu'elle  était  tellement  atténuée, 
qa*elle  n*avait  que  la  peau  collée  sur  les  os.  Je  Tai  vue 
en  quelque  occasion,  et  j'attribuais  cet  état  de  langueur 
et  d'abattement  à  sa  maladie,  comme  aussi  sa  supérieure 
et  sa  Communauté,  qui  n'avaient  nulle  connaissance, 
non  plus  que  moi,  de  ses  dispositions  intérieures.  Ce 
qve  Ton  en  couna^^ait  était  par  quelques  marques 


460  LETTRES 

extérienreB,  car  elle  était  très-cbarifable  aax  malades 
de  l'hôpital,  les  aidant  spirituel  le  ment  et  corporellemeDt 
d'noe  manière  admirable ,  ce  qai  la  faisait  aimer  et 
estimer  de  toas  ceux  qui  la  voyaient  agir.  Ce  qui 
augmentait  encore  l'estime  qu'on  en  avait  an  dehon, 
c'est  la  charité  qu'elle  avait  exercée  l'espace  de  deux 
ans  envers  une  fille  possédée  on  obsédée,  que  Mgr  notre 
Prélat  Ini  avait  mise  entre  les  mains,  car  elle  passait 
les  jours  et  les  nuits  auprès  d'elle  à  combattre  le  déouHi 
qui  la  tourmentait,  jusqu'à  ce  qu'enfin  elle  fut  délivrée 
par  l'intercession  du  révérend  Père  de  Brébeuf,  comme 
cette  même  fille  m'en  a  assurée.  Ce  même  révérend 
Père  a  beaucoup  aidé  cette  bonne  Mère,  et  l'on  dit 
qu'il  lui  apparaissait  souvent.  M.  de  Laoson  Tn'a  dit 
qu'elle  avait  retenu  plusieurs  œntaines  de  démon 
qui  attendaient  l'âme  d'une  personne  considérable  de 
Québec  à  la  sortie  de  son  corps,  afin  de  l'emporter  dans 
l'enrer;  mais  qu'elle  pria  tant  pour  la  personne  malade, 
que  l'on  eut  sujet  de  croire  qu'elle  était  morte  dans  la 
voie  de  son  salut.  J'ai  entendu  de  Mgr  notre  Prélat 
que  cette  bonne  Mère  était  l'âme  la  plus  sainte  qu'il  eôt 
connue;  il  en  pouvait  parler  comme  savant  (avec  con- 
naissance), car  c'est  lui  qui  la  dirigeait  dans  ces  cboset 
âxtraordioaires.  Mais  le  Père  Cbastelain  en  sait  plas 
qu'aDOon  autre,  parce  qu'il  était  son  Père  spirituel, 
et  elle  tni  déclarait  entièrement  les  secrets  de  son  cœur. 
Comme  on  ne  savait  pas  ce  qui  se  passait  en  son  âme, 
quelques  personnes  pourraient  avoir  la  pensée  qu'elle 
était  obsédée,  et  que  les  démons  lui  en  Tonlaient,  parce 
qu'elle  les  avait  étrangement  persécutés  lorsqu'elle  gar- 
k  dait  cette  pauvre  fille,  qu'ils  voulaient  perdre  d'honnear 
,  par  le  moyen  d'un  magicien  qui  se  rendait  invisible  i 
tout  autre  qu'à  elle-  La  révérende  Mère  Agnès  de  Saint- 


DE  i.A  MRRK  MaRIB  DE  L INCARNATION.  461 

Paul  accompagnait  cette  Mère  dans  ces  naits  si  pénibles, 
et  quelquefois  elles  étaient  obligées  de  coudre  cette  fille 
dans  un  sac  pour  la  mettre  à  couvert  des  importunités 
pressantes  de  ce  magicien  ;  ce  que  je  vous  dis,  je  le  dis 
assurément  (avec  assurance),  car  je  l'ai  appris  d'elles- 
mêmes/ 

De  vous  dire  mon  sentiment  sur  des  matières  si 
extraordinaires,  ainsi  que  vous  le  désirez,  je  ne  le  puis, 
et  je  vous  supplie  de  m'en  dispenser,  voyant  que  des 
personnes  de  science  et  de  vertu  y  suspendent  leur 
jugement,  et  demeurent  dans  le  doute,  n'osant  pas  se 
fier  à  de^  visions  extraordinaires  de  cette  qualité.  Le 
révérend  Père  Ragueneau  y  est  savant  (sait  ce  qui 
en  est)  et  la  tient  pour  bienheureuse,  parce  qu'elle  a 
toujours  été  fidèle  dans  ses  devoirs,  et  qu'elle  n'a  jamais 
cédé  au  démon,  sur  lequel  elle  a  toujours  été  victorieuse. 
J'estime  que  cette  fidélité  dans  ses  obligations  et  dans 
ses  combats  la  rende  grande  dans  le  ciel,  et  je  m'y 
appuie  plus  volontiers  que  sur  les  visions  que  j'en 
entends  dire.  Et  ce  qui  a  encore  étonné  les  personnes 
de  vertu  et  d'expérience,  c'est  qu'elle  n'a  jamais  dit  un 
mot  de  sa  conduite  à  sa  supérieure,  qui  est  une  personne 
trôs-éclairée,  d'une  grande  expérience  et  d'une  singu- 
lière vertu.* 

Mais  je  viens  à  moi-même,  mon  très-cber  Père  ;  que 
vous  dirai-je  de  cette  pauvre  pécheresse  qui  est  toujours 
telle  que  vous  l'avez  connue?  je  puis  vous  assurer  que 
dans  mon  estimative  (appréciation),  je  me  trouve  rem- 
plie de  défauts  qui  n'ont  point  de  pareils.  Ce  sont  de 


(1)  Voir  la  note  ci-dessas,  p.  378. 

(2)  Plua  loin,  dans  la  Lettre  CCXVII,  la  vénérable  Mère  explique  et  jnttifle 
la  réserve  de  la  Mère  de  Saint- Augastin  à  l'égard  de  sa  supérieare. 


46S  LETTRES 

certaines  vertus  qui  me  manquent  dans  nm  eondniie 
intérieure  pour  arriver  au  point  où  Dieu  me  v^t;  je 
me  vois  dans  l'impuissance  de  m'élever  dans  des  pra- 
tiques qui  me  sont  obscures,  et  que  je  ne  connais  quasi 
ipoint;  et  je  me  sens  dans  une  pauvreté  qui  m'anéantit 
sous  son  poids,  aux  pieds  de  sa  divine  Majesté. 

Avec  tout  cela  Dieu  fait  compatir  avec  cet  état  celai 
d*union  qui  me  tient  liée  à  sa  divine  Majesté  de|mik 
plusieurs  années,  sans  en  sortir  un  seul  moment.  Si  les 
affaires,  soit  nécessaires,  soit  indifférentes,  font  passer 
quelques  objets  dans  Timagination,  ce  ne  sont  qoe  de 
petits  nuages  semblables  à  ceux  qui  passent  sous  Id 
soleil,  et  qui  n'en  ôtent  la  vue  que  potir  quelque  pletit 
moment j  le  laissant  aussitôt  en  son  même  jour.  Et 
encore,  durant  cçt  espace.  Dieu  luit  au  fond  de  Tâme, 
qui  est  comme  dans  Fattente,  ainsi  qu'une  personoe^ 
qu'on  interrompt  lorsqu'elle  parle  à  une  autre  ;  et  qoi 
a  néanmoins  la  vue  de  celui  à  qui  elle  parlait.  Elle  est 
comme  l'attendant  en  silence^  puis  elle  retourne  dans 
son  intime  union.  Soit  qu'elle  se  trouve  à  la  psalndodie, 
soit  qu'elle  examine  ses  fautes  et  ses  actions,  ou  qu'elle 
fasse  quoique  ce  soit,  tout  va  d'un  même  air,  cest- 
à-dire  que  l'âme  n'interrompt  point  son  amour  actuel. 
Voilà  un  petit  crayon  de  la  disposition  où  cette  âme 
demeure  par  état;  et  c'est  sa  grâce  prédominante.  Les 
effets  de  cet  état  sont  la  paix  de  cœur  dans  les  événe- 
ments des  choses,  et  à  ne  vouloir  que  ce  que  Dieu  veut 
dans  tous  les  effets  de  sa  divine  Providence,  qui  anîvent 
de  moment  en  moment;  l'âme  y  expérimente  la  véritable 
pauvreté  d'esprit  ;  elle  y  possède  tous  les  mystères,  mais 
par  une  seule  et  simple  vue,  car  d  y  faire  des  réflexions, 
cela  lui  est  impossible.  La  pensée  des  anges  et  des  ssànU 
ne  peut  être  que  passagère,  car  un  moment  et  sans  y 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'IN CARNATION .  463 

penser  elle  oublie  toai,  pour  demeurer  dans  ce  fond  où 
elle  est  perdue  sans  aucune  opération  des  sens  intë^ 
rieurs.  Les  sens  extérieurs  ne  font  rien  non  plus  dans 
ce  commerce  intérieur.  L'âme  est  capable  de  toutes 
affaires  extérieures,  car  l'intérieure  opération  de  Dieu 
la  laisse  agir  avec  liberté.  Il  n'y  a  point  de  visions  ni 
d'imaginations  dans  cet  état  :  ce  que  vous  savez  qui 
m'est  arrivé  autrefois  n'était  qu'en  vue  du  Canada;  tout 
le  reste  est  dans  la  pureté  de  la  foi  (dans  la  foi  pure  et 
Due),  oti  pourtant  l'on  a  une  expérience  de  Dieu  d'une 
façon  admirable.  Voilà  ce  que  je  puis  vous  dire;  et  je 
vous  le  dis,  parce  que  vous  le  voulez;  mais  le  secret, 
3*11  vous  plaît,  et  brûlez  ce  papier,  je  vous  en  supplie. 
Priez  pour  moi  qui  mérite  l'oubli  de  toutes  les  saintes 
âmes. 

De  Québec,  le  17  de  septembre  1670. 


LETTRE  CCX. 

A  LA  SUPÉRIEURE  DES  URSULINES  DE  SAINT-DENIS  EN  FRANCE. 

{La  Mère  Marie  de  Sainte-Catherine.) 

Slle  coDtinae  de  l'exhorter  à  la  Mission  de  la  Martinique.  —  Les  Ursulines  de 
Québec  ont  le  désir  d'y  aller.  —  Nouvelle  élection  d'une  nouvelle  supérieure 
•n  Canada. 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 

J'avais  la  pensée  que  l'accident  arrivé  l'année  der- 
nière à  la  Martinique  aurait  rompu  votre  dessein,  ou 


464  LBTTRB8 

an  moins  qu'il  Taurait  fort  retardé.  Une  personne  de 
qualité  de  France  m*en  avait  parlé  de  la  sorte  dans  une 
lettre  qu'elle  m'avait  fait  Thonneur  de  m'éerire.  Msii, 
mon  aimable  Mère,  la  vôtre  m'a  donné  une  nouvelle 
joie  et  une  nouvelle  espérance,  et  tout  ensemble  on 
nouveau  motif  de  bénir  la  divine  Majesté  des  moyeni 
qu'elle  vous  présente  d'exécuter  ce  que  vous  aves  ri 
saintement  résolu  pour  sa  gloire  et  pour  le  salut  des 
âmes.  Les  personnes  d'honneur,  de  piété  et  d'autorité 
qui  vous  appuyent,    vous  feront  jouir  du  bien  qui 
semblait  être  perdu.  Que  je  sais  bon  gré  à  vos  géné- 
reuses filles  de  ne  craindre  ni  la  mer  ni  les  ouragans! 
Je  me  sens  unie  à  elles  dans  la  générosité  de  cœur 
qu'elles  font  paraître,  et  je  les  embrasse  en  esprit  en 
celui  de  notre  tout  aimable  Jâsus  ;  je  crois,  ima  toute 
chère  Mère,  que  vous  le  voulez  bien.  Si  l'on  en  voulait 
croire  nos  sœurs  canadiennes  elles  seraient  de  la  partie 
et  suivraient  volontiers  les  ouvriers  de  l'Evangile  ; 
mais  il  faut  qu'elles  se  contentent  de  nos  chères  sémi- 
naristes, dont  nous  avons  à  présent  une  belle  troupe 
que  nous  élevons  à  la  française. 

Si  vous  allez  à  la  Martinique  ce  vous  fera  un  grand 
avantage,  que  nous  n'avons  pas  eu  ici,  de  n'avoir  point 
d'autre  langue  à  étudier  que  le  baragouin  des  nègres, 
que  l'on  sait  dès  qu'on  l'a  entendu  parler.  Si  Dieu 
y  appellait  des  Ursulines  de  Canada  il  ne  leur  serait 
l)as  bien  difScile  d'y  aller,  à  présent  qu*il  y  a  commerce 
entre  les  marchands  de  Québec  et  ceux  de  TAmérique  ; 
et  actuellement  voilà  trois  vaisseaux  qui  partent  de 
notre  port  pour  y  aller;  mais  ma  très-chère  Mère,  il 
faut  nous  contenter  de  notre  petite  mission  canadienne^ 
et  vous  laisser  tout  Tbonneur  de  celle  que  vous  allez 
entreprendre  pour  la  gloire  de  Celui  qui  vous  y  appelle. 


DE  LA  MËRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  465 

Nous  lui  en  recommanderons  le  succès  de  très-bon 
cœur,  je  vous  en  assure;  et  que  notre  Communauté 
8*e8time  heureuse  d*être  unie  avec  la  vôtre. 

Nous    avons  fait  nos   élections  au  mois  de  mars 

4 

dernier.  Notre  révérende,  Mère  de  Saint- Athanase  a  été 
élue  en  ma  place,  et  nous  n'avons  fait  que  changer 
d'ofl3ce  elle  et  moi.  Elle  a  le  mien  et  j'ai  le  sien  :  mais 
elle  s'est  acquittée  de  celui  qu'elle  a. laissé,  beaucoup 
mieux  que  moi  qui  l'exerce;  et  elle  s'acquittera  beau- 
coup plus  dignement  de  celui  qu'elle  a,  que  moi  qui 
l'ai  quitté. 

Nous  demandons  cette  année  en  France  quelques 
religieuses  pour  nous  aider  à  élever  nos  filles  cana- 
diennes, et  aussi  pour  nous  succéder  dans  la  charge  ; 
car  nous  sommes  trois  ou  quatre  fort  âgées,  qui  pou- 
vons  manquer  tout  dun  coup,  et  il  est  de  la  prudence 
d*aller  au  devant  et  de  ne  point  laisser  la  maison 
dépourvue  de  personnes  de  conduite.  Nous  demandons 
à  cet  effet  des  filles  capables,  de  bonne  santé,  de  bonne 
volonté,  et  de  vingt-quatre  à  trente  ans,  afin  qu'elles 
s'accoutument  à  notre  vie  et  aux  petits  travaux  d'un 
pays  qui  ne  ressemble  pas  encore  à  la  France,  et  qui 
n'en  approchera  de  longtemps  :  pour  nous  qui  y  som- 
mes faites,  nous  n'y  trouvons  point  de  différence. 
Quant  aux  personnes,  nous  ne  jetons  les  yeux  nulle 
part,  car  c'est  le  révérend  Père  Ragueneau  qui  a  main- 
levée de  Mgr  notre  Prélat  pour  choisir  les  sujets  qu'il 
jugera-  nous  être  propres.  Je  ne  sais  sur  qui  tombera 
le  sort,  mais  je  prie  la  divine  bonté  d'en  vouloir  elle- 
même  faire  le  choix . 

Si  ma  révérende  Mère  votre  bonne  sœur  meurt  en 
France,  Dieu  ne  laissera  pas  d'avoir  agréable  son 
sacrifice,  comme  il  a  fait  de  celui  d'un  bon  Père  Jésuite 

LBTTR.  II.    II.  30 


466  LETTRES 

qui  est  venu  consommer  le  sien  au  port  ;  oar.il  avait 
tant  fatigué  à  assister  les  malades  de  son  vaisseau, 
qu*il  en  est  mort  proche  de  Québec  avant  que  d*y  met- 
tre le  pied.  Je  crois  que  notre  révérende  Mère  vous 
mande  dés  nouvelles  de  notre  Communauté.  Permettes- 
moi,  ma  révérende  Mère,  de  saluer  la  vôtre  sainte,  et 
vous  en  particulier,  que  j'embrasse  dans  Tanion  de 
notre  bon  Jâsus. 

De  Québec,  le  18  de  septembre  1670.^ 


LETTRE  CCXl. 

A  LA  SUPÉRIEURE  DES  URSULTNES  DE  MONS. 

Elle  la  prie  de  vouloir  bien  seconder  des  démarches  que  Ton  faisait,  pour  obtenir 
de  quelque  Communauté  d'Ursulines  de  Flandre  des  religieuses  qui  Toodraieat 
se  joindre  à  celles  de  Québec. 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 

Depuis  la  lettre  que  je  me  suis  donné  la  consolation 
de  vous  écrire  par  Tentremise  de  M.  Talon,  intendant 
de  la  Nouvelle-France,  on  a  pris  la  résolution  de 
demander  des  religieuses  pour  venir  nous  aider  à  servir 
Notre-Seigneur  dans  la  personne  de  nos  chères  filles 
canadiennes;  je  vous  en  ai  déjà  fait  quelque  ouverture 
par  ma  précédente,  Ton  jette  les  yeu?c  sur  celles  de  vos 
quartiers,  que  nous  voulons  préférer  à  plusieurs  autres 
de  France  qui  nous  pressent  de  les  appeler,  mais  le 
révérend  Père  Crépieul  nous  a  montré  tant  d'estime 


DR  LA  MÈRE  MARIB  DE  L'INCARN ATION .  467 

pour  les  vôtres,  que  cela  nous  a  gagné  le  cœur.  Il  a  vu 
celles  auxquelles  Dieu  a  donné  vocation  pour  ce  dessein, 
il  nous  en  a  fait  grande  estime,  comme  de  la  sainte 
Communauté  où  elles  sont  ;  si  cela  peut  réussir  je  vous 
supplie,  ma  très- chère  Mère,  de  contribuer  à  cette  bonne 
œuvre,  et  vous  nous  obligerez,  en  assurant  la  révérende 
Mère  prieure  d*où  seront  ces  bonnes  religieuses  que 
nous  chérirons  ses  filles,  et  que  nous  en  ferons  nos  plus 
affectionnées  Sœurs;  elles,  partageront  avec  nous  les 
biens  et  les  travaux  qui  se  rencontrent  en  cette  nou- 
velle Eglise,  que  nous  estimons  infiniment  plus  que 
toutes  les  délices  'de  l'Europe.  Ce  petit  mot  est  écrit 
à  la  hâte,  parce  que  le  navire  va  partir.  Je  vous 
embrasse  un  million  de  fois  et  vous  suis  et  à  votre 
sainte  Communauté, 

•  Ma  révérende  et  très-chère  Mère» 

Très-humble  et  très- obéissante  servante. 

Sœur  Marie  de  rtncarnation,  R.  V.  I. 
Ursulines  de  Québec,  2i  de  septembre  1670. 


46»  LETTRES 


LETTRE  CCXII. 

A   MONSEIGNEUR   L*ARCHBV£QtJE   DE   TOURS 

Elle  loi  fait  connaître  les  diipoiitions  particulièrea,  l'état  de  ton   monaatAfe 

et  celai  de  toat  le  paya. 

Monseigneur, 

Votre  trôs-»ainte  bénédiction. 

J  ai  appris  de  nos  Mères  de  Tours  que  Votre  Gran- 
deur nous  honore  encore  de  son  souvenir,  et  qu'apràs 
un  éioignement  de  tant  d'années  elle  a  encore  la  bonté 
de  s'informer  de  nos  dispositions.  Cette  nouvelle  nous 
a  toutes  comblées  de  joie,  surtout  la  Mère  Anne  de 
Notre-Dame  et  moi,  qui  avons  l'honneur  de  vous  appar- 
tenir par  un  droit  plus  particulier,  puisque  nous  som- 
mes vos  véritables  filles,  et  que  les  autres  ne  le  sont 
que  par  leurs  obéissances  et  leurs  respects.  C'est,  Mon- 
seigneur, ce  qui  m'oblige  de  vous  en  rendre  mes  très- 
humbles  et  très  -  respectueux  remerciements,  et  me 
donne  une  occasion  favorable  de  renouveler  à  vos  pieds 
mes  vœux  et  mes  soumissions. 

Votre  Grandeur  désire  que  je  lui  rende  compte  de 
mes  emploisi  de  la  disposition  de  notre  séminaire  et  de 
l'état  de  tout  le  pays.  Il  est  juste  que  j'obéisse  aux  désirs 
d'un  si  bon  Père,  qui  témoigne  tant  d'amour  et  tant  de 
soin  pour  fcs  très-humbles  filles.  Pour  ce  qui  me  regarde 
en  particuliQrtjeBois  par  la  grâce  de  Notre-Seigneur 


*  it 


% 


DB  LA  MËRB  MARIB  DB  L*INGARNATION.  469 

hors  de  la  charge  de  supérieure,  et  Ton  a  jugé  à  propos 
de  me  donner  celle  d'assistante,  et  le  soin  d'élever  les 
jeunes  professes  et  les  novices  de  cette  maison.  Je 
m'acquitte  de  l'un  et  de  l'autre  autant  que  mon  âge  et 
mes  infirmités  le  peuvent  permettre,  c'est-à-dire  assez 
faiblement. 

Pour  notre  Communauté,  elle  est  composée  de  vingt- 
deux  religieuses;  notre  séminaire  est  rempli  de  filles 
françaises  et  de  sauvages  ;  c'est  la  Mère  Anne  de  Notre- 
Dame  qui  a  le  soin  de  ces  dernières,  dont  elle  s'acquitte 
avec  succès.  Nous  nous  estimons  heureuses,  elle  et 
moi,  de  nous  voir  si  avantageusement  occupées  dans 
les  emplois  de  notre  institut  ;  et  je  puis  assurer  Votre 
Grandeur  que  nous  ne  pouvons  être  plus  contentes. 
L'on  a  eu  quelque  dessein  de  nous  établir  à  Montréal  ; 
mais  l'affaire  a  été  retardée  pour  quelque  temps;  et 
M.  l'abbé  de  Queylus  qui  en  est  le  seigneur  spirituel 
et  temporel  pour  MM.  de  Saint-Sulpice,  nous  promet 
sa  protection  lorsque  les  choses  seront  en  état.  Nous  ne 
sommes  pas  marries  de  ce  retardement,  parce  que  nous 

t 

ne  sommes  pas  encore  assez  fortes  pour  entreprendre 

un  établissement  de  cette  conséquence.  Mgr  notre  digne 

• 

Prélat,  qui  ne  fait  rien  qu'avec  prudence,  est  aussi  de 
ce  sentiment. 

Quant  au  commun  du  pays,  je  vous  dirai,  Monsei- 
gneur, que  cette  nouvelle  Eglise  fait  tous  les  jours 
de  nouveaux  progrès -par  le  grand  zèle  et  par  les  fati- 
gues continuelles  des  révérends  Pères  Jésuites,  qui  sont 
répandus  dans  tous  les  endroits  de  cette  Amérique 
Septentrionale.  La  colonie  française  s'augmente  aussi 
tous  les  jours,  et  ces  grands  bois  qui  n'étaient  habités 
que  de  bêtes  sauvages  commencent  à  se  peupler  de 
chrétiens.  Cette  grande  multiplication  dhommes  et  de 


470  LBTTRBB 

fidèles  augmente  aussi  nos  charges  et  notre  travail. 
Nous  avons  été  obligées  d'accroître  nos  classes,  et 
Mgr  notre  Prélat  a  pris  la  peine  d'écrire  çn  France 
qu'on  nous  envoie  deux  religieuses  pour  nous  donner 
du  secours.  Nous  ne  savons  encore  d'oti  elles  seront 
tirées  «  parce  que  de  plusieurs  maisons  de  France, 
même  de  notre  Congrégation  il  y  en  a  qui  prétendent. 
Il  a  un  grand  vicaire  en  France  à  qui  il  a  donné  la 
commission  d'examiner  les  aspirantes  et  d'en  faire  le 
choix.  Voilà,  Monseigneur,  l'état  présent  de  cette  aou- 
velle  Eglise,  de  votre  petit  séminaire  de  Canada  et  de 
vos  très*humbles  filles,  desquelles  sans  doute  je  suis 
la  moindre;  qui  ose  néanmoins  me  recommander  à  vos 
saints  sacrifices ,  afin  qu'il  plaise  à  la  divine  bonté 
de  me  rendre  un  instrument  digne  d'accomplir  ses 
volontés.  Je  supplie  Votre  Grandeur  de  conserver  tou- 
jours en  mon  endroit  les  sentiments  d'un  charitable 
Père,  comme  je  conserverai  toujours  à  votre  égard  les 
respects  d'une  très-humble  et  très-obéissante  fille  et 
servante  en  Notre-Seigneur. 

De  Québec,  le  25  de  septembre  1670. 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DB  L'INCARNATION.  471 


LETTRE   CCXIII. 

A    SON    FILS. 

Quand  Dieu  dous  engage  dans  les  emplois,  il  faut  les  aimer,  non  parce  qu'ils 
sont  âclatanls,  mais  parce  qu'ils  sont  dans  Tordre  de  sa  Tolonté.  -—  Son 
humilité  profoùde,  son  union  intime,  son  commerce  familier  et  continuel  avec 
Dieu.  —  Qualités  de  cette  union  et  de  ce  commerce.  —  La  simplicité  de  son 
oraison.  —  Perte  de  son  Ame  en  Dieu.  —  Explication  de  son  vœu  de  plus 
grande  perfection. 

Mon  très-clfier  et  bien-aimë  fils, 

Voici  la  réponse  à  votre  lettre  du  25  avril  1670,  que 
j*ai  lue  avec  une  joie  toute  particulière,  y  voyant  les 
aimables  conduites  de  Dieu  sur  vous  et  sur  moi,  pour 
lesquelles  je  le  louerai  éternellement.  Vous  m'avez 
obligée  de  me  dire  (fait  plaisir  en  me  disant)  les  progrès 
de  votre  saint  Ordre,  que  j*aime  et  honore  à  un  point 
que  je  ne  puis  dire.  Je  ne  le  regarde  et  n'y  pense  qu'avec 
respect  et  vénération  ;  et  les  louanges  que  je  rends  à  la 
divine  Bonté  sont  continuelles  de  ce  qu'elle  vous  y  ait 
appelé.  J'y  vois  toutes  vos  coutumes  et  vos  conduites, 
et  je  n'y  trouve  rien  que  de  saint. 

Ne  me  dites  donc  plus  que  vous  aimeriez  mieux  la 
solitude  et  la  vie  retirée  que  les  charges  et  les  emplois. 
Ne  les  aimez  pas  parce  qu'ils  sont  éclatants,  mais  parce 
qu'ils  sont  dans  l'ordre  de  la  volonté  de  Dieu.  11  est 
pourtant  bon  que  vous  ayez  la  vue  de  vos  imperfections, 
de  vos  incapacités,  de  votre  insufSsance  :  c'est  Dieu 


472  '  LETTRES 

qui  opère  en  vous  ces  sentiments  et  qui  vous  tient  dans 
un  état  d'humiliation  à  vos  yeux,  pour  vous  sanôtifier 
dans  des  emplois  où  se  perdent  ceux  qui  présument  de 
leurs  propres  forces. 

Je  vous  dirai  avec  simplicité,  mon  très  cher  fils,  que 
Dieu  tient  sur  moi  la  même  conduite  quil  tient  sur 
vous.  Je  me  vois  remplie  de  tant  d'infidélités  et  de 
misères,  et  j'en  suis  si  souvent  anéantie  devant  Dieu 
et  si  petite  à  mes  yeux  (pour  ce  dernier  il  m'est  conti- 
nuel), que  je  ne  sais  comment  y  apporter  remède,  parce 
que  je  vois  mes  impecfections  dans  une  obscurité  qui 
n'a  point  d'entrée  ni  d'issue.  Me  voilà  à  la  fin  de  ma 
vie,  et  je  ne  fais  rien  qui  soit  digne  d'une  âme  qui  doit 
bientôt  comparaître  devant  son  Juge.  Cependant,  toute 
imparfaite  que  je  suis,  et  pour  anéantie  que  je  sois  en 
sa  présence,  je  me  vois  perdue  par  état  (manière  d'être 
habituelle)  dans  sa  divine  Majesté,  qui  depuis  plusieurs 
années  me  tient  avec  elle  dans  un  commerce,  dans  une 
liaison,  dans  une  union  et  dans  une  privauté  que  je  ne 
puis  expliquer.  C'est  une  espèce  de  pauvreté  d'esprit  qui 
ne  me  permet  pas  même  de  m'entretenir  avec  les  anges, 
ni  des  délices  des  bienheureux,  ni  des  mystères  de  la  foi. 
Je  veux  quelquefois  me  distraire  moi-même  de  mon 
fond  pour  nl'y  arrêter  et  m'égayer  dans  leurs  beautés 
comme  dans  des  choses  que  j'aime  beaucoup  ;  mais 
aussitôt  je  les  oublie,  et  l'esprit  qui  me  conduit  me 
remet  plus  intimement  dans  Celui  où  je  me  perds,  et 
qui  me  plaît  plus  que  toutes  choses.  J'y  vois  ses  amabi- 
lités, sa  majesté,  ses  grandeurs,  ses  pouvoirs,  sans 
néanmoins  aucun  acte  de  raisonnement  ou  de  recher- 
che, mais  en  un  moment  qui  dure  toujours. 

Je  veux  dire  ce  que  je  ne  puis  exprimer,  et  ne  le 
pouvant  exprimer,  je  ne  sais  si  je  le  dis  comme  il  faut. 


DB  LA  MfiRB  BftARIB  DB  L'INCARNATION.  473 

L'âme  porte  dans  ce  fond  des  trésors  immenses  et  qui 
n*ont  point  de  bornes.  Il  n'y  a  rien  de  matériel,  maïs 
nne  foi  toute  pure  et  toute  Aue  qui  dit  des  choses 
infinies.  L'imagination,  qui  n'a  nulle  part  à  cet  état, 
cherche  à  se  repaître  et  voltige  çà  et  là  pour  trouver 
sa  nourriture;  mais  cela  ne  fait  rien  à  ce  fond,  elle 
n*y  peut  arriver,  et  son  opération  se  dissipe  sans  passer 
plus  avant.  Ce  sont  pourtant  des  attaques  qui,  pour  être 
faibles  et  passagères,  ne  laissent  pas  d'âtre  importunes 
et  des  sujets  de  patience  et  d^humiUation.  Dans  cet  état, 
les  sens,  soit  intérieurs,  soit  extérieurs,  n'ont  point  de 
part,  non  plus  que  le  discours  de  l'entendement  ;  toutes 
leurs  opérations  se  perdent  et  s'anéantissent  dans  ce 
fond,  où  Dieu  mênie  agit  et  où  son  divin  esprit  opère. 
La  foi  fait  tout  voir  indépendamment  des  puissances. 
L*on  n'a  nulle  peine  en  cette  disposition  intérieure  de 
suivre  les  exercices  de  la  Communauté;  les  affaires 
temporelles  ne  nuisent  point  parce  qu'on  les  fait  avec 
paix  et  tranquillité,  ce  qui  ne .  peut  se  faire  lorsque 
le  sens  agit  encore. 

Par  le  peu  que  je  viens  de  vous  dire  vous  pouvez  voir 
l'état  présent  de  la  conduite  de  Dieu  sur  moi.  Il  me 
serait  bien  difficile  de  m'étendre  beaucoup  pour  rendre 
compte  de  mon  oraison  et  de  ma  disposition  intérieure, 
parce  que  ce  que  Dieu  me  donne  est  si  simple  et  si 
dégagé  des  sens,  qu'en  deux  ou  trois  mots  j'ai  tout  dit. 
Ci-devant  je  ne  pouvais  rien  faire  dans  mon  oraison, 
sinon  de  dire  dans  ce  fond  intérieur  par  forme  de 
respir  :  Mon  Dieu,  mon  Dieu,  mon  grand  Dieu,  ma 
vie,  mon  tout,  mqn  amour,  ma  gloire!  Aujourd'hui 
je' dis  bien  la  même  chose,  ou  plutôt  je  respire  de  même; 
mais,  de  plus,  mon  âme  proférant  ces  paroles  très- 
simples  et  ces  respirs  très-intimes,  elle  expérimente 


474  LETTRES 

la  plénitude  de  lear  signification;  et  ce  qae  je  fais 
dans  mon  oraison  actuelle,  je  le  fais  tout  le  jour,  à  mon 
coucher,  à  nion  lever  et  partout  ailleurs.  Cela  fait  que 
je  ne  puis  entreprendre  des  exercices  par  ûHëthode»  toai 
8*en  allant  à  la  conduite  intérieure  de  Dieu  sur  moi. 
Je  prends  seulement  un  petit  quart  d'heure  le  soir  pour 
présenter  le  Cœur  du  Fils  de  Dieu  à  son  Père  pour  cette 
nouvelle  Eglise,  pour  les  ouvriers  de  l'Evangile,  poor 
vous  et  pour  mes  amis.  Je  m'adresse  ensuite  à  la  sainte 
Vierge,  puis  à  la  sainte  famille,  et  tout  cela  se  fait  par 
des  aspirations  simples  et  courtes.  La  psalmodie,  qui 
est  un  exercice  réglé,  ne  m'incommode  point,  mais 
plutôt  elle  mcHsoulage.  Je  suis  et  pratique  encore  sans 
peine  les  autres  exercices  de  la  régularité,  et  tant  s'en 
faut  que  mon  occupation  intérieure  m'en  détourne,  qn*au 
contraire  il  me  semble  que  tout  mon  intérieur  se  porte 
à  les  garder  parfaitement.  Mais  je  m'arrête  trop  à  moi- 
même,  mon  très-cher  fils,  revenons  à  ce  qui  vous  touche. 

Prenez  votre  plaisir  dans  les  emplois  que  Dieu  vous 
donne,  vous  y  trouverez  votre  sanctification,  et  Dieu 
aura  soin  de  vous  partout.  Soyez  élevé,  soyez  abaissé, 
pourvu  que  vous  soyez  humble  vous  serez  heureux  et 
toujours  bien.  Je  comprends  les  emplois  de  votre  charge 
et  toutes  ses  dépendances;  je  n'y  vois  rien  qui  ne  soit 
saint,  et  qui  par  conséquent  ne  soit  capable  de  vous 
sanctifier. 

Pourquoi  me  demandez^vous  pardon  de  ce  que  vous 
appelez  saillies  de  jeunesse  :  il  fallait  que  tout  se  passât 
de  la  sorte,  et  que  les  suites  nous  donnassent  de  véri- 
tables sujets  de  bénir  Dieu.  Pour  vous  parler  franche- 
ment, j*ai  eu  des  sentiments  de  contrition  de  vous  avoir 
tant  fait  de  mal,  depuis  même  que  je  suis  en  Canada. 
Avant  que  Dieu  vous  eût  appelé  en  Religion  je  me  suis 


DE  •la  mêrr  marie  DE  l'incarnation.  475 

-tronTée  en  des  détresses  si  extrêmes  par  la  crainte  que 
j'avais  que  mon  éloignement  n'aboutît  à  votre  perte, 
et  que  mes  parents  et  mes  amis  ne  vous  abandonnas^* 
sent,  que  j'avais  peine  de  vivre.  Une  fois  le  diable  me 
donna  une  forte  tentation  que  c'en  était  fait,  par  de 
certains  accidents  dont  il  remplit  mon  imaginjation  t 
je  croyais  que  tout  cela  était  véritable,  en  sorte  que 
je  fus  contrainte  de  sortir  de  la  maison  pour  me  retirer 
à  récart.  Je  pensais  alors  mourir  de  douleur;  mon 
recours  néanmoins  fut  à  celui  qui  mavait  promis  ^ 
d'avoir  soin  de  vous.  Peu  après,  j'appris  votre  retraite 
du  monde  dans  la  sacrée  Religion,  ce  qui  me  fit  comme 
ressusciter  de  la  mort  à  la  vie.  Admirez  la  bonté  de 
Dieu,  mon  très-cher  fils  ;  il  me  donne  les  mêmes  impres- 
sions qu'à  vous  touchant  les  grâces  qu'il  m*a  faites. 
Je  me  vois  cfontinuellement  comme  étant  par  miséri- 
corde  dans  la  maison  de  Dieu.  Il  me  semble  que  j'y  suis 
inutile;  que  je  ne  sais  rien  et  que  je  ne  fais  rien  qui 
vaille  en  comparaison  de  mes  sœurs;  que  je  suis  la  plus 
ignorante  du  monde;  et  quoique  j'enseigne  les  autres, 
qu'elles  en  savent  plus  que  moi.  Je  n'ai,  grâce  à  Notre- 
Seigneur,  ni  pensées  de  vanité  ni  de  bonne  estime  de 
moi-même  :  si  mon  imagination  s'en  veut  former  à  cause 
de  quelque  petite  apparence  de  bien,  la  vue  de  ma  ' 
pauvreté  l'étoufie.  aussitôt.  Admirons  donc  ta  bonté 
de  Dieu  de  nous  avoir  donné  des  sentiments  si  sem- 
blables; je  le  remarque  en  tout  ce  que  vous  me  dites 
par  votre  lettre. 

Quand  au  vœu  de  la  plus  grande  gloire  de  Dieu,  vous 
avez  les  mêmes  difficultés  qu'avait  sainte  Thérèse.  Celui 
qu'elle  avait  fait  était  général  et  sans  restriction,  ce 
qui  la  jetait  dans  de  fréquents  scrupules.  Cela  obligea 
son  directeur,  qui  n'en  avait  pas  moins  qu'elle,  de  lui 


476  LETTRES 

en  écrire  une  formule  que  je  vous  envoie,  et  à  laquelle 
le  révérend  Père  Lallemant  a  jugé  à  propos  que  je 
me  tienne.  Je  l'avais  aussi  fait  général,  savoir  de  faire 
et  de  souffrir  tout  ce  que  je  verrais  être  à  la  plus  grande 
gloire  de  Dieu  et  de  plus  grande  perfection  :  comme 
aussi  dj9  cesser  de  faire  et  de  souffrir  ce  que  je  verrais 
y  être  contraire;  j'entendais  le  même  de  la  pensée.  J'ai 
continué  l'usage  de  ce  vœu  ainsi  conçu  plusieurs  années, 
et  je  m'en  trouvais  bien  ;  mais  depuis  que  ce  révérend 
Père  eut  vu  cette  formule  dans  les  chroniques  du  Mont- 
Carmel,  il  désira  que  je  la  suivisse.  Vous  voyez  par  là, 
qu'il  faut  avoir  de  la  direction  dans  la  pratique  de  ce 
vœu,  qui  n'est  pas  si  étendu,  dans  la  formule  que  je  vous 
envoie,  que  dans  les  sentiments  que  vous  en  avez.  Voici 
cette  formule  : 


Vœu  de  la  plus  grande  perfection  ou  de  la  plus  grande  gloire  de  Oieu  réduit  en 
pratique,  et  donné  à  sainte  Thérèse  pour  l'exempter  de  tout  scrupule,  elle  et 
ses  confesseurs. 

Promettre  à  Dieu  daccomplir  tout  ce  que  votre 
confesseur,  après  lavoir  (que  vous  laurez)  interrogé 
en  confession,  vous  répondra  et  déterminera  que  cest 
le  plus  parfait;  (de  manière  que)  que  vous  soyez  alors 
obligée  de  lui  obéir  et  de  le  suivre  (suivre  sa  décision)  : 
mais  cette  obligation  doit  supposer  trois  conditions  : 
La  première,  que  votre  confesseur  soit  informé  de  ce 
vœu,  et  qu'il  sache  que  vous  lavez  fait.  La  seconde  que 
ce  soit  vous-même  qui  lui  proposiez  les  choses  qui  vous 
sembleront  être  de  plus  grande  perfection,  et  que  vous 
lui  en  demandiez  son  sentiment,  lequel  vous  servira 
d'ordonnance  (de  règle.)  La  troisième,  qu'en  effet  la  chose 
qui  vous  sera  spécifiée  soit  pour  vous  de  plus  grande 


DE  LA  MËRB  MARIB  DB  L'iN CARNATION.  477 

• 

perfection.^  Alors  ce  vœa,  qui  sera  ainsi  conditionné, 
▼ous  obligera  fort  raisonnablement,  au  lieu  que  celui 
que  vous  aviez  fait  auparavant  par  un  excès  de  ferveur, 
supposait  une  trop  grande  délicatesse  de  conscience, 
et  vous  exposait  aussi  bien  que  vos  confesseurs  à 
beaucoup  de  troubles  et  de  scrupules. 

Voilà,  mon  très-cher  fils,  le  vœu  général  modéré  et 
restreint  par  la  formule;  mais  de  quelque  manière  que 
vous  Je  preniez,  je  vois  bien  qu'il  vous  causerait  de 
rinquiétude,  ainsi  je  ne  vous  conseillerais  pas  de  le 
faire.  Il  y  faut  suivre  les  mouvements  intérieurs  avec 
ane  grande  fidélité,  et  vous  pourriez  vous  jeter  dans  les 
excès  et  extrémités  que  vous  dites. 

De  Québec,  le  25  de  septembre  1670. 


LETTRE  CCXIV. 

A^  LA   SUPÉKIBURB   DBS   URSULINBS   DE   DIJON. 
Vùm  loi  parle  de  la  découverte  des  nations  les  plus  éloignées  du  côté  du  nord. 

-*  Ma  révérende  et  très- chère  Mère, 

Nous  avons  ressenti  TefiFet  de  vos  prières  dans  le 

iuocès  de  nos  élections  que  nous  ^mes  le  12  de  mars^ 

.    dernier.  Ma  révérende  Mère  de  Sainte-Âthanase  y  fut 

• 

(1)  Il  est  clair  que  c'est  au  confesseur  à  juger  et  à  décider  si  la  chose  en 
qttêBiîon  est  réellement,  pour  le  i>énitent,  de  plus  grande  perfection.  Par  consé- 
j0Bt*h  ^^  troisième  condition  est  renfermée  dads  la  seconde  pour  le  pénitent  ; 
j^ik  0i^  satHistitMtté  pour  le  confesseur. 


478  LRTTRR8 

* 

élue  en  ma  place,  et  les  aufre^  officières  ensuite. 
Mgr  notre  Prélat  ayant  désiré  que  les  élections  se 
fissent  à  la  grille,  le  tout  fut  fait  en  moins  d'une  heure, 
y  comprenant  même  le  temps  de  la  Messe.  Par  où  voos 
voyez,  ma  très-chère  Mère,  l'union  que  la  bonté  divine 
donne  à  notre  Communauté. 
Dieu  bénit  de  plus  en  plus  les  travaux  des  ouvriers 

m 

de  l'Evangile.  Outre  cette  nation,  dont  je  vous  parlais 
l'année  dernière,  le  révérend  Père  Allouez  a  été.  près 
de  la  mer  du  Nord,  où  il  en  a  découvert  une  autre  bidD 
plus  nombreuse,   qui  n'avait  jamais  vu  d'européens. 
Ils  furent  si  ravis  de  le  voir  que,  tous  courbés  et  les 
*  mains  jointes ,   ils  venaient  au-devant  de  lui  en  lai 
disant  :  Bon  Manitou,  qui  est  un  nom  tout  divin  en  leur 
langue.  On  ne  peut  rien  voir  de  plus  docile  que  ces 
peuples,  et  c'est  une  miséricorde  de  Dieu  bien  grande 
de  voir  des  barbares  cachés  dans  les  extrémités  de  la 
terre,  qui  ne  pensaient  point  à  lui,   recevoir  par  le 
ministère  de  ses  serviteurs  la  lumière  qui  seule  les  peut 
éclairer  dans  le  chemin  du  ciel. 

L'on  a  su  qu'à  dix  journées  au  delà  de  ceux-ci,  il  y  a 
un  pays  où  il  fait* six  mois  de  nuit,  savoir  trois  mois 
de  nuit  toute  noire  et  sans  aucun  jour,  et  trois  mois  d'an 
jour  sombre  comme  le  crépuscule.  Le  pays  est  habité, 
quoique  presque  toujours  couvert  de  neige  très-pro- 
fonde, et  il  n'y  a  qu'un  petit  intervalle  de  temps  où  l'on 
voit  la  terre.  Il  n'y  a  pas  un  seul  arbre,  et  les  prairies 
n'ont  pas  l'herbe  plus  longue  que  le  doigt.  Les  habitants 
vivent  de  cerfs,  de  castors  et  d'ânes  sauvages;  et  comme 
ils  n'ont  point  de  bois,  ils  font  du  feu  avec  les  os,  les 
peaux  et  le  poil  des  bêtes  qu'ils  tuent.  On  cherche  les 
moyens  de  les  aborder,  pour  tâcher,  de  demi- bêtes  qu'ils 
sont,  den  faire  des  enfants  de  Dieu.  Cest  une  entre- 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  479 

prise,  ma  très-chère  Mère,  digne  d*être  recommandée 
à  vos  ferveurs  et  à  celles  de  votre  sainte  Communauté. 
L'on  a  encore  découvert  d'autres  nations,  qui  sontcom* 
posées  de  diverses  langues  et  peuples  ramassés  en  ces 
lieux-là.  Il  y  a  plus  de  quarante  Pères  de  la  Compagnie 
qui  vont  de  tous  côtés,  et  qui  ne  font  autre  chose  que 
dé  chercher  des  âmes  égarées  pour  les  gagner  à  Dieu. 
Vous  seriez  consolée  de  voir  combien  ils  souffrent  de 
travaux  dans  cette  recherche  et  dans  leurs  courses. 

Pour  ce  qui  regarde  notre  Séminaii'e,  nous  avons  des 
filles  sauvages  de  quatre  nations,  qui  nous  donnent  une 
singulière  consolation  par  leur  docilité.  Ce  sont  les 
délices  de  nos  cœurs,  qui  nous  font  trouver  dans  nos 
petits  travaux  des  douceurs  que  nous  ne  changerions 
pas  pour  des  empires.  Nous  vous  avons  de  très-étroites 
obligations,  ma  très-honorée  Mère,  et  à  votre  sainte 
Communauté,  des  charités  que  vous  nous  faites  pour 
nous  aider  à  les  élever;  les  misères  communes  vous 
incommodent,  je  le  sais;  et  c*est  ce  qui  nous  rend  dou- 
blement vos  obligées,  que  votre  charitable  cœur  se 
prive  de  ce  qui  pourrait  vous  être  nécessaire,  afin  de 
nous  assister.  Je  prie  la  miséricorde  divine,  qui  voit 
▼08  bontés,  de  vous  récompenser  au  centuple. 

De  Québec,  le  27  de  septembre  i670. 


480  LBTTRB8 


LETTRE   CCXV. 


A   SON   FILS. 


EU  e  montre  par  elle-mômâ  qu'il  faut  porter  avec  patience  et  résignation  le  poidi 
de  la  nature  corrompue.  —  Nécessité  qu'il  y  a  de  confier  son  &me  i  un  bon 
directeur.  —  Elle  le  remercie  de  quelques  reliques  qu'il  lui  avait  eufoyéei. 


Mon  très-cher  fils, 

Vous .  ne  pouvez  rien  désirer  de  pius  avantageux 
pour  vous  et  pour  moi,  sinon  que  nous  soyons  tout 
à  Dieu .  C*est  là  mon  unique  pente,  c'est  ce  que  je  veux 
uniquement,  et  tout  m'est  croix  hors  de  ce  centre. 
Le  poids  de  la  nature  me  nuit,  et  je  ne  le  porte 
qu'avec  résignation  à  la  très-sainte  volonté  de  Dieu. 
Je  parle  de  la  nature  corrompue  qui  n  entend  point 
les  lois  de  Tesprit,  et  qu'il  faut  porter  avec  patience 
et  humilité. 

Ma  dernière  lettre  répond  aux  choses  spirituelles 
dont  vous  m'entretenez;  par  une  autre  je  vous  écris 
ce  que  vous  voulez  savoir  des  mœurs  et  de  la  police 
ancienne  do  nos  sauvages  ;  et  une  troisième  vous  parle 
de  la  personne  que  \ous  savez.  Je  viens  de  lui  écrire 
mes  sentiments  avec  beaucoup  d'ouverture  et  de  ten- 
dresse de  cœur.  Je  lui  remontre  le  besoin  qu'elle  a 
de  se  donner  tout  à  Dieu;  et  pour  cet  eflfet  je  l'exhorte 
de  choisir  un  directeur  sage  et  expérimenté.  C'est  par 
là  qu'elle  doit  commencer;  parce  qu'un  Père  spirituel 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'iNCARNATION.  481 

est  comme  un  ange  visible  que  Dieu  nous  donne  pour 
nous  diriger  dans  ses  voies,  et  qui  fait  visiblement 
à  notre  âme  ce  que  fait  notre  bon  ange  d'une  manière 
invisible,  de  sorte  que  comme  nous  serions  dans  des 
périls  continuels  de  nous  perdre  si  notre  bon  ange 
nous  abandonnait,  ainsi  une  âme  qui  n*a  point  de 
directeur  peut  difficilement  éviter  les  pièges  de  l'ennemi  ; 
et  quand  elle  les^  éviterait,  je  ne  puis  comprendre  qu'elle 
puisse  faire  aucun  progrès  dans  la  vie  spirituelle. 
Celle-ci  néanmoins  ne  peut  (se  décider  à)  s'attacher  à 
aucun,  par  de  certains  prétextes  qui  ne  sont  que  des 
ruses  de  la  nature.  Elle  voit  bien  que  si  elle  confiait 
son  âme  à  quelque  homme  intérieur  il  lui  faudrait 
changer  de  maximes.  Elle  a  trop  pris  de  celles  du 
monde,  qui  lui  sont  attachées  comme  poix.  Cependant 
elle  garde  la  règle,  elle  suit  les  exercices,  elle  se  fait 
aimer.  Elle  a  un  excellent  naturel,  une  belle  humeur, 
un  grand  esprit,  des  talents  rares;  mais  ce  fonds  de  vertu 
et  de  sainteté  que  nous  souhaitons  en  elle  lui  man- 
iqoe.  Elle  ne  l'aura  jamais  que  par  un  coup  de  grâce. 
Elle  ne  s'y  dispose  pas,  c'est  ce  qui  m'afflige.  Enfin 
je  lui  dis  que  son  cœur  et  son  esprit  n'auront  jamais 
de  repos  qu'elle  ne  soit  tout  à  Dieu.  Je  l'exhorte  forte- 
ment de  se  tenir  unia  à  sa  supérieure,  et  d'être  géné- 
'rense  à  quitter  les  ombrages  qu'elle  a  d'une  personne 
qui  rapproche  et  de  laquelle  elle  se  défie.  Elle  a  raison 
en  quelque  façon,  mais  il  faut  que  la  vertu  surmonte 
la  raison  humaine.  Le  défaut  d'expérience  ne  lui  perniet 
pas  de  pénétrer  bien  avant  dans  le  futur,  ni  de  pré- 
venir les  inconvénients  qui  peuvent  arriver  à  ceux 
qui  n'ont  pas  jeté  des  fondements  assez  solides  de  vertu. 
"^  Il  y  a  des  esprits  qui,  pour  ne  s'être  pas  laissé  cultiver, 
sont  si  accoutumés  à  vivre  à  leur  mode,  qu'il  n'y  a 

.  M.    II.  31 


482  LETTRES 

que  la  main  toute- puissante  de  Dieu  qui  les  en  puisse 
tirer.  Elles  s'imaginent  être  plus  sages  que  ceux  qui 
ont  droit  de  les  diriger.  Celle  dont  je  parie  n*aura 
jamais  de  repos;  Dieu  la  fera  souffrir  par  sa  façon 
même  d'agir,  jusqu'à  ce  qu'elle  se  rende  et  se  sou- 
mette  à  sa  divine  volonté.  Ces  beaux  talents  et  ces 
grands  avantages  de  nature  ne  lui  serviront  que  de 
croix  si  elle  ne  se  tourne  du  côté  de  Dieu  par  une 
humble  soumission  d'esprit.  Vous  dites  bien  qu'elle  ne 
laisse  pas  d'être  bonne  religieuse,  mais  elle  serait  tout 
autre  si  elle  prenait  l'esprit  que  Dieu  demande  d'elle, 
et  ce  serait  un  grand  trésor  dans  une  maison. 

Nous  avons  enfin  reçu  les  saintes  reliques  qu'on 
vous  a  envoyées  de  Rome.  Mgr  notre  Prélat,  accom- 
pagné du  révérend  Père  Lallemant,  a  fait  l'ouverture 
de  la  caisse  le  jour  do  saint  Augustin.  Il  s'y  est  trouvé 
trois  ossements;  le  premier  large  de  deux  doigts,  et 
long  d'environ  six  pouces,  et  les  deux  autres  larges 
de  deux  pouces  et  longs  de  quatre.  Ce  ne  sont  point 
des  reliques  baptisées,  comme  l'on  dit,  mais  elles  por- 
tent les  véritables  noms  de  saints  martyrs  qui  ont 
souffert.  Nous  les  avons  mises  dans  des  châsses,  et  en 
avons  fait  une  grande  fête.  Nous  vous  sommes  infini- 
ment obligées  d'un  si  riche  présent,  et  vous  supplions 
de  nous  en  procurer  de  semblables  le  plus  que  vous 
pourrez  par  le  moyen  de  vos  amis. 

De  Québec,  1070, 


DE  LA  MËRB  MARIB  DB  l'INGARNATION.  483 


LETTRE   CCXVI. 

A   SON   FILS. 

Bll«  répond  à  quelques  demaDdes  qu'il  lui  avait  faites  touchant  la  religion, 

les  mœurs  et  la  police  des  sauvages. 

Mon  très-cher  fils, 

Par  cette  Lettre  je  réponds  distinctement  aux  ques- 
tions que  vous  me  faites  touchant  nos  sauvages.  Ce  que 
j'y  avais  oublié,  un  bon  Père  y  a  suppléé,  et  vous  pouvez 
vous  assurer  que  tout  y  est  véritable.  Vous  y  verrez  les 
absurdités  des  hommes  qui  n'ont  ni  la  foi,  ni  même  les 
lumières  naturelles,  à  cause  de  la  nature  corrompue, 
qui  est  toute  vivante  en  eux  avant  le  baptême.  Vous 
demandez  : 

1.  Si  les  sauvages,  avant  que  d'avoir  vu  des  Européens,  avaient  la  connaissance 
du  vrai  Dieu  ;  et  quelle  connaissance  ils  en  avaient. 

Je  réponds  qu'ils  n'en  avaient  point.  Il  s'en  trouvait 
seulement  quelques-uns  qui,  faisant  réflexion  sur  les 
mouvements  des  cieux,  sur  la  disposition  des  astres, 
et  sur  l'ordre  constant  des  saisons,  ont  connu  par  la 
raison  naturelle  qu'il  y  avait  quelque  puissant  génie, 
qui  ayant  créé  toutes  ces  choses,  les  gouvernait  avec 
tant  de  sagesse.  J'en  ai  connus,  qui  admirant  l'harmonie 
des  choses  qui  sont  dans  la  nature,  méditaient  là-dessus. 


484  LETTRES 

et  disaient  :  Assurément  il  y  a  un  auteur  de  tout  ce  que 
nous  voyons  dans  le  monde,  car  tout  cela  n'a  pu  se  faire 
de  soi-même.  Dans  cette  vue,  ils  priaient  celui  qui  a 
tout  fait;  et  ceux  qui  sont  chrétiens  ont  conservé  cette 
façon  de  parler,  en  sorte  que  voulant  prier  Dieu,  ils  lai 
disent  :  Toi  qui  as  tout  fait,  etc.  Ceux-là,  convaincus  de 
leur  raisonnement,    l'apostrophaient  comme  je  viens 
de  dire  et  lui  offraient  des  présents,  comme  de  la  farioe 
de  blé  d'Inde  et  du  petun,  qui  sont  les  choses  les  plus 
exquises  qu'ils  aient.  Deux  capitaines  algonquins,  qui 
étaient  de  ce  nombre,  ayant  entendu  le  révérend  Père 
Le  Jeune,  crurent  aussitôt  et  embrassèrent  la  Foi.  Ils 
ont  été  les  deux  premiers  chrétiens,  et  tous  deux  nous 
donnèrent  leurs  filles  dès  le  lendemain  de  notre  arrivée 
en  ce  pays.  Il  y  a  plusieurs  exemples  de  cela,  qui  font 
voir  et  admirer  la  bonté  de  Dieu. 


2.  S'ils  adoraient  quelque  divinité,  et  quel  culte  ils  lui  rendaient. 

» 

Quelques-uns  adoraient  le  soleil  et  lui  offraient  des 
sacrifices,  jetant  dans  le  feu  de  la  graisse  d'ours,  d'ori- 
gnal, et  d'autres  bêtes,  et  faisant  brûler  du  petun  et  de 
la  farine  de  blé  d'Inde.  Il  y  en  avait  qui  reconnaissaient 
un  certain  Messou  qui  a  réparé  le  monde.  Cette  connais- 
sance est  belle  et  a  bien  rapport  à  la  venue  du  Messie, 
qui  a  été  le  Réparateur  du  monde.  Mais  l'aveuglement 
de  l'infidélité  a  obscurci  cette  belle  lumière  par  une 
fable  des  plus  ridicules;  parce  que  les  Hurons,  qui  sont 
ceux  qui  avaient  cette  connaissance,  disaient  que  ce 
Messou  avait  réparé  le  monde  par  le  moyen  d'un  rat 
et  d'une  rate  musqués.  Quelques  autres  avaient  recours 
à  certains  génies,  qu  ils  disaient  présider  sur  les  eaux, 


DE  LA  MËRB  MARIE  DE  L'INCARNATION.  485 

• 

dans  les  bois,  sur  les  montagnes,  dans  les  vallées  et  en 
d'autres  lieux .  Mais  tous  obéissaient  aux  songes  comme 
à  une  Divinité,  observant  exactement  ce  qui  leur  avait 
été  représenté  dans  le  sommeil.  Si  un  homme  avait 
songé  qu'il  tuait  un  autre  homme,  dès  qu'il  était  levé 
il  Fallait  trouver,  et  le  surprenant  il  le  tuait.  Ceux  qui 
n'ont  pas  la  Foi  le  font  encore,  parce  qu'ils  se  croient 
obligés  d'obéir  à  leurs  songes;  et  ce  mal  est  un  des  plus 
grands  obstacles  à  la  Foi.  Je  viens  tout  présentement 
d'apprendre  deux  nouvelles  qui  confirment  ce  que  je 
viens  de  dire,  et  qui  sont  capables  d'émouvoir  les  cœurs 
de  ceux  qui  sont  nés  dans  le  christianisme  à  rendre 
grâces  à  la  divine  bonté  d'une  vocation  si  précieuse, 
si  pure  et  si  éloignée  de  l'erreur.  Un  sauvage,  qui  était 
bien  avant  dans  les  Iroquois,  ayant  songé  qu'il  fallait 
qu'il  tuât  sa  femme,  qui  était  pour  lors  à  Montréal  dans 
une  bourgade  de  sauvages  où  il  y  a  un  grand  nombre 
d'Iroquois,  se  leva  promptement  et  vint  en  ce  village, 
qui  est  à  plus  de  cent  lieues  de  son  pays,  pour  tuer 
cette  femme  qui  est  chrétienne.  Les  Pères  ayant  appris 
la  furie  de  cet  homme,  la  font  cacher  dans  une  cabane 
fermée.  Ce  furieux  néanmoins  y  entra  tout  effaré  avec 
des  chiens  qui  suivaient  la  femme  à  la  piste,  car  ces 
animaux  sont  dressés  à  cela.  On  la  fait  monter  au 
grenier;  les  cMens  la  suivent.  Enfin  elle  se  jette  à  terre, 
elle  fuit  et  on  la  met  en  la  garde  des  sauvages.  Voyez 
l'aveuglement  de  ces  peuples  infidèles,  de  faire  plus 
de  cent  lieues  de  chemin  pour  obéir  à  un  songe.  Un 
autre  songea  qu'il  fallait  qu'il  enlevât  une  fille,  et  fit 
autant  de  chemin  que  l'autre  pour  obéir  à  son  songe. 
Elle  s'enfuit  chez  les  Pères  qui  la  cachèrent;  l'autre 
jetait  feu  et  flammes,  menaçant  de  tout  tuer  si  on  ne 
lui  donnait  cette  fille.  Pendant  qu'un  Père  l'entretenait 


486  LETTRES 

pour  l'amuser,  on  la  met  dans  un  canot  pour  la  faire 
évader;  l'autre  court  après.  On  la  mène  à  Chambly, 
qui  est  un  des  forts  du  passage  des  Iroquois  ;  il  la  suit 
toujours;  on  la  conduit  en  divers  lieux;  il  n'abandonne 
point  ses  poursuites.  Enfin  il  l'attrape  et  Tenlôve. 
N'est-ce  pas  là  une  étrange  barbarie  ?  Ce  qui  la  rend 
plus  effroyable,  ce  sont  les  boissons  que  les  Français 
donnent  aux  sauvages  :  car  quand  ceux-ci  ont  bu  une 
fois  de  l'eau-de-vie,  outre  le  songe,  ils  idolâtrent  encore 
l'ivresse,  et  ces  deux  choses  étant  jointes  ensemble, 
on  ne  peut  rien  voir  de  plus  féroce  :  car  ils  se  tuent 
les  uns  les  autres,  ils  se  coupent  le  nez  et  les  oreilles, 
et  l'on  en  voit  un  grand  nombre  de  mutilés;  mais 
revenons  à  nos  questions. 


3.  Croyaient-ils  à  rimmorialité  de  l'Ame,  et  supposé  qu'ils  y  cmssent, 

ce  que  l'Ame  devenait  après  la  mort? 


Ils  croyaient  à  l'immortalité  de  lame,  et  l'honneur 
qu'ils  rendaient  aux  corps  en  est  une  preuve.  Ils  esti- 
maient que  les  âmes  étant  séparées  des  corps  s'en 
allaient  au-delà  de  la  mer,  où  elles  demeuraient  en 
repos.  Pour  faire  ce  voyage,  ils  leur  donnaient  un 
Viatique,  faisant  brûler  quelques  graisses  près  du  tom- 
beau du  défunt.  Ils  leur  fournissaient  même  quelques 
armes  et  autres  choses  nécessaires  pour  le  voyage. 
Généralement  parlant,  tous  les  peuples  de  l'Amérique 
croient  que  l'âme  est  immortelle,  et  qu'elle  s'en  va  après 
la  mort  au  lieu  où  ïe  soleil  se  couche,  .et  d'où  il  ne  se 
lève  jamais.  Ils  étaient  si  fort  en  cette  pensée  avant 
qu'ils  eussent  vu  des  Européens,  que  quand  on  les 
catéchisait  et  qu'on  leur  parlait  du  paradis,  ils  disaient 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  LÏNCARN ATION .  487 

qu'ils  n'y  voulaient  pas  aller,  mais  au  pays  des  âmes 
où  allaient  leurs  parents.  Ils  croyaient  que  là  elles 
vivaient,  des  âmes  des  castors,  des  orignaux  et  des 
autres  animaux  dont  ils  avaient  mangé  les  corps  durant 
leur  vie.  Cette  créance  de  l'immortalité  des  âmes  leur 
sert  beaucoup  pour  leur  conversion. 


4.   S'ils  avaient  quelque  police  pour  la  paix,  pour  la  guerre, 

pour  le  gouvernement. 


Oui,  ils  en  avaient.  Ils  envoient  des  ambassadeurs 
les  uns  chez  les  autres  pour  traiter  de  paix,  mais 
souvent  ils  tuent  les  ambassadeurs  contre  le  droit  des 
gens,  ris  font  la  guerre  en  se  surprenant  les  uns  les 
autres.  Ils  assiègent  quelquefois  les  bourgs,  et  les  pren- 
nent; quelquefois  aussi  ils  lèvent  le  siège.  Ils  se  battent 
peu  en  bataille  rangée.  Leur  gouvernement  n*est  pas 
absolu;  les  chefs  disposent  de  la  jeunesse  par  humbles 
remontrances,  mais  ils  sont  éloquents  et  persuasifs 
pour  les  gagner. 


5.   Avaieat-ile  quelque  connaissance  de  la  création  du  monde  et  du  déluge, 
et  quelque  écriture  qui  approchftt  de  l'Evangile? 


Non  pas  du  premier,  sinon  que  par  le  raisonnement 
ils  inféraient  de  l'harmonie  du  monde  qu'il  y  avait 
quelque  grand  génie  qui  l'avait  fait  et  qui  le  conservait 
dans  un  ordre  si  constant  et  si  réglé,  ainsi  que  j'ai 
déjà  reniarqué.  Pour  le  second,  ils  ont  leurs  fables,  qui 

ont  quelque  rapport  à  ce  que  l'Ecriture  dit  du  déluge. 

Les  Âbnakiouois,   qui  sont  des  peuples  du  côté  du 


}k. 


488  LBTTRB8 

sud,  parlent  d'une  fille  vierge  qui  enfanta  un  grand 
homme.  Ces  peuples  n'ont  pas  plus  tôt  connu  les  euro- 
péens que  les  autres  nations  de  l'Amérique,  et  jpartant 
la  connaissance  de  cette  Vierge  Mère  est  extraordinaire 
et  surprenante.  Il  en  est  de  même  de  ce  grand  homme 
dont  elle  est  Mère,  parce  que  c'est  ce  Messie,  dont  j'ai 
parlé,  que  les  Hurons  disent  avoir  réparé  le  monde  par 
un  rat  et  une  rate  musqués. 


6.  De  quelle  manière  conservaient-ils  la  tradition  de  leurs  histoiree,  et  de  ce  qui 
était  arrivé  le  temps  passé,  et  s'ils  n'avaient  point  de  lettres  pour  le  faire  f 


Ils  conservaient  la  tradition  de  leurs  histoires  par 
le  récit  que  les  pères  en  faisaient  à  leurs  enfants  et 
les  anciens  aux  jeunes  gens,  car  ils  n*ont  point  l'usage 
de  l'écriture  ni  d'aucun  caractère.  Ce  défaut  d'écriture 
est  cause  que  leurs  traditions  sont  mêlées  de  beaucoup 
de  fables  et  d'impertinences,  qui  grossissent  toujours 
avec  le  temps.  Ils  ne  peuvent  comprendre  comment 
par  les  lettres  nous  pouvons  savoir  ce  qui  se  passe 
en  France  et  ailleurs.  Ils  s'affermissent  dans  la  Foi 
quand  on  leur  dit  que  l'écriture  nous  enseigne  nos 
mystères.  S'ils  sont  à  trois  ou  quatre  cents  lieues  d'ici,  et 
que  leurs  gens  qui  sont  venus  ici  en  traite  s'en  retour- 
nent, portent  des  lettres  aux  Pères  qui  les  gouvernent, 
ils  sont  tout  extasiés  quand  ces  Pères  leur  disent  tout 
ce  qu'ils  ont  fait  et  dit  à  Québec.  Ils  ne  peuvent  con- 
cevoir comme  la  lettre  qu'ils  ont  portée  peut  dire  de 
si  grandes  vérités,  sans  jamais  se  tromper.  Cela  fait 
qu'ils  tiennent  les  Pères  pour  des  manitoux  à  qui  rien 
n'est  caché  ou  impossible,  et  cela  sert  beaucoup  à  la  foi. 


DB  LA  MBRB  MARIB  DB  L'INCARN ATION .  489 


7.  De  quelles  armes  ils  se  servaient  en  guerre,  et  avec  quels  instruments 

ils  les  faisaient. 


Ils  se  servaient  de  massues  de  bois,  d*arcs  et  de 
flèches,  dont  la  pointe  était  d*os  d'orignal  et  de  caribou, 
ou  de  pierres  qu'ils  affilaient.  Ils  en  portaient  un  vais- 
seau derrière  le  dos  quand  ils  allaient  en  guerre. 


8.  De  quelle  manière  ils  vivaient,  n'ayant  point  d'ustensiles  de  cuisine,  ni  l'usage 
du  feu  ;  ou  s'ils  avaient  du  feu,  comment  ils  le  conservaient. 


Ils  se  servaient  de  plats  d'écorce  très-bien  faits.  Avant 
qu'ils  eussent  commerce  avec  les  européens  ils  avaient 
l'usage  du  feu  par  le  moyen -des  pierres,  dont  ils  ne 
manquaient  pas.  Et  pour  faire  cuire  leur  viande,  on 
ils  la  rôtissaient  au  feu,  ou  ils  la  faisaient  bouillir  dans 
de  grands  plats  d'écorce  qu'ils  remplissaient  d'eau,  puis 
faisant  chauffer  jusqu'à  rougir  un  grand  nombre  de 
pierres,  ils  les  mettaient  dedans  pour  échauffer  l'eau 
et  la  faire  bouillir  jusqu'à  ce  que  la  viande  fut  cuite. 
Pour  faire  rôtir  les  chairs,  ils  font  des  cordes  d'écorce 
de  bois  tendre;  ils  y  attachent  la  viande  et  la  suspendent, 
puis  ils  la  tournent  et  virent  devant  le  feu  jusqu'à  ce 
qu'elle  soit  rôtie.  Ils  font  aussi  du  fil  d'ortie,  qu'ils  filent 

"H 

sans  fuseau,  le  tordant  sur  le  genou  avec  la  paume 
de  la  main.  Ils  en  font  leurs  petits  ouvrages,  qu'ils 
ornent  avec  du  poil  de  porc-épic  blanc  et  noir,  le  mêlant 
avec  d'autre  bouilli  en  des  racines,  qii!  le  font  aussi 
beau  que  la  cochenille  fait  en  France  l'écarlate. 
J'ai  fait  voir  ce  que  je  viens  d'écrire  à  uq  de  nos 


490  LETTRES 

révérends  Pères  fort  savant  en  ces  matières,  afin  de 
ne  vous  rien  mander  qui  ne  soit  bien  assuré  :  Je  vous 
l'envoie  avec  son  approbation. 

De  Québec,  le  1670. 


LETTRE   CCXVIL 

AU    RÉVÉRKND    PERE   PONCET,    JESUITE. 

Elle  lui  fait  le  récit  de  la  vocation  de  madame  de  la  Peltrie  au  Canada,  et  des 
principales  vertus  et  actions  de  sa  vie.  —  Explication  relativement  à  ce  qu'elle 
avait  dit  dans  la  Lettre  CCIX  au  sujet  de  la  Mère  de  Saint- Augustin,  Hospi- 
talière. 

* 

Mon  révérend  Père, 

Vous  avez  prié  madame  de  la  Peltrie  de  vous  mander 
de  certaines  choses  que  j  ai  bien  vu  que  sa  vertu  ne  lui 
permettait  pas  d'écrire.  Je  n'ai  pas  voulu  faire  de 
violence  à  sa  pudeur,  mais  comme  je  sais  l'histoire,  j'ai 
mieux  aimé  dérober  quelque  peu  de  temps  à  mes  occu- 
pations pour  vous  en  faire  moi-même  le  récit. 

Je  vous  dirai  donc  que  cette  dame,  après  la  mort 
de  M.  de  la  Peltrie,  son  mari,  se  porta  d'une  façon 
toute  particulière  à,  la  pratique  de  la  vertu.  Elle  sortit 
de  sa  maison  contre  le  gré  de  messieurs  ses  parents, 
qui  avaient  tant  d  amitié  et  de  tendresse  pour  elle,  qu'à 
peine  la  pouvaient- ils  perdre  de  vue.  Elle  fut  demeurer 
à  Alençon,  où  eile  ne  voulut  pas  demeurer,  chez  M.  de 
Vaubougon  son  père,  pour  éviter  les  sollicitations  qu'il 
eût  pu  lui  faire  de  se  remarier.  Etant  ainsi  établie  à  sa 


DB  LA  MÊRK  MARIE  DE  L'INGARN ATION .  491 

liberté,  elle  faisait  beaucoup  d'actions  de  charité,  logeant 
et  servant  les  pauvres,  et  retirant  en  sa  maison  des 
filles  perdues,  pour  les  retirer  des  occasions  de  péché. 
Quelque  aversion  qu'elle  eût  du  mariage,  son  père  ne 
laissa  pas  de  lui  en  parler  et  de  la  presser  d'y  entendre 
une  seconde  fois.  Comme  elle  donnait  autant  de  refus 
qu'il  faisait  d'instances,  il  lui  défendit  l'entrée  de  sa 
maison  et  lui  dit  qu'il  ne  la  voulait  jamais  voir.  Ce 
traitement  l'obligea  de  se  retirer  quelque  temps  dans 
une  ihaison  religieuse,  où  elle  ne  fut  pas  exempte 
d'importunité  à  cause  de  la  proximité  de  ses  parents. 

En  ce  temps- là  le  révérend  Père  Le  Jeune  fit  impri- 
mer une  relation  par  laquelle  il  exhortait  ses  lecteurs 
à  donner  du  secours  aux  sauvages,  et  où,  entre  les 
motifs  qu'il  donnait,  il  disait  ces  paroles  touchantes  : 
Ah!  ne  se  trouvera-t-il  point  quelque  bonne  et  vertueuse 
dame  qui  veuille  venir  en  ce  pays  pour  ramasser  le 
sang  de  Jésus-Christ  en  instruisant  les  petites  filles  sau- 
vages? Ces  paroles  lui  pénétrèrent  le  cœur,  en  sorte  que 
depuis  ce  temps-là  son  esprit  fut  plus  en  Canada  qu'on 
elle-même.  Avec  ces  sentiments  qu'elle  conservait  en 
son  âme,  elle  fut  obligée  de  retourner  à  ÂlcAçon,  ou 
le  décès  de  Madame  sa  mère  la  rappella.  Elle  y  tomba 
elle-même  malade  à  la  mort,  en  sorte  que  les  médecins 
l'ayant  abandonnée,  ils  ne  la  visitaient  plus  que  par 
honneur  et  par  cérémonie.  Comme  on  l'attendait  à 
expirer,  il  lui  vint  un  mouvement  de  faire  vœu  à  saint 
Joseph,  patron  du  Canada,  que  s'il  lui  plaisait  d'obtenir 
de  Dieu  sa  santé,  elle  irait  en  ce  pays  et  y  porterait 
tout  son  bien,  qu'elle  y  ferait  une  maison  sous  son  nom 
et  qu'dle  se  consacrerait  elle-même  au  service  des  filles 
sauvages.  Pendant  que  tout  cela  se  passait  en  son  esprit, 
il  y  avait  là  des  personnes  qui,  de  la  part  de  Monsieur 


492  LBTTRB8 

800  père,  lai  voulaient  faire  rompre  le  testament  qu'elle 
avait  fait,  et  lui-même  la  pressait  fort  de  le  faire.  Pour 
toute  réponse  elle  le  supplia  de  la  laisser  mourir  en  paix, 
ce  qui  l'offensa  étrangement.  Dans  ce  combat  elle  n'était 
soutenue  que  des  Pères  Capucins  qu'elle  avait  fait  ig[)pe- 
1er  pour  l'aider  à  bien  mourir.  Et  il  est  à  remarquer 
qu'elle  était  si  près  de  la  mort,  qu'on  avait  passé  la  nuit 
à  lui  faire  un  habit  de  Saint- François,  avec  lequel  elle 
voulait  être  inhumée.  Elle  s'endormit  parmi  ces  contra- 
dictions, et  lorsqu'on  l'attendait  à  expirer.  Mais  à  son 
réveil,  contre  l'attente  de  tout  le  monde,  elle  se  trouva 
sans  fièvre  et  dans  une  forte  résolution  de  conserver 
son  bien  pour  l'exécution  de  son  dessein  du  Canada. 

Le  lendemain,  les  médecins  ayant  appris  qu'elle  n'était 
pas  morte,  l'allèrent  visiter,  et  l'un  deux  lui  ayant  manié 
le  pouls  et  l'ayant  trouvée  sans  fièvre,  lui  dit  par  un 
certain  transport:  Madame,  vous  êtes  guérie;  assuré- 
ment votre  fièvre  est  allée  en  Canada.  Il  ne  savait  pas 
ce  qui  s'était  passé  dans  son  intérieur,  mais  elle,  qui 
s'en  ressouvenait  fort  bien,  le  regarda,  et  avec  un  petit 
sourire  lui  repartit  :  Oui,  Monsieur,  elle  est  allée  en 
Canada.  Ses  forces  étant  revenues  en  peu  de  temps, 
son  père  lui  livra  de  nouveaux  combats  et  lui  dit  que 
si  elle  ne  lui  donnait  le  contentement  qu'il  désirait,  elle 
le  verrait  mourir  de  déplaisir.  Plusieurs  personnes  de 
qualité  et  de  mérite,  même  des  religieux,  entraient  dans 
le  sentiment  de  son  père  et  lui  conseillaient  de  se  marier. 
Enfin  elle  communiqua  son  dessein  à  un  de  vos  révé- 
rends Pères  et  lui  demanda  les  moyens  qu'elle  pourrait 
tenir  pour  mettre  fin  à  laffliction  de  son  père.  Ce  révé- 
rend Père  lui  dit  que  tout  cela  pouvait  s'accommoder, 
que  son  père  serait  satisfait  et  qu  elle  ne  tomberait  point 
dans  l'inconvénient  quelle  craignait;  qu'il  connaissait 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'INGARNATION.  ^  493 

QD  gentilhomme  nommé  M.  de  Bernières,  trésorier 
de  France  à  Caen,  qui  menait  une  vie  de  saint,  et  qu*il 
le  faudrait  prier  de  la  faire  demander  en  mariage  pour 
y  vivre  comme  frère  et  sœur.  Cela  fut  conclu,  et  sans 
différer  davantage,  elle  écrivit  à  M.  de  Bernières  pour 
le  supplier  de  la  demander  en  mariage  à  son  père,  avec 
lequel  elle  était  alors  en  bonne  intelligence,  parce  qu'elle 
lui  avait  promis  de  lui  donner  le  contentement  qu'il 
désirait. 

M.  de  Bernières,  qui  était  un  homme  pur  comme 
un  ange,  ayant  reçu  la  lettre  de  madame  de  la  Peltrie, 
fut  surpris  au-delà  de  ce  qu'on  peut  s'imaginer,  et  ne 
savait  que  répondre  à  une  proposition  si  peu  attendue. 
II  consulta  son  directeur  et  quelques  personnes  de  piété, 
qui  lui  persuadèrent  d'embrasser  ce  dessein,  rassurant 
qu'ils .  connaissaient  madame  de  la  Peltrie,  qui  ne  le 
désirait  que  pour  en  facilité  l'exécution.  II  m'a  dit 
depuis  qu'il  fut  trois  jours  sans  poùVoir  se  résoudre, 
quelque  estime  de  vertu  qu'on  lui  donnât  de  madame 
de  la  Peltrie.  Il  souffrait  de  grands  combats,  craignant 
de  se  hasarder  dans  une  occasion  si  périlleuse;  outre 
que  tout  le  nionde  savait  la  résolution  qu'il  avait  prise, 
de  vivre  chastement  et  de  ne  se  marier  jamais.  Enfin 
après  avoir  fait  beaucoup  de  prières  pour  savoir  la 
volonté  de  Dieu  sur  cette  proposition,  il  résolut  de 
passer  outre,  et  sans  différer  davantage,  il  écrivit  à 
un  gentilhomme  de  ses  amis  nommé  M.  de  la  Bour- 
bonnière,  pour  le  prier  d'aller  trouver  M.  de  Vaubougon 
et  de  lui  demander  de  sa  part  madame  de  la  Peltrie 
sa  fille.  . 

Cet  ami  se  fit  honneur  de  trouver  une  occasion  si 
favorable  de  rendre  service  à  M.  de  Bernières.  Après' 
que  M.  de  Vaubougon  l'eût  entendu  parler,  il  passa 


494  LETTRB8 

d'une  extrémité  à  une  autre  et  pensa  mourir  de  joie; 
et  ne  pouvant  quasi  parler,  pour  le  transport  dont  son 
cœur  était  saisi,  il  pric^ce  gentilhomme  de  voir  sa  fille 
et  de  savoir  d'elle-même  sa  volonté.  Il  la  vit  et  ayant 
tiré  d'elle  le  consentement  qu'il  désirait,  ce  qui  ne  lai 
fut  pas  difficile,  il  en  alla  donner  avis  à  M.  de  Bemiè- 
res,  qui  demeura  l'homme  du  monde  le  plus  empêché, 
parce  qu'il  fallait  aller  à  Alençon  pour  l'exécution  da 
mariage.  M.  de  Vaubougon,  qui  était  au  lit  malade  des 
gouttes,  pressait  de  son  côté  sa  fille  de  terminer  l'afEaire 
au  plus  tôt.  Il  faisait  tapisser  et  parer  la  maison  pour 
recevoir  M.  de  Bernièros,  et  inspirait  à  sa  fille  les 
paroles  qu'elle  lui  devait  dire  pour  les  avantages  de 
ce  mariage. 

Cependant  M.  de  Bernières  ne  se  pressait  pas,  ce 
qui  faisait  languir  ce  bon  vieillard,  qui  voyant  que 
le  temps  se  passait,  commença  d'entrer  en  soupçon 
que  sa  fille  se  moquait  de  lui,  en  sorte  qu'il  voulait 
lui  faire  signer  uq  papier  qui  devait  lui  causer  une 
perte  de  plus  de  quarante  mille  livres.  Elle  le  flattait, 
lui  disant  que  M.  de  Bernières  était  un  homme  d'hon- 
neur qui  ne  manquerait  pas  à  sa  parole,  mais  qu'il 
lui  avait  fait  savoir  que  ses  affaires  ne  lui  pouvaient 
permettre  de  faire  le  voyage  de  six  semaines  Elle 
le  fit  néanmoins  venir  à  Alençon  en  secret,  et  le  fit 
loger  en  la  maison  d*une  de  ses  amies  qui  lui  était 
fidèle  et  à  qui  elle  avait  confié  tout  le  secret  du  Canada. 
Ils  conférèrent  ensemble  de  ce  qu'ils  pourraient  faire 
pour  ce  mariage.  Le  conseil  des  personnes  doctes  était 
quils  pouvaient  se  marier  et  vivre  en  chasteté  :  mais 
pour  les  intérêts  temporels,  Ion  assurait  que  ce  mariage 
eût  porté  préjudice  aux  affaires  du  Canada  à  cause 
ilu  bien  de  madame  de  la  Peltrie,  dont  les  héritiers 


DE  LA  MÈRE  BIARIS  DE  l'iNGARNATION.  496 

easseut  pu  avec  le  temps  fiedre  de  la  peine  à  M.  de 
Beraières.  La  résolution  fat  qu'ils  ne  se  marieraient 
pas,  mais  qu'ils  feraient  semblant  de  l'être,  et  là^dessus 
M.  de  Bemiôres  rQjx)urna  en  sa  maison. 

Au  même  temps  M.  de  Vau bougon  fut  saisi  d'une 
grosse  maladie  dont  il  mourut,  ce  qui  fit^changer  les 
affaires  de  face.  Madame  de  la  Peltrie  demeura  libre 
de  ce  côté-là,  mais  il  lui  survint  un  autre  embarras. 
Sa  sœur  aînée  et  son  beau-frôre  ne  Toulurent  pas 
qu'elle  entrât  en  partage  du  bien  de  leur  père,  et  ils 
voulaient  la  faire  enlever  et  mettre  en  interdiction, 
disant  qu'elle  donnait  son  bien  aux  pauvres,  et  que 
par  sa  mauvaise  conduite  elle  aurait  bientôt  tout  dissipé. 
Elle  fut  à  Caen  en  secret  pour  consulter  M.  de  Berniè- 
res,  qui  l'encouragea  puissamment,  et  par  le  conseil 
duquel  elle  appela  au  parlement  de  Rouen.  Elle  y  fut 
avec  son  homme  d'affaires,  qui  lui  conseillait  de  faire 
serment  d'une  chose  très-juste,  et  qu'il  l'assurait  qu'elle  . 
gagnerait  son  procôs.  Comme  elle  était  fort  craintive, 
elle  ne  le  voulut  pas;  mais  elle  s'adressa  à  Dieu  et  au 
glorieux  saint  Joseph,  lui  réitérant  le  vœu  qu'elle  avait 
fait  de  se  donner  avec  tout  son  bien  au  service  des  filles 
sauvages,  et  de  fonder  à  cet  effet  une  maison  d'Ursu- 
lines  en  Canada.  Dès  le  lendemain,  un  député  vient  lui 
dire  qu'elle  avait  gagné  son  procès,  et  qu'elle  était 
déclarée  capable  du  maniement  de  son  temporel. 

Comme  l'on  avait  eu  quelque  connaissance  de  la 
recherche  de  M.  de  Bernières,  on  croyait  qu'elle  allait 
se  marier,  et  on  la  montrait  au  doigt;  et  même  des 
personnes  religieuses  lui  faisaient  en  face  des  reproches 
de  ce  qu'ayant  mené  une  vie  dévote  et  exemplaire, 
elle  la  quittait  pour  reprendre  celle  du  grand  monde. 
Elle  répondait  en  souriant  et  avec  modestie,  qu'il  fallait 


496  LETTRES 

faire  la  volonté  de  Diea.  Ces  réponses  confirmaient 
la  créance  qa  on  en  avait,  et  surtout  sa  sœar  et  ses 
parents. 

Son  cœur  se  sentant  extraordinairement  pressé  d'exé- 
cuter son  dessein,  elle  s'en  alla  à  Paris  pour  en 
chercher  les  moyens,  et  M.  de  Bernières  Ty  fut  trouver 
pour  l'aider  en  cette  recherche.  Comme  ils  agissaient 
de  concert,  le  démon  suscita  un  nouveau  trouble,  savoir 
qu'on  cherchait  Madame  de  la  Peltrie  pour  la  mettre 
en  un  lieu  où  elle  ne  pût  dissiper  ses  biens.  Elle  était 
seulement  accompagnée  d'une  demoiselle  et  d'un  laquais 
à  qui  elle  avait  confié  ses  secrets,  et  afin  de  n'être 
point  surprise,  dans  la  nécessité  où  elle  était  de  con- 
sulter les  personnes  de  piété,  elle  changeait  d*habit 
avec  sa  demoiselle  et  la  suivait  comme  une  servante. 

Ceux  qui  furent  principalement  consultés  sur  une 
affaire  si  extraordinaire  furent  le  Père  de  Condren 
et  M.  Vincent  (saint  Vincent-de-Paule),  dont  le  premier 
était  général  de  TOratoire,  et  l'autre  de  Saint-Lazare. 
L'un  et  l'autre  ayant  jugé  que  cette  vocation  de  madame 
de  la  Peltrie  était  de  Dieu,  M.  de  Bernières  ne  pensa 
plus  qu'à  chercher  le  Père  qui  faisait  à  Paris  les  affaires 
du  Canada.  Par  une  providence  de  Dieu  toute  particu- 
lière il  fut  adressé  à  Votre  Révérence,  qui  lui  donna 
espérance  que  ce  dessein  pourrait  réussir.  Sur  quoi 
vous  prîtes  occasion  de  lui  dire,  parlant  de  moi,  que 
vous  connaissiez  une  religieuse  Ursuline  à  qui  Dieu 
donnait  de  semblables  pensées  pour  le  Canada,  et  qui 
n'attendait  que  l'occasion.  Lui,  tout  ravi  d'une  rencontre 
si  heureuse,  fut  trouver  madame  de  la  Peltrie  et  lui  dit 
la  découverte  qu'il  avait  faite;  la  voilà  toute  pleine 
d'espérance.  Votre  Révérence  prit  la  peine  de  m'écrire 
de  sa  part,  à  quoi  je  fis  réponse  avec  action  de  grâces 


DB  LA  MÊRB  IfARIB  DB  l'iNGARNATIOX.  -fiT 


et  d'acquiescement,  moyennant  l'ordre  de  robfissaiice. 
On  consulte  les  révérends  Pères  Lallemant  et  de  la 
Haye,  et  par  leur  conseil  M.  le  Commandeur  de  Sillenr^ 
et  M.  Fouquet,  conseiller  d'Etat,  afin  d  ayoir  leur  cou- 
sentement  pour  le  passage  de  madame  de  la  Peltrie» 
des  religieuses  et  de  leur  suite. 

Cependant,  pour  amuser  le  monde,  madame  de  la 
Peltrie  faisait  venir  ses  meubles  d'Alençon,  ce  qui 
confirma  la  créance  de  son  mariage,  en  sorte  qu'on 
cessa  de  llnquiéter.  Enfin  la  résolution  fut  que  Ton 
Tiendrait  me  quérir. à  Tours,  et  M.  de  Bemiôres  et 
madame  de  la  Peltrie  voulurent  bien  prendre  cette 
peine.  Durant  tout  le  voyage  on  les  prit  pour  le  mari 
et  la  femme,  et  les  personnes  de  qualité  qui  étaient 
dans  le  carrosse  en  avaient  la  créance.  Etant  arrivés 
à  Tours,  le  révérend  Père  Grandami,  recteur  de  votre 
Collège,  à  qui  le  révérend  Père  Provincial  avait  recom- 
mandé  de  présenter  à  Mgr  l'Archevêque  madame  de  la 
Croix  (c'est  le  nom  que  madame  de  la  Peltrie  avait  pris, 
afin  de  n'être  pas  connue)  se  trouva  prêt  pour  s'acquitter 
de  sa  commission,  ce  qu'il  fii  de  si  bonne  grâce  que 

• 

Monseigneur,  que  l'on  croyait  devoir  être  inexorable 
pour  un  dessein  si  extraordinaire,  après  l'avoir  entendu 
parler  et  vu  les  lettres  de  MM.  de  Sillery,  de  Lauson 
et  Fouquet,  fut  comme  ravi  de  la  grâce  que  Dieu  lui 
faisait  de  prendre  deux  de  ses  filles  pour  une  si  glo- 
rieuse entreprise.  Le  révérend  Père  lui  dit  le  secret 
de  madame  de  la  Peltrie  et  de  M.  de  Dernières,  corame 
celle-là  sous  le  nom  de  madame  do  la  ('roix,  et  comme 
tous  deux  sous  l'apparence  do  tnaria^fi^  avaient  pHli 
le  voyage  et  travaillaient  A  reX(V.uliot\  do  t>0tte  alUirt^ 
n  pria  le  Père  et  M.  do  Ilorni^n^s  do  U  monor  au 
monastère,  et  de  donner  ordro  do  sn  ptui  A  U  )NWiM>^udo 

H.    II.  !^f 


49P  LBTTIIB8 

Mère  supérieure  de  lui  eo  donner  rentrée  et  de  lui 
les  mêmes  honneurs  qu*4  sa  propre  personne.  Il  fut 
obéi,  parce  qu'elle  fut  reçue  avec  toutes  Les  acclamfi- 
tions  possibles.  Toute  la  Communauté  assembléo  se 
trouva  à  la  porte,  et  quand  elfô  parut  on  chanta  l^  Vmii 
Creator,  et  ensuite  le  Te  Deum  laudamtds.  Du  chœur  t>n  la 
mena  dans  une  salle  où  toutes  les  religiei^ses  furent 
se  jeter  à  ses  pieds  pour  lui  rendre  action  de  grâce 
de  ce  qu'elle  avait  jeté  les  yeux  sur  une  personne  46  la 
Maison  pour  l'exécution  de  sop  dessein. 

Quapd  on  fut  informé  que  M.  de  Çerniôres  ët^it 
Tagent  et  l'ange  visible  de  madame  de  la  Peltrfe,  Ifos 
religieuses,  avec  la  permission  de  leur  Supérieure» 
louèrent  file  à  file  au  parloir  se  jeter  à  ses  pieds  pour 
Iqi  exposer  le  dé^ir  qu'elles  avaipnt  d'être  choisies  pour 
^la  compagne.  La  bonne  Mère  Marie  de  Saint- Jo^pb 
i^'osait  paraître  ni  déclarer  son  désir.  Je  la  fis  entrer 
et  la  présentai  moi-même  à  M.  de  Berniôres.  Dôa  qu'il 
l'eut  vue  et  entendue  parler,  il  crut  que  c'était  celle-là 
que  Dieu  avait  choisie  pour  m*accompagner,  et  il  agit 
auprès  de  Mgr  l'Archevêque  pour  qu'on  nous  l'accordât. 
Il  fit  dès  lors  une  liaison  d  esprit  toute  particulière  avec 
cette  chère  Mère,  en  sorte  que  Madame,  elle  et  moi 
n'avions  avec  lui  qu'une  même  volonté  pour  les  afifaires 
de  Dieu.  Il  se  passa  bien  des  choses  au  sujet  des  parents 
de  cette  chère  Mère,  des  miens,  et  de  mon  fils,  qu'il 
n'est  pas  nécessaire  de  dire  en  ce  lieu. 

Nos  résolutions  étant  prises.  Monseigneur  de  Tours 
voulut  que  nous  fussions  en  sa  maison  pour  nous 
donner  sa  bénédiction,  et  à  cet  efiet  il  eut  la  bonté 
de  nous  envoyer  son  carrosse.  Il  voulut  encore  con- 
férer avec  madame  de  la  Peltrie,  en  présence  du  révé- 
rend Père  Grandami,  et  de  M.  de  Bernières,  touchant 


DE  LA  MËRB  MARIB  DB  L*INGARNATION .  499 

la  fondation  qa^elle  voulait  faire,  et  il  témoigna  qu'il 
voulait  qu'elle  fût  contraotée  en  sa  présence.  M.  de 
Berniôres  le  supplia  de  différer  jusqu'à  ce  que  nous 
fussions  à  Paris,  notre  voyage  étant  extrêmement 
pressé  ;  mais  madame  de  la  Peltrie  déclara  verbalement 
qu'elle  donnait  parole  de  trois  mille  livres  de  rente. 
Ce  bon  Prélat  se  contenta  de  la  promesse  verbale  qu'elle 
fit,  et  nous  ayant  donné  sa  bénédiction,  nous  confia, 
ma  compagne  et  moi,  à  ces  deux  bonnes  âmes,  avec 
une  recommandation  au  révérend  Père  de  la  Haye 
d'agir  pour  lui  en  cette  affaire,  et  de  nous  tenir  sa  place 
pendant  que  nous  serions  à  Paris.  M.  de  Bernières 
réglait  notre  temps  et  nos  observances  dans  le  carrosse, 
et  nous  les  gardions  aussi  exactement  que  dans  le 
Monastère.  Il  faisait  oraison  et  gardait  le  silence  aussi 
bien  que  nous.  Dans  les  temps  de  parler,  il  nous  entre- 
tenait de  son  oraison,  ou  d'autres  matières  spirituelles. 
A  tous  les  gîtes  c'était  lui  qui  allait  pourvoir  à  tous 
nos  besoins,  avec  une  charité  singulière.  Il  avait  deux 
serviteurs  qui  le  suivaient,  et  qui  nous  servaient  comme 
s'ils  eussent  été  à  nous,  parce  qu'ils  participaient  à 
Tesprit  dThumilité  et  de  charité  de  leur  maître,  surtout 
son  laquais,  qui  savait  tout  le  secret  du  mariage 
supposé. 

Lorsque  nos- révérendes  Mères  du  faubourg  de  Saint* 
Jacques  surent  notre  arrivée  à  Paris,  elles  nous  firent 
rhonneur  de  nous  envoyer  visiter  et  de  nous  offrir  leur 
maison;  mais  les  affaires  de  madame  de  la  Peltrie 
ne  nous  permettaient  pas  de  nous  séparer  d'elle,  et  de 
nous  enfermer  sitôt.  M.  de  Meules,  maître  d'hôtel  chez 
le  roi,  nous  prêta  sa  maison,  qui  était  dans  le  cloître 
des  Pères  Jésuites  de  la  maison  Professe,  ce  qui  nous 
fut  très- commode,  tant  parce  que  nous  y  avions  des 


500  LETTRES 

appartements  séparés  pour  M.  de  Bernières  et  pour 
nous,  que  pour  la  facilité  que  nous  avions  d'aller 
entendre  la  messe  à  Saint-Louis,  et  d'y  recevoir  les 
Sacrements. 

M.  de  Bernières  nous  accompagnait  partout,  et  tout 
le  monde  le  croyait  le  mari  de  madame  de  la  Peltrie, 
en  sorte  qu'étant  tombé  malade,  elle  demeurait  tout 
le  jour  en  sa  chambre,  et  les  médecins  lui  faisaient  le 
rapport;  de  Tétat  de  sa  maladie,  et  lui  donnaient  les 
ordonnances  pour  les  remèdes.  Son  masque  était  attaché 
au  rideau  du  lit,  et  ceux  qui  allaient  et  venaient  lui 
parlaient  comme  à  la  femme  du  malade.  Quoique 
nous  fussions  sensiblement  affligées  de  la  maladie  de 
M.  de  Bernières,  tout  cela  néanmoins  nous  servait  de 
récréation  et  de  divertissement.  Ce  mot  de  mariage  lai 
donnait  d'autres  pensées,  car  faisant  réflexion  à  la 
commission  qu'il  avait  donnée  à  son  ami  dô  demander 
en  son  nom  madame  de  la  Peltrie  à  son  père,  il  disait, 
et  répétait  :  Que  fdira  M.  de  la  Bourbonnière  que  je 
me  soiSj ainsi  moqué  de  lui?  Bon  «Dieu,  que  dira-t-il? 
Je  n'oserai  paraître  en  sa  présence.  Toutefois  j'irai  me 
jeter  à  ses  pieds  pour  lui  demander  pardon.  Tout  cela 
se  faisait  dans  nos  récréations,  mais  nos  entretiens 
ordinaires  et  presque  continuels  étaient  de  notre  Canada, 
des  préparatifs  qu'il  fallait  faire  pour  le  voyage,  et  de 
ce  que  nous  ferions  parmi  les  sauvages  dans  ce  pays 
barbare.  Il  regardait  la  Mère  de  Saint-Joseph,  qui  n'avait 
que  vingt  deux  ans,  comme  une  victime  qui  lui  faisait 
compassion,  et  tout  ensemble  il  était  ravi  de  son  courage 
et  de  son  zèle.  Pour  moi,  je  ne  lui  faisais  point  de 
pitié  :  il  souhaitait  que  je  fusse  égorgée  pour  Jésus- 
Christ,  et  il  en  souhaitait  autant  à  madame  de  la 
Peltrie.  Le  révérend  Père  Charles  Lallemant  se  chargea" 


DB  LA  MâRB  MARIE  DE  L'INGARNATION.  501 

de  faire  préparer  en  secret  tout  rembarquement;  et 
comme  Messieurs  de  la  compagnie  ne  purent  faire 
embarquer  tout  notre  bagage,  parce  que  nous  avions 
parlé  trop  tard,  lui  et  M.  de  Bernières  louèrent  un 
navire  exprès,  car  madame  de  la  Peltrie  n'épargnait 
point  la  dépense,  pourvu  qu'elle  vînt  à  bout  de  son 
dessein. 

Huit  jours  avant  notre  départ,  nos  révérendes  Mères 
du  faubourg  de  Saint-Jacques  nous  reçurent  dans  leur 
maison  avec  une  charité  et  cordialité  incroyables.  Votre 
révérence  sait  ce  qui  se  passa  au  sujet  de  ma  révérende 
Mère  de  Saint-Jérôme,  que  nous  avions  demandée  pour 
compagne,  comme  elle  tomba  malade  lorsqu'il  fallut 
partir,  et  comme  cet  accident  nous  obligea  de  passer 
sans  elle,  ce  qui  nous  causa  une  très-sensible  i^ffliction, 
car  outre  que  nous  perdions  un  excellent  sujet,  nous 
fûmes  obligées  de  refaire  notre  contrat  de  fondation, 
dans  lequel  elle  était  comprise.  M.  de  Bernières  et 
M.  Laudier  agent  de  madame  de  la  Peltrie  nous  menè- 
rent pour  cet  effet  chez  le  notaire,  où  il  y  eut  un 
peu  de  démêlé,  parce  que  ce  dernier  ne  jugea  pas 
à  propos  que  madame  de  la  Peltrie  employât  dans  son 
contrat  ce  qu'elle  avait  promis  à  Mgr  de  Tours,  parce, 
disait-il,  que  nous  ayant  promis  plus  que  le  droit 
n^  permettait,  cela  eût  pu  la  jeter  à  l'avenir  en  des 
procès  avec  ses  parents.  Nous  fûmes  donc  obligées, 
par  le  conseil  de  nos  amis,  d'en  passer  à  ce  qui  pou- 
vait rendre  le  traité  valide  et  sans  crainte  d'aucune 
mauvaise  conséquence. 

Nos  affaires  étant  expédiées  à  Paris,  nous  partîmes 
pour  nous  rendre  à  Dieppe,  qui  était  le  lieu  de  l'em- 
barquement, M.  de  Bernières  étant  toujours  notre  ange, 
gardien  avec  une  charité  nonpareille.  Nous  trouvâmes 


502  LBTTRS8 

à  Rouen  le  rëvërend  Pore  Charles  Lallemant,  qui  avait 
fait  préparer  toutes  choses  pour  le  voyage  si  secrète- 
ment  qu'à  peine  s'en  ëtait-cn  aperçu  dans  la  maison. 
Il  nous  fit  la  charité  de  nous  conduire  à  Dieppe,  et 
de  faire  embarquer  nos  provisions  et  notre  équipage, 
madame  de  la  Peltrie  foumfssant  à  toute  la  dépense. 
M.  de  Bernières  se  fût  embarqué  avec  nous  pour  faire 
le  voyage,  si  madame  de  la  Peltrie  ne  l'eût  constitué 
son  procureur  pour  faire  la  dépense  de  sa  fondation 
et  pour  faire  ses  affaires  en  France,  car  ses  parents 
croyaient  assurément  qu'ils  étaient  mariés,  et  sans 
cela  ils  nous  eussent  arrêtées,  ou  du  moins  retardëda 
cette  année-là.  Ce  grand  serviteur  de  Dieu  ne  pouvait 
nous  quitter  ;  il  nous  mena  dans  le  navire,  accompagné 
du  révérend  Père  Lallemant,  et  tous  deux  noua  ren- 
dirent tous  les  bons  et  charitables  offices  nécesaairea 
en  cette  rencontre,  où  la  mer  nous  rendait  fort  malades. 
Enfin  il  fallut  se  séparer  et  quitter  notre  ange  gar- 
dien pour  jamais;  mais  quoiqu'il  fût  éloigné  de  nous, 
sa  bonté  lui  fit  prendre  lé  soin  de  nos  affaires  avec 
un  amour  plus  que  paternel.  Dans  toute  la  eonversation 
que  nous  eûmes  avec  lui  depuis  notre  première' entre- 
vue jusqu'à  notre  séparation ,  nous  reconnûmes  que 
cet  homme  de  Dieu  était  possédé  de  son  Esprit,    et 
entièrement  ennemi  de  celui  du  monde.  Jamais  je  oe 
lui  ai  entendu  proférer  une  parole  de  légèreté,  et  quoi- 
qu'il fût  d'une  agréable  conversation,  il  ne  se  démentait 
jamais  de  la  modestie  convenable  à  sa  grâce.  Votre 
Révérence  en  peut  rendre  un  semblable  témoignage, 
ayant  eu  de  grandes  conversations  avec  lui  à  roceasion 
du  dessein  de  madame  notre  Fondatrice,  duquel  il  a  été 
un  des  principaux  instruments  pour  le  conduire  au 
point  où  par  la  miséricorde  de  Dieu  nous  le  voyons. 


DB  LA  mArb  marib  db  l'incarn ation  .  503 

Voità*  mon  cbër  Père,  un  petit  abrégé  des  connaissanôes 
que  j'ai  de  ce  qui  8*est  passé  au  sujet  de  M.  de  Bernières 
et  de  madame  de  la  Peltrie  :  vous  pouvez  y  ajouter  foi, 
parce  que  je  me  suis  eflforcée  de  le  faire  avec  plus  de 
fidélité  que  d'élégance  et  d'ornement. 

Pour  ce  qui  est  de  la  Mère  de  Saint-Augustin,  il  faut 
que  je  vous  ôte  un  soupçon  que  je  pourrais  vous  avoir 
donné  à  son  égard,  d'avoir  manqué  de  fidélité  à  sa 
Supérieure.  Je  vous  ai  dit  que  sa  conduite  intérieure 
et  les  choses  extraordinaires  qui  se  passaient  en  elle 
n'étaient  connues  ni  de  sa  Supérieure,  ni  de  ses  Sœurs, 
an  grand  étonnement  des  personnes  spirituelles  et  expé- 
rimentées dans  les  voies  de  Dieu.  Ce  n'est  pas  manque 
de  fidélité  ni  de  soumission  qu'elle  a  tenu  tout  cela 
secret,  mais  par  l'ordre  qu'elle  en  avait  de  ses  Direc- 
teurs, pour  la  nature  de  la  chose  qui  eût  été  capable 
de  donner  de  la  frayeur.  Elle  avait  quelquefois,  à  ce 
qu'on  dit,  une  centaine  de  démons  en  tête,  et  une  fois 
elle  en  a  eu  jusqu'à  huit  cents,  dont  elle  connaissait 
Tordre  par  une  impression  du  Ciel.  Ils  la  priaient  de 
remuer  seulenent  le  dofgt  pour  témoigner  qu'elle  leur 
donnait  permission  d'agir  et  de  travailler  à  la  perte  des 
âmes.  Mais  elle  les  arrêtait,  en  sorte  qu'ils  n'osaient 
remuer.  Ils  lui  faisaient  de  certaines  questions  ridicules 
et  impertinentes  pour  la  plupart,  et  le  révérend  Père 
de  Brébeuf  lui  suggérait  ce  qu'elle  avait  à  répondre. 
Ils  lui  demandèrent  permission  de  suivre  l'armée  fran- 
çaise lorsqu'elle  allait  contre  les  Iroquois,  afin  d'empê- 
cher les  Français  de  se  confesser  ;  mais  elle  les  retint, 
et  cependant  (pendant  cela)  presque  tous  les  soldats 
firent  une  confession  générale.  Ces  misérables  la  fai- 
saient souffrir,  de  rage  qu'ils  avaient  de  ce  qu'elle  les 
tenait  captifs  et  qu'elle  ruinait  tous  leurs  desseins. 


504  LETTRES 

On  la  voyait  quelquefois  manquer  aux  observances 
régulières,  par  la  permission  que  sea  supérieurs  lai 
en  donnaient  à  cause  de  ses  souffrances,  qui  la  rendaient 
un  sujet  de  douleurs  et  de  faiblesse.  Elle  souffrait  encore 
plus  dans  l'intérieur  que  dans  le  corps.  Cela  ne  parais- 
sait pas  tant,  mais  je  le  sais  de  celui  qui  avait  la  direc- 
tion de  son  âme.  Pour  toutes  ces  choses  extraordi- 
naires, ce  n'est  pas  à  moi,  mon  très-révérend  Père, 
d'en  porter  jugement;  vous  le  ferez  tel  qu'il  vous  plaira. 
Mais  je  me  suis  sentie  obligée  de  faire  une  petite  répa- 
ration de  ce  que  je  vous  avais  écrit,  que  sa  Supérieure 
ne  savait  rien  de  ce  qui  se  passait  en  elle;  de  crainte 
que  vous  ne  la  blâmiez  de  n'avoir  pas  eu  assez  de  fidélité 
envers  celle  que  Dieu  lui  avait  donnée  pour  la  condaire, 
et  que  cette  pensée  ne  diminue  l'estime  que  vous  pouvez 
avoir  de  sa  vertu. 

De  Québec,  le  25  ^octobre  1670. 


LETTRE  CGXVIII. 


A     SA     NIECE,      RELIGIEUSE. 


Elle  lui  donne  des  avis  salutaires  au  sujet  d'uue  antipathie  naturelle  qu'elle  avait 

contre  sa  supérieure. 


Ma  très-chère  et  bien-aimée  fille, 

Voici  la  réponse  à  votre  lettre  du  19  de  mars,  que  j'ai 
reçue  des  mains  propres  de  celui  à  qui  vous  l'aviez 
confiée.  Je  vous  dirai  que  je  conçois  votre  état  et  les 


DB  LA  MÈRB  MARIB  DB  l'INCARNATION.  505 

V0Î68  par  lesquelles  Dieu  vous  mène.  Sa  bonté  a  des 
desseins  sur  vous  que  vous  ne  connaissez  pas,  et  c*est 
ce  qui  fait  un  point  des  plus  pesants  de  votre  croix. 
Je  ne  doute  point  que  vous  ne  preniez  conseil,  et  que 
les  personnes  que  vous  consultez  ne  soient  gens  de  bien 
et  remplis  de  Tesprit  de  Dieu  :  c'est  ce  qui  me  confirme 
que  votre  croix  étant  voulue  et  ordonnée  de  Dieu,  elle 
est  une  véritable  croix.  Mais,  ma  chère  fille,  il  y  a  une 
chose  qui  vous  l'appesantit  et  qui  vous  la  rend  presque 
insupportable,  c'est  la  peine  que  vous  avez  de  vous 
approcher  de  votre  Supérieure.  Mais  comme  il  n'y  a 
rien  qu'il  ne  faille  faire  pour  être  bien  avec  Notre- 
Seigneur,  aussi  n'y  a-t*il  rien, qu'il  ne  faille  faire  pour 
être  bien  avec  ceux  qui  nous  tiennent  sa  place,  quoi- 
qu'ils nous  soient  contraires  dans  nos  façons  d'agir.  Ils 
ont  leurs  vues,  et  ils  estiment  faire  ce  que  Dieu  demande 
d'eux  :  ce  n'est  pas  à  nous  d'examiner  cela,  mais  à  Dieu 
qui  doit  faire  rendre  compte  un  jour  de  la  conduite 
de  ceux  qui  gouvernent,  et  de  la  soumission  de  ceux 
qui  doivent  obéir.  Que  faut-il  donc  faire?  humilions- 
nous  sous  la  puissante  main  qui  veut  nous  polir  pour 
nous  faire  saints  et  nous  rendre  dignes  de  lui.  Ah  !  ma 
bien-aimée  fille,  je  voudrais  être,  s'il  m'était  possible,. 
avec  vous  pour  vous  aider  à  porter  votre  croix.  Je  ne 
suis  qu'une  pauvre  pécheresse  indigne  d'être  écoutée 
de  Dieu  dans  les  prières  que  je  lui  offre  sans  cesse  pour 
vous;  je  le  prie  néanmoins  de  me  charger  de  votre 
croix  et  de  vous  en  délivrer,  si  c'est  pour  sa  gloire. 
Je  vois  bien  par  ce  que  vous  me  dites,  et  de  ce  que  j'en 
apprends  d'ailleurs ,  que  vous'^  êtes  privée  de  l'appui 
et  de  la  consolation  que  vous  devriez  trouver  en  votre 
Supérieure,  à  cause  de  la  grande  difficulté  que  vous 
sentez  de  vous  approcher  d'elle;  c'est  une  tentation. 


506  LBttRM 

oroyes-CQoi.  Mais  supposez  qité  de  H'éh  soit  paà  une, 
et  que  vous  ayez  nn  juste  sujet  de  itefiroidlsseéieat, 
je  TOUS  demande  senlemebt  que  vous  faisiez  eu  nab 
endroit  oe  que  la  Règle  ordonne;  et  6èla  datte  résprii 
de  l'Evangile,  qui  est  un  esprit  de  douceur  et  d*afiabilitâ; 
cela  attirera  l'esprit  de  Dieu  en  votre  âme,  et  quoique 
vous  sentiez  la  pesanteur  de  votre  croix,  vous  jetterez 
des  charbons  ardents  sur  la  tête  de  qui  .que  ce  soit  qui 
vous  doûne  matière  de  soufifrauce,  et  vous  édifierez 
celles  qui  verront  que  vous  faites  tout  ce  qui  est  ett 
vous  pour  la  gloire  de  Dieu,  et  pour  la  bien  de  la  paix. 
Ne  vous  déchargez  qu'à  .cette  souveraine  bonté  ;  c^est 
elle  qui  mortifie  et  qui  vivifie  ;  c'est  elle  qui  sait  en  soâ 
temps  relever  ceux  qui  sont  dans  la  poussière.  Encore 
une  fois,  quoique  je  sois  éloignée  de  Vbus,  je  vois  vôtres 
condmte)  vos  travaux  et  vos  peines;  mais  revenons 
à  ce  point,  que  vous  ne  sortirez  jamais  de  là  qu'en  vous 
humiliant  de  cette  humiliation  que  ce  Dieu  qui  s'est 
anéanti  pour  nous  nous  a  apprise,  en  se  faisant  notre 
cause  exemplaire  depuis  le  moment  de  sa  Conception 
jusqu'au  dernier  soupir  de  sa  vie^  C'est  Lui,  ma  chère 
fille,  qui  me  meut  à  vous  parler  de  la  sorte,  et  je  ne 
puis  faire  autrement;  ne  raidissons  point  notre  esj^rit 
en  contrariant  ses  saintes  et  divines  maximes.  Pouf 
moi,  je  m'y  rends  et  je  n'en  veux  jamais  sortir,  moyen- 
nant sa  sainte  grâce,  sans  laquelle  je  ne  saurais  rien 
faire.  Plût  à  sa  bonté  me  rendre  digne  d'être  le  blanc 
(but)  de  contradiction  de  tout  le  monde.  Quand  je  dis 
de  tout  le  monde,  j'entends  principalement  du  monde 
saint,  c'est-à-dire  des  personnes  saintes,  parce  que  les 
coups  qui  viennent  de  ces  mains-là  sont  plus  perçants 
que  toutes  les  machines  des  pécheurs.  Ah!  que  j'ai 
de  désir  que  vous  deveniez  sainte,  aux  dépens  de  tout 


DB  LA  MÈRB  MARIB  DE  L'ING ARNATION .  ^  507 

ce  que  je  pourrais  souârir  !  Quand  je  fais  réflexion  que 
j'ai  été  la  première  qui  vous  ai  donnée  à  Dieu  quand 
vous  êtes  venue  au  monde,  je  me  condamne  moi-môme, 
et  j'estime  que  mes  péchés  sont  la  cause  de  toutes  vos 
croix.  Souffrez,  mon  aimable  fille,  que  je  vous  aie 
déchargé  mon  cœur,  et  que  je  finisse  en  vous  disant 
ces  paroles  de  Notre-Seigneur,  que  celui  qui  s*humiUe 
gara  élevé. 

De  Québec,  le  6  d'octobre  1671 . 


LETTRE   CCXIX. 

A   LA   SUPÉRIEURE   DES    URSULINES   DE   MONS. 
(La  Mère  Cécile  de  Saint- Joseph.) 

21lê  là  HmèTâ9  poar  nné  ftomône.  —  Elle  t'explique  snr  des  malentendot  et  det 
diiBciiltèt  qai  âtâient  eu  lien  relatÎYement  à  des  religieuses  de  Moni  qoe  l'on 
attendait  à  Québec.  —  Religieuses  de  Paris  et  de  Bourges  qui  sout  eu  Canada. 
—  Ce  qui  s'est  passé  à  Québec.  —  Mort  d'une  petite  sauvage,  modèle  de  piété 
et  mirade  de  patience. 


Jâsus,  Marik,  Joseph. 
Aux  Urstdinee  de  Québec,  Is  24  août  167 î. 

Ma  révérende  et  très-honorée  Mère, 

Jésus  soit  notre  vie  pour  le  temps  et  pour  Téternité. 

Quoique  nous  n'ayons  encore  ni  navire  ni  nouvelles 
de  France  qui  nous  puissent  informer  de  nos  aflfkires 
et  des  dispositions  de  nos  amis,  néanmoins,  par  une 


508  LBTTRB8 

Providence  particulière,  le  révérend  Père  Ragaeneau 
ayant  hasardé  un  paquet  de  lettres  par  la  voie  de  la 
pêcherie,  il  est  venu  jusqu'à  nous.  J'y  ai  trouvé  celle 
qu'il  vous  a  plu  m'écrire,  avec  celle  de  ma  révérende 
Mère  Philippe  de  Sainte-Ursule,  ce  qui  m'a,  et  à  notre 
Ciommunauté,  apporté  une  singulière  joie  de  Thonneur 
de  votre  charitable  souvenir.  Votre  chère  lettre  est 
datée  du  30  novembre;  je  l'ai  reçue  à  la  mi-juin  1671. 
Le  révérend  Père  Ragueneau  nous  mande  que  vous 
avez  eu  la  bonté  de  lui  adresser  pour  nous  la  somme 
de  cent  vingt-cinq  livres,  qu'il  a  employée  poar  les 
besoins  de  notre  Séminaire,  parce  que  c'est  lui  qui  nous 
fournit  tout;  je  vous  en  rends  mes  très-humbles  actions 
de  grâce,  ma  très-chère  Mère.  Je  prie  Dieu  d'en  vouloir 
être  votre  récompense  et  des  saintes  âmes  qui  y  ont 
contribué.  Nous  n'avons  point  encore  reçu  le  livre 
de  notre  vénérable  Mère  Anne  de  Beauvaîs,  si  ledit 
révérend  Père  Ta  reçu ,  nous  le  trouverons  en  nos 
paquets;  par  avance  je  vous  en  rends  mes  très-humbles 
remerciements. 

Lorsque  je  me  donnai  Thonneur  de  vous  écrire  ma 
première  de  Tannée  passée,  je  ne  savais  pas  que  naes 
chères  Mères  vos  bonnes  Sœurs  eussent  de  l'attrait 
pour  la  mission  de  Canada;  nous  n'eussions  eu  garde 
de  jeter  les  yeux  ailleurs.  Cette  proposition  des  révé- 
rendes Mères  de  Namur  ne  nous  ayant  été  faite  par 
le  révérend  Père  Crépieul  qu'alors  que  le  dernier  navire 
était  prêt  de  faire  voile,  cela  me  fit  vous  écrire  une 
deuxième  fois,  pour  vous  dire  ce  qu'on  se  proposait 
de  par  deçà  (de  ce  côté)  à  ce  sujet,  en  la  confiance  que 
j'avais  en  votre  chère  personne,  qui  nous  pouvait  aider 
de  son  crédit  en  la  demande.que  nous  faisions.  Le  révé- 
rend Père  Crépieul  nous  parlait  de  la  sorte  comme  si  les 


D8  LA  MftRH  XABIH  OB  L  i:f CAa!«ATIOI« .  509 

affaires  des  dites  Mères  eosseat  été  assarées»  et  ce  fut 
pourquoi  Mgr  notre  digne  Prélat  arait  donné  toate 
commissioa  an  révérend  Père  Raguenean.  Eifecti^e^ 
ment  nous  n'attendions  point  d'antres  Ursnlines  que 
celles  de  Flandre.  Par  la  lettre  dadit  révérend  Père 
Ragoeneao  je  rois  qae  les  aâaires  ont  changé  de  face; 
il  me  dit  que  toos  avez  en  la  bontés  en  égard  à  la  sainte 
fenrenr  de  mes  chères  Mères  tos  bonnes  filles,  de  nous 
en  Touloir  donner  deux  de  choeur  et  une  converse  qui 
était  justement  ce  qu'il  nous  fallait,  nous  leur  avions 
déjà  préparé  leur  chambre  et  tout  ce  quil  fallait  pour 
les  bien  soigner.  En  vérité  nous  étions  si  persuadées 
de  leur  passage  que  nous  les  croyions  déjà  venues, 
à  l'exclusion  de  nos  Sœurs  de  France  qui  postulaient 
depuis  plusieurs  années;  mais  ledit  révérend  Père 
m'ayant  exposé  vos  bonnes  volontés  et  celles  de  votre 
Communauté,  dans  les  premiers  articles  de  sa  Lettre 
comme  d'une  affaire  faite,  à  la  fin  il  me  dit  que  tout 
a  été  arrêté  et  que  nous  ne  saurions  avoir  des  Sœurs  ; 
je  me  suis  doutée  que  Mgr  votre  digne  Prélat  pourra 
en  avoir  été  la  cause.  La  lettre  du  Père  est  en  date  du 
mois  de  janvier,  ce  qui  l'a  obligé,  les  atfaires  étant 
pressées  pour  l'embarquement,  de  recourir  à  nos  Mères 
de  Paris  et  de  Bourges  qui  pressaient  depuis  quatre  ans. 
Enfin  elles  nous  envoient  chacune  deux  Sœurs;  savoir 
trois  Sœurs  de  chœur  et  une  converse,  qu'un  homme 
venu  de  la  pêcherie  nous  a  assurées  avoir  vues  à  la 
Rochelle.  Nous  ne  savons  cela  que  par  le  rapport  de  cet 
homme,  parce  que  ni  elles  ni  nos  Mores  ne  m'ont  écrit  : 
c'est  pourquoi  nous  ne  saurions  assurer  si  elles  se  sont 
embarquées  ou  non,  ce  qui  nous  met  en  grande  peine, 
crainte  que  quelque  accident  ne  leur  soit  arrivé,  parce 
qu'il  y  a  plus  de  quatre  mois  que  l'homme  les  a  vues. 


510  LBTTEB8 

Vous  me  demandes  8i  je  suis  hors  de  charge,  oui,  ma 
très-chôre  More,  par  la  miséricorde  de  Dieu.  Depuis 
quelque  temps  Ton  m'a  donné  en  charge  nos  jeunes 
professes  et  les  novices  avec  la  charge  d'assistante,  qw 
nous  appelons  en  France  souç-prieure.  Notre  révérende 
More  se  nomme  de  Saint-Âthanase  ;  elle  est  sortie  du 
couvent  des  Ursulines  du  faubourg  Saint-Jaeques  à 
Paris;  il  y  a  trente-et-un  ans  qu'elle  est  avec  nous;  elle 
et  notre  Communauté  eussions  été  ravies  d'avoir  de  vos 
filles,  et  nous  vous  rendons  toutes  nos  trôs^humbles 
remerciements  de  nous  les  avoir  voulu  donner  et  de  oe 
qu'elles  voulaient  bien  venir  ;  nous  les  regardons  comme 
nos  très-aimées  Sœurs,  et  votre  sainte  famille  une  avee 
la  nôtre  en  communauté  de  biens  spirituels;  agrées 
donc  cette  vénération,  mon  aimable  Mère,  je  vqos  an 
coigure.  Notre  révérende  Mère  et  notre  Communauté 
vous  remercient  de  votre  charitable  aumône,  que  nous 
tâcherons  de  reconnaître  auprès  de  Dieu.  Je  crois  que 
vous  avez  reçu  la  Relation  de  Tannée  passée,  que  le 
révérend  Père  Ragueneau  me  mande  vous  avoir  envoyée 
de  notre  part.  Dieu  continue  ses  saintes  grâces  sur  les 
missions  par  la  découverte  de  nouveaux  peuples  et  par 
de  grandes  conversions  ;  le  diable,  enragé  de  ce  progrès, 
a  mis  le  feu  dans  la  plus  belle  chapelle  et  maison  de 
refuge  des  révérends  Pères  pendant  qu'ils  travaillaient 
pour  la  gloire  de  Dieu  à  quelques  lieues  de  là,  naais  les 
bons  Pères  n'ont  point  perdu  courage  pour  cela;  ils 
en  ont  bâti  une  plus  belle,  qui  ne  fut  pas  plutôt  achevée 
qu'on  y  baptisa  quarante  enfants  sauvages;  et  ainsi  les 
misérables  démons  ont  perdu  plus  qu'ils  n'ont  gagné. 
Il  y  a  eu  des  guérisons  miraculeuses  pour  confirmation 
de  notre  sainte  Foi  chez  plusieurs  des  barbares,  auxquels 
des  sorciers  avaient  voulu  faire  croire  que  le  Baptême 


DB  LA  MÈRB  MABm  OB  L'INGARNATION  .  511 

ffû^ait  mouriF  \e\xn  enfants;  iUi  ont  été  désabusés, 
vqjjrant  les  œuvres  de  Dieu  si  contraires  à  ce  que  leur 
disaient  leqrs  jongleurs. 

Il  nous  est  mort  une  de  nos  séminaristes  âgée  seule* 
ment  de  six  ans  ;  c'était  une  enfant  la  plus  éclairée  qu  on 
pouvait  se  l'imaginer  et  extrêmement  patiente  ;  elle  était 
bydropique.  Par  l'ordre  de  nos  médecins  il  fallut  lui 
ouvrir  le  ventre»  elle  vit  faire  cette  opération  par 
diverses  fois  sans  se  plaindre,  et  deux  fois  le  jour 
ouvrir  sa  plaie  comme  un  robinet  et  en  tirer  plusieurs 
mesures  d'eau  ;  elle  était  sondée  d^ns  les  intestins  fré- 
quemment; elle  regardait  et  souffrait  cela  en  souriant 
et  disant  :  Mon  Dieu,  je  vous  l'offre;  les  médecins  en 
étaient  ravis,  et  l'un  d'eux,  qui  venait  de  France,  m'a  dit 
plusieurs  fois,  par  admiration,  qu'il  n'avait  jamais  vu 
un  si  grand  esprit,  ni  une  telle  patience,  ni  une  piété 
semblable.  Elle  se  confessait  fréquemment;  Mgr  notre 
digne  Prélat  la  jugea  capable  de  recevoir  le  saint 
Viatique  et  la  sainte  Onction,  ce  qu'elle  reçut  avec 
esprit  de  foi;  elle  demandait  pardon  aux  infirmières 
lorsqu'elle  s'était  échappée  de  faire  quelque  plainte. 
Un  jour,  avant  sa  mort ,  qu'elle  était  en  convulsion 
et  comnie  en  agonie,  son  confesseur  ne  croyant  pas* 
qu'elle  pût  lui  parler,  se  retira;  alors  d'une  voix  ferme 
elle  l'appela,  disant  :  Mon  Père,  je  veux  me  confesser; 
elle  le  fit  avec  intelligence.  Ce  Père  et  nous  toutes 
en  étions  dans  l'admiration  ;  peu  de  moments  après  ce 
petit  ange  expira.  Elle  était  fille  de  sauvages,  mais  elle 
n'en  avait  ni  la  façon  ni  Thumeur,  ni  les  mœurs  ;  nous 
avons  cru  que  Dieu  avait  fait  passer  par  de  si  grandes 
souffrances  cette  innocente  pour  les  péchés  de  quel- 
qu'un, ou  pour  la  conversion  de  ses  parents.  Vous 
voyez,  mon  aimable  Mère,  que  la  grâce  prend  son. 


512  LBTTRB6 

fiiége  dans  certaines  âmes  prédestinées.  Nous  en  avons 
cinquante  autres  qui  nous  donnent  bien  de  la  satisfac- 
tion, priez  pour  elles  toutes,  s'il  vous  plaît.  Je  demande 
cette  grâce  à  votre  sainte  Communauté  que  je  saine 
et  embrasse  avec  vous;  agréez  les  trôs-respectueox 
saints  de  notre  révérende  Mère  et  de  notre  Commu- 
nauté. Je  me  donnerai  la  consolation  de  vous  écrire 
par  une  autre  voie.  Je  suis  sans  réserve,  ma  très- 
révérende  Mère,  votre   très-humble,  très-obligée  et 
obéissante  servante, 

Marie  de  llncarnation,  R.  V. 


Ce  24  septembre  1671. 

J'ai  donné  votre  lettre  au  révérend  Père  recteur  des 
Jésuites.  Depuis  la  présente  écrite,  nos  Sœurs  sont 
heureusement  arrivées  en  bonne  santé,  après  avoir  été 
trois  mois  chez  nos  Mères  de  la  Rochelle;  elles  ont 
passé  par  sept  de  nos  maisons,  chemin  faisant.  Kous 
n'avons  point  encore  reçu  le  livre  de  la  vénérable  Mère 
Anne  de  Beau  vais,   si  le  révérend  Père  Ragueneau 
Ta  reçu,  nous  le  recevrons  dans  un  de  nos  ballots/ 
Je  vous  remercie  humblement,  ma  très-chère  Mère, 
de  toutes  vos  bontés  et  libéralités  pour  nous. 

ylj  Voir  une  note  à  la  Lettre  CCI,  ci-dessus,  page  423. 


DB  LA  UtRE  MARIB  DE  L'INCARNATION  .  513 


LETTRE  CCXX. 

A   SON   FILS. 

CireoDftances  du  ravissement  admirable  dans  lequel  Dieu  lui  donna  la  connais- 
sance du  mystère  de  la  très-sainte  Trinité,  dont  il  est  parlé  dans  l'histoire  de 
sa  vie.  —  Son  oraison  de  respir,  où  elle  montre  que,  quelque  élevée  que  soit 
une  oraison,  on  n'y  est  pas  pour  cela  exempt  de  distraction.  —  Elle  a  gardé 
•on  vœu  de  faire  ce  qui  est  plus  parfait,  absolument  et  sans  restriction. 

Mon  très-cher  âls, 

Paisqae  vous  désirez  que  je  vous  donne  quelque 
éclaircissement  sur  ce  que  je  vous  ai  dit  dans  mes 
écrits  touchant  le  mystère  de  la  très-sainte  Trinité, 
je  vous  dirai  que  lorsque  cela  m'arriva,  je  n'avais 
jamais  été  instruite  sur  ce  grand  et  suradorable 
mystère;  et  quand  je  l'aurais  lu  et  relu,  cette  lecture 
ou  instruction  de  la  part  des  hommes  ne  m'en  aurait 
pu  donner  une  impression  telle  que  je  l'eus  pour  lors, 
et  qu'elle  m'est  demeurée  depuis.  Cela  m'arriva  par  une 
impression  subite,  qui  me  fit  demeurer  à  genoux  comme 
immobile.  Je  vis  en  un  moment  ce  qui  ne  se  peut  dire 
ni  écrire  qu'en  donnant  un  temps  ou  un  intervalle 
successif  pour  passer  d*une  chose  à  une  autre.  En  ce 
temps-là^ mon  état  était  d'être  attachée  aux  sacrés 
mystères  du  Verbe  incarné.  Les  cinq  heures  de  temps 
se  passaient  à  genoux  sans  me  lasser  ni  penser  à  moi, 
l'amour  de  ce  divin  Sauveur  me  tenant  liée  et  comme 

LBTTR.  M.    n.  33 


514  LBTTRB8 

transformée  en  lui.  Dans  l'attrait  dont  il  est  question, 
j'oubliai  tout,  mon  esprit  étant  absorbé  dans  ce  divin 
mystère,  et  toutes  les  puissances  de  l'âme  arrêtées 
et  soujQfrant  Timpression  de  la  très-auguste  Trinité,  sans 
forme  ni  figure  de  ce  qui  tombe  sous  les  sens. 

Je  ne  dis  pas  que  ce  fut  une  lumière,  parce  que  cela 
tombe  encore  sous  les'sens  ;  et  c'est  ce  qui  me  fait  dire 
impression,  quoique  cela  me  paraisse  encore  quelque 
chose  de  la  matière  ;  mais  je  ne  puis  m'exprimer  aatre- 
ment,  la  chose  étant  si  spirituelle,  qu'il  n'y  a  point  de 
diction  qui  en  approche.  L'âme  se  trouvait  dans  la 
vérité  et  entendait  ce  divin  commerce  en  un  moment 
sans  forme  ni  figure.  Et  lorsque  je  dis  que  Dieu  me  le 
fit  voir,  je  ne  veux  pas  dire  que  ce  fut  un  acte,  parce 
que  l'acte  est  encore  dans  la  diction  et  parait  matériel, 
mais  c'est  une  chose  divine  qui  est  Dieu  même.  Le  tout 
»y  contemplait  et  se  faisait  voir  à  lame  d'un  regard 
fixe  et  épuré,  libre  de  toute  ignorance  et  d'une  manière 
ineffable.  En  un  mot,  lame  était  abîmée  dans  ce  grand 
océan  où  elle  voyait  et  entendait  des  choses  inexpli- 
cables. Quoique  pour  en  parler  il  faille  du  temps,  l'âme 
néanmoins  voyait  en  un  instant  le  mystère  de  la  géné- 
ration éternelle,  le  Père  engendrant  son  Fils,  et  le  Père 
et  le  Fils  produisant  le  Saint-Esprit,  sans  mélange  ni 
confusion.  Cette  pureté  de  production  et  de  spiration  est 
si  haute,  que  lame,  quoique  abîmée  dans  ce  tout,  ne 
pouvait  produire  aucun  acte,  parce  que  cette  immense 
lumière  qui  l'absorbait  la  rendait  impuissante  de  lui 
parler  Elle  portait  dans  cette  impression  la  grandeur 
de  la  Majesté  qui  ne  lui  permettait  pas  de  lui  parler; 
et  quoiquainsi  anéantie  dans  cet  abîme  de  lumière, 
comme  le  néant  dans  le  tout,  cette  suradorable  Majesté 
rinstruisait  par  son  immense  et  paternelle  bonté,  sans 


DB  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION  .  515 

que  sa  grandeur,  fût  retenue  par  aucun  obstacle  de  ce 
né^nt,  et  elle  lui  communiquait  les  secrets  touchant  ce 
divin  compoerce  du  Père  au  Fils,  et  du  Père  et  du  Fi^s 
au.  Saint; Esprit,  par  leur  embrassement  et  mutuel 
amour  ;  et  tout  cela  avec  une  netteté  et  pureté  qui  ne 
se  peut  dire. 

Dans  cette  même  impression  j'étais  informée  (il  y 
avait  en  moi  une  forme)  de  ce  que  Dieu  fait  par  lui- 
naême,  dans  la  communication  de  sa.  divine  Majesté, 
dans  la  suprême  hiérarchie  des  anges,  composée  des 
Chérubins,  des  Séraphins  et  des  Trônes,  lui  signifiant 
ses  divines  volontés  par  lui-même  immédiatement  et 
sans  l'interposition  d'aucun  esprit  créé.  Je  connaissais 
distinctement  les  rapports  qu'il  y  a  de  chacune  de  ces 
trois  personnes  de  la  très-auguste  Trinité  dans  chacun 
des  Chœurs  de  cette  suprême  hiérarchie;  la  solidité 
inébranlable  des  pensées  du  Père  dans  les  uns,  qui  de 
là  sont  appelés  Trônes  ;  les  splendeurs  et  les  lumières 
du  Verbe  dans  les  autres,  qui  en  sont  nommés  Chéru- 
bins; et  les  ardeurs  du  Saint-Esprit  dans  les  autres, 
qui  pour  cç  sujet  sont  appelés  Séraphins  ;  et  enfin  que 
la  très-sainte  Trinité  en  lunité  de  sa  divine  essence  se 
communiquait  à  cette  hiérarchie,  laquelle  ensuite  mani- 
restait  ses  volontés,  aux  autres  esprits  célestes  selon 
leurs  ordres. 

MoQ  âme  était  toute  perdue  .dans  ces  grandeurs,  et 
la  vue  de  ces  grandes  choses  était  sans  interruption  de 
Tune  à  Taiatre.  Dana  un  tableau  oti  plusieurs  mystères 
sont  dépeints,  on  les  voit  .en  gros,  mais  pour  les  bien 
considérer  en  détail,  il  faut  s'interrompre;  m£^is  dane^ 
une  impression  comme  celle-ci  l'on  voit  tout  nettement^ 
purement  et  sans  interruption.  J'expérimentais  ^nfin 
conune  mon  âme  était  Timage  de  Dieu;  que  par  la. 


516  LETTRES 

mémoire  elle  avait  rapport  au  Père  Etemel,  par  Tenten- 
dément  au  Fils,  le  Verbe  divin,  et  par  la  volonté  au 
Saint-Esprit  ;  et  que  comme  la  très-sainte  Trinité  était 
trine  en  personnes  et  une  en  essence,  ainsi  l'âme  était 
trine  en  ses  puissances  et  une  en  sa  substance. 

Il  me  fut  encore  montré  qu'encore  que  la  divine 
Majesté  ait  mis  de  la  subordination  dans  les  anges  pour 
recevoir  l'illumination  les  uns  des  autres,  néanmoins 
quand  il  lui  plaît,  elle  les  illumine  par  elle-même  selon 
ses  adorables  volontés,  ce  qu'elle  fait  pareillement  à 
quelques  âmes  choisies  en  ce  monde  ;  et  quoique  je  ne 
sois  que  boue  et  fange,  mon  âme  avait  une  certitude 
qu'elle  était  de  ce  nombre.  Cette  vue  m'était  si  claire 
qu'encore  que  je  fusse  certaine  que  je  n'étais  qu'un 
néant,  je  n'en  pouvais  douter.  Ainsi  se  termina  cette 
grande  lumière  qui  me  fit  changer  d'état. 

Le  reste  de  cette  vision  est  comme  vous  l'avez  vu 
en  son  lieu.  Mais  vous  remarquerez,  s'il  vous  plaît, 
que  ces  grandes  choses  ne  s'oublient  jamais,  et  j'ai 
encore  celles-ci  aussi  récentes  que  lorsqu'elles  arri- 
vèrent. Pour  les  termes,  ils  sont  sans  étude,  et  seule- 
ment pour  signifier  ce  que  mon  esprit  me  fournit,  mais 
ils  sont  toujours  au-dessous  des  choses,  parce  qu'il  ne 
s'en  peut  trouver  d'autres  pour  les  mieux  exprimer. 

Après  ces  lumières  et  les  autres  que  vous  avez  vues 
dans  mes  écrits,  le  révérend  Père  Dom  Raymond  que 
je  n'avais  pas  toujours  pour  me  communiquer  (à  lui), 
me  fit  avoir,  après  qu'elles  furent  imprimées,  les 
Œuvres  de  saint  Denis  traduites  par  un  Père  de  son 
Ordre.  Je  les  entendais  clairement  en  toutes  leurs 
parties,  et  je  fus  extrêmement  consolée  d'y  voir  les 
grands  mystères  que  Dieu,  par  sa  bonté,  m'avait  com- 
muniqués ;  mais  les  choses  sont  bien  autres  lorsque 


DE  LA  MÊRB  MARIE  DE  L'INGAR NATION.  517 

sa  divine  Majesté  les  imprime  à  Tâme,  que  quand  on 
les  trouve  dans  les  livres,  quoique  ce  qu'ils  en  disent 
soit  de  notre  sainte  foi  et  véritable.  De  tout  ce  que  j'en 
ai  vu  depuis  en  quelques-uns»  je  n'ai  rien  vu  qui 
approche  de  ce  que  saint  Denis  en  a  dit.  Ce  grand 
Saint  les  surpasse  tous  selon  l'impression  qui  m'en  est 
demeurée,  et  je  connais  bien  que  ce  grand  Saint  avait 
la  lumière  du  Saint-Esprit,  mais  que  ses  paroles  n'ont 
pu  dire  davantage,  car  en  effet  ce  sont  des  choses 
inexplicables.  Ce  qui  me  consola  fort,  fut  d'y  voir  ce 
qui  y  est  rapporté  de  saint  Hierothée,  qu'il  pâtissait 
les  choses  divines  ;  c'est  que  souvent  et  presque  conti- 
nuellement j'étais,  par  l'opération  du  Verbe  éternel, 
en  des  transports  d'amour,  qui  me  tenaient  dans  une 
privante  à  sa  divine  personne,  telle  que  je  ne  le  puis 
dire.  Cela  me  faisait  craindre  de  temps  en  temps  que 
je  ne  fusse  trompée,  quoique  mes  confesseurs  m'assu- 
raient que  c'était  Tesprit  de  Dieu  qui  agissait.  Cette 
lecture  m'aida,  et  quoique  je  n'y  visse  pas  des  transports 
comme  ceux  que  je  pâtissais,  il  y  avait  néanmoins  un 
sens  qui  satisfaisait  mon  esprit  et  ôtait  ma  crainte, 
car  en  ce  temps-là  je  n'avais  pas  l'expérience  que  j'ai 
à  présent. 

Quant  à  la  seconde  chose  que  vous  me  demandez 
touchant  mon  état  présent,  je  vous  dirai  que  quelque 
sujet  d'oraison  que  je  puisse  prendre,  quoique  je  l'aie 
lu  ou  entendu  lire  avec  toute  l'attention  possible,  je 
l'oublie.  Ce  n'est  pas  qu'au  commencement  de  mon 
oraiçon,  je  n'envisage  le  mystère,  car  je  suis  dans 
rimpuissance  de  méditer,  mais  je  me  trouve  en  un 
moment  et  sans  y  faire  réflexion  dans  mon  fonds 
ordinaire,  où  mon  âme  contemple  Dieu,  dans  lequel 
elle  est.  Je  lui  parle  selon  le  mouvement  qu'il  me 


518  LETTRES 

donne,  et  cette  grande  primauté  ne  me  permet  pas  de 
le  contempler  sans  lui  parler,  et  en  ce  parler,  de  suivre 
son  attrait.  Si  Tattrait  est  de  sa  grandeur,  et  ensemble 
(jpie  je  voie  mon  néant,  mon  âme  lui  parle  conformément 
à  cela.  (Je  ne  sais  si  ce  sont  ces  sortes  d*actes  qu*ôn 
nomme  anagogiques,  car  je  ne  m'arrête  point  à  ces 
distinctions.)  S*il  est  de  son  souverain  domaine,  il  en 
est  de  même.  S'il  est  de  ses  amabilités,  et  de  ce  qu'en 
soi  il  n'est  qu'amour,  mes  paroles  sont  comme  à  mon 
Epoux,  et  il  n'est  pas  en  mon  pouvoir  d'en  dire  d'autres  ; 
cet  amour  n'est  jamais  oisif,  et  mon  cœur  ne  peut 
respirer  que  cela.  J'ai  dit  que  les  respirs  qui  me  font 
vivre  sont  de  mon  Epoux  ;  ce  qui  me  consume  de  telle 
sorte  par  intervalles,  que  si  la  miséricorde  n'accofn- 
modait  sa  grâce  à  la  nature,  j'y  succomberais,  et  cette 
vie  me  ferait  mourir,  quoique  rien  de  tout  cela  ae 
tombe  dans  les  sens,' ni  ne  m'empêche  de  faire  mes 
fonctions  régulières. 

Je  m'aperçois  quelquefois,  et  je  ne  sais  si  d'autres 
le  remarquent,  que  marchant  par  la  maison,  je  vais 
chancelant;  c'est  que  mon  esprit  pâtit  un  transport 
qui  me  consume.  Je  ne.  fais  presque  point  d'actes  dans 
ces  occasions,  parce  que  cet  amour  consumant  ne  me 
le  permet  pas.  D'autres  fois  mon  âme  a  le  dessus,  et 
elle  parle  à  son  Epoux  un  langage  d'amour  que  lui  seul 
lui  peut  faire  produire;  mais  quelque  privante  qu'il  me 
permette,  je  n'oublie  point  mon  néant,  et  c'est  un  abîme 
dans  un  autre  abîme  qui  n'a  point  de  fond.  En  ces 
rencontres  je  ne  puis  me  tenir  à  genoux  sans  être 
appuyée,  car  bien  que  mes  sens  soient  libres,  je  «uis 
faible  néanmoins,  et  ma  faiblesse  m'en  empêche.  Que 
si  je  veux  me  forcer  pour  ne  point  û'asseoir  ou 
m'appuyer,  le  corps  qui  souffre  et  est  inquiet,  me  cause 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INOARNATION.  '54© 

«ID6  distraction  qni  m'ablige  de  faire  T«d  ou  l'autre,  et 
pour  lors  je  reviens  dans  le  calme.  Comme  rien  de 
matériel  ne  se  trouve  en  cette  occupation  intérieure, 
parfois  mon  imagination  me  travaille  par  des  baga- 
telles, qui,  n'ayant  point  de  foildement,  s'en  vont  comme 
elles  viennent.  La  raison  est  que  comme  elle  n'a  point  de 
part  à  ce  qui  se  passe  au  dedans,  elle  cherche  de  quel 
entretenir  son  activité  naturelle  et  inconstante;  mais 
cela  ne  fait  rien  à  mon  fonds  qui  demeure  inaltérable. 

En  d'autres  rencontres  je  porte  un  état  crucifiant; 
mon  âme  contemple  Dieu,  qui  cependant  semble  se 
plaire  à  me  rendre  captive;  je  voudrais  l'embrasser  et 
traiter  av^c  Lui  à  mon  ordinaire,  mais  il  me  tient 
comme  une  personne  liée,  et  dans  mes  liens  je  vois 
qu'il  m'aime,  mais  pourtant  je  ne  le  puis  embrasser. 
Ah!  que  c'est  un  grand  tourment!  Mon  âme  néanmoins 
y  acquiesce,  parce  qu'il  ne  m'est  pas  possible  de  vouloir 
un  autre  état  que  celui  où  sa  divine  Majesté  me  veut  :  je 
regarde  celui-ci  comme  un  état  de  purgation,  ou  comme 
un  purgatoire  :  car  je  ne  le  puis  nommer  autrement. 
Cela  étant  passé,  je  me  trouve  à  mon  ordinaire. 

Quand  je  vous  ai  dit  ci-dessus  ce  que  mon  âme 
expérimente  de  la  signification  des  actes  qu'elle  pro- 
duit, j'ai  voulu  dire  que  je  suis  poussée  par  l'esprit  qui 
me  conduit  conformément  à  la  vue  que  j'ai,  et  à  ce  que 
j'expérimente  dans  son  attrait,  qui  ne  me  permet  pas 
d'en  faire  d'autres  (d'autres  actes.)  Si  cette  vue  et  cette 
expérience  est  d'amour,  comme  celui  que  j'aime  n'est 
qu'amour,  les  actes  qu'il  me  fait  produire  sont  tous 
,  d'amour,  et  mon  âme  aimant  l'amour,  conçoit  qu'elle 
est  toute  amour  en  Lui.  En  voilà  l'explication.  Je 
voudrais  pouvoir  me  mieux  expliquer,  mon  très- cher 
fils,  mais  je  ne  puis.  Si  vous  voblez  quelque  chose  de 


520  LBTTRBS 

moi,  je  ne  manquerai  pas  de  vous  y  répondre,  si  je  vis 
et  si  je  suis  en  état  de  le  faire.  Si  j'étais  auprès  de  vous, 
mon  cœur  se  répandrait  dans  le  vôtre,  '  et  je  vous 
prendrais  pour  mon  directeur.  Ce  n'est  pas  que  dans 
l'état  où  je  suis,  qui  est  un  état  de  simplicité  avec 
Dieu,  j'eusse  beaucoup  de  choses  à  dire,  car  je  dirais 
quasi  toujours  la  même  chose;  mais  il  arrive  de  certains 
cas  où  Ton  a  besoin  de  communiquer;  je  le  fais  avec 
notre  bon  Père  Lallemant,  car  encore  qu'il  touche  la 
quatre-vingtième  année  de  son  âge,  il  a  néanmoins  le 
sens  et  l'esprit  aussi  sains  que  jamais. 

Vous  avez  raison  de  faire  le  jugement  que  vous 
faites  du  vœu  de  la  plus  grande  gloire  de  Dieu,  et  de 
plus  grande  perfection  de  sainte  Thérèse.  J'ai  tiré  le 
papier  que  je  vous  ai  envoyé  des  chroniques  du  Mont- 
Carmel,  qui  disent  que  dans  les  commencements  elle 
avait  fait  ce  vœu  absolument  et  sans  restriction.  Pour 
celui  que  j'ai  fait,  tout  y  est  compris,  et  je  ne  l'ai  point 
entendu  autrement,  et  cela  pour  toute  ma  vie.  Le 
révérend  Père  Lallemant  me  permet  de  le  renouveler 
de  temps  en  temps  comme  nous  faisons  nos  vœux  de 
religion.  Il  eut  envie  que  je  fisse  comme  il  est  porté 
dans  ce  papier,  mais  je  tâche  de  me  tenir  à  ce  que  j'ai 
fait,  et  par  la  miséricorde  de  Dieu  cela  ne  me  cause 
point  de  scrupule.  Si  je  fais  des  fautes  ou  des  imper- 
fections sans  y  penser,  j  espère  que  Dieu  tout  bon  et 
tout  miséricordieux  ne  me  les  imputera  pas  à  faute 
contre  mon  vœu;  il  m'assiste  pour  n'en  pas  faire 
sciemment  ;  tout  cela  par  sa  miséricorde,  parce  que  de 
moi  je  suis  une  pauvre  et  une  grande  pécheresse  :  c'est 
pourquoi  priez  pour  ma  conversion. 

De  Québec,  le  8  (t octobre  1671. 


DE  LA  BiÊRB  MARIB  DE  l'IN CARNATION.  521 


LETTRE  CCXXI. 


A  LA  SUPÉRIEURE  DBS  URSULTNBS  DE  MONS. 


Elle  lai  témoigne  son  regret  et  sa  surprise  de  n'avoir  pas  reçu  les  (Jrsnlines  qui 
devaient  lui  yeuir  de  Mons.  —  Elle  espère  qu'elles  viendront  pins  tard.  — 
Nouvelles  des  Missions.  —  Elle  regrette  encore  de  n'avoir  pas  reçu  la  Vie  de 
la  Mère  Anne  de  Beauvais,  qu'elle  attendait. 


Ma  révérende  et  trôs-chèriB  Mère, 

Je  me  suis  donné  l'honnear  et  la  consolation  de  vous 
écrire  par  la  première  voie;  —  voici  la  dernière  qui 
va  partir,  après  quoi  nous  ne  verrons  plus  que  des 
glaces  sur  notre  mer  douce  (le  grand  fleuve  Saint- 
Laurent),  jusqu'au  mois  d'avril  ou  de  mai;  ~  celle-ci 
est  pour  vous  rendre  de  nouveau  mes  très-humbles 
actions  de  grâces  de  toutes  vos  bontés  pour  notre 
séminaire,  qui  vous  est  infiniment  obligé  et  moi  plus 
qu'aucune  autre.  —  Je  ne  me  souviens  plus  si  je  vous 
ai  dit  par  ma  première  lettre  si  les  bonnes  Religieuses 
qu'on  nous  a  envoyées  étaient  arrivées  en  ce  pays,  elles 
le  sont  heureusement  et  nous  avons  été  fort  surprises 
de  voir  des  françaises  au  lieu  des  flamandes  que  nous 
attendions  et  pour  lesquelles  nous  avions  déjà  préparé 
des  cellules.  Le  révérend  Père  Ragueneau  nous  a  mandé 
la  raison  pourquoi,  qu'il  a  apprise  de  vous,  mon  aimable 
mère.  Ainsi  il  a  fallu  nous  conformer  à  la  volonté  de 
Dieu,  qui  renverse  les  desseins  de  ses  créatures,  quoi- 


qua  saintes,  pour  des  raisons  qui  nons  sont  inoaniiiies, 
mais  qnli  fait  éclore  en  son  temps,  et  c'est  ce  qui  me 
fait  espérer  que  nous  verrons  qnelqne  jour  de  vos 
chères  filles  parmi  nous ,  vous  assurant ,  *  ma  chère 
Mère,  que  lorsque. nous  aurans  besoin  d*en  d^nander 
nous  nous  adresserons  à  vous.  Le  révérend  Père  Rague- 
neau  nous  a  assurées  qu'il  fut.  fort  im,  peine  se  Tenant 
dans  l'impuissance  de  nous  envoya  de  vos  chers  sœurs; 
^ce.fut  ce  qui  le  Ai  résoudre  de.  nous  enTOjw  ,cqU«s 
^ui  avaient  été  -  sur  lé  pokit  de  «  &o«s:  Tcmr  'Joiadre 
il  7  a  quatre  ans,  et  qui  sont  hetireusemeAf  ici,  comme 
je  vous  l'ai  déjà  dit. 

Le  révérend. Père  'de  Crépieul  fut  aussi  mortifié  que 
nous  lorsqu'il  ne  vit  point  vos  chèrw  filles;  ce  fervent 
missionnaire  est  allé  dans  les  bois,  lui  sfeul  Français, 
avec  tiné  troupe  de  sauvages  aved  lesquels  il  hivernera. 
Il  ne  souffrira  pas  peu  le  vivre  pauvre,  '  le  lit  sur  la 
terre,  et  mille  autres  incommodités  quil  faut  sonflfinr 
en  suivant  ces  pauvres  peuples  pour  sauver  leurs 
âmes.  Il  vint  nous  dire  adieu,  tout  riant  de  ce  qu'il 
allait  souffrir  pour  Jésus- Christ;  il  vint  nous  offrir 
une  petite  sauvage  que  nour  avons  reçue  de  bon  cœur, 
la  joignant  à  une  troupe  d'autres  que  nous  élevons 
dans  notre  séminaire.  Votre  charitable  aumône  a  été 
employée  pour  elles,  ma  chère  Mère. 

Vous  désirez  savoir  si  je  suis  hors  de  chaîne  ;  oui, 
par  la  grâce  de  Dieu.  Ce  fut  l'année  passée  en  mars 
que  l'on  m'a  élue  sous-prieure  et  maltresse  des  novices. 
J'eusse  bien  voulu  demeurer  en  repos,  mais  Dieu  ne 
la  pas  voulu,  que  son  saint  Nom  soit  béni. 

Ma  chère  Mère,  nous  n'avons  point  reçu  le  livre 
de  notre  révérende  Mère  de  Beauvais,  j'ai  écrit  au 
révérend  Père  Ragueneau,  il  vous  en  remercie  d'aussi 


DE  LA  MËRB  MARIB  DE  L*INGARNATION .  5t3 

Tïon  cœur  qneôi  nous  l'avions  reçu;  nous  nou^'réjouîs- 
sons  de  le  voir;  —  il  faut  mourir  à  tout.* 

Notre  révérende  Mère  vous  supplie  d'agréer  son 
très-respectueux  salut;  elle  vous  présente  celui  de  notre 
Communauté  que  nous  présentons  semblablement  à 
la  vôtre,  et  surtout  nos  chôres  Canadiennes,  que  je 
présente  de  bon  cœur  à  Notre-Seigneur  en  le  suppliant 
d'être  la  récompense  de  vos  bontés.  C'est  dans  ce  véri- 
table désir  que  je  suis  sans  réserve  en  l'aimable  Cœtir 

de  Jésus: 

Ma  révérende  et  très-chère  Mère, 

Votre  très-humble  et  très  obéissante  servante, 

Sœur  Marie  de  l'Incarnation,  R.  U.  I. 

De  Québec,  le  9  de  novembre  1671. 


LETTRE  CCXXII. 

A  .UNE   RELIGIEUSE   URSULINE   DE   TOURS. 

ABSOCÎation  de  prières.  —  Zèle  ponr  le  salut  des  âmes.  —  Elle  la  détrompe  de  la 
fausse  nouvelle  qu'on  lui  avait  donnée,  qu'on  faisait  acception  des  maisons 
de  France,  pour  en  tirer  des  religieuses  pour  le  Canada. 

Ma  très-chère  et  bien-aimée  Mère, 

C'est  avec  bien  de  la  joie  que  j*ai  reçu  votre  chère 
Lettre.  Oui,  mon  aimable  Mère,  tout  ce  qui  vient  de 

(1)  C'est  ici  la  quatrième  fois  qu'elle  exprime  le  désir  d'avoir  la  Vie  de  la  Mère 
Anne  de  Beauvais. 


524  LBTTRB8 

VOUS  me  donne  de  la  consolation.  C*est  donc  tout 
de  nouveau  que  j'entre  avec  vous  dans  une  nouvelle 
association  de  biens  spirituels  jusqu'à  Téternitâ,  où  il 
n'y  aura  plus  de  changements  ni  de  renouvellements 
à  faire.  Je  fais  le  semblable  à  ma  révérende  ^ère  de 
l'Annonciation,  de  laquelle  j'expérimente  toutes  1^ 
bontés  imaginables.  C'est  un  bon  cœur  à  qui  je  sou- 
haiterais pouvoir  correspondre,  et  à  vous,  mon  aimable 
Mère,  qui  vous  intéressez  si  fortement  en  tout  ce  qui 
me  touche. 

Il  faut  que  je  vous  confesse  que  j'aimerais  la  vie, 
si  je  pouvais  aider  «n  quelque  chose  les  âmes  rachetées 
du  Sang  de  Jësus-Christ  et  si  j'en  étais  capable;  je 
souhaiterais  vivre  jusqu'au  jour  du  jugement  pour  un 
si  noble  emploi.  Mais  puisque  j'en  suis  indigne,  offrez- 
lui  ma  bonne  volonté,  et  s'il  veut  que  je  meure  bientôt, 
demandez- lui  que,  puisque  je  ne  suis  pas  digne  de  le 
faire  en  cette  vie,  il  diffère  de  me  donner  son  paradis 
après  ma  mort,  pour  m'envoyer  tout  le  temps  qui  sera 
convenable  à  sa  plus  grande  gloire,  par  tout  le  monde, 
afin  de  lui  gagner  les  cœurs  de  tous  ceux  qui  ne  l'aiment 
pas  et  qui  ne  connaissent  pas  ses  amabilités.  Car  n'est-ce 
pas  une  chose  insupportable  qu'il  y  ait  encore  des  âmes 
qui  ignorent  le  Dieu  que  nous  servons?  Joignez- vous 
à  moi,  mon  intime  Mère,  pour  lui  gagner  des  cœurs, 
puisqu'il  les  a  tous  créés  capables  de  son  amour. 

Enfin  nos  bonnes  religieuses  sont  arrivées  ici  en 
bonne  santé,  et  bien  résolues  de  ne  se  point  épargner 
à  travailler  à  la  vigne  de  Notre-Seigneur.  Nous  avons 
une  très-grande  obligation  à  nos  Mères  de  Tours  du 
favorable  accueil  quelles  leur  ont  fait  en  passant  par 
leur  Monastère.  Elles  n'ont  pas  assez  de  paroles  pour 
exprimer  tout  ce  qu'elles  y  ont  vu  de  vertu  et  de  régu- 


DB  LA  MËRB  MARIE  DR  l'INGARNATION.  525 

larité.  Elles  m'ont  assuré  n'y  avoir  rien  remarqué  que 
ce  qui  se  pratique  dans  les  maisons  d'où  elles  sont 
sorties,  tant  pour  l'esprit  de  l'observance  que  pour 
le  génie  des  personnes.  Je  ne  voudrais  pas  pour  tous 
les  biens  du  monde  qu'elles  n'y  eussent  passé,  pour  le 
grand  bien  que  j'espère  que  cette  visite  apportera  à 
toutes  nos  maisons,  savoir  le  bien  de  la  paix  et  de  la 
charité.  Leur  seul  déplaisir  est  qu'aucune  de  cette  mai- 
son n'a  passé  en  leur  compagnie,  car  elles  ne  sont 
nullement  partiales,  c'est  une  vérité  dont  je  vous  assure. 
Si  cette  privation  leur  fait  de  la  peine,  je  n'en  suis  pas 
moins  mortifiée,  comme  d'un  bien  que  j*espérais  et 
attendais  avec  ardeur.  Il  n'a  pas  tenu  non  plus  au  Père 
Ragueneau,  parce  que  n'en  ayant  demandé  que  de  notre 
Congrégation,  il  s'était  accordé,  selon  les  ordres  de 
Mgr  notre  Evêque,  avec  les  Mères  de  notre  Congréga- 
tion de  Flandre  qu'il  nous  enverrait  de  leurs  religieuses. 
Et  en  eâet  trois  devaient  passer  cette  année,  car  je 
conserve  encore  les  Lettres  de  ces  chères  Mères,  qui 
nous  témoignent  une  amitié  qui  n'est  pas  croyable. 
Le  Père  demeurait  en  repos  en  cette  attente,  et  en  effet 
il  les  attendait  de  jour  à  autre,  lorsqu'on  lui  apporta 
la  nouvelle  qu'elles  étaient  retenues  par  l'ordre,  ainsi 
que  je  crois,  de  leur  Prélat.  Il  écrivit  ensuite  à  Tours, 
d'où  il  n'eut  pas  une  réponse  favorable.  Il  s'adressa 
à  nos  Mères  de  Vannes,  de  qui  il  espérait  plus  de  satis- 
faction, mais  elles  différèrent  trop  à  lui  faire  réponse. 
Tous  ces  coups  ayant  manqué,  M.  Poitevin,  Grand- 
Vicaire  de  Mgr  notre  Evêque,  voyant  que  le  temps 
pressait,  fit  une  tentative  pour  avoir  les  deux  de 
Bourges  .qui  avaient  été  arrêtées  il  y  a  quatre  ans, 
supposé  qu'elles  fussent  encore  en  disposition  de  partir. 
M.  de  Bourges  étant  alors  à  Paris  il  fut  facile  de  con- 


5^  URTTRSB 

clare  l'affaire  en  peu  de  temps,  car  la  prppoBitîon  lu| 
en  ayant  été  faite,  il  les  accorda  sw^t  beaacoap  de 
peine.  D'aillears  la  Communauté  de  Paris,  qui  avait 
refusé  deux  religieuses  quelques  années  auparavant, 
a  consenti  cette  année  à  leur  départ  :  ce  Si^nt  les  deux 
que  vous  avez  vues,  et  qui  en  vérité  sont  deux  excel* 
lents  sujets.  Les  choses  ayant  été  ainsi  arrêtées,  et  les 
ordres  de  M.  le  Grand- Vicaire  délivrés,  nos  Mères  de 
Vannes  écrivirent  qu'elles  étaient  prêtes,  mais  on  leur 
répondit  qu'elles  avaient  parlé  trop  tard,  et  que  les 
ordres  étant  donnés  pour  cette  année,  il  leur  fallait 

t 

attendre  une  autre  occasion.  Quelque  ordre  néanmoins 
qui  eût  été  expédié,  le  Père  Ragueneau  me  mande  que 
si  une  ou  deux  de  nos  Sœurs  de  Tours  eussent  été 
en  disposition  de  passer,  il  les  eût  jointes  à  celles  qui 
sont  arrivées.  Nous  avions  aussi  demandé  deux  reli- 
gieuses de  Carcassonne,  qui  sont  de  notre  Congrégation, 
et  leur  Prélat  qui  est  fort  ami  du  nôtre  les  avait  pro- 
mises, mais  il  est  arrivé  que  la  plus  considérable  des 
deux  8*est  disloqué  un  bras,  et  par  cet  accident  elle 
a  été  dans  Tim puissance  de  partir. 

Voilà,  ma  chère  Mère,  de  quelle  manière  les  choses 
se  sont  passées,  et  j'ai  bien  voulu  vous  en  faire  un  récit 
sincère,  afin  de  vous  ôter  l'impression  qu'on  vous  a 
donnée,  que  Ton  préfère  la  Congrégation  de  Paris  à  la 
nôtre  de  Tours.  Ce  que  je  vous  dis,  est  si  véritable,  que 
les  Mères  de  Paris  n'eussent  poiçt  eu  de  peine,  si  les 
vôtres  eussent  passé  à  leur  exclusion.  Elles  n*ont  point 
toutes  ces  partialités,  dont  on  les  accuse;  ce  sont  des 
filles  très- cordiales  et  très-humbles,  en  sorte  que  quand 
on  ne  leur  accorde  pas  de  venir  avec,  nous,  elles  ne 
laissent  pas  de  nous  aimer,  et  elles  n'envisagent  ce 
refus,  qu'à  cause  qu'elles  en  sont  indignes;  c'e^t  ainsi 


DB  LA  MËRB  MARIS  DB  l'iNGARNATION.  5^7; 

qu'elles  parlent  d'elles-mêmes,  quoiqu'en  efiet  ce.  soient, 
de  très-riches  sujets.  Il  n'a  tenu  qu'à  nous  qjue  nos 
bonnes  Môrea  de  Saint -Denis  en  France  soient  en. 
Canada  avec  nous,  et  néanmoins  elles  n'en  ont  point 
de  ressentiment.  La  Mère  supérieure  m'écrit  même 
que  si  ses  filles  n'ont  pas  eu  le  même  bonheur  que  celles 
qui  nous  sont  venues,  elles  n'ont  p^s  pour  cela  perdu 
le  désir  d'y  venir  une  autre  fois.  Elle  me.  témoigne 
encore  l'agrément  qu'elle  aurait  si  nous  allions  aux  îles 
de  la  Martinique,  et  que  celle  de  sa  maison  qui  y  doit 
aller  se  trouvât  en  notre  compagnie,  parce  que  les 
marchands  de  Québec  y  envoyant  des  vaisseaux,  il  y  a 
de  l'apparence  qu'elle  prendra  cette  route. 

Je  vous  assure  donc  encore  une  fois  que  ces  bonnes 
Mères  ne  distinguent  point  leur  Congrégation  de  la 
nôtre  quand  il  s'agit  de  notre  mission.  Cela  serait  trop 
bas  dans  des  filles  qui  s'abandonnent  comme  des  vic- 
tinàes  à  un  lieu  où  il  n'y  a  nul  attrait  pour  les  sens. 
Pour  une  plus  grande  preuve  de  tout  ce  que  je  viens 
de  vous  dire,  celles  qui  nous  sont  venues  se  mirent 
à  genoux  dès  le  premier  jour  de  leur  arrivée  pour 
demander  notre  habit,  et  ne  voulurent  pas  se  coucàer 
qu'elles  ne  l'eussent  reçu.  Elle9  ont  ensuite  embrassé 
à  l'aveugle  toutes  nos  coutumes,  quoiqu'elles  soient 
beaucoup  difiérentes  de  celles  de  leur  Congrégation. 
J'ai  été  étonnée  de  ce  qu'on  m'a  mandé  de  chez  vous, 
que  nos  chères  Sœurs  avaient  dit  en  plusieurs  rencon- 
tres qu'elles  passeraient  volontiers  en  Canada,  pourvu 
qu'elles  fussent  seules  à  Montréal.  Je  ne  crois  pas  que 
cela  soit  véritable;  ou  s'il  est  vrai,  je  crois  que  c'est  une 
parole  échappée.  Car,  mon  intime  Mère,  ces  paroles 
sont-elles  de  l'Esprit  de  Dieu,  qui  unit  ensemble  les 
cœurs  dont  il  veut  se  servir,  afin  de  n'en  faire  qu'un? 


528  LBTTRB8 

Sont-elles  dignes  d'une  âme  qui  vent  sacrifier  toas  les 
sentiments  de  la  nature  à  la  conversion  des  filles  sau- 
vages? Si  vous  saviez  ce  que  c^est  que  Montréal,  vous 
n'auriez  garde  d'y  envoyer  des  religieuses,  et  quand 
vous  le  voudriez,  Mgr  notre  Evêque  n'aurait  garde  de 
le  permettre,  surtout  à  de  nouvelles  venues,  et  qui  ne 
seraient  pas  encore  faites  au  pays  ;  outre  que  celles  qui 
y  seraient  envoyées  n'y  pourraient  vivre  sans  être 
changées  de  temps  en  temps,  à  cause  de  Tincommodité 
du  lieu;  il  y  a  encore  des  raisons  très- fortes  que  la 
charité  m'oblige  de  tenir  dans  le  silence.  Mais  nous 
ne  serons  pas  en  cette  peine,  parce  que  MM.  de  Saint- 
Sulpice,  qui  en  ont  la  conduite,  n'y  veulent  que  des 
filles  séculières  qui  aient  la  liberté  de  sortir  pour  aller 
çà  et  là,  afin  de  solliciter  (environner  de  sollicitude)  et 
d'aider  le  prochain.  Laissons  donc  conduire  le  tout  à 
Dieu,  qui  fera  toutes  choses  dans  le  temps  ordonné 
dans  son  conseil.  Conservez- moi,  mon  aimable  Mère, 
votre  amitié,  et  me  croyez  inviolablement  votre....* 

(1)  Cette  Lettre  n'est  pas  datée  ;  mais  on  sait  par  les  annales  du  monastère  que 
les  religieuses  de  Bourges  dont  il  est  parlé  arrivèrent  à  Québec  au  mois  de 
septembre  167 1,  et  la  vénérable  Mère  ne  put  écrire  plus  tard  pour  la  raison  que 
nous  dirons  à  la  fin  de  la  Lettre  suivante. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  L'INCARNATION.  529 


LETTRE    CCXXIII. 

A    SON     FILS. 

Guerre  allumée  entre  les  Sonontouans  et  les  Outaouak.  —  Elle  est  éteinte  par 
la  valeur  des  Français.  —  Progrès  merveilleux  de  la  foi  aux  nations  du  nord, 
dont  les  Français  prennent  possession  au  nom  du  roi.  —  Chemin  par  terre 
à  la  grande  baie  du  nord.  —  Météores  et  phénomènes  rares  arrivés  cette 
année. 

*  Mon  trôs-cher  fils, 

Je  vous  écris  ce  peu  de  lignes  avant  que  d'avoir  reçu 
de  vos  nouvelles,  pour  vous  assurer  de  la  sainte  pro- 
tection de  Dieu  sur  nous,  et  sur  moi  en  particulier  qui 
suis  en  assez  bonne  santé  pour  mon  âgé,  grâce  à  la 
divine  Bonté.  Et  pour  prévenir  l'embarras  de  la 
décharge  des  vaisseaux,  je  m'en  vais  vous  faire  un 
petit  abrégé  de  ce  qui  s'est  passé  en  ce  pays  depuis 
notre  dernier  entretien. 

Premièrement,  les  Sonontouans  ont  remué  pour  faire 
la  guerre  aux  Outaouak.  M.  notre  Gouverneur  a  telle- 
naent  intimidé  les  uns  et  les  autres,  qu'il  les  a  rendus 
amis.  Néanmoins,  commue  l'on  ne  peut  se  fier  entière- 
ment aux  sauvages,  afin  de  leur  faire  voir  qu'on  les 
pourra  humilier  quand  on  voudra,  il  a  pris  sans  faire 
bruit  une  troupe  de  Français,  et  s'est  embarqué  avec 
eux  en  des  bateaux  et  en  des  canots  qu'il  a  conduits 
par  des  rapides  et  bouillons  où  jamais  les  sauvages 
n'avaient   pu  passer,   quoiqu'ils  soient  très-habiles  à 

LBTTR.   M.    II.  34 


530  LETTRES 

canoter.  Il  arriva  heureusement  à  Quinte,  qui  est  une 
habitation  d'IroquoLs,  ce  dont  ces  barbares  furent  telle- 
ment effrayés,  qu'après  avoir  longtemps  tenu  la  main 
sur  la  bouche  peur  marque  de  leur  étonnement,  ils 
s'écrièrent  que  les  Français  étaient  des  diables  qui 
venaient  à  bout  de  tout  ce  qu'ils  voulaient,  et  qu'Onon- 
thio  était  Tincomparable.  M.  le  Gouverneur  leur  dit 
qu'il  perdrait  tous  ceux  qui  feraient  révolte,  et  qu'il 
prendrait  et  détruirait  leur  pays  quand  il  voudrait. 
Vous  remarquerez  qu'avant  ces  troubles,  les  Sonon- 
touans  étaient  d'intelligence  avec  les  Anglais  pour  leur 
mener  les  Outaouak,  afin  de  frustrer  la  traite  des 
Français,  ce  qui  eût  perdu  tout  le  commerce.  Mais  les 
Anglais  ayant  appris  ce  voyage  de  M.  le  Gouverneur 
chez  les  sauvages,  ne  furent  pas  moins  effrayés  que  les 
sauvages  mêmes,  et  eurent  crainte  qu'on  n'allât  les 
attaquer  pour  les  chasser  de  leur  lieu.  Tous  les  Iroqaois 
sont  si  petits  et  si  humiliés  depuis  que  les  Français  les 
ont  brûlés,  que  dans  la  crainte  qu'ils  ne  le  fassent 
encore,  ils  sont  doux  comme  des  agneaux,  et  se  laissent 
instruire  comme  des  enfants.  Dieu  se  sert  de  tout  pour 
le  salut  des  âmes. 

L'automne  dernier,  M.  l'Intendant  envoya  un  gentil- 
homme aux  Outaouak,  pour  reconnaître  tous  ces  pays 
et  en  prendre  possession  pour  le  roi.  Il  doit  être  deux 
ans  à  toutes  ces  recherches,  durant  lequel  temps  il 
accompagnera  les  Pères  dans  les  missions,  pour  pren- 
dre toutes  ces  connaissances.  Le  révérend  Père  Allouez 
a  poussé  jusque  dans  une  nation  encore  bien  plus 
éloignée.  Les  chemins  en  ont  été  fort  scabreux  et 
difficiles';  après  quoi,  il  a  trouvé  un  p^ys  merveilleu- 
sement peuplé  et  le  plus  beau  du  monde.  Les  sauvages, 
qui  l'ont  reçu  comme  un  ange,  l'ont  écouté,  et  beaucoup 


DE  LA  MERE  MARIE  DE  l'INCARNATION  .  531 

remercié  de  leur  avoir  apporté  des  nouvelles  dont  ils 
n'avaient  jamais  entendu  parler  :  savoir  qu'il  y  a  un 
Dieu,  un  paradis,  un  enfer,  et  autres  choses  semblables; 
et  après  tout,  de  leur  avoir  procuré  l'amitié  des  Fran- 
çais, qu'on  leur  avait  dit  être  si  bons  à  tout  le  monde. 
Sur  cela,  le  Père  fit  paraître  M.  de  Saint-Lusson,  qui 
était  le  gentilhomme' député,  et  leur  dit  qu'il  était 
envoyé  vers  eux  de  la  part  du  grand  capitaine  des 
Français,  dont  ils  avaient  entendu  dire  tant  de  bien. 
Ces  bons  sauvages  avaient  envoyé  dans  les  nations 
voisines,  pour  leur  donner  avis  que  les  Français 
voulaient  faire  alliance  avec  eux.  A  ces  nouvelles,  il 
vint  des  ambassadeurs  de  dix  où  douze  nations,  aux- 
quels le  Père,  qui  servait  d'interprète  au  député,  fit  un 
discours  ravissant  des  grandeurs  et  de  la  majesté  du 
roi  de  France,  qui  les  voulait  prendre  en  sa  protection, 
pourvu  qu'ils  voulussent  être  ses  fidèles  sujets.  Tous 
y  consentirent  avec  ^es  cris  de  joie  et  d'applaudisse- 
ment, et  ensuite  l'on  planta  la  Croix  comme  le  trophée 
de  notre  salut,  que  le  roi  et  tous  les  fidèles  sujets 
adoraient.  L'on  mit  vis-à-vis  un  poteau  où  les  armes 
de  France  étaient  attachées,  et  de  la  sorte  l'on  prit 
possession  de  tous  ces  pays  pour  Sa  Majesté.  Ce 
révérend  Père  fait  des  merveilles  avec  ces  bons  néo- 
phytes, et  il  aurait  besoin  de  quatre  ou  cinq  Pères  avec 
lui  pour  la  grandeur  du  champ  que  Dieu  lui  a  donné 
à  défricher  et  à  cultiver. 

Le  révérend  Père  André  a  fait  un  bon  noviciat  en  sa 
mission,  où  il  n'est  que  depuis  l'été  dernier.' Je  ne  sais 
comment  lui  et  son  compagnon  s'égarèrent  du  chemin 
qui  les  conduisait  au- lieu  où  ils  devaient  hiverner. 
La  famine  les  saisit  de  telle  façon  qu'ils  sont  quasi 
xnorts  de  faim,  n'ayant  vécu  dans  leur  égarement  que 


532  LETTRES 

de  vieilles  peaux  et  de  mousse.  Son  homme,  qai  est  de 
nos  quartiers  de  Touraine,  m*a  assuré  qu*ils  étaient 
prêts  d*expirer  quand  ils  sont  arrivés  à  la  résidence 
de  leurs  Pères.  Il  faut  être  puissamment  animé  de 
TEsprit  de  Dieu  pour  se  résoudre  à  souffrir  de  sem- 
blables  travaux.   • 

Les  révérends  Pères  qui  côtoient  le  long  Saut  des 
Outaouak,  où  est  leur  maison  fixe,  y  font  des  biens 
nonpareils  pour  la  conversion  de  ces  peuples.  Ces  bons 
Pères  étant  allés  à  quelques  lieues  de  là  pour  une 
affaire  qui  regarde  la  gloire  de  Dieu,  la  maison,  qui 
était  demeurée  seule,  a  été  consumée  par  le  feu  avec 
Téglise  et  tout  ce  qui  était  dedans.  li*on  croit  avec 
raison  que  le  diable,  enragé  de  voir  tant  de  progrès, 
a  fait  ce  malheureux  coup.^  Au  fort  de  Fincèndie,  un 
bon  Frère  qui  venait  de  la  campagne,  se  jeta  dans 
le  feu,  et  sauva  le  très- saint  Sacrement,  laissant  le 
reste  à  la  merci  des  flammes.  Ayant  cet  embrasement, 
les  Pères  avaient  baptisé  trois  cents  sauvages;  c'est 
le  grief  des  démons. 

Les  Pères  étant  de  retour,  et  se  voyant  dénués  de 
tout  ce  qu'ils  avaient  (car  c'était  là  que  l'on  portait 
en  réserve  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  l'entretien 
des  missions)  ne  perdirent  pas  courage.  Ils  se.  mirent 
aussitôt  avec  leurs  gens  et  quelques  Français  affec- 
tionnés, à  charpeoter  une  église  et  une  maison  plus 
belle  et  plus  spacieuse  que  la  première.  Ces  bâtiments 
sont  de  poutres  éc[uarries  et  posées  les  unes  sur  les 
autres.  Tout  est  de  bois,  excepté  la  cheminée,  les  cou- 

(1)  Noti>  avouons  ijue  [>oiir  accuser  le  diable  d'avoir  mis  le  feu  à  la  maison 
des  missionnaires,  ii  faudrait  J'avoir  pris  sur  le  fait.  Satan  et  ses"  suppôts  sont 
enchalnéd  pour  faire  le  mal  ;  malheureusement  ils  ne  le  sont  pas  pour  le  faire 
faire,  et  ils  ne  trouvent  que  trop  d'iiislruments  dociles. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l/lNCARlV\TION.  533 

vertures  mêmes  sont  de  planches  de  pin.  L'église  ne 
fut  pas  plus  tôt  refaite,  qu'on  y  apporta  quarante  enfants 
pT^ur  être  baptisés;  et  il  ne  faut  point  douter  que  les 
démons  n'enrageassent- de  voir  qu'ils  avaient  plus  perdu 
que  gagné  dans  l'embrasement  qu'ils  avaient  excité. 

L'on  a  vu  dans  la  même  mission  des  choses  mira- 
culeuses pour  preuve  de  notre  sainte  Foi  ;  ceux  qui  les 
jç)nt  vues  m'en  ont  assurée.  Ces  missions  du  côté  des 
Outaouak  sont  les  plus  florissantes  pour  le  présent, 
et  c'est  un  bonheur  pour  ces  peuples  et  pour  l'établisse- 
ment de  la  Foi  de  ce  qu'ils  sont  éloignés  des  Français, 
et  par  conséquent  des  mauvais  exemples  et  des  boissons 
qui  peuvent  enivrer. 

Il  paraît  que  la  bonté  divine  veut  sauver  tous  ces 
peuples.  Il  y  a  plusieurs  années  qu'on  cherche  un  pas- 
sage par  terre  pour  aller  à  la  grande  baie  du  nord. 
L'on  avait  tenté  diverses  routes,  mais  en  vain,  parce 
qu'on  y  voyait  les  grandes  montagnes  du  nord,  qui 
en  fermaient  les  avenues.  Par  une  providence  toute 
particulière,  les  sauvages  de  ce  pays-là  sont  venus  au' 
nombre  de  quarante  cjanots  pour  traiter  avec  les  Fran- 
çais, qui  les  ont  reçus  avec  accueil,  aussi  bien  que  les 
sauvages  de  ces  contrées.  Il  est  sans  doute  que  c'est 
Dieu  qui  leur  a  inspiré  ce  voyage  pour  leur  salut. 
Il  y  a  quelques  années  qu'un  honnête  homme  de  nos 
amis  voulut  sonder  s'il  pourrait  trouver  ce  chemin, 
plus  par  désir  de  la  conversion  de  ces  peuples  que  pour 
des  profits  temporels.  Quoique  ce  fût  en  été,  la  mer  était 
pleine  de  glaces,  aussi  est-elle  appelée  la  mer  Glaciale. 
II  avait  une  bonne  barque,  sans  quoi  il  aurait  été  perdu. 
Chemin  faisant,  il  rencontra  un  port  où  il  y  avait  un 
grand  nombre  de  sauvages  qui  le  flattaient  de  paroles 
lui  et  les  siens,  pour  obliger  quelqu'un  de  les  aller 


534  LETTRES 

trouver;  un  jeune  homme  fut  assez  hardi  ou  plutôt 
assez  [simple  pour  descendre.  Ces  barbares  le  voyant 
à  terre,  grinçaient  des  dents  comme  des  chiens  en 
colère;  ils  le  prirent,  le  percèrent  de  coups  de  couteau 
et  l'eussent  tué  et  mangé  ensuite,  si  ceux  de  la  barque 
ne  l'eussent  promptement  secouru.  Le  chef  voyant  tant 
d'écueils  et  tant  de  glaces,  qui  ne  lui  laissaient  qu'une 
petite  voie  libre  pour  la  navigation,  reconnaissant 
encore  la  malignité  de  ces  peuples,  rebroussa  chemin, 
et  se  sauva  par  miracle.  Je  vous  dis  ceci  pour  vous 
faire  voir  la  Providence  de  Dieu,  en  ce  que  ces  peuples, 
qui  auparavant  étaient  si  féroces,  sont  venus  d'eux- 
mêmes  avec  une  douceur  et  bénignité  inconcevables. 
Le  révérend  Père  Albanel  est  parti  avec  eux  pour 
porter  la  Foi  en  leur  pays;  il  sait  en  perfection  la 
langue  Montagnaise,  qui  est  celle  de  ce  peuple.  M.  l'In- 
tendant a  envoyé  des  Français  avec  le  Père  pour  pren- 
dre possession  de  ces  grands  pays,  qui,  outre  la  Foi, 
qui  est  la  fin  principale,  sont  très-avantageux  pour  le 
commerce.  Il  y  a  loin  d'ici,  et  peut  être  n'entendrons- 
nous  de  deux  ans  des  nouvelles  de  cette  mission. 

L'on  vient  do  ramener  de  la  mission  d'Oiognen  le 
révérend  Père  de  Carheil,  très-digne  missionnaire  et 
très-saint  homme.  L'hiver  dernier,  ayant  été  obligé  par 
nécessité  d'être  longtemps  dans  l'eau  pour  assister 
quelques  sauvages,  les  nerfs  se  sont  refroidis  et  retirés 
de  telle  sorte  que  tout  un  côté  est  replié  en  double;  et 
comme  il  a  été.  longtemps  sans  être  secouru,  le  mal  est 
devenu  incurable.  C'est  un  jeune  homme  d'environ 
trente-cinq  ans,  fervent  au  possible,  savant  dans  les 
langues  Iroquoises,  et  plein  de  belles  qualités;  le  voilà 
néanmoins  perclus  sur  le  lit  pour  le  reste  de  ses  jours. 
Il  ne  se  peut  exprimer  combien  les  ouvriers  de  l'Evan- 


DE  LA  MRRE  MARIE  DE  l'INGARNATION.  535 

gile  souffrent  de  travaux,  ni  à  combien  de  périls  ils 
s'exposent  pour  gagner  des  âmes  à  Jésus-Christ, 

Nous  avons  extrait  des  Mémoires  qu*on  a  apportés 
des  Outaouak  ce  qu'il  y  a  de  plus  rare  et  de  plus  con- 
sidérable ;  j'en  dirai  ici  quelque  chose  que  vous  ne  serez 
pas  marri  de  savoir,  le  tout  est  très- véritable. 

Le  21  de  janvier  de  cette  année  Ton  vit  un  parhélie 
dans  la  baie  des  Puants,  une  heure  ou  deux  avant  le 
coucher  du  soleil.  L'on  voyait  en  haut  un  grand  crois- 
sant, dont  les  cornes  regardaient  le  Ciel,  et  aux  deux 
côtés  du  soleil  deux  autres  soleils  également  différents 
du  vrai  soleil,  qui  tenait  le  milieu.  Il  est  vrai  qu'on  ne 
les  découvrait  pas  entièrement,  parce  qu'ils  étaient 
couverts  en  partie  d'un  nuage  de  couleur  d'arc-en-ciel, 
partie  d'une  grande  écharpe  blanche,  qui  empêchait 
i'œil  de  bien  distinguer.  Les  sauvages  voyant  cela, 
disaient  que  c'était  signe  d'un  grand  froid,  qui  en  effet 
fut  très- violent  le  jour  suivant. 

Le  sixième  de  mars,  l'on  vit  encore  un  parhélie  en 
trois  endroits  différents  et  éloignés  les  uns  et  des  autres 
de  plus  de  trente  lieues.  Il  fut  encore  vu  en  la  mission 
de  saint  Ignace,  à  Missilimakinak,  trois  soleils  distants 
les  uns  des  autres  comme  d'une  demi- lieue  en  appa- 
rence. Et  voici  trois  circonstances  considérables  que 
Ton  a  remarquées.  La  première  est  qu'ils  se  firent  voir 
deux  fois  le  même  jour,  savoir  le-  matin  une  heure 
après  le  soleil  levé,  et  le  soir  une  heure  avant  le  soleil 
couché.  La  deuxième,  que  celui  des  trois,  qui  le  matin 
était  du  côté  du  midi,  se  trouva  le  soir  du  côté  du 
septentrion;  et  en  outre  celui  qui  îe  matin  se  voyait 
du  côté  du  septentrion,  se  voyait  plus  bas  que  celui  du 
milieu  ;  et  le  soir  ayant  changé  de  situation,  et  pris  le 
côté  du  midi,  s'était  placé,  plus  haut  que  le  vrai  soleil. 

Lirm.  M.  n.  34^ 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DR  L'INCARNATION.  537 

tant  de  lumière  que  le  vrai  soleil  en  faisait  quand  le 
ciel  était  bien  pur.  II  y  avait  apparence  de  rent  en  l'air, 
parce  que  les  faux  soleils  disparaissaient  de  temps  en 
temps,  et  même  le  véritable,  au-dessous  duquel  enfin 
parut  un  quatrième  soleil  posé  en  ligne  droite,  et  en 
môme  distance  que  paraissaient  les  deux  autres  qui 
tenaient  les  côtés.  Ce  troisième  /aux  soleil  dura  peu, 
mais  les  deux  premiers  ne  se  dissipèrent  pas  sitôt  : 
lorsque  les  deux  faux  soleils  cessèrent  de  paraître,  ils 
laissèrent  après  eux  deux  arcs-en-ciel  comme  deux 
beaux  restes  de  leur  lumière.  Les  sauvages  qui  tiennent 
toutes  ces  choses  extraordinaires  pour  des  géoies,  et 
qui  estiment  que  ces  génies  sont  mariés,  demandaient 
au  Père  qui  les  instruisait  si  ce  n'étaient  pas  les 
femmes  du  soleil  qu'il  contemplait  si  curieusement.  Il 
leur  dit  que  celui  qui  a  tout  fait  les  voulait  instruire 
sur  le  mystère  de  la  très-sainte  Trinité,  et  les  désabuser 
par  le  soleil  même  qu'ils  adoraient.  Cette  réflexion  du 
Père  eut  son  efiet,  parce  que  dès  le  lendemain  les 
femmes,  qui  auparavant  ne  voulaient  pas  entendre 
parler  de  la  prière,  présentèrent  leurs  enfants  pour 
être  baptisés. 

Enfin  le  phénomène  s'est  fait  voir  le  même  jour  au 
Saut,  mais  d'une  façon  bien  différente  et  plus  admirable, 
parce  qu'outre  les  trois  soleils  qui  parurent  le  matin, 
(m  en  vit  encore  huit  tous  ensemble  un  peu  après  midi  ; 
voici  comme  ils  étaient  arrangés.  Le  vrai  soleil  était 
couronné  d'un  cercle  formé  des  couleurs  de  l'ara- en-ciel, 
dont  il  était  le  centre.  Il  avait  à  ses  deux  côtés  deux 
soleils  contrefaits,  et  deux  autres  étaient  l'un  sur  sa 
tête,  l'autre  comme  à  ses  pieds.  Ces  quatre  derniers 
soleils  étaient  placés  sur  la  circonférence  de  ce  cercle 
en  égale  distance,  et  directement  opposés  les  uns  aux 


538  .  LETTRES 

autres.  De  plus,  on  voyait  un  autre  cercle  de  même 
couleur  que  le  premier,  mais  beaucoup  plus  grand, 
qui  passait  par  en  haut  par  le  centre  du  vrai  soleil,  et 
a^vait  le  bas  et  les  deux  côtés  chargés  de  trois  soleils 
apparents;  et  ces  huit  luminaires  faisaient  ensemble 
un  spectacle  très-agréable  à  la  vue. 

Voilà  un  petit  récit  de  ce  qui  s*est  passé  de  plus 
curieux  dans  les  nations.  J'ai  parlé  plus  haut  de 
ce  qui  s*y  est  passé  de  plus  saint ,  savoir  de  la 
conversion  des  âmes  et  de  rétablissement  de  notre 
sainte  Foi.  J  ai  tiré  l'un  et  l'autre  des  mémoires  de 
nos  révérends  Pères,  dont  la  sincérité  m'est  si  con- 
nue que  j  ose  bien  vous  réitérer  qu'il  n'y  a  rien  qui  ne 
soit  assuré.* 

L'on  vient  d'apprendre  que  quelques-uns  de  ceux 
qui  sont  en  route  pour  la  grande  baie  du  nord  ont 
rebroussé  chemin,  pour  apporter  la  nouvelle  que  des 
sauvages,  dont  ils  ont  fait  rencontre,  les  ont  assurés 
qu'il  y  était  arrivé  deux  grands  vaisseaux  et  trois 
pinasses  d'Angleterre,  à  dessein  de  s'emparer  du  port 
et  du  pays  ;  que  les  deux  vaisseaux  s'en  sont  retournés 
chargés  de  pelleteries,  et  que  les  pinasses  y  vont  hiver- 
ner. Voilà  une  mauvaise  affaire  pour  le  temporel,  peut- 
être  aussi  pour  le  spirituel,  puisque  le  pays  tombe  sous 
la  domination  des  infidèles.  Si  l'on  y  eût  envoyé  de 
France,  comme  l'on  en  était  averti,  cette  perte  ne 
serait  pas  arrivée.  Ceux  qui  sont  partis  d'ici  pour  cette 
découverte  ne  laisseront  peut-être  pas  d'y   planter  la 

(  l)    Les  mémoires  dont  elle  parle  étaient  la  Relation  écrite  par  le  Père  d'Ablon 
supérieur  des  missions  des  Outawais,  Relation  destinée  à  la  publicité,  et  qui  fut 
en  effet  imprimée  Tannée  suivante  1672.  Le  récit  de  la  révérende  Mère  est  une 
copie  textuelle  de  celui  du  Père  d'Ablon.  Seulement  le  Père  d'Ablon  écrit  Sur- 
fiufst  au  lieu  de  Sourouest. 


DB  LA  MËRET  MARIB  DB ^'INCARNATION.  539 

croix  avec  les  fleurs  de  lis  à  la  face  des  Anglais.  Prions 
pour  cette  grande  affaire.* 

(1)  La  Lettre  qui  précède  n'est  pas  datée  ;  mais  il  est  certain  qu'elle  fut  écrite 
en  1671  :  d'abord  parce  que  les  phénomènes  dont  il  y  est  parlé  eurent  lieu  le 
21  janvier  et  le  16  mars  de  celte  année;  ensuite  parce  qu'à  partir  du  mois  de 
janvier  1672  jusqu'au  30  avril  où  elle  mourut,  la  vénérable  Mère  fut  dans 
l'impuissance  d'écrire.  D'ailleurs  elle  n'écrivait  jamais  pendant  \^a  mois  d'hiver, 
va  qull  ne  pouvait  y  avoir  alors  aucun  moyen  de  faire  partir  les  lettres. 

La  vénérable  Mère  parle  en  quelques  lignes  seulement  d€^  la  manière  dont 
M.  de  Saint- Lusson  prit  possession  du  pays  des  Outawais  au  nom  de  Louis  XIV  ; 
mais  nous  croyons  faire  un  véritable  plaisir  at^  lecteur  en  reproduisant  le  récit 
plus  détaillé  de  cette  cérémonie,  tel  que  le  donne  le  Père  d'Ablon.  On  y  verra 
comment  les  anciens  rois  tenaient  à  revêtir  d'un  caractère  religieux  les  act^s 
qu'aujourd'hui  Ton  regarde,  à  tort  sans  doute,  comme  purement  politiques  et 
profanes.  Il  ne  doit  rien  y  avoir  de  profane  dans  le  christianisme.  Cette  maxime 
de  saint  Paul  :  «  Soit  que  vous  mangiez,  soit  que  vous  buviez  ;  quelque  autre 
chose  que  vous  fassiez,  faites  tout  pour  la  gloire  de  Dieu,  n  oblige  les  gouverne- 
ments aussi  bien  que  les  particuliers.  Voici  textuellement  le  récit  du  Père  d'Ablon  : 


Prite  de  possession,  au  nom  du  roi,  de  tous  les  pays  communément  compris 

sous  le  nom  des  Outaouacs  (ou  Outawais).  ' 

Nous  ne  prétendons  parfaire  ici  un  narré  de  tout  ce  qui  s'est  passé  en  cette 
cérémonie,  mais  seulement  toucher  ce  qui  regarde  le  christianisme  et  le  bien 
de  nos  missions,  qui  vont  être  plus  florissantes  que  jamais,  après  ce  qui  s'est 
passé  en  cette  occasion  à  leur  avantage. 

M.  Talon,  notre  intendant,  ayant,  après  son  naufrage,  reçu  commandement 
du  roi  de  repasser  en  ce  pays,  reçut  au  même  temps  les  ordres  de  Sa  Majesté 
d'y  travailler  fortement  à  l'établissement  du  christianisme,  en  favorisant  nos 
missions,  et  à  faire  reconnaître  le  nom  et  la  domination  de  notre  invincible 
monarque  parmi  les  nations  même  les  plus  inconnues  et  les  plus  éloignées.  Cet 
ordre,  appuyé  des  intentions  du  ministre,  qui  veille  toujours  également  à  étendre 
la  gloire  de  Dieu  et  à  procurer  par  toute  ferre  celle  de  son  roi,  fut  exécuté 
aussitôt  qu'il  put  l'être,  et  M.  Talon  ne  fut  pas  plus  tôt  débarqué,  qu'il  pensa  aux 
moyens  de  le  faire  réussir.  Pour  ce,  il  choisit  le  sieur  de  Saint- Lusson»  qu'il 
commit  pour,  en  sa  place  et  au  nom  de  Sa  Majesté,  prendre  possession  des 
terres  qui  se  trouvent  entre  l'est  et  l'ouest  depuis  Montréal  jusqu'à  la  mer  du  sud, 
autant  et  si  avant  qu'il  se  pourrait. 

Pour  ce  sujet,  après  avoir  hiverné  dans  le  lac  des  Uurons,  il  se  rendit  à  Sainte* 


i 


540  .LETTRES 

Marie-du-Saut  au  commencement  de  mai  de  cette  aonée  1671.  Il  fit  d*abord 
convoquer  les  peu;  les  d'alentour,  de  plus  de  cent  lieaea  à  la  ronde,  lesquels 
s'y  trouvèrent  par  leurs  ambassadeurs  au  nombre  de  quatorze  nations;  et  ayant 
disposé  toutes  choses  nécessaires  pour  faire  que  tout  réussit  à  l'honneur  de  la 
France,  il  commença,  le  4  juin  de  la  même  année,  par  l'action  la  plus  soleDoelle 
qui  se  soit  jamais  pratiquée  en  ces  pays. 

Car  tout  le  monde  étant  assemblé  pour  un  grand  conseil  public^  et  ayant  choisi 
une  éminence  trè^-propre  à  son  dessein,  et  qui  domine  la  bourgade  des  Sauteurs, 
il  y  fit  planter  la  Croix  et  ensuite  arborer  les  armes  du  roi  avec  toute  la  magni- 
ficence dont  il  se  put  aviser. 

La  Croix  fut  publiquement  bénite  avec  toutes  les  cérémonies  de  TEglise  par 
le  supérieur  de  ces  missions  ;  et  puis  étant  levée  de  terre  pour  la  planter,  Ton 
chanta  le  Vexilla,  que  bon  nombre  de  Français,  qui  se  trouvèrent  poar  lors  en 
ce  lieu,  entonnèrent  avec  l'admiration  de  tous  les  sauvages,  la  joie  étant  réci- 
proque dans  les  esprits  des  uns  et  des  autres  à  la  vue  de  ce  glorieux  étendard 
de  Jesos-Cbrist,  qui  semblait  n'être  élevé  si  haut  que  pour  dominer  sur  les  cœurs 
de  tous  ces  pauvres  peuples. 

Ensuite  l'écusson  de  France  ayant  été  attaché  à  un  poteau  de  cèdre,  fut  aussi 
élevé  vis-à-vis  de  la  Croix  pendant  qu'on  chantait  VExaudiat.  Après  cela,  M.  de 
Saint- Lusson  gardant  toutes  les  formes  ordinaires  en  pareille  rencontre,  prit 
possession  de  ces  pays,  l'air  retentissant  de  cris  redoublés  de  Vfve  le  Roi  !  et  de 
la  décharge  des  fusils,  avec  la  joie  et  l'étonnement  de  tous  ces  peuples,  qui 
n'avaient  jamais  rien  vu  de  semblable. 

Après  qu'on  eut  donné  lieu  à  ces  bruits  confus  de  voix  et  de  fusils,  un  grand 
silence  s'étant  fait  par  toute  l'assemblée,  le  Père  Claude  Allouez  commença  l'éloge 
du  roi,  pour  faire  connaître  à  toutes  ces  nations  quel  était  celui  dont  ils  voyaient 
les  armes  et  sous  la  domination  duquel  ils  se  soumettaient  en  ce  jour;  et  comme 
il  est  bien  versé  en  leur  langue  et  en  leurs  façons  do  faire,  il  sut  si  bien  s'accom- 
moder à  leur  portée,  qu'il  leur  donna  une  idée  de  la  grandeur  de  notre  incompa- 
rable monarque,  telle  qu'ils  avouent  qu'ils  n'ont  point  de  paroles  pour  énoncer 
ce  qu'ils  en  pensent. 

«  Voici  une  bonne  affaire  qui  se  présente  à  vous,  mes  frères,  leur  dit-il,  une 
grande  et  importante  affaire  qui  fait  le  sujet  de  ce  conseil.  Jetez  les  yeux  sur 
la  Croix  qui  est  si  haut  élevée  au-dessus  de  vos  têtes  ;  c'est  où  Jésus-Christ,  Fils 
de  Dieu,  s'étant  fait  homme  pour  l'amour  des  hommes,  a  voulu  être  attaché  et 
a  voulu  mourir,  afin  de  satisfaire  à  son  Père  éternel  pour  nos  péchés.  Il  est  le 
Maître  de  nos  vies,  du  ciel,  de  la  terre  et  des  enfers  ;  c'est  celui  dont  je  vuus  parle 
toujours,  et  dont  j'ai  porté  le  nom  et  la  parole  en  toutes  ces  contrées. 

»  Mais  regardez  en  même  temps  cet  autre  poteau  où  sont  attachées  les  armoi- 
ries du  grand  capitaine  de  France,  que  nous  appelons  le  roi.  Il  demeure  au-delà 
de  la  mer;  il  est  le  capitaine  des  plus  grands  capitaines  et  n'a  point  son  pareil 
au  monde.  Tous  les  capitaines  que  vous  avez  jamais  vus,  et  dont  vous  avez 


DE  LA  MÉRB  MARIE  DE  l'INCARNATION.  541 

entendu  parler,  ne  sont  que  des  enfants  auprès  de  lui  ;  il  est  comme  uu  .grand 
arbre  et  eux  ne  sont  que  comme  de  petites  plantes  qu'on  foule  aux  pieds  en 
marchant.  Vous  connaissez  Onoathio,  ce  célèbre  capitaine  de  Québec;  vous  savez 
et  TOUS  expérimentez  qull  est  la  terreur  des  Iroquois,  et  son  notn  seul  les  fait 
trembler  depuis  qu'il  a  désolé  leur  pays  et  qu'il  a  porté  le  feu  dans  leurs  bour- 
gailes  :  il  y  a  au-delà  de  la  mer  dix  mille  Ononthio  comme  celui-là,  qui  ne  sont 
que  les  soldats  de  ce  grand  capitaine,  notre  grand  roi  dont  je  parle.  Quand  il  dit 
le  mot  :  •  Je  vais  en  guerre^  tout  le  monde  obéit.  ••  Le  Père  continua  sur  ce 
ton,  qui  eût  certainement  paru  emphatique  dans  la  chaire  de  Notre-Dame 
à  Paris;  mais  il  fit  une  vive  impression  sur  les  sauvages  qui  l'écoutaient  avec 
admiration,  manifestant  une  extrême  surprise  qu'il  y  eût  sur  la  terre  un  homme 
aussi  grand,  aussi  ricHe,  aussi  puissant  que  L'était  le  roi  de  France. 

La  cérémonie  se  termina  par  un  magnifique  feu  de  joie,  pendant  lequel  on 
chanta  le  Te  JQeum. 


542  LETTRES 


^* 


LETTRE   CCXXIV.» 

A  L  ABBESSE  DE  PORT-ROYAL  DU  FAUBOURG  SAINT-JACQUES, 

A  PARIS. 

Elle  la  remercie  de  ses  libéralités,  et  lui  dit  un  mot  des  filles  sauvages  auxquelles 

les  Ursulines  donneut  rinstruction. 

Jésus,  Marie.  Joseph.  . 

Ma  révérende,  et -très-honorée  Mère, 

Salut  très-humble  au  Cœur  de  notre  très-aimable 
Jésus. 

Il  semble  à  voir,  et  en  effet  il  est  certain  que  sa 
bonté  nous  va  sans  cesse  procurant  des  amis,'  pour 
secourir  nos  chères  néophytes.  Votre  Révérence  est  de 
ce  nombre,  de  laquelle  nous  avons  reçu  les  libéralités. 
Notre  petit  séminaire  lui  en  rend  un  million  de  remer- 
cîments,  avec  assurance  qu'elle  aura  tous  les  jours  part 
aux  prières  qui  sy  font. 

(1)  Celte  lettre  et  la  suivante,  qui  sont  conservées  à  la  bibliothèque  de  la  ville 
de  Troyes,  nous  sont  arrivées  trop  tard  pour  être  mises  à  leur  place  cbrooo- 
logique. 

Nous  n'.ivons,  bien  entendu,  que  des  copies,  dont  chacune  porte  la  déclaratioo 
suivante  : 

«  Copie  certifiée  conforma  à  l'original  de  la  bibliothèque  de  Troyes  par  \t 
eoDiervateur  soussigné. 

•  Trouez,  le  SO  Juillet  4874. 

«    COLARD.    " 


DB  LA  MÈRE  IdARlE  DE  l'INGARNATIQN.  543 

Vous  nous  avez  grandement  obligées  de  ce  qu'il  vous 
a  plu  nous  donner  les  habits  et  les  toiles,  étant  ce  qui 
est  très-rare  en  ce  pays.  En  eflfet,  il  est  très-pauvre  de 
biens  temporels,  mais  très-riche  de  biens  spirituels, 
la  divine  bonté  les  y  versant  en  abondance.  Il  est  vrai 
que  nous  sommes  plus  que  suffisamment  payées  de  nos 
petits  travaux,  voyant  nos  chères  séminaristes  dans  le 
vrai  chemin  du  ciel.  Je  n'eusse  jamais  cru  que  des  filles 
nées  dans  la  barbarie  eussent  pris  des  plis  comme  les 
filles  de  France,  et  très-avantageusement  quant  à  l'âme. 
Vous  l'apprendrez  par  la  Relation,  qui  vous  dira  des 
choses  ravissantes  des  grandes  dispositions  qui  sont 
dans  toutes  les  nations  circon voisines,  qui  toutes  veu- 
lent embrasser  notre  sainte  foi.  Je  conjure  Votre  Révé- 
rence d'employer  tout  le  crédit  qu'elle  a  auprès  de  Dieu 
et  celui  de  toutes  ses  saintes  filles.  C'est  ce  que  j'attends 
et  ce  que  j'espère,  l'assurant  de  n'être  pas  ingrate. 

Je  la  supplie  aussi  que  je  me  puisse  dire,  ma  très- 
révérende  Mère, 

Votre  très-humble  et  très-obligée  sœur  et  servante 
en  Jésus-Christ. 

Sœur  Marie  de  rincarnation,  U,  I. 

Du  séminaire  de  Saint-Joseph,  aux  Ursulines  de  Québec,  le 
4  de  septembre  1641. 


544  LETTRES 


LETTRE  CCXXV. 

A  LA  RÉVÉRENDE  MÈRE  CATHERINE  AGNES,  ABBESSE 

DE  PORT-ROYAL,  A  PARIS.* 

Sentiments  d'une  profonde  humilité.  —  Ravages  causée  par  les  Iroquois.  — 
Remerclments  pour  des  libéralités  et  pour  l'envoi  d'une  biographie. 

Jésus,  Marik,  Joseph. 

Madame,  raa  très-révérende  Mère, 

Votre  sainte  bénédiction. 

Je  ne  mérite  pas  que  Votre  Révérence  ait  daigné  . 
mettre  la  main  à  la  plume  pour  nVhonorer  de  Tune  de 
ses  lettres.  Je  suis  dans  une  ordinaire  confusion  de  ce 
que  quantité  de  saintes  âmes  regardent  de  si  bon  œil 
les  pauvres  religieuses  du  Canada,  lesquelles  ont  bien 
d'autres  sentiments  délies- mêmes;  et  pour  mieux  dire, 
qui  n'ont  dyeux  que  pour  voir  leurs  misères  et  leur  peu 
de  correspondance  à  la  haute  grâce  que  la  bonté  de 
Dieu  leur  a  départie. 

Il  est  vrai,  ma  très-révérende  Mère,  que  jai  entendu 
parler  des  plus  saints  du  Canada;  tous  sont  dans  leur 
néant  d'une  façon  admirable,    tant  la  vue  de  l'appel 

(l)  En  1642.  date  dt»  cette  lettre,  lu  Mère  Catherine-Agnès  n'était  pas 
Abbesse  de  Port-Royal,  mais  elle  en  remplissait  les  fonctions  à  la  place  de  sa 
Fceur,  la  Mère  Angc^lique,  alors  à  Maubuissori,  dont  elle  travaillait  à  réformer 
l'abbaye. 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DE  l'iNCARNATION.  545 

apostolique  leur  parait  sublime  et  leur  correspondance 
petite.  Il  est  vrai,  les  sens  ne  soutiennent  point  en 
Canada;  Tesprit  laisse  la  nature  dans  les  pures  croix, 
qui  se  retrouvent,  non-seulement  en  elle-même  (la 
nature),  mais  dans  toutes  les  choses  qui  la  peuvent 
rendre  susceptible  de  croix.  Vous  avez  en  effet  compris 
cela,  ma  révérende  Mère,  en  disant  que  vous  respectez 
la  grâce  et  l'appel  de  Dieu  en  nous.^  Si  jamais  vous  faites 
du  bien  à  quelqu'un,  que  ce  soit,  s'il  vous  plait,  de 
remercier  cette  bonté  infinie  de  ses  miséricordes  sur 
moi,  et  lui  demander  l'anéantissement  de  mes  malices, 
qui  ne  s'arrêtent  pas  seulement  dans  le  sentiment,  mais 
passent  dans  des  actes  très- fréquents;  et  c'est  ce  qui 
me  fait  craindre  d'être  la  cause  du  retardement  des 
affaires  de  Dieu  dans  sa  nouvelle  Eglise. 

Les  Iroquois  n'avaient  point  encore  tant  fait  de 
ravage  (qu'ils  en  firent)  lorsque  Ton  était  dans  les  plus 
grandes  espérances  du  progrès  du  christianisme  et  qu'on 
l'expérimentait  pan  quantité  de  conversions,  tant  chez 
les  Hurons  qu'en  ces  quartiers  algonquins. 

Les  Hurons  étant  ici  venus  en  traite  à  leur  ordinaire, 

(1)  Cette  phrase,  innocente  en  soi,  ne  laisse  pas  d'ôtre  quelque  peu  suspecte 
sous  la  plume  d'une  sœur  d'Antoine  Arnauld,  et  il  y  a  peut-ôlre  un  rapproche- 
ment à  faire  entre  la  correspondance  de  Port-Royal,  dont  nous  avons  ici  la 
révélation,  et  cet  alinéa  de  la  Lettre  LXXXIV  de  la  vénérable  Mère,  page  361 
du  tome  I»*"  : 

•  Quant  aux  doctrines  qui  font  aujourd'hui  tant  de  bruit  en  France,  je  n'ai 
garde  de  me  mêler  d'en  parler,  et  encore  moins  d'écrire  en  aucune  manière  ni 
mes  sentiments  ni  ceux  de  qui  que  ce  soit  touchant  l'affaire  de  M.  Arnauld. 
Une  personne  de  France  qui  y  est  fort  engagée  m'en  ayant  écrit,  je  ne  lui  ai 
point  répondu,  afin  de  ne  lui  point  donner  sujet  de  m'en  écrire  davantage.  » 

Il  n'est  pas  tépiéraire  de  supposer  que  cette  personne  de  France,  fort  engagée 
dans  l'affaire  de  M.  Arnauld,  a  pu  être  une  des  cinq  sœurs  du  trop  célèbre 
docteur,  religieuses  à  Port- Royal.  En  tout  cas  on  voit  avec  quelle  sagesse  Marie 
de  l'Incarnation  savait  mesurer  sa  conduite  en  toutes  choses. 

LBTTR.  M.    II.  35 


546  LETTRES 

lun  de  nos  révérends  Pères  de  la  Compagnie  et  plu- 
sieurs chrétiens,  tant  Français  que  de  leur  nation,  en 
s'en  retournant,  ont  fait  rencontre  des  Iroquois,  qui 
s*étant  trouvés  les  plus  forts,  les  ont  défaits,  en  ont  tué 
plusieurs,  chrétiens  catéchumènes  et  autres,  puis  ils 
ont  emmené  captifs  le  pauvre  bon  frère  Jacques,  une 
de  nos  séminaristes  huronnes,  ses  parents  chrétiens 
qui  la  ramenaient,  des  Français  et  des  sauvages  en 
nombre.  En  sorte  que  si  leur  rage  accoutumée  8*exerce 
à  lendroit  de  nos  pauvres  captifs,  ils  leur  feront  souf- 
frir des  tourments  incomparables.  Ils  ne  feront  pas 
mourir  notre  pauvre  fille,  mais  ils  la  marieront  en  cette 
barbarie,  oii  son  salut  sera  en  grand  hasard,  pour 
être  (vu  qu'elle  sera)  destituée  de  toute  aide.  C'est  une 
très-bonne  chrétienne,  que  nous  avons  eue  deux  ans  ; 
elle  sait  lire  et  écrire  ;  elle  retournait  en  son  pays  pour 
gagner  celles  de  son  sexe  à  la  foi  et  aux  mœurs.  Possible 
Dieu  se  servira-t-il  d'elle  pour  les  filles  Iroquoisçs.  Cela 
nous  étant  inconnu,  nous  attendons  les  événements 
du  dessein  de  la  Majesté  divine  sur  toutes  ces  pauvres 
victimes,  que  je  vous  supplie  de  lui  faire  recommander 
pour  qu'elle  en  tire  sa  gloire. 

La  Relation  vous  fera  voir  cette  histoire  par  le  menu, 
comme  le  progrès  de  TEglise.  Vous  pouvez  juger  si 
notre  affliction  a  été  grande  pour  les  choses  susdites, 
et  dautant  plus  qu'on  n'y  peut  apporter  remède,  les 
difficultés  de  secourir  nos  gens  étant  insurmontables. 
Adorons  ensemble  les  jugements  de  Celui  qui  mortifie 
et  vivifie  comme  il  lui  plaît. 

Je  rends  de  très-humbles  grâces  à  Votre  Révérence 
de  ses  bienfaits,  tant  spirituels  que  temporels.  Nous 
avons  été  grandement  édifiées  d(3  la  lecture  du  livre 
de  votre  bienheureuse  enfant,  en  laquelle  il  parait  que 


DE  LA  MÈRE  MARIE  DR  l'INCARNATION.  547 

la  grâce  avait  pris  place.  Nous  avons  des  filles  saù- 
sagesses  qui  parlent  français  ;  nous  le  leur  donnerons 
à  lire  pour  leur  utilité;  et  à  une  de  son  âge  les  habits 
et  autres  choses  pour  son  usage.  Cest  une  fille  qui, 
quoique  jeune,  est  grandement  avancée.  Elle  a  com- 
munié à  Pâques  avec  des  sentiments  tout  extraordi- 
naires. J'ose  vous  la  recommander,  ainsi  que  'toutes 
ses  compagnes,  mes  sœurs,  et  moi  qui  en  ai  plus  besoin 
que  toutes.  Cesf  ce  que  je  puis  assurer  à  Votre  Révé- 
rence, comme  de  me  dire  en  toute  humilité. 

Madame  ma  très-révérende  Mère, 

Votre  très-hunlble  fille  et  très- obéissante  servante 
en  Jésus- Christ, 

Sœur  Marie  de  llncarnation,  R.  L 

De  Québec,  au  monastère  des  Ur salines  le  30  daoût  1642. 


FIN  DU  SECOND  ET  DERNIER  VOLUME. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


-•o^ 


CXIII.  A  son  flU.  —  E)lle  dit  avec  assurance  que  Dieu  a  voala  le  réta- 
blissement de  son .  pionastère,  quelque  apparence  qu'il  y  eût 
du  contraire.  —  Troubles  de  France,  dans  lesquels  les  soldats 
français  ont  été  plus  à  craindre  en  quelque  façon  que  les  Iro- 
quois.  -<»  Raisons  pourquoi  il  n'était  pas  expédient  pour  un 
temps  d'appeler  des  religieuses  de  France.  —  L'archevêque  de 
Rouen  se  déclare  ordinaire  du  Canada,  et  en  fait  les  fonctions.       1 

CXIV.  A  une  de  ses  soeurs,  —  Nouvelles  insultes  des  Iroquois.  —  Les 
Français  les  défont  et  leur  donnent  la  fuite.—  Secours  envoyé 
contre  eux  par  le  roi  de  France 10 

CXV.  A  une  de  ses  sosurs,  —  Après  lui  avoir  montré  que  connaître  et 
aimer  le  Cœur  de  Jésus-Christ,  c'est  la  véritable  science  des 
saints,  elle  l'exhorte  à  demander  en  son  nom  la  conversion  des 
sauvages  infidèles 1% 

CXVI.  A  sa  première  supérieure  de  Tours,  —  Quérisons  miraculeuses 
arrivées  par  l'invocation  de  la  Mère  Marie  de  Saint- Joseph.  — 
Elle-  témoigne  combien  la  persécution  de  l'Eglise  lui  a  été 
sensible,  et  qu'elle  l'a  portée  néanmoins  avec  paix  et  tran- 
quillité. —  Son  zèle  pour  le  salut  des  Ames  ....*.     15 

CXVn.^  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Dijon,  —  Les  Iroquoii 
feignent  de  chercher  la  paix  :  cependant  ils  assiègent  les  Trots- 
Rivières,  et  prennent  le  révérend  Père  Poncet  pritonnier.  — 
Nouvelles  propositions  de  paix 21 

CXVIII.  —  A  son  fils.  —  Elle  le  remercie  d'un  panégyrique  de  saint 
Benoit  qu'il  lui  avait  envoyé,  et  lui  dit  ses  sentinoents  sur  son 


550  TABLE. 

éléTatibn  à  la  supériorité.  —  De  quelle  manière  elle  a  entreprie 
d'écrire  la  conduite  de  Bleu  à  son  égard   ....*...     26 

CXIX.  A  une  dame  de  sa  connaissance,  —  Estime  qu'on  doit  avoir  pour 

la  grâce  de  la  Tocation  à  la  Foi 41 

CXX.  A  son  fils.  —  Elle  s'excuse  d'avoir  tardé  à  lui  envoyer  le  récit  de 
sa  vie  spirituelle.  —  Motifs  pour  lesquels  elle  s'y  est  enfin 
décidée.  —  Elle  se  prémunit  contre  l'opiDion  favorable  qae 
l'on  pourrait  avoir  d'elle  à  cause  des  gr&ces  qu'elle  a  reçues     .     42 

CXXI.  Au  mime,  —  Elle  lui  parle  de  la  Relation  de  sa  vie  qu'elle  lui 
envoie,  et  de  la  manière  avec  laquelle  elle  l'a  écrite.  —  Pour- 
quoi Dieu  permet  que  <mux  qui  gouvernent  les  ftmes  soient 
tentés.  —  Ils  ne  doivent  pas  pour  cela  quitter  leur  emploi.  50 

CXXII.  A  une  dame  de  ses  amies,  — Il  est  dangereux  de  négliger  «on 
salut.  —  Par  cette  négligence  l'âme  tombe  de  précipice  en 
précipice,  d'où  il  est  difficile  de  se  élever 54 

CXXIII.  A  une  de  ses  soeurs,  —  Chacun  doit  tendre  au  ciel  par  des 
moyens  conformes  â  sa  condition.  —  Les  biens  de  la  grâce 
et  de  la  gloire  sont  les  seuls  véritables  biens  ......      56 

CXXIV.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Seltes-sur-Cher,  —  L'observance 
régulière  bien  gardée  conserve  le  temporel  d'une  maison.  — 
Confiance  qu'il  faut  avoir  en  la  divine  Providence  dans  le 
temps  de  la  pauvreté 58 

CXXV.  A  son  fils,  —  Toutes  les  nations  Iroquoises  concourent  à  deman- 
der la  paix.  —  Salines  considérables  dans  le  pays  des  Iroquois. 
—  Découverte  d'une  mer  que  l'on  croit  être  celle  de  la  Chine.     60 

CXXVI.  Au  même.  —  Elle  le  conjure  de  faire  en  sorte  que  les  papiers 
qu'elle  lui  envoie  ne  soient  connus  de  personne,  et  de  les  jeter 
au  feu  au  cas  où  il  se  verrait  en  danger  de  mort 69 

CXXVII.  Au  même,  —  Ceux  qui  veulent  avancer  dans  la  voie  de  l'esprit 
doivent  se  résoudre  à  la  tentation  et  aux  épreuves.  —  Tra- 
hison d'une  nation  iroquoise  et  conversion  des  autres   ...     70 

CXXVIII.  A  une  dame  de  ses  amies.  —  Ella  la  console  en  ses  afflictions,  et 
lui  enseigne  que  la  croix  est  l'instrument  avec  lequel  Dieu  fait 
les  saints 75 

CXXIX.  A  une  religieuse  Ursuline,  maitresse  des  novices.  —  Elle  lui  fait 
paraître  son  zèle  pour  les  missions,  et  lui  demande  le  secours 


^     • 


TABLR.  55] 

de  868  prières  et  de  celles  de  ses  novices,  afin  qull  plaise 

à  Dieu  de  les  faire  réussir 77 

CXXX.  A  son  /fis.  —  De  l'excellence  du  par  amoar  de  Dieu.  —  Qae  les 
tentations  et  les  épreuves  ont  pour  but  de  faire  avancer  les 
ftmes  dans  la  voie  de  la  sainteté,  mais  que  si  l'on  n'y  prend 
garde,  elles  produisent  un  effet  contraire.  —  Tentation  de 
désirer  être  assuré  de  son  salut  ;  ses  inconvénients,  ses  re- 
mèdes. —  Elle  témoigne  sa  douleur  de  ce  que  deux  de  ses 
religieuses  veulent  retourner  en  France 78 

CXXXI.  A  une  Jeune  novice,  —  Elle  lui  témoigne  sa  joie  de  ce  qu'elle 
se  donne  à  Dieu,  et  lexhorte  à  être  fidèle  à  la  gr&ce  de  sa 
vocation 83 

CXXXII.  A  son  fils,  —  Les  Iroquois  Agnerognons  continuent  leur  boa* 

tilité.  —  Ils  demandent  la, paix,  qui  enfin  devient  universelle.     84 

CXXXIII.  A  la  supérieure  des  XJrsulines  de  Tours,  -^  Elle  fait  un  récit 
détaillé  de  tout  ce  qui  s'est  passé  dans  l'union  des  religieuses 
de  Tours  et  de  Paris  au  Canada,  et  dans  le  cbaugement  des 
constitutions  de  ces  deux  Congrégations.  —  Elle  justifie  sa 
Communauté  de  quelques  plaintes  qu'on  avait  faites  contre  elle.     93 

CXXXIV.   A  son  fils,  —  Etablissement  de  la  Foi  chez  les  nations  Iroquoises 

supérieures,  et  nouvelles  hostilités  des  Iroquois  Agnerognons.  105 

CXXXV.  Au  même.  —  Après  l'avoir  biftmé  de  ce  qu'il  ne  lui  écrivait  pas 
assez  souvent,  elle  lui  donne  un  avis  important  touchant 
l'oraison 111 

CXXXVI.  Au  même,  —  Elle  lui  témoigne  le  désir  qu'elle  a  de  sa  perfec- 
tion. —  Dieu  se  sert  des  afflictions  corporelles  pour  détacher 
les  &mes  des  créatures.  —  Elle  lui  parle  d'une  maladie  extrême 
dont  Notre-Seigneur  l'a  guérie 114 

CXXXVI I.  Au  même,  —  L'importance  d'une  bonne  vocation  dans  les  reli- 
gienses  qui  veulent  aller  en  Canada  :  et  que  la  vertu,  même 
excellente,  court  risque  du  naufrage  dans  les  parloirs .     .     •  IH  . 

GXXXVIII.  Au  même,  — Progrès  de  la  Foi  parmi,  les  nations  iroquoises. 
—  Passage  des  religieuses  de  France  en  Canada.  —  Solution 
complète  (lu  malentendu  qui  avait  eu  lieu  entre  elle  et  son 
fils.  —  Opposition  de  l'amour-propre  à  l'esprit  de  Dieu  .     .     119 

CXXXLX.  Au' même.  —  Dieu  dispose  les  Ames  à  de  hauts  dessein»  par 
la  solitude.  —  Tout  profite  à  uue  &me  qui  se  conserve  dans 


562  TABLE. 

FunioD  avec  Dieu.  —  But  de  ses  affaires  domestiques  et  de 
celles  du  pays 123 

CXL.  Au  même.  —  Ck>njuratioD  secrète  des  Iroqoois  contre  les  révé- 
rends Pères  Jésuites  et  les  Français,  qui,  en  étant  avertis,  se 
retirent  secrètement  à  Montréal.  —  Projet  des  mêmes  Pères 
de  retourner  aux  Iroquois '.128 

CXLI.  Au  même,  —  Arrivée  d*un  évèque  à  Québec.  •»  Accroissement 
notable  de  la  colonie  de  Montréal.  —  Les  Iroquois  continuent 
leurs  hostilités.  —  La  mort  du  révérend  Père  de  Quen,  jésuite.   1 37 

CXLU.  A  une  religieuse  UrsuUne,  — -  Le  bonheur  qu*il  y  a  d'être  déta- 
ché du  monde  pour  servir  Dieu.  —  Que  les  amitiés  sont 
saintes  et  salutaires  quand  on  s'aime  en  Jésus-Christ.    •     .144 

CXLIII.  A  son  fils,  —  Que  c'est  une  excellente  union  avec  Dieu  de  faire 
sa  volonté.  Qu'il  ne  faut  point  abandonner  les  affaires  que 
Dieu  demande  de  nous,  encore  qu'il  soit  difficile  de  les  faire 
sans  contracter  quelque  souillure 145 

CXLIV.  Au  même,  —  Dessein  des  Iroquois  sur  Québec.  —  Défaite  des 

Français,  des  Algonquins  et  des  Hurons  par  ces  barbares     .   148 

• 

CXLV.  Au  même,  —  Etat  du  pays.  —  Ses  propres  dispositions.  — 
Eloge  de  Mgr  l'évoque  de  Pétrée,  et  de  M.  d'Argenson,  gou- 
verneur.   —   Activité  de  la  Mère  de  rincarnation  dans  les 

mesures  de  défense  contre  les  Iroquois 166 

» 

CXLVl.  A  son  ancienne  supérieure  de  Toui^s.  —  Des  biens  renfermés 
dans  la  croix.  —  Vives  alertes  à  roccasion  des  Iroquois.  — 
De  la  pauvreté  et  du  soin  des  affaires  temporelles  .      .      .      .173 

CXLVII.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Tours.  -  Elle  la  console  de  la 
mort  d'un  de  ses  parents  et  d'une  religieuse  de  ses  amies.  — 
On  ne  doit  point  être  surpris  quand  on  apprend  la  nouvelle 
de  la  mort  de  quelqu'un  qu'on  aime.  —  Bonne  régularité  des 
Ursulines  de  Tours.  —  Il  faut  toujours  croître  en  vertu,  et 
cet  accroissement  est  une  marque  qu'elle  est  véritable.      .      .HT 

CXLVIII.  .4  son  fils,  —  Elle  compatit  à  une  infirmité  habituelle  dont  il 
était  incommodé,  et  l'exhorte  à  la  patience.  —  Elle  s'excuse 
de  se  renJre  à  la  j)rière  qu'il  i^ii  avait  faite  de  traiter  des 
matières  spirituelles 179 

CXLIX.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Tours.  —  Mgr  l'évèque  ordonne 
que,  contre  la  coutume,   la  charge  de  maîtresse  des  novices 


TABLE .  553 

soit   élective,   et  que  la  supérieure   ouvre   les  lettres  des 
religieuses 181 

CL.  A  une  jeune  religieuse  Ursuline,  —  Elle  l'exhorte  à  mourir  à 

^  elle-même,  et  à  s'avancer  sans  relAche  dans  la  perfection.     .   186 

CLI.  A  son  fils,  —  Etat  des  affaires  du  Canada  depuis  le  mois  de  juin 
jusqu'en  novembre.  —  Desseins  des  Iroquois  découverts.  — 
Mort  chrétienne  de  quelques  Français  par  les  mains  de  ces 
barbares ^   ....    18 

CLII.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Tours, ^ —  Mgr  l'archevôque 
de  Tours  a  fait  imprimer  le  coutumier  des  Ursulines  de  sa 
ville.  -^  Mgr  de  Petrée  veut  aller  plus  loin  pour  Québec  et 
changer  les  constitutions 192 

CLIII.  ti  son  fils,  —  Le  voyant  dégagé  de  l'embarras  de  ses  affaires, 
elle  l'exhorte  à  profiter  du  repos  que  Dieu  lui  donne  pour 
faire  un  amas  de  vertus.  —  Elle  parle  de  sa  dévotion  au  Cœur 
du  Verbe  incarné,  à  la  sainte  Vierge  et  à  saint  François  de 
Paule- 190 

CLIV.  Au  même.  —  Français  massacrés  par  les  Iroquois  Agneronnons. 
—  Les  Iroquois  supérieurs  demandent  la  paix.  —  Accidents 
et  présages  funestes 202 

CLV.  Au  même,  —  Les  Iroquois  Agneronons  continuent  leurs  hos- 
tilités, et  les  Onnontageronons  nous  demandent  la  paix.  — 
Conduite  de  M.  d'Argensou  dans  son  gouvernement  de  la 
Nouvelle- France 211 

CLVI.  Au  même,  —  Mortalité  arrivée  en  France.  —  Trahison  des 
Ircquois  découverte.  —  Zèle  merveilleux  de  la  Mère  de  l'In- 
carnation pour  le  salut  des  âmes,  et  &  pourvoir  aux  moyens 
de  les  instruire 216 

CLVII.  Au  même.  —  Désordre  effroyable  causé  par  l'usage  du  vin  et 
de  l'eau -de- vie.  Mgr  l'évoque  de  Petrée  va  en  France  pour  y 
apporter  remède 220 

CLVI  11.  Au  fHème,  —  Le  roi  envoie  des  Commissaires  dans  la  Nouvelle- 
France  pour  prendre  possession  du  port  de  Plaisance;  et  pour 
examiner  la  nature  et  la  qualité  du  pays 223 

CLIX.  Au  même,   —  Relation  du  tremblement  de  terre  arrivé  au 

Canada  dans  l'année  1663,  et  de  ses  effets  merveilleux     .     .  226 

CLX.  Au  même,  —  Sa  résignation  à  mourir  dans  le  tremblement  de   * 
terre  ;  et  qu'il  importe  peu  par  quel  genre  de  mort  on  sorte 
de  ce  monde.  —  Sou  appréhension  pour  la  supériorité.     .     .  252 


i 


554  TABLE. 

CLXI.  Au  même.  —  Elle  est  remise  contre  son  gré  dans  la  charge  de 
supérieure.  —  Dispositions  admirables  de  son  intérieur  dans 
les  tremblements  de  terre.  —  Différence  de  l'union  avec  Dieu 
dans  les  affaires  extérieures  et  dans  le  temps  de  l'oraison.    . .  254 

CLXII.  A  une  supérieure  d'UrsuUnes,  —  Elle  lui  parle  dune  réponse 
à  des  questions  qu'on  lui  avait  faites,  réponse  dont  elle  a 
chargé  une  de  ses  jeunes  religieuses.  —  Difficulté  de  sou- 
mettre les  filles  sauvages  à  la  vie  clottrée.  —  Elle  lui  envoie 
une  description  en  vers  du  tremblement  de  terre.  —  Pro- 
messe d'envoyer  un  pied  d'élan  quand  la  saison  le  permettra.   259 

CLXI II.  A  une  religieuse  du  Calvaire  —  Elle  lui  fait  le  récit  de  la 
translation  du  corps  de  la  Mère  Marie  de  Saint-Joseph,  aa 
sœur,  de  ses  anciens  cercueils  en  d'autres  nouveaux    .     .     .  263 

CLXIV.  A  son  fils.  —  Le  roi  se  rend  le  maître  du  Canada,  où  il  envtiie 
un  intendant  pour  recevoir  en  son  nom  les  hommages  des 
habitants,  et  y  établir  des  officiers  pour  y  exercer  la  justice 
et  y  maintenir  la  police 266 

CLXV.  Au  même,  —  Ses  sentiments  touchant  la  translation  du  corps 
de  saint  Benoit  dans  une  magnifique  ch&sse,  au  mois  de  mai 
de  l'année  1663.  — ^  Générosité  avec  laqtfielle  elle  abandonna 
son  fils  en  se  rendant  religieuse,  et  depuis  encore  en  allant  en 
Canada.  —  Effet  de  cet  abandonnement 270 

CLXVI.  Au  même.  —  Reste  des  tremblements  de  terre.  —  Le  Roi  con- 
tinue de  peupler  le  pays.  —  Les  Iroquois  continuent  d'exercer 
leurs  hostilités  :  ils  sont  défaits  par  les  Algonquins.  —  La  foi 
pénètre  chez  les  Papinachois.  —  Eloge  de  la  piété  d'une 
femme  sauvage 273 

CLXVI I.  .4  une  religieuse  Ursuline  de  Tours,  —  Elle  l'assure  que  son 
dessein  est  de  mourir  en  Canada,  et  la  console  au  sujet  d'une 
de  ses  parentes  engagée  dans  une  occasion  dangereuse  pour 
son  salut 283 

CLXVIII.  A  une  Ursuline  de  Tours.  —  Nouvel  éloge  de  la  Mère  Marie 

de  Saint-Joseph •    .     .     .   286 

CLXIX.  A  son  /Ils.  —  Arrivée  de  M.  de  Tracy  à  Québec.  —  Il  se  dis- 
pose à  combattre  les  Iroquois.  —  Divers  météores  et  phéno- 
mènes qui  ont  paru  cette  année 289 

CLXX.  A  son  fils.  —  Vision  par  laquelle  Dieu  l'avait  disposée  à  sup- 
porter les  douleurs  d'une  longue  maladie.  —  Sa  fidélité  et  sa 
patience  héroïques  dans  ses  douleurs.  —  De  l'utilité  des  tenta- 
tions. —  Explication  des  trois  états  de  la  contemplation  passive.  294 


^ 


TABLK.  555 

CLXXI.  Au  même.  —  Elle  témoigne  le  plaisir  qu'elle  a  de  le  voir  reli- 
gieux. —  Jaloasie  des  gens  da  monde  contre  les  religieux 
et  les  serviteurs  de  Dieu.  —  Effets  miraculeux  arrivés  par 
la  dévotion  à  la  Sainte-F|imille 304 

CLXXII.  Au  même.  —  Embrasement  de  l'église  et  du  fort  de  Tadoussac. 

—  Accident  funeste  survenu  aux  Ursulines.  —  Arrivée  de 
l'armée  française  à  Québec.  —  Orftces  obtenues  par  la  dévo- 

.tion  à  la  Sainte-Famille      .' 307 

CLXXIII.  Au  méme,.^  Naufrage  du  Vice- Amiral  retournant  en  France. 

—  Le  pajs.  se  peuple  et  devient  meilleur  de  jour  en  jour  .      .31 

CLXXI V.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Tours.  —  Elle  répond  avec  une 
admirable  douceur  et  modestie,  à-  quelques  faux  bruits  que 
l'on  avait  fait  courir  contre  son  monastère  ...     .     %     .     .315 

CLXXVr  .•!  son  fils,  —  Il  ne  faut  se  prescrire  aucun  terme  dans  l'Orai- 
son, mais  se  laisser  conduire  par  l'esprit  de  Dieu  jusqu'à  ce 
que  lui-môme  nous  arrête.  —  Etat  où  il  arrête  les  &mes 
fidèles,  qui  est  celui  où  elle  était  lorsqu'elle  écrivait  cette 
lettre.  —  Son  indifférence  et  sa  résignation  pour  les  charges.  318 

CLXXVI.  Au  même,  —  Cérémonie  remarquable  faite  &  Québec  en  la 
translation  des  corps  de  saint  Flavien  et  de  sainte  Félicité.  — 
Arrivée  de  l'armée  française  au  pays  des  Iroquois  ....  222 

CLXXVII.  A  une  de  ses  sœurs,  —  Après  lui  avoir  dit  ses  dispositions 
corporelles  et  spirituelles,  elle  lui  parle  du  départ  de  Tarmée 
marchant  contre  les  Iroquois 325 

CLXXVII I.  A  son  fils,  —  Les  Français  s'emparent  des  villages  des  Iro- 
quois, les  pillent  et  y  mettent  le  feu 327 

CLXXI X.  A  la  supérie-^re  des  Ursulines  de  Tours,  —  Elle  lui  témoigne 

-   sa  joie  de  son  élection  à  la  charge  de  supérieure     .     .     .     .337 

CLXXX.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Tours,  —  Elle  la  félicite  de  ce 
qu'elle  soit  déchargée  de  la  supériorité.  —  Que  la  gprftce 
supplée  au  défaut  de  l'industrie  naturelle  dans  les  supérieurs 
légitimes.  —  Qu'il  faut  mettre  de  la  différence  entre  la  sévé- 
rité et  l'exactitude  dans  une  supérieure.  —  Elle  déplore  le 
refroidissement  du  siècle  pour  lés  maximes  de  l'Evangile  .     .  339 

CLXXXI.  A  son  fils,  —  Sa  patience  héroïque  dans  ses  infirmités.  —  Sa 
profonde  humilité,  s'estimant  inférieure  en  vertu  à  celui  à 
qui  elle  écrit - .  34 1 

CLXXXII.  Au  révérend  Père  Poncet  de  la  Compagnie  de  Jésus,  —  Elle 
lui  parle  des  progrès  de  la  religion  et  de   TEtat  dans  le 


556  TABLK . 

Canada.  —  Elle  Tenlretient  de  set  dispositions  particulières, 
surtout  de  sa  joie  dans  les  souffrances.  —  Elle  le  remercie 
de  quelques  reliques  qu'il  avait  envoyées  à  son  monastère  .  345 

CLX XXIII.  A  son  flU,  —  Les  Iroquois  demandent  la  paix  aux  Français. 

Mission  aux  Outaouak  et  autres  nations  plus  éloignées.  — ^ 
Retour  de  M.  de  Tracy  en  France 349 

GLXXXIV.  Au  même.  —  Que  l'entretien  familier  avec  Dieu  fortifie  l'âme 
dans  les  emplois  extérieurs  et  distrayants.  —  Elle  parle 
encore  de  l'amour  qu'elle  a  pour  les  souffrances  qu'elle 
endure 355 

CLXXXV.  Au  même,  —  Elle  recommande  qu'on  lui  dise  des  messes 
après  sa  mort,  qu'elle  croit  être  proche.  —  Sainteté  que 
Dieu  demande  d'une  Ame  qu'il  admet  à  son  union.  —  II  y 
a  une  vraie  et  une  fausse  paix  dans  la  vie  spirituelld.    .      .   357 

CLXXXVI.  Au  même,  —  Disposition  présente  de  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion et  son  zèle  merveilleux  pour  le  salut  des  filles  sauva- 
ges. —  Etat  du  monastère  des  Ursulines  de  Québec.  — 
Services  qu'elles  rendent  à  tout  le  Canada 360 

CLXXXVII.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Dijon.  •-  Elle  lui  parle  du 

progrès  de  la  Foi  en  Canada ,  et  lui  dit  son  sentiment 
touchant  la  vénérable  Mère  de  Saint-François-Xavier,  dont 
elle  lui  avait  envoyé  la  vie 366 

CLXXXVI  II     A  son  /Ils.  Alliance  des  Français  avec  les  Anglais  établis  dans 

la  nouvelle  Hollande.  —  Progrès  des  Missions  chez  le» 
nations  iroquoises.  montagnaises.  outaouak  et  autres  plus 
éloignées.  —  Nouvelle  comète.  —  Nouveau  tremblement  de 
terre 36S 

CXXXIX.  Au  même.  —  La  confiance  admirable  qu'elle  a  eue  en  Dieu 
dès  son  enfance.  Elle  parle  aussi  des  grandes  vertus  de  la 
Mère  de  Saint- Augustin,  religieuse  Hospitalière  .  .   376 

CXC.   A  une  religieuse   Ursuline  de  Tours.  —  Elle  lui  parle  avec 

éloge  de  sa  sœur,  la  Mère  Marie  de  Saint-Joseph  .381 

T/XCI.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Tours.  —  Elle  se  réjouit  Je  la 
voir  souffrir  avec  patience  les  douleurs  d'une  grande  mala- 
die ;  et  par  une  amitié  toute  surnaturelle,  elle  lui  en  désire 
encore  de  plus  grandes 38^ 

r.Xriî.  A  une  supérieure  d' Ursulines  du  monastère  de  Saint- Denis, 
«n  France.  —  Elle  lie  avec  elle  une  union  sainte  et  une 
communication  de  biens  spirituels  et  lui  décrit  la  pauvret* 


TABLK.  557 

de  son   monastère.   —  De  quelle  manière  on   francise  les 
sauvages     ....*. 387 

CXCIII.  A  son  fils.  —  Quoiqu'il  faille  craindre  Vélévation  dans  les  char- 
ges, il  faut  néanmoins  s'abandonner  à  Dieu.  —  Elle  parie 
de  son  oraison  de  respir,  et  de  la  crainte  qu'elle  avait  de 
déchoir  de  la  grâce,  quelque  élevée  qu'elle  fût  dans  les  voies 
de  Dieu.  —  Protection  de  la  sainte  Vierge  sur  son  monas- 
tère et  sur  elle  en  particulier     .     .     .     .    ^ 391 

CXCIV.  Au  même.  —  La  paix  favorise  les  ouvriers  de  l'Evangile.  —  A 
l'imitation  des  révérends  Pères  Jésuites,  \^  ecclésiastiques 
travaillent  dans  les  Missions.  —  Emplois  ordinaires  des  sau- 
vages. —  Il  est  difficile  de  les  polir  et  civiliser.  —  Maladies 
universelles  que  l'on  dit  être  les  effets  des  comètes  ....  395 

CXCV.  A  sa  nièce,  religieuse  Ursuline,  —  Elle  lui  parle  de  la  conduite 
de  Dieu  sur  son  fils  et  sur  elle,  et  des  dangers  où  est  un  reli- 
gieux élevé  dans  les  charges .     .     k 398 

CXCVI  A  son  fils.  —  Retour  de  M.  Talon  en  France.  —  Personnes 
ramassées  et  envoyées  en  Canada.  —  De  la  nature  et  qualité 
des  fruits  de  ce  pays-lA.  —  Eloge  d'un  honnête  bourgeois 
de  Québec 401 

CXCVII.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Tours,.—  Elle  lui  témoigne  les 
désirs  qu'elle  a  de  mourir,  afin  de  jouir  de  Dieu,  et  sa  {oie 
d'être  à  la  veille  d'être  déchargée,  afin  de  s'y  préparer  .     .     .  406 

CXCVII I.  A  son  fils,  —  Description  touchante  de  sa  vocation  à  l'état 

^ligieux,  et  de  la  conduite  de  Dieu  sur  elle  et  sur  son  fils.     .  407 

CXCIX.  Au  même.  —  Progrès  de  la  Foi  chez  les  Iroquois,  Outaouak 
et  autres  nations.  —  Industrie  des  Pères  Jésuites  pour  attirer 
les  sauvages.  —  Zèle  d'un  jeune  laïque  qui  s'était  dévoué  au 
service  des  Missions  .     ..  411 

ce.  Au  révérend  Père  Poncet,  Jésuite,  —  Industrie  des  révérends 
Pères  Jésuites  pour  convertir  les  sauvages.  —  Elle  fait  avec 
adresse  l'éloge  dii  Père  à  qui  elle  écrit 417 

CCI.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Mans,  —  Elle  la  remercie  de 
lui  avoir  appris  qu'il  y  a  un  grand  nombre  de  monastères 
d'Ursulines  de  la  Congrégation  de  Bordeaux  en  Flandre  et  en 
Allemagne.  — Nouvelles  du  Canada  et  du  couvent  de  Québec. 
—  Elje  remercie  les  Ursulines  de  Mons  de  ce  qu'elles  font  faire 
une  nouvelle  vie  d'Anne  de  Beauvais.  —  Eloge  de  la  défunte 
Mère  Marie  de  Saint  •  Joseph.  —  Conversions  parmi  les 
sauvages 419 


558  TABLE. 

CCII.  d  la  supérieure  des  Ursulines  de  S€rtnt- Dents  en  France,  — 
Elle  lexhorte  à  la  Mission  de  la  Martinique,  et  loi  montre 
qu'il  faut  surmonter  toutes  les  contradictions  quand  il  faut 
rendre  service  à  Dieu  dans  ces  sortes  d'entreprises  .  .428 

CCIII.  .1  son  /Ils.  —  Elle  le  remercie  de  quelques  livres  qu'il  lui  a 
envoyés,  particulièrement  d'un  intitulé  :  Méditations  chré- 
tiennes, et  d'un  autre  qui  porte  pour  titre  :  V Année  bénédic- 
tine, —  Son  sentiment  de  l'un  et  de  l'autre 432 

CCIV.  Au  même,  —  Le  roi  continue  de  peupler  le  Canada.  —  M.  Talon 
part  de  France  pour  y  retourner.  —  Tempête  effroyable  arrivée 
&  Québec  et  sur  la  mer.  '—  Troubles  entre  toutes  les  notions 
sauvages  et  les  Français  ;  ils  sont  apaisés  par  la  prudence 
du  Gouverneur  des  Françaia  et  du  Père  Chaumonot,  Jésuite. 
-:-  Forme  de  justice  des  sauvages  contre  les  homicides.  — 
Découvertes  de  nouvelles  mines  et  de  nouvelles  carrières  .      .   434 

CCV.  Au  même,  —  M.  Talon,  après  une  furieuse  tempête,  arrive  enfin 
en  Canada,  où  les  révérends  Pères  Récollets,  qui  en  avaient 
été  les  premiers  missionnaires,  reviennent  avec  lui.  —  Pro- 
grès de  la  Foi  chez  }es  nations  iroquoises,  outaouak  et 
autres.  —  Prodiges  miraculeux  en  faveur  du  saint  baptême. 

—  Découverte  de  la  grande  baie  du  Nord  par  un  Français 
tourangeau.  —  Nouvelle  peuplade  pour  le  Canada  ....  442 

ce VI.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Tours,  —  Elle  la  félicite  de  ce 
qu'elle  est  déchargée  de  sa  supériorité.  —  Avantage  de  ceux 
qui  ne  sont  point  en  charge.  —  Hiver  rigoureux  de  cette 
année  en  Canada 448 

CCVil.  A  une  religieuse  Ursuline  de  Tours.  —  Elle  lui  rend  compte 
de  sa  disposition  tant  intérieure  qu'extérieure,  et  elle  fait  en 
peu  de  mots  l'éloge  de  la  Mère  Marie  de  la  Nativité      .     .     .   450 

CCVIIl.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Mons,  —  Elle  la  remercie  de 
différents  cadeaux,  et  elle  lui  demande  la  liste  des  maisons 
d'Ursulines  sorties  de  Liège.  —  Le  cardinal  de  Sourdis,  par 
commission  du  Saint-Siège,  a  agrégé  à  la  Congrégation  de 
Bordeaux   toutes  les  maisons  d'Ursulines  sorties  de   Liège. 

—  Union   étroite  de  charité  entre  Ja  Congrégation  de  Paris 
et  celle  de  Bordeaux.  —  Nouvelles  du  pays.  —  Elle  désire 

la  Vie  d'Anne  de  Beauvais 452 

CCIX.  \u  révérend  Père  Poncet,  Jésuite.  —  Elle  lui  parle  de  la  Mis- 
sion que  les  Ursulines  de  Saint- Denis  avaient  dessein  d'entre- 
prendre à  la  Martinique  ;   de  la  Vie  de  la   Mère  de  Saint- 


TABLE.  559 

Augustin,  religieuM  Hospitalière  de  Québec;  de  ses  propres 
dispositions.  45g 

CCX.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Saint-Denis  en  France,  — 
Elle  continue  de  l'exhorter  à  la  Mission  de  la  Martinique.  — 
Les  Ursulines  de  Québec  ont  le  désir  d'y  aller.  —  NouTelle 
élection  d'une  nouvelle  supérieure  en  Canada.  .     .     .'463 

CCXf.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  ^ons,  —  Elle  la  prie  de  tou- 
loir  bien  seconder  des  démarches  que  l'on  faisait,  pour  obtenir 
de  quelque  Communauté  d'Ursulines  de  Flandre  des  religieuses 
qui  voudraient  se  joindre  à  celles  de  Québ^ 466 

CCXII.  A  Mgr  Tarchevêque  de  Tours.  —  Elle  lui  fait  connaître  ses 
dispositions  particulières,  l'état  de  son  monastère  et  celui 
de  tout  le  pays 468 

CCXIII.  A  son  fils,  ^~  Quand  Dieu  nous  engage  dans  les  emplois,  il  faut 
les  aimer,  non  parce  qu'ils  sont  éclatants,  mais  parce  qu'ils 
sont  dans  l'ordre  de  sa  volonté.  —  Son  humilité  profonde, 
son  union  intime,  son  commerce  familier  et  contifiuel  avec 
Dieu.  —  Qualités  de  cette  union  et  de  ce  commerce.  —  La 
simplicité  de  son  oraison,  r-  Perte  de  son  Ame  en  Dieu.  — 
Explication  de  son  vœu  de  plus  grande  perfection    .     .     .     .471 

CCXIV.   A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Dijon,  —  Elle  lui  parle  de  la 

découverte  des  nations  les  plus  éloignées  du  côté  du  nord  .     .  477 

CCXV.  A  son  fils,  —  Elle  montre  par  elle-même  qu'il  faut  porter  avec 
patience  et  résignation  le  poids  de  la  nature  corrompue.  — 
Nécessité  qu'il  y  a  de  confier  son  ftme  à  un  bon  directeur.  — 
Elle  le  remercie  de  quelques  reliques  qu'il  lui  avait  envoyées  .  480 

CCXVI.  Au  même,  —  Elle  répond  à  quelques  demandes  qu'il  lui  avait 

faites  touchant  la  religion,  les  mœurs  et  la  police  des  sauvages.  483 

CCXVI  1.  Au  révérend  Père  Poncet,  Jésuite,  —  Elle  lui  fait  le  récit  de  la 
vocation  de  madame  de  la  Peltrie  au  Canada,  et  des  princi- 
pales vertus  et  actions  de  sa  vie.  —  Explication  relativement 
à  ce  qu'elle  avait  dit  dans  la  Lettre  CCIX  au  sujet  de  la  Mère 
de  Saint- Augustin,  Hospitalière 490 

CÇXVIII.  .4  sa  nièce ^  religieuse.  —  Elle  lui  donne  des  avis  salutaires  au 
sujet  d'une  antipathie  naturelle  qu'elle  avait  contre  sa  supé- 
rieure      504 

CCXIX.  A  la  supérieure  des  Ursulines  de  Mons.  —  Elle  la  remercie  pour 
une  aumône.  —  Elle  s'explique  sur  des  malentendus  et  des 
difficultés  qui  avaient  eu  lieu  relativement  à  des  religieuses 


56U  TABLR. 

d«  Moos  que  l'oo  atteoilait  à  Québec.  — >  Religieuses  de  Paris 
et  de  Bourges  qui  sont  eo  Canada.  —  Ce  qui  s'est  |>assé  à 
Québec.  —  Mort  d*uoe  petite  sauvage,  modèle  de  piété  et 
miracle  de  patience '.   507 

CCU.  A  tan  /ils.  —  Circoostances  du  ravissement  admirable  dans 
lequel  Dieu  lui  donna  la  connaissance  du  mystère  de  la  très- 
sainte  Trinité,  dont  il  est  parlé  dans  l'histoire  de  sa  vie.  —  Son 
oraison  de  respir,  où  elle  montre  que,  quelque  élevée  que  soit 
une  oraison,  on  n'y  est  pas  pour  cela  exempt  de  distraction. 

—  Elle  a  gardé  son  voeu  de  faire  ce  qui  est  plus  parfait,  abso- 
lument et  sans  restriction     513 

CCXXl.  .1  la  supérieure  des  Ursulines  de  Mons,  —  Elle  lui  témoigne  son 
regret  et  sa  surprise  de  n'avoir  pas  reçu  les  Ursulines  qui 
devaient  lui  venir  de  Mons.  —  Elle  espère  qu'elles  viendront 
plus  tard.  —  Nouvelles  des  Missions.  —  Elle  regrette  encore 
de  n'avoir  pas  reçu  la  Vie  de  la  Mère  Anne  de  Beauvais, 
qu'elle  attendait 521 

CCXXll.  À  une  religieuse  Ursuline  de  Tours.  —  Association  de  prières. 

—  Zèle  pour  le  salut  des  Ames.  —  Elle  la  détrompe  de  la 
fausse  nouvelle  qu'on  lui  avait  donnée,  qu'on  faisait  accep- 
tion des  maisons  de  France,  pour  en  tirer  des  religieuses  pour 

le  Canada 523 

CCXXIII.  A  sou  /Ils.  —  Guerre  allumée  entre  les  Sonontouans  et  les 
Outaouak.  —  Elle  est  éteinte  par  la  valeur  des  Français.  — 
Progrès  merveilleux  de  la  foi  aux  Dations  du  nord,  dont  les 
Français  prennent  possession  au  nom  du  roi.  —  Chemin  par 
terre  à  la  grande  baie  du  nord.  —  Météores  et  phénomènes 
rares  arrivés  cette  année 529 

CCXXl  V  .   A  l'abbesse  de  Port-Royal  du  faubourg  Saint-Jacques,  à  Paris. 

—  Elle  la  remercie  de  ses  libéralités,  et  lui  dit  un  mot  des  ailes 
sauvages  auxquelles  les  Ursulines  donnent  Tinstruction      .      .   542 

CCXXV.  A  la  révérende  Mère  Catherine  Agnès,  abbesse  de  Port-Royal^ 
à  Paris.  —  Sentiments  d'une  profonde  humilité.  —  Ravages 
causés  par  les  Iroquois.  —  Remerclmeuts  pour  des  libéralités 
et  pour  l'envoi  d'une  biographie 544 


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