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LETTRES
EDIFIANTES
ET CURIEUSES
TOME NEUVIEME.
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University of Ottawa
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LETTRES
ÉDIFIANTES
ET CURIEUSES,
É C Fx I T E s
DES MISSIONS ÉTRANGÈRES.
NOUVELLE ÉDITION.
MÉMOIRES D'AMÉRIQUE.
TOME NEUVIÈME. / '^'^ -^
•'*'V*9fle'-v%/»«
A TOULOUSE
Noel-Etienne sens, Imprimeur-
^, ) Lil)., rue Peyras , près los Changes.
Auguste GAUDE, Libraire, rue
S.-llome,N. "44; ^" loudde laCoui.
1810.
CANADI>r
C5f
.192.
\l)0
I. E T T 1\ E S
ÉDIFIANTES ET CURIEUSES,
ÉCRITES
PAR DES MISSIONNAIRES
D E
LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
MÉxMOIRES D'AMÉRIQUE.
L ET T R E
Sur les nouvelles Missions de la Province du
Parai^iKiy 1 tirée d'un iMcntoire Espac^nol
du Père Jeati-Piitrice Fernandcz , de.
la (Jonipa^nie. de Jésus , présenté au
Sérénissinic Prince di's yisturies en l'année
1-26, par le Père liiéronic Hcrran ,
Procureur de cette Province , à JM*"^*.
Mo?
N S I E U R ,
La Province du Paraguay a environ six:
cens lieues de longueur : elle est partafjée en
cinf{ (iouv»-rnemens , el en autant de Diocè-
ses gnuvt-rné^ [)ai- de* Evc(|uei)i)Iein6dc vei tu
Tome IX. A
2 liETTRES ÉDIFIANTES
et de zèle. C'est dans celle Province , Mon-
sieur , que sonl élaMies les INIissions des In-
diens Guaranis , donl vous avez entendu
parler si dilTércranient , el qui sonl depuis
long-temps l'objet de voire curiosité : c'est
ce qui vous engage à rae presser si fort de
vous faire part des connaissances que je puis
en avoir.
Vous ne prétendez pas, sans doute, que
je remonte jusqu'aux premiers temps où ees
célèbres Missions commencèrent à s'étaJjlir:
il ne tient cju'h vous de vous en instruire. Ou
eu a une liiitoire complclte, écrite parle P.
Nicolas dcl Techo , qui a travaillé plusieurs
années dans ces pénibles Missions. Elle fut
imprimée à Liège en l'année 1^7 3 ; lisez
la , Monsieur , elle a de quoi pleinement
vous satisfaire.
Vous y trouverez dans un grand détail tout
ce qu'il en a coulé de peines et de fatigues
aux Missionnaires , pour percer des forêts
impénétrables , et y aller cbercher , au ris-
que perpétuel de leur vie , tant de Peuples
épars et errants tout nus dans ces épaisses
forèls , se fesanl perpétuellement la guerre
les uns aux autres , n'avant guère de l'homme
que la figure , et peu diflcrens des tigres et
des bêtes féroces avec lesquelles ils vivaient.
Vous y verrez tout ce qu'un zèle ardent a
inspiré à ces hommes A])ostoliques, pour
gagner le eeeur de tant de barbares , pour
les tirer de leurs antres et de leurs cavernes,
pour changer en quelque sorte leur naturel ,
eu les réunissant dans des peuplades , sans
r T r I R I r f sr s. 3
quoi 11 n'étail p.-is |i«)ssil)lr dv les insfiuiie,
et |)<H»r Irs y toiiiMTaiix tl«\f»irs d«; la \ ie
c'w ilf , v\ aux pr.ilifjiu's de la ni'lij;if»n : rn ua
mot , |»our en taiit: drs lioinnics lai&oniiahics ,
el «"nsuiie de vrais Cliréliens.
Il est seulenieiit à reinarrjurr que, quand
riiiildire dont je parli- fui dciiiiée au jiul)lic ,
il n'y avait alors <|ue 9.\ réductions ou peu-
plades , établies sur les ri\ièies Parana et
IJruguay ; le Parana vient se joindre au
fleuve Paraguay vers la ville de Corrientes \
cl ri'ruguay , ainsi que le Paraguay , se
jeltc dans la rivière de la Plata, el en font
un des plus larges fleuves que l'on connaisse.
Maintenant ces peuj)lades sont augmentées
de sept nouvelles , beaucoup plus nombreu-
ses <{ue les précédentes , par la multitude
d'Indiens qu'on conveiiit chaque jour à la
Foi, cl qui nous repiésentenl au naturel la
piété , le désintéressement , l'innoceuce et la
sainteté des fidèles de l'Kgiise naissante. Il
Îen a seize surles bords du Parana , et quinze
e long de l'Uruguay. En l'année 1717, on
comptait dans ces diverses peuplades cent
vingt -un mille cent soixante et un In-
diens , tous baptibés de la main des Mis-
sionnaires.
(]es INIissions étant établies et policées
d'une manière qui excite encore aujourd'hui
l'admiration des Gouverneurs , et des Evé-
ques , lorsqu'ils en font la visite , on porta
ses vues vers une inlinilé d'autres Nations
barbares , b'sfjuelles sont répandues dans ce
vaste couliiieni , cl dans tes forêts imnicu-
K-2.
4 T-iî^TTRHS ÉDIFIA NTHS
SCS , qui se Uouvciit entre le fleuve Paraguay
et le Royaume du Pérou.
Celte étendue cle Pays est partagée du
Septentrion au Midi par une longue ehaîne
de montagnes qui commencent à Potosi , et
continuent jusqu'à la province de Guayra.
C'est dans ces montagnes que trois grandes
rivières prennent leurs sources ; savoir , le
Guapay , la rivière rouge , et le Picolmayo.
Ces deux dernières arrosent une grande éten-
due déterres , et viennent ensuite décharger
leurs eaux dans le grand fleuve Paraguay.
C'est à la naissance de ces deux rivières,
et dans les confins du Pérou , que vinrent
se réfugier les Cliiiigu9nes , il y a environ
deux siècles , abandonnant la province de
Guayra qui était leur terre natale. Les alî'icu-
ses montagnes qu'ils ha'niieut , ont cinquante
lieues d'étendue à l'Est db la \ ille de Tarijn ,
et plus de cent au Nord, Voici qu'elle fut la
cause de leur transmigration.
Au temps que les Rois de Castille et de
Portugal s'efTorçnicnt d'accroître leur domi-
nation dans les Indes Occidentales , un brave
Portugais plein d'ardeur pour le service du
Roi son maître Jean II , voulut signaler son
zèle par de nom elles découvertes; il part du
Brésil avec trois autres Portugais également
intrépides , qu'il s'était associés , et après
avoir marché trois cens lieues dans les terres ,
il arrive sur le bord du fleuve Paraguay, où
ayant engagé jusqu'à deux mille Indiens j^our
l'accompagner j il fU plus de cinq cens lieues .
et arriva jusqu'aux condus de l'Empire d*^
ETCURIFTSES. 5
ringa. Après y avoir am;tsM' beaucoup «l'or
tl tl'aim*iit , il reprit sa roule ])(>uf se rendre
au Hiésil , où il eonipliiil jouir île toutes le3
duueeurs que sa grande fortune devait lui
procurer. Il ne i()niiMi>s.«il pas .ii»i).'treniment
le génie des Peuples auxquels ils s'était livré.
Lorsqu'il était le moins sur ses gardes, il fui
cruellement massacré , et perdit la vie avec
ses richesses.
(les h.irhares ne doutant point qu'une ac-
li(»u si uoire n'aniii^t sur eux les armes Por-
tugaises, songèrent au plutôt à se soustraire
au eliAliineut «jue méritait leur perfidie, et
se relirèrtMil dans li-s montagn» s où ils sont
encort- niaiut«iiaut. Ils n'élaicnl guères que
quatre mille <juand ils y pénétrèrent ; on eu
compte aujouid'liui jdus de vingt mille , qui
V vivent sans liahitaiion lixe, sans loi , sans
pf»liee , sans humanité, erians j)ar troupes
dans K'storèls, désolant les \i niions voisines,
dont ils enlèvent les habitans, ([u'ils emmè-
nent dans leurs terres , où il les engraissent
de même qu'on engraisse les bœufs en Eu-
rope, et après fjuj'hjues jours ils les égorgent,
pour se repaitre de leur chair dans les fré-
quens festins qu'ils se donnent. On piétend
qu'ils ont détruit ou dévoré plus de cent cin-
quante mille Indiens.
Il est vrai ([ue depuis l'arrivée des Espa-
gnols au Pérou , d'où ils ne sont pas fort
éloignés, ils se désaccoutument peu-à-peu
d'une teUe barbarie : mais leur génie est tou-
jours le même ; ils sont toujours égalenu-nt
perfides , dissimulés, légers, iucourîiins, l'éiO'
A 5
a Lettres ÉDIFIANTES
ces : aujourd'hui Chrétiens et demain Apos-
tats , ennemis encore plus cruels des Prédi-
cateurs de la Loi Chrétienne , et plus opiniâ-
tres que jamais dans l'infidélité.
Plus ces Nations étaient inhumaines et
])arhares , plus le zèle des Missionnaires
s'animait h travailler à leur conversion : ils
se flattaient même , que s'ils pouvaient les
soumettre au joug de l'Evangile, l'entrée leur
serait ouverte dans la grande province de
Çhaco , et que la communication devien-
drait plus facile entre les nouvelles INIissious ,
et les Missions anciennes des Indiens Gua-
ranis.
Il y a environ un siècle que le P. Emma-
nuel de Oitega , le P. Martin del Cîimpo ,
et le P. Didaque Martinez , exposèrent géné-
reusement leur vie en se livrant à un Peuple
si farouche , dans le dessein de l'humaniser
peu-h-peu , et de le disposera s'instruiie des
vérités du Salut. Leurs travaux furent Inutiles.
D'autres missionnaires , eudllférens temps,
se succédèrent les uns aux autres , et entre-
prirent leur conversion avec le même cou-
rage , et avec aussi peu de succès ; et quoique .
celte terre ait été arrosée du sang de ces hom-
mes Apostoliques , elle n'en a jamais été plus
fertile.
Enfin , il n'y a guères que cinq ans , que
sur une lueur d'espérance de trouver ces
Indiens plus traitables, trois nouveaux INIis-
sionnaires entrèrent assez avant dans leur
Pavs. Le fruit de cette entreprise si récenie ,
fut de procurer une mort glorieuse au véué-
E T C f R 1 E r s E s. 7
rable Père Uzardi , qui «xpira sous une
nutWî dv llèclies que ces baiharcs lui déco-
clu'irnt.
Long-li'mpsav.inl cette tU'rnii're tentative j
on a\ait cessé de cultiver une terre si ingrate;
c'était se consumer et perdre un temps qui
pouviill beaucoup mieux être employé aw-
]ties d'autres Nations nioius indociles , quoi-
que peut-être également barbares. On se
tourna donc du cùté de la proviuce des Cbi-
quites.
Celte Proviuce contient une infinité de
Nations sauvages, que les Espagnols ontnom-
niées Chiquiics, uniquement parce que la
porte de leurs cabanes est basse et fort petite,
etfju'ils ne peuvent y entrer qu'en s'y glissant
et se lapetissanl. Us en usent de la sorte a(ia
de n'y point donner entrée aux Moustiques ,
et à beaucoup d'autres insectes très-incom-
modes dont le pays est ini'cslé, sur-tout dans
le temps des pluies.
Celte Proviuce a deux cens lieues de lon-
gueur sur cent de largeur : ille est bornée au
Couchant par la ville de Sainte-Croix de la
Sierra , et un peu plus loin par la Mission
ûv.s A/oxcs ; elle s'étend à l'Orient jusqu'au
fa;neux lac d«:5 A «///-> r.v , qui est d uue si
grande étendue , (ju'on le nomme la mer
douce. Ijne longue chaîne de montagnes la
borne au Nord, et la province de Chaco au
Midi. Elle est arroî-ée par deux rivières j
savoir; le Guapay , oui piend sa souicc dans
les montagnes de Clii'ijuisaca , et coule dans
uue ijrande plaine , jusqu'à une espèce de
A 4
8 Lettres ÉDIFIANTES
village des Cliiriguancs nommé ^^o^o , d'où,
prenant son cours vers l'Orient , il forme
tinegrande demi-lune, qui renferme la ville
de Sainte-Croix de la Sierra ; puis tirant
entre le Nord et le Couchant , il arrose les
plaines qui sont au bas des montagnes , et va
se déchai'ger dans le lac Mamoré , sur le bord
duquel sont fjuelques Missions des Moxes.
La seconde rivière se nomme Aperé ou
Saint-Micbel. Sa source est dans les monta-
gnes du Pérou , d'où coulant sur les terres
des Cliiriguanes , où elle change son nom en
celui de Parapili , elle se perd dans d'épaisses
forets, et après plusieurs détours qu'elle tait
entre le Nord et le Couchant , elle va droit
au Midi ; puis recevant dans son lit tous les
ruisseaux des environs , elle passe par les
peuplades des Baures , qui appartiennent à
une Mission des jMoxcs , et décharge ses eaux
dans le lac Mamoré , d'où elle se rend dans
le grand fleuve Maragnon ou des Amazones.
Ce Pays est fort montagneux et rempli
d'épaisses forets. On y trouve une grande
quantité de ditiérentes abeilles qui fourni.^-
sent du miel et de la cire en abondance.
Il existe une espèce de ces abeilles que les
Indiens nomment opevius ; ce sont celles
qui ressemblent le plus à nos abeilles d'Eu-
rope. Le miel r[u'elles produisent exhale une
agréable odeur ; leur cire est fort blanche ,
mais un peu molle. On y voit des singes ,
des poules , des tortues , des buffles , d( s
cerfs, des chèvres champèlies, des tigres ,
des ours , cl d'autres bètcs féroces. Ou y
E T C TR 1 n USES, 9
trouve dos couK'uvn-s et «1rs vipères tloul le
veuin est très-sublil. Il y en a dont ou n'est
pas plutôt mordu ,f{ue le'corpss'eiillepxtraor-
diualremeul , et (jue le sanjj sort par tous les
membres , par les yeux , parles oieilles , la
houclie, les narines , et iiiênie parles onyles.
Comme riiumeur peslilenle s'évapore avec
le sang , leurs morsures ne sont pas mortel-
les. Il y eu a d'autres dont le venin est beau-
coup plus dangereux : n'en eùt-on été mordu
qu'au bout du pied , le venin monte aussi-
tôt à la tôle , et se répand dans toutes les
veines ; il cause des défaillances , le délire
et la mort. On n'a pu Irouvn jusqu'ici aucua
renièile qui tùttdlcnce contre leursmorsures.
Le terroir de cette Province est sec de sa
nature; mais dans le temps des pluies , qui
durent depuis le moisde Ijécembrc jusqu'au
jfiois de Mai , toutes lescainpa;^nes sont inon-
dées , et tout commerce est interdit entre les
liabitans. Il se forme alors de grands lacs
qui abondent en toute sorte de poissons. C'est
le temps où les Indiens font la meilleure
péelie. Ils composent une ci-rtaine pîite amère
qu'ils jettent dans ces lacs, et dont les pois-
sons stjnt friands : cette pAle les enivre ; ils
montent aussitôt à fleur d'eau, cl ou les prend
sans peine.
Q.iand les pluies sont c<'ssécs , ils cnse-
mc-nceut leurs tel -es , fjiii produisent du liz,
du maïs, du blé d'Inde, du coton, <iu sucre,
du tabac , et divers fruits particuliers au pays,
tels que sont ceux du platine, des [)ins, des
juauis cl dco za^jullos ; ceux-ci sont une es-
A 5
jo Lettres ÉDIFIANTES
pèce de calebasse, dont le fruit est meilleur
et plus savoureux qu'eu Europe. Il n'y croit
ni blé ni vin.
Je ne vous parle pas, Monsieur, du ca-
ractère et des mœurs de ces Nations barba-
res , pour ne point répéter ce qu'on a dit
dans le tome précédent de ces L<!ttres, qu'il
vous est aisé de consulter. J'ajouterai seule-
ment, que de toutes les langues qu^OH parle
parmi ces diiTérentes Nations , la plus dif-
ficile à apprendre est celle des Chiquites. Ce
qu'un des Missionnaires écrivait à ce sujet
h un de ses amis, vous le fera aisément com-
prendre.
« Vous ne vous persuaderez jamais , lui
« mandait-il , ce qu'il m'eivcoùte d'applica-
)} lion et de travail pour m'inslruire de la
» langue de nos Indiens. Je dresse un Dlc-
« tionnaire de cette langue ; et , quoique
» j'aie déjà rempli vingt-cinq cahiers , je n'en
» suis encore qu'à la lettre C. Leur Grara-
» maire est très-difficile; leurs verbes sont
» tous irrégnliers, et les conjugaisons diOé-
» rentes. Quand on sait conjuguer un verbe,
3» on n'en est pas plus avancé pour apprcn-
» dre à conjuguer les autres verbes. Que
'» vous dirai-je de leur prononciation? Les
» paroles leur sortent de la bouche quatre
» à quatre, et l'on a une peine infinie h en-
a> tendre ce qu'ils prononcent si mal. Les
M Indiens des autres Nations ne peuvent la
» parler que quand ils l'ont apprise dans
» l{;ur jeunesse. Nous avons d'anciens Mis-
M sioanaires qui n'osent se flatter de la savoir
ETcrnirtsEs. tr
» dans sa pcrftcliou , el ils a.ssurenl que rjut 1-
M quefois ces Peuples ue s'cnieiuleul [}us cux-
Il r.iut avouer cependant que, quoiqu'un
Mi>iionnaiie la parle mal , ces Intlit-ns ne
lai>sonl pas de l'euteudre , cl de concevoir ce
qu'il leur dit. La tiaduction (jue je joins ici
du sip;ne de la Croix en leur lanj^age , et Ici
qu'ils le font au cornnienceinent de chaque
action, vous en donnera une idée.
Oi naucipi Santa Cruvisy oquimay Zoy-
chacu Zoyihupa me unama po chincneco
Ziinuinie/if au niri na(/ui J'aitotik^ ta naijui
yiytolik , ta iiaqui Espiritu Sancto.
C'est - h - dire , mot pour mol , par le
sii;ne de la Sainte Croix, défendez-nous,
notre Dieu , de ceux (jui nous liaïssenl ;
Au nom du Père , et du Fils , el du Saint-
tbprit.
Ce fut h la fin du dernier siècle que le
Père Joseph de Arce abandonna les Chiri-
guanes , sclou l'ordre qu'il en avait reçu de
ses Supéi ieurs , cl (jue , par des cheuïins
pics(|uc iupralicablcs , il eulra dans le pays
des Cliiquiles, où , après avoir ramassé un
nombre d'Inditms qu'il avait i herchés dans
les forêts avec des faligi.es incroyables, il
établit une grande peupladi , à la([uclle il
donna le nom de Sainl-\a^ 'cr. Son xrle fut
])jenl(*)l secondé par le Père de Zea et par
d'autres Missionnaires, (îui vinrent partager
*es travaux ; et, cq l'anuce 1726, ou comp-
A 6
12 Lettres ÉDIFIANTES
tait déjà clans ces lerrcs barbares six grandes
peuplades d Indiens converlis à la Foi. Voici
le nom de ces peuplades, cl la distance des
unes auxauties. En commençant par le Sud ,
on trouve la peuplade de Saint-Jean , qui
est à 9 lieues de Siint-Joseph. On compta^
3o lieues de Sainl-Josepb h Saint-RapUacl ,
8 de cette peu[)lade à Saint-AIichel. Il y a
4.2 lieues de Saiul-Miehel à Sainl-François-
Xavier, et de celle-ci à la Conception vingt-
quatre.
On se disposait en la même année l'^-aG
à pc létrer vers ]c. Sud, dans les terres des
Zinniicos y où l'on avait des espérances bien
fondées d'établir une nouvelle peuplade des
Peuples de cette Nation , et de celles des f'ga-
ranos leurs voisins , qui comptent l'une et
l'autre plus de deux mille quatre cens In-
diens. Celte peuplade doit être sous la pro-
tection de Saint-Ignace.
Vous jugez assez , Monsieur, à quels tra-
vaux doit se livrer un ouvrier Evangélique,
pour aller à la reclierclie de ces barbares
dans leurs montagnes et dans leurs forêts,
it Lorsque j'étais en Europe, écrivait un de
» ces Missionnaires, jenrimaginais qu'il suf-
3» (isaitde porter dans ces Missions un grand
» zèle du salut des' âmes ; mais depuis que
5) j'ai le bnubeur d'y être, j'ai compris ([u'il
» fallait encore s'être exercé de longue main
» à l'abnégalion intérieure, h un entier dé-
j> tacliement de Toutes les choses d'ici-])as,
» à la mortification des sens , au mépris de
n la vie, et à un total abandon de soi-
ET crnirrsEU. i3
» m^mc entre les inniiis dr la Providence. »
Il y a d'ordinaire dans clia({ui' [x-uplade ,
lorsqu'elle est nomhriiise , deux Missionnai-
re-» occupés à civiliser et à instruire les Néo-
pliylt'S des vérités Clirélieiines. L un tl'i'UX
f.jit clia([ne année des excursions à trente ou
({u.'iraule lieues au loin, chez les Nations in-
fi<lel<"s , pour les i^auner à Jésus-Clnisl et les
altin-rdans la j)euplade. Il part n'avanl que
sc»n Miéviaire sous le hras gauche , et une
grande croix h la main droite , sans autre pio-
visiou que sa confiance en Dii-u , et ce <ju'il
pourra lrf)uver sur sa route. Il est aceonipa-
giié de viiij^t ou trente nouveaux Clii'étiens
qui lui servent île fi^uides cl d"iiiler[)iètes, et
(jui font (jui'l(|uefois les tondions de Pré-
dicateurs. C'est avec leur secours que, la
liaehe h la main , il s'ouvre un passage dans
l'épaisseur des forêts; s'il se trouve, ce ([ui
arrive souvent , des lacs et des terres maré-
cageuses à traverser , c'est toujours lui qui,
d ris l'eau jusqu'à la ceinture, marche à leur
tête, pour les encourager par son exemple à
le suivre; c'est lui f[ui grimpe le premier sur
les rochers escarpés et bordés de précipices;
c'est lui qui furète dans les antres, au risque
d'y trouver des hêtes féroces , au lieu des
Indiens rju'il y cherche.
Au milieu de ces fatigues il n'a souvent
pour tout régal (juc quelques poignées de
m lis, des racines chain[>ètres , ou quehjucs
fiuits sauvages qu'on nomme Mottiçiii. Quel-
quefois pour élaneher sa soif, il ne trouve
que lu loséc iépuudue sur k& fcuillco des ar-
ï/f Lettres édifia n tes
Lies. Le repos de la nuit, il le prend sur
une espèce de hamac suspendu aux arbres.
Je ne parle pas du danger eonlinuel où il est
de perdre la vie par les mains des Indiens ,
qui sont quel(|uefois en embuscade armés de
leurs flèches et de leur massue , pour assom-
mer les inconnus qui viennent sur leurs
terres , et qu'ils re^jardent comme leurs en-
nemis.
Il faut avouer cependant qu'il y a une pro-
tection particulière de Dieu , qui vinile à la
sûreté et aux besoins des Missionnaires. Il
est arrivé plus d'une fois que , se trouvant
dans une extrême nécessité , le gibier et le
poisson venaient comme d'eux-mêmes se pré-
senter aux Indiens de leur suite. D'autres
fois, lorsque ces barbares étaient le plus ani-
més contre le Missionnaire qui se livrait à
eux , ils changeaient tout-à-coup leurs cruel-
les résolutions, ou bien les forces leur man-
quaient à l'instant , et leurs bras affaiblis ne
pouvaient décocher leurs flèches.
Quelque pénibles et quelque dangereu-
ses que soient tes excursions , un ouvrier
Evangéli(jue se trouve bien léconipensé de
ses peines et de ses souffrances , lorsqu'il re-
touine en triomphe dans sa peuplade accom-
pagné de trois ou quatre cens Indiens , avec
l'espérance d'en gagner l'année suivante plu-
sieurs autres, qui , plus défîans, et dans la
crainte qu'on ne veuille les surprendre pour
les faire esclaves , ne se rendent qu'après avoir
euvoyé de leurs gens pour observer ce qui se
passe dans la peuplade et veuir leur eu rca-
die comptr. Qm-llr iniiMiliition prun lui de
Si' rt'voii au inilleu i\v srj» clirrj» ^tojjli> ti'S ,
dont \v uoiiibre rst ai4;miM)lé par ses iioius,
cl de se rt-trouviT dans un lli'U où , par les
picuM's lilu'i ;ililés des pt-rsonuts <jui s'iiité-
irssrnl à la couviT.sion df lanl do Nnliou*
iulidclcs , il ti ftuve de <juoi rét.d)lir si's loicfs ,
pour s'appli(|urr avec une nouvelle ardeur a
leur iu.slrucliou !
Il est erriain que ces travjiux surpassent
les forCi'S liuinaines , et (ju il ne sciait pas
possible d'y résister si V<n\ n'élail j)«is sou-
tenu d'une force toute divine. Il n'est pas
moins étonnant que parmi un si grand nom-
l)i('de Mis.sionnaiies (jui lra\aillent de})uis
lanl d'annét s dans ces laborieuses jNlis.sions ,
on n'en compte (jue trois ou (jualre qui aient
succombé aux latit;ues, et (juc la plupart,
après avoir travaillé vingt-cinq et tnînte ans,
conserven' autant de torce et de vigueur ,
que ceux qui jouissent »n Europe de loutes
1(;» commoirués de la vie. Tel était le Père
Jcan-Bapiisie de Zea , qui a passé la plus
grande partie de sa vie à cultiver ces Na-
tions infidèles , et qui , ii l'Age de ()5 ans, ne
paraissait pas en avoir /^.o.
La léiocilé de ces Peuples, et les peines
extraordinaires qu'il faut se donner pour les
réduire sous h? joug de la Foi , ne sont
pas capabjes de r<buter un homme vrai-
ment Aposloli((ue. il trouve en ce pays-ci
d'autres obstacles à vaincTC qui le conlris-
tent davantage et qui afiligcut sciuiblemeiit
»oo cwur.
l6 LiETTBES ÉDIFIANTES
Le premier obstacle vient du coté des Es-
pagnols , qui ont leurs habitations peu éloi-
gnées des Nations Indiennes, dont on entre-
prend la conversion. Quoiqu'en général la
Nation Espagnole se distingue parmi les au-
tres Nations par sa piété et par son attache-
ment sincèi^e à la Religion , on ne peut dis-
simuler que dans la multitude des membres
qui la composent, il ne s'en trouve, comme
ailleurs, dont les mœurs sont peu réglées,
et qui démentent la sainteté de leur foi par
des ac! ions criminel les. Le voisinage des villes
Espagnoles y attire les Indiens pour leur
petit commerce; et comme ces esprits gros-
siers sont plus susceptibles des mauvaises im-
pressions que des bonnes , ils ne sont atten-
tifs qu'aux déréglemens dont ils sont té-
moins , et dont , à leur retour, ils font part
à leurs compatriotes ; de sorte que quand le
Missionnaire leur expliquait les points de
]a loi Cliréiienne , ou qu'il leur fesait des
réprimandes sur l'inobservation de quelques
articles de cette Loi : V^ousvous traitez ai'cc
bien de la dureté , lui répondaient-ils -, pour-
quoi nous drjendez-vous , à nous autres
qui sommes nouvellement Clircticns , ce qui
se permet à ceux de votre Nation , qui sont
nés et qui ont vieilli dans le sein du Chris-
tianisme ?
Quel((nes fortes raisons (|u'on emplovAt
pour réfuter ce faux raisonnement , un paieil
préjugé, secondé par hnir petuhanl naluii'l
au vice , avait pris un lel Empire sui- les es-
prits, qu'oQ avait toutes les pciues du moude
ETC. HRIErSES. I7
à le détruire. C'esl pour cfla qu'on a trans-
porté (juthjui's j)»'upl.i(Ic» «li- tj's ^it•o|)llvles
le plus loiu des \illcs Espagnoles <|u'il a été
possible : c'est pour la même rui.sou que ,
depuis plus d'un sièele , les Rois d'Ivspague
ont porté les Ordonnauees les plus sévèies,
par lesquelles ils déli-ndent ;» tout Ks[>;i|;nol
de mettre le pied dans les aueiennes peupla-
des des Indiens Ouaranis, à la réserve des
Gouverneurs et des Prélats Ecclésiastiques ,
qui , par le devoir de leurs charges , sont
obligés d'en faire la visite.
L'esprit d'intérêt et l'envie démesurée de
s'enricbir qui régnait parmi quelques INégo-
cians , était un autre obstacle très-miisi])le
au progrès de la Foi. Ces liomnu-.'î iubatia-
bles de richesses, entraient à main ai niée dans
les terres des Indiens; ils tuaient i ni pitoya-
blement ceux qui se mettaient en devoir de
leur résister; ils enlevaient les autres , ils al-
laient même jusqu'à arracher les eufaus du
sein de leur mère, et ils conduisaient au
Pérou cette foule de malheureux liés et ga-
rottés, où ils les employaient comme des bêtes
de charge aux mines et aux travaux les plus
pénibles, ou bien ils les vendaient dans des
foires publiques.
C'était pour s'autoriser dans un si indi-
gne trafic , qu'ils publiaient ((ue ces Indiens
n'avaient de l'homme (|uc la figure ; que
c'étaient de véiitables bêtes dépourvues de
raison et incapables d'être admis au Haptème
et aux autres Sa<;remens. Ces bruits calom-
nieux se répandaient avec laul d'aûcclalioa
i8 Lettres édifiantes
et de scandale pour les gens de bien , que ,
de saints Evê([ues , et entr'aulres Dom Juan
de Garcez , Evèque de Hazcala , en infor-
mèrent le Pape Paul III , qui déclara , par
une lîulle spéciale , que les Indiens étaient
des hommes jaisonnal)les qu'on devait ins-
truire des vérités Chrétiennes, ainsi que les
autres Peuples de l'Univers , et leur con-
férer les Sacremens ! Indus ipsos , ut.pote
'veros homines , non soliun Christianœ fîdei
eapaces existere decemimus et déclara^
mus , etc.
Les Rois Catholiques ne purent appren-
dre sans indignation des excès si crians et si
contraires à l'humanité. Ils défendirent par
d-e fréquens Edits , sous les peines les plus
grièves , ce commerce inique ; ils ordonnè-
rent , sous les mêmes peines , qu'on unit et
qu'on incorporât les Indiens à la Couronne ,
et qu'ils fussent regardée et traités de même
que le reste de leurs sujets , avec injonction
expresse aux vice-Rois et aux Gouverneurs
de tenir la main h l'exécution de ces Edits,
et d'en rendre compte h la Cour.
Nonobstant ces ordonnances réitérées , qui
étaient encore assez récentes lorsqu'on com-
mençait à établir les premières peuplades
chez les Chi({uites , il se forma au Pérou
une compagnie de Marchands d'Europe, qui
fesaientcet abomintible commerce. Le Père
de Arce , qu'on peut regarder comme le Fon-
dateur de ces nouvelles Missions, était un
homme que ni la crainte ni aucune consi-
dération humaine ne poavaieutretenir quand
E T C l" R I r U 5 n s. J f)
il s'agissait dr-» inlërèls dt- Diiu. No pouvant
souffrir (juc son rnini>U'rc liil ainsi linnhlé,
et qu'on V iolàl ini|>unétninl Its l.oix k-s [>lu8
sacrées de l'hunianité et de la Kelii^iun , il
se plai;4nit anuTemrnt à raiulicnce d«
Chuquisaca de rinlVatlion des Oidonuauces
Royales.
Ces iMarcliands étaient soutenus et prolé-
p.'s par une personne liès-riche et liès-ac-
créditée ; et ce Tribunal , par une fausse
crainte de tiouUler la paix, fermait les veux
sur un si grand désoidie. Il n'eut pas nu-mo
la force de rien statuer , et il se e<»ntcnta de
renvoyer l'aflaire au vice-Roi du Pérou , qui
est en niéme-temps Capitaine-dénéral de
tous ces Uoyaunries j c'était alors le Piiuce do
Sanlo-lUieno.
Ce Seigneur , plein de Reli|^ion et de
pieté , prit à l'instant les mesures les plus
ellicaces et les plus promptes pour remédier
au mal. Il envoya ses ordres, qui portaient
confiscation de tous les biens, et bannisse-
ment de la Province , pour quiconcjue oserait
faire désormais quelque entreprise sur la
liberté des Indiens ; et pour ce qui est des
(gouverneurs qui toléreraient un abus si cri-
minel , il les condamnait a être deslifués de
leurs Charges et h une amende de douz.e
mille piastres. Des ordres si précis mirent
fju h cet infâme trafic , et les Indiens plu»
tranquilles furent délivrés de toute vexation.
Lii autre obstacle encore plus préjudicia-
Lle à la conversion de ces Nations inlidèbs,
el qui traversait contiuuellemeot le zèle des
20 Lettres ÉniriAN TES
Missionnaires, venait de la part des Marne-
lues du Brésil. Peut-être n'avez-vous jamais
entendu parler de ces peuples , et il est à
propos. Monsieur , de vous les faire con-
naître.
Dans le temps que les Portugais firent la
conquête du Brésil , ils y élabliient plusieurs
Colonies, une entr'autres (jui se nommait
Piratiniiigua , ou comme d'autres l'appel-
lent , la ville de saint Paul. Ses liahitans
qui n'avaient point de feniities d'Europe ,
en prirent cliez les Indiens. Du mélange
d'un sang si vil avec le noble sang Portugais,
naquirent des eufans qui dégénérèient dans
la suite , et dont les inclinations et les sen-
timens furent bien opposés à la candeur , à
la générosité , et aux autres vertus de la
Nation Portugaise. Ils tombèrent peu-l>-peu
dans un tel décri par le déboidement de leurs
moeurs, que les villes voisines auraient cru
se perdre de réputation , si elles eussent con-
tinué d'avoir quelque communication avec
la ville de saint Paul ; et <pioi(|ue ses liabi-
tans fussent originairomcni Portugais , elles
les jugèrent indignes de pojter un nom qu'ils
déshonoraient par des actions infâmes, et
les appelèrent Afarnctucs.
Il fut un temps ([u ils demeurèrent fidèles
à Dieu, et à leur Prince par les soins du
Père Anchieta et de ses Compagnons , qui
avaient un Collège fondé dajis cette ville ;
mais trouvant dans ces Pères une forte digue
qui s'op[)osait h leurs déréglemens , ils pri-
rent le parti de la rompre ; et pour se dcli-
ETC. rRirrsç». ai
rrcr <!«• cc% iinporUms ««ii.sj urs de leurs vi-
ces , \\» les tlinssèiinl de Kiir \ille, A leur
])l.iee ils y adiiiireiit' la lie de tontes It'S
Rations; leur \ille devint hienlôt Ta.sile et
If irpaire dr «|n.'iiililé de biig:iiids, soit Ita-
lieus , .s(»it ll(dl.ttuiiii.s , ]'l<|)a^uols , etc. <{iii,
en l*luro|»e, s'étaient déiohés aux suj)j)liees
que méritaient leurs crimes, ou tji.i elier-
cliaicnt à mener impunémeul une vie licen-
cieuse. La douceur du climat , la tVttililé
de la terre qui tournit loutis les eoinniudités
de la vie, servait encore à auymenler leurs
penchans pour toute soi te de \ iccs.
Du re>te il n'est point aisé de les réduire :
leur \ ille est située à treize lieu<'s de la mer ,
sur un rocher escaipé, environnée de préci-
pices: on n'y peut gi imper (}ue par un sen-
tier fort étroit, où une poij^née de gens ar-
rêteraient une aimée nombreuse; au bas de
la montagne, sont (juebjues villai;es remplis
de Marchands , par le moyen dcstjueis ils
font leur commerce. Cette heureuse situa-
tion les entretient dans l'amour de l'indé-
pendance ; aussi n'obéissent-ils aux I^ois
et aux Ordonnances émanées du trône de
Portugal , qu'autant qu'elles s'accordent avec
leurs intéièts , et ce n'est que dans une
nécessité pressante qu'ils ont recours à la
protection du Roi. Hors de là ils n'en font
pas grand compte.
Ces brigands, la plupart sans foi ni loi,
et que nulle autorité ne pouvait retenir, se
répandaient comme un torrent débordé sur
toutes les terres des Indiens , qui n'ayant
22 Lettres ÉDIFIANTES
que des flèches h opposer à leurs mousrjuets,
ne pouvaient faire fju'une faible résistance.
Ils enlevaient une infinité de ces malheu-
reux pour les léduirc à la plus dure servi-
tude. ()n piétend ( ce qui est ])i>'S(|ue incro-
yable ) que dans l'espace de cent trente ans
ils ont détruit ou fait esclaves deux millions
d'Indiens , et qu'ils ont dépeuplé plus de
mille lieues de pays jusqu'au fl( uve des Ama-
zones. La terreur qu'ils ont répandue parmi
ces peuples , les a rendus encore plus sau-
vages qu'ils n'étaient , et les a forcés , ou à se
cacher dans les antres et le creux des mon-
tagnes , ou à se disperser de côté et d'autre
dans lesendroits les plus sombres des forêts.
Les Mamelucs voyant que par cette dis-
persion leui- proie leur échappait des mains ,
curent recours à une ruse diabolique, dont
les Missionnaires ressentent encore aujour-
d'hui le contre- coup par la défiance qu'elle
a jeté dans l'esprit de ces peuples. Ils imi-
tèrent la conduite que tenaient ces hommes
apostoliques pour gagner les infidèles à Jésus-
Christ. Trois ou quatre de ces Mamelucs se
fraveslircnt en Jésuites ; Tun deux prenait le
titre de Supérieur , et les autres le nom-
maient Pa^giiasii , qui signifie grand Père y
en la langue des Guaranis ; ils plantaient
une grande croix , e.t montraient aux Indiens
des images de Notre Seigneur et de la sainte
Vierge-, ils leurfesaient présent de plusieurs
de ces bagatelles que ces peuples estiment ;
ils leur persuadaient de quitter leur misé-
rable retraite , pour se joindre à d'aulrei
r T CTRI Ei'sns. 23
Pruplrs , el formrr avrc rii\ une nombreuse
])t'iij>l;tdf , où ils brraifiil )»lus i-ii sùirté.
Aprrs 1rs avoir r.'issrmhU'.s i'H {;i;iiul noinhio,
ils Ifs ainus:n«*iit ju.stju'à raiiivi'e de h-urs
Iroijpfs ; .-iloiî. ils Sf jfl.iirnl sur ti-s nii.sé-
r;il)l«-s , ils !»•> rli;iii;<ni«-nt tic iVis , el les cou-
d 11 iraient dans leur (l<donie.
Le premief es^ai de leurs hrifîandares se
fil sur les peuplades elnélienni-s , qu'oiv avait
étaMies d'almid vers la i-c»iM ee du lleuve
Para^Uiiy , dans la Prnviuee tl«- (iuayra ; mais
ils ne ri tii èrenl pas do grands avaniai;es d-e la
(juanlllé d'i'selaves qu'ils y firenl. On a vu
un rcî^istre autlienlic|ue , où il <'st niar({ué ,
que de liois cent mille Iudi»iis <ju'ils a\ aient
enlevés dans l'espace de cinq ans , il ne leur
en restait pas vingt mille. Ces inTortunés
périrent pres{|ue tous , ou de misère dans le
voyage , ou des mauvais Iraitemens ([u'ils
iece\ aient de ces niailies impitoy.iljles , (|ui
les surchargeaient de travaux, soil aux mines ,
soit à la culture des terres ; qui leur éj)ar-
gnaient les alimens, et qui les lésaient sou-
vent expirer sous leurs coups,
La fureur avec la(ju«'lle les Mameluesdé.so-
laient les peuplades cliréliennos , iiMigea les
Missionnaires de sauviT ce qui restait de
Néophytes , et de les transplant«T sur les
Lords des rivières Parana et Uruguay , où ils
sont établis maintenant dans irtnie-une jieu-
plades. Quol(|u'éloignés d'ennemis si cruels ,
ils ne se trouvèrent pas à couvert de leurs
fréquentes irruptions. INJaisres hostilités ont
euÛQ ccisé depuis que les Uois d'Espajjue
24 Lettres ÉDIFIA N TE s
out permis aux Néophytes l'usage désarmes
à feu , et que dans cliaque peuplade on en
dresse un certain nombre à tous les exercices
militaires. Ces Indiens se sont rendus redou-
tables à leur tour, et ils ont remporté plu-
sieurs victoires sur les Mamelucs.
La seule précaution que l'on prend , c'est
de conserver ces armes dans des magasins,
et de ne les mettr«> entre les mains des In-
diens , que quand il est (|uestion de détendre
leur Pays , ou de combattre pour les intéièts
de l'Etat ; car ces troupes sont toujours prê-
tes à marcher au premier ordre du Gouver-
neur de la Province , et en difTérens temps
elles ont rendu les plus signalés services à la
Couronne d'Espagne. C'est ce qui leur a
attiré de grands éloges que le Roi dans diver-
ses Patentes a fait de leur fidélité et de leur
zèle pour son service, avec des grâces singu-
lières et des privilèges qu'il leur a accordés ,
et qui ont même excité la jalousie des Espa-
gnols.
La diversité des langues qui se parlent
parmi ces dillcrentes Nations , est un dernier
obstacle très-dinicile à surmonter , et (jui
fournit bien de quoi exercer la patience et la
vertu des ouvriers évangéliques. On aura
peine à croire qu'h" chaque pas on trouve de
petits Villages de cent familles tout au plus ,
dont le langage n'a aucun rapport à celui des
peuples qui les environnent. Lorsque par
ordre du Roi Philippe IV , le Père d'Acu-
"gna et le Père de Artieda parcoururent foutes
lc% Nations qui sont sur les bordô du fleuve
des
ET cmicrsES. a5
Jcs Amaxoncs , ils irouvcrciil au-moins cent
ciuquanli' lauj;ues plus. diUéi entes enlr'elles
ciuc la langue Espagnole n'cit dilléienle île
la langue Française ; dans les peuplades éia-
Llies chez les Mo.ves , où il n'y a eueore (|ue
trente mille Indiens convcrli.s à la Fui,
on parle ipiinze sortes de langues qui ne se
ressenililenl nullement. Dans les nouvelles
peuplades des Cliiquitcs , il y a des Néo-
phytes de trois ou (piatre langues difl'érenles.
C'est pourquoi , alin cjiie riiiblruelion soit
commune , on a soin de leur laiix' appreudic
la langue des Clii([uiles.
Lorsqu'on avaneera davantage cliez les
autres ^lalio^lS , il faudra Lien s'aceoininoder
à leur langage. Ainsi li's nouveaux ISIission-
Daires , outre la langue desChiquiles , seront
obligés d'apprendre encore la langue des
3/orotocos , qui est en usage parmi les In-
diens Ztimiuos , et celle des Criiaraycns ,
qui est la même qu'on paile dans les aucien-
Des Missions des Indiens (juavunis.
Vous ne disconviendrez pas , Monsieur ,
qu'il ne faille s'armer d'un grand eouragc ,
pour se roidir contre tant de dilTkullés, et
être animé d'un grand zèle , pour se livrer à
tant de peines et de daugeis. Mais un Mis-
sionnaire en est bien dédommagé , et il a
bientôt oublié ses fatigues , lorsqu'il a la
consolation de voir toutes les vertus Chré-
tiennes pratiquées avec ferv( ur j.ai «Us bora-
inescjui , peu auparavant, n'avaient ])resque
rien d'humain , et qui n'étaient occu[.és (ju'à
contenter leurs appétits brutaux. 11 ne faut
Tome IX. li
a6 Lettres ÉDiriANTES
qu'entendre parler ces hommes Apostolî-
cjues.
« Il n'est rien , disait l'un d'eux, qu'on
M ne souffre volontiers pour le salut de ces
M Indiens , quand nous sommes témoins
3) de la docilité de nos Néophytes, de l'ar-
» deur et de l'affection qu'ils ont pour tout
» ce qui concerne le service de Dieu , et de
M leur fidèle obéissance à tout ce qu'ordonne
» la Loi chrétienne. Ils ne savent plus ce que
,3) c'est que fraude , larcin , ivrognerie , ven-
» geance , impureté, et tant d'autres vices si
» fort enracinés dans le cœur de ces Nations
» infidèles. Nul esprit d'intérêt parmi eux;
5) et avec ce vice, combien d'autres ne sont-
» ils pas bannis ? J'ose assurer, sans que je
» craigne qu'on m'accuse d'exagération , que
» ces hommes , autrefois livrés aux vices les
)) plus grossiers , retracent h nos yeux , après
» leur conversion , l'innocence et la sainteté
» des premiers fidèles.
» Il me serait difficile de vous exprimer ,
» dit un autre Missionnaire , avec quelle
5j assiduité et quelle ardeur ils assistent à
>» tous les exercices de piélé. Ils ont un goût
3) singulier à entendre expliquer les vérités
» de la Religion , et ces vérités produisent
» dans leurs cœurs les plus grands sentimens
>» de componction. »
C'est l'usage dans ces Missions , lorsque
Ja prédication est finie, de piononcerà haute
voix un acte de contrition qui renferme les
motifs les plus capables d'exciter la douleur
d' avoir offcasé Dieu j pendant ce temps-là
rT CTRIErSES. 57
l'Eglise rrtrniil dt.' leurs soupirs et de leurs
sanglots. Ce vif repcnlir de leurs fautes , est
suivi assez souvent d'austérités et de macé-
rations (ju'iis porteraient à l'excès , si l'on
ne prenait pas soin de les modérer.
C'est sur-tout au Tribunal de la Péni-
tence, qu'on connaît jusqu'où va la délica-
tesse de leur conscience ; ils fondent en lar-
mes en s'accusant de fautes si légères , qu'on
doute quelquefois si elles sont matière d'ab-
solution ; s'il leur échappe <[uel<jue faute ,
quoique peu considérable , ils quiltenl sur
le champ leurs occupations les plus pressan-
tes pour se rendre à ï'Kylise , et s'y purifier
par le Saerenjent de Pénitence.
On fait choix dans chaf{ue peuplade de
quelques Néophytes les plus anciens et les
plus respectés , pour y maintenir le bon
ordre. Il y en a parmi eux qui sont chargés
de veiller à la conduite et aux mœurs des
^Néophytes ; car il ne faut pas cioire que
dans la multitude , il uc s'en trouve quel-
quefois qui se démentent. S'ils découvrent ,
ce (jui est assez rare , que quelqu'un ail com-
mis quehjue faute scandaleuse , on le revêt
d'un habit de pénitent , on \c conduit à
l'Eglise pour demander publi(juenieut par-
dt)n à Dieu de sa faute , et ou lui impose une
pénitence sévère. IVon-sculemcnt le coupable
se sournel à celte réparation avec docilité ,
mais (|Ui hjiji-fois on en voit d'autres , et
même des C.iléchunjènes, qui ayant commis
secrètement la même faute qui n'est connue
qui; d'eux seuls , \ ienucul s'en accuser publi-
D 2
28 Lettres édifiantes
quement avec larmes , et prient avec instance
qu'on leur impose la même pénitence.
Lorsqu'on les admet à la table Eucliaris-
tique , ils ne s'en approchent qu'après une
longue et fervente préparation , et ils s'étu-
dient à conserver le fruit de la grâce qu'ils
ont reçue. Quand quelque temps après on
leur demande s'ils ne se sont point rendus
coupables des mêmes fautes dont ils s'étalent
accusés avant la Communion , ils sont sur-
pris qu'on leur fasse une pareille question :
« Se peut-il faire , répondent-ils , qu'après
» avoir été nourri delà cbaîr de Jésus-Christ,
» on retombe dans les mêmes fautes ? »
Trois fois le jour , le matin , à midi , et
sur le soir , toute la jeunesse s'assemble pour
chanter à deux chœurs des prières très-dévo-
tes , et pour répéter les instructions qu'on
leur a faites sur la Doctrine chrétienne, llicn
n'est plus édifiant que le silence et la modes-
tie avec laquelle ils assistent aux Offices des
Dimanches et des Fêtes ; lorsqu'ils vont dès
Je matin au travail , et qu'ils reviennent le
soir à la peuplade , ils ne manquent jamais
d'adorer le saint Sacrement , et de saluer la
sainte Vierge qu'ils regardent comme leur
ïnère , et pour laquelle ils ont la plus tendre
dévotion. Us célèbrent ses Fêtes avec pompe ,
et au son de leurs instrumens ; ils se feraient
scrupule de commencer aucune action, sans
faire auparavant le signe de la Croix,
A la nuit tombante , et lorsque le travail
cesse , toutes les rues de la peuplade retcn-
t^fi^eut de pieux Cantiques que chautcat les
iT comusrs. ^g
jeunes garçons ci les jeunes filles , tandis que
les lu)ninies el 1rs femmes béj).ii émeut léci-
lent le chapelet à deux chœurs.
C'est sur-tout aux grandes solennités qu'ils
font éclater davantage leur piété. Dans les
temps destinés par l'Eglise à rnj)peler le sou-
venir des soudVauces du Sauveur dans sa
Passion , ils tAeheut d'«-n représenter toute
l'histoire , el d'exprimer au-dehors les sen-
timens de pénitence el de componctiou dont
ils sont pénétrés. Le Jeudi-Saint au soir ,
après avoir entendu le .«;ermon de la Passion ,
ils vont processionncllemenl à une espèce de
cahairc j les uus portent sur leurs épaules
de pesantes croix , les autres ont le front
ceinl de couronnes d'épines -, il y en a qui
marchent les hras étendus en foime de croix ;
plusieurs praticjuent d'.'rulres «livres de péni-
tence ; la marche est fermée par une longue
suite d'enfans (|ui vont deux à deux , et qui
portent dans leurs mains les divers instru-
niens des soulFrances du Sauveur. Quand ils
sont arrivésau Calvaire , ils se prosternent au
f>ied de la croix , el après avoir renouvelé
es divers actes de contrition , d'amour ,
d'espérance , etc. ils font une proteslalioa
puhli(|ue d'une fidélité inviolable au service
de Dieu.
Lorsque la Fête-Dieu approche , ils se
préj)arent quelques jours auparavant à la
célébrer avec toute la magnificence dont leur
pauvreté les rend capables. Us vont à la
chasse , et tuent le plus qu'ils peuvent d'oi-
seaux et de bêles féroce». Ils orneul lu face
B 3
3o LETTRES ÉDIFIArîTES
do leurs liabitations de branches de palmiers
eiitivlacées avec art les unes dans les autres ,
aAec dos ])ordures des plus belles fleurs de
leurs jardins, et des plumages de dillérentes
couleurs : ils dressent des arcs de triomphe
à une certaine distance les uns des autres ,
cjui , quoique champêtres , ne laissent pas
d'avoir leur agrément. Ils jonchent de feuil-
lages et de fleurs toutes les rues où doit passer
le saint Sacrement, et ils placent d'espace
en espace les bètes qu'ils ont tuées, telles que
sont des cerfs , des tigres , des lions , etc.
voulant que toutes les créatures rendent
hommage au souverain Maître de l'Univers
qui les a créées. Ils exposent vis-à-vis de
leur maison le maïs et les autres grains
dont ils doivent ensemencer leurs terres ,
afin que le Seigneur les bénisse à son pas-
sage. Enfin , par la modestie et la piété avec
laquelle ils suivent la procession , ils don-
nent un témoignage authentique de leur Foi
envers ce grand mystère de l'amour de Dieu
pour les hommes. Plusieurs des Infidèles du
voisinage , qu'ils invitent d'ordinaire à assis-
ter à cette cérémonie, touchés d'un si reli-
gieux spectacle, renoncent à leur infidélité,
demandent h se fixer dans la peuplade , et à
être admis au rang des Catéchumènes.
Ce qui rcmj^lit ces bons Néophytes d'une
tendre reconnaissance envers le Seigneur ,
c'est la comjviraison qu'ils font souvent de la
douce liberté des eufans de Dieu dont ils
jouissent, avec la vie féroce et brutale qu'ils
luenaieûtsous l'empire tyrauûique du démoli.
t T r r R I r r s r s. 3t
C'i'il aussi ce (jui Ifiir iii>*|>iie un 7,;lo avdtnt
pour procurer le mômo l^jalicnr aux autres
>»itlious inCulrlts, nithne à celles ]>niir Ics-
«jiirllcs, dans K" temps de leur iiilulililé , ils
.TV.iieiit liéiilé tie leurs pères , et sucé avec
le lail une linine inij)lMcable.
Outre ceux qui accompagnent les Mission-
naires , lorsqu'ils font des courses dans les
forets haltilées ])ar tant de l)arbares , on ea
^<)il plu.si»'urs chaque année , quand la sai-
son des pluies est passée , (jui se répandent
dans toutes les terres voisines , pour annoncer
Jé>us-Clirist aux Infidèles. Les faiii^iies et
Ifb (l:inj^«'rs inséparables de ces sortes d'excur-
sions , ne tout pas capables dafi'aiblir leur
zèle ; il n'en est (]ue plus-% it. La n>orl n)ème ,
soud'ertc pour une pareille cause, devient
l'objet de leurs desiis. On compte plus de
cent .Néophytes (jui ont perdu la vie dans ce»
exercices de charité.
Il règne parmi eux une saiule émulation ,
à qui convertira le plos d'Infidèles : le jour
qu'ils retournent h la peuplade, accompa-
gnés d'un bon nonib-e d'Indiens qu'ils ont
j;ai:nés ii Jébus-Christ , est un jour de fête et
de réjouissance ■jmblique : il n'y a point de
caresses et d'amitiés qu'on ne fasse à ces nou-
veaux hAtes : chacun s'empresse de fournir
à leurs besoins ; une charité si bienfaisante
les a bientôt dcpris de l'amour nn'turel qu'ils
ont pour lear terre natale , et c'est ainsi (]ut;
les peuplades anciennes s'accroissent , et que
les nouvelles s'établissent.
Il y a long-temps <£a'ou cUerclie à «'ouvric
13 4
32 Lettres édifiantes
un chemin dans cette étendue de terres qui
se trouvent entre le ville de Tarija et le fleuve
Paraguay. Rien ne paraît plus important
pour le bien de toutes ces Missions : car ce
chemin une fois découvert , elles peuvent
communiquer ensemble beaucoup plus aisé-
ment , et se prêter mutuellement du secours :
maintenant , pour se rendre des Missions du
Paraguayen des Guarani s à celles des Chi qui-
les, il faut descendre la rivière jnsques vers
Buenos- Ayres , traverser toute la province
de Tucuman , et entrer bien avant dans le
Pérou ; ensorte que le Père Provincial , lors-
qu'il fait la visite de toutes les réductions
ou peuplades qui composent sa Province ,
doit essuyer les fatigues d'un voyage de deux
mille cinq cens lieues : au lieu que le voyage
s'abrégerait de moitié, si l'on se fesait une
route au travers des terres qui sont entre les
Missions des Chiquites et celles du Paraguay.
C'est une entreprise qu'on a tentée plusieurs
fois, et toujours inutilement.
Une fois qu'on était entré assez avant dans
les terres , on fut arrêté par les Infidèles ,
qui , se doutant du dessein qu'on avait de
découvrir le fleuve Paraguay , s'y opposèrent
de toutes leurs forces , et obligèrent les Mis-
sionnaires de se retirer. Il arriva dans la
suite qu'un Catéchumène de la même Nation
s'employa avec tant de force et de z,èle auprès
de ses compatriotes, qu'il les détermina à
embrasser la Foi. On profita d'une conjonc-
ture si favorable.
Ce fut en l'année 1702, que le Père Fran-
ETCmiECSES. 3Î
cois Tît-HMS et le Vvui Michel de Yegros ,
])artli-enl avec le Catéfliuinèiie et quarante
ludieiis, sans autre ptovisiuu que leur con-
fianie en la divine Pro\idenee : elle ne leur
manqua pas , et pendant le voyage , la «-hasse
et la pèche fouinirent ahondanxineiit à leur
subsistance. Ils furent très-bien reçus en trois
\illages de la Nation du Catéchumène ;
savoir , des Curutninas , des Batasis et des
Xaruycs ^ qui auparavant s'étaient opposés à
leur entreprisp. Ainsi ils poursuivirent libre-
ment leur route , laissant le Catéchumène
blessé par une épine qui lui était entrée au
pied. On ne crut pas (jue le mal fût dange-
reux , cependant celte blessure lui causa la
mort en peu de jours.
Après bien des incommodités qucsoulTri-
rent les deux Missionnaires, en se fesant un
chemin au travers des bois , en grimpant de
hautes montagnes, et traversant des lacs et
des marais pleins de fange , sans compter
l'inquiétudi: et la crainte continuelle où ils
étaient de tomber entre les mains des barba-
res ; ils arrivèient eniin sur les })ords d'une
rivière (ju'ils prirent pour le fleuve Paraguay ,
ou du moins pour un bras de ce fleuve, et ils
y plantèrent une grande croix. On reconnut
d.uis la suite qu'ils s'étaient trompés, et que
ce qu'ils prenaient pour une rivière , n'était
qu'un grand lac qui se terminait à uneépaisse
lorèt de palmi(;rs.
Dans la persuasion où l'on fut qu'on avait
cniiu découvert ce chemin si fort souhaité ,
le Père NugQcï, qui était alors Provincial,
B 5
34 Lettres édifiantes
fit clioix de cinq anciens Missionnaires des
Guaranis , pour parcourir le fleuve Para-
guay , et découvrir du coté de ce fleuve , l'en-
droit où l'on avait planté la croix du côté des
Chiquites. Ces Missionnaires étaient le Père
Barlhélemi Xiracnès, qui mourut chargé
d'années et de mérites le 2 Juillet 17 17 , le
Père Jean-Baptiste de Zea , le Père Joseph
de Arce , le Père Jean-Baptiste Neuman , le
Père François Hervas et le Frère Sylvestre
Gonzales. Comme le voyage qu'ils firent sur
ce grand fleuve peut répandre quelque lu-
mière sur la Géographie des diverses con-
trées qu'il arrose , je vais vous rapporter le
journal qui en a été fait par un de ces Mis-
sionnaires.
Nous partîmes, dil-il, le 10 Mai de l'an-
née 1703 , du port de noire peuplade de
la Purification , d'où, après avoir passé par
JÏntigui, nous prîmes terre le 27 du même
mois à Itati. Le Père Gervais , Franciscain ,
qui était curé de cette bourgade , nous fit
l'accueil le plus obligeant. De là nous con-
tinuâmes notre route vers la rivière Para-
mini , dans le lieu où le Parana se jette dans le
fleuve Paraguay : les vents furieux qui ré-
gnaient alors, et qui nous étaient contraires,
nous retardèrent , et nous causèrent bien des
fatigues ; ensorte que nous ne pûmes aborder
iiu port de l'Assomption que le 27 Juin , où.
nousprîmcs quatre jours de reposau Collège
«rue nous avons dans cette Ville. On nous
avait préparé une grande barque^ quatre baU
SCS } dcMi. pirogues cl un canot.
tT CrWIEUSES. 35
Nous nous cmbnr(]uAmcs , et «près avoir
•vancé queUjui's lii'ues, nous découvrimea
«n j»«'u au loin des taiiols d'Indiens Pa\a-
f^ntis , qui sans tlouli- venaient à la découvi-i'le.
La pensée nous vint de les joindre , et de le*
papner , si cela se pouvait , par quelques
témoignages d'amitié , qui pût les guérir de
leur défiance. Le Père Neuman se mit à cet
«'fl'et dans le canot a\cc le Frère Gonzales ;
mais quand ils furent presque à portée de
ces Indiens, ils prirent la fuite , en criant
de toutes leurs forces , Peè phtionda , ore
('tiwaranda Jiufnos-^Yres , l'ianipi. Coqui
si^'nille : nous ne nous fions point à des gens
d'une Nation qoi a fait périr tant d'Indiens,
les(piels denjeuraienl aiixenvirons du Bueoos-
Ayres.
Le père Xeunian voyant le peu de succès
de ses démarches, se contenta d'avancer vers
K- horddu fleuve, cl d'attacher aux branches
d'un arbre plusieurs bagaielles de peu de
valeur, mais fjui sont estimées de ces barba-
res. Ces petits piésens les rassurèi-ent , ils s'en
saisirent aussitôt , et quatre d'entr'eux s'ap-
j>roehèrent d'une de nos baises, et v laissè-
rent à leur tourdes nattes de joue fort jolies,
et d'un travail irt's-délicat.
Ln de nos Néophytes qui nous servait
d'interprète, nommé Anieet , plein de zèle
pourla conversion des infidèles, jugea parla
sensibilité des Payaf^itas , que ses manières
douces et aflables pourraient faire quelque
impression sur leurs cœurs; mais il ne con-
2àai»sait pas assez combien cette Nation c$%
15 a
36 Lettres édifiantes
perfide. Le 12 de Juillet il s'approcha de
quelques-uns de ces Indiens qu'il aperçut ,
et dans le temps que , par de petits présens ,
il tachait de gagner leur amitié, une troupe
de Payaguas , partagée en deux canots, sor-
tirent d'une embuscade où ils étaient caches ,
et vinrent fondre sur Anicet et ses compa-
gnons , qu'ils assommèrent à grands coups
de massues , et s'enfuirent ensuite avec une
célérité extraordinaire.
Nous n'apprîmes que fort tard ce triste
événement ; quelques-uns de nos Indiens
allèrent au lieu où s'était fait le massacre ,
cl ils y trouvèrent les cadavres de leurs chers
compagnons. Nous célélu âmes le lendemain
leurs obsèques, avec la douce espérance que
Dieu leur aura fait miséricorde , et aura ré-
compensé la charité avec laquelle ils avaient
exposé leur vie pour retirer ces barbares des
ténèbres de rinfîdélité.
Les Paynguas voyant qu'on ne cherchait
point à tirer vengeance d'une action si cruelle ,
eu devinrent plus audacieux. Ils parurent le
lendemain en plus grand nombre , dans une
quantité prodigieuse de canots , qui formaient
deux espèces d'escadres. L'une gagna le ri-
vage , et tous ceux qui y étaient mirent pied
à terre ; l'autre rôdait de tous côtés sur le
fleuve , sans que les uns ni les autres osassent
nous attaquer : ce ne fut que dans l'obscurité
de la nuit qu'ils jetèrent des pierres et tirèrent
des flèches sur nous : mais nos Néophytes les
mirent bientôt en fuite, et ce ne fut que de
jTorlloin qu'ils coalinuèrcul de nous observer.
ET CmiECSES. 37
C'est un honlu'ur qu'ils ur m' soient pas joints
aux (iuaicurus ^ autre Maliou iniidèle, mais
beaucoup plusbmvr, plus hardie, et natu-
relli'rn«ul ennemie du nom Cliiétirn. Il nous
eût clé dilVuile d'i'cli.'ippcT aux pii''i;«'s (|u'ils
nous auraient dressés sur un lieuvequi, dans
cet endroit, est tout couvert d'iles , où ils
se seraient aisément cachés pour nous sur-
prendre.
Le () d'Août nous arrivâmes à rejnl)ou-
chure de la ri> iere Acxiii ; c'est j)ar où Its
Mamelues vinrent l'aire irruption sur quel-
ques-unes de nos anciennes peuplades , qu'ils
détruisirent. Le U) nous aperçûmes une terre
c\t' Payoguas , dont Icshahitanss'élaient reti-
rés peu auparavant, pour aller dans une {grande
île qui était vis-à-vis. Cette terre appartient
à un Cacique des Paydi^uas, nommé Ja-
cuyrUy qui y entretient quelques-uns de ses
vassaux occupés à la fabrique des cauots.
Le -il , nous trouvâmes un petit fort en-
touré de palissades, avec tiois grandes croix
qu'on V u>ait élevées. ]\ous crûmes d'a])orcl
que c'était un ouvrajçe des ALimelues , mais
nous apprîmes dans la suite- (jue c'était les
Pdyagiiiis qui , ayant quchjue connaissance
de la vertu de la croix , avaient })lanté celles
que nous voyions , pour se délivrer de la
multitude de tigres qui infestaient leur Pays.
Peu après, nous vîmes sur le ri\a^e douze
de ces barbares , ((ui ne songèrent point à
nous inquiéter ; mais ce fjui nous surprit,
c'est fpu- jus([u'au 3o Août que nous arri-
vùme» ù l'cLabouchure de la rivière Tapotu^
38 Lettres ÉDIFIANTES
nous n'aperçûmes que deux canots d'Indiens
nommes Giutchicos. La bouche de cette ri-
vière est éloignée de trente lieues de celle de
Piray; mais avant que d'y arriver, il faut
passer par des courans très-rapides , qui se
trouvent entre une longue suite de rochers.
Nous on vîmes douze fort hauts et taillés
naturellement d'une manière si agréable à
la vue , que l'art ne pourrait guères y attein-
dre. En ce lieu-là les Guaicurus allumèrent
des feux , pour avertir les Nations d'alentour
qu'on voyait paraître l'ennemi.
A six lieues de là , est le lac Nens^etures ,
où se jette une rivière qui descend des terres
habitées par les Guainas. Ces Peuples sont
enquel(|ue sorte les esclaves, des G luiicurits :
ils y entietiennent leurs Haras de mules et
de cavalles ; ils cultivent la terre et y sèment
le tabac, qui y croît en abondance. Il y a
dans cette contrée beaucoup d'autres Na-
tions , et une entre autres nommée Len-
guas , qui parle la môme langue que les Chi-
quites.
Deux lieues au-delà de ce lac est l'embou-
chure du Mboinhoi. Il y avait anciennenrent
auprès de cette rivière une peuplade Chré-
tienne, qui était sous la conduite du Père
Chrislopiie de Arenas, et du Père Alpiionse
Arias, ce dernierétant appelé par les Indiens
Giiatos , pour leur administrer le baptême,
tomba dans un parti de Mamelucs , qui le
tuèrent à coups de mousquets. Le Père Are-
nas eut quelque-temps après le même sort;
il fut reûcoati'é par les Mamelucs , qui le
tT r. r !t it t'sts. 3<>
maltraitèreiil si fort , <ju'il ne sur>tcut que
peu de jours à îes lilfssurt'S.
De là jusqu'aux Xurn^cs , on voit de
vastes rampa^ncs , où dt-s grains eioissrut
n.tturellcnu'nt et sans culture ; aussi les
Pay (Imitas ^ les Carucurns , et beauenup
d'autivs Peuples d'alentour, vienneni-iis y
faire leurs provisions. Le ?.2 de Septembre
nous pasbAnies entre les montagnes de Cunaye-
mid et de Ito , où sont les iSimiinacas. La
Foi tut prêeliée a ces Peujdes ]iar lirs Pères
Juste Mansilla et l^ierre Romero. Celui-ci
elle Frère Mathieu Fernande/, furent massa-
cres dans la suite par les Cliirii^uanes , eu
liaine «le ee que la Loi elirédenne leur dé-
tendait d'avoir plus d'une lemme.
Cin([ lieues plus avant se trouve une île,
où s'étaient retirés deux Caciques nommés
Jarachacu et Orapicliii^ua , avec leurs vas-
saux Payajjuas. Dès ({uils nous aperçurent,
ils dépcclièrcnl six canots à la grande i\e des
Orejotics , et aussitôt nous vîmes de près et
au loin s'élever une grande fumée , signal
ordinaire dont ils se servent pour avertir les
Nations voisines de se tenir sur leurs gardes.
Ces Nations font grand cas des Paytii^vas ,
parce rpie ceux-ci leur fournissent du tabac,
d<'s cuirs , des toih's et d'autres choses néces-
saires à la vie, qu'ils ont chez eux en abon-
dance.
Nous passâmes ensuite auprès des monta-
gnes de Tarnî^uipita. Cette contrée est habi-
tée par plusieurs Nations Indiennes. Quatre
de nos MissioQDairc&lcur oui aunoncé l'Evau-
4© Lettres édifiantes
gile ; savoir , le Père Ignace Martinez , Espa-
gnol ; le Père Nicolas Ilénard , Français; les
Pères Diego Ferrer et Juste Mausilla , Fla-
mauils. Le premier partit clans la suite pour
la Mission des Cliiriguanes , elles deux autres
succombèrent aux tatigues et aux travaux
cpjiis aupportcrent, et moururent parmi ces
Larl>ares , dénués de toute consolation hu-
maine , ainsi que le gt and Apôtre des Indes ,
saint François Xavier , dansl'ile de Sancian.
Le dernier ne résista pas long-temps aux
ftiêmes fatigues , et finit sa vie dans l'exercice
de ses fonctions Apostoliques.
Huit lieues après avoir quitté le Tobati y
nous nous trouvâmes à l'emboucliure du
JMhotctei: c'est par cette rivière que les Ma-
melucs avaient coutume d'entrer dans le
fleuve Paraguay. De là on découvre de vastes
campagnes , qui s'étendent jusqu'aux Xa-
rayes : elles étaient anciennement liabriées
par les Guaicurus et les Itatines ; mais ces
Indif.'us se voyant continuellement exposés
aux irruptions et h la cruauté des Mamelucs ,
abandonnèrent leur Pays , et cherchèrent un
asile dans d'épaisses forets , qui depuis le lac
Jaragui , s'étendent jusqu'à cinquante lieues
du cùié du Pérou.
Enfin , le 2() Septembre , nous arrivâmes
à l'endroit où le fleuve Paraguay , se parta-
geant en deux bras , forme une grande île.
Comme nous nous trouvions alors sur les
terres des Chiquites, nous cherchâmes à dé-
couvrir la croix que nos deux Missionnaires
avaient plantée l'aunée précédeate.
iT ccR irrsrs. 4*
Le iad'Ociol)re , ayant jeté l'ancre, non»
aperçûmes quelques Payiif^uas : quoiqu'ils
fussent intiniidéd .t la vue de nos Indiens, ils
ne laissèrent pas de nous approcher , et ils
nous ojrrirent des Iruits de h'urs terres ; nous
répondîmes à cette honnêteté par (juelques
petits présens que nous leur fîmes.
Le 17 , nous jetâmes l'ancre à la vue du
lac Jarugui , qui est caché en partie entra
les hois et les inonta£;nes , jii,s<|iies vers les
On joncs. Les Campajj;nes tlf l'un et de l'au-
tre coté du fleuve sont pleines d'habitations
Indiennes. 11 y en a davantat^e dans celles
qui sont à la gauche, parce que les marais
et les lacs, dont elles sont environnées, les
rendent en quelque sorte inaccessibles , et
mettent ces iVatious ù couvert dos incursions
des Mamelucs.
Il serait ennuyeux , Monsieur , de vous
rapporter les noms de ces ditlérentcs Na-
tions : il sulTil d'en faire une noie h la marge ,
en cas que vous ayez la curiosité de les con-
n»ilre(i;. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que
la plupart do ces Nations se réduisent à deux
ou trois Villages, et que chacune ne compte
guère plus de trois à quatre cens Indiens.
(Quoique ces Nations confinent les unes aux
(1) A main liroite sont le» Guaras, TiCngnas, Chiba-
pnrii.i, Kraiiu(iuis, Napiyaclius , Guarayos , 'l'apiniin's,
Ayi^uas, (^uuii-anis, Aiit-nes , (]iiriibiiias , (^Ofs , (jua-
re.sijv, .farayes, (^arabrrcs , Lrutues, Guabènes, Mborya-
res , l'aresi.» , Tapaciui».
(Jn trouvi; ii main naurlie les Payagua» , Guacicos,
Italiucs , Ai^iuis , biuMiuaciu , iUiioi* , Abaties j Gui-
4.5 Lettres ÉDIFIANTES
autres , elles p.irlent cliacune une langue
difrérenle , et ne s'entendent point entrVlles ;
elles n'ont nul commerce ensemble ; elles se
ff>nt souvent la guerre, et olierchent à s'en-
tre-détruire.
Le i8 , ayant laissé à main droite le lac
Tuquis , nous arrivâmes à l'embouchure de
la rivière Favaiguazu , qui décharge ses eaux
dans le fleuve avec une impétuosité extraor-
dinaire. Un peu au-delà nous rencontrâmes
un canot, où était un jeune Indien bienfait
et robuste. Il ne craignit point de se rendre
à notre barque. Nous lui finies bien des ami-
tiés , et , quoiqu'il n'entendît point notre
langue , ni nous la sienne , il ne laissa pas
de nous faire connaître par signes qu'il était
de la Nation des Mbiritiis , et qu'il y avait 3
journées de rhe.'ïîi'î jusfju'à son Vilb^ge. Nous
connûmes l'affection qu'il nous portait par
la peine qu'il avait de nous quitter. C'est
pourquoi nous lui offrîmes de monter dans
notre barque. Il accepta cette offre avec joie,
et y entra avec ses armes et sa natte , qui
était délicatement travaillée. Il régala nos
Indiens d'un grand Cajyii>arn qu'il avait tué.
C'est un cochon de rivière assez semblable
au cochon de terre. Voyant , au bout de trois
tihis , Cubièches, Chicaocas , Coroyas , Trequts, Gu-
«amas , Giiatiis, Mbhitis, Elèves, Ciicliiais, Tarayiis,
Jasintes, Guatoi^uazns , Zurucpas , Ayucèrrs , Quirhi-
quichis , Xaimes , Giiananis, Ciiruaras, (iiirhyrones ,
Ariponps , Arapores , (^utuaies , Tlaiiares , Ciitaiçuas ,
Arabiras , Cabies , Giiannaiçuazus , imbues , Mambi-.
«{uas. ( Note de i'aucieime £ditioa ).
E T f. r 11 I E r s E 5. 4^
jours, que nous na\i|^uion.s le long du ri-
vage , pour n«' pas nous (.'nihana.sMT cnlrr les
îles (jui couvraicul le fleuve , il prit congé
de nouSf avec promesse de vcuir bientôt nous
rejoindre. 11 reçut avec reconnaissance quel-
ques pi-liLs pié.sens (]ue nous lui limes, pour
les présenter au Cacique et aux principaux
de sa Nation. Cet Indien tint sa parole , et
il ne fat pas long-temps sans revenir; mais,
voulant traverser un hras de rivière dans ua
temps oiageux , il fit naufrage en notre pré-
sence : il ne se sauva du danger qu'il courut,
que pour tomber entre les mains des Pa^a-
gnas , qui le firent conduire dans^sou Vil-
lage.
Knfin , le 3i "Octobre nous entrî'imes dans
le fameux lac des Xaraycs , dans lequel plu-
sieurs rivières navigables viennent se déchar-
ger. On croit communément que c'est dans ce
lac que le fleuve Paraguay prend sa source.
A l'entrée du lac est située la fameuse île
des Orcjones , où il y avait autrefois une
Nation très-nombreuse , qui a été entière-
ment détruite par les Mamelucs. Le climat
de cette île est tempéré et très-sain , quoi-
qu'elle soit h la liautenr de dix-sept degrés et
quelques minutes. Selon rojiinion com-
mune, elle a quarante lieues de longueur et
dix de largcnr : d'autres la font encore plus
grande. Son terroir est fertile , bien qu'elle
soit pleine de montagnes , toutes couvertes
de beaux arbres propres h être employés à
toutes sortes d'ouvrages.
Pendant un mois cl demi que nous cm-
44 Lettres ÉDIFIANTES
ployâmes sur la terre et sur l'eau à clierclier
cette croix qu'on avait plantée , laquelle de-
vait indiquer le chemin qui conduit aux Mis-
sions des Chiquites , toutes nos diligences
furent inutiles , et nous n'en découvrîmes
point le moindre vestige. Cependant la sai-
son avançait , et il était à craindre que le
fleuve baissant chaque jour , notre barque
ne se fracassât sur les rochers cachés sous
l'eau : il fallut donc songer au retour , avec
le chagrin de s'être donné tant de peines sans
aucun fruit. Quelques-uns de nos Mission-
naires prièrent le P. Supérieur de les laisser
dans l'ile , où, pendant l'hiver , ils devaient
faire de nouveaux ellorts pour réussir dans
cette découverte ; mais le succès était trop
incertain, et le risque trop grand-, ainsi,
après avoir loué la ferveur de leur zèle, il leur
déclara qu'il ne pouvait pas condescendre à
leurs désirs.
Nous sortîmes donc de ce lac , que quel-
ques-uns ont appelé la mer Douce. Mais ,
comme, ainsi que je viens de le dire, nous
entrions dans la saison où les eaux du fleuve
diminuent considérablement , nous étions
dans la crainte continuelle de donner dans
des bas-fonds , ou de toucher aux rochers ,
qui , en quelques endroits , sont presque à
fleur d'eau : heureusement nous fîmes cent
lieues sans aucun accident. Nous découvrî-
mes trois canots qui venaient nous joindre
à force de rames : il y avait quatre Indiens ;
savoir: un Payagua et trois Guaranis, qui
avaient anciennement reçu le Baptême.
ET CCRIEC5ES. /jS
Aussitôt qu'ils se furent approclit's de notre
bar({iii- , ils y sautèrent avec In-nucoup cLe
légèreté, et nous dirent (ju'ils ét.iienl déter-
minés à passer le reste de leurs jours avec
nous, ({uehjue peine que leur désertion dût
faire à leurs Caci([ues. Ils se tronq);iienl pour
ce dernier article : car, les deux Caci(jues ,
dont ils étai(rnl \assau\, frappés de la gé-
nérosité avec laquelle ils avaient abandonné
leurs hicns et leurs parens , pour vivre
dans une plus exacte observation d«' la Loi
chiétienne , en conçurent une plus Imule
estime, et pour eux , et pour les Mission-
naires.
Ces deux Caci(}ucs joignirent notre bar-
que , et y étant entrés avec confiance, comme
si la connaissance cùl été ancienne , ils s'as-
sirent sans façon auprès du Père Supérieur.
Le Pèie profilant de ces favorables disposi-
tions , les entretint de rim[)orlancc du salut,
et de la nécessité d'embrasser la Loi chré-
tienne pour y parvenir. Il leur fit sentir
qu'outre le bonheur qu'ils auraient de vivre
en hommes raisonnables, de devenir cnfans
de Dieu , et de mériter une récompense éter-
nelle, ils couleraient bien plus tranquille-
ment leurs jours , puisque , trouvant dans les
peuplades des Guaranis , autant de défen-
seurs qu'il y a de Chréliens , ils n'auraient
plus rien à craindre des Manielucs , et des
Guciicurits , i\u\ les ielaienl dans de conti-
nuelles inf|uiétudes.
Les Ca(i(ju« s, (|ui étaient très-attentifs au
discours du Pèic , puruvciit eu (}lrc touchés :
46 Lettres édifiantes
ils promirent qu'ils se feraient instruire avec
leurs vassaux pour être admis au Baptême ,
et qu'ils se fesaienlfort d'engager les Indiens
{juatos et Qnacharapos h s'unir avec eux ,
pour former tous ensemble une nombreuse
peuplade. Pour nous assurer de la sincérité
de leurs promesses , nous les priâmes de nous
faire préseul de quelques jeunes Indiens ,
qu'ils avaient fait leurs esclaves, afin de les
instruire des vérités de la Foi , et de nous
en servir en qualité d'interprètes. Nous leur
offrîmes en échange des plats d'étain , des
couteaux , des liameçons , de petits ouvrages
de jaïet , et d'autres choses de cette na-
ture. Ils y consentirent de bonne grâce , et
nous remirent six Indiens de différentes Na-
tions , que nous envoyâmes dans une de
nos peuplades, pour y être instruits dans la
jR.eligion.
Enfin , après bien des protestations d'ami-
tié de part et d'autre , ils nous quittèrent
très-contens de l'espérance que nous leur
donnions d'envoyer chez eux des Mission-
naires. En partant ils ordonnèrent à quel-
ques-uns de leurs vassaux habiles pécheurs
de nous suivre dans leurs canots , de faire
chaque jour la pêche , et de nous fournir
abondamment du poisson. C'est ce qu'ils exé-
cutèrent ponctuellement: ils nous suÎAirent
i5o lieues , et ne nous en biissèrent jamais
manquer. Ce secours vint fort à propos, car
il y avait déjà du temps que nos provisions de
biscuit et de maïs étant gûtées , il fallait nous
couteuter d'une écuellée de fèves par jour.
ET r rsirrscs. 4?
Etant «rrivés à l'indiDÏt du fleurr, où le
zélé Néophyte Auicctctsvs cooipngnons fu-
rent tués j).Tr les Puynf^iins y nous dcputûmci
vers ces barbares (|ueli{iK-s Pw^aguas de nos
amis, pour leur dire (|ue nous n'avions junir
€ux tjue àvs pensées de paix et d'attiour;.
<]ue notre plus ardent désir était de procu-
rer leur bonheur en celte vie , cl après leur
mort ; qu'ils en fi-raient l'expérience s "il> \ou-
laient se joindre à nous ; ([ue nous élioiis per-
suadés que s'ils avaii'iit tué nos Indiens ,
c'était moins par haine pour eux , que par
la crainte où ils étaient qu'on ne leur tendit
des piéf^es; «jue du reste nous leur pardon-
nions ce qui s'était passé , et (jue pour toute
satisfaction nous leur demandions les Espa-
gnols qu'ils tenaient en esclavage.
Nos députés s'acqui lièrent si bien de leur
commisaion auprès de ces barbares, que quel-
ques-uns d'eux vinrf'nt nous demander par-
don du meurtre qu'ils avaient commis , et
nous remirent un Espagnol qu'ils avaient fait
esclave : ils nous assurèrent môme du désir
qu'ils avaient de se réunir dans une peu-
plade , et d'embrasser la Loi chiélienne :
mais dans le temps qu'ils nous donnaient ces
assurances , ils ne cherchaient qu'à nous
tromper : car ils nous protestèrent qu'ils
n'avaient d'esclave que ce seul Espagnol, et
nous appiîmes dans la suite qu'ils en avaient
encore trois autres. Notre amitié s'élaul re-
nouvelée , nous vîme»^ paraiti e vingt de leurs
canots qui se suivaient file à file. Ils mon-
tèrent les uns après les autres dans notre
4^ Lettres ÉDIFIANTES
Larque , pour recevoir les peiits présens que
BOUS leur fimes. Peu après leurs Caciques
vinrent nous apporter des fruits , et nous don-
nèrent un canot fort propre.
Nous ne crûmes pas néanmoins devoir
nous fier à des Peuples dont nous avions
éprouvé si souvent la perfidie et l'incons-
tance, et qui ne tiennent leur parole qu'au-
tant qu'ils y trouvent leur intérêt. Ce qu'il
y a d'étonnant , c'est que cette Nation , qui
ne compte guère que quatre cens hommes
capables de porter les armes, s'étende sur
tout le fleuve Paraguay. Une partie se répand
à environ deux cens lieues sur le fleuve ou sur
la terre depuis le lac des Xarayes ; l'autre
partie rôde sans cesse vers la ville de l'As-
somption , pillant tout ce qui tombe sous
leurs mains, fesant des esclaves de ceux qu'ils
rencontrent, s'ils ne sont bien en garde con-
tre leurs embuscades , ou bien se liguant
avec les Guaycunis , pour attaquer les Es-
pagnols à force ouverte.
La vie errante et vagabonde qu'ils mènent
n'est pas un moindre obstacle à leur conver-
sion, que leur caractère perfide et volage. Ils
ne peuvent être long- temps sous le même
ciel : aujoui-d'hui sur la Terre-Ferme, de-
niaîn dans quelque île , ou se dispersant sur
le fleuve; ils ne peuvent guère vivre d'une
autre manière, ne subsistant que de la chasse
ou delà pêche, qui ne se trouvent pas tou-
jours dans le même lieu.
Nous poursuivîmes assez tranquillement
notre route , mais le 2 Décembre uous fûmes
à
tT c LU irrsrs. 49
h «leux doigts de la mort. 11 s'éleva un v« nt
furli-iix (|ui , pous.sant notn- lianjuf avt-c \ io-
IfiH»' , la lit j»aut«T i\v lorliiM.s «-n rorUers.
\Z\\v «Ifxait se hristr en mille pièces , it
nous devions mille lois |iéi ir ; cepciidaul clliî
ne irrnt aucun dommat;*'. Nous nous crù-
nifs rrdfvahles de notre coiisfivalion à une
itiolt-clitiii s|Ȏciiilf (It; la Ire.s-sainle Vierge,
que nous iu>o(|uious plusieurs luis chaque
Kinr.
Après avoir échappé h ce danirer , el en
.Tvoir rindu piAces à l)ieu et à la S.'' Vierge
notre prot«n-liice, It; P. Supérieur lit prendre
le «Irvanl à un<" «le nos bartjues , ortlonnant
quelle allai à toutes voiles cl h force de
rames, el l'il loute la diligence qui serait
possihle pour tran.^'poiter au plus vite à la
ville de l'Assomption h' P. de Aeunian, fjue
la dvssent«rie dont il lut attaqué, avait ré-
duit à l'exlréinilé.
Pour nous , ce ne fut que le l 'j que nous
y arrivâmes. Le Gouverneur de la Ville ,
loute la noblesse el le Peuple en foule vin-
rent nous rerevoir au sortir de nos harcpu-s,
cl voulurent absolument nous ecuduiie jus-
qu'au Collège. Il n'y avait qu'une heure
que nous y étions arrivés, lors<[ue le Père
de N<'uman finit sa carrière, el alla rece-
voir la récompense de ses travaux. Los Cha-
noines de la Cathédrale , les Ecclé>iasli-
qucs , les Religieux et tous les Corps de la
Ville honorèrent ses obsèques de leur pré-
sence , le reg.ir<lanl cnnime un .Mailyr
de la chaiilé , cl du zèle doul il avait lou-
Totnc /A. C
5o Lettres ÉDIFIANTES
jours Lrùlé pour la conversion des infidèles.
Le 9 , nous partîmes de la ville de l'As-
somption pour nous rendre à nos chères Mis-
sions des Guaranis ^ où nous arrivâmes le 4
de Février. Ainsi se termina notre voyage ,
qui dura 9 mois , et où nous perdîmes seize
des Néophytes qui nous accompagnaient, et
qui nous furent enlevés par le déiaut de vi-
vres et par la dvssenterie.
On a fait quelques tentatives pour décou-
vrir ce chemin, qui n'ont eu d'autre succès
i^iw. de procurer au Père de Arce et au Père
Blende une mort glorieuse. On en trouve le
détail dans une des lettres précédentes. Je
suis avec respect, etc.
SECONDE LETTRE
Sur les Tiouvelles Missions du Paraguay ,
au même.
Monsieur,
La paix de N. S.
C'est pour me conformer à vos désirs que
je continue à vous entretenir des Missions
nouvellement établies dans la grande Pro-
vince du Paraguay , et des moyens que pren-
nent les Missionnaires pour gas^ner tant de
Valions barbares répandues dans d'immen-
ETCCRItrSES. 5t
«es forcis , fl Ifs iruuif ilîiijs ili'S peuplades ,
ou l'on puisse los poIiciT, et l«*s instruhè
des vérité.s tic la Foi. J'ai iléjii eu IMioniu-ur
«le Vous «lire que elmijue |)«'u|il.i(lc (Jiic-
lii'nnc «'Si sous la conduite dr deux Mission-
naires , ct<ju'en certain iciups de l'auncc l'ua
d'eux parcourt les montayues et les forêts ,
pour chercher ces pauvres Indiens , et les
retirer des téuchres de l'iulidélilé.
Le Père Cavallcro s'est rendu illustre en
ces derniers temps par le succès de ces sortes
d'excursions Apostoliques , et par la niort
glorieuse dont son zèle a été couronné. Il
l'ut tiié par ses Supérieurs de la Mission des
iJiii ii^uanes, pour consacrer ses soins à celles
des Ciiiquites. Il gouvernail alors la peu-
plade de Saint-François- Xavier , d'où il
avait coutume chaque année de se répan-
dre chez les Indiens infidèles ; il avait déjà
«lisposé la Nation des Inà'tvns Piiraki\ \
écouter ses instructions , et il partit de sa
peuplade en l'année 1704, pour se rendre
chez eux, et achever l'ouvrage de leur con-
version.
Comme il approchait des hahitalions In-
diennes, il aperçut une troupe d'Euroj)écns
qui , au mépris des lois , qu'ils croyaient
pouvoir enfreindre impunément , dans un
lieu si éloigné des \illes Espagnoles, cher-
chaient "a enlever le plus rju'ils pouiraienl de
ces Indiens, pour en faire un cruel trafic,
et les vendre comme autant d'esclaves. Le
Chef de la troupe a!)orda le Missionnaire ,
cl , prenant uu lou d'cuipire et d'autorité, il
C 2
5a Lettres ÉDIFIANTES
lui dit que c'était bien là le temps de faire
des Missions : qu'il eût à retourner dans sa
peuplade, et que s'il balançait tant soit peu
à se retirer , il saurait bien l'y contraindre.
Le Père , nullt meut intimidé par ses mena-
ces , lui (it une réponse honnête , et suivit
3on chemin.
Quanti il arriva aux hal)itations , il les
trouva toutes désertes ; à la vue des Euro-
péens la peuravait saisi eesindiens; ils avaient
pris la fuite, et étaient allés se cacher dans
les bois les plus épais et les moins accessi-
bles. Il n'aperçut que deux ou trois jeunes
Indiens montés à la cîme des arbres , pour
observer la marche et la contenance des
Européens. Quelque impénétrables que fus-
sent ces bois, ils ne furent point un obsta-
cle au zèle du Père Cavalleio ; il en perça
l'épaisseur , et se rendit, quoiqu'avec beau-
coup de peine, au lieu où étaient ses chers
Indiens.
Après leur avoir renouvelé ses instruc-
tions , il baptisa un bon nombre d'enfaus
qu'ils lui présentèrent. Lorsqu'il eut fini , ce
pauvre Peuple consterné de la longue séche-
resse qui luinait leurs moissons, et (pii leur
annonçait une famine générale , se jeta à
ses pieds , et le conjura avec larmes d'em-
ployer le pouvoir qu'il avait auprès du vrai
Dieu qu'il leur annonçait pour en obtenir de
la pluie.
Le Père, que ce spectacle avait allendii,
ne put se refuser à de si fortes instances , qui
étaient une preuve dp leur foi et de leur cop-
ET CURIEUSES. 5Î
fiance en Ditu; il piaula à terre la croix qu'il
p«irl:iit toujours :i la main -, il ordonna ii tuus
li'> Indiens de se mettre à {genoux devant ce
6i};ne de notre salut , d"éle\er l«-ui>» mains
au (liel , et de rcj>éter avec lui la jn ièrtî
qu'il allait faire au souverain IMaitrcdel' Uni-
vers , et au dispen>aleur de tous les hiens.
Dieu daigna exaucer leur prière : à j)eiuc
fut-elle aelie\ée , «pi'uuf pluie ahond.inlc
ressuscita leurs moissons et raniinu les Cam-
pagnes.
Le Père n'eut pas le temps d'être témoin
de U'ur reconnaissan«e ; il partit aussitôt pour
alliT visiter les [ndietis J'tifturtirax , avec
promesse (|ue ee voyage ne .serait que de peu
de jours. Pendant son absence les Kuropécns
dont je viens de parler eurent recours à un
stratagème, au moyen duquel ils se promet-
taient un doiiMc avantaç^e ; le premier, de
rendre le Missionnaire odieux et suspect aux
lixtiens, et le second, de se mettre en état
d«- saisir leur prcie sans obstacle. A celeflct,
ils lirent répandre parmi ces Peuples , na-
turelU-ment ombrageux , cpie le prétendu
Missionnaire , auquel ils «lonnaicnt leur
confiance , était un Mamcluc déguisé ea
Jésuite , et qu'il était allé quérir ses com-
j)agnons pour venir fondre sur eux et les
enlever; ([u'ils le eiierrbaient poui" lui ntet-
tre les l'ers aux pieds et aux mains, et le
conduire aux prisons de Sainte-Cioix de la
Sierra. •
Quoique ce bruit ne les tronvAl pas asser
crédules pour y ajouter une foi entière , ce-
C i
54 Lettres édifiantes
pendant une ruse pareille , employée pins
d'une fois par les Mamelucs, leur inspirait
je ne sais quelle défiance, que le Père eut
l)ientôt dissipée à son retour, en leur décou-
vrant le piège qu'on avait tendu à leur sim-
plicilé.
Cette foui'herîe ayant si mal réussi h ces
Européens , ils résolurent d'employer la vio-
lence. Le Clief , suivi de sa troupe , et in-
formé par ses espions de la marche du Mis-
sionnaire , alla le trouver, et donnant à
entendre qu'il était autorisé des Magistrats,
et envoyé à la découverte des Mamelucs , il
l'accabla d'injures , et leva même la maia
pour le frapper; puis avec un visage allumé
de fureur : « C'est de la part du Roi , lui
» dit-il , que je vous ordonne de sortir au
» plutôt du pays, et d'aller rendre compte de
» votre conduite au Gouverneur de Sainte-
» Croix ; obéissez. »
Ces nouvelles insultes ne causèrent pas la
moindre émotion au Père Cavallero : (« Ne
M vous imaginez pas , lui répondit-il d'un air
» tranquille j que vos prétentions et vos vues
» criminelles me soient inconnues. Vous
» croyez que ces lieux déserts et écartés dé-
M roberont vos injustices à la connaissance
» de ceux qui ont l'autorité et l'obligation
» de les punir : vous vous trompez ; sacliez
M que le ohàlimcnt n'est pas si loin que vous
» pensez. Ou reste , vos menaces et vos arti-
M fices sont inutiles; jamais vous'ne m'ar-
» racherez d'un lieu où Dieu demande ma
» présence , et je ne soullVirai point que vou«
ET r t R I r. l- SES. DD
» nllentiez à la Ijheiié d'un Peuple qui eu
» jouit sous la prolecliun du Rui el de ses
n Kdi(5. »
Cts dernières paroles , dites d'un ton
ferme, éloiinèrent le Clu-f de ces Lrif^ands ,
et voyant (jiie ifs impostures étaient déeou-
vnlre ,il prit Ir parti lui-même d'aller clier-
cher Ibrlune ailleurs; on ne le \it plus repa-
railre. Peu après un Indien de la Nation des
Ji/iinnacicds , qu'il avait fait son esclave ,
avant eu l'adresse de s'échapper de ses mains ,
vint se jeter entre les liras du Missionnaire.
Il entendait un peu la langue des Chi(iuites,
et il paraissait avoir naturellement du goût
pour les exercices de la Religion, 11 étudiait
toutes les actions du Père, et il lAthait de les
imiter. On lu voyait se prosterner comme
lui au pied de la Croix, lever comme lui les
mains vers le Ciel , et réciter comme lui à
haute voix les prières. De si heureuses dis-
posions <lu jeune Indien donnèrent au Père
une idée favorable du caractère de cette Na-
tion , et dès-lors ses pensées se tournèrent à
la conversion des Maniiaviras.
Ce fut un grand sujet di- joie pour ces pau-
vres Indiens de se voir délivrés de rin(|iiié-
tude que leur avait causée <'ette troupe d'Eu-
ropéens. Leur Cacique venant lui en marquer
sa reconnaissance, le pria de se transporter
chez les Indiens yf/uiporcs. « Nous vous ac-
» compagnerons , lui dit-il : nous les entrc-
» ti»;ndions des vérités de la Religion ; notre
M exemple les touchera, et nous les engage-
» rons de se joindre à nous cl aux Tubacis,
Ci
56 Lettres ÉDiTiAN TES
» nos amis, pour former tous ensemhlc une
M peuiilade, où vous puissiez nous enseigner
» la clocliine Chtctienne , el nous mellre ,
» ])ar le Baptême , au rang des eufans de
» Dieu. »
Cette prière du Cacique était trop con-
forme aux vues du Missionnaiic pour qu'il ne
se rcndîtpas à ses désirs. Il se milaussitùlea
chemin avec sa suite, et il arriva en peu de
jours chez ces Indiens. Il les trouva , eu
effet, si bien disposés à embrasser la Foi ,
qu'à celte première visite il baptisa plus de
quatre-vliii^ts enfans ; car ^ pour le Baptême
des adultes, il n'en est point (juestion : on ne
le leui- confère que quand ils sont fixés dans
une peuplade, oii l'on ait tout le loisir de
les instruire.
De là il passa dans un autre VillaL'e delà
même Nation ; mais ces fatigues-, avec les
mauvais alimens qu'il prenait, le jetèrent
dans uu état de langueur , que son co^^age
s'efforçait en vain de surmopter. Enfin, il
sentit défaillir ses forces , et il tomba* en
faiblesse. Une fièvre ardente qui le saisit au
même temps l'eut bientôt réduit à l'extré-
mité. Assis au pied d'un arbre , il n'atten-
dait plus que sa dernière heure , à laquelle
il se disposait. Ces pauvres ludiens étaient
désolés de ce; que la ruine de leurs campa-
gnes les mettait hors d'état de lui procurer
quelque secours. Enfin , après bien des mou-
vemens, le hasard leur lit trouver une poule
qu'ils lui appoitèrent , mais il la iifusa
constamment , et la lit donner ù uu de ses
Néopliylcs , <jui était picsijuo aussi mil
que lui.
Dans le trihlc état où il se trouvait , il lui
>int une lorle j)^'^^ée de proiuctlre à iJicii
que s'il lui rnidait la saiilé il la sacrilic-t ail ii la
conversion ties lutlii-us Mtiimavicas , cl qu'il
verserait volontiers jusiiu'.à la tleruière gonlte
de son sang pour les mettre dans la voie du
salut. A peine eut- il fait celle promesse,
(|ue la fièvre cessa, (ju'il lruu\a du j;f)iil aux
Miels les plus insipides dont usent ces In-
diens, et qu'en très-peu de temps il recouvra
ses forces.
Le Cacique du lieu nommé Pou, suivi
de (juelques-nns di- ses vassaux , vint le féli-
ciler du rétaMissenient de sa santé. Le Père
((ui connaissait la sincérité derairection qu'il
lui portait, l'entretint du projet qu'il avait
formé, et <ju'il était sur le point d'exécuter,
en le priant de vouloir Lien l'acîcompagner
avec les siens dans une expédition , où il
s'a:;issail de gagner tant d'anies à Jésus -
Ciirist.
Le Cacique , qui auj^urait mal du succès
de celle entrj'priM* , lui en exposa les dans
gers.; il lui représenta (jue celU; JNalion était
très-nombreuse , et encore plus redoutable
par sa valeur ; «ju'elle était irritée au-delà
de ce qu'on peut dire coulre les Espagnols,
à cause du lueurlre tout récent (ju'ils avaient
fait de (jui'liiiu's-un.-» des siens , <|ir(lle avait
juré de taiie périr tout autant d'Espagnols
(jiii toiiibei aient sous sa main; ({ue se livrer
téiuéraircmcul à un Peuple lier, vindicatif
C 5
5S Lettres édifiaî^tes
et ontrngé , c'était courir à une mort ror-
lainc; que tout le chemin qui conduit à leurs
Villages était semé de pointes d'un bois très-
dur, où il n'était pas possible de marcher
sans s'estropier ; que ces Villages étaient for-
tifiés de palissades, qu'il n'était pas aisé de
franchir; enfin, lui témoignant qu'il l'ai-
mait comme son pèi'e : « Si ces furietu'^
» vous attaquent , lui dit -il , étant seul
n comme vous êtes, quelle sera votre dé-
n fense ? »
Le Père , qui l'avait écouté sans l'inler-
l'ompre , prit son Crucifix à la main , cl le lui
montrant : « Voilà , lui répotidit-il , le bou-
3) clier qui me défendra de leur fureur. Je
» ne crains rien (juand Jésus-Christ m'or-
w donne de prêcher sa sainte Loi : ils ne
» peuvent , sans sa permission , m'arracher
» un cheveu de la tôte ; et , quand j'edevrai»
M expirer sous leurs traits, puis-je aspirer h
» un plus grand bonheur? Si vous craignez ,
» vous autres , vous n'avez qu'à demeurer
« un peu au loin derrière moi , tandis que
» j'entrerai tout seul dans le Village. Si
» l'on m'y fait un bon 'accueil , je vien-
» drai vous appeler ; si , au contraire , je
» suis mal reçu , vous n'aurez qu'à prendre
» la fuite. » '
Une réponse si ferme et si hardie porta
le même couragi; dans le cœur du Caci»]ue.
K Non , certes , nous ne fuirons pas , dit- il ,
n et s'ils venaient à vous luer , nous vous ai-
» mons trop pour ne pas venger votre mort,
» dussent-ils nous hacher en pièces; à l'ins-
ET cm ir rsr s. Sg
» Innl il frappa sur srs amu-s. >» A cr sîpial
une noMibinisr troupi' tic hravcs Iruliins
p.uurcnl , el promirtnl que si les Munna-
lius osaient atu-nter.'i la personne du Père,
ila mourraienl tous à ses côtés ; mais, avant
que de partir, ils le prièrent de leur acjor-
d«r un peu de teïups pour les mieux instiuirc
des \ériics Chrétiennes, el pour conférer le
iSapléme ù leurs enfans.
Ce ne fut donc (ju'après quehjues jours
qu'ils se mirent en marche. Lois(|u'ils eurent
passé la rivièie y/rulxiitu , ou comme d'au-
tres l'appellenl, Z//(/M/7'<i/</'/i , à la vue des
])ointes'aigues dont le chemin était semé , el
(hs palissades cjui environnaient le Village ,
la frayeur s'emp.oa des Indiens ; ils parlaient
tous de lelourner sur leurs pas, et de renon-
cer à une entreprise qu'il n'était pas possible
d'exécuter.
w J'avoue , dit le Père , dans une lettre
■. qu'il écrivit eii ce temps-là à son Supé-
» rieur, que, quehjue hi ave que soit la Na-
» lion desi-*j/rrtA/>,et(juelque amour qu'elle
)) me porte , il n'y a que Dieu qui ait pu don-
» ner assez d'i-ilicacité h mes paroles, pour re-
» levei leurcourageabaltu. A peine eus-jepro-
» nonce deux mots , que le Cacique , suivi
» de ses vassaux , s'avance, et marchant pas-
T> à-p:is dans un prt fond silence , il ariiva
M jusfju'à la pali>sade , où il ne se trouva
» pjMsonne pour la détendre, Jt- n( ^()llsdis-
M simulerai point f[u'apiès avoir passé cette
» palissiido , et que, me voyant prèvS d'être
u exposé ù la fureur de ces Lai bai es , et selon
C G
t'o Lettres ÉDi FI AN TES
» les apparences, (le teindre de mon sang leurs
« flèches empoisonnées , la crainte me saisit
» à nïon lour. J'clais pourtant ranimé par la
» présence d'un jeune Néophyte qui était à
■» mes côtés, et qui , levant ses mains inno-
» centes vers le Ciel , offrait sans cesse à Dieu
» ses sueurs cl ses peines , pour planter la
)) Foi chez ces infidèles, cl son sang pour le
» verser h son service.
Ils entrèrent dans le Village qu'ils trouvè-
rent entièrement abandonné: on n'y voyait
Cjue des ruines de cabanes que le fj-u avait
consumées , et des cadavres dont la terre était
jonchée. A la vue de ce spectacle q'ui fesait
horreur , les /"'«/•«A/j^ exhortèrent le Mission-
naire à se retirer; mais un Indien ]\ï;inna-
cica , nommé Izu , (jui leur servait d'inter-
prète , les assura qu'assez juès de là il v avait
d'autres terres et d'autres Villages. A ce récit
le Père réveilla le courage de ses Indiens, et ,
se mettant h leur tête , il eut bientôt gagné ce
nouveau Village. Il y entra seul avec Izu ,
son interprète, laissant les Indiens derrière
lui h une ceilaine distance.
Aussitôt que ces barbares l'aperçurent, ils
poussèrent des cris affreux -, ils firent sortir
du Village leurs femmes et leurs enfans: ils
s'armèrent de leurs flèihes avec un air me-
naçant, et jetèrent sur lui des yeux éiincelaus
de fureur. Le INéopliyte Izu élevant la voix ,
ks conjura de ne point faire de mal à un
liomme, qui n'était rien moins que leur en-
nemi. « Je suis un Missionnaire , s'écria lo
» Père , q^ui viens vous prêcher la sainte Loi
» de Ji'sus-Cliiisl. » Toul cela nr fil nulh;
impression sur ces barh.ires : on leur vil t'.iirc
lin inouvi'inrnl (|tii n'.iiiitonc.iil rien (|u(> de
funt-str. AI«Ms \c Cîaii<|iu' Pi>ii s'.ipprocli.iiit
du l'ère : c n'apercevez-vous pas, lui dit-il ,
» »|u'ili ftirmcnt un cert-le pour nous envi-
» ronner de toutes parts , niîn qu'aucun <lc
» nous n'écliappe df h'urs mains? Il est étnii-
uaiil fjut- le Missidunaire , (jui , peu de jours
nuparavant , frémissait de peur à la seule
])ensé«' de ces haï hares , parût aloi-s iniper-
lurhalde. « Je vous avouerai ingénument ,
» tlil-il dans une de ses lettres, (ju'au milieu
>) du plus i^rand péiil ou j'étais de perdre la
» vie, je n'avais pas la moitulre crainte: une
)) voix intérieure me disait que celte tois-ci
» «lie ne me serait pas ravie, et, quoique je
» me vi.vse (touvert d'une nuée de flèches ,
M j'étais dans la place le Crucilix îi la main,
» aussi tran(|uilh- que si j'eusse été dans mou
» Kglise au milieu de mes Néophvles. »'
Izu ^ h la vue du péril^uc courait le Mis-
sionnaire , s'avança jusqu'au milieu de se»
compatriotes, et tout nouveau Chrétien qu'il
était , il leur parla avec tant de force et
«l'éneigre des grandeurs de Dieu, de la sain-
teté de sa Loi , et de la nécessité de l'em-
hrasser pour être heureux , que ces cœurs
Larhares, touchés en métne - temps par la
gr:ke , furent tout-à-coup changés; leur fu-
reur s'appaisa, et toute leur haine se dissipa
de telle sorte, que les mains encore pleines
dr llèches , ils vinrent à la file les uns des
Aulrcs 5C mclU e ù gcuous. aux ^ncda du Mis-
62 Lettres ÉoirîAîTTES
sionnaire , et i);iiscr a\fc une profonde véné-
ration le Crucifix qu'il tenait entre les mains;
à quoi ne contribua pas peu le Cacique des
Piirakis, qui leur criait de toutes ses forces :
« V^enez , mes amis, venez rendre hommage
n h Jésus- Christ notre Créateur, adorez-
>i le , et rangez-vous au nombre de ses vas-
» saux. »
Quel spectacle plus consolant et plus pro-
pre à inspirer de la confiance en la divine
miséricorde, que de voir d'un côté des infi-
dèles, qui n'étaient instruits que depuis peu
tle jours des vérités de la Foi , et qui n'av;ii( ut
pas encore reçu le Baptême , devenir des Pré-
dicateurs de l'Evangile! et d'un autre côté,
une Nation fière et oigueilleuse , qui ne res-
pirait que la haine et la vengeance s'adoucir
tout-h-coup, et s'humilier aux pieds de Jésus-
Christ !
Au même moment la place fut remplie
des Indiens de l'une et l'autre Nation , qui ,
déposant toute leur haine, se traitèrent avec
amitié, et jurèrent une paix durable, tandis
que le Néophyte Izu , aidé de ses parens ,
fabriquait une grande Croix. Le Père la fit
planter dans le lieu le plus apparent de la
place, comme un monument de la victoire
que le Ciel remportait sur l'enfer , et de la
possession (jue Jésus - Christ venait pren-
dre de cette terre consacrée auparavant au
déiuon.
Tout ce grand Peuple rendit hommage à
ce signe de notre Rédemption , et écouta al-
teniivemoiU les iustructions que leur ût le
IMissionnitiif |t;ii It- iiinym dv son infrrpicir.
Les priiK-ipaitx de la Nailon en f un- ni si
t.iti^faits, «jn'iU le piit'icnt avrc instsinrc de
dfMH'uifr avrc eux , pour cotiiiuuM- à It-ur
ensfiniuT le cln'niin du Clicl. I.«' Vivv I'îiu-
rail iorl souliailé ; mais on mirait dans l'Iii-
v«T , (jui lui aurait entièrcnunt fermé le re-
tour dans sa prujiladr , où ]v> besoins de ses
^i'i)ph\l«'s dcniaridaiiiiUsa préMiice. r)l)ligé
df !(•>> «|uitter , il leui- [)ininil di- r«'\enir au
printrmps sui\ant. On lui tournit i.n elic-
val ; et , comme il se préparait à y monter,
ces lions Indiens, à ren\ t l'un de l'autre ,
s'empre>saient ii lui rtndre serviie , cl iU
l'ai-coMipa^ncrtiit pcndaut^ un l<m^ (-«.pare de
cliemin. Le F«'re avoue (juil n'avait jamais
reçu d'aucun autre Peuple , tant d'iionnè-
teiés et tant de témoignages d'une aireclioû
sineère.
Son départ fut un coup de la Providence ;
car s'il fùl demeuré plus long-temps, avec les
Indiens, dont il s'était séparé, il y aurait
eu peut-être bien du sang répandu à son
occasion. Le JMiipono 5 ( c'est ainsi que se
nomment li-s Prêtres de leurs Idoles ) le
Aliipono des Sibacas , Village de la même
Ration, ayant appris ce qui s'était passé
dans le Village voisin , entra en fureur, et
sadiessanl à son Cacifjue : « nos Dieux vous
)) ordonnent , «lui dit-il, d'aller à la tête
•n de \os vassaux tuer cet étianger, qui est
■» venu dans notre voisinage, et qui est leur
» ennemi capital ; part» z au plutôt , et attcn-
» 4it'£-lc bur le cLcuiiu j il dc pourra vous
64 Lettres ÉoiriAifTES
« cchappnr. » Le Cacique lui répondit : qu'ïl
fallait savoir ce que c'était que cet étran-
ger, quel était sou dessein , quel sujet de
plainte il avait donné , n'étant pas raisonna-
ble d'oter la vie à un homme , c|u'on ue
connaissait pas même de vue.
Cette réponse augmenta la i;is,e du 3fapono :
il se rendit avec un nombre des plus dévots
à ses Dieux au Village où était venu le Mis-
sionnaire, et s'adressant au Cacique, qui se
nommait Cluihi : « Je viens savoir , dit-il ,
)) quel est cet étranger que vous avez rera
'» chez vous. Il est l'ennemi déclaré de nos
» Dieux , c'est de leur part que je vous parle,
» et ils m'ordonnent de le tuer. S'il avait
M mérité la mort, répondit le Cacique, je
M n'aurais pas besoin de votre secours, et
M j'ai en main de c|uoi punir ceux qui le
M méritent. Mais sachez que celui que vous
M appelez l'ennemi de vos Dieux, est mon
i) ami : il s'est livré avec confiance entre mes
» mains , il m'a comblé d'amitiés , et il doit
» compter sur la mienne, et sur ma recon-
» naissance des biens qu'il m'a faits. De
)> plus, nous sommes sincèrement réconciliés
» avec les Purakis , nos anciens ennemis.
» Ainsi retournez chez vous, et soyez-y tran-
» quille ». En méme-tomps il ordonm» à
ses gens de prendre leurs armes. Le Mapono
confus ne réplicpia point; il se retira la rage
dans le cœur, et jurant ([u'au retour du Mis-
sionnaire» l'année suivante , il saurait bien
venger ses Dieux oulr.igés : mais ses Dieux
ne furent guère sensibles à sou zèle 5 car ils
no le préscnrri-nt poiiil, ni lui ni ses com-
plices , d une mort cruille (|ue hur causa
peu nprè^ la maladie coalagiiubc (^ui dé^uU
leur V'illa{.'e.
Je ne dois pas vous l.iisscr ignorer , ISInn-
sieur , quelle est la nature du pays habité
par tant de peuples , qui forment cette nom-
breuse Nation: (|uel est leur caractère, leur
génie, leur religion , leurs ct-réinonies , et
leurs coutumes ; c'est ce <jue je vais vous
exposer le plus succinctement qu'il me sera
possible.
La Nation des jMunnacicas est pailagéeeii
une grande nmhilude de Villages, qui sont
situés vers le Nord, n dt-ux bonnes joumées
de la peujdade de Saint-Xavier , entre de
grandes forêts , si épaisses , qu'à peine y
voit-on le soUmI. Ces bois vont de l'Orient à
l'Occident, et se terminent à de vastes soli-
tudrs , qui sont inondées la plus fjraude
pallie de l'année.
La terre y est abondante en fruits sauva-
ges: on y trouve quantité d'animaux farou-
ches, entre lesquels il y en a un d'une espèce
singulière -, on le nomme fuinucosio. Cet
animal ressemble au tigre par la tète, et au
chien par le corps, à la réserve qu'il est sans
queue. C'est i\r. tous les animaux le j>lus
féroce et le plus léger h la «ourse, de sorte
qu'on ne [x-ut guère échapj)er à ses grif-
fes : si l'on en rencontre quehju'un en che-
min , et que , pour se dérober à sa fureur,
on mftnte sur un arbre; , l'animal pousse un
cerlaiu cri , et ù i'iastaut on eu voit plusieurs
66 Lettres édifiantes
autres, qui tous ensemble creusent la terre
autour de l'arbre, le déracinent et le font
tomber.
Les Indiens ont trouvé le secret de se dé-
faire de ces animaux ; ils s'assemblent en
certain nombre , et forment une forte palis-
sade , dans laquelle ils se renferment; puis
ils font de grands cris, ce qui fait accourir
ces animaux de toutes parts; et tandis qu'ils
travaillent à fouir la terre pour abattre les
pieux de la palissade, les Indiens les tuent,
sans aucun risque, h coups de flèches.
Tout ce pays est arrosé de plusieurs riviè-
res fort poissonneuses , qui fertilisent les
terres, et rendent les moissons abondantes.
Ces Indiens ont le teint olivâtre, et sont du
reste bien pi is dans leur taille. Il règne quel-
quefois parmi eux une maladie assez extraor-
dinaire: c'est une espèce de lèpre qui leur
couvre tout le corps, et y forme une crovite
semblable à l'écaillé de poisson. ISIais cette
incommodité ne leur cause ni douleur ni
dégoût. Ils sont aussi vaillans (|ue les Cbi-
quites , et même anciennement ils ne for-
maient tous ensemble qu'une seule Nation.
Mais les troubles et les dissentions (jui s'éle-
vèrent parmi eux, les obligèrent de se sépa-
rer. Depuis ce temps-là , par le commerce
qu'eurent ces peuples avec d'autres Nations,
leur langage se corrompit entièrement ; l'I-
dol;\trie , inconnue aux Cbiquitos, s'intro-
duisit parmi eux , de même (jue l'usage
barbare de manger de la chair humaine.
Il y a de l'art dans la disposition de leurs
tT crmrrsr*. fi-j
Villages ; on y voil lU- j;i;iii<los riu's , de»
plac«'s pu)>li(|ucs, trois ou ({iialrc prniid<8
jimisons parln^érs en snllcs i-t en plusieurs
clianihrcs de suite: c'est où loprnl le prin-
cipal Cncique el les Capitaines. Ces ni.tisons
sont d«'slinées aussi aux assemblées pul)li({ue6
et aux festins, et servent de Ti'niplcs à leurs
Dieux. Les maisons des particuliers sont
construites dans un certain ordie d'archi-
tecture qui leur est propre. Ce ([ui surprend ,
c\'st (ju'ils n'ont poiul d'autre outil (|ue d< s
haches de pierre pour Ct)uper le LoU et Itt
mcUre en œuvre.
Les femmes s'occupent avec grand soin
à fabriquer des toiles et à faire tous les usten-
siles du ménage, auxquels elles «Miiploient
une terre préparée de longue maui. Les vases
qu'elles travaillent avec cette terre , sont si
beaux el si délicats, qu'à en juger par le son,
on croirait qu'ils sont de métal.
Leurs villagfs sont peu éloicnés les uns
des autres ; c'est ce (jui tacilile les fréquentes
visites qu'ils se rendent, cl les festins qu'ils se
donnent très-souvent, et où ils ne manquent
guère de s'enivrer. Dans ces assemblées pu-
Llifjues , le cérémonial Indien donne la
place d'honneur au Cacique ; les Mapono ,
ou Prêtres des Idoles, occupent la seconde
place; les Médecins sont au troisième rang;
après eux les Capitaines, cl ensuite le reste
de la !\r>I)lesse.
Les habitans de chaque Village rendent
à leur Cacique une obéissance entière. lis
biklissent ses maisons ; ils cultivent ses terres ;
68 Lettres ÉDiTî A K TES
ils fournissent sa table de ce qu'il y a de meil-
leui" dans le Pays. C'est lui qui commande'
dans tout le Villai^e, et qui fait juinir les
coupables. Les femmes sont tenues à la même
obéissance à l'égard de la principale f»'mme
du Cacique ( car il peut en avoir tant qu'il
lui plaît ); tous lui payent la dixième partie
de leur pèclie , ou de leur chasse , et ils ne
peuvent y aller sans avoir obtenu sa per-
mission.
Le Gouvernement y est héréditaire. On y
prépare de bonne heure le fils aîné du Caci-
, que, par l'autorité qu'on lui donne sur toute
la jeunesse, et c'est comme un apprentissage
f|u'il fait de la manière de bien gouverner.
Quand il est parvenu à un Age mùr et capa-
ble du maniement des affaires , son père se
démet du gouvern^^ment , et lui en donne
l'investiture avec beaucoup de cérémonies.
Tout dépossédé qu'il est , on n'en a pas moins
d'afttîction et de respect pour lui. Quand il
vient à mourir , ses obsèques se font avec
grand appareil , où l'on mêle une inlinité de
superstitions. Son sépulcre se place dans une
voùie souterraine bien mutée, afin que l'hu-
midité n'altère pas sitôt s«'s ossomcBs.
La Nation des .'ifannacicas est, comme Je
l'ai déjà dit , fort nf)mbreuse , et se divise en
une multitude de Vill.iges , et de Feu|iles ,
dont je renvoii' les noms à la marge. Leur
Pays forme une espèce de pyramide (jui
s'étend du Midi au .\ord , et dont les extré-
mités sont habitées par ces Indiens. Au mi-
lieu sont d'autres Peuples aussi dill'creuspour
r T c CR ir csF. «. (5g
la InnîZiir riirils |>nrl«iit , qu'ils sont SCTTt1)la-
Itlo pour l.i \ il- l);irl);iti' (|u ils nicncnl.
A la hasi' i\r l.i pvi •iiniiic , s«»nl ;i rOiinit
1rs Oin'w»of/0( rt.ï ,.cl à r()cci<lriil If8 J cjui-
ctiras. Li' e«*lL* <lu Nord, en l.-ii:»5aiil au - <l<là
1rs l*iii'zocrts il Ifs l'ttitnacas , csl environné
dr tliux rivivirs nonjnirrs J'ultt(^iif.sMnn) l't
Z^n'iunuiu ^ diiws li-s(jiic lit .s sr jrllfnl |>lu-
ftirurs ruisseaux (jiii puiU'iilla U-i (mililé dans
touirscrs U-nrs. I.<s preniit rs V'illaj;«*s, vers
l'Orient , sont ci'ux des Ein'nmas ^ vie. (i)
Vers rOi'i-idenl si' trouvrnl «eux de Zoii-
fuuicn , vlv. (•>, Km tnanl de l.i vers la pointe
do la pvramitle au Nord , on reneonfre les
Qui/nitii'rts ^ etc. (À i Les Zilmcas , qui n'en
«ont pas fort éloignés, ont été jusqu'ici pré-
servés des irrujjtions des ■Manicliu-s, lrsf(U( Is
ont désolé ti)ul le rcsi»- du Pays (jui «i'élcnd
jusqu'au fleuve Paraguay. Entri' l'Orient vt
le Septentrion , derrière les '/Abacus , et ù
plusieurs lieues plus loin , on tn»uve les Pa-
rubacas , 1rs Quirinios , les i\(iain(as et les
H/apasiiWs , Ration fort brave , niais qui a
(i, Miij)o.«.ico» , /ibnrns , .liiinc«r''cas , Qiiiviijiiiras ,
Cozoras , Siibarcr.-i<; , lbocica><. Oznniiiwiac a , 'riinu-
■aaara , Zoiira, (liiiu-fiira , tVsaara , Mali /.nj iiiira ,
Totuira , QuinonuTU. ,' Nolt- <lr raiiririim- l'flilidii. )
('a^ Quilciniira , t)vi/.'bira , Bciiica , Obarititiica ,
Obobocora , Moiinruraca , Qnizomaai a , .Siiiiunuicu ,
Piqiiira , Oliiquimaaca , Oiiiltiura , Baiarora , Qui-
mamara , (-uzira , l'i< liazira , cl d'aiilrcs «-nrorf <jii'oa
ne ronnaîl jioint. ( Noie di» l'anrieimo l'dilion. )
(3) Boviluzaira , Sepcsi-ca , Olaroso , Tui)ai/.ira ,
Muiiaii^ica , /ariiraca , Obi.sisiora , Ha(|iiira , Obobi-
looca ,So(iara , Olj-iifiuema , ()li;^nra , Bai'ay7.i|niiiocu ,
Z'uoocR , Tubazicu. ( Note de l'anciciinc édiliou. )
yo Lettres édifiantes
été détruite en partie par une sorte d'oiseaux
nommés Peresiucas , qui vivent sous terre ;
et qui n'étant pas plus gros qu'un moineau,
ont tant de force et sont si hardis, que voyant
un Indien , ils se jettent sur lui et le tuent.
Vis-à-vis de ces Peuples sont les Mochoziius
et les Picozas , qui vont brutalement tout
nus : les femmes mêmes n'ont qu'une Lan-
delètequi leur pend du cou pour y attacher
leurs enfans. Les Tapncuras ^ qui s'étendent
entre rOccident et le Septentrion , sont éga-
lement nus , et se nourrissent de chair hu-
maine. Fort près de là sont les Boures ,
etc. (i).
Pour ce qui est de la Religion de ces Peu-
ples et des cérémonies qu'ils y observent, il
n'y a point, dans toutes les Indes Occiden-
tales , de Nation plus superstitieuse. Cepen-
dant, au travers des fables grossières et ridi-
cules , et des dogmes monstrueux qui les
asservissent au démon , on ne laisse pas de dé-
couvrir quelques traces de la vraie Foi , qui ,
selon la commune opinion , leur fut prêchée
par saint Thomas ou par ses disciples : il
paraît même qu'ils ont quelque idée confuse
de l'avènement de Jésus-Christ incarné pour
la Rédemption des hommes.
(i) Oyurrs , Scpcs , Caiabibas, l'ayziaoues , Toros,
Oimiiiaizis , Caiiaiiiazi , Coinano , Penos(]iiis , .lovata-
l)es , Zulimus, Uvurica , Sibu , Olezoo , Baraisi ,
Mocliosi , Tesii, l'ocliacjiiinnaiie, INIayeo , Jobara^ira,
Zasiiqiiiclioco , Tcjin|H'c-ho.'isos , Sosoaca , Zumonoco-
cnra , et plnsieiir.; aiUies doiil ou n'a pu eucore avoir
csuuaissaucti. ( Note de raucicimc édition. )
KTC ORIEU5C5. 7I
CVst une trndiiiuD parmi eux , cjue , dans
les sièclf» passes , uni: Danu' d'une giaiidc
Lcautt- concul un fort l>cl entant , .««ans l'opé-
ratiun d'aucun honinie ; qui' cet enfant étant
parvenu à unceriain.^i;e , opéra les plus jj;rand3
prodiges qui remplirent toute la lerrc d'ad-
miration; (|u'il guérit les malades , ressuseita
les morts , lit marcher les boiteux , rendit
la vue aux avcuj;les , et fil une inlinilé d'au-
tres merveillt's qui étaient fort au-dessus des
forces humaines ; (|u'un jour avant rassemblé
un giaud Peuple , il j,'éleva dans les airs, et
se transforma dans ce soleil que nous voyons.
Son corps est loul lumineux , disent Its Ma~
porto ou Prêtres de* liloles ; et s'il n'y avait
pas une SI grande disUince de lui à nous , nous
pourrions distiiif^uer les traits de son \ isage.
Il parait trè^-natuiel qu'un ai graiitl per-
sonnage fut l'objel de leur culte: reptiidant
ils n'adorent que des démons cl ils disent
qu'ils leur apparaissent quelquefois sous
drs formes liorribles. Ils reconnaissent une
Trinité de Dieux principaux , qu'ils dislin-
guenl des autres Dieux qui ont beaucoup
moins d'autorité -, savoir, le Père , le Fils
cl l'Esprit. Ils nomment le Pèie Oinec/uetti-
riijui , ou bien L rfii^o-Zoriso; lenomdu Fils
est Urusana, et l'Esprit se nomme Uritpo.
Cette Vierge qu'ils appellent (^)»/y>oct , est
la mère de Dieu Urusana , et la femme d'Ura-
gozo-riso. Le Père parle d'une voix haute et
distincte; le Fils parle du nez , et la voix de
l'Esprit est semblable au ttuinerre. Le Père
«si le Dieu de la justice et cUûiie les mccbans ;
■ja Lettres èdifiaistes
le Fils et l'Espiit . de même que la Déesse ,
font la fonction do mi'di.ueurs , cl intercè-
dent pour les eoLip.'iblrs.
C'est une vnste salle (!«• la maison du Caci-
que , qui seii de Temple aux Dieux. Une
partie de la salle se ferme d un grand rideau ,
et c'est là le sanctuaire où ces trois Divinités,
qu'ils appellent d'un nom commun à toutes
trois Tiniinaacas , viennent recevoir les
lioniraaj^es des Peuples et publier leurs ora-
cles. Ce sanctuaire n'est accessible qu'au
principal Mapono \ car il y eu a deux ou trois
ïiutres subalternes en chaque Village, mais
il leur est défendu d'en approcher , sous peine
de mort.
C'est d'ordinaire dans le temps des assem-
Llces publiques , que ces Dieux se rendent
dans leur sanctuaire. Un gi and bruit , dont
toute la maison retentit, annonce leui' arri-
vée. Ces Peuples , qui passent le temps à
boire et à danser, interrompent leurs plai-
sirs , et poussent de grands cris de joie poiA"
honorer la présence de leurs Dieux. « Tata
» equice , disent-ils , c'est-à-dire , Père ,
)) êtes-vous déjà venu ? » Ils enteutlent une
voix qui leur répond : « Panitoques , qui
5) veut dire : Knfans , courage^ continuez à
» bien boire , à bien manger, et à vous bien
» divertir-, vous ne sauriez me faire j)lus de
» plaisir : j'ai grand soin de vous tous: c'est
» moi qui vous procure les avantages que
» vous retirez de la chasse et de la pêche ,
i) c'est de moi que vous tenez tous les bien»
» c|ue vous possédez».
Après
E T c r R I r r s r s. - .^
Après CPtIe répoiisr , cjur cr.s Peuples écou-
lent en grand silence et avec respect , iU
rctouint nt à leur danse et à la chicha , qui
est leur liuissun ; cl l»icntnl leurs têtes étant
écliaullécs par l'excès <|u'iU ti»ut de cette
li(]ueur, la Fêle se termine par «les rpierel-
les , par des hlessurcs , et [)nr la moi l de
plusieurs d'entr'eux.
Les I)icux ont soit' à leur tour, et <lrm.'in-
dent il boiie : aussih'.t f>ii |)répar<' dcj va es
ornés de ileurs , et on choisit l'Indien et l'in-
dienue <|ui sont le plus en vénération dans le
Village, pour présenter la boisson. Le Ma-
pono entr'ou\ re un coin du riileau , et la reçoit
pour la porter aux Dieux , car il n'y a fjue
lui fjui soit leur confident, elqui ail le droit
de les entretenir. Les oHVandes de ce qu'on
a pris à la chasse et à la pèche ne sont pas
ouhliées.
Quaud ces Peuples sont au fort de leur
ivresse et d»; leurs fjuerelles , le A/npouo sort
du Sanctuaire, et leur imposant silence , il
leur annonce (ju'il a exposé aux Dieux leurs
iK'soins \ (ju'il en a reçu des réponses les plus
favorables , f[u'ils leur promet tent toute sorte
d<* prospérités , de la pluie selon les besoins,
nu»' bonne récolte , une chasse cl une pôcbe
abondantes , et tout ce qu'ils peuvent désirer.
Un jour (|u'un de ces Indiens , moins dupe
qu(î ses compatriotes , s'avisa de dire , en
riant , que les Dieux avaii:iil i)icn bu , et que
la f.7//c/»a les avait rendus de bonne humeur,
le Mitpono , qui entendit co Irail de raille-
rie , changea aussitôt ses magnilit^ucs pro»
Tome IX. D
•^4 Lettres édifia?îtes
messes en autant d'imprécations, et les me-
naça de tempêtes j de tonnerres, de la famine
et de la mort.
Il arrive souvent que ce Mapono rapporte ,
de la part dos Dieux , des réponses bien
cruelles : il ordonne à tout le Village de pren-
dre les armes , d'aller fondre sur quelqu'un
des Villages voisins , de piller tout ce qui s'y
trouvera , et d'y mettre tout à feu et à sang.
Il est toujours obéi. C'est ce qui entrelient
parmi ces Peuples des inimitiés et des guerres
continuelles, et ce qui les porte à s'entre-
dotnjire les uns les autres. C'est aussi la ré-
compense des hommages qu'ils rendent à
l'esprit infernal , qui ne se plaît que dans le
trouble et la division , et qui n'a d'autre but
que la perle éternelle de ses adorateurs.
Outre ces Dieux principaux, ils en ado-
rent d'autres d'un ordre inférieur , qu'ils
nomment Isituus ; ce qui signifie , Seigneurs
de l'eau. L'emploi de ces Dieux est de par-
courir les rivières et les lacs , et de les remplir
de poissons en faveur de leurs dévots. Ceux-
ci les invoquent dans le temps de leur pèclie ,
et les encensent avec de la fumée de tabac.
Si la chasse ou la pêche a été abondante , ils
vont au Temple leur en offrir une partie en
signe de reconnaissance.
Ces Idolâtres croient que les âmes sont
immortelles, ils les nomment Oquipau , et
qu'au sortir de leurs corps, elles sont portées
par leurs Prêtres dans le Ciel , où elles doi-
vent se réjouir éternellement. Quand quel-
c[u'ua vieut à mourir , on célèbre ses obsèques
ETCPlIKrSRS. 75
«rec plus ou moins dv .solennité , selon le
rang qu'il lenailiUns le Villag»*. h,c A/upono y
auquel ils cioii-nl (jut* crlUr amr <\st conliéc,
reroil les otlVnntlcs que la mère et la tiiiimu
<lu tlél'unl lui a|»pr»rtenl ; il lépnnil de l'eau
pour purititTramc' lie ses souillures; ilcon>ole
celle mère el celle femme allligées , et leur
fa il espérer que bien lui il aura d'agréaMe-» nou-
velles h leur (lire sur l'iieui'eux soi l (le l'anic
<lu défunt , el qu'il va la conduire au Ciel.
Après qucl({uc lemps , le JMapono , de
retour de son voyage , fait venir la mère et
la femme ; el , prenant un air gai , il ordonna
à celle-ci d'essuyer ses larmes, el decjuiiter
ses liahiu» de deuil , parce que son maii est
Leureusemenl dans le Cîiel , où il l'attend,
pour partager son bonheur avec elle.
Ce voyage du fl/apono avec l'ame csl péni-
ble ; il lui faut traverser d'éj»aisses forêts, des
montagnes escaipées, descendre dans des val-
lées remplies de rivières, de lacs et de marais
bourbeux, jusqu'à ce qu'enfin, après bien
des fatigues , il arrive à un»; grande rivière ,
surla(iuelle est un pont de bois , gardé nuit
cl jour par un Dieu nommé Tattisi.so ^ qui
préside au passage des âmes , el qui met le
iVrt/>ono dans le cbcmin du Ciel.
Ce Dieu a le visage pAle, la lète chauve,
une physionomie qui fait horreur , le corps
plein d'ulcèrcset cou\ertdc mi.séiables hail-
lons. Il ne va point au Teinple pour y rece-
voir les hommages de ses dévols , sou erhploi
ne lui en donne pas le loisii-, parce (ju'il est
conUiiULllciiicûl occupé à passer les amcs. il
Da
fjG Lettres édifiantes
arrive quelquefois que ce Dieu arrête l'ame
au passage, sur-tout si c'est celle d'un jeune
liomme , afin de la purifier. Si cette ame est
peu docile , et résiste à ses volontés, il s'ir-
rite, il prend l'ame, et la précipite dans la
rivière, afin qu'elle se noie. C'est là, disent-
ils , la source de tant de funestes évènemens
qui arrivent dans le monde.
Des pluies abondantes et continuelles
avaient ruiné les moissons dans la terre des
ludions Jnrucaies. Le Peuple qui était in-
consolable , s'adressa au Jlfapono , pour de-
mander aux Dieux quelle était la cause d'un
si grand mallieur. Le 3/apono , après avoir
pris le temps de consulter les Dieux , rap-
porta leur réponse, qui était qu'en portant
au Ciel l'ame d'un jeune liomme , dont le
père vivait encore dans le Village, celle arae
jnanqua de respect au Tatiisiso , et ne vou-
lut point se laisser purifier , ce qui avait
obligé ce Dieu cruellement irrité , de la jeter
dans la rivière.
A ce récit le père du jeune homme qui
aimait tendrement son fils , e-t qui le croyait
déjà au Ciel, ne pouvait se consoler; mais
le Mapono ne manqua pas de ressource dans
ce malheur extrême. Il dit au père affligé
que , s'il voulait lui préparer un canot bien
propre , il irait chercher l'ame de son fils au
fond de la rivière. Le canot fut bientôt prêt,
et le Manopo le chargea sur ses épaules. Peu
après lespluiesétantcessées , ctle Ciel devenu
serein , il revint avec d'agréables nouvelles,
mais le canot ne reparut jamais.
F. T eu» 1 El- SES. 'Jf
Du reste , cV«l un pauvre Paradis que le
leur, el le» plaisirs (judny poiite ne sont
guère capables «le loiilefjler un e.s[uil laut
toit pt'uraisoDnaljJe, ïlàtlisentipril y a de fort
pros arbres qui distillent uuc sorti- de };()iume,
dont ces anies subsistent ; que l'on y trouve
dt's singes (]uv l'on prendrait pour des lillliio-
piens; (|u'il V a du nwel et un peu de pois-
son; qu'on y voit volerdt- toutes parts un t;ran<l
aigle , sur letjuel ils dél)ilent beaucoup de
fables ridicules , et si dignes de compassion ,
qu'on ne peut s'empèclier de dcplorcr l'aveu-
glenicnt de ces pau\res Peuples.
Le Père Civallero avait «employé tout Ibiver,
h cultiver dans la [)euplade les uouvchu^l.
Chrétiens, el à instruire les Catccliumènes ;
le retour de la belle saison l'avertissait de
continuer ses excursions A|iosloru[ues , mais
les besoins de ses ^éopliytes le retinrent
plus de temps qu'il ne croyait ; ce ne fut qu'à
la mi-Octobre et aux approches de l'hiver,
qu'il partit avec quchjues fervcns rSéophyles,
qui, avant leur départ , s'étaient fortiiics de
1« divine Eucharistie, et s'étaient préparés à
répandre leur sang pour annoncer Jésus-
Christ aux Nations Inlldèles. Les pluies ne
recommencèrent pas silùl qu'ils l'appréhen-
daient, et ils eurent beaucoup à soufirirde
la soif dans leur voyage , sur-tout pendant
deux jours , où ils furent obligés d'abord de
comprimer avec les mains un peu de terre
Lmbibée d'eau , pour en tirer quelque goutte ,
et se rafraîchir la bouche. Mais enfin, lors-
qu'ils étaieut extrêmement pressés de la soif,
D 3
78 Lettres ÉDIFIANTES
ils trouvèrent dans le creux d'un arbre une
e;iu pure et claire, et en assez grande quan-
tité pour se désaltérer.
Les premiers Villages où il eutra , le com-
Llèrent de joie ; car il trouva les Peuples
constamment altacl'.és aux vérités Chrétiennes
qu'il leur avait prêchées. Après .-voir de-
meuré avec eux quelques jours , il avança
plus avant. Il lui fallut mettre un jour entier
« ççrimper une haute montagne toute hérissée
de rochers. Quand il fut arrivé au sommet,
il se sentit fort abattu , sans trouver de quoi
réparer ses forces. Un Indien de sa suite ,.
après avoir cherché de tous côtés , lui apporta
certaines herbes , lesquelles , à ce que disent
les Gentilsj font les délices de leurs Dieux.
On eut bien de la peine à les cuire. La faiin
devint alors le meilleur assaisonnement : le
Père en mangea , mais il ne put s'empêcher
",de sourire , en disant qu'il fallait que ces
Dieux eussent terriblement faim , et l'estomac
bien chaud , pour prendre goût à un mets
semblable.
Après être descendu de la montagne , ses
gurdes^ se trompèrent , et ne prirent pas le
droit chemin : errant h l'aventure dans des
bois épais, il fui si maltraité des branches
d'arbres souvent entrelacées ensemble, des
arbres épineux , des herbes piquantes , des
taons et des Moustiques , qu'il ne pouvait se
soutenirsur ses pieds , et (|ue ses Néophytes
étaient obligés de le mettre sur son cheval ,
et de l'en descendre.
Enfin , après bien des incommodités souf»
ETCDEIF.rSES. 79
ferles clans rc voyapr , il approclia du Village
des ^Sibacus. C'f.sl le lifn ddiil le Mitj-ono
avait juré sa perle raiinée prétédente , ainsi
que je l'ai rajjporlé , el (|ui j»ii» après tut
enlevé avec ses complices par Ir» maladie con-
tagieuse dont le Villa^^e fui allii^^é.
Le Père envoya au-devant un lervont Chré-
tien nonuiié .^unitini , aliu de pres-scniii- la
disposition de ces Peuples. 11 les trouva per-
suadés cpie la inoitdu A/apunu , causée par
la conta{;ion assez récente , était une puni-
tion de leurs Dieux , d'où ils concluaient
<jue le Missionnaiie était leuif;rand ami , et
(ju'il iallait hien le recevoir. Ainsi ce n'était
jjoint le de.sir de profiler de ses instructions,
mais la crainte d'un nouveau désastre , qui
les portail à lui faiie un lion accueil. Le
père étant entré dans le Village , tira h
part le Cacique, et commença p.'.r détruire
le pré)ut;é ridicule qu'il s'était formé; il lui
découvrit ensuite le motif qui lui avait fait
supporter tant de fatigues pourle venir voir;
qu'il était touché de leur aveuglement , et de
la vie malheureuse qu'ils menaient sous la
tyrannie du Démon ; qu'il venait dissiper
leurs ténèbres, et les éclairer des lumières de
la Foi , en leur fesant connaître le vrai Dieu
pour l'adorer , et sa sainte Loi pour l'ob-
éerver , et se procurer par-là un véritable
bonheur dans celle vie et dans l'autre.
Tandis que ce* paroles frappaient les
oreilles de ce barbare, Dieu lui f«;sait en-
tendre sa voix au fond du cœur : il fut lou-
ché et converti. L'exemple de son Mapono
D4
to Lettres édifiantes
contribua à forlifîer ses bons désirs. Ce Ma-
pono était un jeune homme , fils de celui
qui , l'année précédente , s'était engagé par
serment de boire le sang du Missionnaire.
Un jeune Chrétien fut l'instrument dont
Dieu se servit pour le retirer de l'iniidélilé :
et d'ailleurs l'éloignemenl où il éîait de la
vérité , était plus l'cfiet de son ignorance ,
quedela dépravation desoncœur. Ilouvritlcs
yeux cà la lumière , et il devint aussitôt Apôtre
que Disciple; car ce jour-là même il gagna à
Jésus-Christ deux des principaux du Village.
Le Peuple ne tarda pas à les imiter. Il
s'assembla le jour suivant dans la grande
place , où le Père les entretient fort long-
temps des mystères de la Foi qu'ils devaient
croire , des commandemens de la Loi (|u'ils
devaient pratiquer , afin de vivre Chrétien-
nement , et de mériter , par une vie Chré-
tienne, un solide contentement en cette vie ,
et un bonheur éternel en l'autre. On planta
ensuite par ses ordres une grande Croix , et
au pied de cette Croix on dressa une espèce
d'autel , sur lequel furent exposées les ima-
ges de Notre-Seigneur , de la sainte Vierge
et de l'Archange saint Michel. Tout ce Peu-
ple se mit à genoux, et après une inclina-
tion profonde, il cria à haute voix : Jésus-
Christ Notre-Seigneur , soyez notre Père :
sainte Marie Notre-Dame , soyez notre Mère.
C'est ce que ces bons Indiens répétaient sans
cesse , et ce qui lépandait dans le cœur du
Missionnaire une joie et une consolation
qu'il ne pouvait exprimer. « O mon Seigneur
ETc uRirusrs. 8t
M et mon Difii ! s'ccriaii-il tic son colé ,
» (jiM* i«' suis bien payé tle nu's sueurs et de
M nies l'atigufs , en voyant ce grand Peuple
M vous reconnaître pour son Créateur et soa
M Stij;ueur. Quil vous aime , qu'il vous
» adore , c'est toute la récompense que je
M vous demande en ce monde »,
La Foi prit de si fortes racines dans le
cœur de ces Indiens , que quelques-uns d'eux ,
«•t entr'autres le jeune i1/<i/>o//o dont je viens
de parler , soulIVireut pour sa défense des
vexations cruelles. Le Démon , outré de se
voir chassé d'un lieu où , depuis tant de siè-
cles , il était le maître, suscita un de ses sup-
pôts, qui ameuta (|uel(jucs autres Indiens, et,
tous ensemble , ils environnèrent le jeune
homme, et lui firent les reproches les plus
amers. « Vous , lui dirent-ils , qui étiez le
» !\Iinislre de nos Dieux , et qu'un si bel
» eujj)loi obligeait à maintenir leur culte ,
» et vous les abandonnez lâchement , au lieu
» de les défendre ! vous écoulez les discours
» séduisausd'un impftsteur <jui vous trompe ,
» et vous devenez le vil instrument de ses per-
» nicieux desseins ! Reconnaissez votre faute ,
» demandez-en pnrdonà nosDi(;ux, réparez-la
» au plutôt , représentez au Caci(jue ses pro-
j) messes et ses engagcmens , et tous deux
)» travaillez de concert h rétablir la Religion
» de vos pères , qui est sur le penchant de
» sa ruiue : sans (juoi nos Dieux vont tirer
» une vengeance si éclatante, qu'elle répan-
» dra la terreur dans tous les Villages d'alen-
» tour )i.
D5
§2 Lettres édifiantes
Le jeune Catéchumène , loin d'être eiîrayé
de CCS menaces , ne fit qu'en rire ; et h l'ins-
tant ces barbares se jetèrent sur lui, le fou-
lèrent aux pieds, l'accablèrent de coups , et
le maltraitèrent de telle sorte, que le sang
lui sortait de la bouche en abondance. Un
de ses amis, touché de l'état où l'on Acnait
de le mettre , s'approcha de lui , et l'exhoita
à marquer du moins à l'extérieur quelque
respect pour les Dieux, et à dire un mot
pour la forme au Cacique. Le jeune homme
lui répondit qu'il sacrifierait volontiers le
restede vie qu'on lui laissait , pour la défense
de la sainte Loi qu'il avait embrassée , cl pour
témoigner son amour à Jésus-Christ, le seul
Dieu que nous devons adorer. Sa constance
confondit ses persécuteurs, et Dieu , pour
le récompenser, le rétablit dans sa première
santé.
Le Père Cavallero , après avoîrbaptisé tous
les enfans que ces nouveaux Catéchumènes
lui présentèrent , forma le dessein d'aller
chez les Indiens Quiiiquicas. Il en lit paît
au Cacicjue du lieu, nommé Patozi ^ et le
pria de l'accompagner avec un nombre de
ses vassaux , pour lui ouvrir un passage au
travers des forets qui se trouvent sur la route.
Le Cacique ne goûta pas d'abord cette pro-
position j à cause delà haine implacable que
les Indiens qu'il allait chercher, portaient à
ceux de sou Village. Cependant l'amour qu'il
avait pour le Missionnaire , surmonta ses
craintes et ses répugnances. Il espérait même
de conclure avec eux unepaixquipùl uiclire
E T C U R i r u s E s. 83
fin pour toujours a leurs divisions. Lr Père
avait outre cria quelques Méopliytes , h la
tète (lesquels érait un nt)nnné Juan Quiara ^
que la boulé de son ualur«l , et l'innocence
«le ses mœurs rendaient aiinal)lc même aux
Infidèles.
Il se mil donc en chemin , et il eut à es-
suyer sur la route les mêmes fatigues et les
mêmes incommodités (ju'il avait souni-rtes
dans ses autres voyages , et (pi'il est inutile
de répéter. Lorsqu'il fut près du Village , il
fit prendre le devant ;i deux de ses Néophy-
tes , pour observer ce «]ui s'y jiassait. Ils trou-
vèrent »|iie mut V était en mouvement. l'n
suppôt (lu Oétnon , informé de l'arrivée du
Père, répandait l'alnrme dctousc(*»tés, criant
de toutes ses forces, que les Dieux ordon-
naient de prendre les armes pour les déf(;n-
dre de leur ennemi cajjilalrpii s'approchait,
une grande Croix h la main, pour les chasser
de ce lieu , et détruire le culte qu'on leur
rend : qu'il n'y avait point de temps à perdre ,
et que s'ils ne s'armaient proiuptement de
force et de courage, pour conlondre et ter-
rasser cet ennemi , les Dieux qu'ils avaient
toujours adorés , tomberaient dans le mépris ,
et la Religion serait anéantie.
Ce discours émut tout le Peuple et le
remplit de fureur; mais il fit une impression
toute contraire sur l'esprit du Mapono : ^< Il
» faut, se disait-il à lui-même, que nos
>) Dieux soient ])ien faibles, puisqu'un seul
» Imninx- les fait trcmblt r. Si cet étranger,
» i'cci ia-l-il , est l'enneiui de nos Dieux,
D G
84 Lettres ÉDiFiAisTES
» que n'usenl-ils de leur puissance pour Vé-
3) craser, ou du moins pour le chasser bien
» loin de nos terres, el lui ôtcr toute envie
» d'y revenir ? Pourquoi empruntent - ils
» notre secours pour leur défense ? Ne
)) peuvent-ils pas se défendre eux-mêmes?
i) Ou ils ne sont pas ce qu'ils veulent
» paraître, ou ils veulent paraître ce qu'ils
» ne sont pas ».
Une rétlexion si raisonnable devait ouvrir
. les yeux au Cacique et aux principaux du
villag«j, mais ils n'y Tuent pas même atten-
tion , et ils ne songèrent qu'à se tenir bien
armés, et à attendre de pied ferme cet ennemi
irréconciliable des Dieux, Le Père parut
enfin accompagné de peu de jXéophylcs ; car
toute sa suite élait demeuiée derrière. Il
' s'éleva tout-à-coup un bruit confus de voix,
tumultueuses , et les Indiens s'avancèrent
Lien armés: à mesure qu'ils s'approchaient
du Père, ils formaient deux ailes pour l'en-
velopper. Alors la pensée vint à un des Néo-
phytes d'élever bien haut l'image de la sainte
Yierge , afin que tous l'aperçussent: il était
prévenu d'une secrète confiance, qu'elle les
protégerait dans un danger si pressant. En
elTet, ces barbares se mettant en devoir de
décocher leurs flèches contre le Mission-
naire , leurs bras devinrent si faibles , qu'ils
ne purent pas même les mouvoir, ce qui les
eûVaya tellement , qu'ils s'enfuirent avec pré-
cipation dans la forêt, sans qu'aucun d'eux
osât en sortir. Il ne resta dans le Village qu'un
seul (le cco IndiCiiû lioaimé So-icvia ^ qui
ET ce Rir rsFs. 85
fui d'un ç;rnn(l m'couis dans la suite pour leur
convci-siun.
Le i<»ur suivant, le Mibsionnaire se trou-
vaul eomnio le nialtr*.' dans le Village, dont
tous les liahllniis avaient disparu , ne put voir
d'un d'il lianquille K s deux temple» eoiisa-
ciés au DénuMi: Il <'M renversa les taberna-
cles, et mil en pièee les statues ; il eu retira
les ornemens , et tout ce qui servait à un
culte si abominable ; et après avoir allumé
un t;r;md iVu , il v jeta tous ces symboles
de l'iiiolAti-ie. Le (^aei((ue Ptitori , qui ne
voyait nul jour ;i entanuT des propositions
de paix avec ces Indiens fugitifs , prit le parti
d<' se retirer avec ses vassaux, et conjura le
Mi^^ioll^aire de venir avec lui , et de mettre
ses jouis en sûreté. « l\irlez : ;i la bonne
u lieuie, lui répondit le l*cre -, mais je ne
» sortirai pas d'ici que je n'aie annoncé
» Jésus-Clirist h ce pauvre Peuple , dussé-je
» V perdre la vie ». Ses ?>éopliylC3 tinrent
le même l;m;;.i;;e.
Après le départ do Patozi, le Père pi il
son bréviaire, et, tandis qu'il récitait son
Olîice, il aperçut tout h coup à ses côtés
un Indien dr liaufe taille , ( l (V un air sérieux,
(^e barbare voyant le Inre (jue le l^ère tenait
entre les mains, s'imaf;ina qu'il contenait le
charme qui avait rendu leurs brasimmobiles.
Il fit des efforts pour le lui arracher des
mains. Le Père qui reconnut (jue c'était le
Cacirpic du li«'u , l;'^clia de le désabuser de
«on «'rreur. Il l'entretint d'n])ord des arti-
ilccb du Démon , qui abusait de leur crédun
86 Lettres édiftantes
lilé pour les perdre ; il lui parla ensuite du
vrai Dieu , h qui nous sommes redevables
de noire être, et qui mérite seul nos adora-
tions, et de sa Loi toute sainte , à l'obser-
vation d(> laquelle est attaché noire bonheur.
Le Caci({iie l'écouta sans dire un seul mol,
puis levant les épaules, il se relira à sa mai-
son , où il prit une ijrossc poignée de flèches
qu'il porta dans la forêt.
Il tint la nuit suivante un grand Conseil
de tous les principaux du Village , où se
trouva l'Indien Sonema. Ils furent long-
tejnps dans l'irrésolution sur le parti quils
devaient prendre. Ce qui leur était déjà
arrivé^ leur fesait craindre que de nouveaux
efibrts pour perdre le Missionnaire ne fus-
sent inutiles. Sonemn parla alors ; et après
avoir fait les plus grands éloges de la bonté
et de la douceur de l'homme Apostolique ;
il leur parla avec tant d'admiration des
instructions qu'il lui avait faites de la Loi
du vrai Dieu , que tous unanimement se
déterminèrent à retourner au Village , et à
se mettre entre ses mains. Ils sortirent donc
d«" leurs bois : ci entrant dans le Village, ils
allèrent droit à la caJ)aneoù. était le Mission-
n.iire , qui les recul avec toutes sortes de
Caresses et d'ami liés : il semble que Notre
Seigneur eût mis dans son air et dans ses
manières, je ne sais quoi de plus qu'hu-
main , qui attirait la confiance et le respect
de ces Peuples. Ils se jetèrent à ses pieds ;
ih lui demandèrent pardon, et aucun d'eux
n'osait le qui lier sans sa permission. Le
FT r. m lEUSKS. H-j
Mnpono vint lo d«'riiirr , >«• tenant m sa
firôsonj'f dans unr |>o>tur<* nio(I«'>t«*. Li- \Kre
V rt'rul îi bras ouverts , v\ le lit asseoir au-
près de lui : ij lui exposa les vérités d« la
Peligion ; il lui fil sentir rpie snn<^ln eonnais-
sanee «lu vrni |)ieii, et sans la toi en Jésns-
CMirisl , il él.iil inijn»N-il»le de se sauver. l'Ji-
lin , il lui ténioij;iia (|u'il était pénétré d'une
vive douleur , mêlée d'iiidij;naiion , de les
voir tyrannisés par les Tiniinnnras , cotte
Trinité diabolique qui ne t liiTchail (|ue leur
perte.
Tout le Peuple était attentif, et ne savait
quel serait le fruit de cet entrelien. Leis uns
croyaient (jue h' Maj>ono ne manquerait pas
de s'irriter «'t d'useï- de violente, pour dé-
fendre, ave<! éclat, la divinité des Démons;
d'autres s'attendaient à un succès pins favo-
ral)le, et ils ne se trompèrent point. Ce
Ji/npono avait de l'esprit et un b»'au naturel ,
et Dieu agissait dans son cœur par la force
de sa grAce. 11 se jeta aux pieds du Père ,
et le pria de l'admettre au rang des Chré-
tiens ; et pour preuve de la sincérité de ses
désirs, il se leva aussitôt; et adressant la
parole à tous ces Indiens nui l'environnaient,
il confessa liautemeni (ju'il avait été trompé,
et (ju'il avait trompé les autres; qu'il rétrac-
tait tout ce qu'il avait a]>pris , et ce qu'il
leur avait enseif^né; qu'il n'y a de vrai Dieu
que Jésus-Cil rist ; que sa Loi est la seule
qui conduit au salut éternid ; que pour ré-
parer son in('délité passée, non-seulement
il les exhortait à embrasser celle Loi sainte,
88 Lettres édifiantes
mais qu'il allait la faire connaître aux In-
diens Javacares ^ Cozicas ^ et Quiniiticas ,
a(in ([u'ils la suivissent à son exemple. Ce
fut II un sujet de joie bien sensible pour le
IMissionnnaii'e et ses zélés Néophytes , qui
ne cessaient d'embrasser le nouveau Caté-
chumène , et de montrer leur afl'ection au
grand Peuple qui ^''empressait d'entrer dans
le bercail de Jésus-Christ.
Le Père ayant fait faire une grande Croix ,
on la porla en procession jusqu'au milieu
de la place où elle devait être plantée ,
tandis que les Néophytes chantaient les Lita-
nies à deux chœurs de musique. Ces bar-
bares , qui n'avaient jamais entendu une
pareille h.arraonie, se croyaient transportés
dans le Ciel , et ne pouvaient se lasser de
l'entendre. 11 se mit ensuite à baptiser les
enfans. « On m'en présenta une si prodi-
)) gieuse multitude , dit-il dans une de ses
M lettres , aue toute la journée se passa à
» leur administrer le Baptême , et que les
» bras met ombaient de lassitude: pourrais-je
» exprimer l'abond'ance des consolations
)) înîérieures que je goûtais, voyant tant de
» jeunes Indiens régénérés dans les eaux du
» Baptême, et leurs parons qui étaient peu
» auparavant si entêtés de I'idoh\trie , de\e-
» nus de fervens Catéchumènes ! La saison
5) des pluies qui étaît déjà commencée , ne
» me permit pas de demeurer plus long-
)) ttnîps parn^i eux: il fallut partir pour
» retourner dans ma peuplade. Ces bons
» ludloas ne pouvaient se consoler de mon
IT CORir. L'SES. 89
» départ, llsm'cnvironnnii'nt cnsangîoltani:
« mon Pire , iiir disaitiil-ils , l'aul-il «lue
» vous noua abandonniez sitùi ? Me nous
» ouhlicrez-vous pas ? Quand viendrez-\ou$
« nous revoir ? Que ce s«»it au plutôt ,
» nous vous en conjurons. Puis s'ailressanl
u il mes Mt'ophvies , ils les priaient a\ «'C
» larmes de m'amener incessamment dans
» leur Village. Ils tinrent toujours le même
» discours pendant un lonj:; espace de chemin
» <[ii'ils m'accompaunèrent. Knlin , (|uand il
» fallut se séparer, ils m'olVrirent plusieurs
» enlans pour meserviràl'Kglisc : j'enclioisis
» trois qui me suivirent , et que jcj gardai
» dans la peuplade »,
Le dessein du P. Cavallero élait de par-
courir toutes les terres de la Nation des
Aftinacicas , afin d'en déraciner l'idolâtrie,
d'y planter la Foi , et de disposer ces Peu-
ples nombreux h se réunir dans des peuplades,
pour y être instruits <*t y être admis au Bap-
tême. Aussitôt que la saison le permit, il
fit choix d'un nombre de fervens ■Néophytes,
prêts comme lui à répandre leur sang, pour
la conversion de ces infidèles , et il partit
avec eux le f|uatriènie d'Août de l'année
J-0-. Il arriv.i le jour qu'on célèbre la Fêle
de l'Assomption de la sainte Vierge , sur
les bords de la rivière Xununaca. Le Caci-
que des Indiens Zibaras, nommé Pctumani ^
vint au-devant de lui à la tête d'un nombre
de ses vassaux , avec une provision abon-
dante de poissrtns pour le régaler. Etant
pressé de se rendre au Village , il laissa plu-
§o Lettres ÉDIFIANTES
sieurs de ses gens pour accompagner le Père,
pour lui applanir le chemin et lui fournir
tout ce qui serait nécessaire pour sa subsis-
tance.
Quand le Missionnaire arriva au Village,
le Cacique vint le complimenter et le con-
duire à la grande place , où tous les Indiens,
Lommes , femmes et enfans s'étaient assem-
blés pour le recevoir. Dès qu'il parut , ce
ne furent qu'acclamations et que cris de
joie : tous l'environnèrent , et chacun s'em-
pressa de lui baiser la main , et de lui de-
mander sa bénédiction. Il songea d'abord
à pacifier les troubles qui s'étaient élevés
depuis son départ, entr'eux et les Indiens
Ziritucas , et qui auraient été la source d'une
guerre cruelle. Il fit appeler ces Indiens^,
qui ne firent nulle difilcullé sur sa parole
de se rendre dans un Village , qu'ils regar-
daient comme ennemi. Après avoir écouté
leurs plaintes réciproques , et réglé leurs
difTérends à l'amiable, il leur fit jurer une
amitié constante, et la paix fut parfaitement
rétablie.
Le jour suivant, tous les Indiens des deux
Villages s'assemblèrent dans la place publi-
que , et le Missionnaire leur renouvela les
instructions qu'il leur avait faites l'année pré-
cédente, où il leur inspirait de l'horreur pour
leurs fausses Divinités , et leur expliquait
la Doctrine chrétienne : et afin qu'elle se
gravAt bien avant dans leur mémoire , il en
avait réduit tous les articles en des espèces
de Cantiques, qu'il avait composés ^n leur
BT CCKltnSES. 9»
langue. 11 Irs fesail rhanirr par scsN<înphv-
les ; Minis vvs Indiens nr U'ur donnaient
aucun repos, en les leur lesanl répéter sans
resM* , alin de les apprendrtî par ca-ur , et
de les clianJer tous les jours, pour en con-
server le s<)u\enir.
l ne faveur sin;;ulière accordée par la
sainle-Vierge à un deeesCaléeliuraènes, con-
tribua beaucoup à les maintenir dans leur
attachement h la Foi. Le Cacitjue avait ua
neveu nommé /jittnavaze. Une fièvr<* mali-
gne le dévorait d<'puis plus d'un mois , et
l'avait réiluit à l'extrémité. Il se sentait
mourir, et sa douleur était de n'avoir pas
reçu le Hapféme. Il avait entendu parler du
pouvoir de la sa in le- Vierge auprès de Dieu,
et de sa bonté pour les hommes. La pensée
lui vint de 1 invo({uer, et de mettre en elle
toute sa confiance. » Vierge sainte , s'écria-
» t-il en présence d'un grand nombre d'in-
» diens , je crois que vous êtes la Mère de
» Dieu , je crois en Jésus-Christ votre clicr
» Fils ; voudriez-vous mabandonner dans
» le triste état où je me trouve, et serait-ce
M inutilement que j'aurais espéré en vous?
» Ne permettez pas f(ue je meure infidèle ;
» délivr(fZ-moi de celte fièvre , jusqu'à ce que
>» je puisse recevoir le saint Haptême , et aller
» vous voir et vous aimer dans le Ciel ».
A peine eut-il achevé sa prière, qu'il se
sentit exaucé ; ses forces revinrent tout à
coup , et sa santé fut entièrement rétablie.
Une guérison si prompte accordée à la pi-ière
du Catéchumène, eoilamma déplus en plus
^ Lettres édifiantes
dans les cœurs de ces Peuples , le désir qu'ils
avaient d'être Chrétiens. Dieu touché de la
confiance qu'ils avaient en ses miséricordes,
continua de répandre sur eux ses l)énédic-
tions : ils amenèrent au Missionnaire tous
leurs malades , en le suppliant d'intercéder
pour eux auprès d'un Dieu si puissant , dont
il était le Ministre. Le Père se sentit inspiré
de condescendre à leurs désirs : il demandait
à chaque malade , s'il croyait en Jésus-
Christ , et s'il voulait recevoir le Baptême.
Le maladeayantrépondu qu'oui , il lisaitsur
lui l'Evangile de la Messe , que l'Eglise a
prescrite pour les infirmes ; et il finissait par
ces paroles : Qu' ila)Ous soitjait selon que vous
auez cru. Et aussitôt le malade était guéri ,
Dieu voulant sans doute récompenser leurs
saints désirs , et les confirmer dans la Foi
qu'ils étaient résolus d'embrasser.
Il finit sa Mission par baptiser les enfans
qui étaient nés pendant son absence : le
Cacique et les principaux du Village le priè-
rent de se transporter chez les Indiens Jiiru-
cares , qui désolaient tous les Villages d'alen-
tour, en pillant les biens de leurs habilans,
et les tuant sans miséricorde. Plus ce Peuple
était féroce et barbare , plus le Missionnaire
eut d'empressement à lui annoncer les vérités
de la Foi. Après avoir marché quatre jours ,
il se trouva à l'entrée de leur Village , dont
il croyait être encore bien éloigné. Voyant
le péril de si près, il avertit ses Néophytes
de faire un acte de contrition , et il leur
donna une absolution générale. Un Gentil
ETcrniEusES. 1^3
qui 1rs consitlémil fut toui lié ; et so jetant
aux pifdsdu l'rn* , il lui protCita qu'il vou-
lait vivre t-t mourir ChrélifD.
L'airivce du Père avait été connue dès la
vrille du A/oponn ; cl craignant, selon les
appaienees , (|u'ii ne dévoilAl ses supeielic-
ries , il avait (lé|ii eoniinandé , de la part des
Dieux , à tous <-es Indiens , d'aller se cacher
dans les bois. Quand le Père entra dans le
Villap;e , il en lesiait encore {[iielques-uns
qui prirent aussitôt la fuile, ii la léscrve d'un
jeune lioniiiie d'une lii;uie et d'une jdiv.sio-
noniic assez. aiinai>le. Le Pèie s"aj)proelia de
lui avec toute sorte de ténioi};naj;e.s d'amitié :
il lui (it dvs pré.sens de c|uel(|ues bai;atolles
d'I^urojie, dont ces barbares .sont très-curieux,
et il le r«'nvova toit content \ers ses compa-
triotes <jui avaient jiris la luile.
Dieu inspira h ce jeune homme tant d'affec-
tion pour h" ^Missionnaire , et donna tant de
force à ses paroles , (juil cliaut;ea en un ins-
tant le e<fur de ses eoMipaliioles. Peu-h-jieu
il les ramena au \'illat;,e , et les conduisit au
Missionnaiie. Cesbarbares, en l'envisageant,
ne pouvaient revenir de leur surprise. Ils
s'imaginaient que c'était un homme mons-
trueux, et qui de\ait être bien terrible, puis-
cju'il avait jeté l'épouvante parn^i leurs Dieux,
et qu'il les avait mis en fuite. Mais étant
témoins de sa douceur et de son alTabiliié,
ils conclurent que leurs Divinités étaient
l)icn f;iil)l<'s, puiscju'elles appréhendaient un
homme de ce caractère. Ces réllexions banni-
rent de Leurs cœurs toute crainte , et y fircut
94 Lettres ÉDiFiAr^TEs
naître un respect et une véritable aflfection
pour l'homme Apostolique.
Le lendemain tout le Peuple s'assembla
<lans la y)lace , au pied d'une Croix que le
Père y avait déjà plantée. Il commença ses
instructions sur la Relij^ion. Il leurfitd'abord
l'histoire de la création du monde , de la
chute des Anges prévaricateurs , et punis de
supplices éternels pour leur révolte-, il leur
demanda si ces esprits rebelles et condamnés
à l'enler méritaient leurs hommages ; il leur
exposa les ruses et les artifices de leurs Prê-
tres , pour les entretenir dans le culte de ces
infâmes Divinités. Il leur expliqua ensuite les
mystères de la Foi cl les articles de la Loi
chrétienne , dont l'observation est suivie
d'uncî éternelle récompense. On l'écoutait
avec la plus grande attention. Le Mapono
qui avait vieilli dans l'infidélité , ne pouvant
s'empêcher d'ouvrir les yeux h la lumière ,
avoua publiquement (jua- jusqu'ici il les avait
trompés, pour se procurer de la considéra-
lion et une subsistance bonnets.
Le Père, ayant continué pendant quelques
jours l'explication delà Doctrine chrétienne,
et voyant l'impression qu'elle fesait sur l'es-
prit de ces barbares , songea à couper jusqu'à
la racine de l'idolâtrie , en leur ôtant tout ce
crui pouvait être une occasion de rechiîte. II
se fit apporter dans la place les tabernacles
de leurs idoles, et tout ce qui seivait à leur
culte, et après les avoir Foulés aux pieds, il
les brûla en leur présence. Après quoi il les
exhorta fortement à mettre bas les armt'S ol
E T C C R I F. 0 s E s. qS
à Gnir toulc hostilité avec Ifs Peuples voi-
sins : le Caticjue «l lis principaux tlu Vil-
la^j" lui proinirenl d'iilli-r eu\-niênu'S leur
ofVnr la paix, cl terminer touus l«*urs quc-
nlKs. MaisceCacique lui rt-présenta ((u'étaat
fort vieux , et n'ay.iiit (jue ])eu de temps k
vivnî, il avait un extrême désir de recevoir
le Baptême. Comme on s*«'st fait une loi de
ne baptiser les adultes que cjuand ils vivent
dans les peuplades , le Pèieiu' j)ul lui accor-
der cette î^ràce ; mais il le cofisola par la pi o-
liM'ssecju'il lui (it , f|ue bientôt , ou lui-même,
ou (pu'hju'iin deses compagnons , viendraient
le mettre dans la voie du salut. Du reste , il
n'eut garde de lui refuser une petite Croix
qu'il lui demanda pour gage de sa parole, afin
de la porter pendue au cou , et ((u'elle fût sa
défense contre h.'s attaques du Démon , en
lui ajoutant qu'elle servirait de modèle à
celles fju'il ferait taire à ses vassaux , pour se
garantir pareillement des pièges de l'cspiit
infernal.
Après avoir baptisé les enfans qu'on lui
présenta en giand nombre, il tourna ses pas
vers le Village des Indiens Chdriqtiiras , qui
après avoir tenté inutilement l'année précé-
dente de le faire mourir , avaient fait paraître
ensuite tant d'ardeur pour embrasser la Foi.
Ces Indiens vinrent en grand nombre au-
devant de lui , et lui firent un bon accueil ,
mais (jui n'était pas accompairné de certain»
témoignages (l'a ll'ection pari iculieis à ces Peu-
ples , et au\fjiu*ls il s'atieudait. Le Mission-
naire eut bicntAl découTcrt la cause de leur
gO Lettres ÉDIFIANTES
froideur. Une maladie contagieuse ravageait
leur Village, et ils s'étaient persuadés que lui
seul en était l'auteur, et que pour les punir
de l'attentat qu'ils avaient formé contre sa
vie, il fesait venir d'ailleurs la peste, et la
répandait dans l'air qu'ils respiraient.
Le Missionnaire songea d'abord h leur ôler
de l'espiit une idée si ridieule. « Je ne suis ,
» leur dit-il, qu'une faible créature, sans
)) force et sans poi.voir. Ce fléau qui vous
« aflligc; , vous est envoyé de Dieu , Créateur
» et Sauveur , niailre de toutes choses ; c'est
» sa justice que vous devez fléciiir , et ses
)) miséiicordes qu'il \ous faut implorer, » Il
parlait eucore lois([u'on vint l'avertir que le
Cacique, nommé Sanucare , étaitsur le point
d'expirer : il courut aussitôt h son secours,
et il le trouva tombé d<ins un délire iVénéti-
que, sans qu'aucun remède put le soulager.
A celte vue il se piostcrna à terre, et fondant
en pleurs , il demanda à Dieu , par les méri-
tes de Jésus-Chriit , que cette ame rachetée
de son sang, put recevoir le saint Baptême.
Aumoment le délire cessa , et la raison revint
au malade. Le Fère en profita pour l'ins-
truire de nos divinsMystères, lui suggérerdes
actes de contrition, d'amour de Dieu , et de
confiance en sa miséricorde , et lui conférer
le Fjnptéme , api es cpioi le malade rendit son
ame à son Créateur.
Le lendemain le Père ordonna une proces-
sion générale , où il fît porter l'image de la
sainte Vierge , dont il implorait l'assistance
en faveur de ce Peuple encore nouveau dans la
Foi ;
t T CTRirr «;es. ç)^
Foi ; il visita les cabanes de ceux qui étji4.-iit
attaqués de la peste ; en fesant mettre les nssi&-
tans a ^ellflux , il récitait tout haut la Saluta-
tion .\ni;éli([ue, j>ui> il demandait au malade
»'il crovail en Jcsus-Chrisl , et s'il nn-ir.iit si
contiance en la protection de sa sainte Mère :
aussitôt qu'il avait répondu conformément à
sa demande, il lui appli(juait l'imaj^e de la
sainte Vierge. Elle ne fut pas in^wjuée en
vain , car la peste cessa en peu de jours, et
tous les malades recouvrèient la santé.
L'hiver <pii approchait , pressait le Père
de parcourir d'autres Villages. A peines'étail-
il mis en chemin , pour se rendre chez les
Indiens Cozocas , (ju'un C.iei<jue d'un \ il-
lage voisin , suivi d'un grand nomhie de ses
vassaux, l'aborda en lui lésant des plaintes
amèrcs , de ce qu'il ne venait pas chez lui ;
et pour l'y engager, il n'y a point d'arlilices ,
de prières , et de molils auxquels il n'eût
recours. Le Père ayant tâché de le contenter
parles raisons qu'il lui apporta , l'invita à le
suivre.
Lorsqu'il fut entré dans le villag*? des Co-
zocas , et (ju'ii se montra dans une grande
place où ces barbares étaient assemblés , il
lut accueilli d'eux [)ar une (jnaniilé prodi-
gieuse de flèches, qu'ils lui décochèrent de
toutes parts: c'est une mei\eill(' qu'il n'ait
])as perdu la vie. iNIais les (lèches, (juoicjue
décochées avec le plus grand eirort , venaient
tomber à ses pi»'ds , comme si elles eusàcnt
été repouss«k.'S par une main invisible; il n'y
tut (jue deux de ses Néophytes (|ui en furent
U'umc JX, lu
q8 Lettres édifiantes
percés , l'un au bras , l'autre dans le bas-ven-
tre. L'intrépidité du Missionnaire , qui, loin
de reculer avançait toujours, les frappa, et
suspendit leur fureur. Pendant cet inter-
valle il s'approcha du Mapono , et l'abor-
dant avec un air affable : «< Ne voyez-vous
» pas , lui dit-il, que tous vos efforts pour
» me nuire sont inutiles , à moins que Dieu
3> ne le permette ? Osez -vous dire que les
j) démons, que vous avez faits l'objet de votre
3) culte , sont les Seigneurs du Ciel et les
3) Maîtres de la Terre , eux qui ne sont que
?) de viles et méprisables créatures , condam-
3) nées au feu éternel par la divine Justice ?
» Reconnaissez votre aveuglement , adorez
» le Dieu qui les punit, qui seul mérite vos
î) adorations , et qui vous punira comme
5) eux , si vous fermez les yeux à la lumière
?) qui vient vous éclairer, m
Le Mapono , qui , dans sa fureur , avait
dépêché un exprès au Cacique des Subare^
cas , nommé Abctzaico , pour venir avec ses
soldais l'aider à exterminer l'ennemi capital
des Dieux , se trouva tout-à-coup changé ,
et n'était plus le même homme. Il combla
le Père d'amitiés ; il le logea chez lui , et le
régala de tout ce qu'il y avait de meilleur
dans le pays. Abetzaico arriva en même-
temps sans armes , et suivi simplement de
deux vassaux; et, comme il était prévenu
d'estime «t d'amitié pour l'homme Aposto-
lique , il reprocha d'abord ai» Mapono ses
excès et le conûrma dans les senliinens bicu
di/Térens où il le trouva.
FTcmiErsES. 05
Cependant on %inl avertir Ir Pîtp , cjue
»08 deux Néophytes hlesiics étaient sur le
point df rendre le dernier soupir. Il alla
aus^Niiùt les joindre. •< l*ourrais-)c exprinu-r
» dit-il , dans une du ses lettres , comhiin
M mon cœur lut touché et altt'uilri , (|iiand
■» je vis ces deux NY'ophytes étendus sur la
M terre toute rouge de leur sans: , en ]iroie
M aux mousti({ues , et n'aynnt (|ue quchpies
>i feuilles d'arbres pour couvrir leurs [)l;iies!
i) ALiis quelle fut mon admiration , (juand
)) je fas témoin de leur -patience , des ten-
» dres enlretitns qu'ils avaiint avec Jésus-
» Christ et la sainte Vierge , et de la joie
» qu'ils feraient paraître de verser leur sang
» pour procui-er le salut à ces barbares !
» L'un d'eux n'avait rccii le Baptême que
» depuis quelques mois ; la llcche lui avait
M p<"rcé \e bras de part en part , et ses nerfs
M blessés lui causaient de frécjuentes pAmoi-
)) sons. Four l'autre , les ijileslins lui sor-
» taient du bas-ventre , et on eut bien de la
-» peine à les remettre dans leur état natu-
■» rel. Us éprouvèrent bientôt l'un et l'autre
M l'efTet de leur confiance! en la Mère de Dieu:
M celui-ci , après un légor sommeil , se tiouva
M guéri; et celui-lii, «-n peu de jours, ne
» ressentît plus de douleur, et eut le libre
i> usage de son bras. »
Le Père demeura quelf|ucs jours avec ce«
Indiens, jusqu'à or qu'il les eût eulièrement
gagnés à Jésus-Christ. Cependant .^//>efc«/Vo
le sollicitait continuellement de venir dans
iou Village , el il n'y eut pas moyeu de se
jfci %
"UniveraifJ^
Canadui
îoo Lettres édifiantes
rofuserplus long-temps à ses fortes instances.
Aussitôt que le Père parut parmi les Suha-
recas, ce ne furent que fêtes et que réjouis-
sances , ces bous Indiens ne sachant com-
ment exprimer leur joie, et le désir qu'ils
avaient d'embrasser la Loi chrétienne. Dieu
récompensa leur ferveur par la santé qu'il
rendit à tous les malades , sur lesquels le
Missionnaire lut le saint Evangile. Mais leur
joie se changea bientôt en une morne tris-
tesse, lorsqu'ils le virent obligé de se sépa-
rer d'eux : comme "son départ ne pouvait se
différer, ils voulurent que la fleur de leur
jeunesse l'accompagnât , pour lui applanir
le chemin et le pourvoir de vivres , lui , et
ceux qui étaient à sa suite.
Après avoir marché pendant quelques
jours dans une épaisse forêt, par un sentier
étroit et dilîicile , ses guides perdirent leur
route et s'égarèrent. Il lui fallut errer plu-
sieurs jours à l'aventure dans les bois, sans
savoir où il allait, et ne trouvant pour vivre
que les feuilles d'un certain arbre et des
racines sauvages. Dans cet extrême embar-
ras il eut recours h l'Archange saint Ra-
phaël et aux saints Anges Gardiens, et peu
après , lorsqu'il y pensait le moins , il se vit
à la porte du Village des Indiens jinipore^
cas , où il avait fait INIisaion les années pré-
tjédentes.
Il fut bien consolé de trouver dans ces
Peuples le même éloignement de l'idolùtrie ,
et le même dcsir de professer la Loi chré-
tlfiune , où il les avait laissé^. Il passa quel^
ET cmiECSE*. 101
qxies jours à les instruire de nouveau cl à le*
conlirnur (htiis leur;» bons seolinicns, puis il
ii'pi il sa roule.
Après avoir traversé des Incs , des marais
et des bois, il s'égara de nouveau sans pou-
voir s'orienter ni découvrir le chemin qu'il
devait prendre. Il avait ouï dire que le Vil-
lage des Indiens Bohocas se trouvait dans
ces canlons-là , auprès d'une haute monta-
gne. Il iit monter un Indien au sommet
d'un grand arbre pour observer tout l'ho-
rizon. Cet Indien aperçut heureusement la
montngnc , et c'est vers ce eolé-là cju'iL di-
ii:;èreul leur route. Ils arrivèrent bien iali-
gués au Village , où ces bons Indiens n'ou-
blièrent rien pour rétablir leurs forces. Oa
avait logé le Père dans une cabane fort pro-
pre. Il y trouva des dibciplines armées d'épi-
nes très-pi(juantcs ; et ayant appris qu'il y
en avait un grand nombre de semblables
daus le Village , il craignit que cette appa-
rence d'austérité ne cachût quelque reste de
superstition. Il fit venir le Cacique, qui se
nommait Sorioco , et lui monlianl une de
ces disciplines , il lui demanda ce que signi-
fiait celle nouveauté , qu'il n'avait vue nulle
part. « Je vais vous l'expliquer, répondit le
» Cacique : les Indiens liurillos s'avisèrent
M de vouloir s'établir parmi nous , et nous
» y consentîmes. C'est un Peuple hautain et
» superbe, qui prit bientôt des airs dédai-
» giu'ux et méprisans , tournant en ridicule
M toutes nos actions. iNous en fûmes piqués
M au vif , cl nous conjurâmes leur pertes
E l
102 Lettres édifiantes
)) D ins le silence de la nuit nous limes pérîr
» tous les hommes , ne réservant que les
» femmes , qui pouvaient être de quelque
» utilité. Le châtiment suivit de près notre
» crime : la peste se répandit dans le Vil-
j) lage, et nous la regardâmes comme une
M punition de Dieu. Dès-lors nous songcâ-
» mes à appaiser sa colère. Nous savions que
» dans les peuplades Chrétiennes , cet ins-
■» trument de pénitence est en usage pour
» expier ses fautes ; nous y eûmes recours ,
» et deux fois le jour nous allions nous pros-
» terner au pied de la Croix , et criant à
3> Dieu miséricorde , nous nous frappions
» avec ces disciplines jusqu'à répandre du
M sang en abondance. Il paraît que notre pé-
3) nitence fut agréée de Dieu; car en peu de
M jours la peste cessa , et nul de ceux qui
» en furent atteints ne mourut. Depuis ce
» temps la Croix est encore beaucoup plus
» en vénération parmi nous. » Le Père con-
çut par ce discours quelle serait la ferveur
des Indiens , lorsque , rassemblés dans des
peuplades , comme ils le souhaitaient , ils
seraient parfaitement instruits des vérités de
la Religion. Il les laissa dans cette douce es-
pérance , cl continua son voyage jusqu'à la
réduction ou peuplade de Saint-Xavier, où,
après cinq mois de fatigues et de souffran-
ces , il arriva au mois de Janvier de l'année
l'joS.
Dès que la saison des pluies fut passée ,
le Père Cavallero songea à recueillir le fruit
de SCS travaux auprès de tant de barbares
« T c c » 1 E I s r s. Jo'i
qu'il avnil Jl^posôs au (Miristianisme cl ."i cla-
blird.'ins une \;illcc CdiiiiuiKlc une it'iiuclioa
ou poupl.idt' , où il put les rassembler. Il
n'y ;«>i«il point à ehoisir, ear le p;<ys est tout
couvert de bois. 11 ne se |)réseuta qu'une
assez vaste can»pat;ne , mais foi l marécai;eu.-e
et infestée de niousliqes. Elle est située dau»
le voisinage des Indiens Tapacuras iti Pau-
naîtras. C'est dans cette campagne et aux
bords d'un grand lac , (ju'il fut forcé d'éta-
blir la nouvelle peuplade sous le titre de
l'Immaculée Conception. Il y avait aux en-
virons de ce lac plusi«'urs liabitalions d'In-
di ns Pu'innpas , l napcs et Carababas.
Ces Peuples sont exlraordinairemenl sauva-
ges , mais libelles et timides : boinmcs et
femmes, ils n'ont pas le moindre vêtement
qui les couvre : ils n'ont proprement d'autre
Dieu que leur appétit brutal , et s'ils ren-
dent quelque culte au Démon, ce n'est qu'au-
tant qu'ils se persuadent qu'il y va de leur
intérêt : ils ne vont point à la chasse dans
les bois, et ils se contentent de ce que leurs
campagnes leur fonriiissenl. Ils parurent fort
dociles aux instructions que leur (il le Mis-
sionnaire , et ils consentirent tous à vivre
dans la peuplade, [)ourvu qu'on leur permît
la chic a ^ qui est leur boisson ordinaire, et
dont ils ne pouvaient pas se priver, disaient-
Ils , parce <{ue l'eau crue leur causait de vio-
lentes coliques d'estomac. Le Père n'eut pas
de peine h leur en permettre l'usage , parce
qu'ils la prenaient avec modération , et qu'ils
D'étaieot pas sujets à s'enivrer comme les
E4
io4 Lettres édifiantes
aulrcsLarLares. Pour composer celte liqueur
qui leur est si agréable , ils font rôtir le maïs
jusqu'à ce qu'il devienuedu charbon, et après
l'avoir bien pilé, ils le jettent dans de gran-
des chaudières d'eau , où ils le font bouillir.
Cette eau noire et dégoûtante est ce qu'ils
appellent chica, et ce qui fait leurs délices.
D'dutres Peuples voisins des Indiens 3Jan-
nacicas vinrent habiter la même peuplade,
qui se trouva en peu de temps très- nom-
breuse. Mais comme l'air y était mal-sain ,
et qu'il y avait lieu de craindre que les ma-
ladies ne vinssent ravager son troupeau, le
Père résolut de la transporter ailleurs. Il
découvrit pour lors une grande plaine fort
agréable , qui avait à l'Orient les Pujzocas ;
au Nord, les Cozocas ; et h l'Occident , les
Cosiricas. C'est dans cette plaine qu'il se
fixa, et qu'avec le secours de ses Catéchu-
mènes ^ il eut bientôt rebâti la peuplade. Il
s'appliqua aussitôt avec un zèle infatigable
à cultiver ce grand Peuple , h déraciner le
fond de barbarie avec lequel il était né , à
l'humaniser peu-à-peu, et à l'instruire de
nos divins Mystères et des obligations de la
vie Chrétienne. Toute la journée était occu-
pée dans ces fonctions laborieuses , et le temps
de la nuit il le réservait pour la prière , et
pour \\n léger repos de quelques heures, qui
le mit en état de reprendre le lendemain ses
travaux ordinaires.
Lorsqu'après une année entière de sueurs
et de fatigues , il eut établi dans sa nouvelle
peuplade le mêine oidre qui ôQbserve dans
les autres peuplades Chniicnnes , qu'il vit
5es^léophvU■s hii'ii alVirmis tlau» la Foi , cl se
portant avec fii-M'ur à tous les exercices de
la piété , il laissa pendant quelque-temps à
sou compagnon le soin d»; les entrclenii- dans
ces saintes pratitjues , et il tourna ses vues
vers d'autres Nations barbares , pour les sou-
mettre au joug de l'Evangile. La conversioa
des Indiens Pnyzocas était la plus difficile ;
ces infidèles devinrcut le priucipal objet de
son zèle.
Il partit accompagné de trente-six Indiens
JMannacicas , au\(juels il avait donné tout
récemment le Baptême. Il souffrit plus que
jamais dans ce voyage , parce qu'une humeur
maligne s'étant jetée sur ses jambes , il ne
pom.iit marclier ou'avcc le secours de scg
Néophytes. Enfin , il arriva bien fatigué chez
les l^iijzocas; on l'y reçut avec des démons-
trations de joie extraordinaires, chacun s'em-
])ressanl à lui marquer son affection, et à
lui oflVir des fruits du pavs et d'autres sou-
lagemens semblables. Le Cacique ne cédait
h pas un de ses vassaux dans les témoignages
de sou amitié , tandis que lui et les siens,
sous de ti'ompcuses caresses , couvraient
la plus noire perfidie. Il oidonna que ces
nouveaux venus fussent partagés dans dilTé-
rentcs cabanes, ensorte qu'ils ne fussent que
deux ou trois ensemble.
Aussitôt qu'ils se furent mis à table pour
prcudie un léger repas, une troupe de fem-
mes parurent toutes nues dans la place , se
tirant des lignes noires sur le visage. C'est
E 5
io6 Lettres édifiantes
une cérémouie en usage parmi eux , lors-
qu'ils trament quelque funeste complot. Aa
même temps ces barbares vinrent fondre sur
les Néophytes , et les assommèrent. Quel-
ques-uns échappés à leur fureur, coururent
en liute à la cabane où était le Père , qui
disait tranquillement son Olfice : l'un d'eux
3e chargea sur ses épaules pour lui sauver la
vie par la fuite. Ce fut inutilement ; il fut
bientôt atteint par ces furieux , qui le percè-
rent d'un javelot. Le Père se sentant fiappé
à mort , se débarrassa du Néophyte qui le
portail , et se mettant à genoux devant son
Crucifix , il offrait à Dieu son sang pour ceux
qui le répandaient si cruellement : pronon-
çant ensuite les saints noms de Jjêsis et de
Marie, il reçut sur la tête un coup de mas-
sue qui lui arracha la vie. Ce fut le 18 de
Septembre de l'année l'^i 1 qu'il termina sa
carrière par une mort si glorieuse. Vingt-six
Néophytes qui raccompagnaient furent pa-
reillement les victimes de leur zèle. Les au-
tres retournèrent à la peuplade de la Concep-
tion, et cinq y moururent de leurs blessures.
Ces nouveaux Fidèles furent consternés, lors-
qu'ils apprirent la perte qu'ils venaient de
faire. Ils allèrent en grand nombre, bien
armés , chercher le corps de leur cher Père ;
ils l'apportèrent à la peuplade avec la plus
grande vénération , et ils continuent de le
révérer comme un de de ces hommes Apos-
toliques, qui (i) se sont livrés eux-mêmes,
{i)Çui tra (iiJerunt animas suas f pro nomine JJoiniai
moêlri Jesu Chriiti.
F. T C U R I E C s E ». l ÙJ
flonteiposé leur vie , p(»ur aunoncer aux Na-
tions 11." nom (If Notrt'-Sei^ni'ur Jlsls-Curist.
Cependant le F«Tf dv Zôa , <|ui ilcnicuiait
à la pfupladc (Ir S.iinl- Josrph , piMisail de
«on côU" à établir uiif réduction ou peu-
plade. Un nombre de ztîlés Néopliyles par-
tirent par ses ordres pour aller à la reclicr-
che des barbares. Ils niarclièrcnt pendant
plusieurs jours ; ei enlin , ils découvrirent
des traces de pieds d'iiommcs, qui marquaient
qu'un bon nombre d'Indiens avait passé un
peu plus loin ; ils apcrcHrenl un vieillaid
«vec sa taïuiile, qui ensemençait ses terres.
Ce pauvre Indien ])Alil à la vue des i\éoj)liy-
tes , et tout irenib ant d.-peur, il les sujiplia
de ne pas lui Aier la vie. Les Méopliytes ne
puix'nt s'empêcher de rire de sa frayeur , et
pour le délivier de toute iiKjuiétudc , ils ac-
compagnèrent de quebjues présens , et en-
tr'autrei d'un petit couteau , les marques
d'amitié «{u'ils lui doniurent. Le vieillard
sautant de joie, conduisit ses bienfaiteurs U
son Village, où o.i les accueillit avec toute
sorte de téinoipna^es d'amilié , auxquels ils
rép«)ndirenl ]>ar de petits présens , (jui gagnè-
rent enlièreinent ci-s infidèles. Mais comme
leur lint;oe était dillërente, et qu'ils ne s'en-
tendaient ni les uns ni les autres , on leur ac-
corda deux jeunes £;ens (|u'ils emmenèrent
a\ ce eux , pour apprendre la langue des Chi-
quites, et leur ser>ir d'interprètes.
Ces Indiens sont de la Nation des Moro-
tocos. Ils sont de haute taille , et d'une
complcxioQ robuste. Ils fout leurs flèches et
K 6
loB Lettres édifiantes
leurs lances d'un bois très-dur, qu'ils savent
manier avec beaucoup d'adresse. Les fem-
mes y ont toute l'autorité ; et non-seule-
lement les maris leur obéissent , mais ils
sont encore chargés des plus vils ministères
du ménage et des détails domestiques. Elles
ne conservent pas plus de deux enfans -, quand
elles en ont davantage , elles les font mou-
rir ^ pour se débarrasser des soins qu'exige
leur enfance. Quoiqu'ils aient des Caciques
et des Capitaines, il n'y a parmi eux nul
vestige de gouvernement et de religion. Leur
pays est sec et stérile , et tout environné de
montagnes et de rocbers : ils n'ont pour tout
aliment que des racines qu'ils trouvent en
abondance dans les bois. Ils ont des forêts
de palmiers ; le tronc de ces arbres leur
fournit une moelle spongieuse, dont ils ex-
priment le suc qui leur sert de boisson.
Quoique , durant l'hiver , l'air soit fort froid
dant leur climat , et que souvent il y gèle,
ils sont totalement nus , et n'en ressentent
nulle incommodité. Un calus général leur
épaissit la peau, l'endurcit , et les rend in-
sensibles aux injures de l'air.
Les deux jeunes Indiens Morotocos ne
pouvaient contenir la joie qu'ils ressentaient
d'avoir quille leur misérable pays , et de se
trouver parmi les Chrétiens dans un lieu où
ils avaient abondamment de quoi satisfaiie
aux besoins de la vie. Quand ils eurent ap-
pris la langue des Chiquiles , le Père Phi-
lippe Suarez les prit pour interprètes , et
alla viôiler les cinq Villages d'Iudicus qui
FTcrRiEcsrs. 109
forment celle Naliou , pour leur faire con-
naître le vrai Dieu. Les rnlretions que le
]Vli.v<>ii)iin.iir(> eut avrc eux sur les véiilt's
de l.i lUlii;ion , n|)|)u\t-i> tlu r;ij)j»<>rt fjiie
leurs jcuiic!) cuin|>:iti iotes leur fufiil ili' la
vie qu'on nicunit d.ins la peuplade , les dé-
ternnni'renl tous à lu sui\re , cl à aller s'y
élahlir.
D'autres Ncoplivtrs de la même peuplade
avaicMit lait uni' semld.ihlc excursion eluz
d'autres Indiens d'une Xalion nommée Tapi-
çiin'SfCl avaient pareillement amené avec eux
deux de ces Indiens pour apprendre la langue
Clii(juile, et ser\ir d'inlerprèles. A (juelque
temj»s de là leurs parens ayant eu (juelque
iu(juiétudi.' sur la destinée de leurs enl'ans , se
reudirentà la peuplade pours'en informerpar
eux-mêmes. On leur témoif^ua tant d'ami-
tié , et ils furent si charmés des exercices
qui s'y prali(juaient , qu'ils enj;agèrent tous
les Indiens de leur Nation h venir fixer leur
demeure parmi ces nouveaux fidèles , et à
s'assujélir aux lois de l'Evangile. Il n'y eut
que quelques familles qui ne purent se ré-
soudre à quitter leur terre natale ] mais enfin ,
en l'année 1 7 i5 , que le P. Suarez passa par
leurs habitations, elles surmontèrent leurs
iéj)ugnances , et vinrent se joindre à leurs
compatriotes.
Ces nouveaux venus donnèrent des con-
naissances bien particularisées d'une infinité
d'autres Nations répandues dans toutes ces
terres, jusqu'à la grande Province de Chaco,
et ealr'autrcs dcâ Indiens Zcunucos , (^ui
110 Lettres édifiantes
hnbitenl six grands Villages , dont cliacun
fsl plus peuplé que la réduction de Saint-
Joseph ; et six autres moins grands , mais
qui se touchent presque les uns les autres ,
tant ils sont voisins , et où l'on parle la même
langue. On prit dès-lors le dessein de tra-
vailler à la conversion de ce grand Peuple :
mais auparavant on ne pouvait se dispenser
de former au plutôt une nouvelle peuplade,
en partageant celle de Saint-Joseph , laquelle
était devenue si nombreuse par le concours
de tant de familles Indiennes , qui étaient
venues s'y établir , que les terres des envi-
rons ne pouvaient plus suffire à leur subsis-
tance.
A neuf lieues de Saint-Joseph se voit une
belle plaine, nommée Naranjal , qui n'est
stérile que par le défaut de culture ; c'est
cette plaine que l'on choisit, de l'agrément
des Néophytes, pour y bijtir la peuplade sous
l'invocation de saint Jean-Baptiste ; elle fut
composée d'anciens Néophytes et de quatre
Nations différentes d'Indiens, qui se portè-
rent tous avec une égale ardeur h construire
l'Eglise et les maisons , et en même-temps
à défricher les terres, et h les ensemencer.
Le Père Jean-Baptiste Xandra , que le Père
de Zéa s'était associé pour gouverner la nou-
velle peuplade , n'omit rien de tout ce (ju'un
grand zèle peut inspirer pour former ces
Lai baies aux vertus civiles et Chrétiennes ,
et Dieu bénit tellement ses travaux, que le
Père de Zéa, au retour de quelques exeur-
sious qu'il avait fuites daus les terres iuiidè'-
Ips , fut fort surplis dt- iiouvtr une nouvelle
Chictirnit*, «Irvi-nut- i-n peu de temps si rai-
sonnable et si l'enenle.
Il crut (|iril étnil temps d'exécuter le des-
sein (|ui lui tenait si fort à coeur, <\v porter
le nom tic Jésus-Clii isl ù la nombreuse Nation
des inliilelis /,ii/nnco\. Celte entrepiise fut
heauc(jup plus dirtieile qu'il ne l'avait piévu.
Il partit MU mois de Juillet de l'année 17 iH,
accompagné (l'un grand nombre de ses Néo-
phytes. Les tempêtes qu'il essuya d'abord,
les continuels tourbillons de vents furieux ,
et le débordement des rivières ne lui per-
mirent de faire que quatorze lieues en dix-
neuf joui*s. Il passa par quelf{ues Villa<;es
des Indiens T'dfHi/itics , absolument ruinés ,
où il trouva une trentaine de ces Indiens ,
qu'il gagna ;» Jésus-Clirist , et qu'il lit con-
duire par quel(|ues-uns de ses Néophytes à
la réduction de Saîut-Joseph. Lorsqu'il eut
marché encore quehjues lij-iies, il se pré-
senta une foret longue de dix lieues, la plus
épaisse et la moins accessible qu'il eût en-
core trouvée dans ses didërentes courses ; il
fallut s'y faire un passage. Les Indiens y tra-
vaillèrent , mais (|uand ils en euicnl défiiché
environ la moitié, ils peidironl entièrement
courage. Le Père les ranima par ses paroles,
el encore plus par son exemple , se mettant à
l«*ur tête la hache à la main ; et enfin , en
dix-neuf jours , ils percèrent tout le bois j
mais il est inconcevable ce qu'ils eurent à
soulfrird'une infinité de moustiques et de dif-
féreates sortei de laoas, qui ne leur donnaient
112 Lettres édifiantes
de repos ni jour ni nuit , et qui , par leurs
continuelles piqiires, les défigurèrent entiè-
rement, et leur laissèrent long-temps les mar-
ques de leur persécution.
Au sortir du bois il se vit dans une vaste
Campagne, tout-à-fait stérile, et qui était
terminée par une autre forêt , où il fallait se
faire jour avec les mêmes fatigues que dans
celle qu'il venait de traverser. Le pays ne
fournit ni gibier ni poisson , ni même de ru-
elles à miel , comme on en trouve par-tout
ailleurs, et la terre ne produit que quelques
racines, dont l'amertume n'était pas suppor-
table au goût, quelque affamé qu'on fut. Le
Père alla visiter deux Villages qui n'étaient
pas éloignés , oii il croyait trouver quelque
ressource ; mais toutes les liabitations étaient
abandonnées , les Indiens s'élanl répandus
dans les forêts pour y cliercber de quoi sub-
sister. Il rencontra cependant une soixantaine
de ces barbares , auxquels il n'eut pas de peine
h persuader les vérités de la Foi. Il les mit
entre les mains de quelques-uns de ses Néo"
pliytes , qui les menèrent h la peuplade de
Saint-Josepb. Comme les forces manquaient
à toute sa suite faute d'alimens, il fut con-
traint de renoncer pour le présent à son en-
treprise, et d'en dillérer l'exécution à l'année
suivante.
L'impatience où était le Père de Zéa de
porter la Foi chez les Indiens Zawncos ^ lui
fit devancer It- temps où d'ordinaire les pluies
finissent. 11 prit avec lui douze fervens Cbré-
tieus pleins d'ardeur et de courase , avec
r, TCC RIEUSE s. IlJ
lesquels il se mil ca chemin au mois do Fé-
vrier de l'année i-y i-j , et après avoir suivi la
même roule qu'il avail lenue l'ainiéi' piécé-
dcnle ; il se trouva i-nfln à celte secoutle foi et ,
au travers de latjuelle il lalhiil h'ouvrir ua
passade. Ilsy travaillèrent sans relAche; mais
lei> eaux, (]ui croissaient chacjue jour, le»
gagnaient insensiblement, cl quand ils cu-
rent pénétré jusqu'au milieu de la forêt, ils
8c trouvèrent dans l'eau jujtju'ii la ceinture.
Le risque où ils étaient de se noyer obli|^ea
le Missionnaire et sa suite à rebrousser che-
min , et à retourner pour la seconde fois à
la peuplade de Saint-Jcan-Dapliste,
Le l'ère de Zéa , que tant de difficultés
n'avaient point rebuté , partit pour la troi-
sième fois au mois de Mai avec plusieurs
Néophytes \ et enfin , il vint à bout de finir
l'ouvrage commencé quelques mois aupara-
vant, et de traverser la foièl. Il arriva le la
Juillet au premier Villaj^e des Zamucos : la
joie que c usa son arrivée surpassa ses es-
pérances ; ces Peuples ne savaient quelles
caresses lui faire ; ils l'environnèrent avec
les plus grandes démonstrations de repect et
d'amitié ; ils s'empressaient ;» lui baiser la
main ; ils ne tessaierit d'embrasser les Néo-
phytes; ils les logèrent dans leurs cabanes,
et ils les régalèrent aussi bien que pouvait
le periru Itre la pauvreté de leur pavs.
Le- biuleniain le Père b's assembla dans
la grande |)laee -, il leur déclara le sujet qui
lui avait fait essuyer tant de fatigues pour
venir les voir , que son dessein était de leur
ii4 Lettres édifiantes
faire connaître le vrai Dieu qu'ils ignoraient ,
de les engager à pratiquer sa Loi , et à se
procurer un éternel bonheur; puis il leur
demanda s'ils agréaient que des Missionnai-
res vinssent les instruire des vérités de la
Foi , et leur enseigner le chemin du Ciel. Ils
répondirent que c'était là depuis long-temps
l'objet de leurs désirs , et que s'ils n'étaient
pas Chrétiens , c'est que personne ne leur
avait encore expliqué les vérités qu'ils de-
vaient croire , et les commandemens qu'ils
devaient observer.
Le Père ne pouvant contenir la joie qu'il
ressentait au fond du cœur : « Si cela est
» ainsi , répliqua-t-il , il faut commencer
)) par élever une Eglise au vrai Dieu , et vous
» réunir tous dans un même lieu pour l'ho-
» norer et le servir. » Alors les deux prin-
cipaux Caciques se levèrent , et dirent qu'ils
ne souhaitaient rien davantage , mais qu'il
fallait choisir un îv u plus favorable que leur
Village, et qu'il pouvait s'assurer que tous
leurs voisi'^r. . qui sont de leur Nation , se
joindraient voîonliers h eux , pour former
tous ensemble une nombreuse peuplade. Ce-
pendant le Père fit planter une grande Croix
sur un tertre. Tous ces Indiens se mirent à
grnoux et l'adorèrent. Les iNéophytes chan-
lèient ensuite les Lit'^nies delà S." Vierge,
après quoi le Père mit tout ce Peu[)le et la
peuplade où il allait s'établir, sous la pro-
tection de saint Ignace. Il fallut se sépa-
rer, et ce ne fut pas sans douleur départ el
d'autre y mais ils se cousolèreut mutuelle-
tTCL'RlEOSFS. Ïl5
ment sur ce qu'ils ne seraienl pas lonf^-tcmp»
sans se revoir. Le Père en s'en relouinanl
eut occasion d'entretenir des vérités Cliié-
tieunt's une cenlaine d'Indiens qu'il tnuiva
sur sa route, et de \rs gagner à Jé.sus-C>liri.st.
Ces Indiens étaient de trois Rations diflé-
rentes ; savoir: des Z/inotecas , des Jopore-
tt'cas et des Cucaratrs. Il les emmena avec
lui à la peuplade de Saint-Jean-Baptiste.
A peine fut-il arrivé qu'il recul une lettre
du Révérend Père Général , qui le consti-
tuait Provincial delà Province du Paraguay;
ce fut un coup de foudre pour lui ; il comp-
tait consommer l'ouvrage qu'il avait com-
mencé de la conversion de ses cliers Zaniu-
cos , et sacriiier le reste de ses jours à les
conduire dans la voie du salut ; mais consi-
dérant que l'obéissance vaut mieux que le
sacrifice , il vil les ordres de Dieu dans
ceux de son Supérieur; il s'y conforma avec
une parfaite résignation , et il confia l'éta-
Llissemeiit et le soin de la nouvelle peuplade
au zèle du l'cre Michel de Yegros.
Ce Père n'avait , ce semble , «ju'à recueil-
lir le fruit ilc travaux de son prédécesseur;
il ne s'agissnii j,lus que de convenir avec
les Indiens Aainucos de l'endroit qui leur,
agréerait d..v,intage , pour y bAtir la peu-
plade. Il par' il donc au mois de Sepiem-
tre de l'année l'yiH , avec le frère Albert
Romero , ei un certain nombre de nou-
veaux C'n-éiiens. Quand il fut arrivé dans
la foiêi la plus pnx lie du Village , il fit
prendre le Uevaul à quclquc^i - uns de ses
ii6 Lettres ÉDIFIANTES
Chrétiens , pour aller avertir le principal
Cacique de son arrivée , et lui porter de sa
part une canne fort propre , et une veste de
couleur. C'est un riche présent dans l'idée
de ces Indiens.
Toutes les amitiés dont ces Peuples sont
capables , ils les témoignèrent aux députés
du Missionnaire : ils furent admis à la table
du Cacique , dont tout le l'epas consistait
en des racines de cardes sauvages. Le len-
demain le Cacique , accompagné de Chré-
tiens et d'un nombre de ses vassaux, alla
au-devant du Père, qu'il rencontra presque
au sortir de la foiêl , et ils vinrent de com-
pagnie jusqu'à l'endroit où, la Croix était
plantée , et où tout le Peuple s'était assem-
blé. La joie fut universelle parmi ces bar-
bares, et ils no savaient comment l'expri-
mer. Le Caeique paria, au nom de tous , et
dit que nonobstant leur pauvreté, et l'ex-
trême discite qu'ils avaient eu à souffrir , il
n'avait jamais voulu pcri^ieltrc que ses vas-
saux s'éloignassent du Village , de crainte
qu'un Missionnaire n'arrivAt pendant leur
absence ; que d^ns l'impatience où il était
de son arrivée , il avait souvent envoyé à la
découverte, et y étuit allé lui-même, pour
voir s'il n'en paraîtrait pas quelqu'un , et
qu'il pouvait juger de là combien il de-
sirait sa présence, et le plaisir qu'elle leur
causait.
On traita ensuite de l'endroit le plus con-
venable pour l'établissement de la peuplade.
Le Père leur dit que dans uu de ses voyages
ET cruTErsïS. 119
il avait pnssé par des terri-s (jui sont au-tlt-là
de Ii'urb monlaRiu's , cl dans le voisinage des
Indiens Cucnrtites , et cjuc ces terres lui
parai.s>nienl toit propres h être culli\ées, et
à fournir abondamment à leurs besoins. Le
Cacicjue répondit au I*èrc qu'il connaissait
parfaitenu-nt ces campagnes , et f[u'on ne
pou\ ait taire un inrilleur cln>ix ; qu'il letour-
r\\\. donc clu-z lui , alin de pié(>arer tout ce
qui était nécessaire pour la nouvelle peu-
plade , tandis que lui dispn5erail ses voisins
à le suivre, et que, quand il serait temps,
ils iraient tous ensemble l'alii-ndre sur le
lieu même ; niais (|ue pour éviter toute mé-
Frise , il lui donnait deux de ses vassaux ({ui
accompaf^ueraient , et qui prendraient le
devant, atin de venir l'informer du jour qu'il
aurait fixé pour son départ. Lesautres Indiens
donnèrent b;ur sullVac^c par acclamations , et
en lui témoignant le désir ([u'ils avaient de
recevoir au plutôt le saint Baptême , ils le
prièrent de presser son retour.
Le Missionnaire partit avec un contente-
ment qui était au-dessus de ses expressions.
Il arriva comblé de joie à la pcuj)lade de
Saint-Jean-Iîaptistc , avec les deux Catéchu-
mènes <[u'il amenait, auxquels les Néophytes
témoignèrent une atrcctionextrordinairetout
le temps qu'ils demeurèient avec eux. Sur
la (in de Juillet de l'année 17 iç), le Père h'S
dépécha vers leur Cacique, afin de l'avertir
(]u'il était sur le point de se rendre au lieu
dont ils étaient convenus , cl qu'il comptait
dx: l'y trouver , lui , et tous ceux qui devaient
I iB Lettres ÉDIFIANTES
le suivre , et former ensemble la nouvelle
peuplade. Il partit eu effet peu après , avec
le Frère Albert Romero , €t un bon nombre
de Néophytes , qui étaient chargés des
ornemens nécessaires pour célébrer le saint
Sacrifice de la Messe , et de tous les outils
propres à défricher et à cultiver les terres.
Quand ils arrivèrent au lieu destiné , oii
ils s'attendaient de voir rassemblée une mul-
titude de ces Indiens , ils fuient fort étonnés
de n'y pas trouver une seule ame. Le Père
envoya plusieurs de ses Néophytes pour par-
courir le Pays d'alentour : nul de ces Indiens
ne parut. Us pénétrèrent jusqu'à leur Village ,
ils en trouvèrent les habitations biùlées ; ce
n'était plus qu'une vaste solitude. Ils appri-
rent néanmoins que ces barbares s'étaient
retirés à quelques jourjiées de là , proche un
lac fort poissonneux , et qu'ils avaient fermé
les passages par où l'on pouvait s'y rendre.
Le Frère Romero prit la résolution de le«
aller chercher. Il se mit eu chemin avec quel-
ques Néophytes , et pénétra enfin jusqu'au
lieu de leur retiaite : il les fit ressouvenir de
la promesse qu'ils avaient faite à Dieu et aux
Missionnaires d'embrasser le Christianisme,
*;t de se réunir à ce dessein dans cette vaste
campagne , qu'ils avait nt choisie eux-mêmes
pour y bûtir la peuplade. Ces baibarcsrépon-
clirent sans se déconcerter , qu'ils n'avaient
pas chanj^é de sentiment, et qu'ils élaient
prêts à le suivre à l'heure même. En effet,
ils partirent avec lui en grand nombre , un
Cacique à leur tête, et ils déguisèrent avee
ET CUB1EUSES. II9
tant d'artifices l'alrociié tlu trime qu'ils mé-
dilaifut , <{u'()n ne pouTait guères soupc^onner
leur sincérilé : Ifs premiers jours du voyage
ils ne s'entretenaient d'autre cliose avec le
Frère , que de l'aident désir qu'ils avaient
de recevoir le li.iptèmc , et de pratiquer la
Loi chrétienne. ^Iais le premier jour d'Octo-
bre ils se démas<juèrent et dévoilèrent leur
perfidie. Ils se jetèrent sur les Néophytes,
dont douze furent massacrés : au même temps
le Caciijue saisit le Frère Romero , et lui
fendit la tète d'un coup de hache. Il le dé-
pouilla de ses habits , et, dans la crainte que
les Chifjuites ne vin^sent tirer vengeance
d'un si noir attentat , ils prirent tous la fuite ,
et se réfugièrent daus les bois.
Les Néophytes échappés à la cruauté de
ces barbares , a|)porlèrent vwc nouvelle si
peu attendue ; elle se répandit bientôt dans
toutes les peuplades Ch retiennes , où ce saint
Frère fut extrêmement rec^relté de tous les
Néophytes, qui la plupait avait nt ressenti
les efTeLs de son zèle et de sa charité.
V'oilii , Monsieur , tout ce qui j'ai pa
apprendre sut l'étal présent des Missions de la
Province du Paraguay, jusqu'en l'année i-j'^B.
L'éloignenient des lieux ne permet pas d'ea
recevoir de fraîches nouvelles ; il est à croire
que depuis ce temps-là on aura fondé la peu-
plade de Saint-Ignace. A mesuie que Dieu
bénit les travaux des ouvriers Evaiiç,cliques ,
et qu'ils réduisent sous l'empire de Jésus-
Christ tant de N;jtions baibares, ce sont
autant da sujets qu'ils acquicrcul ù la Alonar-
150 Lettres édifiantes
cliie d'Espagne. Je ne manquerai pas de vous
faire p-ut des nouvelles connaissances qui me
viendront dans la suite , et de vous donner
en cela des preuves du désir que )'ai de
vous satisfaire , et du respect avec lequel je
suis , etc.
LETTRE
Du Père Ignace Chômé , Missionnaire de
1(1 Conipdgnie de Jésus , au Père Van-
thiennen , de la même Compagnie.
A la lédiiction de Saint-Tj^nace
des lodieus Zamucos , dans le
Paraguay , le 17 Mai 1738.
Mon révérend père,
La paix de N. S.
Vous avez, sans doute , reçu la lettre que
j'eus l'honneur de vous écrire en l'année
17^5 , où je vous fesais le détail delà mort
du vénérable P. Lizardi , le compagnon insé-
parahle de mes travaux chez les Chiriguanes,
qui le massacrèrent inliumaiuement. Je vous
ajoutais qu'on prenait la résolution d'aban-
donner une Nation perfide et cruelle , qui
a répandu le sang de tant d'ouvriers Evangé-
liques , lesquels , par leur zèle et par des
peiues immenses, ti'ont jamais pu adoucir
taut soit peu sa férocité.
Depuis
ETC. TRiKrsrs. J'Xl
Depuis ce tmips-lJ , iiis«jii'à crtlr nnné»' ,
j'ai été iliarj;é i\v la .Mission dr |>rts(|ur Iculc
la Proviiue de J.ox-( Itichas , de irlle de
JApi'Z , l'I de nos vallées eirconvoisines. Ceê
Missions sonl 1res- laborieuses. Four lu'j
ri'iMlre j)liir> utile , j'avais appris la langue
Indienne , (ju'on nomme la laut^ue (Jaichoa ,
nue parlent les Indiens de piesqiie toul le
Pérou , cl j'avais acquis la lai'ililé de leir
prêcher les vérités Cliréiiennes en leur lan-
t^uo naturelle, l^orsque je m'v attendais le
moins , je reçus une lettre du Tlévéuiid Père
Provincial , qui me destinait aux IMissioDS
des Chiquites , et me recommandait do m'y
rendre dans le cours de cette année.
Ces Missions sont si pénibles, que les
Supérieurs n'y envoient personne , qui ne
lésait demandées avec beaucoup d'instance.
Ainsi je regardai comme un heureux pré-
sage des bénédictions (juc Dieu daignerait
répandre sur mes travaux , la grâce singulière
d'y être nommé sans qu'il y eût eu de sollici-
tation de ma part.
On compte plus de trois cens lieues depuis
Tii'ij'i , où j'étais , jusqu'à la première
réduction ou peuplade des Chiquites , qui
est celle de Sainl-Francois-Xaxiei-. Il me
fallut traverser d'all'reuses montagnes, et je
fi'avais que quatre mois j)Our l'aire ce voyage j
car , pour peu que je me fusse arrêté sur la
route , les pluies eoiitinu<'lles de la Zone tor-
ride , m'en auraient i'eriné l'entiée. Vous
5crc7- surpris de tout le Paj.s qu'il m'a fallu
parcourir , et de la quantité Ji,* lieues cnie
Tomç /A. J^'
ii-y. Lettres édifiantes
j'ai été ol)ligé de l'aire depuis liuit ans que je
suis dans ces Missions. Le détail que je vais
vous en faire , ne vous sera peul-êlre pas désar
gréal)le , du- moins il vous donnera une
connaissance certaine de la distance d'un lieu
à un aiiLK.'.
De Buenos- Ayres où j'arrivai d'abord, et
qui fut ma première entrée dans ces Mis-
sions , j'allai à Santa-Fé , ce sont quatre-
vingts lieues : de Sanla-Fé h la ville de Cor-
rientes , cent cinquante lieues ; de Corrientcs
à la réduction do Saint-Ignace , soixante-
.douze ; de Snint-Ij^naceà celle qu'on nomme
Corpus , soixante ; de celle-ci à Qape^u ,
quatre-vingts ; de Gapeyu h Bueuos-Ayres ,
deux cens ; de Buenos-Ayres à Corduba ,
cent soixante ; de Corduba h Santiago , cent ;
de Santiago à San Miguel , quarante ; de
San Miguel à Salta , quatre-vingts ; de Salta
à Tarija , quatre-vingt-dix ; de ïarija aux
Cliiriguanes, où j'ai fait quatre voyages,
deux cent quatre-vingts ; de Tarija à Lipez ,
quatre - vingts ; de Tarija h los Cbichas ,
soixante-dix ; de Tarija à Cinti , quarante ;
de Tarija aux Vallées , quatre-vingts ; de
Tarija à Saiiit-Xavicr , première réduction
des Chiquitcs , trois cens ; de Saint-Xavier
à la réduction de Saint-Ignace des Zamucos,
cent soixante-dix. Ce qui se monte à deux
mille cent trente-deux lieues. Que serait-ce
si j'ajoutnis à ce calcul , les lieues que j'ai
faites en détours , car je ne paile que de celles
qu'il m'a fallu faire en droiture ? on en
compterait plus de trois mille.
FTcrniECSES. \> \
XjB prrmit'ic rrcltu-lion «les Clu^(nil(•^ ,
nomiiur «le Sainl-\a\ icr , vsl par s<'i/.r »!f-
prrs (II- I:iti(u(l(* Sud , vt trois crut (li\-liiijt
t!'-i;i»'vs (If lr>ngitiuic. (^rllc de Sainl-I^nace
dfs Zantucos , d'où j«* vous écris , vsl par
%inf;( d(i;it's i\c latitude Sud , rt trois «( iit
\iiii;tdi longiliult' , cloit^niT d'fnviron mille
litins de niuM>os-Ayi'«'s , par la route tjue
l'on doit suivre pour y arriver.
Ce fui h 1h fin d'Octobre de l'année dor-
nièr«' que j'arrivai à la rcdtirlion de Saiiit-
\.ivier , après avoir mis tiois mois dans mon
voyage. A peine eus-je pris quelques jours
de repos , que je rrrus un nouvel ordre de
me rendre à la réduction de Saint-Iynacc
des Ziiniurns , ([ui en est éloignée , ainsi
(jueje l'ai dit, de cent soixante-dix lieues.
Il n'y a presque point de communication
entre celte peuplade et celles des Cliiquitis ,
dont la plus |)roclie est h quatre-vingts lieues
de distance. KHe est composée de ])lusi(iirs
Nations »pii parlent à-p«'u-près la même lan-
gue ; savoir, des Z,nmucos ^ des Cuciilados ,
des Tupios , des [ garonos et des Suticnos ,
qui se soumirent enfin à .lésus-Christ en
r. innée 1-21. Ces ^lations était-iit cxtrcme-
îuent féroces , et il est incroyable combii'n
elles ont coûté à réduire ; elles sont niaiu-
tenaMt plus traitables ; mais il y a encore à
tia\ailler pour déraciner entièrement de
leurs c(curs certains restes de leui- ancienne
burbaiie.
Le dr.'ssein qu'on a eu en pressant mon
départ , c'est l'extrême désir où l'on est
F 'j.
1^4 Lettres édiiiantes
depuis long-ienjps de découvrir le fleuve
Picolmayo , elles JN allons barbares quiliabi-
Uiît l'un et l'autre rivage de ce grand fleuve.
11 me fallait demeurer parmi les ludieus
'Zaniucos , pour a])prenclrc leur langue ,
qu'on parle dans toutes ces contrées. Dieu a
tellemcul béni mon application à l'étude de
celte langue , qu'en cinq mois de temps que
j'y aier7iployés,je suis en état de leur prêcher
les véiilés de la Religion. Je n'attends plus
que les ordres des Supérieurs pour exécuter
celte entreprise : on m'annonce qu'elle est
très-périlleuse ; car il s'agit de faire brèche
dans io plus folt asile , où le Démon se soit
retranché dans cette Province , et d'en ouvrir
la poi Le aux hommes Apostoliques qui vien-
dront travailler à la conversion de toutes ces
Nations barbares , dont on ne sait pas encore
les noms. Il n'y a aucun chemin qui y con-
duise ; toutes les avenues en sont fermées
par d'épaisses forêts qui paraissent impéné-
trables , où il faut se conduire la boussole à
la main , pour ne pas s'y perdre. Enfin ce
Pays, oii jusqu'à présent personne n'a encore
mis le pied, est le centre de l'infidélité j d'où
ces barbares sortent souvent en très-grand
nombre , et désolent toutes les Province»
voisines. Je m'attends bien que les Indiens
qui m'accompagneront pour percer ces épais-
ses forêts , ne tarderont pointa m'abandonner
si ces infidèles nous attaquent ; cl quand il^
auraient le courage de tenir ferme , quelle
pourrait être la résistance d'un contre cent ?
Je serai donc le premier en proie à leur
ET r. l'R I t f Sr S. l'.J
furour , mais je mets louie ma confiance on
Dirii , qui disposera ilc tout pour s.n plus
^i.iiule gloire, et (|ui , si c'est sa volonté,
]>eut de CCS pierres faire naître des enfans
ti'Abraliam. S'il me conserve, je crois (juc
j'auiai ;i vous éciin- hien «les choses c;ipa))!cs
«le vous faire plaisir, el de vous édifier. J'ai
Lesoin plus (jue jamais du secours de vori
prières , sur-tout à l'Autel , et dans vos saints
Sacrifices , en l'union desquels je f uis , avec
respect , etc.
ÉTAT PRÉSENT
De la Province de Paraguay » dont on a
eu connaissance par des lettres '?>enitcs de
Jjuenos-yïy rcs , datées du uo de Février
1^33 j traduit de L'Espagnol.
JLjes connaissances qu'on a enostoul récem-
ment de la révolte des Peuples de la Province
de Para^/iay, contrôle Roi d'EspajjnCj leur
Souverain , consistent en une lettre que le
père' JérAme Ilerran , Provincial des jMis-
^ionnaires Jésuites établis dans cette Pro-
vince , a écrite h Monseigneur leMarquisde
Castel-Fuerte , vice-Roi du Pérou ; en une
courte relation de ce qui s'est passé depuis
la date de sa leiirc , cl dans une lettre que
le Père Ilerran a rcruc du vice-Roi , avec
l'atièiédu Conseil Royal de Lima, Capl-
Tak- du Pérou.
F 3
126 Lettres éditiantes
LETTRE
Du Révérend Père Jérôme Herran , Pro-
vincial des Missions de la Compagnie de
Jésus dans la Province de Paraguay , à
son Excellence Monseigneur le 3Iarquis
de Castel-Fuerte , vice-Roi du Pérou.
Monseigneur,
Ce n'est qu'en arrivant dans la ville de
Cordoue, que j'appris la révolte des Peuples
de la provinee de Paraguay, lesquels , eu se
doiinaut le nom de Communes , ont caassé
Don Ignace de Soroeta , à qui vous aviez
confié le gouvernement de cette Province. Je
me suis mis aussitôt eu chemin pour aller
visiter les trente peuplades dludiens qui
sont sous la conduite de nos jMissionnaircs ,
et dans la dépendance du Gouvernement de
Buenos-yljres. A mon arrivée dans ces peu-
plades , je sus avec une entière certitude ,
que les relîî'.lles s'étaient unis euyemhle , pour
déposer les OOiciers de la justice Royale et le
Commandant des lijoupes. Voici àquelleoc-
casion celle révolle devint presque générale.
Don Louis lîareyro. Alcade ordinaire et
Président de la Province , ayant [uis le des-
sein d'étoulVer les premières semences d'une
révolle naissante , demanda du secours au
Commanf^nnl «les troupes , qui vint en ( lli t
nvrc un iioinli'e suni^.itit Av sf'ltl.ils , pour
1 iMli.iiri'eux J|Mi roniincnciirnl :i \v\ er IVteu-
(l.iiilile la réhrilion. I.e PiésicK ni se voyant
.lin»! soutenu , (il faire <l«*.s inforninlinns con-
tre les cou|»Hi)les , et avant certainrmonl
j onmi par res infornialions les cliets et les
coinplircs de la révolte , il les fil arrùlcr et
les cuiulanina à la mort.
Lorsqu'on fut sur le point d'exécuter la
sentence , le Commandant auquel on avait
cru pouvoir se fier , mais qui dans le cœur
trahissait les intérêts <le son Piince , au lieu
d'appuyer la Justice , ainsi (fu'il était de son
devoir et qu'il l'avait pioniis, passa toul-à-
coup avec ses troupes dans le j)arti des rebel-
les , les (ît entrer dans la capitale , et pointn
le canon coutie la maison <le Ville , où
étaient le Président et (luelques llégidors ,
zélés serviteurs du Hoi.
Les rebelles étant entrés dans la Ville sans
la moindre résistance , se partagèrent dans
tous les (juartiers , pillcicut les magasins et
les maisons de ceux (jui demeuraient fidèles
il leur Souverain , les traînèrent avec igno-
minie dMis les prisons, ouvrirent la prison
])ul)li([ue «-ten firi-ut sortir comme en triom-
plie ceu\([ui avaient été condamnés à moit.
De plus ils ordonnèrent , sous peine de la
vie, qu'on leur présentât toutes les informa-
tions du procès criminel , et ils les firent
Lrùler dans la place publitiue.
AjMvs s'être rendus ainsi les maîtres sans
qu'il y ciil eu une goutte de sang répandu ,
F 4
128 Lettres îïdi fiante s
ils établirent une Justice qu'ils eurent l'inso-
lence d'appeler Royale. Ils donnèrent les
premiers emplois à trois des principaux chefs
delà révolte, qui avaient été condamnés à
mort 5 ils firent l'un Alfercz Royal , ils don-
nèrent à un autre la charge de Régidor, et
le troisième ils le nommèrent Président.
Don Louis Bareyro ne put mettre sa vie
en sûreté que par une prompte fuite , et ce
ne fut qu'après avoir essuyé bien des fatigues,
et avoir couru plusieurs fois risque de tom-
ber dans les embuscades qu'on lui avait
dressées , qu'il arriva hevireusement dans nos
picupladcs. Les autres Régidors se réfugièrent
dans les Eglises , où néanmoins ils ne se
trouvaient pas trop tranquilles , parla crainte
continuelle où ils étaient , que les rebelles
ne vinssent les arracher de ces asiles , ainsi
qu'ils les en menaçaient à tout moment.
Leur dessein était de faire irruption dans
nos peuplades, et sur-tout de s'emparer de
quatre de ces peuplades les plus voisines 5
savoir, de celle de Saint-Ignace, de celle do
Notre-Dame de Foi , de celle de Sainte-Rose,
et de celle de Sant'Iago; persuadés que sî
elles étaient une fois dans leur pouvoir , on
ferait de vains efVorts pour les soumettre. En
clfel , s'ils possédaient ces peuplades , ils
dcvientlraient les maîtres du grand llcuvc
Parana et de JVeembucu qui est un marais
de deux lieues , inaccessible à la cavalerie ,
où avec une poignée de gens ils arrêteraient
tout court les nombreuses troupes que Votre
Eîiccllcncc pourrait envoyer pour les réduire.
îîT r URicrsis. i'»9
J^avais prcvu de honnr hrurc leur dossoin ;
c'est j)oui(|Uoi à runn pass.Ti;e pnr Bttrnos-
yf)i'rf , i'rn cnulVi;ii avec Monj^tii^inur I)on
liriino lit /avala , (iouviTiu-ur de t ctti' Ville ,
cl de- loiil If l*ays où se IrouvtMit nos Mis-
sions. Selon ses ordres qu'il m'a confirmés
dans la suile par plusieurs <le ses lettres , on
a f.iil choix , dans eliaeune des peuplades ,
d'un nombre de bra\es Indiens , pour en
former un petit corps d'armée capable de
s'opposer aux entreprises des reljclles,
()u j>eutcomptersurla fidélitédcs Indiens,
»t sur leur zèle pour tout ce (|ui est du scr-
>iee du Roi ; ils en ont donné depuis cent
ans des preuves éclatantes d.tns toutes les
occasions qui se sont présentées ; et entre
autres il y a peu d'années qu'ils cliassèrent
les Porlupais de la colonie du S.iinl-Sacre-
Tiient , éloignée de nos peuplades de ])lus do
deux cens lieues • ils v signalèrent leur valeur
et leur constance dans les travaux et les dan-
4;ers inévitables d'un assez lonj; siège, sons
que pour leur entrelien il en ail coulé u\u:
seule réale aux finances du Roi.
Ce corps d'ïndie;js bien armés et prêts ;'i
a (Trou ter tous les périls , commence à donrrcr
de rinr[uiétiidc ajx rebelles ; ils se sont
adressés à Monsei^neui- notre l'^véque, et liû
ont protesté < u'il^ élnienl fidèles sujets <îu
Roi, qu'ils n'avalent garde de vouloir rifu
entreprendre sur les peuplades, et ({u';!insi
ils le priaient d > m'engager ii renvoyer les
Indiens ebi z eu\.
L'arliûcc était grossier , aussi n'y fil-oa
F 5
i3o Lettres édifiantes
nulle atlrnlion ; il ne convenait pas de désar-
mer les Indiens , taudis nue les rebelles ne
cessaient pas d'être armés , que les gramls
chemins étaient couverts de leurs soldais qui
eonimcttaient toute sorte d'hostilités , et
otaientà la X'illetouteconimunicationavechs
Payscirconvoisiiis, et que même ils portaient
l'audace jusqu'à intercepter les lettres de leur
Evéque et les miennes , dont ils fesaicut
ensuite publiquement la lecture.
Les rebelles voyant qu'on n'avait pas donné
dans le j>iége (ju'ils avaienldressé , s'avisèrent
d'un stratagème plus capable de déguiser la
perfidie et la d;q)îicilé de leur cœur , etd'asau-
rer les Indiens de leurs intentions pacifiques.
Les chefs qu'ils avaient mis en place rendi-
rent visite h iNlonseigncur l'Kvè'jue , et l'abor-
dant avec le ])lus profond respect et avec Ks
apparences du repentir le plus vif et le plus
sincère, ils le supplièrent de suivre les mou-
vemens de sa tendresse pastorale , en s'inté-
ressant pour eux auprès de Votre Excellence ^
d(; lui demander leur grâce , et de l'assurer
qu'ils étaient entièiemeul disposés à rentrer
dans l'obéissance , qui que ce fût qu'on leur
envoyât pour Gouverneur, fut-ce Don Diego
de Los-Reyes. «Nous avons, ajoutèrent-Ils ,
yi une autre pi ière h faire à Votre Seigneurie
» illustrissime , c'est d'ordonner une neu-
5) vaine en l'honneur des Saints Patrons de
M la Ville, avec des proces.-.ionsetdes œuvres
» de pénitence , afin d'obtenir un heureux
« sucrés de la démarche paternelle qu'elle
D veut bien faire en nolJC favour, »
r T r f 1 1 r f s t;s. i.>i
Lr Prélnt fui infinimfui consola ilc trouver
diins 1piii*s Cd-iin de si s;iinirs <lis|H».sUions ;
sa droitmr nntiirtllc tic lui pcrinit pas de
sonprnnniT qu'(»n m iniposAt ;i son zMc. L.i
ncuvainc coinnirnrn , et un si sniiit ictnps
fut cmplové par Irs rohclirs h mit* ux nfl'i rmir
leur conspiration. Ils cntrrrrnt d.ms la Villo,
non pas pour assi.strrauv prétlirniious , ;i In
jnoiTssion , ri aux prières pul>li(|uc5 , mais
cl.ins le dessein de cliassLT li's .lésuiles de leur
(Collège, ainsi qu'ils rexéeuloienl le ly de
Février de celfo présente année,
I^a srnlenre(ie mort que Voire Excellenec
n prononcée conlr»- Don .losejdj Antequera et
I)ou Juan de Meua son Procureur , et qui a
éié exécutée selon ses ordres, leur a s«*rvi de
prétexte à former de nouveaux complots pour
animer les Peuples , et les porter à celle
sacrilège entreprise. Ils ont irpanHn de tous
côtés que ,par le moyen de leurs .'.nidé-;, ils
avaient entre les mains toutes vos procédures:
ils les ont revêtues des ciiconstances les plus
odieuses, enir'aulres que Votre Excellence
avait achevé d'instruire lepiocès de ffiiatorzc
d'entr'eux , qu'elle les avait condamnés à
mort , et qu'elle avait nommé un Ovdor de
l'Audience royale de Los Chcircos pour ca
liAier l'exécution. Et afin d'assouvir Ieurrf\£;e
contre les Jésuites , dont le zèle et la fidélité
les importune et traverse leurs desseins, ils
ont pul)lié que ces Pères étaient les moteurs
cl les inslij;ateurs de toutes les résolutions
que Votre Evellence a prises.
Les esprits s'étanl cchaufTés par toutes ces
F 6
iSî» Lettres iDiTiANTrs
impostures, ils allèrent vers le raidi au CoHégi»
au nombre de deux mille cavaliers j poussant
des cris pKiris de fureur ; ils en rompirent
les portes a grands coups de haches , y entrè-
rent à cheval , saccagèrent la maison , et
emportèrent toiU ce qui se trouva sous leurs
mains ; ils en firent sortir les Pères avec tant
de précipitation , qu'ils ne leur donnèrent
pas le temps de prendre leur Bréviaire , ni
d'aller dans leur Eglise pour saluer le saint
Sacrement , et le mettre à couvert des profa-
nations qu'on avait lieu de craindre.
Monseigneur l'Evêque ayant appris ces
sacrilèges excès , déclara que les rebelles
avaient encouru l'excommunication, et or-
donna d'annoncer l'interdit par le son des
cloches. C'est néanmoins ce qui ne s'exécuta
point, car plusieurs des rebelles entourèrent
la tour où sont les cloches , et défendirent
d'en approtlicr, sous peine de la vie , tandis
que d'autres postèienl des gardes autour du
Palais Episcopal , avec ordre à leur Evêque
de ne pas raellre les pieds même sur le seuil
de sa porte.
Votre Excellence apprendra ce qui s'eslb
passé depuis par les lettres que ce Prélat m'a
adressées y pour faire tenir à Votre Excel-
lence ; elle verra que n'ayant pas même la
liberté de punir les attentats commis contre
sa personne , il a été forcé de lever lexcom-
inuuicaiion, et elle jugera par-là du pitoya-
ble étal où est celte Province, et du peu de
religion de ses habitans.
Cci rebelles non coalcns d'avoir chassé les
F. T r. iRirrsrs. iSj
Jt'siiitrs (K> li'ur maison cl tir la Villt* , les
chaNsèicnt cMiromlc la l'icivinto , vl 1rs Irai-
«iMfiii )us«ju'h celle <le Huenos-Ayres. C«'prn-
ilaiil nos Indirns en armes au nombre do
s«-j)l mille , font lionne parcle à tous les
pa^saijes (|ui peuvent donner entrée dans leurs
peuplades, elils sont résolus de mourir plutôt
que de perdie un ponce de terre. C'est ce
qui a arrêté les rebelles , el qui les empêche
de passer la rivière l'ilnqunri , laquelle sépare
la Province de Buenos - Ayrcs de celle de
Paraguay.
Les Indiens scmaintiendiont toujours dans
ce poste, à moinsqu'il neleurviennedesordies
contraires de Votre Excellence. Elle peut
s'assurer de leur lidélilé et de leur bravoure;
et quoif[ue h-ur petit nombre suflisc pour
s'opposer aux entreprises des révoltés , dans
une guerre (|ui de leur part n'est que défen-
sive , cependant si Votre Excellence a besoin
d'un plus £;rand nombie de troupes pour le
service ilu lloi , elles seront prêtes à se mettre
en campagne au premier ordre de Votre
Excellence, sans qu'il soit nécessaire de tirer
de la caisse Royale de quoi fournir à leur
subsistance, car nos Indiens que le Roi adis-
tin|;ués d«' tous les autres Indiens du Pérou ,
par les privilèges et lesexem[)tions qu'il leur
a accordés, ont toujours servi et continueront
de servir Sa Majesté sans recevoir aucune
solde.
J« n'avanre rien à Votre Excellente du
courage el de la valeur de ces l*cuples, dont
je n'aie été moi-uième le témoin. Je leur ai
} ?)4 Lkttkes Éniri». nths
MTvi d'Aumônier pendant huit ans de suite,
dans les guerres qu'ils ont eues avec les
Indiens barbares Guenoas , Bohmies , Char-
mas et Yaros , qu'ils défirent en bataille
rangée , et qu'ils mirent en déroute. Le suc-
cès de ces expéditions fut si agréable à Sa
Majesté , qu'elle leur fit écrire pour les re-
mercier de leur zèle, et pour leur témoigner
combien elle était satisfaite de leurs services.
Si j'insiste si fort sur le courage des In-
diens , c'est pour rassurer Voire Excellence
contre les discours de certaines personnes
qui , ou par une fausse compassion pour les
coupables , ou par une mauvaise volonté pour
le Gouvernement , s'efforcent de rabaisser
la valeur Indienne, et d'exagérer les forces ,
le courage , et le nombre des habitans de
Paraguay , pour persuader à Votre Excel-
lence qu'il n'y a point de ressource contre
un mal qui devient contagieux de plus en
plus parla lenteur du remède, et qui gagnera
insensiblement les autres Villes.
Je crois toutefois devoir représenter à
Votre Excellence , que si elle prend la réso-
lution de réduire celte Province par la force
des armes , il est ;i propos qu'elle envoie un
corps de troupes réglées , et commandées par
des Chefs hal)iles et expérimentés. Deux
raisons me portent à lui faire celte repré-
sent^Ttion.
La première , c'est que ce corps d'Espa-
gnols sera comme lame (jui donnera le mou-
vement à l'armée Indienne j car bien que
les Indiens soient intrépides, accoutumés à
ETC. mitUSFS. i3j
l»ra>cr les péril», i!» ii'out pas assez. «Vrxpé-
riciiif <li' la^iu'rrc , ri Irur loi n* au^iiicntcra
tir iiiultii- , lot .s<|u'il.s sciont assujétis aux
iuis ilu la di>c iplitic militaire.
L'autre ral.soii est , qu'après avoir fait ren-
trer citJ«- |'ro\ iuce dans l'oijt'i.s.sauoe qu'elle
d(»il à bou Kui , il faut y inaiuti nir la trau-
({uillilé, et airaclur juxju'a la racine les
seiurnces de toute ré\olle, ce qui ne se peut
pas faire, h moins que le Gouverneur qui
y sj-ra placé par Votre Kxcellence n'ait la
lorte en main pour se fair»,* respecter et
oht'ir.
Je suis con\aincu qu'aussiiùt que les rc-
lielles apprendront que les troupes s'avan-
cent pour leur faire la {guerre, leurs Chefs
et ceux «jui (»nt fonienlc la rébellion , se
^oYaMt trop faihles pour se défendre, fui-
ront au plus vite dans les montagnes, d'où
ils tiendront la Province dans de continuelles
alétruies. Il «"st donc nécessaire qu'on y
entretienne , pendant quelque temps, une
garnison de troupes réi;lées , (jui soient aux
firdres et sous la conduite du Gouverneur,
afin <|u'il en puisse disposer comme il le
juf^eia à propos, pour le plus grand service
de Sa ^Iaj(;slé.
Je me suis informé de Don Louis Bareyro,
qui s'est réfugié dans nos peuplades , (juel
])OU\ait être le nombre des liahilans qui
font sur la fronlièi e de la Province de Para-
guay : il m'a réjj.>ndu ([u'élani l'iiunée der-
nière Président de celle Pro\ince, il avait
fait faire le déoonibrcmcnt de tous ceux qui
i36 Lettres édifiantes
étaient capables de porter les armes , et que
ce nombre ne montait qu'à cinq mille hom-
mes; mais il m'assure que maintenant il n'y
en a pas plus de deux mille cinq cens, qui
soient en état de faire quelque réaistaaceaux
forces que Votre Excellence enverra pour
rétablir la paix. Il m'a ajouté que bien que
les rebelles paraissent résolus de faire face
à vos troupes , et de se bien défendre à la
faveur du terrain qu'ils occupent , ils ne
verront pas plutôt approcher votre armée y
qu'ils s'enfuiront dans les montagnes.
Tel est, Monseigneur, l'état où se trou-
vent les rebelles de la Province de Paraguay,
c'est-à-dire, presque tousses hal)itans, et
ceux-là même que la sainteté de leur pro-
fession oblige de contenir les Peuples, par
leurs prédications et par leurs exemples ,
dans l'observance des lois Divines et Ecclé-
siastiques , et dans l'obéissance qu'ils doivent
à leur Souverain : on n'y voit plus que
lumullc et que confusion ; on ne sait ni qui
commande ni c[ui obéit \ on n'enlend parler
que de haines mortelles, que de pillages et
de sacrilèges.
Monseigneur l'Evêquc a travaillé avec un
7-èle infatigable pour arrêter tant de désor-
dres : mais son zèle et ses travaux n'ont eu
aucun succès auprès do ces hommes p<'rvers,
qui , comme des frénétiques , se sont jetés
avec fureur sur le Médecin charitable, qui
applifjuail le remède à leurs maux. Ils ont
traité indignement sa personne , ainsi que
Votre Excellence le vejra par ses Icllres, ou
HT Ct'Rir CSFS. t3^
il cvpo.so li-> raisons qui l'ont forcé d'nhsou-
drc de rcxconiniuuic.-ition les sar ri loges (|ui
ont profan»' Ir lii'u Saint cl violé l'immunité
Kft It'siastifju»'. Il fsl vrai (|u'il n'a r\igé
lî'fux aut-une satisfaction : mais en pouvait-il
tsjM'rcr de gens ol)5tincs dans leurs crimes,
qui , pnr leurs menaces, par leurs cris et
par les expressions impies ([u'ils avaient con-
tinuellenuMit à la hoiK lie , ne fesaient (|ue
trop craiiulie (-itriis n'en vinssent ju6(ju'à
secouer tout-.i-fail le joug de l'obéissance
qu'ils doivent à l'Eglise ?
Dieu veuille jeter sur eux des regarda
de miaéricoid»* , et les éclairer de ses divines
In mièi es , afin fju'ils reviinncnt de leur aveu-
glement. Je prie le Seigneur (ju'il conserve
Votre Excellence pendant plusieurs années ,
pour le bien de l'Etat et pour le rétablis-
sement do la trancpiillité troublée ])ar tant
d'ofl'enses conimises contre la Majesté Divine
et contre la Majesté Royale , etc.
Depuis la date de cette lettre , nos Indicng
se sont toujours tenus sous les armes , el
gai dent avec soin le poste où ils sont placé?
sur les bords de la rivière Tibiçitari. Cepen-
dant les Communes de Para^juay sont dans
de grandes inf{uiéludes, causées ou par l'am-
biti<^>n des uns (jui voudraient toujours gou-
verner , ou par la crainte c[u'ont les autres
d(;s résolutions que prendra Monseigneur
notre vice-Roi , pour punir tant d'excès , el
une désobéissance si éclatante.
Mais ce qui les inquiète encore davantage ^
l38 LETTRES ÉDIFIANTES
c'est de voir , dans leur voisinage , l'armée
des Indiens Guaranis , prête à exécuter sur
le cliamp les ordres qu'on jugera à propos
de lui donner. Il n'y a poiat de moven que
CCS rebelles n'aient employé pour persuader
à nos Indiens , qu'ils n'avaient jamais eu la
pensée d'envahir aucune de leurs peuplades,
ni de commettre la inoindre hostilité h leur
égard ; qu'ils devaient compter sur la sincé-
rité de hurs paroles, et se retirer dans leurs
habitations sans rien craindre de leur part.
Ces démarches n'ayant, eu nul succès , ils
eurent recours à Monseigneur notre Evêque,
et le prièrent , fort inutilement, d'interposer
son autorité pour éloigner les Indiens. Knfin
ils députèrent deux de leurs Régidors vers
l'armée Indienne , pour lui donner de nou-
velles assurances de leurs bonnes intentions,
et lui protester qu'ils n'avaient jamais eu le
dessein de rieu entreprendre contre les peu-
plades.
Toute la réponse qu'ils reçurent des In-
diens , fut qu'ils occupaient ce poste par
l'ordre de INIonseigneur Don Bruno de
Zavala leur Gouverneur , afin de défendre
leurs terres et de prévenir ton.ite sur[)iise ,
et qu'ils y demeureront constamment, jus-
qu'à ce qu'il vienne des ordres contraires
de la part ou de son Excellence, ou di- INIon-
seigneur le vice-Rui ; que du reste les habi-
tans de Paraguay pouvaient s'adresser à l'un
ou h l'autre de ces Messieurs pour en ob-
tenir ce qu'ils paraissaient souhaiter avec
tant d'ardeur.
FT Cll\ IF. ISFS. f^Q
Los ilt'putca s'fU rcloiniHicnl pru coniciis
du succès (le leur iu''i;i>ci.ilioii , cl encore
plus iuijuiets (|u'au]>ar:i\aut , |)ai'ce cju'ils
avaient été témoins oculaires de la bonne
(li>|)osition tic ces troupes , de leur nonil<ri' ,
de leur valeur et de leur ferme re.-<.)lutioii
à ne pas désemparer du poste tprelles occu-
paient.
Dans crscircoust.iiicrs, il me f;illut visitor
la Province pour remplir les obligations de
ma Charge. En arrivant à lkiei.os-Aj> res ,
j'appris (jue les Peuples de la ville de Las-
Cuiicntes avaient imité rexemjjle des liabi-
tans de Paraj^uay , et étaient entrés dans kur
révolte sous le même nom de Cuinniiines.
Voici à quelle occasion leur soulèvement
éclata.
Monseigneur Don Firuno avait donné
ordre à son Lieutenant de cette Ville, d'en-
voyer un secours de deux cens hommes aux
Indiens campés sur les ]>ords de 'J'ibiquari y
au eas que les rebelles de Paiaguay se pré-
parassent à quehjue entreprise. Comme le
Lieutenant se mettait en devoir d'exécuter
cet ordre, les habitans l'emprisonnèrent en
lui déclarant (|u'ils étaient frèifsel ami^ des
paraguayens , et unis d'iiitérèls avec eux pour
la conservation et la délense de leurs droits
et de leur liberté. Ensuite, soit par crainte
que le prisonnii-r n'(cha|'|);\t de leurs mains,
soil dans la vue de mieux cimenter leur
iinion réeij:roque, ils (ireiii conduire ceLieu-
lenanl sur les terres de Paraguay , pour y
être eu plus sûre garde. Us eurent même
i4.o Lettres édifiantes
l'audace d'envoyer des Députés à Monsei-
gneur le Gouverneui' de Bucnos-Ayres ,
pour lui rendre compte de leur conduite ,
et lui faire entendre qu'il devait donner les
mains h tout ce qu'ils avaient fait pour le
grand service du Roi , et confirmer le nou-
veau 5^ouv»'rncment des Communes , approu-
ver les OiFiciers qu'ils avaient établis , et
abandonner à leur République le droit de les
déposer ou de les placer selon qu'elle le juge-
rait à propos. Un pareil discours fit assez
connaître que ces Peuples avaient secoué le
joug de l'Autorité souveraine , et voulaient
vivre dans une entière indépendance.
Cependant les Paraguayens charmés de
trouver de si fidèles imitateurs, ne tardèrent
pas à leur en marquer leur reconnaissance :
ils leur envoyèrent deux barques remplies de
soldats pour les souleuir dans ce commence-
ment de révolte , et les attacher plus forte-
ment aux intérêts communs. En même-temps
ils rassemblèrent leurs milices , et firent
descendre la rivière à deux mille de leurs
soldats, commandés parle Capitaine-Général
de la Province. Cette petite armée parut à la
vue du camp de Tibiquari ^ et s'y maintint
jusqu'à la nuit du i5 de Mai, qu'une troupe
de nos Indiens passa la rivière h gué , donna
vivement sur la cavalerie qui étuit de trois
cens hommes, elles amena au camp sans la
moindre résistance. La terreur se mit dans
le reste des troupes Paraguayènes , qui cher-
chèrent leur salut dans une fuite précipitée.
Deux de nos Indiens eurent la hardiesse
ETCCRini'srs. 141
d'aller jusqu'à la villi; do l'Assomption , et
«près vn avoir reconnu l'assiette , lesdinéren-
tes entrées et sorties de hi place , les di\ erses
routes qui y conduisent, ils s'en retournèrcnl
sains et saufs au camp , où ils firent !«• rap-
port de ce qu'il* avaient vu et examine.
Les choses étaient dans cet état , lorstju'on
apprit que IMonseif;neur le vice-Roi avait
nouinié Don Isidore de Mirones et Benévcnté
pour Jugc-r.ouvcrneur,el Capital ne-(iénéral
de la province de l^araguay : ce Genlilhonime
avait la contlance du vice-Roi, et il la méri-
tait par son habileté et sa sagesse , dont il
avait donné des preuves toutes récentes, ea
pacifiant avec une j)riidence adiniraljle les
troubles de la province Cochabuinba dans
le Pérou. 11 marchait à grandes journées , et
approchaitdcla provincede Tuciiman ^ lors-
qu'on arrivant il Cordoue , il recul un contre-
ordre , parce (|ue Sa Majesté avait pourvu
du (iouvernetncnl do Paraguay Don INIanuel
Augustin de llui loba de CaldoroUj Capitaine-
Général de la garnison do Calhio. Le vice-
Roi lui ordonna do partir en toute diligence ,
et do pi*c\i'nlr à l'heure mémo par ses lettres
le Gouverneur do liuenos-Ayres , afin qu'à
sou arrivée dans ce port il trouvût tout prêt,
et qu'il put sans aucun retardement se rendre
à son Gouvernement avec les troupes Espa-
gnoles et Indiennes , ([ui doivent l'accom-
pagner pour réduire celte Province et la
«ounieltre à l'obéissance de son légiliinç
Souverain.
i42 Lettres épi liantes
LETTRE
De Monseigneur le Marquis de CnstcU
Fuerte , ince-Roi du Pérou , au Jiivérerid
Père Jérôme Herran , Provincial des
Missions de la Province de Paraguay.
Mon révérend père,
J'ai l'eçu la Lettre que votre Révérence
m'a écrite le i5 Mars , où elle expose dans
un grand détail ce qui s'est passé dans la
province de Paraguay , la reLellion de ses
liahitans , et l'état où se trouvent les Peuples
voisins de cette Province, afin qu'étant bien
informé de toute chose, je puisse v pourvoir
de la manière qui convient au service de Sa
Majesté : c'est sur quoi je n"ai point perdu
de temps. Don Manuel Augustin de Tluiloba
Calderon , Commandant de In garnison de
Callao , a élé nommé par le Roi (iouverneuç
et Capitnine-Généralde la provincede Para-
guay : il part en toute diligence , après avoir
reçu les oidres que je lui ai donnés , pour
apporterle remède convenal)leà ces troubles.
Comme je connais votreatlarliement pour
la personne \\u Roi , et le zèle avec lc(iuel
vous vous portez à tout ce qui rst au service
de Sa Majesté, je ne doute point que vous
ne contiuuyez d'apporter tous vos soins , et
de tirer des peuplades de vos Missions les
ET c r RI El' srs. 145
•fcours né<;cs.sairi's , pourlacililorau nouvrau
Gouvernpur rcxéciiliou de m's ordres,
La Lrllrc ci-joiulo adressée à rKxcellen-
tissinie S«'if;rieur Don liruiin Za\;il;i , eon-
tieiil des fudus (|u'il doil c\éeiiliid';i\ ;im e,
aliii (|ue J)ori Manuel de Kuiloha trouve
toutes choses prèles à son arrixée et puisse
agir dans le moment. Faites paitir eeite
Lettre par la voie la plus sûre et la plus
rouite, afin (jurlK-soil remise prompuim-nt
audit Seiyneiir Don Hruno, ainsi qu'il con-
vient au service de Sa M:ijeslé.
Faites part aussi de ce que je vous mande
1 Monsei^iu'ur l'Kvèque , en lui niarcjuant
combien je suis satisfait de sa conduite, et
du zèle avec lequel il a servi Sa Majesté.
Oue le S«-igneur cons»'rve plusieurs années
\ otre Uévénncecomnie je le désire. A I/ima ,
le 'iff de Juin 1-32. Le Marjjuisde Castel-
1" L tKTE.
COPIE de l'acte dressé dans le Conseil
Itoyul de Lima.
D
vNS la villt! de Los-Reyes du Pérou , le
:k\ de Juin de l'année l--^'*, funnt préseiis
dans leClonsiil ]{oval de Justice Lxccllentis-
sinie Seigneur Don Josepli di- Ai maiiil.ii iz ,
AIarquisdeCaslel-Fuerle,C.ipili«ini-(^iéuéial
des armées i\u Iloi , vice-lloi , Gouxcrneui-
cl (Japilaiuc-Gcuciai de j)ti Ku}auiiics du
i44 Lettres ÉDIFIANTES
Pérou ; et les Seigneurs Don Joseph de la
Concha , Marquis de Casa Concha -, Don Al-
varo deNavia Bolanoy Moscoso; Don Alvaro
Cavero ; Don Alvaro Quitos ,• Don Gasnar
Ferez Buelta ; Don Joseph-Ignaeede Avilès,
Président et O ydor de cette Audience Royale,
où assista le Seigneur Don Laurent Antoine
de la Puente son Avocat fiscal pour le civil ;
lecture fut faite de difTérentes Lettres et
autres papiers envoyés à son Excellence , qui
informent des troubles suscités dans la pro-
vince de Paraguay par différentes personnes ;
laquelle lecture ayant été entendue, et après
de mûres réflexions sur l'importance des faits
que contiennent ces Lettres , il a été résolu
qu'on prierait son Excellence d'enjoindre au
Père Provincial delà province de Paraguay,
ou en son absence à celui qui gouverne les
Missions voisines de ladite Province , de
fournirpromptement au Seigneur Don Bruno
de Zavala et à Don Manuel Augustin de
Ruiloba , Gouverneur de Paraguay , le
nombre d'Indiens Tapes et des autres peu-
plades bien armés qu'ils demanderont pour
forcer les rebelles à rentrer dans l'obéissance
qu'ils doivent à Sa Majesté, et exécuter les
résolutions que Son Excellence a prises de
l'avis du Conseil. Son Excellence s'est con-
formée à cet avis. En foi de (juoi , conjoin-
tement avec Icsdits Seigneurs, elle a paraphé
la présenl(\
Don Manlt.l-François Furnandez de Pare-
»ES , premier Secrétaire du Conseil, pour-
.lesafïaires du Gouvernement et delà Guerre.
îklÉMOIRE
ET CURIEUSES. '|J
MÉMOIRE
yinologètiquc tUx Missions établies par les
Pères Ji'suitvs ddtt.s 1(1 Province de Para-
guay f présenté au Conseil Royal et su-
prême des Indes , par le Père Gaspard
Rodero , Procureur-Général de ces Mis-
sions ; contre un Libelle dijjamatoirç
rempli détails calomnieux ^ qu'uny/no-
riyme étnmi^er a répandu dans toutes les
parties de l'Europe. ( Traduit de l'Espa-
gnol. )
U:
N Ecclésiastique étranger, qui avait sans
doute ses raisons pour cacher son nom et sa
patrie , parut en cette Cour cVEspajjne cq
l'année i^ i5. Il trouva le moyen d'approcher
de la personne du Roi, et de lui présenter
un Mémoire où il renouvelait les anciennes
calomnies dont on a tâché de noircir les
IMissionnaires du Paraguay, et suppliait Sa
^Majesté de lui donner les pouvoirs nécessaires
pour remédier au prétendu désordre de ces
ISlissions , et pour travailler à la conversioa
des Nations infidèles répandues dans ces
vastes Provinces. Le Roi eut à peine jeté les
yeux surcct écrit, qu'il aperçut la malignité
de l'accusateur , et la fausseté de ses accusa-
tions , où la vraisemblance n'était pas même,
gardée ; c'est pourquoi , non content de reje-
ter cet indigne libelle , il porta un nouveau
Tome IX. G
ifl6 Lkttres ÉniriANTEs
décret l'année suivante 1716, par lequel il
oi'ilonnait de conserver aux Indiens de ces
IMissions , tontes les i^rAces et les privilèges
f[ue les Rois ses prédécesseurs leur avaient
accordés. On trouvera ce décret à la fin de
ce Mémoire.
Le jugement d'un Prince si éclairé et si
équitable devait faire rentrer en lui-même
l'auteurdu libelle: sa passion n'en futque plus
jrritée. Il retourna en France , où il fit impri-
mer son écrit en Français et en Latin : il le '
répandit en Angleterre, en Hollande et dans
la Flandre, où il fut reçu avec applaudisse-
ment des g<.'ns animés de son même esprit,
et même de quelques Catholiques portés
naturellement h croire toutes les fables qu'on
imagine et qu'on débite contre les Jésuites.
Comme ce libelle avait indigné Sa Majesté
Catholique, et tous ceux qui, ayant vécu
dans ces Provinces éloignées , avaient été
témoins de ce qui s'y passe , il ne méritait
guères que les Jésuites y fissent attention.
Aussi n'en firent-ils pas plus de casque de^
tant d'autres contes satiriques que les enne-
mis de l'Eglise ne cessent de publier contre
leur compagnie.
Dix-huit ans après le mauvais succès que
cet infortuné libelle avait eu en Espagne ,
l'auteur ou quelqu'un de ses partisans, a cru
devoir le reproduire : les troubles arrivés eu
l'année 173'^ dans la Province de Paraguay
lui ont paru une occasion favorable pour le
remettre au jour traduit enlangueEspagnole,
et simplemcut en manuscrit ; comme s'il
r. T c UR i r. u SES. i47
s'Agissait d'une ilécouxerteloultTccenlequ'on
eùl fail tir la pivvaricalion «It's Missionn.'iircs.
L«*s A^ens dis liahiljiis de la ville de l'As-
S()ni]>tion , qui sont ù la suite de la Cour,
ont été le canal par où il a fail jiassrr son
«dit dans les mains d'un Seigneur de j^raud
mérite, et <|ui approche de plus près la per-
sonne de Monseijjueur li* Prince des Astu-
ries , ne doutant point qu'il ne lût commu-
ni(p>é A ce Prince , et (ju'à la vue de ces
j)riviléi;es accordés aux Indiens , cl qu'on
disait être contraires aux droits liérédilaires
de la Couronne , Son Altesse Royale n'inter-
j)osi\t son autorité pour les faire révoquer ,
et ne prlides impressions désavantageuses aux
Jésuites. Mais, <juoi(jue ce Seigneur ignorât
que ce Mémoire eùl déjà été rejeté du Roi ,
il en conçut l'idée que méritait un écrit, où
l'Auteur n'osait mettre son nom , et qui rap-
pelait d'atroces calomnies dénuées de preu-
ves , et tant de fois détruites depuis plus d'un
siècle par les témoignages les plus inéfra-
gahles.
L'acharnement de l'anonyme à décrier de
si saintes Mis.sions, et l'audace a\ec laquelle
il voudrait eu imposer ;i toute l'Europe, ne
permettent pas de diflérer plus long-temps à
le convaincre de ses calomnies par des preu-,
ves é\ ideutes, et auxquelles il n'y a poiui de
répli(jue.
Mais, avant que de répondre en détail à
chaque article de son libelle, il est à propo»
de faire reniaïquer en général comi)ien il
couaaîl peu la situation de ci-s Provinces^ la
* G -^
i/jS Lettres édifiantes
nature de leur climat, les fruits qu'elles pro-
duisent et la distance des peuplades. Selon lui
ce Pays est un Paradis sur terre , qui four-
nil en abondance aux Missionnaires de quoi
mener la vie la plus délicieuse. On voit bien
qu'il n'a pas éprouvé ce que l'on a à souffrir
tout-h-la-fois , et d'un climat brûlant où l'on
ne respire qu'un air embrasé, et de l'iiumidité
des terres causée par les vapeurs continuelles
qui s'élèvent du fleuve Parana , et qui retom-
bent en épais brouillards. Une pareille situa-
lion est sans doute fort avantageuse à la santé ,
et très -propre à rendre un pays fertile en
> iVuits délicieux.
A la vérité, les peuplades qui sont sur les
bords de V Uraguay ^ jouissent d'un climat
plus doux et plus tempéré. Comme elle»
sont à la liauteur de vingt-six degrés , elles
se sentent du voisinage de Bucnos-y/yres ;
les vents qui s'y élèvent répandent en l'air
une fraîcheur agréable : aussi voit-on que ,
pourvu qu'on cultive la terre , elle produit
une partie de tout ce qu'on trouve en Espa-
gne. On voyait le siècle passé des troupeaux
sans nombre de bœufs , de moutons et de
chevaux qui erraient dans ces vastes Cam-
pagnes, lesquelles s'étendent d'un coté jus-
qu'à la mer et au Brésil , et de l'autre côté jus-
qu'à Buenos-// y res et iï Monte- ndeo. IMais
maintenant tout est presque entièrement
ruiné , en partie par la sécheresse qui règno
depuis ({uel([ues années, et encore plus par
l'avidité des Espagnols, qui ont détruit tous
CCS besliau.x saus en retirer d'aulrc profil que
ET Ct'IilF. LStS. i%g
la graisse qu'ils ont gaidi-c pour eux, cl les
cuirs tloiit ils ont lait loniinerce dans loule
rKiiiope. Il faudra bien des années j»our
réparer celle perle. Il ne resle plus qu'une
ceriaine qunnlilé d'animaux doniesli<[ues ,
cju'oii conserve avec (;rand soin dans thiujue
jx'uplade , soil pour la nourriture di- srs Im-
j)iliins , soit pour les donner en ccli.inge des
autres choses dont ils ont besoin toutes les
fois que le Gouverneur de liutnos - yJyres
leur donne ordre do venir, ou pour cora-
ballre les ennemis de l'Etat , ou pour tra-
vailler Hux foi tilications des places do soa
Gouvernement , contme on le verra dans
la suite. C'esl sur ce premier fondement
que l'auteur du libtlb; établit d'abord les
grandes ricbesses qu'il suppose aux Mission»
Daires.
Il vient ensuite an prétendu commerce
qu'ils font de ce qu'on appelle l'herbe du
Paraguay , qui est si fort recherchée , non-
seulement des Peuples de l'Inde méridio-
nale, n)ais eneoie de toutes les Nations du
Nord. Il faut avertir d'abord que ce n'est
que sur les montagnes do Maracayu , éloi-
gnées de près de deux cens lieues des peu-
Îjlades du Paraguay, que croissent naturel-
einent les aibres qui produisent celle herbe
si estimée. Nos Indiens en ont absolument
besoin, soit pour leur boisson, soit pour
l'échanger avec les denrées et les autr«'s mar-
chandises qui leur sont nécessaires: c'est ce
qui a été sujet à de grands inconvéniens ; il
leur fallait passer plusieurs mois de raouée
G 3
i5o Lettres jIdîfiantes
à vojMger jusqu'à ces montagnes. Pendant
ce temps-là ils manquaient d'instruction : les
Tiahitations se trouvant dépeuplées , étaient
exposées aux irruptions de leurs ennemis :
de plusieurs mille qui partaient , il en man-
quait un grand nombre au retour : le chan-
gement de climat et les fatigues en fesaient
mourir plusieurs ; d'autres , rebutés par le
travail , s'enfuyaient dans les montagnes , et
reprenaient leur premier genre de vie, ainsi
qu'il est arrivé chez les Espagnols de l'As-
somption , qui ont perdu dans ces voyages
presque tous les Indiens qu'ils avaient à
leur service à ^o lieues aux environs de leur
Ville , et qui voudraient bien se dédommager
de ces pertes , en ruinant nos peuplades ,
pour s'approprier les Indiens qui y sont sous
la conduite des Jésuites.
Les Missionnaires , pleins de zèle pour le
salut de leur troupeau , cherchèrent les
moyens de remédier à des inconvéniens si
funestes : ils firent venir de jeunes arbres de
Maracayu , et les firent planter aux envi-
rons des peuplades , dans le terroir qui leur
parut avoir le plus de rapport avec celui de
ces montagnes : ces plants réussirent assez
tien , et de la semence qu'ils recueillirent , et
qui est assez semblable à celle du lierre, ils
firent dans la suite des pépinières. Mais on
a l'expérience que cette herbe , produite par
des arbres qu'on cultive , n'a pas la même
force ni la même vertu que celle qui vient
sur les arbres sauvages de Maracayu. C'est
de cette herbe, dit l'anonyme , çue les Je-
ETCLRItLSrS. l5l
suites font un commercé si considi'rnhle ,
guils i:n retirent plus de Soo.ooo piuslres
chaque année. Voilà ce qu'il ;ivau(c li.inll-
nicnl cl sans apporicr la moindre preuve.
Il prétend sans doute (juc , tout inconnu
qu'il veut être, il doit être cru aveuglement
6ur sa paiole. M.iis (jue ne dil-il du-nioins
dans quelle conliée des Indes les Jésuiles
font ce grand eonimcrce , avec quelles Xa-
lion» , et quelles sont les marchandises qu'ils
en retirent? Ce n'est pas certainement par
ménagement pour les Missionnaires qu'il
garde sur cela un profond silence.
Voici ce qu'il y a de certain : le Roi a
accordé aux Indiens de nos peuplades la per-
mission d'apporter eliaquaP année à la ville
de Sainte-Foi ou à celle de la Trinité de
Buenos-^iyrcs, jusqu'à ia,ooo arroLes (i)
de l'herbe du Paraguay. Cependant il est
constant, et par les témoignages qu'ont ren-
dus les OlTieiers du Roi^ et par les infor-
r.:r.;;oîîs jiiiidiques faites en l'année 1722,
qu'à peine ont - ils apporté chaque année
six mille arrobes de celte herbe : encore
ji'élail-ce pas de la plus fine et de la plus
délicate , qu'on appelle Caaniini , qui est
très-rare , mais de celle de Palos , <jui est
la plus commune. Il est conslant que le piix
courant de cette herbe dans les Villes que je
viens de nommer, tl à la recelte Royale où
se portent les tributs , est de quatre piastres
par chaque arrobe , et par conséquent, que
(i) L'arrobe pèse vingt-cinci livres.
G4
i52 Lettres édifiantes
ce que les Indiens emportenlne monte qu'à
vingt-quatre mille livres. Il est encore cons-
tant qu'on n'a jamais vu aucun Indieu de
ces peuplades vendre ailleurs de cette lierhe.
C'est donc tout au plus vingt-quatre mille
livres qu'ils retirent chaque année. Mais ce
n'est pas là le compte de l'anonyme ; il en
fait monter le produit à plus de 5oo,ooo
2:)iastres. Il suppose donc que les Indiens en
vendent i5o,ooo arrobes , et il ne fait pas
réflexion que le Paraguay entier ne pourrait
en fournir cette quantité à tout le Royaume
du Pérou.
L'auteur du libelle n'en demeure pas là :
dans le dessein qu'il a de décrier les Mis-
sionnaires , et tfe les faire passer pour des
gens d'une avarice insatiable , il' a recours à
une nouvelle fiction. Il prétend que cette
herbe et l'or que les Indiens tirent de leurs
mines produisent aux Missionnaires un re-
venu de Souverain. On ne peut compren-
dre qu'un Ecclésiastique qui se pique de pro-
bité , ose hasarder une pareille calomnie sur
un fait qui a été tant de fois examiné par
Tordre de nos Rois , et dont la fausseté a été
reconnue et publiée par les Officiers Royaux,
chargés d'en faire sur les lieux des infor-
mations juridiques. La ville de l'Assomp-
tion du Paraguay , ou , pour mieux dire ,
ses Magistrats avaient intenté deux fois cette
accusation contre les Missionnaires ; mais
ils furent convaincus d'avoir avancé une
l'ausseté manifeste , et déclarés calomnia-
leuri par deux Sentences juridiques , l'une
de Don André df Li'ou (^.iravito en l'onnée
1(140 , vi l'autrr en l'année x^it-j , dr Don
Jfan Blnsfjuf?, Vnlv<rdi', Oydord«* l'audirnce
Kovalr de lus Cfiitrrtis , <|ui , par ordr»' de
S.i M.ijeslé, av.-iil f.ul la visili- de c«'tlt' Pro-
\incr «'t de toutes les j)eiiplade«; qu'elle con-
tient. Ils n-ndirenl compte de leur commis-
sion au Conseil des Indes, en lui envoyant
la sentence qu'ils avaient portée, cl (jui lui
conlirméepaiccTiihuual suprême. En voici
lu teneur :
n Ledit Si'igneur Oydor a visilé en per-
» sonne toutes ces Provinees cl les peupla-
» des d'Indiens qui y sont sous la directiott
» des Missionnaires Jésuites , menant avec
» lui ceux - là même (jui les ont accusés
» d'avoir'des mines cacliées, afin qu'ils puis-
>» sent les lui découvrir , et le conduire dans
» les endroits oîi ils marquent dans leur
» mémoire qu'elles se trouvent. Et en con-
>» sé(|uenee, il a publié d'oHice , et à la re-
» quête des Missionnaires, les ordres de sa
») commission, cl a promis au nom de Sa
» Majesté de grandes récompenses , cl des
» emplois honorables h ceux qui découvri-
» raient ces mines, el qui déclareraient où
» elles sont. Puis s'étant transporté sur le»
» lieu\ , il a examiné toutes choses, pour
» en rendre un compte exact à Sa Majesté,
» cl remettre au Conseil des Indes les pro-
M ces - verbaux avec son sentiment , ainsi
» qu'il lui est ordonné. Tout bien consi-
» déré , et ce qu'il a vu lui-même , el ce
w (|u'il a appris de la vibilc que le ScigoeuK
G 5
i54- Lettres édiviantes
» Don André de Léon Garavilo, CHevalîer
M de l'Ordre de Sainl-Jacques , et Ovdop
» de l'audience Royale de la Plafa , a fait
» dans celte Province en qualité de Gou-
» verneur : vu toutes les pièces des procès-
» verbaux , les actes et les sentences qu'il
M a portés contre les délateurs de ces mines,
» et le désaveu qu'en ont fait ces faux ac-
» cusateurs , ordonne qu'on doit déclarer ,
» et déclare comme nuls, de nulle valeur
» et de nul cfTet, les actes, les décrets et
» les informations faites par les Régidors et
M autres Magistrats de la ville de l'Assomp-
» tion ; veut et prétend qu'ils soient billes
» des registres comme étant faux , calom-
» nieux et contraires à la vérité, tout ayant
» été vérifié oculairement dans Icsdites Pro-
n vinces , en présence des accusateurs mê-
» mes qui ont été cités juridiquement , sans
« qu'on ait trouvé le moindre vestige de
j) mines , ni la moindre apparence qu'il y
;) en ait jamais eu, ou qu'il y en puisse ja-
n mais avoir, ainsi que les déposans l'ont
» avancé témérairement, méchamment et à
» dessein , comme il le paraît , de déeré-
» diter la sage conduite des Missionnaires
>) Jésuites qui sont occupés depuis tant d'an-
>» nées dans cette partie de l'Inde à la pré-
» dication de l'Evangile, et h l'instruction
» d'un si grand nombre d'[nfidèles qu'ils
» eut convertis ù notre sainte Foi. Et, quoi-
» que le crime commis par les Régidors et
» autres Magistrats, mérite la peine portée
» par U loi contre les calomniateurs, etc. n
TT CI' R ir. f SE s. I .>.>
Il rapporU' i-ii^uite li!» noms des princi-
paux coupables mi noiiihif clc quatorze, et
la peine qu'ils invrileut , en l'adouciâSHDt
néanmoins, parce qu'étant convaincus par
leurs propre» yvu\ de la fausseté de leurs
accusations , ils en (ircut un désaveu juridi-
<jue, et parce (jue les Missionnaires en de-
luandanl leur giiîcc , prièrent que tout lût
enseveli dans un éternel oubli ; mais aussi
en les avertissant que s'ils venaient à récidi-
viT , ils seraient bannis pour toujours de la
province , comme j)erlurl)aleurs du repos
public , et condamnés aux peines aftlictives
que les loi$ imposent aux faux accusateurs^
qui ne disent pas la vérité au Roi et h. ses
JSIinistrcs.
C'est ce qui ne peut être if^noré de l'au-
teur du libelle, et encore moins de ceux qui
ont conduit sa plume. Le soin qu'ils ont pris
de cacher leurs noms en publiant ces ca-
lomnies, donnerait lieu de croire qu'ils ont
«Tpprélicndé le châtiment dont ledit Seigneur
Ovdor fit punir un Indien , appelé Domi-
iiique, pour avoir intente celte fausse accu-
sation contre les Missionnaires, ainsi qu'on
]v peut voir h la paj^e lo des actes authen-
tiques. C<;1 Indien qu'on lui amena , non
roulent d'assurer avec serment qu'il avait vu
les mines. et le lieu où elles étaient, pré-
senta encore une carte où l'on avait dessiné
un petit chùleau ou forteresse avec ses murs ,
«es tours, son artillerie, et les soldats des-
tinés à défendie h's environs du lieu où se
trouvaient ces prétendues mines.
G 6
i5G Lettre: s éditiantes
liO ScigntMir Oydor mena llndicn nvec
lui clans la visite qu'il fit de la Province :
in.iis peu de jours avant que d'arriver à la
peuplîide de la Coneeplfon , qui était le lieu
îr.aïqué dans celle carie imaginaire , l'In-
dien disparut. Celte fuite fit une grande im-
pression sur l'esprit de ce S( igneur , qui la
regarda comme une forte preuve contre les
Missionnaires, car leurs ennemis necessèrent
de lui représenter que c'était un artifice de
ces Pères , qui , s'étant saisis de l'Indien , le
tenaient caché , afin qu'il ne révélai pas le
lieu où étaiem leurs trésors.
, Dans le temps ([u'on appuyail le plus sur
cette preuve , arriva un exprès envoyé par
le Missionnaire de la peuplade de los Jieyes,
qui donnait avis qu'un Indien étranger était
venu dans sa }>ouplade, lequel , selon l'indice
qu'on en avait donné , paraissait être l'In-
dien dont on était en peine. On le fil venir
aussitôt, et c'était elVeclivement l'Indien fu-
gitif. Le visiteur lui demanda la raison qui
l'avait porté h prendre la fuite, avec me-
nace de le mettre à la question s'il ne disait
pas la vérité. L'Indien répondit (ce que l'au-
teur du libelle pourrait répondre comme
lui ) qu'il n'avait jamais vu ces peuplades ;
qu'il savait encore moins ce que c'était que
celle foileresse , et que la carte qu'il en avait
présentée , n'avait pu être dressée par un
ignorant comme lui, qui ne savait ni lire ni
écrire ; mais qu'étant au service dun Espa-
gnol nommé Christoval Rodriguez , il avait
été forcé , par ses promesses et par ses me-
ETCrUIFTSES. iS"]
nnros, de produire c« lie t'aussité contri* le»
IMi^"«ionnnin's.
iNoii()|)si;inl rrt avru , le >isiu-ur se lians-
j)oita sur Ips lieux désignés avtc d'hahiles
mineurs , l<"<|(>idâ , apiès avoir examiné les
terres , déel.irèrriil avec serment <jii<' , ii(»n-
seiili ment il n'v av.iit point de mines d'or
on d'art;irit , niais (jue ces tei res u'élaient
nullement propres à produite ces métaux.
Sur quoi l'Indien fut condamné h recevoir
deux cens coups île fouet,
(lomment 1 anonyme a - l - il eu la har-
diesse de puhlier une ])areilli* accusation ,
dont la fausseté a été év idem meut reconnue
par trois OOiciers aussi distingués que le
sont Don Andié de Léon Garavito , Dca
Juan Hlas(juez Valverde , Oydor de l'au-
dience Hovalede /.tis C'hunns ^ et Don Hya-
cinthe Laris, (iouverueur de Buenos-yiyreSy
qui , ayant été nommés par le Roi et par
son Conseil des Indes , pour connaître d'un
fait si odieux , ont déclaré par une sen-
tence définitive , approuvée et confirmée
par les Conseils du Uoi , que c'était une
pure f«l)le qui ne méritait pas la moindre
attention.
A la bonne heure, dit sur cela le feseur
d<' lijjeiles, qu'il n'y ait point de mines d'or
ou d'ari;ent dans les terres de Paraguay ; les
Missionnaires en ont d'une autre espèce bien
plus sûres, et moins sujettes à s'épuiser dans
les travaux continuels d<; trois cent mille
familles d'Indiens , dont ils tirent par an
plus de cinq millious de piasUcs. Kl pour
i58 Lettres édifiante*»
en donner une idée plus juste , ajonle-t-il ,
l'on suppose que chaque f;>mille d'Indiens
ne produit aux Jésuites que cinquante francs
par an toute dépense faite-, le produit géné-
ral, à raison de trois cent mille familles , se
trouvera montera cinq millions de piastres.
Sefon le compte de cet anonyme , les
Jésuites de Paraguay mériteraient de grands
éloges , s'ils avaient conquis à Jésus-Clirist,
et assujéti à la domination Espagnole quinze
cent mille Indiens , sans d'autres armes que
le zèle infatigable avec lequel ils se sont
emjjloyés pendant plus d'un siècle à leur con-
version. INIais il se trompe dans sou calcul ;
car, enfin, il est évident, par les derniers
rôles , que le Gouverneur de Buenos-yJjrei ,
supputant le nombre d'Indiens qui com-
posent les trente peuplades , a arrêté qu'il n'y
en a aucune qui aille à plus de huit mille, et
que la plujiart ne passent pas quatre à cinq
mille : ce qui fait en tout environ cent cin-
quante mille amcs. 11 faut retrancher de ce
nombre tous ceux que les lois ou les privi-
lèges accordés par nos Rois , exemptent de
payei" le tribut , c'est-à-dire , les femmes ,
les Caci(|ues, les Corrégidors , les Alcades,
ceux qui servent à l'Eglise , les Musiciens ,
les infirmes, les jeunes gens qui n'out pas
encore dix-huit ans , et les hommes qui sont
nu-dessus de cinquante. S<'lon ce calcul ,
il n'y a guère que le li(>rs des habllans de
chaque peuplade qui paie le tribut d'une
piastre par lête. Je laisse à l'anonyme à
supputer les cinq millions que son imagina-
tT crmcrscs. iSg
lion , ou plutôt sa passion contro 1rs Mis-
sionnniri's , a enfanté» pour les décrier dans
le |)ulilic.
Je consens , dit l'aiitcur du lilx-llc , f(ue
le tril)tit (|iii .«>«• paie nu Hf»i n'aille j>as t<irt
loin , par l'attention (ju'onl les Mis^iionnaircs
à n'accuser ({ue la moitié de leurs Indiens
pour la capilalion : mais ce qui se tire du
commerce qu'ils font tle l'herhe du Para-
guay , du coton , de la l.iinc , des ti oupeaux ,
du miel cl de la cire, doit se monter à plu-
sieurs millions.
Une pareille accusation fondée sur de
vaincs conji-ctures d'un auteur que sa pas-
sion aveutjle , ne mériterait point de réponse.
On ne peut iijnorer à quoi se monte le revenu
que produit le travail des Indiens de toutes
les peuplades , il a été vérifié tant de fois par
les visiteurs , tant ecclésiasti(jues que sécu-
liers, dont plusieurs sont encore aujourd'liui
il la Cour j qu'il n'est pas aisé do s'y mépren-
dre. Il est certain que toutes les terres ne
produisent pas les mêmes choses. Nous voyons
qu'en Espagne , dans l'espace de trois cens
lieues , une Province fournit h l'iiutre ce qui
lui manque. Il en est de même dans l'éten-
due de la Province de Paraguay , qui est de
deux cens lieues. Les Pays chauds donnc-nt
de la cire , du coton , du miel , du maïs ou
blé d'Inde : K;s Pays fioitls fournissent des
troupeaux de Ixcufs et de moutons , de la
laine cl du froment. Le commerce de ces
denr«*es se fait par échange , car on n'y con-
naît ui or , ni argent.
i6o Lettres édifiantes
Il est encore certain que les Missionnaires
font faire trois semences aux Indiens de ilia-
que peuplade , qui sont en état de travailler.
La première est pour les Indiens ; la seconde
pour le bien commun de la peuplade, et la
troisième est destinée à l'entretien des Egli-
ses. Ainsi la première récolte se porte toute
entière dans leurs maisons pour la subsis-
tance de leur famille. La seconde , qui est
la plus abondante, se dépose dans de vastes
magasins , pour faire subsister les infirmes ,
les orphelins , les veuves , ceux qui sont
occupés aux travaux publics, ou h qui les
provisions viennent à manquer, pour n'avoir
pas semé autant de grains qu'il était néces-
saire -, et enfin pour assister les autres peupla-
des , que la sécheresse , des maladies popu-
laires ,ou la mort de leurs bestiaux réduisent
quelquefois h une extrême indigence , et qui
périraient, s'ils n'étaient promptementsecou-
rus. Enfin , la troisième récolte est employée
à l'entretien de l'Eglise , aux orncmens , à
la cire, au vin , à la nourriture des Musiciens
et des autres Ofiiciers qui servent h l'Eglise ,
et à la subsistance du Missionnaire qui ne
reçoit point d'autre honoraire de ses conti-
nuels travaux.
Tout ce qu'il y a de surplus , et qui peut
se trafiquer, comme les toiles de coton , la
laine, le miel , la cire , et l'heibe du Para-
guay , se transporte dans des canots aux villes
de Saiute-Foy et de Bucnos-jdyres , où les
Missionnaires ont deux Procureurs qui font
veadic ces marchandises , pour achelcr'toules
ET crmr. usn$. ifii
les cljoscs dont K-s pruplatles ont l)cst»iii ,
comme du fer, dr l'acier, du cuivii", dei
liarnais pour les ihcvaux , des lianierous «
du linge , des étoHcs de soie pour les oriic-
ruens de l'Kylisc , ou d'autres clioses de
dévotion propres à entretenir la piété de ees
Peuph's , tels (juc sont des crucifix , des
médailles, des estampes, etc. En telle sorte
qu'il n'entre jamais dans les peuplades ni
or , ni argent. Cela supposé , que notre ano-
nyme nous dise d'où se tirent chaque année
1rs millions de piaslies dont il parle , et en
quel endroit on les tient cachés ? S'il les
découvre, il s'eniichira en un instant par
une voie très-légitime, caries lois d'Espagne
accordent aux délateurs le liersdes richesses ,
dont on a fraudé les droits du Roi.
Mais pour rcndie croyables toutes ces
fahles, qui sont uni(|uemenide son invention,
et dunt il a amusé un certain public, il passe
à la magnificence et aux richesses des Eglise»
•de CCS Missions , dont il fait la description la
plus pompeuse. Selon lui , la face de i autCi
est superbe ^ on y voit trois grands tableaux
nvec de riches bordures d'or et d'argent mas-
sifs. Au-dessus de ces tableaux sont des
lambris en l)as-reliefs d'or -, et au-dessus ,
jus([u';i la voûte, règne une sculpture de
bois enrichie d'or ; aux deux côtés de l'autel
sont deux piédestaux de bois , couverts de
pla(|ucs d'or ciselé , sur lesquels il y a <leux
saints d'argent massif. Le tabernacle est d'or;
le soleil où l'on expose le saint Sacrement ,
est d'or enrichi d'éméraudes et d'autres pier-
i6a Lettres édifîàvtes
res fines : le bas et les côtés de l'autel sont
garnis de drap d'or avec des galons : l'autel
est orné de chandeliers et de vases d'or et
d'argent. Il y a deux autres autels , à la droite
et à la gauche , qui sont ornés et enrichis à
proportion du grand autel ; et dans la nef,
vers la balustrade, est un chandelier d'argent
à trente branches , garni d'or , avec une grosse
chaîne d'argent cfui va jusqu'à la votite.
Après celte description , l'on peut juger ,
ajoute-t-il , quelle est la richesse de cette
Mission , si les quarante-deux Paroisses sont
sur le même pied , comme on a lieu de le
croire.
C'est ici où pour la première fois notre
anonyme appoite une sorte de preuve de ce
qu'il avance : il cite deux soldats Français
de même Pays que lui , qui ont vu toutes ces
richesses de leurs propres yeux. Il faut que
les yeux de ces soldats eussent le même pri-
vilège que la fable attribue aux mains de
Midas , et que convertissant tout cc qu'ilâ
Toyaient en or , ils aient pris du bois ou du
cuivre doré pour de l'or et de l'argent mas-
sifs. Les yeux des Espagnols ne sont pas à
jbeaucoup près si perçans.
Nous ne dissimulerons pas néanmoins, et
nous sommes sûrs que tout ce qu'il y a de
Catholiques ne nous en blâmeront pas , que
dans quelque partie du monde où nous ayons
des Eglises , nous lAchons de les orner le
mieux qu'il nous est possible , selon la
mesure des fondations, ou de la libéralité
des ûdèles que leur piété porte à contribuer
FT rrKtrrsrs. i^3
h une œmic si s;iinte. >ous n'avons garde de
rougir d'une chose ([ui a mérité h saint Ignace
notre fondateur les ]»lus grands éloges de
l'Kglise , lorsfju't lie dit (jue c'est j)rincipa-
l<nierit à ses «oins (ju'on est redevable de la
décoration et de la magnificence de nos
autels. Tcmplotiim tiitor ab ipso increnïen~
tiirn ncccpit. Mais que les Eglises de ces
Missions surpassent en richesses toutes les
Kgliscs de l'Europe, comme le dit l'ano-
nyme , c'est une nouvelle fable ajoutée à
toutes celles qu'il débite dans son libelle.
Jusqu'ici l'anonyme n'a vomi son fiel que
contre les Missionnaires, il attaque mainte-
nant tout ce qu'il v a eu d'Officiers Espa-
gnols distingués par leur naissance , leur
probité et leur mérite , à qui nos Rois ont
confié le gonvernement de ces Provinces *,
qiioi(ju'on niéiiio plus de croyance que lui ,
en niant simplement ce qu'il avance sans
preuve, cependant, comme il y a des per-
sonnes qui suivent cette maxime de Machia-
vel , on le dit , il en est donc quelque chose ,
il est à propos de mettre au jour toute la
malignité de ses calomnies. Quelle audace
de dire , comme il fait , que les Juges , les
Trésoriers, les Gouverneurs et autres Offi-
ciers du Roi gagnés h force d'argent par les
Missionnaires , connivcnt à tous ces désor-
dres ; qu'ils sont tous d'intelligence pour
tromper Sa Majesté , cl que c'est à qui pillera
le mieux !
On ne peut voir sans indignation qu'ua
bomme sans caractère , tel que l'anonyme ,
164. Lettres édifiantes
traite avec tant d'indignité des Officiers
illustres, et dont l'intégrité reconnue a mé-
rité toute la confiance de nos Rois. A qui
prélend-il persuader que , pendant plus d'un
siècle, tout ce qu'il y a eu de Gouverneurs
et de Missionnaires ont eu si peu de religion ,
qu'ils aient volé au Roi des sommes immen-
ses sans le moindre scrupule? Est-il croyable
que se trouvant au milieu d'ennemis aleites
et implacables , tels que sont les habilans de
la ville de l'Assomption , aucun d'eux , dans
l'espace de cent ans , n'ait pu donner une
preuve certaine de ces fraudes et de ce
pillage ?
C'est une chose constante , que chaque
année le tribut est exactement p:iyc par tous
les Indiens qui sont sur le rôle des Olïlciers
du Roi ; que non-seulement les Missionnaires
ne trouvent pas mauvais que ks Gouverneurs
envoient leurs Officiers, mais que souvent ils
les pressent de le faire ; que même les Indiens
font, h leurs frais, le voyage de Bucnos-
Ayres , qui est de trois cens lieues , pour
remettre à la recette générale , en denrées
ou en marcbandises, la valeur d'une piastre
par cliaque Indien qui paie le tribi.t, et qu'ils
épargnent par-là à la caisse Royale ce qu'il
faudrait payer à un Receveur pour ses peines
et pour les frais de son voyage.
Mais pour quelle raison, poursuit l'ano-
nyme , a-t-on accordé aux Indiens de ces
peuplades le privilège de ne payer qu'une
piastre de tribut , tandis que tous les autres
Indiens en paient cinq? Pourquoi leur pcr-
ETcruiErsES. î63
rocl-on de porlrr dos ai mes à feu ? Que ne
laisse -t- on eiilrer les Kspaj^nols d;ms ces
pcupl.ides, (jui y adiniinslrtraii'nl la juslice,
c]ui policeraicnt c<'S Peuples , el qui les fe-
raient travailler, comme les autres Indiens,
pour le service du lloi et tles K.spagnols , K
qui il a coûté tant de sanj^ pour conquérir
ces Provinces? Comment souUre-t-on (jue
trois cent mille familles soient uniquement
employées au service de (juarante Mission-
naires, sans avoir d'autre Roi ni d'antre Loi
que l'ambition démesurée de ces Pères , et
leur pouvoir despotique?
Bénissons Dieu de ce que les Jésuites du
Paraçuav sont traités par l'anonyme de la
même sorte que Molre-Sei{rneur le fut par
les Juifs, qui lui reprocliaient fpusiemeut
de défendre qu'on payât le tribut à César.
Il est vrai que nos Hois ont ordonné qu'on
n'exigeûi de chaque Indien qu'une piastre de
tribut : ce qui a été d'abord une giûce de
leur part, leur a paru dans la suite une espèce
de justice. Ils ont eu égard à la t;rande pau-
vreté de ces Indiens, qui ne subsistent que
du travail de leurs mains, et qui n'ont nul
commerce avec aucune autre Nation. Si ,
pour assujéiir les autres Indiens , il en a
coulé tant de sa ni; aux Espagnols, cette résis-
tance peut êtic punie par un tribut plus con-
sidérable. Mais il n'eu doit jtas être de mémo
de ceux f[ui ne dépendant d'aucune Puis-
sance , et qui , étant partaitenn-nt libres , ont
embrassé la Foi , et ont reconnu nos Rois
pour leurs Souverains. Us oui formé trente
l6() LkTTRES ÊBIFIANTES
peuplades , (\u'i oonliennent environ cent cin-
quante mille âmes. Le zèle infatigable des
Missionnaires gagne tous les jours à Jésus-
Christ de nouveaux Indiens , qui deviendront
autant de sujets de la Couronne d'Espagne.
Ces motifs sont-ils indignes de la clémence et
de la bonté de nos Rois? D'ailleurs, pour-
raient-ils leur refuser les mêmes privilèges
qui s'accordent à ceux qui, demeurant sur les
frontières , servent de rempart contre les en-
nemis de l'Etat, et défendent l'entrée dans les
terres de la Monarchie? Tels sont nosïndiens:
les plaines des rivières Ae Pavana et à' Ura~
giiny qu'ils habitent , sont le seul endroit par
où les Mamelucs de Saint-Paul du Brésil , les
autres Nations barbares, et même les îLuro-
péens , je veux dire les Anglais et les Hollan-
dais , pourraient pénétrer jusqu'aux mines
du Potosi. C'est dans nos peuplades que les
Missionnaires ont attiré les tristes restes des
Missions de la Guyara , que les Mamelncs
ont saccagées et brûlées , après avoir enlevé
plus de cinquanterailleindiensqu'ilsontfaits
leurs esclaves. Ces cruels ennemis , quoi-
qu'éloignés de trois cens lieues de nos peu-
plades , y viennent souvent faire la guerre ;
mais nos Indiens les ont vaincus dans plu-
sieurs batailles , en ont fait plusieurs prison-
niers., et ont forcé les autres à prendre la
fuite. C'est ce qui irrite les Brasilicns jus-
qu'au point de vouloir exterminer nos In-
diens : ils voudraient , s'il était possible, raser
leurs peuplades, et se frayer ensuite un pas-
sage jusqu'au Royaume du Pérou.
E T CURIE r SES. 1 6^
Ku l'nnnro \6^i , huit cens INInmoluc»
armés <!«• Illsils<l(•^^•t•n<^il■t■llt la rivièrt' A' l/rii'
ginty «l.iiis nciit mis «nmils , .•iv.Mil a l«'iir suite
six iiiillcdt* leurs Iiuiicns niini's de ilèclies,
de lances et de pierres à fronde. Nos Indiens
de Parnna et d' l'roî^uaY n'en furent pas
plutôt avertis, (ju'ilsarniéienl :i la liAledeux
cens canots , où ils avaient élevé de petits
ChAteanx de l)ois avec tles crenaux et des
meurtrières , pour placer leur» fusils , et
tirer sans être aperçus. Ayant rencontré
l'armée ennemie de beaucoup supérieuie à
la leur , ils l'attafjuèrenl avec tant de valeur,
cju'ils coulèrent à fond un grand nonibre de
leurs canots, en priient plusieurs autres, et
forcèrent les ennemis à f^agner la terre , et à
prendre la fuite. Ils les poursuivirent , et
en firent un si j^rand cainage , qu'il n'en
écliappa qu'environ trois cens. Ce <jui resta
de Marnelucs se retira vers B\u-uos-Ayres :
ils y bâtirent de petits forts , d'où ils sortaient
de temps en temps pour faire des esclaves et
les emmener à Saint-Paul.
En l'année lO^j?, , nos Indiens ayant dé-
couvert la retraite des Alamelucs, allèrent
les attaquer dans leurs foi Is ; ils les en clias-
sèrenl , et les poursui\irent jnsques dans Ic^
montagnes où ils s'enfuiicnl , et où plusieurs
furent tués , de sorte qu'il n'y en eut que
très-pi.'U qui retournèrinl h Sainl-Paul. Ce
qui toucha plus sensiblement nos Indiens
dans cette victoire , c'est qu'ils délivrèrent
plusdetliiix mille Indiens, que les IMann lues
rcleuaicni pi isouuicrs , et doul ils eusseul fait
i68 Lettres édifiantes
des esclaves pour les veudre dans leur pays.
En l'année 164.4» *1"^ Don Grégoire de
Hinostrosa était Gouverneur de la province
de Paraguay , il y eut un certain nombre
d'Ecclésiastiques et de Séculiers de la ville
de l'Assomption qui se révoltèrent , et con-
jurèrent ensemble sa perte. Il n'eut point
d'autre ressource, pour assurer sa personne
et son autorité , que d'appeler à son secours
nos Indiens Paranas. Ils volèrent à ses pre-
miers ordres, et dissipèrent la conjuration.
Don Grégoire do Hinostrosa reconnut cet
important service daus les informations juri-
diques qu'il envoya la même année au
Conseil Royal des Indes , où il marquait
qu'on était redevable de la conservation de
ces Provinces au zèle et à la fidélité des
Indiens.
En l'année 1646, los barbares Giiaycu-
riens qui avaient tué plusieurs Espagnols et
Indiens, prirent la résolution de tout exter-
miner jusqu'à la ville de l'Assomption. Un
Cacique de nos Missions qui découvrit leur
conspiration , en donna aussitôt avis au
Gouverneur Don Grégoire de Hinostrosa.
Il eut recours à nos Indiens qui combattirent
ces rebelles , les taillèrent en pièces , et les
mirent en déroute, sans qu'ils aient jamais
osé paraître ; et par-là ils rendirent à la
Province sa première tranquillité,
En l'année i()4(),le Gouverneur, qui était
prêt à rem[)lacer Don Hinostrosa , apprit par
une voie sùrc , qu'avant même son arrivée ,
quelques habilaus de la ville de rAssomptioa
avaicut
ETcriiKrsfs. 169
•valent conpplii- coût resn vie. lis am.i Ici il exé-
cuté infaillibli'Mieut leur (U'sseiu , s'il D'a\ail
pas mené avec lui mille ludieus tle nos peu-
pl.idc», qui forcèrent les rehelL-s à prendre
In fuite, et à se retirer dans les raontn^ues.
11 u'e.sl pas surprenant «pie ces |M.'uples, ac-
coutumés depuis louii-tt ntps ù se révolter
contre les OHiciers du Koi , eonseï vent une
hdinc implacable contre nos Indiens, dont
on s'est toujours servi pour les faire rentrer
dans le devoir de l'obéissance.
Kn l'année itJji , les Paulislcs formèrent
une grande armée , (ju'ils partagèrent eu
quatre délachemens pour atlafjuer la pro-
viace par quatre endroits difléiens, et s'eu
rendre les maîtres. Le Gouverneur Don
André (iaravito de Léon , Oydor de l'au-
dience de Chuqitisaca , donna ordre aux
Indiens de nos peuplades de s'opposer de
toutes leurs forces à l'entrée d'un si puissant
ennemi , afin d'avoir le lenjps de faire mar-
cher des troupj's Espagnoles , et de les com-
battre. Cet ordre vint troji tard. Nos Indiens
partagés eu quatre escadrous, avaient déjà
eu le bonheur de joindre eu un même jour
les (juatrc détachemens des ennemis. Ils les
attaquèrent, les délirent et les forcèrent à
s'enfuir avec tant <le précipitation , qu'ils
laissèrent sur le champ de bataille leurs
morts , leurs blessés et leurs bagages , où l'oQ
trouva quantité de «liaînes , dont ils |!réten-
daieiil altaclK'r ensemble le grand nombre
d'esclaves qu'ils comptaient de faire.
En l'année i(>G2 , Don Alonso Sarniicntf»-
Tome IX. li
1^0 Lettres édifiantes
étanl dans le cours de ses visites h cent lîeues
de la ville de l'Assomption, fut tout à coup
assiégé par la Nation la plus gi < rrière de ces
Provinces, n'ayant que vingt personnes avec
lui, manquant de vivres ef sans la moindre
apparence de pouvoir échapper des mains de
ces barbares. Un Indieu de nos Missions
avertit de l'extrême danger où était le Gou-
verneur , et sur le champ ou envoya trois
cens hommes, qui par une marche forcée,
ayant fait en un jour et demi le chemin qui
ne se fait jamais qu'en quatre jours, tombè-
rent rudement sur les ennemis , en tuèrent
plusieurs, mirent les autres en fuite , déli-
vrèrent leur Gouverneur , et l'escortèrent
jusqucs dans la Capitale.
Il serait ennuyeux d'entrer dans un plus
grand détail : il su Ait de dire que Don Sébas-
tien de Léon, Gouverneur du Paraguay , a
attesté juridiquement , que non-seulement
les Indiens des Missions lui ont sauvé plu sieurs
fois la vie , mais encore que, dans l'tspace
de cent ans, il n'y a eu aucune action dans
cette province , et il ne s'y est remj)orté
aucune victoire, à laquelle ils n'aient eu la
meilleure part, et où ils n'aient donné des
preuves de leur valeur et de leur attachement
aux intérêts du Roi, A quoi l'on doit ajouter
les témoignages de tout ce qu'il y a eu d'Of-
Hciers d'é[)ée et de robe, qui attestent de
leur cAté, (jue dans toutes ces actions , leur
solde montait à plus de trois cent mille pias-
tres, dont ils n'ont jamais voulu rien pcrce~
voir, regardant comme une grande récom-
ETCrUEOSFS. 1^1
ppnse rhonneur (ju'ils avaii-nl <lc servir S*
Majcslé , l't de pouvoir lui témoii^urr eu cjurl-
que sorte leur gratitude des pri%'iIéî;4S dont
elle avait I)ien voulu récompenser leur zèle
ri leur tidélité.
Ce serait cependant faire injure à ces l)ra-
▼es Indiens, que de ne pas rapporter l'im-
portant service (ju'ils rendirent au Roi , lors-
qu'on fît le sié;4e de la [)laiO nommée de
Sainl-(ial)riel ou du 8aint-Sa« rrinent. Dans
le dessein <[u"eul Don Joseph (iarro , (Gou-
verneur dv Buenos-^ /y ri i, de recouvrer celle
place, qui avait été enlevée à la Couronne
d'Espagne, il donna ordre aux Con-égidorg
de nos peupl.ults de mettre sur pied le plus
j)romplemeut (piils pourraient une armée
d'Indiens. Un a [iriiie h croire avec (jurlle
promptitude cet ordre fut exécuté. On ne
mit que onze jours à rassemider trois mille
trois c<'ns Indiens bien armés , deux cens
fu-^iliers, quatre mille cluvaux, quatre cens
mules , et deux cens bœufs pour tirer l'ar-
tillerie.
Cette armée se mît en marcbe, et fit les
deux cens lieues qu'il y a jusfju'à Saintr
(inbriel tians un si bel ordre, que le flénéral
Don Anloine de Vera Muxicu qui comman-
dait le siège, fut tout élonné en recevant
ces troupes, de les voir si bien disciplinées.
Il fut bi<'n j)lus surpris le jour même de
l'action. Il dél* ndii d'abord d'apju'oelicr de
]fi pbtec , ius(j\rà ce cpi'il ciit fait donner le
«igritil par un coup de pistolet: il fil ensuite
la <l»£>o6iltoQ ëc toute l'armée pour l'attaque,
a 2
172 Lettkes édifiantes
et s'étant mis h l'airière-garde avec les Espa-
gnols , les mulâtres et les nègres, il plaça
nos Indiens à l'avant-garde : et vis-a-vis de
la place , il lit mettre les quatre mille che-
vaux à nu, comme pour servir de rempart,
cl recevoir les premières décharges de l'artil-
lerie. Aussitôt que les Indiens apprirent cette
disposition , ils suspendirent leur marche ,
et députant vers le Général un de leurs Of-
ficiers avec le Missionnaire qui les accom-
pagnait pour les confesser , ils lui représen-
tèrent qu'une pareille disposition étaU pro-
pre à les faire tous périr ; qu'au feu et au
premier bruit de l'artillerie , les chevaux
épouvantés ou blessés retomberaient sur eux,
en tueraient plusieurs , mettraient la confu-
sion et le désordre dans leurs escadrons, et
faciliteraient la victoire aux ennemis.
Le Général goûta fort cet avis, et s'y con-
forma en changeant sa première disposition.
Les Indiens s'approchèrent des murs de la
place dans un si grand silence , et avec tant
d'ordre , que l'un d'eux escalada un boule-»
vart, et coupa la tête à la sentinelle qu'il
trouva endormie. Il se préparait à tuer une
autre sentinelle , lorsqu'il reçut un coup de
fusil. A ce bruit qui fut pris par les Indiens
pour le signal dont ou était convenu , ils
grimpèrent avec un courage étonnant sur le
même boulevart , ayant h leur tête leur
Cacique Don Ignace Landau , et après un
combat très-sanglant de trois heures , oii
les ennemis se défendirent en désespérés , les
ïpdieûs commeucèreiit tant soit peu à s'aiTai-»
ETcctirrsrs. i^S
lilir et à pliiT. Alors le Ca» iquc levant le
sabre , et aiiiinnnl les siens de la voix et par
son exemple , ils rentrèrent dans le combat
avec tant de l'ernielé et de valeur , que les
«ssiét;és voyant leur place toute convoite de
morts et de mourans , demandèrent quartier.
Les Indiens qui n'entendaient point leur
langue, ne mir<'nt lin au carnage que quand
ils en recurent IViiflre d( s chcls Espagnols.
Celte action , qui a mcrité aux Indiens les
éloges de notre grand Monarque , a donné
lieu à une des plus atroces calomnies de
l'anonyme. Il ne faut ((ue rapporter ses paro-
les pour découvrir toute sa mauvaise foi.
Après avoir «lit <jue trois cent mille familles
III' travaillent que pour les Jésuites, ne recon-
naissent qu'euK , et n'obéissent qu'à eux :
« une circonstance, dit-il, qui le fait con-
» naître, c'est que lorsque le Gouverneur
» de liiK^nos-Âyrcs reçut l'ordre de faire le
» siège de Sninl-(}abriel , où il y avait un
» détacliement du Cavalerie de quatre mille
n Indiens, un Jésuite à leur tête , le Gouver-
j» neurcommanda au Sergent-Major de faire
» unealta({ue à (jualre heures du matin ; les
n Indiens refusèrent d'obéir , parce qu'ils
»> n'avaient point d'ordre du Jésuite, et ils
n étaient au point de se révolter , lorsque le
« Jésuite, qu'on avait envoyé chercher arriva ,
» auprès duquel ils se rangèrent, et n'exécu-
n tèrent les ordres du Commandant que par
» 1;^ bouche du Père )>. O'où il conclut, par
cette réflexion: « l'on doit juger de là com-
», bien CCS Fèrcs ^oul jaloux de leur autorité à
U 3
I "4 L r T T U E s É D I F I A > T C s
» réî,ard des IiiJiens, jusquà leur défeiKlre
M dobcirauxOfiicicrsduRoi , lorsqu'il s'agit
>j du service ».
Que l'anonjme accorde s'il peut la niftli-
gnité de ses inventions , avec les témoignages
autlienliques de tant de personnes illustres ,
qui n'avancent rien dont ils n'aient été eux-
jnêmcs les témoins; ils assurent au Roi et à son
Conseil qu'il n'y a point de forteresse , de pla-
ces , ni de fortifications , soit h. Buenos- Ay res,
soit dans le Paraguay , ou à Monte- Video
qui n'aient été construites par les Indiens ;
qu'-.m premier ordre du Gfruverneu r, ils accou-
rent au nombre de trois ou quatre cens, le plus
souvent sans recevoir aucun salaire , ni pour
leurs travaux, ni pour les frais d'un voyage
de deux cens lieues-, que c'est à la valeur de
ces fidèles sujets qu'ils sont redevables de la
conservation de leurs biens , de leurs familles
et de leurs Villes.
Qu'un soldat Romain eut sauvé la vie h uu
citoyen dans une bataille ou dans un assaut ,
ou bien cju'il eut monté le premier sur la
muraille d'une Ville assiégée , la Loi ordon-
nait de l'ennoblir , de l'exempter de tout
tribut et de le récompenser d'une couronne
civique ou murale. Et notre anonyme trou-
vera mauvais ({ue nos Rois accordent des
grAces à nos Indiens , qui ont tant de fois
sauvé la vie , les biens et les villes des Espa-
gnols ! Il fera un crime aux Jésuites de faire
valoir les continuels services de ce grand
Peuple , qui , depuis sa conversion à la Foi ,
ji'a jamais eu d'autre objet que le service de
ETCCIIFt'Sr». fjS
Dit'u , le 5i*n iite du Roi et If bien de l'Elal !
Il ainingtiu'desriclu'ssesimint>n»e£dansce8
peuplades, et il vuudiail le |.oisuaderà ceux
(jui ne S(jiit point .iti l.iil (le ers pays éloignés.
On l'adéjàcouvaincu decaloninie; mais, qu'il
dise ce que l«'s Jésuites tout de ces riciu'ssi's.
Les voil-on .sortir des bornes de la modestie
de leur état' Leur vrtenirnti't leur nourriture
lie sont-ils pas les mêmes, et, quelcjuelois pires
qu«' ceux des Indifus? Le peu tle Collèges
qu'ils outdans celle Pro\ inceen sonl-ils pli s
riches , el en ont-ils augmenté le nombre ?
Ils sont tous Euroj)éens. Peut-on en ciler un
&«iil (jui ait euriibi sa famille ?
Mais j)our(|uoi n«' pas permettre aux étran-
gers , ri même aux Lspagnols , de traiter avec
les Indiens ? Pourquoi avoir fait une Loi qui
leur défend de demeurer [)lus de trois jours
ù leur passage dans chaque peu[»lade , où à la
véiilé, on fournit à tous leurs i)esoins , mais
sans (ju'ils puissent parler à aucun Indieu ?
A quoi bon tant de précautions?
Ces précautions , qui déplaisent tant h
l'anonvnie , ont été jugées de tout temps
lu-cessuires pour la conservation des peupla-
des. Llles seraient bientôt ruinées, si l'on
ouvrait la porte aux mauvais exemples et aux
scandales que les Etrangers ne donnent tjue
liop communément. L'ivrognciie est le vice
le plus commun parmi les Indiens ; on sait
que la Chu ha dans le Pérou , le Puh/ueei
le Tepache dans la Nouvelle-Espagne , de
même que l'eau-de-vie dans les deux Royau-
mes, Y causent les plus grands ravages , et
114
i~t> Lettres édifiantes
soni la source d'une infînilé de crimes , Je
liaines, de vengeances , et d'nutres fautes
monstrueuses , auxquelles ces Peuples s'aban-
donnent avecd^aulantplus de brutalité, qu'ils
trouvent moins de résistance. C'est une Loi
établie parmi les Indiens de nos peupla-
des, de ne boire aucune liqueur qui soit capa-
ble de troubler la raison. Et c'est ce qu'avant
leur conversion on ne croyait pas qu'on put
gagner sur eux. Tout esprit d'intétét en est
banni • les jeux mêmes qui leur sont p^ermis ,
sont exempts de toute passion , parce qu'ils
ne les prennent que comme un délassement
où ils n'ont ni à perdre ni à gagner. L'ava-
rice , la fraude , le larcin , la médisance , les
jureraens n'y sont j)as mêine connus.
Pour complaire à l'anonyme , blûmera-l-on
les Jésuites de maintenir ces Néoplivtes
dans l'innocence de leurs mœurs , et de fer-
mer l'entrée de leurs peuplades à tous ks
vices que je viens de nommer , et à beaucoup
d'autres , en la fermant aux Etrangers? On a
nue triste expérience de ce qui se passe dans
les peuplades d'Indiens qui sont au voisi-
nage de la ville de l' Assomption ; et l'on ne
sait que trop qu'ils mènent la vie la plus
licencieuse, sans crainte de Dieu, sans res-
pect pour nos Rois, et ne redoutant que leurs
Maîtres , qui exercentsureux une domination
tyrannique , et qui les traitent bien moins
comme des bommes que coinme des bêles.
Ce qui lient au cœur de l'anonvme , c'est
de voir qu'on permette à nos Indiens l'usage
des armes à feu. Mais qu'il apprenne que nos
FT C l KtEUSr s. 177
Rois proporiionnoiit Ifs armes qu'ils mctirnt
entre les mains de. leurs sujcls , aux ennemis
qu'ils ont à comhallrc ; s'ils n'avaient à faire
qu'à des Indiens coinnieeux , l'arc , la llètlio,
l'éjK'e et la lance leur sufliraient. Mais ils
en viennent souvent aux mains avec d<'3
troupes Européennes armées de fusils , de
halles , de grenades et de bombes. Refuser
aux Indiens de pareilles armes , ne serait-eti
]).is It'S livrer ;i une mort certaine , et hs
iiicllre hors d'état de déleudre l'entrée de nos
Provinces aux ennemis de la Couronne?
iNIais ne se pourrait-il pas faire que ces
Indiens tournassent leurs armes contre les
Kspagnols ? Crainte frivole ; 1." ils n'ont
point ces armes à leur disposition ; elles sont
renfermées dans des magasins , d'où on ne le»
tire que par l'ordre que le Couverneur intime
au Supérieur de la Mission ; 1." ils n'ont
point de poudre , ni aucun moyen d'en faire y.
et il faut que ces munirions leur soient four-
nies par les Espagnols, qui ne leur en envoient
quedans le besoin , ellorstju'il faut coniballre
les ennemis de l'Elat.
Mais, ajoule-l-on , pourquoi ne pas con-
fier le gouvernement de ces peuplades à des
Corrégidors Espagnols ? \'A moi je d« mande
à mon tour : ces peuplades n'ont-elles pas
été établies dans l'espace de plusde cent trente
ans, et ncsaccroissent-ellespas tous les jours
sans le secours des Corrégidors ? Que sont
devenues celles (|u'ils ont gouvernées ? Ne
les ont-ils pas ruinées et délruit<s ? Met-
Uaicnl-ilb duus ces peuplades une uieilleure
Il fi
i-jS Lettres édifiantes
forme de gouvernement ? Instruiraient-ils
mieux ces Indiens des principes et des devoirs
delà Pieligion? Feraient-ils régner parmi
eux une plus grande innocence de mœurs?
Les rendraient-ils plus zélés qu'ils le sont
pour le service du Roi ? En feraient-ils de
plus (îdèles sujets ?
On n'ignore pas ce qu'il en a coûté de
travaux aux Jésuites , et combien d'entr'eux
ont perdu la vie pour réuuir ces barbares
dans des peuplades , et en faire de fervens
Chrétiens et de zélés serviteurs de la Monar-
chie : parlons de bonne foi , serait-ce là
l'unique vue des Corrégidors ? Leur com-
merce , leur intérêt , le soin de s'enrichir , ne
font-ils pas communément le principal objet
des peines qu'ils se donnent ? En trouverait-
on beaucoup qui brigueraient l'emploi de
Corrégidor , s'ils n'en reliraient point d'autre
avantage que celui de faire servir Dieu et le
Roi ? Je ne citerai ici qu'un seul exemple.
Un Evêque du Paraguay , plein de zèle
pour son troupeau , ayant écouté trop légère-
ment les ennemis des Jésuites , prit la réso-
lution de leur ôterdeux de leurs Missions ,
qui lui paraissaient être dans le meilleur état ;
savoir , celle de Notre-Dame de Foi , et celle
de Saint-Ignace , où il y avait environ huit
mille Indiens , ([ue ces Pères avaient retirés
de leurs bois et de leurs montagnes , avec des
fatigues immenses et un risque continuel de
leur vie. Le Prélat ayant choisi deux Ecclé-
.siaslîqucs de méiite , les envoya dans ces pcu-
jplades en qualité de Cu lés, cl les ûl escorter
ET COHIECSI». |n^
ptr des soldats qui cluissfreni les Mission-
. nairrs avec tanl de violence , «pie de <];j ttre
qu'ils étaient , l'un mourut vn (-liemi.i , et
les trois autres furent ineapahhrs d';iut-iiii tra»
Tail le reste de leur vie. Ces deux Krcl -sins-
tiques se mirent en possession du spirituel
et du temporel des peuplades; mais à peine
y eurent-ils demeuré cpiatrc mois , qu'ils
vinrent trouver leur Kvèque en se plaignant
amèrement qu'on les avait envoyés tians un
li(!U où il n'y avait pas de (juoi vivre ; que la
pauvreté des Indiens était si t^rande , (ju ils
ne pouvaient paver aucune rélrihulion , ni
pour les Messes, ni pour les cnlerremens,
ni pour li's maiiagcs ; ([u'ils ne concevaient
pas quel ragoût trouvaient les Jésuites à de-
meurer avec ces barbares nouvellement con-
vertis , et toujours prêts à les égorger , s'ils
manquaient un seul jour à leur fournir des
alimens; qu'ils avaient couru ce ri»(jue , et
que c'était pour celte raison qu ils s'étaient
prompiemenl retirés.
La fuite des pasteurs dissipa le troupeau.
Tous ces Indieiiss'enfuirenl dans leurs mon-
tagnes , où ils pc'rdirent bientôt la Foi , tandis
que le T^oi peidait «-n un seul jour jusqu'à
buit mille sujets. L'ordre qu'a donné l'au-
dience Royale de Chutjuisaca , de rétablir les
Jésuites dans leurs peuplades , ne rappellera
pas tous ces Indiens dispersés, et ne ser\ira
f|u':\ préserver les autres peuplades d'un
malbeur semblable.
^Monseigneur Don Cbristoval ÎVIancba y
Valcsco , E^éque de BuenGs-^/yrrs , donna
11 G
ï8o Lettres édifiantes
dans le même piège : on lui persuada d'éri-
ger les Missions en Cures , et par un Mande-
ment qu'il fit publier dans son Diocèse et
dans tous les Pays circonvoisins , il invita les
Ecclésiastiques à venir à un certain temps
qu'il marquait pour en recevoir les provisions.
Le terme étant expiré, et voyant qu'il ne se
présentait personne , il examina plus sérieu-
sement la vérité des faits qu'on lui avait expo-
sés, et la manière dont les Jésuites gouver-
naient leurs Missions. Comme ce Prélat avait
les intentions droites , il eut bientôt décou-
vert la vérité : les mauvaises impressions
qu'on lui avait données se changèrent en une
si grande estime pour les Jésuites , qu'il leur
donna toute sa confiance. La sainte Vierge,
à qui il avait une dévotion singulière, lui
ayant fait connaître que sa mort approchait,
il fît venir le Père Thomas Donvidas , Rec-
teur du Collège , et fit sous sa conduite ,
pendant huit jours , les exercices spirituels
de saint Ignace , qu'il termina par une con-
fession générale ; ensuite , dans les diflcrentes
prédications qu'il fit à son Peuple , pour lui
, dire les derniers adieux , il ne cessa de réfuter
les calomnies dont on voulait noircir les
Jésuites, en déclarant qu'il avait pensé lui-
même y être surpris , et que c'était autant
d'artifices du Démon , qui cberchaità perdre
imeinfinitéd'ames, cnles retirantde ladirec-
tion de ces Pères , qui les conduisaient dans
la voie du salut. Peu de jours après, il mourut
comme il l'avait prédit , laissant à son Peuple
les exemples des plus hcroïqiicâ vcrUis , (|u"il
FTrT'Rirrsr». ift»
avait prali(|uc'ts duraul le cours tir son llpis-
copal.
lU'vrnoiis : les Corrrpidors Kspapnols au-
iaii'iit-il> d«' ;;i'aii(ls a\anlat;cs ,i cspérrr dans
ers j)<M»|»I.iilrs ,oi» un Iviilésiaslitjuo iir trouve
pas nn'ine de quoi si' l'aire une sul)^i.»tancc
îionnt^te ? Supposons (|u'on leur en conliût le
irouvernemenl ; ou ils suivront la niélhodedcs
^Ii^•>i.)unail^^s , ou ils se fuinieront un sys-
trnjf Mouvj'au. S'ils eoiisii-v enl la rornic tiu
jné.'Ctil j;ou\t.incrnenl , ils doivent s'attendre
à être ealomniés de même que ees Pères : oa
ne niaufjuern pas de dire ((u'ils fiaudenl les
droits du lioi , qu'ils ont di s mines eaehées,
qu'il.*» domine lit en Sou\ erains. Si pour c\ .'1er
des repioclies *i mal iundés , ils prennent une
autre roule j cl changent des usages confor-
mes au génie de ces Peuples, qu'on a étudié
depuis si long-lt'mps , la ruine des INlissions
est ecrlaine , les Indiens se retireront d.ms
leurs montagnes , cl les peuplades seront tout
h coup désertes : près de deux cent mille
Intliens vivront dans les l)ois sans culte et
sans religion ; et ce seront autant de sujets
perdus jjour le Pioi.
C'est ce qu'on a éprouvé dans la iSouvelle-
Kspagnc : on ôta aux Indiens de la Laguna
leurs Missionnaires ; ils se dispersèrent à.
l'instant avec la rag(; dans Icca-ur contre les
Kspagnols, et ne cherchant que les moyens
de la satisiairc : encore aujourd'hui ils ré-
])andenl la terreur sur tout le clicniin qui
conduit aux riches mines de celte Provieiee ,
et ou est oLli^é d'euUvieuir â yrauds irais
iBs Lettres édifiantes
des garnisons pour la sûreté de ces passages.
On l'éprouve encore acluellemcnt de la
part de deux Nations belliqueuses , les No-
comies et les Ahiponcs : elles s'étaient sou-
mises volontairement au joug de l'Kvangile
et à l'ohéissance du Roi, sur la parole que
les Jésuites leur avaient donnée , qu'elles
dépondraient uniquement des Oiïîciers de Sa
Majesté. On ne leur a point tenu parole, et
dans le moment , ces Peuples ont secoué le
joug, et ont fermé les chemins qui mènent
au Pérou , ensorle qu'on n'y peut aller sans
courir risque de la vie , h moins qu'on ne
soit bien escorté. Ils ont même porté l'au-
dace jusqu'à bloquer la ville de Sainte-Foi ,
avec menace d'assiéger la ville de Cordoue ,
qui est la capitale du Tucuman.
Si l'anonyme , et ceux qui l'ont mis en
œuvre , avaient mérité qu'on eiit fait atten-
tion à leur mémoire , nos Indiens ne seraient-
ils pas en droit de se plaindre ? Quel est
donc le crime que nous avons commis ,
pourraient-ils dire , pour qu'on abroge les
privilèges , dont la bonté du Roi et de ses
augustes prédécesseurs nous a gratifiés? Ce
sont des grâces , il est vrai , mais elles nous
ont été accordées à des conditions onéreu-
ses , que nous avons fidèlement remplies.
N'avons-nous pas servi de rempart contre les
ennemis de sa Couronne? N'avons-nous pas
prodigué notre sang et nos vies pour sa dé-
fense ? Que savons - nous si les liabitans de
l'Assomption ,donl l'anonynje Français n'est
que rialerprèlo , ne soiiL pas d inlelligeuce
r T cuRiF. csrs. iS3
avec los ennemis de la Monarcliic , ]ioiii'
nous désarmer, «'l par ce moven-là Iriir tlon-
ner un lilirr passage au Royaume dv Pérou,
et SI- soustraire rux-mènu's aux jusles eliA-
tiiiH'ns-<[Uc méritent Ij'UIs tréijuenles révol-
tes? Des qu'il s'agit des intérêts du Koi , el
que ses Otliciers nous appellent , ne nous
voit-on pas volera leui' secours? IVe som-
mes-nous pas aciuelU nient armés au nf)mbre
de six mille }iomm«'s par ordre du Seigneur
Don liruno de Zibala , Gouverneur de ////c-
tios-Ayres , résolus de verser jusqu'à la der-
nière goutte de notre sant^ pour le service de
Sa Majesté? Knfin , si depuis plus de cent
tri-nte ans que nous nous sommes soumis
>tdontairement à la Couronne d'Espagne,
notre conduite a toujours été la plusédiiiante,
el notre fidélité la plus constante , comme
on le voit par les informations qui eu ont
été (ailes , par les témoignages f|u'en ont
rendu tant d'OlTiciers illustres, par les Sen-
teni^es des Tribunaux , et par les Patentes
de nos Rois , écoutera-t-on à noli'e préju-
dice un petit nombre de gens infidèles à leur
Roi et désobéissans à ses ordres, qui tant de
fois ont attenté à la vie de leurs Gouver-
neurs , qui ont porté l'insolence jusqu'à les
dépost.-r, i;th en étal)lird'autres de leur propre
autorité , comme ils font aclu(!llcnient ; (|ui
se prévalant du vain titre de conquérans, le-
quel n'est dû qu'à leurs ancêtres, ont<lélruil
presque toutes les nombreuses peuplades qui
leur avaient été concédées ;i quarante lieues
aux cuviioiis de lu ville de i'A>?^ompiiou?
i8'(. Lettres édifiaxtes
Et , en etïct , combien ne pourrait -on
pas citer de témoignages que tant de saints
Ev(kfues , tant d'illustres Gouverneurs, tant
d'Oniciers distingués des Audiences Royales
ont rendus, en difîérens temps, h la piété
de nos Indiens, à leur constante fidélité, et
à leur attachement inviolable pour les inté-
rêts de la Monarchie ? Je n'en rapporterai
que deux assez récens , l'un de Monseigneur
Don Pierre Faxardo , Evèque de Buenos-
y'irrcs; l'autre du Seigneur Don Bruno de
Zabola , Gouverneur et Capitaine-Général
de ladite Province ; à quoi j'ajouterai les
Patentes par lesquelles notre grand Monar-
que met les Indiens de nos peuplades sous
sa royale protection.
LETTRE
De Monseigneur Don Pierre Faxardo ,
Evêque de Buenos-Ayres , au Roi.
Sire,
Une lettre que j'ai reçue de la capitale
du Paraguay , signée de ses Régidors , où
ma personne n'est pas trop ménagée , me
fait prendre la liberté d'écrire à Votre Ma-
jesté ; je suis peu touché de leurs injures,
mais je ne puis dissimuler h Votre Majesté
qu'elle est remplie d'accusations fausses et
calomnieuses conlrc les Missionnaires de
cette Province, Gomme ils me déclarcm dans
HT cm I EUS r s. iftS
leur U'itrç qu'ils éci ivrnl iMi conformuô au
Conseil supix'nie des Iiulcs , je «trais tiès-
l>l;'^inal>l(> si je m.inf|iiais de découvrira \ otre
ISI«|e>ié la iiialii^nilé de leurs calomnies, el dc
1 inl'oriner de la saj;c el sainte eouduile des
hommes vraiment Apostoli<jues , contre les-
quels ils se déehalnenl avec tant de fureur.
Je puis assurer Noire Majeslé (jue j'ai res-
senti très- vivement le contre -coup de ces
calomnies: il semble (|ue le saint K-spril les
ait eues en vue dans ces paroles du chapitre
6 dc l'KyCelésiastitjue : iJdtiluram civilalis ^
et volUctionem popiiîi calunniiavi vicndii-
cetn super mortetn omnia f^rariu. La liaiue
injuste de toute une Ville, l'éniotion sédi-
tieuse d'un Peuple, et la calomnie inventée
faussement, sont trois choses plus iusuj)por-
tahlcs que la mort.
Ce n'est pas la première fois qu'ils ont en-
voyé au Conseil suprême des Indes de sem-
bl;d)les plaintes Contre 1rs Missioniiaires.
M. lis ces Fères , qui n'ont d'autre objet que
le service de Dieu , In conservation el i'aug-
menlniion de ces florissantes Missions , ont
supporté toutes ces aUarjues avec une cons-
tance el unv égalité d'anie (jui m'ont infini-
ment édiiié.
• Ce qui fait encore plus mon admiration ,
c'est que n«)n-sculement ils paraissent comme
insensibles à tous les coups qu'on leur})ortc ,
mais encore qu'ils ne répondent h tant d'in-
jures dc leurs adversaires, que par une suite
continuelle de bienfaits. Conibien voit-on
de pauvres de celle capitale du Paraguay qui
i86 Lettres édifiantes
ne subsistent que de leurs cliarités? Avec
quel zèle ne s'emploient- ils pas au service
de ses habitans? Ils les consolent dans leurs
afflictions, ils les éclairent dans leurs dou-
tes , ils leur piêchent les vérités du salut ,
ils enseignent leurs enfans , ils les assistent
dans leurs maladies , ils confessent les mo-
ribonds, ils app;iiscnl leurs dilFérends et les
réconcilient ensemble , enfin ils sont tou-
jours prèls à leur faire du bien; mais tant
de vertus qui devraient gagner l'estime et
l'alTeciion de ces Peu})les, ne servent qu'à
les rendre plus susceptibles des impressions
malignes de la calomnie. J'ose le dire. Sire ,
ces Pères auraient moins d'ennemis , s'ils
étaient moins vertueux.
On demanda un jour h Tliéinistocle quelle
raison il awiit de s'attrister, taiulis qu'il était
cbéri et estiiiié de toute la Grèce. « C'est
» cela même qui ra'ai'llige, répondit-il, car
» c'est une marque que je n'ai point fait d'ac-
» tion assez glorieuse pour mériter d'avoir
» des ennemis. » Ces saints INlissionnaires
n'ont de vrais ennemis que ceux que leur
atiiient leuis vertus et leurs actions (jui me
paraissent héioïques. J'ai souvent parcouru
leurs Missions, et j'ose attester à Votre Ma-
jesté que , durant tout le cours de ma vie,
je n'ai jamais vu plus d'ordre (pie dans cea
peuplades, ni un désintéressement plus par-
fait que celui de ces Pères; ne s'appro -
priant rien de ce qui est aux Indiens , ni
pour leur vêtement , ni pour leur subsis-
tance.
ETCUiiECsrs. 187
Dans cps peuplailt-s nomhreuses, compo-
sées tl'Iiulieiis niitun-lleinrnt portés à toute
sorti" ilr viiM's, il rt'i;m: une si prauilf inno-
Cfiice (Je mœurs, que je ne crois p.is (ju'il s'y
coninietl^' un seul péeiié mortel. Le soin ,
l'attention cl la vigilance continuelle de»
Missionnaires préviennent jusqu'aux moin-
dres fnutt-squi pourraient leur éeliapper. Je
me tr()u\ai tlms une de ces peuplades une
f^te de Aolre- Dame , et j'y vis communier
huit cens personnes. Faut- il s'étonner ijue
l'ennemi commun du ssdut des hommes ,
excite tant d'orages et de tempêtes contre
une truvre si sainte, et qu'il s'ellorce de la
détruire ?
Il est vi.ii que les Missionnaires sont très-
attentifs a entpêclier (|ue les Indiens ne fré-
quentent les Ivspaunols ; et ils ont grande
raison : car ct'lle lré(ju< ntalion serait une
peste fatrilo à leur innocence, et introduirait
le lihiMtinage cl la corruption dans leurs peu-
filades. Ou en a un exemple palpable dans
a vie que mènent les Indiens tics quatre
pouplridcs «pii sont aux cun irons de la cnpi-
tal<- du Paraguay.
Il «'ht vrai encore que les Indiens ont pour
CCS pères une parfaite soumission ; et, c'est
ce «jui est admirable, que dans des barba-
res , qui , avant leur conveision , fesaienl
douter s'ils étaient des lumimes raisonna-
bles, on trouve plus de gratitude que dans
ceux (pii ont eu dès leur enfance une édu-
cation (>lirélienne.
A i"éj;jard de leurs pré tendues richesses ,
i88 Lettres édifiantes
on ne pouvait rien iin.Tgiuer de plus cliimé-
rîque : ce que ces pauvres Indiens gagnent
de leur travail ne va qu'à leur procurer pour
chaque jour un peu de viande avec du blé
d'Inde et des légumes , des habits vils et
grossiers, et l'entretien de l'Eglise. Si ces
Missions produisaient de grands avantages,
celle Province serait- elle endettée comme
elle l'est ? Les Collèges seraient-ils si pau-
vres , que ces Pères ont à peine ce qui est
absolument nécessaire pour vivre ?
Pour moi , qui suis parfaitement informé
de ce qui se passe dans ces saintes Missions,
je ne puis m'erapêchcr d'appliquer à cette
Compagnie, qui en a la conduite, ces pa-
roles de la sagesse, et de m'écricr : o (/uàrn
pulchra est ca.sta generatio cum chiritate !
O coml)ien est belle la race chaste, lors-
qu'elle est jointe avec l'éclat d'un zèle pur
et ardent, qui, de tant d'Infidèles, en fait de
vrais enfans de l'Eglise , qui les élève dans
la crainte de Dieu, et les forme aux vertus
Clirétiennes , et qui , pour les mainlenir
dans la piété et pour les préserver du vite ,
souifre en patience les plus atroces calom-
nies! Inimortnlis est eniin nievioria illius ,
quoniam apiid Dcum nota est et apiid ho-
viines. Sa mémoire est immortelle , et est en
honneur devant Dieu et devant les hommes ,
sur-tout devant Votre INlajesté , à qui cette
Province est redevable de tant de bienfaits :
c'est en son nom que j'ai l'honneur de pré-
senter ce mémorial à Votre Majesté, et de
lui faire la même demande qui fut faite à
ET CmiErSES. ifif)
l'Emporcnr Domiiicn par un de iCi sujets :
«< J'ni un ennemi , disail-il h ce Prince, (|ut
» s'itlHij^c exlrêmenienl de toutes les pnUes
» (jue me fait Voire .Mitjesté. Je la sujiplie
u de m'en faire encore de plus mandes, afin
j> (|ue mon ennemi en ait plus de chagrin. »
iJa , ('(Psar ^ tanto tu nnii^isiit doU'dt. C'est
ce que j'espère de sa bonté , en priant li- Sei-
«;neur qu'il la conserve un grand nombre
d'années pour le bien de celte MonarcUie.
yi Buenos-j4^ rcs , ce 10 Mai j'-jii.
f Pierre, Evâque de Buenos-^yres.
LE TTRE
Du Sei'f^eur Don Bruno Zahnln , AfarccJial
de Camp, Gouverneur et Capitaine- Gé-
néral de Buenos-jéyres , au Hoi,
Sire,
Je dois rendre témoignage à Votre Majesté
que , daus toutes les occasions oii l'on a
eu besoin du secours des Indiens 'J'apes ,
fjui sont sous la conduite des Pères Jésuites ,
soit pour des entrej)nses militaires , soit pour
travailler aux forlilîcations des places , j'ai
toujours trouvé dans ceux (jui les gouvernent
uuu aclivilé sur^rcnanlc , et uu zèle Iré*-
JQO Lettres édifiautes
ardent pour le service de Voire Majesté.
Un nombre de ces Indiens , ainsi que je le
mande séparément h Voire Majesté , sont
actuellement occupés aux ouvrages qui se
font à Monte-Video,ct ils avancent ces travaux
avec une promptitude et une vivacité in-
croyables , se contentant pour leur salaire
d'alimens grossiers dont on les nourrit cha-
que jour.
Je n'ai garde d'exagérer quand je parle à
Votre Maji'slé j et j'ose assurer que si nous
n'avions pus eu le secours de ces Indiens ,
les forliiications qu'on avait commencé de
faireàlNlonte-Video, et h la forteresse de cette
Ville , n'auraient jamais pu être achevées.
Les soldats , les autres Espagnols et les In-
diens du voisinage qui travaillent à la jour-
née ^ sont incapables de soutenir long-iemps
celte fatigue. Ils sont assez ponctuels les trois
ou quatre premiers jours, après quoi ils veu-
lent èire payés d'avance. Qu'on leur donne
de l'argent ou qu'on leur en refuse , c'est la
même chose , ils quiilent l'ouvrage et s'en-
fuient. La paresse et l'amour de la liberté
sont tellement enracinés dans leur naturel ,
qu'il est impossible de les en corriger.
Il y a une différence infinie entre ces lA-
ches Indiens et ceux qui sont sous la ccn-
duite des Missionnaires. On ne peut expri-
mer avec quelle docilité, avec ([uelle ardeur
et avec quelle constance ils se portent à tout
ce qui est du service de Votre Majesté, ne
donnant aucun sujet de plainte ni de mur-
mure , se reudaut pouctuellemeut aux heure»
KTrmiEUSFS. I()t
Tnarqucrs pour Ii- tra\HiI , sans jnmnis y nian-
qurr , vi éilifiiinl d'aillrurs loul le monde
par I»'ui* piété ri par la réi^ularilé de Icurcon-
duilt' ,i(' (ju'on nf prut altiihucr, apiè.-> Dini,
qu'il la sagfsse et h la piudrnce di' fcux (|iii
It'S gouvernent. Aussi M. l'Evêque de celle
Ville m'a-l-il souvent assuié »|ue toutes 1<'S
fois fju'il a l'ait la visile de ces Missions , il
a été eliaiiné île voir la dévotion de ces nou-
veaux Fiilèlcs de l'un et de l'aulre sexe, et
l«'ur dextérité dans tous les ouvrages qui se
font il la main.
Quoi{jiie <|uel<|nrs personnes ïnal inten-
tionnées, soit par jalousie , soil pai d'auties
nuitifs, lAclient île décrier le zèle et lis in-
tentions les plus pures d'une Compagnie
(jui rend de si grands services dans tout le
monde, et en particulier d>ins l'Améiiijue,
ils ne viendi'ont jamais à bout d'obscurcir la
vérité de «es t"aits,dont il y a une intinité de
témoins. Ce que j'en dis à Votre Mnjesté
n'est pas pour exalter ces Pères, mais pour
lui n-ndre un compte sincère , tel qu'elle a
di'oit rie l'attendic d'un fidèle sujet qu'elle
honore de sa conliancc; et pour la jirévenir
sur les fausses impressions que la niali;.',nilé
et les artifices de certaines gens voudi aient
donnera Votre Majesté, en renouvelaul des
plaintes et des accusations qu'elle a laul de
fois mépiisées.
J'ajouterai à Votre Majesté que les In-
diens des trois penpladr-s établies aux envi-
rons de celle Ville , sciaient bien plus lieu-
reux si, dans la maaièrc de les gouverner ,
igi Lettres éditiantes
on suivait le plan et le modèle que donnent
ces Pères dans le gouvernement de leurs
Missions. Ces trois peuplades sont peu nom-
Lreuses , et cependant ce sont des dissentions
continuelles entre le Curé, le Corrégidor et
les Alcades; ce n'est pas pour moi une petite
peine , de trouver des Curés qui veuillent
en prendre soin ; le grand nombre de ceux
qui ont abandonné ces Cures , dégoûte pres-
que tous les Ecclésiastiques que je voudrais
y envoyer.
C'est uniquement , Sire, pour satisfaire
à une de mes principales obligations , que
j'expose ici les services importans que ren-
dent les Indiens Tapes ^ qui sont sous la con-
duite des Missionnaires Jésuites, dont Votre
Majesté connaît l'attaclicment plein de zèle ,
pf)ur tout ce qui est de son service. Je ne
doute point qu'elle ne leur fasse ressentir les
eiî(>ts de sa clémence et de sa bonté Royale.
Pour moi , je ne cesserai de faire des vœux
pour la conservation de Voti-e Majesté , qui
ipst si nécessaii^e au biea de toute la Chré-
tienté.
^ Bucnos^Ajrcs , Ze 28 Mcd ^"ji^.
^•*
CLAUSES
ET CWmiUSKS. I<)J
CL A USES insëri-es dans le Dt'cret que
le ]ioi Philipju- /'envoya nu Cmoiuci-
iit-ur de Buenos-^/} rcs y le i -j ^ovcinbie
i-iG.
>
A l'égard du troisième article rjui concerne
IfS Indiens des Missions , dont les Pères Jé-
suites sont charpés dansées Provinces , faites
attention (|u il y a plus de cent tieize ans
que ces Pères , par leur zèle et leurs tra-
vaux, ont converti à la Foi et soumis h mon
obéissance une multitude innomlirahle de
ces Peuples ; que ce qui a facilité en partie
l'accroissement de ces Missions , c'est que
nous et nos ])rédécesseurs n'avons jamais
voulu permettre qu'ils fussent mis en com-
Tnandrries , comme on le voit par plusieurs
Patentes et Ordonnances expédiées en dif-
féreus temps , et spécialement en l'année
]66i , où, cntr'autres choses, il fut ordonné
au Gouverneur du Paraguay d'unir et d'in-
corporer à la (^.ouronne tous les Indiens des
peupl.ides qui étaient sons la conduili; de»
Jésuites , et de irexij;er pour le triliut qu'une
piastre de chaque Indien ,cn déclarantqu'ils
ne la paieraient pas avant quatorze nns , ni
après cinquante ; la(|uelle grâce fut plus éten-
due en l'année i()8.|, où , pour procurer une
plus grande augmentation des peuplades , il
fut ordonné qu'ils cesseraient de paver après
quarnnte ans , et que les Ircule première*-
Tome IX. l
Tt)4 LkTTRES ÉniriANTES
années depuis leur conversion à la Foi , et
Jenr réunion clans les peuplades , ils seraient
exempts du trihut.
Par une autre Patente expédiée en la
jnéme année 1684 , et envoyée aux Offi-
ciers Royaux de Buenos - y4yrcs , il fut or-
donné qu'on conservât aux Indiens des peu-
plades des Jésuites le privilège de ne payer
aucun droit, ni pour l'herbe du Paraguay ,
ni pour leurs autres denrées ; et il était mar-
qué dans la même Patente que ces Indiens
payaient neuf mille piastres par an.
Une Patente fut expédiée en l'année 1669,
qui ordonnait aux OtFiciers Royaux qui re-
cevaient les tributs des Indiens de Parana
et d'Uraguay , de payer chaque année, sur
leur caisse , à chacun des vingt-deux Mis-
sionnaires qui ont soin des vingt-deux peu-
plades , quatre cent quarante-six piastres et
cinq réaux.
Et par une autre Patente expédiée en
l'année 170'y , il est pareillement ordonné
que, sur ce qui se perçoit du tribut des In-
diens , on paie trois cent cinquante piastres
à chaque Missionnaire , ( y compris son
compagnon ) qui a soin des quatre nouvelles
peuplades appelées Cliiquites , et autant h
ceux qui gouverneront les peuplades qu'on
fondera dans la suite.
A l'égard de& armes qu'ont lesdits In-
diens , il est certain qu'à mesure que se for-
mèrent ces peuplades , les Missionnaires
ohlifxi'ent la permission de distribuer des
iuAh à ua nombre d la^cDw^ , afin de pou-;
E T C i; E I E t' s E 8. IIJJ
Toir 80 tléfi-ndre des Porlug.iisel dc> Imlii 115
infidèle:», i]ui uxerctient drs actes coiilinucU
d'Iiosliliu* , et (|ui t-ii tlillÏTcnles occumIuiis
a>nit'iit fait pli» d«.> trois cent mille prisoit-
nit-rs. Ccjt lioatililés ci-s.>èrent au^Àilôl qu'un
eut pris le parti de \vt> ariner.
Va quoique par une Patente de i6f>4 on
ordonne au Gouverneur du Paiai;uay de ne
pas permettre (juc les Ir «liens des peuplades
se servent des armes à leu que par son ordre,
on dérogea depuis à cette résolution ^ ayant
égard d'une part ù la conservation de ces
peuples , qui ont donné en tant d'occasions
di; si fortes preuves de leur zèle et de leur
atlaehement à mon service ; cl considéra.Mt
d'une autre part l'utilité qui en lésultait
pour la sûreté delà ville de Buenos- Ayrcs ,
et de toute l'étendue de sa Juridiction ,
comme on l'éprouva en l'année i-jo-.*, que
deux mille de ces Indiens firent , par ordre
du Gouverneur, plus de deux cens lieues,
par des chemins irès-diliiciles , pour s'op-
poser au saccai^emcnt et au pillage que fe-
saient l«*s Indiens infidèles nommés Marne-
lues du Brésil , que les Portugais melluient
en œuvre. Les Indiens des Missions les com-
liattirent durant cinq jours, et les déiirciil
entièrenjent ; ce qui nie porta , dès que j'en
lus informé, à témoigner par une Patente
adressée aux Supérieurs de ces INIissious ,
combien j'étais satisfait de la valeur et de
la fidélité de ces peuples, attribuant le suc-
rés do celte expédition à la sagesse avec
laquelle lia les gouvcinaicul, et en les cliar-
I 3 •
i;)fi Lettres édifiantes
géant fie les assurer qu'ils éprouveront en
tonte occasion les eflTets de ma bonté et de
pia royale protection.
Ces Indiens ont eu aussi beaucoup de part
a une autre expédition , non moins impor-
tante, lorsqu'il l'ut question de chasser les
Portugais de la Colonie du Saint-Sacrement,
Ils s'y trouvèrent en l'année 1680 , au nom-
bre de trois raille, r-vec quatre mille che-
vaux, deux cens boeufs, et d'autres provisions
qu'ils conduisirent à leurs frais, et firent dans
cette expédition des actions prodigieuses de
valeur; et en l'année i^oS, qu'enfin on se
rendit maître de cette Colonie, les Indiens
qui y vinrent au nombre de quatre mille ,
avec six mille chevaux , s'y distinguèrent
également par leur courage. Il y en eut parmi
eux quarante de tués , et soixante de blessés ,
ainsi que j'en fus informé par les lettres de
Don Juan Alonso de Valdès , Gouverneur
de Buejios-Ayres.
En l'année 1698 , Don André- Augustin
de Roblès , craignant que douze vaisseaux
de guerre qu'on armait en France, et qui
allèrent à Carthagène , ne fussent destinés
à envahir la ville de Buenos- Ayres dont il
était Gouverneur, appela les Indiens à son
secours -, ils vinrent aunombr<î de deux mille
avec une célérité surprenante. Ce Gouvcr-
l^ur et tous les Officiers qui compf)sent ce
Gouvernement j ainsi qu'ils nous en ont in-
formé , furent étonnés de voir le grand ordre
et l'adresse de ces Indiens , qui pouvaient
tenir léle aux troupes les mieux disciplinée^».
E T 0 U R I E U s E s. «97
Ce fut clnub la inrine occasion qu'ils doii-
ncreiil une aulre prtuve de leur zèle et de
leur générosité pour mon service, n'ayant
point voulu rccc>oirleur solde, (jui »e mon-
tait à (jualre-viiiyt-dix mille piastres pour
celte eampaj;ne, à raison d'une réale et de-
mie (ju'on paie à chaque Indien. Ils cédè-
rent ctrtte somme pour garnir de munitions
les magasins de la place. Le Gouverneur
et les Olfit iers du Gouvernement s'expri-
maient dans les termes les j)his énergiques,
pour me taire connaitre jusiju'où \a l'atta-
chement do ces Indiens h mon service, et
comhien il est important de les conserver,
pour a^surer la tran(juillilé de ces Provinces,
et en écarter les ennemis de la Monarchie.
Et (pioiqu'en raiinét' i(i8o , sur les repré-
sentations du même Gouverneur Don André
de Rohlès, il eût été résolu de tirer de leurs
peuplades mille laniilUsde ces Indiens, pour
t'oriiier une peuplade aux environs de i)«e-
nor-,/jrej, Charles II, de glorieuse raémoiic,
ayant fait réllexion que le changement de
climat pourrait chagriner ces fidèles Indiens,
et leur causer de violentes maladies , eïl
respirant un air auquel ils n'étaient pas ac-
coutumés, révoqua cet ordre par une Patente
expédiée en l'année i683.
Enfin , comme il est constant que dans
toutes les occasions , et aux premiers ordres
des Gouverneurs , les Indiens de ces Mis-
sions accourent avec un zèle et une promp-
titude surprenans, soit pour travailler aux
ouvrages de foj lificalion, soit pour la défens€
I i
I9B LeTTBI-S ÉniFIANTES
de cette ville , et pour tout ce qui concerne
mon service; nous, voulant leur donner des
marques de notre royale protection, et veiller
à leur conservation et à tout ce qui peut leur
donner contentement , vous ordonnons de
vous conformer en cela à mes intentions, et
non-seulement de ne les pas inquiéter en
aucune chose; mais encore , ce qui est ira-
portant pour mon service, d'être d'une union
sincère et d'une parfaite intelligence avec
les Supérieurs de ces Missions, afin que ces
Indiens soient persuadés que je contribuerai
de tout mon pouvoir à la conservation de
leurs peuplades : ordonnons de plus que
vous veilliez avec soin à la conservation des
exemptions, franchises, libertés et privilèges
que nous leur avons accordés , afin qu'étant
satisfaits et assurés de notre bienveillance,
ils puissent employer leurs armes et leurs
personnes a tout ce qui est de notre service,
avec le même zèle et le même courage , la
même exactitude, et la même fidélité qu'ils
ont fait jusqu'à présent.
OBSERVATIONS
Géographiques sur la carte du Paraguay,
par l'Auteur de cette carte.
«J E me suis servi pour composer la carte
du Paraguay , de plusieurs caries données
par les Révérends Pères Jésuites, Mission-
naires dansée pays-lh. En 1727 , ces Pères
/;•/.. „ /',/-/ /y y
X,Uv.
; /il Compagnie de Jksi :s'
'f^/<^ V 4> Jl .'
bcrmanufiu's
^
^
///'.r frniii^aises.
A> 6<7
y^
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irv/fi' //zr<^', il n paru ti/'aii/eiio^,^
i^e /fftj/.r e/of/ /rop e/e/u/u ^
\/itiîa/is /ej Ca/'ft'^ prfceden/fs
v'///f' i{'une ^Ker à t'iuiù^e,
'{ In ui iH'm en virori liiP Je nos^,,.
^/ur nui' i/di/ur (W/i'j- i/e * *•* ^
</i' mot/1 j" ^ue (ùuis ce//i:fiie •
>-^ Aieue}, omii' ado oK t'/ivu'on ■ \
if' d^/i/ier />A/,r i/e (jrani/ear oi\'/ff
yeu fi/iis iiii /iirqe dej dé/ad^
eu/'j-
:^s
Utfw /èci/
h.
\£^
«,,1/,, Jt^-ilÂ^'^i^ Jl^-TkJ 3-~^\W^ ^-x
, <»(/ /^j- ER.TP. Je la Compatfiiie Je Jésus
ont répandu leurs MISSIONS
Pas le S^ d'Astvjzle
Geoffrapltp orcf^du Roi
Or/vbrei-ii.
"H^ fviirks% Peufi/oiAv
ïT rrnirrsE!». i()()
ndros<;«Trnt nue {;inn«le carlf du P.Tra|.!iiay
au iUvrituil l^t'ie Ciéiitial Miclul - Auge
Tanihuiiui ; celte nirnii? cirle , connue il
m'a paru , rcnouvi Ici' iiénninoins par des
cliangrnu'us ou plusieurs tMidroils, a ctc re-
j)rc>«'uléc au Rcvcicnd Pcic (icnéi'al Fran-
roi». lU'Is , en i"ii; ou a\ait dcjà connais-
sauce d'une ancienne carie du Faraiiuay «
détiiéc au Révérend Père Vincent CarafVa,
qui n l'empli la seplième place de Général
ai' la Conipaj;uic, depuis l'an 164^ )us(ju'en
l'au i(^-\[) ; cette ])nmicre carte , laqiu lie
doit céder aux caries plus réccnles jiour
remplacement des lieux habités qui sont
sujets à des changemens , a paru en revanche
c(ms»'rver de l'avantage sur ces caries, par
r.q)port h une plus f;rande abondance el pré-
cision dans les dj'-lails , si l'on en excepte
seulement les environs de la ville de l'As-
somption. Indépendamment du mérite de
ces cartes, et de ce qui pouvait résulter de
leur combinaison , il n'a pas paru indiiïerent
d'y jo-indre plusieurs inslruclions parlicu-
lièics, (jui pourraient influer sur une grande
parlie de l'objet qu'on avait à représenter.
Après avoir fait choix pour celle carte,
de la projection la plus favorable, au moyen
de laquelle I inlerseclion des méridiens et
des parallèles se fait presque aussi réguliè-
rement que sur la superficie convexe de
la terre, j'ai d'abord jeté les yeux sur plu-
sieurs points fixés nstronorniquement à la
côte de la mer du Sud. La longitude de ces
lieux , comparée avec lu détermination de
I 4
aOO LETTRES ÉDIFIArïTrS
l'iie de Fer, observée en dernier lieu par
le Père Feuillée, Minime, à 19 degrés 5i
minutes 33 secondes du méridien de Paris ,
a servi de fondement à la longitude établie
dans la carte; quelques circonstances parti-
culières et nouvelles sur la côte de la mer
du Sud, ont été tirées de plusieurs cartes
manuscrites Espagnoles qui sont entre mes
mains , et j'ai tout de suite exposé le Chili
avec assez de détail, jusqu'à la hauteur de
la Conception.
On ne se doute peut-être pas qu'il a été
indispensable de reconnaître une grande
partie du Pérou , pour composer la carte
du Paraguay ; cependant je me suis trouvé
engagé fort avant de ce côté-là , en sorte que
dans un carton particulier que j'ai cru être
obligé de composer sur un plus grand point
que la carte qu'on publie actuellement , il
a fallu s'étendre jusqu'aux positions de Lima
et du Cusco , pour être assuré d'une corres-
pondance plus générale , et établir avec quel-
que certitude plusieurs positions essentielles,
telles que celle du Potosi , à laquelle un
grnnd nombre d'autres se rapportent, et qui
peut faire juger de l'intervalle entre certains
endroits et la côte de la mer du Sud.
Mais un point tout-à-fait important à étu-
dier, a été la distance du Chili à lîuenos-
Ajres , d'où l'intervalle de la nni du Sud à la
nier du Nord, dans toute réicnfUie de la
carte , semble dépendre. J'ai eu le bonheur
de trouver là-dessus quelques instructions
particulières dans des Mémoires piauusciils.
3
ET «lURlKlSIi». 2»H
uî m'en ont rnurni j)our une ;,rand<' p.nrtie
tî«s Iik1«s K>|i.ii;ii(»l(>. (Je que j'«i jipjuis do
ce côlé-là , rn'd paru roiifiiir.é posilis erncnt
pnr Lat't , lequrl dit avoir «ppiis d'un de f-t 5
compalriotes du Pays-liHS , ([ui coorifiissait
le terrain pour l'avoir parrouiu , que la dis-
l.'inee de San- Juan de la ["roulera , dans la
Province de Cuyo , à la ville de lîuenos-
A}Me.s , n'est rpic île cent dix lieues , ce qu'oa
trouvera répélé en deux endroits de la des-
cription du ÎNouvcau Monde d»'Laël, liv. 13,
cliap. 13, et liv. 1^^, cliap. i?.. Pour ne
s'écarter <{ue le moins (ju'il est possible , de
ce que les caries précédentes oui donné h cet
espace, on ne peut mieux faire que de me-
surer ces cent dix lieues sur le pied des lieues
Hollandaises ou Allemandes , qui passent
l'étendue des autres lieues , et qu'on évalue
d'ordinaire sur le pied de quinze pour l'équi-
valent d'un de;5ré. Si même , au moyen d'une
échelle de ces lieues , qui a été ajoutée
exprès sur la carte aux lieues Espagnoles et
Françaises , on mesure l'intervalle que j'ai
mis «'ntre les positions de Buenos- Ayrcs et
d<- San-Juan de la Frontera , on trouvera que
j'ai employé les cent dix lieues Germaniques
dans toute leur portée en ligne droite , quoi-
que cette distance dut peut-être soulfi ii- quel-
que déduction , comme on doit en taire sur
les distances itinéraires. Mais , n'ayant pu
me dispenser d'ôter considéraLlenient à ce
que les cartes précédentes meltaienf d'espace
où il s'agit , je suis hien aise que l'on con-
naisse que j'ai cucore use de réserve dans ce
I 5
20-Î Lettres édifiantes
que j'ai f«it. tl ne faut pas croire même que
cela eut suflî pour ire déterminer sur ua
article de cette importance , si je n'avais
observé que , dans toute la partie de la carte
qui se trouve à-peu-près renfc rmée dans la
même longitude , les espaces étaient corres-
poudans. Car il estévident qu'une plus grande
étendue dans un des côtés d'un même espace
de terrain , aurait dii se faire sentir avec
quelque proportion dans l'autre. Cependant
je n'ai si fort ménagé le terrain, que , dans
les dernières cartes données par les Révé-
rends Pères Jésuites du Paraguay , il n'y ait
encore des espaces plus serrés ou moins éten-
dus entre l'Orient et l'Occident, que dan»
la carte dont je rends compte.
Comme il y a une route très-fiéquentée
entre Buenos- Ayres et le Potosi , de laquelle
on trouve la description de plusieurs maniè-
res dan.s Laët , et que d'ailleurs j'en ai une
assez grande carte manuscrite apportée de
des&us^Jes lieux , je me persuade que tout cela
comljiné avec les caries des Révérends Pères ,
peut avoir répandu un grand détail , et mis
beaucoup de préofsion sur ce passage. U y a
une remarque à faire au sujet des noms de
diverses Nations Indiennes, qui sont placées
en quelques endroits de la carte , mais plus
abondamment dans l'étendue du pays de
Cbaco , entre les élablissemens Espagnols
du Tucuraau et le Paraguay ; c'est qu'il ne
faut pas regarder ces situations comme bien
fixes et permanentes , ce qui est évident par
les caries des Révéïcuds Pères , faites «n
divers trmp^, vl qui dillL-iriii sur l'cmplncr-
mml lU'i noms ilc c«s Nations. On n'a pa
rxprinicr , tlnns la r;nU' , ce qu'on snil d'ail-
Irurs , c|ut' K's «livrrsrs Malions qui ont t'ié
îuiiciu'»'» au Clirislijtnisnu* , i-l iasscnil>!ét?s
])ar 1rs lU'véreiul>> |V'i»-> Jôsuitts au\c'n\ii'uns
d'un endroit du Haiana «t di' l lliat;u»y , ou
ces Mi'uvrs s'aj^pi-oclifut l'un de l'autre, qun
ces Mations , tlis-je, 'divisées autrefois et
c*j)ar>es dans une étendue de Favs beaucoup
plus grande , ont un nom général et uu lan-
gage commun , qui «'»t (wuurarii.
J'ai eu l'avantage de prendre la vaste rm-
Ixiuchure de Rio de la Flata , et le cours «lu
ileuve en remontant jus([u'à la ville de Sanla-
Fé , avec une partie de l'Uraguay , ius({u'à
r«'ndroit appelé Hosal , sur des cartes manus-
crites , faites sur les lieu\ en grand détail ,
et par des gens de l'art ; mais il était de con-
séquence de combiner réehelle de ces caries
avec certaines distances connues d'iiillcurs.
par exemple , je me suis déterniiné h prendre
les soixante et <lix lieues , que j'ai mesurées
sur des cartes particulières de l'cmbou-
cliure, «ntre Buenos - Ayres et le cap de
Sainte-Marie , pour des lieues Françaises ,
])nrce que celte mesure s'accorde jjaifaite»-
meiit îvec l«'s routiers des Flamands , qui ,
suivant Laët, h la lîn du eliap. ^du liv. i^,
ne comptent que quarante-deux lieues dans
le même espace. îlni si (]uinze lieue» Fla-
m mdes des routiers de mer , rem^ilissent
l'étendue d'un d<gré , qui comprend vinj:,t-
ciuq lieues Françaises , il est évident tjuiî
1 (i
2o4. Lettres édifiantes
quarante-deux des pitmicrcs et soixanfc-
dix des autres , font précisément la même
étendue.
J'ai cru devoir remonter le Pavana et
l'Uraguay avec la plus ancienne des cartes
des Révérends Pères ; mais la position d'une
partie des doctrines ou peuplades , m'ayant
paru difFérenle dans la carte récente , je m'y
suis attaché sur cet article-là , parce que je
ne doute pas que cette diversité ne procède
de quelque mutation dans l'emplacement de
ces lieux. C'est aussi sur les deux exemplai-
res différens de la nouvelle carte, combinés
l'un avec l'autre , que j'ai pris le détail des
environs de la ville de l'Assomption. L'an-
cienne carte marque des villes ou établisse-
mens au Maracayu , que la nouvelle ne
marque point. Si ces établissemens ne sub-
sistent plus ( ce que je ne sais pas positive-
ment ) , il n'est pas mal que la mémoire s'en
conserve sur la carte, de même que d'un
assez grand nombre de Missions que les
Révérends Pères Jésuites avaient d'abord
établies dans une grande étendue de Pays au-
delà des Missions d'aujourd'hui , et que
l'ancienne carte du Paraguay nous donne
déjà pour éteintes.
La mer du Nord ferme la carte d'un cùté ,
comme la mer du Sud la ferme de l'autre.
\je gisement de la côte , depuis le cap de
Sainte-Marie jusqu^à Saint-Vincent , est tel
à-peu-près que dans d'autres cartes. Quoi-
auece gisement, s'il était exactement connu,
fût établi par lui-méuie , ici il n'était pa*
ET CUmEDSES. in5
ioulile (l'cluditT s'il conxcnail a qur1(]ue
mesure de l'épaiÀseur des terres en <lt s in-
droiu principaux. La latitude de l'tle de
Saiotc-Catherinr , prise dans un de nos plus
exaels Voyageurs, élnnl plus stplenlrion.de
que dans les cartes précédentes , il a hicQ
fallu renvoyer la côte du continent voisin.
Ceux ù qui le détail des autres cartes est
connu , ou qui le conféreront avec celle
dont il s'af^ii , s'apercevront qu'elle donne
un Pays rempli de circonstances géographi-
ques aux en\ irons de Saint-Paul , qu'on ne
voit point ailleurs , cl que j'ai tiré des Por-
tugais. La partie du Brésil qui tient à ce
même quartier-là , si elle avait été du sujet
de cette carte, nous fournissait un champ
plus vaste à d'autres circonstances plus neuves
encore , mais qui trouveront leur place autre
part , Dieu aidant.
Il est peut-êti-e nécessaire, avant de finir,
que je m'excuse de n'avoir point élahli biea
positivement des homes tout-h-fail piécises
aux diverses légions renfermées dans la carte
du Paraguay. Je n'ignore point que des Géo-
graphes , avant moi , n'y ont pas manqué , et
que de plus ils ont inventé dos Provinces
paiticulièrcs de Rio de la Plala , Parana ,
Lraguay , etc. , à chacune desquelles ils ont
en soin d'assigner ses bornes. Mais qu'il me
soit permis de dire que c'est par retenue
(ju'on a'esl abstenu de tout cela dans la carte
du P.irnguay. On ne trouve point la distinc-
tion de telles Provinces dans les caries des
Révéreudd Pères Jésuites , qui sont sur les
2o6 Lettres épifiartes
lieux , et de plus il y a clos circonstances qui
ne paraissent pas les admelire, Cfir, par
exemple , il ne semble point du tout conve-
nable de couper ou diviser le district dans
lequel les Missions des Révérends Pères
Jésuites sont ramassées, et cependant on le
fait inévitablement , en créant des Fiovinces
particulières de Farana et d'Uraguay, Ces
noms appartiennent et sont propres à des
rivières ; ils ne sont point attribués h des
pays. Il est bien vrai que le nom de Para-
guay, qui est proprement celui d'une rivière,
^ été pris aussi pour désigner la contrée :
mais celte contrée qu'il désigne , ne se borne
pas aux rivages de la rivière de même nom.
Il se répand également sur le Parana et sur
l'Uraguay, et ne laisse point de place dis-
tincte pour des Provinces dr. ce nom.
S'il s'agissait ici d'une caite de TEurope,
où chaque Etat a ses limites déterminées bien
précisément , il ne serait pas pardonnable à
l'Auteur de cette carte de les avoir onns. Il
pécherait en un point des plus intéressans ;
niais sur un t»rrain vague et indécis, con-
vient-il d'établii- des limites aussi marquées?
Il est vrai néanmoins qu'il se trouve , par-ci
par-là , certains points qui paraissent déter-
minés. Par exemple, on établit ordinaire-
ment pourbt>rne au Chili , l'entrée du Rio-
Salado dans la mer, comme on l'a marqué
par une ponctuation sur la carl(-\ Depuis ce
commencement-là, jusqu'à la hauteur de la
province de Cuyo , qui est constamment de
la juridiction du Chili , ce Pays est ccDsé
ET CTRIErSES. ao^
born^ par la Coidilli»'!»-. La vallée tlt- Pal-
(ipa et KIoxa sdiiI du Tiiciiiiiaii. (^t* |>av<i de
TiK'uin.iti a pour «leiriM'n- Ville, du intt-du
NokI , \iixui. La (•(•nln'f des Cliiia.s «st
une dépcudaïu-r du IViou aucjut'l on atliil>ue
à In véiilt* loiit le rivage <lu la mer, jusqu'au
I(i()-S.il;èdo ; niaiî» l«'.s vallées reulei nié«\s <laiis
1.1 Coi'diiiière , ou <jui pén»-li «til \ ei.s |<' Turu-
liian , soutdc ce dernier disli iet , (pii >'élend
vn longueur du i\oid au Sud, ju.scjues et
compris la Ville el les environs de la Nou-
velle Cordoue. Le Cliaco occupe les plaines
qui sont entre le Tucuin^n et la riii«'ie du
I*arayiiay. i)ix peul lui allrihuer l'élahlisse-
nn"nt Espaj;nol de Tarija. Tout ce qui peul
<^lre ifgardé comme disliicl de Sania-Ciruz
de la Sierra , parait une dépendance du
Pérou. A l'égard du Paraguay, il esl cons-
tant qu'il a pour limitrophes des terres dé-
pendantes du Brésil.
Ou ne conteste point au Brésil les l)ords
de la mer , jusques dans la rivière de la l^lata,
où les Portugais ont une Colonie du Saint-
Sacrement , près des petites lies dt; Saint-
Gahriel. Les Espagnols les bornent à la ri-
vière de Saint -Jian qu'ils gaident; et cet
endroit de séparation qui pa:ait décidé , est
eirectivemeni manjué par des points sur la
carte. Mais de trater les limites plus ou
moins avancées dans les terres , à cette con-
tinuation du Brésil , c'est ce qu'il ne m'a
pas paru permis de faire. Les Portugais ont
réellement occupé un espace de [ntys à
1 Ouc&l el au Sud de PiiiUiuin^a ou Saiut'
2o8 Lettres édifiantes
Paul , et c'est aussi chez eux que je l'ai trouvé
décrit.
Si j'ai tenu les méridiens un peu plus près
les uns des autres que dans la proportion
ordinaire, c'est par rapport à quelques sen-
timens particuliers sur le diamètre de la terre
d'Orient en Occident,
Dans cette analyse de la carte du Para-
guay on a négligé un menu détail qui aurait
grossi excessivement cet écrit. Il reste seu-
lement à dire que le Paraguay fait encore
preuve de ce que la géographie doit aux
Révérends Pères Jésuites , puisque sans eux
nous serions peut-être bornés pour ce qui
concerne l'intérieur de ce pays-là , à un petit
nombre de circonstances, tirées avec peine
de quelque histoire Espagnole , ou à quel-
que roule de voyageur que le dessein de
bien décrire un pays n'eut pas conduit dans
celui-là.
EXTRAIT
D'une lettre du Père Pierre Lozano , de
la CoTfipagnie de Jésus , de ta Province
de Paraguay , nu Père Bruno Morales ,
de la même Compagnie , à la Cour de
Madrid.
V )]V a reçu de Lima et de Callao les nou-
velles les plus funestes.
Le 2B Octobre i'}4^3 sur les dix heures
ET CURIEUSES. 5lOrj
Cl demie du i>uir , un irciiihlcincnt <l«> tctro
s'est fait bCiilir ù Lima avec (nul iU* vioK née ,
qu'i-u moins de ti-oi!> minutes toute 1h Ville
a été rcDversée de fond en comble. Le mal
a été si prompt , cjuc personne n'a eu le
temps de .«>(• mettre en sûreté , et le rav;»ge
si universel , (ju'on ne pouvait éviter le péril
en fuyant. Il n'est resté que vingt-cinij mai-
sons sur pied : cependant , par une pro-
tection particulière de la Providence , de
soixante mille liabitans , dont la Ville était
composée, il n'en a péi i (jue la (If)uzième
partie , sans (jue ceux «jui ont échappé aient
jamais pu dire ce qui avait été Toccasion
de leur salut : aussi l'ont -ils tous regardé
comme une espèce de miracle.
Il ist peu d'exemples dans les liistoires
d'un événement .si l.imentaMe , et il est dif-
ficile que l'imagination la plus vive puisse
fournir l'idée d'une pareille calamité. Re-
prés(,'nlez-vous toutes les Ej^lises détruites ,
généralement tous les autres édifices abat-
tus , et les seules vingl-cincj maisons qui ont
résisté à l'ébraulemenl, si maltraitées qu'il
faudra nécessairement ac-hever de les abat-
tre. Des deux tours de la Cathé(jrale , l'une
a été renversée jus(]u'à la hauteur de la voùle
de la nef, l'autre jusqu'à l'endroit où soni
les cloclies , et tout ce qui en reste est extrê-
mement endommagé. Ces deux tours en tom-
bant ont écrasé la voûte et les Chapelles ; et
toute l'Eylise a été si bouleversée, qu'on ne
pourra la rétablir sans en venir ii une démo-
liliuQ générale.
510 LîITTRrS É HT FIA NT F, s
Il en est arrivé de même aux cinrj tnagnî-
fiques Eglises qu'avaient ici diirérrns Reli-
gieux. Celles qui ont le plus soufFert , sont
celles des Auguslins et des Pères de la Merci.
A notre grand Collège de Saint-Paul , les
deux tours de l'Eglise ont été ébranlées da
haut en bas ; la voûte de la Sacristie et une
partie de la Chapelle de Saint -Ignace sont
tombées. Le dommage a été à-peu-près égal
dans toutes les autres Eglises de la Ville ,
qui sont au nombre de soixante-quatre, en
comptant les Chapelles publiques , les Mo-
nastères et les Hôpitaux.
Ce qui augmente les regrets , c'est que la
grandeur et la magnificence de la plupart de
ces édifices, pouvait se comparer h ce qu'il
y a de plus superbe en ce genre. Il y avait
dans presque toutes ces Eglises des richesses
immenses , soil en peinture , soit en vases
d'or et d'argent , garnis de perles et de pier-
reries , et que la beauté du travail rendait
encore plus précieux.
Il est à remarquer que dans les ruines de
la Paroisse de Saint-Sébastien on a trouvé
le soleil renversé par-terre, hors du Taber-
nacle , ([ui,est demeuré fermé , sans que la
sainte Hostie ait rien souffert. On a trouvé
la même chose dans l'Eglise des Orphelins ,
le soleil cassé, les cristaux brisés et l'Hostie
entière.
Les cloîtres, les cellules des maisons Re-
ligieuses des deux sexes , sont totalement
ruinés et inhabitables. Au Collège de Saint-
Paul , dont j'ai déjà parlé , des bàlimcns tout
F T r. iT m r TM F. 5. ^ 1 1
neufs, et qui vienui-nl d'être achevés, sont
remplis d«* crevas!««'s. Les \ieux corps de
logis sont encore en pins mauvais état. La
maison du Noviciat , son K^lis»', sa Cliapeile
intérieure , sont entièrement par lerre. La
maison Professe est aussi devenue inhahi-
taltie. Un de nos Pères {lyant sauté j>ar la
fenêtre , dans la crainte d'être écrasé sous
les ruines de l'Eglise , s'est cassé le bras en
trois endroits. La chute des grands édifices
a entraîné les petits , et a rempli de maté-
riaux et de débris presque toutes les rues de
la Ville.
Dans l'épouvante excessive qui avait saisi
tous les habitans , chacun cherchait à pren-
dre la fuite : mais les uns ont été aussitôt
ensevelis sous les ruines de leurs maisons ,
et les autres courant dans les rues étaient
écrasés par la chute des murs: ceux-ci ,
pnr les secousses du tremblement, ont été
transportés d'un lieu à un autre, et en ont
été<|uittes pour quelf[ues légères blessures;
<eu\-lh rnlin ont trouvé leur salut dans l'im-
[los.siiiililé (.ù ils ont élé de chajif^er de place.
Le mai^niiique aie de triomphe qu'avait
fait construire sur le pont le ISLirquis de
f^illdgtitu ra , dernier viee-Roi de ces Royau-
mes , »'t au haut duquel il avait fait placer
une statue éfjueslre de Phili[»pe V ; cet ou-
vrage , si frap[)ant par la majesté et par la
richesse de son architecture, a été renversé
et réduit en poudre. Le Palais du vice-Roi,
qui, dans sa vaste enceinte, renfermait les
salles de la Chaocellerie , le Tribunal dei
aia Lettres édifiantes
Comptes, la CUambre Royale et toutes les
autres Juridictions dépendantes du Gouver-
nement, a été tellement détruit, qu'il n'en
subsiste presque plus rien. Le Tribunal de
ITnquisi lion , sa magnifique Chapelle , l'Uni-
versité Royale , les Collèges et tous les autres
édifices de quelque considération ne conser-
vent plus que de pitoyables vestiges de ce
qu'ils ont été.
C est un triste spectacle , et qui touche
jusqu'aux larmes, de voir, au inilieu de ces
horribles débris , tous les habitans réduits à
se loger ou dans les places ou dans les jar-
(dins. Oii ne sa il si l'on ne sera pas forcé à
rétablir la Ville dans un autre endroit , quoi-
que la première situation soit sans contredit
la plus commode pour le commerce, étant
assez avancée dans les terres , et n'étant point
trop éloignée de la mer.
Une des choses qui a le plus ému la com-
passion , c'est la triste situation des Religieu-
ses qui se trouvent tout-à-coup sans asile ,
el qui, n'ayant presque que des rentes cons-
tituées sur dilïérentes maisons de la Ville ,
ont perdu dans un instant le peu de bien
qu'elles avaient pour leur subsistance. Elles
n'ont plus d'autre ressource que la tendresse
de leurs parens , ou la charité des Fidèles.
L'autorité Ecclésiastique leur a permis d'eu
profiter , et leur a donné pour cela toutes
les dispenses né<essaires. Les seules récolel-
tes ont voulu demeurer dans leur Monas-
tère ruiné , s'abandonnanl à la divine Pro-
vidence.
B T r r n I K u !» F ». 2 1 3
Cbes les Caiinéliu-s tle Suinle-Tliérèse ,
de vinRl-unr Hrligit-nsrs , il v vn a vu tlou/.e
d'écrasées avec I.-1 l*i-ieure, deux Converses
cl (|u.ilru Servanlc». A la ('onceplion , doux
Relijjieuses , et une seule au f;rand cou-
▼eiil «les (larniéliles. Cllie/, les Dominicains
et les Au!^u>lins , il y a eu treize Reli-
);ieu\ tués , deux chez les Franciscains ,
deux à la Merci. Il est él«)nnanl que toutes
ces Coinmun;iulés élanl très - nombreuses ,
\r nombre des morts ne soit pas plus con-
sitiérable.
^('ous avons eu à notre Noviciat plusieurs
esclaves et domestiques écrasés ; mais aucun
de ivos Pères, dans nos diflérentes maisons,
ïi'a perdu la vie. Il parait (|ue les Rénédic-
lins , les Minimes, les l'ères a^onisans , les
Frèresde Saint-Jean-de-Dieu ont eu le même
honlieur. A l'hôpital de Sainte-Anne, ("onde
par le premier Archevérjue de Lima , en fa-
veur des Indiens des deux sexes, il y a eu
soixante - dix malades écrasés dans leur lit
])ar la chute des planchers. Le nombre total
des morts monte h près de cinq mille. C'est
ce qu'assure la relation , qui parait être la
plus fidèle de toutes celles (|u'on a reçue»,
parce qu'il y règne un plus grand air de
sincérité, et que, d'ailleurs, pour les dif-
férens détails , elle s'accorde plus parfai-
leinent avec tout ce qui a clé écrit de ce
pavs-là.
Parmi les morts il y a eu très-j^eu de pei-
sonnes de maïquc. On nomme Dou Martia
de Olwudc , sou éj>Quse cl sa idle , qui ,
2i4 Lettres édifiantes
étant sortis de leur maison , se sont trouvés
dans la rue, sous un grantl pan de muraille,
au moment qu'il est tombé. Don Martin est
venu h ])out de se tirer de dessous les ruines ;
mais lorsqu'il a appris que son épouse, qu'il
aimait tendrement, était écrasée, il en est
mort de douleur. Une circonstance singu-
lière, et qui semble ajouter au mallieur de
cette aventure, c'est que ce Gentilhomme
n'a péri que parce qu'il a cherché à se
mettre en sûreté, et qu'il ne lui serait ar-
rivé aucun mal, s'il était resté chez lui, sa
maison étant une de celles qui n'ont point
été renversées.
Tous les morts n'ont pu être enterrés en
terre sainte. On n'osait approcher des Egli-
ses , dans la crainte que causaient les nou-
velles secousses qui se succédaient les unes
aux autres. On a donc creusé d'abord des
fosses dans les places et dans les rues. Mais
pour remédier promptement à ce désordre,
le vice-Roi a convocjué la Confrérie de la
Charité , qui , aidée des Gouverneurs de
Police , s'est chargée de porter les cadavres
dans toutes les Egli-^es séculières et régu-
lières, et s'est acquittée de celte jiérilleuse
commission avec une extrême diligence ,
afin de délivrer au plutôt la Ville de l'in-
feclioa dont elle était menacée. Ce travail
n'a pas laissé de couler la vie à plusieurs ,
à cause de la puanteur des corps ; et l'on
appréhende avec raison que tout ceci ne soit
suivi de grandes maladies, et peut-élre d'une
peste géuéralc, parce qu'il y a plus de lioi)»
ETrruiKFSEs. ai5
Tuille mulets oti cht-vaux et rasés qui pour-
rissent , ri qu'il a t'té impossible ju.s([u'à
présent de les enlever. Ajoutez à cela la
fntiguc , If^ incommodités, la faim (ju'il a
fallu souffrir les premiers jours , tout élaut
eu confusion . et n'v avant pas un seul gre-
nier ni un seul magasin de vi\rest{ui ait été
conservé.
Mais où le mal a été encore inconiparaMe-
ment plus grand , c'est au port d«; Culltio.
Le tremblement de terre s'y est fait sculir
avec une extrême violence à la même heure
qu'à Lima. II n'y a eu d'abord que quel(|ues
tours et une partie des rempails (|ui aient
résisté à l'ébranlement. Mais , une demi-
heure après , lors<jue les habitans commen-
çaient à respirer et à se reconnaître, toul-
à-coup la mer s'enlle , s'élève à une hauteur
prodigieuse, et retombe avec un fracas hor-
rible sur les terres , engloutissant tous les
gros navires qui étaient dans le port ; élan-
çant les plus petits par-dessus Ks muiailles
rt les tours, jusqu'à l'autre extrémilé de la
Ville ; renversant tout ce qu'il y avait de
maisons et d'Eglises; submergeant tous les
habitans : de sorte tjue Cdllao n'est plus
qu'un amas confus de .'{ravi^M* et du sable ,
et (ju'on n»' saurait distinguer le lieu où cette
Ville était située, qu'à deux giaudes portes
et quelques pans de luurdu renqtarl qui sub-
tist'Dt encore.
Ou comptait à CalUio six maisons de Re-
ligieux, une de Domiuitnins, un«î de Fraa-
ciicaius, uue de U Merci; unud'Au|^u;>li(i9^;
2i6 Lettres éditiantes
une de Jésuites et une de S.iint-Jean-de-Dîeu.
H y avait actuellement chez les Domini-
cains six de leurs Religieux de Lima^ tous
sujets d'un mérite distincjué, qui étaient oc-
cupés aux exercices d'une Octave , établie
depuis quelques années pour faire amende
honorable au Seigneur. Les Franciscains
avaient aussi cliez eux un grand nombre de
leurs confrères de Lima , qui étaient venus
recevoir le Commissaire-Général de l'Ordre ,
lequel devait y débarquer le lendemain.
Tous ces Religieux ont péri misérablement;
et de tous ceux qui étaient dans la Ville, il
ne s'est sauvé que le seul Père Avizpo , Re-
ligieux Auguàtin.
Le nombre des morts, selon les relations
les plus authentiques , est d'environ sept
mille, tant habitans qu'étrangers ; et il n'y
a eu que près de cent personnes qui aient
échappé. Je reçois actuellement une lettre
où l'on marque que par les recherches exac-
tes qu'a fait faire Don Joseph Mnrso y f^e~
lasco, vice-Roi du Pérou, on juge que le
nombre des moits , tant à Lima qu'à CalUio ,
passe onze mille.
On a a;qiris par quelf[iies-uns de ceux qui
se sont sauvés , que plusieurs habitans de
cette dtfinière Ville , s'élant saisis de queU
ques planches, avaient flotté long-temps au-
dessus des eaux , mais que le choc et la
force des vagues les avaient bvisés la plu-
part contre des écucils. Ils racontent au.ssi
que ceux qui étaient dans la Ville se voyant
tout-à-coup enveloppés des eaux de la mer,
furent
rrrruiFiRES. 117
furent telloniciit irouhlés par la frayeur ,
qu'ils ne piinnl jamais trouver 1rs «U-ts des
portes (|iii ttoniu'iil du tôté de la terre. Apiès
tout , (lu.iiid int'^iiie ils auraient pu les ouvrir,
ces |><M tes , u qiu»i cette précaution auiait-
fUe s«Tvi , sinon ii les faire périr plutôt, en
donuant entrée aux «"aux pour pénétrer de
toute part? Quel«[ues-uns se sont jetés par-
dessus les murailles pour gagner (juelque har-
que ; enlr'aulres le Père y^iuiino , de noire
Compagnie , lrou\a nio\en d'iihoider au
navire nommé \\/.\m tiiùro , dont le Contre-
Mailre, louché de compassion, (il tous ses
rflbrts j>our le secourir. Mais, vers les qua-
tre heures du malin , un nouveau coup de
mer étant s(n\enu , cl les ancres aNiint cassé ,
le navire fut jeté avec violence au milieu de
Catliio ^ et le Jésuite y périt.
Dans les intervalles où les eaux bais.saîent,
on entendait des cris lamenlahlcs , et i)lu-
sieurs \oix d'Ecclésia»tif[ues et de Reli-
gieux , qui exhortaient vivement leurs frè-
res à se recommander à Dieu. On ne sau-
rait donner trop d'élo|j;cs au zèle héroùiue
du Père >■///;/» o//.vfi di- Lusnos, ex -Provin-
cial des Dominicains , qui , au milieu de
ce désordre ellioyalile , s'élanl vu en état
de se sauver , refusa de le faire , en di-
sant : Quelle occasion plus favorable jntis-
jc trouver fie i^ni^ner le Ciel , qu i n viou-
runt pour aider ce pauvre Peuple , et pour
la salut de tant d'aines ? Il a clé enve-
loi)j)é dans ce naufrage universel, en rem-
plissant avec une charité si pure et si dé-
2 orne IX. K;.
'>.i8 Lettres édifiantes
^intéressée les fonctions de son Ministère.
Comme les eaux ont monté à plus d'une
îiouc par-delà CaLlao , plusieurs de ceux qui
avaient pu prendre la fuite vers Lima , ont
été engloutis au milieu du chemin par les
eaux qui sont survenues. Il y avait dans ce
port vingt-trois navires grands et petits , dont
dix-neuf ont été coulés à fond , et les quatre
derniers ont paru échoués au milieu des
terres. Le vice-Roi ayant dépêché une fré-
gate pour reconnaître l'état de ces navires ,
on n'a pu sauver que la charge du navire
Elsocorro , qui consistait en blé et en suif, et
qui a été d'un grand secours pour la ville
de Lima, On a aussi tenté de tirer quelque
avantage du vaisseau de guerre le Saint-
Firmin , mais la chose a paru impossible.
Enfin, pour faire comprendre à quel point
a été la violence de la mer , il sufîit de dire
qu'elle a transporté l'Eglise des Augustins
presque entière jusqu'à une île assez éloi-
gnée , où on l'a depuis aperçue.
Il y a une autre île , qu'on nomme l'île
de Cal/ao , où travaillaient les forçats à tirer
la pierre nécessaire pour bâtir. C'est dans
cette ile que le petit nombie de ceux qui ont
échappé au nautVage, se sont trouvés après
l'éloigncment des eaux ; et le vice-Roi a aus-
sitôt envoyé des barques pour les amener à
terre.
La perte qui s'est faite à Callao est im-
mense, parce que les grandes boutiques (jui
fournissent la ville de Lima des choses né-
cessaires , et où sont les principaux dép6t^
r T c c R I r r s r. s. > ' ()
i\e son comnuTCC , étaient alors rxtraortli-
nniicnuMit rt'ninlifsdo grains, de suif, d'j'au-
di'-vit' , df roidages, do l)ois, de fer , d'ét.iin
et de loule.s sortes de niarehandi.ses. Ajoutez
à cela les inenhles et les ornemens des Kj;li-
sr» où tout éclatait en or et en argent -, les
arsenaux et les niagasins du Roi qui étaient
pleins-, tout cela, sans compter la valeur d«'s
maisons et des édifices ruinés , monte à une
somme excessive ; et si l'on y joint encore ce
qui s'est p«-rdu d'efTectif ù Lima , la chose
paraîtra incroyable h quiconque ne connaît
pas le degré d'opulence de ce Royaume.
Par la sup[)utalion qui s'en est faite , pour
rétablir les choses dans l'état où elles étaient
auparavant , il faudrait plus de six cens
millions.
Pendant cette afTieuse nuit, qui anéantit
Callao , les hahilans de Lima étaient dans
de continuelles allarrnes , à cause des mou-
>emens redoublés qui fcsaicnt trembler la
terre aux environs, et parce qu'ils ne voyaient
point de fin à ces épouvantables secousses.
Toute leur espérance était dans la ville même
de Callao , où ils se flattaient de trou> er un
asile et des secours. Leur douleur devint
donc un véritable désespoir, lorstju'ils ap-
prirent que Callao n'était plus. Les premiers
qui en apportèrent la nouvelle , fuient des
soldats que le vice-Roi avait envoyés jiour
savoir ce qui se passait sur les côtes. Jamais
on n'a vu une consternation paieille à celle
qui se répandit alors dans Lima. On était
sans rcs^iourcc ; les tiembleniens eonti-
K 2
320 Lettres ÉDiriAnTEs
«uaicnt toujours, cl Ion en compta , jus-
(ju'au 29 Novembre , plus de soixante ,
dont quclq'acs - uns furent très -considéra-
bles. Je laisse à imaginer quelle était la si-
tuation des esprits dans de si étranges con-
j on (-lui es.
Dès le lendemain de cette nuit lamen-
table , les Prédicateurs et les Confesseurs se
partagèrent dans tous les quartiers pour
consoler tant de misérables , et les exhor-
ter à profiler de ce lîéau tcirible pour re-
courir à Dieu parla Pénitence. Le vice-Roi
se montra par -tout, s'employa sans relâ-
che à soulager les maux de ces infortunés
Citoj'ens.
On peut dire que c'est un bienfait de la
Providence d'avoir donné à Lima ^ dans son
malheur j un vice-Roi aussi plein de zèle,
d'activité et de courage. Il a fait voir en celle
occasion des talens supérieurs et des qua-
Jilés surprenantes. C'est une juslice qu'on
lui rend tout d'une voix. Sans lui la faim,
aurait achevé de détruire tout ce qui res-
tait d'habitans. Tous les vivres qu'on at-
tendait de Callao étai(fnt perdus ; tous
les fours étaient détruits à Linia ; tous les
conduits des eaux pour les moulins étaient
comblés.
Dans ce péril extrême, le vice-Roi ne se
déconcerta point ; il envoya à tous les
Baillis des Provinces voisines ordre de faire
voiturer au plutôt les grains qui s'y trou-
vaient. 11 rassembla tous les boulangers; il
iit travailler jour et nuit pour remettre hvs
ET r, L' R l L L si:s. »■•'. 1
fours cl Ips moulins m étal ; il fil réialilir
tous les canaux , a<jucclucs , f«)ntaiiifs , afin
que l'iau ne nianquAt point ; il pril garde
qui- K's Ijouchcrs puisent fournir i\c la viande
i» l'ordinaire , i-t il tliar|^ca les d»ii\ i]on-
su\> de t«'nir la main à l'cxccutii^n do tous
Ces ordres.
Au milieu de tPiit de soins , il n'a pas
uéyligé ce qui rcLjardait le service du Roi.
Aj)!»"'» avoir fait tirer de dessons les ruines
toutes les armes cpii pouvaient en être dé-
^.'igées , il a envoyé des (^Hîciers à (nllao pour
sauver le plus qu'il se pouvait des eflets du
Roi , et il a mis des irardes h l'Hôtel de la
monnaie pour garantir du pillage tout ce
qu'il y avait d'or et d'argent.
Comme il reçut avis que les cotes étaient
couvertes de cadavres qui demeuraient snné
sépulture, et que la mer y rejetait à chaque
instant une quantité prodigieuse de meuliles
e» de vaisselle d'or et d'argent, il donna sur-
le-champ des ordres pour faire enterrer les
corps. Quant aux cirets qui étaient de quel-
que prix , il voulut que les Olficiers les re-
tirassent et en tinssent un registre exact où
chicun put leeonnailre ce qui lui apparte-
nait ; il fil défense , sous peine de la vie , à
tout particulier de rien prendre de tout cô
qui serait sur les côtes ; et , pour se faire
ohéir en ce point important, il fit dresser
deux potences à IJma et deux ;i Callao ; et
cpiehjues exemples de sévérité faits à propoS
linriml tout le monde en respect.
Depuis la perle de la gaïuison de Callaà
K 3
22a TjETTRTS ÉDiriANTHS
le vice-Roi n'avait plus que cent cinquante
soldats de troupes réglées avec autant de
miliciens; cependant il ne laissa pas de dou-
])ler par-tout les gardes, pour réprimer l'in-
soîcncc du Peuple, et sur-tout des Nègres et
des esclaves. Il en composa trois patrouil-
les diflerentes, qu'il fit rôder incessamment
dans la Ville , pour prévenir les vols , les
querelles , les assassinats , qu'on avait tout
lieu de craindre dans une pareille confu-
sion. Une autre attention qu'il a eue , fut
d'empêcher qu'on allât sur les grands che-
mins acheter le blé qui arrivait. Il a or-
donné que tout le hlé fut premièrement
porté au milieu de la place , sous peine de
deux cens coups de fouet pour les person-
nes de basse extraction , et d'un exil de
quatre ans pour les autres. Toutes ces dispo-
sitions aussi sagement imaginées que vigou-
reusement exécutées , ont maintenu le bon
ordre.
Cependant , le dernier jour de Novem-
bre , sur les quatre heures et demie du soir ,
taudis qu'on fesait la Procession de Notre-
Dame de la Merci , tout-à-eoup il se répan-
dit un bruit par toute la Ville que la mer
venait eneoie une fois de franchir ses bor-
nes, et qu'elle était déjà près de Lima. Sur-
le-champ , voilà tout le Peuple en mouve-
ment : on court , on se précipite ; il n'est
pas jusqu'aux Religieuses qui , dans la
crainte d'une prochaine submersion, ne sor-
tent de leurs Cloîtres, fuyant avec le Peuple,
et chacun ne songeant plus qu'à sauver s*
F. T c u R 1 r f S r $. ^'àZ
▼ic. Lj» foule des fuyanU augmcnlaîl l'épou-
vante. Les uns se jettent ver» le in«»nl Siiiiil-
ClirUtoplie , les autii» vers le mont S;niil-
liarlhélnni ; on ne se croit nulle pari en sû-
reté. Dans ce inuuxenient général il n'a péri
cju'un seul liomme , Doni Pedro Lundro ^
granit TrésoriiT, qui, en fusant à cjieval >
est tombé et sest lue.
Le vice-Roi qui n'avait reçu aucun avis
des ctktes , comprit aussitôt que ce n'était
qu'une terreur pani([ue. Il afTecta donc de
rester au milieu de la place , où il avait élal)ll
sa demeure, s'efforçant de peisuader à tout
le monde qu'il n'y avait rien à craindre.
Comme on fuyait toujours, il envoya des
soKlats pour arrêter le Peuple ; mais il leur
fvi\. impossihh' d'en venir à bout. Alors il y
alla lui-même, et paila a\cc tant dautoiilé
et de conliaucc, qu'il fut obéi à l'instant ,
et (jue cliacun revint sur ses pas.
Quebjues Monastères de Religieuses, qui
ont des rentes sur la caisse Royale , ont eu
recours a lui , pour lui représenter le triste
état où elles étaient réduites. Elles l'ont prié
d'ordonner au Gouverneur de Police de veil-
ler il leur défense pour les garantir de toute
insulte. Cette demande et plusieurs autres
de cette nature ont engagé le vice-Iloi à don-
ner ordre que l'on fit un écrit général des
réparations les plus pressantes qu'il y avait
à faire pour mettre les habitansen sûreté. Il
a voulu même que l'on diessùt des plans pour
la rcédification de celle Ville ; el il s'est
proposé de faire désormais bâtir les maisoa»
K 4
224 Lettres édifiantes
avec assez de solidité pour pouvoir résister à de
pareils tremblemens. Celui qui a été chargé
de toute cette opération, est M. Godin , de
l'Acadénnie des Sciences de l^aris , envoyé par
le Roi de France pour découvrir la figure de
la terre , et Qui depuis quelque temps occupe
par ordre du vice-Roi , la charge de Profes-
seur des Matlicnialiques à Lima ^ jusqu'à ce
qu'il puisse trouver les moyens de repasser
en France,
Ce qui embarrassait le plus le vice-Roi ,
sur-tout dans les circonstances de la guerre
actuelle , était le Fort de Callao qui est la
clef de ce R.oyaume. C'est pourquoi , après
avoir mis ordre à tout dans Lima , il s'est
transporté avec INIonsicur Godin à Callao',
pour choisir un terrain où l'on pîil construire
des tbrtificalions capables d arrêter l'ennemi ,
et y établir des magasins suftlsans , afin que
le commerce ne soit pas interrompu.
Au reste , le tremblement de terre a fait
aussi de grands ravages dans tous les envi-
rons , d'un côté jusqu'à Canneto , et de
l'autre jusqu'à Chancay cl Otiaura. Dniisce
dernier endroit, le pont, quoique très-solide,
â été abaitu ; mais comme c'est un grand
passage , le vice - Roi a ordonné qu'on le
rétablît au plutôt; on ne sait pas encore au
.juste ce qui est arrivé dans les aulres endroits
voisins de Lima et de Callao. Les relations
qu'on attend nous en apprendront sans doute
quelques particularités.
A Cordoue de Tucuinau y le pninier
Mars 1717.
i; T ciRicLsr. s. a.iJ
L E T T II E
Du Rèy'èrend Père Mors^hen , Missionnaire
cif 1(1 Compagnie (le Ji'iius , à AI. le Mar-
quis de Ht') bac , etc.
A Giiarho , le 20 Septembre 1^55.
Monsieur,
.]'vi ru l'honnour do vous envoyer l'an
passé la dcscripliun du Chili , d'aprrs los
ohsci valions d'un de nos Missionnaires, qui
l'a parcouru. Je n'ose me flatter d'avoir'
dignement rempli les momens que vous av( -^
bien voulu consacrer h la lecture de cette
lettre que je vous pi ie de ne regarder que.
comme un faible témoignni,'e de ma recon-
naissance et do mon attachement. Si j'entre-
prends aujourd'hui de vous extraire ce que
j'ai remar([ué de plus intéressant dans une
autre relation du même Missionnaire, con-
cernant le Pérou , c'est que j'aime à me per-
suader que la distance des lieux ne diminue
lieu de l'amitié dont vous m'honorez, et que
vous apprendrez avec plaisir que j'existe
encore, malcréles infirmités de l'Age et leë
fatigues continuelles d'une Mission labo-
1 leuse et pénible.
Il serait peut-élrc à propos de suivre notre
Misàiouuairc dans ses courses. Cepeudanl
K 5
5^6 Lettres éditiantes
j'ai cru devoir changer l'ordre de sa narra-
tion , el commencer par la capitale du Pérou ,
dont la description termine son récit. Je n'ai
point oublié, Monsieur, les brillans tableaux
que vous m'avez faits autrefois de ce Pays; mais
j'ose vous assurer qu'ils sont peu conformes à la
vérité , et que les voyageurs qui nous en ont
suggéré l'idée , se sont moins embarrassés de
dire le vrai , que de charmer l'esprit de leurs
lecteurs. Au reste , je ne prétends point que
le Pérou soit un de ces Pays ingrats et sauva-
ges qui n'ont rien d'agréable pour les étran-
gers. On y trouve certainement une grande
partie des choses qui attirent les voyageurs
curieux de singularités ; mais on pourrait
rabattre beaucoup de l'image qu'on s'en est
i'ormée en Europe. Vous en jugerez, Mon-
sieur, par le récit du Missionnaire dont je
ne suis , pour ainsi dire^ que le simple copiste.
Lima est la capitale du Pérou. Les Espa-
gnols qui la découvrirent le jour de l'Epi-
phanie , changèrent son nom en celui de
Ciudad de los lièges ( Ville des Rois. ) Cette
Ville est située au pied d'une montagne ,
peu haute pour ce Pays , mais qui le serait
beaucoup pour le nôtre. Une rivière , ou
plutôt un large torrent en baigne les murs ,
el distribue ses eaux par des canaux souter-
rains dans tous 1rs quartiers de la Ville , ce
qui contribue beaucoup à en purifier l'air
qui y est naturellement assez mal-sain. Les
environs de Lima sont arides et produisent
peu de verdure. Ce n'est même que depuis
quelques années qu'on y sème du blé , et il
ET C L « I n C S E S. ««7
n*y croîtrait p.is&'il uc s'élevait tous les rualins
un brouillard épuisqui humecte la terre, car
il u'v plriit ianiai><.
On trouve au MorJ , entre la Ville et la
montagne dont j'ai parlé , une promenade
))ul>lique, qui serait eliarmanlc , et peut-être
unique dans son espèce, si larl y secondait
la nature. C'est un cours planté de quatre
rangs d'orangers fort gios , <jui sont couvci ts
en tout temps de fruits et de lleurs. On y
respire une odeur agréable. Il serait à sou-
liaiter que les liahitans négligeassent moins
renlreti«'n de ci-s arbres , dont le nombre di-
minue tous les jours. fLn enliantdansla Ville
du côté du cours, on rencontre un faubourg
très-étendu, dont les maisons sont assez bien
})iUies. Entre ce faubourg et la Ville , est la
livièrc, qu'on traverse sur un pontde pierres ,
et dont !<■ point de vue m'a paru enchanteur ,
car on voit de lii , d'un côté la mer dans
réloignem(>nt , et la rivière qui va s'y jctei*
aj)rès plusieurs détours ; et de l'autre la célè-
l)re vallée de Lima , que les Poètes de celte
^ ille ont si souvent chantée , et qui mérite
en elTet une grande partie de leurs louanges.
La porte de la Ville qui répond h cç pont ,
a quelqu'apparence de grandeur , et c'est
peul-élre le seul morceau d arehilecture qui
soit un peu réguiiei-. Les maihons n'ont ordi-
nairement qu'un étage, le toit en est plat et
fait en terrasse j toutes les fenêtres qui regar-
dent sur la rue sont masquées de jalousies.
Eu général lesappartemens sont vastes, mais
6ans aucun oïDemeul. sixchaises, unccslradc
K 6
2 9-8 Lettres ÉDirtAVTES
on tapis , et quelques carreaux , composent
tout ra!neul)l('rnenl des chaml)res. Dans les
grandes maisons il y a communément une
salle l)Atic h l'épreuve des trembleraens de
terre ; les murailles en sont soutenues par
plusieurs piliers enclavés irrégulièrement les
uns dans les autres. Cette précaution pewt
Lien à la vérité en empêcher la chute , mais
non pas la garantir des autres accidens.
Il y a dans Lima une grande place. C'est
un carré régulier ; l'Eglise Cathédrale, et
le Palais de l'Archevêque , en forment une
face ; le Palais du vice-Roi en fait une autre.
Les deux dernièressont formées par plusieurs
maisons d'égale hauteur, qui paraissent bel-
les , parce que les autres ne le sont pas. Au
milicH de cette place est un grand jet d'eau ,
orné de figures de bronze ; et le bassin , qui
est large et spacieux , sert de fontaine publi-
que.
Le palais du vice-Roi n'est beau ni dans
son architecture, ni dans ses ameublemens.
La Maison de Ville n'a rien de pies distin-
gué ; on y voit seulement l'histoire des In-
diens et de leurs Incas, de la maindes pein-
tres dedusco^ qui passent pour les plus habi-
les du Pays. Le goût de ces Peintres es't
tout-h-fail gothique ; car, pour l'intelligence
du sujet qu'ails représentent , ils font sortir de
la bouche de leurs personnages des rouleaux
sur lesquels ils écrivent ce qu'ils veulent
leur faire dire. L'intérieur des Eglises est
riche en dorures et en bustes d'argent massif,
niuis saus art 5 du reste , l'architecture m'eu
rr rt-Rirrsrs. ^«9
a pnru forl roninuiin". On v voit plusieurs
tahlcaux , f)ù sont n-trarérs Irs aclions prin-
cipalrs tic .\r)trr-Srij;nrur , ia varlrlt- , le
brillant , l'éclal des couleurs , et sur-tout les
noms de?. étran:»crs (|ui en sont les auteurs ,
tout eela les fait estinuT nu-dcla de leur mé-
rite ; ce ne sont que dv très-mauvaises copies
d'originaux fort tailjjes , et si je ne me
trompe , les Kspaj^nols ont tiré tous ces ta-
bleaux d'Italie , lors(ju'ils étaient maîtres
du Milanais ; car on v r«"eonnaîl visiblement
la touche dt- 1 Keole Lombarde , dont les
peintures sont plus riches en couleurs que
conformes aux règles du bon goût.
Je pourrais m'étendre davantage sur celte
Ville , vous m décrire les usages , les moeurs,
le gouvernement ; mais comme les usages ,
les nururs et le gouvernement de Lima sont,
à peu de chose près , les mt^mes que dans les
villes d'Espagne, je n'en ferai point ici men-
tion. Je terminerai cet article par une cou-
tume assez singulière (jui ne regarde que les
esclaves : les Magistrats , pour alléger le
poids de leurs fers , cl adoucir un peu leur
esclavage , les divisent en tribus , d^nt cha-
cune a son Roi, que la Ville entretient, et
il f|ui elle donne la liberté. Ce fantôme do
Roi rend 1» justice aux esclaves de sa tribu ,
et ordonne des punitions selon la qualité des
crimes , sans cependant pouvoir condamner
les criminels à mort.
Lf)rsqu'un de ces Rois vient à mourir, l'a
Villt; lui fait des obsèques maguiliques. On
l'enlcirc la couionne en lèle, ei les premiers
îi3o LiKTTRES ÉDiriANTES
Magistrats sont invités au convoi. Les escla-
ves de sa lril)u s'assemblent , les hommes
dans une salle où ils dansent et s'enivrent ,
et les femmes dans une autre , où elles pleu-
rent le défunt , et forment des danses lugu-
bres autour du corps ; elles chantent tour à
tour des vers à sa louange, et accompagnent
leurs voix d'instrumens aussi barbares que
leur musique et leur poésie. Quoique tous
ces esclaves soient Chrétiens , ils ne laissent
pas de conserver toujours quelques supersti-
tions de leur Pays , et l'on n'ose leur inter-
dire certains usages auxquels ils sont accou-
tumés dès leur enfance , dans la crainte
d'aigrir leur esprit naturellement opiniâtre
et soupçonneux.
Celte bisarre cérémonie dure toute la nuit,
et ne finit que par l'élection d'un nouveau
Roi. Si le sort tombe sur un esclave , la Ville
rend h son maître le prix de l'argent qu'il a
déboursé, et donne une femme au Roi s'il
n'est p.Ts encore marié ; de sorte que lui et
ses enfans sont libres , et peuvent acquérir le
droit de bourgeoisie. C'est par cette politi-
que que les Magistrats retiennent dans le
devoir les esclaves du Pays , qui joignent à
leurs vices naturels tous ceux que la servitude
entraine ou produit.
Quoique Fisco ne soit remarquable, ni par
son étendue, ni par la beauté de ses édifices ,
cependant on pourrait la regarder comme
une des premières villes du Pérou. L'an
iriyo, elle fut abîmée par des tremblemcus
de icne ; elle était située sur les bords de la
ET CURIEUSES. a3l
nier. Î.t terre s'étaril njçiiéi* avec violence ,
Ja nur >«• mira à deux liinics loin i\v m'»
))«)rtls ordinaires. Les haliitans l'iliayrs <l ua
si élran^e t'\ènenienl , sesauvtMenl dans les
muntat^nes ; après la première surprise ,
<]iiel(|ues-uns eurent la hardiesse de revenir
pour roMlenipler ce nouveau iivat;e ; mais
tandis (ju'ils le considéraient, la mer revint
en fureur et avec tant d'inipéluosilé , qu'elle
engloutit tous ces malheureux , que la tuile
et la vitesse de leurs chevaux ne purent
dérober à la mort. La Ville fut submergée
«l la mer pénétra fort avant dans la plaine.
La rade où les vaisseaux jeltrnl l'ancre au-
jourd'hui , est le lieu même ou la \ ille était
assise autrefois.
Cette Ville ayant été ruinée de la sorte ,
fut rebûlic à un (|uarl de lieue de la mer. Sa
situation est assez agréable : La noblesse de
la l*rovince y fait son séjour, et le voisinage
de Lima y amène une foule de négocians
lorsfjue nos vaisseaux v abord» ni. On peut
jeter l'ancre ou devant la Ville, ou dans un
enfoncement qui est à deux lieues plus haut
%crsle Midi. Ce dernier ancrage est le meil-
leur , mais le moins commode , parce que
ce canton est désert.
Ce Pays m'a parti fort beau , et l'air y est
plus pur (jue dans les autres ports du Pér(.>u;
il y a plusieurs Eglises à Pisco , mais elles
soûl plus riches <jue belles ; cependant j'ai
vu avec beaucoup déplaisir un iMotiaslèie de
Pères Rérollets, (jui est silué au l)out d'une
avenue d'oliviers , dans un lieu ti ès-solilaiie.
a^-?- Lettres édifiantes
L'Eglise en est propre et bien entretenue ,
et les cloîtres en sont d'une simplicité char-
mante. A deux ou trois lieues de là on trouve
une montagne j oùl'on prétend que les Indiens
s'assemblaientautrefois pour adorer le soleil.
La Tradition marque que ces Sauvages je-
taiant du haut de cette montagne , dans la
mer, des pièces d'or et d'argent , des émerau-
des, dont le Pays abondait , et quantité d'au-
tres bijoux qui étaient en usage parmi eux.
Cette montagne est si fameuse dans la Pro-
vince, que c'est la première chose que les
étrangers vont voir à leur arrivée. J'ai suivi
la coutume établie , mais je n'y ai rien trouvé
qui fût digne de la curiosité d'un voyageur.
En quittant le territoire de Pisco , j'entrai
dans la Province de Chinca , qui a pour
capitale aujourd'hui un petit bourg d'Indiens
qui porte le nom de la Province, Ce bourg
était autrefois une Ville puissante , qui , dans
son étendue , contenait près de deux cent
mille familles. On comptait dans celte Pro-
vince plusieurs millions d"habitans; actuel-
lement elle est déserte , car à peine y restc-
t-il deux cens familles. Je trouvai sur ma
route quelques monumens érigés pour con-
server la mémoire de ces géans dont parle
l'histoire du Pérou , et qui furent frappés de
la foudre pour un crime qui fit descendre
autrefois le feu du Ci«'l sur les villes do
Sodome et de Gomorrhe. Voici à ce sujet la
tradition des Indiens, Ces Peuples disent
que pesulant un déluge qui inonda leur Pays ,
ils se retirèreal sur les plus hantes inoDtajjacs
ET c t'Rin isns. ot^t
jusqu'à ce que les eaux se fussent ëcouK'e«
«l.ms In iniT; que lors(ju'ilsd«•s^^•lMli^l•Il^<li^n«
les p!,'<iii«-s , il> V tniuvi-n'Ul tlr> liuininrs diiiie
taillr cxtiaordin.iiif* , (|ui leur firi-iil une
gurrrc crui'Ili'; (fu<' ceux qui cchapptMful à
leur h.irliaric , furent ohligésdc chercher ua
nsih* dans \fs cavrrncs d«'s monlagnes ;
qu'après y avoir dt'iiu'uré plusieurs années,
ils apcrfUKMit dans K'sairs un jfune lionunc
qui foudroya h-sgcans , cl fpif , parla défaite
de ces usurpateurs, ils rentrèrent en posses-
sion de leurs anciennes demeures. On n'a pu
savoir en ({uei temps ce tlélu{:;e pst arrivé ;
c'est pciit-èlre un délut^e pailiculiei- tel (pie
celui de la Thessalie , tiont on démêle 1.1
vérité parmi les fal)les que les anciens nous
ont laissées de Peuealionet dePyrrlia. Quant
h l'exislenee et au crime des j;éans , je ne
m'y arrêterai point, d'autant plus (pie les
monumens que j'ai vus n'ont aucune trace
d'antiquité. Les vestiges des {guerres fameuses
(pii ont dépeuplé celti." Province, sont quel-
(jue eliose de plus réel. Pays autrefois cliar-
mant , ce n'est plus f[u'un vaste désert qui
vous attriste sur le mal lie ui eux sort de sas
anciens hahitans; on ne peut y passer sans
être saisi d'efTroî , et l'humeur sombre et
tran(|uille du peu d'Indiens qu'on y voit , .
semljle vous rappeler sans cesse les intorlunes
et la mort de leurs aïeux. Ces Indiens con-
servent très-chèrement le souvenir du der-
nier de leurs Ineas , et s'assemblent de temps
en tj'mpspour célébrer sa niémoiie. Ils chan-
tent des vei's à sa louange , et jouent sur leurs
234 LeTTRTS ÉDiriAKTES
flùles des airs si lugubres et si touclians ,
qu'ils excitent la compassion de tous ceux
qui les entendent. On a vu des effets frappans
de cette musique. Deux ludiens , attendris
par le son des instrumens , se précipitèrent ,
il y a quelques jours, du haut d'une monta-
gne escai'péc , pour aller rejoindre leur
Prince , et lui rendre dans l'autre monde les
services qu'ils lui auraient rendus dans celui-
ci. Cette scène tragique se renouvelle sou-
vent , et éternise par-là , dans l'esprit des
Indiens , ledouloureuxsouvenirdesmalheurs
de leurs ancêtres.
On rencontre dans la Province de Cliinca
plusieurs tombeaux antiques. J'en ai vu un
dans lequel on avait trouvé deux hommes et
deux femmes , dont les cadavres étaient en-
core piesque entiers. A côté d'eux étaient
quatre pots d'argile , quatre tasses , deux
chiens et plusieurs pièces d'argent. C'éli'it là
sans doute la manière dont les Indiens iuhu-
Tnait^nt leurs morts. Comme ils adoraient le
soleil , et qu'ils s'imai^inaient qu'en mourant
ils devaient comparaiiic devant cet astre , on
mettait dans leurs tombc^aux ces sortes de
présens pour les lui offrir et le fléchir en leur
faveur. Les Historiens conviennent que dans
plusieurs endroits du Pérou , les cadavres
conservent long-temps leur forme naturelle.
Soit que l'extrême sécheresse de la terre
produise cet effet, soit qu'il y ait quelqu'au-
Ire qualité qui maintienne les corps sans cor-
ruption , il est certain qu'il n'est pas rare
d'eu trouver d'entiers après plusieurs auuées.
ETCmiFUSKS. r>!?5
Ârica , autre petite ville du Pérou , n'est
pas plus cousi«ltT;«l>le rjue Pisco , mais elle
csl beaucoup plus renommée à cause du
commerce qu'y l'ont les Espagnols qui vien-
nent du Polosi , et d«'s autres mines du Pérou.
Celte Ville est située à i8 dej^résa^ minutes
de latitude méridionale: sa rade est fort mau-
vaise , et les vaisseaux y sont exposés h tous
les vents.
Quoique Arica soit sur le bord de la mer,
l'air V est trcs-mal-sain , et on l'appellecom-
munément le tombeau des P'rancais. Les
habilans ménu^ du Pays ressemblent plutôt
à des spectres qu'a des liommes ; l«s lièvies
malignrs , la jiulmonie , et en général toutes
les nialadies qui proviennent, ou de la cor-
ruj)iiou de l'air , ou des influences de celle
Corrn[>ti<)n sur le sang , ne sortent presque
jamais de leur Ville. 11 y a d.ms le voisina^^c
nne montagne toujouis couverte des ordures
de ces oiseaux de proie que nous aj'pelons
gouillans cl cormorans, elcjui se relircnt là
peudiinl la nuit. Comme il ne pleul jamais
dans la plaine du Pérou , ei que les chaleurs
y sonl excessi\e8 , ces ordures échauflées par
les rayons du soleil , exliab nt un<: odeur
emp«'slétM[ui doil iulecter l'almosplière. Le
nombre de- ces oiseaux est si grand , que
l'air en est (juelquefois obscurci. Le Gou-
verneur en retire un gros revenu : on se sert
de leurs ordures pour engraisser les terres
qui sont sè< lies et ai ides. Tous les ans il vient
plusieurs vaisseaux pour aclieler de cette
luurchaudise qui se Vi.'nU assez cher , eldout
23G Lettres édifiantes
tout le profit revient au Gouverneur, La
montagne d'où on la tire est creuse, et l'on
assure , sans beaucoup do fondement , qu'il y
avait autrefois une mine d'argent très-abon-
dante. Les habitans du Pays ont là-dessus
des idées fort singulières. Us s'imaginent
que le diable réside dans les concavités de
cette montagne, aussi-bien (|ue dans un autre
roclier , appelé Morno de lus didhlos ^ (pii
est situé h l'embouchure des rivières d' J f a
et de Scuna , h i5 lieues d'Arica. Ils préten-
dent que les Indiens ayant été vaincus parles
Espagnols, y avaient caclié des trésors im-
menses , et que le diable , pour empêcher
les Espagnols d'en jouir , avait tué plusieurs
Indiens qui voulaient les leur découvrir. Ils
disent aussi qu'on entend sans cesse un bruit
épouvantable auprès de ces montagnes; mais
comme elles sont situéts sur le bord de la
mer, je ne doute point (pie les eaux cjui
entrent avec violence dans leurs concavités ,
ne produisent cette espèce de mugissement
que les Espagnols , qui ont l'imagination
vive, et f[ui trouvent du merveilleux par-
tout, attribuent à la puissance et à la mali-
gnité du dialile.
Quelques jours après mon arrivée h Arira ,
il y eut un tremblejnent de terre si extraor-
dinaire , qu'il se fit sentir à d;'ux cens lieiiCS
h la ronde. Tobija , Arreguipa , Tagna ,
Mocbegoa , et plusieurs autres petites Vilhs
ou bourgs furent renversés. Les montagnes
s'écroulèrent, se joiguirentetengloutiientles
Villages bùlis sur les cuUines et daus les val-
rr CURIEUSES. ^'^f-
It'cs. Ce dt'iorilro dura deux mois ontins
p;ir iiiU'rvalli's Li*s secousses Clalenl si vio-
îeulJ's , qu'où ne pouvait se leuir drhoul ;
crpeudaut peu de personnes périreul sous
lesi uiiu-k des maisons, parce qu'elles ne sont
]);\(ies que de roseaux revc^lus d'une lerre
forl légère. Je lus (thligé de couclier près de
six semaines sous une lenle iju'on m'avait
dressée en rase campaj;ne , sans savoir ce (jue
je deviendrais. Mufui , je crus devoir quiller
les environs d'une Ville où je craignais à
loul moment délie englouti , et je pris la
roule il' 1 /o , petit bourg ii (juarnute lii^ues
de la. Mais avant de vous palier de ce nou-
vel endroit , je vais vous dire encore ua
ïiiot d'Ai ica.
Le (Gouvernement de cette Ville est un des
plus cousidéiahK's du IViou , à causf du
grand commerce' cjui s'y lait. En arrivant,
je trouvai dans le port sej)t vaisseaux Fran--
çais qui avaient liberté i ulière de tiafi<|uer.
Le Gouverneur lui-même , rpii est très-
liclie , et d'une |,<ri»l)ité iuliuie d;ins le com-
jnerce , fesait des aelials Cftnsidéiables pour
envoyer aux mines. Euviiou à une lieue de
la Ville, est une vallée cliarn>ante , remplie
d'oliviers , de palmiers , de bananiers et
autres ai bres semblables , planlés sur le bord
d un torrent qui coule entri di ux n-.nuiagni's,
et qui va se jelir dans la mer près d'Ariea. Je
n'ai vu nulle part que là une si grande (juaur
lité de loui t(.'relles et de pigeons rami< rs ;
les moineaux ne sont pas plus communs en
Fraace. Ou trouve aussi dans celle partie du
a38 Lettres édifiantes
Pérou , un animal que les Indiens appellent
guanapo , et les Espagnols carniero de la
tierra (i). C'est une espèce de mouton fort
gros, dont la tête ressemble beaucoup à celle
du chameau. Sa laine est précieuse et infini-
ment plus fine que celle que nous employons
en Europe. Les Indiens se servent de ces
animaux au lieu de bêles de somme , et leur
font porter deux cens , quelquefois 3oo livres
pesant -, mais lorsqu'ils sont trop chargés ou
trop fatigués , ils se couchent et refusent de
marcher. Si le conducteur s'obstine à vou-
loir , à force de coups , les faire relever ,
alors ils tirent de leur gosier une liqueur
noire et infecte , et la lui vomissent au visage.
J'ai vu encore aux environs d'Arica une
foule prodigieuse de ces oiseaux dont je vous
ai parlé. Vous apprendrez sans doute avec
plaisir la manière curieuse dont ils donnent
la chasse aux poissons. Ils forment sur l'eau
un grand cercle qui a quelquefois une demi
lieue de circonférence , et ils pressent leurs
rangs à mesure que ce cercle diminue. Lors-
que par ce moyen ils ont assemblé au milieu
d'eux une grande quantité de poissons , ils
plongent et les poursuivent sous l'eau , tandis
qu'une troupe d'autres oiseaux , dont j'ignore
le nom , mais dont le bec est long et pointu ,
vole au-dessus du cercle, se piécipileh pro-
pos dans la mer pour avoir part à la chasse,
et en ressort incontinent avec sa proie. Nos
matelots attrapent ces derniers oiseaux en
■ t
(c) Voyeï le Dictiouuaire Espajjuol.
iT r. rniEusrs. 2!^()
pinnfant, à fl< ur d'r;iu , et à vingt ou trtutc
pas du rivage, ud pi( ufait en forme de Innce,
au bout du((uel ils .-ittac-limt un pctii pois-
son. Ces oibeaux loiidtnt sur cc-tti" jnoie ,
avec tant d'inipétiiosilé , <ju'ils rc.sUiil pres-
que toujours cloués à rextiéniité du pieu.
Tous ces oiseaux ont un goût détestable -, les
niatflf>ts ménie peuvent à peine en suppoiter
l'odeur. Oti \(t\l pareillement sur cette côte
un nombre indni de iialeiues , de loups ma-
rins , de piiigoins et d'auties auiniaux de
cette espèce. Les baleines s'approcbent même
si près du rivupe , qu'elles y échouent quel-
quefois. C)n m'avait souvent parlé d'un ])ois-
6on d'une grosseur extraordinaire , à qui on
avait donné le nom de licorne ; j'ai eu le
plai.sirde le voir sur les côtes d'Arica. Il est
en cfTet d'une grandeur prodigieuse. Il nage
avec une rapidité singulière , et il ne se
nourrit guère que de bonites , de thons, de
dorades et d'autres poissous de cette espèce,
Comme cet animal a une longue corne h la
tète , et que les plus anciens pilotes n'en
avaient jamais vu de semblable , on lui a
donné le nom de licorne, nom qui lui con-
vient aussi-bien que celui de poùson spada
au poisson qui porte ce nom.
Je fus à peine à V!o , bourg situé au bord
de la mer à i -j degrés 4o minut<'s <le l.itilude
méridionale , que je m'empressai d(^ voir ,
aux enviions, une vallée délicieuse , plantée
d'oliviers , et arrosée par un torrintfjui t.irit
en hiver , mais que les neiges fondues qui
tombcQl du haut dc& monlagacs voisines ,
%i\0 I^ÏÏTTRES ÉDIFIANTES
enflent considérablement en été. 0})scrvez ,
Monsieur, que le mol d'biver dont je me
sers , ne doit être entendu (jue par rapport
aux hautes montagnes du Pérou , et non par
rapport ;i la j)laine, où la chaleur et l'été
sont éternels. Les Français avaient faitbîltir,
dans cette vallée , un grand nombre de maga-
sins très-bien fournis ; mais les derniers
tremblemens de terre en ont renversé la plus
grande partie. Je ne m'arièteiai point à vous
faire la description d'Ylo ; c'est un liès-petit
]>ourg où je n'ai rien vu de remarquable ;
,ç'est pourquoi je n'y suis resté que cinq jours.
Je n'ai pas fait un plus long séjour h Villa-
Hermosa , Ville célèJ)re par son allacheinent
aux Rois d'Espagne. Elle est à 4» lieues
d'Ylo du côté des nionlagnes. Au commen-
cement du règne de Philippe V , dont vous
savez l'histoire, cette Ville se montra d'une
manière qui fera toujours honneur à la
générosité de ses habitans. Rappelez-vous
l'affreuse extrémité où se trouvait le Roi
d'Espagne dans ses guerres avec l'Archiduc ;
rappelez-vous en même-temps les cruautés
inouies que les Esjiagnols avaient exercées
auparavant dans le Péiou , et vous verrez si
cette Nation avait droit d'attendre d'un
Pays , qui devait naturellement la détest(;r , les
services essentiels qu'elle en a reçus. Cepen-
dant les femmes d^ Viila-FIermosa vendirent
h vil prix leurs bagues , leiii s cercles d'or , et
tous les autres joyaux qu'elles possédaient ;
les hommes vendirent également ce qu'ils
avaient de plus précieux pour subvenir aux
besoins
ET CCfclE r SES. o..|i
}>esoins dn Prince. Lfs iius tl les autre*» j>e
dcpouillt'icnl de loul de leur [di-iii pré , uiii-
(jueuu'tit dans l'iiittiition de (onlrihuer au
«outien d'un .Mon;ir«jiu' <jue la lurluiie nhan-
donnait. Ln trait de grandeur (il'nmu »!
caraeléristi(]ue vt si toiiclinut , est , pour les
habitans de Villa-Heriuosa , un litre hien
marqué à l'estime et aux bienfaits des Rois
d'Espagne.
Guacho et ^li/znra sont deux priiles Villes
du mèrae Royaunie , (jui sont situées à \ i
degrés 4*^ minutes de latitude n)éridinnale.
l.a première a un jx-lit port à l'abri des vents
d'Ouest et de Sud , mais tort exposée à la
tramontane; en i^énéral elle est mal bAlie ,
mais elle est habitée par des Indiens d'une
franchise et d'une bonne toi adiniiables dan»
le commerce ({u'ils font d«' leurs denrées.
Les vaisseaux qui partent du l\*rou , soit
pour retouiiier en Franco , soit pour aller à
la Chim- , peuvent y faire d'cxeellenles pio-
visions plus commodément et à meilleur
marché «ju'en aucun aulre endroit du Pérou ;
ei ce qu'il y a de particulier, c'est (jue l'cîiu
qu'on y prend se conserve lonp-temps sur
mer sans se corrompre. La secondi; est assise
dans le lieu le pins riant , le plus agréable
et h; plus cham[iêtr«; du monde ; une rivière
coule au milieu -, les maisons y sont plus
Commo<les et beaucoup niicfux b;Uies que.
par-tout ailleurs ; j'ai renrarqué ((ue les habi-
tans de celte Ville n'avaient presqu'aucun,
des vices ordinaires à leur Nation. On peut
regarder ce petit caillou comme les délice»
Tome IX. L
1x^1 Lettres éoieiantes
àa Pérou , si l'on considère la douceur âa
génie des liabitans, l'aménité du climat, et
]a fertilité du Pays. Je vous avoue , Mon-
sieur , que je serais tenté d'y passer mes
jours , si la Providence ne m'avait point des-
tiné à les finir dans les travaux de l'Apostolat.
En sortant de cette dernière Ville , je diri-
geai ma route du côté de Cagnotte , bonrg de
la Province de Chinca. Je ne vous détaillerai
point tout ce que j'ai eu à souffrir dans ce
voyage. Je vous dirai seulement que ce Pays
est un peu moins aride que les Provinces
voisines, à cause du grand nombre de riviè-
res qui l'arrosent ; ce sont des torrens formés
par les neiges fondues qui tombent avec rapi-
dité du baut des montagnes, et qui entraî-
nent dans leur cours les arbres et les rochers
qu'ils rencontrent ; leur lit n'est pas pro-
fond , parce que les eaux se paitagent en
plusieurs bras ; mais leur cours n'en est que
plus rapide. Ou est souvent obligé de faire
plus d'une lieue dans l'eau , et l'on est heu-
reux quand on ne trouve point de ces arbres
et de ces rochers que les torrens roulent avec
leurs Ilots , parce que les mules intimidées
et déjà étourdies par la raj)idité et le fracas
des chiites d'eau , tombent facilejnent et se
laissent souvent entraîner dans la mer avec
le cavalier. A la vérilé on ti-ouve aux bords
de ces torrens des Indiens appelés Cymhn-
dorcs , ({ui connaissent les gués , et qui
moyennant une somme d'argent , conduisent
les voitures , en jetant de grands cris pour
aaimcr les mules, et les empêcher de »e
ET crmrrsFS. 2.J3
coucher dans l'eau. Mais si on n'a pas soin
de les bien payer , ils sonl capables de vou»
abandonner dans les endroits les plus dan-
gereux et de vous voir périr sans j)itié.
J'arrivai enlni à Caf;uetle , apiès viti^l-
quatre heures de falii^ues , de ciainles et de
périls. Je songeai d'abord h me reposer. Le
lendemain je parcourus ce liourg d'un bout
à l'autre. Les babitans m'en parujcnt pau-
vies et miMÎrables ; leur nourrituie ordinaire
est le blé d'Inde et le poisson salé. C'est ua
Pays inférai, triste et désert. L'habillement
des femmes est assez s:nj;ulier, il consiste
en une espèce de casaque (jui se croise sur le
sein , et (pii s'atlacbe avec une é})ingle d'ar-
gent , longue d'environ dix pouces , dont la
lèle est ronde et plate, et a six ou sept pouces
de diamètre ; voilà toute la parure des fem-
mes ; pour li's hommes ils sont \ètus à-pcu-
près comme les autres Indiens.
Les eaux d'un torrent voisin de Cagnette ,
s'étaient déboidées lorsque j'entrai dans le
territoire de ce bourg. Mes guides me dirent
alors qu'on ne pouvait , smus beaucouj) ris-
quer, continuer la route ordinaire, et qu'il
fallait me lésoudre à faire une journée
de plus , et h passer un pont qui se trou-
vait entre deux montagnes; je suivis leur
conseil ; mais (juand je vis ce pont , ma
fiayeur fut extrême. Imaginez-vous d( ux
polnli's de montagnes escarpées et sépaiées
par un précipice a/Treux, ou plutôt j)ar un
abime protond , où deux torrens rapides se
précipilcul avec un bruit épouvantable. Sur
L 2
^44 Lettres édifiante^
CCS deux pointes on a planté de gros pîeulT,'
auxquels on a attaché des cordes faites d'é-
corces d'arbres , qui passant et repassant plu-
sieurs fois d'une pointe à l'autre, forment
une espèce de rets qu'on a couvert de plan-
ches et de sable. Voilà tout ce qui forme le
pont qui communique d'une montagne à
l'autre. Je ne pouvais me résoudre à passer
sur celte machine tremblante qui avait plutôt
la forme d'une escarpolette que d'un pont.
Les mules passèrent les premières avec leur
charge ; pour moi je suivis en me servant
et des mains et des pieds , sans oser regarder ,
m à droite ni h gauche. Mais enfin là Provi-
dence me sauva et j'entrai dans la Province de
Pachakamnc. Je passai en quittant le pont
au pied d'une haute montagne, dont la vue
fait frémir; le chemin est sur le bord de la
mer , il est si étroit qu'à peine deux mules
peuvent y passer de front. Le sommet de la
montagne est comme suspendu et perpendi-
culaire sur ceux qui marchent au-dessous,
et il semble que cette masse soit à tout mo-
ment sur le point de s'écrouler; il s'en dé-
tache même de temps en temps des rochers
entiers , qui tombent dans la mer , et qui
rendent ce chemin aussi pénible que dange-
reux. Les Espagnols appellent ce passage cl
mal passo d'ascin , à cause d'une mauvaise
hôtellerie de ce nom qu'où trouve à une
lieue de là.
Dans l'espace de plus de quarante lieues ,
je n'ai pas vu un seul arbre , si ce n'est au
bord des torrens ,■ dont la fraîcheur entre-
ETCURIF. USns. Î^S
lient un j.eu de vt-rdure. Ces déserts inspi-
rent une secrette liorit-ur ; on n'y rnlend le
clinnt d'aucun oiseau ; et dans touU-5 ces
montagnes je n'en ai vu qu'un appelé condor^
qui est de la grosseur d'un mouton, qui se
j)erclie sur les montagnes les plus arides , et
3ui n»' se nourrit que des vers qui naissent
ans les sables brùlans dont les montagnes
sont environnées.
La Province de Pacliakamac est une des
plus ronsidérables du Pt'rou ; elle porte le
nom du Dieu principal des Indiens ({ui ado-
retit le soleil sous ce nom , comme l'auteur
et le principe de toute chose. La ville capi-
tale de cette Province était fort puissante
autrefois , et renferm;iil j)lus d'un million
d'ames d.ins son enceinte. Elle fut le théâtre
de la puerre des Espagnols qui l'arrosèrent
du sang de ses hal)it;ins. Ji; passai au milieu
des débris de celte grande ville -, ses rues
sont belles cl spacii-uses, mais je n'y vis que
des ruines et des osx-mens entassés. Il règne
parmi ces masures un silence qui inspire
de l'elFroi , et rien ne s'y piésente à la vue
qui ne soit affreux. Dans une grande place
qui m'a paru avoir été le lieu le plus fré-
quenté de celte ville, je vis plusieurs corps
que la qualité de l'air et de la terre avait
conservés sans corruption ; ces cadavres
étaient épars çà et là ; on distinguait aisé-
ment les traits de leurs visages, car ils avaient
seub-nient la jieau plus tendue et plus blan-
che que les Indiens n'ont coutume de l'avoir.
Je ne vous parlerai point de plusieurs
L 3
24^ Lettres édifiantes
autres petites villes que j'ai vues dans ma
route; je me contenterai de vous dire qu'en
général elles sont pauvres , mal bîlties , et
tiès-peu fréquentées des voyageurs.
MÉMOIRE HISTORIQUE
Sur un Missionnaire distingué , de VAméri'
que méridionale,
JLiE Père Castagnares naquit le 25 Sep-
tembre iGS-jàSalta, capitale de la Province
du Tucuman. Son ardeur pour les Missions
se déclara de bonne heure, et le fit entrer chez
les Jésuites. Après le cours de ses études , il
se livra par préférence à la Mission des Chi-
^uites. Pour arriver chez ces peuples , il
fallut parcourir plusieurs centaines de lieues,
dans des plaines incultes , dans des Lois , sur
des chaînes de montagnes, par des chemins
rudes et dillîcilcs, coupés de rochers a (Treux
et do profonds précipices , dans des climats
tantôt glacés , tantôt embrasés. Il parvint
enfin chez les Chiquites. Ce paysesl extrême-
ment chaud , et par la proximité du soleil ne
connaît iju'une seule saison qui est un été per-
pétuel. A la vérité, lorsque le vent du Midi
s'élève par intervalles , il occasionne une
espèce de petit hiver ; mais cet hiver pré-
tendu ne dure guères de suite qu'une se-
xaaiue , et dès le premier jour que le veut du
ET CL'IllEISrS. ^{7
Nord se fait sentir, il se change en iinr rh.i-
Ic'ur nirciiMantc.
La n.ttui»' a clrangcmcnt h sourfiir (lins
un pareil clinint. Le froment el le vin y
sont inconnus. Ce sont «les biens <juc ces
Icrrcs ardentes ne produisent pas, non-plus
que lieaucoup d'autres fruits qui croissent
on I*Lurop<' el même «lans d'au lies contrées
de l'Amérifjue méridionale.
Un plus grand obstacle au succès d'une
si grande entreprise est rextrènie diffîcullé
de la langue des Chif/uitcs qui fatigue et
nhuir les nuilleurt-s mémoires. Le Père
(^■isl«gnaies , après l'avoir apprise avec un
(ravail inconcevable , se joignit au Père
Suarez l'an 1720 , pour pénétrer dans le
pavs des Sotiiiu/ucs , ( Peuple alors barbare,
misaujourd'lmi Cliréticn ;, dans l'intention
de les con^ertir et de découvrir la rivièixi
du J^ilconia) o , pour fariliierla cciuimuni-
cation de la iMission des Chiquiles avec celle
des (iuaraiùs qui habitent b-s rives des deux
fleuves prineij)au\ ; ces deux fleuves sont
le P.uana et l'Liaguay , lesqui'ls forment
ensuite le lleuve immense de la Plala. Quant
au Pilconiayo , il coule des montagnes du
IVrou , d'Occident en Orient, presque jus-
qu'à ce qu'il décharge ses eaux d.uis le grand
ih'uve du Paraguay; el celui-ci entre dau,*'
le Parana à la vue de la Ville de lus Cor-
rientfs.
Les Supérieurs avaient ordonné aux Pères
Patigno et ilodriguez de sortir du pays des
(juaranis , avec quelques canots et un nom-
L 4
îi4^ Lettres édifiantes
Lie suflîsant de personnes pour les conduire ,
de reinonler le fleuve d-u Paraguay , pour
prendre avec eux quelques nouveaux ou-
vriers à la ville de l'Assoinplton , et de re-
monter tous ensemble le bras le plus voisin
du Pilcomoyo. Ils exécutèrent ponctuelle-
ment cet ordre , et remontèrent le fleuve
l'espace de quatre cens lieues , dans le des-
sein de joindre les deux autres Missionnai-
res des Chiqiiitcs , de gagner en passant l'af-
fection des Infidèles qui habitent le bord
de ce fleuve , et de disposer insensible -
ment les cFioses à la conversion de ces bar-
bares.
Le succès ne répondit pas d'abord aux
travaux immenses qu'ils eurent h soutenir :
mais le Père Caslagnares eut la constance
de suivie toujours le même projet; il ne se
rebuta point , et espéra contre toute espé-
rance. Cette fermeié eut sa récompense. Les
Samuqucs se convertirent au moment qu'on
s'y attendait le moins. Le Père était à l'iia-
bitation de Saint-Josepb , déplorant l'opi-
niûtreté de ces barbares, quand il arriva tout-
û-coup à la peuplade de Saint- Jean -Bap-
tiste , éloignée de Saint- Joseph de treize
lieues, près de cent personnes , partie Sii-
muques, partie Cucutades , sous la canduiie
de leurs Caciques, demandant d'être mis au
nombre des Catéchumènes. Quelle joie pour
les Missionnaires et les Néophytes ! Aussi ,
quel accueil ne firent-ils pas a des hommes
qu'ils étaient venus chercher de si loin, et qui
se présentaient d'eux-mêmes ? On baptii>a
ET CURltUSES. 249
dès-lors les enfans de ces barbares. Mais,
parce que plusieurs des adultes tombèrent
malades , le Fère Ilerbas , Supérieur des
Missions, jugea à propos de les reconduire
tous dans leur pays natal , pour y fonder une
peuplade,."» laquelle il donna par avance le
nom de Saint-Ignace.
Le Supérieur voulut se trouver lui-même
h la fondation , et prit avec lui le Père Cas-
tagnares, qui voyait avec des transports de
joie c[ue de si heureux préparalits commen-
çaient à remplir les plus ardens de ses v(eux.
Les Pères mirent quaianle jours à gagner
les terres des Samiiques , avec des travaux si
excessifs , que le Père Supérieur, plus avancé
en Ai^e , ne les put supporter , et qu'il y
perdit la vie. Castagnares , d'une santé plus
robuste et moins avancé en Age , résista à la
fatigue, et pénétra , avec les Smnuques qui
le suivaient , et quelques Chiqiiitcs , jus-
qu'aux Çui iitadis {{ui habitent le boid tl'uri
torrent quelquefois presque à sec , et qui
forme quel(|U(fois un lleuve considérable»
C'est là qu'est aujourd'hui située l'habita-
tion dcSaint-Ignacedes6'rtmî/(7uc.T .lien posa
les premiers fondemens ; et , ayant perdu
son compagnon , il se vit presque accablé
des travaux qui retombaient tous sur lui seul.
Il avait à souffrir les influences de ce rude
climat , sans autre abri qu'une toile destinée
à couvrir l'autel f»ii il célébrait. Il lui fallut
encore étudier la langue baibare de ces Peu-
ples, et s'accoutumera leur nourriture , qui
n'est que de raciucs sauvages. Il s'applic^ua
L i
aSo Lettres édttiantes
sur-tout à les humaniser dans la terre même
de leur habitation , ce qui peut-être n'était
guère moins dirticile que d'apprivoiser des
hètes féroces au milieu de leurs foiêts. Mais
les forces de la grâce applanissent toutes les
dlftîcultés , et rien n'étonne un cœur pleia
de l'amour de Dieu et du prochain.
Tel était celui du Père Castagnares : par
sa douceur , son afTabililé» sa prudence , et
par les petits présens qu'il fesait à ces bar-
bares , il gagna absolument leur amitié. De
nouvelles familles venaient insensiblement
augmenter l'habitation de Saint-Ignace. C<'S
accroissemens imprévus remplissaient de
consolation le zélé Missionnaire , et le fc-
saient penser à établir si bien cette fonda-
tion , que les Indiens n'y manquassent de
rien , et ne pensassent plus h errer, selon
leur ancienne coutume, en vagabonds, pour
chercher leur subsistance dans les forêts.
Mais comme le Père se trouvait seul , et qu il
aurait fallu leur faire cultiver la terre, et
leur fournir quelque bétail qui pût leur don-
ner de petites douceurs, ce n'était là que de
belles idées qu'il était impossible de réaliser ,
jusqu'à ce qu'il lui arrivât du secours et des
compagnons.
Cependant le Seigneur adoucit ses peines,
et lui fesait trouver de petites ressources ,
d'autant plus sensibles qu'elles provenaient
de l'affection de ses Néophytes. Un Saniu-
aue , dont il n'avait pas été question jusques-
là , allait de temps-en-tcmps dans les forêts
Toisiaes, sans qu'on le lui commandât ou
ETCCRIEUSES. '*5t
qu'op l'en priât, luait un snnglicr et .illait
If mcltr»; à la porti- ilu Missionnaire, se re-
tirait cMsnitc , sans demander ancuno de cc$
bagatelles qu'ils estiment tant, et sans même
attendi-c aucun remereimeut. L'Indien fit
au Fère trois ou quatre fois ces piésens dé-
ftiméressés.
Une cliosc manquait à cette habitation ,
chose absolument nécessaire , le sel. Ce ])ays
avait été privé jusques-là de salines; matg
on avait ([uehjue soupçon vaj;uc cpj'il y en
avait d.ms les terres des '/uithrtiitv.s. Un
gran<l nombre d'Indiens voulut s'en assurer
et éclaircir ce fait. Après avoir parcouru
toutes les forêts , sans avoir découvert au-
cune marque qu'il y eut du sel , un de ce»
Indiens monta sur une petite éminence pour
voir si dtr là on ne découvriiailjien de ce qui
élait si ardemment désiré. Il vit à très-peu
de distance une mare d'eau colorée, envi-
ronnée de bruyères. La chaleur qu'il endu-
rait l'engagea à traveiser ces ])ruvères [)Our
aller se baigner. En cnlianl dans r<:au il
remanjua (jue la maie éiail couverte d'une
espèce de verre, il enfonça sa main, et la
retira pleine d'un sel à demi-formé. L'In-
dien , satisfait , appela ses compagnons ; et
le Missionnaii»; en étant informé , prit des
mesures pour faire des chemins sîirs (jui y
aboutissent et pour les mettre à l'abri des
barbares idolùtres.
Le PèreCastagnares entreprit ensuite avec
ses Indiens de construire une petite Eglise ;
et, pour remplir le projet gênerai qu'il avait
L 6
2 52 Lettres" ÉDIFIANTES
formé, il voulut défricher des terres pour
les ensemencer; mais comme les Indiens ne
sont point accoutumés au travail , il fallait
être toujours avec eux , exposé aux rigueurs
du climat, et souvent le Père arrachait lui-
même les racines des arbres ffue les Indiens
avaient coupés, et il mettait le premier la
main à taut pour animer les travailleurs.
Les diic/uites fesaient leur part de l'ou-
vrage ; mais ils disparurent tout-à-coup, et
s'en retournèrent chez eux. Leur éloigne-
ineiit nous jit beaucoup de peine , dit un de
nos Missionnaires , parce quits avaient soin
de quelques vaches que nous aidions. Nous
ne nous étions pxnnt aperçus avant leur éloi-
gnetnent de la crainte excessive que les Sa-
inuques ont de ces animaux , qu'ils fuient
avec plus d'fwrreur que les tigres tes plus
féroces. Ainsi , nous nous vîmes obligés à
tuer les veaux de notre propre main , quand
nous avions besoin de v>iande , et à traire
les vaches pour nous nourrir de leur lait.
Ce fut alors qu'arriva une aventure assez
plaisante. Les Zathéniens , avec quelques
Samuques et les Cucutades , se liguèrent
pour faire une invasion dans la peuplade de
Saint-Joseph. Ils en étaient déjà fort près
lorsqu'^un incident leur fît abandonner ce
dessein. Les vaches paissaient à quelque dis-
tance de l'habitation. La vue de ces ani-
maux et les seules traces qu'aperçurent les
Zaf/ie/îien.v leur causèrent tant de frayeur,
que , bien loin de continuer leur route ,
toute l«ur vakuf ne pul les epipècUei- de
ET r CRI ECSE5. "y')^
Tuir nvrc la plus grande tl la plus liJreule
précipilatioii.
Difu ptTiiiil alors qu'une praiulo inal;i<lic
inlcrroinpit les projcl.s tlu l'rrr (^n,«.t;ti;n;iu-s ;
mais, r|uoi(](ril fùl sans .secours , ri clnns un
pavs où il niaui|uait ili- lout , I.t niènir l'ro-
tidrncr rétablit l>ic'nl«*'( sa sauté dont il t'csait
un si bon usai;r. Il ne fut pas plutôt remis et
cou\alrj,rful , fju'il s<- livra à de plus giaiids
travaux.
il est un j>oinl de resscniMance entre les
hommes Aposlolicjues et les anciens Cou-
(jiM-rnns. Ceux-ci ne' pouvai«'nl apprendre
(pi'il V eût h côté de leurs Etats d'autres re-
liions indépendantes , sans biùler du desir
de les asservir et d'en auj^nu'ntcr leur Em-
pire. El les hommes Apostoliques rjui par-
courent des contiées inlidéles , quatrd ils ont
soumis quel(|ues-uii$ de c«'s Peuples ido'A-
tres à l'Evani^ile, si on leur dit (ju'au-delà
il est une Nation chez oui le nom di- Jésus
n'a pas encore élé prononcé, ils ne peuvent
s'arrèl«'r; il^iut que leur zèle se satisfasse ,
et qu'ils aillent y réj)andie la lumière de
l'Evangile. La difficulté , les dangers , la
crainte même d'une mort violente , tout
cela ne sert qu'à les animer davantage : ils
se croient trop heureux, si , au prix de leur
sang, ils peuvent arracher quehjues âmes à
l'ennemi du salut. C'est ce (|ui détermina le
Père Castagnares à entreprendre la conver-
sion des Tercnes et des i\ftitMgu<iis.
Sa Mission chez les Tcrèncs n'eut pas de
succès, cl il fui obligé , après bieu des iali-
2 54 Lettres édifiantes
gucs , de revenir à l'iiabitalion de Saint-
Ignace. De là il songea à faire l'importante
découverte du Pilcomayo ^ dont nous avons
déjà parlé , et qui devait servir à la commu-
nication des Missions les unes avec les au-
tres. Apres avoir navigue soixante lieues, ne
pouvant continuer sa roule par eau , il prit
terre et voyagea à pied en côtoyant le rivage
du fleuve. Etrange résolution ! le pieux îMis-
sionnaire n'ignorait pas qu'il lui i'alLtit tia-
ver.îcr plus de trois cens lieues de pays, qui
n'étaient habitées que par des JNations féroces
et barbares. Il connaissait la stérilité de ces
Cotes. Malgré cela , avec dix hommes seu-
lement , et une très-modique provision de
vivres, il osa tenter l'impossible. Il vovagea
dix jours , traversant des terres inondées ,
dans l'eau jusqu'à la poitrine , se nourrissant
de quelques dattes de palmiers , souHrant
nuit et jour la persécution des insectes
qui épuisaient son sang ; il lui fallait sou-
vent marcher pieds nus dans des maié-
oages couveits d'une herbe dure, et si tran-
chante, qu'elle ne fesait qu'une plaie de ses
pieds , qui teignaient de sang les eaux qu'il
traversait. Il marcha ainsi , jusqu'à ce
f[u'ayant perdu toutes ses forces et manquant
de tout , il fut obligé de se remettre sur le
fleuve pour s'en retourner à l'habitation de
Saint-Ignace. ^
Son repos y fut court : la soif de la gloire
de Dieu le pressa d'aller chez les barbares
nommés Mataguais. Un Espagnol , dont le
nom était Acçzar, siûcèreineut coavcrii par
les cxliortalifMis du Mii>si«>iiii;iiri' , l'arcom-
pagtta , malgré les rcprt'sfnlations de ses
amis t'i l'»'vl«li'iicf du dangi-r. Ils arrivè-
rent : li's l)ai harrs I<'s rirurtnl Ititu ; ni;iis
il y avait clu-z une dation axaiicée dans les
terres, un Caci(|ue ennemi déclaré dl•^ .Mib-
sionnaires, de leurs .Vcophylcs cl de tout ce
qui eonduisailan (Jirislinnismc. (lo perfide
vint inviter \v Père à tondrr une pcujilade
elu'/, lui. Le Missionnaire erovanl 1 invila-
liou sincère , voulait s'y rendre ; mais il y
eut des Indiens qui eonnaissaieul la mauvaibC
intention du Caei(|ue, et qui ne nianf[uèrent
pas d'avertir le l\re du dan^;er auquel il
allait s'exposer.
Il résolut donc de s'arrêter pendant quel-
que temps chez les prcuiiers Ma ùi citais qui
l'avaient accueilli. Dans cet intervalle il n'y
eut point de caresses qu'il ne lit au Cacique
et à sa troupe. Il le renvoya enfin avec pro-
messe fju'aussilùt qu'il aurait achevé la (Jlia-
pelle qu'il voulait bûtir, il passerait dans sa
Nation pour s'y établir. Le Cacique dissi-
Uiulé se relira avec ses gens. Le Père se
croyant en pleine sûreté , envoya ses com-
pagnons dans la foret pour couper les bois
propres à la construction de la Chapelle , et
les Mataguaix qui lui étaient fidèles pour les
rapporter. Ainsi , il resta presque seul avec
yicozar. A peine ceux-ci s'éiaicnt-ils éloi-
gnés , qu'un Indien de la suite du traître
Cacique retourna sur ses pas. Que voulez-
vous, lui demanda le Père? Il répondit qu'il
rcvcuait pour chercher soa chien qui s'élail
256 Lettres édifiantes
égaré ; mais il ne revenait que pour remar-
quer si le Père était bien accompagné ; et ,
le voyant presque seul, il alla sur-le-champ
en donner avis à son Cacique j qui revint à
l'instant avec tousses gens, assaillit le Père
avec une fureur infernale , et lui ôta sacri-
légement la vie. Les autres barbares firent
le même traitement h ^^^ros^r, qui eut ainsi
le bonheur de mourir dans la compagnie de
cet homme Apostolique. Aussitôt ils mirent
la Croix en pièces : ils brisèrent tout ce
qui servait au culte Divin, et emportèrent
triomphans tons les petits meubles du Mis-
sionnaire, comme s'ils eussent remporté une
victoire mémorable. La mort, ou , pour
mieux dire , le martyre du Père Augustin
Castagnares arriva le i5 Septembre i'^44,
la cinquante-septième année de son ùge.
LETTRE
Du Révérend Père Cat, Missionnaire de la
Compagnie de Jésus , à Monsieur. . . .
A Buenos - Ayres ,
le 18 Mai 1729.
«J E me liAte , Monsieur , de remplir la
promesse que je vous ai faite en partant,
de vous écrire les particularités de mon
voyage, qui , aux fatigues près d'uQ trajet
tT CURICrSES. ^5^
long cl pénible, a élc di-s plus heureux.
Je sortis le 8 de Novembre iç38 , de la
rade de Cadix , avec trois Mii^iounaiies de
notre C<)in|»aynie.
I^oussé par un vcnl f.ivf>ral)le , l'équipage
perdit bii'ulôl la terre tle vue , et la navitra-
tion fui si rapide, qu'en trois jours el demi
nous arriv.\mrs à la vut! des Canaries. Mais
alors le >ent avant cli.>nj;é , nous fûmes obli-
gés de lnuv<»yer jusqu'au i(), jour au(|U(l
nous mouillâmes à la baie de Sainte-Cioix
de TéiicrilVe , où nous nous arrcliimes quel-
que-temps pour faire de nouvelles pro -
visi(ms.
Je ne trouve rien de plus ennuyeux que
le séjour d'un vaisseau arrêté dans un poiî.
Heureusement nous ne restâmes pas long-
temps dans eelui où nous étions , et le 26
Jan\ier nous nous truu\;'imes sous le tropi-
qu<' <lu cancer. Je fus alors témoin d'un spec-
laelc .luquel je ne m'attendais guères. Ou vit
yarailre toup-à-coup sur le vaisseau dix ou
douze aventuriers <jue personne ne connais-
sait. C'était des gens ruinés , (|ui , voulant
passer aux Indes pour y tenter fortune ,
s'étaient glissés dans le navire parmi ceux qui
y avaient porté les provisions, et s'étaieivt
cacbés entre les balb^ts. Ils sortirent de leur
retraite les uns après les autres, bien persua-
dés (| n'étant si avancé en mer on ne clier-
cherail point un port pour les mettre il
terre. Le Capitaine, indigne de voir tant
de bouelies surnuméraires , se livra à d(s
Irauspoils de fureur , qu'on eut bien de
258 Lettres édifiantes
la peine à calmer : mais enfin on en vint
à bout.
Quoique nous fussions sous la zone Tor-
ride , nous n'étions cependant pas loul-h-fait
à l'abri des rigueurs de l'hiver, parce que
le soleil était alors dans la partie du Sud ,
et qu'il régnait un vent frais qui approchait
de la bise. Le printemps siirvint tout-à-
coup; quelques semaines après nous éprou-
vâmes les chaleurs de l'été , qui ne cessèrent
pour nous que quand nous eûmes passé le
tropique du Capricorne. Alors nous nous
trouvâmes en automne, de soi te qu'en moins
de trois mois nous eûmes successivement
toutes les saisons.
Le i8 de. Février nous passâmes la ligne.
Ce jour sera j)our moi un jour à jamais mé-
ÏTiArnhlc. Otî célébra une fête qui vous
surprendra par sa singularité. Nous n'avions
dans le vaisseau que des Espagnols : vous
connaissez leur génie romanes(,[ue et bizarre,
mais vous le connaîtrez encore mieux p.w
la description des cérémonies qu'ils obser-
vent en passant la ligne. La veille de la fêle
on vit paraître sur le tillac une troupe de
matelots armés de pied en cap , et précé-
dés d'un Héraut qui donna ordre h tous les
passagers de se trouver le lendemain à une
certaine heure sur la plate - forme de la
poupe, pour rendre compte au Président (i)
de la ligne, des raisons (jui les avaient en-
( 1 } Nom qu'on donna au principal Acteur de la
Cuiuédie.
FTCCRIECSES. aî>J|
gMgés à Tenir naviguer dans ers mrrs, <t lui
dire de qui ils en avaient obtenu la permis-
sion. L'Éilit fut aniclié au grand luAl ; le»
malrlots le lurent les uns npris 1rs autres ;
car lel était l'ordrt' du l^iésidint , après
quoi ils se retirer«-nt dans le bilenee le plus
resp<,'ctneux et le plus profond. Le lende-
main, dès le matin, on dressa sur la plate-
forme une table d'environ trois pieds de
largeur sur eiiuj de longueur: on y mil un
tapis, d<*s plumes, du pipier, de l'encre et
plusieurs cbaises à l'entour. Les matelots for-
mèrent une compaj^nie beaucouj) plus nom-
breuse que la veille; ils étaient habillés en
dragons , et chacun deux était armé d'un
sabre et d'une lance. Ils se rendirent au lieu
marqué au bruit du tambour, ayant des Of-
ficiers à leur tête. Le Piésîdent aniva îe
deinier. C'était un vieux Catalan (jui mar-
chait avrc la gravité d'un roi de théâtre.
Ses manières ridiculement hautaines, join-
tes à son air original et burlesfjue , qu'il
soutenait du plus grand sang-fniid , fesait
bien voir qu'on ne pouvait choisir per-
sonne qui fut plus en état de jouer un pa-
reil ?<Me.
Aussil»^t que le digne personnage fut assis
dans le fauteuil qu'on lui avait préparé, on
fit paraître de\aut lui un homme (jui avait
tous b's défauts du 'I hcrsite d'Homère, ()q
l'acrcusait d'avoir commis un ciime avant le
passage de 1» ligne. Ce prétendu coupable
voulut se justifier, mais le Président regar-
dant ses excuses comme autant de manques
aGo Lettres édifiantes
d'égards, lui donna vingt coups de canne,
et le condamna à être plongé cinq fois
dans l'eau.
Après cette scène , le Président envoya
cliercher le Capitaine du vaisseau, qui com-
parut tête découverte , et dans le plus grand
respect. Interrogé pourquoi il avait eu l'au-
dace de s'avancer jusques dans ces mers? Il
répondit qu'il en avait reçu l'ordre du Roi
son Maître. Cette réponse aigrit le Président ,
qui le mit h une amende de cent vingt fla-
cons de vin. Le Capitaine représenta que
cette taxe exccd.iit de beaucoup ses facul-
tés ; on disputa ([uelque temps -, et ^ enfin , le
Président voulut bien se contenter de vingt-
cin([ flacons , de six jambons et de douze fro-
mages de Hollande", qui furent délivrés sur-
)e-thanip.
Les passagers furent cités à leur tour les
uns après les autres. Le Piésident leur fit à
tons la même demande qu'au Capitaine ; ils
répondirent de leur mieux, mais toujours
<i'une manière plaisante «-t digne des inter-
rogations absurdes du Président , qui finit
sa séance par metlie tout le monde à con-
tribution.
Quand la cérémonie fut achevée, le Ca-
pitaine et les (^fficii-rs du vaisseau servirent
au Piésident les rafraîcbissemens de toute
espèce, dont les matelots eurent aussi leur
part; mais la scène n'était point encore finie.
Dès qu'on fut sur le point de se séparer, le
Capitaine du vaisseau , q«ii s'était retiré quel-
que temps auparavant, sorlit tout-à-coup de
STCCMEUSES. tifil
sa cliamLre , vi di-Tnanda d'un ton fier et
iitrogant ce que signifiait celle assemblée ?
Ou lui répoiidil <|uo c'était le cortège du
Pié^idcnl de la ligne. J^e Pri'sidvnt de la
lii^rtc , reprit le Capitaine en colère ! de qui
ifeut - vu nie parler? ne suis -je point le
maille ici , et quel est l'insolent qui ose nie
disputer le domaine de mon vaisseau ?
Qu'on saisisse à l'instant ee n belle et qu'on
le plunt;e dans la mer. A ces mots le Prési-
dent trouldé se jeta aux genoux du Capi-
taine , qu'il pna très» instamment de com-
muer la peine ; mais tout tut inutile , il
fallut ohéir. On plongea troiî)lois dans l'eau
sa lisiide Excellence , et ce Président si res-
pectable , qui avait fait tremblt r tout l'étjui-
page , en de\ inl lout-à-coup le jouet et la
nsée. Ainsi se termina la Fête.
Feut-i'^re étiez-vous déjà instruit de cet
usage ; mais vous ignoriez peut-être aussi la
manière dont il se pratique; parmi les Espa-
gnols , qui surpassent , en fait de plaisanle-
iies originales , toutes les autres Nations. Je
ne sui.s point entré dans tous les détails de
cette Fête qui est sujette à bien des ineonvé-
riens ; je n'ai voidu que vous donner une
idée du caraelcre d'un Peuple qu'on ne con-
naît point encore assez.
Lorsque nous ciimes passé la ligne , nou»
éj)rouvânu's des calmes qui nous eliagrinè-
n-nt autant que le passage nous avait léjouis.
Pour tromper notre ennui , nous nous occu-
pions à prendre des chiens de mer , ou re-»
^[ulus. C'est uu poiâsou fort gros, qui a
a6*2 Lettres édifiantes
ordinairement cinq ou six pieds de long , et
qui aime beaucoup à suivre les vaisseaux.
Parmi ceux rjue nous prîmes , nous en trou-
vâmes uu qui avaitdans le ventre deux dia-
jnans de giand prix que le Capitaine s'ap-
propria , un bras dhomme et une paire de
souliers. La chair de ce poisson n'est rien
ïnciins qu'agréable : elle est fade, liuileuse
et mal-saine ; il n'y a guère que les matelots
qui en mangent, encox'e n'eu lîiangeraient-
ils pas s'ils avaient d'autres mets.
Nous n'avions pour le pêcber d'autre ins-
trument que l'hameçon que nous avions soia
de couvrir de viande. Alléché par l'odeur ,
cet animal venait accompagné d'autres pois-
sons appelés Jiofiie/n/os , qu'on appelle les
pilotes , parce qu'ordinairement ils le précè-
dent ou l'enlourent. 11 avalait le morceau
que nous lui présentions , et dès qu'il était
liors de l'eau , on ^'armait d'un gros bAtoa
et on lui cassait la tète. Ce qu'il y a de sin-
gulier, c'est que les poissons qui l'acompa-
gnaient , le voyant pris , s'élançaient eu foule
sur son dos comme poui- le détendre, et se
laissaient prendre avec lui.
Le Rcijiiiii ne fut pas le seul poi.sson que
nous prîmes- Il en est un que j'étais fort
curieux de voir , et je ne tardai pas h me
satisf lire : c'était \e poissoti vuhini. Celui-ci
a deux ailes foil semblables à celles de la
chauve-souris; on l'a;. pelle poiao/i volant^
parce que pour se dérob(;r aux poursuites
d'un autre poisson très-voracc , nommé la bo-
fiitCt ilâ'élancc hors de l'eau , cl vole avec uue
ETCTTRiruSES. 2^3
rapidité merveilleuse h deux ou trois jets de
pierre , «près quoi il retomlx; dans la mer ,
qui est son élénienl naturel. Mais eoninie la
ounitr est fort ayile , elle le suit à la nage ,
et il n'est pas rare qu'elle so trouve à temps
pour le recevoir dans sa gueule au monient
où il retombe dans l'eau , ce (|ui ne maiM|ue
jamais d'arriver lorsque le soleil , ou le trop
grand air commence à sécher ses aili'.*». Les
poissons volans , comme presque tous les oi-
seaux de mer , ne volent puère qu'en bande,
et il en lojnbe sou\enl dans les vai.s.seaux.
Il en tomba un sur le nôtre : je le pris dans nia
main , et je l'cxamiuMi à loisir. Je le trouvai
de la grosseur du wulet de nier , dont le
}{. P... vous a donné la description dans la
lettre curieuse qu'il vous écrivit l'an pa.ssé.
!Vlaisdeu\ ( hoses m'onlextrèmement lr;:ppé ,
c'est sa vi\at:ité extraordinaire et sa piodi-
gieuse familiarité. On dit que cet oiseau
aime beaucoup la vue des lioranies ; si j'en
jiif^epar la (juaiitilé f(ui vollige;iienlsans cesse
autour d«- noli-e na>ire, je n'ai aucune peine
à le croire ; d'ailleurs, il arrive souxeul (jue
poursuixi par la bonite , il se rélutîie su!' le
premitr vaisseau qu'il ri-ncontre, et se laisse
prendre par les matelots qui sont oïdinalre-
ment iissez j^éncreiix ou assez peu ;'n;atcurs
de sa cliair pour lui rendre la libellé.
Le 'aG Février nous eûmes le soleil k
pic ^t), et à midi nous lenjarquamcs que les
(i) Ato't Ir soleil à pic , c'est l'avoir à j.lomb et
prrpoodiculiiirciueai'
-•^^4 Lettres édifiaî^tes
corps ne jetaient aucune ombre. Quelques
jours auparavant nous avions essuyé une
tempête que je ne vous décrirai point ici ;
je vous dirai seulement que ce fut dant cotte
circonstance (jue je vis le feu Saint -Elme
pour la première fois. C'est une flamme
légère et bleuâtre , qui parait au haut d'un
inAl ou à l'extrémité d'une vergue. Les Mate-
lots prétendent que son apparition annonce
la (in des tempêtes; voilii pourquoi ils por-
tent toujours avec eux une imnge du Saint
dont ce feu porte le-noni. Aussitôt que j'aper-
çus le phénomène , je m'approchai pour le
considérer ; mais le vent était si furieux et
1« vaisseau si agité , que les mouvemens di-
vers que j'éprouvais , me permirent à peine
de le voii" quehjucs instaus.
Voici une autre chose que j'ai trouvée
digne de remarque. Lorsqu'il jdcnit sous la
7one torride , et sur-tout aux environs de
l'équatcur , au bout de quchjues heures la
pluie paraît se changer en une multitude de
petits v^?rs blancs assez semblables h ceux
<jui naissent dans le fromage. Il est certain
que ce ne sont point les gouttes de pluie qui
se transforment en vers. Il est bien jdns
naturel de croire que cette pluie , qui est
très-chaude et très-mal saine , fait simple-
ment éelore ces})etits animaux , comme elle
fait éelore en Europe les chenilles et les
a^ilres insectes, (jui rongent nos espaliers.
jQuoi qu'il en soit, le Capitaine nous con-
seilbi de faii.e sécher nos vêtemens ; quel-
ques-uns refusèrent de le faire, mais ils s'en
rcpenlirint
t T c r K 1 n w S r S. a(rj •
rpprntirriit l>i«;.tùi aprî's , car leurs liahiis
SI- liou>î'i«'ul .si cliiii^ésdo vers (ju'ils curent
toutes les peines du inonde à les nelloycr. Je
no (uiirnis pf)inl , mon Révérend Père, si je
vous raeonl;ii.s loiilrs les petites aveiilures de
nf)tre vovnpe. Je ne vous p.-irler;ii pas nièfne
des lieux (pie nous avons N ussur noire roule ;
n'étant point .sorti du vaisseau, jo ne pour-
rais vous en donner -qu'une idée iinpartailc.
Je pass«.T:ii donc sous silence tout ce qui
nous est arrivé lusfpi'à notre entrée dans le
fleuve ^e laPUiUi , dont je crois devoir vous
dire un mot.
J'avais ouï dire en Europe que ce flcive
avait environ cinquante lieuesde lari;e à soQ
emboueiiure : on ne nie disait rien de trop ;
je me suis convaincu par moi-même de la
vérité du fait. Quand nous partîmes d'une
forteresse située :i plus de trente lieues de
l'embouchure ,d;tns un endi oiloii la largeur
du (leuve est moindre ([uepar-lout ailleurs,
nous perdîmes la tcirc de vue avant d'arriver
au milieu , et nous naviguâmes un jour
entier sans découvrir l'autre bord. Arrivé à
Buenos-^ y rcs , je suis monté souvent sur
une montagne Irès-élevée par un temps fort
scn-in , sans rien découvrir qu'un horizon
terniiné par l'eau. A la vérité le tleuve de
Ici PlaUi est d'une profondeur peu propor-
tionnée à sa largeur; outre cela il est l'empli
de bancs de sable fort <l;ingireux , sur les-
quels on ne trouve guères qiu: (juatreou cinq
brasses d'eau. Le plus périlleux est à l'cm-
Louchure, et on le nomme le ban • Anglais.
Tome IX. M
ft66 Lettres édifiantes
.rignore co qui l'a fait apprier ainsi , cela
▼ ienl peut-être de ce que les Anglais l'ont
découvert lesprcmioro, ou de ce qu'un vais-
seau de leur JNalion y a échoué. Quoi qu'il
en soit , noire Capitaine ne connaissait la
Plata que sous le nom redoutable à'Enftr
des Pilotes : ce n'était pas sans raison ; car
ce fleuve est en effet plus dangereux que la
mer même en courroux. En pleine mer ,
quand les vents se déchaînent, les vaisseaux
ji'ont pas beaucoup à craindre , à moins qu'ils
ne rencontrent dans leur route quelque ro-
cher à fleur d'eau. Mais sur la Plata on est
sans cesse environné d'écueils ; d'ailleurs les
eau!k s'y élevant davantage qu'en haute mer,
le navire court grand risque , à cause du
peu de profondeur, de toucher le fond , et
de s'ouvrir en descendant de la vague en
furie , dans l'abîme qu'elle creuse en s'éle-
vant. Nous n'entrâmes dans le fleuve qu'aux
approches de la nuit ; mais grâce à l'habi-
lelé du Pilote , la navigation fut si heureuse,
que nous aboi dames beaucoup plutôt que nous
ne pensions à l'île de Los - Lobos (i). Quoi-
que nous y ayons séjourné quelque temps,
je n'ai cependant rien de particulier h vous
en écrire , sinon qu'elle n'est pour ainsi dire
liabilée que par des loups marias. Loi^que
ces animaux aperçoivent un biiimcnt , ils
courent en foule au-devant de lui , s'y accro-
chent, en considèrentlcs hommes avec atten-
tion , grincent des dents , et se icplongent
(>) Ilo des Loups.
clans l'c.iu -. ensuite ils passent et rrpnsscnt
eontinuelN'nirnl devant Je navire , en jetant
des cri.s «lont le son n'»'sl point dr>>a^té.-il>le
n l'oreille ; et lorsqu'ils ont perdu le J»jli-
ment de vue, ils se retirent dans leur Ile ,
ou sur les côtes voisines. Vous vous imaginez
peut-«^trc que la chasse de ces animaux est
fort danp;ereu5c. Je vous dirai qu'ils ne. sont
ni redoutables parleur férocité , ni dilïicilesà
prendre; d'ailleurs ilss'enfuient aussitôtqu'ils
aperçoivent un chasseur armé. Leur peau
est très-belle et très-estimée pour la ])eauté
de son poil qui est ras, doux et de lonîjue
durée. J'ai vu «-ncore dans le fleuve de la
Plata un poisson qu'on appelle Ficii^ros. Il
a quatre longues moustaches; sur son dos
est un aiguillon dont la piqûre est extiéme-
ment dangereuse ; elle est même mortelle
lorsqu'on n'a pas soin d'y remédier promp-
tement. Cet aiguillon paraît cependant fai-
l)le ; mais on en jugerait mal si l'on n'exami-
nait que les apparences. Voici un trait qui
peut vous en donner une idée. Ayant pris un
de ces poissons, nous le mîmes sur une lahle
épaisse d'un bon doigt; il la perça de part
en part avec une facilité qui nous surprit tous
également. Le reste du voyage fut on ne peut,
pas plus satisfaisant. Après une navigation
agréable et tranquille, nous nous trouvAmcK
« la vue de Bucnos-Àyres , d'oii je vous écris.
Celt»' Ville est, je crois, sous le trrnto-
deuxième degré de latitude Méridionale. On
y respire un air assez tempéré , quoique sou-
vent un peu trop rafraîchi par les vents qui
M 2
i>.63 Lettres ÉPiFi AN TES
rognent sur le fleuve de la PUita. Les cnra-
pagnt's des environs n'ofTrcnl que de vastes
déserts , et l'on n'y trouve que quelques
cabanes répandues çà et là , mais toujours
fort éloignées les unes des autres. Le pêcher
rst presque le seul arbre fruitier que l'on
voi.e aux environs de Buenos - ylyres. La
vigne ne saurait y venir à cause de la mul-
titude innombrable de fourmis dont cette
terre abonde ; ainsi l'on ne boit dans ce
Pays d'autre vin que celui qu'on y fait venir
d'Espagne par mer ouparterrede3/e«f/o3a,
ville de Chili ^ assise au pied des Cordillières,
à trois cens lieues de Bnenos-Ayres. A la
vérité ces déserts arides et incultes dont je
viens de vous parler sont peuplés de chevaux
et de bœufs sauvages. Quelques jours après
mon arrivée à Buenos-Ayres , un Indien
vendit h un homme de ma connaissance liait
chevaux pour un baril d'eau-de-vie , encore
auraient-ils éié fort chers s'ils n'eussent été
d'une extrême beauté \ car on en trouve eom-
munémcnt à six ou huit francs , on peut
même en avoir à meilleur marché \ mais
alor.s il faut aller les cliereher à la campagne
où. les paysans en ont toujours un gr;^nd nom-
bre à vendre. Les boeufs ne sont pas moins
communs ; pour s'en convaincre, on n'a qu',\
faire att(;ntion h la quantité prodigieuse de
leurs peaux qui s'envoient eu Europe. Vous
ne serez pas fâché , mon Révérend Père ,
de savoirla manière dont on les prend. Une
vingtaine de chasseurs à cheval s'avancent en
^^ouprdrc vers l'endroit ou ilsprcvoitut qu'il
Et coHirusEs. afÎ9
peul y on .ivoir un crrtaiii noniln't? ; ils ont
en main un lonj; hûton armé J'un iVr laillé
en croissnnl l't hicn aiguisi* ; ils se servent
de cet inÀtrununl pour iVapper les animnux
qu'ils poursuivent , et c'est ordinairemcul
aux iaml)es de derrièrequ'ilsporlenllecoup,
mais toujours avec tant d'ailresse , (ju'ils nû
niaM(juent presqu»; jamais de couper le nerf
de la jointure. L'animal tombe bientôt ii
terre sans pouvoir se relever. Le eh.is.seur,
au lieu de s y arrêter poursuit les autres , et
frappant delà même manière tous ceux qu'il
rencontre, il les met hors d'état de fuir , de
fiortecju'en une lieuredetemps , vingt hommes
peuvent en abattre sept h huit cens. Lors-
3ue les chasseurs sont las, ils descerdent
e cheval , et api es avoir pris un peu de re-
pos, ils assomment les bœufs qu'ils ont ter-
rassés, en emportent la peau , la langue et
le suif , et abandonnent le reste aux cor-
beaux , ({ui sont ici en si grande quantité
que l'air en est souvent obscurci. On ferait
beaucoup mieux d'exterminer les chiens sau-
vages qui se sont prodigieusement multipliés
dans le voisinage de Buenos- Ayres. Ces ani-
maux vivent sous terre dans des tanières faci-
les à reconnaître par les las d'osseraens que
l'on aperçoit autour. Comme il est fort à
craindre que les boeufs sauvages venant à
leur manquer j ils ne se jettent sur les hom-
mes mômes , le Gouverneur de Buenos-
Ayres avait jugé cet objet digne de toute soa
attention. En conséquence il avait envoyé à
la chasse de ces chiens carnassiers des soldats
M 3
2-jo Lettres édifiantes
qui en tuèrent beaucoup h coups de fusil ;
mais au retour de leur expédition , ils furent
tellement insultés par les enfansde la Ville ,
qui les appelaient vainqueurs de chiens ,
qu'ils n'ont plus voulu retournera cette es-
pèce de chasse.
Je vous ai dit que le fleuve de la Plata
était un des pi us dangereux de l'Inde ; V Uru-
guay ^ (i) qui n'en est séparé que par une
pointe de terre , ne l'est pas moins ; il est vrai
qu'il n'est point rempli de bancs de sable,
comme le premier , mais il est semé de ro-
chers cachés à fleur d'eau , qui ne permettent
point aux balimens h voiles d'y naviguer. Les
baises (2) sont les seules barques qu'on y voie ,
et les seules qui n'y courent aucun risque à
cause de leur légèreté.
Ce fleuve est , à ce qu'on dit , très-pois-
sonneux. On y trouve des loups marins , et
une espèce de porc , appelé capigua , da
nom d'une herbe que cet animal aime beau-
coup. Il est d'une familiarité excessive , et
(1) \' Uragiiay est un fleuve d'unelargeur prodigieuse ,
qui se jeUe dans le JPaiaguay vers le Ircute-ciuatrièiue
degré de lalitude Méridionale. ( Note de 1 ancienne
édition ).
(2) Les Baises sont des espèces de radeaux faits do
deux canots, qui ne sont autre chose que des troncs
d'arbres creusés. Chi les unit ensemble par le moyeu de
quelques solives légères , qui portent également sur les
deux canots , et y sont solidement al lachéi-s. Ou les
couTre de bambous , et sur cette espèce de plancher
ou construit avec des Battes luie petite caJiaue couverte
di« paille ou de cuir, et capable de contenir un lit avec
ies autres petits meubles d'uu TOjaj^eur. ( Note do
l'HacifUDe édition ],
ET C L' » l E f 5 C s. 171
cellr fnmilinrilé im^iiie le rfml tori incom-
modc h crux qui vfulcDl le nourrir. Les deux
hoids du <l«u\r sont prtsque cou\erl» de
Lois , de pnIniiiTî» ri d'aulrrs arbres a.sM'z j)eu
connus en Kuropi- , et qui conscrvcnl Joute
l'unniM* li'ur viMtlure. On v trouve des (»isi\iUT6
en cjuantité. Je ne ni'arrètciai point U voua
faire la dcseriptiou de tous roux (pie j'y ai
vus. Je ne vous parlerai que d'un seul , non
moins remar^juahle j -r sa pelilCiSC que par
la beauté de son plumage. Cet oiseau l'i)
n'est pas plus gros (ju'un roitelet ; son cou
est d'un loiif^e éclatant , son ventre d'un laune
tirant sur l'or , et ses ailes d'un viit d'éme-
rande. lia les yeuxvifsel brillaus, la lanj;u«
longue , le vol rapide , et les plumes d'une
finesse qui surpasse tout ce que j'ai vu en ce
génie de plus doux et de plus délicat. Cet
oiseau , dont le ramage m'a paru beaucoup
plus mélodieux que celui du rossignol , est
presque toujours en l'air , excepté le niatia
et le soir , temps auquel il suce la rosée qui
tombe sur les Heurs, et qui •■st , dit-on , sa
seule nourriture. Il voltige de brandie en
branche tout le reste de la journée , et lors-
que la nuit tombe , il s'enfonce dans un
buisson , ou se pcîrcliesur un cotonnier pour
y prendre du repos. Cet oiseau conserve
encore tout son éclat après sa mort ; et coin mt
il est exlraordinairement petit , les femmes
des Sauvages s'en font des pendans d'oreilles,
'1) li' Auteur de celte lettre reut probablenient paiIer
du coUhri.
M 4
>2^2 LETTRES ÉDIFIAWTKS
et les Espagnols en envoient souvent à leurs
amis dans des lettres.
Ces Lois dont je viens de vous parler ,
sont remplis de cerfs , de chevreuils, de san-
gliers et de tigres. Ces derniers sont beau-
coup plus grands et plus féroces que ceux
d'Afrique. Quelques Indien? m'apportèrent,
il y a huit jours , la peau d'un de ces ani-
maux ; je la fis tenir droite , et je pus à
peine, même en haïssant le bras, atteindre
à la gueule de l'animal. Il est vrai qu'il était
d'une taille extraordinaire; mais il n'est pas
rare d'en trouver de semblables. Ordinaire-
ment ils fuient loisqu'ils aperçoivent des
chasseurs. Cependant, aussitôt qu'ils se sen-
tent frappés d'une balle ou d'un trait , s'ils
:ne tombent pas morts du coup , ils se jet-
tent sur celui qui les a frappés, avec une
impétuosité et une fureur incroyables -, ca
prétend même qu'ils le distingueraient au
milieu de cent autres personnes. Le Révé-
rend Père Supérieur des Missions de l'Ura-
guay , en fut témoin il y a quehjues jours.
Ce respectable Missionnaire était en route
avec deux ou trois Indiens qui virent entrer
un tigre dans un bois voisin de leur route;
aussitôt ils résolurent de l'attaquer. Le Mis-
sionnaire , curieux devoir cette chasse , se
mit incontinent à l'écart pour pouvoir, sans
danger , examiner ce qui se passerait. Les
Indiens, accoutumés à ce genre de combat,
s'arrangèrent de celte manière. Deux étaient
armés de lances , le troisième portait un
mousquet chargé à balles. Celui-ci se plaça
ET CCR1ECSE8. .i^J
entre les Jeux autres. Tous trois s'avancèrent
dans cet orJir , et tournèrent .lutour du hois,
}us<{u';i 1-e qurnlln iU aperçurent le tigre ;
alori celui qui portait le mousquet, lâcha
son coup et frappa l'animal à la lète. Le
Missionnaire m'a raconté (ju'il vit en mt^mc-
temps partir le coup cl le lit^re enferré dans
les lances. Car dès qu'il se sentit blessé , il
voulut s'élancer sur celui qui avait tiré le
coup ; mais les deux autres prévoyant biea
ce qui devait arriver, avaient tenu leurs lan-
ces prêtes pour arrêter l'animal. Ils l'arrê-
tèrent en efl'et , lui percèrent les flancs cha-
cun de leur cote, et le tinrent un moment
suspendu en l'air. Quelques instans après ils
prirent un de ses petits , qui pouvait avoir
ti)ut au {)lus un mois : je l'ai vu et touclié,
non sans crainte, car, tout jeune qu'il était,
il écumait de rage , ses rugissenicns étaieui;
affreux , il se jetait sur tout le monde, sur
ceux même qui lui apportaient à ma'.iç;er :
In'ureusement (jue ses forces ne répondaient
point il son courage , aulremcnl il les »iit
dévorés. Voyant donc qu'on ne pouvait l'ap-
privoiser , et craignant d'ailleurs que ses
rugissemcDs ne nous attirassent la vi>ite des
tigres du voisinage, nous lui attaclulines une
pierre au cou et le fîmes jeter dans l'Ura-
giiay , sur les bords duquel nous nous trou-
vions alors.
I^rs Indiens ont encore une mnnièie de
fiiire la guerre aux bêles féroces. Outre la
lance , l'arc et les flèches, ils portcit. :i leur
cciuture deux pierres rondes, enfermées dauo
M 5
2^4 Lettres édi?iartes
■un sac de cuir, et attachées aux deux touts
d'une corde longue d'environ trois brasses.
Les sacs sont de peau de vache. Les Indiens
n'ont point d'armes plus redoutables. Lors-
qu'ils trouvent l'occasion de combattre ua
lion ou un ligre , ils prennent une de leurs
pierres de la main gauche , et de la droite
font tourner l'autre à peu près comme une
fronde , jusqu'à ce qu'ils se trouvent à même
de porter le coup , et ils la lancent avec tant
de force et d'adresse , qu'ordinairement ils
abattent ou tuent l'animal. Quandîes Indiens
sont à la chasse des oiseaux et des bêtes moins
dangereuses , ils ne portent communément
avec eux que leur arc et leurs flèches. Rare-
ment il arrive qu'ils manquent des oiseaux,
même au vol. Souvent ils tuent ainsi de gros
poissons qui s'élèvent au-dessus de la surface
de l'eau. Mais pour prendre le cerf^ la vigo-
gne , le guanacos et d'autres animaux légers
à la course , ils emploient les lacets et les
deux pierres attachées au bout de la corde
dont j'ai parlé, La 'vigogne ressemble au cerf
pour la forme et l'agilité, mais elle est un
peu plus grosse. Du poil qui croit sous sou
ventre , on fabrique des chapeaux fins , ({u'ou
appelle pour celfe raison chapeaux de vigo-
gne. Le poil des côtés sert à faire des serviettes
et des mouchoirs fort estimés. Le guanacos
tient aussi de la figure du cerf; il est cepen-
dant beaucoup plus petit; il a le cou h>ng ,
de grands yeux noirs, et une tête haute (ju'il
porte fort majestueusement. Son poil est une
espèce de laine assez semblable au poil de
»:t ri'RiECsr.fi. 9.^5
chèvre ; mais j'i};nore ruscigr (|u OD en lait.
Cel animal fsl ennemi de la eli;ileur ; quand
le soleil ej»l un peu ])lu5 ard< ni <|iri l'ordi-
naire , il crie , 5a;;ile el sf )cUc à terre ,
où il reste quelcjuelois très-long-lemps san»
pouvoir se relevt-r.
Outre ces animaux, il en est un qui m'a
paru fort singulier: e'est celui (jue \vs A/oxes
appellent oroconw ; il a le poil roux , le
museau pointu , et les dents larges el tran-
chantes. Lorsque cel animal , qui est de la
grandeur d'un gros chien , aperçoit un In-
dien armé , il prend aussitôt la fuite ; mais
fcil le voit sans arracà , il l'attaque , le ren-
verse par terre, le foule à plusieurs n-prises,
rt cjuand il le croit mort , il le couvre de
feuillesetde branches d'arbres , et se relire.
L'Indien , qui cooiiail l'instinct de cette
hête, se relève dès qu'elle a disparu , et
cherche son salut dans la fuite , ou monte sur
un arbre, d'où il considère à loisir tout ce
qui se passe. L'oroco/no ne laide pas à revenir
a('Compagné d'un tigre qu'il semble avoir
invité à venir paitager sa proie ; mais ne la
trouvant plus, il pousse des liurlemens épou-
\ astables , regarde son conij)agnon d'un air
Irisle et désolé , et semble lui témoigner le
regret qu'il a de lui avoir fait faire un vovage
inutile.
Je ne puis m'empècher de vous parler en-
core d'une espèce d'ours particulière , qu'on
appelle ours aux fourmis. Cel animal a , ail
Leu de gueule , un trou rond toujours ou-
vert. Le Paj's produit une quanillé prodi-
W G
9.'jii Lettres ioiviANiEs
gifuse de fourmis ; Voiirs , dont je parle , met
son museau à l'entrée de la fourmilière , et
y pousse fort avant sa langue, qui est extrê-
mement pointue ; il attend qu'elle soit cou-
verte de fourmis ^ ensuite il la retire avec
promptitude, pour engloutir tous ces petits
animaux. Le même jeu continue jusqu'à
ce que Voiirs soit rassasié de ce mets fa-
vori. Voilà pourquoi on l'appelle ours aux
fourmis.
Quoique Yours aux Jhurmis soil sans
dents , il est pourvu néanmoins d'armes ter-
ribles. Ne pouvant se jeter sur son ennemi
avec fureur , comme font les lions et les
tigres , il l'embrasse , il le serre et le déchire
avec ses pattes. Cet animal est souvent aux.
prises avec le tigre ; mais comme celui-ci
sait faire un aussi bon usage de ses dents ,
que celui-là de ses griffes , le combat se
termine d'ordinaire par la mort des deux
combaltans. Du reste toutes ces bêtes féroces
n'attaquent guère le& hommes , à moin*
qu'elles n'en soient atta<]u<ées les premières ,
de sorte que les Indiens qui le savent y pas-
sent souvent les journées entières au milieu
des forêts sans courir nucun danger.
Ces différens animaux ne sont pas la
seule richesse du pays. 11 produit toutes les
espèces d'arbres que nous connaissons en Eu-
rope. On y trouve même dans (juelques en-
droits le fameux arbre du Brésil ( i) , et celui
(i) On a donné à ret aibre le nom d'aihre du Brésil ,
parce que le premier (|ti'ou a vu en Enrope avait élô-
agforté du Brt'sil. ( Nele de rancit-nne édiliou ;.
ET C miEUSES. nn-^
dont on lire ceilt* litjueur télî'bre , f|u'()U
apprlK' jurtj^' ilt- drainait , et sur laqucUi,' les
voyagfurs oui (li'l)llé Irsfahlt*» les plus <'\tia-
>a^nii((*«>. Jt> lu- vou!)t'ii diiai rien à |>ri':>(-nt ,
parcf cjuf jf n'rn connais j»oinl encore toutes
l«'s proprit'lc's. Je me réserve à vous les dé-
taillrr, lorsque j'en sei ai plus instruit. Le
Paysproduilrncore crrlains iVuilssinguliers ,
lioni Nous seifz peut-être bien aise d'avoir
<juel(|u'idée. Il en est entr'autres qui ressem-
ble assez à une grappe de raisin ; mais cette
grappe est composée de grains aussi menus
<|ueceu\du poivre. Chaque grain renferme
une petite semence qu'on mange ordinaire-
ment après le repas , et sa vertu consiste à
procurer, quelque temps après, une éva-
cuation douce et facile. Ce fruit qu'on ap-
pelle nihrguc , est d'un goût et d'une odeur
tort agréables. Le pii^'ui , autre fruit du
pays, acjuelque rcsseml)lanceavec lapomme
de pin ; c'est ce qui a fait donner le nom de
pin à l'arbre qui le produit. Cependant la
iigure du pii^mi ap[)roclu; davantage de celle
<le l'arlichaul ; sa cliair , <|ui est jaune comme
celle du coing , lui est fort supérieuie, et
poin- la saveur^ et pour le parfum. On estime
beaucoup dans le Pays une plante nommée
inbiirusu^ia , (jui poite une très-belle ileur,
que les Indiens appellent la fleur de la pas-
sion, et qui se change en une espèce de cal-
b'hasse de la grosseur d'un (tuf de poule.
Quand ce fruit est miir , on le suce , et l'on
«•o tiie une litjueur douce et délicate , qui a
la venu de raf) ai«:hir le sang , et de forliCer
278 Lettres éditiantes
l'estomac. J'ai vu encore une plante nommée
pacoë qui produit des cosses longues , gros-
ses , raboteuses , et de dilî'érentts couleurs.
Ces cosses renferment une espèce de fève de
très-bon goût. Je ne vous parlerai pas de
l'herbe connue sous le nom de Vîierbe du
Paraguay ; je me contenterai de vous dire que
c'est la feuille d'un arbrisseau qui ne se trou-
vait autrefois que dans les montagnes de
Maracayu , situées à plus de deux cens lieues
des peuplades chrétiennes. Lorsque ces peu-
plades s'établirent dans les terres qu'elles ont
défrichées , on y fit venir de jeunes plants de
Maracayu , et ils réussirent à merveille.
Aujourd'hui il yen a une si grande quantité ,
que les Indiens en font un commerce consi-
dérable avec les Espagnols. Vous nignorez
pas les calomnies et les discours injurieux
que ce commerce a occasionnés contre nousj
mais vous savez aussi que la Cour d'Espagne
n'en a tenu aucun compte : c'est pourquoi
je passerai cet article sous silence , pour vous
dire un mot du génie et des mœurs des In-
diens encore barbares, qui ne sont soumis
à aucunes lois.
Les Sauvages ne connaissent eutr'eux ni
Princes , ni Rois. On dit en Europe qu'ils
ont des Républiques, mais ces Républiques
n'ont point de forme stable ; il n'y a ni lois ,
ni règles fixes pour le gouvernement civil
non plus que pour l'administration de la
justice. Chaque famille se croit absolument
libre , chaque Indien se croit indépendant.
Cep'judaBl comme les guerres continuelles
iT crmersEs. 279
«ju'ils ont à soutenir contre leurs voisins ,
nn'ttenl snns cesse leur liberté en danger ,
ils ont appris «le l.i néiessilé à former «-ntrc
eux une sorte île société , et à se choisir un
chef , qu'ilsoppellent (\jci(^ut' , c'csl-à-dire,
capitaine ou commandant. Kn le choisissant ,
hur inicntitiu n't•^t pas de se donner un maî-
tre, mais un protecteur et un père, sous la
conduite duquel ils veuh-ntse mettre. Pour
être élevé h cette dignité, il faut auparavant
avoir donné des preuves éclatantes de courage
et de valeur. Plus un Cacique devientfameux
par ses exploits , plus sa peuplade augmente ,
et il aura quelquefois sous lui jusqu'à cent
cinquante familles.
Si nous eu croyons quelques anciens Mis-
sionnaires , il y a parmi les Caciques des
magiciens qui savent rendre leur autorité
respectable par les malétiees qu'ils emploient
pour se venger de ceux dont ils sont mécon-
tens. S'ils entrepnniaient de les punir publi-
quement par la voie d'une justice réglée , on
ne tarderait pas ;i li-s abandonner. Ces im-
posteurs font entendre au Peuple que les
lions, les tigres et les animaux les plus féro-
ces sont à leurs ordres , pour dévorer qui-
conque refuserait de leur ol)éir. On les croit
tl'aulant plus facilement (ju'il n'est ])as rare
de voir ceux que le Cacique a menacés , tom-
ber dansdes maladies de langueur, quisonl
plutôt un elTet du poison , qu'on sait leur
friire piendre adroitement , c(u'une suite de
la tr.iveur qu'on leur inspire.
Pour parvenir à la dignité de Cacique ,
28o Lettres éditiantïs
les prétendaDs ont ordinairement recours k
quelque magicien , qui , après les avoir
frottés de la graisse de certains animaux , leur
fait voir l'esprit de ténèbres, dont il se dit
inspiré , après quoi il nomme le Cacique , à
qui il enjoint de conserver toujours une vé-
nération profonde pour l'auteur de son élé-
vation.
Les républiques ou peuplades d'Indiens
se dissipent avec la même facilité qu'elles
se forment; cbacun étant son maître , on se
sépare dès qu'on est mécontent du Cacique ,
et l'on passe sous un autre chef. Les effets
que laissent les Indiens dans un lieu qu'ils
abandonnent , sont si peu de chose , qu'il
leur est aisé de réparer bientôt leur perte.
Leurs demeures ne sont que de misérables
cabanes bâties au milieu des bois avec des
Lambous ou des branches d'.'trbrcs , posées
les unes auprès des autres, sans ordre et sans
dessin, La porte en est ordinairement si
étroite et si basse, qu'il faut pour ainsi dire
se traîner à terre pour y entrer. Demandez-
leur la raison d'une structure si bizarre: ils
vous répondront froidc-raent que c'est pour
se défendre des mouches , des cousins et de
quelques autres insectes dont je ne me rap-
pelle point les noms.
Les Indiens vivent , comme vous savez ^
da produit de leur chasse et de leur pèche,
de fruits sauvages , du miel qu'ils trouvent
dans les bois , ou de racines qui naissent sans
culture. Les sangliers et les cerfs sont en si
grande quanlilé dans les forêts , qu'eu peu
ET CURIEOSe». îl^l
d'heures les Sauvagf^i pfuvt'iit reuouv«'lec
leurs provisions. Mais .iliii dVii avoir toujours
en abuiuiancc , ils cliau^tut souvcitt de
dcnit'urf , fl voilà la raison tjui les empêche
de se ra&sembler en grand numhie dans un
nièm«' lieu. Ces chan^rniens sont sans con-
tredit un des plus grands obstacles ù lour
conversion.
Les Sauvages sont presque tous d'une taille
haute. Ils sont agiles el dispos. Les trniis de
leur visage ne dillerent pas beaucoup dr ceux
des Européens. Cependant il est facile de les
reconnaître à leur teint basané. Ils laissent
croître leurs cheveux , parce qu'une grande
partie delà beauté consiste , selon eux, à le«
avoir extrênienunt longs. Il n'est rien ce-
pendant qui les défigure davantage.
La [dupart des Indiens ne portent point
de véleniens; ils se nielleiil autour du cou,
eu guise de collier, certaines pierres bril-
lantes, quel'on prendrait pour dos cinciau-
des ou pour des rubis encore brul«;s. Dans les
jours de cérémonies , ils s'allacbont autour
du corps une bande ou ceinture faite déplu-
mes de diflërentes couleurs , doul la vue est
assez agréable. Four les femmes, elles portent
une espèce de chemise, appelée 1 ipoy ^ avec
des manches assez courtes. Les Peuples qui
sont plus exposés ou plus sensibles au froid,
se couvrent de la peau d'un bœuf ou d'uu
autre animal. En été, ils mettent le poil en
dehor>. , et en hiver, ils le tournent en dedans.
L'adresse et la valeur sont prescjue les
seules qualités dont les Sauvages se picpicnl,
aB-s LnTTRr s édifiantes
et presque les seuLi-j qu'ils estiment. On
leur apprend de bonne heure à tirer de l'arc,
et à manier les autres armes qui sont en usage
parmi eux. Ce qu'il y a d'étonnant , c'est
qu'il n'en est aucun qui ne soit extraordi-
nairenient hahile dans ces sortes d'exercices ;
jamais ils ne manquent leur coup, même en
tirant au vol. Les massues dont ils se servent
dans les combats, sont faites d'un bois dur
et pesant , elles sont tranchantes des deux
côtés, fort épaisses au milieu , et se termi-
nent en pointes. A ces armes offensives ,
quelques-uns ajoutent , lorsqu'ils vont à la
guerre , un grand bouclier d'ccorce , pour se
mettre à couvert des traits de leurs ennemis.
Ces peuples sont si vindicatifs, que le
moindie mécontentement siilïlt pour faire
iiaitre entre deux peuplades la guerre la plus
cruelle. Il n'est pas rare de les voir prendre
les armes pour disputer à quelque Peuple
voisin un morceau de fer, plus estimé chez
eux que l'or et l'argent ne le sont en Europe.
Quelquefois ils s'arment par pur caprice,
ou simplement pour s'acquérir une réputa-
tion de valeur. Les Européens ne sont peut-
être guère en étal de sentir ce qu'il y a de
baibaredans un pareil procédé. Accouluniés
rux-niêmes h s'armer quelquefois sans raison
les uns contre les autres, leur conduite ne
din'ère guère en cela de celle des Indiens ;
mais ce qui inspirera sans doute de l'horreur
pour ces derniers , c'est l'inclination qu'ils
ont h se nourrir de chair humaine. Lors-
qu'ils sont en guerre, ils font le plus qu'ils
F T r. cm ri«ir S. r>8^
peuvent (\(* prisonniers , et les mangi-nl au
retour de leur expéililion. Vm temps même
de p.uv. les Indiens d'une même peuplade
se pi>ursuivenl l«'s uns les autres et se tendent
mutuellement des pièges pour assouvir leur
appétit féroce. Cependant il tant convenir
qu'il en est beaucoup parmi eux qui ont
horreur de cette Larbare coutume. J'en ai
vu d'un caractère doux et paisible ; ceux-ci
▼ivent trantjuilles chez eux ; s'ils prenne ni les
armes contre leurs voisin.s , ce n'est que quand
la nécessité les y contraint ; mais alors ce
sont les plus redoutables dans les combats.
Vouloir entreprendre de vous faiie une
peinture des majeurs qui conviennent égale-
ment à tous le3( Peuples sauvages de l'Inde,
ce serait former un projet impossible. Vous
concevez que les us.iges et les coutume» doi-
vent varier presqu'à Tiulini. Je me contcule
donc de r:«pporler ce qui m'a paru le plui
universellem<"nl établi parmi eux. On peut
ce[)eridant dire en général qu'il y a deux
espèces il'liommes dans le Pays dont je parle.
Les uns sont absolument barbares, les autres
con.servent, jus(|ues dans le sein même de la
barbarie, une douceur, une droiture , un
amour de la paix, et mille auties qualités
estimables , «[u'on est tout étonré de trouver
dans des hommes sans éducation , et pour
ainsi dire sans principes. Les Historiens,
faute de remarquer cette différence, ont été
peu d'accord sur le génie et le caractère des
Indiens. Tantôt on nous les représente
cgiume dt>& geus grossiers elstupides, aussi
984 Lettres édifiantes
l)ornés dans leurs vues , qu'inconstans et
légers dans leurs résolutions ; capables d'em-
brasser aujourd'hui le chrislianisme , et de
retourner demain dans leurs bois. Tantôt ou
nous les peint comme des liommes d'un tem-
pérament vif et plein de feu, d'une patience
admirable dans le travail , d'un esprit péné-
trant, d'une intelligence vaste, et enfin, d'une
docilité singulière aux ordres de ceux qui
ont droit de leur commander. Telle est l'idée
que Bariliélemi de Lns-Casas nous donne
des Indiens qui habitaient le Mexique et le
Pérou, lorsque les Espagnols y abordèrent
pour la première fois. Cet écrivain célèbre
aurait dû observer que ces Peuples étaient
déjù civilisés. Ils avaient en eircl un Roi
en\ironné d'une cour nombreuse, ce qui ne
se trouve dans aucune contrée de l'Amérique
Méridionale. Ce serait donc h tort qu'on vou-
drait jugerdes autres Indiens par ceux-là. Les
bonnes et les mauvaises coutumes établies
dans eliaque canton passent des pères aux
cnfans , et la bonne ou la mauvaise éducation
qu'on y reçoit, l'emporte pres([ue toujours
sur le caractère propre des particuliers.
Il n'est pas surpienant que des Nations
errantes et sauvages , telles que la plupart
de celles du Paraguay, connaissent si peu la
beauté de l'ordre, et les charmes de la société.!,
Il n'est pas étonnant non plus que leurs jeu-
nes gens étant mal élevés , et n'ayant sous les
-yeux que de mauvais exemples, se livrent si
facilement à la débauche et à la dissolution. Je
trouve encore moins étrange , qu'étant accou-
ET r FKIEUSES. ^85
tunu's , comme ils \v sont , «lès leur plus
Icntln* rnlaute , ù la ( hasse vl à la pôrlu* ,
exercices fatit^aus , fjui ne sont ce|)emianl
pas sans plaisirs, ils négligent si tort le soin
de cultiver les campaf^nes.
La saison (les pluies est pour eux un temps
«le réjouissanres. Leurs iVslins cl leurs dan-
ses (lutent ordinairement trois jours et trois
nuits de suite , dont ils passent la plus grande
partie à hoire ; mais il arrive très-souvent
cjue les fumées de la cliichti (i) vt liant à leur
trouhleile cerveau , ils font succéder les dis-
putes, les querelles et les meuilrcs à la joie,
aux plaisirs et aux divertissemens. Il est per-
mis aux (Vzr/(7f/e5 d'avoir plusieurs femmes;
les auties Indiens n'en peuvent avoir (ju'unc.
Mais si par hasard ils viennent à s'en dégoû-
ter, ils ont droit delà renvoyer et d'en pren-
dre une autre. Jamais un père n'accorde sa
fille en mariage , à moins que le préten-
dant n'ait donné des preuves non équivoques
d«' son ad: esse et de sa valeur. Celui-ci va
donc à la chasse, tue le |>lus qu'il peut de
gibier , l'appoite à l'entrée de la cabane où
demeure celle qu'il veut épouser et se retiro
sans dire mol. Par l'espèce et la quantité du
gibier, les parens jugent si c'est un homme
de cœur et s'il mérite d'obtenir leur fdle en
mariage.
Il y a beaucoup d'Indiens qui n'ont point
d'au'.ic lit que la terre ou quelques ais , sur
lesfju» Is ils étendent une natte de jonc cl la
(i) Ooisjoa dci ludieut.
286 Lettres édifiantes
peau des animaux qu'ils ont tués. Us se
croient fort heureux lorsqu'ils peuvent se
procurer un hmnac \ c'est une espèce de filet
suspendu entre quatre pieux ; quand la nuit
arrive, ils le suspendent à des arbres , pour
y prendre leur repos.
L'Orateur Romain dit quelque part , qu'il
n'y a aucun Peuple dans le monde qui ne
reconnaisse un Elrc-Suprême , et qui ne lui
rende hommage. Ces paroles se vérifient
parfaitement bien à l'éi^ard de certains Peu-
ples du Paraguay , peuples grossiers et bar-
bares dont quelques-uns , à la vérité , ne
rendent aucun culte à Dieu , mais qui sont
persuadésde sou existence , elqui le craignent
beaucoup. Us sont également persuadés que
l'ame ne périt point avec le corps , du moins
je l'ai jugé ainsi par le soin avec lequel ils
ensevelissent leurs morts. Ils mettent auprès
d'eux des vivres , un arc , des flèches , et
une massue , afin qu'ils puissent pourvoir à
leur subsistance dans l'autre vie , et que la
faim ne les engage pas à revenir dans le
monde pour tourmenter les vivans. Ce prin-
cipe universellement reçu parmi les Indiens
est d'une grande utilité pour les conduire à
la connaissance de Dieu. Du reste la plu-
part s'embarrassent très-peu de ce que devien-
nent les âmes après la mort.
Les Indiens donnent h la Lune le litre de
mère , et l'honorent en cette qualité. Lors-
qu'elle s'éclipse , on les voit sortir en foulo
de leurs cabanes , eu poussant des cris «H
de* hurlemens épouvantables, ol Uuccr dau*.
BT ccmr r$r S. 187
l'air une quantité pro<lii:i«iis«- de fl«'clies|»our
déftMidrf l'astre de la nuit des chiens (ju'ils
cioiriil .s'(tr<' jclés sur lui pour le déihirer.
plusieurs Peuples de rA>ie , cjuoi<|ue eivi-
lisés , pensent sur les éclipses de lune à peu
près comme les Sauvages de l'Amérique.
Qiinud il tonne, ces Nations s'imaginent
que l'orage est suscité par lame de quel-
qu'un di' leurs ennemis morts , qui veut ven-
ger la honte de sa défaite. Les Sauvages sont
très-superstitieux dans la recherche de l'ave-
nir ; ils consulient souvent le chaut des
oiseaux, le cri de certains animaux , et les
chan^cmens ({ui surviennent aux arbres. Ce
sont leurs oracles, et ils croient pouvoir eu
tirer d<'s connaissances certaines sur les acci-
dens fâcheux dont ils sont menacés.
N'attendez pas de moi que je vous détaille
les dilFérens points de la Religiou de ces
barbares. D'abord je ne la connais que fort
imparfaitement. Outre cela, comme chaque
peuple a son culte , ses céiémonies et ses
Dieux particuliers , jenefmiraispassi je vou-
lais vous eu faire une description exacte et
complète. Peut-être qu'un jour je pourrai
TOUS donner cette satisfaction ; mais aupara-
vant je veux tout voir par moi-même pour
ne rieo vous mar(juer que de certain. J'ai
l'honucui' d'être en l'uuion de JX. S, J. C. etc.
aSB Lettres édifiantes
LETTRE
X)u Père jintoine Sepp, A/issionnaire de la
Compagnie de Jésus , au Père Guillaume
Stinglhaim , Provincial de la même Com-
pagnie dans la province de la Haute-
uillemagne.
Mon révérend père,
La paix de N. S.
La Mission du Paraguay, une des plus
florissantes que nous ayons dans le nouveau
Monde, méiile certainement votre attention ,
et celle de toutes les personnes qui s'intéres-
sent à la propagation de la Foi. La gi lice que
Dieu m'a faite de m'y consacrer depuis plu-
sieurs années , nie met en état de vous en
donner des connaissances , qui vous appren-
dront les qualités qiie doivent avoir ceux
qui vous pressent de les envoyer partager
avec nous les travaux de la vie Apostolique.
Au reste je ne vous entretiendrai ici que de
ce qui me regarde, laissant aux autres Mis-
sionnaires le soin d'informer leurs amis qui
sont en Euroj)e , de ce qui se passe dans les
nouvelles Missions qui leur sont conliées.
Il y a peu d'années qu'on avait formé le
dessein de porter la Foi chez des IVujdes
iuûdèles,
r T r Liicusr s. :>Î^P
iiifulrh's , qu'on appelle ici Tscharoi. Ils
fu\\\ pivs(|ur aussi léioces que les l)ète.<; parmi
)ptf|ut*lle<iils \ivent ; ils vont ((u.tsi tout nus,
rt ils n'ont piièn-s tlcriioinnu* (jue la (i^ure.
Il ne fnudi.'iit point d'autic pn'uve de leur
liarbarie, que la hizarre coutume (ju'ils ol)-
btTve.nt à la mort de leur» proelies : quand
quel(]u'un vient h mourir , chacun de &{:%
parens doit se couper l'extiémité des doigts
de la main ou même un doigt tout entier ,
pour mieux témoigner sa doulj'ur ; s'il arrive
qu'il meure assez de personnes pour que
leurs mains soient tout-à-t'ait mutilées, ils
Vont aux pieds , dont ils se fout pareill(;mcnt
couper les doigts , à mesure que la mort leur
Cnlive (jueltjue parent.
On songea donc à civiliser ces barbares ,
et à leur annoncer l'Evangile. On jeta les
yeux pour cela .sur deux Missionnaires pleins
de zèle et de courage , savoir le Père Antoine
J5olim , qui est mort depuis (juclque temps
delà mort des Saints, et h; Père Hypolite
])octili , Italien. L'un et l'autre ont acquis
un grand usage de traiter avec les Indiens,
par le grand nombre de INalions du Para-
guay qu'ils ont convertis à la Foi.
Un de ces Indiens , nommé Moreira ,
qui était fort accrédité parmi ses compatrio-
tes , et qui entendait assez bien la langue
Kspagnole , s'ofl")-it aux INIissionnaircs jiour
leur servir d'interprète. L'olli e lut acceptée
avec joie : c'était un imposteur qui abusait
de la conliancedes deux hommes Apostoli-
ques, et (jui loiu d'tnlicr dans leurs vues ,
J'vme IX, J\
290 Lettres édiviantes.
ne chcrcliait qu'à ruiner Jour projet, el à
rendre odieux le nom Cliréiicn. Lorsque les
Pères expliquaient, à ces Tniidèles les vérités
de la Religion , le perfide Truchement , au
lieu d'interpréter leurs paroles dans la langue
du Pays , les avertissait de se précautionner
contre la tyiannie des Espagnols , et leur
fesait eulendie que ces nouveaux venus ne
■|)ensaientqu'à les atlirerpeu-à-pcu vers leurs
peuplades, ailn de les livrer ensuite aux en-
nemis delaJNalion, et de les jeter dans un
cruel esclavage.
Il n'en fallut pas davantage pour irriter
tous les esprits contre les Missionnaires : ou
prenait déjà des mesures pour les massacrer.
Le Père Bolim eùtété sacrifié lepremier àleur
fureur , si un jNcophyte qui l'accompagnait ,
n'eût arrête le bras d'un de ces barbares ,
qu'il avait déjà levé pour lui décharger uu
coup de massue sur la tète. Des dispositions
si éloignées du Christianisme , firent juger
aux deux Missionnaires qu'il n'était pas en-
core temps de travailler à la conversion de
ces Peuples, et ils se retirèrent pénétrés do
douleur d'avoir eu si peu de succès dans leur
entreprise.
Peu de jours après leur départ, le même
IMoicira qui avait fait échouer par ses arti-
fices le projet des Missionnaires , parut dans
ma Peuplade , ([ui n'est pas éloignée dvs
terres habitées })ar ceux de sa dation. La
jHMisée me vint de gagner cette ame endur
cie depuis long- temps dans toute sorte de
i;iimci j et dont l'aversion pour le Chrislijj-
ET CL'RIEUSi;». MJl
iiismc scnihlail t'tic iiisui luontnhl»'. Je l'iij-
{;;igi-.'ii pcu-ii-peu , par dts ilémonbiratioiis
d'aiiiilié , a venir dan» ma cabane ; je l'y
ni us avec Uiulressc , je lui donnai de
riu rbe I ; du l^^^a^uay , it je lui lis d'aulres
jxlils prcsens (jue je sa\ais devoir lui élre
agréables.
Ces marques d'afleclion l'apprivoisèrent
insensil)K nienl -, atliré par mes caresses et par
nus lil)éralilés , il vint toules les semaines
me rendre (jueb|ues visiles ; il m'amena
même s<ni lils. (jluand je crus l'avoir gagné
lout-à-fait , je lui représentai toitcraent le
déplorable étal dans lequel il vivait; je lui
lis ^^•nlir ([u'élaul dans un âge avancé , il
devait bientôt paraître au tribunal du sou-
verain Juge, et qu'il devait s'attendre à des
supplices éternels , si continuant à fermer
les yeux à la lumière (|ui l'avait tant de lois
éclaiié, il pcrsévéraitdansson iulidélilé. Je
l'enjbrassai en mètne-teir.ps , et je le conjurai
d'avoir pitié de lui-même. Je m'aperçus qu'il
s'attendrissait , et aussitôt je le mis lui et son
(ils entre les mains de (juebjues Méopliyles,
pour le retenir dans la Peuplade. Il est
maintenant entièrement cliangé ; il se rend
exaclemcnt à l'Kglise avec les autres fidèles;
quoi({u'il ait soixante ans , il ne lait nulle
dillicullé de s'asseoir au milieu des entaiis ,
de taire le signe de la croix , et d'appnndre
commeeux le Catéchisme , il récite le Rosaire
avec les Néophytes j eulin c'est sincèrement
(<} Cette hctbc est de uiC-mc lUii^^c i(uc lu tLc>
29** LrTTRES EDIFIANTES
qu'il est converti , et il y a lieu de croire que
son exemple produira aussi la couversioa
de ses compalriolcs : sa femme l'a déjà
suivi , avec dix familles de la même Nation
c]ui demandent le baptême , et qui demeurent
dans ma peuplade pour se faire instruire.
Le fils de Moreira , touché de la grâce
que Dieu lui avait faite de l'appeler au Chris-
tianisme , ne songea plus qu'à procurer le
même bonheur à ceux qui lui étaient le plus
chers. Il alla lui-même chercher sa femme ,
et l'amena à la peuplade. Elle a un frère
marié dans le même pays, qui a voulu l'y
accompagner, et il me presse maintenant de
le mettre au rang des Chrétiens.
Quelques jours après son arrivée , la
femme de ce dernier se présenta à moi pres-
que demi morte de lassitude, et delà longue
abstinence qu'elle avait gardée. « Il y a long-
M temps, me dit-elle en m'abordant, que
i) je désire d'embrasser le Christianisme ;
X* quand je me suis vue abandonnée de mon
3) mari , je n'ai plus pensé qu'à exécuter
)) mon dessein ; j'ai donc pris le parti de
» venir le joindre, mais j'ai eu le malheur
» de plaire à de jeunes Indiens , qui se dou-
» tant de ma résolution , ne jne perdaient
w pas de vue , et cherchaient à me retenir
)) malgré moi , pour me faire enGn consentir
» h leurspassions brutales. Je me suiséchap-
î) pée pendant la nuit , et lorscpie je me
i) croyais fort éloignée d'eux , je les ai aper-
X) eus dès la pointe du jour qui me poursui-
)j valent, J'avais bcait courir , ils étaient sur
ET CURIEUSES. "^^'l
>» le point «U- m'alU'iiulro. Dans IVxtn'niitô
)j où |c' Mil' tioiiv.iis , )«• me suis jflof «laris
i> un marais (jiii clail tout piotlii' ; j'v ai
^ dmieiiic tout le jt'Urtntoncti' <l.tii.sla I>ouo
o jusqu'au cou. La crainte que j'avais d'être
a découverte , me jetait dans de eonlinuelles
» alarmes . et ne me laissait pa.s la lii)tilc
u de foire ntlention il ce que je ^oullrais dans
>» un lieu si incommode. Enlln j'ai cru cju'à
» la faveur de la nuit je pouvais sortir de
M mon marais , et continuer ma roule en
M toute MMelé. F^e Seij,'neur(|ui m'a protégée
i> ilans cette fAtheuse conjoncture, et à qui
» je dois ma «lélivrance , a guidé mes pas
» vers vous , et je sens que votre présence
» me fait oublier toutes mes fatigues : aidez-
» moi, mon Père, dans le dessein que j'ai
j) d'entrer dans la vf)ie du salut, c'est l'uni-
» que chose après laquelle je soupire , et
■* c'est aussi la seule qui ait pu vous porter
« à venir demeurer au milieu de nous ».
Lu si grand courai^c dans une personne du
sexe, a (|uel((ue chose de hicn extraordinaire.
Je ne jugeai pas qu'elle eût besoin d'autre
épreuve pour me convaincre de la sincérité
de ses dispositions ; c'est pourquoi , aussitôt
qu'elle fut instruite, je lui administrai le
saint lîaptèfne. La ferveur de sa piété répond
parfaitement à la fermeté qu'elle a fait pa-
raître , pour rompre les liens qui l'auraient
attachée pour toujours à l'idolâtrie.
Je jouissais de la douceur (jue goûte un
Mi->sionnairu h retirer des aines égarées du
chemin du la perdition , lors(ju«; je reçus
i\ 3
29-1 LrTTr, r. s éditiantks
ordre de mes Supérieurs de me rendre à
IVolre-Damc de Foi ; c'est une des peuplades
les plus nombreuses et les plus étendues qui
soient dans le Par.-iguay : elle est située aux
3)ords du fleuve Parana. T^e Père Ferdinand
de Orga , qui gouvernait cette Eglise , n était
plus en état de remplir ses fonctions , soit
à cause de son grand Age , qui passait quatre-
vingts ans , soit h. cause de plusieurs infir-
mités , qui étaient le fruit de ses longs Ira-
vauTS.
Ce bon vieillard me témoigna rescès de
sa joie par l'abondance des larmes quMl ré-
pandit en m'embrassant. En efi'et , jamais
cette Cbréîienlé n'eut plus besoin dètrc se-
courue que dans le temps que j'y arrivai.
La peste qui était répandue dans tout le
Paraguay , se fesait déjà sentir dans la peu-
plade, et elle y fit en peu de temps de plus
grands rayâmes nue par-lout ailleurs.
Cette maladie commençait d'abord par de
petites pustules qui couvraient tout le corps
de ceux qui en étaient frappés; ensuite elle
s«^nisissait le gosier , cl portait un feu dévorant
dans les entrailles , qui desséclianl l'humide
radical , n(Vail)lissait l'estomac , et causait
nn dégoût universel , ce qui était suivi de
la pourriUirc des intestins , et d'un fiux de
sang continuel. Les enfans mêmes qui étaient
encore dans le sein de leur mère , n'étaient
pas épargnés. Plusieurs de ces enfans nais-
saientavantleterracordinaire; mon attention
était de les baj^tiser aussitôt, car ils mou-
raient tous le même jour qu'ils étaient né?.
1 T f IM i; L SI S. •')->
Comme il nie fallait pourvoir aux besoins
(lu coijis el de l'aine tic lant de malades et
(le mouians, il ne m'eùl pas élé possihle de
\i.^ilo^ elia(|Me jour loule.s les maisons de la
)Miiplade; ainsi afin d'être plus ii portée de
les secourir, je pris le parti de les lassem-
Ider tous dans un nicinc lien. Je choisis pour
cela un li*itiinent fort vaste on se f;d)ri(|iiait
la tuile dont je lis une esj)èoe d'li«'»pital ; j'y lis
tr.msporJer d.ins leurs hamacs t.ius ceux qui
ressentaient les premières atteinte* du mal
eontayieux ; je plaçai les hommes d'un eôtc
M les femmes de l'aulre; je j)ratiquai aussi
im li«'u séparé pour celles qui étaient en-
reintes ; et on m'avertissait aussitôt que
<[uel([ue enfant venait an monde, afin de le
baptiser sur-le-champ.
ISIon premier soin était d'abord d'admi-
nistrer les sacremens a chaque malade , et
dr le disposer à une sainte mort. Ensuite,
je leur donnais les remèdes que je croyais
jiouvoir les guérir , et qui cfTectivement en
onl tiré plusieurs des portes de ht mort, J'a])-
])ris h queltjues Indiens la manière dont ils
devaient s'y prendre pour saigner, l.e pre-
mier couteau , ou quelque autre outil sem-
blable ^ (pii leur tombait sous la main, leur
servait de lancette ; et en peu de temps ils
ouvrirent la veine à plus de mille personnes.
Je parcourais plusieurs fois le jour chaque
hamac, soit ])Our porter des bouillons aux
malades, soit pour leur faire boire de l'eau
d(; limon, afin de rafraîchir leurs entrailles.
Comme la maliyuité de la conlaj^ion se jetait
N 4
596 Lettres l•Dl^IA^"TES
presque toujours sur leurs yeux ou sur leurs
oreilles , en sorte qu'ils étaient en danger
de demeurer sourds ou aveugles le reste de
leur vie, je fesais une autre tournée, suivi
d'un Indien, qui leur ouvrait les yeux, tan-
dis , qu'à la faveur d'un long tuyau , j y
soufflais du sucre candi en poudre, ou hioa
je leur mettais dans l'oreille de petites boules
de coton imbibées de vinaigre. Telles fu-
rent pendant près de trois mois mes occu-
pations de chaque jour, qui nie laissaient
à peine le temps de prendre un morceau à
la hàîe, et de léciler mon Ofuce.
Ces remèdes , que Dieu m'inspira de leur
doniicr, euninl tout le succès que je pou-
vais souhaiter ; ils rendiient la santé h un
grand nombre de ces pauvres gens , qui étant
dépourvus, comme ils le sont, de toutsecoui»
humain, n'auraient jamais pu résister sans
moi à la violence du mal. J'attribue aussi
la guérison subite de plusieurs à une pro-
tection sensible de la sainte Vierge, qu'ils
invo([uaient lorsqu'ils étaient sur le point de
rendre le dernier soupir. J'avais dressé ua
Autel au milieu de la salle, et j'y «^^ais posé
sa statue , au pied de laquelle je mis ua
inor«x*au de la statue miraculeuse de Notre-
Dame d'Oëtingen , qui m'a été donné par
MM. les Chanoines de cette Ville, lorsque
je pattis de Bavière pour la Mission du
Paraguay.
Le temps ne me permet pas d'entrer dans
le détail de toutes les faveurs qu'elle répand
sur uos ludions; les moins crédules parmi
rx r. u R I r, f s n s. açji
tu\ m sont trlliiin lit fi.ippôs , qu'ils la \f-
clHiiiciit tlaiiN tous leurs hivsoius; et cc n'i'st
p.is en vain fju'ils ont recours à cette mère
lie iniséricortU'; nous avons encore éprouvé
tout réceininenl l'eflVt de ses boules. La
peste avnul rrssé (l'nflliper nos IS'éopliytts ,
s'était iéj>nnclu(; «l.uis les campagnes; le l#lé ,
fpii était- déjà en fl<-urs , se trouva tout cor-
rompu par riufection de l'air; on ne doutait
plus que la disette ne devint universelle, et
que la t'aniinc ne fit périr ceux que les mala-
dies eonlaiiieiises avaient épargnée.
Dans l'extrême consternation où l'on était^
il me vint dans l'esprit de faire une proces-
sion générale , et de porter la statue de la
sainte N'ierge dans toutes les campagnes.
Celle procession se fit avec un grand ordre ;
tous les 11 ahitons de la peuplade, jusqu'aux
plus petits enfans, y assistèreul , cl jamais
ils ne donuèrenl des marques plus véritables
de li'ur piété. La confiance que nous avions
eue en la mère de Dieu ne fui pas vaine; les
campagnes prirent aussii»*)t une face nou-
velle, et la récolle fut des plus abondantes,
en sorte même que nous fûmes en étal d'as-
sister les peuplades voisines, que la stérilité
feaait beaucoup souHVir.
Je me croyais h la fin de toutes mes fati-
gues, et je commençais à respirer, lorsque
je me sentis allaqué à mon tour d'une ma-
l.idie ({ui me fit croire fjue je toucliais h ma
dernière lu-ure -, je tombai toul-ii-coup dans
une fail)le^.^c extrême , accompaj^née d'ua
dégoût i;c»iéral de loiitcs choses. Oa jugea
i\ 5
298 Lettres édifiantes
que le repos et le cliangement d'air pour-
raii'nt me rétablir; ainsi je quittai leclimatsec
et l)rùlanl où j'étais, pour me rendre sur les
bords du fleuve Uraguny , où l'air est beau-
coup plus doux et plus tempéré. Mou départ
coûta bien dos larmes à ces pauvres Indiens,
qui me rej^ardaient comme leur libérateur ;
je n'avais pas moins de peine à me séparer
d'eux; mais dans l'état de langueur où je me
trouvais, ma présence leur était absolument
inutile. Ainsi je me traînai comme je pus
jusqu'à la peuplade de Saint-François-Xa-
>ier, où à peine eùs-je demeuré quelques
jours, que je sentis mes forces revenir peu-
h-peu , et que ma sauté fut bientôt réta-
].lie.
Le Seigneur j en me rendant la vie, lors-
que je me croyais à la fin de ma course , me
destinait à d'autres travaux. La peuplade de
Saint-]Miclirl, la plus grande qui soit dans
]:î Paraguay , était devenue si nombreuse ,
qu'un Missionnaire ne pouvait plus suffire
à l'instruction de tant de Peuples ; l'Eglise,
quoique fort vaste , ne pouvait plus les con-
tenir , et les campagnes capables de culture
ne rapportaient que la moitié des grains né-
cessaires pour leur subsistance. C'est ce qui
fit prendre la résolution de partager la peu-
plade , et d'en tirer de quoi établir ailleurs
une colonie.
On me cliargea de l'exécution de cette
fulroprise , dont je comprenais toute la dit-
ficulté. Il s'agissait de conduire quatre à
cinq mille personnes dans une rase campa-
L T *. U R I L L s l. b. 9K.Hi
gne , (l'v b.Uii des cabanes pour les lo;j;er,
l't de délVicher des iciics incultes pour en
tirer de qiKu les nourrir. Je savjis d'aillcuis
com))ien les Indiens sont atlacliei au lieu
de leur naissauec, et l'aversion e\tr«"'n»e tju'il»
ont pour toute sorte de tra\ail. Les aulici
dillieultés que je prévoyais ne nie parais-
saient pas moins grandes.
Néanmoins, regardant l'ordre de mes Su-
périeurs comme me venant de Dieu même,
})lus j'avais sujet de me délier de mes propres
forces , plus je m'appuyai sur le secours du
Ciel ; et à l'instant toutes mes lépu^nanees
s'évanouirent. J'assemblai donc les princi-
jiaux Indiens qu'on a]ipelle Cariques , ( ce
.«•ont les chefs des première* familles, qui ont
dans leur dépendance quarante , cinquante ,
rt (|ucl(|nefois cent Indiens , dont ils sont
absolument les maîtres i. Je leur repiéseutai
la nécessité où l'on était de diviser leur peu-
plade , h cause de la multitude excessive de
ses iia))itans; qu'ils devaient faire un sacri-
fice à Dieu «le l'inclination qu'ils avaient à
demeurer dans une terre qui leur était si
fbcrc; que je ne leur demandais rien que je
n'eusse pratiqué ntoi-mème, puisque j'avais
quitté ma patrie, mes païens cl mes amisj
pour venir demeurer parmi eux, cl leur en-
seigner le chemin du Ciel ; qu'au-rcste , ils
jiouvaient compter (jue je ne les abandonne-
rais pas ; qu'ils me verraient marcher à leur
lète, et partager avec eux leurs plus rudes
travaux.
C<-'6 paroles , que je prononçai d'une
3oo Lettres édifiantes
manière tendre, firent une telle impression
sur leurs esprits , qu'à l'instant vingt-uii
Caciques, et sept cent cinquante familles se
Joignirent à moi , et s'engagèrent à me sui-
vre par-tout où je voudrais les conduire. Ils
renouvelèrent leurs promesses à l'arrivée àa
Révérend P. Provincial : Pay£j;uacii , s' écrie-
renl-ils en leur langue, ngiiv ychete yehi yehi
oro eniche angnndehe ; c'cst-h-rlire, grand
Père, ( ils appellent ainsi le Père Provin-
cial ) , nous vous remercions de la visite que
vous voulez bien nous rendre ; nous irons
volontiers où vous souhaitez.
Il n'y a que Dieu qui ait pu mettre dans
le cœur de ces Indiens une disposition si
prompte à l'accomplisseraent de notre des-
sein. Dès- lors je jugeai favorablement du
succès, et je ne songeai plus qu'à me mettre
en chemin pour chercher un lieu propre à
fonder la nouvelle colonie. Les principaux
Caciques m'accompagnèrent à cheval ; nous
marchâmes toute la journée vers l'Orient ;
et enfin nous découvrimcs sur le soir ua
vaste terrain , environné de collines et de
bois fort touifus. Au haut de ces colline»
nous trouvâmes quatre sources extrêmement
claires , dont les eaux serpentaient lente-
ment dans les campagnes , et descendaient
dans le fond de la vallée , où elles forinaii ut
line petite livière aascz agiéable. Les riviè-
res sont nécessaires dans une habitation d'In-
diens , parce que ces peuples étant d'un tem-
péiamtut fort chaud , ont besoin de se bai-
gner plusieurs fois le jour. J'ai même étw
FT f. rilîEU$E5. ^Ot
surpris tle voir que, lorM|u'iIs ont ninn^»* ,
le hnin était runi(|iif- remède (jui Les guéris-
sait (le leur iiuli;;r>linii.
Nous l'iilrî^tnes ensuite dans 1rs bois, oij,
nous finies le\er quantité de cerfs et d'au-
tres hétes fauves. La .situation d'un lieu si
commode nous détermina à y élahlir notre
j^eujdade. Le lendemain , qui était la fètc
«le riAallation de la Saiute-(^,roix, nous mon-
tAnies au plus haut de la eolline, et j'y plan-
tai une Croix fort élevée pour prendre pos-
se!>sion de cette lei re au nom de Jésus-Clirist.
Tous nos Indiens l'atloièn-nt en se proster-
nant , après quoi ils chanlèrcnl le Te Dcum
en aelion de grAees,
Je portai aussitôt à la peuplade de Saint-
ISIiclui l'agréable nouvelle de la découverte
que nous venions de faire. Tous les Indiens
destiné* à peupler la nouvelle Colonie, se
disposèrent au départ , et firent provision
des outils (ju'ils purent trouver , soit pour
couper les bois, soit pour mettre les terres
en état d'è Ire culuvées : ils conduisirent aussi
un giand nombre de liuufs propres au la-
bour. Je ne jugeai pas h j.ropos que leurs
femmes et leurs eiifans les suivissent, jusqu'à
ce que la peuplade commençât à se former,
et ijue la terre eût porté de quoi fournir à
leur subsislauce.
Les Caci<{ues commencèrent d'abord pnr
faire le partage des terres que devait possè-
de r chaque famille ; ensuite ils stmèient
(juantilé de colon. Celte plante \ i( ni fort
bicQ dau!» ks Cauipagncs du Paraguay , la
302 Lettres édifiantes
semence en est noire et de la grosseur d'un
pois : l'arbre croît en forme debiiisson;il porte
dès la première année : il faut le tailler clia-
que année comme on taille la vigne en Eu-
rope. La fleur paraît vers le mois de Décem-
bre ou de Janvier ; elle ressemble assez à
une tulipe jaune : au bout de trois jours
elle se fane et se détaclie. Ln l)outon lui
succède , qui mûrit peu-îi-pcu : il s'ouvre
vers le mois de Février , et il en sort un
flocon de laine fort blanche. C'est de cette
laine que les Indiens font leurs vètemens.
Les Missionnaires apportèrent autrefois du
clianvre d'Espagne : il croîtrait dans ce pays
aussi facilement que croit le coton ; mais
Tindolence des femmes Indiennes ne peut
s'accommoder de toutes les façons qu'il faut
donner au chanvre pour le mettre en état
d'être filé : le travail leur en parut trop dif-
ficile, et elles l'abandonnèrent pour se bor-
ner à la toile de colon j qu'elles font avec
moins de pein<^.
Aussitôt qu'on eut appris dans les autres
peuplades que nous travaillions à fonder une
nouvelle Colonie , chacune à l'envi voulut
nous aider. Les unes nous envoyèrent des
boeufs • d'autres nous amenèrent des che-
vaux ; quelques autres nous apportèrent du
blé d'Inde, des pois et des fèves pour ense-
mencer les terres. Ce secours , venu si à
propos, encouragea nos Indiens. Ils parta-
gèrent enlr'cux les travaux : une partie fut
dt^stince à labourer la terre et à y semer les
grains ; l'aulie partie à couper des arbres
ET rr m r i:srs. 3o3
pour In conslriKlion de l'Kt;lisc et da ni.iî-
sons. Avant loutcs « hosrs , je choisis Ir lieu
où cUvail se conslruiic i'Eglisi' tt la maison
thi Missionnairi': de l:i je lirai tics lignes pa-
I .illelfs (jui «levaient être autant de rues , où
l'on (levait li;'iiir les maisons <le chaque fa-
mille ; ensorle ((ue l'Eglise était comme le
centre de la peu|)lade , où ahoutissaicnt toutes
les rues. Selon ce plan , le Missionnaire se
trouve logé au milieu de ses Néophytes , et
j).ir-l;i il est plus il portée de veiller h leur
conduite, cl de leur rendie tous les services
propres de son ministère.
Fendant que mes Indiens étaient occu-
pés à I>;'itir la nouvelle peujdade, je fis une
découverte qui nous sera dans la suite d'une
grande utilité. Avant aperçu une pierre ex-
Iraordinairement dure , qu'on appelle ici
Itacura , parce qu'elle est semée de plu-
sieurs taches noires , je la jetai dajis un feu
très -ardent, cl je trouv.ti (pie ces grains
ou CCS taches (|ui couvraient la picire ,
se détaclianl de toute la masse par la vio-
lence du feu , se cli^mgeaient en du fer aussi
])(}\\ (jue celui (ju'on trouve dans les mines .
d'Kurope.
Celle découverte me fit d'autant plus de
jilaisir , (|ue nous étions ohfigés de faire
Acnir d'Espagruj tous les oulils dont on a
l>e-.oin. ISIais il n'y avait pas m'Kcn d'en
fournir un si grand Peujile : aussi un Indien
se ciovail-il fort riche lorsqu'il ."vfl'it une
faux , une hache , ou un autre instrument
de celle iialuie. Lorsque j'arrivai au Para-
3o4 Lettres ÉniFiAtfTES
guay, la plun.iri de ces pauvres gens cou-
paient leurs l)!cs avec des cotes de vaclie qui
leur tenaient lieu de faux : un roseau d'une
espèce particulière qu'ils fendaient par le
milieu , leur servait de couteau : ils em-
ployaient des épines pour coudre leurs vêle-
mens. Telle était leur pauvreté, qui me rend
encore plus piécieuse l'iieureuse découverte
que je viens de faire.
En mème-tcmps que je remerciais le Sei-
gneur de ce nouveau secours qu'il m'em-
voyait , je bénissais sa Providence d'avoir
dépourvu le Paraguay de toutes les choses
capables d'exciter l'avidité des étrangers. Si
l'on trouvait dans le Paraguay des mines d'or
ou d'argent, comme on en trouve en d'au-
tres pays, il se peuplerait bientôt d'Euro-
péens qui forceraient nos Indiens à fouiller
dans les entrailles de la terre , pour en tirer
le précieux métal , après lequel ils soupi-
rent : il arriverait de là que , pour se sous-
traire à une si dure servitude , les Indiens
prendraient la fuite , et cherchcraienl ua
asile dans les plus épaisses forets; en sorie
que, n'étant plus réunis dans les peuplades,
comme ils le sont maintenant , il ne serait
^ pas possible aux Missionnaires de travailler
à leur conversion , ni de les instruire des vé-
rites du Cbiistianisrae.
Il y avait près d'un an qu'on était occupé
a former la nouvelle peuplade : l'Eglise et
les maisons étaient déj-i construites , et la
moisson surpassait nos espérances. Je crus
qu'il élail temps d'y tFansporler les femmes
ET CU11IEUSE5. 3o5
et le» cnfans (jin- j'avais irttiui«i jiisrju'.ilois
dans la |)(Mipl..ile de Sainl-Mii lu I. Citnil
un toui linnl spectacle «le voir ntte niulii*
tijtlc (i'Iiidirnnes marcher da!js les Campa-
gnes chargées de leurs enfans, qu'elles por-
taient sur h'uis épauh's, ri des a ulres usten-
siles servant au niénaf;c qu'elles tenaient
dans leurs mains. Aussitôt qu'elles furent
arrivées, on les logea dans la maison qui
leur était destinée , où elles ouhlièreut hii'n-
tôl leurs anciennes habitations , et les fati-
gues qu'elles avaient essuvce^ pour se iruns-
portcr dans cette nouvelle terre.
11 ne s'agissait plus c{ue de donner Une
forme de gouvernement à cette Colonie nais-
sante : on fit donc le choix de ceux qui
avaient le plus d'autoiilé et d'<'X[>érience
pour administrer Injustice; d'autres eurent
les charges de la Milice pour défendre le
pays des excursions que les Peuples du Brésil
font de lemps-en-tenips sur ces terres : ou
occupa le reste du Peuple aux arts méca-
niques.
il n'est pas concevable jusqu'où va l'in-
dustrie des Indiens pour tous les ouvrages
des mains : il leur suffit de voir un ouvrage
d'Kurope pour en faire un sein])lablc , et ils
l'imitent si parfaitement, qu'il est diflicile
d«' décider hM|uel des deux a été fait dans le
I\«raguay. J'ai , parmi mes Néophytes , ui»
nonnné Puh a , »|ui fait toutes sortes d'ins-
truniens de musique, et qui en joue avec
une dextérité admiiable. Le même grave sur
l'airai.T , après l'avoir poli, fail des sphères
3o6 Lettres ÉDIFIANTES
aslrononii(jues, des orgues d'une invention
nouvelle, et vïne infinilé d'autres ouvragt.s
de cette nature. Il y fti a parmi nos Indien-
nes qui , avec des laines de diverses cou-
leurs , font des lapis qui égalent en beauté
ceux de Turquie.
Mais c'est sur-tout ponr la musique qu'ils
ont un génie particulier : il n'y a point d ins-
trument , quel qu'il soit , dont ils n'ajqircn-
nenl à jouer en très-peu de temps , et ils
le fi)nl avec une délicatesse qu'on admireiait
dans les plus habiles maîtres. Il y a , dans
ma nouvelle Colonie , un enfant de don/.e
ans qui joue sans broncher sur sa harpe les
airs les plus diihciles, et qui demandent le
plus détude et d'usage. Celte inclination
que nos Indiens ont pour la musique , a
porté les Missionnaires à les entretenir dans
ce goût : c'est pour cela que le service Di\ in
est toujours accompagné du son de (juehpies
insirumcns; et l'expérience a fait connaître
que rien n'aidait davantage à leur inspirer
du recueillement et de la dévotion.
Ce qu'on aura de la peine à comprendre ,
c'est que ces Peuples, ayant un génie si lare
pour tous les ouvrages qui se font de la
main , n'aient cependant nul esptit pour
comprendre ce qui est tant soit peu dégage
de la matière , et qui ne frappe pas les sens.
Leur stupidité poui" les choses de la Religion
est telle que les premiers Missionnaires cloi:-
lèrenl quelque-temps, s'ils avaient assez de
raison pour être admis aux Sacremens : ils
j^roposèrent leurs doutes au Concile de Lijna,
r.T r tR tr rsr s. 3o^
cjn\ , nprcs nvoir iuiii'rm<-i)t c xnniîné 1rs rai-
sons (luuii oppoiiait pour (.1 (oiilri', (li'-cii'il
pnurlanl qu'ils n'ôlnifiil pas trlli-nu-nl <U*-
]>ourMis d'intrUij^i'iuT , (|(i'()n dut leur iffii-
str It's Sacrcimrj!» de VV.^Wi^c. (!t'Ia svi\\ doit
vous fiiif jupjT (-on)})ii>n il m coùtt' aux
IMissionnairt's pour former au CJuistianisn'C
un Peuple aussi grossier que relui-lh. GrAces
il Dieu , mes NéopTivIcs sont liicn instruits ,
mais jr n'ai jni v réussir (ju'cn rrl)allanl sans
rosse les nu'mi-s vérités , et qu'en les fcsant
entrer dans leurs esprits par des comparai-
sons sensibles qui sont à leur portée.
Voilà , mon Révérend Père , quelles ont
été mes jiiinrijiales oiriip;'.lion> depuis quel-
ques années. Priez le Seigneur qu'il me donne
les forc<'s nécess.-jires pour soutenir les tra-
vaux auxquels il a plu h sa Lonté de me des-
tiner. Sur-tout je vous <-onjurc de vous sou-
venir h l'Autel de ce petit Ir.iupeau , aussi-
l»i«'n que du Pasteur à qui il est confié. Je
suis avec beaucoup de respect, etc.
3oB Lettres édifiantes
DISSERTATION
Sur la rivière des amazones et sur l'opi-
nion qui place dans cette Contrée une-
République de femmes guerrières (i).
J_J E plus c^rand flonve du monde , l'Amn-
zone , a Clé nommé successivement, el même
indifféremment, Maragnon , Apurimac, ri-
vière d'Orellana , Rio-de-Salimoi-s , rivière
des x\mazones , ou simplement l'Amazone;
mais ces fl-jux dernières dénominations, et
celle de Maragnon , ont insensiblement pré-
valu.
M. delà Condamine, qui a fait au Pérou,
en 171^6, avec d'autres Académ'ciens Fran-
çais, des observations astronomiques et géo-
graphiques , pour déterminer la figure de la
terre , parcourut celte rivière dans tout son
cours. Son voyage est rarement en conha-
diction avec la carte dressée par le Père
Frilz , Missionnaire , qui avait aussi par-
couru l'Amazone dans toute sa longueur;
mais il entre dans des détails particuliers
qu'il est imporlant de connaître. Ecoutons
M. de la Condamine.
(i) Les Gi'>Oî;iMphi'S et les Hisloriens modernes ont
donné sur ce'; deux obiets de nouTcaiix l'rlairrissem mis
qui semblaient être on supplément nécessaire aux Li-
tres Ed fianUs et Ciiricusc-r. L'Editeur , aidé des con-
seils d'un parent , a cru devoir se livrer à ce lr;;vail ,
qui n'est guère, comme ou le verra, qu'une sorte «l .lua-
Ljse de co ipii est dcjà imprime aille uis.
1 T f. llIfcl'SES. .^09
<t T.n roiu fiitn- (jirOrrlI.iiia dit «voir f.iile
df (|iirhjiirs ffiniiic's ariiu'-rs , vu (!i'Srciul;int
la ri\jrre âc Maingnon , dont vn Cnci<jiie
Indini lui avait dit dt- se dclirr, !a lit 110m-
iiKT la rivière des Amazones. Quelrjues-uns
lui ont donné le nom d'( )i cllana ; mais, avjinl
Orell.ina , «Ih' ^'aJ»p« l.iit <li|à Mar.t^non , du
nom d'un autte(!aj»itaine F.sj).ts;n<d. LesOéo-
graplics ([ui ont fait de l'Aniazoue et du Ma-
ragnon deux rivières difU'renles , trompés
comme Laet, par l'autorité de («arcillasso
et d'Henrra, ignoraient sans doute que, non-
seule nient les plus anciens Auteurs Espa-
gnols originaux apj)ellenl colle dout nous
parlons Maragnon , dès l'an i5i3, mais que
Orellana lui-même, dit danssa relation qu'il
renroiura les Atnazoncs en descendant le
Maragnon, ce qui csl sans réplique ; et, en
elFel , ce nom lui a toujours été conservé
sans interruption , )usqu'aujouid'liui , depuis
plus de deux siècles chez les Espagnols , dans
tout son cours , et dès sa source , dans le
Haut-Pérou. Ce})endant , les Portugais , éta-
Ijlis depuis i5i6 au Para, N'ille épisco-
pale , située vers l'cmboueliure la plus orien-
tale de ec fleuve, ne le connaissaient là que
sous le nom de rivière des Amazones , et plus
liaul sous celui de Salinioës , et ils ont trans-
féré le nom de Maiagnon ou de iMaran-
luton , dans leur idiome, à une Ville et à une
Pi-ovinee entière , (>u Cafiilaiitcrir voisine de
celle de Para. J'userai indillén-nimi nt du
nom de Maraguon ou de rivière des Ama-
zuncs. »
3io Lfttres édifiantes
Srlon la carte du Père Fritz , ce fleure
prend sa source dans un lac formé par les
Cordilières , à trente lieues de Lima, vers
le onzième degré de latitude australe. De là
il roule ses eaux dans l'étendue de six degrés
au Nord jusqu'à Jaen , dans l'audience de
Quito , où il commence à être navigable ;
mais son cours est embarrassé de rochers
qui en rendent la navigation dinicile et dan-
gereuse. Il passe \ers l'Est, presque paral-
lèlement à la ligue équinoxiale jusqu'au cap
de JNord , où il entre dans l'Océan sous
ré({uateur même . après avoir parcouru de-
puis Jaen trente degiés en longitude , ou
sept cent cinquante lieues communes , éva-
luées par les détouis à mille ou onze cens
lieues. Il reçoit, du côté du Nord et du coté
du Sud, un nombre prodigieux de rivières,
dont plusieurs ont cinq ou six cens lieues
de couis , et dont quelques-unes ne sont pas
inférieures au Danube et au Nil. Les prin-
cipales sont, en descendant de sa source à
son embouchure , du cùté de sa rive droite
et au Midi , Rio-Neayalé , Rio-Puruz , Rio-
da-IMadeira, Rio-Xingu. Du côté de la
rive gauche , et au Nord , Rio-Napo , Rio-
Ica , Rio-\ upura , Rio-Negro , sur lesquels
AI. de la Coudamine nous fournit encore les
détails suivans :
« L'Ucavale est une des plus grandes ri-
vières (jui grossissent le AJdn/grion. A leur
jencontre mutuelle, TUcayale est plus large
<jue le fleuve où il perd sou nom. Ia^s sour-
ces de rUcayalc sont aussi les plus éloiguées
E T r. p R I r. r s E s. 3 r i
cl les plus nhituiiaitlt's ; il rasÂciiihle lis eaux
de plusieurs l*iovinces ilu Ilaul-IVroii , et
il a «léjà reçu l'Apu - Rimac , «jui le lencl
une ri\ièi'e coii.siiléiahle , par la iiiènu- lali-
liule où le .Maragnon n'est encore (|u'urt
torrent ; enliii , 1 L»ayale , en remontrant lo
Maramion , le repousse cl lui fait changer
de «lireelion. D'un autre côté, le ]Mara^non
a l'ail un lont; circuit, il est déjà grossi des
rivières de Saint-.Iago , de Paslaca , de C.ual-
laga , etc. , l(>rs({u'il se joint à l'Lcayale. De
plus , il csl con&tant que le Maragnon est
j)ar-loul d'une profondeur extraortliuaire. Il
est vrai <|ue 11 c.iyale n'est pas encore bien
connu , et fpi'tui ignore le nornhre et la
grandeur des rivières rpi'il reçoit. »
« TiO cours de Ilio-l*uruz , qui est assez
con>idéra!)Ie , et a son enil)ouchure dans
le îMaragnon , est encore beaucoup moins
connu ; ausî^i ne remonte-l-il dans la carte
«le M. Danviile (jue soixante à (juatrc-vingts
lieues vers le Su<l. »
^< Rio-de-Madeira , ou rivière du Rois ,
(Si la tioisiènie rivière considéiable qui se
jette dans le Maragnon , et piend sa source
ou Pérou, dans la Province de Los-Cliarcas.
Klle est pleine de suttts ou courans rapides,,
qui eu rendent la navigation fort dilïicile ;
car on compte jus({u';i vingl-uu de ces sauts
considérables, sans les moindres , en la re-
montantdepuis son emboucliure jus([u'a près
de Irois cent railles au Sud. »
« !M. Danville est «Muore oi)ligé d'al)an-
dojiuer le cours de llio-Xingu , au-dclù du
5i5 Lkttres 1-DIFI\1*TES
deux cent cincjuante milles Fr:inrais, en re-
montant de son enihoucliurc au Sud , faute
de connaissances ullérieures que les voya-
geurs ne nous ont pas encore fournies, »
Les rivières qui se jettent dans le Mara-
gnon , du côté du Nord , sont d'abord Rio-
Kapo , sur laquelle M. de la Condamine
nous fournil peu de détails ; elle descend des
environs de Pasto au jNord de Quito.
La deuxième est celle d'Yoa , qui des-
cend , comme le Napo , des environs de Pasto,
dans les Missions franciscaines de Sucum-
Lios , où elle se nomme Putumayo.
« La troisième est , selon M. de la Con-
damine, l'Yupura , qui a ses sources un peu
})lus vers le j\ord que le Putumayo j et qui,
dans sa pailie supérieure , se nomme Cao-
pecta , nom totalement inconnu à ses em-
bouchures dans l'Amazone. Je dis ses em-
bouchures , car il y en a eirectivemeut sept
ou huit, foimées par autant de bras qui se
délaclienl successivement du canal princi-
pal , et si loin les uns des autres, qii'il y a
plus de cent lieues de distance de la première
bouche il la dernière. Les Indiens leur don-
nent divers noms , ce qui les fait prendre
pour différentes rivières. Ils appellent Yu-
pura un des plus considérables de ces bras
eij en me conformant à l'usage des Portu-
gais qui ont étendu ce nom en remontant,
j'appelle Y'^upura , non - seulement le brai
ainsi nommé anciennenu'nl par les Indiens,
mais aussi le tronc , d'où se détachent ces
l>ras et les suivans. ïoul le pays qu'ils arro-
6CUl
r T c t R 1 r r s r s. 3 1 3
«rnt rsl si bas , qm* daiii le temps des crues
<\v rAinai.onc il est loialomcnl inondé , et
qu'on passe on canot d'un bras ii l'autre , et
à des lacs dans l'iuliMieur des It-rres. Les
bords de l'Yupura sont iiabités, dans quel-
ques endroits , par des Nations léroces , qui
se détruisent mutuellement , et dont plusieurs
mangent encore leurs prisonniers. Cette ri-
vière , non plus que les dilVéïcns bras qui
entrent plus bas dans l'Aninzone , ne sont
guère fré(juenlés d'auties Européens, que de
quelques Portuj^ais du Para , qui y vont CQ
fraude acheter des esclaves. »
On trouve enfin Rio-Ncgroou Rivière-
Noire , sur la<juelle INI. de la Condamine
nous fournit le détail suivant ; « La carte du
père Fritz , dit-il, et la dernière carte d'Amé-
rique de Dclisle , d'après celle du Père Fritz ,
fout courir cette rivière du ]\ord au Sud ,
taudis qu'il est certain , par le rapport de
tous ceux qui l'ont remontée , qu'elle vient
de l'Ouest , et qu'elle court a l'Est, en in-
clinant un peu vers le Sud. Je suis témoin ,
par mes yeux , que telle est sa diiection plu-
sieurs lieues au-dessus de sou embouchure
dans l'Amazone, où Rio-A'egro euire si pa-
rallèlement , que , sans la transparence do ses
eaux , qui 1 ont fait nommer Ri\ièie-JXoire,
on la prendrait pour un bras de l'Amazone ,
séparé par une îJe.
>» En remontant des quinze jours , des
trois semaines et plus dans la Rivière-Noire,
on la trouve encore plus large qu'il son em-
bouchure, à cause du graiid Dombrc d'ilc^
iQvie IX. G
3l4 LeTTRKS ÉPIFTANTES
el de lacs qu'elle tormc. Dans tout cet in-
tervalle , le terrain sur ses bords est élevé ,
et n'est jamais inondé ; le bois y est moins
fourré , el c'est un pays tout ^dillérenl des
bords de l'Amazone. »
Vinceiil Pinçon , un des compagnons de
Cliristophe Colomb , découvrit rembou-
chure de ce fleuve en i5oo, et sa source fut
découverte par Gonzale Pizarre en i538.
Orellana , son Lieutenant , en parcourut
toute l'étendue. Ce voyage , coupable et té-
méraire , est trop célèbre pour que nous le
passions ici sous silence. M. Roberlson ( His-
toire de l'Amérique) , en a fait le tableau ,
également singulier et intéressant , avec les
couleurs qui lui sont propres,
(( Quelque rapides, dit-il, qu'eussent été
les progrès des Espagnols , dans l'Amérique
méridionale , depuis l'entrée de Pizarre au
Pérou, leurpassion pour les conquêtes n'était
pas encore satisfaite. Les Ofliciers que Fer-
dinand pizarre avait mis à la tète de dillé-
rens détacbemens , avaient pénétré dans plu-
sieurs Provinces. Ils souftVirent beaucoup ,
les uns dans les régions stériles et froides des
Andes, les autres dans les bois, les maiais
et les plaines; mais ils firent des découver-
tes qui étendiienl les connaissances et la do-
mination des Espagnols. Piene de Valdivia
reprit le projet d'Almagro sur le Cbili ; el ,
malgré le courage des naturds du pays, il
fil de si grands progrès qu'il fonda la ville de
S.' Jago , le |)iemier établissement Espagnol
dans cette Province. IVJais , de toutes \v^
KTCL'RtRrSES. 3l5
«expéditions faites vers ce tirnps-lh , celle de
Oon/.iles Pizarre «'st la plus inéinorahle. Le
CiouNerneur , ne voulanl soiilliir <jue lui
ri ses fi-ères dans les pinces iinport;uites du
l'ému , avait Até à Heualeasar , qui avait
iiiuquis Quito , le Gouvernement de ce
Royaume, p«»ur en revêtir sou frère Gon-
Zulcs. Il chargea celui-ci de tenter la décou-
verlc et la conqu»He des pays situes h l'Est
des Andes , que les In<liens disaient être
»l>ondans en canelle et autres épiées recher-
chées. Gonzales , aussi courageux et aussi
ambitieux que SCS frères, entreprit avec zèle
cette périlleuse expédition. Il partit de Quito
à la tête de ti-ois cent quarante soldats, dont
près de la moitié étaient à cheval , avec qua-
tre mille Indiens pour porter leurs provi-
sions. Dans cette roule, qu'il fallait s'ouvrir
au travers des montagnes, les mallieureux
Indiens périrent j)res(pie tous par l'excès du
froiil et de la fatigue aii\([uels ils n'étaient
pas accoutumés. Les Esj>agnols , quoicrue
plus robustes et plus capahU^b de soutenir la
différenee des climats, soullrirenl infiniment
et perdirent (ju«'lques !^omme^. Maislorscpi'ils
furent dcicendus dans le plat-pays , h'ura
souffrances augmentèrent. Ils essuyèrent ,
deux mois entiers , des pluies roniinueli«s qui
ne leur laissaient pas assez d'int: ivallepour
sécher leuts habits. I^es p'ainex immenses
qu'ils travcrb^MiMit , entièrement dépoiiivues
d'habitans , ou occupé( s par les peuplades
les plus barlîTres et les moins industrieuses
du NouYcuu-31ou(ie, leur fournis;.aicul fort
^lO Lettres édifiantes
peu de subsistances. Ils étaient obligés de se
l'aire un cliemin dans les marais, ou de l'ou-
vrir dans les bois en coupant les arbres. Des
travaux si continus et le défaut de nourri-
ture auraient épuisé la constance de toute
espèce de troupes ; mais le courage et la per-
sévérance des Espagnols du seizième siècle
étaient à l'épreuve de tout. Toujours séduits
par les fausses relations qu'on leur fesait de
la richesse des pays qu'ils allaient chercher,
ils persistèrent jusqu'à ce qu'ils eussent at-
teint les bords du Coca ou Napo , une des
grandes rivières qui se jettent dans le Ma-
ragnon. Là ils construisirent, avec beaucoup
de peine, une barque qu'ils comptaient devoir
leur être d'une grande utilité , pour leur faire
passer les rivières y leur procurer des pro-
visions et reconnaître le pays. Elle fut mon-
tée par cinquante soldats sous le comman-
mandemenl de Framjois Orellana, le pre-
mier Oflîcier de la troupe après Pizarre.
Le cours du fleuve les emporta avec une si
graadfi rapidité, qu'ils devancèrent bienlùt
leurs compagnons , qui les suivaient par
terre avec beaucoup de lenteur et de dif-
ficulté. ))
» Eloigné de son Commandant, Orellana ,
jeune homme ambitieux , commença à se
regarder comme indépendant ; et transporté
de la passion dominante dans ce siècle , il
foima le projet de se distinguer lui-même par
quelque découverte , en suivant le cours du
JNIarcgnon jusqu'à l'Océan, et en rcconuais-
çajit ieç vastes pays que ce fleuve arrose. Ce
CTCt'RIEirSLS. 3l7
projet était aussi hardi que perfide: Orellana
fut sans doute coupable eu désobéissant :i son
Chef rt en ahandonuanl ses conipaj^nous dans
des déserts ineounus , où ils n'avaient d'au-
tre espérance de suecès de leur entreprise et
de salut pour eux -mêmes ({uc celle qu'ils
tondaient sur cette même barque qu'Orel-
lana leur enlevait. Mais son crime est en
quelque sorte expié par la hardiesse avec la-
quelle il se hasarda à suivre une navigation
de près de deux mille lieues au travers de
ISations inconnues , dans un bAtiment fait à
la hûte , de bois vert et mal construit , sans
jirovisions , sans boussole, sans pilote. Son
courage et son ardeur suppléèrent h tout ce
cjui lui manquait. En s'abandonnant avec
audace au cours du Napo , il fut porté au
Sud jusqu'à la giande rivièie de Maragnon.
Tournant ensuite à l'Est avec le fleuve , il
suivit cette direction. Il fit des descentes fré-
quentes sur les bords , tantôt enlevant de
force quel(|ucs provisions aux Nations sau-
vages qu'il trouvait sur sa route , et tantôt
1rs obtenant à l'amiable des peuplades plus
civilisées. Après une longue suite de dan-
gers surmontés avec un courage étonnant ,
et de travaux supportés avec non moins de
constance , il entra dans l'Océan , où de nou-
veaux périls l'attendaient. Il les surmonta
de même et arriva enfin à l'établissement Es-
p.ignol de l'ile de CuLagua, d'où il fit voile
pour l'Espagne. «
O 3
3i8 Lettres édifiantes
Nous ne terminerons pas cette disserta-
tion sur l'Amazone, sans l'oire une mention
particulière des femmes mêmes dont elle
porte le nom. M. de la Condamine en a
parlé avec quelque détail. Il ne dit pas po-
sitivement qu'elles existent ; mais il parait
croire du-moins qu'elles ont existé. Nous
allons rapporter ici ses propres termes :
« Dans le cours de notre navigation , dit
ce savant voyageur , nous avions questionné
par-tout les Indiens de diverses Nations, et
nous nous étions informés d'eux avec grand
soin, s'ils avaient quelque connaissance de
ces femmes belliqueuses , qu'Orellana pré-
tendait avoir rencontrées et comhatlues , et
s'il était vrai qu'elles vivaient éloignées du
commerce des hommes, nelesrecevanlporuji
elles qu'une fois l'année, comme le rapporte
le Père d'Anugua dans sa relation , où cet
article mérite d'être lu par sa singularité.
Tous nous dirent qu'ils l'avaient ouï racon-
ter ainsi à leurs Pères, ajoutant mille par-
ticularités , trop longues a répéter , (}ui
toutes tendent à confirmer qu'il y a eu dans
le Continent une république de femmes qui
vivaient seules sans avoir d'hommes parmi
elles , et qu'elles se sont retirées du côté du
Nord, dans l'intérieur des terres par la Ri-
vière-Noire , ou par une de celles qui des-
cendent du même côté dans le Maragnon. >»
Le savant Académicien ajoute à ces pre-
mières observations divers témoignages des
Indiens qu'il a interrogés , et ceux dont il
ETCCRIECSES. il^
est fait meniion dans les infounations faites ,
vi\ i-o»() tl tltpuis , par dt u\ Gouvtrnturs
l^|)at;n()U dr la l'io'. ince de Venezuela ,
qui s'aecordtnl en ^vus sur le fail des Anja-
z«)nes. « Mais, conliiiue-l-il , ee qui ne nié-
riie pas moins d'attenlion , c'est que, landis
que ces diverses relations dé.sii;nenl le lieu
de la leliaite tlts Amazones Américaines, les
unes vers l'Orient , les autres vers le iNord,
et d'autres vers l'Occident ; toutes ces di-
rections difTércnles coi.courent à placer le
rentre eonunun où elles aboutissent , dans
les moi)taj;nes, au centre de la Ouiane , et
dans un canton où les Portugais de Para, ni
les Français de Garenne n'ont pas encore
pén«'Mn-. Malgré tout cela, j'avoue que j'aurais
Lien di' la peine à croire que nos Amazones
y fussent actuellement étai)lies, sans qu'oQ
eût des nouvelles f-liis positives de proche en
proche , par les Indiens voisins des Colonies
Kuroj)éennrs des c ' tes de la Guiane ; mais
cette Nation ainlnilaiite j.oarrait bien avoir
encore changé de demi ure ; et ce qui me
parait plus \ raiseiublable que tout le reste ,
c'est qu'elles aient perdu avec le temps leurs
anciens usages, soit qu'elles aient été sub-
juguées par une autre iSation , soit fju'en-
nuyées de leur solitude, les (illes aient à la
fin oublié l'aversion de leurs mères ]"U!ur les
hommes. Ainsi , quand on ne trouverait plus
aujourd'hui de vestiges actuels de cette ré-
publique de femmes, ce ne seiaitpas encore
assez pour pouvoir alllimci' qu'elle n'a jamais
existé. »
0 4
320 Lettres édifiantes
« D'ailleurs , il suffit , pour la vérité da
fait , qu'il y ait eu en Amérique un Peuple
de femmes qui n'eussent pas d'hommes vi-
vant en société avec elles. Leurs autres cou-
tumes , et parliculièrcmcnt celle de se couper
une mamelle , que le Père d'Anugua leur
attribue sur la foi des Indiens , sont des cir-
constances accessoires et indépendantes , et
ont vraisemblablement été altérées, et peut-
iêtre ajoutées par les Européens , préoccupés
des usages qu'on attribue aux anciennes Ama-
zones d'Asie , et l'amour du merveilleux les
aura fait depuis adopter aux Indiens dans
3eurs récits. En eft'el , il n'est pas dit que
le Cacique qui avertit Orellan.'^ de se garder
des Amazones qu'il nommait en sa langue Co-
mapuyaras , ait fait mention de la mamelle
coupée , et notre Indien de Coaru dans l'his-
toire de son aïeul, qui vit quatre Amazo-
nes , dont l'une allaitait actuellement un en-
fant , ne parle pas non plus de celte parti-
cularité si propre h se faire remarquer. »
« Je reviens au fait principal : si , pour
le nier, on alléguait le défaut de vraisem-
blance et l'espèce d'impossibilité morale qu'il
y a qu'une pareille république de femmes
pvit s'établir et subsister, je n'insisterais pis
sur l'exemple des anciennes Amazones Asia-
tiques ni des Amazones modernes d'Afri-
que , puisque ce que nous en lisons dans les
historiens anciens et modernes est au-moins
mêlé de beaucoup de fables , et sujet h con-
testations. Je me contenterai de faire remar-
quer que si jamais il y a pu avoir des Araa-
ÏTC, DMEUSES. 3il
Bones dans le monde , c'est en Amérique ,
©ù la vie errante des femmes <[ui suivent sou-
vent leurs maris à la guerre , et qui n'en
sont pas plus heureuses dans leur domesti-
que , a dû leur faire naître l'idée et leur four-
nir des occasions fréquentes de se dérober
au joug de leurs maîtres , en cherchant à se
faire un établissement où elles pussent vivre
dans l'indépendance , et du-moins n'élre pas
réduites à la condition d'esclaves et de bètcs
de somme Une pareille résolution prise et
exécutée n'aurait rien de j)lus extraordinaire
ni de plus dilïicile que ce qui arrive tous les
jours dans toutes les Colonies Européennes
d'Amérique, où il n'est que trop ordinaire
que des esclaves maltraités ou mécontens
fuient par troupes dans les bois , et quelque-
fois seuls , quand ils ne trouvent h qui s'as-
•ocier , et qu'ils y passent ainsi plusieurs
années, et quebjuefois toute leur vie dans la
solitude. »
« Je sais «pie tous, ou la plupart des In-
diens de 1 Amérique méridionale sont men-
teurs , crédules , entêtés du merveilleux ;
mais aucun de ces Peuples n'a jamais en-
tendu parler des Amazones de Diodore de
Sicile et de Justin. Cependant il était déjù
question d'Amazones parmi les Indiens du
centre de l'Améiicjue avant que les Espa-
gnols y eussent pénétré , et il en a été men-
tion depuis chez des Peuples (pii n'avaient
jamais vu d'Euro|)éens. C'est ce que prouve
l'avis donné par le Cacique h Ortllana et .'i
»es gens, ainsi qu<' les tiadilions rapportées
U 5
322 Lhttres i^ ni fi an tes
parle Pèred'Auugua el par le Père d'Araze.
Croira -t- on que des Sauvages de contrées
éloignées se soient accordés h imaginer
sans aucun fondement le même fait, et que
cette prétendue fable ait été adoptée si uni-
formément et si universellement à Maynas ,
au Para , à Cayennc , à Venezuela , parmi
tant de Nations qui ne s'entendent point, et
qui n'ont aucune communication ? j»
Non , sans doute, les Sauvages ne se soni
point accordés h imaginer ce fait; mais ils
ont adopté et répandu des fictions qui leur
plaisaient presqu'auîant qu'à ceux -mêmes
qui les avnic^nt inventées ; et , quoique le
témoignage d'un savant recommandable soit
bien propre h laver les Missionnaires du re-
proche de crédulité qui leur a été fait à ce
sujet, nous pensons cependant, avec pres-
que tous les Géographes et les Historiens
modernes, que cette république d'Amazones
n'estqu'une fable inventée par OroUana; mais
cette fable était appuyée du témoignage des
Indiens, menteurs ^ crédules, et entêtés du
merveilleux ; et , quand quelques savan»
Jésuites et M. de la Condamine lui-même
ont penché à la croire, nous devons être per-
suadés qu'au sein des mêmes circonstances
il ne nous aurait pas été plus facile d'éviter
l'erreur. Orellana dit qu'un Cacique l'aver-
tit de se garder des Amazones , et vous en
concluez qu'il était déjà question d'Ama-
zones parmi les Indiens du centre de l'Amé-
rique avant que les Espagnols y eussent }>é-
uélré 5 et, parce que vous ne voulez point
c T f. r n 1 I. L S E S. 3^3
soijpronnrr qu'Ou lliiia a pu mpnlîr , ces
Jtulii-tis , fil l'Hi-i , f)nl bicnînl complété votre
conviction ; in.nis si vous v(»us clicz traiis-
j)oiié sur les lieux a\oc la résolution <le n'en
«loire que vos yeux , il n'est guère ilouteux
que vous n'en lussiez revenu détrompé.
Ainsi , le premier (pii a dit (trvlliina vient ^
a jelé , ce nous semhle , un grand jour sur
cette question. M. Kohertson n'a pas hésité
h nier l'existence «les Amazones ; il dit , en
parlant d'Orellana : « La vanité naturelle
aux vovaç^eurs cpii cmtvu Avf, pavs inconnus
aux autres hommes, et l'aitilice ordinaire
aux aventuriers occupés de se faire valoir ,
concoururent à lui faire mêler dans le récit
de son voyage lieaucoup de merveilleux à la
vérité. Il prétendit avoir découvert des Na-
tions si riches , que les loîts de leurs Tem-
ples étaient couverts de pla(|ues d'or , et
donna une description détaillée d'une ré-
j tililiijuc de femmes guerrièies qui avaient
étciidu leur doniinalion sur une partie con-
sidérable des plaines immenses qu'il avait
visitées. Ces contejs extravagans donnèrent
naissance h l'opinion (ju'il y avait dans celte
pallie du Nouveau - Monde \\n pays abou-
daiit en or , connu sous le nom de El-Do-
rado , et une république d'Amazones. Et ,
tel est le goût des hommes pour le merveil-
leux que ce n'est qu'après beaucoup de temps
et avec Ix-aucouj) de difficulté que la raison
et l'observation ont détruit ces fables. Le
voyage d'Orellana , dépouillé de toutes ces
circonstances lomancsques, mérite cepen-
O G
334 Lettres éoifiantes
dant d'être i einar((ué , non-seulement comm«
une des plus belles expéditions de ce siècle
si fécond en entreprises ; mais comme le
premier événement qui ait donné une con-
naissance certaine de l'existence de ces ré-
gions immenses qui s'étendent à l'Est depuis
les Andes jusqu'à l'Océan. »
Un autre Historien moderne pense qu'Orel-
lana a pu se tromper de bonne foi. « Lors-
qu'il parcourut, dit-il, pour la première fois la
rivière de Maragnon , il eut à combattre un
grand nombre de Nations qui embarrassaient
sa navigation avec leurs canots ^ et qui du
rivage l'accablaient de flèches. Ce fut alors
que le spectacle de quelques Sauvages sans
harbe, comme le sont tous les Peuples Amé-
ricains , offrit sans doute à l'imagination vive
des Espagnols une armée de femmes guer-
rières , et détermina l'OlTicier qui comman-
dait h changer le nom de Maragnon , que
portait ce fleuve , en celui d'Amazone , qu'eu
lui a depuis conservé. »
Mais, comment supposer cette bonne foi
à Orellana , quand on le voit , en méme-
temp*,^ assurer qu'il a découvert des Nations
où tout était d'er ? Non : il créa , dans sa
relation mensongère, cette Nation de fem-
mes guerrières sur le modèle de celles que
l'antiquité plaçait dans l'Asie mineure. Quel-
ques Auteurs, el notamment Strabon, ont nié
formellement l'existence de celles-ci ; mais
Hérodote , Pausanias , Diodore de Sicile ,
Pline , Plutarquc et plusier.rs autres écri-
vains , loiu de la révoquer eu doute , l'ailir-
ET r u R 1 r r S I *. 3-315
jnenl posilivrinriil ; mais (|u:ind il s'agit il'iiu
lait rnati'iirl , coiiiinc l'cvistriicc il'iiii pavs
ft (l'uiif .Nation , il faut avouer (ju'un lôm<»i-
gnn^r lu'galif , que tant de siècles n'ont pas
ronfondu , doit faire [>lus d'impression que
viiii;l léiMoi^nagrs allirmatifs. i*lus réccm-
mi'Mt on a préuiidu (ju'il v a aussi en Afri-
que une républi({ue d'Amazones ^ mais eon-
tre «jui donc se battent ces femmes, et com-
ment se fait-il qu'on n'ait jamais eu de leurs
nouvelles (pie par oui-dire? Clommenl celles
d'Ort'llana pourraienl-tlles exister au centre
de la (iuiane , et dans une contrée incon-
nue aux Français de Cayenne el aux Portu-
gais de para ? Enfin , comment , dans un si
grand éloignemenl pourrions-nous croire une
chose aussi extraordinaire, quand les voisins
n'en ont encore aucune connaissance ^
On pourrait se demander aussi pourquoi
des f.mmes qui avaient tant d'aversion pour
les hommes , consentaient enfin à devenir
mères, et comment ces liommes, dansun tel
rapprochement, ne les désarmaient point , et
ne reprenaient pas leur supériorité ; enfin, on
pourrait considérer la douceur naturelle du
sexe, sa faiblesse el sa pusillnnimilé comme
autant d'obstacles à la possibilitié de celte
républi(jue; mais il est sans doute inutile
d'en dire davantage à cet égard.
Voici peut-être tout ce qu'on jjourrait sup-
poser : il est possible que des femmes sau-
vages aient voulu partager les dangers de
leurs maiis dans les guerres que ceux-ci fe-
^«tieat à leurs emiumis j il a'iât pas même
326 LeTTT. 7ÎS ÉPIFIANTES, CfC.
hors de toute vraisemblance qu'elles aient
pu quelquefois former un corps d'armée sé-
paré ; mais qu'il y ail eu des Nations com-
posées de femmes exclusivement ; que ces
femmes aient fait un divorce presque per-
pétuel avec leurs maris ; qu'elles aient tué ,
estropié , exposé ou renvoyé leurs cnfans
màlcs, et coupé les mamelles à leurs jeunes
filles , afin que dans un âge plus avancé elles
pussent tirer plus habilement de l'arc , et
combattre plus aisément leurs ennemis ; c'est
,ce qui ne nous parait du tout point vraisem-
blable.
Sens, Editeur.
Fin du neuvième volujne.
3^-
T A B I. E
Des Lcllrts cuiiicnucs daus ce Volume.
JLjfTTRn sur Us nouvelles Missions de la
province du Pa/nf^uay , tirée d'un i\/r-
moire Espagnol du Père Jean-Patrice
J'ernandez , de la Cuwpai^nie de Jésus ,
présenté au Sérénissiine Prince des yistu-
ries en l'année i-jaf) , par le Pire liiè-
rôme Herrun , Procureur de cette Pro-
vince , à M ***. Page i
Sr.co>PE Lettre sur le même sujet. 5o
Lr.rrRu du Père Ignace Chômé , Mission-
naire de la Compui^nie de Jésus , au Père
f'antliiennen de la même Compagnie. 120
ÈriT présent de la Province de Para-
guay , dont on a eu connaissance par
des lettres venues de Buenos- Ayres ,
datées du 10 de Fé'vrier i-jiJ , traduit
de l'Espagnol. 126
Lf.ttuf du Jiévérend Père Jérôme Ilerran ,
Provincial des Missions de la Compagnie
de Jésus dans la Province de Paraguay ,
à son Excellence Monseigneur le Marciuis
de Caste l-Fuerte, vice-Jioi du Pérou. 1 26
Letthe de Monseigneur le Marquis de
Castel-Fuerte , vice-Hoi du Pérou , au
Pkévérend Père Jérôme lïerran , Provin-
cial des Missions de la Province du Pa-
rafa aj. i4'^
3'i8 TABLE.
Copie de l'acte dressé dans le Conseil
Royal de Lima. i4.3
MnMorRE apologétique des Missions établies
par les Pères Jésuites dans la Province
de Paraguay ^ présenté au Conseil Royal
et suprême des Indes , par le Père Gas-
pard Rodero , Procureur-Général de ces
Missions; contre un Libelle diffamatoire
rempli défaits calomnieux , qu'un Ano-
nyme étranger a répandu dans toutes les
parties de t Europe. Traduit de l'Espa-
gnol. 145
Lettre de Monseigneur Don Pierre
Faxardo , Evoque de Buenos-Ajres , au
Roi. î84
Lettre du Seigneur Don B/mno Zabala y
Maréchal de Camp , Gom-erneuv et Ca-
pitaine-Général de Buenos-yljres , au
Roi. 1 89
Clauses insérées dans le Décret que le Roi
Philippe V^ envoya au Gouverneur de
Buenos-Ajres , le ia Novembre i'ji6.
193
Observatioss géographiques sur la carte
du Paraguay , par l'Auteur de cette
carte. 1 98
Extrait d'une lettre du Père Pierre I^o-
zano , de la Compagnie de Jésus , de la
Pr'ovince du Pamguay , au Père Bruno
Morales y de la même Compagnie, à la
Cour de Madrid. 208
Lettre du Révérend Père Morghen , Mis-
sionnair'e de la Compagnie de Jésus , à
M. le Mar'quis de Reybac , etc. uaS
T A n L E. 3^9
Membiks historique sur un Alissionnaire
tlislinguvy (lrl',/ntrri(/ui- mrridioinilv. -x^ii
Leitiik du Ht-xcrend Pire Cat , Mission-
tiaire de la Compagnie de Jésus , à Mon-
sieur. *** a 56
Lcnnr. du Pire Antoine Sepp , Mission-
naire de la Compagnie de Jésus , au
Pire Guillaume Sting/liaim , Provincial
de la même Compagnie dans la Province
de la Haute- Allemagne. 288
Drssr.iiT.iTios sur la ri\iire des Amazones
et sur l'opinion qui place dans cette
Contrée une République de finîmes guer-
rières, 3 08
Fia de la Table du neuvième volume.
33o TABLE
TABLE
Des Matières contenues dans les Mémoires
d'Amérique^ tomes /-"/, /^//, FIT l et
IX des Lettres édifiantes et curieuses.
A
BNAKis, Nation sauvage de l' Amérique
Sepicntrionale : leurs cabanes , leurs habille-
mens , leur iigure, leur caractère^ leurs occu-
pations , leur nourriture , leur langue , ses
tours , son e'aergie ; lu forme de leurs raquet-
tes et de leurs canots. Tome VI ^ page 12a
et stiiv.
Amazone , fl-nive. Histoire des Amazones qui
eut peut-être doimé leur iioTn à ce lleuve , et
leur existence. VIII, 22f>. Description des
bords de ce fleuve. Ibid. 226. Travaux et
mort du Père Richler , Missionnaire. Ibid.
229 et suiv. Dissertation sur la rivière des
Amazones , et sur l'opinion qui place dans
cette contrée ime République de femmes
guerrières. IX ^ 5o8.
jiperé ovi Saint-Michel , rivière qui prend sa
source dans les montagnes du Pérou, tr.iverse
les terres des Chiriguanes , y change son noai
en Parapiti , et se décbarge dans le lac Ma-
moré , d'où elle se rend dans le Maragnon^
qu'on appelle aussi les Amazones. IX , 8.
Arbre du Brf'sil : on en trouve dans l'Améri-
que Espagnole. IX , 2'j6.
Arica , port du Pérou , \ environ dix-neuf de-
grés de laliluJe mcridioiialc. C'était là qu'où
DES MATIERES. XU
cliargoait aiitrpfois les richesst'ii qu'on tire
d«-i mines du Potosi. VIII, lo-j. I/air v c^l
lr«>.-mal-sain, el ou l'iàpprlU" connu iincmeiit
le tonibcuu des Français. 1\ , ■2').').
B.
B,
't i.lf-Ile en Amérique ; crtte Ile qui p.i-
raîl df figure ronde , est au n\ilieu d'un dé-
troil quf forme l'Ile de Terre-neuve avec la
terre ferme de Labrador. VI , 8.
Bout bon , rivière que les Anglais appellent
Pornetton , et d;ins laquelle se décliarîj;c la
rivière de Sainre-Thérèsc , aux envirou» de
la Baie d'I dson. VI , 12.
Jiut'nos-Ayi es , ville «le l'Amérique Espan;nole,
vers le henli* - deuxième degré de latitude
méridionale. L'air qu'on y respire, sa popu-
lation ^ son commerce et ses environs. IX;
C.
VjAr.wETF. , Bourg du Pe'rou , remarquable
par un pool singulier (ju'oii trouve "^ur la
route de Caguete à la province de Parlia-Ra-
mac ; description de ce pont. IX , y.4"-
Californie ; c'est en i()f)7 que s'y est fait lepce-
mier établissement solide ; ce Royaume était
dès-lors et bien auparavant renommé pour .
la pèche des perles. Les Californiens mon-
trent d'heureuses dispositions pour lef'.hris-
tianismc. Les Pères Salvaliern et Picolo y
fondent plusieurs Kglises. VIII , ".8 et siii^'.
Le climat de la Californie très-chaud sur les
cAles , est sain el tempéré dans les terres j
elles sont fertiles en fruits et en grains , le
gibier et le poissoa y abondent. Ibid. 4(i.
332 TABLE
Habillement , mœurs et occupations des Ca-
liloruiens. Ihid. 5o. Les Missionnaires ex-
hortent le Gouverneur Espagnol à former
un établissement dans la Calirornie , à j en-
tretenir une correspondance réglée ; ils lui
communiquent leurs vues sur cet objet.
Ihid. 55 et suiv.
Canisiens ; nation barbare dans le Pérou; leurs
mœurs et leurs occupations. VIII , 28. Ils
^ écoutent les Missionnaires et consentent à se
réunir en peuplades. Ibid. 5i. Le Cucnriiluy
rivière très-poissonneuse, traverse leur habi-
tation. Ibid. 7)3.
Cosse-têie ; cette arme des Sauvages est faite
d'une corne de cerf ou d'un bois en forme de
coutelas, terminé parmie grosse boulcj aussi-
tôt qu'ils ont assené leur coup à la tête de
leur ennemi , ils la lui cernent avec leur
couteau , et \\n enlèvent la chevelure dont
ils se font un trophée. VI , i45.
Casia^neres; (le Père) Missionnaire mis à mort
par les Barbares. Mémoire historique sur ses
voyages et ses travaux apostoliques. IX, 'il^Q
et suivantes.
Charouas, Nation de l'Amérique méridionale,
très-fàcheuse à rencontrer en voyage. VIII ,
182.
Chaudière-haute ; faire chaudière-haute chez
les Sauvages, c'est donner un grand festin.
VI, 5oi.
Chinca , Province du Pérou , autrefois très-
peuplée , aujourd'hui fort déserte. On y
trouve quelques anciens monumens. IX , •>, jj.
Chifjuites ; Nations barbares du côté du Pérou;
le Père de Arce en a réuni plusieurs dont il
â formé cinq Peuplades où les mœurs et la
Religion fleurissent. VIII, 1 55 et 178. H y
DES MATIERES. 333
a deux cliciniiis pour se remlie thoi les (Jii-
qiillc". , le premier «jui est Irès-loiij;^ eu pui-
sant par le l'cfrou, et uu autre , la inoilié plus
(ourt.cu 5*eml>ar'piaiit >ur !<• llcuve du l'ara-
guay. IjC Père de Arce eutrepri'ud de le dé-
couvrir , el après des fatigues iunoyables ,
il est massacré par les Sauvages (iuayturéeus,
^'atiou féroce cpii habite les bords du fleuve
Paraguay ; le Père de Blende , son compa-
gnon , qu'il avait laissé avec les Payaguas ,
autre Peuple de ces contré»îS , est aussi im-
molé par ces Barbares ; éloge d»; ces deux
Missionnaires. Jl>itl. i5f> et i<o. Situation du
])avs des (>liii{uites , son étendue , la qualité
du t<Troir , nueurs et coutumes de ces Peu-
ples , leurs or«upalions^ leur religion ; entrée
«les Missionnaires dans ce pays , obstacles
qu'ils oiit à surmonter, première Eglise bâtie.
\ III , a<ifj jusqu'à ^2H•^. Irruption des Ma-
nie lues portugais sur les terres des Chiquiles j
ils sont repousses. Route que tinrent les Ma-
melucs du Brésil ; état des diverses Missions
étibiies dans ce j)avs et sur les bords des
lleuves Paraïui et Uruguay. Jbid. "^Bi jus-
ipi'à 'i.[)~'
Chii i.:uaiies y Nation du Paraguay; étendue des
terres qu'ils habitent. "S lli , -^^G. Voyage de
près de mille lieues entrepris par trois Mis-
sionnaires pour entrer sur leurs terres ; ce
qu'ils ont en à y souflVir ; inutilité de celle
première tentative. JLiiL '23(). Peuplade
(llirclienne détruite par ces Iniidèles , elle
Missionnain- nussaeré. /hi<l. uGi. Caractère
di!s (>hiriguan'"s , dispositions de leurs Bour-
gades, leur vêtement, leurs y)irures, leur*
mariages, la science de leurs Médecins, leurs
dcyoiis enycrs les uiorts , ce qu'ils pcuseut
334 TABLE
de l'elat de l'aim; séparée du corps , leur
opiniâtreté dans leurs ridicules superstitions.
Ibid. 'jt^Vi et suivantes , et IX, ^.
Christianisme ; il n'est connu chez les Sauva-
ges de la Nouvelle France que sous le nom
de Prière. L'eau-de-vie et la polygainie sont
les principaux obstacles à leur conversion.
YI , 1 47 ^' suivantes.
Cire; manière de l'aire une espèce de cire verte,
dans l'Amérique septentrionale, avec de la
graincde lauriers sauvages. VI, \o7>y et VIF, -5.
Conception , ( la } ville épiscopale du Chili, peu
riciie et peu peuplée. Vlll , 101.
Corduba , ville assez considérable de l'Améri-
que méridionale ; sa description. Vlll, ?)2o.
Creuillj- ; ( le Père de ) Missionnaire de la
Cajennej ses travaux , son zèle ])our le salut
des Colons , des ]>iègres et des Indiens ;
il est le premier qui ait bien connu la lan-
gue des Indiens , et qui en ail fait une
espèce de Grammaire. Vil , aoo et suiv.
D.
D
AMiER, oiseau ainsi appelé parce qu'il a
le dos partagé en -petits carreaux noirs et
blancs ; il se jnend à la ligne. VIII , i55.
Danse de la découverte , en usage chez les
llliuois. VI , joi.
A ESTiNS ; les Sauvages en donnent le phis
qu'ils pcuvenl;c'ostunninyend'ac({uérir(le la
considération. Description du fesùii des Ca-
pitaines, et de ce qu'ils appcllcut le festin dft.
la guerre. VT , 17)801191.
Feu Sui/U-Jiline: description de ce pUéuomène,
T)ES MATTER ES. :n5
f t o|)i.»i(Mi tics iiiadlols à xm sujet. \'IIÏ, i(»o,
t'oit Saint-Cenrfes ; il est »tla((iie par M. le
tMar<|tiis tlt* iMuitUalin , il <«■ rtnd ajtn's une
lnlir tléfe-nse ; la <°a]iitiilatiou est vjolée par
1rs SauNu^t-'S. Justification thi GeiH-ial et des
Officiers Fr niiais. \ I , j-j/) et suivantes.
Fu'ieroilles ; descrijitioii il'uue poDipe funèbre
de bauvagc. VI , -iwà.
r
\J f A c H o et Guaitrn, deux petites villes du
Pérou, à onze degrés quarante minutes de la-
titude méridionale. I.a première a un petit
port à l'ahri des vents d'Ouest et du Sud ; oa
y trouve- des vivres excellens et à bon mar-
ché. La seconde est dans une situation trcs-
a<,'.«'.ible. IX , 'Jl\i.
Giiiiranis ou Ouaraniens , Peuple barV)are de
l'Amérifpie méiidionab' j on en a rassemblé
ceul trente mille en trente IJourf^ades diffé-
rentes , sur les bords du fleuve Parana et du
fleuve I:ragua_v ; ils rajipcUent par leur piété
It! premier siècle du Christianisme. Descrip-
tion de ce pavs et de ses j)roductions j génie
dr leur langue. VIII^ i4î^eti87.
Guoycaretns; Nation barbare Irès-redoutablé
jtour les l'spagnols du Pérou ; leurs mœurs,
leur «aractère , leurs armes , etc. VIII, i -y.
Cutané ; Continent voisin de Cavenne ; les
Pères Lombart et Kamele y pénètrent , le
parcourent , étudient les différentes langues
des .Sauv.ii;ps qui l'iiabitent , et parN iemient
à les ap;iri>oiser. VJI , j.o". I.e Père Lom-
bart jcllr les fondemens d'une Peuplade , il
y élève pUisjcurs enlans Sauv.^rîs , dont il
iiiit cusuilc dcj espèces de Culcthislcs , qui
33Ô TABLE
se répandent dans les diverses Nations qui
habitcnl celte vaste contrée. Ihid. -lo^. Plu-
sieurs adultes , gagnés par le Père Lombart ,
et les jeunes Caléchistcs néophytes ^ se réu-
nissent^ se fixent auprès du Missionnaire , et
y forment une Bourgade. Plan de cet établis-
sement, ordre qui s'y observe, etc. Jbid. ai i .
Description de l'Eglise que le Père Lombart
a fait construire à Kourou , nom de cette
Bourgade , contentement des Sauvages qu'il
a réunis , leur piété vraiment édifiante. Jbid.
320 et 257.
IL
H
orn; (Cap de ) il est par les 57 degrés /^o
minutes de latitude méridionale et très-dif-
ficile à doubler. A UI , i44'
tl ACBA, on appelle ain^îi certaines terres dont
les Rois d'Espagne récompensèrent les Offi-
ciers et les soldats qui s'étaient signalés dans
la conquête de l'Amérique. VIII, aip.
Illinois ; Nation sauvage de l'Amérique j ils
vivent dans une grande abondance ; leurs ri-
vières sont très-poissonneuses , et leurs bois
remplis de gibier : les Uéches sont les prin-
cipales armes dont ils se servent, il les arment
de pierre taillée et affilée en forme de lan-
gue de serpent; ils sont jiassionnés pour la
chasse et pour la guerre. ^ 1 , 142. Leur pays
est par le 'q.*" degré de latitude sepieiilrio-
nale , il est a'sscz beau, mais moins agréable
qu'on ne le reprér.entc dans une relation <{ui
a paru sous le nom du (Ihevalier Tou'.i , et
qui est dcsayouée par Im-ïixùinc. llnd. :i^)(^
DES MATIERES. 337
etVII,-.S. I..1 rivière <li-s Illinois sc«lcclmr«^e
d iiis le Mi^"«i^'*il»i v«i>. le 7>i).' dc^i»" de lali-
tiule : scpl lieues plus bas le Missouri vieul
•'y rendre ; rnviron qiiatre-viiigt lienes au-
dessou« , du côié de l'Est , il s'y décharge
encore une grande rivière nommée Ouabache.
VI , •«•')-. Productions du p.ivs, nvi'urs , lia-
billcment , occupations des liomines et des
fi inmes. ///iil. l'tH et '>'*()• Les charlatans y
eut beaucouj) d'autorité , comme chez tous
les peuples oisifs ou ignorans. I/^ii. •2G.i. Les
Mtisc(>utens->oul uiif luiùon lllinoise ; efforts
inutiles du Père •Mermct, Missionnaire, pour
les éclairer et les convertir. /Ind. '?.i')j. C'est
le premier Missionnaire qtii ait découvert le
Mississipi vers l'année iVi-'x , mais le Père
Gravier est le premier fondateur de la Mis-
sion des Illinois. Ihid. utjf). Histoire d'un Ins-
tructeur ou Catéchiste. Jbid. u-o. Grandes
chasses des Illinois ; les Missionnaires les y
suivent. Ibiil. •y.-'S. Manière de voyager chez
les Illinois. Ibid. vjH') et 5o8. Dan;^er de ren-
contrer des parti* Sauvages ; traitement bar-
bare qu'ils font aux voyageurs qu'ils sur-
premicnt ; vue perçante des Sauvages. Ibid.
Joiines, (le Père) l'un des premiers Misîiorf-
naire^qui prêchèrent l'Evangile auxiroquoisj
ils le fout jiérir dans d'horribles supplices.
VI , J(i.
Tijuiavates ou Yquivates , Nation des bords du
fleuve des Amazones ; voyage que fait chez
eux leCapitainc Caiitosawc im Missionnaire;
histoire et preuve de leur férocité. Ils se con-
vertissent <ependant , et se réunissent en peu-
plades VHI , ?,o") et siiiw Les bords de cette
rivière sont habités j)ai'différcus Peuples tous
Tome IX. P
338 TABLE
barbares , et qui oui fait mourir plusieurs
Missiouuaires. Jbid. aiG. Les Portugais font
souvent des irruptions sur les terres Espa-
gnoles et dans les peuplades Chrétiennes.
Jbid. 218. Mort et éloge du Père Fritz, Mis-
sionnaire, qui a pircouru le fleuve des Ama-
zones,et en a levé la première carte. Ibid, a?,o.
Jle de Flore ; on n'y voit que des loups et des
lions marins. VIII, 142.
J_Jas-c ORIENTES , ville de l'Amérique Espa-
gnole. YIII, 187.
Ligne ; (la ) fêle singulière ou plutôt comédie
qui se joue au passage de la Ligne. IX, aSS.
Lobos ; île qui est la première que forme la
rivière de la Plata. YIII , 175, et IX , 266.
Louisiane; fia) pays fort étendu et peuplé par
diverses Nations sauvages ; la INouvelle Or-
léans est la capitale de tous nos établissc-
mens. Ses fleuves , ses forêts, ses plaines ,
ses productions, les mœurs de ses habitans,
et ce qui met le plus d'obstacle à leur con-
version. VII ; 65 et suivantes.
M.
M
agellan; ( Détroit de ) sa découverte en
i520. Erreur des Géographes , qui donnent
ji la Terre de feu , qui s'étend depuis le Dé-
troit de IMagellan jusqu'à celui de le Maire ,
beaucoup plus d'étendue en longitude qu'elle
R'eu a. VIII, 97. Description des habitaus de
la Terre de feu. Jbid. ;)8.
Claire ; ( Déiroif de le) il est formé parla Terre
, tle feu et rziv «.les Etals. Vill, i45.
DES MATIEÎIES. 3?9
ifenJoza ; ^ille située aux picils des Cordil-
litT<"*. NUI , 'yjit.
^laiitire de «liinsrr It-s bêlrs féroce* , pruli-
ïjiiée p-ar les Indiens <|ii Pérou. IX , a-j.
Jkliinille ; ville -iituéc dans l'île de Luçon , et
rapilale de (otites tes îles Philippines^ sa des-
cription. V III , "iS").
Manitou , espèce de Divinité ou de Génie que
redoutenl «t <ju'a«lorent les Sau\ âges , et
qu'ils se forgent au gré de leur imagination.
VI , 157 et 'M\~ï.
Marin , ( M. ) Officier Ginadien ; il attaque et
fircnd le fort f.ydis appai tenant aux Anglais;
es Sauvages veulent traiter les prisonniers à
leur manière ; mouvement des Officiers Fran-
çais eld'un Missionnaire pour les arrachera
tant de barbaries. VI , uoi.
Mission du Sault ; ferveur et zèle des Néophy-
tes. VI, 4^- lifienne , Iroquois de celle Mis-
sion f meurt victime de sa foi avec un cou-
rage qui éloiuie les Barbares. Ihid. 8.4. Lue
femme de la même Mission , nommée Fran-
çoise , finit comme lui sa vie , et avec la
même consUince , ainsi qu'une autre appelée
Marguerite. Ibid. 86 , 90 et suivantes.
Aïoxes ; Nation barbare séparée du Pérou par
les hautes montagnes appelées les Cordil-
lières ; leurs pays est sous la Zone torride, v.t
s'étend depuis dix jusqu'à quinze degrés de
latitude méridionale. Caractère , mœurs, cou-
tumes et religion de ces PcupU^s ^ nature du
Climat qu'ils habitent. V'IJI, 58, 60 et suiw
Le Père Baraze les apprivoise en quelque
sorte , il leur apprend tous les aris de pre-
mière nécessité, les réunit en Peuplades, leur
donne des lois , et les assujettit à celle de
l'Evangile. lùid. ^5. Il y avait dans ces dcr-
P a
34o TABLE
niers tpmps plus de trente Missionnaires qui
travaillaient dans quinze à seize Bourgades
de CCS Barbares civilise's. Ibid. i 12. Le Père
Baraze trouve une route nouvelle et plus
courte pour pénétrer du Pérou cliez les
Moxes. yill j 84. Il découvre plusieurs a>i-
trcs Peuples , enlr'autres les Baures , Na-
tion plus civilisée que les Moxes , et aussi
plus perfide ; ils foui semblant d'écouter le
Missionnaire , mais pour le tromper et le
faire périr : il mourut victime de leur barba-
rie , le 2 Septembre l'^jO-i. ihid. 87.
N.
N
ATCHEz ; Nation delà Louisiane ; ferlililé
de leur pays , leur culte , leur gouvernoment^
leurs mœurs, leurs occupations, leur manière
de faire laguerrc, leurs cbasses^ leurs Méde-
cins^ etc. VII , '2 et siih'. Leur perfidie et
leur cruauté , dont presque tous les Français
et deux Missionnaires établis cliez eux furent
la victime, fùid. aS. Le Père d'Outrelcau ,
troisième Missionnaire , échappe au massacre
avec un bras cassé ; les Tchaclas ^ Nation
Iliinoise , fidèle alliée des Fiançais , les aide
à se venger des Natchcz. Ibid. 5'i et ?)_o.
Nègres ; comn\ent se fait la traite des Nègres,
comment ils se vendent quand ils sont arrivés
dans nos Colonies. YIII , 2 et 5. Leurs déser-
tions assez fréquentes , malgré les punitions
auxquelles ils s'exposent. Ibid. 5. Le Père
Fau([uc , Missionnaire de Cayenne , entre-
prend de ramener inie troupe de ces Nègres
Marrons qui désolaient les liabilaliousvoisines
des forets oùils s'élaient réfugiés; ses courses^
ses fatigues ; son succès. Ibid. j et suis'.
DES MATIERES. 34*
O.
O
.OBOMF , animal lit"»-siiiçnli«T du pay* def
Moxes. VIII, (ti , et 1\ , t-j.
Ours aux fourmis ; dcscripliou de cet animât.
IX , •«:<{.
Outoouacks -f Nation superstitieuse de l'Anic-
ri«pie septentrionale ; elle est très-atlacliec
aux jongleries de ses < harlalans ; ils s'attri-
buent une origine au^i^i insensée que ridi-
cule ; ils prétendent descentire de trois i'a-
milles. Fable extrava^'ante snr cfs trois l"a-
railles. ^^, i3.|- Il "N «i <I"t' la lainillfi du
grand Liivre([ui brûle les cadavres, les au-
tres les enterrent. Il>id. i "»(i.
0//)Y7/>o<", grande rivière au-dessous de Cayenne :
le Koi a établi une colonie sur ses bords. Ali,
2!^i. I^e Père Fau<|uc , Missionnaire, part
d'Ouyapoc et pénètre dans les terres ; nom
des Inrliens «pi'il vi'-ile, leurs niœurs^ la
qualilt- dn climat , les rivières , etc. Ibid.
7.\Cu Vax fouillant ia terre à Ouyapoc pour
le fondement d'une Eglise, on trouve luic
petite nn'daille de S. Pierre. ILid. y.tJi. Pro-
jet d'un ('lablissi-uieiit pour les Indiens (piî
désertent les Peuplades Portugaises éta])lies
sur les bords du fleuve des Amazones. Ibid.
2(îi^. Manière de gagner les Sauvages : Peu-
plade établie chez les Pirious , par le Père
d'Ayma. Ibid. u68. Projet de s'étendre chez
plusiimrs autres ^Nations ; leurs noms , leur
génie , etc. Ibid. ■j.'^o. Voyage du Père Fau-
qne clicz les Palikours. Ibid. U74. Autre
Voyage du Père Faïupie sur le Catnopi , ri-
vière de la (iuNane. Description du pays qu'il
pavcouit ^ moeurs des Sauvages quil visite,
P ^
34i TABLE
etlciirs (lisposilioiis à se réunir en Peuplade?^
et ù écouler les inslruclions des Missionnai-
res. Ihid. 294- R.eIalion de la prise du fort
d'Ouyapoc par un Corsaire Anglais , et tout
ce que le Père Fauc[ue eut à en souffrir.
Ibid. 5o7 ei suiv.
P.
P
acharamac ; province du Pe'roii ; elle a
été le tlicâlre de la guerre que les Espagnol?
firent à ses liabitans ; sa capitale a été dé-
truite , et ne présente plus que de tristes
ruines. IX , 245.
Placer ; [ le) banc de sable qui court 5o lieues
le long de la côte du Brésil. VIII, 174*
Paraçruay , Mission florissante; elle consiste en
quarante grosses Bourgades toutes habitées
par des Indiens ; innocence et paix qui y
régnent. VIII, i58. Exercice de ces Mis-
sions , piété des Néophytes , ordre qui s'ob-
serve, manière dont s'administre le temporel ;
comment on pourvoità la subsistance de cha-
que Bourgade ; comment se sont formées les
Missions du Paraguay. Ibid. 3o(]jiiS(ju'à 5 18.
C'est le grand lleuve du Paraguay quia donné
.son nom au vaste pays qu'il traverse; il reçoit
les eaux de plusieurs rivières , et principa-
lement de la rivière rouge et de Picolmayo ,
qui prennent leur source dans les montagnes
du Poiosi. IX, 4- Les Sauvages qui habitent
cette contrée sont appelés Cliiqiiiies par les
Espagnols ; étvmologie de ce nom , étendue
de ce p'iys ; avec quelles fatigues on a réuni
ces Barbares. Ibid. 7. Qualité des terres des
Ciiiquitcs , fruits , animaux que leur pays
produit 3 difficultés de leur langue ; vertus que
DES MATIERES. 343
doit avoir un Mi^siuiinuirc «|iii se con^€icrL' à
ces Missions, divers obsla<lrs iju'npposeiit les
Mainelues du Hre«il, et <jiiel<|iirlois les lùiro-
péens , ù la conversion àr-, inli(lèle><. Ihiil. S,
l'A cl i<). C^e qu'on enl«'nd par M «nnlurs, situa-
tion de leur ville , leur bri^.uidag»' , leurs ru-
se*. Ibid. 19. TraiLsnngraliou des >féophvtcs
sur le< bords des rivières l'araua et Uragnav;
usage des armes à feu permis par les Ilois
d'Espague ; innocence et ferveur de ces In-
diens , leur zèle pour la conversion des atilres
dations infidèles. Ibitl. •i.~\. Projet formé jiour
ouvrir une roule au travers des terres qui sont
entre les Missions des (>luquites et celles du
P.irapuav ; importance de c«'lle découverlo ;
Journal de ce voyage ; dcNcriplion du pavs et
des Indiens qui habitent sur l'un et l'autre
bord du Paraguay ; diverses aventures arri-
vées aux Missionnaires. Ibid. 5l».. Excursion
du Père Cavallero sur les terres des Parakis
et des Tajiacuras ; violences et artifices de
qiieWpies Européens envers les Missionnaires.
//'/'</. 5i. Autre excursion du même chez les
Indiens Mtinacicas ; nature de leur pays ,
uuihilude et disposition de leurs villages;leur
caractère , leur religion , leurs cér«'monies ;
espèce singulière d'un animal nommé Farva-
cosio ; maladie extraordinaire qui régne quel-
quefois parmi les Indiens ; autorité de leur
Caci(jue. Ibid. 55. Excursion du même Mis-
sionnaire chez d'autres Nations barbares; com-
ment il est reru des Indiens Ouin'ifuicos ,
leur changement subit 7 leur docilité, conver-
sion de leur Muffono ou Prèlie «les Idoles.
Jftid. Hj. Vovagc chez les IwiVun^ Jurucarcs,
fiMocilr- de ce Peuple, comment il est con-
verti. Jbid.fjz. Autre voyage chez les ludicfiii
41 TABLE
Cozocas, qui le reçoivent à coups de (lèches :
deux de ses Néophytes en sont blessés. Ibid.
g'j. Fatigues qu'essuva le Missionnaire en
allant chez les Subarecas et les Bohocas ;
Peuplade de ces Indiens convertis. Ibid. loo.
Il est lue par les Pinzocas le 18 SeptemEre
171 1. Ibid. 106. Plusieurs Nations Indiennes
converties par le Père Suarez. Nation des
Morotocos , leur caractère, stérilité du pays,
autorité qui réside dans les femmes ; nou-
velle Peuplade établie sous l'invocation de
S. Jean-Ba]itisle par le Père Zea , son des-
sein de porter la foi chez les Zaviucos ; per-
fidie de ces Indiens. Jbid. ion et Suiv. Mis-
sions pénibles où a travaillé le Père Chaume ,
autre Missionnaire du Paraguay ; détail de
ses voyages ; entreprise d'une nouvelle Mis-
sion très-périllcuse parmi des Nations qui ne
sont connues qrte par leur férocité , et chez
lesquelles ou n'a point encore pénétre. Ibid.
121 et suiv. Piévolle des Peuples du Para-
guay ; efforts inutiles des rebelles pour en-
vahir quatre Peuplades d'Indiens j et divers
artifices pour les engager à entrer dans la
rébellion, fbid. \i.5 et suiv. Les Jésuites
sont chassés de la ville de l'Assomption et
de la province par les rebelles ; fidélité et
bravoure des Indiens qui sont sous la con-
duite des Missionnaires ; défaite d'iui corps
de révoltés par un parti de trou])cs Indien-
nes. Ibid. i3i. Mémoire sur les Missions du
Paraguay ; siiualiou de ce pays ; nature de
Son climat; herbe du Paraguay fortesdmée^
et où elle se trouve ; tiibut que les Indiens
payent au Roi du |Hoduit de cette herbe ,
et quel reventi elh^ leur procure. Ibid. i.^S
ei suiv. Preuves juiidiques qu'il n'y a point
DES MAT lERES. 3^5
de iniiu's ilaiK le P.ir.if»ii.iv : Iiulifii sulMinié
convaincu (If caloiniiir. Ihid. lO'i. l.ii <jU(ii
con-si^t»' la riclicssc <Jr<i J-l^liscs du Parapuav.
/hiii. \lto. Raisons qui ont porU* l<'s Rois
d'Ii'ipatïnc ù acconUrr plusirurs privilt'^e»; et
exemptions aux Indiens réunis en Peuplades ;
fréipieUN e* important services rendus par ces
Indiens à la Monarchie Ksjint^uole ; travaux
de ce* Indiens pour l'ortifier les Places «le
l'Etat ; dans combien de guerres ils ont
vaincu et cliasm- les etuiemis <le l'Etat. Jbid.
l()- et siiiw Quelle est riimocence et la piélé
qtii rèjçue dans ces Peu])lade-; ; combien les
Indiens sont jaloux de leur liberté et enne-
mis de toute servitude. Ibid. i-jS ei siiiv.
Ohser>ations pécgraphicpies sur la carte du
Pa r a g U a A" . Ih iti. 1 98 .
Pèche, manière de pcclicr des .Sauva2[es d'Amé-
ri(pie ; leur adresse et leur af^ililé dans cet
exercice. ^ I , \^'\, i-o et if>0.
Pintade ou Miden^n'de , dissertation du Père
Margat sur la pintade. \'II , loi. Réfutation
du svstcine de M. l'unlaniiii , ([ui distingue la
pintade de la nialéagride. Jl>id. loj).
Pisco ; villt; du Pérou; ellea été ruinée par un
treniblenu-nt de terre en iTiQO , et rebâtie dans
wnv situation charmante ^ à un quart de lieue
de l'endroit où elle était. IX , aSo.
Plata ; (la) rivière ; elle conduit à Buenos-
A vres, elle est très-poissonneuse ; description
des trrres qui bordent celle rivière et de la
ville de Ruenos-A yres, VllI, lil-j. INIanière de
vovagrr dans ces contrées. Jlnd. 18 t. Aulx'c
description de cette rivière. IX, •>.{\''i.
Pni'isons \'olniiS ; ils sont assez communs sous
le tropique du Cancer. VIII, 1 35, et W/iih..
Portage ; dans l'Amérique scpteutrionalc sur-
346 TABLE
tout, quand les rivièros cessent d'être naviga-
bles, on marche sur les bords, et l'on porte son
canot qui n'est que d'ccorce , et son petit ba-
gage. C'est ce qu'on nomme portage. VI, ag^.
Prisonniers de ffuerre ; manière cruL-lledont ils
sont traités chez les Sauvages d'Amérique.
TI, 145.
Q-
\J u I TO , une des villes des plus considérables
de l'Amérique méridionale; desciiptiou de
celte ville. VIII, 212.
R.
XVasles, ( le Père Sébastien ) Missionnaire
chez les Abnakis ; règle qu'il suit dans sa
Mis>:ion j et que suivent tous les autres Mis-
sionnaires. Yl, loi et 36'^, Zèle des Abnakis
de cette Mission pour la foi Catholique, il
leur fait refuser les a^-antages que leur pro-
p'o sent les Anglais. Ibid. 107 et 160. Tenta-
tive des Anglais pour séduire ces Sauvage'^.
Jbid. 108. Les Anglais suqîrennent M. de
Saint-Casteins dont la mère était Abnaki'^e ,
et cherchent à surprendre et à enlever le Père
Rasles. I/iid. 116. Détails intércssaus sur la
vie de ce Missionnaire j sa mort et ses vertus.
Requin , monstre marin très-vorace ; manière de
le pêcher. \lil , i56, et IX, 2G1.
7AiPfT-DoMi>fGUE ; occupalion d'un Mis-
sionnaire dans cette Ile. Vît , 84- Génie et
caractère des Nègres ; lem* confiance dans les
Missionnaires. Ibid. 85. Description de l'Ile,
DES MATIERES. 3)7
incomniotlité du tUniat , maladies , solitude
dos Missionnaires , assiduité ({u'ils doivent
avoir auprrs drs !Si-^es iiiahities. Iliiii. Vu).
Ce que c\\X. (jur les ISi';,'res Marrons. Ibid.
I i(». (-ornbicn cviU- Ile était jx-uplée ([uand
les Fsiiaj^nol-. v aliorde'-rent. Jlnd. i i8. Zèle
des Hois d'Ilspaçne ]>our la conversion de
ce grand Pi-npie. Ilnd. l'îO. (^ararlère de
rAiniral (iolomb ; accueil plein d'amitié que
lui t'ait un Roi de cette Ile. Ibid. \-a-x. Dé-
sordres des Espagnols ; soulèvement des In-
sulaires , leur ruine et leur destruction ; zèle
d'uu vertueux I^cclésiastique nommé Las
Cazas , sou caractère , ses travaux, ses voya-
ges en faveur des Insulaires. Ibid. ro. Des-
cription de Leogane , du Cap et des Colonies
Françaises k .Saint-Domingue ; loirs ])roduc-
tions ; leur commerce. Ibid. i!\(\. Maison
de providence, où l'on reçoit et l'on nourrit
ceux qui arrivent à Saint-Domingue sans for-
tune , jusqu'à ce qu'ils soient placés. Ibid.
1 56. La petite Anse , quartier de l'Ile dont
les fonds sont admirables , ainsi que le quar-
tier Morin , la Limonade, etc. Ibid. iG") et
sitiw Eloge du Père le Fors, du Père Houlia
et de qjielques autres Missionnaires. Ibid.
171 , 18M r/ sui\'.
Saintout , ( M. de) Officier Canadien , sa belle
défense sur le lac du Sainl-Sacreuieut. \I ;
K;8.
Saiitiaçio, ville capitale du Royaume de Chili >
elle est grande , l)ien peuplée , située dans
une plaine agréable. VIII, 5^5.
Serpent a Sonnettes j sa description , et le
remède à sa morsure. VI , u i8.
Souvapes de V yîniérique méridionale ; idée
gciiéiolc de CCS Pt'u^)lc5; de leurs ma-urs; de
348 TABLE
leur gouvernement, de leurs armes , etc. IX,
278.
T.
X EGAAKOuiTA, jcune Iroquoisc cclèbrc par
sa piélé , sa vie , et sa mort. VI , 55 et suiv.
Transmigraliotis ; ordre qui s'observe dans les
transmigrations , chasses , voyages et chan-
geniens de demeure des Sauvages Chrétiens.
VI, 169.
^ourruente , Cap e'ioigné de huit lieues de Que-
bec. VI , 8.
Y.
TT
l_> DSON ou Hudson; (Baie d' ) elle tire son
nom de l'Anglais qui l'a découverte ; on y
fait le commerce des pelleteries avec les
Sauvages. VI, 2 et suiv. Noms et coutnme
des Sauvages qui y portent leurs marchan-
dises ; climat et température du pay^. Ibid.
2 4 et suiv.
Villa-Herinosa , ville du Pérou, célèbre par son
attachement aux Rois d'Espagne , elle en
donna sur-tout des preuves à Philippe Y.
IX, .40.
yorao^es ; manière de voyager dans les déserts
de l'Amérique méridionale, et de passer les
rivières. VllI, 179 et 181.
Fin de la Table de% matières contenues dans
les tomes VI.FII, f^ III et IX des Mémoi-
res de V Améri(jue.
r