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Full text of "Lettres inédites de Jean-Jacques Rousseau"

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80,  rue  du  Rhône,  Genève. 

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Fondé  en  1869. 

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Tontes  les  iioflyeanlés  eu  Français,  Anglais,  Allemani  et  Italien 
sont  en  lectnre.  —  Reynes  et  Magazines. 


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les  livres  rendus  par  ses  abonnés. 


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ATELIER   DE   RELIURE    ET  DORURE 
en  toas  genres 


LETTRES   INÉDITES 


JEAN-JACQUES   ROUSSEAU 


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Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés  pour  tous  les  pavs 
y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


*9-0t.  —  CoRBEiL.   Imprimerie  Chété. 


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in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lettresinditeOOrous 


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iKrf>/-i'.)   un  i\:t.)in  <\'  -Itii/if,    uinm 
(jia     itfiirr  en  li'le  rV.>   Irurr.)  (utl(>(jr(it>l)<'.ï 


LETTRES    INEDITES 


DE 


JEAN-JACQLES  ROUSSEAU 


CORRESPONDANCE    AVEC 


MADAME    BOY   DE    LA    TOUR 


PUBLIEES     PAT. 


HENRI  DE  ROTHSCHILD 

AVEC    UNE    PRÉFACE   PAP. 

3L.ÉO      cl-a.e,e:tie 

TROIS     PORTRAITS    ET     TROIS     FAC-SIMILÉS  .:^^^ 


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PARIS 

CALMANN   LÉVY,    ÉDITEUR 

ANCIENNE    MAISON    MICHEL    LÉVY    FRÈRES 

3,     RUE    A  U  B  E  n,   3 

1892 


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Propriété  de  la 

LIBRAIRIE  CIRCULANTE 
F.  RICHARD 

80,  Rue  élu  Rhône,  80      . 
OENÈVE 


AVIS    AU  LECTEUR 


Au  mois  de  mars  dernier,  M.  Et.  Charavay  ayant 
eatre  les  mains  un  volume  de  lettres  inédites  de  Jean- 
Jacques  Rousseau,  me  les  communiqua.  L'intérêt  de 
ces  lettres,  adressées  à  Madame  Boy  de  la  Tour,  et 
leur  caractère  inédit  me  décida  à  en  faire  l'acqui- 
sition. 

C'est  un  grand  volume  in-folio,  relié  en  maroquin 
plein  du  xviii*'  siècle,  il  renferme  environ  cent  cinquante 
feuilles  de  papier  très  fort,  sur  lesquelles  sont  collées 
sur  onglets  les  lettres  de  Jean-Jacques  Rousseau. 
Chacune  de  ces  lettres  porte  un  numéro  d'ordre  en 
écriture  du  temps  et  semble  être  de  la  main  de  M™^  de 
la  Tour.   Rousseau  avait  déjà  en  1763,  un  renom  tel 

a 


rr  AVIS    AL'     LECTEUR. 

que  ses  lettres  étaient  fort  appréciées  et  conservées 
par  ceux  ou  celles  qui  les  recevaient.  C'est  ce  que 
prouve  ce  recueil  où  M"""  de  la  Tour  semble  avoir  col- 
lées les  lettres  dans  l'ordre  de  leur  réception.  Bien  que 
très  désireux  de  faire  part  de  ces  lettres  au  public 
amateur  de  littérature,  je  fus  un  peu  arrêté,  me  sen- 
tant incapable  de  mener  à  fin  une  publication  aussi 
importante.  Plus  porté  également  vers  les  études 
scientifiques,  je  me  sentis  sortir  du  cadre  de  mes  étu- 
des babituelles,  je  résolus  de  chercher  un  collabora- 
teur pour  me  fournir  les  indications  essentiellement 
lilléraires  que  demandait  la  publication  du  présent 
volume.  M.  Léo  Claretie  a  bien  voulu  se  charger  de 
cette  lâche  difficile.  Je  le  remercie  des  excellents 
rJocuments  qu'il  m'a  fournis*.  Je  l'ai  prié  de  bien  vou- 


1.  Nous  devons  au  savant  M.  A.  Begis,  communication  des 
renseignements  suivants,  parus  dans  ï Intermédiaire  des  cher- 
cheurs, 10  décembre  I89I  :  <>.  Madame  Boy  de  La  Tour  (Julienne- 
Roguin),  née  eu  1715,  à  Yverdun,  épousa  G.  D.  Boy  de  la  Tour, 
sou  cousin,  originaire  de  Lyon,  neveu  de  Roauiu  d'Yverdun,  et 
])auquierà  Neufchàtel  (Suisse).  Sou  mari  ùtam  mort  avant  17G2, 
elle  continua  à  gérer  sa  maison  de  banque.  En  1762,  étant  chez 
ses  sœurs  à  Yverdun,  elle  eut  l'occasion  de  voir  J.-J.  Rousseau, 
qui  était  alors  à  la  recherche  d"uue  nouvelle  habitation;  elle 
lui  offrit  sa  maison  de  Môtiers-Travers  que  Rousseau  accepta. 
Son  illustre  locataire  devint  son  ami,  sou  protégé  et  celui  de 
toute  sa  famille.  Elle  mourut  le  11  septembre  1780,  ayant  de 
son  mariage   trois  filles  et   deux  fils. 

r  Madeleine-Catherine  Boy  de  La  Tour,  mariée  le  16  octobre 


AVIS    AU    LECTEUR.  IIl 

loir  présenter  au  public  mon  manuscrit  dans  une  in- 
troduction. On  y  trouvera  le  résumé  des  idées  expri- 
mées par  Rousseau,  et  l'on  ira  chercher  dans  ces 
lettres  elles-mêmes,  les  détails  méticuleux  et  les  pré- 
occupations exclusivement  matérielles  du  philosophe. 
C'est  le  philosophe  en  pantouffles  et  nous  aurions 
donné  ce  titre  à  notre  publication,  s'il  n'avait  paru  un 
peu  choquant.  Le  texte  du  manuscrit  a  été  reproduit 
tel  qu'il  est  avec  les  fautes  d'ortographes,  d'accentua- 


1760  avec  Etienne  Delessert,  banquier,  père  de  Benjamin,  Je 
François  et  Gabriel  Delessert,  qui  occupèrent  tous  trois  à  Paris 
un  rang  considérable,  à  divers  titres.  Elle  mourut  à  Paris,  le 
23  mars  1816. 

2°  Elisabeth  Boy  de  La  Tour,  née  en  175"),  mariée  avec  Guil- 
laume Mallet,  fondateur  d'une  importante  maison  de  banque, 
à  Paris  et  morte  à  Deuil,  près  Montmorency,  le  20  mai  1781. 

3"  Demoiselle  Boy  de  La  Tour,  mariée  avec  M.  de  Villadin,  de 
Berne. 

4"  Jean-Pierre  Boy  de  La  Tour,  banquier  à  Lyon  et  à  Neuf- 
chàtel,  marié  avec  la  demoiselle  Pasquier  et  mort  à  Môtiers,  le 
2  juillet  1772,  ayant  un  fils,  François-Louis  Boy  de  La  Tour, 
marié  à  Crassier,  le  24  octobre  1774,  avec  Heuriette-.Marguerite 
Boutons,  et  une  fille,  Alarie-Louise  Boy  de  La  Tour,  morte  à 
Fleurier,  le  10  avril  180S,  et  Louis  Boy  de  La  Tour,  mort  à 
Lyon,  sans  postérité. 

Le  portrait  de  madame  Boy  de  La  Tour,  peint  par  Joseph 
Sifrede  Duplessis,  se  trouve  dans  la  collection  de  M.  le  baron 
Hottinguer.  11  a  fait  partie  de  Texposition  des  arts  au  début  du 
siècle,  au  Champs  de  Mars,   sous  le  no  365  du  catalogue.  » 

Il  y  a  dans  ces  informations  un  certain  nombre  d'erreurs 
constatées  par  les  documents  que  l'on  trouvera  en  appendice.  De 
plus,  le  portrait  de  la  collection  Hottinguer,  que  nous  reprodui- 
sons, n'est  pas  celui  de  madame  Boy  de  la  Tour,  mais  bien  de 


IV  AVIS    AU    LECTEUll. 

tion  et  de  ponctuation.  On  pourra  s'en  rendre  compte 
en  confrontant  avec  le  texte  imprimé,  la  reproduction 
photographique  d'une  lettre  que  nous  avons  ajoutée 
au  texte.  Nous  avons  également  joint  à  cette  puljlica- 
lionle  fac-similé  d'un  autographe  de  Thérèse  LeYas- 
seur  ;  c'est  peut-être  le  seul  qui  existe  et  l'on  se  ren- 
dra compte  de  son  intérêt. 


sa  fille  Madeleine  de  Lessert.  Nous  donuons  en  même  temp?  une 
reproduction  du  portrait  de  sa  mère,  madame  Boj'  de  la  Tour, 
d'après  un  pastel  appartenant  à  la  famille.  On  trouvera  à  la  fin 
du  volume  la  généalogie  des  Roguin  et  des  Boy  de  la  Tour.  Une 
étude  complète  sur  la  famille  de  Lessert  a  été  publiée  dans  les 
Annales  historiques,  '/nobiliaires  et  biographiques  de  Tisseron,  en 
1873,  volume  XLV.  On  y  lira  (p.  64),  entre  autres  curieux  détails, 
que  l'idée  de  La  joie  fait  peur  de  madame  Emile  de  Girardin 
est  venue  à  l'auteur  à  l'occasion  de  la  mort  d'un  M.  de  Lessert.. 


Propriété  de  la 

LIBRAIRIE  CIRCULANTE 

F.  RICHARD 

80,  Rue  g!u  Rhône,  80 
GENÈVE 

PRÉFACE 


«  Ici  commence  l'œuvre  de  ténèbres  !  »  Tel 
est  le  début  sinistre  et  fatal  du  livre  XII  des 
Confessions,  qui  s'ouvre  comme  un  chapitre  de 
Balthazar  Bekker,  ou  de  Swedenborg. 

C'était  en  1762,  et  l'existence  de  Jean-Jacques 
Rousseau  n'était  pas  heureuse.  L'apparition  de 
VÉmile  venait  de  soulever  contre  lui  noises  et 
tempêtes.  Le  parlement  l'avait  décrété  de  prise  de 
corps.  La  nouvelle  était  venue  le  surprendre  au  lit, 
dans  sa  chambre  de  l'Ermitage,  au  moment  où  il 
venait  de  s'endormir  sur  le  livre  du  Lévite  d'E- 
phra'wi,  la  nuit  du  8  juin.  Il  avait  précipitamment 
ramassé  ses  papiers,  confié  ses  clefs  au  maréchal 
de  Luxembourg,  son  hôte,  fait  ses  adieux,  dans 
l'entresol,   à    madame   de   Luxembourg,    à    ma- 


VI  PHÉFACE. 

dan  e  de  Boufllcrs,  à  madame  de  Mirepoix,  à 
Thérèse,  et  dès  le  lendemain,  à  quatre  heures  de 
l'après-midi,  un  cabriolet  à  deux  chevaux  l'em- 
portait vers  Paris.  Il  rencontra  sur  la  route  les 
huissiers  qui  venaient  l'appréhender  au  corps  : 
ils  le  saluèrent,  et  ce  salut  ôte  un  peu  de  terreur 
dramatique  au  récit  de  Rousseau.  On  venait 
l'arrêter  pour  la  forme,  en  l'avertissant  à  temps 
pour  lui  permettre  de  se  sauver.  Il  traversa  tout 
Paris,  fut  reconnu  par  nombre  de  gens  dont 
aucun  ne  songea  à  saisir  par  la  bride  les  chevaux 
du  petit  cabriolet. 

Le  fugitif  s'en  fut  à  traites  forcées  du  côté  de 
A^illeroy,  passa  par  Salins,  trouva  le  temps  fort 
long  et  les  coussins  de  sa  voiture  fort  durs, 
occupa  les  loisirs  de  la  route  à  composer  un 
Lévite  cVEphniim  dans  le  ton  doucement  ému  de 
Gessncr,  et  arriva  enfin  à  la  frontière  du  terri- 
toire de  Berne,  où  il  fit  arrêter  l'équipage  pour 
se  prosterner,  et  bénir  cette  terre  de  liberté,  à 
la  grande  stupéfaction  du  postillon.  Il  se  hâta  de 
gagner  Yverdun,  petite  ville  au  sud  du  lac  de 
Neuchâtel,  où  il  vint  surprendre  son  «  bon  vieux 
ami  »  M.  Roguin,  qui  s'y  était  retiré  depuis 
quelques  années. 


PRÉFACE.  Vn 

C'est  là  qu'il  connut  la  nièce  de  son  hôte,  sa 
future  bienfaitrice,  madame  Boy  de  la  Tour. 

Jean-Jacques  se  trouva  si  bien  du  séjour 
d'Yverdun  qu'il  prit  la  résolution  de  s'y  fixer,  sur 
les  instances  de  M.  Roguin,  de  toute  sa  famille 
et  du  bailli.  Le  colonel,  un  parent,  lui  offrait  un 
petit  pavillon  entre  cour  et  jardin;  on  y  trans- 
porta des  meubles  ;  et  Jean-Jacques  écrivait  à 
Thérèse  de  le  venir  rejoindre,  quand  tout  à 
coup  le  bailli  reçut  du  Sénat  de  Berne  l'ordre 
d'expulser  du  territoire  l'auteur  de  VEmile. 
Toutes  les  démarches  furent  inutiles,  il  fallut 
replier  bagages.  Mais  où  aller?  L'infortuné 
Rousseau  était  chassé  de  France,  haï  à  Berne, 
détesté  à  Genève,  où  le  ministère  de  France  était 
encore  plus  puissant  qu'à  Paris,  et  où  le  Dis- 
cours sur  rinégalilé  avait  surexcité  la  haine  du 
Conseil. 

C'est  alors  que  madame  Boy  de  la  Tour  lui 
offrit  de  l'établir  dans  une  maison  toute  meublée 
qui  appartenait  à  son  fils,  au  village  de  Motiers, 
dans  le  Yal- de-Travers,  comté  de  Neuchâtel.  à 
peu  de  distance  d'Yverdun.  sur  l'autre  versant  de 
la  montagne.  Il  accepta.  Madame  Boy  lui  donna 
au  départ,  comme  souvenir,  une  pelote  d'épingles 


VIII  PRÉFACE. 

dont  il  la  remercia  dans  sa  première  lettre,  et 
qu'il  baisera  quelquefois  «  les  jours  de  barbe  », 
en  '<  mémoire  d'un  meilleur  tems  ». 

Il  quitta  la  maison  de  son  ami,  accompagné 
par  le  colonel  Roguin,  et  traversa  la  montagne 
qui  sépare  Yverdun  de  Motiers.  La  belle-sœur 
de  madame  Boy  de  la  Tour,  madame  Girar- 
dier,  Taida  de  bonne  grâce  à  s'installer;  il 
mangea  chez  elle  en  attendant  l'arrivée  de  Thé- 
rèse. 

Jean-Jacques  a  très  sommairement  conté  son 
séjour  à  Motiers  et  ses  relations  avec  madame  Boy 
de  la  Tour.  La  fin  des  Confessions  est  faite  de 
mémoire,  le  récit  «  ne  peut  plus  marcher  qu  à 
l'aventure  ».  Aussi  n'est-ce  pas  là  qu'il  faut  cher- 
cher des  informations  sur  les  années  que  Jean- 
Jacques  a  vécues  au  Yal  de  Travers.  Elles  sont 
dans  un  recueil  considérable  et  inédit,  contenant 
quatre-vingt-treize  lettres  adressées  par  Jean- 
Jacques  à  madame  Boy  de  la  Tour,  longtemps 
conservé  dans  la  famille  de  celle-ci,  et  apparte- 
nant aujourd'hui  à  la  collection  d'autographes 
de  M.  le  baron  Henri  de  Rothschild. 

La  première  lettre  du  recueil  porte  la  date  du 
i8juillctl762;  la  dernière,  celle  du  18  janvier  1773. 


PRÉFACE.  IX 

€ette  période  a  déjà  été  minutieusement  étudiée 
dans  les  travaux  récents  de  M^I.  Guillaume,  Fritz 
Berthoud,  Ritter,  Jansen  et  Maugras.  Mais  les 
lettres  de  Jean-Jacques  à  madame  Boy  étaient 
encore  inédites  et  même  inexplorées  jusqu'à  la 
présente  publication.  En  revanche,  on  connais- 
sait déjà  quelques  lettres  de  madame  Boy  de  la 
Tour  à  Jean-Jacques,  mais  elles  avaient  plutôt 
induit  en  erreur  les  biographes,  qui  n'avaient 
pas  entre  les  mains  la  contrepartie.  Ils  n'enten- 
daient qu'une  cloche. 

Ces  quatre-vingt-treize  lettres  offrent  le  plus 
vif  intérêt  pour  qui  aime  à  connaître  les  détails 
-de  la  vie  privée  de  Jean-Jacques,  ses  occupa- 
tions, son  intérieur  domestique,  ses  manies,  ses 
<3nfantillages,  ses  querelles  avec  ses  voisins,  ses 
commérages,  ses  ingérences  maladroites  dans  les 
affaires  d'autrui,  ses  achats,  ses  excentricités  : 
en  un  mot.  c'est  Jean-Jacques  en  robe  de  chambre 
et  en  pantoufles. 

De  plus,  elles  mettent  en  lumière  une  figure 
gracieuse  et  bienveillante,  la  bienfaitrice  de 
Rousseau  :  elle  mérite  mieux  que  l'ombre  et 
l'oubli  oîi  on  l'a  laissée.  Elle  le  logea  et  le  sou- 
tint de  ses  secours,  de  ses  conseils,  de  son  obli- 


X  PREFACE. 

geance  que  ne  rebutèrent  jamais  les  maussa- 
deries  ordinaires  de  son  «  concierge  »,  comme 
signait  Jean-Jacques. 

Rousseau  habita  Motiers  durant  trois  ans. 
Le  18  juillet  1762,  il  écrit  à  madame  Boy  de  la 
Tour  qu'il  achève  son  installation  ;  et  le  4  dé- 
cembre 1763,  il  lui  annonce  qu'il  a  quitté  le 
pays. 

A  la  vérité,  peu  d'événements  importants  ont 
marqué  ce  court  séjour.  Rousseau  écrivit  beau- 
coup de  lettres,  reçut  beaucoup  de  visites,  en 
rendit  quelques-unes,  se  fit  rapidement  beaucoup 
d'ennemis  par  son  humeur  grondeuse  et  inso- 
ciable, qui  ne  lassa  pas  cependant  quelques  bons 
et  fidèles  amis. 

De  ce  nombre  fut  lord  Keith,  grand  seigneur 
écossais  chassé  de  son  pays  pour  s'être  attaché  à 
4^  la  maison  des  Stuart.  Le  roi  de  Prusse,  auprès  de 
qui  il  avait  cherché  un  asile,  lui  avait  donné  le 
gouvernement  de  Neuchàtel.  C'est  là  que  Jean- 
Jacques  lit  la  connaissance  de  ce  beau  et  maigre 
vieillard.  Ils  se  plurent,  se  lièrent,  se  virent 
souvent,  et  chassèrent  ensemble.  Lord  Keith 
quitta  le  pays  avant  qu'ils  eussent  eu  le  temps  de 


l' R  É  F  A  C  E  .  XI 

se  brouiller;  aussi  Rousseau  lui  conserva- t-il  le 
plus  affectueux  souvenir. 

Venu  à  Motiers  pour  rencontrer  le  calme, 
Jean-Jacques  ne  manqua  pas  d'y  retrouver  l'écho 
des  discussions  soulevées  par  ses  ouvrages.  La 
classe  des  pasteurs  de  Neuchàtel  et  le  Mercure 
de  cette  ville  fulminèrent  contre  l'exilé,  qui  du 
fond  de  sa  retraite  entendait  en  maugréant  le 
bruit  des  récriminations  voisines. 

Il  reçut  pour  se  consoler  l'accueil  le  plus  bien- 
veillant dans  sa  nouvelle  résidence.  Il  a  conservé 
avec  une  pieuse  reconnaissance  le  nom  de  ses 
amis  d'un  jour,  le  colonel  de  Pury,  Dupeyrou, 
Moultou,  Laliaud,  de  Feins,  de  Montauban, 
Dastier,  d'Ivernois,  Roustan,  Mouchon,  le  baron 
de  Sauttern  et  tant  d'autres  visiteurs  qui  vinrent 
égayer  de  leur  sympathie  les  noires  humeurs  du 
proscrit. 

Quand  il  ne  travaillait  pas  à  l'édition  complète 
de  ses  œuvres,  ses  ripostes  aux  attaques  étaient 
ses  plus  importantes  occupations  :  réponse  au 
mandement  lancé  contre  XÈmile  par  M'''"'  de 
Beaumont,  archevêque  de  Paris;  lettre  au  syn- 
dic de  Genève  pour  se  démettre  de  ses  droits  de 
bourgeoisie,  réfutation    des  Lettres   écrites  de  la 


XII  PRÉFACE. 

campagne  par  les  Lettres  écrites  de  la  montagne. 
Une  correspondance  très  active  l'occupait,  et 
nous  valait  ses  jolies  lettres  à  madame  Boy  de  la 
Tour,  à  madame  de  Verdelin,  à  madame  La  Tour 
Franqucville,  à  mademoiselle  Isabelle  dTvernois. 

Entre-temps,  l'auteur  du  Contrat  social  songeait 
à  mettre  ses  théories  à  l'épreuve  des  faits.  Paoli 
venait  de  soustraire  la  Corse  à  la  domination 
génoise.  Il  s'adressa  à  Rousseau  pour  donner  une 
constitution  à  son  peuple  libre  (1764).  Le  solitaire 
de  Motiers  accepta  avec  joie  et  orgueil  ce  rôle  de 
législateur.  «  La  seule  idée  m'élève  l'âme  et  me 
tranporte.  »  Il  songe  déjà  à  un  voyage  en  Corse  : 
mais  ce  fut  un  feu  de  paille.  Il  vit  bientôt  de 
grosses  difficultés  à  ses  projets,  l'embarras  de 
contrarier  le  ministre  de  France,  et  surtout  la 
peur  de  découvrir  dans  toute  cette  affaire  une 
mystification  arrangée  par  Voltaire.  La  défiance 
tourna  bientôt  à  la  froideur,  et  il  n'y  songea 
plus. 

De  graves  soucis  venaient  encore  de  ses  rela- 
tions avec  le  pasteur  de  l'endroit,  M.  de  Mont- 
mollin,  qui  accueillit  d'abord  favorablement 
l'exilé,  lui  permit  de  porter  au  temple  l'habit 
arménien,  lui  donna  la  communion,  puis  soudain, 


PREFACE.  Xlir 

après  les  Lettres  de  la  montagne^  s'éloigna  de 
lui',  et.  sous  Tiniluence  de  Genève,  amoncela 
contre  son  illustre  paroissien  l'orage  final.  Il  le 
cita  devant  le  consistoire,  et  contribua  pour  sa 
part  à  la  persécution  meurtrière  qui  chassa 
Rousseau  de  Motiers,  comme  un  antéchrist  et  un 
loup-garou.  à  coups  de  pierres. 

De  récents  chagrins  étaient  venus  préparer  à 
la  catastrophe  cet  esprit  assombri  et  aigri  par  la 
maladie.  Ses  plus  anciennes  et  ses  plus  chères 
affections  avaient  disparu;  madame  de  Luxem- 
bourg, madame  de  Warens  étaient  mortes,  et  la 
nouvelle  de  ces  malheurs  avait  sensiblement 
affecté  le  vieil  ami  à  qui  ils  rappelaient  de  si 
heureuses  et  de  si  lointaines  journées.  Son  voisin, 
mylord  Maréchal,  avait  quitté  ^Seuchàtel  ;  le 
baron  de  Sauttern  s'était  presque  enfui  en  lais- 
sant dans  Tàme  du  trop  confiant  Rousseau  des 
doutes  amers. 

C'est  dans  ces  tristes  dispositions  que  vint  le 
surprendre  la  scandaleuse  manifestation  où.  trahi 
de  tous,  noirci,  honni,  banni,  lapidé,  cerné  et 
traqué  dans  sa  maison,  il  réussit  à  s'enfuir  pour 

1.  Voy.  Fritz  Berttioud,  Jean-J-icques  Rousseau  et  le  pas- 
teur de  Montinollin.  Fleurier,  1884. 


XIV  PREFACK. 

aller  chercher  ailleurs  un  asile  plus  sûr  et  plus 
calme.  Il  se  réfugia  d'abord  à  rile-Saint-Pierre, 
puis  à  Bienne,  songea  à  partir  pour  la  Corse  ou 
pour  Berlin,  quand  le  voisinage  de  Berne  lui  eut 
rendu  impossible  le  séjour  de  Bienne,  s'arrêta  à 
Strasbourg,  et  finalement  fila  sur  l'Angleterre. 
A  son  retour  de  AVootton,  il  fut  d'abord  caché  par 
le  marquis  de  Mirabeau  dans  sa  campagne  de 
Fleury-sous-Meudon,  puis  par  le  prince  de  Conti 
dans  son  château  de  Trye,  près  Gisors.  Il  prit  le 
faux  nom  de  Renou,  et  se  dirigea  en  quittant 
Trye  vers  l'intendance  du  Dauphiné  où  le  maré- 
chal comte  de  Clermont-Tonnerre  le  protégea.  Il 
passa  à  Lyon,  à  Grenoble,  à  Chambéry,  alla 
visiter  la  tombe  de  madame  de  Warens,  se  réfugia 
à  Bourgoin  où  il  épousa  Thérèse  à  l'auberge  de 
la  Fontaine  d'Or,  quitta  Bourgoin  pour  Monquin, 
où  madame  de  Césarges  lui  offrit  une  ferme,  puis 
quitta  Monquin  pour  Lyon  où  il  vécut  quelque 
t  emps  chez  madame  Boy  de  la  Tour  ;  enfin  il 
s'établit  à  Paris,  rue  Plàtrière,  à  l'hôtel  du  Saint- 
Esprit,  d'où  il  date  les  dernières  lettres  de  ce 
recueil,  en  les  faisant  précéder  du  quatrain  pré- 
tentieux qui  constate  déjà  sa  folie. 


PREFACE.  XV 

Entre  ces  faits  historiques  et  connus,  comme 
-entre  les  mailles  d'un  réseau,  s'intercalent  une 
foule  de  renseignements  curieux  comme  des 
indiscrétions,  qu'on  peut  puiser  à  pleines  mains 
dans  ces  lettres  adressées  par  Jean-Jacques  à  sa 
protectrice. 

Madame  Boy  de  la  Tour  habitait  Lyon  en  hiver. 
Elle  était  veuve  avec  cinq  enfants,  dont  trois 
filles*.  L'une,  l'intéressante  Madelon,  l'amie  de 
Jean- Jacques,  devint  madame  Delessert;  les  deux 
autres  se  marièrent  aussi  et  furent  mesdames 
Mallet  et  de  Willading.  Quant  aux  deux  fils, 
ils  géraient  avec  la  mère  la  grande  maison  de 
•commerce  de  Lyon  ovi  Rousseau  avait  placé  sa 
petite  fortune.  Les  emplettes  qu'il  fait  faire  par 
madame  Boy  sont  remboursables  sur  les  revenus 
qu'elle  lui  fournit  :  mais  il  paraît  assez,  aux  fac- 
tures, qu'ellediminue  volontairement  les  chiffres; 
ses  commissions  sont  des  cadeaux  déguisés  pour 
ménager  l'amour-propre  susceptible  de  son  pro- 
tégé, à  commencer  par  le  loyer  dérisoire  qu'elle 
lui  fait  payer  pour  l'occupation  de  sa  maison  de 
Motiers  :  il  était  tout  juste  suffisant  pour   que 

1.  F.   Berthoud.  Consulter   l'appendice    pour  plus   de 
détails  sur  la  famille. 


XVI  PRÉFACE. 

Jean-Jacques  pût  se  croire  un  locataire,  quand  if 
était  un  liote.  «  Vous  voulez  que  je  tire  un  loyer  ! 
à  la  bonne  heure!  à  trente  livres  de  France,  il  est 
surpayé.  Ce  n'est  pas  dans  ce  pays  que  l'on  tire 
parti  des  maisons;  jamais  je  n'en  ai  tiré  un  liard, 
je  l'ai  prêtée  souvent,  et  avec  obligation  à  ceux 
qui  l'occupaient.  »  (Lettre  de  madame  Boy  de  la 
Tour  à  Rousseau,  20  juillet  1762.) 

Rousseau  n'accepta  pas  l'hospitalité  gratuite,  il 
l'accepta  déguisée.  Parfois,  à  voir  les  factures  si 
mal  en  rapport  avec  ses  commandes  et  ses  exi- 
gences, il  lui  prenait  des  doutes,  son  honneur 
s'alarmait  ;  il  réclamait,  mais  un  peu  à  la  façon 
de  Figaro  reconnaissant  ses  dettes  au  docteur 
Bartholo  :  ;(  —  Je  vous  dirai  là-dessus  qu'après 
toutes  les  dépenses  que  vous  avez  faites  pour  moi 
le  loyer  de  dix  écus  par  mois  n'est  pas  même 
proposable.  Ce  serait  de  ma  part  une  ingratitude 
monstrueuse  de  croire  ainsi  m'acquitter  avec 
vous,  et  j'aimerais  encore  mieux  vous  être  tout 
franchement  redevable  du  tout,  et  recevoir  de 
vous  l'hospitalité  pleine  et  entière,  que  de  paraître 
payer  mon  loyer,  tandis  qu'en  effet  je  le  paie- 
rais si  mal.  »  (A  madame  Boy,  Motiers,  10  no- 
vembre 1763.) 


PRÉFACE.  XVII 

Voué  au  triste  sort  d'être  toujours  aidé,  secouru 
et  sauvé  par  autrui,  il  se  résignait  en  gémissant 
à  cet  austère  sacrifice  qui  lui  apparaissait  —  sur- 
prise imprévue!  —  comme  une  mortification  nou- 
velle imposée  par  la  perfidie  de  ses  persécuteurs. 
«  Une  des  plus  grandes  rigueurs  de  ma  destinée, 
et  de  celles  que  je  sens  le  plus,  est  d'être  toujours 
à  charge  à  mes  amis,  et  de  leur  être  toujours 
inutile.  Ceux  qui  disposent  de  moi  avec  autant  de 
barbarie  que  d'iniquité  ont  bien  choisi  dans  mon 
cœur  les  endroits  les  plus  sensibles  pour  ne  perdre 
aucun  de  leurs  coups.  (A  madame  Boy,  Monquin, 
6  octobre  1769.) 

On  eut  rarement  aussi  mauvaise  grâce  à  se 
plaindre.  Mais  c'était  le  sort  de  Jean-Jacques  de 
considérer  comme  des  infortunes  les  bontés  qu'il 
lui  fallait  subir.  Il  fut  donc  très  malheureux. 
(Quand  il  arriva  à  Yverdun,  c'était  à  qui  se  dis- 
puterait l'honneur  de  l'héberger  :  Dupeyroii  lui 
offrait  un  asile  à  Cressier,  d'Escherny  à  Cornaux, 
Pury  à  Suchiez,  et  plus  tard  Du  Bois  au  Locle. 
C'est  Roguin  qui  l'emporta,  en  logeant  son  vieil 
ami  chez  sa  nièce.  Il  ne  faut  pas  le  confondre 
avec  son  parent  le  banneret  Roguin,  dont  Jean- 
Jacques  eut  fort  à  se  plaindre,  car  il  apprit  plus 


XVIII  PREFACE. 

tard  que  le  banneret  avait  contribué  à  le  faire 
expulser  de  l'Etat  de  Berne.  Un  autre  parent, 
Pierre  Boy  de  la  Tour,  prit  rang  aussi  parmi  les 
persécuteurs  de  Jean-Jacques  et  ne  partagea  pas 
la  bienveillante  sympathie  de  sa  famille.  Rousseau 
se  vengea  en  le  plaisantant  dans  «  la  vision  de 
Pierre  de  la  Montagne,  dit  le  Voyant  »,  qui  n'eut 
aucun  succès  :  «  les  Neuchâtelois,  confesse  mo- 
destement l'auteur,  avec  tout  leur  esprit,  ne  sen- 
tent guère  le  sel  attique  ni  la  plaisanterie  sitôt 
qu'elle  est  un  peu  fine.  »  [Confessions^  xii.) 

Dès  que  madame  Boy  de  la  Tour  eut  quitté  la 
campagne  de  son  oncle  et  fut  rentrée  en  ville, 
Jean-Jacques,  du  fond  de  son  village,  se  mit  en 
devoir  de  lui  envoyer  ses  commandes.  Il  a  sans 
cesse  recours  à  son  amie  pour  la  charger  des 
emplettes  les  plus  vulgaires.  <(  On  ne  trouve  rien 
à  Motiers  »,  écrit-il,  et  il  profite  sans  scrupules 
de  ses  relations  à  Lyon. 

«  A  peine  êtes-vous  arrivée  (à  Lyon)  que  voilà 
toutes  mes  commissions  en  train.  Soit  fait,  puis- 
que vous  êtes  si  bonne,  il  faut  bien  un  peu  en 
abuser.  Pour  la  fourrure  de  la  robe  de  bouracan 
je  préférerais  la  façon  de  martre  n°  1  à  75  livres. 


PREFACE.  XIX 

Mais  j'ai  peur  que  cette  fausse  martre  ne  dure  pas  ; 
c'est  pourquoi  je  ne  sais  s'il  ne  vaudrait  pas  mieux 
sacrifier  une  vingtaine  de  livres  de  plus  et  choisir 
le  petit  gris  n°  2  à  96  livres  qui,  je  crois,  serait  plus 
léger  et  durerait  beaucoup  plus.  »  (Motiers, 
9  octobre  1762.) 

Quelquefois  il  y  a  méprise  ou  malentendu  : 
<(  La  fourrure  est  très  belle  et  chaude,  seulement 
le  bonnet  assortissant  ayant  été  doublé  en  plein 
s'est  trouvé  trop  étroit  pour  entrer  dans  ma  tête, 
peut-être  faudra-t-il  ôter  le  dedans  pour  pouvoir 
le  mettre.  »  (Motiers,  6  novembre  1762.) 

Pourtant  ce  n'est  pas  faute  de  précision,  de 
détails,  de  précautions  préliminaires  et  de  recom- 
mandations dans  les  ordres  qu'il  transmet.  Un 
commis  expéditionnaire  ne  serait  pas  plus  lim- 
pide et  plus  net  dans  le  libellé  de  ses  devis  et 
de  ses  prospectus  :  «  Premièrement,  je  voudrais 
une  rame  de  beau  papier  à  lettres,  mais  beaucoup 
plus  petit  que  celui-ci  et  passant  seulement  la 
moitié  d'un  doigt  ou  deux;  on  y  joindrait  deux 
ou  trois  bons  canifs  et  portefeuilles  de  carton  de 
médiocre  grandeur.  Je  voudrais  quelque  petite 
étoffe  très  légère  pour  un  cafTetan  d'été.  Celui  de 
camelot  que  vous  avez  eu  la  bonté  de   me  faire 


XX  PREFACE. 

faire  est  un  peu  gros  et  rude,  il  lime  trop  le 
doliman  de  dessous,  la  doublure  des  devants  est 
extrêmement  grosse  et  il  a  été  estropié  par  le 
tailleur.  Si  c'est  du  camelot,  je  voudrais  qu'il  fût 
doux  et  fin,  et,  en  le  prenant  gris,  on  prendrait 
aussi  de  la  toile  grise,  mais  très  fine  pour  dou- 
bler les  devants.  Si  c'est  quelque  autre  étoffe 
légère  de  soie  ou  autre  qui  ne  ronge  pas  la  dou- 
blure on  pourra  prendre  un  petit  taffetas  pour 
doubler  les  devants.  La  quantité  d'étofTe  doit 
répondre  à  peu  près  à  une  aune  et  deux  tiers  de 
drap.  »  (Motiers,  9  octobre  1763.) 

Ses  lettres  sont  des  commandes  variées  ;  on 
dirait  un  livre  de  ménagère.  Ici  il  lui  faut  «  un 
petit  paquet  de  doux  d'épingles  pour  attacher  des 
estampes  encadrées,  un  paquet  de  cure-dents  et 
de  bon  amadou,  s'il  y  en  a  à  Lyon,  car  ici  il  ne 
vaut  rien  du  tout,  et  cela  désespère  un  homme 
qui  a  souvent  besoin  de  battre  le  fusil  pendant 
la  nuit  ».  (23  novembre  1762.)  Voilà  une  raison 
qu'on  ne  lui  demandait  pas,  et  dont  madame 
Boy  de  la  Tour  se  serait  apparemment  bien 
passée.  Lui  en  fit-elle  la  remarque?  On  le  croirait, 
à  voir  avec  quel  pudique  embarras  il  reçoit  un 
peu  plus  tard  un  «  étui  très  bien  soudé  »  (17  fé- 


PRÉFACE.  XXI 

vrier  176o),  à  l'usage  de  son  traitement  intime. 
«  Ce  ne  sont  pas  des  commissions  de  femmes,  » 
et  il  s'excuse  du  malentendu  à  la  suite  duquel 
madame  Boy  de  la  Tour  a  cru  devoir  se  charger  de 
cet  envoi  confidentiel. 

Ailleurs  il  lui  faudrait  des  canifs,  du  café  (9  oc- 
tobre 1763)  et  deux  ou  trois  almanachs  de  poche  ; 
un  autre  jour,  il  désire  deux  fers  à  repasser 
(18  décembre  1766)  pour  mademoiselle  Le  Yas- 
seur,  et  comme  ils  seront  emballés  avec  un  coupon 
de  soie,  il  recommande  qu'ils  soient  bien  enve- 
loppés, «  de  manière  qu'ils  ne  coupent  pas  l'étoffe 
à  cause  de  leur  pesanteur  ».  Saurait-on  être  plus 
prudent,  plus  pratique  et  plus  soigneux?  Quand 
il  fait  venir  de  la  laine,  il  en  envoie  un  échantillon 
soigneusement  maintenu  sur  une  étroite  bande 
de  papier  par  deux  petits  cachets  de  cire  rouge, 
et  collé  au  feuillet  de  sa  lettre. 

Que  ne  commande-t-il  pas?  des  langues  de 
Neuchâtel  «  qui  sont  un  peu  moins  mauvaises 
que  celles  de  Motiers,  du  moins  les  salées  »  ;  de 
rhuile  d'Aix,  des  chandelles  de  six  à  la  livre 
«  car  on  n'en  trouve  que  d'infâmes  dans  tout 
le  pays  »  (25  août  1764),  de  la  ficelle  pour  faire 
des  paquets,  du  vin,  des  confitures,  des  mitaines 


XXII  PREFACE. 

de  soie  pour  la  fête  de  Thérèse,  «  une  paire  de  bas 
drappds  »,  et  quand  il  est  àBourgoin,  une  alliance 
d'or  pour  se  marier  ;  du  papier  à  lettres  «  un  peu 
plus  fort  que  celui  sur  lequel  il  écrit,  mais  blanc 
et  fin  »  (27  mars  1763);  «  deux  agrafes  pour 
un  corps  de  femme,  une  paire  de  lunettes  appe- 
lées conserves  »  (17  janvier  1769).  Il  s'informe 
des  adresses  de  ses  fournisseurs,  il  s'enquiert 
d'un  épicier,  d'un  papetier,  d'un  mercier,  d'un 
quincaillier,  d'un  marchand  de  bonnes  chan- 
delles. 

Pour  le  1"  janvier  1764,  il  veut  faire  à 
Thérèse  la  surprise  d'un  joli  cadeau,  «  un  man- 
chon de  femme  assez  joli  ».  Il  commande,  mais, 
dans  l'intervalle,  il  en  trouve  un  à  Motiers  «  par 
occasion  ».  Vite  il  dépêche  un  mot  :  «  Point  de 
manchon,  s'il  vous  plaît  !  »  Et  il  ajoute  ce  post- 
scriptum  qui  peint  l'homme  au  vif  :  «  Je  vous 
prie  d'ajouter  à  la  place  un  bonnet  de  nuit  de  laine 
fine  pour  moi,  et  des  plus  grands,  parce  que  j'ai 
la  tête  grosse  ».  Cette  rectification,  qui  enlève  à  sa 
maîtresse  un  manchon  neuf  et  qui  lui  vaut  à  lui 
un  bonnet  de  nuit  est  un  trait  de  caractère  et  des 
plus  éloquents  :  il  constate  mieux  que  la  plus 
érudite  dissertation  un  égoïsme  exigeant  et  absor- 


PREFACE.  XXIII 

bant,  qui  en  aucune  occurrence  ne  s'oublie  ou  ne 
renonce  à  ses  droits. 

Point  de  dépenses  superflues,  s'il  vous  plaît  ! 
Quand  il  s'installe  à  Bourgoin,  il  a  soin  de  réduire 
les  frais  :  «  On  me  prête  des  couteaux  et  un 
moulin  à  café.  Ainsi,  si  l'emplette  de  ces  articles 
n'est  pas  faite  encore  :  on  la  peut  retrancher.  » 
(Bourgoin,  9  septembre  1768.) 

La  figure  de  Jean-Jacques,  à  travers  cette  cor- 
respondance,   s'éclaire    d'un  jour  nouveau,    qui 
semble   emprunter  ses  reflets    au    feu   du  four- 
neau de  cuisine  ;  l'auteur  du  Contrat  social  nous 
apparaît    au    milieu    des   occupations     les    plus 
triviales  de  son  petit  ménage,  un  paquet  de  chan- 
delles et  une  livre  de  café  sous  le  bras  ;  le  cabinet 
de  travail  où  il  écrit  la   Lettre   à    Christophe  de 
Beaiimont,  archevêque  de  Paris  et  les  Lettres  de  la 
Montagne  prend  une  vague  apparence  de  boutique 
et  d'épicerie,  oii  les  pots   de  confiture  voisinent 
avec  le  dernier  ouvrage  de  Morellet,  et  où  les  Lettres 
écrites  de  la  campagne  par  Tronchin  reposent  sur 
deux  fers   à  repasser.  Le  grand  homme,   entre 
deux  rêveries  sublimes,  tient  son  livre  de  dépenses, 
épingle  des  estampes  au  mur  et  vérifie  s'il  y  a 
encore  de  lamadou  et  des  cure-dents  sur  le  manteau 


XXIV  PRÉFACE. 

de  la  cheminée  ;  rdcrivain  se  double  d'un  homme 
d'intérieurpratique,  rangé  et  minutieux,qui veille 
et  qui  vaque  lui-même  aux  soins  du  ménage. 

C'est  dans  toute  sa  pauvre  misère  le  type 
moderne  du  ménage  de  savant,  oii  la  servante  est 
la  maîtresse  de  son  maître,  et  oii  tous  deux  vivent 
à  l'écart,  inquiets  des  commérages  du  voisinage, 
défiants  des  intrus,  confinés  dans  l'intérieur 
modeste  et  propre  qu'habitèrent  le  Bonhomme 
Jadis  ou  M.  Sixte. 

Nous  sommes  minutieusement  informés  de  ses 
habitudes,  de  sa  santé,  de  ses  goûts  et  de  ses 
dégoûts  :  «  Je  continue  à  être  mieux  ;  cependant 
le  côté  droit  est  toujours  enflé.  J'ai  lieu  de  croire 
que  le  vin  de  cabaret  avait  autant  contribué  que 
l'air  et  l'eau  à  ma  maladie,  car  j'en  ai  apporté  ici 
une  vingtaine  de  bouteilles,  et  toutes  les  fois  qu'il 
m'arrive  d'en  boire  je  me  sens  plus  incommodé 
qu'il  ne  m'arrive  en  buvant  d'autre  vin.  L'alun 
dont  les  cabaretiers  le  frelatent  n'affecte  pas  beau- 
coup les  gens  en  santé,  mais  agit  plus  sensiblement 
sur  un  corps  infirme.  »  (Monquin,  17  mars  1769.) 

A  ces  effusions  intimes  nous  devons  quelquefois 
de  jolies  pages  :  ainsi  celle  où  Jean-Jacques  conte 


PREFACE.  XXV 

à  madame  Boy  ses  préparatifs  de  déménagement 
([iiand  il  quitte  Monquin  :  «  Ma  femme,  le  cœur 
ainsi  que  moi  plein  de  vos  bontés,  et  qui  vous  prie 
d'agréer  ses  tendres  respects,  aurait  à  vous  pré- 
senter aussi  pour  son  compte  une  petite  requête 
au  sujet  de  sa  petite  basse-cour  composée  de  sept 
jeunes  jolies  poules  et  d'un  coq.  Tout  cela  sont  ses 
élèves  et  nous  ne  saurions  nous  résoudre  elle  ni 
moi  à  manger  les  poules  dont  nous  avons  mangé 
les  œufs.  Yous  devriez  bien,  chère  maman,  donner 
asile  à  ce  petit  serrait  dans  votre  maison  de  cam- 
pagne, à  condition  toutefois  qu'elles  auront  chez 
vous  la  môme  liberté  qu'elles  ont  ici,  ce  qui  se 
peut,  ce  me  semble,  sans  grand  inconvénient, 
puisque  votre  jardin  est  à  vous  au  lieu  que,  par  la 
raison  contraire,  elles  ne  sauraient  jouir  à  Four- 
vière  de  la  même  liberté.  Si  vous  consentez  à 
exercer  cette  petite  hospitalité,  il  faudrait,  en 
envoyant  la  charrette,  y  mettre  un  panier  où  l'on 
pût  loger  la  petite  famille  de  façon  qu'elle  vous 
arrivât  saine  et  sauve.  Il  nous  reste  aussi  quelques 
pommes  qu'il  est  inutile  de  laisser  ici.  Un  autre 
panier  pour  les  mettre  ferait  l'affaire,  dût  le 
charretier  les  manger  en  chemin.  » 

Quelle  plaisante  et  curieuse  peinture,  qui  nous 


XXVI  PRÉFACE. 

montre  Jean-Jacques  au  milieu  des  cages  à  poules, 
attendri  sur  le  sort  de  ses  volatiles  pour  lesquelles 
il  implore  d'une  voix  humide  plus  que  la  vie  :  la 
liberté!  C'était  bien  aimer  l'indépendance  que  de 
la  réclamer  pour  la  société  dans  ses  livres,  et 
dans  ses  lettres  pour  sa  basse-cour. 

Il  paraît  avoir  aimé  les  bêtes,  ce  qui  est  ordi- 
nairement le  signe  d'une  bonne  nature.  A  Mont- 
morency il  avait  une  chatte,  Minette,  qu'il  laissa 
à  madame  de  Verdelin  quand  il  dut  s'enfuir.  Ma- 
dame de  Verdelin  lui  envoie  de  temps  en  temps  des 
nouvelles*.  A  Monquin  il  avait  un  chien,  Sultan, 
qu'il  emmenait  avec  lui  dans  ses  tournées  d'her- 
borisation. Cette  bête  paraît  avoir  eu  pour  son 
maître  une  affection  moins  suspecte  que  celle  de 
ses  contemporains.  Jean-Jacques  conte  un  acci- 
dent qui  lui  arriva  :  «  Peu  de  jours  après  mon 
arrivée  ici  je  repartis  pour  une  herborisation  sur 
le  mont  Pila,  qui  était  arrangée  depuis  longtemps. 
Notre  voyage  fut  assez  triste,  toujours  de  la  pluie, 
peu  de  plantes,  vu  que  la  saison  était  trop  avancée  ; 
un  de  nos  messieurs  fut  mordu  par  un  chien, 
Sultan  fut  estropié  par  un  autre.  Je  le  perdis  dans 

1.  Bernardin  de  Saint-Pierre,  à  sa  première  visite  chez 
Jean-Jacques  Rousseau  remarqua  un  serin  dans  une  cage. 


PRÉFACE.  XXVII 

les  bois  où  je  le  crus  mort  de  ses  plaies  ou  mangé 
des  loups;  à  mon  retour  j'ai  été  tout  surpris  de 
le  retrouver  ici  bien  portant  sans  que  je  sache 
comment  dans  son  état  il  a  pu  faire  sans  manger 
cette  longue  route  et  surtout  comment  il  a  retra- 
versé le  Rhône.  »  (Monquin,  29  août  1769.) 

L'été,  ce  lui  était  une  grande  joie  d'aller  herbo- 
riser dans  la  montagne,  et  ensuite  à  travers  l'île 
Saint-Pierre.  Il  devint  même  naturaliste  à  gages  et 
fournisseur  d'herbiers.  Il  envoyait  fréquemment 
des  collections  à  la  duchesse  de  Portland.  Plus 
tard,  quand  la  gracieuse  Madelon  fut  mariée  et 
mère  de  famille,  elle  voulut  que  sa  fille  apprît  la 
botanique,  et  Jean-Jacques  fut  chargé  de  cette 
éducation.  Avant  de  l'entreprendre,  il  se  rensei- 
gne en  homme  qui  n'a  pas  du  tout  envie  de  perdre 
son  temps,  môme  pour  les  petites  filles  de  ses 
amies.  «  Je  voudrais  savoir  si  c'est  tout  de  bon 
que  madame  de  Lessert  veut  amuser  sa  fille  de  la 
connaissance  des  plantes?  Je  serais  comblé  de 
pouvoir,  au  moins  dans  ces  bagatelles,  aider  à  ses 
soins  maternels.  Je  me  ferai  le  plus  délicieux 
amusement  de  concourir  aux  siens  en  lui  commu- 
niquant là-dessus  mes  idées.  Mais  je  vous  avoue 
que  ma  paresse  seraitmoins  évertuée  si  je  croyais 


XXVIII  PREFACE. 

qu'elle  ne  suivît  cette  petite  étude  que  par  com- 
plaisance et,  comme  on  dit,  par  manière  d'acquit. 
Je  vous  demande,  madame,  de  vouloir  me  parler 
là-dessus  de  bonne  foi.  »  (16  avril  1772.)  Comme 
la  vocation  était  sérieuse,  il  se  résigna,  mais  à  la 
condition  de  n'être  ni  trop  dérangé  ni  trop  incom- 
modé, en  homme  qui  sait  et  qui  mesure  la  valeur 
de  son  temps  et  la  force  de  ses  jambes.  Il  lui  écrit 
en  lui  faisant  tenir  une  collection  d'herbes  :  «  Le 
paquet  est  si  petit  que  j'ai  peur  qu'il  ne  se  perde 
à  la  diligence  qui  d'ailleurs  est  très  loin  d'ici,  et 
comme  il  fait  fort  mauvais,  que  je  n'ai  d'autre 
domestique  et  commissionnaire  que  moi,  s'il 
arrivait  que  vous  puissiez  m'indiquer  dans  ce 
quartier  quelqu'un  à  qui  pouvoir  le  remettre  cela 
me  serait  je  l'avoue  d'une  grande  commodité.  » 
(Paris,  16  avril  1772.) 

Quand  l'hiver  mettait  un  terme  aux  tournées 
d'herborisation,  il  fallait  une  distraction  de 
chambre.  Il  confia  un  jour  à  madame  Boy  de  la 
Tour  le  soin  de  lui  trouver  une  épinette  à  louer 
pour  six  mois,  et  c'est  tout  une  affaire  :  «  Je  ne 
voudrais  pas  une  patraque,  je  voudrais  une  bonne 
épinette  bien  en  état  et  tout  ce  qu'il  faudrait, 
cordes,  plumes,  marteau,  écarlate,  pour  raccom- 


PREFACE.  XXIX 

moder  ici  ce  qui  se  pourrait  déranger.  »  (29  août 
1769.)  Si  on  ne  trouvait  pas,  qu'on  lui  envoie  un 
violoncelle,  des  cordes,  et  de  la  colophane,  sinon, 
un  bon  cistre  à  cinq  cordes  monté  dans  le  bas  en 
cordes  filées  un  peu  grosses,  ou  une  flûte  à  bec,  et 
en  tout  cas  du  papier  réglé.  Sa  correspondance 
prend  à  ce  moment  l'aspect  d'un  mémoire  de 
quelque  luthier  de  Crémone  ;  elle  fait  songer  par 
l'abondance  et  la  précision  du  détail  à  ces  ateliers 
d'artistes  que  décrivaient  Iloffman  ou  Balzac,  où 
les  violoncelles,  les  cithares  et  les  violons,  les 
Amati,  les  Stradivarius  et  les  Stamitz  encombrent 
les  établis  de  leurs  carcasses  fauves  et  luisantes. 
Quelques  jours  après  il  a  reçu  de  Lyon  le  cistre 
convoité,  mais  il  est  injouable,  «  c'est  un  vrai 
chaudron  ».  Enfin  Tépinette  est  annoncée.  Que  de 
recommandations,  quel  homme  minutieux  !  Si 
le  porteur  n'abîme  pas  l'instrument,  il  aura  trente 
sols  en  plus.  «  Le  porteur  de  l'instrument  pourra 
s'adresser  à  Bourgoin  au  sieur  de  la  Tour,  per- 
ruquier sur  la  place,  qui  lui  indiquera  le  chemin 
pour  venir  ici.  La  Tour  ou  son  frère  viennent  me 
raser  tous  les  vendredis  et  mardis  matin  et  si  le 
voyage  de  l'homme  pouvait  s'ajuster  sur  ces 
mêmes    jours,   un   des    deux  la  Tour    pourrait 


XXX  PRÉFACE. 

ramener  lui-môme.  Je  vous  prie  de  dire  au  porteur 
que  s'il  ménage  assez  l'instrument  en  route  pour 
qu'il  arrive  ici  d'acord  et  en  bon  état,  je  lui  don- 
nerai trente  sols  pour  boire  par-dessus  l'accord 
que  vous  aurez  fait.  » 

Profitant  de  l'occasion  il  ajoute  quelques  com- 
missions : 

«  L'une  est  d'une  petite  caisse  de  chandelles 
des  six  à  la  livre  et  d'une  douzaine  de  livres; 
l'autre  serait  d'un  bonnet  de  laine  et  d'une  paire 
de  bas  drapés  et  de  gants  chauds  pour  votre 
pauvre  ami  qui  commence  à  grelotter  terrible- 
ment. Si  vous  y  pouviez  joindre  une  paire  de 
mitaines  de  soie  pour  ma  femme,  j'aurais  le 
plaisir  de  les  lui  donner  pour  sa  fête  qui  est  le 
quinze  de  ce  mois.  »  (Monquin,  6  octobre  1769.) 

Même  dans  les  petits  détails  on  reconnaît  le 
Jean-Jacques  des  Confessions,  inquiet  et  gron- 
deur, prévoyant  jusqu'à  être  lassant,  anxieux 
jusqu'au  ridicule. 

C'était  bien  pis  encore,  quand  il  s'agissait  de 
son  costume  arménien.  Ceci  fut  un  véritable 
événement,  dont  on  parle  encore. 

Pourquoi  Rousseau  s'habilla-t-il  en  Arménien? 


PREFACE.  XXXI 

On  a  dit  que  ce  fut  par  raison  de  santé,  et  il  est 
fort  possible,  mais  cela  n'explique  pas  pourquoi 
la  robe  arménienne  fut  par  lui  précisément  choi- 
sie de  préférence  à  une  simple  robe  de  chambre. 
Qu'est-ce  qui  valut  à  l'Arménie  l'hommage  de 
cette  prédilection?  Les  différentes  informations 
que  nous  confie  Jean-Jacques  à  ce  sujet  concor- 
dent mal.  Dans  les  Confessions,  il  dit  que  l'idée  de 
cette  mascarade  lui  était  venue  diverses  fois  dans 
le  cours  de  sa  vie.  Il  se  décida  à  Montmorency. 
Un  tailleur  arménien  y  venait  souvent  voir  un 
parent,  il  craignait  de  ne  pas  trouver  partout  un 
tailleur  arménien  sous  sa  main,  car  ce  genre 
d'ouvrier  ne  court  pas  les  rues  ;  il  consulta  ma- 
dame de  Luxembourg  ;  elle  l'approuva  et  il  com- 
manda son  costume,  au  risque  du  qu'en  dira-t-on. 
Le  qu'en  dira-t-on  l'inquiéta  plus  qu'il  ne  l'avoue, 
puisqu'il  ne  prit  son  nouvel  équipage  que  plus 
tard,  à  Motiers,  non  sans  avoir  sollicité  l'approba- 
tion du  pasteur. 

Dans  les  lettres  à  madame  Boy  de  la  Tour,  il 
prend  modèle  sur  un  Arménien  qu'il  a  vu  chez 
mylord  maréchal. 

Enfin,  où  qu'il  ait  aperçu  et  copié  le  patron  de 
sa  garde-robe,  il  y  consacra  tous  ses  soins,  et  ses 


XXXll  PRÉFACE. 

recommandations  à  sa  commissionnaire  de  Lyon 
nous  mettent  au  fait  des  moindres  détails  de  son 
accoutrement. 

Voici,  pour  les  peintres  de  l'avenir,  son  portrait 
en  pied. 

La  robe  d'hiver  est  longue,  en  bourracan,  dou- 
blée de  bonne  fourrure  durable  formant  parements 
au  bout  des  manches.  Pour  l'été,  le  calTetan  de 
camelot  ou  d'étoffe  de  soie  bordé  de  martre  ou 
de  lapin  remplace  la  robe.  Le  vêtement  de  dessous 
est  le  doliman.  L'étoffe  est  de  couleur  grise  ou 
neutre  ;  il  ne  veut  pas  de  couleur  vive  <(  que  le 
soleil  mange  ».  Il  importe  que  Tétoffe  soit  bon 
marché,  mais  «  ne  se  coupe  pas  ».  On  trouve 
quelquefois  d'excellentes  occasions  dans  «  les 
rebuts  de  magasins  ».  Il  faudrait  chercher  là. 
Cependant  pour  la  bordure  extérieure  et  appa- 
rente, la  fourrure  sera  plus  belle  ;  on  mettra  soit 
de  la  martre  à  73  livres  ou  du  petit-gris  à  96  livres. 
C'est  un  tailleur  arménien  qui  coupe  l'étoffe,  mais 
il  serait  bon  de  trouver  un  tailleur  occidental  qui 
copierait  le  patron  pour  s'en  servir  plus  tard,  à 
meilleur  compte.  Ce  vêtement  n'est  pas  pour  satis- 
faire un  goût  de  coquetterie,  mais  il  le  faut  pour- 
tant convenable  et  décent  ;  comme  il  ne  veut  plus 


PREFACE.  XXXIII 

le  quitter,  il  importe  qu'il  puisse  se  présenter 
partout,  fût-ce  chez  mylord  maréchal  ou  à  l'église. 
11  ne  voudrait  pas  qu'on  l'accusât  d'aller  au  tem- 
ple en  robe  de  chambre;  il  n'y  entra  même  en 
robe  d'Arménien  qu'après  avoir  reçu  l'approbation 
de  M.  Montmollin,  le  pasteur. 

Ce  vêtement  était  noué  aux  reins  par  une  cein- 
ture dans  ]e  choix  de  laquelle  Jean- Jacques  mit 
toutesa  coquetterie.  On  ne  peut  lui  trouver  d'étolTe 
assez  élégante,  ni  assez  «  parante  ».  Il  en  eut 
plusieurs,  tantôt  en  réseau  de  soie  à  mailles 
«  comme  les  filets  de  pêcheurs  »,  ou  en  serge  de 
soie,  tantôt  en  étoffe  rayée.  Il  la  faut  longue  de  deuK 
aunes  et  demie,  dans  toute  la  largeur  de  l'étoffe, 
car  elle  se  plisse  sur  le  corps.  Un  jour  qu'on  lui 
envoya  une  ceinture  trop  courte,  cet  homme 
économe  s'emporta  :  il  devait  la  tenir  étendue 
avec  des  épingles,  «  ce  qui  la  déchire  ».  Les  deux 
extrémités  de  Técharpe  sont  garnies  d'une  jolie 
frange  large  de  quatre  doigts  ((  assortissante  à  la 
houpe  de  bonnet  ». 

Car  il  y  a  encore  le  bonnet,  doublé  de  fourrure 
ou  d'agneau  de  Tartarie  en  hiver,  bordé  seulement 
en  été,  l'intérieur  garni  en  silésie  ou  en  carcas- 
sonne.  La  toque  est  ornée  d'un  galon  d'or  et  sur- 


XXXIV  PRÉFACE. 

montée  d'une  houppe  d'or.  «  Il  faut  qu'il  n'ait  pas 
l'air  d'un  bonnet  de  nuit  »  ;  aussi  doit-il,  malgré 
sa  répugnance,  «  se  résoudre  à  porter  du  dor  ». 
11  arrivait  quelquefois  que  la  fourrure  trop  épaisse 
rendait  le  bonnet  trop  étroit  pour  entrer  sur  sa 
tète  :  il  prit  la  précaution  d'enfermer  dans  sa 
lettre  de  commande  un  fil  donnant  la  mesure 
de  son  tour  de  tête  (27  mars  4763). 

((  Je  l'ai  prise  entre  les  deux  nœuds.  »  Y  a-t-il 
rien  de  si  plaisant  que  de  se  figurer  le  profond 
philosophe  assis  à  sa  table  et  s'entourant  gravement 
le  crâne  avec  un  fil,  pour  que  son  chapelier  lui 
envoie  des  bonnets  à  sa  taille  ? 

Puisque  nous  décrivons  l'extérieur  de  Jean 
Jacques  de  la  tète  aux  pieds,  ajoutons  qu'il  porte 
en  hiver  des  «  bas  drappés  »  bien  chauds,  qu'il  a 
chez  lui  des  pantoufles  jaunes,  et  qu'il  ne  les  lui 
faut  pas  trop  grandes,  c  J'ai  le  pied  extrêmement 
petit.  »  Il  a  la  coquetterie  des  extrémités.  Enfin 
quand  il  sort,  il  met  des  «  bottines  de  maroquin  » 
serrées  avec  des  «  lacets  de  soie  jaune  ».  Voilà, 
pensons-nous,  un  inventaire  complet  de  sa  garde- 
robe. 

Des  lacets,  Rousseau  en  reçoit  et  en  demande 


PRÉFACE.  XXXV 

souvent,   mais   ce  n'est   pas   toujours   pour   ses 
bottines  de  maroquin. 

Il  conte,  dans  les  Cojifessioîis.  qu'il  s'avisa,  pour 
ne  pas  vivre  en  sauvage,  d'apprendre  à  faire  des 
lacets.  «  Je  portais  mon  coussin  dans  mes  visites, 
ou  j'allais,  comme  les  femmes,  travailler  à  ma  porte 
et  causer  avec  les  passants.  »  Il  faisait  présent 
de  ses  ouvrages  à  ses  jeunes  amies,  le  jour  de 
leur  mariage,  à  la  condition  qu'elles  connaîtraient 
Y  Emile,  et  nourriraient  elles-mêmes  leurs  enfants, 
«sans  quoi,  point  de  lacet  ».  Madame  Boy  de  la  Tour 
est  souvent  priée  de  lui  envoyer  à  cet  usage  «  de 
la  soie  de  toutes  couleurs  ».  Dans  les  commence- 
ments, elle  ne  saisit  pas  très  bien  ce  qu'il  veut,  et 
nous  comprenons  son  incertitude,  vu  l'originalité 
de  la  commission.  Elle  lui  envoie  de  la  soie  plate  ; 
il  la  lui  retourne,  il  lui  faut  de  la  soie  filée,  de  la 
soie  à  coudre,  de  la  soie  torse.  Mais  aussi  imagine- 
t-on  pareille  idée  du  philosophe  en  quenouille  aux 
pieds  de  Thérèse-Omphale?  Le  meilleur  de  cette 
fantaisie  fut  de  valoir  à  de  jeunes  mariées  un 
curieux  souvenir  toujours  accompagné  d'une 
aimable  lettre  plus  précieuse  encore  que  le  lacet. 
Mademoiselle  d'Ivernois,  la  fille  du  procureur  géné- 
ral de  Neuchâtel,  eut  la  primeur  de  cette  inoffensive 


XXXVI  l'HKFACi:. 

manie,  avec  un  fort  joli  billet  «  qui  a  couru  le 
monde  »  où  le  tresseur  de  soie  disait  :  «  Songez 
que  porter  un  lacet  tissu  par  la  main  ([ui  traça  les 
devoirs  des  mères,  c'est  s'engager  à  les  remplir  ». 
Ce  lacet  a,  paraît-il,  été  pieusement  gardé  par  la 
famille.  On  en  a  souvent  donné  de  petits  morceaux 
à  des  amis,  à  titre  de  reliques,  mais  il  mesure 
encore  un  mètre  quarante  centimètres  :  il  se  pas- 
sera quelque  temps  avant  que  les  propriétaires  se 
voient  obligés  de  le  remplacer.     . 

C'est  en  tressant  ces  précieux  lacets  que  le  bon 
Jean-Jacques  allait  jaser  et  clabauder  sur  le  pas 
de  la  porte  avec  les  voisines. 

Un  trait  de  caractère,  que  ces  lettres  accusent 
et  mettent  en  relief,  c'est  le  goût  de  Rousseau  pour 
les  commérages,  les  petites  histoires  du  quartier, 
de  la  rue  et  du  voisinage,  les  disputes  de  porte  à 
porte,  les  racontars  que  sa  bavarde  gouvernante 
lui  rapportait,  sachant  flatter  ses  goûts.  Ces  que- 
relles de  clocher  prenaient  à  ses  yeux  l'importance 
qu'il  attachait  à  tout,  et  le  mettaient  souvent  dans 
de  mauvais  pas,  pour  avoir  mis  le  nez  là  où  il 
n'avait  que  faire.  On  s'en  douterait,  et  on  pouvait 
aisément  le  prédire,  à  le  voir  emporter  ses  lacets 
pour  aller  jaser  et  voisiner  aux  alentours,  ce  qui 


PRÉFACE.  XXXVII 

est  le  pire  fléau  de  la  tranquillité  domestique.  La 
brouille  suit  toujours  ces  amitiés  que  créent  la 
proximité  des  demeures  et  la  promiscuité  des 
après-midi  désœuvrés. 

Reçu  à  son  arrivée  par  la  belle-sœur  de  madame 
Boy,  qui  Ihéberga  dans  les  premiers  temps,  il  fré- 
quentait beaucoup  chez  elle  ;  les  deux  maisons 
se  touchaient  :  cinq  mois  après,  en  novembre, 
les  voilà  brouillés  à  mort  et  il  désire  qu'il  ne  soit 
plus  question  d'eux  ;  il  écrit  à  madame  Boy  :  «  Je 
vous  prie  que  nous  en  restions  là  sur  ce  point  »  ; 
il  ne  veut  rien  garder  qui  soit  à  eux,  et  M.  Girar- 
dier  fait  reprendre  tous  les  meubles  qu'il  lui  avait 
prêtés.  Qui  fut  coupable  ?  Les  torts  furent  peut-être 
bien  du  côté  des  Girardier,  car  Jean-Jacques  conte, 
dans  ses  Confessions^  que  sa  maison,  avant  son  ins- 
tallation, était  très  commode  à  madame  Girar- 
dier; celle-ci  ne  le  vit  pas  arriver  sans  un  certain 
déplaisir  :  inde  irœ^  sans  doute.  En  tout  cas,  quand 
M.  Girardier  tomba  malade  au  point  d'en  mourir, 
trois  mois  après  la  brouille  (février  1763),  Jean- 
Jacques  oublia  ses  griefs  et  envoya  Thérèse  le 
soigner  et  le  veiller. 

Rousseau,  l'insociable,  devait  avoir  le  commerce 
difficile  et  les  relations  anguleuses.  Dès  le  mois  de 


XXXVIII  PRÉFACE. 

mai  1703.  il  a  assez  de  Molicrs  et  de  ses  habitants, 
il  voudrait  s'en  aller  :  «  On  ne  m'aime  pas  »  ;  les 
gens  lui  font  la  mine  de  prendre  «  des  airs  de 
protecteurs  et  de  juges  »  ;  il  s'en  réjouit  rageuse- 
ment, car  leur  malveillance  le  dispense  de  les 
voir.  «  Leurs  honnêtetés  m'avaient  subjugué  ;  leurs 
impertinences  me  dégagent.  »  L'idée  fixe  de  la 
persécution  le  mine  et  fait  son  œuvre;  Thérèse 
favorise  ce  travail  intérieur,  et  nourrit  de  ses 
rapports  la  bile  de  son  maître.  Il  est  à  présumer 
qu'on  plaisantait  la  vieille  gouvernante  sur  ses 
relations  avec  Rousseau.  Madame  Boy  faisait 
bâtir  sur  la  montagne  une  maison  d'été  qu'elle 
destinait  à  son  ami  Jean- Jacques.  Les  mauvaises 
langues  de  Motiers  jasèrent  et  interprétèrent 
ce  projet  de  villégiature  avec  toute  la  malice  que 
comportait  la  situation.  Il  fut  avéré  que  cette 
retraite  était  pour  dissimuler  une  grossesse  et 
favoriser  un  accouchement  clandestin. 

«  Ma  très  bonne  amie,  je  ne  vaux  plus  rien  ni 
pour  les  autres  ni  pour  moi  ;  je  ne  suis  plus  bon 
qu'à  souffrir,  me  plaindre  et  rabâcher  ;  un  tel 
commerce  n'est  qu'importun  pour  les  autres  et 
c'est  par  discrétion  que  je  ne  le  rends  pas  plus 
assidu.  Je  me  préparais  à  me  transplanter  à  votre 


PREFACE.  XXXIX 

montagne  avec  autant  de  plaisir  que  vous  en  avez 
eu  à  la  faire  accommoder  ;  mais  ni  mon  état  pré- 
sent ne  le  permet,  ni  quand  il  le  permettrait  je  ne  le 
pourrais  faire,  vu  l'étrange  pays  où  je  vis,  sans 
compromettre  l'honneur  de  la  personne  qui  prend 
soin  de  moi.  Sitôt  que  j'ai  bien  connu  le  naturel 
des  gens  du  lieu,  je  n'ai  plus  voulu  qu'elle  les 
vît,  et  cette  retraite,  jointe  au  projet  d'aller  habiter 
la  montagne,  leur  a  fait  supposer  aussi  charita- 
blement que  sensément  que  j'avais  des  raisons 
})0ur  la  cacher.  Leurs  regards  curieux,  leurs  bru- 
tales double-ententes  et  leurs  sottes  chuchoteries 
m'ont  bientôt  fait  deviner  de  quoi  il  s'agissait; 
sur  quoi  j'ai  pris  le  parti  de  rester  au  milieu  de 
Motiers  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  à  la  providence  de 
me  tirer  tout  à  fait  de  manière  ou  d'autre  du  milieu 
de  leurs  langues  empoisonnées  qui  distillent  plus 
de  venin  que  celles  de  tous  les  serpens  de  l'A- 
frique. »  (Motiers,  14  août  1763.) 

Jean- Jacques  se  fâcha  tout  rouge,  et  en  vérité  on 
se  demande  pourquoi.  Quand  il  écrit  :  «  leurs  lan- 
gues empoisonnées  distillent  plus  de  venin  que 
celles  de  tous  les  serpens  de  l'Afrique  »  on 
comprend  mal  cette  protestation  indignée  qui  ten- 
drait à  retaire  ou  à  protéger  de  la  médisance  une 


IL  PRÉFACE. 

virginité  trop  sérieusement  compromise.  Lorsqu'il 
refuse  enfin  l'habitation  de  la  montagne  par  le 
souci  «  de  ne  pas  compromettre  l'honneur  de  la 
personne  qui  prend  soin  de  moi  »,  on  ne  sait  trop 
qui  est  dupe,  ou  madame  Boy  de  Jean-Jacques, 
ou  Jean-Jacques  de  lui-même. 

Le  moment  eut  été  bien  choisi  pour  rappeler  à 
Rousseau  la  répartie  de  Sophie  Arnould  à  une  amie 
qui  déclarait  :  «  Je  mets  mon  honneur  sous  la  garde 
du  roi  ».  «  Ma  chère,  reprit  l'endiablée  actrice,  là 
où  il  n'y  a  rien,  le  roi  perd  ses  droits.  » 

Moins  d'un  an  après  son  installation  voilà  oii 
en  est  le  philosophe.  «  Je  regarde  Motiers  comme 
le  séjour  le  plus  vil  et  le  plus  venimeux  qu'on 
puisse  habiter.  »  Le  jugement  est  sévère,  mais 
peut-être  injuste  si  l'on  songe  qu'il  va  désormais 
servir  à  tous  les  milieux  où  Jean-Jacques  tentera 
de  vivre  en  société.  La  solitude  était  son  seul  asile. 

Les  premiers  ennuis  graves  furent  suscités  par 
une  affaire  de  mur  mitoyen,  ou  quelque  chose 
d'approchant.  La  lettre  du  29  avril  1764  com- 
mence avec  des  airs  de  mystère  et  des  précautions 
faites  pour  intriguer  les  esprits  les  plus  indiffé- 
rents :  <(  Ne  montrez  cette  lettre,  s'il  vous  plaît, 
à  personne!...  Quelqu'un  qui  ne  veut  pas  être 


PRÉFACE.  XLI 

nommé  vient  de  me  donner  un  avis »  Qu'est- 
ce,  grand  Dieu!  Cette  prudence,  cette  personne 
masquée,  ces  confidences  chuchotées  ,  ces  ma- 
nières ténébreuses  inconnues  depuis  le  Conseil  des 
Dix,  présagent  assurément  quelque  secret  d'Etat. 
En  effet,  c'est  que  M.  du  Terreaux,  maire  des 
Verrières,  l'ait  bâtir  contre  la  maison  Boy,  et  que 
sa  bâtisse  prenant  sur  la  largeur  du  chemin  «  ren- 
dra le  contour  plus  difficile  aux  voitures  pour 
entrer  dans  votre  grange  ».  Voyez  un  peu  l'af- 
faire de  conséquence!  —  Or  comme  M.  du  Ter- 
reaux ne  peut  bâtir  qu'avec  l'aveu  de  la  com- 
munauté, il  faut  prévenir  ses  démarches  et  lui 
interdire  ses  travaux.  Cet  avis  discret  et  presque 
anonyme  fit  beaucoup  de  bruit  au  village  ;  les 
communiers  se  dérangèrent  pour  venir  examiner 
la  place,  on  sut  que  l'instigateur  de  ces  mesures 
préventives  était  Jean- Jacques;  on  désapprouva 
sa  conduite  tortueuse,  et  il  y  gagna  qu'une  partie 
de  la  population  ne  le  salua  plus. 

Ce  sont  des  menus  faits  de  ce  genre  qui  l'ache- 
minèrent à  la  catastrophe  finale.  Les  clabauderies 
de  Thérèse  n'y  furent  peut-être  pas  tout  à  fait 
étrangères.  Du  moins  Rousseau,  dans  son  aveu- 
glement, n'en  soupçonna  rien. 


XLII  PRÉFACE. 

Ses  lettres  constatent  Tétroitesse  des  liens  dans 
lesquels  Thérèse  le  sut  enserrer.  Il  y  est  sans 
cesse  question  d'elle;  dans  chaque  missive,  une 
petite  phrase  rappelle  qu'elle  existe  ;  elle  ne 
manque  pas  une  occasion  d'envoyer  son  sou- 
venir et  ses  respects  à  l'amie  de  son  amant  ; 
on  la  voit,  pour  ainsi  dire,  à  distance,  pen- 
chée sur  le  bureau  oii  Jean-Jacques  termine  sa 
lettre,  réclamant  un  mot  pour  elle  afm  d'affirmer 
son  existence  et  de  se  rehausser  à  ses  propres 
yeux  par  cette  intimité  flatteuse  avec  une  grande 
et  honnête  dame.  C'est  elle  qui  lui  rapporte  les 
malins  propos  tenus  par  les  commères  de  Motiers 
sur  leur  liaison  compromettante  ;  à  la  douleur  et 
à  l'exaspération  de  Rousseau  refusant  de  quitter 
Motiers  parce  qu'on  croit  Thérèse  enceinte,  il 
semble  qu'on  entende  les  amères  récriminations  de 
l'ancienne  servante  déchargeant  ses  rancunes  dans 
le  sein  de  son  faible  amant  et  les  lui  faisant  épou- 
ser, l'excitant  de  sa  propre  haine,  alimentant  son 
imbécile  passion  raffermie  par  le  récit  de  persé- 
cutions imaginaires  peut-être,  exploitant  à  son 
profit,  par  le  plus  sordide  calcul,  le  trésor  de 
bonté  et  de  pitié  qu'elle  lui  connaît,  et  bénéficiant 
à    chaque    nouvelle    scène    d'un    accroissement 


PREFACE.  XLIII 

damour,  d'un  cadeau  consolateur,  voire  même 
dun  testament  en  faveur  «  de  cette  pauvre  fille 
qui  soigne  depuis  si  longtemps  ma  misérable 
machine!  »  (14  août  1763.) 

Le  débile  vieillard  tremble  de  la  laisser  «  seule 
et  sans  protection  dans  un  pays  si  él  oigne  d  u  sien  » , 
Dans  les  recommandations  qu'il  fait  pour  elle  à 
ses  amis,  on  reconnaît  les  habiles  conseils  et  les 
utiles  précautions  que  la  mégère  lui  faisait  prendre, 
y  compris  «  le  billet  endossé  en  son  nom  »  pour 
recueillir  la  fortune  du  pauvre  homme  en  cas  de 
contestation. 

«  Je  ne  veux  pas  trop  creuser  dans  Favenir,  ma 
très  bonne  amie,  mais  mon  état  empire  tellement 
depuis  quelque  temps  qu'il  ne  serait  guère  éton- 
nant que  cet  hiver  je  fusse  délivré  de  mes  souf- 
frances et  en  ce  cas-là  jugez  de  la  douleur  qu  e 
j'aurais  de  laisser  ici  cette  pauvre  fille  qui  soigne 
depuis  si  longtemps  ma  misérable  machine,  seule 
et  sans  protection  dans  un  pays  si  éloigné  du 
sien.  Si  nous  étions  à  Yverdun  je  serais  bien 
tranquille,  mais  ici  au  moment  oii  j'aurai  les  yeux 
fermés  on  la  dépouillera  de  tout.  J'ai  fait  un  tes- 
tament, mais  puis-je  espérer  qu'on  y  aura  le 
moindre  égard?  Quelque  défaut  de  formalité  le 


XLIV  PRÉFACE. 

fera  annuler  et  on  ne  la  laissera  pas  même  profi- 
ter de  mes  guenilles...  J'espère  qu'au  nom  de 
notre  ancienne  amitié  vous  la  protégerez  en  tout 
■ce  qui  dépendra  de  vous  et  que  vous  ne  souffrirez 
pas  que  ce  qui  est  dans  les  mains  de  messieurs 
vos  fils  passe  à  d'autres  qu'à  elle.  En  cas  d'acci- 
dent je  lui  remettrai  le  billet  endossé  à  son 
nom...  J'avais  besoin  pour  être  tranquille  de  vous 
prévenir  là-dessus,  et  maintenant  je  le  suis  par- 
faitement. »  (Motiers,  14  août  1763.) 

On  connaît  la  cérémonie  aussi  touchante  que 
burlesque  où  Jean-Jacques  unit  sa  destinée  à 
•celle  de  sa  gouvernante  à  la  face  de  la  nature,  par 
un  mariage  illégitime  qui  consacrait  une  illégalité 
devant  le  maire  lui-même  de  Bourgoin,  invité  en 
ami  à  cette  séance. 

Cet  événement  laissa-t-il  au  fond  du  cœur  de 
Jean-Jacques  une  certaine  gêne,  un  certain  ma- 
laise? En  tout  cas  il  ne  s'y  arrête  guère  dans  ses 
lettres,  il  informe  en  passant  ses  amis  de  la  réso- 
lution qu'il  a  prise,  et  il  leur  fait  part  de  son 
mariage  en  des  termes  qui  sentent  la  formule  et 
le  cliché  plus  qu'ils  ne  constatent  le  ravissement 
<l'un    récent    époux. 

Il  écrit   le   2  septembre   à    M.    Boy    le    fils  : 


P  R  t:  F  A  C  E  .  XLr 


«  Madame  de  Lessert  aura  }3u  vous  dire  que 
mademoiselle  Renou  est  devenue  ma  sœur  Sara 
et  que  je  suis  son  frère  Abraham.  Si  tous  les 
mariages  commençaient  ainsi  par  un  attache- 
ment de  vingt-cinq  ans  confirmé  par  l'estime,  ne 
pensez-vous  pas  qu'ils  seraient  généralement  plus 
unis?  »  (Bourgoin,  2  septembre  1768.) 

La  même  rédaction  lui  sert,  le  -3  septembre, 
pour  aviser  de  la  nouvelle  madame  Boy  :  «  Notre 
jolie  nourrice  vous  aura  marqué  que  la  compagne 
de  mon  sort  et  de  mes  malheurs  n'ayant  voulu 
m'abandonner  en  aucune  circonstance,  j'ai  cru 
lui  devoir  de  faire  que  puisqu'elle  était  déterminée 
à  suivre  en  tout  et  par  tout  ma  destinée,  elle  pût 
la  suivre  avec  honneur.  Si  vingt-cinq  ans  d'atta- 
chement et  d'estime  précédaient  tous  les  mariages 
il  est  à  croire  qu'ils  en  seraient  généralement 
plus  heureux.   »  (Bourgoin,  o   septembre  1768.) 

On  ne  sent  pas  précisément  dans  ce  simple  avis 
un  homme  fier  et  heureux  de  lui.  Il  avait  déjà 
trop  endommagé  sa  lune  de  miel  pour  qu'elle  pût 
lui  réserver  la  moindre  surprise.  La  scène  de  la 
Fontaine  d'Or  n'apportait  qu'une  singularité  de 
plus  à  l'actif  de  Rousseau.  Il  n'aima  Thérèse  ni 
plus  ni  moins  et  lui  continua  une  affection  qui 


XLVI  PRÉFACE. 

intéressait  à  sa  compagne  des  personnes  dont  elle 
ne  méritait  pas  même  l'attention. 

Quand  la  fille  de  madame  Boy,  l'aimable  Ma- 
delon,  lui  fit  cadeau  d'une  robe,  les  remercie- 
ments de  Jean-Jacques  sont  aussi  gauches  qu'hu- 
miliants :  «  Ma  pauvre  petite  femme  vous 
embrasse  en  pleurant  d'aise  du  bien  que  vous  lui 
avez  fait  et  à  moi  par  votre  visite.  Sa  robe  est  très 
belle,  si  belle  que  quand  elle  l'aura  ce  sera  ma- 
dame et  ce  ne  sera  plus  ma  femme.  »  (Bourgoin, 
14  novembre  1768.) 

Ce  ménage  douteux,  qui  n'a  même  pas  pour  le 
rehausser  les  apparences  gracieuses  de  la  jeunesse, 
de  l'amour,  de  la  gaieté  et  du  bonheur  à  deux, 
laisse  l'impression  pénible  et  sombre  d'un  inté- 
rieur maussade  habité  par  un  vieillard  souffrant 
et  plaintif  aux  soins  d'une  gouvernante  intéressée 
et  perfide.  C'est  dans  toute  sa  honteuse  et  triste 
monotonie  le  faux  ménage  du  vieux  célibataire 
entre  les  griffes  crochues  de  sa  cupide  servante. 

Tels  sont  le  ton  et  le  caractère  de  cette  corres- 
pondance d'un  ton  très  neuf  et  d'une  originalité 
piquante.  C'est  Rousseau  intime  clouant  des  gra- 
vures, empruntant  un  moulin  à  café,  faisant  avec 


PRÉFACE,  XLVII 

une  bêche  un  chemin  dans  la  neige  à  travers  son 
jardinet,  chaussant  des  "•  souliers  de  paille 
comme  les  employés  des  grands  magasins  de 
Lyon  »  pour  se  garantir  du  froid,  ou  se  prenant  de 
querelle  au  cabaret, 

((  Voici  une  petite  anecdote  qui  pourra  vous 
amuser.  M,  Bovier  fils,  depuis  mon  départ  de  Gre- 
noble, y  a  déterré  un  garçon  chamoiseur  nommé 
Thévenin  qui  prétend  avoir  prêté  ou  donné  en 
Suisse  dans  un  cabaret  neuf  francs  à  un  nommé 
J.-J.  R.  qu'on  dit  être  de  votre  connaissance. 
Ledit  J,-J,  R,  ne  convient  pas  du  fait  et  pré- 
tend que  ledit  Thévenin  est  un  imposteur  ;  on 
dit  même  qu'il  le  prouve  ;  mais  ledit  Thévenin 
paraît  si  bon  homme,  a  l'air  si  bénin  et  d'ail- 
le  urs  est  si  bien  protégé  que  le  public  de  Gre- 
noble, tout  à  fait  bien  disposé  pour  lui,  voudrait 
fort  le  favoriser  aux  dépends  de  l'autre  et  faire 
en  sorte  que  ce  fût  ledit  J,-J.  R,  qui  fût  le 
fripon.  Malheureusement,  par  des  informations 
faites  sur  les  lieux,  il  se  trouve  que  ledit  bon- 
homme de  Thévenin  a  eu  ci-devant  l'honneur 
d'être  condamné  par  arrêt  du  Parlement  de  Paris 
à  être  fouetté,  marqué  et  envoyé  aux  galères  pour 
fabrication   de  faux  actes  ;  mais  comme  en  re- 


XLVlll  PRÉFACE. 

vanche  ledit  J.-J.  R.  a  aussi  été  décrété,  ce 
qui  est  quasi  la  même  chose,  on  espère  encore  que 
les  choses  pourront  s'arranger  à  la  satisfaction  de 
ce  pauvre  Tliévenin.  Il  est  tout  simple  que  le  pré- 
jugé public  soit  en  sa  faveur  parce  qu'on  sait  que 
sa  coutume  est  de  prêter  ainsi  de  l'argent  en  pas- 
sant à  tout  le  monde,  même  aux  gens  qu'il  ne 
connaît  point  du  tout,  et  que  le  dit  J.-J.-R. 
est  connu  pour  un  coureur  de  cabarets  qui  va 
piquant  à  droite  et  à  gauche  quelques  écus  dans  la 
poche  des  quidams  assez  sots  pour  lui  en  prêter.  » 
(Bourgoin,  21  septembre  1768.) 

Le  récit  est  joli  et  montre  que  Jean-Jacques 
sait  quand  il  veut  manier  habilement  l'ironie. 
Mais  elle  tourne  aussitôt  à  l'amertume  et  à  l'ai- 
greur. Un  déni  de  justice  échauffe  et  bouleverse 
sa  bile,  et  il  retrouve  les  mêmes  accents  que  son 
aîné,  l'Alceste  de  Molière  :  «  Sur  les  preuves  de 
rimposture  dudit  Thévenin,  M.  le  comte  de  Ton- 
nerre m'a  fait  enfin  réponse,  non  pas  qu'il  lui 
ferait  avouer  son  imposture,  mais  au  contraire 
qu'il  lui  imposerait  silence.  Sur  ce  pied-là  si  Thé- 
venin  m'eût  volé  ma  bourse,  au  lieu  de  l'obliger 
à  la  rendre,  on  lui  ordonnerait  de  ne  me  plus 
voler...  Pour  le  coup  je  ne  serai  plus  leur  dupe, 


PRÉFACE.  XLIX 

et  sûr  de  n'obtenir  aucune  justice,  je  ne  m'abais- 
serai plus  à  la  demander.  »  Il  n'eut  pas  cette  peine, 
car  Thévenin  fut  condamné  aux  galères. 

Jean-Jacques  nous  tient  ainsi  au  courant  de 
toutes  les  menues  péripéties  de  sa  vie  au  jour  le 
jour,  —  vie  prosaïque  et  mesquine  d'un  vieillard 
quinteux  qui  vit  dans  son  fauteuil  de  bois,  son 
agenda  de  dépenses  ouvert  sur  ses  genoux, 
tandis  que  sa  gouvernante  essuie  les  meubles  et 
repasse  le  linge. 

Si  la  réputation  de  l'écrivain  n'a  rien  à  gagner 
à  cette  exhumation,  elle  ne  perdra  rien,  car  cer- 
taines lettres  sont  fort  jolies,  pleines  d'esprit  et 
de  délicatesse.  Les  négligences  sont  rares;  il  y  a 
peu  de  trivialités,  malgré  la  familiarité  de  la  cor- 
respondance et  l'humilité  des  sujets.  La  plupart 
sont  recopiées  sur  un  brouillon  préalable,  on  le 
sent  à  la  fermeté  du  style  et  de  l'écriture. 

Il  y  a  bien  de  la  tendresse  dans  l'expression 
de  ses  sentiments  affectueux  pour  le  «  vieux  papa  » 
Roguin,  pour  sa  douce  et  bienfaisante  amie  ma- 
dame Boy  de  la  Tour,  pour  ses  filles  Julie  et  sur- 
tout Madelon,  «  la  gentille  sauteuse  »,  à  laquelle  il 
a  voué  une  prédilection  toute  particulière  et  qui 
lui  inspire  les  plus  amusantes  plaisanteries. 


L  PRÉFACE. 

11  atteint  à  l'éloquence  quand  vient  le  sur- 
prendre la  nouvelle  de  la  mort  de  M.  Roguin  : 
«  Mon  respectable  ami  IM.  Roguin  a  cessé 
de  soulTrir.  Il  jouit  maintenant  du  prix  de  ses 
vertus,  car  j'ai  toujours  pensé  que  les  hommes 
seront  jugés  sur  ce  qu'ils  ont  fait  bien  plus  que 
sur  ce  qu'ils  ont  cru,  et  sa  récompense  est  bien 
sûre,  quoiqu'il  n'ait  pas  eu  le  bonheur  d'en  jouir 
d'avance  en  l'espérant.  Une  idée  encore  m'est  con- 
solante dans  ma  douleur.  C'est  de  penser  que 
l'adresse  et  l'imposture  ne  déguisent  plus  à  ses 
yeux  la  vérité  des  choses,  et  que  s'il  pense  à  son 
ami  infortuné  il  rend  justice  à  ses  sentiments,  à 
ses  principes  et  au  sincère  et  pur  attachement 
([u'il  eut  pour  lui.  Affecté  de  cette  perte  et  par 
elle-même  et  par  tout  ce  qui  me  la  rend  irrépa- 
rable, je  me  vois  mourir  par  degré  dans  tout  ce 
qui  donne  un  prix  à  la  vie,  et  destiné,  si  je  vis 
longtemps  encore,  à  ne  rester  sur  la  terre  que  pour 
m'y  pleurer  tout  vivant.  Car  c'en  est  fait,  les  nou- 
veaux attachements  ne  sont  plus  de  mon  âge, 
encore  moins  de  ma  situation,  et  ce  coup  laisse 
dans  mon  cœur  un  nouveau  vide,  il  ne  sera  plus 
rempli.  Il  faut  finir  cette  triste  lettre,  je  m'eiïor- 
cerais  en  vain  d'y  prendre  un  ton  moins  plaintif. 


.  Â(>r//ui// d^y^y/b.    ^Àwy  de  (a  (loiir 


Propriété  de  la 

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F.  RICHARD 

80,  Rue  «J'j  Rhône,  80 
GENIî:VE 


PREFACE.  Ll 


La  perte  de  M.  Roguin  me  rappelle  avec  force  les 
temps  heureux  de  notre  connaissance.  Combien 
il  fallait  peu  pour  mon  bonheur!  Hélas!  quedis-je? 
il  aurait  fallu  beaucoup  :  C'eût  été  de  ne  con- 
noître  que  des  gens  qui  lui  ressemblassent.  Mon 
vertueux  ami,  vous  êtes  allé  m'attendre.  Ils  auront 
beau  faire.  Nous  nous  rejoindrons  en  dépit  d'eux.  » 
(20  juillet  1771). 

Si  madame  Boy  de  la  Tour  eut  pour  lui  mille 
bontés,  il  est  juste  de  le  reconnaître,  Jean  Jacques 
conserva  pour  elle  jusqu'à  la  fin  les  sentiments 
d'une  inaltérable  amitié  qui  ne  connut  ni  les  froi- 
deurs ni  les  nuages.  Il  garda  pour  elle  la  même 
tendresse  et  le  temps  ne  fit  que  l'accroître  :  rare 
exemple  dans  l'existence  de  Rousseau,  dune  amitié 
qui  triompha  de  son  humeur  chagrine  et  de  ses 
caprices.  Au  bout  de  dix  ans,  bien  qu'éloigné  d'elle, 
il  ne  se  montrait  ni  moins  dévoué  ni  moins  affec- 
tueux. Il  s'excuse  de  ses  négligences  avec  une 
sincérité  touchante,    et  il  se  les  fait  pardonner  : 

('  Depuis  six  mois  le  travail  étant  venu  avec 
abondance  ce  qu'il  n'avait  pas  encore  fait,  j'ai 
cru  devoir  m'y  livrer  tout  entier  et  j'ai  passé 
l'hiver  cloué  sur  ma  chaise  avec  une  telle  assiduité 
que,  de  peur  de  rebuter  les  pratiques,  je  ne  me 


LU  PRÉFACE. 

suis  permis  aucune  distraction...  Fatigué  de  tenir 
la  plume  je  la  quittais  pour  faire  quelques 
tours  de  chambre,  parlant  souvent  de  vous.  » 
(Paris,  4G  avril  1772.) 

Six  moix  après,  madame  Boy  eut  un  accident 
au  pied,  et  il  s'en  montre  fort  affecté.  Ses  recom- 
mandations sont  d'un  fidèle  et  prévoyant  ami. 
«  Enfin,  vous  voilà  bien  rétablie  de  tout  point  et 
je  vous  exhorte  ardemment  à  garder  toujours  le 
souvenir  de  tant  de  rechutes  de  toute  espèce  pour 
vous  en  garantir  désormais  par  lapins  scrupuleuse 
attention  sur  vous-même  tant  à  table  qu'à  la 
promenade.  Evitez  soigneusement  les  lieux  rabo- 
teux, ne  Aous promenez  qu'appuyée  sur  quelqu'un 
et  ne  vous  fatiguez  jamais  trop.  »  (22  octobre  1772, 
Paris.) 

C'est  par  ces  instants  d'affectueuse  sollicitude 
qu'il  se  faisait  pardonner  ses  inégalités  d'humeur, 
dont  il  convient  lui-môme  avec  une  bonhomnie 
un  peu  bourrue  mais  sympathique.  «  Vous  nous 
avez  envoyé  aussi  d'excellents  marrons  dont  je 
vous  aurais  remercié  plus  tôt,  si  la  voie  de  la 
poste  ne  m'était  fermée,  de  quoi  sans  vous  je  me 
soucierais  peu.  Vous  avez  trop  de  bonté  d'entrer 
en    explication    avec    moi   sur    mes   maussades 


PRÉFACE.  LUI 

gi'onderies  ;  c'est  assez  de  les  pardonner  et  de 
sentir,  comme  je  m'en  flatte,  que  mon  ton  dur 
quelquefois  vaut  bien  dans  le  sentiment  qui 
l'inspire  un  langage  plus  cajoleur.  »  (28  décem- 
bre 1770.) 

L'amitié  de  madame  Boy  de  la  Tour  fut  assuré- 
ment une  grande  consolation  pour  lui  pendant  ces 
dix  années  d'exil,  de  proscription  et  dexode.  Il 
fallait  replacer  en  lumière  cette  figure  aimable  et 
compatissante  que  les  historiens  de  Rousseau  ont 
jusqu'à  présent  laissée  dans  l'ombre,'  faute  d'in- 
formations suffisantes.  Elle  a  été  l'amie  la  plus 
dévouée,  la  consolatrice,  la  bienfaitrice  infatigable 
du  misérable  proscrit.  Elle  mérite  une  place  à  part 
à  côté  des  grandes  amies  de  Jean-Jacques,  ma- 
dame de  Yerdelin  ou  la  maréchale  de  Luxembourg. 
INousne nommerons pasicimadamede  Warens.  La 
pauvre  maman  mourut  l'année,  le  mois  même  où 
Jean-Jacques  s'installait  dans  la  maison  de  sa 
nouvelle  amie,  qu'il  allait  aussi  appeler  de  ce  nom 
familier  et  affectueux.  Maman  était  remplacée  : 
mais  c'était  cette  fois  l'affection  reposée,  calmée 
et  pure  d'un  vieillard  pour  une  âme  bienfaisante. 
Dans  ses  lettres  il  ne  parle  pas  une  seule  fois  de 
sa  première  maman  :  pudeur  touchante  et  discrète 


LIV  PREFACE 

(]iii  lais?ait  à  la  seconde  l'intégrité  de  son  dévoue- 
ment. 

Cette  intimité  si  étroite,  si  confiante,  répand 
sur  toute  celte  période  de  la  vie  de  Jean-Jacques 
une  douce  sérénité.  Sonamie,  quifut  sa  confidente, 
fut  aussi  son  refuge  aux  heures  d'angoisse.  Toute 
cette  famille  lui  procura  les  joies  les  plus  conso- 
lantes de  lintérèt  et  de  Taffection.  Il  convenait  de 
faire  revivre  ces  gracieuses  amies,  sans  lesquelles 
la  vie  de  Jean-Jacques  serait  incomplètement 
connue.  Négliger  de  placer  à  ses  côtés  madame 
Boy  de  la  Tour,  son  oncle  M.  Roguin,  ses  filles 
Julie  et  surtout  Madeleine,  c'est  montrer  Rous- 
seau dans  un  isolement  qui  devient  une  erreur 
historique. 

On  considère  volontiers  que  l'exode  à  Motiers 
et  à  Bourgoin  fut  une  des  plus  rudes  épreuves 
qu'il  eut  à  supporter.  Mais  quand  on  sait  de  quelles 
précieuses  amitiés  il  fat  entouré,  quand  on  ajoute 
aux  bienveillantes  assiduités  des  dTvernois,  des 
de  Luze,  des  de  Pury,  des  d'Escherny,  l'aimable 
commerce  qu'il  ne  cessa  d'entretenir  avec  ses  ten- 
dres amies  de  Lyon,  on  est  aisément  tenté  de  le 
plaindre  moins,  et  d'envisager  avec  moins  de  com- 
passion un  sort  qui  fut  très  supportable.  En  dépit 


/ 


PREFACE.  LV 

de  ses  lamentations  Jean-Jacques  fut  rarement 
aussi  tranquille  et  aussi  choyé.  Sil  ne  fut  pas  par- 
faitement heureux,  la  faute  n'en  fut  assurément 
pas  aux  autres.  Il  nous  livrait  lui-môme  la  cause 
de  son  infortune  quand  il  écrivait  à  madame  Boy. 
de  Motiers,  le  27  janvier  1763  :  «  11  est  bien  dif- 
ficile de  rencontrer  le  bonheur  nulle  part,  quand 
on  ne  le  porte  pas  avec  soi.  » 

LÉO    CLARETIE. 


LETTRES  INEDITES 


JEAN-JACQUES  ROUSSEAU 


A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Toiir^  à  Yverdim\ 
Motiers^  18  Juillet  1 '762. 

Je  voudrois,  Madame,  que  vous  vissiez  l'em- 
pressement avec  lequel  je  m'établis  dans  vôtre 

1.  Ville  de  Suisse  (Vaud),dans  une  île  de  la  Thièle,  à  l'em- 
bouchure de  cette  rivière  dans  le  lac  de  Neuchàtel,  à  28  ki- 
lomètres au  nord-ouest  de  Lausanne.  C'est  là  que  Felice 
établit  sa  typographie  au  xviii<=  siècle,  et  Pestalozzi  son 
institut  en  1805. 

2.  Village  de  Suisse,  dans  le  Val  de  Travers,  à  22  kilomè- 
tres sud-ouest  de  Neuchàtel. 

La  maison  appartenait  au  fils  de  madame  Boy.  C'est  là 
qu'en  1657  M.  de  Sully,  capitaine  du  Val  de  Travers,  avait 

1 


2  LETTRES    INÉDITES 

maison;  vous  jugeriez  par-là  du  plaisir  que  j'ai 
de  tenir  de  vous  mon  habitation  d'occuper 
vôtre  demeure,  de  penser  à  vous  en  me  levant, 

reçu  le  prince  Henri  II  de  Longueville  dans  un  de  ses  voya- 
ges à  Neuchàtel.  (Cf.  L.  de  Meuron,  Descr.  du  Val  de  Tra- 
vers!, 1830).  Elle  n'existe  plus  qu'en  partie.  «  Tout  le  devant 
de  la  rue,  dit  M.  F.  Berthoud,  a  été  reconstruit  vers  1840  ; 
elle  a  perdu  ainsi  non  seulement  son  intérêt  historique, 
mais  sa  physionomie  vénérable  où  Tart  ne  manquait  pas, 
ni  le  goût.  On  en  peut  juger  par  les  belles  fenêtres,  élégan- 
tes et  curieuses  qui  restent  encore  dans  la  partie  conservée 
et  qui  étaient  reproduites  sur  la  façade,  comme  on  le  sait  par 
des  témoignages  sûrs.  Nous  avons  donc  pu  les  rétablir  et  les 
plcàcer  avec  une  parfaite  certitude.  La  chambre  de  Rous- 
seau, chambre  à  coucher  et  de  travail,  n'a  pas  été  changée; 
elle  est  petite,  mal  éclairée,  tournée  au  nord,  sans  autre 
vue  que  la  cour  étroite  et  triste  de  la  maison  voisine  ;  c'est 
là  qu'on  voyait  encore,  il  y  a  peu  d'années,  la  planche  atta- 
chée au  mur,  en  pupitre,  sur  laquelle  il  écrivait  debout. 

»  La  cuisine  est  à  côté  ainsi  qu'une  petite  chambre,  celle 
de  Thérèse  probablement.  Ces  deux  pièces  donnent  sur  la 
galerie.  Lorsque  Rousseau  voulait  éviter  des  visiteurs  im- 
portuns et  s"échapper,  ce  qui  fut  toujours  une  de  ses  préoc- 
cupations, il  trouvait,  au  bout  de  la  galerie,  un  escalier  qui 
le  conduisait  à  la  grange,  et  de  là  dans  les  champs. 

»  Deux  grandes  pièces,  au  soleil  levant,  sur  la  Grand'Rue, 
complétaient  le  logement  de  Rousseau,  avec  tout  le  rez- 
de-chaussée  pour  entrée,  caves  et  dépendances,  sauf  un 
petit  logement  occupé  par  un  vietix  bonhomme.  On  voit 
qu'il  ne  lui  manquait  rien.  » 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  3 

en  me  couchant,  durant  la  journée,  et  de  ne 
rien  voir  qui  ne  m'offre  des  témoignages  de 
vôtre  amitié.  J'ignore  encore  s'il  me  sera  per- 
mis d'en  profiter  longlems,  cela  dépend  des 
ordres  du  Roy  \  mais  ce  que  je  sais  c'est  que  je 
n'oublierai  de  mes  jours  ce  que  vous  avez  fait 
pour  moi  dans  cette  occasion,  ce  que  nôtre  con- 
naissance quoique  faite  si  rapidement"  a  laissé 
dans  mon  cœur  des  impressions  inefaçables. 
Madame  et  Mademoiselle  Girardier^  portent 

1.  Le  roi  de  Pi'usse.  Motiers  était  dans  le  comté  de  Neu- 
clîàtel  qui  était  dans  les  États  du  roi  de  Prusse.  Jean- 
Jacques  ne  savait  si  Frédéric  II  ne  l'inquiéterait  pas.  Il  se 
souvenait  d'une  estampe,  représentant  le  roi,  qui  ornait  son 
donjon  à  Montmorency.  Il  avait  écrit  au  bas  ce  vers  : 

Il  pense  en  philosophe  et  se  conduit  en  roi. 

Le  chevalier  de  Lorenzy  l'avait  copié  et  donné  à  d'Alem- 
bert,  qui  avait  pu  le  montrer  à  Frédéric.  En  outre,  Frédéric 
s'était  pu  aisément  reconnaitre  dans  Adraste,  roi  des  Dau- 
niens,  dans  YÉmile. 

2.  A  Yverdun,  où  il  s'arrêta  chez  M.  Roguin,  quand  il  se 
fut  enfui  de  chez  M.  de  Luxembourg,  décrété  de  prise  de 
corps  à  cause  de  YÉmile. 

3.  Madame  Girardier  est  la  belle-sœur  de  madame  Boy  de 


4  LETTRES    INÉDITES 

aussi  loin  pour  moi  les  altentions  el  les  soins 
que  Monsieur  le  Major  les  façons  et  les  com- 
plimens.  Je  crois  que  c'est  assez  dire.  Mad^ 
Girardier,  très  sensible  à  vôtre  invitation,  auroit 
grande  envie  d'en  profiter  ;  mais  elle  craint 
celte  grande  corvée  pour  vous  et  pour  vos 
enfans  durant  ces  chaleurs.  D'ailleurs,  voici  la 
récolte  ;  les  affaires  et  son  mari  la  comman- 
dent, et  je  vois  que  c'est  à  regret  qu'elle  ne 
fait  pas  là-dessus  ce  qu'elle  voudroit  bien. 
L'espoir  de  l'accompagner  m'a  fait  animer  sa 
bonne  volonté  par  quelques  mots  d'encourage- 
ment dont  elle  navoit  pas  besoin,  mais  que 
j'ai  cessés  les  voyant  inutiles.  Elle  vouloit  vous 
écrire  ses  raisons  et  ses  regrets  ;  je  me  suis 
chargé  de  ce  soin,  et  je  m'en  acquite.  Que  ne 
devrois-je  point  vous  dire,  Madame,  non  seu- 
lement pour  vous,  mais  pour  ces  trois  bien- 
faisantes sœurs  qui  à  l'exemple  de  leur  Oncle 

la  Tour.  La  maison  que  Jean-Jacques  allait  occuper  «  lui 
était  très  commode  »  ;  elle  ne  vit  pas  sans  déplaisir  arriver 
le  nouveau  locataire. 


DE    JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  5 

bien-aimé  ^  el  pour  lui  plaire  ont  tout  fait  pour 
cet  ingrat  qui  se  plaignoit  alors  d'être  trop 
heureux,  et  se  plaint  maintenant  du  bonheur 
qu'il  a  perdu.  Mais  ne  dois-je  rien  en  parti- 
culier à  celle  dont  les  yeux  honorèrent  mon 
départ  de  quelques  larmes  que  je  ressens  dans 
mon  cœur.  Les  soins  des  deux  autres  sont  d'un 
prix  inestimable  et  leur  zèle  obligeant  m'a 
pénétré  de  reconnaissance,  mais  Marthe  a 
choisi  la  meilleure  part.  Et  cette  aimable  sau- 
teuse^ qui  va  faire  trois  sauts  même  en  écou- 
tant ceci,  ne  lui  rendrons-nous  point  quelque 
hommage  à  cette  jolie  grand-maman  qui  me 
disoit  petit-fils  comme  à  son  serin;  ne  lui  don- 
nerons-nous point  quelque  coup  de  bec?  Savez- 
vous  bien  que  je  ne  finis  plus  de  m'attitîer 
depuis  que  j'ai  une  pelotte  fée  qui  me  fournit 

1.  M.  Roguin  «  mon  bon  vieux  ami  qui  s'était  retiré  à  Yver- 
dun  depuis  quelques  années  et  qui  m'avait  invité  à  l'y  aller 
voir.  »  (Con/".  II,  IX.)  Jean-Jacques  l'appelle  6on  papa.  —  Voyez 
Briefwechsel  J.-J.  Rousseau  mit  Léonard  Usteri  in  Zurich  und 
Daniel  Roç/uin  in  Yverdon  (Zurich,  1886). 

2.  Madelon,  fille  de  madame  Boy. 


6  LETTRES    INÉDITES 

incessamment  d'épingle  sans  s'épuiser?  De 
grâce,  bonne  Maman,  permettez-moi  de  baiser 
quelquefois  celte  jolie  pelotte,  mes  jours  de 
barbe,  en  mémoire  d'un  meilleur  tems.  Bon 
jour  Madame,  mon  papier  à  sa  fin  m'avertit 
qu'il  est  tems  de  cesser  d'exlravaguer.  Dites, 
je  vous  supplie,  à  Monsieur  vôtre  frère,  combien 
j'ai  de  regret  d'avoir  été  privé  sitôt  du  bonheur 
de  vivre  avec  lui,  faites  aggréer  mes  respects 
à  Madame  son  épouse,  et  recevez  avec  les 
miens,  les  sentimens  les  plus  vrais  et  les  plus 
tendres  d'un  cœur  qui  vous  aimera  toujours. 

ROUSSEAU. 


II 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la   Toui\  chez  M.  D.  Roguin, 
à  Y  Verdun. 

iMotiers,  30  Août  i762. 

Il  est   donc  bien    sur,   très  honorée  Dame, 
(car  un  concierge  doit  parler  à  sa  Dame  avec 


DE    JEAN-JACQUES     ROUSSEAU,  7 

le  respect  convenable)  que  vous  ne  vous  sen- 
tiez point  incomodée  de  vôtre  chute.  Je  m'en 
rejouis  de  tout  mon  cœur,  et  en  vérité  il  ne 
seroit  pas  juste  qu'un  voyage  qui  me  laisse  tant 
de  souvenirs  agréables  vous  en  laissât  de  dou- 
loureux. Mais  qu'est-ce  donc,  de  grâce,  que 
ces  réflexions  que  vous  dites  avoir  faites  sur  le 
séjour  de  vôtre  maison*  ?  il  faut  nécessairement 
que  quelqu'un  vous  ait  donné  des  inquiétudes 
mal  fondées.  Je  suis  charmé  d'être  chez  vous, 
vôtre  maison  m'est  très  agréable,  je  ne  songe 
point  à  la  quiter,  et  quand  il  y  auroit  quelques 
entours  qui  seroient  peut  être  mieux  autre- 
ment, ce  sont  des  bagatelles  auxquelles  vous 
ne  pouvez  rien,  et  il  n'y  a  point  de  situation 
dans  la  vie  où  il  ne  reste  quelque  chose  à 
désirer. 
J'ai  receu  ce  matin  ma  malle  en  assez  bon 


1.  Elle  lui  a  écrit  le  23  août  :  «  Depuis  vous  j'ai  fait  bien 
des  réflexions  et  crains  que  vous  ne  voyez  pas  aussi  bien 
dans  ma  maison  que  je  le  souhaiterois.  De  grâce,  cher 
ami,  dites  moi  si  je  puis  remédier  à  quelque  chose.  » 


8  LETTRES    INÉDITES 

état  et  une  lettre  de  Madame  de  Luze  des 
bontés  de  laquelle  je  suis  comblé.  Partout 
ailleurs  qu'à  Neufcliâtel  je  l'irois  voir  avec 
empressement,  mais  on  s'est  dépêché  de  faire 
en  cette  ville  à  mon  livre  sans  le  connoilre  un 
accueil  qui  n'est  pas  attirant  pour  l'auteur  \  et 

1.  a  Pourquoi  n'allois-je  point  à  Neuchàtel?  C'est  un  en- 
fantillage qu'il  ne  faut  pas  faire. 

»  Quoique  protégé  par  le  Roi  de  Prusse  et  par  milord  ma- 
réchal, si  j'évitai  d'abord  la  persécution  dans  mon  asile,  je 
n'évitai  pas  du  moins  les  murmures  du  public,  des  magis- 
trats municipaux,  des  ministres.  Après  le  branle  donné 
par  la  France,  il  n'etoit  pas  du  bon  air  de  ne  pas  me  faire 
au  moins  quelque  insulte  :  on  auroit  eu  peur  de  paroitre 
improuver  mes  persécuteurs  en  ne  les  imitant  pas.  La 
classe  de  iS'euchàtel,  c'est  à  dire  la  compagnie  des  minis- 
tres de  cette  ville,  donna  le  branle,  en  tentant  d'émouvoir 
contre  moi  le  conseil  d'État. 

«Cette  tentative  n'ayant  pas  réussi, les  ministres  s'adres- 
sèrent au  magistrat  municipal,  qui  fit  aussitôt  défendre 
mon  livre,  et,  me  traitant  en  toute  occasion  peu  honnête- 
ment, faisoit  comprendre  et  disoit  même  que,  si  j'avois 
voulu  m'établir  dans  la  ville,  on  ne  m'y  auroit  pas  souf- 
fert. Ils  remplirent  leur  Mercure  d'inepties,  et  du  plus  plat 
cafardage,  qui,  tout  en  faisant  rire  les  gens  sensés,  ne  lais- 
soient  pas  d'échauffer  le  peuple  et  de  l'animer  contre  moi. 
Tout  cela  n'empèchoit  pas  qu'à  les  entendre  je  ne  dusse 
être  très  reconnoissant  de  l'extrême  grâce  qu'ils  me  faisoient 


DE    JEAX-JACQUES    ROUSSEAU.  9 

je  suis  médiocrement  curieux  de  connoitre  des 
gens  si  pressés  d'imiter  les  sotises  de  leurs 
voisins. 

Je  me  prévaus,  très  honorée  Dame,  des  offres 
obligeantes  que  vous  m'avez  faites,  et  je  vous 
envoyé  ci-joint  une  robbe  et  deux  bonnets  que 
je  vous  supplie  de  vouloir  s'il  est  possible  en- 
voyer à  Lyon  pour  être  fourrés  avant  l'hyver. 
Je  voudrois  pour  la  robbe  quelque  fourrure 
fort  commune,  souhailtant  seulement  qu'on 
melte  à  la  bordure  aux  fentes  et  aux  poches 
quelques  filets  un  peu  honnêtes,  comme  fausse 

de  me  laisser  vivre  à  Motiers,  où  ils  n'avaient  aucune  auto- 
rité ;  ils  m'auroient  volontiers  mesuré  l'air  à  la  pinte,  à  con- 
dition que  je  l'eusse  payé  bien  cher.  Ils  vouloient  que  je 
leur  fusse  obligé  de  la  protection  que  le  roi  m'accordoit 
malgré  eux,  et  qu'ils  travailloient  sans  relâche  à  m'ôter. 
Enfin,  n'y  pouvant  réussir,  après  m'avoir  fait  tout  le  tort 
qu'ils  purent  et  m'avoir  décrié  de  tout  leur  pouvoir,  ils  se 
firent  un  mérite  de  leur  impuissance,  en  me  faisant  valoir 
la  bonté  qu'ils  avoient  de  me  souffrir  dans  leur  pays.  J'au- 
rois  dû  leur  rire  au  nez  pour  toute  réponse.  Je  fus  assez 
bête  pour  me  piquer,  et  j'eus  l'ineptie  de  ne  vouloir  point 
aller  à  Neuchâtel,  résolutions  que  je  tins  près  de  deux  ans.  » 

{Confessions.) 


10  LETTRES    INÉDITES 

martre  ou  petit  gris.  Le  bonnet  de  Bouracan 
sera  fourré  comme  la  bordure  de  la  robe,  et 
l'autre  de  quelque  autre  manière  à  volonté. 
Si  cette  dépense  montoit  fort  haut  il  seroit  bon 
de  m'en  prévenir  avant  que  de  passer  outre  \ 

Pardon,  nôtre  Dame,  mais  vous  l'avez  voulu; 
je  ne  crois  pas  pouvoir  vous  déplaire  en  vous 
obéissant. 

Quoique  je  n'écrive  pas  directement  au  très 
bon  Papa,  je  pense  que  c'est  la  même  chose  et 
qu'il  ne  dédaignera  pas  malgré  cela  de  me  don- 
ner un  mot  de  ses  nouvelles,  des  vôtres,  de 
celles  de  toute  la  famille,  surtout  du  très  cher 
Colonel  à  qui  mon  cœur  addresse  mille  choses, 
de  même  qu'à  tout  ce  qui  Fintéresse  et  vous 
aussi.  Bonjour,  très  honorée  Dame,  recevez  les 
devoirs  de  vôtre  dévoué  concierge,  qui  voudroit 
bien  être  à  portée  de  baiser  le  bas  de  la  robe 
de  sa  Dame  et  maîtresse  et  même  le  falbala  de 


1.  Les  fonds  de  Rousseau  étaient  déposés  chez  MM.  Boy 
de  la  Tour.  C'était  une  garantie  pour  les  règlements  de  ses 
nombreuses  commandes. 


Propriété  d 

LIBRMP^IE  CIRi 
F.  RICH. 

80,  Rue  élu  RI 

GENE" 

^^^  SI. 


S, 


# 


Propriété  de  la 

LIBRMRIE  CIRCULANTE 

r-.        p  IQHARD  l'AC-S[.MlLli   d'un   KHAGMKNT  Uli  LETÏBE  DE  J.-J.    IIUUSSEAU. 

80,  Rue  d'J  R^°"®'  ^°  

GENÈVE 

Uc^t-li-C»  U-'h       kU^'-^    ■    y^      i/J'H^     ^^^/j  tyôe^t-     ^?^_      3^^^>-«^     y.^,    c^^-y  '^--<— ^ 

/!L     u^Uoc    9u-    . Y^u-^J-vty*y- .f    uffi-ot^u-c-t^  'j/'^-'^  ^  9-u^^c,    ^u^y u^-^  ^_ 
f^U-yu,^    j^Uf^j   te^'-^'^  ,  M--0:j^.e,^t^^tl^r. 

''-^—      C.e-3       yt^O^'^   ,      -«<^      ^'     -lA^l-C,       a^tr  ijt.^       L^l>t_^    ^«O-it/fe^    '?'^-««_      X*!*^-«_ 

9/n/,^^     P-e^    Xi-J^-t^GCi     tK^  2<_      /4'/^^^  t^Ce^  My^Se—  .    ^'^k  zSk^  at'  — 

U:     h/u^  [in-^   ^'  1^    /^^  ^  it'-y-y^  ^a.<-^    lAatto   Otf^Jt^^^    tii^^^     — 
."^  '  i'y%t,  u/'^TZ^yUt'-^  ■     c^f^     U-      f-nri^    c^fM-nc^n-c^--    "? ''  S^^   /«'  ^»*<— . 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  11 

sa  grave  tante,  pourvu  que  ce  ne  fut  pas  au 
retour  de  la  promenade  du  marais. 


III 

[Fi'anco  Pontarlier] 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon, 

A  Motiers,  le  9  S'^''^  1762. 

Votre  lettre,  Madame,  m'a  fait  d'autant  plus 
de  plaisir  que  j'attendois  avec  impatience  des 
nouvelles  de  vôtre  heureuse  arrivée  à  Lyon; 
grâce  au  Ciel  vous  y  voilà  en  bonne  santé,  que 
n'en  puis-je  dire  autant  de  cette  aimable  Julie 
sur  l'état  de  laquelle  votre  lettre  m'inquiète  et 
m'effraye;  j'espère,  cependant,  que  pour  se 
faire  valoir,  quelque  médecin  vous  aura  mis  la 
chose  au  pis%  et  que  cette  chère  enfant  vous 

1.   Voilà  qui   nous  renseigne   sur  Topinion  ([ue   Jean- 
Jacques  avait  des  médecins. 


12  LETTRES    INÉDITES 

sera  conservée  avec  moins  de  risque  que  n'en 
prévoit  vôtre  sollicitude  maternelle.  Vous  avez 
dû  laisser  ma  grand  maman  à  Rolle,  mais  pour- 
quoi rien  de  la  belle  dormeuse  ;  oublie-t-elle  si 
vite  ses  anciens  amis?  Il  lui  est  bien  aisé,  sans 
doute,  d'en  trouver  d'autres,  mais  non  pas  qui 
l'estiment  plus  que  moi. 

A  peine  êtes-vous  arrivée  que  voilà  toutes 
mes  commissions  en  train.  Soit  fait;  puisque 
vous  êtes  si  bonne,  il  faut  bien  un  peu  en  abuser  ; 
c'est  un  droit  que  j'ai  usurpé  sur  toute  vôtre 
famille  et  que  je  ne  laisserai  pas  éteindre  avec 
vous.  Pour  la  fourrure  de  la  robbe  de  Boura- 
can,  je  préfererois  la  façon  de  martre  n"  1  à 
7o  1.  Mais  j'ai  peur  que  cette  fausse  martre 
ne  dure  pas;  c'est  pourquoi  je  ne  sais  s'il  ne 
vaudrait  pas  mieux  sacrifier  une  vingtaine  de 
livres  de  plus,  et  choisir  le  petit  gris  n°  2  à 
96  1.  qui,  je  crois,  seroit  plus  léger  et  dure- 
roit  beaucoup  plus.  Je  vous  supplie  déjuger  de 
cela  et  de  faire  pour  le  mieux. 

Outre  la  ceinture  que  vous  avez  la  bonté  de 


DE  JEAN-JACQUES  ROUSSEAU,         13 

me  faire  faire,  je  serois  bien  aise  d'en  avoir  une 
autre,  de  ces  ceintures  rayées  dont  vous  me 
parlez.  J'ai  vu  chez  Milord  Mareschal  un  Armé- 
nien *  qui  en  a  de  pareilles,  et  je  trouve  qu'elles 
font  fort  bien. 

Je  laisse  la  garniture  des  bonnets  à  vôtre 

1 .  Peu  de  temps  après  mon  établissement  à  Motier-Travers, 
ayant  toutes  les  assurances  possibles  qu'on  m'y  laisserait 
tranquille,  je  pris  l'habit  arménien.  Ce  n'était  pas  une 
idée  nouvelle  ;  elle  m'étoit  venue  diverses  fois  dans  le  cours 
de  ma  vie,  et  elle  me  revint  souvent  à  Montmorency,  où 
le  fréquent  usage  des  sondes,  me  condamnant  souvent  à 
rester  dans  ma  chambre,  me  fit  mieux  sentir  tous  les 
avantages  de  l'habit  long.  La  commodité  d'un  tailleur 
arménien,  qui  venait  voir  un  parent  qu'il  avait  à  Mont- 
morency, me  tenta  d'en  profiter  pour  prendre  ce  nouvel 
équipage,  au  risque  du  qu'en  dira-t-on,  dont  je  me  souciais 
très  peu.  Cependant,  avant  d'adopter  cette  nouvelle  parure 
je  voulus  avoir  l'avis  de  Madame  de  Luxembourg,  qui  me 
conseilla  fort  de  la  prendre.  Je  me  fis  donc  une  petite  garde- 
robe  arménienne;  mais  l'orage  excité  contre  moi  m'en  fit 
remettre  l'usage  à  des  temps  plus  tranquilles,  et  ce  ne  fut 
que  quelques  mois  après  que,  forcé  par  de  nouvelles  attaques 
de  recourir  aux  sondes,  je  crus  pouvoir,  sans  aucun  risque, 
prendre  ce  nouvel  habillement  à  Motiers,  surtout  après 
avoir  consulté  le  pasteur  du  lieu,  qui  me  dit  que  je  pou- 
vais le  porter  au  temple  même,  sans  scandale.  [Confes- 
sions.) 


14  LETTRES    INÉDITES 

choix  ou  à  celui  du  foureur,  pourvu  que  les 
deux  fourures  soient  jolies,  légères,  et  diffé- 
rentes. 

La  réflexion  que  vous  me  faites  qu'on  ne 
saura  pas  coudre  ici  la  bordure  à  ma  robe  de 
dessous  me  fait  prendre  le  parti  de  me  passer 
de  cette  bordure.  Une  autre  année  je  pourrois 
vous  envoyer  une  de  ces  robes,  et  si  vous  aviez 
la  bonté  d'en  faire  faire  une  semblable,  vous 
pourriez  en  même  tems  la  faire  border  par  le 
foureur. 

De  tous  les  échantillons  de  camelots  que  vous 
m'avez  envoyés  ;  je  préférerois  celui  que  je  vous 
renvoyé,  laissant  pourtant  toujours  le  tout  à 
vôtre  choix.  Les  devants  doivent  être  doublés 
de  taffetas  ou  de  fine  toile  grise.  Voilà  tout,  à 
ce  que  je  crois.  Je  ne  serai  pas  fâché  d'avoir  cet 
envoi  le  plus  tôt  qu'il  se  pourra  sans  vous 
donner  trop  d'imporlunité  :  car  le  froid  com- 
mence d'être  ici  fort  rude,  et  nous  sommes  déjà 
entourés  de  neige.  Je  vous  prie.  Madame,  de 
vouloir  bien  joindre  à  vôtre  envoi  de  la  soye  de 


DE  JEAN-JACQUES  ROUSSEAU.         15 

toutes  couleurs  pour  faire  des  lacets.  Il  en  faut 
presque  autant  de  blanche  que  de  toutes  les 
autres  couleurs  ensemble.  J'espère  que  dans 
le  temps  convenable  la  belle  Madelon*  ne 
dédaignera  pas  d'en  porter  un  de  ma  façon. 
Car  M"^  d'Yvernois  qui  vient  de  se  marier  en 
a  déterminé  l'usage.  Ils  ne  sont  destinés  qu'aux 
Demoiselles  de  ma  connaissance  qui  se  marient  ; 
à  condition  qu'elles  nourriront  leur  premier 
enfant;  sans  quoi,  point  de  lacet". 

Vous  êtes  trop  bonne,  Madame,  et  trop  bien- 

i.  Fille  de  madame  Boy  de  la  Tour. 

2.  Une  entre  autres,  appelée  Isabelle  d'Ivernois,  fille  du 
procureur  général  de  Neuchàtel,  me  parut  assez  estimable 
pour  me  lier  avec  elle  d'une  amitié  particulière  dont  elle 
ne  s'est  pas  mal  trouvée  par  les  conseils  utiles  que  je  lui 
ai  donnés,  et  par  les  soins  que  je  lui  ai  rendus  dans  de  s 
occasions  essentielles;  de  sorte  que  maintenant,  digne  et 
vertueuse  mère  de  famille,  elle  me  doit  peut-être  sa  raison, 
son  mari,  sa  vie,  et  son  bonheur.  De  mon  côté,  je  lui  dois 
des  consolations  très  douces,  et  surtout  durant  un  bien 
triste  hiver,  où,  dans  le  fort  de  mes  maux  et  de  mes  peines, 
elle  venait  passer  avec  Thérèse  et  moi  de  longues  soirées 
qu'elle  savait  nous  rendre  bien  courtes  par  l'agrément  de 
son  esprit,  et  par  les  mutuels  épancheraents  de  nos  cœurs. 
Elle  m'appeloit  son  papa,  je  l'appelois  ma  fille,  et  ces  noms 


16  LETTRES    INÉDITES 

faisante  de  vouloir  bien  me  faire  établir  une 
maison  de  campagne  sm'  la  montagne,  mais 
gardez-vous  de  faire  cette  dépense  pour  moi 
qui  suis  si  peu  sur  d'en  profiter.  J'ignore  encore 
comment  je  supporterai  cet  hiver  ;  mais  dussai- 
je  me  bien  porter  le  printems  prochain,  me 
voilà  devenu  si  esclave,  si  dépendant  de  toutes 
choses,  que  quelque  plaisir  que  j'aye  d'habiter 
vôtre  maison  je  ne  puis  jamais  me  répondre  de 
ce  que  je  deviendrai  d'une  année  à  l'autre.  Bon 
jour,  ma  très  bonne  et  chère  amie;  soyez  per- 
suadée que  ce  titre  dont  vous  m'honorez  est  un 
des  plus  précieux  que  je  puisse  porter,  et  que 

que  nous  nous  donnons  encore,  ne  cesseront  point,  je  l'es- 
père, de  lui  être  aussi  chers  qu'à  moi.  Pour  rendre  mes 
lacets  bons  à  quelque  chose,  j'en  faisois  présent  à  mes 
jeunes  amies  à  leur  mariage,  à  condition  qu'elles  nour- 
riroient  leurs  enfants.  Sa  sœur  aînée  en  eut  un  à  ce  titre, 
et  Ta  mérité;  Isabelle  en  eut  un  de  même,  et  ne  l'a  pas 
moins  mérité  par  l'intention;  mais  elle  n'a  pas  eu  le  bon- 
heur de  pouvoir  faire  sa  volonté.  En  leur  envoyant 
ces  lacets,  j'écrivis  à  l'une  et  à  l'autre  des  lettres  dont 
la  première  a  couru  le  monde;  mais  tant  d"éclat  n'alloit 
pas  à  la  seconde  :  l'amitié  ne  marche  pas  avec  si  grand 
bruit. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  17 

j'ai  le  cœur  fait  pour  en  être  digne.  Mille 
amitiés  je  vous  supplie  à  toute  vôtre  aimable 
famille.  J'ai  un  vrai  désir  de  faire  connaissance 
avec  Messieurs  vos  ûh\ 

ROUSSEAU. 


IV 

A  Madame 
Madame  Boy  delà  Tour,  née  Rogiàn,  à  Lyon. 

A  Motiers,  le  6  Q^^-e  1762. 

J'ai  receu,  Madame,  en  bon  état  la  caisse  et 
tout  son  contenu  que  vous  avez  eu  la  bonté  d'en- 
voyer pour  moi  à  M.  Gloriot;  j'ai  fait  remettre 
aux  Demoiselles  Girardieret  dTvernois  ce  qui 
étoit  pour  elles  et  j'ai  vu  dans  le  reste  combien 
de  soins  vous  avez  bien  voulu  prendre  pour 

1.  Madame  Boy  de  la  Tour  eut  deux  fils.  L'aîné  épousa 
mademoiselle  Du  Pasquier  et  se  retira  à  Motiers  dans  la 
maison  qu'habite  aujourd'hui  son  petit-fils.  L'autre  mou- 
rut â  Lyon  où  il  se  maria  deux  fois. 

2 


Jg  LETTRES    INÉDITES 

moi.  La  fourure  est  très  belle  et  chaude,  seule- 
ment le  bonnet  assortissant  ayant  été  doublé  en 
plein  s'est  trouvé  trop  étroit  pour  entrer  dans 
ma  tête,  peut-être  faudra-t-il  ôter  le  dedans 
pour  pouvoir  le  mettre.  A  l'égard  du  bonnet 
d'Eté,  m'étant  interdit  de  porter  toute  dorure 
je  ne  sais  pas  trop  comment  faire;  car  je  vois 
bien  que  ce  qui  vous  a  porté  à  en  faire  mettre, 
c'étoit  afin  qu'il  n'eut  pas  l'air  d'un  bonnet  de 
nuit.  Aussi  ces  sortes  de  bonnets  été  et  liyver  ne 
se  portent  jamais  sans  fourrure.  Nous  verrons 
dans  la  saison  s'il  faudra  me  résoudre  à  porter 
du  doT\  Je  dois  vous  dire  aussi  que  la  soye  qui 
sert  à  faire  des  lacets  n'est  pas  de  la  soye  plate 
mais  de  la  soye  filée,  de  la  soye  à  coudre.  Ainsi 
puisque  vous  avez  réservé  qu'on  la  rendroit  si 
elle  ne  convenoit  pas,  j'attendrai  ou  je  cher- 
cherai la  première  occasion  pour  vous  la  ren- 
voyer vous  priant  de  la  faire  échanger  contre 

1.    Il  porte  une  jaquette  à  grand  basques  plissée 
Avec  du  dor  dessus. 

{Misanthrope  II.  vi.) 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  19 

de  la  soye  torse.  Ces  observations  sont  des 
bagatelles,  le  tout  en  général  me  paroi  t  par- 
faitement bien  et  je  ne  puis  trop  vous  en  réitérer 
mes  remerciemens.  La  caisse  que  vous  avez 
aussi  la  bonté  de  m'envoyer  par  les  Rosselets 
n'est  pas  encore  arrivée;  je  suppose  que  vous 
aurez  eu  la  bonté,  Madame,  d'y  joindre  le  mé- 
moire de  vos  déboursés  ;  si  vous  ne  l'avez  pas 
fait,  je  vous  supplie  de  vouloir  bien  prendre 
la  peine  de  me  l'envoyer  au  plutôt  avec  une 
indication  de  la  manière  dont  je  puis  vous  faire 
tenir  cet  argent. 

Vous  voulez  donc  absolument  que  j'aye  un 
appartement  sur  vôtre  montagne,  et  moi  je  vous 
réitère  que  si  vous  faisiez  pour  moi  cette  dé- 
pense vous  feriez  une  chose  très  peu  raisonnable, 
puisqu'il  n'est  rien  moins  que  sur  que  je  puisse 
en  profiter.  Du  reste  le  séjour  m'en  plairoit  si 
fort,  que  s'il  y  avoit  de  l'eau  et  une  cave,  et  que 
je  fusse  le  maitre  de  choisir  mon  habitation  je 
n'en  prendrois  point  d'autre  que  celle-là;  car 
après  avoir  bien  pesé  tous  les  inconvéniens,  je 


20  LETTRES    INÉDITES 

trouve  au  fond  qu'ils  seroient  pour  moi  de  vrais 
avantages  ;  mais  qui  peut  répondre  de  soi  pour 
un  an  ?  Je  ne  répondrois  pas  de  moi  pour  un 
jour. 

Je  suis  dans  la  joie  de  mon  cœur  du  rétablis- 
sement de  la  chère  Tante.  Oh  que  je  suis  content 
quand  tout  va  bien  chez  mes  amis;  c'est  tout 
le  bonheur  de  ma  vie.  Je  dois  une  réponse  à 
l'aimable  Madelon  ;  mais  elle  a  beau  me  dire  des 
choses  flatteuses;  en  amitié  je  ne  lui  dois  rien  ; 
je  suis  en  avance  avec  elle,  et  même  j'y  serai 
toujours.  Elle  a  beau  dire  et  vous  aussi,  j'aspire 
à  lui  faire  un  lacet,  quoique  je  sache  bien  qu'un 
parti  convenable  et  digne  d'elle  n'est  pas  facile- 
à  trouver.  Mais  s'il  est  un  choix  qui  puisse  la 
rendre  heureuse,  elle  a  une  Maman  dont  l'affec- 
tion et  le  discernement  ne  s'y  tromperont  pas, 
et  un  ami  qui  feroit  son  bonheur  d'en  èlre 
témoin.  Bon  jour,  Madame,  j'ai  cent  mille 
choses  à  vous  dire;  mais  il  faut  toujours  écrire 
à  la  hâte  et  quand  j'ai  rempli  trois  pages,  à 
peine  ai-je  commencé. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  21 

Recevez  les  très    humbles  remercimens  et 
les  respects  de  M'"  le  Vasseur  K 


V 

A  Môtiers,  le  23  O""  1762. 

J'ai  receu,  Madame,  presque  en  même  tems 

1.  Thérèse  était  demeurée  à  Montmorency  après  la  fuite 
précipitée  de  Jean-Jacques  (Cf.  Préface,  p.  xxsvni  et  s.). 
<(  Elle  avoitpourmoi  le  même  attachementpar  devoir,  mais 
elle  n'en  avoit  plus  par  amour.  Cela  jetoit  nécessairement 
moins  d'agrément  dans  notre  commerce,  et  j'imaginai 
que,  sûre  de  la  continuation  de  mes  soins,  oii  qu'elle 
pût  être,  elle  aimeroit  mieux  rester  à  Paris  que  d'errer 
avec  moi.  Cependant  elle  avoit  marqué  tant  de  douleur  à 
notre  séparation,  elle  avoit  exigé  de  moi  des  promesses  si 
positives  de  nous  rejoindre,  elle  en  exprimait  si  vivement 
le  désir  depuis  mon  départ,  tant  à  M.  le  prince  de  Conti 
qu'à  M.  de  Luxembourg,  que,  loin  d'avoir  le  courage  de 
lui  parler  de  séparation,  j'eus  à  peine  celui  d'y  penser 
moi-même  ;  et,  après  avoir  senti  dans  mon  cœur  combien 
il  m'étoit  impossible  de  me  passer  d'elle,  je  ne  songeai 
plus  qu'à  la  rappeler  incessamment.  Je  lui  écrivis  donc  de 
partir;  elle  vint.  A  peine  y  avoit-il  deux  mois  que  je  l'avois 
quittée;  mais  c'était  depuis  tant  d'années,  notre  première 
séparation.  Nous  l'avions  sentie  bien  cruellement  l'un  et 
l'autre.  Quel  saisissement  en  nous  embrassant!  0  que  les 
larmes  de  tendresse  et  de  joie  sont  douces!  » 


22  LETTRES    INÉDITE  s 

voire  second  envoi  par  les  Rosselets,  et  la  lellre 
dont  vous  m'avez  honoré  le  16  de  ce  mois.  Je 
suis  frapé  du  bon  marché  de  mes  empiètes,  et 
je  me  plaindrois  presque  du  trop  à  cet  égard, 
comme  vous  l'avez  prévu  j'avois  une  ceinture  à 
lîloche  semblable  à  celle  que  vous  m'avez  en- 
voyée; mais  ce  que  j'aurois  souhaité  étoit  d'en 
avoir  une  autre  de  très  belle  soye  avec  de  belles 
franges,  qui  fut  plus  parante  que  celles-là.  J'es- 
père que  vous  concevez  bien  que  cette  parure 
n'est  pas  pour  satisfaire  mon  goût;  mais  ne 
voulant  plus  quiter  l'habit  que  j'ai  pris  ni  chez 
Mylord  Mareschal,  ni  même  à  l'Église,  il  faut 
accoutumer  les  yeux  à  ne  pas  le  prendre  pour 
un  habit  négligé;  et  pour  qu'on  ne  m'accuse 
pas  d'aller  au  temple  en  robbe  de  chambre,  il 
faut  chercher  adonner  à  mon  vêtement  de  la  dé- 
cence et  même  de  la  noblesse,'  surtout  dans  les 
premiers  tems;  après  quoi  je  pourrai  reprendre 
sans  inconvénient  une  façon  plus  simple.  Tout 
le  reste  des  fournitures  est  excellent  et  beau,  je 
vous  en  réitère, Madame  tous  mesremerciemens. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  23 

J'ai  remisa  M.  Girardier  le  montant  du  petit 
mémoire  que  vous  m'avez  envoyé.  Si  je  n'en  ai 
pas  déduit  les  menues  dépenses  que  j'ai  faites 
dans  votre  maison,  c'est  qu'il  est  plus  convena- 
ble, puisque  vous  le  voulez  absolument,  qu'elles 
se  déduisent  sur  le  loyer.  Cependant  je  pren- 
drai la  liberté  de  vous  réprésenter  qui!  y  a  de 
ces  dépenses  qui  vous  sont  parfaitement  inutiles 
comme  par  exemple,  la  boiserie  dont  j'ai  fait 
garnir  la  petite  chambre  de  derrière  que  j'ai 
prise  pour  moi.  Après  cette  représentation, 
j'en  passerai  par  tout  ce  qui  vous  plaira  lorsque 
nous  parlerons  du  petit  loyer.  Je  veux  laisser 
agir  vôtre  générosité  autant  qu'il  est  raisonna- 
ble, pour  vous  marquer  combien  mon  cœur  se 
prête  sans  peine  à  vous  être  obligé  à  tous 
égards. 

Madame  ni  ^f"  Girardier  ne  viennent  plus 
ici  :  Ainsi  soyez  tranquille  à  cet  égard.  Elle 
m'ont  rendu  mille  services  depuis  mon  arrivée 
ici  et  il  y  auroit  de  l'ingratitude  à  m'en  plain- 
dre.  Cependant,  je  vous  avouerai  que  de  vos 


24  LETTRES    INÉDITES 

deux  familles  je  donne  de  beaucoup  la  préfé- 
rence à  celle  d'Yverdun  sur  ce  qui  m'est  connu 
de  l'autre.  Je  vous  prie  que  nous  en  restions-là 
sur  ce  point. 

J'ai  prié  en  arrivant  ici  qu'on  ôtât  de  la  mai- 
son tout  ce  qui  n'étoit  pas  à  vous,  et  même  dans 
ce  qui  vous  appartenoit  ce  qui  m'étoit  inutile. 
Cependant  il  n'y  a  pas  longtems,  que  dinant 
chez  moi  des  Genevois,  M""  Girardier  me  dit  que 
le  lit  de  la  chambre  tapissée  appartenoit  à  sa 
femme.  Je  vous  prie,  Madame,  de  me  marquer 
ce  qu'il  en  est,  et  ce  que  je  dois  faire  :  car  je  ne 
veux  rien  garder  ici  qui  soit  à  eux,  d'ailleurs 
je  n'ai  pas  besoin  de  trois  lits  :  Mais  mes  meu- 
bles ayant  été  vendus  à  Montmorenci,jemesers 
des  vôtres  sans  scrupule,  sachant  que  vous  me 
les  prêtez  avec  plaisir;  et  je  puis  vous  assurer 
qu'ils  ne  se  gâtent  pas  dans  mes  mains.  Sur  le 
tour  que  prennent  ici  les  choses  je  suis  fâché 
de  n'avoir  pas  fait  en  arrivant  un  inventaire, 
et  peut-être  vaut-il  mieux  lard  que  jamais. 

La  soye  plate  vous  sera  reportée  par  les  Ros- 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  25 

selets,  ainsi  que  vous  me  l'avez  permis,  si  vous 
la  pouvez  échanger  contre  d'autre,  vous  me 
ferez  plaisir.  Voudriez-vous  bien  me  faire  ache- 
ter en  même  tems  deux  ou  trois  lacets  pour  ma 
gouvernante,  et  s'il  paraît  déjà  des  almanacs 
de  poche  y  en  joindre  aussi  un  ou  deux.  J'au- 
rois  besoin  aussi  d'un  petit  pacquet  de  doux 
d'épingles  pour  attacher  des  estampes  enca- 
drées, car  on  ne  trouve  rien  ici.  Mille  pardons; 
mais  puisque  voila  un  second  petit  envoi  à  faire 
autant  vaut  y  joindre  les  petites  niaiseries  dont 
j'ai  besoin;  comme  par  exemple  un  paquet  de 
curedenls,  et  ce  qui  vous  fera  rire,  même  de 
bon  amadou,  s'il  y  en  a  à  Lyon,  car  ici  il  ne 
vaut  rien  du  tout  et  cela  désespère  un  homme 
qui  a  souvent  besoin  de  battre  le  fusil  pendant 
la  nuit.  Voilà  un  nouveau  compte  ouvert,  voilà 
de  nouveaux  embarras.  Il  faut  avouer  que  vous 
êtes  bien  bonne  et  que  je  suis  bien  indiscret. 
Ce  n'est  pourtant  pas  tout  encore.  Car  voici 
une  lettre  que  je  suppose  que  vous  êtes  à  portée 
de  faire  parvenir  à  son  addresse;  c'est  une  ré- 


26  LE  TTRE 

ponse  que  je  ne  saurois  pas  trop  comment 
envoyer  sans  vous.  S'il  faut  quelques  alîrancliis- 
semens,  n'oubliez  pas,  s'il  vous  plaii,  Tarticle 
sur  ma  nolle.  Enfin,  vous  m'avez  envoyé  un 
livre  de  M.  l'Abbé  Morellet^  Cela  suppose,  Ma- 
dame, que  vous  ou  quelqu'un  de  vos  Messieurs 
le  connaissez.  En  ce  cas,  je  vous  supplie  de  lui 
faire  passer  par  la  première  occasion  mes 
remerciemens  et  mes  amiliés. 

Quatre  pages  de  misères,  sans  vous  parler 
de  vous  ni  de  moi  !  En  vérité,  je  pourrois  dire 
que  je  ne  cesse  de  penser  à  vous  que  pour  vous 
écrire.  Car  je  ne  suis  environné  que  d'objels 
qui  me  rappellent  vôtre  amilié  et  vos  bontés. 
Vôtre  épinetle  m'est  une  grande  ressource  dans 
une  saison  qui  ne  me  permet  plus  de  sortir.  La 
nuit  je  suis  éclairé  par  vos  lumières,  le  jour  je 
suis  bien  fourré  par  vos  soins,  enfin  vous  me 
tenez  le  corps  et  le  cœur  chaud  et  c'est  main- 

•1.  Sans  doute  le  Manuel  des  Inquisiteurs  (1762).  Deux  ans 
auparavani,  Jean-Jacques  Tavait  fait  sortir  de  la  Bastille 
par  l'entremise  de  madame  de  Luxembourg. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  27 

tenant  sur  du  papier  qui  me  vient  de  vous  que 
je  vous  parle  ;  si  je  vous  oubliais  un  moment,  il 
faudrait  que  je  fusse  non  seulement  le  plus 
ingrat  mais  le  plus  stupide  des  hommes.  Oui 
avec  plaisir  je  mo  transporterois  en  idée  auprès 
de  vous  au  milieu  de  votre  aimable  famille,  si  la 
maladie  de  cette  chère  Julie  ne  venoit  attrister 
ce  tableau.  Donnez-moi  des  nouvelles  de  cette 
charmante  enfant,  je  vous  supplie;  je  ne  serai 
tranquille  que  quand  vous  le  serez. 

Mille  remercimens  et  humbles  respects  de 
M""   le  Yasseur. 


VI 

A  Motiers,  17  X'"'<=  1762. 

Je  profite,  Madame,  du  départ  du  domes- 
tique de  M.  le  Professeur  pour  vous  donner 
un  petit  bon  jour  et  vous  accuser  la  ré- 
ception des  Marons  que  vous  avez  eu  la 
bonté  de  m'envoyer,  et  qui  sont  aussi  beaux 


28  LETTRES    INÉDITES 

que  bons,  quoi  que  vous  en  puissiez  dire.  Parmi 
les  choses   qui  y  étaient  jointes  je  n'ai  point 
trouvé  la  soye  échangée,  ce  qui  me  fait  juger, 
ou  que  vous  ne  l'aviez  pas  encore  receue,  ou 
qu'on  a  pas  voulu  l'échanger  ;  surquoi  je  vous 
dirai  que   cela  ne  me   paroit  plus  nécessaire 
depuis  que  j'ai  vu  les  lacets  que  vous  m'avez 
envoyés  pour  M^''  le  Vasseur,  et  si  vous  voulez 
me   renvoyer  la  même   soye  je    tâcherai    de 
l'employer    platte,    voyant    qu'elle    fait    des 
lacets  plus  beaux.  J'ai  honte   de  vous  acca- 
bler sans   cesse  de  mes  commissions,  cepen- 
dant il  est  sur  que  si  vous  pouviez  m'envoyer 
une  paire  ou   deux  de  ces   souliers   de  paille 
qu'on  porte  à  Lyon  dans  les  magazins  et  que  le 
domestique  put  s'en  charger  à  son  retour,  vous 
rendriez  service  à  mes  pauvres  pieds  qui  souf- 
frent du  froid  sous  ma  table  malgré  le  poile. 
Voici  encore  une  Lettre  que  je  vous  supplie 
de  vouloir  bien  faire  remettre  à  son  addresse 
en  avertissant  M.  Bruisset  que  s'il  y  a  réponse, 
il  peut  me  l'envoyer  par  la  même  occasion. 


DE    JEA.N-JACQL'ES    ROUSSEAU.  29 

Je  me  mets  à  vos  pieds,  ma  très  bonne  amie, 
pour  vous  réitérer  mes  excuses  avec  mes  re- 
merciemens,  mais  soyez  persuadée  que  quelque 
indiscret  que  je  puisse  être  je  sais  que  vôtre 
bonté  passe  encore,  et  ma  reconnoissance  aussi . 
Bon  jour  la  belle  dormeuse,  bon  jour  la  belle 
sauteuse,  bon  jour  toute  l'aimable  famille,  et 
bon  jour  pour  l'adorable  Maman. 

ROUSSEAU. 


YII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Rogidn,  à  Lyon. 

A  Motiers,  le  27  janv  1763. 

Si  mes  remerciemens.  Madame,  marcboient 
aussi  rapidement  que  vos  dons,  nous  aurions 
tous  deux  trop  d'affaires,  et  il  est  bon  que  je 
tempère  un  peu  sur  ce  point  par  ma  négligence 


30  LETTRES    INÉDITES 

v{Mre  trop  grande  activilé.  Tout  de  bon,  si  je 
ne  connoissois  pas  vôtre  excellent  cœur, je  croi- 
rois  que  mes  commissions  vous  sont  impor- 
tunes, et  que  vous  cherchez  à  me  le  faire  sentir 
à  voire  manière,  par  les  présents  dont  vous 
les  accompagnez;  mais  comme  je  connois  trop 
vôtre  amitié  pour  moi  pour  avoir  cette  crainte, 
j'espère  aussi  que  vous  rendez  trop  de  justice 
à  mes  senlimens  pour  en  juger  par  le  défaut 
d'exactitude  que  je  mets  quelquefois  à  mes 
lettres  et  à  mes  remerciemens.  La  reconnois- 
sance  et  l'attachement  ne  me  coûteront  jamais 
rien  pour  vous;  mais  quelquefois  une  lettre  me 
coûte,  surtout  dans  mon  état  et  dans  cette 
saison.  Compatissez  à  mes  défauts  et  à  ma 
situation,  Madame,  et  croyez  que  si  je  passe 
des  mois  sans  vous  écrire,  en  revanche  il  y  a 
bien  peu  d'heures  dans  lesquelles  je  ne  pense 
à  vous. 

J'ai  receu  tout  ce  que  vous  avez  eu  la  bonté 
de  m'envoyer  par  le  domestique  de  M.  de 
Monlmolin,  mais  quoique  selon  vos  ordres  je 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  31 

n'aye  point  parlé  de  vos  présens  je  ne  doute 
pas  que  l'on  ne  sache  à  mon  voisinage  que 
vous  m'avez  envoyé  des  Marons,  car  les  Rosse- 
lels  l'ont  dit  à  tout  le  monde,  et  cela  s'est 
pu  savoir  aussi  par  les  gens  qu'ils  avoient 
chargé  du  paquet.  A  propos  de  M.  de  Mont- 
molin  sa  pauvre  M"'  Lisette  est  très  mal  depuis 
assez  longtems,  et  je  crains  Lien  qu'on  ne 
parvienne  pas  à  la  tirer  d'affaire.  Si  nous  la 
perdons,  je  regretterai  beaucoup  celle  bonne 
ei  aimalile  fdle,  car  sans  avoir  l'esprit  aussi 
formé  que  Mademoiselle  Madelon,  elle  me 
paroit  avoir  sa  douceur  et  son  bon  caractère 
et  j'aime  tout  ce  qui  lui  ressemble. 

Voici  à  propos  de  vôtre  aimable  fille  un 
article  de  la  dernière  lettre  de  bon  Papa  :  il 
me  charge,  lorsque  je  vous  écrirai,  de  vous 
demander  quand  elle  nous  fera  danser.  Le 
pauvre  Collonel^  ajoûte-t-il,  s'ennuye  très  fort  de 
n'avoir  point  de  Dame  pour  faire  les  honneurs  de 
sa  maison  où  il  a  presque  tous  les  jours  du  monde 
à  dîner.  Je  vous   transcris  son  article  sans  y 


32  LETTRES    INÉDITES 

ajouter  rien  du  mien.  Faites-moi  je  vous  prie 
une  réponse  que  je  puisse  de  même  lui  trans- 
crire, et  si  vous  avez  quelque  chose  là-dessus  à 
me  dire  pour  moi  seul  avertissez-m'en.  Il  est 
certain  que  je  prens  Fintérest  le  plus  tendre  à 
M.  le  Collonel,  mais  je  n'en  prends  pas  moins  à 
l'aimable  Madelon  ;  on  ne  peut  égaler  à  l'estime 
que  j'ai  pour  lui  que  celle  que  j'ai  pour  elle  \ 
Je  vois  en  lui  tout  ce  qui  peut   rendre    une 


1.  Cette  dernière  éloit  destinée  par  M.  Roguin  au  colonel, 
son  neveu,  déjà  d'un  certain  âge,  et  qui  me  témoignoit 
aussi  la  plus  grande  affection;  mais,  quoique  l'oncle  fût 
passionné  pour  ce  mariage,  que  le  neveu  le  désirât  fort 
aussi,  et  que  je  prisse  un  intérêt  bien  vif  à  la  satisfaction 
de  l'un  et  de  l'autre,  la  grande  disproportion  d'âge,  et 
l'extrême  répugnance  de  lajeune  personne,  me  firent  con- 
courir, avec  la  mère,  à  détourner  ce  mariage,  qui  ne  se  fit 
point.  Le  colonel  épousa  depuis  mademoiselle  Dillan,  sa 
parente,  d'un  caractère  et  d'une  beauté  bien  selon  mon 
cœur,  et  qui  l'a  rendu  le  plus  heureux  des  maris  et  des 
pères.  Malgré  cela,  M.  Roguin  n'a  pu  oublier  que  j'aie,  en 
cette  occasion,  contrarié  ses  désirs.  Je  m'en  suis  consolé 
par  la  certitude  d'avoir  rempli,  tant  envers  lui  qu'envers 
sa  famille,  le  devoir  de  la  plus  sainte  amitié,  qui  n'est  pas 
de  se  rendre  toujours  agréable,  mais  de  conseiller  toujours 
pour  le  mieux. 


DE    JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  33 

femme  heureuse;  que  n'a-t-il  pu  la  rendre 
heureuse  vingt  ans  plustôt  ! 

Je  n'ai  plus  de  communication  avec  la  mai- 
son contigue^  et  je  vous  avoue  que  je  ne  m'en 
trouve  pas  plus  mal.  On  y  est  fort  occupé  à 
cause  du  départ  de  mon  autre  voisin  et  votre 
ancien  associé.  Il  va  chercher  à  Paris  le  bon- 
heur qu'il  n'a  pu  trouver  à  Motiers,  je  souhaite 
qu'il  l'y  trouve.  Il  est  bien  difficile  de  le  ren- 
contrer nulle  part,  quand  on  ne  le  porte  pas  avec 
soi.  Pour  moi,  comme  nous  ne  nous  sommes 
point  vus  durand  son  séjour  ici,  je  ne  pers  rien 
du  tout  à  son  départ.  Son  séjour  ici  ne  m'étoit 
ni  importun  ni  agréable;  il  m'étoit  indifférent. 
On  a  voulu  me  faire  entendre  qu'il  s'étoit  raco- 
modé  avec  vous;  j'en  ai  douté  puisque  vous  ne 
m'en  avez  rien  dit. 

Si  vous  vouliez  bien  m'envoyer  la  petite  noie 
des  déboursés  que  vous  avez  faits  pour  mon 
compte  en  dernier  lieu,  vous  me  feriez  plaisir, 

1.  Les  Girardier. 


34  LETTRES    INÉDITES 

et  de  me  marquer  en  même  tems  à  qui  j'en 
puis  remettre  le  montant  soit,  ici  soit  à  Neuf- 
chatel  ou  à  Verdun.  Je  crains  que  ces  baga- 
telles ne  s'oublient.  Vers  la  fin  de  l'année  je 
pourrai  avoir  besoin  de  quinze  cent  francs,  je 
vous  prie  de  vouloir  bien  en  prévenir  ces 
Messieurs ^  Bon  jour,  ma  très  bonne  et  très 
chère  amie,  recevez  les  respects  de  iVr^'  le 
Vasseur,  et  d'un  homme  qui  vous  est  attaché 
par  des  liens  que  la  mort  même  aura  peine  à 
rompre. 

ROUSSEAU. 


VIII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Môtiers,  le  6  Fév.  1763. 

Quoique  je  pense  bien,  Madame,  que  les  avis 

1 .  Les  fils  de  madame  Boy  de  la  Tour  qui  géraient  la  mai- 
son d'affaires  à  Lyon. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  35 

ne  vous  manqueront  pas,  je  crois  néanmoins 
devoir  vous  annoncer  le  decés  de  M.  Girardier, 
mort  la  nuit  dernière  à  dix  heures,  et,  comme 
je  crois  d'une  inflammation  d'entrailles  ;  car  il 
m'a  été  impossible  de  l'aller  voir,  m'étant 
trouvé  très  mal  moi-même  la  nuit  qu'il  est 
tombé  malade  ;  cependant  je  suis  réservé  pour 
soutîrir  encore  moi  qui  ne  suis  bon  à  rien,  et 
Dieu  le  retire  lui,  père  de  famille  ;  adorons 
ses  décrets  impénétrables.  Ce  qu'il  y  a  de  bien 
sur  est  que  quand  mon  heure  arrivera  vous 
perdrez  un  véritable  ami,  et  qu'en  lui  vous  ne 
perdez  rien  de  pareil  tant  s'en  faut. 
Bon  jour,  Madame. 

ROUSSEAU. 

Quoique  je  n'aye  pu  moi-même  aller  soigner 
le  défunt,  j'y  ai  envoyé  M'^"  le  Vasseur,  et  c'est 
elle  qui  lui  a  rendu  les  derniers  devoirs.  Je  ne 
puis  vous  en  dire  davantage. 


36  LETTRES    INEDITES 

IX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Rogu'm,  à  Lyon, 

A  iMôtiers,  le  2  Mars  1763. 

Je  profite,  Madame,  du  départ  de  M.  Girar- 
dier^  pour  vous  donner  un  petit  bonjour  que 
je  voudrois  bien  pouvoir  vous  porter  moi- 
même.  J'ai  été  fort  content  d'avoir  fait  con- 
noissance  avec  le  porteur  de  ma  lettre,  et  il  n'a 
pas  tenu  à  moi  de  lui  témoigner  le  cas  que  je 
faisois  de  lui  et  de  vôtre  recommandation; 
mais  mon  triste  état  m'a  empêché  de  le  voir 
comme  je  l'aurois  désiré  et  s'il  a  peu  profité  de 
ma  bonne  volonté,  j'espère  au  moins  qu'il  l'a 
reconnue. 

Vous  ne  voulez  pas,  Madame,  m'envoyer  la 
note  de  vos  débourses,  cela  m'empêchera  de 
vous   constituer  en   d'autres   fraix  jusqu'à  la 

1 .  Parent  du  dél'unt. 


DE    JEAX-JACnUES     ROUSSEAU.  'M 

restitution  de  ceux-là.  Les  petites  répara- 
tions que  j'ai  faites  dans  vôtre  maison  sont 
pour  ma  comodité  particulière;  mais  si  vous 
voulez  absolument  qu'elles  soient  sur  vôtre 
compte,  souffrez  au  moins  qu'elles  se  dédui- 
sent sur  le  loyer  de  la  maison  et  non  pas  sur 
les  déboursés  que  vous  faites  journellement 
pour  mon  compte  ;  car  c'est  à  quoi  je  ne  sau- 
rais consentir  parce  que  cela  n'est  point  juste. 
De  grâce,  envoyez-moi  donc  la  note  que  je 
vous  demande  si  vous  ne  voulez  pas  que  je 
croye  que  mes  comissions  vous  ont  importu- 
née. 

Votre  dernière  lettre,  Madame,  n'étoit  point 
dattée  ;  c'est  une  précaution  qu'il  importe  de 
ne  plus  omettre,  de  même  que  quelques  autres 
dont  vous  devez  être  déjà  prévenue. 

Vous  savez  que  ce  pays  ne  produit  rien  du 
tout  que  des  langues.  Aggréez-en  quatre  des 
moins  mauvaises,  et  dont  M"  Girardier  veut 
bien  se  charger. 

Mille    salutations.    Madame,   à  toute  vôtre 


38  LETTRES     INÉDITES 

aimable  famille,  et  recevez  les  assurances  de 
tout  mon  respect  et  mon  éternel  attachement. 

ROUSSEAU. 


X 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  ïtogidii,  à  Lyon. 

A  Mo  tiers  le  27  Mars  1763. 

J'ai  receu,  Madame,  par  le  retour  de  M.  B... 
avec  vôtre  obligeante  lettre  du  19,  le  billet  que 
vous  y  avez  joint  et  qui  étoit  la  chose  du  monde 
la  moins  nécessaire.  Il  m'a  donné  de  vous  et 
de  toute  vôtre  famille  de  bonnes  nouvelles  qui 
m'ont  fort  réjoui.  Recevez  mes  remercimens 
et  ceux  de  M'"  le  Vasseur  pour  les  lacets  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  lui  envoyer;  mais  c'est 
dire  que  vous  ne  voulez  plus  de  mes  commis- 
sions que  les  transformer  en  présens.  Je  vous 
envoyé  pourtant  dans  le  fil  ci-joint  la  mesure 
de  ma  tête  je  l'ai  prise  entre  les  deux  nœuds; 
je  vous  prierai  de  joindre  au  bonnet  une  rame 


DE    JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  39 

de  papier  à  lettres  pareil  à  celui  que  vous 
m'avez  envoyé  ci-devant,  et  dont  c'est  ici  une 
demi-feuille.  Comme  vôtre  mémoire  est  plus 
petit  que  je  n'avais  cru,  j'altens  pour  le  solder 
d'y  joindre  ces  deux  articles  dont  je  vous  prie 
de  vouloir  bien  m'envoyer  la  note  en  même 
tems,  et  de  me  marquer  aussi  par  qui  je  puis 
vous  addresser  cet  argent  ou  le  mettre,  soit  ici 
soit  à  Neufchâtel  ou  à  Yverdun. 

J'ai  fait  imprimé  une  Lettre  à  M.  l'Arche- 
vesque  de  Paris %dont  je  viens  de  recevoir  quel- 
ques exemplaires;  je  voudrais  bien,  Madame, 
vous  en  faire  passer  un  ;  mais  je  ne  sais  com- 
ment faire.  Quoique  la  brochure  soit  fort 
petite,  cela  est  trop  fort  pour  être  envoyé  par 
la  poste,  et  je  ne  connois  point  d'autres  voyes 
si  ce  n'est  peut-être  celle  des  Rosselets;  mais 
ils  demeurent  aux  Verrières  et  n'entendant 
jamais  parler  d'eux,  j'ignore  absolument  le 
tems  de  leur  départ. 

1.  En  réponse  au  mandement  lancé  par  monseigneur  de 
Beaumont  contre  VÊmile,  le  29  août  1762. 


40  LETTRES     INÉDITES 

Je  souhaite  bien  ardemmeiil,  Madame,  que 
cette  lettre  vous  trouve  en  meilleur  étal  qu'elle 
ne  me  quitte.  Car  j"ai  actuellement  la  fièvre, 
mal  à  la  tète,  mal  à  la  gorge;  mon  état  est 
sensiblement  empiré  depuis  quelques  jours; 
ce  qui  m'empêche  de  pouvoir  m'entretenir 
avec  vous  aujourd'hui  comme  je  le  souhai- 
terois.  Je  dois  vous  prévenir  que  j'ai  pris  pour 
mes  lettres  des  mesures  convenables,  et  qu'on 
peut  désormais  m'écrire  directement  sans  ris- 
que. Mille  salutations  dans  vôtre  maison, 
Madame,  je  vous  supplie,  et  recevez  avec  les 
miennes  les  assurances  de  tout  mon  respect. 

ROUSSEAU. 

Quand  le  papier  seroit  un  peu  plus  fort  que 
celui-ci  pourvu  qu'il  fut  blanc  et  fin  il  n'y  au- 
roit  pas  de  mal. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU. 


41 


XI 

A  Bladame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin^  à  Lyon. 

A  Motiers,  le  7  May  1763. 

J'ai  receu,  Madame,  il  y  a  huit  jours,  par  les 
Rosselets  plusieurs  paquets  contenant  un 
bonnet  d'été,  une  rame  de  papier,  un  grand 
portefeuille,  et  du  camelot  cannelle  pour  une 
robbe  avec  la  doublure  de  toile  de  coton.  N'ayant 
point  receu  de  lettre  d'avis,  je  ne  suis  pas  sur 
que  ce  dernier  pacquet  soit  pour  moi,  ainsi 
j'attendrai  pour  en  disposer  que  je  sache  s'il 
n'est  pas  pour  un  autre,  le  tout  étant  sans 
addresse.  En  attendant,  Madame,  recevez  de- 
rechef les  remercimens  que  j'ai  si  souvent 
occasion  de  vous  addresser,  et  faites  les  aussi 
pour  moi  je  vous  supplie,  à  M.  Girardier^  qui  a 
eu  la  bonté  de  se  souvenir  bien  exactement  des 

1.  Parent  de  feu  Girardier  de  Motiers.  Il  était  venu  à 
l'enterrement;  à  son  départ  Rousseau  l'avait  chargé  de  ces 
commissions. 


42  LETTRES    INÉDITES 

articles  dont  nous  n'avions  parlé,  pour  ainsi 
dire,  qu'à  la  volée.  J'ai  vu  par  un  article  de  sa 
dernière  lettre  à  Mademoiselle  sa  sœur  qu'elle 
m'a  communiqué,  qu'il  seroit  bien  aise  d'avoir 
un  exemplaire  de  ma  Lettre  à  M .  de  Beaumont  ; 
ainsi  M'"  Girardier  s'est  chargée  de  lui  envoyer 
le  sien  que  je  remplacerai  dans  peu  de  jours 
sitôt  qu'il  m'en  sera  venu  d'autres.  Je  ne  sais 
point  si  vous  avez  receu  celui  que  je  remis  à 
M.  Boy  pour  vous  être  envoyé  par  la  poste  selon 
votre  intention,  et  ce  qui  me  tient  en  peine  sur 
le  sort  de  cet  exemplaire,  c'est  qu'il  en  a  été 
envoyé  plusieurs  par  la  poste  à  Paris  dont  aucun 
n'a  pénétré,  ce  qui  me  fait  craindre  que  le  vôtre 
n'ait  eu  le  même  sort.  Si  cela  étoit  et  que  celui 
de  M.  Girardier  fut  plus  heureux,  je  le  prierois 
de  vouloir  vous  le  remettre,  à  la  charge  pour 
moi  de  le  remplacer  au  premier  avis. 

Vous  savez,  sans  doute,  Madame,  le  départ 
de  Mylord^  Mareschal  mon  protecteur,   mon 

1.  «George  Keith,  maréchal  héréditaire  d'Ecosse,  et  frère 
du  célèbre    général   Keith,    qui  vécut  glorieusement  et 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  43 

ami,  el  le  plus  digne  des  hommes  parti  le 
30  du  mois  dernier  à  mon  très  grand  regret. 
Sa  perte  est  une  des  plus  cruelles  que  je  puisse 
faire  ;  il  me  laisse  sans  appui  et  qui  pis  est  sans 

mourut  au  lit  d'honneur,  avoit  quitté  son  pays  dans  sa 
jeunesse,  et  y  fut  proscrit  pour  s'être  attaché  à  la  maison 
Stuart,  dont  il  se  dégoûta  bientôt,  par  l'esprit  injuste  et 
tyrannique  qu'il  y  remarqua,  et  qui  en  fut  toujours  le 
caractère  dominant.  Il  demeura  longtemps  en  Espagne, 
dont  le  climat  lui  plaisait  beaucoup,  et  finit  par  s'attacher, 
ainsi  que  son  frère,  au  Roi  de  Prusse,  qui  se  connaissoit 
en  hommes,  et  les  accueillit  comme  ils  le  méritoient.  Il 
fut  bien  payé  de  cet  accueil  par  les  grands  services  que  lui 
rendit  le  maréchal  Keith,  et  par  une  chose  bien  plus  pré- 
cieuse encore,  la  sincère  amitié  de  milord  maréchal.  La 
grande  âme  de  ce  digne  homme,  toute  républicaine  et  hère, 
ne  pouvait  se  plier  que  sous  le  joug  de  l'amitié  ;  mais  elle 
s'y  plioit  si  parfaitement,  qu'avec  des  maximes  bien  diffé- 
rentes il  ne  vit  plus  que  Frédéric,  du  moment  qu'il  lui  fut 
attaché.  Le  roi  le  chargea  d'affaires  importantes,  l'envoya 
à  Paris,  en  Espagne,  et  enfin,  le  voyant,  déjà  vieux,  avoir 
besoin  de  repos,  lui  donna  pour  retraite  le  gouvernement 
de  Neuchàtel,  avec  la  délicieuse  occupation  d'y  passer  le 
reste  de  sa  vie  à  rendre  ce  petit  peuple  heureux.  »  (Confes- 
sions, p.  529.)  Jean-Jacques  Rousseau  et  lord  Keith  se 
lièrent  d'une  grande  affection;  ils  se  faisaient  visite,  chas- 
saient ensemble.  Lord  Keith  plaisait  à  Jean-Jacques  par  la 
communauté  de  leurs  goûts.  «  J'ai  manqué  ma  vocation, 
écrivait  le  gouverneur  de  Neuchàtel,  je  crois  qu'elle  était 


44  LETTRES     INÉDITES 

ami  au  milieu  de  gens  très  mal  intentionnés 
plus  partisans  de  l'Archevesque  de  Paris  que 
les  catholiques,  et  dont  les  cœurs  sont  bien 
éloignés  de  sentir  le  respect  qu'on  doit  aux 
malheureux.  Du  reste  étant  ici  sous  l'immé- 
diate protection  du  Roi  j'attends  paisiblement 
de  savoir  comment  on  s'y  prendra  pour  me 
chercher  querelle,  en  quoi,  si  cela  n'arrive 
pas,  on  manquera  plustot  d'occasion  que  de 
volonté.  Quelque  doux  qu'il  me  soit  d'habiter 
la  maison  d'une  si  digne  et  si  chère  amie,  je  ne 
vous  cache  point  que  si  j'étois  en  meilleur  état 
j'irois  chercher  à  vivre  parmi  des  gens  qui  me 
vissent  au  miheu  d'eux  avec  plus  de  plaisir*. 
Mais  dans  la  vie  languissante  et  valèludinaire 
que  je  mène  on  ne  se  déplace  que  quand  on  y 


d'être  Tarlare  Kalmouck,mais  des  plus  éloignés  des  Russes. 
Je  regrette  bien  que  nous  n'ayons  pas  fait  connaissance 
il  y  a  douze  ans  à  Paris.  Nous  aurions  peut-être  été  de- 
puis onze  années  dans  quelque  jolie  retraite.  ><  (1764.) 

1.  Voilà  les  premiers  symptômes  de  brouille  avec  les 
habitants  de  Motiers  :  ils  ne  feront  que  s'aggraver,  jus- 
qu'au dénouement  tragique. 


DE     JEAX-JACnUES     ROUSSEAU.  45 

est  forcé.  Dans  cetle  situation  je  n'aurois  pas  dû 
laisser  entreprendre  le  travail  de  vôtre  mon- 
tagne, si  vous  m'eussiez  assuré  moins  positive- 
ment qu'il  seroit  agréable  pour  vous-même  d'y 
avoir  un  logement.  D'ailleurs,  la  dépense  en  est 
commencée;  pour  qu'elle  ne  soit  pas  perdue  il 
faut  laisser  achever.  J'attends  avec  empresse- 
ment le  moment  d'aller  m'y  établir,  bien  sur, 
Madame,  d'habiter  avec  plus  de  plaisir  vôtre 
chalet  dans  un  désert  que  les  Palais  des  Rois 
dans  les  Villes. 

Le  compte  que  vous  m'avez  envoyé  de  vos  pré- 
cédens  déboursés  étoit  peu  de  chose  ;  mais  avec 
les  nouveaux  articles  ce  doit  être  une  somme 
dont  je  vous  prie  de  vouloir  bien  m'envoyer  la 
note,  en  m'indiquant  à  qui  je  dois  la  payer. 

Donnez-moi  des  nouvelles  de  vôtre  santé, 
de  vos  plaisirs,  de  votre  chère  famille  a  qui  je 
vous  prie  de  faire  mes  salutations,  de  même 
qu'à  -M.  Girardier.  Recevez  les  respects  de 
M"'  le  Vasseur,  et  ceux  d'un  homme  qui  vous 
est  attaché  pour  toute  sa  vie. 


40  LETTRES    INÉDITES 

Je  dois  vous  prévenir  que  j'ai  pris  des  mesures 
avec  le  Directeur  des  Postes  de  Pontarlier 
pour  que  mes  lettres  me  parviennent  sous  son 
enveloppe  une  fois  la  semaine  qui  est  le  samedi, 
et  je  lui  envoyé  aussi  les  miennes  une  fois  la 
semaine  savoir  le  lundi,  sous  enveloppe  \   Le 

1.  Sur  le  fonctionnement  de  Ja  poste,  voir  baron  A.  de 
Rothschild,  Histoire  de  la  Poste.  Voici  une  lettre  qui  donnera 
une  idée  des  rapports  de  Jean-Jacques  avec  la  poste  de 
Motiers  : 

A  Jecquier,  commis  de  la  Poste  de  Motiers. 
Motiers,  2  septembre  1765. 

Je  ne  suis  pas  surpris,  Monsieur,  qu'un  homme  de 
votre  sorte  ait  Timpudence  de  me  redemander  une  paille 
dont  vous  eûtes  honte  de  recevoir  le  payement  lorsqu'on 
vous  l'offrit,  vu  les  fréquentes  aumônes  de  toute  espèce 
dont  je  comblais  votre  famille  :  mais  je  suis  surpris  que 
vous  ayez  oublié  Thabit  et  veste  qui  vous  fut  remis  pour 
votre  fils,  et  qui  paye  au  moins  cinquante  fois  ladite  paille. 
Lorsqu'il  vous  plaira  de  me  payer  cet  habit,  nous  déduirons 
le  prix  de  la  paille. 

Quant  à  la  gazette  dont,  par  la  même  raison,  vous 
receviez  ci  devant  le  payement  presque  malgré  vous,  je 
cesse  de  la  payer,  parce  que  je  cesse  de  la  lire,  et  je  cesse 
de  la  lire  parce  que,  non  seulement  vous  ne  me  l'envoyez 
point  selon  votre  devoir,  mais  que  même  ni  moi,  ni  per- 
sonne de  ma  part,  ne  peut  approcher  de  votre  maison  sans 


DE     JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  47 

tout  numérotté  et  datte.  Ainsi  les  Curieux  de 
Motiers  sont  à  rouet,  et  ron  ne  peut  plus  ouvrir 
aucune  de  mes  lettres  ni  de  France  ni  pour 
France  que  je  ne  le  sache  aussitôt.  Ce  que 
je  vous  dit.  Madame,  afin  que  vous  m'é- 
criviez désormais  en  droiture  avec  toute  con- 
fiance. 

Je  reçois  à  l'instant,  Madame,  vôtre  lettre 
du  3  par  laquelle  je  vois  que  la  brochure  vous 
est  bien  parvenue:  je  vois  aussi  que  parmi 
les  pacquets  qui  m'ont  été  remis  il  y  en  a  un 
de  Camelot  canelle  avec  la  doublure,  lequel  n'est 
pas  pour  moi,  puisque  le  Mémoire  ne  monte 
en  tout  qu'à  16  1.  Ainsi  je  ferai  avertir  demain 
les  Rosselets  de  faire  retirer  ce  paquet  par 
ceux  à  qui  il  appartient.  Ces  16  1.  seront 
payées  selon  votre  intention  avec  les  3  1.  8 
du  compte  précédent  à  Madame  Girardier, 
faisant  en  tout  19  1.  8. 

être  insulté,  ce  qui  me  met  hors  d'état  de  plus  rien  recevoir 
■désormais  par  la  poste. 

Recevez,  monsieur,  etc.. 


48  LETTRES    INÉDITES 

Je  n'ai  pas  changé  mon  cachet,  mais  j'en 
ai  deux  '. 


XII 


AMotiers  le  10  Juin  1763. 

Voici,  Madame,  l'éclaircissement  que  de- 
sire  M.  Cherb^;  il  le  trouvera  au  bas  du 
même  papier  que  vous  m'avez  envoyé  de  sa 
part. 

Ne  soyez  pas  trop  en  peine,  ma  très  bonne 
amie,  de  mes  projets  de  voyage  :  rien  n'est 
encore  décidé  là  dessus,  et  tout  ce  qui  tient 

i.  L'un  est  la  devise  Vitam  impendere  vero;  l'autre  est  une 
lyre. 

2.  Syndic  des  Suisses  à  Lyon.  Madame  Boy  de  la  Tour 
en  parle  dans  ses  lettres  comme  de  son  protecteur. 


DE    JEAN-JACnUES    ROUSSEAU.  49 

à  vous  m'est  si  cher  que  je  ne  quitterai 
jamais  vôtre  maison  sans  regret.  Je  vous  dirai 
même  que  l'air  de  protecteurs  et  juges  qu'il 
plait  aux  gens  du  pays  de  prendre  avec  moi 
me  met  à  mon  aise  en  me  dispensant  de  les 
voir  :  ce  que  je  ne  faisoisque  par  complaisance, 
et  bien  contre  mon  humeur.  Leurs  honnêtetés 
m'auroient  subjugué,  leurs  impertinences  me 
dégagent.  Je  leur  ai  l'obligation  d'être  plus 
libre  qu'auparavant. 

Vous  savez  comment  j'ai  toujours  pensé  sur 
les  vues  du  Papa  relativement  à  l'aimable 
Madelon'.  J'aime  tendrement  M.  le  Colonel,  je 
n'oublierai  jamais  ses  bontés.  Mais  je  suis 
persuadé  que  cet  arrangement  n'étoit  bon  n'y 
pour  lui  ni  pour  elle  :  car  de  quelque  mérite 
et  de  quelques  vertus  qu'elle  soit  pourvue  elle 
eût  tout  fait  sans  faire  assés,  et  les  convenances 
nécessaires  ne  sauroient  manquer  d'un  coté 
sans  manquer  aussi  de  l'autre. 

i.  Voy.  plus  haut  p.  32. 


50  LETTRES    INÉDITES 

On  travaille  sur  la  montagne,  mais  comme 
on  ne  s'est  mis  en  train  tout  de  bon  que  cette 
semaine,  je  ne  sais  quand  les  chambres  seront 
faites  et  si  je  pourrai  les  habiter  cet  été.  M.  le 
Consul  vôtre  frère  m'a  honoré  de  sa  visitte. 
J'ai  été  fort  sensible  à  cette  marque  de  bonté, 
j'ai  reconnu  en  lui  le  cœur  de  la  famille,  et 
c'est  tout  dire.  Depuis  son  passage  sur 
la  montagne  l'ouvrage  a  pris  un  meilleur 
train. 

Puisque  vous  le  voulez,  Madame,  quand  on 
m'offrira  la  Cave  ;  je  l'accepterai.  Cependant  je 
vous  dirai  que  si  je  reste  dans  le  pays  je  tâche- 
rai de  m'établir  tout  à  fait  à  Pierre-nou.  La 
plus  profonde  solitude  est  l'état  le  plus  heureux 
pour  moi. 

Mes  salutations  je  vous  supplie  à  toute  l'ai- 
mable famille  et  communauté,  recevez  les  res- 
pects de  M'"  le  Vasseur  et  ceux  d'un  homme 
qui  vous  est  attaché  de  tout  son  cœur  et  pour 
toute  sa  vie. 

ROUSSEAU. 


DE    JEAX-JACQUES    ROUSSEAU.  51 

S'il  arrivoit  que  vous  reçussiez  pour  moi 
quelques  lettres,  vous  voudriez  bien,  Madame, 
en  me  les  faisant  parvenir,  tenir  note  des  ports 
et  me  les  passer  en  compte.  Je  crois,  à  vue  de 
pays  que  je  n'aurai  pas  besoin  d'argent  cette 
année. 


XIII 

Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Motiers,  le  14  Aoust  1763. 

Pourquoi  faut-il,  Madame,  que  mon  triste 
étal  et  l'indolence  qu'il  me  donne  ou  plustot 
l'accablement  où  il  me  jette  contrarient  tou- 
jours mes  goûts?  Vous  n'auriez  sûrement  pas 
besoin  de  me  prévenir  en  me  demandant  de 
mes  nouvelles  et  vous  auriez  assés  à  faire  à  me 
donner  des  vôtres  aussi  souvent  que  je  vous  en 
demanderois,  mais,  ma  très  bonne  amie,  je  ne 
vaux  plus  rien  ni  pour  les  autres  ni  pour  moi; 


52  LETTRES    INÉDITES 

je  ne  suis  plus  bon  qu'à  souffrir,  me  plaindre 
et  rabâcher;  un  tel  commerce  n'est  qu'impor- 
tun pour  les  autres,  et  c'est  par  discrétion  que 
je  ne  le  rends  pas  plus  assidu.  Je  me  préparais 
à  me  transplanter  à  vôtre  montagne  avec  au- 
tant de  plaisir  que  vous  en  avez  eu  à  la  faire 
accomoder;  mais  ni  mon  état  présent  ne  le 
permet,  ni  quand  il  le  permetlroit  je  ne  le  pour- 
rois  faire,  vu  l'étrange  pays  où  je  vis,  sans  com- 
promettre l'honneur  de  la  personne  qui  prend 
soin  de  moi.  Sitôt  que  j'ai  bien  connu  le  na- 
turel des  gens  du  lieu  je  n'ai  plus  voulu  qu'elle 
les  vit,  et  cette  retraite  jointe  au  projet  d'aller 
habiter  la  montagne  leur  a  fait  supposer  aussi 
charitablement  que  sensément  que  j'avois  des 
raisons  pour  la  cacher.  Leurs  regards  curieux, 
leurs  brutales  double  ententes,  et  leurs  sotes 
chucholeries  m'ont  bientôt  fait  deviner  de 
quoi  il  s'agissoit;  sur  quoi  j'ai  pris  le  parti  de 
rester  au  milieu  de  Motiers  jusqu'à  ce  qu'il 
plaise  à  la  providence  de  me  tirer  tout  à  fait 
de  manière  ou  d'autres  du  miheu  de  leurs  lan- 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  53 

gues  empoisonnées  qui  distillent  plus  de  venin 
que  celles  de  ious  les  serpens  de  Taffrique.  Il 
semble  qu'aucun  honnête  homme  ne  peut  ap- 
procher d'ici  que  pour  y  être  déshonoré,  du 
moins  autant  qu'on  peut  l'être  par  de  telles  gens 
qui  ne  connaissant  ni  honneur  ni  vertu  pensent 
que  tout  le  monde  leur  ressemble.  Je  m'épanche 
avec  vous,  Madame,  dans  la  vive  indignation 
dont  je  suis  pénétré,  et  je  vous  avoue  que  fai- 
sant exception  de  quelques  personnes  en  bien 
petit  nombre,  je  regarde  Motiers  comme  le  sé- 
jour le  plus  vil  et  le  plus  venimeux  qu'on  puisse 
habiter.  Vôtre  amitié,  Madame,  le  voisinage  de 
vôtre  respectable  Oncle  m'y  ont  déjà  retenu 
treise  mois,  mon  triste  état  m'y  retiendra  long- 
tems  encore  ;  quand  un  autre  honnête  homme  y 
aura  demeuré  autant  il  m'en  dira  des  nouvelles. 
Le  pauvre  Baron  de  Sautern  quoiqu'absent 
vient  de  passer  à  son  tour  par  l'épreuve  \  et 

l.Ille  méritait.  Voy.  dans  les  Confessions  tout  ce  qu'apprit 
plus  tard  Jean  Jacques  sur  son  compte,  son  faux  nom,  son 
faux  titre,  son  dévergondage  et  ses  piètres  exploits  (H,  xii). 


54  LETTRES    INEDITES 

tout  autant  qu'il  en  viendra  ne  la  payeront  pas 
moins  cher.  Mais  j'espère  qu'après  nous  il  n'y 
aura  point  d'honnête  étranger  assés  misérable 
pour  ne  pas  se  tenir  averti  à  nos  dépen. 

Je  ne  veux  pas  trop  creuser  dans  l'avenir, 
ma  très  bonne  amie,  mais  mon  état  empire 
tellement  depuis  quelque  tems  qu'il  ne  seroit 
guère  étonnant  que  cet  hiver  je  fusse  délivré  de 
mes  souffrances,  et  en  ce  cas  làjugez  de  la  dou- 
leur que  j'aurois  de  laisser  ici  cette  pauvre 
fille  qui  soigne  depuis  si  longtems  ma  misérable 
machine,  seule  et  sans  position  dans  un  pays 
si  éloigné  du  sien;  si  nous  étions  a  Yverdun  je 
serois  bien  tranquille,  mais  ici  au  moment  ou 
j'aurai  les  yeux  fermés  on  la  dépouillera  de 
tout.  J'ai  fait  un  testament,  mais  puis-je  es- 
pérer qu'on  y  aura  le  moindre  égard?  Quelque 
défaut  de  formalité  le  fera  annuler  et  on  ne  la 
laissera  pas  même  profiter  de  mes  guenilles. 
Tel  est  le  train  du  monde,  et  les  choses  n'iront 
pas  mieux  ici  qu'ailleurs.  J'espère  au  moins, 
Madame,  qu'au  nom  de  nôtre  ancienne  amitié 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  35 

VOUS  la  protégerez  en  tout  ce  qui  dépendra  de 
vous,  et  que  vous  ne  souffrirez  pas  que  ce  qui  est 
dans  les  mains  de  Messieurs  vos  fils  passe  à 
d'autres  qu'à  elle.  En  cas  d'accident  je  lui  re- 
mettrai le  billet  endossé  à  son  nom  ;  mais  toute 
ma  confiance  est  en  vous,  et  je  suis  très  sur 
que  sachant  mes  intentions  vous  ferez,  quoi 
qu'il  arrive,  en  sorte  qu'elles  soient  exécutées. 
J'avais  besoin  pour  être  tranquille  de  vous 
prévenir  là  dessus,  et  maintenant  je  le  suis 
parfaitement. 

Je  me  suis  sensiblement  obligé  de  m'épargner 
des  visittes.  Si  en  tout  autre  tems  elles  me  sont 
importunes,  jugés  de  ce  qu'elles  sont  à  pré- 
sent pour  un  homme  qui  n'est  pas  un  instant 
sans  souffrir.  Bon  jour,  ma  très  bonne  amie, 
vous  devez  être  excédée  de  mes  lamentations, 
il  est  tems  de  les  finir,  je  tâcherai  d'être  moins 
ennuyeux  la  première  fois.  Mille  salutations  à 
toute  vôtre  aimable  famille  et  souvenez-vous 
quelquefois  de  vôtre  ami. 

ROUSSEAU. 


56  LETTRES    INÉDITES 

J'oubliois  de  vous  marquer  qu'on  m'a  remis 
la  Cave  et  même  très  promptement,  quoique 
j'eusse  déclaré  que  rien  ne  pressoit  et  que  même 
je  ne  pouvois  m'en  servir  qu'à  l'entrée  de 
l'hiver. 


XIV 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Toui\  née  Roguin^  à  Lyon. 

A  Motier  le  S^re  1763. 

J'ai  eu  le  chagrin,  ma  très  bonne  Amie,  par 
la  précipitation  du  départ  de  M.  Heer  de  ne 
pouvoir  lui  faire  l'accueil  que  j'aurois  désiré; 
il  n'a  tenu  cependant  qu'à  lui  de  connoilre 
combien  vôtre  recommandation  a  d'autorité  sur 
moi.  D'ailleurs  il  m'a  paru  fort  aimable,  et  ce 
qui  m'a  fait  le  plus  de  plaisir  dans  son  entre- 
tien c'est  qu'il  m'a  beaucoup  parlé  de  vous  et 
de  vôtre  famille  ;  il  m'a  chargé  en  partant  de 
vous  offrir  ses  respects  et  ses  remerciemens  ; 
je  m'en  acquite. 


DE    JEAN'-JACQUES    ROUSSEAU.  57 

Vous  avez  donc  su  le  trait  de  jeunesse  du 
Bon  Papa.  Je  ne  saurais  vous  dire  quel  ravisse- 
ment et  quelle  allarme  il  me  donna  en  même 
tems  en  le  voyant  arriver  à  pied  par  l'ardeur 
du  soleil  et  tout  en  nage.  Grâce  au  Ciel  il  a 
supporté  la  fatigue  de  ce  voyage  mieux  que  je 
n'aurois  fait  moi-même.  Quand  j'ai  été  le  re- 
mercier, et  c'était  bien  le  moins,  je  l'ai  trouvé 
très  bien  portant,  de  même  que  toute  vôIre 
famille  ;  mais  moi,  je  n'ai  pas  grimpé  les  monts, 
j'ai  fait  le  tour  K  Je  n'ai  vu  M.  le  Colonel  qu'à 
souper  et  jamais  seul;  ainsi  il  ne  m'a  parlé  de 
rien.  Mais  son  frère  m'a  parlé  de  l'affaire  man- 
quée  et  même  à  plusieurs  reprises  se  plaignant 
amèrement,  et  m'assurant  que  les  premières 
propositions  leur  étoient  venues  de  vous  '. 
Dans  cette  supposition  je  devois  vous  blâmer, 
je  l'ai  fait,  avois-je  tort?  Du  reste  je  leur 
pardonne  bien  de  regretter  ce  qu'ils  perdent; 

1.  D'Yverdon  à  Motiers,  par  la  montagne,  il  y  a  cinq  ou 
six  heures  de  marche. 

2.  Il  s'agit  du  mariage  projeté. 


58  LETTRES    INÉDITES 

c'est  une  perte  dont  je  sens  qu'on  doit  difficile- 
ment se  consoler. 

Je  voudrois,  ma  très  bonne  Amie,  vous  parler 
de  moi  ;  non  pas  de  mes  maux  pourtant  :  car 
dans  quelque  état  que  je  sois  désormais,  le 
voyage  du  bon  Papa  est  une  bonne  leçon  qui 
me  servira  pour  la  vie  ;  mais  de  mes  arrange- 
mens  pour  l'avenir.  Rien  n'est  décidé;  mon  état 
ne  me  permet  encore  aucune  résolution  fixe. 
Je  voudrois  êire  en  Ecosse  mais  il  y  a  bien  loin, 
et  il  y  fait  bien  froid.  D'ailleurs  j'ai  vu  les 
Chambres  de  la  Montagne,  elles  sont  charman- 
tes, je  voudrois  être  vôtre  hôte  toute  ma  vie.  je 
sens  un  vrai  regret  à  m'éloigner  de  vous.  Tout 
cela  et  d'autres  raisons  pour  et  contre  me  lient 
dans  un  état  flotant  dont  je  ne  sais  pas  me  tirer. 
En  attendant  la  décision  j'use  de  vôtre  maison 
comme  de  la  mienne,  de  vos  meubles  comme 
des  miens.  Il  seroit  tems,ce  me  semble,  de  vous 
mettre  en  régie  sur  ce  point.  Entrez  de  grâce 
avec  moi  dans  quelque  détail  sur  Tbabitation 
de  vôtre  maison  que  j'aurai  l'année  prochaine 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  59 

0  ccupé  deux  ans,  sur  l'habitation  de  la  Montagne 
en  cas  que  je  puisse  m'y  fixer  comme  je  désire  ;  si 
non  pour  entrer  au  moins  en  compte  de  la  dé- 
pense que  vous  y  avez  faite.  Je  serois  bien  aise 
encore  de  savoir,  si  je  m'y  transporte,  quels  de 
vos  meubles  vous  me  permettrez  d'y  transporter 
aussi,  et  cela  doit  faire  encore  une  considération 
de  plus  pour  le  loyer.  J'ai  besoin.  Madame,  de 
compter  avec  moi-même,  et  c'est  pour  cela  que 
je  serois  bien  aise  de  prendre  d'avance  des 
arrangemens  là  dessus. 

Autres  imporlunités.  Voici  maintenant  de 
nouvelles  commissions  dont  je  prends  la  liberté 
de  vous  parler  qu'à  condition  que  ces  Messieurs 
ne  s'en  occuperont  qu'à  leur  très  grand  loisir, 
car  rien  au  monde  ne  presse  moins. 

Premièrement  je  voudrois  une  rame  de  beau 
papier  à  lettres,  mais  beaucoup  plus  petit  que 
celui-ci,  et  passant  seulement  la  moitié  d'un 
doigt  ou  deux  :  on  y  joindrait  deux  ou  trois  bons 
canifs  et  portefeuille  de  carton  de  médiocre 
grandeur. 


69  LETTRES    INÉDITES 

Je  voudrois  quelque  petite  étoffe  très  légère 
pour  un  Caffetan  d'été.  Celui  de  camelot  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  me  faire  faire  est  un 
peu  gros  et  rude,  il  lime  trop  le  Doliman  de 
dessous,  la  doublure  des  devants  est  extrême- 
ment grosse,  et  il  a  été  estropié  par  le  tailleur. 
Si  c'est  du  camelot  je  voudrois  qu'il  fût  doux  et 
fin,  et  en  le  prenant  gris,  on  prendroit  aussi  de 
la  toile  grise,  mais  très  fine  pour  doubler  les 
devants.  Si  c'est  quelque  autre  étoffe  légère  de 
soye  ou  autre  qui  ne  ronge  pas  la  doublure,  on 
pourra  prendre  un  petit  taffetas  pour  doubler 
les  devants.  La  quantité  d'étoffe  doit  répondre 
à  peu  près  à  une  aune  et  deux  tiers  de  drap. 

Je  voudrois  faire  fourrer  encore  deux  bon- 
nets l'un  bien  léger  l'autre  moins  :  mais  je  vou- 
drois de  belles  fourrures  et  différentes.  Les 
bonnets  ne  doivent  point  être  fourrés  en  dedans. 
Si  l'on  a  gardé  ma  mesure  les  bonnets  peuvent 
cire  faits  sur  les  lieux  ;  le  choix  de  l'étoffe  n'y 
fait  pas  grand  chose.  Sinon  j'enverrai  les 
bonnets  tout  faits  :  mais  je  ne  sais  ou  prendre 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  61 

les  commissionnaires  des  Verrières.  Je  n'entends 
jamais  parler  deux. 

Il  me  faudroit  aussi  deux  ceintures  de  soye. 
L'une  légère  et  pareille  à  celle  que  vous  m'avez 
envoyée,  l'autre  double,  de  celles  dont  vous 
m'avez  parlé.  La  couleur  à  vôtre  choix. 

Voilà  bien  des  choses,  Madame,  mais  qui  ne 
sont  pas  absolument  nécessaires  et  que  je  puis 
même  attendre  cinq  ou  six  mois  sans  inconvé- 
nient. J'y  voudrois  bien  joindre  aussi  des  pan- 
toufles jaunes,  mais  on  me  les  envoyé  toujours 
trop  grandes  ;  j'ai  le  pied  extrêmement  petit. 

Mille  pardons  et  respects  premièrement  à 
vous,  Madame,  et  puis  salutations  et  amitiés  à 
la  belle  Madelon  et  à  tout  le  monde  qui  vous 
appartient. 

J'oubliois  comme  un  étourdi  de  vous  remer- 
cier du  Gaffe  ;  mais  vous  ne  me  marquez  point 
si  comme  M.  Dastier  *  me  l'avoit  promis,  il  vous 
a  aussi  envoyé  la  note  du  prix  et  des  frais  et 

1.  Voir  dans  les  Confessions,  1.  XII,  Thistoire  des  relations 
de  Jean-Jacques  avec  Dastier. 


62  LETTRES    INÉDITES 

si  vous  avez  eu  la  bonté  de  rembourser  tout 
cela.  Il  est  vrai  qu'il  y  en  a  quatre  livres  qui  ne 
sont  pas  pour  moi,  mais  le  resle  a  du  être  payé  ! 


XV 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la   Tour,  née  Rogu'm,  à  Lyon. 

AMotiers,  le  19  Q^^-MTôS. 

Hier,  Madame,  j'ai  fait  remettre  aux  Rosselets 
un  bonnet  de  bouracan  sur  la  mesure  duquel 
je  vous  prie  de  vouloir  bien  faire  faire  les  deux 
autres.  De  ces  trois  bonnets  j'en  voudrois  deux 
pour  l'été  savoir  celui  de  bouracan  sans  four- 
rure garni  d'un  petit  galon  et  d'une  houpe  d'or 
comme  l'année  dernière,  un  autre  bordé  dans 
la  même  largeur  de  petit-gris  ou  martre  ou 
autre  jolie  fourrure  légère;  quant  au  troisième, 
je  le  voudrais  de  quelque  drap  léger  comme 
silesie  ou  carcassonne  doublé  de  quelque  étoffe 


DE    JEAN'-JACQUES    ROUSSEAU.  63 

un  peu  chaude,  et  fourré  aussi,  mais  non  pas  en 
dedans.  Le  tout  ou  gris  ou  couleur  modeste  et 
surtout  point  d'écarlatte.  Je  vous  prie  aussi  de 
vouloir  bien  faire  ajouter  aux  autres  articles 
deux  pièces  de  padou,  l'unebleue  et  l'autre  grise, 
quelques  lacets  de  soye  jaune  pour  des  botines 
de  maroquin  et  enfin  un  Manchon  de  femme  un 
peu  joli  que  je  voudrois  donner  à  M"°  le  Yas- 
seur  pour  ses  étrennes.  N'oubliez  pas  aussi, 
je  vous  supplie,  d'ajouter  à  toutes  ces  com- 
missions le  Mémoire,  afin  que  je  compte  ave  c 
moi,  ne  pouvant  compter  avec  vous,  à  qui  je 
dois  tant  de  choses  sans  pouvoir  m'acquitter 
en  rien. 

Je  vous  dirai  là  dessus  qu'après  toutes  les 
dépenses  que  vous  avez  faites  pour  moi  le  loyer 
de  dix  écus  par  moi  n'est  pas  même  proposable 
Ce  seroit  de  ma  part  une  ingratitude  mons  - 
trueuse  de  croire  ainsi  m'acquitter  avec  vous, 
et  j'aimerois  encore  mieux  vous  être  tout  fran- 
chement redevable  du  tout  et  recevoir  de  vous 
l'hospitalité  pleine  et  entière  que  de  paroitre 


C4  LETTRES    TNÉDITES 

payer  mon  loyer  tandis  qu'en  effet  je  le  paye- 
rois  si  mal.  J'use  vos  meubles,  j'ôte  à  d'autres 
l'usage  de  vôtre  maison,  je  vous  ai  constitué  en 
dépense  à  la  montagne.  Si  tout  cela  n'enlroit 
pas  en  ligne  de  compte,  il  vaudroit  mieux 
encore  ne  point  compter  du  tout,  et  que  les 
obligations  que  je  vous  ai  fussent  authenliques 
au  gré  de  ma  reconnaissance  si  donc  il  est  vrai 
que  je  ne  sois  pas  de  trop  dans  vôtre  maison, 
faites  moi  de  grâce  un  parli  plus  acceptable. 

Mon  état  me  permet  moins  que  jamais  de  me 
décider  sur  rien.  S'il  n'est  pas  meilleur  au  Prin- 
tems  je  ne  puis  songer  à  de  longs  voyages.  En 
ce  cas  mon  arrangement  est,  sauf  vôtre  bon 
plaisir,  d'aller  faire  un  essai  du  séjour  de  la 
montagne,  et  si  je  vois  qu'il  me  soit  possible  de 
m'y  établir  tout  de  bon,  je  le  ferai .  Il  y  auroit  de 
l'imprudence  à  faire  tout  d'un  coup  cette 
transplantation  sans  s'assurer  de  pouvoir  lever 
les  difficultés  qui  s'y  trouvent.  Si  cela  ne  se 
peut  je  continuerai  d'occuper  votre  maison  tant 
qu'elle  ne  vous    sera  pas  nécessaire  désirant 


DE   JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  65 

pourtant  de  savoir  si  trouvant  dans  le  pays  ou 
au  voisinage  quelque  autre  séjour  plus  conve- 
nable que  celui  de  Môtiers  dont  l'air  ne  me  con- 
vient pas,  vous  désaprouveriez  que  je  cherchasse 
à  m'y  établir;  car  quoi  qu'il  put  se  présenter, 
soyez  bien  persuadée,  ma  très  bonne  amie,  que 
de  mes  jours  je  ne  veux  entendre  parler  de 
faire  chose  au  monde  qui  vous  déplaise  en  quoi 
que  ce  puisse  être. 

Je  vous  prie  de  dire  à  Messieurs  vos  fils  que 
le  désir  de  faire  connoissance  entre  nous  est 
bien  de  ma  part  réciproque,  puis-je  être  indif- 
férent pour  rien  de  ce  qui  vous  appartient?  Je 
souhaite  de  tout  mon  cœur  que  leurs  affaires 
leur  permettent  de  venir  soit  ensemble  soit  sépa- 
rément prendre  possesion  de  leur  demeure. 
Quoique  vous  ne  vouliez  pas  que  je  sois  vôtre 
Concierge;  c'est  une  fonction  que  je  remplirai 
avec  joye  soit  envers  vous  soit  envers  toute 
vôtre  famille,  si  jamais  j'ai  le  bonheur  d'être 
dans  le  cas.  Mille  salutations,  je  vous  supplie,  à 
tous  ces  chers  Enfans  si  dignes  de  vôtre  attache- 


CG  LETTRES    INÉDITES 

ment  et  parla  si  surs  de  tout  le  mien.  J'ai  appris 
que  M'  Girardier  a  6lé  malade,  je  vous  prie  de 
lui  dire  que  je  me  réjouis  de  son  rétablissement. 
Recevez  les  respects  de  M''*  le  Vasseuretceux 
d'un  ami  qui  vous  est  attaché  comme  il  le  doit; 
c'est  tout  dire. 

ROUSSEAU. 

Je  ne  sais  pourquoi  vos  lettres  ne  me  viennent 
jamais  en  droiture;  c'est  peut-être  parce  que  le 
mot  de  Pontarlier  n'est  pas  tout  au  bas.  Il  faut 
que  l'addresse  se  termine  de  cette  manière: 

A  MÔTiERs   Travers 
par  PONTARLIER. 

Point  de  Manchon,  s'il  vousplait,  j'en  trouve 
un  ici  par  occasion,  mais  je  vous  prie  d'ajouter 
à  la  place  un  bonnet  de  nuit  de  laine  fine  pour 
moi,  et  des  plus  grands,  parce  que  j'ai  la  tête 
grosse. 

On  aurait  besoin  d'une  demie  livre  de  laine 
conforme  à  peu  près  à  l'échantillon.  Si  cela  se 


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DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  67 

trouve  aisément,  à  la  bonne  heure,  sinon  l'on 
s'en  passera. 


XVI 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Rogu'm,  à  Lyon. 

AMotiers,  le  18  X»»"  1763. 

Je  receus  avant-hier,  ma  très  bonne  amie,  la 
caisse  que  vous  m'annonciez  par  vôtre  lettre 
du  2.  Mais  je  n'ai  point  receu  le  petit  pacquet  à 
part  contenant  le  padou  et  les  lacets;  je  crains 
qu'il  ne  soil  perdu,  car  les  Rosselets  sont  d'une 
négligence  inconcevable,  et  de  quelque  manière 
que  je  m'y  prenne  il  m'est  impossible  de  les 
voir  ni  à  leur  départ  ni  à  leur  arrivée  ni  même 
d'en  savoir  le  tems.  Il  faut  que  vous  ayez  la  bonté 
de  ne  leur  plus  confier  pour  moi  de  petits  pac- 
quets  ;  mais  d'attendre  que  le  volume  soit  assés 
considérable  pour  ne  pouvoir  pas  être  oublié. 

Le  fuseau  sur  lequel  étoit  de  la  soye  ne  vient 


G8  LETTRES    INÉDITES 

point  do  moi,  il  s'est  trouvé  mêlé  par  hazard 
dans  le  pacquet  du  bonnet.  Il  vient  des  gens  de 
la  poste  qui  avoient  prié  les  Rosselets  de  leur 
achetter  de  la  soye  semblable  :  comme  ce  sont 
de  fort  bonnes  gens,  je  me  suis  chargé  pour 
eux  de  cette  commission  espérant  que  parmi 
tant  d'importunités  vous  me  pardonnerez  bien 
cette  liberté  de  plus.  Voici  encore  un  autre 
échantillon  de  soye  aussi  pour  eux.  Ils  souhait- 
tent  d'avoir  une  demie  Livre  de  soie  en  tout, 
moitié  d'une,  moitié  d'autre,  qui  soit  blanche 
et  luisante  le  plus  qu'il  se  pourra,  surtout  la 
grosse.  Vous  pourrez  joindre  cette  bagatelle  à 
l'envoi  des  bonnets,  ceintures,  étoffes  pour 
robbe  d'été,  etc.,  et  M'"  le  Vasseur  qui  vous 
prie  d'aggréer  son  respect  a  besoin  aussi  de 
deux  fers  à  repasser  que  je  vous  prie  d'y  joindre 
aussi  enveloppés  de  manière  qu'ils  ne  coupent 
pas  l'étoffe  à  cause  de  leur  pesanteur.  A  l'égard 
du  Padou  et  des  lacets  jaunes,  j'espère  qu'ils  se 
retrouveront  sans  quoi  je  vous  prierois  de  vou- 
loir bien  m'en  faire  une  nouvelle  emplette. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  69 

Puisque  vous  voulez  que  sous  prétexte  de 
payer  le  loyer  de  vôtre  maison,  je  l'occupe  pres- 
que gratuitement,  soit  fait  selon  vôtre  volonté. 
Ce  seront  donc  seulement  40  francs  dont  je  vous 
serai  présentement  débiteur  outre  le  montant 
des  dernières  commissions.  J'ai  pensé,  Madame, 
que  pour  éviter  de  continuels  envois  et  renvois 
d'argent  vous  pourriez  toujours  retirer  à  compte 
le  produit  de  l'année  échue  des  mille  écus  dont 
Messieurs  vos  fils  ont  bien  voulu  se  charger,  et 
si  comme  je  le  présume,  ces  cinquante  écus  ne 
suffisent  pas,  vous  tireriez  sur  moi  le  surplus. 
Voyez,  ma  très  bonne  Amie,  si  cet  arrangement 
vous  convient  ou  si  vous  en  aimez  mieux  un 
autre,  car,  pour  moi,  cela  m'est  de  la  plus  par- 
faite égalité. 

J'ai  toujours  oublié  de  vous  répondre  sur  ce 
que  vous  me  marquiez  que  M.  l'Abbé  Pernetti 
vous  disoit  avoir  vu  sous  presse  un  nouvel  écrit 
de  ma  façon;  j'espère  que  vous  et  lui  êtes  bien 
convaincus  maintenant  qu'il  s'est  trompé.  Il  est 
vrai  qu'on  imprime  à  Paris  un  recueil  de  mes 


70  LETTRES    INÉDITES 

ouvrages,  mais  ce  recueil  s'est  entrepris  sans 
mon  aveu.  Il  est  vrai  aussi  qu'on  vient  de  publier 
à  Paris  sous  mon  nom  une  misérable  guenille 
que  tout  le  monde  a  connu  d'abord  n'être  pas 
de  moi.  Une  fois  pour  touttes,  quand  on  vous 
dira  que  quelque  ouvrage  de  moi  sort  de  la  presse, 
et  que  je  ne  vous  en  aurai  rien  dit,  comptez  que 
cela  n'est  pas  vrai.  Si  jamais  j'ai  le  malheur  de 
me  faire  encore  imprimer,  vous  ne  l'apprendrez 
pas  des  autres,  c'est  vous  qui  le  leur  apprendrez. 
L'hyver  me  tue,  ma  chère  amie,  je  suis  depuis 
deux  mois  dans  le  plus  triste  état  ;  toutefois  je 
ne  renonce  point  à  l'espoir  d'aller  essayer  cet 
été  du  séjour  de  lamontagne.  Puisque  je  ne  vous 
incomode  pas  dans  vôtre  maison,  je  ne  songe 
point  à  la  quitter,  et  soyez  persuadée  quoiqu'il 
arrive,  que  je  n'en  sortirai  jamais  qu'à  regret. 
Mille  amitiés  à  la  chère  famille  et  respects  à  la 
bonne  maman. 

ROUSSEAU. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  71 

Mémoire. 

Ayant  pris  quelques  instructions  sur  les  four- 
rures, on  m'a  dit  que  les  plus  belles  étoient  aussi 
les  plus  durables;  et  qu'on  les  pouvoit  trans- 
porter successivement  à  grand  nombre  d'habits 
sans  que  le  poil  se  détachât.  Ainsi  j'aime  mieux 
mettre  quelque  argent  de  plus  et  avoir  une  fou- 
rure  après  laquelle  je  n'en  aye  plus  dans  la 
suite  à  acheter.  Je  souhaite  surtout  qu'il  n'y  ait 
aucun  défaut  ni  au  bout  des  manches,  qui  se 
retroussent,  ni  sur  les  bonnets. 

Indépendamment  de  la  robbe  de  bouracan. 
je  voudrois  savoir  ce  que  me  coûteroit  la  gar- 
niture d'une  autre  robbe,  non  fourrée  en  plein, 
mais  bordée  seulement  de  filets  noirs,  soit  de 
martre,  soit  de  lapin,  soit  de  quelque  autre 
fourrure  noire,  et  si  l'on  ne  pourroit  pas  m'en- 
voyer  ces  filets,  mesurés  sur  le  tour  de  la  robbe 
de  bouracan,  pour  en  faire  ici  border,  une  autre, 
sans  avoir  besoin  de  l'envoyer  là-bas. 

Ne  pourrait-on  pas  trouver  un  tailleur  entendu 


72  LETTRES    INÉDITES 

qui  sur  la  coupe  de  la  lobbe  de  bouracan  put 
en  tailler  une  autre  de  camelot  ou  de  quelque 
autre  étoffe  de  soye  ou  autre  légère  pour  les 
chaleurs,  et  qui  sut  entrelailler  les  pièces,  de 
manière  à  ne  point  dépenser  d'étoffe  plus  que 
n'en  a  dépensé  le  tailleur  Arménien.  En  ce  cas 
ledit  tailleur  pourroit  garder  avec  soin  le  patron 
pour  me  faire  au  besoin  tous  mes  dolimans  ou 
robbes  de  dessus.  Quant  à  la  couleur,  le  gris 
seroit  à  préférer;  mais  je  n'en  excluds  aucune 
que  les  couleurs  vives  que  le  soleil  mange.  Il 
faut  aller  au  bon  marché  et  à  ce  qui  se  coupe 
le  moins  sans  avoir  égard  à  ce  qui  est  à  la  mode. 
Il  y  a  même  des  rebuts  de  magazin  qui  sont 
piqués  :  cela  est  excellent  pour  moi. 

Jai  deuxceintures,ilm'en  faut  encore  autant. 
Ne  pourroit-on  pas  trouver  quelque  ceinture 
de  soye  tissue  à  rézeau  comme  les  filets  de 
pêcheur.  Ce  sont  les  plus  belles  et  d'un  meilleur 
usage.  Audéffaut  de  celles-là,  on  acheteroit  quel- 
que étoffe  de  soye  qui  soit  le  moins  sujette  à  se 
couper  et  qui  ait  un  peu  de  consistance  comme 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  73 

par  exemple,  pou  de  soye  ou  autre  semblable 
au  défaut  de  quoi  l'on  pourroit  prendre  un 
croisé  ou  serge  de  soye,  quoiqu'un  peu  trop 
mince  pour  ceinture.  Chaque  ceinture  doit  avoir 
deux  aulnes  et  demie  de  long  et  comme  on  les 
plisse  en  écharpes,  il  faut  leur  laisser  toute  la 
largeur  de  l'étoffe  ;  aux  deux  bouts  de  chaque 
•ceinture  on  atiache  une  frange  large  de  quatre 
doigts,  et  il  manque  aussi  à  chaque  bonnet  une 
houpe  de  la  même  couleur. 


XYII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Roqiàn^  à  Lyon. 

A  Motiers,  !e  19  Fév^''  1764. 

J'apprends,  ma  très  bonne  Amie,  par  M.  Boy 
■de  la  Tour,  vôtre  associé  que  vous  jouissez  d'une 
parfaite  santé  ainsi  que  toute  vôtre  aimable 
famille  à  qui  je  vous  prie  de  faire  mes  saluta- 
tions. Il  ne  m'a  pas  moins  rejoui  par  tout  ce 


74  LETTRES    INÉDITES 

qu'il  m'a  dit  de  vôtre  amitié  pour  moi,  dont  à 
la  vérité,  vous  me  donnez  tous  les  jours  mille 
preuves,  mais  on  n'a  jamais  trop  d'assurances 
d'un  bien  qu'on  tient  aussi  précieux.  M.  Boy 
m'a  remis  avec  vôtre  lettre  le  billet  dont  il 
s'était  chargé  et  je  lui  ai  remis  selon  vos 
ordres  celui  que  j'avois  auparavant.  Vous  avez 
oublié  de  compter  dans  le  petit  Mémoire  les 
40  £  de  l'année  courante  ainsi  que  je  vous  en 
avais  prié;  ce  seront  donc  40  £  à  déduire 
à  la  fin  du  terme  sur  la  somme  portée  dans 
la  promesse. 

J'ai  receu  aussi  tous  les  envois  bien  condi- 
tionnés; vous  avez  autant  d'exactitude  que  moi 
d'importunité;  c'est  tout  dire.  Il  est  temps  de 
laisser  un  peu  reposer  :  Cependant  pour  qu'il  ne 
soit  pas  dit  que  vous  soyez  jamais  quite  de 
moi,  je  vous  préviens  qu'à  la  fin  de  l'Eté  la 
caisse  de  chandelles  que  vous  eûtes  la  bonté  de 
m'envoyer  l'hiver  dernier  sera  finie.  Ainsi  quand 
en  faisant  vos  emplettes  vous  pourrez  m'en 
pourvoir  d'une  autre  pareille,  je  vous  serai  fort 


DE   JEA.N-JACQL'ES    ROLSSEAU.  75 

obligé.  J'ai  pensé  qu'en  vous  le  disant  ainsi 
longlems  à  l'avance ,  c'étoit  vous  laisser 
attendre  Toccasion  avec  moins  d'incomodilé. 
Je  ne  perds  point  de  vue  l'habitation  de  la 
Montagne  ;  mais  pour  commencer  à  me  bien 
mettre  au  fait  des  inconvéniens  et  des  avan- 
tages, je  commencerai  par  y  aller  camper  quel- 
ques jours  sans  un  grand  transport  de  meubles  ; 
après  cela  nous  verrons  ce  qui  se  peut  faire  ;  au 
reste  il  ne  faut  pas  songer  de  trois  ou  quatre 
mois,  il  faut  attendre  les  chaleurs.  Quoique  je 
devienne  et  en  quelque  lieu  que  j'habite,  soyez 
bien  sure,  ma  très  bonne  Amie,  que  je  ne  serai 
jamais  nulle  part  d'aussi  bon  cœur  que  chez 
vous.  L'heure  presse  il  faut  finir.  Recevez  les 
respects  de  M"'  Le  Vasseur,  et  ceux  de  vôtre 
véritable  ami  pour  la  vie. 

ROUSSEAU. 


76  LETTRES    INÉDITES 

XVIII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Rogidn,  à  Lyon. 

A  Môtiers,  le  29  Avril  1764. 

Ne  montrez  cette  lettre,  S.  V.  P.  à  personne. 
Mais  vous  pourrez  me  nommer,  si  vous  jugez  à 
propos,  quoique  j'en  aye  dit  dans  la  lettre,  car 
je  ne  veux  me  cacher  de  rien. 

Quelqu'un,  ma  bonne  Amie,  qui  ne  veut  pas 
être  nommé,  vient  de  me  donner  un  avis  qui 
n'est  pas  fort  important;  mais  comme  il  inté- 
resse Messieurs  vos  fils  comme  propriétaires 
de  cette  maison,  et  que  rien  de  ce  qui  peut 
intéresser  vous  ou  les  vôtres  n'est  indifférent 
pour  moi,  je  me  hâte  de  vous  en  donner  ce  mot 
d'avis,  que  vous  ne  recevrez  que  pour  ce  qu'il 
vaut. 

M.  Du  Terreaux*,  Maire  des  Verrières,  a  fait 

1.  Jean-Jacques  en  parle  dans  ses  Confesdom  comme 
d'un  «  ennemi  particulier  »    (1.  XII,  note).   Le  conseiller 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  7T 

comme  vous  une  maison  qui  n'est  séparée  de 
la  vôtre  que  par  le  grand  chemin.  On  prétend 
qu'il  veut  faire  après  coup  dans  le  dehors  de  ce 
bâtiment  un  escalier  qui  prenant  sur  la  largeur 
du  chemin  rendra  le  contour  plus  difficile  aux 
voitures  pour  entrer  dans  vôtre  grange ,  et  ce  con- 
tour deviendrait  même  impraticable,  si,  rebâ- 
tissant vôtre  maison,  onvouloitla  porter  jusqu'à 
la  borne  de  vôtre  terrein.  L'entreprise  de  M.  du 
Terreaux  a  besoin  de  l'aveu  de  la  communauté, 
et  l'on  prétend  qu'au  moment  même  que 
j'écris  ceci  il  en  fait  la  proposition  à  l'assem- 
blée après  avoir  pris  des  mesures  pour  qu'on 
ne  le  refusât  pas.  Il  parait  que  cette  entreprise 
portant  préjudice  à  vôtre  maison  vous  met  en 
droit  de  vous  y  opposer.  C'est  à  vous  à  voir  si 
l'objet  en  vaut  la  peine.  En  ce  cas  il  en  faudroit 
écrire  à  M.   d'Ivernois,  Procureur  général  ou  à 


Chaillet  d'Aruex  étanl  mort  le  6  août  1763,  M.  du  Terraux 
sollicita  la  place  de  conseiller.  Mais,  sur  le  rapport  de  Mi- 
lord  Maréchal  que  «  du  Terraux  n'est  pas  bon  et  ne  mérite 
pas  de  faveur  »,  la  supplique  fut  refusée.  (A.  Jansen.) 


78  LETTRES    INÉDITES 

M.  Martinet,  châtelain  du  Val  de  Travers,  et 
peut  être  à  tous  les  deux  ;  il  ne  faut  pas  me 
nommer  parce  que  cela  ne  feroit  que  gâter 
Taffaire,  et  que  je  ne  puis  moi-même  nommer 
personne.  Je  ne  vous  conseille  pas,  non  plus, 
de  donner  commission  de  suivre  cette  affaire 
à  personne,  car  M"'  votre  belle  sœur  est  très 
bien  avec  M.  du  Terreaux,  et  celui  qui  fait 
vos  affaires  étoit  fort  brouillé  avec  lui,  mais  on 
les  dit  racomodés  depuis  deux  jours  ;  il  n'y  a 
point  ici  de  brouilleries  qui  tiennent  devant  le 
moindre  intérest,  et  les  gens  du  pays  sont  tous 
bons  chrétiens  par  la  bourse.  Écrivez  donc 
vous  même,  à  tout  événement.  Si  l'avis  est  vrai, 
l'opposition  doit  se  faire  avant  que  la  besogne 
soit  en  train;  si  l'avis  est  faux  tout  est  dit; 
encore  un  coup,  ceci  ne  me  semble  qu'une 
vétille  mais  c'est  à  vous  d'en  juger,  et  il  est  bon 
d'être  avertie  à  tems. 

Je  vous  envoyé,  ma  bonne  amie,  mon  Addresse 
que  je  vous  prie  de  suivre  exactement  quand 
vous  m'écrirez.  Vos  lettres  sont  sujettes  à  faire 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU,  79 

un  grand  détour  par  Neufchâtel,  précisément 
parce  que  l'addresse  en  est  trop  chargée  :  il  la 
faut  comme  celle-ci  ni  plus  ni  moins,  parce  que 
j'ai  un  arrangement  avec  le  Directeur  des  pos- 
tes de  Pontarlier.  Pardonnez  mon  barbouillage 
mais  au  moment  que  j'écris  je  ne  suis  pas  à 
moi  et  je  suis  forcé  de  finir  à  la  hâte,  en  vous 
saluant  vous  et  vôtre  famille  de  tout  mon  cœur. 
Depuis  ma  lettre  écrite  une  trentaine  de 
<:ommuniers.  parmi  lesquels  étoient  M.  Clerc, 
sont  venus  examiner  la  place  conduits  par 
M.  du  Terreaux,  mais  plusieurs  opposans  n'ont 
pas  voulu  les  suivre;  ainsi  il  est  à  présumer 
que  quand  même  vous  ne  feriez  aucune  dé- 
marche l'affaire  ne  passeroit  pas  aisément.  Ce- 
pendant je  vous  conseille  toujours  d'écrire  si 
vous  jugez  que  l'affaire  en  vaille  la  peine;  car 
le  Maire  se  donne  de  grands  mouvemens  pour 
en  venir  à  bout. 


80  LETTRES    INÉDITES 

XIX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  ?iée  Hoguhi,  à  Lyon  ^ 
A  Môtiers,  le  2  Juin  1764. 

Votre  silence,  Madame,  commence  à  me 
surprendre  et  à  m'inquiéter.  Je  n'exige  pas 
dans  le  commerce  plus  d'exactitude  que  je  n'y 
en  peux  mettre  moi-même.  J'ai  attendu  sans 
impatience  un  mois,  deux  mois,  trois  mois. 
Dans  cet  intervalle  je  vous  donne  un  avis  que 
je  crois  utile  aux  intérêts  de  vôtre  maison.  Tout 
le  monde  ici  parle  de  cette  lettre;  j'en  reçois 
des  reproches  ;  M.  et  Mad'  du  Terreaux  ne  me 
parlent  ni  ne  me  saluent  plus:  et  de  vous  pas 
un  mot!  Vous  savez  l'affliction  où  me  plonge 
la  mort  de  M.  de  Luxembourg*  :  pas  un  mot. 


1.  Cette  mortlui  donne  occasion, dans  ses  Confessions,  d'af- 
firmer son  antipathie  pour  les  médecins  :  «  M.  de  Luxem- 
bourg, après  avoir  été  tourmenté  longtemps  par  les  mé- 
decins, fut  enfin  leur  victime,  traité  de  la  goutte,  qu'ils 


DE  JEAN-JACQL'ES    ROUSSEAU.  81 

Que  signifie  donc  un  silence  aussi  opiniâtre? 
Pardonnez,  Madame,  à  ma  franchise;  mais  je 
n'y  reconnais  ni  vôlre  bon  cœur,  ni  vôtre 
amitié  pour   moi.   Il  faut   qu'il   soit  parvenu 

ne  voulurent  point  reconnaître,  comme  d'un  mal  qu'ils 
pouvaient  guérir.  La  perte  de  ce  bon  seigneur  me  fut 
•d'autant  plus  sensible,  que  c'étoit  le  seul  ami  vrai  que 
j'eusse  en  France  ;  et  la  douceur  de  son  caractère  étoit  telle 
•qu'elle  m'avoir  fait  oublier  tout  à  fait  son  rang,  pour  m'at- 
tacher  à  lui  comme  à  mon  égal.  » 

Il  écrit  à  M.  de  la  Roche  : 

«  Que  m'apprenez-vous,  monsieur?  Quel  événement?  Je 
ne  m'attendais  à  rien  de  semblable,  et  je  n'imaginais  pas 
■que  mes  malheurs  pussent  augmenter  encore.  Je  sens  la 
douleur  de  madame  la  maréchale  par  la  mienne,  mais  les 
consolations  ne  lui  manquent  pas;  et  moi,  délaissé  de  tout 
le  monde,  je  reste  seul  sur  la  terre,  accablé  de  maux,  sans 
amis,  sans  ressources,  sans  consolation.  Il  m'en  reste  une 
seule,  qu'heureusement  les  hommes  ne  sauraient  m'ôter  : 
la  paix  de  Tàme  et  l'espoir  d'une  meilleure  vie.  Ma 
patience  est  à  l'épreuve  de  toutes  ses  afflictions,  puisque 
celle-ci  ne  me  l'a  point  ôtée.  Adieu,  Monsieur;  dans  le 
triste  soin  que  vous  venez  de  remplir  envers  moi,  je  suis 
touché  que  vous  ne  m'ayez  point  oublié  :  apprendre  une  si 
grande  perte,  uniquement  par  la  voix  publique,  eût  été 
une  preuve  trop  cruelle  que  je  ne  tiens  plus  à  rien  dans 
■cette  illustre  maison  que  j'ai  vue  si  florissante  et  oîi  je  fus 
si  fêté.  Quels  heureux  temps,  et  quels  changements!  Mon 
cœur  navré  se  déchire  à  ces  souvenirs.  » 

6 


82  LETTRES    INÉDITES 

quelque  chose  de  bien  extraordinaire  que 
j'ignore  et  dont  vous  devriez  bien  m'informer. 
J'apprends  à  l'instant  que  vous  avez  été 
malade.  Donnez-moi  ou  du  moins  faites-moi 
donner  de  vos  nouvelles.  Il  est  bien  cruel  de 
n'en  apprendre  de  ses  amis  que  par  les  gens 
qui  le  sont  le  moins. 


XX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Môtiers,  le  7  Juillet  1764. 

Votre  dernière  lettre,  ma  bonne  amie_,  m'a 
fait  d'autant  plus  de  plaisir  que  vôtre  état  pré- 
cédent me  tenait  inquiet  sur  vôtre  convales- 
cence; il  est  vrai  qu'on  m'avait  déjà  rassuré  a 
Yverdun  ou  j'ai  été  faire  un  tour,  mais  j'avais 
besoin  de  savoir  par  vous  même  que  vous  étiez 
bien  rétablie  :   vous  me   croyez  fâché,  et  de 


DE   JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  83 

quoi?  Sans  doute  de  recevoir  des  preuves  Irop 
continuelles  de  votre  amitié?  Il  n'y  avait  que 
la  chaleur  de  la  mienne  pour  vous  qui  me  tint 
inquiet  sur  vôtre  silence.  Soyez  persuadée 
une  fois  pour  toutes,  ma  bonne  amie,  que 
mon  attachement  pour  vous  est  à  toutes  les 
épreuves  auxquelles  je  sais  bien  que  vous  ne 
le  mettrez  pas,  et  tout  ce  que  j'ai  à  vous 
reprocher  c'est  d'avoir  fait  par  trop  de  bontés 
pour  moi  que  des  sentimens  dont  je  voudrais 
avoir  tout  le  mérite  me  sont  devenus  un 
devoir.  Mais  ce  devoir  me  sera  toujours  doux 
à  remplir. 

Je  comptois  répondre  à  l'obligeante  Lellre 
que  Monsieur  vôtre  fils  m'a  fait  l'amitié  de 
m'écrire,  mais  les  lettres  et  les  visites  qui  me 
pleuvent  et  les  tournées  que  le  bien  de  ma 
santé  et  le  soin  d'échaper  aux  importuns  me 
prescrivent  m'en  otent  le  loisir  en  ce  moment. 
J'ai  ici  quatre  cents  Livres  appartenantes  à 
M'"  le  Vasseur  et  dont  elle  n'a  pas  besoin 
pour  le  présent.    Si   vos  Messieurs  vouloient 


84  LETTRES   INÉDITES 

bien  s'en  charger  je  les  remetlrois  à  M.  Boy 
à  son  passage.  Un  mot  là-dessus,  s'il  vous 
plait,  à  votre  loisir. 

Je  voulois  aller  m'établir  à  la  Montagne  et 
profiter  des  dépenses  que  je  vous  ai  causées  ; 
mais  mille  inconvéniens  trop  longs  à  décrire 
me  forcent  de  renoncer  à  ce  projet.  Il  m'est 
aussi  confirmé  par  l'expérience  que  l'air  de 
Môtiers  quoique  bon  et  sain  par  lui-même 
m'est  contraire  ;  puisque  je  m'y  porte  toujours 
mal;  et  toujours  mieux  en  voyage.  Une  expé- 
rience constante  m'apprend  que  les  bords  du  lac 
me  conviennent  mieux,  et  je  cherche  quelque 
habitation  dans  le  bas  pour  l'année  prochaine  \ 
Je  ne  puis  vous  exprimer  avec  quelle  répu- 
gnance je  quiterai  vôtre  maison  qui  m'est  si 
chère  ;  mais  je  suis  bien  sur  que  l'objet  de  cette 

1.  C'est  en  cherchant  une  maison  à  louer  au  bord  du  lac 
qu'il  fut  conduit  par  dErcherny  à  Cessier  chez  Dupeyron 
où  on  le  contraignit  de  dîner  et  oii  il  fut  si  maussade 
«  parce  qu'on  l'avait  trompé  ».  On  lui  avait  dit  qu'il  visite- 
rait une  habitation  disponible,  et  il  y  trouvait  le  dîner 
servi.  Il  fit  ce  jour-là  bien  du  bruit  pour  une  omelette. 


DE    JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  85 

démarche  la  rendra  pardonnable  auprès  de  VOUS. 

J'ai  appris  à  Iverdun  que  l'aimable  Madelon 
daignoit  se  souvenir  de  moi  et  demander  si  je 
me  souvenois  d'elle?  Elle  a  mis  bon  ordre  à 
n'être  pas  oubliée,  et  je  sais  qu'elle  vous  aime 
trop  pour  oublier  vos  amis.  C'est  à  ce  titre 
précieux  que  je  me  présente  à  elle  pour  lui 
demander  la  continuation  desonamitié.Jeserois 
bien  aise  aussi  de  savoir  comment  je  suis  avec 
ma  petite  tante  Julie.  On  a  parlé  d'elle  avec  sa 
tante  Emilie,  et  je  suis  bien  sur  que  sans  faire 
semblant  de  nous  entendre  elle  eut  fait  trois 
sauts  si  elle  nous  eut  entendus 

J'aurai  soin  de  répondre  au  Libraire  dont 
vous  m'avez  fait  passer  une  lettre.  Mille  salu- 
tations à  tout  ce  qui  vous  intéresse  et  recevez, 
ma  bonne  amie,  celles  de  ma  tendre  amitié. 
M'^^  le  Vasseur  vous  supplie  d'agréer  ses  re- 
mercimens  très  humbles  et  ses  respects. 

ROUSSEAU. 

J'ai  été  passer  trois  jours  chez  vôtre  amie 


86  LETTRES    INÉDITES 

Madame  de  Luze  '  :  c'est  une  très  aimable 
femme.  Je  suis  enchanté  de  son  accueil  et  de 
toute  sa  maison. 


XXI 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  né  Roginn,  à  Lyon 
A  Môtiers,  le  2o  Août  1764. 

J 'ai  eu,  ma  bonne  amie,  le  plaisir  de  recevoir 
votre  dernière  Lettre  à  Yverdun  où  tout  le 
monde  se  porloit  bien  ;  j'ai  voulu  continuer  delà 
mon  voyage  pour  Aix  à  cause  d'une  Sciatique 
naissante,  mal  bien  funeste  pour  un  homme 
qui  n'a  de  soulagement  et  de  plaisir  que  la 
promenade;  mais  arrivé  jusqu'à  Thonon,  il  a 
fahu  rebrousser,  et  depuis  l'instant  de  mon 
retour  j'ai  été  la  proye  de  continuelles  souf- 
frances qui  me  forceront  probablement,  malgré 
l'embarras  et  la  répugnance,  de  déloger  avant 

1.  Son  mari  était  banneret  de  Neuchâtel. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  87 

l'hiver,  puisqu'il  est  confirmé  par  mille  expé- 
riences qu'il  m'est  impossible  de  jouir  ici  d'un 
instant  de  santé.  Cela  ne  doit  pas  vous 
empêcher,  ma  bonne  amie,  de  m'envoyer  la 
caisse  de  chandelle  si  vous  voulez  bien  en 
prendre  la  peine  :  on  n'en  trouve  que  d'infâme 
dans  tout  pays. 

On  dit  ici^  ma  bonne  Amie,  que  vous  y 
viendrez  cet  Autonne  ;  vous  ne  m'en  avez  rien 
marqué.  Il  seroit  dur  que  celui  à  qui  cette 
nouvelle  feroit  le  plus  de  plaisir  fut  le  dernier 
à  le  savoir.  J'espère  qu'en  pareil  cas  vous  ne 
ferez  pas  à  vôtre  hôte  l'affront  de  prendre  un 
logement  hors  de  chez  vous,  et  que  vous  souf- 
frirez, du  moins  pour  ce  moment-là,  que  vôtre 
ami  devienne  vôtre  concierge. 

M"'  le  Vasseur  vous  assure  de  son  respect 
et  vous  remercie  de  vos  bontés.  Elle  s'en 
prévaudra  lors  du  passage  de  M.  Boy  de  la 
Tour  vôtre  associé.  Mille  salutations  je  vous 
supplie  à  toute  l'aimable  famille  et  recevez  celles 
que  je  vous  fais  de  tout  mon  cœur.  Je  voudrois 


88  LETTRES    INÉDITES 

VOUS  écrire  plus  au  long,  mais  mon  état  et  les 
lettres  dont  je  suis  accablé  m'en  empêchent 
pour  le  moment.  Je  me  dédomagerai  avanta- 
geusement si  j'ai  le  plaisir  de  vous  voir  ici. 

ROUSSEAU. 


XXII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Roguin^  à  Lyon, 

A  Métiers,  le  28  8^"  1764. 

Après  bien  des  tournées  dans  le  pays,  ma 
très  bonne  amie,  je  suis  revenu  dans  vôtre 
maison,  et  je  vous  assure  que  malgré  les  incon- 
véniens,  tant  que  je  ne  vous  y  serai  pas  impor- 
tun, j'y  resterai  aussi  longtems  qu'il  me  sera 
possible,  n'abandonnant  pas  même  le  projet 
d'essayer  de  Pierre-nou  ;  mais  je  suis  lié  par 
tant  de  choses  que  je  ne  me  transplante  pas 
comme  je  veux. 


DE   JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  89 

Nous  avons  ici  M.  Girardier.  Je  ne  puis 
manquer  de  voir  avec  plaisir  quelqu'un  avec  qui 
je  puisse  parler  de  vous.  Je  crois  M.  Girardier 
un  fort  galant  homme  et  remplissant  très  bien 
ses  devoirs  ;  mais  je  ne  puis  vous  taire  que  le 
ton  de  sa  conversation  n'annonce  pas  des 
mœurs  fort  exemplaires  et  cela  me  fait  trembler 
pour  celles  de  Messieurs  vos  fils.  A  moins 
qu'il  ne  s'observe  extrêmement  avec  eux,  ils 
sont  là  à  une  terrible  école.  Prenez  y  garde, 
bonne  Mère;  vos  enfans  sont  perdus  si  vous 
ne  les  surveillez  pas.  Je  remplis  envers  vous  des 
soins  qui  me  peinent,  mais  l'amitié  m'en  fait 
des  devoirs. 

J'ai  receu  l'envoi  que  vous  avez  eu  la  bonté 
de  me  faire.  L'huile  comme  vous  m'en  m'aviez 
prévenu  est  arrivée  en  très  mauvais  état  ;  ce 
qu'il  en  reste  est  à  peine  mangeable,  et  c'étoit 
d'excellente  huile  d'Aix.  Je  sais,  très  chère 
amie,  qu'il  n'y  a  point  de  vôtre  faute  à  ce 
qu'elle  a  souffert  par  la  chaleur  avant  de  vous 
parvenir,  et  je  ne  vous  en  suis  pas  moins  obhgé 


90  LETTRES    INÉDITES 

de  la  peine  que  vous  avez  prise.  Si  vous  voulez 
bien  m'envoyer  la  note  du  prix  des  Chandelles 
pendant  que  M.  Girardier  est  ici,  je  lui  en 
remettrai  l'argent.  Sinon  vous  aurez  la  bonté 
d'en  faire  déduction  ainsi  que  du  Loyer  sur  ce 
qui  est  entre  les  mains  de  Messieurs  vos  fils. 

M.  d'Escharni*  m'a  marqué  qu'il  vous  avoit 
vue  avant  son  départ;  comme  sa  lettre  est 
venue  ici  durant  mon  absence  et  qu'il  m'écrivoit 
qu'il  partoit  dans  peu  de  Paris,  je  n'ai  pas  eu 
le  lems  de  lui  répondre,  jugeant  que  ma  lettre 
ne  le  trouveroit  plus. 

J'aurois  souhaité  d'aller  tenir  compagnie  au 
Papa  pour  tâcher  de  le  distraire  sur  la  perte  de 
M.  le  Banneret*  que  j'ai  bien  sentie  aussi  pour 

I  1.  D'Escherny,  ami  de  Jean-Jacques  à  Motiers,  et  grand 

marcheur.  Il  a  conté  dans  ses  Mémoires  les  excursions 
qu'il  fil  pédestrement  en  compagnie  du  philosophe  à  tra- 
vers les  sites  pittoresques  des  environs,  par  Colombier,  la 
Tourne,  Plamboz. la  Sagne,leLocle,laChaux-de-Fonds,etc. 
2.  Parent  du  vieux  Roguin.  Jean-Jacques  et  lui  étaient 
en  désaccord.  Voir  dans  les  Confessions,  t.  XII,  1765,  une 
note  qui  lui  est  consacrée.  Le  banneret  avait  contribué  à 
faire  expulser  Jean-Jacques  de  l'État  de  Berne. 


DE   JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  91 

ma  part  ;  mais  l'effet  ordinaire  de  ma  destinée 
qui  me  livre  au  premier  venu  et  me  tient  sans 
cesse  en  esclavage  m'a  forcé  d'abandonner  ce 
projet.  Me  voici  terré  pour  tout  l'hiver  dans 
mon  éiat  ordinaire,  c'est-à-dire  enfermé  dans 
ma  chambre  et  souffrant  jusqu'aux  beaux  jours, 
si  tant  est  qu'il  en  revienne  pour  moi. 

Je  suis  fâché,  chère  amie,  que  vôtre  lettre  en 
détruisant  l'espérance  qu'on  m'avoit  donnée, 
ne  me  laisse  qu'à  demi  celle  de  vous  voir  ici  ce 
printems.  Si  vous  vous  déterminez,  faites-moi 
l'amitié  de  me  le  marquer  un  peu  d'avance  afin 
que  je  ne  me  trouve  pas  absent  lorsque  vous 
viendrez;  car  je  serois  trop  jaloux  et  mortifié 
que  M"'  le  Vasseur  eut  seule  l'avantage  de 
vous  recevoir  dans  vôtre  maison.  J'espère 
aussi,  qu'en  pareil  cas  l'aimable  Madelon 
seroit  du  voyage,  et  je  crois  que  vous  pardon- 
nez bien  qu'elle  ait  sa  part  à  mon  empresse- 
ment. 

Bonjour,  ma  1res  bonne  amie,  mille  saluta- 
tions à  tout  ce  qui  vous  appartient.  Je  suis  très 


92  LETTRES    INÉDITES 

sensible  au  souvenir  de  M.  Boy  et  même  je  ne 
puis  m'empêcher  de  vous  dire  sans  avoir  au 
surplus  l'honneur  de  le  connoitre  que  je  lui 
trouve  un  ton  bien  plus  décent  qu'à  M.  Girar- 
dier.  Je  confie  à  vôtre  prudence  tout  ce  que 
l'intérest  que  je  prends  à  vos  enfans  me  fait 
un  devoir  de  vous  dire. 

ROUSSEAU. 

Recevez  les  remercimens  et  les  respects  de 
M""  le  Yasseur. 


XXIII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Toui\  née  Roguïn^  à  Lyon. 

A  Moties,  le  18  Qb'-e  1764. 

Permettez,  chère  amie,  qu'en  vous  réitérant 
mes  excuses  de  tant  d'importunités,  je  vous 
recommande    les    papiers   que    pourra    vous 


DE  JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  93 

addresser  M.  Buttafoco,  vous  priant  de  me  les 
faire  passer  par  la  voye  la  plus  prompte  et  la 
plus  sure  qui  pourra  se  trouver.  Ces  papiers 
ont  un  objet  respectable  et  vous  ferez  une  bonne 
œu^Te. 

Autre  grâce  que  j'ai  à  vous  demander. 
Il  s'agit  de  quelque  petit  cadeau  à  faire  à  ma 
filleule  âgée  d'environ  trois  ans  fille  du  Libraire 
Rey  d'Amsterdam,  mon  Compère  et  mon  ami. 
Je  voudrois  envoyer  à  cet  enfant  quelque  joli 
bonnet  ou  autre  nippe  convenable  à  une  fille 
de  cet  âge  \  j'y  voudrois  joindre  quelque  petite 
galanterie  pour  la  Mère  et  pour  la  Marraine, 
comme  sac  à  ouvrage,  ou  gants  ou  éventail, 

1 .  On  connaissait  déjà  quelques  lettres  de  madame  Boy  de 
la  Tour  à  Jean-Jacques  ;  mais  qui  n'entend  qu'une  cloche 
n'entend  qu'un  son  et  peut  se  tromper,  même  si  c'est  une 
cloche  de  baptême.  C'est  ce  qui  est  arrivé  â  M.  Berthoud, 
{Jean-Jacques  Rousseau  au  Val-de-Travers,  p.  77)  quand  il 
suppose  que  Rousseau  fut  parraina  Motiers  en  1764.  C'est 
une  erreur.  Il  est  vrai  que  Rousseau  fit  cette  année-là  un  ca- 
deau aune  filleule, mais  cette  filleule  avait  déjà  trois  ans,  ha- 
bitait Amsterdam,  et  était  fille  du  libraire  et  ami  de  Jean-Jac- 
ques, nommé  Rey. 


94  LETTRES     INÉDITES 

OU  aiilre  petils  colifichets  de  Mode  que  vous 
imaginerez  mieux   que  moi  ;  de  manière  que 
ces  petits  présens,  le  plus  joli  fut  éliquelé pour 
Madame  Rey  et  l'autre  qui  ne  doit  pourtant 
être  guère  inférieur  pour  Mademoiselle  du  Mou- 
lin. Le  mal  est  queje  Youdrois  bien  que  la  valeur 
de  tout  cela  ne  passât  pas  de  beaucoup  cent 
francs  ou  cinq  Louis.  Marquez-moi  de  grâce  si 
pour  pareille  bagatelle  on  peut  envoyer  quel- 
que chose  de  présentable,  car  pour  de  la  gue- 
nille, il  vaut  mieux  ne  rien  envoyer.  Supposant 
que  ce  petit  Cadeau  puisse  avoirlieu,  il  s'agiroit 
ensuite  de  faire  de  tout  cela  une  boite  ou  petit 
emballage  bien  conditionné,  et  de  voir  si  vous 
pourriez  trouver  quelque  voye  pour  l'expédier 
à  Amsterdam  A  Monsieur  M.  M.  Rey,  Libraire  en 
payant  le  port  de  sorte  que  le  pacquet  lui  arrive 
franc.  Si  vous  n'avez  point  à  Lyon  d'occasion 
pour  cela  je  vous  indiquerai  une  adresse  inter- 
médiaire d'où  je  me  chargerai  de  l'envoi.  S'il 
n'y  a  point  d'obstacle  à  tout  cela  vous  pourrez 
à  vôtre  comodité  faire  l'expédition  lorsqu'elle 


DE   JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  95 

sera  prelle  en  m'en  donnant  avis'  alin  que  j'en 
prévienne  M.  Rey. 

Comme  on  dit  les  langues  de  Xeufchatel  un 
peu  moins  mauvaises  que  celles  d'ici  du  moins 
les  salées;  j'en  ai  commandé  trois  ou  quatre  que 
je  prierai  M.  Girardier  de  vous  porter  s'il  veut 
ou  peut  s'en  charger.  Je  vous  demande  pardon, 
chère  Amie,  de  n'avoir  rien  de  meilleur  à  vous 

1.  Voici  la  réponse  de  madame  Boy  de  la  Tour  :  «  Pour 
répondre  à  votre  chère  lettre  du  18,  je  vous  dirai  que 
j'ai  couru  les  boutiques  pour  chercher  ce  qui  convien- 
drait le  mieux  pour  les  présents  que  vous  voulez  faire. 
Pour  la  filleule,  une  coiffe,  des  petites  manches,  le  collier; 
nous  les  aurons  fort  honnêtes  pour  trente  livres.  Pour  la 
mère  et  la  marraine,  j'ai  vu  de  très  jolies  bourses  d'ou- 
vrage, brodées  en  or,  depuis  vingt  livres  jusqu'à  trente 
livres;  un  éventail  honnête  et  très  présentable,  aux  envi- 
rons de  quinze  à  seize  livres.  Je  crois  que  pour  les  dames 
il  faut  s'en  tenir  à  ces  deux  articles,  qui  conviennent  beau- 
coup mieux  que  des  choses  de  mode  de  ce  pays  qui  ne 
conviendraient  pas  au  leur.  Je  ferai  en  sorte  que  le  tout  ne 
passe  pas  six  louis  d'or.  Nous  avons  reçu  un  paquet  de 
papiers  pour  vous.  J'attends  une  occasion  solide  pour  vous 
les  faire  passer.  M.  Regulia,  libraire  (a),  doit  vous  aller  voir 
incesscimment,  je  les  lui  remettrai.  » 

(a  Probablement  celui  que  Rousseau  nomme  Régaillat  et  qui  dcTait  diriger 
l'éditioa  neuchâteloise  de  ses  œuTres. 


^ 


96  LETTRES   liNÉDITES 

envoyer,  mais  c'est  comme  vous  savez,  la  seule 
marchandise  qu'un  étranger  trouve  en  ce  pays. 
Recevez  mes  tendres  salutations,  chère  et 
bonne  amie,  et  faites-les  agréer,  je  vous  sup- 
plie à  tout  ce  qui  vous  appartient. 

ROUSSEAU. 

Si  les  cinq  Louis  ne  suffisent  pas  pour  nos 
colifichets,  vous  pouvez  aller  jusqu'à  cinquante 
écus  ;  mais  ne  passez  pas,  je  vous  prie. 


XXIV 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 
A  Motiers,  le  20  Janv''  1765. 

Mille  remercimens,  très  chère  amie,  et  de 
vos  dons  et  de  vos  soins.  Vos  attentions  conti- 
nuelles me  sont  bien  précieuses;  mais  je  les 
reçois  avec  autant  de  confusion  que  de  recon- 
naissance, et  je  me  rassure  uniquement  dans 


DE    JF.AN-JACOUES    ROLSSEAU.  9" 

rospérance  que  voire  indulgence  couvre  mou 
indiscrétion.  L'envoi  pour  la  hollande  me 
paroit  très  bien  choisi  et  à  très  bon  compte  ; 
il  faut  que  vôtre  amitié  ait  été  bien  alerte  pour 
trouver  sitôt  et  si  bien  l'occasion.  Que  vous 
dirai-je  sur  la  peine  que  vous  avez  prise  d'écrire 
à  iSaples?  Mon  cœur  parle,  tout  autre  langage 
en  dit  trop  peu.  Il  est  naturel  que  je  vous  doive 
la  conservation  d'une  vie  que  vous  contribuez 
à  me  rendre  chère. 

Votre  prochain  voyage  ici  n'est  plus  un 
secret  depuis  fort  longtems.  Je  ne  lai  dit  à 
personne,  mais  beaucoup  de  gens  me  l'ont  dil. 
Je  n'ai  pas  besoin,  je  crois,  de  vous  exprimer 
le  plaisir  qu'il  me  cause,  et  ce  plaisir  seroil 
bien  plus  vif  encore  si  j'étois  plus  sur  d'en 
pouvoir  profiter.  Mais  dans  l'abyme  de  maux 
où  je  suis  plongé,  dans  la  dépendance  où  je 
suis  de  toutes  choses,  dans  l'incertitude  de  ma 
santé,  dans  l'embarras  des  multitudes  de  visittes 
qui  me  menacent,  à  peine  puis-je  répondre  de 
moi  d'un  jour  à  l'autre.  Qui  sait  si  je  ne  seroi 


98  LETTRES    INEDITES 

point  forcé  de  me  déroljcr  pour  respirer,  pour 
dé^ronfler  dans  la  solitude  mon  cœur  étoulTé 
d'ennuis.  J'espère  pourtant  que  je  tous  verrai, 
de  manière  ou  d'autres,  et  sûrement  je  n'épar- 
gnerai rien  pour  me  procurer  ce  plaisir.  Du 
reste,  quoi  qu'il  arrive,  vous  trouverez  tou- 
jours ici  vôtre  maison  pour  y  loger,  mon  petit 
ménage  pour  en  faire  le  vôtre,  et  M'"  le  Vasseur 
pour  vous  servir. 

Vous  m'avez  fait  un  vrai  plaisir  de  me  don- 
ner des  nouvelles  de  .AI.  Cornabé.  Je  suis 
charmé  qu'il  se  souvienne  de  moi,  pour  moi  je 
ne  l'oublierai  de  ma  vie.  Il  m'a  vu  dans  mes 
beaux  jours.  Hélas  !  Jes  tems  sont  bien  chan- 
gés. Faites  lui  mille  amitiés  de  ma  part,  je  vous 
supplie. 

J'en  fais  de  tout  mon  cœur  à  toute  vôtre 
famille.  Recevez  les  respects  de  M'"  le  Vasseur, 
et  les  assurances  du  plus  tendre  et  du  plus 
constant  attachement  de  la  part  de  vôtre  véri- 
table ami. 

ROUSSEAU. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  99 

XXV 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguinà  Lyon. 

A  Moliers,  le  1"  Fév  1763. 

J'ai  receu,  ma  bonne  amie,  par  Madame  Gi- 
rardier  un  étui  très  bien  soudé  et  que  j'ai  eu 
grand  peine  à  défaire.  Par  ce  que  j'y  ai  trouvé 
je  juge  qu'il  y  eu  quelque  quiproquo.  Le  mal  est 
fort  petit  ;  j'ai  très  heureusement  recouvré 
d'un  autre  côlé  ce  dont  j'avais  besoin  sur  cet 
article,  et  comme  ce  ne  sont  pas  là  des  commis- 
sions de  femme^  je  n'aurois  assurément  pas 
pris  la  liberté  de  vous  en  charger  si  vous  ne 
t'aviez  prise  sans  m'en  rien  dire.  Vous  voudrez 
bien  ajouter  cet  article  de  dépense  au  mémoire 
de  vos  avances  que  j'espère  solder  avec  vous  à 
vôtre  voyage. 

Parlons  un  peu  de  ce  voyage,  chère  amie,  je 
voudrois  bien  que  vous  me  prévinssiez  assez 
sur  vos  arrangemens  pour  faire  les  miens  de 


Jjj-.!Vers/}^ 


100  LETTRES    INÉDITES 

mani<^'re  à  vous  recevoir  ici  moi-même,  et  à  y 
passer  quelques  jours  auprès  de  vous.  Je  sens 
quoiqu'avec  peine  que  je  serai  forcé  de  quiUer 
vôtre  maison  ne  pouvant  plus  durer  à  IMôtiers. 
Le  plaisir  d'y  être  vôtre  hôte  m'y  a  retenu  près 
de  trois  ans;  que  quelque  autre  honnête  étran- 
ger y  demeure  autant,  puis  qu'il  en  dise  des 
nouvelles.  J'ai  eu  jusqu'ici  le  bonheur  d'être 
aimé  et  regretté  dans  tous  les  lieux  où  j'ai 
demeuré.  Pour  jouir  ici  du  même  avantage  il 
faut  sans  doute  des  qualités  qui  me  manquent 
et  que  je  ne  suis  pas  curieux  d'acquérir. 

Par  la  dernière  lettre  du  Papa  j'ai  su  qu'il 
se  portoit  bien  et  n'avoit  aucun  ressentiment 
de  sa  goûte.  Il  a  pris  la  peine  de  m'addresser 
de  la  part  de  vos  chères  sœurs  sur  mon  dernier 
ouvrage  une  grave  réprimande  dont  il  auroit 
pu  mieux  choisir  le  tems,  et  qui  ressemble  assez 
à  celle  du  Magister,  qui  prêche  l'enfant  tandis 
qu'il  se  noyé. 

Mille  salutations  à  toute  vôtre  famille  et  rece- 
vez, très  chère  amie,  les  miennes  de  tout  mon 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  101 

cœur  et  les  respects  de  M""  Le  Vasseur  en 
attendant  le  moment  de  contenter  nôtre  impa- 
tience*. 

ROUSSEAU. 


XXVI 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Li/on. 

A  Motiers,  le  21  Avril  1765. 

Jecomptois,  mabonne  amie,  vôtre  convales- 
cence bien  plus  avancée  et  j'espérois  avoir  le 

1.  Le  28  février  suivant,  il  écrit  à  M.  Roguin  cettelettre  qui 
relie  la  précédente  à  la  suivante  :  «  Je  crois,  cher  papa,  que 
vous  connaissez  assez  mon  état  dans  cette  saison,  et  ma  si- 
tuation dans  ce  moment,  pour  mepardonner  quelque  inexac- 
titude à  vous  écrire.  Puisque  toute  occupation  agréablem'est 
interdite,  vous  pouvez  bien  croire  qu'on  ne  me  laisse  pas  celle- 
là.  J'apprends  avec  autant  de  chagrin  que  de  surprise  que 
votre  goutte  vous  fait  garder  la  chambre  depuis  trois  mois. 
Sur  votre  silence  à  cet  égard,  je  vous  en  croyais  quitte  pour 
cette  année,  et  j'en  avais  même  écrit  sur  ce  ton-là,  à  ma- 
dame Boy  de  la  Tour.  Je  suis  bien  tristement  désabusé,  et 
le  rhume  encore  au  par-dessus!  En  voilà  beaucoup,  cher 


102  LKTTHKS    INi:DlTES 

plaisir  do  vous  voir  bien  plus  loi  que  vous  ne 
me  l'annoncez.  Cependant  puisque  vous  suppor- 

papa;  mais  la  saison  dont  nous  approchons  me  console  un 
peu  et  me  fait  espérer  que  vous  serez  bientôt  délivré  de 
votre  piison.  La  mienne  dure  depuis  quatre  mois  et  demi, 
sans  que  j"aie  mis  le  pied  dans  la  rue,  si  ce  n'est  la 
semaine  dernière  que  je  sortis  un  moment  pour  aller  voir 
un  malade,  visite  dont  je  me  suis  fort  mal  trouvé. 

»  Bien  des  remerciements  à  mesdemoiselles  vos  nièces  de 
la  réprimande  que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'adresser 
de  leur  part.  J'en  ferai  mon  profit,  je  vous  jure,  et  celui 
qui  me  verra  reprendre  la  plume  peut  m'assommer  tout  à 
son  aise  sans  que  je  m'avise  de  regimber.  Je  prendrai 
cependant  la  liberté  de  leur  dire  que,  loin  de  chercher  la 
fumée,  je  voulais  au  contraire  éviter  le  feu.  Si,  lorsque  l'on 
tâche  de  défendre  son  honneur,  sa  liberté,  sa  vie,  elles 
appellent  cela  être  philosophe,  je  suis  philosophe,  il  est 
vrai,  comme  bien  d'autres;  et  vous-même,  tout  grave  et 
posé  que  vous  êtes,  si  vous  sentiez  les  tisons  d'aussi  près, 
vous  seriez  peut-être  aussi  philosophe,  c'est-à-dire  aussi 
sémillant  que  vous  me  trouvez.  Mais  les  dames  mettent 
leur  gloire  a  n'avoir  pas  grand'pitié  des  misérables  ;  faites- 
pour  nous  tenir  dans  leurs  fers,  elles  lancent  des  feux  et 
des  flammes,  trouvent  mauvais  qu'on  refuse  d'être  brûlé, 
n'approuvent  pas  que  nous  osions  vouloir  être  libres,  et 
quelque  petite  prise  de  corps  ne  leur  paraît  pas  valoir  tant 
qu'on  s'en  défende. 

»  Il  n'y  a  pas  un  mot  devrai  dans  tout  ce  que  vous  a 
marqué  M.  Boucquet,  sur  une  prétendue  édition  de  moi> 
livre,  faite  à  Paris  avec  des  cartons.  Il  ne  s"y  eu   débite 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  103 

lez  le  lail.je  ne  doute  pas  qu"il  n'achève  en  peu 
de  lems  voire  entier  rétablissement,  et  je  me 

point  d'autre  que  la  mienne,  et  il  n'y  a  point  d'autres  car- 
tons que  ceux  que  j"ai  fait  faire  moi-même  à  Amsterdam 
pour  corriger  de  grossesfautes  que  je  n'aipu  voir  qu'après 
coup.  Ces  cartons  sont  à  tous  les  exemplaires  sans  excep- 
tion, et  ceux  qui  se  débitent  à  Paris  sont  exactement  sem- 
blables au  vôtre,  ni  plus  ni  moins.  Ce  bruit  est  une  petite 
ruse  de  ces  messieurs,  mais  elles  ne  s'en  sont  pas  moins 
débitées.  Je  sais  depuis  longtemps  que  ces  messieurs  du 
pays  de  Vaud  ne  peuvent  pardonner  à  la  bourgeoisie  de 
Genève  d'oser  détendre  un  reste  de  liberté  qu'ils  n'ont 
plus.  Ils  sont  comme  le  renard  à  qui  l'on  avait  coupé  la 
queue,  et  qui  voulait  qu'on  la  coupât  à  tous  les  renards. 
Pour  moi,  malgré  leur  colère,  et  n'en  déplaise  à  mesde- 
moiselles vos  nièces,  je  veux  tâcher  de  conserver  la  mienne 
jusqu'à  la  fin. 

«Vous  savez,  très  cher  papa,  avec  quel  empressement  je 
reçois  tout  ce  qui  se  renomme  de  vous.  Ainsi,  MM.  de 
Muisseck  en  feraient  une  épreuve  assurée  quand  leur 
propre  mérite  ne  leur  servirait  pas  de  passeport.  La  re- 
connaissance que  je  dois  à  M.  Tscharner,  et  l'estime  qui  lui 
est  due  par  tout  le  monde,  sont  encore  des  titre»;  que  je 
n'oublierai  pas  en  le  recevant.  Quoiqu'à  ne  vous  rien  dis- 
simuler, je  trouve  que  ces  messieurs  ressemblent  un  peu 
aux  moines  qui,  séparément,  sont  les  meilleurs  du  monde, 
et  tous  ensemble,  ne  valent  pas  le  diable. 

»  Bonjour,  papa  ;  mes  hommages  à  tout  ce  qui  vous  appar- 
tient. 

))  On  m'apprend  dans  l'instant  que  madame  Boy  de  la 


104  LETTRES    INÉDITES 

console  d'un  relard  qui  peul  me  mettre  plus  en 
état  de  profiter  du  plaisir  que  je  me  promets 
auprès  d'une  si  bonne  et  si  chère  amie,  que  je 
ne  pourrois  l'être  aujourd'hui  où  mes  maux 
empires  me  tiennent  renfermé  et  me  rendent 
tout  commerce  presque  impossible. 

Monsieurvotre  fils  estun  aimablejeune  homme 
et  il  ne  m'a  fallu  nul  effort  pour  étendre  à  lui 
l'ai  lâchement  que  j'ai  pour  sa  bonne  mère.  Je 
suis  fâché  de  l'avoir  trop  peu  vu  pour  cimenter 
une  si  bonne  connoissance,  j'espère  la  former 
plus  à  loisir  une  autre  fois,  et  vous  ne  doutez 
pas  que  je  me  flatte  du  plaisir  que  j'aurai  tou- 
jours de  vivre  avec  tout  ce  qui  vous  est  cher. 

Les  petites  tracasseries  que  la  prêi  raille  d'ici 
m'a  suscitées  sont  finies  grâce  au  Ciel,  grâce  à 
la  protection  du  Roy,  aux  bontés  de  M  v lord 
MareschaP,  et  aux  bons  amis  que  j'ai  trouvés 


Tour  a  été  malade,  j'en  suis  en  poiae.  Si  vous  avez  de  ses 
nouvelles,  je  vous  prie  inslamnient  de  m'en  donner. 

1.  Dans  une  lettre  de  Milord  Maréchal  au  ministre  Fin- 
kenslein  (Potsdam,  20  mai  ITCo),  on  lit  :  «  Le  très  digne 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  105 

dan?  ce  pays,  entre  autres  M.  Cliaillu  qui  m'a 
bien  prouvé  dans  celte  occasion  combien  il 
était  le  vôtre.  Quoique  je  ne  sache  encore  si 
je  resterai  dans  ce  pays,  je  suis  bien  déter- 
miné du  moins  à  y  rester  jusqu'à  vôtre  voyage. 
Je  ne  me  consolerais  pas,  ma  bonne  amie,  d'en 
partir  pour  longtems  sans  faire  mes  adieux  en 
personne  à  tous  les  mêmes  bons  amis  qui  m'y 
reçurent.  Recevez,  en  attendant,  très chèreamie, 
pour  vous  et  pour  toute  voire  aimable  famille 
les  tendres  salutations  de  votre  fidelle  amie,  et 
les  respects  empressés  de  M'"  Le  Vasseur. 

ROUSSEAU. 


Sacrogorgon  (MontAiollin)  a  assuré  les  gens  que  Jean-Jac- 
ques était  réellement  TAntéchrist  en  personne  et  il  dit  aux 
femmes  que  Rousseau  avait  écrit  qu'elles  n'avaient  point 
d'àme.  »  Les  petites  tracasseries  étaient  peut-être  Unies, 
mais  les  cros  ennuis  allaient  venir. 


lOG  LLTTRi:?    INÉDITES 

XXVII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Motieis,  le  o  May  IGTo. 

J'espére,  ma  très  bonne  amie  que  votre  par- 
fait l'établissement  vous  mettra  en  état  de  satis- 
faire en  ce  pays  l'impatience  qu'ont  vos  amis 
de  vous  y  voir,  et  je  vous  assure  que  cet  espoir 
tient  bien  sa  place  parmi  les  raisons  qui  me 
retiennent  ici.  Dans  cette  attente,  comptant  sur 
votre  prochain  départ,  je  profile  de  vos  obli- 
geantes offres  pour  vous  prier  de  vouloir  bien 
m'apporler  une  autre  ceinture  pareille  à  celle 
que  vous  avez  mise  dans  l'envoi  addressé  à 
à  Madame  Girardier.  Comme  cet  envoi  n'est  pas 
encore  arrivé,  que  je  ne  sais  quand  il  arrivera, 
et  que  je  ne  saurois  me  passer  plus  longtems 
de  ceinture,  celle  là  ne  sera  pas  de  trop  môme 
avec  l'autre.  Xe  sauriez-vous  point  aussi,  ma 
chère  amie,  si  les  petits  envois  que  vous  avez 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAL".  107 

faits  pour  mon  compte  en  Hollande  y  sont 
arrivés?  Comme  M.  Rcy  ne  m'en  parle  point 
dans  ses  lettres  je  présume  qu'il  ne  les  a  pas 
encore  reçeus. 

Je  suppose  que  iMonsieur  vôtre  fils  est  parti  en 
bonne  santé  pour  Tllalie,  et  j'attends  avec  em- 
pressement desnouvelles  de  son  heureux  voyage, 
carje  prends  ùlui  le  plus  véritable intérestetpour 
vous  et  pour  lui-même  qui  m'en  paroîl  très  digne. 
Bonjour,  ma  irés  bonne  amie,  mille  salulalions 
à  toute  la  chère  famille,  je  compte  les  jours 
avec  impalience  jusqu'à  celui   de  nous  revoir. 

ROUSSEAU. 

Monsieur  Boy  de  la  Tour,  votre  associé  m'a 
paru  un  fort  galanthomme,  ethonnêle  en  toute 
chose.  Mais  je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  dire 
qu'il  a  pour  père  un  furieux  et  un  enragé. 
Heureusement  c'est  le  serpent  qui  veut  rongi^r 
la  lime  et  qui  ne  fait  qu'user  ses  dents. 


1U8  LETTRES    INÉDITES 

XXVIII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Toui\  née  Ror/ain,  à  Lyon. 

A  risle  Saint-Pierre  le  13  8»'-<=  l*6b. 

Pardon   mille  fois,  ma  bonne  amie,  d'avoir 

tardé   si  longtems  à  vous  écrire   après   avoir 

quitté  votre   maison   si  brusquement  et  si  à 

regrets  Vous  savez  quel  plaisir  je  prenois  à  vivre 

1  Rousseau  a  conté  tout  au  loni;,  dans  ses  Confessions, 
comment  il  fut  chassé  de  Métiers  par  la  population  qu'exci- 
tait Tanimositédu  pasteur  de  MontmoUin.  Victime  des  per- 
sécutions de  la  classe  de  Neuchàtel,  calomnié  dans  des  pam- 
phlets comme  celui  de  Vernes,  il  fut  presque  lapidé.  Pour 
les  détails  de  cette  curieuse  affaire  voir  docteur  Guillaume, 
F.  Berthoud,  Jansen,  et  les  dépositions  des  témoins.  Voici 
celles  de  Jean-Jacques  et  de  Thérèse  : 

Déposition  de  Jean-Jacques  Rousseau. 

'<  Hier  vendredi,  6  septembre,  je  me  couchai  à  huit  heures 
un  quart.  Au  bout  d'une  heure  ou  deux  de  tranquillité, 
j'entendis  mon  chien  aboyer,  crier  sur  la  galerie,  et  faire 
de  grands  efforts  pour  entrer  dans  la  cuisine. 

»  Jugeant  que  c'élailTincommodité  du  froid  qui  l'inquié- 
tait, je  ne  me  levai  point  pour  lui  ouvrir,  aimant  mieux, 
pour  ma  santé,  le  laisser  dehors  à  cause  des  alarmes  précé- 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  109 

chez  vous;  mais  au  momeiiL  que  je  venois  de 
vous  constituer  en  de  nouvelles   dépenses  il  a 

dentés.  Le  bruit  continuant  sur  la  galei-ie,  je  Tattriliuai 
encore  aux  mouvements  du  chien,  jusqu'à  ce  que  j'enten- 
dis le  bruit  d'une  fenêtre  cassée  avec  beaucoup  de  violence, 
et  le  fracas  d'une  pierre  assez  grosse,  tombant  sur  le  plan- 
cher, .le  me  suis  levé  le  plus  vite  qu'il  m'est  possible,  j'ap- 
pelle ma  gouvernante  qui  ne  dormait  pas,  mais  queTelTroi 
retenait  dans  sa  chambre.  Je  frappe  sur  le  plancher;  la 
servante  du  capitaine  Guyenet,  qui  loge  au-dessous  de  moi, 
monte  avec  de  la  chandelle,  nous  cherchons  où  est  le  dégât, 
mais  sans  oser  ni  sortir,  ni  ouvrir  porte  ou  fenêtre,  de 
peurd'ètre  attendus  etassommés, nous  trouvons  qu'un  pan- 
neau de  la  fenêtre  de  la  cuisine  était  cassé,  les  verres  épars 
dans  la  cuisine,  et  jusque  dans  ma  chambre,  dont  la  porLe 
était  restée  ouverte,  et  à  l'entrée  de  la  même  chambre, 
à  deux  pas  de  mon  lif,  nous  trouvons  la  pierre  (jui  a 
été  vue  de  M.  le  Châtelain.  La  pierre,  après  avoir  fait 
son  trou,a)'ant  Iraversé  en  volant  toute  la  cuisine,  il  faut 
qu'elle  ait  été  lancée  d'une  grande  roideur,  et  comme  il 
parait,  de  la  galerie  même.  La  garde  étant  venue,  on  sortit 
pour  examiner  la  galerie  dans  laquelle  on  trouva  plusieurs 
gros  cailloux  qui  avaient  fait  quelques  désordres;  et  la 
servante  de  M.  Guyenet  rapporta  que  des  deux  portes  de  la 
maison  elle  avait  trouvé  l'une  forcée,  et  l'autre  ouverte 
au  moyen  d'un  verrouil  qu'avec  le  doigt  on  peut  pousser 
par  dehors.  Je  présume,  par  la  situation  des  choses,  qu'on 
avait  fait  du  bruit  sur  la  galerie  dans  l'intention  de  m'atli- 
rer,  et  qu'au  moment  oîi  je  devais  naturellement  sortir  de 
ma  chambre,  la  pierre  lancée  à  travers  la  vitre  devait  me 


110  LETTRES    INÉDITES 

fallu  loLil  abandonner.  Toulefois  ma  retraite  n'a 
pas  été  sans  consolations  de  la  part  de  mes  amis  ; 

casser  la  tèle.  N'ayant  ni  montre  ni  pendulo,  j(^  demandai 
à  la  servante  de  M.  Guyenet,  qui  en  a  une,  quelle  heure  il 
était;  et  elle  me  répondit  qu'il  était  onze  heures.  Les  pre- 
miers de  la  parde  qui  vinrent  à  mon  secours,  me  dirent 
qu'ils  étaient  de  Fleurier,  et  qu'ayant  voulu  faire  leur 
ronde  à  l'heure  précédente,  ceux  de  Motiers  s'y  opposèrent, 
disant  que  c'était  leur  tour. 

»  Fait  à  Moitiers,  le  7  peptembrc  1705. 

»  .I.-.I.    ROUSSEAU.  » 

Mademoiselle  Le  Vasseur,  youvernante  de  M.  lioussemi,  dé- 
pose :  Qu'environ  les  onze  heures  du  soir,  elle  entendit  du 
bruit  devant  la  maison  qui  s'arrêta  pendant  un  moment;  ce 
bruit  était  fait  de  manière  comme  si  l'on  avait  voulu  scier 
une  planche;  ensuite,  elle  entendit  jeter  des  pierres  contre 
le  mur  de  sa  chambre  qui  donne  sur  la  galerie  qui  est  du 
côté  d'Uberre  de  la  maison,  ce  qui  dura  pendant  environ 
six  minutes  et  fut  alors  si  elîrayée  qu'elle  n'osa  pas  sortir 
de  son  lit,  et  un  instant  après,  on  a  jeté  une  pierre  avec 
tant  de  violence  contre  la  fenêtre  de  la  cuisine  qu'on  a  cassé 
un  carreau.  Ladite  pierre  est  tombée  au  pied  de  la 
oliambre  de  M.  Rousseau;  et  du  veri'e,  pousé  par  la  force 
du  coup,  jusque  dans  ladite  chambre  dudit  sieur  Rousseau, 
laquelle  chambre  était  ouverte.  Alors  ce  dernier  a  appelé 
la  déposante,  ceci  disant  :  «  Levez-vous,  nous  sommes  ici 
assassinés!  »  Sur  quoi  la  déposante  s'est  levée  tout 
effrayée;  demandant  depuis  les  fenêtres  de  la  chambre  de 
M.  Rousseau,  qui  répond  aux  appartements  de  M.  le  Clià- 


DE    JEAN-JACnUES    ROUSSEAU.  111 

je  sais  en  particulier  Tintérest  que  vous  avez 
bien  voulu  y  prendre,  et  la  lettre  affectueuse  et 
obligeante  dont  vous  avez  honoré  M"'  Le  Vasseur 
dans  celte  occasion  me  marque  bien  combien 
vôtre  bon  cœur  vous  donne  d'attentions  et  de 

telain  :  «  Au  secours!  »  qu'on  voulait  les  assassiner.  Et  à 
["instant  même  arrivèrent  les  gardes  de  foire  avec  le  grand 
sautier  Clerc;  et  un  moment  après  est  aussi  arrivé  M.  le 
Châtelain,  qui  a  vu  les  bris  et  violences  commises. 

Donné  à  Moitiers  le  7  septembre  I76j,  et  la  présente  rédigée  par 
écrit,  au  greffe,  eu  présence  du  sieur  justicier  Abraham  Henri 
Beseuceuet. 

Dimanche  15  septembre,  à  sept  heures  du  matin,  le  sau- 
tier trouva  sur  la  fontaine,  devant  les  halles  de  Motiers  la 
figure  d'un  Polichinel,  l'annonça  au  châtelain,  et  l'apporta 
chez  lui.  Dans  la  main  de  la  figure  était  un  billet  avec  les 
vers  suivants  : 

Je  vous  prie  de  regarder 
Dans  mon  carnassier, 
Vous  y  trouverez  les  vers 
Que  vous  devez  publier. 

Voici  le  pasquin  qui  se  trouvait  dans  le  carnassier. 

POLICHINEL. 

Me  Yoicy  trouvant  tout  réjouis, 
En  voyant  Mostier  délivré  de  l'impie 
Qui  s'est  évadé,  sa  servante  encor  icy; 
Prenez-y  garde,  mes  amis,  etc.. 


112  LETTRES    INÉDITES 

soins  pour  vos  amis  dans  lems  disgrâces. 
Maintenant  je  suis  grâce  au  Ciel  dans  cette  Isle 
en  paix  et  en  sûreté  *  ;  mais  j'y  suis  fort  en  peine 
de  vôtre  santé  dont  depuis  tort  longtems  je  n'ai 
point  de  nouvelles,  car  noire  lac  est  si  orageux 
depuis  quelque  tems  que  nous  n'avons  aucune 
communication  régulière  avec  la  terre  ferme. 
Je  ne  sais  pas  même  si  vous  êtes  de  retour  à 
Lyon,  quoique  je  le  présume  sur  ce  que  vous 
m'aviez  dit  de  vos  résolutions.  Où  que  vous 
soyez,  très  bonne  amie,  vous  êtes  la  même  pour 
moi,  j'en  suis  très  sui",  et  moi  je  serai  le  même 
pour  vous  jusqu'à  mon  dernier  soupir.  -Je  ne 
compte  pas  moins  sur  la  solide  et  constante 
amitié  de  l'aimable  Madelon  qui  m'en  a  donné 
tant  et    de   si  touclians   témoignages   qui    ne 


1.  Milord  Maréchal  et  le  colonel  Chaillet,  qui  avaient  des 
attaches  avec  Faristocratie  bernoise,  l'avaient  assuré  que 
le  Sénat  fermerait  les  yeux  sur  sa  présence  à  lile  Saint- 
Pierre,  pourvu  qu'il  n'y  fit  pas  parler  de  lui.  Jean-Jacques 
se  renferma  dans  sa  coquille.  On  montre  encore  aujour- 
d'hui au  plafond  de  sa  chambre  la  trappe  par  oîi  il  séva- 
dait  pour  esquiver  les  visites. 


Prepriôté  de  la 

LIBRAIRIE  CIRCULANTE 

F.  RICHARD 

80,  Rue  «i'j  Rhône,  80 
GENÈVE 


.Â'arh^iit  de ,    fb~ ,    fia ck'leine  ^ï)^/eAù€/^ 
7ulè  t)e  ^  U"^ ^JDoy  -àv    la  0>our 
<) afr/t\)  une  f^H'inlure^ ^  t  ptale  -npjHi^^enant ^i ,  ih.'^  ^J/zrigouh 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  113 

sortiront  jamais  de  mon  cœur.  Je  la  prie  de 
vouloir  bien  en  cette  occasion  me  favoriser 
encore  d'une  petite  lettre  sur  vôtre  état  présent. 
Il  ne  tient  pas  à  ses  soins  et  je  suis  persuadé 
qu'il  ne  tient  qu'à  vous  qu'il  ne  soit  très  bon. 
Je  vous  conjure  donc,  chère  amie,  de  laisser 
gouverner  votre  santé  à  cette  excellente  fille 
afin  qu'elle  conserve  à  elle-même  la  meilleure 
des  mères,  et  à  moi  une  si  chère  et  si  bonne 
amie.  Si  vous  êtes  à  Lyon  il  suffira  de  m'ad- 
dresser  la  lettre  à  l'ordinaire  par  Pontarlier, 
M.  Junec  aura  soins  de  me  la  faire  passer,  et  si 
vous  êtes  encore  à  Iverdun,  il  suffira  de  l'addres- 
ser  à  M.  Du  Peyrou  à  Neufchâtel;  en  mettant 
seulement  une  croix  au  dessus  de  l'addresse  il 
connoitra  par  là  que  la  lettre  est  pour  moi  et 
me  la  fera  passer. 

Recevez  les  respects  et  les  remercimens  de 
M'^'  Le  Vasseur  et  de  vôtre  véritable  ami. 

ROUSSEAU. 


114  LIiTÏHES    INÉDITES 

XXIX 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 
A  Strasbourg,  le  4  X""""^  ITGo. 

Chère  amie,  je  me  reproche  un  trop  long 
silence*;  mais  vous  devez  le  pardonner  à  la 
nécessité  de  poui-voir  au  plus  pressé.  Je  suis 
arrivé  ici  il  y  a  près  d'un  mois  rendu  de  maux 
et  de  fatigue;  après  un  repos  suffisant  je  me 
dispose  à  repartir  quittant  à  regrel  une  ville  où 
tout  le  monde  paroit  désirer  de  me  retenir". 

1.  Rousseau  habitait  depuis  deux  mois  l'île  Saint- Pierre 
quand  un  arrêt  inattendu  du  Sénat  le  força  de  sortir  des 
États  de  Berne.  Il  se  réfugia  d'abord  à  Bienne,  ne  sachant 
de  quel  côté  se  diriger.  Il  songea  à  se  réfugier  en  Corse,  ou 
en  Angleterre.  Le  séjour  de  Bienne  lui  fit  vite  rendu  impos- 
sible par  le  voisinage  de  Berne  ;  il  en  fut  informé  par  un 
ami,  M.  Kirchberger.  Le  bailli  de  Nidau  lui  donna  un  passe- 
port, et  il  partit  enfin  pour  Berlin  oià  il  espérait  retrouver 
lord  Keith.  Il  s'arrêta  à  Strasbourg,  d"où  il  écrit  cette  lettre. 

2.  Il  reçut  le  plus  bienveillant  accueil,  fut  fêté,  acclamé; 
on  joua  le  Devin  du  Village.  Il  écrit  à  de  Pury  :  «  Je  com- 
mence à  sentir  que  je  suis  hors  de  la  Suisse  par  les  préve- 
nances et  honnêtetés  de  tout  le  monde.  » 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  115 

L'impossibilité  de  soulenir  la  fatigue  du  voyage 
de  Berlin  me  fait  tourner  vers  l'Angleterre  avec 
le  projet  de  me  reposer  encore  quinze  jours 
ou  trois  semaines  à  Paris;  car  il  me  seroit 
impossible  de  supporter  de  suite  une  si  longue 
traitte.  Si  vous  voulez  me  faire  le  plaisir  de  m'y 
donner  de  vos  nouvelles  vous  pourrez  m'écrire 
chez  la  veuve  Duchesne^  Libraire  rue  St-Jacques^ 
à  Paris.  Je  sais  tout  l'inléresl  que  vous  et  ma 
charmante  amie  Madelon  avez  pris  à  mes  dis- 
grâces; tant  que  l'amitié  de  l'une  et  de  l'autre 
qui  m'est  si  chère  me  suivra  par  loul,  j'en  sup- 
porterai plus  aisément  mes  malheurs.  J'ai  eu 
la  consolation  d'apprendre  que  vous  étiez  en 
train  du  plus  parfait  rétablissement;  j'espère 
que  votre  première  lettre  me  confirmera  plei- 
nement cette  bonne  nouvelle.  Votre  meilleur 
Médecin  a  été  votre  chère  fille  ;  j'en  aurois  grand 
besoin  d'un  pareil  pour  rendre  la  santé  à  mon 
pauvre  cœur  et  à  mon  pauvre  corps  malades. 

Je  pourrois  avoir  besoin  d'une  lettre  de  crédit 
pour  Londres,  et  vous  me  feriez  plaisir  de  me 


H6  LETTRES    INÉDITES 

l'envoyer  h  Paris,  à  moins  que  vos  Messieurs 
ne  permissent  que  je  tirasse  au  besoin  sur 
votre  .Maison  des  lettres  de  change,  ce  que 
je  ne  ferai  qu'avec  mesure  et  discrétion  : 
au  moyen  de  quoi  cette  voye  me  paroit  la 
plus  simple  et  la  plus  comode.  Vous  en  déci- 
derez. 

Les  dernières  ceintures  que  j'ai  reçues  sont 
étroites,  courtes  etminces  comme  la  précédente. 
11  faut  que  je  les  tienne  étendues  avec  des  épin- 
gles, ce  qui  est  très  incommode  et  les  déchire 
absolument.  N'y  auroit-il  pas  moyen,  ma  bonne 
amie,  d'en  avoir  une,  sinon  plus  longue,  du 
moins  plus  ample  et  plus  forte?  En  pareil  cas 
si  vous  pouviez  me  l'envoyer  à  Paris,  vous  me 
feriez  grand  plaisir. 

Je  me  recommande,  chère  amie,  à  vôtre  sou- 
venir à  votre  amitié,  à  celle  de  tout  ce  qui  vous 
appartient,  sans  oublier  M''  Girardier  et  Boy 
de  la  Tour,  vos  associés.  J'espère  que  comme 
les  folies  et  les  malhonnêtetés  de  leurs  parens 
n'ont  point  altéré  mon  estime  pour  l'un  et  pour 


DE    JEAN-JACOUES    ROUSSEAU.  117 

l'autre  elles  n'auront  point  non  plus  altéré  leur 
bienveillance  pour  moi. 

Bonjour,  ma  très  bonne  amie.  Je  vous 
embrasse  de  tout  mon  cœur  et  vous  recom- 
mande sur  toute  chose  le  ménagement  de  votre 
santé. 

ROUSSEAU. 

Je  remettrai  cette  Lettre  à  M.  Miolai  qui  vient 
tout  à  l'heure  d'envoyer  chez  moi  de  votre 
part. 


XXX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  à  Lyon. 

Ce  24  Juillet  1767'. 

Quel  long  silence,  ma  bonne  amie  !  qu'il  est 
cruel  à  mon  cœur  !  Il  est  bien  tems  qu'il  cesse; 
je  ne  saurois  l'endurer  plus  longtems.  Un  des 

i.  A  son  retour  d'Ansleterre. 


118  LETTRES    INÉDITES 

malheurs  que  j'ai  le   plus  cruellement  sentis 
éloil  de  cesser  de  m'entrelenir  avec  vous,  avec 
le  bon  Papa,  avec  la  plus  part  de  mes  meilleurs 
amis,   eL  de   ne  pouvoir  lirer  d'une  si  douce 
correspondance  des  consolations  dont  j'avois  si 
grand  besoin.  Enfin,  cliére  amie,  je  suis  plus 
à  portée  de  recevoir  de  vos  nouvelles  et  de  vous 
donner  des  miennes;  mais  il  s'en  faut  beaucoup 
que  je  n'aye  encore  là-dessus  toule  la  liberté 
que  je  désirerois,  et  ce  n'est  que  peu  à  peu  que 
les  choses  pourront  reprendre  leur  ancien  train. 
En  attendant  nous  pourrons  du  moins  de  tems 
en  tems  nous  donner  réciproquement  signe  de 
vie.  J'en  ai   reçeu  ci-devant  de  la  charmante 
Madelon  qui  m'ont  transporté  de  joye'  mais  cela 
n'empêche  pas  que  je  n'aye  rancune  au  cœur 
contre  la  petite  dissimulée  de  nous  avoir  si  mis- 
terieusemenl  caché  ses  amours.  Je  ne  doute  pas 
qu'afin  de  pouvoir  critiquer  mon  ouvrage  elle 

1.  Elle  s'est  mariée  avec  M.  Delessert.  Vhiterm'''diaire  des 
curieux  et  (.les  clicrcJieurs  a  publié  d'elle  une  intéressante 
lettre  relative  à  la  mort  de  Jean-Jacques  Rousseau  (1778). 


DE    JEA.X-JACQUES    ROUSSEAU.  llO 

n'ait  déjà  rendu  trop  court  mon  lacet,  mais 
cela  ne  la  dispense  pas  de  remplir  des  condi- 
tions sous  lesquelles  il  lui  fut  donné  et  qu'elle 
n"a  pas,  j'espère,  oubliées. 

En  me  marquant  de  ses  nouvelles  avec  les 
vôtres  et  de  celles  de  toute  votre  aimable 
famille  que  j'embrasse  mille  fois,  n'oubliez  pas, 
je  vous  en  prie,  de  me  donner  son  addresse  ;  car 
je  lui  dois  une  réponse  et  je  lui  écrirois  bien 
sans  cela  ;  mais  je  n'ai  pas  avec  moi  sa  lettre, 
ayant  laissé  en  Angleterre  tout  mon  petit  bagage 
et  tous  mes  papiers  qui  y  sont  encore.  Je  ne 
doute  pas,  mon  excellente  amie,  que  le  bonheur 
de  cette  chère  enfant  en  augmentant  le  votre  ne 
raffermisse  de  plus  votre  santé  que  j  ai  appris, 
avec  le  plus  sensible  plaisir  être  bien  rétablie. 
Dieu  veuille  vous  la  conserver  pour  le  bien  de 
votre  famille  et  de  vos  amis.  J'attends  avec 
impatience  de  vos  nouvelles.  Vous  pouvez 
m'écrire  sous  cette  unique  addresse  :  Pour  le 
citojjen,  dansuneenveloppeaddressée// J7'.  Co'm- 
detàV Hôtelle Blanc^rue deC lery A  Paris.  Jevous 


120  LKTTR ES    INÉDITES 

demande  aussi  des  nouvelles  du  très  cher  Papa 
à  qui  j'attends  impatiemmentroccasion  décrire, 
et  des  chères  sœurs  qui  sont  avec  lui.  Hocevez, 
très  chère  amie,  avec  mon  respect  mes  plus 
tendres  salutations. 


XXXI 

A  Messieurs 
Messieurs  Boy  de  la  Tow\  à  Lyon. 

A  Grenoble,  le  13  Juillet  1768. 

J'ai  fini,  Messieurs,  ma  tournée  d'herborisa- 
tions plustôt  que  je  n'avois  cru;  quelques  pres- 
sentimens  de  mes  incommodités  ne  m'ayant 
pas  permis  de  suivre  sur  les  hautes  montagnes 
mes  compagnons  de  voyage,  je  les  ai  laissés  à 
la  Chartreuse  d'où  je  suis  revenu  avant  hier  en 
celte  Ville  chercher  le  repos  que  j'espère  y 
trouver  par  les  bons  soins  de  M.  Bovier  qui 
s'en  est  beaucoup  donné  pour  moi  et  qui  m'a 
procuré  un  logement  tranquille.  C'est  un  nou- 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  121 

veau  remerciment,  Messieurs,  à  joindre  à  tous 
ceux  que  je  vous  dois.  Mais  je  n'entame  pas  cet 
article;  il  seroit  inépuisable,  et  plus  vous  avez 
de  droits  à  ma  reconnoissance,  moins  vous  en 
voudriez  souiïrir  les  expressions.  Je  n'ai  point 
(ait  usage  de  la  lellre  pour  M'  Pascal,  elc.^ 
n'ayant  pas  eu  jusqu'ici  besoin  de  m'en  préva- 
loir, et  cette  recommandation,  même  avant  mon 
arrivée,  s'étant  rendu  ici  plus  bruyante  qu'il  ne 
me  convenoit.  Je  n'en  suis  pas  moins  obligé  aux 
Messieurs  qui  à  votre  considération  me  l'avoient 
donnée,  et  je  vous  prie  de  leur  en  faire  dere- 
chef mes  remerciemens. 

Quelles  nouvelles  de  la  chère  Maman?  j'en 
attends  avec  impatience.  J'espère  apprendre  de 
vous,  Messieurs,  qu'elle  est  arrivée  en  bonne 
santé  avec  ma  bonne  vieille  tante,  auprès  du 
cher  Papa  pour  lequel  je  prendrai  la  liberté  de 
vous  envoyer  une  lettre  dans  peu  de  jours.  J'en 
joindrais  une  pour  elle,  et  même  je  n'aurois  pas 
tant  tardé  si  elle  ne  me  l'eut  en  quelque  façon 
défendu  elle-même  faisant  grâce  à  ma  paresse 


122  LETTRES    INÉDITES 

et  bien  sure  de  mes  sentimens.  J'en  dis  autant 
(\e  la  meilleure  ainsi  que  de  la  plus  aimable  des 
filles,  des  femmes,  des  sœurs,  des  nourrices  et 
des  amies,  dont  je  vous  prie,  Messieurs,  de  me 
donner  aussi  des  nouvelles  et   de  tout  ce  qui 
l'intéresse,  en  attendant  que  je  lui  en  demande 
moi-même  ;  car  je  ne  renonce  pas  à  ce  plaisir. 
J'ignore  encore  quel  parti  je  prendrai.   Je 
commence  à  craindre  de  ne  pouvoir  soutenir 
les  fatigues  delà  tournée  des  Alpes,  cependant 
pour  peu  que  mes  forces  reviennent  je  suis  lou- 
jours  dans  l'intention  de  la  tenter,  ce  qui  me 
retiendra  dans  ce  pays  pour  quelques  mois,  et 
si   le   séjour    me   convient  j'y   pourrai   rester 
davantage.  En  attendant  que  je  sois  bien  déter- 
miné, je  vous  prie,  Messieurs,  de  vouloir  bien 
relirer  et  tenir  chez  vous  ce  qui  pourroit  vous 
èlreaddressé  de  Paris  pour  moi,  et  si  M"'  Renou 
prend   le  parti   de   me    venir  joindre,    de  lui 
chercher  aussi  dans  votre  voisinage  une  petite 
chambre  où  elle  puisse  attendre  de  mes  nou- 
\elles  avant  de   continuer  sa  route  jusqu'ici. 


DE    JEAX-JACQUES    ROUSSEAU.  l^-l'i 

Enfin  si  l'un  de  vous  veut  bien  prendre  la  peine 
de  la  présenter  à  Madame  votre  sœur  je  vous 
serai  sensiblement  obligé  de  celte  complai- 
sance. 

Agréez,  Messieurs,  je  vous  supplie,  tous  les 
sentimens  de  mon  cœur  qui  vous  sont  si  bien 
acquis  et  avec  lesquels  je  ne  cesserai  jamais 
d'être,  Messieurs,  Votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur, 

REXOU. 


XXXII 

A  Mo?2sieur 
Monsieur  Boy  de  la  Tour[l\LÎné]^  à  Lyon. 

A  Grenoble,  le  22  Juillet  1768. 

Voici,  Monsieur,  deux  lettres  que  je  prends  la 
liberté  de  vous  addresser  en  vous  donnant  un 
petit  bon  jour  de  bien  bon  cœur  mais  bien  à  la 
hâte  ;  vu  les  tracas  qui  m'ont  retardé  et  l'heure 
du  Courrier.  Mille  salutations  à  Monsieur  voire 


l'2A  LETTRES    INÉDITES 

frère  eldes  nouvelles  d'Iverdun  et  de  Fourviére, 
je  vous  supplie,  quand  vous  voudrez  bien  me  don- 
ner des  vôtres.  Onpeutcontinueràm'écriresous 
le  couvert  de  M.  Bovier  qui  est  plein  de  bontés 
pour  moi.  Cependant  comme  le  Comte  de  Ton- 
nerre veut  bien  que  mes  lettres  viennent  sous  son 
enveloppe,  je  joins  ici  son  addresse  vous  priant  de 
la  donner  aussi  à  Madame  De  Lessert.  Je  vous 
embrasse,  mon  cher  Monsieur  et  vous  salue  avec 
le  plus  véritable  attachement. 

RE.XOU. 

A  Mofîsieur  le  Comte  de  Tonnerre,  Lieutenant 
Général  des  armées  du  Roy,  Commandant 
pour  S.  M.  en  Daupkïné,  A  Grenoble. 

et  dans  l'enveloppe  tout  simplement  : 
A  31.  Renou.  J'ai  fait  mention  de  robservaliun 
contenue  dans  vôtre  lettre. 


DE  JEAX-JACQUES  ROL'SSEAU.        1^5 

XXXIII 
A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  rainé,  rue  de  la  Fonl, 
à  Lyon, 

A  Bourgoin  le  13  Aoust  1768  '. 

J'arrive.  Monsieur,  à  Bourgoin  et  je  compte 
y  loger  à  la  Fontaine  d'or  ;  il  pourroit  cepen- 
dant arriver    que  je  fusse  obligé   de  prendre 

1 .  Quand  il  eut  quitté  Wootton,  Jean-Jacques  fut  reçu 
en  France  par  le  marquis  de  Mirabeau,  qui  le  cacha  dans 
sa  campagne  de  Fleury-sous-Meudon,  puis  par  le  prince  de 
Conti  dans  son  château  de  Trie,  près  Gisors.  Il  prit  le  faux 
nom  de  Reriou  moins  pour  se  cacher  que  pour  ne  pas  blesser 
le  roi.  On  savait  sa  présence  en  France  et  la  police  eut  ordre 
de  la  tolérer.  Jean-Jacques  était  protégé  par  le  maréchal, 
<;orate  de  Clermont-Tonnerre,  lieutenant  du  roi  en  Dau- 
phiné.  C'est  vers  cette  lieutenance  qu'il  se  dirigea  en  quit- 
tant Trie.  Il  passa  à  Lyon,  à  Grenoble,  à  Chambéry,  alla 
visiter  la  tombe  de  madame  de  Warens,  se  sépara  momen- 
tanément de  Thérèse,  songea  même  au  suicide  (lettre  à 
Thérèse  du  25  juillet  1768)  et  finit  par  se  réfugier  à  Bour- 
goin en  Dauphiné,  où  il  logea  dans  l'auberge  de  la  Fontaine 
d'Or  qu'on  voit  encore  aujourd'hui  avec  la  même  enseigne. 
—  Bourgoin  est  un  chef-li  eu  de  canton  de  l'Isère  à  67  kilom. 
N.-O.  de  Grenoble. 


1-26  LETTRES    INÉDITES 

une  autre  auberge,  mais  je  réclamerai  à  la 
posle  toutes  les  lettres  qui  pourroient  y  arriver 
à  mon  nom.  J'attends  ici,  Monsieur,  de  vos 
nouvelles  et  de  celles  de  Madame  votre  sœur  à 
qui  j'écrivis  hier  par  la  poste,  et  ne  partirai  pas 
non  plus  dici  que  je  n'aye  receu  de  celles  de 
M"°  Renou,  qui  a  du  partir  de  Trye  le  4,  et 
dont  je  n'cntens  plus  parler.  Pardon  du  bar- 
bouillage, et  recevez,  je  vous  prie,  Monsieur, 
.pour  vous  et  pour  toute  la  famille  mes  plus 
tendres  embrassements. 

RENOU. 


XXXIV 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  l'ai  né,  à  Lyon. 

A  Boiirgoin,  à  la  Fontaine  d'or,  le  13  Aoust  1768. 

En  arrivant  ici  Monsieur,  avant  hier  j'eus 
l'honneur  de  vous  écrire  un  mol  à  la  hâte 
dont  un  des  passagers  du  Carrosse  voulut  bien 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  127 

se  charger.  Pour  plus  de  sûreté  j'ai  celui  de 
vous  réitérer  ici  l'avis  de  mon  arrivée  dans 
cette  auberge  où  j'allens  de  vos  nouvelles  et 
de  celles  de  M"'  Renou  qui  ayant  dû  partir  le 
quatre  de  Trye  devroit  être  à  Lyon  ou  bien 
près  d'y  arriver.  Comme  je  demeure  ici  en 
suspens  jusqu'à  sa  venue  ou  jusqu'à  ce  au 
moins  que  j'aye  de  ses  nouvelles  positives,  et 
comme  les  momens  pressent,  il  m'importe 
de  savoir  le  plus  tôt  possible  à  quoi  m'en  tenir. 
Quelque  sensiljle  que  me  fut  le  plaisir  de  vous 
revoir  tous  un  moment,  comme  je  suis  horri- 
blement fatigué  et  que  je  reserve  le  reste  de 
mes  forces  pour  les  voyages  indispensables,  je 
préfère  qu'elle  vienne  me  joindre  ici.  Ainsi  je 
vous  prie,  Monsieur,  de  vouloir  bien  la  faire 
partir  par  le  carosse  le  plus  lot  qu'il  sera  pos- 
sible, et  me  donner  par  la  poste  avis  de  Son 
départ.  Comme  j'ignore  ce  que  nous  devien- 
drons l'un  et  l'autre,  et  que  selon  toute  appa- 
rence elle  retournera  dans  peu  de  jours,  elle 
fera  bien  de  n'apporter  ici  que  quelque  linge 


128  LETTRES    INÉDITES 

et   bardes,   et   de  laisser  sa  malle   à   Lyon  '. 

J'ai  avec  M.  Bovier  quelque  petit  compte  qui 
doit  èlre  fort  peu  de  chose,  mais  qui  n'ayant 
pu  être  réglé  à  mon  départ  m'a  forcé  de  l'ad- 
dresser  à  vous  pour  le  rembourser,  de  quoi 
je  vous  prie,  n'ayant  du  reste  fait  aucun 
usage  du  crédit  que  vous  m'aviez  donné  près 
de  lui. 

Que  fait  la  INIaman,  comment  va  sa  santé, 
quand  reviendra-t-elle?  J'attends  des  nou- 
velles de  Fourviéres,  de  toute  la  famille,  de 
tout  ce  qui  vous  intéresse,  et  qui,  par  consé- 
quent m'intéresse  aussi.  Je  vous  embrasse, 
Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

RENOU. 

J.  M.  Chantelauze  dans  Le  Livre,  10  mai  188i,  suppose, 
cette  même  année  1768,  au  sortir  du  château  de  Trie,  une 
rupture  entre  Jean-Jacques  et  Tliérèse.  La  lettre  ci-dessus 
-constate  au  contraire  une  sollicitude  qui  écarte  toute  idée 
de  divorce. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  129 

XXXV 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  Vaine,  7'iie  de  la  Font, 
à  Lyon. 

A  Bourgoin  le  24  Aoust  1768. 

Comment  le  cœur  ne  vous  reproche-t-il  pas, 
Monsieur,  de  vous  être  levé  pour  m'écrire 
étant  malade,  sans  me  rien  dire  de  votre  état, 
et  de  n'avoir  pas  même  daigné  dans  votre 
seconde  lettre  me  dire  au  moins  un  mot  de 
votre  rétablissement?  .Je  dois  le  supposer  de 
votre  silence  sans  quoi  je  ne  vous  pardonnerois 
pas  même  de  m'avoir  écrit,  sûr  que  Monsieur 
votre  frère  auroit  bien  eu  la  complaisance  de 
me  communiquer  à  votre  place  l'avis  de 
M.  la  Roche  et  n' auroit  pas  eu  pour  me  par- 
ler de  votre  état  la  même  négligence  que  vous. 

Dans  la  lettre  que  je  prends  la  liberté  de 
vous  addresser  pour  Madame  votre  sœur,  il  y 
en   a  une  pour   M"'  Renou  dans  laquelle  je 


130  LETTRES    INÉDITES 

lui  parle  au  long  de  son  voyage  et  de  l'espèce 
de  voiture  qu'elle  doit  préférer*.  L'état  d'indé- 
cision où  je  suis,  la  certitude  des  maux  qui 
m'attendent  quelque  parti  que  je  prenne,  la 
dureté  du  choix,  mon  corps  souffrant,  ma  têle 
affectée  font  que  j'ose  à  peine  me  fier  à  moi- 
même  et  que  j'aime  mieux  m'en  rapporter 
à  ce  qui  sera  délibéré  entre  vous  pour  le  mieux. 
Mon  cher  Monsieur,  vous  devez  être  bien  las 
des  embarras  toujours  renaissans  que  je  vous 
donne.  Il  faudra  bien  que  tout  cela  finisse  de 
manière  ou  d'autre,  mais  ce  qui  ne  finira  pas, 
je  vous  assure,  sera  la  reconnoissance  qui  m'en 
restera  pour  vos  bontés. 

Je  n'ai  nulle  nouvelle  d'Iverdun.  Ce  silence 
m'inquiette,  l'avis  que  j'ai  pris  la  liberté  d'y 
donner  auroit-il  été  communiqué  ou  mal  reçu  : 
cela  seroit  bien  assortissant  au  malheur  qui 
me  suit  constamment  dans  tout  ce  que  j'entre- 
prends de  plus  juste  et  de  plus  honnête.  Soyez 

i.  Elle  attendit  à  Lyon  que  Jean-Jacques  fût  installé  pour 
le  rejoindre.  Voiture  veut  dire  moyen  de  transport. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  131 

sur  au  moins  quoi  qu  il  arrive  que  vous  n'avez 
point  été  compromis,  et  qu'on  ne  découvrira 
jamais  par  mon  canal  la  première  source  de 
cet  avis,  que  j'ai  cru  donner  avec  toute  la  re- 
serve et  toute  la  discrétion  imaginable. 

Si  M"^  Renou  se  décide  pour  prendre  une 
chaise,  quoique  je  le  sois  presque  pour  ne  pas 
aller  à  Grenoble,  je  voudrois  toutefois  pour 
plus  de  liberté  stipuler  avec  le  voiturier  l'obli- 
gation de  nous  y  mener  si  nous  l'aimions  mieux, 
puisque  les  distances  sont  à  peu  près  égales  des 
deux  cotés.  Votre  idée  de  prendre  le  carrosse 
pour  venir  jusqu'ici  est  peut  être  la  plus  sage; 
le  pis  sera  de  passer  encore  ici  quelques  jours 
si  nous  voulons  aller  à  Chamberi  jusqu'à  ce  que 
nous  trouvions  une  voilure  qui  nous  y  mène. 
Le  mal  est  que  cette  voiture  ne  se  trouvant 
pas  sur  le  lieu  je  ne  sais  pas  trop  d'où  ni 
comment  la  faire  venir.  11  faut  avouer  que  tout 
cela  est  bien  embarrassant  et  que  je  suis  bien 
à  plaindre. 

Mes  honneurs,  je  vous  prie,  a  Monsieur  voire 


VS'2  LETTRES    INÉDITES 

frère,  et  recevez  avec  amitié  mes  embrasse- 
mens  et  salutations. 

nE:sou. 

J'ai  cliez  M.  Bovier  un  petit  compte  peu 
considérable  dont  je  l'ai  prié  de  recevoir  de 
vous  l'acquit  que  je  vous  prie  aussi  d'en  faire, 
à  moins  que  retournant  à  Grenoble  je  n'aye 
occasion  de  l'acquitter  moi-même,  ce  que  je 
ne  prévois  pas  extrêmement.  Je  suppose,. 
Monsieur,  que  vous  avez  le  soin  de  me  passer 
en  compte  non-seulement  les  lettres  que  vou& 
recevez  pour  moi,  mais  celles  que  vous  recevez 
de  moi,  et  qui  ne  sont  malheureusement  au 
lieu  des  témoignages  d'amitié  dont  je  vou- 
drois  uniquement  m'occuper  que  des  commis- 
sions dont  vous  avez  toute  l'importunité  et 
que  vous  voulez  bien  faire  pour  moi. 


DE    JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  133 

XXXYI 

A  Monsieu)' 
Monsieur  Boy  de  la  Tour  Vainé^  à  Lyon, 

A  Bourgoin,  le  23  Aoust  1768. 

Je  reçois  votre  lettre,  Monsieur,  et  celle  de 
Madame  votre  sœur  dont  j'avois  grand  besoin 
d'apprendre  des  nouvelles  depuis  ce  que  j'ai 
appris  de  sa  course.  On  achevé  de  me  rendre 
fou  et  je  ne  puis  lui  écrire  aujourd'hui.  L'ad- 
dresse  de  M.  de  la  Roche  est  à  V Hôtel  de 
Luxembourg  rue  S^  31  arc  à  Paris. 

Je  vous  salue,  Monsieur,  et  vous  embrasse 
de  tout  mon  cœur. 

RENOU. 


XXXYII 

A  Mo?isieur 
Monsieur  Boy  de  la  Tour  hdné^  à  Lyon, 

A  Bourgoin,  le  26  Aoust  1768. 

M"^  Renou  m'arrive,  Monsieur,  au  moment 


134  LETTRES    INÉDITES 

que  j'attendois  le  moins.  Je  vous  suis  obligé 
de  cette  surprise,  mais  elle  me  donne  quelque 
embarras  qui  m'empêche  d'écrire  à  Madame 
de  Lessert  pour  cet  ordinaire,  le  retard  ne 
sera  pas  long,  et  j'ai  bien  des  choses  à  lui 
dire.  Nous  attendons  pour  Lundi  prochain 
l'équipage  et  l'envoi  que  vous  voulez  bien  vous 
charger  de  nous  faire,  et  qui  nous  retient  ici 
jusqu'à  ce  que  nous  l'ayons  receu.  Je  ne  sais 
pas  sûrement  encore  où  se  dirigera  notre 
marche  ultérieure,  mais  il  est  peu  apparent  que 
ce  soit  vers  Grenoble,  ni  de  vos  cotés  puisqu'on 
ne  me  permet  pas  d'y  rester.  Le  moment  est 
critique.  J'y  penserai  jusqu'à  Lundi  après  quoi 
vous  aurez  de  mes  nouvelles.  Recevez,  en  atten- 
dant, les  remerciements,  qu'il  faut  que  je  vous 
réitère  sans  cesse,  puisque  vous  ne  cessez  point 
d'être  exposé  pour  moi  à  de  nouveaux  embarras. 
Je  vous  salue,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

RENOU. 

Une  tabatière  remise  à  M"'  Renou  et  dé- 


3^' 


l'AC-SIMILÉ   DU    L'ÉClUTUllli  ET    Uli  L'OllTIlOCMlAI'Llli   Uli  TlIÈKÈSIi   LIJVASSEUU. 

c^cai/cw^tf  dcuLkn  diundn  L'tffcrjf  cm(  mm  n'eut 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  135 

posée  par  elle  dans  votre  chambre  n'ayant 
point  été  trouvée  parmi  ses  effets,  me  fait  sup- 
poser que  peut-être  en  avez-vous  chargé  le 
cocher  qui  ne  la  lui  a  point  remise  et  à  qui  vous 
êtes  prié,  Monsieur,  de  vouloir  bien  la  faire 
redemander. 


XXXVIII 

A  Monsieur 
Monsieur  Boy  de  la  Tour  rainé,  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  2  T''''^  1768. 

Hier  au  soir,  Monsieur,  je  receus  deux  malles 
de  Mad'  Renou  que  vous  avez  eu  la  bonté  de 
m'expédier.  Je  vous  prie  d'en  vouloir  bien  faire 
de  même  à  votre  comodité  de  celle  qui  vous  a 
été  envoyée  ci  devant  par  M.  de  la  Roche.  Les 
approches  de  l'hiver  me  déterminant  à  le  pas- 
ser dans  le  lieu  où  je  suis  et  oîi  j'ai  loué  pour 
cela  un  appartement.  Ilestbientems,  Monsieur, 
que  je  respire,  et  que  je  vous  laisse  respirer  ; 
car  en  vérité  j'ai  honte  de  tous  les  tracas  que  je 


i3G  LETTRES    INÉDITES 

VOUS  donne  depuis  près  de  trois  mois.  J'ai  pour- 
tant grand  peur  que  vous  n'en  soyez  pas  tout  à 
fait  quite  et  que  je  ne  vous  importune  encore  de 
quelques  petites  empiètes  pour  completter  mon 
petit  ménage,  quoique  je  loue  un  appartement 
meublé.  Madame  de  Lessert  aura  pu  vous  dire 
que  M""  Renou  est  devenue  ma   sœur  Sara, 
et  que  je  suis  son  frère  Abraham.  Si  tous  les 
mariages  commençaient  ainsi  par  un  attache- 
ment de  25  ans  '  confirmé  par  l'estime,  ne  pensez- 
vous  pas  qu'ils  en  seroient  généralement  plus 
unis?  Je  serois  assez  curieux  d'apprendre  ce  que 
sera  finalement  devenu  mon  argent  que  M.  de 
la  Hoche  a  jugé  à  propos  de  faire  promener  de 
capuciniére  en  capuciniére,    par   une   de    ces 
petites  lésines  fort  obligeantes,  sans  doute,  mais 
plus  ruineuses  que  la  prodigalité  et  pour  les- 
quellesj'ai  la  plus  souveraine  aversion.  Conve- 
nez que   c'est  une  bien  plaisante  idée  d'aller 
choisir  des  capucins  pour  banquiers  ;  je  vous 

i.  Voy.  p.  39. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU,  137 

réponds  que  quand  je  serai  le  maitre  ils  ne  se- 
ront sûrement  pas  les  miens. 

Bonjour,  Monsieur,  mes  honneurs  je  vous 
prie  et  ceux  de  ma  femme  à  Monsieur  votre 
frère  et  à  tout  ce  qui  vous  appartient.  Elle  vous 
salue  trés-humblement  et  je  vous  embrasse, 
Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

RENOU. 

Je  suis  d'avis  que  vous  suspendiez  l'envoi  de 
la  malle  jusqu'à  celui  des  commissions  dont  je 
prendrai  la  liberté  de  vous  charger. 


XXXIX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour. 

A  Bourgoin,  le  5  1'^^"  1768. 

Comment,  peut-on,  chère  et  bonne  amie, 
penser  àvous  si  souvent  et  vous  écrire  si  peu  ? 
voila  pourtant  mon  histoire.  Errant,  paresseux 
accablé,  découragé,  mais  toujours  le  cœur  plein 


138  LETTRES    INÉDITES 

de  vous,  le  souvenir  de  voire  aimable  et  conso- 
lant accueil  et  de  toutes  les  amitiés  dont  vous 
m'avez  comblé  me  suit  dans  toutes  mes  courses, 
me  tient  attaché  de  cœur  à  votre  demeure,  et 
m'empêche  au  moins  de  m'en  éloigner  puisqu'il 
m'est  défendu  de  m'y  fixer  tout  à  fait.  Je  me  suis 
déterminé,  voyant  la  saison  déjà  fort  avancée 
à  passer  l'hiver  dans  ce  bourg  ou  je  serai  à  por- 
tée d'avoir  souvent  des  nouvelles  de  l'aimable 
Madelon,  de  sa  digne  Maman  et  peut-être  de  les 
voir  quelquefois  au  retour  de  la  belle  saison.  J'ap- 
prends^ chère  amie,  que  votre  santé  s'affermit 
de  jour  en  jour  au  pays  natal,  près  du  très  bon 
papa,  des  chères  sœurs,  du  cher  Cousin,  de  sa 
charmante  épouse  et  enfin  de  tout  ce  qui  vous 
entoure,  vous  aime  et  s'empresse  à  vous  caresser. 
Que  n'ai-je  ma  part,  chère  amie,  d'une  occupa- 
tion qui  me  seroit  si  douce  en  tout  lieu  et  prin- 
cipalement aux  lieux  oi!i  vous  êtes  et  en  ceux 
où  vous  êtes  attendue  de  retour  dans  peu?  Per- 
mettez-moi d'espérer  pouvoir  m'y  livrer  même 
en  ceux  que  j'habite  et  que  vous  ne  dédaignerez 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  139 

pas  d'y  venir  recevoir  quelques  momens  les 
homages  de  deux  cœurs  unis  en  toute  chose  et 
surtout  pour  vous  aimer  '.  Notre  jolie  nourrice 
vous  aura  marqué  que  la  compagne  de  mon 
sort  et  de  mes  malheurs  n'ayant  voulu  m'aban- 
donner  en  aucune  circonstance,  j'ai  cru  lui  de- 
voir de  faire  que  puisqu'elle  étoit  déterminée  à 
suivre  en  tout  et  partout  ma  destinée,  elle  peut 
la  suivre  avec  honneur.  Si  vingt-cinq  ans  d'alta- 
chement  et  d'estime  précédoient  tous  les  ma- 
riages il  est  à  croire  qu'ils  en  seroient  générale- 
ment plus  heureux.  Le  notre  lésera,  je  l'espère; 
surtout  si  comme  je  l'espère  aussi  il  obtient  votre 
approbation  et  celle  des  seuls  vrais  amis  sur 
lesquels  je  compte,  surtout  le  Papa,  M.  le  Colo- 
nel, votre  excellente  fille  et  toute  votre  famille. 
Ne  m'oubliez  pas  je  vous  prie  auprès  de  tout  ce 

1.  C'est  à  Bourgoin  qu'eut  lieu  le  fameux  mariage  civil  de 
Rousseau  et  de  Thérèse,  à  l'auberge,  devant  le  maire.  Ce 
fut  une  scène  très  touchante  et  un  peu  burlesque.  Voir  le 
très  curieux  récit  de  Champagneux,  qui  assistait  à  la  céré- 
monie, et  Louis  FocHiER,  Séjour  de  Jean-Jacques  Rousseau  à 
Bourgoin,  1860. 


i40  LETTRES    INÉDITES 

qui  vous  appartient  à  Iverduin  ni  à  Neufchatel 
auprès  de  Mad'  De  Luze  et  M.  Du  Peyrou 
qui  vous  priera  peut-être  de  vous  charger  pour 
moi  de  quelques  paperasses.  Adieu,  très  chère 
et  bonne  amie,  permettez  que  j'envoye  d'ici 
le  baiser  de  paix  à  ma  très  vénérable  tante,  que 
chacun  s'attend  à  trouver  à  son  retour  sainte  et 
dévote  comme  une  Madonne,  et  grave  comme 
un  Gaton.  Je  vous  embrasse  dans  toute  la  ten- 
dresse de  mon  cœur. 

•le  ne  me  suis  pas  pressé  d'apprendre  à  Mon- 
sieur Roguin  la  triste  nouvelle  de  la  mort  de  son 
ami  M.  de  Rosière \  sur  ce  que  m'avait  marqué 
le  Papa  dans  sa  dernière  lettre,  je  comptois 
l'embrasser  ici,  mais  je  n'ai  plus  trouvé  au  lieu 
de  lui  que  M.  son  neveu,  Maire  de  cette  Ville ^, 
M.  son  fils,  Officier  d'artillerie,  qui  tous  deux, 
m'ont  fait  beaucoup  d'amitiés  et  doivent  l'un 


1.  Cousin  de  Champagneux. 

2.  Champagneux. 


DE    JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  141 

OU  l'autre  avoir  écrit  au  Papa  ou  lui  écrire  dans 
peu\ 


XL 

A  Monsieur 
Monsieur  Boy  de  la  Tour  l'ainé,  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  5  T^"-^  1768. 
Comment,  Monsieur,  c'est  pour  moi  que  vous 
avez  demandé  le  passeport  que  j'avois  chargé 
M"'  Renou  de  demander  pour  elle  à  son  pas- 
sage à  Lyon?  Voilà  qui  paraît  bizarre.  Si  vous 
eussiez  obtenu  ce  passeport,  ce  qui,  à  la  vé- 
rité, étoit  de  toute  impossibilité,  je  me  serois 

1.  Rousseau  ne  signe  plus.  Il  n'a  pas  encore  prévenu  son 
amie  du  pseudonyme  qu'il  a  pris,  Renou.  Dans  les  com- 
mencements, Coindet  lui  avait  écrit  :  A  Monsieur  Renout. 
Rousseau  lui  répondit  par  cet  amusant  post-scriptum  : 
«  Renou.  Je  signe  exprès  mon  nom  afln  que  vous  n'y  mettiez 
plus  le  t  dont  vous  nous  gratifiez  à  l'insu  de  nos  ancêtres 
et  qui,  s'il  passait  contre  l'orthographie  de  nos  titres,  serait 
capable  de  plonger  dans  la  roture  l'ancienne  et  illustre 
maison  des  Renou.  »  Cette  note  est  rare  chez  Rousseau. 


142  LETTRES    INÉDITES 

trouvé  munis  de  quatre  passeports,  pour  moi 
et  cependant  retenu  au  passage  à  cause  de 
M""  Renou  qui  n'en  aurait  point  eu  pour 
elle.  Car  j'ai  été  témoin  de  pareille  aventure 
au  Fort  Barrault,  et  c'étoit  pour  cela  que  je 
l'avois  avertie  de  se  munir  d'un  passeport, 
attendu  que  les  miens  ne  parlant  pas  d'elle  ne 
pouvoient  lui  servir  de  rien.  Je  ne  sais  ce  que 
pourront  penser  les  personnes  en  place  d'une 
pareille  incartade  de  ma  part;  le  mieux  qu'il 
m'en  puisse  arriver  est  qu'ils  se  contentent  de 
me  croire  devenu  complettement  fou. 

Voici,  Monsieur,  une  lettre  que  je  vous  prie 
de  vouloir  bien  faire  passer  à  la  bonne  Maman 
dont  j'apprens  avec  bien  delajoyeque  la  santé 
s'affermit  dejour  en  jour.  Voici  aussi  une  petite 
note  de  quelques  emplettes  dont  je  prends  la 
liberté  de  vous  donner  encore  l'importunité 
pour  completter  l'établissement  de  mon  petit 
ménage.  Comme  M.  de  Rosières  me  prête  sa 
batterie  de  Cuisine  qui  est  à  Grenoble  et  que  je 
ne  sais  pas  encore  en  quoi  elle  consistera,  il  se 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  143 

pourra  très  bien  que  j'aye  des  additions  à  faire 
à  cette  liste,  et  en  ce  cas  je  vous  en  enverrai  la 
note  par  une  femme  qui  va  toutes  les  semaines 
à  Lyon  avec  des  charriots  qu'elle  charge  des 
provisions  qu'on  lui  donne.  Je  pense  que  vous 
pourriez  avoir  la  bonté  de  m'envoyer  par  elle 
la  semaine  prochaine  et  tout  à  la  fois  ma  malle 
d'envoi  de  M.  de  la  Roche,  la  robe  que  j'ai  prié 
Madame  votre  sœur  de  vouloir  bien  acheter 
pour  ma  femme  et  que  je  vous  prie  de  payer 
ainsi  que  l'alliance  d'or,  le  petit  cadeau  pour 
Mad'  Bovier  et  toutes  les  autres  petites  emplettes 
portées  tant  dans  la  présente  note  que  dans 
celle  qui  lui  servira  de  supplément.  Je  pense 
encore  que  pour  vous  éviter  pour  l'avenir  le 
tracas  perpétuel  de  mespetites  fournitures,  vous 
m'obligeriez  de  me  marquer  les  addresses  des 
marchands  connus  de  vous,  et  chez  lesquels 
j'enverrai  celte  femme  acheter  les  choses  dont 
j'aurois  besoin  principalement  Epicier,  Papetier 
et  Mercier  ou  Quincailler,  sans  oublier  le  Mar- 
chand de  bonnes  Chandelles,  car  Madame  votre 


144  LETTRES    INÉDITES 

Mère  avoit  eu  la  bonté  de  m'en  envoyer  d'excel- 
lentes à  Molier.  Au  moyen  desdites  addresses 
et  d'un  mot  que  vous  auriez  la  bonté  de  dire 
auxdits  marchands  pour  les  engager  à  me 
bien  servir,  cette  femme,  qu'on  dit  entendue, 
me  fera  toutes  mes  commissions,  les  payera  et 
je  vous  laisserai  respirer.  Tout  cela  fait,  il  vous 
plaira,  Monsieur,  de  m'envoyer  la  noie  de  tout 
ce  que  vous  aurez  déboursé  pour  moi,  compris 
les  mémoires  de  M'  Bovier,  et  vous  aurez  la 
bonté  de  vous  rembourser  sur  l'argent  qui  doit 
m'être  envoyé  par  M.  de  la  Hoche  pour  la  lettre 
de  change  prolestée  ou,  si  cet  argent  ne  revient 
pas,  de  le  passer  en  compte  sur  celui  que  j'ai 
dans  votre  Maison. 

J'oubliois  encore  un  petit  compte  que  je  dois 
avoir  chez  M.  d'Ivernois  de  Genève  et  que  je  vous 
prie  de  vouloir  bien  acquitter  quand  il  vous  sera 
présenté  et  même  le  faire  acquitter  à  Genève  si 
on  ne  vous  le  présente  pas  à  Lyon.  Passé  cela, 
je  vous  prie  aussi  de  ne  plus  recevoir  aucune 
lettre  pour  moi  d'aucun  Genevois  surtout  des 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  145 

représentans  sans  en  excepter  M.  d'Ivernois 
étant  résolu  de  n'avoir  plus  aucune  correspon- 
dance avec  aucun  de  ces  Messieurs  à  qui  je  ne 
puis  plus  être  bon  à  rien. 

Mille  salutations,  je  vous  prie,  à  Monsieur 
votre  frère;  je  vous  fais  les  miennes,  Monsieur, 
et  celles  de  ma  femme  de  tout  notre  cœur. 

RENOU. 


XLI 

A  Monsieur 
Monsieur  Boy  de  la  Tour  Valné^  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  9  7»"=  1768. 

Voici,  Monsieur,  de  nouveaux  embarras. 
Veuillez,  je  vous  supplie,  affranchir  les  incluses 
et  leur  donner  cours  le  plustot  possible,  vu 
que  le  sujet  en  est  aussi  pressant  que  désagréa- 
ble. 

J'espère  que  la  Messagère  me  rapportera  Mer- 
credi avec  ma  malle  quelques  unes  des  Gommis- 

iO 


146  LETTRES    INÉDITES 

lions  dont  j'ai  pris  la  liberté  de  vous  envoyer 
sa  note. 

On  me  prête  des  couteaux  et  un  moulin  à 
caffé,  ainsi  si  Fempletle  de  ces  articles  n'est 
pas  faite  encore  on  la  peut  retrancher. 

Je  m'imagine  que  nous  aurons  enfin  des  nou- 
velles de  mon  argent,  et  que  nous  parviendrons 
à  savoir  ce  qu'il  est  devenu. 

Je  vous  salue.  Monsieur,  et  vous  embrasse 
de  tout  mon  cœur. 


XLII 

A  Monsieur 

Mo7isieur  Boy  de  la  Tour  Caînê^  rue  de  la  Font^ 
à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  21  T^'-'^  1768. 

J'aireceu,  Monsieur,  tous  les  articles  portés 
dans  la  lettre  que  vous  me  fîtes  l'honneur  de 
m'écrirele  16.  A  l'exception  des  emplettes  pour 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  147 

mon  futur  ménage  dont  la  messagère  ne  m'a 
rien  apporté  du  tout  si  les  dites  emplettes  sont 
déjà  faites  je  vous  l'enverrai  pour  les  recevoir, 
mais  si  elles  ne  le  sont  pas,  je  vous  prie,  Mon- 
sieur, de  ne  rien  achetter,  jusqu'à  nouvel  avis. 
La  robbe  que  Madame  votre  sœur  a  eu  la  bonté 
d'acbetler  pour  ma  femme  n'étant  point  à  son 
usage  ni  telle  que  je  l'avois  demandé,  nous 
devient  inutile,  Mad'  Renou  est  trop  sensée  et 
trop  bien  née*  pour  consentir  jamais  à  la  porter, 
surtout  dans  la  circonstance  oii  nous  sommes. 
Ainsi  je  ne  sais  qu'en  faire,  ne  voulant  pas 
donner  à  Madame  votre  sœur  l'embarras  de  la 
rendre,  et  n'osant  même  la  renvoyer  pour  tâcher 
de  l'échanger  contre  quelque  droguet  gris  ou 
brun,  dans  la  crainte  qu'il  n'y  ait  quelque  diffi- 
culté pour  l'entrée. 

Vous  aviez  marqué  à  M.  de  la  Roche  de  ren- 
voyer le  billet  parce  que  le  Moine  avoit  trouvé 
de  l'argent;  et  vous  me  marquez.  Monsieur, 

1.  L'ancienne  goton  de  l'hôtel  Saint-Quentin  a  dû  se 
rengorger  à  cette  phrase. 


148  LETTRES    INEDITES 

qu'il  VOUS  a  donné  une  rescripliou  qui  est  un 
effet  solide.  Je  le  crois  ;  mais  rien  n'est  plus 
solide  que  l'argent  même,  et  je  ne  comprends 
point  pourquoi  le  dit  Moine  n'en  a  pas  donné. 
Vous  ajoutez  qu'après  avoir  pris  vos  débours 
comme  je  vous  en  prie,  vous  tiendrez  le  reste 
à  ma  disposition.  Ce  n'est  pas  là,  Monsieur, 
ce  qui!  faut  faire  s'il  vous  plait;  mais  bien 
me  le  faire  tenir  ici  le  plustôt  possible;  car 
j'aurois  le  lems  de  me  bien  ruiner  dans  ce  ca- 
baret en  l'attendant,  s'il  mettoit  autant  de  tems 
à  venir  de  Lyon  à  Bourgoin  qu'il  en  a  mis  à 
venir  de  Paris  à  Lyon.  .Jai  renoncé,  pour  cause 
à  moi  connue,  au  logement  qu'on  me  préparoit 
ici  et  dont  il  faut  dédomager  le  propriétaire 
et  il  n'y  a  que  l'attente  que  cet  argent  si  lent  à 
venir  qui  me  retienne  encore  en  cette  ville  '. 

Voici  une  petite  anecdote  qui  pourra  vous 
amuser.  M.  Bovier  fils,  depuis  mon  départ  de 


1.  Jean-Jacques  est  de  mauvaise  humeur,  il  a  le  ton 
quinteux. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  149 

Grenoble,  y  a  déterré  un  garçon  Chamoiseur 
nommé  Thévenin  qui  prétend  avoir  prêté  ou 
donné  en  Suisse  dans  un  cabaret  neuf  francs  à 
un  nommé  J.  J.  R.  qu'on  dit  être  de  votre 
connaissance.  Ledit  J.  J.  R.  ne  convient  pas  du 
fait,  et  prétend  que  ledit  Thévenin  est  un 
imposteur,  on  dit  même  qu'il  le  prouve;  mais 
ledit  Thévenin  paraît  si  bon  homme,  a  l'air 
si  bénin,  et  d'ailleurs  est  si  bien  protégé,  que  le 
public  de  Grenoble,  tout  à  fait  bien  disposé  pour 
lui,  voudroit  fort  le  favoriser  aux  dépends  de 
l'autre  et  faire  en  sorte  que  ce  fut  ledit  J.  J.  R. 
qui  fut  le  fripon.  Malheureusement,  par  des 
informations  faites  sur  les  lieux,  il  se  trouve 
que  ledit  bonhomme  de  Thévenin  a  eu  ci- 
devant  l'honneur  d'être  condanné  par  arrêt  du 
Parlement  de  Paris  à  être  fouetté,  marqué  et 
envoyé  aux  Galères  pour  fabrication  de  faux 
actes;  mais  comme  en  revanche  ledit  J.  J.  R.  a 
aussi  été  décrété,  ce  qui  est  quasi  la  même  chose, 
on  espère  encore  que  les  choses  pourront  s'ar- 
ranger à  la  sastisfaction  de  ce  pauvre  Thévenin. 


150  LETTRES    INÉDITES 

Il  est  tout  simple  que  le  préjugé  public  soit  eu 
sa  faveur,  parce  qu'on  sait  que  sa  coutume  est 
de  prêter  ainsi  de  l'argent  en  passant  à  tout  le 
monde,  même  aux  gens  qu'il  ne  connoit  point 
du  tout,  et  que  ledit  J.  J.  R.  est  connu  pour  un 
coureur  de  cabarets  qui  va  piquant  à  droite  et 
à  gauche  quelques  écus  dans  la  poche  des  qui- 
dams assez  sots  pour  lui  en  prêter. 

Je  n'ai,  je  vous  proteste,  aucune  copie  du 
griffonnage  dont  vous  me  parlez;  j'en  avois 
envoyé  une  à  Lyon,  très  fidelle,  sur  laquelle  j'ai 
vu  qu'on  en  avoit  fait  d'autres  toutes  défigurées 
et  pleines  des  plus  ridicules  contresens.  Ma 
foi,  Monsieur,  laissons  courir  l'eau  et  dire  les 
médians  :  on  ne  peut  pas  plus  empêcher  l'un 
que  l'autre.  Quand  les  hommes  auront  eu  leur 
tour,  la  providence  aura  le  sien;  je  n'ai  plus 
désormais  d'autre  confiance;  mais  celle-là  me 
suffit  et  je  prends  mon  parti  sur  tout  le  reste. 

Je  vois  avec  regret,  Monsieur,  que  mes 
importunités  vous  viennent  au  milieu  de  vos 
plus  grandes  occupations.  Cependant  je  n'ai  pu 


DE    JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  loi 

VOUS  les  éviter  jusqu'à  présent.  Je  tâcherai  d'être 
plus  discret  dans  la  suite,  quoique  je  sois  bien 
persuadé  que  je  trouverai  toujours  en  vous  la 
même  bonne  volonté.  J'ai  des  nouvelles  du  bon 
papaRoguin,  et  aucune  de  la  Maman,  je  vous 
avoue  que  ce  silence  obstiné  me  surprend.  Je 
vous  salue,  Monsieur,  et  Monsieur  votre  frère 
de  tout  mon  cœur. 

RENOU. 


XLIII 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  fainé,  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  26  T'^''^  1768. 

J'espére,  Monsieur,  que  vous  serez  arrivés 
l'un  et  l'autre  heureusement,  sans  accident, 
assez  à  tems  pour  trouver  la  porte  ouverte,  et 
qu'ainsi  vous  n'aurez  point  eu  à  vous  repentir 
de  votre  bonne  œuvre,  ni  du  double  bien  que 
vous  m'avez  fait,  premièrement  de  vous  voir,  et 


152  LETTRES    INÉDITES 

puis  d'aquérir  par  vous  une  aussi  bonne  con- 
naissance. Voici  une  lettre  pour  M.  Roguin  à 
laquelle  je  vous  prie  de  vouloir  bien  donner 
cours.  Il  m'a  été  impossible  de  vous  faire  depuis 
hier  la  longue  copie  de  celle  que  vous  désirez  ; 
cela  me  seroit  même,  vu  mon  état,  difficile  pour 
le  premier  ordinaire;  mais  voici  l'expédient 
que  je  prendrai  pour  cela  sans  me  fatiguer  ; 
c'est  d'achever  une  copie  que  j'avois  commencée 
pour  M.  du  Peyrou,  de  vous  l'addresser  afin 
que  vous  puissiez  la  faire  transcrire  si  vous 
jugez  à  propos,  et  de  vous  prier  de  vouloir  bien 
ensuite  lui  faire  passer  sans  retard  l'original.  Je 
compte  vous  l'envoyer  par  le  prochain  Courrier 
sous  une  simple  enveloppe  et  sans  y  rien  ajouter 
à  moins  que  cela  ne  soit  nécessaire,  me  conten- 
tant de  vous  prévenir  aujourd'hui  de  l'usage 
que  je  désire  que  vous  en  fassiez.  Ne  m'oubliez 
pas,  je  vous  supplie,  ni  ma  femme,  auprès  de 
Madame  votre  sœur,  de  Monsieur  votre  frère,  et 
de  votre  aimable  compagnon  de  voyage.  Je 
vous  embrasse,  mon  cher  Monsieur,   de  tout 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  153 

mon    cœur,    et    ma    femme    vous    offre    ses 
obéissances. 

RE>OU. 


XLIV 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  l'aîné^  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  5  8""  1768. 

Comme  vous  attendiez,  Monsieur,  de  jour  en 
jour  l'arrivée  de  la  chère  Maman,  je  vous  en 
aurois  demandé  plustot  des  nouvelles,  si,  sur  ce 
que  vous  m'aviez  marqué  de  la  commission  dont 
vous  aviez  bien  voulu  vous  charger  pour  Mad^  Re- 
nou,  je  n'eusse  un  peu  retardé  pour  vous  en 
accuser  en  même  tems  la  réception.  Mais  mon 
impatience  ne  permet  pas  d'attendre  davantage 
à  m'informer  si  vous  avez  maintenant  le  plaisir 
d'avoir  cette  bonne  Maman  de  retour  avec  ma 
tante,  toutes  deux  en  bonne  santé.  Donnez-moi, 
je  vous  en  prie,  le  plaisir  de  prendre  part  au 
votre  sitôt  que  vous  les  aurez  près  de  vous. 


154  LETTRES    INÉDITES 

Sur  les  preuves  de  l'imposture  dudit  Theve- 
nin*,M.  le  Comte  de  Tonnerre  m'a  fait  enfin  ré- 
ponse, non  pas  qu'il  lui  feroit  avouer  son  impos- 
ture, mais  au  contraire  qu'il  lui  imposeroit 
silence.  Sur  ce  pied  là,  si  Thévenin  m'eut  volé 
ma  bourse,  au  lieu  de  l'obliger  à  la  rendre  on 
lui  ordonneroit  de  ne  me  plus  voler.  Que  pensez 
vous  de  cette  façon  de  me  rendre  la  justice 
qu'on  m'a  promise  et  qu'assurément  on  me 
doit?  Pour  moi  je  ne  doute  nullement  que  l'im- 
punité de  ce  coquin  n'encourage  ceux  qui  l'ont 
apposté  à  en  apposter  d'autres.  Mais  pour  le  coup 
je  ne  serai  plus  leur  dupe,  et  sur  de  n'obtenir 
aucune  justice,  je  ne  m'abaisserai  plus  à  la 
demander*. 

Il  est  vrai.  Monsieur,  que  je  ne  trouvai  que 
soixante  neuf  Louis  dans  la  bourse  que  vous 
me  remites,  mais  me  fiant  plus  à  votre  calcul 
qu'au  mien  je  crus  que  l'erreur  venait  de  ma 
part  et  je  ne  vous  aurois  assurément  jamais 

i.  On  croit  entendre  Alceste. 

2.  Voyez  page  149  le  récit  de  cette  affaire. 


DE    JEA.N-JACQUES    ROUSSEAU.  155 

parlé  de    celte    bagatelle  si  vous  ne  l'eussiez 
vous-même  exigé. 

Je  vous  suis  extrêmement  obligé  de  me  donner 
exactement  des  nouvelles  de  Fourviére.  Je  suis 
avec  ma  Cousine^  dans  un  retard  inexcusable, 
mais  elle  est  bien  sure  qu'envers  elle  la  faute 
de  ma  paresse  ne  sera  jamais  celle  de  mon 
cœur.  Je  compte  lui  écrire  au  premier  jour.  En 
attendant,  ne  m'oubliez  pas  ni  ma  femme, 
auprès  d'elle,  je  vous  supplie.  Je  vous  salue  et 
vous  embrasse,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

RENOU. 

Mad'  Renou  vous  salue  trés-humblement. 


XLV 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  12  8^'"'^  1768. 

Bien  et  très  bien  arrivée,   chère  et   bonne 
amie  ;  vos  enfans  et  vos  voisins  étoient  fort  jaloux 
1.  Madelon  de  Lessert. 


loG  LETTRES    INÉDITES 

qu'une  de  vos  familles  vous  possédât  si  longlems 
aux  dépends  de  l'autre.  Enfin,  grâce  au  Ciel,  nous 
voila  rapprochés  et  votre  santé  va  bien;  il  ne 
manque  à  ma  satisfaction  parfaite  que  de  fran- 
chir tout  à  fait  l'espace  qui  nous  sépare,  et  de 
me  revoir,  ne  fusse*  que  pour  un  moment,  aux 
pieds  des  deux  excellentes  amies  sur  lesquelles 
je  compte  le  plus  au  monde,  et  pour  dire  encore 
plus  et  plus  vrai,  sur  lesquelles  seules  je  compte. 
Mad*"  Renou'  qui  partage  mon  empressement 
et  mes  sentimens,  voudroit  être  déjà  partie  et 
nous  le  serions  si  toutes  choses  s'arrangeoient 
suivant  nos  désirs.  Mais  puisque  nous  avons  si 
peu  de  tems  à  nous  voir^  je  voudrais  du  moins 
que  nous  puissions  jouir  de  ce  peu  autant  à 
notre  aise  qu'il  est  possible  et  je  vous  avoue 
que  s'il  y  avoit  moyen  de  passer  une  soirée 
ensemble,  je  l'aimerois  mieux  qu'un  diné  en 
l'air,  où  l'on  compte  les  minutes  pour  se  ména- 

1.  Sic. 

2.  Rousseau  a  gardé  pour  se  marier  son  pseudonyme 
Renou. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  157 

ger  le  tems  du  retour.  INous  sommes  lout  prêts 
à  faire  le  voyage  pour  vous  aller  embrasser  F  une 
et  l'autre  et  repartir  le  lendemain,  car  je  ne 
puis  m'absenter  plus  longtems.  Je  vous  avoue 
pourtant  que  les  suites  d'une  course  désagréable 
et  fatigante  que  j'ai  faite  à  Grenoble  jointes  à 
Feffet  pernicieux  des  premiers  froids  pour  mon 
état  me  feroient  permettre  que  ce  fut  vous  qui 
fissiez  le  voyage,  si  cela  se  pouvoit  sans  vous 
trop  déranger,  d'autant  plus  qu'il  ne  m'est  pas 
aisé  de  trouver  ici  une  chaise,  soit  avec  les 
mêmes  chevaux,  soit,  comme  je  le  préférerois, 
avec  des  chevaux  de  poste.  Puisquenôtre  bonne 
et  belle  nourrice'  a  cessé  de  l'être,  elle  peut  sans 
inconvénient  se  donner  ce  petit  campos.  En 
dinant  un  peu  de  bonne  heure  vous  pouvez 
venir  coucher  ici  sans  peine  et  retourner  le  len- 
demain diner  chez  vous  :  cela  ne  fait  qu'une 
journée  en  tout;  il  faudroit  tout  autant  pour  se 
rencontrer  sur  la  route,  on  y  est  très  mal  par- 

i.  Madelon. 


J58  LETTRES    INÉDITES 

tout;  vous  le  serez  moins  ici,  vous  trouverez 
une  assez  bonne  chambre  et  si  vous  ne  venez 
que  vous  deux,  vous  trouverez  une  femme  de 
chambre  et  un  serviteur  qui  tâcheront  de  sup- 
pléer à  vos  domestiques  en  tout  ce  qui  dépendra 
d'eux;  si  vous  en  amenez,  ce  sera  fort  bien  fait, 
mais  nous  vous  demanderons  toujours  la  préfé- 
rence pour  vous  servir.  Enfin,  soit  ici,  soit  à 
Lyon,  soit  en  route,  si  nous  pouvons  passer  une 
soirée  tranquillement  ensemble,  il  me  semble 
que  cela  sera  charmant.  Si  cet  arrangement  ne 
vous  convient  pas,  dites  un  mot;  il  n'y  a  ni  diffi- 
culté ni  inconvénient  qui  ne  cède  au  vif  em- 
pressement que  j'ai  de  vous  voir.  L'obstacle  des 
voitures  n'est  pas  insurmontable,  je  chercherai 
quelque  chaise  ou  cabriolet  à  emprunter  et  nous 
pourrons  si  vous  voulez  nous  trouver  à  la  ver- 
pilliére  ou  ailleurs  à  l'heure  que  vous  aurez 
prescrilte.  Mais  je  reviens  à  ce  qui  me  tient  si 
fort  au  cœur;  j'aime  mieux  aller  et  passer  à 
tout  risque  un  jour  ou  deux  avec  vous  que  de 
vous  voir  qu'une  heure  ou  deux  à  la  volée  ;  mais 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  139 

nous  nous  verrions  ici  bien  plus  à  noire  aise  el 
sansrisque  d'importuns.  Ah  combien  vous  seriez 
charmantes  l'une  et  l'autre,  si  vous  pouviez  me 
donner  un  jour  franc  ici,  outre  celui  de  votre 
arrivée.  Ce  jour,  ce  jour  seul,  ma  chère  et  ex- 
cellente amie,  me  feroit  oublier  tous  mes 
malheurs.  Je  ne  finirois  pas,  si  je  voulois  vous 
exprimer  combien  j'ai  le  cœur  plein  du  désir  de 
nous  voir  un  peu  entre  nous  sans  crainte  de  sur- 
venans.  Mille  bon  jours  à  ma  belle  Cousine  ; 
j'embrasse  de  tout  mon  cœur  son  excellente 
maman.  Ma  compagne  est  transportée  du  désir 
de  se  voir  aux  pieds  de  l'une  et  de  l'autre  et  me 
charge  de  leur  témoigner  son  empressement. 
Mille  choses  à  tous  vos  chers  enfans. 


160  LETTRES    INÉDITES 

XL  VI 

A  Monsieur 
Mo7isieur  Boy  de  la  Tour  l'aîné^  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  18  8""  n68. 

Permettez,  Monsieur,  que  je  vous  demande 
un  petit  mot  sur  la  santé  de  Madame  votre  Mère 
dont  je  suis  en  peine,  parce  que  la  dernière 
lettre  de  Madame  votre  sœur  m'a  donné  des 
inquiétudes  dont  rien  ne  m'a  tiré  jusqu'ici.  Un 
mot  seulement  je  vous  en  prie.  Ellese  porte  bien  ; 
voila  tout  ce  qu'il  me  faut.  Pardon  derechef  de 
mes  importunités  continuelles;  je  vous  salue, 
Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

RENOU. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  161 

XLVII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  26  S^-'s  1768. 

J'espére  que  mes  vraies  et  uniques  amies 
sont  heureusement  arrivées  à  Lyon.  Les  béné- 
dictions que  le  Ciel  verse  sur  les  bonnes  œuvres 
ont  du  les  accompagner  dans  tout  ce  voyage 
dont  le  souvenir  ne  s'effacera  jamais  de  mon 
cœur.  Un  mot  de  vos  nouvelles,  chère  amie,  je 
vous  eu  supplie.  J'ai  besoin  d'en  avoir,  mais  un 
mol  suffit.  Que  dites  vous  delà  fatalité  de  tous 
ces  contretems  qui  sont  venus  troubler  le  plaisir 
de  notre  entrevue?  Je  ne  puis  me  consoler  de 
la  mauvaise  réception  que  vous  avez  trouvée 
ici  que  par  l'espoir  qu'elle  sera  réparée,  et  que 
vous  ne  serez  rebutées  ni  l'une  ni  l'autre  d'exer- 
cer les  œuvres  de  miséricorde.  J'ai  des  tas  de 
réponses  accumulées  et  indispensables  à  faire 

qui  m'obhgent  de  finir  brusquement.  Adieu, 

11 


162  LETTRES    INÉDITES 

chère  amie,  recevez  les  plus  tendres  embrasse- 
mens  de  votre  ami  pour  vous  et  pour  ma  Cou- 
sine. Ma  femme,  le  cœur  pénétré  de  vos  bontés 
et  des  siennes,  joint  ses  sentimens  aux  miens. 


XLYIII 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  rainé,  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  9  9^"^  1768. 

J'ai  receu,  Monsieur,  presque  en  même 
tems  la  caisse,  la  lettre,  la  bague  et  la  note 
que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer.  La 
dernière  est,  par  son  étendue,  une  preuve  par- 
lante de  mon  indiscrétion.  En  vérité.  Monsieur, 
il  a  fallu  toute  votre  patience  pour  vous 
ennuyer  si  peu  d'être  sans  cesse  occuppé  pour 
moi  ;  j'en  suis  aussi  reconnaissant  que  confus^ 
mais  cela  ne  vous  décourage  pas  du  tems 
dérobé  à  vos  affaires  pour  les  miennes.  Je 
n'avois  fait  aucune  attention  au  quiproquo  du 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  163 

prix  des  lacets  ;  car  dans  tout  compte  qui  me 
vient  de  vous  je  lis  la  somme  et  non  les 
articles.  En  jettant  pourtant  les  yeux  sur  celui- 
ci,  je  vois  une  autre  omission  que  vous  avez 
faite;  c'est  celle  des  ports  de  lettres  depuis 
1^'%  lesquelles  doivent  passer  à  mon  avis  les 
32  1.  qui  restent;  ainsi  laissant  l'un  pour 
l'autre,  j'ai  peur  que  vous  ne  perdiez  à  cette 
façon  de  solder.  Tout  est  très  bon  et  très  bien 
choisi,  surtout  la  robe  dont  Mad'  Renou  est 
enchantée,  et  dont  elle  vous  fait,  Monsieur, 
mille  remercimens.  Il  n'y  a  qu'un  paquet  de 
soye  noire  plate  dont  elle  ne  comprend  pas 
l'usage  et  qu'elle  dit  n'avoir  pas  demandé. 
Ainsi,  Madame  votre  Mère  ayant  marqué  qu'on 
pourroit  renvoyer  ce  dont  on  n'auroit  pas  à 
faire,  je  crois,  Monsieur,  que  nous  renverrons 
ce  paquet  là.  La  campagne  n'étant  plus  guère 
tenable,  je  compte  que  cette  bonne  Maman  est 
à  présent  de  retour.  Faites  lui  je  vous  prie 
agréer  nos  respects  ainsi  qu'à  Madame  votre 
sœur  en  attendant  que  je  remplisse  ce  devoir 


104  LETTRES    INÉDITES 

moi-même.  Bien  des  salutations  à  Monsieur 
votre  frère;  ma  femme  se  joint  à  moi  pour 
vous  faire  les  noires,  Monsieur,  de  tout  notre 
cœur. 

REiSOU. 


LXIX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Roguïn^  à  Lyon^ 

A  Bourgoin,  le  14  9»"-^  1768. 

Voici,  très  chère  amie,  une  lettre  pour 
Mylord  Mareschal  que  vous  m'avez  permis  de 
vous  addresser  et  que  vous  m'avez  promis  de 
lui  faire  remettre.  Si  je  désire  encore  quelque 
chose  au  monde  c'est  un  mot  de  réponse  de 
lui.  Depuis  vôtre  départ  il  m'a  été  impossible 
quelque  perquisition  que  j'aye  faite  de  trouver 
ici  des  châtaignes.  J'en  sais  la  raison  de  même 
que  du  mauvais  soupe  que  vous  avez  eu.  Les 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  165 

châtaignes  et  le  soupe,  le  soupe  et  les  châ- 
taignes ;  le  tout  pour  tâcher  de  nous  refroidir 
entre  nous.  Ah  ma  bonne  et  généreuse  amie, 
que  leurs  moyens  sont  mal  choisis  et  qu'ils 
nous  connaissent  peu  l'une  et  l'autre.  La 
dernière  lettre  que  vous  m'avez  écrite  avoit  été 
ouverte,  et  même  très  maladroitement,  cela 
est  certain.  Donnez-moi,  chère  amie,  de  vos 
nouvelles,  et  de  celles  de  ma  cousine;  j'en  ai 
besoin.  Je  deviens  paresseux  à  l'excès;  je  ne 
peux  plus  écrire.  Je  dois  pourtant  et  je  veux 
depuis  longtems  écrire  au  digne  Papa;  cet 
excellent  ami  qui  vient  en  dernier  lieu  de  se 
donner  tant  de  soin  pour  moi.  J'ai  eu  par  notre 
ami  du  Peyrou  l'arrêt  qui  condamne  l'honnête 
Thevenin  aux  Galères  :  il  me  semble  que  l'em- 
ployé et  les  employeurs  sont  aussi  dignes  les 
uns  des  autres.  Ma  pauvre  petite  femme  vous 
embrasse  en  pleurant  d'aise  du  bien  que  vous 
lui  avez  fait  et  à  moi  par  votre  visite.  Sa  robe 
est  très  belle.  Si  belle  que  quand  elle  l'aura  ce 
sera  Ma  Dame  et  ce  ne  sera  plus  ma  femme. 


lOG  LETTRES    INÉDITES 

Si  fait  pourtant  et  la  sera  toujours  comme 
vous  serez  toujours  mon  amie,  et  moi  votre 
ami. 

RENOU. 


L 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Ilogu'm,  à  Lyon. 

A  Bourçoin,  le  12  Xi"-«  1768. 

Encore  la  voix  publique,  ma  bonne  amie  ! 
comme  si  vous  ignoriez  que  la  voix  publique 
n'est  jamais  et  surtout  à  mon  égard  que  celle 
du  mensonge,  même  en  choses  indifférentes; 
car  la  bouche  de  ces  pauvres  gens  qui  s'in- 
quielent  si  fort  de  moi  n'est  pas  faite  pour  être 
Forgane  de  la  vérité.  Par  cela  seul  qu'on 
publioit  que  j'avois  quité  mon  auberge  vous 
deviez  conclurre,  comme  il  est  vrai,  que  je  n'y 
avois  pas  même  songé,  quoiqu'il  y  ait  quelque 
mérite  a  y  rester  sans  murmure  dans  l'état  ou 


DE    JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  167 

j'y  suis  à  présent.  En  cela  comme  en  beaucoup 
d'aulres  choses  j'ai  mangé  mon  pain  blanc  le 
premier.    Patience  ;  je  la  prends,  ma  bonne 
amie,  je  trouve  vos  avis  fort  bon,  je  vous  en 
remercie,  je  les  suivrai  de  mon  mieux.  Je  suis 
comblé    de    vous    savoir    bien   portante.    Je 
voudrois  qu'il  en  fut  ainsi  de  ma  Cousine,  mais 
elle  est  trop  raisonnable  pour  s'inquiéter  des 
petits  inconveniens  attachés  à  son  état  et  qui 
ne  sont  pas  des  manques  de  mauvaise  santé. 
Le  pauvre  excellent  Papa  n'est  pas  dans  un  cas 
aussi  favorable;  il  ne  voit  plus,  ainsi  que  moi, 
dans  la  vie  d'intervalle  entre  la  souffrance  et  la 
mort  ;  puisque  vivre  et  souffrir  ne  sont  presque 
plus   que  la   même    chose  pour  les  goutteux 
comme  pour  les  infortunés.  Je  suis  en  reste  de 
toute  manière  envers  ce  respectable  ami  ;  ce 
n'est  assurément  pas  à  lui  de  m'écrire;  mais 
mon   cœur   a   beau    me   pousser,    l'invincible 
paresse  m'arrête.   Je  ne  puis  plus  écrire  que 
quand  il  le  faut  absolument,  et  quoiqu'occupé 
bien  tendrement  de  mes  amis,  au  lieu  de  leur 


168  LETTRES    INÉDITES 

écrire  j'aime  mieux  chanter  à  leur  honneur 
des  strophes  du  Tasse.  Je  dois  une  réponse  et 
des  remercimens  à  Monsieur  votre  Hls  dont 
l'ami  M.  de  la  Salle  s'est  fort  occupé  d'un 
logement  pour  M.  Rousseau.  Il  leur  est  bien 
obligé  sans  doute  ;  mais  il  trouve  bien  cruel  que 
l'heureux  Monsieur  Arouet  soit  mort  si  aisé- 
ment, et  que  l'infortuné  Rousseau  ne  puisse 
pas  mourir  quoiqu'il  le  désire.  Ses  amis  du 
moins  ne  devront  pas  contribuer  aie  ressusciter 
malgré  lui.  Quant  à  ce  qui  me  regarde,  ma 
bonne  amie,  je  vois  par  la  lettre  de  M.  de  la 
Salle,  que  c'est  M.  Bourgelat,  l'intime  ami  de 
M.  D'Alembert,  qui  s'est  donné  beaucoup 
de  mouvement  pour  m'obtenir  la  permission  de 
respirer  l'air  dans  la  principauté  de  Bombes. 
Cela  est  très  obligeant,  très  généreux  sans 
doute,  mais  avec  tout  cela  je  me  sens  peu 
^curieux  d'être  logé  par  les  soins  des  amis  de 
M.  D'Alembert.  J'ai  receu  tous  vos  envois,  ma 
bonne  amie,  je  ne  me  souviens  pas  des  détails, 
mais  j'ai  tout  receu,  et  quand  j'aurai  besoin  de 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  169 

quelque  autre  chose  je  vous  donnerai  mes 
commissions  avec  autant  de  confiance  que  vous 
aurez  de  plaisir  à  les  faire.  Ménagez  votre 
santé  et  votre  estomac.  Adieu,  ma  très  bonne 
amie,  je  vous  embrasse  et  tout  ce  qui  vous  est 
cher.  Ma  femme  ne  parle  que  de  vos  bontés. 
Nous  sommes  tous  deux  à  vos  pieds,  mettez-nous 
Fun  et  l'autre  à  ceux  de  la  charmante  Cousine. 


LI 

A  Monsieur 
Moiîsieur  Boy  de  la  Tour  rainé,  à  Lyon. 

A  Bourgoin  le  13  X''''^  1*68. 

Voici,  Monsieur,  la  lettre  de  M.  de  la  Salle 
que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer,  et  sur 
laquelle  j'ai  bien  des  remercimens  à  vous  faire 
à  tous  les  deux  pour  M.  Rousseau  au  logement 
duquel  vous  voulez  bien  vous  intéresser.  La 
saison  qu'il  fait  ne  permet  guère  en  ce  moment 
de  courir  les   campagnes  pour  examiner  des 


170  LETTRES    INÉDITES 

logemens,  et  nous  serons  à  temspour  y  penser, 
d'attendre  qu'elle  soit  un  peu  meilleure.  En 
attendant,  je  vous  prie,  Monsieur,  de  témoigner 
à  M.  de  la  Salle  et  de  l'engager  à  témoigner  à 
M.  Bourgelat  toute  la  reconnoissance  de  celui 
pour  lequel  ils  ont  la  bonté  de  s'intéresser.  La 
mienne  Monsieur,  vous  est  aquise  depuis 
longtems,  ce  n'est  ici  qu'une  augmentation  de 
dette  dont  je  ne  demanderois  pas  mieux  je 
vous  assure  que  de  trouver  l'occasion  de  m'ac- 
quiter.  Vous  connoissez,  Monsieur,  tout  mon 
dévouement  pour  vous  et  pour  tout  ce  qui 
vous  appartient. 

RENOU. 


LU 

A  Bourgoin,  le  6  Janvier  1769. 

Chère  amie,  je  suis  très  touché  de  votre  zèle 
et  ne  doute  nullement  des  talents  distingués 
du  Médecin  que  vous  me  proposez;  mais  je  ne 
puis  accepter  ses  soins  bienfaisans,  et  j'ai  dit 


DE    JEAN-JACQL'ES    ROUSSEAU.  171 

à  M.  Tissot  lui-même  pourquoi  les  soins  me 
seroient  inutiles  s'il  éloit  à  portée  de  les  offrir. 
Le  séjour  que  j'habite  a  fait  tout  le  mal  et 
c'est  dans  un  autre  qu'il  se  guérira.  Je  vous 
embrasse  et  ma  Cousine  de  tout  mon  cœur. 


LUI 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Toiir^  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  le  17  Janv  1769. 

J'envoye  la  Nanon,  ma  très  bonne  amie,  vos 
douceurs  me  sont  trop  chères  pour  que  je  les 
refuse.  Je  ne  refuse  rien  de  la  véritable  amitié. 
J'aurois  besoin  de  beaucoup  de  choses  dont 
l'état  où  je  suis  et  l'embarras  d'un  déménage- 
ment ne  me  laissent  pas  détailler  la  note.  Des 
fruits  de  carême,  s'ils  sont  bons.  Deux  agrafes 
pour  un  corps  de  femme;  une  paire  de  lunettes 
appelées  conserves,  etc.  Ayez  la  bonté  de  payer 
le   port  afin  d'éviter  l'embarras  si  je  n'étois 


172  LETTRES   INÉDITES 

plus  ici.  La  coqueliére*  pourra  également  dépo- 
ser le  paquet  à  mon  auberge  d'où  on  me  le 
fera  parvenir.  Dieu  veuille,  ma  chère  amie, 
que  je  déménage  sous  d'heureux  auspices \ 
c'est  à  dire  que  je  trouve  enfin  le  repos  dans 
la  solitude  où  je  vais  me  confiner.  Adieu,  chère 
amie  ;  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  la 
chère  Cousine  et  tout  ce  qui  vous  est  cher.  Ma 
femme  joint  son  cœur  au  mien  pour  vous 
aimer  conjointement  de  toute  notre  force. 

Je  n'ai  aucune  nouvelle  de  M.  Tissot. 


LIV 

A  Monquin^,  le  l^-FéV  1769. 

Me  voici,  chère  amie,  dans  ma  nouvelle  habi- 

1.  «Coquetier,  (lit  le  Dic<.  de  T/'i^voi/o?,  marchand  qui  amène 
ordinairement  à  Paris  des  œufs  en  coque,  du  beurre,  des- 
volailles, du  poisson  de  Somme,  etc.  »  Les  statuts  de 
cette  corporation  étaient  le  plus  ancien  des  règlements  de 
police. 

2.  Dès  la  fin  de  l'année  1768,  Rousseau  était  impatient  de 
quitter  Bourgoin.  Madame  de  Césarges  lui  offrit  délai  louer 


DE    JEAN- JACQUES    ROUSSEAU.  iTi 

talion  solitaire,  et  j'y  suis  bien,  trop  bien  seule- 
ment pour  pouvoir  oublier  que  je  ne  suis  pas 

à  bon  compte  une  ferme  qu'elle  possédait  aux  environs  et 
qu'on  baptisait  château  deMonquin.  Il  accepta  avec  empres- 
sement. «  Monquin,  dit  L.  Fochier,  est  un  vieux  petit  castel 
tout  délabré,  à  une  demi-lieue  de  Bourgoin  et  sur  les  hau- 
teurs de  Maubec.  De  ce  plateau  élevé,  la  vue  se  projette  sur 
un  magnifique  panorama,  bordé  d'un  côlé  par  les  Alpes  et 
de  l'autre  par  les  montagnes  du  Bugey.  De  là,  Jean-Jacques 
apercevait  le  gigantesque  mont  Blanc,  qui  se  dresse  dans 
le  lointain  et  qui  lui  rappelait  la  Savoie,  la  Suisse  et  Genève 
sa  patrie.  Sur  un  plan  plus  rapproché,  l'aspect  du  mont  du 
Chat  parlait  à  son  cœur  de  la  douce  vallée  de  Chambéry, 
des  Charmettes,  et  de  ses  belles  et  paisibles  années.  C'est 
dans  cette  retraite  qu'il  resta  jusqu'au  commencement  de 
juin  1770,  époque  à  laquelle  il  quitta  le  Dauphiné  pour 
retourner  à  Paris. 

»  Le  logement  que  cet  homme  célèbre  a  occupé  à  Monquin 
était  autrefois  l'objet  de  fréquents  pèlerinages  ;  aujourd'hui 
même  encore,  des  visiteurs  fervents,  venus  souvent  de  loin, 
s'y  acheminent  de  temps  en  temps. 

»  M.  le  comte  de  Meffray-Gésarges,  propriétaire  de  la  ferme 
de  Monquin,  a  eu  le  bon  goût  de  ne  rien  laisser  changer  aux 
deux  pièces  qui  ont  été  habitées  par  Rousseau.  Le  temps 
seul  les  a  dégradées  ;  elles  sont  vides  de  meubles,  les  murs 
sont  nus;  seulement,  une  grossière  peinture,  représentant 
le  Sacrifice  d'Abraham,  décore  la  cheminée  de  la  première 
pièce.  On  accédait  [sic]  jadis  à  cette  chétive  demeure  par 
un  escalier  établi  dans  une  tourelle,  aujourd'hui  démolie. 
»  Beaucoup  de  villageois  de  Maubec  se  souviennent  encore 


174  LETTRES    INÉDITES 

chez  moi.  Mon  état  ne  paroit  pas  sensiblement 
empiré,  si  ce  n'est  que  l'enflure  intérieure  a  fait 
eiïorl  au  point  de  soulever  et  de  jetter  les 
fausses  cotes  du  coté  droit.   J'ai  receu  avec 

du  nom  de  Jean-Jacques  (c'est  le  seul  que  la  tradition  locale 
lui  donne)  ;  mais  ils  commencent  à  ne  plus  guère  savoir  ce 
qu'était  cet  êlre  mystérieux.  A  leurs  yeux,  ce  devait  être 
quelque  grand  sorcier. .» 

On  lit  encore  dans  les  Mémoires  de  M.  Champagneux  : 

«  Pendant  ce  séjour,  qui  dura  quinze  mois,  tous  les  mal- 
heureux du  village,  dit-il,  se  ressentirent  de  ses  bienfaits  : 
un  incendié  reçut  un  secours  considérable,  ce  qui  suppose 
qu'il  avait  des  fonds,  et  qu'il  ne  craignait  pas  d'en  manquer. 
Rousseau  aimait  les  fruits,  le  poisson,  et  quelques  autres 
objets  propres  à  ma  contrée.  Il  n'aurait  pas  été  possible  de 
lui  en  faire  accepter  en  présent;  je  lui  en  faisais  vendre, 
mais  la  personne  que  je  chargeais  de  la  commission,  ne 
réclamait  que  la  moitié  de  la  valeur,  et  par  cette  ruse  inno- 
cente, je  me  procurais  la  satisfaction  de  faire  du  bien  à 
Jean-Jacques,  et  de  le  faire  sans  qu"il  en  sût  rien. 

»  Pendant  qu'il  habita  Bourgoin  ou  la  montagne,  il  reçut 
de  nombreuses  visites;  mais  il  ne  les  accueillit  pas  toutes 
•également;  il  y  eut  même  des  personnes  pour  lesquelles  il 
resta  invisible. 

»  Parmi  les  femmes  enthousiastes  de  Rousseau,  je  citerai 
■une  Provençale,  épouse  du  gouverneur  de  Marseille,  Pille. 
Elle  fit  un  voyage  de  soixante  lieues  pour  le  voir.  Un  de 
mes  amis  de  Lyon  l'accompagnait,  et  je  leur  procurai  une 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  175 

Iransport  la  lettre  de  mon  illustre  patron  ;  j'ai 
aussi  receu  réponse  de  M.  Tissot.  Cette  réponse 
est  1res  belle.  M.  Tissot  est  un  homme  éclairé 
et  vrai.  Enfin  j'ai  receu  vos  envois.  Vos  douceurs 
me  sont  très  douces  ;  tous  les  soins  de  votre 
amitié  sont  précieux  à  mon  cœur.  Voici  deux 
lettres  auxquelles  je  vous  prie  de  donner  cours. 
Je  suis  bref,  chère  amie,  vous  en  savez  la  rai- 
son. Xous  envoyons  en  commun  les  plus  tendres 
bonjours  à  la  bonne  et  belle  Cousine,  à  son 
excellente  Maman  et  à  tout  ce  qui  leur  appar- 
tient. 

11  suffit  de  continuer  d'écrire  tout  uniment 
à  Bourgoin.  Je  ne  vous  écrirai  peut-être  pas  de 
quelque  tems.  Les  lettres,  queje  voyais  tarir  avec 
joye  me  pleuvent  depuis  six  semaines,  et  il  faut 
nécessairement  entrer  pour  y  répondre  dans 
des  détails  qui  ne  finissent  pas. 

entrevue.  Elle  fut  toute  de  feu  de  la  part  de  la  femme,  de 
glace  de  la  part  de  Rousseau.  Malgré  cela,  je  fus  comblé 
deremerciements  de  lapartderadmiratricede  Jean-Jacques. 
Ce  n'était  pas  un  homme,  pour  elle,  c'était  une  divinité.  » 


176  LETTRES    INÉDITES 

LV 

Le  8  Fév  1769. 

M.  d'Ivernois,  ma  très  bonne  amie,  m'a 
apporté  de  bonnes  nouvelles  de  voire  santé  qui 
m'ont  fait  grand  plaisir.  Il  m'a  dit  que  vous 
aviez  des  lettres  pour  moi  que  vous  aviez  eu 
dessein  de  lui  remettre  avant  son  départ  et 
qu'il  n'avoit  point  reçues;  jai  présumé  que 
vous  aviez  pris  le  parti  de  les  envoyer  par  la 
poste,  et  je  les  y  ai  envoyé  chercher  depuis 
lors  tous  les  jours  de  courrier,  mais  rien  n'est 
venu. 

Je  n'ai  rien  à  vous  dire  de  nouveau  sur  mon 
état;  il  est  un  peu  empiré  depuis  deux  jours. 
Mais  je  ne  m'en  étonne  pas,  vu  qu'il  est  sujet 
à  des  inégahtés  continuelles  ;  et  l'horrible  tems 
qu'il  fait  ne  contribue  pas  à  l'améliorer.  Bon 
soir,  ma  chère  amie,  je  vous  quitte  pour  m'aller 
substenter  de  vos  douceurs,  et  puis  m'aller 
coucher  en  pensant  à  vous. 

Agréez  les   obéissances   de  Mad"   Renou  et 


DE   JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  177 

faites  les  agréer  ainsi  que  les  miennes  à  tous  vos 
en  fans. 


LYI 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Toia\  née  Rogu'in. 

A  Monquin,  le  13  Fév  1769. 

Nos  deux  dernières  leUres,  très  chère  amie, 
se  sont  croisées  et  j'en  ai  receu  en  même  tems 
que  la  vôtre  une  de  M.  du  Peyrou  que  je  sup- 
pose être  celle  que  vous  aviez  voulu  m'envoyer 
par  M.  d'Ivernois;  voici  une  réponse  pour  le 
Papa  que  je  vous  prie  de  lui  faire  passer,  suppo- 
sant que  vous  avez  la  bonté  de  faire  tenir  note 
de  tous  les  ports  et  affranchissement  dont  je 
vous  donne  l'embarras  sans  scrupule,  connois- 
sant  votre  inépuisable  bonté  pour  moi. 

Les  nouvelles  que  vous  m'avez  données  de  la 
chère  Cousine  m'ont  fait  le  plus  grand  plaisir, 
et  j'espère  bien,  chère  amie,  que  vous  n'aurez 

12 


178  LETTRES    INÉDITES 

jamais  ù  m'en  donner  l'une  de  l'autre  que  de 
celte  espèce.  Nous  avons  ici  un  pied  de  neige  qui 
me  désole  et  qui,  si  vous  en  avez  autant  à  Lyon, 
me  fait  peine  pour  elle  :  car  son  état  demande 
un  exercice,  très  modéré  à  la  vérité,  mais 
journalier,  et  je  me  ferois  plaisir  de  penser 
qu'elle  va  tous  les  jours  plustot  deux  fois  qu'une 
de  chez  elle  chez  vous,  et  de  chez  vous  chez 
elle.  A  cela  se  joint  le  mien  inlérest  de  penser 
que  mes  deux  amies  quand  elles  sont  ensemble 
n'oublient  pas  de  parler  quelquefois  de  leur 
ancien  hôte  et  de  leur  ami  jusqu'à  la  mort  et 
au  delà,  si  comme  je  l'espère  les  pures  affections 
de  nos  cœurs  nous  survivent.  Je  vous  parlerois 
de  mon  état  si  j'avois  quelque  chose  de  nouveau 
à  vous  en  dire  :  mais  il  n'amende  pas,  et  ne  me 
paroit  pas  empirer.  Il  est  à  peu  près  le  même, 
et  ce  qui  m'en  peine  le  plus  est  qu'il  ne  me  per- 
met ni  d'écrire  ni  d'agir  sans  souffrir.  Sentant 
l'extrême  besoin  de  prendre  un  peu  d'air,  je 
pris  il  y  a  quelques  jours  une  bêche  pour  me 
faire  un  petit  chemin  dans  la  neige;  j'en  fis 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  179 

1res  peu,  l'y  allai  1res  modérément,  mais  mon 
oppression  ne  laissa  pas  d'augmenter,  et  la  nuit 
j'eus  des  mouvemens  convulsifs  dans  tous  les 
membres,  qui  à  la  vérité  cessèrent  le  lendemain 
excepté  dansle  bras  gauche  ou  je  les  sens  encore 
aujourd'hui.  Il  me  faudroit  comme  à  la  Cousine 
un  peu  d'exercice,  mais  très  doux  ;  une  marche 
lente  est  tout  celui  que  je  puis  faire  ;  mais  mal- 
heureusement le  lems  qu'il  fait  ne  me  permet 
point  de  sortir.  J'ai  receu  depuis  quelques 
jours  de  nouvelles  plantes  qui  m'ont  remis  à 
mon  foin..  Je  tracasse  avec  mes  bouquins,  avec 
mon  herbier,  et  cela  m'amuse.  Ma  femme  ne 
s'ennuye  pas,  non  plus,  dans  notre  solitude.  Le 
soin  de  son  très  petit  ménage  l'occupe,  nous 
passons  quelques  heures  délicieuses  à  parler  de 
nos  bonnes  amies  et  à  nous  flatter  de  l'espé- 
rance de  les  recevoir  quelque  jour  ici  plus  tran- 
quillement qu'à  Bourgoin. 

Puisque  vous  avez  la  bonté  de  ne  point  vous 
rebuter  de  mes  éternelles  commissions  et  de 
vous  occuper  de  mes  petits  besoins,  nous  avons 


180  LETTRES    INÉDITES 

ici  une  coquetiére  qui  va  de  tems  en  tems  à 
Lyon  et  à  qui  je  pourrai  remettre  une  note  de 
quelques  articles  qui  pourtant  ne  pressent  aucu- 
nement. Recevez,  chère  amie,  partagez  avec 
la  future  nourrice,  et  distribuez  l'une  et  l'autre 
à  tout  ce  qui  vous  est  cher,  les  vœux  purs  et 
les  tendres  hommages  de  deux  cœurs  qui  vous 
sont  tout  acquis. 

J'ai  toujours  oublié,  chère  amie,  de  vous 
parler  du  digne  Colonel  Chaillet  et  de  vous 
marquer  combien  je  suis  sensible  à  son  sou- 
venir et  combien  je  lui  suis  véritablement 
attaché.  Je  n'ai  point  fait  usage  de  sa  note  au 
sujet  de  notre  ami,  car  cela  seroit  parfaitement 
inutile.  Toute  la  raison  dont  il  fait  usage  est 
dans  sa  tête;  il  n'en  admet  point  qui  vienne 
d'autrui. 


DE    JEAX-JACQUES    ROUSSEAU.  181 

LVII 
A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Roguin^  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  17  Mars  1769. 

Eh  quoi  chère  amie,  ne  prendrez  vous  donc 
jamais  dans  mes  sentiments  la  confiance  que  j'ai 
dans  les  vôtres,  et  pouvez-vous  croire  que  je 
voulusse  aisément  avoir  à  d'autres  l'obligation 
des  embarras  dont  vous  vous  chargez  de  si 
bon  cœur.  Ah  croyez  une  fois  pour  toutes 
que  c'est  à  vous,  à  nôtre  Madelon,  à  votre 
famille,  à  cause  de  vous,  que  j'aime  être  rede- 
vable, et  que  si  je  le  suis  à  d'autres  c'est  malgré 
moi. 

Je  ne  vous  ai  point  envoyé  la  Coquetière, 
parce  que  je  n'ai  plus  entendu  parler  d'elle. 
Rien  ne  presse  pour  aucune  commission.  J'en 
ai  une  pour  des  papiers  et  porte  feuilles  d'her- 
biers qui  me  tient  fort  au  cœur,  mais  elle 
demanderoit  des  explications  trop  longues  à 


182  LETTRES    INÉDITES 

mettre  par  écrit  et  pour  lesquelles  j'aime  mieux 
al  tendre  une  occasion.  Elle  sera  toutaussi  bonne 
à  faire  dans  cinq  ou  six  mois  qu'aujourd'hui. 

Parce  que  je  viens  de  vous  marquer,  vous 
pouvez  comprendre  que  je  continueàêtre  mieux  ; 
cependant  le  côté  droit  est  toujours  enflé.  J'ai 
lieu  de  croire  que  le  vin  du  cabaret  avoit 
autant  contribué  que  l'air  et  l'eau  à  ma  maladie; 
car  j'en  ai  apporté  ici  une  vingtaine  de  bou- 
teilles, et  toutes  les  fois  qu'il  m'arrive  d'en  boire 
je  me  sens  plus  incomodé  qu'il  ne  m'arrive  en 
buvant  d'autres  vins.  L'alun  dont  les  cabare- 
tiers  le  frelatent  n'affecte  pas  beaucoup  les 
gens  en  santé  mais  agit  plus  sensiblement  sur 
un  corps  infirme. 

Chère  amie,  ne  comptez  pas  avec  votre  ser- 
viteur et  donnez-moi  de  grâce  régulièrement 
de  vos  nouvelles  et  de  celles  de  la  Cousine  avec 
laquelle  vous  pouvez  alternativement  remplir 
cette  œuvre  pie,  soit  que  je  vous  écrive  régu- 
lièrement ou  non.  Il  est  certain  qu'il  est  très 
contraire  à  ma  santé  d'écrire.  Je  vous  ferai  donc 


DE    JEAX-JACOUES    ROUSSEAU,  183 

de  courtes  lettres,  peut-être  de  rares,  mais  mon 
cœur  ne  cessera  jamais  un  moment  d'être 
entre  mes  deux  excellentes  amies  et  souvenez- 
vous  une  fois  pour  toutes  que  je  parle  au  nom 
de  Mad^  Renou  ainsi  qu'au  mien. 


LVIII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Bogu'ui,  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  18  Avril  1769. 

M.  De  Luze,  ma  bonne  amie,  me  fait  tort  de 
douter  un  moment  du  vrai  plaisir  que  me  fera 
sa  visite,  plaisir  auquel  il  joindra,  j'espère,  celui 
de  me  donner  en  détail  de  vos  nouvelles  et  de 
celles  de  ma  Cousine.  Dites-lui  donc  qu'il  sera 
le  bien  venu  ;  mais  à  moins  qu'il  ne  veuille 
accepter  un  lit  chez  Mad*  de  Cezange,  je  n'en 
ai  point  ici  à  lui  donner.  Ainsi  il  faudra  qu'il 
couche  à  Bourgoin  et  qu'il  tache  de  venir 
ici  le  matin  afin  que  j'aye  le  plaisir  de  passer 


184  LETTRES    INÉDITES 

avec  lui  la  journée.  Quelqu'un  qui  m'est  venu 
voir  s'estchargédemes  commissions  pour  Lyon, 
du  moins  des  plus  pressées,  et  les  autres  deman- 
deroient  de  plus  longues  écritures  que  je  n'en 
puis  faire  aisément.  Bon  jour,  ma  bonne  amie, 
mes  honneurs  à  tout  ce  qui  vous  appartient. 
Mille  amitiés  à  ma  Cousine,  mes  remercimens 
et  salutations  à  Monsieur  son  Mari.  Recevez  les 
tendres  embrassemens  de  votre  ami  et  de  sa 
compagne. 

RENDU. 


LIX 

A  Madame 
A  Bladame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  àhyon, 

A  Monquin  par  Bourgoin  le  2  Juin  1769. 

Quoique  je  vous  écrive  bien  peu,  ma  bonne 
amie,  je  voudrois  que  vous  m'écrivissiez  bien 
souvent.  Si  ce  désir  n'est  pas  très  équitable  il 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  185 

est  du  moins  1res  naturel,  et  surtout  dans  la 
circonstance  présente  qui  me  tient  sur  l'état 
de  votre  chère  fille  dans  une  inquiétude  conti- 
nuelle. Tirez-m'en,  je  vous  en  conjure,  en  me 
donnant  de  ses  nouvelles.  Il  me  semble  que 
votre  calcul  tomboit  à  peu  près  sur  ce  tems-ci, 
et  je  me  souviens  bien  que  dans  sa  dernière 
lettre  elle  me  promettoit  en  pareil  cas  un 
prompt  avis  que  je  n'ai  point  receu  et  que 
j'attends  avec  l'impatience  et  les  vœux  de 
l'amitié.  Parlez-moi  de  vous  aussi,  ma  bonne 
amie,  de  l'état  présent  de  votre  estomac,  de 
tous  vos  chers  enfans,  de  tout  ce  qui  vous 
intéresse  et  qui  par  conséquent  m'intéresse 
aussi.  Pour  moi  je  me  porte  passablement. 
Mad^  Renou  a  dans  cet  air  vif  des  rhumes 
continuels  qui  m'inquiettent  parce  qu'ils  sont 
mêlés  de  tems  à  autre  de  crachemens  de  sang. 
Nous  nous  ennuyons  fort  l'un  et  l'autre  de 
passer  si  longtems  sans  vous  voir,  et  voudrions 
bien,  très  chère  amie,  vous  embrasser  aussi 
réellement  que  nous  le  faisons  de  cœur. 


186  LETTRES    INÉDITES 

LX 

A  Monsieur 
Monsieur  Boy  de  la  Tour  F  aine,  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  12  Juin  1769. 

Quoique  la  lettre  sans  date,  Monsieur,  par 
laquelle  vous  avez  bien  voulu  me  faire  part 
de  l'heureux  événement  dont  j'attendois  impa- 
tiemment la  nouvelle,  ne  me  soit  arrivée  qu'avec 
celle  de  Madame  votre  Mère  qui  me  donnoit 
le  même  avis,  je  suis  toujours  très  sensible  à 
cette  attention  de  votre  part  et  je  vous  en 
remercie.  J'espère  que  tout  continue  d'aller 
aussi  bien  qu'un  si  bon  début  l'annonce,  et 
qu'il  n'est  déjà  plus  question  d'acouchée  mais 
d'une  aussi  bonne  que  belle  nourrisse,  amen. 
Marquezma  joye,je  vous  en  prie^  à  cette  excel- 
lente Maman  et  à  sa  Maman,  et  à  tout  ce 
qui  s'intéresse  à  elle,  c'est-à-dire  à  tout  ce 
qui  la  connoit. 

Mad^  Renou  est  bien  sensible,  Monsieur,  à 


DE  JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  187 

l'honneur  de  votre  souvenir  et  vous  salue. 
Vous  avez  la  preuve  que  dans  l'occasion  je 
n'épargne  pas  vos  peines,  certain  qu'un  fils 
et  qu'un  frère  de  mes  meilleures  amies  les 
prendra  toujours  avec  plaisir. 

J'ignorois  que  votre  billet  eut  besoin  d'être 
renouvelle;  quand  cela  seroit  rien  ne  presse. 
Faites  là  dessus  ce  qu'il  vous  plaira  ou  me 
dites  ce  que  je  dois  faire,  car  je  suis  très  inepte 
en  tout  cela.  L'on  m'a  aussi  écrit  le  mariage 
de  M.  du  Peyrou  :  mais  j'ignore  s'il  est  fait 
actuellement.  Recevez,  Monsieur,  je  vous  prie 
et  faites  agréer  à  Monsieur  votre  frère  mes 
sincères  salutations. 

RE.NOU. 


LXI 

A  31a dame  Boy 
Madame  Boy  de  la  Tow\  ?iée  Boyuhi,  à  Lyo?i. 

A  Monquin,  le  29  Aoust  1769. 

Je  puis  enfin,  ma  bonne  amie,  respirer    et 
vous  demander  de  vos  nouvelles.  Peu  de  jours 


188  LETTRES    INÉDITES 

après  mon  arrivée  ici  je  repartis  pour  une  her- 
borisation sur  le  mont  Pila  qui  étoit  arrangée 
depuis  longtems.  Notre  voyage  fut  assez  triste, 
toujours  de  la  pluye,  peu  de  plantes*  vu  que 
la  saison  étoit  trop  avancée,  un  de  vos  Mes- 
sieurs fut  mordu  par  un  chien,  Sultan^  fut 
estropié  par  un  autre.  Je  le  perdis  dans  les 
bois  où  je  l'ai  cru  mort  de  ses  playes  ou  mangé 
du  loup;  à  mon  retour  j'ai  été  tout  surpris  de 
le  retrouver  ici  bien  portant,  sans  que  je  sache 
comment  dans  son  état  il  a  pu  faire  sans 
manger  cette  longue  route,  et  surtout  com- 
ment il  a  retraversé  le  Rhône.  Tout  ce  que 
nous  avons  eu  de  meilleur  dans  notre  pèleri- 
nage a  été  d'excellent  vin  d'Espagne  que  vous 

i.  Cf.  Jean-Jacques  Rousseau  als  Botaniker,  par  A.  Jansen, 
Berlin  1885. 

2.  Voir,  sur  son  chien  Sultan,  ses  lettres  à  Coindet,  des 
27  et  28  juin  1767.  Jean-Jacques  avait  aussi  une  chatte, 
Minette,  qu'il  confia  à  madame  de  Verdelin  quand  il  quitta 
Montmorency  (Cf.  lettre  de  madame  de  Verdelin  â  Jean- 
Jacques,  j  uillet  1 762  dans  Streckeisen  yioallon,  Jean- Jacques 
Rousseau,  ses  amis  et  ses  ennemis  II,  p.  481).  Bernardin  de 
Saint-Pierre  a  aussi  vu  chez  lui  un  serin  en  cage. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  189 

connoisscz  qui  nous  a  grandement  reconforté 
tout  au  sommet  de  la  montagne,  et  dont  nous 
avions  je  vous  jure  très  grand  besoin.  Enfin 
me  voila  de  retour  depuis  quelques  jours, 
encore  harassé  de  cette  longue  et  pénible 
course  ;  fort  occupé  d'arranger  et  sécher  mes 
plantes  à  demi  pourries;  mais  empressé  surtout 
d'apprendre  que  vous  vous  portez  bien,  que 
vous  m'aimez  toujours  bien,  vous,  chère  amie, 
et  la  chère  Cousine,  et  vos  chers  enfans  et 
les  siens,  et  tout  ce  qui  vous  interesse  l'une 
et  l'autre.  Bonjour,  ma  bonne  amie,  un  petit 
mot,  je  vous  en  conjure  et  recevez  les  plus 
tendres  amitiés  et  salutations  de  deux  cœurs 
unis  pour  vous  aimer. 


190  LETTRES    INÉDITES 

LXII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin^  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  19  ?'"•'=  1769. 

Si  je  ne  m'étois  pas  foulé  la  main  par  une 
chute,  ma  chère  amie,  je  vous  aurois  répondu 
sur  le  champ  pour  vous  tranquilliser  sur  la 
morsure  de  mon  chien  qui  ne  pouvoit  rien 
avoir  de  sinistre,  vu  que  ce  n'étoit  qu'une 
jalousie  de  caresses  et  de  préférences  qui  lui 
avoit  attiré  cette  morsure,  qui  ne  ressemble 
point  à  celles  qui  ont  du  danger.  Il  est  par- 
faitement guéri  de  même  que,  grâce  au  Ciel, 
un  de  vos  Messieurs  qui  fut  mordu  lui-même 
à  la  jambe  par  un  autre  chien. 

Vous  ne  doutez  pas,  chère  amie,  du  vif  et 
vrai  désir  que  j'ai  de  me  rapprocher  de  vous. 
Mais  les  premiers  froids,  dont  je  sens  vivement 
l'atteinte,  me  tiennent  en  crainte,  et  la  saison 
des  voyages  est  déjà  passée  pour  moi.  Je  vous 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  191 

avoue,  cependant  que  le  souvenir  de  l'hiver 
dernier  me  lient  en  peine  sur  celui-ci  passé 
tout  entier  dans  la  solitude.  L'Eté  la  promenade 
et  l'herborisation  m'amusent  et  me  suffisent. 
Mais  l'hiver  la  vie  sédentaire  et  le  défaut  d'amu- 
sement prennent  sur  ma  santé  et  même  sur 
mon  humeur.  J'avois  eu  toujours  un  instru- 
ment de  musique  qui  m'étoit  très  utile;  j'ai 
cruellement  senti  le  défaut  de  cette  ressource 
les  deux  hivers  précédens.  ?s'y  auroit-il  point 
moyen,  chère  amie,  de  me  la  procurer  celui-ci? 
J'ai  pensé  que  peut-être  M.  Léonis  voudroit 
bien  à  votre  prière  me  procurer  quelque  épinette 
à  louer  pour  six  mois;  il  me  rendroit  un  service 
plus  essentiel  qu'il  ne  paroit  s'il  vouloit  bien 
se  donner  celte  peine,  et  je  lui  en  serois  sen- 
siblement obligé.  Je  ne  voudrois  pas  une 
patraque,  je  voudrois  une  bonne  épinette  bien 
en  état,  et  tout  ce  qu'il  faudroit,  cordes,  plumes, 
marteau,  écarlate,  pour  racomoder  ici  ce  que 
je  pourrois  déranger.  Je  m'imagine  que  le 
transport  seroit  un  peu  difficile  pour  qu'elle 


192  LETTRES    INÉDITES 

ne  se  dérangeât  pas  beaucoup,  et  je  ne  vois 
pas  d'autre  expédient  que  de  la  faire  porter 
à  dos  d'homme.  Si  l'on  pouvoit  trouver  où 
vous  êtes  un  homme  attentif  qui  la  ménageât 
en  route  je  vous  serois  très  obligé  de  faire  avec 
lui  le  marché  et  de  me  donner  avis  par  lui  de 
ce  qu'il  faut  que  je  lui  paye.  Si  vous  ne  trouvez 
pas  aisément  le  porteur  qu'il  nous  faut  j'en 
peux  envoyer  un  d'ici. 

L'épinette  ne  se  trouvera  peut-être  pas  aisé- 
ment. En  ce  cas  pourrois-je  avoir  du  moins 
un  Violoncelle,  qui  fut  bon,  tout  monté,  des 
cordes  de  rechange  et  de  la  colophane?  Comme 
cet  instrument  craint  moins  le  transport,  on 
pourroit  l'envoyer  par  le  carrosse,  au  moins  s'il 
avoit  un  étui,  et  l'addresser  à  Bourgoin  chez 
M.  la  Tour  perruquier.  Si  le  Violoncelle  à  louer 
ne  se  trouve  pas  non  plus,  j'aimerois  encore  et 
même  par  préférence  un  bon  Cistre  à  cinq  cor- 
des monté  dans  le  bas  en  cordes  filées  un  peu 
grosses;  et  toujours  à  louer  pour  six  mois. 
Enfin,  chère  amie,   si  rien  de  tout  cela  ne  se 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  193 

IruLive.  je  me  rabais  pour  pis  aller  à  une  flûte 
à  bec  dont  je  vous  prie  de  me  faire  faire  l'em- 
plelte,  car  ce  n'est  pas  la  peine  de  la  louer. 
Voi'là,  je  vous  l'avoue,   des  commissions  bien 
importunes  pour  des  Dames,  mais  j'espère  que 
l'importance  dont  cette  ressource  peut  m'êlre 
dans  ma  situation  vous  fera  passer  avec  votre 
indulgence  ordinaire  par  dessus  l'incongruité. 
La  musique  est  pour  moi  un  vrai  remède  %  et  le 
seul  peut-être  qui  puisse  être  efficace  dans  mon 
état.  Pouvu  que  j'aye  un  instrument  quel  qu'il 
soit,   et  un  peu  de  papier  réglé  je  suis  sur  de 
passer  mon  lems  sans  ennui  et  sans  m'affecter 
beaucoup  de  quoi  que  ce  puisse  être.  La  bota- 
nique est  amusante  en  été,  mais  en  hiver  elle  ne 
fait  que  fatiguer  et  n'amuse  guère.  Il  ne  me 
faut  rien  qui  me  fatigue  la  mémoire  et  l'esprit. 
J'espère  qu'en  me  répondant,  vous  ne  ferez 
pas  comme  moi  qui  ne  vous  parle  ici  que  de  ma 
triole  (connoissez-vous  ce  mot  Genevois?),  que 

1.  Cf.  J.-J.  Rousseau  als  Musiker,  par  Alb.  Jansen,  Berlin 
i884. 

13 


194  LETTHKS    INÉDITES 

VOUS  me  parlerez  au  long  de  voire  santé,  de 
vous  de  votre  famille,  surtout  de  fourvière  où 
je  n'ai  pas  écrit  depuis  un  tems  infini.  Parlez- 
moi  de  tout  ce  que  vous  savez  qui  intéresse  les 
deux  solitaires  qui  comptent  ici  les  jours  avec 
impatience  jusqu'à  ce  qu'ils  arrivent  à  celui  de 
vous  embrasser.  Adieu,  chère  amie,  voilà  le 
commissionnaire  qui  atlend  ma  lettre  et  qui  me 
la  fait  finir. 

Point  de  cistre  à  moins  qu'il  ne  soit  bon  et  à 
cinq  cordes.  On  m'en  a  fait  venir  un  de  Lyon 
qui  n'étoit  qu'un  vrai  chaudron,  totalement 
injouable. 


LXIII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tou)\  née  Rogu'in^  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  6  8'"-=  1769. 

Je   reconnois    vos  bontés  ordinaires,    mon 
excellente  amie,  dans  celle  que  vous  avez  eue 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  195 

de  vous  occuper  de  mon  indiscrette  commis- 
sion. Cependant  comme  elle  ne  laissait  pas 
d'être  de  quelque  importance  pour  mon  état,  je 
me  suis  fait  moins  de  scrupule  de  charger  de 
ce  soin  votre  amitié  et  votre  humanité.  Le  por- 
teur de  rinslrumont  pourra  s'addresser  àBour- 
goin  au  S'  la  Tour,  perruquier  sur  la  place, 
qui  lui  indiquera  le  chemin  pour  venir  ici.  La 
Tour  ou  son  frère  viennent  me  raser  tous  les 
vendredis  et  mardis  matin  et  si  le  voyage 
de  l'homme  pouvoit  s'ajuster  sur  ces  mêmes 
jours,  un  des  deux  La  Tour  pourroil  l'amener 
lui-même.  Je  vous  prie  de  dire  audit  Porteur 
que  s'il  ménage  assez  l'instrument  en  route 
pour  qu'il  arrive  ici  d'accord  et  en  bon  état, 
je  lui  donnerai  trente  sols  pour  boire  par 
dessus  l'accord  que  vous  aurez  fait.  Je  regarde 
cette  petite  précaution  comme  fort  essen- 
cielle. 

Mad'  Renou  qui  vous  baise  les  mains  de 
tout  son  cœur  ainsi  qu'à  la  chère  Cousine,  veut 
que  je  vous  importune  encore  de  deux  commis- 


196  LETTRES    INÉDITES 

sions,  oL  que  je  fais  avec  une  confiance  aussi 
inépuisable  que  votre  complaisance  et  dans 
l'espoir  que  ce  seront  les  dernières.  L'une  est 
d'une  petite  caisse  de  Chandelles  des  six  à  la 
livre  et  d'une  douzaine  de  livres.  L'autre  seroit 
d'un  bon  bonnet  de  laine  et  d'une  paire  de  bas 
drappés  et  de  gants  chauds  pour  voire  pauvre 
ami  qui  commence  à  grelotter  terriblement  et 
que  les  premiers  froids  rendent  bien  malingre. 
Si  vous  y  pouviez  joindre  une  paire  de  Mitaines 
de  soye  pour  elle,  j'aurois  le  plaisir  de  les  lui 
donner  pour  sa  fête  qui  est  le  quinze  de  ce  mois. 
Lesdits  envois  peuvent  se  faire  par  le  carrosse 
à  l'addresse  dudit  S'  la  Tour  perruquier  pour 
M.  Renou.  Vous  avez  eu  la  bonté,  chère  amie, 
de  me  faire  précédemment  plusieurs  petites 
emplettes  pourlesquelles  je  dois  avoirun  compte 
ouvert  chez  vous.  Après  y  avoir  ajouté  tous  les 
susdits  articles,  veuillez  s'il  vous  plait  en  faisant 
mes  salutations  à  Monsieur  votre  fils,  le  prier 
de  ma  part  de  vous  rembourser  le  tout  sur 
l'argent  qui  est  entre  ses  mains.  Si  vous  jugez 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  197 

à  propos  d'ajoùler  à  ce  mémoire  le  loyer  de 
l'épinelte  el  le  payement  du  porteur  je  n'aurai 
pas  besoin  de  débourser  ici  cet  argent,  sinon 
je  le  lui  remettrai.  Soit  fait  à  votre  volonté, 
à  condition  que  vous  ne  prendrez  sur  rien 
le  bon  marché  dans  votre  poche,  ce  que  je  ne 
dois  pas  supposer  parce  que  cela  seroit  mal- 
honnête. 

Voici,  chère  amie,  une  lettre  pour  M.  Dastier 
que  je  vous  prie  de  vouloir  bien  faire  affranchir 
à  son  exemple  et  que  je  suis  obligé  de  vous 
addresser  pour  cela  parce  que  j'ai  remarqué 
qu'on  n'a  aucun  égard  aux  affranchissemens 
que  je  fais  faire  à  Bourgoin.  Il  a  eu  la  bonté 
de  me  faire  une  petite  fourniture  de  caffé  pour 
laquelle  suivant  son  compte  je  ne  lui  dois  que 
douze  francs.  Or  comment  lui  faire  tenir  ces 
douze  francs  à  Carpenlras  ?  Voilà  mon  embar- 
ras. S'ilyavoit  moyen  de  faire  ce  petit  payement 
par  quelqu'un  des  correspondans  de  vos  Mes- 
sieurs, je  leur  en  serois  extrêmement  obligé  el 
je  marque  à  M.  Dastier  que  je  vous   en  prie. 


198  LETTRES    INÉDITES 

L'embarras  que  son  affranchissement  de  lettre 
me  force  à  vous  donner  vous  dit  assez  ce  que 
je  pense  du  votre  :  ainsi  je  ne  vous  en  parlerai 
pas. 

De  grâce,  chère  amie,  tolérez  l'imporlunité 
de  ces  commissions  avec  autant  d'indulgence 
que  vous  mettrez  d'exactitude  à  les  faire,  c'est 
tout  dire.  Une  des  plus  grandes  rigueurs  de 
ma  destinée  et  de  celles  que  je  sens  le  plus  est 
d'être  toujours  à  charge  à  mes  amis,  et  de  leur 
être  toujours  inutile.  Ceux  qui  disposent  de  moi 
avec  autant  de  barbarie  que  d'iniquité  ont  bien 
choisi  dans  mon  cœur  les  endroits  les  plus  sen- 
sibles pour  ne  perdre  aucun  de  leurs  coups.  Je 
leur  suis  obligé  du  moins  d'en  faire  assez  pour 
réveiller  mon  courage  que  des  traitemens  moins 
indignes  auroient  peut-être  laissé  dormir.  Bon- 
jour, ma  chère  et  bonne  amie.  J 'attends  avec 
empressement  le  signe  de  vie  de  la  chère  Cou- 
sine; s'il  faisoit  moins  froid,  que  je  fusse  moins 
paresseux,  moins  malingre,  elle  ne  me  prévien- 
droit  sûrement  pas.  Recevez  pour  vous  et  pour 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  199 

elle  les  plus  tendres  amitiés  des  deux  pauvres 
hermites. 


LXIV 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour,  F  aine  ^  à  Lyon. 

A  Monquin  le  20  8"''  1709. 

J'attendois,  Monsieur,  pour  vous  faire  mes 
remercimens  des  emplettes  que  vous  avez  eu 
la  bonté  de  faire  pour  moi,  le  messager  qui 
devoit  apporter  l'épinette  que  je  viens  de  rece- 
voir en  passable  état.  Madame  votre  mère  avoit 
promis  de  m'envoyer  par  lui  l'avis  de  ce  qu'il 
falloit  lui  payer,  comme  il  ne  m'a  point  apporté 
de  lettre,  l'ignorance  du  prix  convenu  me  force 
d'en  laisser  faire  le  payement  à  Lyon,  hors  ce 
que  j'avois  promis  pour  boire  que  je  tâcherai 
de  payer  ici  si  l'on  peut  trouver  de  la  monnoye. 
car  sur  cette  montagne  c'est  un  embarras. 

Voici  un  billet  que  je   prie  Madame   votre 


:200  LETTRES    INÉDITES 

mriN.'  ou  vous,  Monsieur,  de  faire  passer  à  Mon- 
sieur Roquini  dans  votre  première  lettre.  Je 
suppose  Madame  voire  mère  à  Sa  campagne, 
en  bonne  santé,  et  que  point  de  nouvelles  est 
bonnes  nouvelles.  Mille  choses  de  ma  part  et  de 
.celle  de  Mad^  Renou,  à  cette  Maman  si  complai- 
sante et  qui  supporte  si  volontiers  les  importu- 
nités  de  ses  amis.  Xe  m'oubliez  pas  non  plus, 
je  vous  supplie,  à  Iburvière  ainsi  qu'auprès  de 
toute  votre  famille.  Agréez  aussije  vous  supplie. 
Monsieur,  les  très  humbles  salutations  de 
Mad'  Renou  et  les  miennes. 

RENOU. 

.T'ai  trouvé  la  monnoye  pour  le  boire. 


LXV 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Rogidn,  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  31  S'"''^  1709. 

Je  suppose,   ma  très  bonne  amie,  que  vous 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  201 

voila  maintenant  de  retour  de  votre  campagne. 
Je  n'aurois  pourtant  pas  attendu  ce  retour  pour 
vous  écrire  si  je  n'eusse  eu  tout  mon  lems 
absorbé  par  la  maladie  de  Mad'  Renou  el  par 
d'autres  tracas  qui  me  prennent  plus  de  lems 
qu'à  un  autre  parce  qu'il  m'est  impossible  de 
mettre  aucun  ordre  dans  sa  distribution.  L'épi- 
nette  est  bonne'  et  me  fera  grand  plaisir  quand 
je  pourrai  m'en  servir.  Je  vous  en  remercie  de 
tout  mon  cœur,  ma  bonne  amie,  ainsi  que  de 
toutes  les  peines  que  vous  vous  donnez  pour 
moi.  J'ai  toujours  oublié  de  vous  parler  de 
M.  Descharny.  Si  je  l'avois  vu,  ainsi  que  M.  De 
Luze,  j'en  aurois  été  fort  aise.  Ne  les  ayant  pas 
vus,  j'en  suis  très  content  aussi;  persuadé  qu'à 
la  fin  tout  se  fait  toujours  pour  le  mieux,  et  sur- 
tout de  la  part  de  mes  amis.  Je  ne  sais  si  je  n'ai 
pas  oublié  de  vous  répondre  aussi  dans  letems 
sur  M.  le  Colonel  Ghaillet'  pour  lequel  j'aurai 

1.  Cf.  page  193. 

2.  Ce  sont  d'anciens  amis  de  Motiers.  Il  a  souvent  élé 
question  d'eux.  Cf.  les  Confessions. 


202  LETTRES    INÉDITES 

loute  ma  vie  la  môme  estime  et  le  même  atta- 
chement, ce  qui  m'est  encore  particulièrement 
cher  comme  ami  de  Mylord  Mareschal.  J'ai  été 
bien  ému  de  ce  que  vous  m'avez  écrit  des  stoï- 
ques  arrangemens  de  M.  Roguin.  Je  lui  ai  écrit 
dans  la  plénitude  de  mon  cœur  deux  mots  que 
j'ai  prié  Monsieur  voire  iîls  de  vouloir  bien  lui 
faire  passer.  Voilà  ma  bonne  amie  et  ma  bonne 
Cousine  rapprochées  l'une  de  l'autre.  Quelles 
sont  heureuses  et  que  ne  puis-je  avoir  ma  part 
du  même  bonheur.  Je  vous  prie  de  vouloir  bien 
lui  dire  qu'elle  suspende  ma  commission  de 
papier  jusqu'à  nouvel  avis,  parce  que  j'en  ai 
receu  d'un  autre  côté  que  je  garderai  peut- 
être.  Ma  femme  qui  est  à  peu  près  rétablie 
vous  envoyé  mille  respects  et  salutations.  Rece- 
vez, chère  amie,  les  miennes  de  tout  mon  cœur. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  ^10'>i 

LXYI 
A  Madame 

Madame  Boy  delà  Toitf\  jiéeRorjidn^  rueLafont, 
à  côté  de  l^  Hôtel  de  Ville,  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  U  X^»"  1769. 

Comme  la  cordialité  de  vos  lettres,  très 
chère  amie,  m'empêclie  de  croire  abuser  de 
votre  complaisance  en  continuant  de  m'en 
prévaloir,  voici  dans  la  boite  qui  vous  sera 
remise  avec  cette  lettre  un  nouvel  embarras 
dont  je  vous  prie  de  vous  charger.  Ce  sont 
des  plantes  et  des  graines  destinées  pour 
Mad"  la  Duchesse  de  Portland^  J'ai  mis  cette 
boite  à  l'addresse  qu'elle  m'a  donnée  pour 
Paris  oii  je  vous  prie  de  vouloir  bien  l'envoyer 
franche  de  Port  par  la  diligence  en  donnant  en 
même  tems  un  mot  d'avis  par  la  poste  au  Cli'^'" 

1.  Dans  une  lettre  à  Coindei,  du  l^""  septembre  1767,  il 
s'intitulait  déjà  «  herboriste  de  .Madame  la  duchesse  de 
Portiand  ». 


204  LETTRES     INÉDITES 

Lambert  afin  qu'il  ail  soin  de  la  faire  retirer  et 
partir  pour  la  destination.  Si  la  boite  doit  être 
ouverte  et  visitée  je  vous  supplie  instamment 
de  recommander  qu'on  y  aille  bien  doucement 
et  qu'on  remette  exactement  tout  comme  on 
l'aura  trouvé;  car  ces  plantes  sèches  sont  si 
fragiles  que  pour  peu  qu'elles  soient  dérangées 
elles  arriveront  on  poussière  à  leur  destination. 

L'Epinette  que  vous  m'avez  envoyée  ^  est 
excellente  et  je  vais  m'en  amuser  avec  grand 
plaisir  à  présent  que  me  voila  délivré  de  ma 
récolte  de  foin  qui  m'a  donné  beaucoup  d'em- 
barras pour  très  peu  de  chose.  M.  divernois 
m'a  envoyé  en  dernier  lieu  encore  un  livre  de 
Botanique  dont  je  me  serois  bien  passé,  mais 
qu'il  faut  payer  puisque  je  l'ai  receu.  Il  me 
marque  qu'il  coûte  douze  francs.  Si  vous  étiez  à 
portée  de  les  lui  faire  rembourser  je  vous  serois 
bien  obligé  de  vouloir  bien  prendre  cette  peine. 

J'espère  que  tout  continue  à  se  porter  bien 

1.  Cf.  pag.  193. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  205 

chez  vous.  Un  mot  de  votre  part  aciievera 
de  m'en  assurer,  ainsi  que  du  bon  état  de  la 
cliére  Cousine  et  de  sa  famille.  iMad"  Renou  se 
porte  bien,  moi  passablemeni  jusqu'ici  et  nous 
vous  faisons  l'un  et  l'autre  nos  plus  tendres 
amitiés  et  salutations. 

Si  l'affranchissement  de  la  boite  faisoit  le 
moindre  obstacle,  ou  rendoit  l'envoi  moins  sûr, 
il  n'yauroit  pas  d'inconvénient  à  s'en  dispenser. 

Afin  d'éviter  les  doubles  emplois,  je  vous 
préviens  une  fois  pour  toutes  que  la  coquetiére 
sera  toujours  payée  ici  '. 


LXYII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Monquin,  le  2  Janvier  1770. 

J'attendois,    très    chère    amie,    pour  vous 
remercier  et  vous  et  ma  chère  Cousine  de  vos 

1.  Cf.  page  172,  note  1. 


206  LETTRES    INÉDITES 

cadeaux  le  dépari  de  la  Messagère  qui  doit 
vousreporler  le  panier,  mais  elle  tarde  si  long- 
lems  que  je  m'en  ennuyé,  et  je  veux  au  moins 
vous  dire  que  les  confitures  me  font  grand 
plaisir  et  que  le  vin  me  fait  grand  bien.  C'est 
un  secours  aussi  salutaire  qu'agréable  contre 
la  rigueur  de  la  saison  et  celle  du  logement 
que  j'habite,  véritable  glacière  où  le  plus  grand 
feu  ne  fait  que  me  rôtir  d'un  coté  tandis  que 
je  gèle  de  l'autre.  Je  me  réchauffe  l'estomac  et 
le  cœur  en  buvant  de  cet  excellent  vin  et  pen- 
sant à  celle  qui  l'envoyé,  mais  pour  les  extré- 
mités elles  sont  si  glacées  qu'il  n'y  a  rien  qui 
les  puisse  dégeler.  J'ai  tellement  l'onglée  aux 
doigts  qu'il  m'est  impossible  d'écrire.  Lisez 
donc  dans  mon  cœur,  très  chères  amies,  ce 
que  mes  doigts  ne  peuvent  tracer,  et  croyez  que 
les  tendres  amitiés  et  salutations  que  nous  vous 
envoyons  l'un  et  l'autre  ne  se  ressentent  pas 
des  froides  impressions  de  la  saison  ni  du  lieu. 
Cette  lettre  part  trois  jours  plus  lard  que  la 
date. 


DE    JEAN-JACQUES   ROUSSEAU.  207 

LXVIII 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon 

(Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  \ 

Ciel,  (loraasque  les  imposteurs,  f  l  -y   22   i^ r\  { 

jionqiiii)  ',  r,  „        1         u    i,  ,  A'    T    t"     ' 

^  i   Et  force  leurs  barbares  cœurs  1  i 

l   A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes.  / 

Il  faut  partir  d'ici,  Madame,  plustol  que  je 
n'avois  compté".  Comme  je  sais  que  les  tracas 
qui  me  regardent  ne  vous  sont  pas  importuns, 
je  viens  à  vous  sans  scrupule  pour  vous  con- 
sulter sur  mon  déménagement.  Outre  mes 
incomodités,  la  rigueur  de  la  saison,  les  mau- 
vais chemins,  plusieurs  choses  m'embarrassent. 

1.  Lisez  22  janvier  1770. 

2.  Tliérèse  s'était  prise  de  bec  avec  une  fille  de  ferme  qui 
accusait  Jean-Jacques  de  l'avoir  séduite.  C'était  une  virago; 
il  l'appelle  le  capitaine  Vertier,  le  bandit  en  cotillon.  Il 
écrivait  à  de  Saint-Germain  :  «  Assurément  le  violateur 
de  la  chaste  Verlhier  doit  être  un  terrible  homme  el  le  plus 
difficile  des  travaux  d"Hercule  doit  peu  lui  coûter  après 
celui-là.  ))  Il  quitta,  de  guerre  lasse,  son  château  de  Mon- 
quin  et  partit  pour  Lyon  d"où  il  se  rendit  à  Paris. 


^08  LETTRES    INÉDITES 

Mon  herbier  et  mes  livres  de  bolanique  feront 
au   moins  Irois  lourdes  malles,  et  nos  hardes 
à  peu  près  autant;   quoique  je  me  soucie  peu 
(le  tout  ce  bagage,  je  ne  veux   pas  le  laisser 
ici.  Si  une  charrette  pouvait  venir  le  charger, 
une  chaise  ou  un  cabriolet  suffiroit  pour  nous 
conduire  :  la  plus  grande  difficulté  seroit  pour 
l'une    et    l'autre  voiture,   de   venir  sur    cette 
hauteur,  d'où  le  trajet  jusqu'au  grand  chemin, 
sans  être  impraticable,  n'est  pas  aisé.  Un  autre 
expédient  seroit  d'envoyer   une  bonne  chaise 
jusqu'à  Bourgoin  où   nous  descendrions   avec 
tout  notre  bagage    dans    un    charriot   que  je 
pourrois  peut-être  trouver  ici  ;  delà  nous  par- 
tirions avec  nos  hardes  derrière  notre  chaise 
consistant  en  deux  ou  trois  malles,  et  je  pour- 
rois  déposer  le  reste  dans  quelque  maison  de 
Bourgoin  jusqu'à  l'occasion  de  le  faire  partir 
pour  Lyon.   Ce   dernier   parti  me  paroit  plus 
embarrassant   que    l'autre.   Je  vous    consulte 
d'avance  sur  cet  arrangement  pour  vous  don- 
ner le  loisir  d'y  penser  et  de  m'en  dire  votre  avis 


DE    JEAX-JACQLES     ROUSSEAU.  209 

à  votre  comodité;  car  il  me  paroiL  impossible 
sans  des  embarras  extrêmes,  sans  la  perte  de 
mes  provisions,  sans  exposer  manifestement  la 
santé  de  ma  femme  et  la  mienne,  de  partir  ici 
avant  le  commencement  de  Mars.  Il  faudra 
aussi  qu'avant  ce  tems-là  vous  ayez  la  bonté  de 
renvoyer  chercher  Fépinette  par  le  même 
homme  :  car  je  n'oserois  m'exposer  à  la  ren- 
voyer d'ici  par  un  gros  lourdaut  qui  la  briseroit 
peut-être  en  route.  Je  serois  même  bien  aise 
d'être  prévenu  du  départ  de  cet  homme,  afin 
que  si  j'avois  de  la  toile  cirée  ou  autre  chose 
à  l'aire  venir  de  Lyon  l'on  put  se  servir  de 
lui.  Veuillez,  je  vous  prie,  consulter  avec  ma 
Cousine  sur  tout  cela  afin  que  s'il  vous  vient  de 
meilleures  idées,  j'aye  le  lems  de  m'y  con- 
former. 

Bonjour,  Madame,  je  trouve  toujours  de  la 
consolation  dans  les  malheurs  qui  me  rap- 
prochent de  vous,  et  je  vous  assure  que  c'est 
avec  un  véritable  empressement  que  j'attends 
le  moment  de  revoir  [cette  excellente  Maman, 

14 


210  LETTRES     INÉDITES 

celte  aimable  Cousine,  et  toute  cette  belle 
famille  qui  m'a  témoigné  tant  d'amitié  et  qui 
me  sera  toujours  chère. 

ROUSSEAU. 

Ma  femme  vous  fait  mille  salutations. 


LXIX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguïn^  à  Lyon. 


(Pauvres  aveugles  que  nous  sommes! 

Ciel,  démasque  les  imposteurs,  f    J  T   7    "T'A 

A  luuiiquiu  \  p.  /        ,  ,     V  ,\l^    /U. 

•■  J    Kt  tnrj^.p   IpiirK  harnnrf'S  r.fpiirs  i  3 


i  Et  fo 
\  A  SOI 


r£e  leurs  barbares  cœurs 
ouvrir  aux  regards  des  hommes. 


Vous  m'avez  écrit,  excellente  Maman,  une 
lettre  bien  tendre,  qui  m'a  fait  grand  plaisir,  et 
dont  je  suis  bien  impatient  d'aller  vous  remer- 
cier. En  voici  le  tems  qui  s'approche,  et  j'en 
compte  les  minutes  avec  grand  empressement. 
Il  faudroit  pour  cela  que  vous  voulussiez  bien 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  211 

prier  la  chcre  Cousine  d'envoyer  chercher 
l'Épinette  un  des  premiers  jours  de  la  semaine 
prochaine,  et  nous  conviendrions  du  reste 
par  le  retour  de  celui  qui  la  portera.  Cet 
arrangement  nous  devient  même  absolument 
nécessaire  par  l'épuisement  de  nos  provisions 
qui  nous  couteroient  beaucoup  d'embarras  et 
de  dépense  à  renouveller  et  auxquelles  nous 
ne  pourrions  suppléer  en  détail  que  par  des 
embarras  encore  plus  grands.  Ainsi  c'est  tout 
de  bon  qu'il  faut  partir  d'ici  dans  quinze  jours 
au  plus  tard.  Puisque  vous  voulez  bien,  *■ 
Madame,  et  votre  chère  fille  avoir  les  tracas 
de  ce  déménagement,  c'est  à  présent  qu'il  faut 
songer  à  me  rendre  ce  bon  office;  je  l'accepte, 
je  vous  assure,  avec  reconnaissance  et  sans 
répugnance,  certain  du  bon  cœur  avec  lequel 
vous  le  remplissez. 

Depuis  l'envoi  de  la  boite  de  plantes  à  Mad'  de 
Portland^  nous  n'en  avons  plus  parlé  et  j'ai 

1.  Cf.  p.  203. 


212  LETTRES     INÉDITES 

tout  lieu  de  présumer,  n'en  ayant  aucune  nou- 
velle d'aucune  pari.,  qu'elle  n'est  pas  arrivée  à  sîi 
deslination.  J'en  ai  écrit  à  Mad'  de  Portland. 
Point  de  réponse.  J'en  ai  écrit  au  Chevalier 
Lambert.  Point  de  réponse.  Veuillez,  très  bonne 
Maman,  aller  aux  enquêtes  de  cette  boite  pour 
savoir  ce  qu'elle  est  devenue.  Elle  est  le  fruit 
de  mon  voyage  de  Pila  que  j'ai  fait  exprès  et 
d'un  travail  de  trois  mois  depuis  mon  retour. 
Si  j'ai  le  malheur  qu'on  se  soit  amusé  à  l'inter- 
cepter en  route,  je  vous  supplie  instamment  de 
vouloir  du  moins  faire  en  sorte  que  je  sache  qui, 
comment,  et  pourquoi. 

Ma  femme  le  cœur  ainsi  que  moi  plein  de  vos 
bontés  et  qui  vous  prie  d'agréer  ses  tendres  res- 
pects, auroit  à  vous  présenter  aussi  pour  son 
compte  une  petite  requête,  au  sujet  de  sa  petite 
basse  cour,  composée  de  sept  jeunes  jolies  pou- 
les et  d'un  coq.  Tout  cela  sont  ses  élèves,  et 
nous  ne  saurions  nous  résoudre  elle  ni  moi  à 
manger  les  poules  dont  nous  avons  mangé  les 
œufs.  Vous  devriez  bien,  cliére  Maman,  donner 


DE     JEAN-JACnUES     ROUSSEAU.  213 

azylc  à  ce  pelit  serrail  dans  votre  maison  de 
campagne,  à  condition  toutefois  qu'elles  auront 
chez  vous  la  même  liberté  qu'elles  onl  ici,  ce 
qui  se  peut  ce  me  semble,  sans  grand  inconvé- 
nient, puisque  votre  jardin  est  à  vous,  au  lieu 
que  par  la  raison  contraire  elles  ne  sauroient 
jouir  à  Fourvière  de  la  même  liberté.  Si  vous 
consentez  à  exercer  cette  petite  hospitalité,  il 
faudroit  en  envoyant  la  cbarretle  y  mettre  un 
panier  où  l'on  put  loger  la  petite  famille  de 
façon  qu'elle  vous  arrivât  saine  et  sauve.  11  nous 
reste  aussi  quelques  pommes  qu'il  est  inutile  de 
laisser  ici.  Un  autre  panier  pour  les  mettre  fe- 
roit  l'affaire,  dût  le  Cbartier  les  manger  en  che- 
min. Je  crains  que  nous  n'ayons  assez  de  petit 
attirail  dans  nôtre  chaise  pour  n'y  pouvoir  rien 
ajouter  sans  embarras.  D'ailleurs  je  prévois  que 
la  charrette  sera  si  peu  chargée  que  j'aime 
mieux  envoyer  par  elle  tout  ce  dont  nous  pour- 
rons nous  passer  avec  nous. 

J'espère  que  tout  continue  à  se  porter  bien 
chez  vous.  Mais  la  Cousine  m'a  marqué  que  sa 


:214  LETTRES    INÉDITES 

fille  éloit  menacée  de  la  coqueluche;  je  vous 
prie,  vous  ou  elle,  de  m'en  donner  des  nouvelles 
par  l'homme  qui  viendra  chercher  l'Epinette, 
ou  plus  lot  si  vous  m'écrivez.  Ma  femme  a  tou- 
jours ses  rhumatismes,  et  du  resle  nous  allons 
l'un  et  l'autre  cahin  caha.  Conservez,  très  bonne 
Maman,  votre  chère  santé,  et  aimez  toujours  un 
peu  deux  infortunés  qui  vous  seront  attachez 
toute  leur  vie. 

Il  ne  faudra  pas  que  l'homme  oublie  sa  corde 
pour  attacher  l'Epinette,  et  je  voudrois  bien 
qu'il  me  fisl  l'emplette  d'un  paquet  de  bonne 
fiscelle  assez  forte  pour  attacher  de  gros  paquets 
Kn  vérité  j'ai  honte  de  mes  importunités. 


DE     JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  215 

LXX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Toiu\  née  Roguin,  à  Lyon. 

(Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  I  '. 

Ciel  démasque  les  imposteurs  I   J  '*?  16  TA 

muiiuum       ,,,  ,  I  u     1  /l/  -n-    /U. 

'■  i    •''  force  leurs  barbires  cœurs  1  i        ^ 

\  A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes.  / 

Je  crains,  Madame,  que  les  chemins  qui  déjà 
n'étaient  guère  ici  praticables  ne  le  soient  de- 
venus encore  moins  par  la  neige  qui  est  tombée 
hier  au  soir.  Cependant  deux  jours  de  soleil  ou 
de  vent  chaud  peuvent  tout  remettre  en  état; 
c'est  pourquoi  je  suis  d'avis,  quoiqu'à  regret,  que 
l'envoi  des  voitures  encore  soit  retardé,  que  la 
charrette  n'arrive  ici  que  Jeudi  matin  22  et  la 
chaise  le  Samedi  suivant  24.  Je  prendrai  d'ici  là 
des  informations  plus  sures  et  si  vous  n'avez  point 
de  mes  nouvelles  jusqu'alors  j'attendrai  l'une 
et  l'autre  voiture  les  jours  ci-dessus  marqués, 
il  est  impossible  qu'elles  trouvent  sans  d'extrê- 
mes embarras  à  se  loger  ni  à  Monquin  ni  au 
voisinage,  et  si  elles  ne  peuvent  coucher  à  Do- 


2l(i  LETTRES    INÉDITES 

marin  ni  dans  la  roule  il  fautabsolument  qu'elles 
aillent  coucher  à  Bourgoin.  11  esl  donc  entendu 
que  si  d'ici  là  nous  n'avons  plus  de  nouvelles 
l'un  do  l'autre  nous  nous  en  tiendrons  à  cet 
arrangement  définitif. 

A  l'égard  du  vin,  comme  il  m'en  reste  beau- 
coup moins  que  je  ne  croyois,  ce  ne  sera  pas 
la  peine,  même  quand  cela  seroit  praticable 
d'envoyer  un  panier  pour  en  charger  sur  la 
charrette  :  mais  s'il  y  avoit  une  cave  dans  la 
chaise  ou  qu'on  put  y  mettre  une  cantine  je  ne 
serais  pas  fâché  d'en  emporter  avec  moi  six  ou 
huit  bouteilles  en  supposant  que  les  entrées  ne 
coûtent  pas  plus  de  dix  sols  la  bouteille,  ce 
qui  seroit  plus  cher  que  le  vin.  Comme  le  oui 
ou  le  non  sur  cet  article  me  sont  presque  indif- 
férens,  je  ne  voudrois  pas  que  vous  ajoutassiez 
pour  cela  le  moindre  embarras  à  ceux  sans 
nombre  que  je  vous  donne.  A  samedi  donc  24 
au  soir  si  rien  de  nouveau  n'arrive.  Nous  em- 
brassons la  bonne  Maman,  la  belle  Cousine  et 
leur  chère  famille. 


DK     JKAN-JACQUES     ROUSSEAU.  217 

LXXI 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  à  sa  campagne. 

(Pauvres  aveugles  que.  nous  sommes!  \ 
Ciel,  démasque  les  imposteurs  I    /l  T   "    TA 

A   LVOn   '    C-.  f         1         K     1  /   1  ^    fi    ^  ^« 

1   ht  lorce  leurs  barbares  cœurs  1  » 

\  A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes,  y 

Après  avoir  goulé  si  délicieusement  le  plaisir 
de  vivre  auprès  de  la  meilleure  des  Mamans, 
pourquoi  fau(-il  que  je  m'en  éloigne  et  que  je 
sente  aussi  cruellement  la  privation  d'un  bien 
qui  m'étoit  si  cher  et  auquel  vous  m'aviez  accou- 
tumé? Je  veux  espérer  que  celte  privation  ne 
sera  que  passagère,  et  qu'enfin  il  me  sera  per- 
mis de  ne  suivre  que  mes  pencbans.  Vous  savez 
à  combien  de  titres  ils  me  rapprocheront  de 
vous,  et  votre  adorable  Madelon  que  j'ai  eu  le 
plaisir  de  posséder  ici  quelques  heures  avec 
son  frère  aine,  n'est  pas  comme  vous  savez  bien 
la  seule  personne  qui  rappelle  mon  cœur  en  ce 
pays.  iMa  charmante  tante,  ma  belle  grand 
Maman,  leurs  aimables  frères,  sont  autant  de 


218  LETTRES     INÉDITES 

cordons  qui  renforcent  le  lien  qui  m'allaclie 
à  leur  excellente  Maman.  En  attendant  que  je 
revienne  goûter  un  bonheur  dont  je  sens  le  prix, 
je  vous  laisse  une  ligure  que  je  désire  qui  reste 
au  milieu  de  vous  autrement  que  sur  la  toile  et 
qui  ne  vous  soit  jamais  étrangère,  et  moi  j'em- 
porte en  échange  un  cœur  plein  de  vous  et  de 
tout  ce  qui  vous  appartienl. 

U. 

Ma  femme  vous  dit  les  mêmes  choses  et  ne 
s'éloigne  pas  de  vous  avec  moins  de  regret  que 
moi.  Je  tâcherai  de  ne  pas  oublier  le  petit 
herbier  de  ma  tanle,  comme  elle  a  oublié  ma 
pièce  de  Clavecin,  mais  il  faut  que  j'attende  un 
peu  de  repos  et  de  loisir  pour  y  travailler. 


DE    JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  219 

LXXII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tow\  née  Roguin,  à  Lyon. 

I  Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  ' 

A  Paris  '  '^''''.  démasque  les  imposteurs  ■   17   ^    70 

\  Et  force  leurs  barbares  cœurs  1  7       ^  • 

\  A  s'ouvrir  aus  regards  des  hommes.  / 

J'attendois_,  Madame,  depuis  mon  arrivée  le 
moment  de  vous  écrire  au  long  et  plus  à  mon 
aise  quand  je  serois  un  peu  délivré  des  premiers 
tracas.  Dans  cet  intervalle  j'ai  eu  le  plaisir  de 
voir  ici  Monsieur  voire  frère  qui  s'est  chargé  de 
vous  donner  de  mes  nouvelles  :  mais  je  ne  puis 
différer  plus  longlems  à  vous  demander  des 
vôtres  et  à  vous  témoigner  le  tendre  souvenir  que 
raimable  accueil  que  j'ai  receu  de  vous  et  de 
toute  vôtre  charmante  famille  a  laissé  dans  mon 
cœur.  Il  ne  manquoit  chez  vous  à  la  douceur  de 
ma  vie  que  de  voir  la  demeure  de  ma  chère 
Cousine  un  peu  plus  rapprochée  de  la  votre  et 
de  pouvoir  vous  partager  mon  tems  ainsi  que 


220  LETTRES    INÉDITES 

mon  cœur.  C'est  une  bien  douce  tyrannie  que 
celle  de  ma  tante,  ce  sont  de  petites  humeurs 
bien  attirantes  que  celles  de  ma  grand-maman, 
mais  comme  elles  ont  toutes  deux  leur  place 
dont  depuis  mon  départ  je  sens  bien  le  vide, 
leur  chère  sœur  a  aussi  la  sienne  qu'en  son 
absence  rien  ne  peut  remplir.  Messieurs  vos 
fils  de  jour  en  jour  encore  plus  caressants  plus 
aimables  ont  bien  aussi  leur  part  à  mes  re- 
grets. Ma  femme  les  approuve  et  les  partage. 
Xous  ignorons  comment  le  Ciel  ou  les  hommes 
disposeront  de  nous  :  mais  vous  nous  avez  rendu 
le  séjour  de  Lyon  si  désirable  que  nos  vœux  ne 
sauroient  êlre  comblés,  tant  que  nous  vivrons 
éloignés. 

J'ai  repris  ici  mon  ancien  logement*  et  mes 
anciennes  connaissances  ;  j'ai  eu  du  plaisir  à  les 
retrouver  et  elles  ont  aussi  marqué  de  la  satis- 
faction à  me  revoir.  A  tout  prendre  l'habitation 
de  Paris  peut  avoir  pour  moi    ses   agrémens 

I.  Il  donne  son  adresse  plus  loin. 


DE     JKAiS'-JACQUES     ROUSSEAU.  221 

ainsi  que  ses  avantages,  et  puisque  ma  situation 
présente  m'en  fait  une  nécessité  je  m'y  soumet- 
trai sans  beaucoup  de  peine.  Ainsi  résolu  de  m'y 
fixer,  au  moins  pour  un  certain  temsjeme  déter- 
mine à  y  faire  venir  mon  herbier  et  mes  effets  ; 
et  si  Monsieur  votre  fds  veut  bien  selon  ses 
obligeantes  otTres  m'expédier  le  tout  par  les 
roulliers  ou  Guimbardes  àl'addresse  de  M.  Gtnj, 
chez  Mact  la  Veuve  Duchesne  Libraire  rue 
St  Jacques,  je  lui  en  serai  obligé.  Il  aura  la 
bonté  de  faire  envelopper  de  loile  cirée  et  bien 
corder  l'herbier  qui  sans  cela  ne  supporterait 
pas  le  transport  non  plus  que  les  autres  malles 
et  caisses  ;  il  voudra  bien  aussi  donner  avis  de 
l'envoi  à  M.  Guy,  ou  à  moi,  afin  qu'on  fasse  à 
tems  les  démarches  nécessaires  pour  retirer  le 
tout  soit  de  la  Douane,  soit  de  la  chambre  Syn- 
dicale. Depuis  longtems  je  me  prévaus  jusqu'à 
l'indiscrétion  des  soins  obhgeans  de  M.  Boy  de 
la  Tour  et  des  vôtres.  Mais  ce  qui  me  console 
un  peu  de  celte  importunité  est  d'être  sur  que 
vous  la  souffrez  avec  plaisir. 


222  LETTRES    INÉDITES 

J'écris  si  à  la  hâte  que  je  n'ai  pas  même  le 
tems  de  relire  ma  lettre.  Je  vous  prie  d'en  par- 
donner rinlisil3le  griffonnage.  Mon  adresse  est 
-I  rue  P  là  trière  à  l'Hôtel  du  St  Esprit.  Ne  la 
donnez  je  vous  prie  à  personne,  afin  que  je  ne 
sois  pas  accablé  de  lettres.  Bonjour,  .Madame; 
j'embrasse  tous  vos  cliers  enfans  et  leur  excel- 
lente Maman  de  tout  mon  cœur;  ma  femme  en 
fait  autant  et  avec  le  même  zèle. 

ROUSSEAU. 

Grand  merci  de  la  bonne  provision  de  vin. 
Elle  nous  a  fait  grand  bien  durant  la  route,  et 
nous  en  avons  apporté  jusqu'ici. 


DE    JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  223 

LXXIII 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  F  aîné  ^  à  Lyon. 

I  Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  '\ 

,    jj      .      I  Ciel,  démasque  les  imposteurs  (    l  '~   16  "TA 

A  raris  \   r-,  r         ,         ,     ,  ,■   1  /    -    /  U 

1    tt  rorce  leurs  barbares  cœurs  i  • 

\  A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes.  / 

Je  reconnois,  Monsieur,  vos  attentions  accou- 
tumées dans  l'avis  que  vous  avez  eu  la  bonté  de 
me  donner  au  sujet  des  lettres  qui  vous  sont 
parvenues  à  mon  addresse  et  vous  devez  recon- 
noitre  ma  négligence  ordinaire  dans  le  retard 
de  ma  réponse  et  de  mes  remerciemens.  Je  suis 
pourtant  un  peu  plus  excusable  en  ce  moment 
qu'à  l'ordinaire,  vu  qu'on  ne  me  laisse  pas  trop 
disposer  de  mon  tems.  Je  pense  qu'il  vaut  mieux 
attendre  une  occasion  que  de  m'envoyer  ces 
lettres  par  la  poste.  La  lettre  de  Madame  votre 
Mère  m'a  fait  le  plus  grand  plaisir;  il  me  tarde 
de  répondre  à  tout  son  contenu.  En  attendant 
veuillez,  je  vous  prie,  lui  faire  nos  plus  tendres 


224  LETTRES     INÉDITES 

salutations,  ainsi  qu'à  Madame  et  Mesdemoi- 
selles vos  sœurs,  et  à  Monsieur  votre  frère,  et 
agréer  aussi  les  miennes  très  humbles  et  celles 
de  ma  femme. 

ROUSSEAU. 

Si  vous  avez  la  bonté  de  m'envoyer  mes  malles 
à  laddresse  de  M.  Guy  comme  j'en  ai  prié 
Madame  votre  mère,  je  vous  prie  de  vouloir 
bien  faire  envelopper  et  corder  l'herbier  de  façon 
qu'il  ne  souffre  point  en  route. 


LXXIY 

A  Monsieur 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  l'aîné^  rue  de  la  Font  y 
à  Lyon. 

(Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!   ', 
^ ..... ,  ^J;;- ^'7^'^"^, "^; '""°^'^""        1 7  'i  70. 

i  Et  force  leurs  oarhares  cœurs  I  8         ^ 

(  A  s'ouvrir  aux  regarJs  des  hommes.  / 

Samedi  dernier,  Monsieur,  je  reçeus  mon  petit 
bagage  que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'envoyer, 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  225 

et  le  surlendemain,  je  reçeus  aussi  avec  la  petite 
lanlernele  paquet  de  lettres  que  vous  me.marquez 
n'avoir  pu  me  faire  passer  pluslot  faute  d'occa- 
sions. Je  sens  bien,  Monsieur,  tous  les  embarras 
qu'ont  dû  vous  donner  ces  envois  et  j'en  suis 
reconnoissant  comme  je   le   dois.  J'apprends 
avec  grand  plaisir  que  vous  êtes  en  bonne  santé 
ainsi  que  toute  votre  famille  et  que  vous  pensez 
à  moi  avec  votre  bonté  ordinaire.  11  n'y  a  pas 
-de  jour  que  je  ne  projette  d'écrire  à  Madame 
votre  Mère  et  à  mes  chères  Cousine  et  tante  ;  mais 
quelque  distraction  vient  toujours  à  la  traverse 
m'empêcher  d'avoir  ce  plaisir.  J'ai  du  moins 
«elui  de  parler  souvent  d'elles  et  de  vous  avec 
Monsieur  voire  Oncle  qui  est  mon  voisin  et  qui 
me  donne  des  nouvelles  de  la  famille.   INous 
offrons  ma  femme  et  moi  nos  hommages  à  tout 
ce  qui  la  compose  et  nous  vous  prions,  Mon- 
sieur, d'agréer  nos  salutations. 

ROUSSEAU. 


15 


226  LETTRES    INÉDITES 

LXXV 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tou)\  /lée^Roguin,  à  Lyon. 


!  Pauvres  aveugles  que  nous  sommes! 


»j      .     1   Ciel,  démasque  les  imposteurs,  f  J  'y   27   "yrv 

J   Et  force  leurs  barbares  cœurs  (  * 

s-  / 


A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes. 


C'est  trop  prolonger  mes  torts,  Madame,  il 
faut  enfin  vous  donner  un  petit  [signe  de  vie; 
encore  ne  sera-ce  pas  une  réponse  en  régie, 
parce  qu'il  me  faudroit  pour  retrouver  vos 
lettres,  mêlées  dans  la  multitude,  plus  de  tems 
qu'on  ne  m'en  laisse  pour  y  répondre.  J'ai  du 
moins  eu  le  plaisir  d'avoir  souvent  de  vos  nou- 
velles par  Monsieur  votre  frère  et  j'espère  qu'il 
vous  aura  donné  quelquefois  des  miennes. 
Comme  nous  n'avons  qu'une  seule  chambre  ma 
femme  et  moi,  je  suis  livré  sans  refuge  à  tous 
ceux  qui  m'obsèdent  et  qui  tâchent  de  ne  pas 
me  laisser  un  moment  de  liberté,  et  j'ai  bien  de 
la  peine  à  leur  dérober  de  tems  en  tems  quelque 
minute  pour  vous  écrire  en  bonne  fortune.  Je 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  227 

compte  dans  le  courant  de  la  semaine  changer 
de  chambre,  et  me  ménager,  dans  celle  où  je 
passe,  un  petit  réduit  dans  lequel,  si  ces  terribles 
gens  ne  viennent  pas  m'y  forcer,  je  serai  un 
peu  plus  maitre  de  moi.  En  attendant,  Madame, 
recevez,  et  tous  les  vôtres,  les  assurances  de  mon 
tendre  souvenir.  Je  voudrais  écrire  à  ma  chère 
Cousine  avant  son  départ  car  ce  n'est  plus  le 
tems  où  son  amitié  prévenait  ma  négligence  et 
m'en  faisoit  honte  ;  je  voudrois  écrire  à  ma  tante, 
et  acquiter  en  partie  les  dettes  que  ses  char- 
mantes agaceries  ont  fait  faire  à  mon  cœur.  Je 
suis  arriéré  de  tout  plein  de  devoirs  qui  me  sont 
plus  agréables  que  faciles  à  remplir.  Suppléez 
de  grâce  par  vos  soins  bienfaisans  à  ma  volonté 
sans  effet  premièrement  auprès  de  vous  qui 
m'êtes  si  bonne,  et  auprès  de  tous  les  vôtres 
qui  partagent  vos  sentimens.  Ma  femme  qui 
partage  les  miens  envers  vous  et  votre  famille 
me  reproche  de  remplir  si  mal  ses  devoirs  et  les 
miens  et  vous  envoyé  les  plus  tendres  saluta- 
tions.  Recevez  les    avec  bonté  ainsi  que  les 


228  LETTRES    INÉDITES 

miennes  et  croyez  que  voire  accueil  caressant, 
■vos  soins  empressés,  votre  amitié  nous  ont  fait 
une  impression  qui  ne  s'eiïacera  de  notre  vie. 
Voilà  des  arrivans;  il  faut  finir  en  vous  em- 
brassant de  tout  mon  cœur. 

J'ai  accusé  à  Monsieur  Boy  de  la  Tour  la 

réception  de  mes  effets  et  lettres.  Aidez-moi,  je 

vous  supplie,  à  lui  faire  agréer  mes  remerciemens 

des  peines  qu'il  s'est  bien  voulu  donner  pour 

cela. 


LXXVI 

Paris,  17  I  70. 

Je  suis  obligé,  Madame,  de  vous  écrire  cette 
lettre  un  peu  à  la  hâte  et  d'acquitter  tant  bien 
que  mal  en  une  seule  fois  les  dettes  d'une  cor- 
respondance dont  vous  avez  bien  voulu  faire  tous 
les  frais,  mais  le  départ  un  peu  précipité  de 
Messieurs  vos  fils  me  laisse  moins  de  tems  que 
je  n'en  aurois  désiré  pour  m'entretenir  avec  vous 


DE    JEA.\-JACQUES    ROUSSEAU.  229 

à  mon  aise  et  vous  témoigner  combien  je  suis 
sensible  à  vos  bontés  et  à  leurs  attentions; 
j'ai  eu  le  plaisir  de  les  accompagner  à  Ver- 
sailles et  j'aurois  tort  de  n'avoir  pas  trouvé  ce 
voyage  agréable  puisqu'ils  n'ont  rien  épargné 
pour  me  le  rendre  tel.  Il  m'a  paru  qu'ils  em- 
ployaient trop  sagement  et  trop  bien  leur  lems 
en  ce  pays  pour  y  avoir  besoin  des  conseils  de 
personne,  ils  y  ont  bien  confirmé  par  leur  pré- 
sence l'estime  et  la  considération  qu'on  a  géné- 
ralement pour  votre  famille  et  pour  la  digne 
Maman  qui  l'a  si  bien  élevée,  enfin  rien  n'a 
manqué  au  plaisir  que  j'ai  eu  de  les  voir  ici  que 
de  le  partager  avec  vous  et  avec  leurs  aimables 
sœurs.  J'apprends  que  vous  avez  celui  d'avoir 
Madame  Delessert  de  retour  auprès  de  vous  et 
qu'elle  avance  lieureusement  vers  le  moment 
qui  va  tripler  ses  devoirs,  ses  plaisirs  et  les 
vôtres.  Je  partagerai  votre  joye  en  en  appre- 
nant la  nouvelle;  il  me  manquera  seulement 
d'en  être  témoin. 

Si  vous  avez  encore  auprès  de  vous  Monsieur 


230  LETTRES    INÉDITES 

le  Colonel  voire  frère,  je  vous  prie,  Madame, 
de  vouloir  bien  le  saluer  de  ma  part.  Il  vient 
de  me  faire  une  tracasserie  avec  M.  Dutens  au 
sujet  de  la  pension  du  Roy  d'Angleterre,  dont 
je  ne  le  remercierai  pas.  Il  a  jugé  à  propos  de 
se  fourrer  à  mon  insçu  et  malgré  moi  dans  celle 
affaire,  de  solliciter  la  restitution  de  celle  pen- 
sion qui  ne  m'a  point  été  otée,  et  une  réponse 
du  Comte  de  Rochefort  dont  je  ne  me  soucie 
point  du  tout.  Une  fois  pour  toutes  permettez, 
Madame,  que  je  vous  conjure  vous  et  les  vôtres 
de  vouloir  bien  ne  me  rendre  aucun  service 
malgré  moi  ni  me  faire  agir  à  mon  insçu  dans 
quelque  chose  que  ce  puisse  être.  Je  prendrai 
la  liberté  de  vous  demander  aussi  qui  peut  vous 
avoir  dit  que  M.  de  Choiseul  m'avait  offert  un 
logement  au  Louvre,  et  pourquoi  vous  avez  ré- 
pandu cette  singulière  nouvelle  sans  m'en  par- 
ler et  sans  la  vérifier? 

Cette  lettre,  d'abord  écrite  à  la  hâte  sur 
l'arrangement  du  départ  de  Messieurs  vos  fils, 
est  ensuite  restée  en  relard  assez  longtems  par 


DE    JEAN-JACnUES    ROUSSEAU.  231 

le  prolongement  de  leur  séjour  en  ce  pays. 
A  noire  dernière  entrevue  ils  avaient  fixé  leur 
départ  à  demain,  et  comme  je  compte  diner 
avec  eux  aujourd'hui  chez  Mad'  de  Faugnes,  je 
pourrai  leur  remettre  ce  soir  ma  lettre  s'ils  per- 
sistent dans  leur  résolution.  Des  tracasseries 
qu'on  m'a  faites  à  la  poste  m'ont  fait  presque 
renoncer  à  cette  voye  de  correspondance,  et  tant 
que  vous  en  aurez  d'autres  je  vous  prie  d'éviter 
de  vous  servir  de  celle-là.  Cependant  de  quelque 
manière  que  je  reçoive  de  vos  nouvelles  elles 
me  seront  toujours  trop  agréables  pour  que  je 
ne  les  reçoive  pas  toujours  avec  reconnoissance 
et  empressement. 

Quand  vous  verrez  M.  de  Laurencin  je  vous 
prie,  Madame,  de  lui  faire  de  ma  part  mille  sa- 
lutations, et  mes  excuses  de  ce  que  je  n'ai  pas 
répondu  à  sa  lettre,  mais  ma  situation  et  mes 
occupations  m'interdisent  d'entretenir  aucune 
correspondance  et  d'écrire  aucune  lettre  si  ce 
n'est  pour  affaire  et  par  nécessité. 


232  LETTRES    INÉDITES 

LXXYIl 

A    Monsieur 
Mo7meur  Boy  de  la  Tour  Tamé,  à  Lyon. 

Paris,  17  %  70. 

C'est  à  moi,  Monsieur,  à  vous  remercier  et 
Monsieur  votre  frère  des  agrémens  que  vous 
m'avez  procurés  durant  voire  séjour  ici;  assu- 
rément j'aurois  voulu  de  tout  mon  cœur  vous 
y  pouvoir  être  de  quelque  utilité,  mais  mal- 
heureusement vous  ne  pouvez  me  remercier  que 
de  la  bonne  volonté.  Je  suis  fort  aise  de  vous 
savoir  de  retour  chez  vous  en  bonne  santé,  et 
fort  sensible  à  la  peine  que  vous  avez  bien  voulu 
prendre  pour  mes  petites  commissions.  J'au- 
rois désiré  pouvoir  rembourser  à  M.  du  Château 
le  prix  et  le  port  du  Chocolat_,  mais  n'en  ayant 
pas  la  note  je  vous  prie,  Monsieur,  de  vouloir 
la  joindre  à  celle  des  autres  menus  frais  que 
vous  avez  bien  voulu  faire  pour  moi  etmemettrii 
à  portée  de  les  acquiter.  Voici  une  lettre  pour 


DE   JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  233 

Madame  voire  Mère.  Je  vous  prie,  Monsieur, 
d'agréer  toutes  mes  actions  de  grâce  et  mes 
très  humbles  salutations. 

ROUSSEAU. 

J'apprends  par  M.  du  Château  (ju'outre  le 
Chocolat  que  vous  m'annoncez,  votre  envoi 
contient  aussi  un  baril  d'huile;  comme  je  ne  me 
rappelle  pas  qu'il  ait  été  question  entre  nous 
de  cette  commission,  et  qu'il  pourrait  y  avoir 
là  du  qui-pro-quo,  cet  huile,  si  M.  du  Château 
l'envoyé  ici  comme  il  m'en  a  prévenu  restera 
en  dépôt,  jusqu'à  ce  que  j'aye  vos  ordres 
ultérieurs  sur  sa  destination,  et  la  facture  du 
prix  et  des  frais,  si  réellement  elle  est  pour 
moi. 

L'affaire  de  l'huile  est  éclaircie;  c'est  un  qui- 
pro-quo,  comme  je  l'avois  présumé;  ainsi,  Mon- 
sieur, vous  voudrez  bien  regarder  cet  article 
comme  nul. 


23i  LETTRES    INÉDITES 

LXXVIII 

Paris  17  S  70. 

Je  reçois,  Madame,  avec  un  sensible  plaisir 
de  nouvelles  marques  de  votre  souvenir  et  de 
votre  amitié  qui  ne  cessera  jamais  de  m'être 
chère,  et  à  ma  femme  qui  n'est  pas  moins 
touchée  que  moi  de  vos  constantes  bontés  pour 
l'un  et  pour  l'autre.  Vous  nous  avez  envoyé 
aussi  d'excellens  marons  dont  je  vous  aurois 
remercié  plus  lot  si  la  voyedelaposte  ne  m'étoit 
fermée  de  quoi  sans  vous  je  me  soucierois  fort 
peu.  Vous  avez  trop  de  bonté  d'entrer  en 
explication  avec  moi  sur  mes  maussades  gron- 
deries;  c'est  assez  de  les  pardonner  et  de  sentir 
comme  je  m'en  flatte,  que  mon  ton  dur  quel- 
que fois,  vaut  bien  dans  le  sentiment  qui 
l'inspire  un  langage  plus  cajoleur.  Au  reste  je 
n'ai  pas  pourtant  été  dans  mes  torts  si  légère- 
ment crédule  que  si  jamais  j'ai  le  bonheur  de 
vous  revoir  je  ne  puisse  vous  prouver  qu'un 
autre  à  ma  place  ne  l'eut  pas  été  moins  que 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  235 

moi  :  Mais  je  puis,  Madame,  vous  protester 
qu'il  n'appartient  pas  à  de  telles  misères  de 
causer  jamais  la  moindre  altération  dans  les 
sentimens  de  reconnoissance  et  d'attachement 
que  je  vous  dois  et  que  mon  cœur  vous  a  voués 
pour  la  vie.  J'apprens  avec  douleur  la  conti- 
nuation des  souffrances  de  votre  cher  Oncle, 
mais  à  son  âge  et  dans  son  état  il  n'y  a  qu'une 
manière  de  cesser  de  souffrir,  et  je  n'ai  pas  le 
courage  de  le  lui  désirer.  Ma  femme  et  moi 
nous  nous  portons  passablement.  J'ai  pris  depuis 
quelque  tems  un  petit  logement  assez  joli  quoi- 
qu'au  cinquième  auprès  de  mon  ancienne 
demeure,  et  je  vivrois  en  tout  avec  assez 
d'agrément,  si  les  sociétés  oh  je  me  plais 
étoient  moins  éparses  et  qu'en  cette  saison  les 
rues  de  Paris  fussent  plus  praticables  pour  un 
piéton  qui  commence  à  s'appesantir.  Bonjour, 
Madame,  je  vous  envoyé  et  de  bon  cœur  les 
embrassements  de  l'amitié  et  je  n'ai  pas  un 
instant  cessé  de  compter  sur  la  votre.  ?sos 
honneurs  à  tout  ce  qui  vous  appartient. 


236  LETTRES    IXÉDITES 

LXXIX 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  à  Lyon. 

A  Paris,  le  17  Mars  1771. 

Je  profite,  Madame,  de  la  complaisance  de 
M.  de  la  Tourrelte  qui  veut  bien  à  son  retour 
se  charger  d'une  lettre  que  j'aurois  moins 
tardé  à  vous  écrire  si  j'avois  eu  d'autres  occa- 
sions pour  vous  demander  de  vos  nouvelles 
dont  je  suis  en  peine,  surtout  depuis  que  je  sai  s 
que  M.  de  Peyrou  vous  a  envoyé  une  lettre 
pour  moi,  qui  ne  m'est  point  parvenue.  Comme 
indépendamment  de  la  poste  vous  avez  tous  les 
jours  des  foules  d'occasions  pour  faire  parvenir 
à  Paris  tout  ce  qu'il  vous  plait,  et  que  je  con- 
nois  votre  exactitude  en  ma  faveur,  je  crains, 
Madame,  les  causes  de  ce  retard  et  que  quelque 
altération  dans  votre  santé  ou  dans  celle  de 
quelqu'un  de  vos  enfans  ne  vous  ait  fait  oublier 
cette  bagatelle.  Donnez-moi  de  vos  nouvelles, 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  :^37 

je  VOUS  conjure,  le  plus  tôt  qu'il  vous  sera  pos- 
sible, je  ne  serai  pas  tranquille  jusqu'au 
moment  où  je  les  recevrai.  Vous  savez  qu'il  ne 
fautpas  m'écrire  directement  parla  poste,  et  si 
par  impossible,  les  autres  occasions  sures 
vous  manquaient,  M.  de  laTourrette  voudroil 
bien  se  cbarger  de  me  faire  parvenir  votre 
lettre  promptement  et  sûrement. 

Les  dettes  que  j'ai  été  forcé  de  contracter 
pour  me  mettre  dans  mes  meubles  et  la  gêne 
de  ma  situation   présente  me  forcent  de  dis- 
poser de  la  petite  somme  qui  reste  entre  les 
mains  de   Monsieur  vôtre  fils    et   que  j'avois 
compté   laisser    à    ma    femme    si  j'avois    pu 
pourvoir  à  nos  besoins  d'une  autre  façon.  Je 
voudrois  donc  vous  prier,  Madame,  de  vouloir 
bien  le  prévenir  que  s'il  peut  me  faire  toucher 
cet  argent  en  tout  ou  en  partie  vers  la  St  Jean 
je  lui  en  serai  bien   obligé.  Je   serais  même 
bien  aise  d'être    prévenu  d'avance  d'un  mot 
d'avis  afin  de  savoir  sur  quoi  compter. 

Je  vous  demande  Madame  des  nouvelles  de 


238  LETTRES    INÉDITES 

toute  votre  chère  famille  ainsi  que  des  vôtres, 
mais  particuliéremenl  de  ma  chère  Cousine 
dont  j'en  altendois  de  jour  en  jour  d'intéres- 
santes que  je  ne  recois  toujours  point.  Vous 
savez  la  part  tendre  et  sincère  que  je  prendrai 
toute  ma  vie  à  tout  ce  qui  vous  touche  l'une  et 
l'autre,  et  vous  ne  pouvez  pas  douter  qu'un  si 
long  silence  surtout  dans  la  circonstance 
présente  ne  me  cause  une  inquiétude  dont 
j'attends  de  votre  amitié  pour  moi  que  vous 
voudrez  bien  me  déhvrer.  Ma  femme  qui  la 
partage  attend  de  vos  nouvelles  avec  la  même 
impatience.  Nous  embrassons  l'un  et  l'autre 
et  vos  chers  enfans,  et  leur  excellente  Maman 
avec  un  attachement  que  l'absence  ni  le  tems 
ne  sauroient  altérer. 

ROUSSEA  u. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  239 

LXXX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tcw\  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Paris   17  J  17. 

Votre  dernière  et  obligeante  lettre,  Madame, 
que  m'a  remise  M.  Du  Château  m'a  comblé  de 
joye  en  m'apprenant  l'heureuse  augmentation 
de  votre  famille  et  le  bon  état  de  la  mère  et  de 
l'enfant.  Vous  avez  pu  voir  par  la  lettre  qu'  a 
du  ou  que  doit  vous  remettre  M.  de  la  Tour- 
relte,  et  par  celle  que  j'ai  écrite  directement  à 
ma  chère  Cousine  que  j'étois  en  souci  sur  cet 
événement.  Une  nombreuse  et  florissante  fa- 
mille est  la  plus  douce  récompense  que  le  Ciel 
puisse  donner  aux  vertus  d'une  mère  de 
famille  et  son  cœur  ainsi  que  le  votre  est  bien 
fait  pour  en  sentir  le  prix.  Dites  lui  je  vous 
supplie  de  ma  part  tout  ce  que  les  sentimens 
que  vous  m'avez  connus  pour  elle  dans  tous  les 
lems  doivent  m'inspirer  dans  cette  occasion,  et 


240  LETTRES    INÉDITES 

soyez  bien  sure  qu'en  cela  vous  ne  lui  direz  rien 
que  mon  cœur  ne  confirme  et  ne  justifie.  Comme 
un  plaisir  pur  n'est  pas  fait  pour  cette  vie  le 
mien  est  cependant  altéré  par  l'incomodilé  de 
mon  aimable  tante,  mais  comme  vous  me 
marquez  que  ce  ne  sera  rien,  et  qu'on  peut  bien 
s'en  rapporter  là  dessus  à  une  mère  telle  que 
vous  je  ne  m'en  allarme  pas  assez  pour  ne  pas 
attendre  dans  peu  la  nouvelle  de  son  parfait 
rétablissement. 

Quoique  je  n'eusse  rien  à  ajouter  à  ce  que  je 
vous  ai  écrit  précédemment  et  à  Madame  De 
Lessert,  je  n'ai  pu  me  refuser  de  vous  remercier 
de  voire  attention  et  du  plaisir  qu'elle  m'a  fait. 
J'apprens  que  Monsieur  votre  aine  va  bientôt 
faire  une  tournée  assez  considérable.  J'espère 
que  si  elle  doit  être  longue  qu'il  voudra  bieh 
avant  son  départ  prendre  des  arrangemens 
pour  me  faire  loucher  au  mois  de  Juillet  au 
plus  tard  l'argent  dont  j'ai  besoin  selon  ce  que 
je  vous  ai  marqué  précédemment \  Je  serois 

1.  Cf.  p.  237. 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  2-41 

bien  charmé  de  le  recevoir  de  lui-même  s'il 
n'employoit  que  trois  mois  à  son  voyage,  et 
qu'il  repassât  par  Paris  comme  on  m'en  a 
flatté. 

Bon  jour,  Madame,  Bon  jour  mon  ancienne 
et  bonne  amie.  Ma  femme  qui  est  de  moitié 
dans  tout  ce  que  je  vous  écris  tant  pour  vous 
que  pour  ma  chère  Cousine,  veut  que  je  vous 
dise  en  particulier  combien  elle  est  sensible  aux 
bontés  dont  vous  la  comblez  dans  vos  lettres . 
Vous  avez  raison  de  croire  qu'elle  les  justifie 
par  sa  reconnoissance  et  son  attachement. 
Nous  vous  sommes  l'un  et  l'autre  acquis  pour 
la  vie  et  nous  vous  embrassons  et  toute  votre 
aimable  famille  avec  toute  la  tendresse  de 
notre  cœur. 


16 


242  LETTRES    INÉDITES 

LXXIX 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin^  à  Lyon. 

Paris,  17  I  71. 

A  peine,  Madame,  ma  précédente  lettre  étoit- 
elle  à  la  poste  que  je  me  rappellai  tout  honteux 
que  j'avois  oublié  de  vous  remercier  des  truffes 
dont  vous  m'annonciez  l'envoi  :  mais  ma  hon(e 
a  bien  augmenté  en  recevant  cette  immense 
provision ,  plus  propre  à  une  armée  de  gourmands 
qu'à  un  ménage  comme  le  mien.  Je  suis  depuis 
longtems  dans  l'usage  de  ne  rien  refuser  de 
vous  :  mais  un  cadeau  si  considérable  devroit 
faire  exception.  Je  le  reçois  toutefois,  ne  vou- 
lant jamais  répondre  à  vos  bonlés  par  des  pro- 
cédés qui  puissent  vous  déplaire,  et  je  ne  puis 
me  refuser  ces  deux  mots  de  remercimens  pour 
réparer  mon  étourderie,  n'ayant  au  surplus  rien 
à  ajouter  à  ma  précédente  lettre  sinon  de  vous 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  243 

demander  des  nouvelles  de  mes  chères  Cousine 
et  tante,  et  de  vous  reitérer  pour  ma  femme  et 
pour  moi  nos  plus  tendres  salutations. 


LXXXII 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour. 

à  qui  Madame  de  Lessert  est  priée  de  ne  la  re- 
mettre qu'en  main  propre  par  quelqu'un  qui  ne 
cessera  de  la  chérir  et  de  l'honorer  jusqu'à 
son  dernier  soupir. 

A  Paris  le  20  Juillet  1771. 

Quoi,  Madame,  votre  vertueux  Oncle  a  ter- 
miné sa  carrière,  et  il  faut,  pour  me  rendre  cette 
perte  encor  plus  amére  que  je  l'apprenne  d'un 
autre  que  vous!  Des  deux  manières  de  perdre 
ses  amis  par  leur  mort  ou  par  leur  changement 
la  première  est  au  moins  dans  l'ordre  de  la 
nature,  et  l'on  n'en  peut  accuser  personne;  mais 
la  seconde  est  encore  plus  sensible,  comme  un 


244  LETTRES    INÉDITES 

ouvrage  de  la  volonlé.  J'ai  été  négligent  sanï> 
doute  ;  ce  défaut  ne  m'est  pas  nouveau  ;  mais  vos 
bontés  le  couvroient  autrefois  et  l'amitié  vous 
empêclioit  de  compter  avec  moi.  Je  suis  ce  que 
j'étois,  mes  défauts,  ainsi  que  mon  attachement 
pour  vous  et  pour  votre  fille  sont  restés  les 
mêmes.  Je  sens  du  changement,  cependant; 
d'où  vient-il?  Ce  n'est  pas  de  moi.  Il  y  a  long- 
tems  que  je  m'apperçois  que  quelqu'un  se  cache 
et  s'interpose  entre  vous  et  moi;  j'en  ai  même 
des  preuves,  et  je  ne  vous  ai  pas  trop  caché 
que  j'en  étois  alTeclé.  J'espérois  que  cela  produi- 
roit  entre  nous  quelque  éclaircissement.  Mais 
il  est  naturel  que  les  ouvriers  de  ténèbres  crai- 
gnent la  lumière  et  que  ceux  qui  vous  aliènent 
de  moi  n'en  veuillent  point.  Il  l'est  moins  qu'ils 
réussissent,  et  que  leurs  manœuvres  souterraines 
ne  vous  révoltent  pas.  xMadame,  je  n'ai  pas  mérité 
votre  changement  ni  celui  de  votre  fille,  et  je 
ne  l'imiterai  pas.  Je  vous  resterai  toujours  atta- 
ché, je  me  souviendrai  toute  ma  vie  de  vos  an- 
ciennes bontés  pour  moi,  sinon  peut-être  avec  le 


DE     JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  245 

même  plaisir,  du  moins  toujours  avec  le  même 
attendrissement  et  la  même  reconnaissance. 

Mon  respectable  ami  Monsieur  Roguin  a  cessé 
de  souffrir.  Il  jouit  maintenant  du  prix  de  ses 
vertus  :  car  j'ai  toujours  pensé  que  les  hommes 
seront  jugés  sur  ce  qu'ils  ont  fait  bien  plus 
que  sur  ce  qu'ils  ont  cru,  et  sa  récompense  est 
bien  sure^  quoiqu'il  n'ait  pas  eu  le  bonheur  d'en 
jouir  d'avance  en  l'espérant.  Une  idée  encore 
m'est  consolante  dans  ma  douleur.  C'est  de  pen- 
ser que  l'addresse  et  l'imposture  ne  déguisent 
plus  à  ses  yeux  la  vérité  des  choses,  et  que  s'il 
pense  à  son  ami  infortuné  il  rend  justice  à  ses 
sentimens,  à  ses  principes  et  au  sincère  et  pur 
attachement  qu'il  eut  pour  lui.  Affecté  de  cette 
perte  et  par  elle-même  et  par  tout  ce  qui  me  la 
rend  irréparable,  je  me  vois  mourir  par  degré 
dans  tout  ce  qui  donne  un  prix  à  la  vie,  et  des- 
tiné, si  je  vis  longtems  encore,  à  ne  rester  sur  la 
terre  que  pour  m'y  pleurer  tout  vivant.  Car  c'est 
un  fait  ;  les  nouveaux  attachemens  ne  sont  plus 
de  mon  âge,  encor  moins  de  ma  situation,  et  je 


246  LETTRES    INÉDITES 

VOUS  laisse  dans  mon  cœur  un  nouveau  vide,  il 
ne  sera  plus  rempli .  11  faut  finir  cette  triste  lettre  ; 
je  m'efforcerois  en  vain  d'y  prendre  un  ton  moins 
plaintif.  La  perte  de  31.  Roguinme  rappelle  avec 
force  les  heureux  lems  de  notre  connoissance. 
Combien  ilfalloit  peu  pour  mon  bonheur!  Hélas 
que  dis-je,  il  auroit  fallu  beaucoup  :  c'eut  été 
de  ne  connoîtreque  des  gens  qui  lui  ressemblas- 
sent. Mon  vertueux  ami,  vous  êtes  allé  m'alten- 
dre.  Ils  auront  beau  faire.  Nous  nous  rejoindrons 
en  dépit  d'eux. 

Pardonnez  cette  effusion  de  cœur,  en  vous 
souvenant  toutes  deux  que  c'estavec  vous  qu'elle 
s'est  faite 

ROUSSEAU. 


LXXXIII 

A  Monsieur 
Monsieur  Boy  de  la  Tour,  Famé  à  Lyon. 

A  Paris  17  '-72. 

J'attendois,  Monsieur,  pour  répondre  à  l'obli- 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  247 

géante  lettre  que  vous  avez  pris  la  peine  de 
m'écrira  le  17  du  mois  dernier,  de  pouvoir  vous 
parler  de  la  commission  dont  vous  aviez 
chargé  M.  Turot.  Il  me  remit  hier  contre  mon 
reçeu  de  pareille  somme  les  1232  1.  10  s. 
mentionnés  dans  votre  lettre.  11  n'a  pas  moins 
fallu  que  la  plus  indispensable  nécessité  pour 
m'engager  à  retirer  successivement  ce  petit 
dépôt  que  je  savois  plus  assuré  dans  vos  mains 
que  dans  les  miennes,  et  j'espère  que  vous  nous 
rendez  à  vous  et  à  moi  assez  de  justice  pour 
être  sur  que  faisant  tant  que  de  le  reprendre, 
ce  n'étoitpas  pour  le  placer  en  d'autres  mains. 
Je  suis  fort  aise,  Monsieur,  que  la  rustique 
partie  du  gros  Caillou  vous  ait  laissé  la  bonne 
intention  de  la  renouveller  à  votre  premier 
retour  dans  cette  ville  ;  je  prends  ce  qu'il  vous 
plait  de  m'en  dire  dans  votre  lettre  pour  une 
paroledontje  vous  somme,  ce  que  j'espère  que 
vous  viendrez  bientôt  dégager.  Je  suis  bien 
réjoui  des  nouvelles  que  vous  me  donnez  de  la 
santé  et  du  souvenir  de  Madame  votre  Mère  de 


248  LETTRES    INÉDITES 

Madame  et  de  Mesdemoiselles  vos  sœurs.  En 
attendant  que  je  m'acquile  moi-même  d'un 
devoir  dont  mon  cœur  me  presse  autant  que 
mes  obligations,  nous  vous  prions,  ma  femme 
et  moi,  de  leur  faire  agréer  noshommageset  de 
leur  renouveller  les  assurances  de  notre  im- 
mortel attachement.  Ne  nous  oubliez  pas  non 
plus  je  vous  supplie  auprès  de  Monsieur  votre 
frère  et  recevez  avec  bonté  nos  très  humbles 
salutations. 

ROUSSEAU 

Je  joins  ici  le  billet  qui  me  restoit  de  vous, 
et  que  M.  Turot  ne  m'a  pas  demandé. 

Pauvres  aveugles  que  nous  Sommes, 
Ciel  démasque  les  imposteurs, 
Et  fais  que  leurs  barbares  Cœurs 
Puisse  S'ouvrir  aux  regards  des  hommes. 


DE     JEAN- JACQUES     ROUSSEAU.  249 

LXXXIY 

A  Madame 

Madame  Boy  de  la  Tour,  née  Roguin,  à  Lyon. 

A  Paris  16  Avril  1772. 

Je  ne  sais  presque  plus,  Madame,  comment 
rompre  un  si  long  silence,  mais  je  puis  encor 
moins  le  garder  plus  longtems:  il  pèse  trop 
sur  mon  cœur.  Cette  espèce  de  sort  m'est 
aussi  commune  qu'à  vous  de  la  pardonner,  et 
j'espère  qu'en  celte  occasion  vous  n'aurez  pas 
moins  d'indulgence  puisque  jamais  je  n'en  eus 
plus  besoin  et  ne  la  desirai  d'avantage.  Depuis 
six  mois  le  travail  étant  venu  avec  abondance, 
ce  qu'il  n'avoit  pas  encore  fait,  j'ai  creu  devoir 
m'y  livrer  tout  entier,  et  j'ai  passé  l'hiver 
cloué  sur  ma  chaise  avec  une  telle  assiduité, 
que  de  peur  de  rebuler  les  pratiques  je  ne  me 
suis  permis  aucune  distraction.  J'étois  pour- 
tant continuellement  sollicité  de  vous  écrire 
et  à  ma  Cousine,  tant  par  mon  propre   désir 


250  LETTRES     INÉDITE> 

que  par  ma  femme  qui  ne  cessoit  ses  repré- 
sentations et  ses  reproches.  Mais  fatigué  de 
tenir  la  plume,  je  la  quittois  pour  faire  quel- 
ques tours  de  chambre  parlant  souvent  de 
vous,  y  pensant  encore  plus  souvent  mais  ne 
pouvant  me  mettre  à  vous  écrire.  Voila,  chère 
amie_,  non  l'excuse  mais  la  cause  de  mon  torl. 
Veuillez  l'oublier  je  vous  en  conjure,  et  donnez- 
moi  bien  vite  quelque  signe  de  souvenir  qui 
m'assure  que  votre  amitié  n'a  pas  plus  receu 
d'altération  que  la  mienne. 

Vous  dirai-je  encore  un  enfantillage  digne 
de  votre  pitié.  J'avais  promis  un  petit  herbier 
à  ma  petite  tante.  Honteux  d'un  si  long  retard 
je  voulois  rassembler  quelques  échantillons 
pour  faire  au  moins  acte  de  bonne  volonté. 
Mais,  toujours  voulant  tout  faire  et  ne  faisant 
jamais  rien,  j'ai  laissé  venir  l'hiver  sans  avoir 
rien  rassemblé  qui  valut  la  peine  et  réduit  à 
quelques  misérables  débris  je  voulois  attendre 
la  saison  de  les  completter  et  d'y  ajouter  de 
quoi  faire  un  petit  recueil.  Mais  enfm  ennuyé 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  251 

d'attendre  la  saison  des  plantes  encore  plus 
paresseuse  que  moi  j'aime  mieux  envoyer  mon 
herbaille  telle  qu'elle  est  que  de  m'exposer 
encore  aux  tours  que  ma  paresse  peut  me 
jouer.  Le  Paquet  est  si  petit  que  j'ai  peur  qu'il 
ne  se  perde  à  la  diligence  qui  d'ailleurs  est 
très  loin  dici;  et  comme  il  fait  fort  mauvais, 
que  je  n'ai  d'autre  domestique  et  commission- 
naire que  moi,  s'il  arrivoit  que  vous  pussiez 
m'indiquer  dans  ce  quartier  quelqu'un  à  qui 
pouvoir  le  remettre  cela  me  seroit,  je  l'avoue, 
d'une  grande  comodilé.  Donnez-moi  bien  vite 
et  bien  amplement  de  vos  nouvelles,  je  vous  en 
conjure,  et  de  toute  votre  chère  famille  par 
qui  seule  je  ne  me  sens  pas  isolé  sur  la  terre. 
Que  fait  l'adorable  et  respectable  nourrice,  que 
font  ses  charmants  enfans?  Qu'ils  seront  par- 
faits si  l'œuvre  de  sa  tendresse  et  de  la  votre 
suffisent  pour  les  rendre  tels  avec  ce  que  la 
nature  a  déjà  fait  pour  cela.  Ma  charmante 
tante_,  ma  belle  grand  Maman  songent  elles 
quelquefois  à  leur  vieux  élevé  à  qui  elles  n'ont 


252  LKTTRES     INÉDITES 

pas  laissé  le  pouvoir  de  les  oublier.  N'avez- 
Yous  rien  à  m'apprendre  qui  les  regarde  ;  il 
me  semble  que  vous  devriez  bientôt  avoir 
quelque  bonne  nouvelle  à  me  donner,  soit 
d'elles  soit  de  Messieurs  vos  fils  auprès  desquels 
je  me  recommande  à  vos  bontés. 

Je  voudrois  savoir  si  Madame  De  Lessert  se 
propose  de  remonter  de  bonne  beure  à  Four- 
viére;  si  c'est  tout  de  bon  qu'elle  veut  amuser 
sa  fille  de  la  connaissance  des  plantes?  Je 
serois  comblé  de  pouvoir  au  moins  dans  ces 
bagatelles  aider  à  ses  soins  maternels.  Je  me 
ferai  le  plus  délicieux  amusement  de  concourir 
aux  siens  en  lui  communicant  là-dessus  mes 
idées.  Mais  je  vous  avoue  que  ma  paresse  seroit 
moins  évertuée  si  je  croyois  qu'elle  ne  suivit 
cette  petile  étude  que  par  complaisance,  et 
comme  on  dit,  par  manière  d'acquit.  Je  vous 
demande,  Madam.e,  de  vouloir  me  parler 
là-dessus  de  bonne  foi. 

Je  suppose  et  j'espère  que  votre  santé  désor- 
mais  bien  raffermie   ne  vous  laisse  plus  rien 


DE    JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  23IJ 

que  de  bon  à  m'en  dire  ainsi  que  de  tout  ce 
qui  vous  appartienl,  et  dans  cet  espoir  nous 
attendons  ma  femme  et  moi  la  confirmation  de 
cette  heureuse  attente  par  quelques  mots  de 
votre  part  qui  rejouiront  deux  cœurs  qui  vous 
sont  acquis  pour  la  vie. 

ROUSSEAU. 


LXXXY 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  à.  Rolle. 

A  Paris,  le  22  S""-^  1772. 

Je  ne  veux  pas,  ma  chère  amie,  laisser  partir 
Monsieur  votre  frère  sans  vous  donner  un  petit 
signe  de  vie  dont  il  veut  bien  se  charger.  J'ai 
appris  par  lui  et  par  Madame  de  Lessert  l'acci- 
dent de  votre  piè,  les  longues  douleurs  qu'il 
vous  a  données,  et  enfin  votre  rétablissement 
qui  vous  a  permis  le  voyage  de  Rolle.  Vous  avez 
éprouvé  près  de  vos  chères  sœurs  toute  l'acti- 


254  LETTRES    INÉDITES 

vite  de  leur  zèle  et  de  leur  amitié,  et  je  suis  bien 
sur  que  la  charmante  Julie  a  rempli  dignement 
dans  cette  occasion  les  mêmes  tendres  soins 
que  j'ai  vu  si  bien  remplir  par  son  ainée  en 
pareille  occasion.  Enfin  vous  voilà  bien  rétablie 
de  tout  point  et  je  vous  exhorte  ardemment  à 
garder  toujours  le  souvenir  de  tant  de  rechutes 
de  toute  espèce  pour  vous  en  garantir  désormais 
par  la  plus  scrupuleuse  attention  sur  vous 
même  tant  à  table  qu'à  la  promenade.  Evitez 
soigneusement  les  lieux  raboteux,  ne  vous  pro- 
menez qu'appuyée  sur  quelqu'un  et  ne  vous 
fatiguez  jamais  trop. 

Vous  nous  ramènerez  donc  ma  chère  Tante. 
Je  m'en  rejouis  fort  pour  mon  compte,  car 
étant  à  bien  des  égards  plus  à  portée  de  Lyon 
que  de  la  Suisse,  mon  intérêt  me  fait  préférer 
qu'elle  y  trouve  l'établissement  qui  lui  convient. 
Comme  elle  a  reçeu  de  la  nature,  de  votre 
exemple,  et  de  ^os  leçons,  tout  ce  qui  de  la  part 
d'une  femme  aimable  et  sensée  peut  contribuer 
à  rendre  un  ménage  heureux,  je  désire  de  tout 


DE     JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  235 

mon  cœur  apprendre  bientôt  que  sous  vos 
yeux  et  sous  vos  auspices  elle  remplit  à  l'imita- 
tion de  sa  digne  sœur,  une  si  précieuse  desti- 
nation. 

Le  petit  herbier  que  je  lui  destinois  ne  se 
trouva  prêt  que  quand  Madame  de  Lessert 
m'eut  avisé  de  vôtre  départ.  Cela  fit  que  ne 
sachant  où  le  lui  envoyer  ni  où  lui  écrire  je 
priai  M.  Guyenet  de  le  remettre  en  passant  à 
ma  Cousine.  Au  lieu  de  cela,  ne  passant  point  à 
Lyon,  il  fit  faire  au  paquet  cent  tours  inutiles 
el  à  force  d'incurie  et  de  malentendus,  il  l'égara 
si  bien  que  je  le  croyois  tout  à  fait  perdu  quand 
après  bien  des  circuits  il  parvint  enfin  à 
l'adresse  que  j'y  avois  mise,  et  où  ma  Tante  le 
trouvera  à  son  retour.  C'eut  été  une  très  petite 
perte,  maisje  serois  fâché  que  cette  chère  Tante, 
qui  s'est  si  souvent  occupée  de  son  neveu  avec 
tant  de  bonté,  doutât  un  moment  du  plaisir 
qu'il  prendra  toujours  à  s'occuper  d'elle  et  pour 
elle. 

Bon  jour  ma  bonne   et  chère  amie.  Rien 


256  LETTRES    INÉDITES 

n'est  plus  juste  que  de  satisfaire  l'empresse- 
ment de  vos  hôtes  de  RoUe  et  le  voire  à  y  ré- 
pondre. Mais  n'oubliez  pas  cependant  que 
riiyver  approche  et  qu'il  ne  faut  pas  vous  expo- 
ser à  voyager  dans  une  saison  trop  rude. 
J'aspire  au  moment  de  vous  savoir  heureuse- 
ment de  retour  à  Lyon  en  bonne  santé,  ou 
plus  à  portée  d'avoir  immédiatement  de  vos 
nouvelles;  j'espère  en  recevoir  un  peu  plus 
régulièrement,  non  par  vous-même  qui  ne 
devez  pas,  et  je  vous  en  supplie,  vous  fatiguer 
à  écrire,  mais  par  vos  chères  filles,  qui  vou- 
dront bien,  je  m'en  llate,  me  rendre  cet  office 
d'amitié.  Ma  femme  vous  prie  d'agréer  ses 
devoirs,  nous  saluons  l'un  et  l'autre  ma  chère 
Tante,  et  moi,  ma  bonne  amie,  je  vous  em- 
brasse de  tout  mon  cœur. 

ROUSSEAU. 

Je  vous  prie  de  vouloir  bien  faire  passer  ce 
billet  à  sa  destination  par  une  voye  sure  qui  le 
remette  en  mains  propre,  et  qui  vous  trans- 


DE     JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  257 

mette  la  réponse,  que  vous  aurez  la  bonté  de 
me  faire  passer  à  voire  comodité. 


LXXXYI 

A  Madame 
Madame  Boy  de  la  Tour,  à  Lyon. 

A  Paris  le  18  Janvier  1773. 

Quoiqu'il  n'y  ait  pas  longtems,  ma  bonne 
amie,  que  j'ai  receu  par  Mad*"  de  Lessert 
de  vos  nouvelles  et  des  siennes,  et  que  j'en 
aye  encor  plus  récemment  quoiqu'indirecte- 
ment  par  M.  Lalliaud  qui  passant  dernièrement 
à  Lyon  a  rencontré  M.  De  Lessert,  néanmoins 
l'intéressante  époque  dont  approche  votre 
excellente  fille  me  fait  désirer  d'en  apprendre 
l'heureux  événement  aussitôt  qu'il  sera  pos- 
sible, et  je  m'adresse  pour  cet  effet  à  sa  digne 
Maman,  non  pour  qu'elle  veuille  me  donner 
cet  avis  elle-même,  sachant  que  d'écrire  nuit 
à   sa  santé,    mais   pour  qu'elle   engage   mon 

17 


258  LETTRES    INÉDITES 

aimable  lante  à  prendre  ce  soin.  Car  je  crains 
que  les  occupations  de  M.  Gaugé  ne  l'empê- 
chent  d'être  aussi  exact  sur  cet  article  que  je 
l'en  avois  prié.  Les  miennes  me  tiennent,  sur- 
tout en  hiver,  cloué  à  ma  besogne  avec  une 
telle  assiduité  que  je  n'ai  plus  le  tcms  ni  le 
courage  d'écrire  aucunes  lettres,   et    que   les 
exceptions  mêmes  que  m'impose  mon  tendre 
attachement  pour  mes  bonnes  amies  se  sentent 
de  la  hâte  avec  laquelle  je  suis  contraint  de  m'y 
livrer.  Compatissez,  Madame,  aux  négligences 
de  votre  ami  et  soyez  bien  certaine  que  l'in- 
difîerence  d'un  cœur  tiède  n'y  a  et  n'y  aura 
jamais  aucune  part.  Vous  êtes  si  bonne  et  si 
pleine  d'indulgence   que   je  n'en  attends  pas 
moins  de  votre  part  des  nouvelles  exactes  de 
tout  ce  qui  vous  interesse  et  qui  m'intéresse 
par  conséquent.  Bon  jour,  ma  chère  amie;  ma 
femme  vous  assure  de  ses  obéissances;  nous 
nous  portons  assez  bien  l'un  et  l'autre,  et  nous 
vous  embrassons  et  vos  chers  enfans  de  tout 
notre  cœur. 


DE    JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  259 

BILLET 


LXXXYII 

Voici  les  billets  pour  la  bonne  Maman  et  ses 
élus.  Nous  la  prions  ma  femme  el  moi  de 
nous  permettre  d'en  augmenter  le  nombre  et 
nous  irons  pour  cela  sur  les  cinq  heures  nous 
rendre  auprès  d'elle. 


LXXXYIII 

Pour  Madame  Boy  de  la  Tour. 

J'envoye,  ma  bonne  amie  savoir  de  vos  nou- 
velles; pour  moi  je  n'en  ai  point  de  bonnes  à 
vous  donner. 

Permetlriez-vous  que  M.  le  Trésorier  eut 
rhonneur  de  diner  avec  vous?  Je  sais  qu'il  le 
désire,  et  moi  je  désire  lui  faire  plaisir  pourvu 
que  cela  ne  vous  déplaise  pas.  Dites  librement 


260  LETTRES    INÉDITES 

oui  ou  non,  et  ne  vous  donnez  pas  pour  cela  la 
peine  d'écrire  ;  un  mol  de  bouche  suffit. 


LXXXIX 

Ce  23  Juin. 

A  force,  chère  amie^,  de  me  prévaloir  de 
vos  bontés  j'en  abuse,  et  voici  encore  une 
lettre  qui  s'y  recommande.  V^ous  savez  le  vif 
intérest  que  je  prends  à  l'homme  respectable 
à  qui  elle  s'addresse,  quand  vous  en  aurez  des 
nouvelles  vous  m'obligerez  sensiblement  de 
vouloir  m'en  donner.  / 

J'apprends  que  lôlit  continue  d'aller  bien 
chez  vous,  je  m'en  réjouis  d'un  cœur  ami  c'est 
tout  dire.  Ce  seroit  pour  ce  même  cœur  une 
joye  bien  vive  et  bien  pure  d'aller  vous  en  féli- 
citer de  plus  près  et  profiter  de  l'invitation  de 
ma  Cousine,  tle  n'est  pas  moi,  comme  vous 
savez  qui  dispose  de  moi.  Il  faut  obéir  pre- 
mièrement à  la  nécessité  et  puis  aux  hommes, 
quand  je   n'obéirai    qu'à  mes  dessins   je    ne 


DE     JEAN-JACQUES    ROUSSEAU.  261 

m'éloignerai  guère  de  vous  et  d'elle.  J"ai  receu 
des  nouvelles  du  Papa  par  Messieurs  vos  fils  à 
qui  je  vous  prie  d'en  faire  mes  remerciemens. 
Il  me  parle  d'un  ouvrage  de  ma  façon  que 
Lenieps  lui  marque  être  sous  presse.  Je  croyois 
que  mes  amis  se  lasseroient  enfin  d'avoir  sur 
de  pareils  bruits  une  crédulité  si  peu  sensée, 
mais  puisque  la  raison  l'amitié  la  vérité  n'y 
peuvent  rien  faire,  ils  n'ont  qu'à  dire  et  laisser 
dire  à  leur  aise,  pour  moi  je  ne  m'en  tourmen- 
terai plus. 

J'ai  appris  le  mariage  du  Peyrou.  Cette  nou- 
velle m'a  peu  surprise,  quoi  qu'elle  eut  bien  de 
quoi  surprendre.  La  jeune  personne  dont  il  a 
fait  sa  femme  m'a  paru  d'un  Ijon  caractère 
autant  qu'on  peut  juger  en  passant  de  celui 
d'un  enfant.  Tant  mieux  pour  l'un  et  pour 
l'autre.  Elle  en  aura  besoin  pour  vivre  heureuse 
et  le  rendre  heureux.  Bon  jour,  chère  amie, 
continuez  comme  vous  avez  commencé  de  con- 
sulter en  mariant  vos  enfans  les  convenances 
de  la  nature,  et  après  celle  des  caractères  qui 


26-2  LETTRES    INÉDITES 

doit  aller  avant  tout,  mettez  celle  des  âges  au 
premier  rang. 


XC 

Ce  Samedi. 

Je  ne  puis,  très  chère  amie,  vous  écrire  que 
fort  à  la  liàte.  Mon  état  chancellant  ne  me 
laisse  former  aucun  projet  bien  fixe;  mais 
supposant  la  possibilité,  je  serai  forcé  de  partir 
d'ici  le  18  au  plus  tard,  et  je  compte  à  mon 
retour  vous  revoir  à  Iverdun.  En  attendant 
donnez  moi  ici  le  plus  de  tems  que  vous  pourrez 
et  si  vous  y  avez  des  gens  à  voir,  renvoyez  cela 
jusqu'après  mon  départ  afin  que  je  ne  perde 
aucun  des  doux  moments  destinés  à  l'amitié. 
Lorsque  vous  serez  déterminée  sur  le  jour  où 
vous  comptez  venir,  donnez  m'en  avis  je  vous 
en  prie.  Surtout,  chère  amie,  je  me  mets  à  vos 
pieds  pour  vous  demander  le  plus  grand  ména- 
gement durant  vôtre  convalescence.  Laissez- 
vous  diriger  par  faimable  Madelon,  c'est-à-dire 


DE     JEAN-JACQUES     ROUSSEAU.  263 

par  vous-même,  puisque  sa  raison,  ses  vertus, 
sa  tendre  sollicilude,  sont  toutes  l'ouvrage  de 
vos  soins.  Dieu  vous  rend  à  vôtre  famille  et  à 
vos  amis.  Bonne  mère,  excellente  amie,  ne 
vous  exposez  plus  à  vous  perdre. 

J'ai  receu  de  la  part  de  Monsieur  votre  fils 
un  élui  dont  je  le  remercie.  Je  suis  très  touché 
de  ses  soins  pour  ma  santé.  Je  suis  content  de 
l'emplette  mais  je  désire  que  sur  cet  article  il 
s'en  tienne  là.  Je  suis  charmé  d'apprendre  qu'il 
a  fait  son  voyage  en  bonne  santé. 


XCI 

Pour  Madame  Boij  de  ta  Tour. 

Ce  Samedi  matin. 

Voila,  ma  bonne  amie,  le  hallebran  qui  vous 
ètoit  destiné,  et  comme  ce  n'est  pas  cependant 
un  aliment  extrêmement  sain  je  vous  conseille 
et  vous  prie  de  manger  à  la  place  une  des  deux 
bécassines  que  j'y  ai  jointes.  Si  vous  aviez  la 
complaisance  et  le  crédit  d'engager  M.  Chaillet 


2G4      LETTRES    INÉDITES    DE    J.-J.     ROUSSEAU. 

de  quitter  vôtre  diné  pour  le  mien,  je  saurois 
grand  gré  à  vous  et  à  lui  de  ce  sacrifice  et  cela 
nous  mettroit  à  portée  de  faire  après  diné  la 
partie  d'échecs  sans  ennuyer  personne.  Faites 
moi  dire  le  plus  lot  que  vous  pourrez  s'il  vien- 
dra ou  non.  Donnez-moi,  cliére  amie,  de  vos 
nouvelles,  puisque  vous  ne  voulez  pas  m'en 
apporter  à  diné. 


APPENDICE 


M.  Ferdinand  Brunetière  a  bien  voulu  nous 
communiquer  le  dossier  de  lettres  que  nous 
publions  et  qui  sont  les  réponses  de  Madame  Boy 
de  la  Tour,  de  sa  fille  et  de  son  fils  à  J.-J.  Rousseau. 
Les  originaux  sont  à  Neufcliâtel,  M.Fritz  Berllioud 
a  déjà  puisé  à  cette  source  mais  n'a  publié  que 
quelques  pages  à  l'état  d'extraits  dans  J.-J.  Rousseau 
au  Val  de  Travers. 


RÉPONSES  DE  M-"^  BOY  DE  LA  TOUR 


Yverdun,  ce  20  juillet  1762. 

Une  lettre  de  vous,  mon  cher  et  très  cher  ami,  quel  plai- 
sir, je  la  lis  et  relis  très  souvent,  je  trouve  mil  sujet  de  joie 
sur  tout  de  ce  que  vous  paressé  vous  plaire  dans  cette  maison 
où  je  vous  prie  de  tout  disposer  à  votre  fantaisie;  j"ai 
chargé  mon  homme  d'atl'ère  de  vous  aller  offrir  ses  services 
pour  faire  faire  toutes  les  réparations  que  vous  souhaitez, 
je  veu  que  vous  soiez  à  votre  aise  et  pour  cela  je  souscrr 
à  tout;  vous  voulez  que  je  tire  un  loyer,  à  la  bonneure,  à 
30  de  france  il  est  sur  payé  ;  ce  n'est  point  dans  ce  pays 
que  l'on  tire  parti  des  maisons,  jamais  je  n'en  ai  tiré  un 
liar,  je  l'ai  prêté  très  souvent  et  avés  de  l'obligation  à 
ceux  qui  l'occupait. 

Vous  auriez  bu  le  courage,  mon  cher  ami,  da  compagnier 
ma  belle  sœur,  qu'il  serai  dou  pour  moi  de  vous  voir  aven 
que  de  m'en  aller,  il  faut  de  toute  nécessité  que  je  retourne 
sur  ma  montagiiie,  j'attendrai  que  les  challeurs  ne  soie  pas 
si  forte,  à  toute  bonne  fin  vous  en  saurés  le  jour,  vos  amis 
et  amie  seron  de  la  partie  ;  que  ce  jour  aura  pour  moi  de 
délice  si  vous  v  aite. 


268  APPENDICE. 

Mes   sœurs  me  disent  tant  de   choses  pour  vous   que 

.j'aurai  une  bille  à  vous  envoyer  si  je  voulai  les  croire,  mes 

finies  vous  respecte  et  chérisse  et  voudrai  vous  embrasser 

réellement  qu'avec  plaisir  ;  je  vous  tiendrai  la  promesse 

que  je  vous  avès  faite  que  je  trouve  dommage  que  l'on  ne 

puisse  transformer  la  pelotte 

...  .  vous  dite  de  si  bonne  grasse  que  vous  m'aimé 
que  je  suis  prelte  à  le  croire  en  revanche,  disposé  du  cœur, 
•de  l'amitié  de  votre  amie. 

Boy  DE  LA  Tour  née  Roguin. 


II 


Vous  êtes  bien  bon,  très  cher  ami  d'avoir  de  l'incietude 
sur  mon  conte,  j'en  suis  quite  pour  un  peu  de  meurtrissure, 
j'ai  cru  devoir  moi-même  vous  le  dire  pour  répondre  à 
vos  bonté,  je  me  porte  à  merveille  et  me  rapelle  avec 
délice  les  moments  heureux  que  j'ai  passé  avec  vous,  qui 
vont  être  troublé  que  par  la  crainte  que  cette  terrible  course 
ne  vous  incommode,  jugé  don  très  cher  ami  du  plaisir 
•que  nous  a  fait  votre  chère  lettre;  depuis  vous  j'ai  bien 
fait  des  refllexions  et  craint  que  vous  ne  soie  pas  aussi 
bien  dans  ma  maison  que  je  ne  la  souhaiterois.  De  grasse, 
cher  ami;  dite  moi  si  je  peut  remédier  à  quelque  chause 
je  le  ferai  avec  empressement;  n'ayez  égard  pour  per- 
sonne, vives  à  votre  fantaisie  et  disposé  de  moi  comme 
d'une  personne  qui  vous  ai  entièrement  acquise.  Agrée, 
•cher  ami  les  devoirs  de  mes  enfants  et  les  embrassements 
•de  la  mère. 

BoY   DE  LA  TODR. 


APPENDICE.  2(19 

Mes  salutations  à  Mademoiselle  Levasseur  que  j'ai   été 
charmée  de  connoitre. 


III 


Votre  pelisse,  mon  bon  et  cher  ami,  est  partie  hier 
adressée  à  Pontarlier  à  M.  Glauriau,  avec  l'ordre  de  vous- 
la  faire  d'abor  parvenir,  les  2  bonnet,  la  robe  de  camelot 
et  son  bonet  une  ceinture  rayée,  celle  à  filoche  ne  s'est 
trouvée  faite,  je  vous  l'enverrai  parles  frère  Rosselet,  avec 
la  quaisse  chandelle  et  le  papié  ;  vous  trouverez  aussi  dans 
ce  paquet  de  la  soie  pour  les  lassets,  et  une  piesse  de 
ruban  pour  ma  niesse  et  deux  petit  bonnet  de  Blonde  pour 
M«"^  Divernoi,  commission  quel  avès  donné  à  ma  fille. 

J'espère  que  vous  trouverez  votre  pelisse  belle  bonne  et 
chaude,  légère  et  qui  durera  éternellement  moyennant 
qu'elle  soit  préservée... 

...  de  ïartarie,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  beaux  et  de  plus 
de  dure  soie,  assure  que  j'ai  plus  ménagé  votre  bourse 
que  je  n'aurai  fait  la  mienne,  peut  aètre  ai-je  été  trop  à 
le  conomie  à  l'égard  de  la  ceinture  il  y  en  a  de  la  même 
espèce,  double  plus  large  qui  coûte  29  et  celle  que  je  vous 
envoyé  n'en  coûte  que  9,  j'ai  retenu  que  si  elle  ne  vous 
convenait  pas,  on  la  changerai,  et  vous  n'auriez  qu'à  me 
la  renvoyé  par  les  Rosselet  qui  doivent  venir  incessem- 
ment,  si  la  soie  ne  convenai  pas,  elle  serai  aussi  changée; 
je  revien  à  votre  amicalle  et  obligente  lettre  qui  m'a  fait. 
Moucher  ami,  un  plaisir  inexprimable,  ma  fille  veut  elle- 
même  répondre  par  quelques  lignie  à  ce  qui  la  regarde,., 
envoyé  moi  deux  petit  doit  de  vos  joli  lasset,  pour  que  je- 


270  APPENDICE. 

juge  devotreouvrage,  sans  cela  je  n'en  verrai  de  longtemps, 
Madelon  est  très  fort  de  ce  sentiment,  nous  vivons  tres-ami- 
calement  ensemble  et  surtout  depuis  que  nous  revoyons 
remettre  Julie,  la  joie  est  parmi  nous,  cette  chère  fillie  met 
rendu,  je  l'espère  de  la  grasse  de  Dieu,  tout  les  mauvais  sin- 
tomes,  tout  fièvre  et  sueur,  l'apéti  et  sommeillie  sont  re- 
venu, il  ne  lui  reste  que  des  grand  mau  de  tette,  sans  cela 
elle  serai  à  merveillie,  la  nature  a  travaillé  presque  seule, 
•excepté  des  vésicatoires  qui  lui  ont  été  apliqué  sur  la 
poitrine,  on  ne  lui  a  fait  aucun  remède,  elle  me  charge  de 
vous  dire  bien  des  chauses  de  sa  part,  de  même  que  mon 
lîls  qui  envie  l'avantage  que  nous  avons  u,  il  se  flatte  de 
se  honneur  et  attend  ce  moment  avec  impassiance. 

Vous  avez  beau  dire,  cher  ami  vous  aurés  un  petit 
apartement  sur  ma  montagnie  ou  vous  scré  j'espère  plus 
tranquille  je  suis  mortifiée  de  ce  que  vous  ne  pouvés 
l'avoir  à  Motier,  prené  passiancc,  cher  ami,  j'espère  que 
cela  viendra  et  ne  vous  lassé  point  de  dire  la  desçu  votre 
sentiment,  de  grasse,  ne  me  déguisé  rien  de  la  maison  et 
si  je  peut  maitre  remède  à  quelque  chause  je  le  ferai  sans 
que  vous  soie  compromis;  puisque  vous  voulés  bien  me 
favoriser  de  votre  amitié,  agisses  en  conséquence  et  soie 
assuré  que  vous  m'obligeré  de  me  fournir  les  occasions  à 
vous  prouver  la  mienne,  je  par  de  là  pour  vous  dire  que  les 
réparation  qui  se  fon  dans  ma  maison  me  regarde  et  que 
vous  les  rabatré  sur  le  conte  que  je  vous  enverrai  dès  que 
tout  sera  complet,  dite  moi  aussi,  très  naturellement  si 
vous  ai  te  content  de  mon  envoy  ;  le  tafîeta  n'aurai  rien 
duré  en  doublure,  je  n'ai  peut  trouvé  une  plus  belle  toile, 
vous  lalé  trouvé  bien  grossière.  Adieu  mon  bon  ami,  tou- 
jours tout  à  vous. 

Boy  de  la  Tocr. 


APPENDICE.  27! 

Ma  fille  est  honteuse  de  vous  envoyersalettrebarbouillée, 
elle  n'a  pas  le  tems  de  la  recopié.  Mes  amitié  à  Mad'="= 
Levasseur,  je  les  offre  à  ma  sœur  et  niesse. 


IV 

A  Lion,  ce  4  Si»-^  1762. 

A  mon  arrivé  très-cher  ami,  j'ai  dabor  pensé  à  vous 
pour  vos  commissions  (d'alieurs  ji  suis  continuellement) 
voissi  une  note  qui  contien  la  peleterie  qui  sera  de  duré 
si  vous  aimmé  le  léger;  il  faut  prendre  le  plus  beaux, 
rien  de  plus  fassile  que  de  vous  faire  une  semblable  robe 
dont  j'ai  le  modèlle,  j'ai  fait  coupé  un  patron  deven  moi 
vous  trouverez  si  joint  dés  échantillon  de  camelot  et  leur 
prit,  vous  choisirés  celui  qui  vous  con\'iendra  le  mieux, 
j'ai  commandé  une  sinture;  il  ne  s'en  ai  trouvé  de  faite 
qu'en  rose  ver  ou  bleu ,  je  l'ai  demendé  de  la  couleur  de 
votre  habit  et  si  elle  est  tel  que  vous  la  désiré,  je  serai 
toujours  attent  d'en  faire  faire  une  segonde,  il  se  fait 
aussi  de  ces  sintures  d'une  étoffe  rayée  comme  les  mou- 
choirs de  col  de  famme,  dans  les  couleurs  vive  et  claire, 
je  ne  des  sidérai  rien  que  votre  réponse  que  j'attendrai 
avec  impassiance,  on  ne  perdra  pas  un  moment  pour  vous 
faire  l'envoy  de  ces  bagatelle  que  je  joindrai  à  la  petite 
quaisse  chandelle  et  papier;  que  faite  vous,  cher  ami, 
comme  vas  la  santé  et  le  contentement  tout  de  chauses 
qui  m'intéresse  infiniment,  vous  avés  toujours  des  visites 
sans  fin,  j'en  suis  fâché  et  voudrai  vous  les  épargnié. 

J'ai  fait  un  voyage  très  heureux,  j'ai  trouvé  tout  mon 
monde  en  bonne   santé,  je  serai  contente  si  ma  pauvre 


272  APPENDICE, 

Julie  n'ètoit  pas  menassée  de  tomber  dans  la  consomption, 
ce  qui  ra'aflige,et  me  navre.  Suivant  l'ordre  que  j'ai  donné 
vous  auré  un  couple  de  chambres  l'étée  prochain  sur  ma 
monlagnie  ;  il  faut  espéré  que  vous  seré  là  en  paix,  jc^ 
désire  votre  bonheur  autant  que  le  mien  et  que  j'aye  la 
satisfaction  de  vous  revoir  un  jour  et  simenter  la  liaison 
de  l'amitié  de  plus  en  plus.  A  Dieu,  cher  ami,  je  suis  et 
serai  toujours  votre  dévouée  amie. 

BoY   DE  LA  Tour. 

Il  faut  de  camelot  pour  vautre  robe  4  aunes  et  demie  je 
ne  saurai  vous  choisir  en  soie  que  du  grau  de  Naple  ou 
taffeta,  parsquevous  voudrié  de  l'huni. 


Mademoiselle  Madeleine  Boy  de  la  Tour  à  J.-J.  Bousseau. 

Si  je  prends,  Monsieur,  la  liberté  de  vous  écrire,  c'est 
pour  vous  désabuser  sur  ce  que  vous  paroissez  n'avoir  pas. 
grande  opinion  de  mes  sentiments,  s'ils  vous  étoit  connus, 
vous  leur  rendriez  sûrement  plus  de  justice  et  ne  m'accu- 
seriez pas  d'oublier  mes  amis,  puisque  vous  me  faites 
l'honneur  de  vous  mettre  du  nombre  ;  vous  avez  la  politesse 
de  dire  qu'il  m'est  aisé  d'en  trouver,  peut  de  personnes 
sont  aussi  indulgente  que  vous  et  j'en  ai  bien  besoin,  car 
un  bon  cœur,  une  sincère  amitiez  est  tous  ce  que  je  peut 
offrir,  mais  je  suis  constante  et  mes  connoissances  nou- 
velles ne  prévalent  point  sur  les  anciennes.  Et  soyez,  per- 
suadez, Monsieur,  qu'il  n'est  pour  moi  rien  de  plus  pré- 


APPENDICE.  273 

tieux  que  votre  estime,  quelle  plaisir  que  j'ai  eu  à  Rolle 
ou  à  Genève,  ils  ont  toujours  été  très  inférieurs  à  ceux 
que  j'ai  goûtez  avec  vous;  toute  promenades  me  sont 
insipides  quand  je  pense  à  celle  que  nous  fesions  au 
bord  du  lac  du  coté  de  charnpittet.  Les  repas  les  plus 
recherchés  ne  sont  pas  comparable  pour  mon  goût  à  celui 
que  nous  fîmes  sur  la  montagne,  ou  la  crème  qui  n'étoit 
pas  servie  dans  de  la  porcelaine  n'en  étoit  que  meilleure. 
L'hyver  doit  commencer  à  se  faire  sentir  dans  votre 
vallon  où  la  neige  n'est  pas  tardive.  Je  vous  plaindrai  si 
vous  étiez  tout  autre  que  n'est  M.  J.-J.  Rousseau  d'habiter 
un  lieu  que  je  ne  m'imagine  pas  être  fort  agréable  dans 
la  triste  saison  où  nous  entron  mais  où,  pouvant  vous 
voir  quelquefois  j'aimerai  mieux  habiter  qu'en  aucun  autre 
lieu  du  monde  ;  Nous  vous  avons  envoyez  de  la  soye  pour 
vos  lacets,  Je  suis  très  sensible  à  l'offre  obligeante  que 
vous  m'en  faites.  Je  souhaite  d'avoir  encor  quelque  part 
dans  votre  souvenir  dans  ce  tems  où  vous  souhaitez,  que 
j'en  fasse  usage,  qui  est  encore  dans  le  plus  grand  éloi- 
gnement,  et  dont  les  bontés  que  ma  chère  mère  a  pour 
moi  et  que  je  m'efforce  de  mériter  ne  me  raproche  par 
cette  meilleure  des  mère  est  presque  toujours  avec  ses 
enfants;  nos  conservations  chéries  sont  celles  où  nous 
parlons  do  vous.  Ma  sœur  Julie  va  assez  bien  et  me  charge 
de  (en  vous  présentant  ses  respects)  vous  prier  de  ne  point 
oublier  votre  tante.  La  grand  maman  qui  est  à  Rolle  s'y 
porte  à  merveille,  et  mois  je  suis  avec  la  plus  parfaite 
considération. 

BOY    DE    LA    TOL'R. 
Lyon,  ce  26  octobre  1762. 

18 


274  APPENDICE. 


VI 


A  Lion,  ce  !••  juin  1763. 


Je  ne  peut,  mon  bon  et  cher  ami  m'empêcher  de  vous 
acuser  la  réception  de  votre  chère  lettre  du  7  qui  m'a  fait 
un  vrai  plaisir,  parsqu'elle  est  de  vous  et  vient  de  vous  il 
n'en  ai  pas  de  même  de  bien  des  chause  qui  y  son  con- 
tenue qui  me  chagrine.  Quoi  est-il  possible,  que  l'on 
puisse  vous  inciétor  et  vous  faire  paine,  vous  qui  devrié 
avoir  toute  la  terre  pour  amis  et  protecteur.  Je  suis  outré 
qu'il  y  ave  des  créature  humaine  qui  pense  si  mal,  que 
tout  cela  ne  vous  inciète  point  et  n'infle  point  sur  votre 
santé,  vous  avés,  cher  ami  des  ressources  en  vous  mairae 
que  personne  ne  peut  vous  auter  dont  je  vous  prie  défaire 
usage.  Que  n'étil  en  mon  pouvoir  d'y  remédier,  cela  serai 
bientôt  fait,  mon  neveu  et  moi  feron  tout,  si  vous  dites  un 
mot  il  vous  est  attaché  comme  moi  de  tout  son  cœur,  ce 
qui  me  consolle  c'est  de  vous  bien  sentir  chès  vous,  car 
vous  vous  devès  regardé  tel  chès  moi  ;  je  donne  ordre 
pour  que  l'on  aous  remette  ma  cave,  que  je  vous  prie  de 
prendre,  ni  dussié  vous  rien  mettre,  je  vous  en  croiais 
muni  depuis  longtems,  j'ai  veu  avec  paine  le  contraire;  j'ai 
enfin  reçu  une  lettre  de  M.  Cler  qui  me  dit  l'ouvrage  sur  la 
montagnie  presque  fini,  ordonné  et,  faite  faire  à  votre 
fentésie,  il  a  mes  ordres,  et  vous  ne  sauriéplus  m'obliger, 
tout  cela  me  sera  très  hutil  un  jour,  ni  épargnié  rien,  de 
grasse,  je  voudrai  aitre  à  porté  d'y  faire  travaillié  moi- 
même. 

Vous  aite  assé  bon,  cher  ami,  pour  prendre  interdi  à  ce 
qui  me  regarde  et  ma  famillié,  je  vous  dirai  que  je  ne  me 


APPENDICE.  275 

suis  jamais  mieux  porté,  que  je  la  tribue  au  contentemeat, 
je  vis  depuis  que  je  suis  débarrassé  de  Bailliod;  de  même 
que  mes  enfants  qui  se  porte  à  merveillie,  excepté  Julie 
qui  de  tent  antems  est  languissante.  Un  petit  secret  qu'ii 
faut  que  je  vous  communique,  mon  cher  oncle  a  voultt 
une  explication  touchan  l'afTère,  qui  lui  tenai  au  cœur;  je 
lui  ai  dit  naturellement  que  les  idée  de  ma  fillie  n'étai 
pas  les  nautre,  et  qu'il  ne  fallai  pas  penser  à  cet  établis- 
sement; le  bon  Dieu  veuillie  que  pour  eux  et  pour  moi  il 
prenne  bien  la  chause,  j'aime  mes  paren  mais  ma  fillie 
encore  plus,  nous  vivon  dans  une  grande  union,  jour  et 
nuit  ensemble,  elle  fait  tout  mes  plaisirs  et  moi  tout  les 
siens;  comme  j'ai  de  mauvai  pié,  j'ai  monté  une  voiture  à 
un  cheval  et  nous  feson  des  promenade  délicieuse,  où  nous 
parlon  souvent  de  vous  et  où  vous  aite  bien  souhaité.  C'est 
assé,  cher  ami,  abusé  de  votre  passiance,  pardonné  en- 
faveur  de  l'amitié  qu'a  pour  vous  votre  affectionné  amie. 

Boy   de  la   Tour. 

Ma  famillie  vous  présente  ses  devoirs,  mes  salutation  î 
M"^  Levasseur. 

P.  S.  M.  Cherb  sindic  des  suisses,  mon  protecteur  et 
votre  grand  admirateur  vien  de  me  remettre  cette  feuillie 
avec  instance  de  vous  la  faire  parvenir. 


VU 

A  Lion,  ce  12  de  J76-4. 

Je  ne  vous  ai  pas,  mon  cher  ami  acusé  dans  son  tems  la 
reseption  de  votre  chère  lettre  du  18  dernié,  je  voulai  faire 


276  APPENDICE. 

VOS  commission  qui  ne  son  pas  entièrement  finie,  n'ayant 
point  peut  trouver  de  cinture,  on  m'en  a  promis  pour  la 
semaine  prochaine  et  vous  l'enverra  aved'étolfe  pour  votre 
robe  d'étée  que  je  ne  me  suis  pas  pressé  d'acheter,  espéran 
que  le  hazar  me  procurera  quelque  chause  de  rencontre, 
je  n'ai  rerais  aux  frères.Rosselet  que  vos  3  bonnet,  les  fer 
à  repasser,  il  m'en  assure  vous  avoir  envoyé  les  galon  et 
iasset,  ce  qui  fait  que  je  n'en  ai  pas  racheté,  vous  trouveré 
aussi  un  carteron  de  sois,  je  n'en  ai  pas  pris  davantage, 
parsqu'il  ne  s'en  trouve  que  de  cette  calité. 

Ne  trouvé  pas  mauvais,  cher  ami,  si  je  refuse  de  prendre 
à  l'avenir  le  loyer  de  la  maison  que  vous  occupé,  vous 
savés  que  nous  sommes  convenue  que  vous  l'avès  plus 
que  payé  l'année  échue  par  les  réparation  que  vous  avès 
faite  à  cette  misérable  maison,  l'année  prochaine  je  vous 
maitrai  en  conte  les  40  livres  et  prendrai  comme  vous  le 
désiré  Tinterai  de  votre  argent  pour  vos  commission  dont 
je  vous  en  ferai  un  fidelle  conte,  j'ai  payé  pour  le  cafTé  de 
M.  Rasetier  qu'il  vous  a  envoyé  15  dont  j'ai  le  reçu,  vous 
seré  aussi  bien  aisé  de  savoir  ce  que  la  sois  coûte  pour 
vous  la  faire  remboursé  16  lo,  je  vous  enverrai  la  notte 
du  tout  quand  j'aurai  fait  le  reste  de  vos  emplettes,  nous 
vous  enverron  aussi  une  nouvelle  promesse  de  votre  ar- 
gent, soie  tranquille,  cher  ami,  nous  ne  vous  feron  grasse 
de  rien,  tout  sera  dans  l'ordre. 

Vos  voisine  vous  ont  quitté,  j'en  suis  charmé,  vous  serès 
plus  en  liberté,  votre  tranquillité  et  honneur  m'intéresse 
véritablement  je  langui  de  voir  la  fin  de  cette  hiver  par- 
rapportàvous,  il  est  surtoutbienviliendanslepay  quevous 
habité.  On  a  déssidé  ici  comme  ailleurs  que  le  misérable 
livre  ou  l'on  a  donné  votre  nom  n'étai  pas  de  vous  ;  qui 
peut  imiter  votre  setil;  personne  ne  si  est  trompé,  vous 


APPENDICE.  277 

avés  dans  cette  ville  grand  nombre  de  partisans,  vous  aite 
aimmé,  chéri  et  admiré,  nous  avons  été  chargé  de  vous 
faire  parvenir  une  lettre  il  y  a  quelques  tems,  je  ne  sais 
si  vous  l'aurez  reçu,  on  nous  demande  réponse  et  cela  par 
main  tierse,  sans  savoir  de  qui  elle  vient.  J'abuse  de  votre 
passiance,  pardon  mon  cher  ami,  je  fini  en  vous  prien  de 
saluer  Mad'^"'=  Levasseur  et  d'agréé  les  devoirs  de  ma 
famillie  et  de  me  croire  toujours  de  bon  cœur  et  à 
jamais  votre  amie. 

BoY  DE  LA  TocR,  née  Roguin. 

Les  marron  ont  été  détestable  cette  année  sans  quoi  je 
vous  en  aurai  un  peut  envoyé. 


VIII 

A  Lion,  ce  9  avrille  1764. 

Rien  de  plus  triste,  mon  bon  amis,  que  l'état  par  lequel 
je  viens  de  passer  je  commense  depuis  un  couple  de  jour 
à  espérer  mon  rétablissement  ;  le  lait  pouvant  passer  il 
fait  ma  seule  nourriture,  j'étai  d'une  foiblesse  qui  ne  me 
permetai  aucune  aplication,  sans  cela  je  vous  aurai  plus 
tôt  remersié  de  toutes  les  amitiés  dont  vous  avez  comblé 
mon  fils  et  surtout  des  bons  conseillies  que  vous  avez  bien 
voulu,  mon  bon  ami,  prendre  la  paine  de  lui  donner,  il  en 
fera  sûrement  bon  profit,  je  vous  en  rend  bien  des 
grasses. 

Ne  douté  pas,  cher  ami,  du  chagrien  que  j'ai  ressenti  de 
toute  les  tracasseries  qui  vous  ont  été  faites,  je  ne  serai 
tranquille  que  quand  je  saurai  par  vous  que  votre  chère 


278  APPENDICE. 

santé  n'en  est  point  allitorée,  je  voudrai  bien  encore  que 
TOUS  me  donnassié  l'espérance  de  vous  voir  ;  mon  voyage 
est  retardé  jusques  la  fin  de  May,  je  serai  inconsolable 
de  vous  manquer,  dites-moi,  mon  bon  ami,  ce  qu'il  en  sera, 
je  ferai  mon  possible  pour  me  procurer  le  plaisir  de  vous 
Toir;  n'avès  vous  point  d'ordre  à  me  donner,  rien  de  ce 
pays  ne  pourrai-t-il  vous  faire  plaisir;  je  me  chargerai 
avec  joie  de  vous  porter  tout  ce  que  vous  souhaiterée. 

J'ai  hu  le  plaisir  de  voir  votre  ami  M.  Duvemoi,  qui  m'a 
promis  de  vous  aller  faire  dabor  une  visite  ;  s'il  est  auprès 
de  vous,  je  le  prie  d'agréer  mes  compliments.  Réservé  les 
pespec  de  mes  enfants  et  particulièrement  de  mon  fils  aine, 
mes  salutations  à  Mad"^"^  Levasseur;  recevé  les  em- 
brassement  de  votre  fidelle  amie. 

BûY  DE  LA  Tour. 


IX 

Monsieur  Boy  de  la  Tour  fils  aine  à  J.-J.  Rousseau, 

Lyon,  ce  8  juin  18Ci. 

Agrées,  Monsieur,  que  je  réponde  pour  ma  Mère  à  la 
lettre  qu'elle  vient  de  recevoir  de  votre  part,  elle  se  pro- 
posait d'un  jour  à  l'autre  de  vous  écrire  lorsqu'une  forte 
colique  d'estomac  la  surprise  au  point  que  depuis  trois 
semaines  elle  ne  peut  point  se  courber  et  se  trouve  allité 
depuis  plusieurs  jours,  mais  comme  les  remèdes  ont  très- 
bien  réussy  jusqu'à  présent,  nous  espérons  que  dans  peu 
de  tems  elle  sera  bien  rétablie,  aussy-tùt  qu'elle  sera  en 


APPENDICE.  279 

état  d'écrire,  elle  ne  manquera  pas  de  vous  donner  de  ses 
nouvelles  et  de  vous  témoigner  sa  reconnaissance  de  l'in- 
térêt que  vous  prenez  à  ce  qui  la  regarde,  mais  je  puis  vous 
assurer,  monsieur,  que  vôtre  précédente  lettre  n'a  été  lue 
que  de  ma  mère  et  de  moy  et  qu'elle  n'est  point  sortie  de 
son  porte-feuille  ;  sur  vos  obligeantes  informations  j'écris 
tout  de  suite  à  M''  le  châtelain  Martinet  sans  lui  faire 
aucune  mention  d'où  j'avais  appris  ce  dont  il  était  question, 
M.  Cler  m'a  répondu  à  sa  place  en  me  marquant  que  M''  le 
châtelain  auroit  soin  de  notre  afîaire  et  que  sans  doute 
c'étoit  M'"  Chaillet  de  Neufchatel  qui  m'en  avoit  informé  ; 
vous  remarquerez  par  là.  Monsieur  que  tout  ce  que  M.  et 
M"*DuTerreauxpeuventsavoirn'est  fondé  que  sur  de  mau- 
vais soubçons  de  leur  part  d'ailleurs,  Monsieur  ce  seroit 
mal  répondre  de  nôtre  part,  dans  une  afTaire  où  vous  nous 
obligez  si  généreusement  que  de  vous  y  compromettre.  Ma 
mère  vous  auroit  envoyé  les  chandelles  que  vous  luy  avès 
demandés  s'il  n'avoit  fallu  beaucoup  de  tems  pour  en  ob- 
tenir un  billet  de  sortie  ;  au  dernier  voyage  des  Rosselet, 
les  challeurs  étoient  si  fortes  qu'elle  n'a  pas  voulu  les 
exposer  en  route,  et  nous  les  garderons  jusqu'à  ce  qu'elles 
puissent  supporter  le  trajet. 

Nous  avons  pris  toute  la  part  possible  à  la  perte  que 
vous  avez  faite  de  M''  de  Luxembourg,  daignés  Monsieur, 
en  agréer  nôtre  compliment  de  condoléance. 

Ma  mère  aprendra  avec  un  plaisir  extrême,  ainsy  que 
nous,  Monsieur,  que  vous  ayès  goûté  l'air  de  la  montagne 
et  qu'il  vous  aye  fait  du  bien.  —  Permettes,  Monsieur,  que 
je  vous  assure  des  sentiments  de  l'attachement,  etc. 

Boy  de  la  Tocr,  l'aîné. 


280  Al'I'ENDinE, 


A  Lion,  ce  27  juin  176'(. 

Ce  pourrai-t-il,  mon  très  cher  ami  que  vous  fussiez 
fâché  contre  moi,  ce  grand  Madame  que  vous  mette  dans 
votre  chère  lettre  du  2  me  le  fait  croire  et  m'aflige,  je  vous 
ai  fait  dire  par  mon  fils  le  sujet  de  mon  silence,  je  vous 
ajouterais  que  la  discrétion  m'empêche  de  vous  impor- 
tuner, mais  mon  cœur  à  votre  égard  est  et  sera  toujours 
le  même,  feson  la  pay,  dite  moi,  cher  ami  2  mot  d'amitié 
et  vous  me  rende  contente. 

Permette  que  je  vous  confirme  que  je  n'ai  point  abusé 
de  l'avis  que  vous  avez  hu  la  bonté  de  me  donné  et  que 
vous  n'avez  été  nommé  en  aucune  fasson,  ce  n'est  que  par 
conjecture  que  l'on  veut  que  vous  y  ayé  part.  J'ai  été  et 
suis  des  plus  sensible  à  votre  attention  et  vous  en  rend 
bien  des  grasses. 

Et  bien,  très  cher  ami,  allé  vous  faire  un  tour  sur  la 
montagnie,  voissi  bientôt  le  tems  convenable,  je  souhaiteroi 
que  vous  vous  y  trouvassié  agréablement  et  que  vous  y 
fissié  transporté  tout  ce  qui  peut  vous  aitre  hutille;  si 
M""  Cler  peut  vous  rendre  servisse,  il  le  fera  avec  empres- 
sement. —  On  me  mande  d'Yvernonque  l'on  vous  attendai, 
j'esi)ère  que  vous  auré  fait  heureusement  ce  petit  voyage 
qui  vousaitai  nécessère  pour  vous  dissipé  je  ne  veut  point 
cher  ami  renouveller  vos  douleurs,  soie  assuré  que  j'ai 
prit  part  à  vos  paine. 

Voissi,  cher  ami,  une  lettre  que  je  n'ai  peut  refusé  de 
vous  faire  parvenir,  je  vous  aurai  obligation  si  vous  voulés 
lui  faire  un  petit  mot  de  réponse.  Je  vous  enverai  votre 


APPENDICE.  281 

quaisse  de  chandelle  dès  que  les  grand  challeur  seron 
passé,  mil  salutation  à  M'^^  Levasseur. 
Agréé  les  devoirs  de  ma  race  etles  sentimens  d'amitié  de 

votre  dévouée  amie. 

Boy  de  la  Tour. 


XI 

A  Lion,  ce  20  juillet  1764. 

Rien  de  plus  obligen,  mon  cher  ami,  que  votre  chère 
lettre  du  7,  sous  discrétion  je  me  hâte  d'y  répondre  pour 
vous  en  témoigner  ma  reconnaissance  et  vous  assuré  que 
rien  ne  saurai  changer  les  sentiment  déstime  et  d'amitié 
que  je  vous  ay  voué  ;  c'est  aA'ec  chagrien  que  je  voies  que 
ma  maison  ne  peut  convenir  à  votre  santé  qui  m'est  trop 
précieuse  pour  auser  murmuré  de  ce  que  vous  la  quittés, 
je  souhaite,  mon  cher  amis,  que  vous  en  trouviez  une  qui 
vous  convienne  à  tous  ses  égard  et  que  vous  m'en  ouvrié 
la  porte  quand  je  serai  à  porté  de  vous  allé  voir. 

Vous  n'avez  qu'à  remettre  à  AP  Boy  les  400  livres  appar- 
tenant à Mad^^''=  Levasseur,  il  lui  en  donnera  une  quittance; 
ils  seront  out  de  suite  couché  sur  nos  livres  à  Tinterai 
ordinaire,  je  suis  charmé  davoir  cette  ocation  à  l'obliger, 
je  lui  fais  mill  salutations.  Ma  fîUie  que  j'ose  dire  n'être 
orgueilleuse  de  rien  sauf  de  l'aitre  de  votre  obligen  sou- 
venir, vous  en  remercie  et  vous  prie  par  retour  d'atachement 
de  lui  conserver  le  vautre.  Que  vous  dirai-je  de  Julie,  c'est 
toujousla  même  étourdie  qui  airame  de  tout  son  cœur  son 
cher  neveu  ;  mes  fils  ne  veulent  pas  aitre  oublié  et  me  prie 
avec  mon   neveu  de  vous  présanter   leurs   devoirs  vous 


:282  APPENDICE. 

enverrai-je  également  la  quaissc  chandelle  quand  la 
saison  le  permettra?  je  suis  charmé  que  le  petit  séjour 
que  vous  avès  fait  chez  Mad-'  Lure  vous  aye  fait  plaisir, 
sûrement  il  ne  sera  pas  si  grand  que  celui  que  vous  lui 
auré  fait  j"en  juge  par  moi-même  qui  en  aurai  un  infini  à 
vous  prouver  de  bouche,  mon  cher  ami,  toute  l'amitié  de 
votre  dévouée. 

Boy  de  la  Tour. 


XII 


A  Lion,  ce  18  T^rc  ngé. 

J'attendai  d'un  jour  à  l'autre,  mon  cher  et  très  cher 
ami,  pour  répondre  à  votre  chère  et  obligeante  du  2o  dernier 
que  je  peut  vous  acuser  l'envoy  de  vos  chandelle  qui  sont 
praite  depuis  longtems,  les  frère  Rosselet  n'ont  point 
paru,  vous  les  auré  à  leur  premié  vovage. 

Vous  me  navré,  cher  ami,  en  me  disant  que  votre  santé 
est  toujours  languissante,  je  fais  mil  vœux  pour  que  le 
changement  d'air  et  de  climat  vous  rétablisse  entièrement. 
La  grasse,  cher  ami,  que  j'ai  à  vous  demander  c'est  de 
gardé  les  clefs  de  ma  maison  et  que  vous  emportié  de 
mes  mauvai  u.oubles  tout  ce  qui  peut  vous  convenir.  Je 
n'ai  point  pensé  à  aller  dans  vos  cartié  cette  automne,  je 
ne  sais  maime  si  je  le  pourrai  ce  prientent,  quoique  fort 
impassiante  de  vous  voir  et  profiter  de  votre  obligent  offre 
dont  je  vous  rend  mil  et  mil  grasses. 

J'aprend  dans  ce  moment  la  triste  nouvelle  du  désès 
du  cher  Baneret  Roguin,  je  souhaite  que  ce  triste  évène- 


APPENDICE.  283 

ment  ne  fasse  pas  impression  à  mon  cher  oncle.  Réservé, 
cher  ami,  les  devoirs  de  toute  ma  rassc  et  de  M""  Boy  qui 
m'a  prié  de  vous  le  nommer  en  particulier  et  des  plus 
sensible  à  vos  amités,  mil  compliments  à  M"''  Levasseur, 
son  conte  a  étté  rengé  tout  de  suite. 

Nous  avons  reçu  dans  ces  plus  grand  challeur  un 
Barilliet  traiUe,  fort  petit,  qu'on  nous  prie  de  vous 
acheminer,  nous  ne  savon  de  quelle  part.  Je  le  fit  porté 
tout  de  suite  à  la  cave,  il  a  beaucoup  couUé,  vous  reseveré 
ce  qu'il  y  a  dès  que  nous  auron  des  voiturié. 

M'"  Decharni  ne  nous  a  point  veut,  on  le  dit  toujours  le 
même,  c'est-à-dire  fort  rempli  de  lui-même.  Marqué  moi 
si  vous  changé  de  demeure  cet  hyver,  et  si  vous  avés 
trouve  un  endroit  convenable  à  votre  santé;  c'est  cher 
ami  ce  que  je  vous  souhaite  très  ardemment,  puisque  je 
suis  éternellement  votre  amie. 

BoY  DE  LA  Tour. 


XIII 


A  Lion,  ce  G  0^''^  1TG4. 


Vous  ne  pouvié,  mon  cher  ami,  me  donner  une  nou- 
velle plus  agréable  que  celle  de  rester  dans  ma  maison, 
vous  me  mété  dans  une  joie  qui  ne  peut  ce  décrire,  en 
conséquanse  je  vous  j)rie  de  dire  à  M""  Cler  de  vous  faire 
toutes  les  réparations  qui  peuvent  vous  mettre  à  l'aise,  et 
donner  des  commodités,  n'épargnié  rien  et  vous  m'obli- 
gerez; je  sans  tout  le  juste  de  vos  réflexions  à  l'égar  de 
mon  neveu  et  vous  en  rend  mil  et  mil  grasse,  on  lui  ferai 


284  APPENDICE. 

tor  de  juger  son  caractère  par  ses  discour  qu'il  se  pique 
d'avoir  avec  les  étrange,  tout  discour  qu'il  ne  les  as  avec 
nous  quoique  nous  ne  le  trouvion  pas  ni  près  de  là,  tou- 
jours d'acor  à  la  droite  raison  dans  ce  qu'il  dit,  ce  qui  met 
fort  sensible,  de  même  quai  mes  en  fans  qui  sans  aperssoive 
très-bien  et  nous  met  dans  le  cas  de  faire  entre  nous  bien 
des  réflexions  qui  en  leur^n  te  sant  sentir  la  diformité  de 
ce  manque  de  délicatesse,  les  empêchera  d'y  tomber. 
J'atribue  ces  défau  au  peut  de  bonne  compagnie  qu'il  a 
frecanté  ce  qui  m'a  fait  prendre  le  parti  de  faire  beau- 
coup d'atension  à  celle  que  frecanté  mes  enfans  qui  n'ont 
rien  de  commun  de  ce  coté  avec  leurs  cousien.  De  grasse, 
cher  amis,  que  l'amitié  que  vous  avez  pour  moi  ne  vous 
mette  point  dans  le  cas  de  vous  ennuier  avec  lui  ce  qui 
serai  pour  moi  un  chagrien. 

On  m'et  venu  demander  votre  adresse  de  la  part  de 
Mad.  Chattillon  qui  et  au  couven  de  la  probagation,  j'ai 
répondu  que  vous  ettié  en  voyage  pour  vous  éviter  de  ces 
lettre  inutile  vos  hordre  décideron  de  ce  que  je  dois  faire, 
je  vous  évite  autant  qu'il  peut  dépendre  de  moi  beaucoup 
de  visites,  je  les  épouvente  par  les  mauvai  chemain  et  les 
difficultés  qu'ils  aurai  a  vous  voir.  —  11  est  venu  un  M.  Hul- 
laforo  capitaine  qui  nous  a  dit  qu'il  aurai  quelque  chause 
à  vous  faire  parvenir,  ce  que  nous  ne  manqueron  pas  de 
faire  à  moins  d'ordre  contraire  de  votre  part. 

Vous  devés  bientôt  revoir  AP  Decharni  que  sûrement 
malgré  votre  pénétration  vous  ne  connoissez  pas;  ses 
talens  ne  vous  ont-ils  point  éblouis,  ceci  entre  vous  et 
moi.  Mes  salutations  à  Mad^"^  Levasseur.  Réservé  les  devoir 
de  mes  enfans  et  de  ma  part  cher  ami  l'attachement  de 
votre  dévouée  amie. 

Boy  de  la  Tour,  né  Roc u in 


APPENDICE.  285 

Je  ne  vous  dit  rien  d'Yverdon  vousaète  plus  à  porté 
d'en  avoir  des  nouvelles,  je  n'ose  tent  d'avense  parlé  de 
mon  voyage,  jugé  si  je  manquerai  le  plaisir  de  vous  voir, 
je  prendrai  bien  mes  précaution  pour  cela,  en  attendant 
bien  obligé  j'arrangerai  le  conte  comme  vous  souhaité. 
Point  d'inciétude. 


PIÈGES    JUSTIFICATIVES 


Propriété  de  la 

LIIRfliRIE  CIRCULANTE 
F.  RICHARD 

SOj  Rue  é^j  Rhône,  80 

GENÈVJS 


PIECES    JUSTIFICATIVES. 


289 


CANTON  DE  VAUD 

EXTRAIT 

des   Registres  des  Naissances   et  Batémes  de  la   Paroisse  de 
liammartin  et  Sugnens. 


Teneur  littérale 

Déterman   à  Etienne  Friaux    le    1=' 

DU 

(premier)    de  Juin    1611    (mil  six   cent 

REGISTRE. 

onze). 

Parrains.     Honorable    Peterman    de 

Lessert 

Marraine.   Françoise  de  Lessert. 

CANTON  DE  VAUD 

EXTRAIT 

des  Registres  des  Naissances  et  Batémes  de  la  Paroisse  de 

Cossonay. 


Teneur  littérale 

DU 
REGISTRE. 


Renjamin  fils  d'Egr  :  et  prud'Jean 
Jacques  Delessert  bourgeois  et  Conseil- 
ler de  Cossonay  châtelain  de  Liste,  né 
le  12  {douze)  Juin  1690  (mil  six  cent 
quatre-vingt-dix),  a  été  battisé  le  4 
(quatre)  Juillet  de  ditte  année  et  a  été 
présenté  au  battéme  par  M""  Renjamin 
Régis  de  Lonnay.  Assess*  Baillival 
et  Conseiller  de  Morges,  etpar  Den'^ 
Patomé  Régis  sa  sœur . 


19 


290 


PIÈCES    JUSTIFICATIVES. 


CANTON  DE  VAUD 

EXTRAIT 

des  Registres  de  Vétat  civil  de   la  Paroisse  de  Nion. 


T[:>;eir    littérale 

DU 
REGISTRE. 


Marie  Anne  Suzanne  née  Massé, 
femme  de  Paul  Benjamin  de  Lessert. 
Bourgeois  d'Aubonne  et  de  Cossonay, 
domicilié  à  Nion  est  décédée  le  30  Q'""'' 
1801,  âgée  de  64  ans  a  et  été  inhumée 
le  3  x^''^ 


Propriété  de  la 

LIBRAIRIE   CIRCULANTE 

F.  RICHARD 

80,  Rue  du   Rhône,  80 
GENÈVE 


PIÈCES    JUSTIFICATIVES.  291 


CANTON   DE   GENÈVE 

EXTRAIT 

des  Régistes  des  baptêmes  —  de  la   République  de  Genève, 
transcrit  sur  le  registre  du  Temple  de  S^-Pierre. 


Je  soussigné  Ministre  du  S'  Évangile,  certifie  à  la  réqui- 
sition du  S'  Benjamin  De  Lessert,  de  Cossonay,  dans  le 
Canton  de  Berne  et  Bourgeois  de  Genève;  que  j'ai  admi- 
nistré aujourd'hui,  deux  mai  mil  sept  cent  trente-cinq,  le 
S*  Sacrement  du  baptême  à  Etienne,  fils  légitime  dudit 
S""  De  Lessert  et  de  D"«  Marguerite  Brun,  son  épouse,  en 
présence  de  M.  J.  B'"^  Pioguin  et  de  Mad.  Brun,  née  Saba- 
tice,  qui  a  déclaré  le  présenter  au  nom  de  M""  Etienne  Mi- 
chon,  d'Aubonne  et  de  D"'^  Elisabeth  De  Lessert  de  Cos- 
sonay, parrain  et  maraine  absents,  pour  foi  de  quoi  j'ai 
signé  deux  certificats  de  même  tenue,  à  Lyon,  le  2  mai  1735. 
(signé)  Etienne  Mallet.  (enregistré  le  présent  par  ordre  du 
conseil,  ce  23  Avril  1736  (signé)  Marcombe. 


Propriété  ds  la 

LIBRAIRIE   CIRCULANTE 

F.  RICHARD 

80,  Rue  âl'j  Rhône,  80 
GENÈVE 


292  PIÈCES    JUSTIFICATIVES. 


PREFECTURE   DU   DEPARTEMENT    DE    LA    SEINE 
ÉTAT    CIVIL. 


De  Lessert. 

VILLE  DE  PARIS 

Chapelle  de  Hollande 

EXTRAIT 

du  Registre  des  actes  de  Naissance  de  Van  1786. 

Abraham  Gabriel  Margaerithe,  fils  légitime  de  M.  Etienne 
De  Lessert  B"'*^  de  Cossonay,  d'Aubonne  et  de  Genève,  Ban- 
quier à  Paris  et  de  D^  Madelaine  Catherine  Boy  de  la  Tour, 
est  né  à  Paris  le  17  Mars  dernier,  il  a  eu  pour  parrain 
Jacques  François  Gabriel  Etienne  de  Lessert  son  frère  aine  et 
pour  maraineD^"^  Marguerite, Madeleine  de  Lessert,  sasœur 
aînée  et  a  été  baptisé  dans  la  chapelle  de  leurs  hautes  Puis- 
sances le  six  octobre  mil  sept  cent  quatre  vingt  six  par  moi. 

Signé  :  Armand  Chapelain. 
Pour  extrait  conforme 

GoSSé  Le  8  août  1847 

Le  garde  des  Archives  Le  secrétaire  général 

Villa.  Rubreme. 


TABLEAU  GENEALOGIQUE 

DE 

LA     FAMILLE     ROGUIN 


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Avis  au  lecteur. 
Préface 


I.  —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR,    à   Yverduil. 

Motiers,  \8  juillet  1762. 

Il   s'établit  daus  la  maisou  de  M"ie   Boy  de  la  Tour 
à  Motiers.   —  Détails  de  l'iustallation,  les   voisins. 

—  Demande  des  nouvelles  de  la  famille.  —  Il  se  sert 
de  sa  pelote  à  épingles,  un  cadeau  de  M™^  Boy... 

II.  —    A    MADAME     BOY     DE     L\     TOUR,     ChcZ    M.    D.    ROguiu, 

à  Yverdun. 

Motiers,  30  août  1762. 

Le  «  concierge  »  Jean-Jacques  se  trouve  fort  bien  de 
sa  nouvelle  demeure.  —  Il  n'ose  aller  à  Neuchatel. 

—  Mêmes  commissions  pour  M™'  Boy,  une   robe, 
des  bonnets  fourrés 

III.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOUR,  à  LyOU . 

Motiers,  9  8^"  1762. 

Commissions.  —  Il  lui  faut  une  robe  de  bouracau  avec 
fourrure,  une  ceinture.  —  Le  fameux  costume  armé- 


302  TABLE. 

nien.  —  Jean-Jacques  tailleur.  —  Les  lacets  de  ma- 
riage. —  La  maison  de  la  montagne 11 

IV.    —    A     MADAME    BOY    DK    LA    TOUR,  à   LyOH. 

Moliers,  ô  9^^'  1762. 

Déballage  d'une  caisse.  —  Bonnets  et  lacets.  —  Encore 
la  maison  de  la  montagne.  —  Nouvelles  de  la  famille 
Boy 17 

Y.    —   A    MADAME    BOY   DE    LA    TOUR. 

Moliers,  '23  O^rc  1750. 

Commissions.  —  Ceintures  de  filoche  et  ceintures  de 
soie.  —  Règlement  de  quelques  petites  notes.  — 
Brouille  avec  les  voisins.  —  Soie  à  lacets,  almanacs 
de  poche,  curedentset  amadou.  —  Morellet.  — Temps 
pluvieux  et  épinette 21 

VI.  —   A     MADAME    BOY    DE    LA    TOUR. 

Motiers,  17  Xb"  1762. 

Réception  de  marrons.  —  Toujours  les  lacets.  —  11  fau- 
drait envoyer  «  de  ces  souliers  de  paille  qu'on 
porte  à  Lj'on  dans  les  magasins  » 27 

VII.  —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR. 

Moders,  27  janvier  1763. 

Les  marrons  ont  fait  des  jaloux.  —  M"°  de  Montmolin 
est  malade.  —  Il  demande  sa  note.  —  La  brouille 
continue  avec  les  voisins 29 

VIII.  —    A     MADAME    BOY    DE    LA    TOUR. 

Motiers,  6  février  1763. 

Mort  du  voisin.  —  Jean-Jacques  a  oublié  sa  rancune 
et  a  envoyé  Thérèse  le  soigner 34 


TABLE.  303 

iX.    —    A     MADAME    BOY    DE    LA    T  0  L  R  . 

Motiers,  2  mars  1763. 

A  fait  couuaissaace  avec  M.  Girardier.  —  Demande  ?a 
uote.  —  Il  lui  envoie  des  langues  salées 36 

X.  —   A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR. 

Motiers,  27  tjiars  1703. 

11  lui  envoie  des  lacets.  — Il  demande  un  bonnet  :  il 
envoie  la  mesure  de  sa  tète  entre  deux  nœuds 
sur  un  fil.  —  Il  lui  faut  du  papier  à  lettres.  —  La  lettre 
à  Mgr  de  Beaumont.  —  Il  se  porte  assez  bien.  —  Le 
post-scriptum  d'un  client  avisé 38 

XI.  —   A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR. 

Motiers,  7  mai  1763. 

Accusé  de  réception  pour  le  papier  et  les  étoffes.  — 
Départ  de  mylord  Maréchal.  —  Inquiétudes  pour 
l'avenir.  —  Précaution  pour  la  poste.  —  Le  cachet 
à  la  lyre 41 

XII.  —   A  :madame  boy   de  la  toir. 

Motiers,  10  Juin   17G3. 

Brouille  avec  les  gens  du  pays.  —  Le  projet  de  ma- 
riage de  M"'  Boy.  —  La  maison  de  la  montagne.  — 
A  reçu  la  visite  de  M.  le  Consul 48 

XIII.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOCR. 

A  Motiers,  14  août  1763. 

Découragement.  —  Calomnies  des  gens  du  pays  concer- 
nant Thérèse.  —  Apologie  de  M'ie  Le  Vasseur.  —  Tes- 
tament en  sa  faveur.  —  Précautions  prises  contre 
la  malice  des  voisins.  —  Il  installe  sa  cave ôl 


304  T. M!  LE. 

XIV.  —    A    MADAME    BOY    DE     LA    T  0  U  li  . 

A  Motiers,  9  S^ro  1703. 

Un  mariage  manqué.  —  Projet  de  voyage  en  Ecosse.  — 
Commande  du  papier  à  lettres,  canifs,  caffetau  d'été, 
ceintures,  pautouffles  jaunes.  —  Il  a  le  pied  extrê- 
mement petit 56 

XV.  —   A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUIV. 

A  Moliers,  19  91^0  1763. 

Commande  de  bonnets.  —  Un  mauchon  pour  la  fête  de 
Thérèse. — Uue  façon  gaillarde  d'acquitter  ses  dettes. 
—  Le  concierge  honteux.  —  Point  de  manchon  pour 
Thérèse,  mais  bien  un  bounet  de  nuit  pour  Jcan- 
Jacques 62 

XVI.  —   A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUU. 

A  Motiers,  18  X^"  17G3. 

Accusé  de  réception  du  padou  et  des  lacets.  —  Règle- 
ment de  comptes.  —  Un  écrit  apocryphe  de  Jean-Jac- 
ques Rousseau.  —  Sauté  délabrée.  —  Mémoire.  — 
La  garde-robe  de  Jean-Jacques  Rousseau 07 

XVII.  —    A    MADAME   BOY    DE    LA    TOUR,  à  LyOU. 

.'1  Motiers,  19  février  17  64. 

Règlement  de  comptes.  —  Accusé  de  réception  d'une 
caisse  de  chandelles 73 

XVIII.  —    A    MADAME    BOY    DE    LA     TODB. 

A  Motiers,  29  avril  176i. 
Grave  affaire  de  mitoyenneté 76 


TABLE.  305 

XIX.  —  A    MADAME    BOY   DE   LA    TOUR,  à  Lyon. 

A  Motiers,  2  Juin  176i. 

Jean-Jacques  en  quarantaine.  —  .Mort  de  M.  de 
Luxembourg 80 

XX.  —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TODR,   à  LjOn. 

A  Motiers,  7  Juillet  1764. 
Assurances  d'affection.  —  Le  choix  d'une   demeure...      82 

XXL    —    A    MADAME    BOY    DE    LA    T  0  U  li ,    à    LjOn. 

A  Motiers,  25  août  1764. 
Jean-Jacques  à  Aix-les-Baius.  —  Santé  misérable 86 

XXIL  —   A    MADAME    BOY   DE    LA   TOUR,  à   Lj'OU. 

A  Motiers,  28  85>"  1764. 

Un  dangereux  galant  homme.  —  Ballot  d'huile  avarié. 
—  Le  voilà  terré  pour  tout  l'hiver 88 

XXIIL    —   A    MADAME    BOY    DE    LA   TOLE,  à    LjOU. 

A  Motiers,  18  Q^^^  1764. 

Papiers  d'affaires.  —  Jean-Jacques  parrain.  —  Cadeaux 
à  la  filleule  et  à  la  commère.  —  Envoi  de  langues 
salées,  moins  mauvaises  que  celles  des  gens  de  Mo- 
tiers      . .       92 

XXIV.  —  A    MADAME    BOY   DE    LA   TOUR,  à  LjOn. 

A  Motiers,  20  janvier  1765. 
11  l'attend  à  Motiers.  —  Découragement 96 

XXY.    —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR,    à   LjOn. 

A  Motiers,  17  février  1765. 

Commission  indiscrète.  —  Motiers  lui  devient  intolé- 
rable       99 

20 


306  TABLE. 

XXVI.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  T  O  C  R ,  à  LjOn. 

A  Motiers,  21  avril  1763. 

Enchanté  d'avoir  fait  la  connaissance  de  M.  Boy  fils. 
—  Tracasseries  avec  la  prètraille 101 

XXVII.  —    A    MADAME    BOY    DE    I,  A    TOLP.,   d    LyOn. 

.4  Motiers,  î>  raui  l'Oô. 
Menues  commissions 106 

XXVIII.  —  A    MADAME    BOY   DE    LA  TOUR,  à  LyOn. 

A  risle  Saiîit-Pierre,  13  8i>rc  1765. 

Récit  de  son  départ  de  Motiers.  —  Calme  retraite  à  l'île 
Saint-Pierre 108 

XXIX.  —    A    MADAME   BOY    DE    LA   TOUR,   à   LyOn. 

A  Strasbourg,  4  X^"  1765. 

Il  est  arrivé  à  Strasbourg  rendu  de  maux  et  de  fati- 
gue. —  Il  renonce  à  aller  à  Berlin.  —  Il  gagnera  l'An- 
gleterre en  passant  par  Paris.  —  Les  ceintures  sont 
trop  courtes  et  les  épingles  les  déchirent 114 

XXX.  —    A    MADAME   BOY   DE    LA    TOUR,    à  LyOU. 

24  juillet  1767. 

Retour  d'Angleterre.  —  .Madelon  est  mariée.  —  Il  faut 
lui  adresser  ses  lettres  avec  la  suscription  :  Pour 
le  citoyen 117 

XXXI.  —   A   MESSIEURS    BOY    DE    LA   TOUR,   à   LyOU. 

A  Grenoble,  IZ  juillet  1768. 

Tournées  d'herborisation  en  Savoie.  — Il  attend  à  Gre- 
noble M>'e  Le  Vasseur 120 


TABLE.  307 

XXXII.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  (l'aînc)  à  Lvon. 
A  Grenoble,  22  /uillct  17C8. 

Le  comte  de  Clermonl-Tonnerre  lui  fait  parvenir  ses 
lettres  à  Grenoble.  —  Il  a  pris  le  pseudonyme  de 
Renou 123 

XXXUI.    —    A    MONsiEur.    BOY   DE   LA    TOUR  l'ainé, 
rue  de  la  Fout,  à  Lyon. 
A  Bourgoin,  13  août  1708, 

Arrivée  à  Bourgoin.  —  Il  loge  à  la  Fontaine  d'Or.  — 
M'i"  Le  Vasseur  a  quitté  Trye  pour  le  venir  rejoindre.     125 

XXXIV.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîiié,  à  Lyou. 

A  Bourgoin,  à  la  Fontaine  d'Or,  15  août  17C8. 

Il  presse  le  retour  de  .M""  Le  Vasseur,  et  attend  des 
nouvelles 126 

XXXV.  —    A    MONSIEUR    BOY   DE    LA    TOUR    l'aîné, 

rue  de  la  Font,  à  Lyon. 
A  Buurg'jin,  24  aoùl  17G8. 

Instructions  pour  le  voyage  de  Thérèse.  — Indécis  sur 
le  parti  qu'il  doit  prendre 129 

XXXVI.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîné,  à  Lyon. 

A  Bourgoin,  25  août  1708. 

Remerciements  pour  les  nouvelles  qu'il  a  reçues.  — 
On  achève  de  le  rendre  fou 133 

XXXVII.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîné,  àLyou. 

A  Bourgoin,  2G  août  1768. 

Thérèse  est  arrivée.  —  Il  ne  sait  encore  où  ils  iront. — 
Il  réclame  une  tabatière  perdue 133 


308  TABLE. 

XXXVIII.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  I. A  TOUR  l'allié,  à  LyoD. 

A  Bourgoin,  2  'bro  nos. 

Les  approches  de  l'hiver  le  déterminent  à  rester  ù 
Bourgoin.  —  11  a  loué  un  appartement.  —  Son  ma- 
riage avec  M"e  Le  Vasseur.  —  Il  maugrée  contre  son 
agent  qui  lui  a  placé  des  fonds  chez  les  capucins...     135 

XXXIX.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOUR. 

A  Bourrjohi  I>  T*"''   1768. 

Il  l'informe  de  son  installation  h  Bourgoin,  de  son  ma- 
riage. —  Redites  à  ce  propos.  —  Nouvelles  diverses.     137 

XL.  —  A    MONSIEUR     BOY    DE    LA    TOUR    l'aîné,  à  Lj'OU, 

A  Bourgoin,  5  "ir"  17G8. 

Le  passeport  de  M"e  Le  Vasseur.  —  Erreur  compro- 
mettante de  M.  Boy.  —  Il  installe  son  petit  ménage. 
On  lui  prête  la  batterie  de  cuisine.  — Il  lui  faut  une 
alliance  d'or,  et  quelques  adresses  de  fournisseurs.  — 
II  rompt  tout  commerce  avec  les  Genevois I41 

XLI.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîné,  à  LyoH. 
A  llouvgoin,  9  '^'<'  17C8. 

Menues  commissions.  —  On  lui  prête  des  couteaux  et 
un  moulin  à  café  :  il  est  inutile  d'en  acheter 145 

XLII.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîné,  ruc  la  Font,  à  Lj'on. 
A  Bourgoin,  21  7i"e  1708. 

La  robe  que  Madelon  a  donnée  à  Thérèse  est  trop  belle, 
elle  ne  la  portera  pas.  —  Appel  de  fonds.  —  Atfaire 
Thévenin 146 


TABLE.  30» 

XLIll.  — A  MOKSiEun  BOY  DE  LA  TOLR  l'aîné,  à  Lyoïi. 
A  Dourrjoin,  2G  l^re  1768. 

Enchanté  d'avoir  fait  sa  connaissance.  —  Correspon- 
dance obstruée lâl 

XLIV.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOLR  l'aîné,  à  Ljon. 
A  Uoiirgoin,  5  8'"'°  1768. 

Affaire  Tliévenin.  —  Intervention  du  comte  de  Cler- 
mont-Tonnerre.  —  Jean-Jacques  et  la  justice 153 

XLV.    —    A    MADAME    BOY     DE    LA    TOtr.,à  LjOn. 

A  Bowfjoin,  12  Si^c  ]7C8. 

Projet  de  réunion  chez  lui.  —  Il  cherchera  quelque 
chaise  ou  cabriolet.  —  Joie  de  la  revoir 155 

XLVI.  —  A   MoxsiELR  BOY  DE  LA  TOiiR  l'aîné,  à  Lj'on. 
A  Buurgoin,  18  8^^'  1768. 

Demande  de  nouvelles 160 

XLVII.    —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOLR,    à    Lj'OU . 

A  Bourgoin,  26  «i»"  17G8. 

Excuses  pour  la  mauvaise  réception  qu'elle  a  eue.  —  II 
a  un  tas  de  réponses  accumulées  et  indispensables 
à  faire ,     161 

XLVIII.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîué,  à  Lj'on. 
A  Bourgoin,  9  D'^-'e  17  G8. 

Accusé  de  réception  de  menues  commissions  dont 
une  bague.  —  Règlement  de  compte  des  ports  de 
lettres 162 


310  TABLE. 

XLIX.  —  A  MADIMR  BOY  DE  LA  TOUR,  à  LyOn. 

A  Bourgoin,  14  Qi"'   18G8. 

11  la  charge  d'une  lettre  pour  mylord  Mareschal.  — 
Dénouement  de  l'affaire  Thévenin.  —  La  robe  de 
Thérèse 1C4 

L.    —   A    MADAME    BOY  DE    LA    TOUR,    à  LyOU. 

A  Bourgoin,  12X1^»  1768. 

Faux  bruits  sur  son  compte.  —  En  cela  comme  en 
beaucoup  d'autres  choses  il  a  mangé  son  pain  blanc 
le  premier.  —  Il  déplore  son  invincible  paresse,  et 
chante  des  strophes  du  Tasse.  —  Il  dédaigne  le  soin 
que  veulent  prendre  de  lui  les  amis  de  d'Alembert.     IC6 

LI.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aînc,  à  Lyou. 
A  Bourgoin,  13  Xi"-e  nes. 

En  quête  d'un  logement.  —  Expression  de  sa  recon- 
naissance      1C9 

LU .   —  A   MADAME    BOY    DE   LA   TOUR. 

A  Bourgoin,  le  G  janvier  1769. 

Il  refuse  le  secours  des  médecins.  —  Il  ne  guérira 
qu'en  changeant  de  séjour 170 

LUI.   —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR,    à  LyOn. 

A  Bourgoin,  \1  janvier  1769. 

Embarras  d'un  déménagement.  —  Il  lui  faut  des  fruits 
de  carême,  des  agrafes,  des  lunettes 171 

LIV.   —  A    MADAME    BOY    DE   LA    TOUR. 

A  Monquin,  \<='  février  1769. 

Installation  à  Monquiu.  —  Il  souffre  d'une  enflure  inté- 
rieure qui  a  fait  effort  au  point  de  soulever  et  de 
déjeter  ses  fausses  côtes  du  coté  droit 172 


TABLE.  311 


LV.    —  A    MADAME   BOY    DE    LA  TOUR. 

8  février  17G9. 
Nouvelles  de  sa  sauté 176 

LYI.    —  A    MADAME    BOY   DE    LA    TOLR. 

n  février  1TG9. 

Ils  ont  un  pied  de  neige.  —  11  a  pris  une  bêche  pour  se 
faire  un  petit  chemin.  —  Il  a  reçu  de  nouvelles  plan- 
tes qui  l'ont  remis  à  son  foin 177 

LVII.   —   A    MADAME    BOY    DE    LA   TOCR,   à   LjOU. 

A  Monquin,  17  mars  1769. 

11  va  mieux.  —  Le  vin  de  cabaret,  frelaté  d'alun, ne  lui 
vaut  rien 181 

LVIII.    —    A  MADAME    BOY  DE  LA  TOCR,  à  LyOU. 

.■1  Monquin,  18  avi'il  1769. 
11  attend  la  visite  de  M.  de  Luze 183 

LIX.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOIP. ,  à  LVOn. 

A  Monquin,  par  Bourtjoin,  2  juin  1769. 

Nouvelles  de  sa  santé.  —  Madame  Renou  a  des  crache- 
ments de  sang 184 

LX.  —  A    MONSIEIR    BOY    DE   LA   TODR  l'alué,   à  LyOD. 

A  Monquin,  a  juin  1769. 

Félicitations  pour  l'accouchement  de  M^^  Delessert. 
—  Le  mariage  de  du  Peyrou 186 


312  TABLE. 

LXl.    —    A    MADAME    BOY  DE    LA  TOUR,   à  LjOU. 

A  Mo7iquin,2^  août  1769. 

Herborisation  sur  le  mont  Pila.  —  Aventure  de  son 
chieu  Sultan 187 

LXil.    —  A    MADAME  BOY    DE    LA    T  0  L  P. ,    Ù  LyOU. 

Monquin,  19  7'"'e  n^y. 

Il  a  une  foulure  à  la  main.  —  Sultan  a  été  morJu.  —  Il 
voudrait  une  épiuetle.  — Dispositions  à  prendre  pour 
ie  transport 190 

LXIII.    —  A    MADAME    BOY    DE    LA    TOCR,    à    LVOU. 

A  Monquin,  G  Si^fc  17G9. 

Instructions  pour  le  transport  de  Tépinette. —  Le  per- 
ruquier de  Bourgeois  conduira  les  porteurs.  —  S'ils 
ménagent  l'instrument  ils  auront  trente  sous  pour 
boire.  —  Menues  commissions,  gants,  chandelles.  — 
Sur  ie  malheur  d'être  obligé  par  ses  amis 194 

LXIV.  —  A  MONSiEUB  BOY  DE  LA  T o f  U  l'aîné,  à  Lj'OU. 
A  Monquin,  20  S^'-«  1709. 

Lettre  d'affaires 199 

LXV.    —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOLR,    à    LyOU. 

Monquin,  31  S^r'  17G9. 
L'épinette  est  arrivée.  —  ^■ouvelles  ses  amis 200 

LXVI.    —    A    MADAME   BOY    DE    LA    TOUR,    TUC  LafoUt,    à  CÔté 

de  l'Hôtel  de  Ville,  à  Lyon. 
Monquin,  14  Xi""  1709. 

Envoi  d'un  herbier  à  la  duchesse  de  Portlaud 203 


TABLE.  313 

LXVII.    —    A    MADAME    liOY    DE    LA    TOUR,    à   Lj'OU. 

Monqiiin,  2  janvier  1770. 

Remercieineuts  pour  uu  euvoi  de  confitures  et  de  vin.  — 
Rude  hiver.  —  Le  feu  ne  fait  que  le  rôtir  d'un  côté 
tandis  qu'il  gèle  de  l'autre  ;  il  a  l'onglée 005 

LXVIII.    —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR,    Ù   LyOU. 

Monquin,  21  janvier  1770. 
Déménagement.  —  Il  faut  une  charrette  et  une  chaise.     207 

LXIX.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOIR,  Ù  LVOU. 

Mo?iquiii,  7  7}ia7-s  1770. 

11  faut  qu'il  déménage  avant  quinze  jours.  —  L'herbier 
de  la  duchesse  de  Portland  est  égaré.  —  Les  poules 
de  Jean-Jacques 210 

LXX.    —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR,    à   LjCn. 

Monqidn,  IG  mars  1870. 
L'état  des  chemins  retarde  le  déménagement 215 

LXXI.  —  A  MADAME  liOY  DE  LA  TOUR,  à  sa  campague. 
Lyon,  9  juin  1770. 

11  quitte  à  regret  la  maison  de  M™'  Boy  où  il  a  passé 
quelque  temps 217 

LXXll.    —    A    MADAME     BOY    DE    LA    TOUR,    à    Lyon. 

Paris,  1  juillet  1770. 

Il  est  satisfait  de  son  séjour  à  Paris  où  il  a  repris  son 
ancien  logement.  —  11  fait  venir  sou  herbier  et  ses 
effets  étant  résolu  de  s'y  fixer  au  moins  pour  un 
certain  temps 219 


314  TABLE. 

LXXIII.    —    A    MONSIEUR    BOY    DE    LA    TOUR    l'aÎDé,  à    LyOU. 

Paris,  IG  juillet  1770. 
Remerciements  et  civilités 223 

LXXIV.  —  A  MONSIEUR  BOY   DE  LA   TOUR  l'aîué,  Tue  de 

la  Font,  à  Lyon. 
Paris,  14  août  1770. 

Avis  de  réception  et  civilités 224 

LXXV.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOUR,  à  Lj'OU. 

Paris,  27  août  1770. 
Détails  sur  sa  vie  privée 226 

LXXVI.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOUR. 

26  Dbre  1770,  Paris. 

Nouvelles  diverses.  —  Tracasseries  au  sujet  de  la  pen- 
sion du  roi  d'Angleterre 228 

LXXVII.  —  A  MONSIEUR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîné,  à  Lyon. 
Paris,  28  Xi>r=  1770. 

Comraissioûs  de  chocolat  et  d'huile 2-32 

LXXVIII.    —    A    MADAME    BUY    DE    LA    TOUR. 

28  XI"-*:  1770,  Paris. 
Remerciements.  Paris  est  trop  grand 234 

LXXIX.   —  A    MADAME    BOY   DE   LA    TOUR,  a  LyOn . 

17  mars  1771,  Paris. 
Appel  de  fonds 236 


TABLE.  315 

LXXX.    —     A    MADAME   BOÏ    DE   LA    TOLR,    à   Lj'Oa  . 

Paris,  3  avril  1771. 

Félicitations  pour  une  naissance.  — Civilités  de  sa  femme  . 
—  Elle  est  de  moitié  dans  tout  ce  qu'il  lui  écrit 239 

LXXXl.    —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR,    à  LjOn. 

5  avril  1771,  Paris. 
Remerciements  pour  des  truffes 242 

LXXXII.   —   A    MADAME    BOY    DE    LA  TOUR. 

Paris,  20  juillet  1771. 

Condoléances.  — Sourdes  colères  contre  les  ouvriers  de 
ténèbres  qui  le  persécutent.  —  Réminiscences  mélan- 
coliques du  temps  011  M.  Roguin  vivait 243 

LXXXIIl.  —  A  MONSiECR  BOY  DE  LA  TOUR  l'aîné,  à  LyoD . 
Paris,  3  janvier  1772. 

Lettre  d'affaires 246 

LXXXIV.   —   A   MADAME    BOY    DE  LA    TOUR,  à   LyOU . 

Paris,  16  avril  1772. 

11  est  très  occupé,  le  travail  est  venu  en  abondance. 
—  Envoi  d'un  herbier 249 

LXXXY.    —    A    MADAME    BOV    DE    LA    TOUR,    à  RollC. 

Paris,  22  S^re  1770. 

Conseils  pour  la  foulure  de  son  pied.  —  Détails  sur 
l'her-bier  qu'il  a  envoyé 253 

LXXXVl.  —  A  MADAME  BOY  DE  LA  TOUR,  à  LVOD. 

Paris,  18  janvier  1773. 
11  est  très  occupé.  —  Nouvelles  diverses 257 


316  TABLE. 

LXXXVII.  —  BHlet.  —  Envoi  de  billets. . . ., '.....-. 259 

« 

LXXXVIII.  —  a'madameboydelatour. 

Invitation  à  dîner 259 

LXXXIX.    —    A     MADAME    RÇY    DE    LA    T  0  f  F* 

23  juin. 

Réflexions  mélancoliques.  —  Un  livre  apocryphe.  — 

■    Mariage  de  du  Peyrou 2G0 

XC.  —    A    MADAME    BOY    DE    LA    TOUR. 

Samedi. 
Protestations  affectueuses 362 

XCI.  —  POUR  MADAME  BOY  DE  LA  TOUR. 

Samedi  matin. 

voi  d'un  canard  sauvage  et  de  deux  bécassines.  — 
Invitation  à  dîner  et  à  la  partie  d'échecs 263 

Appendice 265 

Pièces  jlstificatives 287 

Tableau   généalogique  de  la    famille  roguin 293 

Tableau  généalogique  de  la  famille  eoy  de  la  tour.  297 


49-91.  —  CoRBEiL.  Imprimerie  Cheté. 


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