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LETTRES
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MÈRE MARIE DE LINCARNATION.
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LETTRES
DE LA RATÉRBNDB MArM
MARIE DE L'INCARNATION
(NEE MARIE QUTARD)
PREMIÈBK SUPÉRIRURR DU MONASTÈRE DES UBSULINES DE QUÉBEC
NOUVELLE EDITION
AUOMBNTéB DB HUIT LBTTRBS INéDITBS BT ANNOTÂB
PAR
L'ABB£ RICHÀUDEilU
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£ditcub pontifical, iifPRiiicuii Dc L'<v£cui
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Imprtmatur.
Tomaci, iS^ ftbruarii 4876,
D. O. H ALLEZ, Vic.-Gen.
LETTRES
DE LA RftVÉRRÏfDB MArR
MARIE DE L'INCARNATION
(NEE MARIE QUTARD)
PREMIÈBK SUPÉRIRURR DU MONASTÈRE DES URSULINEd DK QUÉBEC
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PAR
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ixMTEUB poimncAL. imprimeur oc L'érlLui.
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LETTRES
MÈRE MARIE DE L'INCARNATION
LETTRE CXIII.
K SON FILS.
Elle dit a*ec asturance que Disa a touIu le rélalilistement da iod manaitire,
qDBlqoe ipparaoca qu'il j eQtdu coDlrair*. — Troubleade'Fraace, dans lasquela
le« Millau rrantais ont été plus i craindre en quelque façon que lei Iroquo».
— RaiiODi pourquoi il n'élait pas eipédieal pour un temp» d'appeler dai
religieuM* da France. — L'archeviqua de Rouen le déclare ordinaire du.
CuMcl'i et en fait laa fooetioo*.
Mon très -cher fils.
Voici la réponse à votre lettre du 13 d'avril ; car tou-
chant les afTaires générales du pays et les particulières
de notre Communauté, je vous ai amplement écrit par
trois autres lettres que vous avez reçues, ou que vous
recevrez de moi cette année. Cette quatrième est pour
vous parler confidemment, et pour vous dire en premier
lien que j'ai été affligée de ce que la lettre que je vous
écrivis l'année dernière vous ait fait de la peine, vous
donnant sujet Uecroire que c'était de vous que je
' parler ori^^^^^ursonne. Mais pourquoi de
[j'avf4LJ^^^^^^^tak£^isque je n'en avais
} de me venir.
lOUi UROITI R£SBRVK«.
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1899
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LETTRES
DK LA VàNÉKABLlS
MÈRE MARIE DE L'INCARNATION
LETTRE CXIII.
A SON FILS.
Elle dit avec assurance que Dieu a voulu le rétablissement de son monastère,
quelque apparence qu'il y eût du contraire. — Troubles de'France, dans lesquels
les soldats français ont été plus à craindre en quelque façon que les Iroquois.
— Raisons pourquoi il n'était pas expédient pour un temps d'appeler des
religieuses de France. — L'archevêque de Rouen se déclare ordinaire du.
Canada, et en fait les fonctions.
• Mon très-cher fils,
Voici la réponse à votre lettre du 13 d'avril ; car tou-
chant les affaires générales du pays et les particulières
de notre Communauté, je vous ai amplement écrit par
trois autres lettres que vous avez reçues, ou que vous
recevrez de moi cette année. Cette quatrième est pour
vous parler confidem ment, et pour vous dire en premier
lieu que j*ai été affligée de ce que la lettre que je vous
écrivis Tannée dernière vous ait fait de la peine, vous
donnant sujet de croire que c'était de vous que je
voulais parler en tierce personne. Mais pourquoi de
vous? je n'avais garde de le dire, puisque je n'en avais
pas la pensée ; et cette pensée n'avait garde de me venir,
LBTTR. M. II. * 1
2 LETTRES
puisque je sais assurémeDt que cela n'est pas. Je vous
parlais de certains reproches que nos Mères de Tours
m'avaient faits assez mal à propos, quoiqu'assez inno-
cemment; et je touchais en tierce personne celui qui
en avait été l'auteur, ne le voulant pas nommer pour
le respect que je lui porte et pour les obligations que je
lui ai. Croyez donc, mon très-cher fils, quertout ce que
vous m'écrivez m'est d'autant plus agréable, que je n'y
reconnais que de la vérité et de la solidité.
Je trouve tout ce que vous me dites touchant notre
demeure en ce pays ou notre retraite en France, dans
le véritable raisonnement que la prudence peut produire.
J'ai les mêmes sentiments que vous; mais l'exécution
s'accorde rarement avec nos pensées, comme le remar-
quent ceux qui ont connaissance de la conduite de Dieu
sur ces contrées, où il semble que sa Providence se
joue de toute la prudence humaine. Je suis aussi cer-
taine que sa divine Majesté a voulu notre rétablisse-
ment, et que la vocation que j'ai eue d'y travailler est
venue d'elle, que je suis assurée de mourir un jour.
Nonobstant cette certitude et les dépenses que nous
avons faites, nous ignorons ce que le pays deviendra.
Il y a pourtant plus d'apparence qu'il subsistera qu'au-
trement, et je me sens aussi forte en ma vocation que
jamais, disposée pourtant à notre retraite en France,
quand il plaira à Dieu de me la signifier par ceux qui
me tiennent sa place sur la terre.
Madame notre fondatrice est aussi dans la même
disposition quant à sa vocation, mais non pas pour son
retour en France, Dieu ne lui ayant pas encore donné
cette grâce de dénûment; au contraire, elle a de si forts
mouvements de nous bâtir une église, que les insultes
des Iroquois n'empêchent pas qu'elle ne fasse amasser
DE LA MËRE MARIB DB l'INCARNATION. 3
des matériaux pour ce dessein . On la persuade forte-
ment de n'y pas penser; mais elle dit que son plus grand
désir est de faire une maison au bon Dieu; ce sont
ses termes, et qu'ensuite elle lui édifiera des temples
vivants. Elle veut dire qu'elle fera ramasser quelques
pauvres filles françaises écartées (éloignées, ou aban-
données), afin de les faire élever dans la piété, et de
leur donner une bonne éducation, qu'elles ne peuvent
avoir dans leur éloignement. Elle n'a point eu d'inspi-
ration de nous aider dans nos bâtiments ; tout son cœur
se porte à son église, qu elle fera faire peu à peu de son
revenu, qui est assez modique. M. de Bernières lui
a envoyé cette année cinq poinçons de farine, qui valent
ici cinq cents livres. Il nous a aussi envoyé une horloge,
avec cent livres pour nos pauvres Hurons. Que direz-
vous à tout cela? Pour moi, toute ma pente intérieure
est de me laisser conduire à une si aimable Providence,
et d'agréer tous les événements que sa conduite fera
naître de moment en moment sur moi.
Je parlais encore ce matin à deux personnes très-
expérimentées dans les affaires du pays, touchant deux
filles que nous voulons faire venir de France pour les
faire converses. Il n'y trouvent nulle difficulté; pour
moi j'y en trouve beaucoup : premièrement à cause
des dangers de la mer, secondement à cause des trou-
bles du royaume, et enfin à cause de la société ou con-
jonction (contact) des personnes. C'est pour cela que
nous n'avons point encore pris de résolution. Pour
l'hostilité des Iroquois, ce n'est pas ce qui nous retient.
Il y en a qui regardent ce pays comme perdu, mais je
n'y vois pas tant de sujet d'appréhender pour nous,
comme l'on me mande de France que les personnes de
notre sexe et condition en ont d'appréhender les soldats
4 LBTTRB8
flrançais. Ce que Ton m'en mande me fait frémir. Les
Iroquois sont bien barbares, mais assurément ils ne
font pas aux personnes de notre sexe les ignominies
qQ*on me mande que les Français ont faites. Ceux qui
ont habité parmi eux (parmi les Iroquois) m*ont assuré
qu'ils n'usent point de violence , et qu'ils laissent
libres celles qui ne leur veulent pas acquiescer. Je ne
voudrais pourtant pas m'y fier, parce que ce sont des
barbares et des infidèles. Nous nous ferions plutôt tuer
que de nous laisser emmener, car c'est en cette sorte
de rébellion qu'il tuent ; mais, grâce à Notre- Seigneur,
nous n'en sommes pas là. Si nous avions connaissance
des approches de cet ennemi, nous ne l'attendrions
pas, et vous nous reverriez dès cette année. Si je voyais
seulement sept ou huit familles françaises retourner en
France, je croirais commettre une témérité de rester;
et quand bien même j'aurais eu une révélation qull n'y
aurait rien à craindre, je tiendrais mes visions pour
suspectes, afin de nous attacher, mes sœurs et moi, au
plus, sûr et apparent. Les Mères Hospitalières sont
dans la même résolution. Mais, pour vous parler avec
simplicité, la difficulté qu'il y a d'avoir les nécessités
de la vie et du vêtement fera plutôt quitter, si Ton
quitte, que les Iroquois : quoiqa'à dire la vérité, ils
en seront toujours la cause foncière, puisque leurs cour-
ses et la terreur qu'ils jettent partout, arrête le corn*
merce de beaucoup de particuliers. C'est pour cela que
nous défrichons le plus que nous pouvons. Le pain
d'ici a meilleur goût que celui de France, mais il n'est
pa^ du tout si blanc ni si nourrissant pour les gens
de travail. Les légumi?es y sont aussi meilleurs et en
auâsi grande abondance. Voilà» mon trè»<^her fiK où
aoos en sommes^ au regard des Iroquois.
DE LA MÈRE MARIE DE l'IN CARNATION. 5
J'entre fort dans vos sentiments touchant la nécessité
de pourvoir pour l'avenir à l'observance de nos règles.
Pour le présent, je le dis à ma confusion, je ne vois
pas en moi une seule vertu capable d'édifier mes sœurs.
Je ne puis répondre de l'avenir, mais, à ce que je puis
voir de celles qui sont passées de France, je m'assure-
rais de la plus grande partie comme de moi-même; et
quand même elles y voudraient repasser, ce qu'elles
sont bien éloignées de faire, celles du pays que nous
avons faites professes ayant été élevées dans nos règles
et n'aj'ant jamais goûté d'autre esprit, seraient capables
de le maintenir. C'est pour cela que nous ne nous
pressons pas' d'en demander. De plus, la plaie que ta
main de Dieu nous a faite est encore trop récente, et
nous en ressentons trop l'incommodité. Nous craignons
encore qu'on ne nous envoie des sujets qui ne nous
soient pas propres (ne nous conviendraient pas), et qui
aient de la peine à s'accommoder au vivre, à l'air, aux
personnes. Mais, ce que nous appréhendons davantage,
est qu'elles ne soient pas dociles, et qu'elles n'aient' pas
une bonne vocation : car comme elles apportent un
esprit différent du nôtre, si elles n'ont de la soumission
et de la docilité, elles auront de la peine à s'accom-
moder, et nous peut-être à les souffrir.
Cette contrariété d'esprit a déjà fait repasser deux
Hospitalières, et cet exemple que nous avons devant les
yeux fait le sujet de ma crainte. Car quelle apparence
de faire faire mille ou douze cents lieues à des personnes
de notre sexe et de notre condition, parmi les dangers
de la mer et des ennemis, pour les renvoyer sur leurs
pas. J'aurais de la peine à me résoudre à cela, à moins
d'une nécessité absolue, comme si une fille était si
•
arrêtée à vouloir s'en retourner qu'on ne la pût retenir
6 LETTRES '
tju'avec violence et peut-être au préjudice de son sahit.
J*avais un grand désir de faire venir ma nièce de Tln-
carnation, qu'on ni*a mandé plusieurs fois être sage et
vertueuse, et avoir une grande vocation ; j'eusse même
pris plaisir à la dresser en toutes nos fonctions, et en
tout ce qui regarde le pays. Mais la crainte que j'ai eue
qu'elle ne fût pas contente, et de l'exposer au bazard
d'un retour, m'a retenue. De plus, j'ai de Tâge, et en
mourant je la laisserais dans une solitude qui lui
serait peut-être onéreuse. Et enfin, les empêchements
que les Iroquois apportent au christianisme, ne nous
permettant pas d'avoir comme auparavant des filles
sauvages, ce lui serait une peine bien grande de se
voir privée de la fin pour laquelle elle serait venue.
Car à vous dire la vérité, ce point est extrêmement
pénible et abattant. Comment une jeune fille aura-
t-elle le cœur d'apprendre des langues très-difficiles,
se voyant privée des sujets sur lesquels elle espérait
les exercer? Si ces hostilités devaient durer peu de
temps, l'esprit ferait un efibrt pour vaincre cette répu-
gnance; mais la mort viendra peut-être avant la paix.^
Voilà ce qui m'a arrêtée pour ma nièce, nonobstant
le désir que j'avais de la satisfaire, et la consolation
que j'en pouvais espérer : car, étant éloignée de vous
et hors des occasions de vous voir, elle m'eût été un
autre vous-même, puisque vous êtes les deux personnes
pour lesquelles mon esprit fait le plus souvent des
voyages en France ; mais plutôt dans le cœur de notre
(1) Nous avons fait remarquer au Chapitre XV de la Vie de notre vénérable
Mère qu'il y eut une diminution de séminaristes sauvages pendant les trois
premières années qui suivirent l'incendie du monastère; mais ensuite, la paix
ayant été faite avec les Iroquois, la confiance succéda à la crainte, et on grand
nombre d'élèves indigènes furent confiées aux Ursulioes.
DE LA MÈRE MARIE DE L'IN CARNATION. 7
aimable Jësus, où je vous. visite lun et Tautre dans
les souhaits que j*y fais de votre sanctification et de
la parfaite consommation de tout vous-même. Mais je
fais un sacrifice de cette satisfaction à mon divin Jésus,
abandonnant le tout à sa conduite pour le temps et
pour l'éternité. Il sait ce qu'il veut faire de nous, prenons
plaisir à le laisser faire, et si nous lui sommes fidèles,
notre réunion sçra d'autant plus parfaite dans le ciel
que nous aurons- rompu nos liens en ce monde pour
obéir aux maximes de son Evangile. Mais revenons
à notre propos.
Nous ne nous pressons donc pas de demander des
soeurs de chœur en France, et nous croyons qu'il faut
un peu diflFérer, afin de prendre des mesures si justes
que nous et elles n'ayons pas sujet d'être mécontentes.
Nonobstant néanmoins ioutes les raisons que j'ai appor-
tées, nous ne pourrons nous dispenser de demander
deux sœurs converses, et peut-être dès cette année.
Je ne sais si je vous ai dit ailleurs que comme il n'y
a point ici d'évêque, celui de Rouen a déclaré qu'il
nous en tenait la place. Et pour se mettre en possession,
il a institué pour son grand-vicaire le révérend Père
supérieur des missions, lequel d'ailleurs étant le prin-
cipal ecclésiastique du pays, nous nous reposons sur
son autorité pour la validité de nos professions, après
la consultation qui en a été faite en Sorbonne, signée
de six docteurs.
Quant à ce qui vous touche, n'attribuez point à un
défaut d'affection si je ne vous ai pas envoyé les papiers
que vous m'aviez demandés ; je ne les gardais que pour
cela, car autrement je les eusse fait brûler après avoir
satisfait à mon supérieur, qui m'avait demandé de les
écrire, et qui me les avait remis entre les mains : mais
8 LETTRES
comme je vous le mandais Tannée dernière, un autre
feu les a consumés. Néanmoins, puisque vous le voulez,
si je puis dérober quelques moments à mes occupations,
qui sont assez continuelles, j*écrirais ce que ma mémoire
et mon affection me pourront fournir, afin de vous
l'envoyer Tannée prochaine.
Voilà, mon très-cher fils, comme la vie se passe ; si
notre bon Dieu n'y suppléait par l'infusion de ses grâces
actuelles, qui pourrait subsister? Je. vous confesse que
je n'ai point de quoi me plaindre, mais plutôt que j'ai
sujet de chanter ses miséricordes. Je vous assure qu'il
me faut un courage plus que d'homme pour porter les
croix qui naissent à monceaux, tant dans nos affaires
particulières que dans les générales du pays, où tout
est plein d'épines, parmi lesquelles il faut marcher dans
Tobscurité, où les plus clairvoyants sont aveugles, et
où tout est incertain. Avec tout cela mon esprit et mon
cœur sont dans le calme, et ils attendent de moment
en moment les ordres et les événements de la Provi-
vidence, afin de s'y soumettre. Toute Tobscurité qui
se rencontre me fait voir plus clair que jamais dans
'ma vocation, et me découvre des lumières qui m'étaient
obscures et inconnues lorsque Dieu me les donnait avant
que je vinsse en Canada. Je vous en parlerai dans les
écrits que je vous promets, afin de vous faire connaî-
tre et admirer la conduite de la divine bonté sur moi,
et comme elle a voulu que je lui obéisse sans raison-
nement humain, me perdant dans ses voies d'une
manière que je ne puis exprimer. Notre chère Mère
de Saint-Joseph étant au lit de la mort, me prédit que
j'aurais bien des croix à supporter. Je les attends, mon
très-cher fils, et les embrasse .à mesure qu'elles se pré-
sentent; et après tout, notre cher Sauveur me fait
DE LA MÉRB MARIE DE L'INCARNATION. 9
expérimenter, que son joug est doux et son fardeau
léger. Qu'il soit béni éternellement d*âvoir tant d*égard
à mes faiblesses qu'il ait voulu goûter toute lamertume
de la croix pour ne m'en laisser que la douceur.
Quand je vous parle de notre pauvreté, ne croyez pas
que je "vous demande rien, sinon des prières, que j*estime
pour moi de véritables richesses. Je laisse tout le reste
à la conduite de la divine Providence, qui est sura-
bondamment riche pour subvenir à nos besoins. Je vous
assure qu elle ne nous a pas encore laissé manquer ,
parmi toutes, nos pertes, du nécessaire à la vie, non
plus que du vêtement, et qu'elle a paternellement pourvu
à tout. Et même dans la longue maladie de la bonne
Mère de Saint-Joseph, cette Providence nous a telle-
ment aidées, qu'elle n'eût pu être mieux secourue en
France au milieu de ses parents, ôté l'incommodité du
logement. Je vous ai déjà parlé de sa mort, je n*en
dis rien ici davantage*. Je perds à cette privation, mais
je me console de ce que Dieu la possède, car sans cela
la perte d'un si digne sujet me serait extrêmement
sensible. Mais enfin Dieu soit béni de tout; il est mon
tout et ma vie, en quelque part que je puisse être.
De Québec, 1652.
w
lettre: cîiT.
»L trXS DS 9SS S(S^TrH.9.
?fo«r<^Ies iiwiitt«» des OnifiiiiUL — Ls FcBaça» las dâfom «c laar (J^ubebC
!• f\iitV'. •— ' ritum'» €flMij# uuutLV me pir Iff rai de
9b teSs-daère et fsâf-aiméé saur.
L'amour €fc la TiedeJAcrs aoft Totre vie poor rékemité.
J'ai fsçi TGkre lettre datée de la fia de mars, dans
kifjflMe fai tmawé m graad rajet de rendre grâces
à 9fotr8:-96^gnear pour les bëaédktioQS qnll Terse sur
"P^HSn ùmîUe et sor toos en partienBer. Je le prie de
Hém fenre tocu saints. Cest oà noos derons tons aspi-
fisr^ et à ({«H lUKBs deroQS traTainer sans cesse, pois-
(iv» éeA noire unique nécessaire, qni n empêchera pas
p6!»rtaftl ta n^oee <m Dîen toos a appelé en ce
môt^éf pottrra que toos rapportiez tont à cette fin,
Mm me à soD dernier point de Tne.
La eompasiion que vous avez de nos croix est une
«Mt(\xie de Totre bon cœur et de Tafiéction que tous
a^ê^ pour ce payt , où elles foisonnent aussi bien qu*en
^otr^ France, dont nous continuons d'apprendre les
déêMiren. Nous apprenons que six cents Iroquois ont
Msié^é \eê Trois-Rîviêres, et que notre très-cher Père
P(n$^et eni entre lenm mains, ce qui afflige universel-
iétùeuî tout le pays. Mais le révérend Père Mercier,
iopërieur des missions,, a tellement fortifié ce lieu que
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNGARNATION. 1 1
les Français y sont en assurance. L*on craint seulement
qu'ils ne brûlent les moissons, comme ils ont déjà
commencé. On parlemente avec eux pour échanger
le Père et un homme qui est avec lui contre d'autres
prisonniers Iroquois que nous avons. On ne sait point
encore l'issue de cette négociation. Ces misérables ont
tant fait de rav/tges en ces quartiers, qu'on a cru quelque
temps qu'il fallait repasser en France. Tous ces bruits
néanmoins sont dissipés, et depuis quelques mois ils
n'ont point paru. L'habitation de Mont-Réal leur a
puissamment résisté et donné la chasse avec perte
de leurs gens. Maintenant on fait les récoltes qui sont
belles. Avec cela il vient du secours de France, ce
qui console tout le pays, car c'eût été une chose déplo-
rable s'il eut fallu venir à cette extrémité que de
quitter. Plus de deux mille Français qui l'habitent et
qui ont fait- de grandes dépenses pour s'y établir,
n'ayant point de bien ailleurs, eussent été misérables ;
et de plus, les sauvages n'ayant pas assez de force
pour résister aux Iroquois, ils eussent été en des hasards
continuels de perdre la vie et peut-être la foi. Mais
enfin nous attendons le secours que M. de Maisonneuve,
gouverneur de Mont-Réal, amène de France, où il
était allé exprès. Cependant priez Dieu qu'il protège
deux mille sauvages qui se sont assemblés en un lieu
hors de l'incursion des Iroquois, et qui veulent venir
ici pour lier le commerce avec les Français. Ils auront
de la peine à passer, parce que les Iroquois, qui les
haïssent à mort, comme les restes de leur carnage,
occu[ient les passages. S'ils peuvent venir jusqu'ici,
on aura le moyen de les instruire, et la porte sera
ouverte à de plus grandes nations. Comme cette affaire
est de conséquence, je vous la recommande, et à tous
)
12 LBTTRB8
•
C6QZ qoi aiment Taugmentation da royaume et de la
gloire de Jésus-Christ. Nous avons de trèsi-bonnes
séminaristes, entre lesquelles il y en a une que Dieu
a élevée dans un état d'oraison très-particulier, et qui
est dans une pratique de vertu qui y correspond.
Vous me demandez des graines et des oignons de
fleurs de ce pays. Nous en faisons vçnir de France
pour notre jardin, n*y en ayant pas ici de fort rares
ni de fort belles. Tout y est sauvage, les fleurs aussi
bien que les hommes. Aidez-moi de vos prières dans
mes grandes nécessités. Quoique j'aie la santé bonneip
je cours sans cesse à la moft, et une pauvre pécheresse
comme moi a besoin de secours pour le passage de
l'éternité.
De Québec, le 12 a(mt>1653.
LETTRE CXV.
A UNE DE SES SŒURS.
Aprè« Itti «Toir montré que connaîtr* et aim«r U Cœur da Jisus-CntisT, c*ett
Im vé»itabl« scitDc« dt% sminto, «Ue rexkorto à demander en «oo nom la
coavertioD dea taura^M inâdélea.
Ma très- chère et très^aimée soeur.
L'amour et la vie de Jésus soit votre vie pour réternitë.
Pourquoi, ma très-intime, ne vous souhaiterais-je
pas toutes sortes de biens dans la grâce et dans la
gloire, puisque vous voulei être toute de corps et
DE LA MÉRB MARIE DE L*INCARNATION. 13
d'esprit aa suradorable Verbe Incarné? Soyez ignorante
tant qù*il vous plaira des choses de la terre, pourvu que
vous le sachiez et que vous le connaissiez vrai Fils
de Dieu, le maître et souverain amateur des âmes,
vous êtes savante de la science des saints. Mon Dieu !
ma très- chère sœur, pourrais-je vous avoir jamais dit
un mot qui vous eût portée à faire un véritable et pur
acte d*amour envers ce divin Sauveur? ce me serait
une très-grande joie de vous avoir inspiré quelque
chose qui pût tourner à sa gloire. Qu'à la bonne heur^
soit que vous preniez vos repas spirituels dans sa sainte
parole! le Saint-Esprit y résidant, c'est ce qui enflamme
les cœurs et les consume peu à peu, jusquà ce (}u'ils
soient au point où il les désire pour en faire des sujets
dignes d'habiter cette cité sainte et si bien munie dont
vous me parlez, savoir le sacré coeur de Jâsus. Quand
on est parvenu à cet aimable séjour, on se repaît et
on se plaît en celui qui se repaît et qui se plait parmi
'les lis. Il s'y fait des repas mutuels de l'âme et de
Jésus, de Jésus et de l'âme, qui donnent une vie qui
fait perdre à la créature la vie sensuelle qu'elle avait
par l'attachement aux choses du monde'. Lorsque vous
y serez arrivée par la miséricorde de notre très- aimable
Jésus, ayez compassion des âmes qui né le connaissent
pas, qui ne le louent pas, qui ne l'aiment pas. Ah ! qu'il
y en a dans cette Amérique de cette misérable condi-
tion! Et ce qui est plus déplorable, qu'il y en a dans
le christianisme, qui, aveuglés par le péché, sont encore
plus coupables que ces premiers! Faisons notre possi-
ble pour tirer les uns et les autres de ce grand pré-
cipice où ils seront perdus sans ressource, si nous ne
gagnons le cœur de Dieu, afin qu'il lui plaise de leur
donner des grâces efficaces pour gagner les leurs.
14 LKTTRB8
I^Pi^UtM t^M H\«lii le 0êU86 de Jésus-Christ, et ne donnez
\\{^\\\i \\^ U^vi^ êU Pt^re <$ternel qu*il ne tous ait accordé
\\\\ K^\ lUMuU*^ k{û tH^s pauvres âmes détachées da
V^\V^VMM^ ^^ «vui ttl«. l)^mandei-les lui par ses propres
^VMh^^ ^ |Vh«^ kM |M\>iu^îS$M qa il lui a faites disant :
v*V^^^HH^^M*w«(iK ^ jk w»« *»WKnti liwitei kt aolûnu pour
VVM^ . !l^ W« Wi ^ 4i^«i;uidMsSs MO sang a «ié bien
Î^^Wn 'i* v>^$f*«?i*»t tîiii&ù» a'«i pas encore en son
lf»/^WA îiHWM*Jirt ^5mi«k^ ^?« J«s«^ Wfts AimMnOn aussi
l^-^*t**^8k*iï*i ^î<*^ xi5«Wtoè 50s»&r « ^^ loi appar-
^^H.^ ^;; :f>). :â^ ^fvî;** « litoMT i«» c» aâaire si
1^ >^^^; >iyis ftnT» ij^^ îw^^^ismu; ««» la «arciciiàe «Aes
>^^^ si^4;Vv^^^ .ir>ià^~ 4iii|ïr. :^Wir '4uvt?^ -iiMte ^5
>^ ^K<<*M^"^. A^^ ]Mk^\ iMir Af^i^t: ift ;^a8» ia
iiiiiiinifi'i'r
DE LA MÈRE MARIE DE L*IN€ARNATION. 15
LETTRE CXVl.
A SA PREMIÈRE SUPERIEURE DE TOURS.
• {La Mère Françoise de Saint-Bernard.)
Guérisons miraculeuses arrivées par TinvocatioD de la Mère Marie de Saiut-
Joseph. — Elle témoigne combien la persécution de l'Eglise lui a été sensible,
et quelle Ta portée néanmoins avec paix et tranquillité. — Son zèle pour
le salut des âmes.
Ma très -révérende et très-honorée Mère,
J'ai reçu toutes vos lettres, qui m'ont apporté la
consolation que j'attendais de votre bonté et pieuse
affection au regard de notre chère défunte, votre bonne
fille. Plus je pense à elle, plus je Taime, et le ressou-
venir que j'en ai m'est aussi doux qu'il était au moment
que je l'ai perdue. L'on m'écrit à son sujet de divers
endroits de la France d'une manière qui fait voir
l'amour et la dévotion que l'on a conçus pour elle.
C'est un effet de nos lettres et du récit de sa vie, que
le révérend Père Le Jeune a fait dans la Relation. Ses
vertus ont fait une telle impression dans les esprits
et dans les cœurs, qu'il semble que l'onction du Saint-
Esprit se soit répandue en tout ce que l'on a écrit
pour embaumer les âmes qui ont de l'amour pour la
sainteté. On nous demande quelque chose qui ait servi
à sçn usage, et l'on nous prie de faire des neuvaines
à son tombeau. Une personne de qualité me mande
16 LETTRES
qu'an religieux savant et de vertu, qui lui est intime
ami, lui a dit qu'ayant par tout le corps des douleurs
si aiguës, qu'elles lui eussent donné la mort si elle
eussent continué, il invoqua la Mère de Saint-Joseph,
et que sur Tlieure il sentit un notable soulagement;
ce qu'il attribua aux mérites et à l'intercession de cette
chère Mère. Une autre personne de qualité m'a assuré
qu'elle avait reçu une semblable faveur dans une extré-
mité de mal dont elle était attaquée depuis plusieurs
jours. Ce que vous me mandez de ma sœur Isabelle
Pavy est considérable (remarquable) et m'a fort consolée.
Dieu soit béni de ses miséricordes !
J'ai eu une joie toute particulière de ce que le récit
que je vous ai fait de cette chère compagne vous ait été
agréable. Il ne faut point dire que j'ai eu de la peine
à cela à cause de l'embarras de nos affaires. Sachez,
ma très-bonne Mère, que ni les veilles, ni le temps,
ni le travail ne m'ont jamais rien coûté à son égard.
Outre son mérite particulier, vous me l'aviez donnée
comme ce que vous aviez de plus cher. Âh ! mon intime
Mère, qu'il se trouve peu de sujets semblables à cette
chère fille! Ce sont des phénix, et à peine un siècle
en peut-il produire un. Vous me faites espérer son
tableau. Cela nous la remettra devant les yeux, et
donnera de la consolation à celles qui l'ont vue, et de
la vénération à celles qui viendront après nous.
Quand est-ce que j'arriverai, ma très-chère Mère,
au port où a surgi ma fidèle compagne? Quelle voie
pourrai-je tenir pour y arriver? Si je suis fidèle à Dieu,
je crois que ce sera celle de la croix; non pas de petites
croix, car je serais proche du terme il y a longtemps,
puisque j'en porte quantité de cette nature depuis plu-
sieurs années. Elles ont bien grossi depuis un an, que
DB LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION. 17
j*ai vu les affaires de ce pays dans un état si déplorable
qu'on les croyait à leur dernière période. L'on projetait
déjà de tout quitter, et de faire venir des vaisseaux
de France pour sauver ceux qui ne seraient pas tombés
en la puissance de nos ennemis. Si vous me demandez
où était le point de ma croix, je vous dirai que c'était
dans la perte générale de FEglise, et de tant d'âmeis que
je voyais qui allaient demeurer dans leur aveuglement.
J'ai souffert à ce sujet un martyre intérieur : car je
me suis donnée à Dieu pour victime, afin de porter
seule les peines et les tourments qu'il plairait à sa
justice d'exiger de moi et sur moi pour apaiser sa
colère. Je n'ai pas été digne d'être exaucée dans toute
l'étendue de mes désirs et de mes inclinations inté-
rieures. Notre très-cher Père Poucet a été plus heu-
reux que moi, parce qu'ensuite d'une offrande semblable
qu'il avait faite publiquement de lui-même en prêchant,
il fut aussitôt exaucé ; car allant faire un acte de charité
à une pauvre veuve, il fut pris et emmené par les
Iroquois. Peut-être sera-t-il de lui comme d'un autre
Isaac, et que sa volonté detre immolé sera acceptée
pour l'effet par Celui qui connaît le fond et la sincérité
des cœurs do ceux qui lui font de semblables offrandes.
Nous en attendons l'issue; car dès qu'il a été entre les
mains de ces ennemis barbares, ils ont, par des voies
toutes contraires à leur férocité ordinaire, demandé
la paix et l'amitié des Français. On leur a accordé une
cessation d'armes en ramenant (à condition de ramener)
notre chère victime.
Voilà l'état présent de nos affaires, après deux ou
trois miracles que Dieu a faits en faveur de ce pays
lorsqu'on le tenait comme désespéré. Âh ! mon intime
Mère, que ne suis-je digne d'être immolée pour la gloire
LBTTR. If. II.
}
18 LETTRES
de ce grand Dieu ! Obtenez-moi cette insigne grâce en
la manière qai sera la plus agréable à sa divine Majesté,
car Je ne veux ni vie, ni mort, ni respiration que dans
son agrément. Oh! qu'il est doux, quoi qu'on souffre
des martyres en diverses manières, de rouler tous les
moments de sa vie dans les volontés d'un si bon Dieu.
Mon cœur vous dit plus que ma plume. Rendez, s'il
vous plaît, des actions de grâces à sa bonté des faveurs
qu'elle me fait dans ma vocation. Je vous dis à l'oreille
qu'on se trompe souvent en matière de vocation, et
ce que le bienheureux M. de Genève (saint François
de Sales) dit est très*véritable, que toute inspiration est
pensée, mais que toute pensée n'est pas inspiration.
Je Tai expérimenté dans la fidèle correspondance que
notre chère défunte a eue à sa grâce, car elle m'a
raconté que dans les commencements son attrait était
dans de bonnes pensées; mais Tissue a bien fait voir
que c'était un bien inspiré et non-seulement pensé.
On s'imagine quelquefois qu'un certain feu passager
est une vocation; non, mon intime Mère, les événe-
ments découvrent le contraire. Dans ces feux momen-
tanés, on tient plus à soi qu à lobjet qu'on envisage ;
et aussi Ton voit que ce feu étant passé, les pentes et
les inclinations demeurent en leur assiette ordinaire
de la nature.
Je vous dis donc que mes croix pour llntérêt de
TEglise ont été grandes : mais après tout^ comme il
est très- doux et très-juste de suivre les volontés d'un
Dieu si aimable, je regardais notre chère maison de
Tours pour y retourner, ou un autre lieu de France
pour y fonder un monastère, ainsi qu il est porté dans
le contrat de notre fondation. Dans l'un et l'autre
de ces deux expédients» je n'euase rien voulu entre-
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 19
prendre sans Tordre et la direction de mes supérieurs
légitimes. C'est pour répondre à ce que vous demandez
que je fais cette petite digression. Pour mon particulier,
dans toutes ces rencontres mon cœur était si calme et
tranquille, que je n'aurais pu lui donner un mouvement
contraire à sa tranquillité.
A présent on traite de la paix, et l'on parle de faire
venir des ouvriers de l'Evangile, pour faire une grande
mission à Ontario, qui est à dix journées au-dessus
de Montréal. L'on fait état dy mener encore des sol-
dats, et d'y bâtir un fort, afin de s'assurer du lieu,
parce que ce poste étant au milieu de plusieurs grandes
nations, ce sera Une retraite pour ceux qui iront annon-
cer l'Evangile. Je sais bien que je n'irai pas, mais l'in-
térêt de la gloire de Dieu dans le gain des âmes me
consume, dans l'attente que l'affaire soit au point où on
la souhaite. Je n'irai, dis-je, pas, car ce n'en est ni le
temps ni ce qui est convenable à ma condition : mais
ces missions nous donneront des filles, quand elles
seront établies. Je ne regarde pas le présent, mais
l'avenir, m'estimapt heureuse d'être employée dans lé
fondement d'un si grand édifice, tant au regard des
Français que des sauvages, puisque les âmes des uns et
des autres ont également coûté au Fils de Dieu. Sans
l'éducation que nous donnons aux filles françaises qui
sont un peu grandes, durant l'espace de six mois ou
environ, elles seraient des brutes pires que les sau-
vages. C'est pourquoi on nous les donne presque toutes
les unes après les autres, ce qui est un gain inestimable
pour ce pays.
Vous direz, je m'assure, que je ne suis pas sage
d'avoir à l'âge de cinquante-trois ans les sentiments
que je vous déclare (que je vous manifeste). Mais pensez
âU LETTRES
ce qall tous plaira ; si Ton me disait, il faut mainte-
nant partir ponr aller aux Indes, on à la Chine, on aux
Iroquois, afin d*en apprendre la langae et de travailler
à leur conversion, me voilà prête, mon intime Mère.
Mais je ne sois pas digne de ce bonhear; mon cher
Jjtsus m^occape à d antres choses; je roale dans sa
volonté, je snis contente, et quelque croix qall m*arrive,
je ne veux point sortir de ce centre. Voilà ma vocation
et ma disposition, pour laquelle je vous supplie, au nom
de notre divin Sauveur et Maître, de lui demander
que je lui sois fidèle, car je nai rien de moi que le
péché et llmperfection.
Je crois ce que vous me mandez de notre chère
maison de Tours» et je me persuade aisément que la
paix et Tunion y sont au point que vous le dites. Le
chef ayant les qualités de Tamour et de la charité en
éniinence» il ne se peut faire que les membres ne parti-
QÎpeut à la douceur de ses influences. Je ^ue cette
Qhère Communauté, et la conjure de me considérer
toujours comme un membre, quoiquindigne, d*un corps
si précieux. Je me recommande à ses prières, et la
QOKJ^^ ^^ ^^ ^^^ V^^ ^^ ^^ mérites.
Di^ Québec 1653.
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNGARNATION . 21
LETTRE CXVII.
À LA SUPERIEURE DES URSULINES DE DIJON.
Les Iroqnois feignent de chercher la paix : cependant ils assiègent les Trois-
Rifières, et prennent le révérend Père Poncet prisonnier. — Nouvelles
propositions de paix.
Ma révérende et très-chère Mère,
La paix et Tamoui* de notre divin Jésus pour mon
très-humble et très- affection né salut.
J'ai reçu les lettres qu'il vous a plu de nous écrire. Il
faut avouer que votre charité est des plus cordiales et
des plus obligeantes; aussi est-ce notre bon Jésus qui
en est l'auteur, et rien ne peut sortir de cette source
sainte qui ne la fasse connaître. Si votre charité est
grande, nous avons de nouveaux besoins pour vous la
faire exercer : car les Âgnerognons, qui sont une nation
Iroquoise, sont venus en si grand nombre, que nous
eussions tous été enveloppés dans un même carnage, si
la bonté divine ne nou^ eût préservés par une voie toute
miraculeuse. L*on avait fait courir ici une fausse nou-
velle , qu'ils avaient guerre avec d'autres nations de
cette Amérique. Au même temps une compagnie des
Onontagerognons , qui sont une autre nation des
Iroquois, se présenta pour demander la paix, disant
qu'ils ne voulaient plus faire qu'un peuple avec les
Français, les Algonquins et les Hurons. Cette rencontre
22 LBTTRB8
nous fit facilement croire que la première nouvelle était
véritable, et que le bruit qui courait que six cents
hommes des Âgnerognons avaient dessein d'assiéger les
Trois-Rivières était faux. Le commun s'étant ainsi
laissé aveugler aux apparences, ne se défiait de rien.
Mais le révérend Père supérieur des missions, homme
très-zélé pour le bien public, estimant qu'il fallait tou-
jours se tenir en défiance, travailla puissamment à
faire fortifier cette habitation des Trois-Rivières, contre
le sentiment même des habitants du lieu, qui attachés à
leurs affaires particulières, n'avaient point d'envie de
les quitter pour travailler à la forteresse. Cependant
quelques contradictions que le Père trouvât à son entre-
prise, les fortifications furent achevées et tous les habi-
tants mis à couvert des surprises de l'ennemi. A peine
trois semaines furent écoulées, que six cents Iroquois
dont on nous avait menacés, parurent à dessein de
mettre tout à feu et à sang, sans exception d'âge ni
de sexe, ce qu'ils eussent fait assurément, si le lieu
eût été dans l'état où ils croyaient le trouver. Tous les
habitants du village des Hurons ayant eu avis de leur
approche, se retirèrent aussitôt dans le fort, et de la
sorte ils ont évité le carnage aussi bien que les Fran-
çais. Il est si vrai qu'ils voulaient tout exterminer et se
rendre les maîtres de la place, qu'ils avaient amené
leurs femmes, leurs enfants et tout leur bagage afin de
s'y établir.
Au même temps, le révérend Père Poncet, très-digne
missionnaire, et qui demeurait à Québec, c'est-à-dire,
à trente cinq lieues des Trois-Rivières, étant sorti pour
aller rendre quelque devoir de charité à une pauvre
veuve, fut pris par un parti de cette troupe. La nouvelle
en étant venue à Québec, les habitants, qui l'aiment
DE LA MËRE MARIE DE L*INCARNATION. 23
eomme lear Père, prirent aussitôt les armes et couru-
rent après ces barbares pour renlover de leurs mains.
Ils les poursuivirent de si près qu*il ne s'en fallut pas
trois heures de temps qu ils ne les attrapassent, car ils
trouvèrent encore le feu allumé dans un lieu d*oii ils
venaient de sortir. Ayant visité ce poste, ils virent écrit
avec du charbon sur un arbre que le Père avait pelé :
Père Poncet ; et sur un autre : Francheteau. Ils trouvèrent
encore le livre du Père, qu*il avait laissé à dessein, et
rayant ouvert, ils y lurent ces paroles : « Nous sommes
pris par les Âgnerognons ; ils nous ont traités jusqu'à
cette heure avec toute civilité. » Nos gens ayant lu ces
paroles, prirent de nouvelles forces et ramèrent avec
courage jusqu'à un fort habité par les Français, où ils
furent contraints de rester pour passer la nuit. On leur
dit là qu'ils étaient morts s'ils passaient ofttre, et
qu'assurément il y avait du malheur, parce que les
canons et les fusils des Trois-Rivières avaient tiré sans
cesse toute la journée. Trois de la bande, nonobstant
le danger, se détachèrent pour aller porter la nouvelle
de la prise du Père aux Trois-Rivières, qui était à deux
lieues de là. Ils passèrent au travers de l'ennemi à la
faveur de la nuit, et entrèrent heureusement dans le
fort. La nouvelle qu'ils portaient obligea à parlementer
avec l'ennemi dès le lendemain, afin d'échanger quel-
ques prisonniers pour le Père. Ils acquiescèrent à cette
proposition. Mais comme il n'y a nulle foi dans les
infidèles, ils trouvèi;ent moyen de gagner un sauvage
de l'habitation, qui leur promit de leur donner entrée
et les faire maîtres de la place. L'espérance qu'ils avaient
que ce dessein leur réussirait, fit qu'ils ne se pressaient
pas de rien conclure sur les propositions qui leur avaient
été faites, et qu'ils avaient acceptées. Mais la trahison
24 LBTTRES
ayant été découverte, et les Français qui étaient allés
après le Père étant venus au secours, ils perdirent cœur
et demandèrent la paix. Quoiquon ne se fiât pas tout
à fait à eux, on les prit au mot, à condition qu'ils
rendraient le Père incessamment. Mais il se trouva par
malheur que ceux qui Tavaient enlevé l'avaient déjà
fait embarquer pour le mener en leur pays. Ils ont
envoyé, à ce qu'ils ont dit, deux canots avec un capitaine
pour l'amener, et ensuite ils se sont retirés à la faveur
des propositions de paix, après avoir ravagé les mois-
sons et tué les bœufs et les vaches des habitants qu'ils
ont trouvés dans la campagne. Avant que de venir aux
Trois-Rivières , ils avaient attaqué Montréal, d'où ils
avaient été repoussés, et oti ils n'avaient eu d'autre
avantage que de prendre quelques sauvages et Français
qui étainnt à l'écart.
A présent deux ou trois de leurs nations nous recher-
chent de paix et ont fait des présents pour cela. Le
rendez- vous est donné aux Trois-Rivières, où les Fran-
çais, Algonquins, Hurons, et autres alliés se devaient
aussi trouver. Si nos ennemis disent vrai et que la
paix qu'ils témoignent désirer soit constante, la porte
sera ouverte à l'Evangile dans toutes les nations de
cette Amérique. Mais, dans toutes les règles de la
prudence, on ne peut s y fier, car jusqu'ici on n'a
remarqué que trahison et perfidie dans leur conduite.
Mais enfin nous voyons sur nous des protections de
Dieu à leur égard qui sont toutes miraculeuses. Il les
aveugle pour ne pas voir leur force et notre faiblesse,
car s'ils voyaient les choses comme elles sont, ils nous
auraient bientôt égorgés, mais cette bonté infinie les
retient par sa main toute-puissante, afin qu'ils ne nous
nuisent point. L'affaire de la paix ou de la guerre sera
^ DB LA MËRB MARIB DB L'INGARNATION . 25
conclue dans un mois, qu'ils ont demandé de terme
pour aller consulter les anciens de leur pays. Dieu par
sa Providence nous donne ce temps-là pour faire les
moissons, car s'ils eussent continué à les brûler comme
ils avaient commencé, nous eussions été réduits à une
famine mortelle.
On remarque trois ou quatre miracles de Dieu sur
nous en tout ce qui s'est passé en ces dernières attaques ;
je dis des miracles évidents, qui nous fortifient beau-
coup, nous faisant voir que ce ne sera point l'industrie
humaine qui nous tirera de la persécution des Iroquois;
mais la seule bonté divine, qui pouvant changer les
cœurs de pierre en des cœurs de chair, peut faire de
ces barbares des enfants d'Abraham. Ceux qui ont des
présents pour la paix ont invité nos révérends Pères
d'aller en leur pays. Mais la prudence ne permet pas
de se presser. Si la paix se fait, la foi s'y introduira
infailliblement. C'est une chose digne de votre piété,
ma très-bonne et très-chère Mère, de tâcher, avec votre
sainte Communauté, de gagner le Cœur de Dieu, afin
qu'il plaise à sa bonté de gagner ceux de ces barbares. ,
Il est temps qu'il soit loué et béni de ceux qui l'ont
méprisé jusqu'ici, et qui ont mis tant d'obstacles à sa
gloire. Je vous rends mes très-humbles remercîments
pour la grande charité qu'il vous a plu de. nous faire.
Nous tâchons de reconnaître auprès de Notre -Seigneur
vos continuels bienfaits que vous avez, d'un si grand
cœur, augmentés encore cette année. Permettez- moi
s'il vous plaît, de saluer votre sainte Communauté; et
de la prier d'agréer le très-humble salut de la nôtre.
De Québec, le 6 septembre 1653.
M LETTRES
LETTRE CXVIII.
 SON FILS.
M» W ttiifoii d^M pfta4|7nqtt9 <!• mIbI Bmon qull hti avait «rroyé, «t lai dît
«M tMl«Mttla «ir aoa 4èévati«i à la sapérioricé. — Da q—Ha aaaièra aOa a
^atwfoii 4*Mrik<a U MacNila <Jia Di«a à aoa éfacd.
Moa trde^eher et bien-aimé fils.
L'uftoiur et ta Tie de Jtscs soit notre rie pour
?e^ Totre lettre en date du troisième jour d*aTril«
et eaeesatMe Tagréable présent qui raccompagnait. Yooa
aies bien sii^ de dire que ça été pour ma conaolatioii
(|«ie ^oœ me Taures envoYé : car en effist jea ai été trà»>
ooaeolée^ et j'ai rendu à Dieu et à son Saint-Esprit mes
tr^bumMee actione de grâces de celles qall iroaa
oommuaique^ tant en ^otre particalier pour irotre saiie-
tiâcaûon. que dee talents qull toos donne pour aider
le {prochain» soit par Texercice de la prédicatiim^ soit
par I économie do la charge qall vous a mise eaatte les
maiîid. J espère que sa divine Xajesté ne ^ntm abaa-
Jona^ra jamoiss pendan4 que vous seres un ftièie dis-
pest^aieur ie ses^ bien^^ car il dit Jans i*5^angile à soa
scTV'Ueur iuèie y^mt^^ Am ei fiiétê ^iwUêm. ptarcB fat
^C«li M9C «te i<i«iHr^ *jaai^ 99«*«»^p<«Mtf jl Y<
DE LA MÈRE MARIB DB L'INC ARNATION . 27
VOUS avez été fidèle en peu de chose, je vous élèverai et consti-
tuerai sur beaucoup.
Mais savez-vous bien, mon très-cher fils, qu'il ne
m*a jamais été possible de lui rien demander pour vous
que les vertus de TEvangile, et surtout que vous fussiez
l'un de ses vrais pauvres d*esprit. Il m*a semblé que
si vous étiez rempli de cette divine vertu, vous pos-
séderiez en elle toutes les autres éminemment; car
j'estime que sa vacuité toute sainte (le vide des choses
créées que la pauvreté d'esprit établit dans une âme)
est capable de la possession de tous les biens de Dieu
envers sa créature. Puisque vous voulez que je vous
parle sans réserve, il y a plus de vingt-cinq ans que
la divine bonté m'a donné une si forte impression de
cette vérité à votre égard, que je ne pouvais avoir
d'autres mouvements que de vous présenter à elle, lui
demandant avec des gémissements inénarrables que son
divin esprit faisait sortir de mon cœur, que cette divine
pauvreté d'esprit fût votre partage. L'esprit du monde
m'était pour vous un monstre horrible, et c'est ce qui
m'a fait vaincre tant d'oppositions qui se sont formées
à vos études ; parce que dans les sentiments que Dieu
me donnait à votre égard, je voyais qu'il fallait se
servir de ce moyen pour parvenir à ce que je préten-
dais, et pour vous mettre dans l'état oti vous pouviez
posséder cette véritable pauvreté d'esprit.
Je rends de très-humbles actions de grâces à sa bonté
de l'attrait qu'elle vous donne pour la vie mystique.
C'est une des dépendances de cette pauvreté d'esprit,
laquelle purifiera encore ce qui pourrait être de trop
humain dans l'exercice de la prédication, que je ne
TOUS conseille pas de quitter, si ce n'est qu'il cause
du dommage à votre perfection, ou à votre santé, ou
^ijtx.5xb i i\îa: >--i:\ vînv'î :£r-r^ rs rjirs ;aE ImiDinnt
»*SSfe**'5s^ li'iii^ .'o:^
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:•- .i \?..'.-*KrUli.T2 —
- >\. V «^ « "> i^. >> *^
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>»
DE LA MËRE MARIE DE L*IN CARNATION. 29
révérend Père Lallemant m'avait dit que je demandasse
à Notre-Seigneur que s'il voulait quelque chose de moi
avant ma mort, qui pût contribuer à sa gloire, il lui
plût de me le' faire connaître. Après avoir fait ma prière
par obéissance, je n'eus que deux vues : La première,
de m'ofFrir en holocauste à la divine Majesté pour être
consumée en la façon qu'il le voudrait ordonner pour
tout ce désolé pays; et l'autre, que j'eusse à rédiger par
écrit la conduite qu'elle avait tenue sur moi depuis
qu'elle m'avait appelée» à la vie intérieure. Pour la
première, j'en parlai sur l'heure à mon révérend Père,
en lui parlant de mes autres dispositions présentes;
mais pour l'autre, j'eus de la confusion de moi-même,
et n'en osai rien dire. Cependant cet Index était le point
de l'afiaire, qui joie revenait continuellement en l'esprit,
avec un scrupule d'avoir écrit ce que j'avais projeté
de VQUS envoyer sans la bénédiction de l'obéissance.
Il est vrai que mon supérieur m'avait obligée de récrire
les mêmes choses que j'avais écrites autrefois et qui
avaient été brûlées avec notre monastère ; mais c'était
l'intention que j*avais de vous les envoyer qui me faisait
de la peine, pour ne l'avoir pas déclarée. Enfin pressée
de l'esprit intérieur, je fus contrainte de dire ce que
j'avais celé, de montrer mon Index, et d'avouer que
je m'étais engagée de vous envoyer quelques écrits
pour votre consolation. Je lui dis l'ordre que j'y gar-
dais, qu'il approuva; et il ne se contenta pas de me dire
qu'il était juste que je vous donnasse cette satisfaction,
il me commanda même de le faire. Je vous envoie cet
Index, dans lequel vous verrez à peu près l'ordre que
je garde dans l'ouvrage principal que je vous enverrai
l'année prochaine, si je ne meurs celle-ci, ou s'il ne
m'arrive quelque accident extraordinaire qui m'en
\\\ 1.KTTRB8
v«iM|uV«h0i ul |p (Aohorni den retenir une copie pour
^M|M^'^^^^^' *^^^^ t'(m|Uoii (I0 1a mer.
miu Us \l0«it«^tii ilouo quo jai commencé pour vons.
l>^ ^mUs \U\ WwW^ nuvji aventures; c*est-à-dire, non-
^^^Iv'^^^v^Ht \io \v \)ui »Wt pa$$è dans rintériear, mais
v^H^^M^^ xJo Uu«Umiv ^^xiorieun?, sa^cHr des états 00
»^^» tsi^^^ ^l.^H» lo *:\Vîo et viAn$ la religion, des pro-
>^,,v,«x>^ ^k HVi»sK<;i-o;!t lio I\i?a «r 2ÎOÙ de mes actions,
x;<^ .^««c^ ^wMj^\^ix. sv:«:tK: v v^^c* ji ile^ê, ec géoérale-
.#.^^.* s* :<;.>! ^,t >v«t.:M.rv ;ri*r ,«îtî"iei' v:a» zae poarrsz
^N*^-.Vs .**x%ij xVwf.tct:^A\ x'cir V* ;.'ar'«? le* rscses simple-
>^■*'*^^»i• "^ -S V"* >k ^»l5^ ''^^ «^^
^ ^... ... ^. >- % -* r. -r.:*-:i^ '4, TTCÏI?*£* £ uns
^ ,. * * ■ x » ■ ■ ■; ^. r»m. Z2 ^^-iA.* iCr Jl, ■UT
DE LA MËRB MARIB DB L'iNCARNATION. 31
au dehors comme elles se passeat intériearement.
Lorsque je présentai mon Index à mon supérieur, et
qu'il en eut fait la lecture, il me dit : Allez sur-le-champ
m'écrire ces deux chapitres, savoir le vingt-deux et
le vingt-cinq. J*obéis sur l'heure et y mis ce qu'il me
fut possible, mais le plus intime n'était pas en ma
puissance. C'est en partie ce qui me donne de la répu-
gnance d'écrire de ces matières, quoique ce soient mes
délices de ne point trouver de fond dans ce grand
abîme, et d'être obligée de perdre toute parole en m'y
perdant moi-même. Plus on vieillit, plus on est incapable
d'en écrire, parce que la vie spirituelle simplifie l'âme
dans un amour consommatif, en sorte qu'on ne trouve
plus de termes pour en parler.
Il y a vingt ans, je l'aurais fait plus avantageu-
sement et avec plus de facilité; et il y aurait des
matières qui donneraient de grands sujets d'admirer
la grande et prodigue libéralité de Dieu à l'endroit d'un
ver de terre tel que je suis: car j*ai laissé quelques
papiers à ma révérende Mère Françoise de Saint-
Bernard, qui sont mes oraisons des exercices de dix
jours, que l'obéissance m'obligea d'écrire; j'avais fait
encore quelques autres remarques dans un livret tou-
chant les mêmes matières. Si j'avais ces écrits, ils me
serviraient beaucoup et me rafraîchiraient la mémoire
de beaucoup de choses qui se sont écoulées de mon
esprit. J'ai laissé deux exemplaires de tout cela, car
comme mon directeur voulait avoir mes originaux,
j'en fis une copie dans un petit livret, pour m'en servir
dans les occasions. Lorsque j'étais sur le point de
quitter la France, je retirai adroitement les originaux
qui depuis sont demeurés avec les copies. J'ai depuis
demandé les uns et les autres à cette révérende Mère,
38
afin qu'on ne "nk «Ban écrit de ma msm dans le
monde» mais elle me les a refiiaée absolmnent, annme
^e me mortifia beaucoup» avant mon départ» parce que
j*avaia^ brûlé quantité d'antres papiers de cette natore.
C» écrits dont je iriens de parler, regardait seole-
ment la conduite de Dien sor moi dans la France. Pour
le Canada» il me »rait difficile d'écrire tontes les
dii^^ositions qù. je me suis trouvée depuis que Dieu m'j
a appelée. Jy ai soul&rt de grandes croix de la part
de Dieu» des créatures» et de moi-m&ne» qui suis la pire
de toutes^ J'en dirai quelque petite chms ; mais il 7 a
bîdn des raisons qui mobiigent de taire le reste» et je
crois que c'est ta volonté de Dieu que j'^x use de la
wrte* Si j'avais votre oreille» il nV a point de secret
eu mon ct»ar que je ne voulusse vous confier. Je vous
ferais volontiers mes contestons générales et partica-
lièn^ Dieu vous avant marqué de son caractère saint
Vqu^ voj^es par là que je n ai point de réserve à vrotre
4giburd» ^( quil ny a que la distance des lieux qui
eitti^lie uotre commerce pour les cixoses de Dieu^ car
U u'^u taut poiut avoir dauire dans le temps ni duis
réteruité. Afin donc que cet Imka: demeure seeret» je
Teuierme <^u cette lettre» laquelle» par la «qualité des
zaati^àrt^ que j> traite» vues vojrea quelle doit être
p^iTiicuUère à vous et à moi. ^
DE LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 33
Premier état d'oraisoo.
1. Par lequel Dieu fait perdre à Tâme Tafifection des
choses vaines et des créatures qui la tenaient attachée.
2. Inclination grande à la fréquentation des Sacre-
ments, et les grands effets que ces sources de sainteté
opéraient en elle, particulièrement l'espérance et la
confiance en Dieu.
3. Elle se sent puissamment attirée par les cérémonies
de l'Eglise.
4. Du puissant attrait quelle a pour entendre les
prédications, et les effets que la parole de Dieu opérait
en elle.
Second état d'oraison.
5. Changement d'état par lequel Dieu illumine l'âme,
lui faisant voir la difformité de sa vie passée.
6. Puissants effets par une opération et illumination
extraordinaire, causée par le sang de Jësus-Christ.
7. Confession de ses péchés ensuite (aussitôt après) de
l'opération précédente.
8. Dieu lui donne le don d'une oraison actuelle et
continuelle, par une liaison à Jësus-Christ.
9. Diverses illuminations en suite (par suite) de cet
esprit d'oraison; plusieurs vertus lui sont aussi données,
particulièrement la patience, l'humilité, et surtout un
grand amour pour la pauvreté d'esprit.
LBTTR. M. II.
X
»4
tk^v r^ t^Otfl Dieo lai donne xxn esprit de pénitenoe
U . Pw tttM «t vi<s motifii qui la p«teat à cet esprit
tt l?w vvv»s^^>(» v^oie Du» ^t naîsn pour Im faire
•
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^^ THih^ li^rwC Tiîm;. ^s^^tts: lljmmw Tkﻄ il Sa ^iange
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w»^x^««VKs ^' ^^^ ^«^rfv^ L*^' «T^vauttle imanipirtriT par
îX-Kv .s% .NN> i. xNArr^?^ *5f*^- ^i*» fe aMmde. P^nt
DB LA MÈRE MARIB DB L*INGARNATION. 35
19. Le grand tracas da monde n*est pas capable de
divertir Tâme de la vue de son objet spirituel, par
lequel elle est portée à de plus grands actes de vertu.
20. Elle souffre un martyre dans le monde, le voyant
si contraire à la vie et aux maximes de Jâsus-Christ.
Sixième état d'oraison.
21. Par lequel Dieu appelle Tâme à un état de pureté
intérieure extraordinaire, laquelle par sa miséricorde
il opère en elle.
22. En suite de Topération précédente, les trois per-
sonnes de la Très-Sainte Trinité se manifestent à elle
d'une façon extraordinaire, et lui donnent diverses vues
des opérations de Dieu dans les anges et dans les
âmes, pures.
23. Diverses connaissances lui sont données sur la
distinction des attributs divins.
24. Des dispositions qui sont passivement données
à rame pour la mettre dans un état de pureté capable
des grandes opérations que Dieu veut faire en elle, qui
la font languir d'amour et aspirer au divin mariage.
Septième état d'oraison.
25. Par lequel la très-sainte Trinité se découvre
de nouveau à Tâme d'une manière plus haute et plus
sublime que la première; et en cette opération la
deuxième personne divine la prend pour son Epouse.
26. Les effets que ce divin mariage de l'âme avec
la eacrée personne du Verbe opère en elle.
3&
?;. Ea oec élal dTcniHn Feiprit oftiDlaleM^
4t» dMMs et la terwe^ dcà senaût isse contiiMrile
«CSMe eus faBvwr de la aemnie prrOTtiiia fiiôe.
2S. Le Sa&sl*Eipnt, par ime modoa cpatîaftlf, loi
6ûb Amoier mn égît haf amp par npfiiQrt t^n famiort)
4 celui dix Caxttiqtte d«s castiq^ia.
29. Laogcean am^^oreoses de lame dazts lesquelles
eQe ne Ttt picts en elle^ mais en Celai qoi Fa toat
absorbée en ses amoors.
30. D'une snspensîmi oa opération qm fût agoniser
r&œ» la tenant dans nn martyre d'amour extrâme.
31. Dix soalagement qui Ici est donné dans cette
opération si cniciliaDte^ sans lequel il ne Im serait pas
possible de Tirre snr la terre.
32. NonTeUes souffrances et angoisses de Fâme de se
^oir encore retenue dans te monde^ puisque le corps
ne meurt pas; et du soulagement que Dieu faxi donne
à ce sujet.
33. Des moyens dont Dieu se sert pour lui faire quitter
le monde et ses parents» afin de Tattirer dans la religion.
34. Des pièges que le diable lui dresse pour s y
opposer.
Eiaitième état (fondson.
35. OÙ est compris ce que Dieu opère en Tâme dans
ce nouvel état de vie.
36. Troisième grâce par l'opération de la trôs-sainte
Trinité, où les trois Personnes divines se communiquent
à rdmo dune manière plus sublime qu'auparavant.
37. De rintelligence que Dieu lui donne de plusieurs
passages de TEcriture sainte, au sujet du sacré Verbe
Incarné.
DE LA M£RE MARIB DE L'iNCARNATION. 37
38. Elle souffre de grandes peines intérieures; et
comme la divine Majesté se sert des révérends Pères
de la Compagnie de Jésus pour Taider.
Neuvième état d'oraison.
39. Qui porte une grâce particulière d'aider spiri-
tuellement le prochain.
40. Vocation particulière pour procurer le salut
des âmes.
41. Dieu lui manifeste sa volonté, lui révélant qu'il
veut se servir d'elle dans la mission de Canada.
42. Les moyens dont Dieu se sert pour venir à
l'exécution de cette vocation.
43. Désirs qui consument l'âme touchant le salut
du prochain; et l'exécution de la volonté de Dieu sur
ce dessein.
Dixième état d'oraison.
44. Par lequel Dieu fait mourir l'âme à ses désirs,
et en ce zèle qui semblait la dévorer, voulant triompher
d'elle en lui ôtant sa volonté.
45. Elle demeure heureusement captive dans les
volontés de Dieu, qui lui fait voir qu'il veut être le
Maître dans l'exécution du dessein du Canada.
46. Révélation que Dieu donne à un saint homme
touchant la vocation de le servir au salut des âmes dans
la mission du Canada, ce qui s'accorde avec les opéra*
lions que la divine Majesté fait en N. à ce sujet. (C'est
elle-même.)
3S
47. Pur lequel Diea oblige rime de |wifmifre
rooéctdioQ de son deasein.
4S. Ce qui se passe ei Fâme dans cette poonmie,
DÈeii exéciEtixit ce denein ^cès ïeBoamm et Tëppnh
tes»» des sapârieurs^
-fi. Dsipositioa et xvàto de Ken, qm fiûtTsir à rime
ee qaeOe aorm à sonfBrir an Canada; et comme il fan
■anf fiintin sa «jute TohmÉtf^
50. Lamoar a^ee leqiurt eQe s'abandonne ans fispo-
ssJE&»s et ocdonnainres dirines; et Hncfinatan qnTdle
Rsseiu de se consomnar pour Jssus-G&usr en rofeonr
dftses&venrsw
51. Lime expânmente ce qi» Diea loi aivait bit
>.MH«
^. Dtiuws coftttw&tîaiB. DispQKimnn inÉânsnraa
5& La laisiDi p^ïtt ftnawinnp^ et ïmpt^
>4 311^ eagêiàMBa» des ^gnattiw»
Iw** Cînnaw ei&^ se wsiçonii àoa sas ùoiinm
:)« iecài» iir ^a wc^^ccxini « ie Ji gnûiEBï â» la
DB LA MËRB BiARIB DB L*INCARNATION. 39
Treisième état d'oraison.
57. Dans leqnel par une ^râce spéciale que Tâme
reçoit par Tentremise de la sainte Vierge, elle est
délivrée en un moment de ses crucifiantes dispositions.
58. La grande paix qu'elle possède dans un nouvel
amour que le sacré Verbe Incarné lui donne pour ses
divines maximes.
59. Le grand amour et union de sa volonté en ce
que Dieu fait et permet en elle, hors d'elle, dans les
accidents, etc.
60. L'âme ayanl connu la volonté de Dieu, qui veut
se servir d'elle, l'exécute avec amour, et sa divine
Majesté lui fournit des grâces pour cette exécution.
61. Présence et assistance de la sainte Vierge, qui
accompagne l'âme dans cette exécution, d'une manière
extraordinaire.
62. L'âme se consume de plus en plus dans les
amours du sacré Verbe Incarné. Divers eâets de cet
amour consommatif.
63. Les différences qu'il y a de cet état aux précé-
dents, quoiqu'ils semblent avoir quelque ressemblance,
au sujet du sacré Verbe Incarné.
Honneur, gloire, et louanges au surador'able Verbe
Incarné.
Il me semble, mon très-cher fils, que cet écrit, court,
mais substantiel, vous donnera une sufSsante intelli*
gence de l'esprit intérieur qui me conduit, en atten-
dant que je puisse vous en donner une plus ample
connaissance. Priez le Saint-Esprit qu'il lui plaise de
me donner la lumière et la grâce de pouvoir le faire.
ii} LETTRES
Sii aoD saint nom en doit être glorifié. Il m*a fait de
grandes et amples miséricordes, auxquelles j'ai été
infiniment éloignée de correspondre. C'est pourquoi
je crois que sa divine Majesté m'ayant préparé une
grande place dans le Ciel si je lui eusse été fidèle,
Vaura donnée à quelque âme plus correspondante, et
peut* être à ma chère et fidèle compagne, la Mère
Marie de Saint*Joseph« Ma privation est grande, mais
elle est moindre que je ne mérite. J'aime la justice qui
venge les injures de Dieu, et je me glorifierai en cela
même quil sera glorifié en ses Saints^ même à mon
exclusion. C'est de là que je possède la paix de cœur,
quil y ait des âmes selon son divin plaisir. Qa*il aoit
b^ni éternellement.
J'avais donné charge qu'on tous envoyât une Gopîe
du Y^oii que j ai fait à nos Mères, de la vie et de la mort
de notre chère défunte. On me mande qu'on ne Fa pas
encore fait« parce que cet écrit est tombé entre les
mains du révérend Père Le Jeune. Ce boa Pènre en a
pris oe qu'il a voulu pour mettre dans la Relation,
aana que je Ten eusse prié. Il m'a beaucoup oblige
do le faire, mais il m'eût fait un singulier plaisir de
ne point faire paraîti^ mon nom. Moi qui ne savais
rien de tout cela, étant lectrice au réfectoire» je me
trouvai justement à commencer par cette histoire. Xea
eua de la confusion et la quittai pour la faire lire à
une autre. Le souvenir de cette chère Mère m*est pré-
oieu\, et je ne pense à elle et non parie qa*avec
teudresA^. Dieu noua fasse la grâce de rimiter aûn de
pai ticiper Si\x^ biena qu elle pot^ède.
DB LA MÈRE MARIB DB L*IN CARNATION. 41
LETTRE CXIX.
A UN£ DAME DE SA CONNAISSANCE.
Estime qu'on doit aroir pour la grftce de la vocation à la Foi.
Je ne croyais pas pouvoir trouver le loisir de vous
écrire; mais puisqu'il me reste ce petit moment, je
ne puis le laisser, passer sans me donner cette satis-
faction, et vous donner un nouveau témoignage de
mon affection et de celle que j*ai pour vos enfants. Je
les pré&ente souvent avec vous à notre bon Jfisus.
Car c'est en lui que je vous vois et que je me familiarise
avec vous. Aimons sans cesse ce divin Sauveur, qui
nous a tant fait de miséricordes, que nous soyons les
enfants de Dieu et ses frères par la grâce. Ah! que
lui avons-nous fait pour nous avoir choisis à l'exclu-
sion de tant de pauvres sauvages qui ne le connais-
sent point! Faisons une estime particulière de cette
grâce, qui mérite infiniment au delà de toutes nos
reconnaissances. N'oubliez pas dans vos prières cette
nouvelle Eglise ni les ouvriers de l'Evangile, non plus
que notre petit Séminaire, afin que tous travaillent
au service de Dieu, et que sa bonté multiplie à l'inQni
le nombre de ses enfants. Je suis toute à vous\
(1) Cette lettre n'est pas datée ; mais Cl. Martin la met à cette place.
42 LBTTRB8
LETTRE CXX/
A SON FILS.
Elle s'excuse d*aToir tardé à lui envoyer le récit de sa vie spirituelle. — Motifs
pour lesquels elle s'y est enfin décidée. — Elle se prémunit contre l'opinion
favorable que l'on pourrait avoir d'elle à cause des grAces qu'elle a reçues.
Mon très- cher et bien-aimé fils,
L'amonr et la yie de Jésus soient notre vie et notre
amour pour le temps et pour l'éternité.
Il y a quelques années que, par une sainte franchise,
vous me pressez de vous faire le récit de la conduite
quil a plu à la divine Majesté de tenir sur moi, et dé
vous faire part des grâces et des faveurs qu'elle m*a
faites, depuis que par son infinie miséricorde elle m*a
appelée à sont saint service. Si je vous ai fait attendre,
ne vous donnant pas la satisfaction que vous désiriez,
et n'écoutant pas vos prières, quoiqu'elles procédassent
d'un véritable sentiment de piété, ce n'a pas été par un
défaut d'afiection ; mais ne pouvant me surmonter pour
me produire en ces matières à d'autres qu'à Dieu et
(1) Cette Lettre ne se trouve pas dans le volume intitulé : Lettres de la véné-
rable Mère Marie de f Incarnation, publié par Dom Cl. Martin, et il en est de
même de la 12Ô* qu'on trouvera plus loin. Cl. Martin ayant inséré ces deux lettres
à la fin de la Préface de la Vie de sa mère, ne jugea pas à propos de les repro-
duire dans le volume des Lettres.
Cette Lettre CXX était jointe aux papiers qu'elle envoyait à son fils; elle en
parle dans la suivante.
\
DE LA MÉRB MARIB DE L'iNGARNATION. 43
à celui qui me tient sa place sur la terre» j'ai été obligée
de garder le silence à votre égard, et de me mortifier
moi-même en vous donnant cette mortification. Ce
retardement, que vous avez pris pour un refus tacite,
ne vous a point rebuté; vous m'avez conjurée de nou-
veau par les motifs les plus pressants et par les raisons
les plus touchantes que votre esprit vous a pu fournir,
me faisant de petits reproches d*affection, et me repré-
sentant que je vous avais abandonné si jeune, qu'à peine
connaissiez- vous votre mère; que non contente de ce
premier abandonnement, j'étais sortie de France et je
vous avais quitté pour jamais ; que lorsque vous étiez
enfant, vous n'étiez pas capable des instructions que je
vous donnais, et qu'aujourd'hui que vous êtes dans un
âge plus éclairé, je ne devais pas vous refuser les
lumières que Dieu m'avait communiquées; qu'ayant
embrassé une condition semblable à la mienne, nous
étions tous deux à Dieu, et ainsi que nos biens spiri-
tuels nous devaient être communs ; que dans l'état où
vous êtes, je ne pouvais vous refuser, sans quelque
sorte d'injustice et de dureté, ce qui pouvait vous con-
soler et vous servir dans la pratique de la perfection que
vous aviez professée ;et enfin que si je vous donnais cette
consolation, vous m'aideriez à bénir Celui qui m'a fait
une si grande part de ses grâces et de ses faveurs célestes.
Je vous confesse que ce second coup m'a touchée, et
que depuis que mon cœur l'a reçu je me suis sentie
comme forcée de m'entretenir avec vous dans mes
lettres de plusieurs points de spiritualité. Mais ce n'était
pas ce que vous souhaitiez ; vous avez cru, et avec
raison, que j'usais de réserve en votre endroit, comme
^û effet j'en ai usé pour les raisons que j'ai alléguées.
Mais enfin, pressée par vos raisons, et vaincue par vos
44 LETTRES
priôres, j'ai communiqué Votre désir à celai qui dirige
mon âme, lui représentant que je ne pouvais plus de
moi -môme user de refus en votre endroit, et que s'il était
nécessaire de le faire davantage, il me fallait un ordre
do sa part. Non-seulement il a trouvé bon que je vous
donnasse cette consolation, mais il m'a commandé de
lo faire. C*est pourquoi je le fais, après avoir invoqué
le secours du Saint-Esprit et reçu la bénédiction de
Tobéissance.
Ne croyes pas que ces cahiers que je tous envoie
aient Hé prémédités pour y observer un ordre, comme
Ton fait dans des ouvrages bien digérés : cela ne m'au-
rait pas été possible dans Tétat où Dieu me tient, et la
Yoio par où sa divine Majesté me conduit ne peut me
poru\ettre de garder aucune méthode dans ce que
Lt^rsque j*ai pris la plume pour commencer, je ne
savais pas un mot de ce que j'allais dire; mais, en ëcri-
Taiu« Tesprit de grâce qui me conduit ma fait produire
w qu i) lui a plu, me faisant prendre la chose dans son
(Mriueipi^ et dans sa source^ et me la faisant conduire
)u$v{u'à IVut où il me tient aujourdliui. et toojoan avec
Wauvvup iilnterrapcic'Q. et parmi un grand divertisse-
tti^rj v^^'rAa^ment> de ncis affaires domestiques.
Whis ;)«^nser^2 p<eut-ètre qult v a peo d^&arits ponr tant
«fSjUStttj^ vie viie spùi^ixelle. pien^iant k«tiielks la divine
W^te ut a Eût p>a$wr par beanecctp dcttts tk d*expé-
(WtKi^tk M;iis ;e xv^ots iiCTii «^^se Diieii avant des voies
^i^^ftk^ttiïeik p^r câL ù ow*i!2Ci; S» iœ«. it v ea a qiselques-
ifcot^ ovv?^ ctt i;*«K: jt pt*!:»» ^durv». ec a auras ttont i on ne
V«ira:i} ^«j^ri.^ viii :v^xt. Of ui« ^xii ^c^eiHt ^&» grâces qui
:^^ itv^otihfc^ gviiaQ ^ti^OïS ije$ :»a» «aiïé'Àsscs et infameors
;{«^ttQ i^ givoiân ^ vi^j^t^^ «d^oum^ vQOft pMEem voir
DB LA MÈRE MARIE DE l'INGARNATION. 45
dans plusieurs chapitres ou articles de ce que j'ai écrit,
où j'ai dit ce que j*ai pu dire et passé sous silence ce que
je n'ai pu exprimer. Si vous avez des difficultés sur les
matières ou sur la façon de m'expliquer, mandez-moi
vos pensées et vos doutes, en me désignant le lieu,
et je tâcherai, avec l'assistance du Saint-Esprit, de vous
satisfaire.
Vous m'avez quelquefois témoigné qu'il n'y a rien
d'où vous tiriez tant de profit pour votre avancement
dans la vie spirituelle que de ce peu de lumière que Dieu
me donne, et qu'il me fait coucher sur le papier lorsque
je suis obligée de vous écrire chaque année : cette pen-
sée ne me fût jamais tombée dans l'esprit; mais si cela
est, qu'il soit éternellement béni d un succès si heureux :
car s'il y a du bien, il vient de lui et non pas de moi,
qui ne suis qu'une misérable pécheresse.
Si, faisant la lecture des écrits que je vous envoie,
il vous vient à la pensée ce qui a pu fléchir (incliner)
la bonté divine à me faire de si grandes miséricordes,
et a me prévenir de la sorte des bénédictions de sa dou-
ceur, je vous dirai que j y ai souvent fait réflei^ion, et
qu'après y avoir bien pensé, je n'ai rien vu en moi que
misères et indignités : ou, si du côté do la créature il
peut y avoir quelque cause, je n'en puis donner d'autre
que vous, que j'ai abandonné pour son amour, dans un
temps où, selon toutes les raisons humaines, vous aviez
le plus besoin de moi, et surtout de ce que j'en avais eu
le dessein et pris la résolution avant même que vous
fussiez au monde. SU y a d'autres motifs qui aient pu
attirer sa miséricorde sur moi, ils me sont inconnus.
Et après tout, ce n'est point à nous d'entrer dans les
ressorts de sa providence, ni de pénétrer les secrets de
sa conduite sur nous; mais seulement de conclure qu'il
46
r« rniim yoqIu tant mroir égard à sa crëafam» et qoe ri
9M nM9^rtiH?rUw ont été si magnifiques en notre endroit
^n tîitit ito tuantôces» cest on effet de sa pure libAalité.
C^r 9i j^ nnts at abandonné dès votre enfance par le
tM4*uvvut^nt de sa tçràce, sans toos laisser d*aatre appui
uu^ 9ti ^^rv^tid^Qw toute pure» il tous a pria aoua sa
t*tA*ivs:ticci patvrt\«?Ue et tous a richement pourra, tous
i.^»<5(iv<( IVuoeur de TOUS appeler à son serrice dans k
K»n»i'e l?rvv'oU*UQe dans son conseil étsnd, ainai qull
H^Ht-uit iH^it l'iXv'uueur et lagràœ de me le praenettre.
\ Vttft siMv^ vfvoc ^e^iucoup $a^ê en me perdant, et mon
vV^k't^'tvmrvKtt; Tc<fô ;! ête uùle: tt moî paroUeBent
v-t'^îî <<r^« -v >f*t tvifô ce icw ; ^vui» de cher et d'unique
Hvrtt V ^«^fit^hè, >êda: ;ta nuc ^>uus jl^uxc TQkmtsttRnient
rv^^f^n y ^?v ^t«$^ tvvm^; xnic nuus iaos lie aeia de ce
X^t vstv iiîtr^tiNUi Tac ». ^"ucttiim. mâan
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^^s- ^ A. t>?* ^riNè»*'^ ♦ ^r!«*en»^ ^ nsnaK qn!il
DE LA. MÈRE BIARIE DE L'INCâRNATION. 47
me comble de ses richesses, je ne vois point que je
corresponde à ses grâces, ni que je seconde ses desseins :
ce qui fait que je ne me lasserai jamais de dire que
c'est gratuitement et par sa pure bonté qu'il m'a fait
et qu'il me continue encore ses faveurs. « Confessons
donc et louons le Seigneur parce qu'il est bon et que
ses miséricordes sont éternelles. » (Ps. 133.)
Agréez donc, mon très-cher fils, le présent que je
vous fais, si tant est que les hazards de la mer lui
permettent d'arriver jusqu'à vous. Si vous y trouvez
quelque chose qui puisse servir à votre édification et
à votre avancement spirituel, je bénirai l'Esprit-Saint,
qui m'a aidée à produire (manifester) mes sentiments
pour votre utilité. Ah! mon très-cher fils, rendez- vous
digne d'être le temple véritable du Dieu vivant; videz-
vous de tout pour faire place à son divin Esprit. Je
crois que c'est le dessein que' Dieu a sur vous, car j'ai
appris qu'il vous appelle à la vie mystique, ce qui m'a
extrêmement consolée. Mais c'est là un grand point,
et peu de personnes connaissent l'importance de cette
vie cachée, qui, pour être conforme à son nom, ne peut
souffrir de mélange.
Quand je parle de mélange, je ne veux pas parler des
emplois, quoique dissipants, que l'on peut avoir dans
les affaires temporelles et extérieures, surtout lors-
qu'elles se rapportent à la gloire de Dieu et au salut
du prochain. Quand Dieu y appelle une âme, il lui
donne son double esprit pour vaquer au dedans et au
dehors, en lui et pour l'amour de lui, soit qu'il faille
commander, quand il nous a élevés à la supériorité,
soit qu'il faille obéir, quand il nous tient dans la dépen-
dance et dans la soumission. C'est ce que notre divin
Midtre, le suradorable Verbe Incarné, nous a voulu
IH LKTTRES
Mpproiutiv lorf(iu*il a dit « qQ*il est la porte, et que
M\\\ (|ul ontrt> par lui dans la bergerie entrera et
«a\M ((ru. ol K\vx\\ trouvera sa nourriture : • ce qui doit
•Vu(oiuUv do 00 double esprit.
Mh^ii lo uu^luni^> que je veux dire, c*est nous-mêmes,
\W\\i, pour lonliuaire^ nous sommes remplis, et qui
iHit quo 9ou;ik lomlre de la gloire de Dieu, ou sous
pu'UAlo vlo \iUo\iuo autre motif de piété, nous courons
f^p»\V le* Hpivùi$ do uotre propre excellence, ou de
uouv^ pivptv Huiour. CeU se laic si finement, que quel-
.^uciVux Iokh i^lu^jfe ccl:ùr^5? y sou: pris et trompés, en
wiw xjuV.îii ^> jvrdcc:» v:a ou mcios ils souffnmt un
;it.4MvJ u^vW^cîuo 'C vUrtcj ^dL Terra e« »:a2s la vie spîri-
vuv>;\\ x>.H Us* 5^\:î ;?i^a;i:3ivi$ par le Saine-Esprit qui,
>vu; s\x 5i.iu^c:\ 5^* rx^tt î $;uja;>mea^ inexorable en leur
xSix:i\s;^ <^ :»iv;tù xvit^viace i^ux. js laiauit passer
Aii^ mv\x : v<iîi<i-va;^ :r<?:!>^*ruci.iiiû»5* aai puziâent et
.v*Ks*\i*v ?.su' M^v;>*^viî*. jti;i .{sL;^4aiic paridâs de leurs
>^S4,.iU;\\^ .N ^s^w^Uv ^.^c$ i^;re ^a ïoxpîe^ et plus
^-*iv\^t^^s\^N .4 ..i^xM»^ $a;* ^<ux ;u^ :n%f^ ec sur leop con»
..M^;vx N^.i^xv^.v .if*.ù*.u\î? >^sXxsur iti l'^i^rih diviii, ce
Vkx«%.; ,^ ; .•,\i\ ,tù ^5;^i^^ .u *t^55stem ii* Tififi» parce
v«N- ^V>»-** a>».\av'.u ^gu" ï? ,,?aiiâs*4 rae jszcs propres
;«^\<s\3s ^N v«\v««ev\ii. s^: <u4U ;ai$ ^iâ^ jmiB i<2 veut;
yy .xV .\ >\\«vN >.42Qs3k&:% ^ rv-i&«tsr a. Ziisit» ils se
DB LA MERS MARIB DB L'INCARNATION. 49
soit au monde; que ce vaisseau peut tomber, et eo
tombant se briser et perdre toutes les richesses qu'il
contient; et enfin quil n'y a rien d'assuré en cette
vie où, quelque apparence que nous ayons de sainteté,
nous ne pouvons dire si nous sommes dignes d'amour ou
de haine.
Je suis seulement assurée d'une chose, que Dieu ne
me manquera jamais de sa part, mais que, de mon
côté, je puis me perdre en mille manières par mes fautes
et par mes infidélités. C'est pourquoi je vous prie, mon
très-cher fils, d'avoir un grand soin de mon salut, vous
souvenant de moi lorsque vous serez au saint autel, et
priant la divine Majesté de m'envoyer plutôt un supplice
plus cruel que mille martyres, que de permettre que je
lui sois jamais infidèle, en dégénérant des hautes pen-
sées et des généreux desseins que doivent avoir ses
eofants : et surtout qu'il lui plaise me faire digne que
l'humilité soit mon poids. Je lui fais pour vous la même
prière, prosternée aux pieds de Jésus notre souverain
Maître et Seigneur, étant obligée de vous procurer en
sa grâce et en son amour les mêmes biens qu'à moi
qai suis,
Mon très-cher et bien-$iimé fils.
Votre très-humble et très-afiectionnée Mère,
Sœur Marib de l'Incarnation R. U. I.
De Québec, la NoumUe-France, le 9 août 1664.
LBTT&. M. II.
50 LBTTRB8
LETTRE CXXI.
AU MéME.
ElU lui parle d» la Rtlation d« sa m qa*«lle loi «iToie, et de la manière atee
laquelle elle l'a tente. -— Pourquoi Dieu permet que eeox qui gooTenieat les
âmee soient tentée. — > Us ne doîfent pas pour cela quitter leur onplm.
Mon très-cher et bien-aimë fils,
J*ai mis enfin entre les mains dn révérend Père
de Lionnes les écrits que je tous ai promis, afin qall
vous les donne en main propre. Je les mets au hasard
d'être perdus à cause des dangers éminents de la mer :
mais il y a bien des choses plus importantes que Yon
risque cette année. Je vous ai simplement exposé mes
sentiments sans ordre ni politesse (élégance), mais
dans la seule expression de mon esprit et de mon
cœur. Si j'eusse voulu faire des comparaisons et des
discours pour me faire entendre, cela aurait tir^ i
longueur, et j'aurais étouâé la pureté de Tesprit des
choses que j'ai écrites, qui ne peuvent souffrir de
mélange. Je vous dis par la lettre que j'y ai jointe^
que si vous y avez des difficultés vous pouvez me 1
proposer en me marquant les endroits; mais vous n<
devez en attendre la réponse que l'année suivante,
cause des grandes aflaires qui m'occupent dans l
temps que les vaisseaux demeurent à notre port.
Pour lln4kx que je vous envoyai Tannée demiàre, je
DE LA MÈRE MARIE DE L*INGARNATION. 51
l'ai suivi en sa substance; mais, en écrivant, l'esprit
qui m'a fait produire mes sentipients, m'a souvent
obligée d'en changer l'ordre. Je n'ai pas eu le loisir
de relire ce que je vous envoie, et beaucoup moins
d'en faire une copie. Si néanmoins le vaisseau du
Père ne part sitôt, il me faudra faire un acte d'obéis-
sance au révérend Père Lallemant, qui est d'en faire
écrire une copie par ma chère Mère de Saint- Athanase,
qui a été ma supérieure, et en qui seule je pourrai
avoir cette confiance. Cela néanmoins ne laissera pas
de me mortifier beaucoup, mais je passerai par-dessus,
parce que si ces écrits venaient à être perdus, vous
pourriez exiger de moi un second travail que je ne
serais peut-être pas en état d'entreprendre. Le tout
contient environ deux cents pages. Mais si j'eusse pu
dire ce que Dieu a fait en mon âme par sa sainte et
divine opération, il y en aurait eu bien davantage.
Si même j'eusse écrit les choses dans les temps où
elles sont arrivées, et lorsqu'elles étaient récentes,
cela aurait été encore bien plus loin. Mais, absolument
parlant, il m'aurait été impossible de dire tout ce qui
s'est passé dans l'abondance de l'esprit. Les choses
symboliques ou qui se peuvent attacher à quelque
forme ou sujet qui tienne de la matière, se peuvent
étendre ; mais Dieu ne m'a pas conduite par ces voies-
là. Il est saint et magnifique, qu'il soit béni en tout
et partout I
Vous me proposez quelques doutes sur tlndex que
Je vous ai envoyé^ : vous en trouverez l'éclaircissement
dans les cahiers que je vous adresse, et il vous sera
(&cile de distinguer les états d'oraison qui ne font rien
0) On a ta oei Indeœ dans la Lettre GXVIII, ci-dessus page 26.
l
liV LKTTRU
lui l'vinii MuliMlarilifil, roaii à rélévation que Dieu ùit
il luui Aiud tit Hiix dilata que produisent ses impreasiou.
t.<% rôvériiiul rèra I^e Jeune a bien raison de dire .
%\\\\\ \\\'i\ axaroén en la vertu. Ce n*a été que pour mon
Uu\u. c^t ja |uiiH asHurer que je lui ai de très-grandes
ohu^^luaiai \\owv tous les soius qu*il a eus de ma per-
^xiu"^^ : s>\\ uu mot« c'est un saint homme qui voudrait
^^^ fouA vH^ux qu'il conduit fussent saints comme lui.
^Kx .^^(« W siuUtaatiel de mes croix dans les écrits que
t^ wvxv^ ^nvoio; mais vous pouvez bien juger qa*ii se
^!\v^\^ un uv^mbrt) inuombrable de croix» tant domes-
Kv^^s^ ^ut'ivciugèi'oe. qui ne se peuvent dire. J*en si
^x^ ^\i X':iuv> pari, mais notre bon Jsscs m'en a donné
v^vxi.-. vU ;^vt\> quellt;» ont toutes produit de bons
;^\vs, ;;^ $4i àixiuo Mc^jetftê eu a tiré sa gloire. De sorte
,^v N» :iu vM vl«M wvncrHiliocion8« cela est passé, et Dieo
:». \ .<^;»o j'Hucrt;^ ;wutimeucs. Je pourrai encore en
\x.x:. v% ^;!itf^i\> qu'il eu :$erH Je^ même si je lui sus
^^\r« :u. \i 061 bs>iï ^( ^leiu de miaéricorde envers
^: v^i'quoi» luou rrd^Hïiier dls^ voua atfrayeg-VDOS
.« !iL .^c%\ ;uc vous souitlrtM, puisqu'elle ne aéra qns
/K^*% vo^ic >wu Ji u'étt^-^crHoà -Heu/ Pour moi» j*eatzme
^^.s.c? '.i.*«^ ^a;wcfccL«i^ai.e4le« ^ 40^ la nonviBautë du
^w^«v*a<^va%. oàuw iox ài^pmutioti» «iea peraonnas
^Mv ^v^w.x iwv^ i :oaùULi>»^ ''oM rdii maître. Il &at
«ww.^ ^ N.jf;v^^*(«^* '<i4' V. -ou^ jce;^ :^ar .e goav^Ksie-
u».^.. % >i ^^M^^oUM^.ii^^tiie ^i a - ertiauie vie «le Peqirit.
• «^j^ u^^^diw. '«4» ii\<<4><^ X pft>uvt»«^. II importa beau*
v^. «.« >i«..x vv4<«Ao^ .^s Hiji6;i«KMK idn lulen avant
• ■ - to
. \^v>^^'^^^>p «i •>> -vkViiA.^ • u ' vut^uiôQie, *'uaa ayejc de
* ^ ...j ,*g^^.*». j> .k.t:^>>« '544 ji :» jomc 'ie la
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION . 53
nimes font de lourdes fautes, ne voulant pas passer
outre, et choisissant Tétat de vie qui leur semble devoir
les exempter de telles et telles souârances. Elles quittent
celui où la divine Majesté voulait se servir d'elles. Elles
sortent de ses saintes dispositions, et cela Toblige de
les laisser dans les mains de leur conseil, puisqu'elles
aiment mieux suivre leur route que la sienne. Pourquoi
donc vous défiez- vous? Armez-vous de courage et de
confiance, votre salut est entre les mains d'un très-bon
Père.
Pour l'autre point, j'en dirai comme du premier. Le
diable voit que vous contribuer au salut d'une âme ; il
vous attaque à ce sujet, afin de vous faire quitter cette
bonne œuvre. Il ne le faut pas croire ; c'est son ordi-
naire de livrer de semblables assauts aux serviteurs de
Dieu, pourles empêcher d'avancer sa gloire. J'en connais
un qui était dans des hasards et des dangers extrêmes,
au milieu d'une barbarie où on lui livrait d'étranges
combats. Il en était presqu'au mourir, car cela dura
plusieurs années. Il en a remporté des victoires sans
nombre, sans quitter pourtant les fonctions de. son
ministère. J'en sais un autre qui a eu une maladie
qu'on estimait mortelle, pour avoir soutenu des com-
bats extrêmes sans cesser de garder la fidélité qu'il
Rêvait à Dieu dsms toutes ces circonstances. Je vous
lusse à penser combien toutes ces résistances lui ont
mérité de couronnes. Ne laissez donc pas, pour toutes
vos croix, le bien commencé ; l'oraison et la mortification
seront votre force. De mon côté, je ferai pour vous
auprès de Dieu tout mon possible, afin que sa très- sainte
Tolonté s'accomplisse en vous.
Pour mon particulier, je suis en assez bonne santé,
grâces à Notre- Seigneur. Nous avons fait nos élections.
54 LETTRES
oh Ton m'a continuée en ma charge contre hk» incli-
nation ; mais il m*a fallu sabir le jong. Priei Noire-
Seigneur qoll me fàœ la grâce de le porter comme
il fant, et comme il le désire de moi.
De QuOee, le 12 août 1654.
LETTRE CXXII.
A UNE DAME DE SES AMIES.
Il e»t daDg^reuz de Dégligwr ion salut. — Pmr oeCta ■égligonea, Vàmm lonto
de précipiee en précipice^ d'où il eet difficila de te raleT«r.
Ma trôs-chère sœur.
Je TOUS salue dans le cœur tout aimable et tout
adorable de notre bon Jâsus, source tîtc de tous les
biens de la grâce et de la gloire.
J*ai su qu'il vous a été un bouquet de myrrhe, et' que
de bonne grâce vous l'avez porté sur votre sein. Pour-
quoi, ma très-chère sœur, me scellez-vous les croix que
notre bon Dieu permet vous arriver? Croyez-vous que
je n*aie pas assez de courage ou de volonté pour vous
aider à les porter? Je le ferais très- volontiers pour la
grande part que je prends à tout ce qui vous touche.
Vous me dites en passant quelques mots de votre fille,
mais je crois qu'il y a quelque chose de plus ; et quoi*
que je ne sache rien de bien formel de son procédé, je
ne laisse pas de lui écrire sur ce que j'ai appris qu'elle
est trop libre, et qu'elle n'a pas la crainte de Dieu.
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 55
Cela m'étonne, vu que vous l'avez si bien élevée, et
qu'on m'avait mandé qu'elle était douce et innocente.
Ab ! ma bonne sœur, que le ménagement de notre salut
est une grande chose ! Dès qu'une âme vient à le négli-
ger, elle tombe de précipice en précipice, en sorte qu'il
lui est difficile de se relever. Il faut pour cela de grands
coups de grâce et des secours efficaces que Dieu seul
peut donner. Je vous assure que la part que je prends
à tout ce qui vous touche, m'a rendu cette nouvelle plus
sensible qu'aucune autre que j'aie reçue depuis long-
temps. Les pertes temporelles me touchent peu, parce
que notre bon Dieu a assez de pouvoir pour relever
la créature; mais il n*en est pas de même d'une âme
qui lui résiste et qui lui lie les mains par sa rébellion.
Il faut pourtant prier sans remise, et espérer un coup
puissant de sa miséricorde pour cette âme qui refuit
(fuit à la vue du devoir) de lui rendre la fidélité qu'elle
lai doit. Je me lie à vous à cette intention pour faire
ce qui me sera possible pour la réduction de ce cœur.
Cependant, ma chère sœur, aimons notre divin Epoux
pendant que les autres ne l'aiment pas. Cachons-nous
dans cette pierre vive, dans cette masure trouée de
toute parts par ses divines plaies, et trouvons-nous-y
ensemble pour ne vivre plus que de sa vie divine et
de ses influences saintes. Tâchons d'y faire amende
honorable pour toutes les âmes qui négligent leur
8alut,^ afin qu'elles soient trouvées dignes de revivre.
Redoublez vos vœux et voeI prières pour l'avancement
de la conversion des pauvres Iroquois. L'on va, l'on
vient, l'on travaille pour cela ; mais comme ce sont des
Barbares, l'on n'attend rien que de Dieu.
De Québec, le 13 août 1654.
50 LBTTRR8
LETTRE CXXIII.
A UNE DE SES SŒURS.
Chacna doit Undre an ci«I par des moyens confomMa à sa eonditÎMi. — Les lûana
do la grico tt do la gloire, sont les aenii TéritaUes bioas.
Ma très-bonne et très-chôre sœur,
Jésus et sa sainte More soient votre nniqae et entiàre
consolation.
Ce m*en est toujours une bien grande d'apprendre
iiu'ils TOUS protègent et qulls donnent la bénédiction
k Tos affaires. Il faut tout attendre et tout espérer d*un
si bon Dieu, qui est le Père des orphelins et le protec-
teur des veuTes. Je dis encore qui est le Père de tous,
car ses miséricordes sont infinies. Nous rexpérimentons
en ce bout du monde, où la paix continue depuis un an,
ce qui facilite beaucoup les afiairéb de Dieu au sujet
du salut des âmes. Les affaires temporelles du pauvre
peuple prospèrent par la liberté du commerce^ Nous
espérons que cela continuera pour la gloire de Dieu et
pour la consolation de son peuple. Cest une chose ravis-
sante de voir la ferveur de nos chn$iiens sauvages. Si
noos Tovons dans quelque temps dlci les Iroquois con-
vertis, comme Ton y travaille puissamment^ nctre joie
::e se pourra exprimer. Ah ! ma chère sœur, que c'est
j::ie ^r^aie chose que le salut des àmâs qui ont coàté
:oct le sao^ eu Fils de Dieu! ^ue la mort SHuit douce.
DB LA MERE BIARIB DE L'INCARNATION . 57
endurée pour un si digne sujet! Oh! plût à Dieu que la
mienne y fût toute consumée ! Mais je ne mérite pas
un si grand bonheur.
' Vous me consolez de me donner des nouvelles de vos
enfants. Je les présente de bon cœur à notre bon Jésus,
et le prie de les vouloir remplir de son Saint-Esprit pour
la conduite de leur vie. Pour vous, ma très-chère sœur,
vous approchez tous les jours aussi bien que moi de
l'éternité. Nos dispositions pour ce passage sont difié-
rentes , selon la différemce de nos conditions. Nous
tendons à une même fin, à un même paradis, à la
jouissance d'un même Dieu ; nous devons , chacune
selon notre état, nous y préparer et mettre ordre à nos
affaires. Vous avez à ménager votre salut particulier
en gouvernant prudemment votre famille, en élevant
vos enfants dans la crainte de Dieu, et en les pour-
voyant d'une telle manière qu'ils fassent plutôt leur
salut que leur fortune : et moi je dois travailler au
mien en me consumant au service de Dieu et m'ofirant
en holocauste à sa divine Majesté. Prenons donc cou-
rage, ma très-bonne sœur, pour servir un si bon Maître.
J'espère que nous nous verrons un jour dans la céleste
patrie, pour nous conjouir de ses grandeurs; et que
nous y bénirons ensemble ses miséricordes de ce qu'il
nous a élues pour ses enfants.
Je vous offre chaque jour à sa divine Majesté, et je ne
fais nucune action pour son service à laquelle vous
n*ayez part, car mon cœur et mon esprit sont très-unis
au vôtres. Je vous le répète et vous l'inculque encore
^6 fois : faites tout votre possible pour donner à vos
enfants plus d'estime de la vertu que de tout ce qui est
8Qr la terre. Tout cela passera comme le vent, mais les
biens de la vertu suivent jusque dans Tétemité ceux
58 IJETTaJB
qui las ont aimés, ^oas penaerex peut-être que je suis
indisposée, puisque je yoqs p^e de la mort : nui ma
chère aœar, je sois, grâce à Notre-Seignenr» en très-
bonne santé, et y ai été toute Tannée; mais psree que
je Tondrais être délivrée de œ corps mortel pour jouir
de Dieu dans une meilleure ^ie, je parie ¥oIoBti0n
de ce que j'aime et de ce que je souhaite.
De QuOec, le 13 août 1654.
LETTRE CXXIV.
\ U!US KBUGXBUSB URSUUNB DB aLLBS-fiIIBr<aKa.
Ma révérende et très-chère Mâie,
L'amour et la vie de Jbsus soient notre vie et notre
amour, pour le cemps et pour Téternité.
Si œ iivin Sauveur vous donne de Tamoar pour moi,
il Qe oi'en Joone pas moins pour vous.. Cest une marque
qu'il veut que zios oosurs soient unis dans son amour
ec Mince iilection. De mon côté» je le sens et lieESfén-
awn(e> ^ je tacherai de conserver cette liaison toute
ma vie , ;e vous le dis sans oompiimens ec sans iiccioB,
mou ukûme Mère. Vous me consoiet beaocoap do ma|^
^>r^nure ^ue les travaux de ma révérende Mare de
Dampierr^ ec les vôtres praspèrenc avec bénédictîoa.
Aâ: ju il lait bon m Mûriâer pour le servîoa d'an ai boa
DE LA MËRB MARIE DE L'INCARNATION. 59
Dieu I vous verrez à l'heure de la mort de quel prix sont
les peines et les mortifications que Ton souffre pQur son
amour. J*admire qu'en si peu de temps vous ayez tant
avancé que de faire recevoir le coutumier. Peu à peu
les pratiques se rendent plus solides. Ce serait un grand
avantage que ma chère Mère prieure fût continuée,
et que vous demeurassiez avec elle, car elle me témoigne
qu'elle a en vous une entière confiance. Mais est-il vrai,
chère Mère, que ce monastère soit si pauvre et si déchu?
Il est bien difiScile de réparer ce malheur (autrement)
qu'en recevant des novices. Je prie Notre-Seigneur
d'y vouloir mettre la main . J'espère que si la discipline
régulière s'y garde comme il faut, le temps et la patience
remettront le temporel en son premier état, et peut-être
dans un meilleur et plus florissant. Ne perdez donc
point courage, ma très-chère Mère, travaillez pour Dieu
et pour cette pauvre maison.
Pour nous, nous nous relevons peu à peu de notre
incendie. Notre-Seigneur nous a tellement favorisées
de ses bénédictions , que nous sommes aussi bien logées
qu'auparavant. Nous devons, à la vérité, mais nos dettes
vont en diminuant, et nous avons affaire à des personnes
qui ne nous pressent pas. Maintenant que la paix est
faite, nous avons beaucoup d'emploi (d'occupation) en
sorte que si quelqu'une de nous venait à manquer;
il nous faudrait par nécessité faire venir des sœurs de
France, supposé que la mer fût plus libre,, car nous
appréhendons plus à présent les Anglais que les Iroquois.
Quand je vous dis que nous noufi relevons peu à peu,
06 n'est pas que nous ne manquions de beaucoup de
choses ; mais cela n'est rien en comparaison de l'extré-
mité où nous nous sommes vues. Après tout, la divine
ProYidence est une bonne Mère, quand on s'appuie plus
no LKTTRB8
Aur dIIp <|I1ii Mur Ion forces humaines, qui sont toqjoun
rMiiiIppi 0I tfMKiniitatitoi. Ainsi, ma chère Mère, conao-
liMin iinuM 011 fitlo, et elle aura soin de nous. ^ Noos
feiMuiiifsM olinrgiV^s irun grand nombre de filles en notre
««iiiiiimiiH» sur w soûl appui. L*on me fait quelquefois
U«Mi «lUt^slUtus sur w sujet, .et on me demande ai j*ai
Ù^iuUlioii |HUir tout cela. Je réponds que noua aTons
^vU0 \V> U Tn^vldono^ Hn etlet, je my sens très-forte,
i)l ^(^ 110 (M>i «^tuH>re jamais manqué. Remerciei-la
|S'Mr m\M, uKm mkituo M^re« et noobliex jamaia de me
iHuv im^ri U^ vv\» pri^rw. et du mérite de Toa bonnes
: ^^rrsy cxxt
V 5^>i>* '«'«!.*.
*•••** "<'**^ *«>fiw«!5s !Wtrt>6^ j^trrîfà^^ '.i
DE LA MËRB MARIB BB L'iNGARrÏATION . 61
que les Iroqaois lui avaient tait souffrir. Depuis ce
temps-là il nous a paru, par tout ce qui s'est passé,
que Dieu s'est contenté de l'offre que ce bon Père lui
a faite de mourir comme victime, afin de l'apaiser
et de donner par sa mort la paix à tout le pays. Car
depuis ce temps-là les Iroquois' n'ont fait que des allées
et des venues pour la demander. Et ce qui est le plus
merveilleux, ceux des nations voisines qui ne savaient
pas ce qui se passait chez les autres, sont venus en
même temps pour traiter avec nous. Pour marque qu'ils
demandent la paix avec sincérité, ayant appris qu'une
nation barbare avait pris un jeune homme de l'habi-
tation de Montréal, et qui était le chirurgien de la
colonie française, ils l'ont racheté à leurs dépens et
l'ont rendu à son habitation. Ils ont fait des présents
considérables, afin qu'on leur donnât des Français pour
hiverner avec eux et être les témoins de leur fidélité.
On leur en a donné deux qui se sont volontairement
offerts. Durant tout le temps quils ont demeuré parmi
eux, ils les odt chéris et aimés extraordinairem'ent,
et enfin ils les ont ramenés au printemps perlant avec
eux des lettres des Hollandais qui assurent que c'est
tout de bon que les Iroquois demandent la paix.
Tout le long de l'année, les Français, les Hurons,
les Algonquins, et les Montagnais ont vécu ensemble
comme frères. L'on a fait les semences, les récoltes
et le trafic avec une entière liberté ; et cependant les
pauvres sauvages en général n'osent se fier aux Iroquois,
après tant d'expériences qu'ils ont de leur infidélité.
Us disent sans cesse à nos Français que les Iroquois
sont des fourbes, et que toutes les propositions de paix
qu'ils font ne sont que des déguisements qui tendent
à nous perdre. Ils le disent encore aux Iroquois mêmes,
*^^ LBTTRB8
f>M (|u) A |i0riM tout gâter et rompre pliu que jamais.
\Uiii Piilin Ion Iruquois ont poursuivi avec tant dlns-
imiop. (lu'oii fioiit roiiUu à leur prière. C'est une chose
fi(hiiit-Al>lo iIp \w ontiuiUro haranguer sur les affaires
tlp l*t \i*\\\ . our ild nont voulu se servir que des per-
•9tMiiip*9 Ipm |tlu9 vHiu^iilôrables d*entre eux pour être les
miiliii«Aa«UMu*9 i(o co trHÎtê. et ceux qui les ont entendus
Hvmtpiii siwxU out botiucoup de^prit et de conduite.
Vm uum^ ilo juUlot dfi^ruior, ils sont venns trouver
W iv* iîou>rvrtKHir ito U NouvijUe-France et les révé-
ivkia< iVtvt. oii ;^^*rO« (.'lus^i^urs conseils et présents,
♦uvxjuoîM .»n i i\5ivuUu d«? piut ec vi autre, on leur a
«^-x^^avv ;u\t:i iViv trîiiç :« ▼tsicsr « qull ferait le
^vii. .i\^ .i?if.^ ot.Kj r^iica^ '^oar vMnaaltie sUs conspi-
•4.. u- ^^^x i.iitck v; jv^^r Xi} ;ak gaix Lrf revécead Père
Ni n'%i».iu.' •x^Ui' ,^4;i^ inw jxx launète :eaafi homme
ï-x.iv-M*^ i'«* ^.»itr«i leur i^iV/mijatfattr Ils isnireat
à'jv'NX Mi\^«i,Miit; vrv«i>. ï^ xti tXTîiur î^K i jur^nLâmis
^M\ »\ok rA«Q<>^-4T^ .vui'^^i^'^mi :vmiatt iss jgr*» par
M* ^.,*..> Jî 0£> eî^, 1 4<tîf >, il OtkUSUOà -SlCfUUS
DE LA MËRB MARIE DE L'INGARNATION. 63
Us Ini disaient: Prie le Maître de nos vies; fais ce
que tu sais qu'il faut faire : car nous autres, nous ne
sommes que. des bêtes. Nous te déclarons que nous
voulons embrasser la Foi, et croire en Celui qui est
le Maître de nos vies. Nous aimons les robes noires,
parce qu'ils aiment la pureté et qu'ils ont la véracité,
et qu'ils is'intéressent dans les affaires de leur trou-
peau. Ils disaient cela, parce qu'ils avaient vu comme
ils s'étaient exposés à la mort chez les Hurons, afin
de les secourir. Ceux-là même qui avaient fait mourir
les Pères de Bréjbeuf et Garnier lui donnèrent les
livres qu'ils leur avaient ôtés au temps de leur miM*-
tyre, et qu'ils avaient gardés depuis comme des choses
dont ils faisaient estiihe. On apporta ensuite plusieurs
enfants au Père, afin qu'il les baptisât. Une esclave
huronne fort bonne chrétienne, ayant instruit une
grande fille durant le temps de sa captivité, la pré-
senta aussi pour être baptisée. Le Père lui dit : Pour-
quoi, ma sœur, ne l'as-tu pas baptisée? Ne t'ai-je j^as
autrefois instruite sur ces matières? Elle repartit :
Je ne croyais pas, mon Père, que mon pouvoir se pût
étendre sur de grandes personnes, mais seulement sur
des enfants malades. Alors le Père, la trouvant suffi-
samment instruite, la baptisa.
Dans ce bourg qui était celui des Onontageronons,
et la capitale de la nation, le Père trouva, parmi les
esclaves, les Hurons qui composaient autrefois son trou-
peau au boui^ de Saint-Michel. Ces pauvres captifs
voyant leur bon Père, furent comme ressuscites de
mort à vie; et pour leur donner la joie entière, il les
confessa, et leur administra les Sacrements. Consi-
dérez, je vous prie, les ressorts admirables de la divine
Providence. Dieu a permis que ces pauvres chrétiens
*'X wt c
uitiu: m^ urif pu? c^ Durnare^ pour j£ sAm ^âe lenr
liuiiiii ''ihJi Ht fiuin fiuz (lu: laur on: dnimir ik
HUlir^f Q4b^ IneU. €r« (tu. i)h' I6U 1IB!3XL 6CX ^
««jmencefc u«: îl Jui, Cf^ par eiiz gnïif^ ont oookzniet
leh J'eret e: iiOU§ ciLitf ajiitelifiin isE "RI^^hs sKnioL
AuittL leurf amnasBaQenr^ ii (nn jiBf nuaigiié àe doqi
reiiUre Tislif^. lit ubt aaïuîré uw fiémixifirînes sumgei,
i<» ezitenaairt uhauier ie^ ioMng» ôe Dieu en trai
iaii('uef diilereiiitib. Ii£ étaieui ravis de Ibe Toir à bin
ùrcîsNéeE a ih fraLcaïBe. MaÏF ce gui is toiicfa& le {dus,
lui ue -voir que ht nous louchani en rien, nous en fU-
fiiouf estimt. ieE aimaui et caressant comme les màrei
aimeui et caresBeni leurs enfants. Mais je i^tourne an
J^ère riue J ai laisfiê jfiarmi les Iroqnois.
(Ues peuples donc firent de beaux présents et en
grande quantité; mais le plus précieux fat oèlni qui
signifiait qu'ils voulaient croire en Dieu, et un autre
pour être présenté à Achiendasé, c'est ainsi qu'ils appd-
lent le révérend Père supérieur des missions, afin qull
envoyât des Pères en leur pavs pour y faire une maison
fixe. I>ès lors ils désignèrent une très-belle plaoesnr
le bord d'une grande rivière, où est Tabord de toutes lei
nations. Lorsqu ils jetaient les projets de cette habiu-
tion, il arriva une chose remarquable. Il y a prodM
de ce lien une grosse fontaine qui se dëchai^ dans un
grand bassin que la nature a formé pour recevoir s»
eaux. Nos Français en ayant goûté, ont trouvé queOe
était salée. Ils en ont fait bouillir de l'eau, et ont trouri
one c'est une saline qui fait de très-beau et très-bon sef.
Les sauvages qui fuyaient cette eau et la prensmot
pour nn poison, trouvèrent admirable cette iaQO&<i^
faire du sel d'une chose si méchante, et tieunan^ ^
fonr ui mincie des Français. Ce n'est, ^ ^ TtfX«iA«
'4
*■,.
DE LA MÈRB MARIB DE l'iNGARNATION. 65
lais 06 sera un trésor pour les Français qui doivent
aller habiter.
Lorsque le Père était là, on levait une compagnie
e deux mille hommes, pour aller en guerre contre la
ation du Chat/ Le capitaine qui devait la commander,
tait Fun des ambassadeurs qui étaient venus demander
% paix. Lorsqu'il fut prêt à partir, il vint prier le Père
ni l'avait instruit en chemin, de le vouloir baptiser.
fais il 7 trouva de la difficulté, et lui dit qu'il lui
onférerait ce sacrement à son retour de la guerre,
liais, mon frère, repartit le sauvage, tu sais que je vais
n guerre, et que je puis y être tué : si je meurs, me
^romets-tu que je n'irai point dans les feux. A ces
laroles, le Père le baptisa.
Le Père étant à Onontagé, il arriva un accident qui
ensa tout rompre. Le feu prit dans le bourg sans qu'on
fl^t comment, où il brûla vingt cabanes, chacune -de
nquante ou soixante pieds de long. C'était pour (de
itnre à) faire croire à r^es barbares que le Père était
rcier, et qu'il avait fait venir le diable pour les brûler.
x>mmenQait déjà à se disposer à la mort, connaissant
imeur de ces païens. II s'avisa néanmoins d'un moyen
loi réussit, savoir de les aller consoler par le moyen
ion hôte, et de leur offrir un présent pour essuyer
B larmes. Ils se sentirent si obligés de cette compas-
que le Père leur témoignait, que, bien loin. de
ter contre lui, ils demeurèreàt pleinement confirmés
es Français et les Pères étaient leurs amis.
I Iroquois ont ramené le Père selon leur promesse,
tte nation située au sud du lac Erié s'appelait en langue da pays nation
throDDODs. « Nous rappelons la nation du Chat, dit la Relation de 1654,
ill y a dans leur pays une quantité prodigieuse de chats sauvages, deux
8 plus grands que nos chats domestiques, mais d*an beau poil et précieux.
l. M. H. 5
\.
ii.Hio |i. li'tin.i: 'jijjirt avaient mar'iué. Il n'est pas croyable
I.i. M \rn 1- f iirir.;ii}i il nos nouveaux chrétiens ont été
I iMo iiit r:iih irljHii-, i:l flc l'iieureux succès de sont
iiM.t: . Il irhhul. iiruiriiiiiiit uiui (liinculté qul empêchai
.|ii». 1.1 |uio lin lui. i'iili«*îr('. C'est que les Agnerognons
II .i\. lit ni |Miiu(. |iMru dans tous les conseils qui furent
«.iiu:> i\ i^u\\\\i\y,\\ ro qui faisait craindre qu*ils ne
«ou\:l^.^«Ml( tpiiiU|U(^ mauvais dessein. Mais les Hurons
, \ii \ i\.»uM»( v'io iMivo\ôs, ot qui sont de retour du joar
,.■...;. o;\i upporio qu'ils sont du parti de la paix, et
iî \ .\ ti;ît Mr.'î do oraiudro lie leur part; que s'ils
.• ,' \,'-.i IMS i:vi;N^\< aux assemblées, ils en ont fait
■
. ,x .A. xv.x w".>.::'/. ;;i'.'.s cil OU' t^è empèchés par la
.. . V .. X i\,: / '. .•,::■, :v ".^'s sauvoiTt's de ia nouvelle
..X .\x \4'. :,s .v;'s r.'\î::- i:::o ian.? le même
•w .NX . /, ,».•.• : ; ■; t;-? r- ;.-fcl5 Pères iront
..A i •..:. /•;v.\»..:ii iVïc ^rfriûe Fran-
A \ . . • i .t:< ;>.;:csr*c:ca poar cinq
^. ■ » \ .: ....!i.:.j:::. i ;* ^i^rcer leur
. . ' >v -i : '•:.: ::^Tïi.":. -'"iic ■;:ie les
V ■^^.. •■:.• \ i.. '"-u /:n peut
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■.. ' ..s-.>i.i- L^iîirs choses.
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b . ■ 1 ■ I- : » .
"-1 .I*'JL"^
riil.lii:!
./^
DB LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 67
pour vivre et pour avoir des laitages. Cette paix
augmente le commerce, particulièrement des castors
dont il y a grand nombre celte année, parce qu'on a eu
la liberté d'aller partout à la chasse sans crainte. Mais
le trafic des âmes est le contentement de ceux qui ont
passé les mers pour venir les chercher, afin de les
gagner à Jésus-Christ. L'on en espère une grande
moisson par l'ouverture (l'initiative) des Iroquois. Des
sauvages fort éloignés disent qu'il y a au-dessus de leur
pays une rivière fort spacieuse qui aboutit à une grande
mer que l'on tient être celle de la Chine. Si avec le temps
cela se trouve véritable, le chemin sera fort abrégé,
et il y aura facilité aux ouvriers de l'Evangile d'aller
dans ces royaumes vastes et peuplés : le temps nous
rendra certains de tout.
Voilà un petit abrégé des affaires générales du pays.
Quant à ce qui regarde notre Communauté et notre
^minaire, tout y est en assez bonne disposition, grâces
à Notre-Seigneur. Nous avons de fort bonnes sémina-
ristes, que les ambassadeurs Iroquois ont vues à chaque
fois qu'ils sont venus en ambassade. Comme les sau-
vages aiment le chant, ils étaient ravis, comme j'ai
déjà dit, de les entendre si bien chanter à la française;
et pour marque de leur afi^ection, ils leur rendaient
la pareille par un autre chant à leur mode, mais qui
n'était pas d'une mesure si réglée. Nous avons des
Baronnes que les révérends Pères ont jugé à propos
que nous élevassions à la française : car comme tous
les Hurons sont à présent convertis, et qu'ils habitent
proche des Français, on croit qu'avec le temps ils pour-
ront s'allier ensemble, ce qui ne se pourra faire que
les filles ne soient francisées tant de langage que de
mœurs. Dans le traité de paix, on a proposé aux Iro-
1^8 LBTTRBB
qaois de nous amener de lears filles, et le révérend
Père Le Moine, à son retoor de lenr pays, noas devait
amener cinq filles des capitainesses, mais roccasion
ne lui en fat pas favorable. Ces capitainesses sont des
femmes de qualité parmi les sauvages, qni ont voix
délibérative dans les conseils, et qoi en tirent des con-
clusions comme les hommes, et même ce furent elles
qui déléguèrent les premiers ambassadeurs poar traiter
de la paix.
Enfin la moisson va être grande, et j'estime qu'il
nous faudra chercher des ouvriers. L*on nous propose
et Ton nous presse de nous établir à Montréal; mais
nous n'y pouvons entendre (consentir) si nous ne voyons
une fondation, car on ne trouve rien de fait en ce pays,
et Ton n'y peut rien faire qu'avec des frais immenses.
Ainsi, quelque bonne volonté que nous ayons de suivre
Ilnclination de ceux qui nous y appellent, la prudence
ne nous permet pas de faire autrement. Aides-noos
i bénir la bonté de Dieu de ses grandes miséricordes
sur nous, et de ce que, non-seulement il nous donne
la paix, mais encore de ce que de nos plus grands
ennemis il en veut faire ses enfants, afin qu'ils par-*
tagent avec nous les biens d'un si bon Père.
De Québec^ le 24 de septembre 1654.
M
DB LA MÈRE MARI£ DB L'INGARNATION. 69
LETTRE CXXVI.
AU MÊME.
Bile le conjure de faire ea sorte qoe les papiers qu'elle lui envoie ne soient
connus de personne, et de les Jeter au feu au cas où il se verrait en danger
de mort.
Mon très-cher et bien-aimé fils,
L*amour et Taffection que j'ai pour vous, et la con-
Bolation que je ressens de ce que vous êtes à Dieu
m*ont fait me surmonter moi-même pour vous envoyer
les écrits que vous avez dësirës de moi. Je les ai faits
avec répugnance et les envoie avec peine. Mais puisque
la grâce et la nature ont surmonté toutes mes incli-
nations, j*ai à vous dire toutes mes intentions là-dessus ;
c'est que je ne désire pas que qui que ce soit en ait la
communication et la connaissance que vous. Je me
confie (j'ai confiance) que vous me garderez la fidélité
9Qe je vous demande, et qu'après vous avoir accordé
^ que vous avez demandé de moi, vous ne me refu-
serez pas ce que je désire de vous. Et parceT que l'on
^t des visites dans les maisons religieuses, je vous
ptio d'écrire sur la couverture : Papiers de conscience,
afin que personne n'y touche et n'y jette les yeux sans
«empale. Avec cette précaution, les personnes de votre
condition peuvent facilement garder des papiers de
cette nature, où personne ne peut avoir de vue.
Si vous veniez à tomber malade et que vous fussiez
ida piii (f dois altii» iâsor^ïîâ. <9ivavs^[fis à ma
l^tU lUTL :H71II -lii Htf lei lÛT^ Tfflir À j& 'TOIIS
^yUu )1(HI tifs l'jattiiiiuiM . mua. nua (3rè9H*&er fils, je
iui» U!iit':iaf fa :t£ aiioi:. s ^lus :Hs» .maec éddÊEé pour
\>rn.^ jiKir^f £sr juurrsf. ijdn. uLid^ jssb& guis >riBipKs-
-iyvii iiur *:^rrrrt isim. ic iisf -xmu jiaHiiE gins ibcile-
m*iir T^ii^iivii imr iL THtnqMht m jl duasi qpt je
UHmuBûf h: sfflèr* a* "^iw^
>cBiir l^«.ïai ùt rm^vcmuHuL . C T. I.
/#f IfuÂMi. u !r. (il tmemfp'i JuZk.
t*m»«inT *•■ «in errr^rw^f. — Trphwm i!inif' mnm. rmmianp •
Mot trèp-rner e: bier-aimé fils.
Liti Tie e: Tninoor de Jésus «oies: Totre vie et Totr^^
^( roD5 a' ém: par T^n« les vai^eanx qui «w^
partis Celte-c: L^esi QXixxn petit abrégé des astres^
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION. 71
afin que si elles sont perdues, vous puissiez avoir de
nos nouvelles par ce dernier navire. Je vous envoie les
papiers que je vous avais promis et les ai confiés
au révérend Père de Lionnes pour vous les mettre en
main propre. Je vous demande le secret que vous
m*avez promis, car je ne veux pas que personne en
ait la vue que vous. Si vous voyez du danger que cela
arrive, brûlez-les plutôt, ou même, afin que mon esprit
soit en repos, renvoyez-les-moi. Vous y trouverez
l'éclaircissement de certains points que vous me de-
mandez, si tant est qu'ils arrivent jusqu'à vous.
Pour ce que vous m'avez proposé et qui vous regarde
en particulier, ne vous affligez point, et ne désistez
(ne cessez) point de faire la charité à cette bonne dame.
C'est la nouveauté de cet emploi qui vous cause cette
peine ; quand rexpérience vous aura rendu plus aguerri,
il n'en sera pas de même. Toutefois, quand il en serait
de la sorte toute votre vie, il ne faudrait pas cesser de
faire la charité. Le diable, qui a peur qu'on la fasse,
fait d'ordinaire ces sortes d'ouvrages pour intimider
les âmes. Je connais un saint homme qui en est martyr,
mais qui ne laisse pas de poursuivre généreusement
8a pointe; faites-en de même pour l'amour de Dieu
et pour le salut de cette âme.
Pour votre autre aflFaire qui vous donne tant d'exer-
<^îce, c'est aussi une tentation en une manière; et en
^ne autre, c'est un exercice que Dieu vous donne. Vous
ti'ouverez quelque chose de semblable dans mes écrits;
▼ous y verrez aussi les suites et les succès. Il faut
r passer, mon très-cher fils, par diverses tentations et
i afflictions pour parvenir à la pureté de corps et d'esprit
^xieDieu demande de nous; et pour cela il faut avoir
*. ^D grand courage et être impitoyable à soi-même.
72 LBTTRB8
autrement Ton n^avancera point dans cette voie de
l'esprit. Tous les saints ont passé par là pour être
saints. Je ne me mets pas du nombre, car je suis une
grande pécheresse; mais voyez, je vous prie, par où
j*ai passé l'espace de plus de sept ans, et encore aupa*
rayant en diverses rencontres. Il n'est pas possible
de vivre longtemps dans la vie spirituelle sans passer
par ces épreuves. Je vous envoie donc au lieu allégué,
et de mon côté vous pouvez croire que vos intérêts
me sont trôs-chers pour les recommander à notre
bon Jésus.
Pour ma disposition du corps, elle est asse? bonne,
et je ne me sens pas encore beaucoup des incommodités
de l'âge, sinon que ma vue s'affaiblit. Pour la soulager
j'use de lunettes, avec lesquelles je vois aussi clair
qu'à l'âge de vingt-cinq ans; elles me soulagent encore
d'un mal dé tête habituel, qui en est bien diminué.
Je suis aussi devenue un peu replète : les personnes
de mon tempéramment le deviennent en ce pays, où
l'on est plus humide qu'en France, quoique l'air y soit
très-subtil. Mais laissons le corps pour la terre, et
donnons notre esprit à Dieu.
Je vous ai déjà écrit une lettre des nouvelles du pays.
Depuis ce temps-là, deux des nations Iroquoises se sont
mises mal ensemble. Le sujet de leur différend est que
toutes deux avaient demandé des Pères. L'une, qui est
celle des Âgnerognons, demandait le Père Chaumonnot,
et que les Hurons se donnassent à elle pour vivre ensem-
ble et ne faire plus qu'un peuple ; mais elle ne voulait
pas qu'on parlât de la Foi. Les Ânnontageronons
demandaient aussi les Hurons avec des Pères, et vou-
laient recevoir la Foi. Les Hurons, qui sont libres,
ne voulant pas s'engager, promirent successivement
DE LA MËRE MARIE DE l'iN CARNATION. 73
aux uns et aux autres qu'avec le temps ils iraient les
visiter, et cependant qu*ils prissent patience. Ils firent
cette réponse pour se défaire adroitement de ces peuples,
à qui ils ne peuvent se fier après tant d'expériences qu'ils
ont de leur infidélité. Un Père donc fut envoyé aux
Annontageronons, avec ordre de visiter aussi les Âgne*
rognons. Mais le temps lui ayant manqué, il ne put
rendre visite à ceux-ci, mais il demeura chez les pre-
miers, où les autres nations Iroquoises s'étaient rendues,
et convinrent de recevoir la Foi. Le Père apporta ici
cette bonne nouvelle, qui donna bien de la joie à tout
le monde, et pour exécuter un si bon dessein on jugea
à propos qu'il y retournât lui-même. Lorsqu'il était en
chemin, les Âgnerognons, piqués de jalousie, furent à
sa rencontre, feignant d'être amis, mais par une four-
berie digne d'une nation barbare, lorsqu'ils furent à la
portée du fusil, ils firent une décharge sur sa compagnie,
•
Un capitaine qui l'accompagnait par hbnneur fut tué,
plusieurs Hurons furent blessés, et les autres faits pri-
sonniers. Un autre capitaine qui restait, leur dit : Mes
frères, qu'avez- vous fait? Je vous déclare la guerre.
Ils ne se mirent pas beaucoup en peine de cette décla-
ration, mais s'adressant ' au Père, ils lui dirent qu'il
n'avait point d'esprit d'avoir préféré les autres à eux;
et lui ayant fait ce reproche ils le laissèrent, disant
qu'ils ne voulaient point de mal aux Français, mais
aux Hurons et aux Algonquins, et qu'ils les voulaient
tous tuer. En efiet ils font tout leur possible pour
exécuter leur dessein.
Nous avons pourtant appris que ce ne sont pas les
anciens de la nation qui ont fait ce coup, et même
qu'ils l'ignorent; mais que c'est un bâtard d'un Hollan-
dais et d'une Iroquoise, lequel vit en Iroquois, car ces
fi
ffft \f^m^vM (f^ iâicn (ait, mhtil et vaillant, qui ressem-
u)^ H tfH UMfti\Jtttn, ftxpj^.pté qa*il a a point de barbe.
Vh\\^ i^fff^ ^^ ^f^t mnqnaate hommes, tant Harons
i\\^'A\Hhhf\H\M, qui Irt poursuivent; s'ils le peuvent
)fHu^iUn, iifMt Citit drt lui, car c'est un malheureux qui
4V|t)'f««rf H U fm Hfc A la paix. Mais je reviens au Père.
M |ii*fH«MlM|f. mm olkAmin jusqu'à Montréal, où il ne
Huk |..H |.lMri (Al; Mrrivtt que les autres nations Iroquoises
kui Mii'tifArdht ttd« ilciputéa pour le complimenter et
ii»i uuci (Ion (iri^a^nU. Ils lui Ûrent de nouvelles pro-
i^i^^UtuiM qu'iU voulaient croire en Dieu, et le prièrent
>ïi. 4'i \\u\i\km%\ç uviio «e^i frères île venir les instruire.
%\., ïui ihv^ulMMrt^nà un prê^tent pour le convier douvrir
u^4 V -u^ ^i^HM* l^iou \H>03(ivJèr^r ce qulls allaient faire
'k*^\ \^uai4i^uvàui« iHkur te ven^r de ilnjure qalls lui
M-M-*ui i>ii.o \s'kU \M^M cù $t>nc les oJiaires: mais
..uM^i.i w«u.i -àvcA i'C'r( t>teu r^uiar*^iiê« il nV a point
1 Mv; tut44u..ii 4 >%:^ 't'«^:v/*^'ïi« ^ufcoac 'i^^zami ils sont
•mUmoit.;! i >u.»i| ^> ) (>.: ^ixc ^i^â av^c tîux. OU ue Laîssc
;♦ ** i». ... - .*iv \:i. x<:*i ^''UuirH. Ll*s Fèr^» voûC «îC vien-
MM', u../- ,-.i j'wti,>«i:«. :i. --iiA r^cnir^juemtîQt voni et
• »î.'»H''* »• ♦. U4a:,>i oujiKiiH tvtîc ietiauce. Prions le
; ' i*«'.4i"t^. • ..!. .'- Ut M-ui (Ue auus la levons
■■Mi
DB LA MBRB MARIfi DB L'INGARNATION. 75
LETTRE CXXVIII.
A UNE DAifE DE SES AMIES.
Elle là console en tes afflictions, et lai enseigne qne la croix est rinstroment
avee lequel Dîea fait les saints.
Ma très-chère sœur,
JËBU8 soit notre unique tout pour Téteniité.
Il ne peut se faire que je ne mlntëresse en tout ce
qui TOUS touche, puisque mon cœur est uni au vôtre
d'une façon toute particulière. Portons donc ensemble
▼otre croix en l'unissant à celle de notre très -adorable
Jésus, qui en adoucira les amertumes par la douceur
de son esprit. Il sait le moment qu'il a destiné pour
convertir cette âme; et c'est une chose assurée qull
ne la veut pas perdre, si elle-même ne le veut; mais je
ne la crois pas encore dans cet abîme de misère, je la
crois plutôt dans une ignorance grossière, qui, par
sa stupidité, ne comprend pas l'importance du salut.
Dieu permet peut-être la perte de ses biens et les
maladies de ses enfants pour lui ouvrir les yeux, et
la rendre plus soumise à ses volontés et plus humble
à votre égard. Voilà ce que Notre-Seigneur voas réser-
vait pour votre sanctification et pour l'achèvement de
votre couronne. Pour mon particulier, la bonté divine
m*a aussi gdgdée à lui par la croix ; c'est pourquoi je
l'estime très-précieuse, comme llnstrument par lequel
U 1^(1 Kw minb. riaiM donc à m miséricorde qne noQi
9^,x\^« tt^i^if^ nux adorables desseins qa*eUe a rar nous
v^^ tv lv^|vi sXk^ «m visites.
^^^ «^Hit nvmv^ttx chrétiens, ils sont dans des
i^HV^^ «K'^R^r^UliM v{ai» sans mentir^ font hooia à
9V^\ 't^^ 9V^I »^ datt9 le ehristianime; demandez leur
)h»*!«9»^xv)^!j^^*v^ à N^n^j^eitjmeizr» comme anaâ de ceux
Nt<^ ^iN*^^ V4» $<f^MiKJt Q^cttbw. captifs c&ffic Is InN|oois,
sHf "KH^iHjiirVjtA tv^ t^o^w câpàTité, Us se maizitKBDenk
^^>«^>ii^t ^ ^ii ti(^ v^^i^Qii bmr a âosôgnée i ce ^
^♦^ i^ti!^ vr^ tN^lc wiWtt <tt viea aonums •(«n» Im. nais-
>i^KV ^t^><v^ i>mvt iiittunrilemimc incanacsilSL Ds
i?4^>s^ a\v^ 4, xyiJ^r STM^imc ^lum i« wras »zb o&iai-
rVM <M^ >H**< ^^ ^e^^H^ 4^^«IM(^
DB LA MfiRB HARIB DB l'INCARNATION. 77
LETTRE CXXIX.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE, MAITRESSE DBS NOVICES.
{La Mère Angélique de la Valliêre.)
Elle lui fait paraître son zèle pour les missions, et lai demande le secours •
de ses prières et de celles de ses noTioes, afin qu'il plaise à Diea de les faire
réussir.
Ma révérende et trôs-chôre More,
J'ai reçu une consolation toute particulière d'appren-
dre de vos nouvelles par vous-même. Je n'aurais garde»
mon intime Mère, d'attribuer à froideur le silence que
vous gardez à mon égard. J'ai trop de preuves de la
bonté de votre cœur ; faites ce qu*il vous plaira, j'aurai
toujours cette créance, et que vos prières avec celles
de vos bonnes filles sont très-précieuses devant Dieu
pour le Canada, et en particulier pour notre séminaire.
Continuez, s'il vous plait, ou plutôt redoublez votre
ferveur, afin qu'il plaise à sa divine bonté de donner
sa bénédiction aux missions que l'on va commencer
aux nations Iroquoises. Il est sans doute que le diable
s'y opposera de tout son possible, comme il a déjà fait.
Mais Celui pour l'amour duquel nos révérwds Pères
vont s'exposer, est plus fort qu'eux. Il y en a déjà un
de parti; deux autres partiront cette semaine avec
quelques Français : et si ces commencements réussis-
sent, .l'on y enverra un gros de Français au printemps
prochain. Encore une fois» priez Dieu pour ce grand
i
i ^ LETTRES
dessein. Si j*étais petit oiseau, j j volerais pour y rendre
À ma façon mes petits services à notre bon Jésus.
Vous apprendrez au long toutes les nouvelles du traité
lie paix qui se passa dimanche dernier en présence
de plus de cinq cents personnes. Mon intime Afère,
obtene2-moi de la bonté divine la grâce de la persévë*
rance et de la fidélité à ma vocation à son service dans
cette nouvelle Eglise, et je lui demanderai pour vous
et pour voire chère troupe, que j*embras8e de tout
mon cœur. la véritable sainieté. Cest dans ce senti-
ment que je continuerai d être dans Famour de notre
bon JEsrs votre...
LETTRE CXXX.
A 5r'> r:: >.
I>r Yncf^Wenct rit itor nmnnr (if Iiipc. — Ooe i« uniftiiow et les épieuit ont
pour Uu\ de iiiiri i.vji ri ,-*<•: in jinipf <innf i& vnif àt ia sMinieie^ mais qM tî
Tor. I.' pn»nc pa-i» . ".ip* Tirr^îiiisfiiî ui. t-fit?: »-xiLa«irc. — Tentatîoa d«
ilftiirpr *tî» ji«iu*« lU sni. soit . *i^ inrx«îven»ffiiw». «• remèdes. — EDf
iltnoipw M don leur di r» (ini rieu» rit »» «îicieaee* ivukot ntouwr
«n RrniK».
.T'*i reçu jfc ieir-re eue vou? me ûiies être votre
«^*v»i'nc. Le Tivi^i^iic : è.re df l.\c»niies est peut-être
)r jorreurïjf ia i.r£-.ir.U'r£ eue le i.ai lOis eac^wrcçne.
,V suis bien aist çut ies j^faeT^ Q^e je t^dus si envoyés
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 79
ne soient point tombés en d autres mains que les vôtres.
Ce ne m'eût pas été une petite mortification s*il en fat
arrivé autrement, comme vous lavez pu remarquer
par les précautions que j*ai apportées pour les rendre
secrets. Je les avais recommandés bien particulière-
ment à ce révérend Père, quoiqu'il ignorât ce que
.c'était; mais enfin Dieu soit béni de ce que le tout a
réussi jusqu'ici selon mon désir.
J'ai appris de quelques-uns de mes amis que vous
êtes prieur aux Blancs-Manteaux à Paris, c'est ce que
je ne puis concevoir, puisque vous êtes de Tordre de
Saint- Benoît où l'on porte le noir; vous m'éclaircirez
ce mystère, si vous le jugez à propos. Quoi qu'il en
soit, (se m'est un très-grand contentement, que vous
serviez notre bon Dieu, en quelque lieu et en quelque
qualité qu'il vous mette.
Si vous avez senti votre cœur ému en lisant les
grandes miséricordes que la bonté divine nous .a faites
à vous et à moi, j'ai été puissamment consolée dans la
créance que vous aurez fait quelque acte de pur amour
de Dieu. Car j'estime tant ce pur amour, que je me
tiens noti-seulement payée de la peine que j'ai eue à les
écrire ; mais jô voudrais encore faire des choses «que
je ne puis dire, et qui ne sont pas même en mon
pouvoir, parce que le pur amour mériterait une corres-
pondance infinie; et je suis bornée dans mes opérations
aussi bien qu'en moi-même. Demeurons-en là, et bénis-
sons Celui qui n'est que charité, et qui est par conséquent
le pur amour.
J*ai vu et considéré tous les articles de votre lettre,
qui me prépare bien de l'ouvrage, qu'il me serait impos-
sible d'entreprendre maintenant. Pour l'amour de Celui
qui nous a tant aimés, il faut que vous preniez patience;
80 LETTRES
ce me sera un travail poar le printemps prochain, si
Dieu me conserve la vie, auquel temps je répondrai .
à vos articles et interrogations à loisir. Il vaut mieux
en user de la sorte que de faire plusieurs pièces déta^
chées. Je vous dirai seulement ici que j*ai remarqué
que vous avez de la peine dans un point qui vous
regarde, et où vous vous appliquez au sujet de votre
salut. Je vous demanderais volontiers pourquoi voui
demeurez si fort dans la crainte, car je ne doute point
que ce ne soit une tentation ou une épreuve que Dieu
permet pour vous épurer. Il en fait bien souvent de
même aux âmes qull veut faire avancer dans la vie
spirituelle ; mais si elles n'y prennent garde, elles sont
retardées par cela même qui leur avait été donné pour
leur avancement, ne se servant pas de cette épreuve
selon l'intention de Dieu. Au lieu de s'humilier et ds
s'abandonner à sa conduite, sans désirer savoir curieuse-
ment ce qui arrivera d'eux (qui est le point de la tenta-
tion), ils perdent le temps en des réflexions vaines
et superflues.
Mon très-cher flls, Dieu a des bontés immenses sur
les âmes simples et qui se conflent en Lui. Défaites-
vous donc de ce désir, qui vous jetterait dans un fâcheux
labyrinthe, ce qui ôterait à votre âme la capacité et la
simplicité requises pour recevoir les pures impressions .
de Dieu. Vous remarquerez que les trop grandes
réflexions vous nuisent, et que lorsqu'un saint prophète
fut nonmié l'homme de désirs, il lui fut dit, ouvre la
bouche et je la remplirai. Ce remplissement de bouche
s'entend de la dilatation de la volonté et non des
réflexions de l'enteûdement. Un autre dit : J'ai ouvert
la bouche et j'ai attiré l'esprit. Tout cela, nion très-cher
flls, regarde la volonté, qui plus elle est simple, plus elle
D£ LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 81
est capable des impressions de Tesprit de Dieu. Formez-
vous à cette pratique, je vous en conjure, et croyez que
nous avons un Dieu qui a eu jusqu'à présent et qui aura
encore à Tavenir soin de vous. Faites donc en sorte
de ne pas détruire par votre propre opération ce qu'il
édifie en vous. Nous en parlerons plus amplement dans
l'écrit que j'espère vous envoyer l'année prochaine.
Cependant tâchons, vous et moi, de nous rendre fidèles
à Dieu, et de profiter de ses grandes et immenses misé-
ricordes sur nous. Vous m'obligez infiniment de m'ofifrir
tous les jours au Père Eternel, en lui offrant à la sainte
Messe le sacrifice de son Fils ; je vous prie de me conti-
nuer cette grâce. Vous avez aussi part à tous mes petits
biens, disons mieux, à tous. les biens que Dieu fait en
moi et par moi, car de moi-même je ne puis rien que
la misère et le péché.
Il est vrai, mon très-cher fils, que c'est de vous et de
ma nièce que j'ai voulu parler en faisant le récit de mes
tentations. Notre-Seigneur m'a donné pour son salut
et pour le vôtre un amour si particulier, que je ne
pouvais vivre vous voyant dans le monde où l'on court
tous les jours des risques de se perdre. Il me semblait
donc en ce temps-là que j'étais chargée de votre salut;
ainsi ne vous étonnez pas si je souffrais, vous voyant
tous deux marcher dans des voies qui vous en éloi-
gnaient. Nous en dirons davantage une autre fois.
Je suis à présent dans l'exécution d une affaire qui
ma ci-devant causé de grandes croix. Ce sont deux
de nos sœurs qui veulent retourner en France dans la
maison de leur profession. L'une est de Tours, l'autre
est de Ploërmel en Bretagne, toutes deux de diverses
Congrégations. La première a demeuré avec nous plus
de onze ans, et l'autre plus de douze. Il y a près de
LBTTR. M. II. -6
«*^ LKTTRR8
f«hM| iiMM «iiin Jn ootrihatii oe dessein, et qae je les exhorte
h MM t«iiHlt'n (lihMnii A lour vocation; mais Dieu n*a pas
iIhiiiiiI MMunM (In ((rAoo A mes paroles pour les retenir.
Vmiim |mmivom oroiro que des esprits si peu affermis
HMMiMinniMMlont \H\n lumuooup une Communauté; je ne
MiV^|)lli|Uo |mM dnvnnta^v il suiBt de vous dire qne
i«i«llo \^v\\\\ o»t uut> do celles dont j*ai voulu parler
M\ oonuu^MUViuout de m» seconde supériorité. Ce n'est
\\f\'^ \\\w \S^ ne 9\nont deux Nmnes filles, qui sortent
d>^\>s^ uo^ii {\\\v |vii\ et douceur et STec des obédiences
di^ U'\>\« iiU(s'ivutv$ vie KrmnvV foQ«2éâs sur des infir-
\^^\hw ^U' xv^'^vk ^;u K'ct re«rwjM ec TKîubies. Il nous
.'^«^\^u >^xM^î<svï^$ xSîe Nwtïcvvir^ rC:» dcox de les voir
h^^tM'*^- x^^-^nV ^n>$ >cWv à I^x»xjà^ <» sucre chère
xW- V ^.^ vV i<Nfcr xvvr â^-c^ xi» ^À:a i^i peut tirer
^ X \v-v sy^ ^v ^.v .t4:.7îi it^ $;!..»? »t xTszci^aBes à la
yA- V N^ 'Vnv s^ t^ Nwy *>î ïkfCTîr r 'nTfnrmaaiTtf Mais
y> v....\
* vV«V -^ ^ H ^'^ï*^ '<v"
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNGARNATION. 83
LETTRE CXXXI.
A UNB JEUNE NOVICE.
Elle lui témoigne sa joie de ce qu'elle se donne à Dieu, et l'exhorte à dtre Adèle
à la gr&ce de sa ▼ocation.
Ma très-chère et bien-aimée fille,
Ma nièce m'ayant mandé que vous avez la bonté de
vous souvenir de moi , je m*en suis ressentie votre
obligée, et j*ai toujours espéré cela de la fermeté de
votre affection. Je vous assure, ma chère fille, que je
me souviens aussi de vous dans mon éloignement, et
que j'ai toujours conservé l'amour et raffection tendre
que j'avais pour vous lorsque je demeurais à Tours.
Cela étant, il ne se peut faire que je ne ressente une
consolation très-grande, apprenant que vous vous êtes
donnée à Dieu et qu'il vous a mise dans la voie des
saints. Oh ! que vous êtes heureuse de ce qu'il vous a
fait cette grande miséricorde! Je l'en remercie de tout
mon cœur, et lui demande que ce soit pour vous y
faire marcher en vérité et avec fidélité, afin que vous
puissiez parvenir au but où vous aspirez. C'est peu
à un voyageur d'entrer dans le droit chemin qui doit
le conduire à son terme, s'il n'y marche et s'il n'y
avance; et il est inutile à une âme d'être appelée dans
la voie de la perfection, si elle n'avance de vertu en
vertu; et si elle ne fait ses efibrts, avec la grâce de
84 LETTRES
Celui qui l'y a appelée, pour y marcher à pas de géa.
Demandez-lui aussi la même chose pour moi, je y<
en conjure, et croyez que je suis en loi, votre...
De Québec, le 2 d'octobre 1655.
LETTRE CXXXII.
A SON FILS.
Les Iroquois Agnerognons continuent leur hostilité. — Ils demandent la paf'-^
qui enfin devient universelle.
4
Mon très-cher fils,
Je ne serais pas satisfaite si voyant un vent nord-est,
qui arrête le navire à notre port, je ne prenais un
moment de loisir pour vous dire un mot des bontés
de Dieu sur nous et sur ce pays, qui ne subsiste que
sur Tappui de sa divine Providence. Je vous en ai dit
quelque chose par le premier vaisseau, mais nous ne
savions pas encore tout ce que notre bon Jësus faisait
pour nous. Nous lavons su et expérimenté depuis.
Ce que vous apprîtes Tan passé est donc véritable, que
les Iroquois avaient fait la paix avec nous, excepté une
(de ces nations), qui, piquée de jalousie de ce qu'un
Père avait visité une autre plutôt qu'elle, leva les armes
pour se venger sur les Français et sur les sauvages
leurs alliés. Les autres ont toujours été fidèles dans
les paroles de paix qu'ils avaient données. Celle-ci a
. continué son hostilité jusqu'au commencement de juillet
DE LA MËRB BfARIB DB L'iN CARNATION. 85
avec tant d'opiniâtreté, qu'à peine pouvait-on trouver
un lieu où l*on pût être en assurance. Après la fonte
dès neiges, ils ont fait plusieurs massacres tant des
Français que des sauvages qu'ils ont trouvés à Técart.
Ils ont pénétré jusque dans des lieux où on ne les
attendait pas, dans la pensée qu'ils leur étaient incon-
nus et inabordables; mais ils y ont été conduits par
des renégats qui en savaient le secret. Ils nont pu
rien faire au gros des Français, parce que durant
rhiver on a fait diverses courses sur les neiges, dont
des chea)ins battus leur ont fait peur et les ont obligés
de se retirer, car ils sont plus traîtres que vaillants.
D'ailleurs, les Âlgonguins voyant les Français prendre
cœur, se sont aussi animés, et dans les courses qu'ils
ont faites, ils ont pris plusieurs barbares de considéra-
tion. Ils en ont brûlé ici quatre tout vifs avec des tour-
ments horribles, et cependant ce ne sont que des roses
en comparaison de ce qu'ils font souffrir aux Français
et à nos sauvages, quand ils en peuvent attraper. Ces
quatre patients dont je viens de parler se sont con-
vertis à la foi et ont été baptisés avant leur mort.
Leur conversion a été facile, parce qu'ils avaient déjà
entendu parler de la foi à des chrétiens qui avaient été
captifs en leur pays, de sorte qu'ils se ressouvenaient
facilement de nos mystères et des choses nécessaires
au salut, lorsque le révérend Père Chaumonnot les
assistait au supplice.
Une femme Âlgonquine ayant été enlevée par les
Iroquois avec toute sa famille, son mari qui était
étroitement lié de toutes parts, lui dit que si elle
voulait, elle pouvait les sauver tous. Elle entendit bien
ce que cela voulait dire : c'est pourquoi elle prit son
temps pour se saisir d'une hache, et avec un courage
86 LBTTRB8
noDpareil elle fend la tête an capitaine, coupe le col
à un autre, et fit tellement la furieuse qu'elle mit tous
les autres en fuite ; elle délie son mari et ses enfants
et tous se retirent sans aucun mal en un lieu d'assu-
rance (de sûreté).
Les Algonquins ont fait plusieurs bons coups sem-
blables, étant envenimés au dernier point contre les
Iroquois, et avec raison, parce qu'ils ont quasi anéanti
toute leur nation par leur férocité. Les Hurons de
leur côté les ont aussi attaqués, et se sont furieusement
battus. Ces barbares sont encore venus aux prises avec
les Français de Montréal et des Trois- Rivières, où ils
ont été si malmenés qu'ils disent: N*allons plus là,
parce que ce sont des démons. Le grand nombre de
gens qu'ils ont perdus dans tous ces démêlés, ne leur
a pas permis d'attaquer les habitations, mais seule-
ment quelques familles écartées. Le coup le plus funeste
qu'ils aient fait a été à l'Ile-aux-Oyes, où un honnête
bourgeois de Paris nommé M. Moyen, qui avait acheté
cette place, s^était établi avec toute sa famille. Il fut
surpris le jour du Saint- Sacrement, tous ses gens
étant à l'écart Lui et sa femme furent massacrés, et
leurs enfants, avec ceux d*un honnête habitant, emmenés
prisonniers. Dans un autre lieu quatre serviteurs de
M. Denis, bourgeois de Tours établi en ce pays, ont
aussi été surpris et massacrés. Plusieurs autres l'ont
encore été, entre lesquels s'est trouvé un frère de la Com-
pagnie (de Jësus) qui faisait chemin (voyageait). Tout
cela s'est fait par trahison : de sorte qu'on a eu toutes
les peines imaginables à faire les semences pour cette
année, chacun étant si effrayé, surtout de ce qui est
arrivé à M. Moyen, que l'on n'avait ni vigueur ni cou-
rage. De plus, il était venu un bruit que les Anglais
DB LA MÈRE MARIB DE L'INGARN ATION . 87
étaient à l'Acadie avec quatre vaisseaux de guerre, et
qix*ils avaient encore quelques navires qui croisaient
à l*entrée do fleuve de Saint-Laurent, pour arrêter les
vsiisseaux que nous attendions, et venir ensuite se rendre
nnsiîtres de Québec. N*eût-on pas dit qu'étant ainsi entre
deux écueiis, nous étions tous perdus? On le disait, et
pour mon particulier, quoique je ne veuille que ce que
i^otre bon Dieu voudra, je vous confesse que voyant
le christianisme à deux doigts de sa ruine, mon cœur
^oufiQrait une agonie que je ne puis exprimer; et il
'^^t avouer qu'il n'y a point de croix pareilles à celles
4w:mi viennent de la gloire de Dieu intéressée au sujet
^ ^^ salut des âmes.
En juillet, un vaisseau nantais parut ici sans nous
^S:^porter aucune lettre ; mais il nous donna bien de la
J^^^ie, nous apprenant que l'Anglais n'était pas si proche
^^ nous, mais seulement qu'il était à l'Acadie pour des
^^^Taires de marchands. Ils se sont néanmoins saisis de
^■^a pays-là pour se récompenser (dédommager) de ce qui
l<^iir est dû, et ils ont emmené M. de la Tour, à qui
pays appartenait, prisonnier en Angleterre. Ainsi
de nos peines fut levée, et le peuple commença
^ respirer. Il arriva au même temps que plusieurs
l^ïtKiaois^ entre lesquels il y avait de leurs capitaines,
furent pris par les Français, tant de Montréal que des
^roiS'Rivières, ce qui humilia ces barbares au dernier
^int On ne fit point d^ mal néanmoins aux captifs,
^ioon de les enfermer en prison les fers aux pieds,
^ qui leur semblait doux en comparaison du feu.
Eox de leur côté, sachant que nous avions de leurs prin-
cipaux capitaines, traitèrent les nôtres doucement, et
loéme les ramenèrent d'eux-mêmes, demandant de
fVBOMr la paix. Ils étaient si empressés en cette
-"^r-i/^rv.p-.e^.i: i....^iii.r> :.-a J:-izL*3ia. la jîor rendit
U'iïr.. ./; njî via -Tir? ^eiis. uia la .da j^i^f^jw* encore
\.\ :>:::u» r^în.-*. ês soir» lariaixa ir-Siraoises qai
x-^^uirs v.Ti .Fin tr«: i^cic^. lanrïïrr ^ar jc^irs amba»*
liiïi/î-i'T. ::i»az.' ./irilîis l'-^inr "cn.cnirs T«a en amis«
î;*;:.'» ^x^r^=ti: i:ii!ia. ic^ir i j^fnliid ieçci* le trAité
'•#* .'i;:v.ci::*i. 1^ "ils. .«i5 _Lriîrr:g:ii:i25 izçcrtèrentdes
.^/.:'<K li^ Z.:i.AZ:ii.*. :ii ".-moi r^.-iitv: :^e c'était sans
^ ^ ^
>/,;/. /î»^ V'- -^ "'"^ r^'iLeri:-:^-:" li ;aix. E; enfin on
}r<:.'>J.i\ i^^.f i'ta rnis-r^-r.t^r». ziais qui s*était
^î^A.^.. lami- -r^iT, Ics ii:::cr:ig;LjT.-i:? es lasorait qnita
r>t^ A^fer:rr.:u Lézji^'zZ': irn-r qu'ils veulent la
y>..x. z:.^Ji 4T^: :ir:r= r»:s;nr>^:z. ::i':^ ne la veulent
r^i'aTec i-râ Frai'^ai». iî -:z aT« les Hurons et les
\\y/i:,y:,.z.%. C-rU zr: -c-r i ;a3 é:ê endèrement accordé,
rnaia ?^Tl^n:cr.: ;-5:-'i if «raines liziites, hors les-
({uh\>,^ ;» leur sera i-rmis iexrrcer woie sorte d'hos-
ti^if/, c-n s^r:*5 r-c-ai.ii::r:5 ^a'ils ne les pourront attaquer
dans nos halîtavlons l'raL j.'.:sc5- Cela a été accordé et
s'observe; mais je L'y vois guère d'assurance, parce
r|ue ces nations se haïssent au dernier point, à cause
des massacres qu'ils ont faits les uns sur les autres.
Ost là la cause du mal que souffrent nos Français,
car comme ils sont obligés de soutenir nos nouveaux
chrétiens, ils sont souvent enveloppés dans leurs que-
relles et dans leurs différends.
CcH sauvages néanmoins ont persisté à demander
un missionnaire. On leur a donné le révérend Père
DE LA MÈRE MARIE D^ L*INGARNATION. 89
Le Moine, qai est parti avec eux, accompagné de
deux Français. Depuis leur départ, l'on a toujours
été en paix, et les Français se sont retirés dans leurs
habitations, qu'ils avaient presque tous abandonnées,
pour se réfugier ici. L'on a fait avec liberté la récolte
des grains; on a fauché les prés et on a fait la pêche
de l'anguille, ce qui a causé une joie universelle à tout
le pays. De plus, un second vaisseau est arrivé et nous
a apporté nos autres nécessités. En tout cela nous
voyons une providence admirable sur nous tous, qui
BOUS fait revivre, lorsque nous pensions être au tombeau.
Ceux-ci étant parj;is, les ambassadeurs des Onon-
tageronons et des autres nations iroquoises sont arrivés
ici, et nous ont dit qu'ils avaient rencontré le révérend
Père Le Moine, qui en effet a écrit, et que les Âgne-
rognons leur ont raconté tout ce qu'ils avaient fait, mais
qu'ils leur ont reparti qu'ils ne voulaient point de paix
avec restriction, mais entièrement et avec tout le
monde, ce que le révérend Père nous confirme par
sa lettre. Or ceux-ci sont bien avec nos chrétiens, ce
qui nous console à un point que je ne puis vous dire.
Il s'est fait de part et d'autre un grand nombre de
présents pour affermir cette paix, dont je n'ai pas le
loisir de vous faire le détail. Le tout s'est passé à Québec
avec beaucoup de magniScence en présence de cinq
à six cents Français et de tous les sauvages de ces
contrées.
L'une des principales circonstances de cette paix ,
est que ces peuples ont déclaré qu'ils voulaient se faire
chrétiens, et que les Français allassent s'établir en
leur pays; c est-à-dire qu'on y fit des missions et que
l'on y bâtit une maison fixe pour les révérends Pères,
comme on leur en avait fait faire une aux Hurons,
Af ^f,f\t\ 0|r>v,n i/*nr donnât dès à présent cinquante
Wff%ft^ff%i^ f/.nr jftf/^r !ft« fondements d'ane bonne alliance.
T'rrif f'^ift \f*nr ^ ^fA arîoordé, excepté ce dernier point
fUf-fit M\ n tr^.iu'x^ IV'xécation an printemps. On leur
•» ^^r%\Mi\M\i f\hut\fi. i\(tnx Pèrcs avec nn Français poar
|A4 i/t^f^riir^ i\t\un la Foi. Les révérends Pères d'Ablon
h\ (\)\miii\ituuui florit ceux sur qui le sort est tombé.
Un nVîAlirri^nl. Ii/^urr^ux d'avoir été choisis pour cette
^fflf ii|iri«n. ^l II nn fin peut dire avec combien de zôle
h\ lin tni-viMir iU n'almiidonnent aux hasards qui en peu-
vnnl. riMlvnr. ('nr, mins parler des dangers de mort où
l<i Mronili) dp non pouplos les peut jeter, ils vont endurer
iii'4 ii*ivAn% i)ui no (tout pas imaginables aux personnes
\\\s\ ho «^ivont pnM oo quo oost que d*être dans un pays
l''Mi'mo. \ionu\^ di) tou« les secours dont les Européens
*«v»iHl»UMii no wo |»v>uvoir pa$$er. Cependant ces braves
\»M\iK»M \lo rKvrtHiîilo V volent comme s'ils allaient
*/»i t*«iv4^ii«, ^«(j vjuiitKl il *»j:it de gagner des ânàes à
W'<v^ \'H\\\x\\ 00.M <în c^!;i quils mettent leur bonheur,
«uuMi^,,,. ^i^y mOztv.'* ^:l v^xis î« inn;?n?» de la nature.
w^u I.4λ!, î^^ xosut? ix) \\^ixs !if$ laicassaileors à Québec,
»':< ii.n4.t v^ir, \^\^>vvjt vi*i5i:cur^ :ois» vTcmjiie aossi une
.^♦,*ji.*j:*,.stïxx> i^v^* vi A*itf;\!j^!ii* \«;as les -xvQcs râzalés
iiui\ <sî< xiNOîHiiiu^îitoitt i uur nciie. ^ar o'esr: ainsi
juM iM .?\;4J 4.i»;v4' "s jiii :jrs in «insniier plaisir
DE LA MËRB MARIB DB l'IN CARNATION. 91
le priait de nous envoyer des filles iroquoises pour
être instruites parmi celles du séminaire, et qu'elle les
tiendrait comme ses sœurs. Il agréa sa proposition
recevant un petit présent qu'elle lui fit, et admirant
l'esprit et l'adresse de cette jeune fille. Elle en fit autant
à la capitainesse, qui lui promit sa fille en lui faisant
des caresses tout à fait extraordinaires à des sauvages.
Le révérend Père Chaumonûot en ayant catéchisé trois
durant quelque temps, deux ont été baptisés en notre
petite église. Ce sont les premiers du christianisme
des Sonnontouaeronnons et des Onnontageronnons. Je
vous laisse à juger si nous avons chanté de bon cœur
le Te Deum dans cette cérémonie. Nous l'avons fait les
larmes aux yeux et la jubilation dans le cœur, voyant
ceux qui ci-devant détruisaient le christianisme, l'em-
brasser avec tant de dévotion et devenir enfants de
Dieu.
Le révérend Père Chaumonnot m'a écrit de Montréal,
d'où il va partir pour Onnontagé, et me mande qu'il
a déjà six catéchumènes et une petite église volante;
ce sont ceux qui ont été baptisés ici. Il me dit que la
capitainesse que nous avons vue ici lui a donné charge
de me mander qu'elle prie Dieu, et même qu'elle y
invite les autres ; que je prenne courage, et qu'elle
m'enverra sa sœur, sa fille qu'elle nous avait promises
ici étant encore trop petites. Elle le répète deux fois,
tant elle a le cœur à cela. Il est vrai que je lui ai
envoyé une robe pour sa fille, avec d'autres présents
pour les femmes de sa suite. Ils ont fait le récit à une
troupe de leur compagnie qu'ils avaient laissée à Mon-
tréal du bon accueil qu'on leur avait fait ici; ils en
ont été si touchés qu'ils sont venus exprès pour nous
voir. Les femmes sont entrées dans le séminaire où
nonn l#nr avoTUi rViit rdsnxu '^ 'ionné àea prémania selœi
lenr ç^émfi. Vonii Mnes snrprxa 'ies adresMa qall faut
Avoir ponr ;^n^r Tes àmea égarées à la foi. Ah! qoll
nons tarde que nous voyions ane troupe dTroqooises
'ah notre îi^iDAire! Ch! «mbioi nous les chéririons
ponr lamoar de Ceiai qai a rëpanda son aang ponr
f^lled aosni bien '{oe pour nausi Q est important que
nonfi en ayons ponr servir d otages, à cause des révë-
rendfi Pères qni sont à leur pays. Entre les présents
publics il y en a nn ponr ce sujet, sans avoir néanmoins
trfrnoif^né que c'est poor servir d*otage, mais seulement
(|tie o'eflt ponr la foi; aussi est-ce le principal motif.
Nous avons avec nos noaveaox chrétiens hurons une
troupe d'Iroqaois qui n*ont pas voulo s'en retourner
Aveo leurs ambassadeurs, afin de se faire instruire en
la foi , ravis du bon exemple que nos chrétiens lenr
ont donné.
IiO rdvérend Père Chaumonnot a mandé que la capi-
(ainosso dont j*ai parlé, sait déjà chanter à la messe,
tvmmo le font nos chrétiennes huronnes, et qu'elle
^i »i fti^léo, qu'elle va convoquer les autres pour venir
A la prif^ro. Lo révérend Père d'Ablon ne faisant que
d'arriver de France, et par conséquent ne sachant pas
hiAn la lanjarue, elle est continuellement auprès de lui
afin de la lui enseigner et de lui apprendn des mots.
J^ ne puis vous parler plus en détail de ces afisins,
non plof qne des ferveurs de nos bons chrétiens, et des
vertus béroïqnes qu'ils pratiquent, lesquelles dosaxaeot
do )s confusion à ceux qui sont nés dans le christis*
ni^^mo. ppî^F pour eox, priez pour la eonveision des
Iroqooîs, prier pour les ouvriers de lIBvangile; enfifi
ptiHi fowr moi, afin qu'il plaise à la bonté divine ne
flillk «liiiéhoorde en me pardonnant mes péchés, et
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 9â
qu'elle me donne la grâce de la persévérance dans ma
vocation, que j'estime plus que toutes les choses de la
terre. Je la prie de vous faire saint.
De Québec, le 12 ^octobre 1655.
LETTRE CXXXIII.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE TOURS.
{La Mère Ursule de Sainte-Catherine,)
Bile fait na récit détaillé de tout ce qui 8*e8t passé dans Tupioii des religieuses
de Tours et de Paris au Canada, et dans le changement des constitutions de
ces deux Congrégations. — Elle justifie sa Communauté de quelques plaintes
qu'on avait faites contre elle.
Ma révérende et trôs-honorée Mère»
Votre sainte bénédiction.
C'est ici la réponse à votre lettre de oonfiance, pour
laquelle je vous la demande entière avec le secret,
excepté à ma révérende Mère François de Saint-
Bernard, pour laquelle, non plus que pour vous, je
xi*ai rien de caché. Tous les intérêts de votre maison
sont les miens, et N...,^ a eu raison de dire qu'ils m'ont
beaucoup coûté depuis que j'en suis absente: mais
elle y mêle une certaine confusion de faits qui m'oblige
à. vous en donner un éclaircissement véritable.
(\) L'une des deux religieuses Ursulines de Tours qui, après être venues
à Québec, n*aTaient pu y rester, et étaient retournées à leur monastère de
profession.
94 LETTRES
Il est vrai que durant les six années de ma premiôn
supériorité j'ai eu des peines qui ne sont pas imagi-
nables pour soutenir notre droit, quoique cbacno crût
cherclier Bieu et lui rendre un grand service. Je vous
dirai que le révérend Père Vimoad, dans la compagnie
duquel nous passâmes en Canada, avait connaissance
d'une maison de notre Congrégation, de la supérieure
de laquelle il avait reçu un déplaisir assez notablSL
Cette action lui avait fait une telle impression, qull
craignait que toutes nos maisons ne fussent semblables
à ce qu'il avait vu en celle-là. Il était néanmoins tràa-
satisfait de notre chère défunte (la Mère Marie de
Saint-Joseph) et de moi, nous voyant par la miséri-
corde de Dieu dans une très-exacte régularité. La
première année il ne fut question que d'un petit règle-
ment du jour; voilà la pure vérité. La bonne Alère
de Sainte-Croix se laissa conduire comme un enfant,
et sans autre examen elle prit notre habit, afin de se
conformer à nous.'
Mais pour prendre la chose de plus haut, je vooi
ferai ressouvenir de ce qui était arrivé à Paris, où
le révérend Père Vimood eut un sensible déplaisir de
ce que ta Mère de Saint-Jérôme ne nous fut pas acco^
dée. Nous n'en eûmes pas moins que lui, parce qne
nous allions simplement en ce que nous faisions, va
même que le révérend Pore dom Raimond m'avait dit
que, puisqu'il fallait faire cette union, il la fallait faire
de bonne grâce. Nous entrâmes dans son sentiment,
et nous aimions autant rexéonter d'abord, que d'atten-
dre à un autre temps. Le révérend Père Vimond, k
(0 La Uiro C«dl« •!■ U Cfgir, ils la CcmmunanU de Diappa, l'était jnM
ï la M4Tar4#£l|^^ri^yÉStApQEH^AUDp fw^tt rn n om^ti t pour la ^-frf**
DB LA MÉRB MARIB DE L*INCARNATION . 95
. voyant donc privé de ce qu'il désirait, n'insista pas
davantage, mais il témoigna que, l'année suivante, pour
une il en ferait passer deux assurément.
Cependant, comme vouls dites, les Mères de Paris
appréhendaient autant le mélange que vous, car elles
vont droit, et ce sont des personnes d'expérience, qui
ne se laissent pas facilement aller à la passion, mais
qui pourvoient prudemment à leurs affaires, afin de
86 conserver la paix, et d'éviter les mauvaises suites
qui pourraient la troubler. C'est pourquoi la chose
étant tombée en d'autres mains en premier ressort ; je
veux dire que le sort pour le Canada étant tombé sur
nous, elles abandonnaient le tput entre les mains de
Dieu. Leurs amis néanmoins s'intéressaient pour elles,
à cause des services qu'elles avaient toujours rendus
à la Mission. Ce fut ce qui les obligea de prier le
révérend Père de La Haye, que Monseigneur notre
archevêque avait chargé de nos personnes et de nos
affaires, de me proposer de passer, ma compagne et
moi, dans la Congrégation de Paris. Le révérend Père
leur repartit qu'il se donnerait bien de garde de nous
faire faire un si lâche coup. On ne le pressa pas davan-
tage, se promettant que quand nous serions à Québec,
abandonnées à notre propre conduite, je ferais tout
ce qu'on voudrait. J'avais déjà dit mes pensées sur ce
point au révérend Père de La Haye, qui m'avait donné
' avis de tout ce projet, en suite de quoi nous ne pen-
iftmes plus qu'à faire le voyage. Voilà tout ce qui se
passa en France.
Quand nous fûmes à Québec, on recommença à pen-
ser aux moyens d'exécuter le dessein, et de faire passer
- des sœurs l'année suivante. Madame notre fondatrice
si nous n'y voulûmes pas consentir, que dans l'égalité.
96 LETTRES
à quoi l'oD s accorda volontiers ^ Vous sarez ce qai
86 passa, et les lettres qui furent écrites à Rome, les*
quelles, bien quelles eussent été envoyées à bonne
intention, m'ont causé une partie des croix que j*ai
souffertes. Les deux bonnes Mères qai noas forent
envoyées de Paris, à lexclusion des nôtres de Tonn,
ignoraient tout ce qui s'était passé, sinon qa*eUei
croyaient simplement que nous allions passer dam
leur Congrégation, et prendre leurs règlements et tout
ce qui s'ensuit. Ce fut en cette occasion qa*il fallut
développer toute laâaire et se déclarer, non publique-
ment, mais dans une consulte particulière ; car, grâce
à Notre- Seigneur, nous n'avons jamais eu de piques
ni de prises par ensemble dans notre petite Commu-
nauté pour tous nos accommodements. Ces bonnei
filles avant été très- tien élevées dans une maison fort
régulière, ont toujours été dans le devoir d*une ob8e^
vance et dune obéissance pleine d'édification. Eilee
prenaient conseil et avis des révérends Pères, et nous
aussi ; elles leur communiquaient leurs griefs et leurs
afiaires, et nous les nôtres. Elles croyaient donc, comme
je viens de dire, que nous allions passer dans leur
congrégation. Lon m'en porta la parole, à laquelle je
repartis que ceîait une union que nous voulions faire
avec elles, et non p-as un changement de notre ordre
dans le leur; que. pour exécuter cette union, elles
prissent no;re habit, et que nous ferions comme elles
le quatrième vœu d'instruire; ei ou ensuite de ces deux
j'riricifaux [lOisTs, nous ferions un accommodement pro-
DE LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 97
é
pre pour le pays^ par le conseil et le jugement des révé-
rends Pères et avec le consentement des communautés
dont nous étions sorties. Ce fut en cette rencontre qu'il
me fallut soutenir un grand combat, et faire voir que
je n'étais pas si flexible en un point si important, qu'on
86 l'était imaginé. Je me comportai dans tous les respects
possibles, mais toujours avec vigueur et fermeté. Après
tout il en fallut demeurer à mes deux propositions, et
Ton me dit qu'on ne me presserait pas davantage sur ce
IK>int ; aussi ne Ys^-t-on pas fait.
Combien pensez-vous que ce fut un grand sacrifice
à ces deux bonnes filles de quitter Thabit dans lequel
elles avaient fait profession ! Cela leur fut assurément
très-difficile, surtout le faisant sans la participation ni
le consentement de leurs Mères. Dans leur Congré-
gation, outre leurs constitutions, elles ont un très-
grand nombre de règlements jusques sur les moindres
éhoses, de sorte que, dans les grandes et dans les
petites, elles sont aussi réglées dès leur noviciat que
leê anciennes. De jeunes filles ainsi élevées et ayant
pris un pli d'observance sur toutes choses, sont bien
empêchées quand ils leur faut quitter leurs coutumes ;
et celles-ci étant éloignées de leurs Mères devaient sans
doute être généreuses et hardies, pour prendre ou laisser
les choses nécessaires à une union. Elles passèrent
néanmoins ce premier point, prenant notre habit, que
la Mère de Sainte*Croix avait déjà pris, comme j'ai dit,
dès notre arrivée, avec une simplicité d'enfant. Afin
de leur donner courage à faire ce premier pas, nous
fîmes, notre chère défunte et moi, leur quatrième vœu,
conditionné néanmoins et pour autant de temps que
noas demeurerions en ce pays. Cela se fit le soir en la
présence seulement du révérend Père Vimônt; et dès
LBTTR. If. II. 7
le lendemain aiann -iïles prirenr les habits que jaTais
tenu *ûas jrèta. ivec beancouD ie iloacenr et sans fSûre
paraître aacaa signe :e m^ccontemement. Ensuite de
cette action faire :e ;an ^i iaatre. noaa demeurâmes
Mutes fon iraniîTiiiles.
Ces homies dlles ûrenz ':iea naraitTe Lear Teita en
cette rsaconrre. csœ :)utre ,a'li a'j avait rien dans leur
habit; <iai aoGraohài: iu a^rre. étanr entièrement dissem-
biable, elles se virent -:ien êIoign«îea de leur attente.
On leur avait :ait enteniire lue nous leriona ce
rait vieiqTÏaatre reii^ease [oi. 'jaittant son Ordre était
entrée danm le lenr. et vii pour cei eifet avait refait
so-ecneLlenienL ses v^'ix i la grille. Mais je ▼ona laisse
à penser si la ciière iéi';in:e. rî nioi qui étais en charge,
eu.?sio::s rait :in si lûkhe tour à notre Congrégation
et à notre xaiicn :e T:iirs. Je :asse platôc retoamée
en France si la Tî^Ienoe 7 :*i: survenue et qnelle eût
pa^s.^ pîjs avan:. ilaîs. x^ime je vous ai fait remar-
'ZZ^T. lorsr. l'on me v:: constante en ma résolution,
on me laissa en paii. Je rcrtais îous les coups* car notre
chère compagne étan: jeuze, on croyait que quand je
serais ahattne on en viendrai- facilement à bout. Je ne
i'aSigeais pcin: ie mes croix, parce que je voyais que
Notre-Seigneur ramigeâ:: d'ailleurs. En ce point néan-
moins je me sentis cbiigee de lui faire connaître rimpor-
tance de Tâifaire. Elle en demeura vivement touchée,
et avec une constance et fermeté digne de son esprit
elle déclara sa Tokmté qnand il fut temps et à qni il
appartenait. Je rii encore dans mon cœnt« quand je
pense aux n^onies qa*dle fit, qui sm^^^s?^^^^ ^^J^^
dence et en s^ene ime personne de soiiiv^.^^n^'^'^
avec tant de .modestie et de «tenue,^^^^^^^^
qpi1elki]r^«i»tt|wjiioio8 de vertu que c^ ol^^^^^^^*"^
DE LA. MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 99
Cette affaire étant vidée, il fallut passer à nos petits
règlements» qui changeaient toutes les coutumes et les
façons d*agir de nos chères filles, ce qui leur fut encore
une circoncision bien rude, quoique le tout fût dan^
une très-grande justice et équité. Les personnes que
leurs Mères avaient chargées de leurs affaires eussent
bien désiré de les contenter, mais aussi ne voulaient-
elles pas nous contraindre ouvertement dans les choses
qui nous eussent fait tort. Mais, par sous main, j*en
étais pressée par diverses persuasions qui m'étaient
plus pénibles et crucifiantes qu'une violence manifeste,
laquelle enfin eut tout d'un coup son éclat. Ce fut en
cette rencontre qu'il me fallut faire à moi-même une
Tiolence des plus grandes que j'aie souffertes en ma vie.
Car avoir des démêlés avec des saints pour qui l'on a
toute la créance (confiance) et toute l'affection possible ;
ne pas acquiescer à leurs raisons, capables d'ébranler
à cause de leur solidité ; en un mot, se voir dans un état
actuel et dans une obligation précise de leur résister,
c*e8t une croix nonpareille et d'un poids insupportable.
11 en fallut néanmoins venir là, et faire de petits règle-
ments dans une juste égalité, en attendant une personne
qui nous pût aider à passer plus avant, n'en voyant pas
loi de |[)ropres pour le faire.
Tout cela s'est passé dans ma première supériorité,
à la fin de laquelle Dieu nous a envoyé le révérend Père
léc&me Lalemant, que je consultai sur tout ce qui
i*$tait passé, et lui déclarai l'état présent de notre affaire.
U la posséda parfaitement, en ayant manié d'autres
en France qui y avaient bien du rapport et qui étaient
0èm plus épineuses. Il entra dans les véritables senti-
jlldOts d'union, s'éloignant de toute partialité, et se
^pprtant en toutes choses comme un homme juste
(
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■r:..,'f/r. ,j,,r. iiielones-unes ont eues sur
" ' '.iiiiM >; '/;i]M a pu dire que nous avions
' ' I •• '•'• r.'iriî rt. non do Tours. Examina
' ' '"ii'ip- 1(110 dnns lo substantiel ii v a
r I '" .» • I tit-ï (pip do l'aris. Je le rëpèc.
' .•• •• ' .^^- .'< vons YtMTOz que je dis ia
" • ;»..•. ,;. ,1 ,j-, {.^, 5^^>m qJ Jg Paris
' • . / « V r U^ ucureâD. tant
DE LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION.
101
par la nécessité du climat, que pour rédification des
peuples auxquels nous eussions été inutiles si nous
avions voulu faire toutes choses comme en France.
Mais dans ce qui regarde ces constitutions et règle-
ments, nulle n*a été contrainte, je vous en assure, ma
très-chère Mère. Mais passons aux griefs qu'elle et sa
compagne ont proposés contre nous. Pour moi je me
confesse fort coupable, mais vous souffrirez bien que
je justifie une Communauté qui cherche Dieu en vérité;
et je crois être obligée de le faire.
Lorsqu'elles (les deux religieuses de Tours) arrivèrent
ici nous n*avions qu'un règlement propre pour le jour
(provisoire), le vœu d'instruire, la forme de potre habit
de Tours, notne chant et notre jeûne du samedi. Les
aatres observances se pratiquaient selon le règlement
du jour. Mais comme ce n'était qu'un règlement, excepté
ces quatre points essentiels, elles ne croyaient pas être
obligées de le garder non plus que d'obéir aux supérieurs
d'ici. Par cette erreur, quelque bonne que fût leur
conscience, il ne se pouvait faire qu'elles ne tombassent
quelquefois en des fautes extérieures, qui pour être
petites, ne laissaient pas d'être matières de croix,
quelquefois assez pesantes à notre chère défunte et à
moi, qui eussions bien souhaité de les voir dans un état
parfait.
Il nous fallut donc travailler à nos règlements (défi-
nitifs); et quand nous fûmes à régler nos classes, les
Mères de Paris, qui, dans leurs pensionnaires, ont une
première et une seconde (maîtresse), et au-dessus de
ces deux là une générale, eussent bien souhaité que
puisque nous avions pris le vœu d'enseigner, nous
prissions le règlement entier. Mais ces deux bonnes
filles (les deux venues de Tours) firent instance à ce
102 LETTRES
qu'il y eût deux sœurs égales, et des aides autant qoll
en serait besoin, et au-dessus de toutes une directrioe
où préfète des classes. Comme la Mère N. fat de oe
sentiment, tout cela fut accordé avec beaucoup de
douceur par les Mères de Paris. Cependant je voyais,
clairement que celles qui pressaient si fort pour Fëgalité
des maîtresses changeraient bientôt de sentiment, oe
qui est en effet arrivé. Le règlement néanmoins fat fait
et ensuite exécuté. Une sœur qui ne venait que de faire
profession, fut mise égale avec la Mère de Sainte-Croix,
qui a vingt-huit ans de profession, laquelle 8*y comporta
très-bien. Moi qui sortais de charge, j*y fus mise avec
la Mère Anne de Notre-Dame, qui agissait avec autant
ou plus d'autorité que moi. Mais je n^ fus qae fort
peu de temps, parce qu'il me fallut prendre le soin
des novices.
Cette égalité d'autorité dans une si grande inégalité
d'âge et de profession commença à leur ouvrir les yeux.
Elles virent encore plus clair quand elles y furent elles-
mêmes employées avec de plus, jeunes qu'elles ; et elles
reconnurent que quand elles firent tant d'instances sur
ce point, elles manquaient d'expérience. Cependant la
chose était faite, et cette égalité est bonne si nous
avions toujours de jeunes filles, parce qu'en en donnant
deux pour aides à une ^ui serait maîtresse en chef,
on satisferait à tout; et cest ainsi que nous en usons
aujourd'hui. Néanmoins, encore que le règlement fût
bon, et qu'il fût mis en pratique dès qu'il fut fait, l'expé-
rience qu'elles en eurent leur fit changer de sentiment,
et les porta à vouloir défaire ce qu'elles-mêmes avaient
fait. Mais on ne voulut pas les écouter : car, ma chère
Mère, si nous venons à changer les règlements et les
constitutions à mesure qu'ils nous incommodent, que
DE LA MÈRB MARIE DE L'INGARNATION. 103
sera-ce de la religion? Voilà pourtant le premier
grief qu'elles exposent contre nous pour excuser leur
retour. Quoiqu'il en soit, depuis qu'elles nous ont
quittées, nous sommes dans une paix toute pleine
de l'esprrt de Dieu, et chacune garde sa Règle avec
bénédiction.
Leur second grief est que nous sommes ici, ainsi
qu'elles disent, deux Congrégations. Pardonnez-moi,
ma très-bonne Mère, nous ne sommes pas ici deux
Congrégations, mais nous sommes une Congrégation
composée de deux, dans une très-étroite et très-intime
union de l'esprit de Dieu; et je vous assure qu'elles sont
si bien unies, que nous n'y faisons pas plus de réflexion
que si nous étions toutes sorties d'une même Commu-
nauté. Quand nous pensons à nos Congrégations de
France, ce n'est que pour les aimer et nous lier à elles
par une charité mutuelle et par une association de
prières. Le temps fera connaître que cette union a été
voulue et ordonnée de Dieu. Il est bien vrai que dans
les apparences humaines, si nous fussions toutes sorties
d'une même maison, nous n'aurions point eu d'affaires
(de difficultés) pour nous unir. Mais, mon intime Mère,
qui nous aurait soutenues et fait subsister ici ? Car de
ce que j'ai vu et expérimenté, il y a plus de dix ans
qu'il nous aurait fallu retourner en France, n'y ayant
eu que vous et nos Mères d'Angers, de notre Congréga-
tion, qui nous eussent assistées. Ce n'est pas qu'il faille
regarder à ce temporel ; car si Dieu en avait ordonné
autrement, il nous eû^ donné ce que nous n'avons
pas vu JQsqu'ici. Mais aujourd'hui je vois deux corps
(la Congrégation de Paris et celle de Bordeaux) unis
en nos personnes, pour prier pour nous, sans parler
de l'assistance temporelle qui nous aide à garder nos
104 LETTRES
Uà|ilâ0 et notre Institut, à Tédification de cette non-
vallâ Eglise.
lia troisiôme grief ou prétexte est que nous ne fairoiiB
riau iu), et que nous sommes inutiles au Canada. Les
Mupérleura et tout le pays sont des témoins* irrépro-
olmblds de la vérité. Elles avaient peut-être un grand
ooumga. et tout oe que nous faisions, pour grand qull
tMx paraissait petit à leur zôle. Gela regarde Tintérienr,
dout la jugeaient appartient à Dieu, et je n'y veux point
^i^uâtrar. Mais pour le dehors, c*est une vérité publique,
^ua dapuia notre rétablissement après notre incendie,
\a Sâminaira est sensiblement augmenté. Le nombre
da n^ âUas a tallament accru, et nous avons été si
aaivt^Ai'tlâa»^ que j ai été contrainte (à mon grand regret)
dVu l'^tXi^ar (Plusieurs qui sen allaient les larmes aux
\i^u.\, laudia^ qua je pleurais dans le cœor. Je vous dis
\>^\;»u( Oiau la vérité, ma très-chère Mère» et je vous
H^uiv qua uou;» $oauae$ tellement surchargée, que
«4^UJi uu luiracla uoo;» ue pourrions subsister. Cela est
\u <;^i gsMmu da t\>u( le monde ; il esc encore plus vu et
l4uK>i cv^Juu dt^ l>i^u ; v^^U Q0U2» sa£c. Il nous assistera
^ii* liM x^it^ quil plaira i^ :^ Providence d'ordonner.
v>v^ dxàiH ^ta2U pi\)«ji:$«M ; ciu:$;»i ;e crois que cela suffit pour
i^.>ii,tUvr U\>lv^ vVmaiaLiaucu auprès de vous et de nos
oh<>iVv>i \lvi>M« V\mc^ v)ie;^ j u:M;es dC âquitubliss ; jogez-en,
\U v\>uc\ i^huT^ iih>a uuiuio Mtjrt^. Je :suis toute à vous
DE LA MËRB MARIE DE l'iNGARNATION. 105
LETTRE CXXXIV.
A SON fILS.
Etablissement de la Foi chez les nations Iroquoises supérieures, et nouvelles
hostilités des Iroquois Agnerognons.
Mon très-cher fils,
Jésus soit notre vie et notre amour pour le temps
et pour Téternité.
Comme les vaisseaux sont arrivés ici dès le mois
de mai, aussi s*en rétournent-îis promptement. Celui
par lequel je vous écris lève l'ancre, un autre est déjà
parti, et comme je ne vous dis rien, dans mes autres
Lettres de Tétat de notre nouvelle Eglise, j'ai cru pour
votre consolation devoir vous en dire quelque chose
par celle-ci.
Dès Tannée dernière on fit un traité de paix avec les
cinq nations Iroquoises, l'une desquelles, qui est voisine
des Hollandais, eut de grandes difficultés que les Hurons
et les Algonquins fussent compris dans le traité. Ils
y consentirent néanmoins à de certaines conditipns,
savoir qu'ils garderaient la. paix avec eux jusqu'à de
certaines limites, hors lesquelles il leur serait libre
d'exercer leurs hostilités comme auparavant. Quant
aux Français, la paix était sans restriction et sans
limites. Tout cela s'est observé jusques au printemps,
que les Agnerognons, c'est le nom de cette nation,
UW LETTRB8
ttuijotiri fourbes et méchants, noas ont fait voir ce que
Ton pout attendre d'une nation infidèle, et qui ne connaît
point JltHÎJR-ClIRIST.
Au mdnio temps que la paix fut conclue, deux de nos
n^*<^rtMulfl Pares furent envoyés aux Iroquois supérieurs,
\\\\\ los avaient demandés avec beaucoup d'instance.
U» partirent avec leurs ambassadeurs à la vue des
A)ruort>Ki^^^)^ toujours envieux, mais qui dissimulôrent
^U^r» ItHir onvie. Ces Pères furent reçus partout avec
\)o i^riiiuls tt^moiijnages d'estime et d'affection, tous ces
l^^upW lour allant au devant de gîte en ^te, afin de les
h^u Kraitor. I\Ns quils furent arrivés, les principaux
4e« u;itions rassemblèrent et les firent asseoir les
^ir^HttWn ^lan^ leurs Conseils. Ils furent reçus et régalés
v^^ Q\,^;i^ tv^ur à tour d une manière extraordinaire, parce
^^^'^M W r^ii^rUait comme des hommes Tenus du ciel.
tV>(ii t^^ur^^ K^ r^Wêr^nd Pèr^ Chaumonnot commença
A ^rv^c ^ U bVi et à enseigner à faire des prières
^^K^^M^<itibe^t. U i\xi êvvucê e( admiré de tous, en sorte
^W;st i9(^ 9^^VLii (vur ua hv>auxie prodi^eux. Ces exer-
hHw^^ sN&ri vvc^^r^txè ;ou? L hiver ;ivec caa( da»iduité,
>t^^^ s^X^j*-* vC :ttA:rtx ;uîS^:iVjt îcir la chaçelîe dlâoûree
^w ^.•^M5^ ^i^v^5î^v\ 5e vrnfat;er cojwiea ie eecte Eglise,
;jk\^;i i(j^t^ i^ :.'"a>ccUk w i«eîn^iz«5ti5 jciai, les Ptos
v^ r^v^X'if^^ ^:vit>K^K' iik^ ^mt^ ^uoT XL» la MesK et tear
sNKwi >tsfr/ HVVTi i^ u^ ïuïi ïa: ârrmfflt il» irwiTèfent
\^w V^^>^ <NHttvV« j^:%v {021^ xiius JtHtr zitmmii ils firent
l^^v*^'^'> ov H>i*.viSiviLnQut^ ^ixi .tmttc nçmés en leur
V ovvi«x> ..iîSM.xv i.iit^ Ut ^nns«i lUL ùa tenu.
DE LA MÈRE MARIE DE L'INGARNATION. 107
plus grand nombre de Pères, afin de les distribuer
dans les bourgs, et tout ensemble une peuplade de
Français pour faire une habitation fixe. L'on est con-
venu à cet effet d'un lieu commode à l'abord des nations
qui viendront trouver les révérends Pères pour com-
muniquer avec eux de la religion, et les Français
pour traiter d'aflTaires. Le révérend Père d'Ablon partit
aussitôt avec quelques Onontageronons et Sonontouae-
ronons, qui sont les plus grandes et les principales
• nations de ces peuples, et après bien des fatigues ils
arrivèrent ici au temps de la passion. Ils firent leur
demande à M. le Gouverneur et au révérend Père
supérieur, qui ayant appris les beaux commencements
de cette mission et les grandes merveilles que Dieu y
avait opérées en si peu de temps, conclurent qu'il fallait
la fortifier par le secours d'un plus grand nombre de
'missionnaires. Alors ce révérend Père, qui est un
homme vraiment apostolique, fit de si puissants efforts
pour cette glorieuse entreprise, qu'en peu de temps
cinquante-cinq Français, y «compris quatre Pères et
trois Frères, furent prêts. Ils partirent d'ici en mai avec
un zèle et une ferveur nonpareils. Dans cette com-'
pagnie il y avait quelques soldats de la garnison, que
M. Dupuis , honnête gentilhomme et qui avait com-
mandement dans le fort, s'était ofiert de conduire.
Lorsqu'il me fit l'honneur d0 me dire adieu, il m'assura
avec une ferveur qui ne sentait point son homme de
guerre, qu'il exposait volontiers sa vie, et qu'il s'esti-
mait heureux de mourir pour un si glorieux dessein.
Tout cela ne se fait qu'avec des frais immenses, mais
les révérends Pères sacrifient tout pour le service de
Dieu et pour le salut des âmes. Et pour moi je ne puis
comprendre la grandeur de leur courage en ces ren-
108
contres, car rieir ne lenr coûte qnand il s'agit de gagner
des âmes à Jésus -Christ.
Les Agnerognons ayant appris qne le dessein était
formé d'envoyer des Pères et des Français aax nations
supérieures, afin dy faire nne habitation et une maison
fixé, devinrent tout furieux et renouvelèrent leur envie,
dans la pensée que cette alliance dm Français, Hurons
et Algonquins avec leurs voisins serait leur mine avec
le temps. Afin donc d'en traverser Texécution, ils se
cachèrent dans un bois au nombre de quatre cents, afin *
de les surprendre au passage. Us laissèrent néanmoins
passer le révérend Père Supérieur avec sa troupe,
mais quand il fut éloigné, en sortent qu'ils ne pouvaient
plus être vus ils se jetteront sur un grand nombre de
canots qui suivaient, conduits par le révérend Père
Mesnard et un Frère, et sans rien dire ni écouter,
pillent et battent outrageusement tous ceux qui se
trouvent sous leurs mains, feignant de ne pas les con-
naître. Puis comme s'ils se fussent relevés d'un songe,
et faisant les étonnés, ils s'arrêtèrent tout à coup et
leur dirent : Hé quoi! c'est donc vous! Hélas! vous êtes
nos frères, nous pensions que vous fussiez Algonquins
et Hurons, que nous avons droit d'attaquer hors les
limites désignées. Nos Français voyant bien que ce
n'était (|U*une fiction, les appelèrent fourbes et perfides,
leur disant qu'ils auraient guerre ensemble; et voyant
que la partie n'était pas égale, ils se séparèrent.
Ces barbares continuant leur rage et leur dépit,
vinrent de nuit et sans être vus, dans l'Ile d'Orléans;
et It) matin voyant une troupe d'hommes, de femmes
«st ilVnfaiits. tous Hurons, qui plantaient leur blé d'Inde,
lU «0 ruèrent sur eux, en tuèrent six, et enlevèrent
tous lâs autres au nombre de quatre-vingt-cinq, qu'ils
DE LA MÈRE MARIE DK L'iNCARNATION. 109
UèreDt dans leurs canots. Tout cela se. fit sans que les
Français en eussent connaissance, et même s'ils eussent
encore tardé cinq ou six heures à faire leur coup leur
capture eût été bien plus grande, parce qu'ils en eussent
enlevé trois ou quatre cents, qui étaient venus entendre
la messe, et qui devaient ensuite s'en retourner en leur
désert, mais qui apprenant dés fugitifs ce qui s'était
passé, se retirèrent dans le fort. Nous fûmes tout surpris
de voir le fleuve couvert dp canots qui venaient vers
Québec, surtout quand on sut que c'étaient des Agne-
rognons, qui par le traité de paix et encore selon la
parole qu'ils avaient donnée tout nouvellement aux
révérends Pères, ne devaient poini passer les Trois-
Kivières. Gela fit croire qu'ils étaient aussi bien enne-
mis des Français que des sauvages. C'est pourquoi
les maisons écàrtéels demeurèrent désertes, chacun se
retirant à Québec, ou néanmoins il n'y avait pas de
forces, chacun étant allé à .ses affaires. Ils passèrent
devant le fort, où l'on crut qu'ils allaient aborder, mais
faisant signe qu'ils étaient des amis, ils passèrent outre
et continuèrent leur chemin, jusqu'à ce qu'ayant vu
des maisons abandonnées, ils crurent qu'on s'était retiré
par défiance qu'on avait d'eux, ce dont ils furent telle-
ment choqués qu'ils enfoncèrent les portes, pillèrent
tout ce qu'ils rencontrèrent, puis s'en allèrent aux Trois-
Rivières chercher à qui vendre leur picorage (butin
de maraudage).
Nous avons su par un chrétien qui s'est sauvé de
leurs mains demi-brûlé et deux doigts coupés, qu'ils
ont emmené nos captifs en leur pays, et qu'ils leur ont
donné la vie, excepté à six des principaux chrétiens
qu'ils ont condamnés au feu. L'un deux nommé Jacques,
très-excellent chrétien et préfet de la congrégation, a
110 LETTRES .
signalé sa mort par sa foi et par sa patience. Parce
qu'on remarquait en lui une piété plus éclatante qne
dans les autres on Ta fait brûler trois jours de suite,
durant lesquels il pria et invoqua sans cesse le saint
nom de Jésus, exhortant de paroles et par son exemple
ses compagnons de supplice. Quelque violent qu'ait
été son martyre, l'on n'a pas entendu de sa bouche une
seule plainte. Enfin il a expiré en saint» et nous l'esti-
mons tel. Celui qui nous a rapporté cette histoire, après
s'être sauvé du feu, courut plusieurs jours, jusqu'à oe
que par une providence de Dieu il fit rencontre da
révérend Père Supérieur et de sa troupe à quatre
journées d*Onnontagé, qui est le lieu où doit se faire
l'habitation française. Ce pauvre homme s'en allait
mourir, ayant fait plus de quatre-vingts lieues en pe^
dant son sang ; mais le révérend Père fit à son égard
tout ce qu'il fallait faire dans une semblable rencontre,
et après l'avoir mis en état de marcher, il .lui donna
escorte pour le conduire à Montréal. Nous attendou
de jour à autre les nouvelles de l'arrivée de nos rêvé*
rends Pères. Priez pour toutes ces affaires, mon très-
cher fils, comme aussi pour nos bons chrétiens sau-
vages qui se sont tous réfugiés à Québec en attendant
qu'il plaise à Dieu de calmer cette tempête.
De Québec, le 14 août 1656.
DB LA MÈRB* MARIE DE L*INGARNATION. 111
LETTRE CXXXV,
AU MÊME.
Après l'avoir blftmé de ce qu'il ne lai écrivait pas assez souvent, éiïe lui donne
un avis important touchant ^oraison.
Mon très-cher fils,
. La sainteté et pureté de Jësus soit notre sanctification;.
J'ai reçu seulement la lettre par laquelle vous me
dites que vous m'écrirez par une autre voie. Voilà
cependant cinq navires arrivés à notre port sans que
Jen aie reçu d'autres de votre part. Il faut que je vous
accuse d'un peu de paresse; et que je vouspdise qu'encore
que je sache votre bonne disposition, et par vous et par
d'autres, et que cela me suffise pour le préisent, vous
ne devez pas néanmoins vous contenter de me le faire
savoir par une seule voie, autrement vous me mettez
au hasard de ne point savoir de vos nouvelles.
Le révérend Père Jérôme Lalemant, notre bon et
charitable Père, repasse en France, taût parce qu'il
y est rappelé que pour accompagner M. de Lauzon
notre Gouverneur, qui y retourne aussi. Ce nous est
une affliction bien sensible de le perdre, car outre que
c'est une perte générale pour tout le pays, notre Ootn-
munauté y perd plus que tout autre. Il a fait nos conisti-
tutions, nos règlements, et généralement tout ce /qui
nous est nécessaire pour vivre dans une parfaite r4gu^
1 1 s LKTTRBS
larit^. Le rdvërend Père Dom Raymond et lui sont les
deux porsounes du monde auxquelles Notre- Seigneur
lu a H^e plus particulièrement pour la direction de mon
Auio; ot jai à oolui-oi des obligations infinies pour les
gratulos assistances qu il m'a rendues dans mes néces-
sitais. Je vous prio.de lui en témoigner de la reconnais-
sance et do le recevoir selon son mërite; car cest un
homme de grande considération pour sa doctrine,
proVité et sainteté, sans parler de sa naissance qui est
Âsse? vvnnue dans Paris. Nous nous flattons de Tespé-
n^r.oe ^1:11 revier.dra, maïs son grand âge y pourra
rù^ure ^;e lV:»fiv:u-::;on:. 11 vous aime et chërit beau-
vv\:;\ f î ot^î:e s^;:'e rAis.^n, sàr.s les auires, tous oblige
A >k; rvr..;:v ',e rèc;j^rv^^ue tî ronr voas et pour moi. -
,> vo;:s r^v.u-rv.e .:«» rcire ^rèse^k; ei prie Notre-
$fV^Tî<i;r ôe vouloir è:::^ vc::^ rê^zi^n**; je vous
prie ôc n*^ Vv\îs rv.;r.; r.:'£'nrir rz friis jotit moi : je sais
lit \>râ<- t^c v;\:r< oo^;:r, Kfcis jr &fci$ aossi que les
persîi^rn*>s r*^rikît*us^ Tif tot^; ^as ;-:*ï:î ce qi» leur bonté
}^i:r suiî^t^rr. k OAn^" ;?£ >& r^.::rre:^ çn'elîes ont profes-
sa- S. vc^ns é:\€7 *i'i;r. ^îr^i-rt rc. et: ùz commerce dans
k mon^x r*ft7 is *Vir<vrAôr. ^l fcu^rsmâiji- >e toss prierais
«^e riM"î5 r-?iVi:r<': 4%^ anM* , ma:? milim îe sais que
Vx*^iîs v;v<»r ôflr?:^ ;a Tî'-Tr^éiU- . ^r voDs ôenkanàe senlemait
<jnr v,>n5 r^>r»s ^r. rc*v;:ri;v pour jt c»el lOàrmi ]es anges
OT îe^^ ^sirts. «k* .fisshiun.v -Gc^soDe;? n:»n5 avons eneore
p)TO *i<" >^^^ir. cïvt *i< <v".ît «i?i5 honimes.
\>«?i îv/svi^r ^^^^•JÀ' re7;:n s^eTvirte de me faire
wiVivr fSi^nrçnx"*i. vcï? relî^ie^i;^ c^raii: vèîu^ ot noir, vkw
Monwt^^ port;^ k rs>rt. r»?* ?-Ar*«>-Manîâaux. Gène
>laT9M ajnnw ^t<- «>T>^^^ r.ïin> r<îs .v^r^iœer.rtrnienK ponr
W^ S^^rvîlw iie î* ^PAinv '• -fr^î:. ou. rîAjôii: hahiCéi
D£ LA MËRE MARIE DB L'IN CARNATION. 113
réforme, d'en changer le nom : ce n*est plas là un
mystère pour moi. Pour ce qui nous regarde, je suis
bien aise que vous approuviez maintenant notre demeure
en Canada. Il est vrai que c'est un pays de Croix pour
les serviteurs et pour les servantes de Dieu, mais comme
c'est le partage des saints, nous sommes d'autant plus
heureux que nous sommes dans un lieu où l'on en
trouve en abondance et avec bénédiction.
La manière de l'oraison dont vous me parlez, qui
tient rame unie à Dieu sans penser à autre chose, est
très-bonne quand elle se termine à la solide pratique
de la vertu : car bien que dans l'oraison actuelle on ne
réfléchisse pas sur telle ou telle vertu, quand néanmoins
l'opératioi) est de Dieu, l'oraison porte son effet dans
les occasiops. Dieu laissant dans l'âme un mouvement
ou inclination au bien plus forte que ne fait une oraison
commune. Vous verrez quelque chose de semblable
dans récrit que je vous envoie, dont le révérend Père
Lalemant a bien voulu être le porteur afin de vous
le mettre entre les maiDs.
Dans une lettre particulière, je vous mande les nou-
velles de ce pays. Pour mon particulier, ma santé est
bonne, grâces à Notre- Seigneur ; je l'emploie, après
le soin de notre Communauté, à faire bâtir une petite
église que Madame notre fondatrice nous donne, et
dont elle a voulu que je prisse la conduite. Ce travail
m'occupe assez, parce qu'il faut tout faire par ses mains,
nourrir tous les ouvriers, et enfin faire de grands frais,
quoique nos édifices soient pauvres et petits.
L'offrande que vous faites de moi chaque jour au
saint autel m'est très-précieuse; j'y trouve mon bon-
heur, parce qu'étant offerte au Père Eternel avec son
Pils bien- aimé, j'espère que je ne serai pas rejetée.
LSTTK. M. II. 8
114 LBTTRB8
Prenez courage dans les choses spiritoellea, notre bon
Jésus vous aime.
C'est ici la première lettre que j'écris en France. La
navires, qui sont cinq en nombre, sont arrivés à la
fln de mai et au commencement de juin, ce que Ton
n'avait point encore vu ; c'est pourquoi ils partent de
bonne heure, et c'est ce qui me presse d'écrire à nos
amis, et à vous qui m'êtes le plus cher de tous.
De Québec, le 24 Juin 1657. •
LRTTRE CXXXVI
AU MEME.
Bll«> lui témoifme le désir qii>lle a d« m perfactioD. — Dmh •• attit des mfllietiûw
ft>rpor«llefi |>oiir détacher les Ames des cFéeturee, — BUe loi pvle d*iiiie maUdîe
extrême dont Notre- Seigneur l'a gnerie.
Mon très-cber fils,
jRsus soit notre vie et notre tout pour le temps
et |>our Tét^rnité.
J'ai reçu toutes vos lettres, tant celle de Tannée
dernière, qui s'est trouvée dans le paquet de nos Mères,
que vos dernières, écrites de cette année. Je ny veux
pas répondre A présent, cette première vme étant trop
prédpiMa. Oa aot est aenleiiient pour voua témoigner
la OQMallBim que je reçois duque année lorsque
J^ippiMMll 4a Toa nonvdlea et le déair que vous srar
4è ItW J^Ufom ^ à*èbte tout A Jssits-Oedust et au
fit**
DE LA MÈRB MARIE DE L'INOARNATION . 115
tràs-sainte Mère, dans les yoîes de la véritablô sain-
teté. C'est ce qae je demande à Dieu plusieurs fois le
jour, particulièrement en ce temps où la zizanie ne
86 mêle que trop avec le bon grain, et où le mensonge
veut passer pour la vérité sous un manteau trompeur.
Dieu nous envoie plutôt à vous et à moi la mort la
plus désastreuse du monde, que de permettre que nous
tombions en ces pièges.^
Je ne sais où celle-ci vous trouvera, c'est pourquoi
je l'adresse à ma nièce de Tlncarnation. Cette bonne
fille me mande les obligations qu'elle vous a pour les
grands soins que vous avez de tout ce qui peut lui
servir pour conserver Tœil qu'elle est en danger de
perdre. C'est une âme qui tâche ^'aller à Dieu, et à qui
son infirmité a beaucoup servi pour la détacher des
créatures et d'elle-même. Sa bonté sait bien prendre
son temps pour sanctifier ses élus.
Pour moi, il y a déjà quelques mois que j'ai quitté
ia charge (de supéneure), ce qui m'a été d'une consola-
tion toute particulière, ayant toujours eu plus de pente
à obéir et à être dans la dépendance qu'à commander.
Ce n'est pas, ce me semble, une vertu en moi, car je me
trouve en mon centre, étant, comme je suis, dans la
soumission. Je suis néanmoins dans un office bien
divertissant (distrayant) dans le Canada, c'est d'avoir
le soin du temporel; mais ce qui me donne du repos
dans le tracas, c'est que Dieu est partout, et qu'il n'y a
lieu ni afiEaires qui nous puissent empêcher de l'aimer
aetuellement.
Lorsque nous avons reçu nos lettres de France, j'étais
dans une maladie qui m'a mise à deux doigts de la mort.
(l) Bile parle des^meDéee insidieuses da janséoisme.
^K-'i
r/''-^ y-îiacA -T/^ir -> 'j^ :n -oaaeillerua 33» les
-{i«.^«*^<9 f/^ > YVPT i«^ ^era TU jrantt Tien jour a
^// ryn^t^Y f v.i^?n-> uw penonnes ie inaiisé 41x1 la, viâ-
•A^+ »^r->-r^n^ '>5r; îor^esi te Timiés aonc xa acnaoïL nuxiel
A «^rfrA ^^<^4 î*Aj5^;/*n« iTOr*naî i rxne ;eizne ûîî& qtxi a de
l/#Mt«fW. ^/fr<*r^. >J1^ On .iii iic i^u'aiL» est sage et rele-
fr'^'f, fffiin f-z^^A^ \ :ciCÂXi% d'une prouccioa de Dieu
^i^rf ftfitH^uU^^, \A f^nn M>XÀf£n de grandes brèches
lUifit ii*n o^'Af^nuft^^ /Ja parloir. Ain il y a sujel de
ffoMi- /jM*4 |V<|//ijf;iffrn«nt serait son bonheur, comme
Il r« ^•f/î h mirt^ rMff, rléfante la Mère Marie de Saint-
.tfiqM|th Jm rliff iffijt cola, mon très-cher fils, afin que
1 rMiff Hiftwlf')^ h yfinrrn A Tœil (que vous observiez toutes
f»hrinnq utni» ijrnfMln Htinnlion), et que vous vous infor-
mlf'9 il»« («Mil t nU, (In nrninte qu'elle ne faeise un coup
^ \i\ liV>f^»'r» .PaI inintix Hlinë vous en écrire qu'A tout
^\si\'(^, \M*h»i» <|M0 |n lUï» oonfie on vous. Je pense qu'il
v^syi \\\\t^ \\s\sn «*ii A^rl vli^R A oœur ouvert à ma révérende
MAvi^ tVAV^V'Mi^i* il** Saint -Uornard, la priant de vous
,iivo i\M^<t«Vn\w<^nt iPK^ |vn;sAN^. Faites donc cela pour
*?^m.MSV <V INiAn. WiNii IvAî^-ohw fils, «t voos m'oldigeies
''ï^^ni'»'»nf . «NNn-m/^ .'infini il^ v^ir aonvent le ré^éreod
V, ^,^• v^MpT-rT. ' V*^^lÊ In* «vonf mi^ entre lef:
DE LA MÊRB MARIB DB L'iNGARNATIÔN. 119
notre plus véritable ami. Voilà que les navires vont
partir, adieu pour cette année.
De Québec, le 2 de septembre 1657,
LETTRE CXXXVIIL
AU MEME.
Progrès de la Foi parmi les nations Iroquoises. — Passage des religieases de
France en Canada. — Solution complète da malentendu qui avait eu lieu entre
elle et son fils. — Opposition de Tamour-propre à l'esprit de Dieu.
Mon très-cher fils,
La vie et l'amour de Jésus soient notre vie et notre
amour.
J'ai reçu de trop bonnes nouvelles des missions
iroquoises pour ne pas vous en faire part. J'ai appris
depuis trois jours que le progrès de l'Evangile y est
grand. Le révérend Père Mesnard seul a baptisé à Oneioou
et à Oioouen quatre cents personnes. Les autres mis-
sionnaires en ont baptisé à proportion dans les lieux de
leur mission. Le diable, qui enrage de ces commence-
ments et qui craint encore plus pour l'avenir, a suscité
an trouble pour détruire ce que les Pères ont édifié.
Il rend la jeunesse, qui de soi est déjà guerrière, extrê-
mement revêche, la portant à nuire aux chrétiens en
tout ce qu'ils peuvent. Et parce qu'ils n'osent pas encore
8*élever contre ceux de leur nation, ils se jettent sur
les Hurone leurs anciens ennemis. Ils en ont tué
IZf)
trtnz^, tout petits que grands, et en ont fait quarante
nutr^.n prisonniers. Les anciens en ont bien da déplaimr,
mais hn jeunes ne les craignent pas, ny ayant point
/Ja fi^ilice parmi ces peuples.
FViur ce qni regarde notre monastère, j'écris à nos
MAros do Tours à-roccasion de deux sœars de notre
Congrégation que Ton doit prendre en Bretagne poor
nous los envoyer à la prochaine flotte. Je les remercie
pour coito année, à cause de quelques changements
(rii(rair(!N qui sont survenus à notre maison, et partica-
lIAromont pour les grandes pertes que nous avons
fiiitos. Il est vrai que je goûte fort l'avis que vous noue
(lonnoz au sujet du passage des religieuses de France,
ni (|Uo dos flilos du pays nous seraient plus propres
pour notro esprit, que d'autres qui y apportent on
oNprit (étranger. Tout cela est vrai et nous l'expérimen-
tons ; nmis il ne se trouve pas encore assez de sujets
on 0(^ puy«i. Ou bien on les marie fort jeunes, ou elles
n'ont pas ilo vocation, ou elles ne peuvent apporter
do quoi sul)sister, ce qui est nécessaire absolument,
notrt^ i\>n\munnuté étant très-pauvre et ne pouvant
rtHVvoir dos samrs de chœur qu à cette condition : car
(HHir dos ^H^nvorses^ nous en avons reçu trois ou quatre
)vinir rioUv Ootto n^Wssité nous oblige de recourir en
V>:^n\V, oum^ quo pour le présent nous avons besoin
\lo )vi>$<Nnno$ fai(o$ ei qui soient en état de servir, an
hou ^n on WKW^ul des novic«s il faut aitendre long-
l^wj\<. 0» <^«vvw^x apTvVst avvnr Ken anendu, il est inoer-
).^in ï^) ^r^os ar.^^r.t î^ t;ii<»:$ nécessaires pour les
^•!^v>;!i .îV,:>^ v\vi^r•:ur^a;:î^. Uaszéf Jlenùdre nous en
x'?v^n\^r>,^iïi^«i .^^;:x. ;::>^ .^^^ .-iMi^ï>e CwsiKiésadon. Celle
,v î'^Ar^ 5i<- ;?\vï:x A ^c^è::^. vviie oe TiMi» sk«$ a manqué.
i>fc; .s\ \\N«$ xv>«^ <<£ ,1 XA ji« wta à ims «œ (ont
DE LA MÈRE BIARIE DE L'iNCARNATION . 121
n'ait été égal, et que nos Mères de Tours ne nous peu-
vent blâmer de manquer d'affection pour elles. Nous
avons cinq professes d'ici ; savoir, une du pays et quatre
qui sont venues de France, en leur habit séculier. Nous
avons actuellement deux novices et deux de nos pen-
sionnaires qui postulent. Nous avons quatre professes
de la Congrégation de Paris. Et quoique nous soyons
ainsi assemblées de divers endroits, nous vivons ensem-
ble comme si nous étions professes . d'une même Con-
grégation et d'une même maison, sous la conduite
de ma révérende Mère de Saint - Athanase qui m'a
succédé dans la charge. Mais quelque union que nous
ayons ensemble, si nous trouvions des sujets propres
dans le pays, nous n'en demanderionis point du tout en
France, pour le bien de notre Communauté et pour
éviter les inconvénients dont vous me parlez, qui sont
réels et véritables. Mais enfin Dieu est le Maître de
tout; il est notre véritable Supérieur, et en cette qualité
c'est à lui à pourvoir aux nécessités de la Communauté,
et à lui chercher, où il lui plaira, des sujets propres
à le servir dans les desseins qu'il a sur nous dans ce
bout du monde.
Voici la dernière lettre que vous recevrez de moi
cette année, parce qu'il ne nous reste ici qu'un vais-
seau qui lève l'ancre pour partir. Celle-ci n'est qu'une
réitération de celles que je vous ai déjà écrites en
matière de mon affection pour vous, ne vous ayant
rien mandé que pour l'amour que je porte à votre âme.
Nous n'avons, vous et moi, qu'une seule chose à faire,
qui est de servir Dieu dans Tétat et dans. la voie où
il nous veut; cela nous est évident. Vous aurez peut-
être été mortifié de quelques points de mes lettres, et
vous aurez cru que je suis dans l'inquiétude au sujet
12e
(lê raffuire dont il est question. Je tous avoue, et je
Toaff Tai déjà dit, qae j'ai eu Fesprit affligé, joiais non
pai inquiété. Mais vous m'avez donné de Téclaircisse-
ment sur mes doutes dans la lettre que vous m'avei
riorite par M* d'Argenson, notre nouveau gouverneur,
sn sorte (|ue Je suis satisfaite. N'en parlons donc plos;
parlons seulement de nous avancjBr en la vertu et dam
la voie de Teuprit intérieur, où l'on goûte Dieu et toutes
Ion vclrltéa divines. Il me semble que. je suis encore,
hton éiol(;née de la pureté que demande ce fond inté-
rit^ur, J*en découvre quelque chose, mais je ne le tient
pas» paiTio que je suis encore attachée à une natare
(kihlo. IVa)riIe et susceptible des impuretés de la tem.
Ah! mon Dieu! quand serai-je délivrée de ce moi-
\\\Mw si |>6u Adèle à l'esprit de la grâcef Quoique
dans mou fond je ne veuille ni vie ni mort, quand je
|i^U9t^ ui^nmoins à la mort ou que j'en entends parler,
uu>» vNV^ur «^(^panouit et se dilate, parce que c'est elle
sjut doà mt^ délivrer de ce moi-même, qui me onit
(>tu« stu<^ tout^« l^ choses du monde. Priei la divine
Nv»çi^ ^îuVtlt^ mVn vt^livr^ par tes vwes qui lui seraient
l\^ ^^!u> ^r^L^t^ et; quelle sait m^éîre bas ptos proprei
DE LA MÈRE MARIE t)B L INCARNATION. 123
LETTRE CXXXIX.
AU MÊME.
. dispose les ftmes à de hauts desseins par la solitude. — Tout profite à une
ne qui se conserve dans Funion avec Dieu. ^ Etat de ses affaires domestiques
de oelles du pays.
Mon très -cher fils,
Jésus soit notre vie et notre amour.
Voici la réponse à votre lettre du 28 août, que j'ai
jue avec deux autres de votre part, auxquelles
jpôre. pareillement répondre avec le temps.
Puisque Dieu vous a mis dans la solitude, et qu'il
us en donne de l'amour, c'est une marque qu'il veut
ras faire quelque nouvelle grâce, et qu'il a dessein
) vous fortifier et de vous fonder (affermir), afin de
)nvoir travailler dans les services qu'il demande de
)ns. Car c'est la conduite que sa majesté tient pour
ordinaire sur ceux dont il veut se servir dans la
nduite des âmes. J'ai été très -consolée d'apprendre
e vos études n'apportent point d'empêchement au
^vice de Dieu; c'est une marque qu'il demande cela
vous dans votre solitude. Je loue et estime le de^^sein
e vous y avez pris, qui ne tend qu'à la sainteté;
^is je vous dirai un mot sur le point que vous dites
d vous donne de la peine. Le peu d'expérience que
ti m'a fait connaître cette vérité, qu'il* faut bannir
1 24 LETTRES
toQs les raisonnements saperflas et les réflexions trop
fréqaentes sur ces sortes de matières, qai pour lordi-
naire sont platôt des tentations que des choses réelles.
Je crois que ce qui vous travaille de temps en temps
est de cette nature, et je tire cette conclusion de It
consolation que vous ressentes, lorsque dans vos peines
TOUS vous abandonnez à Dieu et à sa sainte conduite
sur vous.
Je suis ravie de Huclination que Diea vous donne
pour la perfection, vous appelant par état a sa sainte
union. Vous êtes obligé de vous mêler de diYerseï
affaires, tant pour le spirituel que pour le temporel
dans lesquelles il ne se peut faire, dans la condition
de la faiblesse humaine, qu'on ne contracte un peu de
poussière. Ces sortes de fautes ne sont pas des infidé-
lités, mais des fragilités qui se guérissent par ce fond
d'union avec Dieu dans le cœur et dans Tesprit. Oai,
les actes réitérés dans cette union sanctifient merveil-
leusement une âme. Et n'estimez pas que les distrac-
tions que vos études ou vos affaires vous causent soient
des infidélités, si ce n'est que vous vous amusiez trop
à raisonner sur des matières curieuses, ou contro-
versées, ou sujettes à la vanité, ou enfin contraires à
lesprit de Jësus-Christ. Quand une fois Dieu a fait
présent à une âme du don de sapience (sagesse) et de
celui d'entendement, ce qu'il fait ordinairement dans
cette union, les distractions ne nuisent point. Je prie
sa bouté de vouloir vous départir (donner en partage)
Tun et l'autre pour sa plus grande gloire, pour votre
.sarotification, et pour le bien des âmes qu'il a sou-
mises à votre conduite. Je ne sais si vous ne goûtef
point tellement les douceurs de l'union, que l'action
passe en votre esprit pour une distraction. L'action
DB LA MËRB MARIB D£ L*INCARNATION. 125
émanée des sources dont je viens de parler est une
espèce d'oraison, parce qu'elle vient de Dieu et se ter-
inine à Dieu. Ainsi ne vous afiSigez point dans vos
emplois, et ne distinguez point ce qui est le plus parfait,
ainon dans l'état où vous êtes, et où vous ne vous êtes
pas mis de vous-même.
Quand on appartient à Dieu, il f^ut le suivre où il
veut; et il en faut toujours revenir à ce point, de se
perdre dans sa sainte volonté. J'estime que c'est ce
que l'esprit de Dieu veut dire dans l'Ecriture : Elle aura
nom, ma volonté est en elle. Pour arriver à cette perte
il faut vivre de foi, car elle dit encore : Mon juste vivra
de foi. Sortez donc des peines qui agitent votre esprit,
autrement vous tomberiez dans l'inconvénient que votre
ami vous a marqué, après quoi votre perfection souf-
frirait une grande altération, et le trouble intérieur
traverserait les saintes entreprises que vous avez con-
çues pour la gloire de Dieu et pour le service de l'Eglise.
M. de Bernières me mande, et le révérend Père
Lalemant me le confirme, que Ton nous veut envoyer
pour évéque M. l'abbé de Montigny, qu'on dit être un
grand serviteur de Dieu. Ce serait un grand bien pour
ce pays d'avoir un supérieur permanent, et il est
temps que cela soit, pourvu qu'il soit uni pour le zèle
de la religion avec les révérends Pères Jésuites, autre-
ment tout irait au désavantage de la gloire de Dieu et
da salut des âmes. Ces personnes qui disent que les
; Jéraites gênent les -consciences en ce pays, se trom-
. pent, je vous en assure; car Ion y vit dans une sainte
liberté d'esprit. Il est vrai qu'eux seuls ont la conduite
f des âmes, mais ils ne gênent personne, et ceux qui
cherchent Dieu et qui veulent vivre selon ses maximes,
ont ia paix dans le cœur. Il pourrait néanmoins arriver
:'P.
\9t .^rî^tir.â ;m ; la .araïc TeaoÉB. vie racourir à
l'iinrpps -n r^r -iiir -^îaeacarae^meroii aouiiaiteki
:n -r^nur- .^lea r.ooâ e .aiuie jamcpars&mÎBëncQrdft!
..•» .rn-iuôid :ii uiâfle .eor l'oi -ât rompa la pan.
.!.« -cvaiesi ..^nid "snsmre :e l'aiie aïoorii^ idob ki
>-rP5 ^î v.ria re Jranoaià /n :^iaiims aToe eox; noii
N'être- reîffnéir .îa . '.roieffsa :?£ ttm ^ie leurs iwmim
^anf9 a ^nccn .ii u :a "^ai. 7e Tnoa en parl^û ptai
^n onfiT laiiâ ;iiè lucre .ecire. .'ecs numre. Jointe aux
'lari-^eS .rr a ner. ;ui ^oar ,r\nu3. r'aiî que nous w
i^mantionâ i::cv.i2ie ;'^i:;^eaâe :e France cette anuéâL
il 7 % rrncore ice uizre /ru5on ionc je ▼ous pariii
.'^nnée lem.rrre. îavrir .èi :errea ioe Xocre-âeusiieiir
a permijs oonii irr:ver. l\iTan^veiile 'ie nos moiaMHUf,
an ?r^nii Toar^iLioa uHXjmaagné fiin coup de toi-
nerre écrasa en m Jionienc .a jhuict «le notre mëtairie,
îiia non nœafâ ^r -HTrasa notre .abourenr. ce qoi nous
mit '^n perte, le pias iô juaire mille livres. Depdi
<1enx joarî. il aoos est e^.icore irrivé on autre accident
[I ne f'^.staif; jius ea ?e .ieu-îa qa'one petite maison oè
nog ger.s 'le Tî^viil avaienc i»acume de âe retirer, cif
p»onr la ^ange. aoun l'avioas ^t rebâtir dans laooor
d^; no^re monastère. |ai n'âst éloigné de notre teffl #j
r|ne d'an demi-'iaart de lieae. Sar les huit hearesA 1^^
floir, les Iroqaoiâ ont appelé de loin un jeune hoouw f^
t\n\ y d^mearait seal pour faire paître nos faœoA i l^-j^
dft«««iri c/mtùe Ton croit, de l'emmener vif. comflw* fc^
«vwifint fait A on vacher quelques jours aaparanat ft^^^
<;« ji fi fifl homme e»t demeuré ai effrayé, qu'il a qaiW hi^^^
l« rrinlAon pour «lier se cacher dans les haliewdel» 1^.^.^
'•Mri»|mj(iio. Ktant revenu à loi. il est venu nous direca j^:;^^
»M<'II avait eiiteadut et aussitôt nos gens au noœtae
•'« tllll tmà JÊtât pour aller défendre la pUoe. Maisib
Ot(
'. *
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 127
sont arrivés trop tard, parce qu'ils ont trouvé la maison
en feu et nos cinq bœufs disparus. Le lendemain on
les a trouvés dans un lieu fort éloigné, où, épouvantés
du feu, ils s'étaient retirés, ayant traîné avec eux une
longue pièce de bois où ils étaient attachés. Dieu nous
les a conservés, excepté un seul qui s'est trouvé tout
percé de coups de couteau. La maison était de peu
de valeur, mais la perte des meubles, des armes, des
outils, et de tout l'attirail nous cause une très -grande
incommodité. C'est ainsi que sa bonté nous visite de
temps en temps. Elle nous donne et elle nous ôte; qu'elle
soit bénie dans tous les événements de sa providence !
Ce n'est ici que ma première réponse : j'espère vous
écrire par tous les vaisseaux; mais j'ai tant d'embarras,
mon très-cher fils, dans l'économie de nos petites
affaires temporelles, que je ne puis écrire que par
reprises. C'est moi qui aurais grand sujet de dire que
je suis distraite sans fin, et que je commets un nombre
innombrable d'infidélités à Dieu, qui, par sa bonté, ne
me rebute pas ; mais plutôt il me continue ses grâces
et ses miséricordes. Pour vous, continuez généreuse-
ment à le servir, employant les talents qu'il vous donne
selon sa volonté et de la manière dont il sera le plus
glorifié. Je le prie d'y donner sa bénédiction, et de
mettre sur votre langue et dans votre cœur les pro-
ductions de son esprit, afin que sa parole ne soit point
Jiée ni étouffée en vous par des respects trop humains,
et que par une sainte hardiesse, accompagnée d'une
l^udence divine, vous puissiez rendre au prochain les
Mcours dont sa grâce vous rend capable. Je suis en son
jsint amour ce que vous savez; et en vérité je suis votre...
De Québec, le 24 août 1658,
128 i£rrsEB
ConÎTi ration secrète le» '.rvnuais -rantr? o .aferemia ?Ana Jéaaâas «C la Fin-
irais. \uu -^n etact arertu. •« re«ire*ic recreteiaem i TfniiriMi — Phijil te
mêmes Pores le reunzzcer lixx IrL*«iaois.
Mon rrès-oher dis.
L'amoar et la vie ie Jésus soient notre Tie et ootn
amour pour le temps et pour l*éteraitë.
Dans les lettres que je tous ai écrites de ce qui s'est
passé, je ne vous ai point parlé de cette noaTeUe é^ôse.
Je ne veux pas laisser partir ce ▼aisKaa sazis toos
en dire un mot en auendant la Relation^ qui tous ea
parlera plus au long. Celle de Tannée dernière tous
apprit l'espérance qu II j avait d*un grand progrès de
notre sainte toi; mais à la iin vous vîtes une lettre, qui
donnait sujet de craindre ce qui est arrivé. Lorsque
les aHairea de Dieu écaient dans la plus belle disposition
du monde, une troupe diroquois forma one oonspi-
ration de massacrer tous les réTérends Pères et tou
les Français de leur maison et de la garnison. C'était
un ouvrage des démons enragés de ce qa*on leur am-
cbait tant d'âmes. Ce dessein barbare eût réossi sans
doute, si an Iroquois chrétien n en eut arerti les Pères
en êecretf et de mettre ordre au plus tdt à leurs affidree.
GamBl^fti^ «onDiit le génie des sauvages» Ton vit bi^
DE LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 129
que le dessein allait pins loin, et que la résolution était,
après avoir défait les Français qui étaient sur le lieu,
de venir ici sous une amitié déguisée, pour mettre tout
à feu et à sang. C*est pourquoi les Pères donnèrent aus-
sitôt avis en ces quartiers de ce qui se passait, pendant
qu'ils cherchaient les moyens de se sauver. Gela leur
était assez difficile, ne le pouvant faire sans canots ; mais
parce qu'ils n'en avaient point, et qu'ils n'en pouvaient
faire sans le secours des sauvages, ils prirent la réso-
lution de faire de petits bateaux semblables à ceux de
notre Loire. L'on y travaillait sans cesse dans le grenier
et cependant l'on donna avis aux Pères qui étaient
dispersés en mission, de se trouver à jour nommé.
Il est à remarquer que depuis le matin jusqu'au soir,
la maison des Pères était continuellement pleine de
monde, à cause du grand abord des nations Iroquoises.
G*était là que se tenait le conseil des anciens; et le jour
désigné pour partir, il devait s'y- faire une assemblée
générale extraordinaire des sauvages. Âân de les sur-
prendre (de leur donner le change) on s'avisa de leur
faire un festin. Â cet effet, un jeune Français, qui avait
été adopté par un fameux Iroquois, et qui avait appris
leur langue, dit à son père qu'il avait songé qu'il fallait
qu'il fit un festin à tout manger, et que s'il en restait
on seul morceau, infailliblement il mourrait. Ah! répond
cet homme, tu es mon fils, je ne veux pas que tu
meures : fais-nous ce festin, nous noangerons tout.
Les Pères donnèrent les porcs qu'ils faisaient nourrir
pour en conserver l'espèce dans le pays, et afin de
vivre en partie à la française. Ils donnèrent encore
tes provisions qu'ils avaient d outardes, de poissons
et autres, et tout cela joint avec ce que le jeune Fran-
çais avait pu avoir d'ailleurs, fut mis en de grandes
LBTTR. M. II. 9
130
chaadièrea pour préparer le banqaet à la mode dei
saayages.
Toat étant prêt, ils commencèrent à manger pendant
la nuit; ils se remplirent de telle sorte qolls n'en
pouvaient pins. lia disaient aa jeone homme qoi faisait
le festin : Aie pitié de nous, enYoie-nous reposer.
L'antre répondait : Je moorrai donc. A ce mot, moorir,
ils se creyaient de manger, afin de Tobliger. Il faisait
en même temps joner les flûtes, trompettes, tamboon,
afin de les faire danser et de charmer Tennoi d*an à
long repas. Cependant les Français se préparaient i
sortir. Ils faisaient descendre les bateaox, et embarquer
tout ce que Ton avait dessein d'emporter, et tout cela
se fit si secrètement, qu'aucun sauvage ne s'en aperçai
Tout étant disposé, l'on dit au jeune Français qall
fallait adroitement terminer le festin. Alors il dit à
son père : C'en est fait, j^ai pitié de vous, cessez de
manger, je ne mourrai pas. Je m'en vais faire jouer
d'un doux instrument pour vous faire dormir, mais
ne vous leve^ que demain bien tard; dormez jusqu'à
ce qu'on vienne vous éveiller pour faire les prières.
A ces paroles on joua d'une guitare, et aussitôt les
voilà endormis du plus profond sommeil. Alors les
Français qui étaient présents se séparèrent, et vinrent
s'embarquer avec les autres qui les attendaient. Rema^
quez, s'il vous plaît, que jamais ce grand lac ou fleuve
n'avait porté de bateau, à cause des sauts et rapides
d'eau qui s'y rencontrent, et même pour le traverser,
il fallait porter les canots et le bagage avec beaucoup
de peine. Il survint encore un nouvel accident, savoir
que le lac commençait à geler. Cependant les bateaux
de nos fugitifs voguaient avec une vitesse nonpareille
parmi tous ces périls et entre les bancs de glace qu'iLs
DE LA MËRË MARIE DE L*INCARNATION. 131
avaient des deux côtés. Ils se suivaient tous en queue,
parce que la rivière étant prise, il fallait suivre le
premier qui ouvrait le chemin. Enfin, par un secours
de Dieu que l'on estime miraculeux, ils se sont rendus
en dix jours de temps à Montréal, ce qui est une
très-grande diligence, sans qu'il leur soit arrivé aucun
accident, soit de la part des Iroquois, soit du côté des
glaces et des autres dangers de la navigation.
Les barbares étant éveillés, et voyant que le jour
se passait contre l'ordinaire sans entendre parler de là
prière, ni faire (ni qu'il se fit) aucun bruit dans la maison
des Pères, furent bien surpris. Ils le furent encore
davantage lorsqu'étant entrés dans la maison, ils ne
trouvèrent ni personnes, ni meubles, ni bagages. Ils
virent alors que les Français s'étaient retirés, ce qui les
étonna fort, car ils avaient si bien caché leur conspira-
tion, qu'ils ne croyaient pas que personne du monde
en eût la connaissance. Mais la manière de leur retraite
les étonna plus que tout le reste; car sachant que les
Français n'avaient point de canots et d'ailleurs le fleuve
86 trouvant glacé, ils ne savaient que penser. Il survint
encore un accident qui porta leur étonnement à l'extré-
mité; car il neigea toute la nuit, et ne voyant point
de vestiges d'hommes sur la neige, ils ne purent s'ima-
giner autre chose, sinon que les Pères et les Français
s'étaient envolés.^
Les sauvages voyant leur conjuration découverte,
(1) Quand on lit en détail \t récit de cette évasion, de quelques Jésuites et des
diiquante-trois Français qui étaient avec eux, on est porté à la regarder conune
une miniature des plus mémorables retraites militaires dont l'histoire fasse men-
tion. En effet, jamais aucune de celles qui ont réussi n'a offert plus, et peut-être
autant de difficultés. La mort de tous les Français était certaine s'ils ne parve-
naient à s'échapper ; <* mais, écrivait l'un des Pères, comment partir sans être
»f «p •oiitant 'î«*n . ae ea rrrincaia iraiwit à main forte
..^nr ■'iWTP' 'a eaerrp. rnvoverent aa niaa tôt des présents
inx nations ^-nisines .ai ear étaient alliées, aân d'en
ùr^T 'in "^econr? :\n remua «'.e :a nécessité. Les Françm
îp l^nr :Mi^ -raient zi :ans .a :rainxe ^lua les cinq
nations .roonoisi» ze sunissaxc ^naonfale pour voir
nons rav9i£rer: -^c iTanc Tiftme me !es Pères rnasent
.^rriv^s :]9 rusaient ^arae xsnmmeiie. <ie crainte de
^nrnrise. .^orront .iyant aopns iiue trois Français avaient
sffi -n»*s nrnrne :»* jJontreai :ar ^»a Iroonoia Onneîoa-
iïteronon? "«Mià :onc a jnwre léciarèe de part et
d*^nrrp ''bacnn -hjbt: lana .a «:raini&. ^iiacan néanmoins
'«i^'iT^* :-ji :•* '"^^«du-^- : Lar;?s .* ::atre sausozi. .Jin ^'èoiar sas iaaardui f
:^rr» ^••r* r?i»-r*«t'^:'» ai^rai»-oTr «9>A3TT£a. r :cmnieni i«L il ,>caia. f Pjg
■.-l'nT* '^^ '^jtr:»'"?-» :»"t.« i^'-'c* aie -a -u":*ca- âi * ^en» ??*«.
r :7.* v*n^3i'# jf JTr'**'*^ti^ ytsK^iaJ9. 'Zm zm itshbs :m :acT pis fi
.'^"•;'^i2* •* yrrry f-»;^?"^ vi r^«« 11 irvLi irar. & nmimn-Mi. icaf JcMotC
f4rr?« t'j^ :i*fnfiTf» #< jf^ym-pt^mm ni 1» wb â« maboai, lû Ih îBsroNrii
• Of ^/ 7^< ^M4il1 I II î)^r*mvoÎ9 jcru m» jeu avec unt d'admse que cftaev
T'-ï^iH *«/*f^/?M* I li )■»?• {««^JiqM. Cr«UJt à qui jetterait dei cm {i2asp«fu<K
^99f im MffttM>f I c» f«t« jv«. DO diitribna dei prteeaU à eenz qui fainiaf i»
^Ivi 4* fiHfll. ilfS ^ 0Mtrir nivi qv vue quarantaine de noa gcu /umM
•V 44»'t« 4ibfl b ltMl«figH d« toal notre équipage. Tout lembaïqaeiDMt «iK
•«l»»ta M U f«ffltt f)tt). 1<»i wntiAa e» re Umit et sont bicntM pris par Je Mwaf.
Al'fH ^l'tfli f9HflM9l fitf «nP iwM* de derrière et nous now embsrqitoei «1
Ait* ^i\»n i 1^*tt •ivvtffvt, qui faiment lee tins..-.
■ La l*9iMf I^Miniée «ttlt la pluadaB«ereuae;car«ïeilioijaoiiMn««
DE LA MERE MARIE DE L*1N CARNATION. 133
attaque et se défend. L'on a pris plusieurs de ces bar-
bares, et plusieurs ont été tués. Eux de leur part ont
tué une femme algonquine et en ont pris deux autres
avec leurs enfants. L'une des deux fut si courageuse
qu'elle perça le ventre de son Iroquois de son couteau.
Ses compagnons en furent si effrayés qu'ils laissèrent
armes, bagages, les femmes et les enfants qu'ils tenaient,
et s'enfuirent. Ces captives étant ainsi délivrées, appor-
tôrent leur butin aux pieds de M. le Gouverneur, qui
tient en ses prisons vingt et un des plus fameux de
toutes les nations iroquoises, qui sont bien étonnés
de se voir si à l'étroit, quoiqu'on ait soin de les bien
traiter. Ils ont prié M. le Gouverneur d'envoyer un
d'entre eux en leur pays pour renouer la paix et y faire
rent de Dotre fuite, ils nous eussent coupé le chemin, la rivière étant très-
étroite et se terminant, après dix lieues de chemin, par nn précipice affreux,
où nous fûmes obligés de mettre pied à terre et de porter, l'espace de quatre
heures, notre bagage et nos canots par des chemins perdus et couverts d'une
forêt épaisse.
» Dix jours après notre départ, nous trouv&mes le lac Ontario encore gelé en
son entrée ; il fallut prendre la hache pour fendre la glace et se faire un passage ;
nais ce fut pour entrer deux jours après dans une chute d'eau, où notre petite
flotte fut sur le point d'être engloutie. Nous nous trouv&mes au milieu de brisans
qui élevaient des montagnes d'eau et nous jetaient dans autant de précipices. Nos
hateanx se trouvèrent bientôt chargés d'eau, et tous nos gens dans une telle
confusion, que leurs cris mêlés au bruit du torrent nous faisaient regarder le
Banfrage comme inévitable.
• La frayeur redoubla & la vue d'un de nos canots englouti dans un brisant qui
barrait le passage où était néanmoins la seule route que les autres devaient suivre.
Trois hommes furent noyés, un quatrième échappa & peine. Ceux qui furent noyés
ânisnt communié le matin.
• Le 3 d'avril nous abordâmes & Montréal, d'où les glaces n'étaient parties que
}• jour même. Le 17 nous étions aux Trois-Rivières et le 23 & Québec. Partout
^ DOQS regardait comme des gens venus de l'autre monde. »
Ls véoérable Mère s'est trompée en disant que les fugitifs arrivèrent en dix
^^ à Montréal ; ils en mirent quatone ; elle parait avoir ignoré l'accident où
« tftfii ito°UBA> furent noyés.
134 LETTRES
retonmer les Pères. Cela leur a été accordé, et l'on eo
espère un bon succès.
Le chef de ces prisonniers faisait ses plaintes il y a
peu de jours au révérend Père Chaumonnot, lui disant
qu*il n'avait point d'esprit de les avoir quittés, et qae
c'était lui qui était la cause de tout le mal ; qu'on le
regardait comme le premier homme du monde, et qu'en
cette qualité on le faisait présider dans tous les Conseils;
qu'on les blâmait, mais que c'était à lui qu'on devait
attribuer tout le blâme ; que pour l'acte d'hostilité qui
s'était exercé, il n'était pas venu de lui ni des anciens,
mais de quelques jeunes brouillons qui n'avaient point
d'esprit; puis il ajouta, parlant de M. le Gouverneur:
Ononthio nous méprise, nous sommes maintenant ses
chiens d'attache; encore s'il nous faisait ses chiens
domestiques, en sorte que nous pussions aller par l&
maison, cela serait supportable. Mais quelques plaintes
que fasse ce sauvage, il est nécessaire de les teo^^
à l'attache, car ils prendraient bientôt la clef des chaïU-P^
si on les faisait chiens domestiques, ainsi qu'ils diseX^*'
L'on a dressé des articles de paix dont les ambassadei^ ^
sont les porteurs. Le plus essentiel de tous est qu*^^
ne leur accordera point le retour des Pères qu'ils t^^
donnent des otages, savoir des filles pour être gardé^^
dans notre séminaire ; car pour des hommes ou d^^
garçons, il n'y a nulle assurance.
Vous apprîtes l'an passé ce qui était arrivé aux pau-
vres Hurons que le révérend Père Ragueneau menait
à Onontagé sous la bonne foi des Iroquois, et de quelle
manière ils furent massacrés. En cette troupe il y avait
de bonnes Huronnes qui avaient été nos séminaristes
et qui étaient encore très- excellentes chrétiennes. Il y
avait surtout une jeune veuve qu'on menait exprès pour
DE LA MËRB MARIE DE L'INCARNATION . 135
donner bon exemple aux femmes Iroquoises. Elle fat
prise captive par un barbare qui lui voulut ravir son
honneur à une descente qu'on fit à terre. Cette femme,
quoique faible et délicate, se dégagea de ses mains
et prit sa course dans le bois, en sorte que ne la pouvant
suivre, il fut contraint de Tabandonner. Il se rembarqua
avec sa compagnie, et elle cependant demeura perdue
dans cette immense forêt oii jamais homme n*a habité,
mais seulement toutes sortes de bêtes sauvages. Elle fut
bien trente jours sans manger autre chose que des
racines d'herbes sauvages. Enfin se voyant à deux
doigts de la mort, elle se traîna le mieux qu'elle put
snr nne roche au bord de Teau, s'abandonnant à la
Providence de Dieu. Comme c*est une personne d'oraison
^ de vertu, elle s'entretenait sur la roche avec Dieu
OQ attendant la disposition de sa volonté. Mais ce divin
Père des abandonnés, qui ne la voulait pas perdre,
permit que de quelques canots que le révérend Père
^dperron conduisait aux Iroquois, on aperçut quelque
<^ho8e remuer sur la roche. Il y voulut aller, mais il fut
pi>évraa par un Iroquois qui la mit dans son canot,
disant qa elle était sa captive. Elle ne fut pas néanmoins
^ngtemps en son pouvoir, parce que le révérend Père
^racheta; et après l'avoir fortifiée il lui donna la liberté.
Quand elle fut arrêtée, ses sœurs et sa nièce furent
iQassacrées, et comme c'étaient d'excellentes chrétiennes,
J6 crois qu'elles sont bien avant dans le ciel. Elle seule
fiit ramenée des Iroquois, où les révérends Pères ont
iainé eoTiron cinq cents chrétiens, sans pouvoir faire
autrement, et c'est le sujet de leur douleur, car ces bons
oéc^bjtes sont dans un danger imminent de perdre ou la
Fdoa la vie. Cela fait qu'ils soupirent après leur retour
afin de les aider et de risquer leurs vies avec celles de
136 LBTTIUIS
leurs enfanta en Jsbus-Christ. Ils ne les aarueot januù
abandonnés, si la nécessité ne les eût obligés de venir
mettre en assurance les Français de nos habitatioDS.
Car ces barbares avaient résolu, après avoir défait ceux
qui étaient en leur pays, de venir sous ombre d'amitié
fondre dans toutes les habitations, et par trahison
y mettre tout à feu, après avoir tout pillé. Vons vojrei,
mon très-cher fils, de quel accident Notre- Seignear
nous a délivrées, et comme il ne fait guère bon se fier
à des barbares lorsque les démons leur possèdent le
cœur; car il est sans doute que cette conjuration est
un ouvrage de ces princes des ténèbres, qui, envieux
du grand progrès i)ui s'était fait en si peu de temps,
veulent étouffer cette nouvelle Eglise dans son bercean.
Les Iroquois Àgnerognons n'ont fait aucun acte
d'hostilité depuis quatre ans au regard des Français.
Les Hollandais même de la Nouvelle-Hollande, dont ils
sont voisins, demandent des Pères pour les assister,
parce qu'en certains cantons le nombre des catholiques
est plus grand que celui des hérétiques. De plus il y s
une colonie d'Anglais catholiques dans une terre non-
vellement découverte, qui étant fugitifs de leur paji
pour la Foi, sont venus s'y établir. Il n'y a de la nou-
velle-Hollande chez eux que pour deux fois vingt-quatre
heures de trajet. En général les Hollandais ont très-bien
reçu le révérend Père Le Moine, quoiqu'il fût dans soi
habit de Jésuite, ce qui facilitera beaucoup la commo-
nication aux Agnerognons, parce qae lé commères eft
grand entre les Français et les Hollandais ; et actoslie-
ment voilà à notre port uneWqoedo ce pays-H?iu
c'y en retourne. Pour notre colonie française, cUb
multiplie de telle sorta qwe \e çays tfe&t plus recon- t^
naisaable iifl»-6i**°'^"'iMiag>!>àtMiVa.ïi^6tt&te\\Bmi»t '
iH
k
DE LA MËRE MARIE DE L*INGARNATION. 137
bëoi les labours, que la terre donne des blés très-bons
et en assez grande quantité pour nourrir ses habitants.
L*air y est plas chaud, à présent que la terre est plus
découverte et moins ombragée de ces grandes forêts
qui la rendaient si froide. L'hiver néanmoins y a été
long cette année, et comme les semences ont été tar-
dives, il y a encore à présent des blés à couper. Voilà,
mon très-cher fils, en abrégé, ce que vous verrez plus
au long dans la Relation, si vous vous voulez donner
la peine de la lire. Continuez, je vous prie, de me
recommander à Notre-Seigneur ; et surtout n'oubliez
pas nos pauvres chrétiens qui sont aux Iroquois, non
plus que le dessein que les révérends Pères ont pris
de les aller secourir au péril de leur vie. Je n'ai pas
le temps de relire ma lettre, excusez mes fautes et
Fempressement.
De Québec, le 4 d'octobre 1658.
LETTRE CXLI.
AU MEME.
Èanfé» d'un éréque à Qaébec. — AccroissemeDt notable de la coloDie de Mont-
fitl. — Lea Iroqvota eontiouent leurs hostilités. — La mort da révérend
. ?lw dt Qnaa, jteuite.
Mon très-cher et bien aimé fils,
^' -^- •-•--«=«^^ jQH^ grande privation de voir un navire
e point recevoir de lettres de votre part.
J'ai poïirar.r rfr: /loir.": ^erauajée ;{ae vous m'aviez
.If^rit; mai:. ,' -î -n. -z ^ le 21e suia paa trompée, que
vos lettres "jr.ii rfi" :aL.i e premier vaisseau, qui nous
apportait :a no\v*v.'>. ne lOTia aurions on évêque cette
annfle, mais n:: -11 ;.an ;':e ^or.aremps après les autres.
Ce r^^tarlemer.r, 1 :ai: r:e nous avons plutôt reçu
févêque «lae '.a i' aT-ri'.e l'ii nous le promettait. Mais
ça été une nL-r4ar,ie =urpriae en toutes manières. Car
outre le bonheur lui revient à tout ie pays davoir
un supérieur îcoi'i^iasrique, oe lui est une consolatioD
davoir un homme a«.ar Irr:? qualités personnelles sont
rares et extraor iin-iires. Sans parler de sa naissance
oui est fort iîlustr?, car il es: de la maison de Laval,
c'est un homme d'un haut mérite et d'une vertu singu-
lière. J ai bien compris ce que vous m'avez voulu dire
de son élection; mais que l'on dise ce que l'on voudra,
ce ne sont pas le? hommes qui l'ont choisi. Je ne dis
;.as que c'est un saint, ce serait trop dire : mais je dirai
avec vérité <|u il vit saintement et en apôtre. Il ne sait
c'r que c'est que respect humain. Il est pour dire la
"T iriv: à tout le monde, et il la dit librement dans les
:-:. : .:.'ros. Il fallait ici un homme de cette force pour
::'.r:?r la médisance, qui prenait un grand cours, et
. . ; :"i:: de profondes racines. En un mot, sa vie est
-.T^nr'àire qu'il tient tout le pays en admiration.
-::-' iL-.ime ami de M. de Dernières, avec qui il a
iiviiit :?r quatre ans par dévotion; aussi ne se faut-il pas
-j..»:,i!Trr •:. avant fréquenté cette école, il est parvenu
'..I tî: ■•in-r de^ré doraison où nous le vovons.
I iii-r^a de M. de Dernières l'a voulu suivre. Cest
i..i .rtîiaii z^^aâlhomme qui ravit tout le monde par sa
iiMfU^jsntt. E veut se donner tout à Dieu, à l'imitation
•it tfin oncle, et se consacrer au servi^^? de cette oou-
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION. 139
Telle Eglise ; et afin d'y réussir avec plus d'avantage,
il se dispose à recevoir Tordre de prêtrise des mains
de notre nouveau prélat. Je vous ai dit que l'on n'atten-
dait pas d'évêque cette année. Aussi n'a-t-il rien trouvé
de prêt pour le recevoir quand il est arrivé. Nous lui
avons prêté notre séminaire, qui est à un des coins
de notre clôture et tout proche la paroisse. II y aura
la commodité et l'agrément d'un beau jardin; et afin
que lui et nous soyons logés selon les Canons, il a fait
faire une clôture de séparation. Nous en serons incom-
modées, parce qu'il nous faut loger nos séminaristes
dans nos appartements; mais le sujet le mérite et nous
porterons cette incommodité avec plaisir, jusqu'à ce
que sa maison épiscopale soit bâtie.
Dès qu'il fut sacré évêque à Paris, il demanda au
révérend Père général des Jésuites le Père Lallemant,
qui depuis trois mois était recteur de la Flèche, afin de
l'accompagner. C'est un bien pour tout le pays, et pour
nous en particulier ; pour moi encore plus que pour tout
autre. Car je vous dirai en confiance que je souffrais
dans la privation d'une personne à laquelle je puisse
communiquer de mon intérieur. Toute Tannée j'ai eu un
mouvement intérieur que Notre-Seigneur m'enverrait
da secours. Il l'a fait lorsqu'il était temps; que son saint
nom en soit éternellement béni!
Vous savez ce qui s'est passé les années dernières au
sujet de M. l'abbé de Quellus. Il est à présent directeur
d*im séminaire de prêtres de Saint-Sulpice de Paris,
qae M. de Bretonviliers a entrepris de bâtir à Mont-
réal, avec une très-belle église. Cet abbé, dis-je, est
descendu de Montréal pour saluer notre prélat, il était
établi grand-vicaire en ce lieu-là par Mgr l'archevêque
de Rooen, mais aujourd'hui tout cela n'a plus de lieu.
I
■ M* .
-r «on -îKo:"?!^ '^«Ff» .iâ "rofgng aêazuzioins de la
:e ia F7ècne. . . n. ~ '*^. laire rem a'izzL coup i etabiiBmneBt
11? rrenr^^ ' \imilâ9. .xi -lersier "TTiwmn avam ammë i
.'et ^rS&t m jrana ^.ùmDre :d diles. Oa noua {iraflH
lassi 'le Ivjhs " 'Casiir. =:ais mma ne âornines pas en
cat de :e 'aire. IJJzr lorre Preiac auzai i.'Î2iapection sur
~oat oeia. .aoiaTzii 2e ^on :ci joesona le dire d'éréqne
le P^4îr<»e. -e non ras :e '^oeôec oa de Canada. Ce titre
i oien aie arier m ..^noe: maia oeia s'eac riait de la
sorte .la ^aiet ina -luEercM ai rss emra la conr d0
Rome »rt i*eae îie Jrance. le roi veoi que Uévèque de
Tanada »:èneiiûe le /ii et lu rareté sennâzu de fidâité
nine es atres .e Jrance: eï le Saim-Père prétaid
avoir meiiiue iiroir ; arncmier -iana les aationa étran-
gères: .;esï pour :eia .uii zoos a eavoyé on évêque
non oomme rYêuce -la ::avs. jiaia :omnie commiamrB
apostolinae. sous iâ titre -rsranser i'évèqae de Pétrée.
Vons ères ec .ôine ::ea .-u&ires'ie ce pava. ElUes sont
comme eiies ^caiem; ivani me les Iroqaois eussent
fait la paix, 'ar Ls .•-rît -ompae . et ont déjà pris
ou iué aeui' Français ia-ia one rencontre où on ne
les attendait pas. ^ où aiéme on ae croyait pas qaTJi
eussent de maurai' iesseins -jontra les Français. Il»
ont déjà fait brûler :oat vif an de leurs priaonnien;
ce sera merveille si les antres ont meiUeur traite-
ment. L'on a aussi depuis tué onze de leurs gem
et l'on se donne de garde des autres : car ton a app»
d'an Himm captif qui les a .imtkéa, <\«^^ ^ ^tsi
noe piteurts année pour vetx^t ^^è^«* ^"^'^g .,ï,
oliréilMt, «i ownaie je crois, a.u\axA Ae ^^^^^ ^
pOttffWii 00 Haron s'est saov^ à^ceite ^^* ^ ^^
(l'InittUftlt «ù M «ait» voyant uu canot a
DR LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 141
allait harponner de Tanguille, le laissa passer pour se
jeter dessus quand ils ne seraient plus unis et en état
de se défendre. Qe captif^ touché de tendresse pour ceux
de sa nation, se déroba de ses maîtres, qui étaient
descendus à terre, et retourna sur ses pas donner avis
à ses compatriotes du dessein des Iroquois, et du danger
où ils étaient. Ils s'embarquèrent au plus tôt et lui avec
eux, et tous ensemble vinrent en diligence à Québec,
où ils donnèrent avis des entreprises des Iroquois :
sans cela il y eût eu bien des têtes cassées : car outre
les Hurons qui n'eussent pu éviter leur rage, ils se
seraient glissés parmi les moissonneurs qui, sous la
bonne foi de la paix, travaillaient sans crainte et sans
défiance. En effet, cela est arrivé aux Trois-Rivières,
où ils ont pris les neuf Français dont je viens de parler.
A l'heure où j'écris ceci, M. notre Gouverneur ost en
campagne pour leur donner la chasse ou pour en pren-
dre quelques-uns. Ce qui Fa fait sortir est que les Iroquois
qu'il tenait prisonnniers entre deux bons murs fermés
de portes de fer, ayant appris que leur nation avait
rompu la paix, et croyant qu'on ne manquerait pas
de les brûler tous vifs, ont forcé cette nuit leur forte-
resse, et ont sauté les murailles du fort. La sentinelle
tes voyant a fait le signe pour avertir, et aussitôt l'on
s couru après. Je ne sais pas encore si on les a pris,
car ces gens-là courent comme des cerfs.
Vous m'étonnez de me dire que nos Mères nous vou-
laient rappeler. Dieu nous préserve de cet accident ! Si
jioas n'avons pas quitté après notre incendie et pour
^iites nos autres pertes, nous ne quitterons pas pour
Iroquois, à moins que tout le pays ne quitte ou
^ If n supérieur ne nous y oblige, car nous sommes
^%100 d'obéissance, et il la faut préférer à tout. Je suis
142 LETTRES
néanmoins trompée si jamais cela arrive. Uon dit bien
qu'une armée des ennemis se prépare pour venir ici:
mais à présent que leur dessein est éventé, cela ne leur
sera pas facile. Si néanmoins Notre-Seignear les lais-
sait faire, ils nous eussent perdus il y a longtemps,
mais sa bonté renverse leurs desseins, nous en donnant
avis, afin que nous nous en donnions de garde. Si l68
affaires étaient en hasard (danger), je serais la première
à vous en donner avis, afin de vous faire pourvoir à
nos sûretés, puisque nos Mères vous en confient lear
sentiment. Mais grâces à Dieu, nous ne voyons et ne
croyons pas que cela arrive. Si pourtant il arrivait
contre nos sentiments, ne serions-nous pas heureuses
de finir nos vies au service de notre Maître et de les
rendre à Celui qui nous les a données? Voilà mes sen-
timents que vous ferez savoir à nos Mores, si vous
le ju^^iz à propos.
Mon sentiment particulier est que si nous soufi'rons
on Canada pour nos personnes, ce sera plutôt par la
pauvreté que par le glaive des Iroquois. Et pour le
pays en général, sa perte, à mon avis, ne viendra pas
tant du côté do ces barbares que de certaines personnes
(jui, par envie ou autrement, écrivent à Messieurs de
la compagnie (des cent associés) quantité de choses
fausses contre les plus saints et les plus vertueux, et
qui déchirent même par leurs calomnies ceux qoi j
maintiennent la justice, et qui le font subsister par
leur prudence. Comme ces mauvais coups se font ea
cachette, on ne les peut parer; et comme la nature cor-
rompue se porte plutôt à croire le' mal que le biao,
on les croit facilement. De là vient o^e Vonqu'oa y
pense le moins, on reçoit ici des o^^t^ ^^ ^^ ^^
t?ô»-l!^9te» Eu tout cela Dieu Oic^^Nxfe^Çf^^^^^^^
DE. LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 143
offensé, et il nous ferait une grande grâce s*il purgeait
le pays de ces esprits pointilleux et de contradiction.
Le dernier vaisseau s'est trouvé infecté de fièvres
pourprées et pestilentielles. Il portait deux cents per-
sonnes, qui ont presque toutes été malades. Il en est mort
huit sur mer, et d'autres à terre, presque tout le pays
a été infecté, et l'hôpital rempli de malades. Mgr notre
Prélat y est continuellement pour servir les malades
et faire leurs lits. On fait ce que l'on peut pour l'en
empêcher et pour conserver sa personne, mais il n'y
a point d'éloquence qui le puisse détourner de ces actes
dTiumilité. Le révérend Père de Quen par sa grande
charité a pris ce mal et en est mort. C'est une perte
notable pour la mission : car c'était l'ancien mission-
naire des Algonquins, où il avait travaillé depuis vingt-
cinq ans avec des fatigues incroyables. Enfin quittant
la charge de supérieur des missions, il a perdu la vie
dans l'exercice de la charité. Deux religieuses hos-
pitalières ont été fort malades de ce mal ; grâce à Dieu,
notre Communauté n'en a point été attaquée. Nous
sommes ici dans un lieu fort sâin et exposé à de grands
vents qui nettoient l'air. Pour mon particulier ma santé
est très-bonne. Je ne laisse pas de soupirer puissam-
ment après l'éternité, quoique je sols disposée à vivre
tant qu'il plaira à Notre-Seigneur.
De Québec, le 1659.
Otite lettre n'a pas d'autre data; mais comme elle parle de l'arrivée de Mgr de
liml, et que ce prélat fit son entrée & Québec le 12 juin de cette année 1659,
éfii doit Atre «ntérienre à la sjiivanto datée du 25 septembre.
144 LETTRES
LETTRE CXLII.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE.
L« bonheur qn'il y a d'être détaché du monde pour serrir Dieu. ~ Que las amitiés
sont saintes et salutaires quand on s'aime en Jbsub-Gbrist.
Ma révérende et très-chère Mère,
Je ne puis vivre davantage sans vous renouveler
l'amoar et l'affection qae mon cœur a ponr le vôtre,
que je sais être tout à notre divin Sauveur. CTest ce
qui me donne une grande joie, ma très-chère Mère, et
me fait rendre mes actions de grâces aux pieds sacrés
de notre adorable bienfaiteur, de vous avoir tirée des
misères du monde, où il est peu connu et encore moins
aimé. Ne sommes-nous pas trop heureuses d*ôtre du
nombre de ses enfants, et en un état oh il ne tiendra
qu'à nous de devenir des temples chéris et magnifiques,
où le Saint-Esprit prendra ses délices? Je lui demande
cette grâce pour vous; demandez- la-lui fortement pour
moi, je vous en supplie de toute mon affection. Je
vous remercie très-humblement de la sainte union et
cordialité que vous avez avec ma nièce : ce m'est une
consolation très-particulière de savoir qu'elle s'appro-
che des âmes qui sont proches de Dieu et de son
adorable Fils, notre divin Sauveur. En cette sainte
compagnie les liaisons sont sanctifiantes et remplies
de bons effets. Continuez-lui, s'il vous plait, cette faveur.
DE ijl mërb harib ds l'incarnation . 145
et à moi par cons^qaent qni tous souhaite tout ce
qu'une âme peut posséder de grâces dans la sainte
dilection de Jésus. C'est en Lui que je sois très-
sincèrement...
De Québec, le 25 de septembre 1659.
LETTRE CXLIII.
A SON FILS.
Qne c'nC une eiMltenla snion aveo Dieu de faire sa toIodM. Qd'iI ne faut poiot
■baadoDner lea affaires qne Dieu demande de nous, encore qu'il toit diffldla
de l«i faire sang contracter quelque souillure.
Mon très- cher et bien-aimé flis.
Je ne doute point que vos forces corporelles ne
diminuent, votre grande retraite, le travail de llétude,
le soin des affaires, les austérités de la règle peuvent
en être la cause ; mais nous ne vivons que pour mourir.
'Et ne vous mettez pas en peine si un grand recueille-
ment voua fait passer pour mélancolique; l'on a pres-
que toujours dit cela de moi, et c'était lorsque mon esprit
'était en de très-grandes jubilations avec Dieu, C'est
fque les joies qui viennent de Dieu et celles qui naissent
"des créatures sont bien différentes, et le monde ne voit
ôrdinairi'mrnt que ce qui est du monde.
N'e'iirnfi! pas non pitis votre vie misérable pour êt.T-3
des Affaires : tes maints ont souvent
Iden plus épineuses. Lorsqu'il vous
146 LETTRES
Fera atile d'avoir celte présence de Dieu actuelle, fixe
et arrêtée, qui tous semble incompatible aveo tant de
Eoins, il TOUS la donnera. Vous la possédez en une
manière, en faisant la Tolonté de Dieu. C'est nne haute
grâce qu'il tous fait dans Totre faiblesse, de ne rien
omettre de tos obligations. J'en rends mes très-humbles
actions de grâce à sa bonté. Prenez donc courage et
consumez-vous au service d'un si bon Mattre. La modé-
ration de vos passions n'est pas un moindre présent
de fta libéralité. Cela rend un homme plus capable
d'affaires, et de les conduire selon Dieu avec le pro-
cliain. C'est là une marque de sa vocation dans les
«m|)lois que l'obéissance vous impose, et c'est cette
vocation (jui vous fait aimer la justice et les autres
vorlus qui se rencontrent dans la poursuite de vos
sff'aircfl. Mais, hélas! qui ne contracterait des impuretés
ttn maniant les affaires de la terreî qui ne souffrirut
quelques piqûres en touchant si souvent des épioesl
C'est là. mon très-cher fils, le sujet de ma douleur:
car quelque présence de Dieu qu'on puisse avoir, l'on
passe par tant de souillures qu'il est très-difficile de
n'en être pas taché. Mais c'est une grande miséricorde
de Dieu de ne les pas aimer, car ce que l'on aoaSn
d'elles en est d'autant plus méritoire. Je ferai avec k
triraps une revue sur les choses spirituelles dont tob
irii) demandez de l'éclaircissement; le départ préià^U
du vaisseau ne me permet pas de la faire â prteot
Kxcuscz-moi donc, je vous en prie, poisqae je nir
résolue de vous donner avec le temps la satisfait
que vous désirez de moi.
J'ai appris (juo les hr. -]'■]'■■'' "' -". i 'i'-'^ f'"''-
vi;lles et mauvaises i '■ ''^'^'*'^^-
autant ou plus quâ
DE LA MBRE MARIB DB l'IN CARNATION. 147
^on m'a encore mâDdé qu*il se débite un livre de
niorale fort pernicieux où l'on justifie la doctrine des
autears relâchés. Mon Dieu! est-il possible qu'il se
trouye des esprits si peu discrets, que de mettre en
iomière des choses non-seulement inutiles, mais encore
préjudiciables au salut? Je prie la divine bonté d'y
mettre la main et de purifier son £glise que l'on souille
311 tant de manières. Si j'étais digne de passer par le
Tea pour expier tous ces désordres, je m'y exposerais
ie très-bon cœur. Pour nous, mon très-cher fils, n'en-
trocs point dans ces partis; détestons la mauvaise
morale aussi bien que la fausse spéculation, (doctrine)
afin de suivre celle qui est la plus conforme à l'esprit
dé Jssrs -Christ et de l'Eglise son Epouse.^ Adieu pour
cette année. Je ne me recommande point à vos prières ;
je Sais que j y ai bonne part, et que vous et moi ne
tommes qu un en Dieu.
be Québec, le 11 oetdnt 1659.
il PiiMnn £aés àaam ms \mtgm. !a ▼«aérabU lUr» cAoïûîfBC «» «kc^atsMat
P*v <t ;aiiifnifiTvg. £1I« ierai: laiu iori:^ cette 'iupoHii^^a a ^ pie» ii I^âra
• ^ < ie ?**€* ; aiais en peiit d^n iJimi iT>'iae r^J-pHue *a«i aimiatlft, «t
&«LMC pae ca zra^ ^aafsr ie le r^mtr leoiit». .^ »9ce, 9Uk oiéme
|sftc« lie Xcc2^S«i{acar ai rr^z ar»r.igae «c ^i .. .il ïccarda ^iu^>i »
LETTRE CXLIV.
AU MEME.
Ommid J«b IroqnolB sur QnAbcc. — Défuie dm Françtii, d«a Algooqriiia
•t dei HoroDi par eea twrbam.
Mon très-cher fils.
Gomme voilà un navire qui va partir eu grande
diligence pour porter en France la nouvelle des acci-
dents qui nous sont arrivés cette année de la part des
Iroqaois, et pour aller quérir des Tarines, de crainte
que cette ennemi ne ravage nos moissons, Je n'ai psa
voulu manquer de tous faire un abrégé de ce qui
s'est passé, afin que tous nous aidiez à rendre grâces
à Dieu de sa protection sur noua, et à lai demander
son assistance pour l'avenir.
Pour commencer, vous saurez que les Algonquins,
qui sont très- généreux, ayant pris quelques prisonnien
sur les Iroquois, en ont fait brûler quelques-uns selon
leur justice ordinaire, tant ici qu'aux Trois-Rividrei.
C'est la coutume d» captifs quand lia sont dans les
tourments, de dire tout œ qu'ils savent II en fut brftlâ
un le mercredi de la Pentecôte, qui étant examiné par
le révérend Pore Chaamonnot, dit qu'il y avait ui»
armée de huit mille hommes,' qui avaient leur rendei-
I uni ii;.|ii
Â|btudel>ulloci!U.(N.d«CLlIutJ
DE LA HËRE MARIB DE l'iNCAR NATION. 149
VOUS à la Roche-Percée proche de Montréal, où qaatre
cents autres devaient venir lea joindre pour venir
ensuite tous ensemble fondre sur Québec. Il ajoutait
que leur dessein était d'enlever la tête à Ononthio. qui
est M. le Gouverneur, aân que le chef étant mort, ils
pussent plus facilement mettre tout le pays à feu et
à sang. Il dit qu'à l'heure qu'il parlait, ils devaient
être ou dans les îles de Richelieu ou à Montréal ou
aux Trois- Rivières, et qu'assurément quelqu'un de ces
lieux était assiégé. En eQet, on a su depuis qu'ils étaient
à Richelieu, attendant le temps et la commodité de
sous perdre tous et de commencer par Québec. Je vous
laisse à penser si cette nouvelle nous surprit. 'Ce même
jour le Saint-Sacrement était exposé dans notre église,
où la procession de la paroisse vint continuer les dévo-
tions qu'on avait commencées pour implorer le secours
de Dieu, dès qu'on sut qu'il y avait des Iroquois en
campagne. Mais la nouvelle de cette grosse armée
qu'on estimait proche, donna une telle appréhension
r & Mgr notre évêquo qu'il n'arrivât mat aux religieu-
[ ses, qu'il ût emporter le saint Sacrement de notre
[église, et commanda à notre Communauté de le sui-
Ivre. Nous ne fûmes Jamais plus surprises : car nous
n'eussions pu nous imaginer qu'il y eût eu sujet de
^crainte dans une maison forte comme la nôtre. Cepen-
dant il fallut obéir. Il en fit de même aux Hospita-
hières. Le saint Sacrement fut pareillement ôté de la
||)arois8e.
Après les dépositions du prisonnier, il fat arrêté
F rju'on ferait la visite des maisons religieuses, pour voir
i elles étaient en état de soutenir (résister). Elles furent
^---"'^ "^'"-fiurs fois par M. le Gouverneur
Bsoite l'on posa deux corps de
DE LA MftRfî MARIE DE L'INCARNATION . 151
assurance. Les sauvages chrétiens étaient cabanes dans
^a cour, et à couvert de leurs ennemis/
Quand les habitants nous virent quitter une maison
aussi forte que la nôtre, car celle de l'hôpital est mal
Bitnée au regard des Iroquois, ils furent si épouvantés,
qalls crurent que tout était perdu. Ils abandonnèrent
idQrs maisons et se retirèrent, les uns dans le fort, les
antres chez les révérends Pères , les autres chez
Mgr notre évoque, et les autres chez nous, où nous
avions six ou sept familles logée?, tant chez nos domes-
tiques que dans nos parloirs et oâSces extérieurs. Le
faste se barricada de tous côtés dans la basse-ville,
où Ton posa plusieurs corps de garde.
Le lendemain, qui fut le jeudi de la Pentecôte, le
révérend Père Supérieur ramena notre Communauté,
<^*était le jour auquel nous devions élire une supérieure,
^ le trouble ne nous eût obligées de le différer. L'on
ou usa de même huit jours de suite : le soir on emme-
^^t les religieuses, et le matin sur les six heures on
'^9 ramenait; mais nous fûmes privées du Saint-Sacre-
^^t jusqu'au jour de la fête , que Mgr notre évêque
^^t la bonté de nous le rendre, parce que la visite
de notre monastère ayant été faite, on jugea que les
^iigieuses y pouvaient demeurer en sûreté et sans
^Sfainte des Iroquois, et néanmoins qu'on ne laisserait
pas d'y faire la garde jusqu'à ce que Ton eut reçu des
iMKivelles des habitations supérieures» que Ton croyait
fibre assiégées.
Aq commencement de juin, huit Hurons renégats
(1) C«tte Témàeoot d«s JéfoiUs tst aDJourdlmi U cueriM, M (»éBiè4é\Ê^ caUiA
dnle, jdhe badliqne d« XoCre-Dame de Québec, depoû U l*' octotr« 1^74.
lA eoo âctncOe de U caserne est eeUe ancienne cour des Jésaius àusU |iaf li»
IftHin d» nacanatû».
152 LETTRK8
et iroquoisés furent vers le Petit-Cap» qui est envirofl
six lieues au-dessous de Québec; et au même tempf
une hoDoête veuve, qui s'était retirée ici, 8*avisa d'aller
visiter sa terre avec sa famille. Comme elle travaillait
avec son gendre à son désert, sa fille et quatre enfante
qui étaient restés au logis, furent surpris par ces infi-
dèles, qui les enlevèrent et les chargèrent dans leurs
canots. La nouvelle en fut aussitôt apportée à M. notre
Gouverneur, qui avec le zèle infatigable qu'il a pour la
conservation du public, envoya une troupe de Françaii
et d*Âlgonquins , pour poursuivre ces barbares, l^
Algonquins qui savent les routes, se mirent en embuS'
cade justement où il fallait, et ils avaient donné f^
certain mot du guet aux Français, pour les distingO-^^
de Tennemi, car cétait au commencement de la nvL^^
où ils eussent pu se prendre les uns les autres po^^
les ennemis. Enfin le canot parut, et les Algonquin
ayant dit : Qui va là? les ennemis voulurent prendre is
fuite, mais nos gens se jettèrent dessus, et txvèreiit
tant de coups que le canot en fut percé, et coula à
fond avec un de ces barbares. Les autres furent pris,
et la femme et les enfants délivrés. Cette captive ayant
entendu des voix quelle. croyait lui devoir être favo-
rables eut tant de joie quelle leva la tête, car ses
ravisseurs Tavaient tellement cachée quelle ne pou-
vait voir ni être vue auparavant. Sa joie fut courte,
car elle fut blessée à mort, et un petit enfant qu'elle
avait à la mamelle eut un coup de balle à un orteil.
Elle mourut saintement peu de jours après, louant
Dieu de l'avoir sauvée du feu des Iroquoîs, qui lui était
inévitable. Nos gens s'en revinrent victorieux, amenant
leurs prisonniers avec des cris de joie. On dbnha la
vie à un qui n avait pas plus de quinze ans : les autres
DR LK MÈRB MAR1£ DE L'INCARNATION. 153
turent brûlés, et s*étant convertis, mourarent chrétien-
nement et dans l'espérance de leur salut. Ils ont con-
firmé à la mort ce que l'autre avait dit, qu'ils s'éton-
fiaient que l'armée tardait tant, et qu*il fallait que les
TroÎB-Rivières fussent assiégées. Cela semblait d'autant
plus probable que Ton n'entendait point de nouvelles
if une chaloupe pleine de soldats que M. le Gouverneur
avait envoyée pour faire quelque découverte, non plus
que de deux autres qui étaient montées il y avait
quelque temps.
Le huitième du même mois, on nous vint dire que
l'année était proche et qu'on l'avait vue. En moins d'une f
demi-heure, chacun fut rangé en son poste et en état
le se défendre. Toutes nos portes furent de nouveau
tuurricadées, et je munis tous nos soldats de ce qui leur
Stait nécessaire. En ces moments un de nos gens arriva
de la pêche, et nous assura avoir vu un canot où il y
HTait huit hommes debout, et que ce canot était du
8aut-de*la-Chaudiôre, qui est une retraite des Iroquois.
Cda fit croire que l'alarme était vraie, qui néanmoins
le trouva fausse. Les Français étaient si encouragés
<|u'i]8 souhaitaient que Tafiaire fût véritable : car M. le
GooTemeur avait mis si bon ordre à toutes choses,
^ nirtout à son fort, qu'il l'avait rendu comme impre-
luible, et chacun à son exemple avait quitté toute
fnjear. Je dis pour les hommes, car les femmes étaient
ioQt i fiait efErayéea. Pour moi, je vous avoue que je
né eu aucune crainte, ni dans l'esprit ni à Textérieur.
/a n'ai pourtant guère dormi durant toutes ces alar*
mes. Mon oreille faisait le guet toute la nuit, afin de
l'être pas surprise, et d*être toujours en état de fournir
i wm soldats les choses dont ils eussent eu besoin en
iTattoque.
154 LETTRES
Le lendemain on vit arriver les chaloupes, dontoa
était en peine. Elles apportèrent les tristes nouvelles
de la mort de nos Français de Montréal, qui étant allés
au nombre de dix-sept, accompagnés de quarante tant
Hurons qu'Algonquins, pour surprendre quelques Iro-
quois, furent pris eux-mêmes et mis en pièces par ces
barbares. L'action est généreuse, quoique Fissue n'en
ait pas été favorable. Voici comme le révérend Père
Ghaumonnot en parle dans une lettre qu'il écrit sur la
déposition d'un Huron qui s'est sauvé, et qui a va toat
ce' qui s'est passé.
f Dès le mois d'avril 1660, dix-sept braves Français
volontaires de Montréal, prirent le dessein de se ha8a^
der pour aller faire quelque embuscade aux Iroquois,
ce qu'ils firent avec l'approbation et l'agrément de ceux
qui commandaient. Ils partirent accompagnés de qoa*
rante sauvages, tant Hurons qu'Algonquins, bien manifl
de tout ce quj leur était nécessaire. Ils arrivèrent Ifl
premier jour de mai suivant en un fort qui avait été fait
l'automne passé par les Algonquins au pied du Long'
Saut au-dessus de Montréal. Le lendemain, jour de
dimanche, deux Hurons qui étaient allés à la découverte
rapportèrent qu'ils avaient vu cinq Iroquois qui venaient
vers eux, aussi pour découvrir. L'on consulta là-de88Q9
ce qui était à faire. Un Huron opina qu'il fallait descen'*
dre à Montréal, parce que ces Iroquois pouvaient êtr9
les avant-coureurs de l'armée qu'on nous avait annonce
devoir venir fondre sur nous, ou que s'ils n'étaient pa*
des espions de l'armée, ils étaient au moins pour avertie
le? chasseurs de cette embuscade, et par cet avis 1»
rendre inutile. Annotacha, fameux capitaine huroa*
résista fortement à cette proposition, accusant d^
couardise et de lâcheté celui qui l'avait faite. On suivit
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 155
lentiment de C6 dernier, et Ton demeura dans ce lieu,
18 le dessein de faire le jour suivant une contrepalis-
le pour fortifier celle qu'ils avaient trouvée, et qui
tait pas de défense. Mais les Iroquois, qui étaient les
Dontageronons, ne leur en donnèrent pas le loisir,
* peu de temps après, on les vit descendre sur la
ière au nombre de deux cents. Nos gens, qui fai-
ent alors leurs prières, étant surpris, n'eurent le
dr que de se retirer dans cette faible retraite, laissant
lors leurs chaudières qu'ils avaient mises sur le feu
ir préparer leur repas. Après les huées et les salves
fusils de part et d'autre, un capitaine onnontàgeronon
inça sans armes jusqu'à la portée de la voix pour
nander quelles gens étaient dans ce fort, et ce qu'ils
ciaient faire. On lui répond que ce sont des Français,
irons et Algonquins au nombre de cent hommes, qui
Daient au-devant des Nez-Percés. Attendez, réplique
atre, que nous tenions conseil entre nous, puis je
dodrai vous revoir; cependant ne faites aucun acte
lostilité, de crainte que vous ne troubliez les bonnes
iroles que nous portons aux Français à Montréal.
9tirez-vou8 donc, dirent les nôtres, à l'autre bord de
rivière, tandis que nous parlementerons de notre
irt. lis désiraient cet éloignement de l'ennemi, pour
roir la liberté dé couper des pieux, afin de fortifier
Qr palissade. Mais tant s'en faut que les ennemis
lassent camper de l'autre côté, qu'au contraire ils com-
oncèrent à dresser une palissade vis-à-vis de celle
) nos gens, qui, à la vue de leurs ouvriers, ne lais-
*rent pas de se fortifier le plus qu'ils purent, entre-
nt les pieux de branches d'arbres et remplissant
tout de terre et de pierres à hauteur d'homme, en
vie néanmoins qu'il y avait des meurtrières à chaque
156 LETTRES
pieu gardées par trois fusiliers. L*ouYrage n'était pas
encore achevé que l'ennemi vint à l'assaut. Les assiégés
se défendirent vaillamment, tuèrent et blessèrent on
grand nombre d*Iroquois sans avoir perdu un seol
homme. La frayeur qui se mit dans le camp de Tennemi
leur fit prendre la fuite à tous, et les nôtres s'estimaiest-
déjà heureux de se voir quittes à si bon marché. Quel*
ques jeunes gens sautèrent la palissade pour couper
la tête au capitaine Sonnontatonan, qui venait d'être
tué, et Térigèrent en trophée au bout d'un pieu sur la
palissade. Les ennemis étant revenus de la frayeur
extraordinaire dont ils avaient été saisis, se rallièrent,
et durant sept jours et sept nuits entières grêlèrent dm
gens de coups de fusils. Durant ce temps-là ils brisèrent
les canots des nôtres, et en firent des flambeaux poor
brûler les palissades, mais les décharges étaient n
fréquentes qu'il ne leur fut jamais possible d'en appro*
cher. Ils donnèrent encore une seconde attaque plna
opiniâtre que la première; mais les nôtres la soutinrent
si courageusement, qu'ils prirent la fuite pour la second»
fois. Vingt d'entre eux se retirèrent si loin, qu'on ne les
revit plus depuis. Quelques Onnontageronons dirent
depuis à Joseph, qu'ils tenaient captif, que si les nôtres
les eussent suivis les battant en queue, ils les eussent
tous perdus. Hors le temps des deux attaques, les ooops
que tirait lennemi sur la palissade n'étaient que ponr
empêcher les assiégés de fuir, et pour les arrêter en
attendant le secours des Onnieronons qu'ils avaient
envoyé quérir aux îles de Richelieu.
Que d'incommodités souffraient cependant nos Fran-
cis! le froid, la puanteur, Tinsomnie, la faim et latoif
les fatiguaient plus que lennemi. La disette d'eau était
si grande, qu'ils ne pouvaient plus avaler la farina
DE LA MÈRB MAftIB DE L*INGARNATION. 157
886 dont les gens de guerre ont coutume de se
rrir en ces extrémités. Ils trouvèrent un peu d*eau
I on trou de la palissade, mais étant partagée à
e en eurent-ils pour se rafraîchir la bouche. La
lesse faisait de temps en temps quelques sorties par-
us les pieux, car il n'y avait point de portes, pour
? quérir de l'eau à la rivière à la faveur de quantité
usiliers qui repoussaient l'ennemi; mais comme ils
ent perdu leurs grands vaisseaux, ils n'en portaient
de petits qui ne pouvaient fournir à la nécessité
loixante personnes, tant pour le boire que pour la
imité. Outre cette disette d'eau, le plomb commença
anquer ; car les Hurons et les Algonquins voulant
indre à chaque décharge des ennemis, tant de jour
de nuit, eurent bientôt consumé leurs munitions.
Français leur en donnèrent autant qu'ils purent,
B enfin ila furent épuisés comme les autres. Que
nt-ils donc à l'arrivée de cinq cents Agnieronnons
)nnieronons qu'on est allé quérir? Ils sont résolus
combattre en généreux Français et de mourir en
s chrétiens. Ils s'étaient déjà exercés à l'un et à
tre l'espace de sept jours, durant lesquels ils n'avaient
que combattre et prier Dieu ; car dès que l'ennemi
ût trêve, ils étaient à genoux, et sitôt qu'il faisait
e d'attaquer, ils étaient debout, les armes à la main,
près les sept jours de siège, on vit paraître les
)ts des Agnieronnons et des Onneioutronnons, qui
i devant le petit fort de nos Français, firent une
3 étrange, accompagnée d'une décharge de cinq
8 coups de fusils, auxquels les deux cents Onnon-
ronnons répondirent avec des cris de joie et avec
•
B leur décharge, ce qui fit un tel bruit que le ciel,
erre et les eaux en résonnèrent fort longtemps.
158 LETTRES
Ce fut alors que le capitaine Annotacha dit : Nooi
sommes perdus, mes camarades. Et le moyen de ré-
sister à sept cents honmies frais avec le peu ds
monde que nous sommes, fatigués et abattus! Je ne
regrette pas ma vie, car je ne saurais la perdre dans
une meilleure occasion que pour la conserTation du
pays; mais j*ai compassion de tant de jeunes enfante
qui m*ont suivi. Dans l'extrémité où nous sonuDSi
je voudrais tenter un expédient qui me vient en l'esprit
pour leur faire donner la vie. Nous avons ici m
Oneiouteronnon, je serais d'avis de renvoyer à sei
parents avec de beaux présents, afin de les adoudr,
et d'obtenir d'eux quelque bonne composition. Son soi-
timent fut suivi, et deux Hurons des plus considéraUei
s'ofirirent à le remener. On les charge de beaux pré-
sents, et après les avoir instruits de oe qulls avaient
à dire, on les aide à monter sur la palissade pour ta
laisser glisser ensuite le long des pieux. Cela fait, on te
met en prières pour recommander à Dieu l'issue de cette
ambassade. Un capitaine huron, nommé Eustacbe
Thaouonhohoui, commença au nom de tous à apostro-
pher tous les saints et les bienheureux du paradis d'oa
ton de prédicateur, à ce qu'ils leur fussent propioes
dans un danger de mort si évident. Vous savez, dit-ili
ô bienheureux habitants du ciel, ce qui nous a condoits
ici ; vous savez que c'est le désir de réprimer la foieor
de riroquois, afin de lempécher d'enlever le reste de
nos femmes et de nos enfants, de crainte qu'en les
enlevant ils ne leur fassent perdre la Foi, et eneuite
le paradis> les emmenant captifs en leur pays. Vous
pouvez obtenir notre délivrance du grand Maître de
nos vies, si vous len priez tout de bon. Faites mainte*
naut ce que vous jugerez le plus convenable; car pour
I
E
DE LA MÈRE MARIE DE L*INCARNATION. 159
nous, nous n'avons point d esprit pour, savoir ce qui ^
iftOQs est le plus expédient. Que si nous sommes au bout
r de notre vie, présentez à notre grçnd Maître la mort
i que nous allons soufifrir en satisfaction des péchés que
I nous avons commis contre sa Loi, et impétrez à nos
pauvres femmes et à nos enfants la grâce de mourir
twns chrétiens, afin qu'ils nous viennent trouver dans
le oiel.
l Pendant que les assiégés priaient Dieu, les députés
[ entrèrent dans le camp de lennemi. Ils y furent reçus
I avec une grande huée, et au même temps un grand
i- nombre de Hurons qui étaient mêlés parmi les Iroquois,
^^ vinrent à la pallissade solliciter leurs anciens compa-
f triotes de faire le même que leurs «députés, savoir de
^ venir se rendre avec eux, n'y ayant plus, disaient-ils,
L,. d'autre moyen de conserver leur vie que celui-là. Âh !
^ que l'amour de la vie et de la liberté est puissant!
A ces trompeuses sollicitations, on vit envoler vingt-
quatre de ces timides poules de leur cage, y laissant
seulement quatorze Hurons, quatre Algonquins et nos
dix-sept Français. Cela fit redoubler les cris de joie
daiig le camp de l'ennemi, qui pensait déjà que le reste
allait faire de même. C'est pourquoi ils ne se mirent
plus en peine d'écouter, mais il s'approchèrent du fort
à dessein de se saisir de ceux qui voudraient prendre
la fuite. Mais nos Français, bien loin de se rendre,
commencèrent à faire feu de tous côtés, et tuèrent un
boa nombre de ceux qui étaient plus avancés. Alors
Auuotacha crie aux Français : Ah ! camarades vous avez
tout gâté, encore deviez-vous attendre le résultat du
^oseil de nos ennemis. Que savons-nous s'ils ne deman-
<ioront point à composer, et s'ils ne nous accorderont
poiut de nous séparer les uns des autres sans acte
160
LETTRES
dliMtilitë, comme il est 80Q?ent arrivé en de sembla-
bles rencontres? Mais à présent qoe tous les avei
aigris, ils vont se mer sur nous d'une telle rage qna
sans doute nous sommes perdus. Ce capitaine ne rsi«
sonna pas mal, car les Iroquois voyant leurs gens tak
lonqulls sV attendaient le moins, furent transportéi
d un si grand désir de se venger, que sans se soucier
des coups de fusils qu*on tirait incessamment, se jeta-
tènent à corps perdu à la palissade, et s'y attachèrent
au-dessous des canonnières où on ne leur pouvait phu
nuire^ parce qull nV avait point d*avance d*où Ton pftt
les battre. Par ce moyen nos Français ne pouvaivit
plus empêcher ceux qui coupaient les pieux. Ils démon^
tert deux canons de pistolets qulls remplissent jusqu'au
gou.et^ et les jettent sur ces mineurs après y avoir mis
le feu. Mais le fracas ne les ayant point fait écarter, ib
s aTisère£t de jeter sur eux im baril de poudre avec usa
mèche allumée. Mais par malheur le baril n'ayant pai
été poussé assex. rudement parniessus la pallisaade as
lieu de tcmber du ciMe ds ennemis tomba dans le fort
cil prenant feu. il br^la aux uns le visage, aux antres
les mains, et à tous il ota la rue im assez long tempi,
et les s^it hors à ér&t de combattre. Les Iroquois qm
étaiexit à la sape s aperçaren; de Favantage que cet
acc^idoDt leur dorr ait. Ils s en prévalurent et se saisirent
de toctes les meunnères que ces pauvres aveuglei
veraiexit de cuitter. On vit bientôt tomber de côté et
d'autre, tari'^Sî un Huror, TJLn:ô; un Algonquin, tantôt
un Franç.^i^ en Sk'^rte qnen peu de temps une partie
iîo$ as^iô^rt^ jte tron^èreni mc^ns, et le reste blesaA.
In Fnsrs^^Aîs. or& cr.^nt que ceux qui étaient blessAi
nu^^t Trou$>ont < :;oore a^s^rx de Tîe pour expérimenter
U oruHiito (lu feu des Iro;;i2o;$, acheva des tuerlaploe
i
DE LA MÈRB MARIK DE L INCARNATION. 161
grande partie à coups de hache par un zèle de charité
qu'il estimait bien réglé. Mais enfin les Iroquois, grim-
pant de tous côtés, entrèrent dans la palissade et pri-
rent huit prisonniers qui étaient restés en vie, de trente
qui étaient demeurés dans le fort, savoir, quatre Fran-
çais et quatre Hurons. Ils en trouvèrent deux parmi les
morts, qui n'avaient pas encore expiré; ils les firent
brûler inhumainement.
Ayant fait le pillage, ils dressèrent un grand échafaud
sur lequel ils firent monter les prisonniers, et pour
marque de leur perfidie, ils y joignirent ceux qui
s'étaient rendus volontairement. Ils tourmentèrent
cruellement les uns et les autres. Aux uns ils faisaient
manger du feu; ils coupaient les doigts aux autres,
ils en brûlaient quelques-uns ; ils coupaient à d'autres
les bras et les jambes. Dans cet horrible carnage, un
Oneiouteronnon tenant un gros bâton, s'écrie à haute
voix : Qui est le Français assez courageux pour porter
ceci? A ce cri, un de nos compatriotes, qu'on estime être
René, quitte généreusement ses habits pour recevoir à
nu les coups que l'autre lui voudrait donner. Mais un
Huron nommé Annieouton, prenant la [parole, dit à l'Iro-
quois : Pourquoi veux-tu maltraiter ce Français qui n'a
jamais eu que de la bonté pour toi?, — Il m'a mis les fers
aux pieds, dit le barbare. — C'est pour l'amour de moi,
réplique Annieouton, qu'il te les a mis, ainsi décharge '
sur moi ta colère et non sur lui. Cette charité adoucit le
barbare, qui jeta son bâton sans frapper ni l'un ni l'autre.
Cependant les autres étaient sur l'échafaud où ils
repaissaient les yeux et la rage de leurs ennemis, qui
leur faisaient souffrir mille cruautés accompagnées de
brocards. Aucun ne perdit la mémoire des bonnes
instructions que le Père qui les avait gouvernés leur
urm. M. XI. Il
1 62 LETTRES
avait données. Ignace Thaouenhohoui commença à
haranguer tout haut ces captifs, « Mes neveux et mes
amis, dit-il, nous voilà tantôt arrivés au terme que
la foi nous fait espérer. Nous voilà presque rendus
à la porte du paradis. Que chacun de nous prenne
garde de faire naufrage au port. Âh! mes chers cap-
tifs, que les tourments nous arrachent plutôt Tâme
du corps que la prière de la bouche, et Jésus du cœur!
Souvenons-nous que nos douleurs finiront bientôt, et
que la récompense sera éternelle. C'est pour défendre
la foi de nos femmes et de nos enfants contre nos enne-
mis, que nous nous sommes exposés aux maux que nous
souffrons, à Texemple de Jësus, qui s*oflfrit à la mort,
pour délivrer les hommes de la puissance de Satan,
leur ennemi ; ayons confiance en lui ; ne cessons point
de rinvoquer; il nous donnera sans doute du courage
pour supporter nos peines. Nous abandonnerait- il aa
temps où il voit que nous lui sommes devenus plus
semblables, lui qui ne refuse jamais son assistance aax
plus contraires à sa doctrine, quand ils ont recours
à lui avec confiance i » Cette courte exhortation eut un
tel pouvoir sur Tesprit de ces pauvres patients, qu'ils
promirent tous de prier jusqu'au dernier soupir. Et,
de lait, le Iluron échappé huit jours après des mains
des Iroquois, a assuré que jusqu'à ce temps-là, ils ont
prié Pieu tous les jours, et qu'ils s'exhortaient l'un
l'autre à le faire toutes les fois qu'ils se rencontraient.
Jusquici est la dêposiiion du Uuron qui s'est sauvé*
sans quoi ion ne saurait rien de cette sanglante tra-
gt\iio. Il y a sujet d'esjvrer qu'il s'en sauvera encorô
v;Uv\sîuo autre vjui nous dira le reste. Ce Huron qui se
i::-^:uo I.ouis, et qui est un exoeilem chrétien, était
réservé pour ècr^ Vrùîê dans le pays emiemi, et pour
DE LA MÈRE MARIE DE L*IN CARNATION. 163
cela il était gardé si exactement, qu'il, était lié à un
Iroquois, tant on avait peur- de le perdre, aussi bien
qu'un autre Huron qui courait le même sort. Ils ont
invoqué Dieu et la sainte Vierge avec tant de ferveur
et de confiance, qu'ils se sont échappés comme mira-
culeusement, vivant en chemin de limon et d'herbe,
et courant sans respirer jusqu'à Montréal. Louis m'a
raconté à notre parloir sa grande confiance à la sainte
Vierge, et que comme il était lié à l'Iroquois endormi,
un de ses liens se rompit de lui-même, et (|u'étant ainsi
demi-libre, il rompit doucement les autres et se mit
entièrement eh liberté. Il traversa toute l'armée, quoique
l'on y fît le guet, sans aucune mauvaise rencontre, et se
sauva de la sorte. Ils ont rapporté qu'un Iroquois ayant
rencontré un Français, lui dit : Je t'arrête; et que le
Français, qu'on dit être celui qui par commisération
acheva de tuer les moribonds, et qui avait un pistolet
en son sein, dont les ennemis ne s'étaient pas aperçus,
le tira, en disant du même ton : Et moi, je te tue, et le
tua en effet.
Sans les connaissances que ces Hurons fugitifs nous
ont données, on ne saurait point ce que nos Français
et nos sauvages seraient devenus, ni ôii aurait été
l'armée des ennemis, qui après la défaite dont je viens
de parler, s'en sont retournés en leurs pays, enfiés de
leur victoire, quoiqu'elle ne soit pas grande en elle-
même. Car sept cents hommes ont-ils sujet de s'enor-
gueillir pour avoir surmonté une si petite troupe de
gens} Mais c'est le génie de ces sauvages, quand ils
n'auraient pris ou tué que vingt hommes , de s'en
^urner sur leurs pas pour en faire montre en leurs
pays. L'on avait conjecturé ici que Tissue de cette
Affaire serait telle qu'elle 'est arrivée, savoir que nos
164 LETTRES
■
dix- sept Français et nos bons sauvages seraient les
victimes qui sauveraient tout le pays; car il est certain
que sans cette rencontre, nous étions perdus sans res-
source, parce que personne n'était sur ses gardes, ni
même en soupçon que les ennemis dussent venir. lis
devaient néanmoins être ici à la Pentecôte, auquel
temps les hommes étant à la campagne, ils nous eussent
trouvés sans forces et sans défense ; ils eussent tué, pillé
et enlevé hommes, femmes, enfants; et quoiqu'ils n'eus-
sent pu rien faire à nos maisons de pierre, venant
fondre néanmoins avec impétuosité, ils eussent jeté la
crainte et la frayeur partout. On tient pouf certain qu'ils
reviendront à l'automne ou au printemps de Tannée
prochaine; c'est pourquoi on se fortifie dans Québec.
Et pour le dehors, M. le Gouverneur a puissanHnent
travaillé à faire des réduits ou villages fermés, où il
oblige chacun de bâtir une maison pour sa famille, et
contribuer à faire des granges communes pour assurer
les moissons, faute de quoi il fera mettre le feu dans
les maisons de ceux qui ne voudront pas obéir. C'est
une sage police, et nécessaire pour le temps, autremeot.
les particuliers se mettent en danger de périr avec loa
familles. De la sorte, il se trouvera neuf ou dix rédoi
bien peuplés, et capables de se défendre. Ce qui est
craindre, c e^t la famine, car si 1 ennemi vient à Tau —
tonme, il ravagera les moissons ; s*il vient au printemps •
il empêchera les semences.
Cette crainte de la famine fait faire un efibrt aix
vaisseau qui nest ici que du 13 de ce mois pour ^Ues*
en Fra:*oe quê/ir des farines, afin den avoir en réserva
pour .e temps de la nécessité, car elles se gardent ic*^
i •a^iieuis année^i quand elles sont bien préparées; e't
vîuh:;.: le pa\s en sera fourni» on ne craindra pas taa*
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNG ARNATION . 165
ce fléau. Ce vaisseau fera deux voyages cette année,
ce qui est une chose bien extraordinaire, car quelque
diligence qu'il fasse, il ne peut être ici de retour qu'en
octobre, et il sera obligé de s'en retourner quasi sans
s'arrêter.
L'hiver a été extraordinaire cette année, en sorte que
personne n'en avait encore jamais vu un semblable, tant
en sa rigueur qu'en sa longueur. Nous ne pouvions
échauffer ; nos habits nous semblaient légers comme des
plumes, quelques-unes de nous étaient abandonnées
(résignées) à mourir de froid; à présent il n'y paraît
point, nulle de nous n'étant incommodée.
L'armée des Iroquois est venue ensuite, mais nous
n'en avons eu que la peur, si peur se peut appeler,
car je n'ai pas vu qu'aucune de nous ait été hors de
sa tranquillité. Le bruit même de la garde ne nous
donnait nulle distraction. Nos gens n'entraient dans
^otre clôture que le soir : ils en sortaient le matin
pour aller* à leur travail, notre dortoir étant toujours
bien fermé. La nuit on leur laissait les passages d'en
bas et Jes offices ouverts, pour faire la ronde et la visite.
Tomates les avenues des cours étaient barricadées, outre
environ une douzaine de grands chiens qui gardaient
les portes de dehors, et dont la garde valait mieux, sans
comparaison, que celle des hommes pour écarter les
gaavages; car ils craignent autant les chiens français
que les hommes, parce qu'ils se jettent sur eux, et les
déchirent quand ils les peuvent attraper.
Voilà un abrégé de ce qui s'est passé en cette Nou-
velle-France depuis la fin d'avril; s'il arrive quelque
chose de nouveau, nous vous le ferons savoir par les
derniers vaisseaux. J'ajouterai à tout ce que dessus, que
^* Dailleboust est mort de sa mort naturelle; c'est une
166 LETTRES
grande perte pour Montréal, dont il était gouYemenr.
Je le recommande à vos prières.
De Québec, le 25 juin 1660.
LETTRE CXLV.
AU MÊME.
KiAt «iu paj*. — S^* propre» dispositioc*. — EHo^ Je il^r r«T*|«e de Pétrèe,
«c Je M. d'Arv:eB403. iDJav^rctfar. — AccîTÏ'e de la Mère de rioearottioD
•iaa» Tiw mesures Je défesde ccstr»? l«s rrcqaois-
Mon très-cher fiK
Jai reçu votre lettre du A> mars, sans avoir vu le»
autres dont vous me parlez. Loa dit quelles ont été
brouillées et ensuite portées à TAcadie (Nouvelle-Ecosse).
Si cela est nous ne pourrons les recevoir que Tannée
prochaine- Celles de M. le Gouverneur et de nos révé-
rends Pères, et quasi toutes les autres sont tombées
ds^ns la mèuîe tortune. U me suffit, mon très-cher fil»,
que jaie apt^is de vous-même votre bonne disposition
,^tat de sautci pour en rendre grices à Celui qui vous
la douue. Je vous ai ùéjà écrit une lettre bien ample
par le pivmier vaisseau parti au mois de juillet, une
airre plus courte, par le révérend Père Le Jeune, et
uao iivi^èmo {.vHr un autre navire, afin de vous ôter
rappréhensiou que vous pourriez avoir à notre sujet,
emoiuiaat parler ces iusultes que nous font les Iroquois.
Noire Iva Uieu nous en a délivrées par sa grande
DE LA MÉRB MARIE DE L'INCARNATION. 167
lis^ricorde ; ils sont retournés en leur pays, et pendant
i*oxi traite avec eux pour l'échange de quelques
isonniers, on prend favorablement le temps pour
irr^er les moissons. Elles sont déjà bien avancées,
; les nôtres sont faites; car on ne lève les grains
d'en septembre; elles vont quelquefois jusqu'en octobre,
1 sorte que la neige surprend les paresseux.
Depuis quelques mois les Outaouak sont venus avec
n grand nombre de canots chargés de castors, ce
[ui relève nos marchands de leurs pertes passées, et
3LCCommode la plupart de? habitants : car sans le com-
merce, le paj's ne vaut rien pour le temporel. Il peut
se passer de la France pour le vivre ; mais il en dépend
entièrement pour le vêtement, pour les outils, pour
lô vin, pour l'eau-de-vie, et pour une infinité de petites
coQd inodités, et tout cela ne nous est apporté que par
le Oaoyen du trafic.
Auprès ce petit mot de l'état du pays, je réponds à
votre lettre, après vous avoir dit que Dieu par sa
lûis^ricorde me conserve la santé, et que' toute notre
Communauté est dans une paix et dans une union aussi
parfaite qu'on le saurait souhaiter. Notro révérende
Mère de Saint-Athanasea été continuée en sa charge dans
Vélection que nous avons faite au mois de juin dernier.
Pour moi j'ai toujours les aflfaires de la maison sur
les bras, je les porte par acquiescement aux ordres
de Dieu, car toute ma vie j'ai eu de l'aversion des
choses temporelles, surtout en ce pays où elles sont
épineuses au point que je ne vous puis exprimer. Mon
cœur néanmoins et mon esprit soiit en paix dans les
tracas de cette vie si remplie d'épines; et j'y trouve
Dieu, qui me soutient par sa bonté et par sa miséricorde,
et qui ne me permet pas de vouloir autre chose que
\
108 LETTRES
ce A\}ï\\ voudra de moi dans le temps et dans réternité.
Par co peu de mots, vous voyez, mon très-cher fils,
ma disposition présente, et que je suis à la bonté divine
par labandon d un esprit de sacrifice continuel. Je
no sais si, ayant passé soixante ans, il durera encore
longtomps. Des pensées que le terme de la vie approche;
sans i^uo j y fasse réflexion, me donnent de la joie :
mais quand je men aperçois, je la mortifie pour me
lonir eu mv^n esprit de sacriîîce, et pour attendre ce
cv'ir," final dans le dessein de Dieu, ei non dans la
;;ikîAÙon où mon esph; voudrai: s'emporter, se voyant
sur îo jviuî deure dèira^ des liens de cette vie basse
^ Tertvsstre. o; si pleine ^:e pié^^es : car sans parler
i^^ vvux du dehors qui soc:î liiûnis. qui ne refuirait
vVïiX iî^ îa r*sîu:>e. ^u: plus ils virillissest, plus ils sont
s^î>::is tx k ora:::.:rpi rVI^j I^if-. p::isqu'ii veut que
\l*rr rs^'-M^i* î^^;^I« es; :^^ i-r ;f to^::* laî mandé par
TïW^ vcw^^^r.tes. «v::r. r^s-sfir rû i::3exîbîe. Zélé
Tv^r.r ?a'.» ohwcv*c vc: .v ;z':l rr:ii îr^rc-dr aiiementer
)k ÇK\T^ à^ ?:;>:. ^: .T.f,;.x:rCt£ Tirer -f pMn; céder
^r *v c^: V »: .vrîr^r:" 7= r.5^ Tiri^T rccs^re vu
fv^r^i^ir.r^ r^<:.:T ^\ ?fcrr.fr :if .-:.. te re* ir::x pMnls-
n>M>4V \f ri'TTs ^.J5s :•:*: f tr t. c^ ...-usr.ijî îe? riens
iVMV .^>< vv^V '^Vi-'^ Cl .. % 'i^'r.-: Ûi: TU-XIXTeiê. Ce
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 169
Jt pas tant, tout en irait mieux ; car on ne peut rien
3 ici sans le secours du temporel. Mais je puis me
aper, chacun a sa voie pour aller à Dieu. H pratique
3 pauvreté en ^a maison, en son vivre, en ses
ibles, en ses domestiques; car il n'a qu'un jardinier,
L prête aux pauvres gens quand ils en ont besoin,
n homme de chambre qui a servi M. deBernières.
ne, veut qu'une maison d'emprunt, disant que
nd il ne faudrait que cinq sols pour lui en faire
, il ne les voudrait pas donner. En ce qui regarde
nmoins la dignité et l'autorité de sa charge, il n'omet
vine circonstance. Il veut que tout se fasse avec
Onajesté convenable à l'église, autant que le pays
peut permettre. Les Pères lui rendent toutes les
t stances possibles, mais il ne laisse pas de demander
prêtres en France, afin de s'appliquer avec plus
^iduité aux charges et aux fonctions ecclésiastiques.
1". le Gouverneur (M. d'Argenson) fait de son côté
aître de jour en jour son zèle pour la conservation
pour l'accroissement du pays. Il s'applique à rendre
ustice à tout le monde. C'est un homme d'une haute
tu et sans reproche. Je vous ai mandé par mes
'nières lettres les soins qu'il a eus pour notre conser-
LioD, étant venu lui-même plusieurs fois dans notre
)nastère pour visiter les lieux et les faire fortifier,
donnant des corps de garde, afin que nous soyions
)rs des dangers des Iroquois, dans le temps de leurs
îmuements.* En votre considération, j'ai souvent l'hon-
eur de sa visite, outre celles qu'il donne à notre réve-
il) L'extrémité du couvent à IWit était la limite de la ville de ce côté. Il résul-
it de là que les Ursulines pouvaient être les premières exposées à la fureur
* sauvages.
î;7K>k LRTTRSS
r«^ctie M^K. Il Y a toujours à profiter avec lai, car il m
i^.t^ ;ue vie Dieu et de la vertu, hors la nécessté de bo
iâiûjre«^ <îue nous lui comoiuniquons comme i m
:j%^r?sea:xe de ccnfiance ei remplie de charité. U
1 ~A;ar.e» Ie$ viêvotiocs publiques, ecaac îe
iooaer l'exemple aux Frac<;ais ec à nos noaTeanx diM
leu». Nous avoirs rerrda grloes à Diea ea appRBU
)u':i -itait wnciitué en sa charge pour troLi ans. la jà
i ^tb aDiver^iie es pabli^ae. ec ziocs soafiKsmoi
4U :i y :uc oouLinué par Sa Majesté ie reste L» ses jam
S% Mes^ieurs^ àe ia Compagnie savoieu.!: «a mécise^ i
i^mpiûieraieuc i;s«^rémeac i se procurer ce litm. à eu
3iemefr c( 1 :cuc ^e uavs.
Lift !x}niies^ Mèn:s Hospitaiières qui vinrgxc TamM
lernière s^étauiir à Mouînâai. oui :jté a la viaîLe i
repttftiittr trii if rauoe. Leur :omLaiiun i^tait Hitr? 1<
;e M. N. ns:eveur le;* "iiiiles. lui -^sc 3iar
lU ittH<.uiaireft; ec jomme ^ :ùarJ>3 ^c ses ?iexs aoié
^ai^iâr .es ieuier» ie :**» yauvrw* illes 5^^;- «m œ«
"t:* ruveiOjjjjes, -t -u es icuc jouime Ténias. Mai
Mgr 'luir- '-^'•tiaf. es» i •t?i.triatî*, ^ur a .•e^i'iete laih
1 :i,e i..i*f?â*:uititî irti* •c:> .:ai. li.îiii'.s .'i .■loat;^^ai. .arc
•4jut '.ea .liiè» i uue ^v>>.Liù^ 'trr'Li ■{. «iiii-jau-ja. Ja aixi
.vf«Aa% uc .:uus ..c uUvitjiisi. 'iici* :*HUâ Li:ê XlIUaEBH
^ . -..* ..> i ..*'-- -a-. ^... Ti"'. 1. .«". -:i iiS
DR LA MËRB MARIE DE l'iNGARNATION. 171
a serait arrivé si l'armée des Iroquois, qui venait ici
qui Dons eût trouvées sans défense, n'eût rencontré
[•sept Français et quelques sauvages chrétiens, qu'ils
t pris et menés en leur pays. Je vous en ai mandé
istoire bien au long dans une autre lettre. Â présent
16 leur retour a donné le loisir de se fortifier, l'on n'a
18 tant sujet de craindre, surtout dans nos maisons
I pierre, d'où l'on dit qu'ils ne s'approcheront jamais,
irce qu'ils croient que ce sont autant de forts. Nonobs-
Dt tout cela, nous avons fait une bonne provision
t poudre et de plomb, et avons emprunté des armes
il sont toujours prêtes en cas d'alarmes.
GTest une chose admirable de voir les providences
les conduites de Dieu sur ce pays, qui sont tout à fait
hdessoB des conceptions humaines. D'un côté, lorsque
m devions être détruits, soixante hommes qui étaient
rtis pour aller prendre des Iroquois ont été pris eux-
Smes et inunolés pour tout le pays. D'ailleurs les
ançais d'ici et les Algonquins prennent presque tous
i avant-coureurs des Iroquois, qui étant exposés au
I. découvrent tout le secret de la nation. Enfin Dieu
tiHime les orages lorsqu'ils sont prêts de fondre sur
I tètes; et nous sommes si accoutumés à cette Provi-
DOe, qu'on de nos domestiques que je faisais travailler
los fortifications, me dit avec une ferveur tout animée
eoofiance : * Ne vous imaginez pas, ma Mère, que
m permette que l'ennemi nous surprenne; il enverra
dque Horon par les prières de la sainte Vierge, qui
n donnera tous les avis nécessaires pour notre con-
Tation. La sainte Viercre a coutume de nous faire
te (aTear en toutes occaâions. elle le fera encore
«Tenir. • Ce discours me toucha fort, et noua en
feffet dès le jour même oa le lendemain, .^uô
172 LETTRES
deux HuroDS qui avaient été pris et qui a'étaient sauvés
comme miraculeusement par Fassistance de la sainte
Vierge, arrivèrent et apportèrent la nouvelle de la
prise de nos Français, et que l'ennemi 8*ëtait retiré
en son pays.
Cette nouvelle fît cesser la garde dans tous les lieux,
excepté dans les forts, et tout le monde commença à
respirer, car il y avait cinq semaines qu*on n'avait point
eu de repos ni de jour ni de nuit, tant pour se fortifia
que pour se garder. Pour moi, je vous assure quej*étaii
extrêmement fatiguée; car nous avions vingt-quatre
hommes sur lesquels il fallait que je veillasse conti-
nuellement pour leur donner tous leurs besoins de
guerre et de vivres. Us étaient divisés en trois corps
de garde^ et faisaient la ronde toute la nuit par des
ponts de communication « qui allaient partout : ainsi
ils nous gardaient fort exactement Je veillais au-dessos
de tout cela. Car erccne que je fosse enfermée dans
notrv^ dortoir, mon oneille néanmoins faisait le guet
u>uto la r.uit do crainte c alarme^ et pour être toujours
prv^ie à ooruerà rcv$ soI<?ais les munitions nécessaires
«ru va:$^ aat:;ftvrv:e. Mi'un. nous fûmes heureuses d'être
cUvivntVs de «* finieAU. et Ton en chanta le Te De^m
^r. tv^ut^\? It« i^^î:5^s. K V a p?è$ de cinq mois qullse
ùu ;ou;«i io$ \^uns^ uu s;*!^; s<I«:iseî cù le saint Sacre-
ux^'r.; e^iî^: ^;*xjxvs5c>. a^r, cu\I ^^^aise à Dieu de prot^gtf
V jv^x;?. Voî*À n:v^r. jv»ir;^'r r^a^a. il dut qtie je finisse.
v\ui* ;î^urrIîÀr,: d;? ^^rv:^î tvx? rrt^n» aux nôtres, et de
;tcu* prvvi;?^ e?vvw v^hI^^ ie 2a« lêvérends Père»
- s ^'<k;\ y : " Âr *rtWîSB>nr IfiX*-^
DB LA MÈRB MARIE DE l'iNCARNATION. 173
LETTRE CXLVI.
A SON ANCIENNE SUPERIEURE DE TOURS.
[La Mère Françoise de Saint-Bernard.)
biens renfermés dans la croix. — Vives alertes à l'occasion des Iroquois. —
De la pauvreté et du soin des affaires temporelles. *
Ma révérende et très-honorée Mère,
C'est avec bien de la joie que j'ai reçu votre lettre,
X est la première et Tonique qui m'ait été rendue de
^tre part cette année. Je ne lai reçue que vers la
i-septembre, quoique lès premiers navires aient paru
notre port sans nous donner aucune nouvelle de
otre chère maison de Tours. Cette privation ne nous
pas mises peu en peine de vos chères personnes, et
le vous plus que de toute autre, mon unique Mère,
fais enfin votre lettre m'a fait respirer, et m'a donné
m grand sujet de rendre grâces à la divine bonté
168 forces quelle vous donne pour porter le poids des
âeheux événements qui suivent le cours de la vie
iQmaine, et surtout ceux que la divine Providence
ordonne pour la sanctification des saints. Mon intime
tfère, nous ne sommes pas bien éloignées d'âge, ainsi
^ous ne serons pas longtemps sans connaître à décou-
vert les biens et les avantages qui sont enfermés dans
es croix et dans la vie cachée des âmes choisies. La
^nne Mère Le Coq les voit à présent, et elle se rit,
1
174 LETTtlBS
8*il faut ainsi parler, de la bassesse des opinions hom
nés. Pour mieux dire, elle voit la vanité et raveug
ment du cœur humain, qui se brûle à la lampe e
la fumée : vous entendez, mon aimable Mère, ce (
je veux dire par cette énigme. J*ai été surprise de
mort si subite de cette Mère, car comme elle non
écrit des lettres bien amples, nous étions sur le pc
de lui faire réponse, mais nous avons converti (toai
notre soin à faire pour elle des prières publiques
particulières.
Si le vaisseau qui est parti d*içi au mois de jui
est arrivé à bon port, vous aurez appris de nos n<
velles dès le mois d*août, vous ayant écrit des leti
bien amples, qui vous apprennent tout ce qui s*est pa
ici au sujet des Iroquois, qui nous ont bien taillé
Touvrage aux mois de mai et de juin. J*ai cru l
obligée de vous mander dans la sincérité comme
choses se sont passées, pour prévenir ce que l'on aai
pu vous écrire, ma très-chère Mère, et qui aurait
vous donner sujet de craindre pour nous, à cause
votre bon cœur pour vos filles. Cet orage a pa
lorsque Ton croyait tout perdu : de sorte qu'on a fait
paix les moissons que Ion croyait devoir être ravag
par cet ennemi. De plus. Dieu a envoyé aux marchai
pour plus de cent quarante mille livres de castors, j
l'arrivée des Outaouak, qui en avaient soixante can
chargés. Cette bénédiction du ciel est arrivée, lorsq
ces messieurs voulaient quitter ce pays, ne croyi
pas qu'il y eût plus rien à faire pour le commer
S'ils eussent quittée il nous eût fallu quitter avec eu
car sans les correspondances qui s'entretiennent à
iavour du commerce, il ne serait pas possible de si
sihtt)!* ici. Vous Yovez* mon intime Mère, comme Di
DE LA MÈRE MARIE DE l/lNCARNATION. 175
par sa sagesse infinie rétablit les affaires, lorsqu'on les
croit entièrement désespérées. C'est là sa conduite ordi-
iiaix*e sur ce pays, qui fait que les plus éclairés. s*y
conf^sseQt aveugles. On ne laisse pas de se préparer
à bî^n recevoir Tennemi, s'il retourne. Comme Ton s'y
attend. C'est pourquoi l'on se fortiSe en la manière que
je vous l'ai mandé.
Pour ce qui est de notre petite famille, la paix et
et Tunion y régnent. Nous sommes plus riches en biens
spirituels qu'en ceux du siècle : car je vous confesse
que xious avons toutes les peines imaginables à subsister
apr&s tant de si grands accidents que Dieu a permis
nou^ arriver, et dont nous ne saurions nous remettre.
J'espère néanmoins que Dieu qui nous a amenées à sa
nou^^^elle église, nous assistera, et qu'à présent que
0OUS sommes rebâties, les dépenses ne seront pas si
gran des. Nous faisons de grands frais pour notre sémi-
naire; non qu'il y ait un grand nombre de filles sau-
vages sédentaires; mais parce qu'on nous donne plu-
sieurs filles Françaises, pour l'entretien desquelles les
çarents ne peuvent fournir que peu de chose, et
d*autres ne peuvent rien donner du tout : et ce qui
est à remarquer, les Françaises nous coûtent sans
comparaison plus à nourrir et à entretenir que les sau-
• vagesses. Dieu est le Père des unes et des autres, et il
&nt espérer de sa bonté qu'il nous aidera à les assister.
Nous avons toutes participé à la joie que nous ont
Apportée les nouvelles de la paix : ^ car outre l'intérêt
9Qe nous devons prendre au bien commun, nous espé-
rons que ce pauvre pays s'en sentira par la liberté
(1) II s'agît de la paix entre la France et l'Espagne, signée le 7 novembre 1659,
*^<lQifat suivie du mariage de Louis XIV avec l'infante d'Espagne.
ITO
des pâflB&?E9 i^ j^ TiHg ji£ eiouùefix en sera plu
grand e: ;i.w -L:r». f^ Tem-kz» 5,-^ Isan Majestés noos
doûDCTVin ÎL siîi:»Eï irrorr^ isf fir.r?e:nÎ5, pour lesquels
on na ;:t» Ij* îihi&iei :x"t jas exterminer, si Ion
peut, zSt h.jLL\ ilts r.ei k ^ss^i^s^&t d'eux ni pour la
paix, LÎ p:cr îl ::l. 11 iS* "li^ fcxpériences que l'on
a de leur itrrî::tf. l:z. "z^zr. i'I stîxe de lenrs gens en
prisoD, po::r ks.-^ls :c :i^^ dTechanger nos Français
qu'ils tieLXiéiiî ^:£r»i.
Pour ce q -: €5^ le 1^1 i:«po5ition particulière, je
suis, moD iiLTLZTre ^êrç. î&i:^ une aussi grande paix
qu'elle se fuiss* s::iha:;cr p^rmi les divers événe-
ments des choses :rès-en:d3anie3 qui se présentent
chaque jour, et qaas: à chaque moment; en sorte que
si notre bon Dieu ne sV trouvait, il t en a assez pour
faire perdre courage. Peur tous parler simplement,
c'est ici un pays de soum'ances pour les personnes
religieuses, surtout pour celles qui ont des charges
et le maniement des affaires. J en ai toujours été chargée
depuis que vous m'avez donnée à cette nouvelle Eglise;
et partant il ma toujours fallu être dans la croix. Mais
il y faut expirer à limitation de notre Maître; et je ne
la changerais pas , sinon par l'ordre d'une volonté
Hupéricure, contre tous les biens de la terre, quoique
tout mon esprit ait sa pente à la solitude et à une vie
retirée. J aspire au repos a6n de me disposer à 1
mort. I/on se rit de moi quand j'en parle, parce qu'o
ni(i voit agir dans nos affaires comme une personn.'^
(|ui ainio Taction, je veux dire avec allégresse et saik^ ^
olia^frin. Mais on ne voit pas mon fond, qui est (L^
vouloir aimor partout son unique bien; et c'est poi^x"
ci'la «|U(^ }{) lais l)on visage en suivant ses ordres. 0^
n'o.^l pas asM'z (lo faire la volonté de Dieu, il faut
DE LA MÈRB MARIB DE 'l'iN CARNATION. 177
V faire avec aftiour dans rintérieur. et de bonne grâce
'. aztërieurement. Voilà comme je vis, mon unique Mère,
* quoique toutes mes actions soient mêlées d'imperfec-
,tion. Adieu, ma très-bonne Mère; donnez-moi toujours
à Notre-Seigneur par le saint amour duquel je vous
embrasse, et suis...
De Québec, le 23 de septembre 1660.
LETTRE CXLVII.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE DE TOURS.
Klle la console de la mort d'un de ses parents et d'une religieuse de ses amies. —
On ne doit point être surpris quand on apprend la nouvelle de la mort de
quelqu'un qu'on aime. — Bonne régularité des Ursulines de Tours. — Il faut
toujours croître en vertu, et cet accroissement est une marque qu'elle est
véritable.
Ma révérende et très- chère Mère,
Je ne doute point que vous n'ayez vivement ressenti
la mort de votre bon oncle qui était aussi votre bon
Pore spirituel. C'est sans doute une grande privation
à ses amis, et singulièrement à vous qui aviez tant de
^^nflance et de facilité à lui ouvrir votre cœur. Mais
ônfin, vous irez un jour avec lui dans le séjour des
j Wenheureux, où vous vous parlerez esprit à esprit, et
[ 7 glorifierez Dieu d'une nouvelle manière. Ah ! ma chère
Mère, quand serons-nous dans ce lieu de bonheur? Quand
^ons embrasserons-nous dans la pureté des Saints?
Nous avons aussi appris la mort de notre chère
LSTTR. M. U. ' 12
»
178 Lettres
Mère Le Coq ; et par la même voie, nous avons reça
de ses lettres. Cela est surprenant à la vériié, mais
pourtant la brièveté et Tincertitude des moments qui
ne sont pas à notre disposition doivent faire que noas
ne soyons surpris de rien, surtout quand nous appre--
nons la mort de nos amis. Quoique nous ayons resseot%^
la perte de cette chère Mère, nous avons été très-aisa ^
de la savoir, a6n de lui pouvoir rendre nos dernier^^
devoirs. Nous l'avons fait de cœur et d'afifection pa^T
une communion générale et par un service solennel
chanté par le révérend Père supérieur, car cette bonm ^
Mère était canadienne d'afifection.
Pour nous, nous sommes toutes, grâce à Notr^-
Seigneur, dans une bonne santé, et ce qui vous doxt
le plus consoler, dans une union aussi douce, et darm^
une paix aussi profonde que nous saurions la souhaite ^'
Je bénis Dieu de celle que vous me dites être dans vott*^
sainte maison de Tours. Je crois qu'elle est telle qia^
vous le dites, et que la divine bonté y bâtit sur de boo-^
fonds. Je n'oublierai jamais ce que j'y ai vu da»^
•
l'éducation des sujets qui la sanctifient aujourd'hts^^
par leur vertu et par leur régularité. De celles que j*J^
ai vues, je juge de celles qui y sont entrées depuis notr^
absence, puisque, grâces à Notre-Seigneur, j'y ai remar-
qué un esprit foncier capable de se communiquer et
de persévérer. Je prie la bonté divine de le vouloir
augmenter; car la sainteté veut toujours croître, et ses
accroissements montrent qu'elle est véritable.
Nous avons fait nos élections, où la révérende Mère
de Saint-Athanase a été continuée en sa charge de
supérieure, et moi en celle de dépositaire, qui ne
me donne pas peu de tracas : mais Dieu le veut, j'en
suis contente, puisque cest son bon plaisir. J'espère que
bfi LA MÈRE MARIB DE L*INCARNAtiON. lîO
^ous me manderez Tannée prochaine le succès des
nôtres; je prie Dieu cependant quelles réussissent à sa
gloire. Je vous supplie de me continuer votre assis-
tance auprès de Notre* Seigneur, et de croire que je suis
en lui, avec autant de sincérité que de vérité, votre...
De Québec, le 28 de septembre 1660.
LETTRE CXLVIII
A SON FILS.
^ eomptiit à aoe ioârmité habituelle dont il était incommodé, et l'exhorte
à la patience. — Elle s'excuse de se rendre à la prière qu'il lui avait faite
^^ traiter des matières spirituelles.
Mon très- cher fils,
•J'ai enfin reçu vos trois lettres avec une joie d'autaat
plos sensible, que j'avais quasi perdu Tespérance de
^ recevoir. La cause de ce retardement est que nos
i^nets et ceux de nos amis ont été brouillés, mais enfin
%et nous avons tout reçu. Je crains bien que la
inode faiblesse que vous ressentez n'augmente de plus
6& plus. Il n'y a rien qui afifaiblisse tant que les causes
}Q6 vous me dites; et ce qui est incommode à votre
infirmité, c'est le genre de vie que votre règle vous
oUige de garder. J'ai ressenti vivement votre infirmité;
mais Dieu soit béni, vous êtes à lui plus qu'à moi, et
TOtre vie et la mienne sont entre ses mains. C'est ce
|ae j'ai à vous dire pour votre consolation et pour
oiotîf de patience et d'acquiescement aux ordres de Dieu.
180 LBTTRB8
Ce n*e8t pas manque de bonne volonté si je ne
m'entretiens avec vous de choses spirituelles selon
votre inclination et la mienne : mais je sois, aussi bien
que vous, si accablée d'affaires, que tout ce que je puis
faire après y avoir satisfait, c'est de m'acquitter des
observances régulières. Je soupire après la retraite
et la solitude, mais il n'est pas en ma disposition de
choisir cet état. Ce n'est pas que du côté de Dieu mon
esprit ne lui soit attaché par son attrait, et que mon .
cœur n'ait le bien d'être uni à sa divine Majesté, avec
sa privante et sa grâce ordinaire. M. de Genève dit
qu'il y a des oiseaux qui en volant prennent leur réfeo-
tion. Je suis de même en matière de la vie de l'esprit,
car dans, les tracas où je suis attachée par nécessité,
je prends la nourriture solide et continuelle que je viens
de vous dire. Ainsi je vous assure que je ne puis rien
écrire des choses spirituelles; et si je le pouvais faire,
il n'y a rien qui me donnât tant de satisfaction que de
vous donner ce contentement. Demeurons-en là, s'il vous
plaît, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'en disposer autre-
ment. Cependant pensons à nous sanctifier dans ces
tracas, vous et moi, puisque le plus parfait et le pins
agréable à ses yeux est de suivre ses ordres. Pour moi,
j'ai un fort attrait de m'offrir dans tous les moments
en esprit de sacrifice, et, en m'oubliant moi-même,
me laisser consumer à Celui qui fait gloire d'avoir des
âmes anéanties.
Vous m'avez fort obligée de n'avoir pas communiqué
nos écrits pour être insérés dans l'ouvrage de ce bon
Père qui compose l'histoire de Canada.* Il y a plus de
(1) Cé sont 1m mémoires qui ont servi à composer Ttiistoire de sa vie. (Nota
de a. Martiiu)
DE LA MÈRE MARIE DE L*IN CARNATION. 181
ix ans qu'il me presse de lui donner quelque chose
8 semblable; je m'en suis toujours excusée. Je ne sais
i le révérend Père Lalemant ne lui en a point donné
es mémoires; il l'a- pu s'il l'a voulu, car c'est l'homme
u monde qui me connaisse le mieux : s'il l'a fait c'a été
ans m'en parler. Mourons entièrement au monde,
t disons avec un saint : C'est alors que nous serons
entablement servantes de Jësus-Christ si le monde
e voit rien de nous. Comme je m'unis à vous en tous
» biens que la divine bonté fait par vous, aussi ce que
) fais en lui, car sans lui je ne puis rien faire, est
areillement à vous. Demeurons dans cette union et
^mmunication de biens pour l'amour, pour l'honneur
t pour la gloire de Jésus. Mes autres lettres vous
[sent les nouvelles du pays.
De Québec, le 13 d octobre 1660.
LETTRE CXLIX.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE DE TOURS.
{La Mère Ursule.)
r l'évéque ordonne que, contre la coutume, la charge de maîtresse des novices
soit élective, et que la supérieure ouvre les lettres des religieuses.
Ma révérende et très -chère Mère,
Voici un petit mot que j'ai cru devoir vous écrire
conâance au sujet de ma chère Mère N. Comme
e a confiance en moi, elle me fait voir quelques-unes
i
182 LETTRES
de ses lettres, et j*ai remarqué dans celle qu'elle vous
écrit au sujet de Télection d*une maîtresse des noTioes,
certaines choses où elle se méprend un peu, ne sachant
pas entièrement comme elles se sont passées. Mais vous
pouvez bien m*en croire, puisque le tout est venu à ma
^connaissance, et s*est même passé à ma vue, ayant
toujours accompagné notre révérende Mère, à cause
de la charge où je suis, et de celle où j*ai été. Voici
donc comme la chose s*est passée. Mgr notre Prélat
ayant fait venir notre révérende Mère au parloir, après
qu'elle fut confirmée en sa chaîne, il lui déclara qu'il
voulait que la maîtresse des novices le fut aussi des
jeunes professes, et que cette charge fût sujette à Télec-
tion. Cette proposition nous surprit extrêmement, et
pour en empêcher Texécution, nous contestâmes fort.
Mais quelques raisons que nous pussions dire, il ne
voulut point nous écouter. Ce que nous pûmes obtenir^
Ait que cette élection serait seulement pour trois aos,
sans conséquence, et comme un essai qui nous ferait
voir le succès de ce changement Notre révérende Mèr»
ne laissa pas d*en avoir bien du déplaisir, parce quelle
était dans la résolution de continuer cette chère Mère»
dans cette charge, en laquelle elle s*était trèsbieca.
comportée. Mais rélection fît tourner les choses autre--
ment; car» comme vous savez, en matière de choix »
on ne dispose pas des voix comme Ton veut. Le toa^
se fît assurément selon Dieu» et dans la sincérité, voq0
pouvez m'en croire» car je suis témoin oculaire de tout
ce qui s'est passé. Or je vous dirai, dans la confiance,
que la rais<^Q peur laquelle on n*a pas jeté les yeux sof
elle dans rélection» est quelle est trop libre à dire «es
sentiments et quelle les change un peu trop facilement,
ce •{•Il chc«{ue extrêmement celles qui ne coanaisseat
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . 183
pas son fond : car au reste elle est très-vertueuse et très-
exacte en matière de régularité. Mais il y a de certains
faibles qui nous accompagneront jusqu'à la mort, quel-
que saint que nous soyons, et quelque vertu que nous
puissions avoir.
Vous jugerez de ce peu, mon intime Mère, ce que
je veux dire, et je me suis résolue de vous en donner
un avis de confiance, afin qu'à l'avenir vous .ne croyiez
pas légèrement tout ce que l'on pourra vous mander.
Il y a de petits soulèvements de cœur excités par une
passion secrète, qui font faire des saillies dont on a
quelquefois le loisir de se repentir, parce que cela étant
passé, on voit les choses tout autrement qu'on ne les
voyait dans l'émotion. Au reste, quoique la Mère N.
eût un peu de mortification en ce changement, elle n'en
[ fit rien paraître néanmoins ; maià, d'un esprit qui parut
' fort dégagé, elle fit voir qu'elle en était très-aise, et elle
^en assura encore dans le particulier. Je l'ai crue, car
i^ la crois sincère. Il est très- vrai que notre révérende
^èwr^ la traite avec beaucoup d'amour et de confiance,
^t ^lle est une de celles avec qui elle communique des
Affatires importantes de la maison, parce qu'elle a un
fort; bon sens quand elle est dans son assiette de vertu
ordînaire, et cela me console beaucoup. Elle est parfois
fàotiée contre moi, ou pour mieux dire, elle en fait le
semblant, de ce que je ne lui dis pas tout ce que je sais ;
BÎ je ne le fais pas, ce n'est pas manque de confiance,
mais il faut que je garde le secret à qui je le dois. Vous
^oyez, mon intime Mère, que je vous ouvre mon cœur
pour la gloire de Dieu et pour l'amour que je vous porte
ainsi qu'à cette chère Mère, que jo voudrais cacher
dans mon cœur en de certaines rencontres.
Je me sens encore obligée de vous donner de l'éclair-
ISI LETTRES
oissement sur ce qu'on vous écrit qu*on voit ici toutes
luvsi lettres. Il est vrai qu*on les voit, mais on ne les
ouvre et on ne les lit pas. Mgr notre Prélat ayant
onionnë à notre révérende Mère d'ouvrir les lettres
qu on envoie de France, elle est seulement obligée de
itoupro le cachet, et c'est ce qu'elle fait afin d'obéir :
mais je vous assure qu'elle ne les lit point du tout
J^ TOUS écris, et vous pouvez m'écrire en confiance
UMit M que vous voudrez, avec assurance que cela ne
ji^m va que de moi. Il en est de même de celles que
»^^$ M^rM et nos amis nous écrivent, et de celles
qu^ Qi>us leur écrivons. Nous nous sonmies toujours
^jNirâ^ cn^tu^ fidélité, noire révéïtende Mère et moi, lors-
^^»^ n<m$ ;iiT)Mis été successivement en chaiige, afin
4^ )a»$iNr la lil^nê à nos Congélations de nous écrire
li^^i o^ «qu'il iMir phdrs.
U âi^i ^11^ <>rax cui to«$ cvli écm oRte particularité
^^KMEit pM oc^wpris ilu)ffi«k^n ce Moaiseigneor, qui con-
:»$^ w^V'XiM^lK Minsi^ ,^ Txss ô« Toos dire, dans
^>rai^ J^tirwaiU:^ o^ ïvtt;^c>^ > c:mSxq. D a eo raison d'en
trwr 4^ )a ;s»^r^^ riuv>^ ct>^ k r^je •on qnelqne chose
45?» ;w»;^faW <x; «cf tr* :xwrT«CKDiœ: « enfin il faut
^ï««rà^r ^:«i^î^w î>C7W i i: j«î** vrcr cx^ni^e supérieure
^Wftî Ih'^^aj:» «*fc iï^ » i.i«w..^ îjrrref-ikous donc
^xw X'^ç?sf ^viiD£A::r«AV <*cr;3iJL-:^^ jc s: t:io$ m^aimez,
^^ci^x^<^ <4^ ^v <t}^ ^tf v.ri» iîâ^ ss; ^cûnsbliie. Xa)oiiterai
DE LA MÈRE MARIE DE L*INGARNATION. 185
à tout cela, que notre révérende Mère et moi sommes
dans une aussi parfaite intelligence que si nous n'étions
qa*un cœur. Il ne se passe rien et elle n'entreprend
rien qu'elle ne me le communique, et qu'elle ne me
' demande mon avis : ce qui noue et serre notre union
trôs-étroitement. Vous savez ce que vous êtes avec
ma chère Mère de Saint-Bernard; il en est de même
de notre révérende Mère et de moi. De là vient que
dans la maison nous ne faisons point de différence de
Congrégations. Il y en a pourtant dont les sentiments
ne sont pas tout à fait morts pour leur ancienne demeure,
ce qui m'afflige sensiblement. La Mère Marie de Saint-
Joseph était toute d'or à ce sujet. Elle est morte, et
elle jouit à présent de la récompense qui était due
à fi(on grand détachement. Le vaisseau qui doit partir
presse si fort que je suis obligée de finir, pour vous dire
que je suis sans réserve, votre...
De Québec, le 13 d'octobre 1660,
186 LETTRES
LETTRE CL.
A UNE JEUNE RELIGIEUSE URSULINE.
Elle l'exhorte à mourir à elle-même, et à s'avancer sans relâche dans
la perfection.
Ma très- chère et bien-aimëe fille,
Puisque vous le voulez, j'en suis contente, je vous
donne cette qualité, et je vous embrasse comme telle
dans l'aimable cœur de Jâsus notre unique et surado-
rable Sauveur. Ce m'est toujours une nouvelle joie de
ce que vous lui apparteniez, et de ce que vous vouliez le
suivre sans réserve. Qu'il fait bon, ma très-chère fille,
de l'aimer, mais de l'aimer de la bonne manière, c'est-
à-dire en mourant à soi-même mille fois le jour en
esprit de sacrifice. L'état où sa divine bonté nous a
appelées, vous et moi, nous donne le moyen, par pré-
ciput à tous les autres états, de le faire. Que nos cœars
n'aient donc plus de mouvement que par l'esprit de ce
divin Maître, qui absolument et sans réserve veut être
l'esprit de notre esprit. Il a des jalousies qui ne se
peuvent exprimer, à ce que nous ne nous écartioiu
jamais de sa divine et douce maîtrise. Je crois, ma
bien -aimée fille, que vous êtes dans la disposition de
lui tout céder, et de courir plus que jamais dans la
voie du saint amour. Je lui demande qu'il perfectioDue
encore en vous cette sainte disposition, parce qnil J
/ DE LA MÈRE MARIE DE l'iNGARNATION . 187
de continuelles ascensions à faire dans le chemin de
; perfection, qui ne trouvera point de terme que dans
Heroité. Demandez-lui aussi pour moi que je lui sois
dèle en cette course. Je souhaite plus que je ne puis
DUS le dire, que veus et ma nièce soyez toujours unies
Eir le lien de la sainte dilection ; ce lui sera un grand
\rantage, puisque nos faiblesses veulent du secours
ans une affaire aussi importante Qu'est celle de notre
drfection, que je sais bien que vous cherchez en
>as aimant. Âimez-vous donc et aimez-moi en Celui
li n'est que pureté et amour. Je suis en lui toute
)tre...
De Québec, le 23 octobre 1660.
LETTRE CLI.
A SON FILS.
les affaires da Canada depuis le mois de juin ju8qa*en novembre. — Desseins
Iroqaois découverts. — Mort chrétienne de quelques Français par les
as de ces barbares.
Mon très-cher et bien-aimé fils,
vous ai écrit par tous les vaisseaux. Voici le
r, que je ne puis laisser partir sans me consoler
DUS, vous disant adieu pour cette année. Plusieurs
is honnêtes gens de ce pays sont partis pour
i France, et particulièrement le révérend Père
le y va pour demander du secours au roi contre
188
■
nos ennemis, que Ion a dessein d'aller attaquer en
leur pays. L*on espère qne Sa Majesté en donnera,
et en cette attente Ton fait ici nn grand nombre d6
petits bateaux, qui ne sont guère plus grands que les
canots des Iroquois : c'est-à-dire, propres à- porter quiiue
ou vingt hommes. II est vrai que si Ton ne va humilier
ces barbares ils perdront le pays, et ils nous chasse-
ront tous par leur humeur guerrière et carnassière.
Ils chasseront, dis-je, ceux qui resteront, car avant
que d'en venir là, ils en tueront beaucoup, et tous si
on les laisse faire. Il n*y a nulle assurance à leur paix»
car ils n*en font que pour allonger le temps, et prendra
Foccasion de faire leur coup et d'exécuter leur dessein^
qui est de rester seuls en toutes ces contrées, afin d'^
vivre sans crainte, et d'avoir toutes les bêtes pooa
vivre et pour en donner les peaux aux Hollandais
Ce n'est pas qu'ils les aiment, mais parce qu'ils on"
besoin de quelques-uns par le moyen desquels ïim
puissent tirer leurs nécessités de l'Europe et comme 1
Hollandais sont plus proches d'eux, ils traitent pi
facilement, non sans leur faire mille indignités qn^
les Français ne pourraient jamais souffrir; mais l'amour
des biens de la terre, et le désir d'avoir des castors
font que les Hollandais souffrent tout.
Voilà le véritable dessein des Iroquois, comme no&c
l'avons appris d'un Huron chrétien de la dernière
défaite, qui s'est sauvé d'une bande de six cents As
ces barbares, qui venaient ici cet automne pour nous
surprendre et pour ravager nos moissons. Il ajoute qaa
pour retirer quatorze Oiooueronons qui sont dans les
fers à Montréal, ils allaient paraître en petit nombre
devant l'habitation avec un pavillon blanc, qui est le
signe de la.p{râ».£8ÎgnAiiit la vouloir demander. Car
DE LA MËRB MARIB DE L'iN CARNATION. 189
ils disent que les robes noires voyant ce signe, ne
manqueront pas d'aller au devant avec quelques Fran-
çais, qu'ils prendront les uns et les autres afin de les
Changer avec leurs prisonniers, et que l'échange fait, ils
^ jetteront sur les Français afin de les détruire. Mais
^vant que de les exterminer, ils ont envie d'enlever les
femmes et les filles pour les emmener en leur pays.
Le Huron fugitif ajoute à tout cela, qu'il est arrivé
^ ces six cents barbares un accident qui pourra bien
j^8 faire retourner sur leurs pas sans rien faire. Comme
^fe se divertissaient en chassant à l'eau un cerf ou vache
^aoTage, l'un d'entre eux voulant tirer sur la bête
pour l'arrêter, tira sur le chef de l'armée et le tua; et
^mme ces gens-là sont fort superstitieux, ils ont tiré
m augure de ce coup, que leur guerre n'irait pas
)ien. pour eux, et qu'assurément il leur arriverait du
nallieur. Dans cette pensée, qui passait en leur esprit
pour une conviction, ils commencèrent à défiler, et
le captif prit occasion de là de s'enfuir, ayant les
plaies, de ses doigts coupés et brûlés encore toutes
fraîches.
C^est ce même captif qui nous a appris la fin de nos
Fi'^nçais et de nos sauvages chrétiens, qui avaient été
pris au printemps dernier, après s'être défendus jusqu'à
l'extrémité. Il dit qu'ils les ont tous fait brûler avec
des tourments et des ignominies horribles. Ils ont souf-
fe^ la mort avec une générosité qui épouvantait leurs
^ans. Le dernier mort, à qui l'on hachait les doigts
P^Ti. à peu, se jetait à genoux à chaque pièce qu'on lui
f ^Upait, pour remercier Dieu et le bénir. Avec tout
^la, il était demi-rôti : car on les a fait brûler à petit
tea, ces barbares étant pires et plus démons en cruauté
Hûe les démons même.
190 LETTRES
Toutes ces connaissances ont tellement animé lei
Français, qu'ils sont résolus de détruire ces misérables
par eux et par le secours qu'ils attendent de France. Us
ne peuvent plus dififérer leur perte après tant d'hosti-
lités et de ruptures de paix. Autant qu'ils en prennent,
ils les mettent entre les mains des Algonquins, qui sont
gens de cœur, fort bons chrétiens et très-fidôles aux
Français, qui les traitent (les Algonquins. traitent les
Iroquois) comme ils sont traités quand ils sont pris.
Vous vous étonnez de cette résolution, et vous dites
que cela répugne à l'esprit de l'Evangile et des apôtres,
qui ont exposé leur vie pour sauver les infidèles, et
ceux même qui les faisaient soufifrir. Mgr notre Prélat
a été de votre sentiment ; il a même fait apprendre la
langue à M. de Bernières pour aller les instruire; vous
savez combien de fois nos révérends Pères y sont allés
pour le même sujet : tout nouvellement ils ont Yovln
y aller pour faire un dernier effort; mais on les a
retenus comme par violence, le péril étant trop évident
et inévitable. Après tant d'efforts inutiles et d'expé-
riences de la perfidie de ces infidèles. Monseigneur a
bien changé de sentiment; et il tombe d'accord avec
toutes les personnes sages du pays, ou qu'il les faille
exterminer, si Ton peut, ou que tous les chrétiens et
le christianisme (Ju Canada périssent. Quand il n'y aura
plus de christianisme ni de missionnaires, quelle espé-
rance y aura-t-il de leur salut? Il n'y a que Dieu qui
par un miracle bien extraordinaire les puisse mettre
dans la voie du Ciel. Il est tout- puissant pour le
faire. Priez-le de cela, si c'est pour sa gloire, et s'il
y a encore parmi ces barbares quelque âme prédestinée
qu'il veuille sauver, comme il en a sauvé six ou sept
cents ces dernières années, que les révérends Pères
I
DE LA MÈRE MARIE DE L*INCARNATION. 191
y ont prêché, et fait les fonctions d'apôtres avec des
travaux incroyables.
Dans le déplorable état où sont les afifaires com-
munes du pays , peut-être que nos Mères seront en
peine de nous, et qu'elles penseront à nous rappeler
auprès d'elles. Si elles sont dans cette disposition, je
vous supplie, mon très-cher fils, d'en détourner le coup :
car outre que nous ne sommes pas en danger pour nos
personnes, nous n'avons point de peur. £t de plus, soyez
assuré et assurez-les que s'il y avait quelque péril
évident, Mgr notre Prélat n'en ferait pas à deux fois; il
ferait mettre les Hospitalières et les Ursulines dans un
même vaisseau, et nous renverrait en France. Mais,
grâces à Notre-Seigneur, le mal n'est pas à cette extré-
mité; et quoique l'intention des Iroquois soit de nous
chasser ou de nous détruire, je crois que celle de Dieu
est de nous arrêter et de faire triompher cette nouvelle
Eglise de ses ennemis. Adieu pour cette année.
De Québec, le 2 de novembre 1660.
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LKTTRKS
I.FTTRE CLÎÎ.
A î K 5ïTTVKTnT:F nRi rn?n.îSE? nr tours.
Mer ''«rrH^rA*^!*!^ Hi^ Tmiw j fw: iiDT«niii«r te
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Mfi iTè^révérende. e: trè£*hQiuirâe Itère,
Votre- MiriT^ Mn^^iictiar..
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Nofro-SeiCTwir f. fai: de x-otrf personne panr.goimav
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bîeri. TnoT: imîTPr Wèrt . f : ;-'eL &: renàr mes très-Jnnnhli
5ïc*l^on< rtf (TThc-^s ? '''':;: oi:. vonf aTaÎT chcÙBie dff
l- oif^i. pvftp: onc fdi:^> -r. orr flonii-. leurs sufiMpï
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j^v»v'»^^-^ \:. 'HArv.-.iit. w. '-T: iiaTis . ïiupanenee dele^»
i'-^r-rATtiT-Pt (if^T Mfi l.•^^^ i: i-TT* rTaiiT tOmbé
«fi Ji vr.r.5 ê.: .::* :::;•;: N;-Mi:ï:ti:,: t* Ul remertàff
■^TTi^rr ^L. «rr^ii ^'"ï-^îr:: • {,h . vons a l'ail Cep*"
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 193
dant cette pièce ne nous servira pas peu dans nos
affaires présentes dont je vais vous faire le récit.
Il paraîtrait par votre grande lettre, que nous ayons
de Vinclination à changer nos constitutions. Non, mon
intime Mère, nous n'avons nulle inclination qui tende
à cela. Mais je vous dirai que c'est Mgr notre Prélat
qui en a quelque envie, ou du moinâ de les bien altérer :
voici comme la chose s'est passée. L'année dernière,
lorsqu'il faisait sa visite, quelques-unes de nos sœurs
Im firent entendre à notre insu, qu'il serait bon qu'il
noQs donnât un abrégé de nos constitutions. Il ne laissa
pas perdre cette parole, car il en a fait faire un selon
son idée, dans lequel laissant ce qu'il y a de substantiel,
il retranche ce qui donne de l'explication et ce qui en
peut faciliter la pratique. Il y a ajouté ensuite ce qu'il
lui a plu , en sorte que cet abrégé , qui serait plus
propre pour des Carmélites ou pour des religieuses
h Calvaire que pour des Ursulines, ruine effectivement
iMtre constitution. Il nous en a fait faire la lecture
par le révérend Père Lallemant, qui n'a pas peu donné
i Dieu en cette action, parce que c'est lui qui a le
plus travaillé à nos constitutions. Il nous a donné huit
mois ou un an pour y penser. Mais, ma chère Mère,
I*affiiire est déjà toute pensée et la résolution toute
ptm : nous ne l'accepterons pas, si ce n'est à l'extré-
^té de l'obéissance. Nous ne disons mot néanmoins,
pour ne pas aigrir les affaires ; car nous avons affaire
^ un Prélat, qui étant d'une très-haute piété, s'il est
: ^Uie fois persuadé qu'il y va de la gloire de Dieu, il
I n'en reviendra jamais, et il nous en faudra passer par
ft ^ ce qui causerait un grand préjudice à nos obser-
M ^068. Il s'en est peu fallu que notre chant n'ait été
M ^^vbranché. Il nous laisse seulement nos Vêpres et nos
1
wnu M. n. 13
«^^
74r.^ihr>fl. in»i iotz5 ^haznana 'smmxe toos Curiez an
*emp.^ "iTii? /4râi5 i Tiers. Pour la gruuf messe, il
7^a* iirile iOii ::iazTce i Toix irniœ, n'ajant nui
éi^^ivi \ là :aL 3e :aii soir i Farîa soie à Toars. mais
<9eu.emeQ?: i :e lœ si^a «prit lai roggère être poar
le miteux. Il :ruj:ir la^ ^^^^a ae prenions de la vanité
en chanranr ^r. yza acoâ oe ionnians de la comptai-
sant;^ au iecLon. Vons oe ^liancans plus aoz messes,
parc^ '. ':Le. :::-iL :eia ioone le la «iistraction au célé-
brer.:, kZ :^:;'I1 D.'a pcLui; 7*1 cela aillean. Notre conso-
lation en XGZ cela est mil a ea la bonté de nous
donner po^r directeur le révérend Père Lallemant, qui
est notre meilleur ami. ec avec qai nous pouvons
traiter conâdemmen;. Fi a un soin incroyable de nous,
tant pour le spirituel que pour le corporel; et comme
il est très-bien dans son esprit, il rabat bien des coups
quil nous serait difficile de supporter. Xattribue toot
ceci, au zèle de ce très-digne Prélat; mais, comme vous
savez, mon intime Mère, en matière de règlement,
l'expérience doit l'emporter par-dessus toutes les spé-
culations. Quand on est bien, il faut s'y tenir, parce
rjue l'on est assuré qu'on est bien; mais en changeanti
on ne sait si l'on sera bien ou mal. Je vous ai fait ce
récit, ma très-chère Mère, afin que vous jugiez si nous
voulons changer nos constitutions, et pour me consoler
avec vous dans la peine que je soufire sur ce s^jet.
De Québec, le 13 de septembre 1661.
DE LA MÈRE MARIE DE L*INCARNATION, 195
LETTRE CLIII.
A SON FILS.
X^
Toyaat dégagé de Tembarras de ses affaires, elle Texhorte à profiter da repos
que Dieu lui donne pour faire un amas de vertus. — Elle parle de sa dévotion
au Cœur du Verbe incarné, à la sainte Vierge et à saint François de Paule.
Mon très-cher fils,
J'ai reçu avec une consolation toute particulière vos
trois lettres, qui toutes m'ont appris que Notre-Seigneur
vous a rendu la santé. Je vous avoue que je craignais
que ce mal ne vous emportât, et j'avais déjà fait mon
sacrifice en dénuant mon cœur de ce qu'il aime le plus
sur la terre, pour obéir à sa divine Majesté. Mais enfin
vous voilà encore; soyez donc un digne ouvrier de sa
gloire, et consumez-vous à son service. Pour cet efiet
je suis très-aise que vous soyez hors de Compiègne, où
les soins des affaires temporelles partageaient votre
esprit. Servez-vous de ce repos comme d'un rafraî-
chissement que le Ciel vous présent^ pour faire de
nouveaux amas de vertus et de bonnes œuvres, et pour
employer toutes vos forces à la gloire de Celui pour qui
nous vivons. Vous avez bien commencé, et j'ai pris
plaisir à l'adresse avec laquelle vous avez saintement
te>mpé Mgr d'Angers au sujet de la réforme de saint
Aubin. Il faut quelquefois faire de semblables coups
pour avancer les affaires de Dieu, qui a soin après cela
196
d^essayer les disgrâces qui en peuvent naître de la part
des créatures. Vous en avez une preuTe, puisque ce
grand Prélat vous aime, et que son esprit n'en est pas
plus altéré contre tous.
J'apprends encore que vous servez Dieu et le prochain
par vos prédications. Vous m*avez beaucoup obligée
de m'envoyer celle que vous avez faite des grandeurs
de Jfisus, et vous avez raison de dire qu'elle traite d'an
sujet que j aime. Je Faime en eËTet, car tout ce qui parle
des grandeurs de notre très-adorable Jfisus me plait
plus que je ne puis vous Texprimer. Je vous laisse
à penser si mon esprit n'est pas content quand je reçois
quelque chose de semblable de mon fils, que j'ai toujours
souhaité dans la vie de TEvangile pour en pratiquer les
maximes, et pour y annoncer les louanges et les gran-
deurs du sacré Verbe incarné. Vous n'aviez pas encore
vu le jour que mon ambition pour vous était que vous
fussiez serviteur de Jêsts-Chbist, et tout dévoué à ses
divins conseils, aux dépezis de votre vie et de la mienne.
La pièce est belle et bien conçue en toutes ses droons-
tances, mais je crains que ces grandes pièces d'appareil
ne vous peinent trop, et que ce ne soit en partie la cause
de vos épuisements. 3 y remarque un grand travail,
mais la douceur d'esprit s*y trouve jointe. Si j'étais
comme ces saints qui entendaient prêcher de loin,
je prendrais plaisir k vous entendre, mais je ne sois
pas digne de cette grâce. Il est à croire que nous nous
verrons plutôt en Tautre monde qu'en celui-ci. Dien
néanmoins a des voies qui nous sont inconnues, surtout
dans un pays flottant et incertain comme celui-ci, où
natorellement parlant, il nV a pas plus d'assurance
qu*aux feuilles des arbres quand elles sont agitées
par le vent.
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . 197
Vous me demandez quelques pratiques de mes dévo-
tions particulières. Si j'avais une chose à souhaiter
en ce monde, ce serait d'être auprès de vous afin de
verser mon cœur dans le vôtre, mais notre bon Dieu a
fait nos départements où il nous faut tenir. Vous
savez bien que les dévotions extérieures me sont diffici-
les. Je vous dirai néanmoins avec simplicité, que
j'en ai une que Dieu m'a inspirée, de laquelle il me
semble que je vous ai parlé dans mes écrits. C'est
aa suradorable Cœur du Verbe incarné : il y a plus de
trente ans que je la pratique, et voici l'occasion qui
me la fit embrasser.
Un soir que j'étais dans notre cellule, traitant avec
le Père Eternel de la conversion des âmes, et souhaitant
avec un ardent désir que le royaume de JTësus-Christ
fût accompli, il me semblait que le Père Eternel ne
m'écoutait pas, et qu'il ne me regardait pas de son œil
de bénignité comme à l'ordinaire. Cela m'affligeait;
mais en ce moment j'entendis une voix intérieure qui
me dit : Demande-moi par le Cœur de mon Fils, c'est
par lui que je t'exaucerai. Cette divine touche eut son
efifet, car tout mon intérieur se trouva dans une com-
munication très-intime avec cet adorable Cœur, en sorte
que je ne pouvais plus parler au Père Eternel que par
lui. Cela m'arriva sur les huit à neuf heures du soir,
et depuis, vers cette heure-là, c'est par cette pratique
que j'achève mes dévotions du jour ; et il ne me souvient
point d*y avoir manqué, si ce n'est par impuissance
de maladie, ou pour navoir pas été libre dans mon
action intérieure. Voici à peu près comme je m'y com-
porte lorsque je suis libre en parlant au Père Eternel.
« C'est par le Cœur de mon Jésus, ma voie» ma vérité
et ma vie, que je m'approche de vous, ô Père Eternel.
198 LETTRES
Par ce divin Cœur je vous adore pour tous ceux qui
ne vous adorent pas ; je vous aime pour .tous ceux qui
ne vous aiment pas ; je vous reconnais pour tons les
aveugles volontaires qui par mépris ne vous reconnais-
sent pas. Je veux par ce divin Cœur satisfaire au devoir
de tous les mortels. Je fais le tour du monde pour
y chercher toutes les âmes rachetées du sang tràs-
précieux de mon divin Epoux. Je veux vous satisfaire
pour toutes par ce divin Cœur. Je les embrasse pour
vous les présenter par lui, et par lui je vous demande
leur conversion; voulez-vous souârir qu'elles ne con-
naissent pas mon Jésus et qu'elles ne vivent pas pour
lui qui est mort pour tous? Vous voyez, ô divin Père,
qu'elles ne vivent pas encore. Ah ! faites qu'elles vivent
par ce divin Cœur. y>
C'est ici que je parle de cette nouvelle Eglise, et que
j'en représente à Dieu toutes les nécessités, puis j'ajoute :
« Sur cet adorable Cœur je vous présente tous les
ouvriers de l'Evangile ; remplissez-les de votre Esprit-
Saint par les mérites de ce divin Cœur. » Des ouvriers
de TEvangile mon esprit passe aux Iroquois, nos enne-
mis, dont je demande la conversion avec toute l'instance
qui m'est possible. Puis je parle de deux âmes que vous
connaissez, et je dis : « Sur ce sacré Cœur comme sur
un autel divin, je vous présente N. votre petit serviteur
et N. votre petite servante; je vous demande, au nom
do mon divin Epoux, que vous les remplissiez de son
esprit, et qu'ils soient éternellement à vous sous les
auspices de cet adorable Cœur. » Je fais encore mémoire
(le quelques personnes uvec qui j'ai des liaisons spiri-
tuelle», et des bienfaiteurs de notre maison et de ceto
nouvelle Eglise. Je m'adresse ensuite au sacré Verte
tnoamé, tt je loi dis : • Vous savez» mou hiea-mi f ^
DE LA MËRB BfARIE DE L*INCARNATION. 199
totat ce que je veux dire à votre Père par votre divin
Cœur et par votre sainte âme; en le lui disant, je
TOUS le dis, parce que vous êtes en votre Père et que
Totre Père est en vous. Faites-donc que tout cela
s'accomplisse, et joignez-vous à moi pour fléchir par
▼otre Cœur celui de votre Père. Faites, selon votre
parole, que comme vous êtes une même chose avec lui,
toutes les âmes que je vous présente soient aussi une
même chose avec lui et avec vous. » Voilà Texercice
du sacré Cœur de Jésus.
J'envisage ensuite ce que je dois au Verbe incarné,
et pour lui en rendre mes actions de grâces, je lui dis :
« Que vous rendrai-je , ô mon divin Epoux, pour les
excès de vos grâces en mon endroit? C'est par votre
divine Mère que je veux vous en rendre mes recon-
naissances. Je vous offre donc son sacré Cœur, ce
Ciœur, dis-je, qui vous a tant aimé. Souffrez que je vous
aime par ce même Cœur, que je vous offre les sacrées
mamelles qui vous ont allaité, et ce sein virginal que
vous avez voulu sanctifier par votre demeure avant
que de paraître dans le monde. Je vous l'offre en
action de grâces de tous vos bienfaits sur moi, tant
de grâce que de nature. Je vous Toffre pour l'amende-
ment de ma vie, et pour la sanctification de mon âme,
et afin qu'il vous plaise me donner la persévérance
finale dans votre grâce et dans votre saint amour. Je
vous rends grâces, ô mon divin Epoux, de ce qu'il vous
ait plu choisir cette très-sainte Vierge pour votre Mère,
de ce que vous lui ayez donné les grâces convenables
à cette haute dignité, et enfin de ce qu'il vous ait plu
oous la donner pour Mère. J'adore l'instant sacré de
votre Incarnation dans son sein très-pur, et tous les
divins moments de votre vie passagère sur la terre.
200 LETTRES
Je VOUS rends grâces de ce que vous vous soyez voulu
faire, non-seulement notre vie exemplaire (le modèle
de notre vie) par vos divines vertus» mais encore notre
cause méritoire (la source des mérites pour notre salut)
par tous vos travaux et par Teffusion de votre sang.
Je ne veux ni vie ni moment que par votre vie.
Purifiez donc ma vie impure et défectueuse par la pureté
et perfection de votre vie divine, et par la vie sainte
de votre divine Mère. »
Je dis ensuite ce que Tamour me fait dire à la très-
sainte Vierge, toujours néanmoins dans le même sens
que ce que je viens de dire, et je ferme par là ma
retraite du soir. Dans les autres temps, mon cœur
et mon esprit sont attachés à leur objet et suivent la
pente que la grâce leur donne. Dans l'exercice même
que je viens de rapporter, je suis le trait de Tesprit, et
ce n*est ici qu'une expression de l'intérieur. Car je ne
puis faire de prières vocales qu'à la psalmodie, mon
chapelet d'obligation m'étant même assez difficile.
Je porte au cou une petite chaîne de fer depuis plos
de vingt-trois ans, pour marque de mon engagement
à la sainte Mère de Dieu ; je n'y ai point d'autre pra-
tique, sinon, en la baisant, de m'ofifrir pour esclaye
à cette divine Mère.
Accommodez- vous, je vous prie, mon très-cher fib,
à ma simplicité et excusez ma facilité (mon ingénuité).
Jo puis dire comme saint Paul, que je fais une folie,
mais je dirai aussi avec lui que c'est vous qui me con-
traignez de la faire. J'ai encore composé une oraison,
qu'un de mes amis m'a mise en latin, pour honorer
la double beauté du Fils de Dieu dans ses deux natures
divine et humaine; voici comme elle est conçue : Domoi
Jssu^ChristBi aplendor patemœ gloriœ^ et figura subztaiùi»
. I
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNCARN ATION . 201
0JUS. Vota renovo illius servitutis qua me totam geminœ
pulchritudini tuœ promisi redditurarh ; omnemque gloriam quœ
hie haberi aut optari potest rejicio, prœter eam qtia me vere
ancillam tuam in œternum profitebor. Amsn, mi Jesu/
Ce qui m'a donné le mouvement à cette dévotion de
la double beauté du sacré Verbe incarné, c'est, qu'étant
un jour en notre maison de Tours dans un transport
extraordinaire, j'eus une vue de l'éminence et sublimité
de cette double beauté des deux natures en Jësus-
Cheust. Dans ce transport je pris la plume et écrivis
des vœux conformes à ce que mon esprit pâtissait
(éprouvait, étant passif en cela). J'ai depuis pei:du ce
papier. Etant revenue à moi, je me trouvai engagée
d'une nouvelle manière à Jésus-Christ, quoique quelque
écrit que ce puisse être ne puisse jamais dire ce qui
86 passe dans l'âme quand elle est unie dans son fond
(aussi profondément que possible) à ce divin objet.
Dans ce seul mot : Figure de la substance du Père, l'esprit
comprend des choses inexplicables; Tâme qui a de
l'expérience dans les voies de l'esprit l'entend selon
l'étendue de sa grâce; et dans ce renouvellement de
vœux à cette double beauté, l'âme qui est une même
chose avec son Bien-Aimé entend ce secret, comme elle
entend celui de sa servitude envers lui.
Je vous ai autrefois parlé de la dévotion à saint
François de Paule : car je crois que vous n'ignorez
pas que ce fut notre bisaïeul qui fut envoyé par le roi
Louis XI, pour le demander au Pape et pour l'amener
(1) Seigneur Jésus, splendeur de la gloire du Père, et figure de sa substance,
J« noouvelle le Tœu de dépendance absolue dont j'ai promis l'hommage à TOtre
^ble beauté; et je renonce & toute gloire qui puisse être possédée ou désirée
'^^Mt, hors celle de me proclamer votre Téritabie servante '& jamais. Ainsi
•ftS* :i T.
202 LETTRES
eD France. J'en ai bien entenda parler à mon grand
père ; et même ma tante, qui est morte lorsqne j'anii
quinze ans, avait vu sa grand'môre, fille de œ bisaied,
qui la menait souvent au Plessis pour visiter oa
saint homme, qui par une pieuse affection, faisait I0
signe de la croix sur le visage de cette petite en la
bénissant. C'est ce qui a toujours donné une grands
dévotion à notre famille envers ce grand Saint. Hm
grand'père nous racontait cela fort souvent, afin d'as
perpétuer après lui la mémoire et la dévotion, comms
il l'avait reçue de son aïeul.
Voilà le récit d'une partie de mes dévotions, que jt
vous fais avec la même simplicité qae vous me l'avei
demandé. Souvenez-vous de moi dans les vôtres, car
de mon côté je ne fais rien que vous n'j ayez bonne
part.
De Québec, U 16 de septembre Î661.
LETTRE CLIV.
Franfftii louucrtt par l«t troqaoî* Agneroonoiu. — Lm Iraqooii «(ifci'"'
ij«auiDd«Dt la pkii. — Aecideiiti et
Mon tràs-cfaer fils.
Enfin, après avoir été loogtaBpt attendus, laiw*
seaux ont paru à notre porf li mois de suptenlA
et ils noua oDtâaMiÉ^W|ÉMMriftfioiâ-'J'Avaaeiffi
**A
DE LA MÈRB MARIB DB L'INCARNATION . 203
qui vient ici pour être notre Gouverneur. J'avais déjà
Wfiçsns de vos nouvelles par un navire pêcheur; sans
cela j'eusse été en peine de vous ; mais Dieu soit béni
de ce qu'elles soient bonnes, et que je vous sache dans les
dispositions que sa divine bonté demande de vous !
Je ne doute point que vous n'ayez été en peine à
notre sujet, à cause des mauvaises nouvelles qui furent
portées en France, l'année dernière, touchant la persé-
eutbn des Iroquois. Ils ont encore fait pis cette année
que toutes les précédentes, ayant tué ou pris captifs
plos de cent Français depuis Montréal , où ils ont
commence leurs ravages, jusqu'au Cap de Tourmente,
qû est la dernière des habitations françaises. Ils sont
Tonu dans 111e d'Orléans, d'où les habitants se sont
presque tous retirés, pour éviter les carnages qu'ils ont
vos chez leurs voisins. De là ils ont été au delà de
Tàdoussac, pour courir après nos nouveaux chrétiens,
toi, au nombre de plus de quatre-vingts canots, étaient
allés en traite, accompagnés de deux de nos révérends
Pères, et de quelques Français, à la nation des Chiris-
fino&t, qn*on dit être fort nombreuse.
I Ces bons néophytes, et surtout nos révérends Pères
[ ont renoontré en leur chemin un grand nombre de
iuifiges, à qui ils ont annoncé la parole de Dieu; mais
Q se lecr a pas été possible de passer outre, les Iroquois
ajut éfé jusqu'à cette nation, qu'ils ont écartée et fait
Aîr CM?: me- les autres en des lieux qu'on se sait pas
eœore. Cesi par une pro^ectios toute particulière de
la Uns^ bonté que nos Pères et nos chrétîeni ont éU
réi: car ces barbares a.Iaien: de lieu en Eea
les Toeaar et les surprendre. Nos gens trouvaieei
BmmpÊtfË ^>a^5« fraîche? e: :e::r? feox encore aîlumét:
t fOM ton oss i^Dgers ils soi.: arrivés à Ik/a yx^
204 LETTRES
extrêmement fatigués de leurs travaux, dont la faim
n'a pas été le moindre ; car ils ont pensé mourir faaie
de vivres, n'osant chasser à cause de l'ennemi.
Entre les Français qui ont été tués, M. le sénéchal
fils aîné de M. de Lauzon, est le plus considérable. C'était
un homme très-généreux et toujours prêt à courir sur
l'ennemi, et toute la jeunesse le suivait avec ardeur.
Lorsque l'on eût appris la nouvelle des meurtres arrivée
en l'Ile d'Orléans et à Beaupré, il y voulait aller à touiB
force pour chasser l'ennemi; on l'en empêcha avec
raison. Mais la sœur de madame sa femme ayant son
mari proche de l'Ile, où il était allé à la chasse, n'eut
point de repos qu'elle n'eût trouvé quelque ami pour
l'aller dégager. M. le sénéchal \oulut en cette ren-
contre signaler l'amitié qu'il lui portait. Il part lui
septième dans une chaloupe qui étant vis-à-vis de la
maison du sieur Maheu, qui est au milieu de File,
et qui avait été abandonnée depuis quelques jours, il
la fit échouer à marée baissante entre deux rochen
qui font un sentier pour aller à cette maison. Il y
envoya deux de sa compagnie, pour découvrir s'il n'y
avait point d'Iroquois. La porte étant ouverte, l'un d'^ix
y entra et y trouva quatre-vingts Iroquois en embus-
cade, qui le tuèrent et couriiVent après l'autre, qui,
après s'être bien défendu, fut pris tout vif. Ils allèrent
ensuite assiéger la chaloupe, où il n'y avait plus que
cinq hommes , qui se ' défendirent jusqu'à la mort.
M. le sénéchal, qu'ils ne voulaient pas tuer, afin de
l'emmener vif en leur pays, se défendit jusqu'au dernier
soupir. On lui trouva les bras tout meurtris et hachés
des coups qu'on lui avait donnés pour lui faire mettre
les armes bas ; ils n'en purent venir à bout, et jamais
ils ne le purent prendre. Après sa mort, ils lui cou-
DE LA MËRB MARIE DE L'INCARN ATION . 205
parent la tête qu'ils emportèrent en leur pays. Ainsi
nos sept Français furent tués, mais ils tuèrent un bien
plus grand nombre dlroquois, dont on trouva les osse-
ments quand on alla lever les corps des nôtres, leurs
gens ayant fait brûler les corps de leurs morts selon
leiir coutume, et laissé ceux de nos Français entiers.
Après cette expédition, ces barbares se retirèrent à
la hâte, voyant venir le secours que M. notre Gouver-
neur envoyait, mais trop tard : car il n*eut nouvelle de
la rencontre que par M. de l'Ëspinay, qui est celui pour
g[m l'on s'était mis au hazard, lequel ayant entendu
le bruit des fusils, fit voile vers Québec pour avertir
ga'il y avait du malheur. Mais quand il sut que c'était
pour lui que l'on s'était exposé, il pensa mourir de
loaleur. Son frère était du nombre des sept, et les
BUitres étaient des principaux habitants qui voulurent
rendre service en cette occasion à M. le sénéchal.
Depuis ce temps l'on n'a encore vu que des massacres.
Le fils de M. Godefroid étant parti des Trois-Rivières
pour aller aux Attikamek avec une troupe d'Algonquins,
ils furent attaqués et mis à mort par les Iroquois,
après s'être vaillamment défendus, et avoir tué un
Bfrand nombre d'ennemis.
Ces barbares ont fait «beaucoup d'autres coups sem-
blables: mais Montréal a été le principal théâtre de
leurs carnages. Madame D'Ailleboust, qui a fait un
voyage ici, m'a rapporté des choses tout à fait funestes.
Blie m'a dit que plusieurs habitants furent tués par
Kiirprise dans les bois, sans qu'on sût où ils étaient,
DÎ ce qu'ils étaient devenus. On n'osait les aller cher-
cher, ni même sortir, de crainte d'être enveloppé dans
un semblable malheur. Enfin Ton découvrit le lieu par
[e moyen des chiens que Ton voyait revenir tous les
206 LBTTRE8
jours saouls et pleins de sang. Cela fit croire qati
faisaient curée des corps morts, ce qui affligea sensiUa-
ment tout le monde. Chacun* se mit en armes, pour as
aller reconnaître la vérité. Quand on fut arrivé au lias,
Ton trouva çà et là des corps coupés par la mdtML
d'autres tout charcutés et décharnés, aves des têtes, dat
jambes, des mains éparses de tous côtés. Chacun pritiai
charge, afin de rendre aux défunts les devoirs de la
sépulture chrétienne. Madame D*Ailleboust, qui 9i*a
raconté cette histoire, rencontra inopinément un hommeb
qui avait- attaché devant son estomac la carcasse d*Qii
corps humain, et les mains pleines de jambes et de bras.
Ce spectacle la surprit de telle sorte, qu'elle pensa moiuif
de frayeur. Mais ce fut tout autre chose quand ceux
qui portaient ces restes de corps furent entrés dans li
ville, car Ton n'entendait que des cris lamentables dai
femmes et des enfants de ces pauvres défunts..
Nous venons d'apprendre qu'un ecclésiastique éè
la compagnie de Messieurs de Montréal, (Sulpicien^
venant de dire la sainte Messe, se retira un peu à l'écari
pour dire ses heures en silence et recueillement, assai
proche néanmois de sept de leurs domestiques (fâ
travaillaient. Lorsqu'il pensait le moins à l'accideol
qui lui arriva, soixante Iroquois qui étaient en embiuh
cade, firent sur lui une décharge de fusils. Tout perd
qu'il était, il eut encore le courage de courir à ses gani
pour les avertir de se retirer, et aussitôt il tomba mort
Les ennemis le suivirent et y furent aussitôt que lui
Nos sept Français se défendirent en retraite, mais ili
ne purent si bien faire qu'un d'eux ne fût tué et lUS
autre pris. Alors ces barbares firent des huées extraort
dinaires pour marque de la joie qu'ils avaient d'avoil
tué une robe noire. Un renégat de leur troupe k
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 207
dépouilla et se revêtit de sa robe, et ayant mis une
chemise par-dessus en forme de surplis, faisait la pro-
cession autour du corps, en dérision de ce qu'il avait vu
faire dans Fëglise aux obsèques des défunts. Enfin ils
loi coupèrent la tête , qu'ils emportèrent , se retirant
en diligence de crainte d'être poursuivis par les sol-
dats du fort. Voilà la façon dont ces barbares font la
guerre. Ils font leur coup, puis ils se retirent dans les
bois, où les Français ne peuvent aller.
Nous avons eu des présages funestes de tous ces
malheurs. Depuis le départ des vaisseaux de 1660, il
a paru au ciel des signes qui ont .épouvanté bien du
monde. L'on a vu une comète, dont les verges étaient
pointées du côté de la terre. Elle paraissait sur les deux
à trois heures du matin, et disparaissait sur les six
à sept heures, à cause du jour. L'on a vu en l'air un
homme en feu, et enveloppé de feu. L'on y a vu encore
un canot de feu, et une grande couronne aussi de feu
du côté de Montréal. L'on a entendu dans l'Ile d'Orléans
un enfant crier dans le sein de sa mère. De plus l'on
a entendu en l'air des voix confuses de femmes et d'en-
fants avec des cris lamentables. Dans une autre ren-
contre l'on entendit en l'air une voix tonnante et hor-
rible. Tous ces accidents ont donné de l'efifroi au point
que vous pouvez penser.^
(1) La Mère de rincamation parle d'après des récits qui circulaient au moment
où elle écriTait, et très-^certainement elle ne prétendait pas en garantir la Térité.
On sait que les météores affectent toutes les formes, et qu'il est facile à une
hnaginalion effrayée de se figurer des fantômes lorsqu'il n'y en a qu'une ébauche.
On^rra néanmoins par la Lettre CLIX et par les remarques que nous y ajou-
tons, qu'il se passa certainement à cette époque, au Canada, des choses en ce
pan qu^il n'est pas possible d'expliquer sans recourir à une cause surnaturelle :
ntrement il faudrait supposer que toute une population disséminée sur une
éUndoe de plusieurs centaines de lieues, eût été hallucinée au même moment et
208 LETTRES
De plas, Ton a découvert qu'il y a des sorciers et i
magiciens en ce pays. Cela a paru à Toccasion d*0Ji '
meunier, qui était passé de France au même temps qw
Mgr notre Evêque, et à qui Sa Grandeur avait fait faire
abjuration de Tbérésie, parce qu'il était huguenot Cet
homme voulait épouser une fille qui était passée avee^
son père et sa mère dans'le même vaisseau, disant qu'elle
lui avait été promise ; mais parce que c'était un homme
de mauvaises mœurs, on ne le voulut jamais écouter.
Après ce refus, il voulut parvenir à ses fins par les
ruses de son art diabolique. Il faisait venir des démons
ou esprits follets dans la maison de la fille, avec des
spectres qui lui donnaient bien de la peine et de l'effiroi.
L'on ignorait pourtant la cause de cette nouveauté;
jusqu'à ce que le magicien paraissant, l'on eut sujet
de croire qu'il 'y avait du maléfice de la part de ce
misérable, car il lui apparaissait jour et nuit, quelque-
fois seul, et quelquefois accompagné de deux ou trois
pendant des mois et môme des années entières. Or, il y aurait en cela un mirad*
qui surpasserait les prodiges que Ton refuserait de croire.
Quant aux sorciers et aux interventions diaboliques dont parle la ▼énérs^'*
Mère dans l'alinéa suivant, il a été de bon ton depuis deux siècles de rejeter sM^
examen tous les récits de ce genre. Mais aujourd'hui les hommes sérieux croî^'*'
devoir procéder autrement, depuis que l'on a exhumé de l'histoire un gr^^
nombre de faits pareils, juridiquement constatée. Supposera-t-on qu'à toutes ^^
époques antérieures, tous les hommes dont les tribunaux étaient composés, toos
les juriconsultes éminents, dont les écrits feront autorité jusqu'à la fin des siècl^t
se soient trompés grossièrement sur des faits visibles, palpables et qui aujourd'/taJ
ne pourraient induire personne en erreur. Il faudrait dionc aussi qu*un grand
nombre de sorciers qui faisaient des aveux complets se fussent imaginé, sans le
moindre fondement, qu'ils faisaient des pactes avec le démon et que ces pactes
avaient pour résultat les forfaits qu'on leur reprochait.
Les savants modernes nient tout ce qui contredit leurs idées. Ils ont nié les
aérolithes jusqu'à ce qu'ils aient été écrasés par l'évidence; ils nient les stigmates,
les miracles de Lourdes, etc., et le tout sans examen. S'ils le pouvaient, ils
nieraient les tables tournantes, ils aiment mieux n'en pas parler.
DE LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 209
autres, que la fille nommait, quoiqu'elle ne les eût
jamais vus. Monseigneur y envoya des Pères, et il y est
allé lui-même pour chasser les démons par les prières
de l'Eglise. Cependant rien n'avançait, et le bruit con-
tinuait plus fort qu'auparavant. L'on voyait des fan-
tômes, l'on entendait jouer du tambour et de la flûte.
Ton voyait les pierres se détacher des murs, et voler
çà et là, et toujours le magicien s'y trouvait avec ses
compagnons pour inquiéter la fille. Leur dessein était
de la faire épouser à ce malheureux qui le voulait
bien aussi, mais qui la voulait corrompre auparavant.
Le lieu est éloigné de Québec, et c'était une grande
fatigue aux Pères d'aller faire si loin leur exorcisme.
C'est pourquoi. Monseigneur voyant que les diables
tâchaient de les fatiguer par ce travail, et de les lasser
par leurs bouffonneries, ordonna que le meunier et la
fille fussent amenés à Québec. L'un fut mis en prison,
et l'autre fut enfermée chez les Mères -Hospitalières.
Voilà où l'affaire en est. Il s'est passé dans cette affaire
bien des choses extraordinaires que je ne dis pas pour
éviter la longueur, et afin de finir cette matière. Pour
le magicien et les autres sorciers, ils n'ont encore rien
voulu confesser. On ne leur dit rien aussi, car il n'est
pas facile de convaincre des personnes en cette nature
de crime.
Après cette recherche des sorciers, tous ces pays ont
été affligés d'une maladie universelle, dont on croit
qu'ils sont les auteurs. C'a été une espèce de coqueluches
ou rhumes mortels, qui se sont communiqués comme
une contagion dans toutes les familles, en sorte qu'il
n'y en a pas eu une seule d'exempte. Presque tous les
enfants des sauvages, et une grande partie de ceux
des Français, en sont morts. L'on n'avait point encore
"•«TTR. M. 11. 14
^10 LKTTRES
TU uhô semblable mortalité» car ces maladies se tour-
aaient en pleurésies accompagnées de fièvres. Noos
^n avons été tous attaqués; nos pensionnaires, nos
•éminaristes. nos domestiques ont tous été à Textré-
niité« Enfin, je ne crois pas qu'il y ait en vingt per-
sodWM dans le Canada qui aient été exemptes de ce
mal ; lequel étant si universel, on a eu grand fondement
de étoile que we misérables avaient empoisonné Tair.
VoiU deux fléaux, doni il a plu à Diea d*exercer
ceti^ ao'UVdile Kgli^e : lun est celui dont je viens de
parier, car Ton u avaii jamais tant vu mourir de per-
«OAUiei» en Canada comme Too a vu cette année ; 1 autre
Mt la ))erMOUtio«x de» Iroqaoiîs. ^ixà tient tout le pays
dan» de^ a^^twhexiùofiLS eoaÛLiMiLdSv car il faut avouer
qu^ »11» ax aient laUrwâe di» Frdii^;aBS« ei ails savaient
!_ »
;ï
nocr^ taiOA.^» lU atou» euâsenû Ui^jsi textanaines; mais
l>Wu Im aveulie par la beat» ^;js!iL a fsmr Dons, et
}'e«pèiv quiL uocj» ûvcri;$era rjajoo» Jr* sa pcoteetion
DB LA MÈRE MARIE DE l'IN CARNATION. 211
LETTRE CLV.
AU MÊME.
L«e8 Iroqoois Agneronons continuent leurs hostilités, et les Onnontageronons
nous demandent la paix. — Conduite de M. d'Argenson dans son gouverne-
ment de la Nouvelle-France.
Mon très-cher fils,
Je vous ai écrit une grande lettre, par laquelle vous
avez pu apprendre une partie de ce qui s*est passé
cette année dans notre Canada. Depuis les événements
que je vous ai écrits, quelques Français et sauvages
«e sont sauvés du côté des Onnodtageronons où les
Pères s'étaient établis avant la rupture de ces peuples.
Us nous ont rapporté qu'il y a dans cette nation plus
de vingt Français, à qui elle a donné la vie. Ils ajoutent
que les Iroquois supérieurs n'ont pas entièrement perdu
68 sentiments de religion que les Pères leur ont inspi-
es ; ils ont emporté la cloche chez eux, et l'ont suspen-
ae dans une cabane qu'ils ont convertie en chapelle.
] j font souvent les prières comme les Pères faisaient.
obligent les Français de s'y trouver, et s'ils y man-
]t, ils les battent et les contraignent de faire leur
• jjs disent encore que quand les Pères quittèrent
j0S femmes, qui ont voix délibérative dans les
^u moins celles qui sont choisies pour cela,
V ;sept jours entiers la perte qu'elles faisaient;
212 LETTRES
les enfants firent de même. Il était temps nëanmoim
que les missionnaires et les Français quittassent, parce
que la conspiration était formée, et sur le point de
sexécuter. Voilà ce que les captifs qui se sont sauvés
nous ont rapporté.
Peu de temps après, les ambassadeurs de ces nations
supérieures sont venus ici prier qu*on leur donnât des
Pères ; et pour marque de la sincérité de leur demande,
ils ont encore rendu quelques Français, qui nous ont
confirmé ce que les premiers nous avaient dit. L'on
fait des recherches pour savoir si ces sauvages ne te
mêlent point avec les Agneronons, mais Ton n'apa
encore rien découvrir. L'on a souvent tenu conseil |
sur ces affaires, de crainte de surprise. Enfin il a été
résolu que le Père Le Moine irait avec eux en leur ;
pays, pour tâcher de découvrir si la paix qu'ils demaa-
dent, n'est point un piège pour nous surprendre. Il est
donc parti avec eux, avec ordre de se rendre ici en
leur compagnie à un jour destiné, afin de faire son !
rapport. S'il y a de la sincérité dans la recherche qu'ils
font de la paix, on la conclura avec eux, et avec trois
autres nations qui leur sont alliées, et où il y a plus
de quatre cents captifs chrétiens. Cependant l'expé-
rience que l'on a des trahisons de ces peuples, nous
a fait craindre qu'ils no tuassent le Père, et quils
ne se joignissent ensuite aux Agneronons pour venir
détruire nos habitations, lorsqu'ils se reposeraient dans
l'attente de la paix; ce qui a fait que l'on s'est toujours
tenu sur ses gardes, comme si l'on eût été dans uiiô
pleine guerre. Et en effet, nous avons appris que les
Agneronons ont fait des présents à celui qui conduisait
le Père, afin de le tuer en chemin, ce que lui ni aucun
de sa suite n'a voulu faire, mais ils lui ont fait un
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 213
brt bon traitement, et Tont mené en assurance en
Bur pays, où il a été reçu avec tout l'appareil et
outes les acclamations possibles.
Le Père est de retour avec ses conducteurs, qui,
K>ur marque de leur sincérité, nous ont encore amené
le nos Français captifs, avec promesse de nous en
endre encore dix au printemps. Tous ces captifs n*ont
K>int été mutilés, mais plutôt ils nous assurent que
168 peuples les ont traités comme leurs enfants, et
[qIIs ont mên^e racheté de nos gens des mains de nos
tniiemis, afin de nous les rendre. Ils demandent tous
Qstamment qu'on leur envoie des Pères pour les inst-
ruire, je crois qu'on ne leur manquera pas; mais,
iprôs tout, Dieu est le maître des cœurs des hommes,
et lui seul sait les moments de leur conversion. Si l'on
avait la paix avec ceux-ci, qui ont plus de seize cents
bommes de guerre sur pied, l'on pourrait humilier les
Agneronons, qui n'en ont pas plus de quatre cents.
C'est ce que l'on a dessein de faire l'an prochain, si
te roi envoie le régiment qu'il a fait espérer ; car ils
ont fait des assemblées publiques, où ils ont conclu
rt protesté de ne faire jamais de paix avec les Français.
Vous avez raison de dire que si nous sommes atta-
^és par ces barbares lorsqu'il n'y a plus de navire
à Dotre port, ils nous serait impossible de nous sauver,
car il n'y a point ici de porte de derrière pour fuir.
Btoù fuirait-on? dans les bois? où l'on se perdrait, et
dont les sauvages savent les retraites. Les Iroquois
néanmoins tous ensemble ne pourraient avoir le temps,
ivec une armée sur les bras, de détruire nos maisons
la pierre, pourvu qu'on eût des vivres et quelques gens
loar nous garder et pour les empêcher de mettre
I feu; car c'est ce que l'on appréhende le plus, les
214 LETTRES
coavertares étant de bois, et à la portée de la maio.
Les nôtres sont à deux étages, et ainsi il y a moins
à craindre , et Ton pourrait attendre le secours ordi-
naire des vaisseaux qui sont ici deux ou trois moii
Tété. De plus, ces barbares viennent ordinairement an
printemps, aux mois de mai et de juin, et à Tautomne,
et ils veulent expédier leurs affaires en trois on quatre
jours ; car comme ils ne portent que fort peu de vivres,
ils souffriraient la disette et se détruiraient eux-mêmes.
Enfin, j'espère que la bonté de Dieu nous fera la grâce
de mourir à son service en ce pays. M. notre Gouver-
neur ayant interrogé un de nos Français sur toutœ
qu'il avait vu dans sa captivité, a appris qu'il n'était
pas bien difficile d'aller détruire les Agneronons par œ
côté ici; c'est ce qui l'a obligé d'écrire au roi, aux
reines, et aux seigneurs de la cour d'envoyer le secours
directement à Québec, et de changer le premier dessein
qui était d'aller attaquer ces barbares par le côté
des Hollandais. Priez Notre-Seigneur pour l'exécution
de ce dessein, et pour la conversion des autres qui
demandent la paix.
Enfin, M. le vicomte d'Argenson nous a quittés, ne
pouvant attendre davantage, à cause de ses infirmités,
qui lui ont fait demander son retour en France. Outre
cette raison, je vous dirai en confiance qu'il a eu à
souffrir en ce pays, dont il a été chargé sans avoir
pu avoir du secours de la France, si bien que Timpuis-
sance où il s'est vu de résister aux Iroquois, iie voulant
pas dégarnir la garnison de Québec, de crainte que par
quelque surprise les ennemis ne vinssent s'emparer du
fort, lui a donné du chagrin, qui a pu beaucoup con-
tribuer à ses infirmités. Il s'est trouvé des esprits peu
considérés qui ont murmuré de sa conduite, et qui en
DE LA MÈRE MARIE DE L*IN CARNATION. 215
ont fait de grosses plaintes, capables d*offeDser un
homme de sa qualité et de son mérite. Il a souffert
cela avec beaucoup de générosité. L'impuissance néan-
moins où il s'est vu de secourir le pays, le défaut de
personnes de conseil, à qui il pût communiquer en con-
fiance de certaines affaires secrètes, le peu d'intelli-
gence qu'il avait avec les premières puissances du pays,
et enfin ses indispositions qui commençaient à devenir
habituelles, l'oat porté à se procurer la paix par sa
retraite. Son successeur l'a laissé commander jusqu'au
> jour de son embarquement, et cependant (en attendant)
il a fait la visite de tout le pays qu'il a trouvé très-beau
V à qui aurait de la dépense à y faire; mais le peuple
étant pauvre, il n'y a qu'une puissance souveraine qui
paisse le mettre en valeur. Après sa visite, il est venu
. rejoindre M. d'Ârgenson, à qui il a dit tout haut que
si Ton ne lui envoyait l'année prochaine les troupes
qu'on lui avait promises, il s'en retournerait sans atten-
dre qu'on le rappelât, qu'il le priait d'en donner avis
à Sa Majesté; et qu'à son égard il s'étonnait comme
il avait pu garder le pays, et subsister dans son gou-
vernement avec si peu de forces. Pour notre particulier,
nous perdons beaucoup en M. d'Argenson , car c'était
un homme très-charitable à notre égard, et qui ne
laissait passer aucune occasion de nous obliger. Il me
faisait souvent l'honneur de me visiter en votre consi-
dération, ainsi lobligation étant commune à vous et
à moi, je vous prie de lui témoigner vos remercîments
et les miens.
De Québec, le octobre 1661.
216 LETTRES
LETTRE XLVI
AU MEME.
Mortalité arrivée en France. — Trahison des Iroquoii décoaterte. — Zèle mer
veilleuz de la Mère de l'Incarnation pour le saint des ftmes, et à poortoir stf
moyens de les instruire.
Mon trôs-cber fils,
»
J*ai reçu trois de vos lettres, seulement depuis peu
de jours, les deux vaisseaux qui sont à notre port depuis
deux mois ne nous ayant apporté ni lettres, ni nou-
velles de votre part, ni de nos chères Mères de Tours.
Nous avons seulement appris que les calamités de la
famine, et des maladies mortelles qui ont couru par
toute la France, ont particulièrement fait leurs ravages
sur la rivière de Loire. Ces bruits que les passagers
ont fait courir, m*ont fait penser que vous et nos Mères
pouviez être enveloppés dans une mortalité si unive^
selle. Mais enfin, vos lettres m*ont ôtée de peine et m*ont
appris que vous vivez encore et elles aussi. Il ny a que
ma chère Mère Françoise de Saint-Bernard et mon
très-bon Père doœ Raymond, qui ont payé le tribut,
et qui sont dans la patrie qu'ils ont tant désirée.
Quoique leur mort m'ait été très -sensible, la première
mayant élevée et conduite fort longtemps dans la vie
spirituelle, je ne laisse pas d envier leur bonheur, étant'
persuadée qu il n'y a rien de plus agréable ni de plus
DE LA MÈRB MARIE DE L*IN CARNATION. 217
souhaitable que de quitter le corps pour aller jouir
de Dieu.
Les Iroquois ont recommencé leurs meurtres aux
environs de Montréal dès le commencement de l'au-
tomne, nonobstant leurs beaux pourparlers de paix.
CeiUL néanmoins qui tuent sont les Âgneronons, et ceux
qui demandent la paix sont les Onnontageronons et
les Oiogneronons ; mais il n'y a pas lieu de se 6er aux
uns ni aux autres. Le révérend Père Le Moine est
avec ces derniers, qui avaient promis de le ramener
rantomne dernier. Ils n'en ont rien fait, et nous avons
appris qu'il est aussi captif parmi eux que les captifs
même ; et à présent l'on ne sait s'il est mort ou vif.
Au commencement de l'été, un de leurs capitaines
ramena un captif et dit que quatre cents de leurs gens
voulaient le ramener. L'on envoya ici ce capitaine pour
voir M. le Gouverneur, qui reconnut à sa contenance
et à celle de ses gens qu'il y avait quelque fourberie
cachée. Gela fit qu'on se défia d'eux et qu'on les traita
avec réserve, ce qu'ils remarquèrent bien et s'en retour-
nèrent assez mécontents. Quelques-uns de la compagnie
s'étant arrêtés à Montréal, et étant un peu gaillards,
déclarèrent aux Français le dessein de leurs compa-
triotes, qui était qu'en effet quatre cents des leurs
doivent ramener le Père et le reste des captifs Français,
pois faire bonne mine comme amis, se familiarisant et
allant de maison en maison afin de s'insinuer, et tout
d'un coup faire main basse partout. Les ambassadeurs
eorent le vent que leur dessein était découvert et firent
lear possible pour faire passer les autres pour men-
tears. Cet avis néanmoins a obligé M. le Gouverneur
de grossir sa garnison et celle des Trois-Rivières, afin
de 86 tenir toujours sur ses gardes.
218 LETTRES
GependaDt les Âgneronons continuent leur carnage.
M. Vignal qui avait été notre confessear et à qni nout
avions des obligations incroyables, est tombé entre
leurs mains, et a été mis à mort par ces barbares avec
trois hommes de sa compagnie. M. Lambert, migor,
un des vaillants hommes qui aient été en ce pays, a
été tué dans un combat, et douze Français avec lui.
Ils ont encore massacré quatre vingts sauvages Algon-
quins et Montagnais qui s'étaient cachés dans les mon-
tagnes; mais ces barbares les y ont bien su trouver.
Nous ne savons encore ce qui est arrivé au révérend
Pore Le Moine ni à nos captifs Français, non plus qu'an
révérend Père Mesnard, qui est chez les Outaouak,
avec lesquels il devait faire un tour cette année en
ces quartiers, où ils devraient déjà être rendus. Les
Iroquois, qui en ont eu vent, se sont cantonnés par
toutes les avenues, afin de les enlever avec toutes leurs
pelleteries. On dit qu'ils devaient venir trois ou quatre
cents de compagnie. S'ils viennent heureusement (échap-
pant aux Iroquois,) les marchands de France qui sont
venus dans cette attente gagneront beaucoup; comme
au contraire, s ils sont détruite, nos marchands perdront
leur voyage. Lun deux m*a dit, aujourd'hui, qu'il y
perdra pour sa part plus de vingt-mille livres.
Mais, hélas ! tout considéré, ce qui est à déplorer, ce
sont les âmes de ces peuples, dont la plupart ne sont
pas encore chrétiens. S*ils étaient venus ici, ils y eussent
hiverné, et Ion eût eu le loisir et la commodité de
les instruire pour les baptiser. Chacun tend à ce qull
aime ; les marchands à gagner de l'argent, et les révé-
rends Pères et nous à gagner des âmes. Ce dernier
motif est un puissant aiguillon pour piquer et animer
un cœur. J'avais, Thiver dernier, trois ou quatre jeunes
DB LA MÈRE MARIB DE l'iNCARNATION. 219
sœars continuellement aaprès de moi pour assouvir
le désir qu'elles avaient d'apprendre ce que je sais des
langues du pays. Leur gri^Bd|f avidité me donnait de
la ferveur et des forces pour les instruire de bouche
et par écrit de tout ce qui est nécessaire à ce dessein.
Depuis TA vent de Noël, jusqu'à la fin de février, je
leur ai écrit un catéchisme huron, trois catéchismes
algonquins , toutes les prières chrétiennes en cette
langue, et un gros dictionnaire algonquin. Je vouis
assure que j'en étais fatiguée au dernier point, mais
il fallait satisfaire des cœurs que je voyais dans le
. désir de servir Dieu dans les fonctions où notre Institut
nous engage. Priez la divine bonté que tout cela soit
pour sa plus grande gloire.
Nous attendons de jour à autre deux vaisseaux du
roi, oh il n'y a que deux cents hommes d'armes, le
reste étant des familles et des gens de travail que
Sa Majesté fait passer gratis, afin que le pays en soit
soulagé. Mais elle nous fait espérer un puissant secours
l'an prochain pour détruire entièrement l'Iroquois. La
très-sainte volonté de Dieu soit faite. Nous n'avons
pas été trop inquiétés dans ces quartiers de Québec
par ces barbares, toute leur attention étant à Montréal
et à guetter les Outaouak. Priez pour nous, je vous
en conjure, car nous avons encore une autre croix
bien plus pesante que celle des Iroquois, parce qu'elle
tend à perdre le christianisme. Je vous en parlerai
dans une autre lettre, l'empressement de ce vaisseau
qui part m'obligeant de finir et de me dire....
De Québec, le 10 août 1662.
220 LETTRES
LETTRE CLVII.
AU MÊME.
Désordre effroyable causé par Tusage du vin et de Teau-de-TÎe. Mgr Tévéqne
de Petrée va eu France pour y apporter remède.
Mon très-cher fils,
Je vous ai parlé dans une autre lettre d'une croix
que je vous disais m'être plus pesante que toutes les
hostilités des Iroquois. Voici en quoi elle consiste. Il
y a en ce pays des Français si misérables et sans
crainte de Dieu, qu'ils perdent tous nos nouYeaux
chrétiens, leur donnant des boissons très- violentes,
comme du vin et de Teau-de-vie, pour tirer d'eux des
castors. Ces boissons perdent tous ces pauvres gens:
les hommes, les femmes, les garçons et les filles même;
car chacun est maître dans la cabane quand il s'agit
de manger et de boire ; ils sont pris tout aussitôt et
deviennent comme furieux. Ils courent nus avec des
épées et d'autres armes, et font fuir tout le monde, ^
soit de jour soit de nuit; ils courent par Québec sans
que personne les puisse empêcher. Il s'ensuit de là des
meurtres, des viols, des brutalités monstrueuses et
inouïes. Les révérends Pères ont fait leur possible pour
arrêter le mal, tant du côté des Français que de la
part des sauvages; tous leurs efforts ont été vains.
Nos filles sauvages externes venant à nos classes, nous
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 221
ar avons fait voir le mal où elles se précipitent en
livant Fexemple de leurs parents; elles n*ont pas
!mis depuis le pied chez nous. Le naturel des sauVdges
it comme cela. Ils font tous ce qu'ils voient faire à
mx de leur nation en matière de mœurs, à moins
l'ils ne soint bien affermis dans la morale chrétienne,
n capitaine algonquin, excellent chrétien et le pre-
iér baptisé du Canada, nous rendant visite» se plai-
dait disant : Ononthio, c'est M. le Gouverneur, nous
le, de permettre qu'on nous donne des boissons.
Qus lui répondîmes : Dis-lui qu'il le défende. — Je
i ai déjà dit deux fois, repartit-il, et cependant il
en fait rien; mais priez-le vous-même d'en faire la
5fense, peut-être vous obéira-t-il.
C'est une chose déplorable de voir les accidents
nestes qui naissent de ce trafic. Mgr notre Prélat a
it tout ce qui peut s'imaginer pour en arrêter le
(urs, comme une chose qui ne tend à rien moins qu'à
destruction de la foi et de la religion dans ^es con-
tes. Il a employé toute sa douceur ordinaire pour
itoarner les Français de ce commerce si contraire.
la gloire de Dieu et au salut des sauvages. Ils ont
éprise ses remontrances, parce qu'ils sont maintenus
LF une puissance séculière qui a la main forte. Ils
i disent que partout les boissons sont permises. On
ar répond que dans une nouvelle Eglise, et parmi
\8 peuples non policés, elles ne doivent pas l'être,
lisque l'expérience fait voir qu'elles sont contraires
la propagation de la foi et aux bonnes mœurs que
^n doit attendre des nouveaux convertis. La raison
a pas fait plus que la douceur. II y a eu d'autres
intestations très-grandes sur ce sujet. Mais enân«
zèle de la gloire de Dieu a emporté notre Prélat
tèi LETTRES
et Ta obligé d'excommunier ceux qui exerceraient ce
trafic. Ce coup de foudre ne les a pas plus étonnés que
le feste. Ils n'en ont pas tenu compte, disant que l'Eglise
n'a point de pouvoir sur les affaires de cette nature.
•
Les. affaires étant à cette extrémité, il s'embarque
pour passer en France, afin de chercher les moyens de
pourvoir (remédier) h ces désordres, qui entraînent après
eux tant d accidents funestes. 11 a pensé mourir de
douleur à ce si^get, et on le voit sécher sur pied.
Je crois que s'il ne peut venir ^ bout de son dessein
il ne reviendra pa$, ce qui serait une perte irréparable
pour cette nouvelle Eglise et pour tous les pauvres
Français. Il se fait pauvre pour les assister; et pour
diiv eu uu m^t tout ce que je conçois de son mérite,
U pone )t^ maniues et le caractère d*nn saint. Je vous
prie ^e reeoiaiua:iv!er et de faire recommander à Notre-
$eijjnieur une affaire si isiportante> et qnll loi plaise
<ie uoos^ renvo>ver m^cre bon* prêtât,. Père et véritable
pw^ieur ^e$ àme$ v^ai lui $oat commises.
Vcu$ T^ve9 v((ie m^ lettre ne puie que de Taffidre
vtui me vw*§^ i*^ pI^J» '^«î vrœor. parce que Jy vois la
M^^^i^^tj^ v£e l>i!ea viiêi^acKe. rEgiise mjéprisée, et les
iot^^ ^^it)^ It^ oUtt^r êvblenc cfie se perdre. Mes antr»
W<itit>^ irè{;^z>5JiîvxjL0 iox v0î3»s
BE LA MËRB MARIB DB l'iN CARNATION. 223
LETTRE CLVIII.
AU MÊME.
Le ro? envoie des Commissaires dans la Nouvelle-France pour prendre possession'
du port de Plaisance, et pour examiner la nature et la qualité du pays.
Mon très-cher fils,
L*on yieDt de me donner avis qu'une chaloupe va
partir pour aller trouver les vaisseaux du roi qui se
sont arrêtés à soixante lieues d'ici, sans qu'on ait jamais
pa faire obéir le capitaine, quoiqu'on lui ait commandé
d0 la part du roi de venir à Québec. 11 s'excuse sur
la saison qu'il dit être trop avancée, aucun navire
* n*ayant jamais monté si tard jusqu'à Québec, ajoutant
que son vaisseau étant de quatre cents tonneaux, il
risquerait trop dans le fleuve. Mais la véritable raison
est qu'il a peur qu'on ne le châtie de sa mauvaise
conduite dans le temps de sa navigation, ayant fort
maltraité le gentilhomme quB'Sa Magesté envoie pour
TBoonnaître le pays^ comme aussi M, Boucher qui était
le porteur des lettres du roi, et enfin tous les passagers
<iu*il a presque fait périr de faim et de soif, comme
en effet il en est mort près de quarante. Il n'avait des
vivres que pour deux mois, et il en a été quatre en
chemin. Il a aussi arrêté au même lieu l'autre vais-
seau qui, n'étant qu'une flûte, eût pu monter jusqu'ici,
et s'en retourner même après la Saint-Martin, d'autres
224 LETTRES
semblables en étant partis pins tard les années dernières.
M. de Monts qui est le gentilhomme dont j*ai parlé,
est venu ici dans une chaloupe, et il est retourné pour
débarquer trois ou quatre cents personnes qui sont dans
ces grands vaisseaux, et les vivres qui sont nécessaires
pour leur hivernement. Toutes les chaloupes et barques
de ce pays y sont allées, ce qui nous Cause une cod-
fusion que Ion n avait point encore vue. Comme noos
ne recevons nos paquets que peu à peu , nous ne
faisons aussi nos réponses que par de petits mots par
les chaloupes qui vont file à file hux grands vaisseaux.
C'est donc par la chaloupe qui va partir que je vous
écris celle-ci pour vous dire ce que M. de Monts a fait
dans sa commission. Il a pris possession en chemin da
fort de Plaisance aux Terres-Neuves, oti il y a pêcherie
de morues dans un détour, à six cents lieues de France,
et dont les Anglais ou les Hollandais voulaient se ren-
dre les maîtres. Il y a laissé trente hommes de guerre
pour le garder, avec un ecclésiastique et des vivres
pour rhiver.
Depuis ce lieu- là il a considéré les terres, les mon-
tagnes, les fleuves, les rivages et leurs avenues. Il est
venu à Québec, dont il a visité les ports et les environs
de rhabitation. A la faveur d'un vent nord-est, il est
monté en un jour aux Trois-Riviôres , oti il a établi
pour gouverneur M. Boucher, qui avait déjà commandé
en ce lieu.^ C*est lui qui a porté en France les lettres
( 1 Les tltffceaJants de cet homme de bien, qne l'on appelle encore aajovidliBi
U ijrttndpirt Boucher, soot réparés en plasiears branches et familles honorables
•i<» la Duhi««te caoadieoDe. Le grand-{-ère Boacher moamt à qnatre-Tingt qoiott
ft.M. laii^aiit «luir-.ze eufaiits, dont deux pnètres et cae religieuse UrsnliDe. Noos
• .Ci .a.: c..tiL4::ro pou a-huiruMe leâlameat dans notre écrit intitulé : Coursée
>.^n» f .ji.imun tti quariiikU lerons. Peu afrès sa mort, on lai comptait cect
Ml. lUAutc (>ctitft eiifantt.
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 225
et les commissions de M. le Gouverneur, et qui les
a présentées au roi, qui l'a écouté avec une bonté
extraordinaire, et qui lui a promis d'envoyer ici un
régiment l'année prochaine, avec de petits bateaux pour
voguer sur la rivière des Iroquois Agneronons, que Sa
Majesté veut détruire, afin de se rendre le maître de
tout le pays. Nous estimons que c'est pour cela que
Sa Majesté a envoyé M. de Monts en commission pour
faire la visite du pays. Après que ce gentilhomme
eut examiné toutes choses, il est tombé d'accord sur
tout ce que M. le Gouverneur avait mandé au roi, et
que M. Boucher lui avait confirmé de bouche, que l'on
peut faire en ce pays un royaume plus grand et plus
beau que celui de France. Je m'en rapporte, (je ne
juge pas d'après ma propre opinion), mais c'est le
sentiment de ceux qui disent s'y connaître. Il y a des
mines en plusieurs endroits ; les terres y sont fort bon-
nes; il y a surtout un grand nombre d'enfants. Ce fat
un des points sur lesquels le roi questionna le plus
M. Boucher, savoir si le pays était fécond en enfants.
Il l'est en effet, et cela est étonnant de voir le grand
nombre d'enfants très-beaux et bien faits, sans aucune
difformité corporelle, si ce n'est par accident. Un
pauvre homme aura huit enfants et plus, qui l'hiver
vont nu-pieds et nu-tête, avec une petite camisole
sur le dos, qui ne vivent que d'anguilles et d'an peu
de pain; et avec tout cela ils sont gros et gras. M. de
Monts s'en retourne bien content, et se promet bien
de venir nous revoir dans huit mois pour continuer
les desseins de Sa Majesté. Priez la Majesté souveraine
que tout réussisse pour sa gloire.
De Québec, le 6 de novembre 1662.
LBTTR. M. II. 15
znb
LETTRE CLIX.
AU MÊME.
Unlntlôn <lti (rtmhlemADt de terre arrivé ati Canada dans Tannée 1663,
et de tes effets merTeillenx.
Mon très- cher fils,
J*Ai réservé k vous faire séparément le récit do
Iromhlement de terre arrivé cette année dans notre
Nouvelle- France, lequel a été si prodigieux, si violeot
0i si effroyable, que je n*ai pas de paroles assez foitee
pour Texprimer; et je crains même que ce que j'en
lUmi no passe pour incroyable et pour fabaleox.
\k^ troisième jour de février de cette année 1663,
\iuf^ fi>miuii^ sauvage^ mais très-bonne et très- excellente
ohri^tif^uii<\ ^tant éveillée dans sa cabane tandis que
t^vu« K^ ^utr^ dormaient, entendit nne Toix distincte
^t «Hioiilf^ ^)ui lui dit : ]>ans deux jours il doit arriver
vW^ \'K\>$i(^ bien ^^auantes ei merretUenses. Et le len-
^H^^K^iiH U unNiie t^aica^e étant dans la Iwét avec m
^VH^r (\^^r à^irv^ $a pcv^vis^» joanalièffe de bois, elle
>*^\v>*..*îil stvjfcÇ"x5fr.'^eœw îa m^àsie v«x i^ai lui dit : Ce
*v*^>A sV^^ft*^:^ ^w:?^ !i«i vHtrvç ec s£x &i«r>BS da aoir que
VN^ W^'tv ^i^s^irti^ ^j^"^^ <rc v(tt eue ts^nnâfiara ^ ose manière
v^si)»¥s^^V« V^.V ?t^>^^ct9^ v«v ^ euje arts essendii à ceux
J^H^ ^ y\^>^wr3«iK <*i^ ^ir^îrw^a xx?^r ^oiiLiiSSDfim» ce quelle
^HMMk ^^^MW!e ^i^^$«^i»^. ^ >iVatau xn «aftic i&e son ima-
DE LA MÈRE MARIE DE L*IN CARNATION. 287
;ion. Cependant le temps fut assez calme ce jour-là,
ancore plus le jour suivant.
lie cinquième jour, fête de sainte Agathe, vierge et
rtyre, sur les cinq heures et demie du soir, une
•sonne d'une vertu éprouvée, et qui a de grandes
nmunications avec Dieu, le vit extrêmement irrité
itre les péchés qui se commettent en ce pays, et en
me temps elle se sentit portée à lui en demander
tice,^ Pendant qu'elle oflFrait ses prières à la divine
ijesté pour cette fin, et aussi pour les âmes qui étaient
péché mortel, afin que sa justice ne fût pas sans misé-
orde, suppliant encore les martyrs du Japon, dont
1 faisait la fête ce jour-là, d'en vouloir faire l'appli-
;ion selon qu'il serait le plus convenable à la gloire
Dieu, elle eut un pressentiment, ou plutôt une
lurance infaillible que Dieu était prêt de punir le
ys pour les péchés qui s'y commettent, surtout pour
mépris qu'on y fait des ordonnances de l'Eglise. Elle
put s'empêcher de désirer ce châtiment, quel qu'il
t être, puisqu'il était arrêté dans le décret de Dieu,
18 qu'elle eût aucune vue de ce que ce pourrait être,
continent après, et un peu avant que le tremblement
îvât, elle aperçut quatre démons furieux et enragés
X quatre coins de Québec, qui ébranlaient la ierre
30 tant de violence, qu'ils témoignaient vouloir tout
iverser. Et en effet ils en fussent venus à bout si
personnage d'une beauté admirable et d'une majesté
rissante, qu'elle vit au milieu d'eux et qui lâchait
temps en temps la bride à leur fureur, ne l'eût rete-
) Elle parle de la Mère Saint- Augustin , religieuse de THôtel-Dieu, regardée
me une sainte pendant sa vie, et dont la mémoire est encore aujourd'hui en
de vénération au Canada. Sa vie a été publiée en 1671 par le Père Rague-
I, Jésuite. Elle forme un volume de 500 pages in-S®.
228 LETTRES
nue lorsqu'ils étaient sur le point de tout perdre. Elle
entendit la voix de ces démons qui disaient : Il y a
maintenant bien du monde effirayé; nous Toyons bien
qu'il y aura beaucoup de conversions, mais cela durera
peu, nous trouverons bien le moyen de ramener le
monde à nous. Cependant continuons à ébranler la
terre, et faisons notre possible pour tout renverser.
Le temps était fort calme et serein, et la vision
n'était pas encore passée, que l'on entendit de loin un
bruit et bourdonnement épouvantable, comme si un
grand nombre de carrosses roulaient sur des pavés avec
vitesse et impétuosité. Ce bruit n'eut pas plus tôt réveillé
l'attention, que l'on entendit sous terre et sur la terre
et de tous côtés, comme une confusion de flots et de
vagues qui donnaient de l'horreur. L'on entendait de tou-
tes parts comme une grêle de pierres sur les toits, dans
les greniers et dans les chambres. Il semblait que les
marbres dont le fond de ce pays est presque tout com-
posé, et dont nos maisons sont bâties, allaient s'ouvrir
et se mettre en pièces pour nous engloutir. Une pous-
sière épaisse volait de tous côtés. Les portes s'ouvraient
d'elles-mêmes, d'autres qui étaient ouvertes se fer-
maient. Les cloches de toutes nos églises et les timbres
de nos horloges sonnaient toutes seules, et les clochers
aussi bien que nos maisons étaient agités comme des
arbres quand il fait vent; et tout cela dans une horrible
confusion de meubles qui se renversaient, de pierres
qui tombaient, de planchers qui se séparaient, de murs
qui se fendaient. Parmi tout cela l'on entendait les ani-
maux domestiques qui hurlaient. Les uns sortaient
des maisons, les autres y rentraient. En un mot Ton
était si effrayé, que l'on s'estimait être à la veille du
jugement, puisque l'on en voyait les signes.
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 229
Un accident si inopiné et en un temps auquel les
jeunes gens se préparaient à passer le carnaval dans
des excès, fut un coup de tonnerre sur la tête de tout
le monde, qui ne s'attendait à rien moins. Ce fut
plutôt un coup de la miséricorde de Dieu sur tout le
pays, comme on l'a vu par les effets dont je parlerai
ailleurs. Dès cette première secousse la consternation
fat universelle. Et comme l'on ignorait ce que c'était,
les uns criaient au feu, croyant que ce fut un incendie,
les autres couraient à l'eau pour Téteindre; d'autres
se saisirent de leurs armes, croyant que ce fût une
armée Iroquoise. Mais comme ce. n'était rien de tout
cela, ce fut à qui sortirait dehors pour éviter la ruine
des maisons qui semblaient sur le point de tomber.
On ne trouva pas plus d'assurance dehors que dedans :
car par le mouvement de la terre, qui trémoussait
sous nos pieds comme des flots agités sous une chaloupe,
on reconnut aussitôt que c'était un tremblement de
terre. Plusieurs embrassaient les arbres qui, se mêlant
les uns dans les autres, ne leur causaient pas moins
d'horreur que les maisons qu'ils avaient quittées ; d'au-
tres s^'attachaient à des souches qui, par leurs mou-
vements, les frappaient rudement à la. poitrine. Les
sauvages, extrêmement effrayés, disaient que les arbres
les avaient bien battus. Quelques-uns d'entre eux
disaient que c'étaient des démons dont Dieu se servait
pour les châtier, à cause des excès qu'ils avaient faits
en buvant de l'eau- de-vie, que les mauvais Français leur
avaient donnée. D'autres sauvages moins instruits, qui
étaient venus à la chasse en ces quartiers, disaient
que c'étaient les âmes de leurs ancêtres qui voulaient
retourner dans leur ancienne demeure. Pxé venus de
cette erreur, ils prenaient leurs fusils, et faisaient des
290
déchaînes en Tair contre une bande d'esprits qui pas-
sait» à ce qu'ils disaient. Mais enfin nos habitants aussi
bien que nos sauvages ne trouvant nul asile sur la
terre» non plus que dans les maisons, tombaient la
plupart en défaillance; et prenant un meilleur conseil,
entraient dans les églises pour avoir la consolation d*;
périr après s'être confessés.
Cette première secousse» qui dura près d'une demi*
heure» étant passée» on commença à respirer; mais oe
fut pour peu de temps» car sur les huit heures du soir
il recommença, et pendant une heure il redoubla deai
fois. Nous disions matines au chœur» les récitant partie
à gCDOUX dans un esprit humilié, et nous abandonnant
au souverain pouvoir de Dieu. Le redoublement vint
trente-deux fois cette nuit-là» à ce que m'a dit une
personne qui les avait comptés. Je n'en comptai pour-
tant que six» parce que quelques-uns furent faibles, eH
quasi imperceptibles. Mais sur les trois heures il y en
eut un fort violent» et qui dura longtemps.
Ces secousses ont continué l'espace de sept mois, quoi-
qu'avec inégalité. Les unes étaient fréquentes, mais
faibles; les autres étaient plus rares, mais fortes A
violentes : ainsi le mal ne nous quittante que pour
fondre sur nous avec plus d'effort, à peine avions-noos
le loisir de faire réflexion sur le malheur qui nous
menaçait, qu'il nous surprenait tout d'un coup, quel-
quefois durant le jour, et plus souvent durant la nuit.
Si la terre nous donnait tant d'alarmes, le ciel ne
nous en donnait pas moins, tant par les ^hurlements
et les clameurs qu'on entendait retentir en l'air, que
par des voix articulées qui donnaient de la frayeur.
Les unes disaient des hélas : les autres, allons, allons;
les autres, bouchons les rivières. L'on entendait des
DB LA MËRB MARIB DB L'INCARNATION. 231
raits ta&tôt oomme de cloches, tantôt comme de
iûons, tantôt comme' de tonnerres. L'on voyait des
(ux, des flambeaux, des globes enflammés qui tom-
Eiient quelquefois à terre, et qui quelquefois se dissi-
ajieiit en Taîr. On a vu dans Tair un feu en forme
homme qui jetait les flammes par la bouche. Nos
omestiques allant par nécessité durant la nuit pour
DUS amener du bois, ont vu cinq ou six fois pour
ne nuit de ces sortes de feux. L'on a vu des spectres
pouvan tables ; et comme les démons se mêlent quel-
aefois dans le tonnerre, quoi que ce (le tonnerre) ne
>it qu'un effort de la nature, on a facilement cru qu'ils
) sont mêlés dans ce tremblement de terre pour aocroî*
*e les frayeurs que la nature agitée nous devait causer.
Parmi toutes ces terreurs on ne savait à quoi le tout
bootlraii Quand nous nous trouvions à la fin de la
lurnée, nous nous mettions dans la disposition d'être
Dglouties en quelque abîme durant la nuit; le jour
tant venu, nous attendions la mort continuellement,
6 voyant pas un moment assuré à notre vie. En un
lot, on séchait dans l'attente de quelque malheur
niversel. Dieu même semblait prendre plaisir àcon*
rmer notre crainte. Une personne contemplative étant
avant le Saint-Sacrement pour tâcher d'apaiser la
olôre de Dieu, et s'offrant à lui d'un grand coeur pour
ire la victime de tous les maux qui menaçaient son
auple, elle fut soudain saisie de frayeur, comme aux
pproches d'une personne d'une grande majesté , et
nssitôt elle aperçut un personnage extrêmement redott->
ible, revêtu dun habit tout couvert de cette devise :
}uiê ut Deus ? Il tenait en la main gauche une balance
ont les bassins étaient remplis, l'un de vapeurs, et
autre d'écriteaux qui disaient : Loquere ad cor Jeru&alem,
I *\^v*i«v vxik>^ '^•vt'i^»* :«*j5Si jsrt:C^fi& «Ifr ^TT -finir
. N. . ■ V -,. v-^ *■. -V I . .liîv '.UÎ5- V TÛT
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X.
DB LA MËRB MARIB DB L'INGARNATION. 833
renversés, et partie enfoncés en terre jusqu'à la oime
des branches. L*on a vu deux rivières disparaître;
Von a trouvé deux fontaines nouvelles, l'une blanche
comme du lait, et l'autre rouge comme du sang. Mais
rien ne nous a plus étonnés que de voir le grand fleuve
de Saint-Laurent, qui, pour sa profondeur prodigieuse,
ne change jamais, ni par la fonte des neiges, qui fait
ordinairement changer les rivières, ni par la jonction
de plus de cinq cents rivières qui dégorgent dedans,
sans parler de plus de six cents fontaines très-grosses
pour la plupart, de voir, dis-je, ce fleuve, changer et
prendre la couleur de soufre et la retenir durant
huit jours.
Quelques sauvages que la crainte avait chassés des
bois voulant retourner dans leur cabane, la trouvèrent
abîmée dans un lac, qui se flt en ce lieu-là. L'on a vu
^e grange proche de nous se coucher sur un côté,
puis sur l'autre, et enfln se replacer en son assiette \
A relise de Beaupré, qui est celle du Gbâteau-Richer,
la terre trembla si rudement le mercredi des cendres,
que l'on voyait trembler les murailles comme si elles
enasent été de carte. Le Saint-Sacrement, qui était
^posé, tremblait de même. Il ne tomba pas néanmoins,
ftyant été retenu par une petite couronne de fleurs con-
tre-faites (artificielles). La lampe, qui était éteinte, tomba
trois fois, mais l'ecclésiastique qui avait le soin de
cette église l'ayant fait allumer et remonter en son
lien, elle ne tomba plus.
Nous avons appris de ceux qui sont venus de Tadous-
sac que le tremblement y a fait d'étranges fracas.
(1) Ce ùâi darient plot facile à comprendre, quand on sait qae presque Uwtet
im eomatgmetàooM étmitnt en boia*
2ii4 LBTTRE8
Durant Tespace de six heures il a pla de la cendre
en si grande quantité, que sur la terre et dans les
barques il y en avait un pouce d'épais. L*on infère de
là que le feu qui est enfermé dans la terre a fait jouer
quelque mine, et que par Touyerture qall s'est faite,
il a jeté ces cendres, qui étaient comme du sel brûlé.
Ces messieurs disent que les premières secousses de
la terre les épouvantèrent extrêmement, à cause des'
étranges effets qu'elles causèrent ; mais que ce qui les
etlVaya le plus, et qui parut aussi le plus extraordinaire,
tùi que la marée, qui a ses heures réglées potir monter
et descendre, Qt qui baissait pour lors il j avait peu
de temps, remonta tout à coup avec un effroyable bruit.
Trois jeunes hommes étaient allés de compagnie
chercher des sauvages pour leur traiter de Teau-devie;
IHin deux sétant écarté pour quelque nécessité, il lui
apfMirut un spectre effroyable qui, de sa seule vue, pensa
1« AUk mourir de frayeur; il retourna aussitôt, quoi-
qaavee peine, joindre les deux autres, qui le voyant
ainsi «^rtravi^ commencèrent à le railler. U y en eat
an néanmoins qui rentra en lui-même, et qui dit : Il
nV a ivarUni pas ici de quoi rire; nons portons des
KMi$$iM>$ aux $auva^^e$ contre la défense de l'Eglise,
^t IViM nox)$ T^ui peui-étK punir de notre désobéis-
MtHV. A OM fvftTv\e;s^^ i'^s retiCUTcèrent sor leurs pas;
f^ ;^vr A {>^:iTï^ :\în»ii- Jis cahanés^ ^oe le tremUemest
<W|wrtJ^ i^^r oa^van;? i lecir raft, en «rce qalls eurent
/^rA -rï^^Y^ïW Si^r. â;? ia p^ir»^ à » sani^er. C<t accident
NNîTii *i)(i fw^wiî^vr i«r èî wci» çne îe Cad les persé-
Kr; rr.vî/^^; r.^ .^>^Tn*n £Vi à TaàiinMac il y avait
.NNA bT^î^rrtîi A-xKr^? c<:* •■iMÀwâaii; en Tsni. et incrai*
nN\>^w.i Avi !/^ v<i?>;i«(tk<^x 7i$ jLOXii à icnMBttl abîmés
DB LA MÈRE MARIB DB L*INGARNATION. 235
0t enfoncés au niveau du rivage. Et ce qui estmerveil*
leax, ils se sont avancés dans le grand fleuve plus avant
que la rivière de Loire nest large dans ses plus grandes '
crues. Ils ont retenu leurs arbres et leur verdure» et
aujourd'hui cest un plat pays. Je ne sais pas pourtant
qui osera y marcher le premier, quoique Tassiette ait
belle apparence. Un jeune homme de nos voisins allant
en traite, voulut descendre au bord d'une rivière qui
n'avait point encore paru, curieux de voir comme les
choses s'étaient faites ; dès les premiers pas, il enfonça
ei avant qu'il allait périr si on ne l'eut retiré, ce que
Ton fit avec peine.
Voilà le lieutenant de M. le Gouverneur qui arrive
de Tadoussac. Il rapporte que les tremblements y sont
encore aussi fréquents et aussi furieux que dans leurs
commencements. Ils arrivent plusieurs fois le jour
' et plusieurs fois la nuit. Cependant j'écris ceci le
dixième de juin, c'est-à-dire qu'il y a déjà quatre mois
et demi que ce fléau dure.
La chaloupe qui est arrivée à notre port il y a peu
de jours ayant laissé le grand vaisseau à Qaspé pour
prendre le devant, se trouva fort en pçine, étant proche
de Tadoussac. Nous avons appris du secrétaire de
M. le Gouverneur et d'un jeune homme de nos voisins,
qui retournaient de France, qu'elle sautait et tremblait
dune étrange manière, s'élevant par intervalles haut
conmie une maison; ce qui les effraya d'autant plus
qu'ils n'avaient jamais rien expérimenté de semblable
dans la navigation. Dans cette frayeur ils tournèrent
la vue vers la terre, où il y avait une grande et haute
montagne; ils la virent soudain remuer et tournoyer
comme pirouettant, et tout d'un coup s'enfoncer et
s'abîmer, en sorte que son sommet se trouva au ras
286 LBTTRB8
de la terre uni comme une glace. Cette rencontre leur
fit bien vite prendre le large de la riyière, de crainta
que le débris n'arrivât jusqu'à eux.
Le grand navire prenant quelque temps après la
mdme route, fut surpris du tremblement» Un honn^
homme qui était dedans m'a dit que tous ceux du
vaisseau croyaient être morts, et que ne se pouvant
tenir debout, pour l'effort de l'agitation, ils se mirent
tous à genoux et se prosternôrent sur le tillac pour
se disposer à la mort. Ils ne pouvaient comprendre
la cause d'un accident si nouveau : car tout le grand
fleuve, qui en ce lieu-là est profond comme ane mer,
tremblait comme la terre. Pour marque que la secousse
était grande, le gros câble du navire se rompit, et ils
perdirent une de leurs ancres, ce qui leur fut une perte
bien notable. J'ai su de ceux qui sont arrivés dans ces
vaisseaux qu'en plus de douze endroits dlci à Tadoûssae,
qui est distant de Québec de trente lieues, les grands
(Vacas causés par les secousses de la terre en plusieurs
endroits, principalement vers les deux caps dont j'ai
parlé, ont fait que les montagnes de roches se sont
ouvertes. Us ont vu quelques petites côtes ou éminences
qui si^ sont détachées de leur fondement et qui ont
Uis|viru, faisant de petites anses, où les barques et les
clialvHipoâ se pourront mettre à Tabri durant les tem-
P<(Mm. C'^t une chose si surprenante qu*on ne la peot
qua$^i oonc^voir. et tous les jours on apprend de sem-
hUN^ prodig^e^ L'on avait beaucoup de crainte que oes
KMili^t^rwiuents arriva sur les eôDes du grand fleave,
))V4i <Miip^>ha$s^iit la navifiration. mais enfin on Dd
oA'^it }vft$ ^u'i^^^ pui$$eiii nuiiv^ pourvu quon ne vogae
)\M»1 durw^i i;ft i)uù^ car akirs il t annit du péril.
:^) kx$i A^^.^.rt$ 01): ô)è ^ T^mMes du cteé de Tadousssc,
DB LA MËRE MARIB DE l'INGARNATION. 237
ils ne l'ont pas été moins du côté des Trois-Rivières.
Une personne de foi et de nos amis nous en a écrit
des particularités étonnantes. Et je n'en saurais faire
plus fidèlement le récit, qu'en rapportant ses propres
paroles. Les voici :
« La première et la plus rude secousse arriva ici le cin-
quième de février sut les cinq heures et demie du soir.
Elle commença par un bruissement, comme d'un ton-
nerre qui grondait sourdement. Les maisons étaient
dans la même agitation que les arbres dans une tem-
pête, avec un bruit qui faisait croire à plusieurs que
le feu pétillait dans les greniers. Les pieux de notre
palissade et des clôtures particulières semblaient dan-
ser; et ce qui était le pjus effroyable, fut que la terre
s'élevait à l'œil de plus d'un grand pied au-dessus de
sa consistance ordinaire, bondissant et roulant comme
des flots agités. Ce premier coup dura bien une demi-
heure. Il n'y eut personne qui ne crût que la terre
devait s'ouvrir pour nous engloutir. Néanmoins, comme
les maisons sont toutes de bois, car il n'y a pas de
pierre aux Trois-Rivières, l'effet extérieur se termina
à la chute de quelques cheminées. Mais les effets qui
paraissent les plus considérables se sont faits dans les
consciences, et ils ont heureusement continué jusqu'à
présent
« Au reste, nous avons remarqué divers symptômes de
cette maladie de la terre, s'il faut ainsi parler. Comme
les tremblements sont quasi sans relâche, aussi ne
sont-ils pas dans la même égalité. Tantôt ils imitent
le branle d'un grand vaisseau, qui se meut lentement
sur ses ancres, ce qui cause à plusieurs des étourdis-
sements de tâte; tantôt l'agitation en est régulière et
précipitée par des élancements qui font craquer les
238 LETTRES
maisons, surtout durant la nuit, que plnsienrs sont tm
pied et en prières. Le mouvement le plus ordinaire est
un trémoussement de trépidation, ce qa*on pourrait
attribuer à des feux souterrains, qui causent encore
un autre effet : car comme ils se nourrissent de matitoe
bitumineuse et ensouffrée quils consument, ils forment
en même temps dessous nos pieds de grandes concavités,
qui résonnent quand on frappe la terre , comme l'on
entend résonner des voûtes quand on frappe dessus. «
Voilà ce que Ton nous écrit des Trois-Rîviôres.
L'on assure aussi que Ton a vu un spectre en Pair
portant un flambeau à la main, et passant de TOuett
à l'Est par-dessus la grande redoute de ce bourg des
Trois-Rivières.*
Ce qui est hors de doute, selon le rapport de plusieurs
de nos sauvages et de nos Français des Trois-Rivières,
témoins oculaires, est qu'à cinq ou six lieues d'ici les
côtes de part et d'autre de la rivière, quatre fois plus
hautes que celles d'ici, ont été enlevées de leurs fon-
dements, et déracinées jusqu'au niveau de Teau, dans
l'étendue d'environ deux lieues en longueur, et de plas
de dix arpents en profondeur dans la campagne, et
qu elles ont été renversées avec leurs forêts jusque
dans le milieu du canal, y formant une puissante
digue qui obligera ce fleuve à changer de lit, et à w
répandre sur ces grandes plaines nouvellement décou-
vertes. Il mine néanmoins, et bat sans cesse par la
rapidité de son cours cette île étrangère, la démêlant
(la détrempant) peu à peu avec son eau, qui est encore
aujourd'hui si trouble et si épaisse, qu'elle n'est pto
(1 < Aujourd'hui cet ancieu bourg des Trois- Ri Tières est une ville épiaoopalc^
la provÎDce ecclésiastique de Québec.
M, »
DE LA MÈRE MARIE DE l'INGARNATION. 239
potable. Dans ce violent transport il 8*est fait un tel
débris, qu*à peine un arbre est demeuré entier, étant
pour la plupart débités en longueur comme des mâts
de navire.
Le premier saut si renommé n'est plus, étant tout
à fait aplani. Le ravage est encore plus grand et avec
des circonstances plus surprenantes vers la rivière de
Batiscan. Il y avait alors cinquante personnes de ces
quartiers, tant Français que sauvages, dans les liôux
où le tremblement a fait de plus grands ravages et
crusé de plus profonds abîmes. Comme ils ont tous
été dans Teffroi, et contraints de s'écarter pour se
garantir des précipices qui s'ouvraient sous leurs pieds,
je remarquerai seulement quelques circonstances que
j'ai tirées de quelques particuliers, car chacun n'ét«ait
attentif qu'à soi-même, et aux moyens de se sauver des
ouvertures qui se faisaient à ses côtés.
Ces mines naturelles ayant donc commencé à jouer
en ce lieu, aussi bien qu'ici sur le couchant du soleil,
le* cinquième de février, continuèrent leurs ravages
toute la nuit jusqu'à la pointe du jour, avec des bruits
comme d*un grand nombre de canons et de tonnerres
effroyables, qui mêlés avec celui des arbres de ces
forêts immenses, qui s'entrechoquaient et tombaient
à centaines de tous côtés dans le fond de ces abîmes,
faisaient dresser les cheveux à la tête de ces pauvres
errants. Un sauvage d'entre eux étant à demi engagé
^8 une ouverture qui se vit dans sa cabane, en fut
i^iré avec beaucoup de peine par ses compagnons.
Un Français s'étant échappé du même danger, et étant
^tourné pour prendre son fusil, que la crainte lui avait
fait oublier, fut obligé de se mettre dans l'eau jusqu'à
h ceinture, en un lieu où ils avaient auparavant fait
^4«»
.«A. .
.flitir >n. .1 s exposa i :e pôii. parce qae sa râ
l^nenUAir it^ ^on :isiu Izr^ ^aoragea usTicnant tous on
i^oriprs %nx .vmonâ. .Ji "Oidient en i'air, à ce qnlli
rij^aienr. ;t:.^a]<^r.t :e 'einza -m '.emps des décharges de
i^nrt ruiiil.s .ivef? le zraziaes oizêes pour les époaTanter
et :enr lonner la chasse. Zêcse ioirée et toate la nuit
iifl 3#»nrirenr 1.^^ .oad^ ie !haienr étonijhnties.
I/aatre-s aïonr ^snr4 yiils avaient va des mon-
tAf(n^n Ventrechonaer ^et iisparaitre à leurs yeux. D'u-
tre» ont ^n les ^uariers ie rocher s'élever en l'air
juanu'à la drue ies arr.res. J'ai parié à un qui courut
tonte la nuit, a mesure luîl voyait la terre s'ouvrir.
Ceux qui fraient plus éloignés et au-delà du grand
débris, a«sareat qu'eu rerouruanc ils ont côtoyé plm
fie dix lieues iiani^ eu avoir pu découvrir ni le commen*
cerment, ni la au. ni 30 ader la profondeur; et ils ajou-
tent r{ue côtoyant la rivière de Batiscan, ils ont trouté
de jff^nds charigementâ, uy ayant plus de sauts où ib
en avaient vu auparavant , et les collines étant toat
k fait enfoncées dans la terre. Il y avait ci-devant ane
hante montage, aujourd'hui elle est abîmée et rédoita
A un plat p^ys ;)ussi uni que si la herse 7 avait passé;
Y(9h voit reniement en quelques endroits quelques ezM-
rnit^m des arbres enfoncés, et en d'autres des racines
qui Houi demeurées en l'air, la cime étant abîmée dam
la k'iTe.
A la vMe do Beaupré, un maître de famille ayaot
piivo^'M un do Hcs domestiques à la ferme, cet homiDft
vit RiMidiiiii un fou grand et étendu comme une ville;
i|nfdi|Uo w U\\, on plein jour il pensa mourir de frayent
p|. tout lo voisinage, qui vit la même chose, en fat
oxirOtni'inont t^|u>uvanté, croyant que tout allait périr.
l)ti grniul lou ui^'unuoinâ ^e jeta du côté du fleuve, le
DE LA MÈRE MARIE DE L*INCARNATION. 241
sa et alla se perdre dans Tlle d^Orlëans. Un
e qui Ta va m*en a assurée, et c'est une personne
de foi.
:erre n'est pas encore affermie, et cependant nous
es au sixième de juillet, car je n'écris que par
es, et à mesure que j'apprends les choses. Les exha-
s brûlantes qui sont continuellement sorties de
re avaient causé une si grande sécheresse, que
les semences avaient jauni : mais depuis quelques
il y a eu des tourbillons et des orages furieux du
lu cap de Tourmente; cela surprit tout le monde,
arriva durant la nuit. Ce fut un bruit épouvan-
causé par un déluge d'eau qui tomba des monta-
ivec une abondance et une impétuosité incroyables.
Qoulins furent détruits et les arbres des forêts
inés et emportés. Ces nouvelles eaux firent chan-
cours de la rivière, son premier lit demeurant
lé et à sec. Une fort belle grange, qui était toute
I, fut emportée toute entière à deux lieues de là,
e se brisa enfin sur des roches. Tous les bestiaux
s côtés-là, qui étaient en grand nombre à cause
)lle8 et vastes prairies du pays, furent emportés
; rapidité des eaux. Plusieurs néanmoins ont été
s à la faveur des arbres, parmi lesquels s'étant
es mêlés, on les a retirés après que le fort du torrent
passé. Les blés en vert ont été entièrement ruinés ;
D-seulement les blés, mais encore toute la terre
pièce de douze arpents a été enlevée, en sorte
l'y est resté que la roche toute nue. Un honnête
le de nos voisins, qui était alors en ce lieu-là, nous
iré qu'en six jours qu'il y a resté, il n'a pas dormi
heures, tant les tremblements et les orages lui
onné de frayeur.
rra. m. ii.
16
242 LETTRES
Au même moment que le tremblement a commencé
à Québec, il a commencé partout, et a produit lei
mêmes effets. Depuis les monts de Notre-Dame jusqu'à
Montréal, il s'est fait ressentir, et tout le monde en a été
également effrayé.
La Nouvelle-Hollande n'en a pas été exempte, et \m
Iroquois qui en sont voisins ont été enveloppés dam
la même consternation que les sauvages de ces quar-
tiers. Comme ces secousses de la terre leur étaient
nouvelles, et qu'ils ne pouvaient deviner la cause de
tant de fracas, ils se sont adressés aux Hollandais pour
la demander. Ils leur ont fait réponse que cela voalait
dire que le monde ne durerait plus que trois ans. Je
ne sais d'où ils ont tiré cette prophétie.
Le 29 de juillet, il est arrivé à notre port de Québec
une barque de la Nouvelle- Angleterre. Les personnes
qui sont descendues de ce vaisseau disent qu'étant i
Boston, qui est une belle ville que les Anglais ont
bâtie, le lundi gras à cinq heures et demie ils eurent
le tremblement comme nous l'avons eu ici« et qull
redoubla plusieurs fois. Ils rapportent le mêmd de
TAcadie et du Port-Royal, place qui a autrefois appa^
tenu à M. le commandeur de Razilly, et qui a depuis
été emportée par les Anglais. L'autre côté de i'Acadie,
qui appartient à MM. de Cangé et Denis, de notre ville
de Tours, a ressenti les secousses comme partout
ailleurs. Cette barque nous a ramené cinq de nos pri-
sonniers Français, qui étaient captifs aux Iroquois
Agnerognons, et qui se sont sauvés à la faveur des
Hollandais, qui les ont traités fort humainement,
comme ils font de (à l'égard de) tous ceux qui se retirent
chez eux.
Des sauvages d un pays très-éloigné ont été pressés
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . 243
de se retirer en ces quartiers, plutôt pour se fairç
instruire et assurer leurs consciences que pour éviter
les tremblements qui les suivaient partout. Ils ont dé-
couvert une chose qu'on recherchait depuis longtemps,
savoir rentrée de la grande mer du Nord, aux environs
de laquelle il y a des peuples immenses, qui n*ont point
encore entendu parler de Dieu. Ce sera un grand
champ aux ouvriers de l'Evangile pour satisfaire à leur
zèle et à leur ferveur. On tient que cette mer conduit
à la Chine et au Japon ; si cela est, le chemin en sera
bien abrégé.
Je reviens à nos quartiers où nous sommes tou-
jours dans les frayeurs^ quoique nous commencions
à nous y accoutumer. Un honnête homme de nos
amis avait fait bâtir une maison avec un fort beau
moulin, sur la pointe d'une roche de marbre : la roche
dans une secousse s'est ouverte, et le moulin et la
maison ont été enfoncés dans l'abîme qui s'est fait.
Noos voici au treizième d'août; cette nuit dernière la
terre a tremblé fort rudement ; notre dortoir et notre
séminaire en ont eu une forte secousse, qui nous a
réveillées de notre sommeil, et qui a renouvelé notre
crainte.
Je ferme cette relation le vingtième du même mois
sans savoir à quoi se termineront tous ces fracas,
car les tremblements continuent toujours. Mais ce qui
est admirable parmi les débris si étranges et si univer-
sels, nul n'a péri, ni même été blessé. C'est une marque
toute visible de la protection de Dieu sur son peuple,
qui nous donne un juste sujet de croire qu'il ne se
fâche contre nous que pour nous sauver. Et nous espé*
rons qu'il tirera sa gloire de nos frayeurs, par la con-
version de tant d'âmes qui étaient endormies dans leurs
244 LETTRES
péchés, et qui ne pouvaient s'éveiller de leur soa^meil
par les simples mouvements d'une grâce intérieure.
De Québec, le 20 daoùt 1663,
Remarques sur la Lettre CLIX,
dans laquelle la Mère Marie de V Incarnation décrit le tremblement
de terre, arrivé au Canada en 1663.
La description que fait de ce tremblement de terre la yénérable
Mère Marie de Tlncarnation est tellement merveilleuse, que Ton serait
tenté de croire à une grande exagération, si sa vie bien connue oe lâ
montrait exempte de ce défaut, restant calme et maîtresse d*6]le-méiD6
dans des circonstances où presque personne ne serait capable de con-
seryer son sang-froid, et si elle était seule à s'exprimer comme elle
le fait sur ce prodigieux événement. Mais les écrivains du temps,
comme le Père Jérôme Lallemant, nommé par deux fois supérieur
des missions du Canada, et la religieuse qui rédigeait les AnnalM
de THôtel-Dieu de Québec, confirment ce que raconte notre vénérable
Mère. Le Père Charlevoix, plusieurs écrivains américains et M. Tabbé
Ferland, Thistorien par excellence du Canada, ont manifesté leur
étonnement et leur admiration en reproduisant ces récits ; mais ils
n*ont pas eu la pensée de les révoquer en doute.
Seul, Thistorien canadien Garneau a traité la chose avec légèreté,
mais son autorité est singulièrement amoindrie pour ceux qui savent
qu*ajant séjourné quelque temps à Paris vers 1830, il eut la faiblesse
de prendre goût aux leçons de Michelet, ce qui ne put avoir lieu eaos
endommager quelque peu sa foi primitive et lui inspirer des préven-
tions ou au moins de la défiance pour les personnes qui font passer
la foi et la piété avant tout. Peut-être, sans Tinfluence de latmosphère
parisienne, n*eùt-il pas exprimé le regret que les Huguenots qui se
bannirent eux-roémes de France par attachement à une religion qulls
Hvouôront n*dtro nullement nécessaire au salut, ne soient pas venus
HU C'unada.
DE LA MËRB MARIE DE l'INGARNATION. 245
Disons cependant à la louange de Garneau que, même après son
TOjage en France, il resta fidèle à la pratique des devoirs da catho-
licisme. Mais pour mieux faire juger la manière dont il apprécie le
récit de la yénérable Mère Marie de Flncarnation, nous allons repro-
duire celui du Père Jérôme Lallemant, qui devait être et fut en effet
rendu public Tannée suivante, 1064 ; par conséquent Tauteur savait
qa*il serait lu et jugé comme historien par tous les témoins oculaires
des choses qu*il racontait.
CHAPITRE I.
«
Trois soleils et autres météores apparus en la Nouvelle-France.
•
« Le ciel et la terre nous ont parlé bien des fois depuis un an....
Le ciel a commencé par de beaux phénomènes, la terre a suivi par
de furieux soulèvements.... Nous avons vu dès Tautomne dernier des
serpents embrasés, qui s'enlaçaient les uns dans les autres en forme
de caducée, et volaient par le milieu des airs, portés sur des ailes de
feu. Nous avons vu sur Québec un grand globe de flammes, qui faisait
un assez beau jour pendant la nuit, si les étincelles qu*il dardait de
toutes parts n'eussent mêlé de frayeur le plaisir qu'on prenait à le voir.
Ce môme météore a paru sur Montréal ; mais il semblait sortir du sein
de la lune, avec un bruit qui égale celui des canons ou des tonnerres ;
et s'étant promené trois lieues en Tair, fut se perdre cnôn derrière les
grosses montagnes dont cette île porte le nom.
» Mais ce qui nous a paru plus extraordinaire est l'apparition de
trois soleils. Ce fut un beau jour de l'hiver dernier, que sur les huit
heures du matin, une légère vapeur presque imperceptible s'éleva
de notre grand fleuve, et étant frappée par les premiers rayons du
soleil « devenait transparente, de telle sorte néanmoins qu'elle avait
assez de corps pour soutenir les deux images que cet astre peignait
dessus. Ces trois soleils étaient presque en ligne droite, éloignés de
quelques toises les uns des autres, selon l'apparence, le vrai tenant
le milieu et ayant les deux autres à ses côtés. Tous trois étaient cou-
ronnés d'un arc-en-ciel, tantôt paraissant avec les couleurs de l'iris,
puis aprôs d'un blanc lumineux, comme si au-dessous, tout proche, il
j eût eu une lumière excessivement forte.
246 LETTRES
• Ce spectacle dura plus de deux heures la première fois quMl parat.
C'était le septiôme de janvier 1663; et la seconde, qui fat le 14 da
même mois, il ne dura pas si longtemps, mais sealement josqo^à ce
que les couleurs de Tiris venant à se perdre petit à petit, les deux
soleils des cdtés 8*éclipsèrent aussi, laissant celui da milieu comme
victorieux.
CHAPITRE II.
Tremble-terre uoÎTenel en Canada et sea effeu prodigieoz.
* Cl) fut le cinquième février 1663, sur les cinq heures et demie
du $oir. qa*an grand bruissement s*entendii en même temps dans toote
retendue du Canada. Ce bruit qui paraissait comme si le feu eût été
dan$ lets maisons, en fit sortir tout le monde, pour fuir un incendia
si i2h>ptnê; mais an lieu de voir la famée et Im flamme, on fut bies
surpris de voir les muraiUds se balancer, et toutes les pierres se
r^mui^r» «»mme si elles se fussent déuu^hées. Les toits semblaieot
se cvHLTber en bas d'un côte, puis se renverser de lautre; les clocbes
^csaaaien; d>l!e^Kéaie:^ : le^ roa:re$« les soliveaux et les planchm
v*?» v^^^i^^^ « ^^ ^'^'^^ bondissa:;« fusant danser les pieux des palissades
<â>Kae facv>a «^ui ce rjkraiss;&:t pj^ ofcvuble, si nous ne Feussions voe
e:x cirer* ecinxts.
• Al.vr* .4n^c:: svxrt deic^r?^ I« ari-^a^x s'enraient, les en£uita
pC^<:?^c.; i*:;* I« ruc*^ I^« ^csi:?s et 1» rVziaes saisis de frayeur
»<? **x^«rt C'ii *^ rv^^jT.ir'. jVJjMui: a :cc:: ncdic; devoir éire ou acca-
KhAI^ ;jcv;4 ^>e« r::i::^iS' i^$ im:^*^^ c;^ eiz^ev^lis dizs qselque abîme qui
$V.l^t o<ivrî,r 5cc:ii I,'cr* riseCs. Le» zis^ rrcusercês à genoax dam
'a *sn\^ x'Twa; 5i'.:îj»^r,vwi>f ; *•» A^rr» riissea: ie r^ste de la nuit a
'5Vv>?<v^ rjkrvv ^^-^ Iv^» :,*rry^<:?!fiii>ù* cca'X^ii îccjccps avec un certain
>c:^>.''^ ïivx$ic^^ ««'^dk>k^^ 1 c^vi, i^ :::Avir» -x: sec: siir mer, et tel
<,(V <;'^/v;i>W';i^^# oa; Tv«s*ra.. tat ,•«* McciCKses I» sÀaès soulève-
-sv.^ ;j{ ,v ,NV r :x^ .* ^c^vf ^^T^i^'T . $u^ .^iai. le iêscirire êcait bien plas
i^xU'^.f /AT* >w vc',^^!:. , «t»>ix^ rtU ▼ *n .vaLTitt ea3e les arbres,
;/' >v» Kv^xv»ï, j^^^.rrîi*/. .^-^ i>.'Q^^.;i!iimiias jiurs branches, mût
DE LA MËRE MARIE DE l'INGARNATION. 247
sauter les uns sur les autres, avec un fracas et un bouleversement qui
fit dire & nos sauvages que toute la forêt était ivre.
» La guerre semblait être même entre les montagnes, dont les unes
se déracinaient pour se jeter sur les autres, laissant de grands abîmes
aux lieux d où elles sortaient ; et tantôt enfonçaient les arbres dont
elles étaient chargées, bien avant dans la terre ; tantôt elles les enfouis-
saient les branches en bas, qai allaient prendre la place des racines ;
de sorte qu'elles ne laissaient plus qu'une forêtide troncs renversés.
• Pendant ce débris général qui se faisait sur terre, les glaces
épaisses de cinq ou six pieds se fracassaient, sautant en morceaux
et 8*ouvrant en divers endroits, d'où s'évaporaient ou de grosses
famées, ou des jets de boue et de sable qui montaient fort haut dans
l'air. Nos fontaines ou ne coulaient plus, ou n*avaient que des eaux
ensoufrées ; les rivières ou se sont perdues, ou ont été toutes corrom-
pues, les eaux des unes devenant jaunes, les autres rouges ; et notre
grand fieuve de Saint-Laurent parut tout blanchâtre jusque vers
Tadoussac : prodige bien étonnant et capable de surprendre ceux qui
savent la quantité d'eaux que ce fleuve roule au-dessous de l'Ile
d'Orléans, et ce qu'il fallait de matière pour les blanchir.
» L'air n'était pas exempt de ces altérations ; car outre le bruisse-
ment qui précédait toujours et accompagnait le terre-tremble, l'on a vu
des spectres et des fantômes de feu portant des flambeaux en main.
L'on a vu des piques et des lances de feu voltiger, et des brandons
allumés se glisser sur nos maisons, sans néanmoins faire autre mal
que de jeter la frayeur partout où ils paraissaient. On entendait même
comme des voix plaintives et languissantes se lamenter pendant le
silence de la nuit ; et ce qui est bien rare, des marsouins blancs jeter
de hauts cris devant le bourg des Trois-Rivières, faisant retentir l'air
de beuglements pitoyables....
• On mande de Montréal que pendant le tremble-terre, on voyait
les pieux des clôtures sautiller comme s'ils eussent dansé ; que de deux
portes d'une même chambre» l'une se fermait et l'autre s'ouvrait d'elle-
même; \\XQ les cheminées et le haut des logis pliaient comme des
branches d*arbres agitées du vent ; que quand on levait le pied pour
marcher, on sentait la terre qui suivait, se levant à mesure qu'on
haussait les pieds, et quelquefois frappant les plantes assez rudement,
et autres choses semblables fort surprenantes.
>* Yoici ce qu'on en écrit des Trois-Riviôres : « La première secousse
248 LBTTRB8
» et la plus rade de tontes commença par nn bmissement semblable
«* à celai dn tonnerre; les maisons aTaient la même agitation que la
«• coupeaa (la citoe) des arbres pendant an orage, avec on bruit qui
n faisait croire que le fea pétillait dans les greniers.
n Ce premier coap dara bien nne demi-heare, qaoiqae sa grande
*> force ne fût proprement qne d*un petit quart d'heore. Il vlj en eot
n pas an qui ne crût que la terre dût 8*en(r*oavrir. Aa reste, nous aTOUS
>* remarqué que, comme ce tremblement est quasi sans relÂche, aosn
» n*est-il pas dans la même égalité : tantôt il imite le branle d'an grand
n vaisseau qui se manie lentement sur ses ancres, ce qai caase & pla-
n sieurs des étourdissements de tète ; tantôt Tagitation est irrëguliére
» et précipitée par divers élancements, quelquefois assez rudes, quel-
>* quefois plus modérés. Le plus ordinaire est un petit trémoussemeat
>* qui se rend sensible lorsque Ton est hors du bruit et en repos. Selon
*» le rapport de plusieurs de nos Français et de nos sauvages, témoiai
^ oculaires, bien avant dans notre fleuve des Trois-Riviôres, à doq
•• ou six lieues d*ici, les côtes qui bordent la rivière de part et d'autre
n et qui étaient d'une prodigieuse hauteur, sont aplanies, ayant été
» enlevées de dessus leurs fondements et déracinées jusqu'au ni?eaa
^ de l'eau. Ces deux montagnes, avec toutes leurs forêts, ayant ià
n ainsi renversées dans la rivière, j formèrent une puissante digtie,
*> qui obligea ce fleuve à changer de lit et à se répandre sar de grandes
•* plaines nouvellement découvertes , minant néanmoins tontes oei
*> terres éboulées, et les démêlant petit à petit avec les eaux de U
- rivière, qui en sont encore si épaisses et si troubles, qu'elles font
** changer de couleur à tout le grand fleuve de Saint-Laurent. Jugex
» combien il faut de terre tous les jours pour continuer depuis prés
«* de trois mois à rouler ses eaux toujours pleines de fange.
" L'on voit de nouveaux lacs où il n'y en eut jamais ; on ne voitplos
» certaines montagnes qui sont engouffrées; plusieurs sauts sost
*• aplanis ; plusieurs rivières ne paraissent plus ; la terre 8*est fendue
" en bien des endroits et a ouvert des précipices dont on ne trouva
H point le fond. Enfin il s'est fait une telle confusion de bois renversés
•* et abîmés, qu'on voit à présent des campagnes de plus de mille
•^ arpents toutes rases et comme si elles étaient tout fraîchement làboa*
- rées, là où peu auparavant il n'y avait que des forêts. »
•* Nous apprenons du côté de Tadoussac que l'effort du tremble-
terro n'y a pas été moins rude qu'ailleurs ; qu'on y a tu une plaie
DE LA MâRE MARIE DE l'INGARNATION. 249
I cendre qai traversait le fleuve comme aurait fait uu gros orage,
que qui voudrait suivre toute la côte depuis le cap de Tourmente
sque là, verrait des effets prodigieux. Vers la baie dite de Saint-
lul, il 7 avait une petite montagne sise sur le bord du fleuve, dun
lart de lieue ou environ de tour, laquelle s*est abîmée; et comme
elle n'eût fait que plonger, elle est ressortie du fond de Teau pour se
anger en îlette, et faire d*un lieu tout bordé d*écueils un bâvre d*assu-
nce contre toutes sortes de vents. Plus bas, vers la Pointe-aux-
ouettes, une forât entière 8*é(ant ^étacbée de la terre ferme, s*est
issée dans le fleuve et fait voir de grands arbres droits et verdoyants,
i ont pris naissance dans Teau du jour au lendemain.
» Au reste, trois circonstances ont rendu ce tremble-terre trôs-
marquable : La première est le temps qu'il a duré, ayant continué
sque dans le mois d*août, c'est-à-dire plus de six mois ; il est vrai
le les secousses n*ëtaient pas toujours également rudes : en certains
idroits, comme vers les montagnes que nous avons à dos, le tinta-
larre et le trémoussement j a été perpétuel pendant un long tmnps ;
iid*autres, comme vers Tadoussac, il y tremblait d'ordinaire deux
t trois fois le jour avec de grands efforts, et nous avons remarqué
Q*aQx lieux plus élevés, Témotion (l'agitation du sol) était moindre
n'du plat pays.
• La seconde circonstance est touchant l'étendue de ce tremble-
>rre, que nous croyons être universel en toute la Nouvelle- France;
ur nous apprenons qu'il s'est fait ressentir depuis l'Ile-Percée et
^é, qui sont à l'embouchure de notre fleuve, jusqu'au delà de Mon-
réal, comme aussi en la Nouvelle-Angleterre, en l'Acadie et autres
teux fort éloignés : de sorte que, de notre connaissance, trouvant
.^e le tremble-terre s'est fait en deux cents lieues de longueur sur
^t de largeur, voilà vingt mille lieues de terre en superflcie qui ont
'^blé tout à la fois en même jour et à même moment.
?>La troisième circonstance regarde la protection particulière de
^hu sur nos habitations : car nous voyons proche de nous de grandes
tirertures qui se sont faites et une prodigieuse étendue de pays toute
ordae, sans que nous ayons perdu un enfant, non pas même un
beveu de la tête. Nous nous voyons environnés de bouleversements
! de ruines, et toutefois nous n'avons eu que quelques cheminées
fmolies, pendant que les montagnes d'alentour ont été abîmées.
m Nous avons d'autant plus de sujet de remercier le Ciel de cette
250 LBTTRB8
protection tout aimable, qu'une personne de probité et d*une vie irri'
procbable, qui avait eu les pressentiments de ce qui est arrifé al
qui s*en était déclarée a qui elle était obligée de le faire, Tit en espnti
le soir même que ce tremble-terre commença, quatre spectres efEroji-
bles, qui occupaient les quatre cétés des terres voisines de Québec,
et les secouaient fortement, comme voulant tout renverser....
» Les sauvages avaient eu des pressentiments, aussi bien que bi
Français, de cet horrible tremble-terre. Une jeune fille sauvage algoa-
quine, âgée de seize à dix-sept ans, nommée Catherine, qui a toigoon
vécu 0n grande innocence... a déposé avec toute sincérité que, la noit
avant que le tremble-terre arrivât, elle se vit, avec deux autres filki
de son âge et de sa nation, dans un grand escalier qu'elles montsient,
au haut duq^uel se voyait une belle église où la sainte Vierge afae
son Fils parut, leur prédisant que la terre tremblerait bientôt, que
les arbres s^entre-choqueraient, que les rochers se briseraient aiae '
rétonnement général de tout le monde. Cette pauvre fille, bien surpriw
de ces nouvelles, eut peur que ce ne fussent quelques prestiges da
démon... Le soir du même jour, quelque peu avant que commeaclt
le tremble-terre, elle s*écria toute hors de soi : Ce sera bi^tétl os
sera bientôt I
» Voici une autre déposition bien plus particularisée, que nous aYOU'
tirée d'une autre sauvage algonquine, âgée de vingt-six ans, fort
innocente, simple et sincère, laquelle ayant été interrogée par deux,
de nos Pères sur ce qui lui était arrivé, a répondu tout ingénuemeot,
et sa réponse a été confirmée par son mari, par son père et par s»
mère, qui ont vu de leurs yeux et entendu de leurs propres oreilles
ce qui s'ensuit. Voici sa déposition :
n La nuit du 4 au 5 février 1663, étant entièrement éveillée et ai
plein jugement, assise comme sur mon séant, j*ai entendu une Toix
distincte et intelligible qui m*a dit : Il doit arriver aujourd'hui def
choses étranges, la terre doit trembler. Je me trouvai pour lors saisis
d'une grande frayeur, parce que je ne voyais personne d'où pût pro-
venir cette voix. Remplie de crainte, je tâchai de m'endormir avec asseï
de peine ; et le jour étant venu, je dis tout bas à Onnentakité, mon
mari, ce qui m'était arrivé. Mais lui m'ayant rebutée, disant qoeje
mentais et lui en voulais faire accroire, je ne parlai pas davantage.
Sur les neuf ou dix heures du même jour, allant au bois pour bûcha
(oouper du bois), à peine étais-je entrée dans la forêt, que la môme
DE LÀ MËRE MARIE DE L'INGARNATION. 251
t entendre, me disant la môme chose et de la môme façon
t précédente. La peur fut bien plus grande, moi étant tonte
regardai de tous côtés pour voir si je n'apercevrais personne,
ne parut. Je bûchai donc une charge de bois, et m*en retour-
ma sœur à ma rencontre, à laquelle je racontai ce qui me
rriver. Rentrant dans la cabane avant moi, elle dit à mon
ma mère ce qui m*était arrivé; mais comme tout cela était fort
laire, ils Técoutèrent sans réflexion. La chose en demeura
cinq ou six heures du soir, où un tremblement de terre
, ils reconnurenX que ce qu*ils m'avaient entendu dire avant
it que trop vrai. *»
vons voulu rapporter en entier le récit du Père Lallemant,
e lecteur puisse voir lui-môme combien il s'accorde avec celui
e Marie de Tlncarnation. Il est bon de remarquer en môme
3 le Jésuite et la vénérable Mère rapportent non-seulement
mt va de leurs yeux, éprouvé et senti durant six mois, mais
eur écrivait simultanément de tous les points du Canada,
ons pas, en outre, que si le Père Lallemant se fût laissé
xagération, les habitants du Canada, Français et sauvages,
n après, eurent connaissanc.e de sa relation, n'auraient pas
ie réclamer : or les réclamations eurent précisément lieu
sens opposé : car voici ce qu'on lit dans la relation de
rite par le Père Le Mercier, qui avait remplacé le Père
t dans la charge de supérieur des missions : « Deux Français
y foi, qui ont parcouru toutes les côtes de Tadoussac et de
yOy ont assuré que la relation de l'année 1663 n'avait exprimé
tié les désordres causés par les tremblements de terre en
iers. «
i
«f ^Vf» ^ «^ '/t^smaXÊt jLàX 'jBRnaâàB: poor iob eoTOjer
m Mftiirtn te ,;;rad 'zsmnioDBaK éa terre que nom
#*f ^vw ^fpéfimmixé mi <^ psvs depins fe eisqoième de
tArff^^f ,M/vtM r^xo^îrrnx^ntnTis oieore^ et aoQs ne Bavons
f)''i4/V^. Ar /^n6i U ji#!: termini^ra, a'ëtant pas encore entiè*
f^ffr^ffi ^Ann4. ^on en lentoDS des secousses de tempi
^tf iMtfffU, \é^n^\n0i\\^f bien qaelles ne soient pas violen*
/^«, Uh \H)nfmui phê (ïeffnjer la natare, qui appréhende
^l> |rMHf tl f94i nVmt fait, grâces à Diea, aucun fracas
flMXM ihn i\h\\n htih\l6n, mais il s'en est beaucoup fait
IhmI MiiliMir (In nouN. Il faut mourir une fois et non
|<liiH! Ni IHmii viMil. quo nous mourions de ce genre
(1»^ >HMtf^ hM Duii il P<^* Tagrëer? La mort est la peine
tiM \\M\\^^ s\\ Moun mourions tous comme criminels.
N^'•«t v\^ |M^ ^w 1^1^^ ^^^ \U^gner au coupable la nature
\h ^'Mw t\s\y\\\\s^s[ *^l ^^v^^ |vi* 5i(U c^mpable de lechoiairl
DE LA MARB marie DE L*INCARNATION. 253
livine volonté, pour accomplir en moi son bon
f
•
Iroquois nous laissent en paix, nous n'en savons
raison, sinon peut-être que les tremblements de
les épouvantent aussi bien que nous : ou plutôt
otre bon Dieu ayant pitié de nos faiblesses, ne
as nous affliger en toutes manières ; qu*il en soit
ternellement.
ce peu que je vous écris, vous pouvez juger que
^position est assez bonne tant pour le corps que
Tesprit : toujours dans sa tranquillité ordinaire,
le nos affaires extérieures soient assez grandes,
ys porte (occasionne) cela, surtout quand- on est
les charges principales. J*en appréhende une,
le je ne veuille que ce qu il plaira à notre bon
car je m'abandonne à la conduite de son esprit,
isseau qui lève lancre me presse extraordinai-
t, c'est pourquoi il me faut finir,
là une éclipse de soleil qui commence, il est entre
t une heure : si elle paraît en vos quartiers ce
tre sur les sept heures du matin, je ne vous en
ire Fissue, car il me faut fermer ma lettre.
e Québec, le 1^ de septembre 1663.
i
254 LETTRES
LETTRE CLXI.
AU MÊME.
•
Elle est remicê contré ton gré dans la charge dé sopérieure. — DitpoiHkni
admirables de son intérieur dans les tremblements de terre. — DiSkmot
de l'union avec Dieu dans les affaires extérieures et dans le temps de ronÛMs. ,
Mon très-cher fils,
Le retardement de votre lettre, qui ne vient que de
m*être rendue, ne me permet pas de m'entretenir long-
temps avec vous. Je vous dirai seulement, afin que vom
ayez compassion de moi , que nos élections ont ëé
faites, et que la charge de la Communauté est tombée
sur mes épaules. Le fardeau est lourd et difficile à
porter dans un pays comme celui-ci ; mais enfin il fant
se consumer jusqu'à la fin. J'aurai soixante et quatre
ans le vingt-huitième de ce mois ; n'avais-je donc pas
raison de résister à mon élection, afin de demeurer eo
repos et de me disposer à la mort? Mais il ne faut plus
rien dire, le plus parfait est de se taire et de se soumettre
aux ordres de Dieu, et de ceux qui nous tiennent sa
place.
Je vous ai envoyé le récit des tremblements épou-
vantabl^s qui sont arrivés dans tout le Canada, et qui
n*ont pas moins fait trembler les hommes que la terre.
Tour mon particulier, je n*en ai pas été plus émue,
Notre -Seigneur mayaut donné des sentiments bien
DE LA MÈRB MARIE DE l'iNGARNATION. 255
différents de ceux de la crainte. Car je vous dirai en
passant que j'ai été plus de deux mois qu'il ne se passait
jour que je ne me misse en disposition d'être engloutie
toute vive dans quelque abîme, parce qu'on ne savait
pas où ni quand un tremblement si violent ferait
rupture. Il l'a faite en divers endroits, comme vous le
▼errez dans la relation que je vous en fais. Il n'a néan-
moins blessé personne, notre bon Dieu ayant voulu
faire miséricorde à son peuple et lui donner le temps
de faire pénitence.
Puisque j'ai commencé à vous dire mes dispositions
intérieures dans ces rencontres, je vous avouerai ingé-
nuement que je n'ai jamais expérimenté d'état qui m'ait
mise dans qn si grand dépouillement de la vie et de
tout ce qui est au monde. J'avais dans mon esprit une
impression de ces paroles du Fils de Dieu : La Sagesse est
justifiée par ses enfants. (Luc. vu, 35.) Je ressentais en
même temps dans mon âme une émotion qui me faisait
approuver le procédé de Dieu , et qui me pressait de
chanter dans ce même fond (sur ce sujet) quelque chose
de grand pour le louer et bénir d'un accident qui mena-
çait tout le monde de sa ruine. Je sentais encore une
pente de tout moi-même qui me portait à m'offrir à la
divine Majesté pour être la victime de tous les péchés
des hommes, qui l'avaient obligé de faire 1^ châtiment
que nous avions devant les yeux. Pour cet effet, je dési-
rais d'être chargée de tous ces péchés, comme s'ils m'eus-
sent été propres, afin d'en recevoir seule le châtiment.
J'eusse voulu même que toutes ces abominations eussent
paru aux yeux des hommes comme mes propres crimes.
Tout moi-même était dans cette pente et en ce désir,
sans pouvoir prendre d'autre disposition que de bénir
sans cesse le souverain pouvoir de sa divine Majesté
:i36
àur toote .a lamre. ^ sur *oaa hes cœurs quand il les
veut ébraniêr. Lcs zrosBes Tiontagnw et toat ce grand
fond <ie manire :onr ces contrées sont toutes composées,
ne loi sont .ne les pailles a mouvoir, et tant de per-
sonnes \\ie a avaient pu iéeûir les foudres de TEgliae,
se sont amoiiies et ohan^ees eu un moment. Au même
temps qu'il noos a epouvaniés par la secousse des choeei
qui nous portent et qui nous enyironnent, nous avoiii
eu ia consolation de voir des cœurs inflexibles et enda^
cis s'amollir et ievenir aussi souples que ces marbres
dans le temps <Ie leurs mouvements. ACais de mes
dispositions venons aux vôtres.
Je bénis Dieu de la santé et des forces qull vous
donne, puisque vous les employez à son service. Pour
vos dispositions intérieures, elles me paraissent con*
formes à Tétat où il vous appelle. Prenez garde néan-
moins de vouloir trop avancer avant le temps. Qoand
il voudra que, nonobstant vos occupations extérietares,
vous ne le perdiez point de vue, il fera cela lui-même.
Et de plus, quand son esprit se sera rendu le mmtre
du vôtre, et qu'il se sera emparé de votre fond poar
voQs tenir dans l'union intime et actuelle avec sa divine
Majesté par une vue d'amour, toutes vos occapations
ne vous pourronc distraire de ce divin conmierce. Je
dis dans ce fond, parce qu'il n*est pas possible de traiter
en ce monde des affaires temporelles sans s j appliquer
avec l'attention convenable du jugement et de la raison.
En cet état d'union et de commerce avec Dieu dans la
suprême partie de lame, on ne perd point sa sainte
présence ni ce divin entretien avec lui; mais il (mi
faire cette distinction, qu*il y a deux manières de
s'entretenir et de jouir : lune est que quand.on est dans
^JMI' ^llf^''''''^^'' actuelle est plus libre ; non quelle
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 257
ne le soit toujours; parce que c'est le Saint-Esprit,
principe de la vraie liberté, qui en est Tauteur et le
moteur : au lieu que dans les affaires extérieures une
partie de Tâme est occupée au dehors, le jugement
et les autres facultés nécessaires à ces affaires étant
obligés d*y mettre leur application, et en quelque façon
de se distraire. C'est néanmoins dans ces rencontres
qne servent les vertus cardinales^ et toujours, nonobs-
tant la distraction, avec quelque sorte d'union. La
différence de ces deux sortes d'union et d'entretien avec
Dieu, est, que quand on est actuellement occupé au
dehors, l'union est d'un simple regard vers son divin
objet, et on ne lui parle que par de petits moments,
quand il le permet et qu'il y donne de l'attrait. Mais
quand l'âme est dans un plein repos et qu'elle est
entièrement dégagée de l'embarras des affaires, elle est
plus épurée du sens, et alors elle traite et converse avec
Dieu comme un ami fait avec son ami.
Vous avez raison de dire que votre perfection consiste
à faire la volonté de Dieu. Vous serez toujours dans
rembarras des affaires conformes à votre état ; et dans
cet embarras il vous donnera la grâce de cette union
actuelle, si vous lui êtes fidèle. Son Esprit-Saint vous
donnera le don de conseil pour tout ce qu'il voudra
conmiettre à vos soins, de sorte que vous ne pourrez
rien vouloir que ce qu'il vous fera vouloir, ni faire que
ce qu'il vous fera faire. Voilà où son esprit vous appelle.
et où vous arriverez selon le degré de votre fidélité.
Et ne vous étonnez point si vous voyez des défauts
dans vos actions; c'est cet état d'union où l'esprit de
Dieu vous appelle qui vous ouvre les yeux. Plus cet
esprit vous donnera de lumière, plus vous y verrez
d'impuretés. Vous tâcherez de corriger celles-là; puis
LBTTR. M. II. 17
258 LETTRES
d'autres, et encore, d'autres; mais vous remarquerez
qu'elles seront de plus en plus subtiles et de différente
qualité. Car il n'en est pas de ces sortes d'impuretés
ou défauts comme de celles du vice ou de l'imperfectioii
que l'on a commise par le passé, par attachement» oo
par surprise, ou par coutume. Elles sont bien plus
intérieures et plus subtiles, et l'esprit de Dieu, qui
ne peut rien souffrir d'impur, ne donne nulle trêve i
l'âme qu'elle ne travaille pour passer de ce qui est plos
pur à ce qui l'est davantage. Dans cet état de plus
grande pureté l'on découvre de nouveaux défauts encore
plus imperceptibles que les précédents, et le même
Esprit aiguillonne toujours l'âme à les chasser et à s^
purifier sans cesse. Elle se voit néanmoins impuissante
à s'en garantir, mais l'Esprit de Dieu le fait par d(
certaines purgations ou privations intérieures, et pai
des croix conformes, ou plutôt contraires à l'état dont il
la purifie. Ma croix en ce point est souvent l'embarn
des affaires oîi je me trouve presque continuellement —
Prenez-y garde, vous trouverez cela en vous.
Je prendrais un singulier plaisir de m'entretenir avecHJ
vous de ces matières spirituelles, selon les question:
que vous m'en faites; mais quand je le pense, ou qa<
je veux le faire, l'occupation m'en dérobe le temp* -
J'écris bien vite, mais il y a plus de deux heures
que je suis à ce bout de lettre. Sans cesse on m^
distrait, et autant de fois je reprends la plume sans
pouvoir finir.
Pourquoi avez -vous tant de répugnance d'aller
demeurer en votre pays? C'est là une imperfection. H
y faut voler si Dieu le veut ainsi. Ce n'est pas que je ne
vous excuse sur les grands embarras que vous dites
qu'il y faut essuyer; mais le don de force vous y attend
DB LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 259
>ieu vous y veut. Le temps me presse, il me faut
r malgré moi. Adieu, mon très-cher fils.
e vous ai envoyé par une autre voie le récit des
tablements de terré arrivés en Canada. Ils ont agité
n quatre cents lieues de pays. Je l'ai écrit en forme
journal; ainsi ne trouvez pas étrange si vous ne
^ez pas de suite en quelques endroits ; c'est que j'ai
urdé l'ordre du temps plutôt que celui des matières,
n'y a rien qui ne soit véritable.
. De Québec, le 18 d'octobre 1663.
LETTRE CLXIL
A UNE SUPÉRIEURE d'uRSULINES.
lui parle d'une réponse à des questions qu'on lui avait faites, réponse dont
^«a chargé une de ses jeunes religieuses. — Difficulté de soumettre les filles
^uvages à la vie cloîtrée. — Elle lui envoie une description en vers du trem-
^ment de terre. — Promesse d'envoyer un pied d'élan quand la saison le
^rmettra.
Ma révérende et très-honorée Mère,
Votre sainte bénédiction.
Nous avons reçu votre lettre si tard, que les navires
mt près de s'en retourner en France, il m'a fallu
iprunter la main d'une de nos jeunes professes, fille
ne des principales familles de ce pays, pour pouvoir
isfaire aux questions qu'il vous a plu me proposer,
us verrez bien que ce n'est pas une sauvage, quoi-
260 LETTRES
qu'elle soit native de ce pays, où lee esprits sont fort
bons, doux et dociles. Nous en ^ avons quatre, et lei
autres sont venues de France, t^ unes séculières, lei
autres, comme nous qui avons fondé , religieuses
professes.
Nous avons fait épreuve des filles sauvages, elles
ne peuvent durer en clôture. Leur naturel est fort
mélancolique, et la liberté d'aller où elles veulent étant
retenue, augmente cette mélancolie. Nous en avons
élevé à la française, qui savent lire et écrire; nous les
avons mariées avec des Français ; les révéreiirift Pères
et nous, nous sommes cotisés pour cela. Il nooft mi coûta
Tannée passée, pour le trousseau de deux, six cents
livres; nous les avons nourries et entretenues fane
un an« 1 autre quatre. Elles savent lire et écrire et sont
fort bien pourvues» habiles en leur ménage, aussi sages
et posées que des Françaises. On les prend pour Fran-
çaises^ parce qu*en leur prononciation elles ne difièrent
point des Françaises.
U fiiut que je vous dise, ma très-honorée Mère, qu'il
eett X1NIU des filles ^n ce pajs-cî, qui sont de vos qoar-
tii^r^» et entre autres une qui a demeuré à la Visitation.
KUi> dit v^uon leur a donn^* .aux \lsitandine8), contre
Yv^r^ Yv^>ttU\ une maison qui est vis-à-vis de votre
UHXuiisti^r^. par où i» allait sous terre; il me semble
^wir eâti^ttdu puier à nos M^fes de France de cette
IU4U^^A <ii'^ 4Ui(» M^ w>crt^ arcbevèque vous v a con*
trtixutet^.^ vVU cn^t ^le£l dT£r. ma c&ke Mdre. Est-ce
'«. Vsi.x V \wii ^w*.u :kmb^ vKirutr Hl vntn^cmiift Xûn À ITIiicBrBatioii & été
DE LA MARS MARIB DE l'iNGARNATION. 261
vrai? Je m iais qui en â tant appris à cette fille; il
semble qu'elle saefae tout ce qui se passe en votre
maison, de laquelle néanmoins elle parle avec honneur
et estime.
tTai supplié le révérend Père du Grux de vous visiter
et faire part de ce que je lui écris au sujet des grands
tremblements de terre arrivés en ces contrées. Je vous en
envoie le récit en vers, que je vous supplie aussi de lui
communiquer, et il vous l'expliquera. C'est une bonne
personne de piété qui les a composés, en suite des efiets
de ce grand tremble-terre. Tout y est véritable. Ayez-le
donc pour agréable, et toutes mes révérendes et très-
honorées Mères, que je supplie d'agréer mes très-
humbles saints.
Je vous dirai qu'après l'arrivée de Monseigneur votre
digne prélat, nous avons fait notre élection. J'ai été mise
en la charge de Supérieure malgré moi; mais il m'a
fallu subir cette mortification. Obtenez de Dieu qu'il
me fasse la grâce de m'en bien acquitter. Pour ce que
vous demandez, si nous avons un évéque diocésain,
nous avons un évêque envoyé par notre Saint-Père
le Pape, en qualité de son grand-vicaire apostolique
jamais demdoré dans le voisinage des Ursulines. Ces dernières furent plusieurs
fois en contestation avec une communauté dite de Sainte-Marie- Magdeleine
relativement à Tôcoulement des eaux par un canal qui passait sous la rue, pour
traverser ensuite la propriété des Ursulines. Il est probable que l'arcbevdque
sera intervenu, et que de là sera venue l'histoire d'une maison avec tunnel
sous la rue.
La supérieure qui dirigeait la communauté de Mons en 1663, et à laquelle
cette lettre fut écrite, était française et arrière-grand'tante de la supérieure
actuelle.
Cette lettre est imprimée pour la première fois, ainsi que cinq autres qu'on
trouvera plus loin, savoir, les lettres CCI, CCVIII, CCXI, CCXIX et CCXXI.
Ces six lettres nous ont été communiquées par la révérende Supérieure des
Ursulines de Mons, qui en ont conservé les précieux autographes.
262 LETTRES
en toute la Nouvelle-France. Il y a quelques raisoos
pour lesquelles il ne se nomme pas titulaire, qui sont
du droit. C'est un homme saint, le père des pauvres
et du public. (Tétait un seigneur de la maison de Laval,
qui s*est donné à Dieu dès sa jeunesse. Le roi Taime
beaucoup pour son mérite et ses qualités. Sa Majesté
voulait le retenir en France ; mais Tamour que ce bon
prélat porte à cette nouvelle Eglise a fait qu'il a supplié
pour y revenir.
Ma trôs-honorée Mère, je vous supplie de nous conti-
nuer l'honneur de votre affection. Vous m'avez demandé
un pied d'élan ; mais ce n'est pas la saison d'en trouver.
Je ne manquerai pas de vous en envoyer un, si je vis,
l'an prochain.^ L'empressement dans lequel nous som*
mes, ne me permet pas de voas entretenir davantage
pour le moment. Je suis
Ma révérende et trôs-honorée Mèrô,
Votre très-humble et très-obéissante fille
Marie de l'Incarnation.
De notre Séminaire des Vrsulines de Québec, le 20 doct, 1663.
P. S. — Il y aune jeune fille, nièce du révérend Père
Rousseau, Jésuite, qui pourra vous dire des nouvelles
de notre maison. M. de La Marque, son frère, la ramèo6
en France. Elle est de votre ville.
(1) Voir la note que nous avons mise à la Lettre XXXI 11, ci-dessus 1. 1, p* ^^ W
'i
\
DB LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 263
LETTRE CLXIII.
A UNE RELIGIEUSE DU CALVAIRE.
Mère de la TrocTie, qui depuis est morte Oénérale de son Ordre»)
ait le récit de la translation du corps de la Mère Marie de Saint- Joseph,
sa sœur, de ses anciens cercueils en d'antres nouveaux.
Ma révérende Mère,
s avez bien de la bonté de vouloir vous souvenir
i et de me continuer l'honneur de votre affection,
part, je vous assure que la mienne est entière
^otre chère personne, à laquelle, puisque vous
[ez bien, je suis ce que j'étais à ma chère Mère
de Saint-Joseph, votre très-aimable sœur et ma
lèle compagne. Je vous dirai une chose que vous
3Z pas marrie de savoir, qui est que notre petite
étant faite, nous avons enlevé son corps du lieu
tait, pour le mettre dans un cimetière que nous
fait faire sous notre chœur. Nous avons eu la
té ou plutôt la dévotion de voir en quel état était
»rps. La nécessité de le changer de cercueil a
;é notre dessein : car encore qu'il fût enfermé
IX cercueils, le premier était pourri ; l'autre qui
e cèdre, ne l'était pas. Nous trouvâmes toute sa
3onsumée et changée en une pâte blanche comme
;, de l'épaisseur d'un doigt. Son cœur, qui avait
it de saints transports pour son Epoux, et son
;.. f.
264 LBTTRB8
cerveau, qui avait été Torgane ds tant de saintes
pensées, étaient encore entiers. Tous ses ossementa
étaient placés chacun en son lieu naturel : le tout sans
aucune mauvaise odeur. Au même temps que nous
fîmes l'ouverture, nous nous sentîmes remplies d'une
joie et d'une suavité si grandes, que je ne vous puis
l'exprimer. Dans la crainte que nous avions de trouver
de la corruption, ou quelque chose qui pût donner de la
frayeur à nos jeunes sœurs, nous voulûmes visiter
le tout en secret. Mais ayant trouvé les choses ^ans
l'état que je viens de dire, notre révérende Mère fit
appeler toute la Communauté pour lui faire part de la
consolation dont nous étions intimement pénétrées. Et
pour rendre à cette chère défunte nos derniers devoirs
de charité et d'affection, l'on se mit à lever les osse-
ments. Les mains de celles qui les touchaient sentaient
une odeur comme d'iris. Les ossements étaient comme
huileux, et ayant été lavés et essuyés, les mains et les
linges avaient la même odeur. Ni la vue, ni le manie-
ment des os, ni cette masse blanche ou chair consumée
n'ont donné nulle frayeur, comme font ordinairement
les cadavres des morts ; mais plutôt elle inspirait des
sentiments d'union et d'amour pour la défunte. C'était
à qui baiserait ses ossements, et à qui lui rendrait
la première ce dernier devoir de piété.
Après avoir satisfait notre affection, nous remîmes
ses os dans un nouveau cercueil, avec un écrit en
parchemin qui fait mention des principales vertus de
cette chère Mère, de son zèle pour la conversion des
âmes, de sa maison, de ses parents ; puis ayant enfermé
ce cercueil dans un autre, nous l'avons posé sur des
soubassements, afin que si un jour, par quelque ren-
versement d'affaires, il nous fallait retourner en France
l
' DE LA MÉRB MARIB DE L*INOARNATION. 265
nous le puissions facilement emporter. Le révérend
Père supérieur des missions, dans le service que nous
fîmes en cette action, nous fit une très-belle exhortation
sur ce changement de cercueil, sur Fodeur de ces
ossements, sur cette pâte blanche, et principalement
sur les vertus héroïques de cette âme sainte. C'est
Tunique de notre Communauté qui soit morte en ce
pays depuis vingt-quatre ans que nous y habitons. J*ai
pensé vous envoyer de ses ossements pour être mêlés
avec les vôtres, lorsque vous irez au tombeau, mais
j'ai eu crainte qu'ils ne fussent perdus avant que d'arri-
ver jusqu'à vous.
Chère Mère, il fallait vous faire ce récit pour votre
consolation et pour celle de toute votre illustre famille,
au sujet de ma très-chère compagne, dont la mémoire
nous est et nous sera toujours précieuse et en odeur
do bénédiction. Je finis en vous assurant de la sincérité
de mon cœur et de l'affection avec laquelle je suis....
De Québec, le 1663.
(1) Le cercueil de cette excellente religieuse fut ouvert le 3 de novembre 1661,
par la permission de l'Evdque. Outre ce qui est rapporté en cette lettre, on a
remarqué que cette p&te blanche étant mise sur un fer chaud ou sur des charbons
ardents, elle fondait comme de la cire ou de Tencens, et exhalait une très-douce
odeur. Il en était de môme des morceaux de son cœur que Ton mettait sur îe
feu. Et une religieuse qui avait aidé à laver les ossements s'étant saisie d*un
morceau de ce cœur pour le porter sur le sien par dévotion, durant le temps
qu'elle le porta, on ressentit l'odeur d'iris dès qu'on s'approchait delle. Dans
cette cérémonie, le révérend Père Lallemant ât une exhortation touchante dans
laquelle il prit pour thème ces paroles du seizième chapitre de TEpItre aux
Romains : Saluez Marie qui a beaucoup travaillé parmi vous. Après avoir
rapporté les vertus héroïques de cette fille et donné une explication morale de
cette p&te blanche, de cette odeur d'iris, et des quatre nœuds de sa ceinture, qui
étaisnt les symboles de ses quatre vœux, et qui étaient aussi demeurés sans
corruption, il ne fit point de difficulté de l'appeler sainte, disant qu'il la croyait
266 LETTRES
LETTRE CLXIV,
A SON FILS.
Le roi se rend le mattre du Canada, où il envoie nn intendant pour recevoir en
son nom les hommages des habitants, et y établir des officiers pour y exercer
la justice et y maintenir la police.
Mon très-cher fils.
Un vaisseau qui vient d'arriver et qui se dispose
à un prompt retour m'oblige de vous écrire un mot,
encore que je n'aie point reçu de vos nouvelles ni
d'aucun de nos monastères de France. Je crois qae
vous savez que le roi est à présent le maître de ce
pays. Messieurs de la Ck)mpagnie ayant appris qu'il
avait dessein de le leur ôter, ils sont allés au devant
et le lui ont offert. Il les a pris au mot avec promesse
de les dédommager, et ainsi ce changement s'est fait
sans beaucoup de peine. Les navires du roi nous ont
ramené Mgr notre Prélat, qu'on nous dit avoir eu bien
du démêlé en France au sujet des boissons qu'on donnait
Hux sauvages, et qui ont pensé perdre entièrement
«u d^l liant un t^^••haut degré de gloire. Quelques aimées après, roccaiioii
•>t*nt pr*t#nlé# d'ouvrir ton cercueil, il ne se trouTm point de corruption dtni
lu ii«h»(nn<>* d# ton r(»rv(»au, mais on la trovra réduite à deux petites boules qui
<^ui*nl dur*»» oottiroe In pi^rr^. Vorei plus loin la Lettre CLXVllI.
Nou» i\jo«(<»ron« A »*«lte note de Claude Martin qn'aujourdliai encore les
\ r#ulm«»» d« gu^bw téni^rent et invoquent la Mère Marie de Saint-Joseph. (>n
ootteerv* Mi |Mrti»U au réftoloire.
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION. 267
tte nouvelle Eglise. Il a fait le voyage en la compa-
lie d'un nouveau gouverneur, que Sa Majesté nous
ivoie, son prédécesseur, qui ne Ta été que deux ans,
ant parti avant son arrivée. Le roi a encore envoyé
rec eux un intendant, qui, depuis son arrivée, a réglé
utes les affaires du pays. Il a établi des officiers pour
ndre la justice selon les règles du droit. Il a encore
abli la police pour le commerce et pour l'entretien
î la société civile. Il s'est fait rendre foi et hommage
inéralement de tous les habitants du pays, qui ont
nfessé tenir du roi à cause de son château de Québec.
Eins les règlements qui ont été faits, Québec se nomme
lie, et la Nouvelle-France, province ou royaume. L'on
élu un maire et des échevins ; et généralement tous
3 officiers, qui sont gens d'honneur et de probité, ont
é faits par élection. On remarque entre tous une
•ande union. Mgr l'Evêque et M. le Gouverneur sont
immés les chefs du Conseil. On parle de faire bâtir
i palais pour rendre la justice, et des prisons pour
fermer les criminels, les lieux qui servent à cela
mt trop petits et incommodes. M. notre Gouverneur,
il se nomme M. de Mesy, est un gentilhomme de
>rmandie très- pieux et très-sage, intime ami de feu
. de Bernières, qui durant sa vie n'a pas peu servi
le gagner à Dieu.
L'on a pareillement établi l'usage des dîmes, qui
nt destinées pour l'entretien d'un séminaire fondé
r notre évêque, qui doit par ce moyen faire bâtir des
lises partout où il sera nécessaire, et y entretenir des
êtres pour les desservir. Ces églises seront comme
s paroisses, mais ceux qui y présideront, au iieu
curés seront appelés supérieurs, dont l'évêque sera
chef : le surplus des dîmes doit aller à l'entretien des
368 LBTTRB8
pauvres. Ce digne prélat a déjà fait bâtir une maison
à Québec pour l'évêque et pour loger le gros de son
Séminaire. Enfin tout cela sonne gros et commence
bien, mais il n'y a que Dieu qui voit quelles en seront
les issues,, l'expérience nous faisant voir que les succès
sont souvent bien différents des idées que Ton conçoit
Les épouvantables tremblements de terre que l'on a
expérimentés dans tout le Canada contribuent beaucoup
à l'union des personnes, car comme ils tiennent tout le
monde dans la crainte et dans l'humiliation, tout le
monde aussi demeure dans la paix. On ne saurait
croire le grand nombre de conversions que Dieu a
opérées, tant du côté des infidèles qui ont embrassé
la Foi, que de la part des chrétiens qui ont quitté leur
mauvaise vie. Au même temps que Dieu a ébranlé lei
montagnes et les rochers de marbre de ces contrées,
on eût dit qu'il prenait plaisir à ébranler les consciences;
les jours de carnaval ont été changés en des jours de
pénitence et de tristesse; les prières publiques, les
processions, les pèlerinages ont été continuels; les
jeûnes au pain et à l'eau fort fréquents ; les confessions
générales plus sincères qu'elles ne l'auraient été dans
Vexirémité des maladies. Un seul ecclésiastique qui
gouverne la paroisse de Château-Richer, nous a assuré
qu'il a fait faire lui seul plus de huit cents confessions
générales. Je vous laisse à penser ce qu*ont pu faire les
révérends Pères qui jour et nuit étaient dans les con-
fe^ionoaux. Je ne crois pas que dans tout le pays
il y Bit un habitant qui n'ait fait une confession gêné-
raie. Il ife$t trouvé des pécheurs invétérés, qui, ponr
nssiirtr Umt conscience, ont reconmiencé la leur plos
49 tniê M§» On a vu des réconciliations admirables,
fm «fMMBfi i6 mettant à genoux les uns devant les
DE LA MÈRE MARIE DE l'INGARNATION. 269
autres poar se demander pardon avec tant de douleur
quMl était aisé de voir que ces changements étaient des
coups du Ciel et de la miséricorde de Dieu, plutôt que
de 8^ justice. Au fort de saint François-Xavier, qui est
de la paroisse de Sillery, il y avait un soldat de la gar-
nison, venu de France dans les navires du roi, le plus
méchant et le plus abominable homme du monde. Il se
vantait impudemment de ses crimes comme un autre
pourrait faire d'une action digne de louange. Lorsque
le tremblement de terre commença, il fut saisi d'une
frayeur si étrange, qu'il s'écria devant tout le monde :
Qu'on ne cherche point d'autre cause de ce que vous
voyez que moi ; c'est Dieu qui veut châtier mes crimes.
Il commença ensuite à confesser tout haut ses péchés,
sans rien avoir devant les yeux que la justice de Dieu
qui l'allait, à ce qu'il croyait, précipiter dans les enfers.
Ce fort est à un quart de lieue de Sillery, où il le fallut
porter à quatre pour se confesser, la peur l'ayant fait
devenir comme perclus. Dieu a fait en lui une si heu-
reuse et si entière conversion, qu'il est aujourd'hui
un modèle de vertu et de bonnes œuvres.
Voilà l'état du Canada, tant pour le spirituel que pour
le temporel. A quoi j'ajouterai que le roi ne nous a pas
envoyé des troupes, comme il l'avait fait espérer, pour
détruire les Iroquois. On nous mande que les démêlés
qu'il a dans l'Italie en sont la cause. Mais il a envoyé
en la place cent familles qui sont cinq cents personnes.
Il les défraie pour un an, afin qu'elles puissent facile-
ment s'établir et subsister ensuite sans incommodité.
Car quand on peut avoir une année d'avance en ce
pays, on peut défricher et se faire un fond pour les
aanées suivantes»
De Québec, le 1663.
270 LETTRES
LETTRE CLXV.
AU MEME.
Ses sentiments touchant la translation da corps de saint Benoit dans iim
magnifique chftsse, an mois de mai de Tannée 1653. — Générosité aree
laquelle elle abandonna son fils en se rendant religieuse, et depuis enoort to
allant en Canada. — Effet de cet abandonnement*
Mon très-cher fils,
J*ai reçu deux de vos lettres cette année, la première
desquelles me parle de vos dispositions particalières,
et l'autre me fait le récit de la translation du corps de
Saint-Benoît, votre glorieux Père et le mien, parce que
j'y ai çu toute ma vie une dévotion particulière. C'est
à cette dernière que je réponds par celle-ci, et que je
me sens pressée de vous dire que j*ai eu une aussi
grande tendresse de dévotion dans mon éloignement
que si j'y eusse été présente. Je n'ai pas ressenti seule
la douceur de ce sentiment, mais encore toute notre
Communauté et nos révérends Pères, à qui j'ai com-
muniqué votre lettre. Ils ont même trouvé si belle et
si riche l'estampe de cette magnifique châsse qu'ils
l'ont voulu retenir. Nous avons tous béni la divine bonté
d'avoir donné à ce saint patriarche de si bons enfants,
qui ont fait un si riche et si digne sanctuaire à leur
Père. Une bonne religieuse bénédictine de Reims. a
envoyé une croix faite du cercueil de ce grand saint
DE LA MÉRB MARIE DK L'iNCARNATION. 271
à madame d'ÂilIeboust sa sœur, qui est avec noas. Vous
me mandez que vous m'envoyez de son suaire, je n*ai
point reçu cette sainte relique, que je projetais de
mettre avec celles que nous avons déjà. Si elle est
perdue, cette privation me causera bien de la douleur,
quoique je n'en doive pas avoir , n'étant pas digne
de la posséder. Enfin je loue votre Congrégation de
l'effort qu'elle a fait pour cette magnifique châsse,
comme aussi ces bons Abbés commendataires qui y ont
bien voulu contribuer. Il était bienséant qulls rendissent
un peu pour le beaucoup qu'ils retirent des monastères
de ce grand patriarche.
L'on s'attendait à Tours qu'à l'issue de votre chapître,
vous seriez envoyé en l'un des deux monastères. Je ne
vous sais pas mauvais gré de la répugnance que vous
y avez, car la proximité des parents cause souvent de
l'embarras et détourne quelquefois de Dieu ; mais quand
la divine Providence l'ordonne, et que cela n'est pas
recherché, il faut baisser le col et se soumettre; s'il
y a de la mortification, il la faut prendre en patience.
Mais enfin puisque le repos que vous trouvez à Angers
vous fait aimer ce lieu-là, je suis bien aise que vous
y soyez retourné. Ah! mon très-cher fils, qui eût
jamais dit, mais qui l'eût pu même croire, que vous
et moi étant demeurés seuls après la mort -de votre
père, la divine Majesté vous regardât dès lors pour
vous faire posséder le grand et inestimable bonheur
de la profession religieuse ; et même qu'il vous eût fait
naître pour des charges si honorables et pour des
emplois si éclatants? C'est assurément parce que je
vous ai abandonné pour son amour, et que je ne lui
ai jamais demandé ni or ni richesses pour vous ni pour
moi, mais seulement la pauvreté de son fils pour tous
272
les deux. S*il ▼oos poorroit en la manière que vous
l'expérimentez, e«t que sa libéralité est aussi certaine
qae sa Toionté. Ses promesses ne manquent point à
ceux qui espérait en lui.
Vous souTenez-voua bien de ce que je vous ai dit
autrefois, que si je vous abandonnais, il luirait soin
de vous, et qull serait votre père. Cest pour cela que
je n*ai jamais rien fait de si bon cœur ni avec tant de
confiance en Dieu, que de vous quitter pour son amour,
étant fondée sur son saint Evangile » qui était mon
guide et ma force. Et lorsque je m'embarquai pour le
Canada et que je voyais Fabandon actuel que je faisaiB
de ma vie pour son amour, j'avais deux vues dans
mon esprit. Tune sur vous, l'autre sur moi. A votre
sujet, il me semblait que mes os se déboitaient et qu'ils
quittaient leur lieu, pour la peine que le sentiment
naturel avait de cet abandonnement Mais à mon égard
mon cœur fondait de joie dans la fidélité que je voulais
rendre à Dieu et à son Fils, lui donnant vie pour Tie,
amour pour amour, tout pour tout, puisque cette divine
Majesté m'en rendait digne, et me mettait dans l'occa-
sion, moi qui était la lie du monde.
Je reviens au saint suaire que vous m'avez envoyé.
J'en regrette la perte, dans la crainte qu'il ne tombe
en des mains qui ne l'honoreront pas comme il le mérite.
Agréez le respectueux salut de notre Communauté, et k
très-humble remercîment qu'elle vous en fait avec moi.
De Québec, le 16 août 1664.
'^i
.1-
DE LA MÈRE MARIE DR L'INCARNATION. 273
LETTRE CLXVI.
AU MÊME.
Reste des tremblements de terre. — Le Roi continue de peupler le pays. — Les
Iroquois continuent d*exercer leurs hostilités : ils sont défaits par les Algon-
quine. — La foi pénètre chez les Papinachois. — Eloge de la piété d'une
femme sauvage.
Mon très-cher fils,
Je vous écrivis rannëe dernière ce qui s'était passé
en ce pays touchant les tremblements de terre. Vous
serez peut-être bien aise d'apprendre s'il en reste quelque
chose, et s'ils n'ont point causé quelques accidents
funestes. Pour le premier, la terre a encore tremblé en
quelques endroits, mais légèrement, et ce ne sont que
des restes des grandes secousses de l'année dernière.
Pour l'autre, nous craignions la peste ou la famine ;
Dieu nous a préservés de l'une et de l'autre. Il se trouva
qu'après les grandes secousses, et les feux, tant sou-
terrains que ceux qui étaient sortis par les ouvertures
de la terre, une extrême sécheresse avait comme brûlé
la surface de la terre et consumé toutes les semences.
Ensuite de ces aridités. Dieu permit qu'il tombât des
pluies en si grande abondance, que les torrents sem-
blaient avoir emporté tout le reste de l'herbe et tout
ensemble l'espérance de faire aucune moisson. Le con-
traire est arrivé, car la moisson a été si abondante,
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DE LA MÈRE MARIE DE l'INCaRNATION. 275
ias étendus, à moins d'être roi lui-même et absolu.
Dcore que les Iroquois soient fort humiliés, tant par
:u erres qu'ils ont sur les bras, que par les maladies
I mortalités que Dieu leur envoie, ils ont néanmoins
des courses en ces quartiers lorsqu'on ne les y
cSait pas. Ils ont enlevé deux grandes filles fran-
8 avec quelques Français et sauvages, puis en
f; tué quelques-uns, ils ont pris la fuite seton leur
ixne.
i même temps que cette, troupe faisait son ravage,
.eurs des principaux des natiors iroquoises appro-
eut de Montréal pour demander la paix aux Fran-
» et du secours contre leurs ennemis. Ils étaient
:^gés de grands et riches présents pour des sauvages,
on tient qu'il y en avait pour huit ou dix mille
es. Mgr notre Evêque et M. le Gouverneur y étaient
8 pour les recevoir et pour entendre leurs propo-
>ns. Cependant les Algonquins, qui en eurent le
t, les allèrent attendre au passage, et pressèrent si
I leur embuscade qu'ils tombèrent dedans. Les
|uois firent des clameurs étranges, disant qu'ils
aient faire la paix avec eux aussi bien qu'avec les
nçais. Les Algonquins, qui sont leurs ennemis
rtels, s'en moquèrent, après avoir tant de fois expé-
enté leur perfidie et mauvaise foi. Ainsi, sans les
ater, ils en taillèrent en pièces autant qu'ils purent,
ent les autres, et enlevèrent tout le butin. On eut
1 de la peine à sauver ceux qui avaient pris le
ant à Montréal, et il fut nécessaire que les Français
* fissent escorte assez loin, et jusqu'à ce qu'ils fussent
s de l'incursion des Algonquins. Les uns disent
Is voulaient la paix tout de bon, et les autres qu'ils
aient pour tromper comme par le passé : Dieu seul
276
sait ce qui en est Encore qoe les Français n'aient
nnliement trempé dans cette affaire» tous les Iroqnois
néanmoins croiront qoe ce sont enx qui ont fait jouer
ce ressort poor les détraire, et il ne faat point dootar
qu'ils ne fassent leur possible pour s'en venger sur noi
habitations, si ce n'est que la crainte qulls ont dei
Français, qu'on leur a dit qulls se disposent à leur
aller faire la guerre, ne les retienne, ou platAt que li
protection de Dieu sur nous ne les empêche.
Les Iroquois fermant les oreilles aux paroles de
l'EvaDgile, et endurcissant leurs cœurs à la grâce que
Dieu leur présente, sa bonté divine en appelle d'aatrei
qui seront plus fidèles et en feront mieux leur profit.
Ce sont des peuples qui habitent vers la mer du Nord,
qu'on tâche de découvrir depuis si longtemps. Le
révérend Père Nouvel, de la Compagnie, s'étant em-
barqué l'automne dernier, avant que les glaces fussent
dans les rivières, afin d'aller hiverner chez les Mon-
tagnais, la chaloupe où il était s'entrouvrit lorsqa'oa
y pensait le moins, en sorte que lui et toute sa com-
pagnie, voyant que le mal était sans remède et qa'ili
allaient couler à fond, ne pensaient plus qu'à se dispo-
ser à bien mourir. Le Père, néanmoins, eut un moa-
vement de faire un vœu à la Sainte-Famille, à laquelle
tout le pays a une très-grande dévotion pour beaucoup
de raisons.*
(1) On célébrait au Canada, le troisième dimanche après Pâques, la îètê d«li
Sainte-Famille, double de deuxième classe. L'office arait été compote pir It
fameux Santeuil, ce qui n'est pas une reconmiandation. Il y a encore à la cM'
(Irale un autel et une confrérie de la Sainte- Famille.'
Les Ursulires de Québec possèdent un tableau de la Sainte- Famille, que Toi
croit avoir été fait par un Récollet en 1700. L'enfant Jésus y parait admoMsur
un petit sauvage.
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 277
Le vœu ne fat pas plus tôt fait, qu ils se trouvèrent
hors de péril d'une manière si extraordinaire, qu'on la
tient pour un effet miraculeux. Par cette même protec-
tioD ils furent encore sauvés de la main des Iroquois, qui
lenr dressaient partout des embuscades. Enfin, sa com-v
pagnie le conduisit aux Papinachois qui avaient déjà
TO quelques Européens pour la traite dans les nations
plus proches où ils s'étaient avancés. Le Père les caté-
chisa, et trouva en eux des cœurs si disposés à recevoir
la semence de l'Evangile, qu'il les instruisit sans diffl-
oalté. Ils étaient ravis de lui entendre parler de la Foi
et encore plus de l'embrasser. Ceux-ci lui offrirent de
le mener en d'autres, nations plus peuplées. Il s'y
accorda, nonobstant les grandes diâScultés du chemin,
-^ dans lequel on rencontre jusqu'à douze portages.^ Mais
cet excellent Père surmonta tout cela par Tardeur de
ion zèle, et trouva de la douceur dans toutes ces
fktigues, dans l'espérance de gagner des âmes à Jâsus-
Christ. Il entra dans ce pays, où jamais un européen
n'avait mis le pied.
Ce peuple, néanmoins, avait entendu dire qu'il y avait
un Dieu, créateur du ciel et de la terre, et qu'il y avait
nn paradis pour récompenser les bons, et un enfer pour
pnnir les méchants. Au même temps que le Père leur
eût fait l'ouverture de notre sainte religion et de ce
qu'elle contient, leurs coeurs et leurs esprits ravis d'aise
se rendirent traitables et dociles comme des agneaux.
^ Ite sont de langue montagnaise, qui est en usage en nos
quartiers, ce qui fut un grand avantage pour le Père.
Lorsqu'il leur montra dans un grand tableau les fins
(1) Endroits où l'on est obligé de porter les canots par terre, soit à cause
(Time chate d*eaa ou de la rapidité du courant, soit parce que Ton quitte une
rivière pour en prendre une autre.
278 LETTRES
dernières de l'homme, et particaliôrement l'enfer qui est
destiné pour les méchants et pour ceux qai ne croient
pas, ils s'écrièrent : Cache ce lieu-là, il nous épouva&te,
noas n'y voulons pas aller ; mais bien en celui-là, mon-
trant le paradis. Ils étaient affamés d'entendre parler
de nos Mystères. Il y en eut un qui, dans le ressen-
timent qu'il eut des douleurs et des souffrances de
Notre-Seigneur pour le salut des hommes, prit une
discipline qu'il aperçut parmi les meubles du Père, et
s'encourut dans le bois, où il se traita d'une étrange
manière. Il s'en vint trouver sa femme à qui il présenta
la discipline; elle la prit et alla en faire autant, puis elle
retourna en sa cabane où son frère, s'étant aperçu de ce
que son mari et elle avaient fait, prit cet . instrument
et alla faire le même.
Ils se sont tous fait instruire, et le Père les ayant
trouvés disposés, a baptisé plusieurs adultes et un grand
nombre d'enfants. Ils l'ont prié d'aller hiverner avee
eux: comme la moisson est grande, il ira avec an
second, selon la promesse qu'il leur en a faite. Peut-être
passeront-ils plus avant, car ces bons sauvages lui ont
promis de le conduire à la grande mer du Nord, sur
les rives de laquelle il y a beaucoup de peuples séden-
taires. Il n'y a que pour un mois de chemin de ce
lieu-là et qui est fort aisé. Voilà une conquête bien
précieuse, priez la bonté divine qu'il y donne sa béné-
diction et des forces aux ouvriers de son saint Evangile
pour supporter les grands travaux qui se rencontreront
dans son exécution.
Il est bien juste que je vous dise quelque chose de
notre petit séminaire. Nous y avons eu cette année
une bonne veuve assez âgée, nommée Geneviève,
algonquiue népisirinienne de nation, laquelle sachant
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . . 279
que nous ne recevions point des personnes de son âge,
nous fit prier par des personnes que nous ne pouvions
refuser. Elle vint me trouver pour me dire, que c'était
le grand désir qu'elle avait d'être instruite qui lui faisait
faire tant de poursuites ; qu'elle avait des sœurs igno-
rantes, qu'elle voulait se rendre capable d'instruire, n'y
ayant point de robes noires en son pays pour le faire ;
que son dessein était de jeûner le carême comme nous,
et de prier durant tout ce temps-là, ce qu'elle ne pou-
vait pas faire dans sa cabane. Je lui accordai enfin sa
demande, voyant le zèle avec lequel elle parlait : car
depuis vingt-cinq ans que nous sommes en ce pays, je
n'ai point vu de sauvagesses ferventes comme celle-là.
Elle nous suivait tous le jour aux observances du
chœur, où elle n'était point satisfaite qu'elle ne fit
comme nous, et quand elle ne pouvait le faire, elle disait
plusieurs chapelets et elle faisait des oraisons jacula-
toires toutes pleines de feu. Elle ne se lassait point de
prier, ni de se faire instruire sur les mystères de
notre foi. Madame d'Âilleboust ayant hiverné chez nous,
elle allait souvent la trouver pour apprendre d'elle
quelque prière, ou quelque point de catéchisme. Elle
me suivait en notre chambre afin que je lui parlasse
de nos saints mystères. Durant même nos récréations
elle ne pouvait nous laisser libres, sans qu'il fallût lui
parler de Dieu, otT répondre à ses demandes.
Elle faisait souvent le récit de ses aventures, et un
jour entre autres elle me dit : J'ai beaucoup de fois
expérimenté le secours de Dieu dans la ferme créance
que j'ai en lui. Il m'a gardée partout. Revenant de mon
pays en celui-ci pour me faire instruire, nous fîmes
rencontre des Iroquois, qui donnèrent bien de la crainte
à mon frère et à toute notre troupe; je me jetai contre
:iH{) LETTRES
•
(lanfl les Iierbiers où je disais à mon frère : Prends
courA{(o» mon frère, crois en Celui qai a tout fait, et
il nous sauvera des mains de nos ennemis. Je ^exho^
tais sans cesse pendant que les balles des fusils siflGiaient
i\ nos oreilles tout autour de nous, et Dieu nous pro-
t<5goa si puissamment en cette rencontre, qu'il n'y eut
pas un seul de notre troupe blessé, ni même aperça
do Tonnemi que nous voyons tout près de nous.
Son mari étant mort en son pays, qui est à plus de
cinq cents lieues d*ici, n'y ayant plus d'église, elle ne
voulut pas Y laisser son corps, mais avec une générosité
nonpareille» elle prit la résolution de l'apporter ici
pour lo faire enterrer dans le cimetière des chrétiens,
Htin qu au jour du jugement il ressuscitât avec eux.
l/otVot suivie la résolution, car elle apporta le corps,
parùo sur son dos, partie en canot jusquanx Trois-
Kîvii^r^$« où elle le fit enterrer le plus honorablement
quelle put. faisant dire des messes pour le repos de
sou ;Uue. Klle e$t inconsolable quand elle pense que
$^<ii enfant;^ sont mor^ sans baptême, et sa douleur ait
uu jvu souls^v ,:uani elle r'ii: rêâexioa quêtant dans
,vw l:ux?eî5. AU lu.nzis ils ze bcdleroaî pas conmie les
Av.ijLl:^ ^-t i::^:iren: 5az5 éîre ccMci^n*. Un seul loi
>^«?s rwc^ ^ui c$: :acrt chr^èciez i l'i» ie dix ans; mais
vdrw ^iivxi: sj ncn ^L.« 1 i v^ rarler à :in jongleur,
.*L^? .'r^:::: ;;::, z^ jci:: iizrotf rcor « cêrhê-Ià. Elle
ie u: xr^ :ru:?er'j,vci'^. 3i*l^ i ùlt. ic^xoi i notre
:$^uxiaa:r^ i X3 .-^isCL'r ^z: iri:; jiîr»: itf rcce à son fils,
ida ;(« acu* cîisni'.'cs ::c$ îr.tîr«s lai s;<^aiies rcur le
DR LA MÈRE MARIE DE l'INGARNATION . . 281
nous considérant, elle disait à Dieu : Conservez ces
bonnes filles, qui depuis le matin jusqu'au soir sont
tQUJoars auprès de* vous, et qui ne font autre chose que
▼OQs servir. Lorsqu'elle rencontrait quelque instrument.
de pénitence elle voulait s'en servir, surtout de la cein-
tare de fer, mais nous modérions sa ferveur, et ne lui
laissions pas f^ire tout ce qu'elle eût bien désiré.
Le jour du Vendredi- Saint, elle fut puissamment
touchée dans la considération de la passion de Notre-
Seigneur. Durant nos Ténèbres, elle fondait en larmes,
par l'impression <)ue Dieu lui donna de l'amour qu'il
avait porté aux hommes en endurant pour eux de si
extrêmes tourments. Etant revenue à elle, je ne sais,
dit-elle, où j'en suis, mais je n'ai jamais expérimenté
chose pareille ; le diable ne me voudrait-il point trom-
per? Je l'emmenai en notre chambre pour l'entretenir sur
ce grand mystère. Là j'achevai de la combler, ou plutôt
^ Dieu par mon moyen, de douleur et de consolation.
Elle considérait avec attention nos cérémonies du
cbœur, qu'il lui fallait expliquer, après quoi elle ne
pouvait sortir de son admiration et disait que nous
imitions les anges et les saints qui sont au ciel.
Elle voyait fort clair dans son intérieur. Un jour
qu'elle était fort pensive, on lui en demanda le sujet;
JB considère, dit-elle, que je suis bien méchante. Il me
semble que je fais ce que je puis pour ne point offenser
Celui qui a tout fait, et cependant je me vois toute
. remplie de péchés. Depuis peu un homme m'avait
* dérobé une robe de castor en ma présence, sous prétexte
V de me la garder. Je courus après lui pour la retirer;
je n'étais pas^ néanmoins en colère, et je ne lui voulais
point de mal : cependant je sentais en moi une malice
qui me voulait tromper. Elle voulait distinguer par ces
p^kTolM "eâ^ le ht zrâee (faToc fiflciîottîon de la
Lft cnîtèm^ dénier^ Itgr riocre Ptâaft admiDistra
te nskcmneot de conârzsaticn. Elle a'oi avait poiot
encore entendu parier^ parce qu'elle néiait pas en ce
p»yn ia première fois -lall le coofifra. (Téiaxt dans notre
^lUe qtxe la cérémonie devait se faire. Elle voyait que
Ton instruisait plosieurs de nos pensionnaires ponr
recevoir ce sacrement, et le sérieux avec leqnei on
agissait loi fit croire qae c'était qnelqne chose de saint
et de grande importance. Elle allait et venait par la
maison cherchant quelqu'un qui put lui dire ce que
c'était. Ne trouvant personne, parce que toutes étaient
occupées, hélas ! dit-elle, on ne mlnstruit point, et voilà
qu'on instruit les enfants. Je m'attachai à elle pour lai
donner l'instruction nécessaire. Elle était ravie de toat
ce que je lui disais, surtout de ce que par la vertu de ce
sacrement, elle serait plus forte contre les tentations
du démon, plus forte et courageuse dans la Foi, et
qu'elle en porterait la marque dans le ciel aussi bi^
que (lu saint baptême. Dès qu'elle eût reçu le sacrement,
ollo demanda congé daller à Sillery pour faire paît
do son bonheur à ses parents et à ses amis sauvages.
Kilo IcH prêcha avec tant de ferveur, qu'ils n'avaient
point (lo paroles. Enfin son frère revenant à lui loi dit :
Hélas t nous sommes de belles créatures pour concevoir
et expérimenter de si grandes choses!
Kilo était continuellement auprès de ce frère pour
lompôchor de traiter de l'eau- de- vie. Un Français vou-
lant se servir de lui pour en porter un baril en cachette
aux Trois- Rivières, elle n'eut point de repos qu'il ne :
loùt quitté. Tu i>ériras, lui disait-elle» Dieu t'abandon-
nera» et le diable sera partout avec toi. Enfin elle vint
DE LA MÈRE MARIE DE L*INCARNATION. 283
à bout de son dessein. Bile nous quitta pour aller aux
Trois-Riviôres chercher des femmes de sa nation, pour
les empêcher de se jeter dans une occasion qui les eût
pu écarter de Dieu et des pratiques chrétiennes.
De Québec, le 18 août 1664.
ir
i-
LETTRE CLXVII.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE DE TOURS.
(La Mère Angélique de la VaUière,)
Elle l'assure que son dessein est de mourir en Canada, et la console au sujet
d'une de ses parentes engagée dans une occasion dangereuse pour son salut.
«
Ma révérende et très- chère Mère,
«Tai reçu votre très-chère lettre, dans laquelle votre
cœur parle plus que votre plume. Il me semblait en la
\ lisant que j'étais avec vous, et que nous nous commu-
niquions cœur à cœur. J'ai bien compati aux afflictions
âe votre Communauté, et encore plus particulièrement
ftu travaux que vous avez soufferts pour en secourir
1m membres malades. Je ne puis que je n'admire
comme vous en êtes revenue, eu égard à votre faiblesse
ût à la délicatesse de votre tempérament ; mais Dieu
V^\ veut encore augmenter vos mérites, vous laissant
^vre dans de si grandes infirmités, vous a donné de
OOQvelles forces pour soulager les infirmes mêmes.
Je savais déjà la mort de ma chère Mère de Saint-
Alexis, mais je vous avoue quen lisant le récit que vous
284 LETTRES
m'en faîtes, j'en ai été paissamment attendrie. Votre
Commanaaté a beaucoup perdu en perdant an si digne
sujet ; mais notre bon Diea qai ne regarde qae sa gloire
et le bien de ses élas, a voulu attirer à lui cette âme
candide, innocente et si aimable, afin de la faire parti-
ciper aux délices de sa gloire aux dépens des doulean
qu'en doivent ressentir nos chères Mères et ses amies.
Je n'ai eu garde de l'oublier après sa mort, elle me
touchait de trop près durant sa vie, aussi bien que nos
bonnes Mères vos chères défuntes, à qui notre Comma-
nauté a rendu ses devoirs.
Vous avez raison de croire que j'ai, envie de mourir
en cette nouvelle Eglise; car je vous assure que mon
cœur y est tellement attaché, qu'à moins que Dieu ne
l'en retire, il ne s'en départira ni à la vie ni à la morL
Vous croyez peut-être que ce sont les filles et les fem-
mes sauvages qui nous retiennent; mais je vous dirai
ingénument mes sentiments à ce sujet. II est vrai
qu'encore que notre clôture ne me permette pas de
suivre les ouvriers de l'Evangile parmi les nations qui
se découvrent tous les jours, étant néanmoins incor-
porée comme je suis à cette nouvelle Eglise, Notre-
Seigneur m'ayant fait l'honneur de m'y appeler, il me
lie n fortement d'esprit avec eux, qu'il me semble que
je les suis partout et que je travaille avec eux en de si
riches et si nobles conquêtes. Lorsque nous sommes
arrivés en ce pays, tout était- si rempli, qu'il semblait
aller croître en un peuple innombrable; mais après
qu'ils ont été baptisés. Dieu les a appelés à lui, ou par
des maladies, ou par la main des Iroquois. C'est peut-
être son dessein de permettre leur mort de peur que
la malice ne changeât leur cœur. Il y en a pourtant encore
un grand nombre, mais c'est peu en comparaison de ce
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . 285
qui était, car de vingt à peine en est-il resté un. Ce
n'est donc pas à leur endroit que nous sommes le plus
occupées, quoique nous fassions notre devoir à leur
égard tant au dedans qu'à la grille et aux autres occa-
sions, notre monastère étant le refuge de celles qui
sont en danger de faire, naufrage dans la Foi avec leurs
maris ou leurs parents infidèles ; mais c'est à Tendroit
des filles françaises ; car il est certain que si Dieu n*eût
amené des Ursulines en ce pays, elles seraient aussi
sauvages, et peut-être plus que les sauvages mêmes.
Il n'y en a pas une qui ne passe par nos mains, et cela
réforme toute la colonie et fait régner la religion et la
piété dans toutes les familles. Outre que Ton a institué
en ce pays une Congrégation de la Sainte-famille pour
la réformation des ménages, dans laquelle les hommes
sont conduits par les révérends Pères, les femmes
associées par des Dames de piété, et les filles jusqu'à
ce qu'elles soient mariées, par les Ursulines. Elles se
rangent les dimanches chez nous, où une de nous a le
soin de leur faire Tinstruction, dans laquelle on ne fait
que conserver en elles les sentiments et les pratiques
qu'on leur avait déjà enseignés dans le séminaire.
Yoilà,^ outre nos sauvages, les liens qui me lient à la
sainte volonté de Dieu ; outre que le pays, qui se peuple
beaucoup, nous donnera encore bien de la pratique en
peu de temps, soit à Québec, soit ailleurs.
Mais je reviens à vous, ma très-chère Mère, et à ce
qui vous regarde. Tous vos proches me touchent de
prôs, et le sujet qui vous afflige m'afflige. J'en ai eu la
eonnaissance dans ce bout du monde, où je vous dirai
que nous avons entrepris de faire l'espace de dix
semaines de grandes dévotions et de grandes pénitences
en Ihonneur de la passion de Notre-Seigneur, afin qu'il
286 LRTTRKS
plaise à sa bonté d'y mettre ordre, et d'opérer le salât
de qui vous pouvez juger : et indépendamment de tout
cela, j*ai encore en mon particulier cette affaire fort
à cœur.^ Consolez- vous donc, mon intime Mère, sous
cette pesante croix. Continuez - moi votre charitable
affection, je vous en supplie, et.de me regarder proche
de vous quand vous êtes devant Notre-Seignear, car
quelque éloignée que je sois de vous, je serai
votre....
De Québec, le 19 août 1664.
LETTRE CLXVIII.
A UNE URSULINE DE TOURS.
Nouvel éloge de la Mère Marie de Saiut- Joseph.
Ma révérende Mère,
Vous me témoignez de la joie de ce que j'ai mandé
Tannée dernière à votre sœur religieuse du Calvaire,
touchant la découverte de la Mère Marie de Saint-Joseph^
votre sœur et la sienne, et ma très-chère et très-fidèla
(1) 11 s'agissait de la fameuse Madame de la Vallière, alors le scandale de
France et de l'Europe entière, et parente de la religieuse de Tours à laqnell
écrit la vénérable Mère. Ce fut pour obtenir sa conversion que les Ursalii
de Québec tirent dix semaines de grandes dévotions et de grandes péuitence^
outre que la Mère de l'Incarnation avait en son particulier cette affaire tort
cœur. Or, on sait que Madame de la Vallière se fit carmélite et mourut ap
avoir passé trente-cinq ans dans la pénitence et les austérités du cloître.
DB LA MÈRE MARIB DE L'iNCARNATION. 287
ipagne. , Je vous assure que je ressens tous les jours
plaisir singulier dans le seul ressouvenir de ses
his, et de la douce conversation que nous avons eue
emble lorsqu'elle vivait parmi nous. J'en ressens
ore un plus grand dans le sentiment que j*ai de sa
3itë, ne doutant point qu'elle ne jouisse de Dieu et
sa gloire. Nous avons ici une sœur qui a recours
lie en tout ce qu'elle entreprend, et elle m'assure
)lle ne lui recommande rien qu'elle ne l'obtienne de
u en sa faveur. Elle lui attribue aussi la grâce de
vocation religieuse, qu'elle dit avoir reçue de Dieu
ses prières, en levant les obstacles qui l'attachaient
s le siècle. Nous expérimentons très-souvent son
)urs depuis que nous sommes sorties d'une affaire
}-épineuse que nous lui avions recommandée auprès
grand saint Joseph.
^ous me demandez une chose que je ne vous puis
order, puisqu'elle n'est pas en ma puissance; c'est
cette pâte blanche, qui était autour de son corps,
vous dirai que comme nous avions ouvert son cer-
il en secret, ayant seulement permission de le chau-
de lieu, après que nous eûmes lavé ses ossements
B les renfermâmes aussitôt avec son cœur et cette
) blanche dans un double cercueil neuf. Nous réser-
les néanmoins quelques petits ossements dans une
;e, parce que les Mères Hospitalières qui avaient
li changé leurs sœurs défuntes de cercueil et de
etière, et qui nous avaient aussi envoyé de leurs
iments pour les mettre dans un coin du cercueil de
■e chère Mère, nous avaient aussi demandé des siens
r les mettre avec ceux de leurs sœurs, pour marque
Tétroite union que nous avons ensemble. Nous en
D8 aussi retenu pour nous par dévotion, et pour
288
l'amour qae nooa portons à cette fidâic. Epouse de
JiîsrjS'CfiaiST. CTest ce qui me fit dire rannée dernière
à votre chère sœar, qae j'avais pensé lai en enTojer
pour les mettre avec les siens, quand Notre-Seigneor
l'appellerait de ce monde.
J'avais la même pensëe pour ma révérende Mère de
Saint-Bernard, parce que c'était sa chère Mère anni
bien que la mienne. Mais ayant appris qu'elle avait
payé le tribut à la nature, je n'ai pas cm devoir passer
plus avant. Non que j'eusse la pensée d'envoyer dei
reliques comme d'une sainte, car quelque estime qae
nous ayons de la vertu , il n'y a que Dien qui sache
assurément si elle l'est, ni que l'Eglise qui la poisse
déclarer telle. Mon dessein était seulement de les
envoyer, afin qu'on les conservât comme Ton consene
les meubles rares que l'on a hérités des personnes que
Ton aime beaucoup. Pour mon particulier, je l'invoque
tous les jours, et son souvenir m'est en bénédietioB,
aussi bien qu'à toutes mes sœurs. Recevez donc ce qoe
je vous envoie de cette très-chère et très-aimable Sceor;
et je vous l'envoie parce que vous me Tavez demandé,
car je n'aurais osé le faire autrement, quelque estiise
i^ue j*en tasse, et si persuadée que je sois que la ne
'le cette chère Mère a été toute cachée en J£sus*C!hrisi
par ia grande humilité, par sa patience héroïque, psr
.fa ciortiâcaûon continuelle, et par sa trôs-intime onioB
aT«ic uieu. Agréez, s il vous plaît, le très-humble saint
Ut 'xijiites nos soeurs, et le mien en particulier.
DE LA MÈRB MARIB DB L*IN CARNATION. 289
LETTRE CLXIX.
A SON FILS.
de M. de Tracy & Québec. — Il se disj^ose à combattre les Iroqaois.
Divers météores et phénomènes qui ont paru cette année.
Mon très-cher fils,
nme il vient cette année un grand nombre de
Baux en Canada, qui doivent aussi 8*en retourner
'ance, nous avons le moyen de vous donner plus
mt et plus tôt de nos nouvelles que les années der-
B. Il en est déjà arrivé cinq, dont deux sont partis
8*en retourner, et un troisième doit lever l'ancre
deux jours, M. de Tracy, lieutenant-général pour
ajesté dans toute l'Amérique, est arrivé il y a plus
linze jours avec un grand train et quatre compa-
, sans parler de deux cents hommes de travail
ont divisés dans les vaisseaux. Enfin, il doit y
deux mille personnes, tant en ce qui est venu
ce qui reste à venir. Les compagnies qui sont
ées sont déjà parties avec cent Français de ce
et un grand nombre dé sauvages, pour prendre
rant, s'emparer de la rivière des Iroquois, y faire
brts, et les garnir de munitions. L'on fait cepen-
ici un grand appareil de petits et de grands
LUX plats pour passer les bouillons de l'eau qui se
)ntrent dans les sauts. Les provisions de vivres
imu M. u. 19
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|ii«M unttééft^f itMxî i:xi4(iition. Il a fait des merràto
ilfuia li.a îliid i]ii ïAniArUiHii, OÙ il a réduit tout le monih
.1 riitii'iuofUM'U lin ito)^ iKitiM ocipérons qu'il ne ferai*
«ukImi ilfihfl iiMilan loH mitions du Canada. Voilà Fétll
lU»^ flu^p^iq pnur In ^tuivortuMUont des hommes.
»\mu *M^lni ilo hiou, lo IS d«s> décembre de Y
. ^M^^^,Mv. ^1 ï^juu< mu<> iMnuM<* A Oa;>iwo, vers l'heure de
fv. . î • .n.;^i.^ii,^ jx-^ruJ ,iusi^ui s'jc beciKs du matin
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 291
•
continaa quelque temps. L'étoile ou la tête de ce
étéore paraissait carrée, sa queue était comme des
lyoDS qui, par saillies, semblaient jeter des influences
mcer des vapeurs). Ces rayons étaient tournés du
M de la terre entre le -nord et le nord-ouest. Elle
ontait encore, et venant du côté du sud, elle portait
i queue à côté d'elle. On a remarqué qu'un matin on
i vit porter sa queue du côté du sud, puis elle sembla
mber à terre, et ses rayons tournés vers le ciel,
dpuis ce temps-là elle n'a plus paru. Le même jour
soleil a paru en se levant entouré d'un iris (arc-en-
el) avec ses couleurs ordinaires ; et une vapeur noire
^rtit du soleil, et de cette vapeur un bouton de feu.
Le vingtième de décembre, sur les trois heures après
idi, l'on vit paraître trois soleils éloignés les uns dés
itres d'environ un quart de lieue ; ils ont duré environ
le demi-beure, puis ils sont venus se rejoindre au
^leil ordinaire.
L'on a encore senti la terre trembler plusieurs fois
n ces quartiers, mais légèrement et assez peu de
rmps. Â Tadoussac et dans les forêts voisines elle a
femblé plus souvent, et aussi fortement qu'elle ât
;.7 a deux ans.
Le deuxième de janvier, l'on découvrit une seconde
Uttète semblable à la première. Sa queue était longue
* soixante pieds ou plus ; elle différait de la première
Q ce qu'elle portait sa queue devant elle. Il en a paru
De troisième au mois de février, presque semblable,
icepté qu'elle portait sa queue après elle, et qu'elle
iraissait le soir, sur les six heures, au lieu que les
lires paraissaient le matin. *
L'on a vu plusieurs fois des feux voler par l'air. Ce
nt peut-être des restes des tremblements de terre.
292 LETTRES
laquelle étant demeurée ouverte en plusieurs endroits.
E laissé aux feux souterrains des issues libres pour
s'élever en l'air. On a aussi remarqué une espèce de
dard fort élevé en l'air ; et parce qu'il était directemeit
entre nous et la lune, en sorte qu'il semblait qu'il f&t
dans la lune même, il y en a qui ont cm, et qui est
dit, qu'on avait vu la lune percée d'une flèche/
Les Iroquois ont fait, l'hiver et au printemps, pla-
sieurs meurtres sur Jes Français et sur les sauvages,.
tant à Montréal que dans les bois.
Quelques Algonquins Nipisiriniens venant ici eai
traite au nombre de vingt-cinq canots, eurent prise
avec les Iroquois, qui leur vinrent à la rencontre.
Quelques-uns d'entre eux, qui fhrent pris et emmenés,
s'étant sauvés depuis, ont rapporté que les Iroqaoii
(1) Le Père Le Mercier, Jésuite, dans sa Relation de 1665, après afoir déoit
la position et la marche des comètes dont parle la Mère de rincamation, s'expiÎBi
comme il suit relativement à divers météores et tremblements de terre.
« Le 27 décembre 1664, la lune se fit voir, après minait, d'ope façon bisi
* surprenante : car la moitié était rouge comme du sang, et l'autre moilié a
lumineuse qu'elle éblouissait les yeux.
1* Le 19 janvier 1665, sur les cinq heures trois quarts dn soir, on enteoditi
comme sortant de sous terre, un son qui fut pris pour un coup de canes. l\i^
entendu par des personnes éloignées de trois ou quatre lieues les unes des totni- 1^^
Un demi-quart d'heure après, il parut sur Québec un globe de feu qui ne fit 9*
passer et qui répandait une si vive lumière, que Ton voyait conmie en pliifl j^'^
des maisons éloignées de deux lieues. |^
» Dans la suite de Tannée on en a vu plusieurs autres semblable!, ttst â
Québec qu'au-dessous de Tadoussac et dans le chemin des Trois- Rivières.
1* Outre les médiocres tremblements de terre et des bruissements fréqocBti
dans les côtes voisines, la terre a tremblé extraordinairement àseptoabo»
lieues d'ici, et deux ou trois fois dans une même nuit, avec une extrême fiolcoc^-
Le jour de saint Mathias, aux environs de Tadoussac et à la Malbaye, lei trto*
blements de terre furent si fréquents, que les sauvages et on de nos Pères qB
hivernait de ce côté-là avec eux, assurèrent qu'ils n'étaient pas moins viol^^
que cens qui se firent sentir en 1663. ••
Voir oe qUe noua Avona dit après la Lettre GLIX, ci-dessus, page 226.
'a
I
f
DE LA MâRB MARIE DE L'INCARNATION. 293
stient transporté leur principal village de l'autre côté
la riviôre, et que quand leurs femmes vont aux
amps pour travailler, il y a toujours quelque nombre
Qsidérable douleurs jeunes guerriers, qui les devan-
it et qui les gardent durant leur travail. Cette pré-
ation nous fait croire qu'ils sont avertis que les
ançais ont dessein de leur faire la guerre. Ce ne sont
18 les Hollandais qui sont leurs voisins, mais bien
Anglais, qui se sont rendus les maîtres de tout ce
lis possédaient et qui les ont chassés. Cette conquête
it faite par ceux de la Nouvelle-Angleterre, qui sont
(Tenus si forts, qu'on dit qu'ils sont plus de quarante
Ile. Ils reconnaissent le roi d'Angleterre pour leur
nce , mais ils ne veuleiit pas en être tributaires.
i habitant d'ici, mais qui n'y était pas bien vu, parce
e c'était un esprit de contradiction et de mauvaise
meur, se retira chez les Anglais il y a environ deux
, et leur donna, à ce que l'on croit, la connaissance
beaucoup de choses du pays des Iroquois, et du
id profit qu'ils en pourraient tirer pour la traite,
en étaient les maîtres. On croit que ce peut être
lison qui les a portés à attaquer la Nouvelle-Hol-
). Voilà ce que nous avons pu apprendre de nou-
jusqu'à ce jour. Je vous prie de ne me point
r en vos prières.
î Québec, le 28 de juillet 1665.
LETTRE CLXX.
A SON FILS.
Vision par laquelle Dien l'anit dUpotte & •apport«r lee doolenn iTniu Ii»|m
maladie. — Sa Sddiité et la patience hérolquei dan* aea donlenn. — Di
I'dUIîU d«a tentation*. — Explication de» .trois étMa de la contenpUtioi
passive.
MoD très-cher fils.
Je reçus l'année dernière nne lettre de oonÛanoe de
votre part, à laquelle je ne pns répondre à canse (fane
grande maladie dont il a pla à la divine bonté de ms
visiter. Elle a darë près d'un an, et je n'en sais pu
encore bien guérie, mais je me porte beaaconp mienx
que je n'ai fait. Sa divine Majesté m'y a disposée d'ans
manière extraordinaire et tout aimable, en sorte que
je n'ai pas été prise au dépourvu. Vous serez peut-être
bien aise d'eu savoir l'origine et les suites , je vous
les dirai, afin que vous m'aidiez à louer ses divineB
miséricordes.
Avant que de tomber, je vis en songe Nôtre-Seigneur—
attaché à la croix tout vivant, mais tout couvert da»
plaies dans toutes les parties de son corps. Il gémissaïM
d'une manière très-pitoyable (attendrissante.) étant port^
par deux jeunes hommes, et j'avais une forte impresûoKS
qu'il allait chercher quelque âme fidèle pour lui demaïk.-'
der du soulagement dans ses extrêmes douleurs. Il ïoe
semblait qu'une honnête dame se présentait & lot poor J
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 295
•
et effet; mais peu après elle lui tourna le dos et
abandonna dans ses souffrances. Pour moi, je le suivis,
9 contemplant toujours dans ce pitoyable état, et le
egardant d'un œil de compassion. Je n'en vis pas
avantage, mais mon mal arrivant là-dessus, il me
emeura dans l'esprit une impression si forte et si
ive de ce divin Sauveur crucifié, qu'il me semblait
avoir continuellement devant les yeux, mais qu'il ne
ie faisait part que d'une partie de sa croix, quoique
les douleurs dussent des plus violentes et des plus
isupportables.
Le . mal commença par un flux hépatique et par un
panchement de bile par tous les membres jusque
ans le fond des os, en sorte qu'il me semblait qu'on
le perçât par tout le corps depuis la tété jusqu'aux
ieds. J avais avec cela une fièvre continue et une
olique qui ne me quittaient ni jour ni nuit, en sorte
^ue si Dieu ne m'eût soutenue, la patience me serait
iobappée, et j'aurais crié les hauts cris. L'on me donna
les derniers Sacrements, que l'on pensa réitérer quel-
que temps après, à cause d'une rechute qui commença
par un mal de côté comme une pleurésie, avec une
Dolique néphrétique et de grands vomissements accom-
pagnés d'une rétraction de nerfs qui m'agitait tout le
orps jusqu'aux extrémités. Et pour faire un assem-
lage de tous les maux, comme je ne pouvais durer
n'en une posture dans le lit, il se forma des pierres
BUS les reins qui me causaient d'étranges douleurs,
&DS que ceux qui me gouvernaient pensassent que
B fût un nouveau mal, jusqu'à ce qu'une rétention
^^urine le découvrit. Enfin je rendis une pierre grosse
^mme un œuf de pigeon, et ensuite un grand nombre
&e petites. L'on avait résolu de me tirer cette pierre.
296 LBTTRB8
mais entendant parler qu'on y vonlait mettre la main,
j'ens recours à la très-sainte Vierge par un Memarm
que je dis avec foi, et au môme temps cette piem
tomba d'elle-même, et les autres la suivirent.
Cette longue maladie ne m'a point du tout ennuyée,
et par la miséricorde de notre bon Dieu je n'y ai
ressenti aucun mouvement d'impatience, j'en dois tonte
la gloire à la compagnie de mon Jtisus crucifié, son
divin Esprit ne me permettant pas de souhaiter on
moment de relâche en mes souffrances, mais plutôt
me mettant dans une douceur qui me tenait dans la
disposition de les endurer jusqu'au jour du jugement
Les remèdes ne servaient qu'à aigrir mon mal et
accroître mes douleurs; ce qui fit résoudre les médeciDi
de me laisser entre les mains de Dieu, disant quêtant
de maladies jointes ensemble étaient extraordinaires, et
que la Providence de Dieu ne les avait envoyées que
pour me faire souffrir. Etant donc ainsi abandonnée
des hommes, toutes les bonnes âmes de ce pays tai-
saient à Dieu des prières et des neuvaines pour ma
santé. L'on me pressait de la demander avec elles, mais
il ne me fut pas possible de le faire., ne voulant ni
vie ni mort que dans le bon plaisir de Dieu. Mgr notre
digne évêque m'en pressait aussi, et je lui repartis
que j'étais dans l'impuissance de le faire. Ce très-bon
et très-charitable prélat me fit l'honneur de me visiter
plusieurs fois; le révérend Père Lallemant me rendit
toutes les assistances d'un bon père ; la Mère de Saint-
Âthanase, notre assistante, quoiqu'elle f&t chargée à mon
défaut de toute la maison, voulut être mon infirmière;
et ni elle ni aucune de mes sœurs, quoiqu'elles me veil-
lassent jour et nuit avec des fatigues incroyables, ne fat,
par la miséricorde de Dieu, ni malade ni incommodée.
DB LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 297
A prient je me porte beaucoup mieux, la fièvre
in*a quittée, sinon qu'elle mô reprend comme font mes
douleurs; et toujours il me reste une grande faiblesse
et un dégoût avec la colique continuelle et le flux hépa-
tique, qui ne m'a pas encore tout à fait quittée. Mais
tout cela me paraît comme des roses en comparaison
du passé. Je marche par la maison à l'aide d'un bâton.
J'assiste aux observances, excepté à l'oraison qui se
fait à quatre heures du matin, parce que mes maux
me travaillent un peu en ce temps-là.
Je rends grâces à Dieu de ce qu'il vous ait aussi rendu
Yotre santé, et des sentiments de patience qu'il vous
a donnés en votre maladie. Pendant le cours de la
mienne, sa divine Majesté, toujours aimable et toujours
pleine de bonté en mon endroit, m'a fait fa grâce et
l'honneur de me tenir une aussi fidèle compagnie dans
mes souffrances qu'au temps de ma santé dans les
emplois et dans les affaires qu'elle désire de moi. Quand
une âme se rend fidèle à ses desseins, i\ la conduit
quelquefois dans un état où rien ne la peut distraire,
où tout lui est égal, et où, soit qu'il faille souffrir,
soit qu'il faille agir, elle le fait avec une parfaite liberté
des sens et de Tesprit, sans perdre cette divine présence.
Mais venons à ce qui vous touche.
Vous me marquez dans votre lettre quelques poîïits
de confiance touchant vos croix intérieures. Je vous
en ai obligation, car je vous dirai que cela m'a servi
pour aider une âme qui s*est adressée à moi, qui est
dans de semblables peines depuis cinq ans. Elles ont
commencé par les mêmes occasions, mais je ne sais si
elle aura la même fidélité pour combattre et pour per-
sévérer dans son combat, parce que son grand mal est
que la volonté est attaquée; et elle l'est d'une manière
298 LBTTRB8
si violonte, qu'elle tombe assez souvent sans savoir ce
qu'elle fait. Cela donne bien de la peine à son directeur,
qui, pour éviter de plus grands inconvénients, la prive
souvent de communier, et quelquefois assez longtemps,
ce qui la porte à des agitations inconcevables : car elle
s'en prend à Dieu par des cris et des paroles qui me font
frémir. Ce que je trouve de bon en cette personne est
qu'elle est fidèle à découvrir ses plaies au médecin de
son âme, ce qui me fait espérer que Dieu lui fera miséri-
corde ; et d'ailleurs, on ne peut voir une personne plus
humble, plus douce, plus charitable, plus obéissante. Les
peines de N. ne sont pas de cette qualité, elles sont dans
l'imagination et dans l'entendement, où elle s'imagine
qu'un ou plusieurs démons lui parlent continuellement,
et cette imagination la trouble quelquefois de telle sorto
qu'elle croit leur répondre et leur acquiescer, ce qui
n'est pas, parce que sa volonté est tellement gagnée
à Dieu que le démon n'y peut faire brèche. Cette grande
croix sera sans doute la matière de sa sanctification,
car depuis le matin jusqu'au soir elle traite avec Dieu,
lui donnant des marques de sa fidélité, par l'acquies-
cement qu'elle rend à son esprit et à sa conduite sur
elle. Mgr notre Evêque n'a point de crainte à son égard,
non plus que le révérend Père Lallemant, à cause de
sa fidélité au regard de la tentation, et de sa soumission
au regard des ordres de Dieu ; et moi j'ajoute, à cause
des bas sentiments de son esprit, car elle s'estime la
plus misérable de la terre. Elle se recommande à vos
prières, et je vous la recommande particulièrement.
Pour vous, je bénis Dieu des grâces qu'il vous fait
dans la vie intérieure. Oh! que c'est un heureux par-
tage d'y être appelé et de s'y rendre fidèle! Prenons
courage jusqu'au bout de la carrière. Les peines que
DE I/A MÊRB BiARIB DE L'INCARNATION. 299
VOUS avez expérimentées vous ont fait da bien ; et de
plus elles vous peuvent beaucoup servir en la conduite
des âmes. C'est une conduite de Dieu assez ordinaire
de faire passer par de grandes épreuves ceux dont il se
veut servir dans la conduite des autres, aûn qulls con-
naissent les maladies de leurs inférieurs par leur expé-
rience, et qu'ils y apportent des remèdes plus propres
et plus convenables.
Dans la même lettre à laquelle je réponds, vous me
parlez de quelques points d'oraison qui spnt assez
délicats. Je vous y répondrai autant que ma faiblesse
me le pourra permettre.^ Je vous dirai donc, selon mon
petit jugement, qu'en matière d'oraison surnaturelle,
car c'est celle dont vous m'entretenez, je remarque trois
états qui se suivent et qui ont leur perfection particu-
lière. Il y a des âmes qui ne passent pas plus avant que
le premier; d'autres sont élevées jusqu^au second; d'au-
tres enfin parviennent heureusement jusqu'au troisième.
Mais en chacun de ces états, il y a divers degrés ou
opérations, où le Saint-Esprit les élève selon quil lui
plidt pour sa plus grande gloire et pour leur perfection
particulière, toujours avec des caresses qui n'appar-
tiennent qu'à un Dieu d'une bonté infinie.
Le premier état est l'oraison de quiétude, où l'âme
qui dans ses commencements avait coutume de s'occu-
per à la considération des mystères, est élevée par un
attrait surnaturel de la grâce, en sorte qu'elle s'étonne
elle-même, de ce que, sans aucun travail, son enten-
dement soit emporté et éclairé dans les attributs divins,
où il est si fortement attaché qu'il n'y a rien qui l'en
fX) Voir une explication plus détaillée de ces divers genres d'oraison, ou états
^ M*MMX»m, dans notre Vie de la vénérable Mère, chap. II, III et IV.
300 LETTRES
puisse séparer. Elle demeure dans ces illnstrations saoa
qu'elle puisse opérer d'elle-même, mais elle reçoit et
pâtit (éprouve d une manière passive) les opérations de
Dieu, autant qu*il plaît à sa divine bonté d*agir en elle
et par elle. Après cela elle se trouve comme une éponge
dans ce grand océan, où elle ne voit plus par distinction
les perfections divines ; mais toutes ces vues distinctes
sont suspendues et arrêtées en elle, en sorte qu'elle ne
sait plus rien que Dieu en sa simplicité, qui la tient
attachée à ses divines mamelles. L*âme étant ainri
attachée à son Dieu comme au centre de son repos
et de ses plaisirs, attire facilement à elle toutes ses
puissances, pour les faire reposer avec elle. D*oti elle
passe à un silence où elle ne parle pas même à celui
qui la tient captive, parce qu'il ne lui en donne ni la
permission ni le pouvoir. Ensuite elle s'endort avec
beaucoup de douceur et de suavité sur ces mamelles
sacrées, ses aspirations néanmoins ne reposent point,
mais plutôt elles se fortifient tandis que tout le reste
se repose, et elles allument dans son cœur un feu qai
semble la vouloir consumer; d*où elle entre dans rioac-
tion et demeure comme pâmée en celui qui la possède.
Cet état d'oraison, c'est-à-dire, l'oraison de quiétude,
n'est pas si permanent dans ses commencements, que
l'âme ne change quelquefois pour retourner sur les
mystères du Fils de Dieu ou sur les attributs divins;
mais quelque retour qu'elle fasse, ses aspirations sont
beaucoup plus relevées que par le passé, parce que les
opérations divines qu'elle a pâties dans sa quiétude
l'ont mise dans une grande privante avec Dieu, sans
travail, sans effort, sans étude, mais seulement attirée
par son divin çgiprii Si elle est fidèle dans la pratique
des TidaMaiÉÉiHI::demuide d'elle, elle passera oatre
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATIQN. 301
et] elle entrera plus avant dans le divin commerce avec
son bien-aimé. Cette oraison de quiétude durera tant
qa*ii plaira à Celui qui agit sur Tâme ; et dans la suite
de cet état il la fera passer par diverses opérations,
qui feront en elle un fond qui la rendra savante en la
science des Saints, quoiqu'elle ne les puisse distinguer
par paroles, et^ qu'il lui soit difficile de rendre compte
de ce qui se passe en elle.
Le second état de l'oraison surnaturelle, est l'oraison
d'union, dans laquelle Dieu, après avoir enivré l'âme
des douceurs de l'oraison de quiétude, l'enferme dans
les celliers de ses vins pour introduire en elle la parfaite
charité. (Gant. i. 4.) En cet état, la volonté tient l'empire
8ur l'entendement, qui est tout étonné et tout ravi des
richesses qu'il voit en elle; et il y a, ainsi qu'au pré-
cédent, divers degrés qui rendent l'âme un même esprit
avec Dieu. Ce sont des touches, des paroles intérieures,
des caresses d'où paissent les extases, les ravissements,
les visions intellectuelles, et d'autres grâces très-subli-
mes qui se peuvent mieux expérimenter que dire, parce
que les sens n'y ont point de part, l'âme n'y faisant que
pâtir et souffrir ce que le Saint-Esprit opère en elle.
Quoique le sens ne peine pas en cet état comme il faisait
dans les occupations intérieures qui ont précédé l'oraison
de quiétude, l'on n'y est pas néanmoins entièrement
libre, parce que s'il arrive que l'âme veuille parler au
dehors de ce qu'elle expérimente dans l'intérieur, l'esprit
qui la tient occupée l'absorbe, en sorte que les paroles
lai manquent, et les sens mêmes se perdent quelquefois.
Il se fait encore un divin commerce entre Dieu et
*
rame par une union la plus intime qui se puisse ima-
0ner, ce Dieu d'amour voulant être seul le Maître
aI>iolu de l'âme qu'il possède. et qu'il lui plaît de caresser
<■ (>»lll
l'IOF LKTTRR8
H (rhnnornr do lu Morte, ot no pouvant soofirir qae rien
prnnnn pnrt i\ ootto jouiasance. Si la personne a de
l^rnndnii onnupuiions, ollo y travaille sans cesser de
pAtir 00 (|un Dion fait on elle. Cela même la
pnroo quo les Rona tétant oecupds et divertis t
I Âmo on ont plus libre. IVautres fois les
porolloA ot la vie inAme lui sont extrêmement
A oauffo du commorce qu elles 1 obligent daroar swlrn
ori^aturoA : elle $*en plaint à son bien-aimé«
do« part^los do rKpouse sacnîe : Fuyons, num h
^llm^: À fMirf, ^Oaxt. 7. IL^ Ce sont des plaTtit»;
ix^ui^o» qui (Ta^oiit le cœur de llSponx pour iaxpt h
Kpou^ do nouvelles caresses qui ne se pBxz^en;
mor ; A il somMo qu'il la confirme dans sbe
plu» excellentes, et que les paroles cjn'il &
dites A ses apôtres soient accomplies en elle.
oft>1 e^les le sont au fond de Tame : Si aueUn:
if r^fimrrai-^ ei wfm P/rr T aimera : noua «taurroa. as. uir
V fiTTfmsi fwr'Y à/inwurr. .tloAX. 14, zîS, L'âniÊ. ôi^-Sk..
rinoente ceu^ Tcnié, d où naît le iroisiàme ^ttTû
qui ess le mariaire sninr-nel et iLystiout.
Oe troisième éia; de l'ûraisoL passive on
^w If pins snhhiite ùi Txtns. Les sens t son:
îihr», onc l'iimt du: t es; narvenne '^^ ^dsc~ ac
distrartinr. aimB ]& emnioif ot se condluoi 1
1i lu: tau: néannininf avoir xxl irram. coxnss
que la natun aernenr^ uênuée de ton: b«!ox7^
du cMî- lit Vamt. I)ieL ^éianT leliemeiî' emBar^ tèL
orJil es; commt u lonc ut st suQstanc^. Oe r.i.;*r»«»
fssi s: sunti. e: î. diTiL qiu ]ùl Ijûl tiSc: luirir-^yic»
i. iaiii. w^as: m éi^: ;.-3Tmanen: on i'anse e^nifin^c-*
i».i îraii.rjîii-- i: son- iîui nei n^ ;;. pec oicrrtn *
siMirar^ £; Êe^ resiir*- éon: l sol oieir-Aunr -ûaiL^-tr*
:-«»*^i >*i
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION . 303
épnrë de tout mélange, autant qu'il le peut être en cette
vie ; et par ces mêmes respirs elle lui parle sans peine de
ses mystères et de tout ce qu'elle veut. Il lui est impos-
sible de faire les méditations et les réflexions ordinaires,
parce qu'elle voit les choses d'ua simple regard, et c'est
ce qui fait sa félicité dans laquelle elle peut dire : Ma
demeure est dans la paix. (Ps. 75. 3.) Elle expérimente ce
que c'est que la véritable pauvreté d'esprit, ne pouvant
vouloir que ce que la divine volonté veut en elle. Une
chose la fait gémir, qui est de se voir en cette vie sujette
. à l'imperfection, et d'être obligée de porter une nature
. si corruptible, encore que ce soit ce qui la fonde dans
l'humilité. *
Je reviens au sujet qui m'a fait faire cette digression,
et je dis que quand une âme est parvenue à ce dernier
état, ni l'action ni les souffrances ne la peuvent distraire
ou séparer de son bien-aimé. S'il faut souffrir les dou-
leurs de la maladie, elle est comme élevée au-dessus
du corps, et elle les endure comme si ce corps était
^ séparé d'elle-même, ou comme s'il appartenait à un autre.
Voilà, ce me semble, mon très-cher flls, les points que
, -vous m'avez proposés, auxquels je vous réponds selon
^ ma petite expérience. Je ne sais pourtant si ce que
^: fen ai dit est bien à propos, tant à cause de mon igno-
"^ rance, que pour mon peu de loisir, joint à ma très-
-^ grande faiblesse, qui ne me permet pas de faire une
^ application forte et sérieuse à quoi que ce soit.
E:-
De Québec, le 29 de juillet 1665.
I
/
304 LETTRES
LETTRE CLXXI
AU MÊME.
Elle témoigne le plaisir qu'elle a de le voir religieux. — Jalousie des geni ds
monde contre les religieux et les serviteurs de Dieu. — Effets mirtcuieiiz
arrivés par la dévotion à la Sainte-Famille.
Mon très-cher fils,
Je vous ai déjà donné avis par mes dernières lettres
que j'ai reçu trois des vôtres cette année. J'ai été bien
consolée d'apprendre votre meilleure disposition. Et
moi je vous dis que je sors d'une maladie mortelle qui
a duré une année entière. Notre-Seigneur, qui m'en
a tirée par sa bonté, sait si ce sera pour longtemps. A
présent que je vous écris, je me porte beaucoup mieux,
en sorte que j'assiste aux exercices de la régularité. Je
suis encore faible, mais comme je suis d'un bon tem-
pérament, je surmonte les difficultés sans m'en trouver
plus mal, mais plutôt je sens que par ces petits efforts
mes forces se rétablissent.
Par la grande lettre que je vous ai écrite il y a pea
de temps, je vous ai fait le récit des dispositions de
mon intérieur durant cette maladie. Je vous fais encore
réponse touchant quelques points d'oraison dont vous
me parliez l'année dernière, n'y ayant pu satisfaire pour
lors à cause de ma maladie, je tâche de m'en acquitter
autant que ma faiblesse le peut permettre. Si j'étais
DE LA MËRE MÂRIB DE L'INCARNATION. $05
che de vous, mon cœur se verserait souvent dans
ôtre, pour m*entretenir avec vous des grandeurs de
pe bien-aimé. Car je ne puis exprimer la consolation
mon âme de savoir que vous ne voulez aimer que
et que Fesprit intérieur vous y tient lié si étroite--
it. Je vous aime plus pauvre religieux que si vous
z monarque de tout l'univers. Vous me dites que
'on exécute dans votre Congrégation le statut qui
te que Ton fera des cellules séparées pour lès reli-
QX qui voudront vivre solitaires, vous serez des
miers qui se présenteront pour les remplir. Je ne
is pas que Dieu demande cela de vous. Il faut à
sent vous abandonner à sa conduite aux dépens
votre repos. Puisque Dieu donne de si heureux
grès à votre Congrégation, et qu'il se présente tant
monastères à réformer, elle a besoin d'un grand
ttbre d'ouvriers; et puisqu'il vous donne l'esprit de
duite, il faut que vous fassiez profiter son talent
ant de temps que l'obéissance le voudra de vous,
lendant soyez supérieur par humilité, et commandez
obéissance.
>ans vos progrès vous souffrez persécution; c'est
t-être ce qui vous fait prospérer. Que ces sortes
persécutions ne vous abattent donc point le courage,
it que Dieu aura des serviteurs sur la terre, le
ade leur sera toujours contraire. Nous sommes ici
bout du monde, et nous ne laissons pas d'expéri-
iter cette vérité. On ne saurait croire combien
l'y est trouvé de calomniateurs contre Mgr notre
lat, contre les révérends Pères, contre nous et contre
werirs personnes de mérite ; et cela pour la plupart
plus souvent) à cause du temporel. L'on a écrit des
res diffamatoires qui sont allées jusqu'au roi, qui
LBTTR. M. IX.
20
306
a découTert les fourberies des calomniatears, et nimo-
cence des senriteors de Dieo. M. de Tracy, qui porte
le nom de Tice-roi de FAménque, étant arrivé, a va ai
clair dans ces afiaires, qnll en a donné an second avif
au roi, en suite de quoi ceux qn*on avait vooIq abaisser
par pore envie, sont estimés pins que jamais, et leuv
ennemis humiliés par la privation de leurs charges.
Nous n'avons pas été exemptes de ces croix; car
on a voulu nous faire perdre nos concessions, disant
que nos titres, tout confirmés qu ils sont, ne soient qae •
fourberies. Cela était en débat au temps que j'étais
quasi à Textrémité. Notre-Seigneur néanmoins me fit
la grâce de me donner assez de forces pour écrire
contre ces Messieurs. J'envoyai mes papiers à M. le
Gouverneur, le suppliant de surseoir cette affaire jusqu'à
l'arrivée de M. de Tracy qui réglerait les choses après
en avoir pris les connaissances. Il m'accorda cette
grâce malgré ces Messieurs, qui déclamaient d'ane
étrange manière contre moi. M. de Tracy ayant pris
connaissance de l'affaire nous a promis sa protection,
et il attend que M. llotendant soit arrivé pour régler
toutes choses. Vous voyez, mon très-cher fils, que les
serviteurs de Dieu souffrent partout, mais que la divine
Majesté prend leur cause, et le temps pour la faire
réussir.
Je vous dirai avant que de finir celle-ci, que Notre-
Seigneur a fait paraître cette année des effets extraor-
dinaires de sa toute-puissance par des miracles, ou du
moins par des effets miraculeux, qu'il lui a plu d'opérer
par l'invocation de la Sainte-Famille. Et comme quel*
ques-uns se sont faits en faveur de quelques soldats
français, vous ne sauriez croire combien la dévotion
à cette Famille sainte s'est répandue dans toute l'armée.
DB LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . 307
Je me réserve de vous en faire le détail dans une autre
lettre* où j'espère vous parler des préparatifs à la guerre
des Iroquois. Cependant je vous supplie de demander
à Dieu qu'il me donne les véritables dispositions qui
me sont nécessaires pour l'éternité. '
De Québec, le 30 août 1665.
LETTRE CLXXII.
AU MÊME.
Bmbrasement de Téglise et du fort de Tadoussac. — Accident faneste surTenu
mux Uraulines. — Arrivée de Tarmôe française à Québec. — OrAces obtenues
par la dévotion à la Sainte-Famille.
Mon très-cher fils,
Je me suis don;ié la consolation de vous écrire plu-
sieurs lettres.* Par celle-ci, qui est la quatrième, je vous
dirai que Notre-Sjdigneur nous a envoyé cette année
des sujets d'affliction aussi bien que de consolation
et de joie. Nous venons d'apprendre que le fort de
Tadoussac est brûlé par accident avec l'église et la
maison. C'est une très-grande perte, parce que c'était
une retraite pour le trafic et un refuge pour les Fran-
çais et pour les sauvages. C'est pourquoi comme il n'y a
nulle apparence d'abandonner les uns et les autres aux
incursions des ennemis, je crois que l'on sera obligé
de rétablir le tout au printemps prochain.
Depuis quelques jours il nous est arrivé une affaire
308 LETTRES
bien épineuse. Deux de nos domestiques ont fait on
mauvais coup, d'où il s*est ensuivi la mort d*un homme.
Comme cela s*est passé dans la maison où nous logeom
nos domtestiques, de neuf qui y étaient restés, on en
enleva six tout à la fois, qu'on mena en prison dans
le château. Trois de la compagnie étant malades, os
les laissa, mais on y envoya une garnison de soldats
pour les garder. Nous en avons retiré quatre à la faveur
de nos amis, lesquels ont été déchargés aussi bien qae
les trois malades. L'on diffère le jugement des deux
autres, jusqu'à ce que l'on ait attrapé les deux coupa-
bles, qui, après avoir fait le coup, avaient pris la fuite.
Les deux qui sont en prison seraient déjà exécutés,
sans la faveur des personnes puissantes que nous
employons, afin qu'on ne fasse rien sans prendre une
véritable et entière connaissance du mal. Noos ne
pouvons dire encore ce qui arrivera.
Si Dieu nous frappe d'une main, il nous console de
l'autre. Enfin tous les vaisseaux sont arrivés, et nous
ont amené le reste de l'armée avec les personnes les
plus considérables que le roi envoie pour secourir
le pays. Ils ont pensé périr tous à cause des tempêtes
qui les ont arrêtés quatre mois dans le trajet. Aux
approches des terres, impatients d'une si longue nayi*
gation, ils ont trop tôt ouvert les sabords de leurs
navires, ce qXii a fait que l'air y étant trop tôt entré,
la maladie s'y est mise, qui a causé bien de la désola-
tion. D'abord il en est mort vingt, et il a fallu en mettre
cent trente à Thôpital, entre lesquels il y avait plusieurs
gentilshommes volontaires, que le désir de donner leur
vie pour Dieu avait fait embarquer. La salle de l'hôpital
étant pleine, il en a fallu mettre dans l'église, laquelle
étant remplie jusqu'aux balustres,il a fallu avoir recours
DE LA MÈRE MARIE DE L'INGARNATION. 309
aux maisons voisines, ce qui a extraordihairement
fatigué toutes les religieuses « mais ce qui a aussi
excellemment augmenté leur mérite.
Les vaisseaux, quoiqu'en grand nombre, étant rem-
plis d'hommes et de bagage, nos nécessités et rafraî-
chissements sont demeurés en France pour la plupart.
Nous en serons très-incommodées, mais il faut un peu
pâtir avec les autres. Je bénis Dieu de nous avoir mises
dans un pays où plus qu'en aucun autre il faut dépendre
de sa divine Providence. C'est là où mon esprit trouve sa
consolation, car parmi tant de privations nous n'avons
encore manqué ni de vivres, ni de vêtements, mais
plutôt il me semble dans mon cœur que nous sommes
toujours trop bien.
Quant au reste de l'armée, elle est en bonne réso-
lution de signaler sa foi et son courage. On leur fait
comprendre que c'est une guerre sainte, où il ne s'agit
que de la gloire de Dieu et du salut des âmes ; et pour
les y animer, on tâche de leur inspirer de véritables
sentiments de piété et de dévotion. C'est en cela que les
Pètes font merveille. Il y a bien cinq cents soldats qui
ont pris le scapulaire de la sainte Vierge. C'est nous
qui les faisons, à quoi nous travaillons avec bien du
plaisir. Ils disent tous les jours le chapelet de la Sainte-
Famille avec tant de foi et de dévotion, que Dieu a fait
voir par un beau miracle que leur ferveur lui est
agréable. C'est en la personne d*un lieutenant, qui ne
's'ëtant pu /trouver à l'assemblée pour le réciter, s'était
retiré dans un buisson pour le dire en son particulier.
La sentinelle ne le distinguant pas bien, crut que
c'était un Iroquois qui s'y était caché, et dans cette
créance le tire quasi à brûle-pourpoint , et se jette
aussitôt dessus, croyant trouver son homme mort. Il
310 LBTTRB8
devait Tétre en effet, la balle loi ayant donné dan^
la tête deux doigts au-dessus de la tempe. Mais la
sentinelle fut bien étonnée de trouver son lieutenant
à terre tout en sang au lieu d'un Iroquois. On le prend,
on fait son procès : mais celui qu'on croyait mort se
leva, disant qu'il demandait sa grâce, et que ce ne serait
rieii. Et en effet on le visita, et on trouva la balle
enfoncée mais Thonmie sans péril, ce qui a été approuvé
miracle. Cette occasion a beaucoup augmenté la dévo-
tion dans l'armée, où les révérends Pères de la Compa-
gnie font merveille.^
Nous voyons encore d'autres miracles sur les dévots
de la Sainte -Famille. A sept lieues d'ici il y a un bourg
appelé le Petit-Cap, où il y a une église de Sainte- Anne,
dans laquelle Notre-Seigneur fait de grandes merveilles
en faveur de cette sainte Mère de la très-sainte Vierge.
On y voit marcher les paralytiques, les aveugles recer
voir la vue, et les malades de quelque maladie que oe
soit recevoir la santé. Or depuis quelques jours, une
personne qui avait perdu la vue, et qui avait une parti-
culière dévotion à la Sainte -Famille, fut menée à cett»
chapelle pour demander à Dieu sa guérison par l'inter^ —
cession de sainte Anne. Mais cette grande sainte n^
voulut pas lui accorder cette grâce, qu'elle savait êtr^i
réservée à Tinvocation de la Sainte-Famille. On Iv^
ramène donc à Québec devant l'autel de cette FamilteP
sainte, où la vue lui fut rétablie. Voilà ce qui se pasa^
à présent en ces quartiers. Dieu est bon et miséricor-^
dieux dans tous les endroits du monde envers ceux qojS
(1) Le Père Le Mercier, Jésuite, dans sa Relation de 1665, racoote le oésxi^
fait à peu prè8 dans les mêmes termes. Il ajoute d'autres faits non moixB#
frappantf»
z
DB LA MftRB MARIB DB l'incarnation. 311
le veulent aimer et servir. Aimons-le donc de tout notre
oœur; servons-le de tout notre pouvoir, et il versera
sur nous ses bontés et ses miséricordes.
De Québec, le 30 de septembre 1665.
LETTRE ÇLXXIII.
AU MÊME.
Naufrage da Vice- Amiral retournant en France. — Le pays se peuple et devient
meilleur de jour en joar.
': Mon très-cber fils,
rSi les lettres que je vous ai écrites cette année sont
drivées jusqu'à vous, c'est ici la cinquième que vous
!: devez avoir reçue de moi. Mais je suis fort en doute
" 90e le grand nombre que j'ai écrites en diverses villes
dô franco y soient arrivées, parce que le Vice-Amiral,
^0 la flotte du roi, où étaient nos plus considérables
'^Ponses et les papiers de nos plus importantes affafres,
^ ^Eiit naufrage à deux cents lieues d'ici. Ce que nous
«av^c>ns de certain de cet accident est qu'il n'était pas
^<^ore hors des terres, qu'il s'est brisé sur des roches,
- l'oint le monde néanmoins s'est sauvé à la réserve d'un
lûatidot. L'on a pareillement sauvé une bonne partie
du iDagage, ce qui me laisse quelque espérance que nos
lettrées et nos mémoires auront échappé du naufrage.
C^t accident arriva la nuit, tout le monde étant couché
^^ en repos, excepté les pilotes, et tout d'un coup le
312 LETTRES
vaisseau coula à fond entre deux roches. Il y avait
trois honnêtes dames qui allaient en France pour leon
affaires; il fallut les tirer du péril par des poulies
attachées au haut du mât, puis les enlever par le
moyen des cordes, avec des peines nonpareilles, pour
les mettre sur des roches. Tous se sont retirés sar les
monts de Notre-Dame, qui est le lieu le plus stérile
et le plus froid de l'Amérique, n'ayant que pour donze
jours de vivres, qu'ils avaient sauvés du débris, M. de
Tracy a ordonné à trois vailseaux du roi, qui sont partis,
de prendre tout ce monde en passant, ou au cas qulls
ne puissent aborder et qu'on soit contraint de les
laisser hiverner sur les roches, de leur envoyer des
vivres pour huit mois. Il a encore envoyé du monde
pour leur donner secours : nul n'est encore de retour;
nous en attendons des nouvelles.
Nous avons été affligés de cet accident, mais nous
n'en avons pas été surpris ; parce que depuis que nous
sommes en ce pays, l'on n'avait point encore vu de si
grandes tempêtes sur la mer ni dans le grand fleave
que cette année. Les douze vaisseaux qui sont arrivés
ont pensé périr. Le treizième, qui était la frégate de
M. de Tracy, a coulé à fond à l'entrée du fleuve, où oa
l'avait vue. Tous ses gens, toutes ses provisions, tout
son bagage a péri, ce qui le recule un peu dans ses
affaires, à cause des grandes dépenses qu'il est obligea
de faire et du grand train qu'il doit entretenir. Voil^,
mon très-cher fils, les accidents de la vie humain^,
qui nous apprennent qu'il n'y a rien d'assuré dans l^
monde, et que nous ne devons attacher nos cûfe-n^^
qu'aux biens de l'éternité.
^ L'argent, qui était rare en ce pays, y est à pr^^^/
fort commun, ces Messieurs y en ayant bea^xç^^^
DB LA MÈRE MARIE DE l'iN CARNATION. 313
apporté. Ils payent en argent tout ce qulls achètent,
tant pour leur nourriture que pour leurs autres néces-
sités, ce qui accommode beaucoup nos habitants.
Les cent filles que le roi a envoyées cette année
ne font que d'arriver, et les voilà déjà quasi toutes
pourvues. Il en enverra encore deux cents l'année
prochaine, et encore d'autres à proportion les années
suivantes. Il envoie aussi des hommes pour fournir aux
mariages, et cette année il en est bien venu cinq cents,
sans parler de ceux qui composent l'armée. De la sorte
c'est une chose étonnante de voir comme le pays se
peuple et multiplie. Aussi dit-on que Sa Majesté n'y
▼eut rien épargner, y étant excité par ces seigneurs qui
Bout ici, et qui trouvent le pays et le séjour ravissant
en comparaison des îles de l'Amérique d'où ils viennent,
et où la chaleur est si extrême qu'à peine y peut-on
▼ivre. Ce pays-là est riche, à cause des sucres et du
tabac que l'on en transporte, mais il n'y peut venir
de blé. leur pain est fait d'une certaine racine dont la
nécessité les oblige de se nourrir. Mais ici les blés, les
lâgomes, et toutes sortes de grains croissent en abon-
dance. La terre est une terre à froment, laquelle plus
on la découvre des bois, plus elle est fertile et abon-*
*aûte. Sa fertilité a bien paru cette année, parce que
le» tarines de l'armée s'étant gâtées sur la mer, il s'eat
wttvô ici des blés pour fournir à sa subsistance sans
îùre tort à la provision des habitants.
Cette abondance néanmoins n'empêche pas qtfil y ait
ici un grand nombre de pauvres; et la raison est que
VJjad une famille commence une habitation, il lui faut
«w ou trois années avant que d avoir de quoi se
Jjwnr, sans parler du vêtement, des meubles et d\me
™»ité de petites choses nécessaires à reutretiea d uw
314 LBTTRB8
maison; mais ces premières difficoltâs étant passées,
ils commencent à être à leur aise, et slls ont de la
conduite, ils deviennent riches avec le temps, autant
qu'on le peut être dans un pays nouveau comme est
celui-ci. Au commencement ils vivent de leurs grains,
de leurs légumes et de leur chasse, qui est abondanto
en hiver. Et pour le vêtement et les autres ustensiles de
la maison, ils font des planches pour couvrir les mai«
sons, et débitent des bois de charpente qu'ils vendent
bien cher. Ayant ainsi le nécessaire, ils commencoït
à faire trafic, et de là sorte ils s'avancent peu à peu.
Cette petite économie a tellement touché ces Mes-
sieurs les ofiSciers, qu'ils ont obtenu des places pour
y faire travailler, ainsi il est incroyable combien. oe
pays se découvre, et se peuple partout. Mais ce que
Ton recherche le plus, est la gloire de Dieu et le saint
des âmes. C'est à cela qu'on travaille, comme aussi
à faire régner la dévotion dans l'armée, faisant com-
prendre aux soldats qu'il s'agit ici d'une guerre sainte,
où il y a plus de profit à faire pour le ciel que de for-
tune pour la terre. Il y en a bien cinq cents qui ont
pris le scapulaire de la sainte Vierge, et beaucoup
d'autres qui disent le chapelet de la Sainte-Famille tous
les jours. Ils ont tant de dévotion à cette Famille sainte,
que Dieu, pour récompense de leur Foi et pour accroître
leur ferveur, a bien voulu faire des miracles. Je vous
en ai parlé ailleurs , c'est* pourquoi je ne le répète
point ici.
Je vous ai dit dans une autre lettre qu'une partie
de l'armée a pris le devant pour se saisir de la rivière
des Iroquois, et faire des forts sur ses rivages dans les
passages les plus avantageux. Â quoi j'ajoute que nos
chrétiens algonquins sont allés camper avec leurs
DE LA MÈRB H ARIB DE L*INGARNATION . 315
familles à Tabri des forts et de ceux qui les gardent.
Ils font de grandes chasses où leurs ennemis avaient
coutume d'en faire et d'enlever la meilleure part de
leur pelleterie. Leur chasse est si abondante qu'on dit
que chaque jour ils prennent plus de cent castors, sans
parler des orignaux, et autres bêtes fauves. Eu quoi les
Français et les sauvages s'aident mutuellement. Les
Français défendent les sauvages, et les sauvages nour-
rissent les Français des chairs des bêtes qu'ils prennent,
aprôs en avoir enlevé les peaux, qu'ils portent aux
magasins du pays. M. de Tracy me dit, il y a peu de
jours, qu'il avait mandé tout cela au roi, avec les autres
avantages que l'on a pour faire la guerre à l'ennemi
juré de notre Foi. Joignez vos prières aux nôtres, afin
que Dieu verse ses bénédictions sur une entreprise
si avantageuse à sa gloire.
De Québec, le 29 (^octobre 1665.
LETTRE CLXXIV.
A UNE religieuse' URSULINE DE TOURS.
(La Mère Charlotte des Anges.)
Elle répond avec une admirable douceur et modestie, à quelques faux bruits
que l'on avait fait courir contre son monastère.
Ma révérende et très-intime Mère,
Notre bon Dieu, qui n'a pas encore voulu de moi,
veut que je réponde à votre lettre toute remplie de la
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r..4 -r. 7 .-^c:sj. I ^ =!i i sicare i Roaen eti
>>- » -r -.v^ ^- :.-iâ irr^^ors aonpareilles pour
'• a-' ' ':.'\ \ \r^ îâZ;5 :éilc3 d-f divers antre!
^a^-rv- ..-^ v.Vry? t^;ljciî-:.i. ixcs n'appelions qoe
f* '■",/ ^,- f'^-^^ iP-.'-'^î :-:î Ic::r Tûcation, quelles ont
'1'/;;- ';^'3i ..5^-,: ^r. >.-.-'*. -^^ hien approuvée (constatée),
n y n, Tmf. r^,,.^;^-»'^ -e notre CongrégatioD qui a on
finlpfd flAnir 'if. vfjfiir ici, et du mouastôre de laquelle
on n i'^f'.ni ;ifj rév^^rfiud Père Ragueneau, qu'on y avait
innnfh'i r|n TrMirft que l'on a renversé ici tontes oof
iMitinfil.nliorin pour y niottro celles de Paris, outre qaafl*
IH<« tin rlioppH biori particulières, capables d'offenser les.
i^'v^iH^nd» Vi^vo.H qui ont travaillé à raffermissement de
no<r« .union. Cette l>onne fille néanmoiDs mande i »
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DELA MERE MAKJE Ut '..V.^'.i.if.^yr. U'j- •/ ♦
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'''€3?IîT5 : es*" VS\Z' ':r "l ■". •- . . '. . ?•::■»♦■' o*:" '->-•'■■ '^ '*'^''
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tioii
318 LETTRES
attendant mieux. Je vous prie de présenter mon très-
humble salut à ces chères Mères qui sfe souviennent de
moi. Je vous embrasse avec elles dans le Cœur amou*
reux de Jésus.
De Québec, le 3 de septembre 1666.
LETTRE CLXXV.
A SON FILS.
Il ne faut se prescrire aucun terme dans TOraison, mais se laisser oondoire par
l'esprit de Dieu jusqu'à ce que lui-même nous arrête. ^- Etat où il arrête les
Ames fidèles, qui est celui où elle était lorsqu'elle écrivait cette lettre. — Son
inçlifférence et sa résignation pour les charges.
Mon très-chçr fils,
Voici la réponse à votre lettre de confiance, qui m'a
également consolée et édifiée. Je crois que le Saint-
Esprit vous a donné les saints mouvements qui youB
ont tant pressé le cœur ; et c'est un plus grand avan-
tage pour votre bien que le tout se soit passé en esprit
de foi, que si vous aviez eu des visions on quelque
chose extraordinaire de sensible, qui sont bien souvent
sujettes à l'illusion. Il y en a pourtant de véritables qui
viennent de Dieu , mais ce qui se fait en l'âme par
l'opération de la Foi est plus sûr et d'un plus grand
mérite ; et cela conserve mieux l'esprit d'humilité. Vive»
donc en la possession de cette divine sagesse. J'ai bieo
compris tout ce. que vous m'en avez écrit, selon
DB LA. HABB HABIB DB L'INCARNATION. 319
t petites Inmièrea que la bonté de Dieu me donne dans
I la oommuoication. foncière par laquelle elle me fût la
grâce et l'honneur de me lier à elle.
Il me semble néanmoins que tous donnez une borne
' à l'esprit de grâce qui toqs conduit, lorsque vous dites
que c'est à l'esprit d'oraison et d'union que tous devez
Toas attacher pour le reste de vos Jours. Non, ne
croyez ^as cela, â moins d'une révélation bien avérée ;
parce que dans ce nouTel état d'alliance où tous êtes
entré aTec la sagesse éternelle, si vous lui êtes fldôle
tous irez toujours de plus en plus en de nouvelles com-
monications aTec elle. C'est un abîme sans fond qui
ne dit jamais, c'est assez, aux âmes qu'elle possède. Je
TOUS avouerai bien une chose que j'ai expérimentée être
véritable, que, dans le cours de la vie spirituelle, il 7 a
des écarts où l'âme soufii'e de saintes inquiétudes et des
, impatiences amoureuses, quoiqu'il lui semble être dans
^ la jouissance de son unique bien. Il la fait jouir, puis il
M retire pour la faire courir après lui. Ce sont des
jeux de cette adorable Sagesse qui est descendue du ciel
foUT jouer dans le monde, et potv pren^ ses àivertiêsements
I avec les enfants des hommes. (PROV. vill, 31.) Ces divins
états ne finissent point, jusqu'à ce que cette même
Sagesse, a^ant purifié dans son feu l'âme dans laquelle
■ «lie se ptait d'habiter, elle la possède enfin parfaitement
i. dans son fond, où il ne se trouve plus d'inquiétude, je
y veux dire plus de désir, mais une paix profonde qui
I par expérience est inaltérable. Je ne Teox pas dire qae
l'on deviendrait impeccable, car ce serait une illosion
</? J^ présumer ; mais on jouit de la liberté des enfants
iffi jyi^u ^YQc une douceur et tranquillité ineffables. Les
"' — '-— ■ ^ tgj Texations des démons, les
M, les croix, les peines, les ma-
320 LETTRES
ladies, ni quoi que ce soit, ne sauraient troubler ni
inquiéter ce fond, qui est la demeure de Dieu, et je
crois qu*il n'y a que le péché et l'imperfection volontaire
qui le puissent faire.
Mais comme dans le ciel, outre la gloire essentielle,
Dieu fait goûter aux bienheureux des joies et des
félicités accidentelles, pour faire éclater en eux sa
magnificence divine^ ainsi dans ces âmes chéries où
il fait sa demeure en terre, outre cette possession
foncière qu'il leur donne de lui-même, il leur fait
quelquefois sentir un ^panchement de joie qui esL
comme un avant-goût de l'état des bienheureux. II
a bien néanmoins de. la diâférence entre cet état fon
cier et cet autre accidentel, parce, que ce dernier es
sujet au changement et à l'altération, au lieu que 1
premier concentre de plus en plus l'âme dans son Dieu
pour lui faire trouver un parfait repos dans une par
faite jouissance.
Ces âmes ainsi avancées ont trouvé leur fin e;
jouissant dans leur fond de Celui qu'elles aiment; e
ce qu'elles pâtissent extraordinairement hors de ce fon'
n'est qu'un excès de sa magnifique bonté. Quoi qtfi
arrive, elles sont contentes en elles-mêmes, et ne veulen
rien que dans l'ordre de sa très-sainte et suradorabl
volonté. Si elles se trouvent engagées dans les affaires^
temporelles, il ne leur est pas besoin de faire tant i0^
réflexions pour trouver des raisons ou des réponses*
convenables en celle dont il s'agit, parce que Celui qai
les dirige intérieurement leur met en un moment daoH
la pensée ce qui est à dire ou à faire. La façon mêm^
avec laquelle elles prennent et envisagent les choses ^^^
fait voir en elles la droiture et la direction de l'esprit de ^^ ^
Dieu. Ce n'est pas qu'elles ne se sentent portées et I^
i
I
DB LA MÈRE MARIE DE L*IN CARNATION. 321
qu'elles ne se portent en effet à demander conseil à ceux
qni les gouvernent et les dirigent sur la terre, parce
que Dieu, qui veut que nous nous défiions de nous-
mêmes, nous soumettant à ses serviteurs, se plaît à
cette soumission, et veut que nous en usions de la sorte.
11 est très-difficile à ces âmes qui jouissent ainsi de
Dieu de rendre compte de leur intérieur, parce que
Tétat où elles sont est une extrême simplicité, et qu'elles
y sont perdues en Dieu, qui est l'unité et la simplicité
mêmes.
Jusqu'à ce que vous soyez arrivé à ce point, courez
et avancez sans cesse dans les embrassements de votre
divine Sagesse. Elle vous arrêtera au temps de son
or'donnance, et vous conduira par son Esprit-Saint en
to^t ce que sa divine Majesté voudra de vous. Par ce
P^u de mots vous voyez que votre lettre m'est tombée
oxi^tre les mains : elle n'a été vue ni ne le sera de per-
sonne, puisque vous le voulez. Si vous y prenez garde
de près vous connsutrez ma disposition présente, car
1*^ pondant à l'état où vous êtes, je vous ai insensible-
i^cnt dit celui où je suis par la miséricorde de Celui qui
J^ous prévient de tant de grâces.
Quant à ma disposition corporelle, je suis devenue
^^trêmement faible par mes grandes maladies, qui ont
dâjà duré deux ans, durant lesquels je me suis très-mal
^oqaittée de ma charge. Je souhaite le repos et ma
déposition, avec tranquillité néanmoins, l'Esprit qui
^e fait la grâce de me diriger ne me permettant pas de
^en vouloir que dans, la conduite de ses adorables
A^seins sur moi. Je rends de très-humbles actions de
St'âces à la Bonté divine de toutes celles qu'elle vous
• ^^t et qu'elle veut vous faire si vous lui êtes fidèle.
^est un point qui me manque, car je serais bien autre
LITTR. M. n. 21
\
322 LETTRES
que je ne suis, si j'avais correspondu à toutes se$
faveurs.
De Québec, le 22 de septembre 1666.
LETTRE CLXXVI.
AU MÊME.
Cérémonie remarquable faite & Québec en la translation' des corps de laio^
Flavien et de sainte Félicité. — Arrivée de Tarmée française am psyi
Iroquois.
Mon trôs-cher fils,
Je vous suis extrêmement obligée du riche présem^
des saintes reliques que vous m'avez envoyées. Noui^
les garderons précieusement et avec vénération dans ut^
lieu destiné à cet effet, où nous avons quatre châsse^
que nous exposons sur l'autel aux fêtes solennelles^
Dans la translation des saints corps de saint FlavieiB^
martyr et de sainte Félicité, que notre Saint-Père »
donnés à Mgr notre Evêque pour ce pays, nous avoB9
eu notre part aussi bien que les deux autres maisons
religieuses. Il ne s'était point encore vu dans ces con^
trées une si belle cérémonie. Il y avait à la procession
quarante-sept ecclésiastiques en surplis, chappes, cha-
subles et dalmatiques. Gomme il fallait porter les reli-
ques dans les quatre églises de Québec, nous eûmdf
la consolation de voir cette magnifique cérémonk h^
M. de Tracy, vice-roi, M. de Courcelles, gouveroeafr fi^
■ ><■■■.■■
DB LA MÉRB MARIE DB L*1NGARN ATION . 323
vec les denx plus considérables de la noblesse, per-
dent le dais. Les plus élevés en dignité d'entre les
cclésiastiques portaient les quatre grandes châsses sur
es brancards magnifiquement ornés. La procession
ortant d*une église y laissait une châsse. La musique
te cessa point, tant* dans les chemins que dans les
ttations. Monseigneur suivait les saintes reliques et
a procession en ses habits pontificaux. Peu de jours
auparavant, il avait consacré et dédié l'église cathé-
drale avec une pompe magnifique, et il espère con-
acrer la nôtre l'année prochaine. Je n'aurais jamais
se espérer de voir une si grande magnificence' dans
^lise du Canada, où, quand j'y suis venue, je n'avais
en vu que d'inculte et de barbare. C'est une chose
laissante de voir M. de Tracy dans une exactitude
erveilleuse à se rendre le premier à toutes ces saintes
rémonies, car il n'en perdrait pas un moment. On
^vu plus de six heures entières dans l'église sans en
^tir. Son exemple a tant de force que le monde le
it; comme des enfants suivent leur père. Il favorise
Soutient l'Eglise par sa piété et par le crédit qu'il a
i^versellement sur tous les esprits. Ce qui nous fait
sandre que le roi ne le rappelle l'année prochaine,
^t qu'en effet on nous a donné avis que Sa Majesté
i fait équiper un vaisseau magnifique, pour le faire
tourner en France avec l'honneur qu'il s'est mérité
&Q8 ses grandes commissions.
U est parti pour se trouver en personne à la guerre
MQtre les Iroquois de la Nouvelle-Hollande, qui sont
Moc qui empêchent les autres nations de croire. Il a
lit son possible pour les gagner par douceur, mais
*iont des brutaux qui n'ont pu se laisser vaincre par
^ oharme qui gagne tous ceux qui ont quelque reste
324 LETTRES
de raison. Selon la supputation de la marche de l'armée,
le combat a dû être livré ces trois derniers jours passés
dans le premier bourg. Si Dieu bénit ce premier effort
les deux autres seront attaqués ensuite. Ils ont de boDS
forts, ils ont du canon, ils sont vaillants, et sans doute
ils donneront de la peine. Mais' nos soldats Français
sont si fervents qulls ne craignent rien, et il n*y a rien
qu'ils ne fassent et qu'ils n'entreprennent. Ils ont entre-
pris de porter des canons sur leur dos dans des sauts
et portages fort difficiles. Ils ont porté même des cha-
loupes, ce qui est une chose inouïe. Il semble à toute
cette milice qu'elle va assiéger le paradis, et qu'elle
espère le prendre et y entrer, parce que c'est pour le
bien de la foi et de la religion qu'elle va- combattre.
Nous avons appris ces nouvelles depuis quelques
jours, et l'on nous assure de plus que toute l'armée
est en bonne santé; que M. le Gouverneur conduit
l'avant-garde, et M. de Chamblay tient l'arrière-garde.
M. de Salières est le colonel du régiment, et M. de
Tracy, comme généralissime, commande à tout le corps.
Nos nouveaux chrétiens-sauvages suivent l'armée fran-
çaise avec tous nos jeunes Français- Canadiens qui
sont très-vaillants, et qui courent dans les bois conuna
des sauvages. Nous ne saurions avoir de nouvelles da
combat de plus de quinze jours. Cependant toute cette
nouvelle église est en prières, et l'on fait l'oraison ^^
quarante heures, qui continue dans les quatre égi\g^
tour à tour, parce que du bon ou du mauvais sf;^n^
de cette guerre dépend le bien et le mal de tout I9 q^ ^
Voici la troisième fois que nos Français son^ all^ v^'
leur pays depuis le mois de février, au g^^^^^*
nement des Anglais et des Iroquois même, c^ ^^^^J^
vent oomprea^ Q9ii»ii6 ils ont seuletueiit ^"^ v^
DB LA MÉRB MARIR DR L'INOAH NATION HdH
prendre ce voyage. M. de Traoy n'eat parti irioi avt)o
le gros de Tarmée que le jour de reialtatioi» da dninta
Croix, et Ton tient qu'ils sont arrivés là apràs un nuns ilu
diemin. Je vous dirai plus au long des nouvallas da uatta
expédition après leur retour, ou aussiU^l qua mnu an
anroxn appris par des voies certaines, i^our lo prtisant
je voub prie de trouver Uon que je finisse pour livundvi^
TO pen de repos, étant fort fatiguée du grand n4>inl>ra
ic lettres que j'ai écrites. Il ne m'en reste j>tts plus
de quancnte à écrire, que j'espère envoyer par la
dernier vaisseau. Tse cessez point de prier poui* nous.
Ik Quéùet. le 10 docUAre ÎOW;,
ETTKK ''.•LXXV^î
; VM m st;^ .^{.tVb,'
lapwmièr- vu*^ *.- 1,. v^ru: i>^ iâi^*^- pani' c-i.*.>'C
•M» vous Uuiii»-- •îï,..^p »j- i^ui..ifctii<i^. ^. i^^.^ c^.
Wrei 4i^ i-^ fcii,,;^p j,^^^.. ^.._ .^^. ^^.. ,^^^, ^.^^. ^^^,,
™sre iierfruiii,. ^ • .
JBa sant' t?* ^^
«le jDe Mii-^ i«*^...
fréquentes cotiques, lesquelles, qiioiq[iie seosibleB, ne
m'empêchent pas de faire ma charge ni de garder mei
Règles. Ce m*est un grand plaisir ée naaSrir quelques
petites douleurs en ce monde, où notre bon Jésus en a
souffert de si atroces pour notre amour. Remerdes-Ie,
je vous prie» de la grâce et de rhonneor qall me fûti
de me faire part de sa croix.
J'avais dessein de vous mander des nouvelles de
Tarmée qui est allée aux Iroquois, mais nous n'ea
avons encore rien appris. J*espère que j*aurai quelques
moments, soit de nuit, soit de jour, pour en écrire
quelques particularités à quelqu'un qui vous en fera
part. L'on a ici au château de Québec plusieurs de ces
barbares captifs, qui pleurent comme des enfante,
voyant qu'on est allé détruire leur nation. Ce qui lear
fait encore plus de dépit, est qu'on leur fait faire on
grand nombre de raquettes pour aller contre leurs gens :
c'est-à-dire qu'ils font des armes pour se faire battre.
Quoiqu'ils travaillent contre leur gré et qu'on les fasse
obéir, on ne les moleste pas néanmoins, et en cela ils
admirent la bonté des Français. Le bâtard Flamant,
qui est un fameux Iroquois, est traité à la table de
M. l'intendant comme un grand seigneur; M. de Tracy
lui a donné un bel habit à son usage, afin de rhonorer,
et lui a promis la vie avant que de partir pour l'armée.
Il n'est point aux fers comme les autres, et il a la liberté
de se promener, mais il est gardé de plusieurs soldats
(]ui ne le quittent point. On le traite avec cette honnê-
teté, parce qu'ayant pris un proche parent de M. de
Tracy avec quelques autres gentilshommes, il ne lear
a fait aucun mauvais traitement, mais il les a ramenés
dans une entière bonne volonté. Lorsque l'armée fat
rangée pour partir, M. de Tracy la fit passer devant
DE LA MÉRB MARIE DE l'INCARNATION. 327
loi, et lui dit: Voilà que nous allons chez toi, qu'en
âi«htu? Les larmes lui tombaient des yeux, voyant de si
belles troupes et en un si bel ordre. Il repartit néan-
moins : Ononthio,, c'est-à-dire grand capitaine, je vois
bien que nous sommes perdus, mais notre perte te
coûtera cher : notre nation ne sera plus, mais je t'avertis
qu'il y demeurera beaucoup de ta belle jeunesse, parce
que la nôtre se défendra jusqu'à l'extrémité. Je te prie
seulement de sauver ma femme et mes enfants qui sont
en un tel endroit. On lui promit de le faire si on pouvait
la reconnaître, et de la lui amener avec toute sa famille.
Nous ne savons pas encore le succès de cette entreprise ;
Dieu, qui est le Dieu des armées, le sait. S'il a combattu
pour nous nous avons la victoire. Que sa très-sainte
▼olonté soit faite, parce que dans l'ordre de cette volonté
il est glorifié par nos pertes aussi bien que par nos
prospérités.
De Québec, le 2 de novembre 1666.
LETTRE CLXXVIII.
A SON FILS.
Les Français s'emparent des villages des Iroquois, les pillent
et y mettent le feu.
Mon très-cher fils,
Je vous ai ci-devant écrit les dispositions de la guerre
cwntre les ennemis de Dieu et du repos public, me
réservant à vona en dire Fiaoe qnand f en annûs appris
des aoavelles certaines. Cest ce que je Tais foire par
celle-ci. !\f . de Tracy, M. notre GoaTemear et M. dd
Chanmont partirent d'ici en personne poor aller an pays
des Iroqaois agneronons, qoi tonche la NoaTelle-Hol-
lande, possédée à présent par les Anglais. L'année était
composée de treize cents hommes d*élite, qni tons
allaient an combat comme an triomphe. Us ont marché
par des chemins des plos difficiles qn'on se pnisse
imaginer : parce qnll v fant passer à gaé plosieurs
rivières et faire de longs chemins par des sentiers qui
n'ont pas pins d'nne planche de la^e, pleins de souches,
de racines et de concavités très-dangereoses. Il y a
cent-cinqnante lieues de Québec aux forts qu'on a faits
sur la rivière des Iroquois. Ce chemin est assez facile,
parce que l'on y peut aller en canot et en chaloupe,
y ayant peu de portages ; mais passer au-delà, c'est une
merveille que l'on en puisse venir à bout, parce qall
faut porter les vivres, les armes, le bagage et toutes les
autres nécessités sur le dos. M. le chevalier de Chan-
mont m'a assuré que pour avoir porté son sac où il y
avait un peu de biscuit, il lui vint une grosse tumeur
sur le dos ; car il faut que les chefs se chargent aussi
bien que les autres, aucune bête de charge ne pouvant
aller par des lieux si étroits et si dangereux. Ils se sont
vus en des périls extrêmes dans des rivières et rapides
d'eaux, où à cause de la profondeur et de l'incertitude
du fond ils ont été obligés de se faire porter par les
sauvages. Un suisse voulut porter dans un mauvais pas
M. de Tracy, qui est un des plus grands hommes
que j*aie vus; quand il fut au milieu, où heureusement
■^ h se trouva une roche, il le jeta dessus, étant sur te
^ point de tomber en défaillance. Un Huron, fort et coa-
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNGARNATION. 329
rageux, se jeta aussitôt dans l'eaa pour le retirer du
danger et le porter à l'autre bord.
Dieu les favorisa beaucoup dans une autre rivière,
où il y avait de l'eau jusqu'à la ceinture; toute l'armée
passa en deux heures de temps. Dès qu'elle fut passée,
la rivière haussa de neuf pieds. Si cette crue était arri-
vée deux heures plus tôt tous les (lesseins eussent été
renversés, et l'armée eût été contrainte de revenir sans
rien faire. Cet accident étant évité, il fallut faire beau-
coup de chemin par des montagnes et par des vallées,
et ensuite passer un grand lac à la faveur de plusieurs
caïcs (esquifs) que l'on fit. L'on fut ensuite en terre ferme
jusqu'aux Iroquois, mais l'on se trouva dans une peine
bien fâcheuse : le pain manqua, et Ton fut réduit à la
famine. Mais Notre-Seigneur, pour les intérêts duquel
on s'était exposé, y pourvut abondamment par la ren-^
contre d'un grand nombre de châtaigniers si chargés
de fruits, que toute l'armée fut repue de cette manne.
. Ces châtaignes, quoique petites, sont meilleures que les
marrons de France.
L'armée arriva proche des Iroquois le jour de sainte
Thérèse. Il faisait un temps si fâcheux de pluies,
d'orages et de tempêtes, qu'on désespérait quasi de
pouvoir rien faire. M. de Tracy néanmoins ne perdit
pas cœur, mais il fit marcher ses troupes toute la nuit.
Cependant les Iroquois ignoraient qu'une armée. fran-
çaise allât les attaquer, et on les eût surpris sans doute,
^i quelques-uns des leurs, qui dans la marche avaient
^^ rencontrés et battus par les Algonquins, n'eussent
^^ donner avis dans les bourgs, qu'ils avaient rencontré
^^19 Français et des Algonquins, qui apparemment
^^naient les attaquer. L'alarme se mit aussitôt parmi
^Ua; et afin de se mettre en état de se défendre, ils
330 LETTHES
firent t'oir les iemmes et les eaîiants. Nos gens avan-
çaieni: tamboar Partant voulant les attaqa^ de force
sans chercher d'aatres roses oa adresses que lear
coarage et la protectioa de Dieu. Les antres, qnelqae
réaolation qu'ils enasent de se défendre, les Toyant
approcher en ordre et sans crainte, forent tellement
salais de peur. qne. aana attendre l'attaqd'e, ils aban-
donnèrent lenr village et se retirèrent dans on antre.
Nos gens y entrèrent sans résistance. le pillèreot,
et, après y avoir mis le fen. ponrauivirent rennenû
dans le village ou il s'était retiré. Les [rcqaois qni
avaient monté snr la montagne, voyant {'armée qni leur
paraissait de pins de qcatre mille hommes, s'écrièrent
à an aanvage des cotres : Akaroe. ta noas Ms pitié et
toua lea Français aosai: voilà hnit cents de nos gens
an prochain boaig, très-bien mimis et r^olos de h
bien battre, crois qa'ils vont tailler en pièces tout ce
monde qaé ta vois. L'antre loi répondît : Les Françaïi
iront et moi aassi.
Ils disaient cela pour faire les braves, mais dam
le fond lis forent si eiïrayés, qa'étant allés donner avii
 lear chef de ce qo'ils avaient vn, il n'en demeara pu
moins épouvante. Il entendait vingt tamboors qni fai-
saient on brait étrange, et voyait en même temps lea
Français venir droit à loi tète baissée. II ne les attendit
pas, mais il ftit le premier à prendre la faits; toat le
monde le snivit en sorte qae leur quatre boargs demen-
rèmit vides Sommes, mais si remplis de vivres,
dTnstensiles et de tontes sortes de commodités et de
meables, que rien ne leur manquait. L'on croyait d^
tmnver qne des chanmines et des hottes de bergen
; de bâtes, maïs tout fut troavé si beau et si agréable,
i tous CËOZ de sa juite en éiaieDt
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNGARNATION. 331
snrpris. L'on voyait des cabanes de menuiserie de six
vingts pieds de long» et larges à proportion, dans
chacune desquelles il y avait huit ou neuf familles.
La première chose que l'on fit fut de chanter le Te
Deum, pour louer Dieu d*avoir surmonte lui-même ses
ennemis par la frayeur. Les quatre ecclésiastiques qui
accompagnaient l'armée dirent la sainte Messe; après
qnoi l'on planta partout la sainte Croix avec les armes
de France, pour prendre possession de toutes ces con-
trées pour Sa Majesté: Pour feu de joie, l'on mit le feu
aux quatre bourgs, dans toutes les cabanes, dans tous
les forts, et dans tous les grains, tant ceux qui étaient
amassés que ceux qui étaient encore sur pied dans les
campagnes. Les cabanes et réservoirs étaient si rem-
plis de vivres, qu'on tient qu'il y en avait pour nourrir
tont le Canada deux années entières. L'on brûla tout
après que l'on eût retenu le nécessaire pour la subsis-
tance de l'armée. Les bourgs n'étaient distants les uns
des autres que de trois ou quatre lieues, et l'on avait
fiedt entendre à M. de Tracy qu'il n'y en avait que deux.
Mais il se trouva heureusement une femme Âlgonquine
dans la troupe de nos Algonquins qui, en sa jeunesse,
avait été captive aux Iroquois, et qui dans une autre
lenoontre avait été reprise par ceux de sa nation. Elle
dit à M. de Courcelles notre Gouverneur qu'il y en avait
qoatre, ce qui le fit passer outre avec M. le chevalier
de Cfaanmont. Il était presque nuit quand le troisième
Alt pris, en sorte qu'il semblait impossible d'aller au
foatrième, particulièrement à des personnes qui ne
lavaient pas les chemins ni les avenues. Cette femme
aéanmoins prit un pistolet d'une main et M. de Cour-
«riles de l'autre, lui disant : Viens, je m'en ^ais t'y
imdiiire tout droit. Elle les y mena en effet sans péril;
332 LETTRES
et afin de ne point trop s engager témérairement, l'on
envoya des gens poar épier ce qni était dedans. II se
trouva qae tons venaient de prendre la faite, à la nou-
velle qu'ils avaient entendue que Tannée allait fondre
sur eux.
Voici comme on le sut. L'on trouva là deux vieillea
femmes avec on vieillard et un jeune garçon; M. de
Tracv voulut leur donner la vie, mais les deux femmes
aimèrent mieux se jeter dans le feu que de voir brûltf
leur bourg et perdre tous leurs biens. Le jeune enfant,
i|ui est fort joli, a été amené ici. L'on trouva le vieillard
sous un canot, où il sétait caché quand il entendit les
tambours, s imaginant que c*étaient des démons, et ne
croyant pas que les Français voulussent les perdre,
amis qu ils se servaient de leurs démons, c'est ainsi
iiuils appelaient leurs tambours, afin de les épouvanter
et de leur donner la chasse. Il raconta donc que les
Iroquois des autres villages s étaient retira en ce der-
nier qui était le meilleur et le plus fort, qulls Tavaient
muni d'armes et de vivres pour résister aux Français,
et qu'ils v avaient même fait de grandes provisioDS
d'eau pour éteindre le teu. en cas qu'en IV allumât;
mais que quand ils eurent vu cecie grosse armée, qni
psiraissait de plus de quatre mille hommes, ils furent
si etËrajes, que le capitaine se leva et <ih aux autres -
Mes frères» sauvons-nous, touu Le monde est contre
nous. Disant cela. iL prit la fuite le premier, et tous l^s
antres le suivirent.
Us ne se trompaient pas de croire Farmée si ncoa-
breuse; elle paraissait telle 2ième à nc^ Français, et
M. de Repentigny, qui oommandai!i so« habitants Fran-
çais» m*a assaré qu'étant monté s^r !â montagne poor
éteaunix ail uj avait point quelques ennemis, ii jeta
l
DE LA MËRB MARIE DE L INCARNATION. 333
la yne sur notre armée, qui lui parut si nombreuse
qu'il crut que les bons anges s'y étaient joints, dont
il demeura tout éperdu ; ce sont ses termes. Quoiqu'il
en soit, Dieu a fait à nos gens ce qu'il fit autrefois à son
peuple, qui jetait l'épouvante dans l'esprit de ses enne-
mis, en sorte qu'ils en demeuraient victorieux sans
combattre. Il est certain qu'il y a du prodige dans toute
cette affaire, parce que si les Iroquois avaient tenu
ferme, ils eussent bien donné de la peine, et eussent
fidt un grand déchet à notre armée, étant fortifiés et
munis comme ils étaient, hardis et orgueilleux comme
ils sont. Car nous avons l'expérience que les Agnero-
nons, qui est la nation iroquoise dont nous parlons,
ne cèdent à personne ; tous leurs voisins n'osaient les
contredire; il fallait que tous se soumissent à leurs
conseils, et ils venaient à bout de toutes leurs entre-
prises par malice et par cruauté. Mais cette déroute les
a réduits à la dernière des humiliations où une nation
peut être réduite. Que deviendront-ils? où iront-ils?
Lon a brûlé leurs bourgs; l'on a saccagé leur pays;
^ saison est trop avancée pour se rebâtir; le peu de
S^ain qui est resté de l'incendie des moissons ne sera
Ma capable de les nourrir, étant au nombre de trois
*^ile. S'ils vont chez les autres nations, on ne les rece-
^^.pas, de crainte de s'attirer une famine; et de plus
*I» se rendraient méprisables, parce qu'ils les ont empê-
^^^es de faire la paix avec les Français, et qu'à leur
^jct ils ont encouru leur indignation et se sont mis
^ danger de tomber dans un semblable malheur. L'on
*^ sait encore où ils se sont retirés. Si dans leur fuite
^ rencontrent la nation des Loups leurs ennemis, ils
•^ïàt perdus sans ressource.
toutes ces expéditions étant faites, les Français
334 LBTTRBS
chargés de butin et des vivres nécessaires pour aller
jusqu'à un fort au-delà du lac où ils en avaient laissé
en réserve, se mirent en chemin pour leur retour.
M. de Tracy avait bien envie d'aller à Oneiou pour sd
faire autant qu'à Agnié; mais la saison était trop
avancée, et il y avait sujet de craindre que les rivi&res
ne vinssent à se glacer. Etant arrivés au bord du lac,
ils se trouvèrent dans une peine extrême, car ils le
trouvèrent si enflé qu'il n'était pas possible de le tra*
verser, même avec des machines. Mais Dieu, qui leur
avait donné tant de marques de son assistanoe en
d'autres rencontres, ne les abandonna pas en celle-d.
Comme l'on allait et venait, l'on aperçut dans les het-
biers de grands arbres creusés en bateaux, que Ton crut
7 avoir été cachés par les Iroquois. On les tira, et les
ayant trouvés propres pour voguer, on s'en servit pour
passer toute l'armée. Je vous laisse à penser si l'on
rendit grâce à la divine Bonté d'une faveur qu'elle avait
faite si à propos. On fit brûler les bateaux, et Ton repassa
les autres lieux effroyables dont j'ai parlé, de la m&m
manière qu'on les avait passés.
C'est une chose merveilleuse d'entendre parler de la»
beauté et de la boDté de ce pays-là. Il y a une trèa-
grande étendue toute défrichée ; on y voit de très-bell
prairies, où l'herbe croît haute comme des hommes ; 1
cannes, ou tuyaux de blé dinde sont de dix, de dous0
et de treize pieds de hauteur ; les épis ont une grande
coudée, et il y a à chaque épi plus de quatre centii
grains. Les citrouilles, qui valent les pommes de rai*
nette de France, et qui en ont le goût, et les faisoies y
croissent à foison. Les Iroquois étaient pourvus de tout
cela, et comme j'ai déjà dit, ils en avaient pour nourrir
deux ans tout le Canada. Nous sommes ici dans un bon
DB LA MËRB MARIE DE L*INCARNATION. 335
terroir, mais celui-là vaut mieux incomparablement.
L'on saura si le roi désire que Ton y établisse des colo-
nies françaises.
Les cabanes qu'on a saccagées et brûlées étaient bien
bâties et magnifiquement ornées ; jamais on ne l'eût cru.
Elles étaient garnies d'outils de menuiserie et d'autres ,
dont ils se servaient pour la décoration de leurs cabanes
et de leurs meubles. On leur a enlevé tout cela avec
bien quatre cents chaudières et le reste de leurs
richesses.
Notre-Seigneur a exaucé par sa bonté les prières que
nous faisions ici pour le succès de cette guerre. L'orai-
son de quarante heures a été continuelle depuis le
premier d'octobre jusqu'au second de novembre, que
nous avons appris des nouvelles de M. de Tracy et de
Vannée. Lea prières n'étaient pas moins continuelles
dans les familles en particulier que dans les églises
pour le public; mais ayant appris la nouvelle de la
déroute des ennemis, nous avons changé nos prières
®ii actions de grâces, et le Te Deum a été chanté avec
^ucoup de pompe et de solennité. Il y avait ici pin-
ceurs captifs des nations iroquoises : M. de Tracy, au
Wtour de l'armée, en a fait pendre un, faisant com-
prendre aux autres que c'est parce qu'il a été infracteur
^^ la paix et qu'il était cause du malheur qui est arrivé
&^X Agneronons par les mauvais conseils qu'il; leur
^▼a.it donnés. Cela étonna étrangement ces barbares
VA tremblaient comme des enfants, dans la crainte
4^*ils avaient qu'on ne leur en fit autant. Le bâtard
i'iainant craignait plus que les autres, parce qu'il était
^® plus fameux d'entre les Iroquois. M. de Tracy néan-
moins lui a donné la vie et l'a renvoyé chercher ses
S^Hs fugitifs, avec ordre de leur dire, que s'ils remuent
336 LETTEIES
davantage il les ira voir de rechef, mais qu'ils n'en
seront plus quittes à si bon marché. Il en a encore
envoyé trois ou quatre de chaque nation, pour leur
porter la nouvelle de ce qui est arrivé aux Agneronoos,
et leur dire qu'ils aient à faire savoir leurs intentions,
faute de quoi il fera pendre tous ceux qui restent ici
de leurs gens. Ils ont. fait de belles promesses ea pa^
tant, je ne sais s'ils les garderont.
Je vous écris ce petit abrégé pour vous faire bénir
Dieu de ses grandes assistances sur nos Français, qui
sont tous de retour en bonne disposition, et sans aucune
perte de leur bagage, sinon que deux canots ont tourné
dans les bouillons d'eau.
Au même temps que nos Français faisaient brûler les
bourgs des Iroquois, il semblait que Dieu voulût nous
en donner lui-même des nouvelles par plusieurs feux
qui ont paru dans les forts, et même en celui de Québec
En l'un de ceux qu'on avait faits sur le chemin des
Iroquois, les soldats qui le gardaient pensèrent mourir
de frayeur. Ils virent en l'air une grande ouverture, et
dans cette ouverture des feux d'où sortaient aussi
des voix plaintives avec des hurlements efiProyables.
C'étaient peut-être les démons qui étaient si enragés de
ce que Ion avait dépeuplé un pays dont ils avaient été
si grands maîtres depuis un si long temps, et de ce que
l'on avait dit la Messe et chanté les lonanges de Diea
dans un lieu où il n'y avait jamais eu que des impuretés
et de l'abomination. Je recotnmande à vos prières la
conversion de cette barbarie. Dieu les a détruits, sao{
qu'il y en ait eu un seul de perdu, peut-être ne les a-t-il
humiliés que pour leur salut.
De Québec, le 12 de novembre 1666.
DB LA MBRB BfARIE DE L'IN CARNATION. 337
LETTRE CLXXIX.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE TOURS.*
Elle lui témoigne sa joie de son élection à la charge de supérieure.
Ma révérende et très-honorée Mère,
Votre sainte bénédiction.
Je n'ai pas la patience d'attendre les lettres de nos
chères Mères de Tours pour leur rendre les témoignages
ordinaires de mon affection. Un vaisseau qui va partir
me donne une occasion trop favorable de le faire. J*ai
seulement su par une voix extraordinaire que la bonté
de Dieu a fait ^ le choix de votre chère personne pour
gouverner votre sainte Communauté. J'ai été consolée
dans la créance que sa divine Majesté a trouvé en vous
mie âme selon son cœur, en vous élevant dans une
place où votre humilité n'aspirait pas. C'est ainsi, mon
ûmable Mère, qu'il traite ses amis et qu'il élève les
âmes humbles : que son saint Nom en soit béni éter-
nellement! Dans une lettre que j'ai reçue, je vois
clairement que nos Mères et nos Sœurs ont été extrê-
mement consolées de cet heureux choix. Je me joins
i elles pour participer à leur joie et à leur bonheur.
(1) Son humilité est recoramandable en cette lettre, en ce qu'étant supérieure
^^i bien que celle à qui elle écrit, elle lui demande sa bénédiction, et se com-
^^ & son égard comme son inférieur. (Note de Cl. Martin.)
LBTTa. M. II. 22
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qoekniiKr pestai hbox;. >) ok jV li c^ ratfihpfiigit en
sufte-nuil me soBiiis qoe je sKsia miiiuliâe d^oi goénr,
laTétast aari» 'ma- ^"aanthi ooiiiL on nefae tténor et os
lien orécienx iin me lie étreiiiHff refit à mire dt^în Sio-
venr. Rendes-Toi :zràces. i il ^^as plait» pour moi de tant
(te favAfire «mil mir rait. et obteneK de sa bonté que /en
famé Tosage {n'etle iémre «ie moi.
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0<^ QuAec. is 2S jmdUt 1667.
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DE LA M&RB MARIB DE L'INCARNATION. 339
LETTRE CLXXX.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE DE TOURS.
{La Mère Marie de la Nativité.)
BU6 la félicite de ce qa*elle soit déchargée de la supériorité. — Qae la grftce
supplée au défaut de l'industrie naturelle dans les supérieurs légitimes.
— Qu'il faut mettre de la différence entre la sévérité et l'exactitude dans
on supérieur. — Elle déplore le refroidissement du siècle pour les maximes
de FErangile.
Ma révérende et toute chère Mère,
Vous voilà au-dessus des nues de vous voir déchargée
de la supériorité ; et de ma part je me réjouis avec vous
de ce que vous n'avez plus ce pesant fardeau sur les
%ules, et de ce que vous êtes retirée dans votre petit
irfd comme le saint homme Job l'était dans le sien ; je
lû'assure que vous y multiplierez vos palmes comme lui.
Que ne ferez- vous point là, chère Mère, pour gagner le
oœur de Dieu, afin qu'il bénisse la nouvelle conduite
4n11 a donnée à notre sainte Communauté? Celles qui
y sont préposées n'auront pas peu de croix à supporter,
^V^Qt point été jusqu'ici en des charges qui leur aient
!^Q donner des expériences et des lumières pour la
adulte. Mais je me reprends : où les industries natu-
^iles et les connaissances acquises manquent, la divine
^nté supplée quand on entre dans la bergerie par
•^Itii qui en est la porte, par notre bon Jfisus. Or, elle
choisi des âmes sages et vertueuses, qui n'aspiraient
r^'^ .^^. -"-,; -B- -^Tra --ea -rnu iev»»r»^ e tis a
■
•i". .-.r f-v-r -nr "AniTr. Il .8 ini rn peut ^rnser les
<rwjîA5>T'Arîa :àirisî,i«. IToa. 3ÛIL TiTimA ilèTB. aayef
/■.**<î > Vîr,rr;ri*iTi v je .onieor rn ^Dcre ime sar ce
•»;:«*^ > '.'r:55f ^»i jea le !case inami il s'agit de
-^•/*.*îA?'> ./w :rciTA 1.5^ Norre-S^gnenr. donc ceoz qui
/r,T'-'rrf^if .»>• loiveat regiire :iii >x>nipte crès-exact
.',^ 'îisrt»;r*; 'rfAtWr, ^;îe -isî îht son iêciin: c'est pour cela
itjr* îr .if.hfifié 1^ Vjroa eî iea esprits veut régner et a
^^ .« p/r-r:^ A ?e ,aiiîser iémire. Cela est déplorable.
f^p. ^A ji)^, .^n maximes ie JHsua-CflBisT vont sanéan*
^i«r«!^nt /tflrï9 îe5t âmes qall avait choisies et appelées
p^fnf }^ y fftire régner. Pleorons ce malheur, nioa
r^rMA AfAf A, é(t tâ^^hons de larrêter par nos voeox, si
//^^ M tê fftm^fmn par nos paroles et par nos exemplei
iMêOM <Ia nunpfinûre la justice de Celai qai y &i à
thii \hl4rimnA, Mais jo ne sais pas digne qnll m'écoate,
MNI' Jm «iilfi \k plus infidèle du monde dans son service,
ii J'nI plim ilo heNoln (|u'on le prie pour moi que je ne
Il llull pHil* Jpour les autres; mais vos prières loi
• ■ la ' .
DE LA MBRB MARIE DE l'INGARNATION. 341
seront plus agréables et le fléchiront plutôt que les
miennes.
De Québec, le 9 de septembre 1667.
LETTRE CLXXXI.
A SON FILS.
Sa patience héroïque dans ses inârmités. — Sa profonde humilité, s'estimant
inférieure en vertu à celui à qui elle écrit.
Mon très- cher fils,
Un navire qui doit partir demain me porte à vous
écrire ce mot, quoique je n'aie ei\core reçu aucune de
iros lettres. J'ai pourtant appris de vos nouvelles par
un autre moyen, et je sais que vous êtes à présent au
monastère de Bonne-Nouvelle de Rouen. Il faut servir
Dieu où il vous appelle, et il me suffit de savoir que
e*68t la voix de Dieu et non votre propre choix qui vous
a appelé en ce lieu-là, pour être satisfaite. Cette non-
▼elle qui m'est venue par hasard, m'a ôtée de la peine
nù j'étais à votre égard. N'en est-ce pas une bien
* grande de voir quatre vaisseaux arrivés il y a assez
[ loogtemps, et deux autres qui viennent d'arriver, sans
' lien apprendre de la personne qui m'est la plus chère
4mûB le monde? cela me donnait sans doute de l'inquié-
tiide, quoique je vous voie continuellement en Dieu.
^ Ce ne sera donc ici qu'un petit mot pour vous visiter
éè bonne heure, et pour vous dire ma disposition qui
342
est bonne, poisqne les croix sont les déttœs de itsoL \
Je ne me remets point de ma grande maladie; elle t
des suites très*donIoareares à la nature, quoiqu'elle
se les soit apprivoisées, et qu'elle se smt aooontaméeà
la souffrance. Du côté de mon esprit, fy ai de rattache,
et j*ai peur que mes lâchetés nobligent la divine Bonté
de me les ôter ou de les adoucir. Ces croix me sont â
aimables et ces douleurs si précieuses, que de mon o6té
je les aimerais mieux que tous les trésors et toutes les
délices de la terre, même les plus innocentes. Notre bon
Dieu m'y fait tant de grâces, que tous ces accidents ne
m'empêchent point de garder mes règles. Le fond de
mon mal est toujours un flux hépatique qui me Uesà
depuis trois ans, quoique auparavant je n'eusse jamais
été attaquée de ces sortes de maux. Je sois si faible que
je ne puis me tenir à genoux le quart d*une messe, et
encore faut-il que je sois appuyée. Cette faiblesse vient
de ce que je ne prends pas assez de nourriture pour
soutenir l'effort de ce mal, parce que celle que je prends
en un jour n'est pas le quart d'un repas ordinaire, et ne
serait pas suf9sante pour nourrir un enfant.
Depuis Pâques mon mal a augmenté, en sorte qu'au-
jourd'hui on ne sait comment je puis vivre. Le peu
d'aliments que je prends est accompagné d'un dégoût
étrange , à cause que tout me paraît comme de
Tabsinthe, ce qui me donne une mémoire continuelle
du fiel de la Passion de Notre-Seigneur ; et c'est ce qui
me rend mon état aimable, et me le fait chérir conuoe^
une chose émanée de la Passion de Notre-Seigneur, (fA
m'a voulu avantager de cette grâce. Cette amertuno
néanmoins ne me cause point de vomissements, mais
seulement des soulèvements de cœur qui causent le ,
dégoût et le rebut de quelque nourriture que ce mt, i
DB LA MÈRE MARIE DE L'INGARNATION. 343
irce qu'elles prennent tontes le même goût dans ma
^iiche. L'amertume est si grande qu'elle me coupe
langue par son âcreté. Enfin c'est que mon foie
Invertit tout en cette humeur. Je n'eusse jamais cru
L*il y eût tant de délices dans les soufifrances si je ne
^v^ais expérimenté depuis plus de trois ans. J'en ai eu
c^ore une nouvelle expérience dans l'abcès qui s'était
riné dans la tête il y a trois mois, et qui m'avait
ndue sourde d'une oreille. Il me causait des douleurs
t^Têmes, sans parler de l'incommodité que j'en rece<
im, tant dans les parloirs, où les affaires m'appelaient,
e dans la communication avec mes Sœurs ; et cette
c^cmmodité me peinait plus que la douleur môme,
iroe que les autres en souffraient. Enfin l'abcès a crevé
s'est vidé par la même oreille avec un surcroît de
xileurs; ma surdité s'en est allée avec lui, et main-
aant je suis à mon ordinaire.
J'ai appris que l'on propose à Rome les Religieux
t Totre Congrégation pour peupler un célèbre menas-
re qu'un Seigneur a fait bâtir en Pologne : si ce
dssein réussit Dieu en tirera beaucoup de gloire, et
ertes cela appartient à votre ordre, puisque vous êtes
B8 premiers Pères de la Religion chrétienne dans ce
prand royaume. Je serais ravie s'il plaisait à la divine
lif&jesté se servir de vous dans cette grande expédition ;
nais, mon très-cher fils, j'apprends que vous êtes infirme
yt que vous portez une grande faiblesse. Je voudrais
Moir quelle est cette infirmité et si elle est habituelle
^ passagère. Pour les passagères, il n'en faut pas faire
Mat quand il faut faire ce que Dieu demande de nous ;
^8 les habituelles sont à craindre. Si néanmoins sa
^^ne Majesté demandait cela de vous, allez à la bonne
^ure, vous serez tout-puissant. Dans i!incommodité
344 LBTTRR8
de mon mal habituel je deyrais toujours garder le lit
et être dans lluactioD. Cependant je ne m'arrête pas
un moment. Je suis la première levée et la dernière
couchée, et il est rare que je prenne du repos. J'assiste
à toutes les observances. Il 7 a quatre mois que j'écris
continuellement des lettres et des mémoires pour dos
affaires de France; enfin je fais ma charge par la misé-
ricorde de Dieu, quoique les affaires soient épineuses
en ce pays. Remerciez-le des assistances qu'il me
donne et des miséricordes qu'il me fait. Demandez-lni
encore qu'il agrée tous les moments de ma vie comme
une victime soumise à sa conduite et dévouée à son
amour. Je lui demande la même, chose pour vous, et
je m'en vais communier à cette intention, afin qu'il loi
plaise disposer de vous comme d'une victime que je lai
ai offerte il y a longtemps.
Quand j'ai appris que vous étiez malade et si affaibli,
j'ai pensé que nous pourrions bien nous rencontrer
dans le chemin de l'éternité. Mais une autre pensée a
suivi cette première, que si nous nous rencontrons dans
ce chemin, vous arriverez le premier au terme, puisque
je n'ai point de vertu et que déjà vous me devances
dans l'état où Dieu nous a appelles. Je n'ai que dix-neof
ans de naissance plus que vous, et ces années-là me
donnent de la confusion. Vous étiez religieux que voos
n'aviez guère plus de vingt ans, et moi j'en avais trente
un. Enfin vous avez plus travaillé que moi, mon très-
cher fils : achevez, ou plutôt, que Dieu par sa bonté
achève son œuvre en vous. Priez- le qu'il me fasse
miséricorde et qu'il oublie tous mes défauts. Cependant
je jouis d'une grande paix, parce que j'ai affaire à on
bon Père qui m'a toujours fait de grandes grâods*
¥^(mèg§j^ les continuera, et qu'à la mort il me
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARN ATION . 345
recevra dans son sein sous la faveur de sa très-sainte
Mère. Quand vous en apprendez la nouvelle, mendiez-
moi le plus de messes que vous pourrez, je vous en
supplie; j'ai cette confiance en vous.
De Québec, le 1667,
LETTRE CLXXXII.
AU RÉVÉREND PERE PONCET DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
BlU ]m parle des progrès de la religion et de l'Etat dans le Canada. — Elle
Fentretient de ses dispositions particulières, surtout de sa joie dans les souf-
frances. — Elle le remercie de quelques reliques qu'il avait envoyées à son
monastère.
•
Mon très-révérend et très-honoré Père,
Nous avons été consolées autant qu^on peut l'être,
d'apprendre que vous êtes encore en ce monde, et que
notre bon Jésus vous a conservé dans les fatigues d'un
ti long et si pénible voyage. Je m'assure que les croix
B6 vous y ont pas manqué ; je m'en console, car je sais
q;ue vous les aimez. Mais, mon cher Père, ne nous
verrons- nous point encore quelque jour pour nous
tDtretenir de nos aventures? Notre divin Msdtre le fera
quand il lui plaira; et si c'est sa plus grande gloire,
fl vous fera revoir cette église qui vous a tant coûté.
^oi2t y est à présent magnifique, et c'est une bénédic-
^oii de Dieu de voir l'union qui est entre Mgr notre
*^ôque et nos révérends Pères. Il semble qu'eux et
346 LBTTRB8
MM. du séminaire ne soient qu*an. M. de Tracy, qoi
m'a déclaré ses sentiments, en est ravi, comme aussi
de la majesté de l'église et des grandes actions de piété
de ceux qui la servent. Vos Pères y éclatent à l'ordi-
naire, et en font l'un des plus grands ornements. Vous
verriez vos petits enfants qui commençaient de votre
temps à connaître les lettres, porter aujourd'hui la
soutane et étudier en théologie. Votre collège est floris-
sant. Bit notre séminaire, qui n'est qu'un grain de sable
en comparaison, fournit d'excellents sujets. Vous aves
vu de petites filles à qui nous avons depuis donné
l'habit, et d'autres à qui nous sommes sur le point de
le donner, toutes destinées pour le chœur. Vous pleu-
reriez de joie de voir de si heureux progrès, et on
moment de votre réflexion sur l'état où les choses ont
été et sur celui où elles sont, vous ferait oublier tons
vos travaux passés. Vous nous avez vues trois religieu-
ses, qui ont eu l'honneur de faire le voyage en votre
compagnie, aujourd'hui nous sommes vingt, et nous
en demandons encore en France. Le révérend Père
Lallemant est toujours notre bon et infatigable Père.
Que vous dirai-je de moi-même? Pour l'intérieur,
mon très-cher Père, je suis telle que vous m'avez vue,
sinon que je suis pire pour la vertu. Pour le corps,
il y eut trois ans au mois d'août que Dieu m'envoya
une maladie d'un flux hépatique que j'ai encore. Il m'a
mise jusqu'aux portes de la mort, où j'ai reçu toos
les sacrements. Cette maladie a été accompagnée de
divers accidents et de douleurs des plus aiguës. Quoique
j'en sois encore malade, Notre- Seigneur me donne les
forces de pouvoir garder nos règles. J'ai par sa grâce
jeûné le Carême passé, mais à présent on m'interdit
le jeûne à cause du peu de nourriture que je prends,
09 LA MÈRE MARIE DE L'iNOARNATION . 347
à raison d une amertume de bouche qui donne le goût
de fiel à tout ce que je mange, et me cause un mal de
cœur continuel avec des coliques qui ne cessent point.
Tout cela, mon aimable Père, fait mes délices, et quand
je pense à mes douleurs, il me semble que je possède
un trésor. Nous avons dans notre cœur un crucifix
ravissant. Quand je Tenvisage, je lui dis : C'est tous,
mon bien-aimé, c'est vous qui me faites souffrir ; puis
mon cœur se dilate dans mes petites souffrances, sur-
tout dans le goût de mon fiel ou absinthe, car mes
coliques ne sont que des roses en comparaison de cette
amertume. Dans nos élections qui furent faites le
Carême dernier, j'estimais que la Communauté aurait
pitié de moi, et qu'elle me déchargerait de la supériorité;
elle n'a pas écouté mes prières ; ainsi il m'a fallu subir
ce second joug, et joindre ce fardeau à celui de mes
douleurs. La très-sainte volonté de Dieu soit accomplie
en moi ; il me donne cette charge à l'âge de soixante-
sept ans ; il me donne aussi des forces pour les porter,
car je sens une vigueur toute particulière dans les
affaires et dans la conduite, quoiqu'il nous en arrive
de très-épineuses.
Madame notre fondatrice court à grands pas dans
la voie de la sainteté. Je suis ravie de la voir, et si
vous la voyiez, vous le seriez comme moi. Nous vous
sommes obligées de la sainte relique qu'il vous plut
nous envoyer. Nous avons reçu ce précieux dépôt avec
des chants d'allégresse, et pourtant les larmes aux
yeux, mais, larmes de joie et de dévotion. Cette chère
dame n'a point voulu entendre la proposition que vous
m'avez faite, d'en faire part à la paroisse, disant que
vous ne lui en dites rien. C'est pour notre église, dit-
elle, la paroisse a deux corps saints entiers. Quand
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DE LA MËRE M ARI£ DE L'INCARNATION . 349
LETTRE CLXXXIII.
A SON FILS.
uois demandent la paix aux Française — Mission aux Outaouak et autres
nations plus éloignées. — Retour de M. de Tracy en France.
Mon très-cher fils, '
70US ai fait savoir par une autre lettre ce qui s'est
cette année au sujet des Iroquois, et comme, par
:e conduite de M. de Tracy, ils sont venus après
iéroute nous demander la paix. Deux nations
lées de soixante lieues Tune de l'autre, et qui
it les plus orgueilleuses et les plus cruelles; ont
'emières fait cette démarche. Celles-ci et toutes
très ont été si effrayées de la perte des Agnero-
3t du grand courage des Français, qu'ils n'avaient
lés jusqu'alors que comme des poules, qu'ils s'ima-
nt qu'une armée française était toujours à leurs
es et les suivait partout. Dans cette frayeur, ils
é heureux d'avoir entrée pour demander la paix,
e sorte qu'ils ont acquiescé à toutes les conditions
ur ont été proposées : savoir de ramener tous nos
s de l'un et l'autre sexe, et d'amener ici de leurs
es pour otages des Pères et des Français qui
^ envoyés dans leur pays. Tout cela s'est exécuté
nt en point. Les Pères sont partis avec quelques
ais et quelques Iroquois, qui durant leur captivité
DE LA MÈRE MARIE DB l'INCARNATION. 351
ftd, aller et venir comme un insensé. Cette jeune
e cependant ne faisait que se rire de lui, et tout
le roâensait point.
IX avec qui nous avons la paix sont les Agneron-
Bt les Oneiousteronnons. Il y a encore les Onon*
:>nnons, les Oiogneronnons et les Sonnontoueron-
qui n'ont point encore paru. Ils disent pour raison
se préparent à la paix, et ils s'excusent, disant
ont déjà fait ici onze ambassades, sans qu'on leur
onné satisfaction. La vérité est que ces peuples
naturellement orgueilleux, ils ont de la jalousie
I que les autres les ont devancés; et de plus, ils
me grande guerre contre les Andastaoueronnons
Nouvelle- Suède. Ils donnent néanmoins espérance
le printemps prochain, et voilà où nous en sommes
les Iroquois.
la Nouvelle-Hollande, aujourd'hui occupée par les
ds, appartenait au roi de France, on serait maître
[is ces peuples et on y ferait une colonie française
rable. Les forts qui ont été faits sur le chemin des
lois, sont demeurés avec leurs garnisons : l'on y
îhe beaucoup, surtout au fort de Chamblay et à
de Soret. Ces Messieurs qui sont fort honnêtes
sont pour (sont gens à) établir (avec la permission
>i) des colonies françaises. Ils y vivent de ménage,
ant des bœufs, des vaches, des volailles. Ils ont
3aux lacs fort poissonneux, tant en hiver qu'en
)t la chasse y est abondante en tout temps. Tous
it en bons chrétiens. Les révérends Pères et
les ecclésiastiques y vont faire des missions, outre
\i. l'abbé de Carignan, aumônier du régiment, fait
lidence au fort de Chamblay, autrement de Sainte-
^. L'on a fait des chemins pour communiquer
à
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- ■•«» '^r-nanons- -r --:nr "lea leora aiîaiiei parte
mivs T^ :.à \';îir .ivac les îamiiiea aa deys.
-?r -;^!:Tr .v^ns .mnee ^oaize-vnigc-àoizzB alla te
.••:ncB ::îi .^onr ic-i ^^yTP^*» cour la Dinsart. à>ie^
•Tas «^ ■ les izenaoe inivau. à im 1 oïl danne ob»
LOixanon -r lea. -t-^-tihï cour noir mois. -*iin ioîlr
iijasmr ièii8t!»tg i5â '6rre9 pour senxmsiir. H ^
'zm '::r. zmmi zoTnnre «l'hommea aux dépen
\2i ^renr : :iâ je pavs se peuple. Sa Majesté a
Licore -^arore ita cneYanz;^ :aYaies* chèTres^ moiioai,
on . r rurTULc ::î raT5 le ^Tonneaux et d'animanx
.'inescniaes. a. iiLiaa i loone pour nom part dflox
5ii^ 'iTaiea ec :in. :ceTau :aiLC pour la chamxe qw
jor !e oîiarm. . 2. :iz ùue ic5 rroupea sea retooraeraÉ
.a rjcnaiJi; ziaLî :. ' '. ^^parence que ia piua gramb-
artxe ^jrscera .:i omme .^auitancs, v troaYant d6V
.'rrcs .;ai;à g Taraient reu-^^re pas dans leur pays,
joaizc .'iix -^yggioLig, is révérends Pères v mt
m
xtrememenc j^nês^ «= reveremi Père Alloues qui a éi#
.e!zx os 'Ox imcuaK ans uaon iic pu apprauiiB
.e^ <« oaveiies. -5« ::*venu :a mois iaoùt dendtf
;rf>e rî? :rtn3 e eîte iiaaon* ,ai ont lait le voyap
iVir A 'T^iw. = on 1-ère a rapporté que ne pouvant
jiSL^sner -^ orar :es . utaouaK. pour ia Foi^ il âe rtsoitf
/it'û^r -nerrfîer m uxne leupie plus âuscepâbie è
vrre grAce-. Il 1 :'air i je les&ein quau>rze ou quin»
^^r.r.Q lenes :•» .-aeniin -hl sorte qu'il en a tronf^
m Tès-nrmrrEui lui ieac rendu très-docile, etqoii
r-^^n ^an^ r^siatance La iemence de TEvangile. Il*
^ r.flip^i?^ "rcî3 :!8at joarante, dont trois cents sont
^o^r^^ npr^.^ ^ivoir reca Le japtème. Ceux-là étaient to
/i^ill?»r'U '^t les enfanta, car an ne confie ce Sainreinetf
V
\
DB LA MÈRE MARIB DE L*INCARNATION . 353
i^ autres qu'après de grandes dispositions et des mar-
ies de persévérance. Voyez quelle grâce Dieu a faite
ceux-là, qui seraient à présent dans l'enfer pour
ternité.
Ce Père a extrêmement souâert dans cette mission.
iwsnt deux ans il n'a presque vécu que de gland et de
ci.on qu'il ratissait sur des roches. Je lui demandai
Dament il avait pu vivre de cette mauvaise nourriture,
<}uel goût il y trouvait. Tout semble bon, me dit-il,
:^«lui qui a faim. Pour manger cette mauvaise viande,
la faisait bouillir dans de la lessive pour diminuer
DQertume du gland, auquel il mêlait ensuite son limon;
cela composait une sagamité noire comme de l'encre
gluante comme de la poix. Voilà le festin de cet
^vrier de TEvangile, sans parler du pain de douleur,
veux dire des autres travaux de la mission. Il est
>Xïc venu quérir du secours pour travailler avec lui
Bms cette grande nation. Il a trouvé des Pères disposés
cela, avec lesquels il est parti, n'ayant resté que
H>i8 jours. Ils sont allés d'abord à Montréal, pour faire
e voyage avec les Outaouak, de qui ils n'ont pas eu peu
l^aanjÛTrir ; parce qu'ayant fait embarquer leur bagage.
Me barbares, par je ne sais quelle quinte, le rejetèrent
kterre avec les Pères et le^ Français, quelque récom-
piose qu'on leur pût promettre. Ces Pères furent extrê-
Qement affligés de se voir dans l'impuissance de passer
filtre. Deux néanmoins d'entre eux, savoir le Père
klois, et le Père Nicolas, se jetèrent à la dérobée dans
box canots séparés, sans autre bagage ni provision
[lie leurs écrits des langues sauvages, en sorte que
I Dieu ne fait un miracle en leur faveur, adoucissant
ft cœur de ces barbares, ils mourront de faim et de
Ikiaère, ayant trois cents lieues à faire en leur corn-
Lrm. M II. 23
^ —
rirmC 'Um «'nrraiMiair
iiitimi 'fy :àkr «tmr
prtl# <» FnoMv » 6Kfiivé on.
pMFT r^mneiMr
MT il a fine iâ des
60^ «Ureymdtt ni
4 te gyaiute uiésé ie no.
te ttôoife par «Si bonnoi
MémplM de Téfts €k de EdigiHftçAa
le peyt. 9<m» pefdaos htmcniy
il nùm bit t^re me chapelle qoi bd
deux mine diu) cents libres. Cest le
notm AyoAn ea depais que nous
NotJii nonhaiterioM pour le bien de FEgiiee el de iod
lo Oan^la que Sa Majesté le Tonlât ravnjBt. Notf
priff rorm pf^ar cela; joignez tos prières aux nOtm.
.* 1* -■ '
Iffl Québec, U 1H doctabre 1667.
h
DE LA MÈRE MARIE DE.L'iNCARNATION. 355
LETTRE CLXXXIV.
AU MÊME.
l'entretien familier avec Dieu fortifie l'âme dans les emplois extérieurs
distrayants. — Elle parle encore de l'amour qu'elle a pour les souffrances
'elle endure.
Mon très-cher et bien-aimé fils,
!e 8ont ici les dernières voies par lesquelles tous
evrez de nos lettres cette année. Dans le peu de
ips qui me reste de vie rien ne me contente comme
m'entretenir avec vous. Mais c'est avec douleur et
lO un sentiment de compassion que j'apprends l'état
faiblesse où vous êtes. Infailliblement vous vous
usez trop dans les fonctions de votre charge, quoi-
) je voie bien que Dieu vous honore beaucoup de
18 donner de si nobles emplois. Mais j'estime que
18 vous laissez trop abattre par la grande austérité
vos règles. Si vous voulez rendre du service à
tre- Seigneur vous devez vous fortifier et vous cou-
ver. Mais il semble que vous soyez las de vivre.
! pourquoi ne voulez-vous pas vivre, puisque votre
> est si bien employée pour Dieu et pour son service?
vous possédez cet entretien amoureux de cœur avec
^u, vous êtes heureux dès cette vie. En cet état les
plois n'empêchent pas l'union avec Dieu, mais ils
tsent toujours l'âme dans son centre, qui est Dieu,
^t \it titwçoaÊBt à idb pins haine et pim [TfMte vdqii
^àvee [ai. .Si toos Timies ;eciff [a ti» aor les éedb foa
je 70IU ai anxr^iâ eiLToyes. tdob ume^ qpe Jaî été
plomeon années en cec éiaiL qui me donnait une gmds
force pour porter ea ^raranx â les gnmda ngeli de
dUtraction que j'avais cfaea znoiK frère^ avec lefod fa
douoré onze ans. Cet âat change Tâme^ et fl la eo^
doit, en râevant de piia si ploa, à ramoa Is ptai
intime arec la diTine Majesté. Sares pomt de voloBfaL
laisKx-vQns condmze à son (iiTm esçrxki c'ait es faH
j^ammnàÉB^ de VOUS. 9oit pouT le jqrirffaiftl, aoik fsarlei
^npiois eztârîeaia; crayea-flifli, je Tona en aoppfie.
Je vona ai mandé par mes précédentes IirttRt It
disposition de ma santé, je ^^n^tmir» 4 *vaiZ8 dire qiK
je sois dana on canmmel âat de auuirranee dans mos
floz hépatique qni ne me qmtïB points et que je porta
il y a pins de tims ans. Je sonSn de grandas eoliqBei
caosées par une hnmenr de bile qni se jette ëans mt
booche, en sorte qne j 7 ai tonjonra cnnune da fiel, qui
me donne du d^oût de tontes sorta d*aîiB&aita. Aoemi
remède ne me soulage, an contraire, une dragme (quiire
grammes) de rhubarbe me met i Textrémité; siee
tout cela je ne pois mourir, d'où Tckl iniëre que Dieo
Teut que je soufOre, et j en ai lesprit s conTsinco,
que de moi-même je ne voudrais pas guérir pour tooi
les trésors de la terre. Je chéris tant mon mal, qne
j'ai peur d 7 avoir de 1 attache. Je souhaiterais bîa
que Ton ne s'en aperçût pas, mais Ton ne peut cscier
cette sorte de maladie, à cause de ses drconstasoei.
Nonobstant ma faiblesse et mon état languissant. As
rna encore continuée dans ma chaige. II me TtAIlo
fiubir puisque Dieu le veut On dit que les penoiuia
qui ont tant de bile sont colères; je ne le sois 1»^
4
k-
DE LA MÊRB MARIE DE L'IN CARNATION. 357
et mon cœur ne peut porter d'aigrear. Cette humear
de bile s'étant formée tout d'un coup, se répand par
tout le corps et y cause une maladie universelle. J'étais
d'une constitution fort saine et robuste, aujourd'hui tout
mon tempérament est changé. On dit que c'est le trop
grand travail qui l'a changé et corrompu de la sorte;
et moi je dis que c'est la bonté de Dieu qui m*a envoyé
cette maladie, de laquelle je la remercie de tout mon
cœur comme d'une preuve de l'amour qu'elle me porte.
Qu'elle en soit louée et bénie éternellement des Anges
et des Saints.
De Québec, le 19 éCoctobre 1667.
LETTRE CLXXXV.
AU MÊME.
Elle recommande qa'ou lui dise des messes après sa mort, qu'elle croit être
proche. — Sainteté que Dieu demande d'une âme qu'il admet à son union.
— II y a une Traie et une fausse paix dans la vie spirituelle.
Mon très-cher et*bien-aimé fils,
Je me suis donné la consolation de vous écrire par
plusieurs voies. Celle-ci n'est que pour réitérer la sin-
cère amitié que je porte à votre personne, qui m'est
la plus chère du monde. Je vous recommande que
Quand vous aurez appris la nouvelle de ma mort, vous
®e procuriez des révérends Pères de votre Congréga-
^on le plus de messes que vous pourrez. J'attends cette
in» t^?» qmwssmnaBB
.a» tout 4 fagOTffrm- cS^THiKaaBaiedfr^BHiB
t^^ifs^ un. <tiCttftTW artàniîaBiHMaïc^ doit: nB-sKvir dOhv-
le rj)lp»aiifri*aL£aa.àaâeftgaDB(iflftgEàaBB»
;âi âi mai tiarrBwwnim iOg pour f!gia.ja bmMani
-emi)» d»» [ô nnrCTBiTTKL iL DiflK m- zm fut onÉEi-
^nrtU^ par :âa sm&aaK 'le CF^àm^ (TâoreB oeia qw
^e m^MCimft rxcha <ie ^nnza aTcàn et par vofcn mofoi
von 'ioaa Pèzes: ;^s :-e^ TraaRnriff lOfr vom j genam
^^eifngmaiit. xàxi vaa^ par Toa "■^'""^^* efe ps la
lefin, je piziaKt bififooc liier jouir de^ Cakd «job om
<y»iir«3« nioa àoze veojoa ainiiv ec bëflir âBOiflilema^
Ah ! que nnna ionna «lonmma uaand iumb naaa «erraai
i%tfaMh4a poar toatoms à cec emploi !
U y ^ enviroa ^oaraiice ans loe sa divine ^bjeM
m^, f(t i« q^àce ec llionnenr ia j^gniftur à mon âme
^|n>M^ 7onUit «{oe tiésormais je la louafise sur la terre
^.^nm^ 1^ Amibes ^ les Sainta La looent dans le ciel.
Kf p^tir nfi(t, (^fit sa borné me mit &l cet état , d'où
il ^^«f, ^nmiivi ie très-grandes favenrs. Maia^ mon très-
/*h^r t\\n, il n'y a point de doute qne J7 ai mêlé beao-
Mrtiif (]i^ nrioi-méme et de mon amour-propre. Cest oe
i\ii\ rrt'n fuif, Ini dire un nombre infini de fois ce verset
'tff l 'nrilrrii^fo ; helMa quU intelligit? Ab occultis meis munia
wr Pn finpf |>hr qno je n'aie un grand nombre de
IiMmmU i|mI fin* nriril, manifestes, mais j'en ai incompa-
t'itiluttiiMt! ilnvrudnK<M|ui me sont cachés. Et pour tout
DB LA MÈRE MARIB DB l'iNGARNATION . 359
la, comme aussi pour les fautes que j'ai commises
ins la vie spirituelle par mon peu de correspondance
ses adorables desseins, par mes omissions et par mes
tiens, je vous prie de vous ressouvenir de m'en obte-
r le pardon dans vos saints sacrifices. La pureté que
eu demande d'une âme à qui il fait l'honneur de
Dner accès auprès de sa divfne Majesté par une con-
ànelle union, est d'une grandeur et d'un prix inesti-
iiUe ; c'est ce qui me fait craindre, quoi qu'effective-
3iit mon* âme possède une paix que je ne puis vous
primer. Obtenez-moi encore que cette paix soit véri-
t>le; parce que dans la vie spirituelle il y a de fausses
ix, aussi bien que de véritables. Lorsque j'ai com-
3ncé cette lettre je n'avais pas la première pensée
vous entretenir de tout cela, 'mais notre bon Dieu
en a donné le mouvement, et son esprit a emporté
1* plume pour avoir recours à vous pour la sûreté
B affaires de mon âme. Sa bonté me donne une grande
nflance dans les sacrés trésors de l'Eglise, riche du
âcieux sang de son Fils notre divin Epoux et surado-
.ble Sauveur. Celle-ci est la dernière que vous rece-
!^z de moi cette année, c'est pourquoi il vous faut
ire adieu.
De Québec, le 30 d octobre 1667.
3»i
LETTRE CLXXXVL
^r MEME.
E
r
I
W oint dos ffllv aninifHi. — Etacda
S€fikgi qQ.*clln nmbaC à iimc Ut OiiMrfa
ce sim wtim marraillMix pw
its UniiiiB» de Québec-
M<m trâs-ch^ fils.
Voici la réponse à* Totre troisiôine lettre. Je toi»
remercie autant qall m*est possible de la sainte el
précieuse relique qae yoxïs m*aTez envoyée : elle tiendn
place dans on beaa reliquaire d*où nous avions ôté la
reliques pour les mettre dans Tautel de notre Egli»
lorsque Ton en fit la consécration. Vous m*ayez obligea
de m*en envoyer les attestations, parce qu'elle doit être
exposée au public. Quand je vis cette sainte relique
mon cœur fat ému de dévotion, et je remercie ce grand
saint d'honorer ce pays de ses vénérables dépouilles.
Je vous remercie encore une fois, mon trôs-cher fils.
Vous croyez que je vais mourir. Je ne sais quand arri-
vera cet heureux moment, qui me donnera toute à notre
divin Sauveur. Ma santé est en quelque façon meilleare
que les années dernières, mes forces néanmoins étant
extrêmement diminuées il faudrait peu de chose pour
m'emporter, surtout n'étant pas tout à fait quitte de
ce flux hépatique, qai m*a duré si longtemps, et con-
•ervant tocgours l'amertume de ma bouche qui donne
DE LA MËRE MARIE DE L'INCARNATION. 361
le goût d'absinthe à tous les aliments que je prends.
Je m'y suis accoutumée, autrement il faudrait mourir
ie faiblesse. Cependant mon esprit est content dans
Dette infirmité, qui me fait continuellement souvenir
de l'amertume de Notre-Seigneur en croix. Avec ces
incommodités je garde mes règles. J'ai jeûné le Carême
et les autres jeûnes de l'Eglise et de la règle; en un mot
je fais ma charge, grâces à Notre-Seigneur. Je chante
si bas qu'à peine peut-on m'entendre, mais pour réciter
à voix droite j'ai encore assez de force. J'ai peine de
me tenir à genoux durant une messe; je suis faible en
oe point, et l'on s'étonne que je ne le sois pas davantage,
eu égard à la nature du mal qui m'a duré si longtemps
avec une grande fièvre.
Nous espérions avoir, par ce voyage, ma chère Mère
Cécile de Reuville de l'Enfant- Jésus, religieuse de Rouen,
tt je me disposais à lui apprendre la langue Algonquine,
1D6 persuadant qu'elle y serait propre et qu'elle y aurait
de la fermeté, car ces langues barbares sont difficiles,
M pour s'y assujettir il faut des esprits constants. Mon
occupation, les matinées d'hiver, est de les enseigner
à mes jeunes sœurs : il y en a qui vont jusqu'à savoir
l les préceptes et à faire les parties, pourvu que je leur
\ * traduise le sauvage en Français. Mais d'apprendre un
fiombre de mots du dictionnaire, ce leur est une peine,
|.-n leur sont des épines. De nos jeunes sœurs il n'y en a
! tn'uûe qui pousse avec vigueur. La Mère assistante et
î l%Mère de Sainte-Croix y sont assez savantes, parce que
; dans les commencements nous apprîmes le dictionnaire
JN^oœur. Comme ces choses sont très-difficiles, je me
^Qis résolue de laisser avant ma mort le plus d'écrits
^nU me sera possible. Depuis le commencement du
.Qarâme dernier jusqu'à l'Ascension j'ai écrit un gros
36S LBTTRJB8
livre Algonqoiû de lliistoire sacrée et des choses saintei»
avec un dictionnaire et on catéchisme Iroqnds, qjàd l|
on trésor. L*année dernière j'écrivis nn gros dictionoaiie |i
à Talphabet Français; j*en ai un antre à Talphabet
sanvàge. Je vons dis cela ponr vous faire voir qui
la bonté divine me donne des forces dans ma fiuUew
pour laisser à mes sœnrs de quoi travailler à «a
service pour le salut des âmes. Pour les filles firu-
çaises il ne nous faut point d'autre étade qae celle à
nos régies : mais enfin après que nous aurons bii m
que nous pourrons, nous devons nous croire des m-
vantes inutiles et de petits grains de sable au fond di
l'édifice de cette nouvelle Eglise. Je vous écris par tonin
les voies, mais comme mes lettres peuvent périr Je voui
répéterai ici ce que je vous ai dit ailleurs de nos emidoii;
puisque vous désirez que je vous en entretienne.
Premièrement, nous avons tous les jours sept roii-
gieuses de chœur employées à l'instruction des fillM
françaises, sans y comprendre deux converses quisoflt
pour l'extérieur. Les filles sauvages logent et mangettl
avec les filles françaises; mais pour leur instructioB
il leur faut une maîtresse particulière, et quelquefotf
plus, selon le nombre que nous en avons. Je viens d0
refuser, à mon grand regret, sept séminaristes algon-
quines, parce que nous manquons de vivres, les officien
ayant tout enlevé pour les troupes du roi, qui en mas-
quaient. Depuis que nous sommes en Canada nous n'es,
avions refusé aucune, nonobstant notre pauvreté; é
la nécessité où nous avons été de refuser celles-ci, m'a
caui^é une très-sensible mortification ; mais il me ft
fallu subir et m'humilier dans notre impuissance, qui
nous a même obligées de rendre quelques filles fran-
çaises à leurs parents. Nous nous sonmies restreintes
DE LA MËRB MARIB DE L'INCARNATION. 363
ize françaises et à trois sauvages, dont deux iro-
ses et une captive à qui Ton veut que nous apprê-
ts la langue française. Je ne parle point des pauvres,
sont en très-grand nombre, et à qui il faut que
i fassions part de ce qui nous reste. Revenons
s pensionnaires.
on est fort soigneux en ce pays de faire instruire
illes françaises, et je puis vous assurer que s'il n*y
t des Ursulines elles seraient dans un danger côn-
el de leur salut. La raison est qu'il y a un grand
bre d'hommes; et un père et une mère qui ne
Iront pas perdre la messe, une fête ou un dimanche,
leraient leurs enfants à la maison avec plusieurs
mes pour les garder. S'il y a des filles, quelqu'âge
Iles aient, elles sont dans un danger évident, et
^rience fait voir qu'il faut les mettre en lieu de
té. Enfin ce que je puis dire est que les filles en
ays sont pour la plupart plus savantes en plusieurs
ières dangereuses que celles de France. Trente
} nous donnent plus de travail dans le pensionnat
soixante ne font en France. Les externes nous en
lent beaucoup, mais nous ne veillons pas sur leurs
irs comme si elles étaient en clôture. Elles sont
les, elles ont l'esprit bon, elles sont fermes dans
ien quand elles le connaissent : mais comme plu-
rs ne sont pensionnaires que peu de temps, il faut
les mdtresses s'appliquent fortement à leur éduca-
, et qu'elles leur apprennent quelquefois dans un an
*e, à écrire, à jeter (calculer au moyisn de jetons),
[)rières, les mœurs chrétiennes, et tout ce que doit
ir une fille. Il y en a que les parents nous laissent
d'à ce qu'elles soient en âge d'être pourvues, soit
* le monde, soit pour la religion. Nous en avons
rsvv
n ' - ■ .■■■ ^?r8 :i È
_iî \Si6BSt
-_ .-- — a îieili
'' ' ■ ''" * x.'V -:■•:.: eLsuiie et elles fo*
' ' ' • • ' ^' *;%f^ <« M. Boucher, qui a*i
' * ' -tii^'n 'it.: 1 rf,iz fuvières. D'autres ^etou^
.'; /' ' '•"•" I "M r-fr rf«iivM|rpp; !»iios parlent bienfran*
j«|iM ' ' ' ' '*' "»' 'Hit. M ,|;,|,n |;| looture et dans récriture.
DB LA MÈRE MARIB DE l'INCARNATION. 365
Voilà les fraits de notre petit travail, dont j'ai bien
"îonlu vous dire quelques particularités, pour répondre
aux bruits que vous dites que Ton fait courir que les
Ursulines sont inutiles en ce pays, et que les Relations
ne parlent point qu'elles y fassent rien. Nos révérends
Pères et Mgr notre Prélat sont ravis de l'éducation que
nous donnons à la jeunesse. Ils font communier nos
filles dès rage de huit ans, les trouvant autant instruites
qu'elles le peuvent être. Que si l'on dit que nous sommes
ici inutiles, parce que la Relation ne parle point de
nous, il faut dire que Mgr notre Prélat est inutile, que
son Séminaire est inutile, que le Séminaire des rêvé-
i^ds Pères est inutile, que MM. les Ecclésiastiques
de Montréal sont inutiles, et enfin que les Mères Hos-
pitalières sont inutiles, parce que les Relations ne
disent rien de tout cela. Et cependant c'est ce qui fait
^ soutien, la force et l'honneur même de tout le pays.
Si la Relation ne dit rien de nous, ni des Compagnies
<M Séminaires dont je viens de parler, c'est qu'elle fait
élément mention du progrès de TEvangile et de ce
^ 7 a du rapport : et encore lorsqu'on en envoie les
exemplaires dlci l'on en retranche en France beaucoup
de choses. Madame la duchesse de Sennessay qui me
^ rhonneur de m'écrire fous les ans, me manda
ramée dernière le déplaisir qu'elle avait eu de quelque
^l^oie qu'on avait retranché, et elle me dit quelque
^1^^ de semblable encore cette année. M. Cramoisy
Vii imprime la Relation et qui aime fort les Hospita-
'^^ï'es dlci, y inséra de son propre mouvement une
^*ttiie que la Supérieure lui avait écrite, et cela fit bien
*^ bruit en France. Mon très-cher fils, oe que doub
^•'•ms en cette nouvelle Eglise est tu de Dieu et non
'^ des hommes; notue clôture couvre tout, et il eut
366
LETTRES
difficile de parler de ce qu'on ne voit pas. Il en est tout
autrement des Mères Hospitalières : l'hôpital étant
ouvert et les biens qui s'y font étant vus de tout k
monde, on pourrait louer avec raison leurs charités
exemplaires. Mais enfin elles et nous attendons It
récompense de nos services de Celui qui pénètre dam
les lieux les plus cachés, et qui voit aussi clair dans la
ténèbres que dans les lumières, cela nous suffit.
De Québec, le 9 août 1668.
LETTRE CLXXXVII.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE DUON.
Elle lai ^ parle du progrès de la Foi en Canada, et lui dit son senttÉMt
tOQcliaiit la vénérable Mère de Saint-François-Xayier , dont elle Ini vnà 11
envoyé la vie.
Ma révérende et très-honorée Mère,
Jésus soit notre vie et notre tout pour l'éternité.
J'ai eu la consolation de recevoir votre chère lettre
par la première voie, dont je vous suis infiniment
redevable. Je ne doute point, ma très-chère Mère, qitf
les gens de guerre qui ont été si longtemps prodi6
de votre pays, ne vous aient causé de grandes iBCom*
médités et des pertes fort considérables. II en a étf
de même en ces contrées, où nous ne pouvions pl0
subsister, si la divine bonté ne nous eut donné la paît
Cette grâce du Ciel continue et a ouvert la porte i
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 367
rangile de tous les côtés de cette Amérique, où les
isionnaires de la Compagnie de Jésus se sont répan-
d'un courage qui ne se peut exprimer. En voilà
ore une troupe qui va partir pour les Iroquois, où
. instruit avec liberté ces nations, qui étaient si
)ces et si cruelles, non-seulement aux Français,
is encore aux sauvages chrétiens. C'est un miracle
la toute-puissance de Dieu, de les voir aujourd'hui
eux et si traitables, qu'ils vivent avec nous comme si
is n'étions qu'un peuple. Priez Notre-Seigneur, ma
s-aimée Mère, qu'il donne de grands succès à de si
reux commencements. Le diable y met de grands
tacles, mais tous ses efforts sont moins que des
es d'araignées contre les desseins de Dieu,
fous avons reçu avec joie et avec consolation la vie
la vénérable Mère de Saint-François-Xavier. Elle
ts a paru ravissante, et il est évident que cette
îheureuse Mère était remplie de l'Esprit de Dieu,
r notre Prélat et MM. ses Ecclésiastiques, aussi bien
i nos révérends Pères, l'ont lue avec satisfaction,
ivec action de grâces à Notre-Seigneur d'avoir donné
monde une si sainte âme, qui avait tant d'amour et
t de zèle pour cette nouvelle Eglise. On la regarde
comme l'une de ses protectrices, à présent qu'elle est
18 le ciel et en état de la protéger. Enfin nous l'avons
imuniquée aux personnes de la plus haute piété
ces contrées, qui l'ont lue avec -vénération, et qui
ent Dieu des bénédictions qu'il a répandues sur sa
\raote. Je vous remercie de nouveau du présent qu'il
18 a plu nous faire d'une si sainte vie. Je vous rends
ces pareillement de votre charitable aumône. Vous
\ une de nos principales bienfaitrices par la conti-
ttion de vos bienfaits ; les autres se lassent quelquefois
368 LBTTRB8
de nous en faire, oa du moins ils les interrompent, fooi
ôtes infatigable et vous ne vous lassez point. Nos sémi^
naristes et nous offrons à Dieu nos prières pour vous;
en reconnaissance, donnez-nous, s'il vous plaît, pari
aux vôtres, et agréez les très-humbles respects avw
lesquels je suis....
De Québec, le 9 août 1668.
LETTRE CLXXXVIII.
■
A SON FILS.
Alliance des Français avec les Anglais établis dans la noiiTalle Hdlaods.—
Progrès des Missions chez les nations iroquoises, montagnatsat, oatsonk ^
autres plus éloignées. -— Nouvelle comète. «- Nouveau tremblemaot de tinii
Mon très-cher fils,
Celle-ci est pour vous donner des nouvelles de cette
Eglise, en attendant que vous en receviez de plot
amples par la Relation. Avant la fonte des neigoi
le révérend Père Pierron arriva à Québec, où il apporti
la nouvelle de ce qui s'était passé chez les Iroquois.IIâ.
souffert des fatigues extrêmes dans son voyage; pan»
que ne pouvant marcher avec des raquettes, il tombai
souvent dans des trous dont ses jambes ont été bleasAi;
mais, comme c'est un homme généreux, il a suriiKmtf
toutes ces difficultés , en sorte même que l'on nto
aurait rien su sans l'homme qui raccompagnait
Il a rapporté que c'était une chose assurée que
DB LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION. 369
s'étaient emparés de la Noavelle^HolIande et de
Il le sait d'original (première source), parce
)mmandant l'envoya quérir aux Iroquoîs, où il
mission, et étant allé le trouver, il le reçut avec
p de civilité, l'assurant de sa protection tandis
emps) qu'il demeurerait dans le pays. Il y avait
3 qu'on ne lui avait riçn apporté de l'Europe,
n'en avait appris aucunes nouvelles. Le Père
pprit et lui donna espérance de la paix, et que
ées navales s'écartatit, il pourrait recevoir des
issements, car il était dans la disette de beau-
choses, aussi bien que ses troupes. Ils eurent
e un grand entretien de controverses, après
se séparèrent avec de grandes démonstrations
. Le dessein de ce général, ainsi que nous
appris , était principalement de sonder dans
les intentions des Français, parce qu'il craignait
irmée française n'allât l'attaquer, comme elle
it les Iroquois, ainsi que l'on en avait fait courir
^re a rapporté que les Iroquois l'ont traité, et
IX de sa suite, avec beaucoup de douceur, qu'ils
t la parole de Dieu avec ardeur, qu'ils voient
lisir baptiser leurs enfants et leurs moribonds,
3 que plusieurs adultes reçoivent ce sacrement,
couvent exactement à la chapelle aux heures
ies pour les prières; et, pour marque de leur
ont eux-mêmes fait la chapelle et les logements
es dans les bourgs où ils résident. Le Père est
iourné, et en a même quatre autres avec lui.
) qui regarde les Agneronnons, où sont les Pères
et Perron,
révérends Pères Brias et Carheil sont aux
M. II. 24
OnneioQSteroiinoDfl , oà iU n'ont pas été reçus ayee
moins d'accueil. Les sanTages les traitent avec tout le
respect possible et se font instruire avec une dodliiii
merveilleose. Ils les riaient de leurs dtroaiUes si
fiusoles (foséoles), et de Uë dinde assaisonné de poisaoo
boncané, qui sont leors plos grands festins; car il n*y s
point de chair ni de poissons dans ce pays, sinon lon-
qn'on fait actaellement la chasse on la pêche. Ces deux
Pères, aussi bien que les deux antres, font de grands
progrès dans la Foi, mais il y a nn malheur qui Isi
traverse étrangement; c'est que les Anglais et les Hol-
landais traitent (vendent) à ces peuples une prodigieuse
quantité d'eau^le-vie et de vin dont ils e'enivrent sans
cesse. Il s'ensuit de là des batteries et des meurtres
continuels, car cette sorte dlvresse les rend brutaux et
insensés, en sorte que les Pères même en quelques
occasions*, en souffrent de grandes insolences. Ces
insultes faites aux Pères donnent bien de la peine au
anciens, qui craignent qu'on ne les quitte, et qu'on ne
prenne de là occasion de rompre la paix. Ils en ont fait
des excuses et tout ce qu'ils ont pu pour essuyer (effacer)
cette faute. Ces sortes de boissons sont de graods
obstacles à la Foi, et elles mettent les choses en état
de ne baptiser que les vieillards, les enfants et les
moribonds, jusqu'à ce que ce désordre ait cessé oo
diminué. Les cinq nations iroquoises et tous leon
bourgs sont infectés de ce poison. Si Manhate, OvàDgè
et les lieux circonvoisins appartenaient au roi à»
France, l'on ferait de toutes ces contrées une magniâgoa
Eglise.
Voici une seconde nouvelle que nous venons d'ap*
prendre par le moyen des Iroquois, qui la tiennent dai
AjQglais leurs voisins; savoir que la paix est faite entra r^^Q
DB LA MÊRB MARIB DB L*IN0AKNAT10N. 37 1
les Couronnes, et que par le traité la nouvelle Hollande
demeure aux Anglais, et que TAcadie est rendue au roi
de France. Il y a donc un nouveau général anglais A
Manhate, qui a écrit plusieurs lettres aux Pares pour
l6s prier d'envoyer des Iroquois pour nous apprendre
l6s nouvelles de cette paix, et nous dire qu'il est ami
des Français. Il a écrit même à M. notre Oouvornour
uie lettre toute pleine d'amitié. 11 ne s'oppose point A
ee que les Pères prêchent la foi de nos mynU^rnn aux
Iroquois ; mais il n'est pas content que les Kran/^ais de
Montréal traitent (fassent le commerce) avec eux, par(;i5
406 cela diminue leur pelleterie, et par conséquent Umr
rerenu. Voilà comme chacun cherche ses intérêts.
Le révérend Père Gamier étant heareus^^ment finir A
iQoontaé, y a été reçu avec tous les applaudissements
Pûssîbkt. La première marqua de hienveillan/^^e 'jrj'on
^ I rendue, a ^ de lui faire une f>elle cbafA^^lle
f^feoras et un logement de même. Tous s^ foui
•
^Mlnire aTec empnsêement et font de ttr^u^^hn instari-
^i ee qu Achiendasé . cett ainsi f^^'iln ^pp^iU^ut \h
'Nrefti Père Soi^êrieur (Ua M:isio£*.<i , Hé^H aristi
^^*euju arec eux. Le P-^re ..e:.r a -î.t q«3'A';r-,^r*';^i;^
* fcrrirt aiier «a l-wr pajs, I'-aî^» \z^. ^rj% fr^r; y^,
*• iTML^V^. é:a;t trr-T^ ^ Qv4'^:: ^* v ' ^^-^
o* »
372 LETTRES
dant les révérends Pères mîssioDnaires, et le priant de
soutenir la Foi par son autorité. Dans cette assemblée
un excellent chrétien, huron de nation, fit une belle
harangue, dans laquelle il dit aux Iroquois qu'ils ne
s'imaginassent pas que les Français les considérassent
ici comme des esclayes ; mais que TOnonthio dlci, qui est
M. le Gouverneur, et le Grand Ononthio de France, qui
est le roi, voulaient que leurs enfants et ceux des
Français s'alliassent ensemble, afin de ne faire qu'on
même peuple. Il fit cette proposition sur ce qu'il i^
appris que Sa Majesté veut, à ce que Ton dit, que \em
révérends Pères élèvent un nombre de petits garçons
sauvages et nous un nombre de petites filles à la fran .
çaise. Si Sa Majesté le veut, nous sommes prêtes de 1-
faire par l'obéissance que nous lui devons, et surtoina
parce que nous sommes toutes disposées à faire ce qtM
sera à la plus grande gloire de Dieu. Cest poartan -
une chose très-difficile, pour ne pas dire impossibles
de les franciser ou civiliser. Nous en avons l'expériencv
plus que tout autre, et nous avons remarqué que difl
cent de celles qui ont passé par nos mains, à peiD<«
en avons-nous civilisé une. Nous y trouvons de 1^
docilité et de l'esprit, mais lorsqu'on y pense le moiiw»
elles montent par dessus notre clôture et s'en vos/
courir dans les bois avec leurs parents, où elles troo
vent plus de plaisir que dans tous les agrémente de m
maisons françaises. L'humeur sauvage est faite daJi|^
sorte; elles ne peuvent être contraintes ; si elles lestât
elles deviennent mélancoliques, et la mélancolid lai ff i^
fait malades. D'ailleurs les sauvages aiment extraw^ |sb
dipairement leurs enfants, et qu^^iià \\a savent qu^
sont tristes ils passent par desB\^i,^^R^3^ft^^«l*^^*^*^^^
pour les ratiiir, et il les fout reud^iss.^^^^^'^^^^'^** P
1
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 373
Horonnes, des Algonquines, des Iroquoises; celles-ci
•ont les plus jolies et les plus dociles de toutes. Je ne
tais pas si elles seront plus capables d'être civilisées
l V^e les autres, ni si elles retiendront la politesse fran-
l çaise d^ns laquelle on les élève. Je n'attends pas cela
belles, car elles sont sauvages, et cela suffit pour ne le
ï pas espérer. Mais je reviens à nos missionnaires.
é Voilà le révérend Père Millet qui part pour les Iro-
çuois. C'est celui qui vous a rendu visite à Rouen.
■ïl m'a visitée plusieurs fois à votre considération et m'a
donné le paquet dont vous l'aviez chargé. Il s'en va offrir
Bozk sacrifice avec autant de joie que s'il allait en para-
dis « Les sauvages l'emmènent sous la qualité d'Achien-
ia«é, c'est-à-dire celui qui est honoré. En voilà déjà six
iQi l'ont devancé, de seize que l'on demande; il faut
on peu attendre pour le reste, car un ouvrier de l'Evan-
gile n*est pas si tôt formé pour ces peuples barbares.
"Vous vous souvenez bien des travaux que le révérend
Pare Dalais a soufferts les années dernières dans les
eontrées des Outaouak, et comment il fut rejeté, avec
ton compagnon, des sauvages de cette nation quand
tt voulut s'embarquer pour y retourner. On croyait
qu'il était mort, avec le révérend Père Nicolas et un
n Frère, parce que l'on n'en avait point entendu de
[loiiveUes. L'on a appris depuis que ces barbares les
nt dans leurs barques, mais sans provisions ni
odités. Enfin Dieu les a protégés, et après des
inconcevables, ils sont arrivés dans ces grands
fuies pays/ De là ils poussèrent vers les nations
aTaieni déjà en partie catéchisées, où ils ont
beancoup d'âmes à Dieu.
révérend Père Nicolas, nonobstant ses fatigues,
Asvena mut ses pas pour amener ici une nation
374 LETTkBS
d0 sauvages qui n'avaient jamais vu d'Européens. Ib
ont tous le nez percé avec quelques grains ou poils
de bêtes d'une belle couleur qui y sont pendus. Ib
étaient très- chargés de castors, qui ont bien accommodé
nos marchands. Ils ont été si satisfaits des Français,
qu'ils sont résolus de venir ci-après faire leur traite
avec eux. Les Outaouak leur avaient fait entendre que
les Français les feraient brûler s'ils passaient outre,
mais i\f ont reconnu depuis que ces barbares les entre-
tenaient dans cette crainte afin d'avoir leur pelleterie
pour rien et de les venir traiter eux-mêmes. Les Pères
les ont désabusés, et c'est pour cela que le Père Nicolas
les a amenés lui-même pour leur frayer le cheminât^
les retirer de la crainte où ils étaient. Admirez cette.«s
charité, il y a trois cents lieues d'ici, et il a entrepri
ce long voyage dans la seule espérance de gagner
âmes à Dieu. Il les a ramenés avec un autre Père et q
Frère coadjuteur, et comme cette moisson est grande,
il y en a encore d'autres qui se préparent pour les suivre.
La mission du révérend Père Nouvel aux Montagnai
et aux nations du nord est florissante. Ce sont les sau-
vages les plus soumis et les plus dociles pour nos saints-
mystères, que Ton ait encore rencontrés. Il y a peu d^
temps qu'il en amena cinq cents à Tadoussac, qaL
témoignèrent une extrême passion de voir Mgr notr^
Prélat. Sitôt que Sa Grandeur en fut avertie, elle partie
pour aller les visiter et les féliciter de leur soumissio»
à la Foi, et pour ne pas perdre une occasion si favo-
rable, elle donna le sacrement de Confirmation à ceux
qui se trouvèrent disposés pour le recevoir. Sa charité
l'avait porté peu de temps auparavant à aller visiter
tous les forts jusqu'à celui qui est le plus proche des
Iroquois, où il conféra le même sacrement à ceux qui
DB LA MâRE MARIE DE L'INGARNATION. 375
'] ne l'avaient point reçu. D'autres Pères vont joindre le
j Père Nouvel pour accompagner les sauvages dans les
^ bois durant leurs chasses et dans leur hivernement. Les
•
autres sauvages hurons, iroquois, algonquins, monta-
gûais, seront assistés par nos révérends Pères depuis
Montréal jusqu'au cap de Tourmente et aux environs,
1 durant leur hiver. Ceux qui ne peuvent plus aller à la
^ chasse resteront à Québec, où ils seront soulagés selon
je corps et selon l'âme. Voilà la disposition de cette
^E^lise pour cette année.
L'on a vu en ce pays une comète en forme de lance :
elle était rougeâtre et enflammée, et si longue que l'on
n'en pouvait voir le bout. Elle suivait le soleil après
couchant, et n'a paru que peu de temps, perdant
lueur à cause de celle de la lune.
La terre a tremblé assez fortement au mois d'avril
dernier, et ce tremblement a duré environ deux Miserere.
Il a fait du débris vers le cap de Tourmente, et on l'a
ressenti dans toutes ces contrées jusque dans les Iro-
.. quois. Nous ne nous en sommes aperçus qu'une fois
à Québec, mais il a été fréquent bien avant dans les
î terres, où nous n'avons pas encore appris qu'il ait fait
g du fracas. L'hiver a été aussi doux que j'en aie vu en
« Firance, et l'été aussi chaud et aussi brûlant que dans
^ les îles de l'Amérique. Il n'a presque point plu, et néan-
b ntoins toutes ces saisons extraordinaires n'ont causé
^ aucun dommage aux biens de la terre. Je vous supplie
^ vous ressouvenir devant Dieu des besoins de cette
^lise, de notre Communauté et des miens en particulier.
De Québec, le l'' de septembre 1668.
ut ai
us
^ fc ■ ^
Miin -r=w-în«r £a.
(Rcr
ï eei
^^jsm.TA^.'^^ *j^ v.rjs -s: f-aroriL par InrosLliB Xotr^
V^^^/v? ^ v"^^ ^xnii-râu Piirr ce îtî aie r^v^ je laî^
';>/,'t <vri<^ :Mii#^ v>c£:ii H:ir^. ra û &iancs pcivr li ooa^
'; 0M ^>. 6^J^^ si^ilKA ; 'Tt^ii^iIL HT ftii i^«K Tiogt-et-on^
f^.;>(r^t^< r,/^a^ri::;/>îr^ tâ&: en pelkSl(^a]laires que dom»^
Uf\n0^, il ^ ;!i ^iorlinzire cf&^iiante à dn-^iuuici^xisq per^
nf*Uf9^, f*A f\n\ est, poar le pays, one charge qui demanda
/|^7ff ii/zirin ^t d^n pfîiii^ sans relâche. Vous auriez de- 1*-
|mifi'5 A croire crirnbien les affaires 7 sont de difScil9
iti'juptnutff'U'mcjit , cfjpendant Ion 8*en tire, et fmr 1»
tnMrUufnUi rlo I>ieu mon esprit et mon cœar sont dans
un hunn\ ^r/irid rcpoH que si je n*avais rien à faire, e'fc
i|iin iioiiN fuHHumH bien riches. C*est une conduite qo^
Ifi ilivinn honM n toujours tenue sur moi depuis que je
ntn (M)tniinN, ni (|uo j*ai expérimentée dès mon enfance,
M|»pnyi^<* Hwv 0(^t<o parole de Notre- Seigneur, que celui
(fNf *f» rf»M//f» f»M IU(*u fw sera jamais confondu. C'est ce qui
^\\\^ \)\U Irouvor lo» choses d'une même façon, le travai/
ooiwiui^ lo tvpos, ot le repos comme le travail. Dieo
iU
^
DE LA MÈRE MARIE DB L'iNCARNATION. 377
artout aimable, et ses conduites me sont égale-
dorables.
i me demandez, dans une de vos lettres, qui est
onne qui eut une certaine vision que j'écrivis en
! après le tremblement de terre. Vous avez peut-
u que c'est moi. Non, Dieu ne me conduit pas
tte voie. La personne étant morte cette année,
s la nommerai. C'est la Mère de Saintr Augustin,
ise Hospitalière. Elle est morte jeune, mais
le de vertus. Les grâces que Dieu lui a faites
fondées sur trois vertus, qui sont l'humilité,
ité et la patience. Pour vous en donner quelque
, je vous dirai qu'il y a quelques années, une
ce pays fut vexée des démons par la malignité
tains magiciens et sorciers venus de France (car
les honnêtes gens il nous vient de terrible
3); l'un d'eux la rechercha en mariage, mais
) il était soupçonné de ces maléfices, elle lui fut
3. Il 'en fut tellement irrité, que pour se venger
'efus, il voulut avoir par ses malignités ce qu'il
. pu obtenir par la bonne voie. Il y a quelques
1 que je vous mandai cette histoire, je ne la répète
Pour faire court, cette fille étant continuellement
et agitée des démons, fut mise dans une chambre
^pital où elle servait même les malades; et par
de Mgr notre Prélat, la garde en fut donnée
ère de Saint- Augustin, qui y acquiesça avec une
) soumission d'esprit, mais avec une grande
lance naturelle. Cette bonne Mère la gardait
I; nuit. Le jour le démon ne paraissait pas, mais
t il faisait du ravage, agitant cette fille d'une
e manière, et lui donnant une vue importune
magicien, qui lui apparaissait accompagné de
miifing twasarat, àmm naam bbb Tnimriw dTeofor
i0t inrnsir ymm^ ^iSL a^nr snr cette file, étam
WD.fUxxs» cuiHaMF BE* flBl& S giii iïSgiiBe cb anit
ùmxM M «m. Id» nffiBing flnmgrtB de œ qw cette
Mh» lEBrou: «ms -anc 0 nm la poreté de tttté flUe,
iii; iggagniMHMifc, fg 11B ionus MàsiBB et la battaient
qaihd
nttaïain sur ^ enrw nuniasifiiix jobbe gse c*étaieiit
ti» r»iii^s «ïc -wwr xBf ôm -jrtrmrmK SoB eonfeeseoT
2L^ ta* jsjL vrpiae s^ mif- iiiii Jt facaa acâr oomiDe de
/«icre I» lïiaçff uTiuif arsc logna. Elle aoaffiait tout
JHTfriTiiiwy ^ n chaiitép
•amép ^ cnâse iie r<s£7st«r. llgr Botn EvAq[ii0 et ao^
eontfggr aawâea gpaia ce fvî se iHHait. et ToulaieDfl
prademiBeK qmt ie ttwc âecxorit aecrat I>i6a fortifiiM
cette If ère dam ce gnrad traTaîl par le aeecmn da râfé—
rend Père de Brébenf, qui loi ajyaraiaaait aoawnt^
et la coDfolait dans aea traTaox. Enfin lea ' démona e0
les magiciens se retirèrent par 1 mterceaaÎQn de ce aainS
homme, qui a répanda ffon sang poar le sontien de bu
Foi en ce paya. Après tant de victoires remportées aor*
les démons par cette Mère, Notre-Seignenr lai a fait^
des faveurs très-signalées, la visitant et la careaaanfcs
beaucoup; surtout il lui a donné de grandes victoires
aur les maiioa esprits, qui lui ont fait d*étranges guerrea
juaqu*à la mort.'
(1) hêê ta?anU motlernaf et surtout les médecins rejettent a priori tovct
interventiou, toit des bons^ soit des mauvais esprits, soit mdme de Dieo, àMm
tout ce qui touche A l'ordre naturel. Quand on allègue des faits qulls DepsBfw/
eipliquer, ils nient ces faits aussi longtemps qu'il leur est possible. LonqDlif m
peufsnt plus les nier, ils aiment mieux en donner une explication qui, pour «si-
Nl#M«ii B*a pM !• moindre sens, que d'avouer qu'il pourrait bien j avoÂ' ^
DB LA MÈRB liARIE DB L'INGARNATION . 379
CTest donc à cette grande servante de Dieu que la
révélation dont je parlai après le tremblement de terre
lut faite; pour moi je ne mérite pas que Notre-Seigneur
nie fasse des grâces si relevées et si extraordinaires.
Puisque j'ai commencé à vous parler de la Mère
de Saint-Augustin, j'ajouterai ici encore quelque chose.
• foulque chose de surnaturel ou d'extranaturel. Le fait des stigmates de Louise
Lateau en est un exemple entre mille. Pendant plus de six ans, une foule
^esprits forts, les corps savants eux-mêmes prétendirent que la supercherie
Mt trop certaine par elle-même pour qu'il fût à propos de la constater. Puis,
fitnd le nombre des témoins qui affirmaient le fait parut enfin trop imposant,
^ieadémie de médecine de Bruxelles nomma une comxnission qui fut chargée
éê démontrer que tous ces prétendus témoins étaient des imposteurs ou des niaie.
•IfAlheureusêment (pour 1* Académie), la commission fut forcée de reconnaître
iH l^s stigmates étaient réels, incontestables, et tels dans tous les détails que
^*^lx-xiiaient tous les témoins depuis près de sept ans. Les docteurs belges ne
l^ttcft-fc. pas embarrassés pour si peu ; ils décidèrent gravement que la maladie de
ooi^K^ Lateau est une névropathie sttgmaUçtue, Si on leur demande ce que c'est
'^^^^ névropathie stigmatique, ils donneront une réponse ; mais cette réponse
^"^^p^bl dire : nous n'en savons absolument rien. Ces sauvages de l'Amérique
1 ^s^-oyaient que la terre était portée pa^ quatre gros éléphants, et à qui on
i^^k-xida par quoi étaient portés les éléphants, répondirent qu'ils n'avaient pas
0^^ à cela. C'était plus droit et'plus franc.
savants ne veulent pas plus croire aux sorciers et aux possessions des
Qs qu'aux stigmates provenant d'une cause surnaturelle ; mais une foule de
^trats, au moyen Age et jusqu'à ces derniers temps, ont déclaré certains
B ^^^^md nombre de faits de sortilèges, après les avoir constatés par les enquêtes
M 1^1 '^is sérieuses et des dépositions de témoins les plus dignes de foi. N'est-ce
iou(2 Tien que cette autorité f Les prétendus savants de l'époque actuelle, qui
pvoxaonçent sans vouloir même examiner, méritent-ils plus de confiance f
^^is nous avons une autorité qui surpasse infiniment celle de tous les tribu-
1^^^ et de toutes les académies : c'est l'autorité de l'Evangile, de Dieu même,
<pù %*e8t incamé pour détruire l'empire de Satan. Il faut ou renoncer à l'Evangile
it tu christianisme, ou admettre la possibilité des possessions diaboliques, et le
^ Uiéme de ces possessions en certains cas. ,l\ faut ou se séparer de l'Eglise,
<Mi croire avec elle que les pactes réels et efficaces pour le mal peuvent avoir lieu
**^ les démons, puisque telle est manifestement sa croyance. Qu'est-ce que
'^ Station de Notre-Seigneur dans le désert, sinon une proposition de pacte
^ lui fat faite- à trois reprises par Satan ?
DB LA MÈRE MARIE DE L*INGARNATION . 381
LETTRE CXC.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE DE TOURS.
(La Mère Françoise de Saint-Oermain.)
Elle lai parle avec éloge de sa sœur, la Mère Marie àe Saint- Joseph.
Ma révérende et très-chère Mère,
J'ai reçu votre lettre fort tard et j'y réponds à la hâte
presque aussitôt qu'elle m'a été rendue. Je bénis Dieu
la singulière protection qu il donne à taute votre
re maison, des grâces qu'il vous fait en particulier,
6 la paix et union qui règ^nent dans le gouvernement
ma révérende Mère prieure. Cette excellente Mère
* digne de louange d'imiter celles qui l'ont devancée
CBS la charge. C'est la marque d'un esprit bien fait,
<)ue l'esprit de Dieu la possède et la conduit. Je ne
i-xquerai pas de faire ce que vous désirez de moi, car
1:1s êtes bien près de mon cœur, et je vous regarde
cnine une autre Mère de Saint- Joseph, ma chère com-
gne et votre bonne sœur. Vous me priez de vous dire
^Ique chose d'elle, et d'autres m'en écrivent et le
dirent aussi. Vous devez avoir gardé les mémoires
^ je vous envoyai après sa mort, et ceux que je vous
encore envoyés depuis touchant la translation de son
>^ps de son premier cercueil dans un autre. Ces sortes
papiers ne doivent pas se perdre, et je les avais
^its fidèlement dans la pensée que nos Mères les
382 LBTTRB8
garderaient mieux qoe moi. Nos Mères de Paria se
sont servies de ce que le réyérend Père £e Jeane avait
pris dans ces mémoires pour mettre dans sa Relation.
Le révérend Père du Creox qui a fait l'histoire do
Canada, me demandant chaque année des. nouvelles
pour les 7 insérer, je lui ai mandé beaucoup de choses
de cette chère Mère, qu*il a fait imprimer; et même oe
qui arriva à sœur Isabelle Pavy avant sa mort est
couché dans cette histoire. Il y a quelque temps qne
DOS Mères de Paris nous demandèrent une attestation
de ce qui était arrivé au Frère Bonnemer. Nods
l'envoyâmes signée de sa propre main.^
M . de Bernières me manda avant sa mort, que Diea
lui avait fait de grandes grâces par l'invocation de cette
heureuse Mère. Il y a ici de nos sœurs qui disent le
même à leur égard. L'une d'entre elUes m'assure qu'elle
lui est redevable de la grâce de sa vocation. Pour moi,
je puis assurer qu'elle m'a rendu de grandes assistances,
et je ne fais nul doute qii'elle ne soit bien puissante
auprès de Dieu, pour moyenner auprès de sa divine
Majesté des grâces intérieures et l'amortissement des
passions à ceux qui l'invoquent. Sa mémoire nous est
aussi récente que si elle était encore en vie parmi nous.
L'on a encore universellement l'impression de sa vertu,
et je ne connais personne qui blâme en aucune manière
sa conduite, soit dans sa conversation, soit dans ses
actions ordinaires. Lorsque je croyais mourir de ma
grande maladie, je me réjouissais dans la pensée que j6
la verrai dans le ciel, quoique bien éloignée d'elle.
Enfin, chère Mère, je vous estime heureuse d'avoir une
si sainte Sœur et si puissante avocate dans le cieL
^1) Ce qui arriva au Frère Bonnemer, après la mort de la Mère Ifirie^
Saint-Joseph, est rapporté ci-dessus, à là fin de la Lettre CVIII, u I*'. p. ^1*
\
DB LA'MÈRB MARIE DE L*INCARNATION. 883
Vous me demandez les lettres que feu monsieur votre
père et madame votre mère écrivirent à cette chère
More sur le sujet de son passage en Canada ; cela m'est
impossible parce qu'elles furent brûlées à notre incendie
avec tous nos autres papiers de dévotion. Pour moi,
je laissai volontairement brûler les miens, quoique la
pensée me fût venue de les sauver avec ceux qui regar-
' dent les principales affaires de notre maison, que je mis
à la hâte en sûreté. Priez, chère Mère, pour notre petite
Communauté, qui vous salue avec bien de la tendresse,
et surtout souvenez- vous de celle qui vous est invaria-
blement, dans le Cœur aimable de Jjâsus, très-humble
servante.
De Québec, le 15 septembre 1668.
LETTRE CXCl.
A UNE RELIQIBUSE URSULINB DE TOURS.
{La Mère Marie de la Nativité,)
\
lUa se réjouit de la voir soaffrir avec patience les doaleon d'ane grande
maladie ; et par une amitié tonte surnaturelle, elle lui en désire encore de
pins grandes.
Ma révérende et très-chère Mère,
J*ai reçu cette année deux de vos lettres, dont la
première m'apprend que notre bon Jésus vous a atta-
chée à la croix par une maladie bien douloureuse. Si
^Ue dure longtemps, voua y acquerrez bien des cou-
384 • LETTRES
ronDes. Je bënis la bonté du Maître qui dispense les
croix à ses amis, de la paix et tranquillité qall donne
à votre esprit dans de si grandes douleurs. J*ai été
surprise apprenant lït qualité de cette maladie, de
laquelle je navals jamais ouï dire que vous eussiez
été attaquée par le passé. Cela me fait croire que ce ne
sera peut-être qu'une infirmité passagère, et je prie
la divine Bonté que cela soit, si c*est pour sa plus
grande gloire : mais si elle en a disposé autrement,
et qu'elle veuille vous élever à une plus haute sainteté
par la voie de la souflFrance, je la supplie d'accroître vos
douleurs, et de vous faire un modèle de patience à la
gloire de notre bon Jésus. Vous voyez par là, chère
Mère, que je vous souhaite ce que saint Philippe de
Néri et le bienheureux Félix se souhaitaient l'un à
l'autre : savoir des peines , des souffrances , des maf -
tyres, parce qu'ils ne vivaient plus à eux-mêmes, mai^
à Celui qui était mort et ressuscité pour eux. Bonrr
courage, mon aimable Mère, puisque, outre les souf —
frances du corps, celles de l'esprit viennent encore jC
la foule. Le prochain s'en mêle et ajoute douleur sur^
douleur. Oh ! que cela est ravissant, et que Dieu vou*
envoie de biens ! Mais si Dieu même se met de la partiel
et que sa main vous touche, ce sera encore bien autres
chose. Ah ! chère Mère, s'il vous conduit une fois parr
cette voie, vous crierez à lui, parce qu'il n'y aura que
lui qui puisse donner remède. Il tue, il vivifie, il mène
les âmes jusqu'aux portes de la mort, puis il les ramèn
et les fait revivre.
Vous avez voulu recueillir ses droits, et Ton vous
a trouvée sévère, parce que les débiteurs ne payent pai^
toujours trop bien. Voyez ce qu'en dit l'Evangile, et
vous trouverez que les débiteurs ont persécuté jjisquà
DE LA MÈRE MARIE DE L*INCARNATION . 385
la mort les serviteurs qui recaeillaient les droits du
Maître. Souffrez donc volontiers pour l'amour du Maître
de la vigne ; il saura récompenser au centuple les peines
et les reproches que vous aurez endurés pour son ser-
vice. Je vous estime la fille du monde la plus heureuse
de n'avoir pas été remise en charge; notre bon Jësus
vous a traitée en ami de vous détacher d'une croix pour
vous attacher à une autre, de la croix, dis-je, de la
supériorité, pour vous attacher à celle de la maladie
et de la persécution, que j'estime plus aimable parce
qu'on y souffre davantage. Bénissons les conduites de
notre très-aimable Epoux, qui veut que nous soyons
toujours avec Lui, puisqu'il veut que nous soyons tou-
jours dans la croix. Si nous vivons encore Tannée
prochaine, vous me direz de vos nouvelles, et je vous
dirai des miennes.
C'est ici la dernière voie par laquelle mon cœur se
rêpandra dans le vôtre, et vous assurera que mon âme
demeurera toujours collée à votre âme. Cependant je
serai en peine de vous jusqu'à Tannée prochaine, la
g^randeur de votre maladie m*en rendant l'issue dou-
l^use et suspecte. Je juge de votre mal par le mien,
et de vos dispositions par les miennes. Dans ma maladie
d^ quatre ans, ma joie et ma paix étaient dans le cru-
^ifi^. Je lui disais que c'était lui qui me faisait souffrir,
®t qui me faisait aimer la souffrance. Vous avez eu le
loisir^ toute cette année, à l'infirmerie, de vous entre-
*®ïiir avec cet amour crucifié, et je ne doute point que
^OQs ne lui ayez tenu le même langage que moi, puisque
"^ous en avez ressenti les mêmes effets. Vous vous
réjouissiez d'être en solitude, il fallait que la croix
^ous y accompagnât, afin qu'elle fût semblable à celle
de notre divin Sauveur. Pour ce qui me regarde, sa
LBrnK if. II. 25
386 LBTTR98
boDtë, qnoiqne je sois extrêmement faible, m'a fait
la grâce d'écrire mes lettres, qui sont en si grand
nombre qne yoos en seriez effrayée. Une main de
papier est aussitôt expédiée, et j'en ai la main si lasse
qn'à peine la pnis-je porter; et néanmoins il faut qu'elle
prenne courage jusqu'à la fin, il ne m'en reste plus
qu'environ quarante qui doivent être expédiées vers
la fin de ce mois. Mon Dieu, que je serai heureuse
quand je me verrai déchargée de ce fardeau qui est
attaché à la supériorité! Mais non, il faut prendre
patience : c'est un effet de l'amour-propre de désirer
de se voir déchargée de ces fardeaux. Il nous les fant
porter, ma chère Mère, autant de temps que notre bon
Jésus l'ordonnera. Agréez, s'il vous plaît, le trôs-humble
et très-respectueux salut de notre Communauté. Vons
y êtes connue comme si vous y étiez, car l'on vous y
tient pour cauadienneL Adfeu pour cette année.
•
j
De Québec, le 15 de septembre 1668.
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . 387
LETTRE GXCII.
^^ UNE SUPÉRIEURE D URSULINES DU MONASTERE DE SAINT-DENIS
EN FRANCE.
^Me lie avec elle une union sainte et une communication de biens spirituels
«t lui décrit la pauvreté de son monastère. — De quelle manière on francise
'es sauvages.
C*est moi, ma trôs-chère Mère, qui ai perda dans
^ l^rivation de vos chères lettres. Il y avait longtemps
^^ je vous connaissais de réputation par le moyen
3 x^évérend Père de La Haye et de défunte mademoi-
1^1^ de Luynes. L'amour et l'estime qu'ils avaient de
^t;:re vertu me sont devenus communs avec eux, et si
^ <3e temps-là nous eussions été en état de demander
^s religieuses en France, nous nous fussions adressées
^xix pour nous aider à vous demander à votre sainte
^xximunauté.
^dais Dieu ne l'a pas voulu, et il vous réservait pour
i rendre les grands services que vous lui avez rendus
^puis, et que vous lui rendez encore pour sa plus
^«inde gloire. Par la lettre que vous avez eu la bonté
^ m'écrire, je connais que l'aflFection pour le Canada
c^vis est toujours demeurée dans le cœur, puisque par
^tre bienveillance vous voulez bien en épouser les
^'t^rêts, et surtout ceux de notre séminaire. Cela me
'^che le cœur d'une nouvelle émotion d'amitié pour
^^i«, mon aimable Mère; car je n'aurais osé présumer
388 LETTRES
que Yoas pensassiez seulement à noos, et à moi en
particalier. Mais puisque notre bon Dieu le veut, lions
donc une nouvelle et indissoluble union et commu-
nication de biens spirituels, moi avec vous, et notre
Communauté avec la vôtre. Nous vous aimons toutes
cordialement et nous ne doutons point de votre affection
réciproque en notre endroit. Votre cordiale lettre en
fait foi, comme fait aussi celle que vous avez écrite
à ma Mère de Saint- Athanase, notre assistante.
Je n'ai pas manqué à ce que vous désirez de moi
à l'égard de cette vertueuse dame. Je me donne Thon-
neur de lui écrire, quoique je ne l'entretienne que de
civilités. S'il plaisait à notre bon Dieu de l'inspirer
d'aider notre pauvre séminaire, elle ferait assurément
une œuvre de grande charité : car je vous dirai sin-
cèrement qu'il est fort chargé, et que pour toutes ses
charges nous n'avons nulle fondation pour nos filles
sauvages, mais seulement pour quatre religieuses qui
les doivent instruire. Depuis près de trente ans que
nous sommes en ce pays, celles que nous avons nourries
et entretenues de tout dans le séminaire, ne Tout été
que par un effet de la divine Providence.
Nous avons francisé plusieurs filles sauvages, tant
huronnes qu'algonquines, que nous avons ensuite ma-
riées à des Français, qui font fort bon ménage. Il yen
a une entre autres qui sait lire et écrire en perfection,
tant en sa langue huronne qu'en notre française ; il n'y a
personne qui la puisse distinguer ni se persuader qu'elle
soit née sauvage. M. l'Intendant en a été si ravi, qu'il
l'a obligée de lui écrire quelque chose en sa langue
et en la nôtre, pour l'emporter en France et le faira
voir comme une chose extraordinaire. Sa Majesté, qui
a envoyé des troupes en ce pays, voyant que Dieu y a
fti
DB LA MËRB fiCARIB DE L'iNGARNATION. 389
béni ses armes, désire que Ton francise ainsi pea à peu
tons les sauvages, afin d'en faire un peuple poli. L'on
commence par les enfants. Mgr notre Prélat en a pris
un grand nombre à cei effet; les révérends Pères en
ont pris aussi en leur collège de Québec; tous sont
yêtus à la française, et on leur apprend à lire et à
écrire comme en France. Nous sommes chargées des
filles, conformément à notre esprit; mais quoique nous
les ayons élevées depuis que nous sommes en ce pays,
nous n'avons néanmoins francisé que celles dont les
parents l'ont bien voulu, et quelques pauvres orphelines
dont nous étions les maîtresses ; les autres n'étaient que
passagères et demeuraient avec nous un mois ou un
peu plus, puis elles faisaient place à d'autres. Mais à
présent il les faut toutes franciser et les vêtir d'habits
à la française, ce qui n'est pas d'une petite dépense,
car il n'y en a pas une, non plus que des petits garçons,
qui ne coûte pour le moins deux cents livres à entre-
tenir. Feu mademoiselle de Luynes nous assistait beau-
<^up, car elle nous envoyait des étoffes pour les vêtir,
^t une bonne aumône pour aider à les nourrir. Elle
^^ait dessein de faire une fondation à cet effet, et quand
^Hd tomba malade, elle chargea son testament d'un legs
^iisidérable, mais la mort l'ayant surprise avant que
^ô \g signer, rien n'a été exécuté. Par sa mort nos filles
^Uft^i bien que nous sont demeurées sans appui, car
^ pi:^^sent il n'y a que deux honnêtes dames en France
<lûi nous envoient chacune cinquante livres pour notre
«éminaire. L'embrasement de notre monastère arriva
^ xiQême temps, et ces deux accidents joints ensemble
ïiovis réduisirent à la dernière pauvreté. La seule Pro-
^dence de Dieu a rétabli notre monastère et jious a
^^i^es en l'état où nous sommes à présent. Mais quoique
390 LETTRES •
nous fussions réduites à l'hôpital, nous retînmes tou-
jours nos chères séminaristes, que nous estimons notre
plus riche trésor en ce monde, et pour lequel nous
avons quitté la France, nos Mères et tous nos amis.
Voilà, mon intime Mère, une petite partie de nos
aventures passées et de notre état présent; soyez Tavo-
cate de notre pauvre séminaire, si notre bon Jtisus
et sa sainte Mère, notre vrai support, vous en donnent
les mouvements. Nous eussions été ravies si la bonne
Mère de votre maison fût passée cette année avec celle
de Rouen ; mais Mgr notre Prélat a tant vu de remises
pour cette dernière, qu'enfin il s*est lassé, et dans
la nécessité où nous étions, il a bien voulu que nous
prissions des novices de ce pays. Nous en avons donc
reçu quatre, et une cinquième est sur le point d'entrer.
Mais nous voyons bien que pour maintenir l'esprit reU-
gieux en ce pays il nous faudra toujours avoir des
religieuses de France. C'est pourquoi, ma très-cbère
Mère, nous nous adresserons à vous dans les occasions.
Nos révérends Pères nous ont parlé si avantage^ement
de la sainteté de votre maison, outre ce que nous en
savons dailleurs, que nous ne croyons pas mieux faire
que de nous adresser à vos bontés pour vous demander
des filles qui soient jeunes, pour pouvoir satisfaire anx
devoirs de l'Institut, et qui puissent s'accoutumer au
climat froid de ce pays, où les personnes âgées ne
saccoutument pas si facilement. Je vous réitère, ma
très-chère Mère, la sincère aflFection de mon cœur
pour votre âme; je vous demande aussi la vôtre dans
l'intime union de notre divin Sauveur, dans laquelle
je suis votre....
De Québec, le 21 de septembre 1668.
D£ LA MÊRB BiARIB DB L'INGARNATJON. 391
LETTRE CXCIII.
A SON FILS.
Quoiqu'il faille craindre rélévation dans les charges, il faut néanmoins s'afatan-
donner à Dieu. — Elle parle de son oraison de respir, et de la crainte qu'elle
avait de déchoir de la grâce, quelque élevée qu'elle fût dans les voies de
Dieu. — Protejïtton de la sainte Vierge sur son monastère et sur elle en
particulier.
Mon très-cher et bien aimé fils,
J'ai reçu vos deux dernières lettres par les deux
derniers vaisseaux; et de vos nouvelles particulières
par mesdames N. et N., qui n'avaient pas assez de bou-
ches pour m'en dire et à nos amis, tant elles étaient
ravies de vous avoir vu. Dieu soit béni des dispositions
qu'il fait de votre personne; elles sont extraordinaires,
mais ce n'est pas vous qui faites le choix de vos emplois.
Je ne m'étonne pas si vous avez été surpris de ce dernier
que vous exercez, puisqu'en eflfet nous devons tou-
jours sentir de nous-mêmes ce que nous sommes en
vérité.^ Laissez-vous néanmoins aller au gré de la
conduite de Dieu sans aucun regard sur vous-même;
vous ne vous tireriez pas de cet abîme, puisque nous
n'arriverons jamais jusqu'au fond de notre néant. Tout
ce que je souhaite à votre égard n'est point pour vous-
même, ni à cause de ce que vous m'êtes selon le sang;
je vous le souhaite pour Dieu, et afin que vous soyez
(1) Dom Cl. Martin venait d'être nommé ÀMistaot du Père Qéùéral.
392
an digne instnunent de sa gloire : je conjure la divine
bonté de toos rendre tel. Pour mon particalier, je tooi
ayone qné mes véritables sentiments pour tous et pour
moi» sont de craindre l'élévation. Sor la noavellQ que
vons m'apprenez de llionnenr que Totre très-rëvérend
Père Général et mes aufares révérends Pères vùua fai-
saient de vous élever à la charge qae tous aves i
présent, je commençai à craindre; mais ayant fiât
réflexion devant Diea sur cette matière, mon espit
s'arrâta par une autre pensée qui me consola, que les
serviteurs de Dieu se laissent conduire à son esprit»
et que si vous n'eussiez eu la crainte de Dieu, ils n*aa«
raient pas jeté les yeux sur vous pour un si haut
emploi. Voilà ce qui s'est passé en moi à votre ^:ard»
en suite de quoi je me suis laissée aller à traiter avee
notre divin Sauveur sur la fidélité de ses promesses.
Sa bonté m'avait fait l'honneur et la miséricorde de om
promettre qu'elle aurait soin de vous, quand je voua
quittai pour son amour, et pour obéir à ce qu'elle deman-
dait de moi. Voyez, mon très-cher fils, si vous n'expé-
rimentez pas la vérité et Teffet de ses divines promesses.
Après une fidélité si manifeste, pourquoi vous et moi
aurioDS-DOus soin de nous-mêmes pour désirer ceci ou
cela? Tenons-nous toujours dans le dernier lieu et
cachés dans notre poussière ^. notre divin Midtre nous
trouvera là et nous en tirera si c'est pour, sa gloire et
pour notre bien. Il est si bon qu'en établissant sa gloire
il moyenne (procure) notre sanctification. Je l'ai toujours
éprouvé et si vous voulez vous étudier à considérer
ses saintes démarches en la conduite de votre vie ek
des états où il vous a fait passer, vous y remarquerez
cette vérité, capable de faire fondre des cœurs d'amoar
pour un Dieu si libéral et si magnifique.
DB LA MÈRE MARIB DE L'INCARNATION. 393
Pour moi, mon très-cher fils, je n'ai plus de paroles
aux pieds de sa divine Majesté. Mes oraisons ne sont
antres que ces mots : Mon Diea ! mon Dieu! soyez béni,
d mon Dieu ! Mes jours et mes nuits se passent ainsi,
et j'espère que sa bonté me fera expirer en ces mots,
et qu'elle me fera mourir comme elle me fait vivre. J'ai
dit en ces mots : je dirais mieux en ces respirs, qui
ne me permettent pas de faire aucun acte; et je ne sais
comme il faut dire quand il faut parler de choses aussi
nues et aussi simples que celles-ci, qui consomment
mon âme dans son souverain et unique bien, dans son
simple et unique tout. Me voyant sujette à tant d'inflr-
mitéii, je croyais selon le cours des choses naturelles
qu'elles me consumeraient, et qu'elles ne se termine-
raient que par la mort L'amour qui est plus fort qu elle
y a mis fin, et par la miséricorde de Dieu, me voilà
à peu près dans la santé que j'avais avant une si longue
iiialadie, sans savoir combien elle pourra, durer. . Il ne
^importe, pourvu que la sainte voloaté de Dieu soit
^ite ; mais je ne crois pas que ma fin soit bien éloignée,
^^at parvenue à la soixante et dixième année de mon
%d. Mes moments et mes jours sont entre les mains
^® c^clui qui me fait vivre, et tout m'est égal, pourvu
Qu'ils se passent tous selon son bon plaisir, et ses
^oi^^ables desseins sur moi. Dieu ne m'a jamais con-
duit;^ par un esprit de crainte, mais par celui de l'amour
et (i^ la confiance.
^ijand je pense néanmoins que je suis pécheresse,
et c^^e, par le malheur de cette condition, je puis tomber
eB "t^i état que je serais privée de l'amitié de mon Dieu,
îe^viis humiliée au delà de tout ce qui se peut imaginer,
^We me sens saisie de crainte que ce malheur ne
m'arrive. Si cette crainte était de durée je ne pourrais
394 LBTTRBS
ni vivre ni Bubsister, parce qu'elle regarde la aéparatioD
d*an Dieu d'amour et de bonté, dont j'ai reça plus de
grâces et de miséricordes qu'il n'y a de grains de sable
dans la mer. Mais la confiance d'un seul regard dissipe
cette crainte, et me détournant la vue d'un objet si
fianeste, fait que je m'abandonne entre les bras de mon
céleste Epoux pour y prendre mon repos.
Je me sens encore puissamment fortifiée de la pro-
tection de la très-sainte Vierge, qui est notre divine
Supérieure, par le choix spécial et par le vœa solenndi
que notre Communauté en a fait depuis plusieurs
années. Cette divine Mère nous assiste sensiblement;
elle nous donne un secours continuel dans nos besoins,
et elle nous conserve comme la prunelle de son œil.
C'est elle qui soutient notre famille d'une manière
secrète, mais efficace; c'est elle qui fait toutes nos
affaires ; c'est elle qui nous a relevées de notre incendie
et d'une infinité d'autres accidents, sous le poids des*
quels nous devions naturellement être accablées. Comme
nous n'avons pu avoir des religieuses de France, elle
nous a donné six novices qui sont toutes de très-boni
sujets, capables de nous aider à soutenir le poids de
nos fonctions, qui croissent de jour en jour. Que puis-je
craindre sous les ailes d'une si puissante et si aimable
protectrice? Remerciez la divine bonté et cette saiote^^
Mère de leur assistance sur notre petite Communaaté..^
et sur moi en particulier, qui suis la plus infirme et
plus imparfaite de toutes.
De Québec, le 12 doctobre 1668.
r/i
DE LA MËRE MARIB DB L INCARNATION. 39&
LETTRE CXCIV.
AU MÊME.
paix favorise les ouvriers «le l'Ëvangile. . — A l'imitation «le* révéremU Père*
uites, les ecclésiastiques travaillent dans les Missions. — Emplois ordi-
naires «ies sauvages. — Il est difficile de les polir et civiliser. — Maladies
universelles que l'on dit 6tre les effets des comètes.
MoD très-cher flis,
Depuis que noap jouissons du bonheur de la paix,
08 missions fleurissent et prospèrent avec beaucoup
bénédiction. (Test une chose merveilleuse de voir
6 zèle des ouvriers de FEvangile. Ils sont tous partis
"|)our leurs missions avec une ferveur et un courage
^ni nous donnent sujet d'en espérer de grands succès.
Cette paix des Iroquois et des autres nations a fait tant
de bruit en France, et a tellement frappé plusieurs
personnes du zèle de la gloire de Dieu, que M. Tabbé de
Quejlus est venu cette année et a amené avec lui plu-
sieurs ecclésiastiques pour Montréal. Plusieurs d'entre
eux sont de qualité et de naissince, gens bien faits ,^ qui
portent la piété dépeinte sur le visage. M. Tabbé de
Fénelon n'a point eu de honte de se faire compagnon
d*un ecclésiastique plus jeune que lui dans une mission
iroquoise, à l'exemple de nos révérends Pères. La
moisson est grande; Dieu envoie aussi des ouvriers
à proportion.
Mgr notre Prélat entretient en sa maison an certain
nombre de jeunes garçons sauvages, et aatant de Fran-
çais, afin qn'ëtant élevés et noarris ensemble, les pre-
miers prennent les mœars des antres, et se francisent
Les révérends Pères font de même; Messienrs da
séminaire de Montréal vont imiter. Et qnant aox
filles, nous, en avons aussi de sauvages avec nos pen-
sionnaires françaises, pour la même fin. Je ne sais i
qaoi tout cela se terminera, car, pour vona parlw
franchement, cela me pardt très-difficile. Depuis tant
d'années que nous sommes établies en ce pays, ntHU
n'en avçns pu civiliser que sept on huit qni aient été
francisées ; les autres, qui sont en grand nombre, «ont
toutes retournées chez leurs parents, quoique trèi-
bounes chrétiennes. La vie sauvage leur est si char-
mante à cause de sa liberté, que c'est un miracle de le>
poavoir captiver aux façons d'agir des Français, qulli
estiment indignes d'eux, qui font gloire de ne tra-
vailler qu'à la chasse ou à la navigation ou à la
guerre. Ils mènent leurs femmes et leurs enfants à
leurs chasses, et ce sont elles qui écorchent les bêtes,
qui passent les peaux, qui boucanent les chairs et le
poisson, qui coupent tout le bois, et enfin qui ont le
soin de tout le ménage, tandis que les hommes root
chasser. Quand ils sont dans leurs cabanes, ils regar
dent faire leurs femmes en petunant (fumant). Tout
leur travail, outre ce J}uc je viens de dire, est de fair»
leurs cabanes et les berceaux de lenrs enfants, leurs
raquettes, leurs trônes (traîneaux) et leurs canota.
Tout autre ouvrage leur pardt bas et indigne d'eax.
Les enfants apprennent tout cela quasi dès la nais-
sance. Loi tamma et les filles canotent (font manœii'
vrer les chuoIs) comnio les hommes. Jugez de ta l'î'
DB LA MâRE MARIE DB L'INCARNATION. 397
ist aisé de les changer après des habitudes qu'ils
x)ntracteQt dès Tenfance, et qui leur sont comme
laturelles.
Depuis mes dernières lettres, le pays a ressenti Jes
effets de la comète qui parut au mois davril : savoir
les maladies de rhumes qui ont été universels et si
l&cheux, que plusieurs ont été à deux doigts de la mort.
Os commençaient par des ébuUitions comme de rou-
g^eole; et ils étaient accompagnés de fièvres continues,
le maux.de gorge et d'autres accidents dangereux.
PeAonne néanmoins n*en est mort. Depuis six semai-
nes notre infirmerie a toujours été remplie. J'en ai été
littaquée comme les autres, sans pourtant aller à
llnfirmerie. J*ai été seulement huit jours sans me lever
k quiatre heures, à cause de la fièvre et de la toux. L'on
dit que ce sont là des effets de la comète, mais je crois
que ce sont des coups de la justice de Dieu, qui comme
un bon Père veut châtier son peuple. Quoi qu'il en soit,
cette comète n'a causé aucune malignité sur les blés,
dont la moisson a été abondante , en sorte qu'il y a
wjet d'espérer que l'on trouvera de quoi nourrir tout
le monde. Nous en rendons nos actions de grâces à
Celui qui nous comble de tant de biens, et qui, nourris*
sant les oiseaux du Ciel, ne refuse pas aux hommes,
quoique pécheurs, leur nourriture et leur soutien.
De Québec, le 17 ^octobre 1668.
f
J<.
398 LBTTRB8
LETTRE CXCV.
A SA NŒCR, RELIGIEUSE URSULINB.
Elle lui parle de la coDdnite de Diea sur son fils et sur elle, et des dti
où est UD religieux élevé dans les charges. •
Ma très-chère et bieD-aimée fille,
J*ai reçu cette année quatre lettres de votre part:^
vous ne sauriez davantage m'obliger que de me donner ^^
de vos nouvelles par toutes les voies ; si j'en avais de ^
plus fréquentes, je me donnerais aussi plus souv^ «
la consolation de vous donner des miennes, mon coeur ^
étant tout à fait attaché au vôtre et à celui du Père ^
Martin. Sachant que vous êtes tous deux à notre bon -
Jésus, c'est ma joie de vous voir en lui , et de loi
demander votre perfection, comme je lui demande la ^
mienne propre.
Je crois que vous avez su plus tôt que moi, que le^
Père M. (Claude Martin, son fils) est à présent à Paris s
en qualité d'assistant du révérend Père Oénéral. VM
m en écrit avec confusion de se voir élevé en cettee
charge. De ma part, j'ai toi]gours craint l'élévation poa
lui et pour moi, et je n'ai jamais rien demandé à Die
pour lui. que de lui faire la grâce d'être un véritable
pauvre d esprit, caché en lui et aux yeux des créatures-
J ai, ilis-je, demandé à Dieu pour lui ce que j'ai demanda
pour moi ; et je le demande aussi pour vous, ma chère
DE LA MÈRE MARIE DE L'INGARNATION . 399
•
le, que je voudrais pouvoir placer dans le cœur de
►tre divin Sauveur, vrai Père des pauvres. Mais cepen-
.nt Notre- Seigneur a élevé ce pauvre homme dans
s charges honorables dès sa jeunesse, ce qui me
Eidait inconsolable sans un mouvement qui me dit
L^ la divine Majesté en veut peut-être faire un instru-
3ût de sa gloire : cela m'arrête et me fait acquiescer
ses conduites sur moi, et sur celui que j'ai abandonné
10 son inspiration dès son enfance. Ah! ma chère fille,
*\\ est bon de s'abandonner à corps perdu entre les
Gis de Dieu, et de ne s'appuyer que sur la providence
xn si bon Père ! Je vous le dis en confiance pour sa
3ire, cet enfant était encore au berceau qu'il m'était
1 possible de rien demander à Dieu pour lui ni pour
:^i, sinon que nous fussions de ses véritables pauvres.
voyais la pauvreté de l'Evangile préférable à tous
s empires du monde, et elle me semblait d'un si grand
ix que toutes les choses de la terre ne jne paraissaient
comparaison que de la poussière, et comme rien.
Xnfin la divine bonté a conduit les choses oh vous
i voyez, et comme nous les expérimentons. Après
l'elle eut fait ces grâces à mon fils et à moi, vous étiez
LUS mon esprit comme la chose qui me restait la plus
lère dans le monde : j'entrepris de poursuivre auprès
> la divine Majesté qu'elle eût la bonté de vous en
»tirer, et de vous donner à son bien-aimé fils. Elle
l'a enfin écoutée, et elle vous a appelée par des voix
Bsez extraordinaires. Vous ne sauriez croire combien
6 coup de grâce a donné de repos à mon esprit, ni
ombien mon âme s'est épanchée en la présence d'un
ibon Dieu, pour lui en rendre mes actions de grâces,
iue reste-il donc, ma plus que très-chère fille, sinon
le correspondre, à des grâces si éminentes et à des
400 LETTRES
dons si inestimables par un générenx mépris de nous-
mêmes, du monde et de Tesprifc du monde, qui est si
glissant, qu'il se fourre dans les états les plus sublimes
et dans les actions les plus saintes. Ah! mon Dieu,
si nous avions une fois obéi comme il faut aux mou-
vements et aux attraits de la grâce, que nous serions
heureux! Nous expérimenterions les douceurs de cette
béatitude qui fait enfants de Dieu ceux qui la possèdent
Quant au Père Martin, il faut que je vous dise qu* ayant
appris qu'il était auprès du révérend Père Général, j'ai
demeuré quelque temps craintive dans la pensée que
l'élévation est souvent la veille de quelque chute, soit
spirituelle, soit temporelle, et que le plus sûr pour un
religieux est de demeurer en son lieu, caché aux yeux
des autres et aux siens proprés. Une autre pensée qui
succéda à la première rendit le calme à mon esprit,
que les supérieurs de l'Ordre établis à la conduite et
au choix des £^itres, avaient l'esprit de Dieu, et que
si ce pauvre religieux n'avait été homme de bien, ils ne
l'eussent pas élevé en cette place : ainsi je ne pensai
plus quà le recommander à Dieu, ce que je fais de
toute mon affection, et je vous prie de joindre vos
prières aux miennes.
De Québec, le 20 doctobre 1668.
DE LA MËRB MARIB DB l'iN CARNATION. 401
LETTRE CXCVI.
A SON FILS,
Retour de M. Talon en France. — Personnes ramassées et envoyées en Canada.
— De la nature et qualité des fruits de ce pays-là. ^ Eloge d'un honnête
bourgeois de Québec.
Mon très^cher fils,
Enfin voilà M. Talon qui nous quitte et qui retourne
en France, au regret de toijt le monde et à la perte de
tout le Canada. Car depuis qu*il est ici en qualité
d'intendant, le pays s'est plus fait et les affaires ont
plus avancé qu'elles n'avaient fait depuis que les Fran-
çais y habitent. Le roi envoie en sa place un nommé
M. de Bouteroue, dont je ne sais pas encore la qualité
ni le mérite.
Les navires n'ont point apporté de malades cette
année. Le vaisseau arrivé était chargé comme d'une
marchandise mêlée. Il y avait des Portugais, des Alle-
mands, des Hollandais, et d'autres de je ne sais quelles
nations. Il y avait aussi des femmes maures, portugai-
ses, françaises et d'autres pays. Il est venu un grand
nombre de filles, et l'on en attend encore. La première
mariée est la mauresque, qui a épousé un Français.
Quant aux hommes, ce sont des gens qui ont été cassés
du service du Roi, et que Sa Majesté a voulu être
envoyés en ce pays. On les a tous mis au Bourg-Talon
LBTTR. M. U. 26
402 LETTRES
à deux lieues d'ici, pour y habiter et le peupler. Qaand
ils auront mangé la barrique de farine et le lard que le
Roi leur donne, ils souffriront étrangement jusqu'à ce
qu'ils aient défriché. L'on ne veut plus demander que
des filles de village, propres au travail comme les
hommes; l'expérience fait voir que celles qui n'y ont
pas été élevées ne sont pas propres pour ici, étant
dans une misère d*oti elles ne se peuvent tirer.
L'estime que je vous fis les années dernières des
citrouilles des Iroquois vous en a donné de l'appétit
Je vous en envoie de la graine, que les Hurons nous
apportent de ce pays-là, mais je ne sais si votre terroir
n'en changera pas le goût. On les apprête en diverses
manières : en potage avec du lait et en friture; on les
fait encore cuire au four comme des pommes, ou sous
la braise comme des poires ; et de la sorte il est vrai
qu'elles ont le goût de pommes de rainettes cuites. Il
vient à Montréal des melons aussi bons que les
meilleurs de France; il n'en vient que rarement ici,
parce que nous ne sommes pas tant au sud. Il y a aussi
une certaine engeance qu'on appelle des melons d'eau,
qui sont faits comme des citrouilles, et se mangent
comme les melons ; les uns les salent, les autres les
sucrent; on les trouve excellents, et ils ne sont point
malfaisants. Les autres plantes potagères et les légu*
mages sont comme en France. L'on en fait la récolte
comme du blé, pour en user tout l'hiver jusqu'4 la fin
de mai, que les jardins sont couverts de neige.
Quant aux arbres, nous avons tles pruniers, lesquels
étant bien fumés et cultivés nous donnent du fruit en
abondance durant trois semaines. On ne fait point
cuire les prunes au four, car il n'en reste qu'un noyau
couvert d une peau ; mais on en fait de la marmelade
DE LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION. 403
avec du sucre, qui est excellente. Nous faisons la nôtre
avec du miel, et cet assaisonnement suffit pour nous
et pour nos enfants. On fait encore confire des
groseilles vertes, comme aussi du piminan, qui est un
fruit sauvage, que le sucre rend agréable. L'on com-
mence à avoir des pommes de rainette et de calville,
qui viennent ici très-belles et très-bonnes, mais Ten-
geance en est venue de France. Voilà nos ménages et
nos délices, qui seraient comptées pour rien en France,
mais qui sont ici beaucoup estimées.
Le porteur de la présente est M. de Dombour, qui va
en France pour accompagner madame Bourdon, sa
mère. Je vous prie de les recevoir avec des démonstra-
tions d'amitié, parce que c'est une famille que jaime et
chéris plus qu'aucune de ce pays. Ils n'ont pas voulu
partir sans vous porter un mot de ma part, afin d'avoir
la consolation de vous voir et de vous parler. M. Bour-
don était procureur du roi, charge qui lui fut donnée
à cause de sa probité et de son mérite. Il avait avec
moi une liaison de biens spirituels très-particulière.
Car sous son habit séculier, il menait une vie des plus
régulières. Il avait une continuelle présence de Dieu
et union avec sa divine Majesté. Il a une fois risqué
sa vie pour faire un accommodement avec les Hollan-
dais, à l'occasion de nos captifs Français : car cet
homme charitable se donnait entièrement au bien public.
C'était le père des pauvres, le consolateur des veuves
et des orphelins, l'exemple de tout le monde; enfin
depuis qu'il s'est établi en ce pays, il s'est consumé en
toute sorte de bien et de bonnes œuvres. Il avait
quatre filles qu'il a toutes données au service de Dieu,
et sa générosité a fait ce coup avec beaucoup de plaisir
et de suavité. Deux ont été Hospitalières, il y en a
404 LETTRES
une de morte; les deux aînées sont Ursulines en
notre monastère et sont très-bonnes religieuses. Il loi
restait deux fils, le plus jeune fait ses études à Québec,
et Taîné est celui qui vous présente cette lettre. Je
les considère comme mes neveux , et c'est ce qui
fait que je vous recommande celui-ci avec tant
d'empressement.
Quant à madame Bourdon, elle a une grande incli-
nation de vous voir. Cette dame est un exemple de
piété et de charité dans tout le pays. Elle et madame
d*AilIeboust sont liées ensemble pour visiter les prison-
niers, assister les criminels, et les porter même en
terre sur un brancard.^ Celle dont je vous parle,' comme
la plus agissante et portative (prompte à faire des
démarches de zèle), est continuellement occupée à ces
bonnes œuvres et à quêter pour les pauvres, ce qu'elle
fait avec succès. Enfin elle est la mère des misérables,
et rexemple de toutes sortes de bonnes œuvres. Avant
que de passer en Canada, où elle n'est venue que par
un principe de piété et de dévotion, elle était veuve
de M. de Monceaux, gentilhomme de qualité. Quelque
temps après son arrivée, M. Bourdon demeura veuf
(1) Le femme duD gouverneur de province et celle d'un procureur du roi assit-
tant les criminels au supplice et portant elles-mêmes leur corps au cimetièro sur
un brancard, ne seront probablement jamais imitées par des personnes de Jeu*
sexe et de leur condition ; mais de pareils traits donnent lieu d'admirer l'héroïsme
dont la nature humaine est capable quand elle est inspirée par la foi et souteoiM
par la piété chrétienne. La folie de la croix, qui est la sagesse divine humanisée,
se montre 1& dans toute sa splendeur.
De nos jours on a vu une pauvre ouvrière de campagne, Agée de quinze oo fsiz^
ans seulement, porter seule au cimetière dans une brouette des cadavres deci^
lériquet dont personne n'osait approcher. Les hommes y firent peu d'stteoti^
mais Diea a troavé cela si beau, qu'il a récompensé Louise Lateau coom^ '
, ;4lU| il lui a donné la décoration divine des stigmates. ^
i -* j
DB LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 405
avec sept enfants, dont aucun n'était capable d'avoir soin
de son père ni de soi-même. Elle eut un puissant mou-
vement d'assister cette famille, et pour cet effet elle
se résolut d'épouser M. Bourdon, dont la vertu lui
était assez connue, mais à condition qu'ils vivraient
ensemble comme frère et sœur. Cela s'est fait, et la
condition a été exactement observée. Elle se. ravala de
condition, pour faire ce coup de charité, qui fut jugé
en France, où elle était fort connue, tant à Paris qu'à
la campagne, comme une action de légèreté, eu égard
à la vie qu'on lui avait vu mener, bien éloignée de
celle du mariage. Mais l'on a bien changé de pensée,
quand on a appris tout le bien qui a réussi de cette
généreuse action. Car elle a élevé tous les enfants de
M. Bourdon avec une débonnaireté nonpareille, et les
a mis dans l'état ot il sont à présent. Je vous ai fait
ce grand discours pour honorer la vertu de cette dame
et de sa pieuse famille, et pour faire voir qu'il y a des
personnes d'honneur et de mérite en ce pays. Témoignez
de l'amitié à celles-ci ; elles le méritent.
De Québec, le 1668.
406 LETTRES
LETTRE CXCVII.
A UNE RELIGIEUSE URSULINE DE TOURS.
(La Mère Marie de la Nativité.)
Elle lui témoigne les désirs qu'elle a de mourir, afin de jouir de Dieu, et la joie
d'être & la veille d'être déchargée, afin de 8*y préparer.
Ma révérende et très- chère Mère,
Je n*ai qu*un petit quart d'heure à vous donner, le
vaisseau étant prêt de faire voile. Je veux remployer
pour dire que vous êtes et serez toujours mon intime
Mère, pour laquelle mon cœur porte tous les bons
désirs et tous les sentiments d'une amitié des plus
sincères. Nous avons reçu tout ce que votre libéralité
nous a envoyé cette année; nous l'avons présenté de
votre part à notre divin Maître et à sa sainte famille.
Tous ces beaux présents me font beaucoup d'honneur ;
mais je fais un transport de cet honneur à Dieu, puisque
c'est pour Lui et pour son amour que vous les faîtes.
Il est le rémunérateur de ceux qui donnent; je le prie
d'être le vôtre et de vous donner une très -ample
récompense.
Je me réjouis de ce que nous perdrons bientôt les
connaissances de la terre pour n'avoir plus de commu-
nication qu'avec les citoyens du ciel. Ma santé ne laisse
pas d'être un peu meilleure, mais je ne sais si ce sera
pour longtemps : je sais seulement qu'une personne
DB LA MÊRB MARIE DE l'iNCARNATION, 407
de soixante-dix ans ne peut pas aller loin ; et j'en suis
toute glorieuse, parce que je serai délivrée du plus
grand de mes ennemis. Je soumets néanmoins tous
mes désirs à ceux de Dieu ; que sa très-sainte volonté
soit faite.
J'ai été consolée d'apprendre que votre santé est
meilleure. Cette convalescence vous fera peut-être con-
courir dans votre élection, qui va se faire quasi au
même temps que la nôtre. Pour moi je suis ravie d'en
être exempte pour jamais ; le temps et l'âge m'en excu-
sent légitimement. Que si Dieu me donne plus de santé
qu'à l'ordinaire, c'est peut-être pour me donner le moyen
de me disposer à bien mourir, et pour me préparer plus
efficacement à comparaître en sa présence. Ayez pitié
de moi, mon aimable Mère, et priez Notre- Seigneur
pour ma véritable conversion, comme je le prie de vous
donner une véritable sainteté.
De Québec, 1669.
LETTRE CXCVIII.
A SON FILS.
Description- touchante de sa vocation à l'état religieux, et de la conduite de Dieu
sur elle et sur son fils.
Mon très-cher fils,
Un navire de France est arrivé à notre port vers
la fin de juin, et depuis il n'en a paru aucun. Celui-ci
408 LBTT
nous a apporté de vos nouvelles, qui m*ont donné sujet
de louer Dieu de ses bontés sur vous et sur moi. La
plus grande joie que j'aie en ce monde est dy faire
réflexion, et je vois que celle que vous y faites sur
Texpérience que vous en avez vous touche vivement,
et qu'elle vous est utile. N'êtes- vous pas bien aise, mon
très-cher fils, de ce que je vous aie abandonné à sa sainte
conduite en vous quittant pour son amour? n*y ave^
vous pas trouvé un bien qui ne se peut estimer? Sachez
donc encore une fois qu'en me séparant actuellement
de vous, je me suis fait mourir toute vive, et que l'Esprit
de Dieu, qui était inexorable aux tendresses que j'avais
pour vous, ne me donnait aucun repos que je n'eusse
exécuté le coup : il en fallut passer par là, et lui obéir
sans raison (sans raisonnement), parce qu'il n'en vent'
point dans l'exécution de ses volontés absolues. La
natare qui ne se rend pas sitôt quand ses intérêts y sont
engagés, surtout quand il s'agit de l'obligation, d'nne
mère envers un fils, ne pouvait se résoudre. Il me
semblait qu'en vous quittant si jeune, vous ne seriei
pas élevé dans la crainte de Dieu ; et que vous pourriez
tomber en quelque mauvaise main, ou bien sous quelque
conduite où vous seriez en danger de vous perdre; et
ainsi, que je serais privée d'un fils que je ne voulais
élever que pour le service de Dieu, demeurant avec lai
dans le monde jusqu à ce qu'il fût capable d'entrer en -
quelque religion, qui était la fin à laquelle je l'avais^
destiné.
Ce divin Esprit qui voyait mes combats, était impi-
toyable à mes sentiments, me disant au fond du cœur : -
Vite, vite, il est temps, il n'y a plus à tarder, il ne faits^
plus bon dans le monde pour toi. Alors il m'ouvrait^
la porte de la religion, sa voix me pressant toujours
DB LA MÊRB MARIB DB l'INGARNATION. 409
par une saute impétuosité, qui ne me donnait point
de repos ni de jour ni de nuit. Il faisait mes affaires,
et mettait les dispositions du oôté de la religion d*une
manière si engageante, que tout me tendait les bras,
en sorte que si j'eusse été la première personne du
monde avec tous ses avantages, je n'y eusse pas trouvé
plus d'agrément (bienveillance). Dom Raymond faisait
tout ce qu'il fallait auprès de ma' sœur, et lui-même
me lÀena où Dieu me voulait. Vous vîntes avec moi,
et en vous quittant, il me semblait qu'on me séparât
l'âme du corps avec des douleurs extrêmes. Et remar-
quez que dès l'âge de quatorze ans j'avais une très-forte
vocation à la religion, laquelle ne fut pas exécutée
parce qu'on ne correspondait pas à mon désir; mais
depuis l'âge de dix-neuf à vingt ans mon esprit y
demeurait, et je n'avais que le corps dans le monde,
pour vous élever jusqu'au moment de l'exécution de la
volonté de Dieu sur vous et sur moi.
Après que je fus entrée, et que je vous voyais venir •
pleurer à notre parloir et à la grille de notre chœur; *
que vous passiez une partie de votre corps par le gui-
chet de la communion; que par surprise voyant la
grande porte conventuelle ouverte pour les ouvriers,
vous entriez dans notre cour; que vous avisant qu'il
ne fallait pas faire ainsi, vous vous en alliez à reculons,
afin de pouvoir découvrir si vous ne me pourriez voir :
quelques-unes des Sœurs novices pleuraient, et me
disaient que j'étais bien cruelle de ne pas pleurer,
et que je ne vous regardais pas seulement. Mais hélas!
les bonnes Sœurs ne voyaient pas les angoisses de mon
cœur pour vous, non plus que la fidélité que je voulais
rendre à la sainte volonté de Dieu. La batterie recom-
mençait lorsque pleurant vous veniez dire à la grille
410 LETTRES
qu'on vous rendit votre mère, ou qu'on vous fit entrer
pour êti^e religieux avec elle. Mais le grand coup fat
lorsqu'une troupe de jeunes enfants de votre âge vinrent
avec vous vis-à*vis des fenêtres de notre réfectoire,
disant avec des cris étranges qu'on me rendît à vous :
et votre voix plus distincte que les autres disait là qu'on
vous rendît votre mère, et que vous la vouliez avoir.
La Communauté qui voyait tout cela était vivement
touchée de douleur et de compassion, et quoiqn'aucune
ne me témoignât être importunée de vos cris, je crus
que c'était une chose qu'on ne pourrait pas, supporter
longteqips, et qu'on me renverrait dans le monde pour
avoir soin de vous. A la sortie des grâces, lorsque je
remontais au noviciat, l'Esprit de Dieu me dit au cœur
que je ne m'affligeasse point de tout cela, et qu'il
prendrait soin de vous. Ces divines promesses mirent
le calme en tout moi-même, et me firent expérlmeoter
que les paroles de Notre-Seigneur sont esprit et vie, et qu'il
était si fidèle en ses promesses, que le ciel et la terre
passeraient plutôt quune seule de ses paroles demeurât mm
son effet : en sorte que si tout le monde m'eût dit la
contraire de ce que m'avait dit cette parole intérieure^
je ne l'eusse pas cru.
Depuis ce temps-là je n'eus plus de peine ; mon espri
et mon cœur jouissaient d'une paix si douce dans l
certitude que je ressentais que les promesses de Dieu,
s'accompliraient en vous, que je voyais toutes choses
faites à votre avantage et des suites (ressources suivies),
pour vous faire avancer dans les voies que j'avais dési-
rées pour votre éducation. Incontinent après vous ffttes-
envoyé à Rennes pour faire vos études, puis à Orléaus,
la Bonté divine me donnant accès auprès des révérende
Pères Jésuites qui eurent soin de vous; vous savez lea
DB LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION . 411
secours d e Dieu à ce sujet. Enfin, mon très-cher fils,
vous voilà aussi bien que moi, dans Texpérience des
infinies miséricordes d*un si bon Père : laissons-le faire,
nous verrons bien des choses si nous lui sommes fidèles ;
continuez de le prier pour moi.
De Québec, le 30 de juillet 1669.
LETTRE CXCIX.
AU MÊME.
l^rogrès de la Foi chez les Iroquois, Outaoaak et autres nations. — Industrie
des Pères Jésuites pour attirer les sauvages. — Zèle d'un jeune laïque qui
s'était dévoué au service des Missions.
Mon très-cher fils,
J'si cru devoir vous faire un petit abrégé des nou-
^aJles de cette Eglise en attendant que la Relation vous
^^ cionne de plus amples. Vous saurez donc que les
^Qv^ers de l'Evangile sont répandus dans toutes les
^^tions Iroquoises, où ils ont été reçus comme des
P^^^onnes très-considérables en toutes manières. Le
^^^"^rend Père Pierron, qui seul gouverne les villages
^^ l^s bourgs des Âgneronons, a tellement gagné ces
P^^^ples, qu'ils le regardent comme un des plus grands
géc^ies du monde. Il a eu de très-grandes peines à les
ré^viire à la raison, à cause des boissons que les Anglais
et les Flamands leur donnent. Il a pris la liberté d'en
écrire amplement au général des Anglais, qui a aussi
412 LBTTRB8
ponyoir ror les Hollandais, pour lui faire comprendre
llmportance de cette mauvaise pratique, tant du cMé
de Dien qui est offensé, que de celai des sauvages qui
en perdent le corps et Tesprit. Il a marne interpoii
rautorité du roi, lui représentant que Sa Majesté ne
souffrirait jamais que Ton perdît un peuple qui êsi
soumis à son obéissance. Le gouverneur a reçu béni-
gnement ses avis avec une requête des anciens Iroquois
qui se plaignent qu*on tue leur jeunesse et ruine leuxv
familles par ces boissons. Vous pouvez juger de là Â
le Père n*a pas gagné le cœur de ces anciens, puis-
qu'il les a réduits (soumis) dans une matière si délicaa^ie
et si préjudiciable à la foi, qu*on ne pouvait aborA^^r
les bommes à cause de leur ivresse qui était pres(i^^«e
continuelle. Si ce général tient sa parole, comm^ il
a fait depuis ce temps-là, ce sera un grand ob8t&.<sle
levé pour rinstmction de ces peuples.
Comme le Père a divers vices à combattre, il a aca^ssi
besoin de différentes armes pour les surmonter. Il sen
trouvait plusieurs qui ne voulaient pas écouter la parole
de Dieu, et qui se bouchaient les oreilles lorsqu'il v^oo-
lait les instruire. Pour vaincre cet obstacle, il s*est Br^sé
d'une invention admirable, qui est de faire des figures
pour leur faire voir des yeux ce qu'il leur prêche dcî
parole. Il instruit le jour, et la nuit il fait des tableauc-^
car il est assez bon peintre. Il en a fait un où l'enfer e^^
représenté tout rempli de démons si terribles, tant pa:::- ^
leurs figures que par les châtiments qu'ils font soufiri^ ^
aux sauvages damnés, qu'on ne peut les voir sans^^
frémir. Il y a dépeint une vieille iroquoise qui
bouche les oreilles pour ne point écouter un jésuite
qui la veut instruire. Elle est environnée de diables ^
qui lui jettent du feu dans les oreilles et qui la tour- ^
DB LA MJËRB MARIB DB L'iNCARNAT|ON . 413
mentent dans les autres parties de son corps. Il repré-
sente les autres vices par d'autres figures convenables,
avec les diables qui président à ces vices-là» et qui
tourmentent ceux qui s*y laissent aller durant leur
vie. Il a aussi fait le tableau du paradis, où les Anges
sont représentés, qui emportent dans le ciel les âmes
de ceux qui meurent après avoir reçu le saint baptême.
Enfin il fait ce qu'il veut par le moyen de ses peintures.
Tous les Iroquois de cette mission eh sont si touchés
qu'ils ne parlent dans leurs conseils que de ces matières,
et ils se donnent bien de garde de se boucher les
oreilles quand on les instruit. Ils écoutent le Père avec
une avidité admirable, et le tiennent pour un homme
extraordinaire. On parle de ces peintures dans les autres
nations voisines, et les autres missionnaires en vou-
draient avoir de semblables, mais tous ne sont pas
peintres comme lui. Il a baptisé un grand nombre de
personnes. Les Iroquois désirent avec ardeur qu'une
colonie française aille s'établir avec eux ; le temps fera
voir ce qui sera à faire. ,
Outre les villages d'Âgné, les quatre autres nations
Iroquoises sont gouvernées par les révérends Pères
Jésuites. Il y a pourtant un petit bourg séparé, où deux
ecclésiastiques de Montréal ont hiverné. La parole de
Dieu est prêchée partout et la mission est si ample
qu'il n'y a pas des ouvriers à demi (pas moitié de ce qu'il
fiaudrait). On en a demandé en France et on en attend
par les vaisseaux qui sont à venir. Tous ces bons Pèrei;
souffrent de grands travaux, mais ils sont encouragés
par le fruit qu'ils voient de leur travail, et de ce que
la connaissance de Dieu et de Jâsus-CHRisT se répand
par tout le monde.
Les révérends Pères Allouez et Nicolas ont amené
A
414 LETTRES
cette année six cents Oataoaak, qui ont apporté à nO^
marchands une prodigieuse quantité de pelleteries, &^
qui, par même moyen, recherchent les occasions de fair*^
la paix avec les Iroquois, contre lesquels ils avaietB-i
exercé un grand acte d'hostilité. Pour faire cette cha^-
rité à cette nation, ces révérends Pères ont fait . ci a. ^
cents lieues de chemin, mais la charité fait tout entre-
prendre et tout souffrir. Ils sont aussi venus pocair
quérir du secours et des ouvriers du saint Evangil^^ :
Car ils ont trouvé de grandes nations très-peu plée^s,
entre lesquelles il y en a particulièrement une qui famit
publiquement professsion de croire et d'embrasser not. re
sainte Foi. Un des plus grands biens pour Tavancem»^ ut
de ces peuples est qu'ils ne sont point attachés à la
polygamie. Cette nation est bien au-delà des Outaoua^k,
et il y en a d'autres encore plus éloignées. Le révérend
Père Claude Dablon est déjà parti pour aller joinc3re
ceux qui sont au pays et pour gouverner ces mission^-là
qui vont être les plus glorieuses de cette Amérîqi^ iie,
tant pour le nombre dames qui y habitent que pour
les grands travaux qu'il y faut supporter. Le révérend
Père Allouez m'a rendu visite, et je l'ai trouva si
changé par fies grandes fatigues, qu'à peine peut-ofl
le reconnaître. Avec cela il est dans une ferveur ravis-
sante et dans un désir qui le brûle de retourner à son
église, qui ne lui sort point de l'esprit, de crainte qu'a ^^
son absence le diable ne lui ravisse quelqu'une de s^^^
brebis. Il retourne seul en cette grande mission, et les^^^.
autres dans les leurs. Le révérend Père Dablon, qu:^^^
doit avoir Tinspection sur toutes, s'arrêtera à trois cent^ ^
lieues d'ici, afin de leur donner les soulagements et le^-^
secours nécessaires. Il va faire en ce lieu-là une maisoi
fixe, où les missionnaires s'assembleront dans les néces-
DE LA MÈRE MARIE DE L*ING ARNATION . 415
sites pour consolter ensemble, et y trouver leurs rafraî-
chissements, qu'on leur enverra de Québec. Les Iroquois
poursuivent puissamment Texécution de ce dessein, afin
qu'on les soulage. L'on a baptisé dans ces missions -là
un grand nombre de sauvages adultes, mais incompa-
rablement plus d'enfants, de malades, de moribonds.
Au même temps que nos révérends Pères sont partis,
Mgr notre évêque a envoyé deux ecclésiastiques de
Montréal à quelques nations du côté des Outaouak.
Ils sont dans une ferveur admirable : aussi ont-ils
besoin de cette grâce, ayant à passer des lieux dange-
reux, pour les bouillons d'eau qui s'y rencontrent.
M.. L'abbé de Fénelon ayant hiverné aux Iroquois,
nous a rendu une visite dans un voyage qu'il a fait à
Québec. Je lui ai demandé comment il avait pu sub-
sister n'ayant eu que de la sagamité pour tout vivre
et de l'eau pure à boire. Il m'a reparti qu'il y était si
accoutumé et qu'il s'y était tellement fait, qu'il ne faisait
point de distinction de cet aliment à aucun autre; et
qu*il allait partir pour y retourner et y passer encore
l'hiver avec M. Trouvé, qu'il n'avait laissé que pour
▼enir quérir de quoi payer les sauvages qui les nour-
rissent. Le zèle de ces grands serviteurs de Dieu est
admirable.
Deux ecclésiastiques du séminaire de monseigneur
viennent de partir pour visiter et instruire toutes les
personnes des habitations françaises. Ils ont bien deux
œnts lieues à faire dans ce circuit (voyage d'aller et
devenir).
Je ne fermerai pas cette matière des missions sans
vous dire un mot du bon Boquet qui ne fait qualler
etvenir^dans toutes les missions; aussi l'appelle-t-on
par divertissement le courrier apostolique, parce que
416 LETTRES
dès son enfance il sest dévoaô an service des missions.
Il s'acquitte de son office de courrier avec une géné-
rosité nonpareille. Il fait le circuit des lieux où sont les
Pères, et à peine est-il de retour qu'il part pour recom-
mencer ses courses , et faire des voyages immenses
parmi des hasards continuels. Dieu lui donne des forces
pour de si grandes fatigues. Il ne se soucie non plus
de sa vie que de la paille. Il est sans cesse en danger
de la perdre par quelque coup de hache. Il est connu
de tous les sauvages, qui le craignent et l'estiment, car
comme il sait les langues, il leur rend sans cesse le
change quand ils font quelque insolence. Il sait parfai-
tement tous les chemins, c'est pourquoi il conduit nos
Pères dans leurs missions, traînant à son col leurs
hardes et leurs provisions. Etant arrivé il ne se repose
point; il pense à pourvoir les Pères de leurs nécessités;
il va à la pêche du poisson, qu'il fait sécher et boucaner
pour assaisonner leur sagamité. On le nomme le coa^
rier apostolique; je le nommerais volontiers le visiteur
évangélique, car il va de mission en mission visiter*
les ouvriers de l'Evangile, et partout il fait ce quej^
viens de dire. Il nous apporte de leurs nouvelles et
leur reporte les nôtres. Il est de retour depuis buife
jours et nous a appris que tous nos Pères sont en bonna
santé, qu'ils font de grands fruits chacun de leur côté»
et qu'ils ont baptisé beaucoup de sauvages. Les lettres
que les Pères ont écrites, confirment la même chose.
Je vous écrirai par une autre voie les autres nouvelto
du pays.
De Québec, le 1"^ de septembre Î669.
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION . 417
LETTRE ce.
p f
AU REVEREND PERE PONCET, JESUITE.
Industrie des révérends Pères Jésuites pour convertir les sauvages, — Bile fait
i
avec adresse l'éloge du Père à qui elle écrit.
Mon révérend et très-cher Père,
lïoQS avons été trompées de ne vous point avoir cette
Aiànée : nous faisions déjà notre compte que vous suc-
céderiez au révérend Père Lallemant, si Dieu l'appelait
de ce monde, dans les secours spirituels et temporels
', 4^'il nous rend. Nous avons pensé le perdre cette année,
i nuûs nous nous consolions dans Tespérance de trouver
^- tu vons un autre lui-même.
t. Tous nos révérends Pères sont en des ferveurs non-
P P4tteilles. Le révérend Père Pierron fait des merveilles
« Agné avec ses tableaux. Vous savez qu'il est assez
^n peintre, et il en a fait un grand de l'enfer qui est
Croyable au dernier point, plein de diables et de sau-
nages damnés. L'on y voit les instruments des supplices,
^ feux, les serpents et autres semblables représenta-
tions effroyables. On y voit dépeinte une vieille qui
M bouche les oreilles de peur d'entendre un Jésuite
4ui veut l'instruire. Les diables, après l'avoir tentée,
Ift tourmentent et lui jettent du feu dans les oreilles.
Qu'elle n'a pas voulu ouvrir à la parole de Dieu. Il a
. UTTR. M. n. 27
Ni.
418 LfiTTRBS
ùâi an dutre tableau da paradis, où les Anges enlèvent
les âmes des saunages qui meurent après avoir reçu
le Baptême. Ces pauvres gens sont si ravis de voir ces
figures, que, bien loin de se boucher les oreilles, ils
suivent le Père partout, et le tiennent pour le plus
grand génie du monde. Il y a une femme iroquoise
si fervente et si zélée pour nos saints mystères, qu*eUe
sert de dogique (catéchiste) au Père, allant de cabane
en cabane pour instruire et pour faire les' prières.
Votre révérence saura tout cela du révérend Père
Chaumonot; je m'oublie de moi-même de lui en parler.
Votre révérence a été en ces lieux-là : elle y a semé,
et les autres recueillent le fruit <ie ses travaux. Je
m*â88ure qu'elle n'en aura pas moins de mérite que
si elle les moissonnait elle-même. Ses mains mutilées
en reluiront dans l'éternité, aussi bien que les autres
parties de son corps qui ont porté tant de meurtrissures,
et que ses oreilles qui ont été remplies de tant d'injnres
et de brocards. J'en ai encore le sentiment, mon très-
cher Père, et je bénis Dieu qui vous a donné le moyen
de le pot'ter et de le glorifier en votre corps par vas souffrances.
Âh I je ne soufire rien, et je mourrai sans avoir rien fait
ni souffert. Si les ouvriers du saint Evangile ne me
font la grâce de me faire part de leurs travaux, je serai
très^mal; ils me le font espérer, et c'est ce qui me
console dans mes pauvretés. Faites-moi toujours part
des vôtres, mon très-cher Père, et souvenes-vous de
notre convention ; ^ nous raccomplissons de notre part,
et comme nous croissons en nombre, nos petits Mens
spirituels augmentent de même. Pries la divine Bonté
CL Mjtnis.':
l
DE LA MÈRE MARIE DE L INCARNATION. 419
%
d*y donner sa bénédiction, puisqu'il y va de votre intérêt
aussi bien que du nôtre.
De Québec, le 7 d'octobre 1669.
LETTRE CCI.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE MONS.
Bile la remercie de lui avoir appris qu'il y a un grand nombre de monastères
d'Ursulines de la Congrégation de Bordeaux en Flandre et en Allemagne. —
Nouvelles du Canada et du couvent de Québec. — Elle remercie les Ursultnes
de Mons de ce qu'elles font faire une nouvelle vie d'Anne de Beauvais. —
Eloge de la défunte Mère Marie de Saint-Joseph. — Conversions parmi les
sauvages.
Ma révérende et plus que très-chère Mère,
Jâsus soit notre vie et notre amour pour le temps
et pour l'éternité.
J'ai reçu la lettre que vous avez eu la bonté de
ixi*ëcrire, avec tout l'amour et le respect que je dois
à la bonté de votre cœur, si charitable et si cordial,
de vouloir bien se souvenir de ses pauvres sœurs qui
sont en ce bout du mopde. Jje. chéris la rencontre que
▼DUS avez faite du révérend Père Pierron, le frère
duquel demeure proche de notre monastère, dans la
maison principale de leur compagnie en ces contrées,
lequel m'a rendu votre chère lettre, laquelle me comble
de joie et notre Communauté, y apprenant que notre
ordre est étendu dans les lieux que vous me désignez.
420 LETTRES
i
Je savais bien que les révérendes Mères Ursalioes de
la Congrégation de Paris étaient établies en Allemagne
et même dans la ville impériale, mais j'ignorais que
notre Congrégation de Bordeaux possédât ce que votre
bonté me décrit; j*en rends de très-humbles grâces A
Notre- Seigneur et je m*en conjouis avec vous, mon
aimable Mère, et avec nos bonnes Mères de Bordeaux,
en répondant à la lettre qu'elles me font Thonneor de
m'écrire.
Permettez-moi, s*il vous plaît, de vous demanderai
vous êtes sorties de notre maison de Bordeaux, on si
quelques religieuses de Bordeaux sont allées fonder che2
vous un monastère où ensuite vous seriez entrées de
manière que vous auriez embrassé notre institut en
votre pays comme les filles Canadiennes issues des
Français habitants de ce lieu, se sont faites religieuses
avec nous.
Donc pour répondre à votre juste inclination d*appren-
dre quelques particularités de notre Communauté, nia
très-chère Mère : premièrement je vous dirai qu'il y
a plus de trente ans que nous sommes établies à Québec,
qui est le port où abordent les navires de France.
Lorsque nous y sommes venues, il n'y avait que cinq
ou six petites maisons tout au plus; tout le pays était
de grandes forêts pleines de halliers. Maintenant Québec
est une ville, au delà et aux environs de laquelle se
trouvent quantité de bourgs et villages, dans une étendue
de plus de cent lieues. Dans ces commencements noas
étions entourés de sauvages, les hommes et les femmes
nus jusqu'à la ceinture , excepté l'hiver qu'ils étaient
couverts de peaux de bêtes. La hantise (fréquentation)
des Français les a fait se couvrir, tant les uns que les
autres, modestement. Nous confmençâmes par leurs
DB LA MËRB MARIB DB L*IN CARNATION. 481
flllea et leurs femmes, en leur donnant à entendre qulls
avaient chacun un ange que Dieu leur donnait pour
les garder des démons, et qu'il s'enfuirait si elles ne
se couvraient pas modestement. Les révérends Pères
Jésuites leur faisaient de longs sermons à ce sujet. Nous
avons appris leur langue par précepte et par étude
dôs le commencement. Toutes ces nations-là que nous
trouvâmes habiter en ces lieux sont bons chrétiens à
présent, et ils élèvent leurs enfants et familles comme les
Français ; mais ils n'ont point de maisons de charpente,
seulement des cabanes d'écorce soutenues de grosses
perches de cèdre, qulls démontent lorsqu'ils veulent aller
à la chasse dans les grands bois, où généralement tous
vont hiverner ; au printemps ils reviennent en leur lieu.
Cest la façon des Algonquins, car les autres nations
sont sédentaires. Tous ne vivent que de leur chasse et
de blé d'Inde, duquel ils font de la bouillie; ils se vêtis-
sent de leurs peaux de bêtes et ils en font aussi des
couvertures dont ils se couvrent comme de manteaux
dans l'hiver.
Dès le lendemain de notre arrivée, l'on nous amena
les filles sauvages et celles des Français qui trafiquaient
en ce pays, ce que l'on a continué jusqu'à présent.
Gomme ce pays a augmenté, nous avons pour l'ordinaire
vingt à trente pensionnaires. Les françaises nous don-
nent cent et vingt livres de pension ; nous prenons les
filles sauvages gratuitement : encore leurs parents, qui
sont passionnés pour leurs enfants, croient nous obliger
beaucoup. Dès qu'elles entrent, ils remportent leurs
haillons, nous les donnant nues; nous les dégraissons,
car ils se graissent tous à cause qu'ils ne portent point
de linge. Il nous faut chercher de quoi les vêtir, etc., ce
qui nous charge grandement : toutefois la bonté de Dieu
Doos a flidées, en aorte qoe nous na^worn pas eacore
manqué (fassister ces chères néophytes et de sabsister
en ce pays, où les frais sont immenses, quoique nous
i^<ms un bien petit reTonu. Pour les externes, je ne
puis pas dire le nombre, parce qull y en a partie que
le froid très-grand et les neiges obligent de demeurer
rtÛTer en leur maison. Enfin nous avons toutes celles
de la haute et basse- ville; les Français nous amènent
leurs filles de plus de soixante lieues d*ici, quoique
Mgr notre Prélat ait établi des nudtresses d'écde à
Montréal pour suppléer en ce lieu en attendant que
nous y soyons établies.
Nous sommes vingt-deux religieuses, dont trois sont
encore novices; en ce nombre il y a quatre sœurs con-
verses. Nous sommes encore six professes de France;
les autres ont fait profession en ce pays. Sept d*entre
elles et deux novices sont filles du pays, les autres sont
de France.
Madanie de la Peltrie est toujours avec nous, c'est une
sainte. Nous ne pouvons pas beaucoup nous augmenter,
à raison que tout est exorbitamment cher en ce pays.
Il ne nous est mort que trois religieuses depuis que nous
sommes établies en Canada : savoir, ma chère Mère de
Saint-Joseph, une converse de France et une de chœur,
aussi de France, sœur du gouverneur de ces contrées,
qu'il avait amenée de France avec madame sa fenmie.
Elle entra parmi nous et y fit son noviciat et sa pro-
fession. Nous en avons renvoyé deux qui ne nous
convenaient pas.
Toute notre Congrégation vous sera très-obligée, ma
très-chère Mère, de faire remettre en état la vie de
la vénérable Mère Anne de Beauvais : car, selon que
je l'ai appris de feu ma Mère de Saint- Bernard, entre
DB LA MÈRE MARIE DE L*INCARNATION. 423
les bras de laquelle elle rendit Tesprit, cette vie n'était
ims correcte ni faite régulièrement.^
Pour ce qui regarde le récit (la notice) de ma chère
Mère de Saint- Joseph ma compagne, lorsque je l'envoyai
en France c'était seulement pour nos chères Mères
de Tours, d'où nous étions sorties, afin de leur donner
sujet de louer Dieu des grâces qu'il avait faites à cette
bonne fille. Elles l'avaient élevée dès son enfance et
elles s'étaient imposé un grand sacrifice en la laissant
sortir de leur maison. Je fus fort surprise d'apprendre
qQ*un de nos amis, qui se doutait que j'envoyiais ce récit
à DOS Mères, ouvrit mon paquet et le mit entre les mains
du révérend Père Le Jeune, procureur des Missions,
qui avait été longtemps le directeur de cette sainte
âme en ce pays. Le Père inséra cette notice dans la
Relation après l'avoir fait imprimer.
•
(1) Anne de Beaavais, née & Bordeaux vers 1586, fut associée aoz fondatrices
des Ursulines de cette Ville, en 1606. Elle avait reçu des talents naturels
tellement remarquables, qu'elle sut presque aussitôt lire que parler, et que sa
raison fut développée bien avant l'Age ordinaire. Choisie à quatorze ans par
on riche bourgeois de la ville pour être l'institutrice de ses filles, elle étonna
par sa capacité et surtout par une piété incomparable. Tontes les jeupes per-
sonnes du quartier voulurent l'avoir pour directrice, et s'étant réunies sous sa
conduite en une pieuse association, elles vivaient comme de petites religieuses,
prenant la discipline et pratiquant toutes les austérités du cloître.
Devenue Ursuline, Anne fut nommée sous-prieure d'une fondation à vingt-«t-un
ans. Remise au noviciat pour éprouver son humilité, elle y demeura comme dans
on paradis, rapporte un de ses historiens. Nommée ensuite plusieurs fois supé-
rieure, elle mourut à Saumnr dans l'exercice de cette charge. On lui attribua des
miracles avant et après sa mort.
La Mère de l'Incarnation connaissait sa vie publiée en 1621 ; mais ayant
appris qu'on venait d'en publier une nouvelle en Flandre, elle la demanda à la
supérieure de Mous, et elle réitéra plusieurs fois cette demande, ainsi qu'on
le verra plus loin.
Anne de Beauvais étant tombée dans un oubli immérité, nous nous proposons,
arse le secours de Dieu, de publier sa vie de nouveau.
4^ LBTTRB8
L'année d'après, nos Mères de Tours me mandôrant
qu'elles avaient eu connaissance de sa mort avant d'^
avoir reçu la nouvelle; voici comment. Une bonne sœur
converse qui l'avait élevée et soignée dans le pensionnai
étant encore en son lit, la semaine que la Mère mourut,
elle s'entendit appeler par elle lui disant : ma sœur,
tenez- vous prête, vous partirez bientôt. Incontinent
elle alla à la chambre de notre Mère de Saint-Bernard,
prieure, et elle lui dit : Notre Mère, la Mère de Saint-
Joseph est morte, elle m*a apparu et m^a dit : que
je mourrai bientôt et que je me tienne prête. En effet,
cette bonne sœur, nommée Sainte-Elisabeth de Sainte*
Marthe, tomba malade et mourut après quelques jours.
L'arrivée des vaisseaux fit conndtre à nos Mères la
vérité par nos lettres. Plusieurs personnes ont reçu
de grandes grâces intérieures après l'avoir invoquée,
et même la grâce de la vocation religieuse. Lorsqu'elle
était au lit de la mort elle voyait que nous appréhen-
dions une mauvaise affaire préjudiciable à notre Com-
munauté; elle nous dit sansliésiter : Ne vous mettes pas
en peine, cette affaire se terminera par une telle voie ;
en effet, la chose qui était de très-grande conséquence,
arriva comme elle l'avait dit. Elle avait encore ajouté :
« Lorsque je serai morte, je le demanderai à Dieu et
cela arrivera. » Il est arrivé plusieurs choses qui nous
ont fait expérimenter l'efficacité des prières de cette
sainte âme. Je la connaissais à fond, ayant été novice
avec elle et toujours ensemble jusqu'à la mort.
Il arriva un grand accident à M. de la Brétaiche, son
beau-firôre, qui avait grande compagnie chez lui pour
une partie de chasse. Lorsqu'il se munissait de poudre,
une étincelle de feu tomba sur un baril, qui à l'instaDt
enleva la salle et les planchers et tout ce qui était
DE LA MÈRB MARIE DE L*INCARN ATIOM . 425
dedans. Monsieur fui enseveli sous les ruines ; madame
de la Brétaiche, sœur de notre chère Mère* également ;
elle était enceinte de huit mois. Aussitôt tout le monde
se mit en mouvement pour soulever les décombres, et
découvrir les victimes que Ton estimait mortes. On
avait beau les appeler, Ton ne recevait aucune réponse.
Enfin Ton trouva Monsieur enseveli dans les débris
et respirant un peu. On trouva Madame encore plus
profondément ensevelie, et auprès d'elle le tableau de
notre chère Mère de Saint- Joseph, qui n'était pas endom-
magé le moins du monde. On porta cette dame quasi
morte sur un lit. Etant un peu revenue à elle, elle dit
qu'elle avait invoqué sa bonne sœur de Saint-Joseph ;
et pour ce tableau l'on ne sait comment il avait été
porté là, parce qu'il était pendu en un lieu qui en était
éloigné. Quoique cette bonne dame' eût été sous cette
grande ruine, elle ne fut point blessée et accoucha
quelque temps après d'un bel enfant. Cette protection
fut attribuée aux prières de la Mère de Saint- Joseph ;
il y eut Un miracle évident en cette rencontre, parce que
naturellement M. et madame de la Brétaiche en devaient
mourir. Je dois ajouter que quand on tira ces bonnes
personnes de dessous les ruines, elles étaient tellement
couvertes de pierres, graviers, poussière et bois qu'on
ne pouvait juger que ce fussent des formes humaines.
La mémoire de cette chère Mère nous est en bénédiction.
Les sauvages hurons ont encore la mémoire fraîche
de notre chère Mère, ils l'aimaient grandement à cause
que sachant leur langue, elle les instruisait avec une
grande charité.
Vous savez que les révérendes Mères Ursulines de
Paris font les chroniques de tout l'Ordre, elles en ont
donné connaissance à notre Congrégation, et on leur
426 • LETTRES
envoie des mémoires de toutes parts. Notre chôre Mare
de Saint-Joseph y tiendra bonne place. Nos Mères de
Bordeaux m*ont mandé qu'elles en ont été averties.'
Il faut que je vous dise un mot de l'état présent de
cette nouvelle Eglise. Vous avez autrefois entendu
parler des Iroquois, peuples qui ont exercé de grandes
cruautés à l'endroit des révérends Pères de la mission
et des Français, en les massacrant partout où ils lei
pouvaient rencontrer; maintenant ils se sont rendus
souples à notre sainte Foi ; ils forment un grand peuple
et habitent un grand pays ; ils font baptiser tous leurs
enfants et tous se rendent assidus à la prière et à Fins-
truction. L'on a de plus découvert de grandes nations,
qui sont à plus de cinq cents lieues au-dessus de nous,
tous barbares qui n'avaient jamais entendu parler de
Dieu ni vu des Français. Il s'est trouvé que Diea a telle-
ment disposé leurs cœurs, que ce sont les plus afihbles
du monde, tellement dociles qu'ils veulent embrasser
notre sainte Foi dès qu'ils ont entendu parler de la
grandeur de nos saints mystères ; ils font baptiser tous
leurs enfants pendant qu'eux se font instruire. Il faut
que vous sachiez que ce n'est pourtant pas une petite
affaire que de convertir les sauvages; ce sont des gens
très-superstitieux, qui basent leur créance sur leurs
songes ; s'ils songent qu'ils veulent tuer un homme, ils
le tuent, etc. Ils ont plusieurs femmes et ajoutent
oréanee aux sorciers et aux devins, bien que ces pré-
tendus sorciers ne soient que des jongleurs assez sem-
blables aux bateleurs de l'Europe. Il ne faut rien moins
qu*un miracle pour les convertir. Maintenant la diviiiô
(1) Lm Chroniques de VOrdre de Sainte-Ursule furent en effet împrioéeti
Pub en 1673, on an après la mort de la Mère de rincarnatlon; maU od n>i
îtik dit dft la Mère de Saint-Joeeph.
DB LA MËRE MARIB D9 L*INGARNATI0N. 427
Majesté les touche et leur donne confiance aux ouvriers
du saint Evangilç. Ils craignent le feu de l'enfer, dont
on leur fait des peintures, ainsi que du paradis; ils
admirent cela et ils croient.
Né vous lassez point, mon aimable Mère, ni votre
sainte Communauté, de prier pour cette nouvelle Eglise,
et n'y oubliez pas notre petite famille, qui vous remercie
avec moi de l'amour et estime que vous faites de ma
chère compagne de Saint-Joseph. Lorsque vous aurez
le beau livre que vous faites imprimer, vous nous ferez
une grande charité de nous l'envoyer.^ Il faudra, s'il
vous plaît, en faire l'adresse au révérend Père Paul
Ragueneau de la Compagnie de Jésus, procureur des
missions, pour remettre à Sœur Marie de llncarnation,
religieuse Ursuline à Québec; c'est que je sortirai de
charge en mars prochain, mes six ans étant finis.
Permettez- moi de saluer votre sainte et révérende
Communauté, que je supplie avec vous d'agréer les
très-humbles respects de la nôtre. Obligez-moi de plus
de recommander cette mission à toutes mes révérendes
Mères de notre Ordre de vos contrées, que je salue avec
un profond respect; je vous remercie de vos beaux
.... Vous avez trop de bonté pour nous et pour
moi en particulier qui vous suis sans réserve, ma révé-
rende et très-intime Mère,
Votre très-humble et très-obéissante servante
en Jésus-Christ,
Sœur Marie de l'Incarnation. R. U. I.
De notre Séminaire des Ursulines de Québec, le 7 d!oct. 1669.
(I) Sile parld probablement de la Vie iiou?elle d'Anne de Beaa?aia. Ceat aq
^t un bêan ?olume, petit in-4o de 360 pages, a?ec eix grandes gra?araa, doftt
428
LETTRE CCII.
A lA SDFÉEIEDRE DES UKSULIHES DE SAINT-DENIS EN FRAHCB.
{La Mirt Marie Oe Satnte-Catheritu.)
ffil
^^ flU<
^^H en
^^^ port
Bll» l'sihort* à la Miuion de U MirtÎDiqne, «t lai montre qu'il (knt m
lotitci lei contradiction* quand il faut randre aerrice t Dian dana eea aortM
d'entrepriaei .
Oui, ma trôa-hoDorée Mère, je sais tout à toos dans
l'union dn cœur tout aimable de noire bon Jësds; et
non-seulement à tous, mais encore à votre sainte
Communauté que j'honore infiniment. Son zèle pour
le saint des âmes me console à un point que je ne pois
exprimer, et ta nôtre chérit l'union sainte que tooi
et elles voulez bien avoir avec nous. Nons avons reça
vos lettres si tard, que nous avions déjà perda l'esp^
rance d'en recevoir cette année. Une personne de France
. nons a écrit par le premier vaisseau qui est arrivé en c^^
pays, que vous étiez parties pour les îles de la ifarï^^
nique, ce qui me fit désirer d'en apprendre la ^^^W^^
et louer Notre-Seigneur du choix qu'il avait fait (f&^ ^/^
fllles pour cette mission. M. de Tracy, comme aoi ^^^^^
personnes de créance (dignes de foi) qui ont /a/f "^^^z ***
en ce pays-là, nous ont assuré que les Urav *"ot„ ^
\^
ûlim reprSïBDtent Anna de BeaDvaia aox différaotea 4^,^^ .
portMll etl eototM da méduillonB. «aUèioatiiiMa, -. ,.„^' V.
Canuoia. ^^V
DE LA MËRB MARIB DE L*IN CARNATION. 429
auraient un grand emploi, et qu*on leur amènerait des
pensionnaires de toutes les îles, où il y a an grand
nombre de personnes fort accommodées (ayant de la
fortune), qui ont de la peine de retenir leurs filles,
et ne peavent leur donner Téducation nécessaire pour
être bonnes chrétiennes.
Il y. a trois ans que nos Mères de Tours furent
demandées pour ce dessein : je ne pus savoir alors ce
qui en empêcha Texëcution ; mais j*ai su depuis que la
guerre qui était entre la France et TÂngleterre leur
avait donné de la crainte, comme aussi ce grand oura-
• gan qui avait fait tant de débris en ce pays-là. Mais
quoiqu'il faille avoir de la prudence, et user de précau-
tion en semblables entreprises, il faut pourtant beaucoup
donner à la Providence, et s'abandonner à ses ordres,
lorsque sa volonté nous est connue par le conseil des
personnes sages et éclairées. Si Ton ne faisait de la
^rte, l'on abandonnerait souvent des biens que Ton voit
^^ossir après un peu de patience. J'ai vu plus d'une
'^is former des desseins de nous renvoyer en France
^^r la crainte des Anglais et des Iroquois : et lorsque
^^tr^ monastère fut brûlé vous auriez de la peine
oroire les peines et les afflictions qu'il nous fallut
à ce sujet, et combien il nous fallut . livrer de
pour résister à de bonnes têtes dont la force et
dence semblaient le devoir emporter. Nous voilà
oins encore; Dieu a donné sa bénédiction à notre
>ï^i<:^ité, et il a fait avouer à ceux qui avaient conclu
retour, que Dieu nous veut en Canada pour
iter les filles, tant Françaises que sauvages.
Térité les premières seraient pires que les der-
s'il n'y avait ici des Ursulines pour les élever
ultiver.
DB LA MËRB MARIB DE l'INGARNATION. 431
»
en perfection, qu'elle allait par tout son village pour
instruire les grands et les petits, afin de les attirer
à la Foi. Elle a été extrêmement persécutée de sa
nation, mais enfin elle est demeurée victorieuse malgré
Tenfer et ses suppôts.
Je vous suis bien obligée de la bonne volonté que
vous avez eue de nous offrir de vos chères filles, et à
elles d'avoir été si bien disposées à venir nous aider.
Vous êtes, possible, plus canadienne que moi, puisque
vous y avez l'esprit. Suppléez à mes défauts et à mes
lâchetés par vos prières; et si j'ai encore quelques petits
biens, je vous y donne la part qu'il plaira à notre divin
Maître. Mais faisons mieux, mon intime Mère, que nos
biens soient communs. Agréez, s'il vous plaît, le très-
respectueux salut de notre Communauté, qui vous
demande la permission de saluer aussi la vôtre; ce que
je fais plus particulièrement après vous avoir embrassée
dans l'aimable Cœur de Jësus.
De Québec, le 11 iToctobre 1669,
432 LBTTRB8
LETTRE CCIII
A SON FILS.
Elle le remercie de quelques liyres qu'il loi a envoyés, particulièrement dru
intitulé : MédUaiUmt chrétiennes, et d'an antre qui porte pour titre : Miméf
bénidietinê. — Son sentiment de l'an et de l'aotre.
Mon très-cher fils,
Voici ma lettre d*adieu. Le vaisseau unique qui &A
retenu par force à notre port doit lever Tancre samedi
prochain, ou lundi au plus tard; autrement il serait
contraint d'hiverner ici. La terre est déjà couverte de
neige, et le froid fort aigu et capable de geler les cor-
dages. Avec tout cela, M. Talon n*est point arrivé ni
ses deux navires ; dans le sien seul il y avait cinq cents
personnes, et Ton est ici en très-grande peine de ce
retardement, qu| fait juger qulls ont relâché en France,
ou qu'ils ont péri par la violence de la tempête, qui
a été si horrible que nous l'avons prise pour un ouragan
semblable à ceux qui arrivent dans les îles.
Je me suis réservée à cette voie à vous remerder
de vos beaux et excellents livres : premièrement de vos
méditations que Ton trouve ravissantes et très -propres
pour des personnes religieuses» car elles mettent aa
jour les lumières cachées dans l'Evangile d'une manière
claire et nullement embrouillée. Notre Communauté
est toute pleine de reconnaissance en votre endroit
DE LA MARS MARIE DE l'INGARNATION. 433
pour un si riche présent. Nous allons commencer à nous
en servir pour faire nos oraisons ordinaires. Nous
avons aujourd'hui fait celle de sainte Ursule qui nous
a semblé si belle et si bien prise, que notre Communauté
m*a pressée de vous prier de nous en faire pour toute
roctave de cette grande sainte, notre patronne. Nous
avons la confiance que vous nous ferez cette charité de
laquelle je vous supplie. Vous avez si bien réussi en
celles que vous nous avez envoyées, que j'attends de
la bonté de Dieu qu'elle vous remplira de son esprit
pour donner un semblable succès à celles que je vous
demande. De rechef notre Communauté vous remercie;
mais sa satisfaction ne sera point entière que vous ne
lui ayez accordé la prière qu elle vous fait par mon
moyen. Vous pouvez juger par mes sentiments de la
consolation que j'ai de vous voir en l'état où vous êtes,
et de ce que Dieu se sert de vous pour aider les âmes
à le servir. Sa bonté m'a fait la grâce de trouver en
vous abondamment tout ce que je lui ai demandé.
Que son saint nom en soit béni.
Je vous remercie encore de votre ravissant livre de
VAnnée Bénédictine. Si vous ne m'aviez assuré que c'est
Touvrage d'une fille, je ne l'eusse jamais cru, ni mes
sœurs non plus que moi. Cette brave Mère est très-
éclairée, et avec sa science l'esprit de Dieu y a travaillé.
J'admire cet ouvrage, et vous nous avez infiniment
obligées de nous faire un si beau présent. Nous avons
tous les jours une lecture commune d'obligation, nous
la ferons dans ce bel ouvrage : hors ce temps-là les
sœurs sont affamées de cette lecture, et c'est à qui
aura le livre pour y lire en particulier. Elles ont raison,
parce qu'on ne peut rien lire de plus utile, puisque
ce sont des vies de Saints, où, outre la doctrine qui
LBTTR. M II. 28
434 LETTRES
contente l'esprit, on trouve encore des exemples à
imiter. Encore une fois, que j'aime cette généreuse
fille, et que je lui veux de bien! Si elle est de votre
connaissance et quelle soit à Paris, je vous prie de
la visiter de ma part et de l'assi^rer de l'estime que
j'ai pour elle ; car en vérité on peut la mettre au rang
des personnes illustres dô notre sexe. Dieu est admi-
rable dans ses communications ; son Esprit-Saint souffle
où il lui plaît, et il n'appartient qu'à lai de faire de
grandes choses avec de faibles instruments. Toute
notre Communauté vous remercie encore une fois et
vous présente son très-respectueux salut. Adieu pour
cette année.
De Québec, le 21 ^octobre 1669,
LETTRE CCIV.
AU MÊME.
Le roi continue de peupler le Canada. — M. Talon part de France pour j
retourner. — Tempête effroyable arrivée à Québec et sur la mer. ^ Tronblet
entre toutes les nations sauvages et les Français ; ils sont apaisés par U
prudence du Gouverneur des Français et du Père Chaumonot, Jésuite. —
Forme de justice des sauvages contre les homicides. — Découvertes dt
nouvelles mines et de nouvelles carrières.
Mon très-cher fils,
J'ai reçu votre dernière lettre par les mains de
madame Bourdon et de son fils, qui en même temps
ont été ravis de pouvoir me. dire de vos nouvelles. Ils
DE LA. MËRB MARIE DE l'INGARNATION. 435
' 86 sentent comblés du bon accueil que vous leur avez
fait, et comme ce sont de mes meilleurs amis, et que
c*est à mon occasion que vous leur avez rendu cet
honneur, je vous en remercie de tout mon cœur.
Madame Bourdon a été chargée en France de cent
cinquante filles que le roi a envoyées en ce pays par
le vaisseau Normand. Elles né lui ont pas peu donné
d'exercice durant un si long trajet, car comme il y en a
de toutes conditions, il s'en est trouvé de très-grossières
et très-difiSciles à conduire. Il y en a d'autres de nais-
sance, qui sont plus honnêtes et qui lui ont donné plus
de satisfaction. Un peu auparavant il était arrivé un
vaisseau Rochelais chargé d'hommes et de filles, et
de familles formées. C'est une chose prodigieuse de voir
l'augmentation des peuplades qui se font en ce pays. Les
vaisseaux ne sont pas plutôt arrivés que' les jeunes
hommes y vont chercher des femmes, et dans le grand
nombre des uns et des autres on les marie par trentai-
nes. Les plus avisés commencent à faire une habitation
un an devant que de se marier, parce que ceux qui ont
une habitation trouvent un meilleur parti ; c'est la pre-
mière chose dont les Qlles s'informent, et elles font sage-
ment, parce que ceux qui ne sont point établis souffrent
beaucoup avant que d'être à leur aise. Outre ces maria-
ges, ceux qui sont établis depuis longtemps dans ce
pays ont tant d'enfants que cela est merveilleux, et tout
en foisonne. Il y a quantité de belles bourgades, des
villages et des hameaux, sans parler des habitations
solitaires et écartées. Le roi a renvoyé ici des capitaines
et officiers, à qui il a donné des forts, afin qu'ils s'y
établissent et qu'ils s'y pourvoient. Ils le font, et plu-
sieurs sont déjà fort avancés.
L'on attend de jour en jour M. Talon que le roi
.436 LBTTRB8
renvoie pour régler toutes choses en ce pays, et les
former selon le dessein de Sa Majesté. Il a cinq cento
hommes avec lui, et seulement deux femmes de qualité
avec leurs suivantes. Uarriôre-saison où nous sommes
nous fait craindre avec raison qu'il ne soit arrivé quel-
que malheur à son vaisseau et à un autre qui raccom-
pagne, parce que depuis quinze jours il est survenu ond
si horrible tempête qu*on craint qull ne soit perdu. Il
7 a pour cet effet trois bâtiments qui croisent rembon-
chure de la mer, afin de. voir si Ton ne découvrira point'
les vaisseaux ou quelques débris. Les maisons de la
basse-ville de Québec ont été fort endonmiagées, la
marée s*étant enflée si extraordinairement, qu'elle a
monté jusqu'au troisième étage. Il 7 a encore bien des
maisons abattues dans la haute -ville. La tourmente
a été si violente partout que notre maison tremblait
conmie aux tremblements de terre. Le toit et les
chevrons du logis de nos domestiques ont été emportés.
Nos clôtures de charpente, et celles de Mgr Tévêque,
des Hospitalières, des révérends Pères, et les autres
de cette nature ont été renversées. On estime la perte
que cette tempête a causée dans Québec à plus de cent
mille livres. Voilà le sujet de nos inquiétudes au regard
de M. Talon, dans lequel le pays ferait une perte irré-
parable s'il avait fait naufrage, parce que le roi lui
ayant donné tout pouvoir, il fait de grandes entreprises
sans craindre la dépense.
II est vrai qu'il vient ici beaucoup de monde de France
et que le pays se peuple beaucoup. Mais parmi les
honnêtes gens il vient beaiacoup de canaille de l'un
et de l'autre sexe, qui causent beaucoup de scandale.
Il eût été bien plus avantageux à cette nouvelle
Eglise d'avoir peu de bons chrétiens, que d'en avoir un
DE LA MËRB MARIE DE L*INGARNATION . 437
grand nombre qui nous cause tant de trouble. Ce qui
fait le plus de mal c*est le trafic des boissons de vin
et d'eau-de-yie. On déclame contre ceux qui en donnent
aux sauvages, on les excommunie, l'évêque et les prédi-
cateurs publient en chaire que c*est un péché mortel ;
et nonobstant tout cela plusieurs se sont formés une
conscience que cela se peut; et sur cette erreur volon-
taire ils vont dans les bois et portent des boissons aux
sauvages, afin d'avoir leur pelleterie pour rien quand
ils sont enivrés. Il s'ensuit de là des impuretés, des viols,
des larcins, des meurtres; et le désordre a été si loin
cette année que nous avons été à la veille de voir toutes
les nations sauvages en combustion entre elles, où s'unir
ensemble pour venir fondre sur les Français. Voici
comme les choses se sont passées.
Trois soldats français ont tué un capitaine iroquois
des plus considérables de la nation, après Tavoir enivré
d'eau-de-vie; et ayant caché son corps, ils ont volé sa
pelleterie. Ces assassins ont été découverts et mis en
prison, et de la sorte Tafiaire est demeurée quelque
temps assoupie. Mais elle s'est réveillée par un accident
plus funeste que le premier. Trois autres misérables
Français ont massacré de la même manière et pour la
même fin six personnes de la nation des Loups qui sont
amis des Français. A cette nouvelle, toute la nation a
pris feu, et ne pouvant s'imaginer que les Français
leurs amis fussent capables d'une si grande perfidie, ils
ont cru que les Iroquois en étaient les auteurs, parce
qu'ils étaient alliés d'une nation contre laquelle les
Iroquois étaient en guerre. Sur ce soupçon, ils ont pris
les armes et déclaré la guerre aux Iroquois. Les
assassins étant ici de retour avec la pelleterie des assas-
sinés, qui monte bien à trois mille livres, ils ont voulu
438 LETTRES
faire croire qu'ils avaient fait ce gain à la chasse ; mais
la justice de Dieu a permis qu'un des assassins, n'étant
pas satisfait de ses associés, a découvert leur crime à
quelqu'un qui l'a révélé, et le bruit commençant à s'en
répandre, ils ont aussitôt pris la fuite. Les sauvages en
ont eu le vent et ont été sur le point de rompre la paix
qu'ils avaient faite avec nous, et qui a tant coûté au roi.
Ce qui rendait l'affaire plus embarrassée, c'est que nos
Pères étant dispersés en toutes ces nations-là, il y avait
sujet de craindre qu'ils ne fussent égorgés avec tous les
Français qui les accompagnaient. Le feu qui s'était
allumé entre les Loups et les Iroquois commençait à
s'échauffer contre les Français, ces deux nations se
sentant également offensées et se joignant ensemble
pour se venger. En voici un commencement : Quatre
guerriers de la nation des Loups ont attaqué une maison
française où il n'y avait que deux valets, le maître
étant absent. Ils feignirent de demander de l'eau-de-vie
pour observer le monde qui y était, et la voyant sans
beaucoup de défense, ils la pillèrent, et enlevèrent l'eau-
de-vie et tout ce qui était à leur bienséance. Ils vou-
lurent titer les valets, mais ceux-ci furent assez hardis
pour se saisir des armes de quelques-uns de ces sau-
vages, avec lesquelles ils se défendirent quelque temps,
puis s'étant saisis de l'argent de leur maître, ils l'allèrent
trouver au lieu où il était pour lui donner avis de ce
qui s'était passé. On va sur les lieux, où l'on trouve la
maison brûlée et trois personnes mortes, savoir deux
sauvages que les deux valets avaient couchés par terre
en se défendant, et la maîtresse que les autres sauvages
avaient tuée avant que de se retirer.
Ce qui a encore aigri les affaires du côté des Iroquois,
|M les trois soldats assassins dont j'ai parlé, ayant
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 439
•
S interrogés, l'un d'eux a déposé que les deux autres
aient proposé d empoisonner dans les occasions autant
^roquois qu'ils pourraient. Ce bruit a éclaté et nous
mis dans la dernière crainte que les Iroquois ne
ssent mourir nos révérends Pères, et qu'ils ne vinssent
^traire nos habitations écartées, comme les Loups ont
lit celle que je viens de dire.
Pour comble de division et de malheur, les Outaouak,
ui sont amis des Français, ont exercé un grand acte
'hostilité sur les Iroquois, ayant pris ou tué dix-neuf
3 leurs gens. Ce sont toujours des sujets d'ombrages
IX, Iroquois de se voir attaquer par nos alliés, et à
»us des motifs de crainte pour une rupture général^
la paix. Mais il s'est présenté une occasion qui a
une jour à rétablir toutes choses dans leur premier
3tt. Six cents Outaouak sont venus ici au mois de
Ulet dernier, chargés de pelleteries pour leurs traites.
I 7 ont beaucoup gagné et nos marchands encore plus,
ais ce n'est pas tant le trafic qui les a amenés que lé
isiT de faire leur paix avec les Iroquois par le moyeq
^8 deux Pères qui les ont accompagnés depuis leur
^ys jusqu'ici; et il y a de l'apparence que%e sont ces
^xxx Pères qui les ont apaisés en ce qui regarde leur
tërêt, et qui les ont portés ensuite à faire cette
^marche.
Pour travailler plus fortement à cette affaire et
limer les autres remuements dont tout le Canada était
*
enacé, Mgr le Gouverneur s'est transporté à Montréal,
^ était le rendez- vous de toutes les nations intéressées,
^pendant Taffaire a paru si importante à Mgr notre
vêque, qu'il a fait faire des prières publiques et des
faisons de quarante heures à l'alternative dans toutes
^8 églises de Québec. Tous ces peuples étant donc à
440 LETTRES
Montréal, plutôt néanmoins pour leurs chasses et pour
leurs traites que par un dessein prémédité de parler de
la paix, M. le Gouverneur a pris occasion de les assem-
bler, et le révérend Père Chaumonot, qui est éminem-
ment savant dans toutes les langues , harangua si
fortement et avec tant de bonheur, selon le génie des
sauvages, que moyennant des présents pour ressusciter
les morts, essuyer les larmes, aplanir les chemins et les
difficultés du commerce, tout fut apaisé de part et
d'autre, et les traités de paix renouvelés. Les Outaooak
ont rendu aux Iroquois trois de leurs captifs avec
promesse de leur en rendre encore douze qu'ils avaient
laissés en leur pays, dont les Iroquois ont voulu que
M. le Gouverneur se soit rendu caution.
Les affaires étant ainsi terminées, M. le Gouverneur
fit passer par les armes les trois soldats assassins en
présence de toutes les nations assemblées, afin de leur
persuader que lui ni les Français n'avaient point eu de
part à leur crime. Ils furent tous surpris d'une justice
qu'ils estimaient rigoureuse. Car vous remarquerez que
parmi eux quand un sauvage en tue un autre, ils ne
le font point mourir; mais pour ressusciter le mort, l'on
donne son ncm à un autre, au choix des intéressés,
lequel prend dans la famille le rang de parentage que
tenait le défunt. C'est ce qui étonna les Iroquois, de
voir que Ton faisait mourir trois Français pour un
des leurs qui avait été tué. Ils firent même de grands
présents, afin qu'on en lassât au moins vivre deux,
et ne pouvaient regarder les patients sans pleurer
de compassion et de douleur. On leur dit que c'était
la coutume des Français d'en user ainsi, et que dans
ces rencontres on en faisait mourir deux pour la justice,
et un pour celui qui avait été tué. Il fit aussi rendre
'k
DE LA MÈRE MARIE DE l'INCARNATION. 441
à la veuve toute la pelleterie que les soldats avaient
enlevée, et les choses étant ainsi apaisées, chacun
8*en retourna en son lieu. Voyez les suites de ces
misérables boissons. L'on n'avait point encore vu par
le passé les Français commettre de semblables crimes,
et l'on ne peut en attribuer la cause qu'à ce pernicieux
trafic.
Je reviens encore à M. Talon. Si Dieu le fait arriver
heureusement au port, il trouvera de nouveaux moyens
d'enrichir le pays.^ L'on a découvert une belle miné
de plomb ou d'étain à quarante lieues au-delà de Mon-
tréal, avec une mine d'ardoise, et une autre de charbon
de terre. Mon dit sieur est pour (homme à) faire valoir
tout cela avec avantage. Il a déjà fait faire une très-
ample brasserie avec de très-grands frais. Il a encore fait
de grands ouvrages dans Québec et ailleurs; et si Dieu
lui inspire de retrancher le commerce des boissons,
c'est ce qui achèvera d'immortaliser sa mémoire dans
cette nouvelle Eglise. Je ne vous parle point ici de
l'Eglise, ni de ses progrès, ni des travaux de ceux
qui la cultivent et qui tâchent de l'étendre dans toutes
les nations de notre Amérique. Je l'ai fait par une autre
voie, et si j'ai omis quelque chose, vous pourrez l'appren-
dre dans la Relation.
De Québec, le d octobre 1669.
(1) Voyez la Lettre prôcédeDte, où il est parlé de M. Talon.
442 LETTRES
LETTRE CCV.
AU MÊME.
M. Talon, après une farieose tempête, arrive enfin en Canada, où les référtnda
Pères Récollets, qui en araient été les premiers missionnaires, reTienoeiit
ayec lui. — Progrès de la Foi chez les nations iroquoises , outaouak et
antres. — Prodiges miraculeux en faveur du saint baptême. — - DécouTerte d«
la grande baie du Nord par un Français tourangeau. — NouTelle peuplade
pour le Canada.
Mon très- cher fils,
r
Votre première lettre m'a apporte une très-sensible
consolation, m'apprenant que Dieu vous a renda la
santé. J'ai admiré sa bonté sur vous, de ce qull yoqs
a donné des forces pour porter jusqu'à présent les austé-
rités de votre ordre, attendu que vous étiez d'une
complexion assez délicate. Que son saint nom soit béni
de ses conduites sur vous et sur moi. Mais il faut vous
dire quelque chose de l'état présent du Canada.
Enfin M. Talon est arrivé à Québec. Il a pensé faire
naufrage une seconde fois proche de Tadoussac, où
une tempête jeta son vaisseau sur des roches et le mit
sur le côté. Tous ceux de l'équipage eurent une plus
grande frayeur qu'à leur premier débris (naufrage) : car
je crois que vous avez su que son vaisseau, q\ie nous
attendions toute l'année dernière avec une extrême
inquiétude, fut emporté de la tempête, et qu'il s'alla
briser sur des roches proche de Lisbonne en Portugal.
DE LA MÈRE MARIB DB L'INGARN ATION . 443
itte année son navire est demeuré fixe entre des
ches effroyables, en un lieu où la marée monte et
dsse. Ils demeurèrent là jusqu'à ce qu'elle remontât,
bus commencèrent à faire des vœux et à demander
liséricorde à Notre-Seigneur. Ce vaisseau qui devait
^e brisé en pièces, et tout le monde perdu, fut enlevé
tns aucune rupture; au contraire, par un bonheur
espéré, au lieu qu'il avait fait grande eau durant
ute la traverse, en sorte qu'on était obligé de pomper
^ntinuellement , la grande secousse qu'il avait eue
ir les roches le resserra de telle sorte qu'il ne fit pas
le seule goutte d'eau depuis.
II a amené avec lui six Pères Récollets qui viennent
rétablir en ce pays : car ce sont les Pères de cet
*dre qui en ont été les premiers missionnaires. Ils
ont dônieuré jusqu'en l'année 1625, que les Anglais
Stant rendus les maîtres du pays, ils furent obligés
^ quitter, aussi bien que les Pères Jésuites qui ne
isaient que d'y arriver. Les bons Pères Récollets
valant aller aux Hurons se noyèrent, excepté quelques-
Qs, qui retournèrent en France. Depuis ce temps-là
XXV maison s'est ruinée faute de réparation, et leurs
^rres ont été occupées par divers particuliers, qui ne
:*oyaient pas qu'ils y dussent jamais revenir.' Cependant
« y voilà avec la permission du roi, dans le dessein
d se rebâtir sur leurs anciens fondements. Ce sont
98 religieux fort zélés, que leur provincial, qui est
n homme considérable parmi eux et qui a des qualités
EHinentes, est venu lui-même établir. Il nous a asBuré
ûe pour le bien de la paix ils laisseront les terres aux
Brticuliers qui les possèdent, parce qu'ils font un vœu
*è8-étroit de pauvreté, et qu'ils se contenteront d'un
^H petit espace pour se bâtir. Ils vont se rétablir sur
444 LETTRES
leurs anciennes ruines, et cependant (en attendant) ils
sont logés à notre porte, et notre église est commane
à eux et à nous.
Les missionnaires, dont Ton a encore accru le nombre
cette année, sont répandus partout. Ils souffrent de
grandô travaux pour apprivoiser la barbarie des Iro-
quois supérieurs, qui sont plongés dans des superstitions
extraordinaires. Ce sont les Sonontoueronnons, ou le
révérend Père Firmin, qui les instruit, a besoin du
courage que Dieu lui donne pour demeurer avec eux,
car il y souffre la faim et la disette de tout.
Les autres Iroquois respectent les Pères, mais les
boissons que les Anglais leur donnent comme voisins
(car je parle des Agneronons) les abrutissent de telle
sorte qu'il n'y a nulle assurance pour la foi, sinon aux
vieillards, aux femmes et aux enfants. Ce n'est pas
qu'ils ne croient ce que les Pères leur enseignent et
qu'ils n'assistent aux prières le matin et le soir, mais
la fragilité les emporte, et ils ne sont plus à eux quand
ils voient ces liqueurs. Pour les Onontageronnons, ils
sont tous gagnés.
Enfin le fameux capitaine Garaconthié a été baptisé
par Mgr notre Prélat. Il a rompu les liens qui, par
faiblesse humaine, le retenaient, et il n'a pu vivre
davantage sans être chrétien. Il y a longtemps qu'il
l'étaif dans son cœur ; il faisait tout son possible pour la
conversion de ses compatriotes ; il délivrait les captifs
français; il apaisait tous les^ désordres; il protégeait
les missionnaires, et il n'y avait invention dont il n'usât
pour entretenir la paix. M. le Gouverneur a été son
parrain, et lui a donné le nom de Daniel. •
Ce sont les Algonquins qui excèdent le plus en l'ivro-
gnerie en ces quartiers, par la faute des Français qui
DE LA MÊRB MARIE DE L*INCARNATION. 445
leur donnent des boissons. Et ce qui est le plus déplo-
rable, ils y accoutument leurs femmes et leurs enfants,
de sorte que cette nation, qui se perdait autrefois
sans la foi, si Dieu n*y met la main va se perdre dans
la foi.
Les missions des Outaouak sont florissantes : les
missionnaires néanmoins y soujQTrent de grands travaux,
particulièrement par le défaut de vivre. Mais ils ont
cette consolation que l'on ne porte point de boissons
dans un pays si éloigné. Ces peuples les écoutent avec
un respect incroyable. Le révérend Père Allouez, qui
entend six langues sauvages, en a plus particulièrement
le soin; et comme ces pauvres gens n'avaient jamais
▼u de Français, ils vont au-devant de lui les mains
jointes, s'inclinant et l'appelant le bon Manitou, qui est
an nom d'honneur. Ces peuples sont les plus éloignés
et les derniers découverts. Ce Père qui les instruit est
un miracle de la grâce; à le voir on dirait qu'il n'a ni
force ni santé, et cependant il est infatigable, et on ne
peut rien voir de plus laborieux. L'on a encore décou-
vert une autre nation qui aboutit à des peuples innom-
brables. Le révérend Père Marquet y a été envoyé, et
parce que la moisson est grande, l'on a envoyé, tant
à lui qu'aux autres, un secours considérable d'ouvriers.
Il est arrivé une chose bien remarquable et qui a
donné une grande estime du baptême en la mission du
révérend Père Dablon. Un enfant mourut incontinent
après avoir reçu ce sacrement ; et comme la terre était
toute couverte de neige, en sorte que ses parents ne le
pouvaient mettre en terre, ils relevèrent en Tair sur
un échafaud, où, pour lui faire honneur, ils l'ornèrent
et entourèrent de peaux et de porcelaines. Une nuit,
les loups affamés, sentant l'odeur d'un corps mort,
446 LBTTRBB
•ortireiit du bois ait montèrent rar Fédiafkad. Ib à&T(h
f^mit l6B peaux» iM porcelaines, et toot oe qjûâ onsit
fenjfiutt, jnais ils ne tonchôrent point à ce pettt; ange.
Le matin étant yenn, les sauvages Tinrent voir cette
merveille, et tons commencèrent à loner et «rtimer le
saint baptême. Ce miracle n*a pas seal0m^ eu son
effet an lien où il est arrivé, mais s'étant répanda dans
les nations voisines, il a donné partout un grand crédit
à là foi. Gela est arrivé au lieu où f on a fait une maison
fijtô pour assembler les missionnaires de temps en
tttnps, et où on leur porte d*ici tous leurs besoins.
l^ur ce qui est des afEaires temporelles, le rot fait
ici de grandes dépenses, il a encore envoyé cette année
cent dnquante filles et un grand nombre de soldats et
d*o£SicbMrs avec des chevaux, des moutons et des chèvres
pour peupler. M. Talon fait exactement garder les
ordres du roi. Il a commandé qu'on fasse des chanvres,
des toiles et des serges; cela a commencé» et grossira
peu à peu . Il fait faire une halle à Québec, une brasserie
et une tannerie à cause du nombre prodigieux de bêtes
qu'il y a en ce pays. Ces manufactures n'étaient point
en usage par le passé en Canada, mais si elles réus-
sissent elles diminueront beaucoup les grandes dépenses
qu'il faut faire pour faire tout venir de France. L'on
presse tant qu'on peut les femmes et les filles d'appren-
dre à filer. On veut que nous l'apprenions à nos sémi-
naristes, tant françaises que sauvages, et on nous oflSre
de la matière pour cela.
L'on introduit encore un triple commerce en France,
aux îles de l'Amérique et à Québec. Trois vaisseaux
chargés de plauches de pin, de pois et de blé d'Inde
voDt partir pour aller aux îles ; là ils déchargeront leurs
marchandises et se chargeront de sucre pour la France,
DE LA MÉRB MARIB DB L'iNCARNATION . 447
d*où ils rapporteront ici les choses nécessaires pour
fournir tout le pays. Et ce triple commerce se fera en
un an. L'on fait encore la pêche des morues à cent
lieues d'ici, laquelle étant bien entretenue produira des
revenus immenses. Voilà pour faire, avec le temps,
on grand pays qui enrichira les marchands.^ Pour
nous, notre fortune est faite ; nous sommes la portion
de Jësus- Christ, et Jésus-Christ est notre portion, et
nos gains sont de tâcher à le posséder en pratiquant nos
Règles et faisant ses volontés. Priez la divine Msgesté
de nous faire cette grâce.
Il y a quelque temps qu'un Français de notre Tou-
raine, nommé des Groiseliers, se maria en ce pays; et
n'y faisant pas une grande fortune, il lui prit une
fantaisie d'aller en la Nouvelle-Angleterre pour tâcher
d'y eh faire une meilleure. Il y faisait l'homme d'esprit,
comme en efifet il en a beaucoup. Il fit espérer aux
Anglais qu'il trouverait le passage de la mer du Nord.
Dans cette espérance, on l'équipa pour l'envoyer en
Angleterre, où on lui donna un vaisseau avec des gens,
et tout ce qui était nécessaire à la navigation. Avec
ces avantages il se met en mer, où au lieu de prendre
la route que les autres avaient coutume de prendre,
et où ils avaient travaillé en vain, il alla à contre-vent,
(1) Ces détails et ce que l'on a vu dans les lettres précédentes bous montrent
la xèle, l'intelligence et les vues élevées de Louis XIV et* de son gouvernement
dans la colonisation du Canada. On veut créer une source de richesses et de
prospérités pour la mère-patrie ; mais on cherche en même temps les vrais et
■olides avantages et des colons et des indigènes. On ne fait pas consister le
bonheur humain dans la fortune et le bien-être matériel ; on sait que l'homme
act créé à l'image de Dieu et destiné au ciel, et l'on a pour sa haute dignité le
rMpect et les égards qui lui sont dûs. Voilà pourquoi on considère la foi catho-
liqae et le sentiment religieus comme des éléments indispensables d'une coloni-
sation sérieuse et solide.
n
*-v
1 f
448 LETTRES
ei^ id bldUr^^be^hé qu;il a trouyë la giwMle JipiM dn
^to^^•^^ y* tfa^v4,mi gran4 peuplât et a çhwsg&ti»
jki^ifj^fin, 9m mnvm de pelleterie pbor dm MPunes
i)llO|eii8e9i. p est retourné ea Angleterre, qîl h^mM,
ac4ctt|Aé *râBgt,jaiUe ëcus de récompeiiiset.^ Ta ^Int
l^ir^Uer de la Jarretière, que Ton dH prenne dl9#§
fort honorable» Il a prif possession 40; 69 «grai4fpl|i
|io||i:4e W|i 44ngleterre, et pour sw partieuUfirle mM
^^in^ç^eiitpçadçt^pa. L'on a fait pne gazette ei( J^â^
terre ponr louer cet aventûneir français. ^ Il 4tmk Imai
J9^.quand ihyyfkt ^4» ^t fit grande connsissanoe iivee
mp^tant è^ capse do la patrie, qu'en ccmsldératioii dkone
de siQS Itères de Tours, chez le père de laquelle il wnià
demeuré. Sa femme et ses enfemts sont encwe i<».
De Québec, le 27 iaoùt 1670.
LETTRE CCVI.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE TOURS.
(La Mère Joubert de Saint- Joseph,)
ElU la félicita <!• ce qa'elU est déchargée de sa supériorité. — ATintâg» dt
cettx qui ne sont point en charge. — Hiver rigoureux de cette année m
Canada.
Ma révérende et très-chôre Mère,
Vous avez bien raison de vous réjouir d'être dégagée
de votre charge, aussi bien que moi qui le sais de la
mienne, par la miséricorde de Dieu, dès le douzième
de mars dernier. Je soupirais depuis longtemps après
DB LA MÈRB MARIE DB l'IN CARNATION. 449
ce bonhenr. Pais donc que vous et moi avons ce que
nous avons souhaité, bénissons Celui qui a rompu
nos liens, et jouissons avec action de grâces de la paix
qu'il nous donne. Je vous assure, chère Mère, que la
charge d'autrui est pesante quand Ton pense qu'on aurait
assez de soi à garder : et je ne m'étonne plus de la plainte
que fait l'Epouse des Cantiques, en disant : qu'on Ta faite
la gardienne des vignes, et quelle a bien de la peine à garder
la Henné. Vous expliquerez^ mieux ce passage que moi,
c'est pourquoi je le laisse à votre méditation. Cepen-
dant tirons avantage de la grâce que Dieu nous fait en
ce point. Je ne suis pas néanmoins si libre que je n'aie
encore un petit troupeau à gouverner aussi bien que
vous : ce sont nos jeunes professes et nos novices, qui
sont en tout au nombre de sept. Priez pour elles, et je
n'oublierai pas les vôtrea.
Tous les hivers sont fort froids en ce pays, mais
le dernier l'a été extraordinairement , tant pour sa
rigueur, que» pour sa longueur, et nous n'en avons point
encore expérimenté un plus rude. Tous nos conduits
d'eaux ont gelé, et nos sources ont tari, ce qui ne nous
a pas donné peu d'exercice. Au commencement nous
faisions fondre la neige pour avoir de l'eau, tant pour
nous que pour nos bestiaux; mais il en fallait une si
grande quantité que nous n'y pouvions suffire. Il a donc
fallu nous résoudre d'en envoyer quérir au fleuve avec
nos bœufs, qui en ont été presque ruinés à cause ^e
la montagne qui est fort droite et glissante. Il y avait
encore de la glace dans notre jardin au mois de juin :
nos arbres et nos entes qui étaient de fruits exquis en
sont morts. Tout le pays a fait la même perte, et particu-
liôrement les Mères Hospitalières, qui avaient un verger
des plus beaux qu'on pourrait voir en France. Les arbres
CBTTK. M. II. 29
450 LSTTRKB
qui portent de» fhilts sauvages, ce sont i>a# morts; aim
Dieu nous privant des délicatesses, et nous laissant
le nécessaire, veut que nous demeurions dans notn
mortification, et que nous nous passions des donœan
que nous attendions à l'avenir. Nous y sommes aooon*
tumées depuis trente et nn an que nous sommes ea
Cis.pays, en sorte que nous avons eu le loisir d'oublier
les douceurs et les délices de l'anciennâ France'.
De Québec, le î" de septembre Î670.
LETTRE CCVn.
A OME RELIGIEUSE URSULINE DE TODHS.
iLa Mire FrvnçoUe de Salra-On'matn.)
BlU lui nod compta da m diepoiition tant iDUrienra qnTextéria&ra, at «II* tA
en peu d« moU l'éloge de la Uère Muie de UNatiritè.
Ma révérende et trôs-cbôre Mère.
Votre lettre, que j'ai reçue avec joie, m'a encore
trouvée en ce monde. Dieu veuille que ce soit ponr sa
gloire ! Je suis sa victime, il m'immolera selon son bon
plaisir; c'est ce que j'attends à tous moments, mon âge
xt^j. oblige. Vous voulez que je vous dise ma disposition:
dit toms 1", p*ge 203, qa't Québec na trçàà ds trmi
au-deuoo* de liro n'est pu regarda comms eiCMiif : p<n'
, en «ff«t, que le Ihennomètre deacend plut bu. Il d'm( m
la nvercute gelei, ca qid luppoie bu moïnt qurule dtfrti
DE LA MÊRB BiARIE DE L'INCARNATION . 451
j'ai passfé l'hiver en assez bonne santé, en sorte qae
Dieu m'a fait la grâce de jeûner le carême. Quinze
jours après, j^âî' eu une petite maladie qui a donné
l'alarme à mes sœurs, car dès qu'on nie Voit un peu
mal, on croit que je vais mourir. J'en suis revenue par
de certaines poudres chimiques qui ont diminué de
moitié cette grande amertume de bouche qui m'était
restée de ma grande maladie. Voilà pour ma santé, ma
chère Mère ; mais pour la sainteté , j'y vais à pas de
plomb. Cependant je touche la soixante et onzième
année de mon âge ; il est temps d'y travailler ou jamais.
Priez notre bon Jésus , qu'il me donne des grâces
efficaces pour cela.
Je me conjouis avec vous du succès de votre élection,
à laquelle Dieu a donné bénédiction par le choix que
vous avez fait de ma révérende Mère Ursule. La nôtre
s'est faite avec un semblable succès par le choix de ma
révérende Mère de Saint-Athanase. Cette élection n'a
rien changé dans les cœurs. Vous béniriez Dieu de voir
la grande paix et la sincère union dont nous goûtons
les douceurs. Certes si Dieu fait sa demeure dans la
paix, nous devons bien croire qu'il habite dans notre
petit Séminaire; et c'est un trésor que nous estimons
plbs qii^'tous cèuxde la terre.
Oté la nécessité que nous avons tous de mourir, je
dirais que vous s.teÈ fait une grande perte par la mort
de ma chère Mère Marie de la Nativité. C'était une âme
vraiment assujettie à Dieu. Je ne sais aucune particu-
lai^fté dé ÈSL mort qiie celles que j'ai apprises par sa lettre
cîrcûlaire, qui est courte, mais onctueuse et succulente.
L'on eh aurait néanmoiiisi pu dire encore davantage;
mais j'ai présumé qu'on avait réservé de parler de ses
grandes vertus dans les Annales de notre Ordre, ou
452 LETTRES
dans quelque autre (iessein : la sainte volonté de Dieu
soit faite. Quoiqu'il en soit, je la crois grande dans le
ciel, et j'invoque son secours et sa médiation auprès
de Dieu, aân qu'il me conduise dans les voies de la
véritable sainteté.
De Québec, te 2 de septembre 1670.
LETTRE CCVIII.
A LA. SUPÉRIEURE DES URSULINES DR HONS.
ILa Mère CicUe <te Saint-Joteph.)
Elle la raiii«rcis da différents cadEaai, «t «lie lai damanda la liite dei mabou
d'Ureutines lortiei de Liège. — Le cardinal de Sonrdit, par eommiiuon di
Saint-Siéfe, a agrégé ft la CoDgrégation de Bordssui tontes l«i maisoM
d'Ur^uliaes aortles de Liège. — Union étroite de charité entre la Congr*-
gfttion de Pari* et celle de Bordeani. — NouTellea da paja. — Ella iMni*
la Via d'Anne de Beauvaii.
Jësus, Marib, Joseph.
De notre Monastère de Québec, le 12 de septembre 1670.
Ma révérende et très-chère Mère,
Jésus soit notre vie et notre amour ponr l'éternité.
C'est avec nn sentiment de joie que j'ai reçu votre
■£lière lettre, puisque mon cœur se sent uni à vôtre
dphère persoDne très-particulièrement. Je suis étonnée
vous n'ayez pas reçu celle qae je me donnai l'hoD-
teur de vous écrire, le révérend Père Pierron V&yant
DE LA MÈRR MARIK DR L'lNCARNy\T10N. 453
mise dans le paquet qu'il adressait au révérend Père
Pierron son frère, aussi de la Compagnie de Jésus,
auquel vous aviez confié celle que vous eûtes la bonté
de m'écrire. J'ai reçu la vôtre de cette année par un des
révérends Pères qui est venu en ce pays, avec votre
boîte de petite Jésus et les images qui étaient dedans.
Vous êtes trop obligeante, ma très- chère Mère, de
vouloir bien vous souvenir de vos Sœurs qui sont si
éloignées de vous, et de moi en particulier, qui mérite
l'oubli des saintes âmes. Je loue votre dévotion à la
sainte enfance de Jésus; l'on y est grandement dévot
en ce pays; mais ce n'est pas en la pratique du vingt-
cinquième des mois, cela est enclavé en une Confrérie
à la Sainte-Famille; c'est notre grande dévotion. Une
personne de France nous en a envoyé un très-beau
tableau, qui est en notre chœur (car nous tenons chœur
ici comme en nos maisons de France). Votre petit Jésus
est très-beau, l'on nous en envoie de France qui n'en
approchent pas; plusieurs de mes Sœurs en ont dans
leurs chambres. Je vous remercie très- humblement de
votre charitable, présent et des bonnes volontés que
vous conservez pour nous. Si vous avez la bonté de
nous écrire j'ai trouvé une voie assez sûre, c'est par
le moyen de M. Talon, intendant pour le roi en la
Nouvelle-France. Il a eu de grandes commissions en
Flandre de la part de Sa Majesté ; il a bien des intelli-
gences en ces pays, car il m'a dit qu'il a été en votre
maison et qu'il y a deux des filles d'un de ses amis.
Il m'a promis de vous faire tenir mes lettres, et de vous
envoyer une adresse pour les réponses. Par celle que
je vous écrivis l'année passée je répondais à toutes vos
questions fidèlement, et je vous faisais des demandes
sur la manière dont vous êtes établies dans les lieux
454 LETTHE»
OÙ vnus êtes, et si vous étiez sorties de notre couvent
de Bordeaux. J'ai reçu cette année une lettre de ia
révérende Mère de la Roque, prieure de ce Monastère,
qui m'en a instruite, ce qui m'a donné une consolatioa
bien grande de ce que notre saint Ordre est dilaté eu
tant d'endroits. Cette bonne Mère m'a envoyé une liste
de toutes nos maisons de France et de ce qu'elle connaît
de vos quartiers, avec commission de vous l'envoyer.
Mon aimable Mère, je vous supplie s'il y a quelques uns
de vos Monastères qui y eoient omis, de m'en envoyer
le nombre et les lieux de leur situation, pour les ajouter
à la liste que je vous envoie. Cette bonne Mère prieure
de Bordeaux est ravie de savoir que nous avons l'hon-
neur do votre communication . elle vous salue , et
embrasse toutes les saintes religieuses qui sont sorties
de Liège ; elle m'a chargée de vous demander ai la
révérende Mère de Maipreu et la révérende Mère Pria-
que, avec lesquelles notre révérende Mère de la Croix
avait grande communication, et qui les aimait d'une
tendresse admirable , sont en vie. Cette bonne Mère
de la Roque dont je vous parle est sa chère fille, qui
était entrée au noviciat à douze ans; il y a cinquante-
huit ans qu'elle est religieuse; elle vous supplie, si
la révérende Mère Prisque vit encore, de lui présenter
son très -affectionne salut; elles se sont souvent écrit
l'une à l'autre, et celle-ci le. continuerait sans la diffi-
cnlté des voies. Cette bonne Mère me dit que vous êtes
nos véritables Sœurs et que ça été Mgr le Cardinal
de Sourdis qui, par commission du Saint-Siège, vous
a incorporées en notre Congrégation ; Dieu en soit béni
éternellement, mon aimable Mère. Demeurons donc
en cette sainte union, je vous en conjure pour l'amour
de Dieu. La révérende Mère de la Roque me charge
DE LA MERE MAEUB DE L INCARNATION . 455
encore de vous dire, <itie dans le livre de la chronologie
de rOrdre des Ursulines, qui se fait au couvent du fau-
bourg Saint-Jacques à Paris, vous êtes placée avec
notre couvent de Bordeaux comme une des glorieuses
émanations que le Saint-Esprit en a tirées et qu'il nous
a mises au cœur comme un lien indissoluble. Cette chro-
nologie qui se fait à Paris est fort avancée, et n*est pas
prête d*être achevée. Les maisons de notre Congrégation
y envoient leurs mémoires pour les choses remarquables
de leurs Sœurs défuntes. Notre Congrégation est fort
unie à celle de Paris. L'une étant très-conforme à l'autre,
nous n'avons point eu de peine de nous unir avec leurs
Sœurs qui sont avec nous ; il semble dans les mœurs,
fonctions et accord en toutes choses, que nous soyons
sorties d'une même maison. Il y a d'autres couvents
et congrégations d'Ursulines en France, mais il n'y a
pas semblables rapports; outre que ce sont les deux
Congrégations les plus nombreuses, celle de PàHs
a bien autant de couvents que la nôtre ;^ elles nous
écrivent de toutes parts et nous ont rendu bien de
l'assistance pour nous aider en nos chères Canadiennes.
(1) Od voit par cette Lettre, et par plusieurs autres, que la Mère Marie de
rincarnatloD s'est regardée toute sa vie comme appartenant & la Congrégation
de Bordeaux. Mais à ses yeux c'était un simple fait historique, sans importance,
quant aux relations et aux témoignages de charité. Pour son cceur, toutes les
Ursulines étaient des sœurs, sans distinction de telle ou telle Congrégation. Qu'il
nous soit permis d'exprimer le vœu que ces dispositions si conformes & Tesprit de
Notre-Seigneur, et qui sont générales dans ce saint Ordre, animent toutes les
filles de sainte Angèle sans une seule exception. Peut-être serait-il hon que le
mot même de congrégation fut relégué dans l'histoire, et qu'il ne fût ni prononcé,
ni écrit, ni insinué dans les relations de churité f
Il paraît, d'après ce que dit la vénérable Mère, qu'à l'époque où elle écrivait,
les Congrégations de Paris et de Bordeaux avaient moins d'intioûté avec les
antres qu'entre elles. Nous. pouvons dire, très-heureusement, qu'il n'en est plus
de même aujourd'hui.
\
456 LETTRES
Il était parti deux révéreDds Pères Jésuites de vos
quartiers pour les missions des sauvages, il y en a on
nommé le révérend Père Robo, lequel a tellement fatigué
à assister les soldats malades de son navire, qu*il en est
mort lorsqu il arriva au premier port du Canada, où est
une des belles missions ; on le mit à terre où il rendit
l'esprit; ainsi il fit là son sacrifice, sans passer plas
avalât, comme un autre saint François-Xavier; il moanit
seul, assisté d'un bon frère. Le révérend Père Crépieal
nous a dit que le Père Robo avait deux cousines en
Flandre, qui avaient grand désir d'être avec noas;
l'on en a même parlé à Mgr notre digne Prélat, je ne
sais s'il répondra à ce point. Goname nous dépendons
de lui, et que le révérend Père Robo est mort, on ne
nous a pas pleinement informées de cette affaire. Si
cela avait pu réussir nous aurions embrassé ces chères
filles d'un grand cœur, comme nos très-chères et Men-
ai mées Sœurs.
Puisque M. Talon m'a assurée de faire parvenir nos
lettres et les réponses, suivant son billet d'adresse, si
vous avez pour agréable, ma très- chère Mère, de nous
honorer de vos lettres et de nous envoyer quelque chose,
vous pouvez prendre cette voie. Nous serons bien
consolées d'avoir le livre (la Vie) de la vénérable Mère
Anne de Beau vais. ^
. Nous avons un mortuaire (nécrologe) fort bien fait,
conforme aux Rubriques; je vous remercie très- hum-
blement de votre bonne volonté. On nous l'a envoyé
de France; l'on n'imprime point encore en ce pays;
il nous a fallu faire des Règlements convenables pour
cela, et bien qu'ils ne soient qu'à la main, Mgr notre
(1) Voir d-dasfiM oim note à la Lettre CCI, page 423.
DB LA M£RB marie DE l'INGARN ATION . 457
Prélat, qui est vicaire apostolique, les a approuvés,
c'est comme si Rome y avait passé. De sa même auto-
rité il a approuvé notre établissement en Canada.
Un grand Jésus de cire se romprait à cause des chocs
qui' se souffrent dans un si long trajet; nous serions
ravies d*en avoir un beau; mais c'est dommage de
risquer. Je vous rends mes très-humbles remerciements
de votre offre charitable, ma très-chère Mère, comme
de toutes les bontés que vous avez pour nous ; toutes
mes Sœurs vous présentent leur très- respectueux salut
et vous rendent très-humble grâce de votre souvenir;
permettez-moi de saluer votre sainte et religieuse Com-
munauté, que j*honore et respecte beaucoup.
Toutes les missions ont de nouvelles bénédictions
de Dieu, pour les grandes conversions qui se font par
les travaux de nos révérends Pères; cest une chose
étonnante de voir jusqu oti vont ces grands serviteurs
de Dieu, qui trouvent jusque dans les extrémités du
monde des peuples qui se rendent dociles à écouter la
doctrine sainte qu'ils leur enseignent.
Nous avons de jolies séminaristes de trois nations;
nous leur apprenons à vivre à la française, à lire et
à écrire ; ce sont les délices de nos cœurs, je les recom-
mande à vos saintes prières. Soyez donc persuadée que
vous êtes bien proche de mon cœur et que c'est sans
réserve que je vous y suis en celui de Jésus, ma révé-
rende et très-intime Mère, très-humble, obéissante et
obligée servante.
Sœur Marie de Tlncarnation, R. V.
Je suis sortie de la charge de supérieure du mois
de mars dernier, mes six ans étant finis; celle qui l'était
levant mm y ^* estréet ez mot
;'oii m'a encore ctULiWùÊi «le» ieiAU&a
novices: unes U'wa^ ma. chère M&dk.
!a erâce rie aren hies acomtcsi D
mes es ce payn» aotr& revéFeiBie jidËce
%Tf)ii0 succédé t'cEZxa a i'aaire eiL la
rxiaifl9ii : je coinmffnfatt en anrraoc
le Samt-JosniL le naam m
iBBBiKe ift^ "Ghiib «I h
Mère Céeiie ae SaifiiB-^iiciHx: neiigseBiK
tarent domiâea pour ^ ;iMiiii^a j^
lettre: cciiL
iC HXVEBHTID
41 :^«« *
40 Dî€8 rar elle a awieti» -éÈé m la ssBimiEe co: ^sfie ai
vy.r les amalVEUcâ ie -*â:;:& ârin^ xsnnîtxiKL TnBSfxeUe
<» fiY* » f!*Kr^ imafiisssiaiHiifsrc. ITnr un» »fe qse
y^vw hnrîêsf ^^afis^î»»}^ î* *asL oi vn» &»: s^iat. oeo
<#éi^ dbftr F99f«f. MI pênes fi^
Hmum éâÊÊÊ la trfakaiflMlde vuksité Ae Diea.
DE LA MERE MARIE DE L INCARNATION. 4^9
La révérende Mère de Sainte- Catherine de Sienne,
supérieure des Ursulines de Saint-Denis, me mande
que ni elle» ni ses bonnes sœurs n*ont pas encore perdu
Tespérance dexécuter leur dessein pour la Martinique.
Je prie Dieu qu*il réussisse si c est pour sa gloire : pour
pous, nous nous contentons de notre pauvre Canada,
qm se multiplie beaucoup. Pour cela nous demandons
des religieuses en France pour nous aider, quoique
xi0!;is soyions déjà vingt-deux. Votre Révérence appren-
dra, par la Relation, les admirables progrès de la foi
par les travaux excessifs et par le zèle incomparable
de vos Pères, Les révérends Pères Récollets sont un
nouveau secours au pays pour les Français seulement,
mais Qon pas pour les missions, où Tesprit de leur
Ordre ne les porte pas tant.
Quant à la Mère de Saint- Augustin , de la vie de
laquelle vous me demandez mon sentiment, je vous
dirai entre vous et moi que je ne suis pas trop savante
en ses affaires. Je sais seulement quà son extérieur
elle était dans la vie commune, comme une bonne
religieuse doit être. Lorsqu'elle était en santé (car elle
était presque toujours malade) elle était une fidèle
ol;)servatrice de ses Règles. Mais depuis que j*ai su les
étranges tentations et les pwsécutions atroces que les
démons lui avaient suscitées jour et nuit Tespace de
seizp ans, j*ai cru que c'était là sa plus grande maladie :
je rappelle grande, parce qu'elle était tellement atténuée,
qa*elle n*avait que la peau collée sur les os. Je Tai vue
en quelque occasion, et j'attribuais cet état de langueur
et d'abattement à sa maladie, comme aussi sa supérieure
et sa Communauté, qui n'avaient nulle connaissance,
non plus que moi, de ses dispositions intérieures. Ce
qve Ton en couna^^ait était par quelques marques
460 LETTRES
extérienreB, car elle était très-cbarifable aax malades
de l'hôpital, les aidant spirituel le ment et corporellemeDt
d'noe manière admirable , ce qai la faisait aimer et
estimer de toas ceux qui la voyaient agir. Ce qui
augmentait encore l'estime qu'on en avait an dehon,
c'est la charité qu'elle avait exercée l'espace de deux
ans envers une fille possédée on obsédée, que Mgr notre
Prélat Ini avait mise entre les mains, car elle passait
les jours et les nuits auprès d'elle à combattre le déouHi
qui la tourmentait, jusqu'à ce qu'enfin elle fut délivrée
par l'intercession du révérend Père de Brébeuf, comme
cette même fille m'en a assurée. Ce même révérend
Père a beaucoup aidé cette bonne Mère, et l'on dit
qu'il lui apparaissait souvent. M. de Laoson Tn'a dit
qu'elle avait retenu plusieurs œntaines de démon
qui attendaient l'âme d'une personne considérable de
Québec à la sortie de son corps, afin de l'emporter dans
l'enrer; mais qu'elle pria tant pour la personne malade,
que l'on eut sujet de croire qu'elle était morte dans la
voie de son salut. J'ai entendu de Mgr notre Prélat
que cette bonne Mère était l'âme la plus sainte qu'il eôt
connue; il en pouvait parler comme savant (avec con-
naissance), car c'est lui qui la dirigeait dans ces cboset
âxtraordioaires. Mais le Père Cbastelain en sait plas
qu'aDOon autre, parce qu'il était son Père spirituel,
et elle tni déclarait entièrement les secrets de son cœur.
Comme on ne savait pas ce qui se passait en son âme,
quelques personnes pourraient avoir la pensée qu'elle
était obsédée, et que les démons lui en Tonlaient, parce
qu'elle les avait étrangement persécutés lorsqu'elle gar-
k dait cette pauvre fille, qu'ils voulaient perdre d'honnear
, par le moyen d'un magicien qui se rendait invisible i
tout autre qu'à elle- La révérende Mère Agnès de Saint-
DE i.A MRRK MaRIB DE L INCARNATION. 461
Paul accompagnait cette Mère dans ces naits si pénibles,
et quelquefois elles étaient obligées de coudre cette fille
dans un sac pour la mettre à couvert des importunités
pressantes de ce magicien ; ce que je vous dis, je le dis
assurément (avec assurance), car je l'ai appris d'elles-
mêmes/
De vous dire mon sentiment sur des matières si
extraordinaires, ainsi que vous le désirez, je ne le puis,
et je vous supplie de m'en dispenser, voyant que des
personnes de science et de vertu y suspendent leur
jugement, et demeurent dans le doute, n'osant pas se
fier à de^ visions extraordinaires de cette qualité. Le
révérend Père Ragueneau y est savant (sait ce qui
en est) et la tient pour bienheureuse, parce qu'elle a
toujours été fidèle dans ses devoirs, et qu'elle n'a jamais
cédé au démon, sur lequel elle a toujours été victorieuse.
J'estime que cette fidélité dans ses obligations et dans
ses combats la rende grande dans le ciel, et je m'y
appuie plus volontiers que sur les visions que j'en
entends dire. Et ce qui a encore étonné les personnes
de vertu et d'expérience, c'est qu'elle n'a jamais dit un
mot de sa conduite à sa supérieure, qui est une personne
trôs-éclairée, d'une grande expérience et d'une singu-
lière vertu.*
Mais je viens à moi-même, mon très-cber Père ; que
vous dirai-je de cette pauvre pécheresse qui est toujours
telle que vous l'avez connue? je puis vous assurer que
dans mon estimative (appréciation), je me trouve rem-
plie de défauts qui n'ont point de pareils. Ce sont de
(1) Voir la note ci-dessas, p. 378.
(2) Plua loin, dans la Lettre CCXVII, la vénérable Mère explique et jnttifle
la réserve de la Mère de Saint- Augastin à l'égard de sa supérieare.
46S LETTRES
certaines vertus qui me manquent dans nm eondniie
intérieure pour arriver au point où Dieu me v^t; je
me vois dans l'impuissance de m'élever dans des pra-
tiques qui me sont obscures, et que je ne connais quasi
ipoint; et je me sens dans une pauvreté qui m'anéantit
sous son poids, aux pieds de sa divine Majesté.
Avec tout cela Dieu fait compatir avec cet état celai
d*union qui me tient liée à sa divine Majesté de|mik
plusieurs années, sans en sortir un seul moment. Si les
affaires, soit nécessaires, soit indifférentes, font passer
quelques objets dans Timagination, ce ne sont qoe de
petits nuages semblables à ceux qui passent sous Id
soleil, et qui n'en ôtent la vue que potir quelque pletit
moment j le laissant aussitôt en son même jour. Et
encore, durant cçt espace. Dieu luit au fond de Tâme,
qui est comme dans Fattente, ainsi qu'une personoe^
qu'on interrompt lorsqu'elle parle à une autre ; et qoi
a néanmoins la vue de celui à qui elle parlait. Elle est
comme l'attendant en silence^ puis elle retourne dans
son intime union. Soit qu'elle se trouve à la psalndodie,
soit qu'elle examine ses fautes et ses actions, ou qu'elle
fasse quoique ce soit, tout va d'un même air, cest-
à-dire que l'âme n'interrompt point son amour actuel.
Voilà un petit crayon de la disposition où cette âme
demeure par état; et c'est sa grâce prédominante. Les
effets de cet état sont la paix de cœur dans les événe-
ments des choses, et à ne vouloir que ce que Dieu veut
dans tous les effets de sa divine Providence, qui anîvent
de moment en moment; l'âme y expérimente la véritable
pauvreté d'esprit ; elle y possède tous les mystères, mais
par une seule et simple vue, car d y faire des réflexions,
cela lui est impossible. La pensée des anges et des ssànU
ne peut être que passagère, car un moment et sans y
DE LA MÈRE MARIE DE l'IN CARNATION . 463
penser elle oublie toai, pour demeurer dans ce fond où
elle est perdue sans aucune opération des sens intë^
rieurs. Les sens extérieurs ne font rien non plus dans
ce commerce intérieur. L'âme est capable de toutes
affaires extérieures, car l'intérieure opération de Dieu
la laisse agir avec liberté. Il n'y a point de visions ni
d'imaginations dans cet état : ce que vous savez qui
m'est arrivé autrefois n'était qu'en vue du Canada; tout
le reste est dans la pureté de la foi (dans la foi pure et
Due), oti pourtant l'on a une expérience de Dieu d'une
façon admirable. Voilà ce que je puis vous dire; et je
vous le dis, parce que vous le voulez; mais le secret,
3*11 vous plaît, et brûlez ce papier, je vous en supplie.
Priez pour moi qui mérite l'oubli de toutes les saintes
âmes.
De Québec, le 17 de septembre 1670.
LETTRE CCX.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE SAINT-DENIS EN FRANCE.
{La Mère Marie de Sainte-Catherine.)
Slle coDtinae de l'exhorter à la Mission de la Martinique. — Les Ursulines de
Québec ont le désir d'y aller. — Nouvelle élection d'une nouvelle supérieure
•n Canada.
Ma révérende et très-chère Mère,
J'avais la pensée que l'accident arrivé l'année der-
nière à la Martinique aurait rompu votre dessein, ou
464 LBTTRB8
an moins qu'il Taurait fort retardé. Une personne de
qualité de France m*en avait parlé de la sorte dans une
lettre qu'elle m'avait fait Thonneur de m'éerire. Msii,
mon aimable Mère, la vôtre m'a donné une nouvelle
joie et une nouvelle espérance, et tout ensemble on
nouveau motif de bénir la divine Majesté des moyeni
qu'elle vous présente d'exécuter ce que vous aves ri
saintement résolu pour sa gloire et pour le salut des
âmes. Les personnes d'honneur, de piété et d'autorité
qui vous appuyent, vous feront jouir du bien qui
semblait être perdu. Que je sais bon gré à vos géné-
reuses filles de ne craindre ni la mer ni les ouragans!
Je me sens unie à elles dans la générosité de cœur
qu'elles font paraître, et je les embrasse en esprit en
celui de notre tout aimable Jâsus ; je crois, ima toute
chère Mère, que vous le voulez bien. Si l'on en voulait
croire nos sœurs canadiennes elles seraient de la partie
et suivraient volontiers les ouvriers de l'Evangile ;
mais il faut qu'elles se contentent de nos chères sémi-
naristes, dont nous avons à présent une belle troupe
que nous élevons à la française.
Si vous allez à la Martinique ce vous fera un grand
avantage, que nous n'avons pas eu ici, de n'avoir point
d'autre langue à étudier que le baragouin des nègres,
que l'on sait dès qu'on l'a entendu parler. Si Dieu
y appellait des Ursulines de Canada il ne leur serait
l)as bien difScile d'y aller, à présent qu*il y a commerce
entre les marchands de Québec et ceux de TAmérique ;
et actuellement voilà trois vaisseaux qui partent de
notre port pour y aller; mais ma très-chère Mère, il
faut nous contenter de notre petite mission canadienne^
et vous laisser tout Tbonneur de celle que vous allez
entreprendre pour la gloire de Celui qui vous y appelle.
DE LA MËRE MARIE DE l'iNCARNATION. 465
Nous lui en recommanderons le succès de très-bon
cœur, je vous en assure; et que notre Communauté
8*e8time heureuse d*être unie avec la vôtre.
Nous avons fait nos élections au mois de mars
4
dernier. Notre révérende, Mère de Saint- Athanase a été
élue en ma place, et nous n'avons fait que changer
d'ofl3ce elle et moi. Elle a le mien et j'ai le sien : mais
elle s'est acquittée de celui qu'elle a. laissé, beaucoup
mieux que moi qui l'exerce; et elle s'acquittera beau-
coup plus dignement de celui qu'elle a, que moi qui
l'ai quitté.
Nous demandons cette année en France quelques
religieuses pour nous aider à élever nos filles cana-
diennes, et aussi pour nous succéder dans la charge ;
car nous sommes trois ou quatre fort âgées, qui pou-
vons manquer tout dun coup, et il est de la prudence
d*aller au devant et de ne point laisser la maison
dépourvue de personnes de conduite. Nous demandons
à cet effet des filles capables, de bonne santé, de bonne
volonté, et de vingt-quatre à trente ans, afin qu'elles
s'accoutument à notre vie et aux petits travaux d'un
pays qui ne ressemble pas encore à la France, et qui
n'en approchera de longtemps : pour nous qui y som-
mes faites, nous n'y trouvons point de différence.
Quant aux personnes, nous ne jetons les yeux nulle
part, car c'est le révérend Père Ragueneau qui a main-
levée de Mgr notre Prélat pour choisir les sujets qu'il
jugera- nous être propres. Je ne sais sur qui tombera
le sort, mais je prie la divine bonté d'en vouloir elle-
même faire le choix .
Si ma révérende Mère votre bonne sœur meurt en
France, Dieu ne laissera pas d'avoir agréable son
sacrifice, comme il a fait de celui d'un bon Père Jésuite
LBTTR. II. II. 30
466 LETTRES
qui est venu consommer le sien au port ; oar.il avait
tant fatigué à assister les malades de son vaisseau,
qu*il en est mort proche de Québec avant que d*y met-
tre le pied. Je crois que notre révérende Mère vous
mande dés nouvelles de notre Communauté. Permettes-
moi, ma révérende Mère, de saluer la vôtre sainte, et
vous en particulier, que j'embrasse dans Tanion de
notre bon Jâsus.
De Québec, le 18 de septembre 1670.^
LETTRE CCXl.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULTNES DE MONS.
Elle la prie de vouloir bien seconder des démarches que Ton faisait, pour obtenir
de quelque Communauté d'Ursulines de Flandre des religieuses qui Toodraieat
se joindre à celles de Québec.
Ma révérende et très-chère Mère,
Depuis la lettre que je me suis donné la consolation
de vous écrire par Tentremise de M. Talon, intendant
de la Nouvelle-France, on a pris la résolution de
demander des religieuses pour venir nous aider à servir
Notre-Seigneur dans la personne de nos chères filles
canadiennes; je vous en ai déjà fait quelque ouverture
par ma précédente, Ton jette les yeu?c sur celles de vos
quartiers, que nous voulons préférer à plusieurs autres
de France qui nous pressent de les appeler, mais le
révérend Père Crépieul nous a montré tant d'estime
DR LA MÈRE MARIB DE L'INCARN ATION . 467
pour les vôtres, que cela nous a gagné le cœur. Il a vu
celles auxquelles Dieu a donné vocation pour ce dessein,
il nous en a fait grande estime, comme de la sainte
Communauté où elles sont ; si cela peut réussir je vous
supplie, ma très- chère Mère, de contribuer à cette bonne
œuvre, et vous nous obligerez, en assurant la révérende
Mère prieure d*où seront ces bonnes religieuses que
nous chérirons ses filles, et que nous en ferons nos plus
affectionnées Sœurs; elles, partageront avec nous les
biens et les travaux qui se rencontrent en cette nou-
velle Eglise, que nous estimons infiniment plus que
toutes les délices 'de l'Europe. Ce petit mot est écrit
à la hâte, parce que le navire va partir. Je vous
embrasse un million de fois et vous suis et à votre
sainte Communauté,
• Ma révérende et très-chère Mère»
Très-humble et très- obéissante servante.
Sœur Marie de rtncarnation, R. V. I.
Ursulines de Québec, 2i de septembre 1670.
46» LETTRES
LETTRE CCXII.
A MONSEIGNEUR L*ARCHBV£QtJE DE TOURS
Elle loi fait connaître les diipoiitions particulièrea, l'état de ton monaatAfe
et celai de toat le paya.
Monseigneur,
Votre trôs-»ainte bénédiction.
J ai appris de nos Mères de Tours que Votre Gran-
deur nous honore encore de son souvenir, et qu'apràs
un éioignement de tant d'années elle a encore la bonté
de s'informer de nos dispositions. Cette nouvelle nous
a toutes comblées de joie, surtout la Mère Anne de
Notre-Dame et moi, qui avons l'honneur de vous appar-
tenir par un droit plus particulier, puisque nous som-
mes vos véritables filles, et que les autres ne le sont
que par leurs obéissances et leurs respects. C'est, Mon-
seigneur, ce qui m'oblige de vous en rendre mes très-
humbles et très - respectueux remerciements, et me
donne une occasion favorable de renouveler à vos pieds
mes vœux et mes soumissions.
Votre Grandeur désire que je lui rende compte de
mes emploisi de la disposition de notre séminaire et de
l'état de tout le pays. Il est juste que j'obéisse aux désirs
d'un si bon Père, qui témoigne tant d'amour et tant de
soin pour fcs très-humbles filles. Pour ce qui me regarde
en particuliQrtjeBois par la grâce de Notre-Seigneur
* it
%
DB LA MËRB MARIB DB L*INGARNATION. 469
hors de la charge de supérieure, et Ton a jugé à propos
de me donner celle d'assistante, et le soin d'élever les
jeunes professes et les novices de cette maison. Je
m'acquitte de l'un et de l'autre autant que mon âge et
mes infirmités le peuvent permettre, c'est-à-dire assez
faiblement.
Pour notre Communauté, elle est composée de vingt-
deux religieuses; notre séminaire est rempli de filles
françaises et de sauvages ; c'est la Mère Anne de Notre-
Dame qui a le soin de ces dernières, dont elle s'acquitte
avec succès. Nous nous estimons heureuses, elle et
moi, de nous voir si avantageusement occupées dans
les emplois de notre institut ; et je puis assurer Votre
Grandeur que nous ne pouvons être plus contentes.
L'on a eu quelque dessein de nous établir à Montréal ;
mais l'affaire a été retardée pour quelque temps; et
M. l'abbé de Queylus qui en est le seigneur spirituel
et temporel pour MM. de Saint-Sulpice, nous promet
sa protection lorsque les choses seront en état. Nous ne
sommes pas marries de ce retardement, parce que nous
t
ne sommes pas encore assez fortes pour entreprendre
un établissement de cette conséquence. Mgr notre digne
•
Prélat, qui ne fait rien qu'avec prudence, est aussi de
ce sentiment.
Quant au commun du pays, je vous dirai, Monsei-
gneur, que cette nouvelle Eglise fait tous les jours
de nouveaux progrès -par le grand zèle et par les fati-
gues continuelles des révérends Pères Jésuites, qui sont
répandus dans tous les endroits de cette Amérique
Septentrionale. La colonie française s'augmente aussi
tous les jours, et ces grands bois qui n'étaient habités
que de bêtes sauvages commencent à se peupler de
chrétiens. Cette grande multiplication dhommes et de
470 LBTTRBB
fidèles augmente aussi nos charges et notre travail.
Nous avons été obligées d'accroître nos classes, et
Mgr notre Prélat a pris la peine d'écrire çn France
qu'on nous envoie deux religieuses pour nous donner
du secours. Nous ne savons encore d'oti elles seront
tirées « parce que de plusieurs maisons de France,
même de notre Congrégation il y en a qui prétendent.
Il a un grand vicaire en France à qui il a donné la
commission d'examiner les aspirantes et d'en faire le
choix. Voilà, Monseigneur, l'état présent de cette aou-
velle Eglise, de votre petit séminaire de Canada et de
vos très*humbles filles, desquelles sans doute je suis
la moindre; qui ose néanmoins me recommander à vos
saints sacrifices , afin qu'il plaise à la divine bonté
de me rendre un instrument digne d'accomplir ses
volontés. Je supplie Votre Grandeur de conserver tou-
jours en mon endroit les sentiments d'un charitable
Père, comme je conserverai toujours à votre égard les
respects d'une très-humble et très-obéissante fille et
servante en Notre-Seigneur.
De Québec, le 25 de septembre 1670.
DB LA MÈRE MARIE DB L'INCARNATION. 471
LETTRE CCXIII.
A SON FILS.
Quand Dieu dous engage dans les emplois, il faut les aimer, non parce qu'ils
sont âclatanls, mais parce qu'ils sont dans Tordre de sa Tolonté. -— Son
humilité profoùde, son union intime, son commerce familier et continuel avec
Dieu. — Qualités de cette union et de ce commerce. — La simplicité de son
oraison. — Perte de son Ame en Dieu. — Explication de son vœu de plus
grande perfection.
Mon très-clfier et bien-aimë fils,
Voici la réponse à votre lettre du 25 avril 1670, que
j*ai lue avec une joie toute particulière, y voyant les
aimables conduites de Dieu sur vous et sur moi, pour
lesquelles je le louerai éternellement. Vous m'avez
obligée de me dire (fait plaisir en me disant) les progrès
de votre saint Ordre, que j*aime et honore à un point
que je ne puis dire. Je ne le regarde et n'y pense qu'avec
respect et vénération ; et les louanges que je rends à la
divine Bonté sont continuelles de ce qu'elle vous y ait
appelé. J'y vois toutes vos coutumes et vos conduites,
et je n'y trouve rien que de saint.
Ne me dites donc plus que vous aimeriez mieux la
solitude et la vie retirée que les charges et les emplois.
Ne les aimez pas parce qu'ils sont éclatants, mais parce
qu'ils sont dans l'ordre de la volonté de Dieu. 11 est
pourtant bon que vous ayez la vue de vos imperfections,
de vos incapacités, de votre insufSsance : c'est Dieu
472 ' LETTRES
qui opère en vous ces sentiments et qui vous tient dans
un état d'humiliation à vos yeux, pour vous sanôtifier
dans des emplois où se perdent ceux qui présument de
leurs propres forces.
Je vous dirai avec simplicité, mon très cher fils, que
Dieu tient sur moi la même conduite quil tient sur
vous. Je me vois remplie de tant d'infidélités et de
misères, et j'en suis si souvent anéantie devant Dieu
et si petite à mes yeux (pour ce dernier il m'est conti-
nuel), que je ne sais comment y apporter remède, parce
que je vois mes impecfections dans une obscurité qui
n'a point d'entrée ni d'issue. Me voilà à la fin de ma
vie, et je ne fais rien qui soit digne d'une âme qui doit
bientôt comparaître devant son Juge. Cependant, toute
imparfaite que je suis, et pour anéantie que je sois en
sa présence, je me vois perdue par état (manière d'être
habituelle) dans sa divine Majesté, qui depuis plusieurs
années me tient avec elle dans un commerce, dans une
liaison, dans une union et dans une privauté que je ne
puis expliquer. C'est une espèce de pauvreté d'esprit qui
ne me permet pas même de m'entretenir avec les anges,
ni des délices des bienheureux, ni des mystères de la foi.
Je veux quelquefois me distraire moi-même de mon
fond pour nl'y arrêter et m'égayer dans leurs beautés
comme dans des choses que j'aime beaucoup ; mais
aussitôt je les oublie, et l'esprit qui me conduit me
remet plus intimement dans Celui où je me perds, et
qui me plaît plus que toutes choses. J'y vois ses amabi-
lités, sa majesté, ses grandeurs, ses pouvoirs, sans
néanmoins aucun acte de raisonnement ou de recher-
che, mais en un moment qui dure toujours.
Je veux dire ce que je ne puis exprimer, et ne le
pouvant exprimer, je ne sais si je le dis comme il faut.
DB LA MfiRB BftARIB DB L'INCARNATION. 473
L'âme porte dans ce fond des trésors immenses et qui
n*ont point de bornes. Il n'y a rien de matériel, maïs
nne foi toute pure et toute Aue qui dit des choses
infinies. L'imagination, qui n'a nulle part à cet état,
cherche à se repaître et voltige çà et là pour trouver
sa nourriture; mais cela ne fait rien à ce fond, elle
n*y peut arriver, et son opération se dissipe sans passer
plus avant. Ce sont pourtant des attaques qui, pour être
faibles et passagères, ne laissent pas d'âtre importunes
et des sujets de patience et d^humiUation. Dans cet état,
les sens, soit intérieurs, soit extérieurs, n'ont point de
part, non plus que le discours de l'entendement ; toutes
leurs opérations se perdent et s'anéantissent dans ce
fond, où Dieu mênie agit et où son divin esprit opère.
La foi fait tout voir indépendamment des puissances.
L*on n'a nulle peine en cette disposition intérieure de
suivre les exercices de la Communauté; les affaires
temporelles ne nuisent point parce qu'on les fait avec
paix et tranquillité, ce qui ne . peut se faire lorsque
le sens agit encore.
Par le peu que je viens de vous dire vous pouvez voir
l'état présent de la conduite de Dieu sur moi. Il me
serait bien difficile de m'étendre beaucoup pour rendre
compte de mon oraison et de ma disposition intérieure,
parce que ce que Dieu me donne est si simple et si
dégagé des sens, qu'en deux ou trois mots j'ai tout dit.
Ci-devant je ne pouvais rien faire dans mon oraison,
sinon de dire dans ce fond intérieur par forme de
respir : Mon Dieu, mon Dieu, mon grand Dieu, ma
vie, mon tout, mqn amour, ma gloire! Aujourd'hui
je' dis bien la même chose, ou plutôt je respire de même;
mais, de plus, mon âme proférant ces paroles très-
simples et ces respirs très-intimes, elle expérimente
474 LETTRES
la plénitude de lear signification; et ce qae je fais
dans mon oraison actuelle, je le fais tout le jour, à mon
coucher, à nion lever et partout ailleurs. Cela fait que
je ne puis entreprendre des exercices par ûHëthode» toai
8*en allant à la conduite intérieure de Dieu sur moi.
Je prends seulement un petit quart d'heure le soir pour
présenter le Cœur du Fils de Dieu à son Père pour cette
nouvelle Eglise, pour les ouvriers de l'Evangile, poor
vous et pour mes amis. Je m'adresse ensuite à la sainte
Vierge, puis à la sainte famille, et tout cela se fait par
des aspirations simples et courtes. La psalmodie, qui
est un exercice réglé, ne m'incommode point, mais
plutôt elle mcHsoulage. Je suis et pratique encore sans
peine les autres exercices de la régularité, et tant s'en
faut que mon occupation intérieure m'en détourne, qn*au
contraire il me semble que tout mon intérieur se porte
à les garder parfaitement. Mais je m'arrête trop à moi-
même, mon très-cher fils, revenons à ce qui vous touche.
Prenez votre plaisir dans les emplois que Dieu vous
donne, vous y trouverez votre sanctification, et Dieu
aura soin de vous partout. Soyez élevé, soyez abaissé,
pourvu que vous soyez humble vous serez heureux et
toujours bien. Je comprends les emplois de votre charge
et toutes ses dépendances; je n'y vois rien qui ne soit
saint, et qui par conséquent ne soit capable de vous
sanctifier.
Pourquoi me demandez^vous pardon de ce que vous
appelez saillies de jeunesse : il fallait que tout se passât
de la sorte, et que les suites nous donnassent de véri-
tables sujets de bénir Dieu. Pour vous parler franche-
ment, j*ai eu des sentiments de contrition de vous avoir
tant fait de mal, depuis même que je suis en Canada.
Avant que Dieu vous eût appelé en Religion je me suis
DE •la mêrr marie DE l'incarnation. 475
-tronTée en des détresses si extrêmes par la crainte que
j'avais que mon éloignement n'aboutît à votre perte,
et que mes parents et mes amis ne vous abandonnas^*
sent, que j'avais peine de vivre. Une fois le diable me
donna une forte tentation que c'en était fait, par de
certains accidents dont il remplit mon imaginjation t
je croyais que tout cela était véritable, en sorte que
je fus contrainte de sortir de la maison pour me retirer
à récart. Je pensais alors mourir de douleur; mon
recours néanmoins fut à celui qui mavait promis ^
d'avoir soin de vous. Peu après, j'appris votre retraite
du monde dans la sacrée Religion, ce qui me fit comme
ressusciter de la mort à la vie. Admirez la bonté de
Dieu, mon très-cher fils ; il me donne les mêmes impres-
sions qu'à vous touchant les grâces qu'il m*a faites.
Je me vois cfontinuellement comme étant par miséri-
corde dans la maison de Dieu. Il me semble que j'y suis
inutile; que je ne sais rien et que je ne fais rien qui
vaille en comparaison de mes sœurs; que je suis la plus
ignorante du monde; et quoique j'enseigne les autres,
qu'elles en savent plus que moi. Je n'ai, grâce à Notre-
Seigneur, ni pensées de vanité ni de bonne estime de
moi-même : si mon imagination s'en veut former à cause
de quelque petite apparence de bien, la vue de ma '
pauvreté l'étoufie. aussitôt. Admirons donc ta bonté
de Dieu de nous avoir donné des sentiments si sem-
blables; je le remarque en tout ce que vous me dites
par votre lettre.
Quand au vœu de la plus grande gloire de Dieu, vous
avez les mêmes difficultés qu'avait sainte Thérèse. Celui
qu'elle avait fait était général et sans restriction, ce
qui la jetait dans de fréquents scrupules. Cela obligea
son directeur, qui n'en avait pas moins qu'elle, de lui
476 LETTRES
en écrire une formule que je vous envoie, et à laquelle
le révérend Père Lallemant a jugé à propos que je
me tienne. Je l'avais aussi fait général, savoir de faire
et de souffrir tout ce que je verrais être à la plus grande
gloire de Dieu et de plus grande perfection : comme
aussi dj9 cesser de faire et de souffrir ce que je verrais
y être contraire; j'entendais le même de la pensée. J'ai
continué l'usage de ce vœu ainsi conçu plusieurs années,
et je m'en trouvais bien ; mais depuis que ce révérend
Père eut vu cette formule dans les chroniques du Mont-
Carmel, il désira que je la suivisse. Vous voyez par là,
qu'il faut avoir de la direction dans la pratique de ce
vœu, qui n'est pas si étendu, dans la formule que je vous
envoie, que dans les sentiments que vous en avez. Voici
cette formule :
Vœu de la plus grande perfection ou de la plus grande gloire de Oieu réduit en
pratique, et donné à sainte Thérèse pour l'exempter de tout scrupule, elle et
ses confesseurs.
Promettre à Dieu daccomplir tout ce que votre
confesseur, après lavoir (que vous laurez) interrogé
en confession, vous répondra et déterminera que cest
le plus parfait; (de manière que) que vous soyez alors
obligée de lui obéir et de le suivre (suivre sa décision) :
mais cette obligation doit supposer trois conditions :
La première, que votre confesseur soit informé de ce
vœu, et qu'il sache que vous lavez fait. La seconde que
ce soit vous-même qui lui proposiez les choses qui vous
sembleront être de plus grande perfection, et que vous
lui en demandiez son sentiment, lequel vous servira
d'ordonnance (de règle.) La troisième, qu'en effet la chose
qui vous sera spécifiée soit pour vous de plus grande
DE LA MËRB MARIB DB L'iN CARNATION. 477
•
perfection.^ Alors ce vœa, qui sera ainsi conditionné,
▼ous obligera fort raisonnablement, au lieu que celui
que vous aviez fait auparavant par un excès de ferveur,
supposait une trop grande délicatesse de conscience,
et vous exposait aussi bien que vos confesseurs à
beaucoup de troubles et de scrupules.
Voilà, mon très-cher fils, le vœu général modéré et
restreint par la formule; mais de quelque manière que
vous Je preniez, je vois bien qu'il vous causerait de
rinquiétude, ainsi je ne vous conseillerais pas de le
faire. Il y faut suivre les mouvements intérieurs avec
ane grande fidélité, et vous pourriez vous jeter dans les
excès et extrémités que vous dites.
De Québec, le 25 de septembre 1670.
LETTRE CCXIV.
A^ LA SUPÉKIBURB DBS URSULINBS DE DIJON.
Vùm loi parle de la découverte des nations les plus éloignées du côté du nord.
-* Ma révérende et très- chère Mère,
Nous avons ressenti TefiFet de vos prières dans le
iuocès de nos élections que nous ^mes le 12 de mars^
. dernier. Ma révérende Mère de Sainte-Âthanase y fut
•
(1) Il est clair que c'est au confesseur à juger et à décider si la chose en
qttêBiîon est réellement, pour le i>énitent, de plus grande perfection. Par consé-
j0Bt*h ^^ troisième condition est renfermée dads la seconde pour le pénitent ;
j^ik 0i^ satHistitMtté pour le confesseur.
478 LRTTRR8
*
élue en ma place, et les aufre^ officières ensuite.
Mgr notre Prélat ayant désiré que les élections se
fissent à la grille, le tout fut fait en moins d'une heure,
y comprenant même le temps de la Messe. Par où voos
voyez, ma très-chère Mère, l'union que la bonté divine
donne à notre Communauté.
Dieu bénit de plus en plus les travaux des ouvriers
m
de l'Evangile. Outre cette nation, dont je vous parlais
l'année dernière, le révérend Père Allouez a été. près
de la mer du Nord, où il en a découvert une autre bidD
plus nombreuse, qui n'avait jamais vu d'européens.
Ils furent si ravis de le voir que, tous courbés et les
* mains jointes , ils venaient au-devant de lui en lai
disant : Bon Manitou, qui est un nom tout divin en leur
langue. On ne peut rien voir de plus docile que ces
peuples, et c'est une miséricorde de Dieu bien grande
de voir des barbares cachés dans les extrémités de la
terre, qui ne pensaient point à lui, recevoir par le
ministère de ses serviteurs la lumière qui seule les peut
éclairer dans le chemin du ciel.
L'on a su qu'à dix journées au delà de ceux-ci, il y a
un pays où il fait* six mois de nuit, savoir trois mois
de nuit toute noire et sans aucun jour, et trois mois d'an
jour sombre comme le crépuscule. Le pays est habité,
quoique presque toujours couvert de neige très-pro-
fonde, et il n'y a qu'un petit intervalle de temps où l'on
voit la terre. Il n'y a pas un seul arbre, et les prairies
n'ont pas l'herbe plus longue que le doigt. Les habitants
vivent de cerfs, de castors et d'ânes sauvages; et comme
ils n'ont point de bois, ils font du feu avec les os, les
peaux et le poil des bêtes qu'ils tuent. On cherche les
moyens de les aborder, pour tâcher, de demi- bêtes qu'ils
sont, den faire des enfants de Dieu. Cest une entre-
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 479
prise, ma très-chère Mère, digne d*être recommandée
à vos ferveurs et à celles de votre sainte Communauté.
L'on a encore découvert d'autres nations, qui sontcom*
posées de diverses langues et peuples ramassés en ces
lieux-là. Il y a plus de quarante Pères de la Compagnie
qui vont de tous côtés, et qui ne font autre chose que
dé chercher des âmes égarées pour les gagner à Dieu.
Vous seriez consolée de voir combien ils souffrent de
travaux dans cette recherche et dans leurs courses.
Pour ce qui regarde notre Séminaii'e, nous avons des
filles sauvages de quatre nations, qui nous donnent une
singulière consolation par leur docilité. Ce sont les
délices de nos cœurs, qui nous font trouver dans nos
petits travaux des douceurs que nous ne changerions
pas pour des empires. Nous vous avons de très-étroites
obligations, ma très-honorée Mère, et à votre sainte
Communauté, des charités que vous nous faites pour
nous aider à les élever; les misères communes vous
incommodent, je le sais; et c*est ce qui nous rend dou-
blement vos obligées, que votre charitable cœur se
prive de ce qui pourrait vous être nécessaire, afin de
nous assister. Je prie la miséricorde divine, qui voit
▼08 bontés, de vous récompenser au centuple.
De Québec, le 27 de septembre i670.
480 LBTTRB8
LETTRE CCXV.
A SON FILS.
EU e montre par elle-mômâ qu'il faut porter avec patience et résignation le poidi
de la nature corrompue. — Nécessité qu'il y a de confier son &me i un bon
directeur. — Elle le remercie de quelques reliques qu'il lui avait eufoyéei.
Mon très-cher fils,
Vous . ne pouvez rien désirer de pius avantageux
pour vous et pour moi, sinon que nous soyons tout
à Dieu . C*est là mon unique pente, c'est ce que je veux
uniquement, et tout m'est croix hors de ce centre.
Le poids de la nature me nuit, et je ne le porte
qu'avec résignation à la très-sainte volonté de Dieu.
Je parle de la nature corrompue qui n entend point
les lois de Tesprit, et qu'il faut porter avec patience
et humilité.
Ma dernière lettre répond aux choses spirituelles
dont vous m'entretenez; par une autre je vous écris
ce que vous voulez savoir des mœurs et de la police
ancienne do nos sauvages ; et une troisième vous parle
de la personne que \ous savez. Je viens de lui écrire
mes sentiments avec beaucoup d'ouverture et de ten-
dresse de cœur. Je lui remontre le besoin qu'elle a
de se donner tout à Dieu; et pour cet eflfet je l'exhorte
de choisir un directeur sage et expérimenté. C'est par
là qu'elle doit commencer; parce qu'un Père spirituel
DB LA MÈRE MARIE DE L'iNCARNATION. 481
est comme un ange visible que Dieu nous donne pour
nous diriger dans ses voies, et qui fait visiblement
à notre âme ce que fait notre bon ange d'une manière
invisible, de sorte que comme nous serions dans des
périls continuels de nous perdre si notre bon ange
nous abandonnait, ainsi une âme qui n*a point de
directeur peut difficilement éviter les pièges de l'ennemi ;
et quand elle les^ éviterait, je ne puis comprendre qu'elle
puisse faire aucun progrès dans la vie spirituelle.
Celle-ci néanmoins ne peut (se décider à) s'attacher à
aucun, par de certains prétextes qui ne sont que des
ruses de la nature. Elle voit bien que si elle confiait
son âme à quelque homme intérieur il lui faudrait
changer de maximes. Elle a trop pris de celles du
monde, qui lui sont attachées comme poix. Cependant
elle garde la règle, elle suit les exercices, elle se fait
aimer. Elle a un excellent naturel, une belle humeur,
un grand esprit, des talents rares; mais ce fonds de vertu
et de sainteté que nous souhaitons en elle lui man-
iqoe. Elle ne l'aura jamais que par un coup de grâce.
Elle ne s'y dispose pas, c'est ce qui m'afflige. Enfin
je lui dis que son cœur et son esprit n'auront jamais
de repos qu'elle ne soit tout à Dieu. Je l'exhorte forte-
ment de se tenir unia à sa supérieure, et d'être géné-
'rense à quitter les ombrages qu'elle a d'une personne
qui rapproche et de laquelle elle se défie. Elle a raison
en quelque façon, mais il faut que la vertu surmonte
la raison humaine. Le défaut d'expérience ne lui perniet
pas de pénétrer bien avant dans le futur, ni de pré-
venir les inconvénients qui peuvent arriver à ceux
qui n'ont pas jeté des fondements assez solides de vertu.
"^ Il y a des esprits qui, pour ne s'être pas laissé cultiver,
sont si accoutumés à vivre à leur mode, qu'il n'y a
. M. II. 31
482 LETTRES
que la main toute- puissante de Dieu qui les en puisse
tirer. Elles s'imaginent être plus sages que ceux qui
ont droit de les diriger. Celle dont je parie n*aura
jamais de repos; Dieu la fera souffrir par sa façon
même d'agir, jusqu'à ce qu'elle se rende et se sou-
mette à sa divine volonté. Ces beaux talents et ces
grands avantages de nature ne lui serviront que de
croix si elle ne se tourne du côté de Dieu par une
humble soumission d'esprit. Vous dites bien qu'elle ne
laisse pas d'être bonne religieuse, mais elle serait tout
autre si elle prenait l'esprit que Dieu demande d'elle,
et ce serait un grand trésor dans une maison.
Nous avons enfin reçu les saintes reliques qu'on
vous a envoyées de Rome. Mgr notre Prélat, accom-
pagné du révérend Père Lallemant, a fait l'ouverture
de la caisse le jour do saint Augustin. Il s'y est trouvé
trois ossements; le premier large de deux doigts, et
long d'environ six pouces, et les deux autres larges
de deux pouces et longs de quatre. Ce ne sont point
des reliques baptisées, comme l'on dit, mais elles por-
tent les véritables noms de saints martyrs qui ont
souffert. Nous les avons mises dans des châsses, et en
avons fait une grande fête. Nous vous sommes infini-
ment obligées d'un si riche présent, et vous supplions
de nous en procurer de semblables le plus que vous
pourrez par le moyen de vos amis.
De Québec, 1070,
DE LA MËRB MARIB DB l'INGARNATION. 483
LETTRE CCXVI.
A SON FILS.
Bll« répond à quelques demaDdes qu'il lui avait faites touchant la religion,
les mœurs et la police des sauvages.
Mon très-cher fils,
Par cette Lettre je réponds distinctement aux ques-
tions que vous me faites touchant nos sauvages. Ce que
j'y avais oublié, un bon Père y a suppléé, et vous pouvez
vous assurer que tout y est véritable. Vous y verrez les
absurdités des hommes qui n'ont ni la foi, ni même les
lumières naturelles, à cause de la nature corrompue,
qui est toute vivante en eux avant le baptême. Vous
demandez :
1. Si les sauvages, avant que d'avoir vu des Européens, avaient la connaissance
du vrai Dieu ; et quelle connaissance ils en avaient.
Je réponds qu'ils n'en avaient point. Il s'en trouvait
seulement quelques-uns qui, faisant réflexion sur les
mouvements des cieux, sur la disposition des astres,
et sur l'ordre constant des saisons, ont connu par la
raison naturelle qu'il y avait quelque puissant génie,
qui ayant créé toutes ces choses, les gouvernait avec
tant de sagesse. J'en ai connus, qui admirant l'harmonie
des choses qui sont dans la nature, méditaient là-dessus.
484 LETTRES
et disaient : Assurément il y a un auteur de tout ce que
nous voyons dans le monde, car tout cela n'a pu se faire
de soi-même. Dans cette vue, ils priaient celui qui a
tout fait; et ceux qui sont chrétiens ont conservé cette
façon de parler, en sorte que voulant prier Dieu, ils lai
disent : Toi qui as tout fait, etc. Ceux-là, convaincus de
leur raisonnement, l'apostrophaient comme je viens
de dire et lui offraient des présents, comme de la farioe
de blé d'Inde et du petun, qui sont les choses les plus
exquises qu'ils aient. Deux capitaines algonquins, qui
étaient de ce nombre, ayant entendu le révérend Père
Le Jeune, crurent aussitôt et embrassèrent la Foi. Ils
ont été les deux premiers chrétiens, et tous deux nous
donnèrent leurs filles dès le lendemain de notre arrivée
en ce pays. Il y a plusieurs exemples de cela, qui font
voir et admirer la bonté de Dieu.
2. S'ils adoraient quelque divinité, et quel culte ils lui rendaient.
»
Quelques-uns adoraient le soleil et lui offraient des
sacrifices, jetant dans le feu de la graisse d'ours, d'ori-
gnal, et d'autres bêtes, et faisant brûler du petun et de
la farine de blé d'Inde. Il y en avait qui reconnaissaient
un certain Messou qui a réparé le monde. Cette connais-
sance est belle et a bien rapport à la venue du Messie,
qui a été le Réparateur du monde. Mais l'aveuglement
de l'infidélité a obscurci cette belle lumière par une
fable des plus ridicules; parce que les Hurons, qui sont
ceux qui avaient cette connaissance, disaient que ce
Messou avait réparé le monde par le moyen d'un rat
et d'une rate musqués. Quelques autres avaient recours
à certains génies, qu ils disaient présider sur les eaux,
DE LA MËRB MARIE DE L'INCARNATION. 485
•
dans les bois, sur les montagnes, dans les vallées et en
d'autres lieux . Mais tous obéissaient aux songes comme
à une Divinité, observant exactement ce qui leur avait
été représenté dans le sommeil. Si un homme avait
songé qu'il tuait un autre homme, dès qu'il était levé
il Fallait trouver, et le surprenant il le tuait. Ceux qui
n'ont pas la Foi le font encore, parce qu'ils se croient
obligés d'obéir à leurs songes; et ce mal est un des plus
grands obstacles à la Foi. Je viens tout présentement
d'apprendre deux nouvelles qui confirment ce que je
viens de dire, et qui sont capables d'émouvoir les cœurs
de ceux qui sont nés dans le christianisme à rendre
grâces à la divine bonté d'une vocation si précieuse,
si pure et si éloignée de l'erreur. Un sauvage, qui était
bien avant dans les Iroquois, ayant songé qu'il fallait
qu'il tuât sa femme, qui était pour lors à Montréal dans
une bourgade de sauvages où il y a un grand nombre
d'Iroquois, se leva promptement et vint en ce village,
qui est à plus de cent lieues de son pays, pour tuer
cette femme qui est chrétienne. Les Pères ayant appris
la furie de cet homme, la font cacher dans une cabane
fermée. Ce furieux néanmoins y entra tout effaré avec
des chiens qui suivaient la femme à la piste, car ces
animaux sont dressés à cela. On la fait monter au
grenier; les cMens la suivent. Enfin elle se jette à terre,
elle fuit et on la met en la garde des sauvages. Voyez
l'aveuglement de ces peuples infidèles, de faire plus
de cent lieues de chemin pour obéir à un songe. Un
autre songea qu'il fallait qu'il enlevât une fille, et fit
autant de chemin que l'autre pour obéir à son songe.
Elle s'enfuit chez les Pères qui la cachèrent; l'autre
jetait feu et flammes, menaçant de tout tuer si on ne
lui donnait cette fille. Pendant qu'un Père l'entretenait
486 LETTRES
pour l'amuser, on la met dans un canot pour la faire
évader; l'autre court après. On la mène à Chambly,
qui est un des forts du passage des Iroquois ; il la suit
toujours; on la conduit en divers lieux; il n'abandonne
point ses poursuites. Enfin il l'attrape et Tenlôve.
N'est-ce pas là une étrange barbarie ? Ce qui la rend
plus effroyable, ce sont les boissons que les Français
donnent aux sauvages : car quand ceux-ci ont bu une
fois de l'eau-de-vie, outre le songe, ils idolâtrent encore
l'ivresse, et ces deux choses étant jointes ensemble,
on ne peut rien voir de plus féroce : car ils se tuent
les uns les autres, ils se coupent le nez et les oreilles,
et l'on en voit un grand nombre de mutilés; mais
revenons à nos questions.
3. Croyaient-ils à rimmorialité de l'Ame, et supposé qu'ils y cmssent,
ce que l'Ame devenait après la mort?
Ils croyaient à l'immortalité de lame, et l'honneur
qu'ils rendaient aux corps en est une preuve. Ils esti-
maient que les âmes étant séparées des corps s'en
allaient au-delà de la mer, où elles demeuraient en
repos. Pour faire ce voyage, ils leur donnaient un
Viatique, faisant brûler quelques graisses près du tom-
beau du défunt. Ils leur fournissaient même quelques
armes et autres choses nécessaires pour le voyage.
Généralement parlant, tous les peuples de l'Amérique
croient que l'âme est immortelle, et qu'elle s'en va après
la mort au lieu où ïe soleil se couche, .et d'où il ne se
lève jamais. Ils étaient si fort en cette pensée avant
qu'ils eussent vu des Européens, que quand on les
catéchisait et qu'on leur parlait du paradis, ils disaient
DE LA MÈRE MARIE DE LÏNCARN ATION . 487
qu'ils n'y voulaient pas aller, mais au pays des âmes
où allaient leurs parents. Ils croyaient que là elles
vivaient, des âmes des castors, des orignaux et des
autres animaux dont ils avaient mangé les corps durant
leur vie. Cette créance de l'immortalité des âmes leur
sert beaucoup pour leur conversion.
4. S'ils avaient quelque police pour la paix, pour la guerre,
pour le gouvernement.
Oui, ils en avaient. Ils envoient des ambassadeurs
les uns chez les autres pour traiter de paix, mais
souvent ils tuent les ambassadeurs contre le droit des
gens, ris font la guerre en se surprenant les uns les
autres. Ils assiègent quelquefois les bourgs, et les pren-
nent; quelquefois aussi ils lèvent le siège. Ils se battent
peu en bataille rangée. Leur gouvernement n*est pas
absolu; les chefs disposent de la jeunesse par humbles
remontrances, mais ils sont éloquents et persuasifs
pour les gagner.
5. Avaieat-ile quelque connaissance de la création du monde et du déluge,
et quelque écriture qui approchftt de l'Evangile?
Non pas du premier, sinon que par le raisonnement
ils inféraient de l'harmonie du monde qu'il y avait
quelque grand génie qui l'avait fait et qui le conservait
dans un ordre si constant et si réglé, ainsi que j'ai
déjà reniarqué. Pour le second, ils ont leurs fables, qui
ont quelque rapport à ce que l'Ecriture dit du déluge.
Les Âbnakiouois, qui sont des peuples du côté du
}k.
488 LBTTRB8
sud, parlent d'une fille vierge qui enfanta un grand
homme. Ces peuples n'ont pas plus tôt connu les euro-
péens que les autres nations de l'Amérique, et jpartant
la connaissance de cette Vierge Mère est extraordinaire
et surprenante. Il en est de même de ce grand homme
dont elle est Mère, parce que c'est ce Messie, dont j'ai
parlé, que les Hurons disent avoir réparé le monde par
un rat et une rate musqués.
6. De quelle manière conservaient-ils la tradition de leurs histoiree, et de ce qui
était arrivé le temps passé, et s'ils n'avaient point de lettres pour le faire f
Ils conservaient la tradition de leurs histoires par
le récit que les pères en faisaient à leurs enfants et
les anciens aux jeunes gens, car ils n*ont point l'usage
de l'écriture ni d'aucun caractère. Ce défaut d'écriture
est cause que leurs traditions sont mêlées de beaucoup
de fables et d'impertinences, qui grossissent toujours
avec le temps. Ils ne peuvent comprendre comment
par les lettres nous pouvons savoir ce qui se passe
en France et ailleurs. Ils s'affermissent dans la Foi
quand on leur dit que l'écriture nous enseigne nos
mystères. S'ils sont à trois ou quatre cents lieues d'ici, et
que leurs gens qui sont venus ici en traite s'en retour-
nent, portent des lettres aux Pères qui les gouvernent,
ils sont tout extasiés quand ces Pères leur disent tout
ce qu'ils ont fait et dit à Québec. Ils ne peuvent con-
cevoir comme la lettre qu'ils ont portée peut dire de
si grandes vérités, sans jamais se tromper. Cela fait
qu'ils tiennent les Pères pour des manitoux à qui rien
n'est caché ou impossible, et cela sert beaucoup à la foi.
DB LA MBRB MARIB DB L'INCARN ATION . 489
7. De quelles armes ils se servaient en guerre, et avec quels instruments
ils les faisaient.
Ils se servaient de massues de bois, d*arcs et de
flèches, dont la pointe était d*os d'orignal et de caribou,
ou de pierres qu'ils affilaient. Ils en portaient un vais-
seau derrière le dos quand ils allaient en guerre.
8. De quelle manière ils vivaient, n'ayant point d'ustensiles de cuisine, ni l'usage
du feu ; ou s'ils avaient du feu, comment ils le conservaient.
Ils se servaient de plats d'écorce très-bien faits. Avant
qu'ils eussent commerce avec les européens ils avaient
l'usage du feu par le moyen -des pierres, dont ils ne
manquaient pas. Et pour faire cuire leur viande, on
ils la rôtissaient au feu, ou ils la faisaient bouillir dans
de grands plats d'écorce qu'ils remplissaient d'eau, puis
faisant chauffer jusqu'à rougir un grand nombre de
pierres, ils les mettaient dedans pour échauffer l'eau
et la faire bouillir jusqu'à ce que la viande fut cuite.
Pour faire rôtir les chairs, ils font des cordes d'écorce
de bois tendre; ils y attachent la viande et la suspendent,
puis ils la tournent et virent devant le feu jusqu'à ce
qu'elle soit rôtie. Ils font aussi du fil d'ortie, qu'ils filent
"H
sans fuseau, le tordant sur le genou avec la paume
de la main. Ils en font leurs petits ouvrages, qu'ils
ornent avec du poil de porc-épic blanc et noir, le mêlant
avec d'autre bouilli en des racines, qii! le font aussi
beau que la cochenille fait en France l'écarlate.
J'ai fait voir ce que je viens d'écrire à uq de nos
490 LETTRES
révérends Pères fort savant en ces matières, afin de
ne vous rien mander qui ne soit bien assuré : Je vous
l'envoie avec son approbation.
De Québec, le 1670.
LETTRE CCXVIL
AU RÉVÉRKND PERE PONCET, JESUITE.
Elle lui fait le récit de la vocation de madame de la Peltrie au Canada, et des
principales vertus et actions de sa vie. — Explication relativement à ce qu'elle
avait dit dans la Lettre CCIX au sujet de la Mère de Saint- Augustin, Hospi-
talière.
*
Mon révérend Père,
Vous avez prié madame de la Peltrie de vous mander
de certaines choses que j ai bien vu que sa vertu ne lui
permettait pas d'écrire. Je n'ai pas voulu faire de
violence à sa pudeur, mais comme je sais l'histoire, j'ai
mieux aimé dérober quelque peu de temps à mes occu-
pations pour vous en faire moi-même le récit.
Je vous dirai donc que cette dame, après la mort
de M. de la Peltrie, son mari, se porta d'une façon
toute particulière à, la pratique de la vertu. Elle sortit
de sa maison contre le gré de messieurs ses parents,
qui avaient tant d amitié et de tendresse pour elle, qu'à
peine la pouvaient- ils perdre de vue. Elle fut demeurer
à Alençon, où eile ne voulut pas demeurer, chez M. de
Vaubougon son père, pour éviter les sollicitations qu'il
eût pu lui faire de se remarier. Etant ainsi établie à sa
DB LA MÊRK MARIE DE L'INGARN ATION . 491
liberté, elle faisait beaucoup d'actions de charité, logeant
et servant les pauvres, et retirant en sa maison des
filles perdues, pour les retirer des occasions de péché.
Quelque aversion qu'elle eût du mariage, son père ne
laissa pas de lui en parler et de la presser d'y entendre
une seconde fois. Comme elle donnait autant de refus
qu'il faisait d'instances, il lui défendit l'entrée de sa
maison et lui dit qu'il ne la voulait jamais voir. Ce
traitement l'obligea de se retirer quelque temps dans
une ihaison religieuse, où elle ne fut pas exempte
d'importunité à cause de la proximité de ses parents.
En ce temps- là le révérend Père Le Jeune fit impri-
mer une relation par laquelle il exhortait ses lecteurs
à donner du secours aux sauvages, et où, entre les
motifs qu'il donnait, il disait ces paroles touchantes :
Ah! ne se trouvera-t-il point quelque bonne et vertueuse
dame qui veuille venir en ce pays pour ramasser le
sang de Jésus-Christ en instruisant les petites filles sau-
vages? Ces paroles lui pénétrèrent le cœur, en sorte que
depuis ce temps-là son esprit fut plus en Canada qu'on
elle-même. Avec ces sentiments qu'elle conservait en
son âme, elle fut obligée de retourner à ÂlcAçon, ou
le décès de Madame sa mère la rappella. Elle y tomba
elle-même malade à la mort, en sorte que les médecins
l'ayant abandonnée, ils ne la visitaient plus que par
honneur et par cérémonie. Comme on l'attendait à
expirer, il lui vint un mouvement de faire vœu à saint
Joseph, patron du Canada, que s'il lui plaisait d'obtenir
de Dieu sa santé, elle irait en ce pays et y porterait
tout son bien, qu'elle y ferait une maison sous son nom
et qu'dle se consacrerait elle-même au service des filles
sauvages. Pendant que tout cela se passait en son esprit,
il y avait là des personnes qui, de la part de Monsieur
492 LBTTRB8
800 père, lai voulaient faire rompre le testament qu'elle
avait fait, et lui-même la pressait fort de le faire. Pour
toute réponse elle le supplia de la laisser mourir en paix,
ce qui l'offensa étrangement. Dans ce combat elle n'était
soutenue que des Pères Capucins qu'elle avait fait ig[)pe-
1er pour l'aider à bien mourir. Et il est à remarquer
qu'elle était si près de la mort, qu'on avait passé la nuit
à lui faire un habit de Saint- François, avec lequel elle
voulait être inhumée. Elle s'endormit parmi ces contra-
dictions, et lorsqu'on l'attendait à expirer. Mais à son
réveil, contre l'attente de tout le monde, elle se trouva
sans fièvre et dans une forte résolution de conserver
son bien pour l'exécution de son dessein du Canada.
Le lendemain, les médecins ayant appris qu'elle n'était
pas morte, l'allèrent visiter, et l'un deux lui ayant manié
le pouls et l'ayant trouvée sans fièvre, lui dit par un
certain transport: Madame, vous êtes guérie; assuré-
ment votre fièvre est allée en Canada. Il ne savait pas
ce qui s'était passé dans son intérieur, mais elle, qui
s'en ressouvenait fort bien, le regarda, et avec un petit
sourire lui repartit : Oui, Monsieur, elle est allée en
Canada. Ses forces étant revenues en peu de temps,
son père lui livra de nouveaux combats et lui dit que
si elle ne lui donnait le contentement qu'il désirait, elle
le verrait mourir de déplaisir. Plusieurs personnes de
qualité et de mérite, même des religieux, entraient dans
le sentiment de son père et lui conseillaient de se marier.
Enfin elle communiqua son dessein à un de vos révé-
rends Pères et lui demanda les moyens qu'elle pourrait
tenir pour mettre fin à laffliction de son père. Ce révé-
rend Père lui dit que tout cela pouvait s'accommoder,
que son père serait satisfait et qu elle ne tomberait point
dans l'inconvénient quelle craignait; qu'il connaissait
DB LA MÈRE MARIE DE l'INGARNATION. ^ 493
QD gentilhomme nommé M. de Bernières, trésorier
de France à Caen, qui menait une vie de saint, et qu*il
le faudrait prier de la faire demander en mariage pour
y vivre comme frère et sœur. Cela fut conclu, et sans
différer davantage, elle écrivit à M. de Bernières pour
le supplier de la demander en mariage à son père, avec
lequel elle était alors en bonne intelligence, parce qu'elle
lui avait promis de lui donner le contentement qu'il
désirait.
M. de Bernières, qui était un homme pur comme
un ange, ayant reçu la lettre de madame de la Peltrie,
fut surpris au-delà de ce qu'on peut s'imaginer, et ne
savait que répondre à une proposition si peu attendue.
II consulta son directeur et quelques personnes de piété,
qui lui persuadèrent d'embrasser ce dessein, rassurant
qu'ils . connaissaient madame de la Peltrie, qui ne le
désirait que pour en facilité l'exécution. II m'a dit
depuis qu'il fut trois jours sans poùVoir se résoudre,
quelque estime de vertu qu'on lui donnât de madame
de la Peltrie. Il souffrait de grands combats, craignant
de se hasarder dans une occasion si périlleuse; outre
que tout le nionde savait la résolution qu'il avait prise,
de vivre chastement et de ne se marier jamais. Enfin
après avoir fait beaucoup de prières pour savoir la
volonté de Dieu sur cette proposition, il résolut de
passer outre, et sans différer davantage, il écrivit à
un gentilhomme de ses amis nommé M. de la Bour-
bonnière, pour le prier d'aller trouver M. de Vaubougon
et de lui demander de sa part madame de la Peltrie
sa fille. .
Cet ami se fit honneur de trouver une occasion si
favorable de rendre service à M. de Bernières. Après'
que M. de Vaubougon l'eût entendu parler, il passa
494 LETTRB8
d'une extrémité à une autre et pensa mourir de joie;
et ne pouvant quasi parler, pour le transport dont son
cœur était saisi, il pric^ce gentilhomme de voir sa fille
et de savoir d'elle-même sa volonté. Il la vit et ayant
tiré d'elle le consentement qu'il désirait, ce qui ne lai
fut pas difficile, il en alla donner avis à M. de Bemiè-
res, qui demeura l'homme du monde le plus empêché,
parce qu'il fallait aller à Alençon pour l'exécution da
mariage. M. de Vaubougon, qui était au lit malade des
gouttes, pressait de son côté sa fille de terminer l'afEaire
au plus tôt. Il faisait tapisser et parer la maison pour
recevoir M. de Bernièros, et inspirait à sa fille les
paroles qu'elle lui devait dire pour les avantages de
ce mariage.
Cependant M. de Bernières ne se pressait pas, ce
qui faisait languir ce bon vieillard, qui voyant que
le temps se passait, commença d'entrer en soupçon
que sa fille se moquait de lui, en sorte qu'il voulait
lui faire signer uq papier qui devait lui causer une
perte de plus de quarante mille livres. Elle le flattait,
lui disant que M. de Bernières était un homme d'hon-
neur qui ne manquerait pas à sa parole, mais qu'il
lui avait fait savoir que ses affaires ne lui pouvaient
permettre de faire le voyage de six semaines Elle
le fit néanmoins venir à Alençon en secret, et le fit
loger en la maison d*une de ses amies qui lui était
fidèle et à qui elle avait confié tout le secret du Canada.
Ils conférèrent ensemble de ce qu'ils pourraient faire
pour ce mariage. Le conseil des personnes doctes était
quils pouvaient se marier et vivre en chasteté : mais
pour les intérêts temporels, Ion assurait que ce mariage
eût porté préjudice aux affaires du Canada à cause
ilu bien de madame de la Peltrie, dont les héritiers
DE LA MÈRE BIARIS DE l'iNGARNATION. 496
easseut pu avec le temps fiedre de la peine à M. de
Beraières. La résolution fat qu'ils ne se marieraient
pas, mais qu'ils feraient semblant de l'être, et là^dessus
M. de Bemiôres rQjx)urna en sa maison.
Au même temps M. de Vau bougon fut saisi d'une
grosse maladie dont il mourut, ce qui fit^changer les
affaires de face. Madame de la Peltrie demeura libre
de ce côté-là, mais il lui survint un autre embarras.
Sa sœur aînée et son beau-frôre ne Toulurent pas
qu'elle entrât en partage du bien de leur père, et ils
voulaient la faire enlever et mettre en interdiction,
disant qu'elle donnait son bien aux pauvres, et que
par sa mauvaise conduite elle aurait bientôt tout dissipé.
Elle fut à Caen en secret pour consulter M. de Berniè-
res, qui l'encouragea puissamment, et par le conseil
duquel elle appela au parlement de Rouen. Elle y fut
avec son homme d'affaires, qui lui conseillait de faire
serment d'une chose très-juste, et qu'il l'assurait qu'elle .
gagnerait son procôs. Comme elle était fort craintive,
elle ne le voulut pas; mais elle s'adressa à Dieu et au
glorieux saint Joseph, lui réitérant le vœu qu'elle avait
fait de se donner avec tout son bien au service des filles
sauvages, et de fonder à cet effet une maison d'Ursu-
lines en Canada. Dès le lendemain, un député vient lui
dire qu'elle avait gagné son procès, et qu'elle était
déclarée capable du maniement de son temporel.
Comme l'on avait eu quelque connaissance de la
recherche de M. de Bernières, on croyait qu'elle allait
se marier, et on la montrait au doigt; et même des
personnes religieuses lui faisaient en face des reproches
de ce qu'ayant mené une vie dévote et exemplaire,
elle la quittait pour reprendre celle du grand monde.
Elle répondait en souriant et avec modestie, qu'il fallait
496 LETTRES
faire la volonté de Diea. Ces réponses confirmaient
la créance qa on en avait, et surtout sa sœar et ses
parents.
Son cœur se sentant extraordinairement pressé d'exé-
cuter son dessein, elle s'en alla à Paris pour en
chercher les moyens, et M. de Bernières Ty fut trouver
pour l'aider en cette recherche. Comme ils agissaient
de concert, le démon suscita un nouveau trouble, savoir
qu'on cherchait Madame de la Peltrie pour la mettre
en un lieu où elle ne pût dissiper ses biens. Elle était
seulement accompagnée d'une demoiselle et d'un laquais
à qui elle avait confié ses secrets, et afin de n'être
point surprise, dans la nécessité où elle était de con-
sulter les personnes de piété, elle changeait d*habit
avec sa demoiselle et la suivait comme une servante.
Ceux qui furent principalement consultés sur une
affaire si extraordinaire furent le Père de Condren
et M. Vincent (saint Vincent-de-Paule), dont le premier
était général de TOratoire, et l'autre de Saint-Lazare.
L'un et l'autre ayant jugé que cette vocation de madame
de la Peltrie était de Dieu, M. de Bernières ne pensa
plus qu'à chercher le Père qui faisait à Paris les affaires
du Canada. Par une providence de Dieu toute particu-
lière il fut adressé à Votre Révérence, qui lui donna
espérance que ce dessein pourrait réussir. Sur quoi
vous prîtes occasion de lui dire, parlant de moi, que
vous connaissiez une religieuse Ursuline à qui Dieu
donnait de semblables pensées pour le Canada, et qui
n'attendait que l'occasion. Lui, tout ravi d'une rencontre
si heureuse, fut trouver madame de la Peltrie et lui dit
la découverte qu'il avait faite; la voilà toute pleine
d'espérance. Votre Révérence prit la peine de m'écrire
de sa part, à quoi je fis réponse avec action de grâces
DB LA MÊRB IfARIB DB l'iNGARNATIOX. -fiT
et d'acquiescement, moyennant l'ordre de robfissaiice.
On consulte les révérends Pères Lallemant et de la
Haye, et par leur conseil M. le Commandeur de Sillenr^
et M. Fouquet, conseiller d'Etat, afin d ayoir leur cou-
sentement pour le passage de madame de la Peltrie»
des religieuses et de leur suite.
Cependant, pour amuser le monde, madame de la
Peltrie faisait venir ses meubles d'Alençon, ce qui
confirma la créance de son mariage, en sorte qu'on
cessa de llnquiéter. Enfin la résolution fut que Ton
Tiendrait me quérir. à Tours, et M. de Bemiôres et
madame de la Peltrie voulurent bien prendre cette
peine. Durant tout le voyage on les prit pour le mari
et la femme, et les personnes de qualité qui étaient
dans le carrosse en avaient la créance. Etant arrivés
à Tours, le révérend Père Grandami, recteur de votre
Collège, à qui le révérend Père Provincial avait recom-
mandé de présenter à Mgr l'Archevêque madame de la
Croix (c'est le nom que madame de la Peltrie avait pris,
afin de n'être pas connue) se trouva prêt pour s'acquitter
de sa commission, ce qu'il fii de si bonne grâce que
•
Monseigneur, que l'on croyait devoir être inexorable
pour un dessein si extraordinaire, après l'avoir entendu
parler et vu les lettres de MM. de Sillery, de Lauson
et Fouquet, fut comme ravi de la grâce que Dieu lui
faisait de prendre deux de ses filles pour une si glo-
rieuse entreprise. Le révérend Père lui dit le secret
de madame de la Peltrie et de M. de Dernières, corame
celle-là sous le nom de madame do la ('roix, et comme
tous deux sous l'apparence do tnaria^fi^ avaient pHli
le voyage et travaillaient A reX(V.uliot\ do t>0tte alUirt^
n pria le Père et M. do Ilorni^n^s do U monor au
monastère, et de donner ordro do sn ptui A U )NWiM>^udo
H. II. !^f
49P LBTTIIB8
Mère supérieure de lui eo donner rentrée et de lui
les mêmes honneurs qu*4 sa propre personne. Il fut
obéi, parce qu'elle fut reçue avec toutes Les acclamfi-
tions possibles. Toute la Communauté assembléo se
trouva à la porte, et quand elfô parut on chanta l^ Vmii
Creator, et ensuite le Te Deum laudamtds. Du chœur t>n la
mena dans une salle où toutes les religiei^ses furent
se jeter à ses pieds pour lui rendre action de grâce
de ce qu'elle avait jeté les yeux sur une personne 46 la
Maison pour l'exécution de sop dessein.
Quapd on fut informé que M. de Çerniôres ët^it
Tagent et l'ange visible de madame de la Peltrfe, Ifos
religieuses, avec la permission de leur Supérieure»
louèrent file à file au parloir se jeter à ses pieds pour
Iqi exposer le dé^ir qu'elles avaipnt d'être choisies pour
^la compagne. La bonne Mère Marie de Saint- Jo^pb
i^'osait paraître ni déclarer son désir. Je la fis entrer
et la présentai moi-même à M. de Berniôres. Dôa qu'il
l'eut vue et entendue parler, il crut que c'était celle-là
que Dieu avait choisie pour m*accompagner, et il agit
auprès de Mgr l'Archevêque pour qu'on nous l'accordât.
Il fit dès lors une liaison d esprit toute particulière avec
cette chère Mère, en sorte que Madame, elle et moi
n'avions avec lui qu'une même volonté pour les afifaires
de Dieu. Il se passa bien des choses au sujet des parents
de cette chère Mère, des miens, et de mon fils, qu'il
n'est pas nécessaire de dire en ce lieu.
Nos résolutions étant prises. Monseigneur de Tours
voulut que nous fussions en sa maison pour nous
donner sa bénédiction, et à cet efiet il eut la bonté
de nous envoyer son carrosse. Il voulut encore con-
férer avec madame de la Peltrie, en présence du révé-
rend Père Grandami, et de M. de Bernières, touchant
DE LA MËRB MARIB DB L*INGARNATION . 499
la fondation qa^elle voulait faire, et il témoigna qu'il
voulait qu'elle fût contraotée en sa présence. M. de
Berniôres le supplia de différer jusqu'à ce que nous
fussions à Paris, notre voyage étant extrêmement
pressé ; mais madame de la Peltrie déclara verbalement
qu'elle donnait parole de trois mille livres de rente.
Ce bon Prélat se contenta de la promesse verbale qu'elle
fit, et nous ayant donné sa bénédiction, nous confia,
ma compagne et moi, à ces deux bonnes âmes, avec
une recommandation au révérend Père de la Haye
d'agir pour lui en cette affaire, et de nous tenir sa place
pendant que nous serions à Paris. M. de Bernières
réglait notre temps et nos observances dans le carrosse,
et nous les gardions aussi exactement que dans le
Monastère. Il faisait oraison et gardait le silence aussi
bien que nous. Dans les temps de parler, il nous entre-
tenait de son oraison, ou d'autres matières spirituelles.
A tous les gîtes c'était lui qui allait pourvoir à tous
nos besoins, avec une charité singulière. Il avait deux
serviteurs qui le suivaient, et qui nous servaient comme
s'ils eussent été à nous, parce qu'ils participaient à
Tesprit dThumilité et de charité de leur maître, surtout
son laquais, qui savait tout le secret du mariage
supposé.
Lorsque nos- révérendes Mères du faubourg de Saint*
Jacques surent notre arrivée à Paris, elles nous firent
rhonneur de nous envoyer visiter et de nous offrir leur
maison; mais les affaires de madame de la Peltrie
ne nous permettaient pas de nous séparer d'elle, et de
nous enfermer sitôt. M. de Meules, maître d'hôtel chez
le roi, nous prêta sa maison, qui était dans le cloître
des Pères Jésuites de la maison Professe, ce qui nous
fut très- commode, tant parce que nous y avions des
500 LETTRES
appartements séparés pour M. de Bernières et pour
nous, que pour la facilité que nous avions d'aller
entendre la messe à Saint-Louis, et d'y recevoir les
Sacrements.
M. de Bernières nous accompagnait partout, et tout
le monde le croyait le mari de madame de la Peltrie,
en sorte qu'étant tombé malade, elle demeurait tout
le jour en sa chambre, et les médecins lui faisaient le
rapport; de Tétat de sa maladie, et lui donnaient les
ordonnances pour les remèdes. Son masque était attaché
au rideau du lit, et ceux qui allaient et venaient lui
parlaient comme à la femme du malade. Quoique
nous fussions sensiblement affligées de la maladie de
M. de Bernières, tout cela néanmoins nous servait de
récréation et de divertissement. Ce mot de mariage lai
donnait d'autres pensées, car faisant réflexion à la
commission qu'il avait donnée à son ami dô demander
en son nom madame de la Peltrie à son père, il disait,
et répétait : Que fdira M. de la Bourbonnière que je
me soiSj ainsi moqué de lui? Bon «Dieu, que dira-t-il?
Je n'oserai paraître en sa présence. Toutefois j'irai me
jeter à ses pieds pour lui demander pardon. Tout cela
se faisait dans nos récréations, mais nos entretiens
ordinaires et presque continuels étaient de notre Canada,
des préparatifs qu'il fallait faire pour le voyage, et de
ce que nous ferions parmi les sauvages dans ce pays
barbare. Il regardait la Mère de Saint-Joseph, qui n'avait
que vingt deux ans, comme une victime qui lui faisait
compassion, et tout ensemble il était ravi de son courage
et de son zèle. Pour moi, je ne lui faisais point de
pitié : il souhaitait que je fusse égorgée pour Jésus-
Christ, et il en souhaitait autant à madame de la
Peltrie. Le révérend Père Charles Lallemant se chargea"
DB LA MâRB MARIE DE L'INGARNATION. 501
de faire préparer en secret tout rembarquement; et
comme Messieurs de la compagnie ne purent faire
embarquer tout notre bagage, parce que nous avions
parlé trop tard, lui et M. de Bernières louèrent un
navire exprès, car madame de la Peltrie n'épargnait
point la dépense, pourvu qu'elle vînt à bout de son
dessein.
Huit jours avant notre départ, nos révérendes Mères
du faubourg de Saint-Jacques nous reçurent dans leur
maison avec une charité et cordialité incroyables. Votre
révérence sait ce qui se passa au sujet de ma révérende
Mère de Saint-Jérôme, que nous avions demandée pour
compagne, comme elle tomba malade lorsqu'il fallut
partir, et comme cet accident nous obligea de passer
sans elle, ce qui nous causa une très-sensible i^ffliction,
car outre que nous perdions un excellent sujet, nous
fûmes obligées de refaire notre contrat de fondation,
dans lequel elle était comprise. M. de Bernières et
M. Laudier agent de madame de la Peltrie nous menè-
rent pour cet effet chez le notaire, où il y eut un
peu de démêlé, parce que ce dernier ne jugea pas
à propos que madame de la Peltrie employât dans son
contrat ce qu'elle avait promis à Mgr de Tours, parce,
disait-il, que nous ayant promis plus que le droit
n^ permettait, cela eût pu la jeter à l'avenir en des
procès avec ses parents. Nous fûmes donc obligées,
par le conseil de nos amis, d'en passer à ce qui pou-
vait rendre le traité valide et sans crainte d'aucune
mauvaise conséquence.
Nos affaires étant expédiées à Paris, nous partîmes
pour nous rendre à Dieppe, qui était le lieu de l'em-
barquement, M. de Bernières étant toujours notre ange,
gardien avec une charité nonpareille. Nous trouvâmes
502 LBTTRS8
à Rouen le rëvërend Pore Charles Lallemant, qui avait
fait préparer toutes choses pour le voyage si secrète-
ment qu'à peine s'en ëtait-cn aperçu dans la maison.
Il nous fit la charité de nous conduire à Dieppe, et
de faire embarquer nos provisions et notre équipage,
madame de la Peltrie foumfssant à toute la dépense.
M. de Bernières se fût embarqué avec nous pour faire
le voyage, si madame de la Peltrie ne l'eût constitué
son procureur pour faire la dépense de sa fondation
et pour faire ses affaires en France, car ses parents
croyaient assurément qu'ils étaient mariés, et sans
cela ils nous eussent arrêtées, ou du moins retardëda
cette année-là. Ce grand serviteur de Dieu ne pouvait
nous quitter ; il nous mena dans le navire, accompagné
du révérend Père Lallemant, et tous deux noua ren-
dirent tous les bons et charitables offices nécesaairea
en cette rencontre, où la mer nous rendait fort malades.
Enfin il fallut se séparer et quitter notre ange gar-
dien pour jamais; mais quoiqu'il fût éloigné de nous,
sa bonté lui fit prendre lé soin de nos affaires avec
un amour plus que paternel. Dans toute la eonversation
que nous eûmes avec lui depuis notre première' entre-
vue jusqu'à notre séparation , nous reconnûmes que
cet homme de Dieu était possédé de son Esprit, et
entièrement ennemi de celui du monde. Jamais je oe
lui ai entendu proférer une parole de légèreté, et quoi-
qu'il fût d'une agréable conversation, il ne se démentait
jamais de la modestie convenable à sa grâce. Votre
Révérence en peut rendre un semblable témoignage,
ayant eu de grandes conversations avec lui à roceasion
du dessein de madame notre Fondatrice, duquel il a été
un des principaux instruments pour le conduire au
point où par la miséricorde de Dieu nous le voyons.
DB LA mArb marib db l'incarn ation . 503
Voità* mon cbër Père, un petit abrégé des connaissanôes
que j'ai de ce qui 8*est passé au sujet de M. de Bernières
et de madame de la Peltrie : vous pouvez y ajouter foi,
parce que je me suis eflforcée de le faire avec plus de
fidélité que d'élégance et d'ornement.
Pour ce qui est de la Mère de Saint-Augustin, il faut
que je vous ôte un soupçon que je pourrais vous avoir
donné à son égard, d'avoir manqué de fidélité à sa
Supérieure. Je vous ai dit que sa conduite intérieure
et les choses extraordinaires qui se passaient en elle
n'étaient connues ni de sa Supérieure, ni de ses Sœurs,
an grand étonnement des personnes spirituelles et expé-
rimentées dans les voies de Dieu. Ce n'est pas manque
de fidélité ni de soumission qu'elle a tenu tout cela
secret, mais par l'ordre qu'elle en avait de ses Direc-
teurs, pour la nature de la chose qui eût été capable
de donner de la frayeur. Elle avait quelquefois, à ce
qu'on dit, une centaine de démons en tête, et une fois
elle en a eu jusqu'à huit cents, dont elle connaissait
Tordre par une impression du Ciel. Ils la priaient de
remuer seulenent le dofgt pour témoigner qu'elle leur
donnait permission d'agir et de travailler à la perte des
âmes. Mais elle les arrêtait, en sorte qu'ils n'osaient
remuer. Ils lui faisaient de certaines questions ridicules
et impertinentes pour la plupart, et le révérend Père
de Brébeuf lui suggérait ce qu'elle avait à répondre.
Ils lui demandèrent permission de suivre l'armée fran-
çaise lorsqu'elle allait contre les Iroquois, afin d'empê-
cher les Français de se confesser ; mais elle les retint,
et cependant (pendant cela) presque tous les soldats
firent une confession générale. Ces misérables la fai-
saient souffrir, de rage qu'ils avaient de ce qu'elle les
tenait captifs et qu'elle ruinait tous leurs desseins.
504 LETTRES
On la voyait quelquefois manquer aux observances
régulières, par la permission que sea supérieurs lai
en donnaient à cause de ses souffrances, qui la rendaient
un sujet de douleurs et de faiblesse. Elle souffrait encore
plus dans l'intérieur que dans le corps. Cela ne parais-
sait pas tant, mais je le sais de celui qui avait la direc-
tion de son âme. Pour toutes ces choses extraordi-
naires, ce n'est pas à moi, mon très-révérend Père,
d'en porter jugement; vous le ferez tel qu'il vous plaira.
Mais je me suis sentie obligée de faire une petite répa-
ration de ce que je vous avais écrit, que sa Supérieure
ne savait rien de ce qui se passait en elle; de crainte
que vous ne la blâmiez de n'avoir pas eu assez de fidélité
envers celle que Dieu lui avait donnée pour la condaire,
et que cette pensée ne diminue l'estime que vous pouvez
avoir de sa vertu.
De Québec, le 25 ^octobre 1670.
LETTRE CGXVIII.
A SA NIECE, RELIGIEUSE.
Elle lui donne des avis salutaires au sujet d'uue antipathie naturelle qu'elle avait
contre sa supérieure.
Ma très-chère et bien-aimée fille,
Voici la réponse à votre lettre du 19 de mars, que j'ai
reçue des mains propres de celui à qui vous l'aviez
confiée. Je vous dirai que je conçois votre état et les
DB LA MÈRB MARIB DB l'INCARNATION. 505
V0Î68 par lesquelles Dieu vous mène. Sa bonté a des
desseins sur vous que vous ne connaissez pas, et c*est
ce qui fait un point des plus pesants de votre croix.
Je ne doute point que vous ne preniez conseil, et que
les personnes que vous consultez ne soient gens de bien
et remplis de Tesprit de Dieu : c'est ce qui me confirme
que votre croix étant voulue et ordonnée de Dieu, elle
est une véritable croix. Mais, ma chère fille, il y a une
chose qui vous l'appesantit et qui vous la rend presque
insupportable, c'est la peine que vous avez de vous
approcher de votre Supérieure. Mais comme il n'y a
rien qu'il ne faille faire pour être bien avec Notre-
Seigneur, aussi n'y a-t*il rien, qu'il ne faille faire pour
être bien avec ceux qui nous tiennent sa place, quoi-
qu'ils nous soient contraires dans nos façons d'agir. Ils
ont leurs vues, et ils estiment faire ce que Dieu demande
d'eux : ce n'est pas à nous d'examiner cela, mais à Dieu
qui doit faire rendre compte un jour de la conduite
de ceux qui gouvernent, et de la soumission de ceux
qui doivent obéir. Que faut-il donc faire? humilions-
nous sous la puissante main qui veut nous polir pour
nous faire saints et nous rendre dignes de lui. Ah ! ma
bien-aimée fille, je voudrais être, s'il m'était possible,.
avec vous pour vous aider à porter votre croix. Je ne
suis qu'une pauvre pécheresse indigne d'être écoutée
de Dieu dans les prières que je lui offre sans cesse pour
vous; je le prie néanmoins de me charger de votre
croix et de vous en délivrer, si c'est pour sa gloire.
Je vois bien par ce que vous me dites, et de ce que j'en
apprends d'ailleurs , que vous'^ êtes privée de l'appui
et de la consolation que vous devriez trouver en votre
Supérieure, à cause de la grande difficulté que vous
sentez de vous approcher d'elle; c'est une tentation.
506 LBttRM
oroyes-CQoi. Mais supposez qité de H'éh soit paà une,
et que vous ayez nn juste sujet de itefiroidlsseéieat,
je TOUS demande senlemebt que vous faisiez eu nab
endroit oe que la Règle ordonne; et 6èla datte résprii
de l'Evangile, qui est un esprit de douceur et d*afiabilitâ;
cela attirera l'esprit de Dieu en votre âme, et quoique
vous sentiez la pesanteur de votre croix, vous jetterez
des charbons ardents sur la tête de qui .que ce soit qui
vous doûne matière de soufifrauce, et vous édifierez
celles qui verront que vous faites tout ce qui est ett
vous pour la gloire de Dieu, et pour la bien de la paix.
Ne vous déchargez qu'à .cette souveraine bonté ; c^est
elle qui mortifie et qui vivifie ; c'est elle qui sait en soâ
temps relever ceux qui sont dans la poussière. Encore
une fois, quoique je sois éloignée de Vbus, je vois vôtres
condmte) vos travaux et vos peines; mais revenons
à ce point, que vous ne sortirez jamais de là qu'en vous
humiliant de cette humiliation que ce Dieu qui s'est
anéanti pour nous nous a apprise, en se faisant notre
cause exemplaire depuis le moment de sa Conception
jusqu'au dernier soupir de sa vie^ C'est Lui, ma chère
fille, qui me meut à vous parler de la sorte, et je ne
puis faire autrement; ne raidissons point notre esj^rit
en contrariant ses saintes et divines maximes. Pouf
moi, je m'y rends et je n'en veux jamais sortir, moyen-
nant sa sainte grâce, sans laquelle je ne saurais rien
faire. Plût à sa bonté me rendre digne d'être le blanc
(but) de contradiction de tout le monde. Quand je dis
de tout le monde, j'entends principalement du monde
saint, c'est-à-dire des personnes saintes, parce que les
coups qui viennent de ces mains-là sont plus perçants
que toutes les machines des pécheurs. Ah! que j'ai
de désir que vous deveniez sainte, aux dépens de tout
DB LA MÈRB MARIB DE L'ING ARNATION . ^ 507
ce que je pourrais souârir ! Quand je fais réflexion que
j'ai été la première qui vous ai donnée à Dieu quand
vous êtes venue au monde, je me condamne moi-môme,
et j'estime que mes péchés sont la cause de toutes vos
croix. Souffrez, mon aimable fille, que je vous aie
déchargé mon cœur, et que je finisse en vous disant
ces paroles de Notre-Seigneur, que celui qui s*humiUe
gara élevé.
De Québec, le 6 d'octobre 1671 .
LETTRE CCXIX.
A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE MONS.
(La Mère Cécile de Saint- Joseph.)
21lê là HmèTâ9 poar nné ftomône. — Elle t'explique snr des malentendot et det
diiBciiltèt qai âtâient eu lien relatÎYement à des religieuses de Moni qoe l'on
attendait à Québec. — Religieuses de Paris et de Bourges qui sout eu Canada.
— Ce qui s'est passé à Québec. — Mort d'une petite sauvage, modèle de piété
et mirade de patience.
Jâsus, Marik, Joseph.
Aux Urstdinee de Québec, Is 24 août 167 î.
Ma révérende et très-honorée Mère,
Jésus soit notre vie pour le temps et pour Téternité.
Quoique nous n'ayons encore ni navire ni nouvelles
de France qui nous puissent informer de nos aflfkires
et des dispositions de nos amis, néanmoins, par une
508 LBTTRB8
Providence particulière, le révérend Père Ragaeneau
ayant hasardé un paquet de lettres par la voie de la
pêcherie, il est venu jusqu'à nous. J'y ai trouvé celle
qu'il vous a plu m'écrire, avec celle de ma révérende
Mère Philippe de Sainte-Ursule, ce qui m'a, et à notre
Ciommunauté, apporté une singulière joie de Thonneur
de votre charitable souvenir. Votre chère lettre est
datée du 30 novembre; je l'ai reçue à la mi-juin 1671.
Le révérend Père Ragueneau nous mande que vous
avez eu la bonté de lui adresser pour nous la somme
de cent vingt-cinq livres, qu'il a employée poar les
besoins de notre Séminaire, parce que c'est lui qui nous
fournit tout; je vous en rends mes très-humbles actions
de grâce, ma très-chère Mère. Je prie Dieu d'en vouloir
être votre récompense et des saintes âmes qui y ont
contribué. Nous n'avons point encore reçu le livre
de notre vénérable Mère Anne de Beauvaîs, si ledit
révérend Père Ta reçu , nous le trouverons en nos
paquets; par avance je vous en rends mes très-humbles
remerciements.
Lorsque je me donnai Thonneur de vous écrire ma
première de Tannée passée, je ne savais pas que naes
chères Mères vos bonnes Sœurs eussent de l'attrait
pour la mission de Canada; nous n'eussions eu garde
de jeter les yeux ailleurs. Cette proposition des révé-
rendes Mères de Namur ne nous ayant été faite par
le révérend Père Crépieul qu'alors que le dernier navire
était prêt de faire voile, cela me fit vous écrire une
deuxième fois, pour vous dire ce qu'on se proposait
de par deçà (de ce côté) à ce sujet, en la confiance que
j'avais en votre chère personne, qui nous pouvait aider
de son crédit en la demande.que nous faisions. Le révé-
rend Père Crépieul nous parlait de la sorte comme si les
D8 LA MftRH XABIH OB L i:f CAa!«ATIOI« . 509
affaires des dites Mères eosseat été assarées» et ce fut
pourquoi Mgr notre digne Prélat arait donné toate
commissioa an révérend Père Raguenean. Eifecti^e^
ment nous n'attendions point d'antres Ursnlines que
celles de Flandre. Par la lettre dadit révérend Père
Ragoeneao je rois qae les aâaires ont changé de face;
il me dit que toos avez en la bontés en égard à la sainte
fenrenr de mes chères Mères tos bonnes filles, de nous
en Touloir donner deux de choeur et une converse qui
était justement ce qu'il nous fallait, nous leur avions
déjà préparé leur chambre et tout ce quil fallait pour
les bien soigner. En vérité nous étions si persuadées
de leur passage que nous les croyions déjà venues,
à l'exclusion de nos Sœurs de France qui postulaient
depuis plusieurs années; mais ledit révérend Père
m'ayant exposé vos bonnes volontés et celles de votre
Communauté, dans les premiers articles de sa Lettre
comme d'une affaire faite, à la fin il me dit que tout
a été arrêté et que nous ne saurions avoir des Sœurs ;
je me suis doutée que Mgr votre digne Prélat pourra
en avoir été la cause. La lettre du Père est en date du
mois de janvier, ce qui l'a obligé, les atfaires étant
pressées pour l'embarquement, de recourir à nos Mères
de Paris et de Bourges qui pressaient depuis quatre ans.
Enfin elles nous envoient chacune deux Sœurs; savoir
trois Sœurs de chœur et une converse, qu'un homme
venu de la pêcherie nous a assurées avoir vues à la
Rochelle. Nous ne savons cela que par le rapport de cet
homme, parce que ni elles ni nos Mores ne m'ont écrit :
c'est pourquoi nous ne saurions assurer si elles se sont
embarquées ou non, ce qui nous met en grande peine,
crainte que quelque accident ne leur soit arrivé, parce
qu'il y a plus de quatre mois que l'homme les a vues.
510 LBTTEB8
Vous me demandes 8i je suis hors de charge, oui, ma
très-chôre More, par la miséricorde de Dieu. Depuis
quelque temps Ton m'a donné en charge nos jeunes
professes et les novices avec la charge d'assistante, qw
nous appelons en France souç-prieure. Notre révérende
More se nomme de Saint-Âthanase ; elle est sortie du
couvent des Ursulines du faubourg Saint-Jaeques à
Paris; il y a trente-et-un ans qu'elle est avec nous; elle
et notre Communauté eussions été ravies d'avoir de vos
filles, et nous vous rendons toutes nos trôs^humbles
remerciements de nous les avoir voulu donner et de oe
qu'elles voulaient bien venir ; nous les regardons comme
nos très-aimées Sœurs, et votre sainte famille une avee
la nôtre en communauté de biens spirituels; agrées
donc cette vénération, mon aimable Mère, je vqos an
coigure. Notre révérende Mère et notre Communauté
vous remercient de votre charitable aumône, que nous
tâcherons de reconnaître auprès de Dieu. Je crois que
vous avez reçu la Relation de Tannée passée, que le
révérend Père Ragueneau me mande vous avoir envoyée
de notre part. Dieu continue ses saintes grâces sur les
missions par la découverte de nouveaux peuples et par
de grandes conversions ; le diable, enragé de ce progrès,
a mis le feu dans la plus belle chapelle et maison de
refuge des révérends Pères pendant qu'ils travaillaient
pour la gloire de Dieu à quelques lieues de là, naais les
bons Pères n'ont point perdu courage pour cela; ils
en ont bâti une plus belle, qui ne fut pas plutôt achevée
qu'on y baptisa quarante enfants sauvages; et ainsi les
misérables démons ont perdu plus qu'ils n'ont gagné.
Il y a eu des guérisons miraculeuses pour confirmation
de notre sainte Foi chez plusieurs des barbares, auxquels
des sorciers avaient voulu faire croire que le Baptême
DB LA MÈRB MABm OB L'INGARNATION . 511
ffû^ait mouriF \e\xn enfants; iUi ont été désabusés,
vqjjrant les œuvres de Dieu si contraires à ce que leur
disaient leqrs jongleurs.
Il nous est mort une de nos séminaristes âgée seule*
ment de six ans ; c'était une enfant la plus éclairée qu on
pouvait se l'imaginer et extrêmement patiente ; elle était
bydropique. Par l'ordre de nos médecins il fallut lui
ouvrir le ventre» elle vit faire cette opération par
diverses fois sans se plaindre, et deux fois le jour
ouvrir sa plaie comme un robinet et en tirer plusieurs
mesures d'eau ; elle était sondée d^ns les intestins fré-
quemment; elle regardait et souffrait cela en souriant
et disant : Mon Dieu, je vous l'offre; les médecins en
étaient ravis, et l'un d'eux, qui venait de France, m'a dit
plusieurs fois, par admiration, qu'il n'avait jamais vu
un si grand esprit, ni une telle patience, ni une piété
semblable. Elle se confessait fréquemment; Mgr notre
digne Prélat la jugea capable de recevoir le saint
Viatique et la sainte Onction, ce qu'elle reçut avec
esprit de foi; elle demandait pardon aux infirmières
lorsqu'elle s'était échappée de faire quelque plainte.
Un jour, avant sa mort , qu'elle était en convulsion
et comnie en agonie, son confesseur ne croyant pas*
qu'elle pût lui parler, se retira; alors d'une voix ferme
elle l'appela, disant : Mon Père, je veux me confesser;
elle le fit avec intelligence. Ce Père et nous toutes
en étions dans l'admiration ; peu de moments après ce
petit ange expira. Elle était fille de sauvages, mais elle
n'en avait ni la façon ni Thumeur, ni les mœurs ; nous
avons cru que Dieu avait fait passer par de si grandes
souffrances cette innocente pour les péchés de quel-
qu'un, ou pour la conversion de ses parents. Vous
voyez, mon aimable Mère, que la grâce prend son.
512 LBTTRB6
fiiége dans certaines âmes prédestinées. Nous en avons
cinquante autres qui nous donnent bien de la satisfac-
tion, priez pour elles toutes, s'il vous plaît. Je demande
cette grâce à votre sainte Communauté que je saine
et embrasse avec vous; agréez les trôs-respectueox
saints de notre révérende Mère et de notre Commu-
nauté. Je me donnerai la consolation de vous écrire
par une autre voie. Je suis sans réserve, ma très-
révérende Mère, votre très-humble, très-obligée et
obéissante servante,
Marie de llncarnation, R. V.
Ce 24 septembre 1671.
J'ai donné votre lettre au révérend Père recteur des
Jésuites. Depuis la présente écrite, nos Sœurs sont
heureusement arrivées en bonne santé, après avoir été
trois mois chez nos Mères de la Rochelle; elles ont
passé par sept de nos maisons, chemin faisant. Kous
n'avons point encore reçu le livre de la vénérable Mère
Anne de Beau vais, si le révérend Père Ragueneau
Ta reçu, nous le recevrons dans un de nos ballots/
Je vous remercie humblement, ma très-chère Mère,
de toutes vos bontés et libéralités pour nous.
ylj Voir une note à la Lettre CCI, ci-dessus, page 423.
DB LA UtRE MARIB DE L'INCARNATION . 513
LETTRE CCXX.
A SON FILS.
CireoDftances du ravissement admirable dans lequel Dieu lui donna la connais-
sance du mystère de la très-sainte Trinité, dont il est parlé dans l'histoire de
sa vie. — Son oraison de respir, où elle montre que, quelque élevée que soit
une oraison, on n'y est pas pour cela exempt de distraction. — Elle a gardé
•on vœu de faire ce qui est plus parfait, absolument et sans restriction.
Mon très-cher âls,
Paisqae vous désirez que je vous donne quelque
éclaircissement sur ce que je vous ai dit dans mes
écrits touchant le mystère de la très-sainte Trinité,
je vous dirai que lorsque cela m'arriva, je n'avais
jamais été instruite sur ce grand et suradorable
mystère; et quand je l'aurais lu et relu, cette lecture
ou instruction de la part des hommes ne m'en aurait
pu donner une impression telle que je l'eus pour lors,
et qu'elle m'est demeurée depuis. Cela m'arriva par une
impression subite, qui me fit demeurer à genoux comme
immobile. Je vis en un moment ce qui ne se peut dire
ni écrire qu'en donnant un temps ou un intervalle
successif pour passer d*une chose à une autre. En ce
temps-là^ mon état était d'être attachée aux sacrés
mystères du Verbe incarné. Les cinq heures de temps
se passaient à genoux sans me lasser ni penser à moi,
l'amour de ce divin Sauveur me tenant liée et comme
LBTTR. M. n. 33
514 LBTTRB8
transformée en lui. Dans l'attrait dont il est question,
j'oubliai tout, mon esprit étant absorbé dans ce divin
mystère, et toutes les puissances de l'âme arrêtées
et soujQfrant Timpression de la très-auguste Trinité, sans
forme ni figure de ce qui tombe sous les sens.
Je ne dis pas que ce fut une lumière, parce que cela
tombe encore sous les'sens ; et c'est ce qui me fait dire
impression, quoique cela me paraisse encore quelque
chose de la matière ; mais je ne puis m'exprimer aatre-
ment, la chose étant si spirituelle, qu'il n'y a point de
diction qui en approche. L'âme se trouvait dans la
vérité et entendait ce divin commerce en un moment
sans forme ni figure. Et lorsque je dis que Dieu me le
fit voir, je ne veux pas dire que ce fut un acte, parce
que l'acte est encore dans la diction et parait matériel,
mais c'est une chose divine qui est Dieu même. Le tout
»y contemplait et se faisait voir à lame d'un regard
fixe et épuré, libre de toute ignorance et d'une manière
ineffable. En un mot, lame était abîmée dans ce grand
océan où elle voyait et entendait des choses inexpli-
cables. Quoique pour en parler il faille du temps, l'âme
néanmoins voyait en un instant le mystère de la géné-
ration éternelle, le Père engendrant son Fils, et le Père
et le Fils produisant le Saint-Esprit, sans mélange ni
confusion. Cette pureté de production et de spiration est
si haute, que lame, quoique abîmée dans ce tout, ne
pouvait produire aucun acte, parce que cette immense
lumière qui l'absorbait la rendait impuissante de lui
parler Elle portait dans cette impression la grandeur
de la Majesté qui ne lui permettait pas de lui parler;
et quoiquainsi anéantie dans cet abîme de lumière,
comme le néant dans le tout, cette suradorable Majesté
rinstruisait par son immense et paternelle bonté, sans
DB LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION . 515
que sa grandeur, fût retenue par aucun obstacle de ce
né^nt, et elle lui communiquait les secrets touchant ce
divin compoerce du Père au Fils, et du Père et du Fi^s
au. Saint; Esprit, par leur embrassement et mutuel
amour ; et tout cela avec une netteté et pureté qui ne
se peut dire.
Dans cette même impression j'étais informée (il y
avait en moi une forme) de ce que Dieu fait par lui-
naême, dans la communication de sa. divine Majesté,
dans la suprême hiérarchie des anges, composée des
Chérubins, des Séraphins et des Trônes, lui signifiant
ses divines volontés par lui-même immédiatement et
sans l'interposition d'aucun esprit créé. Je connaissais
distinctement les rapports qu'il y a de chacune de ces
trois personnes de la très-auguste Trinité dans chacun
des Chœurs de cette suprême hiérarchie; la solidité
inébranlable des pensées du Père dans les uns, qui de
là sont appelés Trônes ; les splendeurs et les lumières
du Verbe dans les autres, qui en sont nommés Chéru-
bins; et les ardeurs du Saint-Esprit dans les autres,
qui pour cç sujet sont appelés Séraphins ; et enfin que
la très-sainte Trinité en lunité de sa divine essence se
communiquait à cette hiérarchie, laquelle ensuite mani-
restait ses volontés, aux autres esprits célestes selon
leurs ordres.
MoQ âme était toute perdue .dans ces grandeurs, et
la vue de ces grandes choses était sans interruption de
Tune à Taiatre. Dana un tableau oti plusieurs mystères
sont dépeints, on les voit .en gros, mais pour les bien
considérer en détail, il faut s'interrompre; m£^is dane^
une impression comme celle-ci l'on voit tout nettement^
purement et sans interruption. J'expérimentais ^nfin
conune mon âme était Timage de Dieu; que par la.
516 LETTRES
mémoire elle avait rapport au Père Etemel, par Tenten-
dément au Fils, le Verbe divin, et par la volonté au
Saint-Esprit ; et que comme la très-sainte Trinité était
trine en personnes et une en essence, ainsi l'âme était
trine en ses puissances et une en sa substance.
Il me fut encore montré qu'encore que la divine
Majesté ait mis de la subordination dans les anges pour
recevoir l'illumination les uns des autres, néanmoins
quand il lui plaît, elle les illumine par elle-même selon
ses adorables volontés, ce qu'elle fait pareillement à
quelques âmes choisies en ce monde ; et quoique je ne
sois que boue et fange, mon âme avait une certitude
qu'elle était de ce nombre. Cette vue m'était si claire
qu'encore que je fusse certaine que je n'étais qu'un
néant, je n'en pouvais douter. Ainsi se termina cette
grande lumière qui me fit changer d'état.
Le reste de cette vision est comme vous l'avez vu
en son lieu. Mais vous remarquerez, s'il vous plaît,
que ces grandes choses ne s'oublient jamais, et j'ai
encore celles-ci aussi récentes que lorsqu'elles arri-
vèrent. Pour les termes, ils sont sans étude, et seule-
ment pour signifier ce que mon esprit me fournit, mais
ils sont toujours au-dessous des choses, parce qu'il ne
s'en peut trouver d'autres pour les mieux exprimer.
Après ces lumières et les autres que vous avez vues
dans mes écrits, le révérend Père Dom Raymond que
je n'avais pas toujours pour me communiquer (à lui),
me fit avoir, après qu'elles furent imprimées, les
Œuvres de saint Denis traduites par un Père de son
Ordre. Je les entendais clairement en toutes leurs
parties, et je fus extrêmement consolée d'y voir les
grands mystères que Dieu, par sa bonté, m'avait com-
muniqués ; mais les choses sont bien autres lorsque
DE LA MÊRB MARIE DE L'INGAR NATION. 517
sa divine Majesté les imprime à Tâme, que quand on
les trouve dans les livres, quoique ce qu'ils en disent
soit de notre sainte foi et véritable. De tout ce que j'en
ai vu depuis en quelques-uns» je n'ai rien vu qui
approche de ce que saint Denis en a dit. Ce grand
Saint les surpasse tous selon l'impression qui m'en est
demeurée, et je connais bien que ce grand Saint avait
la lumière du Saint-Esprit, mais que ses paroles n'ont
pu dire davantage, car en effet ce sont des choses
inexplicables. Ce qui me consola fort, fut d'y voir ce
qui y est rapporté de saint Hierothée, qu'il pâtissait
les choses divines ; c'est que souvent et presque conti-
nuellement j'étais, par l'opération du Verbe éternel,
en des transports d'amour, qui me tenaient dans une
privante à sa divine personne, telle que je ne le puis
dire. Cela me faisait craindre de temps en temps que
je ne fusse trompée, quoique mes confesseurs m'assu-
raient que c'était Tesprit de Dieu qui agissait. Cette
lecture m'aida, et quoique je n'y visse pas des transports
comme ceux que je pâtissais, il y avait néanmoins un
sens qui satisfaisait mon esprit et ôtait ma crainte,
car en ce temps-là je n'avais pas l'expérience que j'ai
à présent.
Quant à la seconde chose que vous me demandez
touchant mon état présent, je vous dirai que quelque
sujet d'oraison que je puisse prendre, quoique je l'aie
lu ou entendu lire avec toute l'attention possible, je
l'oublie. Ce n'est pas qu'au commencement de mon
oraiçon, je n'envisage le mystère, car je suis dans
rimpuissance de méditer, mais je me trouve en un
moment et sans y faire réflexion dans mon fonds
ordinaire, où mon âme contemple Dieu, dans lequel
elle est. Je lui parle selon le mouvement qu'il me
518 LETTRES
donne, et cette grande primauté ne me permet pas de
le contempler sans lui parler, et en ce parler, de suivre
son attrait. Si Tattrait est de sa grandeur, et ensemble
(jpie je voie mon néant, mon âme lui parle conformément
à cela. (Je ne sais si ce sont ces sortes d*actes qu*ôn
nomme anagogiques, car je ne m'arrête point à ces
distinctions.) S*il est de son souverain domaine, il en
est de même. S'il est de ses amabilités, et de ce qu'en
soi il n'est qu'amour, mes paroles sont comme à mon
Epoux, et il n'est pas en mon pouvoir d'en dire d'autres ;
cet amour n'est jamais oisif, et mon cœur ne peut
respirer que cela. J'ai dit que les respirs qui me font
vivre sont de mon Epoux ; ce qui me consume de telle
sorte par intervalles, que si la miséricorde n'accofn-
modait sa grâce à la nature, j'y succomberais, et cette
vie me ferait mourir, quoique rien de tout cela ae
tombe dans les sens,' ni ne m'empêche de faire mes
fonctions régulières.
Je m'aperçois quelquefois, et je ne sais si d'autres
le remarquent, que marchant par la maison, je vais
chancelant; c'est que mon esprit pâtit un transport
qui me consume. Je ne. fais presque point d'actes dans
ces occasions, parce que cet amour consumant ne me
le permet pas. D'autres fois mon âme a le dessus, et
elle parle à son Epoux un langage d'amour que lui seul
lui peut faire produire; mais quelque privante qu'il me
permette, je n'oublie point mon néant, et c'est un abîme
dans un autre abîme qui n'a point de fond. En ces
rencontres je ne puis me tenir à genoux sans être
appuyée, car bien que mes sens soient libres, je «uis
faible néanmoins, et ma faiblesse m'en empêche. Que
si je veux me forcer pour ne point û'asseoir ou
m'appuyer, le corps qui souffre et est inquiet, me cause
DE LA MÈRE MARIE DE L'INOARNATION. '54©
«ID6 distraction qni m'ablige de faire T«d ou l'autre, et
pour lors je reviens dans le calme. Comme rien de
matériel ne se trouve en cette occupation intérieure,
parfois mon imagination me travaille par des baga-
telles, qui, n'ayant point de foildement, s'en vont comme
elles viennent. La raison est que comme elle n'a point de
part à ce qui se passe au dedans, elle cherche de quel
entretenir son activité naturelle et inconstante; mais
cela ne fait rien à mon fonds qui demeure inaltérable.
En d'autres rencontres je porte un état crucifiant;
mon âme contemple Dieu, qui cependant semble se
plaire à me rendre captive; je voudrais l'embrasser et
traiter av^c Lui à mon ordinaire, mais il me tient
comme une personne liée, et dans mes liens je vois
qu'il m'aime, mais pourtant je ne le puis embrasser.
Ah! que c'est un grand tourment! Mon âme néanmoins
y acquiesce, parce qu'il ne m'est pas possible de vouloir
un autre état que celui où sa divine Majesté me veut : je
regarde celui-ci comme un état de purgation, ou comme
un purgatoire : car je ne le puis nommer autrement.
Cela étant passé, je me trouve à mon ordinaire.
Quand je vous ai dit ci-dessus ce que mon âme
expérimente de la signification des actes qu'elle pro-
duit, j'ai voulu dire que je suis poussée par l'esprit qui
me conduit conformément à la vue que j'ai, et à ce que
j'expérimente dans son attrait, qui ne me permet pas
d'en faire d'autres (d'autres actes.) Si cette vue et cette
expérience est d'amour, comme celui que j'aime n'est
qu'amour, les actes qu'il me fait produire sont tous
, d'amour, et mon âme aimant l'amour, conçoit qu'elle
est toute amour en Lui. En voilà l'explication. Je
voudrais pouvoir me mieux expliquer, mon très- cher
fils, mais je ne puis. Si vous voblez quelque chose de
520 LBTTRBS
moi, je ne manquerai pas de vous y répondre, si je vis
et si je suis en état de le faire. Si j'étais auprès de vous,
mon cœur se répandrait dans le vôtre, ' et je vous
prendrais pour mon directeur. Ce n'est pas que dans
l'état où je suis, qui est un état de simplicité avec
Dieu, j'eusse beaucoup de choses à dire, car je dirais
quasi toujours la même chose; mais il arrive de certains
cas où Ton a besoin de communiquer; je le fais avec
notre bon Père Lallemant, car encore qu'il touche la
quatre-vingtième année de son âge, il a néanmoins le
sens et l'esprit aussi sains que jamais.
Vous avez raison de faire le jugement que vous
faites du vœu de la plus grande gloire de Dieu, et de
plus grande perfection de sainte Thérèse. J'ai tiré le
papier que je vous ai envoyé des chroniques du Mont-
Carmel, qui disent que dans les commencements elle
avait fait ce vœu absolument et sans restriction. Pour
celui que j'ai fait, tout y est compris, et je ne l'ai point
entendu autrement, et cela pour toute ma vie. Le
révérend Père Lallemant me permet de le renouveler
de temps en temps comme nous faisons nos vœux de
religion. Il eut envie que je fisse comme il est porté
dans ce papier, mais je tâche de me tenir à ce que j'ai
fait, et par la miséricorde de Dieu cela ne me cause
point de scrupule. Si je fais des fautes ou des imper-
fections sans y penser, j espère que Dieu tout bon et
tout miséricordieux ne me les imputera pas à faute
contre mon vœu; il m'assiste pour n'en pas faire
sciemment ; tout cela par sa miséricorde, parce que de
moi je suis une pauvre et une grande pécheresse : c'est
pourquoi priez pour ma conversion.
De Québec, le 8 (t octobre 1671.
DE LA BiÊRB MARIB DE l'IN CARNATION. 521
LETTRE CCXXI.
A LA SUPÉRIEURE DBS URSULTNBS DE MONS.
Elle lai témoigne son regret et sa surprise de n'avoir pas reçu les (Jrsnlines qui
devaient lui yeuir de Mons. — Elle espère qu'elles viendront pins tard. —
Nouvelles des Missions. — Elle regrette encore de n'avoir pas reçu la Vie de
la Mère Anne de Beauvais, qu'elle attendait.
Ma révérende et trôs-chèriB Mère,
Je me suis donné l'honnear et la consolation de vous
écrire par la première voie; — voici la dernière qui
va partir, après quoi nous ne verrons plus que des
glaces sur notre mer douce (le grand fleuve Saint-
Laurent), jusqu'au mois d'avril ou de mai; ~ celle-ci
est pour vous rendre de nouveau mes très-humbles
actions de grâces de toutes vos bontés pour notre
séminaire, qui vous est infiniment obligé et moi plus
qu'aucune autre. — Je ne me souviens plus si je vous
ai dit par ma première lettre si les bonnes Religieuses
qu'on nous a envoyées étaient arrivées en ce pays, elles
le sont heureusement et nous avons été fort surprises
de voir des françaises au lieu des flamandes que nous
attendions et pour lesquelles nous avions déjà préparé
des cellules. Le révérend Père Ragueneau nous a mandé
la raison pourquoi, qu'il a apprise de vous, mon aimable
mère. Ainsi il a fallu nous conformer à la volonté de
Dieu, qui renverse les desseins de ses créatures, quoi-
qua saintes, pour des raisons qui nons sont inoaniiiies,
mais qnli fait éclore en son temps, et c'est ce qui me
fait espérer que nous verrons qnelqne jour de vos
chères filles parmi nous , vous assurant , * ma chère
Mère, que lorsque. nous aurans besoin d*en d^nander
nous nous adresserons à vous. Le révérend Père Rague-
neau nous a assurées qu'il fut. fort im, peine se Tenant
dans l'impuissance de nous envoya de vos chers sœurs;
^ce.fut ce qui le Ai résoudre de. nous enTOjw ,cqU«s
^ui avaient été - sur lé pokit de « &o«s: Tcmr 'Joiadre
il 7 a quatre ans, et qui sont hetireusemeAf ici, comme
je vous l'ai déjà dit.
Le révérend. Père 'de Crépieul fut aussi mortifié que
nous lorsqu'il ne vit point vos chèrw filles; ce fervent
missionnaire est allé dans les bois, lui sfeul Français,
avec tiné troupe de sauvages aved lesquels il hivernera.
Il ne souffrira pas peu le vivre pauvre, ' le lit sur la
terre, et mille autres incommodités quil faut sonflfinr
en suivant ces pauvres peuples pour sauver leurs
âmes. Il vint nous dire adieu, tout riant de ce qu'il
allait souffrir pour Jésus- Christ; il vint nous offrir
une petite sauvage que nour avons reçue de bon cœur,
la joignant à une troupe d'autres que nous élevons
dans notre séminaire. Votre charitable aumône a été
employée pour elles, ma chère Mère.
Vous désirez savoir si je suis hors de chaîne ; oui,
par la grâce de Dieu. Ce fut l'année passée en mars
que l'on m'a élue sous-prieure et maltresse des novices.
J'eusse bien voulu demeurer en repos, mais Dieu ne
la pas voulu, que son saint Nom soit béni.
Ma chère Mère, nous n'avons point reçu le livre
de notre révérende Mère de Beauvais, j'ai écrit au
révérend Père Ragueneau, il vous en remercie d'aussi
DE LA MËRB MARIB DE L*INGARNATION . 5t3
Tïon cœur qneôi nous l'avions reçu; nous nou^'réjouîs-
sons de le voir; — il faut mourir à tout.*
Notre révérende Mère vous supplie d'agréer son
très-respectueux salut; elle vous présente celui de notre
Communauté que nous présentons semblablement à
la vôtre, et surtout nos chôres Canadiennes, que je
présente de bon cœur à Notre-Seigneur en le suppliant
d'être la récompense de vos bontés. C'est dans ce véri-
table désir que je suis sans réserve en l'aimable Cœtir
de Jésus:
Ma révérende et très-chère Mère,
Votre très-humble et très obéissante servante,
Sœur Marie de l'Incarnation, R. U. I.
De Québec, le 9 de novembre 1671.
LETTRE CCXXII.
A .UNE RELIGIEUSE URSULINE DE TOURS.
ABSOCÎation de prières. — Zèle ponr le salut des âmes. — Elle la détrompe de la
fausse nouvelle qu'on lui avait donnée, qu'on faisait acception des maisons
de France, pour en tirer des religieuses pour le Canada.
Ma très-chère et bien-aimée Mère,
C'est avec bien de la joie que j*ai reçu votre chère
Lettre. Oui, mon aimable Mère, tout ce qui vient de
(1) C'est ici la quatrième fois qu'elle exprime le désir d'avoir la Vie de la Mère
Anne de Beauvais.
524 LBTTRB8
VOUS me donne de la consolation. C*est donc tout
de nouveau que j'entre avec vous dans une nouvelle
association de biens spirituels jusqu'à Téternitâ, où il
n'y aura plus de changements ni de renouvellements
à faire. Je fais le semblable à ma révérende ^ère de
l'Annonciation, de laquelle j'expérimente toutes 1^
bontés imaginables. C'est un bon cœur à qui je sou-
haiterais pouvoir correspondre, et à vous, mon aimable
Mère, qui vous intéressez si fortement en tout ce qui
me touche.
Il faut que je vous confesse que j'aimerais la vie,
si je pouvais aider «n quelque chose les âmes rachetées
du Sang de Jësus-Christ et si j'en étais capable; je
souhaiterais vivre jusqu'au jour du jugement pour un
si noble emploi. Mais puisque j'en suis indigne, offrez-
lui ma bonne volonté, et s'il veut que je meure bientôt,
demandez- lui que, puisque je ne suis pas digne de le
faire en cette vie, il diffère de me donner son paradis
après ma mort, pour m'envoyer tout le temps qui sera
convenable à sa plus grande gloire, par tout le monde,
afin de lui gagner les cœurs de tous ceux qui ne l'aiment
pas et qui ne connaissent pas ses amabilités. Car n'est-ce
pas une chose insupportable qu'il y ait encore des âmes
qui ignorent le Dieu que nous servons? Joignez- vous
à moi, mon intime Mère, pour lui gagner des cœurs,
puisqu'il les a tous créés capables de son amour.
Enfin nos bonnes religieuses sont arrivées ici en
bonne santé, et bien résolues de ne se point épargner
à travailler à la vigne de Notre-Seigneur. Nous avons
une très-grande obligation à nos Mères de Tours du
favorable accueil quelles leur ont fait en passant par
leur Monastère. Elles n'ont pas assez de paroles pour
exprimer tout ce qu'elles y ont vu de vertu et de régu-
DB LA MËRB MARIE DR l'INGARNATION. 525
larité. Elles m'ont assuré n'y avoir rien remarqué que
ce qui se pratique dans les maisons d'où elles sont
sorties, tant pour l'esprit de l'observance que pour
le génie des personnes. Je ne voudrais pas pour tous
les biens du monde qu'elles n'y eussent passé, pour le
grand bien que j'espère que cette visite apportera à
toutes nos maisons, savoir le bien de la paix et de la
charité. Leur seul déplaisir est qu'aucune de cette mai-
son n'a passé en leur compagnie, car elles ne sont
nullement partiales, c'est une vérité dont je vous assure.
Si cette privation leur fait de la peine, je n'en suis pas
moins mortifiée, comme d'un bien que j*espérais et
attendais avec ardeur. Il n'a pas tenu non plus au Père
Ragueneau, parce que n'en ayant demandé que de notre
Congrégation, il s'était accordé, selon les ordres de
Mgr notre Evêque, avec les Mères de notre Congréga-
tion de Flandre qu'il nous enverrait de leurs religieuses.
Et en eâet trois devaient passer cette année, car je
conserve encore les Lettres de ces chères Mères, qui
nous témoignent une amitié qui n'est pas croyable.
Le Père demeurait en repos en cette attente, et en effet
il les attendait de jour à autre, lorsqu'on lui apporta
la nouvelle qu'elles étaient retenues par l'ordre, ainsi
que je crois, de leur Prélat. Il écrivit ensuite à Tours,
d'où il n'eut pas une réponse favorable. Il s'adressa
à nos Mères de Vannes, de qui il espérait plus de satis-
faction, mais elles différèrent trop à lui faire réponse.
Tous ces coups ayant manqué, M. Poitevin, Grand-
Vicaire de Mgr notre Evêque, voyant que le temps
pressait, fit une tentative pour avoir les deux de
Bourges .qui avaient été arrêtées il y a quatre ans,
supposé qu'elles fussent encore en disposition de partir.
M. de Bourges étant alors à Paris il fut facile de con-
5^ URTTRSB
clare l'affaire en peu de temps, car la prppoBitîon lu|
en ayant été faite, il les accorda sw^t beaacoap de
peine. D'aillears la Communauté de Paris, qui avait
refusé deux religieuses quelques années auparavant,
a consenti cette année à leur départ : ce Si^nt les deux
que vous avez vues, et qui en vérité sont deux excel*
lents sujets. Les choses ayant été ainsi arrêtées, et les
ordres de M. le Grand- Vicaire délivrés, nos Mères de
Vannes écrivirent qu'elles étaient prêtes, mais on leur
répondit qu'elles avaient parlé trop tard, et que les
ordres étant donnés pour cette année, il leur fallait
t
attendre une autre occasion. Quelque ordre néanmoins
qui eût été expédié, le Père Ragueneau me mande que
si une ou deux de nos Sœurs de Tours eussent été
en disposition de passer, il les eût jointes à celles qui
sont arrivées. Nous avions aussi demandé deux reli-
gieuses de Carcassonne, qui sont de notre Congrégation,
et leur Prélat qui est fort ami du nôtre les avait pro-
mises, mais il est arrivé que la plus considérable des
deux 8*est disloqué un bras, et par cet accident elle
a été dans Tim puissance de partir.
Voilà, ma chère Mère, de quelle manière les choses
se sont passées, et j'ai bien voulu vous en faire un récit
sincère, afin de vous ôter l'impression qu'on vous a
donnée, que Ton préfère la Congrégation de Paris à la
nôtre de Tours. Ce que je vous dis, est si véritable, que
les Mères de Paris n'eussent poiçt eu de peine, si les
vôtres eussent passé à leur exclusion. Elles n*ont point
toutes ces partialités, dont on les accuse; ce sont des
filles très- cordiales et très-humbles, en sorte que quand
on ne leur accorde pas de venir avec, nous, elles ne
laissent pas de nous aimer, et elles n'envisagent ce
refus, qu'à cause qu'elles en sont indignes; c'e^t ainsi
DB LA MËRB MARIS DB l'iNGARNATION. 5^7;
qu'elles parlent d'elles-mêmes, quoiqu'en efiet ce. soient,
de très-riches sujets. Il n'a tenu qu'à nous qjue nos
bonnes Môrea de Saint -Denis en France soient en.
Canada avec nous, et néanmoins elles n'en ont point
de ressentiment. La Mère supérieure m'écrit même
que si ses filles n'ont pas eu le même bonheur que celles
qui nous sont venues, elles n'ont p^s pour cela perdu
le désir d'y venir une autre fois. Elle me. témoigne
encore l'agrément qu'elle aurait si nous allions aux îles
de la Martinique, et que celle de sa maison qui y doit
aller se trouvât en notre compagnie, parce que les
marchands de Québec y envoyant des vaisseaux, il y a
de l'apparence qu'elle prendra cette route.
Je vous assure donc encore une fois que ces bonnes
Mères ne distinguent point leur Congrégation de la
nôtre quand il s'agit de notre mission. Cela serait trop
bas dans des filles qui s'abandonnent comme des vic-
tinàes à un lieu où il n'y a nul attrait pour les sens.
Pour une plus grande preuve de tout ce que je viens
de vous dire, celles qui nous sont venues se mirent
à genoux dès le premier jour de leur arrivée pour
demander notre habit, et ne voulurent pas se coucàer
qu'elles ne l'eussent reçu. Elle9 ont ensuite embrassé
à l'aveugle toutes nos coutumes, quoiqu'elles soient
beaucoup difiérentes de celles de leur Congrégation.
J'ai été étonnée de ce qu'on m'a mandé de chez vous,
que nos chères Sœurs avaient dit en plusieurs rencon-
tres qu'elles passeraient volontiers en Canada, pourvu
qu'elles fussent seules à Montréal. Je ne crois pas que
cela soit véritable; ou s'il est vrai, je crois que c'est une
parole échappée. Car, mon intime Mère, ces paroles
sont-elles de l'Esprit de Dieu, qui unit ensemble les
cœurs dont il veut se servir, afin de n'en faire qu'un?
528 LBTTRB8
Sont-elles dignes d'une âme qui vent sacrifier toas les
sentiments de la nature à la conversion des filles sau-
vages? Si vous saviez ce que c^est que Montréal, vous
n'auriez garde d'y envoyer des religieuses, et quand
vous le voudriez, Mgr notre Evêque n'aurait garde de
le permettre, surtout à de nouvelles venues, et qui ne
seraient pas encore faites au pays ; outre que celles qui
y seraient envoyées n'y pourraient vivre sans être
changées de temps en temps, à cause de Tincommodité
du lieu; il y a encore des raisons très- fortes que la
charité m'oblige de tenir dans le silence. Mais nous
ne serons pas en cette peine, parce que MM. de Saint-
Sulpice, qui en ont la conduite, n'y veulent que des
filles séculières qui aient la liberté de sortir pour aller
çà et là, afin de solliciter (environner de sollicitude) et
d'aider le prochain. Laissons donc conduire le tout à
Dieu, qui fera toutes choses dans le temps ordonné
dans son conseil. Conservez- moi, mon aimable Mère,
votre amitié, et me croyez inviolablement votre....*
(1) Cette Lettre n'est pas datée ; mais on sait par les annales du monastère que
les religieuses de Bourges dont il est parlé arrivèrent à Québec au mois de
septembre 167 1, et la vénérable Mère ne put écrire plus tard pour la raison que
nous dirons à la fin de la Lettre suivante.
DE LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. 529
LETTRE CCXXIII.
A SON FILS.
Guerre allumée entre les Sonontouans et les Outaouak. — Elle est éteinte par
la valeur des Français. — Progrès merveilleux de la foi aux nations du nord,
dont les Français prennent possession au nom du roi. — Chemin par terre
à la grande baie du nord. — Météores et phénomènes rares arrivés cette
année.
* Mon trôs-cher fils,
Je vous écris ce peu de lignes avant que d'avoir reçu
de vos nouvelles, pour vous assurer de la sainte pro-
tection de Dieu sur nous, et sur moi en particulier qui
suis en assez bonne santé pour mon âgé, grâce à la
divine Bonté. Et pour prévenir l'embarras de la
décharge des vaisseaux, je m'en vais vous faire un
petit abrégé de ce qui s'est passé en ce pays depuis
notre dernier entretien.
Premièrement, les Sonontouans ont remué pour faire
la guerre aux Outaouak. M. notre Gouverneur a telle-
naent intimidé les uns et les autres, qu'il les a rendus
amis. Néanmoins, commue l'on ne peut se fier entière-
ment aux sauvages, afin de leur faire voir qu'on les
pourra humilier quand on voudra, il a pris sans faire
bruit une troupe de Français, et s'est embarqué avec
eux en des bateaux et en des canots qu'il a conduits
par des rapides et bouillons où jamais les sauvages
n'avaient pu passer, quoiqu'ils soient très-habiles à
LBTTR. M. II. 34
530 LETTRES
canoter. Il arriva heureusement à Quinte, qui est une
habitation d'IroquoLs, ce dont ces barbares furent telle-
ment effrayés, qu'après avoir longtemps tenu la main
sur la bouche peur marque de leur étonnement, ils
s'écrièrent que les Français étaient des diables qui
venaient à bout de tout ce qu'ils voulaient, et qu'Onon-
thio était Tincomparable. M. le Gouverneur leur dit
qu'il perdrait tous ceux qui feraient révolte, et qu'il
prendrait et détruirait leur pays quand il voudrait.
Vous remarquerez qu'avant ces troubles, les Sonon-
touans étaient d'intelligence avec les Anglais pour leur
mener les Outaouak, afin de frustrer la traite des
Français, ce qui eût perdu tout le commerce. Mais les
Anglais ayant appris ce voyage de M. le Gouverneur
chez les sauvages, ne furent pas moins effrayés que les
sauvages mêmes, et eurent crainte qu'on n'allât les
attaquer pour les chasser de leur lieu. Tous les Iroqaois
sont si petits et si humiliés depuis que les Français les
ont brûlés, que dans la crainte qu'ils ne le fassent
encore, ils sont doux comme des agneaux, et se laissent
instruire comme des enfants. Dieu se sert de tout pour
le salut des âmes.
L'automne dernier, M. l'Intendant envoya un gentil-
homme aux Outaouak, pour reconnaître tous ces pays
et en prendre possession pour le roi. Il doit être deux
ans à toutes ces recherches, durant lequel temps il
accompagnera les Pères dans les missions, pour pren-
dre toutes ces connaissances. Le révérend Père Allouez
a poussé jusque dans une nation encore bien plus
éloignée. Les chemins en ont été fort scabreux et
difficiles'; après quoi, il a trouvé un p^ys merveilleu-
sement peuplé et le plus beau du monde. Les sauvages,
qui l'ont reçu comme un ange, l'ont écouté, et beaucoup
DE LA MERE MARIE DE l'INCARNATION . 531
remercié de leur avoir apporté des nouvelles dont ils
n'avaient jamais entendu parler : savoir qu'il y a un
Dieu, un paradis, un enfer, et autres choses semblables;
et après tout, de leur avoir procuré l'amitié des Fran-
çais, qu'on leur avait dit être si bons à tout le monde.
Sur cela, le Père fit paraître M. de Saint-Lusson, qui
était le gentilhomme' député, et leur dit qu'il était
envoyé vers eux de la part du grand capitaine des
Français, dont ils avaient entendu dire tant de bien.
Ces bons sauvages avaient envoyé dans les nations
voisines, pour leur donner avis que les Français
voulaient faire alliance avec eux. A ces nouvelles, il
vint des ambassadeurs de dix où douze nations, aux-
quels le Père, qui servait d'interprète au député, fit un
discours ravissant des grandeurs et de la majesté du
roi de France, qui les voulait prendre en sa protection,
pourvu qu'ils voulussent être ses fidèles sujets. Tous
y consentirent avec ^es cris de joie et d'applaudisse-
ment, et ensuite l'on planta la Croix comme le trophée
de notre salut, que le roi et tous les fidèles sujets
adoraient. L'on mit vis-à-vis un poteau où les armes
de France étaient attachées, et de la sorte l'on prit
possession de tous ces pays pour Sa Majesté. Ce
révérend Père fait des merveilles avec ces bons néo-
phytes, et il aurait besoin de quatre ou cinq Pères avec
lui pour la grandeur du champ que Dieu lui a donné
à défricher et à cultiver.
Le révérend Père André a fait un bon noviciat en sa
mission, où il n'est que depuis l'été dernier.' Je ne sais
comment lui et son compagnon s'égarèrent du chemin
qui les conduisait au- lieu où ils devaient hiverner.
La famine les saisit de telle façon qu'ils sont quasi
xnorts de faim, n'ayant vécu dans leur égarement que
532 LETTRES
de vieilles peaux et de mousse. Son homme, qai est de
nos quartiers de Touraine, m*a assuré qu*ils étaient
prêts d*expirer quand ils sont arrivés à la résidence
de leurs Pères. Il faut être puissamment animé de
TEsprit de Dieu pour se résoudre à souffrir de sem-
blables travaux. •
Les révérends Pères qui côtoient le long Saut des
Outaouak, où est leur maison fixe, y font des biens
nonpareils pour la conversion de ces peuples. Ces bons
Pères étant allés à quelques lieues de là pour une
affaire qui regarde la gloire de Dieu, la maison, qui
était demeurée seule, a été consumée par le feu avec
Téglise et tout ce qui était dedans. li*on croit avec
raison que le diable, enragé de voir tant de progrès,
a fait ce malheureux coup.^ Au fort de Fincèndie, un
bon Frère qui venait de la campagne, se jeta dans
le feu, et sauva le très- saint Sacrement, laissant le
reste à la merci des flammes. Ayant cet embrasement,
les Pères avaient baptisé trois cents sauvages; c'est
le grief des démons.
Les Pères étant de retour, et se voyant dénués de
tout ce qu'ils avaient (car c'était là que l'on portait
en réserve tout ce qui était nécessaire pour l'entretien
des missions) ne perdirent pas courage. Ils se. mirent
aussitôt avec leurs gens et quelques Français affec-
tionnés, à charpeoter une église et une maison plus
belle et plus spacieuse que la première. Ces bâtiments
sont de poutres éc[uarries et posées les unes sur les
autres. Tout est de bois, excepté la cheminée, les cou-
(1) Noti> avouons ijue [>oiir accuser le diable d'avoir mis le feu à la maison
des missionnaires, ii faudrait J'avoir pris sur le fait. Satan et ses" suppôts sont
enchalnéd pour faire le mal ; malheureusement ils ne le sont pas pour le faire
faire, et ils ne trouvent que trop d'iiislruments dociles.
DE LA MÈRE MARIE DE l/lNCARlV\TION. 533
vertures mêmes sont de planches de pin. L'église ne
fut pas plus tôt refaite, qu'on y apporta quarante enfants
pT^ur être baptisés; et il ne faut point douter que les
démons n'enrageassent- de voir qu'ils avaient plus perdu
que gagné dans l'embrasement qu'ils avaient excité.
L'on a vu dans la même mission des choses mira-
culeuses pour preuve de notre sainte Foi ; ceux qui les
jç)nt vues m'en ont assurée. Ces missions du côté des
Outaouak sont les plus florissantes pour le présent,
et c'est un bonheur pour ces peuples et pour l'établisse-
ment de la Foi de ce qu'ils sont éloignés des Français,
et par conséquent des mauvais exemples et des boissons
qui peuvent enivrer.
Il paraît que la bonté divine veut sauver tous ces
peuples. Il y a plusieurs années qu'on cherche un pas-
sage par terre pour aller à la grande baie du nord.
L'on avait tenté diverses routes, mais en vain, parce
qu'on y voyait les grandes montagnes du nord, qui
en fermaient les avenues. Par une providence toute
particulière, les sauvages de ce pays-là sont venus au'
nombre de quarante cjanots pour traiter avec les Fran-
çais, qui les ont reçus avec accueil, aussi bien que les
sauvages de ces contrées. Il est sans doute que c'est
Dieu qui leur a inspiré ce voyage pour leur salut.
Il y a quelques années qu'un honnête homme de nos
amis voulut sonder s'il pourrait trouver ce chemin,
plus par désir de la conversion de ces peuples que pour
des profits temporels. Quoique ce fût en été, la mer était
pleine de glaces, aussi est-elle appelée la mer Glaciale.
II avait une bonne barque, sans quoi il aurait été perdu.
Chemin faisant, il rencontra un port où il y avait un
grand nombre de sauvages qui le flattaient de paroles
lui et les siens, pour obliger quelqu'un de les aller
534 LETTRES
trouver; un jeune homme fut assez hardi ou plutôt
assez [simple pour descendre. Ces barbares le voyant
à terre, grinçaient des dents comme des chiens en
colère; ils le prirent, le percèrent de coups de couteau
et l'eussent tué et mangé ensuite, si ceux de la barque
ne l'eussent promptement secouru. Le chef voyant tant
d'écueils et tant de glaces, qui ne lui laissaient qu'une
petite voie libre pour la navigation, reconnaissant
encore la malignité de ces peuples, rebroussa chemin,
et se sauva par miracle. Je vous dis ceci pour vous
faire voir la Providence de Dieu, en ce que ces peuples,
qui auparavant étaient si féroces, sont venus d'eux-
mêmes avec une douceur et bénignité inconcevables.
Le révérend Père Albanel est parti avec eux pour
porter la Foi en leur pays; il sait en perfection la
langue Montagnaise, qui est celle de ce peuple. M. l'In-
tendant a envoyé des Français avec le Père pour pren-
dre possession de ces grands pays, qui, outre la Foi,
qui est la fin principale, sont très-avantageux pour le
commerce. Il y a loin d'ici, et peut être n'entendrons-
nous de deux ans des nouvelles de cette mission.
L'on vient do ramener de la mission d'Oiognen le
révérend Père de Carheil, très-digne missionnaire et
très-saint homme. L'hiver dernier, ayant été obligé par
nécessité d'être longtemps dans l'eau pour assister
quelques sauvages, les nerfs se sont refroidis et retirés
de telle sorte que tout un côté est replié en double; et
comme il a été. longtemps sans être secouru, le mal est
devenu incurable. C'est un jeune homme d'environ
trente-cinq ans, fervent au possible, savant dans les
langues Iroquoises, et plein de belles qualités; le voilà
néanmoins perclus sur le lit pour le reste de ses jours.
Il ne se peut exprimer combien les ouvriers de l'Evan-
DE LA MRRE MARIE DE l'INGARNATION. 535
gile souffrent de travaux, ni à combien de périls ils
s'exposent pour gagner des âmes à Jésus-Christ,
Nous avons extrait des Mémoires qu*on a apportés
des Outaouak ce qu'il y a de plus rare et de plus con-
sidérable ; j'en dirai ici quelque chose que vous ne serez
pas marri de savoir, le tout est très- véritable.
Le 21 de janvier de cette année Ton vit un parhélie
dans la baie des Puants, une heure ou deux avant le
coucher du soleil. L'on voyait en haut un grand crois-
sant, dont les cornes regardaient le Ciel, et aux deux
côtés du soleil deux autres soleils également différents
du vrai soleil, qui tenait le milieu. Il est vrai qu'on ne
les découvrait pas entièrement, parce qu'ils étaient
couverts en partie d'un nuage de couleur d'arc-en-ciel,
partie d'une grande écharpe blanche, qui empêchait
i'œil de bien distinguer. Les sauvages voyant cela,
disaient que c'était signe d'un grand froid, qui en effet
fut très- violent le jour suivant.
Le sixième de mars, l'on vit encore un parhélie en
trois endroits différents et éloignés les uns et des autres
de plus de trente lieues. Il fut encore vu en la mission
de saint Ignace, à Missilimakinak, trois soleils distants
les uns des autres comme d'une demi- lieue en appa-
rence. Et voici trois circonstances considérables que
Ton a remarquées. La première est qu'ils se firent voir
deux fois le même jour, savoir le- matin une heure
après le soleil levé, et le soir une heure avant le soleil
couché. La deuxième, que celui des trois, qui le matin
était du côté du midi, se trouva le soir du côté du
septentrion; et en outre celui qui îe matin se voyait
du côté du septentrion, se voyait plus bas que celui du
milieu ; et le soir ayant changé de situation, et pris le
côté du midi, s'était placé, plus haut que le vrai soleil.
Lirm. M. n. 34^
DE LA MÈRE MARIE DR L'INCARNATION. 537
tant de lumière que le vrai soleil en faisait quand le
ciel était bien pur. II y avait apparence de rent en l'air,
parce que les faux soleils disparaissaient de temps en
temps, et même le véritable, au-dessous duquel enfin
parut un quatrième soleil posé en ligne droite, et en
môme distance que paraissaient les deux autres qui
tenaient les côtés. Ce troisième /aux soleil dura peu,
mais les deux premiers ne se dissipèrent pas sitôt :
lorsque les deux faux soleils cessèrent de paraître, ils
laissèrent après eux deux arcs-en-ciel comme deux
beaux restes de leur lumière. Les sauvages qui tiennent
toutes ces choses extraordinaires pour des géoies, et
qui estiment que ces génies sont mariés, demandaient
au Père qui les instruisait si ce n'étaient pas les
femmes du soleil qu'il contemplait si curieusement. Il
leur dit que celui qui a tout fait les voulait instruire
sur le mystère de la très-sainte Trinité, et les désabuser
par le soleil même qu'ils adoraient. Cette réflexion du
Père eut son efiet, parce que dès le lendemain les
femmes, qui auparavant ne voulaient pas entendre
parler de la prière, présentèrent leurs enfants pour
être baptisés.
Enfin le phénomène s'est fait voir le même jour au
Saut, mais d'une façon bien différente et plus admirable,
parce qu'outre les trois soleils qui parurent le matin,
(m en vit encore huit tous ensemble un peu après midi ;
voici comme ils étaient arrangés. Le vrai soleil était
couronné d'un cercle formé des couleurs de l'ara- en-ciel,
dont il était le centre. Il avait à ses deux côtés deux
soleils contrefaits, et deux autres étaient l'un sur sa
tête, l'autre comme à ses pieds. Ces quatre derniers
soleils étaient placés sur la circonférence de ce cercle
en égale distance, et directement opposés les uns aux
538 . LETTRES
autres. De plus, on voyait un autre cercle de même
couleur que le premier, mais beaucoup plus grand,
qui passait par en haut par le centre du vrai soleil, et
a^vait le bas et les deux côtés chargés de trois soleils
apparents; et ces huit luminaires faisaient ensemble
un spectacle très-agréable à la vue.
Voilà un petit récit de ce qui s*est passé de plus
curieux dans les nations. J'ai parlé plus haut de
ce qui s*y est passé de plus saint , savoir de la
conversion des âmes et de rétablissement de notre
sainte Foi. J ai tiré l'un et l'autre des mémoires de
nos révérends Pères, dont la sincérité m'est si con-
nue que j ose bien vous réitérer qu'il n'y a rien qui ne
soit assuré.*
L'on vient d'apprendre que quelques-uns de ceux
qui sont en route pour la grande baie du nord ont
rebroussé chemin, pour apporter la nouvelle que des
sauvages, dont ils ont fait rencontre, les ont assurés
qu'il y était arrivé deux grands vaisseaux et trois
pinasses d'Angleterre, à dessein de s'emparer du port
et du pays ; que les deux vaisseaux s'en sont retournés
chargés de pelleteries, et que les pinasses y vont hiver-
ner. Voilà une mauvaise affaire pour le temporel, peut-
être aussi pour le spirituel, puisque le pays tombe sous
la domination des infidèles. Si l'on y eût envoyé de
France, comme l'on en était averti, cette perte ne
serait pas arrivée. Ceux qui sont partis d'ici pour cette
découverte ne laisseront peut-être pas d'y planter la
( l) Les mémoires dont elle parle étaient la Relation écrite par le Père d'Ablon
supérieur des missions des Outawais, Relation destinée à la publicité, et qui fut
en effet imprimée Tannée suivante 1672. Le récit de la révérende Mère est une
copie textuelle de celui du Père d'Ablon. Seulement le Père d'Ablon écrit Sur-
fiufst au lieu de Sourouest.
DB LA MËRET MARIB DB ^'INCARNATION. 539
croix avec les fleurs de lis à la face des Anglais. Prions
pour cette grande affaire.*
(1) La Lettre qui précède n'est pas datée ; mais il est certain qu'elle fut écrite
en 1671 : d'abord parce que les phénomènes dont il y est parlé eurent lieu le
21 janvier et le 16 mars de celte année; ensuite parce qu'à partir du mois de
janvier 1672 jusqu'au 30 avril où elle mourut, la vénérable Mère fut dans
l'impuissance d'écrire. D'ailleurs elle n'écrivait jamais pendant \^a mois d'hiver,
va qull ne pouvait y avoir alors aucun moyen de faire partir les lettres.
La vénérable Mère parle en quelques lignes seulement d€^ la manière dont
M. de Saint- Lusson prit possession du pays des Outawais au nom de Louis XIV ;
mais nous croyons faire un véritable plaisir at^ lecteur en reproduisant le récit
plus détaillé de cette cérémonie, tel que le donne le Père d'Ablon. On y verra
comment les anciens rois tenaient à revêtir d'un caractère religieux les act^s
qu'aujourd'hui Ton regarde, à tort sans doute, comme purement politiques et
profanes. Il ne doit rien y avoir de profane dans le christianisme. Cette maxime
de saint Paul : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez ; quelque autre
chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu, n oblige les gouverne-
ments aussi bien que les particuliers. Voici textuellement le récit du Père d'Ablon :
Prite de possession, au nom du roi, de tous les pays communément compris
sous le nom des Outaouacs (ou Outawais). '
Nous ne prétendons parfaire ici un narré de tout ce qui s'est passé en cette
cérémonie, mais seulement toucher ce qui regarde le christianisme et le bien
de nos missions, qui vont être plus florissantes que jamais, après ce qui s'est
passé en cette occasion à leur avantage.
M. Talon, notre intendant, ayant, après son naufrage, reçu commandement
du roi de repasser en ce pays, reçut au même temps les ordres de Sa Majesté
d'y travailler fortement à l'établissement du christianisme, en favorisant nos
missions, et à faire reconnaître le nom et la domination de notre invincible
monarque parmi les nations même les plus inconnues et les plus éloignées. Cet
ordre, appuyé des intentions du ministre, qui veille toujours également à étendre
la gloire de Dieu et à procurer par toute ferre celle de son roi, fut exécuté
aussitôt qu'il put l'être, et M. Talon ne fut pas plus tôt débarqué, qu'il pensa aux
moyens de le faire réussir. Pour ce, il choisit le sieur de Saint- Lusson» qu'il
commit pour, en sa place et au nom de Sa Majesté, prendre possession des
terres qui se trouvent entre l'est et l'ouest depuis Montréal jusqu'à la mer du sud,
autant et si avant qu'il se pourrait.
Pour ce sujet, après avoir hiverné dans le lac des Uurons, il se rendit à Sainte*
i
540 .LETTRES
Marie-du-Saut au commencement de mai de cette aonée 1671. Il fit d*abord
convoquer les peu; les d'alentour, de plus de cent lieaea à la ronde, lesquels
s'y trouvèrent par leurs ambassadeurs au nombre de quatorze nations; et ayant
disposé toutes choses nécessaires pour faire que tout réussit à l'honneur de la
France, il commença, le 4 juin de la même année, par l'action la plus soleDoelle
qui se soit jamais pratiquée en ces pays.
Car tout le monde étant assemblé pour un grand conseil public^ et ayant choisi
une éminence trè^-propre à son dessein, et qui domine la bourgade des Sauteurs,
il y fit planter la Croix et ensuite arborer les armes du roi avec toute la magni-
ficence dont il se put aviser.
La Croix fut publiquement bénite avec toutes les cérémonies de TEglise par
le supérieur de ces missions ; et puis étant levée de terre pour la planter, Ton
chanta le Vexilla, que bon nombre de Français, qui se trouvèrent poar lors en
ce lieu, entonnèrent avec l'admiration de tous les sauvages, la joie étant réci-
proque dans les esprits des uns et des autres à la vue de ce glorieux étendard
de Jesos-Cbrist, qui semblait n'être élevé si haut que pour dominer sur les cœurs
de tous ces pauvres peuples.
Ensuite l'écusson de France ayant été attaché à un poteau de cèdre, fut aussi
élevé vis-à-vis de la Croix pendant qu'on chantait VExaudiat. Après cela, M. de
Saint- Lusson gardant toutes les formes ordinaires en pareille rencontre, prit
possession de ces pays, l'air retentissant de cris redoublés de Vfve le Roi ! et de
la décharge des fusils, avec la joie et l'étonnement de tous ces peuples, qui
n'avaient jamais rien vu de semblable.
Après qu'on eut donné lieu à ces bruits confus de voix et de fusils, un grand
silence s'étant fait par toute l'assemblée, le Père Claude Allouez commença l'éloge
du roi, pour faire connaître à toutes ces nations quel était celui dont ils voyaient
les armes et sous la domination duquel ils se soumettaient en ce jour; et comme
il est bien versé en leur langue et en leurs façons do faire, il sut si bien s'accom-
moder à leur portée, qu'il leur donna une idée de la grandeur de notre incompa-
rable monarque, telle qu'ils avouent qu'ils n'ont point de paroles pour énoncer
ce qu'ils en pensent.
« Voici une bonne affaire qui se présente à vous, mes frères, leur dit-il, une
grande et importante affaire qui fait le sujet de ce conseil. Jetez les yeux sur
la Croix qui est si haut élevée au-dessus de vos têtes ; c'est où Jésus-Christ, Fils
de Dieu, s'étant fait homme pour l'amour des hommes, a voulu être attaché et
a voulu mourir, afin de satisfaire à son Père éternel pour nos péchés. Il est le
Maître de nos vies, du ciel, de la terre et des enfers ; c'est celui dont je vuus parle
toujours, et dont j'ai porté le nom et la parole en toutes ces contrées.
» Mais regardez en même temps cet autre poteau où sont attachées les armoi-
ries du grand capitaine de France, que nous appelons le roi. Il demeure au-delà
de la mer; il est le capitaine des plus grands capitaines et n'a point son pareil
au monde. Tous les capitaines que vous avez jamais vus, et dont vous avez
DE LA MÉRB MARIE DE l'INCARNATION. 541
entendu parler, ne sont que des enfants auprès de lui ; il est comme uu .grand
arbre et eux ne sont que comme de petites plantes qu'on foule aux pieds en
marchant. Vous connaissez Onoathio, ce célèbre capitaine de Québec; vous savez
et TOUS expérimentez qull est la terreur des Iroquois, et son notn seul les fait
trembler depuis qu'il a désolé leur pays et qu'il a porté le feu dans leurs bour-
gailes : il y a au-delà de la mer dix mille Ononthio comme celui-là, qui ne sont
que les soldats de ce grand capitaine, notre grand roi dont je parle. Quand il dit
le mot : • Je vais en guerre^ tout le monde obéit. •• Le Père continua sur ce
ton, qui eût certainement paru emphatique dans la chaire de Notre-Dame
à Paris; mais il fit une vive impression sur les sauvages qui l'écoutaient avec
admiration, manifestant une extrême surprise qu'il y eût sur la terre un homme
aussi grand, aussi ricHe, aussi puissant que L'était le roi de France.
La cérémonie se termina par un magnifique feu de joie, pendant lequel on
chanta le Te JQeum.
542 LETTRES
^*
LETTRE CCXXIV.»
A L ABBESSE DE PORT-ROYAL DU FAUBOURG SAINT-JACQUES,
A PARIS.
Elle la remercie de ses libéralités, et lui dit un mot des filles sauvages auxquelles
les Ursulines donneut rinstruction.
Jésus, Marie. Joseph. .
Ma révérende, et -très-honorée Mère,
Salut très-humble au Cœur de notre très-aimable
Jésus.
Il semble à voir, et en effet il est certain que sa
bonté nous va sans cesse procurant des amis,' pour
secourir nos chères néophytes. Votre Révérence est de
ce nombre, de laquelle nous avons reçu les libéralités.
Notre petit séminaire lui en rend un million de remer-
cîments, avec assurance qu'elle aura tous les jours part
aux prières qui sy font.
(1) Celte lettre et la suivante, qui sont conservées à la bibliothèque de la ville
de Troyes, nous sont arrivées trop tard pour être mises à leur place cbrooo-
logique.
Nous n'.ivons, bien entendu, que des copies, dont chacune porte la déclaratioo
suivante :
« Copie certifiée conforma à l'original de la bibliothèque de Troyes par \t
eoDiervateur soussigné.
• Trouez, le SO Juillet 4874.
« COLARD. "
DB LA MÈRE IdARlE DE l'INGARNATIQN. 543
Vous nous avez grandement obligées de ce qu'il vous
a plu nous donner les habits et les toiles, étant ce qui
est très-rare en ce pays. En eflfet, il est très-pauvre de
biens temporels, mais très-riche de biens spirituels,
la divine bonté les y versant en abondance. Il est vrai
que nous sommes plus que suffisamment payées de nos
petits travaux, voyant nos chères séminaristes dans le
vrai chemin du ciel. Je n'eusse jamais cru que des filles
nées dans la barbarie eussent pris des plis comme les
filles de France, et très-avantageusement quant à l'âme.
Vous l'apprendrez par la Relation, qui vous dira des
choses ravissantes des grandes dispositions qui sont
dans toutes les nations circon voisines, qui toutes veu-
lent embrasser notre sainte foi. Je conjure Votre Révé-
rence d'employer tout le crédit qu'elle a auprès de Dieu
et celui de toutes ses saintes filles. C'est ce que j'attends
et ce que j'espère, l'assurant de n'être pas ingrate.
Je la supplie aussi que je me puisse dire, ma très-
révérende Mère,
Votre très-humble et très-obligée sœur et servante
en Jésus-Christ.
Sœur Marie de rincarnation, U, I.
Du séminaire de Saint-Joseph, aux Ursulines de Québec, le
4 de septembre 1641.
544 LETTRES
LETTRE CCXXV.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE CATHERINE AGNES, ABBESSE
DE PORT-ROYAL, A PARIS.*
Sentiments d'une profonde humilité. — Ravages causée par les Iroquois. —
Remerclments pour des libéralités et pour l'envoi d'une biographie.
Jésus, Marik, Joseph.
Madame, raa très-révérende Mère,
Votre sainte bénédiction.
Je ne mérite pas que Votre Révérence ait daigné .
mettre la main à la plume pour nVhonorer de Tune de
ses lettres. Je suis dans une ordinaire confusion de ce
que quantité de saintes âmes regardent de si bon œil
les pauvres religieuses du Canada, lesquelles ont bien
d'autres sentiments délies- mêmes; et pour mieux dire,
qui n'ont dyeux que pour voir leurs misères et leur peu
de correspondance à la haute grâce que la bonté de
Dieu leur a départie.
Il est vrai, ma très-révérende Mère, que jai entendu
parler des plus saints du Canada; tous sont dans leur
néant d'une façon admirable, tant la vue de l'appel
(l) En 1642. date dt» cette lettre, lu Mère Catherine-Agnès n'était pas
Abbesse de Port-Royal, mais elle en remplissait les fonctions à la place de sa
Fceur, la Mère Angc^lique, alors à Maubuissori, dont elle travaillait à réformer
l'abbaye.
DE LA MÈRE MARIE DE l'iNCARNATION. 545
apostolique leur parait sublime et leur correspondance
petite. Il est vrai, les sens ne soutiennent point en
Canada; Tesprit laisse la nature dans les pures croix,
qui se retrouvent, non-seulement en elle-même (la
nature), mais dans toutes les choses qui la peuvent
rendre susceptible de croix. Vous avez en effet compris
cela, ma révérende Mère, en disant que vous respectez
la grâce et l'appel de Dieu en nous.^ Si jamais vous faites
du bien à quelqu'un, que ce soit, s'il vous plait, de
remercier cette bonté infinie de ses miséricordes sur
moi, et lui demander l'anéantissement de mes malices,
qui ne s'arrêtent pas seulement dans le sentiment, mais
passent dans des actes très- fréquents; et c'est ce qui
me fait craindre d'être la cause du retardement des
affaires de Dieu dans sa nouvelle Eglise.
Les Iroquois n'avaient point encore tant fait de
ravage (qu'ils en firent) lorsque Ton était dans les plus
grandes espérances du progrès du christianisme et qu'on
l'expérimentait pan quantité de conversions, tant chez
les Hurons qu'en ces quartiers algonquins.
Les Hurons étant ici venus en traite à leur ordinaire,
(1) Cette phrase, innocente en soi, ne laisse pas d'ôtre quelque peu suspecte
sous la plume d'une sœur d'Antoine Arnauld, et il y a peut-ôlre un rapproche-
ment à faire entre la correspondance de Port-Royal, dont nous avons ici la
révélation, et cet alinéa de la Lettre LXXXIV de la vénérable Mère, page 361
du tome I»*" :
• Quant aux doctrines qui font aujourd'hui tant de bruit en France, je n'ai
garde de me mêler d'en parler, et encore moins d'écrire en aucune manière ni
mes sentiments ni ceux de qui que ce soit touchant l'affaire de M. Arnauld.
Une personne de France qui y est fort engagée m'en ayant écrit, je ne lui ai
point répondu, afin de ne lui point donner sujet de m'en écrire davantage. »
Il n'est pas tépiéraire de supposer que cette personne de France, fort engagée
dans l'affaire de M. Arnauld, a pu être une des cinq sœurs du trop célèbre
docteur, religieuses à Port- Royal. En tout cas on voit avec quelle sagesse Marie
de l'Incarnation savait mesurer sa conduite en toutes choses.
LBTTR. M. II. 35
546 LETTRES
lun de nos révérends Pères de la Compagnie et plu-
sieurs chrétiens, tant Français que de leur nation, en
s'en retournant, ont fait rencontre des Iroquois, qui
s*étant trouvés les plus forts, les ont défaits, en ont tué
plusieurs, chrétiens catéchumènes et autres, puis ils
ont emmené captifs le pauvre bon frère Jacques, une
de nos séminaristes huronnes, ses parents chrétiens
qui la ramenaient, des Français et des sauvages en
nombre. En sorte que si leur rage accoutumée 8*exerce
à lendroit de nos pauvres captifs, ils leur feront souf-
frir des tourments incomparables. Ils ne feront pas
mourir notre pauvre fille, mais ils la marieront en cette
barbarie, oii son salut sera en grand hasard, pour
être (vu qu'elle sera) destituée de toute aide. C'est une
très-bonne chrétienne, que nous avons eue deux ans ;
elle sait lire et écrire ; elle retournait en son pays pour
gagner celles de son sexe à la foi et aux mœurs. Possible
Dieu se servira-t-il d'elle pour les filles Iroquoisçs. Cela
nous étant inconnu, nous attendons les événements
du dessein de la Majesté divine sur toutes ces pauvres
victimes, que je vous supplie de lui faire recommander
pour qu'elle en tire sa gloire.
La Relation vous fera voir cette histoire par le menu,
comme le progrès de TEglise. Vous pouvez juger si
notre affliction a été grande pour les choses susdites,
et dautant plus qu'on n'y peut apporter remède, les
difficultés de secourir nos gens étant insurmontables.
Adorons ensemble les jugements de Celui qui mortifie
et vivifie comme il lui plaît.
Je rends de très-humbles grâces à Votre Révérence
de ses bienfaits, tant spirituels que temporels. Nous
avons été grandement édifiées d(3 la lecture du livre
de votre bienheureuse enfant, en laquelle il parait que
DE LA MÈRE MARIE DR l'INCARNATION. 547
la grâce avait pris place. Nous avons des filles saù-
sagesses qui parlent français ; nous le leur donnerons
à lire pour leur utilité; et à une de son âge les habits
et autres choses pour son usage. Cest une fille qui,
quoique jeune, est grandement avancée. Elle a com-
munié à Pâques avec des sentiments tout extraordi-
naires. J'ose vous la recommander, ainsi que 'toutes
ses compagnes, mes sœurs, et moi qui en ai plus besoin
que toutes. Cesf ce que je puis assurer à Votre Révé-
rence, comme de me dire en toute humilité.
Madame ma très-révérende Mère,
Votre très-hunlble fille et très- obéissante servante
en Jésus- Christ,
Sœur Marie de llncarnation, R. L
De Québec, au monastère des Ur salines le 30 daoût 1642.
FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.
TABLE DES MATIÈRES.
-•o^
CXIII. A son flU. — E)lle dit avec assurance que Dieu a voala le réta-
blissement de son . pionastère, quelque apparence qu'il y eût
du contraire. — Troubles de France, dans lesquels les soldats
français ont été plus à craindre en quelque façon que les Iro-
quois. -<» Raisons pourquoi il n'était pas expédient pour un
temps d'appeler des religieuses de France. — L'archevêque de
Rouen se déclare ordinaire du Canada, et en fait les fonctions. 1
CXIV. A une de ses soeurs, — Nouvelles insultes des Iroquois. — Les
Français les défont et leur donnent la fuite.— Secours envoyé
contre eux par le roi de France 10
CXV. A une de ses sosurs, — Après lui avoir montré que connaître et
aimer le Cœur de Jésus-Christ, c'est la véritable science des
saints, elle l'exhorte à demander en son nom la conversion des
sauvages infidèles 1%
CXVI. A sa première supérieure de Tours, — Quérisons miraculeuses
arrivées par l'invocation de la Mère Marie de Saint- Joseph. —
Elle- témoigne combien la persécution de l'Eglise lui a été
sensible, et qu'elle l'a portée néanmoins avec paix et tran-
quillité. — Son zèle pour le salut des Ames ....*. 15
CXVn.^ A la supérieure des Ursulines de Dijon, — Les Iroquoii
feignent de chercher la paix : cependant ils assiègent les Trots-
Rivières, et prennent le révérend Père Poncet pritonnier. —
Nouvelles propositions de paix 21
CXVIII. — A son fils. — Elle le remercie d'un panégyrique de saint
Benoit qu'il lui avait envoyé, et lui dit ses sentinoents sur son
550 TABLE.
éléTatibn à la supériorité. — De quelle manière elle a entreprie
d'écrire la conduite de Bleu à son égard ....*... 26
CXIX. A une dame de sa connaissance, — Estime qu'on doit avoir pour
la grâce de la Tocation à la Foi 41
CXX. A son fils. — Elle s'excuse d'avoir tardé à lui envoyer le récit de
sa vie spirituelle. — Motifs pour lesquels elle s'y est enfin
décidée. — Elle se prémunit contre l'opiDion favorable qae
l'on pourrait avoir d'elle à cause des gr&ces qu'elle a reçues . 42
CXXI. Au mime, — Elle lui parle de la Relation de sa vie qu'elle lui
envoie, et de la manière avec laquelle elle l'a écrite. — Pour-
quoi Dieu permet que <mux qui gouvernent les ftmes soient
tentés. — Ils ne doivent pas pour cela quitter leur emploi. 50
CXXII. A une dame de ses amies, — Il est dangereux de négliger «on
salut. — Par cette négligence l'âme tombe de précipice en
précipice, d'où il est difficile de se élever 54
CXXIII. A une de ses soeurs, — Chacun doit tendre au ciel par des
moyens conformes â sa condition. — Les biens de la grâce
et de la gloire sont les seuls véritables biens ...... 56
CXXIV. A une religieuse Ursuline de Seltes-sur-Cher, — L'observance
régulière bien gardée conserve le temporel d'une maison. —
Confiance qu'il faut avoir en la divine Providence dans le
temps de la pauvreté 58
CXXV. A son fils, — Toutes les nations Iroquoises concourent à deman-
der la paix. — Salines considérables dans le pays des Iroquois.
— Découverte d'une mer que l'on croit être celle de la Chine. 60
CXXVI. Au même. — Elle le conjure de faire en sorte que les papiers
qu'elle lui envoie ne soient connus de personne, et de les jeter
au feu au cas où il se verrait en danger de mort 69
CXXVII. Au même, — Ceux qui veulent avancer dans la voie de l'esprit
doivent se résoudre à la tentation et aux épreuves. — Tra-
hison d'une nation iroquoise et conversion des autres ... 70
CXXVIII. A une dame de ses amies. — Ella la console en ses afflictions, et
lui enseigne que la croix est l'instrument avec lequel Dieu fait
les saints 75
CXXIX. A une religieuse Ursuline, maitresse des novices. — Elle lui fait
paraître son zèle pour les missions, et lui demande le secours
^ •
TABLR. 55]
de 868 prières et de celles de ses novices, afin qull plaise
à Dieu de les faire réussir 77
CXXX. A son /fis. — De l'excellence du par amoar de Dieu. — Qae les
tentations et les épreuves ont pour but de faire avancer les
ftmes dans la voie de la sainteté, mais que si l'on n'y prend
garde, elles produisent un effet contraire. — Tentation de
désirer être assuré de son salut ; ses inconvénients, ses re-
mèdes. — Elle témoigne sa douleur de ce que deux de ses
religieuses veulent retourner en France 78
CXXXI. A une Jeune novice, — Elle lui témoigne sa joie de ce qu'elle
se donne à Dieu, et lexhorte à être fidèle à la gr&ce de sa
vocation 83
CXXXII. A son fils, — Les Iroquois Agnerognons continuent leur boa*
tilité. — Ils demandent la, paix, qui enfin devient universelle. 84
CXXXIII. A la supérieure des XJrsulines de Tours, -^ Elle fait un récit
détaillé de tout ce qui s'est passé dans l'union des religieuses
de Tours et de Paris au Canada, et dans le cbaugement des
constitutions de ces deux Congrégations. — Elle justifie sa
Communauté de quelques plaintes qu'on avait faites contre elle. 93
CXXXIV. A son fils, — Etablissement de la Foi chez les nations Iroquoises
supérieures, et nouvelles hostilités des Iroquois Agnerognons. 105
CXXXV. Au même. — Après l'avoir biftmé de ce qu'il ne lui écrivait pas
assez souvent, elle lui donne un avis important touchant
l'oraison 111
CXXXVI. Au même, — Elle lui témoigne le désir qu'elle a de sa perfec-
tion. — Dieu se sert des afflictions corporelles pour détacher
les &mes des créatures. — Elle lui parle d'une maladie extrême
dont Notre-Seigneur l'a guérie 114
CXXXVI I. Au même, — L'importance d'une bonne vocation dans les reli-
gienses qui veulent aller en Canada : et que la vertu, même
excellente, court risque du naufrage dans les parloirs . . • IH .
GXXXVIII. Au même, — Progrès de la Foi parmi, les nations iroquoises.
— Passage des religieuses de France en Canada. — Solution
complète (lu malentendu qui avait eu lieu entre elle et son
fils. — Opposition de l'amour-propre à l'esprit de Dieu . . 119
CXXXLX. Au' même. — Dieu dispose les Ames à de hauts dessein» par
la solitude. — Tout profite à uue &me qui se conserve dans
562 TABLE.
FunioD avec Dieu. — But de ses affaires domestiques et de
celles du pays 123
CXL. Au même. — Ck>njuratioD secrète des Iroqoois contre les révé-
rends Pères Jésuites et les Français, qui, en étant avertis, se
retirent secrètement à Montréal. — Projet des mêmes Pères
de retourner aux Iroquois '.128
CXLI. Au même, — Arrivée d*un évèque à Québec. •» Accroissement
notable de la colonie de Montréal. — Les Iroquois continuent
leurs hostilités. — La mort du révérend Père de Quen, jésuite. 1 37
CXLU. A une religieuse UrsuUne, — - Le bonheur qu*il y a d'être déta-
ché du monde pour servir Dieu. — Que les amitiés sont
saintes et salutaires quand on s'aime en Jésus-Christ. • .144
CXLIII. A son fils, — Que c'est une excellente union avec Dieu de faire
sa volonté. Qu'il ne faut point abandonner les affaires que
Dieu demande de nous, encore qu'il soit difficile de les faire
sans contracter quelque souillure 145
CXLIV. Au même, — Dessein des Iroquois sur Québec. — Défaite des
Français, des Algonquins et des Hurons par ces barbares . 148
•
CXLV. Au même, — Etat du pays. — Ses propres dispositions. —
Eloge de Mgr l'évoque de Pétrée, et de M. d'Argenson, gou-
verneur. — Activité de la Mère de rincarnation dans les
mesures de défense contre les Iroquois 166
»
CXLVl. A son ancienne supérieure de Toui^s. — Des biens renfermés
dans la croix. — Vives alertes à roccasion des Iroquois. —
De la pauvreté et du soin des affaires temporelles . . . .173
CXLVII. A une religieuse Ursuline de Tours. - Elle la console de la
mort d'un de ses parents et d'une religieuse de ses amies. —
On ne doit point être surpris quand on apprend la nouvelle
de la mort de quelqu'un qu'on aime. — Bonne régularité des
Ursulines de Tours. — Il faut toujours croître en vertu, et
cet accroissement est une marque qu'elle est véritable. . .HT
CXLVIII. .4 son fils, — Elle compatit à une infirmité habituelle dont il
était incommodé, et l'exhorte à la patience. — Elle s'excuse
de se renJre à la j)rière qu'il i^ii avait faite de traiter des
matières spirituelles 179
CXLIX. A une religieuse Ursuline de Tours. — Mgr l'évèque ordonne
que, contre la coutume, la charge de maîtresse des novices
TABLE . 553
soit élective, et que la supérieure ouvre les lettres des
religieuses 181
CL. A une jeune religieuse Ursuline, — Elle l'exhorte à mourir à
^ elle-même, et à s'avancer sans relAche dans la perfection. . 186
CLI. A son fils, — Etat des affaires du Canada depuis le mois de juin
jusqu'en novembre. — Desseins des Iroquois découverts. —
Mort chrétienne de quelques Français par les mains de ces
barbares ^ .... 18
CLII. A la supérieure des Ursulines de Tours, ^ — Mgr l'archevôque
de Tours a fait imprimer le coutumier des Ursulines de sa
ville. -^ Mgr de Petrée veut aller plus loin pour Québec et
changer les constitutions 192
CLIII. ti son fils, — Le voyant dégagé de l'embarras de ses affaires,
elle l'exhorte à profiter du repos que Dieu lui donne pour
faire un amas de vertus. — Elle parle de sa dévotion au Cœur
du Verbe incarné, à la sainte Vierge et à saint François de
Paule- 190
CLIV. Au même. — Français massacrés par les Iroquois Agneronnons.
— Les Iroquois supérieurs demandent la paix. — Accidents
et présages funestes 202
CLV. Au même, — Les Iroquois Agneronons continuent leurs hos-
tilités, et les Onnontageronons nous demandent la paix. —
Conduite de M. d'Argensou dans son gouvernement de la
Nouvelle- France 211
CLVI. Au même, — Mortalité arrivée en France. — Trahison des
Ircquois découverte. — Zèle merveilleux de la Mère de l'In-
carnation pour le salut des âmes, et & pourvoir aux moyens
de les instruire 216
CLVII. Au même. — Désordre effroyable causé par l'usage du vin et
de l'eau -de- vie. Mgr l'évoque de Petrée va en France pour y
apporter remède 220
CLVI 11. Au fHème, — Le roi envoie des Commissaires dans la Nouvelle-
France pour prendre possession du port de Plaisance; et pour
examiner la nature et la qualité du pays 223
CLIX. Au même, — Relation du tremblement de terre arrivé au
Canada dans l'année 1663, et de ses effets merveilleux . . 226
CLX. Au même, — Sa résignation à mourir dans le tremblement de *
terre ; et qu'il importe peu par quel genre de mort on sorte
de ce monde. — Sou appréhension pour la supériorité. . . 252
i
554 TABLE.
CLXI. Au même. — Elle est remise contre son gré dans la charge de
supérieure. — Dispositions admirables de son intérieur dans
les tremblements de terre. — Différence de l'union avec Dieu
dans les affaires extérieures et dans le temps de l'oraison. . . 254
CLXII. A une supérieure d'UrsuUnes, — Elle lui parle dune réponse
à des questions qu'on lui avait faites, réponse dont elle a
chargé une de ses jeunes religieuses. — Difficulté de sou-
mettre les filles sauvages à la vie clottrée. — Elle lui envoie
une description en vers du tremblement de terre. — Pro-
messe d'envoyer un pied d'élan quand la saison le permettra. 259
CLXI II. A une religieuse du Calvaire — Elle lui fait le récit de la
translation du corps de la Mère Marie de Saint-Joseph, aa
sœur, de ses anciens cercueils en d'autres nouveaux . . . 263
CLXIV. A son fils. — Le roi se rend le maître du Canada, où il envtiie
un intendant pour recevoir en son nom les hommages des
habitants, et y établir des officiers pour y exercer la justice
et y maintenir la police 266
CLXV. Au même, — Ses sentiments touchant la translation du corps
de saint Benoit dans une magnifique ch&sse, au mois de mai
de l'année 1663. — ^ Générosité avec laqtfielle elle abandonna
son fils en se rendant religieuse, et depuis encore en allant en
Canada. — Effet de cet abandonnement 270
CLXVI. Au même. — Reste des tremblements de terre. — Le Roi con-
tinue de peupler le pays. — Les Iroquois continuent d'exercer
leurs hostilités : ils sont défaits par les Algonquins. — La foi
pénètre chez les Papinachois. — Eloge de la piété d'une
femme sauvage 273
CLXVI I. .4 une religieuse Ursuline de Tours, — Elle l'assure que son
dessein est de mourir en Canada, et la console au sujet d'une
de ses parentes engagée dans une occasion dangereuse pour
son salut 283
CLXVIII. A une Ursuline de Tours. — Nouvel éloge de la Mère Marie
de Saint-Joseph • . . . 286
CLXIX. A son /Ils. — Arrivée de M. de Tracy à Québec. — Il se dis-
pose à combattre les Iroquois. — Divers météores et phéno-
mènes qui ont paru cette année 289
CLXX. A son fils. — Vision par laquelle Dieu l'avait disposée à sup-
porter les douleurs d'une longue maladie. — Sa fidélité et sa
patience héroïques dans ses douleurs. — De l'utilité des tenta-
tions. — Explication des trois états de la contemplation passive. 294
^
TABLK. 555
CLXXI. Au même. — Elle témoigne le plaisir qu'elle a de le voir reli-
gieux. — Jaloasie des gens da monde contre les religieux
et les serviteurs de Dieu. — Effets miraculeux arrivés par
la dévotion à la Sainte-F|imille 304
CLXXII. Au même. — Embrasement de l'église et du fort de Tadoussac.
— Accident funeste survenu aux Ursulines. — Arrivée de
l'armée française à Québec. — Orftces obtenues par la dévo-
.tion à la Sainte-Famille .' 307
CLXXIII. Au méme,.^ Naufrage du Vice- Amiral retournant en France.
— Le pajs. se peuple et devient meilleur de jour en jour . .31
CLXXI V. A une religieuse Ursuline de Tours. — Elle répond avec une
admirable douceur et modestie, à- quelques faux bruits que
l'on avait fait courir contre son monastère ... . % . .315
CLXXVr .•! son fils, — Il ne faut se prescrire aucun terme dans l'Orai-
son, mais se laisser conduire par l'esprit de Dieu jusqu'à ce
que lui-môme nous arrête. — Etat où il arrête les &mes
fidèles, qui est celui où elle était lorsqu'elle écrivait cette
lettre. — Son indifférence et sa résignation pour les charges. 318
CLXXVI. Au même, — Cérémonie remarquable faite & Québec en la
translation des corps de saint Flavien et de sainte Félicité. —
Arrivée de l'armée française au pays des Iroquois .... 222
CLXXVII. A une de ses sœurs, — Après lui avoir dit ses dispositions
corporelles et spirituelles, elle lui parle du départ de Tarmée
marchant contre les Iroquois 325
CLXXVII I. A son fils, — Les Français s'emparent des villages des Iro-
quois, les pillent et y mettent le feu 327
CLXXI X. A la supérie-^re des Ursulines de Tours, — Elle lui témoigne
- sa joie de son élection à la charge de supérieure . . . .337
CLXXX. A une religieuse Ursuline de Tours, — Elle la félicite de ce
qu'elle soit déchargée de la supériorité. — Que la gprftce
supplée au défaut de l'industrie naturelle dans les supérieurs
légitimes. — Qu'il faut mettre de la différence entre la sévé-
rité et l'exactitude dans une supérieure. — Elle déplore le
refroidissement du siècle pour lés maximes de l'Evangile . . 339
CLXXXI. A son fils, — Sa patience héroïque dans ses infirmités. — Sa
profonde humilité, s'estimant inférieure en vertu à celui à
qui elle écrit - . 34 1
CLXXXII. Au révérend Père Poncet de la Compagnie de Jésus, — Elle
lui parle des progrès de la religion et de TEtat dans le
556 TABLK .
Canada. — Elle Tenlretient de set dispositions particulières,
surtout de sa joie dans les souffrances. — Elle le remercie
de quelques reliques qu'il avait envoyées à son monastère . 345
CLX XXIII. A son flU, — Les Iroquois demandent la paix aux Français.
Mission aux Outaouak et autres nations plus éloignées. — ^
Retour de M. de Tracy en France 349
GLXXXIV. Au même. — Que l'entretien familier avec Dieu fortifie l'âme
dans les emplois extérieurs et distrayants. — Elle parle
encore de l'amour qu'elle a pour les souffrances qu'elle
endure 355
CLXXXV. Au même, — Elle recommande qu'on lui dise des messes
après sa mort, qu'elle croit être proche. — Sainteté que
Dieu demande d'une Ame qu'il admet à son union. — II y
a une vraie et une fausse paix dans la vie spirituelld. . . 357
CLXXXVI. Au même, — Disposition présente de la Mère de l'Incarna-
tion et son zèle merveilleux pour le salut des filles sauva-
ges. — Etat du monastère des Ursulines de Québec. —
Services qu'elles rendent à tout le Canada 360
CLXXXVII. A la supérieure des Ursulines de Dijon. •- Elle lui parle du
progrès de la Foi en Canada , et lui dit son sentiment
touchant la vénérable Mère de Saint-François-Xavier, dont
elle lui avait envoyé la vie 366
CLXXXVI II A son /Ils. Alliance des Français avec les Anglais établis dans
la nouvelle Hollande. — Progrès des Missions chez le»
nations iroquoises. montagnaises. outaouak et autres plus
éloignées. — Nouvelle comète. — Nouveau tremblement de
terre 36S
CXXXIX. Au même. — La confiance admirable qu'elle a eue en Dieu
dès son enfance. Elle parle aussi des grandes vertus de la
Mère de Saint- Augustin, religieuse Hospitalière . . 376
CXC. A une religieuse Ursuline de Tours. — Elle lui parle avec
éloge de sa sœur, la Mère Marie de Saint-Joseph .381
T/XCI. A une religieuse Ursuline de Tours. — Elle se réjouit Je la
voir souffrir avec patience les douleurs d'une grande mala-
die ; et par une amitié toute surnaturelle, elle lui en désire
encore de plus grandes 38^
r.Xriî. A une supérieure d' Ursulines du monastère de Saint- Denis,
«n France. — Elle lie avec elle une union sainte et une
communication de biens spirituels et lui décrit la pauvret*
TABLK. 557
de son monastère. — De quelle manière on francise les
sauvages ....*. 387
CXCIII. A son fils. — Quoiqu'il faille craindre Vélévation dans les char-
ges, il faut néanmoins s'abandonner à Dieu. — Elle parie
de son oraison de respir, et de la crainte qu'elle avait de
déchoir de la grâce, quelque élevée qu'elle fût dans les voies
de Dieu. — Protection de la sainte Vierge sur son monas-
tère et sur elle en particulier . . . . ^ 391
CXCIV. Au même. — La paix favorise les ouvriers de l'Evangile. — A
l'imitation des révérends Pères Jésuites, \^ ecclésiastiques
travaillent dans les Missions. — Emplois ordinaires des sau-
vages. — Il est difficile de les polir et civiliser. — Maladies
universelles que l'on dit être les effets des comètes .... 395
CXCV. A sa nièce, religieuse Ursuline, — Elle lui parle de la conduite
de Dieu sur son fils et sur elle, et des dangers où est un reli-
gieux élevé dans les charges . . k 398
CXCVI A son fils. — Retour de M. Talon en France. — Personnes
ramassées et envoyées en Canada. — De la nature et qualité
des fruits de ce pays-lA. — Eloge d'un honnête bourgeois
de Québec 401
CXCVII. A une religieuse Ursuline de Tours,.— Elle lui témoigne les
désirs qu'elle a de mourir, afin de jouir de Dieu, et sa {oie
d'être à la veille d'être déchargée, afin de s'y préparer . . . 406
CXCVII I. A son fils, — Description touchante de sa vocation à l'état
^ligieux, et de la conduite de Dieu sur elle et sur son fils. . 407
CXCIX. Au même. — Progrès de la Foi chez les Iroquois, Outaouak
et autres nations. — Industrie des Pères Jésuites pour attirer
les sauvages. — Zèle d'un jeune laïque qui s'était dévoué au
service des Missions . .. 411
ce. Au révérend Père Poncet, Jésuite, — Industrie des révérends
Pères Jésuites pour convertir les sauvages. — Elle fait avec
adresse l'éloge dii Père à qui elle écrit 417
CCI. A la supérieure des Ursulines de Mans, — Elle la remercie de
lui avoir appris qu'il y a un grand nombre de monastères
d'Ursulines de la Congrégation de Bordeaux en Flandre et en
Allemagne. — Nouvelles du Canada et du couvent de Québec.
— Elje remercie les Ursulines de Mons de ce qu'elles font faire
une nouvelle vie d'Anne de Beauvais. — Eloge de la défunte
Mère Marie de Saint • Joseph. — Conversions parmi les
sauvages 419
558 TABLE.
CCII. d la supérieure des Ursulines de S€rtnt- Dents en France, —
Elle lexhorte à la Mission de la Martinique, et loi montre
qu'il faut surmonter toutes les contradictions quand il faut
rendre service à Dieu dans ces sortes d'entreprises . .428
CCIII. .1 son /Ils. — Elle le remercie de quelques livres qu'il lui a
envoyés, particulièrement d'un intitulé : Méditations chré-
tiennes, et d'un autre qui porte pour titre : V Année bénédic-
tine, — Son sentiment de l'un et de l'autre 432
CCIV. Au même, — Le roi continue de peupler le Canada. — M. Talon
part de France pour y retourner. — Tempête effroyable arrivée
& Québec et sur la mer. '— Troubles entre toutes les notions
sauvages et les Français ; ils sont apaisés par la prudence
du Gouverneur des Françaia et du Père Chaumonot, Jésuite.
-:- Forme de justice des sauvages contre les homicides. —
Découvertes de nouvelles mines et de nouvelles carrières . . 434
CCV. Au même, — M. Talon, après une furieuse tempête, arrive enfin
en Canada, où les révérends Pères Récollets, qui en avaient
été les premiers missionnaires, reviennent avec lui. — Pro-
grès de la Foi chez }es nations iroquoises, outaouak et
autres. — Prodiges miraculeux en faveur du saint baptême.
— Découverte de la grande baie du Nord par un Français
tourangeau. — Nouvelle peuplade pour le Canada .... 442
ce VI. A la supérieure des Ursulines de Tours, — Elle la félicite de ce
qu'elle est déchargée de sa supériorité. — Avantage de ceux
qui ne sont point en charge. — Hiver rigoureux de cette
année en Canada 448
CCVil. A une religieuse Ursuline de Tours. — Elle lui rend compte
de sa disposition tant intérieure qu'extérieure, et elle fait en
peu de mots l'éloge de la Mère Marie de la Nativité . . . 450
CCVIIl. A la supérieure des Ursulines de Mons, — Elle la remercie de
différents cadeaux, et elle lui demande la liste des maisons
d'Ursulines sorties de Liège. — Le cardinal de Sourdis, par
commission du Saint-Siège, a agrégé à la Congrégation de
Bordeaux toutes les maisons d'Ursulines sorties de Liège.
— Union étroite de charité entre Ja Congrégation de Paris
et celle de Bordeaux. — Nouvelles du pays. — Elle désire
la Vie d'Anne de Beauvais 452
CCIX. \u révérend Père Poncet, Jésuite. — Elle lui parle de la Mis-
sion que les Ursulines de Saint- Denis avaient dessein d'entre-
prendre à la Martinique ; de la Vie de la Mère de Saint-
TABLE. 559
Augustin, religieuM Hospitalière de Québec; de ses propres
dispositions. 45g
CCX. A la supérieure des Ursulines de Saint-Denis en France, —
Elle continue de l'exhorter à la Mission de la Martinique. —
Les Ursulines de Québec ont le désir d'y aller. — NouTelle
élection d'une nouvelle supérieure en Canada. . . .'463
CCXf. A la supérieure des Ursulines de ^ons, — Elle la prie de tou-
loir bien seconder des démarches que l'on faisait, pour obtenir
de quelque Communauté d'Ursulines de Flandre des religieuses
qui voudraient se joindre à celles de Québ^ 466
CCXII. A Mgr Tarchevêque de Tours. — Elle lui fait connaître ses
dispositions particulières, l'état de son monastère et celui
de tout le pays 468
CCXIII. A son fils, ^~ Quand Dieu nous engage dans les emplois, il faut
les aimer, non parce qu'ils sont éclatants, mais parce qu'ils
sont dans l'ordre de sa volonté. — Son humilité profonde,
son union intime, son commerce familier et contifiuel avec
Dieu. — Qualités de cette union et de ce commerce. — La
simplicité de son oraison, r- Perte de son Ame en Dieu. —
Explication de son vœu de plus grande perfection . . . .471
CCXIV. A la supérieure des Ursulines de Dijon, — Elle lui parle de la
découverte des nations les plus éloignées du côté du nord . . 477
CCXV. A son fils, — Elle montre par elle-même qu'il faut porter avec
patience et résignation le poids de la nature corrompue. —
Nécessité qu'il y a de confier son ftme à un bon directeur. —
Elle le remercie de quelques reliques qu'il lui avait envoyées . 480
CCXVI. Au même, — Elle répond à quelques demandes qu'il lui avait
faites touchant la religion, les mœurs et la police des sauvages. 483
CCXVI 1. Au révérend Père Poncet, Jésuite, — Elle lui fait le récit de la
vocation de madame de la Peltrie au Canada, et des princi-
pales vertus et actions de sa vie. — Explication relativement
à ce qu'elle avait dit dans la Lettre CCIX au sujet de la Mère
de Saint- Augustin, Hospitalière 490
CÇXVIII. .4 sa nièce ^ religieuse. — Elle lui donne des avis salutaires au
sujet d'une antipathie naturelle qu'elle avait contre sa supé-
rieure 504
CCXIX. A la supérieure des Ursulines de Mons. — Elle la remercie pour
une aumône. — Elle s'explique sur des malentendus et des
difficultés qui avaient eu lieu relativement à des religieuses
56U TABLR.
d« Moos que l'oo atteoilait à Québec. — > Religieuses de Paris
et de Bourges qui sont eo Canada. — Ce qui s'est |>assé à
Québec. — Mort d*uoe petite sauvage, modèle de piété et
miracle de patience '. 507
CCU. A tan /ils. — Circoostances du ravissement admirable dans
lequel Dieu lui donna la connaissance du mystère de la très-
sainte Trinité, dont il est parlé dans l'histoire de sa vie. — Son
oraison de respir, où elle montre que, quelque élevée que soit
une oraison, on n'y est pas pour cela exempt de distraction.
— Elle a gardé son voeu de faire ce qui est plus parfait, abso-
lument et sans restriction 513
CCXXl. .1 la supérieure des Ursulines de Mons, — Elle lui témoigne son
regret et sa surprise de n'avoir pas reçu les Ursulines qui
devaient lui venir de Mons. — Elle espère qu'elles viendront
plus tard. — Nouvelles des Missions. — Elle regrette encore
de n'avoir pas reçu la Vie de la Mère Anne de Beauvais,
qu'elle attendait 521
CCXXll. À une religieuse Ursuline de Tours. — Association de prières.
— Zèle pour le salut des Ames. — Elle la détrompe de la
fausse nouvelle qu'on lui avait donnée, qu'on faisait accep-
tion des maisons de France, pour en tirer des religieuses pour
le Canada 523
CCXXIII. A sou /Ils. — Guerre allumée entre les Sonontouans et les
Outaouak. — Elle est éteinte par la valeur des Français. —
Progrès merveilleux de la foi aux Dations du nord, dont les
Français prennent possession au nom du roi. — Chemin par
terre à la grande baie du nord. — Météores et phénomènes
rares arrivés cette année 529
CCXXl V . A l'abbesse de Port-Royal du faubourg Saint-Jacques, à Paris.
— Elle la remercie de ses libéralités, et lui dit un mot des ailes
sauvages auxquelles les Ursulines donnent Tinstruction . . 542
CCXXV. A la révérende Mère Catherine Agnès, abbesse de Port-Royal^
à Paris. — Sentiments d'une profonde humilité. — Ravages
causés par les Iroquois. — Remerclmeuts pour des libéralités
et pour l'envoi d'une biographie 544
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