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Full text of "Lettres edifiantes et curieuses ecrites des missions etrangeres parquelques missionnaires de la comp compagnie de Jesus"

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LETTRES 


EDIFIANTES 


ET  CURIEUSES 


TOME    NEUVIEME. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.arclnive.org/details/lettresedifiante09toul 


LETTRES 

ÉDIFIANTES 

ET  CURIEUSES, 

É  C  Fx  I  T  E  s 

DES  MISSIONS  ÉTRANGÈRES. 
NOUVELLE  ÉDITION. 


MÉMOIRES  D'AMÉRIQUE. 

TOME    NEUVIÈME.    / '^'^     -^ 


•'*'V*9fle'-v%/»« 


A     TOULOUSE 


Noel-Etienne   sens,   Imprimeur- 
^,         )        Lil).,  rue  Peyras  ,  près  los  Changes. 
Auguste   GAUDE,   Libraire,   rue 
S.-llome,N.  "44;  ^"  loudde  laCoui. 


1810. 


CANADI>r 


C5f 


.192. 
\l)0 


I.  E  T  T  1\  E  S 

ÉDIFIANTES  ET  CURIEUSES, 

ÉCRITES 

PAR   DES   MISSIONNAIRES 

D  E 

LA    COMPAGNIE   DE  JÉSUS. 

MÉxMOIRES    D'AMÉRIQUE. 

L  ET  T  R  E 

Sur  les  nouvelles  Missions  de  la  Province  du 
Parai^iKiy  1  tirée  d'un  iMcntoire  Espac^nol 
du  Père  Jeati-Piitrice  Fernandcz  ,  de. 
la  (Jonipa^nie.  de  Jésus  ,  présenté  au 
Sérénissinic  Prince  di's  yisturies  en  l'année 
1-26,  par  le  Père  liiéronic  Hcrran  , 
Procureur  de  cette  Province ,    à  JM*"^*. 


Mo? 


N  S  I  E  U  R  , 


La  Province  du  Paraguay  a  environ  six: 
cens  lieues  de  longueur  :  elle  est  partafjée  en 
cinf{  (iouv»-rnemens  ,  el  en  autant  de  Diocè- 
ses gnuvt-rné^  [)ai-  de*  Evc(|uei)i)Iein6dc  vei  tu 

Tome  IX.  A 


2  liETTRES    ÉDIFIANTES 

et  de  zèle.  C'est  dans  celle  Province  ,  Mon- 
sieur ,  que  sonl  élaMies  les  INIissions  des  In- 
diens Guaranis ,  donl  vous  avez  entendu 
parler  si  dilTércranient ,  el  qui  sonl  depuis 
long-temps  l'objet  de  voire  curiosité  :  c'est 
ce  qui  vous  engage  à  rae  presser  si  fort  de 
vous  faire  part  des  connaissances  que  je  puis 
en  avoir. 

Vous  ne  prétendez  pas,  sans  doute,  que 
je  remonte  jusqu'aux  premiers  temps  où  ees 
célèbres  Missions  commencèrent  à  s'étaJjlir: 
il  ne  tient  cju'h  vous  de  vous  en  instruire.  Ou 
eu  a  une  liiitoire  complclte,  écrite  parle  P. 
Nicolas  dcl  Techo  ,  qui  a  travaillé  plusieurs 
années  dans  ces  pénibles  Missions.  Elle  fut 
imprimée  à  Liège  en  l'année  1^7 3  ;  lisez 
la  ,  Monsieur  ,  elle  a  de  quoi  pleinement 
vous  satisfaire. 

Vous  y  trouverez  dans  un  grand  détail  tout 
ce  qu'il  en  a  coulé  de  peines  et  de  fatigues 
aux  Missionnaires  ,  pour  percer  des  forêts 
impénétrables  ,  et  y  aller  cbercher  ,  au  ris- 
que perpétuel  de  leur  vie  ,  tant  de  Peuples 
épars  et  errants  tout  nus  dans  ces  épaisses 
forèls  ,  se  fesanl  perpétuellement  la  guerre 
les  uns  aux  autres  ,  n'avant  guère  de  l'homme 
que  la  figure  ,  et  peu  diflcrens  des  tigres  et 
des  bêtes  féroces  avec  lesquelles  ils  vivaient. 
Vous  y  verrez  tout  ce  qu'un  zèle  ardent  a 
inspiré  à  ces  hommes  A])ostoliques,  pour 
gagner  le  eeeur  de  tant  de  barbares  ,  pour 
les  tirer  de  leurs  antres  et  de  leurs  cavernes, 
pour  changer  en  quelque  sorte  leur  naturel , 
eu  les  réunissant  dans  des  peuplades  ,   sans 


r  T   r  I  R  I  r  f  sr  s.  3 

quoi  11  n'étail  p.-is  |i«)ssil)lr  dv  les  insfiuiie, 
et  |)<H»r  Irs  y  toiiiMTaiix  tl«\f»irs  d«;  la  \  ie 
c'w  ilf  ,  v\  aux  pr.ilifjiu's  de  la  ni'lij;if»n  :  rn  ua 
mot ,  |»our  en  taiit:  drs  lioinnics  lai&oniiahics  , 
el   «"nsuiie  de  vrais  Cliréliens. 

Il  est  seulenieiit  à  reinarrjurr  que,  quand 
riiiildire  dont  je  parli-  fui  dciiiiée  au  jiul)lic , 
il  n'y  avait  alors  <|ue  9.\  réductions  ou  peu- 
plades ,  établies  sur  les  ri\ièies  Parana  et 
IJruguay  ;  le  Parana  vient  se  joindre  au 
fleuve  Paraguay  vers  la  ville  de  Corrientes  \ 
cl  ri'ruguay  ,  ainsi  que  le  Paraguay  ,  se 
jeltc  dans  la  rivière  de  la  Plata,  el  en  font 
un  des  plus  larges  fleuves  que  l'on  connaisse. 
Maintenant  ces  peuj)lades  sont  augmentées 
de  sept  nouvelles  ,  beaucoup  plus  nombreu- 
ses <{ue  les  précédentes  ,  par  la  multitude 
d'Indiens  qu'on  conveiiit  chaque  jour  à  la 
Foi,  cl  qui  nous  repiésentenl  au  naturel  la 
piété  ,  le  désintéressement ,  l'innoceuce  et  la 
sainteté  des  fidèles  de  l'Kgiise  naissante.  Il 

Îen  a  seize  surles  bords  du  Parana  ,  et  quinze 
e  long  de  l'Uruguay.  En  l'année  1717,  on 
comptait  dans  ces  diverses  peuplades  cent 
vingt -un  mille  cent  soixante  et  un  In- 
diens ,  tous  baptibés  de  la  main  des  Mis- 
sionnaires. 

(]es  INIissions  étant  établies  et  policées 
d'une  manière  qui  excite  encore  aujourd'hui 
l'admiration  des  Gouverneurs  ,  et  des  Evé- 
ques  ,  lorsqu'ils  en  font  la  visite  ,  on  porta 
ses  vues  vers  une  inlinilé  d'autres  Nations 
barbares  ,  b'sfjuelles  sont  répandues  dans  ce 
vaste  couliiieni  ,  cl  dans  tes  forêts  imnicu- 

K-2. 


4  T-iî^TTRHS    ÉDIFIA  NTHS 

SCS  ,  qui  se  Uouvciit  entre  le  fleuve  Paraguay 
et  le  Royaume  du    Pérou. 

Celte  étendue  cle  Pays  est  partagée  du 
Septentrion  au  Midi  par  une  longue  ehaîne 
de  montagnes  qui  commencent  à  Potosi ,  et 
continuent  jusqu'à  la  province  de  Guayra. 
C'est  dans  ces  montagnes  que  trois  grandes 
rivières  prennent  leurs  sources  ;  savoir  ,  le 
Guapay  ,  la  rivière  rouge  ,  et  le  Picolmayo. 
Ces  deux  dernières  arrosent  une  grande  éten- 
due déterres  ,  et  viennent  ensuite  décharger 
leurs  eaux  dans  le  grand  fleuve  Paraguay. 

C'est  à  la  naissance  de  ces  deux  rivières, 
et  dans  les  confins  du  Pérou  ,  que  vinrent 
se  réfugier  les  Cliiiigu9nes  ,  il  y  a  environ 
deux  siècles  ,  abandonnant  la  province  de 
Guayra  qui  était  leur  terre  natale.  Les  alî'icu- 
ses  montagnes  qu'ils  ha'niieut ,  ont  cinquante 
lieues  d'étendue  à  l'Est  db  la  \  ille  de  Tarijn  , 
et  plus  de  cent  au  Nord,  Voici  qu'elle  fut  la 
cause  de  leur  transmigration. 

Au  temps  que  les  Rois  de  Castille  et  de 
Portugal  s'efTorçnicnt  d'accroître  leur  domi- 
nation dans  les  Indes  Occidentales ,  un  brave 
Portugais  plein  d'ardeur  pour  le  service  du 
Roi  son  maître  Jean  II ,  voulut  signaler  son 
zèle  par  de  nom  elles  découvertes;  il  part  du 
Brésil  avec  trois  autres  Portugais  également 
intrépides  ,  qu'il  s'était  associés  ,  et  après 
avoir  marché  trois  cens  lieues  dans  les  terres  , 
il  arrive  sur  le  bord  du  fleuve  Paraguay,  où 
ayant  engagé  jusqu'à  deux  mille  Indiens  j^our 
l'accompagner  j  il  fU  plus  de  cinq  cens  lieues  . 
et  arriva  jusqu'aux  condus  de   l'Empire  d*^ 


ETCURIFTSES.  5 

ringa.  Après  y  avoir  am;tsM'  beaucoup  «l'or 
tl  tl'aim*iit  ,  il  reprit  sa  roule  ])(>uf  se  rendre 
au  Hiésil  ,  où  il  eonipliiil  jouir  île  toutes  le3 
duueeurs  que  sa  grande  fortune  devait  lui 
procurer.  Il  ne  i()niiMi>s.«il  pas  .ii»i).'treniment 
le  génie  des  Peuples  auxquels  ils  s'était  livré. 
Lorsqu'il  était  le  moins  sur  ses  gardes,  il  fui 
cruellement  massacré  ,  et  perdit  la  vie  avec 
ses  richesses. 

(les  h.irhares  ne  doutant  point  qu'une  ac- 
li(»u  si  uoire  n'aniii^t  sur  eux  les  armes  Por- 
tugaises, songèrent  au  plutôt  à  se  soustraire 
au  eliAliineut  «jue  méritait  leur  perfidie,  et 
se  relirèrtMil  dans  li-s  montagn»  s  où  ils  sont 
encort-  niaiut«iiaut.  Ils  n'élaicnl  guères  que 
quatre  mille  <juand  ils  y  pénétrèrent  ;  on  eu 
compte  aujouid'liui  jdus  de  vingt  mille  ,  qui 
V  vivent  sans  liahitaiion  lixe,  sans  loi  ,  sans 
pf»liee  ,  sans  humanité,  erians  j)ar  troupes 
dans  K'storèls,  désolant  les  \i  niions  voisines, 
dont  ils  enlèvent  les  habitans,  ([u'ils  emmè- 
nent dans  leurs  terres  ,  où  il  les  engraissent 
de  même  qu'on  engraisse  les  bœufs  en  Eu- 
rope, et  après  fjuj'hjues  jours  ils  les  égorgent, 
pour  se  repaitre  de  leur  chair  dans  les  fré- 
quens  festins  qu'ils  se  donnent.  On  piétend 
qu'ils  ont  détruit  ou  dévoré  plus  de  cent  cin- 
quante mille  Indiens. 

Il  est  vrai  ([ue  depuis  l'arrivée  des  Espa- 
gnols au  Pérou  ,  d'où  ils  ne  sont  pas  fort 
éloignés,  ils  se  désaccoutument  peu-à-peu 
d'une  teUe barbarie  :  mais  leur  génie  est  tou- 
jours le  même  ;  ils  sont  toujours  égalenu-nt 
perfides ,  dissimulés, légers,  iucourîiins,  l'éiO' 

A   5 


a  Lettres  ÉDIFIANTES 

ces  :  aujourd'hui  Chrétiens  et  demain  Apos- 
tats ,  ennemis  encore  plus  cruels  des  Prédi- 
cateurs de  la  Loi  Chrétienne  ,  et  plus  opiniâ- 
tres que  jamais  dans  l'infidélité. 

Plus  ces  Nations  étaient  inhumaines  et 
])arhares  ,  plus  le  zèle  des  Missionnaires 
s'animait  h  travailler  à  leur  conversion  :  ils 
se  flattaient  même  ,  que  s'ils  pouvaient  les 
soumettre  au  joug  de  l'Evangile,  l'entrée  leur 
serait  ouverte  dans  la  grande  province  de 
Çhaco  ,  et  que  la  communication  devien- 
drait plus  facile  entre  les  nouvelles  INIissious  , 
et  les  Missions  anciennes  des  Indiens  Gua- 
ranis. 

Il  y  a  environ  un  siècle  que  le  P.  Emma- 
nuel de  Oitega  ,  le  P.  Martin  del  Cîimpo  , 
et  le  P.  Didaque  Martinez  ,  exposèrent  géné- 
reusement leur  vie  en  se  livrant  à  un  Peuple 
si  farouche  ,  dans  le  dessein  de  l'humaniser 
peu-h-peu  ,  et  de  le  disposera  s'instruiie  des 
vérités  du  Salut.  Leurs  travaux  furent  Inutiles. 
D'autres  missionnaires  ,  eudllférens  temps, 
se  succédèrent  les  uns  aux  autres  ,  et  entre- 
prirent leur  conversion  avec  le  même  cou- 
rage ,  et  avec  aussi  peu  de  succès  ;  et  quoique  . 
celte  terre  ait  été  arrosée  du  sang  de  ces  hom- 
mes Apostoliques  ,  elle  n'en  a  jamais  été  plus 
fertile. 

Enfin  ,  il  n'y  a  guères  que  cinq  ans  ,  que 
sur  une  lueur  d'espérance  de  trouver  ces 
Indiens  plus  traitables,  trois  nouveaux  INIis- 
sionnaires  entrèrent  assez  avant  dans  leur 
Pavs.  Le  fruit  de  cette  entreprise  si  récenie  , 
fut  de  procurer  une  mort  glorieuse  au  véué- 


E  T    C  f  R  1  E  r  s  E  s.  7 

rable  Père  Uzardi  ,  qui  «xpira  sous  une 
nutWî  dv  llèclies  que  ces  baiharcs  lui  déco- 
clu'irnt. 

Long-li'mpsav.inl cette tU'rnii're  tentative  j 
on  a\ait  cessé  de  cultiver  une  terre  si  ingrate; 
c'était  se  consumer  et  perdre  un  temps  qui 
pouviill  beaucoup  mieux  être  employé  aw- 
]ties  d'autres  Nations  nioius  indociles  ,  quoi- 
que peut-être  également  barbares.  On  se 
tourna  donc  du  cùté  de  la  proviuce  des  Cbi- 
quites. 

Celte  Proviuce  contient  une  infinité  de 
Nations  sauvages,  que  les  Espagnols  ontnom- 
niées  Chiquiics,  uniquement  parce  que  la 
porte  de  leurs  cabanes  est  basse  et  fort  petite, 
etfju'ils  ne  peuvent  y  entrer  qu'en  s'y  glissant 
et  se  lapetissanl.  Us  en  usent  de  la  sorte  a(ia 
de  n'y  point  donner  entrée  aux  Moustiques  , 
et  à  beaucoup  d'autres  insectes  très-incom- 
modes dont  le  pays  est  ini'cslé,  sur-tout  dans 
le  temps  des  pluies. 

Celte  Proviuce  a  deux  cens  lieues  de  lon- 
gueur sur  cent  de  largeur  :  ille  est  bornée  au 
Couchant  par  la  ville  de  Sainte-Croix  de  la 
Sierra  ,  et  un  peu  plus  loin  par  la  Mission 
ûv.s  A/oxcs  ;  elle  s'étend  à  l'Orient  jusqu'au 
fa;neux  lac  d«:5  A «///->  r.v  ,  qui  est  d  uue  si 
grande  étendue  ,  (ju'on  le  nomme  la  mer 
douce.  Ijne  longue  chaîne  de  montagnes  la 
borne  au  Nord,  et  la  province  de  Chaco  au 
Midi.  Elle  est  arroî-ée  par  deux  rivières  j 
savoir;  le  Guapay  ,  oui  piend  sa  souicc  dans 
les  montagnes  de  Clii'ijuisaca  ,  et  coule  dans 
uue  ijrande  plaine  ,  jusqu'à  une  espèce   de 

A  4 


8  Lettres  ÉDIFIANTES 

village  des  Cliiriguancs  nommé  ^^o^o  ,  d'où, 
prenant  son  cours  vers  l'Orient  ,  il  forme 
tinegrande  demi-lune,  qui  renferme  la  ville 
de  Sainte-Croix  de  la  Sierra  ;  puis  tirant 
entre  le  Nord  et  le  Couchant  ,  il  arrose  les 
plaines  qui  sont  au  bas  des  montagnes  ,  et  va 
se  déchai'ger  dans  le  lac  Mamoré  ,  sur  le  bord 
duquel  sont  fjuelques  Missions  des  Moxes. 

La  seconde  rivière  se  nomme  Aperé  ou 
Saint-Micbel.  Sa  source  est  dans  les  monta- 
gnes du  Pérou  ,  d'où  coulant  sur  les  terres 
des  Cliiriguanes  ,  où  elle  change  son  nom  en 
celui  de  Parapili ,  elle  se  perd  dans  d'épaisses 
forets,  et  après  plusieurs  détours  qu'elle  tait 
entre  le  Nord  et  le  Couchant ,  elle  va  droit 
au  Midi  ;  puis  recevant  dans  son  lit  tous  les 
ruisseaux  des  environs  ,  elle  passe  par  les 
peuplades  des  Baures  ,  qui  appartiennent  à 
une  Mission  des  jMoxcs ,  et  décharge  ses  eaux 
dans  le  lac  Mamoré  ,  d'où  elle  se  rend  dans 
le  grand  fleuve  Maragnon  ou  des  Amazones. 

Ce  Pays  est  fort  montagneux  et  rempli 
d'épaisses  forets.  On  y  trouve  une  grande 
quantité  de  ditiérentes  abeilles  qui  fourni.^- 
sent  du  miel  et  de  la  cire  en  abondance. 
Il  existe  une  espèce  de  ces  abeilles  que  les 
Indiens  nomment  opevius  ;  ce  sont  celles 
qui  ressemblent  le  plus  à  nos  abeilles  d'Eu- 
rope. Le  miel  r[u'elles  produisent  exhale  une 
agréable  odeur  ;  leur  cire  est  fort  blanche  , 
mais  un  peu  molle.  On  y  voit  des  singes  , 
des  poules  ,  des  tortues  ,  des  buffles  ,  d(  s 
cerfs,  des  chèvres  champèlies,  des  tigres  , 
des  ours  ,  cl   d'autres  bètcs  féroces.  Ou  y 


E  T    C  TR  1  n  USES,  9 

trouve  dos  couK'uvn-s  et  «1rs  vipères  tloul  le 
veuin  est  très-sublil.  Il  y  en  a  dont  ou  n'est 
pas  plutôt  mordu  ,f{ue  le'corpss'eiillepxtraor- 
diualremeul  ,  et  (jue  le  sanjj  sort  par  tous  les 
membres  ,  par  les  yeux  ,  parles  oieilles  ,  la 
houclie,  les  narines  ,  et  iiiênie  parles  onyles. 
Comme  riiumeur  peslilenle  s'évapore  avec 
le  sang  ,  leurs  morsures  ne  sont  pas  mortel- 
les. Il  y  eu  a  d'autres  dont  le  venin  est  beau- 
coup plus  dangereux  :  n'en  eùt-on  été  mordu 
qu'au  bout  du  pied  ,  le  venin  monte  aussi- 
tôt à  la  tôle  ,  et  se  répand  dans  toutes  les 
veines  ;  il  cause  des  défaillances  ,  le  délire 
et  la  mort.  On  n'a  pu  Irouvn  jusqu'ici  aucua 
renièile  qui  tùttdlcnce  contre  leursmorsures. 

Le  terroir  de  cette  Province  est  sec  de  sa 
nature;  mais  dans  le  temps  des  pluies  ,  qui 
durent  depuis  le  moisde  Ijécembrc  jusqu'au 
jfiois  de  Mai ,  toutes  lescainpa;^nes  sont  inon- 
dées ,  et  tout  commerce  est  interdit  entre  les 
liabitans.  Il  se  forme  alors  de  grands  lacs 
qui  abondent  en  toute  sorte  de  poissons.  C'est 
le  temps  où  les  Indiens  font  la  meilleure 
péelie.  Ils  composent  une  ci-rtaine  pîite  amère 
qu'ils  jettent  dans  ces  lacs,  et  dont  les  pois- 
sons stjnt  friands  :  cette  pAle  les  enivre  ;  ils 
montent  aussitôt  à  fleur  d'eau,  cl  ou  les  prend 
sans  peine. 

Q.iand  les  pluies  sont  c<'ssécs  ,  ils  cnse- 
mc-nceut  leurs  tel -es  ,  fjiii  produisent  du  liz, 
du  maïs,  du  blé  d'Inde,  du  coton,  <iu  sucre, 
du  tabac  ,  et  divers  fruits  particuliers  au  pays, 
tels  que  sont  ceux  du  platine,  des  [)ins,  des 
juauis  cl  dco  za^jullos  ;  ceux-ci  sont  une  es- 

A  5 


jo  Lettres  ÉDIFIANTES 

pèce  de  calebasse,  dont  le  fruit  est  meilleur 
et  plus  savoureux  qu'eu  Europe.  Il  n'y  croit 
ni  blé  ni  vin. 

Je  ne  vous  parle  pas,  Monsieur,  du  ca- 
ractère et  des  mœurs  de  ces  Nations  barba- 
res ,  pour  ne  point  répéter  ce  qu'on  a  dit 
dans  le  tome  précédent  de  ces  L<!ttres,  qu'il 
vous  est  aisé  de  consulter.  J'ajouterai  seule- 
ment, que  de  toutes  les  langues  qu^OH  parle 
parmi  ces  diiTérentes  Nations  ,  la  plus  dif- 
ficile à  apprendre  est  celle  des  Chiquites.  Ce 
qu'un  des  Missionnaires  écrivait  à  ce  sujet 
h  un  de  ses  amis,  vous  le  fera  aisément  com- 
prendre. 

«  Vous  ne  vous  persuaderez  jamais  ,  lui 
«  mandait-il  ,  ce  qu'il  m'eivcoùte  d'applica- 
)}  lion  et  de  travail  pour  m'inslruire  de  la 
»  langue  de  nos  Indiens.  Je  dresse  un  Dlc- 
«  tionnaire  de  cette  langue  ;  et  ,  quoique 
»  j'aie  déjà  rempli  vingt-cinq  cahiers ,  je  n'en 
»  suis  encore  qu'à  la  lettre  C.  Leur  Grara- 
»  maire  est  très-difficile;  leurs  verbes  sont 
»  tous  irrégnliers,  et  les  conjugaisons  diOé- 
»  rentes.  Quand  on  sait  conjuguer  un  verbe, 
3»  on  n'en  est  pas  plus  avancé  pour  apprcn- 
»  dre  à  conjuguer  les  autres  verbes.  Que 
'»  vous  dirai-je  de  leur  prononciation?  Les 
»  paroles  leur  sortent  de  la  bouche  quatre 
»  à  quatre,  et  l'on  a  une  peine  infinie  h  en- 
a>  tendre  ce  qu'ils  prononcent  si  mal.  Les 
M  Indiens  des  autres  Nations  ne  peuvent  la 
»  parler  que  quand  ils  l'ont  apprise  dans 
»  l{;ur  jeunesse.  Nous  avons  d'anciens  Mis- 
M  sioanaires  qui  n'osent  se  flatter  de  la  savoir 


ETcrnirtsEs.  tr 

»  dans  sa  pcrftcliou ,  el  ils  a.ssurenl  que  rjut  1- 
M  quefois  ces  Peuples  ue  s'cnieiuleul  [}us  cux- 

Il  r.iut  avouer  cependant  que,  quoiqu'un 
Mi>iionnaiie  la  parle  mal  ,  ces  Intlit-ns  ne 
lai>sonl  pas  de  l'euteudre  ,  cl  de  concevoir  ce 
qu'il  leur  dit.  La  tiaduction  (jue  je  joins  ici 
du  sip;ne  de  la  Croix  en  leur  lanj^age  ,  et  Ici 
qu'ils  le  font  au  cornnienceinent  de  chaque 
action,  vous  en  donnera  une  idée. 

Oi  naucipi  Santa  Cruvisy  oquimay  Zoy- 
chacu  Zoyihupa  me  unama  po  chincneco 
Ziinuinie/if  au  niri  na(/ui  J'aitotik^  ta  naijui 
yiytolik ,  ta  iiaqui  Espiritu  Sancto. 

C'est  -  h  -  dire  ,  mot  pour  mol  ,  par  le 
sii;ne  de  la  Sainte  Croix,  défendez-nous, 
notre  Dieu  ,  de  ceux  (jui  nous  liaïssenl  ; 
Au  nom  du  Père  ,  et  du  Fils  ,  el  du  Saint- 
tbprit. 

Ce  fut  h  la  fin  du  dernier  siècle  que  le 
Père  Joseph  de  Arce  abandonna  les  Chiri- 
guanes  ,  sclou  l'ordre  qu'il  en  avait  reçu  de 
ses  Supéi  ieurs  ,  cl  (jue  ,  par  des  cheuïins 
pics(|uc  iupralicablcs ,  il  eulra  dans  le  pays 
des  Cliiquiles,  où  ,  après  avoir  ramassé  un 
nombre  d'Inditms  qu'il  avait  i  herchés  dans 
les  forêts  avec  des  faligi.es  incroyables,  il 
établit  une  grande  peupladi  ,  à  la([uclle  il 
donna  le  nom  de  Sainl-\a^  'cr.  Son  xrle  fut 
])jenl(*)l  secondé  par  le  Père  de  Zea  et  par 
d'autres  Missionnaires,  (îui  vinrent  partager 
*es  travaux  ;  et,  cq  l'anuce  1726,  ou  comp- 

A  6 


12  Lettres  ÉDIFIANTES 

tait  déjà  clans  ces  lerrcs  barbares  six  grandes 
peuplades  d  Indiens  converlis  à  la  Foi.  Voici 
le  nom  de  ces  peuplades,  cl  la  distance  des 
unes  auxauties.  En  commençant  par  le  Sud  , 
on  trouve  la  peuplade  de  Saint-Jean  ,  qui 
est  à  9  lieues  de  Siint-Joseph.  On  compta^ 
3o  lieues  de  Sainl-Josepb  h  Saint-RapUacl  , 
8  de  cette  peu[)lade  à  Saint-AIichel.  Il  y  a 
4.2  lieues  de  Saiul-Miehel  à  Sainl-François- 
Xavier,  et  de  celle-ci  à  la  Conception  vingt- 
quatre. 

On  se  disposait  en  la  même  année  l'^-aG 
à  pc  létrer  vers  ]c.  Sud,  dans  les  terres  des 
Zinniicos  y  où  l'on  avait  des  espérances  bien 
fondées  d'établir  une  nouvelle  peuplade  des 
Peuples  de  cette  Nation  ,  et  de  celles  des  f'ga- 
ranos  leurs  voisins  ,  qui  comptent  l'une  et 
l'autre  plus  de  deux  mille  quatre  cens  In- 
diens. Celte  peuplade  doit  être  sous  la  pro- 
tection de  Saint-Ignace. 

Vous  jugez  assez  ,  Monsieur,  à  quels  tra- 
vaux doit  se  livrer  un  ouvrier  Evangélique, 
pour  aller  à  la  reclierclie  de  ces  barbares 
dans  leurs  montagnes  et  dans  leurs  forêts, 
it  Lorsque  j'étais  en  Europe,  écrivait  un  de 
»  ces  Missionnaires,  jenrimaginais  qu'il  suf- 
3»  (isaitde  porter  dans  ces  Missions  un  grand 
»  zèle  du  salut  des'  âmes  ;  mais  depuis  que 
5)  j'ai  le  bnubeur  d'y  être,  j'ai  compris  ([u'il 
»  fallait  encore  s'être  exercé  de  longue  main 
»  à  l'abnégalion  intérieure,  h  un  entier  dé- 
j>  tacliement  de  Toutes  les  choses  d'ici-])as, 
»  à  la  mortification  des  sens  ,  au  mépris  de 
n  la   vie,  et  à   un  total  abandon   de  soi- 


ET  crnirrsEU.  i3 

»  m^mc  entre  les  inniiis  dr  la  Providence.  » 

Il  y  a  d'ordinaire  dans  clia({ui'  [x-uplade , 
lorsqu'elle  est  nomhriiise  ,  deux  Missionnai- 
re-» occupés  à  civiliser  et  à  instruire  les  Néo- 
pliylt'S  des  vérités  Clirélieiines.  L  un  tl'i'UX 
f.jit  clia([ne  année  des  excursions  à  trente  ou 
({u.'iraule  lieues  au  loin,  chez  les  Nations  in- 
fi<lel<"s  ,  pour  les  i^auner  à  Jésus-Clnisl  et  les 
altin-rdans  la  j)euplade.  Il  part  n'avanl  que 
sc»n  Miéviaire  sous  le  hras  gauche  ,  et  une 
grande  croix  h  la  main  droite  ,  sans  autre  pio- 
visiou  que  sa  confiance  en  Dii-u  ,  et  ce  <ju'il 
pourra  lrf)uver  sur  sa  route.  Il  est  aceonipa- 
giié  de  viiij^t  ou  trente  nouveaux  Clii'étiens 
qui  lui  servent  île  fi^uides  cl  d"iiiler[)iètes,  et 
(jui  font  (jui'l(|uefois  les  tondions  de  Pré- 
dicateurs. C'est  avec  leur  secours  que,  la 
liaehe  h  la  main  ,  il  s'ouvre  un  passage  dans 
l'épaisseur  des  forêts;  s'il  se  trouve,  ce  ([ui 
arrive  souvent  ,  des  lacs  et  des  terres  maré- 
cageuses à  traverser  ,  c'est  toujours  lui  qui, 
d  ris  l'eau  jusqu'à  la  ceinture,  marche  à  leur 
tête,  pour  les  encourager  par  son  exemple  à 
le  suivre;  c'est  lui  f[ui  grimpe  le  premier  sur 
les  rochers  escarpés  et  bordés  de  précipices; 
c'est  lui  qui  furète  dans  les  antres,  au  risque 
d'y  trouver  des  hêtes  féroces  ,  au  lieu  des 
Indiens  rju'il  y  cherche. 

Au  milieu  de  ces  fatigues  il  n'a  souvent 
pour  tout  régal  (juc  quelques  poignées  de 
m  lis,  des  racines  chain[>ètres  ,  ou  quehjucs 
fiuits  sauvages  qu'on  nomme  Mottiçiii.  Quel- 
quefois pour  élaneher  sa  soif,  il  ne  trouve 
que  lu  loséc  iépuudue  sur  k&  fcuillco  des  ar- 


ï/f  Lettres  édifia n tes 

Lies.  Le  repos  de  la  nuit,  il  le  prend  sur 
une  espèce  de  hamac  suspendu  aux  arbres. 
Je  ne  parle  pas  du  danger  eonlinuel  où  il  est 
de  perdre  la  vie  par  les  mains  des  Indiens  , 
qui  sont  quel(|uefois  en  embuscade  armés  de 
leurs  flèches  et  de  leur  massue  ,  pour  assom- 
mer les  inconnus  qui  viennent  sur  leurs 
terres  ,  et  qu'ils  re^jardent  comme  leurs  en- 
nemis. 

Il  faut  avouer  cependant  qu'il  y  a  une  pro- 
tection particulière  de  Dieu  ,  qui  vinile  à  la 
sûreté  et  aux  besoins  des  Missionnaires.  Il 
est  arrivé  plus  d'une  fois  que  ,  se  trouvant 
dans  une  extrême  nécessité  ,  le  gibier  et  le 
poisson  venaient  comme  d'eux-mêmes  se  pré- 
senter aux  Indiens  de  leur  suite.  D'autres 
fois,  lorsque  ces  barbares  étaient  le  plus  ani- 
més contre  le  Missionnaire  qui  se  livrait  à 
eux  ,  ils  changeaient  tout-à-coup  leurs  cruel- 
les résolutions,  ou  bien  les  forces  leur  man- 
quaient à  l'instant ,  et  leurs  bras  affaiblis  ne 
pouvaient  décocher  leurs  flèches. 

Quelque  pénibles  et  quelque  dangereu- 
ses que  soient  tes  excursions  ,  un  ouvrier 
Evangéli(jue  se  trouve  bien  léconipensé  de 
ses  peines  et  de  ses  souffrances  ,  lorsqu'il  re- 
touine  en  triomphe  dans  sa  peuplade  accom- 
pagné de  trois  ou  quatre  cens  Indiens ,  avec 
l'espérance  d'en  gagner  l'année  suivante  plu- 
sieurs autres,  qui  ,  plus  défîans,  et  dans  la 
crainte  qu'on  ne  veuille  les  surprendre  pour 
les  faire  esclaves  ,  ne  se  rendent  qu'après  avoir 
euvoyé  de  leurs  gens  pour  observer  ce  qui  se 
passe  dans  la  peuplade  et  veuir  leur  eu  rca- 


die  comptr.  Qm-llr  iniiMiliition  prun  lui  de 
Si'  rt'voii  au  inilleu  i\v  srj»  clirrj»  ^tojjli>  ti'S , 
dont  \v  uoiiibre  rst  ai4;miM)lé  par  ses  iioius, 
cl  de  se  rt-trouviT  dans  un  lli'U  où  ,  par  les 
picuM's  lilu'i  ;ililés  des  pt-rsonuts  <jui  s'iiité- 
irssrnl  à  la  couviT.sion  df  lanl  do  Nnliou* 
iulidclcs  ,  il  ti  ftuve  de  <juoi  rét.d)lir  si's  loicfs  , 
pour  s'appli(|urr  avec  une  nouvelle  ardeur  a 
leur  iu.slrucliou  ! 

Il  est  erriain  que  ces  travjiux  surpassent 
les  forCi'S  liuinaines  ,  et  (ju  il  ne  sciait  pas 
possible  d'y  résister  si  V<n\  n'élail  j)«is  sou- 
tenu d'une  force  toute  divine.  Il  n'est  pas 
moins  étonnant  que  parmi  un  si  grand  nom- 
l)i('de  Mis.sionnaiies  (jui  lra\aillent  de})uis 
lanl  d'annét  s  dans  ces  laborieuses  jNlis.sions  , 
on  n'en  compte  (jue  trois  ou  (jualre  qui  aient 
succombé  aux  latit;ues,  et  (juc  la  plupart, 
après  avoir  travaillé  vingt-cinq  et  tnînte  ans, 
conserven'  autant  de  torce  et  de  vigueur  , 
que  ceux  qui  jouissent  »n  Europe  de  loutes 
1(;»  commoirués  de  la  vie.  Tel  était  le  Père 
Jcan-Bapiisie  de  Zea  ,  qui  a  passé  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie  à  cultiver  ces  Na- 
tions infidèles  ,  et  qui  ,  ii  l'Age  de  ()5  ans,  ne 
paraissait  pas  en  avoir  /^.o. 

La  léiocilé  de  ces  Peuples,  et  les  peines 
extraordinaires  qu'il  faut  se  donner  pour  les 
réduire  sous  h?  joug  de  la  Foi  ,  ne  sont 
pas  capabjes  de  r<buter  un  homme  vrai- 
ment Aposloli((ue.  il  trouve  en  ce  pays-ci 
d'autres  obstacles  à  vaincTC  qui  le  conlris- 
tent  davantage  et  qui  afiligcut  sciuiblemeiit 
»oo  cwur. 


l6  LiETTBES     ÉDIFIANTES 

Le  premier  obstacle  vient  du  coté  des  Es- 
pagnols ,  qui  ont  leurs  habitations  peu  éloi- 
gnées des  Nations  Indiennes,  dont  on  entre- 
prend la  conversion.  Quoiqu'en  général  la 
Nation  Espagnole  se  distingue  parmi  les  au- 
tres Nations  par  sa  piété  et  par  son  attache- 
ment sincèi^e  à  la  Religion  ,  on  ne  peut  dis- 
simuler que  dans  la  multitude  des  membres 
qui  la  composent,  il  ne  s'en  trouve,  comme 
ailleurs,  dont  les  mœurs  sont  peu  réglées, 
et  qui  démentent  la  sainteté  de  leur  foi  par 
des  ac!  ions  criminel  les.  Le  voisinage  des  villes 
Espagnoles  y  attire  les  Indiens  pour  leur 
petit  commerce;  et  comme  ces  esprits  gros- 
siers sont  plus  susceptibles  des  mauvaises  im- 
pressions que  des  bonnes  ,  ils  ne  sont  atten- 
tifs qu'aux  déréglemens  dont  ils  sont  té- 
moins ,  et  dont ,  à  leur  retour,  ils  font  part 
à  leurs  compatriotes  ;  de  sorte  que  quand  le 
Missionnaire  leur  expliquait  les  points  de 
]a  loi  Cliréiienne  ,  ou  qu'il  leur  fesait  des 
réprimandes  sur  l'inobservation  de  quelques 
articles  de  cette  Loi  :  V^ousvous  traitez  ai'cc 
bien  de  la  dureté ,  lui  répondaient-ils  -,  pour- 
quoi nous  drjendez-vous  ,  à  nous  autres 
qui  sommes  nouvellement  Clircticns ,  ce  qui 
se  permet  à  ceux  de  votre  Nation  ,  qui  sont 
nés  et  qui  ont  vieilli  dans  le  sein  du  Chris- 
tianisme ? 

Quel((nes  fortes  raisons  (|u'on  emplovAt 
pour  réfuter  ce  faux  raisonnement ,  un  paieil 
préjugé,  secondé  par  hnir  petuhanl  naluii'l 
au  vice  ,  avait  pris  un  lel  Empire  sui-  les  es- 
prits, qu'oQ  avait  toutes  les  pciues  du  moude 


ETC.  HRIErSES.  I7 

à  le  détruire.  C'esl  pour  cfla  qu'on  a  trans- 
porté (juthjui's  j)»'upl.i(Ic»  «li-  tj's  ^it•o|)llvles 
le  plus  loiu  des  \illcs  Espagnoles  <|u'il  a  été 
possible  :  c'est  pour  la  même  rui.sou  que  , 
depuis  plus  d'un  sièele ,  les  Rois  d'Ivspague 
ont  porté  les  Ordonnauees  les  plus  sévèies, 
par  lesquelles  ils  déli-ndent  ;»  tout  Ks[>;i|;nol 
de  mettre  le  pied  dans  les  aueiennes  peupla- 
des des  Indiens  Ouaranis,  à  la  réserve  des 
Gouverneurs  et  des  Prélats  Ecclésiastiques  , 
qui  ,  par  le  devoir  de  leurs  charges  ,  sont 
obligés  d'en  faire  la  visite. 

L'esprit  d'intérêt  et  l'envie  démesurée  de 
s'enricbir  qui  régnait  parmi  quelques  INégo- 
cians  ,  était  un  autre  obstacle  très-miisi])le 
au  progrès  de  la  Foi.  Ces  liomnu-.'î  iubatia- 
bles  de  richesses, entraient  à  main  ai  niée  dans 
les  terres  des  Indiens;  ils  tuaient  i  ni  pitoya- 
blement ceux  qui  se  mettaient  en  devoir  de 
leur  résister;  ils  enlevaient  les  autres  ,  ils  al- 
laient même  jusqu'à  arracher  les  eufaus  du 
sein  de  leur  mère,  et  ils  conduisaient  au 
Pérou  cette  foule  de  malheureux  liés  et  ga- 
rottés,  où  ils  les  employaient  comme  des  bêtes 
de  charge  aux  mines  et  aux  travaux  les  plus 
pénibles,  ou  bien  ils  les  vendaient  dans  des 
foires  publiques. 

C'était  pour  s'autoriser  dans  un  si  indi- 
gne trafic  ,  qu'ils  publiaient  ((ue  ces  Indiens 
n'avaient  de  l'homme  (|uc  la  figure  ;  que 
c'étaient  de  véiitables  bêtes  dépourvues  de 
raison  et  incapables  d'être  admis  au  Haptème 
et  aux  autres  Sa<;remens.  Ces  bruits  calom- 
nieux se  répandaient  avec  laul  d'aûcclalioa 


i8  Lettres  édifiantes 

et  de  scandale  pour  les  gens  de  bien  ,  que  , 
de  saints  Evê([ues ,  et  entr'aulres  Dom  Juan 
de  Garcez  ,  Evèque  de  Hazcala  ,  en  infor- 
mèrent le  Pape  Paul  III ,  qui  déclara  ,  par 
une  lîulle  spéciale  ,  que  les  Indiens  étaient 
des  hommes  jaisonnal)les  qu'on  devait  ins- 
truire des  vérités  Chrétiennes,  ainsi  que  les 
autres  Peuples  de  l'Univers  ,  et  leur  con- 
férer les  Sacremens  !  Indus  ipsos  ,  ut.pote 
'veros  homines  ,  non  soliun  Christianœ  fîdei 
eapaces  existere  decemimus  et  déclara^ 
mus ,  etc. 

Les  Rois  Catholiques  ne  purent  appren- 
dre sans  indignation  des  excès  si  crians  et  si 
contraires  à  l'humanité.  Ils  défendirent  par 
d-e  fréquens  Edits  ,  sous  les  peines  les  plus 
grièves  ,  ce  commerce  inique  ;  ils  ordonnè- 
rent ,  sous  les  mêmes  peines  ,  qu'on  unit  et 
qu'on  incorporât  les  Indiens  à  la  Couronne  , 
et  qu'ils  fussent  regardée  et  traités  de  même 
que  le  reste  de  leurs  sujets ,  avec  injonction 
expresse  aux  vice-Rois  et  aux  Gouverneurs 
de  tenir  la  main  h  l'exécution  de  ces  Edits, 
et  d'en  rendre  compte  h  la  Cour. 

Nonobstant  ces  ordonnances  réitérées ,  qui 
étaient  encore  assez  récentes  lorsqu'on  com- 
mençait à  établir  les  premières  peuplades 
chez  les  Chi({uites  ,  il  se  forma  au  Pérou 
une  compagnie  de  Marchands  d'Europe,  qui 
fesaientcet  abomintible  commerce.  Le  Père 
de  Arce  ,  qu'on  peut  regarder  comme  le  Fon- 
dateur de  ces  nouvelles  Missions,  était  un 
homme  que  ni  la  crainte  ni  aucune  consi- 
dération humaine  ne  poavaieutretenir  quand 


E  T    C  l"  R  I  r  U  5  n  s.  J  f) 

il  s'agissait  dr-»  inlërèls  dt-  Diiu.  No  pouvant 
souffrir  (juc  son  rnini>U'rc  liil  ainsi  linnhlé, 
et  qu'on  V  iolàl  ini|>unétninl  Its  l.oix  k-s  [>lu8 
sacrées  de  l'hunianité  et  de  la  Kelii^iun  ,  il 
se  plai;4nit  anuTemrnt  à  raiulicnce  d« 
Chuquisaca  de  rinlVatlion  des  Oidonuauces 
Royales. 

Ces  iMarcliands  étaient  soutenus  et  prolé- 
p.'s  par  une  personne  liès-riche  et  liès-ac- 
créditée  ;  et  ce  Tribunal  ,  par  une  fausse 
crainte  de  tiouUler  la  paix,  fermait  les  veux 
sur  un  si  grand  désoidie.  Il  n'eut  pas  nu-mo 
la  force  de  rien  statuer  ,  et  il  se  e<»ntcnta  de 
renvoyer  l'aflaire  au  vice-Roi  du  Pérou  ,  qui 
est  en  niéme-temps  Capitaine-dénéral  de 
tous  ces  Uoyaunries  j  c'était  alors  le  Piiuce  do 
Sanlo-lUieno. 

Ce  Seigneur ,  plein  de  Reli|^ion  et  de 
pieté  ,  prit  à  l'instant  les  mesures  les  plus 
ellicaces  et  les  plus  promptes  pour  remédier 
au  mal.  Il  envoya  ses  ordres,  qui  portaient 
confiscation  de  tous  les  biens,  et  bannisse- 
ment de  la  Province  ,  pour  quiconcjue  oserait 
faire  désormais  quelque  entreprise  sur  la 
liberté  des  Indiens  ;  et  pour  ce  qui  est  des 
(gouverneurs  qui  toléreraient  un  abus  si  cri- 
minel ,  il  les  condamnait  a  être  deslifués  de 
leurs  Charges  et  h  une  amende  de  douz.e 
mille  piastres.  Des  ordres  si  précis  mirent 
fju  h  cet  infâme  trafic  ,  et  les  Indiens  plu» 
tranquilles  furent  délivrés  de  toute  vexation. 

Lii  autre  obstacle  encore  plus  préjudicia- 
Lle  à  la  conversion  de  ces  Nations  inlidèbs, 
el  qui  traversait  contiuuellemeot  le  zèle  des 


20  Lettres  ÉniriAN TES 

Missionnaires,  venait  de  la  part  des  Marne- 
lues  du  Brésil.  Peut-être  n'avez-vous  jamais 
entendu  parler  de  ces  peuples  ,  et  il  est  à 
propos.  Monsieur  ,  de  vous  les  faire  con- 
naître. 

Dans  le  temps  que  les  Portugais  firent  la 
conquête  du  Brésil ,  ils  y  élabliient  plusieurs 
Colonies,  une  entr'autres  (jui  se  nommait 
Piratiniiigua  ,  ou  comme  d'autres  l'appel- 
lent ,  la  ville  de  saint  Paul.  Ses  liahitans 
qui  n'avaient  point  de  feniities  d'Europe  , 
en  prirent  cliez  les  Indiens.  Du  mélange 
d'un  sang  si  vil  avec  le  noble  sang  Portugais, 
naquirent  des  eufans  qui  dégénérèient  dans 
la  suite  ,  et  dont  les  inclinations  et  les  sen- 
timens  furent  bien  opposés  à  la  candeur  ,  à 
la  générosité  ,  et  aux  autres  vertus  de  la 
Nation  Portugaise.  Ils  tombèrent  peu-l>-peu 
dans  un  tel  décri  par  le  déboidement  de  leurs 
moeurs,  que  les  villes  voisines  auraient  cru 
se  perdre  de  réputation  ,  si  elles  eussent  con- 
tinué d'avoir  quelque  communication  avec 
la  ville  de  saint  Paul  ;  et  <pioi(|ue  ses  liabi- 
tans  fussent  originairomcni  Portugais  ,  elles 
les  jugèrent  indignes  de  pojter  un  nom  qu'ils 
déshonoraient  par  des  actions  infâmes,  et 
les  appelèrent  Afarnctucs. 

Il  fut  un  temps  ([u  ils  demeurèrent  fidèles 
à  Dieu,  et  à  leur  Prince  par  les  soins  du 
Père  Anchieta  et  de  ses  Compagnons ,  qui 
avaient  un  Collège  fondé  dajis  cette  ville  ; 
mais  trouvant  dans  ces  Pères  une  forte  digue 
qui  s'op[)osait  h  leurs  déréglemens  ,  ils  pri- 
rent le  parti  de  la  rompre  ;  et  pour  se  dcli- 


ETC.  rRirrsç».  ai 

rrcr  <!«•  cc%  iinporUms  ««ii.sj  urs  de  leurs  vi- 
ces ,  \\»  les  tlinssèiinl  de  Kiir  \ille,  A  leur 
])l.iee  ils  y  adiiiireiit'  la  lie  de  tontes  It'S 
Rations;  leur  \ille  devint  hienlôt  Ta.sile  et 
If  irpaire  dr  «|n.'iiililé  de  biig:iiids,  soit  Ita- 
lieus  ,  .s(»it  ll(dl.ttuiiii.s  ,  ]'l<|)a^uols  ,  etc.  <{iii, 
en  l*luro|»e,  s'étaient  déiohés  aux  suj)j)liees 
que  méritaient  leurs  crimes,  ou  tji.i  elier- 
cliaicnt  à  mener  impunémeul  une  vie  licen- 
cieuse. La  douceur  du  climat  ,  la  tVttililé 
de  la  terre  qui  tournit  loutis  les  eoinniudités 
de  la  vie,  servait  encore  à  auymenler  leurs 
penchans  pour  toute  soi  te  de  \  iccs. 

Du  re>te  il  n'est  point  aisé  de  les  réduire  : 
leur  \  ille  est  située  à  treize  lieu<'s  de  la  mer , 
sur  un  rocher  escaipé,  environnée  de  préci- 
pices: on  n'y  peut  gi  imper  (}ue  par  un  sen- 
tier fort  étroit,  où  une  poij^née  de  gens  ar- 
rêteraient une  aimée  nombreuse;  au  bas  de 
la  montagne,  sont  (juebjues  villai;es  remplis 
de  Marchands  ,  par  le  moyen  dcstjueis  ils 
font  leur  commerce.  Cette  heureuse  situa- 
tion les  entretient  dans  l'amour  de  l'indé- 
pendance ;  aussi  n'obéissent-ils  aux  I^ois 
et  aux  Ordonnances  émanées  du  trône  de 
Portugal ,  qu'autant  qu'elles  s'accordent  avec 
leurs  intéièts  ,  et  ce  n'est  que  dans  une 
nécessité  pressante  qu'ils  ont  recours  à  la 
protection  du  Roi.  Hors  de  là  ils  n'en  font 
pas  grand  compte. 

Ces  brigands,  la  plupart  sans  foi  ni  loi, 
et  que  nulle  autorité  ne  pouvait  retenir,  se 
répandaient  comme  un  torrent  débordé  sur 
toutes  les  terres  des  Indiens  ,  qui  n'ayant 


22  Lettres  ÉDIFIANTES 

que  des  flèches  h  opposer  à  leurs  mousrjuets, 
ne  pouvaient  faire  fju'une  faible  résistance. 
Ils  enlevaient  une  infinité  de  ces  malheu- 
reux pour  les  léduirc  à  la  plus  dure  servi- 
tude. ()n  piétend  (  ce  qui  est  ])i>'S(|ue  incro- 
yable )  que  dans  l'espace  de  cent  trente  ans 
ils  ont  détruit  ou  fait  esclaves  deux  millions 
d'Indiens  ,  et  qu'ils  ont  dépeuplé  plus  de 
mille  lieues  de  pays  jusqu'au  fl(  uve  des  Ama- 
zones. La  terreur  qu'ils  ont  répandue  parmi 
ces  peuples  ,  les  a  rendus  encore  plus  sau- 
vages qu'ils  n'étaient ,  et  les  a  forcés ,  ou  à  se 
cacher  dans  les  antres  et  le  creux  des  mon- 
tagnes ,  ou  à  se  disperser  de  côté  et  d'autre 
dans  lesendroits  les  plus  sombres  des  forêts. 
Les  Mamelucs  voyant  que  par  cette  dis- 
persion leui-  proie  leur  échappait  des  mains  , 
curent  recours  à  une  ruse  diabolique,  dont 
les  Missionnaires  ressentent  encore  aujour- 
d'hui le  contre- coup  par  la  défiance  qu'elle 
a  jeté  dans  l'esprit  de  ces  peuples.  Ils  imi- 
tèrent la  conduite  que  tenaient  ces  hommes 
apostoliques  pour  gagner  les  infidèles  à  Jésus- 
Christ.  Trois  ou  quatre  de  ces  Mamelucs  se 
fraveslircnt  en  Jésuites  ;  Tun  deux  prenait  le 
titre  de  Supérieur  ,  et  les  autres  le  nom- 
maient Pa^giiasii ,  qui  signifie  grand  Père  y 
en  la  langue  des  Guaranis  ;  ils  plantaient 
une  grande  croix  ,  e.t  montraient  aux  Indiens 
des  images  de  Notre  Seigneur  et  de  la  sainte 
Vierge-,  ils  leurfesaient  présent  de  plusieurs 
de  ces  bagatelles  que  ces  peuples  estiment  ; 
ils  leur  persuadaient  de  quitter  leur  misé- 
rable  retraite  ,    pour  se  joindre  à  d'aulrei 


r  T   CTRI  Ei'sns.  23 

Pruplrs  ,  el  formrr  avrc  rii\  une  nombreuse 
])t'iij>l;tdf  ,  où  ils  brraifiil  )»lus  i-ii  sùirté. 
Aprrs  1rs  avoir  r.'issrmhU'.s  i'H  {;i;iiul  noinhio, 
ils  Ifs  ainus:n«*iit  ju.stju'à  raiiivi'e  de  h-urs 
Iroijpfs  ;  .-iloiî.  ils  Sf  jfl.iirnl  sur  ti-s  nii.sé- 
r;il)l«-s  ,  ils  !»•>  rli;iii;<ni«-nt  tic  iVis  ,  el  les  cou- 
d 11  iraient  dans  leur  (l<donie. 

Le  premief  es^ai  de  leurs  hrifîandares  se 
fil  sur  les  peuplades  elnélienni-s  ,  qu'oiv  avait 
étaMies  d'almid  vers  la  i-c»iM  ee  du  lleuve 
Para^Uiiy  ,  dans  la  Prnviuee  tl«-  (iuayra  ;  mais 
ils  ne  ri  tii  èrenl  pas  do  grands  avaniai;es  d-e  la 
(juanlllé  d'i'selaves  qu'ils  y  firenl.  On  a  vu 
un  rcî^istre  autlienlic|ue  ,  où  il  <'st  niar({ué  , 
que  de  liois  cent  mille  Iudi»iis  <ju'ils  a\  aient 
enlevés  dans  l'espace  de  cinq  ans  ,  il  ne  leur 
en  restait  pas  vingt  mille.  Ces  inTortunés 
périrent  pres{|ue  tous  ,  ou  de  misère  dans  le 
voyage  ,  ou  des  mauvais  Iraitemens  ([u'ils 
iece\  aient  de  ces  niailies  impitoy.iljles  ,  (|ui 
les  surchargeaient  de  travaux,  soil  aux  mines  , 
soit  à  la  culture  des  terres  ;  qui  leur  éj)ar- 
gnaient  les  alimens,  et  qui  les  lésaient  sou- 
vent expirer  sous  leurs  coups, 

La  fureur  avec  la(ju«'lle  les  Mameluesdé.so- 
laient  les  peuplades  cliréliennos  ,  iiMigea  les 
Missionnaires  de  sauviT  ce  qui  restait  de 
Néophytes  ,  et  de  les  transplant«T  sur  les 
Lords  des  rivières  Parana  et  Uruguay  ,  où  ils 
sont  établis  maintenant  dans  irtnie-une  jieu- 
plades.  Quol(|u'éloignés  d'ennemis  si  cruels  , 
ils  ne  se  trouvèrent  pas  à  couvert  de  leurs 
fréquentes  irruptions.  INJaisres  hostilités  ont 
euÛQ  ccisé  depuis  que  les  Uois  d'Espajjue 


24  Lettres  ÉDIFIA  N  TE  s 

out  permis  aux  Néophytes  l'usage  désarmes 
à  feu  ,  et  que  dans  cliaque  peuplade  on  en 
dresse  un  certain  nombre  à  tous  les  exercices 
militaires.  Ces  Indiens  se  sont  rendus  redou- 
tables à  leur  tour,  et  ils  ont  remporté  plu- 
sieurs victoires  sur  les  Mamelucs. 

La  seule  précaution  que  l'on  prend  ,  c'est 
de  conserver  ces  armes  dans  des  magasins, 
et  de  ne  les  mettr«>  entre  les  mains  des  In- 
diens ,  que  quand  il  est  (|uestion  de  détendre 
leur  Pays  ,  ou  de  combattre  pour  les  intéièts 
de  l'Etat  ;  car  ces  troupes  sont  toujours  prê- 
tes à  marcher  au  premier  ordre  du  Gouver- 
neur de  la  Province  ,  et  en  difTérens  temps 
elles  ont  rendu  les  plus  signalés  services  à  la 
Couronne  d'Espagne.  C'est  ce  qui  leur  a 
attiré  de  grands  éloges  que  le  Roi  dans  diver- 
ses Patentes  a  fait  de  leur  fidélité  et  de  leur 
zèle  pour  son  service,  avec  des  grâces  singu- 
lières et  des  privilèges  qu'il  leur  a  accordés  , 
et  qui  ont  même  excité  la  jalousie  des  Espa- 
gnols. 

La  diversité  des  langues  qui  se  parlent 
parmi  ces  dillcrentes Nations  ,  est  un  dernier 
obstacle  très-dinicile  à  surmonter  ,  et  (jui 
fournit  bien  de  quoi  exercer  la  patience  et  la 
vertu  des  ouvriers  évangéliques.  On  aura 
peine  à  croire  qu'h"  chaque  pas  on  trouve  de 
petits  Villages  de  cent  familles  tout  au  plus  , 
dont  le  langage  n'a  aucun  rapport  à  celui  des 
peuples  qui  les  environnent.  Lorsque  par 
ordre  du  Roi  Philippe  IV  ,  le  Père  d'Acu- 
"gna  et  le  Père  de  Artieda  parcoururent  foutes 
lc%  Nations  qui  sont  sur  les  bordô  du  fleuve 

des 


ET  cmicrsES.  a5 

Jcs  Amaxoncs  ,  ils  irouvcrciil  au-moins  cent 
ciuquanli'  lauj;ues  plus. diUéi entes  enlr'elles 
ciuc  la  langue  Espagnole  n'cit  dilléienle  île 
la  langue  Française  ;  dans  les  peuplades  éia- 
Llies  chez  les  Mo.ves  ,  où  il  n'y  a  eueore  (|ue 
trente  mille  Indiens  convcrli.s  à  la  Fui, 
on  parle  ipiinze  sortes  de  langues  qui  ne  se 
ressenililenl  nullement.  Dans  les  nouvelles 
peuplades  des  Cliiquitcs  ,  il  y  a  des  Néo- 
phytes de  trois  ou  (piatre  langues  difl'érenles. 
C'est  pourquoi  ,  alin  cjiie  riiiblruelion  soit 
commune  ,  on  a  soin  de  leur  laiix'  appreudic 
la  langue  des  Clii([uiles. 

Lorsqu'on  avaneera  davantage  cliez  les 
autres  ^lalio^lS  ,  il  faudra  Lien  s'aceoininoder 
à  leur  langage.  Ainsi  li's  nouveaux  ISIission- 
Daires  ,  outre  la  langue  desChiquiles  ,  seront 
obligés  d'apprendre  encore  la  langue  des 
3/orotocos ,  qui  est  en  usage  parmi  les  In- 
diens Ztimiuos  ,  et  celle  des  Criiaraycns  , 
qui  est  la  même  qu'on  paile  dans  les  aucien- 
Des  Missions  des  Indiens  (juavunis. 

Vous  ne  disconviendrez  pas  ,  Monsieur  , 
qu'il  ne  faille  s'armer  d'un  grand  eouragc  , 
pour  se  roidir  contre  tant  de  dilTkullés,  et 
être  animé  d'un  grand  zèle  ,  pour  se  livrer  à 
tant  de  peines  et  de  daugeis.  Mais  un  Mis- 
sionnaire en  est  bien  dédommagé  ,  et  il  a 
bientôt  oublié  ses  fatigues  ,  lorsqu'il  a  la 
consolation  de  voir  toutes  les  vertus  Chré- 
tiennes pratiquées  avec  ferv(  ur  j.ai  «Us  bora- 
inescjui  ,  peu  auparavant,  n'avaient  ])resque 
rien  d'humain  ,  et  qui  n'étaient  occu[.és  (ju'à 
contenter  leurs  appétits  brutaux.  11  ne  faut 

Tome  IX.  li 


a6  Lettres  ÉDiriANTES 

qu'entendre  parler  ces    hommes  Apostolî- 
cjues. 

«  Il  n'est  rien  ,  disait  l'un  d'eux,  qu'on 
M  ne  souffre  volontiers  pour  le  salut  de  ces 
M  Indiens  ,  quand  nous  sommes  témoins 
3)  de  la  docilité  de  nos  Néophytes,  de  l'ar- 
»  deur  et  de  l'affection  qu'ils  ont  pour  tout 
»  ce  qui  concerne  le  service  de  Dieu ,  et  de 
M  leur  fidèle  obéissance  à  tout  ce  qu'ordonne 
»  la  Loi  chrétienne.  Ils  ne  savent  plus  ce  que 
,3)  c'est  que  fraude  ,  larcin  ,  ivrognerie ,  ven- 
»  geance  ,  impureté,  et  tant  d'autres  vices  si 
»  fort  enracinés  dans  le  cœur  de  ces  Nations 
»  infidèles.  Nul  esprit  d'intérêt  parmi  eux; 
5)  et  avec  ce  vice,  combien  d'autres  ne  sont- 
»  ils  pas  bannis  ?  J'ose  assurer,  sans  que  je 
»  craigne  qu'on  m'accuse  d'exagération  ,  que 
»  ces  hommes  ,  autrefois  livrés  aux  vices  les 
))  plus  grossiers  ,  retracent  h  nos  yeux  ,  après 
»  leur  conversion  ,  l'innocence  et  la  sainteté 
»  des  premiers  fidèles. 

»  Il  me  serait  difficile  de  vous  exprimer  , 
»  dit  un  autre  Missionnaire  ,  avec  quelle 
5j  assiduité  et  quelle  ardeur  ils  assistent  à 
>»  tous  les  exercices  de  piélé.  Ils  ont  un  goût 
3)  singulier  à  entendre  expliquer  les  vérités 
»  de  la  Religion  ,  et  ces  vérités  produisent 
»  dans  leurs  cœurs  les  plus  grands  sentimens 
>»  de  componction.  » 

C'est  l'usage  dans  ces  Missions  ,  lorsque 
Ja  prédication  est  finie,  de  piononcerà  haute 
voix  un  acte  de  contrition  qui  renferme  les 
motifs  les  plus  capables  d'exciter  la  douleur 
d' avoir  offcasé  Dieu  j  pendant  ce  temps-là 


rT    CTRIErSES.  57 

l'Eglise  rrtrniil  dt.'  leurs  soupirs  et  de  leurs 
sanglots.  Ce  vif  repcnlir  de  leurs  fautes  ,  est 
suivi  assez  souvent  d'austérités  et  de  macé- 
rations (ju'iis  porteraient  à  l'excès  ,  si  l'on 
ne  prenait  pas  soin  de  les  modérer. 

C'est  sur-tout  au  Tribunal  de  la  Péni- 
tence, qu'on  connaît  jusqu'où  va  la  délica- 
tesse de  leur  conscience  ;  ils  fondent  en  lar- 
mes en  s'accusant  de  fautes  si  légères  ,  qu'on 
doute  quelquefois  si  elles  sont  matière  d'ab- 
solution ;  s'il  leur  échappe  <[uel<jue  faute  , 
quoique  peu  considérable  ,  ils  quiltenl  sur 
le  champ  leurs  occupations  les  plus  pressan- 
tes pour  se  rendre  à  ï'Kylise  ,  et  s'y  purifier 
par  le  Saerenjent  de  Pénitence. 

On  fait  choix  dans  chaf{ue  peuplade  de 
quelques  Néophytes  les  plus  anciens  et  les 
plus  respectés  ,  pour  y  maintenir  le  bon 
ordre.  Il  y  en  a  parmi  eux  qui  sont  chargés 
de  veiller  à  la  conduite  et  aux  mœurs  des 
^Néophytes  ;  car  il  ne  faut  pas  cioire  que 
dans  la  multitude  ,  il  uc  s'en  trouve  quel- 
quefois qui  se  démentent.  S'ils  découvrent  , 
ce  (jui  est  assez  rare  ,  que  quelqu'un  ail  com- 
mis quehjue  faute  scandaleuse  ,  on  le  revêt 
d'un  habit  de  pénitent  ,  on  \c  conduit  à 
l'Eglise  pour  demander  publi(juenieut  par- 
dt)n  à  Dieu  de  sa  faute  ,  et  ou  lui  impose  une 
pénitence  sévère.  IVon-sculemcnt  le  coupable 
se  sournel  à  celte  réparation  avec  docilité  , 
mais  (|Ui  hjiji-fois  on  en  voit  d'autres  ,  et 
même  des  C.iléchunjènes,  qui  ayant  commis 
secrètement  la  même  faute  qui  n'est  connue 
qui;  d'eux  seuls ,  \  ienucul  s'en  accuser  publi- 

D  2 


28  Lettres  édifiantes 

quement  avec  larmes ,  et  prient  avec  instance 
qu'on  leur  impose  la  même  pénitence. 

Lorsqu'on  les  admet  à  la  table  Eucliaris- 
tique ,  ils  ne  s'en  approchent  qu'après  une 
longue  et  fervente  préparation  ,  et  ils  s'étu- 
dient à  conserver  le  fruit  de  la  grâce  qu'ils 
ont  reçue.  Quand  quelque  temps  après  on 
leur  demande  s'ils  ne  se  sont  point  rendus 
coupables  des  mêmes  fautes  dont  ils  s'étalent 
accusés  avant  la  Communion  ,  ils  sont  sur- 
pris qu'on  leur  fasse  une  pareille  question  : 
«  Se  peut-il  faire  ,  répondent-ils  ,  qu'après 
»  avoir  été  nourri  delà  cbaîr  de  Jésus-Christ, 
»  on  retombe  dans  les  mêmes  fautes  ?  » 

Trois  fois  le  jour  ,  le  matin  ,  à  midi  ,  et 
sur  le  soir  ,  toute  la  jeunesse  s'assemble  pour 
chanter  à  deux  chœurs  des  prières  très-dévo- 
tes ,  et  pour  répéter  les  instructions  qu'on 
leur  a  faites  sur  la  Doctrine  chrétienne,  llicn 
n'est  plus  édifiant  que  le  silence  et  la  modes- 
tie avec  laquelle  ils  assistent  aux  Offices  des 
Dimanches  et  des  Fêtes  ;  lorsqu'ils  vont  dès 
Je  matin  au  travail  ,  et  qu'ils  reviennent  le 
soir  à  la  peuplade  ,  ils  ne  manquent  jamais 
d'adorer  le  saint  Sacrement  ,  et  de  saluer  la 
sainte  Vierge  qu'ils  regardent  comme  leur 
ïnère  ,  et  pour  laquelle  ils  ont  la  plus  tendre 
dévotion.  Us  célèbrent  ses  Fêtes  avec  pompe  , 
et  au  son  de  leurs  instrumens  ;  ils  se  feraient 
scrupule  de  commencer  aucune  action,  sans 
faire  auparavant  le  signe  de  la  Croix, 

A  la  nuit  tombante  ,  et  lorsque  le  travail 
cesse  ,  toutes  les  rues  de  la  peuplade  retcn- 
t^fi^eut  de  pieux  Cantiques  que  chautcat  les 


iT  comusrs.  ^g 

jeunes  garçons  ci  les  jeunes  filles ,  tandis  que 
les  lu)ninies  el  1rs  femmes  béj).ii émeut  léci- 
lent  le  chapelet  à  deux  chœurs. 

C'est  sur-tout  aux  grandes  solennités  qu'ils 
font  éclater  davantage  leur  piété.  Dans  les 
temps  destinés  par  l'Eglise  à  rnj)peler  le  sou- 
venir des  soudVauces  du  Sauveur  dans  sa 
Passion  ,  ils  tAeheut  d'«-n  représenter  toute 
l'histoire  ,  el  d'exprimer  au-dehors  les  sen- 
timens  de  pénitence  el  de  componctiou  dont 
ils  sont  pénétrés.  Le  Jeudi-Saint  au  soir  , 
après  avoir  entendu  le  .«;ermon  de  la  Passion  , 
ils  vont  processionncllemenl  à  une  espèce  de 
cahairc  j  les  uus  portent  sur  leurs  épaules 
de  pesantes  croix  ,  les  autres  ont  le  front 
ceinl  de  couronnes  d'épines  -,  il  y  en  a  qui 
marchent  les  hras  étendus  en  foime  de  croix  ; 
plusieurs  praticjuent  d'.'rulres  «livres  de  péni- 
tence ;  la  marche  est  fermée  par  une  longue 
suite  d'enfans  (|ui  vont  deux  à  deux  ,  et  qui 
portent  dans  leurs  mains  les  divers  instru- 
niens  des  soulFrances  du  Sauveur.  Quand  ils 
sont  arrivésau  Calvaire  ,  ils  se  prosternent  au 

f>ied  de  la  croix  ,  el  après  avoir  renouvelé 
es  divers  actes  de  contrition  ,  d'amour  , 
d'espérance  ,  etc.  ils  font  une  proteslalioa 
puhli(|ue  d'une  fidélité  inviolable  au  service 
de  Dieu. 

Lorsque  la  Fête-Dieu  approche  ,  ils  se 
préj)arent  quelques  jours  auparavant  à  la 
célébrer  avec  toute  la  magnificence  dont  leur 
pauvreté  les  rend  capables.  Us  vont  à  la 
chasse  ,  et  tuent  le  plus  qu'ils  peuvent  d'oi- 
seaux  et  de  bêles  féroce».  Ils  orneul  lu  face 

B  3 


3o  LETTRES    ÉDIFIArîTES 

do  leurs  liabitations  de  branches  de  palmiers 
eiitivlacées  avec  art  les  unes  dans  les  autres  , 
aAec  dos  ])ordures  des  plus  belles  fleurs  de 
leurs  jardins,  et  des  plumages  de  dillérentes 
couleurs  :  ils  dressent  des  arcs  de  triomphe 
à  une  certaine  distance  les  uns  des  autres  , 
cjui  ,  quoique  champêtres  ,  ne  laissent  pas 
d'avoir  leur  agrément.  Ils  jonchent  de  feuil- 
lages et  de  fleurs  toutes  les  rues  où  doit  passer 
le  saint  Sacrement,  et  ils  placent  d'espace 
en  espace  les  bètes  qu'ils  ont  tuées,  telles  que 
sont  des  cerfs  ,  des  tigres  ,  des  lions  ,  etc. 
voulant  que  toutes  les  créatures  rendent 
hommage  au  souverain  Maître  de  l'Univers 
qui  les  a  créées.  Ils  exposent  vis-à-vis  de 
leur  maison  le  maïs  et  les  autres  grains 
dont  ils  doivent  ensemencer  leurs  terres  , 
afin  que  le  Seigneur  les  bénisse  à  son  pas- 
sage. Enfin  ,  par  la  modestie  et  la  piété  avec 
laquelle  ils  suivent  la  procession  ,  ils  don- 
nent un  témoignage  authentique  de  leur  Foi 
envers  ce  grand  mystère  de  l'amour  de  Dieu 
pour  les  hommes.  Plusieurs  des  Infidèles  du 
voisinage  ,  qu'ils  invitent  d'ordinaire  à  assis- 
ter à  cette  cérémonie,  touchés  d'un  si  reli- 
gieux spectacle,  renoncent  à  leur  infidélité, 
demandent  h  se  fixer  dans  la  peuplade ,  et  à 
être  admis  au  rang  des  Catéchumènes. 

Ce  qui  rcmj^lit  ces  bons  Néophytes  d'une 
tendre  reconnaissance  envers  le  Seigneur  , 
c'est  la  comjviraison  qu'ils  font  souvent  de  la 
douce  liberté  des  eufans  de  Dieu  dont  ils 
jouissent,  avec  la  vie  féroce  et  brutale  qu'ils 
luenaieûtsous  l'empire  tyrauûique  du  démoli. 


t  T  r  r  R  I  r  r  s  r  s.  3t 

C'i'il  aussi  ce  (jui  Ifiir  iii>*|>iie  un  7,;lo  avdtnt 
pour  procurer  le  mômo  l^jalicnr  aux  autres 
>»itlious  inCulrlts,  nithne  à  celles  ]>niir  Ics- 
«jiirllcs,  dans  K"  temps  de  leur  iiilulililé  ,  ils 
.TV.iieiit  liéiilé  tie  leurs  pères  ,  et  sucé  avec 
le  lail  une  linine  inij)lMcable. 

Outre  ceux  qui  accompagnent  les  Mission- 
naires ,  lorsqu'ils  font  des  courses  dans  les 
forets  haltilées  ])ar  tant  de  l)arbares  ,  on  ea 
^<)il  plu.si»'urs  chaque  année  ,  quand  la  sai- 
son des  pluies  est  passée  ,  (jui  se  répandent 
dans  toutes  les  terres  voisines  ,  pour  annoncer 
Jé>us-Clirist  aux  Infidèles.  Les  faiii^iies  et 
Ifb  (l:inj^«'rs  inséparables  de  ces  sortes  d'excur- 
sions ,  ne  tout  pas  capables  dafi'aiblir  leur 
zèle  ;  il  n'en  est  (]ue  plus-%  it.  La  n>orl  n)ème  , 
soud'ertc  pour  une  pareille  cause,  devient 
l'objet  de  leurs  desiis.  On  compte  plus  de 
cent  .Néophytes  (jui  ont  perdu  la  vie  dans  ce» 
exercices  de  charité. 

Il  règne  parmi  eux  une  saiule  émulation  , 
à  qui  convertira  le  plos  d'Infidèles  :  le  jour 
qu'ils  retournent  h  la  peuplade,  accompa- 
gnés d'un  bon  nonib-e  d'Indiens  qu'ils  ont 
j;ai:nés  ii  Jébus-Christ  ,  est  un  jour  de  fête  et 
de  réjouissance  ■jmblique  :  il  n'y  a  point  de 
caresses  et  d'amitiés  qu'on  ne  fasse  à  ces  nou- 
veaux hAtes  :  chacun  s'empresse  de  fournir 
à  leurs  besoins  ;  une  charité  si  bienfaisante 
les  a  bientôt  dcpris  de  l'amour  nn'turel  qu'ils 
ont  pour  lear  terre  natale  ,  et  c'est  ainsi  (]ut; 
les  peuplades  anciennes  s'accroissent ,  et  que 
les  nouvelles  s'établissent. 

Il  y  a  long-temps  <£a'ou  cUerclie  à  «'ouvric 

13  4 


32  Lettres  édifiantes 

un  chemin  dans  cette  étendue  de  terres  qui 
se  trouvent  entre  le  ville  de  Tarija  et  le  fleuve 
Paraguay.  Rien  ne  paraît  plus  important 
pour  le  bien  de  toutes  ces  Missions  :  car  ce 
chemin  une  fois  découvert ,  elles  peuvent 
communiquer  ensemble  beaucoup  plus  aisé- 
ment ,  et  se  prêter  mutuellement  du  secours  : 
maintenant ,  pour  se  rendre  des  Missions  du 
Paraguayen  des  Guarani  s  à  celles  des  Chi  qui- 
les,  il  faut  descendre  la  rivière  jnsques  vers 
Buenos- Ayres  ,  traverser  toute  la  province 
de  Tucuman  ,  et  entrer  bien  avant  dans  le 
Pérou  ;  ensorte  que  le  Père  Provincial  ,  lors- 
qu'il fait  la  visite  de  toutes  les  réductions 
ou  peuplades  qui  composent  sa  Province  , 
doit  essuyer  les  fatigues  d'un  voyage  de  deux 
mille  cinq  cens  lieues  :  au  lieu  que  le  voyage 
s'abrégerait  de  moitié,  si  l'on  se  fesait  une 
route  au  travers  des  terres  qui  sont  entre  les 
Missions  des  Chiquites  et  celles  du  Paraguay. 
C'est  une  entreprise  qu'on  a  tentée  plusieurs 
fois,  et  toujours  inutilement. 

Une  fois  qu'on  était  entré  assez  avant  dans 
les  terres ,  on  fut  arrêté  par  les  Infidèles  , 
qui  ,  se  doutant  du  dessein  qu'on  avait  de 
découvrir  le  fleuve  Paraguay  ,  s'y  opposèrent 
de  toutes  leurs  forces  ,  et  obligèrent  les  Mis- 
sionnaires de  se  retirer.  Il  arriva  dans  la 
suite  qu'un  Catéchumène  de  la  même  Nation 
s'employa  avec  tant  de  force  et  de  z,èle  auprès 
de  ses  compatriotes,  qu'il  les  détermina  à 
embrasser  la  Foi.  On  profita  d'une  conjonc- 
ture si  favorable. 

Ce  fut  en  l'année  1702,  que  le  Père  Fran- 


ETCmiECSES.  3Î 

cois  Tît-HMS  et  le  Vvui  Michel  de  Yegros  , 
])artli-enl  avec  le  Catéfliuinèiie  et  quarante 
ludieiis,  sans  autre  ptovisiuu  que  leur  con- 
fianie  en  la  divine  Pro\idenee  :  elle  ne  leur 
manqua  pas  ,  et  pendant  le  voyage  ,  la  «-hasse 
et  la  pèche  fouinirent  ahondanxineiit  à  leur 
subsistance.  Ils  furent  très-bien  reçus  en  trois 
\illages  de  la  Nation  du  Catéchumène  ; 
savoir  ,  des  Curutninas ,  des  Batasis  et  des 
Xaruycs  ^  qui  auparavant  s'étaient  opposés  à 
leur  entreprisp.  Ainsi  ils  poursuivirent  libre- 
ment leur  route  ,  laissant  le  Catéchumène 
blessé  par  une  épine  qui  lui  était  entrée  au 
pied.  On  ne  crut  pas  (jue  le  mal  fût  dange- 
reux ,  cependant  celte  blessure  lui  causa  la 
mort  en    peu   de  jours. 

Après  bien  des  incommodités  qucsoulTri- 
rent  les  deux  Missionnaires,  en  se  fesant  un 
chemin  au  travers  des  bois  ,  en  grimpant  de 
hautes  montagnes,  et  traversant  des  lacs  et 
des  marais  pleins  de  fange  ,  sans  compter 
l'inquiétudi:  et  la  crainte  continuelle  où  ils 
étaient  de  tomber  entre  les  mains  des  barba- 
res ;  ils  arrivèient  eniin  sur  les  })ords  d'une 
rivière  (ju'ils  prirent  pour  le  fleuve  Paraguay  , 
ou  du  moins  pour  un  bras  de  ce  fleuve,  et  ils 
y  plantèrent  une  grande  croix.  On  reconnut 
d.uis  la  suite  qu'ils  s'étaient  trompés,  et  que 
ce  qu'ils  prenaient  pour  une  rivière  ,  n'était 
qu'un  grand  lac  qui  se  terminait  à  uneépaisse 
lorèt  de  palmi(;rs. 

Dans  la  persuasion  où  l'on  fut  qu'on  avait 
cniiu  découvert  ce  chemin  si  fort  souhaité  , 
le  Père  NugQcï,  qui  était  alors  Provincial, 

B  5 


34  Lettres  édifiantes 

fit  clioix  de  cinq  anciens  Missionnaires  des 
Guaranis  ,  pour  parcourir  le  fleuve  Para- 
guay ,  et  découvrir  du  coté  de  ce  fleuve ,  l'en- 
droit où  l'on  avait  planté  la  croix  du  côté  des 
Chiquites.  Ces  Missionnaires  étaient  le  Père 
Barlhélemi  Xiracnès,  qui  mourut  chargé 
d'années  et  de  mérites  le  2  Juillet  17  17  ,  le 
Père  Jean-Baptiste  de  Zea  ,  le  Père  Joseph 
de  Arce  ,  le  Père  Jean-Baptiste  Neuman  ,  le 
Père  François  Hervas  et  le  Frère  Sylvestre 
Gonzales.  Comme  le  voyage  qu'ils  firent  sur 
ce  grand  fleuve  peut  répandre  quelque  lu- 
mière sur  la  Géographie  des  diverses  con- 
trées qu'il  arrose  ,  je  vais  vous  rapporter  le 
journal  qui  en  a  été  fait  par  un  de  ces  Mis- 
sionnaires. 

Nous  partîmes,  dil-il,  le  10  Mai  de  l'an- 
née 1703  ,  du  port  de  noire  peuplade  de 
la  Purification  ,  d'où,  après  avoir  passé  par 
JÏntigui,  nous  prîmes  terre  le  27  du  même 
mois  à  Itati.  Le  Père  Gervais  ,  Franciscain  , 
qui  était  curé  de  cette  bourgade ,  nous  fit 
l'accueil  le  plus  obligeant.  De  là  nous  con- 
tinuâmes notre  route  vers  la  rivière  Para- 
mini  ,  dans  le  lieu  où  le  Parana  se  jette  dans  le 
fleuve  Paraguay  :  les  vents  furieux  qui  ré- 
gnaient alors,  et  qui  nous  étaient  contraires, 
nous  retardèrent ,  et  nous  causèrent  bien  des 
fatigues  ;  ensorte  que  nous  ne  pûmes  aborder 
iiu  port  de  l'Assomption  que  le  27  Juin  ,  où. 
nousprîmcs  quatre  jours  de  reposau  Collège 
«rue  nous  avons  dans  cette  Ville.  On  nous 
avait  préparé  une  grande  barque^  quatre  baU 
SCS }  dcMi.  pirogues  cl  un  canot. 


tT     CrWIEUSES.  35 

Nous  nous  cmbnr(]uAmcs  ,  et  «près  avoir 
•vancé  queUjui's  lii'ues,  nous  découvrimea 
«n  j»«'u  au  loin  des  taiiols  d'Indiens  Pa\a- 
f^ntis  ,  qui  sans  tlouli-  venaient  à  la  découvi-i'le. 
La  pensée  nous  vint  de  les  joindre  ,  et  de  le* 
papner  ,  si  cela  se  pouvait  ,  par  quelques 
témoignages  d'amitié  ,  qui  pût  les  guérir  de 
leur  défiance.  Le  Père  Neuman  se  mit  à  cet 
«'fl'et  dans  le  canot  a\cc  le  Frère  Gonzales  ; 
mais  quand  ils  furent  presque  à  portée  de 
ces  Indiens,  ils  prirent  la  fuite  ,  en  criant 
de  toutes  leurs  forces  ,  Peè  phtionda  ,  ore 
('tiwaranda  Jiufnos-^Yres  ,  l'ianipi.  Coqui 
si^'nille  :  nous  ne  nous  fions  point  à  des  gens 
d'une  Nation  qoi  a  fait  périr  tant  d'Indiens, 
les(piels  denjeuraienl  aiixenvirons  du  Bueoos- 
Ayres. 

Le  père  Xeunian  voyant  le  peu  de  succès 
de  ses  démarches,  se  contenta  d'avancer  vers 
K-  horddu  fleuve,  cl  d'attacher  aux  branches 
d'un  arbre  plusieurs  bagaielles  de  peu  de 
valeur,  mais  fjui  sont  estimées  de  ces  barba- 
res. Ces  petits  piésens  les  rassurèi-ent ,  ils  s'en 
saisirent  aussitôt  ,  et  quatre  d'entr'eux  s'ap- 
j>roehèrent  d'une  de  nos  baises,  et  v  laissè- 
rent à  leur  tourdes  nattes  de  joue  fort  jolies, 
et  d'un  travail   irt's-délicat. 

Ln  de  nos  Néophytes  qui  nous  servait 
d'interprète,  nommé  Anieet  ,  plein  de  zèle 
pourla  conversion  des  infidèles,  jugea  parla 
sensibilité  des  Payaf^itas  ,  que  ses  manières 
douces  et  aflables  pourraient  faire  quelque 
impression  sur  leurs  cœurs;  mais  il  ne  con- 
2àai»sait  pas  assez  combien  cette  Nation  c$% 

15  a 


36  Lettres  édifiantes 

perfide.  Le  12  de  Juillet  il  s'approcha  de 
quelques-uns  de  ces  Indiens  qu'il  aperçut  , 
et  dans  le  temps  que  ,  par  de  petits  présens  , 
il  tachait  de  gagner  leur  amitié,  une  troupe 
de Payaguas  ,  partagée  en  deux  canots,  sor- 
tirent d'une  embuscade  où  ils  étaient  caches  , 
et  vinrent  fondre  sur  Anicet  et  ses  compa- 
gnons ,  qu'ils  assommèrent  à  grands  coups 
de  massues ,  et  s'enfuirent  ensuite  avec  une 
célérité  extraordinaire. 

Nous  n'apprîmes  que  fort  tard  ce  triste 
événement  ;  quelques-uns  de  nos  Indiens 
allèrent  au  lieu  où  s'était  fait  le  massacre  , 
cl  ils  y  trouvèrent  les  cadavres  de  leurs  chers 
compagnons.  Nous  célélu  âmes  le  lendemain 
leurs  obsèques,  avec  la  douce  espérance  que 
Dieu  leur  aura  fait  miséricorde  ,  et  aura  ré- 
compensé la  charité  avec  laquelle  ils  avaient 
exposé  leur  vie  pour  retirer  ces  barbares  des 
ténèbres  de  rinfîdélité. 

Les  Paynguas  voyant  qu'on  ne  cherchait 
point  à  tirer  vengeance  d'une  action  si  cruelle , 
eu  devinrent  plus  audacieux.  Ils  parurent  le 
lendemain  en  plus  grand  nombre  ,  dans  une 
quantité  prodigieuse  de  canots ,  qui  formaient 
deux  espèces  d'escadres.  L'une  gagna  le  ri- 
vage ,  et  tous  ceux  qui  y  étaient  mirent  pied 
à  terre  ;  l'autre  rôdait  de  tous  côtés  sur  le 
fleuve  ,  sans  que  les  uns  ni  les  autres  osassent 
nous  attaquer  :  ce  ne  fut  que  dans  l'obscurité 
de  la  nuit  qu'ils  jetèrent  des  pierres  et  tirèrent 
des  flèches  sur  nous  :  mais  nos  Néophytes  les 
mirent  bientôt  en  fuite,  et  ce  ne  fut  que  de 
jTorlloin  qu'ils coalinuèrcul  de  nous  observer. 


ET    CmiECSES.  37 

C'est  un  honlu'ur  qu'ils  ur  m'  soient  pas  joints 
aux  (iuaicurus  ^  autre  Maliou  iniidèle,  mais 
beaucoup  plusbmvr,  plus  hardie,  et  natu- 
relli'rn«ul  ennemie  du  nom  Cliiétirn.  Il  nous 
eût  clé  dilVuile  d'i'cli.'ippcT  aux  pii''i;«'s  (|u'ils 
nous  auraient  dressés  sur  un  lieuvequi,  dans 
cet  endroit,  est  tout  couvert  d'iles  ,  où  ils 
se  seraient  aisément  cachés  pour  nous  sur- 
prendre. 

Le  ()  d'Août  nous  arrivâmes  à  rejnl)ou- 
chure  de  la  ri>  iere  Acxiii  ;  c'est  j)ar  où  Its 
Mamelues  vinrent  l'aire  irruption  sur  quel- 
ques-unes de  nos  anciennes  peuplades  ,  qu'ils 
détruisirent.  Le  U)  nous  aperçûmes  une  terre 
c\t' Payoguas  ,  dont  Icshahitanss'élaient  reti- 
rés peu  auparavant,  pour  aller  dans  une  {grande 
île  qui  était  vis-à-vis.  Cette  terre  appartient 
à  un  Cacique  des  Paydi^uas,  nommé  Ja- 
cuyrUy  qui  y  entretient  quelques-uns  de  ses 
vassaux  occupés  à  la  fabrique    des    cauots. 

Le  -il  ,  nous  trouvâmes  un  petit  fort  en- 
touré de  palissades,  avec  tiois  grandes  croix 
qu'on  V  u>ait  élevées.  ]\ous  crûmes  d'a])orcl 
que  c'était  un  ouvrajçe  des  ALimelues  ,  mais 
nous  apprîmes  dans  la  suite-  (jue  c'était  les 
Pdyagiiiis  qui  ,  ayant  quchjue  connaissance 
de  la  vertu  de  la  croix  ,  avaient  })lanté  celles 
que  nous  voyions  ,  pour  se  délivrer  de  la 
multitude  de  tigres  qui  infestaient  leur  Pays. 
Peu  après,  nous  vîmes  sur  le  ri\a^e  douze 
de  ces  barbares  ,  ((ui  ne  songèrent  point  à 
nous  inquiéter  ;  mais  ce  fjui  nous  surprit, 
c'est  fpu-  jus([u'au  3o  Août  que  nous  arri- 
vùme»  ù  l'cLabouchure  de  la  rivière  Tapotu^ 


38  Lettres  ÉDIFIANTES 

nous  n'aperçûmes  que  deux  canots  d'Indiens 
nommes  Giutchicos.  La  bouche  de  cette  ri- 
vière est  éloignée  de  trente  lieues  de  celle  de 
Piray;  mais  avant  que  d'y  arriver,  il  faut 
passer  par  des  courans  très-rapides  ,  qui  se 
trouvent  entre  une  longue  suite  de  rochers. 
Nous  on  vîmes  douze  fort  hauts  et  taillés 
naturellement  d'une  manière  si  agréable  à 
la  vue  ,  que  l'art  ne  pourrait  guères  y  attein- 
dre. En  ce  lieu-là  les  Guaicurus  allumèrent 
des  feux  ,  pour  avertir  les  Nations  d'alentour 
qu'on  voyait  paraître  l'ennemi. 

A  six  lieues  de  là  ,  est  le  lac  Nens^etures  , 
où  se  jette  une  rivière  qui  descend  des  terres 
habitées  par  les  Guainas.  Ces  Peuples  sont 
enquel(|ue  sorte  les  esclaves,  des  G luiicurits  : 
ils  y  entietiennent  leurs  Haras  de  mules  et 
de  cavalles  ;  ils  cultivent  la  terre  et  y  sèment 
le  tabac,  qui  y  croît  en  abondance.  Il  y  a 
dans  cette  contrée  beaucoup  d'autres  Na- 
tions ,  et  une  entre  autres  nommée  Len- 
guas  ,  qui  parle  la  môme  langue  que  les  Chi- 
quites. 

Deux  lieues  au-delà  de  ce  lac  est  l'embou- 
chure du  Mboinhoi.  Il  y  avait  anciennenrent 
auprès  de  cette  rivière  une  peuplade  Chré- 
tienne, qui  était  sous  la  conduite  du  Père 
Chrislopiie  de  Arenas,  et  du  Père  Alpiionse 
Arias,  ce  dernierétant  appelé  par  les  Indiens 
Giiatos  ,  pour  leur  administrer  le  baptême, 
tomba  dans  un  parti  de  Mamelucs  ,  qui  le 
tuèrent  à  coups  de  mousquets.  Le  Père  Are- 
nas eut  quelque-temps  après  le  même  sort; 
il  fut  reûcoati'é  par  les  Mamelucs ,  qui  le 


tT  r.  r  !t  it  t'sts.  3<> 

maltraitèreiil  si  fort ,  <ju'il  ne  sur>tcut  que 
peu   de  jours  à  îes  lilfssurt'S. 

De  là  jusqu'aux  Xurn^cs  ,  on  voit  de 
vastes  rampa^ncs  ,  où  dt-s  grains  eioissrut 
n.tturellcnu'nt  et  sans  culture  ;  aussi  les 
Pay (Imitas  ^  les  Carucurns  ,  et  beauenup 
d'autivs  Peuples  d'alentour,  vienneni-iis  y 
faire  leurs  provisions.  Le  ?.2  de  Septembre 
nous  pasbAnies  entre  les  montagnes  de  Cunaye- 
mid  et  de  Ito  ,  où  sont  les  iSimiinacas.  La 
Foi  tut  prêeliée  a  ces  Peujdes  ]iar  lirs  Pères 
Juste  Mansilla  et  l^ierre  Romero.  Celui-ci 
elle  Frère  Mathieu  Fernande/,  furent  massa- 
cres dans  la  suite  par  les  Cliirii^uanes  ,  eu 
liaine  «le  ee  que  la  Loi  elirédenne  leur  dé- 
tendait d'avoir  plus  d'une  lemme. 

Cin([  lieues  plus  avant  se  trouve  une  île, 
où  s'étaient  retirés  deux  Caciques  nommés 
Jarachacu  et  Orapicliii^ua  ,  avec  leurs  vas- 
saux Payajjuas.  Dès  ({uils  nous  aperçurent, 
ils  dépcclièrcnl  six  canots  à  la  grande  i\e  des 
Orejotics ,  et  aussitôt  nous  vîmes  de  près  et 
au  loin  s'élever  une  grande  fumée  ,  signal 
ordinaire  dont  ils  se  servent  pour  avertir  les 
Nations  voisines  de  se  tenir  sur  leurs  gardes. 
Ces  Nations  font  grand  cas  des  Paytii^vas  , 
parce  rpie  ceux-ci  leur  fournissent  du  tabac, 
d<'s  cuirs  ,  des  toih's  et  d'autres  choses  néces- 
saires à  la  vie,  qu'ils  ont  chez  eux  en  abon- 
dance. 

Nous  passâmes  ensuite  auprès  des  monta- 
gnes de  Tarnî^uipita.  Cette  contrée  est  habi- 
tée par  plusieurs  Nations  Indiennes.  Quatre 
de  nos  MissioQDairc&lcur  oui  aunoncé  l'Evau- 


4©  Lettres  édifiantes 

gile  ;  savoir  ,  le  Père  Ignace  Martinez  ,  Espa- 
gnol ;  le  Père  Nicolas  Ilénard  ,  Français;  les 
Pères  Diego  Ferrer  et  Juste  Mausilla  ,  Fla- 
mauils.  Le  premier  partit  clans  la  suite  pour 
la  Mission  des  Cliiriguanes ,  elles  deux  autres 
succombèrent  aux  tatigues  et  aux  travaux 
cpjiis  aupportcrent,  et  moururent  parmi  ces 
Larl>ares  ,  dénués  de  toute  consolation  hu- 
maine ,  ainsi  que  le  gt  and  Apôtre  des  Indes , 
saint  François  Xavier  ,  dansl'ile  de  Sancian. 
Le  dernier  ne  résista  pas  long-temps  aux 
ftiêmes  fatigues  ,  et  finit  sa  vie  dans  l'exercice 
de  ses  fonctions  Apostoliques. 

Huit  lieues  après  avoir  quitté  le  Tobati  y 
nous  nous  trouvâmes  à  l'emboucliure  du 
JMhotctei:  c'est  par  cette  rivière  que  les  Ma- 
melucs  avaient  coutume  d'entrer  dans  le 
fleuve  Paraguay.  De  là  on  découvre  de  vastes 
campagnes  ,  qui  s'étendent  jusqu'aux  Xa- 
rayes  :  elles  étaient  anciennement  liabriées 
par  les  Guaicurus  et  les  Itatines  ;  mais  ces 
Indif.'us  se  voyant  continuellement  exposés 
aux  irruptions  et  h  la  cruauté  des  Mamelucs  , 
abandonnèrent  leur  Pays  ,  et  cherchèrent  un 
asile  dans  d'épaisses  forets  ,  qui  depuis  le  lac 
Jaragui ,  s'étendent  jusqu'à  cinquante  lieues 
du  cùié  du  Pérou. 

Enfin  ,  le  2()  Septembre  ,  nous  arrivâmes 
à  l'endroit  où  le  fleuve  Paraguay  ,  se  parta- 
geant en  deux  bras ,  forme  une  grande  île. 
Comme  nous  nous  trouvions  alors  sur  les 
terres  des  Chiquites,  nous  cherchâmes  à  dé- 
couvrir la  croix  que  nos  deux  Missionnaires 
avaient  plantée  l'aunée  précédeate. 


iT  ccR  irrsrs.  4* 

Le  iad'Ociol)re  ,  ayant  jeté  l'ancre,  non» 
aperçûmes  quelques  Payiif^uas  :  quoiqu'ils 
fussent  intiniidéd  .t  la  vue  de  nos  Indiens,  ils 
ne  laissèrent  pas  de  nous  approcher  ,  et  ils 
nous  ojrrirent  des  Iruits  de  h'urs  terres  ;  nous 
répondîmes  à  cette  honnêteté  par  (juelques 
petits  présens  que  nous  leur  fîmes. 

Le  17  ,  nous  jetâmes  l'ancre  à  la  vue  du 
lac  Jarugui  ,  qui  est  caché  en  partie  entra 
les  hois  et  les  inonta£;nes  ,  jii,s<|iies  vers  les 
On  joncs.  Les  Campajj;nes  tlf  l'un  et  de  l'au- 
tre coté  du  fleuve  sont  pleines  d'habitations 
Indiennes.  11  y  en  a  davantat^e  dans  celles 
qui  sont  à  la  gauche,  parce  que  les  marais 
et  les  lacs,  dont  elles  sont  environnées,  les 
rendent  en  quelque  sorte  inaccessibles  ,  et 
mettent  ces  iVatious  ù  couvert  dos  incursions 
des  Mamelucs. 

Il  serait  ennuyeux  ,  Monsieur  ,  de  vous 
rapporter  les  noms  de  ces  ditlérentcs  Na- 
tions :  il  sulTil  d'en  faire  une  noie  h  la  marge  , 
en  cas  que  vous  ayez  la  curiosité  de  les  con- 
n»ilre(i;.  Ce  qu'il  y  a  d'étonnant,  c'est  que 
la  plupart  do  ces  Nations  se  réduisent  à  deux 
ou  trois  Villages,  et  que  chacune  ne  compte 
guère  plus  de  trois  à  quatre  cens  Indiens. 
(Quoique  ces  Nations  confinent  les  unes  aux 

(1)  A  main  liroite  sont  le»  Guaras,  TiCngnas,  Chiba- 
pnrii.i,  Kraiiu(iuis,  Napiyaclius  ,  Guarayos ,  'l'apiniin's, 
Ayi^uas,  (^uuii-anis,  Aiit-nes ,  (]iiriibiiias  ,  (^Ofs  ,  (jua- 
re.sijv,  .farayes,  (^arabrrcs ,  Lrutues,  Guabènes,  Mborya- 
res  ,  l'aresi.»  ,  Tapaciui». 

(Jn  trouvi;  ii  main  naurlie  les  Payagua»  ,  Guacicos, 
Italiucs ,  Ai^iuis  ,  biuMiuaciu  ,  iUiioi*  ,  Abaties  j   Gui- 


4.5  Lettres  ÉDIFIANTES 

autres  ,  elles  p.irlent  cliacune  une  langue 
difrérenle  ,  et  ne  s'entendent  point  entrVlles  ; 
elles  n'ont  nul  commerce  ensemble  ;  elles  se 
ff>nt  souvent  la  guerre,  et  olierchent  à  s'en- 
tre-détruire. 

Le  i8  ,  ayant  laissé  à  main  droite  le  lac 
Tuquis ,  nous  arrivâmes  à  l'embouchure  de 
la  rivière  Favaiguazu  ,  qui  décharge  ses  eaux 
dans  le  fleuve  avec  une  impétuosité  extraor- 
dinaire. Un  peu  au-delà  nous  rencontrâmes 
un  canot,  où  était  un  jeune  Indien  bienfait 
et  robuste.  Il  ne  craignit  point  de  se  rendre 
à  notre  barque.  Nous  lui  finies  bien  des  ami- 
tiés ,  et  ,  quoiqu'il  n'entendît  point  notre 
langue  ,  ni  nous  la  sienne  ,  il  ne  laissa  pas 
de  nous  faire  connaître  par  signes  qu'il  était 
de  la  Nation  des  Mbiritiis  ,  et  qu'il  y  avait  3 
journées  de  rhe.'ïîi'î  jusfju'à  son  Vilb^ge.  Nous 
connûmes  l'affection  qu'il  nous  portait  par 
la  peine  qu'il  avait  de  nous  quitter.  C'est 
pourquoi  nous  lui  offrîmes  de  monter  dans 
notre  barque.  Il  accepta  cette  offre  avec  joie, 
et  y  entra  avec  ses  armes  et  sa  natte  ,  qui 
était  délicatement  travaillée.  Il  régala  nos 
Indiens  d'un  grand  Cajyii>arn  qu'il  avait  tué. 
C'est  un  cochon  de  rivière  assez  semblable 
au  cochon  de  terre.  Voyant ,  au  bout  de  trois 

tihis ,  Cubièches,  Chicaocas  ,  Coroyas ,  Trequts,  Gu- 
«amas  ,  Giiatiis,  Mbhitis,  Elèves,  Ciicliiais,  Tarayiis, 
Jasintes,  Guatoi^uazns  ,  Zurucpas  ,  Ayucèrrs  ,  Quirhi- 
quichis  ,  Xaimes  ,  Giiananis,  Ciiruaras,  (iiirhyrones  , 
Ariponps  ,  Arapores  ,  (^utuaies  ,  Tlaiiares  ,  Ciitaiçuas  , 
Arabiras  ,  Cabies  ,  Giiannaiçuazus  ,  imbues  ,  Mambi-. 
«{uas.  (  Note  de  i'aucieime  £ditioa  ). 


E  T    f.  r  11  I  E  r  s  E  5.  4^ 

jours,  que  nous  na\i|^uion.s  le  long  du  ri- 
vage ,  pour  n«'  pas  nous  (.'nihana.sMT  cnlrr  les 
îles  (jui  couvraicul  le  fleuve  ,  il  prit  congé 
de  nouSf  avec  promesse  de  vcuir  bientôt  nous 
rejoindre.  11  reçut  avec  reconnaissance  quel- 
ques pi-liLs  pié.sens  (]ue  nous  lui  limes,  pour 
les  présenter  au  Cacique  et  aux  principaux 
de  sa  Nation.  Cet  Indien  tint  sa  parole  ,  et 
il  ne  fat  pas  long-temps  sans  revenir;  mais, 
voulant  traverser  un  hras  de  rivière  dans  ua 
temps  oiageux  ,  il  fit  naufrage  en  notre  pré- 
sence :  il  ne  se  sauva  du  danger  qu'il  courut, 
que  pour  tomber  entre  les  mains  des  Pa^a- 
gnas ,  qui  le  firent  conduire  dans^sou  Vil- 
lage. 

Knfin  ,  le  3i  "Octobre  nous  entrî'imes  dans 
le  fameux  lac  des  Xaraycs  ,  dans  lequel  plu- 
sieurs rivières  navigables  viennent  se  déchar- 
ger. On  croit  communément  que  c'est  dans  ce 
lac  que  le  fleuve  Paraguay  prend  sa  source. 
A  l'entrée  du  lac  est  située  la  fameuse  île 
des  Orcjones  ,  où  il  y  avait  autrefois  une 
Nation  très-nombreuse  ,  qui  a  été  entière- 
ment détruite  par  les  Mamelucs.  Le  climat 
de  cette  île  est  tempéré  et  très-sain  ,  quoi- 
qu'elle soit  h  la  liautenr  de  dix-sept  degrés  et 
quelques  minutes.  Selon  rojiinion  com- 
mune, elle  a  quarante  lieues  de  longueur  et 
dix  de  largcnr  :  d'autres  la  font  encore  plus 
grande.  Son  terroir  est  fertile  ,  bien  qu'elle 
soit  pleine  de  montagnes  ,  toutes  couvertes 
de  beaux  arbres  propres  h  être  employés  à 
toutes  sortes  d'ouvrages. 

Pendant  un  mois  cl  demi  que  nous  cm- 


44  Lettres  ÉDIFIANTES 

ployâmes  sur  la  terre  et  sur  l'eau  à  clierclier 
cette  croix  qu'on  avait  plantée  ,  laquelle  de- 
vait indiquer  le  chemin  qui  conduit  aux  Mis- 
sions des  Chiquites  ,  toutes  nos  diligences 
furent  inutiles  ,  et  nous  n'en  découvrîmes 
point  le  moindre  vestige.  Cependant  la  sai- 
son avançait ,  et  il  était  à  craindre  que  le 
fleuve  baissant  chaque  jour  ,  notre  barque 
ne  se  fracassât  sur  les  rochers  cachés  sous 
l'eau  :  il  fallut  donc  songer  au  retour  ,  avec 
le  chagrin  de  s'être  donné  tant  de  peines  sans 
aucun  fruit.  Quelques-uns  de  nos  Mission- 
naires prièrent  le  P.  Supérieur  de  les  laisser 
dans  l'ile  ,  où,  pendant  l'hiver  ,  ils  devaient 
faire  de  nouveaux  ellorts  pour  réussir  dans 
cette  découverte  ;  mais  le  succès  était  trop 
incertain,  et  le  risque  trop  grand-,  ainsi, 
après  avoir  loué  la  ferveur  de  leur  zèle,  il  leur 
déclara  qu'il  ne  pouvait  pas  condescendre  à 
leurs  désirs. 

Nous  sortîmes  donc  de  ce  lac  ,  que  quel- 
ques-uns ont  appelé  la  mer  Douce.  Mais  , 
comme,  ainsi  que  je  viens  de  le  dire,  nous 
entrions  dans  la  saison  où  les  eaux  du  fleuve 
diminuent  considérablement  ,  nous  étions 
dans  la  crainte  continuelle  de  donner  dans 
des  bas-fonds ,  ou  de  toucher  aux  rochers , 
qui  ,  en  quelques  endroits  ,  sont  presque  à 
fleur  d'eau  :  heureusement  nous  fîmes  cent 
lieues  sans  aucun  accident.  Nous  découvrî- 
mes trois  canots  qui  venaient  nous  joindre 
à  force  de  rames  :  il  y  avait  quatre  Indiens  ; 
savoir:  un  Payagua  et  trois  Guaranis,  qui 
avaient  anciennement  reçu  le  Baptême. 


ET    CCRIEC5ES.  /jS 

Aussitôt  qu'ils  se  furent  approclit's  de  notre 
bar({iii-  ,  ils  y  sautèrent  avec  In-nucoup  cLe 
légèreté,  et  nous  dirent  (ju'ils  ét.iienl  déter- 
minés à  passer  le  reste  de  leurs  jours  avec 
nous,  ({uehjue  peine  que  leur  désertion  dût 
faire  à  leurs Caci([ues.  Ils  se  tronq);iienl  pour 
ce  dernier  article  :  car,  les  deux  Caci(jues , 
dont  ils  étai(rnl  \assau\,  frappés  de  la  gé- 
nérosité avec  laquelle  ils  avaient  abandonné 
leurs  hicns  et  leurs  parens  ,  pour  vivre 
dans  une  plus  exacte  observation  d«'  la  Loi 
chiétienne  ,  en  conçurent  une  plus  Imule 
estime,  et  pour  eux  ,  et  pour  les  Mission- 
naires. 

Ces  deux  Caci(}ucs  joignirent  notre  bar- 
que ,  et  y  étant  entrés  avec  confiance,  comme 
si  la  connaissance  cùl  été  ancienne  ,  ils  s'as- 
sirent sans  façon  auprès  du  Père  Supérieur. 
Le  Pèie  profilant  de  ces  favorables  disposi- 
tions ,  les  entretint  de  rim[)orlancc  du  salut, 
et  de  la  nécessité  d'embrasser  la  Loi  chré- 
tienne pour  y  parvenir.  Il  leur  fit  sentir 
qu'outre  le  bonheur  qu'ils  auraient  de  vivre 
en  hommes  raisonnables,  de  devenir  cnfans 
de  Dieu  ,  et  de  mériter  une  récompense  éter- 
nelle, ils  couleraient  bien  plus  tranquille- 
ment leurs  jours  ,  puisque  ,  trouvant  dans  les 
peuplades  des  Guaranis  ,  autant  de  défen- 
seurs qu'il  y  a  de  Chréliens  ,  ils  n'auraient 
plus  rien  à  craindre  des  Manielucs  ,  et  des 
Guciicurits  ,  i\u\  les  ielaienl  dans  de  conti- 
nuelles inf|uiétudes. 

Les  Ca(i(ju«  s,  (|ui  étaient  très-attentifs  au 
discours  du  Pèic ,  puruvciit  eu  (}lrc  touchés  : 


46  Lettres  édifiantes 

ils  promirent  qu'ils  se  feraient  instruire  avec 
leurs  vassaux  pour  être  admis  au  Baptême  , 
et  qu'ils  se  fesaienlfort  d'engager  les  Indiens 
{juatos  et  Qnacharapos  h  s'unir  avec  eux , 
pour  former  tous  ensemble  une  nombreuse 
peuplade.  Pour  nous  assurer  de  la  sincérité 
de  leurs  promesses ,  nous  les  priâmes  de  nous 
faire  préseul  de  quelques  jeunes  Indiens  , 
qu'ils  avaient  fait  leurs  esclaves,  afin  de  les 
instruire  des  vérités  de  la  Foi  ,  et  de  nous 
en  servir  en  qualité  d'interprètes.  Nous  leur 
offrîmes  en  échange  des  plats  d'étain  ,  des 
couteaux  ,  des  liameçons  ,  de  petits  ouvrages 
de  jaïet  ,  et  d'autres  choses  de  cette  na- 
ture. Ils  y  consentirent  de  bonne  grâce  ,  et 
nous  remirent  six  Indiens  de  différentes  Na- 
tions ,  que  nous  envoyâmes  dans  une  de 
nos  peuplades,  pour  y  être  instruits  dans  la 
jR.eligion. 

Enfin  ,  après  bien  des  protestations  d'ami- 
tié de  part  et  d'autre  ,  ils  nous  quittèrent 
très-contens  de  l'espérance  que  nous  leur 
donnions  d'envoyer  chez  eux  des  Mission- 
naires. En  partant  ils  ordonnèrent  à  quel- 
ques-uns de  leurs  vassaux  habiles  pécheurs 
de  nous  suivre  dans  leurs  canots  ,  de  faire 
chaque  jour  la  pêche  ,  et  de  nous  fournir 
abondamment  du  poisson.  C'est  ce  qu'ils  exé- 
cutèrent ponctuellement:  ils  nous  suÎAirent 
i5o  lieues  ,  et  ne  nous  en  biissèrent  jamais 
manquer.  Ce  secours  vint  fort  à  propos,  car 
il  y  avait  déjà  du  temps  que  nos  provisions  de 
biscuit  et  de  maïs  étant  gûtées  ,  il  fallait  nous 
couteuter  d'une  écuellée  de  fèves  par  jour. 


ET  r rsirrscs.  4? 

Etant  «rrivés  à  l'indiDÏt  du  fleurr,  où  le 
zélé  Néophyte  Auicctctsvs  cooipngnons  fu- 
rent tués  j).Tr  les  Puynf^iins  y  nous  dcputûmci 
vers  ces  barbares  (|ueli{iK-s  Pw^aguas  de  nos 
amis,  pour  leur  dire  (|ue  nous  n'avions  junir 
€ux  tjue  àvs  pensées  de  paix  et  d'attiour;. 
<]ue  notre  plus  ardent  désir  était  de  procu- 
rer leur  bonheur  en  celte  vie  ,  cl  après  leur 
mort  ;  qu'ils  en  fi-raient  l'expérience  s "il>  \ou- 
laient  se  joindre  à  nous  ;  ([ue  nous  élioiis  per- 
suadés que  s'ils  avaii'iit  tué  nos  Indiens  , 
c'était  moins  par  haine  pour  eux  ,  que  par 
la  crainte  où  ils  étaient  qu'on  ne  leur  tendit 
des  piéf^es;  «jue  du  reste  nous  leur  pardon- 
nions ce  qui  s'était  passé  ,  et  (jue  pour  toute 
satisfaction  nous  leur  demandions  les  Espa- 
gnols qu'ils  tenaient  en  esclavage. 

Nos  députés  s'acqui lièrent  si  bien  de  leur 
commisaion  auprès  de  ces  barbares, que  quel- 
ques-uns d'eux  vinrf'nt  nous  demander  par- 
don du  meurtre  qu'ils  avaient  commis  ,  et 
nous  remirent  un  Espagnol  qu'ils  avaient  fait 
esclave  :  ils  nous  assurèrent  môme  du  désir 
qu'ils  avaient  de  se  réunir  dans  une  peu- 
plade ,  et  d'embrasser  la  Loi  chiélienne  : 
mais  dans  le  temps  qu'ils  nous  donnaient  ces 
assurances  ,  ils  ne  cherchaient  qu'à  nous 
tromper  :  car  ils  nous  protestèrent  qu'ils 
n'avaient  d'esclave  que  ce  seul  Espagnol,  et 
nous  appiîmes  dans  la  suite  qu'ils  en  avaient 
encore  trois  autres.  Notre  amitié  s'élaul  re- 
nouvelée ,  nous  vîme»^  paraiti e  vingt  de  leurs 
canots  qui  se  suivaient  file  à  file.  Ils  mon- 
tèrent les   uns  après  les  autres  dans  notre 


4^  Lettres  ÉDIFIANTES 

Larque  ,  pour  recevoir  les  peiits  présens  que 
BOUS  leur  fimes.  Peu  après  leurs  Caciques 
vinrent  nous  apporter  des  fruits ,  et  nous  don- 
nèrent un  canot  fort  propre. 

Nous  ne  crûmes  pas  néanmoins  devoir 
nous  fier  à  des  Peuples  dont  nous  avions 
éprouvé  si  souvent  la  perfidie  et  l'incons- 
tance, et  qui  ne  tiennent  leur  parole  qu'au- 
tant qu'ils  y  trouvent  leur  intérêt.  Ce  qu'il 
y  a  d'étonnant ,  c'est  que  cette  Nation ,  qui 
ne  compte  guère  que  quatre  cens  hommes 
capables  de  porter  les  armes,  s'étende  sur 
tout  le  fleuve  Paraguay.  Une  partie  se  répand 
à  environ  deux  cens  lieues  sur  le  fleuve  ou  sur 
la  terre  depuis  le  lac  des  Xarayes  ;  l'autre 
partie  rôde  sans  cesse  vers  la  ville  de  l'As- 
somption ,  pillant  tout  ce  qui  tombe  sous 
leurs  mains,  fesant  des  esclaves  de  ceux  qu'ils 
rencontrent,  s'ils  ne  sont  bien  en  garde  con- 
tre leurs  embuscades  ,  ou  bien  se  liguant 
avec  les  Guaycunis ,  pour  attaquer  les  Es- 
pagnols à  force  ouverte. 

La  vie  errante  et  vagabonde  qu'ils  mènent 
n'est  pas  un  moindre  obstacle  à  leur  conver- 
sion, que  leur  caractère  perfide  et  volage.  Ils 
ne  peuvent  être  long-  temps  sous  le  même 
ciel  :  aujoui-d'hui  sur  la  Terre-Ferme,  de- 
niaîn  dans  quelque  île  ,  ou  se  dispersant  sur 
le  fleuve;  ils  ne  peuvent  guère  vivre  d'une 
autre  manière,  ne  subsistant  que  de  la  chasse 
ou  delà  pêche,  qui  ne  se  trouvent  pas  tou- 
jours dans  le  même  lieu. 

Nous  poursuivîmes  assez  tranquillement 
notre  route ,  mais  le  2  Décembre  uous  fûmes 

à 


tT  c  LU  irrsrs.  49 

h  «leux  doigts  de  la  mort.  11  s'éleva  un  v«  nt 
furli-iix  (|ui  ,  pous.sant  notn-  lianjuf  avt-c  \  io- 
IfiH»'  ,  la  lit  j»aut«T  i\v  lorliiM.s  «-n  rorUers. 
\Z\\v  «Ifxait  se  hristr  en  mille  pièces  ,  it 
nous  devions  mille  lois  |iéi  ir  ;  cepciidaul  clliî 
ne  irrnt  aucun  dommat;*'.  Nous  nous  crù- 
nifs  rrdfvahles  de  notre  coiisfivalion  à  une 
itiolt-clitiii  s|Ȏciiilf  (It;  la  Ire.s-sainle  Vierge, 
que  nous  iu>o(|uious  plusieurs  luis  chaque 
Kinr. 

Après  avoir  échappé  h  ce  danirer  ,  el  en 
.Tvoir  rindu  piAces  à  l)ieu  et  à  la  S.''  Vierge 
notre  prot«n-liice,  It;  P.  Supérieur  lit  prendre 
le  «Irvanl  à  un<"  «le  nos  bartjues  ,  ortlonnant 
quelle  allai  à  toutes  voiles  cl  h  force  de 
rames,  el  l'il  loute  la  diligence  qui  serait 
possihle  pour  tran.^'poiter  au  plus  vite  à  la 
ville  de  l'Assomption  h'  P.  de  Aeunian,  fjue 
la  dvssent«rie  dont  il  lut  attaqué,  avait  ré- 
duit à  l'exlréinilé. 

Pour  nous  ,  ce  ne  fut  que  le  l 'j  que  nous 
y  arrivâmes.  Le  Gouverneur  de  la  Ville  , 
loute  la  noblesse  el  le  Peuple  en  foule  vin- 
rent nous  rerevoir  au  sortir  de  nos  harcpu-s, 
cl  voulurent  absolument  nous  ecuduiie  jus- 
qu'au Collège.  Il  n'y  avait  qu'une  heure 
que  nous  y  étions  arrivés,  lors<[ue  le  Père 
de  N<'uman  finit  sa  carrière,  el  alla  rece- 
voir la  récompense  de  ses  travaux.  Los  Cha- 
noines de  la  Cathédrale  ,  les  Ecclé>iasli- 
qucs  ,  les  Religieux  et  tous  les  Corps  de  la 
Ville  honorèrent  ses  obsèques  de  leur  pré- 
sence ,  le  reg.ir<lanl  cnnime  un  .Mailyr 
de  la  chaiilé  ,  cl  du  zèle  doul  il  avait  lou- 
Totnc  /A.  C 


5o  Lettres  ÉDIFIANTES 

jours  Lrùlé  pour  la  conversion  des  infidèles. 

Le  9  ,  nous  partîmes  de  la  ville  de  l'As- 
somption pour  nous  rendre  à  nos  chères  Mis- 
sions des  Guaranis  ^  où  nous  arrivâmes  le  4 
de  Février.  Ainsi  se  termina  notre  voyage  , 
qui  dura  9  mois  ,  et  où  nous  perdîmes  seize 
des  Néophytes  qui  nous  accompagnaient,  et 
qui  nous  furent  enlevés  par  le  déiaut  de  vi- 
vres et  par  la  dvssenterie. 

On  a  fait  quelques  tentatives  pour  décou- 
vrir ce  chemin,  qui  n'ont  eu  d'autre  succès 
i^iw.  de  procurer  au  Père  de  Arce  et  au  Père 
Blende  une  mort  glorieuse.  On  en  trouve  le 
détail  dans  une  des  lettres  précédentes.  Je 
suis  avec  respect,  etc. 


SECONDE    LETTRE 

Sur  les  Tiouvelles  Missions  du  Paraguay  , 
au  même. 

Monsieur, 

La  paix  de  N.  S. 

C'est  pour  me  conformer  à  vos  désirs  que 
je  continue  à  vous  entretenir  des  Missions 
nouvellement  établies  dans  la  grande  Pro- 
vince du  Paraguay  ,  et  des  moyens  que  pren- 
nent les  Missionnaires  pour  gas^ner  tant  de 
Valions  barbares  répandues  dans  d'immen- 


ETCCRItrSES.  5t 

«es  forcis  ,  fl  Ifs  iruuif  ilîiijs  ili'S  peuplades  , 
ou  l'on  puisse  los  poIiciT,  et  l«*s  instruhè 
des  vérité.s  tic  la  Foi.  J'ai  iléjii  eu  IMioniu-ur 
«le  Vous  «lire  que  elmijue  |)«'u|il.i(lc  (Jiic- 
lii'nnc  «'Si  sous  la  conduite  dr  deux  Mission- 
naires ,  ct<ju'en  certain  iciups  de  l'auncc  l'ua 
d'eux  parcourt  les  montayues  et  les  forêts , 
pour  chercher  ces  pauvres  Indiens  ,  et  les 
retirer  des  téuchres  de  l'iulidélilé. 

Le  Père  Cavallcro  s'est  rendu  illustre  en 
ces  derniers  temps  par  le  succès  de  ces  sortes 
d'excursions  Apostoliques  ,  et  par  la  niort 
glorieuse  dont  son  zèle  a  été  couronné.  Il 
l'ut  tiié  par  ses  Supérieurs  de  la  Mission  des 
iJiii  ii^uanes,  pour  consacrer  ses  soins  à  celles 
des  Ciiiquites.  Il  gouvernail  alors  la  peu- 
plade de  Saint-François- Xavier  ,  d'où  il 
avait  coutume  chaque  année  de  se  répan- 
dre chez  les  Indiens  infidèles  ;  il  avait  déjà 
«lisposé  la  Nation  des  Inà'tvns  Piiraki\  \ 
écouter  ses  instructions  ,  et  il  partit  de  sa 
peuplade  en  l'année  1704,  pour  se  rendre 
chez  eux,  et  achever  l'ouvrage  de  leur  con- 
version. 

Comme  il  approchait  des  hahitalions  In- 
diennes, il  aperçut  une  troupe  d'Euroj)écns 
qui  ,  au  mépris  des  lois  ,  qu'ils  croyaient 
pouvoir  enfreindre  impunément  ,  dans  un 
lieu  si  éloigné  des  \illes  Espagnoles,  cher- 
chaient "a  enlever  le  plus  rju'ils  pouiraienl  de 
ces  Indiens,  pour  en  faire  un  cruel  trafic, 
et  les  vendre  comme  autant  d'esclaves.  Le 
Chef  de  la  troupe  a!)orda  le  Missionnaire  , 
cl ,  prenant  uu  lou  d'cuipire  et  d'autorité,  il 

C    2 


5a  Lettres  ÉDIFIANTES 

lui  dit  que  c'était  bien  là  le  temps  de  faire 
des  Missions  :  qu'il  eût  à  retourner  dans  sa 
peuplade,  et  que  s'il  balançait  tant  soit  peu 
à  se  retirer  ,  il  saurait  bien  l'y  contraindre. 
Le  Père  ,  nullt  meut  intimidé  par  ses  mena- 
ces ,  lui  (it  une  réponse  honnête  ,  et  suivit 
3on  chemin. 

Quanti  il  arriva  aux  hal)itations  ,  il  les 
trouva  toutes  désertes  ;  à  la  vue  des  Euro- 
péens la  peuravait  saisi  eesindiens;  ils  avaient 
pris  la  fuite,  et  étaient  allés  se  cacher  dans 
les  bois  les  plus  épais  et  les  moins  accessi- 
bles. Il  n'aperçut  que  deux  ou  trois  jeunes 
Indiens  montés  à  la  cîme  des  arbres ,  pour 
observer  la  marche  et  la  contenance  des 
Européens.  Quelque  impénétrables  que  fus- 
sent ces  bois,  ils  ne  furent  point  un  obsta- 
cle au  zèle  du  Père  Cavalleio  ;  il  en  perça 
l'épaisseur  ,  et  se  rendit,  quoiqu'avec  beau- 
coup de  peine,  au  lieu  où  étaient  ses  chers 
Indiens. 

Après  leur  avoir  renouvelé  ses  instruc- 
tions ,  il  baptisa  un  bon  nombre  d'enfaus 
qu'ils  lui  présentèrent.  Lorsqu'il  eut  fini ,  ce 
pauvre  Peuple  consterné  de  la  longue  séche- 
resse qui  luinait  leurs  moissons,  et  (pii  leur 
annonçait  une  famine  générale  ,  se  jeta  à 
ses  pieds  ,  et  le  conjura  avec  larmes  d'em- 
ployer le  pouvoir  qu'il  avait  auprès  du  vrai 
Dieu  qu'il  leur  annonçait  pour  en  obtenir  de 
la  pluie. 

Le  Père,  que  ce  spectacle  avait  allendii, 
ne  put  se  refuser  à  de  si  fortes  instances  ,  qui 
étaient  une  preuve  dp  leur  foi  et  de  leur  cop- 


ET    CURIEUSES.  5Î 

fiance  en  Ditu;  il  piaula  à  terre  la  croix  qu'il 
p«irl:iit  toujours  :i  la  main  -,  il  ordonna  ii  tuus 
li'>  Indiens  de  se  mettre  à  {genoux  devant  ce 
6i};ne  de  notre  salut  ,  d"éle\er  l«-ui>»  mains 
au  (liel  ,  et  de  rcj>éter  avec  lui  la  jn  ièrtî 
qu'il  allait  faire  au  souverain  IMaitrcdel' Uni- 
vers ,  et  au  dispen>aleur  de  tous  les  hiens. 
Dieu  daigna  exaucer  leur  prière  :  à  j)eiuc 
fut-elle  aelie\ée  ,  «pi'uuf  pluie  ahond.inlc 
ressuscita  leurs  moissons  et  raniinu  les  Cam- 
pagnes. 

Le  Père  n'eut  pas  le  temps  d'être  témoin 
de  U'ur  reconnaissan«e  ;  il  partit  aussitôt  pour 
alliT  visiter  les  [ndietis  J'tifturtirax  ,  avec 
promesse  (|ue  ee  voyage  ne  .serait  que  de  peu 
de  jours.  Pendant  son  absence  les  Kuropécns 
dont  je  viens  de  parler  eurent  recours  à  un 
stratagème,  au  moyen  duquel  ils  se  promet- 
taient un  doiiMc  avantaç^e  ;  le  premier,  de 
rendre  le  Missionnaire  odieux  et  suspect  aux 
lixtiens,  et  le  second,  de  se  mettre  en  état 
d«- saisir  leur  prcie  sans  obstacle.  A  celeflct, 
ils  lirent  répandre  parmi  ces  Peuples  ,  na- 
turelU-ment  ombrageux  ,  cpie  le  prétendu 
Missionnaire  ,  auquel  ils  «lonnaicnt  leur 
confiance  ,  était  un  Mamcluc  déguisé  ea 
Jésuite  ,  et  qu'il  était  allé  quérir  ses  com- 
j)agnons  pour  venir  fondre  sur  eux  et  les 
enlever;  ([u'ils  le  eiierrbaient  poui"  lui  ntet- 
tre  les  l'ers  aux  pieds  et  aux  mains,  et  le 
conduire  aux  prisons  de  Sainte-Cioix  de  la 
Sierra.    • 

Quoique  ce  bruit  ne  les  tronvAl  pas  asser 
crédules  pour  y  ajouter  une  foi  entière  ,  ce- 

C  i 


54  Lettres  édifiantes 

pendant  une  ruse  pareille  ,  employée  pins 
d'une  fois  par  les  Mamelucs,  leur  inspirait 
je  ne  sais  quelle  défiance,  que  le  Père  eut 
l)ientôt  dissipée  à  son  retour,  en  leur  décou- 
vrant le  piège  qu'on  avait  tendu  à  leur  sim- 
plicilé. 

Cette  foui'herîe  ayant  si  mal  réussi  h  ces 
Européens  ,  ils  résolurent  d'employer  la  vio- 
lence. Le  Clief ,  suivi  de  sa  troupe  ,  et  in- 
formé par  ses  espions  de  la  marche  du  Mis- 
sionnaire ,  alla  le  trouver,  et  donnant  à 
entendre  qu'il  était  autorisé  des  Magistrats, 
et  envoyé  à  la  découverte  des  Mamelucs ,  il 
l'accabla  d'injures  ,  et  leva  même  la  maia 
pour  le  frapper;  puis  avec  un  visage  allumé 
de  fureur  :  «  C'est  de  la  part  du  Roi ,  lui 
»  dit-il  ,  que  je  vous  ordonne  de  sortir  au 
»  plutôt  du  pays,  et  d'aller  rendre  compte  de 
»  votre  conduite  au  Gouverneur  de  Sainte- 
»  Croix  ;  obéissez.  » 

Ces  nouvelles  insultes  ne  causèrent  pas  la 
moindre  émotion  au  Père  Cavallero  :  («  Ne 
M  vous  imaginez  pas  ,  lui  répondit-il  d'un  air 
»  tranquille  j  que  vos  prétentions  et  vos  vues 
»  criminelles  me  soient  inconnues.  Vous 
»  croyez  que  ces  lieux  déserts  et  écartés  dé- 
M  roberont  vos  injustices  à  la  connaissance 
»  de  ceux  qui  ont  l'autorité  et  l'obligation 
»  de  les  punir  :  vous  vous  trompez  ;  sacliez 
M  que  le  ohàlimcnt  n'est  pas  si  loin  que  vous 
»  pensez.  Ou  reste  ,  vos  menaces  et  vos  arti- 
M  fices  sont  inutiles;  jamais  vous'ne  m'ar- 
»  racherez  d'un  lieu  où  Dieu  demande  ma 
»  présence  ,  et  je  ne  soullVirai  point  que  vou« 


ET    r  t  R  I  r.  l- SES.  DD 

»  nllentiez  à  la  Ijheiié  d'un  Peuple  qui  eu 
»  jouit  sous  la  prolecliun  du  Rui  el  de  ses 
n  Kdi(5.  » 

Cts  dernières  paroles  ,  dites  d'un  ton 
ferme,  éloiinèrent  le  Clu-f  de  ces  Lrif^ands  , 
et  voyant  (jiie  ifs  impostures  étaient  déeou- 
vnlre  ,il  prit  Ir  parti  lui-même  d'aller  clier- 
cher  Ibrlune  ailleurs;  on  ne  le  \it  plus  repa- 
railre.  Peu  après  un  Indien  de  la  Nation  des 
Ji/iinnacicds  ,  qu'il  avait  fait  son  esclave  , 
avant  eu  l'adresse  de  s'échapper  de  ses  mains  , 
vint  se  jeter  entre  les  liras  du  Missionnaire. 
Il  entendait  un  peu  la  langue  des  Chi(iuites, 
et  il  paraissait  avoir  naturellement  du  goût 
pour  les  exercices  de  la  Religion,  11  étudiait 
toutes  les  actions  du  Père,  et  il  lAthait  de  les 
imiter.  On  lu  voyait  se  prosterner  comme 
lui  au  pied  de  la  Croix,  lever  comme  lui  les 
mains  vers  le  Ciel  ,  et  réciter  comme  lui  à 
haute  voix  les  prières.  De  si  heureuses  dis- 
posions <lu  jeune  Indien  donnèrent  au  Père 
une  idée  favorable  du  caractère  de  cette  Na- 
tion ,  et  dès-lors  ses  pensées  se  tournèrent  à 
la  conversion  des  Maniiaviras. 

Ce  fut  un  grand  sujet  di-  joie  pour  ces  pau- 
vres Indiens  de  se  voir  délivrés  de  rin(|iiié- 
tude  que  leur  avait  causée  <'ette  troupe  d'Eu- 
ropéens. Leur  Cacique  venant  lui  en  marquer 
sa  reconnaissance,  le  pria  de  se  transporter 
chez  les  Indiens  yf/uiporcs.  «  Nous  vous  ac- 
»  compagnerons  ,  lui  dit-il  :  nous  les  entrc- 
»  ti»;ndions  des  vérités  de  la  Religion  ;  notre 
M  exemple  les  touchera,  et  nous  les  engage- 
»  rons  de  se  joindre  à  nous  cl  aux  Tubacis, 

Ci 


56  Lettres  ÉDiTiAN TES 

»  nos  amis,  pour  former  tous  ensemhlc  une 
M  peuiilade,  où  vous  puissiez  nous  enseigner 
»  la  clocliine  Chtctienne  ,  el  nous  mellre  , 
»  ])ar  le  Baptême  ,  au  rang  des  eufans  de 
»  Dieu.   » 

Cette  prière  du  Cacique  était  trop  con- 
forme aux  vues  du  Missionnaiic  pour  qu'il  ne 
se  rcndîtpas  à  ses  désirs.  Il  se  milaussitùlea 
chemin  avec  sa  suite,  et  il  arriva  en  peu  de 
jours  chez  ces  Indiens.  Il  les  trouva  ,  eu 
effet,  si  bien  disposés  à  embrasser  la  Foi  , 
qu'à  celte  première  visite  il  baptisa  plus  de 
quatre-vliii^ts  enfans  ;  car  ^  pour  le  Baptême 
des  adultes,  il  n'en  est  point  (juestion  :  on  ne 
le  leui- confère  que  quand  ils  sont  fixés  dans 
une  peuplade,  oii  l'on  ait  tout  le  loisir  de 
les  instruire. 

De  là  il  passa  dans  un  autre  VillaL'e  delà 
même  Nation  ;  mais  ces  fatigues-,  avec  les 
mauvais  alimens  qu'il  prenait,  le  jetèrent 
dans  uu  état  de  langueur  ,  que  son  co^^age 
s'efforçait  en  vain  de  surmopter.  Enfin,  il 
sentit  défaillir  ses  forces  ,  et  il  tomba*  en 
faiblesse.  Une  fièvre  ardente  qui  le  saisit  au 
même  temps  l'eut  bientôt  réduit  à  l'extré- 
mité. Assis  au  pied  d'un  arbre  ,  il  n'atten- 
dait plus  que  sa  dernière  heure  ,  à  laquelle 
il  se  disposait.  Ces  pauvres  ludiens  étaient 
désolés  de  ce;  que  la  ruine  de  leurs  campa- 
gnes les  mettait  hors  d'état  de  lui  procurer 
quelque  secours.  Enfin  ,  après  bien  des  mou- 
vemens,  le  hasard  leur  lit  trouver  une  poule 
qu'ils  lui  appoitèrent  ,  mais  il  la  iifusa 
constamment ,  et  la  lit  donner  ù  uu  de  ses 


Néopliylcs  ,  <jui  était  picsijuo  aussi  mil 
que  lui. 

Dans  le  trihlc  état  où  il  se  trouvait ,  il  lui 
>int  une  lorle  j)^'^^ée  de  proiuctlre  à  iJicii 
que  s'il  lui  rnidait  la  saiilé  il  la  sacrilic-t  ail  ii  la 
conversion  ties  lutlii-us  Mtiimavicas  ,  cl  qu'il 
verserait  volontiers  jusiiu'.à  la  tleruière  gonlte 
de  son  sang  pour  les  mettre  dans  la  voie  du 
salut.  A  peine  eut- il  fait  celle  promesse, 
(|ue  la  fièvre  cessa,  (ju'il  lruu\a  du  j;f)iil  aux 
Miels  les  plus  insipides  dont  usent  ces  In- 
diens, et  qu'en  très-peu  de  temps  il  recouvra 
ses  forces. 

Le  Cacique  du  lieu  nommé  Pou,  suivi 
de  (juelques-nns  di- ses  vassaux  ,  vint  le  féli- 
ciler  du  rétaMissenient  de  sa  santé.  Le  Père 
((ui  connaissait  la  sincérité  derairection  qu'il 
lui  portait,  l'entretint  du  projet  qu'il  avait 
formé,  et  <ju'il  était  sur  le  point  d'exécuter, 
en  le  priant  de  vouloir  Lien  l'acîcompagner 
avec  les  siens  dans  une  expédition  ,  où  il 
s'a:;issail  de  gagner  tant  d'anies  à  Jésus - 
Ciirist. 

Le  Cacique  ,  qui  auj^urait  mal  du  succès 
de  celle  entrj'priM* ,  lui  en  exposa  les  dans 
gers.;  il  lui  représenta  (jue  celU;  JNalion  était 
très-nombreuse  ,  et  encore  plus  redoutable 
par  sa  valeur  ;  «ju'elle  était  irritée  au-delà 
de  ce  qu'on  peut  dire  coulre  les  Espagnols, 
à  cause  du  lueurlre  tout  récent  (ju'ils  avaient 
fait  de  (jui'liiiu's-un.-»  des  siens  ,  <|ir(lle  avait 
juré  de  taiie  périr  tout  autant  d'Espagnols 
(jiii  toiiibei  aient  sous  sa  main;  ({ue  se  livrer 
téiuéraircmcul  à  un  Peuple  lier,  vindicatif 

C  5 


5S  Lettres  édifiaî^tes 

et  ontrngé  ,  c'était  courir  à  une  mort  ror- 
lainc;  que  tout  le  chemin  qui  conduit  à  leurs 
Villages  était  semé  de  pointes  d'un  bois  très- 
dur,  où  il  n'était  pas  possible  de  marcher 
sans  s'estropier  ;  que  ces  Villages  étaient  for- 
tifiés de  palissades,  qu'il  n'était  pas  aisé  de 
franchir;  enfin,  lui  témoignant  qu'il  l'ai- 
mait comme  son  pèi'e  :  «  Si  ces  furietu'^ 
»  vous  attaquent  ,  lui  dit -il  ,  étant  seul 
n  comme  vous  êtes,  quelle  sera  votre  dé- 
n    fense  ?  » 

Le  Père  ,  qui  l'avait  écouté  sans  l'inler- 
l'ompre  ,  prit  son  Crucifix  à  la  main  ,  cl  le  lui 
montrant  :  «  Voilà  ,  lui  répotidit-il ,  le  bou- 
3)  clier  qui  me  défendra  de  leur  fureur.  Je 
»  ne  crains  rien  (juand  Jésus-Christ  m'or- 
w  donne  de  prêcher  sa  sainte  Loi  :  ils  ne 
»  peuvent ,  sans  sa  permission  ,  m'arracher 
»  un  cheveu  de  la  tôte  ;  et ,  quand  j'edevrai» 
M  expirer  sous  leurs  traits,  puis-je  aspirer  h 
»  un  plus  grand  bonheur?  Si  vous  craignez  , 
»  vous  autres  ,  vous  n'avez  qu'à  demeurer 
«  un  peu  au  loin  derrière  moi  ,  tandis  que 
»  j'entrerai  tout  seul  dans  le  Village.  Si 
»  l'on  m'y  fait  un  bon 'accueil  ,  je  vien- 
»  drai  vous  appeler  ;  si  ,  au  contraire  ,  je 
»  suis  mal  reçu ,  vous  n'aurez  qu'à  prendre 
»  la  fuite.  »   ' 

Une  réponse  si  ferme  et  si  hardie  porta 
le  même  couragi;  dans  le  cœur  du  Caci»]ue. 
K  Non  ,  certes  ,  nous  ne  fuirons  pas  ,  dit- il  , 
n  et  s'ils  venaient  à  vous  luer ,  nous  vous  ai- 
»  mons  trop  pour  ne  pas  venger  votre  mort, 
»  dussent-ils  nous  hacher  en  pièces;  à  l'ins- 


ET  cm  ir  rsr s.  Sg 

»  Innl  il  frappa  sur  srs  amu-s.  >»  A  cr  sîpial 
une  noMibinisr  troupi'  tic  hravcs  Iruliins 
p.uurcnl ,  el  promirtnl  que  si  les  Munna- 
lius  osaient  atu-nter.'i  la  personne  du  Père, 
ila  mourraienl  tous  à  ses  côtés  ;  mais,  avant 
que  de  partir,  ils  le  prièrent  de  leur  acjor- 
d«r  un  peu  de  teïups  pour  les  mieux  instiuirc 
des  \ériics  Chrétiennes,  el  pour  conférer  le 
iSapléme  ù  leurs  enfans. 

Ce  ne  fut  donc  (ju'après  quehjues  jours 
qu'ils  se  mirent  en  marche.  Lois(|u'ils  eurent 
passé  la  rivièie  y/rulxiitu  ,  ou  comme  d'au- 
tres l'appellenl,  Z//(/M/7'<i/</'/i  ,  à  la  vue  des 
])ointes'aigues  dont  le  chemin  était  semé  ,  el 
(hs  palissades  cjui  environnaient  le  Village  , 
la  frayeur  s'emp.oa  des  Indiens  ;  ils  parlaient 
tous  de  lelourner  sur  leurs  pas,  et  de  renon- 
cer à  une  entreprise  qu'il  n'était  pas  possible 
d'exécuter. 

w  J'avoue  ,  dit  le  Père  ,  dans  une  lettre 
■.  qu'il  écrivit  eii  ce  temps-là  à  son  Supé- 
»  rieur,  que,  quehjue  hi  ave  que  soit  la  Na- 
»  lion  desi-*j/rrtA/>,et(juelque  amour  qu'elle 
))  me  porte ,  il  n'y  a  que  Dieu  qui  ait  pu  don- 
»  ner  assez  d'i-ilicacité  h  mes  paroles,  pour  re- 
»  levei  leurcourageabaltu.  A  peine  eus-jepro- 
»  nonce  deux  mots ,  que  le  Cacique  ,  suivi 
»  de  ses  vassaux  ,  s'avance,  et  marchant  pas- 
T>  à-p:is  dans  un  prt  fond  silence  ,  il  ariiva 
M  jusfju'à  la  pali>sade  ,  où  il  ne  se  trouva 
»  pjMsonne  pour  la  détendre,  Jt-  n(  ^()llsdis- 
M  simulerai  point  f[u'apiès  avoir  passé  cette 
»  palissiido  ,  et  que,  me  voyant  prèvS  d'être 
u  exposé  ù  la  fureur  de  ces  Lai  bai  es ,  et  selon 

C   G 


t'o  Lettres  ÉDi  FI  AN  TES 

»  les  apparences,  (le  teindre  de  mon  sang  leurs 
«  flèches  empoisonnées  ,  la  crainte  me  saisit 
»  à  nïon  lour.  J'clais  pourtant  ranimé  par  la 
»  présence  d'un  jeune  Néophyte  qui  était  à 
■»  mes  côtés,  et  qui  ,  levant  ses  mains  inno- 
»  centes  vers  le  Ciel ,  offrait  sans  cesse  à  Dieu 
»  ses  sueurs  cl  ses  peines  ,  pour  planter  la 
))  Foi  chez  ces  infidèles,  cl  son  sang  pour  le 
»  verser  h  son  service. 

Ils  entrèrent  dans  le  Village  qu'ils  trouvè- 
rent entièrement  abandonné:  on  n'y  voyait 
Cjue  des  ruines  de  cabanes  que  le  fj-u  avait 
consumées  ,  et  des  cadavres  dont  la  terre  était 
jonchée.  A  la  vue  de  ce  spectacle  q'ui  fesait 
horreur  ,  les  /"'«/•«A/j^  exhortèrent  le  Mission- 
naire à  se  retirer;  mais  un  Indien  ]\ï;inna- 
cica  ,  nommé  Izu  ,  (jui  leur  servait  d'inter- 
prète ,  les  assura  qu'assez  juès  de  là  il  v  avait 
d'autres  terres  et  d'autres  Villages.  A  ce  récit 
le  Père  réveilla  le  courage  de  ses  Indiens,  et , 
se  mettant  h  leur  tête  ,  il  eut  bientôt  gagné  ce 
nouveau  Village.  Il  y  entra  seul  avec  Izu  , 
son  interprète,  laissant  les  Indiens  derrière 
lui  h  une  ceilaine  distance. 

Aussitôt  que  ces  barbares  l'aperçurent,  ils 
poussèrent  des  cris  affreux  -,  ils  firent  sortir 
du  Village  leurs  femmes  et  leurs  enfans:  ils 
s'armèrent  de  leurs  flèihes  avec  un  air  me- 
naçant, et  jetèrent  sur  lui  des  yeux  éiincelaus 
de  fureur.  Le  INéopliyte  Izu  élevant  la  voix  , 
ks  conjura  de  ne  point  faire  de  mal  à  un 
liomme,  qui  n'était  rien  moins  que  leur  en- 
nemi. «  Je  suis  un  Missionnaire  ,  s'écria  lo 
»  Père ,  q^ui  viens  vous  prêcher  la  sainte  Loi 


»  de  Ji'sus-Cliiisl.  »  Toul  cela  nr  fil  nulh; 
impression  sur  ces  barh.ires  :  on  leur  vil  t'.iirc 
lin  inouvi'inrnl  (|tii  n'.iiiitonc.iil  rien  (|u(>  de 
funt-str.  AI«Ms  \c  Cîaii<|iu'  Pi>ii  s'.ipprocli.iiit 
du  l'ère  :  c  n'apercevez-vous  pas,  lui  dit-il  , 
»  »|u'ili  ftirmcnt  un  cert-le  pour  nous  envi- 
»  ronner  de  toutes  parts  ,  niîn  qu'aucun  <lc 
»  nous  n'écliappe  df  h'urs  mains?  Il  est  étnii- 
uaiil  fjut-  le  Missidunaire  ,  (jui ,  peu  de  jours 
nuparavant  ,  frémissait  de  peur  à  la  seule 
])ensé«'  de  ces  haï  hares  ,  parût  aloi-s  iniper- 
lurhalde.  «  Je  vous  avouerai  ingénument  , 
»  tlil-il  dans  une  de  ses  lettres,  (ju'au  milieu 
>)  du  plus  i^rand  péiil  ou  j'étais  de  perdre  la 
»  vie,  je  n'avais  pas  la  moitulre  crainte:  une 
))  voix  intérieure  me  disait  que  celte  tois-ci 
»  «lie  ne  me  serait  pas  ravie,  et,  quoique  je 
»  me  vi.vse  (touvert  d'une  nuée  de  flèches  , 
M  j'étais  dans  la  place  le  Crucilix  îi  la  main, 
»  aussi  tran(|uilh-  que  si  j'eusse  été  dans  mou 
»  Kglise  au  milieu  de  mes  Néophvles.  »' 

Izu  ^  h  la  vue  du  péril^uc  courait  le  Mis- 
sionnaire ,  s'avança  jusqu'au  milieu  de  se» 
compatriotes,  et  tout  nouveau  Chrétien  qu'il 
était  ,  il  leur  parla  avec  tant  de  force  et 
«l'éneigre  des  grandeurs  de  Dieu,  de  la  sain- 
teté de  sa  Loi  ,  et  de  la  nécessité  de  l'em- 
hrasser  pour  être  heureux  ,  que  ces  cœurs 
Larhares,  touchés  en  métne  -  temps  par  la 
gr:ke  ,  furent  tout-à-coup  changés;  leur  fu- 
reur s'appaisa,  et  toute  leur  haine  se  dissipa 
de  telle  sorte,  que  les  mains  encore  pleines 
dr  llèches  ,  ils  vinrent  à  la  file  les  uns  des 
Aulrcs  5C  mclU  e  ù  gcuous.  aux  ^ncda  du  Mis- 


62  Lettres  ÉoirîAîTTES 

sionnaire  ,  et  i);iiscr  a\fc  une  profonde  véné- 
ration le  Crucifix  qu'il  tenait  entre  les  mains; 
à  quoi  ne  contribua  pas  peu  le  Cacique  des 
Piirakis,  qui  leur  criait  de  toutes  ses  forces  : 
«  V^enez  ,  mes  amis,  venez  rendre  hommage 
n  h  Jésus- Christ  notre  Créateur,  adorez- 
>i  le  ,  et  rangez-vous  au  nombre  de  ses  vas- 
»  saux.  » 

Quel  spectacle  plus  consolant  et  plus  pro- 
pre à  inspirer  de  la  confiance  en  la  divine 
miséricorde,  que  de  voir  d'un  côté  des  infi- 
dèles, qui  n'étaient  instruits  que  depuis  peu 
tle  jours  des  vérités  de  la  Foi ,  et  qui  n'av;ii(  ut 
pas  encore  reçu  le  Baptême  ,  devenir  des  Pré- 
dicateurs de  l'Evangile!  et  d'un  autre  côté, 
une  Nation  fière  et  oigueilleuse  ,  qui  ne  res- 
pirait que  la  haine  et  la  vengeance  s'adoucir 
tout-h-coup,  et  s'humilier  aux  pieds  de  Jésus- 
Christ  ! 

Au  même  moment  la  place  fut  remplie 
des  Indiens  de  l'une  et  l'autre  Nation  ,  qui , 
déposant  toute  leur  haine,  se  traitèrent  avec 
amitié,  et  jurèrent  une  paix  durable,  tandis 
que  le  Néophyte  Izu ,  aidé  de  ses  parens  , 
fabriquait  une  grande  Croix.  Le  Père  la  fit 
planter  dans  le  lieu  le  plus  apparent  de  la 
place,  comme  un  monument  de  la  victoire 
que  le  Ciel  remportait  sur  l'enfer ,  et  de  la 
possession  (jue  Jésus  -  Christ  venait  pren- 
dre de  cette  terre  consacrée  auparavant  au 
déiuon. 

Tout  ce  grand  Peuple  rendit  hommage  à 
ce  signe  de  notre  Rédemption  ,  et  écouta  al- 
teniivemoiU  les  iustructions  que  leur  ût  le 


IMissionnitiif  |t;ii  It-  iiinym  dv  son  infrrpicir. 
Les  priiK-ipaitx  de  la  Nailon  en  f un- ni  si 
t.iti^faits,  «jn'iU  le  piit'icnt  avrc  instsinrc  de 
dfMH'uifr  avrc  eux  ,  pour  cotiiiuuM-  à  It-ur 
ensfiniuT  le  cln'niin  du  Clicl.  I.«'  Vivv  I'îiu- 
rail  iorl  souliailé  ;  mais  on  mirait  dans  l'Iii- 
v«T  ,  (jui  lui  aurait  entièrcnunt  fermé  le  re- 
tour dans  sa  prujiladr  ,  où  ]v>  besoins  de  ses 
^i'i)ph\l«'s  dcniaridaiiiiUsa  préMiice.  r)l)ligé 
df  !(•>>  «|uitter  ,  il  leui-  [)ininil  di-  r«'\enir  au 
printrmps  sui\ant.  On  lui  tournit  i.n  elic- 
val  ;  et ,  comme  il  se  préparait  à  y  monter, 
ces  lions  Indiens,  à  ren\  t  l'un  de  l'autre  , 
s'empre>saient  ii  lui  rtndre  serviie  ,  cl  iU 
l'ai-coMipa^ncrtiit  pcndaut^  un  l<m^  (-«.pare  de 
cliemin.  Le  F«'re  avoue  (juil  n'avait  jamais 
reçu  d'aucun  autre  Peuple ,  tant  d'iionnè- 
teiés  et  tant  de  témoignages  d'une  aireclioû 
sineère. 

Son  départ  fut  un  coup  de  la  Providence  ; 
car  s'il  fùl  demeuré  plus  long-temps,  avec  les 
Indiens,  dont  il  s'était  séparé,  il  y  aurait 
eu  peut-être  bien  du  sang  répandu  à  son 
occasion.  Le  JMiipono  5  (  c'est  ainsi  que  se 
nomment  li-s  Prêtres  de  leurs  Idoles  )  le 
Aliipono  des  Sibacas  ,  Village  de  la  même 
Ration,  ayant  appris  ce  qui  s'était  passé 
dans  le  Village  voisin  ,  entra  en  fureur,  et 
sadiessanl  à  son  Cacifjue  :  «  nos  Dieux  vous 
))  ordonnent , «lui  dit-il,  d'aller  à  la  tête 
•n  de  \os  vassaux  tuer  cet  étianger,  qui  est 
■»  venu  dans  notre  voisinage,  et  qui  est  leur 
»  ennemi  capital  ;  part»  z  au  plutôt  ,  et  attcn- 
»  4it'£-lc  bur  le  cLcuiiu  j  il  dc  pourra  vous 


64  Lettres  ÉoiriAifTES 

«  cchappnr.  »  Le  Cacique  lui  répondit  :  qu'ïl 
fallait  savoir  ce  que  c'était  que  cet  étran- 
ger, quel  était  sou  dessein  ,  quel  sujet  de 
plainte  il  avait  donné  ,  n'étant  pas  raisonna- 
ble d'oter  la  vie  à  un  homme  ,  c|u'on  ue 
connaissait  pas  même  de  vue. 

Cette  réponse  augmenta  la  i;is,e  du  3fapono  : 
il  se  rendit  avec  un  nombre  des  plus  dévots 
à  ses  Dieux  au  Village  où  était  venu  le  Mis- 
sionnaire, et  s'adressant  au  Cacique,  qui  se 
nommait  Cluihi  :  «  Je  viens  savoir  ,  dit-il  , 
))  quel  est  cet  étranger  que  vous  avez  rera 
'»  chez  vous.  Il  est  l'ennemi  déclaré  de  nos 
»  Dieux  ,  c'est  de  leur  part  que  je  vous  parle, 
»  et  ils  m'ordonnent  de  le  tuer.  S'il  avait 
M  mérité  la  mort,  répondit  le  Cacique,  je 
M  n'aurais  pas  besoin  de  votre  secours,  et 
M  j'ai  en  main  de  c|uoi  punir  ceux  qui  le 
M  méritent.  Mais  sachez  que  celui  que  vous 
M  appelez  l'ennemi  de  vos  Dieux,  est  mon 
i)  ami  :  il  s'est  livré  avec  confiance  entre  mes 
»  mains  ,  il  m'a  comblé  d'amitiés  ,  et  il  doit 
»  compter  sur  la  mienne,  et  sur  ma  recon- 
»  naissance  des  biens  qu'il  m'a  faits.  De 
)>  plus,  nous  sommes  sincèrement  réconciliés 
»  avec  les  Purakis ,  nos  anciens  ennemis. 
»  Ainsi  retournez  chez  vous,  et  soyez-y  tran- 
»  quille  ».  En  méme-tomps  il  ordonm»  à 
ses  gens  de  prendre  leurs  armes.  Le  Mapono 
confus  ne  réplicpia  point;  il  se  retira  la  rage 
dans  le  cœur,  et  jurant  ([u'au  retour  du  Mis- 
sionnaire» l'année  suivante  ,  il  saurait  bien 
venger  ses  Dieux  oulr.igés  :  mais  ses  Dieux 
ne  furent  guère  sensibles  à  sou  zèle  5  car  ils 


no  le  préscnrri-nt  poiiil,  ni  lui  ni  ses  com- 
plices ,  d  une  mort  cruille  (|ue  hur  causa 
peu  nprè^  la  maladie  coalagiiubc  (^ui  dé^uU 
leur  V'illa{.'e. 

Je  ne  dois  pas  vous  l.iisscr  ignorer  ,  ISInn- 
sieur  ,  quelle  est  la  nature  du  pays  habité 
par  tant  de  peuples  ,  qui  forment  cette  nom- 
breuse Nation:  (|uel  est  leur  caractère,  leur 
génie,  leur  religion  ,  leurs  ct-réinonies  ,  et 
leurs  coutumes  ;  c'est  ce  <jue  je  vais  vous 
exposer  le  plus  succinctement  qu'il  me  sera 
possible. 

La  Nation  des  jMunnacicas  est  pailagéeeii 
une  grande  nmhilude  de  Villages,  qui  sont 
situés  vers  le  Nord,  n  dt-ux  bonnes  joumées 
de  la  peujdade  de  Saint-Xavier  ,  entre  de 
grandes  forêts  ,  si  épaisses ,  qu'à  peine  y 
voit-on  le  soUmI.  Ces  bois  vont  de  l'Orient  à 
l'Occident,  et  se  terminent  à  de  vastes  soli- 
tudrs ,  qui  sont  inondées  la  plus  fjraude 
pallie  de  l'année. 

La  terre  y  est  abondante  en  fruits  sauva- 
ges: on  y  trouve  quantité  d'animaux  farou- 
ches, entre  lesquels  il  y  en  a  un  d'une  espèce 
singulière  -,  on  le  nomme  fuinucosio.  Cet 
animal  ressemble  au  tigre  par  la  tète,  et  au 
chien  par  le  corps,  à  la  réserve  qu'il  est  sans 
queue.  C'est  i\r.  tous  les  animaux  le  j>lus 
féroce  et  le  plus  léger  h  la  «ourse,  de  sorte 
qu'on  ne  [x-ut  guère  échapj)er  à  ses  grif- 
fes :  si  l'on  en  rencontre  quehju'un  en  che- 
min ,  et  que  ,  pour  se  dérober  à  sa  fureur, 
on  mftnte  sur  un  arbre;  ,  l'animal  pousse  un 
cerlaiu  cri ,  et  ù  i'iastaut  on  eu  voit  plusieurs 


66  Lettres   édifiantes 

autres,  qui  tous  ensemble  creusent  la  terre 
autour  de  l'arbre,  le  déracinent  et  le  font 
tomber. 

Les  Indiens  ont  trouvé  le  secret  de  se  dé- 
faire de  ces  animaux  ;  ils  s'assemblent  en 
certain  nombre  ,  et  forment  une  forte  palis- 
sade ,  dans  laquelle  ils  se  renferment;  puis 
ils  font  de  grands  cris,  ce  qui  fait  accourir 
ces  animaux  de  toutes  parts;  et  tandis  qu'ils 
travaillent  à  fouir  la  terre  pour  abattre  les 
pieux  de  la  palissade,  les  Indiens  les  tuent, 
sans  aucun  risque,  h  coups  de  flèches. 

Tout  ce  pays  est  arrosé  de  plusieurs  riviè- 
res fort  poissonneuses  ,  qui  fertilisent  les 
terres,  et  rendent  les  moissons  abondantes. 
Ces  Indiens  ont  le  teint  olivâtre,  et  sont  du 
reste  bien  pi  is  dans  leur  taille.  Il  règne  quel- 
quefois parmi  eux  une  maladie  assez  extraor- 
dinaire: c'est  une  espèce  de  lèpre  qui  leur 
couvre  tout  le  corps,  et  y  forme  une  crovite 
semblable  à  l'écaillé  de  poisson.  ISIais  cette 
incommodité  ne  leur  cause  ni  douleur  ni 
dégoût.  Ils  sont  aussi  vaillans  (|ue  les  Cbi- 
quites  ,  et  même  anciennement  ils  ne  for- 
maient tous  ensemble  qu'une  seule  Nation. 
Mais  les  troubles  et  les  dissentions  (jui  s'éle- 
vèrent parmi  eux,  les  obligèrent  de  se  sépa- 
rer. Depuis  ce  temps-là  ,  par  le  commerce 
qu'eurent  ces  peuples  avec  d'autres  Nations, 
leur  langage  se  corrompit  entièrement  ;  l'I- 
dol;\trie  ,  inconnue  aux  Cbiquitos,  s'intro- 
duisit parmi  eux  ,  de  même  (jue  l'usage 
barbare  de  manger  de  la  chair  humaine. 

Il  y  a  de  l'art  dans  la  disposition  de  leurs 


tT  crmrrsr*.  fi-j 


Villages  ;  on  y  voil  lU-  j;i;iii<los  riu's  ,  de» 
plac«'s  pu)>li(|ucs,  trois  ou  ({iialrc  prniid<8 
jimisons  parln^érs  en  snllcs  i-t  en  plusieurs 
clianihrcs  de  suite:  c'est  où  loprnl  le  prin- 
cipal Cncique  el  les  Capitaines.  Ces  ni.tisons 
sont  d«'slinées aussi  aux  assemblées  pul)li({ue6 
et  aux  festins,  et  servent  de  Ti'niplcs  à  leurs 
Dieux.  Les  maisons  des  particuliers  sont 
construites  dans  un  certain  ordie  d'archi- 
tecture qui  leur  est  propre.  Ce  ([ui  surprend  , 
c\'st  (ju'ils  n'ont  poiul  d'autre  outil  (|ue  d<  s 
haches  de  pierre  pour  Ct)uper  le  LoU  et  Itt 
mcUre  en  œuvre. 

Les  femmes  s'occupent  avec  grand  soin 
à  fabriquer  des  toiles  et  à  faire  tous  les  usten- 
siles du  ménage,  auxquels  elles  «Miiploient 
une  terre  préparée  de  longue  maui.  Les  vases 
qu'elles  travaillent  avec  cette  terre  ,  sont  si 
beaux  el  si  délicats,  qu'à  en  juger  par  le  son, 
on  croirait  qu'ils  sont  de  métal. 

Leurs  villagfs  sont  peu  éloicnés  les  uns 
des  autres  ;  c'est  ce  (jui  tacilile  les  fréquentes 
visites  qu'ils  se  rendent,  cl  les  festins  qu'ils  se 
donnent  très-souvent,  et  où  ils  ne  manquent 
guère  de  s'enivrer.  Dans  ces  assemblées  pu- 
Llifjues  ,  le  cérémonial  Indien  donne  la 
place  d'honneur  au  Cacique  ;  les  Mapono  , 
ou  Prêtres  des  Idoles,  occupent  la  seconde 
place;  les  Médecins  sont  au  troisième  rang; 
après  eux  les  Capitaines,  cl  ensuite  le  reste 
de  la  !\r>I)lesse. 

Les  habitans  de  chaque  Village  rendent 
à  leur  Cacique  une  obéissance  entière.  lis 
biklissent  ses  maisons  ;  ils  cultivent  ses  terres  ; 


68  Lettres  ÉDiTî A K TES 

ils  fournissent  sa  table  de  ce  qu'il  y  a  de  meil- 
leui"  dans  le  Pays.  C'est  lui  qui  commande' 
dans  tout  le  Villai^e,  et  qui  fait  juinir  les 
coupables.  Les  femmes  sont  tenues  à  la  même 
obéissance  à  l'égard  de  la  principale  f»'mme 
du  Cacique  (  car  il  peut  en  avoir  tant  qu'il 
lui  plaît  );  tous  lui  payent  la  dixième  partie 
de  leur  pèclie  ,  ou  de  leur  chasse  ,  et  ils  ne 
peuvent  y  aller  sans  avoir  obtenu  sa  per- 
mission. 

Le  Gouvernement  y  est  héréditaire.  On  y 
prépare  de  bonne  heure  le  fils  aîné  du  Caci- 
,  que,  par  l'autorité  qu'on  lui  donne  sur  toute 
la  jeunesse,  et  c'est  comme  un  apprentissage 
f|u'il  fait  de  la  manière  de  bien  gouverner. 
Quand  il  est  parvenu  à  un  Age  mùr  et  capa- 
ble du  maniement  des  affaires  ,  son  père  se 
démet  du  gouvern^^ment  ,  et  lui  en  donne 
l'investiture  avec  beaucoup  de  cérémonies. 
Tout  dépossédé  qu'il  est ,  on  n'en  a  pas  moins 
d'afttîction  et  de  respect  pour  lui.  Quand  il 
vient  à  mourir  ,  ses  obsèques  se  font  avec 
grand  appareil  ,  où  l'on  mêle  une  inlinité  de 
superstitions.  Son  sépulcre  se  place  dans  une 
voùie  souterraine  bien  mutée,  afin  que  l'hu- 
midité n'altère  pas  sitôt  s«'s  ossomcBs. 

La  Nation  des  .'ifannacicas  est,  comme  Je 
l'ai  déjà  dit  ,  fort  nf)mbreuse  ,  et  se  divise  en 
une  multitude  de  Vill.iges  ,  et  de  Feu|iles  , 
dont  je  renvoii'  les  noms  à  la  marge.  Leur 
Pays  forme  une  espèce  de  pyramide  (jui 
s'étend  du  Midi  au  .\ord ,  et  dont  les  extré- 
mités sont  habitées  par  ces  Indiens.  Au  mi- 
lieu sont  d'autres  Peuples  aussi  dill'creuspour 


r  T  c CR  ir  csF. «.  (5g 

la  InnîZiir  riirils  |>nrl«iit  ,  qu'ils  sont  SCTTt1)la- 
Itlo  pour  l.i  \  il-  l);irl);iti'  (|u  ils  nicncnl. 

A  la  hasi'  i\r  l.i  pvi  •iiniiic  ,  s«»nl  ;i  rOiinit 
1rs  Oin'w»of/0(  rt.ï  ,.cl  à  r()cci<lriil  If8  J  cjui- 
ctiras.  Li'  e«*lL*  <lu  Nord,  en  l.-ii:»5aiil  au  -  <l<là 
1rs  l*iii'zocrts  il  Ifs  l'ttitnacas  ,  csl  environné 
dr  tliux  rivivirs  nonjnirrs  J'ultt(^iif.sMnn)  l't 
Z^n'iunuiu  ^  diiws  li-s(jiic  lit  .s  sr  jrllfnl  |>lu- 
ftirurs  ruisseaux  (jiii  puiU'iilla  U-i  (mililé  dans 
touirscrs  U-nrs.  I.<s  preniit  rs  V'illaj;«*s,  vers 
l'Orient  ,  sont  ci'ux  des  Ein'nmas  ^  vie.  (i) 
Vers  rOi'i-idenl  si'  trouvrnl  «eux  de  Zoii- 
fuuicn  ,  vlv.  (•>,  Km  tnanl  de  l.i  vers  la  pointe 
do  la  pvramitle  au  Nord  ,  on  reneonfre  les 
Qui/nitii'rts  ^  etc.  (À  i  Les  Zilmcas  ,  qui  n'en 
«ont  pas  fort  éloignés,  ont  été  jusqu'ici  pré- 
servés des  irrujjtions  des  ■Manicliu-s,  lrsf(U(  Is 
ont  désolé  ti)ul  le  rcsi»-  du  Pays  (jui  «i'élcnd 
jusqu'au  fleuve  Paraguay.  Entri'  l'Orient  vt 
le  Septentrion  ,  derrière  les  '/Abacus  ,  et  ù 
plusieurs  lieues  plus  loin  ,  on  tn»uve  les  Pa- 
rubacas  ,  1rs  Quirinios  ,  les  i\(iain(as  et  les 
H/apasiiWs  ,   Ration  fort  brave  ,  niais  qui  a 

(i,  Miij)o.«.ico»  ,  /ibnrns  ,  .liiinc«r''cas  ,  Qiiiviijiiiras  , 
Cozoras  ,  Siibarcr.-i<; ,  lbocica><.  Oznniiiwiac  a  ,  'riinu- 
■aaara  ,  Zoiira,  (liiiu-fiira  ,  tVsaara  ,  Mali /.nj  iiiira  , 
Totuira  ,   QuinonuTU.    ,'  Nolt-  <lr  raiiririim-  l'flilidii.  ) 

('a^  Quilciniira  ,  t)vi/.'bira  ,  Bciiica  ,  Obarititiica  , 
Obobocora  ,  Moiinruraca  ,  Qnizomaai  a  ,  .Siiiiunuicu  , 
Piqiiira  ,  Oliiquimaaca  ,  Oiiiltiura  ,  Baiarora  ,  Qui- 
mamara  ,  (-uzira  ,  l'i<  liazira  ,  cl  d'aiilrcs  «-nrorf  <jii'oa 
ne  ronnaîl  jioint.  (   Noie  di»    l'anrieimo    l'dilion.  ) 

(3)  Boviluzaira  ,  Sepcsi-ca  ,  Olaroso  ,  Tui)ai/.ira  , 
Muiiaii^ica  ,  /ariiraca  ,  Obi.sisiora  ,  Ha(|iiira  ,  Obobi- 
looca  ,So(iara  ,  Olj-iifiuema  ,  ()li;^nra  ,  Bai'ay7.i|niiiocu  , 
Z'uoocR  ,   Tubazicu.  (  Note  de  l'anciciinc  édiliou.  ) 


yo  Lettres   édifiantes 

été  détruite  en  partie  par  une  sorte  d'oiseaux 
nommés  Peresiucas  ,  qui  vivent  sous  terre  ; 
et  qui  n'étant  pas  plus  gros  qu'un  moineau, 
ont  tant  de  force  et  sont  si  hardis,  que  voyant 
un  Indien  ,  ils  se  jettent  sur  lui  et  le  tuent. 
Vis-à-vis  de  ces  Peuples  sont  les  Mochoziius 
et  les  Picozas  ,  qui  vont  brutalement  tout 
nus  :  les  femmes  mêmes  n'ont  qu'une  Lan- 
delètequi  leur  pend  du  cou  pour  y  attacher 
leurs enfans.  Les  Tapncuras ^  qui  s'étendent 
entre  rOccident  et  le  Septentrion  ,  sont  éga- 
lement nus  ,  et  se  nourrissent  de  chair  hu- 
maine. Fort  près  de  là  sont  les  Boures  , 
etc.  (i). 

Pour  ce  qui  est  de  la  Religion  de  ces  Peu- 
ples et  des  cérémonies  qu'ils  y  observent,  il 
n'y  a  point,  dans  toutes  les  Indes  Occiden- 
tales ,  de  Nation  plus  superstitieuse.  Cepen- 
dant, au  travers  des  fables  grossières  et  ridi- 
cules ,  et  des  dogmes  monstrueux  qui  les 
asservissent  au  démon  ,  on  ne  laisse  pas  de  dé- 
couvrir quelques  traces  de  la  vraie  Foi ,  qui , 
selon  la  commune  opinion  ,  leur  fut  prêchée 
par  saint  Thomas  ou  par  ses  disciples  :  il 
paraît  même  qu'ils  ont  quelque  idée  confuse 
de  l'avènement  de  Jésus-Christ  incarné  pour 
la  Rédemption  des  hommes. 


(i)  Oyurrs  ,  Scpcs  ,  Caiabibas,  l'ayziaoues  ,  Toros, 
Oimiiiaizis  ,  Caiiaiiiazi  ,  Coinano  ,  Penos(]iiis  ,  .lovata- 
l)es  ,  Zulimus,  Uvurica  ,  Sibu  ,  Olezoo  ,  Baraisi  , 
Mocliosi  ,  Tesii,  l'ocliacjiiinnaiie,  INIayeo  ,  Jobara^ira, 
Zasiiqiiiclioco  ,  Tcjin|H'c-ho.'isos  ,  Sosoaca  ,  Zumonoco- 
cnra  ,  et  plnsieiir.;  aiUies  doiil  ou  n'a  pu  eucore  avoir 
csuuaissaucti.  (  Note  de  raucicimc  édition.  ) 


KTC  ORIEU5C5.  7I 

CVst  une  trndiiiuD  parmi  eux  ,  cjue  ,  dans 
les  sièclf»  passes  ,  uni:  Danu'  d'une  giaiidc 
Lcautt-  concul  un  fort  l>cl  entant ,  .««ans  l'opé- 
ratiun  d'aucun  honinie  ;  qui' cet  enfant  étant 
parvenu  à  unceriain.^i;e  ,  opéra  les  plus  jj;rand3 
prodiges  qui  remplirent  toute  la  lerrc  d'ad- 
miration; (|u'il  guérit  les  malades  ,  ressuseita 
les  morts  ,  lit  marcher  les  boiteux  ,  rendit 
la  vue  aux  avcuj;les  ,  et  fil  une  inlinilé  d'au- 
tres merveillt's  qui  étaient  fort  au-dessus  des 
forces  humaines  ;  (|u'un  jour  avant  rassemblé 
un  giaud  Peuple  ,  il  j,'éleva  dans  les  airs,  et 
se  transforma  dans  ce  soleil  que  nous  voyons. 
Son  corps  est  loul  lumineux  ,  disent  Its  Ma~ 
porto  ou  Prêtres  de*  liloles  ;  et  s'il  n'y  avait 
pas  une  SI  grande  disUince  de  lui  à  nous  ,  nous 
pourrions  distiiif^uer  les  traits  de  son  \  isage. 

Il  parait  trè^-natuiel  qu'un  ai  graiitl  per- 
sonnage fut  l'objel  de  leur  culte:  reptiidant 
ils  n'adorent  que  des  démons  cl  ils  disent 
qu'ils  leur  apparaissent  quelquefois  sous 
drs  formes  liorribles.  Ils  reconnaissent  une 
Trinité  de  Dieux  principaux  ,  qu'ils  dislin- 
guenl  des  autres  Dieux  qui  ont  beaucoup 
moins  d'autorité  -,  savoir,  le  Père  ,  le  Fils 
cl  l'Esprit.  Ils  nomment  le  Pèie  Oinec/uetti- 
riijui ,  ou  bien  L  rfii^o-Zoriso;  lenomdu  Fils 
est  Urusana,  et  l'Esprit  se  nomme  Uritpo. 
Cette  Vierge  qu'ils  appellent  (^)»/y>oct  ,  est 
la  mère  de  Dieu  Urusana  ,  et  la  femme  d'Ura- 
gozo-riso.  Le  Père  parle  d'une  voix  haute  et 
distincte;  le  Fils  parle  du  nez  ,  et  la  voix  de 
l'Esprit  est  semblable  au  ttuinerre.  Le  Père 
«si  le  Dieu  de  la  justice  et  cUûiie  les  mccbans  ; 


■ja  Lettres  èdifiaistes 

le  Fils  et  l'Espiit .  de  même  que  la  Déesse  , 
font  la  fonction  do  mi'di.ueurs  ,  cl  intercè- 
dent pour   les  eoLip.'iblrs. 

C'est  une  vnste  salle  (!«•  la  maison  du  Caci- 
que ,  qui  seii  de  Temple  aux  Dieux.  Une 
partie  de  la  salle  se  ferme  d  un  grand  rideau  , 
et  c'est  là  le  sanctuaire  où  ces  trois  Divinités, 
qu'ils  appellent  d'un  nom  commun  à  toutes 
trois  Tiniinaacas  ,  viennent  recevoir  les 
lioniraaj^es  des  Peuples  et  publier  leurs  ora- 
cles. Ce  sanctuaire  n'est  accessible  qu'au 
principal  Mapono  \  car  il  y  eu  a  deux  ou  trois 
ïiutres  subalternes  en  chaque  Village,  mais 
il  leur  est  défendu  d'en  approcher ,  sous  peine 
de  mort. 

C'est  d'ordinaire  dans  le  temps  des  assem- 
Llces  publiques  ,  que  ces  Dieux  se  rendent 
dans  leur  sanctuaire.  Un  gi  and  bruit  ,  dont 
toute  la  maison  retentit,  annonce  leui'  arri- 
vée. Ces  Peuples  ,  qui  passent  le  temps  à 
boire  et  à  danser,  interrompent  leurs  plai- 
sirs ,  et  poussent  de  grands  cris  de  joie  poiA" 
honorer  la  présence  de  leurs  Dieux.  «  Tata 
»  equice  ,  disent-ils  ,  c'est-à-dire  ,  Père  , 
))  êtes-vous  déjà  venu  ?  »  Ils  enteutlent  une 
voix  qui  leur  répond  :  «  Panitoques  ,  qui 
5)  veut  dire  :  Knfans  ,  courage^  continuez  à 
»  bien  boire  ,  à  bien  manger,  et  à  vous  bien 
»  divertir-,  vous  ne  sauriez  me  faire  j)lus  de 
»  plaisir  :  j'ai  grand  soin  de  vous  tous:  c'est 
»  moi  qui  vous  procure  les  avantages  que 
»  vous  retirez  de  la  chasse  et  de  la  pêche  , 
i)  c'est  de  moi  que  vous  tenez  tous  les  bien» 
»  c|ue  vous  possédez». 

Après 


E  T    c  r  R  I  r  r  s  r  s.  -  .^ 

Après  CPtIe  répoiisr ,  cjur  cr.s  Peuples  écou- 
lent en  grand  silence  et  avec  respect  ,  iU 
rctouint  nt  à  leur  danse  et  à  la  chicha  ,  qui 
est  leur  liuissun  ;  cl  l»icntnl  leurs  têtes  étant 
écliaullécs  par  l'excès  <|u'iU  ti»ut  de  cette 
li(]ueur,  la  Fêle  se  termine  par  «les  rpierel- 
les  ,  par  des  hlessurcs  ,  et  [)nr  la  moi  l  de 
plusieurs  d'entr'eux. 

Les  I)icux  ont  soit' à  leur  tour,  et  <lrm.'in- 
dent  il  boiie  :  aussih'.t  f>ii  |)répar<' dcj  va  es 
ornés  de  ileurs  ,  et  on  choisit  l'Indien  et  l'in- 
dienue  <|ui  sont  le  plus  en  vénération  dans  le 
Village,  pour  présenter  la  boisson.  Le  Ma- 
pono  entr'ou\  re  un  coin  du  riileau  ,  et  la  reçoit 
pour  la  porter  aux  Dieux  ,  car  il  n'y  a  fjue 
lui  fjui  soit  leur  confident,  elqui  ail  le  droit 
de  les  entretenir.  Les  oHVandes  de  ce  qu'on 
a  pris  à  la  chasse  et  à  la  pèche  ne  sont  pas 
ouhliées. 

Quaud  ces  Peuples  sont  au  fort  de  leur 
ivresse  et  d»;  leurs  fjuerelles  ,  le  A/npouo  sort 
du  Sanctuaire,  et  leur  imposant  silence  ,  il 
leur  annonce  (ju'il  a  exposé  aux  Dieux  leurs 
iK'soins  \  (ju'il  en  a  reçu  des  réponses  les  plus 
favorables  ,  f[u'ils  leur  promet tent  toute  sorte 
d<*  prospérités  ,  de  la  pluie  selon  les  besoins, 
nu»'  bonne  récolte  ,  une  chasse  cl  une  pôcbe 
abondantes ,  et  tout  ce  qu'ils  peuvent  désirer. 
Un  jour  (|u'un  de  ces  Indiens  ,  moins  dupe 
qu(î  ses  compatriotes  ,  s'avisa  de  dire  ,  en 
riant  ,  que  les  Dieux  avaii:iil  i)icn  bu  ,  et  que 
la  f.7//c/»a  les  avait  rendus  de  bonne  humeur, 
le  Mitpono  ,  qui  entendit  co  Irail  de  raille- 
rie ,  changea   aussitôt  ses  magnilit^ucs  pro» 

Tome  IX.  D 


•^4  Lettres  édifia?îtes 

messes  en  autant  d'imprécations,  et  les  me- 
naça de  tempêtes  j  de  tonnerres,  de  la  famine 
et  de  la  mort. 

Il  arrive  souvent  que  ce  Mapono  rapporte , 
de  la  part  dos  Dieux  ,  des  réponses  bien 
cruelles  :  il  ordonne  à  tout  le  Village  de  pren- 
dre les  armes  ,  d'aller  fondre  sur  quelqu'un 
des  Villages  voisins  ,  de  piller  tout  ce  qui  s'y 
trouvera  ,  et  d'y  mettre  tout  à  feu  et  à  sang. 
Il  est  toujours  obéi.  C'est  ce  qui  entrelient 
parmi  ces  Peuples  des  inimitiés  et  des  guerres 
continuelles,  et  ce  qui  les  porte  à  s'entre- 
dotnjire  les  uns  les  autres.  C'est  aussi  la  ré- 
compense des  hommages  qu'ils  rendent  à 
l'esprit  infernal ,  qui  ne  se  plaît  que  dans  le 
trouble  et  la  division  ,  et  qui  n'a  d'autre  but 
que  la  perle  éternelle  de  ses  adorateurs. 

Outre  ces  Dieux  principaux,  ils  en  ado- 
rent d'autres  d'un  ordre  inférieur  ,  qu'ils 
nomment  Isituus  ;  ce  qui  signifie ,  Seigneurs 
de  l'eau.  L'emploi  de  ces  Dieux  est  de  par- 
courir les  rivières  et  les  lacs ,  et  de  les  remplir 
de  poissons  en  faveur  de  leurs  dévots.  Ceux- 
ci  les  invoquent  dans  le  temps  de  leur  pèclie  , 
et  les  encensent  avec  de  la  fumée  de  tabac. 
Si  la  chasse  ou  la  pêche  a  été  abondante  ,  ils 
vont  au  Temple  leur  en  offrir  une  partie  en 
signe  de  reconnaissance. 

Ces  Idolâtres  croient  que  les  âmes  sont 
immortelles,  ils  les  nomment  Oquipau ,  et 
qu'au  sortir  de  leurs  corps,  elles  sont  portées 
par  leurs  Prêtres  dans  le  Ciel ,  où  elles  doi- 
vent se  réjouir  éternellement.  Quand  quel- 
c[u'ua  vieut  à  mourir ,  on  célèbre  ses  obsèques 


ETCPlIKrSRS.  75 

«rec  plus  ou  moins  dv  .solennité  ,  selon  le 
rang  qu'il  lenailiUns  le  Villag»*.  h,c  A/upono  y 
auquel  ils  cioii-nl  (jut*  crlUr  amr  <\st  conliéc, 
reroil  les  otlVnntlcs  que  la  mère  et  la  tiiiimu 
<lu  tlél'unl  lui  a|»pr»rtenl  ;  il  lépnnil  de  l'eau 
pour  purititTramc' lie  ses  souillures;  ilcon>ole 
celle  mère  el  celle  femme  allligées  ,  et  leur 
fa  il  espérer  que  bien  lui  il  aura  d'agréaMe-»  nou- 
velles h  leur  (lire  sur  l'iieui'eux  soi  l  (le  l'anic 
<lu  défunt ,  el  qu'il  va  la  conduire  au  Ciel. 

Après  qucl({uc  lemps  ,  le  JMapono  ,  de 
retour  de  son  voyage  ,  fait  venir  la  mère  et 
la  femme  ;  el  ,  prenant  un  air  gai ,  il  ordonna 
à  celle-ci  d'essuyer  ses  larmes,  el  decjuiiter 
ses  liahiu»  de  deuil  ,  parce  que  son  maii  est 
Leureusemenl  dans  le  Cîiel  ,  où  il  l'attend, 
pour  partager  son  bonheur  avec  elle. 

Ce  voyage  du  fl/apono  avec  l'ame  csl  péni- 
ble ;  il  lui  faut  traverser  d'éj»aisses forêts,  des 
montagnes  escaipées,  descendre  dans  des  val- 
lées remplies  de  rivières,  de  lacs  et  de  marais 
bourbeux,  jusqu'à  ce  qu'enfin,  après  bien 
des  fatigues  ,  il  arrive  à  un»;  grande  rivière  , 
surla(iuelle  est  un  pont  de  bois  ,  gardé  nuit 
cl  jour  par  un  Dieu  nommé  Tattisi.so  ^  qui 
préside  au  passage  des  âmes  ,  el  qui  met  le 
iVrt/>ono  dans  le  cbcmin  du  Ciel. 

Ce  Dieu  a  le  visage  pAle,  la  lète  chauve, 
une  physionomie  qui  fait  horreur  ,  le  corps 
plein  d'ulcèrcset  cou\ertdc  mi.séiables  hail- 
lons. Il  ne  va  point  au  Teinple  pour  y  rece- 
voir les  hommages  de  ses  dévols  ,  sou  erhploi 
ne  lui  en  donne  pas  le  loisii-,  parce  (ju'il  est 
conUiiULllciiicûl  occupé  à  passer  les  amcs.  il 

Da 


fjG  Lettres  édifiantes 

arrive  quelquefois  que  ce  Dieu  arrête  l'ame 
au  passage,  sur-tout  si  c'est  celle  d'un  jeune 
liomme  ,  afin  de  la  purifier.  Si  cette  ame  est 
peu  docile  ,  et  résiste  à  ses  volontés,  il  s'ir- 
rite, il  prend  l'ame,  et  la  précipite  dans  la 
rivière,  afin  qu'elle  se  noie.  C'est  là,  disent- 
ils  ,  la  source  de  tant  de  funestes  évènemens 
qui   arrivent  dans  le  monde. 

Des  pluies  abondantes  et  continuelles 
avaient  ruiné  les  moissons  dans  la  terre  des 
ludions  Jnrucaies.  Le  Peuple  qui  était  in- 
consolable ,  s'adressa  au  Jlfapono  ,  pour  de- 
mander aux  Dieux  quelle  était  la  cause  d'un 
si  grand  mallieur.  Le  3/apono  ,  après  avoir 
pris  le  temps  de  consulter  les  Dieux  ,  rap- 
porta leur  réponse,  qui  était  qu'en  portant 
au  Ciel  l'ame  d'un  jeune  liomme  ,  dont  le 
père  vivait  encore  dans  le  Village,  celle  arae 
jnanqua  de  respect  au  Tatiisiso  ,  et  ne  vou- 
lut point  se  laisser  purifier  ,  ce  qui  avait 
obligé  ce  Dieu  cruellement  irrité ,  de  la  jeter 
dans  la  rivière. 

A  ce  récit  le  père  du  jeune  homme  qui 
aimait  tendrement  son  fils  ,  e-t  qui  le  croyait 
déjà  au  Ciel,  ne  pouvait  se  consoler;  mais 
le  Mapono  ne  manqua  pas  de  ressource  dans 
ce  malheur  extrême.  Il  dit  au  père  affligé 
que  ,  s'il  voulait  lui  préparer  un  canot  bien 
propre  ,  il  irait  chercher  l'ame  de  son  fils  au 
fond  de  la  rivière.  Le  canot  fut  bientôt  prêt, 
et  le  Manopo  le  chargea  sur  ses  épaules.  Peu 
après lespluiesétantcessées  ,  ctle  Ciel  devenu 
serein  ,  il  revint  avec  d'agréables  nouvelles, 
mais  le  canot  ne  reparut  jamais. 


F.  T    eu»  1  El- SES.  'Jf 

Du  reste  ,  cV«l  un  pauvre  Paradis  que  le 
leur,  el  le»  plaisirs  (judny  poiite  ne  sont 
guère  capables  «le  loiilefjler  un  e.s[uil  laut 
toit  pt'uraisoDnaljJe,  ïlàtlisentipril  y  a  de  fort 
pros  arbres  qui  distillent  uuc  sorti- de  };()iume, 
dont  ces  anies  subsistent  ;  que  l'on  y  trouve 
dt's  singes  (]uv  l'on  prendrait  pour  des  lillliio- 
piens;  (|u'il  V  a  du  nwel  et  un  peu  de  pois- 
son; qu'on  y  voit  volerdt- toutes  parts  un  t;ran<l 
aigle  ,  sur  letjuel  ils  dél)ilent  beaucoup  de 
fables  ridicules  ,  et  si  dignes  de  compassion  , 
qu'on  ne  peut  s'empèclier  de  dcplorcr  l'aveu- 
glenicnt  de  ces  pau\res  Peuples. 

Le  Père  Civallero  avait  «employé  tout  Ibiver, 
h  cultiver  dans  la  [)euplade  les  uouvchu^l. 
Chrétiens,  el  à  instruire  les  Catccliumènes  ; 
le  retour  de  la  belle  saison  l'avertissait  de 
continuer  ses  excursions  A|iosloru[ues  ,  mais 
les  besoins  de  ses  ^éopliytes  le  retinrent 
plus  de  temps  qu'il  ne  croyait  ;  ce  ne  fut  qu'à 
la  mi-Octobre  et  aux  approches  de  l'hiver, 
qu'il  partit  avec  quchjues  fervcns  rSéophyles, 
qui,  avant  leur  départ ,  s'étaient  fortiiics  de 
1«  divine  Eucharistie,  et  s'étaient  préparés  à 
répandre  leur  sang  pour  annoncer  Jésus- 
Christ  aux  Nations  Inlldèles.  Les  pluies  ne 
recommencèrent  pas  silùl  qu'ils  l'appréhen- 
daient, et  ils  eurent  beaucoup  à  soufirirde 
la  soif  dans  leur  voyage  ,  sur-tout  pendant 
deux  jours  ,  où  ils  furent  obligés  d'abord  de 
comprimer  avec  les  mains  un  peu  de  terre 
Lmbibée  d'eau ,  pour  en  tirer  quelque  goutte  , 
et  se  rafraîchir  la  bouche.  Mais  enfin,  lors- 
qu'ils étaieut  extrêmement  pressés  de  la  soif, 

D  3 


78  Lettres  ÉDIFIANTES 

ils  trouvèrent  dans  le  creux  d'un  arbre  une 
e;iu  pure  et  claire,  et  en  assez  grande  quan- 
tité pour  se  désaltérer. 

Les  premiers  Villages  où  il  eutra  ,  le  com- 
Llèrent  de  joie  ;  car  il  trouva  les  Peuples 
constamment  altacl'.és  aux  vérités  Chrétiennes 
qu'il  leur  avait  prêchées.  Après  .-voir  de- 
meuré avec  eux  quelques  jours  ,  il  avança 
plus  avant.  Il  lui  fallut  mettre  un  jour  entier 
«  ççrimper  une  haute  montagne  toute  hérissée 
de  rochers.  Quand  il  fut  arrivé  au  sommet, 
il  se  sentit  fort  abattu  ,  sans  trouver  de  quoi 
réparer  ses  forces.  Un  Indien  de  sa  suite  ,. 
après  avoir  cherché  de  tous  côtés  ,  lui  apporta 
certaines  herbes  ,  lesquelles  ,  à  ce  que  disent 
les  Gentilsj  font  les  délices  de  leurs  Dieux. 
On  eut  bien  de  la  peine  à  les  cuire.  La  faiin 
devint  alors  le  meilleur  assaisonnement  :  le 
Père  en  mangea  ,  mais  il  ne  put  s'empêcher 
",de  sourire  ,  en  disant  qu'il  fallait  que  ces 
Dieux  eussent  terriblement  faim ,  et  l'estomac 
bien  chaud  ,  pour  prendre  goût  à  un  mets 
semblable. 

Après  être  descendu  de  la  montagne ,  ses 
gurdes^  se  trompèrent ,  et  ne  prirent  pas  le 
droit  chemin  :  errant  h  l'aventure  dans  des 
bois  épais,  il  fui  si  maltraité  des  branches 
d'arbres  souvent  entrelacées  ensemble,  des 
arbres  épineux  ,  des  herbes  piquantes  ,  des 
taons  et  des  Moustiques  ,  qu'il  ne  pouvait  se 
soutenirsur  ses  pieds  ,  et  (|ue  ses  Néophytes 
étaient  obligés  de  le  mettre  sur  son  cheval  , 
et  de  l'en  descendre. 

Enfin ,  après  bien  des  incommodités  souf» 


ETCDEIF.rSES.  79 

ferles  clans  rc  voyapr  ,  il  approclia  du  Village 
des  ^Sibacus.  C'f.sl  le  lifn  ddiil  le  Mitj-ono 
avait  juré  sa  perle  raiinée  prétédente  ,  ainsi 
que  je  l'ai  rajjporlé  ,  el  (|ui  j»ii»  après  tut 
enlevé  avec  ses  complices  par  Ir»  maladie  con- 
tagieuse dont  le  Villa^^e  fui  allii^^é. 

Le  Père  envoya  au-devant  un  lervont  Chré- 
tien nonuiié  .^unitini  ,  aliu  de  pres-scniii-  la 
disposition  de  ces  Peuples.  11  les  trouva  per- 
suadés cpie  la  inoitdu  A/apunu ,  causée  par 
la  conta{;ion  assez  récente  ,  était  une  puni- 
tion de  leurs  Dieux  ,  d'où  ils  concluaient 
<jue  le  Missionnaiie  était  leuif;rand  ami  ,  et 
(ju'il  iallait  hien  le  recevoir.  Ainsi  ce  n'était 
jjoint  le  de.sir  de  profiler  de  ses  instructions, 
mais  la  crainte  d'un  nouveau  désastre  ,  qui 
les  portail  à  lui  faiie  un  lion  accueil.  Le 
père  étant  entré  dans  le  Village  ,  tira  h 
part  le  Cacique,  et  commença  p.'.r  détruire 
le  pré)ut;é  ridicule  qu'il  s'était  formé;  il  lui 
découvrit  ensuite  le  motif  qui  lui  avait  fait 
supporter  tant  de  fatigues  pourle  venir  voir; 
qu'il  était  touché  de  leur  aveuglement ,  et  de 
la  vie  malheureuse  qu'ils  menaient  sous  la 
tyrannie  du  Démon  ;  qu'il  venait  dissiper 
leurs  ténèbres,  et  les  éclairer  des  lumières  de 
la  Foi  ,  en  leur  fesant  connaître  le  vrai  Dieu 
pour  l'adorer  ,  et  sa  sainte  Loi  pour  l'ob- 
éerver ,  et  se  procurer  par-là  un  véritable 
bonheur  dans  celle  vie  et  dans  l'autre. 

Tandis  que  ce*  paroles  frappaient  les 
oreilles  de  ce  barbare,  Dieu  lui  f«;sait  en- 
tendre sa  voix  au  fond  du  cœur  :  il  fut  lou- 
ché et  converti.  L'exemple  de  son  Mapono 

D4 


to  Lettres  édifiantes 

contribua  à  forlifîer  ses  bons  désirs.  Ce  Ma- 
pono  était   un   jeune  homme  ,   fils  de  celui 
qui  ,  l'année  précédente  ,  s'était  engagé  par 
serment  de    boire  le  sang  du  Missionnaire. 
Un  jeune   Chrétien  fut    l'instrument   dont 
Dieu  se  servit  pour  le  retirer  de  l'iniidélilé  : 
et  d'ailleurs  l'éloignemenl  où  il   éîait  de  la 
vérité  ,    était  plus  l'cfiet  de  son  ignorance  , 
quedela  dépravation  desoncœur.  Ilouvritlcs 
yeux  cà  la  lumière  ,  et  il  devint  aussitôt  Apôtre 
que  Disciple;  car  ce  jour-là  même  il  gagna  à 
Jésus-Christ  deux  des  principaux  du  Village. 
Le   Peuple  ne   tarda  pas   à  les   imiter.  Il 
s'assembla  le  jour   suivant    dans  la    grande 
place  ,  où  le  Père   les  entretient  fort  long- 
temps des  mystères  de  la  Foi  qu'ils  devaient 
croire  ,   des  commandemens  de  la  Loi  (|u'ils 
devaient  pratiquer  ,  afin  de  vivre  Chrétien- 
nement ,  et  de  mériter  ,  par  une  vie  Chré- 
tienne, un  solide  contentement  en  cette  vie , 
et  un  bonheur  éternel  en  l'autre.  On  planta 
ensuite  par  ses  ordres  une  grande  Croix  ,  et 
au  pied  de  cette  Croix  on  dressa  une  espèce 
d'autel  ,  sur  lequel  furent  exposées  les  ima- 
ges de  Notre-Seigneur ,  de  la  sainte  Vierge 
et  de  l'Archange  saint  Michel.  Tout  ce  Peu- 
ple se  mit  à  genoux,  et  après  une  inclina- 
tion profonde,  il  cria  à  haute  voix  :  Jésus- 
Christ  Notre-Seigneur  ,  soyez  notre  Père  : 
sainte  Marie  Notre-Dame  ,  soyez  notre  Mère. 
C'est  ce  que  ces  bons  Indiens  répétaient  sans 
cesse  ,  et  ce  qui  lépandait  dans  le  cœur  du 
Missionnaire    une    joie  et  une   consolation 
qu'il  ne  pouvait  exprimer.  «  O  mon  Seigneur 


ETc  uRirusrs.  8t 

M  et  mon  Difii  !  s'ccriaii-il  tic  son  colé , 
»  (jiM*  i«'  suis  bien  payé  tle  nu's  sueurs  et  de 
M  nies  l'atigufs  ,  en  voyant  ce  grand  Peuple 
M  vous  reconnaître  pour  son  Créateur  et  soa 
M  Stij;ueur.  Quil  vous  aime  ,  qu'il  vous 
»  adore  ,  c'est  toute  la  récompense  que  je 
M  vous  demande  en  ce  monde  », 

La  Foi  prit  de  si  fortes  racines  dans  le 
cœur  de  ces  Indiens ,  que  quelques-uns  d'eux , 
«•t  entr'autres  le  jeune  i1/<i/>o//o  dont  je  viens 
de  parler  ,  soulIVireut  pour  sa  défense  des 
vexations  cruelles.  Le  Démon  ,  outré  de  se 
voir  chassé  d'un  lieu  où  ,  depuis  tant  de  siè- 
cles ,  il  était  le  maître,  suscita  un  de  ses  sup- 
pôts, qui  ameuta  (|uel(jucs  autres  Indiens,  et, 
tous  ensemble  ,  ils  environnèrent  le  jeune 
homme,  et  lui  firent  les  reproches  les  plus 
amers.  «  Vous  ,  lui  dirent-ils  ,  qui  étiez  le 
»  !\Iinislre  de  nos  Dieux  ,  et  qu'un  si  bel 
»  eujj)loi  obligeait  à  maintenir  leur  culte  , 
»  et  vous  les  abandonnez  lâchement ,  au  lieu 
»  de  les  défendre  !  vous  écoulez  les  discours 
»  séduisausd'un  impftsteur  <jui  vous  trompe  , 
»  et  vous  devenez  le  vil  instrument  de  ses  per- 
»  nicieux  desseins  !  Reconnaissez  votre  faute  , 
»  demandez-en  pnrdonà  nosDi(;ux, réparez-la 
»  au  plutôt  ,  représentez  au  Caci(jue  ses  pro- 
j)  messes  et  ses  engagcmens  ,  et  tous  deux 
)»  travaillez  de  concert  h  rétablir  la  Religion 
»  de  vos  pères  ,  qui  est  sur  le  penchant  de 
»  sa  ruiue  :  sans  (juoi  nos  Dieux  vont  tirer 
»  une  vengeance  si  éclatante,  qu'elle  répan- 
»  dra  la  terreur  dans  tous  les  Villages  d'alen- 
»  tour  )i. 

D5 


§2  Lettres  édifiantes 

Le  jeune  Catéchumène  ,  loin  d'être  eiîrayé 
de  CCS  menaces  ,  ne  fit  qu'en  rire  ;  et  h  l'ins- 
tant ces  barbares  se  jetèrent  sur  lui,  le  fou- 
lèrent aux  pieds,  l'accablèrent  de  coups  ,  et 
le  maltraitèrent  de  telle  sorte,  que  le  sang 
lui  sortait  de  la  bouche  en  abondance.  Un 
de  ses  amis,  touché  de  l'état  où  l'on  Acnait 
de  le  mettre  ,  s'approcha  de  lui  ,  et  l'exhoita 
à  marquer  du  moins  à  l'extérieur  quelque 
respect  pour  les  Dieux,  et  à  dire  un  mot 
pour  la  forme  au  Cacique.  Le  jeune  homme 
lui  répondit  qu'il  sacrifierait  volontiers  le 
restede  vie  qu'on  lui  laissait ,  pour  la  défense 
de  la  sainte  Loi  qu'il  avait  embrassée  ,  cl  pour 
témoigner  son  amour  à  Jésus-Christ,  le  seul 
Dieu  que  nous  devons  adorer.  Sa  constance 
confondit  ses  persécuteurs,  et  Dieu  ,  pour 
le  récompenser,  le  rétablit  dans  sa  première 
santé. 

Le  Père  Cavallero  ,  après  avoîrbaptisé  tous 
les  enfans  que  ces  nouveaux  Catéchumènes 
lui  présentèrent  ,  forma  le  dessein  d'aller 
chez  les  Indiens  Quiiiquicas.  Il  en  lit  paît 
au  Cacicjue  du  lieu,  nommé  Patozi ^  et  le 
pria  de  l'accompagner  avec  un  nombre  de 
ses  vassaux  ,  pour  lui  ouvrir  un  passage  au 
travers  des  forets  qui  se  trouvent  sur  la  route. 
Le  Cacique  ne  goûta  pas  d'abord  cette  pro- 
position j  à  cause  delà  haine  implacable  que 
les  Indiens  qu'il  allait  chercher,  portaient  à 
ceux  de  sou  Village.  Cependant  l'amour  qu'il 
avait  pour  le  Missionnaire  ,  surmonta  ses 
craintes  et  ses  répugnances.  Il  espérait  même 
de  conclure  avec  eux  unepaixquipùl  uiclire 


E  T   C  U  R  i  r  u  s  E  s.  83 

fin  pour  toujours  a  leurs  divisions.  Lr  Père 
avait  outre  cria  quelques  Méopliytes  ,  h  la 
tète  (lesquels  érait  un  nt)nnné  Juan  Quiara  ^ 
que  la  boulé  de  son  ualur«l  ,  et  l'innocence 
«le  ses  mœurs  rendaient  aiinal)lc  même  aux 
Infidèles. 

Il  se  mil  donc  en  chemin  ,  et  il  eut  à  es- 
suyer sur  la  route  les  mêmes  fatigues  et  les 
mêmes  incommodités  (ju'il  avait  souni-rtes 
dans  ses  autres  voyages  ,  et  (pi'il  est  inutile 
de  répéter.  Lorsqu'il  fut  près  du  Village  ,  il 
fit  prendre  le  devant  ;i  deux  de  ses  Néophy- 
tes ,  pour  observer  ce  «]ui  s'y  jiassait.  Ils  trou- 
vèrent »|iie  mut  V  était  en  mouvement.  l'n 
suppôt  (lu  Oétnon  ,  informé  de  l'arrivée  du 
Père,  répandait l'alnrme  dctousc(*»tés,  criant 
de  toutes  ses  forces,  que  les  Dieux  ordon- 
naient de  prendre  les  armes  pour  les  déf(;n- 
dre  de  leur  ennemi  cajjilalrpii  s'approchait, 
une  grande  Croix  h  la  main,  pour  les  chasser 
de  ce  lieu  ,  et  détruire  le  culte  qu'on  leur 
rend  :  qu'il  n'y  avait  point  de  temps  à  perdre  , 
et  que  s'ils  ne  s'armaient  proiuptement  de 
force  et  de  courage,  pour  conlondre  et  ter- 
rasser cet  ennemi  ,  les  Dieux  qu'ils  avaient 
toujours  adorés ,  tomberaient  dans  le  mépris , 
et  la   Religion  serait   anéantie. 

Ce  discours  émut  tout  le  Peuple  et  le 
remplit  de  fureur;  mais  il  fit  une  impression 
toute  contraire  sur  l'esprit  du  Mapono  :  ^<  Il 
»  faut,  se  disait-il  à  lui-même,  que  nos 
>)  Dieux  soient  ])ien  faibles,  puisqu'un  seul 
»  Imninx-  les  fait  trcmblt  r.  Si  cet  étranger, 
»  i'cci  ia-l-il  ,  est  l'enneiui   de   nos   Dieux, 

D  G 


84  Lettres  ÉDiFiAisTES 

»  que  n'usenl-ils  de  leur  puissance  pour  Vé- 
3)  craser,  ou  du  moins  pour  le  chasser  bien 
»  loin  de  nos  terres,  el  lui  ôtcr  toute  envie 
»  d'y  revenir  ?  Pourquoi  empruntent  -  ils 
»  notre  secours  pour  leur  défense  ?  Ne 
))  peuvent-ils  pas  se  défendre  eux-mêmes? 
i)  Ou  ils  ne  sont  pas  ce  qu'ils  veulent 
»  paraître,  ou  ils  veulent  paraître  ce  qu'ils 
»  ne  sont  pas  ». 

Une  rétlexion  si  raisonnable  devait  ouvrir 
.  les  yeux  au  Cacique  et  aux  principaux  du 
villag«j,  mais  ils  n'y  Tuent  pas  même  atten- 
tion ,  et  ils  ne  songèrent  qu'à  se  tenir  bien 
armés,  et  à  attendre  de  pied  ferme  cet  ennemi 
irréconciliable   des    Dieux,    Le   Père  parut 
enfin  accompagné  de  peu  de  jXéophylcs  ;  car 
toute  sa   suite   élait  demeuiée   derrière.    Il 
'     s'éleva  tout-à-coup  un  bruit  confus  de  voix, 
tumultueuses  ,  et  les   Indiens  s'avancèrent 
Lien  armés:   à  mesure  qu'ils  s'approchaient 
du  Père,  ils  formaient  deux  ailes  pour  l'en- 
velopper. Alors  la  pensée  vint  à  un  des  Néo- 
phytes d'élever  bien  haut  l'image  de  la  sainte 
Yierge ,  afin  que  tous  l'aperçussent:  il  était 
prévenu  d'une  secrète  confiance,  qu'elle  les 
protégerait  dans  un  danger  si  pressant.  En 
elTet,  ces  barbares  se  mettant  en   devoir  de 
décocher  leurs  flèches  contre  le  Mission- 
naire ,  leurs  bras  devinrent  si  faibles  ,  qu'ils 
ne  purent  pas  même  les  mouvoir,  ce  qui  les 
eûVaya  tellement ,  qu'ils  s'enfuirent  avec  pré- 
cipation  dans  la  forêt,  sans  qu'aucun  d'eux 
osât  en  sortir.  Il  ne  resta  dans  le  Village  qu'un 
seul  (le  cco  IndiCiiû  lioaimé  So-icvia ^  qui 


ET  ce  Rir  rsFs.  85 

fui  d'un  ç;rnn(l  m'couis  dans  la  suite  pour  leur 
convci-siun. 

Le  i<»ur  suivant,  le  Mibsionnaire  se  trou- 
vaul  eomnio  le  nialtr*.'  dans  le  Village,  dont 
tous  les  liahllniis  avaient  disparu  ,  ne  put  voir 
d'un  d'il  lianquille  K  s  deux  temple»  eoiisa- 
ciés  au  DénuMi:  Il  <'M  renversa  les  taberna- 
cles, et  mil  en  pièee  les  statues  ;  il  eu  retira 
les  ornemens ,  et  tout  ce  qui  servait  à  un 
culte  si  abominable  ;  et  après  avoir  allumé 
un  t;r;md  iVu  ,  il  v  jeta  tous  ces  symboles 
de  l'iiiolAti-ie.  Le  (^aei((ue  Ptitori ,  qui  ne 
voyait  nul  jour  ;i  entanuT  des  propositions 
de  paix  avec  ces  Indiens  fugitifs  ,  prit  le  parti 
d<'  se  retirer  avec  ses  vassaux,  et  conjura  le 
Mi^^ioll^aire  de  venir  avec  lui  ,  et  de  mettre 
ses  jouis  en  sûreté.  «  l\irlez  :  ;i  la  bonne 
u  lieuie,  lui  répondit  le  l*cre -,  mais  je  ne 
»  sortirai  pas  d'ici  que  je  n'aie  annoncé 
»  Jésus-Clirist  h  ce  pauvre  Peuple  ,  dussé-je 
»  V  perdre  la  vie  ».  Ses  ?>éopliylC3  tinrent 
le  même  l;m;;.i;;e. 

Après  le  départ  do  Patozi,  le  Père  pi  il 
son  bréviaire,  et,  tandis  qu'il  récitait  son 
Olîice,  il  aperçut  tout  h  coup  à  ses  côtés 
un  Indien  dr  liaufe  taille  ,  (  l  (V un  air  sérieux, 
(^e  barbare  voyant  le  Inre  (jue  le  l^ère  tenait 
entre  les  mains,  s'imaf;ina  qu'il  contenait  le 
charme  qui  avait  rendu  leurs  brasimmobiles. 
Il  fit  des  efforts  pour  le  lui  arracher  des 
mains.  Le  Père  qui  reconnut  (jue  c'était  le 
Cacirpic  du  li«'u  ,  l;'^clia  de  le  désabuser  de 
«on  «'rreur.  Il  l'entretint  d'n])ord  des  arti- 
ilccb  du  Démon  ,  qui  abusait  de  leur  crédun 


86  Lettres  édiftantes 

lilé  pour  les  perdre  ;  il  lui  parla  ensuite  du 
vrai  Dieu  ,  h  qui  nous  sommes  redevables 
de  noire  être,  et  qui  mérite  seul  nos  adora- 
tions, et  de  sa  Loi  toute  sainte  ,  à  l'obser- 
vation d(>  laquelle  est  attaché  noire  bonheur. 
Le  Caci({iie  l'écouta  sans  dire  un  seul  mol, 
puis  levant  les  épaules,  il  se  relira  à  sa  mai- 
son ,  où  il  prit  une  ijrossc  poignée  de  flèches 
qu'il  porta  dans  la  forêt. 

Il  tint  la  nuit  suivante  un  grand  Conseil 
de  tous  les  principaux  du  Village  ,  où  se 
trouva  l'Indien  Sonema.  Ils  furent  long- 
tejnps  dans  l'irrésolution  sur  le  parti  quils 
devaient  prendre.  Ce  qui  leur  était  déjà 
arrivé^  leur  fesait  craindre  que  de  nouveaux 
efibrts  pour  perdre  le  Missionnaire  ne  fus- 
sent inutiles.  Sonemn  parla  alors  ;  et  après 
avoir  fait  les  plus  grands  éloges  de  la  bonté 
et  de  la  douceur  de  l'homme  Apostolique  ; 
il  leur  parla  avec  tant  d'admiration  des 
instructions  qu'il  lui  avait  faites  de  la  Loi 
du  vrai  Dieu  ,  que  tous  unanimement  se 
déterminèrent  à  retourner  au  Village  ,  et  à 
se  mettre  entre  ses  mains.  Ils  sortirent  donc 
d«"  leurs  bois  :  ci  entrant  dans  le  Village,  ils 
allèrent  droit  à  la  caJ)aneoù.  était  le  Mission- 
n.iire ,  qui  les  recul  avec  toutes  sortes  de 
Caresses  et  d'ami  liés  :  il  semble  que  Notre 
Seigneur  eût  mis  dans  son  air  et  dans  ses 
manières,  je  ne  sais  quoi  de  plus  qu'hu- 
main ,  qui  attirait  la  confiance  et  le  respect 
de  ces  Peuples.  Ils  se  jetèrent  à  ses  pieds  ; 
ih  lui  demandèrent  pardon,  et  aucun  d'eux 
n'osait  le   qui  lier  sans   sa   permission.    Le 


FT  r.  m  lEUSKS.  H-j 

Mnpono  vint   lo  d«'riiirr  ,   >«•    tenant  m    sa 

firôsonj'f  dans  unr  |>o>tur<*  nio(I«'>t«*.  Li-  \Kre 
V  rt'rul  îi  bras  ouverts  ,  v\  le  lit  asseoir  au- 
près de  lui  :  ij  lui  exposa  les  vérités  d«  la 
Peligion  ;  il  lui  fil  sentir  rpie  snn<^ln  eonnais- 
sanee  «lu  vrni  |)ieii,  et  sans  la  toi  en  Jésns- 
CMirisl  ,  il  él.iil  inijn»N-il»le  de  se  sauver.  l'Ji- 
lin  ,  il  lui  ténioij;iia  (|u'il  était  pénétré  d'une 
vive  douleur  ,  mêlée  d'iiidij;naiion  ,  de  les 
voir  tyrannisés  par  les  Tiniinnnras  ,  cotte 
Trinité  diabolique  qui  ne  t  liiTchail  (|ue  leur 
perte. 

Tout  le  Peuple  était  attentif,  et  ne  savait 
quel  serait  le  fruit  de  cet  entrelien.  Leis  uns 
croyaient  (jue  h'  Maj>ono  ne  manquerait  pas 
de  s'irriter  «'t  d'useï-  de  violente,  pour  dé- 
fendre, ave<!  éclat,  la  divinité  des  Démons; 
d'autres  s'attendaient  à  un  succès  pins  favo- 
ral)le,  et  ils  ne  se  trompèrent  point.  Ce 
Ji/npono  avait  de  l'esprit  et  un  b»'au  naturel , 
et  Dieu  agissait  dans  son  cœur  par  la  force 
de  sa  grAce.  11  se  jeta  aux  pieds  du  Père  , 
et  le  pria  de  l'admettre  au  rang  des  Chré- 
tiens ;  et  pour  preuve  de  la  sincérité  de  ses 
désirs,  il  se  leva  aussitôt;  et  adressant  la 
parole  à  tous  ces  Indiens  nui  l'environnaient, 
il  confessa  liautemeni  (ju'il  avait  été  trompé, 
et  (ju'il  avait  trompé  les  autres;  qu'il  rétrac- 
tait tout  ce  qu'il  avait  a]>pris  ,  et  ce  qu'il 
leur  avait  enseif^né;  qu'il  n'y  a  de  vrai  Dieu 
que  Jésus-Cil rist  ;  que  sa  Loi  est  la  seule 
qui  conduit  au  salut  éternid  ;  que  pour  ré- 
parer son  in('délité  passée,  non-seulement 
il  les  exhortait  à  embrasser  celle  Loi  sainte, 


88  Lettres  édifiantes 

mais  qu'il  allait  la  faire  connaître  aux  In- 
diens Javacares  ^  Cozicas  ^  et  Quiniiticas  , 
a(in  ([u'ils  la  suivissent  à  son  exemple.  Ce 
fut  II  un  sujet  de  joie  bien  sensible  pour  le 
IMissionnnaii'e  et  ses  zélés  Néophytes  ,  qui 
ne  cessaient  d'embrasser  le  nouveau  Caté- 
chumène ,  et  de  montrer  leur  afl'ection  au 
grand  Peuple  qui  ^''empressait  d'entrer  dans 
le  bercail  de  Jésus-Christ. 

Le  Père  ayant  fait  faire  une  grande  Croix , 
on  la  porla  en  procession  jusqu'au  milieu 
de  la  place  où  elle  devait  être  plantée  , 
tandis  que  les  Néophytes  chantaient  les  Lita- 
nies à  deux  chœurs  de  musique.  Ces  bar- 
bares ,  qui  n'avaient  jamais  entendu  une 
pareille  h.arraonie,  se  croyaient  transportés 
dans  le  Ciel ,  et  ne  pouvaient  se  lasser  de 
l'entendre.  11  se  mit  ensuite  à  baptiser  les 
enfans.  «  On  m'en  présenta  une  si  prodi- 
))  gieuse  multitude ,  dit-il  dans  une  de  ses 
M  lettres  ,  aue  toute  la  journée  se  passa  à 
»  leur  administrer  le  Baptême  ,  et  que  les 
»  bras  met  ombaient  de  lassitude:  pourrais-je 
»  exprimer  l'abond'ance  des  consolations 
))  înîérieures  que  je  goûtais,  voyant  tant  de 
»  jeunes  Indiens  régénérés  dans  les  eaux  du 
»  Baptême,  et  leurs  parons  qui  étaient  peu 
»  auparavant  si  entêtés  de  I'idoh\trie  ,  de\e- 
»  nus  de  fervens  Catéchumènes  !  La  saison 
5)  des  pluies  qui  étaît  déjà  commencée  ,  ne 
»  me  permit  pas  de  demeurer  plus  long- 
))  ttnîps  parn^i  eux:  il  fallut  partir  pour 
»  retourner  dans  ma  peuplade.  Ces  bons 
»  ludloas  ne  pouvaient  se  consoler  de  mon 


IT    CORir.  L'SES.  89 

»  départ,  llsm'cnvironnnii'nt  cnsangîoltani: 
«  mon  Pire  ,  iiir  disaitiil-ils  ,  l'aul-il  «lue 
»  vous  noua  abandonniez  sitùi  ?  Me  nous 
»  ouhlicrez-vous  pas  ?  Quand  viendrez-\ou$ 
«  nous  revoir  ?  Que  ce  s«»it  au  plutôt  , 
»  nous  vous  en  conjurons.  Puis  s'ailressanl 
u  il  mes  Mt'ophvies  ,  ils  les  priaient  a\  «'C 
»  larmes  de  m'amener  incessamment  dans 
»  leur  Village.  Ils  tinrent  toujours  le  même 
»  discours  pendant  un  lonj:;  espace  de  chemin 
»  <[ii'ils  m'accompaunèrent.  Knlin  ,  (|uand  il 
»  fallut  se  séparer,  ils  m'olVrirent  plusieurs 
»  enlans  pour  meserviràl'Kglisc  :  j'enclioisis 
»  trois  qui  me  suivirent ,  et  que  jcj  gardai 
»  dans  la  peuplade  », 

Le  dessein  du  P.  Cavallero  élait  de  par- 
courir toutes  les  terres  de  la  Nation  des 
Aftinacicas ,  afin  d'en  déraciner  l'idolâtrie, 
d'y  planter  la  Foi  ,  et  de  disposer  ces  Peu- 
ples nombreux  h  se  réunir  dans  des  peuplades, 
pour  y  être  instruits  <*t  y  être  admis  au  Bap- 
tême. Aussitôt  que  la  saison  le  permit,  il 
fit  choix  d'un  nombre  de  fervens  ■Néophytes, 
prêts  comme  lui  à  répandre  leur  sang,  pour 
la  conversion  de  ces  infidèles  ,  et  il  partit 
avec  eux  le  f|uatriènie  d'Août  de  l'année 
J-0-.  Il  arriv.i  le  jour  qu'on  célèbre  la  Fêle 
de  l'Assomption  de  la  sainte  Vierge  ,  sur 
les  bords  de  la  rivière  Xununaca.  Le  Caci- 
que des  Indiens  Zibaras,  nommé  Pctumani ^ 
vint  au-devant  de  lui  à  la  tête  d'un  nombre 
de  ses  vassaux  ,  avec  une  provision  abon- 
dante de  poissrtns  pour  le  régaler.  Etant 
pressé  de  se  rendre  au  Village ,  il  laissa  plu- 


§o  Lettres  ÉDIFIANTES 

sieurs  de  ses  gens  pour  accompagner  le  Père, 
pour  lui  applanir  le  chemin  et  lui  fournir 
tout  ce  qui  serait  nécessaire  pour  sa  subsis- 
tance. 

Quand  le  Missionnaire  arriva  au  Village, 
le  Cacique  vint  le  complimenter  et  le  con- 
duire à  la  grande  place  ,  où  tous  les  Indiens, 
Lommes  ,  femmes  et  enfans  s'étaient  assem- 
blés pour  le  recevoir.  Dès  qu'il  parut ,  ce 
ne  furent  qu'acclamations  et  que  cris  de 
joie  :  tous  l'environnèrent ,  et  chacun  s'em- 
pressa de  lui  baiser  la  main  ,  et  de  lui  de- 
mander sa  bénédiction.  Il  songea  d'abord 
à  pacifier  les  troubles  qui  s'étaient  élevés 
depuis  son  départ,  entr'eux  et  les  Indiens 
Ziritucas  ,  et  qui  auraient  été  la  source  d'une 
guerre  cruelle.  Il  fit  appeler  ces  Indiens^, 
qui  ne  firent  nulle  difilcullé  sur  sa  parole 
de  se  rendre  dans  un  Village  ,  qu'ils  regar- 
daient comme  ennemi.  Après  avoir  écouté 
leurs  plaintes  réciproques  ,  et  réglé  leurs 
difTérends  à  l'amiable,  il  leur  fit  jurer  une 
amitié  constante,  et  la  paix  fut  parfaitement 
rétablie. 

Le  jour  suivant,  tous  les  Indiens  des  deux 
Villages  s'assemblèrent  dans  la  place  publi- 
que ,  et  le  Missionnaire  leur  renouvela  les 
instructions  qu'il  leur  avait  faites  l'année  pré- 
cédente, où  il  leur  inspirait  de  l'horreur  pour 
leurs  fausses  Divinités  ,  et  leur  expliquait 
la  Doctrine  chrétienne  :  et  afin  qu'elle  se 
gravAt  bien  avant  dans  leur  mémoire ,  il  en 
avait  réduit  tous  les  articles  en  des  espèces 
de  Cantiques,  qu'il  avait  composés ^n  leur 


BT    CCKltnSES.  9» 

langue.  11  Irs  fesail  rhanirr  par  scsN<înphv- 
les  ;  Minis  vvs  Indiens  nr  U'ur  donnaient 
aucun  repos,  en  les  leur  lesanl  répéter  sans 
resM* ,  alin  de  les  apprendrtî  par  ca-ur ,  et 
de  les  clianJer  tous  les  jours,  pour  en  con- 
server le  s<)u\enir. 

l  ne  faveur  sin;;ulière  accordée  par  la 
sainle-Vierge  à  un  deeesCaléeliuraènes,  con- 
tribua beaucoup  à  les  maintenir  dans  leur 
attachement  h  la  Foi.  Le  Cacitjue  avait  ua 
neveu  nommé  /jittnavaze.  Une  fièvr<*  mali- 
gne le  dévorait  d<'puis  plus  d'un  mois  ,  et 
l'avait  réiluit  à  l'extrémité.  Il  se  sentait 
mourir,  et  sa  douleur  était  de  n'avoir  pas 
reçu  le  Hapféme.  Il  avait  entendu  parler  du 
pouvoir  de  la  sa  in  le- Vierge  auprès  de  Dieu, 
et  de  sa  bonté  pour  les  hommes.  La  pensée 
lui  vint  de  1  invo({uer,  et  de  mettre  en  elle 
toute  sa  confiance.  »  Vierge  sainte  ,  s'écria- 
»  t-il  en  présence  d'un  grand  nombre  d'in- 
»  diens  ,  je  crois  que  vous  êtes  la  Mère  de 
»  Dieu  ,  je  crois  en  Jésus-Christ  votre  clicr 
»  Fils  ;  voudriez-vous  mabandonner  dans 
»  le  triste  état  où  je  me  trouve,  et  serait-ce 
M  inutilement  que  j'aurais  espéré  en  vous? 
»  Ne  permettez  pas  f(ue  je  meure  infidèle  ; 
»  délivr(fZ-moi  de  celte  fièvre  ,  jusqu'à  ce  que 
>»  je  puisse  recevoir  le  saint  Haptême  ,  et  aller 
»  vous  voir  et  vous  aimer  dans  le  Ciel  ». 
A  peine  eut-il  achevé  sa  prière,  qu'il  se 
sentit  exaucé  ;  ses  forces  revinrent  tout  à 
coup  ,  et  sa  santé  fut  entièrement  rétablie. 
Une  guérison  si  prompte  accordée  à  la  pi-ière 
du  Catéchumène,  eoilamma  déplus  en  plus 


^  Lettres  édifiantes 

dans  les  cœurs  de  ces  Peuples  ,  le  désir  qu'ils 
avaient  d'être  Chrétiens.  Dieu  touché  de  la 
confiance  qu'ils  avaient  en  ses  miséricordes, 
continua  de  répandre  sur  eux  ses  l)énédic- 
tions  :  ils  amenèrent  au  Missionnaire  tous 
leurs  malades  ,  en  le  suppliant  d'intercéder 
pour  eux  auprès  d'un  Dieu  si  puissant ,  dont 
il  était  le  Ministre.  Le  Père  se  sentit  inspiré 
de  condescendre  à  leurs  désirs  :  il  demandait 
à  chaque  malade  ,  s'il  croyait  en  Jésus- 
Christ  ,  et  s'il  voulait  recevoir  le  Baptême. 
Le  maladeayantrépondu  qu'oui ,  il  lisaitsur 
lui  l'Evangile  de  la  Messe  ,  que  l'Eglise  a 
prescrite  pour  les  infirmes  ;  et  il  finissait  par 
ces  paroles  :  Qu' ila)Ous soitjait selon  que  vous 
auez  cru.  Et  aussitôt  le  malade  était  guéri , 
Dieu  voulant  sans  doute  récompenser  leurs 
saints  désirs  ,  et  les  confirmer  dans  la  Foi 
qu'ils  étaient  résolus  d'embrasser. 

Il  finit  sa  Mission  par  baptiser  les  enfans 
qui  étaient  nés  pendant  son  absence  :  le 
Cacique  et  les  principaux  du  Village  le  priè- 
rent de  se  transporter  chez  les  Indiens  Jiiru- 
cares  ,  qui  désolaient  tous  les  Villages  d'alen- 
tour, en  pillant  les  biens  de  leurs  habilans, 
et  les  tuant  sans  miséricorde.  Plus  ce  Peuple 
était  féroce  et  barbare  ,  plus  le  Missionnaire 
eut  d'empressement  à  lui  annoncer  les  vérités 
de  la  Foi.  Après  avoir  marché  quatre  jours  , 
il  se  trouva  à  l'entrée  de  leur  Village ,  dont 
il  croyait  être  encore  bien  éloigné.  Voyant 
le  péril  de  si  près,  il  avertit  ses  Néophytes 
de  faire  un  acte  de  contrition  ,  et  il  leur 
donna  une  absolution  générale.  Un  Gentil 


ETcrniEusES.  1^3 

qui  1rs  consitlémil  fut  toui  lié  ;  et  so  jetant 
aux  pifdsdu  l'rn*  ,  il  lui  protCita  qu'il  vou- 
lait vivre  t-t  mourir  ChrélifD. 

L'airivce  du  Père  avait  été  connue  dès  la 
vrille  du  A/oponn  ;  cl  craignant,  selon  les 
appaienees ,  (|u'ii  ne  dévoilAl  ses  supeielic- 
ries  ,  il  avait  (lé|ii  eoniinandé  ,  de  la  part  des 
Dieux  ,  à  tous  <-es  Indiens  ,  d'aller  se  cacher 
dans  les  bois.  Quand  le  Père  entra  dans  le 
Villap;e  ,  il  en  lesiait  encore  {[iielques-uns 
qui  prirent  aussitôt  la  fuile,  ii  la  léscrve  d'un 
jeune  lioniiiie  d'une  lii;uie  et  d'une  jdiv.sio- 
noniic  assez.  aiinai>le.  Le  Pèie  s"aj)proelia  de 
lui  avec  toute  sorte  de  ténioi};naj;e.s d'amitié  : 
il  lui  (it  dvs  pré.sens  de  c|uel(|ues  bai;atolles 
d'I^urojie,  dont  ces  barbares  .sont  très-curieux, 
et  il  le  r«'nvova  toit  content  \ers  ses  compa- 
triotes <jui  avaient  jiris  la  luile. 

Dieu  inspira  h  ce  jeune  homme  tant  d'affec- 
tion pour  h"  ^Missionnaire ,  et  donna  tant  de 
force  à  ses  paroles  ,  (juil  cliaut;ea  en  un  ins- 
tant le  e<fur  de  ses  eoMipaliioles.  Peu-h-jieu 
il  les  ramena  au  \'illat;,e  ,  et  les  conduisit  au 
Missionnaiie.  Cesbarbares,  en  l'envisageant, 
ne  pouvaient  revenir  de  leur  surprise.  Ils 
s'imaginaient  que  c'était  un  homme  mons- 
trueux, et  qui  de\ait  être  bien  terrible,  puis- 
cju'il  avait  jeté  l'épouvante  parn^i  leurs  Dieux, 
et  qu'il  les  avait  mis  en  fuite.  Mais  étant 
témoins  de  sa  douceur  et  de  son  alTabiliié, 
ils  conclurent  que  leurs  Divinités  étaient 
l)icn  f;iil)l<'s,  puiscju'elles  appréhendaient  un 
homme  de  ce  caractère.  Ces  réllexions  banni- 
rent de  Leurs  cœurs  toute  crainte  ,  et  y  fircut 


94  Lettres  ÉDiFiAr^TEs 

naître  un  respect  et  une  véritable  aflfection 

pour  l'homme  Apostolique. 

Le  lendemain  tout  le  Peuple  s'assembla 
<lans  la  y)lace  ,  au  pied  d'une  Croix  que  le 
Père  y  avait  déjà  plantée.  Il  commença  ses 
instructions  sur  la  Relij^ion.  Il  leurfitd'abord 
l'histoire  de  la  création  du  monde  ,  de  la 
chute  des  Anges  prévaricateurs  ,  et  punis  de 
supplices  éternels  pour  leur  révolte-,  il  leur 
demanda  si  ces  esprits  rebelles  et  condamnés 
à  l'enler  méritaient  leurs  hommages  ;  il  leur 
exposa  les  ruses  et  les  artifices  de  leurs  Prê- 
tres ,  pour  les  entretenir  dans  le  culte  de  ces 
infâmes  Divinités.  Il  leur  expliqua  ensuite  les 
mystères  de  la  Foi  cl  les  articles  de  la  Loi 
chrétienne  ,  dont  l'observation  est  suivie 
d'uncî  éternelle  récompense.  On  l'écoutait 
avec  la  plus  grande  attention.  Le  Mapono 
qui  avait  vieilli  dans  l'infidélité  ,  ne  pouvant 
s'empêcher  d'ouvrir  les  yeux  h  la  lumière  , 
avoua  publiquement  (jua-  jusqu'ici  il  les  avait 
trompés,  pour  se  procurer  de  la  considéra- 
lion  et  une  subsistance  bonnets. 

Le  Père,  ayant  continué  pendant  quelques 
jours  l'explication  delà  Doctrine  chrétienne, 
et  voyant  l'impression  qu'elle  fesait  sur  l'es- 
prit de  ces  barbares ,  songea  à  couper  jusqu'à 
la  racine  de  l'idolâtrie  ,  en  leur  ôtant  tout  ce 
crui  pouvait  être  une  occasion  de  rechiîte.  II 
se  fit  apporter  dans  la  place  les  tabernacles 
de  leurs  idoles,  et  tout  ce  qui  seivait  à  leur 
culte,  et  après  les  avoir  Foulés  aux  pieds,  il 
les  brûla  en  leur  présence.  Après  quoi  il  les 
exhorta  fortement  à  mettre  bas  les  armt'S  ol 


E  T     C  C  R  I  F.  0  s  E  s.  qS 

à  Gnir  toulc  hostilité  avec  Ifs  Peuples  voi- 
sins :  le  Caticjue  «l  lis  principaux  tlu  Vil- 
la^j"  lui  proinirenl  d'iilli-r  eu\-niênu'S  leur 
ofVnr  la  paix,  cl  terminer  touus  l«*urs  quc- 
nlKs.  MaisceCacique  lui  rt-présenta  ((u'étaat 
fort  vieux  ,  et  n'ay.iiit  (jue  ])eu  de  temps  k 
vivnî,  il  avait  un  extrême  désir  de  recevoir 
le  Baptême.  Comme  on  s*«'st  fait  une  loi  de 
ne  baptiser  les  adultes  que  cjuand  ils  vivent 
dans  les  peuplades  ,  le  Pèieiu'  j)ul  lui  accor- 
der cette  î^ràce  ;  mais  il  le  cofisola  par  la  pi  o- 
liM'ssecju'il  lui  (it ,  f|ue  bientôt ,  ou  lui-même, 
ou  (pu'hju'iin  deses  compagnons ,  viendraient 
le  mettre  dans  la  voie  du  salut.  Du  reste  ,  il 
n'eut  garde  de  lui  refuser  une  petite  Croix 
qu'il  lui  demanda  pour  gage  de  sa  parole,  afin 
de  la  porter  pendue  au  cou  ,  et  ((u'elle  fût  sa 
défense  contre  h.'s  attaques  du  Démon  ,  en 
lui  ajoutant  qu'elle  servirait  de  modèle  à 
celles  fju'il  ferait  taire  à  ses  vassaux  ,  pour  se 
garantir  pareillement  des  pièges  de  l'cspiit 
infernal. 

Après  avoir  baptisé  les  enfans  qu'on  lui 
présenta  en  giand  nombre,  il  tourna  ses  pas 
vers  le  Village  des  Indiens  Chdriqtiiras ,  qui 
après  avoir  tenté  inutilement  l'année  précé- 
dente de  le  faire  mourir  ,  avaient  fait  paraître 
ensuite  tant  d'ardeur  pour  embrasser  la  Foi. 
Ces  Indiens  vinrent  en  grand  nombre  au- 
devant  de  lui ,  et  lui  firent  un  bon  accueil  , 
mais  (jui  n'était  pas  accompairné  de  certain» 
témoignages  (l'a  ll'ection  pari  iculieis  à  ces  Peu- 
ples ,  et  au\fjiu*ls  il  s'atieudait.  Le  Mission- 
naire eut  bicntAl  découTcrt  la  cause  de  leur 


gO  Lettres  ÉDIFIANTES 

froideur.  Une  maladie  contagieuse  ravageait 
leur  Village,  et  ils  s'étaient  persuadés  que  lui 
seul  en  était  l'auteur,  et  que  pour  les  punir 
de  l'attentat  qu'ils  avaient  formé  contre  sa 
vie,  il  fesait  venir  d'ailleurs  la  peste,  et  la 
répandait  dans  l'air  qu'ils  respiraient. 

Le  Missionnaire  songea  d'abord  h  leur  ôler 
de  l'espiit  une  idée  si  ridieule.  «  Je  ne  suis  , 
»  leur  dit-il,  qu'une  faible  créature,  sans 
))  force  et  sans  poi.voir.  Ce  fléau  qui  vous 
«  aflligc; ,  vous  est  envoyé  de  Dieu  ,  Créateur 
»  et  Sauveur  ,  niailre  de  toutes  choses  ;  c'est 
»  sa  justice  que  vous  devez  fléciiir  ,  et  ses 
))  miséiicordes  qu'il  \ous  faut  implorer,  »  Il 
parlait  eucore  lois([u'on  vint  l'avertir  que  le 
Cacique,  nommé  Sanucare ,  étaitsur  le  point 
d'expirer  :  il  courut  aussitôt  h  son  secours, 
et  il  le  trouva  tombé  d<ins  un  délire  iVénéti- 
que,  sans  qu'aucun  remède  put  le  soulager. 
A  celte  vue  il  se  piostcrna  à  terre,  et  fondant 
en  pleurs  ,  il  demanda  à  Dieu  ,  par  les  méri- 
tes de  Jésus-Chriit ,  que  cette  ame  rachetée 
de  son  sang,  put  recevoir  le  saint  Baptême. 
Aumoment  le  délire  cessa  ,  et  la  raison  revint 
au  malade.  Le  Fère  en  profita  pour  l'ins- 
truire de  nos  divinsMystères,  lui  suggérerdes 
actes  de  contrition,  d'amour  de  Dieu  ,  et  de 
confiance  en  sa  miséricorde  ,  et  lui  conférer 
le  Fjnptéme  ,  api  es  cpioi  le  malade  rendit  son 
ame  à  son  Créateur. 

Le  lendemain  le  Père  ordonna  une  proces- 
sion générale  ,  où  il  fît  porter  l'image  de  la 
sainte  Vierge  ,  dont  il  implorait  l'assistance 
en  faveur  de  ce  Peuple  encore  nouveau  dans  la 

Foi  ; 


t T  CTRirr «;es.  ç)^ 

Foi  ;  il  visita  les  cabanes  de  ceux  qui  étji4.-iit 
attaqués  de  la  peste  ;  en  fesant  mettre  les  nssi&- 
tans  a  ^ellflux  ,  il  récitait  tout  haut  la  Saluta- 
tion .\ni;éli([ue,  j>ui>  il  demandait  au  malade 
»'il  crovail  en  Jcsus-Chrisl  ,  et  s'il  nn-ir.iit  si 
contiance  en  la  protection  de  sa  sainte  Mère  : 
aussitôt  qu'il  avait  répondu  conformément  à 
sa  demande,  il  lui  appli(juait  l'imaj^e  de  la 
sainte  Vierge.  Elle  ne  fut  pas  in^wjuée  en 
vain  ,  car  la  peste  cessa  en  peu  de  jours,  et 
tous  les  malades  recouvrèient  la  santé. 

L'hiver  <pii  approchait  ,  pressait  le  Père 
de  parcourir  d'autres  Villages.  A  peines'étail- 
il  mis  en  chemin  ,  pour  se  rendre  chez  les 
Indiens  Cozocas  ,  (ju'un  C.iei<jue  d'un  \  il- 
lage  voisin  ,  suivi  d'un  grand  nomhie  de  ses 
vassaux,  l'aborda  en  lui  lésant  des  plaintes 
amèrcs  ,  de  ce  qu'il  ne  venait  pas  chez  lui  ; 
et  pour  l'y  engager,  il  n'y  a  point  d'arlilices  , 
de  prières  ,  et  de  molils  auxquels  il  n'eût 
recours.  Le  Père  ayant  tâché  de  le  contenter 
parles  raisons  qu'il  lui  apporta  ,  l'invita  à  le 
suivre. 

Lorsqu'il  fut  entré  dans  le  villag*?  des  Co- 
zocas ,  et  (ju'ii  se  montra  dans  une  grande 
place  où  ces  barbares  étaient  assemblés  ,  il 
lut  accueilli  d'eux  [)ar  une  (jnaniilé  prodi- 
gieuse de  flèches,  qu'ils  lui  décochèrent  de 
toutes  parts:  c'est  une  mei\eill('  qu'il  n'ait 
])as  perdu  la  vie.  iNIais  les  (lèches,  (juoicjue 
décochées  avec  le  plus  grand  eirort ,  venaient 
tomber  à  ses  pi»'ds  ,  comme  si  elles  eusàcnt 
été  repouss«k.'S  par  une  main  invisible;  il  n'y 
tut  (jue  deux  de  ses  Néophytes  (|ui  en  furent 

U'umc  JX,  lu 


q8  Lettres  édifiantes 

percés ,  l'un  au  bras  ,  l'autre  dans  le  bas-ven- 
tre. L'intrépidité  du  Missionnaire  ,  qui,  loin 
de  reculer  avançait  toujours,  les  frappa,  et 
suspendit  leur  fureur.  Pendant  cet  inter- 
valle il  s'approcha  du  Mapono  ,  et  l'abor- 
dant avec  un  air  affable  :  «<  Ne  voyez-vous 
»  pas  ,  lui  dit-il,  que  tous  vos  efforts  pour 
»  me  nuire  sont  inutiles  ,  à  moins  que  Dieu 
3>  ne  le  permette  ?  Osez -vous  dire  que  les 
j)  démons,  que  vous  avez  faits  l'objet  de  votre 
3)  culte  ,  sont  les  Seigneurs  du  Ciel  et  les 
3)  Maîtres  de  la  Terre ,  eux  qui  ne  sont  que 
?)  de  viles  et  méprisables  créatures ,  condam- 
3)  nées  au  feu  éternel  par  la  divine  Justice  ? 
»  Reconnaissez  votre  aveuglement ,  adorez 
»  le  Dieu  qui  les  punit,  qui  seul  mérite  vos 
î)  adorations  ,  et  qui  vous  punira  comme 
5)  eux ,  si  vous  fermez  les  yeux  à  la  lumière 
?)  qui  vient  vous  éclairer,  m 

Le  Mapono  ,  qui ,  dans  sa  fureur ,  avait 
dépêché  un  exprès  au  Cacique  des  Subare^ 
cas  ,  nommé  Abctzaico ,  pour  venir  avec  ses 
soldais  l'aider  à  exterminer  l'ennemi  capital 
des  Dieux  ,  se  trouva  tout-à-coup  changé  , 
et  n'était  plus  le  même  homme.  Il  combla 
le  Père  d'amitiés  ;  il  le  logea  chez  lui  ,  et  le 
régala  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  meilleur 
dans  le  pays.  Abetzaico  arriva  en  même- 
temps  sans  armes ,  et  suivi  simplement  de 
deux  vassaux;  et,  comme  il  était  prévenu 
d'estime  «t  d'amitié  pour  l'homme  Aposto- 
lique ,  il  reprocha  d'abord  ai»  Mapono  ses 
excès  et  le  conûrma  dans  les  senliinens  bicu 
di/Térens  où  il  le  trouva. 


FTcmiErsES.  05 

Cependant  on  %inl  avertir  Ir  Pîtp  ,  cjue 
»08  deux  Néophytes  hlesiics  étaient  sur  le 
point  df  rendre  le  dernier  soupir.  Il  alla 
aus^Niiùt  les  joindre.  •<  l*ourrais-)c  exprinu-r 
»  dit-il  ,  dans  une  du  ses  lettres  ,  comhiin 
M  mon  cœur  lut  touché  et  altt'uilri  ,  (|iiand 
■»  je  vis  ces  deux  NY'ophytes  étendus  sur  la 
M  terre  toute  rouge  de  leur  sans:  ,  en  ]iroie 
M  aux  mousti({ues  ,  et  n'aynnt  (|ue  quchpies 
>i  feuilles  d'arbres  pour  couvrir  leurs  [)l;iies! 
i)  ALiis  quelle  fut  mon  admiration  ,  (juand 
))  je  fas  témoin  de  leur  -patience  ,  des  ten- 
»  dres  enlretitns  qu'ils  avaiint  avec  Jésus- 
»  Christ  et  la  sainte  Vierge  ,  et  de  la  joie 
»  qu'ils  feraient  paraître  de  verser  leur  sang 
»  pour  procui-er  le  salut  à  ces  barbares  ! 
»  L'un  d'eux  n'avait  rccii  le  Baptême  que 
»  depuis  quelques  mois  ;  la  llcche  lui  avait 
M  p<"rcé  \e  bras  de  part  en  part ,  et  ses  nerfs 
M  blessés  lui  causaient  de  frécjuentes  pAmoi- 
))  sons.  Four  l'autre  ,  les  ijileslins  lui  sor- 
»  taient  du  bas-ventre  ,  et  on  eut  bien  de  la 
-»  peine  à  les  remettre  dans  leur  état  natu- 
■»  rel.  Us  éprouvèrent  bientôt  l'un  et  l'autre 
M  l'efTet  de  leur  confiance!  en  la  Mère  de  Dieu: 
M  celui-ci ,  après  un  légor  sommeil ,  se  tiouva 
M  guéri;  et  celui-lii,  «-n  peu  de  jours,  ne 
»  ressentît  plus  de  douleur,  et  eut  le  libre 
i>  usage  de  son  bras.  » 

Le  Père  demeura  quelf|ucs  jours  avec  ce« 
Indiens,  jusqu'à  or  qu'il  les  eût  eulièrement 
gagnés  à  Jésus-Christ.  Cependant  .^//>efc«/Vo 
le  sollicitait  continuellement  de  venir  dans 
iou  Village  ,  el  il  n'y  eut  pas  moyeu  de  se 

jfci  % 

"UniveraifJ^ 

Canadui 


îoo  Lettres  édifiantes 

rofuserplus  long-temps  à  ses  fortes  instances. 
Aussitôt  que  le  Père  parut  parmi  les  Suha- 
recas,  ce  ne  furent  que  fêtes  et  que  réjouis- 
sances ,  ces  bous  Indiens  ne  sachant  com- 
ment exprimer  leur  joie,  et  le  désir  qu'ils 
avaient  d'embrasser  la  Loi  chrétienne.  Dieu 
récompensa  leur  ferveur  par  la  santé  qu'il 
rendit  à  tous  les  malades  ,  sur  lesquels  le 
Missionnaire  lut  le  saint  Evangile.  Mais  leur 
joie  se  changea  bientôt  en  une  morne  tris- 
tesse, lorsqu'ils  le  virent  obligé  de  se  sépa- 
rer d'eux  :  comme  "son  départ  ne  pouvait  se 
différer,  ils  voulurent  que  la  fleur  de  leur 
jeunesse  l'accompagnât  ,  pour  lui  applanir 
le  chemin  et  le  pourvoir  de  vivres  ,  lui ,  et 
ceux  qui  étaient  à  sa  suite. 

Après  avoir  marché  pendant  quelques 
jours  dans  une  épaisse  forêt,  par  un  sentier 
étroit  et  dilîicile  ,  ses  guides  perdirent  leur 
route  et  s'égarèrent.  Il  lui  fallut  errer  plu- 
sieurs jours  à  l'aventure  dans  les  bois,  sans 
savoir  où  il  allait,  et  ne  trouvant  pour  vivre 
que  les  feuilles  d'un  certain  arbre  et  des 
racines  sauvages.  Dans  cet  extrême  embar- 
ras il  eut  recours  h  l'Archange  saint  Ra- 
phaël et  aux  saints  Anges  Gardiens,  et  peu 
après  ,  lorsqu'il  y  pensait  le  moins ,  il  se  vit 
à  la  porte  du  Village  des  Indiens  jinipore^ 
cas ,  où  il  avait  fait  INIisaion  les  années  pré- 
tjédentes. 

Il  fut  bien  consolé  de  trouver  dans  ces 
Peuples  le  même  éloignement  de  l'idolùtrie , 
et  le  même  dcsir  de  professer  la  Loi  chré- 
tlfiune ,  où  il  les  avait  laissé^.  Il  passa  quel^ 


ET    cmiECSE*.  101 

qxies  jours  à  les  instruire  de  nouveau  cl  à  le* 
conlirnur  (htiis  leur;»  bons  seolinicns,  puis  il 
ii'pi  il  sa  roule. 

Après  avoir  traversé  des  Incs  ,  des  marais 
et  des  bois,  il  s'égara  de  nouveau  sans  pou- 
voir s'orienter  ni  découvrir  le  chemin  qu'il 
devait  prendre.  Il  avait  ouï  dire  que  le  Vil- 
lage des  Indiens  Bohocas  se  trouvait  dans 
ces  canlons-là  ,  auprès  d'une  haute  monta- 
gne. Il  iit  monter  un  Indien  au  sommet 
d'un  grand  arbre  pour  observer  tout  l'ho- 
rizon. Cet  Indien  aperçut  heureusement  la 
montngnc  ,  et  c'est  vers  ce  eolé-là  cju'iL  di- 
ii:;èreul  leur  route.  Ils  arrivèrent  bien  iali- 
gués  au  Village  ,  où  ces  bons  Indiens  n'ou- 
blièrent rien  pour  rétablir  leurs  forces.  Oa 
avait  logé  le  Père  dans  une  cabane  fort  pro- 
pre. Il  y  trouva  des  dibciplines  armées  d'épi- 
nes très-pi(juantcs  ;  et  ayant  appris  qu'il  y 
en  avait  un  grand  nombre  de  semblables 
daus  le  Village  ,  il  craignit  que  cette  appa- 
rence d'austérité  ne  cachût  quelque  reste  de 
superstition.  Il  fit  venir  le  Cacique,  qui  se 
nommait  Sorioco  ,  et  lui  monlianl  une  de 
ces  disciplines  ,  il  lui  demanda  ce  que  signi- 
fiait celle  nouveauté  ,  qu'il  n'avait  vue  nulle 
part.  «  Je  vais  vous  l'expliquer,  répondit  le 
»  Cacique  :  les  Indiens  liurillos  s'avisèrent 
M  de  vouloir  s'établir  parmi  nous  ,  et  nous 
»  y  consentîmes.  C'est  un  Peuple  hautain  et 
»  superbe,  qui  prit  bientôt  des  airs  dédai- 
»  giu'ux  et  méprisans  ,  tournant  en  ridicule 
M  toutes  nos  actions.  iNous  en  fûmes  piqués 
M  au  vif  ,  cl  nous  conjurâmes  leur  pertes 

E  l 


102  Lettres  édifiantes 

))  D  ins  le  silence  de  la  nuit  nous  limes  pérîr 
»  tous  les  hommes  ,  ne  réservant  que  les 
»  femmes  ,  qui  pouvaient  être  de  quelque 
»  utilité.  Le  châtiment  suivit  de  près  notre 
»  crime  :  la  peste  se  répandit  dans  le  Vil- 
j)  lage,  et  nous  la  regardâmes  comme  une 
M  punition  de  Dieu.  Dès-lors  nous  songcâ- 
»  mes  à  appaiser  sa  colère.  Nous  savions  que 
»  dans  les  peuplades  Chrétiennes  ,  cet  ins- 
■»  trument  de  pénitence  est  en  usage  pour 
»  expier  ses  fautes  ;  nous  y  eûmes  recours  , 
»  et  deux  fois  le  jour  nous  allions  nous  pros- 
»  terner  au  pied  de  la  Croix  ,  et  criant  à 
3>  Dieu  miséricorde  ,  nous  nous  frappions 
»  avec  ces  disciplines  jusqu'à  répandre  du 
M  sang  en  abondance.  Il  paraît  que  notre  pé- 
3)  nitence  fut  agréée  de  Dieu;  car  en  peu  de 
M  jours  la  peste  cessa  ,  et  nul  de  ceux  qui 
»  en  furent  atteints  ne  mourut.  Depuis  ce 
»  temps  la  Croix  est  encore  beaucoup  plus 
»  en  vénération  parmi  nous.  »  Le  Père  con- 
çut par  ce  discours  quelle  serait  la  ferveur 
des  Indiens  ,  lorsque  ,  rassemblés  dans  des 
peuplades  ,  comme  ils  le  souhaitaient ,  ils 
seraient  parfaitement  instruits  des  vérités  de 
la  Religion.  Il  les  laissa  dans  cette  douce  es- 
pérance ,  cl  continua  son  voyage  jusqu'à  la 
réduction  ou  peuplade  de  Saint-Xavier,  où, 
après  cinq  mois  de  fatigues  et  de  souffran- 
ces ,  il  arriva  au  mois  de  Janvier  de  l'année 
l'joS. 

Dès  que  la  saison  des  pluies  fut  passée  , 
le  Père  Cavallero  songea  à  recueillir  le  fruit 
de  SCS  travaux  auprès  de  tant  de  barbares 


«  T    c  c  »  1  E  I  s  r  s.  Jo'i 

qu'il  avnil  Jl^posôs  au  (Miristianisme  cl  ."i  cla- 
blird.'ins  une  \;illcc  CdiiiiuiKlc  une  it'iiuclioa 
ou  poupl.idt'  ,  où  il  put  les  rassembler.  Il 
n'y  ;«>i«il  point  à  ehoisir,  ear  le  p;<ys  est  tout 
couvert  de  bois.  11  ne  se  |)réseuta  qu'une 
assez  vaste  can»pat;ne  ,  mais  foi  l  marécai;eu.-e 
et  infestée  de  niousliqes.  Elle  est  située  dau» 
le  voisinage  des  Indiens  Tapacuras  iti  Pau- 
naîtras.  C'est  dans  cette  campagne  et  aux 
bords  d'un  grand  lac  ,  (ju'il  fut  forcé  d'éta- 
blir la  nouvelle  peuplade  sous  le  titre  de 
l'Immaculée  Conception.  Il  y  avait  aux  en- 
virons de  ce  lac  plusi«'urs  liabitalions  d'In- 
di  ns  Pu'innpas  ,  l  napcs  et  Carababas. 
Ces  Peuples  sont  exlraordinairemenl  sauva- 
ges ,  mais  libelles  et  timides  :  boinmcs  et 
femmes,  ils  n'ont  pas  le  moindre  vêtement 
qui  les  couvre  :  ils  n'ont  proprement  d'autre 
Dieu  que  leur  appétit  brutal  ,  et  s'ils  ren- 
dent quelque  culte  au  Démon,  ce  n'est  qu'au- 
tant qu'ils  se  persuadent  qu'il  y  va  de  leur 
intérêt  :  ils  ne  vont  point  à  la  chasse  dans 
les  bois,  et  ils  se  contentent  de  ce  que  leurs 
campagnes  leur  fonriiissenl.  Ils  parurent  fort 
dociles  aux  instructions  que  leur  (il  le  Mis- 
sionnaire ,  et  ils  consentirent  tous  à  vivre 
dans  la  peuplade,  [)ourvu  qu'on  leur  permît 
la  chic  a  ^  qui  est  leur  boisson  ordinaire,  et 
dont  ils  ne  pouvaient  pas  se  priver,  disaient- 
Ils  ,  parce  <{ue  l'eau  crue  leur  causait  de  vio- 
lentes coliques  d'estomac.  Le  Père  n'eut  pas 
de  peine  h  leur  en  permettre  l'usage  ,  parce 
qu'ils  la  prenaient  avec  modération ,  et  qu'ils 
D'étaieot  pas  sujets  à  s'enivrer  comme  les 

E4 


io4  Lettres  édifiantes 

aulrcsLarLares.  Pour  composer  celte  liqueur 
qui  leur  est  si  agréable  ,  ils  font  rôtir  le  maïs 
jusqu'à  ce  qu'il  devienuedu  charbon,  et  après 
l'avoir  bien  pilé,  ils  le  jettent  dans  de  gran- 
des chaudières  d'eau  ,  où  ils  le  font  bouillir. 
Cette  eau  noire  et  dégoûtante  est  ce  qu'ils 
appellent  chica,  et  ce  qui  fait  leurs  délices. 
D'dutres  Peuples  voisins  des  Indiens  3Jan- 
nacicas  vinrent  habiter  la  même  peuplade, 
qui  se  trouva  en  peu  de  temps  très- nom- 
breuse. Mais  comme  l'air  y  était  mal-sain  , 
et  qu'il  y  avait  lieu  de  craindre  que  les  ma- 
ladies ne  vinssent  ravager  son  troupeau,  le 
Père  résolut  de  la  transporter  ailleurs.  Il 
découvrit  pour  lors  une  grande  plaine  fort 
agréable  ,  qui  avait  à  l'Orient  les  Pujzocas  ; 
au  Nord,  les  Cozocas  ;  et  h  l'Occident ,  les 
Cosiricas.  C'est  dans  cette  plaine  qu'il  se 
fixa,  et  qu'avec  le  secours  de  ses  Catéchu- 
mènes ^  il  eut  bientôt  rebâti  la  peuplade.  Il 
s'appliqua  aussitôt  avec  un  zèle  infatigable 
à  cultiver  ce  grand  Peuple  ,  h  déraciner  le 
fond  de  barbarie  avec  lequel  il  était  né  ,  à 
l'humaniser  peu-à-peu,  et  à  l'instruire  de 
nos  divins  Mystères  et  des  obligations  de  la 
vie  Chrétienne.  Toute  la  journée  était  occu- 
pée dans  ces  fonctions  laborieuses ,  et  le  temps 
de  la  nuit  il  le  réservait  pour  la  prière  ,  et 
pour  \\n  léger  repos  de  quelques  heures,  qui 
le  mit  en  état  de  reprendre  le  lendemain  ses 
travaux  ordinaires. 

Lorsqu'après  une  année  entière  de  sueurs 
et  de  fatigues  ,  il  eut  établi  dans  sa  nouvelle 
peuplade  le  mêine  oidre  qui  ôQbserve  dans 


les  autres  peuplades  Chniicnnes  ,  qu'il  vit 
5es^léophvU■s  hii'ii  alVirmis  tlau»  la  Foi  ,  cl  se 
portant  avec  fii-M'ur  à  tous  les  exercices  de 
la  piété  ,  il  laissa  pendant  quelque-temps  à 
sou  compagnon  le  soin  d»;  les  entrclenii-  dans 
ces  saintes  pratitjues  ,  et  il  tourna  ses  vues 
vers  d'autres  Nations  barbares  ,  pour  les  sou- 
mettre au  joug  de  l'Evangile.  La  conversioa 
des  Indiens  Pnyzocas  était  la  plus  difficile  ; 
ces  infidèles  devinrcut  le  priucipal  objet  de 
son  zèle. 

Il  partit  accompagné  de  trente-six  Indiens 
JMannacicas  ,  au\(juels  il  avait  donné  tout 
récemment  le  Baptême.  Il  souffrit  plus  que 
jamais  dans  ce  voyage  ,  parce  qu'une  humeur 
maligne  s'étant  jetée  sur  ses  jambes  ,  il  ne 
pom.iit  marclier  ou'avcc  le  secours  de  scg 
Néophytes.  Enfin ,  il  arriva  bien  fatigué  chez 
les  l^iijzocas;  on  l'y  reçut  avec  des  démons- 
trations de  joie  extraordinaires,  chacun  s'em- 
])ressanl  à  lui  marquer  son  affection,  et  à 
lui  oflVir  des  fruits  du  pavs  et  d'autres  sou- 
lagemens  semblables.  Le  Cacique  ne  cédait 
h  pas  un  de  ses  vassaux  dans  les  témoignages 
de  sou  amitié  ,  tandis  que  lui  et  les  siens, 
sous  de  ti'ompcuses  caresses  ,  couvraient 
la  plus  noire  perfidie.  Il  oidonna  que  ces 
nouveaux  venus  fussent  partagés  dans  dilTé- 
rentcs  cabanes,  ensorte  qu'ils  ne  fussent  que 
deux  ou  trois  ensemble. 

Aussitôt  qu'ils  se  furent  mis  à  table  pour 
prcudie  un  léger  repas,  une  troupe  de  fem- 
mes parurent  toutes  nues  dans  la  place  ,  se 
tirant  des  lignes  noires  sur  le  visage.  C'est 

E  5 


io6  Lettres  édifiantes 

une  cérémouie  en  usage  parmi  eux ,  lors- 
qu'ils trament  quelque  funeste  complot.  Aa 
même  temps  ces  barbares  vinrent  fondre  sur 
les  Néophytes  ,  et  les  assommèrent.  Quel- 
ques-uns échappés  à  leur  fureur,  coururent 
en  liute  à  la  cabane  où  était  le  Père  ,  qui 
disait  tranquillement  son  Olfice  :  l'un  d'eux 
3e  chargea  sur  ses  épaules  pour  lui  sauver  la 
vie  par  la  fuite.  Ce  fut  inutilement  ;  il  fut 
bientôt  atteint  par  ces  furieux  ,  qui  le  percè- 
rent d'un  javelot.  Le  Père  se  sentant  fiappé 
à  mort ,  se  débarrassa  du  Néophyte  qui  le 
portail  ,  et  se  mettant  à  genoux  devant  son 
Crucifix  ,  il  offrait  à  Dieu  son  sang  pour  ceux 
qui  le  répandaient  si  cruellement  :  pronon- 
çant ensuite  les  saints  noms  de  Jjêsis  et  de 
Marie,  il  reçut  sur  la  tête  un  coup  de  mas- 
sue qui  lui  arracha  la  vie.  Ce  fut  le  18  de 
Septembre  de  l'année  l'^i  1  qu'il  termina  sa 
carrière  par  une  mort  si  glorieuse.  Vingt-six 
Néophytes  qui  raccompagnaient  furent  pa- 
reillement les  victimes  de  leur  zèle.  Les  au- 
tres retournèrent  à  la  peuplade  de  la  Concep- 
tion, et  cinq  y  moururent  de  leurs  blessures. 
Ces  nouveaux  Fidèles  furent  consternés,  lors- 
qu'ils apprirent  la  perte  qu'ils  venaient  de 
faire.  Ils  allèrent  en  grand  nombre,  bien 
armés  ,  chercher  le  corps  de  leur  cher  Père  ; 
ils  l'apportèrent  à  la  peuplade  avec  la  plus 
grande  vénération  ,  et  ils  continuent  de  le 
révérer  comme  un  de  de  ces  hommes  Apos- 
toliques, qui  (i)  se  sont  livrés  eux-mêmes, 

{i)Çui  tra (iiJerunt  animas  suas  f  pro  nomine  JJoiniai 
moêlri  Jesu  Chriiti. 


F.  T    C  U  R  I  E  C  s  E  ».  l  ÙJ 

flonteiposé  leur  vie ,  p(»ur  aunoncer  aux  Na- 
tions 11."  nom  (If  Notrt'-Sei^ni'ur  Jlsls-Curist. 

Cependant  le  F«Tf  dv  Zôa  ,  <|ui  ilcnicuiait 
à  la  pfupladc  (Ir  S.iinl- Josrph  ,  piMisail  de 
«on  côU"  à  établir  uiif  réduction  ou  peu- 
plade. Un  nombre  de  ztîlés  Néopliyles  par- 
tirent par  ses  ordres  pour  aller  à  la  reclicr- 
che  des  barbares.  Ils  niarclièrcnt  pendant 
plusieurs  jours  ;  ei  enlin  ,  ils  découvrirent 
des  traces  de  pieds  d'iiommcs,  qui  marquaient 
qu'un  bon  nombre  d'Indiens  avait  passé  un 
peu  plus  loin  ;  ils  apcrcHrenl  un  vieillaid 
«vec  sa  taïuiile,  qui  ensemençait  ses  terres. 
Ce  pauvre  Indien  ])Alil  à  la  vue  des  i\éoj)liy- 
tes  ,  et  tout  irenib  ant  d.-peur,  il  les  sujiplia 
de  ne  pas  lui  Aier  la  vie.  Les  Méopliytes  ne 
puix'nt  s'empêcher  de  rire  de  sa  frayeur  ,  et 
pour  le  délivier  de  toute  iiKjuiétudc  ,  ils  ac- 
compagnèrent de  quebjues  présens  ,  et  en- 
tr'autrei  d'un  petit  couteau  ,  les  marques 
d'amitié  «{u'ils  lui  doniurent.  Le  vieillard 
sautant  de  joie,  conduisit  ses  bienfaiteurs  U 
son  Village,  où  o.i  les  accueillit  avec  toute 
sorte  de  téinoipna^es  d'amilié  ,  auxquels  ils 
rép«)ndirenl  ]>ar  de  petits  présens  ,  (jui  gagnè- 
rent enlièreinent  ci-s  infidèles.  Mais  comme 
leur  lint;oe  était  dillërente,  et  qu'ils  ne  s'en- 
tendaient ni  les  uns  ni  les  autres  ,  on  leur  ac- 
corda deux  jeunes  £;ens  (|u'ils  emmenèrent 
a\  ce  eux  ,  pour  apprendre  la  langue  des  Chi- 
quites,  et  leur  ser>ir  d'interprètes. 

Ces  Indiens  sont  de  la  Nation  des  Moro- 
tocos.  Ils  sont  de  haute  taille  ,  et  d'une 
complcxioQ  robuste.  Ils  fout  leurs  flèches  et 

K  6 


loB  Lettres  édifiantes 

leurs  lances  d'un  bois  très-dur,  qu'ils  savent 
manier  avec  beaucoup  d'adresse.  Les  fem- 
mes y  ont  toute  l'autorité  ;  et  non-seule- 
lement  les  maris  leur  obéissent  ,  mais  ils 
sont  encore  chargés  des  plus  vils  ministères 
du  ménage  et  des  détails  domestiques.  Elles 
ne  conservent  pas  plus  de  deux  enfans  -,  quand 
elles  en  ont  davantage  ,  elles  les  font  mou- 
rir ^  pour  se  débarrasser  des  soins  qu'exige 
leur  enfance.  Quoiqu'ils  aient  des  Caciques 
et  des  Capitaines,  il  n'y  a  parmi  eux  nul 
vestige  de  gouvernement  et  de  religion.  Leur 
pays  est  sec  et  stérile  ,  et  tout  environné  de 
montagnes  et  de  rocbers  :  ils  n'ont  pour  tout 
aliment  que  des  racines  qu'ils  trouvent  en 
abondance  dans  les  bois.  Ils  ont  des  forêts 
de  palmiers  ;  le  tronc  de  ces  arbres  leur 
fournit  une  moelle  spongieuse,  dont  ils  ex- 
priment le  suc  qui  leur  sert  de  boisson. 
Quoique  ,  durant  l'hiver ,  l'air  soit  fort  froid 
dant  leur  climat ,  et  que  souvent  il  y  gèle, 
ils  sont  totalement  nus ,  et  n'en  ressentent 
nulle  incommodité.  Un  calus  général  leur 
épaissit  la  peau,  l'endurcit ,  et  les  rend  in- 
sensibles aux  injures  de  l'air. 

Les  deux  jeunes  Indiens  Morotocos  ne 
pouvaient  contenir  la  joie  qu'ils  ressentaient 
d'avoir  quille  leur  misérable  pays  ,  et  de  se 
trouver  parmi  les  Chrétiens  dans  un  lieu  où 
ils  avaient  abondamment  de  quoi  satisfaiie 
aux  besoins  de  la  vie.  Quand  ils  eurent  ap- 
pris la  langue  des  Chiquiles  ,  le  Père  Phi- 
lippe Suarez  les  prit  pour  interprètes  ,  et 
alla  viôiler  les  cinq  Villages  d'Iudicus  qui 


FTcrRiEcsrs.  109 

forment  celle  Naliou  ,  pour  leur  faire  con- 
naître le  vrai  Dieu.  Les  rnlretions  que  le 
]Vli.v<>ii)iin.iir(>  eut  avrc  eux  sur  les  véiilt's 
de  l.i  lUlii;ion  ,  n|)|)u\t-i>  tlu  r;ij)j»<>rt  fjiie 
leurs  jcuiic!)  cuin|>:iti  iotes  leur  fufiil  ili'  la 
vie  qu'on  nicunit  d.ins  la  peuplade  ,  les  dé- 
ternnni'renl  tous  à  lu  sui\re  ,  cl  à  aller  s'y 
élahlir. 

D'autres  Ncoplivtrs  de  la  même  peuplade 
avaicMit  lait  uni'  semld.ihlc  excursion  eluz 
d'autres  Indiens  d'une  Xalion  nommée  Tapi- 
çiin'SfCl  avaient  pareillement  amené  avec  eux 
deux  de  ces  Indiens  pour  apprendre  la  langue 
Clii(juile,  et  ser\ir  d'inlerprèles.  A  (juelque 
temj»s  de  là  leurs  parens  ayant  eu  (juelque 
iu(juiétudi.'  sur  la  destinée  de  leurs  enl'ans  ,  se 
reudirentà  la  peuplade pours'en  informerpar 
eux-mêmes.  On  leur  témoif^ua  tant  d'ami- 
tié ,  et  ils  furent  si  charmés  des  exercices 
qui  s'y  prali(juaient  ,  qu'ils  enj;agèrent  tous 
les  Indiens  de  leur  Nation  h  venir  fixer  leur 
demeure  parmi  ces  nouveaux  fidèles  ,  et  à 
s'assujélir  aux  lois  de  l'Evangile.  Il  n'y  eut 
que  quelques  familles  qui  ne  purent  se  ré- 
soudre à  quitter  leur  terre  natale  ]  mais  enfin  , 
en  l'année  1 7  i5  ,  que  le  P.  Suarez  passa  par 
leurs  habitations,  elles  surmontèrent  leurs 
iéj)ugnances ,  et  vinrent  se  joindre  à  leurs 
compatriotes. 

Ces  nouveaux  venus  donnèrent  des  con- 
naissances bien  particularisées  d'une  infinité 
d'autres  Nations  répandues  dans  toutes  ces 
terres,  jusqu'à  la  grande  Province  de  Chaco, 
et  ealr'autrcs  dcâ  Indiens  Zcunucos  ,  (^ui 


110  Lettres  édifiantes 

hnbitenl  six  grands  Villages  ,  dont  cliacun 
fsl  plus  peuplé  que  la  réduction  de  Saint- 
Joseph  ;  et  six  autres  moins  grands  ,  mais 
qui  se  touchent  presque  les  uns  les  autres  , 
tant  ils  sont  voisins ,  et  où  l'on  parle  la  même 
langue.  On  prit  dès-lors  le  dessein  de  tra- 
vailler à  la  conversion  de  ce  grand  Peuple  : 
mais  auparavant  on  ne  pouvait  se  dispenser 
de  former  au  plutôt  une  nouvelle  peuplade, 
en  partageant  celle  de  Saint-Joseph  ,  laquelle 
était  devenue  si  nombreuse  par  le  concours 
de  tant  de  familles  Indiennes  ,  qui  étaient 
venues  s'y  établir  ,  que  les  terres  des  envi- 
rons ne  pouvaient  plus  suffire  à  leur  subsis- 
tance. 

A  neuf  lieues  de  Saint-Joseph  se  voit  une 
belle  plaine,  nommée  Naranjal  ,  qui  n'est 
stérile  que  par  le  défaut  de  culture  ;  c'est 
cette  plaine  que  l'on  choisit,  de  l'agrément 
des  Néophytes,  pour  y  bijtir  la  peuplade  sous 
l'invocation  de  saint  Jean-Baptiste  ;  elle  fut 
composée  d'anciens  Néophytes  et  de  quatre 
Nations  différentes  d'Indiens,  qui  se  portè- 
rent tous  avec  une  égale  ardeur  h  construire 
l'Eglise  et  les  maisons  ,  et  en  même-temps 
à  défricher  les  terres,  et  h  les  ensemencer. 
Le  Père  Jean-Baptiste  Xandra ,  que  le  Père 
de  Zéa  s'était  associé  pour  gouverner  la  nou- 
velle peuplade  ,  n'omit  rien  de  tout  ce  (ju'un 
grand  zèle  peut  inspirer  pour  former  ces 
Lai  baies  aux  vertus  civiles  et  Chrétiennes  , 
et  Dieu  bénit  tellement  ses  travaux,  que  le 
Père  de  Zéa,  au  retour  de  quelques  exeur- 
sious  qu'il  avait  fuites  daus  les  terres  iuiidè'- 


Ips  ,  fut  fort  surplis  dt-  iiouvtr  une  nouvelle 
Chictirnit*,  «Irvi-nut-  i-n  peu  de  temps  si  rai- 
sonnable et  si  l'enenle. 

Il  crut  (|iril  étnil  temps  d'exécuter  le  des- 
sein (|ui  lui  tenait  si  fort  à  coeur,  <\v  porter 
le  nom  tic  Jésus-Clii  isl  ù  la  nombreuse  Nation 
des  inliilelis  /,ii/nnco\.  Celte  entrepiise  fut 
heauc(jup  plus  dirtieile  qu'il  ne  l'avait  piévu. 
Il  partit  MU  mois  de  Juillet  de  l'année  17  iH, 
accompagné  (l'un  grand  nombre  de  ses  Néo- 
phytes. Les  tempêtes  qu'il  essuya  d'abord, 
les  continuels  tourbillons  de  vents  furieux  , 
et  le  débordement  des  rivières  ne  lui  per- 
mirent de  faire  que  quatorze  lieues  en  dix- 
neuf  joui*s.  Il  passa  par  quelf{ues  Villa<;es 
des  Indiens  T'dfHi/itics  ,  absolument  ruinés  , 
où  il  trouva  une  trentaine  de  ces  Indiens  , 
qu'il  gagna  ;»  Jésus-Clirist  ,  et  qu'il  lit  con- 
duire par  quel(|ues-uns  de  ses  Néophytes  à 
la  réduction  de  Saîut-Joseph.  Lorsqu'il  eut 
marché  encore  quehjues  lij-iies,  il  se  pré- 
senta une  foret  longue  de  dix  lieues,  la  plus 
épaisse  et  la  moins  accessible  qu'il  eût  en- 
core trouvée  dans  ses  didërentes  courses  ;  il 
fallut  s'y  faire  un  passage.  Les  Indiens  y  tra- 
vaillèrent ,  mais  (|uand  ils  en  euicnl  défiiché 
environ  la  moitié,  ils  peidironl  entièrement 
courage.  Le  Père  les  ranima  par  ses  paroles, 
el  encore  plus  par  son  exemple ,  se  mettant  à 
l«*ur  tête  la  hache  à  la  main  ;  et  enfin  ,  en 
dix-neuf  jours  ,  ils  percèrent  tout  le  bois  j 
mais  il  est  inconcevable  ce  qu'ils  eurent  à 
soulfrird'une  infinité  de  moustiques  et  de  dif- 
féreates  sortei  de  laoas,  qui  ne  leur  donnaient 


112  Lettres  édifiantes 

de  repos  ni  jour  ni  nuit ,  et  qui ,  par  leurs 
continuelles  piqiires,  les  défigurèrent  entiè- 
rement, et  leur  laissèrent  long-temps  les  mar- 
ques de  leur  persécution. 

Au  sortir  du  bois  il  se  vit  dans  une  vaste 
Campagne,  tout-à-fait  stérile,  et  qui  était 
terminée  par  une  autre  forêt ,  où  il  fallait  se 
faire  jour  avec  les  mêmes  fatigues  que  dans 
celle  qu'il  venait  de  traverser.  Le  pays  ne 
fournit  ni  gibier  ni  poisson  ,  ni  même  de  ru- 
elles à  miel ,  comme  on  en  trouve  par-tout 
ailleurs,  et  la  terre  ne  produit  que  quelques 
racines,  dont  l'amertume  n'était  pas  suppor- 
table au  goût,  quelque  affamé  qu'on  fut.  Le 
Père  alla  visiter  deux  Villages  qui  n'étaient 
pas  éloignés  ,  oii  il  croyait  trouver  quelque 
ressource  ;  mais  toutes  les  liabitations  étaient 
abandonnées ,  les  Indiens  s'élanl  répandus 
dans  les  forêts  pour  y  cliercber  de  quoi  sub- 
sister. Il  rencontra  cependant  une  soixantaine 
de  ces  barbares ,  auxquels  il  n'eut  pas  de  peine 
h  persuader  les  vérités  de  la  Foi.  Il  les  mit 
entre  les  mains  de  quelques-uns  de  ses  Néo" 
pliytes ,  qui  les  menèrent  h  la  peuplade  de 
Saint-Josepb.  Comme  les  forces  manquaient 
à  toute  sa  suite  faute  d'alimens,  il  fut  con- 
traint de  renoncer  pour  le  présent  à  son  en- 
treprise, et  d'en  dillérer  l'exécution  à  l'année 
suivante. 

L'impatience  où  était  le  Père  de  Zéa  de 
porter  la  Foi  chez  les  Indiens  Zawncos ^  lui 
fit  devancer  It-  temps  où  d'ordinaire  les  pluies 
finissent.  11  prit  avec  lui  douze  fervens  Cbré- 
tieus  pleins  d'ardeur  et  de  courase  ,  avec 


r,  TCC  RIEUSE  s.  IlJ 

lesquels  il  se  mil  ca  chemin  au  mois  do  Fé- 
vrier de  l'année  i-y  i-j  ,  et  après  avoir  suivi  la 
même  roule  qu'il  avail  lenue  l'ainiéi'  piécé- 
dcnle  ;  il  se  trouva  i-nfln  à  celte  secoutle  foi  et , 
au  travers  de  latjuelle  il  lalhiil  h'ouvrir  ua 
passade.  Ilsy  travaillèrent  sans  relAche;  mais 
lei>  eaux,  (]ui  croissaient  chacjue  jour,  le» 
gagnaient  insensiblement,  cl  quand  ils  cu- 
rent pénétré  jusqu'au  milieu  de  la  forêt,  ils 
8c  trouvèrent  dans  l'eau  jujtju'ii  la  ceinture. 
Le  risque  où  ils  étaient  de  se  noyer  obli|^ea 
le  Missionnaire  et  sa  suite  à  rebrousser  che- 
min ,  et  à  retourner  pour  la  seconde  fois  à 
la  peuplade  de  Saint-Jcan-Dapliste, 

Le  l'ère  de  Zéa  ,  que  tant  de  difficultés 
n'avaient  point  rebuté  ,  partit  pour  la  troi- 
sième fois  au  mois  de  Mai  avec  plusieurs 
Néophytes  \  et  enfin  ,  il  vint  à  bout  de  finir 
l'ouvrage  commencé  quelques  mois  aupara- 
vant, et  de  traverser  la  foièl.  Il  arriva  le  la 
Juillet  au  premier  Villaj^e  des  Zamucos  :  la 
joie  que  c  usa  son  arrivée  surpassa  ses  es- 
pérances ;  ces  Peuples  ne  savaient  quelles 
caresses  lui  faire  ;  ils  l'environnèrent  avec 
les  plus  grandes  démonstrations  de  repect  et 
d'amitié  ;  ils  s'empressaient  ;»  lui  baiser  la 
main  ;  ils  ne  tessaierit  d'embrasser  les  Néo- 
phytes; ils  les  logèrent  dans  leurs  cabanes, 
et  ils  les  régalèrent  aussi  bien  que  pouvait 
le  periru  Itre  la  pauvreté  de  leur  pavs. 

Le-  biuleniain  le  Père  b's  assembla  dans 
la  grande  |)laee  -,  il  leur  déclara  le  sujet  qui 
lui  avait  fait  essuyer  tant  de  fatigues  pour 
venir  les  voir  ,  que  son  dessein  était  de  leur 


ii4  Lettres  édifiantes 

faire  connaître  le  vrai  Dieu  qu'ils  ignoraient , 
de  les  engager  à  pratiquer  sa  Loi  ,  et  à  se 
procurer  un  éternel  bonheur;  puis  il  leur 
demanda  s'ils  agréaient  que  des  Missionnai- 
res vinssent  les  instruire  des  vérités  de  la 
Foi ,  et  leur  enseigner  le  chemin  du  Ciel.  Ils 
répondirent  que  c'était  là  depuis  long-temps 
l'objet  de  leurs  désirs  ,  et  que  s'ils  n'étaient 
pas  Chrétiens  ,  c'est  que  personne  ne  leur 
avait  encore  expliqué  les  vérités  qu'ils  de- 
vaient croire  ,  et  les  commandemens  qu'ils 
devaient  observer. 

Le  Père  ne  pouvant  contenir  la  joie  qu'il 
ressentait  au  fond  du  cœur  :  «  Si  cela  est 
»  ainsi  ,  répliqua-t-il  ,  il  faut  commencer 
))  par  élever  une  Eglise  au  vrai  Dieu  ,  et  vous 
»  réunir  tous  dans  un  même  lieu  pour  l'ho- 
»  norer  et  le  servir.  »  Alors  les  deux  prin- 
cipaux Caciques  se  levèrent ,  et  dirent  qu'ils 
ne  souhaitaient  rien  davantage  ,  mais  qu'il 
fallait  choisir  un  îv  u  plus  favorable  que  leur 
Village,  et  qu'il  pouvait  s'assurer  que  tous 
leurs  voisi'^r.  .  qui  sont  de  leur  Nation  ,  se 
joindraient  voîonliers  h  eux  ,  pour  former 
tous  ensemble  une  nombreuse  peuplade.  Ce- 
pendant le  Père  fit  planter  une  grande  Croix 
sur  un  tertre.  Tous  ces  Indiens  se  mirent  à 
grnoux  et  l'adorèrent.  Les  iNéophytes  chan- 
lèient  ensuite  les  Lit'^nies  delà  S."  Vierge, 
après  quoi  le  Père  mit  tout  ce  Peu[)le  et  la 
peuplade  où  il  allait  s'établir,  sous  la  pro- 
tection de  saint  Ignace.  Il  fallut  se  sépa- 
rer, et  ce  ne  fut  pas  sans  douleur  départ  el 
d'autre  y  mais  ils  se  cousolèreut  mutuelle- 


tTCL'RlEOSFS.  Ïl5 

ment  sur  ce  qu'ils  ne  seraienl  pas  lonf^-tcmp» 
sans  se  revoir.  Le  Père  en  s'en  relouinanl 
eut  occasion  d'entretenir  des  vérités  Cliié- 
tieunt's  une  cenlaine  d'Indiens  qu'il  tnuiva 
sur  sa  route,  et  de  \rs  gagner  à  Jé.sus-C>liri.st. 
Ces  Indiens  étaient  de  trois  Rations  diflé- 
rentes  ;  savoir:  des  Z/inotecas ,  des  Jopore- 
tt'cas  et  des  Cucaratrs.  Il  les  emmena  avec 
lui  à  la  peuplade  de  Saint-Jean-Baptiste. 

A  peine  fut-il  arrivé  qu'il  recul  une  lettre 
du  Révérend  Père  Général  ,  qui  le  consti- 
tuait Provincial  delà  Province  du  Paraguay; 
ce  fut  un  coup  de  foudre  pour  lui  ;  il  comp- 
tait consommer  l'ouvrage  qu'il  avait  com- 
mencé de  la  conversion  de  ses  cliers  Zaniu- 
cos  ,  et  sacriiier  le  reste  de  ses  jours  à  les 
conduire  dans  la  voie  du  salut  ;  mais  consi- 
dérant que  l'obéissance  vaut  mieux  que  le 
sacrifice  ,  il  vil  les  ordres  de  Dieu  dans 
ceux  de  son  Supérieur;  il  s'y  conforma  avec 
une  parfaite  résignation  ,  et  il  confia  l'éta- 
Llissemeiit  et  le  soin  de  la  nouvelle  peuplade 
au  zèle  du  l'cre  Michel  de  Yegros. 

Ce  Père  n'avait ,  ce  semble  ,  «ju'à  recueil- 
lir le  fruit  ilc  travaux  de  son  prédécesseur; 
il  ne  s'agissnii  j,lus  que  de  convenir  avec 
les  Indiens  Aainucos  de  l'endroit  qui  leur, 
agréerait  d..v,intage  ,  pour  y  bAtir  la  peu- 
plade. Il  par' il  donc  au  mois  de  Sepiem- 
tre  de  l'année  l'yiH  ,  avec  le  frère  Albert 
Romero  ,  ei  un  certain  nombre  de  nou- 
veaux C'n-éiiens.  Quand  il  fut  arrivé  dans 
la  foiêi  la  plus  pnx  lie  du  Village  ,  il  fit 
prendre  le  Uevaul   à  quclquc^i  -  uns  de  ses 


ii6  Lettres  ÉDIFIANTES 

Chrétiens  ,  pour  aller  avertir  le  principal 
Cacique  de  son  arrivée  ,  et  lui  porter  de  sa 
part  une  canne  fort  propre ,  et  une  veste  de 
couleur.  C'est  un  riche  présent  dans  l'idée 
de  ces  Indiens. 

Toutes  les  amitiés  dont  ces  Peuples  sont 
capables  ,  ils  les  témoignèrent  aux  députés 
du  Missionnaire  :  ils  furent  admis  à  la  table 
du  Cacique  ,  dont  tout  le  l'epas  consistait 
en  des  racines  de  cardes  sauvages.  Le  len- 
demain le  Cacique  ,  accompagné  de  Chré- 
tiens et  d'un  nombre  de  ses  vassaux,  alla 
au-devant  du  Père,  qu'il  rencontra  presque 
au  sortir  de  la  foiêl ,  et  ils  vinrent  de  com- 
pagnie jusqu'à  l'endroit  où,  la  Croix  était 
plantée  ,  et  où  tout  le  Peuple  s'était  assem- 
blé. La  joie  fut  universelle  parmi  ces  bar- 
bares, et  ils  no  savaient  comment  l'expri- 
mer. Le  Caeique  paria,  au  nom  de  tous  ,  et 
dit  que  nonobstant  leur  pauvreté,  et  l'ex- 
trême discite  qu'ils  avaient  eu  à  souffrir  ,  il 
n'avait  jamais  voulu  pcri^ieltrc  que  ses  vas- 
saux s'éloignassent  du  Village  ,  de  crainte 
qu'un  Missionnaire  n'arrivAt  pendant  leur 
absence  ;  que  d^ns  l'impatience  où  il  était 
de  son  arrivée  ,  il  avait  souvent  envoyé  à  la 
découverte,  et  y  étuit  allé  lui-même,  pour 
voir  s'il  n'en  paraîtrait  pas  quelqu'un  ,  et 
qu'il  pouvait  juger  de  là  combien  il  de- 
sirait sa  présence,  et  le  plaisir  qu'elle  leur 
causait. 

On  traita  ensuite  de  l'endroit  le  plus  con- 
venable pour  l'établissement  de  la  peuplade. 
Le  Père  leur  dit  que  dans  uu  de  ses  voyages 


ET  cruTErsïS.  119 

il  avait  pnssé  par  des  terri-s  (jui  sont  au-tlt-là 
de  Ii'urb  monlaRiu's  ,  cl  dans  le  voisinage  des 
Indiens  Cucnrtites  ,  et  cjuc  ces  terres  lui 
parai.s>nienl  toit  propres  h  être  culli\ées,  et 
à  fournir  abondamment  à  leurs  besoins.  Le 
Cacicjue  répondit  au  I*èrc  qu'il  connaissait 
parfaitenu-nt  ces  campagnes  ,  et  f[u'on  ne 
pou\ ait  taire  un  inrilleur  cln>ix  ;  qu'il  letour- 
r\\\.  donc  clu-z  lui  ,  alin  de  pié(>arer  tout  ce 
qui  était  nécessaire  pour  la  nouvelle  peu- 
plade ,  tandis  que  lui  dispn5erail  ses  voisins 
à  le  suivre,  et  que,  quand  il  serait  temps, 
ils  iraient  tous  ensemble  l'alii-ndre  sur  le 
lieu  même  ;  niais  (|ue  pour  éviter  toute  mé- 

Frise  ,  il  lui  donnait  deux  de  ses  vassaux  ({ui 
accompaf^ueraient  ,  et  qui  prendraient  le 
devant,  atin  de  venir  l'informer  du  jour  qu'il 
aurait  fixé  pour  son  départ.  Lesautres  Indiens 
donnèrent  b;ur  sullVac^c  par  acclamations  ,  et 
en  lui  témoignant  le  désir  ([u'ils  avaient  de 
recevoir  au  plutôt  le  saint  Baptême  ,  ils  le 
prièrent  de  presser  son  retour. 

Le  Missionnaire  partit  avec  un  contente- 
ment qui  était  au-dessus  de  ses  expressions. 
Il  arriva  comblé  de  joie  à  la  pcuj)lade  de 
Saint-Jean-Iîaptistc  ,  avec  les  deux  Catéchu- 
mènes <[u'il  amenait,  auxquels  les  Néophytes 
témoignèrent  une  atrcctionextrordinairetout 
le  temps  qu'ils  demeurèient  avec  eux.  Sur 
la  (in  de  Juillet  de  l'année  17  iç),  le  Père  h'S 
dépécha  vers  leur  Cacique,  afin  de  l'avertir 
(]u'il  était  sur  le  point  de  se  rendre  au  lieu 
dont  ils  étaient  convenus  ,  cl  qu'il  comptait 
dx:  l'y  trouver ,  lui ,  et  tous  ceux  qui  devaient 


I  iB  Lettres  ÉDIFIANTES 

le  suivre ,  et  former  ensemble  la  nouvelle 
peuplade.  Il  partit  eu  effet  peu  après  ,  avec 
le  Frère  Albert  Romero  ,  €t  un  bon  nombre 
de  Néophytes  ,  qui  étaient  chargés  des 
ornemens  nécessaires  pour  célébrer  le  saint 
Sacrifice  de  la  Messe ,  et  de  tous  les  outils 
propres  à  défricher  et  à  cultiver  les  terres. 

Quand  ils  arrivèrent  au  lieu  destiné  ,  oii 
ils  s'attendaient  de  voir  rassemblée  une  mul- 
titude de  ces  Indiens  ,  ils  fuient  fort  étonnés 
de  n'y  pas  trouver  une  seule  ame.  Le  Père 
envoya  plusieurs  de  ses  Néophytes  pour  par- 
courir le  Pays  d'alentour  :  nul  de  ces  Indiens 
ne  parut.  Us  pénétrèrent  jusqu'à  leur  Village , 
ils  en  trouvèrent  les  habitations  biùlées  ;  ce 
n'était  plus  qu'une  vaste  solitude.  Ils  appri- 
rent néanmoins  que  ces  barbares  s'étaient 
retirés  à  quelques  jourjiées  de  là  ,  proche  un 
lac  fort  poissonneux  ,  et  qu'ils  avaient  fermé 
les  passages  par  où  l'on  pouvait  s'y  rendre. 

Le  Frère  Romero  prit  la  résolution  de  le« 
aller  chercher.  Il  se  mit  eu  chemin  avec  quel- 
ques Néophytes ,  et  pénétra  enfin  jusqu'au 
lieu  de  leur  retiaite  :  il  les  fit  ressouvenir  de 
la  promesse  qu'ils  avaient  faite  à  Dieu  et  aux 
Missionnaires  d'embrasser  le  Christianisme, 
*;t  de  se  réunir  à  ce  dessein  dans  cette  vaste 
campagne  ,  qu'ils  avait  nt  choisie  eux-mêmes 
pour  y  bûtir  la  peuplade.  Ces  baibarcsrépon- 
clirent  sans  se  déconcerter  ,  qu'ils  n'avaient 
pas  chanj^é  de  sentiment,  et  qu'ils  élaient 
prêts  à  le  suivre  à  l'heure  même.  En  effet, 
ils  partirent  avec  lui  en  grand  nombre  ,  un 
Cacique  à  leur  tête,  et  ils  déguisèrent  avee 


ET     CUB1EUSES.  II9 

tant  d'artifices  l'alrociié  tlu  trime  qu'ils  mé- 
dilaifut ,  <{u'()n  ne  pouTait  guères  soupc^onner 
leur  sincérilé  :  Ifs  premiers  jours  du  voyage 
ils  ne  s'entretenaient  d'autre  cliose  avec  le 
Frère  ,  que  de  l'aident  désir  qu'ils  avaient 
de  recevoir  le  li.iptèmc  ,  et  de  pratiquer  la 
Loi  chrétienne.  ^Iais  le  premier  jour  d'Octo- 
bre ils  se  démas<juèrent  et  dévoilèrent  leur 
perfidie.  Ils  se  jetèrent  sur  les  Néophytes, 
dont  douze  furent  massacrés  :  au  même  temps 
le  Caciijue  saisit  le  Frère  Romero  ,  et  lui 
fendit  la  tète  d'un  coup  de  hache.  Il  le  dé- 
pouilla de  ses  habits  ,  et,  dans  la  crainte  que 
les  Chifjuites  ne  vin^sent  tirer  vengeance 
d'un  si  noir  attentat ,  ils  prirent  tous  la  fuite , 
et  se  réfugièrent  daus  les  bois. 

Les  Néophytes  échappés  à  la  cruauté  de 
ces  barbares  ,  a|)porlèrent  vwc  nouvelle  si 
peu  attendue  ;  elle  se  répandit  bientôt  dans 
toutes  les  peuplades  Ch retiennes  ,  où  ce  saint 
Frère  fut  extrêmement  rec^relté  de  tous  les 
Néophytes,  qui  la  plupait  avait  nt  ressenti 
les  efTeLs  de  son  zèle  et  de  sa  charité. 

V'oilii  ,  Monsieur ,  tout  ce  qui  j'ai  pa 
apprendre  sut  l'étal  présent  des  Missions  de  la 
Province  du  Paraguay,  jusqu'en  l'année  i-j'^B. 
L'éloignenient  des  lieux  ne  permet  pas  d'ea 
recevoir  de  fraîches  nouvelles  ;  il  est  à  croire 
que  depuis  ce  temps-là  on  aura  fondé  la  peu- 
plade de  Saint-Ignace.  A  mesuie  que  Dieu 
bénit  les  travaux  des  ouvriers  Evaiiç,cliques  , 
et  qu'ils  réduisent  sous  l'empire  de  Jésus- 
Christ  tant  de  N;jtions  baibares,  ce  sont 
autant  da  sujets  qu'ils  acquicrcul  ù  la  Alonar- 


150  Lettres  édifiantes 

cliie  d'Espagne.  Je  ne  manquerai  pas  de  vous 
faire  p-ut  des  nouvelles  connaissances  qui  me 
viendront  dans  la  suite  ,  et  de  vous  donner 
en  cela  des  preuves  du  désir  que  )'ai  de 
vous  satisfaire ,  et  du  respect  avec  lequel  je 
suis  ,   etc. 


LETTRE 

Du  Père  Ignace  Chômé ,  Missionnaire  de 
1(1  Conipdgnie  de  Jésus ,  au  Père  Van- 
thiennen  ,  de  la  même  Compagnie. 

A  la  lédiiction  de  Saint-Tj^nace 
des  lodieus  Zamucos  ,  dans  le 
Paraguay  ,  le  17  Mai  1738. 

Mon  révérend  père, 

La  paix  de  N.  S. 

Vous  avez,  sans  doute  ,  reçu  la  lettre  que 
j'eus  l'honneur  de  vous  écrire  en  l'année 
17^5  ,  où  je  vous  fesais  le  détail  delà  mort 
du  vénérable  P.  Lizardi ,  le  compagnon  insé- 
parahle  de  mes  travaux  chez  les  Chiriguanes, 
qui  le  massacrèrent  inliumaiuement.  Je  vous 
ajoutais  qu'on  prenait  la  résolution  d'aban- 
donner une  Nation  perfide  et  cruelle  ,  qui 
a  répandu  le  sang  de  tant  d'ouvriers  Evangé- 
liques  ,  lesquels  ,  par  leur  zèle  et  par  des 
peiues  immenses,  ti'ont  jamais  pu  adoucir 
taut  soit  peu  sa  férocité. 

Depuis 


ETC.  TRiKrsrs.  J'Xl 

Depuis  ce  tmips-lJ  ,  iiis«jii'à  crtlr  nnné»'  , 
j'ai  été  iliarj;é  i\v  la  .Mission  dr  |>rts(|ur  Iculc 
la  Proviiue  de  J.ox-(  Itichas  ,  de  irlle  de 
JApi'Z  ,  l'I  de  nos  vallées  eirconvoisines.  Ceê 
Missions  sonl  1res- laborieuses.  Four  lu'j 
ri'iMlre  j)liir>  utile  ,  j'avais  appris  la  langue 
Indienne  ,  (ju'on  nomme  la  laut^ue  (Jaichoa  , 
nue  parlent  les  Indiens  de  piesqiie  toul  le 
Pérou  ,  cl  j'avais  acquis  la  lai'ililé  de  leir 
prêcher  les  vérités  Cliréiiennes  en  leur  lan- 
t^uo  naturelle,  l^orsque  je  m'v  attendais  le 
moins  ,  je  reçus  une  lettre  du  Tlévéuiid  Père 
Provincial  ,  qui  me  destinait  aux  IMissioDS 
des  Chiquites  ,  et  me  recommandait  do  m'y 
rendre  dans  le  cours  de  cette  année. 

Ces  Missions  sont  si  pénibles,  que  les 
Supérieurs  n'y  envoient  personne  ,  qui  ne 
lésait  demandées  avec  beaucoup  d'instance. 
Ainsi  je  regardai  comme  un  heureux  pré- 
sage des  bénédictions  (juc  Dieu  daignerait 
répandre  sur  mes  travaux  ,  la  grâce  singulière 
d'y  être  nommé  sans  qu'il  y  eût  eu  de  sollici- 
tation de  ma  part. 

On  compte  plus  de  trois  cens  lieues  depuis 
Tii'ij'i  ,  où  j'étais  ,  jusqu'à  la  première 
réduction  ou  peuplade  des  Chiquites  ,  qui 
est  celle  de  Sainl-Francois-Xaxiei-.  Il  me 
fallut  traverser  d'all'reuses  montagnes,  et  je 
fi'avais  que  quatre  mois  j)Our  l'aire  ce  voyage  j 
car  ,  pour  peu  que  je  me  fusse  arrêté  sur  la 
route  ,  les  pluies  eoiitinu<'lles  de  la  Zone  tor- 
ride  ,  m'en  auraient  i'eriné  l'entiée.  Vous 
5crc7-  surpris  de  tout  le  Paj.s  qu'il  m'a  fallu 
parcourir  ,  et  de  la  quantité  Ji,*  lieues  cnie 
Tomç  /A.  J^' 


ii-y.  Lettres  édifiantes 

j'ai  été  ol)ligé  de  l'aire  depuis  liuit  ans  que  je 
suis  dans  ces  Missions.  Le  détail  que  je  vais 
vous  en  faire  ,  ne  vous  sera  peul-êlre  pas  désar 
gréal)le  ,  du- moins  il  vous  donnera  une 
connaissance  certaine  de  la  distance  d'un  lieu 
à  un  aiiLK.'. 

De  Buenos- Ayres  où  j'arrivai  d'abord,  et 
qui  fut  ma  première  entrée  dans  ces  Mis- 
sions ,  j'allai  à  Santa-Fé  ,  ce  sont  quatre- 
vingts  lieues  :  de  Sanla-Fé  h  la  ville  de  Cor- 
rientes  ,  cent  cinquante  lieues  ;  de  Corrientcs 
à  la  réduction  do  Saint-Ignace  ,  soixante- 
.douze  ;  de  Snint-Ij^naceà  celle  qu'on  nomme 
Corpus ,  soixante  ;  de  celle-ci  à  Qape^u  , 
quatre-vingts  ;  de  Gapeyu  h  Bueuos-Ayres  , 
deux  cens  ;  de  Buenos-Ayres  à  Corduba  , 
cent  soixante  ;  de  Corduba  h  Santiago  ,  cent  ; 
de  Santiago  à  San  Miguel  ,  quarante  ;  de 
San  Miguel  à  Salta  ,  quatre-vingts  ;  de  Salta 
à  Tarija  ,  quatre-vingt-dix  ;  de  ïarija  aux 
Cliiriguanes,  où  j'ai  fait  quatre  voyages, 
deux  cent  quatre-vingts  ;  de  Tarija  à  Lipez  , 
quatre  -  vingts  ;  de  Tarija  h  los  Cbichas  , 
soixante-dix  ;  de  Tarija  à  Cinti  ,  quarante  ; 
de  Tarija  aux  Vallées  ,  quatre-vingts  ;  de 
Tarija  à  Saiiit-Xavicr  ,  première  réduction 
des  Chiquitcs  ,  trois  cens  ;  de  Saint-Xavier 
à  la  réduction  de  Saint-Ignace  des  Zamucos, 
cent  soixante-dix.  Ce  qui  se  monte  à  deux 
mille  cent  trente-deux  lieues.  Que  serait-ce 
si  j'ajoutnis  à  ce  calcul  ,  les  lieues  que  j'ai 
faites  en  détours  ,  car  je  ne  paile  que  de  celles 
qu'il  m'a  fallu  faire  en  droiture  ?  on  en 
compterait  plus  de  trois  mille. 


FTcrniECSES.  \>  \ 

XjB  prrmit'ic  rrcltu-lion  «les  Clu^(nil(•^  , 
nomiiur  «le  Sainl-\a\  icr  ,  vsl  par  s<'i/.r  »!f- 
prrs  (II-  I:iti(u(l(*  Sud  ,  vt  trois  crut  (li\-liiijt 
t!'-i;i»'vs  (If  lr>ngitiuic.  (^rllc  de  Sainl-I^nace 
dfs  Zantucos  ,  d'où  j«*  vous  écris  ,  vsl  par 
%inf;(  d(i;it's  i\c  latitude  Sud  ,  rt  trois  «(  iit 
\iiii;tdi  longiliult' ,  cloit^niT  d'fnviron  mille 
litins  de  niuM>os-Ayi'«'s  ,  par  la  route  tjue 
l'on  doit  suivre  pour  y  arriver. 

Ce  fui  h  1h  fin  d'Octobre  de  l'année  dor- 
nièr«'  que  j'arrivai  à  la  rcdtirlion  de  Saiiit- 
\.ivier  ,  après  avoir  mis  tiois  mois  dans  mon 
voyage.  A  peine  eus-je  pris  quelques  jours 
de  repos  ,  que  je  rrrus  un  nouvel  ordre  de 
me  rendre  à  la  réduction  de  Saint-Iynacc 
des  Ziiniurns  ,  ([ui  en  est  éloignée  ,  ainsi 
(jueje  l'ai  dit,  de  cent  soixante-dix  lieues. 
Il  n'y  a  presque  point  de  communication 
entre  celte  peuplade  et  celles  des  Cliiquitis  , 
dont  la  plus  |)roclie  est  h  quatre-vingts  lieues 
de  distance.  KHe  est  composée  de  ])lusi(iirs 
Nations  »pii  parlent  à-p«'u-près  la  même  lan- 
gue ;  savoir,  des  Z,nmucos  ^  des  Cuciilados  , 
des  Tupios ,  des  [  garonos  et  des  Suticnos  , 
qui  se  soumirent  enfin  à  .lésus-Christ  en 
r. innée  1-21.  Ces  ^lations  était-iit  cxtrcme- 
îuent  féroces  ,  et  il  est  incroyable  combii'n 
elles  ont  coûté  à  réduire  ;  elles  sont  niaiu- 
tenaMt  plus  traitables  ;  mais  il  y  a  encore  à 
tia\ailler  pour  déraciner  entièrement  de 
leurs  c(curs  certains  restes  de  leui-  ancienne 
burbaiie. 

Le  dr.'ssein  qu'on  a  eu  en  pressant  mon 
départ  ,    c'est    l'extrême   désir   où   l'on  est 

F  'j. 


1^4  Lettres  édiiiantes 

depuis   long-ienjps   de  découvrir  le  fleuve 
Picolmayo  ,  elles  JN allons  barbares  quiliabi- 
Uiît  l'un  et  l'autre  rivage  de  ce  grand  fleuve. 
11    me   fallait   demeurer   parmi   les   ludieus 
'Zaniucos  ,    pour   a])prenclrc    leur    langue  , 
qu'on  parle  dans  toutes  ces  contrées.  Dieu  a 
tellemcul  béni  mon  application  à  l'étude  de 
celte  langue  ,  qu'en  cinq  mois  de  temps  que 
j'y  aier7iployés,je  suis  en  état  de  leur  prêcher 
les  véiilés  de  la  Religion.  Je  n'attends  plus 
que  les  ordres  des  Supérieurs  pour  exécuter 
celte  entreprise  :  on  m'annonce  qu'elle  est 
très-périlleuse  ;  car  il  s'agit  de  faire  brèche 
dans  io  plus  folt  asile  ,  où  le  Démon  se  soit 
retranché  dans  cette  Province  ,  et  d'en  ouvrir 
la  poi  Le  aux  hommes  Apostoliques  qui  vien- 
dront travailler  à  la  conversion  de  toutes  ces 
Nations  barbares ,  dont  on  ne  sait  pas  encore 
les  noms.  Il  n'y  a  aucun  chemin  qui  y  con- 
duise ;   toutes  les  avenues  en  sont  fermées 
par  d'épaisses  forêts  qui  paraissent  impéné- 
trables ,  où  il  faut  se  conduire  la  boussole  à 
la  main  ,  pour  ne  pas  s'y  perdre.  Enfin  ce 
Pays,  oii  jusqu'à  présent  personne  n'a  encore 
mis  le  pied,  est  le  centre  de  l'infidélité  j  d'où 
ces  barbares  sortent  souvent  en  très-grand 
nombre  ,  et  désolent  toutes  les    Province» 
voisines.  Je  m'attends  bien  que  les  Indiens 
qui  m'accompagneront  pour  percer  ces  épais- 
ses forêts ,  ne  tarderont  pointa  m'abandonner 
si  ces  infidèles  nous  attaquent  ;  cl  quand  il^ 
auraient  le  courage  de  tenir  ferme  ,  quelle 
pourrait  être  la  résistance  d'un  contre  cent  ? 
Je  serai  donc  le  premier  en  proie  à  leur 


ET    r.  l'R  I  t  f  Sr  S.  l'.J 

furour  ,  mais  je  mets  louie  ma  confiance  on 
Dirii  ,  qui  disposera  ilc  tout  pour  s.n  plus 
^i.iiule  gloire,  et  (|ui  ,  si  c'est  sa  volonté, 
]>eut  de  CCS  pierres  faire  naître  des  enfans 
ti'Abraliam.  S'il  me  conserve,  je  crois  (juc 
j'auiai  ;i  vous  éciin-  hien  «les  choses  c;ipa))!cs 
«le  vous  faire  plaisir,  el  de  vous  édifier.  J'ai 
Lesoin  plus  (jue  jamais  du  secours  de  vori 
prières ,  sur-tout  à  l'Autel ,  et  dans  vos  saints 
Sacrifices ,  en  l'union  desquels  je  f  uis  ,  avec 
respect ,    etc. 


ÉTAT    PRÉSENT 

De  la  Province  de  Paraguay  »  dont  on  a 
eu  connaissance  par  des  lettres  '?>enitcs  de 
Jjuenos-yïy  rcs  ,  datées  du  uo  de  Février 
1^33  j    traduit  de  L'Espagnol. 

JLjes  connaissances  qu'on  a  enostoul  récem- 
ment de  la  révolte  des  Peuples  de  la  Province 
de  Para^/iay,  contrôle  Roi  d'EspajjnCj  leur 
Souverain  ,  consistent  en  une  lettre  que  le 
père'  JérAme  Ilerran  ,  Provincial  des  jMis- 
^ionnaires  Jésuites  établis  dans  cette  Pro- 
vince ,  a  écrite  h  Monseigneur  leMarquisde 
Castel-Fuerte  ,  vice-Roi  du  Pérou  ;  en  une 
courte  relation  de  ce  qui  s'est  passé  depuis 
la  date  de  sa  leiirc  ,  cl  dans  une  lettre  que 
le  Père  Ilerran  a  rcruc  du  vice-Roi  ,  avec 
l'atièiédu  Conseil  Royal  de  Lima,  Capl- 
Tak-  du  Pérou. 

F  3 


126  Lettres  éditiantes 


LETTRE 

Du  Révérend  Père  Jérôme  Herran  ,  Pro- 
vincial des  Missions  de  la  Compagnie  de 
Jésus  dans  la  Province  de  Paraguay ,  à 
son  Excellence  Monseigneur  le  3Iarquis 
de  Castel-Fuerte ,  vice-Roi  du  Pérou. 

Monseigneur, 

Ce  n'est  qu'en  arrivant  dans  la  ville  de 
Cordoue,  que  j'appris  la  révolte  des  Peuples 
de  la  provinee  de  Paraguay,  lesquels  ,  eu  se 
doiinaut  le  nom  de  Communes  ,  ont  caassé 
Don  Ignace  de  Soroeta  ,  à  qui  vous  aviez 
confié  le  gouvernement  de  cette  Province.  Je 
me  suis  mis  aussitôt  eu  chemin  pour  aller 
visiter  les  trente  peuplades  dludiens  qui 
sont  sous  la  conduite  de  nos  jMissionnaircs  , 
et  dans  la  dépendance  du  Gouvernement  de 
Buenos-yljres.  A  mon  arrivée  dans  ces  peu- 
plades ,  je  sus  avec  une  entière  certitude  , 
que  les  relîî'.lles  s'étaient  unis  euyemhle ,  pour 
déposer  les  OOiciers  de  la  justice  Royale  et  le 
Commandant  des  lijoupes.  Voici  àquelleoc- 
casion  celle  révolle  devint  presque  générale. 

Don  Louis  lîareyro.  Alcade  ordinaire  et 
Président  de  la  Province  ,  ayant  [uis  le  des- 
sein d'étoulVer  les  premières  semences  d'une 
révolle  naissante  ,  demanda  du  secours  au 


Commanf^nnl  «les  troupes  ,  qui  vint  en  (  lli  t 
nvrc  un  iioinli'e  suni^.itit  Av  sf'ltl.ils  ,  pour 
1  iMli.iiri'eux  J|Mi  roniincnciirnl  :i  \v\  er  IVteu- 
(l.iiilile  la  réhrilion.  I.e  PiésicK  ni  se  voyant 
.lin»!  soutenu  ,  (il  faire  <l«*.s  inforninlinns  con- 
tre les  cou|»Hi)les  ,  et  avant  certainrmonl 
j  onmi  par  res  infornialions  les  cliets  et  les 
coinplircs  de  la  révolte  ,  il  les  fil  arrùlcr  et 
les  cuiulanina  à  la  mort. 

Lorsqu'on  fut  sur  le  point  d'exécuter  la 
sentence  ,  le  Commandant  auquel  on  avait 
cru  pouvoir  se  fier  ,  mais  qui  dans  le  cœur 
trahissait  les  intérêts  <le  son  Piince  ,  au  lieu 
d'appuyer  la  Justice  ,  ainsi  (fu'il  était  de  son 
devoir  et  qu'il  l'avait  pioniis,  passa  toul-à- 
coup  avec  ses  troupes  dans  le  j)arti  des  rebel- 
les ,  les  (ît  entrer  dans  la  capitale  ,  et  pointn 
le  canon  coutie  la  maison  <le  Ville  ,  où 
étaient  le  Président  et  (luelques  llégidors  , 
zélés  serviteurs  du  Hoi. 

Les  rebelles  étant  entrés  dans  la  Ville  sans 
la  moindre  résistance  ,  se  partagèrent  dans 
tous  les  (juartiers  ,  pillcicut  les  magasins  et 
les  maisons  de  ceux  (jui  demeuraient  fidèles 
il  leur  Souverain  ,  les  traînèrent  avec  igno- 
minie dMis  les  prisons,  ouvrirent  la  prison 
])ul)li([ue  «-ten  firi-ut  sortir  comme  en  triom- 
plie  ceu\([ui  avaient  été  condamnés  à  moit. 
De  plus  ils  ordonnèrent ,  sous  peine  de  la 
vie,  qu'on  leur  présentât  toutes  les  informa- 
tions du  procès  criminel  ,  et  ils  les  firent 
Lrùler  dans  la  place  publitiue. 

AjMvs  s'être  rendus  ainsi  les  maîtres  sans 
qu'il  y  ciil  eu  une  goutte  de  sang  répandu  , 

F  4 


128  Lettres  îïdi  fiante  s 

ils  établirent  une  Justice  qu'ils  eurent  l'inso- 
lence d'appeler  Royale.  Ils  donnèrent  les 
premiers  emplois  à  trois  des  principaux  chefs 
delà  révolte,  qui  avaient  été  condamnés  à 
mort  5  ils  firent  l'un  Alfercz  Royal ,  ils  don- 
nèrent à  un  autre  la  charge  de  Régidor,  et 
le  troisième  ils  le  nommèrent  Président. 

Don  Louis  Bareyro  ne  put  mettre  sa  vie 
en  sûreté  que  par  une  prompte  fuite  ,  et  ce 
ne  fut  qu'après  avoir  essuyé  bien  des  fatigues, 
et  avoir  couru  plusieurs  fois  risque  de  tom- 
ber dans  les  embuscades  qu'on  lui  avait 
dressées  ,  qu'il  arriva  hevireusement  dans  nos 
picupladcs.  Les  autres  Régidors  se  réfugièrent 
dans  les  Eglises  ,  où  néanmoins  ils  ne  se 
trouvaient  pas  trop  tranquilles  ,  parla  crainte 
continuelle  où  ils  étaient  ,  que  les  rebelles 
ne  vinssent  les  arracher  de  ces  asiles ,  ainsi 
qu'ils  les  en  menaçaient  à  tout  moment. 

Leur  dessein  était  de  faire  irruption  dans 
nos  peuplades,  et  sur-tout  de  s'emparer  de 
quatre  de  ces  peuplades  les  plus  voisines  5 
savoir,  de  celle  de  Saint-Ignace,  de  celle  do 
Notre-Dame  de  Foi ,  de  celle  de  Sainte-Rose, 
et  de  celle  de  Sant'Iago;  persuadés  que  sî 
elles  étaient  une  fois  dans  leur  pouvoir  ,  on 
ferait  de  vains  efVorts  pour  les  soumettre.  En 
clfel  ,  s'ils  possédaient  ces  peuplades  ,  ils 
dcvientlraient  les  maîtres  du  grand  llcuvc 
Parana  et  de  JVeembucu  qui  est  un  marais 
de  deux  lieues  ,  inaccessible  à  la  cavalerie  , 
où  avec  une  poignée  de  gens  ils  arrêteraient 
tout  court  les  nombreuses  troupes  que  Votre 
Eîiccllcncc  pourrait  envoyer  pour  les  réduire. 


îîT  r URicrsis.  i'»9 

J^avais  prcvu  de  honnr  hrurc  leur  dossoin  ; 
c'est  j)oui(|Uoi  à  runn  pass.Ti;e  pnr  Bttrnos- 
yf)i'rf ,  i'rn  cnulVi;ii  avec  Monj^tii^inur  I)on 
liriino  lit  /avala  ,  (iouviTiu-ur  de  t ctti'  Ville  , 
cl  de-  loiil  If  l*ays  où  se  IrouvtMit  nos  Mis- 
sions. Selon  ses  ordres  qu'il  m'a  confirmés 
dans  la  suile  par  plusieurs  <le  ses  lettres  ,  on 
a  f.iil  choix  ,  dans  eliaeune  des  peuplades  , 
d'un  nombre  de  bra\es  Indiens  ,  pour  en 
former  un  petit  corps  d'armée  capable  de 
s'opposer  aux  entreprises  des  reljclles, 

()u  j>eutcomptersurla  fidélitédcs Indiens, 
»t  sur  leur  zèle  pour  tout  ce  (|ui  est  du  scr- 
>iee  du  Roi  ;  ils  en  ont  donné  depuis  cent 
ans  des  preuves  éclatantes  d.tns  toutes  les 
occasions  qui  se  sont  présentées  ;  et  entre 
autres  il  y  a  peu  d'années  qu'ils  cliassèrent 
les  Porlupais  de  la  colonie  du  S.iinl-Sacre- 
Tiient  ,  éloignée  de  nos  peuplades  de  ])lus  do 
deux  cens  lieues  •  ils  v  signalèrent  leur  valeur 
et  leur  constance  dans  les  travaux  et  les  dan- 
4;ers  inévitables  d'un  assez  lonj;  siège,  sons 
que  pour  leur  entrelien  il  en  ail  coulé  u\u: 
seule  réale  aux  finances  du  Roi. 

Ce  corps  d'ïndie;js  bien  armés  et  prêts  ;'i 
a  (Trou  ter  tous  les  périls  ,  commence  à  donrrcr 
de  rinr[uiétiidc  ajx  rebelles  ;  ils  se  sont 
adressés  à  Monsei^neui- notre  l'^véque,  et  liû 
ont  protesté  <  u'il^  élnienl  fidèles  sujets  <îu 
Roi,  qu'ils  n'avalent  garde  de  vouloir  rifu 
entreprendre  sur  les  peuplades,  et  ({u';!insi 
ils  le  priaient  d  >  m'engager  ii  renvoyer  les 
Indiens  ebi  z    eu\. 

L'arliûcc  était  grossier  ,   aussi  n'y  fil-oa 

F  5 


i3o  Lettres  édifiantes 

nulle  atlrnlion  ;  il  ne  convenait  pas  de  désar- 
mer les  Indiens  ,  taudis  nue  les  rebelles  ne 
cessaient  pas  d'être  armés  ,  que  les  gramls 
chemins  étaient  couverts  de  leurs  soldais  qui 
eonimcttaient  toute  sorte  d'hostilités  ,  et 
otaientà  la  X'illetouteconimunicationavechs 
Payscirconvoisiiis,  et  que  même  ils  portaient 
l'audace  jusqu'à  intercepter  les  lettres  de  leur 
Evéque  et  les  miennes  ,  dont  ils  fesaicut 
ensuite  publiquement  la  lecture. 

Les  rebelles  voyant  qu'on  n'avait  pas  donné 
dans  le  j>iége  (ju'ils  avaienldressé  ,  s'avisèrent 
d'un  stratagème  plus  capable  de  déguiser  la 
perfidie  et  la  d;q)îicilé  de  leur  cœur ,  etd'asau- 
rer  les  Indiens  de  leurs  intentions  pacifiques. 
Les  chefs  qu'ils  avaient  mis  en  place  rendi- 
rent visite  h  iNlonseigncur  l'Kvè'jue ,  et  l'abor- 
dant avec  le  ])lus  profond  respect  et  avec  Ks 
apparences  du  repentir  le  plus  vif  et  le  plus 
sincère,  ils  le  supplièrent  de  suivre  les  mou- 
vemens  de  sa  tendresse  pastorale  ,  en  s'inté- 
ressant  pour  eux  auprès  de  Votre  Excellence  ^ 
d(;  lui  demander  leur  grâce  ,  et  de  l'assurer 
qu'ils  étaient  entièiemeul  disposés  à  rentrer 
dans  l'obéissance  ,  qui  que  ce  fût  qu'on  leur 
envoyât  pour  Gouverneur,  fut-ce  Don  Diego 
de  Los-Reyes.  «Nous  avons,  ajoutèrent-Ils  , 
yi  une  autre  pi  ière  h  faire  à  Votre  Seigneurie 
»  illustrissime  ,  c'est  d'ordonner  une  neu- 
5)  vaine  en  l'honneur  des  Saints  Patrons  de 
M  la  Ville,  avec  des  proces.-.ionsetdes  œuvres 
»  de  pénitence  ,  afin  d'obtenir  un  heureux 
«  sucrés  de  la  démarche  paternelle  qu'elle 
D  veut  bien  faire  en  nolJC  favour,  » 


r  T  r f  1 1  r  f  s  t;s.  i.>i 

Lr  Prélnt  fui  infinimfui  consola  ilc  trouver 
diins  1piii*s  Cd-iin  de  si  s;iinirs  <lis|H».sUions  ; 
sa  droitmr  nntiirtllc  tic  lui  pcrinit  pas  de 
sonprnnniT  qu'(»n  m  iniposAt  ;i  son  zMc.  L.i 
ncuvainc  coinnirnrn  ,  et  un  si  sniiit  ictnps 
fut  cmplové  par  Irs  rohclirs  h  mit* ux  nfl'i  rmir 
leur  conspiration.  Ils  cntrrrrnt  d.ms  la  Villo, 
non  pas  pour  assi.strrauv  prétlirniious  ,  ;i  In 
jnoiTssion  ,  ri  aux  prières  pul>li(|uc5  ,  mais 
cl.ins  le  dessein  de  cliassLT  li's  .lésuiles  de  leur 
(Collège,  ainsi  qu'ils  rexéeuloienl  le  ly  de 
Février  de  celfo  présente  année, 

I^a  srnlenre(ie  mort  que  Voire  Excellenec 
n  prononcée  conlr»-  Don  .losejdj  Antequera  et 
I)ou  Juan  de  Meua  son  Procureur  ,  et  qui  a 
éié  exécutée  selon  ses  ordres,  leur  a  s«*rvi  de 
prétexte  à  former  de  nouveaux  complots  pour 
animer  les  Peuples  ,  et  les  porter  à  celle 
sacrilège  entreprise.  Ils  ont  irpanHn  de  tous 
côtés  que  ,par  le  moyen  de  leurs  .'.nidé-;,  ils 
avaient  entre  les  mains  toutes  vos  procédures: 
ils  les  ont  revêtues  des  ciiconstances  les  plus 
odieuses,  enir'aulres  que  Votre  Excellence 
avait  achevé  d'instruire  lepiocès  de  ffiiatorzc 
d'entr'eux  ,  qu'elle  les  avait  condamnés  à 
mort  ,  et  qu'elle  avait  nommé  un  Ovdor  de 
l'Audience  royale  de  Los  Chcircos  pour  ca 
liAier  l'exécution.  Et  afin  d'assouvir  Ieurrf\£;e 
contre  les  Jésuites  ,  dont  le  zèle  et  la  fidélité 
les  importune  et  traverse  leurs  desseins,  ils 
ont  pul)lié  que  ces  Pères  étaient  les  moteurs 
cl  les  inslij;ateurs  de  toutes  les  résolutions 
que  Votre   Evellence  a  prises. 

Les  esprits  s'étanl  cchaufTés  par  toutes  ces 

F  6 


iSî»  Lettres  iDiTiANTrs 

impostures,  ils  allèrent  vers  le  raidi  au  CoHégi» 
au  nombre  de  deux  mille  cavaliers  j  poussant 
des  cris  pKiris  de  fureur  ;  ils  en  rompirent 
les  portes  a  grands  coups  de  haches  ,  y  entrè- 
rent à  cheval  ,  saccagèrent  la  maison  ,  et 
emportèrent  toiU  ce  qui  se  trouva  sous  leurs 
mains  ;  ils  en  firent  sortir  les  Pères  avec  tant 
de  précipitation  ,  qu'ils  ne  leur  donnèrent 
pas  le  temps  de  prendre  leur  Bréviaire  ,  ni 
d'aller  dans  leur  Eglise  pour  saluer  le  saint 
Sacrement ,  et  le  mettre  à  couvert  des  profa- 
nations qu'on  avait  lieu  de  craindre. 

Monseigneur  l'Evêque  ayant  appris  ces 
sacrilèges  excès  ,  déclara  que  les  rebelles 
avaient  encouru  l'excommunication,  et  or- 
donna d'annoncer  l'interdit  par  le  son  des 
cloches.  C'est  néanmoins  ce  qui  ne  s'exécuta 
point,  car  plusieurs  des  rebelles  entourèrent 
la  tour  où  sont  les  cloches  ,  et  défendirent 
d'en  approtlicr,  sous  peine  de  la  vie  ,  tandis 
que  d'autres  postèienl  des  gardes  autour  du 
Palais  Episcopal ,  avec  ordre  à  leur  Evêque 
de  ne  pas  raellre  les  pieds  même  sur  le  seuil 
de  sa  porte. 

Votre  Excellence  apprendra  ce  qui  s'eslb 
passé  depuis  par  les  lettres  que  ce  Prélat  m'a 
adressées  y  pour  faire  tenir  à  Votre  Excel- 
lence ;  elle  verra  que  n'ayant  pas  même  la 
liberté  de  punir  les  attentats  commis  contre 
sa  personne  ,  il  a  été  forcé  de  lever  lexcom- 
inuuicaiion,  et  elle  jugera  par-là  du  pitoya- 
ble étal  où  est  celte  Province,  et  du  peu  de 
religion  de  ses  habitans. 

Cci  rebelles  non  coalcns  d'avoir  chassé  les 


F. T  r. iRirrsrs.  iSj 

Jt'siiitrs  (K>  li'ur  maison  cl  tir  la  Villt*  ,  les 
chaNsèicnt  cMiromlc  la  l'icivinto  ,  vl  1rs  Irai- 
«iMfiii  )us«ju'h  celle  <le  Huenos-Ayres.  C«'prn- 
ilaiil  nos  Indirns  en  armes  au  nombre  do 
s«-j)l  mille  ,  font  lionne  parcle  à  tous  les 
pa^saijes  (|ui  peuvent  donner  entrée  dans  leurs 
peuplades,  elils  sont  résolus  de  mourir  plutôt 
que  de  perdie  un  ponce  de  terre.  C'est  ce 
qui  a  arrêté  les  rebelles  ,  el  qui  les  empêche 
de  passer  la  rivière  l'ilnqunri ,  laquelle  sépare 
la  Province  de  Buenos  -  Ayrcs  de  celle  de 
Paraguay. 

Les  Indiens  scmaintiendiont  toujours  dans 
ce  poste, à  moinsqu'il  neleurviennedesordies 
contraires  de  Votre  Excellence.  Elle  peut 
s'assurer  de  leur  lidélilé  et  de  leur  bravoure; 
et  quoif[ue  h-ur  petit  nombre  suflisc  pour 
s'opposer  aux  entreprises  des  révoltés  ,  dans 
une  guerre  (|ui  de  leur  part  n'est  que  défen- 
sive ,  cependant  si  Votre  Excellence  a  besoin 
d'un  plus  £;rand  nombie  de  troupes  pour  le 
service  ilu  lloi  ,  elles  seront  prêtes  à  se  mettre 
en  campagne  au  premier  ordre  de  Votre 
Excellence,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  tirer 
de  la  caisse  Royale  de  quoi  fournir  à  leur 
subsistance,  car  nos  Indiens  que  le  Roi  adis- 
tin|;ués  d«'  tous  les  autres  Indiens  du  Pérou  , 
par  les  privilèges  et  lesexem[)tions  qu'il  leur 
a  accordés,  ont  toujours  servi  et  continueront 
de  servir  Sa  Majesté  sans  recevoir  aucune 
solde. 

J«  n'avanre  rien  à  Votre  Excellente  du 
courage  el  de  la  valeur  de  ces  l*cuples,  dont 
je  n'aie  été  moi-uième  le  témoin.  Je  leur  ai 


}  ?)4  Lkttkes  Éniri».  nths 

MTvi  d'Aumônier  pendant  huit  ans  de  suite, 
dans  les  guerres  qu'ils  ont  eues  avec  les 
Indiens  barbares  Guenoas ,  Bohmies ,  Char- 
mas et  Yaros  ,  qu'ils  défirent  en  bataille 
rangée  ,  et  qu'ils  mirent  en  déroute.  Le  suc- 
cès de  ces  expéditions  fut  si  agréable  à  Sa 
Majesté  ,  qu'elle  leur  fit  écrire  pour  les  re- 
mercier de  leur  zèle,  et  pour  leur  témoigner 
combien  elle  était  satisfaite  de  leurs  services. 

Si  j'insiste  si  fort  sur  le  courage  des  In- 
diens ,  c'est  pour  rassurer  Voire  Excellence 
contre  les  discours  de  certaines  personnes 
qui  ,  ou  par  une  fausse  compassion  pour  les 
coupables  ,  ou  par  une  mauvaise  volonté  pour 
le  Gouvernement ,  s'efforcent  de  rabaisser 
la  valeur  Indienne,  et  d'exagérer  les  forces  , 
le  courage ,  et  le  nombre  des  habitans  de 
Paraguay  ,  pour  persuader  à  Votre  Excel- 
lence qu'il  n'y  a  point  de  ressource  contre 
un  mal  qui  devient  contagieux  de  plus  en 
plus  parla  lenteur  du  remède,  et  qui  gagnera 
insensiblement  les  autres  Villes. 

Je  crois  toutefois  devoir  représenter  à 
Votre  Excellence  ,  que  si  elle  prend  la  réso- 
lution de  réduire  celte  Province  par  la  force 
des  armes  ,  il  est  ;i  propos  qu'elle  envoie  un 
corps  de  troupes  réglées  ,  et  commandées  par 
des  Chefs  hal)iles  et  expérimentés.  Deux 
raisons  me  portent  à  lui  faire  celte  repré- 
sent^Ttion. 

La  première  ,  c'est  que  ce  corps  d'Espa- 
gnols sera  comme  lame  (jui  donnera  le  mou- 
vement à  l'armée  Indienne  j  car  bien  que 
les  Indiens  soient  intrépides,  accoutumés  à 


ETC.  mitUSFS.  i3j 

l»ra>cr  les  péril»,  i!»  ii'out  pas  assez.  «Vrxpé- 
riciiif  <li'  la^iu'rrc  ,  ri  Irur  loi n*  au^iiicntcra 
tir  iiiultii-  ,  lot  .s<|u'il.s  sciont  assujétis  aux 
iuis  ilu  la  di>c  iplitic  militaire. 

L'autre  ral.soii  est ,  qu'après  avoir  fait  ren- 
trer citJ«-  |'ro\  iuce  dans  l'oijt'i.s.sauoe  qu'elle 
d(»il  à  bou  Kui  ,  il  faut  y  inaiuti  nir  la  trau- 
({uillilé,  et  airaclur  juxju'a  la  racine  les 
seiurnces  de  toute  ré\olle,  ce  qui  ne  se  peut 
pas  faire,  h  moins  que  le  Gouverneur  qui 
y  sj-ra  placé  par  Votre  Kxcellence  n'ait  la 
lorte  en  main  pour  se  fair»,*  respecter  et 
oht'ir. 

Je  suis  con\aincu  qu'aussiiùt  que  les  rc- 
lielles  apprendront  que  les  troupes  s'avan- 
cent pour  leur  faire  la  {guerre,  leurs  Chefs 
et  ceux  «jui  (»nt  fonienlc  la  rébellion  ,  se 
^oYaMt  trop  faihles  pour  se  défendre,  fui- 
ront au  plus  vite  dans  les  montagnes,  d'où 
ils  tiendront  la  Province  dans  de  continuelles 
alétruies.  Il  «"st  donc  nécessaire  qu'on  y 
entretienne  ,  pendant  quelque  temps,  une 
garnison  de  troupes  réi;lées  ,  (jui  soient  aux 
firdres  et  sous  la  conduite  du  Gouverneur, 
afin  <|u'il  en  puisse  disposer  comme  il  le 
juf^eia  à  propos,  pour  le  plus  grand  service 
de    Sa   ^Iaj(;slé. 

Je  me  suis  informé  de  Don  Louis  Bareyro, 
qui  s'est  réfugié  dans  nos  peuplades ,  (juel 
])OU\ait  être  le  nombre  des  liahilans  qui 
font  sur  la  fronlièi  e  de  la  Province  de  Para- 
guay :  il  m'a  réjj.>ndu  ([u'élani  l'iiunée  der- 
nière Président  de  celle  Pro\ince,  il  avait 
fait  faire  le  déoonibrcmcnt  de  tous  ceux  qui 


i36  Lettres  édifiantes 
étaient  capables  de  porter  les  armes ,  et  que 
ce  nombre  ne  montait  qu'à  cinq  mille  hom- 
mes; mais  il  m'assure  que  maintenant  il  n'y 
en  a  pas  plus  de  deux  mille  cinq  cens,  qui 
soient  en  état  de  faire  quelque  réaistaaceaux 
forces  que  Votre  Excellence  enverra  pour 
rétablir  la  paix.  Il  m'a  ajouté  que  bien  que 
les  rebelles  paraissent  résolus  de  faire  face 
à  vos  troupes  ,  et  de  se  bien  défendre  à  la 
faveur  du  terrain  qu'ils  occupent  ,  ils  ne 
verront  pas  plutôt  approcher  votre  armée  y 
qu'ils  s'enfuiront  dans  les  montagnes. 

Tel  est,  Monseigneur,  l'état  où  se  trou- 
vent les  rebelles  de  la  Province  de  Paraguay, 
c'est-à-dire,  presque  tousses  hal)itans,  et 
ceux-là  même  que  la  sainteté  de  leur  pro- 
fession oblige  de  contenir  les  Peuples,  par 
leurs  prédications  et  par  leurs  exemples  , 
dans  l'observance  des  lois  Divines  et  Ecclé- 
siastiques ,  et  dans  l'obéissance  qu'ils  doivent 
à  leur  Souverain  :  on  n'y  voit  plus  que 
lumullc  et  que  confusion  ;  on  ne  sait  ni  qui 
commande  ni  c[ui  obéit  \  on  n'enlend  parler 
que  de  haines  mortelles,  que  de  pillages  et 
de  sacrilèges. 

Monseigneur  l'Evêquc  a  travaillé  avec  un 
7-èle  infatigable  pour  arrêter  tant  de  désor- 
dres :  mais  son  zèle  et  ses  travaux  n'ont  eu 
aucun  succès  auprès  do  ces  hommes  p<'rvers, 
qui ,  comme  des  frénétiques  ,  se  sont  jetés 
avec  fureur  sur  le  Médecin  charitable,  qui 
applifjuail  le  remède  à  leurs  maux.  Ils  ont 
traité  indignement  sa  personne  ,  ainsi  que 
Votre  Excellence  le  vejra  par  ses  Icllres,  ou 


HT    Ct'Rir  CSFS.  t3^ 

il  cvpo.so  li->  raisons  qui  l'ont  forcé  d'nhsou- 
drc  de  rcxconiniuuic.-ition  les  sar  ri  loges  (|ui 
ont  profan»'  Ir  lii'u  Saint  cl  violé  l'immunité 
Kft  It'siastifju»'.  Il  fsl  vrai  (|u'il  n'a  r\igé 
lî'fux  aut-une  satisfaction  :  mais  en  pouvait-il 
tsjM'rcr  de  gens  ol)5tincs  dans  leurs  crimes, 
qui  ,  pnr  leurs  menaces,  par  leurs  cris  et 
par  les  expressions  impies  ([u'ils  avaient  con- 
tinuellenuMit  à  la  hoiK  lie  ,  ne  fesaient  (|ue 
trop  craiiulie  (-itriis  n'en  vinssent  ju6(ju'à 
secouer  tout-.i-fail  le  joug  de  l'obéissance 
qu'ils  doivent  à  l'Eglise  ? 

Dieu  veuille  jeter  sur  eux  des  regarda 
de  miaéricoid»*  ,  et  les  éclairer  de  ses  divines 
In  mièi  es  ,  afin  fju'ils  reviinncnt  de  leur  aveu- 
glement. Je  prie  le  Seigneur  (ju'il  conserve 
Votre  Excellence  pendant  plusieurs  années  , 
pour  le  bien  de  l'Etat  et  pour  le  rétablis- 
sement do  la  trancpiillité  troublée  ])ar  tant 
d'ofl'enses  conimises  contre  la  Majesté  Divine 
et  contre  la  Majesté  Royale  ,  etc. 

Depuis  la  date  de  cette  lettre  ,  nos  Indicng 
se  sont  toujours  tenus  sous  les  armes  ,  el 
gai  dent  avec  soin  le  poste  où  ils  sont  placé? 
sur  les  bords  de  la  rivière  Tibiçitari.  Cepen- 
dant les  Communes  de  Para^juay  sont  dans 
de  grandes  inf{uiéludes,  causées  ou  par  l'am- 
biti<^>n  des  uns  (jui  voudraient  toujours  gou- 
verner ,  ou  par  la  crainte  c[u'ont  les  autres 
d(;s  résolutions  que  prendra  Monseigneur 
notre  vice-Roi ,  pour  punir  tant  d'excès ,  el 
une  désobéissance  si  éclatante. 

Mais  ce  qui  les  inquiète  encore  davantage  ^ 


l38  LETTRES    ÉDIFIANTES 

c'est  de  voir ,  dans  leur  voisinage  ,  l'armée 
des  Indiens  Guaranis  ,  prête  à  exécuter  sur 
le  cliamp  les  ordres  qu'on  jugera  à  propos 
de  lui  donner.  Il  n'y  a  poiat  de  moven  que 
CCS  rebelles  n'aient  employé  pour  persuader 
à  nos  Indiens  ,  qu'ils  n'avaient  jamais  eu  la 
pensée  d'envahir  aucune  de  leurs  peuplades, 
ni  de  commettre  la  inoindre  hostilité  h  leur 
égard  ;  qu'ils  devaient  compter  sur  la  sincé- 
rité de  hurs  paroles,  et  se  retirer  dans  leurs 
habitations  sans  rien  craindre  de  leur  part. 
Ces  démarches  n'ayant,  eu  nul  succès  ,  ils 
eurent  recours  à  Monseigneur  notre  Evêque, 
et  le  prièrent ,  fort  inutilement,  d'interposer 
son  autorité  pour  éloigner  les  Indiens.  Knfin 
ils  députèrent  deux  de  leurs  Régidors  vers 
l'armée  Indienne  ,  pour  lui  donner  de  nou- 
velles assurances  de  leurs  bonnes  intentions, 
et  lui  protester  qu'ils  n'avaient  jamais  eu  le 
dessein  de  rieu  entreprendre  contre  les  peu- 
plades. 

Toute  la  réponse  qu'ils  reçurent  des  In- 
diens ,  fut  qu'ils  occupaient  ce  poste  par 
l'ordre  de  INIonseigneur  Don  Bruno  de 
Zavala  leur  Gouverneur  ,  afin  de  défendre 
leurs  terres  et  de  prévenir  ton.ite  sur[)iise  , 
et  qu'ils  y  demeureront  constamment,  jus- 
qu'à ce  qu'il  vienne  des  ordres  contraires 
de  la  part  ou  de  son  Excellence,  ou  di-  INIon- 
seigneur le  vice-Rui  ;  que  du  reste  les  habi- 
tans  de  Paraguay  pouvaient  s'adresser  à  l'un 
ou  h  l'autre  de  ces  Messieurs  pour  en  ob- 
tenir ce  qu'ils  paraissaient  souhaiter  avec 
tant  d'ardeur. 


FT    Cll\  IF.  ISFS.  f^Q 

Los  ilt'putca  s'fU  rcloiniHicnl  pru  coniciis 
du  succès  (le  leur  iu''i;i>ci.ilioii  ,  cl  encore 
plus  iuijuiets  (|u'au]>ar:i\aut  ,  |)ai'ce  cju'ils 
avaient  été  témoins  oculaires  de  la  bonne 
(li>|)osition  tic  ces  troupes  ,  de  leur  nonil<ri' , 
de  leur  valeur  et  de  leur  ferme  re.-<.)lutioii 
à  ne  pas  désemparer  du  poste  tprelles  occu- 
paient. 

Dans  crscircoust.iiicrs,  il  me  f;illut  visitor 
la  Province  pour  remplir  les  obligations  de 
ma  Charge.  En  arrivant  à  lkiei.os-Aj>  res  , 
j'appris  (jue  les  Peuples  de  la  ville  de  Las- 
Cuiicntes  avaient  imité  rexemjjle  des  liabi- 
tans  de  Paraj^uay  ,  et  étaient  entrés  dans  kur 
révolte  sous  le  même  nom  de  Cuinniiines. 
Voici  à  quelle  occasion  leur  soulèvement 
éclata. 

Monseigneur  Don  Firuno  avait  donné 
ordre  à  son  Lieutenant  de  cette  Ville,  d'en- 
voyer un  secours  de  deux  cens  hommes  aux 
Indiens  campés  sur  les  ]>ords  de  'J'ibiquari y 
au  eas  que  les  rebelles  de  Paiaguay  se  pré- 
parassent à  quehjue  entreprise.  Comme  le 
Lieutenant  se  mettait  en  devoir  d'exécuter 
cet  ordre,  les  habitans  l'emprisonnèrent  en 
lui  déclarant  (|u'ils  étaient  frèifsel  ami^  des 
paraguayens  ,  et  unis d'iiitérèls avec  eux  pour 
la  conservation  et  la  délense  de  leurs  droits 
et  de  leur  liberté.  Ensuite,  soit  par  crainte 
que  le  prisonnii-r  n'(cha|'|);\t  de  leurs  mains, 
soil  dans  la  vue  de  mieux  cimenter  leur 
iinion  réeij:roque,  ils  (ireiii  conduire ceLieu- 
lenanl  sur  les  terres  de  Paraguay  ,  pour  y 
être  eu  plus  sûre  garde.    Us  eurent  même 


i4.o  Lettres  édifiantes 

l'audace  d'envoyer  des  Députés  à  Monsei- 
gneur le  Gouverneui'  de  Bucnos-Ayres  , 
pour  lui  rendre  compte  de  leur  conduite  , 
et  lui  faire  entendre  qu'il  devait  donner  les 
mains  h  tout  ce  qu'ils  avaient  fait  pour  le 
grand  service  du  Roi  ,  et  confirmer  le  nou- 
veau 5^ouv»'rncment  des  Communes  ,  approu- 
ver les  OiFiciers  qu'ils  avaient  établis  ,  et 
abandonner  à  leur  République  le  droit  de  les 
déposer  ou  de  les  placer  selon  qu'elle  le  juge- 
rait à  propos.  Un  pareil  discours  fit  assez 
connaître  que  ces  Peuples  avaient  secoué  le 
joug  de  l'Autorité  souveraine  ,  et  voulaient 
vivre  dans  une  entière  indépendance. 

Cependant  les  Paraguayens  charmés  de 
trouver  de  si  fidèles  imitateurs,  ne  tardèrent 
pas  à  leur  en  marquer  leur  reconnaissance  : 
ils  leur  envoyèrent  deux  barques  remplies  de 
soldats  pour  les  souleuir  dans  ce  commence- 
ment de  révolte  ,  et  les  attacher  plus  forte- 
ment aux  intérêts  communs.  En  même-temps 
ils  rassemblèrent  leurs  milices  ,  et  firent 
descendre  la  rivière  à  deux  mille  de  leurs 
soldats,  commandés  parle  Capitaine-Général 
de  la  Province.  Cette  petite  armée  parut  à  la 
vue  du  camp  de  Tibiquari ^  et  s'y  maintint 
jusqu'à  la  nuit  du  i5  de  Mai,  qu'une  troupe 
de  nos  Indiens  passa  la  rivière  h  gué  ,  donna 
vivement  sur  la  cavalerie  qui  étuit  de  trois 
cens  hommes,  elles  amena  au  camp  sans  la 
moindre  résistance.  La  terreur  se  mit  dans 
le  reste  des  troupes  Paraguayènes  ,  qui  cher- 
chèrent leur  salut  dans  une  fuite  précipitée. 
Deux  de    nos   Indiens  eurent  la  hardiesse 


ETCCRini'srs.  141 

d'aller  jusqu'à  la  villi;  do  l'Assomption  ,  et 
«près  vn  avoir  reconnu  l'assiette  ,  lesdinéren- 
tes  entrées  et  sorties  de  hi  place  ,  les  di\  erses 
routes  qui  y  conduisent,  ils  s'en  retournèrcnl 
sains  et  saufs  au  camp  ,  où  ils  firent  !«•  rap- 
port  de  ce  qu'il*  avaient  vu  et  examine. 

Les  choses  étaient  dans  cet  état ,  lorstju'on 
apprit  que  IMonseif;neur  le  vice-Roi  avait 
nouinié  Don  Isidore  de  Mirones  et  Benévcnté 
pour  Jugc-r.ouvcrneur,el  Capital  ne-(iénéral 
de  la  province  de  l^araguay  :  ce  Genlilhonime 
avait  la  contlance  du  vice-Roi,  et  il  la  méri- 
tait par  son  habileté  et  sa  sagesse  ,  dont  il 
avait  donné  des  preuves  toutes  récentes,  ea 
pacifiant  avec  une  j)riidence  adiniraljle  les 
troubles  de  la  province  Cochabuinba  dans 
le  Pérou.  11  marchait  à  grandes  journées  ,  et 
approchaitdcla  provincede  Tuciiman  ^  lors- 
qu'on arrivant  il  Cordoue  ,  il  recul  un  contre- 
ordre  ,  parce  (|ue  Sa  Majesté  avait  pourvu 
du  (iouvernetncnl  do  Paraguay  Don  INIanuel 
Augustin  de  llui  loba  de  CaldoroUj  Capitaine- 
Général  de  la  garnison  do  Calhio.  Le  vice- 
Roi  lui  ordonna  do  partir  en  toute  diligence  , 
et  do  pi*c\i'nlr  à  l'heure  mémo  par  ses  lettres 
le  Gouverneur  do  liuenos-Ayres  ,  afin  qu'à 
sou  arrivée  dans  ce  port  il  trouvût  tout  prêt, 
et  qu'il  put  sans  aucun  retardement  se  rendre 
à  son  Gouvernement  avec  les  troupes  Espa- 
gnoles et  Indiennes  ,  ([ui  doivent  l'accom- 
pagner pour  réduire  celte  Province  et  la 
«ounieltre  à  l'obéissance  de  son  légiliinç 
Souverain. 


i42  Lettres    épi  liantes 


LETTRE 

De  Monseigneur  le  Marquis  de  CnstcU 
Fuerte  ,  ince-Roi  du  Pérou  ,  au  Jiivérerid 
Père  Jérôme  Herran ,  Provincial  des 
Missions  de  la  Province  de  Paraguay. 

Mon  révérend  père, 

J'ai  l'eçu  la  Lettre  que  votre  Révérence 
m'a  écrite  le  i5  Mars  ,  où  elle  expose  dans 
un  grand  détail  ce  qui  s'est  passé  dans  la 
province  de  Paraguay  ,  la  reLellion  de  ses 
liahitans  ,  et  l'état  où  se  trouvent  les  Peuples 
voisins  de  cette  Province,  afin  qu'étant  bien 
informé  de  toute  chose,  je  puisse v  pourvoir 
de  la  manière  qui  convient  au  service  de  Sa 
Majesté  :  c'est  sur  quoi  je  n"ai  point  perdu 
de  temps.  Don  Manuel  Augustin  de  Tluiloba 
Calderon  ,  Commandant  de  In  garnison  de 
Callao  ,  a  élé  nommé  par  le  Roi  (iouverneuç 
et Capitnine-Généralde  la  provincede  Para- 
guay :  il  part  en  toute  diligence  ,  après  avoir 
reçu  les  oidres  que  je  lui  ai  donnés  ,  pour 
apporterle  remède  convenal)leà  ces  troubles. 

Comme  je  connais  votreatlarliement  pour 
la  personne  \\u  Roi  ,  et  le  zèle  avec  lc(iuel 
vous  vous  portez  à  tout  ce  qui  rst  au  service 
de  Sa  Majesté,  je  ne  doute  point  que  vous 
ne  contiuuyez  d'apporter  tous  vos  soins  ,  et 
de  tirer  des  peuplades  de  vos  Missions  les 


ET  c  r  RI  El'  srs.  145 

•fcours  né<;cs.sairi's  ,  pourlacililorau  nouvrau 
Gouvernpur  rcxéciiliou  de  m's  ordres, 

La  Lrllrc  ci-joiulo  adressée  à  rKxcellen- 
tissinie  S«'if;rieur  Don  liruiin  Za\;il;i  ,  eon- 
tieiil  des  fudus  (|u'il  doil  c\éeiiliid';i\  ;im  e, 
aliii  (|ue  J)ori  Manuel  de  Kuiloha  trouve 
toutes  choses  prèles  à  son  arrixée  et  puisse 
agir  dans  le  moment.  Faites  paitir  eeite 
Lettre  par  la  voie  la  plus  sûre  et  la  plus 
rouite,  afin  (jurlK-soil  remise  prompuim-nt 
audit  Seiyneiir  Don  Hruno,  ainsi  qu'il  con- 
vient au  service  de  Sa  M:ijeslé. 

Faites  part  aussi  de  ce  que  je  vous  mande 
1  Monsei^iu'ur  l'Kvèque  ,  en  lui  niarcjuant 
combien  je  suis  satisfait  de  sa  conduite,  et 
du  zèle  avec  lequel  il  a  servi  Sa  Majesté. 
Oue  le  S«-igneur  cons»'rve  plusieurs  années 
\  otre  Uévénncecomnie  je  le  désire.  A  I/ima  , 
le  'iff  de  Juin  1-32.  Le  Marjjuisde  Castel- 

1"  L  tKTE. 


COPIE    de  l'acte  dressé  dans  le  Conseil 
Itoyul  de  Lima. 


D 


vNS  la  villt!  de  Los-Reyes  du  Pérou  ,  le 
:k\  de  Juin  de  l'année  l--^'*,  funnt  préseiis 
dans  leClonsiil  ]{oval  de  Justice  Lxccllentis- 
sinie  Seigneur  Don  Josepli  di-  Ai  maiiil.ii  iz  , 
AIarquisdeCaslel-Fuerle,C.ipili«ini-(^iéuéial 
des  armées  i\u  Iloi  ,  vice-lloi  ,  Gouxcrneui- 
cl  (Japilaiuc-Gcuciai  de  j)ti  Ku}auiiics  du 


i44  Lettres  ÉDIFIANTES 

Pérou  ;  et  les  Seigneurs  Don  Joseph  de  la 
Concha  ,  Marquis  de  Casa  Concha  -,  Don  Al- 
varo  deNavia  Bolanoy  Moscoso;  Don  Alvaro 
Cavero  ;  Don  Alvaro  Quitos  ,•  Don  Gasnar 
Ferez  Buelta  ;  Don  Joseph-Ignaeede  Avilès, 
Président  et  O ydor  de  cette  Audience  Royale, 
où  assista  le  Seigneur  Don  Laurent  Antoine 
de  la  Puente  son  Avocat  fiscal  pour  le  civil  ; 
lecture  fut  faite  de  difTérentes  Lettres  et 
autres  papiers  envoyés  à  son  Excellence  ,  qui 
informent  des  troubles  suscités  dans  la  pro- 
vince de  Paraguay  par  différentes  personnes  ; 
laquelle  lecture  ayant  été  entendue,  et  après 
de  mûres  réflexions  sur  l'importance  des  faits 
que  contiennent  ces  Lettres  ,  il  a  été  résolu 
qu'on  prierait  son  Excellence  d'enjoindre  au 
Père  Provincial  delà  province  de  Paraguay, 
ou  en  son  absence  à  celui  qui  gouverne  les 
Missions  voisines  de  ladite  Province  ,  de 
fournirpromptement  au  Seigneur  Don  Bruno 
de  Zavala  et  à  Don  Manuel  Augustin  de 
Ruiloba  ,  Gouverneur  de  Paraguay  ,  le 
nombre  d'Indiens  Tapes  et  des  autres  peu- 
plades bien  armés  qu'ils  demanderont  pour 
forcer  les  rebelles  à  rentrer  dans  l'obéissance 
qu'ils  doivent  à  Sa  Majesté,  et  exécuter  les 
résolutions  que  Son  Excellence  a  prises  de 
l'avis  du  Conseil.  Son  Excellence  s'est  con- 
formée à  cet  avis.  En  foi  de  (juoi ,  conjoin- 
tement avec  Icsdits  Seigneurs,  elle  a  paraphé 
la  présenl(\ 

Don  Manlt.l-François  Furnandez  de  Pare- 
»ES  ,  premier  Secrétaire  du  Conseil,  pour- 
.lesafïaires  du  Gouvernement  et  delà  Guerre. 

îklÉMOIRE 


ET    CURIEUSES.  '|J 


MÉMOIRE 

yinologètiquc  tUx  Missions  établies  par  les 
Pères  Ji'suitvs  ddtt.s  1(1  Province  de  Para- 
guay f  présenté  au  Conseil  Royal  et  su- 
prême des  Indes  ,  par  le  Père  Gaspard 
Rodero  ,  Procureur-Général  de  ces  Mis- 
sions ;  contre  un  Libelle  dijjamatoirç 
rempli  détails  calomnieux  ^  qu'uny/no- 
riyme  étnmi^er  a  répandu  dans  toutes  les 
parties  de  l'Europe.  (  Traduit  de  l'Espa- 
gnol. ) 


U: 


N  Ecclésiastique  étranger,  qui  avait  sans 
doute  ses  raisons  pour  cacher  son  nom  et  sa 
patrie  ,  parut  en  cette  Cour  cVEspajjne  cq 
l'année  i^  i5.  Il  trouva  le  moyen  d'approcher 
de  la  personne  du  Roi,  et  de  lui  présenter 
un  Mémoire  où  il  renouvelait  les  anciennes 
calomnies  dont  on  a  tâché  de  noircir  les 
IMissionnaires  du  Paraguay,  et  suppliait  Sa 
^Majesté  de  lui  donner  les  pouvoirs  nécessaires 
pour  remédier  au  prétendu  désordre  de  ces 
ISlissions  ,  et  pour  travailler  à  la  conversioa 
des  Nations  infidèles  répandues  dans  ces 
vastes  Provinces.  Le  Roi  eut  à  peine  jeté  les 
yeux  surcct  écrit,  qu'il  aperçut  la  malignité 
de  l'accusateur ,  et  la  fausseté  de  ses  accusa- 
tions ,  où  la  vraisemblance  n'était  pas  même, 
gardée  ;  c'est  pourquoi ,  non  content  de  reje- 
ter cet  indigne  libelle  ,  il  porta  un  nouveau 
Tome  IX.  G 


ifl6  Lkttres  ÉniriANTEs 

décret  l'année  suivante  1716,  par  lequel  il 
oi'ilonnait  de  conserver  aux  Indiens  de  ces 
IMissions  ,  tontes  les  i^rAces  et  les  privilèges 
f[ue  les  Rois  ses  prédécesseurs  leur  avaient 
accordés.  On  trouvera  ce  décret  à  la  fin  de 
ce  Mémoire. 

Le  jugement  d'un  Prince  si  éclairé  et  si 
équitable  devait  faire  rentrer  en  lui-même 
l'auteurdu  libelle:  sa  passion  n'en  futque  plus 
jrritée.  Il  retourna  en  France  ,  où  il  fit  impri- 
mer son  écrit  en  Français  et  en  Latin  :  il  le  ' 
répandit  en  Angleterre,  en  Hollande  et  dans 
la  Flandre,  où  il  fut  reçu  avec  applaudisse- 
ment des  g<.'ns  animés  de  son  même  esprit, 
et  même  de  quelques  Catholiques  portés 
naturellement  h  croire  toutes  les  fables  qu'on 
imagine  et  qu'on  débite  contre  les  Jésuites. 

Comme  ce  libelle  avait  indigné  Sa  Majesté 
Catholique,  et  tous  ceux  qui,  ayant  vécu 
dans  ces  Provinces  éloignées  ,  avaient  été 
témoins  de  ce  qui  s'y  passe  ,  il  ne  méritait 
guères  que  les  Jésuites  y  fissent  attention. 
Aussi  n'en  firent-ils  pas  plus  de  casque  de^ 
tant  d'autres  contes  satiriques  que  les  enne- 
mis de  l'Eglise  ne  cessent  de  publier  contre 
leur  compagnie. 

Dix-huit  ans  après  le  mauvais  succès  que 
cet  infortuné  libelle  avait  eu  en  Espagne  , 
l'auteur  ou  quelqu'un  de  ses  partisans,  a  cru 
devoir  le  reproduire  :  les  troubles  arrivés  eu 
l'année  173'^  dans  la  Province  de  Paraguay 
lui  ont  paru  une  occasion  favorable  pour  le 
remettre  au  jour  traduit  enlangueEspagnole, 
et  simplemcut  en  manuscrit  ;    comme  s'il 


r.  T  c UR  i  r.  u  SES.  i47 

s'Agissait  d'une  ilécouxerteloultTccenlequ'on 
eùl  fail  tir  la  pivvaricalion  «It's  Missionn.'iircs. 
L«*s  A^ens  dis  liahiljiis  de  la  ville  de  l'As- 
S()ni]>tion  ,  qui  sont  ù  la  suite  de  la  Cour, 
ont  été  le  canal  par  où  il  a  fail  jiassrr  son 
«dit  dans  les  mains  d'un  Seigneur  de  j^raud 
mérite,  et  <|ui  approche  de  plus  près  la  per- 
sonne de  Monseijjueur  li*  Prince  des  Astu- 
ries  ,  ne  doutant  point  qu'il  ne  lût  commu- 
ni(p>é  A  ce  Prince  ,  et  (ju'à  la  vue  de  ces 
j)riviléi;es  accordés  aux  Indiens  ,  cl  qu'on 
disait  être  contraires  aux  droits  liérédilaires 
de  la  Couronne  ,  Son  Altesse  Royale  n'inter- 
j)osi\t  son  autorité  pour  les  faire  révoquer  , 
et  ne  prlides  impressions  désavantageuses  aux 
Jésuites.  Mais,  <juoi(jue  ce  Seigneur  ignorât 
que  ce  Mémoire  eùl  déjà  été  rejeté  du  Roi  , 
il  en  conçut  l'idée  que  méritait  un  écrit,  où 
l'Auteur  n'osait  mettre  son  nom  ,  et  qui  rap- 
pelait d'atroces  calomnies  dénuées  de  preu- 
ves ,  et  tant  de  fois  détruites  depuis  plus  d'un 
siècle  par  les  témoignages  les  plus  inéfra- 
gahles. 

L'acharnement  de  l'anonyme  à  décrier  de 
si  saintes  Mis.sions,  et  l'audace  a\ec  laquelle 
il  voudrait  eu  imposer  ;i  toute  l'Europe,  ne 
permettent  pas  de  diflérer  plus  long-temps  à 
le  convaincre  de  ses  calomnies  par  des  preu-, 
ves  é\  ideutes,  et  auxquelles  il  n'y  a  poiui  de 
répli(jue. 

Mais,  avant  que  de  répondre  en  détail  à 
chaque  article  de  son  libelle,  il  est  à  propo» 
de  faire  reniaïquer  en  général  comi)ien  il 
couaaîl  peu  la  situation  de  ci-s  Provinces^  la 

*     G  -^ 


i/jS  Lettres  édifiantes 

nature  de  leur  climat,  les  fruits  qu'elles  pro- 
duisent et  la  distance  des  peuplades.  Selon  lui 
ce  Pays  est  un  Paradis  sur  terre  ,  qui  four- 
nil en  abondance  aux  Missionnaires  de  quoi 
mener  la  vie  la  plus  délicieuse.  On  voit  bien 
qu'il  n'a  pas  éprouvé  ce  que  l'on  a  à  souffrir 
tout-h-la-fois  ,  et  d'un  climat  brûlant  où  l'on 
ne  respire  qu'un  air  embrasé,  et  de  l'iiumidité 
des  terres  causée  par  les  vapeurs  continuelles 
qui  s'élèvent  du  fleuve  Parana ,  et  qui  retom- 
bent en  épais  brouillards.  Une  pareille  situa- 
lion  est  sans  doute  fort  avantageuse  à  la  santé , 
et  très -propre  à  rendre  un  pays  fertile  en 
>   iVuits  délicieux. 

A  la  vérité,  les  peuplades  qui  sont  sur  les 
bords  de  V Uraguay  ^  jouissent  d'un  climat 
plus  doux  et  plus  tempéré.  Comme  elle» 
sont  à  la  liauteur  de  vingt-six  degrés  ,  elles 
se  sentent  du  voisinage  de  Bucnos-y/yres  ; 
les  vents  qui  s'y  élèvent  répandent  en  l'air 
une  fraîcheur  agréable  :  aussi  voit-on  que  , 
pourvu  qu'on  cultive  la  terre  ,  elle  produit 
une  partie  de  tout  ce  qu'on  trouve  en  Espa- 
gne. On  voyait  le  siècle  passé  des  troupeaux 
sans  nombre  de  bœufs  ,  de  moutons  et  de 
chevaux  qui  erraient  dans  ces  vastes  Cam- 
pagnes, lesquelles  s'étendent  d'un  coté  jus- 
qu'à la  mer  et  au  Brésil ,  et  de  l'autre  côté  jus- 
qu'à Buenos-// y res  et  iï  Monte- ndeo.  IMais 
maintenant  tout  est  presque  entièrement 
ruiné  ,  en  partie  par  la  sécheresse  qui  règno 
depuis  ({uel([ues  années,  et  encore  plus  par 
l'avidité  des  Espagnols,  qui  ont  détruit  tous 
CCS  besliau.x  saus  en  retirer  d'aulrc  profil  que 


ET    Ct'IilF.  LStS.  i%g 

la  graisse  qu'ils  ont  gaidi-c  pour  eux,  cl  les 
cuirs  tloiit  ils  ont  lait  loniinerce  dans  loule 
rKiiiope.  Il  faudra  bien  des  années  j»our 
réparer  celle  perle.  Il  ne  resle  plus  qu'une 
ceriaine  qunnlilé  d'animaux  doniesli<[ues  , 
cju'oii  conserve  avec  (;rand  soin  dans  thiujue 
jx'uplade  ,  soil  pour  la  nourriture  di-  srs  Im- 
j)iliins  ,  soit  pour  les  donner  en  ccli.inge  des 
autres  choses  dont  ils  ont  besoin  toutes  les 
fois  que  le  Gouverneur  de  liutnos  -  yJyres 
leur  donne  ordre  do  venir,  ou  pour  cora- 
ballre  les  ennemis  de  l'Etat  ,  ou  pour  tra- 
vailler Hux  foi  tilications  des  places  do  soa 
Gouvernement  ,  contme  on  le  verra  dans 
la  suite.  C'esl  sur  ce  premier  fondement 
que  l'auteur  du  libtlb;  établit  d'abord  les 
grandes  ricbesses  qu'il  suppose  aux  Mission» 
Daires. 

Il  vient  ensuite  an  prétendu  commerce 
qu'ils  font  de  ce  qu'on  appelle  l'herbe  du 
Paraguay ,  qui  est  si  fort  recherchée  ,  non- 
seulement  des  Peuples  de  l'Inde  méridio- 
nale, n)ais  eneoie  de  toutes  les  Nations  du 
Nord.  Il  faut  avertir  d'abord  que  ce  n'est 
que  sur  les  montagnes  do  Maracayu  ,  éloi- 
gnées de  près  de  deux  cens  lieues  des  peu- 
Îjlades  du  Paraguay,  que  croissent  naturel- 
einent  les  aibres  qui  produisent  celle  herbe 
si  estimée.  Nos  Indiens  en  ont  absolument 
besoin,  soit  pour  leur  boisson,  soit  pour 
l'échanger  avec  les  denrées  et  les  autr«'s  mar- 
chandises qui  leur  sont  nécessaires:  c'est  ce 
qui  a  été  sujet  à  de  grands  inconvéniens  ;  il 
leur  fallait  passer  plusieurs  mois  de  raouée 

G  3 


i5o  Lettres  jIdîfiantes 

à  vojMger  jusqu'à  ces  montagnes.  Pendant 
ce  temps-là  ils  manquaient  d'instruction  :  les 
Tiahitations  se  trouvant  dépeuplées  ,  étaient 
exposées  aux  irruptions  de  leurs  ennemis  : 
de  plusieurs  mille  qui  partaient ,  il  en  man- 
quait un  grand  nombre  au  retour  :  le  chan- 
gement de  climat  et  les  fatigues  en  fesaient 
mourir  plusieurs  ;  d'autres  ,  rebutés  par  le 
travail ,  s'enfuyaient  dans  les  montagnes  ,  et 
reprenaient  leur  premier  genre  de  vie,  ainsi 
qu'il  est  arrivé  chez  les  Espagnols  de  l'As- 
somption ,  qui  ont  perdu  dans  ces  voyages 
presque  tous  les  Indiens  qu'ils  avaient  à 
leur  service  à  ^o  lieues  aux  environs  de  leur 
Ville  ,  et  qui  voudraient  bien  se  dédommager 
de  ces  pertes  ,  en  ruinant  nos  peuplades  , 
pour  s'approprier  les  Indiens  qui  y  sont  sous 
la  conduite  des  Jésuites. 

Les  Missionnaires  ,  pleins  de  zèle  pour  le 
salut  de  leur  troupeau  ,  cherchèrent  les 
moyens  de  remédier  à  des  inconvéniens  si 
funestes  :  ils  firent  venir  de  jeunes  arbres  de 
Maracayu  ,  et  les  firent  planter  aux  envi- 
rons des  peuplades  ,  dans  le  terroir  qui  leur 
parut  avoir  le  plus  de  rapport  avec  celui  de 
ces  montagnes  :  ces  plants  réussirent  assez 
tien  ,  et  de  la  semence  qu'ils  recueillirent ,  et 
qui  est  assez  semblable  à  celle  du  lierre,  ils 
firent  dans  la  suite  des  pépinières.  Mais  on 
a  l'expérience  que  cette  herbe  ,  produite  par 
des  arbres  qu'on  cultive  ,  n'a  pas  la  même 
force  ni  la  même  vertu  que  celle  qui  vient 
sur  les  arbres  sauvages  de  Maracayu.  C'est 
de  cette  herbe,  dit  l'anonyme  ,  çue  les  Je- 


ETCLRItLSrS.  l5l 

suites  font  un  commercé  si  considi'rnhle  , 
guils  i:n  retirent  plus  de  Soo.ooo  piuslres 
chaque  année.  Voilà  ce  qu'il  ;ivau(c  li.inll- 
nicnl  cl  sans  apporicr  la  moindre  preuve. 
Il  prétend  sans  doute  (juc  ,  tout  inconnu 
qu'il  veut  être,  il  doit  être  cru  aveuglement 
6ur  sa  paiole.  M.iis  (jue  ne  dil-il  du-nioins 
dans  quelle  conliée  des  Indes  les  Jésuiles 
font  ce  grand  eonimcrce  ,  avec  quelles  Xa- 
lion» ,  et  quelles  sont  les  marchandises  qu'ils 
en  retirent?  Ce  n'est  pas  certainement  par 
ménagement  pour  les  Missionnaires  qu'il 
garde  sur  cela  un  profond  silence. 

Voici  ce  qu'il  y  a  de  certain  :  le  Roi  a 
accordé  aux  Indiens  de  nos  peuplades  la  per- 
mission d'apporter  eliaquaP année  à  la  ville 
de  Sainte-Foi  ou  à  celle  de  la  Trinité  de 
Buenos-^iyrcs,  jusqu'à  ia,ooo  arroLes  (i) 
de  l'herbe  du  Paraguay.  Cependant  il  est 
constant,  et  par  les  témoignages  qu'ont  ren- 
dus les  OlTieiers  du  Roi^  et  par  les  infor- 
r.:r.;;oîîs  jiiiidiques  faites  en  l'année  1722, 
qu'à  peine  ont  -  ils  apporté  chaque  année 
six  mille  arrobes  de  celte  herbe  :  encore 
ji'élail-ce  pas  de  la  plus  fine  et  de  la  plus 
délicate  ,  qu'on  appelle  Caaniini ,  qui  est 
très-rare  ,  mais  de  celle  de  Palos  ,  <jui  est 
la  plus  commune.  Il  est  conslant  que  le  piix 
courant  de  cette  herbe  dans  les  Villes  que  je 
viens  de  nommer,  tl  à  la  recelte  Royale  où 
se  portent  les  tributs  ,  est  de  quatre  piastres 
par  chaque  arrobe  ,  et  par  conséquent,  que 

(i)  L'arrobe  pèse  vingt-cinci  livres. 

G4 


i52  Lettres  édifiantes 

ce  que  les  Indiens  emportenlne  monte  qu'à 
vingt-quatre  mille  livres.  Il  est  encore  cons- 
tant qu'on  n'a  jamais  vu  aucun  Indieu  de 
ces  peuplades  vendre  ailleurs  de  cette  lierhe. 
C'est  donc  tout  au  plus  vingt-quatre  mille 
livres  qu'ils  retirent  chaque  année.  Mais  ce 
n'est  pas  là  le  compte  de  l'anonyme  ;  il  en 
fait  monter  le  produit  à  plus  de  5oo,ooo 
2:)iastres.  Il  suppose  donc  que  les  Indiens  en 
vendent  i5o,ooo  arrobes  ,  et  il  ne  fait  pas 
réflexion  que  le  Paraguay  entier  ne  pourrait 
en  fournir  cette  quantité  à  tout  le  Royaume 
du  Pérou. 

L'auteur  du  libelle  n'en  demeure  pas  là  : 
dans  le  dessein  qu'il  a  de  décrier  les  Mis- 
sionnaires ,  et  tfe  les  faire  passer  pour  des 
gens  d'une  avarice  insatiable ,  il'  a  recours  à 
une  nouvelle  fiction.  Il  prétend  que  cette 
herbe  et  l'or  que  les  Indiens  tirent  de  leurs 
mines  produisent  aux  Missionnaires  un  re- 
venu de  Souverain.  On  ne  peut  compren- 
dre qu'un  Ecclésiastique  qui  se  pique  de  pro- 
bité ,  ose  hasarder  une  pareille  calomnie  sur 
un  fait  qui  a  été  tant  de  fois  examiné  par 
Tordre  de  nos  Rois  ,  et  dont  la  fausseté  a  été 
reconnue  et  publiée  par  les  Officiers  Royaux, 
chargés  d'en  faire  sur  les  lieux  des  infor- 
mations juridiques.  La  ville  de  l'Assomp- 
tion du  Paraguay  ,  ou  ,  pour  mieux  dire  , 
ses  Magistrats  avaient  intenté  deux  fois  cette 
accusation  contre  les  Missionnaires  ;  mais 
ils  furent  convaincus  d'avoir  avancé  une 
l'ausseté  manifeste  ,  et  déclarés  calomnia- 
leuri  par  deux  Sentences  juridiques ,  l'une 


de  Don  André  df  Li'ou  (^.iravito  en  l'onnée 
1(140  ,  vi  l'autrr  en  l'année  x^it-j  ,  dr  Don 
Jfan  Blnsfjuf?,  Vnlv<rdi',  Oydord«*  l'audirnce 
Kovalr  de  lus  Cfiitrrtis  ,  <|ui  ,  par  ordr»'  de 
S.i  M.ijeslé,  av.-iil  f.ul  la  visili-  de  c«'tlt' Pro- 
\incr  «'t  de  toutes  les  j)eiiplade«;  qu'elle  con- 
tient. Ils  n-ndirenl  compte  de  leur  commis- 
sion au  Conseil  des  Indes,  en  lui  envoyant 
la  sentence  qu'ils  avaient  portée,  cl  (jui  lui 
conlirméepaiccTiihuual  suprême.  En  voici 
lu  teneur  : 

n  Ledit  Si'igneur  Oydor  a  visilé  en  per- 
»  sonne  toutes  ces  Provinees  cl  les  peupla- 
»  des  d'Indiens  qui  y  sont  sous  la  directiott 
»  des  Missionnaires  Jésuites  ,  menant  avec 
»  lui  ceux  -  là  même  (jui  les  ont  accusés 
»  d'avoir'des  mines  cacliées,  afin  qu'ils  puis- 
>»  sent  les  lui  découvrir  ,  et  le  conduire  dans 
»  les  endroits  oîi  ils  marquent  dans  leur 
»  mémoire  qu'elles  se  trouvent.  Et  en  con- 
>»  sé(|uenee,  il  a  publié  d'oHice  ,  et  à  la  re- 
»  quête  des  Missionnaires,  les  ordres  de  sa 
»)  commission,  cl  a  promis  au  nom  de  Sa 
»  Majesté  de  grandes  récompenses  ,  cl  des 
»  emplois  honorables  h  ceux  qui  découvri- 
»  raient  ces  mines,  el  qui  déclareraient  où 
»  elles  sont.  Puis  s'étant  transporté  sur  le» 
»  lieu\  ,  il  a  examiné  toutes  choses,  pour 
»  en  rendre  un  compte  exact  à  Sa  Majesté, 
»  cl  remettre  au  Conseil  des  Indes  les  pro- 
M  ces  -  verbaux  avec  son  sentiment  ,  ainsi 
»  qu'il  lui  est  ordonné.  Tout  bien  consi- 
»  déré  ,  et  ce  qu'il  a  vu  lui-même  ,  el  ce 
w    (|u'il  a  appris  de  la  vibilc  que  le  ScigoeuK 

G  5 


i54-  Lettres  édiviantes 

»  Don  André  de  Léon  Garavilo,  CHevalîer 

M  de  l'Ordre  de  Sainl-Jacques  ,  et  Ovdop 

»  de  l'audience  Royale  de  la   Plafa  ,  a  fait 

»  dans  celte  Province  en  qualité  de  Gou- 

»  verneur  :  vu  toutes  les  pièces  des  procès- 

»  verbaux  ,  les  actes  et  les  sentences  qu'il 

M  a  portés  contre  les  délateurs  de  ces  mines, 

»  et  le  désaveu  qu'en  ont  fait  ces  faux  ac- 

»  cusateurs ,  ordonne  qu'on  doit  déclarer  , 

»  et  déclare  comme  nuls,  de  nulle  valeur 

»  et  de   nul  cfTet,  les  actes,  les  décrets  et 

»  les  informations  faites  par  les  Régidors  et 

M  autres  Magistrats  de  la  ville  de  l'Assomp- 

»  tion  ;  veut  et  prétend  qu'ils  soient  billes 

»  des  registres  comme  étant  faux  ,  calom- 

»  nieux  et  contraires  à  la  vérité,  tout  ayant 

»  été  vérifié  oculairement  dans  Icsdites  Pro- 

n  vinces ,  en  présence  des  accusateurs  mê- 

»  mes  qui  ont  été  cités  juridiquement ,  sans 

«  qu'on  ait   trouvé  le  moindre  vestige   de 

j)  mines  ,  ni  la  moindre  apparence  qu'il  y 

;)  en  ait  jamais  eu,  ou  qu'il  y  en  puisse  ja- 

n  mais  avoir,  ainsi  que  les  déposans  l'ont 

»  avancé  témérairement,  méchamment  et  à 

»  dessein  ,  comme  il  le  paraît ,  de  déeré- 

»  diter  la  sage  conduite  des  Missionnaires 

>)  Jésuites  qui  sont  occupés  depuis  tant  d'an- 

>»  nées  dans  cette  partie  de  l'Inde  à  la  pré- 

»  dication  de  l'Evangile,  et  h  l'instruction 

»  d'un  si  grand  nombre  d'[nfidèles  qu'ils 

»  eut  convertis  ù  notre  sainte  Foi.  Et,  quoi- 

»  que  le  crime  commis  par  les  Régidors  et 

»  autres  Magistrats,  mérite  la  peine  portée 

»  par  U  loi  contre  les  calomniateurs,  etc.  n 


TT    CI'  R  ir.  f  SE  s.  I  .>.> 

Il  rapporU'  i-ii^uite  li!»  noms  des  princi- 
paux coupables  mi  noiiihif  clc  quatorze,  et 
la  peine  qu'ils  invrileut ,  en  l'adouciâSHDt 
néanmoins,  parce  qu'étant  convaincus  par 
leurs  propre»  yvu\  de  la  fausseté  de  leurs 
accusations  ,  ils  en  (ircut  un  désaveu  juridi- 
<jue,  et  parce  (jue  les  Missionnaires  en  de- 
luandanl  leur  giiîcc  ,  prièrent  que  tout  lût 
enseveli  dans  un  éternel  oubli  ;  mais  aussi 
en  les  avertissant  que  s'ils  venaient  à  récidi- 
viT  ,  ils  seraient  bannis  pour  toujours  de  la 
province  ,  comme  j)erlurl)aleurs  du  repos 
public  ,  et  condamnés  aux  peines  aftlictives 
que  les  loi$  imposent  aux  faux  accusateurs^ 
qui  ne  disent  pas  la  vérité  au  Roi  et  h.  ses 
JSIinistrcs. 

C'est  ce  qui  ne  peut  être  if^noré  de  l'au- 
teur du  libelle,  et  encore  moins  de  ceux  qui 
ont  conduit  sa  plume.  Le  soin  qu'ils  ont  pris 
de  cacher  leurs  noms  en  publiant  ces  ca- 
lomnies, donnerait  lieu  de  croire  qu'ils  ont 
«Tpprélicndé  le  châtiment  dont  ledit  Seigneur 
Ovdor  fit  punir  un  Indien  ,  appelé  Domi- 
iiique,  pour  avoir  intente  celte  fausse  accu- 
sation contre  les  Missionnaires,  ainsi  qu'on 
]v  peut  voir  h  la  paj^e  lo  des  actes  authen- 
tiques. C<;1  Indien  qu'on  lui  amena  ,  non 
roulent  d'assurer  avec  serment  qu'il  avait  vu 
les  mines. et  le  lieu  où  elles  étaient,  pré- 
senta encore  une  carte  où  l'on  avait  dessiné 
un  petit  chùleau  ou  forteresse  avec  ses  murs  , 
«es  tours,  son  artillerie,  et  les  soldats  des- 
tinés à  défendie  h's  environs  du  lieu  où  se 
trouvaient  ces  prétendues  mines. 

G  6 


i5G        Lettre:  s   éditiantes 

liO  ScigntMir  Oydor  mena  llndicn  nvec 
lui  clans  la  visite  qu'il  fit  de  la  Province  : 
in.iis  peu  de  jours  avant  que  d'arriver  à  la 
peuplîide  de  la  Coneeplfon  ,  qui  était  le  lieu 
îr.aïqué  dans  celle  carie  imaginaire  ,  l'In- 
dien disparut.  Celte  fuite  fit  une  grande  im- 
pression sur  l'esprit  de  ce  S(  igneur  ,  qui  la 
regarda  comme  une  forte  preuve  contre  les 
Missionnaires,  car  leurs  ennemis  necessèrent 
de  lui  représenter  que  c'était  un  artifice  de 
ces  Pères  ,  qui ,  s'étant  saisis  de  l'Indien  ,  le 
tenaient  caché  ,  afin  qu'il  ne  révélai  pas  le 
lieu  où  étaiem  leurs  trésors. 

,  Dans  le  temps  ([u'on  appuyail  le  plus  sur 
cette  preuve  ,  arriva  un  exprès  envoyé  par 
le  Missionnaire  de  la  peuplade  de  los  Jieyes, 
qui  donnait  avis  qu'un  Indien  étranger  était 
venu  dans  sa  }>ouplade,  lequel ,  selon  l'indice 
qu'on  en  avait  donné  ,  paraissait  être  l'In- 
dien dont  on  était  en  peine.  On  le  fil  venir 
aussitôt,  et  c'était  elVeclivement  l'Indien  fu- 
gitif. Le  visiteur  lui  demanda  la  raison  qui 
l'avait  porté  h  prendre  la  fuite,  avec  me- 
nace de  le  mettre  à  la  question  s'il  ne  disait 
pas  la  vérité.  L'Indien  répondit  (ce  que  l'au- 
teur du  libelle  pourrait  répondre  comme 
lui  )  qu'il  n'avait  jamais  vu  ces  peuplades  ; 
qu'il  savait  encore  moins  ce  que  c'était  que 
celle  foileresse ,  et  que  la  carte  qu'il  en  avait 
présentée  ,  n'avait  pu  être  dressée  par  un 
ignorant  comme  lui,  qui  ne  savait  ni  lire  ni 
écrire  ;  mais  qu'étant  au  service  dun  Espa- 
gnol nommé  Christoval  Rodriguez  ,  il  avait 
été  forcé ,  par  ses  promesses  et  par  ses  me- 


ETCrUIFTSES.  iS"] 

nnros,  de  produire  c«  lie  t'aussité  contri*  le» 
IMi^"«ionnnin's. 

iNoii()|)si;inl  rrt  avru  ,  le  >isiu-ur  se  lians- 
j)oita  sur  Ips  lieux  désignés  avtc  d'hahiles 
mineurs  ,  l<"<|(>idâ ,  apiès  avoir  examiné  les 
terres ,  déel.irèrriil  avec  serment  <jii<' ,  ii(»n- 
seiili ment  il  n'v  av.iit  point  de  mines  d'or 
on  d'art;irit  ,  niais  (jue  ces  tei  res  u'élaient 
nullement  propres  à  produite  ces  métaux. 
Sur  quoi  l'Indien  fut  condamné  h  recevoir 
deux  cens  coups  île  fouet, 

(lomment  1  anonyme  a  -  l  -  il  eu  la  har- 
diesse de  puhlier  une  ])areilli*  accusation  , 
dont  la  fausseté  a  été  év  idem  meut  reconnue 
par  trois  OOiciers  aussi  distingués  que  le 
sont  Don  Andié  de  Léon  Garavito  ,  Dca 
Juan  Hlas(juez  Valverde  ,  Oydor  de  l'au- 
dience Hovalede  /.tis  C'hunns  ^  et  Don  Hya- 
cinthe Laris,  (iouverueur  de  Buenos-yiyreSy 
qui  ,  ayant  été  nommés  par  le  Roi  et  par 
son  Conseil  des  Indes  ,  pour  connaître  d'un 
fait  si  odieux  ,  ont  déclaré  par  une  sen- 
tence définitive  ,  approuvée  et  confirmée 
par  les  Conseils  du  Uoi  ,  que  c'était  une 
pure  f«l)le  qui  ne  méritait  pas  la  moindre 
attention. 

A  la  bonne  heure,  dit  sur  cela  le  feseur 
d<'  lijjeiles,  qu'il  n'y  ait  point  de  mines  d'or 
ou  d'ari;ent  dans  les  terres  de  Paraguay  ;  les 
Missionnaires  en  ont  d'une  autre  espèce  bien 
plus  sûres,  et  moins  sujettes  à  s'épuiser  dans 
les  travaux  continuels  d<;  trois  cent  mille 
familles  d'Indiens  ,  dont  ils  tirent  par  an 
plus  de  cinq  millious  de  piasUcs.  Kl  pour 


i58  Lettres  édifiante*» 

en  donner  une  idée  plus  juste  ,  ajonle-t-il  , 
l'on  suppose  que  chaque  f;>mille  d'Indiens 
ne  produit  aux  Jésuites  que  cinquante  francs 
par  an  toute  dépense  faite-,  le  produit  géné- 
ral, à  raison  de  trois  cent  mille  familles  ,  se 
trouvera  montera  cinq  millions  de  piastres. 
Sefon  le  compte  de  cet  anonyme  ,  les 
Jésuites  de  Paraguay  mériteraient  de  grands 
éloges  ,  s'ils  avaient  conquis  à  Jésus-Clirist, 
et  assujéti  à  la  domination  Espagnole  quinze 
cent  mille  Indiens  ,  sans  d'autres  armes  que 
le  zèle  infatigable  avec  lequel  ils  se  sont 
emjjloyés  pendant  plus  d'un  siècle  à  leur  con- 
version. INIais  il  se  trompe  dans  sou  calcul  ; 
car,  enfin,  il  est  évident,  par  les  derniers 
rôles  ,  que  le  Gouverneur  de  Buenos-yJjrei  , 
supputant  le  nombre  d'Indiens  qui  com- 
posent les  trente  peuplades  ,  a  arrêté  qu'il  n'y 
en  a  aucune  qui  aille  à  plus  de  huit  mille,  et 
que  la  plujiart  ne  passent  pas  quatre  à  cinq 
mille  :  ce  qui  fait  en  tout  environ  cent  cin- 
quante mille  amcs.  11  faut  retrancher  de  ce 
nombre  tous  ceux  que  les  lois  ou  les  privi- 
lèges accordés  par  nos  Rois  ,  exemptent  de 
payei"  le  tribut ,  c'est-à-dire  ,  les  femmes  , 
les  Caci(|ues,  les  Corrégidors ,  les  Alcades, 
ceux  qui  servent  à  l'Eglise  ,  les  Musiciens  , 
les  infirmes,  les  jeunes  gens  qui  n'out  pas 
encore  dix-huit  ans  ,  et  les  hommes  qui  sont 
nu-dessus  de  cinquante.  S<'lon  ce  calcul  , 
il  n'y  a  guère  que  le  li(>rs  des  habllans  de 
chaque  peuplade  qui  paie  le  tribut  d'une 
piastre  par  lête.  Je  laisse  à  l'anonyme  à 
supputer  les  cinq  millions  que  son  imagina- 


tT  crmcrscs.  iSg 

lion  ,  ou  plutôt  sa  passion  contro  1rs  Mis- 
sionnniri's  ,  a  enfanté»  pour  les  décrier  dans 
le  |)ulilic. 

Je  consens  ,  dit  l'aiitcur  du  lilx-llc  ,  f(ue 
le  tril)tit  (|iii  .«>«•  paie  nu  Hf»i  n'aille  j>as  t<irt 
loin  ,  par  l'attention  (ju'onl  les  Mis^iionnaircs 
à  n'accuser  ({ue  la  moitié  de  leurs  Indiens 
pour  la  capilalion  :  mais  ce  qui  se  tire  du 
commerce  qu'ils  font  tle  l'herhe  du  Para- 
guay ,  du  coton  ,  de  la  l.iinc ,  des  ti  oupeaux  , 
du  miel  cl  de  la  cire,  doit  se  monter  à  plu- 
sieurs millions. 

Une  pareille  accusation  fondée  sur  de 
vaincs  conji-ctures  d'un  auteur  que  sa  pas- 
sion aveutjle  ,  ne  mériterait  point  de  réponse. 
On  ne  peut  iijnorer  à  quoi  se  monte  le  revenu 
que  produit  le  travail  des  Indiens  de  toutes 
les  peuplades  ,  il  a  été  vérifié  tant  de  fois  par 
les  visiteurs  ,  tant  ecclésiasti(jues  que  sécu- 
liers, dont  plusieurs  sont  encore  aujourd'liui 
il  la  Cour  j  qu'il  n'est  pas  aisé  do  s'y  mépren- 
dre. Il  est  certain  que  toutes  les  terres  ne 
produisent  pas  les  mêmes  choses.  Nous  voyons 
qu'en  Espagne ,  dans  l'espace  de  trois  cens 
lieues  ,  une  Province  fournit  h  l'iiutre  ce  qui 
lui  manque.  Il  en  est  de  même  dans  l'éten- 
due de  la  Province  de  Paraguay  ,  qui  est  de 
deux  cens  lieues.  Les  Pays  chauds  donnc-nt 
de  la  cire  ,  du  coton  ,  du  miel  ,  du  maïs  ou 
blé  d'Inde  :  K;s  Pays  fioitls  fournissent  des 
troupeaux  de  Ixcufs  et  de  moutons  ,  de  la 
laine  cl  du  froment.  Le  commerce  de  ces 
denr«*es  se  fait  par  échange  ,  car  on  n'y  con- 
naît ui  or  ,  ni  argent. 


i6o  Lettres  édifiantes 

Il  est  encore  certain  que  les  Missionnaires 
font  faire  trois  semences  aux  Indiens  de  ilia- 
que  peuplade  ,  qui  sont  en  état  de  travailler. 
La  première  est  pour  les  Indiens  ;  la  seconde 
pour  le  bien  commun  de  la  peuplade,  et  la 
troisième  est  destinée  à  l'entretien  des  Egli- 
ses. Ainsi  la  première  récolte  se  porte  toute 
entière  dans  leurs  maisons  pour  la  subsis- 
tance de  leur  famille.  La  seconde  ,  qui  est 
la  plus  abondante,  se  dépose  dans  de  vastes 
magasins  ,  pour  faire  subsister  les  infirmes  , 
les  orphelins  ,  les  veuves  ,  ceux  qui  sont 
occupés  aux  travaux  publics,  ou  h  qui  les 
provisions  viennent  à  manquer,  pour  n'avoir 
pas  semé  autant  de  grains  qu'il  était  néces- 
saire -,  et  enfin  pour  assister  les  autres  peupla- 
des ,  que  la  sécheresse  ,  des  maladies  popu- 
laires ,ou  la  mort  de  leurs  bestiaux  réduisent 
quelquefois  h  une  extrême  indigence  ,  et  qui 
périraient,  s'ils  n'étaient  promptementsecou- 
rus.  Enfin  ,  la  troisième  récolte  est  employée 
à  l'entretien  de  l'Eglise  ,  aux  orncmens  ,  à 
la  cire,  au  vin  ,  à  la  nourriture  des  Musiciens 
et  des  autres  Ofiiciers  qui  servent  h  l'Eglise  , 
et  à  la  subsistance  du  Missionnaire  qui  ne 
reçoit  point  d'autre  honoraire  de  ses  conti- 
nuels travaux. 

Tout  ce  qu'il  y  a  de  surplus  ,  et  qui  peut 
se  trafiquer,  comme  les  toiles  de  coton  ,  la 
laine,  le  miel  ,  la  cire  ,  et  l'heibe  du  Para- 
guay ,  se  transporte  dans  des  canots  aux  villes 
de  Saiute-Foy  et  de  Bucnos-jdyres  ,  où  les 
Missionnaires  ont  deux  Procureurs  qui  font 
veadic  ces  marchandises ,  pour  achelcr'toules 


ET  crmr. usn$.  ifii 

les  cljoscs  dont  K-s  pruplatles  ont  l)cst»iii  , 
comme  du  fer,  dr  l'acier,  du  cuivii",  dei 
liarnais  pour  les  ihcvaux  ,  des  lianierous  « 
du  linge  ,  des  étoHcs  de  soie  pour  les  oriic- 
ruens  de  l'Kylisc  ,  ou  d'autres  clioses  de 
dévotion  propres  à  entretenir  la  piété  de  ees 
Peuph's  ,  tels  (juc  sont  des  crucifix  ,  des 
médailles,  des  estampes,  etc.  En  telle  sorte 
qu'il  n'entre  jamais  dans  les  peuplades  ni 
or  ,  ni  argent.  Cela  supposé  ,  que  notre  ano- 
nyme nous  dise  d'où  se  tirent  chaque  année 
1rs  millions  de  piaslies  dont  il  parle  ,  et  en 
quel  endroit  on  les  tient  cachés  ?  S'il  les 
découvre,  il  s'eniichira  en  un  instant  par 
une  voie  très-légitime,  caries  lois  d'Espagne 
accordent  aux  délateurs  le  liersdes  richesses  , 
dont  on  a  fraudé  les  droits  du  Roi. 

Mais  pour  rcndie  croyables  toutes  ces 
fahles,  qui  sont  uni(|uemenide son  invention, 
et  dunt  il  a  amusé  un  certain  public,  il  passe 
à  la  magnificence  et  aux  richesses  des  Eglise» 
•de  CCS  Missions  ,  dont  il  fait  la  description  la 
plus  pompeuse.  Selon  lui  ,  la  face  de  i  autCi 
est  superbe  ^  on  y  voit  trois  grands  tableaux 
nvec  de  riches  bordures  d'or  et  d'argent  mas- 
sifs. Au-dessus  de  ces  tableaux  sont  des 
lambris  en  l)as-reliefs  d'or  -,  et  au-dessus  , 
jus([u';i  la  voûte,  règne  une  sculpture  de 
bois  enrichie  d'or  ;  aux  deux  côtés  de  l'autel 
sont  deux  piédestaux  de  bois  ,  couverts  de 
pla(|ucs  d'or  ciselé  ,  sur  lesquels  il  y  a  <leux 
saints  d'argent  massif.  Le  tabernacle  est  d'or; 
le  soleil  où  l'on  expose  le  saint  Sacrement  , 
est  d'or  enrichi  d'éméraudes  et  d'autres  pier- 


i6a  Lettres  édifîàvtes 

res  fines  :  le  bas  et  les  côtés  de  l'autel  sont 
garnis  de  drap  d'or  avec  des  galons  :  l'autel 
est  orné  de  chandeliers  et  de  vases  d'or  et 
d'argent.  Il  y  a  deux  autres  autels  ,  à  la  droite 
et  à  la  gauche  ,  qui  sont  ornés  et  enrichis  à 
proportion  du  grand  autel  ;  et  dans  la  nef, 
vers  la  balustrade,  est  un  chandelier  d'argent 
à  trente  branches ,  garni  d'or ,  avec  une  grosse 
chaîne  d'argent  cfui  va  jusqu'à  la  votite. 
Après  celte  description  ,  l'on  peut  juger  , 
ajoute-t-il  ,  quelle  est  la  richesse  de  cette 
Mission  ,  si  les  quarante-deux  Paroisses  sont 
sur  le  même  pied  ,  comme  on  a  lieu  de  le 
croire. 

C'est  ici  où  pour  la  première  fois  notre 
anonyme  appoite  une  sorte  de  preuve  de  ce 
qu'il  avance  :  il  cite  deux  soldats  Français 
de  même  Pays  que  lui  ,  qui  ont  vu  toutes  ces 
richesses  de  leurs  propres  yeux.  Il  faut  que 
les  yeux  de  ces  soldats  eussent  le  même  pri- 
vilège que  la  fable  attribue  aux  mains  de 
Midas  ,  et  que  convertissant  tout  cc  qu'ilâ 
Toyaient  en  or  ,  ils  aient  pris  du  bois  ou  du 
cuivre  doré  pour  de  l'or  et  de  l'argent  mas- 
sifs. Les  yeux  des  Espagnols  ne  sont  pas  à 
jbeaucoup  près  si  perçans. 

Nous  ne  dissimulerons  pas  néanmoins,  et 
nous  sommes  sûrs  que  tout  ce  qu'il  y  a  de 
Catholiques  ne  nous  en  blâmeront  pas ,  que 
dans  quelque  partie  du  monde  où  nous  ayons 
des  Eglises  ,  nous  lAchons  de  les  orner  le 
mieux  qu'il  nous  est  possible  ,  selon  la 
mesure  des  fondations,  ou  de  la  libéralité 
des  ûdèles  que  leur  piété  porte  à  contribuer 


FT  rrKtrrsrs.  i^3 

h  une  œmic  si  s;iinte.  >ous  n'avons  garde  de 
rougir  d'une  chose  ([ui  a  mérité  h  saint  Ignace 
notre  fondateur  les  ]»lus  grands  éloges  de 
l'Kglise  ,  lorsfju't  lie  dit  (jue  c'est  j)rincipa- 
l<nierit  à  ses  «oins  (ju'on  est  redevable  de  la 
décoration  et  de  la  magnificence  de  nos 
autels.  Tcmplotiim  tiitor  ab  ipso  increnïen~ 
tiirn  ncccpit.  Mais  que  les  Eglises  de  ces 
Missions  surpassent  en  richesses  toutes  les 
Kgliscs  de  l'Europe,  comme  le  dit  l'ano- 
nyme ,  c'est  une  nouvelle  fable  ajoutée  à 
toutes  celles  qu'il  débite  dans  son  libelle. 

Jusqu'ici  l'anonyme  n'a  vomi  son  fiel  que 
contre  les  Missionnaires,  il  attaque  mainte- 
nant tout  ce  qu'il  v  a  eu  d'Officiers  Espa- 
gnols distingués  par  leur  naissance  ,  leur 
probité  et  leur  mérite  ,  à  qui  nos  Rois  ont 
confié  le  gonvernement  de  ces  Provinces  *, 
qiioi(ju'on  niéiiio  plus  de  croyance  que  lui  , 
en  niant  simplement  ce  qu'il  avance  sans 
preuve,  cependant,  comme  il  y  a  des  per- 
sonnes qui  suivent  cette  maxime  de  Machia- 
vel ,  on  le  dit ,  il  en  est  donc  quelque  chose  , 
il  est  à  propos  de  mettre  au  jour  toute  la 
malignité  de  ses  calomnies.  Quelle  audace 
de  dire  ,  comme  il  fait  ,  que  les  Juges  ,  les 
Trésoriers,  les  Gouverneurs  et  autres  Offi- 
ciers du  Roi  gagnés  h  force  d'argent  par  les 
Missionnaires  ,  connivcnt  à  tous  ces  désor- 
dres ;  qu'ils  sont  tous  d'intelligence  pour 
tromper  Sa  Majesté  ,  cl  que  c'est  à  qui  pillera 
le  mieux  ! 

On  ne  peut  voir  sans  indignation  qu'ua 
bomme  sans  caractère ,  tel  que  l'anonyme  , 


164.  Lettres  édifiantes 

traite  avec  tant  d'indignité  des  Officiers 
illustres,  et  dont  l'intégrité  reconnue  a  mé- 
rité toute  la  confiance  de  nos  Rois.  A  qui 
prélend-il  persuader  que  ,  pendant  plus  d'un 
siècle,  tout  ce  qu'il  y  a  eu  de  Gouverneurs 
et  de  Missionnaires  ont  eu  si  peu  de  religion  , 
qu'ils  aient  volé  au  Roi  des  sommes  immen- 
ses sans  le  moindre  scrupule?  Est-il  croyable 
que  se  trouvant  au  milieu  d'ennemis  aleites 
et  implacables  ,  tels  que  sont  les  habilans  de 
la  ville  de  l'Assomption  ,  aucun  d'eux  ,  dans 
l'espace  de  cent  ans  ,  n'ait  pu  donner  une 
preuve  certaine  de  ces  fraudes  et  de  ce 
pillage  ? 

C'est  une  chose  constante  ,  que  chaque 
année  le  tribut  est  exactement  p:iyc  par  tous 
les  Indiens  qui  sont  sur  le  rôle  des  Olïlciers 
du  Roi  ;  que  non-seulement  les  Missionnaires 
ne  trouvent  pas  mauvais  que  ks  Gouverneurs 
envoient  leurs  Officiers,  mais  que  souvent  ils 
les  pressent  de  le  faire  ;  que  même  les  Indiens 
font,  h  leurs  frais,  le  voyage  de  Bucnos- 
Ayres  ,  qui  est  de  trois  cens  lieues  ,  pour 
remettre  à  la  recette  générale  ,  en  denrées 
ou  en  marcbandises,  la  valeur  d'une  piastre 
par  cliaque  Indien  qui  paie  le  tribi.t,  et  qu'ils 
épargnent  par-là  à  la  caisse  Royale  ce  qu'il 
faudrait  payer  à  un  Receveur  pour  ses  peines 
et  pour  les  frais  de  son  voyage. 

Mais  pour  quelle  raison,  poursuit  l'ano- 
nyme ,  a-t-on  accordé  aux  Indiens  de  ces 
peuplades  le  privilège  de  ne  payer  qu'une 
piastre  de  tribut ,  tandis  que  tous  les  autres 
Indiens  en  paient  cinq?  Pourquoi  leur  pcr- 


ETcruiErsES.  î63 

rocl-on  de  porlrr  dos  ai  mes  à  feu  ?  Que  ne 
laisse -t- on  eiilrer  les  Kspaj^nols  d;ms  ces 
pcupl.ides,  (jui  y  adiniinslrtraii'nl  la  juslice, 
c]ui  policeraicnt  c<'S  Peuples  ,  el  qui  les  fe- 
raient travailler,  comme  les  autres  Indiens, 
pour  le  service  du  lloi  et  tles  K.spagnols  ,  K 
qui  il  a  coûté  tant  de  sanj^  pour  conquérir 
ces  Provinces?  Comment  souUre-t-on  (jue 
trois  cent  mille  familles  soient  uniquement 
employées  au  service  de  (juarante  Mission- 
naires, sans  avoir  d'autre  Roi  ni  d'antre  Loi 
que  l'ambition  démesurée  de  ces  Pères ,  et 
leur  pouvoir  despotique? 

Bénissons  Dieu  de  ce  que  les  Jésuites  du 
Paraçuav  sont  traités  par  l'anonyme  de  la 
même  sorte  que  Molre-Sei{rneur  le  fut  par 
les  Juifs,  qui  lui  reprocliaient  fpusiemeut 
de  défendre  qu'on  payât  le  tribut  à  César. 
Il  est  vrai  que  nos  Hois  ont  ordonné  qu'on 
n'exigeûi  de  chaque  Indien  qu'une  piastre  de 
tribut  :  ce  qui  a  été  d'abord  une  giûce  de 
leur  part,  leur  a  paru  dans  la  suite  une  espèce 
de  justice.  Ils  ont  eu  égard  à  la  t;rande  pau- 
vreté de  ces  Indiens,  qui  ne  subsistent  que 
du  travail  de  leurs  mains,  et  qui  n'ont  nul 
commerce  avec  aucune  autre  Nation.  Si  , 
pour  assujéiir  les  autres  Indiens  ,  il  en  a 
coulé  tant  de  sa  ni;  aux  Espagnols,  cette  résis- 
tance peut  êtic  punie  par  un  tribut  plus  con- 
sidérable. Mais  il  n'eu  doit  jtas  être  de  mémo 
de  ceux  f[ui  ne  dépendant  d'aucune  Puis- 
sance ,  et  qui  ,  étant  partaitenn-nt  libres  ,  ont 
embrassé  la  Foi ,  et  ont  reconnu  nos  Rois 
pour  leurs  Souverains.  Us  oui  formé  trente 


l6()  LkTTRES    ÊBIFIANTES 

peuplades ,  (\u'i  oonliennent  environ  cent  cin- 
quante mille  âmes.  Le  zèle  infatigable  des 
Missionnaires  gagne  tous  les  jours  à  Jésus- 
Christ  de  nouveaux  Indiens ,  qui  deviendront 
autant  de  sujets  de  la  Couronne  d'Espagne. 
Ces  motifs  sont-ils  indignes  de  la  clémence  et 
de  la  bonté  de  nos  Rois?  D'ailleurs,  pour- 
raient-ils leur  refuser  les  mêmes  privilèges 
qui  s'accordent  à  ceux  qui,  demeurant  sur  les 
frontières  ,  servent  de  rempart  contre  les  en- 
nemis de  l'Etat,  et  défendent  l'entrée  dans  les 
terres  de  la  Monarchie?  Tels  sont  nosïndiens: 
les  plaines  des  rivières  Ae  Pavana  et  à' Ura~ 
giiny  qu'ils  habitent ,  sont  le  seul  endroit  par 
où  les  Mamelucs  de  Saint-Paul  du  Brésil ,  les 
autres  Nations  barbares,  et  même  les  îLuro- 
péens  ,  je  veux  dire  les  Anglais  et  les  Hollan- 
dais ,  pourraient  pénétrer  jusqu'aux  mines 
du  Potosi.  C'est  dans  nos  peuplades  que  les 
Missionnaires  ont  attiré  les  tristes  restes  des 
Missions  de  la  Guyara  ,  que  les  Mamelncs 
ont  saccagées  et  brûlées ,  après  avoir  enlevé 
plus  de  cinquanterailleindiensqu'ilsontfaits 
leurs  esclaves.  Ces  cruels  ennemis  ,  quoi- 
qu'éloignés  de  trois  cens  lieues  de  nos  peu- 
plades ,  y  viennent  souvent  faire  la  guerre  ; 
mais  nos  Indiens  les  ont  vaincus  dans  plu- 
sieurs batailles  ,  en  ont  fait  plusieurs  prison- 
niers., et  ont  forcé  les  autres  à  prendre  la 
fuite.  C'est  ce  qui  irrite  les  Brasilicns  jus- 
qu'au point  de  vouloir  exterminer  nos  In- 
diens :  ils  voudraient ,  s'il  était  possible,  raser 
leurs  peuplades,  et  se  frayer  ensuite  un  pas- 
sage jusqu'au  Royaume  du  Pérou. 


E  T    CURIE  r  SES.  1  6^ 

Ku  l'nnnro  \6^i  ,  huit  cens  INInmoluc» 
armés  <!«•  Illsils<l(•^^•t•n<^il■t■llt  la  rivièrt'  A'  l/rii' 
ginty  «l.iiis  nciit  mis  «nmils  ,  .•iv.Mil  a  l«'iir  suite 
six  iiiillcdt*  leurs  Iiuiicns  niini's  de  ilèclies, 
de  lances  et  de  pierres  à  fronde.  Nos  Indiens 
de  Parnna  et  d' l'roî^uaY  n'en  furent  pas 
plutôt  avertis,  (ju'ilsarniéienl  :i  la  liAledeux 
cens  canots  ,  où  ils  avaient  élevé  de  petits 
ChAteanx  de  l)ois  avec  tles  crenaux  et  des 
meurtrières  ,  pour  placer  leur»  fusils  ,  et 
tirer  sans  être  aperçus.  Ayant  rencontré 
l'armée  ennemie  de  beaucoup  supérieuie  à 
la  leur  ,  ils  l'attafjuèrenl  avec  tant  de  valeur, 
cju'ils  coulèrent  à  fond  un  grand  nonibre  de 
leurs  canots,  en  priient  plusieurs  autres,  et 
forcèrent  les  ennemis  à  f^agner  la  terre  ,  et  à 
prendre  la  fuite.  Ils  les  poursuivirent  ,  et 
en  firent  un  si  j^rand  cainage  ,  qu'il  n'en 
écliappa  qu'environ  trois  cens.  Ce  <jui  resta 
de  Marnelucs  se  retira  vers  B\u-uos-Ayres  : 
ils  y  bâtirent  de  petits  forts ,  d'où  ils  sortaient 
de  temps  en  temps  pour  faire  des  esclaves  et 
les  emmener  à  Saint-Paul. 

En  l'année  lO^j?, ,  nos  Indiens  ayant  dé- 
couvert la  retraite  des  Alamelucs,  allèrent 
les  attaquer  dans  leurs  foi  Is  ;  ils  les  en  clias- 
sèrenl ,  et  les  poursui\irent  jnsques  dans  Ic^ 
montagnes  où  ils  s'enfuiicnl ,  et  où  plusieurs 
furent  tués  ,  de  sorte  qu'il  n'y  en  eut  que 
très-pi.'U  qui  retournèrinl  h  Sainl-Paul.  Ce 
qui  toucha  plus  sensiblement  nos  Indiens 
dans  cette  victoire  ,  c'est  qu'ils  délivrèrent 
plusdetliiix  mille  Indiens,  que  les  IMann  lues 
rcleuaicni  pi  isouuicrs ,  et  doul  ils  eusseul  fait 


i68  Lettres  édifiantes 

des  esclaves  pour  les  veudre  dans  leur  pays. 
En  l'année  164.4»  *1"^  Don  Grégoire  de 
Hinostrosa  était  Gouverneur  de  la  province 
de  Paraguay  ,  il  y  eut  un  certain  nombre 
d'Ecclésiastiques  et  de  Séculiers  de  la  ville 
de  l'Assomption  qui  se  révoltèrent ,  et  con- 
jurèrent ensemble  sa  perte.  Il  n'eut  point 
d'autre  ressource,  pour  assurer  sa  personne 
et  son  autorité  ,  que  d'appeler  à  son  secours 
nos  Indiens  Paranas.  Ils  volèrent  à  ses  pre- 
miers ordres,  et  dissipèrent  la  conjuration. 
Don  Grégoire  do  Hinostrosa  reconnut  cet 
important  service  daus  les  informations  juri- 
diques qu'il  envoya  la  même  année  au 
Conseil  Royal  des  Indes  ,  où  il  marquait 
qu'on  était  redevable  de  la  conservation  de 
ces  Provinces  au  zèle  et  à  la  fidélité  des 
Indiens. 

En  l'année  1646,  los  barbares  Giiaycu- 
riens  qui  avaient  tué  plusieurs  Espagnols  et 
Indiens,  prirent  la  résolution  de  tout  exter- 
miner jusqu'à  la  ville  de  l'Assomption.  Un 
Cacique  de  nos  Missions  qui  découvrit  leur 
conspiration  ,  en  donna  aussitôt  avis  au 
Gouverneur  Don  Grégoire  de  Hinostrosa. 
Il  eut  recours  à  nos  Indiens  qui  combattirent 
ces  rebelles  ,  les  taillèrent  en  pièces  ,  et  les 
mirent  en  déroute,  sans  qu'ils  aient  jamais 
osé  paraître  ;  et  par-là  ils  rendirent  à  la 
Province  sa  première  tranquillité, 

En  l'année  i()4(),le  Gouverneur, qui  était 
prêt  à  rem[)lacer  Don  Hinostrosa  ,  apprit  par 
une  voie  sùrc  ,  qu'avant  même  son  arrivée  , 
quelques  habilaus  de  la  ville  de  rAssomptioa 

avaicut 


ETcriiKrsfs.  169 

•valent  conpplii- coût  resn  vie.  lis  am.i  Ici  il  exé- 
cuté infaillibli'Mieut  leur  (U'sseiu  ,  s'il  D'a\ail 
pas  mené  avec  lui  mille  ludieus  tle  nos  peu- 
pl.idc»,  qui  forcèrent  les  rehelL-s  à  prendre 
In  fuite,  et  à  se  retirer  dans  les  raontn^ues. 
11  u'e.sl  pas  surprenant  «pie  ces  |M.'uples,  ac- 
coutumés depuis  louii-tt  ntps  ù  se  révolter 
contre  les  OHiciers  du  Koi  ,  eonseï  vent  une 
hdinc  implacable  contre  nos  Indiens,  dont 
on  s'est  toujours  servi  pour  les  faire  rentrer 
dans  le  devoir  de  l'obéissance. 

Kn  l'année  itJji  ,  les  Paulislcs  formèrent 
une  grande  armée  ,  (ju'ils  partagèrent  eu 
quatre  délachemens  pour  atlafjuer  la  pro- 
viace  par  quatre  endroits  difléiens,  et  s'eu 
rendre  les  maîtres.  Le  Gouverneur  Don 
André  (iaravito  de  Léon  ,  Oydor  de  l'au- 
dience de  Chuqitisaca  ,  donna  ordre  aux 
Indiens  de  nos  peuplades  de  s'opposer  de 
toutes  leurs  forces  à  l'entrée  d'un  si  puissant 
ennemi  ,  afin  d'avoir  le  lenjps  de  faire  mar- 
cher des  troupj's  Espagnoles  ,  et  de  les  com- 
battre. Cet  ordre  vint  troji  tard.  Nos  Indiens 
partagés  eu  quatre  escadrous,  avaient  déjà 
eu  le  bonheur  de  joindre  eu  un  même  jour 
les  (juatrc  détachemens  des  ennemis.  Ils  les 
attaquèrent,  les  délirent  et  les  forcèrent  à 
s'enfuir  avec  tant  <le  précipitation  ,  qu'ils 
laissèrent  sur  le  champ  de  bataille  leurs 
morts  ,  leurs  blessés  et  leurs  bagages  ,  où  l'oQ 
trouva  quantité  de  «liaînes  ,  dont  ils  |!réten- 
daieiil  altaclK'r  ensemble  le  grand  nombre 
d'esclaves  qu'ils  comptaient  de  faire. 

En  l'année  i(>G2  ,  Don  Alonso  Sarniicntf»- 
Tome  IX.  li 


1^0  Lettres  édifiantes 

étanl  dans  le  cours  de  ses  visites  h  cent  lîeues 
de  la  ville  de  l'Assomption,  fut  tout  à  coup 
assiégé  par  la  Nation  la  plus  gi  <  rrière  de  ces 
Provinces,  n'ayant  que  vingt  personnes  avec 
lui,  manquant  de  vivres  ef  sans  la  moindre 
apparence  de  pouvoir  échapper  des  mains  de 
ces  barbares.  Un  Indieu  de  nos  Missions 
avertit  de  l'extrême  danger  où  était  le  Gou- 
verneur ,  et  sur  le  champ  ou  envoya  trois 
cens  hommes,  qui  par  une  marche  forcée, 
ayant  fait  en  un  jour  et  demi  le  chemin  qui 
ne  se  fait  jamais  qu'en  quatre  jours,  tombè- 
rent rudement  sur  les  ennemis ,  en  tuèrent 
plusieurs,  mirent  les  autres  en  fuite  ,  déli- 
vrèrent leur  Gouverneur  ,  et  l'escortèrent 
jusqucs  dans  la  Capitale. 

Il  serait  ennuyeux  d'entrer  dans  un  plus 
grand  détail  :  il  su  Ait  de  dire  que  Don  Sébas- 
tien de  Léon,  Gouverneur  du  Paraguay  ,  a 
attesté  juridiquement  ,  que  non-seulement 
les  Indiens  des  Missions  lui  ont  sauvé  plu  sieurs 
fois  la  vie  ,  mais  encore  que,  dans  l'tspace 
de  cent  ans,  il  n'y  a  eu  aucune  action  dans 
cette  province  ,  et  il  ne  s'y  est  remj)orté 
aucune  victoire,  à  laquelle  ils  n'aient  eu  la 
meilleure  part,  et  où  ils  n'aient  donné  des 
preuves  de  leur  valeur  et  de  leur  attachement 
aux  intérêts  du  Roi,  A  quoi  l'on  doit  ajouter 
les  témoignages  de  tout  ce  qu'il  y  a  eu  d'Of- 
Hciers  d'é[)ée  et  de  robe,  qui  attestent  de 
leur  cAté,  (jue  dans  toutes  ces  actions  ,  leur 
solde  montait  à  plus  de  trois  cent  mille  pias- 
tres, dont  ils  n'ont  jamais  voulu  rien  pcrce~ 
voir,  regardant  comme  une  grande  récom- 


ETCrUEOSFS.  1^1 

ppnse  rhonneur  (ju'ils  avaii-nl  <lc  servir  S* 
Majcslé  ,  l't  de  pouvoir  lui  témoii^urr  eu  cjurl- 
que  sorte  leur  gratitude  des  pri%'iIéî;4S  dont 
elle  avait  I)ien  voulu  récompenser  leur  zèle 
ri  leur  tidélité. 

Ce  serait  cependant  faire  injure  à  ces  l)ra- 
▼es  Indiens,  que  de  ne  pas  rapporter  l'im- 
portant service  (ju'ils  rendirent  au  Roi  ,  lors- 
qu'on fît  le  sié;4e  de  la  [)laiO  nommée  de 
Sainl-(ial)riel  ou  du  8aint-Sa«  rrinent.  Dans 
le  dessein  <[u"eul  Don  Joseph  (iarro  ,  (Gou- 
verneur dv  Buenos-^ /y  ri  i,  de  recouvrer  celle 
place,  qui  avait  été  enlevée  à  la  Couronne 
d'Espagne,  il  donna  ordre  aux  Con-égidorg 
de  nos  peupl.ults  de  mettre  sur  pied  le  plus 
j)romplemeut  (piils  pourraient  une  armée 
d'Indiens.  Un  a  [iriiie  h  croire  avec  (jurlle 
promptitude  cet  ordre  fut  exécuté.  On  ne 
mit  que  onze  jours  à  rassemider  trois  mille 
trois  c<'ns  Indiens  bien  armés  ,  deux  cens 
fu-^iliers,  quatre  mille  cluvaux,  quatre  cens 
mules  ,  et  deux  cens  bœufs  pour  tirer  l'ar- 
tillerie. 

Cette  armée  se  mît  en  marcbe,  et  fit  les 
deux  cens  lieues  qu'il  y  a  jusfju'à  Saintr 
(inbriel  tians  un  si  bel  ordre,  que  le  flénéral 
Don  Anloine  de  Vera  Muxicu  qui  comman- 
dait le  siège,  fut  tout  élonné  en  recevant 
ces  troupes,  de  les  voir  si  bien  disciplinées. 
Il  fut  bi<'n  j)lus  surpris  le  jour  même  de 
l'action.  Il  dél* ndii  d'abord  d'apju'oelicr  de 
]fi  pbtec  ,  ius(j\rà  ce  cpi'il  ciit  fait  donner  le 
«igritil  par  un  coup  de  pistolet:  il  fil  ensuite 
la  <l»£>o6iltoQ  ëc  toute  l'armée  pour  l'attaque, 

a  2 


172  Lettkes  édifiantes 

et  s'étant  mis  h  l'airière-garde  avec  les  Espa- 
gnols ,  les  mulâtres  et  les  nègres,  il  plaça 
nos  Indiens  à  l'avant-garde  :  et  vis-a-vis  de 
la  place ,  il  lit  mettre  les  quatre  mille  che- 
vaux à  nu,  comme  pour  servir  de  rempart, 
cl  recevoir  les  premières  décharges  de  l'artil- 
lerie. Aussitôt  que  les  Indiens  apprirent  cette 
disposition  ,  ils  suspendirent  leur  marche  , 
et  députant  vers  le  Général  un  de  leurs  Of- 
ficiers avec  le  Missionnaire  qui  les  accom- 
pagnait pour  les  confesser ,  ils  lui  représen- 
tèrent qu'une  pareille  disposition  étaU  pro- 
pre à  les  faire  tous  périr  ;  qu'au  feu  et  au 
premier  bruit  de  l'artillerie  ,  les  chevaux 
épouvantés  ou  blessés  retomberaient  sur  eux, 
en  tueraient  plusieurs  ,  mettraient  la  confu- 
sion et  le  désordre  dans  leurs  escadrons,  et 
faciliteraient  la  victoire  aux  ennemis. 

Le  Général  goûta  fort  cet  avis,  et  s'y  con- 
forma en  changeant  sa  première  disposition. 
Les  Indiens  s'approchèrent  des  murs  de  la 
place  dans  un  si  grand  silence  ,  et  avec  tant 
d'ordre  ,  que  l'un  d'eux  escalada  un  boule-» 
vart,  et  coupa  la  tête  à  la  sentinelle  qu'il 
trouva  endormie.  Il  se  préparait  à  tuer  une 
autre  sentinelle  ,  lorsqu'il  reçut  un  coup  de 
fusil.  A  ce  bruit  qui  fut  pris  par  les  Indiens 
pour  le  signal  dont  ou  était  convenu  ,  ils 
grimpèrent  avec  un  courage  étonnant  sur  le 
même  boulevart  ,  ayant  h  leur  tête  leur 
Cacique  Don  Ignace  Landau  ,  et  après  un 
combat  très-sanglant  de  trois  heures  ,  oii 
les  ennemis  se  défendirent  en  désespérés  ,  les 
ïpdieûs  commeucèreiit  tant  soit  peu  à  s'aiTai-» 


ETcctirrsrs.  i^S 

lilir  et  à  pliiT.  Alors  le  Ca»  iquc  levant  le 
sabre  ,  et  aiiiinnnl  les  siens  de  la  voix  et  par 
son  exemple  ,  ils  rentrèrent  dans  le  combat 
avec  tant  de  l'ernielé  et  de  valeur  ,  que  les 
«ssiét;és  voyant  leur  place  toute  convoite  de 
morts  et  de  mourans  ,  demandèrent  quartier. 
Les  Indiens  qui  n'entendaient  point  leur 
langue,  ne  mir<'nt  lin  au  carnage  que  quand 
ils  en  recurent  IViiflre  d(  s  chcls  Espagnols. 
Celte  action  ,  qui  a  mcrité  aux  Indiens  les 
éloges  de  notre  grand  Monarque  ,  a  donné 
lieu  à  une  des  plus  atroces  calomnies  de 
l'anonyme.  Il  ne  faut  ((ue  rapporter  ses  paro- 
les pour  découvrir  toute  sa  mauvaise  foi. 
Après  avoir  «lit  <jue  trois  cent  mille  familles 
III' travaillent  que  pour  les  Jésuites,  ne  recon- 
naissent qu'euK  ,  et  n'obéissent  qu'à  eux  : 
«  une  circonstance,  dit-il,  qui  le  fait  con- 
»  naître,  c'est  que  lorsque  le  Gouverneur 
»  de  liiK^nos-Âyrcs  reçut  l'ordre  de  faire  le 
»  siège  de  Sninl-(}abriel ,  où  il  y  avait  un 
»  détacliement  du  Cavalerie  de  quatre  mille 
n  Indiens,  un  Jésuite  à  leur  tête  ,  le  Gouver- 
j»  neurcommanda  au  Sergent-Major  de  faire 
»  unealta({ue  à  (jualre  heures  du  matin  ;  les 
n  Indiens  refusèrent  d'obéir  ,  parce  qu'ils 
»>  n'avaient  point  d'ordre  du  Jésuite,  et  ils 
n  étaient  au  point  de  se  révolter  ,  lorsque  le 
«  Jésuite,  qu'on  avait  envoyé  chercher  arriva  , 
»  auprès  duquel  ils  se  rangèrent,  et  n'exécu- 
n  tèrent  les  ordres  du  Commandant  que  par 
»  1;^  bouche  du  Père  )>.  O'où  il  conclut,  par 
cette  réflexion:  «  l'on  doit  juger  de  là  com- 
», bien  CCS  Fèrcs  ^oul  jaloux  de  leur  autorité  à 

U  3 


I  "4  L  r  T  T  U  E  s    É  D  I  F  I  A  >  T  C  s 

»  réî,ard  des  IiiJiens,  jusquà  leur  défeiKlre 
M  dobcirauxOfiicicrsduRoi ,  lorsqu'il  s'agit 
>j  du   service  ». 

Que  l'anonjme  accorde  s'il  peut  la  niftli- 
gnité  de  ses  inventions  ,  avec  les  témoignages 
autlienliques  de  tant  de  personnes  illustres  , 
qui  n'avancent  rien  dont  ils  n'aient  été  eux- 
jnêmcs  les  témoins;  ils  assurent  au  Roi  et  à  son 
Conseil  qu'il  n'y  a  point  de  forteresse ,  de  pla- 
ces ,  ni  de  fortifications  ,  soit  h. Buenos- Ay res, 
soit  dans  le  Paraguay  ,  ou  à  Monte- Video 
qui  n'aient  été  construites  par  les  Indiens  ; 
qu'-.m  premier  ordre  du  Gfruverneu  r,  ils  accou- 
rent au  nombre  de  trois  ou  quatre  cens,  le  plus 
souvent  sans  recevoir  aucun  salaire  ,  ni  pour 
leurs  travaux,  ni  pour  les  frais  d'un  voyage 
de  deux  cens  lieues-,  que  c'est  à  la  valeur  de 
ces  fidèles  sujets  qu'ils  sont  redevables  de  la 
conservation  de  leurs  biens ,  de  leurs  familles 
et  de  leurs  Villes. 

Qu'un  soldat  Romain  eut  sauvé  la  vie  h  uu 
citoyen  dans  une  bataille  ou  dans  un  assaut , 
ou  bien  cju'il  eut  monté  le  premier  sur  la 
muraille  d'une  Ville  assiégée  ,  la  Loi  ordon- 
nait de  l'ennoblir  ,  de  l'exempter  de  tout 
tribut  et  de  le  récompenser  d'une  couronne 
civique  ou  murale.  Et  notre  anonyme  trou- 
vera mauvais  ({ue  nos  Rois  accordent  des 
grAces  à  nos  Indiens  ,  qui  ont  tant  de  fois 
sauvé  la  vie  ,  les  biens  et  les  villes  des  Espa- 
gnols !  Il  fera  un  crime  aux  Jésuites  de  faire 
valoir  les  continuels  services  de  ce  grand 
Peuple  ,  qui ,  depuis  sa  conversion  à  la  Foi  , 
ji'a  jamais  eu  d'autre  objet  que  le  service  de 


ETCCIIFt'Sr».  fjS 

Dit'u  ,  le  5i*n  iite  du  Roi  et  If  bien  de  l'Elal  ! 

Il  ainingtiu'desriclu'ssesimint>n»e£dansce8 
peuplades,  et  il  vuudiail  le  |.oisuaderà  ceux 
(jui  ne  S(jiit  point  .iti  l.iil  (le  ers  pays  éloignés. 
On  l'adéjàcouvaincu  decaloninie;  mais,  qu'il 
dise  ce  que  l«'s  Jésuites  tout  de  ces  riciu'ssi's. 
Les  voil-on  .sortir  des  bornes  de  la  modestie 
de  leur  état' Leur  vrtenirnti't  leur  nourriture 
lie  sont-ils  pas  les  mêmes,  et,  quelcjuelois  pires 
qu«'  ceux  des  Indifus?  Le  peu  tle  Collèges 
qu'ils  outdans  celle  Pro\  inceen  sonl-ils  pli  s 
riches  ,  el  en  ont-ils  augmenté  le  nombre  ? 
Ils  sont  tous  Euroj)éens.  Peut-on  en  ciler  un 
&«iil  (jui  ait  euriibi   sa   famille  ? 

Mais  j)our(|uoi  n«'  pas  permettre  aux  étran- 
gers ,  ri  même  aux  Lspagnols  ,  de  traiter  avec 
les  Indiens  ?  Pourquoi  avoir  fait  une  Loi  qui 
leur  défend  de  demeurer  [)lus  de  trois  jours 
ù  leur  passage  dans  chaque  peu[»lade  ,  où  à  la 
véiilé,  on  fournit  à  tous  leurs  i)esoins  ,  mais 
sans  (ju'ils  puissent  parler  à  aucun  Indieu  ? 
A  quoi  bon  tant  de   précautions? 

Ces  précautions  ,  qui  déplaisent  tant  h 
l'anonvnie  ,  ont  été  jugées  de  tout  temps 
lu-cessuires  pour  la  conservation  des  peupla- 
des. Llles  seraient  bientôt  ruinées,  si  l'on 
ouvrait  la  porte  aux  mauvais  exemples  et  aux 
scandales  que  les  Etrangers  ne  donnent  tjue 
liop  communément.  L'ivrognciie  est  le  vice 
le  plus  commun  parmi  les  Indiens  ;  on  sait 
que  la  Chu  ha  dans  le  Pérou  ,  le  Puh/ueei 
le  Tepache  dans  la  Nouvelle-Espagne  ,  de 
même  que  l'eau-de-vie  dans  les  deux  Royau- 
mes, Y  causent  les  plus  grands  ravages  ,  et 

114 


i~t>  Lettres  édifiantes 

soni  la  source  d'une  infînilé  de  crimes  ,  Je 
liaines,  de  vengeances  ,  et  d'nutres  fautes 
monstrueuses ,  auxquelles  ces  Peuples  s'aban- 
donnent avecd^aulantplus  de  brutalité,  qu'ils 
trouvent  moins  de  résistance.  C'est  une  Loi 
établie  parmi  les  Indiens  de  nos  peupla- 
des, de  ne  boire  aucune  liqueur  qui  soit  capa- 
ble de  troubler  la  raison.  Et  c'est  ce  qu'avant 
leur  conversion  on  ne  croyait  pas  qu'on  put 
gagner  sur  eux.  Tout  esprit  d'intétét  en  est 
banni  •  les  jeux  mêmes  qui  leur  sont  p^ermis  , 
sont  exempts  de  toute  passion  ,  parce  qu'ils 
ne  les  prennent  que  comme  un  délassement 
où  ils  n'ont  ni  à  perdre  ni  à  gagner.  L'ava- 
rice ,  la  fraude  ,  le  larcin  ,  la  médisance  ,  les 
jureraens  n'y  sont  j)as  mêine  connus. 

Pour  complaire  à  l'anonyme ,  blûmera-l-on 
les  Jésuites  de  maintenir  ces  Néoplivtes 
dans  l'innocence  de  leurs  mœurs  ,  et  de  fer- 
mer l'entrée  de  leurs  peuplades  à  tous  ks 
vices  que  je  viens  de  nommer ,  et  à  beaucoup 
d'autres  ,  en  la  fermant  aux  Etrangers?  On  a 
nue  triste  expérience  de  ce  qui  se  passe  dans 
les  peuplades  d'Indiens  qui  sont  au  voisi- 
nage de  la  ville  de  l' Assomption  ;  et  l'on  ne 
sait  que  trop  qu'ils  mènent  la  vie  la  plus 
licencieuse,  sans  crainte  de  Dieu,  sans  res- 
pect pour  nos  Rois,  et  ne  redoutant  que  leurs 
Maîtres ,  qui  exercentsureux  une  domination 
tyrannique  ,  et  qui  les  traitent  bien  moins 
comme  des  bommes  que  coinme  des  bêles. 

Ce  qui  lient  au  cœur  de  l'anonvme  ,  c'est 
de  voir  qu'on  permette  à  nos  Indiens  l'usage 
des  armes  à  feu.  Mais  qu'il  apprenne  que  nos 


FT    C  l  KtEUSr  s.  177 

Rois  proporiionnoiit  Ifs  armes  qu'ils  mctirnt 
entre  les  mains  de. leurs  sujcls  ,  aux  ennemis 
qu'ils  ont  à  comhallrc  ;  s'ils  n'avaient  à  faire 
qu'à  des  Indiens  coinnieeux  ,  l'arc  ,  la  llètlio, 
l'éjK'e  et  la  lance  leur  sufliraient.  Mais  ils 
en  viennent  souvent  aux  mains  avec  d<'3 
troupes  Européennes  armées  de  fusils  ,  de 
halles  ,  de  grenades  et  de  bombes.  Refuser 
aux  Indiens  de  pareilles  armes  ,  ne  serait-eti 
]).is  It'S  livrer  ;i  une  mort  certaine  ,  et  hs 
iiicllre  hors  d'état  de  déleudre  l'entrée  de  nos 
Provinces  aux  ennemis  de  la  Couronne? 

iNIais  ne  se  pourrait-il  pas  faire  que  ces 
Indiens  tournassent  leurs  armes  contre  les 
Kspagnols  ?  Crainte  frivole  ;  1."  ils  n'ont 
point  ces  armes  à  leur  disposition  ;  elles  sont 
renfermées  dans  des  magasins  ,  d'où  on  ne  le» 
tire  que  par  l'ordre  que  le  Couverneur  intime 
au  Supérieur  de  la  Mission  ;  1."  ils  n'ont 
point  de  poudre  ,  ni  aucun  moyen  d'en  faire  y. 
et  il  faut  que  ces  munirions  leur  soient  four- 
nies par  les  Espagnols,  qui  ne  leur  en  envoient 
quedans  le  besoin  ,  ellorstju'il  faut  coniballre 
les  ennemis  de  l'Elat. 

Mais,  ajoule-l-on  ,  pourquoi  ne  pas  con- 
fier le  gouvernement  de  ces  peuplades  à  des 
Corrégidors  Espagnols  ?  \'A  moi  je  d«  mande 
à  mon  tour  :  ces  peuplades  n'ont-elles  pas 
été  établies  dans  l'espace  de  plusde  cent  trente 
ans,  et  ncsaccroissent-ellespas  tous  les  jours 
sans  le  secours  des  Corrégidors  ?  Que  sont 
devenues  celles  (|u'ils  ont  gouvernées  ?  Ne 
les  ont-ils  pas  ruinées  et  délruit<s  ?  Met- 
Uaicnl-ilb  duus  ces  peuplades  une  uieilleure 

Il   fi 


i-jS  Lettres  édifiantes 

forme  de  gouvernement  ?  Instruiraient-ils 
mieux  ces  Indiens  des  principes  et  des  devoirs 
delà  Pieligion?  Feraient-ils  régner  parmi 
eux  une  plus  grande  innocence  de  mœurs? 
Les  rendraient-ils  plus  zélés  qu'ils  le  sont 
pour  le  service  du  Roi  ?  En  feraient-ils  de 
plus  (îdèles  sujets  ? 

On  n'ignore  pas  ce  qu'il  en  a  coûté  de 
travaux  aux  Jésuites  ,  et  combien  d'entr'eux 
ont  perdu  la  vie  pour  réuuir  ces  barbares 
dans  des  peuplades  ,  et  en  faire  de  fervens 
Chrétiens  et  de  zélés  serviteurs  de  la  Monar- 
chie :  parlons  de  bonne  foi  ,  serait-ce  là 
l'unique  vue  des  Corrégidors  ?  Leur  com- 
merce ,  leur  intérêt ,  le  soin  de  s'enrichir  ,  ne 
font-ils  pas  communément  le  principal  objet 
des  peines  qu'ils  se  donnent  ?  En  trouverait- 
on  beaucoup  qui  brigueraient  l'emploi  de 
Corrégidor  ,  s'ils  n'en  reliraient  point  d'autre 
avantage  que  celui  de  faire  servir  Dieu  et  le 
Roi  ?  Je  ne  citerai  ici  qu'un  seul  exemple. 

Un  Evêque  du  Paraguay  ,  plein  de  zèle 
pour  son  troupeau  ,  ayant  écouté  trop  légère- 
ment les  ennemis  des  Jésuites  ,  prit  la  réso- 
lution de  leur  ôterdeux  de  leurs  Missions  , 
qui  lui  paraissaient  être  dans  le  meilleur  état  ; 
savoir ,  celle  de  Notre-Dame  de  Foi ,  et  celle 
de  Saint-Ignace  ,  où  il  y  avait  environ  huit 
mille  Indiens  ,  ([ue  ces  Pères  avaient  retirés 
de  leurs  bois  et  de  leurs  montagnes  ,  avec  des 
fatigues  immenses  et  un  risque  continuel  de 
leur  vie.  Le  Prélat  ayant  choisi  deux  Ecclé- 
.siaslîqucs  de  méiite ,  les  envoya  dans  ces  pcu- 
jplades  en  qualité  de Cu lés,  cl  les  ûl  escorter 


ET    COHIECSI».  |n^ 

ptr  des  soldats  qui  cluissfreni  les  Mission- 
.  nairrs  avec  tanl  de  violence  ,  «pie  de  <];j  ttre 
qu'ils  étaient  ,  l'un  mourut  vn  (-liemi.i  ,  et 
les  trois  autres  furent  ineapahhrs  d';iut-iiii  tra» 
Tail  le  reste  de  leur  vie.  Ces  deux  Krcl  -sins- 
tiques  se  mirent  en  possession  du  spirituel 
et  du  temporel  des  peuplades;  mais  à  peine 
y  eurent-ils  demeuré  cpiatrc  mois  ,  qu'ils 
vinrent  trouver  leur  Kvèque  en  se  plaignant 
amèrement  qu'on  les  avait  envoyés  tians  un 
li(!U  où  il  n'y  avait  pas  de  (juoi  vivre  ;  que  la 
pauvreté  des  Indiens  était  si  t^rande  ,  (ju  ils 
ne  pouvaient  paver  aucune  rélrihulion  ,  ni 
pour  les  Messes,  ni  pour  les  cnlerremens, 
ni  pour  li's  maiiagcs  ;  ([u'ils  ne  concevaient 
pas  quel  ragoût  trouvaient  les  Jésuites  à  de- 
meurer avec  ces  barbares  nouvellement  con- 
vertis ,  et  toujours  prêts  à  les  égorger  ,  s'ils 
manquaient  un  seul  jour  à  leur  fournir  des 
alimens;  qu'ils  avaient  couru  ce  ri»(jue  ,  et 
que  c'était  pour  celte  raison  qu  ils  s'étaient 
prompiemenl  retirés. 

La  fuite  des  pasteurs  dissipa  le  troupeau. 
Tous  ces  Indieiiss'enfuirenl  dans  leurs  mon- 
tagnes ,  où  ils  pc'rdirent  bientôt  la  Foi ,  tandis 
que  le  T^oi  peidait  «-n  un  seul  jour  jusqu'à 
buit  mille  sujets.  L'ordre  qu'a  donné  l'au- 
dience Royale  de  Chutjuisaca  ,  de  rétablir  les 
Jésuites  dans  leurs  peuplades  ,  ne  rappellera 
pas  tous  ces  Indiens  dispersés,  et  ne  ser\ira 
f|u':\  préserver  les  autres  peuplades  d'un 
malbeur    semblable. 

^Monseigneur  Don  Cbristoval  ÎVIancba  y 
Valcsco  ,  E^éque  de  BuenGs-^/yrrs  ,  donna 

11  G 


ï8o  Lettres  édifiantes 

dans  le  même  piège  :  on  lui  persuada  d'éri- 
ger les  Missions  en  Cures  ,  et  par  un  Mande- 
ment qu'il  fit  publier  dans  son  Diocèse  et 
dans  tous  les  Pays  circonvoisins  ,  il  invita  les 
Ecclésiastiques  à  venir  à  un  certain  temps 
qu'il  marquait  pour  en  recevoir  les  provisions. 
Le  terme  étant  expiré,  et  voyant  qu'il  ne  se 
présentait  personne  ,  il  examina  plus  sérieu- 
sement la  vérité  des  faits  qu'on  lui  avait  expo- 
sés, et  la  manière  dont  les  Jésuites  gouver- 
naient leurs  Missions.  Comme  ce  Prélat  avait 
les  intentions  droites  ,  il  eut  bientôt  décou- 
vert la  vérité  :  les  mauvaises  impressions 
qu'on  lui  avait  données  se  changèrent  en  une 

si  grande  estime  pour  les  Jésuites  ,  qu'il  leur 
donna  toute  sa  confiance.  La  sainte  Vierge, 
à  qui  il  avait  une  dévotion  singulière,  lui 
ayant  fait  connaître  que  sa  mort  approchait, 
il  fît  venir  le  Père  Thomas  Donvidas  ,  Rec- 
teur du  Collège  ,  et  fit  sous  sa  conduite  , 
pendant  huit  jours  ,  les  exercices  spirituels 
de  saint  Ignace  ,  qu'il  termina  par  une  con- 
fession générale  ;  ensuite ,  dans  les  diflcrentes 
prédications  qu'il  fit  à  son  Peuple  ,  pour  lui 
,  dire  les  derniers  adieux  ,  il  ne  cessa  de  réfuter 
les  calomnies  dont  on  voulait  noircir  les 
Jésuites,  en  déclarant  qu'il  avait  pensé  lui- 
même  y  être  surpris  ,  et  que  c'était  autant 
d'artifices  du  Démon  ,  qui  cberchaità  perdre 
imeinfinitéd'ames,  cnles  retirantde  ladirec- 
tion  de  ces  Pères  ,  qui  les  conduisaient  dans 
la  voie  du  salut.  Peu  de  jours  après,  il  mourut 
comme  il  l'avait  prédit ,  laissant  à  son  Peuple 
les  exemples  des  plus  hcroïqiicâ  vcrUis  ,  (|u"il 


FTrT'Rirrsr».  ift» 

avait  prali(|uc'ts  duraul  le  cours  tir  son  llpis- 
copal. 

lU'vrnoiis  :  les  Corrrpidors  Kspapnols  au- 
iaii'iit-il>  d«'  ;;i'aii(ls  a\anlat;cs  ,i  cspérrr  dans 
ers  j)<M»|»I.iilrs  ,oi»  un  Iviilésiaslitjuo  iir  trouve 
pas  nn'ine  de  quoi  si'  l'aire  une  sul)^i.»tancc 
îionnt^te  ?  Supposons  (|u'on  leur  en  conliût  le 
irouvernemenl  ;  ou  ils  suivront  la  niélhodedcs 
^Ii^•>i.)unail^^s  ,  ou  ils  se  fuinieront  un  sys- 
trnjf  Mouvj'au.  S'ils  eoiisii-v enl  la  rornic  tiu 
jné.'Ctil  j;ou\t.incrnenl ,  ils  doivent  s'attendre 
à  être  ealomniés  de  même  que  ees  Pères  :  oa 
ne  niaufjuern  pas  de  dire  ((u'ils  fiaudenl  les 
droits  du  lioi  ,  qu'ils  ont  di  s  mines  eaehées, 
qu'il.*»  domine  lit  en  Sou\  erains.  Si  pour  c\  .'1er 
des  repioclies  *i  mal  iundés ,  ils  prennent  une 
autre  roule  j  cl  changent  des  usages  confor- 
mes au  génie  de  ces  Peuples,  qu'on  a  étudié 
depuis  si  long-lt'mps  ,  la  ruine  des  INlissions 
est  ecrlaine  ,  les  Indiens  se  retireront  d.ms 
leurs  montagnes  ,  cl  les  peuplades  seront  tout 
h  coup  désertes  :  près  de  deux  cent  mille 
Intliens  vivront  dans  les  l)ois  sans  culte  et 
sans  religion  ;  et  ce  seront  autant  de  sujets 
perdus  jjour  le  Pioi. 

C'est  ce  qu'on  a  éprouvé  dans  la  iSouvelle- 
Kspagnc  :  on  ôta  aux  Indiens  de  la  Laguna 
leurs  Missionnaires  ;  ils  se  dispersèrent  à. 
l'instant  avec  la  rag(;  dans  Icca-ur  contre  les 
Kspagnols,  et  ne  cherchant  que  les  moyens 
de  la  satisiairc  :  encore  aujourd'hui  ils  ré- 
])andenl  la  terreur  sur  tout  le  clicniin  qui 
conduit  aux  riches  mines  de  celte  Provieiee  , 
et  ou  est  oLli^é  d'euUvieuir   â  yrauds  irais 


iBs  Lettres  édifiantes 

des  garnisons  pour  la  sûreté  de  ces  passages. 

On  l'éprouve  encore  acluellemcnt  de  la 
part  de  deux  Nations  belliqueuses  ,  les  No- 
comies  et  les  Ahiponcs  :  elles  s'étaient  sou- 
mises volontairement  au  joug  de  l'Kvangile 
et  à  l'ohéissance  du  Roi,  sur  la  parole  que 
les  Jésuites  leur  avaient  donnée  ,  qu'elles 
dépondraient  uniquement  des  Oiïîciers  de  Sa 
Majesté.  On  ne  leur  a  point  tenu  parole,  et 
dans  le  moment ,  ces  Peuples  ont  secoué  le 
joug,  et  ont  fermé  les  chemins  qui  mènent 
au  Pérou  ,  ensorle  qu'on  n'y  peut  aller  sans 
courir  risque  de  la  vie  ,  h  moins  qu'on  ne 
soit  bien  escorté.  Ils  ont  même  porté  l'au- 
dace jusqu'à  bloquer  la  ville  de  Sainte-Foi , 
avec  menace  d'assiéger  la  ville  de  Cordoue  , 
qui  est  la  capitale  du  Tucuman. 

Si  l'anonyme  ,  et  ceux  qui  l'ont  mis  en 
œuvre  ,  avaient  mérité  qu'on  eiit  fait  atten- 
tion à  leur  mémoire  ,  nos  Indiens  ne  seraient- 
ils  pas  en  droit  de  se  plaindre  ?  Quel  est 
donc  le  crime  que  nous  avons  commis  , 
pourraient-ils  dire  ,  pour  qu'on  abroge  les 
privilèges  ,  dont  la  bonté  du  Roi  et  de  ses 
augustes  prédécesseurs  nous  a  gratifiés?  Ce 
sont  des  grâces  ,  il  est  vrai  ,  mais  elles  nous 
ont  été  accordées  à  des  conditions  onéreu- 
ses ,  que  nous  avons  fidèlement  remplies. 
N'avons-nous  pas  servi  de  rempart  contre  les 
ennemis  de  sa  Couronne?  N'avons-nous  pas 
prodigué  notre  sang  et  nos  vies  pour  sa  dé- 
fense ?  Que  savons  -  nous  si  les  liabitans  de 
l'Assomption  ,donl  l'anonynje  Français  n'est 
que  rialerprèlo  ,  ne  soiiL  pas  d  inlelligeuce 


r T  cuRiF. csrs.  iS3 

avec  los  ennemis  de  la  Monarcliic  ,  ]ioiii' 
nous  désarmer,  «'l  par  ce  moven-là  Iriir  tlon- 
ner  un  lilirr  passage  au  Royaume  dv  Pérou, 
et  SI-  soustraire  rux-mènu's  aux  jusles  eliA- 
tiiiH'ns-<[Uc  méritent  Ij'UIs  tréijuenles  révol- 
tes? Des  qu'il  s'agit  des  intérêts  du  Koi ,  el 
que  ses  Otliciers  nous  appellent ,  ne  nous 
voit-on  pas  volera  leui'  secours?  IVe  som- 
mes-nous pas  aciuelU  nient  armés  au  nf)mbre 
de  six  mille  }iomm«'s  par  ordre  du  Seigneur 
Don  liruno  de  Zibala  ,  Gouverneur  de  ////c- 
tios-Ayres  ,  résolus  de  verser  jusqu'à  la  der- 
nière goutte  de  notre  sant^  pour  le  service  de 
Sa  Majesté?  Knfin  ,  si  depuis  plus  de  cent 
tri-nte  ans  que  nous  nous  sommes  soumis 
>tdontairement  à  la  Couronne  d'Espagne, 
notre  conduite  a  toujours  été  la  plusédiiiante, 
el  notre  fidélité  la  plus  constante  ,  comme 
on  le  voit  par  les  informations  qui  eu  ont 
été  (ailes  ,  par  les  témoignages  f|u'en  ont 
rendu  tant  d'OlTiciers  illustres,  par  les  Sen- 
teni^es  des  Tribunaux  ,  et  par  les  Patentes 
de  nos  Rois  ,  écoutera-t-on  à  noli'e  préju- 
dice un  petit  nombre  de  gens  infidèles  à  leur 
Roi  et  désobéissans  à  ses  ordres,  qui  tant  de 
fois  ont  attenté  à  la  vie  de  leurs  Gouver- 
neurs ,  qui  ont  porté  l'insolence  jusqu'à  les 
dépost.-r,  i;th  en  étal)lird'autres  de  leur  propre 
autorité  ,  comme  ils  font  aclu(!llcnient  ;  (|ui 
se  prévalant  du  vain  titre  de  conquérans,  le- 
quel n'est  dû  qu'à  leurs  ancêtres,  ont<lélruil 
presque  toutes  les  nombreuses  peuplades  qui 
leur  avaient  été  concédées  ;i  quarante  lieues 
aux  cuviioiis  de  lu  ville  de  i'A>?^ompiiou? 


i8'(.  Lettres  édifiaxtes 

Et  ,  en  etïct  ,  combien  ne  pourrait -on 
pas  citer  de  témoignages  que  tant  de  saints 
Ev(kfues  ,  tant  d'illustres  Gouverneurs,  tant 
d'Oniciers  distingués  des  Audiences  Royales 
ont  rendus,  en  difîérens  temps,  h  la  piété 
de  nos  Indiens,  à  leur  constante  fidélité,  et 
à  leur  attachement  inviolable  pour  les  inté- 
rêts de  la  Monarchie  ?  Je  n'en  rapporterai 
que  deux  assez  récens  ,  l'un  de  Monseigneur 
Don  Pierre  Faxardo  ,  Evèque  de  Buenos- 
y'irrcs;  l'autre  du  Seigneur  Don  Bruno  de 
Zabola  ,  Gouverneur  et  Capitaine-Général 
de  ladite  Province  ;  à  quoi  j'ajouterai  les 
Patentes  par  lesquelles  notre  grand  Monar- 
que met  les  Indiens  de  nos  peuplades  sous 
sa  royale  protection. 


LETTRE 

De   Monseigneur  Don   Pierre   Faxardo  , 
Evêque  de  Buenos-Ayres  ,  au  Roi. 

Sire, 

Une  lettre  que  j'ai  reçue  de  la  capitale 
du  Paraguay  ,  signée  de  ses  Régidors  ,  où 
ma  personne  n'est  pas  trop  ménagée  ,  me 
fait  prendre  la  liberté  d'écrire  à  Votre  Ma- 
jesté ;  je  suis  peu  touché  de  leurs  injures, 
mais  je  ne  puis  dissimuler  h  Votre  Majesté 
qu'elle  est  remplie  d'accusations  fausses  et 
calomnieuses  conlrc  les  Missionnaires  de 
cette  Province,  Gomme  ils  me  déclarcm  dans 


HT  cm I EUS r s.  iftS 

leur  U'itrç  qu'ils  éci  ivrnl  iMi  conformuô  au 
Conseil  supix'nie  des  Iiulcs  ,  je  «trais  tiès- 
l>l;'^inal>l(>  si  je  m.inf|iiais  de  découvrira  \  otre 
ISI«|e>ié  la  iiialii^nilé  de  leurs  calomnies,  el  dc 
1  inl'oriner  de  la  saj;c  el  sainte  eouduile  des 
hommes  vraiment  Apostoli<jues  ,  contre  les- 
quels ils  se  déehalnenl  avec  tant  de  fureur. 

Je  puis  assurer  Noire  Majeslé  (jue  j'ai  res- 
senti très- vivement  le  contre -coup  de  ces 
calomnies:  il  semble  (|ue  le  saint  K-spril  les 
ait  eues  en  vue  dans  ces  paroles  du  chapitre 
6  dc  l'KyCelésiastitjue  :  iJdtiluram  civilalis  ^ 
et  volUctionem  popiiîi  calunniiavi  vicndii- 
cetn  super  mortetn  omnia  f^rariu.  La  liaiue 
injuste  de  toute  une  Ville,  l'éniotion  sédi- 
tieuse d'un  Peuple,  et  la  calomnie  inventée 
faussement,  sont  trois  choses  plus  iusuj)por- 
tahlcs  que  la  mort. 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'ils  ont  en- 
voyé au  Conseil  suprême  des  Indes  de  sem- 
bl;d)les  plaintes  Contre  1rs  Missioniiaires. 
M. lis  ces  Fères ,  qui  n'ont  d'autre  objet  que 
le  service  de  Dieu  ,  In  conservation  el  i'aug- 
menlniion  de  ces  florissantes  Missions  ,  ont 
supporté  toutes  ces  aUarjues  avec  une  cons- 
tance el  unv  égalité  d'anie  (jui  m'ont  infini- 
ment édiiié. 

•  Ce  qui  fait  encore  plus  mon  admiration  , 
c'est  que  n«)n-sculement  ils  paraissent  comme 
insensibles  à  tous  les  coups  qu'on  leur})ortc  , 
mais  encore  qu'ils  ne  répondent  h  tant  d'in- 
jures dc  leurs  adversaires,  que  par  une  suite 
continuelle  de  bienfaits.  Conibien  voit-on 
de  pauvres  de  celle  capitale  du  Paraguay  qui 


i86  Lettres  édifiantes 
ne  subsistent  que  de  leurs  cliarités?  Avec 
quel  zèle  ne  s'emploient- ils  pas  au  service 
de  ses  habitans?  Ils  les  consolent  dans  leurs 
afflictions,  ils  les  éclairent  dans  leurs  dou- 
tes ,  ils  leur  piêchent  les  vérités  du  salut , 
ils  enseignent  leurs  enfans  ,  ils  les  assistent 
dans  leurs  maladies  ,  ils  confessent  les  mo- 
ribonds,  ils  app;iiscnl  leurs  dilFérends  et  les 
réconcilient  ensemble  ,  enfin  ils  sont  tou- 
jours prèls  à  leur  faire  du  bien;  mais  tant 
de  vertus  qui  devraient  gagner  l'estime  et 
l'alTeciion  de  ces  Peu})les,  ne  servent  qu'à 
les  rendre  plus  susceptibles  des  impressions 
malignes  de  la  calomnie.  J'ose  le  dire.  Sire  , 
ces  Pères  auraient  moins  d'ennemis  ,  s'ils 
étaient  moins  vertueux. 

On  demanda  un  jour  h  Tliéinistocle  quelle 
raison  il  awiit  de  s'attrister,  taiulis  qu'il  était 
cbéri  et  estiiiié  de  toute  la  Grèce.  «  C'est 
»  cela  même  qui  ra'ai'llige,  répondit-il,  car 
»  c'est  une  marque  que  je  n'ai  point  fait  d'ac- 
»  tion  assez  glorieuse  pour  mériter  d'avoir 
»  des  ennemis.  »  Ces  saints  INlissionnaires 
n'ont  de  vrais  ennemis  que  ceux  que  leur 
atiiient  leuis  vertus  et  leurs  actions  (jui  me 
paraissent  héioïques.  J'ai  souvent  parcouru 
leurs  Missions,  et  j'ose  attester  à  Votre  Ma- 
jesté que  ,  durant  tout  le  cours  de  ma  vie, 
je  n'ai  jamais  vu  plus  d'ordre  (pie  dans  cea 
peuplades,  ni  un  désintéressement  plus  par- 
fait que  celui  de  ces  Pères;  ne  s'appro - 
priant  rien  de  ce  qui  est  aux  Indiens  ,  ni 
pour  leur  vêtement  ,  ni  pour  leur  subsis- 
tance. 


ETCUiiECsrs.  187 

Dans  cps  peuplailt-s  nomhreuses,  compo- 
sées tl'Iiulieiis  niitun-lleinrnt  portés  à  toute 
sorti"  ilr  viiM's,  il  rt'i;m:  une  si  prauilf  inno- 
Cfiice  (Je  mœurs,  que  je  ne  crois  p.is  (ju'il  s'y 
coninietl^'  un  seul  péeiié  mortel.  Le  soin  , 
l'attention  cl  la  vigilance  continuelle  de» 
Missionnaires  préviennent  jusqu'aux  moin- 
dres fnutt-squi  pourraient  leur  éeliapper.  Je 
me  tr()u\ai  tlms  une  de  ces  peuplades  une 
f^te  de  Aolre- Dame  ,  et  j'y  vis  communier 
huit  cens  personnes.  Faut- il  s'étonner  ijue 
l'ennemi  commun  du  ssdut  des  hommes  , 
excite  tant  d'orages  et  de  tempêtes  contre 
une  truvre  si  sainte,  et  qu'il  s'ellorce  de  la 
détruire  ? 

Il  est  vi.ii  que  les  Missionnaires  sont  très- 
attentifs  a  entpêclier  (|ue  les  Indiens  ne  fré- 
quentent les  Ivspaunols  ;  et  ils  ont  grande 
raison  :  car  ct'lle  lré(ju<  ntalion  serait  une 
peste  fatrilo  à  leur  innocence,  et  introduirait 
le  lihiMtinage  cl  la  corruption  dans  leurs  peu- 

filades.  Ou  en  a  un  exemple  palpable  dans 
a  vie  que  mènent  les  Indiens  tics  quatre 
pouplridcs  «pii  sont  aux  cun  irons  de  la  cnpi- 
tal<-  du  Paraguay. 

Il  «'ht  vrai  encore  que  les  Indiens  ont  pour 
CCS  pères  une  parfaite  soumission  ;  et,  c'est 
ce  «jui  est  admirable,  que  dans  des  barba- 
res ,  qui  ,  avant  leur  conveision  ,  fesaienl 
douter  s'ils  étaient  des  lumimes  raisonna- 
bles, on  trouve  plus  de  gratitude  que  dans 
ceux  (pii  ont  eu  dès  leur  enfance  une  édu- 
cation (>lirélienne. 

A  i"éj;jard  de  leurs  pré  tendues  richesses  , 


i88  Lettres  édifiantes 

on  ne  pouvait  rien  iin.Tgiuer  de  plus  cliimé- 
rîque  :  ce  que  ces  pauvres  Indiens  gagnent 
de  leur  travail  ne  va  qu'à  leur  procurer  pour 
chaque  jour  un  peu  de  viande  avec  du  blé 
d'Inde  et  des  légumes  ,  des  habits  vils  et 
grossiers,  et  l'entretien  de  l'Eglise.  Si  ces 
Missions  produisaient  de  grands  avantages, 
celle  Province  serait- elle  endettée  comme 
elle  l'est  ?  Les  Collèges  seraient-ils  si  pau- 
vres ,  que  ces  Pères  ont  à  peine  ce  qui  est 
absolument  nécessaire  pour  vivre  ? 

Pour  moi  ,  qui  suis  parfaitement  informé 
de  ce  qui  se  passe  dans  ces  saintes  Missions, 
je  ne  puis  m'erapêchcr  d'appliquer  à  cette 
Compagnie,  qui  en  a  la  conduite,  ces  pa- 
roles de  la  sagesse,  et  de  m'écricr  :  o  (/uàrn 
pulchra  est  ca.sta  generatio  cum  chiritate  ! 
O  coml)ien  est  belle  la  race  chaste,  lors- 
qu'elle est  jointe  avec  l'éclat  d'un  zèle  pur 
et  ardent,  qui,  de  tant  d'Infidèles,  en  fait  de 
vrais  enfans  de  l'Eglise  ,  qui  les  élève  dans 
la  crainte  de  Dieu,  et  les  forme  aux  vertus 
Clirétiennes  ,  et  qui  ,  pour  les  mainlenir 
dans  la  piété  et  pour  les  préserver  du  vite  , 
souifre  en  patience  les  plus  atroces  calom- 
nies! Inimortnlis  est  eniin  nievioria  illius  , 
quoniam  apiid  Dcum  nota  est  et  apiid  ho- 
viines.  Sa  mémoire  est  immortelle  ,  et  est  en 
honneur  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  , 
sur-tout  devant  Votre  INlajesté  ,  à  qui  cette 
Province  est  redevable  de  tant  de  bienfaits  : 
c'est  en  son  nom  que  j'ai  l'honneur  de  pré- 
senter ce  mémorial  à  Votre  Majesté,  et  de 
lui  faire  la  même  demande  qui  fut  faite  à 


ET    CmiErSES.  ifif) 

l'Emporcnr  Domiiicn  par  un  de  iCi  sujets  : 
«<  J'ni  un  ennemi  ,  disail-il  h  ce  Prince,  (|ut 
»  s'itlHij^c  exlrêmenienl  de  toutes  les  pnUes 
»  (jue  me  fait  Voire  .Mitjesté.  Je  la  sujiplie 
u  de  m'en  faire  encore  de  plus  mandes,  afin 
j>  (|ue  mon  ennemi  en  ait  plus  de  chagrin.  » 
iJa  ,  ('(Psar  ^  tanto  tu  nnii^isiit  doU'dt.  C'est 
ce  que  j'espère  de  sa  bonté  ,  en  priant  li-  Sei- 
«;neur  qu'il  la  conserve  un  grand  nombre 
d'années  pour  le  bien  de  celte  MonarcUie. 

yi  Buenos-j4^ rcs ,  ce  10  Mai  j'-jii. 

f  Pierre,  Evâque  de  Buenos-^yres. 


LE  TTRE 

Du  Sei'f^eur  Don  Bruno  Zahnln ,  AfarccJial 
de  Camp,  Gouverneur  et  Capitaine- Gé- 
néral de  Buenos-jéyres ,  au  Hoi, 

Sire, 

Je  dois  rendre  témoignage  à  Votre  Majesté 
que  ,  daus  toutes  les  occasions  oii  l'on  a 
eu  besoin  du  secours  des  Indiens  'J'apes  , 
fjui  sont  sous  la  conduite  des  Pères  Jésuites  , 
soit  pour  des  entrej)nses  militaires  ,  soit  pour 
travailler  aux  forlilîcations  des  places  ,  j'ai 
toujours  trouvé  dans  ceux  (jui  les  gouvernent 
uuu  aclivilé  sur^rcnanlc  ,  et  uu  zèle  Iré*- 


JQO  Lettres  édifiautes 

ardent  pour  le  service  de  Voire  Majesté. 
Un  nombre  de  ces  Indiens ,  ainsi  que  je  le 
mande  séparément  h  Voire  Majesté  ,  sont 
actuellement  occupés  aux  ouvrages  qui  se 
font  à  Monte-Video,ct  ils  avancent  ces  travaux 
avec  une  promptitude  et  une  vivacité  in- 
croyables ,  se  contentant  pour  leur  salaire 
d'alimens  grossiers  dont  on  les  nourrit  cha- 
que jour. 

Je  n'ai  garde  d'exagérer  quand  je  parle  à 
Votre  Maji'slé  j  et  j'ose  assurer  que  si  nous 
n'avions  pus  eu  le  secours  de  ces  Indiens  , 
les  forliiications  qu'on  avait  commencé  de 
faireàlNlonte-Video,  et  h  la  forteresse  de  cette 
Ville  ,  n'auraient  jamais  pu  être  achevées. 
Les  soldats  ,  les  autres  Espagnols  et  les  In- 
diens du  voisinage  qui  travaillent  à  la  jour- 
née ^  sont  incapables  de  soutenir  long-iemps 
celte  fatigue.  Ils  sont  assez  ponctuels  les  trois 
ou  quatre  premiers  jours,  après  quoi  ils  veu- 
lent èire  payés  d'avance.  Qu'on  leur  donne 
de  l'argent  ou  qu'on  leur  en  refuse  ,  c'est  la 
même  chose  ,  ils  quiilent  l'ouvrage  et  s'en- 
fuient. La  paresse  et  l'amour  de  la  liberté 
sont  tellement  enracinés  dans  leur  naturel  , 
qu'il  est  impossible  de  les  en  corriger. 

Il  y  a  une  différence  infinie  entre  ces  lA- 
ches  Indiens  et  ceux  qui  sont  sous  la  ccn- 
duite  des  Missionnaires.  On  ne  peut  expri- 
mer avec  quelle  docilité,  avec  ([uelle  ardeur 
et  avec  quelle  constance  ils  se  portent  à  tout 
ce  qui  est  du  service  de  Votre  Majesté,  ne 
donnant  aucun  sujet  de  plainte  ni  de  mur- 
mure ,  se  reudaut  pouctuellemeut  aux  heure» 


KTrmiEUSFS.  I()t 

Tnarqucrs  pour  Ii-  tra\HiI ,  sans  jnmnis  y  nian- 
qurr  ,  vi  éilifiiinl  d'aillrurs  loul  le  monde 
par  I»'ui*  piété  ri  par  la  réi^ularilé  de  Icurcon- 
duilt'  ,i('  (ju'on  nf  prut  altiihucr,  apiè.->  Dini, 
qu'il  la  sagfsse  et  h  la  piudrnce  di' fcux  (|iii 
It'S  gouvernent.  Aussi  M.  l'Evêque  de  celle 
Ville  m'a-l-il  souvent  assuié  »|ue  toutes  1<'S 
fois  fju'il  a  l'ait  la  visile  de  ces  Missions  ,  il 
a  été  eliaiiné  île  voir  la  dévotion  de  ces  nou- 
veaux Fiilèlcs  de  l'un  et  de  l'aulre  sexe,  et 
l«'ur  dextérité  dans  tous  les  ouvrages  qui  se 
font  il  la  main. 

Quoi{jiie  <|uel<|nrs  personnes  ïnal  inten- 
tionnées, soit  par  jalousie  ,  soil  pai  d'auties 
nuitifs,  lAclient  île  décrier  le  zèle  et  lis  in- 
tentions les  plus  pures  d'une  Compagnie 
(jui  rend  de  si  grands  services  dans  tout  le 
monde,  et  en  particulier  d>ins  l'Améiiijue, 
ils  ne  viendi'ont  jamais  à  bout  d'obscurcir  la 
vérité  de  «es  t"aits,dont  il  y  a  une  intinité  de 
témoins.  Ce  que  j'en  dis  à  Votre  Mnjesté 
n'est  pas  pour  exalter  ces  Pères,  mais  pour 
lui  n-ndre  un  compte  sincère  ,  tel  qu'elle  a 
di'oit  rie  l'attendic  d'un  fidèle  sujet  qu'elle 
honore  de  sa  conliancc;  et  pour  la  jirévenir 
sur  les  fausses  impressions  que  la  niali;.',nilé 
et  les  artifices  de  certaines  gens  voudi aient 
donnera  Votre  Majesté,  en  renouvelaul  des 
plaintes  et  des  accusations  qu'elle  a  laul  de 
fois   mépiisées. 

J'ajouterai  à  Votre  Majesté  que  les  In- 
diens des  trois  penpladr-s  établies  aux  envi- 
rons de  celle  Ville  ,  sciaient  bien  plus  lieu- 
reux  si,  dans  la  maaièrc  de  les  gouverner  , 


igi  Lettres  éditiantes 

on  suivait  le  plan  et  le  modèle  que  donnent 
ces  Pères  dans  le  gouvernement  de  leurs 
Missions.  Ces  trois  peuplades  sont  peu  nom- 
Lreuses ,  et  cependant  ce  sont  des  dissentions 
continuelles  entre  le  Curé,  le  Corrégidor  et 
les  Alcades;  ce  n'est  pas  pour  moi  une  petite 
peine  ,  de  trouver  des  Curés  qui  veuillent 
en  prendre  soin  ;  le  grand  nombre  de  ceux 
qui  ont  abandonné  ces  Cures  ,  dégoûte  pres- 
que tous  les  Ecclésiastiques  que  je  voudrais 
y  envoyer. 

C'est  uniquement ,  Sire,  pour  satisfaire 
à  une  de  mes  principales  obligations  ,  que 
j'expose  ici  les  services  importans  que  ren- 
dent les  Indiens  Tapes  ^  qui  sont  sous  la  con- 
duite des  Missionnaires  Jésuites,  dont  Votre 
Majesté  connaît  l'attaclicment  plein  de  zèle  , 
pf)ur  tout  ce  qui  est  de  son  service.  Je  ne 
doute  point  qu'elle  ne  leur  fasse  ressentir  les 
eiî(>ts  de  sa  clémence  et  de  sa  bonté  Royale. 
Pour  moi ,  je  ne  cesserai  de  faire  des  vœux 
pour  la  conservation  de  Voti-e  Majesté  ,  qui 
ipst  si  nécessaii^e  au  biea  de  toute  la  Chré- 
tienté. 

^  Bucnos^Ajrcs ,  Ze  28  Mcd  ^"ji^. 


^•* 


CLAUSES 


ET    CWmiUSKS.  I<)J 


CL  A  USES  insëri-es  dans  le  Dt'cret  que 

le   ]ioi   Philipju-    /'envoya   nu    Cmoiuci- 

iit-ur  de  Buenos-^/}  rcs  y  le  i -j  ^ovcinbie 

i-iG. 
> 

A  l'égard  du  troisième  article  rjui  concerne 
IfS  Indiens  des  Missions  ,  dont  les  Pères  Jé- 
suites sont  charpés  dansées  Provinces  ,  faites 
attention  (|u  il  y  a  plus  de  cent  tieize  ans 
que  ces  Pères  ,  par  leur  zèle  et  leurs  tra- 
vaux,  ont  converti  à  la  Foi  et  soumis  h  mon 
obéissance  une  multitude  innomlirahle  de 
ces  Peuples  ;  que  ce  qui  a  facilité  en  partie 
l'accroissement  de  ces  Missions  ,  c'est  que 
nous  et  nos  ])rédécesseurs  n'avons  jamais 
voulu  permettre  qu'ils  fussent  mis  en  com- 
Tnandrries  ,  comme  on  le  voit  par  plusieurs 
Patentes  et  Ordonnances  expédiées  en  dif- 
féreus  temps  ,  et  spécialement  en  l'année 
]66i  ,  où,  cntr'autres  choses,  il  fut  ordonné 
au  Gouverneur  du  Paraguay  d'unir  et  d'in- 
corporer à  la  (^.ouronne  tous  les  Indiens  des 
peupl.ides  qui  étaient  sons  la  conduili;  de» 
Jésuites  ,  et  de  irexij;er  pour  le  triliut  qu'une 
piastre  de  chaque  Indien  ,cn  déclarantqu'ils 
ne  la  paieraient  pas  avant  quatorze  nns  ,  ni 
après  cinquante  ;  la(|uelle  grâce  fut  plus  éten- 
due en  l'année  i()8.|,  où  ,  pour  procurer  une 
plus  grande  augmentation  des  peuplades  ,  il 
fut  ordonné  qu'ils  cesseraient  de  paver  après 
quarnnte  ans  ,  et  que  les  Ircule  première*- 
Tome  IX.  l 


Tt)4  LkTTRES    ÉniriANTES 

années  depuis  leur  conversion  à  la  Foi ,  et 
Jenr  réunion  clans  les  peuplades  ,  ils  seraient 
exempts  du  trihut. 

Par  une  autre  Patente  expédiée  en  la 
jnéme  année  1684  ,  et  envoyée  aux  Offi- 
ciers Royaux  de  Buenos  -  y4yrcs  ,  il  fut  or- 
donné qu'on  conservât  aux  Indiens  des  peu- 
plades des  Jésuites  le  privilège  de  ne  payer 
aucun  droit,  ni  pour  l'herbe  du  Paraguay  , 
ni  pour  leurs  autres  denrées  ;  et  il  était  mar- 
qué dans  la  même  Patente  que  ces  Indiens 
payaient  neuf  mille  piastres  par  an. 

Une  Patente  fut  expédiée  en  l'année  1669, 
qui  ordonnait  aux  OtFiciers  Royaux  qui  re- 
cevaient les  tributs  des  Indiens  de  Parana 
et  d'Uraguay  ,  de  payer  chaque  année,  sur 
leur  caisse  ,  à  chacun  des  vingt-deux  Mis- 
sionnaires qui  ont  soin  des  vingt-deux  peu- 
plades ,  quatre  cent  quarante-six  piastres  et 
cinq  réaux. 

Et  par  une  autre  Patente  expédiée  en 
l'année  170'y  ,  il  est  pareillement  ordonné 
que,  sur  ce  qui  se  perçoit  du  tribut  des  In- 
diens ,  on  paie  trois  cent  cinquante  piastres 
à  chaque  Missionnaire  ,  (  y  compris  son 
compagnon  )  qui  a  soin  des  quatre  nouvelles 
peuplades  appelées  Cliiquites  ,  et  autant  h 
ceux  qui  gouverneront  les  peuplades  qu'on 
fondera  dans  la  suite. 

A  l'égard  de&  armes  qu'ont  lesdits  In- 
diens ,  il  est  certain  qu'à  mesure  que  se  for- 
mèrent ces  peuplades  ,  les  Missionnaires 
ohlifxi'ent  la  permission  de  distribuer  des 
iuAh  à  ua  nombre  d  la^cDw^ ,  afin  de  pou-; 


E  T    C  i;  E  I  E  t'  s  E  8.  IIJJ 

Toir  80  tléfi-ndre  des  Porlug.iisel  dc>  Imlii  115 
infidèle:»,  i]ui  uxerctient  drs  actes  coiilinucU 
d'Iiosliliu*  ,  et  (|ui  t-ii  tlillÏTcnles  occumIuiis 
a>nit'iit  fait  pli»  d«.>  trois  cent  mille  prisoit- 
nit-rs.  Ccjt  lioatililés  ci-s.>èrent  au^Àilôl  qu'un 
eut  pris  le  parti  de  \vt>  ariner. 

Va  quoique  par  une  Patente  de  i6f>4  on 
ordonne  au  Gouverneur  du  Paiai;uay  de  ne 
pas  permettre  (juc  les  Ir  «liens  des  peuplades 
se  servent  des  armes  à  leu  que  par  son  ordre, 
on  dérogea  depuis  à  cette  résolution ^  ayant 
égard  d'une  part  ù  la  conservation  de  ces 
peuples  ,  qui  ont  donné  en  tant  d'occasions 
di;  si  fortes  preuves  de  leur  zèle  et  de  leur 
atlaehement  à  mon  service  ;  cl  considéra.Mt 
d'une  autre  part  l'utilité  qui  en  lésultait 
pour  la  sûreté  delà  ville  de  Buenos- Ayrcs  , 
et  de  toute  l'étendue  de  sa  Juridiction  , 
comme  on  l'éprouva  en  l'année  i-jo-.*,  que 
deux  mille  de  ces  Indiens  firent  ,  par  ordre 
du  Gouverneur,  plus  de  deux  cens  lieues, 
par  des  chemins  irès-diliiciles ,  pour  s'op- 
poser au  saccai^emcnt  et  au  pillage  que  fe- 
saient  l«*s  Indiens  infidèles  nommés  Marne- 
lues  du  Brésil ,  que  les  Portugais  melluient 
en  œuvre.  Les  Indiens  des  Missions  les  com- 
liattirent  durant  cinq  jours,  et  les  déiirciil 
entièrenjent  ;  ce  qui  nie  porta  ,  dès  que  j'en 
lus  informé,  à  témoigner  par  une  Patente 
adressée  aux  Supérieurs  de  ces  INIissious  , 
combien  j'étais  satisfait  de  la  valeur  et  de 
la  fidélité  de  ces  peuples,  attribuant  le  suc- 
rés do  celte  expédition  à  la  sagesse  avec 
laquelle  lia  les  gouvcinaicul,  et  en  les  cliar- 

I    3       • 


i;)fi  Lettres  édifiantes 

géant  fie  les  assurer  qu'ils  éprouveront  en 
tonte  occasion  les  eflTets  de  ma  bonté  et  de 
pia  royale  protection. 

Ces  Indiens  ont  eu  aussi  beaucoup  de  part 
a  une  autre  expédition  ,  non  moins  impor- 
tante, lorsqu'il  l'ut  question  de  chasser  les 
Portugais  de  la  Colonie  du  Saint-Sacrement, 
Ils  s'y  trouvèrent  en  l'année  1680  ,  au  nom- 
bre de  trois  raille,  r-vec  quatre  mille  che- 
vaux, deux  cens  boeufs,  et  d'autres  provisions 
qu'ils  conduisirent  à  leurs  frais,  et  firent  dans 
cette  expédition  des  actions  prodigieuses  de 
valeur;  et  en  l'année  i^oS,  qu'enfin  on  se 
rendit  maître  de  cette  Colonie,  les  Indiens 
qui  y  vinrent  au  nombre  de  quatre  mille  , 
avec  six  mille  chevaux  ,  s'y  distinguèrent 
également  par  leur  courage.  Il  y  en  eut  parmi 
eux  quarante  de  tués  ,  et  soixante  de  blessés , 
ainsi  que  j'en  fus  informé  par  les  lettres  de 
Don  Juan  Alonso  de  Valdès ,  Gouverneur 
de  Buejios-Ayres. 

En  l'année  1698  ,  Don  André- Augustin 
de  Roblès  ,  craignant  que  douze  vaisseaux 
de  guerre  qu'on  armait  en  France,  et  qui 
allèrent  à  Carthagène  ,  ne  fussent  destinés 
à  envahir  la  ville  de  Buenos-  Ayres  dont  il 
était  Gouverneur,  appela  les  Indiens  à  son 
secours  -,  ils  vinrent  aunombr<î  de  deux  mille 
avec  une  célérité  surprenante.  Ce  Gouvcr- 
l^ur  et  tous  les  Officiers  qui  compf)sent  ce 
Gouvernement  j  ainsi  qu'ils  nous  en  ont  in- 
formé ,  furent  étonnés  de  voir  le  grand  ordre 
et  l'adresse  de  ces  Indiens  ,  qui  pouvaient 
tenir  léle  aux  troupes  les  mieux  disciplinée^». 


E  T     0  U  R  I  E  U  s  E  s.  «97 

Ce  fut  clnub  la  inrine  occasion  qu'ils  doii- 
ncreiil  une  aulre  prtuve  de  leur  zèle  et  de 
leur  générosité  pour  mon  service,  n'ayant 
point  voulu  rccc>oirleur  solde,  (jui  »e  mon- 
tait à  (jualre-viiiyt-dix  mille  piastres  pour 
celte  eampaj;ne,  à  raison  d'une  réale  et  de- 
mie (ju'on  paie  à  chaque  Indien.  Ils  cédè- 
rent ctrtte  somme  pour  garnir  de  munitions 
les  magasins  de  la  place.  Le  Gouverneur 
et  les  Olfit  iers  du  Gouvernement  s'expri- 
maient dans  les  termes  les  j)his  énergiques, 
pour  me  taire  connaitre  jusiju'où  \a  l'atta- 
chement do  ces  Indiens  h  mon  service,  et 
comhien  il  est  important  de  les  conserver, 
pour  a^surer  la  tran(juillilé  de  ces  Provinces, 
et  en  écarter  les  ennemis  de  la  Monarchie. 

Et  (pioiqu'en  raiinét'  i(i8o  ,  sur  les  repré- 
sentations du  même  Gouverneur  Don  André 
de  Rohlès,  il  eût  été  résolu  de  tirer  de  leurs 
peuplades  mille  laniilUsde ces  Indiens,  pour 
t'oriiier  une  peuplade  aux  environs  de  i)«e- 
nor-,/jrej, Charles  II, de  glorieuse raémoiic, 
ayant  fait  réllexion  que  le  changement  de 
climat  pourrait  chagriner  ces  fidèles  Indiens, 
et  leur  causer  de  violentes  maladies  ,  eïl 
respirant  un  air  auquel  ils  n'étaient  pas  ac- 
coutumés, révoqua  cet  ordre  par  une  Patente 
expédiée  en  l'année   i683. 

Enfin  ,  comme  il  est  constant  que  dans 
toutes  les  occasions  ,  et  aux  premiers  ordres 
des  Gouverneurs  ,  les  Indiens  de  ces  Mis- 
sions accourent  avec  un  zèle  et  une  promp- 
titude surprenans,  soit  pour  travailler  aux 
ouvrages  de  foj  lificalion,  soit  pour  la  défens€ 

I  i 


I9B  LeTTBI-S    ÉniFIANTES 

de  cette  ville  ,  et  pour  tout  ce  qui  concerne 
mon  service;  nous,  voulant  leur  donner  des 
marques  de  notre  royale  protection,  et  veiller 
à  leur  conservation  et  à  tout  ce  qui  peut  leur 
donner  contentement  ,  vous  ordonnons  de 
vous  conformer  en  cela  à  mes  intentions,  et 
non-seulement  de  ne  les  pas  inquiéter  en 
aucune  chose;  mais  encore  ,  ce  qui  est  ira- 
portant  pour  mon  service,  d'être  d'une  union 
sincère  et  d'une  parfaite  intelligence  avec 
les  Supérieurs  de  ces  Missions,  afin  que  ces 
Indiens  soient  persuadés  que  je  contribuerai 
de  tout  mon  pouvoir  à  la  conservation  de 
leurs  peuplades  :  ordonnons  de  plus  que 
vous  veilliez  avec  soin  à  la  conservation  des 
exemptions,  franchises,  libertés  et  privilèges 
que  nous  leur  avons  accordés  ,  afin  qu'étant 
satisfaits  et  assurés  de  notre  bienveillance, 
ils  puissent  employer  leurs  armes  et  leurs 
personnes  a  tout  ce  qui  est  de  notre  service, 
avec  le  même  zèle  et  le  même  courage ,  la 
même  exactitude,  et  la  même  fidélité  qu'ils 
ont  fait  jusqu'à  présent. 


OBSERVATIONS 

Géographiques  sur  la  carte  du  Paraguay, 
par  l'Auteur  de  cette  carte. 

«J  E  me  suis  servi  pour  composer  la  carte 
du  Paraguay  ,  de  plusieurs  caries  données 
par  les  Révérends  Pères  Jésuites,  Mission- 
naires dansée  pays-lh.  En  1727  ,  ces  Pères 


/;•/..  „  /',/-/  /y  y 


X,Uv. 


;  /il  Compagnie  de  Jksi  :s' 


'f^/<^    V      4>  Jl  .' 


bcrmanufiu's 


^ 


^ 


///'.r  frniii^aises. 


A>       6<7 


y^ 


»  iw 


irv/fi'  //zr<^',  il  n  paru  ti/'aii/eiio^,^ 
i^e /fftj/.r  e/of/  /rop  e/e/u/u  ^ 
\/itiîa/is  /ej  Ca/'ft'^ prfceden/fs 
v'///f'  i{'une  ^Ker  à  t'iuiù^e, 
'{  In  ui  iH'm  en  virori  liiP  Je  nos^,,. 
^/ur  nui'  i/di/ur  (W/i'j-  i/e  *  *•*  ^ 
</i'  mot/1  j"  ^ue  (ùuis  ce//i:fiie  • 


>-^  Aieue},  omii'  ado  oK  t'/ivu'on  ■       \ 
if'  d^/i/ier  />A/,r  i/e  (jrani/ear  oi\'/ff 
yeu  fi/iis  iiii  /iirqe  dej  dé/ad^ 
eu/'j- 


:^s 


Utfw  /èci/ 


h. 


\£^ 


«,,1/,,  Jt^-ilÂ^'^i^  Jl^-TkJ  3-~^\W^ ^-x 


,  <»(/  /^j-  ER.TP.  Je  la  Compatfiiie  Je  Jésus 
ont  répandu  leurs  MISSIONS 

Pas  le  S^  d'Astvjzle 

Geoffrapltp  orcf^du  Roi 

Or/vbrei-ii. 


"H^     fviirks%  Peufi/oiAv 


ïT  rrnirrsE!».  i()() 

ndros<;«Trnt  nue  {;inn«le  carlf  du  P.Tra|.!iiay 
au  iUvrituil  l^t'ie  Ciéiitial  Miclul  -  Auge 
Tanihuiiui  ;  celte  nirnii?  cirle  ,  connue  il 
m'a  paru  ,  rcnouvi  Ici'  iiénninoins  par  des 
cliangrnu'us  ou  plusieurs  tMidroils,  a  ctc  re- 
j)rc>«'uléc  au  Rcvcicnd  Pcic  (icnéi'al  Fran- 
roi».  lU'Is  ,  en  i"ii;  ou  a\ait  dcjà  connais- 
sauce  d'une  ancienne  carie  du  Faraiiuay  « 
détiiéc  au  Révérend  Père  Vincent  CarafVa, 
qui  n  l'empli  la  seplième  place  de  Général 
ai'  la  Conipaj;uic,  depuis  l'an  164^  )us(ju'en 
l'au  i(^-\[)  ;  cette  ])nmicre  carte  ,  laqiu  lie 
doit  céder  aux  caries  plus  réccnles  jiour 
remplacement  des  lieux  habités  qui  sont 
sujets  à  des  changemens  ,  a  paru  en  revanche 
c(ms»'rver  de  l'avantage  sur  ces  caries,  par 
r.q)port  h  une  plus  f;rande  abondance  el  pré- 
cision dans  les  dj'-lails ,  si  l'on  en  excepte 
seulement  les  environs  de  la  ville  de  l'As- 
somption. Indépendamment  du  mérite  de 
ces  cartes,  et  de  ce  qui  pouvait  résulter  de 
leur  combinaison  ,  il  n'a  pas  paru  indiiïerent 
d'y  jo-indre  plusieurs  inslruclions  parlicu- 
lièics,  (jui  pourraient  influer  sur  une  grande 
parlie  de  l'objet  qu'on  avait  à  représenter. 
Après  avoir  fait  choix  pour  celle  carte, 
de  la  projection  la  plus  favorable,  au  moyen 
de  laquelle  I  inlerseclion  des  méridiens  et 
des  parallèles  se  fait  presque  aussi  réguliè- 
rement que  sur  la  superficie  convexe  de 
la  terre,  j'ai  d'abord  jeté  les  yeux  sur  plu- 
sieurs points  fixés  nstronorniquement  à  la 
côte  de  la  mer  du  Sud.  La  longitude  de  ces 
lieux  ,  comparée  avec  lu  détermination   de 

I  4 


aOO  LETTRES    ÉDIFIArïTrS 

l'iie  de  Fer,  observée  en  dernier  lieu  par 
le  Père  Feuillée,  Minime,  à  19  degrés  5i 
minutes  33  secondes  du  méridien  de  Paris  , 
a  servi  de  fondement  à  la  longitude  établie 
dans  la  carte;  quelques  circonstances  parti- 
culières et  nouvelles  sur  la  côte  de  la  mer 
du  Sud,  ont  été  tirées  de  plusieurs  cartes 
manuscrites  Espagnoles  qui  sont  entre  mes 
mains  ,  et  j'ai  tout  de  suite  exposé  le  Chili 
avec  assez  de  détail,  jusqu'à  la  hauteur  de 
la  Conception. 

On  ne  se  doute  peut-être  pas  qu'il  a  été 
indispensable  de  reconnaître  une  grande 
partie  du  Pérou  ,  pour  composer  la  carte 
du  Paraguay  ;  cependant  je  me  suis  trouvé 
engagé  fort  avant  de  ce  côté-là  ,  en  sorte  que 
dans  un  carton  particulier  que  j'ai  cru  être 
obligé  de  composer  sur  un  plus  grand  point 
que  la  carte  qu'on  publie  actuellement ,  il 
a  fallu  s'étendre  jusqu'aux  positions  de  Lima 
et  du  Cusco  ,  pour  être  assuré  d'une  corres- 
pondance plus  générale  ,  et  établir  avec  quel- 
que certitude  plusieurs  positions  essentielles, 
telles  que  celle  du  Potosi  ,  à  laquelle  un 
grnnd  nombre  d'autres  se  rapportent,  et  qui 
peut  faire  juger  de  l'intervalle  entre  certains 
endroits  et  la  côte  de  la  mer  du  Sud. 

Mais  un  point  tout-à-fait  important  à  étu- 
dier,  a  été  la  distance  du  Chili  à  lîuenos- 
Ajres  ,  d'où  l'intervalle  de  la  nni  du  Sud  à  la 
nier  du  Nord,  dans  toute  réicnfUie  de  la 
carte  ,  semble  dépendre.  J'ai  eu  le  bonheur 
de  trouver  là-dessus  quelques  instructions 
particulières  dans  des  Mémoires  piauusciils. 


3 


ET    «lURlKlSIi».  2»H 

uî  m'en  ont  rnurni  j)our  une  ;,rand<'  p.nrtie 
tî«s  Iik1«s  K>|i.ii;ii(»l(>.  (Je  que  j'«i  jipjuis  do 
ce  côlé-là  ,   rn'd  paru  roiifiiir.é  posilis erncnt 
pnr  Lat't  ,  lequrl  dit  avoir  «ppiis  d'un  de  f-t  5 
compalriotes  du  Pays-liHS  ,   ([ui  coorifiissait 
le  terrain  pour  l'avoir  parrouiu  ,  que  la  dis- 
l.'inee  de  San- Juan  de  la  ["roulera  ,   dans  la 
Province  de  Cuyo  ,   à   la   ville   de  lîuenos- 
A}Me.s  ,  n'est  rpic  île  cent  dix  lieues  ,  ce  qu'oa 
trouvera  répélé  en  deux  endroits  de  la  des- 
cription du  ÎNouvcau  Monde d»'Laël,  liv.  13, 
cliap.    13,  et  liv.    1^^,  cliap.    i?..   Pour  ne 
s'écarter  <{ue  le  moins  (ju'il  est  possible  ,  de 
ce  que  les  caries  précédentes  oui  donné  h  cet 
espace,  on  ne  peut  mieux  faire  que  de  me- 
surer ces  cent  dix  lieues  sur  le  pied  des  lieues 
Hollandaises   ou   Allemandes  ,    qui    passent 
l'étendue  des  autres  lieues  ,  et  qu'on  évalue 
d'ordinaire  sur  le  pied  de  quinze  pour  l'équi- 
valent d'un  de;5ré.  Si  même  ,  au  moyen  d'une 
échelle   de  ces    lieues  ,   qui   a    été   ajoutée 
exprès  sur  la  carte  aux  lieues  Espagnoles  et 
Françaises  ,  on  mesure  l'intervalle   que  j'ai 
mis  «'ntre  les  positions  de  Buenos- Ayrcs  et 
d<-  San-Juan  de  la  Frontera  ,  on  trouvera  que 
j'ai  employé  les  cent  dix  lieues  Germaniques 
dans  toute  leur  portée  en  ligne  droite  ,  quoi- 
que cette  distance  dut  peut-être  soulfi  ii-  quel- 
que déduction  ,  comme  on  doit  en  taire  sur 
les  distances  itinéraires.    Mais  ,   n'ayant  pu 
me  dispenser  d'ôter  considéraLlenient  à  ce 
que  les  cartes  précédentes  meltaienf  d'espace 
où  il  s'agit  ,   je  suis  hien  aise  que  l'on  con- 
naisse que  j'ai  cucore  use  de  réserve  dans  ce 

I  5 


20-Î  Lettres  édifiantes 

que  j'ai  f«it.  tl  ne  faut  pas  croire  même  que 
cela  eut  suflî  pour  ire  déterminer  sur  ua 
article  de  cette  importance  ,  si  je  n'avais 
observé  que  ,  dans  toute  la  partie  de  la  carte 
qui  se  trouve  à-peu-près  renfc  rmée  dans  la 
même  longitude  ,  les  espaces  étaient  corres- 
poudans.  Car  il  estévident  qu'une  plus  grande 
étendue  dans  un  des  côtés  d'un  même  espace 
de  terrain  ,  aurait  dii  se  faire  sentir  avec 
quelque  proportion  dans  l'autre.  Cependant 
je  n'ai  si  fort  ménagé  le  terrain,  que  ,  dans 
les  dernières  cartes  données  par  les  Révé- 
rends Pères  Jésuites  du  Paraguay  ,  il  n'y  ait 
encore  des  espaces  plus  serrés  ou  moins  éten- 
dus entre  l'Orient  et  l'Occident,  que  dan» 
la  carte  dont  je  rends  compte. 

Comme  il  y  a  une  route  très-fiéquentée 
entre  Buenos- Ayres  et  le  Potosi ,  de  laquelle 
on  trouve  la  description  de  plusieurs  maniè- 
res dan.s  Laët ,  et  que  d'ailleurs  j'en  ai  une 
assez  grande  carte  manuscrite  apportée  de 
des&us^Jes  lieux ,  je  me  persuade  que  tout  cela 
comljiné  avec  les  caries  des  Révérends  Pères  , 
peut  avoir  répandu  un  grand  détail  ,  et  mis 
beaucoup  de  préofsion  sur  ce  passage.  U  y  a 
une  remarque  à  faire  au  sujet  des  noms  de 
diverses  Nations  Indiennes,  qui  sont  placées 
en  quelques  endroits  de  la  carte  ,  mais  plus 
abondamment  dans  l'étendue  du  pays  de 
Cbaco  ,  entre  les  élablissemens  Espagnols 
du  Tucuraau  et  le  Paraguay  ;  c'est  qu'il  ne 
faut  pas  regarder  ces  situations  comme  bien 
fixes  et  permanentes  ,  ce  qui  est  évident  par 
les  caries  des  Révéïcuds  Pères  ,   faites  «n 


divers  trmp^,  vl  qui  dillL-iriii  sur  l'cmplncr- 
mml  lU'i  noms  ilc  c«s  Nations.  On  n'a  pa 
rxprinicr  ,  tlnns  la  r;nU' ,  ce  qu'on  snil  d'ail- 
Irurs  ,  c|ut'  K's  «livrrsrs  Malions  qui  ont  t'ié 
îuiiciu'»'»  au  Clirislijtnisnu*  ,  i-l  iasscnil>!ét?s 
])ar  1rs  lU'véreiul>>  |V'i»->  Jôsuitts  au\c'n\ii'uns 
d'un  endroit  du  Haiana  «t  di'  l  lliat;u»y  ,  ou 
ces  Mi'uvrs  s'aj^pi-oclifut  l'un  de  l'autre,  qun 
ces  Mations  ,  tlis-je,  'divisées  autrefois  et 
c*j)ar>es  dans  une  étendue  de  Favs  beaucoup 
plus  grande  ,  ont  un  nom  général  et  uu  lan- 
gage commun  ,  qui  «'»t  (wuurarii. 

J'ai  eu  l'avantage  de  prendre  la  vaste  rm- 
Ixiuchure  de  Rio  de  la  Flata  ,  et  le  cours  «lu 
ileuve  en  remontant  jus([u'à  la  ville  de  Sanla- 
Fé  ,  avec  une  partie  de  l'Uraguay  ,  ius({u'à 
r«'ndroit  appelé  Hosal  ,  sur  des  cartes  manus- 
crites ,  faites  sur  les  lieu\  en  grand  détail  , 
et  par  des  gens  de  l'art  ;  mais  il  était  de  con- 
séquence de  combiner  réehelle  de  ces  caries 
avec  certaines  distances  connues  d'iiillcurs. 
par  exemple  ,  je  me  suis  déterniiné  h  prendre 
les  soixante  et  <lix  lieues  ,  que  j'ai  mesurées 
sur  des  cartes  particulières  de  l'cmbou- 
cliure,  «ntre  Buenos  -  Ayres  et  le  cap  de 
Sainte-Marie  ,  pour  des  lieues  Françaises  , 
])nrce  que  celte  mesure  s'accorde  jjaifaite»- 
meiit  îvec  l«'s  routiers  des  Flamands  ,  qui  , 
suivant  Laët,  h  la  lîn  du  eliap.  ^du  liv.  i^, 
ne  comptent  que  quarante-deux  lieues  dans 
le  même  espace.  îlni  si  (]uinze  lieue»  Fla- 
m mdes  des  routiers  de  mer  ,  rem^ilissent 
l'étendue  d'un  d<gré  ,  qui  comprend  vinj:,t- 
ciuq  lieues  Françaises ,  il  est  évident  tjuiî 

1  (i 


2o4.  Lettres  édifiantes 

quarante-deux  des  pitmicrcs  et  soixanfc- 
dix  des  autres  ,  font  précisément  la  même 
étendue. 

J'ai  cru  devoir  remonter  le  Pavana  et 
l'Uraguay  avec  la  plus  ancienne  des  cartes 
des  Révérends  Pères  ;  mais  la  position  d'une 
partie  des  doctrines  ou  peuplades  ,  m'ayant 
paru  difFérenle  dans  la  carte  récente ,  je  m'y 
suis  attaché  sur  cet  article-là  ,  parce  que  je 
ne  doute  pas  que  cette  diversité  ne  procède 
de  quelque  mutation  dans  l'emplacement  de 
ces  lieux.  C'est  aussi  sur  les  deux  exemplai- 
res différens  de  la  nouvelle  carte,  combinés 
l'un  avec  l'autre  ,  que  j'ai  pris  le  détail  des 
environs  de  la  ville  de  l'Assomption.  L'an- 
cienne carte  marque  des  villes  ou  établisse- 
mens  au  Maracayu  ,  que  la  nouvelle  ne 
marque  point.  Si  ces  établissemens  ne  sub- 
sistent plus  (  ce  que  je  ne  sais  pas  positive- 
ment )  ,  il  n'est  pas  mal  que  la  mémoire  s'en 
conserve  sur  la  carte,  de  même  que  d'un 
assez  grand  nombre  de  Missions  que  les 
Révérends  Pères  Jésuites  avaient  d'abord 
établies  dans  une  grande  étendue  de  Pays  au- 
delà  des  Missions  d'aujourd'hui  ,  et  que 
l'ancienne  carte  du  Paraguay  nous  donne 
déjà  pour  éteintes. 

La  mer  du  Nord  ferme  la  carte  d'un  cùté  , 
comme  la  mer  du  Sud  la  ferme  de  l'autre. 
\je  gisement  de  la  côte  ,  depuis  le  cap  de 
Sainte-Marie  jusqu^à  Saint-Vincent ,  est  tel 
à-peu-près  que  dans  d'autres  cartes.  Quoi- 
auece  gisement,  s'il  était  exactement  connu, 
fût  établi  par  lui-méuie  ,  ici  il  n'était  pa* 


ET    CUmEDSES.  in5 

ioulile  (l'cluditT  s'il  conxcnail  a  qur1(]ue 
mesure  de  l'épaiÀseur  des  terres  en  <lt  s  in- 
droiu  principaux.  La  latitude  de  l'tle  de 
Saiotc-Catherinr  ,  prise  dans  un  de  nos  plus 
exaels  Voyageurs,  élnnl  plus  stplenlrion.de 
que  dans  les  cartes  précédentes  ,  il  a  hicQ 
fallu  renvoyer  la  côte  du  continent  voisin. 
Ceux  ù  qui  le  détail  des  autres  cartes  est 
connu  ,  ou  qui  le  conféreront  avec  celle 
dont  il  s'af^ii  ,  s'apercevront  qu'elle  donne 
un  Pays  rempli  de  circonstances  géographi- 
ques aux  en\ irons  de  Saint-Paul  ,  qu'on  ne 
voit  point  ailleurs  ,  cl  que  j'ai  tiré  des  Por- 
tugais. La  partie  du  Brésil  qui  tient  à  ce 
même  quartier-là  ,  si  elle  avait  été  du  sujet 
de  cette  carte,  nous  fournissait  un  champ 
plus  vaste  à  d'autres  circonstances  plus  neuves 
encore  ,  mais  qui  trouveront  leur  place  autre 
part ,  Dieu  aidant. 

Il  est  peut-êti-e  nécessaire,  avant  de  finir, 
que  je  m'excuse  de  n'avoir  point  élahli  biea 
positivement  des  homes  tout-h-fail  piécises 
aux  diverses  légions  renfermées  dans  la  carte 
du  Paraguay.  Je  n'ignore  point  que  des  Géo- 
graphes ,  avant  moi ,  n'y  ont  pas  manqué  ,  et 
que  de  plus  ils  ont  inventé  dos  Provinces 
paiticulièrcs  de  Rio  de  la  Plala  ,  Parana  , 
Lraguay ,  etc.  ,  à  chacune  desquelles  ils  ont 
en  soin  d'assigner  ses  bornes.  Mais  qu'il  me 
soit  permis  de  dire  que  c'est  par  retenue 
(ju'on  a'esl  abstenu  de  tout  cela  dans  la  carte 
du  P.irnguay.  On  ne  trouve  point  la  distinc- 
tion de  telles  Provinces  dans  les  caries  des 
Révéreudd  Pères  Jésuites ,  qui  sont  sur  les 


2o6  Lettres  épifiartes 

lieux  ,  et  de  plus  il  y  a  clos  circonstances  qui 
ne  paraissent  pas  les  admelire,  Cfir,  par 
exemple  ,  il  ne  semble  point  du  tout  conve- 
nable de  couper  ou  diviser  le  district  dans 
lequel  les  Missions  des  Révérends  Pères 
Jésuites  sont  ramassées,  et  cependant  on  le 
fait  inévitablement ,  en  créant  des  Fiovinces 
particulières  de  Farana  et  d'Uraguay,  Ces 
noms  appartiennent  et  sont  propres  à  des 
rivières  ;  ils  ne  sont  point  attribués  h  des 
pays.  Il  est  bien  vrai  que  le  nom  de  Para- 
guay, qui  est  proprement  celui  d'une  rivière, 
^  été  pris  aussi  pour  désigner  la  contrée  : 
mais  celte  contrée  qu'il  désigne  ,  ne  se  borne 
pas  aux  rivages  de  la  rivière  de  même  nom. 
Il  se  répand  également  sur  le  Parana  et  sur 
l'Uraguay,  et  ne  laisse  point  de  place  dis- 
tincte pour  des  Provinces  dr.  ce  nom. 

S'il  s'agissait  ici  d'une  caite  de  TEurope, 
où  chaque  Etat  a  ses  limites  déterminées  bien 
précisément ,  il  ne  serait  pas  pardonnable  à 
l'Auteur  de  cette  carte  de  les  avoir  onns.  Il 
pécherait  en  un  point  des  plus  intéressans  ; 
niais  sur  un  t»rrain  vague  et  indécis,  con- 
vient-il d'établii- des  limites  aussi  marquées? 
Il  est  vrai  néanmoins  qu'il  se  trouve  ,  par-ci 
par-là  ,  certains  points  qui  paraissent  déter- 
minés. Par  exemple,  on  établit  ordinaire- 
ment pourbt>rne  au  Chili  ,  l'entrée  du  Rio- 
Salado  dans  la  mer,  comme  on  l'a  marqué 
par  une  ponctuation  sur  la  carl(-\  Depuis  ce 
commencement-là,  jusqu'à  la  hauteur  de  la 
province  de  Cuyo  ,  qui  est  constamment  de 
la  juridiction  du  Chili  ,  ce  Pays  est  ccDsé 


ET    CTRIErSES.  ao^ 

born^  par  la  Coidilli»'!»-.  La  vallée  tlt-  Pal- 
(ipa  et  KIoxa  sdiiI  du  Tiiciiiiiaii.  (^t*  |>av<i  de 
TiK'uin.iti  a  pour  «leiriM'n-  Ville,  du  intt-du 
NokI  ,  \iixui.  La  (•(•nln'f  des  Cliiia.s  «st 
une  dépcudaïu-r  du  IViou  aucjut'l  on  atliil>ue 
à  In  véiilt*  loiit  le  rivage  <lu  la  mer,  jusqu'au 
I(i()-S.il;èdo  ;  niaiî»  l«'.s  vallées  reulei  nié«\s  <laiis 
1.1  Coi'diiiière  ,  ou  <jui  pén»-li  «til  \  ei.s  |<'  Turu- 
liian  ,  soutdc  ce  dernier  disli  iet ,  (pii  >'élend 
vn  longueur  du  i\oid  au  Sud,  ju.scjues  et 
compris  la  Ville  el  les  environs  de  la  Nou- 
velle Cordoue.  Le  Cliaco  occupe  les  plaines 
qui  sont  entre  le  Tucuin^n  et  la  riii«'ie  du 
I*arayiiay.  i)ix  peul  lui  allrihuer  l'élahlisse- 
nn"nt  Espaj;nol  de  Tarija.  Tout  ce  qui  peul 
<^lre  ifgardé  comme  disliicl  de  Sania-Ciruz 
de  la  Sierra  ,  parait  une  dépendance  du 
Pérou.  A  l'égard  du  Paraguay,  il  esl  cons- 
tant qu'il  a  pour  limitrophes  des  terres  dé- 
pendantes du  Brésil. 

Ou  ne  conteste  point  au  Brésil  les  l)ords 
de  la  mer  ,  jusques  dans  la  rivière  de  la  l^lata, 
où  les  Portugais  ont  une  Colonie  du  Saint- 
Sacrement ,  près  des  petites  lies  dt;  Saint- 
Gahriel.  Les  Espagnols  les  bornent  à  la  ri- 
vière de  Saint -Jian  qu'ils  gaident;  et  cet 
endroit  de  séparation  qui  pa:ait  décidé  ,  est 
eirectivemeni  manjué  par  des  points  sur  la 
carte.  Mais  de  trater  les  limites  plus  ou 
moins  avancées  dans  les  terres  ,  à  cette  con- 
tinuation du  Brésil  ,  c'est  ce  qu'il  ne  m'a 
pas  paru  permis  de  faire.  Les  Portugais  ont 
réellement  occupé  un  espace  de  [ntys  à 
1  Ouc&l  el  au  Sud  de  PiiiUiuin^a  ou  Saiut' 


2o8  Lettres  édifiantes 

Paul ,  et  c'est  aussi  chez  eux  que  je  l'ai  trouvé 

décrit. 

Si  j'ai  tenu  les  méridiens  un  peu  plus  près 
les  uns  des  autres  que  dans  la  proportion 
ordinaire,  c'est  par  rapport  à  quelques  sen- 
timens  particuliers  sur  le  diamètre  de  la  terre 
d'Orient  en  Occident, 

Dans  cette  analyse  de  la  carte  du  Para- 
guay on  a  négligé  un  menu  détail  qui  aurait 
grossi  excessivement  cet  écrit.  Il  reste  seu- 
lement à  dire  que  le  Paraguay  fait  encore 
preuve  de  ce  que  la  géographie  doit  aux 
Révérends  Pères  Jésuites  ,  puisque  sans  eux 
nous  serions  peut-être  bornés  pour  ce  qui 
concerne  l'intérieur  de  ce  pays-là ,  à  un  petit 
nombre  de  circonstances,  tirées  avec  peine 
de  quelque  histoire  Espagnole  ,  ou  à  quel- 
que roule  de  voyageur  que  le  dessein  de 
bien  décrire  un  pays  n'eut  pas  conduit  dans 
celui-là. 


EXTRAIT 

D'une  lettre  du  Père  Pierre  Lozano  ,  de 
la  CoTfipagnie  de  Jésus ,  de  ta  Province 
de  Paraguay ,  nu  Père  Bruno  Morales  , 
de  la  même  Compagnie  ,  à  la  Cour  de 
Madrid. 

V  )]V  a  reçu  de  Lima  et  de  Callao  les  nou- 
velles les  plus  funestes. 

Le  2B  Octobre  i'}4^3  sur  les  dix  heures 


ET    CURIEUSES.  5lOrj 

Cl  demie  du  i>uir ,  un  irciiihlcincnt  <l«>  tctro 
s'est  fait  bCiilir  ù  Lima  avec  (nul  iU*  vioK  née  , 
qu'i-u  moins  de  ti-oi!>  minutes  toute  1h  Ville 
a  été  rcDversée  de  fond  en  comble.  Le  mal 
a  été  si  prompt  ,  cjuc  personne  n'a  eu  le 
temps  de  .«>(•  mettre  en  sûreté  ,  et  le  rav;»ge 
si  universel  ,  (ju'on  ne  pouvait  éviter  le  péril 
en  fuyant.  Il  n'est  resté  que  vingt-cinij  mai- 
sons sur  pied  :  cependant ,  par  une  pro- 
tection particulière  de  la  Providence  ,  de 
soixante  mille  liabitans  ,  dont  la  Ville  était 
composée,  il  n'en  a  péi  i  (jue  la  (If)uzième 
partie  ,  sans  (jue  ceux  «jui  ont  échappé  aient 
jamais  pu  dire  ce  qui  avait  été  Toccasion 
de  leur  salut  :  aussi  l'ont -ils  tous  regardé 
comme  une  espèce  de  miracle. 

Il  ist  peu  d'exemples  dans  les  liistoires 
d'un  événement  .si  l.imentaMe  ,  et  il  est  dif- 
ficile que  l'imagination  la  plus  vive  puisse 
fournir  l'idée  d'une  pareille  calamité.  Re- 
prés(,'nlez-vous  toutes  les  Ej^lises  détruites  , 
généralement  tous  les  autres  édifices  abat- 
tus ,  et  les  seules  vingl-cincj  maisons  qui  ont 
résisté  à  l'ébraulemenl,  si  maltraitées  qu'il 
faudra  nécessairement  ac-hever  de  les  abat- 
tre. Des  deux  tours  de  la  Cathé(jrale  ,  l'une 
a  été  renversée  jus(]u'à  la  hauteur  de  la  voùle 
de  la  nef,  l'autre  jusqu'à  l'endroit  où  soni 
les  cloclies  ,  et  tout  ce  qui  en  reste  est  extrê- 
mement endommagé.  Ces  deux  tours  en  tom- 
bant ont  écrasé  la  voûte  et  les  Chapelles  ;  et 
toute  l'Eylise  a  été  si  bouleversée,  qu'on  ne 
pourra  la  rétablir  sans  en  venir  ii  une  démo- 
liliuQ  générale. 


510  LîITTRrS    É  HT  FIA  NT  F,  s 

Il  en  est  arrivé  de  même  aux  cinrj  tnagnî- 
fiques  Eglises  qu'avaient  ici  diirérrns  Reli- 
gieux. Celles  qui  ont  le  plus  soufFert ,  sont 
celles  des  Auguslins  et  des  Pères  de  la  Merci. 
A  notre  grand  Collège  de  Saint-Paul ,  les 
deux  tours  de  l'Eglise  ont  été  ébranlées  da 
haut  en  bas  ;  la  voûte  de  la  Sacristie  et  une 
partie  de  la  Chapelle  de  Saint -Ignace  sont 
tombées.  Le  dommage  a  été  à-peu-près  égal 
dans  toutes  les  autres  Eglises  de  la  Ville  , 
qui  sont  au  nombre  de  soixante-quatre,  en 
comptant  les  Chapelles  publiques  ,  les  Mo- 
nastères et  les  Hôpitaux. 

Ce  qui  augmente  les  regrets ,  c'est  que  la 
grandeur  et  la  magnificence  de  la  plupart  de 
ces  édifices,  pouvait  se  comparer  h  ce  qu'il 
y  a  de  plus  superbe  en  ce  genre.  Il  y  avait 
dans  presque  toutes  ces  Eglises  des  richesses 
immenses  ,  soil  en  peinture  ,  soit  en  vases 
d'or  et  d'argent ,  garnis  de  perles  et  de  pier- 
reries ,  et  que  la  beauté  du  travail  rendait 
encore  plus  précieux. 

Il  est  à  remarquer  que  dans  les  ruines  de 
la  Paroisse  de  Saint-Sébastien  on  a  trouvé 
le  soleil  renversé  par-terre,  hors  du  Taber- 
nacle ,  ([ui,est  demeuré  fermé  ,  sans  que  la 
sainte  Hostie  ait  rien  souffert.  On  a  trouvé 
la  même  chose  dans  l'Eglise  des  Orphelins  , 
le  soleil  cassé,  les  cristaux  brisés  et  l'Hostie 
entière. 

Les  cloîtres,  les  cellules  des  maisons  Re- 
ligieuses des  deux  sexes  ,  sont  totalement 
ruinés  et  inhabitables.  Au  Collège  de  Saint- 
Paul  ,  dont  j'ai  déjà  parlé ,  des  bàlimcns  tout 


F  T  r.  iT  m  r  TM  F.  5.  ^  1 1 

neufs,  et  qui  vienui-nl  d'être  achevés,  sont 
remplis  d«*  crevas!««'s.  Les  \ieux  corps  de 
logis  sont  encore  en  pins  mauvais  état.  La 
maison  du  Noviciat ,  son  K^lis»',  sa  Cliapeile 
intérieure  ,  sont  entièrement  par  lerre.  La 
maison  Professe  est  aussi  devenue  inhahi- 
taltie.  Un  de  nos  Pères  {lyant  sauté  j>ar  la 
fenêtre  ,  dans  la  crainte  d'être  écrasé  sous 
les  ruines  de  l'Eglise  ,  s'est  cassé  le  bras  en 
trois  endroits.  La  chute  des  grands  édifices 
a  entraîné  les  petits  ,  et  a  rempli  de  maté- 
riaux et  de  débris  presque  toutes  les  rues  de 
la  Ville. 

Dans  l'épouvante  excessive  qui  avait  saisi 
tous  les  habitans  ,  chacun  cherchait  à  pren- 
dre la  fuite  :  mais  les  uns  ont  été  aussitôt 
ensevelis  sous  les  ruines  de  leurs  maisons  , 
et  les  autres  courant  dans  les  rues  étaient 
écrasés  par  la  chute  des  murs:  ceux-ci  , 
pnr  les  secousses  du  tremblement,  ont  été 
transportés  d'un  lieu  à  un  autre,  et  en  ont 
été<|uittes  pour  quelf[ues  légères  blessures; 
<eu\-lh  rnlin  ont  trouvé  leur  salut  dans  l'im- 
[los.siiiililé  (.ù  ils  ont  élé  de  chajif^er  de  place. 

Le  mai^niiique  aie  de  triomphe  qu'avait 
fait  construire  sur  le  pont  le  ISLirquis  de 
f^illdgtitu  ra ,  dernier  viee-Roi  de  ces  Royau- 
mes ,  »'t  au  haut  duquel  il  avait  fait  placer 
une  statue  éfjueslre  de  Phili[»pe  V  ;  cet  ou- 
vrage ,  si  frap[)ant  par  la  majesté  et  par  la 
richesse  de  son  architecture,  a  été  renversé 
et  réduit  en  poudre.  Le  Palais  du  vice-Roi, 
qui,  dans  sa  vaste  enceinte,  renfermait  les 
salles  de  la  Chaocellerie  ,  le  Tribunal  dei 


aia  Lettres  édifiantes 

Comptes,  la  CUambre  Royale  et  toutes  les 
autres  Juridictions  dépendantes  du  Gouver- 
nement, a  été  tellement  détruit,  qu'il  n'en 
subsiste  presque  plus  rien.  Le  Tribunal  de 
ITnquisi  lion ,  sa  magnifique  Chapelle ,  l'Uni- 
versité Royale  ,  les  Collèges  et  tous  les  autres 
édifices  de  quelque  considération  ne  conser- 
vent plus  que  de  pitoyables  vestiges  de  ce 
qu'ils  ont  été. 

C  est  un  triste  spectacle  ,  et  qui  touche 
jusqu'aux  larmes,  de  voir,  au  inilieu  de  ces 
horribles  débris  ,  tous  les  habitans  réduits  à 
se  loger  ou  dans  les  places  ou  dans  les  jar- 
(dins.  Oii  ne  sa  il  si  l'on  ne  sera  pas  forcé  à 
rétablir  la  Ville  dans  un  autre  endroit ,  quoi- 
que la  première  situation  soit  sans  contredit 
la  plus  commode  pour  le  commerce,  étant 
assez  avancée  dans  les  terres  ,  et  n'étant  point 
trop  éloignée  de  la  mer. 

Une  des  choses  qui  a  le  plus  ému  la  com- 
passion ,  c'est  la  triste  situation  des  Religieu- 
ses qui  se  trouvent  tout-à-coup  sans  asile  , 
el  qui,  n'ayant  presque  que  des  rentes  cons- 
tituées sur  dilïérentes  maisons  de  la  Ville  , 
ont  perdu  dans  un  instant  le  peu  de  bien 
qu'elles  avaient  pour  leur  subsistance.  Elles 
n'ont  plus  d'autre  ressource  que  la  tendresse 
de  leurs  parens  ,  ou  la  charité  des  Fidèles. 
L'autorité  Ecclésiastique  leur  a  permis  d'eu 
profiter  ,  et  leur  a  donné  pour  cela  toutes 
les  dispenses  né<essaires.  Les  seules  récolel- 
tes  ont  voulu  demeurer  dans  leur  Monas- 
tère ruiné  ,  s'abandonnanl  à  la  divine  Pro- 
vidence. 


B  T    r  r  n  I  K  u  !»  F  ».  2  1 3 

Cbes  les  Caiinéliu-s  tle  Suinle-Tliérèse  , 
de  vinRl-unr  Hrligit-nsrs  ,  il  v  vn  a  vu  tlou/.e 
d'écrasées  avec  I.-1  l*i-ieure,  deux  Converses 
cl  (|u.ilru  Servanlc».  A  la  ('onceplion  ,  doux 
Relijjieuses  ,  et  une  seule  au  f;rand  cou- 
▼eiil  «les  (larniéliles.  Cllie/,  les  Dominicains 
et  les  Au!^u>lins  ,  il  y  a  eu  treize  Reli- 
);ieu\  tués  ,  deux  chez  les  Franciscains  , 
deux  à  la  Merci.  Il  est  él«)nnanl  que  toutes 
ces  Coinmun;iulés  élanl  très  -  nombreuses  , 
\r  nombre  des  morts  ne  soit  pas  plus  con- 
sitiérable. 

^('ous  avons  eu  à  notre  Noviciat  plusieurs 
esclaves  et  domestiques  écrasés  ;  mais  aucun 
de  ivos  Pères,  dans  nos  diflérentes  maisons, 
ïi'a  perdu  la  vie.  Il  parait  (|ue  les  Rénédic- 
lins  ,  les  Minimes,  les  l'ères  a^onisans  ,  les 
Frèresde  Saint-Jean-de-Dieu  ont  eu  le  même 
honlieur.  A  l'hôpital  de  Sainte-Anne,  ("onde 
par  le  premier  Archevérjue  de  Lima  ,  en  fa- 
veur des  Indiens  des  deux  sexes,  il  y  a  eu 
soixante  -  dix  malades  écrasés  dans  leur  lit 
])ar  la  chute  des  planchers.  Le  nombre  total 
des  morts  monte  h  près  de  cinq  mille.  C'est 
ce  qu'assure  la  relation  ,  qui  parait  être  la 
plus  fidèle  de  toutes  celles  (|u'on  a  reçue», 
parce  qu'il  y  règne  un  plus  grand  air  de 
sincérité,  et  que,  d'ailleurs,  pour  les  dif- 
férens  détails  ,  elle  s'accorde  plus  parfai- 
leinent  avec  tout  ce  qui  a  clé  écrit  de  ce 
pavs-là. 

Parmi  les  morts  il  y  a  eu  très-j^eu  de  pei- 
sonnes  de  maïquc.  On  nomme  Dou  Martia 
de   Olwudc  ,   sou  éj>Quse  cl  sa  idle ,  qui , 


2i4  Lettres  édifiantes 

étant  sortis  de  leur  maison  ,  se  sont  trouvés 
dans  la  rue,  sous  un  grantl  pan  de  muraille, 
au  moment  qu'il  est  tombé.  Don  Martin  est 
venu  h  ])out  de  se  tirer  de  dessous  les  ruines  ; 
mais  lorsqu'il  a  appris  que  son  épouse,  qu'il 
aimait  tendrement,  était  écrasée,  il  en  est 
mort  de  douleur.  Une  circonstance  singu- 
lière, et  qui  semble  ajouter  au  mallieur  de 
cette  aventure,  c'est  que  ce  Gentilhomme 
n'a  péri  que  parce  qu'il  a  cherché  à  se 
mettre  en  sûreté,  et  qu'il  ne  lui  serait  ar- 
rivé aucun  mal,  s'il  était  resté  chez  lui,  sa 
maison  étant  une  de  celles  qui  n'ont  point 
été  renversées. 

Tous  les  morts  n'ont  pu  être  enterrés  en 
terre  sainte.  On  n'osait  approcher  des  Egli- 
ses ,  dans  la  crainte  que  causaient  les  nou- 
velles secousses  qui  se  succédaient  les  unes 
aux  autres.  On  a  donc  creusé  d'abord  des 
fosses  dans  les  places  et  dans  les  rues.  Mais 
pour  remédier  promptement  à  ce  désordre, 
le  vice-Roi  a  convocjué  la  Confrérie  de  la 
Charité  ,  qui  ,  aidée  des  Gouverneurs  de 
Police  ,  s'est  chargée  de  porter  les  cadavres 
dans  toutes  les  Egli-^es  séculières  et  régu- 
lières, et  s'est  acquittée  de  celte  jiérilleuse 
commission  avec  une  extrême  diligence  , 
afin  de  délivrer  au  plutôt  la  Ville  de  l'in- 
feclioa  dont  elle  était  menacée.  Ce  travail 
n'a  pas  laissé  de  couler  la  vie  à  plusieurs  , 
à  cause  de  la  puanteur  des  corps  ;  et  l'on 
appréhende  avec  raison  que  tout  ceci  ne  soit 
suivi  de  grandes  maladies,  et  peut-élre  d'une 
peste  géuéralc,  parce  qu'il  y  a  plus  de  lioi)» 


ETrruiKFSEs.  ai5 

Tuille  mulets  oti  cht-vaux  et  rasés  qui  pour- 
rissent ,  ri  qu'il  a  t'té  impossible  ju.s([u'à 
présent  de  les  enlever.  Ajoutez  à  cela  la 
fntiguc  ,  If^  incommodités,  la  faim  (ju'il  a 
fallu  souffrir  les  premiers  jours  ,  tout  élaut 
eu  confusion  .  et  n'v  avant  pas  un  seul  gre- 
nier ni  un  seul  magasin  de  vi\rest{ui  ait  été 
conservé. 

Mais  où  le  mal  a  été  encore  inconiparaMe- 
ment  plus  grand  ,  c'est  au  port  d«;  Culltio. 
Le  tremblement  de  terre  s'y  est  fait  sculir 
avec  une  extrême  violence  à  la  même  heure 
qu'à  Lima.  II  n'y  a  eu  d'abord  que  quel(|ues 
tours  et  une  partie  des  rempails  (|ui  aient 
résisté  à  l'ébranlement.  Mais  ,  une  demi- 
heure  après  ,  lors<jue  les  habitans  commen- 
çaient à  respirer  et  à  se  reconnaître,  toul- 
à-coup  la  mer  s'enlle ,  s'élève  à  une  hauteur 
prodigieuse,  et  retombe  avec  un  fracas  hor- 
rible sur  les  terres  ,  engloutissant  tous  les 
gros  navires  qui  étaient  dans  le  port  ;  élan- 
çant les  plus  petits  par-dessus  Ks  muiailles 
rt  les  tours,  jusqu'à  l'autre  extrémilé  de  la 
Ville  ;  renversant  tout  ce  qu'il  y  avait  de 
maisons  et  d'Eglises;  submergeant  tous  les 
habitans  :  de  sorte  tjue  Cdllao  n'est  plus 
qu'un  amas  confus  de  .'{ravi^M*  et  du  sable  , 
et  (ju'on  n»'  saurait  distinguer  le  lieu  où  cette 
Ville  était  située,  qu'à  deux  giaudes  portes 
et  quelques  pans  de  luurdu  renqtarl  qui  sub- 
tist'Dt  encore. 

Ou  comptait  à  CalUio  six  maisons  de  Re- 
ligieux, une  de  Domiuitnins,  un«î  de  Fraa- 
ciicaius,  uue  de  U  Merci;  unud'Au|^u;>li(i9^; 


2i6  Lettres  éditiantes 

une  de  Jésuites  et  une  de  S.iint-Jean-de-Dîeu. 
H  y  avait  actuellement  chez  les  Domini- 
cains six  de  leurs  Religieux  de  Lima^  tous 
sujets  d'un  mérite  distincjué,  qui  étaient  oc- 
cupés aux  exercices  d'une  Octave ,  établie 
depuis  quelques  années  pour  faire  amende 
honorable  au  Seigneur.  Les  Franciscains 
avaient  aussi  cliez  eux  un  grand  nombre  de 
leurs  confrères  de  Lima  ,  qui  étaient  venus 
recevoir  le  Commissaire-Général  de  l'Ordre , 
lequel  devait  y  débarquer  le  lendemain. 
Tous  ces  Religieux  ont  péri  misérablement; 
et  de  tous  ceux  qui  étaient  dans  la  Ville,  il 
ne  s'est  sauvé  que  le  seul  Père  Avizpo ,  Re- 
ligieux Auguàtin. 

Le  nombre  des  morts,  selon  les  relations 
les  plus  authentiques  ,  est  d'environ  sept 
mille,  tant  habitans  qu'étrangers  ;  et  il  n'y 
a  eu  que  près  de  cent  personnes  qui  aient 
échappé.  Je  reçois  actuellement  une  lettre 
où  l'on  marque  que  par  les  recherches  exac- 
tes qu'a  fait  faire  Don  Joseph  Mnrso  y  f^e~ 
lasco,  vice-Roi  du  Pérou,  on  juge  que  le 
nombre  des  moits  ,  tant  à  Lima  qu'à  CalUio , 
passe  onze  mille. 

On  a  a;qiris  par  quelf[iies-uns  de  ceux  qui 
se  sont  sauvés  ,  que  plusieurs  habitans  de 
cette  dtfinière  Ville  ,  s'élant  saisis  de  queU 
ques  planches,  avaient  flotté  long-temps  au- 
dessus  des  eaux  ,  mais  que  le  choc  et  la 
force  des  vagues  les  avaient  bvisés  la  plu- 
part contre  des  écucils.  Ils  racontent  au.ssi 
que  ceux  qui  étaient  dans  la  Ville  se  voyant 
tout-à-coup  enveloppés  des  eaux  de  la  mer, 

furent 


rrrruiFiRES.  117 

furent  telloniciit  irouhlés  par  la  frayeur  , 
qu'ils  ne  piinnl  jamais  trouver  1rs  «U-ts  des 
portes  (|iii  ttoniu'iil  du  tôté  de  la  terre.  Apiès 
tout ,  (lu.iiid  int'^iiie  ils  auraient  pu  les  ouvrir, 
ces  |><M  tes  ,  u  qiu»i  cette  précaution  auiait- 
fUe  s«Tvi  ,  sinon  ii  les  faire  périr  plutôt,  en 
donuant  entrée  aux  «"aux  pour  pénétrer  de 
toute  part?  Quel«[ues-uns  se  sont  jetés  par- 
dessus les  murailles  pour  gagner  (juelque  har- 
que  ;  enlr'aulres  le  Père  y^iuiino  ,  de  noire 
Compagnie  ,  lrou\a  nio\en  d'iihoider  au 
navire  nommé  \\/.\m  tiiùro  ,  dont  le  Contre- 
Mailre,  louché  de  compassion,  (il  tous  ses 
rflbrts  j>our  le  secourir.  Mais,  vers  les  qua- 
tre heures  du  malin  ,  un  nouveau  coup  de 
mer  étant  s(n\enu  ,  cl  les  ancres  aNiint  cassé  , 
le  navire  fut  jeté  avec  violence  au  milieu  de 
Catliio  ^  et  le  Jésuite  y  périt. 

Dans  les  intervalles  où  les  eaux  bais.saîent, 
on  entendait  des  cris  lamenlahlcs  ,  et  i)lu- 
sieurs  \oix  d'Ecclésia»tif[ues  et  de  Reli- 
gieux ,  qui  exhortaient  vivement  leurs  frè- 
res à  se  recommander  à  Dieu.  On  ne  sau- 
rait donner  trop  d'élo|j;cs  au  zèle  héroùiue 
du  Père  >■///;/» o//.vfi  di-  Lusnos,  ex -Provin- 
cial des  Dominicains  ,  qui  ,  au  milieu  de 
ce  désordre  ellioyalile  ,  s'élanl  vu  en  état 
de  se  sauver  ,  refusa  de  le  faire  ,  en  di- 
sant :  Quelle  occasion  plus  favorable  jntis- 
jc  trouver  fie  i^ni^ner  le  Ciel ,  qu  i  n  viou- 
runt  pour  aider  ce  pauvre  Peuple  ,  et  pour 
la  salut  de  tant  d'aines  ?  Il  a  clé  enve- 
loi)j)é  dans  ce  naufrage  universel,  en  rem- 
plissant avec  une  charité  si  pure  et  si  dé- 
2  orne  IX.  K;. 


'>.i8  Lettres  édifiantes 

^intéressée  les  fonctions  de  son  Ministère. 

Comme  les  eaux  ont  monté  à  plus  d'une 
îiouc  par-delà  CaLlao  ,  plusieurs  de  ceux  qui 
avaient  pu  prendre  la  fuite  vers  Lima  ,  ont 
été  engloutis  au  milieu  du  chemin  par  les 
eaux  qui  sont  survenues.  Il  y  avait  dans  ce 
port  vingt-trois  navires  grands  et  petits  ,  dont 
dix-neuf  ont  été  coulés  à  fond  ,  et  les  quatre 
derniers  ont  paru  échoués  au  milieu  des 
terres.  Le  vice-Roi  ayant  dépêché  une  fré- 
gate pour  reconnaître  l'état  de  ces  navires  , 
on  n'a  pu  sauver  que  la  charge  du  navire 
Elsocorro ,  qui  consistait  en  blé  et  en  suif,  et 
qui  a  été  d'un  grand  secours  pour  la  ville 
de  Lima,  On  a  aussi  tenté  de  tirer  quelque 
avantage  du  vaisseau  de  guerre  le  Saint- 
Firmin  ,  mais  la  chose  a  paru  impossible. 
Enfin,  pour  faire  comprendre  à  quel  point 
a  été  la  violence  de  la  mer  ,  il  sufîit  de  dire 
qu'elle  a  transporté  l'Eglise  des  Augustins 
presque  entière  jusqu'à  une  île  assez  éloi- 
gnée ,  où  on  l'a  depuis  aperçue. 

Il  y  a  une  autre  île  ,  qu'on  nomme  l'île 
de  Cal/ao ,  où  travaillaient  les  forçats  à  tirer 
la  pierre  nécessaire  pour  bâtir.  C'est  dans 
cette  ile  que  le  petit  nombie  de  ceux  qui  ont 
échappé  au  nautVage,  se  sont  trouvés  après 
l'éloigncment  des  eaux  ;  et  le  vice-Roi  a  aus- 
sitôt envoyé  des  barques  pour  les  amener  à 
terre. 

La  perte  qui  s'est  faite  à  Callao  est  im- 
mense, parce  que  les  grandes  boutiques  (jui 
fournissent  la  ville  de  Lima  des  choses  né- 
cessaires ,  et  où  sont  les  principaux  dép6t^ 


r  T  c  c  R I  r  r  s  r.  s.  >  '  () 

i\e  son  comnuTCC  ,  étaient  alors  rxtraortli- 
nniicnuMit  rt'ninlifsdo  grains,  de  suif,  d'j'au- 
di'-vit' ,  df  roidages,  do  l)ois,  de  fer  ,  d'ét.iin 
et  de  loule.s  sortes  de  niarehandi.ses.  Ajoutez 
à  cela  les  inenhles  et  les  ornemens  des  Kj;li- 
sr»  où  tout  éclatait  en  or  et  en  argent  -,  les 
arsenaux  et  les  niagasins  du  Roi  qui  étaient 
pleins-,  tout  cela,  sans  compter  la  valeur  d«'s 
maisons  et  des  édifices  ruinés  ,  monte  à  une 
somme  excessive  ;  et  si  l'on  y  joint  encore  ce 
qui  s'est  p«-rdu  d'efTectif  ù  Lima  ,  la  chose 
paraîtra  incroyable  h  quiconque  ne  connaît 
pas  le  degré  d'opulence  de  ce  Royaume. 
Par  la  sup[)utalion  qui  s'en  est  faite  ,  pour 
rétablir  les  choses  dans  l'état  où  elles  étaient 
auparavant  ,  il  faudrait  plus  de  six  cens 
millions. 

Pendant  cette  afTieuse  nuit,  qui  anéantit 
Callao  ,  les  hahilans  de  Lima  étaient  dans 
de  continuelles  allarrnes  ,  à  cause  des  mou- 
>emens  redoublés  qui  fcsaicnt  trembler  la 
terre  aux  environs,  et  parce  qu'ils  ne  voyaient 
point  de  fin  à  ces  épouvantables  secousses. 
Toute  leur  espérance  était  dans  la  ville  même 
de  Callao  ,  où  ils  se  flattaient  de  trou>  er  un 
asile  et  des  secours.  Leur  douleur  devint 
donc  un  véritable  désespoir,  lorstju'ils  ap- 
prirent que  Callao  n'était  plus.  Les  premiers 
qui  en  apportèrent  la  nouvelle  ,  fuient  des 
soldats  que  le  vice-Roi  avait  envoyés  jiour 
savoir  ce  qui  se  passait  sur  les  côtes.  Jamais 
on  n'a  vu  une  consternation  paieille  à  celle 
qui  se  répandit  alors  dans  Lima.  On  était 
sans    rcs^iourcc    ;    les    tiembleniens    eonti- 

K   2 


320  Lettres  ÉDiriAnTEs 

«uaicnt  toujours,  cl  Ion  en  compta  ,  jus- 
(ju'au  29  Novembre  ,  plus  de  soixante  , 
dont  quclq'acs  -  uns  furent  très -considéra- 
bles. Je  laisse  à  imaginer  quelle  était  la  si- 
tuation des  esprits  dans  de  si  étranges  con- 
j  on  (-lui  es. 

Dès  le  lendemain  de  cette  nuit  lamen- 
table ,  les  Prédicateurs  et  les  Confesseurs  se 
partagèrent  dans  tous  les  quartiers  pour 
consoler  tant  de  misérables  ,  et  les  exhor- 
ter à  profiler  de  ce  lîéau  tcirible  pour  re- 
courir à  Dieu  parla  Pénitence.  Le  vice-Roi 
se  montra  par -tout,  s'employa  sans  relâ- 
che à  soulager  les  maux  de  ces  infortunés 
Citoj'ens. 

On  peut  dire  que  c'est  un  bienfait  de  la 
Providence  d'avoir  donné  à  Lima  ^  dans  son 
malheur  j  un  vice-Roi  aussi  plein  de  zèle, 
d'activité  et  de  courage.  Il  a  fait  voir  en  celle 
occasion  des  talens  supérieurs  et  des  qua- 
Jilés  surprenantes.  C'est  une  juslice  qu'on 
lui  rend  tout  d'une  voix.  Sans  lui  la  faim, 
aurait  achevé  de  détruire  tout  ce  qui  res- 
tait d'habitans.  Tous  les  vivres  qu'on  at- 
tendait de  Callao  étai(fnt  perdus  ;  tous 
les  fours  étaient  détruits  à  Linia  ;  tous  les 
conduits  des  eaux  pour  les  moulins  étaient 
comblés. 

Dans  ce  péril  extrême,  le  vice-Roi  ne  se 
déconcerta  point  ;  il  envoya  à  tous  les 
Baillis  des  Provinces  voisines  ordre  de  faire 
voiturer  au  plutôt  les  grains  qui  s'y  trou- 
vaient. 11  rassembla  tous  les  boulangers;  il 
iit  travailler  jour  et  nuit  pour  remettre  hvs 


ET    r,  L' R  l  L  L  si:s.  »■•'.  1 

fours  cl  Ips  moulins  m  étal  ;  il  fil  réialilir 
tous  les  canaux  ,  a<jucclucs  ,  f«)ntaiiifs ,  afin 
que  l'iau  ne  nianquAt  point  ;  il  pril  garde 
qui-  K's  Ijouchcrs  puisent  fournir  i\c  la  viande 
i»  l'ordinaire  ,  i-t  il  tliar|^ca  les  d»ii\  i]on- 
su\>  de  t«'nir  la  main  à  l'cxccutii^n  do  tous 
Ces  ordres. 

Au  milieu  de  tPiit  de  soins  ,  il  n'a  pas 
uéyligé  ce  qui  rcLjardait  le  service  du  Roi. 
Aj)!»"'»  avoir  fait  tirer  de  dessons  les  ruines 
toutes  les  armes  cpii  pouvaient  en  être  dé- 
^.'igées  ,  il  a  envoyé  des  (^Hîciers  à  (nllao  pour 
sauver  le  plus  qu'il  se  pouvait  des  eflets  du 
Roi  ,  et  il  a  mis  des  irardes  h  l'Hôtel  de  la 
monnaie  pour  garantir  du  pillage  tout  ce 
qu'il  y  avait  d'or  et  d'argent. 

Comme  il  reçut  avis  que  les  cotes  étaient 
couvertes  de  cadavres  qui  demeuraient  snné 
sépulture,  et  que  la  mer  y  rejetait  à  chaque 
instant  une  quantité  prodigieuse  de  meuliles 
e»  de  vaisselle  d'or  et  d'argent,  il  donna  sur- 
le-champ  des  ordres  pour  faire  enterrer  les 
corps.  Quant  aux  cirets  qui  étaient  de  quel- 
que prix  ,  il  voulut  que  les  Olficiers  les  re- 
tirassent et  en  tinssent  un  registre  exact  où 
chicun  put  leeonnailre  ce  qui  lui  apparte- 
nait ;  il  fil  défense  ,  sous  peine  de  la  vie  ,  à 
tout  particulier  de  rien  prendre  de  tout  cô 
qui  serait  sur  les  côtes  ;  et  ,  pour  se  faire 
ohéir  en  ce  point  important,  il  fit  dresser 
deux  potences  à  IJma  et  deux  ;i  Callao  ;  et 
cpiehjues  exemples  de  sévérité  faits  à  propoS 
linriml  tout  le  monde  en  respect. 

Depuis  la  perle  de  la  gaïuison  de  Callaà 

K  3 


22a  TjETTRTS    ÉDiriANTHS 

le  vice-Roi  n'avait  plus  que  cent  cinquante 

soldats  de  troupes  réglées  avec  autant  de 
miliciens;  cependant  il  ne  laissa  pas  de  dou- 
])ler  par-tout  les  gardes,  pour  réprimer  l'in- 
soîcncc  du  Peuple,  et  sur-tout  des  Nègres  et 
des  esclaves.  Il  en  composa  trois  patrouil- 
les diflerentes,  qu'il  fit  rôder  incessamment 
dans  la  Ville  ,  pour  prévenir  les  vols  ,  les 
querelles  ,  les  assassinats  ,  qu'on  avait  tout 
lieu  de  craindre  dans  une  pareille  confu- 
sion. Une  autre  attention  qu'il  a  eue  ,  fut 
d'empêcher  qu'on  allât  sur  les  grands  che- 
mins acheter  le  blé  qui  arrivait.  Il  a  or- 
donné que  tout  le  hlé  fut  premièrement 
porté  au  milieu  de  la  place  ,  sous  peine  de 
deux  cens  coups  de  fouet  pour  les  person- 
nes de  basse  extraction  ,  et  d'un  exil  de 
quatre  ans  pour  les  autres.  Toutes  ces  dispo- 
sitions aussi  sagement  imaginées  que  vigou- 
reusement exécutées  ,  ont  maintenu  le  bon 
ordre. 

Cependant ,  le  dernier  jour  de  Novem- 
bre ,  sur  les  quatre  heures  et  demie  du  soir  , 
taudis  qu'on  fesait  la  Procession  de  Notre- 
Dame  de  la  Merci ,  tout-à-eoup  il  se  répan- 
dit un  bruit  par  toute  la  Ville  que  la  mer 
venait  eneoie  une  fois  de  franchir  ses  bor- 
nes,  et  qu'elle  était  déjà  près  de  Lima.  Sur- 
le-champ  ,  voilà  tout  le  Peuple  en  mouve- 
ment :  on  court ,  on  se  précipite  ;  il  n'est 
pas  jusqu'aux  Religieuses  qui  ,  dans  la 
crainte  d'une  prochaine  submersion,  ne  sor- 
tent de  leurs  Cloîtres,  fuyant  avec  le  Peuple, 
et  chacun  ne  songeant  plus  qu'à  sauver  s* 


F.  T  c  u  R 1  r  f  S  r  $.  ^'àZ 

▼ic.  Lj»  foule  des  fuyanU  augmcnlaîl  l'épou- 
vante. Les  uns  se  jettent  ver»  le  in«»nl  Siiiiil- 
ClirUtoplie  ,  les  autii»  vers  le  mont  S;niil- 
liarlhélnni  ;  on  ne  se  croit  nulle  pari  en  sû- 
reté. Dans  ce  inuuxenient  général  il  n'a  péri 
cju'un  seul  liomme ,  Doni  Pedro  Lundro  ^ 
granit  TrésoriiT,  qui,  en  fusant  à  cjieval  > 
est  tombé  et  sest  lue. 

Le  vice-Roi  qui  n'avait  reçu  aucun  avis 
des  ctktes  ,  comprit  aussitôt  que  ce  n'était 
qu'une  terreur  pani([ue.  Il  afTecta  donc  de 
rester  au  milieu  de  la  place  ,  où  il  avait  élal)ll 
sa  demeure,  s'efforçant  de  peisuader  à  tout 
le  monde  qu'il  n'y  avait  rien  à  craindre. 
Comme  on  fuyait  toujours,  il  envoya  des 
soKlats  pour  arrêter  le  Peuple  ;  mais  il  leur 
fvi\.  impossihh'  d'en  venir  à  bout.  Alors  il  y 
alla  lui-même,  et  paila  a\cc  tant  dautoiilé 
et  de  conliaucc,  qu'il  fut  obéi  à  l'instant  , 
et  (jue  cliacun  revint  sur  ses  pas. 

Quebjues  Monastères  de  Religieuses,  qui 
ont  des  rentes  sur  la  caisse  Royale  ,  ont  eu 
recours  a  lui  ,  pour  lui  représenter  le  triste 
état  où  elles  étaient  réduites.  Elles  l'ont  prié 
d'ordonner  au  Gouverneur  de  Police  de  veil- 
ler il  leur  défense  pour  les  garantir  de  toute 
insulte.  Cette  demande  et  plusieurs  autres 
de  cette  nature  ont  engagé  le  vice-Iloi  à  don- 
ner ordre  que  l'on  fit  un  écrit  général  des 
réparations  les  plus  pressantes  qu'il  y  avait 
à  faire  pour  mettre  les  habitansen  sûreté.  Il 
a  voulu  même  que  l'on  diessùt  des  plans  pour 
la  rcédification  de  celle  Ville  ;  el  il  s'est 
proposé  de  faire  désormais  bâtir  les  maisoa» 

K  4 


224  Lettres    édifiantes 

avec  assez  de  solidité  pour  pouvoir  résister  à  de 
pareils  tremblemens.  Celui  qui  a  été  chargé 
de  toute  cette  opération,  est  M.  Godin  ,  de 
l'Acadénnie  des  Sciences  de  l^aris  ,  envoyé  par 
le  Roi  de  France  pour  découvrir  la  figure  de 
la  terre  ,  et  Qui  depuis  quelque  temps  occupe 
par  ordre  du  vice-Roi  ,  la  charge  de  Profes- 
seur des  Matlicnialiques  à  Lima  ^  jusqu'à  ce 
qu'il  puisse  trouver  les  moyens  de  repasser 
en  France, 

Ce  qui  embarrassait  le  plus  le  vice-Roi  , 
sur-tout  dans  les  circonstances  de  la  guerre 
actuelle  ,  était  le  Fort  de  Callao  qui  est  la 
clef  de  ce  R.oyaume.  C'est  pourquoi  ,  après 
avoir  mis  ordre  à  tout  dans  Lima  ,  il  s'est 
transporté  avec  INIonsicur  Godin  à  Callao', 
pour  choisir  un  terrain  où  l'on  pîil  construire 
des  tbrtificalions  capables  d  arrêter  l'ennemi , 
et  y  établir  des  magasins  suftlsans  ,  afin  que 
le  commerce  ne  soit  pas  interrompu. 

Au  reste  ,  le  tremblement  de  terre  a  fait 
aussi  de  grands  ravages  dans  tous  les  envi- 
rons ,  d'un  côté  jusqu'à  Canneto  ,  et  de 
l'autre  jusqu'à  Chancay  cl  Otiaura.  Dniisce 
dernier  endroit,  le  pont,  quoique  très-solide, 
â  été  abaitu  ;  mais  comme  c'est  un  grand 
passage  ,  le  vice  -  Roi  a  ordonné  qu'on  le 
rétablît  au  plutôt;  on  ne  sait  pas  encore  au 
.juste  ce  qui  est  arrivé  dans  les  aulres  endroits 
voisins  de  Lima  et  de  Callao.  Les  relations 
qu'on  attend  nous  en  apprendront  sans  doute 
quelques  particularités. 

A  Cordoue  de   Tucuinau y  le  pninier 
Mars   1717. 


i;  T    ciRicLsr.  s.  a.iJ 


L  E  T  T  II  E 

Du  Rèy'èrend  Père  Mors^hen  ,  Missionnaire 
cif  1(1  Compagnie  (le  Ji'iius ,  à  AI.  le  Mar- 
quis de  Ht')  bac  ,  etc. 

A  Giiarho  ,    le    20    Septembre  1^55. 

Monsieur, 

.]'vi  ru  l'honnour  do  vous  envoyer  l'an 
passé  la  dcscripliun  du  Chili  ,  d'aprrs  los 
ohsci valions  d'un  de  nos  Missionnaires,  qui 
l'a  parcouru.  Je  n'ose  me  flatter  d'avoir' 
dignement  rempli  les  momens  que  vous  av( -^ 
bien  voulu  consacrer  h  la  lecture  de  cette 
lettre  que  je  vous  pi  ie  de  ne  regarder  que. 
comme  un  faible  témoignni,'e  de  ma  recon- 
naissance et  do  mon  attachement.  Si  j'entre- 
prends aujourd'hui  de  vous  extraire  ce  que 
j'ai  remar([ué  de  plus  intéressant  dans  une 
autre  relation  du  même  Missionnaire,  con- 
cernant le  Pérou  ,  c'est  que  j'aime  à  me  per- 
suader que  la  distance  des  lieux  ne  diminue 
lieu  de  l'amitié  dont  vous  m'honorez,  et  que 
vous  apprendrez  avec  plaisir  que  j'existe 
encore,  malcréles  infirmités  de  l'Age  et  leë 
fatigues  continuelles  d'une  Mission  labo- 
1  leuse  et  pénible. 

Il  serait  peut-élrc à  propos  de  suivre  notre 
Misàiouuairc  dans   ses  courses.   Cepeudanl 

K  5 


5^6  Lettres  éditiantes 

j'ai  cru  devoir  changer  l'ordre  de  sa  narra- 
tion ,  el  commencer  par  la  capitale  du  Pérou  , 
dont  la  description  termine  son  récit.  Je  n'ai 
point  oublié, Monsieur,  les brillans tableaux 
que  vous  m'avez  faits  autrefois  de  ce  Pays;  mais 
j'ose  vous  assurer  qu'ils  sont  peu  conformes  à  la 
vérité ,  et  que  les  voyageurs  qui  nous  en  ont 
suggéré  l'idée  ,  se  sont  moins  embarrassés  de 
dire  le  vrai ,  que  de  charmer  l'esprit  de  leurs 
lecteurs.  Au  reste ,  je  ne  prétends  point  que 
le  Pérou  soit  un  de  ces  Pays  ingrats  et  sauva- 
ges qui  n'ont  rien  d'agréable  pour  les  étran- 
gers. On  y  trouve  certainement  une  grande 
partie  des  choses  qui  attirent  les  voyageurs 
curieux  de  singularités  ;  mais  on  pourrait 
rabattre  beaucoup  de  l'image  qu'on  s'en  est 
i'ormée  en  Europe.  Vous  en  jugerez,  Mon- 
sieur, par  le  récit  du  Missionnaire  dont  je 
ne  suis  ,  pour  ainsi  dire^  que  le  simple  copiste. 
Lima  est  la  capitale  du  Pérou.  Les  Espa- 
gnols qui  la  découvrirent  le  jour  de  l'Epi- 
phanie ,  changèrent  son  nom  en  celui  de 
Ciudad  de  los  lièges  (  Ville  des  Rois.  )  Cette 
Ville  est  située  au  pied  d'une  montagne  , 
peu  haute  pour  ce  Pays  ,  mais  qui  le  serait 
beaucoup  pour  le  nôtre.  Une  rivière  ,  ou 
plutôt  un  large  torrent  en  baigne  les  murs  , 
el  distribue  ses  eaux  par  des  canaux  souter- 
rains dans  tous  1rs  quartiers  de  la  Ville  ,  ce 
qui  contribue  beaucoup  à  en  purifier  l'air 
qui  y  est  naturellement  assez  mal-sain.  Les 
environs  de  Lima  sont  arides  et  produisent 
peu  de  verdure.  Ce  n'est  même  que  depuis 
quelques  années  qu'on  y  sème  du  blé  ,  et  il 


ET    C  L  «  I  n  C  S  E  S.  ««7 

n*y  croîtrait  p.is&'il  uc  s'élevait  tous  les  rualins 
un  brouillard  épuisqui  humecte  la  terre,  car 
il  u'v  plriit  ianiai><. 

On  trouve  au  MorJ  ,  entre  la  Ville  et  la 
montagne  dont  j'ai  parlé  ,  une  promenade 
))ul>lique,  qui  serait  eliarmanlc  ,  et  peut-être 
unique  dans  son  espèce,  si  larl  y  secondait 
la  nature.  C'est  un  cours  planté  de  quatre 
rangs  d'orangers  fort  gios  ,  <jui  sont  couvci ts 
en  tout  temps  de  fruits  et  de  lleurs.  On  y 
respire  une  odeur  agréable.  Il  serait  à  sou- 
liaiter  que  les  liahitans  négligeassent  moins 
renlreti«'n  de  ci-s  arbres  ,  dont  le  nombre  di- 
minue tous  les  jours.  fLn  enliantdansla  Ville 
du  côté  du  cours,  on  rencontre  un  faubourg 
très-étendu,  dont  les  maisons  sont  assez  bien 
})iUies.  Entre  ce  faubourg  et  la  Ville  ,  est  la 
livièrc,  qu'on  traverse  sur  un  pontde  pierres  , 
et  dont  !<■  point  de  vue  m'a  paru  enchanteur  , 
car  on  voit  de  lii  ,  d'un  côté  la  mer  dans 
réloignem(>nt ,  et  la  rivière  qui  va  s'y  jctei* 
aj)rès  plusieurs  détours  ;  et  de  l'autre  la  célè- 
l)re  vallée  de  Lima  ,  que  les  Poètes  de  celte 
^  ille  ont  si  souvent  chantée  ,  et  qui  mérite 
en  elTet  une  grande  partie  de  leurs  louanges. 
La  porte  de  la  Ville  qui  répond  h  cç  pont  , 
a  quelqu'apparence  de  grandeur  ,  et  c'est 
peul-élre  le  seul  morceau  d  arehilecture  qui 
soit  un  peu  réguiiei-.  Les  maihons  n'ont  ordi- 
nairement qu'un  étage,  le  toit  en  est  plat  et 
fait  en  terrasse  j  toutes  les  fenêtres  qui  regar- 
dent sur  la  rue  sont  masquées  de  jalousies. 
Eu  général  lesappartemens  sont  vastes,  mais 
6ans aucun oïDemeul.  sixchaises,  unccslradc 

K  6 


2  9-8  Lettres  ÉDirtAVTES 

on  tapis  ,  et  quelques  carreaux  ,  composent 
tout  ra!neul)l('rnenl  des  chaml)res.  Dans  les 
grandes  maisons  il  y  a  communément  une 
salle  l)Atic  h  l'épreuve  des  trembleraens  de 
terre  ;  les  murailles  en  sont  soutenues  par 
plusieurs  piliers  enclavés  irrégulièrement  les 
uns  dans  les  autres.  Cette  précaution  pewt 
Lien  à  la  vérité  en  empêcher  la  chute  ,  mais 
non  pas  la  garantir  des  autres  accidens. 

Il  y  a  dans  Lima  une  grande  place.  C'est 
un  carré  régulier  ;  l'Eglise  Cathédrale,  et 
le  Palais  de  l'Archevêque  ,  en  forment  une 
face  ;  le  Palais  du  vice-Roi  en  fait  une  autre. 
Les  deux  dernièressont  formées  par  plusieurs 
maisons  d'égale  hauteur,  qui  paraissent  bel- 
les ,  parce  que  les  autres  ne  le  sont  pas.  Au 
milicH  de  cette  place  est  un  grand  jet  d'eau  , 
orné  de  figures  de  bronze  ;  et  le  bassin  ,  qui 
est  large  et  spacieux ,  sert  de  fontaine  publi- 
que. 

Le  palais  du  vice-Roi  n'est  beau  ni  dans 
son  architecture,  ni  dans  ses  ameublemens. 
La  Maison  de  Ville  n'a  rien  de  pies  distin- 
gué ;  on  y  voit  seulement  l'histoire  des  In- 
diens et  de  leurs  Incas,  de  la  maindes  pein- 
tres dedusco^  qui  passent  pour  les  plus  habi- 
les du  Pays.  Le  goût  de  ces  Peintres  es't 
tout-h-fail  gothique  ;  car,  pour  l'intelligence 
du  sujet  qu'ails  représentent  ,  ils  font  sortir  de 
la  bouche  de  leurs  personnages  des  rouleaux 
sur  lesquels  ils  écrivent  ce  qu'ils  veulent 
leur  faire  dire.  L'intérieur  des  Eglises  est 
riche  en  dorures  et  en  bustes  d'argent  massif, 
niuis  saus  art  5  du  reste  ,  l'architecture  m'eu 


rr    rt-Rirrsrs.  ^«9 

a  pnru  forl  roninuiin".  On  v  voit  plusieurs 
tahlcaux  ,  f)ù  sont  n-trarérs  Irs  aclions  prin- 
cipalrs  tic  .\r)trr-Srij;nrur  ,  ia  varlrlt-  ,  le 
brillant  ,  l'éclal  des  couleurs  ,  et  sur-tout  les 
noms  de?.  étran:»crs  (|ui  en  sont  les  auteurs  , 
tout  eela  les  fait  estinuT  nu-dcla  de  leur  mé- 
rite ;  ce  ne  sont  que  dv  très-mauvaises  copies 
d'originaux  fort  tailjjes  ,  et  si  je  ne  me 
trompe  ,  les  Kspaj^nols  ont  tiré  tous  ces  ta- 
bleaux d'Italie  ,  lors(ju'ils  étaient  maîtres 
du  Milanais  ;  car  on  v  r«"eonnaîl  visiblement 
la  touche  dt-  1  Keole  Lombarde  ,  dont  les 
peintures  sont  plus  riches  en  couleurs  que 
conformes  aux  règles  du  bon  goût. 

Je  pourrais  m'étendre  davantage  sur  celte 
Ville  ,  vous  m  décrire  les  usages  ,  les  moeurs, 
le  gouvernement  ;  mais  comme  les  usages  , 
les  nururs  et  le  gouvernement  de  Lima  sont, 
à  peu  de  chose  près  ,  les  mt^mes  que  dans  les 
villes  d'Espagne,  je  n'en  ferai  point  ici  men- 
tion. Je  terminerai  cet  article  par  une  cou- 
tume assez  singulière  (jui  ne  regarde  que  les 
esclaves  :  les  Magistrats  ,  pour  alléger  le 
poids  de  leurs  fers  ,  cl  adoucir  un  peu  leur 
esclavage  ,  les  divisent  en  tribus  ,  d^nt  cha- 
cune a  son  Roi,  que  la  Ville  entretient,  et 
il  f|ui  elle  donne  la  liberté.  Ce  fantôme  do 
Roi  rend  1»  justice  aux  esclaves  de  sa  tribu  , 
et  ordonne  des  punitions  selon  la  qualité  des 
crimes  ,  sans  cependant  pouvoir  condamner 
les  criminels  à  mort. 

Lf)rsqu'un  de  ces  Rois  vient  à  mourir,  l'a 
Villt;  lui  fait  des  obsèques  maguiliques.  On 
l'enlcirc  la  couionne  en  lèle,  ei  les  premiers 


îi3o  LiKTTRES    ÉDiriANTES 

Magistrats  sont  invités  au  convoi.  Les  escla- 
ves de  sa  lril)u  s'assemblent  ,  les  hommes 
dans  une  salle  où  ils  dansent  et  s'enivrent  , 
et  les  femmes  dans  une  autre  ,  où  elles  pleu- 
rent le  défunt  ,  et  forment  des  danses  lugu- 
bres autour  du  corps  ;  elles  chantent  tour  à 
tour  des  vers  à  sa  louange,  et  accompagnent 
leurs  voix  d'instrumens  aussi  barbares  que 
leur  musique  et  leur  poésie.  Quoique  tous 
ces  esclaves  soient  Chrétiens  ,  ils  ne  laissent 
pas  de  conserver  toujours  quelques  supersti- 
tions de  leur  Pays  ,  et  l'on  n'ose  leur  inter- 
dire certains  usages  auxquels  ils  sont  accou- 
tumés dès  leur  enfance  ,  dans  la  crainte 
d'aigrir  leur  esprit  naturellement  opiniâtre 
et  soupçonneux. 

Celte  bisarre  cérémonie  dure  toute  la  nuit, 
et  ne  finit  que  par  l'élection  d'un  nouveau 
Roi.  Si  le  sort  tombe  sur  un  esclave ,  la  Ville 
rend  h  son  maître  le  prix  de  l'argent  qu'il  a 
déboursé,  et  donne  une  femme  au  Roi  s'il 
n'est  p.Ts  encore  marié  ;  de  sorte  que  lui  et 
ses  enfans  sont  libres  ,  et  peuvent  acquérir  le 
droit  de  bourgeoisie.  C'est  par  cette  politi- 
que que  les  Magistrats  retiennent  dans  le 
devoir  les  esclaves  du  Pays  ,  qui  joignent  à 
leurs  vices  naturels  tous  ceux  que  la  servitude 
entraine  ou  produit. 

Quoique  Fisco  ne  soit  remarquable,  ni  par 
son  étendue,  ni  par  la  beauté  de  ses  édifices  , 
cependant  on  pourrait  la  regarder  comme 
une  des  premières  villes  du  Pérou.  L'an 
iriyo,  elle  fut  abîmée  par  des  tremblemcus 
de  icne  ;  elle  était  située  sur  les  bords  de  la 


ET    CURIEUSES.  a3l 

nier.  Î.t  terre  s'étaril  njçiiéi*  avec  violence  , 
Ja  nur  >«•  mira  à  deux  liinics  loin  i\v  m'» 
))«)rtls  ordinaires.  Les  haliitans  l'iliayrs  <l  ua 
si  élran^e  t'\ènenienl  ,  sesauvtMenl  dans  les 
muntat^nes  ;  après  la  première  surprise  , 
<]iiel(|ues-uns  eurent  la  hardiesse  de  revenir 
pour  roMlenipler  ce  nouveau  iivat;e  ;  mais 
tandis  (ju'ils  le  considéraient,  la  mer  revint 
en  fureur  et  avec  tant  d'inipéluosilé  ,  qu'elle 
engloutit  tous  ces  malheureux  ,  que  la  tuile 
et  la  vitesse  de  leurs  chevaux  ne  purent 
dérober  à  la  mort.  La  Ville  fut  submergée 
«l  la  mer  pénétra  fort  avant  dans  la  plaine. 
La  rade  où  les  vaisseaux  jeltrnl  l'ancre  au- 
jourd'hui ,  est  le  lieu  même  ou  la  \  ille  était 
assise  autrefois. 

Cette  Ville  ayant  été  ruinée  de  la  sorte  , 
fut  rebûlic  à  un  (|uarl  de  lieue  de  la  mer.  Sa 
situation  est  assez  agréable  :  La  noblesse  de 
la  l*rovince  y  fait  son  séjour,  et  le  voisinage 
de  Lima  y  amène  une  foule  de  négocians 
lorsfjue  nos  vaisseaux  v  abord»  ni.  On  peut 
jeter  l'ancre  ou  devant  la  Ville,  ou  dans  un 
enfoncement  qui  est  à  deux  lieues  plus  haut 
%crsle  Midi.  Ce  dernier  ancrage  est  le  meil- 
leur ,  mais  le  moins  commode  ,  parce  que 
ce  canton  est  désert. 

Ce  Pays  m'a  parti  fort  beau  ,  et  l'air  y  est 
plus  pur  (jue  dans  les  autres  ports  du  Pér(.>u; 
il  y  a  plusieurs  Eglises  à  Pisco  ,  mais  elles 
soûl  plus  riches  <jue  belles  ;  cependant  j'ai 
vu  avec  beaucoup  déplaisir  un  iMotiaslèie de 
Pères  Rérollets,  (jui  est  silué  au  l)out  d'une 
avenue  d'oliviers  ,  dans  un  lieu  ti  ès-solilaiie. 


a^-?-  Lettres  édifiantes 

L'Eglise  en  est  propre  et  bien  entretenue , 
et  les  cloîtres  en  sont  d'une  simplicité  char- 
mante. A  deux  ou  trois  lieues  de  là  on  trouve 
une  montagne  j  oùl'on  prétend  que  les  Indiens 
s'assemblaientautrefois  pour  adorer  le  soleil. 
La  Tradition  marque  que  ces  Sauvages  je- 
taiant  du  haut  de  cette  montagne  ,  dans  la 
mer,  des  pièces  d'or  et  d'argent ,  des  émerau- 
des,  dont  le  Pays  abondait ,  et  quantité  d'au- 
tres bijoux  qui  étaient  en  usage  parmi  eux. 
Cette  montagne  est  si  fameuse  dans  la  Pro- 
vince, que  c'est  la  première  chose  que  les 
étrangers  vont  voir  à  leur  arrivée.  J'ai  suivi 
la  coutume  établie ,  mais  je  n'y  ai  rien  trouvé 
qui  fût  digne  de  la  curiosité  d'un  voyageur. 
En  quittant  le  territoire  de  Pisco  ,  j'entrai 
dans  la  Province  de  Chinca  ,  qui  a  pour 
capitale  aujourd'hui  un  petit  bourg  d'Indiens 
qui  porte  le  nom  de  la  Province,  Ce  bourg 
était  autrefois  une  Ville  puissante  ,  qui ,  dans 
son  étendue  ,  contenait  près  de  deux  cent 
mille  familles.  On  comptait  dans  celte  Pro- 
vince plusieurs  millions  d"habitans;  actuel- 
lement elle  est  déserte  ,  car  à  peine  y  restc- 
t-il  deux  cens  familles.  Je  trouvai  sur  ma 
route  quelques  monumens  érigés  pour  con- 
server la  mémoire  de  ces  géans  dont  parle 
l'histoire  du  Pérou  ,  et  qui  furent  frappés  de 
la  foudre  pour  un  crime  qui  fit  descendre 
autrefois  le  feu  du  Ci«'l  sur  les  villes  do 
Sodome  et  de  Gomorrhe.  Voici  à  ce  sujet  la 
tradition  des  Indiens,  Ces  Peuples  disent 
que  pesulant  un  déluge  qui  inonda  leur  Pays  , 
ils  se  retirèreal  sur  les  plus  hantes  inoDtajjacs 


ET  c t'Rin  isns.  ot^t 

jusqu'à  ce  que  les  eaux  se  fussent  ëcouK'e« 
«l.ms  In  iniT;  que  lors(ju'ilsd«•s^^•lMli^l•Il^<li^n« 
les  p!,'<iii«-s  ,  il>  V  tniuvi-n'Ul  tlr>  liuininrs  diiiie 
taillr    cxtiaordin.iiif*  ,   (|ui    leur    firi-iil    une 
gurrrc  crui'Ili';  (fu<'  ceux  qui  cchapptMful  à 
leur  h.irliaric  ,  furent  ohligésdc  chercher  ua 
nsih*    dans    \fs    cavrrncs     d«'s    monlagnes  ; 
qu'après  y  avoir  dt'iiu'uré  plusieurs  années, 
ils  apcrfUKMit  dans  K'sairs  un  jfune  lionunc 
qui  foudroya  h-sgcans  ,  cl  fpif ,  parla  défaite 
de  ces  usurpateurs,  ils  rentrèrent  en  posses- 
sion de  leurs  anciennes  demeures.  On  n'a  pu 
savoir  en  ({uei   temps  ce  tlélu{:;e  pst  arrivé  ; 
c'est  pciit-èlre  un  délut^e  pailiculiei-  tel  (pie 
celui    de  la  Thessalie  ,    tiont  on    démêle  1.1 
vérité  parmi   les  fal)les  que  les  anciens  nous 
ont  laissées  de  Peuealionet  dePyrrlia.  Quant 
h  l'exislenee  et  au  crime  des    j;éans  ,   je  ne 
m'y  arrêterai   point,   d'autant    plus  (pie  les 
monumens  que  j'ai  vus  n'ont  aucune   trace 
d'antiquité.  Les  vestiges  des  {guerres  fameuses 
(pii  ont  dépeuplé  celti."  Province,  sont  quel- 
(jue  eliose  de  plus    réel.   Pays  autrefois  cliar- 
mant  ,  ce  n'est  plus   f[u'un  vaste   désert  qui 
vous  attriste  sur  le  mal  lie  ui  eux  sort  de  sas 
anciens  hahitans;  on  ne  peut  y   passer  sans 
être    saisi   d'efTroî  ,   et  l'humeur  sombre  et 
tran(|uille  du   peu  d'Indiens   qu'on  y  voit  ,  . 
semljle  vous  rappeler  sans  cesse  les  intorlunes 
et  la   mort  de  leurs  aïeux.  Ces  Indiens  con- 
servent très-chèrement  le  souvenir  du  der- 
nier de  leurs  Ineas  ,  et  s'assemblent  de  temps 
en  tj'mpspour  célébrer  sa  niémoiie.  Ils  chan- 
tent des  vei's  à  sa  louange ,  et  jouent  sur  leurs 


234  LeTTRTS    ÉDiriAKTES 

flùles  des  airs  si  lugubres  et  si  touclians  , 
qu'ils  excitent  la  compassion  de  tous  ceux 
qui  les  entendent.  On  a  vu  des  effets  frappans 
de  cette  musique.  Deux  ludiens  ,  attendris 
par  le  son  des  instrumens  ,  se  précipitèrent , 
il  y  a  quelques  jours,  du  haut  d'une  monta- 
gne escai'péc  ,  pour  aller  rejoindre  leur 
Prince  ,  et  lui  rendre  dans  l'autre  monde  les 
services  qu'ils  lui  auraient  rendus  dans  celui- 
ci.  Cette  scène  tragique  se  renouvelle  sou- 
vent ,  et  éternise  par-là  ,  dans  l'esprit  des 
Indiens ,  ledouloureuxsouvenirdesmalheurs 
de  leurs  ancêtres. 

On  rencontre  dans  la  Province  de  Cliinca 
plusieurs  tombeaux  antiques.  J'en  ai  vu  un 
dans  lequel  on  avait  trouvé  deux  hommes  et 
deux  femmes  ,  dont  les  cadavres  étaient  en- 
core piesque  entiers.   A  côté   d'eux  étaient 
quatre   pots   d'argile  ,  quatre   tasses  ,    deux 
chiens  et  plusieurs  pièces  d'argent.  C'éli'it  là 
sans  doute  la  manière  dont  les  Indiens  iuhu- 
Tnait^nt  leurs  morts.  Comme  ils  adoraient  le 
soleil ,  et  qu'ils  s'imai^inaient  qu'en  mourant 
ils  devaient  comparaiiic  devant  cet  astre  ,  on 
mettait  dans   leurs  tombc^aux   ces  sortes  de 
présens  pour  les  lui  offrir  et  le  fléchir  en  leur 
faveur.  Les  Historiens  conviennent  que  dans 
plusieurs  endroits  du   Pérou  ,    les  cadavres 
conservent  long-temps  leur  forme  naturelle. 
Soit    que    l'extrême  sécheresse  de    la  terre 
produise  cet  effet,  soit  qu'il  y  ait  quelqu'au- 
Ire  qualité  qui  maintienne  les  corps  sans  cor- 
ruption ,  il   est   certain   qu'il  n'est  pas  rare 
d'eu  trouver  d'entiers  après  plusieurs  auuées. 


ETCmiFUSKS.  r>!?5 

Ârica  ,  autre  petite  ville  du  Pérou  ,  n'est 
pas  plus  cousi«ltT;«l>le  rjue  Pisco  ,  mais  elle 
csl  beaucoup  plus  renommée  à  cause  du 
commerce  qu'y  l'ont  les  Espagnols  qui  vien- 
nent du  Polosi ,  et  d«'s  autres  mines  du  Pérou. 
Celte  Ville  est  située  à  i8  dej^résa^  minutes 
de  latitude  méridionale:  sa  rade  est  fort  mau- 
vaise ,  et  les  vaisseaux  y  sont  exposés  h  tous 
les  vents. 

Quoique  Arica  soit  sur  le  bord  de  la  mer, 
l'air  V  est  trcs-mal-sain  ,  et  on  l'appellecom- 
munément  le  tombeau  des  P'rancais.  Les 
habilans  ménu^  du  Pays  ressemblent  plutôt 
à  des  spectres  qu'a  des  liommes  ;  l«s  lièvies 
malignrs  ,  la  jiulmonie  ,  et  en  général  toutes 
les  nialadies  qui  proviennent,  ou  de  la  cor- 
ruj)iiou  de  l'air  ,  ou  des  influences  de  celle 
Corrn[>ti<)n  sur  le  sang  ,  ne  sortent  presque 
jamais  de  leur  Ville.  11  y  a  d.ms  le  voisina^^c 
nne  montagne  toujouis  couverte  des  ordures 
de  ces  oiseaux  de  proie  que  nous  aj'pelons 
gouillans  cl  cormorans,  elcjui  se  relircnt  là 
peudiinl  la  nuit.  Comme  il  ne  pleul  jamais 
dans  la  plaine  du  Pérou  ,  ei  que  les  chaleurs 
y  sonl  excessi\e8  ,  ces  ordures  échauflées  par 
les  rayons  du  soleil  ,  exliab  nt  un<:  odeur 
emp«'slétM[ui  doil  iulecter  l'almosplière.  Le 
nombre  de-  ces  oiseaux  est  si  grand  ,  que 
l'air  en  est  (juelquefois  obscurci.  Le  Gou- 
verneur en  retire  un  gros  revenu  :  on  se  sert 
de  leurs  ordures  pour  engraisser  les  terres 
qui  sont  sè<  lies  et  ai  ides.  Tous  les  ans  il  vient 
plusieurs  vaisseaux  pour  aclieler  de  cette 
luurchaudise  qui  se  Vi.'nU  assez  cher  ,  eldout 


23G  Lettres  édifiantes 

tout  le  profit  revient  au  Gouverneur,  La 
montagne  d'où  on  la  tire  est  creuse,  et  l'on 
assure ,  sans  beaucoup  do  fondement ,  qu'il  y 
avait  autrefois  une  mine  d'argent  très-abon- 
dante. Les  habitans  du  Pays  ont  là-dessus 
des  idées  fort  singulières.  Us  s'imaginent 
que  le  diable  réside  dans  les  concavités  de 
cette  montagne,  aussi-bien  (|ue  dans  un  autre 
roclier  ,  appelé  Morno  de  lus  didhlos  ^  (pii 
est  situé  h  l'embouchure  des  rivières  d' J  f a 
et  de  Scuna  ,  h  i5  lieues  d'Arica.  Ils  préten- 
dent que  les  Indiens  ayant  été  vaincus  parles 
Espagnols,  y  avaient  caclié  des  trésors  im- 
menses ,  et  que  le  diable  ,  pour  empêcher 
les  Espagnols  d'en  jouir ,  avait  tué  plusieurs 
Indiens  qui  voulaient  les  leur  découvrir.  Ils 
disent  aussi  qu'on  entend  sans  cesse  un  bruit 
épouvantable  auprès  de  ces  montagnes;  mais 
comme  elles  sont  situéts  sur  le  bord  de  la 
mer,  je  ne  doute  point  (pie  les  eaux  cjui 
entrent  avec  violence  dans  leurs  concavités  , 
ne  produisent  cette  espèce  de  mugissement 
que  les  Espagnols  ,  qui  ont  l'imagination 
vive,  et  f[ui  trouvent  du  merveilleux  par- 
tout, attribuent  à  la  puissance  et  à  la  mali- 
gnité du  dialile. 

Quelques  jours  après  mon  arrivée  h  Arira  , 
il  y  eut  un  tremblejnent  de  terre  si  extraor- 
dinaire ,  qu'il  se  fit  sentir  à  d;'ux  cens  lieiiCS 
h  la  ronde.  Tobija  ,  Arreguipa  ,  Tagna  , 
Mocbegoa  ,  et  plusieurs  autres  petites  Vilhs 
ou  bourgs  furent  renversés.  Les  montagnes 
s'écroulèrent,  se  joiguirentetengloutiientles 
Villages  bùlis  sur  les  cuUines  et  daus  les  val- 


rr  CURIEUSES.  ^'^f- 

It'cs.  Ce  dt'iorilro  dura  deux  mois  ontins 
p;ir  iiiU'rvalli's  Li*s  secousses  Clalenl  si  vio- 
îeulJ's  ,  qu'où  ne  pouvait  se  leuir  drhoul  ; 
crpeudaut  peu  de  personnes  périreul  sous 
lesi  uiiu-k  des  maisons,  parce  qu'elles  ne  sont 
]);\(ies  que  de  roseaux  revc^lus  d'une  lerre 
forl  légère.  Je  lus  (thligé  de  couclier  près  de 
six  semaines  sous  une  lenle  iju'on  m'avait 
dressée  en  rase  campaj;ne  ,  sans  savoir  ce  (jue 
je  deviendrais.  Mufui  ,  je  crus  devoir  quiller 
les  environs  d'une  Ville  où  je  craignais  à 
loul  moment  délie  englouti  ,  et  je  pris  la 
roule  il' 1  /o  ,  petit  bourg  ii  (juarnute  lii^ues 
de  la.  Mais  avant  de  vous  palier  de  ce  nou- 
vel endroit  ,  je  vais  vous  dire  encore  ua 
ïiiot  d'Ai  ica. 

Le  (Gouvernement  de  cette  Ville  est  un  des 
plus  cousidéiahK's  du  IViou  ,  à  causf  du 
grand  commerce'  cjui  s'y  lait.  En  arrivant, 
je  trouvai  dans  le  port  sej)t  vaisseaux  Fran-- 
çais  qui  avaient  liberté  i  ulière  de  tiafi<|uer. 
Le  Gouverneur  lui-même  ,  rpii  est  très- 
liclie  ,  et  d'une  |,<ri»l)ité  iuliuie  d;ins  le  com- 
jnerce  ,  fesait  des  aelials  Cftnsidéiables  pour 
envoyer  aux  mines.  Euviiou  à  une  lieue  de 
la  Ville,  est  une  vallée  cliarn>ante ,  remplie 
d'oliviers  ,  de  palmiers  ,  de  bananiers  et 
autres  ai  bres  semblables  ,  planlés  sur  le  bord 
d  un  torrent  qui  coule  entri  di  ux  n-.nuiagni's, 
et  qui  va  se  jelir  dans  la  mer  près  d'Ariea.  Je 
n'ai  vu  nulle  part  que  là  une  si  grande  (juaur 
lité  de  loui  t(.'relles  et  de  pigeons  rami<  rs  ; 
les  moineaux  ne  sont  pas  plus  communs  en 
Fraace.  Ou  trouve  aussi  dans  celle  partie  du 


a38  Lettres  édifiantes 

Pérou  ,  un  animal  que  les  Indiens  appellent 
guanapo ,  et  les  Espagnols  carniero  de  la 
tierra  (i).  C'est  une  espèce  de  mouton  fort 
gros,  dont  la  tête  ressemble  beaucoup  à  celle 
du  chameau.  Sa  laine  est  précieuse  et  infini- 
ment plus  fine  que  celle  que  nous  employons 
en  Europe.  Les  Indiens  se  servent  de  ces 
animaux  au  lieu  de  bêles  de  somme  ,  et  leur 
font  porter  deux  cens ,  quelquefois  3oo  livres 
pesant  -,  mais  lorsqu'ils  sont  trop  chargés  ou 
trop  fatigués  ,  ils  se  couchent  et  refusent  de 
marcher.  Si  le  conducteur  s'obstine  à  vou- 
loir ,  à  force  de  coups  ,  les  faire  relever  , 
alors  ils  tirent  de  leur  gosier  une  liqueur 
noire  et  infecte ,  et  la  lui  vomissent  au  visage. 
J'ai  vu  encore  aux  environs  d'Arica  une 
foule  prodigieuse  de  ces  oiseaux  dont  je  vous 
ai  parlé.  Vous  apprendrez  sans  doute  avec 
plaisir  la  manière  curieuse  dont  ils  donnent 
la  chasse  aux  poissons.  Ils  forment  sur  l'eau 
un  grand  cercle  qui  a  quelquefois  une  demi 
lieue  de  circonférence  ,  et  ils  pressent  leurs 
rangs  à  mesure  que  ce  cercle  diminue.  Lors- 
que par  ce  moyen  ils  ont  assemblé  au  milieu 
d'eux  une  grande  quantité  de  poissons  ,  ils 
plongent  et  les  poursuivent  sous  l'eau  ,  tandis 
qu'une  troupe  d'autres  oiseaux ,  dont  j'ignore 
le  nom  ,  mais  dont  le  bec  est  long  et  pointu  , 
vole  au-dessus  du  cercle,  se  piécipileh  pro- 
pos dans  la  mer  pour  avoir  part  à  la  chasse, 
et  en  ressort  incontinent  avec  sa  proie.  Nos 
matelots  attrapent  ces  derniers  oiseaux  en 
■  t 

(c)  Voyeï  le  Dictiouuaire  Espajjuol. 


iT  r. rniEusrs.  2!^() 

pinnfant,  à  fl<  ur  d'r;iu  ,  et  à  vingt  ou  trtutc 
pas  du  rivage,  ud  pi(  ufait  en  forme  de  Innce, 
au  bout  du((uel  ils  .-ittac-limt  un  pctii  pois- 
son.  Ces  oibeaux   loiidtnt  sur  cc-tti"   jnoie  , 
avec  tant  d'inipétiiosilé  ,   <ju'ils  rc.sUiil  pres- 
que   toujours  cloués   à   rextiéniité  du  pieu. 
Tous  ces  oiseaux  ont  un  goût  détestable  -,  les 
niatflf>ts  ménie  peuvent  à  peine  en  suppoiter 
l'odeur.  Oti  \(t\l  pareillement  sur  cette  côte 
un  nombre  indni  de  iialeiues ,  de  loups  ma- 
rins ,  de  piiigoins    et  d'auties  auiniaux    de 
cette  espèce.  Les  baleines  s'approcbent  même 
si  près  du  rivupe  ,  qu'elles  y  échouent  quel- 
quefois. C)n  m'avait  souvent  parlé  d'un  ])ois- 
6on  d'une  grosseur  extraordinaire  ,  à  qui  on 
avait  donné   le  nom  de  licorne  ;  j'ai  eu  le 
plai.sirde  le  voir  sur  les  côtes  d'Arica.  Il  est 
en  cfTet  d'une  grandeur  prodigieuse.  Il  nage 
avec   une   rapidité    singulière  ,   et   il   ne   se 
nourrit  guère  que  de  bonites  ,  de  thons,  de 
dorades  et  d'autres  poissous  de  cette  espèce, 
Comme  cet  animal  a  une  longue  corne  h  la 
tète  ,   et  que   les  plus  anciens  pilotes  n'en 
avaient   jamais  vu  de  semblable  ,   on   lui    a 
donné  le  nom  de  licorne,  nom  qui  lui  con- 
vient aussi-bien  que  celui  de  poùson  spada 
au  poisson  qui  porte  ce  nom. 

Je  fus  à  peine  à  V!o  ,  bourg  situé  au  bord 
de  la  mer  à  i -j  degrés  4o  minut<'s  <le  l.itilude 
méridionale  ,  que  je  m'empressai  d(^  voir  , 
aux  enviions,  une  vallée  délicieuse  ,  plantée 
d'oliviers  ,  et  arrosée  par  un  torrintfjui  t.irit 
en  hiver  ,  mais  que  les  neiges  fondues  qui 
tombcQl  du  haut  dc&  monlagacs  voisines  , 


%i\0  I^ÏÏTTRES     ÉDIFIANTES 

enflent  considérablement  en  été.  0})scrvez  , 
Monsieur,  que  le  mol  d'biver  dont  je  me 
sers  ,  ne  doit  être  entendu  (jue  par  rapport 
aux  hautes  montagnes  du  Pérou  ,  et  non  par 
rapport  ;i  la  j)laine,    où  la  chaleur  et  l'été 
sont  éternels.  Les  Français  avaient  faitbîltir, 
dans  cette  vallée  ,  un  grand  nombre  de  maga- 
sins très-bien    fournis  ;    mais    les  derniers 
tremblemens  de  terre  en  ont  renversé  la  plus 
grande  partie.  Je  ne  m'arièteiai  point  à  vous 
faire  la  description  d'Ylo  ;  c'est  un  liès-petit 
]>ourg  où  je  n'ai   rien  vu  de  remarquable  ; 
,ç'est  pourquoi  je  n'y  suis  resté  que  cinq  jours. 
Je  n'ai  pas  fait  un  plus  long  séjour  h  Villa- 
Hermosa  ,  Ville  célèJ)re  par  son  allacheinent 
aux  Rois   d'Espagne.    Elle  est   à  4»   lieues 
d'Ylo  du  côté  des  nionlagnes.  Au  commen- 
cement du  règne  de  Philippe  V  ,   dont  vous 
savez  l'histoire,  cette  Ville  se  montra  d'une 
manière    qui    fera    toujours    honneur    à    la 
générosité  de   ses  habitans.    Rappelez-vous 
l'affreuse   extrémité  où  se    trouvait  le  Roi 
d'Espagne  dans  ses  guerres  avec  l'Archiduc  ; 
rappelez-vous  en  même-temps  les  cruautés 
inouies  que  les  Esjiagnols  avaient  exercées 
auparavant  dans  le  Péiou  ,  et  vous  verrez  si 
cette    Nation    avait  droit    d'attendre    d'un 
Pays ,  qui  devait  naturellement  la  détest(;r ,  les 
services  essentiels  qu'elle  en  a  reçus.  Cepen- 
dant les  femmes  d^  Viila-FIermosa  vendirent 
h  vil  prix  leurs  bagues  ,  leiii  s  cercles  d'or  ,  et 
tous  les  autres  joyaux  qu'elles  possédaient  ; 
les  hommes  vendirent  également  ce  qu'ils 
avaient  de  plus  précieux  pour  subvenir  aux 

besoins 


ET   CCfclE  r  SES.  o..|i 

}>esoins  dn  Prince.  Lfs  iius  tl  les  autre*»  j>e 
dcpouillt'icnl  de  loul  de  leur  [di-iii  pré  ,  uiii- 
(jueuu'tit  dans  l'iiittiition  de  (onlrihuer  au 
«outien  d'un  .Mon;ir«jiu'  <jue  la  lurluiie  nhan- 
donnait.  Ln  trait  de  grandeur  (il'nmu  »! 
caraeléristi(]ue  vt  si  toiiclinut  ,  est  ,  pour  les 
habitans  de  Villa-Heriuosa  ,  un  litre  hien 
marqué  à  l'estime  et  aux  bienfaits  des  Rois 
d'Espagne. 

Guacho  et  ^li/znra  sont  deux  priiles  Villes 
du  mèrae  Royaunie  ,  (jui  sont  situées  à  \  i 
degrés  4*^  minutes  de  latitude  n)éridinnale. 
l.a  première  a  un  jx-lit  port  à  l'abri  des  vents 
d'Ouest  et  de  Sud  ,  mais  tort  exposée  à  la 
tramontane;  en  i^énéral  elle  est  mal  bAlie  , 
mais  elle  est  habitée  par  des  Indiens  d'une 
franchise  et  d'une  bonne  toi  adiniiables  dan» 
le  commerce  ({u'ils  font  d«'  leurs  denrées. 
Les  vaisseaux  qui  partent  du  l\*rou  ,  soit 
pour  retouiiier  en  Franco  ,  soit  pour  aller  à 
la  Chim- ,  peuvent  y  faire  d'cxeellenles  pio- 
visions  plus  commodément  et  à  meilleur 
marché  «ju'en  aucun  aulre  endroit  du  Pérou  ; 
ei  ce  qu'il  y  a  de  particulier,  c'est  (jue  l'cîiu 
qu'on  y  prend  se  conserve  lonp-temps  sur 
mer  sans  se  corrompre.  La  secondi;  est  assise 
dans  le  lieu  le  pins  riant ,  le  plus  agréable 
et  h;  plus  cham[iêtr«;  du  monde  ;  une  rivière 
coule  au  milieu  -,  les  maisons  y  sont  plus 
Commo<les  et  beaucoup  niicfux  b;Uies  que. 
par-tout  ailleurs  ;  j'ai  renrarqué  ((ue  les  habi- 
tans de  celte  Ville  n'avaient  presqu'aucun, 
des  vices  ordinaires  à  leur  Nation.  On  peut 
regarder  ce  petit  caillou  comme  les  délice» 

Tome  IX.  L 


1x^1  Lettres  éoieiantes 

àa  Pérou  ,  si  l'on  considère  la  douceur  âa 
génie  des  liabitans,  l'aménité  du  climat,  et 
]a  fertilité  du  Pays.  Je  vous  avoue  ,  Mon- 
sieur ,  que  je  serais  tenté  d'y  passer  mes 
jours  ,  si  la  Providence  ne  m'avait  point  des- 
tiné à  les  finir  dans  les  travaux  de  l'Apostolat. 
En  sortant  de  cette  dernière  Ville  ,  je  diri- 
geai ma  route  du  côté  de  Cagnotte ,  bonrg  de 
la  Province  de  Chinca.  Je  ne  vous  détaillerai 
point  tout  ce  que  j'ai  eu  à  souffrir  dans  ce 
voyage.  Je  vous  dirai  seulement  que  ce  Pays 
est  un  peu  moins  aride  que  les  Provinces 
voisines,  à  cause  du  grand  nombre  de  riviè- 
res qui  l'arrosent  ;  ce  sont  des  torrens  formés 
par  les  neiges  fondues  qui  tombent  avec  rapi- 
dité du  baut  des  montagnes,  et  qui  entraî- 
nent dans  leur  cours  les  arbres  et  les  rochers 
qu'ils  rencontrent  ;  leur  lit  n'est  pas  pro- 
fond ,  parce  que  les  eaux  se  paitagent  en 
plusieurs  bras  ;  mais  leur  cours  n'en  est  que 
plus  rapide.  Ou  est  souvent  obligé  de  faire 
plus  d'une  lieue  dans  l'eau  ,  et  l'on  est  heu- 
reux quand  on  ne  trouve  point  de  ces  arbres 
et  de  ces  rochers  que  les  torrens  roulent  avec 
leurs  Ilots  ,  parce  que  les  mules  intimidées 
et  déjà  étourdies  par  la  raj)idité  et  le  fracas 
des  chiites  d'eau  ,  tombent  facilejnent  et  se 
laissent  souvent  entraîner  dans  la  mer  avec 
le  cavalier.  A  la  vérilé  on  ti-ouve  aux  bords 
de  ces  torrens  des  Indiens  appelés  Cymhn- 
dorcs  ,  ({ui  connaissent  les  gués  ,  et  qui 
moyennant  une  somme  d'argent ,  conduisent 
les  voitures  ,  en  jetant  de  grands  cris  pour 
aaimcr  les  mules,   et  les  empêcher  de  »e 


ET  crmrrsFS.  2.J3 

coucher  dans  l'eau.  Mais  si  on  n'a  pas  soin 
de  les  bien  payer ,  ils  sonl  capables  de  vou» 
abandonner  dans  les  endroits  les  plus  dan- 
gereux et  de  vous  voir  périr  sans  j)itié. 

J'arrivai  enlni  à  Caf;uetle  ,  apiès  viti^l- 
quatre  heures  de  falii^ues  ,  de  ciainles  et  de 
périls.  Je  songeai  d'abord  h  me  reposer.  Le 
lendemain  je  parcourus  ce  liourg  d'un  bout 
à  l'autre.  Les  babitans  m'en  parujcnt  pau- 
vies  et  miMÎrables  ;  leur  nourrituie  ordinaire 
est  le  blé  d'Inde  et  le  poisson  salé.  C'est  ua 
Pays  inférai,  triste  et  désert.  L'habillement 
des  femmes  est  assez  s:nj;ulier,  il  consiste 
en  une  espèce  de  casaque  (jui  se  croise  sur  le 
sein  ,  et  (pii  s'atlacbe  avec  une  é})ingle  d'ar- 
gent ,  longue  d'environ  dix  pouces  ,  dont  la 
lèle  est  ronde  et  plate,  et  a  six  ou  sept  pouces 
de  diamètre  ;  voilà  toute  la  parure  des  fem- 
mes ;  pour  li's  hommes  ils  sont  \ètus  à-pcu- 
près  comme  les  autres  Indiens. 

Les  eaux  d'un  torrent  voisin  de  Cagnette  , 
s'étaient  déboidées  lorsque  j'entrai  dans  le 
territoire  de  ce  bourg.  Mes  guides  me  dirent 
alors  qu'on  ne  pouvait  ,  smus  beaucouj)  ris- 
quer, continuer  la  route  ordinaire,  et  qu'il 
fallait  me  lésoudre  à  faire  une  journée 
de  plus  ,  et  h  passer  un  pont  qui  se  trou- 
vait entre  deux  montagnes;  je  suivis  leur 
conseil  ;  mais  (juand  je  vis  ce  pont  ,  ma 
fiayeur  fut  extrême.  Imaginez-vous  d(  ux 
polnli's  de  montagnes  escarpées  et  sépaiées 
par  un  précipice  a/Treux,  ou  plutôt  j)ar  un 
abime  protond  ,  où  deux  torrens  rapides  se 
précipilcul  avec  un  bruit  épouvantable.  Sur 

L    2 


^44  Lettres  édifiante^ 

CCS  deux  pointes  on  a  planté  de  gros  pîeulT,' 
auxquels  on  a  attaché  des  cordes  faites  d'é- 
corces  d'arbres  ,  qui  passant  et  repassant  plu- 
sieurs fois  d'une  pointe  à  l'autre,  forment 
une  espèce  de  rets  qu'on  a  couvert  de  plan- 
ches et  de  sable.  Voilà  tout  ce  qui  forme  le 
pont  qui  communique  d'une  montagne  à 
l'autre.  Je  ne  pouvais  me  résoudre  à  passer 
sur  celte  machine  tremblante  qui  avait  plutôt 
la  forme  d'une  escarpolette  que  d'un  pont. 
Les  mules  passèrent  les  premières  avec  leur 
charge  ;  pour  moi  je  suivis  en  me  servant 
et  des  mains  et  des  pieds  ,  sans  oser  regarder  , 
m  à  droite  ni  h  gauche.  Mais  enfin  là  Provi- 
dence me  sauva  et  j'entrai  dans  la  Province  de 
Pachakamnc.  Je  passai  en  quittant  le  pont 
au  pied  d'une  haute  montagne,  dont  la  vue 
fait  frémir;  le  chemin  est  sur  le  bord  de  la 
mer  ,  il  est  si  étroit  qu'à  peine  deux  mules 
peuvent  y  passer  de  front.  Le  sommet  de  la 
montagne  est  comme  suspendu  et  perpendi- 
culaire sur  ceux  qui  marchent  au-dessous, 
et  il  semble  que  cette  masse  soit  à  tout  mo- 
ment sur  le  point  de  s'écrouler;  il  s'en  dé- 
tache même  de  temps  en  temps  des  rochers 
entiers ,  qui  tombent  dans  la  mer  ,  et  qui 
rendent  ce  chemin  aussi  pénible  que  dange- 
reux. Les  Espagnols  appellent  ce  passage  cl 
mal  passo  d'ascin  ,  à  cause  d'une  mauvaise 
hôtellerie  de  ce  nom  qu'où  trouve  à  une 
lieue  de  là. 

Dans  l'espace  de  plus  de  quarante  lieues  , 
je  n'ai  pas  vu  un  seul  arbre  ,  si  ce  n'est  au 
bord  des  torrens  ,■  dont  la  fraîcheur  entre- 


ETCURIF.  USns.  Î^S 

lient  un  j.eu  de  vt-rdure.  Ces  déserts  inspi- 
rent une  secrette  liorit-ur  ;  on  n'y  rnlend  le 
clinnt  d'aucun  oiseau  ;  et  dans  touU-5  ces 
montagnes  je  n'en  ai  vu  qu'un  appelé  condor^ 
qui  est  de  la  grosseur  d'un  mouton,  qui  se 
j)erclie  sur  les  montagnes  les  plus  arides  ,  et 

3ui  n»'  se  nourrit  que   des  vers  qui  naissent 
ans  les  sables  brùlans  dont  les   montagnes 
sont  environnées. 

La  Province  de  Pacliakamac  est  une  des 
plus  ronsidérables  du  Pt'rou  ;  elle  porte  le 
nom  du  Dieu  principal  des  Indiens  ({ui  ado- 
retit  le  soleil  sous  ce  nom  ,  comme  l'auteur 
et  le  principe  de  toute  chose.  La  ville  capi- 
tale de  cette  Province  était  fort  puissante 
autrefois  ,  et  renferm;iil  j)lus  d'un  million 
d'ames  d.ins  son  enceinte.  Elle  fut  le  théâtre 
de  la  puerre  des  Espagnols  qui  l'arrosèrent 
du  sang  de  ses  hal)it;ins.  Ji;  passai  au  milieu 
des  débris  de  celte  grande  ville  -,  ses  rues 
sont  belles  cl  spacii-uses,  mais  je  n'y  vis  que 
des  ruines  et  des  osx-mens  entassés.  Il  règne 
parmi  ces  masures  un  silence  qui  inspire 
de  l'elFroi  ,  et  rien  ne  s'y  piésente  à  la  vue 
qui  ne  soit  affreux.  Dans  une  grande  place 
qui  m'a  paru  avoir  été  le  lieu  le  plus  fré- 
quenté de  celte  ville,  je  vis  plusieurs  corps 
que  la  qualité  de  l'air  et  de  la  terre  avait 
conservés  sans  corruption  ;  ces  cadavres 
étaient  épars  çà  et  là  ;  on  distinguait  aisé- 
ment les  traits  de  leurs  visages,  car  ils  avaient 
seub-nient  la  jieau  plus  tendue  et  plus  blan- 
che que  les  Indiens  n'ont  coutume  de  l'avoir. 
Je  ne  vous  parlerai  point   de  plusieurs 

L  3 


24^  Lettres   édifiantes 

autres  petites  villes  que  j'ai  vues  dans  ma 
route;  je  me  contenterai  de  vous  dire  qu'en 
général  elles  sont  pauvres  ,  mal  bîlties  ,  et 
tiès-peu  fréquentées  des  voyageurs. 


MÉMOIRE   HISTORIQUE 

Sur  un  Missionnaire  distingué  ,  de  VAméri' 
que  méridionale, 

JLiE  Père  Castagnares  naquit  le  25  Sep- 
tembre iGS-jàSalta,  capitale  de  la  Province 
du  Tucuman.  Son  ardeur  pour  les  Missions 
se  déclara  de  bonne  heure,  et  le  fit  entrer  chez 
les  Jésuites.  Après  le  cours  de  ses  études  ,  il 
se  livra  par  préférence  à  la  Mission  des  Chi- 
^uites.  Pour  arriver  chez  ces  peuples  ,  il 
fallut  parcourir  plusieurs  centaines  de  lieues, 
dans  des  plaines  incultes  ,  dans  des  Lois ,  sur 
des  chaînes  de  montagnes,  par  des  chemins 
rudes  et  dillîcilcs,  coupés  de  rochers  a (Treux 
et  do  profonds  précipices  ,  dans  des  climats 
tantôt  glacés  ,  tantôt  embrasés.  Il  parvint 
enfin  chez  les  Chiquites.  Ce  paysesl extrême- 
ment chaud  ,  et  par  la  proximité  du  soleil  ne 
connaît  iju'une  seule  saison  qui  est  un  été  per- 
pétuel. A  la  vérité,  lorsque  le  vent  du  Midi 
s'élève  par  intervalles  ,  il  occasionne  une 
espèce  de  petit  hiver  ;  mais  cet  hiver  pré- 
tendu ne  dure  guères  de  suite  qu'une  se- 
xaaiue ,  et  dès  le  premier  jour  que  le  veut  du 


ET    CL'IllEISrS.  ^{7 

Nord  se  fait  sentir,  il  se  change  en  iinr  rh.i- 
Ic'ur  nirciiMantc. 

La  n.ttui»'  a  clrangcmcnt  h  sourfiir  (lins 
un  pareil  clinint.  Le  froment  el  le  vin  y 
sont  inconnus.  Ce  sont  «les  biens  <juc  ces 
Icrrcs  ardentes  ne  produisent  pas,  non-plus 
que  lieaucoup  d'autres  fruits  qui  croissent 
on  I*Lurop<'  el  même  «lans  d'au  lies  contrées 
de  l'Amérifjue   méridionale. 

Un  plus  grand  obstacle  au  succès  d'une 
si  grande  entreprise  est  rextrènie  diffîcullé 
de  la  langue  des  Chif/uitcs  qui  fatigue  et 
nhuir  les  nuilleurt-s  mémoires.  Le  Père 
(^■isl«gnaies  ,  après  l'avoir  apprise  avec  un 
(ravail  inconcevable  ,  se  joignit  au  Père 
Suarez  l'an  1720  ,  pour  pénétrer  dans  le 
pavs  des  Sotiiiu/ucs  ,  (  Peuple  alors  barbare, 
misaujourd'lmi  Cliréticn  ;,  dans  l'intention 
de  les  con^ertir  et  de  découvrir  la  rivièixi 
du  J^ilconia)  o  ,  pour  fariliierla  cciuimuni- 
cation  de  la  iMission  des  Chiquiles  avec  celle 
des  (iuaraiùs  qui  habitent  b-s  rives  des  deux 
fleuves  prineij)au\  ;  ces  deux  fleuves  sont 
le  P.uana  et  l'Liaguay  ,  lesqui'ls  forment 
ensuite  le  lleuve  immense  de  la  Plala.  Quant 
au  Pilconiayo  ,  il  coule  des  montagnes  du 
IVrou  ,  d'Occident  en  Orient,  presque  jus- 
qu'à ce  qu'il  décharge  ses  eaux  d.uis  le  grand 
ih'uve  du  Paraguay;  el  celui-ci  entre  dau,*' 
le  Parana  à  la  vue  de  la  Ville  de  lus  Cor- 
rientfs. 

Les  Supérieurs  avaient  ordonné  aux  Pères 
Patigno  et  ilodriguez  de  sortir  du  pays  des 
(juaranis ,  avec  quelques  canots  et  un  nom- 

L  4 


îi4^  Lettres  édifiantes 

Lie  suflîsant  de  personnes  pour  les  conduire , 
de  reinonler  le  fleuve  d-u  Paraguay  ,  pour 
prendre  avec  eux  quelques  nouveaux  ou- 
vriers à  la  ville  de  l'Assoinplton  ,  et  de  re- 
monter tous  ensemble  le  bras  le  plus  voisin 
du  Pilcomoyo.  Ils  exécutèrent  ponctuelle- 
ment cet  ordre  ,  et  remontèrent  le  fleuve 
l'espace  de  quatre  cens  lieues ,  dans  le  des- 
sein de  joindre  les  deux  autres  Missionnai- 
res des  Chiqiiitcs  ,  de  gagner  en  passant  l'af- 
fection des  Infidèles  qui  habitent  le  bord 
de  ce  fleuve  ,  et  de  disposer  insensible  - 
ment  les  cFioses  à  la  conversion  de  ces  bar- 
bares. 

Le  succès  ne  répondit  pas  d'abord  aux 
travaux  immenses  qu'ils  eurent  h  soutenir  : 
mais  le  Père  Caslagnares  eut  la  constance 
de  suivie  toujours  le  même  projet;  il  ne  se 
rebuta  point ,  et  espéra  contre  toute  espé- 
rance. Cette  fermeié  eut  sa  récompense.  Les 
Samuqucs  se  convertirent  au  moment  qu'on 
s'y  attendait  le  moins.  Le  Père  était  à  l'iia- 
bitation  de  Saint-Josepb  ,  déplorant  l'opi- 
niûtreté  de  ces  barbares,  quand  il  arriva  tout- 
û-coup  à  la  peuplade  de  Saint- Jean -Bap- 
tiste ,  éloignée  de  Saint- Joseph  de  treize 
lieues,  près  de  cent  personnes  ,  partie  Sii- 
muques,  partie  Cucutades ,  sous  la  canduiie 
de  leurs  Caciques,  demandant  d'être  mis  au 
nombre  des  Catéchumènes.  Quelle  joie  pour 
les  Missionnaires  et  les  Néophytes  !  Aussi  , 
quel  accueil  ne  firent-ils  pas  a  des  hommes 
qu'ils  étaient  venus  chercher  de  si  loin,  et  qui 
se  présentaient  d'eux-mêmes  ?  On  baptii>a 


ET    CURltUSES.  249 

dès-lors  les  enfans  de  ces  barbares.  Mais, 
parce  que  plusieurs  des  adultes  tombèrent 
malades  ,  le  Fère  Ilerbas  ,  Supérieur  des 
Missions,  jugea  à  propos  de  les  reconduire 
tous  dans  leur  pays  natal ,  pour  y  fonder  une 
peuplade,."»  laquelle  il  donna  par  avance  le 
nom  de  Saint-Ignace. 

Le  Supérieur  voulut  se  trouver  lui-même 
h  la  fondation  ,  et  prit  avec  lui  le  Père  Cas- 
tagnares,  qui  voyait  avec  des  transports  de 
joie  c[ue  de  si  heureux  préparalits  commen- 
çaient à  remplir  les  plus  ardens  de  ses  v(eux. 
Les  Pères  mirent  quaianle  jours  à  gagner 
les  terres  des  Samiiques  ,  avec  des  travaux  si 
excessifs  ,  que  le  Père  Supérieur,  plus  avancé 
en  Ai^e  ,  ne  les  put  supporter  ,  et  qu'il  y 
perdit  la  vie.  Castagnares ,  d'une  santé  plus 
robuste  et  moins  avancé  en  Age  ,  résista  à  la 
fatigue,  et  pénétra  ,  avec  les  Smnuques  qui 
le  suivaient  ,  et  quelques  Chiqiiitcs  ,  jus- 
qu'aux Çui  iitadis  {{ui  habitent  le  boid  tl'uri 
torrent  quelquefois  presque  à  sec  ,  et  qui 
forme  quel(|U(fois  un  lleuve  considérable» 
C'est  là  qu'est  aujourd'hui  située  l'habita- 
tion dcSaint-Ignacedes6'rtmî/(7uc.T  .lien  posa 
les  premiers  fondemens  ;  et  ,  ayant  perdu 
son  compagnon  ,  il  se  vit  presque  accablé 
des  travaux  qui  retombaient  tous  sur  lui  seul. 
Il  avait  à  souffrir  les  influences  de  ce  rude 
climat ,  sans  autre  abri  qu'une  toile  destinée 
à  couvrir  l'autel  f»ii  il  célébrait.  Il  lui  fallut 
encore  étudier  la  langue  baibare  de  ces  Peu- 
ples, et  s'accoutumera  leur  nourriture  ,  qui 
n'est  que  de  raciucs  sauvages.  Il  s'applic^ua 

L  i 


aSo  Lettres  édttiantes 

sur-tout  à  les  humaniser  dans  la  terre  même 
de  leur  habitation  ,  ce  qui  peut-être  n'était 
guère  moins  dirticile  que  d'apprivoiser  des 
hètes  féroces  au  milieu  de  leurs  foiêts.  Mais 
les  forces  de  la  grâce  applanissent  toutes  les 
dlftîcultés  ,  et  rien  n'étonne  un  cœur  pleia 
de  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain. 

Tel  était  celui  du  Père  Castagnares  :  par 
sa  douceur  ,  son  afTabililé»  sa  prudence  ,  et 
par  les  petits  présens  qu'il  fesait  à  ces  bar- 
bares ,  il  gagna  absolument  leur  amitié.  De 
nouvelles  familles  venaient  insensiblement 
augmenter  l'habitation  de  Saint-Ignace.  C<'S 
accroissemens  imprévus  remplissaient  de 
consolation  le  zélé  Missionnaire  ,  et  le  fc- 
saient  penser  à  établir  si  bien  cette  fonda- 
tion ,  que  les  Indiens  n'y  manquassent  de 
rien  ,  et  ne  pensassent  plus  h  errer,  selon 
leur  ancienne  coutume,  en  vagabonds,  pour 
chercher  leur  subsistance  dans  les  forêts. 
Mais  comme  le  Père  se  trouvait  seul ,  et  qu  il 
aurait  fallu  leur  faire  cultiver  la  terre,  et 
leur  fournir  quelque  bétail  qui  pût  leur  don- 
ner de  petites  douceurs,  ce  n'était  là  que  de 
belles  idées  qu'il  était  impossible  de  réaliser , 
jusqu'à  ce  qu'il  lui  arrivât  du  secours  et  des 
compagnons. 

Cependant  le  Seigneur  adoucit  ses  peines, 
et  lui  fesait  trouver  de  petites  ressources  , 
d'autant  plus  sensibles  qu'elles  provenaient 
de  l'affection  de  ses  Néophytes.  Un  Saniu- 
aue ,  dont  il  n'avait  pas  été  question  jusques- 
là ,  allait  de  temps-en-tcmps  dans  les  forêts 
Toisiaes,  sans  qu'on  le  lui  commandât  ou 


ETCCRIEUSES.  '*5t 

qu'op  l'en  priât,  luait  un  snnglicr  et  .illait 
If  mcltr»;  à  la  porti- ilu  Missionnaire,  se  re- 
tirait cMsnitc  ,  sans  demander  ancuno  de  cc$ 
bagatelles  qu'ils  estiment  tant,  et  sans  même 
attendi-c  aucun  remereimeut.  L'Indien  fit 
au  Fère  trois  ou  quatre  fois  ces  piésens  dé- 
ftiméressés. 

Une  cliosc  manquait  à  cette  habitation  , 
chose  absolument  nécessaire  ,  le  sel.  Ce  ])ays 
avait  été  privé  jusques-là  de  salines;  matg 
on  avait  ([uehjue  soupçon  vaj;uc  cpj'il  y  en 
avait  d.ms  les  terres  des  '/uithrtiitv.s.  Un 
gran<l  nombre  d'Indiens  voulut  s'en  assurer 
et  éclaircir  ce  fait.  Après  avoir  parcouru 
toutes  les  forêts  ,  sans  avoir  découvert  au- 
cune marque  qu'il  y  eut  du  sel  ,  un  de  ce» 
Indiens  monta  sur  une  petite  éminence  pour 
voir  si  dtr  là  on  ne  découvriiailjien  de  ce  qui 
élait  si  ardemment  désiré.  Il  vit  à  très-peu 
de  distance  une  mare  d'eau  colorée,  envi- 
ronnée de  bruyères.  La  chaleur  qu'il  endu- 
rait l'engagea  à  traveiser  ces  ])ruvères  [)Our 
aller  se  baigner.  En  cnlianl  dans  r<:au  il 
remanjua  (jue  la  maie  éiail  couverte  d'une 
espèce  de  verre,  il  enfonça  sa  main,  et  la 
retira  pleine  d'un  sel  à  demi-formé.  L'In- 
dien ,  satisfait  ,  appela  ses  compagnons  ;  et 
le  Missionnaii»;  en  étant  informé  ,  prit  des 
mesures  pour  faire  des  chemins  sîirs  (jui  y 
aboutissent  et  pour  les  mettre  à  l'abri  des 
barbares  idolùtres. 

Le  PèreCastagnares  entreprit  ensuite  avec 
ses  Indiens  de  construire  une  petite  Eglise  ; 
et,  pour  remplir  le  projet  gênerai  qu'il  avait 

L  6 


2  52  Lettres"  ÉDIFIANTES 

formé,  il  voulut  défricher  des  terres  pour 
les  ensemencer;  mais  comme  les  Indiens  ne 
sont  point  accoutumés  au  travail ,  il  fallait 
être  toujours  avec  eux  ,  exposé  aux  rigueurs 
du  climat,  et  souvent  le  Père  arrachait  lui- 
même  les  racines  des  arbres  ffue  les  Indiens 
avaient  coupés,  et  il  mettait  le  premier  la 
main  à  taut  pour  animer  les  travailleurs. 
Les  diic/uites  fesaient  leur  part  de  l'ou- 
vrage ;  mais  ils  disparurent  tout-à-coup,  et 
s'en  retournèrent  chez  eux.  Leur  éloigne- 
ineiit  nous  jit  beaucoup  de  peine  ,  dit  un  de 
nos  Missionnaires  ,  parce  quits  avaient  soin 
de  quelques  vaches  que  nous  aidions.  Nous 
ne  nous  étions  pxnnt  aperçus  avant  leur  éloi- 
gnetnent  de  la  crainte  excessive  que  les  Sa- 
inuques  ont  de  ces  animaux  ,  qu'ils  fuient 
avec  plus  d'fwrreur  que  les  tigres  tes  plus 
féroces.  Ainsi ,  nous  nous  vîmes  obligés  à 
tuer  les  veaux  de  notre  propre  main ,  quand 
nous  avions  besoin  de  v>iande  ,  et  à  traire 
les  vaches  pour  nous  nourrir  de  leur  lait. 
Ce  fut  alors  qu'arriva  une  aventure  assez 
plaisante.  Les  Zathéniens  ,  avec  quelques 
Samuques  et  les  Cucutades  ,  se  liguèrent 
pour  faire  une  invasion  dans  la  peuplade  de 
Saint-Joseph.  Ils  en  étaient  déjà  fort  près 
lorsqu'^un  incident  leur  fît  abandonner  ce 
dessein.  Les  vaches  paissaient  à  quelque  dis- 
tance de  l'habitation.  La  vue  de  ces  ani- 
maux et  les  seules  traces  qu'aperçurent  les 
Zaf/ie/îien.v  leur  causèrent  tant  de  frayeur, 
que  ,  bien  loin  de  continuer  leur  route  , 
toute  l«ur  vakuf  ne  pul  les  epipècUei-  de 


ET    r  CRI  ECSE5.  "y')^ 

Tuir  nvrc  la  plus  grande  tl  la  plus  liJreule 
précipilatioii. 

Difu  ptTiiiil  alors  qu'une  praiulo  inal;i<lic 
inlcrroinpit  les  projcl.s  tlu  l'rrr  (^n,«.t;ti;n;iu-s  ; 
mais,  r|uoi(](ril  fùl  sans  .secours  ,  ri  clnns  un 
pavs  où  il  niaui|uait  ili-  lout ,  I.t  niènir  l'ro- 
tidrncr  rétablit  l>ic'nl«*'(  sa  sauté  dont  il  t'csait 
un  si  bon  usai;r.  Il  ne  fut  pas  plutôt  remis  et 
cou\alrj,rful ,  fju'il  s<-  livra  à  de  plus  giaiids 
travaux. 

il  est  un  j>oinl  de  resscniMance  entre  les 
hommes  Aposlolicjues  et  les  anciens  Cou- 
(jiM-rnns.  Ceux-ci  ne'  pouvai«'nl  apprendre 
(pi'il  V  eût  h  côté  de  leurs  Etats  d'autres  re- 
liions indépendantes  ,  sans  biùler  du  desir 
de  les  asservir  et  d'en  auj^nu'ntcr  leur  Em- 
pire. El  les  hommes  Apostoliques  rjui  par- 
courent des  contiées  inlidéles  ,  quatrd  ils  ont 
soumis  quel(|ues-uii$  de  c«'s  Peuples  ido'A- 
tres  à  l'Evani^ile,  si  on  leur  dit  (ju'au-delà 
il  est  une  Nation  chez  oui  le  nom  di-  Jésus 
n'a  pas  encore  élé  prononcé,  ils  ne  peuvent 
s'arrèl«'r;  il^iut  que  leur  zèle  se  satisfasse  , 
et  qu'ils  aillent  y  réj)andie  la  lumière  de 
l'Evangile.  La  difficulté  ,  les  dangers  ,  la 
crainte  même  d'une  mort  violente  ,  tout 
cela  ne  sert  qu'à  les  animer  davantage  :  ils 
se  croient  trop  heureux,  si ,  au  prix  de  leur 
sang,  ils  peuvent  arracher  quehjues  âmes  à 
l'ennemi  du  salut.  C'est  ce  (|ui  détermina  le 
Père  Castagnares  à  entreprendre  la  conver- 
sion des  Tercnes  et  des  i\ftitMgu<iis. 

Sa  Mission  chez  les  Tcrèncs  n'eut  pas  de 
succès,  cl  il  fui  obligé  ,  après  bieu  des  iali- 


2  54  Lettres  édifiantes 

gucs  ,  de  revenir  à  l'iiabitalion  de  Saint- 
Ignace.  De  là  il  songea  à  faire  l'importante 
découverte  du  Pilcomayo  ^  dont  nous  avons 
déjà  parlé  ,  et  qui  devait  servir  à  la  commu- 
nication des  Missions  les  unes  avec  les  au- 
tres. Apres  avoir  navigue  soixante  lieues,  ne 
pouvant  continuer  sa  roule  par  eau  ,  il  prit 
terre  et  voyagea  à  pied  en  côtoyant  le  rivage 
du  fleuve.  Etrange  résolution  !  le  pieux  îMis- 
sionnaire  n'ignorait  pas  qu'il  lui  i'alLtit  tia- 
ver.îcr  plus  de  trois  cens  lieues  de  pays,  qui 
n'étaient  habitées  que  par  des  JNations  féroces 
et  barbares.  Il  connaissait  la  stérilité  de  ces 
Cotes.  Malgré  cela  ,  avec  dix  hommes  seu- 
lement ,  et  une  très-modique  provision  de 
vivres,  il  osa  tenter  l'impossible.  Il  vovagea 
dix  jours  ,  traversant  des  terres  inondées  , 
dans  l'eau  jusqu'à  la  poitrine ,  se  nourrissant 
de  quelques  dattes  de  palmiers  ,  souHrant 
nuit  et  jour  la  persécution  des  insectes 
qui  épuisaient  son  sang  ;  il  lui  fallait  sou- 
vent marcher  pieds  nus  dans  des  maié- 
oages  couveits  d'une  herbe  dure,  et  si  tran- 
chante, qu'elle  ne  fesait  qu'une  plaie  de  ses 
pieds  ,  qui  teignaient  de  sang  les  eaux  qu'il 
traversait.  Il  marcha  ainsi  ,  jusqu'à  ce 
f[u'ayant  perdu  toutes  ses  forces  et  manquant 
de  tout ,  il  fut  obligé  de  se  remettre  sur  le 
fleuve  pour  s'en  retourner  à  l'habitation  de 
Saint-Ignace.  ^ 

Son  repos  y  fut  court  :  la  soif  de  la  gloire 
de  Dieu  le  pressa  d'aller  chez  les  barbares 
nommés  Mataguais.  Un  Espagnol ,  dont  le 
nom  était  Acçzar,  siûcèreineut  coavcrii  par 


les  cxliortalifMis  du  Mii>si«>iiii;iiri' ,  l'arcom- 
pagtta  ,  malgré  les  rcprt'sfnlations  de  ses 
amis  t'i  l'»'vl«li'iicf  du  dangi-r.  Ils  arrivè- 
rent :  li's  l)ai  harrs  I<'s  rirurtnl  Ititu  ;  ni;iis 
il  y  avait  clu-z  une  dation  axaiicée  dans  les 
terres,  un  Caci(|ue  ennemi  déclaré  dl•^  .Mib- 
sionnaires,  de  leurs  .Vcophylcs  cl  de  tout  ce 
qui  eonduisailan  (Jirislinnismc.  (lo  perfide 
vint  inviter  \v  Père  à  tondrr  une  pcujilade 
elu'/,  lui.  Le  Missionnaire  erovanl  1  invila- 
liou  sincère  ,  voulait  s'y  rendre  ;  mais  il  y 
eut  des  Indiens  qui  eonnaissaieul  la  mauvaibC 
intention  du  Caei(|ue,  et  qui  ne  nianf[uèrent 
pas  d'avertir  le  l\re  du  dan^;er  auquel  il 
allait  s'exposer. 

Il  résolut  donc  de  s'arrêter  pendant  quel- 
que temps  chez  les  prcuiiers  Ma ùi citais  qui 
l'avaient  accueilli.  Dans  cet  intervalle  il  n'y 
eut  point  de  caresses  qu'il  ne  lit  au  Cacique 
et  à  sa  troupe.  Il  le  renvoya  enfin  avec  pro- 
messe fju'aussilùt  qu'il  aurait  achevé  la  (Jlia- 
pelle  qu'il  voulait  bûtir,  il  passerait  dans  sa 
Nation  pour  s'y  établir.  Le  Cacique  dissi- 
Uiulé  se  relira  avec  ses  gens.  Le  Père  se 
croyant  en  pleine  sûreté  ,  envoya  ses  com- 
pagnons dans  la  foret  pour  couper  les  bois 
propres  à  la  construction  de  la  Chapelle  ,  et 
les  Mataguaix  qui  lui  étaient  fidèles  pour  les 
rapporter.  Ainsi  ,  il  resta  presque  seul  avec 
yicozar.  A  peine  ceux-ci  s'éiaicnt-ils  éloi- 
gnés ,  qu'un  Indien  de  la  suite  du  traître 
Cacique  retourna  sur  ses  pas.  Que  voulez- 
vous,  lui  demanda  le  Père?  Il  répondit  qu'il 
rcvcuait  pour  chercher  soa  chien  qui  s'élail 


256  Lettres  édifiantes 

égaré  ;  mais  il  ne  revenait  que  pour  remar- 
quer si  le  Père  était  bien  accompagné  ;  et  , 
le  voyant  presque  seul,  il  alla  sur-le-champ 
en  donner  avis  à  son  Cacique  j  qui  revint  à 
l'instant  avec  tousses  gens,  assaillit  le  Père 
avec  une  fureur  infernale  ,  et  lui  ôta  sacri- 
légement  la  vie.  Les  autres  barbares  firent 
le  même  traitement  h  ^^^ros^r,  qui  eut  ainsi 
le  bonheur  de  mourir  dans  la  compagnie  de 
cet  homme  Apostolique.  Aussitôt  ils  mirent 
la  Croix  en  pièces  :  ils  brisèrent  tout  ce 
qui  servait  au  culte  Divin,  et  emportèrent 
triomphans  tons  les  petits  meubles  du  Mis- 
sionnaire, comme  s'ils  eussent  remporté  une 
victoire  mémorable.  La  mort,  ou  ,  pour 
mieux  dire  ,  le  martyre  du  Père  Augustin 
Castagnares  arriva  le  i5  Septembre  i'^44, 
la  cinquante-septième  année  de  son  ùge. 


LETTRE 

Du  Révérend  Père  Cat,  Missionnaire  de  la 
Compagnie  de  Jésus ,  à  Monsieur. . . . 


A  Buenos  -  Ayres  , 
le  18  Mai   1729. 


«J  E  me  liAte  ,  Monsieur  ,  de  remplir  la 
promesse  que  je  vous  ai  faite  en  partant, 
de  vous  écrire  les  particularités  de  mon 
voyage,  qui  ,  aux  fatigues  près  d'uQ  trajet 


tT    CURICrSES.  ^5^ 

long  cl  pénible,   a   élc   di-s   plus  heureux. 

Je  sortis  le  8  de  Novembre  iç38  ,  de  la 
rade  de  Cadix  ,  avec  trois  Mii^iounaiies  de 
notre  C<)in|»aynie. 

I^oussé  par  un  vcnl  f.ivf>ral)le ,  l'équipage 
perdit  bii'ulôl  la  terre  tle  vue  ,  et  la  navitra- 
tion  fui  si  rapide,  qu'en  trois  jours  el  demi 
nous  arriv.\mrs  à  la  vut!  des  Canaries.  Mais 
alors  le  >ent  avant  cli.>nj;é  ,  nous  fûmes  obli- 
gés de  lnuv<»yer  jusqu'au  i(),  jour  au(|U(l 
nous  mouillâmes  à  la  baie  de  Sainte-Cioix 
de  TéiicrilVe  ,  où  nous  nous  arrcliimes  quel- 
que-temps pour  faire  de  nouvelles  pro - 
visi(ms. 

Je  ne  trouve  rien  de  plus  ennuyeux  que 
le  séjour  d'un  vaisseau  arrêté  dans  un  poiî. 
Heureusement  nous  ne  restâmes  pas  long- 
temps dans  eelui  où  nous  étions  ,  et  le  26 
Jan\ier  nous  nous  truu\;'imes  sous  le  tropi- 
qu<'  <lu  cancer.  Je  fus  alors  témoin  d'un  spec- 
laelc  .luquel  je  ne  m'attendais  guères.  Ou  vit 
yarailre  toup-à-coup  sur  le  vaisseau  dix  ou 
douze  aventuriers  <jue  personne  ne  connais- 
sait. C'était  des  gens  ruinés  ,  (|ui  ,  voulant 
passer  aux  Indes  pour  y  tenter  fortune  , 
s'étaient  glissés  dans  le  navire  parmi  ceux  qui 
y  avaient  porté  les  provisions,  et  s'étaieivt 
cacbés  entre  les  balb^ts.  Ils  sortirent  de  leur 
retraite  les  uns  après  les  autres,  bien  persua- 
dés (| n'étant  si  avancé  en  mer  on  ne  clier- 
cherail  point  un  port  pour  les  mettre  il 
terre.  Le  Capitaine,  indigne  de  voir  tant 
de  bouelies  surnuméraires  ,  se  livra  à  d(s 
Irauspoils   de   fureur  ,   qu'on  eut  bien  de 


258  Lettres  édifiantes 

la  peine  à  calmer  :   mais  enfin    on  en  vint 

à  bout. 

Quoique  nous  fussions  sous  la  zone  Tor- 
ride  ,  nous  n'étions  cependant  pas  loul-h-fait 
à  l'abri  des  rigueurs  de  l'hiver,  parce  que 
le  soleil  était  alors  dans  la  partie  du  Sud  , 
et  qu'il  régnait  un  vent  frais  qui  approchait 
de  la  bise.  Le  printemps  siirvint  tout-à- 
coup;  quelques  semaines  après  nous  éprou- 
vâmes les  chaleurs  de  l'été  ,  qui  ne  cessèrent 
pour  nous  que  quand  nous  eûmes  passé  le 
tropique  du  Capricorne.  Alors  nous  nous 
trouvâmes  en  automne,  de  soi  te  qu'en  moins 
de  trois  mois  nous  eûmes  successivement 
toutes  les  saisons. 

Le  i8  de. Février  nous  passâmes  la  ligne. 
Ce  jour  sera  j)our  moi  un  jour  à  jamais  mé- 
ÏTiArnhlc.  Otî  célébra  une  fête  qui  vous 
surprendra  par  sa  singularité.  Nous  n'avions 
dans  le  vaisseau  que  des  Espagnols  :  vous 
connaissez  leur  génie  romanes(,[ue  et  bizarre, 
mais  vous  le  connaîtrez  encore  mieux  p.w 
la  description  des  cérémonies  qu'ils  obser- 
vent en  passant  la  ligne.  La  veille  de  la  fêle 
on  vit  paraître  sur  le  tillac  une  troupe  de 
matelots  armés  de  pied  en  cap  ,  et  précé- 
dés d'un  Héraut  qui  donna  ordre  h  tous  les 
passagers  de  se  trouver  le  lendemain  à  une 
certaine  heure  sur  la  plate  -  forme  de  la 
poupe,  pour  rendre  compte  au  Président  (i) 
de  la  ligne,  des  raisons  (jui  les  avaient  en- 


(  1  }   Nom  qu'on  donna  au   principal   Acteur   de   la 
Cuiuédie. 


FTCCRIECSES.  aî>J| 

gMgés  à  Tenir  naviguer  dans  ers  mrrs,  <t  lui 
dire  de  qui  ils  en  avaient  obtenu  la  permis- 
sion.   L'Éilit  fut  aniclié  au  grand  luAl  ;  le» 
malrlots  le  lurent  les  uns  npris   1rs  autres  ; 
car  lel   était     l'ordrt'  du  l^iésidint   ,    après 
quoi  ils  se  retirer«-nt  dans  le  bilenee  le  plus 
resp<,'ctneux  et  le  plus  profond.   Le  lende- 
main, dès  le  matin,  on  dressa  sur  la  plate- 
forme   une    table  d'environ    trois    pieds   de 
largeur  sur  eiiuj  de  longueur:  on  y  mil  un 
tapis,  d<*s  plumes,  du  pipier,  de  l'encre  et 
plusieurs  cbaises  à  l'entour.  Les  matelots  for- 
mèrent une  compaj^nie  beaucouj)  plus  nom- 
breuse que  la  veille;  ils  étaient  habillés  en 
dragons  ,  et  chacun   deux  était   armé  d'un 
sabre  et  d'une  lance.  Ils  se  rendirent  au  lieu 
marqué  au  bruit  du  tambour,  ayant  des  Of- 
ficiers  à   leur  tête.   Le  Piésîdent  aniva  îe 
deinier.  C'était  un  vieux  Catalan  (jui   mar- 
chait avrc  la  gravité   d'un    roi    de   théâtre. 
Ses  manières  ridiculement  hautaines,  join- 
tes  à  son  air  original  et  burlesfjue  ,   qu'il 
soutenait  du   plus  grand  sang-fniid  ,   fesait 
bien   voir  qu'on    ne    pouvait    choisir    per- 
sonne qui  fut  plus  en  état  de  jouer  un  pa- 
reil ?<Me. 

Aussil»^t  que  le  digne  personnage  fut  assis 
dans  le  fauteuil  qu'on  lui  avait  préparé,  on 
fit  paraître  de\aut  lui  un  homme  (jui  avait 
tous  b's  défauts  du  'I  hcrsite  d'Homère,  ()q 
l'acrcusait  d'avoir  commis  un  ciime  avant  le 
passage  de  1»  ligne.  Ce  prétendu  coupable 
voulut  se  justifier,  mais  le  Président  regar- 
dant ses  excuses  comme  autant  de  manques 


aGo  Lettres  édifiantes 

d'égards,  lui  donna  vingt  coups  de  canne, 
et  le  condamna  à  être  plongé  cinq  fois 
dans  l'eau. 

Après  cette  scène  ,  le  Président  envoya 
cliercher  le  Capitaine  du  vaisseau,  qui  com- 
parut tête  découverte  ,  et  dans  le  plus  grand 
respect.  Interrogé  pourquoi  il  avait  eu  l'au- 
dace de  s'avancer  jusques  dans  ces  mers?  Il 
répondit  qu'il  en  avait  reçu  l'ordre  du  Roi 
son  Maître.  Cette  réponse  aigrit  le  Président , 
qui  le  mit  h  une  amende  de  cent  vingt  fla- 
cons de  vin.  Le  Capitaine  représenta  que 
cette  taxe  exccd.iit  de  beaucoup  ses  facul- 
tés ;  on  disputa  ([uelque  temps  -,  et ^  enfin  ,  le 
Président  voulut  bien  se  contenter  de  vingt- 
cin([  flacons  ,  de  six  jambons  et  de  douze  fro- 
mages de  Hollande",  qui  furent  délivrés  sur- 
)e-thanip. 

Les  passagers  furent  cités  à  leur  tour  les 
uns  après  les  autres.  Le  Piésident  leur  fit  à 
tons  la  même  demande  qu'au  Capitaine  ;  ils 
répondirent  de  leur  mieux,  mais  toujours 
<i'une  manière  plaisante  «-t  digne  des  inter- 
rogations absurdes  du  Président  ,  qui  finit 
sa  séance  par  metlie  tout  le  monde  à  con- 
tribution. 

Quand  la  cérémonie  fut  achevée,  le  Ca- 
pitaine et  les  (^fficii-rs  du  vaisseau  servirent 
au  Piésident  les  rafraîcbissemens  de  toute 
espèce,  dont  les  matelots  eurent  aussi  leur 
part;  mais  la  scène  n'était  point  encore  finie. 
Dès  qu'on  fut  sur  le  point  de  se  séparer,  le 
Capitaine  du  vaisseau  ,  q«ii  s'était  retiré  quel- 
que temps  auparavant,  sorlit  tout-à-coup  de 


STCCMEUSES.  tifil 

sa  cliamLre  ,  vi  di-Tnanda  d'un  ton  fier  et 
iitrogant  ce  que  signifiait  celle  assemblée  ? 
Ou  lui  répoiidil  <|uo  c'était  le  cortège  du 
Pié^idcnl  de  la  ligne.  J^e  Pri'sidvnt  de  la 
lii^rtc  ,  reprit  le  Capitaine  en  colère  !  de  qui 
ifeut  -  vu  nie  parler?  ne  suis -je  point  le 
maille  ici  ,  et  quel  est  l'insolent  qui  ose  nie 
disputer  le  domaine  de  mon  vaisseau  ? 
Qu'on  saisisse  à  l'instant  ee  n  belle  et  qu'on 
le  plunt;e  dans  la  mer.  A  ces  mots  le  Prési- 
dent trouldé  se  jeta  aux  genoux  du  Capi- 
taine ,  qu'il  pna  très»  instamment  de  com- 
muer la  peine  ;  mais  tout  tut  inutile  ,  il 
fallut  ohéir.  On  plongea  troiî)lois  dans  l'eau 
sa  lisiide  Excellence  ,  et  ce  Président  si  res- 
pectable ,  qui  avait  fait  tremblt  r  tout  l'étjui- 
page  ,  en  de\  inl  lout-à-coup  le  jouet  et  la 
nsée.    Ainsi  se  termina    la  Fête. 

Feut-i'^re  étiez-vous  déjà  instruit  de  cet 
usage  ;  mais  vous  ignoriez  peut-être  aussi  la 
manière  dont  il  se  pratique;  parmi  les  Espa- 
gnols ,  qui  surpassent  ,  en  fait  de  plaisanle- 
iies  originales  ,  toutes  les  autres  Nations.  Je 
ne  sui.s  point  entré  dans  tous  les  détails  de 
cette  Fête  qui  est  sujette  à  bien  des  ineonvé- 
riens  ;  je  n'ai  voidu  que  vous  donner  une 
idée  du  caraelcre  d'un  Peuple  qu'on  ne  con- 
naît point  encore  assez. 

Lorsque  nous  ciimes  passé  la  ligne  ,  nou» 
éj)rouvânu's  des  calmes  qui  nous  eliagrinè- 
n-nt  autant  que  le  passage  nous  avait  léjouis. 
Pour  tromper  notre  ennui ,  nous  nous  occu- 
pions à  prendre  des  chiens  de  mer  ,  ou  re-» 
^[ulus.   C'est    uu   poiâsou  fort   gros,  qui   a 


a6*2  Lettres  édifiantes 
ordinairement  cinq  ou  six  pieds  de  long  ,  et 
qui  aime  beaucoup  à  suivre  les  vaisseaux. 
Parmi  ceux  rjue  nous  prîmes  ,  nous  en  trou- 
vâmes uu  qui  avaitdans  le  ventre  deux  dia- 
jnans  de  giand  prix  que  le  Capitaine  s'ap- 
propria ,  un  bras  dhomme  et  une  paire  de 
souliers.  La  chair  de  ce  poisson  n'est  rien 
ïnciins  qu'agréable  :  elle  est  fade,  liuileuse 
et  mal-saine  ;  il  n'y  a  guère  que  les  matelots 
qui  en  mangent,  encox'e  n'eu  lîiangeraient- 
ils  pas  s'ils  avaient   d'autres  mets. 

Nous  n'avions  pour  le  pêcber  d'autre  ins- 
trument que  l'hameçon  que  nous  avions  soia 
de  couvrir  de  viande.  Alléché  par  l'odeur  , 
cet  animal  venait  accompagné  d'autres  pois- 
sons appelés  Jiofiie/n/os  ,  qu'on  appelle  les 
pilotes  ,  parce  qu'ordinairement  ils  le  précè- 
dent ou  l'enlourent.  11  avalait  le  morceau 
que  nous  lui  présentions  ,  et  dès  qu'il  était 
liors  de  l'eau  ,  on  ^'armait  d'un  gros  bAtoa 
et  on  lui  cassait  la  tète.  Ce  qu'il  y  a  de  sin- 
gulier, c'est  que  les  poissons  qui  l'acompa- 
gnaient ,  le  voyant  pris ,  s'élançaient  eu  foule 
sur  son  dos  comme  poui-  le  détendre,  et  se 
laissaient  prendre  avec  lui. 

Le  Rcijiiiii  ne  fut  pas  le  seul  poi.sson  que 
nous  prîmes-  Il  en  est  un  que  j'étais  fort 
curieux  de  voir  ,  et  je  ne  tardai  pas  h  me 
satisf  lire  :  c'était  \e  poissoti  vuhini.  Celui-ci 
a  deux  ailes  foil  semblables  à  celles  de  la 
chauve-souris;  on  l'a;. pelle  poiao/i  volant^ 
parce  que  pour  se  dérob(;r  aux  poursuites 
d'un  autre  poisson  très-voracc ,  nommé  la  bo- 
fiitCt  ilâ'élancc  hors  de  l'eau ,  cl  vole  avec  uue 


ETCTTRiruSES.  2^3 

rapidité  merveilleuse  h  deux  ou  trois  jets  de 
pierre  ,  «près  quoi  il  retomlx;  dans  la  mer  , 
qui  est  son  élénienl  naturel.  Mais  eoninie  la 
ounitr  est  fort  ayile  ,  elle  le  suit  à  la  nage  , 
et  il  n'est  pas  rare  qu'elle  so  trouve  à  temps 
pour  le  recevoir  dans  sa  gueule  au  monient 
où  il  retombe  dans  l'eau  ,  ce  (|ui  ne  maiM|ue 
jamais  d'arriver  lorsque  le  soleil  ,  ou  le  trop 
grand  air  commence  à  sécher  ses  aili'.*».  Les 
poissons  volans  ,  comme  presque  tous  les  oi- 
seaux de  mer  ,  ne  volent  puère  qu'en  bande, 
et  il  en  lojnbe  sou\enl  dans  les  vai.s.seaux. 
Il  en  tomba  un  sur  le  nôtre  :  je  le  pris  dans  nia 
main  ,  et  je  l'cxamiuMi  à  loisir.  Je  le  trouvai 
de  la  grosseur  du  wulet  de  nier  ,  dont  le 
}{.  P...  vous  a  donné  la  description  dans  la 
lettre  curieuse  qu'il  vous  écrivit  l'an  pa.ssé. 
!Vlaisdeu\  (  hoses  m'onlextrèmement  lr;:ppé  , 
c'est  sa  vi\at:ité  extraordinaire  et  sa  piodi- 
gieuse  familiarité.  On  dit  que  cet  oiseau 
aime  beaucoup  la  vue  des  lioranies  ;  si  j'en 
jiif^epar  la  (juaiitilé  f(ui  vollige;iienlsans  cesse 
autour  d«- noli-e  na>ire,  je  n'ai  aucune  peine 
à  le  croire  ;  d'ailleurs,  il  arrive  souxeul  (jue 
poursuixi  par  la  bonite  ,  il  se  rélutîie  su!'  le 
premitr  vaisseau  qu'il  ri-ncontre,  et  se  laisse 
prendre  par  les  matelots  qui  sont  oïdinalre- 
ment  iissez  j^éncreiix  ou  assez  peu  ;'n;atcurs 
de  sa  cliair  pour  lui  rendre  la  libellé. 

Le   'aG  Février   nous   eûmes    le    soleil    k 
pic  ^t),  et  à  midi  nous  lenjarquamcs  que  les 


(i)    Ato't   Ir   soleil  à   pic  ,    c'est    l'avoir  à  j.lomb  et 
prrpoodiculiiirciueai' 


-•^^4  Lettres  édifiaî^tes 

corps  ne  jetaient  aucune  ombre.  Quelques 
jours  auparavant  nous  avions  essuyé  une 
tempête  que  je  ne  vous  décrirai  point  ici  ; 
je  vous  dirai  seulement  que  ce  fut  dant  cotte 
circonstance  (jue  je  vis  le  feu  Saint -Elme 
pour  la  première  fois.  C'est  une  flamme 
légère  et  bleuâtre  ,  qui  parait  au  haut  d'un 
inAl  ou  à  l'extrémité  d'une  vergue.  Les  Mate- 
lots prétendent  que  son  apparition  annonce 
la  (in  des  tempêtes;  voilii  pourquoi  ils  por- 
tent toujours  avec  eux  une  imnge  du  Saint 
dont  ce  feu  porte  le-noni.  Aussitôt  que  j'aper- 
çus le  phénomène  ,  je  m'approchai  pour  le 
considérer  ;  mais  le  vent  était  si  furieux  et 
1«  vaisseau  si  agité  ,  que  les  mouvemens  di- 
vers que  j'éprouvais  ,  me  permirent  à  peine 
de  le  voii"  quehjucs  instaus. 

Voici  une  autre  chose  que  j'ai  trouvée 
digne  de  remarque.  Lorsqu'il  jdcnit  sous  la 
7one  torride  ,  et  sur-tout  aux  environs  de 
l'équatcur  ,  au  bout  de  quchjues  heures  la 
pluie  paraît  se  changer  en  une  multitude  de 
petits  v^?rs  blancs  assez  semblables  h  ceux 
<jui  naissent  dans  le  fromage.  Il  est  certain 
que  ce  ne  sont  point  les  gouttes  de  pluie  qui 
se  transforment  en  vers.  Il  est  bien  jdns 
naturel  de  croire  que  cette  pluie  ,  qui  est 
très-chaude  et  très-mal  saine  ,  fait  simple- 
ment éelore  ces})etits  animaux  ,  comme  elle 
fait  éelore  en  Europe  les  chenilles  et  les 
a^ilres  insectes,  (jui  rongent  nos  espaliers. 
jQuoi  qu'il  en  soit,  le  Capitaine  nous  con- 
seilbi  de  faii.e  sécher  nos  vêtemens  ;  quel- 
ques-uns refusèrent  de  le  faire,  mais  ils  s'en 

rcpenlirint 


t  T  c  r  K  1  n  w  S  r  S.  a(rj  • 

rpprntirriit  l>i«;.tùi  aprî's  ,  car  leurs  liahiis 
SI-  liou>î'i«'ul  .si  cliiii^ésdo  vers  (ju'ils  curent 
toutes  les  peines  du  inonde  à  les  nelloycr.  Je 
no  (uiirnis  pf)inl ,  mon  Révérend  Père,  si  je 
vous  raeonl;ii.s  loiilrs  les  petites  aveiilures  de 
nf)tre  vovnpe.  Je  ne  vous  p.-irler;ii  pas  nièfne 
des  lieux  (pie  nous  avons  N  ussur  noire  roule  ; 
n'étant  point  .sorti  du  vaisseau,  jo  ne  pour- 
rais vous  en  donner -qu'une  idée  iinpartailc. 
Je  pass«.T:ii  donc  sous  silence  tout  ce  qui 
nous  est  arrivé  lusfpi'à  notre  entrée  dans  le 
fleuve  ^e  laPUiUi  ,  dont  je  crois  devoir  vous 
dire  un  mot. 

J'avais  ouï  dire  en  Europe  que  ce  flcive 
avait  environ  cinquante  lieuesde  lari;e  à  soQ 
emboueiiure  :  on  ne  nie  disait  rien  de  trop  ; 
je  me  suis  convaincu  par  moi-même  de  la 
vérité  du  fait.  Quand  nous  partîmes  d'une 
forteresse  située  :i  plus  de  trente  lieues  de 
l'embouchure  ,d;tns  un  endi  oiloii  la  largeur 
du  (leuve  est  moindre  ([uepar-lout  ailleurs, 
nous  perdîmes  la  tcirc  de  vue  avant  d'arriver 
au  milieu  ,  et  nous  naviguâmes  un  jour 
entier  sans  découvrir  l'autre  bord.  Arrivé  à 
Buenos-^ y rcs  ,  je  suis  monté  souvent  sur 
une  montagne  Irès-élevée  par  un  temps  fort 
scn-in  ,  sans  rien  découvrir  qu'un  horizon 
terniiné  par  l'eau.  A  la  vérité  le  tleuve  de 
Ici  PlaUi  est  d'une  profondeur  peu  propor- 
tionnée à  sa  largeur;  outre  cela  il  est  l'empli 
de  bancs  de  sable  fort  <l;ingireux  ,  sur  les- 
quels on  ne  trouve  guères  qiu:  (juatreou  cinq 
brasses  d'eau.  Le  plus  périlleux  est  à  l'cm- 
Louchure,  et  on  le  nomme  le  ban  •  Anglais. 

Tome  IX.  M 


ft66  Lettres  édifiantes 

.rignore  co  qui  l'a  fait  apprier  ainsi  ,  cela 
▼  ienl  peut-être  de  ce  que  les  Anglais  l'ont 
découvert  lesprcmioro,  ou  de  ce  qu'un  vais- 
seau de  leur  JNalion  y  a  échoué.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  noire  Capitaine  ne  connaissait  la 
Plata  que  sous  le  nom  redoutable  à'Enftr 
des  Pilotes  :  ce  n'était  pas  sans  raison  ;  car 
ce  fleuve  est  en  effet  plus  dangereux  que  la 
mer  même  en  courroux.  En  pleine  mer  , 
quand  les  vents  se  déchaînent,  les  vaisseaux 
ji'ont  pas  beaucoup  à  craindre  ,  à  moins  qu'ils 
ne  rencontrent  dans  leur  route  quelque  ro- 
cher à  fleur  d'eau.  Mais  sur  la  Plata  on  est 
sans  cesse  environné  d'écueils  ;  d'ailleurs  les 
eau!k  s'y  élevant  davantage  qu'en  haute  mer, 
le  navire  court  grand  risque  ,  à  cause  du 
peu  de  profondeur,  de  toucher  le  fond  ,  et 
de  s'ouvrir  en  descendant  de  la  vague  en 
furie  ,  dans  l'abîme  qu'elle  creuse  en  s'éle- 
vant.  Nous  n'entrâmes  dans  le  fleuve  qu'aux 
approches  de  la  nuit  ;  mais  grâce  à  l'habi- 
lelé  du  Pilote  ,  la  navigation  fut  si  heureuse, 
que  nous  aboi  dames  beaucoup  plutôt  que  nous 
ne  pensions  à  l'île  de  Los  -  Lobos  (i).  Quoi- 
que nous  y  ayons  séjourné  quelque  temps, 
je  n'ai  cependant  rien  de  particulier  h  vous 
en  écrire  ,  sinon  qu'elle  n'est  pour  ainsi  dire 
liabilée  que  par  des  loups  marias.  Loi^que 
ces  animaux  aperçoivent  un  biiimcnt  ,  ils 
courent  en  foule  au-devant  de  lui ,  s'y  accro- 
chent, en  considèrentlcs  hommes  avec  atten- 
tion ,    grincent  des  dents  ,   et  se  icplongent 

(>)  Ilo  des  Loups. 


clans  l'c.iu  -.  ensuite  ils  passent  et  rrpnsscnt 
eontinuelN'nirnl  devant  Je  navire  ,  en  jetant 
des  cri.s  «lont   le  son  n'»'sl  point  dr>>a^té.-il>le 
n  l'oreille  ;  et  lorsqu'ils  ont  perdu  le  J»jli- 
ment  de   vue,  ils  se  retirent  dans  leur  Ile  , 
ou  sur  les  côtes  voisines.  Vous  vous  imaginez 
peut-«^trc  que  la  chasse  de  ces  animaux  est 
fort  danp;ereu5c.  Je  vous  dirai  qu'ils  ne.  sont 
ni  redoutables  parleur  férocité  ,  ni  dilïicilesà 
prendre;  d'ailleurs  ilss'enfuient  aussitôtqu'ils 
aperçoivent    un   chasseur  armé.    Leur   peau 
est  très-belle  et  très-estimée  pour  la  ])eauté 
de  son  poil    qui  est  ras,  doux  et  de  lonîjue 
durée.   J'ai   vu   «-ncore  dans  le  fleuve  de  la 
Plata  un  poisson  qu'on  appelle  Ficii^ros.  Il 
a    quatre  longues   moustaches;  sur  son  dos 
est   un  aiguillon  dont  la  piqûre  est  extiéme- 
ment  dangereuse  ;   elle  est    même   mortelle 
lorsqu'on  n'a  pas  soin  d'y  remédier  promp- 
tement.  Cet  aiguillon   paraît  cependant  fai- 
l)le  ;  mais  on  en  jugerait  mal  si  l'on  n'exami- 
nait que  les  apparences.   Voici  un   trait  qui 
peut  vous  en  donner  une  idée.  Ayant  pris  un 
de  ces  poissons,  nous  le  mîmes  sur  une  lahle 
épaisse  d'un  bon   doigt;  il   la  perça  de  part 
en  part  avec  une  facilité  qui  nous  surprit  tous 
également.  Le  reste  du  voyage  fut  on  ne  peut, 
pas  plus  satisfaisant.   Après    une  navigation 
agréable  et  tranquille,  nous  nous  trouvAmcK 
«  la  vue  de  Bucnos-Àyres ,  d'oii  je  vous  écris. 
Celt»'    Ville  est,   je  crois,    sous  le  trrnto- 
deuxième  degré  de  latitude  Méridionale.  On 
y  respire  un  air  assez  tempéré  ,  quoique  sou- 
vent un  peu  trop  rafraîchi  par  les  vents  qui 

M    2 


i>.63  Lettres  ÉPiFi  AN  TES 

rognent  sur  le  fleuve  de  la  PUita.  Les  cnra- 
pagnt's  des  environs  n'ofTrcnl  que  de  vastes 
déserts  ,  et  l'on  n'y  trouve  que  quelques 
cabanes  répandues  çà  et  là ,  mais  toujours 
fort  éloignées  les  unes  des  autres.  Le  pêcher 
rst  presque  le  seul  arbre  fruitier  que  l'on 
voi.e  aux  environs  de  Buenos  -  ylyres.  La 
vigne  ne  saurait  y  venir  à  cause  de  la  mul- 
titude innombrable  de  fourmis  dont  cette 
terre  abonde  ;  ainsi  l'on  ne  boit  dans  ce 
Pays  d'autre  vin  que  celui  qu'on  y  fait  venir 
d'Espagne  par  mer  ouparterrede3/e«f/o3a, 
ville  de  Chili  ^  assise  au  pied  des  Cordillières, 
à  trois  cens  lieues  de  Bnenos-Ayres.  A  la 
vérité  ces  déserts  arides  et  incultes  dont  je 
viens  de  vous  parler  sont  peuplés  de  chevaux 
et  de  bœufs  sauvages.  Quelques  jours  après 
mon  arrivée  à  Buenos-Ayres  ,  un  Indien 
vendit  h  un  homme  de  ma  connaissance  liait 
chevaux  pour  un  baril  d'eau-de-vie  ,  encore 
auraient-ils  éié  fort  chers  s'ils  n'eussent  été 
d'une  extrême  beauté  \  car  on  en  trouve  eom- 
munémcnt  à  six  ou  huit  francs  ,  on  peut 
même  en  avoir  à  meilleur  marché  \  mais 
alor.s  il  faut  aller  les  cliereher  à  la  campagne 
où.  les  paysans  en  ont  toujours  un  gr;^nd  nom- 
bre à  vendre.  Les  boeufs  ne  sont  pas  moins 
communs  ;  pour  s'en  convaincre,  on  n'a  qu',\ 
faire  att(;ntion  h  la  quantité  prodigieuse  de 
leurs  peaux  qui  s'envoient  eu  Europe.  Vous 
ne  serez  pas  fâché  ,  mon  Révérend  Père  , 
de  savoirla  manière  dont  on  les  prend.  Une 
vingtaine  de  chasseurs  à  cheval  s'avancent  en 
^^ouprdrc  vers  l'endroit  ou  ilsprcvoitut  qu'il 


Et  coHirusEs.  afÎ9 

peul  y  on  .ivoir  un  crrtaiii  noniln't?  ;  ils  ont 
en  main  un  lonj;  hûton  armé  J'un  iVr  laillé 
en  croissnnl  l't  hicn  aiguisi*  ;  ils  se  servent 
de  cet  inÀtrununl  pour  iVapper  les  animnux 
qu'ils  poursuivent  ,  et  c'est  ordinairemcul 
aux  iaml)es  de  derrièrequ'ilsporlenllecoup, 
mais  toujours  avec  tant  d'ailresse  ,  (ju'ils  nû 
niaM(juent  presqu»;  jamais  de  couper  le  nerf 
de  la  jointure.  L'animal  tombe  bientôt  ii 
terre  sans  pouvoir  se  relever.  Le  eh.is.seur, 
au  lieu  de  s  y  arrêter  poursuit  les  autres  ,  et 
frappant  delà  même  manière  tous  ceux  qu'il 
rencontre,  il  les  met  hors  d'état  de  fuir  ,  de 
fiortecju'en  une  lieuredetemps ,  vingt  hommes 
peuvent  en  abattre  sept  h  huit  cens.  Lors- 

3ue  les  chasseurs  sont  las,  ils  descerdent 
e  cheval ,  et  api  es  avoir  pris  un  peu  de  re- 
pos,  ils  assomment  les  bœufs  qu'ils  ont  ter- 
rassés, en  emportent  la  peau  ,  la  langue  et 
le  suif  ,  et  abandonnent  le  reste  aux  cor- 
beaux ,  ({ui  sont  ici  en  si  grande  quantité 
que  l'air  en  est  souvent  obscurci.  On  ferait 
beaucoup  mieux  d'exterminer  les  chiens  sau- 
vages qui  se  sont  prodigieusement  multipliés 
dans  le  voisinage  de  Buenos- Ayres.  Ces  ani- 
maux vivent  sous  terre  dans  des  tanières  faci- 
les à  reconnaître  par  les  las  d'osseraens  que 
l'on  aperçoit  autour.  Comme  il  est  fort  à 
craindre  que  les  boeufs  sauvages  venant  à 
leur  manquer  j  ils  ne  se  jettent  sur  les  hom- 
mes mômes  ,  le  Gouverneur  de  Buenos- 
Ayres  avait  jugé  cet  objet  digne  de  toute  soa 
attention.  En  conséquence  il  avait  envoyé  à 
la  chasse  de  ces  chiens  carnassiers  des  soldats 

M  3 


2-jo  Lettres  édifiantes 

qui  en  tuèrent  beaucoup  h  coups  de  fusil  ; 
mais  au  retour  de  leur  expédition ,  ils  furent 
tellement  insultés  par  les  enfansde  la  Ville  , 
qui  les  appelaient  vainqueurs  de  chiens  , 
qu'ils  n'ont  plus  voulu  retournera  cette  es- 
pèce de  chasse. 

Je  vous  ai  dit  que  le  fleuve  de  la  Plata 
était  un  des  pi  us  dangereux  de  l'Inde  ;  V  Uru- 
guay ^  (i)  qui  n'en  est  séparé  que  par  une 
pointe  de  terre ,  ne  l'est  pas  moins  ;  il  est  vrai 
qu'il  n'est  point  rempli  de  bancs  de  sable, 
comme  le  premier ,  mais  il  est  semé  de  ro- 
chers cachés  à  fleur  d'eau  ,  qui  ne  permettent 
point  aux  balimens  h  voiles  d'y  naviguer.  Les 
baises  (2)  sont  les  seules  barques  qu'on  y  voie  , 
et  les  seules  qui  n'y  courent  aucun  risque  à 
cause  de  leur  légèreté. 

Ce  fleuve  est  ,  à  ce  qu'on  dit ,  très-pois- 
sonneux. On  y  trouve  des  loups  marins  ,  et 
une  espèce  de  porc  ,  appelé  capigua  ,  da 
nom  d'une  herbe  que  cet  animal  aime  beau- 
coup. Il  est  d'une  familiarité  excessive  ,  et 


(1)  \'  Uragiiay  est  un  fleuve  d'unelargeur  prodigieuse  , 
qui  se  jeUe  dans  le  JPaiaguay  vers  le  Ircute-ciuatrièiue 
degré  de  lalitude  Méridionale.  (  Note  de  1  ancienne 
édition  ). 

(2)  Les  Baises  sont  des  espèces  de  radeaux  faits  do 
deux  canots,  qui  ne  sont  autre  chose  que  des  troncs 
d'arbres  creusés.  Chi  les  unit  ensemble  par  le  moyeu  de 
quelques  solives  légères  ,  qui  portent  également  sur  les 
deux  canots  ,  et  y  sont  solidement  al  lachéi-s.  Ou  les 
couTre  de  bambous  ,  et  sur  cette  espèce  de  plancher 
ou  construit  avec  des  Battes  luie  petite  caJiaue  couverte 
di«  paille  ou  de  cuir,  et  capable  de  contenir  un  lit  avec 
ies   autres  petits   meubles  d'uu   TOjaj^eur.   (  Note   do 

l'HacifUDe  édition  ], 


ET    C  L' »  l  E  f  5  C  s.  171 

cellr  fnmilinrilé  im^iiie  le  rfml  tori  incom- 
modc  h  crux  qui  vfulcDl  le  nourrir.  Les  deux 
hoids  du  <l«u\r  sont  prtsque  cou\erl»  de 
Lois  ,  de  pnIniiiTî»  ri  d'aulrrs  arbres  a.sM'z  j)eu 
connus  en  Kuropi-  ,  et  qui  conscrvcnl  Joute 
l'unniM*  li'ur  viMtlure.  On  v  trouve  des  (»isi\iUT6 
en  cjuantité.  Je  ne  ni'arrètciai  point  U  voua 
faire  la  dcseriptiou  de  tous  roux  (pie  j'y  ai 
vus.  Je  ne  vous  parlerai  que  d'un  seul ,  non 
moins  remar^juahle  j  -r  sa  pelilCiSC  que  par 
la  beauté  de  son  plumage.  Cet  oiseau  l'i) 
n'est  pas  plus  gros  (ju'un  roitelet  ;  son  cou 
est  d'un  loiif^e éclatant ,  son  ventre  d'un  laune 
tirant  sur  l'or  ,  et  ses  ailes  d'un  viit  d'éme- 
rande.  lia  les  yeuxvifsel  brillaus,  la  lanj;u« 
longue  ,  le  vol  rapide  ,  et  les  plumes  d'une 
finesse  qui  surpasse  tout  ce  que  j'ai  vu  en  ce 
génie  de  plus  doux  et  de  plus  délicat.  Cet 
oiseau  ,  dont  le  ramage  m'a  paru  beaucoup 
plus  mélodieux  que  celui  du  rossignol  ,  est 
presque  toujours  en  l'air  ,  excepté  le  niatia 
et  le  soir  ,  temps  auquel  il  suce  la  rosée  qui 
tombe  sur  les  Heurs,  et  qui  •■st ,  dit-on  ,  sa 
seule  nourriture.  Il  voltige  de  brandie  en 
branche  tout  le  reste  de  la  journée  ,  et  lors- 
que la  nuit  tombe  ,  il  s'enfonce  dans  un 
buisson  ,  ou  se  pcîrcliesur  un  cotonnier  pour 
y  prendre  du  repos.  Cet  oiseau  conserve 
encore  tout  son  éclat  après  sa  mort  ;  et  coin  mt 
il  est  exlraordinairement  petit ,  les  femmes 
des  Sauvages  s'en  font  des  pendans  d'oreilles, 


'1)  li' Auteur  de  celte  lettre  reut  probablenient  paiIer 
du  coUhri. 


M  4 


>2^2  LETTRES    ÉDIFIAWTKS 

et  les  Espagnols  en  envoient  souvent  à  leurs 
amis  dans  des  lettres. 

Ces  Lois  dont  je  viens  de  vous  parler  , 
sont  remplis  de  cerfs  ,  de  chevreuils,  de  san- 
gliers et  de  tigres.  Ces  derniers  sont  beau- 
coup plus  grands  et  plus  féroces  que  ceux 
d'Afrique.  Quelques  Indien?  m'apportèrent, 
il  y  a  huit  jours  ,  la  peau  d'un  de  ces  ani- 
maux ;  je  la  fis  tenir  droite  ,  et  je  pus  à 
peine,  même  en  haïssant  le  bras,  atteindre 
à  la  gueule  de  l'animal.  Il  est  vrai  qu'il  était 
d'une  taille  extraordinaire;  mais  il  n'est  pas 
rare  d'en  trouver  de  semblables.  Ordinaire- 
ment ils  fuient  loisqu'ils  aperçoivent  des 
chasseurs.  Cependant,  aussitôt  qu'ils  se  sen- 
tent frappés  d'une  balle  ou  d'un  trait ,  s'ils 
:ne  tombent  pas  morts  du  coup  ,  ils  se  jet- 
tent sur  celui  qui  les  a  frappés,  avec  une 
impétuosité  et  une  fureur  incroyables  -,  ca 
prétend  même  qu'ils  le  distingueraient  au 
milieu  de  cent  autres  personnes.  Le  Révé- 
rend Père  Supérieur  des  Missions  de  l'Ura- 
guay  ,  en  fut  témoin  il  y  a  quehjues  jours. 
Ce  respectable  Missionnaire  était  en  route 
avec  deux  ou  trois  Indiens  qui  virent  entrer 
un  tigre  dans  un  bois  voisin  de  leur  route; 
aussitôt  ils  résolurent  de  l'attaquer.  Le  Mis- 
sionnaire ,  curieux  devoir  cette  chasse  ,  se 
mit  incontinent  à  l'écart  pour  pouvoir,  sans 
danger  ,  examiner  ce  qui  se  passerait.  Les 
Indiens,  accoutumés  à  ce  genre  de  combat, 
s'arrangèrent  de  celte  manière.  Deux  étaient 
armés  de  lances  ,  le  troisième  portait  un 
mousquet  chargé  à  balles.  Celui-ci  se  plaça 


ET     CCR1ECSE8.  .i^J 

entre  les  Jeux  autres.  Tous  trois  s'avancèrent 
dans  cet  orJir  ,  et  tournèrent  .lutour  du  hois, 
}us<{u';i  1-e  qurnlln  iU  aperçurent  le  tigre  ; 
alori  celui  qui  portait  le  mousquet,  lâcha 
son  coup  et  frappa  l'animal  à  la  lète.  Le 
Missionnaire  m'a  raconté  (ju'il  vit  en  mt^mc- 
temps  partir  le  coup  cl  le  lit^re  enferré  dans 
les  lances.  Car  dès  qu'il  se  sentit  blessé  ,  il 
voulut  s'élancer  sur  celui  qui  avait  tiré  le 
coup  ;  mais  les  deux  autres  prévoyant  biea 
ce  qui  devait  arriver,  avaient  tenu  leurs  lan- 
ces prêtes  pour  arrêter  l'animal.  Ils  l'arrê- 
tèrent en  efl'et ,  lui  percèrent  les  flancs  cha- 
cun de  leur  cote,  et  le  tinrent  un  moment 
suspendu  en  l'air.  Quelques  instans  après  ils 
prirent  un  de  ses  petits  ,  qui  pouvait  avoir 
ti)ut  au  {)lus  un  mois  :  je  l'ai  vu  et  touclié, 
non  sans  crainte,  car,  tout  jeune  qu'il  était, 
il  écumait  de  rage  ,  ses  rugissenicns  étaieui; 
affreux  ,  il  se  jetait  sur  tout  le  monde,  sur 
ceux  même  qui  lui  apportaient  à  ma'.iç;er  : 
In'ureusement  (jue  ses  forces  ne  répondaient 
point  il  son  courage  ,  aulremcnl  il  les  »iit 
dévorés.  Voyant  donc  qu'on  ne  pouvait  l'ap- 
privoiser ,  et  craignant  d'ailleurs  que  ses 
rugissemcDs  ne  nous  attirassent  la  vi>ite  des 
tigres  du  voisinage,  nous  lui  attaclulines  une 
pierre  au  cou  et  le  fîmes  jeter  dans  l'Ura- 
giiay  ,  sur  les  bords  duquel  nous  nous  trou- 
vions alors. 

I^rs  Indiens  ont  encore  une  mnnièie  de 
fiiire  la  guerre  aux  bêles  féroces.  Outre  la 
lance  ,  l'arc  et  les  flèches,  ils  portcit.  :i  leur 
cciuture  deux  pierres  rondes,  enfermées  dauo 

M  5 


2^4  Lettres  édi?iartes 

■un  sac  de  cuir,  et  attachées  aux  deux  touts 
d'une  corde  longue  d'environ  trois  brasses. 
Les  sacs  sont  de  peau  de  vache.  Les  Indiens 
n'ont  point  d'armes  plus  redoutables.  Lors- 
qu'ils trouvent  l'occasion  de  combattre  ua 
lion  ou  un  ligre  ,  ils  prennent  une  de  leurs 
pierres  de  la  main  gauche  ,  et  de  la  droite 
font  tourner  l'autre  à  peu  près  comme  une 
fronde  ,  jusqu'à  ce  qu'ils  se  trouvent  à  même 
de  porter  le  coup  ,  et  ils  la  lancent  avec  tant 
de  force  et  d'adresse  ,  qu'ordinairement  ils 
abattent  ou  tuent  l'animal.  Quandîes  Indiens 
sont  à  la  chasse  des  oiseaux  et  des  bêtes  moins 
dangereuses  ,  ils  ne  portent  communément 
avec  eux  que  leur  arc  et  leurs  flèches.  Rare- 
ment il  arrive  qu'ils  manquent  des  oiseaux, 
même  au  vol.  Souvent  ils  tuent  ainsi  de  gros 
poissons  qui  s'élèvent  au-dessus  de  la  surface 
de  l'eau.  Mais  pour  prendre  le  cerf^  la  vigo- 
gne ,  le  guanacos  et  d'autres  animaux  légers 
à  la  course  ,  ils  emploient  les  lacets  et  les 
deux  pierres  attachées  au  bout  de  la  corde 
dont  j'ai  parlé,  La  'vigogne  ressemble  au  cerf 
pour  la  forme  et  l'agilité,  mais  elle  est  un 
peu  plus  grosse.  Du  poil  qui  croit  sous  sou 
ventre  ,  on  fabrique  des  chapeaux  fins  ,  ({u'ou 
appelle  pour  celfe  raison  chapeaux  de  vigo- 
gne. Le  poil  des  côtés  sert  à  faire  des  serviettes 
et  des  mouchoirs  fort  estimés.  Le  guanacos 
tient  aussi  de  la  figure  du  cerf;  il  est  cepen- 
dant beaucoup  plus  petit;  il  a  le  cou  h>ng  , 
de  grands  yeux  noirs,  et  une  tête  haute  (ju'il 
porte  fort  majestueusement.  Son  poil  est  une 
espèce  de  laine  assez  semblable  au  poil  de 


»:t  ri'RiECsr.fi.  9.^5 

chèvre  ;  mais  j'i};nore  ruscigr  (|u  OD  en  lait. 
Cel  animal  fsl  ennemi  de  la  eli;ileur  ;  quand 
le  soleil  ej»l  un  peu  ])lu5  ard<  ni  <|iri  l'ordi- 
naire ,  il  crie  ,  5a;;ile  el  sf  )cUc  à  terre  , 
où  il  reste  quelcjuelois  très-long-lemps  san» 
pouvoir  se    relevt-r. 

Outre  ces  animaux,  il  en  est  un  qui  m'a 
paru  fort  singulier:  e'est celui  (jue  \vs  A/oxes 
appellent  oroconw  ;  il  a  le  poil  roux  ,  le 
museau  pointu  ,  et  les  dents  larges  el  tran- 
chantes. Lorsque  cel  animal ,  qui  est  de  la 
grandeur  d'un  gros  chien  ,  aperçoit  un  In- 
dien armé  ,  il  prend  aussitôt  la  fuite  ;  mais 
fcil  le  voit  sans  arracà  ,  il  l'attaque  ,  le  ren- 
verse par  terre,  le  foule  à  plusieurs  n-prises, 
rt  cjuand  il  le  croit  mort ,  il  le  couvre  de 
feuillesetde  branches  d'arbres  ,  et  se  relire. 
L'Indien  ,  qui  cooiiail  l'instinct  de  cette 
hête,  se  relève  dès  qu'elle  a  disparu  ,  et 
cherche  son  salut  dans  la  fuite  ,  ou  monte  sur 
un  arbre,  d'où  il  considère  à  loisir  tout  ce 
qui  se  passe.  L'oroco/no  ne  laide  pas  à  revenir 
a('Compagné  d'un  tigre  qu'il  semble  avoir 
invité  à  venir  paitager  sa  proie  ;  mais  ne  la 
trouvant  plus,  il  pousse  des  liurlemens  épou- 
\ astables  ,  regarde  son  conij)agnon  d'un  air 
Irisle  et  désolé  ,  et  semble  lui  témoigner  le 
regret  qu'il  a  de  lui  avoir  fait  faire  un  vovage 
inutile. 

Je  ne  puis  m'empècher  de  vous  parler  en- 
core d'une  espèce  d'ours  particulière  ,  qu'on 
appelle  ours  aux  fourmis.  Cel  animal  a  ,  ail 
Leu  de  gueule  ,  un  trou  rond  toujours  ou- 
vert. Le  Paj's  produit  une  quanillé  prodi- 

W  G 


9.'jii  Lettres  ioiviANiEs 

gifuse  de  fourmis  ;  Voiirs ,  dont  je  parle  ,  met 
son  museau  à  l'entrée  de  la  fourmilière  ,  et 
y  pousse  fort  avant  sa  langue,  qui  est  extrê- 
mement pointue  ;  il  attend  qu'elle  soit  cou- 
verte de  fourmis  ^  ensuite  il  la  retire  avec 
promptitude,  pour  engloutir  tous  ces  petits 
animaux.  Le  même  jeu  continue  jusqu'à 
ce  que  Voiirs  soit  rassasié  de  ce  mets  fa- 
vori. Voilà  pourquoi  on  l'appelle  ours  aux 
fourmis. 

Quoique  Yours  aux  Jhurmis  soil  sans 
dents  ,  il  est  pourvu  néanmoins  d'armes  ter- 
ribles. Ne  pouvant  se  jeter  sur  son  ennemi 
avec  fureur  ,  comme  font  les  lions  et  les 
tigres  ,  il  l'embrasse  ,  il  le  serre  et  le  déchire 
avec  ses  pattes.  Cet  animal  est  souvent  aux. 
prises  avec  le  tigre  ;  mais  comme  celui-ci 
sait  faire  un  aussi  bon  usage  de  ses  dents  , 
que  celui-là  de  ses  griffes  ,  le  combat  se 
termine  d'ordinaire  par  la  mort  des  deux 
combaltans.  Du  reste  toutes  ces  bêtes  féroces 
n'attaquent  guère  le&  hommes  ,  à  moin* 
qu'elles  n'en  soient  atta<]u<ées  les  premières  , 
de  sorte  que  les  Indiens  qui  le  savent  y  pas- 
sent souvent  les  journées  entières  au  milieu 
des  forêts  sans  courir  nucun  danger. 

Ces  différens  animaux  ne  sont  pas  la 
seule  richesse  du  pays.  11  produit  toutes  les 
espèces  d'arbres  que  nous  connaissons  en  Eu- 
rope. On  y  trouve  même  dans  (juelques  en- 
droits le  fameux  arbre  du  Brésil  (  i) ,  et  celui 

(i)  On  a  donné  à  ret  aibre  le  nom  d'aihre  du  Brésil , 
parce  que  le  premier  (|ti'ou  a  vu  en  Enrope  avait  élô- 
agforté    du  Brt'sil.   (  Nele  de  rancit-nne  édiliou  ;. 


ET    C  miEUSES.  nn-^ 

dont  on  lire  ceilt*  litjueur  télî'bre  ,  f|u'()U 
apprlK' jurtj^'  ilt-  drainait  ,  et  sur  laqucUi,'  les 
voyagfurs  oui  (li'l)llé  Irsfahlt*»  les  plus  <'\tia- 
>a^nii((*«>.  Jt>  lu-  vou!)t'ii  diiai  rien  à  |>ri':>(-nt  , 
parcf  cjuf  jf  n'rn  connais  j»oinl  encore  toutes 
l«'s  proprit'lc's.  Je  me  réserve  à  vous  les  dé- 
taillrr,  lorsque  j'en  sei ai  plus  instruit.  Le 
Paysproduilrncore  crrlains  iVuilssinguliers  , 
lioni  Nous  seifz  peut-être  bien  aise  d'avoir 
<juel(|u'idée.  Il  en  est  entr'autres  qui  ressem- 
ble assez  à  une  grappe  de  raisin  ;  mais  cette 
grappe  est  composée  de  grains  aussi  menus 
<|ueceu\du  poivre.  Chaque  grain  renferme 
une  petite  semence  qu'on  mange  ordinaire- 
ment après  le  repas  ,  et  sa  vertu  consiste  à 
procurer,  quelque  temps  après,  une  éva- 
cuation douce  et  facile.  Ce  fruit  qu'on  ap- 
pelle nihrguc  ,  est  d'un  goût  et  d'une  odeur 
tort  agréables.  Le  pii^'ui  ,  autre  fruit  du 
pays,  acjuelque  rcsseml)lanceavec  lapomme 
de  pin  ;  c'est  ce  qui  a  fait  donner  le  nom  de 
pin  à  l'arbre  qui  le  produit.  Cependant  la 
iigure  du  pii^mi  ap[)roclu;  davantage  de  celle 
<le  l'arlichaul  ;  sa  cliair  ,  <|ui  est  jaune  comme 
celle  du  coing  ,  lui  est  fort  supérieuie,  et 
poin-  la  saveur^  et  pour  le  parfum.  On  estime 
beaucoup  dans  le  Pays  une  plante  nommée 
inbiirusu^ia  ,  (jui  poite  une  très-belle  ileur, 
que  les  Indiens  appellent  la  fleur  de  la  pas- 
sion, et  qui  se  change  en  une  espèce  de  cal- 
b'hasse  de  la  grosseur  d'un  (tuf  de  poule. 
Quand  ce  fruit  est  miir ,  on  le  suce  ,  et  l'on 
«•o  tiie  une  litjueur  douce  et  délicate  ,  qui  a 
la  venu  de  raf)  ai«:hir  le  sang  ,  et  de  forliCer 


278  Lettres  éditiantes 

l'estomac.  J'ai  vu  encore  une  plante  nommée 
pacoë  qui  produit  des  cosses  longues  ,  gros- 
ses ,  raboteuses  ,  et  de  dilî'érentts  couleurs. 
Ces  cosses  renferment  une  espèce  de  fève  de 
très-bon  goût.  Je  ne  vous  parlerai  pas  de 
l'herbe  connue  sous  le  nom  de  Vîierbe  du 
Paraguay  ;  je  me  contenterai  de  vous  dire  que 
c'est  la  feuille  d'un  arbrisseau  qui  ne  se  trou- 
vait autrefois  que  dans  les  montagnes  de 
Maracayu  ,  situées  à  plus  de  deux  cens  lieues 
des  peuplades  chrétiennes.  Lorsque  ces  peu- 
plades s'établirent  dans  les  terres  qu'elles  ont 
défrichées  ,  on  y  fit  venir  de  jeunes  plants  de 
Maracayu  ,  et  ils  réussirent  à  merveille. 
Aujourd'hui  il  yen  a  une  si  grande  quantité , 
que  les  Indiens  en  font  un  commerce  consi- 
dérable avec  les  Espagnols.  Vous  nignorez 
pas  les  calomnies  et  les  discours  injurieux 
que  ce  commerce  a  occasionnés  contre  nousj 
mais  vous  savez  aussi  que  la  Cour  d'Espagne 
n'en  a  tenu  aucun  compte  :  c'est  pourquoi 
je  passerai  cet  article  sous  silence  ,  pour  vous 
dire  un  mot  du  génie  et  des  mœurs  des  In- 
diens encore  barbares,  qui  ne  sont  soumis 
à  aucunes  lois. 

Les  Sauvages  ne  connaissent  eutr'eux  ni 
Princes  ,  ni  Rois.  On  dit  en  Europe  qu'ils 
ont  des  Républiques,  mais  ces  Républiques 
n'ont  point  de  forme  stable  ;  il  n'y  a  ni  lois , 
ni  règles  fixes  pour  le  gouvernement  civil 
non  plus  que  pour  l'administration  de  la 
justice.  Chaque  famille  se  croit  absolument 
libre  ,  chaque  Indien  se  croit  indépendant. 
Cep'judaBl  comme  les  guerres  continuelles 


iT  crmersEs.  279 

«ju'ils  ont  à  soutenir  contre  leurs  voisins  , 
nn'ttenl  snns  cesse  leur  liberté  en  danger  , 
ils  ont  appris  «le  l.i  néiessilé  à  former  «-ntrc 
eux  une  sorte  île  société  ,  et  à  se  choisir  un 
chef  ,  qu'ilsoppellent  (\jci(^ut' ,  c'csl-à-dire, 
capitaine  ou  commandant.  Kn  le  choisissant  , 
hur  inicntitiu  n't•^t  pas  de  se  donner  un  maî- 
tre, mais  un  protecteur  et  un  père,  sous  la 
conduite  duquel  ils  veuh-ntse  mettre.  Pour 
être  élevé  h  cette  dignité,  il  faut  auparavant 
avoir  donné  des  preuves  éclatantes  de  courage 
et  de  valeur.  Plus  un  Cacique  devientfameux 
par  ses  exploits  ,  plus  sa  peuplade  augmente  , 
et  il  aura  quelquefois  sous  lui  jusqu'à  cent 
cinquante   familles. 

Si  nous  eu  croyons  quelques  anciens  Mis- 
sionnaires ,  il  y  a  parmi  les  Caciques  des 
magiciens  qui  savent  rendre  leur  autorité 
respectable  par  les  malétiees  qu'ils  emploient 
pour  se  venger  de  ceux  dont  ils  sont  mécon- 
tens.  S'ils  entrepnniaient  de  les  punir  publi- 
quement par  la  voie  d'une  justice  réglée  ,  on 
ne  tarderait  pas  ;i  li-s  abandonner.  Ces  im- 
posteurs font  entendre  au  Peuple  que  les 
lions,  les  tigres  et  les  animaux  les  plus  féro- 
ces sont  à  leurs  ordres  ,  pour  dévorer  qui- 
conque refuserait  de  leur  ol)éir.  On  les  croit 
tl'aulant  plus  facilement  (ju'il  n'est  ])as  rare 
de  voir  ceux  que  le  Cacique  a  menacés  ,  tom- 
ber dansdes  maladies  de  langueur,  quisonl 
plutôt  un  elTet  du  poison  ,  qu'on  sait  leur 
friire  piendre  adroitement  ,  c(u'une  suite  de 
la  tr.iveur  qu'on  leur  inspire. 

Pour  parvenir  à  la  dignité  de  Cacique , 


28o  Lettres  éditiantïs 
les  prétendaDs  ont  ordinairement  recours  k 
quelque  magicien  ,  qui  ,  après  les  avoir 
frottés  de  la  graisse  de  certains  animaux  ,  leur 
fait  voir  l'esprit  de  ténèbres,  dont  il  se  dit 
inspiré  ,  après  quoi  il  nomme  le  Cacique  ,  à 
qui  il  enjoint  de  conserver  toujours  une  vé- 
nération profonde  pour  l'auteur  de  son  élé- 
vation. 

Les  républiques  ou  peuplades  d'Indiens 
se  dissipent  avec  la  même  facilité  qu'elles 
se  forment;  cbacun  étant  son  maître  ,  on  se 
sépare  dès  qu'on  est  mécontent  du  Cacique  , 
et  l'on  passe  sous  un  autre  chef.  Les  effets 
que  laissent  les  Indiens  dans  un  lieu  qu'ils 
abandonnent  ,  sont  si  peu  de  chose  ,  qu'il 
leur  est  aisé  de  réparer  bientôt  leur  perte. 
Leurs  demeures  ne  sont  que  de  misérables 
cabanes  bâties  au  milieu  des  bois  avec  des 
Lambous  ou  des  branches  d'.'trbrcs  ,  posées 
les  unes  auprès  des  autres,  sans  ordre  et  sans 
dessin,  La  porte  en  est  ordinairement  si 
étroite  et  si  basse,  qu'il  faut  pour  ainsi  dire 
se  traîner  à  terre  pour  y  entrer.  Demandez- 
leur  la  raison  d'une  structure  si  bizarre:  ils 
vous  répondront  froidc-raent  que  c'est  pour 
se  défendre  des  mouches  ,  des  cousins  et  de 
quelques  autres  insectes  dont  je  ne  me  rap- 
pelle point  les  noms. 

Les  Indiens  vivent  ,  comme  vous  savez  ^ 
da  produit  de  leur  chasse  et  de  leur  pèche, 
de  fruits  sauvages  ,  du  miel  qu'ils  trouvent 
dans  les  bois  ,  ou  de  racines  qui  naissent  sans 
culture.  Les  sangliers  et  les  cerfs  sont  en  si 
grande  quanlilé  dans  les   forêts  ,    qu'eu  peu 


ET    CURIEOSe».  îl^l 

d'heures  les  Sauvagf^i  pfuvt'iit  reuouv«'lec 
leurs  provisions.  Mais  .iliii  dVii  avoir  toujours 
en  abuiuiancc  ,  ils  cliau^tut  souvcitt  de 
dcnit'urf  ,  fl  voilà  la  raison  tjui  les  empêche 
de  se  ra&sembler  en  grand  numhie  dans  un 
nièm«'  lieu.  Ces  chan^rniens  sont  sans  con- 
tredit un  des  plus  grands  obstacles  ù  lour 
conversion. 

Les  Sauvages  sont  presque  tous  d'une  taille 
haute.  Ils  sont  agiles  el  dispos.  Les  trniis  de 
leur  visage  ne  dillerent  pas  beaucoup  dr  ceux 
des  Européens.  Cependant  il  est  facile  de  les 
reconnaître  à  leur  teint  basané.  Ils  laissent 
croître  leurs  cheveux  ,  parce  qu'une  grande 
partie  delà  beauté  consiste  ,  selon  eux,  à  le« 
avoir  extrênienunt  longs.  Il  n'est  rien  ce- 
pendant qui  les  défigure  davantage. 

La  [dupart  des  Indiens  ne  portent  point 
de  véleniens;  ils  se  nielleiil  autour  du  cou, 
eu  guise  de  collier,  certaines  pierres  bril- 
lantes, quel'on  prendrait  pour  dos  cinciau- 
des  ou  pour  des  rubis  encore  brul«;s.  Dans  les 
jours  de  cérémonies  ,  ils  s'allacbont  autour 
du  corps  une  bande  ou  ceinture  faite  déplu- 
mes de  diflërentes  couleurs  ,  doul  la  vue  est 
assez  agréable.  Four  les  femmes,  elles  portent 
une  espèce  de  chemise,  appelée  1  ipoy  ^  avec 
des  manches  assez  courtes.  Les  Peuples  qui 
sont  plus  exposés  ou  plus  sensibles  au  froid, 
se  couvrent  de  la  peau  d'un  bœuf  ou  d'uu 
autre  animal.  En  été,  ils  mettent  le  poil  en 
dehor>. ,  et  en  hiver,  ils  le  tournent  en  dedans. 

L'adresse  et  la  valeur  sont  prescjue  les 
seules  qualités  dont  les  Sauvages  se  picpicnl, 


aB-s  LnTTRr s  édifiantes 

et  presque  les  seuLi-j  qu'ils  estiment.  On 
leur  apprend  de  bonne  heure  à  tirer  de  l'arc, 
et  à  manier  les  autres  armes  qui  sont  en  usage 
parmi  eux.  Ce  qu'il  y  a  d'étonnant  ,  c'est 
qu'il  n'en  est  aucun  qui  ne  soit  extraordi- 
nairenient  hahile  dans  ces  sortes  d'exercices  ; 
jamais  ils  ne  manquent  leur  coup,  même  en 
tirant  au  vol.  Les  massues  dont  ils  se  servent 
dans  les  combats,  sont  faites  d'un  bois  dur 
et  pesant ,  elles  sont  tranchantes  des  deux 
côtés,  fort  épaisses  au  milieu  ,  et  se  termi- 
nent en  pointes.  A  ces  armes  offensives  , 
quelques-uns  ajoutent  ,  lorsqu'ils  vont  à  la 
guerre  ,  un  grand  bouclier  d'ccorce  ,  pour  se 
mettre  à  couvert  des  traits  de  leurs  ennemis. 
Ces  peuples  sont  si  vindicatifs,  que  le 
moindie  mécontentement  siilïlt  pour  faire 
iiaitre  entre  deux  peuplades  la  guerre  la  plus 
cruelle.  Il  n'est  pas  rare  de  les  voir  prendre 
les  armes  pour  disputer  à  quelque  Peuple 
voisin  un  morceau  de  fer,  plus  estimé  chez 
eux  que  l'or  et  l'argent  ne  le  sont  en  Europe. 
Quelquefois  ils  s'arment  par  pur  caprice, 
ou  simplement  pour  s'acquérir  une  réputa- 
tion de  valeur.  Les  Européens  ne  sont  peut- 
être  guère  en  étal  de  sentir  ce  qu'il  y  a  de 
baibaredans  un  pareil  procédé.  Accouluniés 
rux-niêmes  h  s'armer  quelquefois  sans  raison 
les  uns  contre  les  autres,  leur  conduite  ne 
din'ère  guère  en  cela  de  celle  des  Indiens  ; 
mais  ce  qui  inspirera  sans  doute  de  l'horreur 
pour  ces  derniers  ,  c'est  l'inclination  qu'ils 
ont  h  se  nourrir  de  chair  humaine.  Lors- 
qu'ils sont  en  guerre,  ils  font  le  plus  qu'ils 


F  T  r.  cm  ri«ir  S.  r>8^ 

peuvent  (\(*  prisonniers  ,  et  les  mangi-nl  au 
retour  de  leur  expéililion.  Vm  temps  même 
de  p.uv.  les  Indiens  d'une  même  peuplade 
se  pi>ursuivenl  l«'s  uns  les  autres  et  se  tendent 
mutuellement  des  pièges  pour  assouvir  leur 
appétit  féroce.  Cependant  il  tant  convenir 
qu'il  en  est  beaucoup  parmi  eux  qui  ont 
horreur  de  cette  Larbare  coutume.  J'en  ai 
vu  d'un  caractère  doux  et  paisible  ;  ceux-ci 
▼ivent  trantjuilles  chez  eux  ;  s'ils  prenne  ni  les 
armes  contre  leurs  voisin.s ,  ce  n'est  que  quand 
la  nécessité  les  y  contraint  ;  mais  alors  ce 
sont  les  plus  redoutables  dans  les  combats. 
Vouloir  entreprendre  de  vous  faiie  une 
peinture  des  majeurs  qui  conviennent  égale- 
ment à  tous  le3(  Peuples  sauvages  de  l'Inde, 
ce  serait  former  un  projet  impossible.  Vous 
concevez  que  les  us.iges  et  les  coutume»  doi- 
vent varier  presqu'à  Tiulini.  Je  me  contcule 
donc  de  r:«pporler  ce  qui  m'a  paru  le  plui 
universellem<"nl  établi  parmi  eux.  On  peut 
ce[)eridant  dire  en  général  qu'il  y  a  deux 
espèces  il'liommes  dans  le  Pays  dont  je  parle. 
Les  uns  sont  absolument  barbares,  les  autres 
con.servent,  jus(|ues  dans  le  sein  même  de  la 
barbarie,  une  douceur,  une  droiture  ,  un 
amour  de  la  paix,  et  mille  auties  qualités 
estimables  ,  «[u'on  est  tout  étonré  de  trouver 
dans  des  hommes  sans  éducation  ,  et  pour 
ainsi  dire  sans  principes.  Les  Historiens, 
faute  de  remarquer  cette  différence,  ont  été 
peu  d'accord  sur  le  génie  et  le  caractère  des 
Indiens.  Tantôt  on  nous  les  représente 
cgiume  dt>&  geus  grossiers  elstupides,  aussi 


984  Lettres  édifiantes 

l)ornés  dans  leurs  vues  ,  qu'inconstans  et 
légers  dans  leurs  résolutions  ;  capables  d'em- 
brasser aujourd'hui  le  chrislianisme  ,  et  de 
retourner  demain  dans  leurs  bois.  Tantôt  ou 
nous  les  peint  comme  des  liommes  d'un  tem- 
pérament vif  et  plein  de  feu,  d'une  patience 
admirable  dans  le  travail ,  d'un  esprit  péné- 
trant, d'une  intelligence  vaste,  et  enfin,  d'une 
docilité  singulière  aux  ordres  de  ceux  qui 
ont  droit  de  leur  commander.  Telle  est  l'idée 
que  Bariliélemi  de  Lns-Casas  nous  donne 
des  Indiens  qui  habitaient  le  Mexique  et  le 
Pérou,  lorsque  les  Espagnols  y  abordèrent 
pour  la  première  fois.  Cet  écrivain  célèbre 
aurait  dû  observer  que  ces  Peuples  étaient 
déjù  civilisés.  Ils  avaient  en  eircl  un  Roi 
en\ironné  d'une  cour  nombreuse,  ce  qui  ne 
se  trouve  dans  aucune  contrée  de  l'Amérique 
Méridionale.  Ce  serait  donc  h  tort  qu'on  vou- 
drait jugerdes  autres  Indiens  par  ceux-là.  Les 
bonnes  et  les  mauvaises  coutumes  établies 
dans  eliaque  canton  passent  des  pères  aux 
cnfans  ,  et  la  bonne  ou  la  mauvaise  éducation 
qu'on  y  reçoit,  l'emporte  pres([ue  toujours 
sur  le  caractère  propre  des  particuliers. 

Il  n'est  pas  surpienant  que  des  Nations 
errantes  et  sauvages  ,  telles  que  la  plupart 
de  celles  du  Paraguay,  connaissent  si  peu  la 
beauté  de  l'ordre,  et  les  charmes  de  la  société.!, 
Il  n'est  pas  étonnant  non  plus  que  leurs  jeu- 
nes gens  étant  mal  élevés ,  et  n'ayant  sous  les 
-yeux  que  de  mauvais  exemples,  se  livrent  si 
facilement  à  la  débauche  et  à  la  dissolution.  Je 
trouve  encore  moins  étrange ,  qu'étant  accou- 


ET    r  FKIEUSES.  ^85 

tunu's  ,  comme  ils  \v  sont  ,  «lès  leur  plus 
Icntln*  rnlaute  ,  ù  la  (  hasse  vl  à  la  pôrlu*  , 
exercices  fatit^aus  ,  fjui  ne  sont  ce|)emianl 
pas  sans  plaisirs,  ils  négligent  si  tort  le  soin 
de  cultiver  les  campaf^nes. 

La  saison  (les  pluies  est  pour  eux  un  temps 
«le  réjouissanres.  Leurs  iVslins  cl  leurs  dan- 
ses (lutent  ordinairement  trois  jours  et  trois 
nuits  de  suite  ,  dont  ils  passent  la  plus  grande 
partie  à  hoire  ;  mais  il  arrive  très-souvent 
cjue  les  fumées  de  la  cliichti  (i)  vt  liant  à  leur 
trouhleile  cerveau  ,  ils  font  succéder  les  dis- 
putes, les  querelles  et  les meuilrcs à  la  joie, 
aux  plaisirs  et  aux  divertissemens.  Il  est  per- 
mis aux  (Vzr/(7f/e5  d'avoir  plusieurs  femmes; 
les  auties  Indiens  n'en  peuvent  avoir  (ju'unc. 
Mais  si  par  hasard  ils  viennent  à  s'en  dégoû- 
ter, ils  ont  droit  delà  renvoyer  et  d'en  pren- 
dre une  autre.  Jamais  un  père  n'accorde  sa 
fille  en  mariage  ,  à  moins  que  le  préten- 
dant n'ait  donné  des  preuves  non  équivoques 
d«'  son  ad: esse  et  de  sa  valeur.  Celui-ci  va 
donc  à  la  chasse,  tue  le  |>lus  qu'il  peut  de 
gibier  ,  l'appoite  à  l'entrée  de  la  cabane  où 
demeure  celle  qu'il  veut  épouser  et  se  retiro 
sans  dire  mol.  Par  l'espèce  et  la  quantité  du 
gibier,  les  parens  jugent  si  c'est  un  homme 
de  cœur  et  s'il  mérite  d'obtenir  leur  fdle  en 
mariage. 

Il  y  a  beaucoup  d'Indiens  qui  n'ont  point 
d'au'.ic  lit  que  la  terre  ou  quelques  ais  ,  sur 
lesfju»  Is  ils  étendent  une  natte  de  jonc  cl  la 

(i)  Ooisjoa  dci  ludieut. 


286  Lettres  édifiantes 
peau  des  animaux  qu'ils  ont  tués.  Us  se 
croient  fort  heureux  lorsqu'ils  peuvent  se 
procurer  un  hmnac  \  c'est  une  espèce  de  filet 
suspendu  entre  quatre  pieux  ;  quand  la  nuit 
arrive,  ils  le  suspendent  à  des  arbres  ,  pour 
y  prendre  leur  repos. 

L'Orateur  Romain  dit  quelque  part ,  qu'il 
n'y  a  aucun  Peuple  dans  le  monde  qui  ne 
reconnaisse  un  Elrc-Suprême  ,  et  qui  ne  lui 
rende  hommage.  Ces  paroles  se  vérifient 
parfaitement  bien  à  l'éi^ard  de  certains  Peu- 
ples du  Paraguay  ,  peuples  grossiers  et  bar- 
bares dont  quelques-uns  ,  à  la  vérité  ,  ne 
rendent  aucun  culte  à  Dieu  ,  mais  qui  sont 
persuadésde  sou  existence ,  elqui  le  craignent 
beaucoup.  Us  sont  également  persuadés  que 
l'ame  ne  périt  point  avec  le  corps  ,  du  moins 
je  l'ai  jugé  ainsi  par  le  soin  avec  lequel  ils 
ensevelissent  leurs  morts.  Ils  mettent  auprès 
d'eux  des  vivres  ,  un  arc  ,  des  flèches  ,  et 
une  massue  ,  afin  qu'ils  puissent  pourvoir  à 
leur  subsistance  dans  l'autre  vie  ,  et  que  la 
faim  ne  les  engage  pas  à  revenir  dans  le 
monde  pour  tourmenter  les  vivans.  Ce  prin- 
cipe universellement  reçu  parmi  les  Indiens 
est  d'une  grande  utilité  pour  les  conduire  à 
la  connaissance  de  Dieu.  Du  reste  la  plu- 
part s'embarrassent  très-peu  de  ce  que  devien- 
nent les  âmes  après  la  mort. 

Les  Indiens  donnent  h  la  Lune  le  litre  de 
mère  ,  et  l'honorent  en  cette  qualité.  Lors- 
qu'elle s'éclipse  ,  on  les  voit  sortir  en  foulo 
de  leurs  cabanes  ,  eu  poussant  des  cris  «H 
de*  hurlemens  épouvantables,  ol  Uuccr  dau*. 


BT  ccmr  r$r S.  187 

l'air  une  quantité  pro<lii:i«iis«-  de  fl«'clies|»our 
déftMidrf  l'astre  de  la  nuit  des  chiens  (ju'ils 
cioiriil  .s'(tr<'  jclés  sur  lui  pour  le  déihirer. 
plusieurs  Peuples  de  rA>ie  ,  cjuoi<|ue  eivi- 
lisés  ,  pensent  sur  les  éclipses  de  lune  à  peu 
près   comme  les  Sauvages  de  l'Amérique. 

Qiinud  il  tonne,  ces  Nations  s'imaginent 
que  l'orage  est  suscité  par  lame  de  quel- 
qu'un di'  leurs  ennemis  morts  ,  qui  veut  ven- 
ger la  honte  de  sa  défaite.  Les  Sauvages  sont 
très-superstitieux  dans  la  recherche  de  l'ave- 
nir ;  ils  consulient  souvent  le  chaut  des 
oiseaux,  le  cri  de  certains  animaux  ,  et  les 
chan^cmens  ({ui  surviennent  aux  arbres.  Ce 
sont  leurs  oracles,  et  ils  croient  pouvoir  eu 
tirer  d<'s  connaissances  certaines  sur  les  acci- 
dens  fâcheux  dont  ils  sont  menacés. 

N'attendez  pas  de  moi  que  je  vous  détaille 
les  dilFérens  points  de  la  Religiou  de  ces 
barbares.  D'abord  je  ne  la  connais  que  fort 
imparfaitement.  Outre  cela,  comme  chaque 
peuple  a  son  culte  ,  ses  céiémonies  et  ses 
Dieux  particuliers  ,  jenefmiraispassi  je  vou- 
lais vous  eu  faire  une  description  exacte  et 
complète.  Peut-être  qu'un  jour  je  pourrai 
TOUS  donner  cette  satisfaction  ;  mais  aupara- 
vant je  veux  tout  voir  par  moi-même  pour 
ne  rieo  vous  mar(juer  que  de  certain.  J'ai 
l'honucui'  d'être  en  l'uuion  de  JX.  S,  J.  C.  etc. 


aSB  Lettres  édifiantes 


LETTRE 

X)u  Père  jintoine  Sepp,  A/issionnaire  de  la 
Compagnie  de  Jésus  ,  au  Père  Guillaume 
Stinglhaim  ,  Provincial  de  la  même  Com- 
pagnie dans  la  province  de  la  Haute- 
uillemagne. 

Mon  révérend  père, 

La  paix  de  N.  S. 

La  Mission  du  Paraguay,  une  des  plus 
florissantes  que  nous  ayons  dans  le  nouveau 
Monde,  méiile  certainement  votre  attention  , 
et  celle  de  toutes  les  personnes  qui  s'intéres- 
sent à  la  propagation  de  la  Foi.  La  gi  lice  que 
Dieu  m'a  faite  de  m'y  consacrer  depuis  plu- 
sieurs années  ,  nie  met  en  état  de  vous  en 
donner  des  connaissances  ,  qui  vous  appren- 
dront les  qualités  qiie  doivent  avoir  ceux 
qui  vous  pressent  de  les  envoyer  partager 
avec  nous  les  travaux  de  la  vie  Apostolique. 
Au  reste  je  ne  vous  entretiendrai  ici  que  de 
ce  qui  me  regarde,  laissant  aux  autres  Mis- 
sionnaires le  soin  d'informer  leurs  amis  qui 
sont  en  Euroj)e  ,  de  ce  qui  se  passe  dans  les 
nouvelles   Missions   qui  leur  sont  conliées. 

Il  y  a  peu  d'années  qu'on  avait  formé  le 
dessein  de  porter  la  Foi  chez  des    IVujdes 

iuûdèles, 


r  T  r  Liicusr  s.  :>Î^P 

iiifulrh's  ,  qu'on  appelle  ici  Tscharoi.  Ils 
fu\\\  pivs(|ur  aussi  léioces  que  les  l)ète.<;  parmi 
)ptf|ut*lle<iils  \ivent  ;  ils  vont  ((u.tsi  tout  nus, 
rt  ils  n'ont  piièn-s  tlcriioinnu*  (jue  la  (i^ure. 
Il  ne  fnudi.'iit  point  d'autic  pn'uve  de  leur 
liarbarie,  que  la  hizarre  coutume  (ju'ils  ol)- 
btTve.nt  à  la  mort  de  leur»  proelies  :  quand 
quel(]u'un  vient  h  mourir  ,  chacun  de  &{:% 
parens  doit  se  couper  l'extiémité  des  doigts 
de  la  main  ou  même  un  doigt  tout  entier  , 
pour  mieux  témoigner  sa  doulj'ur  ;  s'il  arrive 
qu'il  meure  assez  de  personnes  pour  que 
leurs  mains  soient  tout-à-t'ait  mutilées,  ils 
Vont  aux  pieds  ,  dont  ils  se  fout  pareill(;mcnt 
couper  les  doigts  ,  à  mesure  que  la  mort  leur 
Cnlive  (jueltjue   parent. 

On  songea  donc  à  civiliser  ces  barbares  , 
et  à  leur  annoncer  l'Evangile.  On  jeta  les 
yeux  pour  cela  .sur  deux  Missionnaires  pleins 
de  zèle  et  de  courage  ,  savoir  le  Père  Antoine 
J5olim  ,  qui  est  mort  depuis  (juclque  temps 
delà  mort  des  Saints,  et  h;  Père  Hypolite 
])octili  ,  Italien.  L'un  et  l'autre  ont  acquis 
un  grand  usage  de  traiter  avec  les  Indiens, 
par  le  grand  nombre  de  INalions  du  Para- 
guay qu'ils  ont  convertis  à  la  Foi. 

Un  de  ces  Indiens  ,  nommé  Moreira  , 
qui  était  fort  accrédité  parmi  ses  compatrio- 
tes ,  et  qui  entendait  assez  bien  la  langue 
Kspagnole  ,  s'ofl")-it  aux  INIissionnaircs  jiour 
leur  servir  d'interprète.  L'olli  e  lut  acceptée 
avec  joie  :  c'était  un  imposteur  qui  abusait 
de  la  conliancedes  deux  hommes  Apostoli- 
ques, et  (jui  loiu  d'tnlicr  dans  leurs  vues  , 

J'vme  IX,  J\ 


290  Lettres  édiviantes. 

ne  chcrcliait  qu'à  ruiner  Jour  projet,  el  à 
rendre  odieux  le  nom  Cliréiicn.  Lorsque  les 
Pères  expliquaient,  à  ces  Tniidèles  les  vérités 
de  la  Religion  ,  le  perfide  Truchement ,  au 
lieu  d'interpréter  leurs  paroles  dans  la  langue 
du  Pays  ,  les  avertissait  de  se  précautionner 
contre  la  tyiannie  des  Espagnols  ,  et  leur 
fesait  eulendie  que  ces  nouveaux  venus  ne 
■|)ensaientqu'à  les  atlirerpeu-à-pcu  vers  leurs 
peuplades,  ailn  de  les  livrer  ensuite  aux  en- 
nemis delaJNalion,  et  de  les  jeter  dans  un 
cruel  esclavage. 

Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  irriter 
tous  les  esprits  contre  les  Missionnaires  :  ou 
prenait  déjà  des  mesures  pour  les  massacrer. 
Le  Père  Bolim  eùtété  sacrifié  lepremier  àleur 
fureur  ,  si  un  jNcophyte  qui  l'accompagnait , 
n'eût  arrête  le  bras  d'un  de  ces  barbares  , 
qu'il  avait  déjà  levé  pour  lui  décharger  uu 
coup  de  massue  sur  la  tète.  Des  dispositions 
si  éloignées  du  Christianisme  ,  firent  juger 
aux  deux  Missionnaires  qu'il  n'était  pas  en- 
core temps  de  travailler  à  la  conversion  de 
ces  Peuples,  et  ils  se  retirèrent  pénétrés  do 
douleur  d'avoir  eu  si  peu  de  succès  dans  leur 
entreprise. 

Peu  de  jours  après  leur  départ,  le  même 
IMoicira  qui  avait  fait  échouer  par  ses  arti- 
fices le  projet  des  Missionnaires  ,  parut  dans 
ma  Peuplade  ,  ([ui  n'est  pas  éloignée  dvs 
terres  habitées  })ar  ceux  de  sa  dation.  La 
jHMisée  me  vint  de  gagner  cette  ame  endur 
cie  depuis  long- temps  dans  toute  sorte  de 
i;iimci  j  et  dont  l'aversion  pour  le  Chrislijj- 


ET    CL'RIEUSi;».  MJl 

iiismc  scnihlail  t'tic  iiisui  luontnhl»'.  Je  l'iij- 
{;;igi-.'ii  pcu-ii-peu  ,  par  dts  ilémonbiratioiis 
d'aiiiilié  ,  a  venir  dan»  ma  cabane  ;  je  l'y 
ni  us  avec  Uiulressc  ,  je  lui  donnai  de 
riu  rbe  I  ;  du  l^^^a^uay  ,  it  je  lui  lis  d'aulres 
jxlils  prcsens  (jue  je  sa\ais  devoir  lui  élre 
agréables. 

Ces  marques  d'afleclion  l'apprivoisèrent 
insensil)K  nienl  -,  atliré  par  mes  caresses  et  par 
nus  lil)éralilés  ,  il  vint  toules  les  semaines 
me  rendre  (jueb|ues  visiles  ;  il  m'amena 
même  s<ni  lils.  (jluand  je  crus  l'avoir  gagné 
lout-à-fait  ,  je  lui  représentai  toitcraent  le 
déplorable  étal  dans  lequel  il  vivait;  je  lui 
lis  ^^•nlir  ([u'élaul  dans  un  âge  avancé  ,  il 
devait  bientôt  paraître  au  tribunal  du  sou- 
verain Juge,  et  qu'il  devait  s'attendre  à  des 
supplices  éternels  ,  si  continuant  à  fermer 
les  yeux  à  la  lumière  (|ui  l'avait  tant  de  lois 
éclaiié,  il  pcrsévéraitdansson  iulidélilé.  Je 
l'enjbrassai  en  mètne-teir.ps  ,  et  je  le  conjurai 
d'avoir  pitié  de  lui-même.  Je  m'aperçus  qu'il 
s'attendrissait ,  et  aussitôt  je  le  mis  lui  et  son 
(ils  entre  les  mains  de  (juebjues  Méopliyles, 
pour  le  retenir  dans  la  Peuplade.  Il  est 
maintenant  entièrement  cliangé  ;  il  se  rend 
exaclemcnt  à  l'Kglise  avec  les  autres  fidèles; 
quoi({u'il  ait  soixante  ans  ,  il  ne  lait  nulle 
dillicullé  de  s'asseoir  au  milieu  des  entaiis  , 
de  taire  le  signe  de  la  croix  ,  et  d'appnndre 
commeeux  le  Catéchisme  ,  il  récite  le  Rosaire 
avec  les  Néophytes  j  eulin  c'est  sincèrement 


(<}  Cette  hctbc  est  de   uiC-mc  lUii^^c  i(uc  lu  tLc> 


29**  LrTTRES    EDIFIANTES 

qu'il  est  converti  ,  et  il  y  a  lieu  de  croire  que 
son  exemple  produira  aussi  la  couversioa 
de  ses  compalriolcs  :  sa  femme  l'a  déjà 
suivi  ,  avec  dix  familles  de  la  même  Nation 
c]ui  demandent  le  baptême  ,  et  qui  demeurent 
dans  ma  peuplade  pour  se  faire  instruire. 

Le  fils  de  Moreira  ,  touché  de  la  grâce 
que  Dieu  lui  avait  faite  de  l'appeler  au  Chris- 
tianisme ,  ne  songea  plus  qu'à  procurer  le 
même  bonheur  à  ceux  qui  lui  étaient  le  plus 
chers.  Il  alla  lui-même  chercher  sa  femme  , 
et  l'amena  à  la  peuplade.  Elle  a  un  frère 
marié  dans  le  même  pays,  qui  a  voulu  l'y 
accompagner,  et  il  me  presse  maintenant  de 
le  mettre  au   rang  des  Chrétiens. 

Quelques  jours  après  son  arrivée  ,  la 
femme  de  ce  dernier  se  présenta  à  moi  pres- 
que demi  morte  de  lassitude,  et  delà  longue 
abstinence  qu'elle  avait  gardée.  «  Il  y  a  long- 
M  temps,  me  dit-elle  en  m'abordant,  que 
i)  je  désire  d'embrasser  le  Christianisme  ; 
X*  quand  je  me  suis  vue  abandonnée  de  mon 
3)  mari ,  je  n'ai  plus  pensé  qu'à  exécuter 
))  mon  dessein  ;  j'ai  donc  pris  le  parti  de 
»  venir  le  joindre,  mais  j'ai  eu  le  malheur 
»  de  plaire  à  de  jeunes  Indiens ,  qui  se  dou- 
»  tant  de  ma  résolution  ,  ne  jne  perdaient 
w  pas  de  vue ,  et  cherchaient  à  me  retenir 
))  malgré  moi ,  pour  me  faire  enGn  consentir 
»  h  leurspassions brutales.  Je  me  suiséchap- 
î)  pée  pendant  la  nuit  ,  et  lorscpie  je  me 
i)  croyais  fort  éloignée  d'eux  ,  je  les  ai  aper- 
X)  eus  dès  la  pointe  du  jour  qui  me  poursui- 
)j  valent,  J'avais  bcait  courir  ,  ils  étaient  sur 


ET    CURIEUSES.  "^^'l 

>»  le  point  «U-  m'alU'iiulro.  Dans  IVxtn'niitô 
)j  où  |c'  Mil'  tioiiv.iis  ,  )«•  me  suis  jflof  «laris 
i>  un  marais  (jiii  clail  tout  piotlii'  ;  j'v  ai 
^  dmieiiic  tout  le  jt'Urtntoncti' <l.tii.sla  I>ouo 
o  jusqu'au  cou.  La  crainte  que  j'avais  d'être 
a  découverte  ,  me  jetait  dans  de  eonlinuelles 
»  alarmes  .  et  ne  me  laissait  pa.s  la  lii)tilc 
u  de  foire  ntlention  il  ce  que  je  ^oullrais  dans 
>»  un  lieu  si  incommode.  Enlln  j'ai  cru  cju'à 
»  la  faveur  de  la  nuit  je  pouvais  sortir  de 
M  mon  marais  ,  et  continuer  ma  roule  en 
M  toute  MMelé.  F^e  Seij,'neur(|ui  m'a  protégée 
i>  ilans  cette  fAtheuse  conjoncture,  et  à  qui 
»  je  dois  ma  «lélivrance  ,  a  guidé  mes  pas 
»  vers  vous  ,  et  je  sens  que  votre  présence 
»  me  fait  oublier  toutes  mes  fatigues  :  aidez- 
»  moi,  mon  Père,  dans  le  dessein  que  j'ai 
j)  d'entrer  dans  la  vf)ie  du  salut,  c'est  l'uni- 
»  que  chose  après  laquelle  je  soupire  ,  et 
■*  c'est  aussi  la  seule  qui  ait  pu  vous  porter 
«  à  venir  demeurer  au  milieu  de  nous  ». 

Lu  si  grand  courai^c  dans  une  personne  du 
sexe,  a  (|uel((ue  chose  de  hicn  extraordinaire. 
Je  ne  jugeai  pas  qu'elle  eût  besoin  d'autre 
épreuve  pour  me  convaincre  de  la  sincérité 
de  ses  dispositions  ;  c'est  pourquoi ,  aussitôt 
qu'elle  fut  instruite,  je  lui  administrai  le 
saint  lîaptèfne.  La  ferveur  de  sa  piété  répond 
parfaitement  à  la  fermeté  qu'elle  a  fait  pa- 
raître ,  pour  rompre  les  liens  qui  l'auraient 
attachée  pour  toujours  à  l'idolâtrie. 

Je  jouissais  de  la  douceur  (jue  goûte  un 
Mi->sionnairu  h  retirer  des  aines  égarées  du 
chemin   du   la   perdition  ,  lors(ju«;  je  reçus 

i\   3 


29-1  LrTTr, r. s  éditiantks 

ordre  de  mes  Supérieurs  de  me  rendre  à 
IVolre-Damc  de  Foi  ;  c'est  une  des  peuplades 
les  plus  nombreuses  et  les  plus  étendues  qui 
soient  dans  le  Par.-iguay  :  elle  est  située  aux 
3)ords  du  fleuve  Parana.  T^e  Père  Ferdinand 
de  Orga  ,  qui  gouvernait  cette  Eglise  ,  n  était 
plus  en  état  de  remplir  ses  fonctions  ,  soit 
à  cause  de  son  grand  Age  ,  qui  passait  quatre- 
vingts  ans  ,  soit  h.  cause  de  plusieurs  infir- 
mités ,  qui  étaient  le  fruit  de  ses  longs  Ira- 
vauTS. 

Ce  bon  vieillard  me  témoigna  rescès  de 
sa  joie  par  l'abondance  des  larmes  quMl  ré- 
pandit en  m'embrassant.  En  efi'et  ,  jamais 
cette  Cbréîienlé  n'eut  plus  besoin  dètrc  se- 
courue que  dans  le  temps  que  j'y  arrivai. 
La  peste  qui  était  répandue  dans  tout  le 
Paraguay  ,  se  fesait  déjà  sentir  dans  la  peu- 
plade, et  elle  y  fit  en  peu  de  temps  de  plus 
grands  rayâmes  nue  par-lout  ailleurs. 

Cette  maladie  commençait  d'abord  par  de 
petites  pustules  qui  couvraient  tout  le  corps 
de  ceux  qui  en  étaient  frappés;  ensuite  elle 
s«^nisissait  le  gosier ,  cl  portait  un  feu  dévorant 
dans  les  entrailles  ,  qui  desséclianl  l'humide 
radical  ,  n(Vail)lissait  l'estomac  ,  et  causait 
nn  dégoût  universel  ,  ce  qui  était  suivi  de 
la  pourriUirc  des  intestins  ,  et  d'un  fiux  de 
sang  continuel.  Les  enfans  mêmes  qui  étaient 
encore  dans  le  sein  de  leur  mère  ,  n'étaient 
pas  épargnés.  Plusieurs  de  ces  enfans  nais- 
saientavantleterracordinaire;  mon  attention 
était  de  les  baj^tiser  aussitôt,  car  ils  mou- 
raient tous  le  même  jour  qu'ils  étaient  né?. 


1  T    f  IM  i;  L  SI  S.  •')-> 

Comme  il  nie  fallait  pourvoir  aux  besoins 
(lu  coijis  el  de  l'aine  tic  lant  de  malades  et 
(le  mouians,  il  ne  m'eùl  pas  élé  possihle  de 
\i.^ilo^  elia(|Me  jour  loule.s  les  maisons  de  la 
)Miiplade;  ainsi  afin  d'être  plus  ii  portée  de 
les  secourir,  je  pris  le  parti  de  les  lassem- 
Ider  tous  dans  un  nicinc  lien.  Je  choisis  pour 
cela  un  li*itiinent  fort  vaste  on  se  f;d)ri(|iiait 
la  tuile  dont  je  lis  une  esj)èoe  d'li«'»pital  ;  j'y  lis 
tr.msporJer  d.ins  leurs  hamacs  t.ius  ceux  qui 
ressentaient  les  premières  atteinte*  du  mal 
eontayieux  ;  je  plaçai  les  hommes  d'un  eôtc 
M  les  femmes  de  l'aulre;  je  j)ratiquai  aussi 
im  li«'u  séparé  pour  celles  qui  étaient  en- 
reintes  ;  et  on  m'avertissait  aussitôt  que 
<[uel([ue  enfant  venait  an  monde,  afin  de  le 
baptiser  sur-le-champ. 

ISIon  premier  soin  était  d'abord  d'admi- 
nistrer les  sacremens  a  chaque  malade  ,  et 
dr  le  disposer  à  une  sainte  mort.  Ensuite, 
je  leur  donnais  les  remèdes  que  je  croyais 
jiouvoir  les  guérir  ,  et  qui  cfTectivement  en 
onl  tiré  plusieurs  des  portes  de  ht  mort,  J'a])- 
])ris  h  queltjues  Indiens  la  manière  dont  ils 
devaient  s'y  prendre  pour  saigner,  l.e  pre- 
mier couteau  ,  ou  quelque  autre  outil  sem- 
blable ^  (pii  leur  tombait  sous  la  main,  leur 
servait  de  lancette  ;  et  en  peu  de  temps  ils 
ouvrirent  la  veine  à  plus  de  mille  personnes. 
Je  parcourais  plusieurs  fois  le  jour  chaque 
hamac,  soit  ])Our  porter  des  bouillons  aux 
malades,  soit  pour  leur  faire  boire  de  l'eau 
d(;  limon,  afin  de  rafraîchir  leurs  entrailles. 
Comme  la  maliyuité  de  la  conlaj^ion  se  jetait 

N  4 


596  Lettres  l•Dl^IA^"TES 

presque  toujours  sur  leurs  yeux  ou  sur  leurs 
oreilles  ,  en  sorte  qu'ils  étaient  en  danger 
de  demeurer  sourds  ou  aveugles  le  reste  de 
leur  vie,  je  fesais  une  autre  tournée,  suivi 
d'un  Indien,  qui  leur  ouvrait  les  yeux,  tan- 
dis ,  qu'à  la  faveur  d'un  long  tuyau  ,  j  y 
soufflais  du  sucre  candi  en  poudre,  ou  hioa 
je  leur  mettais  dans  l'oreille  de  petites  boules 
de  coton  imbibées  de  vinaigre.  Telles  fu- 
rent pendant  près  de  trois  mois  mes  occu- 
pations de  chaque  jour,  qui  nie  laissaient 
à  peine  le  temps  de  prendre  un  morceau  à 
la  hàîe,  et  de  léciler  mon  Ofuce. 

Ces  remèdes  ,  que  Dieu  m'inspira  de  leur 
doniicr,  euninl  tout  le  succès  que  je  pou- 
vais souhaiter  ;  ils  rendiient  la  santé  h  un 
grand  nombre  de  ces  pauvres  gens  ,  qui  étant 
dépourvus,  comme  ils  le  sont,  de  toutsecoui» 
humain,  n'auraient  jamais  pu  résister  sans 
moi  à  la  violence  du  mal.  J'attribue  aussi 
la  guérison  subite  de  plusieurs  à  une  pro- 
tection sensible  de  la  sainte  Vierge,  qu'ils 
invo([uaient  lorsqu'ils  étaient  sur  le  point  de 
rendre  le  dernier  soupir.  J'avais  dressé  ua 
Autel  au  milieu  de  la  salle,  et  j'y  «^^ais  posé 
sa  statue  ,  au  pied  de  laquelle  je  mis  ua 
inor«x*au  de  la  statue  miraculeuse  de  Notre- 
Dame  d'Oëtingen  ,  qui  m'a  été  donné  par 
MM.  les  Chanoines  de  cette  Ville,  lorsque 
je  pattis  de  Bavière  pour  la  Mission  du 
Paraguay. 

Le  temps  ne  me  permet  pas  d'entrer  dans 
le  détail  de  toutes  les  faveurs  qu'elle  répand 
sur  uos  ludions;  les  moins  crédules  parmi 


rx  r.  u  R  I  r,  f  s  n  s.  açji 

tu\  m  sont  trlliiin  lit  fi.ippôs  ,  qu'ils  la  \f- 
clHiiiciit  tlaiiN  tous  leurs  hivsoius;  et  cc  n'i'st 
p.is  en  vain  fju'ils  ont  recours  à  cette  mère 
lie  iniséricortU';  nous  avons  encore  éprouvé 
tout  réceininenl  l'eflVt  de  ses  boules.  La 
peste  avnul  rrssé  (l'nflliper  nos  IS'éopliytts , 
s'était  iéj>nnclu(;  «l.uis  les  campagnes;  le  l#lé  , 
fpii  était- déjà  en  fl<-urs  ,  se  trouva  tout  cor- 
rompu par  riufection  de  l'air;  on  ne  doutait 
plus  que  la  disette  ne  devint  universelle,  et 
que  la  t'aniinc  ne  fit  périr  ceux  que  les  mala- 
dies eonlaiiieiises  avaient  épargnée. 

Dans  l'extrême  consternation  où  l'on  était^ 
il  me  vint  dans  l'esprit  de  faire  une  proces- 
sion générale  ,  et  de  porter  la  statue  de  la 
sainte  N'ierge  dans  toutes  les  campagnes. 
Celle  procession  se  fit  avec  un  grand  ordre  ; 
tous  les  11 ahitons  de  la  peuplade,  jusqu'aux 
plus  petits  enfans,  y  assistèreul ,  cl  jamais 
ils  ne  donuèrenl  des  marques  plus  véritables 
de  li'ur  piété.  La  confiance  que  nous  avions 
eue  en  la  mère  de  Dieu  ne  fui  pas  vaine;  les 
campagnes  prirent  aussii»*)t  une  face  nou- 
velle, et  la  récolle  fut  des  plus  abondantes, 
en  sorte  même  que  nous  fûmes  en  étal  d'as- 
sister les  peuplades  voisines,  que  la  stérilité 
feaait  beaucoup  souHVir. 

Je  me  croyais  h  la  fin  de  toutes  mes  fati- 
gues,  et  je  commençais  à  respirer,  lorsque 
je  me  sentis  allaqué  à  mon  tour  d'une  ma- 
l.idie  ({ui  me  fit  croire  fjue  je  toucliais  h  ma 
dernière  lu-ure -,  je  tombai  toul-ii-coup  dans 
une  fail)le^.^c  extrême  ,  accompaj^née  d'ua 
dégoût   i;c»iéral  de  loiitcs  choses.  Oa  jugea 

i\  5 


298  Lettres  édifiantes 

que  le  repos  et  le  cliangement  d'air  pour- 
raii'nt  me  rétablir;  ainsi  je  quittai  leclimatsec 
et  l)rùlanl  où  j'étais,  pour  me  rendre  sur  les 
bords  du  fleuve  Uraguny ,  où  l'air  est  beau- 
coup plus  doux  et  plus  tempéré.  Mou  départ 
coûta  bien  dos  larmes  à  ces  pauvres  Indiens, 
qui  me  rej^ardaient  comme  leur  libérateur  ; 
je  n'avais  pas  moins  de  peine  à  me  séparer 
d'eux;  mais  dans  l'état  de  langueur  où  je  me 
trouvais,  ma  présence  leur  était  absolument 
inutile.  Ainsi  je  me  traînai  comme  je  pus 
jusqu'à  la  peuplade  de  Saint-François-Xa- 
>ier,  où  à  peine  eùs-je  demeuré  quelques 
jours,  que  je  sentis  mes  forces  revenir  peu- 
h-peu  ,  et  que  ma  sauté  fut  bientôt  réta- 
].lie. 

Le  Seigneur  j  en  me  rendant  la  vie,  lors- 
que je  me  croyais  à  la  fin  de  ma  course  ,  me 
destinait  à  d'autres  travaux.  La  peuplade  de 
Saint-]Miclirl,  la  plus  grande  qui  soit  dans 
]:î  Paraguay  ,  était  devenue  si  nombreuse  , 
qu'un  Missionnaire  ne  pouvait  plus  suffire 
à  l'instruction  de  tant  de  Peuples  ;  l'Eglise, 
quoique  fort  vaste  ,  ne  pouvait  plus  les  con- 
tenir ,  et  les  campagnes  capables  de  culture 
ne  rapportaient  que  la  moitié  des  grains  né- 
cessaires pour  leur  subsistance.  C'est  ce  qui 
fit  prendre  la  résolution  de  partager  la  peu- 
plade ,  et  d'en  tirer  de  quoi  établir  ailleurs 
une  colonie. 

On  me  cliargea  de  l'exécution  de  cette 
fulroprise  ,  dont  je  comprenais  toute  la  dit- 
ficulté.  Il  s'agissait  de  conduire  quatre  à 
cinq   mille  personnes  dans  une  rase  campa- 


L  T     *.  U  R  I  L  L  s  l.  b.  9K.Hi 

gne  ,  (l'v  b.Uii  des  cabanes  pour  les  lo;j;er, 
l't  de  délVicher  des  iciics  incultes  pour  en 
tirer  de  qiKu  les  nourrir.  Je  savjis  d'aillcuis 
com))ien  les  Indiens  sont  atlacliei  au  lieu 
de  leur  naissauec,  et  l'aversion  e\tr«"'n»e  tju'il» 
ont  pour  toute  sorte  de  tra\ail.  Les  aulici 
dillieultés  que  je  prévoyais  ne  nie  parais- 
saient pas  moins  grandes. 

Néanmoins,  regardant  l'ordre  de  mes  Su- 
périeurs comme  me  venant  de  Dieu  même, 
})lus  j'avais  sujet  de  me  délier  de  mes  propres 
forces  ,  plus  je  m'appuyai  sur  le  secours  du 
Ciel  ;  et  à  l'instant  toutes  mes  lépu^nanees 
s'évanouirent.  J'assemblai  donc  les  princi- 
jiaux  Indiens  qu'on  a]ipelle  Cariques  ,  (  ce 
.«•ont  les  chefs  des  première*  familles,  qui  ont 
dans  leur  dépendance  quarante  ,  cinquante  , 
rt  (|ucl(|nefois  cent  Indiens  ,  dont  ils  sont 
absolument  les  maîtres  i.  Je  leur  repiéseutai 
la  nécessité  où  l'on  était  de  diviser  leur  peu- 
plade ,  h  cause  de  la  multitude  excessive  de 
ses  iia))itans;  qu'ils  devaient  faire  un  sacri- 
fice à  Dieu  «le  l'inclination  qu'ils  avaient  à 
demeurer  dans  une  terre  qui  leur  était  si 
fbcrc;  que  je  ne  leur  demandais  rien  que  je 
n'eusse  pratiqué  ntoi-mème,  puisque  j'avais 
quitté  ma  patrie,  mes  païens  cl  mes  amisj 
pour  venir  demeurer  parmi  eux,  cl  leur  en- 
seigner le  chemin  du  Ciel  ;  qu'au-rcste  ,  ils 
jiouvaient  compter  (jue  je  ne  les  abandonne- 
rais pas  ;  qu'ils  me  verraient  marcher  à  leur 
lète,  et  partager  avec  eux  leurs  plus  rudes 
travaux. 

C<-'6    paroles  ,    que   je    prononçai    d'une 


3oo  Lettres  édifiantes 

manière  tendre,  firent  une  telle  impression 
sur  leurs  esprits ,  qu'à  l'instant  vingt-uii 
Caciques,  et  sept  cent  cinquante  familles  se 
Joignirent  à  moi  ,  et  s'engagèrent  à  me  sui- 
vre par-tout  où  je  voudrais  les  conduire.  Ils 
renouvelèrent  leurs  promesses  à  l'arrivée  àa 
Révérend  P.  Provincial  :  Pay£j;uacii ,  s' écrie- 
renl-ils  en  leur  langue,  ngiiv  ychete  yehi  yehi 
oro  eniche  angnndehe  ;  c'cst-h-rlire,  grand 
Père,  (  ils  appellent  ainsi  le  Père  Provin- 
cial )  ,  nous  vous  remercions  de  la  visite  que 
vous  voulez  bien  nous  rendre  ;  nous  irons 
volontiers  où  vous  souhaitez. 

Il  n'y  a  que  Dieu  qui  ait  pu  mettre  dans 
le  cœur  de  ces  Indiens  une  disposition  si 
prompte  à  l'accomplisseraent  de  notre  des- 
sein. Dès- lors  je  jugeai  favorablement  du 
succès,  et  je  ne  songeai  plus  qu'à  me  mettre 
en  chemin  pour  chercher  un  lieu  propre  à 
fonder  la  nouvelle  colonie.  Les  principaux 
Caciques  m'accompagnèrent  à  cheval  ;  nous 
marchâmes  toute  la  journée  vers  l'Orient  ; 
et  enfin  nous  découvrimcs  sur  le  soir  ua 
vaste  terrain  ,  environné  de  collines  et  de 
bois  fort  touifus.  Au  haut  de  ces  colline» 
nous  trouvâmes  quatre  sources  extrêmement 
claires  ,  dont  les  eaux  serpentaient  lente- 
ment dans  les  campagnes  ,  et  descendaient 
dans  le  fond  de  la  vallée  ,  où  elles  forinaii  ut 
line  petite  livière  aascz  agiéable.  Les  riviè- 
res sont  nécessaires  dans  une  habitation  d'In- 
diens ,  parce  que  ces  peuples  étant  d'un  tem- 
péiamtut  fort  chaud  ,  ont  besoin  de  se  bai- 
gner plusieurs  fois  le  jour.  J'ai  même  étw 


FT    f.  rilîEU$E5.  ^Ot 

surpris  tle  voir  que,  lorM|u'iIs  ont  ninn^»* , 
le  hnin  était  runi(|iif- remède  (jui  Les  guéris- 
sait (le  leur  iiuli;;r>linii. 

Nous  l'iilrî^tnes  ensuite  dans  1rs  bois,  oij, 
nous  finies  le\er  quantité  de  cerfs  et  d'au- 
tres hétes  fauves.  La  .situation  d'un  lieu  si 
commode  nous  détermina  à  y  élahlir  notre 
j^eujdade.  Le  lendemain  ,  qui  était  la  fètc 
«le  riAallation  de  la  Saiute-(^,roix,  nous  mon- 
tAnies  au  plus  haut  de  la  eolline,  et  j'y  plan- 
tai une  Croix  fort  élevée  pour  prendre  pos- 
se!>sion  de  cette  lei  re  au  nom  de  Jésus-Clirist. 
Tous  nos  Indiens  l'atloièn-nt  en  se  proster- 
nant ,  après  quoi  ils  chanlèrcnl  le  Te  Dcum 
en  aelion  de  grAees, 

Je  portai  aussitôt  à  la  peuplade  de  Saint- 
ISIiclui  l'agréable  nouvelle  de  la  découverte 
que  nous  venions  de  faire.  Tous  les  Indiens 
destiné*  à  peupler  la  nouvelle  Colonie,  se 
disposèrent  au  départ  ,  et  firent  provision 
des  outils  (ju'ils  purent  trouver  ,  soit  pour 
couper  les  bois,  soit  pour  mettre  les  terres 
en  état d'è Ire  culuvées  :  ils  conduisirent  aussi 
un  giand  nombre  de  liuufs  propres  au  la- 
bour. Je  ne  jugeai  pas  h  j.ropos  que  leurs 
femmes  et  leurs  eiifans  les  suivissent,  jusqu'à 
ce  que  la  peuplade  commençât  à  se  former, 
et  ijue  la  terre  eût  porté  de  quoi  fournir  à 
leur  subsislauce. 

Les  Caci<{ues  commencèrent  d'abord  pnr 
faire  le  partage  des  terres  que  devait  possè- 
de r  chaque  famille  ;  ensuite  ils  stmèient 
(juantilé  de  colon.  Celte  plante  \  i(  ni  fort 
bicQ  dau!»  ks  Cauipagncs  du  Paraguay  ,  la 


302  Lettres  édifiantes 

semence  en  est  noire  et  de  la  grosseur  d'un 
pois  :  l'arbre  croît  en  forme  debiiisson;il  porte 
dès  la  première  année  :  il  faut  le  tailler  clia- 
que  année  comme  on  taille  la  vigne  en  Eu- 
rope. La  fleur  paraît  vers  le  mois  de  Décem- 
bre ou  de  Janvier  ;  elle  ressemble  assez  à 
une  tulipe  jaune  :  au  bout  de  trois  jours 
elle  se  fane  et  se  détaclie.  Ln  l)outon  lui 
succède  ,  qui  mûrit  peu-îi-pcu  :  il  s'ouvre 
vers  le  mois  de  Février  ,  et  il  en  sort  un 
flocon  de  laine  fort  blanche.  C'est  de  cette 
laine  que  les  Indiens  font  leurs  vètemens. 
Les  Missionnaires  apportèrent  autrefois  du 
clianvre  d'Espagne  :  il  croîtrait  dans  ce  pays 
aussi  facilement  que  croit  le  coton  ;  mais 
Tindolence  des  femmes  Indiennes  ne  peut 
s'accommoder  de  toutes  les  façons  qu'il  faut 
donner  au  chanvre  pour  le  mettre  en  état 
d'être  filé  :  le  travail  leur  en  parut  trop  dif- 
ficile, et  elles  l'abandonnèrent  pour  se  bor- 
ner à  la  toile  de  colon  j  qu'elles  font  avec 
moins  de  pein<^. 

Aussitôt  qu'on  eut  appris  dans  les  autres 
peuplades  que  nous  travaillions  à  fonder  une 
nouvelle  Colonie  ,  chacune  à  l'envi  voulut 
nous  aider.  Les  unes  nous  envoyèrent  des 
boeufs  •  d'autres  nous  amenèrent  des  che- 
vaux ;  quelques  autres  nous  apportèrent  du 
blé  d'Inde,  des  pois  et  des  fèves  pour  ense- 
mencer les  terres.  Ce  secours  ,  venu  si  à 
propos,  encouragea  nos  Indiens.  Ils  parta- 
gèrent enlr'cux  les  travaux  :  une  partie  fut 
dt^stince  à  labourer  la  terre  et  à  y  semer  les 
grains  ;   l'aulie  partie  à  couper  des  arbres 


ET  rr  m  r  i:srs.  3o3 

pour  In  conslriKlion  de  l'Kt;lisc  et  da  ni.iî- 
sons.  Avant  loutcs  «  hosrs  ,  je  choisis  Ir  lieu 
où  cUvail  se  conslruiic  i'Eglisi'  tt  la  maison 
thi  Missionnairi':  de  l:i  je  lirai  tics  lignes  pa- 
I  .illelfs  (jui  «levaient  être  autant  de  rues  ,  où 
l'on  (levait  li;'iiir  les  maisons  <le  chaque  fa- 
mille ;  ensorle  ((ue  l'Eglise  était  comme  le 
centre  de  la  peu|)lade ,  où  ahoutissaicnt  toutes 
les  rues.  Selon  ce  plan  ,  le  Missionnaire  se 
trouve  logé  au  milieu  de  ses  Néophytes  ,  et 
j).ir-l;i  il  est  plus  il  portée  de  veiller  h  leur 
conduite,  cl  de  leur  rendie  tous  les  services 
propres  de  son  ministère. 

Fendant  que  mes  Indiens  étaient  occu- 
pés à  I>;'itir  la  nouvelle  peujdade,  je  fis  une 
découverte  qui  nous  sera  dans  la  suite  d'une 
grande  utilité.  Avant  aperçu  une  pierre  ex- 
Iraordinairement  dure  ,  qu'on  appelle  ici 
Itacura  ,  parce  qu'elle  est  semée  de  plu- 
sieurs taches  noires  ,  je  la  jetai  dajis  un  feu 
très -ardent,  cl  je  trouv.ti  (pie  ces  grains 
ou  CCS  taches  (|ui  couvraient  la  picire  , 
se  détaclianl  de  toute  la  masse  par  la  vio- 
lence du  feu  ,  se  cli^mgeaient  en  du  fer  aussi 
])(}\\  (jue  celui  (ju'on  trouve  dans  les  mines  . 
d'Kurope. 

Celle  découverte  me  fit  d'autant  plus  de 
jilaisir  ,  (|ue  nous  étions  ohfigés  de  faire 
Acnir  d'Espagruj  tous  les  oulils  dont  on  a 
l>e-.oin.  ISIais  il  n'y  avait  pas  m'Kcn  d'en 
fournir  un  si  grand  Peujile  :  aussi  un  Indien 
se  ciovail-il  fort  riche  lorsqu'il  ."vfl'it  une 
faux  ,  une  hache  ,  ou  un  autre  instrument 
de  celle  iialuie.   Lorsque  j'arrivai  au  Para- 


3o4  Lettres  ÉniFiAtfTES 

guay,  la  plun.iri  de  ces  pauvres  gens  cou- 
paient leurs  l)!cs  avec  des  cotes  de  vaclie  qui 
leur  tenaient  lieu  de  faux  :  un  roseau  d'une 
espèce  particulière  qu'ils  fendaient  par  le 
milieu  ,  leur  servait  de  couteau  :  ils  em- 
ployaient des  épines  pour  coudre  leurs  vêle- 
mens.  Telle  était  leur  pauvreté,  qui  me  rend 
encore  plus  piécieuse  l'iieureuse  découverte 
que  je  viens  de  faire. 

En  mème-tcmps  que  je  remerciais  le  Sei- 
gneur de  ce  nouveau  secours  qu'il  m'em- 
voyait  ,  je  bénissais  sa  Providence  d'avoir 
dépourvu  le  Paraguay  de  toutes  les  choses 
capables  d'exciter  l'avidité  des  étrangers.  Si 
l'on  trouvait  dans  le  Paraguay  des  mines  d'or 
ou  d'argent,  comme  on  en  trouve  en  d'au- 
tres pays,  il  se  peuplerait  bientôt  d'Euro- 
péens qui  forceraient  nos  Indiens  à  fouiller 
dans  les  entrailles  de  la  terre  ,  pour  en  tirer 
le  précieux  métal  ,  après  lequel  ils  soupi- 
rent :  il  arriverait  de  là  que  ,  pour  se  sous- 
traire à  une  si  dure  servitude  ,  les  Indiens 
prendraient  la  fuite  ,  et  cherchcraienl  ua 
asile  dans  les  plus  épaisses  forets;  en  sorie 
que,  n'étant  plus  réunis  dans  les  peuplades, 
comme  ils  le  sont  maintenant ,  il  ne  serait 
^  pas  possible  aux  Missionnaires  de  travailler 
à  leur  conversion  ,  ni  de  les  instruire  des  vé- 
rites  du  Cbiistianisrae. 

Il  y  avait  près  d'un  an  qu'on  était  occupé 
a  former  la  nouvelle  peuplade  :  l'Eglise  et 
les  maisons  étaient  déj-i  construites  ,  et  la 
moisson  surpassait  nos  espérances.  Je  crus 
qu'il  élail  temps  d'y  tFansporler  les  femmes 


ET    CU11IEUSE5.  3o5 

et  le»  cnfans  (jin-  j'avais  irttiui«i  jiisrju'.ilois 
dans  la  |)(Mipl..ile  de  Sainl-Mii  lu  I.  Citnil 
un  toui  linnl  spectacle  «le  voir  ntte  niulii* 
tijtlc  (i'Iiidirnnes  marcher  da!js  les  Campa- 
gnes chargées  de  leurs  enfans,  qu'elles  por- 
taient sur  h'uis  épauh's,  ri  des  a ulres  usten- 
siles servant  au  niénaf;c  qu'elles  tenaient 
dans  leurs  mains.  Aussitôt  qu'elles  furent 
arrivées,  on  les  logea  dans  la  maison  qui 
leur  était  destinée  ,  où  elles  ouhlièreut  hii'n- 
tôl  leurs  anciennes  habitations  ,  et  les  fati- 
gues qu'elles  avaient  essuvce^  pour  se  iruns- 
portcr  dans  cette  nouvelle  terre. 

11  ne  s'agissait  plus  c{ue  de  donner  Une 
forme  de  gouvernement  à  cette  Colonie  nais- 
sante :  on  fit  donc  le  choix  de  ceux  qui 
avaient  le  plus  d'autoiilé  et  d'<'X[>érience 
pour  administrer  Injustice;  d'autres  eurent 
les  charges  de  la  Milice  pour  défendre  le 
pays  des  excursions  que  les  Peuples  du  Brésil 
font  de  lemps-en-tenips  sur  ces  terres  :  ou 
occupa  le  reste  du  Peuple  aux  arts  méca- 
niques. 

il  n'est  pas  concevable  jusqu'où  va  l'in- 
dustrie des  Indiens  pour  tous  les  ouvrages 
des  mains  :  il  leur  suffit  de  voir  un  ouvrage 
d'Kurope  pour  en  faire  un  sein])lablc  ,  et  ils 
l'imitent  si  parfaitement,  qu'il  est  diflicile 
d«'  décider  hM|uel  des  deux  a  été  fait  dans  le 
I\«raguay.  J'ai  ,  parmi  mes  Néophytes  ,  ui» 
nonnné  Puh  a  ,  »|ui  fait  toutes  sortes  d'ins- 
truniens  de  musique,  et  qui  en  joue  avec 
une  dextérité  admiiable.  Le  même  grave  sur 
l'airai.T  ,  après  l'avoir  poli,  fail  des  sphères 


3o6  Lettres  ÉDIFIANTES 

aslrononii(jues,  des  orgues  d'une  invention 
nouvelle,  et  vïne  infinilé  d'autres  ouvragt.s 
de  cette  nature.  Il  y  fti  a  parmi  nos  Indien- 
nes qui  ,  avec  des  laines  de  diverses  cou- 
leurs ,  font  des  lapis  qui  égalent  en  beauté 
ceux  de  Turquie. 

Mais  c'est  sur-tout  ponr  la  musique  qu'ils 
ont  un  génie  particulier  :  il  n'y  a  point  d  ins- 
trument ,  quel  qu'il  soit ,  dont  ils  n'ajqircn- 
nenl  à  jouer  en  très-peu  de  temps  ,  et  ils 
le  fi)nl  avec  une  délicatesse  qu'on  admireiait 
dans  les  plus  habiles  maîtres.  Il  y  a  ,  dans 
ma  nouvelle  Colonie  ,  un  enfant  de  don/.e 
ans  qui  joue  sans  broncher  sur  sa  harpe  les 
airs  les  plus  diihciles,  et  qui  demandent  le 
plus  détude  et  d'usage.  Celte  inclination 
que  nos  Indiens  ont  pour  la  musique  ,  a 
porté  les  Missionnaires  à  les  entretenir  dans 
ce  goût  :  c'est  pour  cela  que  le  service  Di\  in 
est  toujours  accompagné  du  son  de  (juehpies 
insirumcns;  et  l'expérience  a  fait  connaître 
que  rien  n'aidait  davantage  à  leur  inspirer 
du  recueillement  et  de  la  dévotion. 

Ce  qu'on  aura  de  la  peine  à  comprendre  , 
c'est  que  ces  Peuples,  ayant  un  génie  si  lare 
pour  tous  les  ouvrages  qui  se  font  de  la 
main  ,  n'aient  cependant  nul  esptit  pour 
comprendre  ce  qui  est  tant  soit  peu  dégage 
de  la  matière  ,  et  qui  ne  frappe  pas  les  sens. 
Leur  stupidité  poui"  les  choses  de  la  Religion 
est  telle  que  les  premiers  Missionnaires  cloi:- 
lèrenl  quelque-temps,  s'ils  avaient  assez  de 
raison  pour  être  admis  aux  Sacremens  :  ils 
j^roposèrent  leurs  doutes  au  Concile  de  Lijna, 


r.T  r  tR  tr  rsr  s.  3o^ 

cjn\  ,  nprcs  nvoir  iuiii'rm<-i)t  c  xnniîné  1rs  rai- 
sons (luuii  oppoiiait  pour  (.1  (oiilri',  (li'-cii'il 
pnurlanl  qu'ils  n'ôlnifiil  pas  trlli-nu-nl  <U*- 
]>ourMis  d'intrUij^i'iuT  ,  (|(i'()n  dut  leur  iffii- 
str  It's  Sacrcimrj!»  de  VV.^Wi^c.  (!t'Ia  svi\\  doit 
vous  fiiif  jupjT  (-on)})ii>n  il  m  coùtt'  aux 
IMissionnairt's  pour  former  au  CJuistianisn'C 
un  Peuple  aussi  grossier  que  relui-lh.  GrAces 
il  Dieu  ,  mes  NéopTivIcs  sont  liicn  instruits  , 
mais  jr  n'ai  jni  v  réussir  (ju'cn  rrl)allanl  sans 
rosse  les  nu'mi-s  vérités  ,  et  qu'en  les  fcsant 
entrer  dans  leurs  esprits  par  des  comparai- 
sons sensibles  qui  sont  à  leur  portée. 

Voilà  ,  mon  Révérend  Père  ,  quelles  ont 
été  mes  jiiinrijiales  oiriip;'.lion>  depuis  quel- 
ques années.  Priez  le  Seigneur  qu'il  me  donne 
les  forc<'s  nécess.-jires  pour  soutenir  les  tra- 
vaux auxquels  il  a  plu  h  sa  Lonté  de  me  des- 
tiner. Sur-tout  je  vous  <-onjurc  de  vous  sou- 
venir h  l'Autel  de  ce  petit  Ir.iupeau  ,  aussi- 
l»i«'n  que  du  Pasteur  à  qui  il  est  confié.  Je 
suis  avec  beaucoup  de  respect,  etc. 


3oB  Lettres  édifiantes 


DISSERTATION 

Sur  la  rivière  des  amazones  et  sur  l'opi- 
nion qui  place  dans  cette  Contrée  une- 
République  de  femmes  guerrières  (i). 

J_J  E  plus  c^rand  flonve  du  monde  ,  l'Amn- 
zone  ,  a  Clé  nommé  successivement,  el  même 
indifféremment,  Maragnon  ,  Apurimac,  ri- 
vière d'Orellana  ,  Rio-de-Salimoi-s  ,  rivière 
des  x\mazones ,  ou  simplement  l'Amazone; 
mais  ces  fl-jux  dernières  dénominations,  et 
celle  de  Maragnon  ,  ont  insensiblement  pré- 
valu. 

M.  delà  Condamine,  qui  a  fait  au  Pérou, 
en  171^6,  avec  d'autres  Académ'ciens  Fran- 
çais, des  observations  astronomiques  et  géo- 
graphiques ,  pour  déterminer  la  figure  de  la 
terre  ,  parcourut  celte  rivière  dans  tout  son 
cours.  Son  voyage  est  rarement  en  conha- 
diction  avec  la  carte  dressée  par  le  Père 
Frilz  ,  Missionnaire  ,  qui  avait  aussi  par- 
couru l'Amazone  dans  toute  sa  longueur; 
mais  il  entre  dans  des  détails  particuliers 
qu'il  est  imporlant  de  connaître.  Ecoutons 
M.  de  la  Condamine. 


(i)  Les  Gi'>Oî;iMphi'S  et  les  Hisloriens  modernes  ont 
donné  sur  ce';  deux  obiets  de  nouTcaiix  l'rlairrissem  mis 
qui  semblaient  être  on  supplément  nécessaire  aux  Li- 
tres Ed  fianUs  et  Ciiricusc-r.  L'Editeur  ,  aidé  des  con- 
seils d'un  parent  ,  a  cru  devoir  se  livrer  à  ce  lr;;vail  , 
qui  n'est  guère,  comme  ou  le  verra,  qu'une  sorte  «l  .lua- 
Ljse  de  co  ipii  est  dcjà  imprime  aille uis. 


1  T    f.  llIfcl'SES.  .^09 

<t  T.n  roiu fiitn- (jirOrrlI.iiia  dit  «voir  f.iile 
df  (|iirhjiirs  ffiniiic's  ariiu'-rs  ,  vu  (!i'Srciul;int 
la  ri\jrre  âc  Maingnon  ,  dont  vn  Cnci<jiie 
Indini  lui  avait  dit  dt-  se  dclirr,  !a  lit  110m- 
iiKT  la  rivière  des  Amazones.  Quelrjues-uns 
lui  ont  donné  le  nom  d'(  )i cllana  ;  mais,  avjinl 
Orell.ina  ,  «Ih'  ^'aJ»p«  l.iit  <li|à  Mar.t^non  ,  du 
nom  d'un  autte(!aj»itaine  F.sj).ts;n<d.  LesOéo- 
graplics  ([ui  ont  fait  de  l'Aniazoue  et  du  Ma- 
ragnon  deux  rivières  difU'renles  ,  trompés 
comme  Laet,  par  l'autorité  de  («arcillasso 
et  d'Henrra,  ignoraient  sans  doute  que,  non- 
seule  nient  les  plus  anciens  Auteurs  Espa- 
gnols originaux  apj)ellenl  colle  dout  nous 
parlons  Maragnon  ,  dès  l'an  i5i3,  mais  que 
Orellana  lui-même,  dit  danssa  relation  qu'il 
renroiura  les  Atnazoncs  en  descendant  le 
Maragnon,  ce  qui  csl  sans  réplique  ;  et,  en 
elFel  ,  ce  nom  lui  a  toujours  été  conservé 
sans  interruption  ,  )usqu'aujouid'liui ,  depuis 
plus  de  deux  siècles  chez  les  Espagnols  ,  dans 
tout  son  cours  ,  et  dès  sa  source  ,  dans  le 
Haut-Pérou.  Ce})endant ,  les  Portugais ,  éta- 
Ijlis  depuis  i5i6  au  Para,  N'ille  épisco- 
pale  ,  située  vers  l'cmboueliure  la  plus  orien- 
tale de  ec  fleuve,  ne  le  connaissaient  là  que 
sous  le  nom  de  rivière  des  Amazones ,  et  plus 
liaul  sous  celui  de  Salinioës  ,  et  ils  ont  trans- 
féré le  nom  de  Maiagnon  ou  de  iMaran- 
luton  ,  dans  leur  idiome,  à  une  Ville  et  à  une 
Pi-ovinee  entière  ,  (>u  Cafiilaiitcrir  voisine  de 
celle  de  Para.  J'userai  indillén-nimi  nt  du 
nom  de  Maraguon  ou  de  rivière  des  Ama- 


zuncs.  » 


3io  Lfttres  édifiantes 

Srlon  la  carte  du  Père  Fritz  ,  ce  fleure 
prend  sa  source  dans  un  lac  formé  par  les 
Cordilières  ,  à  trente  lieues  de  Lima,  vers 
le  onzième  degré  de  latitude  australe.  De  là 
il  roule  ses  eaux  dans  l'étendue  de  six  degrés 
au  Nord  jusqu'à  Jaen  ,  dans  l'audience  de 
Quito  ,  où  il  commence  à  être  navigable  ; 
mais  son  cours  est  embarrassé  de  rochers 
qui  en  rendent  la  navigation  dinicile  et  dan- 
gereuse. Il  passe  \ers  l'Est,  presque  paral- 
lèlement à  la  ligue  équinoxiale  jusqu'au  cap 
de  JNord ,  où  il  entre  dans  l'Océan  sous 
ré({uateur  même  .  après  avoir  parcouru  de- 
puis Jaen  trente  degiés  en  longitude  ,  ou 
sept  cent  cinquante  lieues  communes  ,  éva- 
luées par  les  détouis  à  mille  ou  onze  cens 
lieues.  Il  reçoit,  du  côté  du  Nord  et  du  coté 
du  Sud,  un  nombre  prodigieux  de  rivières, 
dont  plusieurs  ont  cinq  ou  six  cens  lieues 
de  couis  ,  et  dont  quelques-unes  ne  sont  pas 
inférieures  au  Danube  et  au  Nil.  Les  prin- 
cipales sont,  en  descendant  de  sa  source  à 
son  embouchure  ,  du  cùté  de  sa  rive  droite 
et  au  Midi ,  Rio-Neayalé  ,  Rio-Puruz  ,  Rio- 
da-IMadeira,  Rio-Xingu.  Du  côté  de  la 
rive  gauche  ,  et  au  Nord  ,  Rio-Napo  ,  Rio- 
Ica  ,  Rio-\  upura  ,  Rio-Negro  ,  sur  lesquels 
AI.  de  la  Coudamine  nous  fournit  encore  les 
détails  suivans  : 

«  L'Ucavale  est  une  des  plus  grandes  ri- 
vières (jui  grossissent  le  AJdn/grion.  A  leur 
jencontre  mutuelle,  TUcayale  est  plus  large 
<jue  le  fleuve  où  il  perd  sou  nom.  Ia^s  sour- 
ces de  rUcayalc  sont  aussi  les  plus  éloiguées 


E  T  r.  p  R  I  r.  r  s  E  s.  3  r  i 

cl  les  plus  nhituiiaitlt's  ;  il  rasÂciiihle  lis  eaux 
de  plusieurs  l*iovinces  ilu  Ilaul-IVroii ,  et 
il  a  «léjà  reçu  l'Apu  -  Rimac  ,  «jui  le  lencl 
une  ri\ièi'e  coii.siiléiahle  ,  par  la  iiiènu-  lali- 
liule  où  le  .Maragnon  n'est  encore  (|u'urt 
torrent  ;  enliii  ,  1  L»ayale  ,  en  remontrant  lo 
Maramion  ,  le  repousse  cl  lui  fait  changer 
de  «lireelion.  D'un  autre  côté,  le  ]Mara^non 
a  l'ail  un  lont;  circuit,  il  est  déjà  grossi  des 
rivières  de  Saint-.Iago  ,  de  Paslaca  ,  de  C.ual- 
laga  ,  etc.  ,  l(>rs({u'il  se  joint  à  l'Lcayale.  De 
plus  ,  il  csl  con&tant  que  le  Maragnon  est 
j)ar-loul  d'une  profondeur  extraortliuaire.  Il 
est  vrai  <|ue  11  c.iyale  n'est  pas  encore  bien 
connu  ,  et  fpi'tui  ignore  le  nornhre  et  la 
grandeur  des  rivières  rpi'il  reçoit.  » 

«  TiO  cours  de  Ilio-l*uruz  ,  qui  est  assez 
con>idéra!)Ie  ,  et  a  son  enil)ouchure  dans 
le  îMaragnon  ,  est  encore  beaucoup  moins 
connu  ;  ausî^i  ne  remonte-l-il  dans  la  carte 
«le  M.  Danviile  (jue  soixante  à  (juatrc-vingts 
lieues  vers  le  Su<l.  » 

^<  Rio-de-Madeira  ,  ou  rivière  du  Rois  , 
(Si  la  tioisiènie  rivière  considéiable  qui  se 
jette  dans  le  Maragnon  ,  et  piend  sa  source 
ou  Pérou,  dans  la  Province  de  Los-Cliarcas. 
Klle  est  pleine  de  suttts  ou  courans  rapides,, 
qui  eu  rendent  la  navigation  fort  dilïicile  ; 
car  on  compte  jus({u';i  vingl-uu  de  ces  sauts 
considérables,  sans  les  moindres  ,  en  la  re- 
montantdepuis  son  emboucliure  jus([u'a  près 
de  Irois  cent  railles  au  Sud.  » 

«  !M.  Danville  est  «Muore  oi)ligé  d'al)an- 
dojiuer  le  cours  de  llio-Xingu ,   au-dclù  du 


5i5  Lkttres    1-DIFI\1*TES 

deux  cent  cincjuante  milles  Fr:inrais,  en  re- 
montant de  son  enihoucliurc  au  Sud  ,  faute 
de  connaissances  ullérieures  que  les  voya- 
geurs ne  nous  ont  pas  encore  fournies,  » 

Les  rivières  qui  se  jettent  dans  le  Mara- 
gnon  ,  du  côté  du  Nord  ,  sont  d'abord  Rio- 
Kapo  ,  sur  laquelle  M.  de  la  Condamine 
nous  fournil  peu  de  détails  ;  elle  descend  des 
environs  de  Pasto  au  jNord  de  Quito. 

La  deuxième  est  celle  d'Yoa  ,  qui  des- 
cend ,  comme  le  Napo  ,  des  environs  de  Pasto, 
dans  les  Missions  franciscaines  de  Sucum- 
Lios  ,  où  elle  se  nomme  Putumayo. 

«  La  troisième  est ,  selon  M.  de  la  Con- 
damine, l'Yupura  ,  qui  a  ses  sources  un  peu 
})lus  vers  le  j\ord  que  le  Putumayo  j  et  qui, 
dans  sa  pailie  supérieure  ,  se  nomme  Cao- 
pecta  ,  nom  totalement  inconnu  à  ses  em- 
bouchures dans  l'Amazone.  Je  dis  ses  em- 
bouchures ,  car  il  y  en  a  eirectivemeut  sept 
ou  huit,  foimées  par  autant  de  bras  qui  se 
délaclienl  successivement  du  canal  princi- 
pal ,  et  si  loin  les  uns  des  autres,  qii'il  y  a 
plus  de  cent  lieues  de  distance  de  la  première 
bouche  il  la  dernière.  Les  Indiens  leur  don- 
nent divers  noms  ,  ce  qui  les  fait  prendre 
pour  différentes  rivières.  Ils  appellent  Yu- 
pura  un  des  plus  considérables  de  ces  bras 
eij  en  me  conformant  à  l'usage  des  Portu- 
gais qui  ont  étendu  ce  nom  en  remontant, 
j'appelle  Y'^upura  ,  non  -  seulement  le  brai 
ainsi  nommé  anciennenu'nl  par  les  Indiens, 
mais  aussi  le  tronc  ,  d'où  se  détachent  ces 
l>ras  et  les  suivans.  ïoul  le  pays  qu'ils  arro- 

6CUl 


r  T  c  t  R  1  r  r  s  r  s.  3 1 3 

«rnt  rsl  si  bas ,  qm*  daiii  le  temps  des  crues 
<\v  rAinai.onc  il  est  loialomcnl  inondé  ,  et 
qu'on  passe  on  canot  d'un  bras  ii  l'autre  ,  et 
à  des  lacs  dans  l'iuliMieur  des  It-rres.  Les 
bords  de  l'Yupura  sont  iiabités,  dans  quel- 
ques endroits  ,  par  des  Nations  léroces  ,  qui 
se  détruisent  mutuellement ,  et  dont  plusieurs 
mangent  encore  leurs  prisonniers.  Cette  ri- 
vière ,  non  plus  que  les  dilVéïcns  bras  qui 
entrent  plus  bas  dans  l'Aninzone  ,  ne  sont 
guère  fré(juenlés  d'auties  Européens,  que  de 
quelques  Portuj^ais  du  Para  ,  qui  y  vont  CQ 
fraude  acheter  des  esclaves.    » 

On  trouve  enfin  Rio-Ncgroou  Rivière- 
Noire  ,  sur  la<juelle  INI.  de  la  Condamine 
nous  fournit  le  détail  suivant  ;  «  La  carte  du 
père  Fritz  ,  dit-il,  et  la  dernière  carte  d'Amé- 
rique de  Dclisle  ,  d'après  celle  du  Père  Fritz  , 
fout  courir  cette  rivière  du  ]\ord  au  Sud  , 
taudis  qu'il  est  certain  ,  par  le  rapport  de 
tous  ceux  qui  l'ont  remontée ,  qu'elle  vient 
de  l'Ouest  ,  et  qu'elle  court  a  l'Est,  en  in- 
clinant un  peu  vers  le  Sud.  Je  suis  témoin  , 
par  mes  yeux  ,  que  telle  est  sa  diiection  plu- 
sieurs lieues  au-dessus  de  sou  embouchure 
dans  l'Amazone,  où  Rio-A'egro  euire  si  pa- 
rallèlement ,  que  ,  sans  la  transparence  do  ses 
eaux  ,  qui  1  ont  fait  nommer  Ri\ièie-JXoire, 
on  la  prendrait  pour  un  bras  de  l'Amazone  , 
séparé  par  une  îJe. 

>»  En  remontant  des  quinze  jours  ,  des 
trois  semaines  et  plus  dans  la  Rivière-Noire, 
on  la  trouve  encore  plus  large  qu'il  son  em- 
bouchure, à  cause  du  graiid  Dombrc  d'ilc^ 

iQvie  IX.  G 


3l4  LeTTRKS    ÉPIFTANTES 

el  de  lacs  qu'elle  tormc.  Dans  tout  cet  in- 
tervalle ,  le  terrain  sur  ses  bords  est  élevé  , 
et  n'est  jamais  inondé  ;  le  bois  y  est  moins 
fourré  ,  el  c'est  un  pays  tout  ^dillérenl  des 
bords  de  l'Amazone.  » 

Vinceiil  Pinçon  ,  un  des  compagnons  de 
Cliristophe  Colomb  ,  découvrit  rembou- 
chure  de  ce  fleuve  en  i5oo,  et  sa  source  fut 
découverte  par  Gonzale  Pizarre  en  i538. 
Orellana  ,  son  Lieutenant  ,  en  parcourut 
toute  l'étendue.  Ce  voyage  ,  coupable  et  té- 
méraire ,  est  trop  célèbre  pour  que  nous  le 
passions  ici  sous  silence.  M.  Roberlson  (  His- 
toire de  l'Amérique)  ,  en  a  fait  le  tableau  , 
également  singulier  et  intéressant ,  avec  les 
couleurs  qui  lui  sont  propres, 

((  Quelque  rapides,  dit-il,  qu'eussent  été 
les  progrès  des  Espagnols  ,  dans  l'Amérique 
méridionale  ,  depuis  l'entrée  de  Pizarre  au 
Pérou,  leurpassion  pour  les  conquêtes  n'était 
pas  encore  satisfaite.  Les  Ofliciers  que  Fer- 
dinand pizarre  avait  mis  à  la  tète  de  dillé- 
rens  détacbemens  ,  avaient  pénétré  dans  plu- 
sieurs Provinces.  Ils  souftVirent  beaucoup  , 
les  uns  dans  les  régions  stériles  et  froides  des 
Andes,  les  autres  dans  les  bois,  les  maiais 
et  les  plaines;  mais  ils  firent  des  découver- 
tes qui  étendiienl  les  connaissances  et  la  do- 
mination des  Espagnols.  Piene  de  Valdivia 
reprit  le  projet  d'Almagro  sur  le  Cbili  ;  el , 
malgré  le  courage  des  naturds  du  pays,  il 
fil  de  si  grands  progrès  qu'il  fonda  la  ville  de 
S.'  Jago  ,  le  |)iemier  établissement  Espagnol 
dans  cette   Province.   IVJais  ,  de   toutes  \v^ 


KTCL'RtRrSES.  3l5 

«expéditions  faites  vers  ce  tirnps-lh  ,  celle  de 
Oon/.iles  Pizarre  «'st  la  plus  inéinorahle.  Le 
CiouNerneur  ,  ne  voulanl  soiilliir  <jue  lui 
ri  ses  fi-ères  dans  les  pinces  iinport;uites  du 
l'ému  ,  avait  Até  à  Heualeasar  ,  qui  avait 
iiiuquis  Quito  ,  le  Gouvernement  de  ce 
Royaume,  p«»ur  en  revêtir  sou  frère  Gon- 
Zulcs.  Il  chargea  celui-ci  de  tenter  la  décou- 
verlc  et  la  conqu»He  des  pays  situes  h  l'Est 
des  Andes  ,  que  les  In<liens  disaient  être 
»l>ondans  en  canelle  et  autres  épiées  recher- 
chées. Gonzales  ,  aussi  courageux  et  aussi 
ambitieux  que  SCS  frères,  entreprit  avec  zèle 
cette  périlleuse  expédition.  Il  partit  de  Quito 
à  la  tête  de  ti-ois  cent  quarante  soldats,  dont 
près  de  la  moitié  étaient  à  cheval ,  avec  qua- 
tre mille  Indiens  pour  porter  leurs  provi- 
sions. Dans  cette  roule,  qu'il  fallait  s'ouvrir 
au  travers  des  montagnes,  les  mallieureux 
Indiens  périrent  j)res(pie  tous  par  l'excès  du 
froiil  et  de  la  fatigue  aii\([uels  ils  n'étaient 
pas  accoutumés.  Les  Esj>agnols  ,  quoicrue 
plus  robustes  et  plus  capahU^b  de  soutenir  la 
différenee  des  climats,  soullrirenl  infiniment 
et  perdirent  (ju«'lques  !^omme^.  Maislorscpi'ils 
furent  dcicendus  dans  le  plat-pays  ,  h'ura 
souffrances  augmentèrent.  Ils  essuyèrent  , 
deux  mois  entiers ,  des  pluies  roniinueli«s  qui 
ne  leur  laissaient  pas  assez  d'int:  ivallepour 
sécher  leuts  habits.  I^es  p'ainex  immenses 
qu'ils  travcrb^MiMit ,  entièrement  dépoiiivues 
d'habitans  ,  ou  occupé(  s  par  les  peuplades 
les  plus  barlîTres  et  les  moins  industrieuses 
du  NouYcuu-31ou(ie,  leur  fournis;.aicul  fort 


^lO  Lettres  édifiantes 

peu  de  subsistances.  Ils  étaient  obligés  de  se 
l'aire  un  cliemin  dans  les  marais,  ou  de  l'ou- 
vrir dans  les  bois  en  coupant  les  arbres.  Des 
travaux  si  continus  et  le  défaut  de  nourri- 
ture auraient  épuisé  la  constance  de  toute 
espèce  de  troupes  ;  mais  le  courage  et  la  per- 
sévérance des  Espagnols  du  seizième  siècle 
étaient  à  l'épreuve  de  tout.  Toujours  séduits 
par  les  fausses  relations  qu'on  leur  fesait  de 
la  richesse  des  pays  qu'ils  allaient  chercher, 
ils  persistèrent  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  at- 
teint les  bords  du  Coca  ou  Napo  ,  une  des 
grandes  rivières  qui  se  jettent  dans  le  Ma- 
ragnon.  Là  ils  construisirent,  avec  beaucoup 
de  peine,  une  barque  qu'ils  comptaient  devoir 
leur  être  d'une  grande  utilité ,  pour  leur  faire 
passer  les  rivières  y  leur  procurer  des  pro- 
visions et  reconnaître  le  pays.  Elle  fut  mon- 
tée par  cinquante  soldats  sous  le  comman- 
mandemenl  de  Framjois  Orellana,  le  pre- 
mier Oflîcier  de  la  troupe  après  Pizarre. 
Le  cours  du  fleuve  les  emporta  avec  une  si 
graadfi  rapidité,  qu'ils  devancèrent  bienlùt 
leurs  compagnons  ,  qui  les  suivaient  par 
terre  avec  beaucoup  de  lenteur  et  de  dif- 
ficulté.  )) 

»  Eloigné  de  son  Commandant,  Orellana , 
jeune  homme  ambitieux  ,  commença  à  se 
regarder  comme  indépendant  ;  et  transporté 
de  la  passion  dominante  dans  ce  siècle  ,  il 
foima  le  projet  de  se  distinguer  lui-même  par 
quelque  découverte  ,  en  suivant  le  cours  du 
JNIarcgnon  jusqu'à  l'Océan,  et  en  rcconuais- 
çajit  ieç  vastes  pays  que  ce  fleuve  arrose.  Ce 


CTCt'RIEirSLS.  3l7 

projet  était  aussi  hardi  que  perfide:  Orellana 
fut  sans  doute  coupable  eu  désobéissant  :i  son 
Chef  rt  en  ahandonuanl  ses  conipaj^nous  dans 
des  déserts  ineounus  ,  où  ils  n'avaient  d'au- 
tre espérance  de  suecès  de  leur  entreprise  et 
de  salut  pour  eux -mêmes  ({uc  celle  qu'ils 
tondaient  sur  cette  même  barque  qu'Orel- 
lana  leur  enlevait.  Mais  son  crime  est  en 
quelque  sorte  expié  par  la  hardiesse  avec  la- 
quelle il  se  hasarda  à  suivre  une  navigation 
de  près  de  deux  mille  lieues  au  travers  de 
ISations  inconnues  ,  dans  un  bAtiment  fait  à 
la  hûte  ,  de  bois  vert  et  mal  construit ,  sans 
jirovisions  ,  sans  boussole,  sans  pilote.  Son 
courage  et  son  ardeur  suppléèrent  h  tout  ce 
cjui  lui  manquait.  En  s'abandonnant  avec 
audace  au  cours  du  Napo  ,  il  fut  porté  au 
Sud  jusqu'à  la  giande  rivièie  de  Maragnon. 
Tournant  ensuite  à  l'Est  avec  le  fleuve  ,  il 
suivit  cette  direction.  Il  fit  des  descentes  fré- 
quentes sur  les  bords  ,  tantôt  enlevant  de 
force  quel(|ucs  provisions  aux  Nations  sau- 
vages qu'il  trouvait  sur  sa  route  ,  et  tantôt 
1rs  obtenant  à  l'amiable  des  peuplades  plus 
civilisées.  Après  une  longue  suite  de  dan- 
gers surmontés  avec  un  courage  étonnant  , 
et  de  travaux  supportés  avec  non  moins  de 
constance ,  il  entra  dans  l'Océan ,  où  de  nou- 
veaux périls  l'attendaient.  Il  les  surmonta 
de  même  et  arriva  enfin  à  l'établissement  Es- 
p.ignol  de  l'ile  de  CuLagua,  d'où  il  fit  voile 
pour  l'Espagne.   « 


O  3 


3i8  Lettres     édifiantes 


Nous  ne  terminerons  pas  cette  disserta- 
tion sur  l'Amazone,  sans  l'oire  une  mention 
particulière  des  femmes  mêmes  dont  elle 
porte  le  nom.  M.  de  la  Condamine  en  a 
parlé  avec  quelque  détail.  Il  ne  dit  pas  po- 
sitivement qu'elles  existent  ;  mais  il  parait 
croire  du-moins  qu'elles  ont  existé.  Nous 
allons  rapporter  ici  ses  propres  termes  : 

«  Dans  le  cours  de  notre  navigation  ,  dit 
ce  savant  voyageur  ,  nous  avions  questionné 
par-tout  les  Indiens  de  diverses  Nations,  et 
nous  nous  étions  informés  d'eux  avec  grand 
soin,  s'ils  avaient  quelque  connaissance  de 
ces  femmes  belliqueuses  ,  qu'Orellana  pré- 
tendait avoir  rencontrées  et  comhatlues  ,  et 
s'il  était  vrai  qu'elles  vivaient  éloignées  du 
commerce  des  hommes,  nelesrecevanlporuji 
elles  qu'une  fois  l'année,  comme  le  rapporte 
le  Père  d'Anugua  dans  sa  relation  ,  où  cet 
article  mérite  d'être  lu  par  sa  singularité. 
Tous  nous  dirent  qu'ils  l'avaient  ouï  racon- 
ter ainsi  à  leurs  Pères,  ajoutant  mille  par- 
ticularités ,  trop  longues  a  répéter  ,  (}ui 
toutes  tendent  à  confirmer  qu'il  y  a  eu  dans 
le  Continent  une  république  de  femmes  qui 
vivaient  seules  sans  avoir  d'hommes  parmi 
elles  ,  et  qu'elles  se  sont  retirées  du  côté  du 
Nord,  dans  l'intérieur  des  terres  par  la  Ri- 
vière-Noire ,  ou  par  une  de  celles  qui  des- 
cendent du  même  côté  dans  le  Maragnon.  >» 

Le  savant  Académicien  ajoute  à  ces  pre- 
mières observations  divers  témoignages  des 
Indiens  qu'il  a  interrogés ,  et  ceux  dont  il 


ETCCRIECSES.  il^ 

est  fait  meniion  dans  les  infounations  faites  , 
vi\  i-o»()  tl  tltpuis  ,  par  dt  u\  Gouvtrnturs 
l^|)at;n()U  dr  la  l'io'.  ince  de  Venezuela  , 
qui  s'aecordtnl  en  ^vus  sur  le  fail  des  Anja- 
z«)nes.  «  Mais,  conliiiue-l-il ,  ee  qui  ne  nié- 
riie  pas  moins  d'attenlion  ,  c'est  que,  landis 
que  ces  diverses  relations  dé.sii;nenl  le  lieu 
de  la  leliaite  tlts  Amazones  Américaines,  les 
unes  vers  l'Orient  ,  les  autres  vers  le  iNord, 
et  d'autres  vers  l'Occident  ;  toutes  ces  di- 
rections difTércnles  coi.courent  à  placer  le 
rentre  eonunun  où  elles  aboutissent ,  dans 
les  moi)taj;nes,  au  centre  de  la  Ouiane  ,  et 
dans  un  canton  où  les  Portugais  de  Para,  ni 
les  Français  de  Garenne  n'ont  pas  encore 
pén«'Mn-.  Malgré  tout  cela,  j'avoue  que  j'aurais 
Lien  di'  la  peine  à  croire  que  nos  Amazones 
y  fussent  actuellement  étai)lies,  sans  qu'oQ 
eût  des  nouvelles  f-liis  positives  de  proche  en 
proche  ,  par  les  Indiens  voisins  des  Colonies 
Kuroj)éennrs  des  c '  tes  de  la  Guiane  ;  mais 
cette  Nation  ainlnilaiite  j.oarrait  bien  avoir 
encore  changé  de  demi  ure  ;  et  ce  qui  me 
parait  plus  \  raiseiublable  que  tout  le  reste  , 
c'est  qu'elles  aient  perdu  avec  le  temps  leurs 
anciens  usages,  soit  qu'elles  aient  été  sub- 
juguées par  une  autre  iSation  ,  soit  fju'en- 
nuyées  de  leur  solitude,  les  (illes  aient  à  la 
fin  oublié  l'aversion  de  leurs  mères  ]"U!ur  les 
hommes.  Ainsi  ,  quand  on  ne  trouverait  plus 
aujourd'hui  de  vestiges  actuels  de  cette  ré- 
publique de  femmes,  ce  ne  seiaitpas  encore 
assez  pour  pouvoir  alllimci' qu'elle  n'a  jamais 
existé.  » 

0  4 


320  Lettres  édifiantes 

«  D'ailleurs ,  il  suffit ,  pour  la  vérité  da 
fait ,  qu'il  y  ait  eu  en  Amérique  un  Peuple 
de  femmes  qui  n'eussent  pas  d'hommes  vi- 
vant en  société  avec  elles.  Leurs  autres  cou- 
tumes ,  et  parliculièrcmcnt  celle  de  se  couper 
une  mamelle  ,  que  le  Père  d'Anugua  leur 
attribue  sur  la  foi  des  Indiens  ,  sont  des  cir- 
constances accessoires  et  indépendantes  ,  et 
ont  vraisemblablement  été  altérées,  et  peut- 
iêtre  ajoutées  par  les  Européens  ,  préoccupés 
des  usages  qu'on  attribue  aux  anciennes  Ama- 
zones d'Asie  ,  et  l'amour  du  merveilleux  les 
aura  fait  depuis  adopter  aux  Indiens  dans 
3eurs  récits.  En  eft'el ,  il  n'est  pas  dit  que 
le  Cacique  qui  avertit  Orellan.'^  de  se  garder 
des  Amazones  qu'il  nommait  en  sa  langue  Co- 
mapuyaras  ,  ait  fait  mention  de  la  mamelle 
coupée  ,  et  notre  Indien  de  Coaru  dans  l'his- 
toire de  son  aïeul,  qui  vit  quatre  Amazo- 
nes ,  dont  l'une  allaitait  actuellement  un  en- 
fant ,  ne  parle  pas  non  plus  de  celte  parti- 
cularité si  propre  h  se  faire  remarquer.  » 

«  Je  reviens  au  fait  principal  :  si  ,  pour 
le  nier,  on  alléguait  le  défaut  de  vraisem- 
blance et  l'espèce  d'impossibilité  morale  qu'il 
y  a  qu'une  pareille  république  de  femmes 
pvit  s'établir  et  subsister,  je  n'insisterais  pis 
sur  l'exemple  des  anciennes  Amazones  Asia- 
tiques ni  des  Amazones  modernes  d'Afri- 
que ,  puisque  ce  que  nous  en  lisons  dans  les 
historiens  anciens  et  modernes  est  au-moins 
mêlé  de  beaucoup  de  fables  ,  et  sujet  h  con- 
testations. Je  me  contenterai  de  faire  remar- 
quer que  si  jamais  il  y  a  pu  avoir  des  Araa- 


ÏTC,  DMEUSES.  3il 

Bones  dans  le  monde  ,  c'est  en  Amérique  , 
©ù  la  vie  errante  des  femmes  <[ui  suivent  sou- 
vent leurs  maris  à  la  guerre  ,  et  qui  n'en 
sont  pas  plus  heureuses  dans  leur  domesti- 
que ,  a  dû  leur  faire  naître  l'idée  et  leur  four- 
nir des  occasions  fréquentes  de  se  dérober 
au  joug  de  leurs  maîtres  ,  en  cherchant  à  se 
faire  un  établissement  où  elles  pussent  vivre 
dans  l'indépendance  ,  et  du-moins  n'élre  pas 
réduites  à  la  condition  d'esclaves  et  de  bètcs 
de  somme  Une  pareille  résolution  prise  et 
exécutée  n'aurait  rien  de  j)lus  extraordinaire 
ni  de  plus  dilïicile  que  ce  qui  arrive  tous  les 
jours  dans  toutes  les  Colonies  Européennes 
d'Amérique,  où  il  n'est  que  trop  ordinaire 
que  des  esclaves  maltraités  ou  mécontens 
fuient  par  troupes  dans  les  bois  ,  et  quelque- 
fois seuls  ,  quand  ils  ne  trouvent  h  qui  s'as- 
•ocier  ,  et  qu'ils  y  passent  ainsi  plusieurs 
années,  et  quebjuefois  toute  leur  vie  dans  la 
solitude.  » 

«  Je  sais  «pie  tous,  ou  la  plupart  des  In- 
diens de  1  Amérique  méridionale  sont  men- 
teurs ,  crédules  ,  entêtés  du  merveilleux  ; 
mais  aucun  de  ces  Peuples  n'a  jamais  en- 
tendu parler  des  Amazones  de  Diodore  de 
Sicile  et  de  Justin.  Cependant  il  était  déjù 
question  d'Amazones  parmi  les  Indiens  du 
centre  de  l'Améiicjue  avant  que  les  Espa- 
gnols y  eussent  pénétré  ,  et  il  en  a  été  men- 
tion depuis  chez  des  Peuples  (pii  n'avaient 
jamais  vu  d'Euro|)éens.  C'est  ce  que  prouve 
l'avis  donné  par  le  Cacique  h  Ortllana  et  .'i 
»es  gens,  ainsi  qu<'  les  tiadilions  rapportées 

U  5 


322  Lhttres  i^  ni  fi  an  tes 

parle  Pèred'Auugua  el  par  le  Père  d'Araze. 
Croira -t- on  que  des  Sauvages  de  contrées 
éloignées  se  soient  accordés  h  imaginer 
sans  aucun  fondement  le  même  fait,  et  que 
cette  prétendue  fable  ait  été  adoptée  si  uni- 
formément et  si  universellement  à  Maynas  , 
au  Para  ,  à  Cayennc  ,  à  Venezuela  ,  parmi 
tant  de  Nations  qui  ne  s'entendent  point,  et 
qui  n'ont  aucune  communication  ?  j» 

Non  ,  sans  doute,  les  Sauvages  ne  se  soni 
point  accordés  h  imaginer  ce  fait;  mais  ils 
ont  adopté  et  répandu  des  fictions  qui  leur 
plaisaient  presqu'auîant  qu'à  ceux -mêmes 
qui  les  avnic^nt  inventées  ;  et  ,  quoique  le 
témoignage  d'un  savant  recommandable  soit 
bien  propre  h  laver  les  Missionnaires  du  re- 
proche de  crédulité  qui  leur  a  été  fait  à  ce 
sujet,  nous  pensons  cependant,  avec  pres- 
que tous  les  Géographes  et  les  Historiens 
modernes,  que  cette  république  d'Amazones 
n'estqu'une  fable  inventée  par  OroUana;  mais 
cette  fable  était  appuyée  du  témoignage  des 
Indiens,  menteurs  ^  crédules,  et  entêtés  du 
merveilleux  ;  et  ,  quand  quelques  savan» 
Jésuites  et  M.  de  la  Condamine  lui-même 
ont  penché  à  la  croire,  nous  devons  être  per- 
suadés qu'au  sein  des  mêmes  circonstances 
il  ne  nous  aurait  pas  été  plus  facile  d'éviter 
l'erreur.  Orellana  dit  qu'un  Cacique  l'aver- 
tit de  se  garder  des  Amazones ,  et  vous  en 
concluez  qu'il  était  déjà  question  d'Ama- 
zones parmi  les  Indiens  du  centre  de  l'Amé- 
rique avant  que  les  Espagnols  y  eussent  }>é- 
uélré  5  et,  parce  que  vous  ne  voulez  point 


c  T  f.  r  n  1  I.  L  S  E  S.  3^3 

soijpronnrr  qu'Ou  lliiia  a  pu  mpnlîr  ,  ces 
Jtulii-tis  ,  fil  l'Hi-i ,  f)nl  bicnînl  complété  votre 
conviction  ;  in.nis  si  vous  v(»us  clicz  traiis- 
j)oiié  sur  les  lieux  a\oc  la  résolution  <le  n'en 
«loire  que  vos  yeux  ,  il  n'est  guère  ilouteux 
que  vous  n'en  lussiez  revenu  détrompé. 
Ainsi  ,  le  premier  (pii  a  dit  (trvlliina  vient  ^ 
a  jelé  ,  ce  nous  semhle  ,  un  grand  jour  sur 
cette  question.  M.  Kohertson  n'a  pas  hésité 
h  nier  l'existence  «les  Amazones  ;  il  dit  ,  en 
parlant  d'Orellana  :  «  La  vanité  naturelle 
aux  vovaç^eurs  cpii  cmtvu  Avf,  pavs  inconnus 
aux  autres  hommes,  et  l'aitilice  ordinaire 
aux  aventuriers  occupés  de  se  faire  valoir  , 
concoururent  à  lui  faire  mêler  dans  le  récit 
de  son  voyage  lieaucoup  de  merveilleux  à  la 
vérité.  Il  prétendit  avoir  découvert  des  Na- 
tions si  riches  ,  que  les  loîts  de  leurs  Tem- 
ples étaient  couverts  de  pla(|ues  d'or  ,  et 
donna  une  description  détaillée  d'une  ré- 
j  tililiijuc  de  femmes  guerrièies  qui  avaient 
étciidu  leur  doniinalion  sur  une  partie  con- 
sidérable des  plaines  immenses  qu'il  avait 
visitées.  Ces  contejs  extravagans  donnèrent 
naissance  h  l'opinion  (ju'il  y  avait  dans  celte 
pallie  du  Nouveau  -  Monde  \\n  pays  abou- 
daiit  en  or  ,  connu  sous  le  nom  de  El-Do- 
rado  ,  et  une  république  d'Amazones.  Et , 
tel  est  le  goût  des  hommes  pour  le  merveil- 
leux que  ce  n'est  qu'après  beaucoup  de  temps 
et  avec  Ix-aucouj)  de  difficulté  que  la  raison 
et  l'observation  ont  détruit  ces  fables.  Le 
voyage  d'Orellana  ,  dépouillé  de  toutes  ces 
circonstances  lomancsques,  mérite  cepen- 

O  G 


334  Lettres  éoifiantes 

dant  d'être  i  einar((ué ,  non-seulement  comm« 
une  des  plus  belles  expéditions  de  ce  siècle 
si  fécond  en  entreprises  ;  mais  comme  le 
premier  événement  qui  ait  donné  une  con- 
naissance certaine  de  l'existence  de  ces  ré- 
gions immenses  qui  s'étendent  à  l'Est  depuis 
les  Andes  jusqu'à  l'Océan.  » 

Un  autre  Historien  moderne  pense  qu'Orel- 
lana  a  pu  se  tromper  de  bonne  foi.  «  Lors- 
qu'il parcourut,  dit-il, pour  la  première  fois  la 
rivière  de  Maragnon  ,  il  eut  à  combattre  un 
grand  nombre  de  Nations  qui  embarrassaient 
sa  navigation  avec  leurs  canots  ^  et  qui  du 
rivage  l'accablaient  de  flèches.  Ce  fut  alors 
que  le  spectacle  de  quelques  Sauvages  sans 
harbe,  comme  le  sont  tous  les  Peuples  Amé- 
ricains ,  offrit  sans  doute  à  l'imagination  vive 
des  Espagnols  une  armée  de  femmes  guer- 
rières ,  et  détermina  l'OlTicier  qui  comman- 
dait h  changer  le  nom  de  Maragnon  ,  que 
portait  ce  fleuve ,  en  celui  d'Amazone ,  qu'eu 
lui  a  depuis  conservé.  » 

Mais,  comment  supposer  cette  bonne  foi 
à  Orellana  ,  quand  on  le  voit ,  en  méme- 
temp*,^  assurer  qu'il  a  découvert  des  Nations 
où  tout  était  d'er  ?  Non  :  il  créa  ,  dans  sa 
relation  mensongère,  cette  Nation  de  fem- 
mes guerrières  sur  le  modèle  de  celles  que 
l'antiquité  plaçait  dans  l'Asie  mineure.  Quel- 
ques Auteurs,  el  notamment  Strabon,  ont  nié 
formellement  l'existence  de  celles-ci  ;  mais 
Hérodote  ,  Pausanias  ,  Diodore  de  Sicile  , 
Pline  ,  Plutarquc  et  plusier.rs  autres  écri- 
vains ,  loiu  de  la  révoquer  eu  doute ,  l'ailir- 


ET  r  u  R  1  r  r  S  I  *.  3-315 

jnenl  posilivrinriil  ;  mais  (|u:ind  il  s'agit  il'iiu 
lait  rnati'iirl  ,  coiiiinc  l'cvistriicc  il'iiii  pavs 
ft  (l'uiif  .Nation  ,  il  faut  avouer  (ju'un  lôm<»i- 
gnn^r  lu'galif ,  que  tant  de  siècles  n'ont  pas 
ronfondu  ,  doit  faire  [>lus  d'impression  que 
viiii;l  léiMoi^nagrs  allirmatifs.  i*lus  réccm- 
mi'Mt  on  a  préuiidu  (ju'il  v  a  aussi  en  Afri- 
que une  républi({ue  d'Amazones  ^  mais  eon- 
tre  «jui  donc  se  battent  ces  femmes,  et  com- 
ment se  fait-il  qu'on  n'ait  jamais  eu  de  leurs 
nouvelles  (pie  par  oui-dire?  Clommenl  celles 
d'Ort'llana  pourraienl-tlles  exister  au  centre 
de  la  (iuiane  ,  et  dans  une  contrée  incon- 
nue aux  Français  de  Cayenne  el  aux  Portu- 
gais de  para  ?  Enfin  ,  comment ,  dans  un  si 
grand  éloignemenl  pourrions-nous  croire  une 
chose  aussi  extraordinaire,  quand  les  voisins 
n'en  ont  encore  aucune  connaissance  ^ 

On  pourrait  se  demander  aussi  pourquoi 
des  f.mmes  qui  avaient  tant  d'aversion  pour 
les  hommes  ,  consentaient  enfin  à  devenir 
mères,  et  comment  ces  liommes,  dansun  tel 
rapprochement,  ne  les  désarmaient  point ,  et 
ne  reprenaient  pas  leur  supériorité  ;  enfin,  on 
pourrait  considérer  la  douceur  naturelle  du 
sexe,  sa  faiblesse  el  sa  pusillnnimilé  comme 
autant  d'obstacles  à  la  possibilitié  de  celte 
républi(jue;  mais  il  est  sans  doute  inutile 
d'en  dire  davantage  à  cet  égard. 

Voici  peut-être  tout  ce  qu'on  jjourrait  sup- 
poser :  il  est  possible  que  des  femmes  sau- 
vages aient  voulu  partager  les  dangers  de 
leurs  maiis  dans  les  guerres  que  ceux-ci  fe- 
^«tieat  à  leurs  emiumis  j  il  a'iât  pas  même 


326         LeTTT.  7ÎS    ÉPIFIANTES,    CfC. 

hors  de  toute  vraisemblance  qu'elles  aient 
pu  quelquefois  former  un  corps  d'armée  sé- 
paré ;  mais  qu'il  y  ail  eu  des  Nations  com- 
posées de  femmes  exclusivement  ;  que  ces 
femmes  aient  fait  un  divorce  presque  per- 
pétuel avec  leurs  maris  ;  qu'elles  aient  tué  , 
estropié  ,  exposé  ou  renvoyé  leurs  cnfans 
màlcs,  et  coupé  les  mamelles  à  leurs  jeunes 
filles  ,  afin  que  dans  un  âge  plus  avancé  elles 
pussent  tirer  plus  habilement  de  l'arc  ,  et 
combattre  plus  aisément  leurs  ennemis  ;  c'est 
,ce  qui  ne  nous  parait  du  tout  point  vraisem- 
blable. 

Sens,  Editeur. 


Fin  du  neuvième  volujne. 


3^- 


T  A  B  I.  E 

Des  Lcllrts  cuiiicnucs  daus  ce  Volume. 

JLjfTTRn  sur  Us  nouvelles  Missions  de  la 
province  du  Pa/nf^uay  ,  tirée  d'un  i\/r- 
moire  Espagnol  du  Père  Jean-Patrice 
J'ernandez  ,  de  la  Cuwpai^nie  de  Jésus  , 
présenté  au  Sérénissiine  Prince  des  yistu- 
ries  en  l'année  i-jaf)  ,  par  le  Pire  liiè- 
rôme  Herrun  ,  Procureur  de  cette  Pro- 
vince ,  à  M  ***.  Page    i 

Sr.co>PE  Lettre  sur  le  même  sujet.  5o 

Lr.rrRu  du  Père  Ignace  Chômé  ,  Mission- 
naire de  la  Compui^nie  de  Jésus ,  au  Père 
f'antliiennen  de  la  même  Compagnie.  120 

ÈriT  présent  de  la  Province  de  Para- 
guay ,  dont  on  a  eu  connaissance  par 
des  lettres  venues  de  Buenos- Ayres  , 
datées  du  10  de  Fé'vrier  i-jiJ  ,  traduit 
de  l'Espagnol.  126 

Lf.ttuf  du  Jiévérend  Père  Jérôme  Ilerran  , 
Provincial  des  Missions  de  la  Compagnie 
de  Jésus  dans  la  Province  de  Paraguay  , 
à  son  Excellence  Monseigneur  le  Marciuis 
de  Caste l-Fuerte,  vice-Jioi  du  Pérou.  1 26 

Letthe  de  Monseigneur  le  Marquis  de 
Castel-Fuerte  ,  vice-Hoi  du  Pérou  ,  au 
Pkévérend  Père  Jérôme  lïerran ,  Provin- 
cial des  Missions  de  la  Province  du  Pa- 
rafa aj.  i4'^ 


3'i8  TABLE. 

Copie  de  l'acte  dressé  dans  le  Conseil 
Royal  de  Lima.  i4.3 

MnMorRE  apologétique  des  Missions  établies 
par  les  Pères  Jésuites  dans  la  Province 
de  Paraguay  ^  présenté  au  Conseil  Royal 
et  suprême  des  Indes ,  par  le  Père  Gas- 
pard Rodero  ,  Procureur-Général  de  ces 
Missions;  contre  un  Libelle  diffamatoire 
rempli  défaits  calomnieux ,  qu'un  Ano- 
nyme étranger  a  répandu  dans  toutes  les 
parties  de  t Europe.  Traduit  de  l'Espa- 
gnol. 145 

Lettre  de  Monseigneur  Don  Pierre 
Faxardo ,  Evoque  de  Buenos-Ajres ,  au 
Roi.  î84 

Lettre  du  Seigneur  Don  B/mno  Zabala  y 
Maréchal  de  Camp  ,  Gom-erneuv  et  Ca- 
pitaine-Général de  Buenos-yljres  ,  au 
Roi.  1 89 

Clauses  insérées  dans  le  Décret  que  le  Roi 
Philippe  V^  envoya  au  Gouverneur  de 
Buenos-Ajres  ,  le   ia   Novembre  i'ji6. 

193 

Observatioss  géographiques  sur  la  carte 
du  Paraguay  ,  par  l'Auteur  de  cette 
carte.  1 98 

Extrait  d'une  lettre  du  Père  Pierre  I^o- 
zano  ,  de  la  Compagnie  de  Jésus ,  de  la 
Pr'ovince  du  Pamguay ,  au  Père  Bruno 
Morales  y  de  la  même  Compagnie,  à  la 
Cour  de  Madrid.  208 

Lettre  du  Révérend  Père  Morghen  ,  Mis- 
sionnair'e  de  la  Compagnie  de  Jésus ,  à 
M.  le  Mar'quis  de  Reybac  ,  etc.  uaS 


T  A  n  L  E.  3^9 

Membiks  historique  sur  un  Alissionnaire 
tlislinguvy  (lrl',/ntrri(/ui-  mrridioinilv.  -x^ii 

Leitiik  du  Ht-xcrend  Pire  Cat  ,  Mission- 
tiaire  de  la  Compagnie  de  Jésus  ,  à  Mon- 
sieur. ***  a 56 

Lcnnr.  du  Pire  Antoine  Sepp  ,  Mission- 
naire de  la  Compagnie  de  Jésus  ,  au 
Pire  Guillaume  Sting/liaim  ,  Provincial 
de  la  même  Compagnie  dans  la  Province 
de  la  Haute- Allemagne.  288 

Drssr.iiT.iTios  sur  la  ri\iire  des  Amazones 
et  sur  l'opinion  qui  place  dans  cette 
Contrée  une  République  de  finîmes  guer- 
rières, 3  08 

Fia  de  la  Table  du  neuvième  volume. 


33o  TABLE 


TABLE 


Des  Matières  contenues  dans  les  Mémoires 
d'Amérique^  tomes  /-"/,  /^//,  FIT  l  et 
IX  des  Lettres  édifiantes  et  curieuses. 


A 


BNAKis,  Nation  sauvage  de  l' Amérique 
Sepicntrionale  :  leurs  cabanes  ,  leurs  habille- 
mens  ,  leur  iigure,  leur  caractère^  leurs  occu- 
pations ,  leur  nourriture  ,  leur  langue  ,  ses 
tours  ,  son  e'aergie  ;  lu  forme  de  leurs  raquet- 
tes et  de  leurs  canots.  Tome  VI  ^  page  12a 
et  stiiv. 

Amazone  ,  fl-nive.  Histoire  des  Amazones  qui 
eut  peut-être  doimé  leur  iioTn  à  ce  lleuve  ,  et 
leur  existence.  VIII,  22f>.  Description  des 
bords  de  ce  fleuve.  Ibid.  226.  Travaux  et 
mort  du  Père  Richler  ,  Missionnaire.  Ibid. 
229  et  suiv.  Dissertation  sur  la  rivière  des 
Amazones  ,  et  sur  l'opinion  qui  place  dans 
cette  contrée  ime  République  de  femmes 
guerrières.  IX ^  5o8. 

jiperé  ovi  Saint-Michel ,  rivière  qui  prend  sa 
source  dans  les  montagnes  du  Pérou,  tr.iverse 
les  terres  des  Chiriguanes  ,  y  change  son  noai 
en  Parapiti ,  et  se  décbarge  dans  le  lac  Ma- 
moré  ,  d'où  elle  se  rend  dans  le  Maragnon^ 
qu'on  appelle  aussi  les  Amazones.  IX  ,  8. 

Arbre  du  Brf'sil  :  on  en  trouve  dans  l'Améri- 
que Espagnole.    IX  ,  2'j6. 

Arica  ,  port  du  Pérou  ,  \  environ  dix-neuf  de- 
grés de  laliluJe  mcridioiialc.  C'était  là  qu'où 


DES    MATIERES.         XU 

cliargoait  aiitrpfois  les  richesst'ii  qu'on  tire 
d«-i  mines  du  Potosi.  VIII,  lo-j.  I/air  v  c^l 
lr«>.-mal-sain,  el  ou  l'iàpprlU"  connu iincmeiit 
le  tonibcuu  des  Français.  1\  ,   ■2').'). 


B. 


B, 


't  i.lf-Ile  en  Amérique  ;  crtte  Ile  qui  p.i- 
raîl  df  figure  ronde  ,  est  au  n\ilieu  d'un  dé- 
troil  quf  forme  l'Ile  de  Terre-neuve  avec  la 
terre  ferme  de  Labrador.  VI  ,  8. 

Bout  bon  ,  rivière  que  les  Anglais  appellent 
Pornetton  ,  et  d;ins  laquelle  se  décliarîj;c  la 
rivière  de  Sainre-Thérèsc ,  aux  envirou»  de 
la  Baie  d'I  dson.    VI  ,    12. 

Jiut'nos-Ayi es ,  ville  «le  l'Amérique Espan;nole, 
vers  le  henli*  -  deuxième  degré  de  latitude 
méridionale.  L'air  qu'on  y  respire,  sa  popu- 
lation ^  son  commerce  et  ses  environs.  IX; 

C. 

VjAr.wETF.  ,  Bourg  du  Pe'rou  ,  remarquable 
par  un  pool  singulier  (ju'oii  trouve  "^ur  la 
route  de  Caguete  à  la  province  de  Parlia-Ra- 
mac  ;    description  de  ce  pont.  IX  ,  y.4"- 

Californie  ;  c'est  en  i()f)7  que  s'y  est  fait  lepce- 
mier  établissement  solide  ;  ce  Royaume  était 
dès-lors  et  bien  auparavant  renommé  pour  . 
la  pèche  des  perles.  Les  Californiens  mon- 
trent d'heureuses  dispositions  pour  lef'.hris- 
tianismc.  Les  Pères  Salvaliern  et  Picolo  y 
fondent  plusieurs  Kglises.  VIII  ,  ".8  et  siii^'. 
Le  climat  de  la  Californie  très-chaud  sur  les 
cAles  ,  est  sain  el  tempéré  dans  les  terres  j 
elles  sont  fertiles  en  fruits  et  en  grains  ,  le 
gibier  et  le   poissoa  y  abondent.   Ibid.  4(i. 


332  TABLE 

Habillement ,  mœurs  et  occupations  des  Ca- 
liloruiens.  Ihid.  5o.  Les  Missionnaires  ex- 
hortent le  Gouverneur  Espagnol  à  former 
un  établissement  dans  la  Calirornie  ,  à  j  en- 
tretenir une  correspondance  réglée  ;  ils  lui 
communiquent  leurs  vues  sur  cet  objet. 
Ihid.   55  et  suiv. 

Canisiens  ;  nation  barbare  dans  le  Pérou;  leurs 
mœurs  et  leurs  occupations.  VIII  ,  28.  Ils 
^  écoutent  les  Missionnaires  et  consentent  à  se 
réunir  en  peuplades.  Ibid.  5i.  Le  Cucnriiluy 
rivière  très-poissonneuse,  traverse  leur  habi- 
tation. Ibid.  7)3. 

Cosse-têie  ;  cette  arme  des  Sauvages  est  faite 
d'une  corne  de  cerf  ou  d'un  bois  en  forme  de 
coutelas,  terminé  parmie  grosse boulcj  aussi- 
tôt qu'ils  ont  assené  leur  coup  à  la  tête  de 
leur  ennemi  ,  ils  la  lui  cernent  avec  leur 
couteau  ,  et  \\n  enlèvent  la  chevelure  dont 
ils  se  font  un  trophée.  VI  ,     i45. 

Casia^neres;  (le  Père)  Missionnaire  mis  à  mort 
par  les  Barbares.  Mémoire  historique  sur  ses 
voyages  et  ses  travaux  apostoliques.  IX,  'il^Q 
et  suivantes. 

Charouas,  Nation  de  l'Amérique  méridionale, 
très-fàcheuse  à  rencontrer  en  voyage.  VIII  , 
182. 

Chaudière-haute  ;  faire  chaudière-haute  chez 
les  Sauvages,  c'est  donner  un  grand  festin. 
VI,   5oi. 

Chinca  ,  Province  du  Pérou  ,  autrefois  très- 
peuplée  ,  aujourd'hui  fort  déserte.  On  y 
trouve  quelques  anciens  monumens.  IX  ,  •>,  jj. 

Chifjuites  ;  Nations  barbares  du  côté  du  Pérou; 
le  Père  de  Arce  en  a  réuni  plusieurs  dont  il 
â  formé  cinq  Peuplades  où  les  mœurs  et  la 
Religion  fleurissent.   VIII,    1 55  et  178.   H  y 


DES    MATIERES.  333 

a  deux  cliciniiis  pour  se  remlie  thoi  les  (Jii- 
qiillc".  ,  le  premier  «jui  est  Irès-loiij;^  eu  pui- 
sant par  le  l'cfrou,  et  uu  autre  ,  la  inoilié  plus 
(ourt.cu  5*eml>ar'piaiit  >ur  !<•  llcuve  du  l'ara- 
guay.  IjC  Père  de  Arce  eutrepri'ud  de  le  dé- 
couvrir ,  el  après  des  fatigues  iunoyables  , 
il  est  massacré  par  les  Sauvages  (iuayturéeus, 
^'atiou  féroce  cpii  habite  les  bords  du  fleuve 
Paraguay  ;  le  Père  de  Blende  ,  son  compa- 
gnon ,  qu'il  avait  laissé  avec  les  Payaguas  , 
autre  Peuple  de  ces  contré»îS  ,  est  aussi  im- 
molé par  ces  Barbares  ;  éloge  d»;  ces  deux 
Missionnaires.  Jl>itl.  i5f>  et  i<o.  Situation  du 
])avs  des  (>liii{uites  ,  son  étendue  ,  la  qualité 
du  t<Troir  ,  nueurs  et  coutumes  de  ces  Peu- 
ples ,  leurs  or«upalions^  leur  religion  ;  entrée 
«les  Missionnaires  dans  ce  pays  ,  obstacles 
qu'ils  oiit  à  surmonter,  première  Eglise  bâtie. 
\  III  ,  a<ifj  jusqu'à  ^2H•^.  Irruption  des  Ma- 
nie lues  portugais  sur  les  terres  des  Chiquiles  j 
ils  sont  repousses.  Route  que  tinrent  les  Ma- 
melucs  du  Brésil  ;  état  des  diverses  Missions 
étibiies  dans  ce  j)avs  et  sur  les  bords  des 
lleuves  Paraïui  et  Uruguay.  Jbid.  "^Bi  jus- 
ipi'à  'i.[)~' 
Chii  i.:uaiies  y  Nation  du  Paraguay;  étendue  des 
terres  qu'ils  habitent.  "S  lli  ,  -^^G.  Voyage  de 
près  de  mille  lieues  entrepris  par  trois  Mis- 
sionnaires pour  entrer  sur  leurs  terres  ;  ce 
qu'ils  ont  en  à  y  souflVir  ;  inutilité  de  celle 
première  tentative.  JLiiL  '23().  Peuplade 
(llirclienne  détruite  par  ces  Iniidèles  ,  elle 
Missionnain- nussaeré.  /hi<l.  uGi.  Caractère 
di!s  (>hiriguan'"s  ,  dispositions  de  leurs  Bour- 
gades,  leur  vêtement,  leurs  y)irures,  leur* 
mariages,  la  science  de  leurs  Médecins,  leurs 
dcyoiis  enycrs  les  uiorts ,  ce  qu'ils  pcuseut 


334  TABLE 

de  l'elat  de  l'aim;  séparée  du  corps  ,    leur 
opiniâtreté  dans  leurs  ridicules  superstitions. 
Ibid.  'jt^Vi  et  suivantes  ,   et  IX,    ^. 
Christianisme  ;  il  n'est  connu  chez  les  Sauva- 
ges de  la  Nouvelle  France  que  sous  le  nom 
de  Prière.  L'eau-de-vie  et  la  polygainie  sont 
les   principaux  obstacles  à  leur  conversion. 
YI ,  1 47  ^'  suivantes. 
Cire;  manière  de  l'aire  une  espèce  de  cire  verte, 
dans  l'Amérique  septentrionale,  avec  de   la 
graincde  lauriers  sauvages.  VI,  \o7>y  et  VIF, -5. 
Conception  ,  (  la  }  ville  épiscopale  du  Chili,  peu 

riciie  et  peu  peuplée.  Vlll  ,  101. 
Corduba ,  ville  assez  considérable  de  l'Améri- 
que méridionale  ;  sa  description.  Vlll,  ?)2o. 
Creuillj-  ;  (  le  Père  de  )  Missionnaire  de  la 
Cajennej  ses  travaux  ,  son  zèle  ])our  le  salut 
des  Colons  ,  des  ]>iègres  et  des  Indiens  ; 
il  est  le  premier  qui  ait  bien  connu  la  lan- 
gue des  Indiens  ,  et  qui  en  ail  fait  une 
espèce  de  Grammaire.    Vil  ,  aoo  et  suiv. 


D. 


D 


AMiER,   oiseau  ainsi  appelé  parce  qu'il  a 
le   dos  partagé    en  -petits  carreaux   noirs  et 
blancs  ;  il  se  jnend  à  la  ligne.    VIII  ,  i55. 
Danse   de  la    découverte  ,   en  usage  chez   les 
llliuois.    VI  ,   joi. 


A  ESTiNS  ;  les  Sauvages  en  donnent  le  phis 
qu'ils  pcuvenl;c'ostunninyend'ac({uérir(le  la 
considération.  Description  du  fesùii  des  Ca- 
pitaines, et  de  ce  qu'ils  appcllcut  le  festin  dft. 
la  guerre.    VT ,    17)801191. 

Feu  Sui/U-Jiline:  description  de  ce  pUéuomène, 


T)ES    MATTER  ES.  :n5 

f  t  o|)i.»i(Mi  tics  iiiadlols  à  xm  sujet.  \'IIÏ,  i(»o, 

t'oit  Saint-Cenrfes  ;  il  est  »tla((iie  par  M.  le 
tMar<|tiis  tlt*  iMuitUalin  ,  il  <«■  rtnd  ajtn's  une 
lnlir  tléfe-nse  ;  la  <°a]iitiilatiou  est  vjolée  par 
1rs  SauNu^t-'S.  Justification  thi  GeiH-ial  et  des 
Officiers  Fr  niiais.     \  I  ,    j-j/)  et  suivantes. 

Fu'ieroilles  ;  descrijitioii  il'uue  poDipe  funèbre 
de  bauvagc.  VI ,  -iwà. 

r 

\J  f  A  c  H  o  et  Guaitrn,  deux  petites  villes  du 
Pérou,  à  onze  degrés  quarante  minutes  de  la- 
titude méridionale.  I.a  première  a  un  petit 
port  à  l'ahri  des  vents  d'Ouest  et  du  Sud  ;  oa 
y  trouve-  des  vivres  excellens  et  à  bon  mar- 
ché. La  seconde  est  dans  une  situation  trcs- 
a<,'.«'.ible.  IX  ,  'Jl\i. 

Giiiiranis  ou  Ouaraniens  ,  Peuple  barV)are  de 
l'Amérifpie  méiidionab' j  on  en  a  rassemblé 
ceul  trente  mille  en  trente  IJourf^ades  diffé- 
rentes ,  sur  les  bords  du  fleuve  Parana  et  du 
fleuve  I:ragua_v  ;  ils  rajipcUent  par  leur  piété 
It!  premier  siècle  du  Christianisme.  Descrip- 
tion de  ce  pavs  et  de  ses  j)roductions  j  génie 
dr  leur  langue.     VIII^    i4î^eti87. 

Guoycaretns;  Nation  barbare  Irès-redoutablé 
jtour  les  l'spagnols  du  Pérou  ;  leurs  mœurs, 
leur  «aractère  ,  leurs  armes ,  etc.  VIII,  i -y. 

Cutané  ;  Continent  voisin  de  Cavenne  ;  les 
Pères  Lombart  et  Kamele  y  pénètrent  ,  le 
parcourent  ,  étudient  les  différentes  langues 
des  .Sauv.ii;ps  qui  l'iiabitent  ,  et  parN  iemient 
à  les  ap;iri>oiser.  VJI  ,  j.o".  I.e  Père  Lom- 
bart jcllr  les  fondemens  d'une  Peuplade  ,  il 
y  élève  pUisjcurs  enlans  Sauv.^rîs  ,  dont  il 
iiiit  cusuilc  dcj  espèces  de  Culcthislcs  ,  qui 


33Ô  TABLE 

se  répandent  dans  les  diverses  Nations  qui 
habitcnl  celte  vaste  contrée.  Ihid.  -lo^.  Plu- 
sieurs adultes  ,  gagnés  par  le  Père  Lombart  , 
et  les  jeunes  Caléchistcs  néophytes  ^  se  réu- 
nissent^ se  fixent  auprès  du  Missionnaire  ,  et 
y  forment  une  Bourgade.  Plan  de  cet  établis- 
sement, ordre  qui  s'y  observe,  etc.  Jbid.  ai  i . 
Description  de  l'Eglise  que  le  Père  Lombart 
a  fait  construire  à  Kourou  ,  nom  de  cette 
Bourgade  ,  contentement  des  Sauvages  qu'il 
a  réunis  ,  leur  piété  vraiment  édifiante.  Jbid. 
320  et  257. 


IL 


H 


orn;  (Cap  de  )  il  est  par  les  57  degrés  /^o 
minutes  de  latitude  méridionale  et  très-dif- 
ficile à  doubler.  A  UI ,  i44' 


tl  ACBA,  on  appelle  ain^îi  certaines  terres  dont 
les  Rois  d'Espagne  récompensèrent  les  Offi- 
ciers et  les  soldats  qui  s'étaient  signalés  dans 
la  conquête  de  l'Amérique.  VIII,   aip. 

Illinois  ;  Nation  sauvage  de  l'Amérique  j  ils 
vivent  dans  une  grande  abondance  ;  leurs  ri- 
vières sont  très-poissonneuses  ,  et  leurs  bois 
remplis  de  gibier  :  les  Uéches  sont  les  prin- 
cipales armes  dont  ils  se  servent,  il  les  arment 
de  pierre  taillée  et  affilée  en  forme  de  lan- 
gue de  serpent;  ils  sont  jiassionnés  pour  la 
chasse  et  pour  la  guerre.  ^  1 ,  142.  Leur  pays 
est  par  le  'q.*"  degré  de  latitude  sepieiilrio- 
nale  ,  il  est  a'sscz  beau,  mais  moins  agréable 
qu'on  ne  le  reprér.entc  dans  une  relation  <{ui 
a  paru  sous  le  nom  du  (Ihevalier  Tou'.i ,  et 
qui  est  dcsayouée  par  Im-ïixùinc.  llnd.  :i^)(^ 


DES   MATIERES.         337 

etVII,-.S.  I..1  rivière  <li-s  Illinois  sc«lcclmr«^e 
d  iiis  le  Mi^"«i^'*il»i  v«i>.  le  7>i).'  dc^i»"  de  lali- 
tiule  :  scpl  lieues  plus  bas  le  Missouri  vieul 
•'y  rendre  ;  rnviron  qiiatre-viiigt  lienes  au- 
dessou«  ,  du  côié  de  l'Est  ,  il  s'y  décharge 
encore  une  grande  rivière  nommée  Ouabache. 
VI  ,  •«•')-.  Productions  du  p.ivs,  nvi'urs  ,  lia- 
billcment  ,  occupations  des  liomines  et  des 
fi  inmes.  ///iil.  l'tH  et  '>'*()•  Les  charlatans  y 
eut  beaucouj)  d'autorité  ,  comme  chez  tous 
les  peuples  oisifs  ou  ignorans.  I/^ii.  •2G.i.  Les 
Mtisc(>utens->oul  uiif  luiùon  lllinoise  ;  efforts 
inutiles  du  Père  •Mermct,  Missionnaire,  pour 
les  éclairer  et  les  convertir.  /Ind.  '?.i')j.  C'est 
le  premier  Missionnaire  qtii  ait  découvert  le 
Mississipi  vers  l'année  iVi-'x  ,  mais  le  Père 
Gravier  est  le  premier  fondateur  de  la  Mis- 
sion des  Illinois.  Ihid.  utjf).  Histoire  d'un  Ins- 
tructeur ou  Catéchiste.  Jbid.  u-o.  Grandes 
chasses  des  Illinois  ;  les  Missionnaires  les  y 
suivent.  Ibiil.  •y.-'S.  Manière  de  voyager  chez 
les  Illinois.  Ibid.  vjH')  et  5o8.  Dan;^er  de  ren- 
contrer des  parti*  Sauvages  ;  traitement  bar- 
bare qu'ils  font  aux  voyageurs  qu'ils  sur- 
premicnt  ;  vue  perçante  des  Sauvages.  Ibid. 

Joiines,  (le  Père)  l'un  des  premiers  Misîiorf- 
naire^qui  prêchèrent  l'Evangile  auxiroquoisj 
ils  le  fout  jiérir  dans  d'horribles  supplices. 
VI  ,   J(i. 

Tijuiavates  ou  Yquivates  ,  Nation  des  bords  du 
fleuve  des  Amazones  ;  voyage  que  fait  chez 
eux  leCapitainc  Caiitosawc  im  Missionnaire; 
histoire  et  preuve  de  leur  férocité.  Ils  se  con- 
vertissent <ependant ,  et  se  réunissent  en  peu- 
plades VHI  ,  ?,o")  et  siiiw  Les  bords  de  cette 
rivière  sont  habités  j)ai'différcus  Peuples  tous 
Tome  IX.  P 


338  TABLE 

barbares  ,  et  qui  oui  fait  mourir  plusieurs 
Missiouuaires.  Jbid.  aiG.  Les  Portugais  font 
souvent  des  irruptions  sur  les  terres  Espa- 
gnoles et  dans  les  peuplades  Chrétiennes. 
Jbid.  218.  Mort  et  éloge  du  Père  Fritz,  Mis- 
sionnaire, qui  a  pircouru  le  fleuve  des  Ama- 
zones,et  en  a  levé  la  première  carte.  Ibid,  a?,o. 
Jle  de  Flore  ;  on  n'y  voit  que  des  loups  et  des 
lions  marins.  VIII,  142. 


J_Jas-c  ORIENTES  ,  ville  de  l'Amérique  Espa- 
gnole.  YIII,   187. 

Ligne  ;  (la  )  fêle  singulière  ou  plutôt  comédie 
qui  se  joue  au  passage  de  la  Ligne.  IX,  aSS. 

Lobos  ;  île  qui  est  la  première  que  forme  la 
rivière  de  la  Plata.  YIII ,  175,  et  IX  ,  266. 

Louisiane;  fia)  pays  fort  étendu  et  peuplé  par 
diverses  Nations  sauvages  ;  la  INouvelle  Or- 
léans est  la  capitale  de  tous  nos  établissc- 
mens.  Ses  fleuves  ,  ses  forêts,  ses  plaines  , 
ses  productions,  les  mœurs  de  ses  habitans, 
et  ce  qui  met  le  plus  d'obstacle  à  leur  con- 
version. VII  ;  65  et  suivantes. 


M. 


M 


agellan;  (  Détroit  de  )  sa  découverte  en 
i520.  Erreur  des  Géographes  ,  qui  donnent 
ji  la  Terre  de  feu  ,  qui  s'étend  depuis  le  Dé- 
troit de  IMagellan  jusqu'à  celui  de  le  Maire  , 
beaucoup  plus  d'étendue  en  longitude  qu'elle 
R'eu  a.  VIII,  97.  Description  des  habitaus  de 
la  Terre  de  feu.  Jbid.  ;)8. 
Claire  ;  (  Déiroif  de  le)  il  est  formé  parla  Terre 
,   tle  feu  et  rziv  «.les  Etals.  Vill,   i45. 


DES    MATIEÎIES.  3?9 

ifenJoza  ;  ^ille  située  aux  picils  des  Cordil- 
litT<"*.    NUI  ,  'yjit. 

^laiitire  de  «liinsrr  It-s  bêlrs  féroce*  ,  pruli- 
ïjiiée  p-ar  les  Indiens  <|ii  Pérou.   IX  ,   a-j. 

Jkliinille  ;  ville  -iituéc  dans  l'île  de  Luçon  ,  et 
rapilale  de  (otites  tes  îles  Philippines^  sa  des- 
cription.  V  III  ,  "iS"). 

Manitou  ,  espèce  de  Divinité  ou  de  Génie  que 
redoutenl  «t  <ju'a«lorent  les  Sau\  âges  ,  et 
qu'ils  se  forgent  au  gré  de  leur  imagination. 
VI  ,    157  et    'M\~ï. 

Marin  ,  (  M.  )  Officier  Ginadien  ;  il  attaque  et 

fircnd  le  fort  f.ydis  appai  tenant  aux  Anglais; 
es  Sauvages  veulent  traiter  les  prisonniers  à 
leur  manière  ;  mouvement  des  Officiers  Fran- 
çais eld'un  Missionnaire  pour  les  arrachera 
tant  de  barbaries.  VI  ,   uoi. 

Mission  du  Sault  ;  ferveur  et  zèle  des  Néophy- 
tes. VI,  4^-  lifienne  ,  Iroquois  de  celle  Mis- 
sion f  meurt  victime  de  sa  foi  avec  un  cou- 
rage qui  éloiuie  les  Barbares.  Ihid.  8.4.  Lue 
femme  de  la  même  Mission  ,  nommée  Fran- 
çoise ,  finit  comme  lui  sa  vie  ,  et  avec  la 
même  consUince  ,  ainsi  qu'une  autre  appelée 
Marguerite.  Ibid.  86  ,  90  et  suivantes. 

Aïoxes  ;  Nation  barbare  séparée  du  Pérou  par 
les  hautes  montagnes  appelées  les  Cordil- 
lières  ;  leurs  pays  est  sous  la  Zone  torride,  v.t 
s'étend  depuis  dix  jusqu'à  quinze  degrés  de 
latitude  méridionale.  Caractère  ,  mœurs,  cou- 
tumes et  religion  de  ces  PcupU^s  ^  nature  du 
Climat  qu'ils  habitent.  V'IJI,  58,  60  et  suiw 
Le  Père  Baraze  les  apprivoise  en  quelque 
sorte  ,  il  leur  apprend  tous  les  aris  de  pre- 
mière nécessité,  les  réunit  en  Peuplades, leur 
donne  des  lois  ,  et  les  assujettit  à  celle  de 
l'Evangile.  lùid.  ^5.  Il  y  avait  dans  ces  dcr- 

P  a 


34o  TABLE 

niers  tpmps  plus  de  trente  Missionnaires  qui 
travaillaient  dans  quinze  à  seize  Bourgades 
de  CCS  Barbares  civilise's.  Ibid.  i  12.  Le  Père 
Baraze  trouve  une  route  nouvelle  et  plus 
courte  pour  pénétrer  du  Pérou  cliez  les 
Moxes.  yill  j  84.  Il  découvre  plusieurs  a>i- 
trcs  Peuples  ,  enlr'autres  les  Baures ,  Na- 
tion plus  civilisée  que  les  Moxes  ,  et  aussi 
plus  perfide  ;  ils  foui  semblant  d'écouter  le 
Missionnaire  ,  mais  pour  le  tromper  et  le 
faire  périr  :  il  mourut  victime  de  leur  barba- 
rie ,  le  2  Septembre  l'^jO-i.  ihid.  87. 


N. 


N 


ATCHEz  ;  Nation  delà  Louisiane  ;  ferlililé 
de  leur  pays  ,  leur  culte  ,  leur  gouvernoment^ 
leurs  mœurs,  leurs  occupations,  leur  manière 
de  faire  laguerrc,  leurs  cbasses^  leurs  Méde- 
cins^ etc.  VII  ,  '2  et  siih'.  Leur  perfidie  et 
leur  cruauté  ,  dont  presque  tous  les  Français 
et  deux  Missionnaires  établis  cliez  eux  furent 
la  victime,  fùid.  aS.  Le  Père  d'Outrelcau  , 
troisième  Missionnaire  ,  échappe  au  massacre 
avec  un  bras  cassé  ;  les  Tchaclas  ^  Nation 
Iliinoise  ,  fidèle  alliée  des  Fiançais  ,  les  aide 
à  se  venger  des  Natchcz.  Ibid.  5'i  et  ?)_o. 
Nègres  ;  comn\ent  se  fait  la  traite  des  Nègres, 
comment  ils  se  vendent  quand  ils  sont  arrivés 
dans  nos  Colonies.  YIII ,  2  et  5.  Leurs  déser- 
tions assez  fréquentes  ,  malgré  les  punitions 
auxquelles  ils  s'exposent.  Ibid.  5.  Le  Père 
Fau([uc  ,  Missionnaire  de  Cayenne  ,  entre- 
prend de  ramener  inie  troupe  de  ces  Nègres 
Marrons  qui  désolaient  les  liabilaliousvoisines 
des  forets  oùils  s'élaient  réfugiés;  ses  courses^ 
ses  fatigues  ;  son  succès.  Ibid.  j  et  suis'. 


DES    MATIERES.         34* 
O. 


O 


.OBOMF  ,  animal  lit"»-siiiçnli«T  du  pay*  def 
Moxes.    VIII,  (ti   ,  et  1\  ,   t-j. 
Ours  aux  fourmis  ;  dcscripliou  de  cet  animât. 

IX ,  •«:<{. 

Outoouacks  -f  Nation  superstitieuse  de  l'Anic- 
ri«pie  septentrionale  ;  elle  est  très-atlacliec 
aux  jongleries  de  ses  <  harlalans  ;  ils  s'attri- 
buent une  origine  au^i^i  insensée  que  ridi- 
cule ;  ils  prétendent  descentire  de  trois  i'a- 
milles.  Fable  extrava^'ante  snr  cfs  trois  l"a- 
railles.  ^^,  i3.|-  Il  "N  «i  <I"t'  la  lainillfi  du 
grand  Liivre([ui  brûle  les  cadavres,  les  au- 
tres les  enterrent.  Il>id.   i  "»(i. 

0//)Y7/>o<", grande  rivière  au-dessous  de  Cayenne  : 
le  Koi  a  établi  une  colonie  sur  ses  bords.  Ali, 
2!^i.  I^e  Père  Fau<|uc  ,  Missionnaire,  part 
d'Ouyapoc  et  pénètre  dans  les  terres  ;  nom 
des  Inrliens  «pi'il  vi'-ile,  leurs  niœurs^  la 
qualilt-  dn  climat  ,  les  rivières  ,  etc.  Ibid. 
7.\Cu  Vax  fouillant  ia  terre  à  Ouyapoc  pour 
le  fondement  d'une  Eglise,  on  trouve  luic 
petite  nn'daille  de  S.  Pierre.  ILid.  y.tJi.  Pro- 
jet d'un  ('lablissi-uieiit  pour  les  Indiens  (piî 
désertent  les  Peuplades  Portugaises  éta])lies 
sur  les  bords  du  fleuve  des  Amazones.  Ibid. 
2(îi^.  Manière  de  gagner  les  Sauvages  :  Peu- 
plade établie  chez  les  Pirious  ,  par  le  Père 
d'Ayma.  Ibid.  u68.  Projet  de  s'étendre  chez 
plusiimrs  autres  ^Nations  ;  leurs  noms  ,  leur 
génie  ,  etc.  Ibid.  ■j.'^o.  Voyage  du  Père  Fau- 
qne  clicz  les  Palikours.  Ibid.  U74.  Autre 
Voyage  du  Père  Faïupie  sur  le  Catnopi ,  ri- 
vière de  la  (iuNane.  Description  du  pays  qu'il 
pavcouit  ^  moeurs  des  Sauvages  quil  visite, 

P   ^ 


34i  TABLE 

etlciirs  (lisposilioiis  à  se  réunir  en  Peuplade?^ 
et  ù  écouler  les  inslruclions  des  Missionnai- 
res. Ihid.  294-  R.eIalion  de  la  prise  du  fort 
d'Ouyapoc  par  un  Corsaire  Anglais  ,  et  tout 
ce  que  le  Père  Fauc[ue  eut  à  en  souffrir. 
Ibid.  5o7  ei  suiv. 


P. 


P 


acharamac  ;  province  du  Pe'roii  ;  elle  a 
été  le  tlicâlre  de  la  guerre  que  les  Espagnol? 
firent  à  ses  liabitans  ;  sa  capitale  a  été  dé- 
truite ,  et  ne  présente  plus  que  de  tristes 
ruines.   IX  ,  245. 

Placer  ;  [  le)  banc  de  sable  qui  court  5o  lieues 
le  long  de  la  côte  du  Brésil.  VIII,  174* 

Paraçruay ,  Mission  florissante;  elle  consiste  en 
quarante  grosses  Bourgades  toutes  habitées 
par  des  Indiens  ;  innocence  et  paix  qui  y 
régnent.  VIII,  i58.  Exercice  de  ces  Mis- 
sions ,  piété  des  Néophytes  ,  ordre  qui  s'ob- 
serve, manière  dont  s'administre  le  temporel  ; 
comment  on  pourvoità  la  subsistance  de  cha- 
que Bourgade  ;  comment  se  sont  formées  les 
Missions  du  Paraguay.  Ibid.  3o(]jiiS(ju'à  5 18. 
C'est  le  grand  lleuve  du  Paraguay  quia  donné 
.son  nom  au  vaste  pays  qu'il  traverse;  il  reçoit 
les  eaux  de  plusieurs  rivières  ,  et  principa- 
lement de  la  rivière  rouge  et  de  Picolmayo  , 
qui  prennent  leur  source  dans  les  montagnes 
du  Poiosi.  IX,  4-  Les  Sauvages  qui  habitent 
cette  contrée  sont  appelés  Cliiqiiiies  par  les 
Espagnols  ;  étvmologie  de  ce  nom  ,  étendue 
de  ce  p'iys  ;  avec  quelles  fatigues  on  a  réuni 
ces  Barbares.  Ibid.  7.  Qualité  des  terres  des 
Ciiiquitcs  ,  fruits  ,  animaux  que  leur  pays 
produit  3  difficultés  de  leur  langue  ;  vertus  que 


DES    MATIERES.  343 

doit  avoir  un  Mi^siuiinuirc  «|iii  se  con^€icrL'  à 
ces  Missions,  divers  obsla<lrs  iju'npposeiit  les 
Mainelues  du  Hre«il,  et  <jiiel<|iirlois  les  lùiro- 
péens  ,  ù  la  conversion  àr-,  inli(lèle><.  Ihiil.  S, 
l'A  cl  i<).  C^e  qu'on  enl«'nd  par  M  «nnlurs, situa- 
tion de  leur  ville  ,  leur  bri^.uidag»' ,  leurs  ru- 
se*. Ibid.  19.  TraiLsnngraliou  des  >féophvtcs 
sur  le<  bords  des  rivières  l'araua  et  Uragnav; 
usage  des  armes  à  feu  permis  par  les  Ilois 
d'Espague  ;  innocence  et  ferveur  de  ces  In- 
diens ,  leur  zèle  pour  la  conversion  des  atilres 
dations  infidèles.  Ibitl.  •i.~\.  Projet  formé  jiour 
ouvrir  une  roule  au  travers  des  terres  qui  sont 
entre  les  Missions  des  (>luquites  et  celles  du 
P.irapuav  ;  importance  de  c«'lle  découverlo  ; 
Journal  de  ce  voyage  ;  dcNcriplion  du  pavs  et 
des  Indiens  qui  habitent  sur  l'un  et  l'autre 
bord  du  Paraguay  ;  diverses  aventures  arri- 
vées aux  Missionnaires.  Ibid.  5l»..  Excursion 
du  Père  Cavallero  sur  les  terres  des  Parakis 
et  des  Tajiacuras  ;  violences  et  artifices  de 
qiieWpies Européens  envers  les  Missionnaires. 
//'/'</.  5i.  Autre  excursion  du  même  chez  les 
Indiens  Mtinacicas  ;  nature  de  leur  pays  , 
uuihilude  et  disposition  de  leurs  villages;leur 
caractère  ,  leur  religion  ,  leurs  cér«'monies  ; 
espèce  singulière  d'un  animal  nommé  Farva- 
cosio  ;  maladie  extraordinaire  qui  régne  quel- 
quefois parmi  les  Indiens  ;  autorité  de  leur 
Caci(jue.  Ibid.  55.  Excursion  du  même  Mis- 
sionnaire chez  d'autres  Nations  barbares;  com- 
ment il  est  reru  des  Indiens  Ouin'ifuicos  , 
leur  changement  subit  7  leur  docilité,  conver- 
sion de  leur  Muffono  ou  Prèlie  «les  Idoles. 
Jftid.  Hj.  Vovagc  chez  les  IwiVun^  Jurucarcs, 
fiMocilr-  de  ce  Peuple,  comment  il  est  con- 
verti. Jbid.fjz.  Autre  voyage  chez  les  ludicfiii 


41  TABLE 

Cozocas,  qui  le  reçoivent  à  coups  de  (lèches  : 
deux  de  ses  Néophytes  en  sont  blessés.  Ibid. 
g'j.  Fatigues  qu'essuva  le  Missionnaire  en 
allant  chez  les  Subarecas  et  les  Bohocas  ; 
Peuplade  de  ces  Indiens  convertis.  Ibid.  loo. 
Il  est  lue  par  les  Pinzocas  le  18  SeptemEre 
171 1.  Ibid.  106.  Plusieurs  Nations  Indiennes 
converties  par  le  Père  Suarez.  Nation  des 
Morotocos ,  leur  caractère, stérilité  du  pays, 
autorité  qui  réside  dans  les  femmes  ;  nou- 
velle Peuplade  établie  sous  l'invocation  de 
S.  Jean-Ba]itisle  par  le  Père  Zea  ,  son  des- 
sein de  porter  la  foi  chez  les  Zaviucos  ;  per- 
fidie de  ces  Indiens.  Jbid.  ion  et  Suiv.  Mis- 
sions pénibles  où  a  travaillé  le  Père  Chaume  , 
autre  Missionnaire  du  Paraguay  ;  détail  de 
ses  voyages  ;  entreprise  d'une  nouvelle  Mis- 
sion très-périllcuse  parmi  des  Nations  qui  ne 
sont  connues  qrte  par  leur  férocité  ,  et  chez 
lesquelles  ou  n'a  point  encore  pénétre.  Ibid. 
121  et  suiv.  Piévolle  des  Peuples  du  Para- 
guay ;  efforts  inutiles  des  rebelles  pour  en- 
vahir quatre  Peuplades  d'Indiens  j  et  divers 
artifices  pour  les  engager  à  entrer  dans  la 
rébellion,  fbid.  \i.5  et  suiv.  Les  Jésuites 
sont  chassés  de  la  ville  de  l'Assomption  et 
de  la  province  par  les  rebelles  ;  fidélité  et 
bravoure  des  Indiens  qui  sont  sous  la  con- 
duite des  Missionnaires  ;  défaite  d'iui  corps 
de  révoltés  par  un  parti  de  trou])cs  Indien- 
nes. Ibid.  i3i.  Mémoire  sur  les  Missions  du 
Paraguay  ;  siiualiou  de  ce  pays  ;  nature  de 
Son  climat;  herbe  du  Paraguay  fortesdmée^ 
et  où  elle  se  trouve  ;  tiibut  que  les  Indiens 
payent  au  Roi  du  |Hoduit  de  cette  herbe  , 
et  quel  reventi  elh^  leur  procure.  Ibid.  i.^S 
ei  suiv.  Preuves  juiidiques  qu'il  n'y  a  point 


DES   MAT  lERES.  3^5 

de  iniiu's  ilaiK  le  P.ir.if»ii.iv  :  Iiulifii  sulMinié 
convaincu  (If  caloiniiir.  Ihid.  lO'i.  l.ii  <jU(ii 
con-si^t»'  la  riclicssc  <Jr<i  J-l^liscs  du  Parapuav. 
/hiii.  \lto.  Raisons  qui  ont  porU*  l<'s  Rois 
d'Ii'ipatïnc  ù  acconUrr  plusirurs  privilt'^e»;  et 
exemptions  aux  Indiens  réunis  en  Peuplades  ; 
fréipieUN  e*  important  services  rendus  par  ces 
Indiens  à  la  Monarchie  Ksjint^uole  ;  travaux 
de  ce*  Indiens  pour  l'ortifier  les  Places  «le 
l'Etat  ;  dans  combien  de  guerres  ils  ont 
vaincu  et  cliasm-  les  etuiemis  <le  l'Etat.  Jbid. 
l()-  et  siiiw  Quelle  est  riimocence  et  la  piélé 
qtii  rèjçue  dans  ces  Peu])lade-;  ;  combien  les 
Indiens  sont  jaloux  de  leur  liberté  et  enne- 
mis de  toute  servitude.  Ibid.  i-jS  ei  siiiv. 
Ohser>ations  pécgraphicpies  sur  la  carte  du 
Pa  r  a  g  U  a  A" .    Ih  iti.    1 98 . 

Pèche,  manière  de  pcclicr  des  .Sauva2[es  d'Amé- 
ri(pie  ;  leur  adresse  et  leur  af^ililé  dans  cet 
exercice.  ^  I  ,    \^'\,    i-o  et  if>0. 

Pintade  ou  Miden^n'de  ,  dissertation  du  Père 
Margat  sur  la  pintade.  \'II  ,  loi.  Réfutation 
du  svstcine  de  M.  l'unlaniiii  ,  ([ui  distingue  la 
pintade  de  la  nialéagride.  Jl>id.  loj). 

Pisco  ;  villt;  du  Pérou;  ellea  été  ruinée  par  un 
treniblenu-nt  de  terre  en  iTiQO  ,  et  rebâtie  dans 
wnv  situation  charmante  ^  à  un  quart  de  lieue 
de  l'endroit  où  elle  était.  IX  ,  aSo. 

Plata  ;  (la)  rivière  ;  elle  conduit  à  Buenos- 
A  vres,  elle  est  très-poissonneuse  ;  description 
des  trrres  qui  bordent  celle  rivière  et  de  la 
ville  de  Ruenos-A yres,  VllI,  lil-j.  INIanière  de 
vovagrr  dans  ces  contrées.  Jlnd.  18  t.  Aulx'c 
description  de  cette  rivière.  IX,  •>.{\''i. 

Pni'isons  \'olniiS  ;  ils  sont  assez  communs  sous 
le  tropique  du  Cancer.  VIII,  1 35,  et  W/iih.. 

Portage  ;  dans  l'Amérique  scpteutrionalc  sur- 


346  TABLE 

tout,  quand  les  rivièros  cessent  d'être  naviga- 
bles, on  marche  sur  les  bords,  et  l'on  porte  son 
canot  qui  n'est  que  d'ccorce  ,  et  son  petit  ba- 
gage. C'est  ce  qu'on  nomme  portage.  VI,  ag^. 
Prisonniers  de  ffuerre  ;  manière  cruL-lledont  ils 
sont  traités  chez  les  Sauvages  d'Amérique. 
TI,  145. 

Q- 

\J  u  I  TO ,  une  des  villes  des  plus  considérables 
de  l'Amérique  méridionale;  desciiptiou  de 
celte  ville.  VIII,  212. 

R. 

XVasles,  (  le  Père  Sébastien  )  Missionnaire 
chez  les  Abnakis  ;  règle  qu'il  suit  dans  sa 
Mis>:ion  j  et  que  suivent  tous  les  autres  Mis- 
sionnaires. Yl,  loi  et  36'^,  Zèle  des  Abnakis 
de  cette  Mission  pour  la  foi  Catholique,  il 
leur  fait  refuser  les  a^-antages  que  leur  pro- 
p'o sent  les  Anglais.  Ibid.  107  et  160.  Tenta- 
tive des  Anglais  pour  séduire  ces  Sauvage'^. 
Jbid.  108.  Les  Anglais  suqîrennent  M.  de 
Saint-Casteins  dont  la  mère  était  Abnaki'^e  , 
et  cherchent  à  surprendre  et  à  enlever  le  Père 
Rasles.  I/iid.  116.  Détails  intércssaus  sur  la 
vie  de  ce  Missionnaire  j  sa  mort  et  ses  vertus. 

Requin  ,  monstre  marin  très-vorace  ;  manière  de 
le  pêcher.  \lil ,  i56,  et  IX,  2G1. 


7AiPfT-DoMi>fGUE  ;  occupalion  d'un  Mis- 
sionnaire dans  cette  Ile.  Vît  ,  84-  Génie  et 
caractère  des  Nègres  ;  lem*  confiance  dans  les 
Missionnaires.  Ibid.  85.  Description  de  l'Ile, 


DES    MATIERES.  3)7 

incomniotlité  du  tUniat ,  maladies  ,  solitude 
dos  Missionnaires  ,  assiduité  ({u'ils  doivent 
avoir  auprrs  drs  !Si-^es  iiiahities.  Iliiii.  Vu). 
Ce  que  c\\X.  (jur  les  ISi';,'res  Marrons.  Ibid. 
I  i(».  (-ornbicn  cviU-  Ile  était  jx-uplée  ([uand 
les  Fsiiaj^nol-.  v  aliorde'-rent.  Jlnd.  i  i8.  Zèle 
des  Hois  d'Ilspaçne  ]>our  la  conversion  de 
ce  grand  Pi-npie.  Ilnd.  l'îO.  (^ararlère  de 
rAiniral  (iolomb  ;  accueil  plein  d'amitié  que 
lui  t'ait  un  Roi  de  cette  Ile.  Ibid.  \-a-x.  Dé- 
sordres des  Espagnols  ;  soulèvement  des  In- 
sulaires ,  leur  ruine  et  leur  destruction  ;  zèle 
d'uu  vertueux  I^cclésiastique  nommé  Las 
Cazas  ,  sou  caractère  ,  ses  travaux,  ses  voya- 
ges en  faveur  des  Insulaires.  Ibid.  ro.  Des- 
cription de  Leogane  ,  du  Cap  et  des  Colonies 
Françaises  k  .Saint-Domingue  ;  loirs  ])roduc- 
tions  ;  leur  commerce.  Ibid.  i!\(\.  Maison 
de  providence,  où  l'on  reçoit  et  l'on  nourrit 
ceux  qui  arrivent  à  Saint-Domingue  sans  for- 
tune ,  jusqu'à  ce  qu'ils  soient  placés.  Ibid. 
1  56.  La  petite  Anse  ,  quartier  de  l'Ile  dont 
les  fonds  sont  admirables  ,  ainsi  que  le  quar- 
tier Morin  ,  la  Limonade,  etc.  Ibid.  iG")  et 
sitiw  Eloge  du  Père  le  Fors,  du  Père  Houlia 
et  de  qjielques  autres  Missionnaires.  Ibid. 
171  ,  18M  r/  sui\'. 
Saintout ,  (  M.  de)  Officier  Canadien  ,  sa  belle 
défense  sur  le  lac  du  Sainl-Sacreuieut.  \I  ; 

K;8. 

Saiitiaçio,  ville  capitale  du  Royaume  de  Chili  > 

elle  est  grande  ,  l)ien  peuplée  ,    située    dans 

une  plaine  agréable.  VIII,  5^5. 
Serpent  a  Sonnettes  j   sa    description  ,    et  le 

remède  à  sa  morsure.  VI  ,  u  i8. 
Souvapes  de   V yîniérique   méridionale  ;   idée 

gciiéiolc  de  CCS  Pt'u^)lc5;  de  leurs  ma-urs;  de 


348  TABLE 

leur  gouvernement,  de  leurs  armes  ,  etc.  IX, 
278. 

T. 

X  EGAAKOuiTA,  jcune  Iroquoisc cclèbrc par 
sa  piélé  ,  sa  vie  ,  et  sa  mort.  VI ,  55  et  suiv. 
Transmigraliotis  ;  ordre  qui  s'observe  dans  les 
transmigrations  ,  chasses  ,  voyages  et  chan- 
geniens  de  demeure  des  Sauvages  Chrétiens. 
VI,  169. 
^ourruente ,  Cap  e'ioigné  de  huit  lieues  de  Que- 
bec.  VI ,  8. 

Y. 

TT 

l_>  DSON  ou  Hudson;  (Baie  d' )  elle  tire  son 
nom  de  l'Anglais  qui  l'a  découverte  ;  on  y 
fait  le  commerce  des  pelleteries  avec  les 
Sauvages.  VI,  2  et  suiv.  Noms  et  coutnme 
des  Sauvages  qui  y  portent  leurs  marchan- 
dises ;  climat  et  température  du  pay^.  Ibid. 
2 4  et  suiv. 

Villa-Herinosa  ,  ville  du  Pérou,  célèbre  par  son 
attachement  aux  Rois  d'Espagne  ,  elle  en 
donna  sur-tout  des  preuves  à  Philippe  Y. 
IX,  .40. 

yorao^es  ;  manière  de  voyager  dans  les  déserts 
de  l'Amérique  méridionale,  et  de  passer  les 
rivières.  VllI,     179  et  181. 

Fin  de  la  Table  de%  matières  contenues  dans 
les  tomes  VI.FII,  f^ III et  IX  des  Mémoi- 
res de  V  Améri(jue. 


r