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U dVof OTTAWA
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£iî)ratrte Circulante îlic^arb
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Fondé en 1869.
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sont en lectnre. — Reynes et Magazines.
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LETTRES INÉDITES
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
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y compris la Suède et la Norvège.
*9-0t. — CoRBEiL. Imprimerie Chété.
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iKrf>/-i'.) un i\:t.)in <\' -Itii/if, uinm
(jia itfiirr en li'le rV.> Irurr.) (utl(>(jr(it>l)<'.ï
LETTRES INEDITES
DE
JEAN-JACQLES ROUSSEAU
CORRESPONDANCE AVEC
MADAME BOY DE LA TOUR
PUBLIEES PAT.
HENRI DE ROTHSCHILD
AVEC UNE PRÉFACE PAP.
3L.ÉO cl-a.e,e:tie
TROIS PORTRAITS ET TROIS FAC-SIMILÉS .:^^^
ir r\.
^
■'. < ^
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, RUE A U B E n, 3
1892
/ru
Propriété de la
LIBRAIRIE CIRCULANTE
F. RICHARD
80, Rue élu Rhône, 80 .
OENÈVE
AVIS AU LECTEUR
Au mois de mars dernier, M. Et. Charavay ayant
eatre les mains un volume de lettres inédites de Jean-
Jacques Rousseau, me les communiqua. L'intérêt de
ces lettres, adressées à Madame Boy de la Tour, et
leur caractère inédit me décida à en faire l'acqui-
sition.
C'est un grand volume in-folio, relié en maroquin
plein du xviii*' siècle, il renferme environ cent cinquante
feuilles de papier très fort, sur lesquelles sont collées
sur onglets les lettres de Jean-Jacques Rousseau.
Chacune de ces lettres porte un numéro d'ordre en
écriture du temps et semble être de la main de M™^ de
la Tour. Rousseau avait déjà en 1763, un renom tel
a
rr AVIS AL' LECTEUR.
que ses lettres étaient fort appréciées et conservées
par ceux ou celles qui les recevaient. C'est ce que
prouve ce recueil où M""" de la Tour semble avoir col-
lées les lettres dans l'ordre de leur réception. Bien que
très désireux de faire part de ces lettres au public
amateur de littérature, je fus un peu arrêté, me sen-
tant incapable de mener à fin une publication aussi
importante. Plus porté également vers les études
scientifiques, je me sentis sortir du cadre de mes étu-
des babituelles, je résolus de chercher un collabora-
teur pour me fournir les indications essentiellement
lilléraires que demandait la publication du présent
volume. M. Léo Claretie a bien voulu se charger de
cette lâche difficile. Je le remercie des excellents
rJocuments qu'il m'a fournis*. Je l'ai prié de bien vou-
1. Nous devons au savant M. A. Begis, communication des
renseignements suivants, parus dans ï Intermédiaire des cher-
cheurs, 10 décembre I89I : <>. Madame Boy de La Tour (Julienne-
Roguin), née eu 1715, à Yverdun, épousa G. D. Boy de la Tour,
sou cousin, originaire de Lyon, neveu de Roauiu d'Yverdun, et
])auquierà Neufchàtel (Suisse). Sou mari ùtam mort avant 17G2,
elle continua à gérer sa maison de banque. En 1762, étant chez
ses sœurs à Yverdun, elle eut l'occasion de voir J.-J. Rousseau,
qui était alors à la recherche d"uue nouvelle habitation; elle
lui offrit sa maison de Môtiers-Travers que Rousseau accepta.
Son illustre locataire devint son ami, sou protégé et celui de
toute sa famille. Elle mourut le 11 septembre 1780, ayant de
son mariage trois filles et deux fils.
r Madeleine-Catherine Boy de La Tour, mariée le 16 octobre
AVIS AU LECTEUR. IIl
loir présenter au public mon manuscrit dans une in-
troduction. On y trouvera le résumé des idées expri-
mées par Rousseau, et l'on ira chercher dans ces
lettres elles-mêmes, les détails méticuleux et les pré-
occupations exclusivement matérielles du philosophe.
C'est le philosophe en pantouffles et nous aurions
donné ce titre à notre publication, s'il n'avait paru un
peu choquant. Le texte du manuscrit a été reproduit
tel qu'il est avec les fautes d'ortographes, d'accentua-
1760 avec Etienne Delessert, banquier, père de Benjamin, Je
François et Gabriel Delessert, qui occupèrent tous trois à Paris
un rang considérable, à divers titres. Elle mourut à Paris, le
23 mars 1816.
2° Elisabeth Boy de La Tour, née en 175"), mariée avec Guil-
laume Mallet, fondateur d'une importante maison de banque,
à Paris et morte à Deuil, près Montmorency, le 20 mai 1781.
3" Demoiselle Boy de La Tour, mariée avec M. de Villadin, de
Berne.
4" Jean-Pierre Boy de La Tour, banquier à Lyon et à Neuf-
chàtel, marié avec la demoiselle Pasquier et mort à Môtiers, le
2 juillet 1772, ayant un fils, François-Louis Boy de La Tour,
marié à Crassier, le 24 octobre 1774, avec Heuriette-.Marguerite
Boutons, et une fille, Alarie-Louise Boy de La Tour, morte à
Fleurier, le 10 avril 180S, et Louis Boy de La Tour, mort à
Lyon, sans postérité.
Le portrait de madame Boy de La Tour, peint par Joseph
Sifrede Duplessis, se trouve dans la collection de M. le baron
Hottinguer. 11 a fait partie de Texposition des arts au début du
siècle, au Champs de Mars, sous le no 365 du catalogue. »
Il y a dans ces informations un certain nombre d'erreurs
constatées par les documents que l'on trouvera en appendice. De
plus, le portrait de la collection Hottinguer, que nous reprodui-
sons, n'est pas celui de madame Boy de la Tour, mais bien de
IV AVIS AU LECTEUll.
tion et de ponctuation. On pourra s'en rendre compte
en confrontant avec le texte imprimé, la reproduction
photographique d'une lettre que nous avons ajoutée
au texte. Nous avons également joint à cette puljlica-
lionle fac-similé d'un autographe de Thérèse LeYas-
seur ; c'est peut-être le seul qui existe et l'on se ren-
dra compte de son intérêt.
sa fille Madeleine de Lessert. Nous donuons en même temp? une
reproduction du portrait de sa mère, madame Boj' de la Tour,
d'après un pastel appartenant à la famille. On trouvera à la fin
du volume la généalogie des Roguin et des Boy de la Tour. Une
étude complète sur la famille de Lessert a été publiée dans les
Annales historiques, '/nobiliaires et biographiques de Tisseron, en
1873, volume XLV. On y lira (p. 64), entre autres curieux détails,
que l'idée de La joie fait peur de madame Emile de Girardin
est venue à l'auteur à l'occasion de la mort d'un M. de Lessert..
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LIBRAIRIE CIRCULANTE
F. RICHARD
80, Rue g!u Rhône, 80
GENÈVE
PRÉFACE
« Ici commence l'œuvre de ténèbres ! » Tel
est le début sinistre et fatal du livre XII des
Confessions, qui s'ouvre comme un chapitre de
Balthazar Bekker, ou de Swedenborg.
C'était en 1762, et l'existence de Jean-Jacques
Rousseau n'était pas heureuse. L'apparition de
VÉmile venait de soulever contre lui noises et
tempêtes. Le parlement l'avait décrété de prise de
corps. La nouvelle était venue le surprendre au lit,
dans sa chambre de l'Ermitage, au moment où il
venait de s'endormir sur le livre du Lévite d'E-
phra'wi, la nuit du 8 juin. Il avait précipitamment
ramassé ses papiers, confié ses clefs au maréchal
de Luxembourg, son hôte, fait ses adieux, dans
l'entresol, à madame de Luxembourg, à ma-
VI PHÉFACE.
dan e de Boufllcrs, à madame de Mirepoix, à
Thérèse, et dès le lendemain, à quatre heures de
l'après-midi, un cabriolet à deux chevaux l'em-
portait vers Paris. Il rencontra sur la route les
huissiers qui venaient l'appréhender au corps :
ils le saluèrent, et ce salut ôte un peu de terreur
dramatique au récit de Rousseau. On venait
l'arrêter pour la forme, en l'avertissant à temps
pour lui permettre de se sauver. Il traversa tout
Paris, fut reconnu par nombre de gens dont
aucun ne songea à saisir par la bride les chevaux
du petit cabriolet.
Le fugitif s'en fut à traites forcées du côté de
A^illeroy, passa par Salins, trouva le temps fort
long et les coussins de sa voiture fort durs,
occupa les loisirs de la route à composer un
Lévite cVEphniim dans le ton doucement ému de
Gessncr, et arriva enfin à la frontière du terri-
toire de Berne, où il fit arrêter l'équipage pour
se prosterner, et bénir cette terre de liberté, à
la grande stupéfaction du postillon. Il se hâta de
gagner Yverdun, petite ville au sud du lac de
Neuchâtel, où il vint surprendre son « bon vieux
ami » M. Roguin, qui s'y était retiré depuis
quelques années.
PRÉFACE. Vn
C'est là qu'il connut la nièce de son hôte, sa
future bienfaitrice, madame Boy de la Tour.
Jean-Jacques se trouva si bien du séjour
d'Yverdun qu'il prit la résolution de s'y fixer, sur
les instances de M. Roguin, de toute sa famille
et du bailli. Le colonel, un parent, lui offrait un
petit pavillon entre cour et jardin; on y trans-
porta des meubles ; et Jean-Jacques écrivait à
Thérèse de le venir rejoindre, quand tout à
coup le bailli reçut du Sénat de Berne l'ordre
d'expulser du territoire l'auteur de VEmile.
Toutes les démarches furent inutiles, il fallut
replier bagages. Mais où aller? L'infortuné
Rousseau était chassé de France, haï à Berne,
détesté à Genève, où le ministère de France était
encore plus puissant qu'à Paris, et où le Dis-
cours sur rinégalilé avait surexcité la haine du
Conseil.
C'est alors que madame Boy de la Tour lui
offrit de l'établir dans une maison toute meublée
qui appartenait à son fils, au village de Motiers,
dans le Yal- de-Travers, comté de Neuchâtel. à
peu de distance d'Yverdun. sur l'autre versant de
la montagne. Il accepta. Madame Boy lui donna
au départ, comme souvenir, une pelote d'épingles
VIII PRÉFACE.
dont il la remercia dans sa première lettre, et
qu'il baisera quelquefois « les jours de barbe »,
en '< mémoire d'un meilleur tems ».
Il quitta la maison de son ami, accompagné
par le colonel Roguin, et traversa la montagne
qui sépare Yverdun de Motiers. La belle-sœur
de madame Boy de la Tour, madame Girar-
dier, Taida de bonne grâce à s'installer; il
mangea chez elle en attendant l'arrivée de Thé-
rèse.
Jean-Jacques a très sommairement conté son
séjour à Motiers et ses relations avec madame Boy
de la Tour. La fin des Confessions est faite de
mémoire, le récit « ne peut plus marcher qu à
l'aventure ». Aussi n'est-ce pas là qu'il faut cher-
cher des informations sur les années que Jean-
Jacques a vécues au Yal de Travers. Elles sont
dans un recueil considérable et inédit, contenant
quatre-vingt-treize lettres adressées par Jean-
Jacques à madame Boy de la Tour, longtemps
conservé dans la famille de celle-ci, et apparte-
nant aujourd'hui à la collection d'autographes
de M. le baron Henri de Rothschild.
La première lettre du recueil porte la date du
i8juillctl762; la dernière, celle du 18 janvier 1773.
PRÉFACE. IX
€ette période a déjà été minutieusement étudiée
dans les travaux récents de M^I. Guillaume, Fritz
Berthoud, Ritter, Jansen et Maugras. Mais les
lettres de Jean-Jacques à madame Boy étaient
encore inédites et même inexplorées jusqu'à la
présente publication. En revanche, on connais-
sait déjà quelques lettres de madame Boy de la
Tour à Jean-Jacques, mais elles avaient plutôt
induit en erreur les biographes, qui n'avaient
pas entre les mains la contrepartie. Ils n'enten-
daient qu'une cloche.
Ces quatre-vingt-treize lettres offrent le plus
vif intérêt pour qui aime à connaître les détails
-de la vie privée de Jean-Jacques, ses occupa-
tions, son intérieur domestique, ses manies, ses
<3nfantillages, ses querelles avec ses voisins, ses
commérages, ses ingérences maladroites dans les
affaires d'autrui, ses achats, ses excentricités :
en un mot. c'est Jean-Jacques en robe de chambre
et en pantoufles.
De plus, elles mettent en lumière une figure
gracieuse et bienveillante, la bienfaitrice de
Rousseau : elle mérite mieux que l'ombre et
l'oubli oîi on l'a laissée. Elle le logea et le sou-
tint de ses secours, de ses conseils, de son obli-
X PREFACE.
geance que ne rebutèrent jamais les maussa-
deries ordinaires de son « concierge », comme
signait Jean-Jacques.
Rousseau habita Motiers durant trois ans.
Le 18 juillet 1762, il écrit à madame Boy de la
Tour qu'il achève son installation ; et le 4 dé-
cembre 1763, il lui annonce qu'il a quitté le
pays.
A la vérité, peu d'événements importants ont
marqué ce court séjour. Rousseau écrivit beau-
coup de lettres, reçut beaucoup de visites, en
rendit quelques-unes, se fit rapidement beaucoup
d'ennemis par son humeur grondeuse et inso-
ciable, qui ne lassa pas cependant quelques bons
et fidèles amis.
De ce nombre fut lord Keith, grand seigneur
écossais chassé de son pays pour s'être attaché à
4^ la maison des Stuart. Le roi de Prusse, auprès de
qui il avait cherché un asile, lui avait donné le
gouvernement de Neuchàtel. C'est là que Jean-
Jacques lit la connaissance de ce beau et maigre
vieillard. Ils se plurent, se lièrent, se virent
souvent, et chassèrent ensemble. Lord Keith
quitta le pays avant qu'ils eussent eu le temps de
l' R É F A C E . XI
se brouiller; aussi Rousseau lui conserva- t-il le
plus affectueux souvenir.
Venu à Motiers pour rencontrer le calme,
Jean-Jacques ne manqua pas d'y retrouver l'écho
des discussions soulevées par ses ouvrages. La
classe des pasteurs de Neuchàtel et le Mercure
de cette ville fulminèrent contre l'exilé, qui du
fond de sa retraite entendait en maugréant le
bruit des récriminations voisines.
Il reçut pour se consoler l'accueil le plus bien-
veillant dans sa nouvelle résidence. Il a conservé
avec une pieuse reconnaissance le nom de ses
amis d'un jour, le colonel de Pury, Dupeyrou,
Moultou, Laliaud, de Feins, de Montauban,
Dastier, d'Ivernois, Roustan, Mouchon, le baron
de Sauttern et tant d'autres visiteurs qui vinrent
égayer de leur sympathie les noires humeurs du
proscrit.
Quand il ne travaillait pas à l'édition complète
de ses œuvres, ses ripostes aux attaques étaient
ses plus importantes occupations : réponse au
mandement lancé contre XÈmile par M'''"' de
Beaumont, archevêque de Paris; lettre au syn-
dic de Genève pour se démettre de ses droits de
bourgeoisie, réfutation des Lettres écrites de la
XII PRÉFACE.
campagne par les Lettres écrites de la montagne.
Une correspondance très active l'occupait, et
nous valait ses jolies lettres à madame Boy de la
Tour, à madame de Verdelin, à madame La Tour
Franqucville, à mademoiselle Isabelle dTvernois.
Entre-temps, l'auteur du Contrat social songeait
à mettre ses théories à l'épreuve des faits. Paoli
venait de soustraire la Corse à la domination
génoise. Il s'adressa à Rousseau pour donner une
constitution à son peuple libre (1764). Le solitaire
de Motiers accepta avec joie et orgueil ce rôle de
législateur. « La seule idée m'élève l'âme et me
tranporte. » Il songe déjà à un voyage en Corse :
mais ce fut un feu de paille. Il vit bientôt de
grosses difficultés à ses projets, l'embarras de
contrarier le ministre de France, et surtout la
peur de découvrir dans toute cette affaire une
mystification arrangée par Voltaire. La défiance
tourna bientôt à la froideur, et il n'y songea
plus.
De graves soucis venaient encore de ses rela-
tions avec le pasteur de l'endroit, M. de Mont-
mollin, qui accueillit d'abord favorablement
l'exilé, lui permit de porter au temple l'habit
arménien, lui donna la communion, puis soudain,
PREFACE. Xlir
après les Lettres de la montagne^ s'éloigna de
lui', et. sous Tiniluence de Genève, amoncela
contre son illustre paroissien l'orage final. Il le
cita devant le consistoire, et contribua pour sa
part à la persécution meurtrière qui chassa
Rousseau de Motiers, comme un antéchrist et un
loup-garou. à coups de pierres.
De récents chagrins étaient venus préparer à
la catastrophe cet esprit assombri et aigri par la
maladie. Ses plus anciennes et ses plus chères
affections avaient disparu; madame de Luxem-
bourg, madame de Warens étaient mortes, et la
nouvelle de ces malheurs avait sensiblement
affecté le vieil ami à qui ils rappelaient de si
heureuses et de si lointaines journées. Son voisin,
mylord Maréchal, avait quitté ^Seuchàtel ; le
baron de Sauttern s'était presque enfui en lais-
sant dans Tàme du trop confiant Rousseau des
doutes amers.
C'est dans ces tristes dispositions que vint le
surprendre la scandaleuse manifestation où. trahi
de tous, noirci, honni, banni, lapidé, cerné et
traqué dans sa maison, il réussit à s'enfuir pour
1. Voy. Fritz Berttioud, Jean-J-icques Rousseau et le pas-
teur de Montinollin. Fleurier, 1884.
XIV PREFACK.
aller chercher ailleurs un asile plus sûr et plus
calme. Il se réfugia d'abord à rile-Saint-Pierre,
puis à Bienne, songea à partir pour la Corse ou
pour Berlin, quand le voisinage de Berne lui eut
rendu impossible le séjour de Bienne, s'arrêta à
Strasbourg, et finalement fila sur l'Angleterre.
A son retour de AVootton, il fut d'abord caché par
le marquis de Mirabeau dans sa campagne de
Fleury-sous-Meudon, puis par le prince de Conti
dans son château de Trye, près Gisors. Il prit le
faux nom de Renou, et se dirigea en quittant
Trye vers l'intendance du Dauphiné où le maré-
chal comte de Clermont-Tonnerre le protégea. Il
passa à Lyon, à Grenoble, à Chambéry, alla
visiter la tombe de madame de Warens, se réfugia
à Bourgoin où il épousa Thérèse à l'auberge de
la Fontaine d'Or, quitta Bourgoin pour Monquin,
où madame de Césarges lui offrit une ferme, puis
quitta Monquin pour Lyon où il vécut quelque
t emps chez madame Boy de la Tour ; enfin il
s'établit à Paris, rue Plàtrière, à l'hôtel du Saint-
Esprit, d'où il date les dernières lettres de ce
recueil, en les faisant précéder du quatrain pré-
tentieux qui constate déjà sa folie.
PREFACE. XV
Entre ces faits historiques et connus, comme
-entre les mailles d'un réseau, s'intercalent une
foule de renseignements curieux comme des
indiscrétions, qu'on peut puiser à pleines mains
dans ces lettres adressées par Jean-Jacques à sa
protectrice.
Madame Boy de la Tour habitait Lyon en hiver.
Elle était veuve avec cinq enfants, dont trois
filles*. L'une, l'intéressante Madelon, l'amie de
Jean- Jacques, devint madame Delessert; les deux
autres se marièrent aussi et furent mesdames
Mallet et de Willading. Quant aux deux fils,
ils géraient avec la mère la grande maison de
•commerce de Lyon ovi Rousseau avait placé sa
petite fortune. Les emplettes qu'il fait faire par
madame Boy sont remboursables sur les revenus
qu'elle lui fournit : mais il paraît assez, aux fac-
tures, qu'ellediminue volontairement les chiffres;
ses commissions sont des cadeaux déguisés pour
ménager l'amour-propre susceptible de son pro-
tégé, à commencer par le loyer dérisoire qu'elle
lui fait payer pour l'occupation de sa maison de
Motiers : il était tout juste suffisant pour que
1. F. Berthoud. Consulter l'appendice pour plus de
détails sur la famille.
XVI PRÉFACE.
Jean-Jacques pût se croire un locataire, quand if
était un liote. « Vous voulez que je tire un loyer !
à la bonne heure! à trente livres de France, il est
surpayé. Ce n'est pas dans ce pays que l'on tire
parti des maisons; jamais je n'en ai tiré un liard,
je l'ai prêtée souvent, et avec obligation à ceux
qui l'occupaient. » (Lettre de madame Boy de la
Tour à Rousseau, 20 juillet 1762.)
Rousseau n'accepta pas l'hospitalité gratuite, il
l'accepta déguisée. Parfois, à voir les factures si
mal en rapport avec ses commandes et ses exi-
gences, il lui prenait des doutes, son honneur
s'alarmait ; il réclamait, mais un peu à la façon
de Figaro reconnaissant ses dettes au docteur
Bartholo : ;( — Je vous dirai là-dessus qu'après
toutes les dépenses que vous avez faites pour moi
le loyer de dix écus par mois n'est pas même
proposable. Ce serait de ma part une ingratitude
monstrueuse de croire ainsi m'acquitter avec
vous, et j'aimerais encore mieux vous être tout
franchement redevable du tout, et recevoir de
vous l'hospitalité pleine et entière, que de paraître
payer mon loyer, tandis qu'en effet je le paie-
rais si mal. » (A madame Boy, Motiers, 10 no-
vembre 1763.)
PRÉFACE. XVII
Voué au triste sort d'être toujours aidé, secouru
et sauvé par autrui, il se résignait en gémissant
à cet austère sacrifice qui lui apparaissait — sur-
prise imprévue! — comme une mortification nou-
velle imposée par la perfidie de ses persécuteurs.
« Une des plus grandes rigueurs de ma destinée,
et de celles que je sens le plus, est d'être toujours
à charge à mes amis, et de leur être toujours
inutile. Ceux qui disposent de moi avec autant de
barbarie que d'iniquité ont bien choisi dans mon
cœur les endroits les plus sensibles pour ne perdre
aucun de leurs coups. (A madame Boy, Monquin,
6 octobre 1769.)
On eut rarement aussi mauvaise grâce à se
plaindre. Mais c'était le sort de Jean-Jacques de
considérer comme des infortunes les bontés qu'il
lui fallait subir. Il fut donc très malheureux.
(Quand il arriva à Yverdun, c'était à qui se dis-
puterait l'honneur de l'héberger : Dupeyroii lui
offrait un asile à Cressier, d'Escherny à Cornaux,
Pury à Suchiez, et plus tard Du Bois au Locle.
C'est Roguin qui l'emporta, en logeant son vieil
ami chez sa nièce. Il ne faut pas le confondre
avec son parent le banneret Roguin, dont Jean-
Jacques eut fort à se plaindre, car il apprit plus
XVIII PREFACE.
tard que le banneret avait contribué à le faire
expulser de l'Etat de Berne. Un autre parent,
Pierre Boy de la Tour, prit rang aussi parmi les
persécuteurs de Jean-Jacques et ne partagea pas
la bienveillante sympathie de sa famille. Rousseau
se vengea en le plaisantant dans « la vision de
Pierre de la Montagne, dit le Voyant », qui n'eut
aucun succès : « les Neuchâtelois, confesse mo-
destement l'auteur, avec tout leur esprit, ne sen-
tent guère le sel attique ni la plaisanterie sitôt
qu'elle est un peu fine. » [Confessions^ xii.)
Dès que madame Boy de la Tour eut quitté la
campagne de son oncle et fut rentrée en ville,
Jean-Jacques, du fond de son village, se mit en
devoir de lui envoyer ses commandes. Il a sans
cesse recours à son amie pour la charger des
emplettes les plus vulgaires. <( On ne trouve rien
à Motiers », écrit-il, et il profite sans scrupules
de ses relations à Lyon.
« A peine êtes-vous arrivée (à Lyon) que voilà
toutes mes commissions en train. Soit fait, puis-
que vous êtes si bonne, il faut bien un peu en
abuser. Pour la fourrure de la robe de bouracan
je préférerais la façon de martre n° 1 à 75 livres.
PREFACE. XIX
Mais j'ai peur que cette fausse martre ne dure pas ;
c'est pourquoi je ne sais s'il ne vaudrait pas mieux
sacrifier une vingtaine de livres de plus et choisir
le petit gris n° 2 à 96 livres qui, je crois, serait plus
léger et durerait beaucoup plus. » (Motiers,
9 octobre 1762.)
Quelquefois il y a méprise ou malentendu :
<( La fourrure est très belle et chaude, seulement
le bonnet assortissant ayant été doublé en plein
s'est trouvé trop étroit pour entrer dans ma tête,
peut-être faudra-t-il ôter le dedans pour pouvoir
le mettre. » (Motiers, 6 novembre 1762.)
Pourtant ce n'est pas faute de précision, de
détails, de précautions préliminaires et de recom-
mandations dans les ordres qu'il transmet. Un
commis expéditionnaire ne serait pas plus lim-
pide et plus net dans le libellé de ses devis et
de ses prospectus : « Premièrement, je voudrais
une rame de beau papier à lettres, mais beaucoup
plus petit que celui-ci et passant seulement la
moitié d'un doigt ou deux; on y joindrait deux
ou trois bons canifs et portefeuilles de carton de
médiocre grandeur. Je voudrais quelque petite
étoffe très légère pour un cafTetan d'été. Celui de
camelot que vous avez eu la bonté de me faire
XX PREFACE.
faire est un peu gros et rude, il lime trop le
doliman de dessous, la doublure des devants est
extrêmement grosse et il a été estropié par le
tailleur. Si c'est du camelot, je voudrais qu'il fût
doux et fin, et, en le prenant gris, on prendrait
aussi de la toile grise, mais très fine pour dou-
bler les devants. Si c'est quelque autre étoffe
légère de soie ou autre qui ne ronge pas la dou-
blure on pourra prendre un petit taffetas pour
doubler les devants. La quantité d'étofTe doit
répondre à peu près à une aune et deux tiers de
drap. » (Motiers, 9 octobre 1763.)
Ses lettres sont des commandes variées ; on
dirait un livre de ménagère. Ici il lui faut « un
petit paquet de doux d'épingles pour attacher des
estampes encadrées, un paquet de cure-dents et
de bon amadou, s'il y en a à Lyon, car ici il ne
vaut rien du tout, et cela désespère un homme
qui a souvent besoin de battre le fusil pendant
la nuit ». (23 novembre 1762.) Voilà une raison
qu'on ne lui demandait pas, et dont madame
Boy de la Tour se serait apparemment bien
passée. Lui en fit-elle la remarque? On le croirait,
à voir avec quel pudique embarras il reçoit un
peu plus tard un « étui très bien soudé » (17 fé-
PRÉFACE. XXI
vrier 176o), à l'usage de son traitement intime.
« Ce ne sont pas des commissions de femmes, »
et il s'excuse du malentendu à la suite duquel
madame Boy de la Tour a cru devoir se charger de
cet envoi confidentiel.
Ailleurs il lui faudrait des canifs, du café (9 oc-
tobre 1763) et deux ou trois almanachs de poche ;
un autre jour, il désire deux fers à repasser
(18 décembre 1766) pour mademoiselle Le Yas-
seur, et comme ils seront emballés avec un coupon
de soie, il recommande qu'ils soient bien enve-
loppés, « de manière qu'ils ne coupent pas l'étoffe
à cause de leur pesanteur ». Saurait-on être plus
prudent, plus pratique et plus soigneux? Quand
il fait venir de la laine, il en envoie un échantillon
soigneusement maintenu sur une étroite bande
de papier par deux petits cachets de cire rouge,
et collé au feuillet de sa lettre.
Que ne commande-t-il pas? des langues de
Neuchâtel « qui sont un peu moins mauvaises
que celles de Motiers, du moins les salées » ; de
rhuile d'Aix, des chandelles de six à la livre
« car on n'en trouve que d'infâmes dans tout
le pays » (25 août 1764), de la ficelle pour faire
des paquets, du vin, des confitures, des mitaines
XXII PREFACE.
de soie pour la fête de Thérèse, « une paire de bas
drappds », et quand il est àBourgoin, une alliance
d'or pour se marier ; du papier à lettres « un peu
plus fort que celui sur lequel il écrit, mais blanc
et fin » (27 mars 1763); « deux agrafes pour
un corps de femme, une paire de lunettes appe-
lées conserves » (17 janvier 1769). Il s'informe
des adresses de ses fournisseurs, il s'enquiert
d'un épicier, d'un papetier, d'un mercier, d'un
quincaillier, d'un marchand de bonnes chan-
delles.
Pour le 1" janvier 1764, il veut faire à
Thérèse la surprise d'un joli cadeau, « un man-
chon de femme assez joli ». Il commande, mais,
dans l'intervalle, il en trouve un à Motiers « par
occasion ». Vite il dépêche un mot : « Point de
manchon, s'il vous plaît ! » Et il ajoute ce post-
scriptum qui peint l'homme au vif : « Je vous
prie d'ajouter à la place un bonnet de nuit de laine
fine pour moi, et des plus grands, parce que j'ai
la tête grosse ». Cette rectification, qui enlève à sa
maîtresse un manchon neuf et qui lui vaut à lui
un bonnet de nuit est un trait de caractère et des
plus éloquents : il constate mieux que la plus
érudite dissertation un égoïsme exigeant et absor-
PREFACE. XXIII
bant, qui en aucune occurrence ne s'oublie ou ne
renonce à ses droits.
Point de dépenses superflues, s'il vous plaît !
Quand il s'installe à Bourgoin, il a soin de réduire
les frais : « On me prête des couteaux et un
moulin à café. Ainsi, si l'emplette de ces articles
n'est pas faite encore : on la peut retrancher. »
(Bourgoin, 9 septembre 1768.)
La figure de Jean-Jacques, à travers cette cor-
respondance, s'éclaire d'un jour nouveau, qui
semble emprunter ses reflets au feu du four-
neau de cuisine ; l'auteur du Contrat social nous
apparaît au milieu des occupations les plus
triviales de son petit ménage, un paquet de chan-
delles et une livre de café sous le bras ; le cabinet
de travail où il écrit la Lettre à Christophe de
Beaiimont, archevêque de Paris et les Lettres de la
Montagne prend une vague apparence de boutique
et d'épicerie, oii les pots de confiture voisinent
avec le dernier ouvrage de Morellet, et où les Lettres
écrites de la campagne par Tronchin reposent sur
deux fers à repasser. Le grand homme, entre
deux rêveries sublimes, tient son livre de dépenses,
épingle des estampes au mur et vérifie s'il y a
encore de lamadou et des cure-dents sur le manteau
XXIV PRÉFACE.
de la cheminée ; rdcrivain se double d'un homme
d'intérieurpratique, rangé et minutieux,qui veille
et qui vaque lui-même aux soins du ménage.
C'est dans toute sa pauvre misère le type
moderne du ménage de savant, oii la servante est
la maîtresse de son maître, et oii tous deux vivent
à l'écart, inquiets des commérages du voisinage,
défiants des intrus, confinés dans l'intérieur
modeste et propre qu'habitèrent le Bonhomme
Jadis ou M. Sixte.
Nous sommes minutieusement informés de ses
habitudes, de sa santé, de ses goûts et de ses
dégoûts : « Je continue à être mieux ; cependant
le côté droit est toujours enflé. J'ai lieu de croire
que le vin de cabaret avait autant contribué que
l'air et l'eau à ma maladie, car j'en ai apporté ici
une vingtaine de bouteilles, et toutes les fois qu'il
m'arrive d'en boire je me sens plus incommodé
qu'il ne m'arrive en buvant d'autre vin. L'alun
dont les cabaretiers le frelatent n'affecte pas beau-
coup les gens en santé, mais agit plus sensiblement
sur un corps infirme. » (Monquin, 17 mars 1769.)
A ces effusions intimes nous devons quelquefois
de jolies pages : ainsi celle où Jean-Jacques conte
PREFACE. XXV
à madame Boy ses préparatifs de déménagement
([iiand il quitte Monquin : « Ma femme, le cœur
ainsi que moi plein de vos bontés, et qui vous prie
d'agréer ses tendres respects, aurait à vous pré-
senter aussi pour son compte une petite requête
au sujet de sa petite basse-cour composée de sept
jeunes jolies poules et d'un coq. Tout cela sont ses
élèves et nous ne saurions nous résoudre elle ni
moi à manger les poules dont nous avons mangé
les œufs. Yous devriez bien, chère maman, donner
asile à ce petit serrait dans votre maison de cam-
pagne, à condition toutefois qu'elles auront chez
vous la môme liberté qu'elles ont ici, ce qui se
peut, ce me semble, sans grand inconvénient,
puisque votre jardin est à vous au lieu que, par la
raison contraire, elles ne sauraient jouir à Four-
vière de la même liberté. Si vous consentez à
exercer cette petite hospitalité, il faudrait, en
envoyant la charrette, y mettre un panier où l'on
pût loger la petite famille de façon qu'elle vous
arrivât saine et sauve. Il nous reste aussi quelques
pommes qu'il est inutile de laisser ici. Un autre
panier pour les mettre ferait l'affaire, dût le
charretier les manger en chemin. »
Quelle plaisante et curieuse peinture, qui nous
XXVI PRÉFACE.
montre Jean-Jacques au milieu des cages à poules,
attendri sur le sort de ses volatiles pour lesquelles
il implore d'une voix humide plus que la vie : la
liberté! C'était bien aimer l'indépendance que de
la réclamer pour la société dans ses livres, et
dans ses lettres pour sa basse-cour.
Il paraît avoir aimé les bêtes, ce qui est ordi-
nairement le signe d'une bonne nature. A Mont-
morency il avait une chatte, Minette, qu'il laissa
à madame de Verdelin quand il dut s'enfuir. Ma-
dame de Verdelin lui envoie de temps en temps des
nouvelles*. A Monquin il avait un chien, Sultan,
qu'il emmenait avec lui dans ses tournées d'her-
borisation. Cette bête paraît avoir eu pour son
maître une affection moins suspecte que celle de
ses contemporains. Jean-Jacques conte un acci-
dent qui lui arriva : « Peu de jours après mon
arrivée ici je repartis pour une herborisation sur
le mont Pila, qui était arrangée depuis longtemps.
Notre voyage fut assez triste, toujours de la pluie,
peu de plantes, vu que la saison était trop avancée ;
un de nos messieurs fut mordu par un chien,
Sultan fut estropié par un autre. Je le perdis dans
1. Bernardin de Saint-Pierre, à sa première visite chez
Jean-Jacques Rousseau remarqua un serin dans une cage.
PRÉFACE. XXVII
les bois où je le crus mort de ses plaies ou mangé
des loups; à mon retour j'ai été tout surpris de
le retrouver ici bien portant sans que je sache
comment dans son état il a pu faire sans manger
cette longue route et surtout comment il a retra-
versé le Rhône. » (Monquin, 29 août 1769.)
L'été, ce lui était une grande joie d'aller herbo-
riser dans la montagne, et ensuite à travers l'île
Saint-Pierre. Il devint même naturaliste à gages et
fournisseur d'herbiers. Il envoyait fréquemment
des collections à la duchesse de Portland. Plus
tard, quand la gracieuse Madelon fut mariée et
mère de famille, elle voulut que sa fille apprît la
botanique, et Jean-Jacques fut chargé de cette
éducation. Avant de l'entreprendre, il se rensei-
gne en homme qui n'a pas du tout envie de perdre
son temps, môme pour les petites filles de ses
amies. « Je voudrais savoir si c'est tout de bon
que madame de Lessert veut amuser sa fille de la
connaissance des plantes? Je serais comblé de
pouvoir, au moins dans ces bagatelles, aider à ses
soins maternels. Je me ferai le plus délicieux
amusement de concourir aux siens en lui commu-
niquant là-dessus mes idées. Mais je vous avoue
que ma paresse seraitmoins évertuée si je croyais
XXVIII PREFACE.
qu'elle ne suivît cette petite étude que par com-
plaisance et, comme on dit, par manière d'acquit.
Je vous demande, madame, de vouloir me parler
là-dessus de bonne foi. » (16 avril 1772.) Comme
la vocation était sérieuse, il se résigna, mais à la
condition de n'être ni trop dérangé ni trop incom-
modé, en homme qui sait et qui mesure la valeur
de son temps et la force de ses jambes. Il lui écrit
en lui faisant tenir une collection d'herbes : « Le
paquet est si petit que j'ai peur qu'il ne se perde
à la diligence qui d'ailleurs est très loin d'ici, et
comme il fait fort mauvais, que je n'ai d'autre
domestique et commissionnaire que moi, s'il
arrivait que vous puissiez m'indiquer dans ce
quartier quelqu'un à qui pouvoir le remettre cela
me serait je l'avoue d'une grande commodité. »
(Paris, 16 avril 1772.)
Quand l'hiver mettait un terme aux tournées
d'herborisation, il fallait une distraction de
chambre. Il confia un jour à madame Boy de la
Tour le soin de lui trouver une épinette à louer
pour six mois, et c'est tout une affaire : « Je ne
voudrais pas une patraque, je voudrais une bonne
épinette bien en état et tout ce qu'il faudrait,
cordes, plumes, marteau, écarlate, pour raccom-
PREFACE. XXIX
moder ici ce qui se pourrait déranger. » (29 août
1769.) Si on ne trouvait pas, qu'on lui envoie un
violoncelle, des cordes, et de la colophane, sinon,
un bon cistre à cinq cordes monté dans le bas en
cordes filées un peu grosses, ou une flûte à bec, et
en tout cas du papier réglé. Sa correspondance
prend à ce moment l'aspect d'un mémoire de
quelque luthier de Crémone ; elle fait songer par
l'abondance et la précision du détail à ces ateliers
d'artistes que décrivaient Iloffman ou Balzac, où
les violoncelles, les cithares et les violons, les
Amati, les Stradivarius et les Stamitz encombrent
les établis de leurs carcasses fauves et luisantes.
Quelques jours après il a reçu de Lyon le cistre
convoité, mais il est injouable, « c'est un vrai
chaudron ». Enfin Tépinette est annoncée. Que de
recommandations, quel homme minutieux ! Si
le porteur n'abîme pas l'instrument, il aura trente
sols en plus. « Le porteur de l'instrument pourra
s'adresser à Bourgoin au sieur de la Tour, per-
ruquier sur la place, qui lui indiquera le chemin
pour venir ici. La Tour ou son frère viennent me
raser tous les vendredis et mardis matin et si le
voyage de l'homme pouvait s'ajuster sur ces
mêmes jours, un des deux la Tour pourrait
XXX PRÉFACE.
ramener lui-môme. Je vous prie de dire au porteur
que s'il ménage assez l'instrument en route pour
qu'il arrive ici d'acord et en bon état, je lui don-
nerai trente sols pour boire par-dessus l'accord
que vous aurez fait. »
Profitant de l'occasion il ajoute quelques com-
missions :
« L'une est d'une petite caisse de chandelles
des six à la livre et d'une douzaine de livres;
l'autre serait d'un bonnet de laine et d'une paire
de bas drapés et de gants chauds pour votre
pauvre ami qui commence à grelotter terrible-
ment. Si vous y pouviez joindre une paire de
mitaines de soie pour ma femme, j'aurais le
plaisir de les lui donner pour sa fête qui est le
quinze de ce mois. » (Monquin, 6 octobre 1769.)
Même dans les petits détails on reconnaît le
Jean-Jacques des Confessions, inquiet et gron-
deur, prévoyant jusqu'à être lassant, anxieux
jusqu'au ridicule.
C'était bien pis encore, quand il s'agissait de
son costume arménien. Ceci fut un véritable
événement, dont on parle encore.
Pourquoi Rousseau s'habilla-t-il en Arménien?
PREFACE. XXXI
On a dit que ce fut par raison de santé, et il est
fort possible, mais cela n'explique pas pourquoi
la robe arménienne fut par lui précisément choi-
sie de préférence à une simple robe de chambre.
Qu'est-ce qui valut à l'Arménie l'hommage de
cette prédilection? Les différentes informations
que nous confie Jean-Jacques à ce sujet concor-
dent mal. Dans les Confessions, il dit que l'idée de
cette mascarade lui était venue diverses fois dans
le cours de sa vie. Il se décida à Montmorency.
Un tailleur arménien y venait souvent voir un
parent, il craignait de ne pas trouver partout un
tailleur arménien sous sa main, car ce genre
d'ouvrier ne court pas les rues ; il consulta ma-
dame de Luxembourg ; elle l'approuva et il com-
manda son costume, au risque du qu'en dira-t-on.
Le qu'en dira-t-on l'inquiéta plus qu'il ne l'avoue,
puisqu'il ne prit son nouvel équipage que plus
tard, à Motiers, non sans avoir sollicité l'approba-
tion du pasteur.
Dans les lettres à madame Boy de la Tour, il
prend modèle sur un Arménien qu'il a vu chez
mylord maréchal.
Enfin, où qu'il ait aperçu et copié le patron de
sa garde-robe, il y consacra tous ses soins, et ses
XXXll PRÉFACE.
recommandations à sa commissionnaire de Lyon
nous mettent au fait des moindres détails de son
accoutrement.
Voici, pour les peintres de l'avenir, son portrait
en pied.
La robe d'hiver est longue, en bourracan, dou-
blée de bonne fourrure durable formant parements
au bout des manches. Pour l'été, le calTetan de
camelot ou d'étoffe de soie bordé de martre ou
de lapin remplace la robe. Le vêtement de dessous
est le doliman. L'étoffe est de couleur grise ou
neutre ; il ne veut pas de couleur vive <( que le
soleil mange ». Il importe que Tétoffe soit bon
marché, mais « ne se coupe pas ». On trouve
quelquefois d'excellentes occasions dans « les
rebuts de magasins ». Il faudrait chercher là.
Cependant pour la bordure extérieure et appa-
rente, la fourrure sera plus belle ; on mettra soit
de la martre à 73 livres ou du petit-gris à 96 livres.
C'est un tailleur arménien qui coupe l'étoffe, mais
il serait bon de trouver un tailleur occidental qui
copierait le patron pour s'en servir plus tard, à
meilleur compte. Ce vêtement n'est pas pour satis-
faire un goût de coquetterie, mais il le faut pour-
tant convenable et décent ; comme il ne veut plus
PREFACE. XXXIII
le quitter, il importe qu'il puisse se présenter
partout, fût-ce chez mylord maréchal ou à l'église.
11 ne voudrait pas qu'on l'accusât d'aller au tem-
ple en robe de chambre; il n'y entra même en
robe d'Arménien qu'après avoir reçu l'approbation
de M. Montmollin, le pasteur.
Ce vêtement était noué aux reins par une cein-
ture dans ]e choix de laquelle Jean- Jacques mit
toutesa coquetterie. On ne peut lui trouver d'étolTe
assez élégante, ni assez « parante ». Il en eut
plusieurs, tantôt en réseau de soie à mailles
« comme les filets de pêcheurs », ou en serge de
soie, tantôt en étoffe rayée. Il la faut longue de deuK
aunes et demie, dans toute la largeur de l'étoffe,
car elle se plisse sur le corps. Un jour qu'on lui
envoya une ceinture trop courte, cet homme
économe s'emporta : il devait la tenir étendue
avec des épingles, « ce qui la déchire ». Les deux
extrémités de Técharpe sont garnies d'une jolie
frange large de quatre doigts (( assortissante à la
houpe de bonnet ».
Car il y a encore le bonnet, doublé de fourrure
ou d'agneau de Tartarie en hiver, bordé seulement
en été, l'intérieur garni en silésie ou en carcas-
sonne. La toque est ornée d'un galon d'or et sur-
XXXIV PRÉFACE.
montée d'une houppe d'or. « Il faut qu'il n'ait pas
l'air d'un bonnet de nuit » ; aussi doit-il, malgré
sa répugnance, « se résoudre à porter du dor ».
11 arrivait quelquefois que la fourrure trop épaisse
rendait le bonnet trop étroit pour entrer sur sa
tète : il prit la précaution d'enfermer dans sa
lettre de commande un fil donnant la mesure
de son tour de tête (27 mars 4763).
(( Je l'ai prise entre les deux nœuds. » Y a-t-il
rien de si plaisant que de se figurer le profond
philosophe assis à sa table et s'entourant gravement
le crâne avec un fil, pour que son chapelier lui
envoie des bonnets à sa taille ?
Puisque nous décrivons l'extérieur de Jean
Jacques de la tète aux pieds, ajoutons qu'il porte
en hiver des « bas drappés » bien chauds, qu'il a
chez lui des pantoufles jaunes, et qu'il ne les lui
faut pas trop grandes, c J'ai le pied extrêmement
petit. » Il a la coquetterie des extrémités. Enfin
quand il sort, il met des « bottines de maroquin »
serrées avec des « lacets de soie jaune ». Voilà,
pensons-nous, un inventaire complet de sa garde-
robe.
Des lacets, Rousseau en reçoit et en demande
PRÉFACE. XXXV
souvent, mais ce n'est pas toujours pour ses
bottines de maroquin.
Il conte, dans les Cojifessioîis. qu'il s'avisa, pour
ne pas vivre en sauvage, d'apprendre à faire des
lacets. « Je portais mon coussin dans mes visites,
ou j'allais, comme les femmes, travailler à ma porte
et causer avec les passants. » Il faisait présent
de ses ouvrages à ses jeunes amies, le jour de
leur mariage, à la condition qu'elles connaîtraient
Y Emile, et nourriraient elles-mêmes leurs enfants,
«sans quoi, point de lacet ». Madame Boy de la Tour
est souvent priée de lui envoyer à cet usage « de
la soie de toutes couleurs ». Dans les commence-
ments, elle ne saisit pas très bien ce qu'il veut, et
nous comprenons son incertitude, vu l'originalité
de la commission. Elle lui envoie de la soie plate ;
il la lui retourne, il lui faut de la soie filée, de la
soie à coudre, de la soie torse. Mais aussi imagine-
t-on pareille idée du philosophe en quenouille aux
pieds de Thérèse-Omphale? Le meilleur de cette
fantaisie fut de valoir à de jeunes mariées un
curieux souvenir toujours accompagné d'une
aimable lettre plus précieuse encore que le lacet.
Mademoiselle d'Ivernois, la fille du procureur géné-
ral de Neuchâtel, eut la primeur de cette inoffensive
XXXVI l'HKFACi:.
manie, avec un fort joli billet « qui a couru le
monde » où le tresseur de soie disait : « Songez
que porter un lacet tissu par la main ([ui traça les
devoirs des mères, c'est s'engager à les remplir ».
Ce lacet a, paraît-il, été pieusement gardé par la
famille. On en a souvent donné de petits morceaux
à des amis, à titre de reliques, mais il mesure
encore un mètre quarante centimètres : il se pas-
sera quelque temps avant que les propriétaires se
voient obligés de le remplacer. .
C'est en tressant ces précieux lacets que le bon
Jean-Jacques allait jaser et clabauder sur le pas
de la porte avec les voisines.
Un trait de caractère, que ces lettres accusent
et mettent en relief, c'est le goût de Rousseau pour
les commérages, les petites histoires du quartier,
de la rue et du voisinage, les disputes de porte à
porte, les racontars que sa bavarde gouvernante
lui rapportait, sachant flatter ses goûts. Ces que-
relles de clocher prenaient à ses yeux l'importance
qu'il attachait à tout, et le mettaient souvent dans
de mauvais pas, pour avoir mis le nez là où il
n'avait que faire. On s'en douterait, et on pouvait
aisément le prédire, à le voir emporter ses lacets
pour aller jaser et voisiner aux alentours, ce qui
PRÉFACE. XXXVII
est le pire fléau de la tranquillité domestique. La
brouille suit toujours ces amitiés que créent la
proximité des demeures et la promiscuité des
après-midi désœuvrés.
Reçu à son arrivée par la belle-sœur de madame
Boy, qui Ihéberga dans les premiers temps, il fré-
quentait beaucoup chez elle ; les deux maisons
se touchaient : cinq mois après, en novembre,
les voilà brouillés à mort et il désire qu'il ne soit
plus question d'eux ; il écrit à madame Boy : « Je
vous prie que nous en restions là sur ce point » ;
il ne veut rien garder qui soit à eux, et M. Girar-
dier fait reprendre tous les meubles qu'il lui avait
prêtés. Qui fut coupable ? Les torts furent peut-être
bien du côté des Girardier, car Jean-Jacques conte,
dans ses Confessions^ que sa maison, avant son ins-
tallation, était très commode à madame Girar-
dier; celle-ci ne le vit pas arriver sans un certain
déplaisir : inde irœ^ sans doute. En tout cas, quand
M. Girardier tomba malade au point d'en mourir,
trois mois après la brouille (février 1763), Jean-
Jacques oublia ses griefs et envoya Thérèse le
soigner et le veiller.
Rousseau, l'insociable, devait avoir le commerce
difficile et les relations anguleuses. Dès le mois de
XXXVIII PRÉFACE.
mai 1703. il a assez de Molicrs et de ses habitants,
il voudrait s'en aller : « On ne m'aime pas » ; les
gens lui font la mine de prendre « des airs de
protecteurs et de juges » ; il s'en réjouit rageuse-
ment, car leur malveillance le dispense de les
voir. « Leurs honnêtetés m'avaient subjugué ; leurs
impertinences me dégagent. » L'idée fixe de la
persécution le mine et fait son œuvre; Thérèse
favorise ce travail intérieur, et nourrit de ses
rapports la bile de son maître. Il est à présumer
qu'on plaisantait la vieille gouvernante sur ses
relations avec Rousseau. Madame Boy faisait
bâtir sur la montagne une maison d'été qu'elle
destinait à son ami Jean- Jacques. Les mauvaises
langues de Motiers jasèrent et interprétèrent
ce projet de villégiature avec toute la malice que
comportait la situation. Il fut avéré que cette
retraite était pour dissimuler une grossesse et
favoriser un accouchement clandestin.
« Ma très bonne amie, je ne vaux plus rien ni
pour les autres ni pour moi ; je ne suis plus bon
qu'à souffrir, me plaindre et rabâcher ; un tel
commerce n'est qu'importun pour les autres et
c'est par discrétion que je ne le rends pas plus
assidu. Je me préparais à me transplanter à votre
PREFACE. XXXIX
montagne avec autant de plaisir que vous en avez
eu à la faire accommoder ; mais ni mon état pré-
sent ne le permet, ni quand il le permettrait je ne le
pourrais faire, vu l'étrange pays où je vis, sans
compromettre l'honneur de la personne qui prend
soin de moi. Sitôt que j'ai bien connu le naturel
des gens du lieu, je n'ai plus voulu qu'elle les
vît, et cette retraite, jointe au projet d'aller habiter
la montagne, leur a fait supposer aussi charita-
blement que sensément que j'avais des raisons
})0ur la cacher. Leurs regards curieux, leurs bru-
tales double-ententes et leurs sottes chuchoteries
m'ont bientôt fait deviner de quoi il s'agissait;
sur quoi j'ai pris le parti de rester au milieu de
Motiers jusqu'à ce qu'il plaise à la providence de
me tirer tout à fait de manière ou d'autre du milieu
de leurs langues empoisonnées qui distillent plus
de venin que celles de tous les serpens de l'A-
frique. » (Motiers, 14 août 1763.)
Jean- Jacques se fâcha tout rouge, et en vérité on
se demande pourquoi. Quand il écrit : « leurs lan-
gues empoisonnées distillent plus de venin que
celles de tous les serpens de l'Afrique » on
comprend mal cette protestation indignée qui ten-
drait à retaire ou à protéger de la médisance une
IL PRÉFACE.
virginité trop sérieusement compromise. Lorsqu'il
refuse enfin l'habitation de la montagne par le
souci « de ne pas compromettre l'honneur de la
personne qui prend soin de moi », on ne sait trop
qui est dupe, ou madame Boy de Jean-Jacques,
ou Jean-Jacques de lui-même.
Le moment eut été bien choisi pour rappeler à
Rousseau la répartie de Sophie Arnould à une amie
qui déclarait : « Je mets mon honneur sous la garde
du roi ». « Ma chère, reprit l'endiablée actrice, là
où il n'y a rien, le roi perd ses droits. »
Moins d'un an après son installation voilà oii
en est le philosophe. « Je regarde Motiers comme
le séjour le plus vil et le plus venimeux qu'on
puisse habiter. » Le jugement est sévère, mais
peut-être injuste si l'on songe qu'il va désormais
servir à tous les milieux où Jean-Jacques tentera
de vivre en société. La solitude était son seul asile.
Les premiers ennuis graves furent suscités par
une affaire de mur mitoyen, ou quelque chose
d'approchant. La lettre du 29 avril 1764 com-
mence avec des airs de mystère et des précautions
faites pour intriguer les esprits les plus indiffé-
rents : <( Ne montrez cette lettre, s'il vous plaît,
à personne!... Quelqu'un qui ne veut pas être
PRÉFACE. XLI
nommé vient de me donner un avis » Qu'est-
ce, grand Dieu! Cette prudence, cette personne
masquée, ces confidences chuchotées , ces ma-
nières ténébreuses inconnues depuis le Conseil des
Dix, présagent assurément quelque secret d'Etat.
En effet, c'est que M. du Terreaux, maire des
Verrières, l'ait bâtir contre la maison Boy, et que
sa bâtisse prenant sur la largeur du chemin « ren-
dra le contour plus difficile aux voitures pour
entrer dans votre grange ». Voyez un peu l'af-
faire de conséquence! — Or comme M. du Ter-
reaux ne peut bâtir qu'avec l'aveu de la com-
munauté, il faut prévenir ses démarches et lui
interdire ses travaux. Cet avis discret et presque
anonyme fit beaucoup de bruit au village ; les
communiers se dérangèrent pour venir examiner
la place, on sut que l'instigateur de ces mesures
préventives était Jean- Jacques; on désapprouva
sa conduite tortueuse, et il y gagna qu'une partie
de la population ne le salua plus.
Ce sont des menus faits de ce genre qui l'ache-
minèrent à la catastrophe finale. Les clabauderies
de Thérèse n'y furent peut-être pas tout à fait
étrangères. Du moins Rousseau, dans son aveu-
glement, n'en soupçonna rien.
XLII PRÉFACE.
Ses lettres constatent Tétroitesse des liens dans
lesquels Thérèse le sut enserrer. Il y est sans
cesse question d'elle; dans chaque missive, une
petite phrase rappelle qu'elle existe ; elle ne
manque pas une occasion d'envoyer son sou-
venir et ses respects à l'amie de son amant ;
on la voit, pour ainsi dire, à distance, pen-
chée sur le bureau oii Jean-Jacques termine sa
lettre, réclamant un mot pour elle afm d'affirmer
son existence et de se rehausser à ses propres
yeux par cette intimité flatteuse avec une grande
et honnête dame. C'est elle qui lui rapporte les
malins propos tenus par les commères de Motiers
sur leur liaison compromettante ; à la douleur et
à l'exaspération de Rousseau refusant de quitter
Motiers parce qu'on croit Thérèse enceinte, il
semble qu'on entende les amères récriminations de
l'ancienne servante déchargeant ses rancunes dans
le sein de son faible amant et les lui faisant épou-
ser, l'excitant de sa propre haine, alimentant son
imbécile passion raffermie par le récit de persé-
cutions imaginaires peut-être, exploitant à son
profit, par le plus sordide calcul, le trésor de
bonté et de pitié qu'elle lui connaît, et bénéficiant
à chaque nouvelle scène d'un accroissement
PREFACE. XLIII
damour, d'un cadeau consolateur, voire même
dun testament en faveur « de cette pauvre fille
qui soigne depuis si longtemps ma misérable
machine! » (14 août 1763.)
Le débile vieillard tremble de la laisser « seule
et sans protection dans un pays si él oigne d u sien » ,
Dans les recommandations qu'il fait pour elle à
ses amis, on reconnaît les habiles conseils et les
utiles précautions que la mégère lui faisait prendre,
y compris « le billet endossé en son nom » pour
recueillir la fortune du pauvre homme en cas de
contestation.
« Je ne veux pas trop creuser dans Favenir, ma
très bonne amie, mais mon état empire tellement
depuis quelque temps qu'il ne serait guère éton-
nant que cet hiver je fusse délivré de mes souf-
frances et en ce cas-là jugez de la douleur qu e
j'aurais de laisser ici cette pauvre fille qui soigne
depuis si longtemps ma misérable machine, seule
et sans protection dans un pays si éloigné du
sien. Si nous étions à Yverdun je serais bien
tranquille, mais ici au moment oii j'aurai les yeux
fermés on la dépouillera de tout. J'ai fait un tes-
tament, mais puis-je espérer qu'on y aura le
moindre égard? Quelque défaut de formalité le
XLIV PRÉFACE.
fera annuler et on ne la laissera pas même profi-
ter de mes guenilles... J'espère qu'au nom de
notre ancienne amitié vous la protégerez en tout
■ce qui dépendra de vous et que vous ne souffrirez
pas que ce qui est dans les mains de messieurs
vos fils passe à d'autres qu'à elle. En cas d'acci-
dent je lui remettrai le billet endossé à son
nom... J'avais besoin pour être tranquille de vous
prévenir là-dessus, et maintenant je le suis par-
faitement. » (Motiers, 14 août 1763.)
On connaît la cérémonie aussi touchante que
burlesque où Jean-Jacques unit sa destinée à
•celle de sa gouvernante à la face de la nature, par
un mariage illégitime qui consacrait une illégalité
devant le maire lui-même de Bourgoin, invité en
ami à cette séance.
Cet événement laissa-t-il au fond du cœur de
Jean-Jacques une certaine gêne, un certain ma-
laise? En tout cas il ne s'y arrête guère dans ses
lettres, il informe en passant ses amis de la réso-
lution qu'il a prise, et il leur fait part de son
mariage en des termes qui sentent la formule et
le cliché plus qu'ils ne constatent le ravissement
<l'un récent époux.
Il écrit le 2 septembre à M. Boy le fils :
P R t: F A C E . XLr
« Madame de Lessert aura }3u vous dire que
mademoiselle Renou est devenue ma sœur Sara
et que je suis son frère Abraham. Si tous les
mariages commençaient ainsi par un attache-
ment de vingt-cinq ans confirmé par l'estime, ne
pensez-vous pas qu'ils seraient généralement plus
unis? » (Bourgoin, 2 septembre 1768.)
La même rédaction lui sert, le -3 septembre,
pour aviser de la nouvelle madame Boy : « Notre
jolie nourrice vous aura marqué que la compagne
de mon sort et de mes malheurs n'ayant voulu
m'abandonner en aucune circonstance, j'ai cru
lui devoir de faire que puisqu'elle était déterminée
à suivre en tout et par tout ma destinée, elle pût
la suivre avec honneur. Si vingt-cinq ans d'atta-
chement et d'estime précédaient tous les mariages
il est à croire qu'ils en seraient généralement
plus heureux. » (Bourgoin, o septembre 1768.)
On ne sent pas précisément dans ce simple avis
un homme fier et heureux de lui. Il avait déjà
trop endommagé sa lune de miel pour qu'elle pût
lui réserver la moindre surprise. La scène de la
Fontaine d'Or n'apportait qu'une singularité de
plus à l'actif de Rousseau. Il n'aima Thérèse ni
plus ni moins et lui continua une affection qui
XLVI PRÉFACE.
intéressait à sa compagne des personnes dont elle
ne méritait pas même l'attention.
Quand la fille de madame Boy, l'aimable Ma-
delon, lui fit cadeau d'une robe, les remercie-
ments de Jean-Jacques sont aussi gauches qu'hu-
miliants : « Ma pauvre petite femme vous
embrasse en pleurant d'aise du bien que vous lui
avez fait et à moi par votre visite. Sa robe est très
belle, si belle que quand elle l'aura ce sera ma-
dame et ce ne sera plus ma femme. » (Bourgoin,
14 novembre 1768.)
Ce ménage douteux, qui n'a même pas pour le
rehausser les apparences gracieuses de la jeunesse,
de l'amour, de la gaieté et du bonheur à deux,
laisse l'impression pénible et sombre d'un inté-
rieur maussade habité par un vieillard souffrant
et plaintif aux soins d'une gouvernante intéressée
et perfide. C'est dans toute sa honteuse et triste
monotonie le faux ménage du vieux célibataire
entre les griffes crochues de sa cupide servante.
Tels sont le ton et le caractère de cette corres-
pondance d'un ton très neuf et d'une originalité
piquante. C'est Rousseau intime clouant des gra-
vures, empruntant un moulin à café, faisant avec
PRÉFACE, XLVII
une bêche un chemin dans la neige à travers son
jardinet, chaussant des "• souliers de paille
comme les employés des grands magasins de
Lyon » pour se garantir du froid, ou se prenant de
querelle au cabaret,
(( Voici une petite anecdote qui pourra vous
amuser. M, Bovier fils, depuis mon départ de Gre-
noble, y a déterré un garçon chamoiseur nommé
Thévenin qui prétend avoir prêté ou donné en
Suisse dans un cabaret neuf francs à un nommé
J.-J. R. qu'on dit être de votre connaissance.
Ledit J,-J, R, ne convient pas du fait et pré-
tend que ledit Thévenin est un imposteur ; on
dit même qu'il le prouve ; mais ledit Thévenin
paraît si bon homme, a l'air si bénin et d'ail-
le urs est si bien protégé que le public de Gre-
noble, tout à fait bien disposé pour lui, voudrait
fort le favoriser aux dépends de l'autre et faire
en sorte que ce fût ledit J,-J. R, qui fût le
fripon. Malheureusement, par des informations
faites sur les lieux, il se trouve que ledit bon-
homme de Thévenin a eu ci-devant l'honneur
d'être condamné par arrêt du Parlement de Paris
à être fouetté, marqué et envoyé aux galères pour
fabrication de faux actes ; mais comme en re-
XLVlll PRÉFACE.
vanche ledit J.-J. R. a aussi été décrété, ce
qui est quasi la même chose, on espère encore que
les choses pourront s'arranger à la satisfaction de
ce pauvre Tliévenin. Il est tout simple que le pré-
jugé public soit en sa faveur parce qu'on sait que
sa coutume est de prêter ainsi de l'argent en pas-
sant à tout le monde, même aux gens qu'il ne
connaît point du tout, et que le dit J.-J.-R.
est connu pour un coureur de cabarets qui va
piquant à droite et à gauche quelques écus dans la
poche des quidams assez sots pour lui en prêter. »
(Bourgoin, 21 septembre 1768.)
Le récit est joli et montre que Jean-Jacques
sait quand il veut manier habilement l'ironie.
Mais elle tourne aussitôt à l'amertume et à l'ai-
greur. Un déni de justice échauffe et bouleverse
sa bile, et il retrouve les mêmes accents que son
aîné, l'Alceste de Molière : « Sur les preuves de
rimposture dudit Thévenin, M. le comte de Ton-
nerre m'a fait enfin réponse, non pas qu'il lui
ferait avouer son imposture, mais au contraire
qu'il lui imposerait silence. Sur ce pied-là si Thé-
venin m'eût volé ma bourse, au lieu de l'obliger
à la rendre, on lui ordonnerait de ne me plus
voler... Pour le coup je ne serai plus leur dupe,
PRÉFACE. XLIX
et sûr de n'obtenir aucune justice, je ne m'abais-
serai plus à la demander. » Il n'eut pas cette peine,
car Thévenin fut condamné aux galères.
Jean-Jacques nous tient ainsi au courant de
toutes les menues péripéties de sa vie au jour le
jour, — vie prosaïque et mesquine d'un vieillard
quinteux qui vit dans son fauteuil de bois, son
agenda de dépenses ouvert sur ses genoux,
tandis que sa gouvernante essuie les meubles et
repasse le linge.
Si la réputation de l'écrivain n'a rien à gagner
à cette exhumation, elle ne perdra rien, car cer-
taines lettres sont fort jolies, pleines d'esprit et
de délicatesse. Les négligences sont rares; il y a
peu de trivialités, malgré la familiarité de la cor-
respondance et l'humilité des sujets. La plupart
sont recopiées sur un brouillon préalable, on le
sent à la fermeté du style et de l'écriture.
Il y a bien de la tendresse dans l'expression
de ses sentiments affectueux pour le « vieux papa »
Roguin, pour sa douce et bienfaisante amie ma-
dame Boy de la Tour, pour ses filles Julie et sur-
tout Madelon, « la gentille sauteuse », à laquelle il
a voué une prédilection toute particulière et qui
lui inspire les plus amusantes plaisanteries.
L PRÉFACE.
11 atteint à l'éloquence quand vient le sur-
prendre la nouvelle de la mort de M. Roguin :
« Mon respectable ami IM. Roguin a cessé
de soulTrir. Il jouit maintenant du prix de ses
vertus, car j'ai toujours pensé que les hommes
seront jugés sur ce qu'ils ont fait bien plus que
sur ce qu'ils ont cru, et sa récompense est bien
sûre, quoiqu'il n'ait pas eu le bonheur d'en jouir
d'avance en l'espérant. Une idée encore m'est con-
solante dans ma douleur. C'est de penser que
l'adresse et l'imposture ne déguisent plus à ses
yeux la vérité des choses, et que s'il pense à son
ami infortuné il rend justice à ses sentiments, à
ses principes et au sincère et pur attachement
([u'il eut pour lui. Affecté de cette perte et par
elle-même et par tout ce qui me la rend irrépa-
rable, je me vois mourir par degré dans tout ce
qui donne un prix à la vie, et destiné, si je vis
longtemps encore, à ne rester sur la terre que pour
m'y pleurer tout vivant. Car c'en est fait, les nou-
veaux attachements ne sont plus de mon âge,
encore moins de ma situation, et ce coup laisse
dans mon cœur un nouveau vide, il ne sera plus
rempli. Il faut finir cette triste lettre, je m'eiïor-
cerais en vain d'y prendre un ton moins plaintif.
. Â(>r//ui// d^y^y/b. ^Àwy de (a (loiir
Propriété de la
LIBRAIRIE CIRCULANTE
F. RICHARD
80, Rue «J'j Rhône, 80
GENIî:VE
PREFACE. Ll
La perte de M. Roguin me rappelle avec force les
temps heureux de notre connaissance. Combien
il fallait peu pour mon bonheur! Hélas! quedis-je?
il aurait fallu beaucoup : C'eût été de ne con-
noître que des gens qui lui ressemblassent. Mon
vertueux ami, vous êtes allé m'attendre. Ils auront
beau faire. Nous nous rejoindrons en dépit d'eux. »
(20 juillet 1771).
Si madame Boy de la Tour eut pour lui mille
bontés, il est juste de le reconnaître, Jean Jacques
conserva pour elle jusqu'à la fin les sentiments
d'une inaltérable amitié qui ne connut ni les froi-
deurs ni les nuages. Il garda pour elle la même
tendresse et le temps ne fit que l'accroître : rare
exemple dans l'existence de Rousseau, dune amitié
qui triompha de son humeur chagrine et de ses
caprices. Au bout de dix ans, bien qu'éloigné d'elle,
il ne se montrait ni moins dévoué ni moins affec-
tueux. Il s'excuse de ses négligences avec une
sincérité touchante, et il se les fait pardonner :
(' Depuis six mois le travail étant venu avec
abondance ce qu'il n'avait pas encore fait, j'ai
cru devoir m'y livrer tout entier et j'ai passé
l'hiver cloué sur ma chaise avec une telle assiduité
que, de peur de rebuter les pratiques, je ne me
LU PRÉFACE.
suis permis aucune distraction... Fatigué de tenir
la plume je la quittais pour faire quelques
tours de chambre, parlant souvent de vous. »
(Paris, 4G avril 1772.)
Six moix après, madame Boy eut un accident
au pied, et il s'en montre fort affecté. Ses recom-
mandations sont d'un fidèle et prévoyant ami.
« Enfin, vous voilà bien rétablie de tout point et
je vous exhorte ardemment à garder toujours le
souvenir de tant de rechutes de toute espèce pour
vous en garantir désormais par lapins scrupuleuse
attention sur vous-même tant à table qu'à la
promenade. Evitez soigneusement les lieux rabo-
teux, ne Aous promenez qu'appuyée sur quelqu'un
et ne vous fatiguez jamais trop. » (22 octobre 1772,
Paris.)
C'est par ces instants d'affectueuse sollicitude
qu'il se faisait pardonner ses inégalités d'humeur,
dont il convient lui-môme avec une bonhomnie
un peu bourrue mais sympathique. « Vous nous
avez envoyé aussi d'excellents marrons dont je
vous aurais remercié plus tôt, si la voie de la
poste ne m'était fermée, de quoi sans vous je me
soucierais peu. Vous avez trop de bonté d'entrer
en explication avec moi sur mes maussades
PRÉFACE. LUI
gi'onderies ; c'est assez de les pardonner et de
sentir, comme je m'en flatte, que mon ton dur
quelquefois vaut bien dans le sentiment qui
l'inspire un langage plus cajoleur. » (28 décem-
bre 1770.)
L'amitié de madame Boy de la Tour fut assuré-
ment une grande consolation pour lui pendant ces
dix années d'exil, de proscription et dexode. Il
fallait replacer en lumière cette figure aimable et
compatissante que les historiens de Rousseau ont
jusqu'à présent laissée dans l'ombre,' faute d'in-
formations suffisantes. Elle a été l'amie la plus
dévouée, la consolatrice, la bienfaitrice infatigable
du misérable proscrit. Elle mérite une place à part
à côté des grandes amies de Jean-Jacques, ma-
dame de Yerdelin ou la maréchale de Luxembourg.
INousne nommerons pasicimadamede Warens. La
pauvre maman mourut l'année, le mois même où
Jean-Jacques s'installait dans la maison de sa
nouvelle amie, qu'il allait aussi appeler de ce nom
familier et affectueux. Maman était remplacée :
mais c'était cette fois l'affection reposée, calmée
et pure d'un vieillard pour une âme bienfaisante.
Dans ses lettres il ne parle pas une seule fois de
sa première maman : pudeur touchante et discrète
LIV PREFACE
(]iii lais?ait à la seconde l'intégrité de son dévoue-
ment.
Cette intimité si étroite, si confiante, répand
sur toute celte période de la vie de Jean-Jacques
une douce sérénité. Sonamie, quifut sa confidente,
fut aussi son refuge aux heures d'angoisse. Toute
cette famille lui procura les joies les plus conso-
lantes de lintérèt et de Taffection. Il convenait de
faire revivre ces gracieuses amies, sans lesquelles
la vie de Jean-Jacques serait incomplètement
connue. Négliger de placer à ses côtés madame
Boy de la Tour, son oncle M. Roguin, ses filles
Julie et surtout Madeleine, c'est montrer Rous-
seau dans un isolement qui devient une erreur
historique.
On considère volontiers que l'exode à Motiers
et à Bourgoin fut une des plus rudes épreuves
qu'il eut à supporter. Mais quand on sait de quelles
précieuses amitiés il fat entouré, quand on ajoute
aux bienveillantes assiduités des dTvernois, des
de Luze, des de Pury, des d'Escherny, l'aimable
commerce qu'il ne cessa d'entretenir avec ses ten-
dres amies de Lyon, on est aisément tenté de le
plaindre moins, et d'envisager avec moins de com-
passion un sort qui fut très supportable. En dépit
/
PREFACE. LV
de ses lamentations Jean-Jacques fut rarement
aussi tranquille et aussi choyé. Sil ne fut pas par-
faitement heureux, la faute n'en fut assurément
pas aux autres. Il nous livrait lui-môme la cause
de son infortune quand il écrivait à madame Boy.
de Motiers, le 27 janvier 1763 : « 11 est bien dif-
ficile de rencontrer le bonheur nulle part, quand
on ne le porte pas avec soi. »
LÉO CLARETIE.
LETTRES INEDITES
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
A Madame
Madame Boy de la Toiir^ à Yverdim\
Motiers^ 18 Juillet 1 '762.
Je voudrois, Madame, que vous vissiez l'em-
pressement avec lequel je m'établis dans vôtre
1. Ville de Suisse (Vaud),dans une île de la Thièle, à l'em-
bouchure de cette rivière dans le lac de Neuchàtel, à 28 ki-
lomètres au nord-ouest de Lausanne. C'est là que Felice
établit sa typographie au xviii<= siècle, et Pestalozzi son
institut en 1805.
2. Village de Suisse, dans le Val de Travers, à 22 kilomè-
tres sud-ouest de Neuchàtel.
La maison appartenait au fils de madame Boy. C'est là
qu'en 1657 M. de Sully, capitaine du Val de Travers, avait
1
2 LETTRES INÉDITES
maison; vous jugeriez par-là du plaisir que j'ai
de tenir de vous mon habitation d'occuper
vôtre demeure, de penser à vous en me levant,
reçu le prince Henri II de Longueville dans un de ses voya-
ges à Neuchàtel. (Cf. L. de Meuron, Descr. du Val de Tra-
vers!, 1830). Elle n'existe plus qu'en partie. « Tout le devant
de la rue, dit M. F. Berthoud, a été reconstruit vers 1840 ;
elle a perdu ainsi non seulement son intérêt historique,
mais sa physionomie vénérable où Tart ne manquait pas,
ni le goût. On en peut juger par les belles fenêtres, élégan-
tes et curieuses qui restent encore dans la partie conservée
et qui étaient reproduites sur la façade, comme on le sait par
des témoignages sûrs. Nous avons donc pu les rétablir et les
plcàcer avec une parfaite certitude. La chambre de Rous-
seau, chambre à coucher et de travail, n'a pas été changée;
elle est petite, mal éclairée, tournée au nord, sans autre
vue que la cour étroite et triste de la maison voisine ; c'est
là qu'on voyait encore, il y a peu d'années, la planche atta-
chée au mur, en pupitre, sur laquelle il écrivait debout.
» La cuisine est à côté ainsi qu'une petite chambre, celle
de Thérèse probablement. Ces deux pièces donnent sur la
galerie. Lorsque Rousseau voulait éviter des visiteurs im-
portuns et s"échapper, ce qui fut toujours une de ses préoc-
cupations, il trouvait, au bout de la galerie, un escalier qui
le conduisait à la grange, et de là dans les champs.
» Deux grandes pièces, au soleil levant, sur la Grand'Rue,
complétaient le logement de Rousseau, avec tout le rez-
de-chaussée pour entrée, caves et dépendances, sauf un
petit logement occupé par un vietix bonhomme. On voit
qu'il ne lui manquait rien. »
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 3
en me couchant, durant la journée, et de ne
rien voir qui ne m'offre des témoignages de
vôtre amitié. J'ignore encore s'il me sera per-
mis d'en profiter longlems, cela dépend des
ordres du Roy \ mais ce que je sais c'est que je
n'oublierai de mes jours ce que vous avez fait
pour moi dans cette occasion, ce que nôtre con-
naissance quoique faite si rapidement" a laissé
dans mon cœur des impressions inefaçables.
Madame et Mademoiselle Girardier^ portent
1. Le roi de Pi'usse. Motiers était dans le comté de Neu-
clîàtel qui était dans les États du roi de Prusse. Jean-
Jacques ne savait si Frédéric II ne l'inquiéterait pas. Il se
souvenait d'une estampe, représentant le roi, qui ornait son
donjon à Montmorency. Il avait écrit au bas ce vers :
Il pense en philosophe et se conduit en roi.
Le chevalier de Lorenzy l'avait copié et donné à d'Alem-
bert, qui avait pu le montrer à Frédéric. En outre, Frédéric
s'était pu aisément reconnaitre dans Adraste, roi des Dau-
niens, dans YÉmile.
2. A Yverdun, où il s'arrêta chez M. Roguin, quand il se
fut enfui de chez M. de Luxembourg, décrété de prise de
corps à cause de YÉmile.
3. Madame Girardier est la belle-sœur de madame Boy de
4 LETTRES INÉDITES
aussi loin pour moi les altentions el les soins
que Monsieur le Major les façons et les com-
plimens. Je crois que c'est assez dire. Mad^
Girardier, très sensible à vôtre invitation, auroit
grande envie d'en profiter ; mais elle craint
celte grande corvée pour vous et pour vos
enfans durant ces chaleurs. D'ailleurs, voici la
récolte ; les affaires et son mari la comman-
dent, et je vois que c'est à regret qu'elle ne
fait pas là-dessus ce qu'elle voudroit bien.
L'espoir de l'accompagner m'a fait animer sa
bonne volonté par quelques mots d'encourage-
ment dont elle navoit pas besoin, mais que
j'ai cessés les voyant inutiles. Elle vouloit vous
écrire ses raisons et ses regrets ; je me suis
chargé de ce soin, et je m'en acquite. Que ne
devrois-je point vous dire, Madame, non seu-
lement pour vous, mais pour ces trois bien-
faisantes sœurs qui à l'exemple de leur Oncle
la Tour. La maison que Jean-Jacques allait occuper « lui
était très commode » ; elle ne vit pas sans déplaisir arriver
le nouveau locataire.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 5
bien-aimé ^ el pour lui plaire ont tout fait pour
cet ingrat qui se plaignoit alors d'être trop
heureux, et se plaint maintenant du bonheur
qu'il a perdu. Mais ne dois-je rien en parti-
culier à celle dont les yeux honorèrent mon
départ de quelques larmes que je ressens dans
mon cœur. Les soins des deux autres sont d'un
prix inestimable et leur zèle obligeant m'a
pénétré de reconnaissance, mais Marthe a
choisi la meilleure part. Et cette aimable sau-
teuse^ qui va faire trois sauts même en écou-
tant ceci, ne lui rendrons-nous point quelque
hommage à cette jolie grand-maman qui me
disoit petit-fils comme à son serin; ne lui don-
nerons-nous point quelque coup de bec? Savez-
vous bien que je ne finis plus de m'attitîer
depuis que j'ai une pelotte fée qui me fournit
1. M. Roguin « mon bon vieux ami qui s'était retiré à Yver-
dun depuis quelques années et qui m'avait invité à l'y aller
voir. » (Con/". II, IX.) Jean-Jacques l'appelle 6on papa. — Voyez
Briefwechsel J.-J. Rousseau mit Léonard Usteri in Zurich und
Daniel Roç/uin in Yverdon (Zurich, 1886).
2. Madelon, fille de madame Boy.
6 LETTRES INÉDITES
incessamment d'épingle sans s'épuiser? De
grâce, bonne Maman, permettez-moi de baiser
quelquefois celte jolie pelotte, mes jours de
barbe, en mémoire d'un meilleur tems. Bon
jour Madame, mon papier à sa fin m'avertit
qu'il est tems de cesser d'exlravaguer. Dites,
je vous supplie, à Monsieur vôtre frère, combien
j'ai de regret d'avoir été privé sitôt du bonheur
de vivre avec lui, faites aggréer mes respects
à Madame son épouse, et recevez avec les
miens, les sentimens les plus vrais et les plus
tendres d'un cœur qui vous aimera toujours.
ROUSSEAU.
II
A Madame
Madame Boy de la Toui\ chez M. D. Roguin,
à Y Verdun.
iMotiers, 30 Août i762.
Il est donc bien sur, très honorée Dame,
(car un concierge doit parler à sa Dame avec
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU, 7
le respect convenable) que vous ne vous sen-
tiez point incomodée de vôtre chute. Je m'en
rejouis de tout mon cœur, et en vérité il ne
seroit pas juste qu'un voyage qui me laisse tant
de souvenirs agréables vous en laissât de dou-
loureux. Mais qu'est-ce donc, de grâce, que
ces réflexions que vous dites avoir faites sur le
séjour de vôtre maison* ? il faut nécessairement
que quelqu'un vous ait donné des inquiétudes
mal fondées. Je suis charmé d'être chez vous,
vôtre maison m'est très agréable, je ne songe
point à la quiter, et quand il y auroit quelques
entours qui seroient peut être mieux autre-
ment, ce sont des bagatelles auxquelles vous
ne pouvez rien, et il n'y a point de situation
dans la vie où il ne reste quelque chose à
désirer.
J'ai receu ce matin ma malle en assez bon
1. Elle lui a écrit le 23 août : « Depuis vous j'ai fait bien
des réflexions et crains que vous ne voyez pas aussi bien
dans ma maison que je le souhaiterois. De grâce, cher
ami, dites moi si je puis remédier à quelque chose. »
8 LETTRES INÉDITES
état et une lettre de Madame de Luze des
bontés de laquelle je suis comblé. Partout
ailleurs qu'à Neufcliâtel je l'irois voir avec
empressement, mais on s'est dépêché de faire
en cette ville à mon livre sans le connoilre un
accueil qui n'est pas attirant pour l'auteur \ et
1. a Pourquoi n'allois-je point à Neuchàtel? C'est un en-
fantillage qu'il ne faut pas faire.
» Quoique protégé par le Roi de Prusse et par milord ma-
réchal, si j'évitai d'abord la persécution dans mon asile, je
n'évitai pas du moins les murmures du public, des magis-
trats municipaux, des ministres. Après le branle donné
par la France, il n'etoit pas du bon air de ne pas me faire
au moins quelque insulte : on auroit eu peur de paroitre
improuver mes persécuteurs en ne les imitant pas. La
classe de iS'euchàtel, c'est à dire la compagnie des minis-
tres de cette ville, donna le branle, en tentant d'émouvoir
contre moi le conseil d'État.
«Cette tentative n'ayant pas réussi, les ministres s'adres-
sèrent au magistrat municipal, qui fit aussitôt défendre
mon livre, et, me traitant en toute occasion peu honnête-
ment, faisoit comprendre et disoit même que, si j'avois
voulu m'établir dans la ville, on ne m'y auroit pas souf-
fert. Ils remplirent leur Mercure d'inepties, et du plus plat
cafardage, qui, tout en faisant rire les gens sensés, ne lais-
soient pas d'échauffer le peuple et de l'animer contre moi.
Tout cela n'empèchoit pas qu'à les entendre je ne dusse
être très reconnoissant de l'extrême grâce qu'ils me faisoient
DE JEAX-JACQUES ROUSSEAU. 9
je suis médiocrement curieux de connoitre des
gens si pressés d'imiter les sotises de leurs
voisins.
Je me prévaus, très honorée Dame, des offres
obligeantes que vous m'avez faites, et je vous
envoyé ci-joint une robbe et deux bonnets que
je vous supplie de vouloir s'il est possible en-
voyer à Lyon pour être fourrés avant l'hyver.
Je voudrois pour la robbe quelque fourrure
fort commune, souhailtant seulement qu'on
melte à la bordure aux fentes et aux poches
quelques filets un peu honnêtes, comme fausse
de me laisser vivre à Motiers, où ils n'avaient aucune auto-
rité ; ils m'auroient volontiers mesuré l'air à la pinte, à con-
dition que je l'eusse payé bien cher. Ils vouloient que je
leur fusse obligé de la protection que le roi m'accordoit
malgré eux, et qu'ils travailloient sans relâche à m'ôter.
Enfin, n'y pouvant réussir, après m'avoir fait tout le tort
qu'ils purent et m'avoir décrié de tout leur pouvoir, ils se
firent un mérite de leur impuissance, en me faisant valoir
la bonté qu'ils avoient de me souffrir dans leur pays. J'au-
rois dû leur rire au nez pour toute réponse. Je fus assez
bête pour me piquer, et j'eus l'ineptie de ne vouloir point
aller à Neuchâtel, résolutions que je tins près de deux ans. »
{Confessions.)
10 LETTRES INÉDITES
martre ou petit gris. Le bonnet de Bouracan
sera fourré comme la bordure de la robe, et
l'autre de quelque autre manière à volonté.
Si cette dépense montoit fort haut il seroit bon
de m'en prévenir avant que de passer outre \
Pardon, nôtre Dame, mais vous l'avez voulu;
je ne crois pas pouvoir vous déplaire en vous
obéissant.
Quoique je n'écrive pas directement au très
bon Papa, je pense que c'est la même chose et
qu'il ne dédaignera pas malgré cela de me don-
ner un mot de ses nouvelles, des vôtres, de
celles de toute la famille, surtout du très cher
Colonel à qui mon cœur addresse mille choses,
de même qu'à tout ce qui Fintéresse et vous
aussi. Bonjour, très honorée Dame, recevez les
devoirs de vôtre dévoué concierge, qui voudroit
bien être à portée de baiser le bas de la robe
de sa Dame et maîtresse et même le falbala de
1. Les fonds de Rousseau étaient déposés chez MM. Boy
de la Tour. C'était une garantie pour les règlements de ses
nombreuses commandes.
Propriété d
LIBRMP^IE CIRi
F. RICH.
80, Rue élu RI
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^^^ SI.
S,
#
Propriété de la
LIBRMRIE CIRCULANTE
r-. p IQHARD l'AC-S[.MlLli d'un KHAGMKNT Uli LETÏBE DE J.-J. IIUUSSEAU.
80, Rue d'J R^°"®' ^°
GENÈVE
Uc^t-li-C» U-'h kU^'-^ ■ y^ i/J'H^ ^^^/j tyôe^t- ^?^_ 3^^^>-«^ y.^, c^^-y '^--<— ^
/!L u^Uoc 9u- . Y^u-^J-vty*y- .f uffi-ot^u-c-t^ 'j/'^-'^ ^ 9-u^^c, ^u^y u^-^ ^_
f^U-yu,^ j^Uf^j te^'-^'^ , M--0:j^.e,^t^^tl^r.
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DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 11
sa grave tante, pourvu que ce ne fut pas au
retour de la promenade du marais.
III
[Fi'anco Pontarlier]
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon,
A Motiers, le 9 S'^''^ 1762.
Votre lettre, Madame, m'a fait d'autant plus
de plaisir que j'attendois avec impatience des
nouvelles de vôtre heureuse arrivée à Lyon;
grâce au Ciel vous y voilà en bonne santé, que
n'en puis-je dire autant de cette aimable Julie
sur l'état de laquelle votre lettre m'inquiète et
m'effraye; j'espère, cependant, que pour se
faire valoir, quelque médecin vous aura mis la
chose au pis% et que cette chère enfant vous
1. Voilà qui nous renseigne sur Topinion ([ue Jean-
Jacques avait des médecins.
12 LETTRES INÉDITES
sera conservée avec moins de risque que n'en
prévoit vôtre sollicitude maternelle. Vous avez
dû laisser ma grand maman à Rolle, mais pour-
quoi rien de la belle dormeuse ; oublie-t-elle si
vite ses anciens amis? Il lui est bien aisé, sans
doute, d'en trouver d'autres, mais non pas qui
l'estiment plus que moi.
A peine êtes-vous arrivée que voilà toutes
mes commissions en train. Soit fait; puisque
vous êtes si bonne, il faut bien un peu en abuser ;
c'est un droit que j'ai usurpé sur toute vôtre
famille et que je ne laisserai pas éteindre avec
vous. Pour la fourrure de la robbe de Boura-
can, je préfererois la façon de martre n" 1 à
7o 1. Mais j'ai peur que cette fausse martre
ne dure pas; c'est pourquoi je ne sais s'il ne
vaudrait pas mieux sacrifier une vingtaine de
livres de plus, et choisir le petit gris n° 2 à
96 1. qui, je crois, seroit plus léger et dure-
roit beaucoup plus. Je vous supplie déjuger de
cela et de faire pour le mieux.
Outre la ceinture que vous avez la bonté de
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU, 13
me faire faire, je serois bien aise d'en avoir une
autre, de ces ceintures rayées dont vous me
parlez. J'ai vu chez Milord Mareschal un Armé-
nien * qui en a de pareilles, et je trouve qu'elles
font fort bien.
Je laisse la garniture des bonnets à vôtre
1 . Peu de temps après mon établissement à Motier-Travers,
ayant toutes les assurances possibles qu'on m'y laisserait
tranquille, je pris l'habit arménien. Ce n'était pas une
idée nouvelle ; elle m'étoit venue diverses fois dans le cours
de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorency, où
le fréquent usage des sondes, me condamnant souvent à
rester dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les
avantages de l'habit long. La commodité d'un tailleur
arménien, qui venait voir un parent qu'il avait à Mont-
morency, me tenta d'en profiter pour prendre ce nouvel
équipage, au risque du qu'en dira-t-on, dont je me souciais
très peu. Cependant, avant d'adopter cette nouvelle parure
je voulus avoir l'avis de Madame de Luxembourg, qui me
conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-
robe arménienne; mais l'orage excité contre moi m'en fit
remettre l'usage à des temps plus tranquilles, et ce ne fut
que quelques mois après que, forcé par de nouvelles attaques
de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans aucun risque,
prendre ce nouvel habillement à Motiers, surtout après
avoir consulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pou-
vais le porter au temple même, sans scandale. [Confes-
sions.)
14 LETTRES INÉDITES
choix ou à celui du foureur, pourvu que les
deux fourures soient jolies, légères, et diffé-
rentes.
La réflexion que vous me faites qu'on ne
saura pas coudre ici la bordure à ma robe de
dessous me fait prendre le parti de me passer
de cette bordure. Une autre année je pourrois
vous envoyer une de ces robes, et si vous aviez
la bonté d'en faire faire une semblable, vous
pourriez en même tems la faire border par le
foureur.
De tous les échantillons de camelots que vous
m'avez envoyés ; je préférerois celui que je vous
renvoyé, laissant pourtant toujours le tout à
vôtre choix. Les devants doivent être doublés
de taffetas ou de fine toile grise. Voilà tout, à
ce que je crois. Je ne serai pas fâché d'avoir cet
envoi le plus tôt qu'il se pourra sans vous
donner trop d'imporlunité : car le froid com-
mence d'être ici fort rude, et nous sommes déjà
entourés de neige. Je vous prie. Madame, de
vouloir bien joindre à vôtre envoi de la soye de
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 15
toutes couleurs pour faire des lacets. Il en faut
presque autant de blanche que de toutes les
autres couleurs ensemble. J'espère que dans
le temps convenable la belle Madelon* ne
dédaignera pas d'en porter un de ma façon.
Car M"^ d'Yvernois qui vient de se marier en
a déterminé l'usage. Ils ne sont destinés qu'aux
Demoiselles de ma connaissance qui se marient ;
à condition qu'elles nourriront leur premier
enfant; sans quoi, point de lacet".
Vous êtes trop bonne, Madame, et trop bien-
i. Fille de madame Boy de la Tour.
2. Une entre autres, appelée Isabelle d'Ivernois, fille du
procureur général de Neuchàtel, me parut assez estimable
pour me lier avec elle d'une amitié particulière dont elle
ne s'est pas mal trouvée par les conseils utiles que je lui
ai donnés, et par les soins que je lui ai rendus dans de s
occasions essentielles; de sorte que maintenant, digne et
vertueuse mère de famille, elle me doit peut-être sa raison,
son mari, sa vie, et son bonheur. De mon côté, je lui dois
des consolations très douces, et surtout durant un bien
triste hiver, où, dans le fort de mes maux et de mes peines,
elle venait passer avec Thérèse et moi de longues soirées
qu'elle savait nous rendre bien courtes par l'agrément de
son esprit, et par les mutuels épancheraents de nos cœurs.
Elle m'appeloit son papa, je l'appelois ma fille, et ces noms
16 LETTRES INÉDITES
faisante de vouloir bien me faire établir une
maison de campagne sm' la montagne, mais
gardez-vous de faire cette dépense pour moi
qui suis si peu sur d'en profiter. J'ignore encore
comment je supporterai cet hiver ; mais dussai-
je me bien porter le printems prochain, me
voilà devenu si esclave, si dépendant de toutes
choses, que quelque plaisir que j'aye d'habiter
vôtre maison je ne puis jamais me répondre de
ce que je deviendrai d'une année à l'autre. Bon
jour, ma très bonne et chère amie; soyez per-
suadée que ce titre dont vous m'honorez est un
des plus précieux que je puisse porter, et que
que nous nous donnons encore, ne cesseront point, je l'es-
père, de lui être aussi chers qu'à moi. Pour rendre mes
lacets bons à quelque chose, j'en faisois présent à mes
jeunes amies à leur mariage, à condition qu'elles nour-
riroient leurs enfants. Sa sœur aînée en eut un à ce titre,
et Ta mérité; Isabelle en eut un de même, et ne l'a pas
moins mérité par l'intention; mais elle n'a pas eu le bon-
heur de pouvoir faire sa volonté. En leur envoyant
ces lacets, j'écrivis à l'une et à l'autre des lettres dont
la première a couru le monde; mais tant d"éclat n'alloit
pas à la seconde : l'amitié ne marche pas avec si grand
bruit.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 17
j'ai le cœur fait pour en être digne. Mille
amitiés je vous supplie à toute vôtre aimable
famille. J'ai un vrai désir de faire connaissance
avec Messieurs vos ûh\
ROUSSEAU.
IV
A Madame
Madame Boy delà Tour, née Rogiàn, à Lyon.
A Motiers, le 6 Q^^-e 1762.
J'ai receu, Madame, en bon état la caisse et
tout son contenu que vous avez eu la bonté d'en-
voyer pour moi à M. Gloriot; j'ai fait remettre
aux Demoiselles Girardieret dTvernois ce qui
étoit pour elles et j'ai vu dans le reste combien
de soins vous avez bien voulu prendre pour
1. Madame Boy de la Tour eut deux fils. L'aîné épousa
mademoiselle Du Pasquier et se retira à Motiers dans la
maison qu'habite aujourd'hui son petit-fils. L'autre mou-
rut â Lyon où il se maria deux fois.
2
Jg LETTRES INÉDITES
moi. La fourure est très belle et chaude, seule-
ment le bonnet assortissant ayant été doublé en
plein s'est trouvé trop étroit pour entrer dans
ma tête, peut-être faudra-t-il ôter le dedans
pour pouvoir le mettre. A l'égard du bonnet
d'Eté, m'étant interdit de porter toute dorure
je ne sais pas trop comment faire; car je vois
bien que ce qui vous a porté à en faire mettre,
c'étoit afin qu'il n'eut pas l'air d'un bonnet de
nuit. Aussi ces sortes de bonnets été et liyver ne
se portent jamais sans fourrure. Nous verrons
dans la saison s'il faudra me résoudre à porter
du doT\ Je dois vous dire aussi que la soye qui
sert à faire des lacets n'est pas de la soye plate
mais de la soye filée, de la soye à coudre. Ainsi
puisque vous avez réservé qu'on la rendroit si
elle ne convenoit pas, j'attendrai ou je cher-
cherai la première occasion pour vous la ren-
voyer vous priant de la faire échanger contre
1. Il porte une jaquette à grand basques plissée
Avec du dor dessus.
{Misanthrope II. vi.)
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 19
de la soye torse. Ces observations sont des
bagatelles, le tout en général me paroi t par-
faitement bien et je ne puis trop vous en réitérer
mes remerciemens. La caisse que vous avez
aussi la bonté de m'envoyer par les Rosselets
n'est pas encore arrivée; je suppose que vous
aurez eu la bonté, Madame, d'y joindre le mé-
moire de vos déboursés ; si vous ne l'avez pas
fait, je vous supplie de vouloir bien prendre
la peine de me l'envoyer au plutôt avec une
indication de la manière dont je puis vous faire
tenir cet argent.
Vous voulez donc absolument que j'aye un
appartement sur vôtre montagne, et moi je vous
réitère que si vous faisiez pour moi cette dé-
pense vous feriez une chose très peu raisonnable,
puisqu'il n'est rien moins que sur que je puisse
en profiter. Du reste le séjour m'en plairoit si
fort, que s'il y avoit de l'eau et une cave, et que
je fusse le maitre de choisir mon habitation je
n'en prendrois point d'autre que celle-là; car
après avoir bien pesé tous les inconvéniens, je
20 LETTRES INÉDITES
trouve au fond qu'ils seroient pour moi de vrais
avantages ; mais qui peut répondre de soi pour
un an ? Je ne répondrois pas de moi pour un
jour.
Je suis dans la joie de mon cœur du rétablis-
sement de la chère Tante. Oh que je suis content
quand tout va bien chez mes amis; c'est tout
le bonheur de ma vie. Je dois une réponse à
l'aimable Madelon ; mais elle a beau me dire des
choses flatteuses; en amitié je ne lui dois rien ;
je suis en avance avec elle, et même j'y serai
toujours. Elle a beau dire et vous aussi, j'aspire
à lui faire un lacet, quoique je sache bien qu'un
parti convenable et digne d'elle n'est pas facile-
à trouver. Mais s'il est un choix qui puisse la
rendre heureuse, elle a une Maman dont l'affec-
tion et le discernement ne s'y tromperont pas,
et un ami qui feroit son bonheur d'en èlre
témoin. Bon jour, Madame, j'ai cent mille
choses à vous dire; mais il faut toujours écrire
à la hâte et quand j'ai rempli trois pages, à
peine ai-je commencé.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 21
Recevez les très humbles remercimens et
les respects de M'" le Vasseur K
V
A Môtiers, le 23 O"" 1762.
J'ai receu, Madame, presque en même tems
1. Thérèse était demeurée à Montmorency après la fuite
précipitée de Jean-Jacques (Cf. Préface, p. xxsvni et s.).
<( Elle avoitpourmoi le même attachementpar devoir, mais
elle n'en avoit plus par amour. Cela jetoit nécessairement
moins d'agrément dans notre commerce, et j'imaginai
que, sûre de la continuation de mes soins, oii qu'elle
pût être, elle aimeroit mieux rester à Paris que d'errer
avec moi. Cependant elle avoit marqué tant de douleur à
notre séparation, elle avoit exigé de moi des promesses si
positives de nous rejoindre, elle en exprimait si vivement
le désir depuis mon départ, tant à M. le prince de Conti
qu'à M. de Luxembourg, que, loin d'avoir le courage de
lui parler de séparation, j'eus à peine celui d'y penser
moi-même ; et, après avoir senti dans mon cœur combien
il m'étoit impossible de me passer d'elle, je ne songeai
plus qu'à la rappeler incessamment. Je lui écrivis donc de
partir; elle vint. A peine y avoit-il deux mois que je l'avois
quittée; mais c'était depuis tant d'années, notre première
séparation. Nous l'avions sentie bien cruellement l'un et
l'autre. Quel saisissement en nous embrassant! 0 que les
larmes de tendresse et de joie sont douces! »
22 LETTRES INÉDITE s
voire second envoi par les Rosselets, et la lellre
dont vous m'avez honoré le 16 de ce mois. Je
suis frapé du bon marché de mes empiètes, et
je me plaindrois presque du trop à cet égard,
comme vous l'avez prévu j'avois une ceinture à
lîloche semblable à celle que vous m'avez en-
voyée; mais ce que j'aurois souhaité étoit d'en
avoir une autre de très belle soye avec de belles
franges, qui fut plus parante que celles-là. J'es-
père que vous concevez bien que cette parure
n'est pas pour satisfaire mon goût; mais ne
voulant plus quiter l'habit que j'ai pris ni chez
Mylord Mareschal, ni même à l'Église, il faut
accoutumer les yeux à ne pas le prendre pour
un habit négligé; et pour qu'on ne m'accuse
pas d'aller au temple en robbe de chambre, il
faut chercher adonner à mon vêtement de la dé-
cence et même de la noblesse,' surtout dans les
premiers tems; après quoi je pourrai reprendre
sans inconvénient une façon plus simple. Tout
le reste des fournitures est excellent et beau, je
vous en réitère, Madame tous mesremerciemens.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 23
J'ai remisa M. Girardier le montant du petit
mémoire que vous m'avez envoyé. Si je n'en ai
pas déduit les menues dépenses que j'ai faites
dans votre maison, c'est qu'il est plus convena-
ble, puisque vous le voulez absolument, qu'elles
se déduisent sur le loyer. Cependant je pren-
drai la liberté de vous réprésenter qui! y a de
ces dépenses qui vous sont parfaitement inutiles
comme par exemple, la boiserie dont j'ai fait
garnir la petite chambre de derrière que j'ai
prise pour moi. Après cette représentation,
j'en passerai par tout ce qui vous plaira lorsque
nous parlerons du petit loyer. Je veux laisser
agir vôtre générosité autant qu'il est raisonna-
ble, pour vous marquer combien mon cœur se
prête sans peine à vous être obligé à tous
égards.
Madame ni ^f" Girardier ne viennent plus
ici : Ainsi soyez tranquille à cet égard. Elle
m'ont rendu mille services depuis mon arrivée
ici et il y auroit de l'ingratitude à m'en plain-
dre. Cependant, je vous avouerai que de vos
24 LETTRES INÉDITES
deux familles je donne de beaucoup la préfé-
rence à celle d'Yverdun sur ce qui m'est connu
de l'autre. Je vous prie que nous en restions-là
sur ce point.
J'ai prié en arrivant ici qu'on ôtât de la mai-
son tout ce qui n'étoit pas à vous, et même dans
ce qui vous appartenoit ce qui m'étoit inutile.
Cependant il n'y a pas longtems, que dinant
chez moi des Genevois, M"" Girardier me dit que
le lit de la chambre tapissée appartenoit à sa
femme. Je vous prie, Madame, de me marquer
ce qu'il en est, et ce que je dois faire : car je ne
veux rien garder ici qui soit à eux, d'ailleurs
je n'ai pas besoin de trois lits : Mais mes meu-
bles ayant été vendus à Montmorenci,jemesers
des vôtres sans scrupule, sachant que vous me
les prêtez avec plaisir; et je puis vous assurer
qu'ils ne se gâtent pas dans mes mains. Sur le
tour que prennent ici les choses je suis fâché
de n'avoir pas fait en arrivant un inventaire,
et peut-être vaut-il mieux lard que jamais.
La soye plate vous sera reportée par les Ros-
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 25
selets, ainsi que vous me l'avez permis, si vous
la pouvez échanger contre d'autre, vous me
ferez plaisir. Voudriez-vous bien me faire ache-
ter en même tems deux ou trois lacets pour ma
gouvernante, et s'il paraît déjà des almanacs
de poche y en joindre aussi un ou deux. J'au-
rois besoin aussi d'un petit pacquet de doux
d'épingles pour attacher des estampes enca-
drées, car on ne trouve rien ici. Mille pardons;
mais puisque voila un second petit envoi à faire
autant vaut y joindre les petites niaiseries dont
j'ai besoin; comme par exemple un paquet de
curedenls, et ce qui vous fera rire, même de
bon amadou, s'il y en a à Lyon, car ici il ne
vaut rien du tout et cela désespère un homme
qui a souvent besoin de battre le fusil pendant
la nuit. Voilà un nouveau compte ouvert, voilà
de nouveaux embarras. Il faut avouer que vous
êtes bien bonne et que je suis bien indiscret.
Ce n'est pourtant pas tout encore. Car voici
une lettre que je suppose que vous êtes à portée
de faire parvenir à son addresse; c'est une ré-
26 LE TTRE
ponse que je ne saurois pas trop comment
envoyer sans vous. S'il faut quelques alîrancliis-
semens, n'oubliez pas, s'il vous plaii, Tarticle
sur ma nolle. Enfin, vous m'avez envoyé un
livre de M. l'Abbé Morellet^ Cela suppose, Ma-
dame, que vous ou quelqu'un de vos Messieurs
le connaissez. En ce cas, je vous supplie de lui
faire passer par la première occasion mes
remerciemens et mes amiliés.
Quatre pages de misères, sans vous parler
de vous ni de moi ! En vérité, je pourrois dire
que je ne cesse de penser à vous que pour vous
écrire. Car je ne suis environné que d'objels
qui me rappellent vôtre amilié et vos bontés.
Vôtre épinetle m'est une grande ressource dans
une saison qui ne me permet plus de sortir. La
nuit je suis éclairé par vos lumières, le jour je
suis bien fourré par vos soins, enfin vous me
tenez le corps et le cœur chaud et c'est main-
•1. Sans doute le Manuel des Inquisiteurs (1762). Deux ans
auparavani, Jean-Jacques Tavait fait sortir de la Bastille
par l'entremise de madame de Luxembourg.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 27
tenant sur du papier qui me vient de vous que
je vous parle ; si je vous oubliais un moment, il
faudrait que je fusse non seulement le plus
ingrat mais le plus stupide des hommes. Oui
avec plaisir je mo transporterois en idée auprès
de vous au milieu de votre aimable famille, si la
maladie de cette chère Julie ne venoit attrister
ce tableau. Donnez-moi des nouvelles de cette
charmante enfant, je vous supplie; je ne serai
tranquille que quand vous le serez.
Mille remercimens et humbles respects de
M"" le Yasseur.
VI
A Motiers, 17 X'"'<= 1762.
Je profite, Madame, du départ du domes-
tique de M. le Professeur pour vous donner
un petit bon jour et vous accuser la ré-
ception des Marons que vous avez eu la
bonté de m'envoyer, et qui sont aussi beaux
28 LETTRES INÉDITES
que bons, quoi que vous en puissiez dire. Parmi
les choses qui y étaient jointes je n'ai point
trouvé la soye échangée, ce qui me fait juger,
ou que vous ne l'aviez pas encore receue, ou
qu'on a pas voulu l'échanger ; surquoi je vous
dirai que cela ne me paroit plus nécessaire
depuis que j'ai vu les lacets que vous m'avez
envoyés pour M^'' le Vasseur, et si vous voulez
me renvoyer la même soye je tâcherai de
l'employer platte, voyant qu'elle fait des
lacets plus beaux. J'ai honte de vous acca-
bler sans cesse de mes commissions, cepen-
dant il est sur que si vous pouviez m'envoyer
une paire ou deux de ces souliers de paille
qu'on porte à Lyon dans les magazins et que le
domestique put s'en charger à son retour, vous
rendriez service à mes pauvres pieds qui souf-
frent du froid sous ma table malgré le poile.
Voici encore une Lettre que je vous supplie
de vouloir bien faire remettre à son addresse
en avertissant M. Bruisset que s'il y a réponse,
il peut me l'envoyer par la même occasion.
DE JEA.N-JACQL'ES ROUSSEAU. 29
Je me mets à vos pieds, ma très bonne amie,
pour vous réitérer mes excuses avec mes re-
merciemens, mais soyez persuadée que quelque
indiscret que je puisse être je sais que vôtre
bonté passe encore, et ma reconnoissance aussi .
Bon jour la belle dormeuse, bon jour la belle
sauteuse, bon jour toute l'aimable famille, et
bon jour pour l'adorable Maman.
ROUSSEAU.
YII
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Rogidn, à Lyon.
A Motiers, le 27 janv 1763.
Si mes remerciemens. Madame, marcboient
aussi rapidement que vos dons, nous aurions
tous deux trop d'affaires, et il est bon que je
tempère un peu sur ce point par ma négligence
30 LETTRES INÉDITES
v{Mre trop grande activilé. Tout de bon, si je
ne connoissois pas vôtre excellent cœur, je croi-
rois que mes commissions vous sont impor-
tunes, et que vous cherchez à me le faire sentir
à voire manière, par les présents dont vous
les accompagnez; mais comme je connois trop
vôtre amitié pour moi pour avoir cette crainte,
j'espère aussi que vous rendez trop de justice
à mes senlimens pour en juger par le défaut
d'exactitude que je mets quelquefois à mes
lettres et à mes remerciemens. La reconnois-
sance et l'attachement ne me coûteront jamais
rien pour vous; mais quelquefois une lettre me
coûte, surtout dans mon état et dans cette
saison. Compatissez à mes défauts et à ma
situation, Madame, et croyez que si je passe
des mois sans vous écrire, en revanche il y a
bien peu d'heures dans lesquelles je ne pense
à vous.
J'ai receu tout ce que vous avez eu la bonté
de m'envoyer par le domestique de M. de
Monlmolin, mais quoique selon vos ordres je
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 31
n'aye point parlé de vos présens je ne doute
pas que l'on ne sache à mon voisinage que
vous m'avez envoyé des Marons, car les Rosse-
lels l'ont dit à tout le monde, et cela s'est
pu savoir aussi par les gens qu'ils avoient
chargé du paquet. A propos de M. de Mont-
molin sa pauvre M"' Lisette est très mal depuis
assez longtems, et je crains Lien qu'on ne
parvienne pas à la tirer d'affaire. Si nous la
perdons, je regretterai beaucoup celle bonne
ei aimalile fdle, car sans avoir l'esprit aussi
formé que Mademoiselle Madelon, elle me
paroit avoir sa douceur et son bon caractère
et j'aime tout ce qui lui ressemble.
Voici à propos de vôtre aimable fille un
article de la dernière lettre de bon Papa : il
me charge, lorsque je vous écrirai, de vous
demander quand elle nous fera danser. Le
pauvre Collonel^ ajoûte-t-il, s'ennuye très fort de
n'avoir point de Dame pour faire les honneurs de
sa maison où il a presque tous les jours du monde
à dîner. Je vous transcris son article sans y
32 LETTRES INÉDITES
ajouter rien du mien. Faites-moi je vous prie
une réponse que je puisse de même lui trans-
crire, et si vous avez quelque chose là-dessus à
me dire pour moi seul avertissez-m'en. Il est
certain que je prens Fintérest le plus tendre à
M. le Collonel, mais je n'en prends pas moins à
l'aimable Madelon ; on ne peut égaler à l'estime
que j'ai pour lui que celle que j'ai pour elle \
Je vois en lui tout ce qui peut rendre une
1. Cette dernière éloit destinée par M. Roguin au colonel,
son neveu, déjà d'un certain âge, et qui me témoignoit
aussi la plus grande affection; mais, quoique l'oncle fût
passionné pour ce mariage, que le neveu le désirât fort
aussi, et que je prisse un intérêt bien vif à la satisfaction
de l'un et de l'autre, la grande disproportion d'âge, et
l'extrême répugnance de lajeune personne, me firent con-
courir, avec la mère, à détourner ce mariage, qui ne se fit
point. Le colonel épousa depuis mademoiselle Dillan, sa
parente, d'un caractère et d'une beauté bien selon mon
cœur, et qui l'a rendu le plus heureux des maris et des
pères. Malgré cela, M. Roguin n'a pu oublier que j'aie, en
cette occasion, contrarié ses désirs. Je m'en suis consolé
par la certitude d'avoir rempli, tant envers lui qu'envers
sa famille, le devoir de la plus sainte amitié, qui n'est pas
de se rendre toujours agréable, mais de conseiller toujours
pour le mieux.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 33
femme heureuse; que n'a-t-il pu la rendre
heureuse vingt ans plustôt !
Je n'ai plus de communication avec la mai-
son contigue^ et je vous avoue que je ne m'en
trouve pas plus mal. On y est fort occupé à
cause du départ de mon autre voisin et votre
ancien associé. Il va chercher à Paris le bon-
heur qu'il n'a pu trouver à Motiers, je souhaite
qu'il l'y trouve. Il est bien difficile de le ren-
contrer nulle part, quand on ne le porte pas avec
soi. Pour moi, comme nous ne nous sommes
point vus durand son séjour ici, je ne pers rien
du tout à son départ. Son séjour ici ne m'étoit
ni importun ni agréable; il m'étoit indifférent.
On a voulu me faire entendre qu'il s'étoit raco-
modé avec vous; j'en ai douté puisque vous ne
m'en avez rien dit.
Si vous vouliez bien m'envoyer la petite noie
des déboursés que vous avez faits pour mon
compte en dernier lieu, vous me feriez plaisir,
1. Les Girardier.
34 LETTRES INÉDITES
et de me marquer en même tems à qui j'en
puis remettre le montant soit, ici soit à Neuf-
chatel ou à Verdun. Je crains que ces baga-
telles ne s'oublient. Vers la fin de l'année je
pourrai avoir besoin de quinze cent francs, je
vous prie de vouloir bien en prévenir ces
Messieurs ^ Bon jour, ma très bonne et très
chère amie, recevez les respects de iVr^' le
Vasseur, et d'un homme qui vous est attaché
par des liens que la mort même aura peine à
rompre.
ROUSSEAU.
VIII
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Môtiers, le 6 Fév. 1763.
Quoique je pense bien, Madame, que les avis
1 . Les fils de madame Boy de la Tour qui géraient la mai-
son d'affaires à Lyon.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 35
ne vous manqueront pas, je crois néanmoins
devoir vous annoncer le decés de M. Girardier,
mort la nuit dernière à dix heures, et, comme
je crois d'une inflammation d'entrailles ; car il
m'a été impossible de l'aller voir, m'étant
trouvé très mal moi-même la nuit qu'il est
tombé malade ; cependant je suis réservé pour
soutîrir encore moi qui ne suis bon à rien, et
Dieu le retire lui, père de famille ; adorons
ses décrets impénétrables. Ce qu'il y a de bien
sur est que quand mon heure arrivera vous
perdrez un véritable ami, et qu'en lui vous ne
perdez rien de pareil tant s'en faut.
Bon jour, Madame.
ROUSSEAU.
Quoique je n'aye pu moi-même aller soigner
le défunt, j'y ai envoyé M'^" le Vasseur, et c'est
elle qui lui a rendu les derniers devoirs. Je ne
puis vous en dire davantage.
36 LETTRES INEDITES
IX
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Rogu'm, à Lyon,
A iMôtiers, le 2 Mars 1763.
Je profite, Madame, du départ de M. Girar-
dier^ pour vous donner un petit bonjour que
je voudrois bien pouvoir vous porter moi-
même. J'ai été fort content d'avoir fait con-
noissance avec le porteur de ma lettre, et il n'a
pas tenu à moi de lui témoigner le cas que je
faisois de lui et de vôtre recommandation;
mais mon triste état m'a empêché de le voir
comme je l'aurois désiré et s'il a peu profité de
ma bonne volonté, j'espère au moins qu'il l'a
reconnue.
Vous ne voulez pas, Madame, m'envoyer la
note de vos débourses, cela m'empêchera de
vous constituer en d'autres fraix jusqu'à la
1 . Parent du dél'unt.
DE JEAX-JACnUES ROUSSEAU. 'M
restitution de ceux-là. Les petites répara-
tions que j'ai faites dans vôtre maison sont
pour ma comodité particulière; mais si vous
voulez absolument qu'elles soient sur vôtre
compte, souffrez au moins qu'elles se dédui-
sent sur le loyer de la maison et non pas sur
les déboursés que vous faites journellement
pour mon compte ; car c'est à quoi je ne sau-
rais consentir parce que cela n'est point juste.
De grâce, envoyez-moi donc la note que je
vous demande si vous ne voulez pas que je
croye que mes comissions vous ont importu-
née.
Votre dernière lettre, Madame, n'étoit point
dattée ; c'est une précaution qu'il importe de
ne plus omettre, de même que quelques autres
dont vous devez être déjà prévenue.
Vous savez que ce pays ne produit rien du
tout que des langues. Aggréez-en quatre des
moins mauvaises, et dont M" Girardier veut
bien se charger.
Mille salutations. Madame, à toute vôtre
38 LETTRES INÉDITES
aimable famille, et recevez les assurances de
tout mon respect et mon éternel attachement.
ROUSSEAU.
X
A Madame
Madame Boy de la Tour, née ïtogidii, à Lyon.
A Mo tiers le 27 Mars 1763.
J'ai receu, Madame, par le retour de M. B...
avec vôtre obligeante lettre du 19, le billet que
vous y avez joint et qui étoit la chose du monde
la moins nécessaire. Il m'a donné de vous et
de toute vôtre famille de bonnes nouvelles qui
m'ont fort réjoui. Recevez mes remercimens
et ceux de M'" le Vasseur pour les lacets que
vous avez eu la bonté de lui envoyer; mais c'est
dire que vous ne voulez plus de mes commis-
sions que les transformer en présens. Je vous
envoyé pourtant dans le fil ci-joint la mesure
de ma tête je l'ai prise entre les deux nœuds;
je vous prierai de joindre au bonnet une rame
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 39
de papier à lettres pareil à celui que vous
m'avez envoyé ci-devant, et dont c'est ici une
demi-feuille. Comme vôtre mémoire est plus
petit que je n'avais cru, j'altens pour le solder
d'y joindre ces deux articles dont je vous prie
de vouloir bien m'envoyer la note en même
tems, et de me marquer aussi par qui je puis
vous addresser cet argent ou le mettre, soit ici
soit à Neufchâtel ou à Yverdun.
J'ai fait imprimé une Lettre à M. l'Arche-
vesque de Paris %dont je viens de recevoir quel-
ques exemplaires; je voudrais bien, Madame,
vous en faire passer un ; mais je ne sais com-
ment faire. Quoique la brochure soit fort
petite, cela est trop fort pour être envoyé par
la poste, et je ne connois point d'autres voyes
si ce n'est peut-être celle des Rosselets; mais
ils demeurent aux Verrières et n'entendant
jamais parler d'eux, j'ignore absolument le
tems de leur départ.
1. En réponse au mandement lancé par monseigneur de
Beaumont contre VÊmile, le 29 août 1762.
40 LETTRES INÉDITES
Je souhaite bien ardemmeiil, Madame, que
cette lettre vous trouve en meilleur étal qu'elle
ne me quitte. Car j"ai actuellement la fièvre,
mal à la tète, mal à la gorge; mon état est
sensiblement empiré depuis quelques jours;
ce qui m'empêche de pouvoir m'entretenir
avec vous aujourd'hui comme je le souhai-
terois. Je dois vous prévenir que j'ai pris pour
mes lettres des mesures convenables, et qu'on
peut désormais m'écrire directement sans ris-
que. Mille salutations dans vôtre maison,
Madame, je vous supplie, et recevez avec les
miennes les assurances de tout mon respect.
ROUSSEAU.
Quand le papier seroit un peu plus fort que
celui-ci pourvu qu'il fut blanc et fin il n'y au-
roit pas de mal.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU.
41
XI
A Bladame
Madame Boy de la Tour, née Roguin^ à Lyon.
A Motiers, le 7 May 1763.
J'ai receu, Madame, il y a huit jours, par les
Rosselets plusieurs paquets contenant un
bonnet d'été, une rame de papier, un grand
portefeuille, et du camelot cannelle pour une
robbe avec la doublure de toile de coton. N'ayant
point receu de lettre d'avis, je ne suis pas sur
que ce dernier pacquet soit pour moi, ainsi
j'attendrai pour en disposer que je sache s'il
n'est pas pour un autre, le tout étant sans
addresse. En attendant, Madame, recevez de-
rechef les remercimens que j'ai si souvent
occasion de vous addresser, et faites les aussi
pour moi je vous supplie, à M. Girardier^ qui a
eu la bonté de se souvenir bien exactement des
1. Parent de feu Girardier de Motiers. Il était venu à
l'enterrement; à son départ Rousseau l'avait chargé de ces
commissions.
42 LETTRES INÉDITES
articles dont nous n'avions parlé, pour ainsi
dire, qu'à la volée. J'ai vu par un article de sa
dernière lettre à Mademoiselle sa sœur qu'elle
m'a communiqué, qu'il seroit bien aise d'avoir
un exemplaire de ma Lettre à M . de Beaumont ;
ainsi M'" Girardier s'est chargée de lui envoyer
le sien que je remplacerai dans peu de jours
sitôt qu'il m'en sera venu d'autres. Je ne sais
point si vous avez receu celui que je remis à
M. Boy pour vous être envoyé par la poste selon
votre intention, et ce qui me tient en peine sur
le sort de cet exemplaire, c'est qu'il en a été
envoyé plusieurs par la poste à Paris dont aucun
n'a pénétré, ce qui me fait craindre que le vôtre
n'ait eu le même sort. Si cela étoit et que celui
de M. Girardier fut plus heureux, je le prierois
de vouloir vous le remettre, à la charge pour
moi de le remplacer au premier avis.
Vous savez, sans doute, Madame, le départ
de Mylord^ Mareschal mon protecteur, mon
1. «George Keith, maréchal héréditaire d'Ecosse, et frère
du célèbre général Keith, qui vécut glorieusement et
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 43
ami, el le plus digne des hommes parti le
30 du mois dernier à mon très grand regret.
Sa perte est une des plus cruelles que je puisse
faire ; il me laisse sans appui et qui pis est sans
mourut au lit d'honneur, avoit quitté son pays dans sa
jeunesse, et y fut proscrit pour s'être attaché à la maison
Stuart, dont il se dégoûta bientôt, par l'esprit injuste et
tyrannique qu'il y remarqua, et qui en fut toujours le
caractère dominant. Il demeura longtemps en Espagne,
dont le climat lui plaisait beaucoup, et finit par s'attacher,
ainsi que son frère, au Roi de Prusse, qui se connaissoit
en hommes, et les accueillit comme ils le méritoient. Il
fut bien payé de cet accueil par les grands services que lui
rendit le maréchal Keith, et par une chose bien plus pré-
cieuse encore, la sincère amitié de milord maréchal. La
grande âme de ce digne homme, toute républicaine et hère,
ne pouvait se plier que sous le joug de l'amitié ; mais elle
s'y plioit si parfaitement, qu'avec des maximes bien diffé-
rentes il ne vit plus que Frédéric, du moment qu'il lui fut
attaché. Le roi le chargea d'affaires importantes, l'envoya
à Paris, en Espagne, et enfin, le voyant, déjà vieux, avoir
besoin de repos, lui donna pour retraite le gouvernement
de Neuchàtel, avec la délicieuse occupation d'y passer le
reste de sa vie à rendre ce petit peuple heureux. » (Confes-
sions, p. 529.) Jean-Jacques Rousseau et lord Keith se
lièrent d'une grande affection; ils se faisaient visite, chas-
saient ensemble. Lord Keith plaisait à Jean-Jacques par la
communauté de leurs goûts. « J'ai manqué ma vocation,
écrivait le gouverneur de Neuchàtel, je crois qu'elle était
44 LETTRES INÉDITES
ami au milieu de gens très mal intentionnés
plus partisans de l'Archevesque de Paris que
les catholiques, et dont les cœurs sont bien
éloignés de sentir le respect qu'on doit aux
malheureux. Du reste étant ici sous l'immé-
diate protection du Roi j'attends paisiblement
de savoir comment on s'y prendra pour me
chercher querelle, en quoi, si cela n'arrive
pas, on manquera plustot d'occasion que de
volonté. Quelque doux qu'il me soit d'habiter
la maison d'une si digne et si chère amie, je ne
vous cache point que si j'étois en meilleur état
j'irois chercher à vivre parmi des gens qui me
vissent au miheu d'eux avec plus de plaisir*.
Mais dans la vie languissante et valèludinaire
que je mène on ne se déplace que quand on y
d'être Tarlare Kalmouck,mais des plus éloignés des Russes.
Je regrette bien que nous n'ayons pas fait connaissance
il y a douze ans à Paris. Nous aurions peut-être été de-
puis onze années dans quelque jolie retraite. >< (1764.)
1. Voilà les premiers symptômes de brouille avec les
habitants de Motiers : ils ne feront que s'aggraver, jus-
qu'au dénouement tragique.
DE JEAX-JACnUES ROUSSEAU. 45
est forcé. Dans cetle situation je n'aurois pas dû
laisser entreprendre le travail de vôtre mon-
tagne, si vous m'eussiez assuré moins positive-
ment qu'il seroit agréable pour vous-même d'y
avoir un logement. D'ailleurs, la dépense en est
commencée; pour qu'elle ne soit pas perdue il
faut laisser achever. J'attends avec empresse-
ment le moment d'aller m'y établir, bien sur,
Madame, d'habiter avec plus de plaisir vôtre
chalet dans un désert que les Palais des Rois
dans les Villes.
Le compte que vous m'avez envoyé de vos pré-
cédens déboursés étoit peu de chose ; mais avec
les nouveaux articles ce doit être une somme
dont je vous prie de vouloir bien m'envoyer la
note, en m'indiquant à qui je dois la payer.
Donnez-moi des nouvelles de vôtre santé,
de vos plaisirs, de votre chère famille a qui je
vous prie de faire mes salutations, de même
qu'à -M. Girardier. Recevez les respects de
M"' le Vasseur, et ceux d'un homme qui vous
est attaché pour toute sa vie.
40 LETTRES INÉDITES
Je dois vous prévenir que j'ai pris des mesures
avec le Directeur des Postes de Pontarlier
pour que mes lettres me parviennent sous son
enveloppe une fois la semaine qui est le samedi,
et je lui envoyé aussi les miennes une fois la
semaine savoir le lundi, sous enveloppe \ Le
1. Sur le fonctionnement de Ja poste, voir baron A. de
Rothschild, Histoire de la Poste. Voici une lettre qui donnera
une idée des rapports de Jean-Jacques avec la poste de
Motiers :
A Jecquier, commis de la Poste de Motiers.
Motiers, 2 septembre 1765.
Je ne suis pas surpris, Monsieur, qu'un homme de
votre sorte ait Timpudence de me redemander une paille
dont vous eûtes honte de recevoir le payement lorsqu'on
vous l'offrit, vu les fréquentes aumônes de toute espèce
dont je comblais votre famille : mais je suis surpris que
vous ayez oublié Thabit et veste qui vous fut remis pour
votre fils, et qui paye au moins cinquante fois ladite paille.
Lorsqu'il vous plaira de me payer cet habit, nous déduirons
le prix de la paille.
Quant à la gazette dont, par la même raison, vous
receviez ci devant le payement presque malgré vous, je
cesse de la payer, parce que je cesse de la lire, et je cesse
de la lire parce que, non seulement vous ne me l'envoyez
point selon votre devoir, mais que même ni moi, ni per-
sonne de ma part, ne peut approcher de votre maison sans
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 47
tout numérotté et datte. Ainsi les Curieux de
Motiers sont à rouet, et ron ne peut plus ouvrir
aucune de mes lettres ni de France ni pour
France que je ne le sache aussitôt. Ce que
je vous dit. Madame, afin que vous m'é-
criviez désormais en droiture avec toute con-
fiance.
Je reçois à l'instant, Madame, vôtre lettre
du 3 par laquelle je vois que la brochure vous
est bien parvenue: je vois aussi que parmi
les pacquets qui m'ont été remis il y en a un
de Camelot canelle avec la doublure, lequel n'est
pas pour moi, puisque le Mémoire ne monte
en tout qu'à 16 1. Ainsi je ferai avertir demain
les Rosselets de faire retirer ce paquet par
ceux à qui il appartient. Ces 16 1. seront
payées selon votre intention avec les 3 1. 8
du compte précédent à Madame Girardier,
faisant en tout 19 1. 8.
être insulté, ce qui me met hors d'état de plus rien recevoir
■désormais par la poste.
Recevez, monsieur, etc..
48 LETTRES INÉDITES
Je n'ai pas changé mon cachet, mais j'en
ai deux '.
XII
AMotiers le 10 Juin 1763.
Voici, Madame, l'éclaircissement que de-
sire M. Cherb^; il le trouvera au bas du
même papier que vous m'avez envoyé de sa
part.
Ne soyez pas trop en peine, ma très bonne
amie, de mes projets de voyage : rien n'est
encore décidé là dessus, et tout ce qui tient
i. L'un est la devise Vitam impendere vero; l'autre est une
lyre.
2. Syndic des Suisses à Lyon. Madame Boy de la Tour
en parle dans ses lettres comme de son protecteur.
DE JEAN-JACnUES ROUSSEAU. 49
à vous m'est si cher que je ne quitterai
jamais vôtre maison sans regret. Je vous dirai
même que l'air de protecteurs et juges qu'il
plait aux gens du pays de prendre avec moi
me met à mon aise en me dispensant de les
voir : ce que je ne faisoisque par complaisance,
et bien contre mon humeur. Leurs honnêtetés
m'auroient subjugué, leurs impertinences me
dégagent. Je leur ai l'obligation d'être plus
libre qu'auparavant.
Vous savez comment j'ai toujours pensé sur
les vues du Papa relativement à l'aimable
Madelon'. J'aime tendrement M. le Colonel, je
n'oublierai jamais ses bontés. Mais je suis
persuadé que cet arrangement n'étoit bon n'y
pour lui ni pour elle : car de quelque mérite
et de quelques vertus qu'elle soit pourvue elle
eût tout fait sans faire assés, et les convenances
nécessaires ne sauroient manquer d'un coté
sans manquer aussi de l'autre.
i. Voy. plus haut p. 32.
50 LETTRES INÉDITES
On travaille sur la montagne, mais comme
on ne s'est mis en train tout de bon que cette
semaine, je ne sais quand les chambres seront
faites et si je pourrai les habiter cet été. M. le
Consul vôtre frère m'a honoré de sa visitte.
J'ai été fort sensible à cette marque de bonté,
j'ai reconnu en lui le cœur de la famille, et
c'est tout dire. Depuis son passage sur
la montagne l'ouvrage a pris un meilleur
train.
Puisque vous le voulez, Madame, quand on
m'offrira la Cave ; je l'accepterai. Cependant je
vous dirai que si je reste dans le pays je tâche-
rai de m'établir tout à fait à Pierre-nou. La
plus profonde solitude est l'état le plus heureux
pour moi.
Mes salutations je vous supplie à toute l'ai-
mable famille et communauté, recevez les res-
pects de M'" le Vasseur et ceux d'un homme
qui vous est attaché de tout son cœur et pour
toute sa vie.
ROUSSEAU.
DE JEAX-JACQUES ROUSSEAU. 51
S'il arrivoit que vous reçussiez pour moi
quelques lettres, vous voudriez bien, Madame,
en me les faisant parvenir, tenir note des ports
et me les passer en compte. Je crois, à vue de
pays que je n'aurai pas besoin d'argent cette
année.
XIII
Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Motiers, le 14 Aoust 1763.
Pourquoi faut-il, Madame, que mon triste
étal et l'indolence qu'il me donne ou plustot
l'accablement où il me jette contrarient tou-
jours mes goûts? Vous n'auriez sûrement pas
besoin de me prévenir en me demandant de
mes nouvelles et vous auriez assés à faire à me
donner des vôtres aussi souvent que je vous en
demanderois, mais, ma très bonne amie, je ne
vaux plus rien ni pour les autres ni pour moi;
52 LETTRES INÉDITES
je ne suis plus bon qu'à souffrir, me plaindre
et rabâcher; un tel commerce n'est qu'impor-
tun pour les autres, et c'est par discrétion que
je ne le rends pas plus assidu. Je me préparais
à me transplanter à vôtre montagne avec au-
tant de plaisir que vous en avez eu à la faire
accomoder; mais ni mon état présent ne le
permet, ni quand il le permetlroit je ne le pour-
rois faire, vu l'étrange pays où je vis, sans com-
promettre l'honneur de la personne qui prend
soin de moi. Sitôt que j'ai bien connu le na-
turel des gens du lieu je n'ai plus voulu qu'elle
les vit, et cette retraite jointe au projet d'aller
habiter la montagne leur a fait supposer aussi
charitablement que sensément que j'avois des
raisons pour la cacher. Leurs regards curieux,
leurs brutales double ententes, et leurs sotes
chucholeries m'ont bientôt fait deviner de
quoi il s'agissoit; sur quoi j'ai pris le parti de
rester au milieu de Motiers jusqu'à ce qu'il
plaise à la providence de me tirer tout à fait
de manière ou d'autres du miheu de leurs lan-
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 53
gues empoisonnées qui distillent plus de venin
que celles de ious les serpens de Taffrique. Il
semble qu'aucun honnête homme ne peut ap-
procher d'ici que pour y être déshonoré, du
moins autant qu'on peut l'être par de telles gens
qui ne connaissant ni honneur ni vertu pensent
que tout le monde leur ressemble. Je m'épanche
avec vous, Madame, dans la vive indignation
dont je suis pénétré, et je vous avoue que fai-
sant exception de quelques personnes en bien
petit nombre, je regarde Motiers comme le sé-
jour le plus vil et le plus venimeux qu'on puisse
habiter. Vôtre amitié, Madame, le voisinage de
vôtre respectable Oncle m'y ont déjà retenu
treise mois, mon triste état m'y retiendra long-
tems encore ; quand un autre honnête homme y
aura demeuré autant il m'en dira des nouvelles.
Le pauvre Baron de Sautern quoiqu'absent
vient de passer à son tour par l'épreuve \ et
l.Ille méritait. Voy. dans les Confessions tout ce qu'apprit
plus tard Jean Jacques sur son compte, son faux nom, son
faux titre, son dévergondage et ses piètres exploits (H, xii).
54 LETTRES INEDITES
tout autant qu'il en viendra ne la payeront pas
moins cher. Mais j'espère qu'après nous il n'y
aura point d'honnête étranger assés misérable
pour ne pas se tenir averti à nos dépen.
Je ne veux pas trop creuser dans l'avenir,
ma très bonne amie, mais mon état empire
tellement depuis quelque tems qu'il ne seroit
guère étonnant que cet hiver je fusse délivré de
mes souffrances, et en ce cas làjugez de la dou-
leur que j'aurois de laisser ici cette pauvre
fille qui soigne depuis si longtems ma misérable
machine, seule et sans position dans un pays
si éloigné du sien; si nous étions a Yverdun je
serois bien tranquille, mais ici au moment ou
j'aurai les yeux fermés on la dépouillera de
tout. J'ai fait un testament, mais puis-je es-
pérer qu'on y aura le moindre égard? Quelque
défaut de formalité le fera annuler et on ne la
laissera pas même profiter de mes guenilles.
Tel est le train du monde, et les choses n'iront
pas mieux ici qu'ailleurs. J'espère au moins,
Madame, qu'au nom de nôtre ancienne amitié
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 35
VOUS la protégerez en tout ce qui dépendra de
vous, et que vous ne souffrirez pas que ce qui est
dans les mains de Messieurs vos fils passe à
d'autres qu'à elle. En cas d'accident je lui re-
mettrai le billet endossé à son nom ; mais toute
ma confiance est en vous, et je suis très sur
que sachant mes intentions vous ferez, quoi
qu'il arrive, en sorte qu'elles soient exécutées.
J'avais besoin pour être tranquille de vous
prévenir là dessus, et maintenant je le suis
parfaitement.
Je me suis sensiblement obligé de m'épargner
des visittes. Si en tout autre tems elles me sont
importunes, jugés de ce qu'elles sont à pré-
sent pour un homme qui n'est pas un instant
sans souffrir. Bon jour, ma très bonne amie,
vous devez être excédée de mes lamentations,
il est tems de les finir, je tâcherai d'être moins
ennuyeux la première fois. Mille salutations à
toute vôtre aimable famille et souvenez-vous
quelquefois de vôtre ami.
ROUSSEAU.
56 LETTRES INÉDITES
J'oubliois de vous marquer qu'on m'a remis
la Cave et même très promptement, quoique
j'eusse déclaré que rien ne pressoit et que même
je ne pouvois m'en servir qu'à l'entrée de
l'hiver.
XIV
A Madame
Madame Boy de la Toui\ née Roguin^ à Lyon.
A Motier le S^re 1763.
J'ai eu le chagrin, ma très bonne Amie, par
la précipitation du départ de M. Heer de ne
pouvoir lui faire l'accueil que j'aurois désiré;
il n'a tenu cependant qu'à lui de connoilre
combien vôtre recommandation a d'autorité sur
moi. D'ailleurs il m'a paru fort aimable, et ce
qui m'a fait le plus de plaisir dans son entre-
tien c'est qu'il m'a beaucoup parlé de vous et
de vôtre famille ; il m'a chargé en partant de
vous offrir ses respects et ses remerciemens ;
je m'en acquite.
DE JEAN'-JACQUES ROUSSEAU. 57
Vous avez donc su le trait de jeunesse du
Bon Papa. Je ne saurais vous dire quel ravisse-
ment et quelle allarme il me donna en même
tems en le voyant arriver à pied par l'ardeur
du soleil et tout en nage. Grâce au Ciel il a
supporté la fatigue de ce voyage mieux que je
n'aurois fait moi-même. Quand j'ai été le re-
mercier, et c'était bien le moins, je l'ai trouvé
très bien portant, de même que toute vôIre
famille ; mais moi, je n'ai pas grimpé les monts,
j'ai fait le tour K Je n'ai vu M. le Colonel qu'à
souper et jamais seul; ainsi il ne m'a parlé de
rien. Mais son frère m'a parlé de l'affaire man-
quée et même à plusieurs reprises se plaignant
amèrement, et m'assurant que les premières
propositions leur étoient venues de vous '.
Dans cette supposition je devois vous blâmer,
je l'ai fait, avois-je tort? Du reste je leur
pardonne bien de regretter ce qu'ils perdent;
1. D'Yverdon à Motiers, par la montagne, il y a cinq ou
six heures de marche.
2. Il s'agit du mariage projeté.
58 LETTRES INÉDITES
c'est une perte dont je sens qu'on doit difficile-
ment se consoler.
Je voudrois, ma très bonne Amie, vous parler
de moi ; non pas de mes maux pourtant : car
dans quelque état que je sois désormais, le
voyage du bon Papa est une bonne leçon qui
me servira pour la vie ; mais de mes arrange-
mens pour l'avenir. Rien n'est décidé; mon état
ne me permet encore aucune résolution fixe.
Je voudrois êire en Ecosse mais il y a bien loin,
et il y fait bien froid. D'ailleurs j'ai vu les
Chambres de la Montagne, elles sont charman-
tes, je voudrois être vôtre hôte toute ma vie. je
sens un vrai regret à m'éloigner de vous. Tout
cela et d'autres raisons pour et contre me lient
dans un état flotant dont je ne sais pas me tirer.
En attendant la décision j'use de vôtre maison
comme de la mienne, de vos meubles comme
des miens. Il seroit tems,ce me semble, de vous
mettre en régie sur ce point. Entrez de grâce
avec moi dans quelque détail sur Tbabitation
de vôtre maison que j'aurai l'année prochaine
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 59
0 ccupé deux ans, sur l'habitation de la Montagne
en cas que je puisse m'y fixer comme je désire ; si
non pour entrer au moins en compte de la dé-
pense que vous y avez faite. Je serois bien aise
encore de savoir, si je m'y transporte, quels de
vos meubles vous me permettrez d'y transporter
aussi, et cela doit faire encore une considération
de plus pour le loyer. J'ai besoin. Madame, de
compter avec moi-même, et c'est pour cela que
je serois bien aise de prendre d'avance des
arrangemens là dessus.
Autres imporlunités. Voici maintenant de
nouvelles commissions dont je prends la liberté
de vous parler qu'à condition que ces Messieurs
ne s'en occuperont qu'à leur très grand loisir,
car rien au monde ne presse moins.
Premièrement je voudrois une rame de beau
papier à lettres, mais beaucoup plus petit que
celui-ci, et passant seulement la moitié d'un
doigt ou deux : on y joindrait deux ou trois bons
canifs et portefeuille de carton de médiocre
grandeur.
69 LETTRES INÉDITES
Je voudrois quelque petite étoffe très légère
pour un Caffetan d'été. Celui de camelot que
vous avez eu la bonté de me faire faire est un
peu gros et rude, il lime trop le Doliman de
dessous, la doublure des devants est extrême-
ment grosse, et il a été estropié par le tailleur.
Si c'est du camelot je voudrois qu'il fût doux et
fin, et en le prenant gris, on prendroit aussi de
la toile grise, mais très fine pour doubler les
devants. Si c'est quelque autre étoffe légère de
soye ou autre qui ne ronge pas la doublure, on
pourra prendre un petit taffetas pour doubler
les devants. La quantité d'étoffe doit répondre
à peu près à une aune et deux tiers de drap.
Je voudrois faire fourrer encore deux bon-
nets l'un bien léger l'autre moins : mais je vou-
drois de belles fourrures et différentes. Les
bonnets ne doivent point être fourrés en dedans.
Si l'on a gardé ma mesure les bonnets peuvent
cire faits sur les lieux ; le choix de l'étoffe n'y
fait pas grand chose. Sinon j'enverrai les
bonnets tout faits : mais je ne sais ou prendre
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 61
les commissionnaires des Verrières. Je n'entends
jamais parler deux.
Il me faudroit aussi deux ceintures de soye.
L'une légère et pareille à celle que vous m'avez
envoyée, l'autre double, de celles dont vous
m'avez parlé. La couleur à vôtre choix.
Voilà bien des choses, Madame, mais qui ne
sont pas absolument nécessaires et que je puis
même attendre cinq ou six mois sans inconvé-
nient. J'y voudrois bien joindre aussi des pan-
toufles jaunes, mais on me les envoyé toujours
trop grandes ; j'ai le pied extrêmement petit.
Mille pardons et respects premièrement à
vous, Madame, et puis salutations et amitiés à
la belle Madelon et à tout le monde qui vous
appartient.
J'oubliois comme un étourdi de vous remer-
cier du Gaffe ; mais vous ne me marquez point
si comme M. Dastier * me l'avoit promis, il vous
a aussi envoyé la note du prix et des frais et
1. Voir dans les Confessions, 1. XII, Thistoire des relations
de Jean-Jacques avec Dastier.
62 LETTRES INÉDITES
si vous avez eu la bonté de rembourser tout
cela. Il est vrai qu'il y en a quatre livres qui ne
sont pas pour moi, mais le resle a du être payé !
XV
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Rogu'm, à Lyon.
AMotiers, le 19 Q^^-MTôS.
Hier, Madame, j'ai fait remettre aux Rosselets
un bonnet de bouracan sur la mesure duquel
je vous prie de vouloir bien faire faire les deux
autres. De ces trois bonnets j'en voudrois deux
pour l'été savoir celui de bouracan sans four-
rure garni d'un petit galon et d'une houpe d'or
comme l'année dernière, un autre bordé dans
la même largeur de petit-gris ou martre ou
autre jolie fourrure légère; quant au troisième,
je le voudrais de quelque drap léger comme
silesie ou carcassonne doublé de quelque étoffe
DE JEAN'-JACQUES ROUSSEAU. 63
un peu chaude, et fourré aussi, mais non pas en
dedans. Le tout ou gris ou couleur modeste et
surtout point d'écarlatte. Je vous prie aussi de
vouloir bien faire ajouter aux autres articles
deux pièces de padou, l'unebleue et l'autre grise,
quelques lacets de soye jaune pour des botines
de maroquin et enfin un Manchon de femme un
peu joli que je voudrois donner à M"° le Yas-
seur pour ses étrennes. N'oubliez pas aussi,
je vous supplie, d'ajouter à toutes ces com-
missions le Mémoire, afin que je compte ave c
moi, ne pouvant compter avec vous, à qui je
dois tant de choses sans pouvoir m'acquitter
en rien.
Je vous dirai là dessus qu'après toutes les
dépenses que vous avez faites pour moi le loyer
de dix écus par moi n'est pas même proposable
Ce seroit de ma part une ingratitude mons -
trueuse de croire ainsi m'acquitter avec vous,
et j'aimerois encore mieux vous être tout fran-
chement redevable du tout et recevoir de vous
l'hospitalité pleine et entière que de paroitre
C4 LETTRES TNÉDITES
payer mon loyer tandis qu'en effet je le paye-
rois si mal. J'use vos meubles, j'ôte à d'autres
l'usage de vôtre maison, je vous ai constitué en
dépense à la montagne. Si tout cela n'enlroit
pas en ligne de compte, il vaudroit mieux
encore ne point compter du tout, et que les
obligations que je vous ai fussent authenliques
au gré de ma reconnaissance si donc il est vrai
que je ne sois pas de trop dans vôtre maison,
faites moi de grâce un parli plus acceptable.
Mon état me permet moins que jamais de me
décider sur rien. S'il n'est pas meilleur au Prin-
tems je ne puis songer à de longs voyages. En
ce cas mon arrangement est, sauf vôtre bon
plaisir, d'aller faire un essai du séjour de la
montagne, et si je vois qu'il me soit possible de
m'y établir tout de bon, je le ferai . Il y auroit de
l'imprudence à faire tout d'un coup cette
transplantation sans s'assurer de pouvoir lever
les difficultés qui s'y trouvent. Si cela ne se
peut je continuerai d'occuper votre maison tant
qu'elle ne vous sera pas nécessaire désirant
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 65
pourtant de savoir si trouvant dans le pays ou
au voisinage quelque autre séjour plus conve-
nable que celui de Môtiers dont l'air ne me con-
vient pas, vous désaprouveriez que je cherchasse
à m'y établir; car quoi qu'il put se présenter,
soyez bien persuadée, ma très bonne amie, que
de mes jours je ne veux entendre parler de
faire chose au monde qui vous déplaise en quoi
que ce puisse être.
Je vous prie de dire à Messieurs vos fils que
le désir de faire connoissance entre nous est
bien de ma part réciproque, puis-je être indif-
férent pour rien de ce qui vous appartient? Je
souhaite de tout mon cœur que leurs affaires
leur permettent de venir soit ensemble soit sépa-
rément prendre possesion de leur demeure.
Quoique vous ne vouliez pas que je sois vôtre
Concierge; c'est une fonction que je remplirai
avec joye soit envers vous soit envers toute
vôtre famille, si jamais j'ai le bonheur d'être
dans le cas. Mille salutations, je vous supplie, à
tous ces chers Enfans si dignes de vôtre attache-
CG LETTRES INÉDITES
ment et parla si surs de tout le mien. J'ai appris
que M' Girardier a 6lé malade, je vous prie de
lui dire que je me réjouis de son rétablissement.
Recevez les respects de M''* le Vasseuretceux
d'un ami qui vous est attaché comme il le doit;
c'est tout dire.
ROUSSEAU.
Je ne sais pourquoi vos lettres ne me viennent
jamais en droiture; c'est peut-être parce que le
mot de Pontarlier n'est pas tout au bas. Il faut
que l'addresse se termine de cette manière:
A MÔTiERs Travers
par PONTARLIER.
Point de Manchon, s'il vousplait, j'en trouve
un ici par occasion, mais je vous prie d'ajouter
à la place un bonnet de nuit de laine fine pour
moi, et des plus grands, parce que j'ai la tête
grosse.
On aurait besoin d'une demie livre de laine
conforme à peu près à l'échantillon. Si cela se
°^f Rue dii RUA
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t ^.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 67
trouve aisément, à la bonne heure, sinon l'on
s'en passera.
XVI
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Rogu'm, à Lyon.
AMotiers, le 18 X»»" 1763.
Je receus avant-hier, ma très bonne amie, la
caisse que vous m'annonciez par vôtre lettre
du 2. Mais je n'ai point receu le petit pacquet à
part contenant le padou et les lacets; je crains
qu'il ne soil perdu, car les Rosselets sont d'une
négligence inconcevable, et de quelque manière
que je m'y prenne il m'est impossible de les
voir ni à leur départ ni à leur arrivée ni même
d'en savoir le tems. Il faut que vous ayez la bonté
de ne leur plus confier pour moi de petits pac-
quets ; mais d'attendre que le volume soit assés
considérable pour ne pouvoir pas être oublié.
Le fuseau sur lequel étoit de la soye ne vient
G8 LETTRES INÉDITES
point do moi, il s'est trouvé mêlé par hazard
dans le pacquet du bonnet. Il vient des gens de
la poste qui avoient prié les Rosselets de leur
achetter de la soye semblable : comme ce sont
de fort bonnes gens, je me suis chargé pour
eux de cette commission espérant que parmi
tant d'importunités vous me pardonnerez bien
cette liberté de plus. Voici encore un autre
échantillon de soye aussi pour eux. Ils souhait-
tent d'avoir une demie Livre de soie en tout,
moitié d'une, moitié d'autre, qui soit blanche
et luisante le plus qu'il se pourra, surtout la
grosse. Vous pourrez joindre cette bagatelle à
l'envoi des bonnets, ceintures, étoffes pour
robbe d'été, etc., et M'" le Vasseur qui vous
prie d'aggréer son respect a besoin aussi de
deux fers à repasser que je vous prie d'y joindre
aussi enveloppés de manière qu'ils ne coupent
pas l'étoffe à cause de leur pesanteur. A l'égard
du Padou et des lacets jaunes, j'espère qu'ils se
retrouveront sans quoi je vous prierois de vou-
loir bien m'en faire une nouvelle emplette.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 69
Puisque vous voulez que sous prétexte de
payer le loyer de vôtre maison, je l'occupe pres-
que gratuitement, soit fait selon vôtre volonté.
Ce seront donc seulement 40 francs dont je vous
serai présentement débiteur outre le montant
des dernières commissions. J'ai pensé, Madame,
que pour éviter de continuels envois et renvois
d'argent vous pourriez toujours retirer à compte
le produit de l'année échue des mille écus dont
Messieurs vos fils ont bien voulu se charger, et
si comme je le présume, ces cinquante écus ne
suffisent pas, vous tireriez sur moi le surplus.
Voyez, ma très bonne Amie, si cet arrangement
vous convient ou si vous en aimez mieux un
autre, car, pour moi, cela m'est de la plus par-
faite égalité.
J'ai toujours oublié de vous répondre sur ce
que vous me marquiez que M. l'Abbé Pernetti
vous disoit avoir vu sous presse un nouvel écrit
de ma façon; j'espère que vous et lui êtes bien
convaincus maintenant qu'il s'est trompé. Il est
vrai qu'on imprime à Paris un recueil de mes
70 LETTRES INÉDITES
ouvrages, mais ce recueil s'est entrepris sans
mon aveu. Il est vrai aussi qu'on vient de publier
à Paris sous mon nom une misérable guenille
que tout le monde a connu d'abord n'être pas
de moi. Une fois pour touttes, quand on vous
dira que quelque ouvrage de moi sort de la presse,
et que je ne vous en aurai rien dit, comptez que
cela n'est pas vrai. Si jamais j'ai le malheur de
me faire encore imprimer, vous ne l'apprendrez
pas des autres, c'est vous qui le leur apprendrez.
L'hyver me tue, ma chère amie, je suis depuis
deux mois dans le plus triste état ; toutefois je
ne renonce point à l'espoir d'aller essayer cet
été du séjour de lamontagne. Puisque je ne vous
incomode pas dans vôtre maison, je ne songe
point à la quitter, et soyez persuadée quoiqu'il
arrive, que je n'en sortirai jamais qu'à regret.
Mille amitiés à la chère famille et respects à la
bonne maman.
ROUSSEAU.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 71
Mémoire.
Ayant pris quelques instructions sur les four-
rures, on m'a dit que les plus belles étoient aussi
les plus durables; et qu'on les pouvoit trans-
porter successivement à grand nombre d'habits
sans que le poil se détachât. Ainsi j'aime mieux
mettre quelque argent de plus et avoir une fou-
rure après laquelle je n'en aye plus dans la
suite à acheter. Je souhaite surtout qu'il n'y ait
aucun défaut ni au bout des manches, qui se
retroussent, ni sur les bonnets.
Indépendamment de la robbe de bouracan.
je voudrois savoir ce que me coûteroit la gar-
niture d'une autre robbe, non fourrée en plein,
mais bordée seulement de filets noirs, soit de
martre, soit de lapin, soit de quelque autre
fourrure noire, et si l'on ne pourroit pas m'en-
voyer ces filets, mesurés sur le tour de la robbe
de bouracan, pour en faire ici border, une autre,
sans avoir besoin de l'envoyer là-bas.
Ne pourrait-on pas trouver un tailleur entendu
72 LETTRES INÉDITES
qui sur la coupe de la lobbe de bouracan put
en tailler une autre de camelot ou de quelque
autre étoffe de soye ou autre légère pour les
chaleurs, et qui sut entrelailler les pièces, de
manière à ne point dépenser d'étoffe plus que
n'en a dépensé le tailleur Arménien. En ce cas
ledit tailleur pourroit garder avec soin le patron
pour me faire au besoin tous mes dolimans ou
robbes de dessus. Quant à la couleur, le gris
seroit à préférer; mais je n'en excluds aucune
que les couleurs vives que le soleil mange. Il
faut aller au bon marché et à ce qui se coupe
le moins sans avoir égard à ce qui est à la mode.
Il y a même des rebuts de magazin qui sont
piqués : cela est excellent pour moi.
Jai deuxceintures,ilm'en faut encore autant.
Ne pourroit-on pas trouver quelque ceinture
de soye tissue à rézeau comme les filets de
pêcheur. Ce sont les plus belles et d'un meilleur
usage. Audéffaut de celles-là, on acheteroit quel-
que étoffe de soye qui soit le moins sujette à se
couper et qui ait un peu de consistance comme
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 73
par exemple, pou de soye ou autre semblable
au défaut de quoi l'on pourroit prendre un
croisé ou serge de soye, quoiqu'un peu trop
mince pour ceinture. Chaque ceinture doit avoir
deux aulnes et demie de long et comme on les
plisse en écharpes, il faut leur laisser toute la
largeur de l'étoffe ; aux deux bouts de chaque
•ceinture on atiache une frange large de quatre
doigts, et il manque aussi à chaque bonnet une
houpe de la même couleur.
XYII
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Roqiàn^ à Lyon.
A Motiers, !e 19 Fév^'' 1764.
J'apprends, ma très bonne Amie, par M. Boy
■de la Tour, vôtre associé que vous jouissez d'une
parfaite santé ainsi que toute vôtre aimable
famille à qui je vous prie de faire mes saluta-
tions. Il ne m'a pas moins rejoui par tout ce
74 LETTRES INÉDITES
qu'il m'a dit de vôtre amitié pour moi, dont à
la vérité, vous me donnez tous les jours mille
preuves, mais on n'a jamais trop d'assurances
d'un bien qu'on tient aussi précieux. M. Boy
m'a remis avec vôtre lettre le billet dont il
s'était chargé et je lui ai remis selon vos
ordres celui que j'avois auparavant. Vous avez
oublié de compter dans le petit Mémoire les
40 £ de l'année courante ainsi que je vous en
avais prié; ce seront donc 40 £ à déduire
à la fin du terme sur la somme portée dans
la promesse.
J'ai receu aussi tous les envois bien condi-
tionnés; vous avez autant d'exactitude que moi
d'importunité; c'est tout dire. Il est temps de
laisser un peu reposer : Cependant pour qu'il ne
soit pas dit que vous soyez jamais quite de
moi, je vous préviens qu'à la fin de l'Eté la
caisse de chandelles que vous eûtes la bonté de
m'envoyer l'hiver dernier sera finie. Ainsi quand
en faisant vos emplettes vous pourrez m'en
pourvoir d'une autre pareille, je vous serai fort
DE JEA.N-JACQL'ES ROLSSEAU. 75
obligé. J'ai pensé qu'en vous le disant ainsi
longlems à l'avance , c'étoit vous laisser
attendre Toccasion avec moins d'incomodilé.
Je ne perds point de vue l'habitation de la
Montagne ; mais pour commencer à me bien
mettre au fait des inconvéniens et des avan-
tages, je commencerai par y aller camper quel-
ques jours sans un grand transport de meubles ;
après cela nous verrons ce qui se peut faire ; au
reste il ne faut pas songer de trois ou quatre
mois, il faut attendre les chaleurs. Quoique je
devienne et en quelque lieu que j'habite, soyez
bien sure, ma très bonne Amie, que je ne serai
jamais nulle part d'aussi bon cœur que chez
vous. L'heure presse il faut finir. Recevez les
respects de M"' Le Vasseur, et ceux de vôtre
véritable ami pour la vie.
ROUSSEAU.
76 LETTRES INÉDITES
XVIII
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Rogidn, à Lyon.
A Môtiers, le 29 Avril 1764.
Ne montrez cette lettre, S. V. P. à personne.
Mais vous pourrez me nommer, si vous jugez à
propos, quoique j'en aye dit dans la lettre, car
je ne veux me cacher de rien.
Quelqu'un, ma bonne Amie, qui ne veut pas
être nommé, vient de me donner un avis qui
n'est pas fort important; mais comme il inté-
resse Messieurs vos fils comme propriétaires
de cette maison, et que rien de ce qui peut
intéresser vous ou les vôtres n'est indifférent
pour moi, je me hâte de vous en donner ce mot
d'avis, que vous ne recevrez que pour ce qu'il
vaut.
M. Du Terreaux*, Maire des Verrières, a fait
1. Jean-Jacques en parle dans ses Confesdom comme
d'un « ennemi particulier » (1. XII, note). Le conseiller
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 7T
comme vous une maison qui n'est séparée de
la vôtre que par le grand chemin. On prétend
qu'il veut faire après coup dans le dehors de ce
bâtiment un escalier qui prenant sur la largeur
du chemin rendra le contour plus difficile aux
voitures pour entrer dans vôtre grange , et ce con-
tour deviendrait même impraticable, si, rebâ-
tissant vôtre maison, onvouloitla porter jusqu'à
la borne de vôtre terrein. L'entreprise de M. du
Terreaux a besoin de l'aveu de la communauté,
et l'on prétend qu'au moment même que
j'écris ceci il en fait la proposition à l'assem-
blée après avoir pris des mesures pour qu'on
ne le refusât pas. Il parait que cette entreprise
portant préjudice à vôtre maison vous met en
droit de vous y opposer. C'est à vous à voir si
l'objet en vaut la peine. En ce cas il en faudroit
écrire à M. d'Ivernois, Procureur général ou à
Chaillet d'Aruex étanl mort le 6 août 1763, M. du Terraux
sollicita la place de conseiller. Mais, sur le rapport de Mi-
lord Maréchal que « du Terraux n'est pas bon et ne mérite
pas de faveur », la supplique fut refusée. (A. Jansen.)
78 LETTRES INÉDITES
M. Martinet, châtelain du Val de Travers, et
peut être à tous les deux ; il ne faut pas me
nommer parce que cela ne feroit que gâter
Taffaire, et que je ne puis moi-même nommer
personne. Je ne vous conseille pas, non plus,
de donner commission de suivre cette affaire
à personne, car M"' votre belle sœur est très
bien avec M. du Terreaux, et celui qui fait
vos affaires étoit fort brouillé avec lui, mais on
les dit racomodés depuis deux jours ; il n'y a
point ici de brouilleries qui tiennent devant le
moindre intérest, et les gens du pays sont tous
bons chrétiens par la bourse. Écrivez donc
vous même, à tout événement. Si l'avis est vrai,
l'opposition doit se faire avant que la besogne
soit en train; si l'avis est faux tout est dit;
encore un coup, ceci ne me semble qu'une
vétille mais c'est à vous d'en juger, et il est bon
d'être avertie à tems.
Je vous envoyé, ma bonne amie, mon Addresse
que je vous prie de suivre exactement quand
vous m'écrirez. Vos lettres sont sujettes à faire
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU, 79
un grand détour par Neufchâtel, précisément
parce que l'addresse en est trop chargée : il la
faut comme celle-ci ni plus ni moins, parce que
j'ai un arrangement avec le Directeur des pos-
tes de Pontarlier. Pardonnez mon barbouillage
mais au moment que j'écris je ne suis pas à
moi et je suis forcé de finir à la hâte, en vous
saluant vous et vôtre famille de tout mon cœur.
Depuis ma lettre écrite une trentaine de
<:ommuniers. parmi lesquels étoient M. Clerc,
sont venus examiner la place conduits par
M. du Terreaux, mais plusieurs opposans n'ont
pas voulu les suivre; ainsi il est à présumer
que quand même vous ne feriez aucune dé-
marche l'affaire ne passeroit pas aisément. Ce-
pendant je vous conseille toujours d'écrire si
vous jugez que l'affaire en vaille la peine; car
le Maire se donne de grands mouvemens pour
en venir à bout.
80 LETTRES INÉDITES
XIX
A Madame
Madame Boy de la Tour, ?iée Hoguhi, à Lyon ^
A Môtiers, le 2 Juin 1764.
Votre silence, Madame, commence à me
surprendre et à m'inquiéter. Je n'exige pas
dans le commerce plus d'exactitude que je n'y
en peux mettre moi-même. J'ai attendu sans
impatience un mois, deux mois, trois mois.
Dans cet intervalle je vous donne un avis que
je crois utile aux intérêts de vôtre maison. Tout
le monde ici parle de cette lettre; j'en reçois
des reproches ; M. et Mad' du Terreaux ne me
parlent ni ne me saluent plus: et de vous pas
un mot! Vous savez l'affliction où me plonge
la mort de M. de Luxembourg* : pas un mot.
1. Cette mortlui donne occasion, dans ses Confessions, d'af-
firmer son antipathie pour les médecins : « M. de Luxem-
bourg, après avoir été tourmenté longtemps par les mé-
decins, fut enfin leur victime, traité de la goutte, qu'ils
DE JEAN-JACQL'ES ROUSSEAU. 81
Que signifie donc un silence aussi opiniâtre?
Pardonnez, Madame, à ma franchise; mais je
n'y reconnais ni vôlre bon cœur, ni vôtre
amitié pour moi. Il faut qu'il soit parvenu
ne voulurent point reconnaître, comme d'un mal qu'ils
pouvaient guérir. La perte de ce bon seigneur me fut
•d'autant plus sensible, que c'étoit le seul ami vrai que
j'eusse en France ; et la douceur de son caractère étoit telle
•qu'elle m'avoir fait oublier tout à fait son rang, pour m'at-
tacher à lui comme à mon égal. »
Il écrit à M. de la Roche :
« Que m'apprenez-vous, monsieur? Quel événement? Je
ne m'attendais à rien de semblable, et je n'imaginais pas
■que mes malheurs pussent augmenter encore. Je sens la
douleur de madame la maréchale par la mienne, mais les
consolations ne lui manquent pas; et moi, délaissé de tout
le monde, je reste seul sur la terre, accablé de maux, sans
amis, sans ressources, sans consolation. Il m'en reste une
seule, qu'heureusement les hommes ne sauraient m'ôter :
la paix de Tàme et l'espoir d'une meilleure vie. Ma
patience est à l'épreuve de toutes ses afflictions, puisque
celle-ci ne me l'a point ôtée. Adieu, Monsieur; dans le
triste soin que vous venez de remplir envers moi, je suis
touché que vous ne m'ayez point oublié : apprendre une si
grande perte, uniquement par la voix publique, eût été
une preuve trop cruelle que je ne tiens plus à rien dans
■cette illustre maison que j'ai vue si florissante et oîi je fus
si fêté. Quels heureux temps, et quels changements! Mon
cœur navré se déchire à ces souvenirs. »
6
82 LETTRES INÉDITES
quelque chose de bien extraordinaire que
j'ignore et dont vous devriez bien m'informer.
J'apprends à l'instant que vous avez été
malade. Donnez-moi ou du moins faites-moi
donner de vos nouvelles. Il est bien cruel de
n'en apprendre de ses amis que par les gens
qui le sont le moins.
XX
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Môtiers, le 7 Juillet 1764.
Votre dernière lettre, ma bonne amie_, m'a
fait d'autant plus de plaisir que vôtre état pré-
cédent me tenait inquiet sur vôtre convales-
cence; il est vrai qu'on m'avait déjà rassuré a
Yverdun ou j'ai été faire un tour, mais j'avais
besoin de savoir par vous même que vous étiez
bien rétablie : vous me croyez fâché, et de
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 83
quoi? Sans doute de recevoir des preuves Irop
continuelles de votre amitié? Il n'y avait que
la chaleur de la mienne pour vous qui me tint
inquiet sur vôtre silence. Soyez persuadée
une fois pour toutes, ma bonne amie, que
mon attachement pour vous est à toutes les
épreuves auxquelles je sais bien que vous ne
le mettrez pas, et tout ce que j'ai à vous
reprocher c'est d'avoir fait par trop de bontés
pour moi que des sentimens dont je voudrais
avoir tout le mérite me sont devenus un
devoir. Mais ce devoir me sera toujours doux
à remplir.
Je comptois répondre à l'obligeante Lellre
que Monsieur vôtre fils m'a fait l'amitié de
m'écrire, mais les lettres et les visites qui me
pleuvent et les tournées que le bien de ma
santé et le soin d'échaper aux importuns me
prescrivent m'en otent le loisir en ce moment.
J'ai ici quatre cents Livres appartenantes à
M'" le Vasseur et dont elle n'a pas besoin
pour le présent. Si vos Messieurs vouloient
84 LETTRES INÉDITES
bien s'en charger je les remetlrois à M. Boy
à son passage. Un mot là-dessus, s'il vous
plait, à votre loisir.
Je voulois aller m'établir à la Montagne et
profiter des dépenses que je vous ai causées ;
mais mille inconvéniens trop longs à décrire
me forcent de renoncer à ce projet. Il m'est
aussi confirmé par l'expérience que l'air de
Môtiers quoique bon et sain par lui-même
m'est contraire ; puisque je m'y porte toujours
mal; et toujours mieux en voyage. Une expé-
rience constante m'apprend que les bords du lac
me conviennent mieux, et je cherche quelque
habitation dans le bas pour l'année prochaine \
Je ne puis vous exprimer avec quelle répu-
gnance je quiterai vôtre maison qui m'est si
chère ; mais je suis bien sur que l'objet de cette
1. C'est en cherchant une maison à louer au bord du lac
qu'il fut conduit par dErcherny à Cessier chez Dupeyron
où on le contraignit de dîner et oii il fut si maussade
« parce qu'on l'avait trompé ». On lui avait dit qu'il visite-
rait une habitation disponible, et il y trouvait le dîner
servi. Il fit ce jour-là bien du bruit pour une omelette.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 85
démarche la rendra pardonnable auprès de VOUS.
J'ai appris à Iverdun que l'aimable Madelon
daignoit se souvenir de moi et demander si je
me souvenois d'elle? Elle a mis bon ordre à
n'être pas oubliée, et je sais qu'elle vous aime
trop pour oublier vos amis. C'est à ce titre
précieux que je me présente à elle pour lui
demander la continuation desonamitié.Jeserois
bien aise aussi de savoir comment je suis avec
ma petite tante Julie. On a parlé d'elle avec sa
tante Emilie, et je suis bien sur que sans faire
semblant de nous entendre elle eut fait trois
sauts si elle nous eut entendus
J'aurai soin de répondre au Libraire dont
vous m'avez fait passer une lettre. Mille salu-
tations à tout ce qui vous intéresse et recevez,
ma bonne amie, celles de ma tendre amitié.
M'^^ le Vasseur vous supplie d'agréer ses re-
mercimens très humbles et ses respects.
ROUSSEAU.
J'ai été passer trois jours chez vôtre amie
86 LETTRES INÉDITES
Madame de Luze ' : c'est une très aimable
femme. Je suis enchanté de son accueil et de
toute sa maison.
XXI
A Madame
Madame Boy de la Tour, né Roginn, à Lyon
A Môtiers, le 2o Août 1764.
J 'ai eu, ma bonne amie, le plaisir de recevoir
votre dernière Lettre à Yverdun où tout le
monde se porloit bien ; j'ai voulu continuer delà
mon voyage pour Aix à cause d'une Sciatique
naissante, mal bien funeste pour un homme
qui n'a de soulagement et de plaisir que la
promenade; mais arrivé jusqu'à Thonon, il a
fahu rebrousser, et depuis l'instant de mon
retour j'ai été la proye de continuelles souf-
frances qui me forceront probablement, malgré
l'embarras et la répugnance, de déloger avant
1. Son mari était banneret de Neuchâtel.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 87
l'hiver, puisqu'il est confirmé par mille expé-
riences qu'il m'est impossible de jouir ici d'un
instant de santé. Cela ne doit pas vous
empêcher, ma bonne amie, de m'envoyer la
caisse de chandelle si vous voulez bien en
prendre la peine : on n'en trouve que d'infâme
dans tout pays.
On dit ici^ ma bonne Amie, que vous y
viendrez cet Autonne ; vous ne m'en avez rien
marqué. Il seroit dur que celui à qui cette
nouvelle feroit le plus de plaisir fut le dernier
à le savoir. J'espère qu'en pareil cas vous ne
ferez pas à vôtre hôte l'affront de prendre un
logement hors de chez vous, et que vous souf-
frirez, du moins pour ce moment-là, que vôtre
ami devienne vôtre concierge.
M"' le Vasseur vous assure de son respect
et vous remercie de vos bontés. Elle s'en
prévaudra lors du passage de M. Boy de la
Tour vôtre associé. Mille salutations je vous
supplie à toute l'aimable famille et recevez celles
que je vous fais de tout mon cœur. Je voudrois
88 LETTRES INÉDITES
VOUS écrire plus au long, mais mon état et les
lettres dont je suis accablé m'en empêchent
pour le moment. Je me dédomagerai avanta-
geusement si j'ai le plaisir de vous voir ici.
ROUSSEAU.
XXII
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Roguin^ à Lyon,
A Métiers, le 28 8^" 1764.
Après bien des tournées dans le pays, ma
très bonne amie, je suis revenu dans vôtre
maison, et je vous assure que malgré les incon-
véniens, tant que je ne vous y serai pas impor-
tun, j'y resterai aussi longtems qu'il me sera
possible, n'abandonnant pas même le projet
d'essayer de Pierre-nou ; mais je suis lié par
tant de choses que je ne me transplante pas
comme je veux.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 89
Nous avons ici M. Girardier. Je ne puis
manquer de voir avec plaisir quelqu'un avec qui
je puisse parler de vous. Je crois M. Girardier
un fort galant homme et remplissant très bien
ses devoirs ; mais je ne puis vous taire que le
ton de sa conversation n'annonce pas des
mœurs fort exemplaires et cela me fait trembler
pour celles de Messieurs vos fils. A moins
qu'il ne s'observe extrêmement avec eux, ils
sont là à une terrible école. Prenez y garde,
bonne Mère; vos enfans sont perdus si vous
ne les surveillez pas. Je remplis envers vous des
soins qui me peinent, mais l'amitié m'en fait
des devoirs.
J'ai receu l'envoi que vous avez eu la bonté
de me faire. L'huile comme vous m'en m'aviez
prévenu est arrivée en très mauvais état ; ce
qu'il en reste est à peine mangeable, et c'étoit
d'excellente huile d'Aix. Je sais, très chère
amie, qu'il n'y a point de vôtre faute à ce
qu'elle a souffert par la chaleur avant de vous
parvenir, et je ne vous en suis pas moins obhgé
90 LETTRES INÉDITES
de la peine que vous avez prise. Si vous voulez
bien m'envoyer la note du prix des Chandelles
pendant que M. Girardier est ici, je lui en
remettrai l'argent. Sinon vous aurez la bonté
d'en faire déduction ainsi que du Loyer sur ce
qui est entre les mains de Messieurs vos fils.
M. d'Escharni* m'a marqué qu'il vous avoit
vue avant son départ; comme sa lettre est
venue ici durant mon absence et qu'il m'écrivoit
qu'il partoit dans peu de Paris, je n'ai pas eu
le lems de lui répondre, jugeant que ma lettre
ne le trouveroit plus.
J'aurois souhaité d'aller tenir compagnie au
Papa pour tâcher de le distraire sur la perte de
M. le Banneret* que j'ai bien sentie aussi pour
I 1. D'Escherny, ami de Jean-Jacques à Motiers, et grand
marcheur. Il a conté dans ses Mémoires les excursions
qu'il fil pédestrement en compagnie du philosophe à tra-
vers les sites pittoresques des environs, par Colombier, la
Tourne, Plamboz. la Sagne,leLocle,laChaux-de-Fonds,etc.
2. Parent du vieux Roguin. Jean-Jacques et lui étaient
en désaccord. Voir dans les Confessions, t. XII, 1765, une
note qui lui est consacrée. Le banneret avait contribué à
faire expulser Jean-Jacques de l'État de Berne.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 91
ma part ; mais l'effet ordinaire de ma destinée
qui me livre au premier venu et me tient sans
cesse en esclavage m'a forcé d'abandonner ce
projet. Me voici terré pour tout l'hiver dans
mon éiat ordinaire, c'est-à-dire enfermé dans
ma chambre et souffrant jusqu'aux beaux jours,
si tant est qu'il en revienne pour moi.
Je suis fâché, chère amie, que vôtre lettre en
détruisant l'espérance qu'on m'avoit donnée,
ne me laisse qu'à demi celle de vous voir ici ce
printems. Si vous vous déterminez, faites-moi
l'amitié de me le marquer un peu d'avance afin
que je ne me trouve pas absent lorsque vous
viendrez; car je serois trop jaloux et mortifié
que M"' le Vasseur eut seule l'avantage de
vous recevoir dans vôtre maison. J'espère
aussi, qu'en pareil cas l'aimable Madelon
seroit du voyage, et je crois que vous pardon-
nez bien qu'elle ait sa part à mon empresse-
ment.
Bonjour, ma 1res bonne amie, mille saluta-
tions à tout ce qui vous appartient. Je suis très
92 LETTRES INÉDITES
sensible au souvenir de M. Boy et même je ne
puis m'empêcher de vous dire sans avoir au
surplus l'honneur de le connoitre que je lui
trouve un ton bien plus décent qu'à M. Girar-
dier. Je confie à vôtre prudence tout ce que
l'intérest que je prends à vos enfans me fait
un devoir de vous dire.
ROUSSEAU.
Recevez les remercimens et les respects de
M"" le Yasseur.
XXIII
A Madame
Madame Boy de la Toui\ née Roguïn^ à Lyon.
A Moties, le 18 Qb'-e 1764.
Permettez, chère amie, qu'en vous réitérant
mes excuses de tant d'importunités, je vous
recommande les papiers que pourra vous
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 93
addresser M. Buttafoco, vous priant de me les
faire passer par la voye la plus prompte et la
plus sure qui pourra se trouver. Ces papiers
ont un objet respectable et vous ferez une bonne
œu^Te.
Autre grâce que j'ai à vous demander.
Il s'agit de quelque petit cadeau à faire à ma
filleule âgée d'environ trois ans fille du Libraire
Rey d'Amsterdam, mon Compère et mon ami.
Je voudrois envoyer à cet enfant quelque joli
bonnet ou autre nippe convenable à une fille
de cet âge \ j'y voudrois joindre quelque petite
galanterie pour la Mère et pour la Marraine,
comme sac à ouvrage, ou gants ou éventail,
1 . On connaissait déjà quelques lettres de madame Boy de
la Tour à Jean-Jacques ; mais qui n'entend qu'une cloche
n'entend qu'un son et peut se tromper, même si c'est une
cloche de baptême. C'est ce qui est arrivé â M. Berthoud,
{Jean-Jacques Rousseau au Val-de-Travers, p. 77) quand il
suppose que Rousseau fut parraina Motiers en 1764. C'est
une erreur. Il est vrai que Rousseau fit cette année-là un ca-
deau aune filleule, mais cette filleule avait déjà trois ans, ha-
bitait Amsterdam, et était fille du libraire et ami de Jean-Jac-
ques, nommé Rey.
94 LETTRES INÉDITES
OU aiilre petils colifichets de Mode que vous
imaginerez mieux que moi ; de manière que
ces petits présens, le plus joli fut éliquelé pour
Madame Rey et l'autre qui ne doit pourtant
être guère inférieur pour Mademoiselle du Mou-
lin. Le mal est queje Youdrois bien que la valeur
de tout cela ne passât pas de beaucoup cent
francs ou cinq Louis. Marquez-moi de grâce si
pour pareille bagatelle on peut envoyer quel-
que chose de présentable, car pour de la gue-
nille, il vaut mieux ne rien envoyer. Supposant
que ce petit Cadeau puisse avoirlieu, il s'agiroit
ensuite de faire de tout cela une boite ou petit
emballage bien conditionné, et de voir si vous
pourriez trouver quelque voye pour l'expédier
à Amsterdam A Monsieur M. M. Rey, Libraire en
payant le port de sorte que le pacquet lui arrive
franc. Si vous n'avez point à Lyon d'occasion
pour cela je vous indiquerai une adresse inter-
médiaire d'où je me chargerai de l'envoi. S'il
n'y a point d'obstacle à tout cela vous pourrez
à vôtre comodité faire l'expédition lorsqu'elle
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 95
sera prelle en m'en donnant avis' alin que j'en
prévienne M. Rey.
Comme on dit les langues de Xeufchatel un
peu moins mauvaises que celles d'ici du moins
les salées; j'en ai commandé trois ou quatre que
je prierai M. Girardier de vous porter s'il veut
ou peut s'en charger. Je vous demande pardon,
chère Amie, de n'avoir rien de meilleur à vous
1. Voici la réponse de madame Boy de la Tour : « Pour
répondre à votre chère lettre du 18, je vous dirai que
j'ai couru les boutiques pour chercher ce qui convien-
drait le mieux pour les présents que vous voulez faire.
Pour la filleule, une coiffe, des petites manches, le collier;
nous les aurons fort honnêtes pour trente livres. Pour la
mère et la marraine, j'ai vu de très jolies bourses d'ou-
vrage, brodées en or, depuis vingt livres jusqu'à trente
livres; un éventail honnête et très présentable, aux envi-
rons de quinze à seize livres. Je crois que pour les dames
il faut s'en tenir à ces deux articles, qui conviennent beau-
coup mieux que des choses de mode de ce pays qui ne
conviendraient pas au leur. Je ferai en sorte que le tout ne
passe pas six louis d'or. Nous avons reçu un paquet de
papiers pour vous. J'attends une occasion solide pour vous
les faire passer. M. Regulia, libraire (a), doit vous aller voir
incesscimment, je les lui remettrai. »
(a Probablement celui que Rousseau nomme Régaillat et qui dcTait diriger
l'éditioa neuchâteloise de ses œuTres.
^
96 LETTRES liNÉDITES
envoyer, mais c'est comme vous savez, la seule
marchandise qu'un étranger trouve en ce pays.
Recevez mes tendres salutations, chère et
bonne amie, et faites-les agréer, je vous sup-
plie à tout ce qui vous appartient.
ROUSSEAU.
Si les cinq Louis ne suffisent pas pour nos
colifichets, vous pouvez aller jusqu'à cinquante
écus ; mais ne passez pas, je vous prie.
XXIV
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Motiers, le 20 Janv'' 1765.
Mille remercimens, très chère amie, et de
vos dons et de vos soins. Vos attentions conti-
nuelles me sont bien précieuses; mais je les
reçois avec autant de confusion que de recon-
naissance, et je me rassure uniquement dans
DE JF.AN-JACOUES ROLSSEAU. 9"
rospérance que voire indulgence couvre mou
indiscrétion. L'envoi pour la hollande me
paroit très bien choisi et à très bon compte ;
il faut que vôtre amitié ait été bien alerte pour
trouver sitôt et si bien l'occasion. Que vous
dirai-je sur la peine que vous avez prise d'écrire
à iSaples? Mon cœur parle, tout autre langage
en dit trop peu. Il est naturel que je vous doive
la conservation d'une vie que vous contribuez
à me rendre chère.
Votre prochain voyage ici n'est plus un
secret depuis fort longtems. Je ne lai dit à
personne, mais beaucoup de gens me l'ont dil.
Je n'ai pas besoin, je crois, de vous exprimer
le plaisir qu'il me cause, et ce plaisir seroil
bien plus vif encore si j'étois plus sur d'en
pouvoir profiter. Mais dans l'abyme de maux
où je suis plongé, dans la dépendance où je
suis de toutes choses, dans l'incertitude de ma
santé, dans l'embarras des multitudes de visittes
qui me menacent, à peine puis-je répondre de
moi d'un jour à l'autre. Qui sait si je ne seroi
98 LETTRES INEDITES
point forcé de me déroljcr pour respirer, pour
dé^ronfler dans la solitude mon cœur étoulTé
d'ennuis. J'espère pourtant que je tous verrai,
de manière ou d'autres, et sûrement je n'épar-
gnerai rien pour me procurer ce plaisir. Du
reste, quoi qu'il arrive, vous trouverez tou-
jours ici vôtre maison pour y loger, mon petit
ménage pour en faire le vôtre, et M'" le Vasseur
pour vous servir.
Vous m'avez fait un vrai plaisir de me don-
ner des nouvelles de .AI. Cornabé. Je suis
charmé qu'il se souvienne de moi, pour moi je
ne l'oublierai de ma vie. Il m'a vu dans mes
beaux jours. Hélas ! Jes tems sont bien chan-
gés. Faites lui mille amitiés de ma part, je vous
supplie.
J'en fais de tout mon cœur à toute vôtre
famille. Recevez les respects de M'" le Vasseur,
et les assurances du plus tendre et du plus
constant attachement de la part de vôtre véri-
table ami.
ROUSSEAU.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 99
XXV
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguinà Lyon.
A Moliers, le 1" Fév 1763.
J'ai receu, ma bonne amie, par Madame Gi-
rardier un étui très bien soudé et que j'ai eu
grand peine à défaire. Par ce que j'y ai trouvé
je juge qu'il y eu quelque quiproquo. Le mal est
fort petit ; j'ai très heureusement recouvré
d'un autre côlé ce dont j'avais besoin sur cet
article, et comme ce ne sont pas là des commis-
sions de femme^ je n'aurois assurément pas
pris la liberté de vous en charger si vous ne
t'aviez prise sans m'en rien dire. Vous voudrez
bien ajouter cet article de dépense au mémoire
de vos avances que j'espère solder avec vous à
vôtre voyage.
Parlons un peu de ce voyage, chère amie, je
voudrois bien que vous me prévinssiez assez
sur vos arrangemens pour faire les miens de
Jjj-.!Vers/}^
100 LETTRES INÉDITES
mani<^'re à vous recevoir ici moi-même, et à y
passer quelques jours auprès de vous. Je sens
quoiqu'avec peine que je serai forcé de quiUer
vôtre maison ne pouvant plus durer à IMôtiers.
Le plaisir d'y être vôtre hôte m'y a retenu près
de trois ans; que quelque autre honnête étran-
ger y demeure autant, puis qu'il en dise des
nouvelles. J'ai eu jusqu'ici le bonheur d'être
aimé et regretté dans tous les lieux où j'ai
demeuré. Pour jouir ici du même avantage il
faut sans doute des qualités qui me manquent
et que je ne suis pas curieux d'acquérir.
Par la dernière lettre du Papa j'ai su qu'il
se portoit bien et n'avoit aucun ressentiment
de sa goûte. Il a pris la peine de m'addresser
de la part de vos chères sœurs sur mon dernier
ouvrage une grave réprimande dont il auroit
pu mieux choisir le tems, et qui ressemble assez
à celle du Magister, qui prêche l'enfant tandis
qu'il se noyé.
Mille salutations à toute vôtre famille et rece-
vez, très chère amie, les miennes de tout mon
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 101
cœur et les respects de M"" Le Vasseur en
attendant le moment de contenter nôtre impa-
tience*.
ROUSSEAU.
XXVI
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Li/on.
A Motiers, le 21 Avril 1765.
Jecomptois, mabonne amie, vôtre convales-
cence bien plus avancée et j'espérois avoir le
1. Le 28 février suivant, il écrit à M. Roguin cettelettre qui
relie la précédente à la suivante : « Je crois, cher papa, que
vous connaissez assez mon état dans cette saison, et ma si-
tuation dans ce moment, pour mepardonner quelque inexac-
titude à vous écrire. Puisque toute occupation agréablem'est
interdite, vous pouvez bien croire qu'on ne me laisse pas celle-
là. J'apprends avec autant de chagrin que de surprise que
votre goutte vous fait garder la chambre depuis trois mois.
Sur votre silence à cet égard, je vous en croyais quitte pour
cette année, et j'en avais même écrit sur ce ton-là, à ma-
dame Boy de la Tour. Je suis bien tristement désabusé, et
le rhume encore au par-dessus! En voilà beaucoup, cher
102 LKTTHKS INi:DlTES
plaisir do vous voir bien plus loi que vous ne
me l'annoncez. Cependant puisque vous suppor-
papa; mais la saison dont nous approchons me console un
peu et me fait espérer que vous serez bientôt délivré de
votre piison. La mienne dure depuis quatre mois et demi,
sans que j"aie mis le pied dans la rue, si ce n'est la
semaine dernière que je sortis un moment pour aller voir
un malade, visite dont je me suis fort mal trouvé.
» Bien des remerciements à mesdemoiselles vos nièces de
la réprimande que vous avez pris la peine de m'adresser
de leur part. J'en ferai mon profit, je vous jure, et celui
qui me verra reprendre la plume peut m'assommer tout à
son aise sans que je m'avise de regimber. Je prendrai
cependant la liberté de leur dire que, loin de chercher la
fumée, je voulais au contraire éviter le feu. Si, lorsque l'on
tâche de défendre son honneur, sa liberté, sa vie, elles
appellent cela être philosophe, je suis philosophe, il est
vrai, comme bien d'autres; et vous-même, tout grave et
posé que vous êtes, si vous sentiez les tisons d'aussi près,
vous seriez peut-être aussi philosophe, c'est-à-dire aussi
sémillant que vous me trouvez. Mais les dames mettent
leur gloire a n'avoir pas grand'pitié des misérables ; faites-
pour nous tenir dans leurs fers, elles lancent des feux et
des flammes, trouvent mauvais qu'on refuse d'être brûlé,
n'approuvent pas que nous osions vouloir être libres, et
quelque petite prise de corps ne leur paraît pas valoir tant
qu'on s'en défende.
» Il n'y a pas un mot devrai dans tout ce que vous a
marqué M. Boucquet, sur une prétendue édition de moi>
livre, faite à Paris avec des cartons. Il ne s"y eu débite
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 103
lez le lail.je ne doute pas qu"il n'achève en peu
de lems voire entier rétablissement, et je me
point d'autre que la mienne, et il n'y a point d'autres car-
tons que ceux que j"ai fait faire moi-même à Amsterdam
pour corriger de grossesfautes que je n'aipu voir qu'après
coup. Ces cartons sont à tous les exemplaires sans excep-
tion, et ceux qui se débitent à Paris sont exactement sem-
blables au vôtre, ni plus ni moins. Ce bruit est une petite
ruse de ces messieurs, mais elles ne s'en sont pas moins
débitées. Je sais depuis longtemps que ces messieurs du
pays de Vaud ne peuvent pardonner à la bourgeoisie de
Genève d'oser détendre un reste de liberté qu'ils n'ont
plus. Ils sont comme le renard à qui l'on avait coupé la
queue, et qui voulait qu'on la coupât à tous les renards.
Pour moi, malgré leur colère, et n'en déplaise à mesde-
moiselles vos nièces, je veux tâcher de conserver la mienne
jusqu'à la fin.
«Vous savez, très cher papa, avec quel empressement je
reçois tout ce qui se renomme de vous. Ainsi, MM. de
Muisseck en feraient une épreuve assurée quand leur
propre mérite ne leur servirait pas de passeport. La re-
connaissance que je dois à M. Tscharner, et l'estime qui lui
est due par tout le monde, sont encore des titre»; que je
n'oublierai pas en le recevant. Quoiqu'à ne vous rien dis-
simuler, je trouve que ces messieurs ressemblent un peu
aux moines qui, séparément, sont les meilleurs du monde,
et tous ensemble, ne valent pas le diable.
» Bonjour, papa ; mes hommages à tout ce qui vous appar-
tient.
)) On m'apprend dans l'instant que madame Boy de la
104 LETTRES INÉDITES
console d'un relard qui peul me mettre plus en
état de profiter du plaisir que je me promets
auprès d'une si bonne et si chère amie, que je
ne pourrois l'être aujourd'hui où mes maux
empires me tiennent renfermé et me rendent
tout commerce presque impossible.
Monsieurvotre fils estun aimablejeune homme
et il ne m'a fallu nul effort pour étendre à lui
l'ai lâchement que j'ai pour sa bonne mère. Je
suis fâché de l'avoir trop peu vu pour cimenter
une si bonne connoissance, j'espère la former
plus à loisir une autre fois, et vous ne doutez
pas que je me flatte du plaisir que j'aurai tou-
jours de vivre avec tout ce qui vous est cher.
Les petites tracasseries que la prêi raille d'ici
m'a suscitées sont finies grâce au Ciel, grâce à
la protection du Roy, aux bontés de M v lord
MareschaP, et aux bons amis que j'ai trouvés
Tour a été malade, j'en suis en poiae. Si vous avez de ses
nouvelles, je vous prie inslamnient de m'en donner.
1. Dans une lettre de Milord Maréchal au ministre Fin-
kenslein (Potsdam, 20 mai ITCo), on lit : « Le très digne
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 105
dan? ce pays, entre autres M. Cliaillu qui m'a
bien prouvé dans celte occasion combien il
était le vôtre. Quoique je ne sache encore si
je resterai dans ce pays, je suis bien déter-
miné du moins à y rester jusqu'à vôtre voyage.
Je ne me consolerais pas, ma bonne amie, d'en
partir pour longtems sans faire mes adieux en
personne à tous les mêmes bons amis qui m'y
reçurent. Recevez, en attendant, très chèreamie,
pour vous et pour toute voire aimable famille
les tendres salutations de votre fidelle amie, et
les respects empressés de M'" Le Vasseur.
ROUSSEAU.
Sacrogorgon (MontAiollin) a assuré les gens que Jean-Jac-
ques était réellement TAntéchrist en personne et il dit aux
femmes que Rousseau avait écrit qu'elles n'avaient point
d'àme. » Les petites tracasseries étaient peut-être Unies,
mais les cros ennuis allaient venir.
lOG LLTTRi:? INÉDITES
XXVII
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Motieis, le o May IGTo.
J'espére, ma très bonne amie que votre par-
fait l'établissement vous mettra en état de satis-
faire en ce pays l'impatience qu'ont vos amis
de vous y voir, et je vous assure que cet espoir
tient bien sa place parmi les raisons qui me
retiennent ici. Dans cette attente, comptant sur
votre prochain départ, je profile de vos obli-
geantes offres pour vous prier de vouloir bien
m'apporler une autre ceinture pareille à celle
que vous avez mise dans l'envoi addressé à
à Madame Girardier. Comme cet envoi n'est pas
encore arrivé, que je ne sais quand il arrivera,
et que je ne saurois me passer plus longtems
de ceinture, celle là ne sera pas de trop môme
avec l'autre. Xe sauriez-vous point aussi, ma
chère amie, si les petits envois que vous avez
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAL". 107
faits pour mon compte en Hollande y sont
arrivés? Comme M. Rcy ne m'en parle point
dans ses lettres je présume qu'il ne les a pas
encore reçeus.
Je suppose que iMonsieur vôtre fils est parti en
bonne santé pour Tllalie, et j'attends avec em-
pressement desnouvelles de son heureux voyage,
carje prends ùlui le plus véritable intérestetpour
vous et pour lui-même qui m'en paroîl très digne.
Bonjour, ma irés bonne amie, mille salulalions
à toute la chère famille, je compte les jours
avec impalience jusqu'à celui de nous revoir.
ROUSSEAU.
Monsieur Boy de la Tour, votre associé m'a
paru un fort galanthomme, ethonnêle en toute
chose. Mais je ne puis m'empêcher de vous dire
qu'il a pour père un furieux et un enragé.
Heureusement c'est le serpent qui veut rongi^r
la lime et qui ne fait qu'user ses dents.
1U8 LETTRES INÉDITES
XXVIII
A Madame
Madame Boy de la Toui\ née Ror/ain, à Lyon.
A risle Saint-Pierre le 13 8»'-<= l*6b.
Pardon mille fois, ma bonne amie, d'avoir
tardé si longtems à vous écrire après avoir
quitté votre maison si brusquement et si à
regrets Vous savez quel plaisir je prenois à vivre
1 Rousseau a conté tout au loni;, dans ses Confessions,
comment il fut chassé de Métiers par la population qu'exci-
tait Tanimositédu pasteur de MontmoUin. Victime des per-
sécutions de la classe de Neuchàtel, calomnié dans des pam-
phlets comme celui de Vernes, il fut presque lapidé. Pour
les détails de cette curieuse affaire voir docteur Guillaume,
F. Berthoud, Jansen, et les dépositions des témoins. Voici
celles de Jean-Jacques et de Thérèse :
Déposition de Jean-Jacques Rousseau.
'< Hier vendredi, 6 septembre, je me couchai à huit heures
un quart. Au bout d'une heure ou deux de tranquillité,
j'entendis mon chien aboyer, crier sur la galerie, et faire
de grands efforts pour entrer dans la cuisine.
» Jugeant que c'élailTincommodité du froid qui l'inquié-
tait, je ne me levai point pour lui ouvrir, aimant mieux,
pour ma santé, le laisser dehors à cause des alarmes précé-
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 109
chez vous; mais au momeiiL que je venois de
vous constituer en de nouvelles dépenses il a
dentés. Le bruit continuant sur la galei-ie, je Tattriliuai
encore aux mouvements du chien, jusqu'à ce que j'enten-
dis le bruit d'une fenêtre cassée avec beaucoup de violence,
et le fracas d'une pierre assez grosse, tombant sur le plan-
cher, .le me suis levé le plus vite qu'il m'est possible, j'ap-
pelle ma gouvernante qui ne dormait pas, mais queTelTroi
retenait dans sa chambre. Je frappe sur le plancher; la
servante du capitaine Guyenet, qui loge au-dessous de moi,
monte avec de la chandelle, nous cherchons où est le dégât,
mais sans oser ni sortir, ni ouvrir porte ou fenêtre, de
peurd'ètre attendus etassommés, nous trouvons qu'un pan-
neau de la fenêtre de la cuisine était cassé, les verres épars
dans la cuisine, et jusque dans ma chambre, dont la porLe
était restée ouverte, et à l'entrée de la même chambre,
à deux pas de mon lif, nous trouvons la pierre (jui a
été vue de M. le Châtelain. La pierre, après avoir fait
son trou,a)'ant Iraversé en volant toute la cuisine, il faut
qu'elle ait été lancée d'une grande roideur, et comme il
parait, de la galerie même. La garde étant venue, on sortit
pour examiner la galerie dans laquelle on trouva plusieurs
gros cailloux qui avaient fait quelques désordres; et la
servante de M. Guyenet rapporta que des deux portes de la
maison elle avait trouvé l'une forcée, et l'autre ouverte
au moyen d'un verrouil qu'avec le doigt on peut pousser
par dehors. Je présume, par la situation des choses, qu'on
avait fait du bruit sur la galerie dans l'intention de m'atli-
rer, et qu'au moment oîi je devais naturellement sortir de
ma chambre, la pierre lancée à travers la vitre devait me
110 LETTRES INÉDITES
fallu loLil abandonner. Toulefois ma retraite n'a
pas été sans consolations de la part de mes amis ;
casser la tèle. N'ayant ni montre ni pendulo, j(^ demandai
à la servante de M. Guyenet, qui en a une, quelle heure il
était; et elle me répondit qu'il était onze heures. Les pre-
miers de la parde qui vinrent à mon secours, me dirent
qu'ils étaient de Fleurier, et qu'ayant voulu faire leur
ronde à l'heure précédente, ceux de Motiers s'y opposèrent,
disant que c'était leur tour.
» Fait à Moitiers, le 7 peptembrc 1705.
» .I.-.I. ROUSSEAU. »
Mademoiselle Le Vasseur, youvernante de M. lioussemi, dé-
pose : Qu'environ les onze heures du soir, elle entendit du
bruit devant la maison qui s'arrêta pendant un moment; ce
bruit était fait de manière comme si l'on avait voulu scier
une planche; ensuite, elle entendit jeter des pierres contre
le mur de sa chambre qui donne sur la galerie qui est du
côté d'Uberre de la maison, ce qui dura pendant environ
six minutes et fut alors si elîrayée qu'elle n'osa pas sortir
de son lit, et un instant après, on a jeté une pierre avec
tant de violence contre la fenêtre de la cuisine qu'on a cassé
un carreau. Ladite pierre est tombée au pied de la
oliambre de M. Rousseau; et du veri'e, pousé par la force
du coup, jusque dans ladite chambre dudit sieur Rousseau,
laquelle chambre était ouverte. Alors ce dernier a appelé
la déposante, ceci disant : « Levez-vous, nous sommes ici
assassinés! » Sur quoi la déposante s'est levée tout
effrayée; demandant depuis les fenêtres de la chambre de
M. Rousseau, qui répond aux appartements de M. le Clià-
DE JEAN-JACnUES ROUSSEAU. 111
je sais en particulier Tintérest que vous avez
bien voulu y prendre, et la lettre affectueuse et
obligeante dont vous avez honoré M"' Le Vasseur
dans celte occasion me marque bien combien
vôtre bon cœur vous donne d'attentions et de
telain : « Au secours! » qu'on voulait les assassiner. Et à
["instant même arrivèrent les gardes de foire avec le grand
sautier Clerc; et un moment après est aussi arrivé M. le
Châtelain, qui a vu les bris et violences commises.
Donné à Moitiers le 7 septembre I76j, et la présente rédigée par
écrit, au greffe, eu présence du sieur justicier Abraham Henri
Beseuceuet.
Dimanche 15 septembre, à sept heures du matin, le sau-
tier trouva sur la fontaine, devant les halles de Motiers la
figure d'un Polichinel, l'annonça au châtelain, et l'apporta
chez lui. Dans la main de la figure était un billet avec les
vers suivants :
Je vous prie de regarder
Dans mon carnassier,
Vous y trouverez les vers
Que vous devez publier.
Voici le pasquin qui se trouvait dans le carnassier.
POLICHINEL.
Me Yoicy trouvant tout réjouis,
En voyant Mostier délivré de l'impie
Qui s'est évadé, sa servante encor icy;
Prenez-y garde, mes amis, etc..
112 LETTRES INÉDITES
soins pour vos amis dans lems disgrâces.
Maintenant je suis grâce au Ciel dans cette Isle
en paix et en sûreté * ; mais j'y suis fort en peine
de vôtre santé dont depuis tort longtems je n'ai
point de nouvelles, car noire lac est si orageux
depuis quelque tems que nous n'avons aucune
communication régulière avec la terre ferme.
Je ne sais pas même si vous êtes de retour à
Lyon, quoique je le présume sur ce que vous
m'aviez dit de vos résolutions. Où que vous
soyez, très bonne amie, vous êtes la même pour
moi, j'en suis très sui", et moi je serai le même
pour vous jusqu'à mon dernier soupir. -Je ne
compte pas moins sur la solide et constante
amitié de l'aimable Madelon qui m'en a donné
tant et de si touclians témoignages qui ne
1. Milord Maréchal et le colonel Chaillet, qui avaient des
attaches avec Faristocratie bernoise, l'avaient assuré que
le Sénat fermerait les yeux sur sa présence à lile Saint-
Pierre, pourvu qu'il n'y fit pas parler de lui. Jean-Jacques
se renferma dans sa coquille. On montre encore aujour-
d'hui au plafond de sa chambre la trappe par oîi il séva-
dait pour esquiver les visites.
Prepriôté de la
LIBRAIRIE CIRCULANTE
F. RICHARD
80, Rue «i'j Rhône, 80
GENÈVE
.Â'arh^iit de , fb~ , fia ck'leine ^ï)^/eAù€/^
7ulè t)e ^ U"^ ^JDoy -àv la 0>our
<) afr/t\) une f^H'inlure^ ^ t ptale -npjHi^^enant ^i , ih.'^ ^J/zrigouh
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 113
sortiront jamais de mon cœur. Je la prie de
vouloir bien en cette occasion me favoriser
encore d'une petite lettre sur vôtre état présent.
Il ne tient pas à ses soins et je suis persuadé
qu'il ne tient qu'à vous qu'il ne soit très bon.
Je vous conjure donc, chère amie, de laisser
gouverner votre santé à cette excellente fille
afin qu'elle conserve à elle-même la meilleure
des mères, et à moi une si chère et si bonne
amie. Si vous êtes à Lyon il suffira de m'ad-
dresser la lettre à l'ordinaire par Pontarlier,
M. Junec aura soins de me la faire passer, et si
vous êtes encore à Iverdun, il suffira de l'addres-
ser à M. Du Peyrou à Neufchâtel; en mettant
seulement une croix au dessus de l'addresse il
connoitra par là que la lettre est pour moi et
me la fera passer.
Recevez les respects et les remercimens de
M'^' Le Vasseur et de vôtre véritable ami.
ROUSSEAU.
114 LIiTÏHES INÉDITES
XXIX
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Strasbourg, le 4 X""""^ ITGo.
Chère amie, je me reproche un trop long
silence*; mais vous devez le pardonner à la
nécessité de poui-voir au plus pressé. Je suis
arrivé ici il y a près d'un mois rendu de maux
et de fatigue; après un repos suffisant je me
dispose à repartir quittant à regrel une ville où
tout le monde paroit désirer de me retenir".
1. Rousseau habitait depuis deux mois l'île Saint- Pierre
quand un arrêt inattendu du Sénat le força de sortir des
États de Berne. Il se réfugia d'abord à Bienne, ne sachant
de quel côté se diriger. Il songea à se réfugier en Corse, ou
en Angleterre. Le séjour de Bienne lui fit vite rendu impos-
sible par le voisinage de Berne ; il en fut informé par un
ami, M. Kirchberger. Le bailli de Nidau lui donna un passe-
port, et il partit enfin pour Berlin oià il espérait retrouver
lord Keith. Il s'arrêta à Strasbourg, d"où il écrit cette lettre.
2. Il reçut le plus bienveillant accueil, fut fêté, acclamé;
on joua le Devin du Village. Il écrit à de Pury : « Je com-
mence à sentir que je suis hors de la Suisse par les préve-
nances et honnêtetés de tout le monde. »
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 115
L'impossibilité de soulenir la fatigue du voyage
de Berlin me fait tourner vers l'Angleterre avec
le projet de me reposer encore quinze jours
ou trois semaines à Paris; car il me seroit
impossible de supporter de suite une si longue
traitte. Si vous voulez me faire le plaisir de m'y
donner de vos nouvelles vous pourrez m'écrire
chez la veuve Duchesne^ Libraire rue St-Jacques^
à Paris. Je sais tout l'inléresl que vous et ma
charmante amie Madelon avez pris à mes dis-
grâces; tant que l'amitié de l'une et de l'autre
qui m'est si chère me suivra par loul, j'en sup-
porterai plus aisément mes malheurs. J'ai eu
la consolation d'apprendre que vous étiez en
train du plus parfait rétablissement; j'espère
que votre première lettre me confirmera plei-
nement cette bonne nouvelle. Votre meilleur
Médecin a été votre chère fille ; j'en aurois grand
besoin d'un pareil pour rendre la santé à mon
pauvre cœur et à mon pauvre corps malades.
Je pourrois avoir besoin d'une lettre de crédit
pour Londres, et vous me feriez plaisir de me
H6 LETTRES INÉDITES
l'envoyer h Paris, à moins que vos Messieurs
ne permissent que je tirasse au besoin sur
votre .Maison des lettres de change, ce que
je ne ferai qu'avec mesure et discrétion :
au moyen de quoi cette voye me paroit la
plus simple et la plus comode. Vous en déci-
derez.
Les dernières ceintures que j'ai reçues sont
étroites, courtes etminces comme la précédente.
11 faut que je les tienne étendues avec des épin-
gles, ce qui est très incommode et les déchire
absolument. N'y auroit-il pas moyen, ma bonne
amie, d'en avoir une, sinon plus longue, du
moins plus ample et plus forte? En pareil cas
si vous pouviez me l'envoyer à Paris, vous me
feriez grand plaisir.
Je me recommande, chère amie, à vôtre sou-
venir à votre amitié, à celle de tout ce qui vous
appartient, sans oublier M'' Girardier et Boy
de la Tour, vos associés. J'espère que comme
les folies et les malhonnêtetés de leurs parens
n'ont point altéré mon estime pour l'un et pour
DE JEAN-JACOUES ROUSSEAU. 117
l'autre elles n'auront point non plus altéré leur
bienveillance pour moi.
Bonjour, ma très bonne amie. Je vous
embrasse de tout mon cœur et vous recom-
mande sur toute chose le ménagement de votre
santé.
ROUSSEAU.
Je remettrai cette Lettre à M. Miolai qui vient
tout à l'heure d'envoyer chez moi de votre
part.
XXX
A Madame
Madame Boy de la Tour, à Lyon.
Ce 24 Juillet 1767'.
Quel long silence, ma bonne amie ! qu'il est
cruel à mon cœur ! Il est bien tems qu'il cesse;
je ne saurois l'endurer plus longtems. Un des
i. A son retour d'Ansleterre.
118 LETTRES INÉDITES
malheurs que j'ai le plus cruellement sentis
éloil de cesser de m'entrelenir avec vous, avec
le bon Papa, avec la plus part de mes meilleurs
amis, eL de ne pouvoir lirer d'une si douce
correspondance des consolations dont j'avois si
grand besoin. Enfin, cliére amie, je suis plus
à portée de recevoir de vos nouvelles et de vous
donner des miennes; mais il s'en faut beaucoup
que je n'aye encore là-dessus toule la liberté
que je désirerois, et ce n'est que peu à peu que
les choses pourront reprendre leur ancien train.
En attendant nous pourrons du moins de tems
en tems nous donner réciproquement signe de
vie. J'en ai reçeu ci-devant de la charmante
Madelon qui m'ont transporté de joye' mais cela
n'empêche pas que je n'aye rancune au cœur
contre la petite dissimulée de nous avoir si mis-
terieusemenl caché ses amours. Je ne doute pas
qu'afin de pouvoir critiquer mon ouvrage elle
1. Elle s'est mariée avec M. Delessert. Vhiterm'''diaire des
curieux et (.les clicrcJieurs a publié d'elle une intéressante
lettre relative à la mort de Jean-Jacques Rousseau (1778).
DE JEA.X-JACQUES ROUSSEAU. llO
n'ait déjà rendu trop court mon lacet, mais
cela ne la dispense pas de remplir des condi-
tions sous lesquelles il lui fut donné et qu'elle
n"a pas, j'espère, oubliées.
En me marquant de ses nouvelles avec les
vôtres et de celles de toute votre aimable
famille que j'embrasse mille fois, n'oubliez pas,
je vous en prie, de me donner son addresse ; car
je lui dois une réponse et je lui écrirois bien
sans cela ; mais je n'ai pas avec moi sa lettre,
ayant laissé en Angleterre tout mon petit bagage
et tous mes papiers qui y sont encore. Je ne
doute pas, mon excellente amie, que le bonheur
de cette chère enfant en augmentant le votre ne
raffermisse de plus votre santé que j ai appris,
avec le plus sensible plaisir être bien rétablie.
Dieu veuille vous la conserver pour le bien de
votre famille et de vos amis. J'attends avec
impatience de vos nouvelles. Vous pouvez
m'écrire sous cette unique addresse : Pour le
citojjen, dansuneenveloppeaddressée// J7'. Co'm-
detàV Hôtelle Blanc^rue deC lery A Paris. Jevous
120 LKTTR ES INÉDITES
demande aussi des nouvelles du très cher Papa
à qui j'attends impatiemmentroccasion décrire,
et des chères sœurs qui sont avec lui. Hocevez,
très chère amie, avec mon respect mes plus
tendres salutations.
XXXI
A Messieurs
Messieurs Boy de la Tow\ à Lyon.
A Grenoble, le 13 Juillet 1768.
J'ai fini, Messieurs, ma tournée d'herborisa-
tions plustôt que je n'avois cru; quelques pres-
sentimens de mes incommodités ne m'ayant
pas permis de suivre sur les hautes montagnes
mes compagnons de voyage, je les ai laissés à
la Chartreuse d'où je suis revenu avant hier en
celte Ville chercher le repos que j'espère y
trouver par les bons soins de M. Bovier qui
s'en est beaucoup donné pour moi et qui m'a
procuré un logement tranquille. C'est un nou-
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 121
veau remerciment, Messieurs, à joindre à tous
ceux que je vous dois. Mais je n'entame pas cet
article; il seroit inépuisable, et plus vous avez
de droits à ma reconnoissance, moins vous en
voudriez souiïrir les expressions. Je n'ai point
(ait usage de la lellre pour M' Pascal, elc.^
n'ayant pas eu jusqu'ici besoin de m'en préva-
loir, et cette recommandation, même avant mon
arrivée, s'étant rendu ici plus bruyante qu'il ne
me convenoit. Je n'en suis pas moins obligé aux
Messieurs qui à votre considération me l'avoient
donnée, et je vous prie de leur en faire dere-
chef mes remerciemens.
Quelles nouvelles de la chère Maman? j'en
attends avec impatience. J'espère apprendre de
vous, Messieurs, qu'elle est arrivée en bonne
santé avec ma bonne vieille tante, auprès du
cher Papa pour lequel je prendrai la liberté de
vous envoyer une lettre dans peu de jours. J'en
joindrais une pour elle, et même je n'aurois pas
tant tardé si elle ne me l'eut en quelque façon
défendu elle-même faisant grâce à ma paresse
122 LETTRES INÉDITES
et bien sure de mes sentimens. J'en dis autant
(\e la meilleure ainsi que de la plus aimable des
filles, des femmes, des sœurs, des nourrices et
des amies, dont je vous prie, Messieurs, de me
donner aussi des nouvelles et de tout ce qui
l'intéresse, en attendant que je lui en demande
moi-même ; car je ne renonce pas à ce plaisir.
J'ignore encore quel parti je prendrai. Je
commence à craindre de ne pouvoir soutenir
les fatigues delà tournée des Alpes, cependant
pour peu que mes forces reviennent je suis lou-
jours dans l'intention de la tenter, ce qui me
retiendra dans ce pays pour quelques mois, et
si le séjour me convient j'y pourrai rester
davantage. En attendant que je sois bien déter-
miné, je vous prie, Messieurs, de vouloir bien
relirer et tenir chez vous ce qui pourroit vous
èlreaddressé de Paris pour moi, et si M"' Renou
prend le parti de me venir joindre, de lui
chercher aussi dans votre voisinage une petite
chambre où elle puisse attendre de mes nou-
\elles avant de continuer sa route jusqu'ici.
DE JEAX-JACQUES ROUSSEAU. l^-l'i
Enfin si l'un de vous veut bien prendre la peine
de la présenter à Madame votre sœur je vous
serai sensiblement obligé de celte complai-
sance.
Agréez, Messieurs, je vous supplie, tous les
sentimens de mon cœur qui vous sont si bien
acquis et avec lesquels je ne cesserai jamais
d'être, Messieurs, Votre très humble et très
obéissant serviteur,
REXOU.
XXXII
A Mo?2sieur
Monsieur Boy de la Tour[l\LÎné]^ à Lyon.
A Grenoble, le 22 Juillet 1768.
Voici, Monsieur, deux lettres que je prends la
liberté de vous addresser en vous donnant un
petit bon jour de bien bon cœur mais bien à la
hâte ; vu les tracas qui m'ont retardé et l'heure
du Courrier. Mille salutations à Monsieur voire
l'2A LETTRES INÉDITES
frère eldes nouvelles d'Iverdun et de Fourviére,
je vous supplie, quand vous voudrez bien me don-
ner des vôtres. Onpeutcontinueràm'écriresous
le couvert de M. Bovier qui est plein de bontés
pour moi. Cependant comme le Comte de Ton-
nerre veut bien que mes lettres viennent sous son
enveloppe, je joins ici son addresse vous priant de
la donner aussi à Madame De Lessert. Je vous
embrasse, mon cher Monsieur et vous salue avec
le plus véritable attachement.
RE.XOU.
A Mofîsieur le Comte de Tonnerre, Lieutenant
Général des armées du Roy, Commandant
pour S. M. en Daupkïné, A Grenoble.
et dans l'enveloppe tout simplement :
A 31. Renou. J'ai fait mention de robservaliun
contenue dans vôtre lettre.
DE JEAX-JACQUES ROL'SSEAU. 1^5
XXXIII
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour rainé, rue de la Fonl,
à Lyon,
A Bourgoin le 13 Aoust 1768 '.
J'arrive. Monsieur, à Bourgoin et je compte
y loger à la Fontaine d'or ; il pourroit cepen-
dant arriver que je fusse obligé de prendre
1 . Quand il eut quitté Wootton, Jean-Jacques fut reçu
en France par le marquis de Mirabeau, qui le cacha dans
sa campagne de Fleury-sous-Meudon, puis par le prince de
Conti dans son château de Trie, près Gisors. Il prit le faux
nom de Reriou moins pour se cacher que pour ne pas blesser
le roi. On savait sa présence en France et la police eut ordre
de la tolérer. Jean-Jacques était protégé par le maréchal,
<;orate de Clermont-Tonnerre, lieutenant du roi en Dau-
phiné. C'est vers cette lieutenance qu'il se dirigea en quit-
tant Trie. Il passa à Lyon, à Grenoble, à Chambéry, alla
visiter la tombe de madame de Warens, se sépara momen-
tanément de Thérèse, songea même au suicide (lettre à
Thérèse du 25 juillet 1768) et finit par se réfugier à Bour-
goin en Dauphiné, où il logea dans l'auberge de la Fontaine
d'Or qu'on voit encore aujourd'hui avec la même enseigne.
— Bourgoin est un chef-li eu de canton de l'Isère à 67 kilom.
N.-O. de Grenoble.
1-26 LETTRES INÉDITES
une autre auberge, mais je réclamerai à la
posle toutes les lettres qui pourroient y arriver
à mon nom. J'attends ici, Monsieur, de vos
nouvelles et de celles de Madame votre sœur à
qui j'écrivis hier par la poste, et ne partirai pas
non plus dici que je n'aye receu de celles de
M"° Renou, qui a du partir de Trye le 4, et
dont je n'cntens plus parler. Pardon du bar-
bouillage, et recevez, je vous prie, Monsieur,
.pour vous et pour toute la famille mes plus
tendres embrassements.
RENOU.
XXXIV
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour l'ai né, à Lyon.
A Boiirgoin, à la Fontaine d'or, le 13 Aoust 1768.
En arrivant ici Monsieur, avant hier j'eus
l'honneur de vous écrire un mol à la hâte
dont un des passagers du Carrosse voulut bien
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 127
se charger. Pour plus de sûreté j'ai celui de
vous réitérer ici l'avis de mon arrivée dans
cette auberge où j'allens de vos nouvelles et
de celles de M"' Renou qui ayant dû partir le
quatre de Trye devroit être à Lyon ou bien
près d'y arriver. Comme je demeure ici en
suspens jusqu'à sa venue ou jusqu'à ce au
moins que j'aye de ses nouvelles positives, et
comme les momens pressent, il m'importe
de savoir le plus tôt possible à quoi m'en tenir.
Quelque sensiljle que me fut le plaisir de vous
revoir tous un moment, comme je suis horri-
blement fatigué et que je reserve le reste de
mes forces pour les voyages indispensables, je
préfère qu'elle vienne me joindre ici. Ainsi je
vous prie, Monsieur, de vouloir bien la faire
partir par le carosse le plus lot qu'il sera pos-
sible, et me donner par la poste avis de Son
départ. Comme j'ignore ce que nous devien-
drons l'un et l'autre, et que selon toute appa-
rence elle retournera dans peu de jours, elle
fera bien de n'apporter ici que quelque linge
128 LETTRES INÉDITES
et bardes, et de laisser sa malle à Lyon '.
J'ai avec M. Bovier quelque petit compte qui
doit èlre fort peu de chose, mais qui n'ayant
pu être réglé à mon départ m'a forcé de l'ad-
dresser à vous pour le rembourser, de quoi
je vous prie, n'ayant du reste fait aucun
usage du crédit que vous m'aviez donné près
de lui.
Que fait la INIaman, comment va sa santé,
quand reviendra-t-elle? J'attends des nou-
velles de Fourviéres, de toute la famille, de
tout ce qui vous intéresse, et qui, par consé-
quent m'intéresse aussi. Je vous embrasse,
Monsieur, de tout mon cœur.
RENOU.
J. M. Chantelauze dans Le Livre, 10 mai 188i, suppose,
cette même année 1768, au sortir du château de Trie, une
rupture entre Jean-Jacques et Tliérèse. La lettre ci-dessus
-constate au contraire une sollicitude qui écarte toute idée
de divorce.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 129
XXXV
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour Vaine, 7'iie de la Font,
à Lyon.
A Bourgoin le 24 Aoust 1768.
Comment le cœur ne vous reproche-t-il pas,
Monsieur, de vous être levé pour m'écrire
étant malade, sans me rien dire de votre état,
et de n'avoir pas même daigné dans votre
seconde lettre me dire au moins un mot de
votre rétablissement? .Je dois le supposer de
votre silence sans quoi je ne vous pardonnerois
pas même de m'avoir écrit, sûr que Monsieur
votre frère auroit bien eu la complaisance de
me communiquer à votre place l'avis de
M. la Roche et n' auroit pas eu pour me par-
ler de votre état la même négligence que vous.
Dans la lettre que je prends la liberté de
vous addresser pour Madame votre sœur, il y
en a une pour M"' Renou dans laquelle je
130 LETTRES INÉDITES
lui parle au long de son voyage et de l'espèce
de voiture qu'elle doit préférer*. L'état d'indé-
cision où je suis, la certitude des maux qui
m'attendent quelque parti que je prenne, la
dureté du choix, mon corps souffrant, ma têle
affectée font que j'ose à peine me fier à moi-
même et que j'aime mieux m'en rapporter
à ce qui sera délibéré entre vous pour le mieux.
Mon cher Monsieur, vous devez être bien las
des embarras toujours renaissans que je vous
donne. Il faudra bien que tout cela finisse de
manière ou d'autre, mais ce qui ne finira pas,
je vous assure, sera la reconnoissance qui m'en
restera pour vos bontés.
Je n'ai nulle nouvelle d'Iverdun. Ce silence
m'inquiette, l'avis que j'ai pris la liberté d'y
donner auroit-il été communiqué ou mal reçu :
cela seroit bien assortissant au malheur qui
me suit constamment dans tout ce que j'entre-
prends de plus juste et de plus honnête. Soyez
i. Elle attendit à Lyon que Jean-Jacques fût installé pour
le rejoindre. Voiture veut dire moyen de transport.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 131
sur au moins quoi qu il arrive que vous n'avez
point été compromis, et qu'on ne découvrira
jamais par mon canal la première source de
cet avis, que j'ai cru donner avec toute la re-
serve et toute la discrétion imaginable.
Si M"^ Renou se décide pour prendre une
chaise, quoique je le sois presque pour ne pas
aller à Grenoble, je voudrois toutefois pour
plus de liberté stipuler avec le voiturier l'obli-
gation de nous y mener si nous l'aimions mieux,
puisque les distances sont à peu près égales des
deux cotés. Votre idée de prendre le carrosse
pour venir jusqu'ici est peut être la plus sage;
le pis sera de passer encore ici quelques jours
si nous voulons aller à Chamberi jusqu'à ce que
nous trouvions une voilure qui nous y mène.
Le mal est que cette voiture ne se trouvant
pas sur le lieu je ne sais pas trop d'où ni
comment la faire venir. 11 faut avouer que tout
cela est bien embarrassant et que je suis bien
à plaindre.
Mes honneurs, je vous prie, a Monsieur voire
VS'2 LETTRES INÉDITES
frère, et recevez avec amitié mes embrasse-
mens et salutations.
nE:sou.
J'ai cliez M. Bovier un petit compte peu
considérable dont je l'ai prié de recevoir de
vous l'acquit que je vous prie aussi d'en faire,
à moins que retournant à Grenoble je n'aye
occasion de l'acquitter moi-même, ce que je
ne prévois pas extrêmement. Je suppose,.
Monsieur, que vous avez le soin de me passer
en compte non-seulement les lettres que vou&
recevez pour moi, mais celles que vous recevez
de moi, et qui ne sont malheureusement au
lieu des témoignages d'amitié dont je vou-
drois uniquement m'occuper que des commis-
sions dont vous avez toute l'importunité et
que vous voulez bien faire pour moi.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 133
XXXYI
A Monsieu)'
Monsieur Boy de la Tour Vainé^ à Lyon,
A Bourgoin, le 23 Aoust 1768.
Je reçois votre lettre, Monsieur, et celle de
Madame votre sœur dont j'avois grand besoin
d'apprendre des nouvelles depuis ce que j'ai
appris de sa course. On achevé de me rendre
fou et je ne puis lui écrire aujourd'hui. L'ad-
dresse de M. de la Roche est à V Hôtel de
Luxembourg rue S^ 31 arc à Paris.
Je vous salue, Monsieur, et vous embrasse
de tout mon cœur.
RENOU.
XXXYII
A Mo?isieur
Monsieur Boy de la Tour hdné^ à Lyon,
A Bourgoin, le 26 Aoust 1768.
M"^ Renou m'arrive, Monsieur, au moment
134 LETTRES INÉDITES
que j'attendois le moins. Je vous suis obligé
de cette surprise, mais elle me donne quelque
embarras qui m'empêche d'écrire à Madame
de Lessert pour cet ordinaire, le retard ne
sera pas long, et j'ai bien des choses à lui
dire. Nous attendons pour Lundi prochain
l'équipage et l'envoi que vous voulez bien vous
charger de nous faire, et qui nous retient ici
jusqu'à ce que nous l'ayons receu. Je ne sais
pas sûrement encore où se dirigera notre
marche ultérieure, mais il est peu apparent que
ce soit vers Grenoble, ni de vos cotés puisqu'on
ne me permet pas d'y rester. Le moment est
critique. J'y penserai jusqu'à Lundi après quoi
vous aurez de mes nouvelles. Recevez, en atten-
dant, les remerciements, qu'il faut que je vous
réitère sans cesse, puisque vous ne cessez point
d'être exposé pour moi à de nouveaux embarras.
Je vous salue, Monsieur, de tout mon cœur.
RENOU.
Une tabatière remise à M"' Renou et dé-
3^'
l'AC-SIMILÉ DU L'ÉClUTUllli ET Uli L'OllTIlOCMlAI'Llli Uli TlIÈKÈSIi LIJVASSEUU.
c^cai/cw^tf dcuLkn diundn L'tffcrjf cm( mm n'eut
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 135
posée par elle dans votre chambre n'ayant
point été trouvée parmi ses effets, me fait sup-
poser que peut-être en avez-vous chargé le
cocher qui ne la lui a point remise et à qui vous
êtes prié, Monsieur, de vouloir bien la faire
redemander.
XXXVIII
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour rainé, à Lyon.
A Bourgoin, le 2 T''''^ 1768.
Hier au soir, Monsieur, je receus deux malles
de Mad' Renou que vous avez eu la bonté de
m'expédier. Je vous prie d'en vouloir bien faire
de même à votre comodité de celle qui vous a
été envoyée ci devant par M. de la Roche. Les
approches de l'hiver me déterminant à le pas-
ser dans le lieu où je suis et oîi j'ai loué pour
cela un appartement. Ilestbientems, Monsieur,
que je respire, et que je vous laisse respirer ;
car en vérité j'ai honte de tous les tracas que je
i3G LETTRES INÉDITES
VOUS donne depuis près de trois mois. J'ai pour-
tant grand peur que vous n'en soyez pas tout à
fait quite et que je ne vous importune encore de
quelques petites empiètes pour completter mon
petit ménage, quoique je loue un appartement
meublé. Madame de Lessert aura pu vous dire
que M"" Renou est devenue ma sœur Sara,
et que je suis son frère Abraham. Si tous les
mariages commençaient ainsi par un attache-
ment de 25 ans ' confirmé par l'estime, ne pensez-
vous pas qu'ils en seroient généralement plus
unis? Je serois assez curieux d'apprendre ce que
sera finalement devenu mon argent que M. de
la Hoche a jugé à propos de faire promener de
capuciniére en capuciniére, par une de ces
petites lésines fort obligeantes, sans doute, mais
plus ruineuses que la prodigalité et pour les-
quellesj'ai la plus souveraine aversion. Conve-
nez que c'est une bien plaisante idée d'aller
choisir des capucins pour banquiers ; je vous
i. Voy. p. 39.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU, 137
réponds que quand je serai le maitre ils ne se-
ront sûrement pas les miens.
Bonjour, Monsieur, mes honneurs je vous
prie et ceux de ma femme à Monsieur votre
frère et à tout ce qui vous appartient. Elle vous
salue trés-humblement et je vous embrasse,
Monsieur, de tout mon cœur.
RENOU.
Je suis d'avis que vous suspendiez l'envoi de
la malle jusqu'à celui des commissions dont je
prendrai la liberté de vous charger.
XXXIX
A Madame
Madame Boy de la Tour.
A Bourgoin, le 5 1'^^" 1768.
Comment, peut-on, chère et bonne amie,
penser àvous si souvent et vous écrire si peu ?
voila pourtant mon histoire. Errant, paresseux
accablé, découragé, mais toujours le cœur plein
138 LETTRES INÉDITES
de vous, le souvenir de voire aimable et conso-
lant accueil et de toutes les amitiés dont vous
m'avez comblé me suit dans toutes mes courses,
me tient attaché de cœur à votre demeure, et
m'empêche au moins de m'en éloigner puisqu'il
m'est défendu de m'y fixer tout à fait. Je me suis
déterminé, voyant la saison déjà fort avancée
à passer l'hiver dans ce bourg ou je serai à por-
tée d'avoir souvent des nouvelles de l'aimable
Madelon, de sa digne Maman et peut-être de les
voir quelquefois au retour de la belle saison. J'ap-
prends^ chère amie, que votre santé s'affermit
de jour en jour au pays natal, près du très bon
papa, des chères sœurs, du cher Cousin, de sa
charmante épouse et enfin de tout ce qui vous
entoure, vous aime et s'empresse à vous caresser.
Que n'ai-je ma part, chère amie, d'une occupa-
tion qui me seroit si douce en tout lieu et prin-
cipalement aux lieux oi!i vous êtes et en ceux
où vous êtes attendue de retour dans peu? Per-
mettez-moi d'espérer pouvoir m'y livrer même
en ceux que j'habite et que vous ne dédaignerez
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 139
pas d'y venir recevoir quelques momens les
homages de deux cœurs unis en toute chose et
surtout pour vous aimer '. Notre jolie nourrice
vous aura marqué que la compagne de mon
sort et de mes malheurs n'ayant voulu m'aban-
donner en aucune circonstance, j'ai cru lui de-
voir de faire que puisqu'elle étoit déterminée à
suivre en tout et partout ma destinée, elle peut
la suivre avec honneur. Si vingt-cinq ans d'alta-
chement et d'estime précédoient tous les ma-
riages il est à croire qu'ils en seroient générale-
ment plus heureux. Le notre lésera, je l'espère;
surtout si comme je l'espère aussi il obtient votre
approbation et celle des seuls vrais amis sur
lesquels je compte, surtout le Papa, M. le Colo-
nel, votre excellente fille et toute votre famille.
Ne m'oubliez pas je vous prie auprès de tout ce
1. C'est à Bourgoin qu'eut lieu le fameux mariage civil de
Rousseau et de Thérèse, à l'auberge, devant le maire. Ce
fut une scène très touchante et un peu burlesque. Voir le
très curieux récit de Champagneux, qui assistait à la céré-
monie, et Louis FocHiER, Séjour de Jean-Jacques Rousseau à
Bourgoin, 1860.
i40 LETTRES INÉDITES
qui vous appartient à Iverduin ni à Neufchatel
auprès de Mad' De Luze et M. Du Peyrou
qui vous priera peut-être de vous charger pour
moi de quelques paperasses. Adieu, très chère
et bonne amie, permettez que j'envoye d'ici
le baiser de paix à ma très vénérable tante, que
chacun s'attend à trouver à son retour sainte et
dévote comme une Madonne, et grave comme
un Gaton. Je vous embrasse dans toute la ten-
dresse de mon cœur.
•le ne me suis pas pressé d'apprendre à Mon-
sieur Roguin la triste nouvelle de la mort de son
ami M. de Rosière \ sur ce que m'avait marqué
le Papa dans sa dernière lettre, je comptois
l'embrasser ici, mais je n'ai plus trouvé au lieu
de lui que M. son neveu, Maire de cette Ville ^,
M. son fils, Officier d'artillerie, qui tous deux,
m'ont fait beaucoup d'amitiés et doivent l'un
1. Cousin de Champagneux.
2. Champagneux.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 141
OU l'autre avoir écrit au Papa ou lui écrire dans
peu\
XL
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour l'ainé, à Lyon.
A Bourgoin, le 5 T^"-^ 1768.
Comment, Monsieur, c'est pour moi que vous
avez demandé le passeport que j'avois chargé
M"' Renou de demander pour elle à son pas-
sage à Lyon? Voilà qui paraît bizarre. Si vous
eussiez obtenu ce passeport, ce qui, à la vé-
rité, étoit de toute impossibilité, je me serois
1. Rousseau ne signe plus. Il n'a pas encore prévenu son
amie du pseudonyme qu'il a pris, Renou. Dans les com-
mencements, Coindet lui avait écrit : A Monsieur Renout.
Rousseau lui répondit par cet amusant post-scriptum :
« Renou. Je signe exprès mon nom afln que vous n'y mettiez
plus le t dont vous nous gratifiez à l'insu de nos ancêtres
et qui, s'il passait contre l'orthographie de nos titres, serait
capable de plonger dans la roture l'ancienne et illustre
maison des Renou. » Cette note est rare chez Rousseau.
142 LETTRES INÉDITES
trouvé munis de quatre passeports, pour moi
et cependant retenu au passage à cause de
M"" Renou qui n'en aurait point eu pour
elle. Car j'ai été témoin de pareille aventure
au Fort Barrault, et c'étoit pour cela que je
l'avois avertie de se munir d'un passeport,
attendu que les miens ne parlant pas d'elle ne
pouvoient lui servir de rien. Je ne sais ce que
pourront penser les personnes en place d'une
pareille incartade de ma part; le mieux qu'il
m'en puisse arriver est qu'ils se contentent de
me croire devenu complettement fou.
Voici, Monsieur, une lettre que je vous prie
de vouloir bien faire passer à la bonne Maman
dont j'apprens avec bien delajoyeque la santé
s'affermit dejour en jour. Voici aussi une petite
note de quelques emplettes dont je prends la
liberté de vous donner encore l'importunité
pour completter l'établissement de mon petit
ménage. Comme M. de Rosières me prête sa
batterie de Cuisine qui est à Grenoble et que je
ne sais pas encore en quoi elle consistera, il se
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 143
pourra très bien que j'aye des additions à faire
à cette liste, et en ce cas je vous en enverrai la
note par une femme qui va toutes les semaines
à Lyon avec des charriots qu'elle charge des
provisions qu'on lui donne. Je pense que vous
pourriez avoir la bonté de m'envoyer par elle
la semaine prochaine et tout à la fois ma malle
d'envoi de M. de la Roche, la robe que j'ai prié
Madame votre sœur de vouloir bien acheter
pour ma femme et que je vous prie de payer
ainsi que l'alliance d'or, le petit cadeau pour
Mad' Bovier et toutes les autres petites emplettes
portées tant dans la présente note que dans
celle qui lui servira de supplément. Je pense
encore que pour vous éviter pour l'avenir le
tracas perpétuel de mespetites fournitures, vous
m'obligeriez de me marquer les addresses des
marchands connus de vous, et chez lesquels
j'enverrai celte femme acheter les choses dont
j'aurois besoin principalement Epicier, Papetier
et Mercier ou Quincailler, sans oublier le Mar-
chand de bonnes Chandelles, car Madame votre
144 LETTRES INÉDITES
Mère avoit eu la bonté de m'en envoyer d'excel-
lentes à Molier. Au moyen desdites addresses
et d'un mot que vous auriez la bonté de dire
auxdits marchands pour les engager à me
bien servir, cette femme, qu'on dit entendue,
me fera toutes mes commissions, les payera et
je vous laisserai respirer. Tout cela fait, il vous
plaira, Monsieur, de m'envoyer la noie de tout
ce que vous aurez déboursé pour moi, compris
les mémoires de M' Bovier, et vous aurez la
bonté de vous rembourser sur l'argent qui doit
m'être envoyé par M. de la Hoche pour la lettre
de change prolestée ou, si cet argent ne revient
pas, de le passer en compte sur celui que j'ai
dans votre Maison.
J'oubliois encore un petit compte que je dois
avoir chez M. d'Ivernois de Genève et que je vous
prie de vouloir bien acquitter quand il vous sera
présenté et même le faire acquitter à Genève si
on ne vous le présente pas à Lyon. Passé cela,
je vous prie aussi de ne plus recevoir aucune
lettre pour moi d'aucun Genevois surtout des
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 145
représentans sans en excepter M. d'Ivernois
étant résolu de n'avoir plus aucune correspon-
dance avec aucun de ces Messieurs à qui je ne
puis plus être bon à rien.
Mille salutations, je vous prie, à Monsieur
votre frère; je vous fais les miennes, Monsieur,
et celles de ma femme de tout notre cœur.
RENOU.
XLI
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour Valné^ à Lyon.
A Bourgoin, 9 7»"= 1768.
Voici, Monsieur, de nouveaux embarras.
Veuillez, je vous supplie, affranchir les incluses
et leur donner cours le plustot possible, vu
que le sujet en est aussi pressant que désagréa-
ble.
J'espère que la Messagère me rapportera Mer-
credi avec ma malle quelques unes des Gommis-
iO
146 LETTRES INÉDITES
lions dont j'ai pris la liberté de vous envoyer
sa note.
On me prête des couteaux et un moulin à
caffé, ainsi si Fempletle de ces articles n'est
pas faite encore on la peut retrancher.
Je m'imagine que nous aurons enfin des nou-
velles de mon argent, et que nous parviendrons
à savoir ce qu'il est devenu.
Je vous salue. Monsieur, et vous embrasse
de tout mon cœur.
XLII
A Monsieur
Mo7isieur Boy de la Tour Caînê^ rue de la Font^
à Lyon.
A Bourgoin, le 21 T^'-'^ 1768.
J'aireceu, Monsieur, tous les articles portés
dans la lettre que vous me fîtes l'honneur de
m'écrirele 16. A l'exception des emplettes pour
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 147
mon futur ménage dont la messagère ne m'a
rien apporté du tout si les dites emplettes sont
déjà faites je vous l'enverrai pour les recevoir,
mais si elles ne le sont pas, je vous prie, Mon-
sieur, de ne rien achetter, jusqu'à nouvel avis.
La robbe que Madame votre sœur a eu la bonté
d'acbetler pour ma femme n'étant point à son
usage ni telle que je l'avois demandé, nous
devient inutile, Mad' Renou est trop sensée et
trop bien née* pour consentir jamais à la porter,
surtout dans la circonstance oii nous sommes.
Ainsi je ne sais qu'en faire, ne voulant pas
donner à Madame votre sœur l'embarras de la
rendre, et n'osant même la renvoyer pour tâcher
de l'échanger contre quelque droguet gris ou
brun, dans la crainte qu'il n'y ait quelque diffi-
culté pour l'entrée.
Vous aviez marqué à M. de la Roche de ren-
voyer le billet parce que le Moine avoit trouvé
de l'argent; et vous me marquez. Monsieur,
1. L'ancienne goton de l'hôtel Saint-Quentin a dû se
rengorger à cette phrase.
148 LETTRES INEDITES
qu'il VOUS a donné une rescripliou qui est un
effet solide. Je le crois ; mais rien n'est plus
solide que l'argent même, et je ne comprends
point pourquoi le dit Moine n'en a pas donné.
Vous ajoutez qu'après avoir pris vos débours
comme je vous en prie, vous tiendrez le reste
à ma disposition. Ce n'est pas là, Monsieur,
ce qui! faut faire s'il vous plait; mais bien
me le faire tenir ici le plustôt possible; car
j'aurois le lems de me bien ruiner dans ce ca-
baret en l'attendant, s'il mettoit autant de tems
à venir de Lyon à Bourgoin qu'il en a mis à
venir de Paris à Lyon. .Jai renoncé, pour cause
à moi connue, au logement qu'on me préparoit
ici et dont il faut dédomager le propriétaire
et il n'y a que l'attente que cet argent si lent à
venir qui me retienne encore en cette ville '.
Voici une petite anecdote qui pourra vous
amuser. M. Bovier fils, depuis mon départ de
1. Jean-Jacques est de mauvaise humeur, il a le ton
quinteux.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 149
Grenoble, y a déterré un garçon Chamoiseur
nommé Thévenin qui prétend avoir prêté ou
donné en Suisse dans un cabaret neuf francs à
un nommé J. J. R. qu'on dit être de votre
connaissance. Ledit J. J. R. ne convient pas du
fait, et prétend que ledit Thévenin est un
imposteur, on dit même qu'il le prouve; mais
ledit Thévenin paraît si bon homme, a l'air
si bénin, et d'ailleurs est si bien protégé, que le
public de Grenoble, tout à fait bien disposé pour
lui, voudroit fort le favoriser aux dépends de
l'autre et faire en sorte que ce fut ledit J. J. R.
qui fut le fripon. Malheureusement, par des
informations faites sur les lieux, il se trouve
que ledit bonhomme de Thévenin a eu ci-
devant l'honneur d'être condanné par arrêt du
Parlement de Paris à être fouetté, marqué et
envoyé aux Galères pour fabrication de faux
actes; mais comme en revanche ledit J. J. R. a
aussi été décrété, ce qui est quasi la même chose,
on espère encore que les choses pourront s'ar-
ranger à la sastisfaction de ce pauvre Thévenin.
150 LETTRES INÉDITES
Il est tout simple que le préjugé public soit eu
sa faveur, parce qu'on sait que sa coutume est
de prêter ainsi de l'argent en passant à tout le
monde, même aux gens qu'il ne connoit point
du tout, et que ledit J. J. R. est connu pour un
coureur de cabarets qui va piquant à droite et
à gauche quelques écus dans la poche des qui-
dams assez sots pour lui en prêter.
Je n'ai, je vous proteste, aucune copie du
griffonnage dont vous me parlez; j'en avois
envoyé une à Lyon, très fidelle, sur laquelle j'ai
vu qu'on en avoit fait d'autres toutes défigurées
et pleines des plus ridicules contresens. Ma
foi, Monsieur, laissons courir l'eau et dire les
médians : on ne peut pas plus empêcher l'un
que l'autre. Quand les hommes auront eu leur
tour, la providence aura le sien; je n'ai plus
désormais d'autre confiance; mais celle-là me
suffit et je prends mon parti sur tout le reste.
Je vois avec regret, Monsieur, que mes
importunités vous viennent au milieu de vos
plus grandes occupations. Cependant je n'ai pu
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. loi
VOUS les éviter jusqu'à présent. Je tâcherai d'être
plus discret dans la suite, quoique je sois bien
persuadé que je trouverai toujours en vous la
même bonne volonté. J'ai des nouvelles du bon
papaRoguin, et aucune de la Maman, je vous
avoue que ce silence obstiné me surprend. Je
vous salue, Monsieur, et Monsieur votre frère
de tout mon cœur.
RENOU.
XLIII
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour fainé, à Lyon.
A Bourgoin, le 26 T'^''^ 1768.
J'espére, Monsieur, que vous serez arrivés
l'un et l'autre heureusement, sans accident,
assez à tems pour trouver la porte ouverte, et
qu'ainsi vous n'aurez point eu à vous repentir
de votre bonne œuvre, ni du double bien que
vous m'avez fait, premièrement de vous voir, et
152 LETTRES INÉDITES
puis d'aquérir par vous une aussi bonne con-
naissance. Voici une lettre pour M. Roguin à
laquelle je vous prie de vouloir bien donner
cours. Il m'a été impossible de vous faire depuis
hier la longue copie de celle que vous désirez ;
cela me seroit même, vu mon état, difficile pour
le premier ordinaire; mais voici l'expédient
que je prendrai pour cela sans me fatiguer ;
c'est d'achever une copie que j'avois commencée
pour M. du Peyrou, de vous l'addresser afin
que vous puissiez la faire transcrire si vous
jugez à propos, et de vous prier de vouloir bien
ensuite lui faire passer sans retard l'original. Je
compte vous l'envoyer par le prochain Courrier
sous une simple enveloppe et sans y rien ajouter
à moins que cela ne soit nécessaire, me conten-
tant de vous prévenir aujourd'hui de l'usage
que je désire que vous en fassiez. Ne m'oubliez
pas, je vous supplie, ni ma femme, auprès de
Madame votre sœur, de Monsieur votre frère, et
de votre aimable compagnon de voyage. Je
vous embrasse, mon cher Monsieur, de tout
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 153
mon cœur, et ma femme vous offre ses
obéissances.
RE>OU.
XLIV
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour l'aîné^ à Lyon.
A Bourgoin, le 5 8"" 1768.
Comme vous attendiez, Monsieur, de jour en
jour l'arrivée de la chère Maman, je vous en
aurois demandé plustot des nouvelles, si, sur ce
que vous m'aviez marqué de la commission dont
vous aviez bien voulu vous charger pour Mad^ Re-
nou, je n'eusse un peu retardé pour vous en
accuser en même tems la réception. Mais mon
impatience ne permet pas d'attendre davantage
à m'informer si vous avez maintenant le plaisir
d'avoir cette bonne Maman de retour avec ma
tante, toutes deux en bonne santé. Donnez-moi,
je vous en prie, le plaisir de prendre part au
votre sitôt que vous les aurez près de vous.
154 LETTRES INÉDITES
Sur les preuves de l'imposture dudit Theve-
nin*,M. le Comte de Tonnerre m'a fait enfin ré-
ponse, non pas qu'il lui feroit avouer son impos-
ture, mais au contraire qu'il lui imposeroit
silence. Sur ce pied là, si Thévenin m'eut volé
ma bourse, au lieu de l'obliger à la rendre on
lui ordonneroit de ne me plus voler. Que pensez
vous de cette façon de me rendre la justice
qu'on m'a promise et qu'assurément on me
doit? Pour moi je ne doute nullement que l'im-
punité de ce coquin n'encourage ceux qui l'ont
apposté à en apposter d'autres. Mais pour le coup
je ne serai plus leur dupe, et sur de n'obtenir
aucune justice, je ne m'abaisserai plus à la
demander*.
Il est vrai. Monsieur, que je ne trouvai que
soixante neuf Louis dans la bourse que vous
me remites, mais me fiant plus à votre calcul
qu'au mien je crus que l'erreur venait de ma
part et je ne vous aurois assurément jamais
i. On croit entendre Alceste.
2. Voyez page 149 le récit de cette affaire.
DE JEA.N-JACQUES ROUSSEAU. 155
parlé de celte bagatelle si vous ne l'eussiez
vous-même exigé.
Je vous suis extrêmement obligé de me donner
exactement des nouvelles de Fourviére. Je suis
avec ma Cousine^ dans un retard inexcusable,
mais elle est bien sure qu'envers elle la faute
de ma paresse ne sera jamais celle de mon
cœur. Je compte lui écrire au premier jour. En
attendant, ne m'oubliez pas ni ma femme,
auprès d'elle, je vous supplie. Je vous salue et
vous embrasse, Monsieur, de tout mon cœur.
RENOU.
Mad' Renou vous salue trés-humblement.
XLV
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Bourgoin, le 12 8^'"'^ 1768.
Bien et très bien arrivée, chère et bonne
amie ; vos enfans et vos voisins étoient fort jaloux
1. Madelon de Lessert.
loG LETTRES INÉDITES
qu'une de vos familles vous possédât si longlems
aux dépends de l'autre. Enfin, grâce au Ciel, nous
voila rapprochés et votre santé va bien; il ne
manque à ma satisfaction parfaite que de fran-
chir tout à fait l'espace qui nous sépare, et de
me revoir, ne fusse* que pour un moment, aux
pieds des deux excellentes amies sur lesquelles
je compte le plus au monde, et pour dire encore
plus et plus vrai, sur lesquelles seules je compte.
Mad*" Renou' qui partage mon empressement
et mes sentimens, voudroit être déjà partie et
nous le serions si toutes choses s'arrangeoient
suivant nos désirs. Mais puisque nous avons si
peu de tems à nous voir^ je voudrais du moins
que nous puissions jouir de ce peu autant à
notre aise qu'il est possible et je vous avoue
que s'il y avoit moyen de passer une soirée
ensemble, je l'aimerois mieux qu'un diné en
l'air, où l'on compte les minutes pour se ména-
1. Sic.
2. Rousseau a gardé pour se marier son pseudonyme
Renou.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 157
ger le tems du retour. INous sommes lout prêts
à faire le voyage pour vous aller embrasser F une
et l'autre et repartir le lendemain, car je ne
puis m'absenter plus longtems. Je vous avoue
pourtant que les suites d'une course désagréable
et fatigante que j'ai faite à Grenoble jointes à
Feffet pernicieux des premiers froids pour mon
état me feroient permettre que ce fut vous qui
fissiez le voyage, si cela se pouvoit sans vous
trop déranger, d'autant plus qu'il ne m'est pas
aisé de trouver ici une chaise, soit avec les
mêmes chevaux, soit, comme je le préférerois,
avec des chevaux de poste. Puisquenôtre bonne
et belle nourrice' a cessé de l'être, elle peut sans
inconvénient se donner ce petit campos. En
dinant un peu de bonne heure vous pouvez
venir coucher ici sans peine et retourner le len-
demain diner chez vous : cela ne fait qu'une
journée en tout; il faudroit tout autant pour se
rencontrer sur la route, on y est très mal par-
i. Madelon.
J58 LETTRES INÉDITES
tout; vous le serez moins ici, vous trouverez
une assez bonne chambre et si vous ne venez
que vous deux, vous trouverez une femme de
chambre et un serviteur qui tâcheront de sup-
pléer à vos domestiques en tout ce qui dépendra
d'eux; si vous en amenez, ce sera fort bien fait,
mais nous vous demanderons toujours la préfé-
rence pour vous servir. Enfin, soit ici, soit à
Lyon, soit en route, si nous pouvons passer une
soirée tranquillement ensemble, il me semble
que cela sera charmant. Si cet arrangement ne
vous convient pas, dites un mot; il n'y a ni diffi-
culté ni inconvénient qui ne cède au vif em-
pressement que j'ai de vous voir. L'obstacle des
voitures n'est pas insurmontable, je chercherai
quelque chaise ou cabriolet à emprunter et nous
pourrons si vous voulez nous trouver à la ver-
pilliére ou ailleurs à l'heure que vous aurez
prescrilte. Mais je reviens à ce qui me tient si
fort au cœur; j'aime mieux aller et passer à
tout risque un jour ou deux avec vous que de
vous voir qu'une heure ou deux à la volée ; mais
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 139
nous nous verrions ici bien plus à noire aise el
sansrisque d'importuns. Ah combien vous seriez
charmantes l'une et l'autre, si vous pouviez me
donner un jour franc ici, outre celui de votre
arrivée. Ce jour, ce jour seul, ma chère et ex-
cellente amie, me feroit oublier tous mes
malheurs. Je ne finirois pas, si je voulois vous
exprimer combien j'ai le cœur plein du désir de
nous voir un peu entre nous sans crainte de sur-
venans. Mille bon jours à ma belle Cousine ;
j'embrasse de tout mon cœur son excellente
maman. Ma compagne est transportée du désir
de se voir aux pieds de l'une et de l'autre et me
charge de leur témoigner son empressement.
Mille choses à tous vos chers enfans.
160 LETTRES INÉDITES
XL VI
A Monsieur
Mo7isieur Boy de la Tour l'aîné^ à Lyon.
A Bourgoin, le 18 8"" n68.
Permettez, Monsieur, que je vous demande
un petit mot sur la santé de Madame votre Mère
dont je suis en peine, parce que la dernière
lettre de Madame votre sœur m'a donné des
inquiétudes dont rien ne m'a tiré jusqu'ici. Un
mot seulement je vous en prie. Ellese porte bien ;
voila tout ce qu'il me faut. Pardon derechef de
mes importunités continuelles; je vous salue,
Monsieur, de tout mon cœur.
RENOU.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 161
XLVII
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Roguin, à Lyon.
A Bourgoin, le 26 S^-'s 1768.
J'espére que mes vraies et uniques amies
sont heureusement arrivées à Lyon. Les béné-
dictions que le Ciel verse sur les bonnes œuvres
ont du les accompagner dans tout ce voyage
dont le souvenir ne s'effacera jamais de mon
cœur. Un mot de vos nouvelles, chère amie, je
vous eu supplie. J'ai besoin d'en avoir, mais un
mol suffit. Que dites vous delà fatalité de tous
ces contretems qui sont venus troubler le plaisir
de notre entrevue? Je ne puis me consoler de
la mauvaise réception que vous avez trouvée
ici que par l'espoir qu'elle sera réparée, et que
vous ne serez rebutées ni l'une ni l'autre d'exer-
cer les œuvres de miséricorde. J'ai des tas de
réponses accumulées et indispensables à faire
qui m'obhgent de finir brusquement. Adieu,
11
162 LETTRES INÉDITES
chère amie, recevez les plus tendres embrasse-
mens de votre ami pour vous et pour ma Cou-
sine. Ma femme, le cœur pénétré de vos bontés
et des siennes, joint ses sentimens aux miens.
XLYIII
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour rainé, à Lyon.
A Bourgoin, le 9 9^"^ 1768.
J'ai receu, Monsieur, presque en même
tems la caisse, la lettre, la bague et la note
que vous avez eu la bonté de m'envoyer. La
dernière est, par son étendue, une preuve par-
lante de mon indiscrétion. En vérité. Monsieur,
il a fallu toute votre patience pour vous
ennuyer si peu d'être sans cesse occuppé pour
moi ; j'en suis aussi reconnaissant que confus^
mais cela ne vous décourage pas du tems
dérobé à vos affaires pour les miennes. Je
n'avois fait aucune attention au quiproquo du
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 163
prix des lacets ; car dans tout compte qui me
vient de vous je lis la somme et non les
articles. En jettant pourtant les yeux sur celui-
ci, je vois une autre omission que vous avez
faite; c'est celle des ports de lettres depuis
1^'% lesquelles doivent passer à mon avis les
32 1. qui restent; ainsi laissant l'un pour
l'autre, j'ai peur que vous ne perdiez à cette
façon de solder. Tout est très bon et très bien
choisi, surtout la robe dont Mad' Renou est
enchantée, et dont elle vous fait, Monsieur,
mille remercimens. Il n'y a qu'un paquet de
soye noire plate dont elle ne comprend pas
l'usage et qu'elle dit n'avoir pas demandé.
Ainsi, Madame votre Mère ayant marqué qu'on
pourroit renvoyer ce dont on n'auroit pas à
faire, je crois, Monsieur, que nous renverrons
ce paquet là. La campagne n'étant plus guère
tenable, je compte que cette bonne Maman est
à présent de retour. Faites lui je vous prie
agréer nos respects ainsi qu'à Madame votre
sœur en attendant que je remplisse ce devoir
104 LETTRES INÉDITES
moi-même. Bien des salutations à Monsieur
votre frère; ma femme se joint à moi pour
vous faire les noires, Monsieur, de tout notre
cœur.
REiSOU.
LXIX
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Roguïn^ à Lyon^
A Bourgoin, le 14 9»"-^ 1768.
Voici, très chère amie, une lettre pour
Mylord Mareschal que vous m'avez permis de
vous addresser et que vous m'avez promis de
lui faire remettre. Si je désire encore quelque
chose au monde c'est un mot de réponse de
lui. Depuis vôtre départ il m'a été impossible
quelque perquisition que j'aye faite de trouver
ici des châtaignes. J'en sais la raison de même
que du mauvais soupe que vous avez eu. Les
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 165
châtaignes et le soupe, le soupe et les châ-
taignes ; le tout pour tâcher de nous refroidir
entre nous. Ah ma bonne et généreuse amie,
que leurs moyens sont mal choisis et qu'ils
nous connaissent peu l'une et l'autre. La
dernière lettre que vous m'avez écrite avoit été
ouverte, et même très maladroitement, cela
est certain. Donnez-moi, chère amie, de vos
nouvelles, et de celles de ma cousine; j'en ai
besoin. Je deviens paresseux à l'excès; je ne
peux plus écrire. Je dois pourtant et je veux
depuis longtems écrire au digne Papa; cet
excellent ami qui vient en dernier lieu de se
donner tant de soin pour moi. J'ai eu par notre
ami du Peyrou l'arrêt qui condamne l'honnête
Thevenin aux Galères : il me semble que l'em-
ployé et les employeurs sont aussi dignes les
uns des autres. Ma pauvre petite femme vous
embrasse en pleurant d'aise du bien que vous
lui avez fait et à moi par votre visite. Sa robe
est très belle. Si belle que quand elle l'aura ce
sera Ma Dame et ce ne sera plus ma femme.
lOG LETTRES INÉDITES
Si fait pourtant et la sera toujours comme
vous serez toujours mon amie, et moi votre
ami.
RENOU.
L
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Ilogu'm, à Lyon.
A Bourçoin, le 12 Xi"-« 1768.
Encore la voix publique, ma bonne amie !
comme si vous ignoriez que la voix publique
n'est jamais et surtout à mon égard que celle
du mensonge, même en choses indifférentes;
car la bouche de ces pauvres gens qui s'in-
quielent si fort de moi n'est pas faite pour être
Forgane de la vérité. Par cela seul qu'on
publioit que j'avois quité mon auberge vous
deviez conclurre, comme il est vrai, que je n'y
avois pas même songé, quoiqu'il y ait quelque
mérite a y rester sans murmure dans l'état ou
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 167
j'y suis à présent. En cela comme en beaucoup
d'aulres choses j'ai mangé mon pain blanc le
premier. Patience ; je la prends, ma bonne
amie, je trouve vos avis fort bon, je vous en
remercie, je les suivrai de mon mieux. Je suis
comblé de vous savoir bien portante. Je
voudrois qu'il en fut ainsi de ma Cousine, mais
elle est trop raisonnable pour s'inquiéter des
petits inconveniens attachés à son état et qui
ne sont pas des manques de mauvaise santé.
Le pauvre excellent Papa n'est pas dans un cas
aussi favorable; il ne voit plus, ainsi que moi,
dans la vie d'intervalle entre la souffrance et la
mort ; puisque vivre et souffrir ne sont presque
plus que la même chose pour les goutteux
comme pour les infortunés. Je suis en reste de
toute manière envers ce respectable ami ; ce
n'est assurément pas à lui de m'écrire; mais
mon cœur a beau me pousser, l'invincible
paresse m'arrête. Je ne puis plus écrire que
quand il le faut absolument, et quoiqu'occupé
bien tendrement de mes amis, au lieu de leur
168 LETTRES INÉDITES
écrire j'aime mieux chanter à leur honneur
des strophes du Tasse. Je dois une réponse et
des remercimens à Monsieur votre Hls dont
l'ami M. de la Salle s'est fort occupé d'un
logement pour M. Rousseau. Il leur est bien
obligé sans doute ; mais il trouve bien cruel que
l'heureux Monsieur Arouet soit mort si aisé-
ment, et que l'infortuné Rousseau ne puisse
pas mourir quoiqu'il le désire. Ses amis du
moins ne devront pas contribuer aie ressusciter
malgré lui. Quant à ce qui me regarde, ma
bonne amie, je vois par la lettre de M. de la
Salle, que c'est M. Bourgelat, l'intime ami de
M. D'Alembert, qui s'est donné beaucoup
de mouvement pour m'obtenir la permission de
respirer l'air dans la principauté de Bombes.
Cela est très obligeant, très généreux sans
doute, mais avec tout cela je me sens peu
^curieux d'être logé par les soins des amis de
M. D'Alembert. J'ai receu tous vos envois, ma
bonne amie, je ne me souviens pas des détails,
mais j'ai tout receu, et quand j'aurai besoin de
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 169
quelque autre chose je vous donnerai mes
commissions avec autant de confiance que vous
aurez de plaisir à les faire. Ménagez votre
santé et votre estomac. Adieu, ma très bonne
amie, je vous embrasse et tout ce qui vous est
cher. Ma femme ne parle que de vos bontés.
Nous sommes tous deux à vos pieds, mettez-nous
Fun et l'autre à ceux de la charmante Cousine.
LI
A Monsieur
Moiîsieur Boy de la Tour rainé, à Lyon.
A Bourgoin le 13 X''''^ 1*68.
Voici, Monsieur, la lettre de M. de la Salle
que vous avez eu la bonté de m'envoyer, et sur
laquelle j'ai bien des remercimens à vous faire
à tous les deux pour M. Rousseau au logement
duquel vous voulez bien vous intéresser. La
saison qu'il fait ne permet guère en ce moment
de courir les campagnes pour examiner des
170 LETTRES INÉDITES
logemens, et nous serons à temspour y penser,
d'attendre qu'elle soit un peu meilleure. En
attendant, je vous prie, Monsieur, de témoigner
à M. de la Salle et de l'engager à témoigner à
M. Bourgelat toute la reconnoissance de celui
pour lequel ils ont la bonté de s'intéresser. La
mienne Monsieur, vous est aquise depuis
longtems, ce n'est ici qu'une augmentation de
dette dont je ne demanderois pas mieux je
vous assure que de trouver l'occasion de m'ac-
quiter. Vous connoissez, Monsieur, tout mon
dévouement pour vous et pour tout ce qui
vous appartient.
RENOU.
LU
A Bourgoin, le 6 Janvier 1769.
Chère amie, je suis très touché de votre zèle
et ne doute nullement des talents distingués
du Médecin que vous me proposez; mais je ne
puis accepter ses soins bienfaisans, et j'ai dit
DE JEAN-JACQL'ES ROUSSEAU. 171
à M. Tissot lui-même pourquoi les soins me
seroient inutiles s'il éloit à portée de les offrir.
Le séjour que j'habite a fait tout le mal et
c'est dans un autre qu'il se guérira. Je vous
embrasse et ma Cousine de tout mon cœur.
LUI
A Madame
Madame Boy de la Toiir^ à Lyon.
A Bourgoin, le 17 Janv 1769.
J'envoye la Nanon, ma très bonne amie, vos
douceurs me sont trop chères pour que je les
refuse. Je ne refuse rien de la véritable amitié.
J'aurois besoin de beaucoup de choses dont
l'état où je suis et l'embarras d'un déménage-
ment ne me laissent pas détailler la note. Des
fruits de carême, s'ils sont bons. Deux agrafes
pour un corps de femme; une paire de lunettes
appelées conserves, etc. Ayez la bonté de payer
le port afin d'éviter l'embarras si je n'étois
172 LETTRES INÉDITES
plus ici. La coqueliére* pourra également dépo-
ser le paquet à mon auberge d'où on me le
fera parvenir. Dieu veuille, ma chère amie,
que je déménage sous d'heureux auspices \
c'est à dire que je trouve enfin le repos dans
la solitude où je vais me confiner. Adieu, chère
amie ; je vous embrasse de tout mon cœur, la
chère Cousine et tout ce qui vous est cher. Ma
femme joint son cœur au mien pour vous
aimer conjointement de toute notre force.
Je n'ai aucune nouvelle de M. Tissot.
LIV
A Monquin^, le l^-FéV 1769.
Me voici, chère amie, dans ma nouvelle habi-
1. «Coquetier, (lit le Dic<. de T/'i^voi/o?, marchand qui amène
ordinairement à Paris des œufs en coque, du beurre, des-
volailles, du poisson de Somme, etc. » Les statuts de
cette corporation étaient le plus ancien des règlements de
police.
2. Dès la fin de l'année 1768, Rousseau était impatient de
quitter Bourgoin. Madame de Césarges lui offrit délai louer
DE JEAN- JACQUES ROUSSEAU. iTi
talion solitaire, et j'y suis bien, trop bien seule-
ment pour pouvoir oublier que je ne suis pas
à bon compte une ferme qu'elle possédait aux environs et
qu'on baptisait château deMonquin. Il accepta avec empres-
sement. « Monquin, dit L. Fochier, est un vieux petit castel
tout délabré, à une demi-lieue de Bourgoin et sur les hau-
teurs de Maubec. De ce plateau élevé, la vue se projette sur
un magnifique panorama, bordé d'un côlé par les Alpes et
de l'autre par les montagnes du Bugey. De là, Jean-Jacques
apercevait le gigantesque mont Blanc, qui se dresse dans
le lointain et qui lui rappelait la Savoie, la Suisse et Genève
sa patrie. Sur un plan plus rapproché, l'aspect du mont du
Chat parlait à son cœur de la douce vallée de Chambéry,
des Charmettes, et de ses belles et paisibles années. C'est
dans cette retraite qu'il resta jusqu'au commencement de
juin 1770, époque à laquelle il quitta le Dauphiné pour
retourner à Paris.
» Le logement que cet homme célèbre a occupé à Monquin
était autrefois l'objet de fréquents pèlerinages ; aujourd'hui
même encore, des visiteurs fervents, venus souvent de loin,
s'y acheminent de temps en temps.
» M. le comte de Meffray-Gésarges, propriétaire de la ferme
de Monquin, a eu le bon goût de ne rien laisser changer aux
deux pièces qui ont été habitées par Rousseau. Le temps
seul les a dégradées ; elles sont vides de meubles, les murs
sont nus; seulement, une grossière peinture, représentant
le Sacrifice d'Abraham, décore la cheminée de la première
pièce. On accédait [sic] jadis à cette chétive demeure par
un escalier établi dans une tourelle, aujourd'hui démolie.
» Beaucoup de villageois de Maubec se souviennent encore
174 LETTRES INÉDITES
chez moi. Mon état ne paroit pas sensiblement
empiré, si ce n'est que l'enflure intérieure a fait
eiïorl au point de soulever et de jetter les
fausses cotes du coté droit. J'ai receu avec
du nom de Jean-Jacques (c'est le seul que la tradition locale
lui donne) ; mais ils commencent à ne plus guère savoir ce
qu'était cet êlre mystérieux. A leurs yeux, ce devait être
quelque grand sorcier. .»
On lit encore dans les Mémoires de M. Champagneux :
« Pendant ce séjour, qui dura quinze mois, tous les mal-
heureux du village, dit-il, se ressentirent de ses bienfaits :
un incendié reçut un secours considérable, ce qui suppose
qu'il avait des fonds, et qu'il ne craignait pas d'en manquer.
Rousseau aimait les fruits, le poisson, et quelques autres
objets propres à ma contrée. Il n'aurait pas été possible de
lui en faire accepter en présent; je lui en faisais vendre,
mais la personne que je chargeais de la commission, ne
réclamait que la moitié de la valeur, et par cette ruse inno-
cente, je me procurais la satisfaction de faire du bien à
Jean-Jacques, et de le faire sans qu"il en sût rien.
» Pendant qu'il habita Bourgoin ou la montagne, il reçut
de nombreuses visites; mais il ne les accueillit pas toutes
•également; il y eut même des personnes pour lesquelles il
resta invisible.
» Parmi les femmes enthousiastes de Rousseau, je citerai
■une Provençale, épouse du gouverneur de Marseille, Pille.
Elle fit un voyage de soixante lieues pour le voir. Un de
mes amis de Lyon l'accompagnait, et je leur procurai une
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 175
Iransport la lettre de mon illustre patron ; j'ai
aussi receu réponse de M. Tissot. Cette réponse
est 1res belle. M. Tissot est un homme éclairé
et vrai. Enfin j'ai receu vos envois. Vos douceurs
me sont très douces ; tous les soins de votre
amitié sont précieux à mon cœur. Voici deux
lettres auxquelles je vous prie de donner cours.
Je suis bref, chère amie, vous en savez la rai-
son. Xous envoyons en commun les plus tendres
bonjours à la bonne et belle Cousine, à son
excellente Maman et à tout ce qui leur appar-
tient.
11 suffit de continuer d'écrire tout uniment
à Bourgoin. Je ne vous écrirai peut-être pas de
quelque tems. Les lettres, queje voyais tarir avec
joye me pleuvent depuis six semaines, et il faut
nécessairement entrer pour y répondre dans
des détails qui ne finissent pas.
entrevue. Elle fut toute de feu de la part de la femme, de
glace de la part de Rousseau. Malgré cela, je fus comblé
deremerciements de lapartderadmiratricede Jean-Jacques.
Ce n'était pas un homme, pour elle, c'était une divinité. »
176 LETTRES INÉDITES
LV
Le 8 Fév 1769.
M. d'Ivernois, ma très bonne amie, m'a
apporté de bonnes nouvelles de voire santé qui
m'ont fait grand plaisir. Il m'a dit que vous
aviez des lettres pour moi que vous aviez eu
dessein de lui remettre avant son départ et
qu'il n'avoit point reçues; jai présumé que
vous aviez pris le parti de les envoyer par la
poste, et je les y ai envoyé chercher depuis
lors tous les jours de courrier, mais rien n'est
venu.
Je n'ai rien à vous dire de nouveau sur mon
état; il est un peu empiré depuis deux jours.
Mais je ne m'en étonne pas, vu qu'il est sujet
à des inégahtés continuelles ; et l'horrible tems
qu'il fait ne contribue pas à l'améliorer. Bon
soir, ma chère amie, je vous quitte pour m'aller
substenter de vos douceurs, et puis m'aller
coucher en pensant à vous.
Agréez les obéissances de Mad" Renou et
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 177
faites les agréer ainsi que les miennes à tous vos
en fans.
LYI
A Madame
Madame Boy de la Toia\ née Rogu'in.
A Monquin, le 13 Fév 1769.
Nos deux dernières leUres, très chère amie,
se sont croisées et j'en ai receu en même tems
que la vôtre une de M. du Peyrou que je sup-
pose être celle que vous aviez voulu m'envoyer
par M. d'Ivernois; voici une réponse pour le
Papa que je vous prie de lui faire passer, suppo-
sant que vous avez la bonté de faire tenir note
de tous les ports et affranchissement dont je
vous donne l'embarras sans scrupule, connois-
sant votre inépuisable bonté pour moi.
Les nouvelles que vous m'avez données de la
chère Cousine m'ont fait le plus grand plaisir,
et j'espère bien, chère amie, que vous n'aurez
12
178 LETTRES INÉDITES
jamais ù m'en donner l'une de l'autre que de
celte espèce. Nous avons ici un pied de neige qui
me désole et qui, si vous en avez autant à Lyon,
me fait peine pour elle : car son état demande
un exercice, très modéré à la vérité, mais
journalier, et je me ferois plaisir de penser
qu'elle va tous les jours plustot deux fois qu'une
de chez elle chez vous, et de chez vous chez
elle. A cela se joint le mien inlérest de penser
que mes deux amies quand elles sont ensemble
n'oublient pas de parler quelquefois de leur
ancien hôte et de leur ami jusqu'à la mort et
au delà, si comme je l'espère les pures affections
de nos cœurs nous survivent. Je vous parlerois
de mon état si j'avois quelque chose de nouveau
à vous en dire : mais il n'amende pas, et ne me
paroit pas empirer. Il est à peu près le même,
et ce qui m'en peine le plus est qu'il ne me per-
met ni d'écrire ni d'agir sans souffrir. Sentant
l'extrême besoin de prendre un peu d'air, je
pris il y a quelques jours une bêche pour me
faire un petit chemin dans la neige; j'en fis
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 179
1res peu, l'y allai 1res modérément, mais mon
oppression ne laissa pas d'augmenter, et la nuit
j'eus des mouvemens convulsifs dans tous les
membres, qui à la vérité cessèrent le lendemain
excepté dansle bras gauche ou je les sens encore
aujourd'hui. Il me faudroit comme à la Cousine
un peu d'exercice, mais très doux ; une marche
lente est tout celui que je puis faire ; mais mal-
heureusement le lems qu'il fait ne me permet
point de sortir. J'ai receu depuis quelques
jours de nouvelles plantes qui m'ont remis à
mon foin.. Je tracasse avec mes bouquins, avec
mon herbier, et cela m'amuse. Ma femme ne
s'ennuye pas, non plus, dans notre solitude. Le
soin de son très petit ménage l'occupe, nous
passons quelques heures délicieuses à parler de
nos bonnes amies et à nous flatter de l'espé-
rance de les recevoir quelque jour ici plus tran-
quillement qu'à Bourgoin.
Puisque vous avez la bonté de ne point vous
rebuter de mes éternelles commissions et de
vous occuper de mes petits besoins, nous avons
180 LETTRES INÉDITES
ici une coquetiére qui va de tems en tems à
Lyon et à qui je pourrai remettre une note de
quelques articles qui pourtant ne pressent aucu-
nement. Recevez, chère amie, partagez avec
la future nourrice, et distribuez l'une et l'autre
à tout ce qui vous est cher, les vœux purs et
les tendres hommages de deux cœurs qui vous
sont tout acquis.
J'ai toujours oublié, chère amie, de vous
parler du digne Colonel Chaillet et de vous
marquer combien je suis sensible à son sou-
venir et combien je lui suis véritablement
attaché. Je n'ai point fait usage de sa note au
sujet de notre ami, car cela seroit parfaitement
inutile. Toute la raison dont il fait usage est
dans sa tête; il n'en admet point qui vienne
d'autrui.
DE JEAX-JACQUES ROUSSEAU. 181
LVII
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Roguin^ à Lyon.
A Monquin, le 17 Mars 1769.
Eh quoi chère amie, ne prendrez vous donc
jamais dans mes sentiments la confiance que j'ai
dans les vôtres, et pouvez-vous croire que je
voulusse aisément avoir à d'autres l'obligation
des embarras dont vous vous chargez de si
bon cœur. Ah croyez une fois pour toutes
que c'est à vous, à nôtre Madelon, à votre
famille, à cause de vous, que j'aime être rede-
vable, et que si je le suis à d'autres c'est malgré
moi.
Je ne vous ai point envoyé la Coquetière,
parce que je n'ai plus entendu parler d'elle.
Rien ne presse pour aucune commission. J'en
ai une pour des papiers et porte feuilles d'her-
biers qui me tient fort au cœur, mais elle
demanderoit des explications trop longues à
182 LETTRES INÉDITES
mettre par écrit et pour lesquelles j'aime mieux
al tendre une occasion. Elle sera toutaussi bonne
à faire dans cinq ou six mois qu'aujourd'hui.
Parce que je viens de vous marquer, vous
pouvez comprendre que je continueàêtre mieux ;
cependant le côté droit est toujours enflé. J'ai
lieu de croire que le vin du cabaret avoit
autant contribué que l'air et l'eau à ma maladie;
car j'en ai apporté ici une vingtaine de bou-
teilles, et toutes les fois qu'il m'arrive d'en boire
je me sens plus incomodé qu'il ne m'arrive en
buvant d'autres vins. L'alun dont les cabare-
tiers le frelatent n'affecte pas beaucoup les
gens en santé mais agit plus sensiblement sur
un corps infirme.
Chère amie, ne comptez pas avec votre ser-
viteur et donnez-moi de grâce régulièrement
de vos nouvelles et de celles de la Cousine avec
laquelle vous pouvez alternativement remplir
cette œuvre pie, soit que je vous écrive régu-
lièrement ou non. Il est certain qu'il est très
contraire à ma santé d'écrire. Je vous ferai donc
DE JEAX-JACOUES ROUSSEAU, 183
de courtes lettres, peut-être de rares, mais mon
cœur ne cessera jamais un moment d'être
entre mes deux excellentes amies et souvenez-
vous une fois pour toutes que je parle au nom
de Mad^ Renou ainsi qu'au mien.
LVIII
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Bogu'ui, à Lyon.
A Monquin, le 18 Avril 1769.
M. De Luze, ma bonne amie, me fait tort de
douter un moment du vrai plaisir que me fera
sa visite, plaisir auquel il joindra, j'espère, celui
de me donner en détail de vos nouvelles et de
celles de ma Cousine. Dites-lui donc qu'il sera
le bien venu ; mais à moins qu'il ne veuille
accepter un lit chez Mad* de Cezange, je n'en
ai point ici à lui donner. Ainsi il faudra qu'il
couche à Bourgoin et qu'il tache de venir
ici le matin afin que j'aye le plaisir de passer
184 LETTRES INÉDITES
avec lui la journée. Quelqu'un qui m'est venu
voir s'estchargédemes commissions pour Lyon,
du moins des plus pressées, et les autres deman-
deroient de plus longues écritures que je n'en
puis faire aisément. Bon jour, ma bonne amie,
mes honneurs à tout ce qui vous appartient.
Mille amitiés à ma Cousine, mes remercimens
et salutations à Monsieur son Mari. Recevez les
tendres embrassemens de votre ami et de sa
compagne.
RENDU.
LIX
A Madame
A Bladame Boy de la Tour, née Roguin, àhyon,
A Monquin par Bourgoin le 2 Juin 1769.
Quoique je vous écrive bien peu, ma bonne
amie, je voudrois que vous m'écrivissiez bien
souvent. Si ce désir n'est pas très équitable il
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 185
est du moins 1res naturel, et surtout dans la
circonstance présente qui me tient sur l'état
de votre chère fille dans une inquiétude conti-
nuelle. Tirez-m'en, je vous en conjure, en me
donnant de ses nouvelles. Il me semble que
votre calcul tomboit à peu près sur ce tems-ci,
et je me souviens bien que dans sa dernière
lettre elle me promettoit en pareil cas un
prompt avis que je n'ai point receu et que
j'attends avec l'impatience et les vœux de
l'amitié. Parlez-moi de vous aussi, ma bonne
amie, de l'état présent de votre estomac, de
tous vos chers enfans, de tout ce qui vous
intéresse et qui par conséquent m'intéresse
aussi. Pour moi je me porte passablement.
Mad^ Renou a dans cet air vif des rhumes
continuels qui m'inquiettent parce qu'ils sont
mêlés de tems à autre de crachemens de sang.
Nous nous ennuyons fort l'un et l'autre de
passer si longtems sans vous voir, et voudrions
bien, très chère amie, vous embrasser aussi
réellement que nous le faisons de cœur.
186 LETTRES INÉDITES
LX
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour F aine, à Lyon.
A Monquin, le 12 Juin 1769.
Quoique la lettre sans date, Monsieur, par
laquelle vous avez bien voulu me faire part
de l'heureux événement dont j'attendois impa-
tiemment la nouvelle, ne me soit arrivée qu'avec
celle de Madame votre Mère qui me donnoit
le même avis, je suis toujours très sensible à
cette attention de votre part et je vous en
remercie. J'espère que tout continue d'aller
aussi bien qu'un si bon début l'annonce, et
qu'il n'est déjà plus question d'acouchée mais
d'une aussi bonne que belle nourrisse, amen.
Marquezma joye,je vous en prie^ à cette excel-
lente Maman et à sa Maman, et à tout ce
qui s'intéresse à elle, c'est-à-dire à tout ce
qui la connoit.
Mad^ Renou est bien sensible, Monsieur, à
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 187
l'honneur de votre souvenir et vous salue.
Vous avez la preuve que dans l'occasion je
n'épargne pas vos peines, certain qu'un fils
et qu'un frère de mes meilleures amies les
prendra toujours avec plaisir.
J'ignorois que votre billet eut besoin d'être
renouvelle; quand cela seroit rien ne presse.
Faites là dessus ce qu'il vous plaira ou me
dites ce que je dois faire, car je suis très inepte
en tout cela. L'on m'a aussi écrit le mariage
de M. du Peyrou : mais j'ignore s'il est fait
actuellement. Recevez, Monsieur, je vous prie
et faites agréer à Monsieur votre frère mes
sincères salutations.
RE.NOU.
LXI
A 31a dame Boy
Madame Boy de la Tow\ ?iée Boyuhi, à Lyo?i.
A Monquin, le 29 Aoust 1769.
Je puis enfin, ma bonne amie, respirer et
vous demander de vos nouvelles. Peu de jours
188 LETTRES INÉDITES
après mon arrivée ici je repartis pour une her-
borisation sur le mont Pila qui étoit arrangée
depuis longtems. Notre voyage fut assez triste,
toujours de la pluye, peu de plantes* vu que
la saison étoit trop avancée, un de vos Mes-
sieurs fut mordu par un chien, Sultan^ fut
estropié par un autre. Je le perdis dans les
bois où je l'ai cru mort de ses playes ou mangé
du loup; à mon retour j'ai été tout surpris de
le retrouver ici bien portant, sans que je sache
comment dans son état il a pu faire sans
manger cette longue route, et surtout com-
ment il a retraversé le Rhône. Tout ce que
nous avons eu de meilleur dans notre pèleri-
nage a été d'excellent vin d'Espagne que vous
i. Cf. Jean-Jacques Rousseau als Botaniker, par A. Jansen,
Berlin 1885.
2. Voir, sur son chien Sultan, ses lettres à Coindet, des
27 et 28 juin 1767. Jean-Jacques avait aussi une chatte,
Minette, qu'il confia à madame de Verdelin quand il quitta
Montmorency (Cf. lettre de madame de Verdelin â Jean-
Jacques, j uillet 1 762 dans Streckeisen yioallon, Jean- Jacques
Rousseau, ses amis et ses ennemis II, p. 481). Bernardin de
Saint-Pierre a aussi vu chez lui un serin en cage.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 189
connoisscz qui nous a grandement reconforté
tout au sommet de la montagne, et dont nous
avions je vous jure très grand besoin. Enfin
me voila de retour depuis quelques jours,
encore harassé de cette longue et pénible
course ; fort occupé d'arranger et sécher mes
plantes à demi pourries; mais empressé surtout
d'apprendre que vous vous portez bien, que
vous m'aimez toujours bien, vous, chère amie,
et la chère Cousine, et vos chers enfans et
les siens, et tout ce qui vous interesse l'une
et l'autre. Bonjour, ma bonne amie, un petit
mot, je vous en conjure et recevez les plus
tendres amitiés et salutations de deux cœurs
unis pour vous aimer.
190 LETTRES INÉDITES
LXII
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin^ à Lyon.
A Monquin, le 19 ?'"•'= 1769.
Si je ne m'étois pas foulé la main par une
chute, ma chère amie, je vous aurois répondu
sur le champ pour vous tranquilliser sur la
morsure de mon chien qui ne pouvoit rien
avoir de sinistre, vu que ce n'étoit qu'une
jalousie de caresses et de préférences qui lui
avoit attiré cette morsure, qui ne ressemble
point à celles qui ont du danger. Il est par-
faitement guéri de même que, grâce au Ciel,
un de vos Messieurs qui fut mordu lui-même
à la jambe par un autre chien.
Vous ne doutez pas, chère amie, du vif et
vrai désir que j'ai de me rapprocher de vous.
Mais les premiers froids, dont je sens vivement
l'atteinte, me tiennent en crainte, et la saison
des voyages est déjà passée pour moi. Je vous
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 191
avoue, cependant que le souvenir de l'hiver
dernier me lient en peine sur celui-ci passé
tout entier dans la solitude. L'Eté la promenade
et l'herborisation m'amusent et me suffisent.
Mais l'hiver la vie sédentaire et le défaut d'amu-
sement prennent sur ma santé et même sur
mon humeur. J'avois eu toujours un instru-
ment de musique qui m'étoit très utile; j'ai
cruellement senti le défaut de cette ressource
les deux hivers précédens. ?s'y auroit-il point
moyen, chère amie, de me la procurer celui-ci?
J'ai pensé que peut-être M. Léonis voudroit
bien à votre prière me procurer quelque épinette
à louer pour six mois; il me rendroit un service
plus essentiel qu'il ne paroit s'il vouloit bien
se donner celte peine, et je lui en serois sen-
siblement obligé. Je ne voudrois pas une
patraque, je voudrois une bonne épinette bien
en état, et tout ce qu'il faudroit, cordes, plumes,
marteau, écarlate, pour racomoder ici ce que
je pourrois déranger. Je m'imagine que le
transport seroit un peu difficile pour qu'elle
192 LETTRES INÉDITES
ne se dérangeât pas beaucoup, et je ne vois
pas d'autre expédient que de la faire porter
à dos d'homme. Si l'on pouvoit trouver où
vous êtes un homme attentif qui la ménageât
en route je vous serois très obligé de faire avec
lui le marché et de me donner avis par lui de
ce qu'il faut que je lui paye. Si vous ne trouvez
pas aisément le porteur qu'il nous faut j'en
peux envoyer un d'ici.
L'épinette ne se trouvera peut-être pas aisé-
ment. En ce cas pourrois-je avoir du moins
un Violoncelle, qui fut bon, tout monté, des
cordes de rechange et de la colophane? Comme
cet instrument craint moins le transport, on
pourroit l'envoyer par le carrosse, au moins s'il
avoit un étui, et l'addresser à Bourgoin chez
M. la Tour perruquier. Si le Violoncelle à louer
ne se trouve pas non plus, j'aimerois encore et
même par préférence un bon Cistre à cinq cor-
des monté dans le bas en cordes filées un peu
grosses; et toujours à louer pour six mois.
Enfin, chère amie, si rien de tout cela ne se
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 193
IruLive. je me rabais pour pis aller à une flûte
à bec dont je vous prie de me faire faire l'em-
plelte, car ce n'est pas la peine de la louer.
Voi'là, je vous l'avoue, des commissions bien
importunes pour des Dames, mais j'espère que
l'importance dont cette ressource peut m'êlre
dans ma situation vous fera passer avec votre
indulgence ordinaire par dessus l'incongruité.
La musique est pour moi un vrai remède % et le
seul peut-être qui puisse être efficace dans mon
état. Pouvu que j'aye un instrument quel qu'il
soit, et un peu de papier réglé je suis sur de
passer mon lems sans ennui et sans m'affecter
beaucoup de quoi que ce puisse être. La bota-
nique est amusante en été, mais en hiver elle ne
fait que fatiguer et n'amuse guère. Il ne me
faut rien qui me fatigue la mémoire et l'esprit.
J'espère qu'en me répondant, vous ne ferez
pas comme moi qui ne vous parle ici que de ma
triole (connoissez-vous ce mot Genevois?), que
1. Cf. J.-J. Rousseau als Musiker, par Alb. Jansen, Berlin
i884.
13
194 LETTHKS INÉDITES
VOUS me parlerez au long de voire santé, de
vous de votre famille, surtout de fourvière où
je n'ai pas écrit depuis un tems infini. Parlez-
moi de tout ce que vous savez qui intéresse les
deux solitaires qui comptent ici les jours avec
impatience jusqu'à ce qu'ils arrivent à celui de
vous embrasser. Adieu, chère amie, voilà le
commissionnaire qui atlend ma lettre et qui me
la fait finir.
Point de cistre à moins qu'il ne soit bon et à
cinq cordes. On m'en a fait venir un de Lyon
qui n'étoit qu'un vrai chaudron, totalement
injouable.
LXIII
A Madame
Madame Boy de la Tou)\ née Rogu'in^ à Lyon.
A Monquin, le 6 8'"-= 1769.
Je reconnois vos bontés ordinaires, mon
excellente amie, dans celle que vous avez eue
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 195
de vous occuper de mon indiscrette commis-
sion. Cependant comme elle ne laissait pas
d'être de quelque importance pour mon état, je
me suis fait moins de scrupule de charger de
ce soin votre amitié et votre humanité. Le por-
teur de rinslrumont pourra s'addresser àBour-
goin au S' la Tour, perruquier sur la place,
qui lui indiquera le chemin pour venir ici. La
Tour ou son frère viennent me raser tous les
vendredis et mardis matin et si le voyage
de l'homme pouvoit s'ajuster sur ces mêmes
jours, un des deux La Tour pourroil l'amener
lui-même. Je vous prie de dire audit Porteur
que s'il ménage assez l'instrument en route
pour qu'il arrive ici d'accord et en bon état,
je lui donnerai trente sols pour boire par
dessus l'accord que vous aurez fait. Je regarde
cette petite précaution comme fort essen-
cielle.
Mad' Renou qui vous baise les mains de
tout son cœur ainsi qu'à la chère Cousine, veut
que je vous importune encore de deux commis-
196 LETTRES INÉDITES
sions, oL que je fais avec une confiance aussi
inépuisable que votre complaisance et dans
l'espoir que ce seront les dernières. L'une est
d'une petite caisse de Chandelles des six à la
livre et d'une douzaine de livres. L'autre seroit
d'un bon bonnet de laine et d'une paire de bas
drappés et de gants chauds pour voire pauvre
ami qui commence à grelotter terriblement et
que les premiers froids rendent bien malingre.
Si vous y pouviez joindre une paire de Mitaines
de soye pour elle, j'aurois le plaisir de les lui
donner pour sa fête qui est le quinze de ce mois.
Lesdits envois peuvent se faire par le carrosse
à l'addresse dudit S' la Tour perruquier pour
M. Renou. Vous avez eu la bonté, chère amie,
de me faire précédemment plusieurs petites
emplettes pourlesquelles je dois avoirun compte
ouvert chez vous. Après y avoir ajouté tous les
susdits articles, veuillez s'il vous plait en faisant
mes salutations à Monsieur votre fils, le prier
de ma part de vous rembourser le tout sur
l'argent qui est entre ses mains. Si vous jugez
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 197
à propos d'ajoùler à ce mémoire le loyer de
l'épinelte el le payement du porteur je n'aurai
pas besoin de débourser ici cet argent, sinon
je le lui remettrai. Soit fait à votre volonté,
à condition que vous ne prendrez sur rien
le bon marché dans votre poche, ce que je ne
dois pas supposer parce que cela seroit mal-
honnête.
Voici, chère amie, une lettre pour M. Dastier
que je vous prie de vouloir bien faire affranchir
à son exemple et que je suis obligé de vous
addresser pour cela parce que j'ai remarqué
qu'on n'a aucun égard aux affranchissemens
que je fais faire à Bourgoin. Il a eu la bonté
de me faire une petite fourniture de caffé pour
laquelle suivant son compte je ne lui dois que
douze francs. Or comment lui faire tenir ces
douze francs à Carpenlras ? Voilà mon embar-
ras. S'ilyavoit moyen de faire ce petit payement
par quelqu'un des correspondans de vos Mes-
sieurs, je leur en serois extrêmement obligé el
je marque à M. Dastier que je vous en prie.
198 LETTRES INÉDITES
L'embarras que son affranchissement de lettre
me force à vous donner vous dit assez ce que
je pense du votre : ainsi je ne vous en parlerai
pas.
De grâce, chère amie, tolérez l'imporlunité
de ces commissions avec autant d'indulgence
que vous mettrez d'exactitude à les faire, c'est
tout dire. Une des plus grandes rigueurs de
ma destinée et de celles que je sens le plus est
d'être toujours à charge à mes amis, et de leur
être toujours inutile. Ceux qui disposent de moi
avec autant de barbarie que d'iniquité ont bien
choisi dans mon cœur les endroits les plus sen-
sibles pour ne perdre aucun de leurs coups. Je
leur suis obligé du moins d'en faire assez pour
réveiller mon courage que des traitemens moins
indignes auroient peut-être laissé dormir. Bon-
jour, ma chère et bonne amie. J 'attends avec
empressement le signe de vie de la chère Cou-
sine; s'il faisoit moins froid, que je fusse moins
paresseux, moins malingre, elle ne me prévien-
droit sûrement pas. Recevez pour vous et pour
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 199
elle les plus tendres amitiés des deux pauvres
hermites.
LXIV
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour, F aine ^ à Lyon.
A Monquin le 20 8"'' 1709.
J'attendois, Monsieur, pour vous faire mes
remercimens des emplettes que vous avez eu
la bonté de faire pour moi, le messager qui
devoit apporter l'épinette que je viens de rece-
voir en passable état. Madame votre mère avoit
promis de m'envoyer par lui l'avis de ce qu'il
falloit lui payer, comme il ne m'a point apporté
de lettre, l'ignorance du prix convenu me force
d'en laisser faire le payement à Lyon, hors ce
que j'avois promis pour boire que je tâcherai
de payer ici si l'on peut trouver de la monnoye.
car sur cette montagne c'est un embarras.
Voici un billet que je prie Madame votre
:200 LETTRES INÉDITES
mriN.' ou vous, Monsieur, de faire passer à Mon-
sieur Roquini dans votre première lettre. Je
suppose Madame voire mère à Sa campagne,
en bonne santé, et que point de nouvelles est
bonnes nouvelles. Mille choses de ma part et de
.celle de Mad^ Renou, à cette Maman si complai-
sante et qui supporte si volontiers les importu-
nités de ses amis. Xe m'oubliez pas non plus,
je vous supplie, à Iburvière ainsi qu'auprès de
toute votre famille. Agréez aussije vous supplie.
Monsieur, les très humbles salutations de
Mad' Renou et les miennes.
RENOU.
.T'ai trouvé la monnoye pour le boire.
LXV
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Rogidn, à Lyon.
A Monquin, le 31 S'"''^ 1709.
Je suppose, ma très bonne amie, que vous
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 201
voila maintenant de retour de votre campagne.
Je n'aurois pourtant pas attendu ce retour pour
vous écrire si je n'eusse eu tout mon lems
absorbé par la maladie de Mad' Renou el par
d'autres tracas qui me prennent plus de lems
qu'à un autre parce qu'il m'est impossible de
mettre aucun ordre dans sa distribution. L'épi-
nette est bonne' et me fera grand plaisir quand
je pourrai m'en servir. Je vous en remercie de
tout mon cœur, ma bonne amie, ainsi que de
toutes les peines que vous vous donnez pour
moi. J'ai toujours oublié de vous parler de
M. Descharny. Si je l'avois vu, ainsi que M. De
Luze, j'en aurois été fort aise. Ne les ayant pas
vus, j'en suis très content aussi; persuadé qu'à
la fin tout se fait toujours pour le mieux, et sur-
tout de la part de mes amis. Je ne sais si je n'ai
pas oublié de vous répondre aussi dans letems
sur M. le Colonel Ghaillet' pour lequel j'aurai
1. Cf. page 193.
2. Ce sont d'anciens amis de Motiers. Il a souvent élé
question d'eux. Cf. les Confessions.
202 LETTRES INÉDITES
loute ma vie la môme estime et le même atta-
chement, ce qui m'est encore particulièrement
cher comme ami de Mylord Mareschal. J'ai été
bien ému de ce que vous m'avez écrit des stoï-
ques arrangemens de M. Roguin. Je lui ai écrit
dans la plénitude de mon cœur deux mots que
j'ai prié Monsieur voire iîls de vouloir bien lui
faire passer. Voilà ma bonne amie et ma bonne
Cousine rapprochées l'une de l'autre. Quelles
sont heureuses et que ne puis-je avoir ma part
du même bonheur. Je vous prie de vouloir bien
lui dire qu'elle suspende ma commission de
papier jusqu'à nouvel avis, parce que j'en ai
receu d'un autre côté que je garderai peut-
être. Ma femme qui est à peu près rétablie
vous envoyé mille respects et salutations. Rece-
vez, chère amie, les miennes de tout mon cœur.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. ^10'>i
LXYI
A Madame
Madame Boy delà Toitf\ jiéeRorjidn^ rueLafont,
à côté de l^ Hôtel de Ville, à Lyon.
A Monquin, le U X^»" 1769.
Comme la cordialité de vos lettres, très
chère amie, m'empêclie de croire abuser de
votre complaisance en continuant de m'en
prévaloir, voici dans la boite qui vous sera
remise avec cette lettre un nouvel embarras
dont je vous prie de vous charger. Ce sont
des plantes et des graines destinées pour
Mad" la Duchesse de Portland^ J'ai mis cette
boite à l'addresse qu'elle m'a donnée pour
Paris oii je vous prie de vouloir bien l'envoyer
franche de Port par la diligence en donnant en
même tems un mot d'avis par la poste au Cli'^'"
1. Dans une lettre à Coindei, du l^"" septembre 1767, il
s'intitulait déjà « herboriste de .Madame la duchesse de
Portiand ».
204 LETTRES INÉDITES
Lambert afin qu'il ail soin de la faire retirer et
partir pour la destination. Si la boite doit être
ouverte et visitée je vous supplie instamment
de recommander qu'on y aille bien doucement
et qu'on remette exactement tout comme on
l'aura trouvé; car ces plantes sèches sont si
fragiles que pour peu qu'elles soient dérangées
elles arriveront on poussière à leur destination.
L'Epinette que vous m'avez envoyée ^ est
excellente et je vais m'en amuser avec grand
plaisir à présent que me voila délivré de ma
récolte de foin qui m'a donné beaucoup d'em-
barras pour très peu de chose. M. divernois
m'a envoyé en dernier lieu encore un livre de
Botanique dont je me serois bien passé, mais
qu'il faut payer puisque je l'ai receu. Il me
marque qu'il coûte douze francs. Si vous étiez à
portée de les lui faire rembourser je vous serois
bien obligé de vouloir bien prendre cette peine.
J'espère que tout continue à se porter bien
1. Cf. pag. 193.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 205
chez vous. Un mot de votre part aciievera
de m'en assurer, ainsi que du bon état de la
cliére Cousine et de sa famille. iMad" Renou se
porte bien, moi passablemeni jusqu'ici et nous
vous faisons l'un et l'autre nos plus tendres
amitiés et salutations.
Si l'affranchissement de la boite faisoit le
moindre obstacle, ou rendoit l'envoi moins sûr,
il n'yauroit pas d'inconvénient à s'en dispenser.
Afin d'éviter les doubles emplois, je vous
préviens une fois pour toutes que la coquetiére
sera toujours payée ici '.
LXYII
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Monquin, le 2 Janvier 1770.
J'attendois, très chère amie, pour vous
remercier et vous et ma chère Cousine de vos
1. Cf. page 172, note 1.
206 LETTRES INÉDITES
cadeaux le dépari de la Messagère qui doit
vousreporler le panier, mais elle tarde si long-
lems que je m'en ennuyé, et je veux au moins
vous dire que les confitures me font grand
plaisir et que le vin me fait grand bien. C'est
un secours aussi salutaire qu'agréable contre
la rigueur de la saison et celle du logement
que j'habite, véritable glacière où le plus grand
feu ne fait que me rôtir d'un coté tandis que
je gèle de l'autre. Je me réchauffe l'estomac et
le cœur en buvant de cet excellent vin et pen-
sant à celle qui l'envoyé, mais pour les extré-
mités elles sont si glacées qu'il n'y a rien qui
les puisse dégeler. J'ai tellement l'onglée aux
doigts qu'il m'est impossible d'écrire. Lisez
donc dans mon cœur, très chères amies, ce
que mes doigts ne peuvent tracer, et croyez que
les tendres amitiés et salutations que nous vous
envoyons l'un et l'autre ne se ressentent pas
des froides impressions de la saison ni du lieu.
Cette lettre part trois jours plus lard que la
date.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 207
LXVIII
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon
(Pauvres aveugles que nous sommes! \
Ciel, (loraasque les imposteurs, f l -y 22 i^ r\ {
jionqiiii) ', r, „ 1 u i, , A' T t" '
^ i Et force leurs barbares cœurs 1 i
l A s'ouvrir aux regards des hommes. /
Il faut partir d'ici, Madame, plustol que je
n'avois compté". Comme je sais que les tracas
qui me regardent ne vous sont pas importuns,
je viens à vous sans scrupule pour vous con-
sulter sur mon déménagement. Outre mes
incomodités, la rigueur de la saison, les mau-
vais chemins, plusieurs choses m'embarrassent.
1. Lisez 22 janvier 1770.
2. Tliérèse s'était prise de bec avec une fille de ferme qui
accusait Jean-Jacques de l'avoir séduite. C'était une virago;
il l'appelle le capitaine Vertier, le bandit en cotillon. Il
écrivait à de Saint-Germain : « Assurément le violateur
de la chaste Verlhier doit être un terrible homme el le plus
difficile des travaux d"Hercule doit peu lui coûter après
celui-là. )) Il quitta, de guerre lasse, son château de Mon-
quin et partit pour Lyon d"où il se rendit à Paris.
^08 LETTRES INÉDITES
Mon herbier et mes livres de bolanique feront
au moins Irois lourdes malles, et nos hardes
à peu près autant; quoique je me soucie peu
(le tout ce bagage, je ne veux pas le laisser
ici. Si une charrette pouvait venir le charger,
une chaise ou un cabriolet suffiroit pour nous
conduire : la plus grande difficulté seroit pour
l'une et l'autre voiture, de venir sur cette
hauteur, d'où le trajet jusqu'au grand chemin,
sans être impraticable, n'est pas aisé. Un autre
expédient seroit d'envoyer une bonne chaise
jusqu'à Bourgoin où nous descendrions avec
tout notre bagage dans un charriot que je
pourrois peut-être trouver ici ; delà nous par-
tirions avec nos hardes derrière notre chaise
consistant en deux ou trois malles, et je pour-
rois déposer le reste dans quelque maison de
Bourgoin jusqu'à l'occasion de le faire partir
pour Lyon. Ce dernier parti me paroit plus
embarrassant que l'autre. Je vous consulte
d'avance sur cet arrangement pour vous don-
ner le loisir d'y penser et de m'en dire votre avis
DE JEAX-JACQLES ROUSSEAU. 209
à votre comodité; car il me paroiL impossible
sans des embarras extrêmes, sans la perte de
mes provisions, sans exposer manifestement la
santé de ma femme et la mienne, de partir ici
avant le commencement de Mars. Il faudra
aussi qu'avant ce tems-là vous ayez la bonté de
renvoyer chercher Fépinette par le même
homme : car je n'oserois m'exposer à la ren-
voyer d'ici par un gros lourdaut qui la briseroit
peut-être en route. Je serois même bien aise
d'être prévenu du départ de cet homme, afin
que si j'avois de la toile cirée ou autre chose
à l'aire venir de Lyon l'on put se servir de
lui. Veuillez, je vous prie, consulter avec ma
Cousine sur tout cela afin que s'il vous vient de
meilleures idées, j'aye le lems de m'y con-
former.
Bonjour, Madame, je trouve toujours de la
consolation dans les malheurs qui me rap-
prochent de vous, et je vous assure que c'est
avec un véritable empressement que j'attends
le moment de revoir [cette excellente Maman,
14
210 LETTRES INÉDITES
celte aimable Cousine, et toute cette belle
famille qui m'a témoigné tant d'amitié et qui
me sera toujours chère.
ROUSSEAU.
Ma femme vous fait mille salutations.
LXIX
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguïn^ à Lyon.
(Pauvres aveugles que nous sommes!
Ciel, démasque les imposteurs, f J T 7 "T'A
A luuiiquiu \ p. / , , V ,\l^ /U.
•■ J Kt tnrj^.p IpiirK harnnrf'S r.fpiirs i 3
i Et fo
\ A SOI
r£e leurs barbares cœurs
ouvrir aux regards des hommes.
Vous m'avez écrit, excellente Maman, une
lettre bien tendre, qui m'a fait grand plaisir, et
dont je suis bien impatient d'aller vous remer-
cier. En voici le tems qui s'approche, et j'en
compte les minutes avec grand empressement.
Il faudroit pour cela que vous voulussiez bien
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 211
prier la chcre Cousine d'envoyer chercher
l'Épinette un des premiers jours de la semaine
prochaine, et nous conviendrions du reste
par le retour de celui qui la portera. Cet
arrangement nous devient même absolument
nécessaire par l'épuisement de nos provisions
qui nous couteroient beaucoup d'embarras et
de dépense à renouveller et auxquelles nous
ne pourrions suppléer en détail que par des
embarras encore plus grands. Ainsi c'est tout
de bon qu'il faut partir d'ici dans quinze jours
au plus tard. Puisque vous voulez bien, *■
Madame, et votre chère fille avoir les tracas
de ce déménagement, c'est à présent qu'il faut
songer à me rendre ce bon office; je l'accepte,
je vous assure, avec reconnaissance et sans
répugnance, certain du bon cœur avec lequel
vous le remplissez.
Depuis l'envoi de la boite de plantes à Mad' de
Portland^ nous n'en avons plus parlé et j'ai
1. Cf. p. 203.
212 LETTRES INÉDITES
tout lieu de présumer, n'en ayant aucune nou-
velle d'aucune pari., qu'elle n'est pas arrivée à sîi
deslination. J'en ai écrit à Mad' de Portland.
Point de réponse. J'en ai écrit au Chevalier
Lambert. Point de réponse. Veuillez, très bonne
Maman, aller aux enquêtes de cette boite pour
savoir ce qu'elle est devenue. Elle est le fruit
de mon voyage de Pila que j'ai fait exprès et
d'un travail de trois mois depuis mon retour.
Si j'ai le malheur qu'on se soit amusé à l'inter-
cepter en route, je vous supplie instamment de
vouloir du moins faire en sorte que je sache qui,
comment, et pourquoi.
Ma femme le cœur ainsi que moi plein de vos
bontés et qui vous prie d'agréer ses tendres res-
pects, auroit à vous présenter aussi pour son
compte une petite requête, au sujet de sa petite
basse cour, composée de sept jeunes jolies pou-
les et d'un coq. Tout cela sont ses élèves, et
nous ne saurions nous résoudre elle ni moi à
manger les poules dont nous avons mangé les
œufs. Vous devriez bien, cliére Maman, donner
DE JEAN-JACnUES ROUSSEAU. 213
azylc à ce pelit serrail dans votre maison de
campagne, à condition toutefois qu'elles auront
chez vous la même liberté qu'elles onl ici, ce
qui se peut ce me semble, sans grand inconvé-
nient, puisque votre jardin est à vous, au lieu
que par la raison contraire elles ne sauroient
jouir à Fourvière de la même liberté. Si vous
consentez à exercer cette petite hospitalité, il
faudroit en envoyant la cbarretle y mettre un
panier où l'on put loger la petite famille de
façon qu'elle vous arrivât saine et sauve. 11 nous
reste aussi quelques pommes qu'il est inutile de
laisser ici. Un autre panier pour les mettre fe-
roit l'affaire, dût le Cbartier les manger en che-
min. Je crains que nous n'ayons assez de petit
attirail dans nôtre chaise pour n'y pouvoir rien
ajouter sans embarras. D'ailleurs je prévois que
la charrette sera si peu chargée que j'aime
mieux envoyer par elle tout ce dont nous pour-
rons nous passer avec nous.
J'espère que tout continue à se porter bien
chez vous. Mais la Cousine m'a marqué que sa
:214 LETTRES INÉDITES
fille éloit menacée de la coqueluche; je vous
prie, vous ou elle, de m'en donner des nouvelles
par l'homme qui viendra chercher l'Epinette,
ou plus lot si vous m'écrivez. Ma femme a tou-
jours ses rhumatismes, et du resle nous allons
l'un et l'autre cahin caha. Conservez, très bonne
Maman, votre chère santé, et aimez toujours un
peu deux infortunés qui vous seront attachez
toute leur vie.
Il ne faudra pas que l'homme oublie sa corde
pour attacher l'Epinette, et je voudrois bien
qu'il me fisl l'emplette d'un paquet de bonne
fiscelle assez forte pour attacher de gros paquets
Kn vérité j'ai honte de mes importunités.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 215
LXX
A Madame
Madame Boy de la Toiu\ née Roguin, à Lyon.
(Pauvres aveugles que nous sommes I '.
Ciel démasque les imposteurs I J '*? 16 TA
muiiuum ,,, , I u 1 /l/ -n- /U.
'■ i •'' force leurs barbires cœurs 1 i ^
\ A s'ouvrir aux regards des hommes. /
Je crains, Madame, que les chemins qui déjà
n'étaient guère ici praticables ne le soient de-
venus encore moins par la neige qui est tombée
hier au soir. Cependant deux jours de soleil ou
de vent chaud peuvent tout remettre en état;
c'est pourquoi je suis d'avis, quoiqu'à regret, que
l'envoi des voitures encore soit retardé, que la
charrette n'arrive ici que Jeudi matin 22 et la
chaise le Samedi suivant 24. Je prendrai d'ici là
des informations plus sures et si vous n'avez point
de mes nouvelles jusqu'alors j'attendrai l'une
et l'autre voiture les jours ci-dessus marqués,
il est impossible qu'elles trouvent sans d'extrê-
mes embarras à se loger ni à Monquin ni au
voisinage, et si elles ne peuvent coucher à Do-
2l(i LETTRES INÉDITES
marin ni dans la roule il fautabsolument qu'elles
aillent coucher à Bourgoin. 11 esl donc entendu
que si d'ici là nous n'avons plus de nouvelles
l'un do l'autre nous nous en tiendrons à cet
arrangement définitif.
A l'égard du vin, comme il m'en reste beau-
coup moins que je ne croyois, ce ne sera pas
la peine, même quand cela seroit praticable
d'envoyer un panier pour en charger sur la
charrette : mais s'il y avoit une cave dans la
chaise ou qu'on put y mettre une cantine je ne
serais pas fâché d'en emporter avec moi six ou
huit bouteilles en supposant que les entrées ne
coûtent pas plus de dix sols la bouteille, ce
qui seroit plus cher que le vin. Comme le oui
ou le non sur cet article me sont presque indif-
férens, je ne voudrois pas que vous ajoutassiez
pour cela le moindre embarras à ceux sans
nombre que je vous donne. A samedi donc 24
au soir si rien de nouveau n'arrive. Nous em-
brassons la bonne Maman, la belle Cousine et
leur chère famille.
DK JKAN-JACQUES ROUSSEAU. 217
LXXI
A Madame
Madame Boy de la Tour, à sa campagne.
(Pauvres aveugles que. nous sommes! \
Ciel, démasque les imposteurs I /l T " TA
A LVOn ' C-. f 1 K 1 / 1 ^ fi ^ ^«
1 ht lorce leurs barbares cœurs 1 »
\ A s'ouvrir aux regards des hommes, y
Après avoir goulé si délicieusement le plaisir
de vivre auprès de la meilleure des Mamans,
pourquoi fau(-il que je m'en éloigne et que je
sente aussi cruellement la privation d'un bien
qui m'étoit si cher et auquel vous m'aviez accou-
tumé? Je veux espérer que celte privation ne
sera que passagère, et qu'enfin il me sera per-
mis de ne suivre que mes pencbans. Vous savez
à combien de titres ils me rapprocheront de
vous, et votre adorable Madelon que j'ai eu le
plaisir de posséder ici quelques heures avec
son frère aine, n'est pas comme vous savez bien
la seule personne qui rappelle mon cœur en ce
pays. iMa charmante tante, ma belle grand
Maman, leurs aimables frères, sont autant de
218 LETTRES INÉDITES
cordons qui renforcent le lien qui m'allaclie
à leur excellente Maman. En attendant que je
revienne goûter un bonheur dont je sens le prix,
je vous laisse une ligure que je désire qui reste
au milieu de vous autrement que sur la toile et
qui ne vous soit jamais étrangère, et moi j'em-
porte en échange un cœur plein de vous et de
tout ce qui vous appartienl.
U.
Ma femme vous dit les mêmes choses et ne
s'éloigne pas de vous avec moins de regret que
moi. Je tâcherai de ne pas oublier le petit
herbier de ma tanle, comme elle a oublié ma
pièce de Clavecin, mais il faut que j'attende un
peu de repos et de loisir pour y travailler.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 219
LXXII
A Madame
Madame Boy de la Tow\ née Roguin, à Lyon.
I Pauvres aveugles que nous sommes! '
A Paris ' '^''''. démasque les imposteurs ■ 17 ^ 70
\ Et force leurs barbares cœurs 1 7 ^ •
\ A s'ouvrir aus regards des hommes. /
J'attendois_, Madame, depuis mon arrivée le
moment de vous écrire au long et plus à mon
aise quand je serois un peu délivré des premiers
tracas. Dans cet intervalle j'ai eu le plaisir de
voir ici Monsieur voire frère qui s'est chargé de
vous donner de mes nouvelles : mais je ne puis
différer plus longlems à vous demander des
vôtres et à vous témoigner le tendre souvenir que
raimable accueil que j'ai receu de vous et de
toute vôtre charmante famille a laissé dans mon
cœur. Il ne manquoit chez vous à la douceur de
ma vie que de voir la demeure de ma chère
Cousine un peu plus rapprochée de la votre et
de pouvoir vous partager mon tems ainsi que
220 LETTRES INÉDITES
mon cœur. C'est une bien douce tyrannie que
celle de ma tante, ce sont de petites humeurs
bien attirantes que celles de ma grand-maman,
mais comme elles ont toutes deux leur place
dont depuis mon départ je sens bien le vide,
leur chère sœur a aussi la sienne qu'en son
absence rien ne peut remplir. Messieurs vos
fils de jour en jour encore plus caressants plus
aimables ont bien aussi leur part à mes re-
grets. Ma femme les approuve et les partage.
Xous ignorons comment le Ciel ou les hommes
disposeront de nous : mais vous nous avez rendu
le séjour de Lyon si désirable que nos vœux ne
sauroient êlre comblés, tant que nous vivrons
éloignés.
J'ai repris ici mon ancien logement* et mes
anciennes connaissances ; j'ai eu du plaisir à les
retrouver et elles ont aussi marqué de la satis-
faction à me revoir. A tout prendre l'habitation
de Paris peut avoir pour moi ses agrémens
I. Il donne son adresse plus loin.
DE JKAiS'-JACQUES ROUSSEAU. 221
ainsi que ses avantages, et puisque ma situation
présente m'en fait une nécessité je m'y soumet-
trai sans beaucoup de peine. Ainsi résolu de m'y
fixer, au moins pour un certain temsjeme déter-
mine à y faire venir mon herbier et mes effets ;
et si Monsieur votre fds veut bien selon ses
obligeantes otTres m'expédier le tout par les
roulliers ou Guimbardes àl'addresse de M. Gtnj,
chez Mact la Veuve Duchesne Libraire rue
St Jacques, je lui en serai obligé. Il aura la
bonté de faire envelopper de loile cirée et bien
corder l'herbier qui sans cela ne supporterait
pas le transport non plus que les autres malles
et caisses ; il voudra bien aussi donner avis de
l'envoi à M. Guy, ou à moi, afin qu'on fasse à
tems les démarches nécessaires pour retirer le
tout soit de la Douane, soit de la chambre Syn-
dicale. Depuis longtems je me prévaus jusqu'à
l'indiscrétion des soins obhgeans de M. Boy de
la Tour et des vôtres. Mais ce qui me console
un peu de celte importunité est d'être sur que
vous la souffrez avec plaisir.
222 LETTRES INÉDITES
J'écris si à la hâte que je n'ai pas même le
tems de relire ma lettre. Je vous prie d'en par-
donner rinlisil3le griffonnage. Mon adresse est
-I rue P là trière à l'Hôtel du St Esprit. Ne la
donnez je vous prie à personne, afin que je ne
sois pas accablé de lettres. Bonjour, .Madame;
j'embrasse tous vos cliers enfans et leur excel-
lente Maman de tout mon cœur; ma femme en
fait autant et avec le même zèle.
ROUSSEAU.
Grand merci de la bonne provision de vin.
Elle nous a fait grand bien durant la route, et
nous en avons apporté jusqu'ici.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 223
LXXIII
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour F aîné ^ à Lyon.
I Pauvres aveugles que nous sommes ! '\
, jj . I Ciel, démasque les imposteurs ( l '~ 16 "TA
A raris \ r-, r , , , ,■ 1 / - / U
1 tt rorce leurs barbares cœurs i •
\ A s'ouvrir aux regards des hommes. /
Je reconnois, Monsieur, vos attentions accou-
tumées dans l'avis que vous avez eu la bonté de
me donner au sujet des lettres qui vous sont
parvenues à mon addresse et vous devez recon-
noitre ma négligence ordinaire dans le retard
de ma réponse et de mes remerciemens. Je suis
pourtant un peu plus excusable en ce moment
qu'à l'ordinaire, vu qu'on ne me laisse pas trop
disposer de mon tems. Je pense qu'il vaut mieux
attendre une occasion que de m'envoyer ces
lettres par la poste. La lettre de Madame votre
Mère m'a fait le plus grand plaisir; il me tarde
de répondre à tout son contenu. En attendant
veuillez, je vous prie, lui faire nos plus tendres
224 LETTRES INÉDITES
salutations, ainsi qu'à Madame et Mesdemoi-
selles vos sœurs, et à Monsieur votre frère, et
agréer aussi les miennes très humbles et celles
de ma femme.
ROUSSEAU.
Si vous avez la bonté de m'envoyer mes malles
à laddresse de M. Guy comme j'en ai prié
Madame votre mère, je vous prie de vouloir
bien faire envelopper et corder l'herbier de façon
qu'il ne souffre point en route.
LXXIY
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour l'aîné^ rue de la Font y
à Lyon.
(Pauvres aveugles que nous sommes! ',
^ ..... , ^J;;- ^'7^'^"^, "^; '""°^'^"" 1 7 'i 70.
i Et force leurs oarhares cœurs I 8 ^
( A s'ouvrir aux regarJs des hommes. /
Samedi dernier, Monsieur, je reçeus mon petit
bagage que vous avez pris la peine de m'envoyer,
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 225
et le surlendemain, je reçeus aussi avec la petite
lanlernele paquet de lettres que vous me.marquez
n'avoir pu me faire passer pluslot faute d'occa-
sions. Je sens bien, Monsieur, tous les embarras
qu'ont dû vous donner ces envois et j'en suis
reconnoissant comme je le dois. J'apprends
avec grand plaisir que vous êtes en bonne santé
ainsi que toute votre famille et que vous pensez
à moi avec votre bonté ordinaire. 11 n'y a pas
-de jour que je ne projette d'écrire à Madame
votre Mère et à mes chères Cousine et tante ; mais
quelque distraction vient toujours à la traverse
m'empêcher d'avoir ce plaisir. J'ai du moins
«elui de parler souvent d'elles et de vous avec
Monsieur voire Oncle qui est mon voisin et qui
me donne des nouvelles de la famille. INous
offrons ma femme et moi nos hommages à tout
ce qui la compose et nous vous prions, Mon-
sieur, d'agréer nos salutations.
ROUSSEAU.
15
226 LETTRES INÉDITES
LXXV
A Madame
Madame Boy de la Tou)\ /lée^Roguin, à Lyon.
! Pauvres aveugles que nous sommes!
»j . 1 Ciel, démasque les imposteurs, f J 'y 27 "yrv
J Et force leurs barbares cœurs ( *
s- /
A s'ouvrir aux regards des hommes.
C'est trop prolonger mes torts, Madame, il
faut enfin vous donner un petit [signe de vie;
encore ne sera-ce pas une réponse en régie,
parce qu'il me faudroit pour retrouver vos
lettres, mêlées dans la multitude, plus de tems
qu'on ne m'en laisse pour y répondre. J'ai du
moins eu le plaisir d'avoir souvent de vos nou-
velles par Monsieur votre frère et j'espère qu'il
vous aura donné quelquefois des miennes.
Comme nous n'avons qu'une seule chambre ma
femme et moi, je suis livré sans refuge à tous
ceux qui m'obsèdent et qui tâchent de ne pas
me laisser un moment de liberté, et j'ai bien de
la peine à leur dérober de tems en tems quelque
minute pour vous écrire en bonne fortune. Je
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 227
compte dans le courant de la semaine changer
de chambre, et me ménager, dans celle où je
passe, un petit réduit dans lequel, si ces terribles
gens ne viennent pas m'y forcer, je serai un
peu plus maitre de moi. En attendant, Madame,
recevez, et tous les vôtres, les assurances de mon
tendre souvenir. Je voudrais écrire à ma chère
Cousine avant son départ car ce n'est plus le
tems où son amitié prévenait ma négligence et
m'en faisoit honte ; je voudrois écrire à ma tante,
et acquiter en partie les dettes que ses char-
mantes agaceries ont fait faire à mon cœur. Je
suis arriéré de tout plein de devoirs qui me sont
plus agréables que faciles à remplir. Suppléez
de grâce par vos soins bienfaisans à ma volonté
sans effet premièrement auprès de vous qui
m'êtes si bonne, et auprès de tous les vôtres
qui partagent vos sentimens. Ma femme qui
partage les miens envers vous et votre famille
me reproche de remplir si mal ses devoirs et les
miens et vous envoyé les plus tendres saluta-
tions. Recevez les avec bonté ainsi que les
228 LETTRES INÉDITES
miennes et croyez que voire accueil caressant,
■vos soins empressés, votre amitié nous ont fait
une impression qui ne s'eiïacera de notre vie.
Voilà des arrivans; il faut finir en vous em-
brassant de tout mon cœur.
J'ai accusé à Monsieur Boy de la Tour la
réception de mes effets et lettres. Aidez-moi, je
vous supplie, à lui faire agréer mes remerciemens
des peines qu'il s'est bien voulu donner pour
cela.
LXXVI
Paris, 17 I 70.
Je suis obligé, Madame, de vous écrire cette
lettre un peu à la hâte et d'acquitter tant bien
que mal en une seule fois les dettes d'une cor-
respondance dont vous avez bien voulu faire tous
les frais, mais le départ un peu précipité de
Messieurs vos fils me laisse moins de tems que
je n'en aurois désiré pour m'entretenir avec vous
DE JEA.\-JACQUES ROUSSEAU. 229
à mon aise et vous témoigner combien je suis
sensible à vos bontés et à leurs attentions;
j'ai eu le plaisir de les accompagner à Ver-
sailles et j'aurois tort de n'avoir pas trouvé ce
voyage agréable puisqu'ils n'ont rien épargné
pour me le rendre tel. Il m'a paru qu'ils em-
ployaient trop sagement et trop bien leur lems
en ce pays pour y avoir besoin des conseils de
personne, ils y ont bien confirmé par leur pré-
sence l'estime et la considération qu'on a géné-
ralement pour votre famille et pour la digne
Maman qui l'a si bien élevée, enfin rien n'a
manqué au plaisir que j'ai eu de les voir ici que
de le partager avec vous et avec leurs aimables
sœurs. J'apprends que vous avez celui d'avoir
Madame Delessert de retour auprès de vous et
qu'elle avance lieureusement vers le moment
qui va tripler ses devoirs, ses plaisirs et les
vôtres. Je partagerai votre joye en en appre-
nant la nouvelle; il me manquera seulement
d'en être témoin.
Si vous avez encore auprès de vous Monsieur
230 LETTRES INÉDITES
le Colonel voire frère, je vous prie, Madame,
de vouloir bien le saluer de ma part. Il vient
de me faire une tracasserie avec M. Dutens au
sujet de la pension du Roy d'Angleterre, dont
je ne le remercierai pas. Il a jugé à propos de
se fourrer à mon insçu et malgré moi dans celle
affaire, de solliciter la restitution de celle pen-
sion qui ne m'a point été otée, et une réponse
du Comte de Rochefort dont je ne me soucie
point du tout. Une fois pour toutes permettez,
Madame, que je vous conjure vous et les vôtres
de vouloir bien ne me rendre aucun service
malgré moi ni me faire agir à mon insçu dans
quelque chose que ce puisse être. Je prendrai
la liberté de vous demander aussi qui peut vous
avoir dit que M. de Choiseul m'avait offert un
logement au Louvre, et pourquoi vous avez ré-
pandu cette singulière nouvelle sans m'en par-
ler et sans la vérifier?
Cette lettre, d'abord écrite à la hâte sur
l'arrangement du départ de Messieurs vos fils,
est ensuite restée en relard assez longtems par
DE JEAN-JACnUES ROUSSEAU. 231
le prolongement de leur séjour en ce pays.
A noire dernière entrevue ils avaient fixé leur
départ à demain, et comme je compte diner
avec eux aujourd'hui chez Mad' de Faugnes, je
pourrai leur remettre ce soir ma lettre s'ils per-
sistent dans leur résolution. Des tracasseries
qu'on m'a faites à la poste m'ont fait presque
renoncer à cette voye de correspondance, et tant
que vous en aurez d'autres je vous prie d'éviter
de vous servir de celle-là. Cependant de quelque
manière que je reçoive de vos nouvelles elles
me seront toujours trop agréables pour que je
ne les reçoive pas toujours avec reconnoissance
et empressement.
Quand vous verrez M. de Laurencin je vous
prie, Madame, de lui faire de ma part mille sa-
lutations, et mes excuses de ce que je n'ai pas
répondu à sa lettre, mais ma situation et mes
occupations m'interdisent d'entretenir aucune
correspondance et d'écrire aucune lettre si ce
n'est pour affaire et par nécessité.
232 LETTRES INÉDITES
LXXYIl
A Monsieur
Mo7meur Boy de la Tour Tamé, à Lyon.
Paris, 17 % 70.
C'est à moi, Monsieur, à vous remercier et
Monsieur votre frère des agrémens que vous
m'avez procurés durant voire séjour ici; assu-
rément j'aurois voulu de tout mon cœur vous
y pouvoir être de quelque utilité, mais mal-
heureusement vous ne pouvez me remercier que
de la bonne volonté. Je suis fort aise de vous
savoir de retour chez vous en bonne santé, et
fort sensible à la peine que vous avez bien voulu
prendre pour mes petites commissions. J'au-
rois désiré pouvoir rembourser à M. du Château
le prix et le port du Chocolat_, mais n'en ayant
pas la note je vous prie, Monsieur, de vouloir
la joindre à celle des autres menus frais que
vous avez bien voulu faire pour moi etmemettrii
à portée de les acquiter. Voici une lettre pour
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 233
Madame voire Mère. Je vous prie, Monsieur,
d'agréer toutes mes actions de grâce et mes
très humbles salutations.
ROUSSEAU.
J'apprends par M. du Château (ju'outre le
Chocolat que vous m'annoncez, votre envoi
contient aussi un baril d'huile; comme je ne me
rappelle pas qu'il ait été question entre nous
de cette commission, et qu'il pourrait y avoir
là du qui-pro-quo, cet huile, si M. du Château
l'envoyé ici comme il m'en a prévenu restera
en dépôt, jusqu'à ce que j'aye vos ordres
ultérieurs sur sa destination, et la facture du
prix et des frais, si réellement elle est pour
moi.
L'affaire de l'huile est éclaircie; c'est un qui-
pro-quo, comme je l'avois présumé; ainsi, Mon-
sieur, vous voudrez bien regarder cet article
comme nul.
23i LETTRES INÉDITES
LXXVIII
Paris 17 S 70.
Je reçois, Madame, avec un sensible plaisir
de nouvelles marques de votre souvenir et de
votre amitié qui ne cessera jamais de m'être
chère, et à ma femme qui n'est pas moins
touchée que moi de vos constantes bontés pour
l'un et pour l'autre. Vous nous avez envoyé
aussi d'excellens marons dont je vous aurois
remercié plus lot si la voyedelaposte ne m'étoit
fermée de quoi sans vous je me soucierois fort
peu. Vous avez trop de bonté d'entrer en
explication avec moi sur mes maussades gron-
deries; c'est assez de les pardonner et de sentir
comme je m'en flatte, que mon ton dur quel-
que fois, vaut bien dans le sentiment qui
l'inspire un langage plus cajoleur. Au reste je
n'ai pas pourtant été dans mes torts si légère-
ment crédule que si jamais j'ai le bonheur de
vous revoir je ne puisse vous prouver qu'un
autre à ma place ne l'eut pas été moins que
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 235
moi : Mais je puis, Madame, vous protester
qu'il n'appartient pas à de telles misères de
causer jamais la moindre altération dans les
sentimens de reconnoissance et d'attachement
que je vous dois et que mon cœur vous a voués
pour la vie. J'apprens avec douleur la conti-
nuation des souffrances de votre cher Oncle,
mais à son âge et dans son état il n'y a qu'une
manière de cesser de souffrir, et je n'ai pas le
courage de le lui désirer. Ma femme et moi
nous nous portons passablement. J'ai pris depuis
quelque tems un petit logement assez joli quoi-
qu'au cinquième auprès de mon ancienne
demeure, et je vivrois en tout avec assez
d'agrément, si les sociétés oh je me plais
étoient moins éparses et qu'en cette saison les
rues de Paris fussent plus praticables pour un
piéton qui commence à s'appesantir. Bonjour,
Madame, je vous envoyé et de bon cœur les
embrassements de l'amitié et je n'ai pas un
instant cessé de compter sur la votre. ?sos
honneurs à tout ce qui vous appartient.
236 LETTRES IXÉDITES
LXXIX
A Madame
Madame Boy de la Tour, à Lyon.
A Paris, le 17 Mars 1771.
Je profite, Madame, de la complaisance de
M. de la Tourrelte qui veut bien à son retour
se charger d'une lettre que j'aurois moins
tardé à vous écrire si j'avois eu d'autres occa-
sions pour vous demander de vos nouvelles
dont je suis en peine, surtout depuis que je sai s
que M. de Peyrou vous a envoyé une lettre
pour moi, qui ne m'est point parvenue. Comme
indépendamment de la poste vous avez tous les
jours des foules d'occasions pour faire parvenir
à Paris tout ce qu'il vous plait, et que je con-
nois votre exactitude en ma faveur, je crains,
Madame, les causes de ce retard et que quelque
altération dans votre santé ou dans celle de
quelqu'un de vos enfans ne vous ait fait oublier
cette bagatelle. Donnez-moi de vos nouvelles,
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. :^37
je VOUS conjure, le plus tôt qu'il vous sera pos-
sible, je ne serai pas tranquille jusqu'au
moment où je les recevrai. Vous savez qu'il ne
fautpas m'écrire directement parla poste, et si
par impossible, les autres occasions sures
vous manquaient, M. de laTourrette voudroil
bien se cbarger de me faire parvenir votre
lettre promptement et sûrement.
Les dettes que j'ai été forcé de contracter
pour me mettre dans mes meubles et la gêne
de ma situation présente me forcent de dis-
poser de la petite somme qui reste entre les
mains de Monsieur vôtre fils et que j'avois
compté laisser à ma femme si j'avois pu
pourvoir à nos besoins d'une autre façon. Je
voudrois donc vous prier, Madame, de vouloir
bien le prévenir que s'il peut me faire toucher
cet argent en tout ou en partie vers la St Jean
je lui en serai bien obligé. Je serais même
bien aise d'être prévenu d'avance d'un mot
d'avis afin de savoir sur quoi compter.
Je vous demande Madame des nouvelles de
238 LETTRES INÉDITES
toute votre chère famille ainsi que des vôtres,
mais particuliéremenl de ma chère Cousine
dont j'en altendois de jour en jour d'intéres-
santes que je ne recois toujours point. Vous
savez la part tendre et sincère que je prendrai
toute ma vie à tout ce qui vous touche l'une et
l'autre, et vous ne pouvez pas douter qu'un si
long silence surtout dans la circonstance
présente ne me cause une inquiétude dont
j'attends de votre amitié pour moi que vous
voudrez bien me déhvrer. Ma femme qui la
partage attend de vos nouvelles avec la même
impatience. Nous embrassons l'un et l'autre
et vos chers enfans, et leur excellente Maman
avec un attachement que l'absence ni le tems
ne sauroient altérer.
ROUSSEA u.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 239
LXXX
A Madame
Madame Boy de la Tcw\ née Roguin, à Lyon.
A Paris 17 J 17.
Votre dernière et obligeante lettre, Madame,
que m'a remise M. Du Château m'a comblé de
joye en m'apprenant l'heureuse augmentation
de votre famille et le bon état de la mère et de
l'enfant. Vous avez pu voir par la lettre qu' a
du ou que doit vous remettre M. de la Tour-
relte, et par celle que j'ai écrite directement à
ma chère Cousine que j'étois en souci sur cet
événement. Une nombreuse et florissante fa-
mille est la plus douce récompense que le Ciel
puisse donner aux vertus d'une mère de
famille et son cœur ainsi que le votre est bien
fait pour en sentir le prix. Dites lui je vous
supplie de ma part tout ce que les sentimens
que vous m'avez connus pour elle dans tous les
lems doivent m'inspirer dans cette occasion, et
240 LETTRES INÉDITES
soyez bien sure qu'en cela vous ne lui direz rien
que mon cœur ne confirme et ne justifie. Comme
un plaisir pur n'est pas fait pour cette vie le
mien est cependant altéré par l'incomodilé de
mon aimable tante, mais comme vous me
marquez que ce ne sera rien, et qu'on peut bien
s'en rapporter là dessus à une mère telle que
vous je ne m'en allarme pas assez pour ne pas
attendre dans peu la nouvelle de son parfait
rétablissement.
Quoique je n'eusse rien à ajouter à ce que je
vous ai écrit précédemment et à Madame De
Lessert, je n'ai pu me refuser de vous remercier
de voire attention et du plaisir qu'elle m'a fait.
J'apprens que Monsieur votre aine va bientôt
faire une tournée assez considérable. J'espère
que si elle doit être longue qu'il voudra bieh
avant son départ prendre des arrangemens
pour me faire loucher au mois de Juillet au
plus tard l'argent dont j'ai besoin selon ce que
je vous ai marqué précédemment \ Je serois
1. Cf. p. 237.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 2-41
bien charmé de le recevoir de lui-même s'il
n'employoit que trois mois à son voyage, et
qu'il repassât par Paris comme on m'en a
flatté.
Bon jour, Madame, Bon jour mon ancienne
et bonne amie. Ma femme qui est de moitié
dans tout ce que je vous écris tant pour vous
que pour ma chère Cousine, veut que je vous
dise en particulier combien elle est sensible aux
bontés dont vous la comblez dans vos lettres .
Vous avez raison de croire qu'elle les justifie
par sa reconnoissance et son attachement.
Nous vous sommes l'un et l'autre acquis pour
la vie et nous vous embrassons et toute votre
aimable famille avec toute la tendresse de
notre cœur.
16
242 LETTRES INÉDITES
LXXIX
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin^ à Lyon.
Paris, 17 I 71.
A peine, Madame, ma précédente lettre étoit-
elle à la poste que je me rappellai tout honteux
que j'avois oublié de vous remercier des truffes
dont vous m'annonciez l'envoi : mais ma hon(e
a bien augmenté en recevant cette immense
provision , plus propre à une armée de gourmands
qu'à un ménage comme le mien. Je suis depuis
longtems dans l'usage de ne rien refuser de
vous : mais un cadeau si considérable devroit
faire exception. Je le reçois toutefois, ne vou-
lant jamais répondre à vos bonlés par des pro-
cédés qui puissent vous déplaire, et je ne puis
me refuser ces deux mots de remercimens pour
réparer mon étourderie, n'ayant au surplus rien
à ajouter à ma précédente lettre sinon de vous
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 243
demander des nouvelles de mes chères Cousine
et tante, et de vous reitérer pour ma femme et
pour moi nos plus tendres salutations.
LXXXII
A Madame
Madame Boy de la Tour.
à qui Madame de Lessert est priée de ne la re-
mettre qu'en main propre par quelqu'un qui ne
cessera de la chérir et de l'honorer jusqu'à
son dernier soupir.
A Paris le 20 Juillet 1771.
Quoi, Madame, votre vertueux Oncle a ter-
miné sa carrière, et il faut, pour me rendre cette
perte encor plus amére que je l'apprenne d'un
autre que vous! Des deux manières de perdre
ses amis par leur mort ou par leur changement
la première est au moins dans l'ordre de la
nature, et l'on n'en peut accuser personne; mais
la seconde est encore plus sensible, comme un
244 LETTRES INÉDITES
ouvrage de la volonlé. J'ai été négligent sanï>
doute ; ce défaut ne m'est pas nouveau ; mais vos
bontés le couvroient autrefois et l'amitié vous
empêclioit de compter avec moi. Je suis ce que
j'étois, mes défauts, ainsi que mon attachement
pour vous et pour votre fille sont restés les
mêmes. Je sens du changement, cependant;
d'où vient-il? Ce n'est pas de moi. Il y a long-
tems que je m'apperçois que quelqu'un se cache
et s'interpose entre vous et moi; j'en ai même
des preuves, et je ne vous ai pas trop caché
que j'en étois alTeclé. J'espérois que cela produi-
roit entre nous quelque éclaircissement. Mais
il est naturel que les ouvriers de ténèbres crai-
gnent la lumière et que ceux qui vous aliènent
de moi n'en veuillent point. Il l'est moins qu'ils
réussissent, et que leurs manœuvres souterraines
ne vous révoltent pas. xMadame, je n'ai pas mérité
votre changement ni celui de votre fille, et je
ne l'imiterai pas. Je vous resterai toujours atta-
ché, je me souviendrai toute ma vie de vos an-
ciennes bontés pour moi, sinon peut-être avec le
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 245
même plaisir, du moins toujours avec le même
attendrissement et la même reconnaissance.
Mon respectable ami Monsieur Roguin a cessé
de souffrir. Il jouit maintenant du prix de ses
vertus : car j'ai toujours pensé que les hommes
seront jugés sur ce qu'ils ont fait bien plus
que sur ce qu'ils ont cru, et sa récompense est
bien sure^ quoiqu'il n'ait pas eu le bonheur d'en
jouir d'avance en l'espérant. Une idée encore
m'est consolante dans ma douleur. C'est de pen-
ser que l'addresse et l'imposture ne déguisent
plus à ses yeux la vérité des choses, et que s'il
pense à son ami infortuné il rend justice à ses
sentimens, à ses principes et au sincère et pur
attachement qu'il eut pour lui. Affecté de cette
perte et par elle-même et par tout ce qui me la
rend irréparable, je me vois mourir par degré
dans tout ce qui donne un prix à la vie, et des-
tiné, si je vis longtems encore, à ne rester sur la
terre que pour m'y pleurer tout vivant. Car c'est
un fait ; les nouveaux attachemens ne sont plus
de mon âge, encor moins de ma situation, et je
246 LETTRES INÉDITES
VOUS laisse dans mon cœur un nouveau vide, il
ne sera plus rempli . 11 faut finir cette triste lettre ;
je m'efforcerois en vain d'y prendre un ton moins
plaintif. La perte de 31. Roguinme rappelle avec
force les heureux lems de notre connoissance.
Combien ilfalloit peu pour mon bonheur! Hélas
que dis-je, il auroit fallu beaucoup : c'eut été
de ne connoîtreque des gens qui lui ressemblas-
sent. Mon vertueux ami, vous êtes allé m'alten-
dre. Ils auront beau faire. Nous nous rejoindrons
en dépit d'eux.
Pardonnez cette effusion de cœur, en vous
souvenant toutes deux que c'estavec vous qu'elle
s'est faite
ROUSSEAU.
LXXXIII
A Monsieur
Monsieur Boy de la Tour, Famé à Lyon.
A Paris 17 '-72.
J'attendois, Monsieur, pour répondre à l'obli-
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 247
géante lettre que vous avez pris la peine de
m'écrira le 17 du mois dernier, de pouvoir vous
parler de la commission dont vous aviez
chargé M. Turot. Il me remit hier contre mon
reçeu de pareille somme les 1232 1. 10 s.
mentionnés dans votre lettre. 11 n'a pas moins
fallu que la plus indispensable nécessité pour
m'engager à retirer successivement ce petit
dépôt que je savois plus assuré dans vos mains
que dans les miennes, et j'espère que vous nous
rendez à vous et à moi assez de justice pour
être sur que faisant tant que de le reprendre,
ce n'étoitpas pour le placer en d'autres mains.
Je suis fort aise, Monsieur, que la rustique
partie du gros Caillou vous ait laissé la bonne
intention de la renouveller à votre premier
retour dans cette ville ; je prends ce qu'il vous
plait de m'en dire dans votre lettre pour une
paroledontje vous somme, ce que j'espère que
vous viendrez bientôt dégager. Je suis bien
réjoui des nouvelles que vous me donnez de la
santé et du souvenir de Madame votre Mère de
248 LETTRES INÉDITES
Madame et de Mesdemoiselles vos sœurs. En
attendant que je m'acquile moi-même d'un
devoir dont mon cœur me presse autant que
mes obligations, nous vous prions, ma femme
et moi, de leur faire agréer noshommageset de
leur renouveller les assurances de notre im-
mortel attachement. Ne nous oubliez pas non
plus je vous supplie auprès de Monsieur votre
frère et recevez avec bonté nos très humbles
salutations.
ROUSSEAU
Je joins ici le billet qui me restoit de vous,
et que M. Turot ne m'a pas demandé.
Pauvres aveugles que nous Sommes,
Ciel démasque les imposteurs,
Et fais que leurs barbares Cœurs
Puisse S'ouvrir aux regards des hommes.
DE JEAN- JACQUES ROUSSEAU. 249
LXXXIY
A Madame
Madame Boy de la Tour, née Roguin, à Lyon.
A Paris 16 Avril 1772.
Je ne sais presque plus, Madame, comment
rompre un si long silence, mais je puis encor
moins le garder plus longtems: il pèse trop
sur mon cœur. Cette espèce de sort m'est
aussi commune qu'à vous de la pardonner, et
j'espère qu'en celte occasion vous n'aurez pas
moins d'indulgence puisque jamais je n'en eus
plus besoin et ne la desirai d'avantage. Depuis
six mois le travail étant venu avec abondance,
ce qu'il n'avoit pas encore fait, j'ai creu devoir
m'y livrer tout entier, et j'ai passé l'hiver
cloué sur ma chaise avec une telle assiduité,
que de peur de rebuler les pratiques je ne me
suis permis aucune distraction. J'étois pour-
tant continuellement sollicité de vous écrire
et à ma Cousine, tant par mon propre désir
250 LETTRES INÉDITE>
que par ma femme qui ne cessoit ses repré-
sentations et ses reproches. Mais fatigué de
tenir la plume, je la quittois pour faire quel-
ques tours de chambre parlant souvent de
vous, y pensant encore plus souvent mais ne
pouvant me mettre à vous écrire. Voila, chère
amie_, non l'excuse mais la cause de mon torl.
Veuillez l'oublier je vous en conjure, et donnez-
moi bien vite quelque signe de souvenir qui
m'assure que votre amitié n'a pas plus receu
d'altération que la mienne.
Vous dirai-je encore un enfantillage digne
de votre pitié. J'avais promis un petit herbier
à ma petite tante. Honteux d'un si long retard
je voulois rassembler quelques échantillons
pour faire au moins acte de bonne volonté.
Mais, toujours voulant tout faire et ne faisant
jamais rien, j'ai laissé venir l'hiver sans avoir
rien rassemblé qui valut la peine et réduit à
quelques misérables débris je voulois attendre
la saison de les completter et d'y ajouter de
quoi faire un petit recueil. Mais enfm ennuyé
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 251
d'attendre la saison des plantes encore plus
paresseuse que moi j'aime mieux envoyer mon
herbaille telle qu'elle est que de m'exposer
encore aux tours que ma paresse peut me
jouer. Le Paquet est si petit que j'ai peur qu'il
ne se perde à la diligence qui d'ailleurs est
très loin dici; et comme il fait fort mauvais,
que je n'ai d'autre domestique et commission-
naire que moi, s'il arrivoit que vous pussiez
m'indiquer dans ce quartier quelqu'un à qui
pouvoir le remettre cela me seroit, je l'avoue,
d'une grande comodilé. Donnez-moi bien vite
et bien amplement de vos nouvelles, je vous en
conjure, et de toute votre chère famille par
qui seule je ne me sens pas isolé sur la terre.
Que fait l'adorable et respectable nourrice, que
font ses charmants enfans? Qu'ils seront par-
faits si l'œuvre de sa tendresse et de la votre
suffisent pour les rendre tels avec ce que la
nature a déjà fait pour cela. Ma charmante
tante_, ma belle grand Maman songent elles
quelquefois à leur vieux élevé à qui elles n'ont
252 LKTTRES INÉDITES
pas laissé le pouvoir de les oublier. N'avez-
Yous rien à m'apprendre qui les regarde ; il
me semble que vous devriez bientôt avoir
quelque bonne nouvelle à me donner, soit
d'elles soit de Messieurs vos fils auprès desquels
je me recommande à vos bontés.
Je voudrois savoir si Madame De Lessert se
propose de remonter de bonne beure à Four-
viére; si c'est tout de bon qu'elle veut amuser
sa fille de la connaissance des plantes? Je
serois comblé de pouvoir au moins dans ces
bagatelles aider à ses soins maternels. Je me
ferai le plus délicieux amusement de concourir
aux siens en lui communicant là-dessus mes
idées. Mais je vous avoue que ma paresse seroit
moins évertuée si je croyois qu'elle ne suivit
cette petile étude que par complaisance, et
comme on dit, par manière d'acquit. Je vous
demande, Madam.e, de vouloir me parler
là-dessus de bonne foi.
Je suppose et j'espère que votre santé désor-
mais bien raffermie ne vous laisse plus rien
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 23IJ
que de bon à m'en dire ainsi que de tout ce
qui vous appartienl, et dans cet espoir nous
attendons ma femme et moi la confirmation de
cette heureuse attente par quelques mots de
votre part qui rejouiront deux cœurs qui vous
sont acquis pour la vie.
ROUSSEAU.
LXXXY
A Madame
Madame Boy de la Tour, à. Rolle.
A Paris, le 22 S""-^ 1772.
Je ne veux pas, ma chère amie, laisser partir
Monsieur votre frère sans vous donner un petit
signe de vie dont il veut bien se charger. J'ai
appris par lui et par Madame de Lessert l'acci-
dent de votre piè, les longues douleurs qu'il
vous a données, et enfin votre rétablissement
qui vous a permis le voyage de Rolle. Vous avez
éprouvé près de vos chères sœurs toute l'acti-
254 LETTRES INÉDITES
vite de leur zèle et de leur amitié, et je suis bien
sur que la charmante Julie a rempli dignement
dans cette occasion les mêmes tendres soins
que j'ai vu si bien remplir par son ainée en
pareille occasion. Enfin vous voilà bien rétablie
de tout point et je vous exhorte ardemment à
garder toujours le souvenir de tant de rechutes
de toute espèce pour vous en garantir désormais
par la plus scrupuleuse attention sur vous
même tant à table qu'à la promenade. Evitez
soigneusement les lieux raboteux, ne vous pro-
menez qu'appuyée sur quelqu'un et ne vous
fatiguez jamais trop.
Vous nous ramènerez donc ma chère Tante.
Je m'en rejouis fort pour mon compte, car
étant à bien des égards plus à portée de Lyon
que de la Suisse, mon intérêt me fait préférer
qu'elle y trouve l'établissement qui lui convient.
Comme elle a reçeu de la nature, de votre
exemple, et de ^os leçons, tout ce qui de la part
d'une femme aimable et sensée peut contribuer
à rendre un ménage heureux, je désire de tout
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 235
mon cœur apprendre bientôt que sous vos
yeux et sous vos auspices elle remplit à l'imita-
tion de sa digne sœur, une si précieuse desti-
nation.
Le petit herbier que je lui destinois ne se
trouva prêt que quand Madame de Lessert
m'eut avisé de vôtre départ. Cela fit que ne
sachant où le lui envoyer ni où lui écrire je
priai M. Guyenet de le remettre en passant à
ma Cousine. Au lieu de cela, ne passant point à
Lyon, il fit faire au paquet cent tours inutiles
el à force d'incurie et de malentendus, il l'égara
si bien que je le croyois tout à fait perdu quand
après bien des circuits il parvint enfin à
l'adresse que j'y avois mise, et où ma Tante le
trouvera à son retour. C'eut été une très petite
perte, maisje serois fâché que cette chère Tante,
qui s'est si souvent occupée de son neveu avec
tant de bonté, doutât un moment du plaisir
qu'il prendra toujours à s'occuper d'elle et pour
elle.
Bon jour ma bonne et chère amie. Rien
256 LETTRES INÉDITES
n'est plus juste que de satisfaire l'empresse-
ment de vos hôtes de RoUe et le voire à y ré-
pondre. Mais n'oubliez pas cependant que
riiyver approche et qu'il ne faut pas vous expo-
ser à voyager dans une saison trop rude.
J'aspire au moment de vous savoir heureuse-
ment de retour à Lyon en bonne santé, ou
plus à portée d'avoir immédiatement de vos
nouvelles; j'espère en recevoir un peu plus
régulièrement, non par vous-même qui ne
devez pas, et je vous en supplie, vous fatiguer
à écrire, mais par vos chères filles, qui vou-
dront bien, je m'en llate, me rendre cet office
d'amitié. Ma femme vous prie d'agréer ses
devoirs, nous saluons l'un et l'autre ma chère
Tante, et moi, ma bonne amie, je vous em-
brasse de tout mon cœur.
ROUSSEAU.
Je vous prie de vouloir bien faire passer ce
billet à sa destination par une voye sure qui le
remette en mains propre, et qui vous trans-
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 257
mette la réponse, que vous aurez la bonté de
me faire passer à voire comodité.
LXXXYI
A Madame
Madame Boy de la Tour, à Lyon.
A Paris le 18 Janvier 1773.
Quoiqu'il n'y ait pas longtems, ma bonne
amie, que j'ai receu par Mad*" de Lessert
de vos nouvelles et des siennes, et que j'en
aye encor plus récemment quoiqu'indirecte-
ment par M. Lalliaud qui passant dernièrement
à Lyon a rencontré M. De Lessert, néanmoins
l'intéressante époque dont approche votre
excellente fille me fait désirer d'en apprendre
l'heureux événement aussitôt qu'il sera pos-
sible, et je m'adresse pour cet effet à sa digne
Maman, non pour qu'elle veuille me donner
cet avis elle-même, sachant que d'écrire nuit
à sa santé, mais pour qu'elle engage mon
17
258 LETTRES INÉDITES
aimable lante à prendre ce soin. Car je crains
que les occupations de M. Gaugé ne l'empê-
chent d'être aussi exact sur cet article que je
l'en avois prié. Les miennes me tiennent, sur-
tout en hiver, cloué à ma besogne avec une
telle assiduité que je n'ai plus le tcms ni le
courage d'écrire aucunes lettres, et que les
exceptions mêmes que m'impose mon tendre
attachement pour mes bonnes amies se sentent
de la hâte avec laquelle je suis contraint de m'y
livrer. Compatissez, Madame, aux négligences
de votre ami et soyez bien certaine que l'in-
difîerence d'un cœur tiède n'y a et n'y aura
jamais aucune part. Vous êtes si bonne et si
pleine d'indulgence que je n'en attends pas
moins de votre part des nouvelles exactes de
tout ce qui vous interesse et qui m'intéresse
par conséquent. Bon jour, ma chère amie; ma
femme vous assure de ses obéissances; nous
nous portons assez bien l'un et l'autre, et nous
vous embrassons et vos chers enfans de tout
notre cœur.
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 259
BILLET
LXXXYII
Voici les billets pour la bonne Maman et ses
élus. Nous la prions ma femme el moi de
nous permettre d'en augmenter le nombre et
nous irons pour cela sur les cinq heures nous
rendre auprès d'elle.
LXXXYIII
Pour Madame Boy de la Tour.
J'envoye, ma bonne amie savoir de vos nou-
velles; pour moi je n'en ai point de bonnes à
vous donner.
Permetlriez-vous que M. le Trésorier eut
rhonneur de diner avec vous? Je sais qu'il le
désire, et moi je désire lui faire plaisir pourvu
que cela ne vous déplaise pas. Dites librement
260 LETTRES INÉDITES
oui ou non, et ne vous donnez pas pour cela la
peine d'écrire ; un mol de bouche suffit.
LXXXIX
Ce 23 Juin.
A force, chère amie^, de me prévaloir de
vos bontés j'en abuse, et voici encore une
lettre qui s'y recommande. V^ous savez le vif
intérest que je prends à l'homme respectable
à qui elle s'addresse, quand vous en aurez des
nouvelles vous m'obligerez sensiblement de
vouloir m'en donner. /
J'apprends que lôlit continue d'aller bien
chez vous, je m'en réjouis d'un cœur ami c'est
tout dire. Ce seroit pour ce même cœur une
joye bien vive et bien pure d'aller vous en féli-
citer de plus près et profiter de l'invitation de
ma Cousine, tle n'est pas moi, comme vous
savez qui dispose de moi. Il faut obéir pre-
mièrement à la nécessité et puis aux hommes,
quand je n'obéirai qu'à mes dessins je ne
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 261
m'éloignerai guère de vous et d'elle. J"ai receu
des nouvelles du Papa par Messieurs vos fils à
qui je vous prie d'en faire mes remerciemens.
Il me parle d'un ouvrage de ma façon que
Lenieps lui marque être sous presse. Je croyois
que mes amis se lasseroient enfin d'avoir sur
de pareils bruits une crédulité si peu sensée,
mais puisque la raison l'amitié la vérité n'y
peuvent rien faire, ils n'ont qu'à dire et laisser
dire à leur aise, pour moi je ne m'en tourmen-
terai plus.
J'ai appris le mariage du Peyrou. Cette nou-
velle m'a peu surprise, quoi qu'elle eut bien de
quoi surprendre. La jeune personne dont il a
fait sa femme m'a paru d'un Ijon caractère
autant qu'on peut juger en passant de celui
d'un enfant. Tant mieux pour l'un et pour
l'autre. Elle en aura besoin pour vivre heureuse
et le rendre heureux. Bon jour, chère amie,
continuez comme vous avez commencé de con-
sulter en mariant vos enfans les convenances
de la nature, et après celle des caractères qui
26-2 LETTRES INÉDITES
doit aller avant tout, mettez celle des âges au
premier rang.
XC
Ce Samedi.
Je ne puis, très chère amie, vous écrire que
fort à la liàte. Mon état chancellant ne me
laisse former aucun projet bien fixe; mais
supposant la possibilité, je serai forcé de partir
d'ici le 18 au plus tard, et je compte à mon
retour vous revoir à Iverdun. En attendant
donnez moi ici le plus de tems que vous pourrez
et si vous y avez des gens à voir, renvoyez cela
jusqu'après mon départ afin que je ne perde
aucun des doux moments destinés à l'amitié.
Lorsque vous serez déterminée sur le jour où
vous comptez venir, donnez m'en avis je vous
en prie. Surtout, chère amie, je me mets à vos
pieds pour vous demander le plus grand ména-
gement durant vôtre convalescence. Laissez-
vous diriger par faimable Madelon, c'est-à-dire
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. 263
par vous-même, puisque sa raison, ses vertus,
sa tendre sollicilude, sont toutes l'ouvrage de
vos soins. Dieu vous rend à vôtre famille et à
vos amis. Bonne mère, excellente amie, ne
vous exposez plus à vous perdre.
J'ai receu de la part de Monsieur votre fils
un élui dont je le remercie. Je suis très touché
de ses soins pour ma santé. Je suis content de
l'emplette mais je désire que sur cet article il
s'en tienne là. Je suis charmé d'apprendre qu'il
a fait son voyage en bonne santé.
XCI
Pour Madame Boij de ta Tour.
Ce Samedi matin.
Voila, ma bonne amie, le hallebran qui vous
ètoit destiné, et comme ce n'est pas cependant
un aliment extrêmement sain je vous conseille
et vous prie de manger à la place une des deux
bécassines que j'y ai jointes. Si vous aviez la
complaisance et le crédit d'engager M. Chaillet
2G4 LETTRES INÉDITES DE J.-J. ROUSSEAU.
de quitter vôtre diné pour le mien, je saurois
grand gré à vous et à lui de ce sacrifice et cela
nous mettroit à portée de faire après diné la
partie d'échecs sans ennuyer personne. Faites
moi dire le plus lot que vous pourrez s'il vien-
dra ou non. Donnez-moi, cliére amie, de vos
nouvelles, puisque vous ne voulez pas m'en
apporter à diné.
APPENDICE
M. Ferdinand Brunetière a bien voulu nous
communiquer le dossier de lettres que nous
publions et qui sont les réponses de Madame Boy
de la Tour, de sa fille et de son fils à J.-J. Rousseau.
Les originaux sont à Neufcliâtel, M.Fritz Berllioud
a déjà puisé à cette source mais n'a publié que
quelques pages à l'état d'extraits dans J.-J. Rousseau
au Val de Travers.
RÉPONSES DE M-"^ BOY DE LA TOUR
Yverdun, ce 20 juillet 1762.
Une lettre de vous, mon cher et très cher ami, quel plai-
sir, je la lis et relis très souvent, je trouve mil sujet de joie
sur tout de ce que vous paressé vous plaire dans cette maison
où je vous prie de tout disposer à votre fantaisie; j"ai
chargé mon homme d'atl'ère de vous aller offrir ses services
pour faire faire toutes les réparations que vous souhaitez,
je veu que vous soiez à votre aise et pour cela je souscrr
à tout; vous voulez que je tire un loyer, à la bonneure, à
30 de france il est sur payé ; ce n'est point dans ce pays
que l'on tire parti des maisons, jamais je n'en ai tiré un
liar, je l'ai prêté très souvent et avés de l'obligation à
ceux qui l'occupait.
Vous auriez bu le courage, mon cher ami, da compagnier
ma belle sœur, qu'il serai dou pour moi de vous voir aven
que de m'en aller, il faut de toute nécessité que je retourne
sur ma montagiiie, j'attendrai que les challeurs ne soie pas
si forte, à toute bonne fin vous en saurés le jour, vos amis
et amie seron de la partie ; que ce jour aura pour moi de
délice si vous v aite.
268 APPENDICE.
Mes sœurs me disent tant de choses pour vous que
.j'aurai une bille à vous envoyer si je voulai les croire, mes
finies vous respecte et chérisse et voudrai vous embrasser
réellement qu'avec plaisir ; je vous tiendrai la promesse
que je vous avès faite que je trouve dommage que l'on ne
puisse transformer la pelotte
... . vous dite de si bonne grasse que vous m'aimé
que je suis prelte à le croire en revanche, disposé du cœur,
•de l'amitié de votre amie.
Boy DE LA Tour née Roguin.
II
Vous êtes bien bon, très cher ami d'avoir de l'incietude
sur mon conte, j'en suis quite pour un peu de meurtrissure,
j'ai cru devoir moi-même vous le dire pour répondre à
vos bonté, je me porte à merveille et me rapelle avec
délice les moments heureux que j'ai passé avec vous, qui
vont être troublé que par la crainte que cette terrible course
ne vous incommode, jugé don très cher ami du plaisir
•que nous a fait votre chère lettre; depuis vous j'ai bien
fait des refllexions et craint que vous ne soie pas aussi
bien dans ma maison que je ne la souhaiterois. De grasse,
cher ami; dite moi si je peut remédier à quelque chause
je le ferai avec empressement; n'ayez égard pour per-
sonne, vives à votre fantaisie et disposé de moi comme
d'une personne qui vous ai entièrement acquise. Agrée,
•cher ami les devoirs de mes enfants et les embrassements
•de la mère.
BoY DE LA TODR.
APPENDICE. 2(19
Mes salutations à Mademoiselle Levasseur que j'ai été
charmée de connoitre.
III
Votre pelisse, mon bon et cher ami, est partie hier
adressée à Pontarlier à M. Glauriau, avec l'ordre de vous-
la faire d'abor parvenir, les 2 bonnet, la robe de camelot
et son bonet une ceinture rayée, celle à filoche ne s'est
trouvée faite, je vous l'enverrai parles frère Rosselet, avec
la quaisse chandelle et le papié ; vous trouverez aussi dans
ce paquet de la soie pour les lassets, et une piesse de
ruban pour ma niesse et deux petit bonnet de Blonde pour
M«"^ Divernoi, commission quel avès donné à ma fille.
J'espère que vous trouverez votre pelisse belle bonne et
chaude, légère et qui durera éternellement moyennant
qu'elle soit préservée...
... de ïartarie, tout ce qu'il y a de plus beaux et de plus
de dure soie, assure que j'ai plus ménagé votre bourse
que je n'aurai fait la mienne, peut aètre ai-je été trop à
le conomie à l'égard de la ceinture il y en a de la même
espèce, double plus large qui coûte 29 et celle que je vous
envoyé n'en coûte que 9, j'ai retenu que si elle ne vous
convenait pas, on la changerai, et vous n'auriez qu'à me
la renvoyé par les Rosselet qui doivent venir incessem-
ment, si la soie ne convenai pas, elle serai aussi changée;
je revien à votre amicalle et obligente lettre qui m'a fait.
Moucher ami, un plaisir inexprimable, ma fille veut elle-
même répondre par quelques lignie à ce qui la regarde,.,
envoyé moi deux petit doit de vos joli lasset, pour que je-
270 APPENDICE.
juge devotreouvrage, sans cela je n'en verrai de longtemps,
Madelon est très fort de ce sentiment, nous vivons tres-ami-
calement ensemble et surtout depuis que nous revoyons
remettre Julie, la joie est parmi nous, cette chère fillie met
rendu, je l'espère de la grasse de Dieu, tout les mauvais sin-
tomes, tout fièvre et sueur, l'apéti et sommeillie sont re-
venu, il ne lui reste que des grand mau de tette, sans cela
elle serai à merveillie, la nature a travaillé presque seule,
•excepté des vésicatoires qui lui ont été apliqué sur la
poitrine, on ne lui a fait aucun remède, elle me charge de
vous dire bien des chauses de sa part, de même que mon
lîls qui envie l'avantage que nous avons u, il se flatte de
se honneur et attend ce moment avec impassiance.
Vous avez beau dire, cher ami vous aurés un petit
apartement sur ma montagnie ou vous scré j'espère plus
tranquille je suis mortifiée de ce que vous ne pouvés
l'avoir à Motier, prené passiancc, cher ami, j'espère que
cela viendra et ne vous lassé point de dire la desçu votre
sentiment, de grasse, ne me déguisé rien de la maison et
si je peut maitre remède à quelque chause je le ferai sans
que vous soie compromis; puisque vous voulés bien me
favoriser de votre amitié, agisses en conséquence et soie
assuré que vous m'obligeré de me fournir les occasions à
vous prouver la mienne, je par de là pour vous dire que les
réparation qui se fon dans ma maison me regarde et que
vous les rabatré sur le conte que je vous enverrai dès que
tout sera complet, dite moi aussi, très naturellement si
vous ai te content de mon envoy ; le tafîeta n'aurai rien
duré en doublure, je n'ai peut trouvé une plus belle toile,
vous lalé trouvé bien grossière. Adieu mon bon ami, tou-
jours tout à vous.
Boy de la Tocr.
APPENDICE. 27!
Ma fille est honteuse de vous envoyersalettrebarbouillée,
elle n'a pas le tems de la recopié. Mes amitié à Mad'="=
Levasseur, je les offre à ma sœur et niesse.
IV
A Lion, ce 4 Si»-^ 1762.
A mon arrivé très-cher ami, j'ai dabor pensé à vous
pour vos commissions (d'alieurs ji suis continuellement)
voissi une note qui contien la peleterie qui sera de duré
si vous aimmé le léger; il faut prendre le plus beaux,
rien de plus fassile que de vous faire une semblable robe
dont j'ai le modèlle, j'ai fait coupé un patron deven moi
vous trouverez si joint dés échantillon de camelot et leur
prit, vous choisirés celui qui vous con\'iendra le mieux,
j'ai commandé une sinture; il ne s'en ai trouvé de faite
qu'en rose ver ou bleu , je l'ai demendé de la couleur de
votre habit et si elle est tel que vous la désiré, je serai
toujours attent d'en faire faire une segonde, il se fait
aussi de ces sintures d'une étoffe rayée comme les mou-
choirs de col de famme, dans les couleurs vive et claire,
je ne des sidérai rien que votre réponse que j'attendrai
avec impassiance, on ne perdra pas un moment pour vous
faire l'envoy de ces bagatelle que je joindrai à la petite
quaisse chandelle et papier; que faite vous, cher ami,
comme vas la santé et le contentement tout de chauses
qui m'intéresse infiniment, vous avés toujours des visites
sans fin, j'en suis fâché et voudrai vous les épargnié.
J'ai fait un voyage très heureux, j'ai trouvé tout mon
monde en bonne santé, je serai contente si ma pauvre
272 APPENDICE,
Julie n'ètoit pas menassée de tomber dans la consomption,
ce qui ra'aflige,et me navre. Suivant l'ordre que j'ai donné
vous auré un couple de chambres l'étée prochain sur ma
monlagnie ; il faut espéré que vous seré là en paix, jc^
désire votre bonheur autant que le mien et que j'aye la
satisfaction de vous revoir un jour et simenter la liaison
de l'amitié de plus en plus. A Dieu, cher ami, je suis et
serai toujours votre dévouée amie.
BoY DE LA Tour.
Il faut de camelot pour vautre robe 4 aunes et demie je
ne saurai vous choisir en soie que du grau de Naple ou
taffeta, parsquevous voudrié de l'huni.
Mademoiselle Madeleine Boy de la Tour à J.-J. Bousseau.
Si je prends, Monsieur, la liberté de vous écrire, c'est
pour vous désabuser sur ce que vous paroissez n'avoir pas.
grande opinion de mes sentiments, s'ils vous étoit connus,
vous leur rendriez sûrement plus de justice et ne m'accu-
seriez pas d'oublier mes amis, puisque vous me faites
l'honneur de vous mettre du nombre ; vous avez la politesse
de dire qu'il m'est aisé d'en trouver, peut de personnes
sont aussi indulgente que vous et j'en ai bien besoin, car
un bon cœur, une sincère amitiez est tous ce que je peut
offrir, mais je suis constante et mes connoissances nou-
velles ne prévalent point sur les anciennes. Et soyez, per-
suadez, Monsieur, qu'il n'est pour moi rien de plus pré-
APPENDICE. 273
tieux que votre estime, quelle plaisir que j'ai eu à Rolle
ou à Genève, ils ont toujours été très inférieurs à ceux
que j'ai goûtez avec vous; toute promenades me sont
insipides quand je pense à celle que nous fesions au
bord du lac du coté de charnpittet. Les repas les plus
recherchés ne sont pas comparable pour mon goût à celui
que nous fîmes sur la montagne, ou la crème qui n'étoit
pas servie dans de la porcelaine n'en étoit que meilleure.
L'hyver doit commencer à se faire sentir dans votre
vallon où la neige n'est pas tardive. Je vous plaindrai si
vous étiez tout autre que n'est M. J.-J. Rousseau d'habiter
un lieu que je ne m'imagine pas être fort agréable dans
la triste saison où nous entron mais où, pouvant vous
voir quelquefois j'aimerai mieux habiter qu'en aucun autre
lieu du monde ; Nous vous avons envoyez de la soye pour
vos lacets, Je suis très sensible à l'offre obligeante que
vous m'en faites. Je souhaite d'avoir encor quelque part
dans votre souvenir dans ce tems où vous souhaitez, que
j'en fasse usage, qui est encore dans le plus grand éloi-
gnement, et dont les bontés que ma chère mère a pour
moi et que je m'efforce de mériter ne me raproche par
cette meilleure des mère est presque toujours avec ses
enfants; nos conservations chéries sont celles où nous
parlons do vous. Ma sœur Julie va assez bien et me charge
de (en vous présentant ses respects) vous prier de ne point
oublier votre tante. La grand maman qui est à Rolle s'y
porte à merveille, et mois je suis avec la plus parfaite
considération.
BOY DE LA TOL'R.
Lyon, ce 26 octobre 1762.
18
274 APPENDICE.
VI
A Lion, ce !•• juin 1763.
Je ne peut, mon bon et cher ami m'empêcher de vous
acuser la réception de votre chère lettre du 7 qui m'a fait
un vrai plaisir, parsqu'elle est de vous et vient de vous il
n'en ai pas de même de bien des chause qui y son con-
tenue qui me chagrine. Quoi est-il possible, que l'on
puisse vous inciétor et vous faire paine, vous qui devrié
avoir toute la terre pour amis et protecteur. Je suis outré
qu'il y ave des créature humaine qui pense si mal, que
tout cela ne vous inciète point et n'infle point sur votre
santé, vous avés, cher ami des ressources en vous mairae
que personne ne peut vous auter dont je vous prie défaire
usage. Que n'étil en mon pouvoir d'y remédier, cela serai
bientôt fait, mon neveu et moi feron tout, si vous dites un
mot il vous est attaché comme moi de tout son cœur, ce
qui me consolle c'est de vous bien sentir chès vous, car
vous vous devès regardé tel chès moi ; je donne ordre
pour que l'on aous remette ma cave, que je vous prie de
prendre, ni dussié vous rien mettre, je vous en croiais
muni depuis longtems, j'ai veu avec paine le contraire; j'ai
enfin reçu une lettre de M. Cler qui me dit l'ouvrage sur la
montagnie presque fini, ordonné et, faite faire à votre
fentésie, il a mes ordres, et vous ne sauriéplus m'obliger,
tout cela me sera très hutil un jour, ni épargnié rien, de
grasse, je voudrai aitre à porté d'y faire travaillié moi-
même.
Vous aite assé bon, cher ami, pour prendre interdi à ce
qui me regarde et ma famillié, je vous dirai que je ne me
APPENDICE. 275
suis jamais mieux porté, que je la tribue au contentemeat,
je vis depuis que je suis débarrassé de Bailliod; de même
que mes enfants qui se porte à merveillie, excepté Julie
qui de tent antems est languissante. Un petit secret qu'ii
faut que je vous communique, mon cher oncle a voultt
une explication touchan l'afTère, qui lui tenai au cœur; je
lui ai dit naturellement que les idée de ma fillie n'étai
pas les nautre, et qu'il ne fallai pas penser à cet établis-
sement; le bon Dieu veuillie que pour eux et pour moi il
prenne bien la chause, j'aime mes paren mais ma fillie
encore plus, nous vivon dans une grande union, jour et
nuit ensemble, elle fait tout mes plaisirs et moi tout les
siens; comme j'ai de mauvai pié, j'ai monté une voiture à
un cheval et nous feson des promenade délicieuse, où nous
parlon souvent de vous et où vous aite bien souhaité. C'est
assé, cher ami, abusé de votre passiance, pardonné en-
faveur de l'amitié qu'a pour vous votre affectionné amie.
Boy de la Tour.
Ma famillie vous présente ses devoirs, mes salutation î
M"^ Levasseur.
P. S. M. Cherb sindic des suisses, mon protecteur et
votre grand admirateur vien de me remettre cette feuillie
avec instance de vous la faire parvenir.
VU
A Lion, ce 12 de J76-4.
Je ne vous ai pas, mon cher ami acusé dans son tems la
reseption de votre chère lettre du 18 dernié, je voulai faire
276 APPENDICE.
VOS commission qui ne son pas entièrement finie, n'ayant
point peut trouver de cinture, on m'en a promis pour la
semaine prochaine et vous l'enverra aved'étolfe pour votre
robe d'étée que je ne me suis pas pressé d'acheter, espéran
que le hazar me procurera quelque chause de rencontre,
je n'ai rerais aux frères.Rosselet que vos 3 bonnet, les fer
à repasser, il m'en assure vous avoir envoyé les galon et
iasset, ce qui fait que je n'en ai pas racheté, vous trouveré
aussi un carteron de sois, je n'en ai pas pris davantage,
parsqu'il ne s'en trouve que de cette calité.
Ne trouvé pas mauvais, cher ami, si je refuse de prendre
à l'avenir le loyer de la maison que vous occupé, vous
savés que nous sommes convenue que vous l'avès plus
que payé l'année échue par les réparation que vous avès
faite à cette misérable maison, l'année prochaine je vous
maitrai en conte les 40 livres et prendrai comme vous le
désiré Tinterai de votre argent pour vos commission dont
je vous en ferai un fidelle conte, j'ai payé pour le cafTé de
M. Rasetier qu'il vous a envoyé 15 dont j'ai le reçu, vous
seré aussi bien aisé de savoir ce que la sois coûte pour
vous la faire remboursé 16 lo, je vous enverrai la notte
du tout quand j'aurai fait le reste de vos emplettes, nous
vous enverron aussi une nouvelle promesse de votre ar-
gent, soie tranquille, cher ami, nous ne vous feron grasse
de rien, tout sera dans l'ordre.
Vos voisine vous ont quitté, j'en suis charmé, vous serès
plus en liberté, votre tranquillité et honneur m'intéresse
véritablement je langui de voir la fin de cette hiver par-
rapportàvous, il est surtoutbienviliendanslepay quevous
habité. On a déssidé ici comme ailleurs que le misérable
livre ou l'on a donné votre nom n'étai pas de vous ; qui
peut imiter votre setil; personne ne si est trompé, vous
APPENDICE. 277
avés dans cette ville grand nombre de partisans, vous aite
aimmé, chéri et admiré, nous avons été chargé de vous
faire parvenir une lettre il y a quelques tems, je ne sais
si vous l'aurez reçu, on nous demande réponse et cela par
main tierse, sans savoir de qui elle vient. J'abuse de votre
passiance, pardon mon cher ami, je fini en vous prien de
saluer Mad'^"'= Levasseur et d'agréé les devoirs de ma
famillie et de me croire toujours de bon cœur et à
jamais votre amie.
BoY DE LA TocR, née Roguin.
Les marron ont été détestable cette année sans quoi je
vous en aurai un peut envoyé.
VIII
A Lion, ce 9 avrille 1764.
Rien de plus triste, mon bon amis, que l'état par lequel
je viens de passer je commense depuis un couple de jour
à espérer mon rétablissement ; le lait pouvant passer il
fait ma seule nourriture, j'étai d'une foiblesse qui ne me
permetai aucune aplication, sans cela je vous aurai plus
tôt remersié de toutes les amitiés dont vous avez comblé
mon fils et surtout des bons conseillies que vous avez bien
voulu, mon bon ami, prendre la paine de lui donner, il en
fera sûrement bon profit, je vous en rend bien des
grasses.
Ne douté pas, cher ami, du chagrien que j'ai ressenti de
toute les tracasseries qui vous ont été faites, je ne serai
tranquille que quand je saurai par vous que votre chère
278 APPENDICE.
santé n'en est point allitorée, je voudrai bien encore que
TOUS me donnassié l'espérance de vous voir ; mon voyage
est retardé jusques la fin de May, je serai inconsolable
de vous manquer, dites-moi, mon bon ami, ce qu'il en sera,
je ferai mon possible pour me procurer le plaisir de vous
Toir; n'avès vous point d'ordre à me donner, rien de ce
pays ne pourrai-t-il vous faire plaisir; je me chargerai
avec joie de vous porter tout ce que vous souhaiterée.
J'ai hu le plaisir de voir votre ami M. Duvemoi, qui m'a
promis de vous aller faire dabor une visite ; s'il est auprès
de vous, je le prie d'agréer mes compliments. Réservé les
pespec de mes enfants et particulièrement de mon fils aine,
mes salutations à Mad"^"^ Levasseur; recevé les em-
brassement de votre fidelle amie.
BûY DE LA Tour.
IX
Monsieur Boy de la Tour fils aine à J.-J. Rousseau,
Lyon, ce 8 juin 18Ci.
Agrées, Monsieur, que je réponde pour ma Mère à la
lettre qu'elle vient de recevoir de votre part, elle se pro-
posait d'un jour à l'autre de vous écrire lorsqu'une forte
colique d'estomac la surprise au point que depuis trois
semaines elle ne peut point se courber et se trouve allité
depuis plusieurs jours, mais comme les remèdes ont très-
bien réussy jusqu'à présent, nous espérons que dans peu
de tems elle sera bien rétablie, aussy-tùt qu'elle sera en
APPENDICE. 279
état d'écrire, elle ne manquera pas de vous donner de ses
nouvelles et de vous témoigner sa reconnaissance de l'in-
térêt que vous prenez à ce qui la regarde, mais je puis vous
assurer, monsieur, que vôtre précédente lettre n'a été lue
que de ma mère et de moy et qu'elle n'est point sortie de
son porte-feuille ; sur vos obligeantes informations j'écris
tout de suite à M'' le châtelain Martinet sans lui faire
aucune mention d'où j'avais appris ce dont il était question,
M. Cler m'a répondu à sa place en me marquant que M'' le
châtelain auroit soin de notre afîaire et que sans doute
c'étoit M'" Chaillet de Neufchatel qui m'en avoit informé ;
vous remarquerez par là. Monsieur que tout ce que M. et
M"*DuTerreauxpeuventsavoirn'est fondé que sur de mau-
vais soubçons de leur part d'ailleurs, Monsieur ce seroit
mal répondre de nôtre part, dans une afTaire où vous nous
obligez si généreusement que de vous y compromettre. Ma
mère vous auroit envoyé les chandelles que vous luy avès
demandés s'il n'avoit fallu beaucoup de tems pour en ob-
tenir un billet de sortie ; au dernier voyage des Rosselet,
les challeurs étoient si fortes qu'elle n'a pas voulu les
exposer en route, et nous les garderons jusqu'à ce qu'elles
puissent supporter le trajet.
Nous avons pris toute la part possible à la perte que
vous avez faite de M'' de Luxembourg, daignés Monsieur,
en agréer nôtre compliment de condoléance.
Ma mère aprendra avec un plaisir extrême, ainsy que
nous, Monsieur, que vous ayès goûté l'air de la montagne
et qu'il vous aye fait du bien. — Permettes, Monsieur, que
je vous assure des sentiments de l'attachement, etc.
Boy de la Tocr, l'aîné.
280 Al'I'ENDinE,
A Lion, ce 27 juin 176'(.
Ce pourrai-t-il, mon très cher ami que vous fussiez
fâché contre moi, ce grand Madame que vous mette dans
votre chère lettre du 2 me le fait croire et m'aflige, je vous
ai fait dire par mon fils le sujet de mon silence, je vous
ajouterais que la discrétion m'empêche de vous impor-
tuner, mais mon cœur à votre égard est et sera toujours
le même, feson la pay, dite moi, cher ami 2 mot d'amitié
et vous me rende contente.
Permette que je vous confirme que je n'ai point abusé
de l'avis que vous avez hu la bonté de me donné et que
vous n'avez été nommé en aucune fasson, ce n'est que par
conjecture que l'on veut que vous y ayé part. J'ai été et
suis des plus sensible à votre attention et vous en rend
bien des grasses.
Et bien, très cher ami, allé vous faire un tour sur la
montagnie, voissi bientôt le tems convenable, je souhaiteroi
que vous vous y trouvassié agréablement et que vous y
fissié transporté tout ce qui peut vous aitre hutille; si
M"" Cler peut vous rendre servisse, il le fera avec empres-
sement. — On me mande d'Yvernonque l'on vous attendai,
j'esi)ère que vous auré fait heureusement ce petit voyage
qui vousaitai nécessère pour vous dissipé je ne veut point
cher ami renouveller vos douleurs, soie assuré que j'ai
prit part à vos paine.
Voissi, cher ami, une lettre que je n'ai peut refusé de
vous faire parvenir, je vous aurai obligation si vous voulés
lui faire un petit mot de réponse. Je vous enverai votre
APPENDICE. 281
quaisse de chandelle dès que les grand challeur seron
passé, mil salutation à M'^^ Levasseur.
Agréé les devoirs de ma race etles sentimens d'amitié de
votre dévouée amie.
Boy de la Tour.
XI
A Lion, ce 20 juillet 1764.
Rien de plus obligen, mon cher ami, que votre chère
lettre du 7, sous discrétion je me hâte d'y répondre pour
vous en témoigner ma reconnaissance et vous assuré que
rien ne saurai changer les sentiment déstime et d'amitié
que je vous ay voué ; c'est aA'ec chagrien que je voies que
ma maison ne peut convenir à votre santé qui m'est trop
précieuse pour auser murmuré de ce que vous la quittés,
je souhaite, mon cher amis, que vous en trouviez une qui
vous convienne à tous ses égard et que vous m'en ouvrié
la porte quand je serai à porté de vous allé voir.
Vous n'avez qu'à remettre à AP Boy les 400 livres appar-
tenant à Mad^^''= Levasseur, il lui en donnera une quittance;
ils seront out de suite couché sur nos livres à Tinterai
ordinaire, je suis charmé davoir cette ocation à l'obliger,
je lui fais mill salutations. Ma fîUie que j'ose dire n'être
orgueilleuse de rien sauf de l'aitre de votre obligen sou-
venir, vous en remercie et vous prie par retour d'atachement
de lui conserver le vautre. Que vous dirai-je de Julie, c'est
toujousla même étourdie qui airame de tout son cœur son
cher neveu ; mes fils ne veulent pas aitre oublié et me prie
avec mon neveu de vous présanter leurs devoirs vous
:282 APPENDICE.
enverrai-je également la quaissc chandelle quand la
saison le permettra? je suis charmé que le petit séjour
que vous avès fait chez Mad-' Lure vous aye fait plaisir,
sûrement il ne sera pas si grand que celui que vous lui
auré fait j"en juge par moi-même qui en aurai un infini à
vous prouver de bouche, mon cher ami, toute l'amitié de
votre dévouée.
Boy de la Tour.
XII
A Lion, ce 18 T^rc ngé.
J'attendai d'un jour à l'autre, mon cher et très cher
ami, pour répondre à votre chère et obligeante du 2o dernier
que je peut vous acuser l'envoy de vos chandelle qui sont
praite depuis longtems, les frère Rosselet n'ont point
paru, vous les auré à leur premié vovage.
Vous me navré, cher ami, en me disant que votre santé
est toujours languissante, je fais mil vœux pour que le
changement d'air et de climat vous rétablisse entièrement.
La grasse, cher ami, que j'ai à vous demander c'est de
gardé les clefs de ma maison et que vous emportié de
mes mauvai u.oubles tout ce qui peut vous convenir. Je
n'ai point pensé à aller dans vos cartié cette automne, je
ne sais maime si je le pourrai ce prientent, quoique fort
impassiante de vous voir et profiter de votre obligent offre
dont je vous rend mil et mil grasses.
J'aprend dans ce moment la triste nouvelle du désès
du cher Baneret Roguin, je souhaite que ce triste évène-
APPENDICE. 283
ment ne fasse pas impression à mon cher oncle. Réservé,
cher ami, les devoirs de toute ma rassc et de M"" Boy qui
m'a prié de vous le nommer en particulier et des plus
sensible à vos amités, mil compliments à M"'' Levasseur,
son conte a étté rengé tout de suite.
Nous avons reçu dans ces plus grand challeur un
Barilliet traiUe, fort petit, qu'on nous prie de vous
acheminer, nous ne savon de quelle part. Je le fit porté
tout de suite à la cave, il a beaucoup couUé, vous reseveré
ce qu'il y a dès que nous auron des voiturié.
M'" Decharni ne nous a point veut, on le dit toujours le
même, c'est-à-dire fort rempli de lui-même. Marqué moi
si vous changé de demeure cet hyver, et si vous avés
trouve un endroit convenable à votre santé; c'est cher
ami ce que je vous souhaite très ardemment, puisque je
suis éternellement votre amie.
BoY DE LA Tour.
XIII
A Lion, ce G 0^''^ 1TG4.
Vous ne pouvié, mon cher ami, me donner une nou-
velle plus agréable que celle de rester dans ma maison,
vous me mété dans une joie qui ne peut ce décrire, en
conséquanse je vous j)rie de dire à M"" Cler de vous faire
toutes les réparations qui peuvent vous mettre à l'aise, et
donner des commodités, n'épargnié rien et vous m'obli-
gerez; je sans tout le juste de vos réflexions à l'égar de
mon neveu et vous en rend mil et mil grasse, on lui ferai
284 APPENDICE.
tor de juger son caractère par ses discour qu'il se pique
d'avoir avec les étrange, tout discour qu'il ne les as avec
nous quoique nous ne le trouvion pas ni près de là, tou-
jours d'acor à la droite raison dans ce qu'il dit, ce qui met
fort sensible, de même quai mes en fans qui sans aperssoive
très-bien et nous met dans le cas de faire entre nous bien
des réflexions qui en leur^n te sant sentir la diformité de
ce manque de délicatesse, les empêchera d'y tomber.
J'atribue ces défau au peut de bonne compagnie qu'il a
frecanté ce qui m'a fait prendre le parti de faire beau-
coup d'atension à celle que frecanté mes enfans qui n'ont
rien de commun de ce coté avec leurs cousien. De grasse,
cher amis, que l'amitié que vous avez pour moi ne vous
mette point dans le cas de vous ennuier avec lui ce qui
serai pour moi un chagrien.
On m'et venu demander votre adresse de la part de
Mad. Chattillon qui et au couven de la probagation, j'ai
répondu que vous ettié en voyage pour vous éviter de ces
lettre inutile vos hordre décideron de ce que je dois faire,
je vous évite autant qu'il peut dépendre de moi beaucoup
de visites, je les épouvente par les mauvai chemain et les
difficultés qu'ils aurai a vous voir. — 11 est venu un M. Hul-
laforo capitaine qui nous a dit qu'il aurai quelque chause
à vous faire parvenir, ce que nous ne manqueron pas de
faire à moins d'ordre contraire de votre part.
Vous devés bientôt revoir AP Decharni que sûrement
malgré votre pénétration vous ne connoissez pas; ses
talens ne vous ont-ils point éblouis, ceci entre vous et
moi. Mes salutations à Mad^"^ Levasseur. Réservé les devoir
de mes enfans et de ma part cher ami l'attachement de
votre dévouée amie.
Boy de la Tour, né Roc u in
APPENDICE. 285
Je ne vous dit rien d'Yverdon vousaète plus à porté
d'en avoir des nouvelles, je n'ose tent d'avense parlé de
mon voyage, jugé si je manquerai le plaisir de vous voir,
je prendrai bien mes précaution pour cela, en attendant
bien obligé j'arrangerai le conte comme vous souhaité.
Point d'inciétude.
PIÈGES JUSTIFICATIVES
Propriété de la
LIIRfliRIE CIRCULANTE
F. RICHARD
SOj Rue é^j Rhône, 80
GENÈVJS
PIECES JUSTIFICATIVES.
289
CANTON DE VAUD
EXTRAIT
des Registres des Naissances et Batémes de la Paroisse de
liammartin et Sugnens.
Teneur littérale
Déterman à Etienne Friaux le 1='
DU
(premier) de Juin 1611 (mil six cent
REGISTRE.
onze).
Parrains. Honorable Peterman de
Lessert
Marraine. Françoise de Lessert.
CANTON DE VAUD
EXTRAIT
des Registres des Naissances et Batémes de la Paroisse de
Cossonay.
Teneur littérale
DU
REGISTRE.
Renjamin fils d'Egr : et prud'Jean
Jacques Delessert bourgeois et Conseil-
ler de Cossonay châtelain de Liste, né
le 12 {douze) Juin 1690 (mil six cent
quatre-vingt-dix), a été battisé le 4
(quatre) Juillet de ditte année et a été
présenté au battéme par M"" Renjamin
Régis de Lonnay. Assess* Baillival
et Conseiller de Morges, etpar Den'^
Patomé Régis sa sœur .
19
290
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
CANTON DE VAUD
EXTRAIT
des Registres de Vétat civil de la Paroisse de Nion.
T[:>;eir littérale
DU
REGISTRE.
Marie Anne Suzanne née Massé,
femme de Paul Benjamin de Lessert.
Bourgeois d'Aubonne et de Cossonay,
domicilié à Nion est décédée le 30 Q'""''
1801, âgée de 64 ans a et été inhumée
le 3 x^''^
Propriété de la
LIBRAIRIE CIRCULANTE
F. RICHARD
80, Rue du Rhône, 80
GENÈVE
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 291
CANTON DE GENÈVE
EXTRAIT
des Régistes des baptêmes — de la République de Genève,
transcrit sur le registre du Temple de S^-Pierre.
Je soussigné Ministre du S' Évangile, certifie à la réqui-
sition du S' Benjamin De Lessert, de Cossonay, dans le
Canton de Berne et Bourgeois de Genève; que j'ai admi-
nistré aujourd'hui, deux mai mil sept cent trente-cinq, le
S* Sacrement du baptême à Etienne, fils légitime dudit
S"" De Lessert et de D"« Marguerite Brun, son épouse, en
présence de M. J. B'"^ Pioguin et de Mad. Brun, née Saba-
tice, qui a déclaré le présenter au nom de M"" Etienne Mi-
chon, d'Aubonne et de D"'^ Elisabeth De Lessert de Cos-
sonay, parrain et maraine absents, pour foi de quoi j'ai
signé deux certificats de même tenue, à Lyon, le 2 mai 1735.
(signé) Etienne Mallet. (enregistré le présent par ordre du
conseil, ce 23 Avril 1736 (signé) Marcombe.
Propriété ds la
LIBRAIRIE CIRCULANTE
F. RICHARD
80, Rue âl'j Rhône, 80
GENÈVE
292 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
PREFECTURE DU DEPARTEMENT DE LA SEINE
ÉTAT CIVIL.
De Lessert.
VILLE DE PARIS
Chapelle de Hollande
EXTRAIT
du Registre des actes de Naissance de Van 1786.
Abraham Gabriel Margaerithe, fils légitime de M. Etienne
De Lessert B"'*^ de Cossonay, d'Aubonne et de Genève, Ban-
quier à Paris et de D^ Madelaine Catherine Boy de la Tour,
est né à Paris le 17 Mars dernier, il a eu pour parrain
Jacques François Gabriel Etienne de Lessert son frère aine et
pour maraineD^"^ Marguerite, Madeleine de Lessert, sasœur
aînée et a été baptisé dans la chapelle de leurs hautes Puis-
sances le six octobre mil sept cent quatre vingt six par moi.
Signé : Armand Chapelain.
Pour extrait conforme
GoSSé Le 8 août 1847
Le garde des Archives Le secrétaire général
Villa. Rubreme.
TABLEAU GENEALOGIQUE
DE
LA FAMILLE ROGUIN
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TABLE
Avis au lecteur.
Préface
I. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à Yverduil.
Motiers, \8 juillet 1762.
Il s'établit daus la maisou de M"ie Boy de la Tour
à Motiers. — Détails de l'iustallation, les voisins.
— Demande des nouvelles de la famille. — Il se sert
de sa pelote à épingles, un cadeau de M™^ Boy...
II. — A MADAME BOY DE L\ TOUR, ChcZ M. D. ROguiu,
à Yverdun.
Motiers, 30 août 1762.
Le « concierge » Jean-Jacques se trouve fort bien de
sa nouvelle demeure. — Il n'ose aller à Neuchatel.
— Mêmes commissions pour M™' Boy, une robe,
des bonnets fourrés
III. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOU .
Motiers, 9 8^" 1762.
Commissions. — Il lui faut une robe de bouracau avec
fourrure, une ceinture. — Le fameux costume armé-
302 TABLE.
nien. — Jean-Jacques tailleur. — Les lacets de ma-
riage. — La maison de la montagne 11
IV. — A MADAME BOY DK LA TOUR, à LyOH.
Moliers, ô 9^^' 1762.
Déballage d'une caisse. — Bonnets et lacets. — Encore
la maison de la montagne. — Nouvelles de la famille
Boy 17
Y. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Moliers, '23 O^rc 1750.
Commissions. — Ceintures de filoche et ceintures de
soie. — Règlement de quelques petites notes. —
Brouille avec les voisins. — Soie à lacets, almanacs
de poche, curedentset amadou. — Morellet. — Temps
pluvieux et épinette 21
VI. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Motiers, 17 Xb" 1762.
Réception de marrons. — Toujours les lacets. — 11 fau-
drait envoyer « de ces souliers de paille qu'on
porte à Lj'on dans les magasins » 27
VII. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Moders, 27 janvier 1763.
Les marrons ont fait des jaloux. — M"° de Montmolin
est malade. — Il demande sa note. — La brouille
continue avec les voisins 29
VIII. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Motiers, 6 février 1763.
Mort du voisin. — Jean-Jacques a oublié sa rancune
et a envoyé Thérèse le soigner 34
TABLE. 303
iX. — A MADAME BOY DE LA T 0 L R .
Motiers, 2 mars 1763.
A fait couuaissaace avec M. Girardier. — Demande ?a
uote. — Il lui envoie des langues salées 36
X. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Motiers, 27 tjiars 1703.
11 lui envoie des lacets. — Il demande un bonnet : il
envoie la mesure de sa tète entre deux nœuds
sur un fil. — Il lui faut du papier à lettres. — La lettre
à Mgr de Beaumont. — Il se porte assez bien. — Le
post-scriptum d'un client avisé 38
XI. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Motiers, 7 mai 1763.
Accusé de réception pour le papier et les étoffes. —
Départ de mylord Maréchal. — Inquiétudes pour
l'avenir. — Précaution pour la poste. — Le cachet
à la lyre 41
XII. — A :madame boy de la toir.
Motiers, 10 Juin 17G3.
Brouille avec les gens du pays. — Le projet de ma-
riage de M"' Boy. — La maison de la montagne. —
A reçu la visite de M. le Consul 48
XIII. — A MADAME BOY DE LA TOCR.
A Motiers, 14 août 1763.
Découragement. — Calomnies des gens du pays concer-
nant Thérèse. — Apologie de M'ie Le Vasseur. — Tes-
tament en sa faveur. — Précautions prises contre
la malice des voisins. — Il installe sa cave ôl
304 T. M! LE.
XIV. — A MADAME BOY DE LA T 0 U li .
A Motiers, 9 S^ro 1703.
Un mariage manqué. — Projet de voyage en Ecosse. —
Commande du papier à lettres, canifs, caffetau d'été,
ceintures, pautouffles jaunes. — Il a le pied extrê-
mement petit 56
XV. — A MADAME BOY DE LA TOUIV.
A Moliers, 19 91^0 1763.
Commande de bonnets. — Un mauchon pour la fête de
Thérèse. — Uue façon gaillarde d'acquitter ses dettes.
— Le concierge honteux. — Point de manchon pour
Thérèse, mais bien un bounet de nuit pour Jcan-
Jacques 62
XVI. — A MADAME BOY DE LA TOUU.
A Motiers, 18 X^" 17G3.
Accusé de réception du padou et des lacets. — Règle-
ment de comptes. — Un écrit apocryphe de Jean-Jac-
ques Rousseau. — Sauté délabrée. — Mémoire. —
La garde-robe de Jean-Jacques Rousseau 07
XVII. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOU.
.'1 Motiers, 19 février 17 64.
Règlement de comptes. — Accusé de réception d'une
caisse de chandelles 73
XVIII. — A MADAME BOY DE LA TODB.
A Motiers, 29 avril 176i.
Grave affaire de mitoyenneté 76
TABLE. 305
XIX. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à Lyon.
A Motiers, 2 Juin 176i.
Jean-Jacques en quarantaine. — .Mort de M. de
Luxembourg 80
XX. — A MADAME BOY DE LA TODR, à LjOn.
A Motiers, 7 Juillet 1764.
Assurances d'affection. — Le choix d'une demeure... 82
XXL — A MADAME BOY DE LA T 0 U li , à LjOn.
A Motiers, 25 août 1764.
Jean-Jacques à Aix-les-Baius. — Santé misérable 86
XXIL — A MADAME BOY DE LA TOUR, à Lj'OU.
A Motiers, 28 85>" 1764.
Un dangereux galant homme. — Ballot d'huile avarié.
— Le voilà terré pour tout l'hiver 88
XXIIL — A MADAME BOY DE LA TOLE, à LjOU.
A Motiers, 18 Q^^^ 1764.
Papiers d'affaires. — Jean-Jacques parrain. — Cadeaux
à la filleule et à la commère. — Envoi de langues
salées, moins mauvaises que celles des gens de Mo-
tiers . . 92
XXIV. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LjOn.
A Motiers, 20 janvier 1765.
11 l'attend à Motiers. — Découragement 96
XXY. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LjOn.
A Motiers, 17 février 1765.
Commission indiscrète. — Motiers lui devient intolé-
rable 99
20
306 TABLE.
XXVI. — A MADAME BOY DE LA T O C R , à LjOn.
A Motiers, 21 avril 1763.
Enchanté d'avoir fait la connaissance de M. Boy fils.
— Tracasseries avec la prètraille 101
XXVII. — A MADAME BOY DE I, A TOLP., d LyOn.
.4 Motiers, î> raui l'Oô.
Menues commissions 106
XXVIII. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOn.
A risle Saiîit-Pierre, 13 8i>rc 1765.
Récit de son départ de Motiers. — Calme retraite à l'île
Saint-Pierre 108
XXIX. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOn.
A Strasbourg, 4 X^" 1765.
Il est arrivé à Strasbourg rendu de maux et de fati-
gue. — Il renonce à aller à Berlin. — Il gagnera l'An-
gleterre en passant par Paris. — Les ceintures sont
trop courtes et les épingles les déchirent 114
XXX. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOU.
24 juillet 1767.
Retour d'Angleterre. — .Madelon est mariée. — Il faut
lui adresser ses lettres avec la suscription : Pour
le citoyen 117
XXXI. — A MESSIEURS BOY DE LA TOUR, à LyOU.
A Grenoble, IZ juillet 1768.
Tournées d'herborisation en Savoie. — Il attend à Gre-
noble M>'e Le Vasseur 120
TABLE. 307
XXXII. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR (l'aînc) à Lvon.
A Grenoble, 22 /uillct 17C8.
Le comte de Clermonl-Tonnerre lui fait parvenir ses
lettres à Grenoble. — Il a pris le pseudonyme de
Renou 123
XXXUI. — A MONsiEur. BOY DE LA TOUR l'ainé,
rue de la Fout, à Lyon.
A Bourgoin, 13 août 1708,
Arrivée à Bourgoin. — Il loge à la Fontaine d'Or. —
M'i" Le Vasseur a quitté Trye pour le venir rejoindre. 125
XXXIV. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîiié, à Lyou.
A Bourgoin, à la Fontaine d'Or, 15 août 17C8.
Il presse le retour de .M"" Le Vasseur, et attend des
nouvelles 126
XXXV. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîné,
rue de la Font, à Lyon.
A Buurg'jin, 24 aoùl 17G8.
Instructions pour le voyage de Thérèse. — Indécis sur
le parti qu'il doit prendre 129
XXXVI. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîné, à Lyon.
A Bourgoin, 25 août 1708.
Remerciements pour les nouvelles qu'il a reçues. —
On achève de le rendre fou 133
XXXVII. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîné, àLyou.
A Bourgoin, 2G août 1768.
Thérèse est arrivée. — Il ne sait encore où ils iront. —
Il réclame une tabatière perdue 133
308 TABLE.
XXXVIII. — A MONSIEUR BOY DE I. A TOUR l'allié, à LyoD.
A Bourgoin, 2 'bro nos.
Les approches de l'hiver le déterminent à rester ù
Bourgoin. — 11 a loué un appartement. — Son ma-
riage avec M"e Le Vasseur. — Il maugrée contre son
agent qui lui a placé des fonds chez les capucins... 135
XXXIX. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
A Bourrjohi I> T*"'' 1768.
Il l'informe de son installation h Bourgoin, de son ma-
riage. — Redites à ce propos. — Nouvelles diverses. 137
XL. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîné, à Lj'OU,
A Bourgoin, 5 "ir" 17G8.
Le passeport de M"e Le Vasseur. — Erreur compro-
mettante de M. Boy. — Il installe son petit ménage.
On lui prête la batterie de cuisine. — Il lui faut une
alliance d'or, et quelques adresses de fournisseurs. —
II rompt tout commerce avec les Genevois I41
XLI. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîné, à LyoH.
A llouvgoin, 9 '^'<' 17C8.
Menues commissions. — On lui prête des couteaux et
un moulin à café : il est inutile d'en acheter 145
XLII. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîné, ruc la Font, à Lj'on.
A Bourgoin, 21 7i"e 1708.
La robe que Madelon a donnée à Thérèse est trop belle,
elle ne la portera pas. — Appel de fonds. — Atfaire
Thévenin 146
TABLE. 30»
XLIll. — A MOKSiEun BOY DE LA TOLR l'aîné, à Lyoïi.
A Dourrjoin, 2G l^re 1768.
Enchanté d'avoir fait sa connaissance. — Correspon-
dance obstruée lâl
XLIV. — A MONSIEUR BOY DE LA TOLR l'aîné, à Ljon.
A Uoiirgoin, 5 8'"'° 1768.
Affaire Tliévenin. — Intervention du comte de Cler-
mont-Tonnerre. — Jean-Jacques et la justice 153
XLV. — A MADAME BOY DE LA TOtr.,à LjOn.
A Bowfjoin, 12 Si^c ]7C8.
Projet de réunion chez lui. — Il cherchera quelque
chaise ou cabriolet. — Joie de la revoir 155
XLVI. — A MoxsiELR BOY DE LA TOiiR l'aîné, à Lj'on.
A Buurgoin, 18 8^^' 1768.
Demande de nouvelles 160
XLVII. — A MADAME BOY DE LA TOLR, à Lj'OU .
A Bourgoin, 26 «i»" 17G8.
Excuses pour la mauvaise réception qu'elle a eue. — II
a un tas de réponses accumulées et indispensables
à faire , 161
XLVIII. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîué, à Lj'on.
A Bourgoin, 9 D'^-'e 17 G8.
Accusé de réception de menues commissions dont
une bague. — Règlement de compte des ports de
lettres 162
310 TABLE.
XLIX. — A MADIMR BOY DE LA TOUR, à LyOn.
A Bourgoin, 14 Qi"' 18G8.
11 la charge d'une lettre pour mylord Mareschal. —
Dénouement de l'affaire Thévenin. — La robe de
Thérèse 1C4
L. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOU.
A Bourgoin, 12X1^» 1768.
Faux bruits sur son compte. — En cela comme en
beaucoup d'autres choses il a mangé son pain blanc
le premier. — Il déplore son invincible paresse, et
chante des strophes du Tasse. — Il dédaigne le soin
que veulent prendre de lui les amis de d'Alembert. IC6
LI. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aînc, à Lyou.
A Bourgoin, 13 Xi"-e nes.
En quête d'un logement. — Expression de sa recon-
naissance 1C9
LU . — A MADAME BOY DE LA TOUR.
A Bourgoin, le G janvier 1769.
Il refuse le secours des médecins. — Il ne guérira
qu'en changeant de séjour 170
LUI. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOn.
A Bourgoin, \1 janvier 1769.
Embarras d'un déménagement. — Il lui faut des fruits
de carême, des agrafes, des lunettes 171
LIV. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
A Monquin, \<=' février 1769.
Installation à Monquiu. — Il souffre d'une enflure inté-
rieure qui a fait effort au point de soulever et de
déjeter ses fausses côtes du coté droit 172
TABLE. 311
LV. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
8 février 17G9.
Nouvelles de sa sauté 176
LYI. — A MADAME BOY DE LA TOLR.
n février 1TG9.
Ils ont un pied de neige. — 11 a pris une bêche pour se
faire un petit chemin. — Il a reçu de nouvelles plan-
tes qui l'ont remis à son foin 177
LVII. — A MADAME BOY DE LA TOCR, à LjOU.
A Monquin, 17 mars 1769.
11 va mieux. — Le vin de cabaret, frelaté d'alun, ne lui
vaut rien 181
LVIII. — A MADAME BOY DE LA TOCR, à LyOU.
.■1 Monquin, 18 avi'il 1769.
11 attend la visite de M. de Luze 183
LIX. — A MADAME BOY DE LA TOIP. , à LVOn.
A Monquin, par Bourtjoin, 2 juin 1769.
Nouvelles de sa santé. — Madame Renou a des crache-
ments de sang 184
LX. — A MONSIEIR BOY DE LA TODR l'alué, à LyOD.
A Monquin, a juin 1769.
Félicitations pour l'accouchement de M^^ Delessert.
— Le mariage de du Peyrou 186
312 TABLE.
LXl. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LjOU.
A Mo7iquin,2^ août 1769.
Herborisation sur le mont Pila. — Aventure de son
chieu Sultan 187
LXil. — A MADAME BOY DE LA T 0 L P. , Ù LyOU.
Monquin, 19 7'"'e n^y.
Il a une foulure à la main. — Sultan a été morJu. — Il
voudrait une épiuetle. — Dispositions à prendre pour
ie transport 190
LXIII. — A MADAME BOY DE LA TOCR, à LVOU.
A Monquin, G Si^fc 17G9.
Instructions pour le transport de Tépinette. — Le per-
ruquier de Bourgeois conduira les porteurs. — S'ils
ménagent l'instrument ils auront trente sous pour
boire. — Menues commissions, gants, chandelles. —
Sur ie malheur d'être obligé par ses amis 194
LXIV. — A MONSiEUB BOY DE LA T o f U l'aîné, à Lj'OU.
A Monquin, 20 S^'-« 1709.
Lettre d'affaires 199
LXV. — A MADAME BOY DE LA TOLR, à LyOU.
Monquin, 31 S^r' 17G9.
L'épinette est arrivée. — ^■ouvelles ses amis 200
LXVI. — A MADAME BOY DE LA TOUR, TUC LafoUt, à CÔté
de l'Hôtel de Ville, à Lyon.
Monquin, 14 Xi"" 1709.
Envoi d'un herbier à la duchesse de Portlaud 203
TABLE. 313
LXVII. — A MADAME liOY DE LA TOUR, à Lj'OU.
Monqiiin, 2 janvier 1770.
Remercieineuts pour uu euvoi de confitures et de vin. —
Rude hiver. — Le feu ne fait que le rôtir d'un côté
tandis qu'il gèle de l'autre ; il a l'onglée 005
LXVIII. — A MADAME BOY DE LA TOUR, Ù LyOU.
Monquin, 21 janvier 1770.
Déménagement. — Il faut une charrette et une chaise. 207
LXIX. — A MADAME BOY DE LA TOIR, Ù LVOU.
Mo?iquiii, 7 7}ia7-s 1770.
11 faut qu'il déménage avant quinze jours. — L'herbier
de la duchesse de Portland est égaré. — Les poules
de Jean-Jacques 210
LXX. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LjCn.
Monqidn, IG mars 1870.
L'état des chemins retarde le déménagement 215
LXXI. — A MADAME liOY DE LA TOUR, à sa campague.
Lyon, 9 juin 1770.
11 quitte à regret la maison de M™' Boy où il a passé
quelque temps 217
LXXll. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à Lyon.
Paris, 1 juillet 1770.
Il est satisfait de son séjour à Paris où il a repris son
ancien logement. — 11 fait venir sou herbier et ses
effets étant résolu de s'y fixer au moins pour un
certain temps 219
314 TABLE.
LXXIII. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aÎDé, à LyOU.
Paris, IG juillet 1770.
Remerciements et civilités 223
LXXIV. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîué, Tue de
la Font, à Lyon.
Paris, 14 août 1770.
Avis de réception et civilités 224
LXXV. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à Lj'OU.
Paris, 27 août 1770.
Détails sur sa vie privée 226
LXXVI. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
26 Dbre 1770, Paris.
Nouvelles diverses. — Tracasseries au sujet de la pen-
sion du roi d'Angleterre 228
LXXVII. — A MONSIEUR BOY DE LA TOUR l'aîné, à Lyon.
Paris, 28 Xi>r= 1770.
Comraissioûs de chocolat et d'huile 2-32
LXXVIII. — A MADAME BUY DE LA TOUR.
28 XI"-*: 1770, Paris.
Remerciements. Paris est trop grand 234
LXXIX. — A MADAME BOY DE LA TOUR, a LyOn .
17 mars 1771, Paris.
Appel de fonds 236
TABLE. 315
LXXX. — A MADAME BOÏ DE LA TOLR, à Lj'Oa .
Paris, 3 avril 1771.
Félicitations pour une naissance. — Civilités de sa femme .
— Elle est de moitié dans tout ce qu'il lui écrit 239
LXXXl. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LjOn.
5 avril 1771, Paris.
Remerciements pour des truffes 242
LXXXII. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Paris, 20 juillet 1771.
Condoléances. — Sourdes colères contre les ouvriers de
ténèbres qui le persécutent. — Réminiscences mélan-
coliques du temps 011 M. Roguin vivait 243
LXXXIIl. — A MONSiECR BOY DE LA TOUR l'aîné, à LyoD .
Paris, 3 janvier 1772.
Lettre d'affaires 246
LXXXIV. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LyOU .
Paris, 16 avril 1772.
11 est très occupé, le travail est venu en abondance.
— Envoi d'un herbier 249
LXXXY. — A MADAME BOV DE LA TOUR, à RollC.
Paris, 22 S^re 1770.
Conseils pour la foulure de son pied. — Détails sur
l'her-bier qu'il a envoyé 253
LXXXVl. — A MADAME BOY DE LA TOUR, à LVOD.
Paris, 18 janvier 1773.
11 est très occupé. — Nouvelles diverses 257
316 TABLE.
LXXXVII. — BHlet. — Envoi de billets. . . ., '.....-. 259
«
LXXXVIII. — a'madameboydelatour.
Invitation à dîner 259
LXXXIX. — A MADAME RÇY DE LA T 0 f F*
23 juin.
Réflexions mélancoliques. — Un livre apocryphe. —
■ Mariage de du Peyrou 2G0
XC. — A MADAME BOY DE LA TOUR.
Samedi.
Protestations affectueuses 362
XCI. — POUR MADAME BOY DE LA TOUR.
Samedi matin.
voi d'un canard sauvage et de deux bécassines. —
Invitation à dîner et à la partie d'échecs 263
Appendice 265
Pièces jlstificatives 287
Tableau généalogique de la famille roguin 293
Tableau généalogique de la famille eoy de la tour. 297
49-91. — CoRBEiL. Imprimerie Cheté.
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La Bibliothèque
Université d'Ottawa
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