Skip to main content

Full text of "Lettres sur les archives départementales du Bas-Rhin"

See other formats


4Ï 

f 

ri* 

X. 

^ 

i',-1^ 

f<l 

r^^^ÉI; 

'I-^^bT"  r 

%yMl 

. .-  ijii 

'^  '«■  -^9lmM^^^lPQr^«^ 

^•-^  ^^ 


% 


I 


LETTRES 


ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES 

DU  BAS-RHI^. 


TVrOGKAPHlF.    I)K    G.    SlI.BKliMANN  .    f'I.ACK    >^A1N T-l  HOM AS .    3 


LETTRES 

ARCHriES  DÉÏVVRTEMENTALES 

Dl'  BAS-RHIN 


M.    rouis   SPACH, 


ARCH.VISTE  DO  DAS  RHIN  ,  l'RESIDENT  DE  LA  SOCIETE  PULU  LA  CONSERVATION   DES  MONUMENT. 
HISTORIQUES   DALSACE,  CORRESPONDANT  DU  MINISTERE  DE   l'iNSTRICTION  PUBLIQUE. 


STRASBOURG, 

ÉD.    PITON,    LIBRAIHE-ÉDITEUR 

Rit     1)1      L*    I.ANTEKNE  ,    C. 

1862. 


Introduction. 

En  adressant,  dans  les  premiers  jours  d'octobre  1860,  au 
Courrier  du  Bas-Rhin,  la  première  lettre  sur  les  Archives  dé- 
partementales, je  ne  pensais  pas  que  ces  communications  heb- 
domadaires se  prolongeraient  au  delà  de  quelques  mois.  Mon 
intention  avait  été  de  ne  donner  qu'un  aperçu  général  des 
principaux  fonds  de  notre  dépôt.  L'indulgence  avec  laquelle 
le  rédacteur  du  journal  et  le  public  alsacien  ont  accueilli  ces 
indications  sommaires  et  ces  aperçus  historiques,  m'a  permis 
de  parcourir  successivement,  presque  un  à  un,  tous  les  fonds 
des  archives  civiles  et  ecclésiastiques  antérieures  à  1790.  Ce 
1  sont  des  tètes  de  chapitre,  qui  suffiront  pour  orienter,  dans 
nos  vastes  collections,  les  hommes  studieux  et  les  hommes 
du  monde  qui  ont  quelque  prédilection  pour  l'histoire  de  notre 
province  et  de  nos  cités  municipales. 

A  l'entrée  de  chaque  fonds ,  c'est-à-dire  de  chaque  série  de 
titres  ayant  trait  à  une  maison  princière  ou  seigneuriale,  à 
une  institution  gouvernementale  ou  religieuse,  je  me  suis 
appliqué  à  donner  en  quelques  pages  une  idée  du  rôle  que  ces 
familles  de  dynastes  ou  ces  établissements  épiscopaux  et  mo- 
nastiques ont  joué  dans  l'histoire  d'Alsace  et,  au  besoin,  dans 
l'histoire  générale.  Toute  personne  un  peu  famiharisée  avec  ce 
genre  d'études  pourra  donc  induire  de  ces  données,  quelle 
était  l'importance  relative  de  ces  princes ,  de  ces  seigneurs , 
de  ces  évoques,  de  ces  abbayes  dont  les  noms  figurent  en  tête 
de  chaque  collection  spéciale. 

Il  me  reste  à  remplir,  dans  cette  introduction,  une  petite 
lacune,  que  présentent  forcément  ces  Lettres  sur  les  ar- 
chives. Tout  le  monde  n'est  pas  tenu  d'avoir  présente ,  dans 
sa  mémoire,  la  succession  chronologique  des  périodes  qui 


<^, 


-1^^ 


II  INTRODUCTION. 

coiisliLueut  l'histoire  d'Alsace;  je  vais,  dans  quelques  lignes 
fugitives,  rappeler  cet  enchaînement,  indiquer  comment  l'en- 
"semble  de  nos  collections  s'enchâsse  dans  les  annales  alsa- 
tiques,  faire  toucher  du  doigt  ce  fd  élémentaire,  auquel  vien- 
dront alors  se  rattacher  d'eux-mêmes  les  aperçus  partiels  qui 
précèdent  chaque  fonds  spécial. 

Il  suffit  d'un  seul  coup  d'œil  jeté  sur  la  carte  d'Alsace  et  les 
pays  environnants ,  ou  sur  un  relief  géologique  de  notre  large 
vallée  du  Rhin,  pour  se  convaincre  que  l'Alsace  ne  peut  être 
géographiqucment  détachée  des  contrées  qui  l'avoisinenl,  et 
que  toutes  les  terres  de  ce  grand  bassin  doivent,  au  point  de 
vue  historique,  se  trouver  aussi  dans  une  intime  connexité. 

En  effet,  les  annales  de  notre  pays  se  rattachent  à  celles  de 
Bade,  à  celles  du  Palatinat  surtout;  car  de  ce  côté,  nos  fron- 
tières ont  été  variables  et  indécises  ;  notre  histoire  ne  peut 
être  complètement  détachée  de  celle  de  Suisse,  pas  plus  que 
le  Rhin,  qui  nous  côtoie,  ne  peut  être  retranché  des  Alpes, 
d'où  descendent  ses  sources  multiples  ;  plus  d'une  fois  notre 
histoire  se  rattache  à  celle  de  la  Franche-Comté,  dont  la  fron- 
tière jurassique  nous  envoie  la  rivière  d'Ill,  le  principal  affluent 
du  Rhin  moyen,  et  notre  parrain  dans  le  Dictionnaire  géo- 
graphique; les  vallons  de  la  Lorraine  touchent  aux  nôtres  par 
les  cols  des  Vosges  ;  aussi  celte  province  voisine  a-t-elle  des 
rapports  fréquents  avec  nous  dès  l'époque  mérovingienne  et 
carlovingienne  ;  l'histoire  alsalique  enfin  se  rattache  sans  cesse 
à  l'histoire  générale  de  France  et  d'Allemagne;  car,  incessam- 
ment ballottée  entre  les  deux  nationahtés,  elle  présente  l'in- 
téressant et  douloureux  spectacle  d'une  population ,  tiraillée 
eotre  l'Orient  et  l'Occident. 

Mais  ce  manque  de  cohésion  et  d'unité  que  j'ai  déjà  fait 
ressortir  dans  un.  autre  ouvrage  * ,  se  trouve  largement  com- 
pensé par  l'intérêt  qui  s'attache  à  l'infinie  variété  des  détails. 
Je  ne  puis  mieux  comparer  l'Alsace  qu'au  Rhin  lui-même, 

'Histoire  de  la  Basse-Alsace ,  cliap.  I^''. 


INTRODUCTION.  III 

alimenté  et  grossi  par  de  nombreux  affluents.  Pour  com- 
prendre, pour  raconter,  et  surtout  pour  renouveler  et  rajeu- 
nir l'histoire  d'Alsace ,  il  faut  étudier  les  annales  des  provinces 
allemandes  et  françaises,  nos  voisines,  et  amener  successive- 
ment dans  le  grand  réservoir  ces  courants  partiels  et  latéraux. 
On  aurait  une  idée  très-incomplète  des  évêques  de  Strasbourg, 
dont  le  domaine  matériel  et  spirituel  s'étendait  sur  les  deux 
rives  du  fleuve,  on  ne  comprendrait  pas  l'histoire  des  muni- 
cipalités et  des  châteaux  de  notre  province,  si  les  noms  des 
électeurs  palatins,  des  margraves  de  Bade,  des  comtes  de  Wur- 
temberg et  de  Montbéliard ,  des  princes  lorrains ,  des  héros 
suisses,  et  par  moment  les  grandes  figures  des  empereurs 
d'Allemagne  et  des  rois  de  France  ne  venaient  y  fixer  en  temps 
et  lieu  l'attention  des  lecteurs.  Et  pour  donner  à  ma  pensée 
le  rehef  d'une  image,  permettez-moi  de  dire  que  si  vous  pla- 
ciez au  cœur  de  l'Alsace,  à  Strasbourg,  autour  de  la  cathé- 
drale, les  statues  et  les  bustes  de  ses  princes  ecclésiastiques, 
de  ses  grands  citoyens,  et  dans  les  châteaux  de  la  montagne 
et  de  la  plaine,  les  simulacres  de  nos  chevaliers  bardés  de  fer 
et  d'acier,  vous  n'auriez  évoqué  qu'une  partie  des  ombres  du 
passé;  il  vous  faudrait  ranger  aux  quatre  points  cardinaux, 
ou  dans  tout  le  pourtour  de  notre  vallée  rhénane,  des  figures 
bien  plus  imposantes  encore  :  il  faudrait,  de  cette  pénombre 
du  passé,  faire  surgir  des  empereurs  et  des  rois,  puis  les 
nombreux  dynastes  allemands  et  français,  les  uns  étendant 
vers  nous  des  mains  protectrices  et  bienfaisantes,  d'autres 
nous  lançant,  de  leurs  bras  nerveux,  la  menace  et  le  défi. 
Singulière  destinée  d'un  pays,  qui  n'a  jamais  pu  former  un 
grand  tout  par  lui-même;  qui,  morcelé  en  principautés  ecclé- 
siastiques et  laïques,  en  territoires  seigneuriaux  et  munici- 
paux, a  constamment  vécu  dans  une  agitation  fébrile,  jusqu'à 
ce  qu'au  sortir  d'une  dernière  lutte  trentenaire  et  fratricide, 
il  ait  pris  sa  part  de  gloire  et  de  sécurité,  en  allant  se  reposer 
au  sein  d'une  grande  nation. 

Vous  pouvez  résumer  la  destinée  finale  de  l'Alsace,  après 


IV  INTRODUCTION. 

des  fluctuations  sans  fin  et  des  traverses  sans  nombre,  vous 
pouvez  la  résumer  dans  la  sentence  épigrammatique  d'un 
grand  poëte  de  l'Allemagne  : 

....  Und  kannst  du  selber  kein  Ganzes 
Seyn ,  als  ein  d/enendes  Glied,  scliliess  an  ein  Ganzes  dich  an*. 

Les  Archives  départementales  du  Bas-Rhin  sont  le  miroir 
fidèle  de  ce  morcellement  du  pays  dont  elles  conservent  les 
chartes  historiques  et  les  titres  de  propriété  ;  dans  les  fonds 
qui  en  forment  la  base,  elles  reproduisent  bien  les  principaux 
contours  de  cette  carte  provinciale,  subdivisée  en  nombreuses 
régences  et  seigneuries  :  le  représentant  de  la  puissance  impé- 
riale, le  landvogt  ou  préfet  d'Alsace  y  précède  le  représentant 
du  roi  de  France;  les  délégués  de  la  haute  aristocratie  terri- 
toriale consignent  leurs  arrêts  dans  une  longue  série  de  pro- 
tocoles; les  dynastes  du  château  de  Lichtenberg,  qui  vont 
aboutir  par  des  lignes  féminines,  à  des  princes  de  liesse,  les 
comtes  de  Montbéliard,  les  comtes  de  Sponheim,  ceux  de 
Linange,  les  ducs  de  Deux-Ponts  y  étalent  tour  à  tour  leurs 
droits  et  leurs  prétentions,  leurs  titres  de  noblesse  et  de  pro- 
priétés, leur  autorité  paternelle  ou  leurs  exigences  fiscales; 
les  princes-évêqucs  y  prennent  une  part  active  aux  grandes 
destinées  de  France  et  de  Germanie;  les  abbés  y  régissent 
leurs  communautés,  et  s'engrènent,  à  leur  tour,  dans  le 
rouage  général  du  pays.  Étudiées  dans  leurs  détails,  les  ar- 
chives du  Bas-Rhin  ressemblent  tantôt  à  un  vaste  pandémo- 
nium,  tantôt  à  un  temple  ouvert  à  de  grands  mérites  et  à  des 
gloires  immortelles. 

Ces  annales  domestiques  ne  remontent  pas  au  delà  de  l'é- 
poque carlovingienne.  Nos  chartes  authentiques  les  plus  an- 
ciennes datent  du  règne  de  Louis-le-Débonnaire  ;  c'est  une 
antiquité  de  bientôt  dix  siècles  et  demi;  elle  est  respectable 

*  ....  Et  si  lu  ne  peux  former  toi-même  un  lonl ,  entre  comme  une  partie 
utile  et  inléîïranto  dans  un  grand  tout.  (Schiller.) 


INTRODUCTION.  V 

sans  do'ute,  mais  elle  laisse  hors  de  notre  cercle  d'étude  directe 
toute  l'époque  celtique,  l'époque  gallo-romaine,  et  l'époque 
franque  sous  les  Mérovingiens.  —  Dans  l'intérieur  de  notre 
dépôt ,  nous  n'avons  pas  à  nous  préoccuper  de  ces  temps  pri- 
mitifs, du  moins  nous  ne  pouvons  apporter  aucune  lumière 
nouvelle  à  leur  exploration.  Ces  tertres  funéraires,  récem- 
ment fouillés  dans  les  forêts  de  notre  plaine,  et  qui  révèlent, 
dans  les  ornements  et  les  armes  que  la  pioche  met  à  jour, 
une  civilisation  rudiraentaire  assez  avancée  ;  ces  thermes  ou 
ces  villas,  qui  montrent  au  soleil  leurs  anciens  compartiments, 
leurs  mosaïques  fracturées,  et  leurs  calorifères,  ces  vases,  ces 
statuettes,  ces  monnaies,  que  le  tracé  des  nouveaux  chemins 
de  fer  rejette  à  la  surface  du  sol,  ces  fortifications  sur  les 
plateaux  des  Vosges,  que  de  savants  compatriotes  suivent  avec 
une  ardeur  infatigable  à  travers  les  forêts  et  les  bruyères, 
toutes  ces  heureuses  trouvailles ,  gage  et  promesse  de  dé- 
couvertes futures,  ne  peuvent  trouver,  dans  les  archives  du 
Bas-Rhin,  ni  point  d'appui  ni  confirmation.  —  Tandis  que 
le  dépôt  départemental  du  Haut-Rhin  possède  du  moins  une 
charte  mérovingienne,  nous  n'avons  aucun  témoin  de  ces  pre- 
miers siècles  de  la  royauté  franque  ;  et  l'origine  chrétienne  de 
Hohenbourg  ne  marque  chez  nous  que  par  un  document  apo- 
cryphe. 

Le  siècle  carlovingien  même,  cette  époque  mémorable,  qui 
figure  dans  nos  annales  par  la  trahison  du  Champ-du-Men- 
songe,  par  les  tournois  et  le  serment  biUngue  de  Strasbourg, 
par  les  malheurs  et  la  gloire  de  Richardis,  épouse  de  Charles- 
le-Gros ,  ce  siècle  même  ne  nous  a  légué  que  peu  de  chartes 
authentiques.  — L'église  de  Saint-Étienne  a,  sous  ce  rapport, 
le  privilège  de  figurer  chez  nous  au  premier  rang,  et  de  pro- 
duire un  de  nos  plus  anciens  titres,  émané  de  l'empereur 
Lothaire.  Avec  la  chute  de  l'empire  carlovingien,  l'Alsace 
devient  décidément  allemande  ;  mais  encore  pendant  la  pé- 
riode des  rois  et  empereurs  de  la  maison  de  Saxe,  qui  ont 
laissé  cbez  nous  des  traces  multiples  de  leur  influence,  les 


VI  INTRODUCTION. 

documents,  qui  ont  survécu  à  ces  princes,  sont  rares  dans 
notre  dépôt  ;  l'empereur  Henri-le-Saint  et  l'évêque  Werinhar, 
son  ami,  se  montrent  presque  en  tête  des  noms  inscrits  dans 
notre  trésor  des  chartes.  La  maison  franconienne  ne  nous  four- 
nit guère  plus  de  données;  pendant  le  onzième  siècle,  le  pape 
alsacien,  saint  Léon,  inscrit  son  nom  sur  les  soubassements 
celtiques  de  liohenbourg,  et  sur  le  cercueil  de  sainte  Odile, 
son  aïeule  ;  mais  il  est  à  peu  de  chose  près  le  seul  nom  illustre 
qui  paraisse  dans  nos  titres,  à  cette  époque  si  grosse  de  luttes 
et  si  fertile  en  péripéties  tragiques. 

Lorsque  nous  touchons  à  la  troisième  grande  dynastie  alle- 
mande, aux  Hohenstauffen,  les  boîtes  et  les  cartons  de  nosx 
archives  commencent  à  se  remplir.  Des  titres,  émanés  de 
Frédéric  Barberousse  et  de  ses  illustres  descendants,  cons- 
tatent chez  nous,  ce  qui  est  du  reste  un  fait  élémentaire  pour 
toute  personne  familiarisée  avec  l'histoire  d'Allemagne,  la 
présence  fréquente  de  ces  empereurs  dans  nos  contrées ,  leur 
paternelle  sollicitude  pour  nos  cités  et  nos  couvents.  Vers  la 
même  époque,  la  prose  allemande  paraît  aussi  dans  nos  actes  ; 
elle  n'y  brille  pas  au  même  degré  que  la  langue  poétique  dans 
les  vers  des  Minnesinger ;  mais  le  savant  s'incline  avec  un 
mouvement  de  respect  devant  ces  premiers  monuments  au- 
thentiques d'un  idiome  qui  prendra  un  développement  inoui, 
et  qui,  à  partir  de  ce  moment,  ne  subira  plus,  dans  notre 
dépôt,  la  moindre  solution  de  continuité. 

A  partir  du  douzième  et  du  treizième  siècle,  les  bulles  pon- 
tificales ,  les  lettres  épiscopales  figurent  aussi  de  plus  en  plus 
nombreuses  à  côté  des  lettres-privilèges  impériales  ;  par  des 
actes  de  donations  et  de  fondations  multiples  en  faveur  des 
abbayes  et  des  monastères ,  le  bien-être  croissant  de  ces  éta- 
blissements se  révèle  au  milieu  des  révolutions  politiques.  — 
Après  l'époque  anarchique  de  l'interrègne,  surgit,  dans  plus 
d'un  de  nos  titres,  la  noble  figure  de  Rodolphe  de  Habsbourg, 
à  côté  de  celle  de  son  ami  l'évêque  Conrad  de  Lichtenberg, 
le  constructeur  du  grand  portail  de  notre  cathédrale. 


INTRODUCTION.  VII 

Sous  les  empereurs  tic  la  maison  de  Luxembourg  et  de 
Bavière ,  au  qualoi'zième  siècle ,  nos  matériaux  deviennent 
surabondants.  Tous  ces  souverains  laissent  plus  ou  moins 
de  traces  dans  nos  archives.  La  préfecture  de  Haguenau  se 
constitue  avec  la  décapole.  L'évêque,  tantôt  en  lutte,  tantôt 
en  paix  avec  Strasbourg,  continue  à  former,  dans  nos  car- 
tons comme  dans  l'histoire  du  pays,  le  point  vraiment  cen- 
tral. Le  siècle  clôt  par  une  mémorable  guerre  de  la  capitale 
de  l'Alsace  avec  le  prince  ecclésiastique  et  le  chef  de  l'em- 
pire; nos  archives  acquièrent,  pour  cette  époque,  une  in- 
comparable valeur.  Les  noms  slaves  de  l'empereur  Wences- 
las  et  de  son  représentant  le  landvogt  Borziwoy  de  Swinar, 
figurent  à  côté  de  celui  de  l'évêque  Frédéric  de  Blankenheim 
et  de  l'astucieux  Braun  de  Ribeaupierre,  ce  Reinecke  Fuchs 
de  l'Alsace. 

Avec  le  commencement  du  quinzième  siècle,  les  archives 
du  Bas-Rhin  étalent  une  richesse  qui  serait  peut-être  remar- 
quée même  dans  les  archives  de  l'empire.  La  désastreuse  ad- 
ministration de  Guillaume  de  Diest ,  de  cetévêque  néerlandais 
intrus ,  s'y  manifeste  par  de  nombreuses  lettres  d'engagement. 
On  y  voit  de  profil  la  physionomie  du  galant  Sigismond;  la 
lutte  du  grand-chapitre  avec  le  concile  de  Constance  ne  passe 
pas  inaperçue.  Les  ligues  pour  le  bien  public,  contractées 
par  des  membres  laïques  et  ecclésiastiques,  soit  contre  l'évê- 
que, soit  contre  les  Armagnacs,  constituent  une  série  de  vé- 
ritables actes  diplomatiques  ou  de  traités  d'alliances  poli- 
tiques et  religieux. 

Au  cœur  et  à  côté  de  cette  vie  agitée  de  l'évcché,  les  grands 
dynastes  alsaciens,  les  Lichtenberg,  les  Linange,  jouent  sur 
notre  théâtre  local  un  rôle  de  plus  en  plus  actif.  De  nombreux 
titres  de  propriété  indiquent,  pour  les  Lichtenberg  surtout, 
le  lent,  mais  systématique  accroissement  de  cette  grande  for- 
tune territoriale. 

A  l'extrémité  de  la  Basse-Alsace,  la  ville  libre  et  impériale 
de  Wissembourg  présente  dans  ses  annales  de  remarquables 


VIII  INTRODUCTION. 

péripéties ,  qui  lui  sont  communes  avec  l'abbaye  de  Wissem- 
bourg,  premier  point  de  départ  de  la  ville  elle-même.  L'acti- 
vité dévorante  de  l'électeur  palatin  du  Rhin  Frédéric-le-Victo- 
rieux,  en  guerre  avec  l'empire,  imprime  à  l'histoire  d'Alsace, 
qui  en  est  en  partie  le  théâtre,  une  physionomie  originale.  Des 
papiers  nombreux,  car  les  parchemins  ne  sont  plus  seuls  à 
remplir  nos  cartons ,  constatent  les  querelles  de  Philippe- 
ringénu  avec  l'empereur^  avec  l'abbé  de  Wissenibourg,  et  ses 
discussions  avec  la  cour  de  Rome. ...  J'enlève  quelques  feuillets 
seulement  à  nos  grandes  collections  épisCopales  ou  abbatiales , 
pour  continuer  et  mener  à  bout  ce  parallèle  entre  la  marche 
des  événements  et  la  quote-part  qu'y  viennent  apporter  nos 
archives  locales. 

Dès  le  commencement  du  seizième  siècle  presque  tous  nos 
fonds  contiennent  les  symptômes  avant-coureurs  du  grand 
mouvement  social  etrehgieux.  Déjà,  dans  la  seconde  moitié 
du  siècle  précédent,  la  lutte  intérieure  entre  le  clergé  parois- 
sial et  les  ordres  monastiques ,  pour  la  question  de  Yultimum 
voie  ou  du  droil  de  sépulture,  a  vivement  préoccupé  les  esprits 
à  Strasbourg  et  laissé  des  traces  fréquentes  dans  les  fonds 
ecclésiastiques.  Le  nom  du  prédicateur  prophéticjue,  Geiler 
de  Kaysersberg  et  celui  de  Sébastien  Brant,  son  ami,  moins 
connu  comme  secrétaire  de  la  ville  de  Strasbourg,  que  par 
ses  vers  satiriques,  paraissent  dans  quelques-uns  de  nos  do- 
cuments ;  ils  s'y  montrent  comme  ces  messagers  précurseurs 
qui  annoncent,  hélas!  en  vain,  la  tempête  et  la  desiruction. 
Lorsque  l'orage  éclate,  lorsque  les  discussions  violentes  entre 
les  magistrats  municipaux  et  le  clergé  agitent  le  pays,  lorsque 
la  guerre  des  paysans  promène  sa  torche  dans  nos  fertiles 
campagnes ,  nous  trouvons  dans  nos  liasses  et  nos  parche- 
mins le  contre-coup  de  ces  luttes,  le  reflet  de  ces  incendies. 
Partout,  dans  les  archives  épiscopales,  chapitrâtes,  abba- 
tiales, dans  celles  de  la  landvogtey,  dans  celles  des  princi- 
pautés laïques ,  nous  découvrons  les  indices  de  la  guerre 
entre  l'autorité  ecclésiastique  et  les  représentants  de  la  bour- 


INTRODUCTION.  IX 

geoisie  alsacienne  qui  se  déclare  pour  la  rénovation  des  doc- 
trines. Au  milieu  de  ces  conflits  d'intérêts,  de  passions,  de 
croyances,  l'Autriche  montre  dans  la  cité  de  Ilaguenau  et 
dans  le  Ilaul-Rhin  son  inébranlable  et  systématique  volonté 
de  maintenir  l'ancien  état  des  choses,  et  si  elle  cède  un  mo- 
ment devant  le  flot  qui  grossit,  c'est  pour  reconquérir  plus 
de  terrain  qu'elle  n'en  a  perdu. 

Avec  l'époque  de  transaction ,  de  discussions  et  de  halte 
pendant  la  seconde  moitié  du  dix-septième  siècle,  lorsque  la 
lutte  de  paroles  remplace  pour  un  temps  la  lutte  en  champ 
clos,  nous  voyons  apparaître  une  figure  d'évêque,  qui  semble 
à  elle  seule  occuper  le  premier  plan  sur  le  théâtre  des  événe- 
ments en  Alsace;  nos  archives  sont  j^emplies  des  preuves  de 
l'activité  intelligente  que  déploie  Jean  de  Manderscheid  pour 
sauver  son  église,  son  diocèse,  sa  foi.  Fils  d'une  mère  pro- 
testante ,  il  résume  dans  sa  noble  personnalité  les  tentatives 
de  conciliation  et  la  reprise  de  la  lutte.  Pendant  qu'à  Stras- 
bourg le  grand- chapitre  et  le  grand -chœur  cèdent  forcé- 
ment le  haut  du  pavé  à  la  réforme  triomphante,  Jean  de  Man- 
derscheid, retranché  dans  le  château  épiscopal  de  Saverne, 
appelle  les  Pères  Jésuites  à  Molsheim,  et  organise  la  résis- 
tance, en  attendant  que  ses  successeurs  puissent  reprendre 
l'offensive.  Pendant  une  éclaircie,  sous  cet  horizon  chargé  de 
nuages,  nous  voyons  l'évêque,  remplissant  une  mission  de 
pure  courtoisie  politique,  escorter  à  travers  notre  pays  la 
fiancée  de  Charles  IX,  Elisabeth  d'Autriche  (1570),  et  rem- 
plir, cinq  ans  plus  tard  auprès  de  la  jeune  veuve,  le  même 
rôle  de  guide  et  d'ambassadeur. 

Pendant  ce  même  siècle,  si  violemment  remué,  et  comme 
pour  faire  contraste  avec  l'agitation  générale,  la  petite  ville 
de  Bouxwiller  arrive  sous  les  comtes  de  Hanau ,  successeurs 
des  Lichtenberg,  à  un  rare  degré  de  développement  intellec- 
tuel et  matériel;  des  élablissements  d'instruction  publique  et 
de  charité  s'y  consolident  sous  la  tutelle  de  ces  princes  origi- 
naires de  la  Wetteravie,  qui  enrichissent  le  domaine  de  leui' 


>:  INTRODUCTION. 

prédécesseur.  Un  vaste  fonds  dans  notre  dépôt  est  le  témoin 
vivant  et  éloquent  de  l'administration  bienfaisante  de  cette 
petite  régence  qui  traversera ,  sans  être  écrasée ,  les  terribles 
épreuves  de  la  guerre  de  Trente  ans. 

J'ai  nommé  la  période  capitale  de  l'histoire  d'Alsace  au 
dix-septième  siècle.  Tous  nos  fonds  surabondent  en  rensei- 
gnements sur  cette  désastreuse  et  tragique  période.  Déjà  la 
lutte  entre  le  prince  lorrain  cardinal -évèquc  de  Strasbourg, 
et  l'administrateur  protestant  Jean-George,  margrave  de  Bran- 
debourg, avait  rempli  les  années  qui  forment  la  clôture  du 
seizième,  et  l'ouverture  du  dix-septième  siècle;  nos  archives 
sont  demeurées  les  fidèles  dépositaires  de  celte  longue  et 
infructueuse  querelle.    , 

Quant  aux  documents  contemporains  de  la  guerre  de  Trente 
ans ,  ils  sont  aussi  nombreux  que  désespérants  par  les  faits 
qu'ils  confirment  ou  qu'ils  révèlent.  L'archiviste ,  toutes  les 
fois  qu'il  a  touché  à  ces  papiers,  témoins  et  vengeurs  muets 
de  ces  monstrueuses  cruautés ,  a  senti  ses  doigts  se  crisper 
et  ses  yeux  s'obscurcir.  Les  lettres  qui  vont  suivre  indiquent 
par  moment  ses  impressions  ;  mais  il  a  dû,  en  grande  partie, 
les  étouffer  ou  les  voiler. 

Avec  la  paix  de  Westphalie  un  nouvel  ordre  de  choses  com- 
mence. On  en  trouve  bien  l'empreinte  ou  le  contre-coup  dans 
nos  fonds  civils  et  ecclésiastiques;  cependant,  avant  la  cons- 
titution régulière  de  l'intendance  à  Strasbourg  même,  c'est- 
à-dire  avant  la  fin  du  dix-septième  siècle,  il  n'est  guère  pos- 
sible d'étudier  à  fond  cette  mémorable  époque  dans  nos 
archives  seules;  les  années  qui  précèdent  la  réunion  de 
Strasbourg,  cet  acte  même,  et  ses  suites  immédiates  n'y  ont 
pas  laissé  la  moindre  trace.  J'ai  dû  puiser  mon  instruction, 
sous  ce  rapport,  dans  des  papiers  de  famille  et  dans  les  docu- 
ments publiés  par  des  explorateurs  habiles,  qui  ont  été  cher- 
cher dans  les  archives  de  Paris  ou  de  l'étranger  le  complément 
de  notre  histoire  locale.  La  destinée  tragique  de  l'ammeister 
Domenicus  Dietrich  m'a  fortement  impressionné;  et  j'ai  été 


INTRODUCTION.  XI 

un  moment  infidèle  à  mes  devoirs  de  chaque  jour,  en  consi- 
gnant dans  une  biographie  spéciale  le  sort  de  cet  intelligent 
et  infortuné  concitoyen. 

Notre  dix-huitième  siècle  est  tout  entier  dans  les  papiers 
de  l'Intendance.  L'une  des  lettres  de  ce  recueil  caractérise 
l'institution  dans  ses  rapports  bienfaisants  avec  notre  pays  ; 
je  n'ai  pas  à  y  revenir.  Dans  nos  diverses  collections,  la  niasse 
des  papiers ,  avant-coureurs  de  la  bureaucratie  polygraphe  du 
dix-neuvième  siècle,  remplace  les  parchemins  des  précé- 
dentes périodes.  L'adminish^ation,  dans  la  plupart  des  petites 
régences  d'Alsace,  ressemble  déjà,  à  ne  pas  s'y  méprendre, 
à  celle  de  notre  temps.  Hanau-Lichtenbei'g,  par  exemple, 
avait  une  comptabilité  établie  presque  sur  le  môme  pied  que 
la  comptabilité  moderne.  Il  en  é(ait  ainsi  chez  les  Deux-Ponts , 
les  Linange  etc.  En  général,  la  révolution,  dans  plusieurs  de 
nos  administrations  locales  d'Alsace ,  a  moins  bouleversé  les 
choses ,  qu'elle  n'a  déplacé  ou  chassé  les  hommes.  Les  titres 
de  famille  nobihaires  transportés  de  1792  à  1793  dans  les 
archives  du  tribunal,  et  maintenant  réunis  à  notre  dépôt,  en 
fournissent  la  preuve  irrécusable.  La  plupart  de  ces  familles 
qui,  au  dix-huitième  siècle  encore,  ont  occupé  dans  nos 
affaires  provinciales  une  place  distinguée,  ou  n'existent  plus, 
ou  se  sont  retirées  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  d'où  elles 
viennent  consulter  chez  nous  les  débris  de  leurs  archives  do- 
mestiques. Quelques  noms  seuls  survivent  en  Alsace  à  ce 
grand  cataclysme  des  existences  individuelles. 

A  partir  de  1790,  les  archives  de  tous  les  départements  se 
ressemblent  plus  ou  moins.  La  physionomie  originale  des 
nôtres  s'efface  avec  les  vestiges  de  l'ancien  ordre  féodal ,  tel  que 
l'empire  germanique  nous  l'avait  légué ,  et  tel  que  Louis  XIV 
l'avait  laissé  subsister.  Dans  mes  conférences  épistolaires,  je 
me  suis  arrêté  à  celte  ligne  de  démarcation ,  qui  forme  aussi 
le  point  d'arrêt  pour  les  inventaires  rédigés  sur  la  demande 
et  d'après  les  instructions  des  circulaires  ministérielles. 

Dans  le  cours  de  celle  publication,  j'ai  été  cnlraîné  à  trois 


XII  INTRODUCTION. 

reprises  sur  un  tenain  qui  n'était  pas  à  la  rigueur  celui  des 
archives  même.  Je  crois  avoir  obtenu  un  bill  d'indemnité  de 
la  plupart  de  mes  lecteurs,  puisqu'il  s'agissait,  une  première 
fois  de  l'existence  de  sainte  Odile,  une  autre  fois  des  œuvres 
de  Herrade  de  Landsperg,  et  enfin  du  passé  historique  de 
l'église  de  Saint-Thomas. 

Je  demande  la  permission  de  dire  quelques  mots  sur  le 
premier  incident. 

A  ce  propos,  l'un  de  mes  savants  amis,  qui  ne  partage 
point  mon  opinion  sur  la  légende  et  la  tradition  en  général, 
m'a  envoyé,  à  titre  de  muette  et  éloquente  protestation,  un 
charmant  petit  volume,  publié  en  1840  par  M.  Hœusser  sur 
la  Légende  de  Tell.  —  Je  suis  l'un  des  lecteurs  les  plus  recon- 
naissants de  VHistoire  du  Palatinai,  c'est-à-dire  de  l'œuvre 
capitale  de  M.  Ilajusser,  qui  réunit  dans  ce  solide  travail  les 
qualités  de  l'érudil  à  celles  de  l'écrivain.  Dans  la  Légende  de 
Tell,  on  trouve  le  même  talent  appliqué  à  des  recherches  de 
bonne  foi. 

M.  Hœusser,  discute  avec  beaucoup  de  sagacité,  la  valeur 
intrinsèque  etrc^a^m'des  chroniqueurs  suisses  du  quatorzième, 
du  quinzième  et  du  seizième  siècle;  il  accorde  aux  plus  an- 
ciens, c'est-à-dire  à  lustinger  de  Berne,  et  à  Jean  de  Win - 
Lerthur  {Vitoduranus) ,  qui  ne  font  aucune  mention,  ni  de  Tell 
ni  de  Gessler,  une  confiance  presque  sans  limite;  il  la  refuse 
d'une  manière  à  peu  près  absolue  aux  chroniqueurs  posté- 
rieurs (Russ,  Stumpf,  Etterlin,  Tschudi),  qui  racontent,  avec 
quelques  variantes ,  sur  la  foi  de  la  tradition  ou  de  chants  po- 
pulaires, les  faits  delà  révolution  des  montagnards  suisses, 
tels  qu'on  les  avait  admis,  presque  sans  contestation,  jusque 
dans  les  derniers  temps.  A  ses  yeux,  Tschudi ,  sur  lequel  Jean 
de  Mûller  a  basé  en  parfie  son  récit, -aurait  sciemment  altéré 
l'histoire  réelle,  en  haine  de  l'Autriche,  dont  il  était  l'adver- 
saire passionné. 

En  un  mot,  M.  Haeusser  démolit  aussi  une  bonne  partie  de 
l'histoire  primitive  des  petits  cantons;  mais  il  laisse  debout 


INTRODUCTION.  XII I" 

un  point,  qui  pour  moi  est  essentiel  et  vital,  savoir  l'existence 
de  Tell.  En  effet,  dans  une  enquête  publique  à  laquelle  on 
procéda  dans  le  canton  d'Uri,  l'an  1388,  e'est-à-dire  quatre- 
vingts  ans  après  la  confédération  du  Grûtli*,  et  trente  ou  qua- 
rante ans  après  la  mort  de  Tell,  414,  je  dis  cent  quatorze, 
témoins  attestèrent  avoir  connu  le  héros  de  Burglen.  Pour 
amoindrir  Fimportance  de  ce  document  officiel,  M.  Hcsusser 
fait  remarquer  que  l'enquête  n'a  point  porté  sur  les  actes 
mêmes  attribués  à  Tell  ou  accomplis  par  lui;  il  affirme,  un 
peu  à  priori,  que  ces  faits  ont  dû  être  d'une  minime  valeur  et 
n'avoir  exercé  aucune  influence  sur  la  marche  générale  des 
affaires  dans  la  Suisse  primitive. 

Je  pense,  de  mon  côté,  avec  toute  la  déférence  due  à  l'émi- 
nent  historien  du  Palatinat,  que  d'habitude,  en  fait  de  re- 
nommée, on  ne  prête  qu'aux  riches;  qu'il  faut  bien  que  Tell 
ait  eu  une  valeur  quelconque  pour  qu'il  soit  devenu  l'objet 
d'une  enquête  solennelle  dans  son  pays  natal,  et  pour  que  des 
chants  nationaux  aient  cru  devoir  le  célébrer. 

Au  surplus,  Schiller,  avec  la  divination  du  génie,  avait  déjà 
entrevu  que  les  actes  de  Tell  ne  s'étaient  point  confondus  avec 
ceux  des  conjurés  du  Grûtli,  et  il  a  motivé  cette  étrange  ligne 
de  conduite  de  son  héros  par  des  raisons  psychologiques  pai'- 
faitement  admissibles.  Oui,  Tell  est  resté  à  l'écart;  il  a  suivi 
sa  voie  spéciale,  et  les  chroniqueurs  contemporains  ne  le  trou- 
vant pas  mêlé  aux  conjurés  du  Griïtli,  peut-être  pas  même 
dans  les  rangs  des  combattants  deMorgarten,  n'ont  point  parlé 
de  lui,  parce  que,  excusez  mon  expression  vulgaire,  ils  ne 
l'avaient  pas  sous  la  main.  Mais  induire  de  là,  avec  M.  Hseus- 
ser,  que  Tell  a  été  un  homme  tout  à  fait  ordinaire,  qu'il  n'a 
exercé  aucune  influence,  ni  directe  ni  indirecte,  sur  la  déh- 
vrance  des  cantons  forestiers,  et  que  les  faits  accomphs  par 
lui,  même  s'ils  étaient  vrais,  seraient  plutôt  à  son  désavan- 

'  C'est  Jean  de  .Mûller  qui  admet  la  date  de  1307  pour  la  léiiuion  du  Grûtli  : 
car  à  ce  sujet  aussi  il  y  a  des  v.nriantes  assez  considérables. 


XIV  INTRODUCTION. 

lage  qu'à  sa  gloire,  c'est  faire  de  spirituels  paradoxes,  el  ne 
pas  rester  à  la  hauteur  des  autres  pages  d'un  traité  dont  nous 
nous  plaisons  à  reconnaître  la  facture  ingénieuse ,  appuyée  d'un 
grand  savoir. 

La  tradition  qui  fait  périr  Tell  au  moment  où  il  cherche  à 
sauver  les  victimes  d'une  inondation  torrentielle  du  SchîEchen , 
est ,  à  mes  yeux  la  confirmation  du  caractère ,  prêté  au  citoyen 
de  Burglen  par  la  poésie  et  par  l'histoire;  c'est  le  couronne- 
ment solennel  d'une  vie  de  dévouement,  qui  n'a  point  cherché 
le  bruit  et  qui  s'est  trouvée ,  malgré  elle,  un  moment  rattachée 
aux  événements  publics'. 

Quant  à  l'existence  de  sainte  Odile,  je  continue  à  me  tenir 

'Quant  à  la  résidence  du  landvogl  aulrichien  Gessler,  à  Kûssnacht.,  elle  ne 
peut  guère  être  admise  d'après  les  documents  édités  par  Kopp,  qui  cite,  à 
la  date  du  15  mai  1302  et  3  octobre  ^314,  un  chevalier  Ebbe  de  Kussnaclil 
comme  vogt  de  cette  localité.  11  y  a  eu  des  Geissler  à  Seedorf.  Il  est  probable 
que  la  tradition  populaire,  suivant  en  cela  un  procédé  instinctif,  involontaire , 
aura  réuni,  dans  la  personne  de  Gessler,  sur  une  seule  tête  les  actes  de  vio- 
lence commis  par  plusieurs  de  ces  représentants  autrichiens. 

C'est  à  une  chance  heureuse,  a  une  éventualité  imprévue  qu'il  faut  désor- 
mais abandonner  la  constatation  de  l'existence  réelle  ou  du  mythe  de  Gessler. 

Le  savant  éditeur  de  la  chronique  de  Klingenberg,  le  docteur  Henné  de 
Sargans,  vient  de  se  reconstituer  l'avocat  de  l'histoire  complète  de  Tell  el  de 
Gessler  (voy.  p.  44-4S  noies  de  la  Chronique  publiée  à  Gotha,  1  vol.  in-S",  1861). 

Le  sacriiice  volontaire  de  Winkelried ,  récemment  contesté,  vient  de  se  ré- 
péter celte  année  môme  dans  la  Nouvelle-Zélande  où  l'on  a  vu  en  janvier  1861 
les  plus  braves  des  Maoris  ou  indigènes,  révoltés  contre  la  domination  anglaise, 
se  précipiter  sur  les  baïonnettes  européennes  et  frayer  une  rue,  un  passage  à 
leurs  camarades  en  ramassant  sur  leurs  poitrines  ces  armes  meurtrières.  H  est 
bien  entendu  que  la  victoire  finale  est  restée  aux  Anglais ,  appuyés  par  les 
canons;  mais  la  valeur  intrépide  des  Zélandais,  combattant  avec  le  courage 
du  désespoir,  pour  leur  nationalité,  a  inspiré  l'étonnement  et  le  respecta 
leurs  vainqueurs. 

L'illustre  voyageur  Barth  raconte,  en  empruntant  ses  données  a  une  chro- 
nique arabe,  un  acte  analogue  à  celui  de  Winckelried,  accompli  lors  de  la 
prise  d'une  ville  nègre.  Il  n'est  guère  probable  que  l'historien  arabe ,  du  sei- 
zième siècle  je  crois  ,  ait  eu  connaissance  de  «  la  légende  helvétique  »,  et  qu'il 
ait  cherché  a  la  transporter  au  cœur  de  l'Afrique. 


INTRODUCTION.  XY 

pour  satisfait,  grâce  à  la  i)iillo  de  saint  Léon  IX;  elle  est  pos- 
térieure de  trois  siècles  à  l'époque  où  la  sainte  a  vécu  ;  mais 
je  me  refuse  à  croire  à  l'altération  de  la  vérité  par  le  pape 
alsacien  ;  je  pense  que  des  annales  ou  des  traditions  domes- 
tiques lui  garantissaient  les  faits  qu'il  affirmait  en  face  de 
l'Europe,  et  que  sa  conscience  était,  autant  que  sa  raison 
lucide,  en  parfaite  sécurité  au  moment  où  il  canonisait  la 
fondatrice  de  Hohenbourg-. 

L'authenticité  de  Herrade  de  Landsperg-,  qui  gouvernait, 
quatre  siècles  et  demi  après  sainte  Odile,  la  communauté 
chrétienne  au  haut  de  la  montagne  druidique ,  n'a  point  été 
attaquée.  La  ville  de  Strasbourg  possède  un  document  (|ui 
imposerait  silence  aux  plus  incrédules.  Le  magnifique  volume, 
illustré  soit  par  l'abbesse  elle-même,  soit  par  ses  élèves  sous 
sa  direction,  porte  le  cachet  irrécusable  de  l'art  byzantin,  et 
l'érudition,  ainsi  que  la  poésie  latine  du  Jardin  des  délices , 
sont  bien  imprégnées  du  souffle  du  douzième  siècle.  Point  de 
doute  pour  nous,  Herrade  a  vécu  ;  elle  a  pensé,  elle  a  écrit, 
elle  a  agi ,  quoique  plus  d'un  point  de  son  existence  demeure 
pour  nous  enveloppé  de  mystère.  Mais  les  temps  pourront 
venir  où  cette  carrière  si  bien  remplie  sera  aussi  rayée  du 
livre  de  vie  :  que  le  beau  manuscrit  de  Herrade  vienne  à  périr 
dans  un  cataclysme  qu'au  surplus  je  ne  veux  point  prévoir, 
mais  que  la  monographie  de  Maurice  Engelhardt  survive,  le 
moment  propice  arriverait,  après  mille  ou  deux  mille  ans, 
pour  les  aristarques  futurs;  on  démontrerait  avec  beaucoup 
de  vraisemblance,  que  l'abbesse  de  Hohenbourg,  dont  le  nom 
ne  figure  point  dans  les  annales  générales  de  l'Europe,  pas 
même  dans  celles  de  France  ou  d'Allemagne,  n'a  jamais  existé, 
et  que  l'opuscule  de  notre  compatriote  est  un  pastiche  habile, 
composé,  pour  conquérir  à  l'aide  de  celte  supercherie,  une 
gloire  facile.  Et  pour  faire  valoir  une  hypothèse  de  ce  genre, 
le  critique  de  fan  oOOO  de  Jésus-Christ  n'aura  (ju'à  rappeler 
une  partie  des  supercheries  littéraires  du  dix-huitième  et  du 
dix- neuvième  siècle,  l'amplification  des  poésies  d'un  barde 


XVI  INTRODUCTION. 

Erse  par  l'audacieux  Macpherson,  les  vers  du  moine  Rowley 
composés  par  Chatterton,  les  poésies  ravissantes  de  Clothilde 
de  Surville,  composées  par  Wanderbourg-.  Maurice  Engelhardt 
et  Herrade  de  Landsperg  seront  identifiés  ;  la  prétendue  ab- 
besse  du  douzième  siècle,  la  protégée  de  Frédéric  Barberousse 
deviendra  la  sœur  ou  la  fille  ou  la  créature  de  Maurice  de 
Strasbourg. 

Je  ne  dis  pas  que  les  choses  se  passeront  précisément  de  la 
sorte,  j'aime  à  croire  que  le  joyau  de  la  bibliothèque  de  Slras- 
])0urg,  récemment  échappé  à  un  grand  péril,  survivra  long- 
temps et  toujours  aux  catastrophes  matérielles  ou  politiques , 
et  cependant  l'éventualité  que  je  laisse  entrevoir  n'est  pas 
impossible;  du  domaine  des  chimères  elle  peut,  en  un  mo- 
ment donné,  passer  dans  le  domaine  des  faits;  convenable- 
ment développée,  elle  ne  figurerait  pas  mal  dans  un  chapitre 
de  «Roman  d'avenir,»  et  servirait  à  démontrer  que  le  scep- 
ticisme doit  souvent  tomber  à  faux  lorsqu'il  appuie  ses  preuves 
ou  ses  doutes  sur  l'absence  de  documents  contemporains. 


-oci'îf)«ïv>o^ 


LETTRES 

SUR    LKS 

ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES 

DU  BAS-RHIiN. 


PREMIERE  LETTRE. 

TLe  bâtiment   «les  archives,    —  Son  origine.  —  Sa  situation.  — 
Distribution  de  l'intérieur. 

Octobre  1860. 

Monsieur  le  rédacteur  du  Courrier  du  Bas-Rhin, 

A  plusieurs  reprises  déjà  vous  m'avez  dit,  avec  beaucoup 
de  bienveillance,  que  les  archives  du  Bas-Rhin  mériteraient 
d'être  mieux  connues  ;  que  le  public  alsacien  en  ignorait 
l'existence,  ou  du  moins  le  contenu;  qu'il  ne  serait  point 
inutile  d'introduire  vos  lecteurs  dans  les  salles  et  sous  des 
combles  du  vaste  et  sombre  édifice  encombre  de  parchemins, 
de  cartons  et  de  liasses,  depuis  le  rez-de-chaussée  jusque 
sous  les  dernières  luiles  de  la  toiture.  A  vos  instances,  j'avais 
commencé  par  opposer,  non  pas  une  fin  de  non-recevoir, 
mais  beaucoup  de  doutes;  je  devais  hésiter  à  aborder  un 
sujet,  aride  en  apparence,  et  que  j'ai  traité  depuis  bientôt 
vingt  années  dans  les  rapports  périodiquement  présentés  au 
Conseil  général  ou  dans  des  monographies  spéciales. 

Vos  rapports,  avez-vous  répliqué,  sont  imprimés,  il  est 
vrai,  mais  ils  sont  mêlés  aux  délibérations  du  Conseil;  des 
hommes  spéciaux  seuls  les  cherchent  ou  les  connaissent;  ce 
sont  des  résumés  succincts  et  sévères  de  vos  travaux;  leur 
forme  n'est  point  de  nature  à  attirer  les  regards  de  l'homme 


2  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS -RHIN. 

du  monde,  qui  veut  bien  s'instruire,  mais  sans  se  fatiguer; 
prenez,  dans  vos  brochures,  dans  vos  comptes  rendus  et 
dans  vos  souvenirs  d'archiviste,  les  points  culminants;  por- 
tez-y un  peu  de  lumière  et  de  fraîcheur  (hclas!  de  la  lumière 
et  de  la  fraîcheur  sur  les  parchemins  et  les  papiers  jaunis  !) 
et  soyez  convaincu  que  quelques  esprits  impartiaux,  quelques 
amateurs  d'histoire  locale  vous  sauront  gré  de  cette  tentative. 
Chose  capitale,  enfin!  les  contribuables  comprendront  que 
les  sommes  allouées  pour  vos  archives  ne  le  sont  pas  en  pure 
perte,  que  la  science  historique,  le  service  administratif  et 
les  administrés  eux-mêmes  en  tirent  quelque  parti. 

Je  vais  essayer.  Monsieur,  de  vous  donner  raison  ;  je  vais 
secouer  la  poussière,  nullement  métaphorique,  mais  très- 
réelle,  qui  couvre  nos  liasses;  je  tacherai  de  renoncer  au 
langage  de  l'école ,  et  de  vous  conduire  sans  façon  le  long  des 
travées  de  ce  vaste  dépôt  d'écritures,  qu'on  appelle  les  ar- 
chives du  département;  de  temps  à  autre  je  m'arrêterai,  soit 
pour  résumer  le  contenu  de  telle  ou  telle  série  de  titres,  soit 
pour  vous  signaler  des  documents  hors  ligne,  les  sommets 
aristocratiques  de  ces  montagnes  de  papier.  Peut-être  arri- 
verai-je  à  vous  faire  toucher  du  doigt  les  liens  par  lesquels 
no4i'e  dépôt  se  rattache  à  l'histoire  générale  d'Allemagne  ou 
de  France  ;  peut-cire  qu'à  l'appel  de  ma  faible  voix  répondra 
l'écho  des  temps  passés,  qui  sommeille,  mystérieux  et  voilé, 
dans  ces  vastes  galeries  de  rayons  courbés  sous  leur  charge 
séculaire.  Vous  ne  devez  point  craindre  mon  importunité;  au 
premier  symptôme  de  fatigue  que  vous  devinerez  chez  vos 
lecteurs,  et  ce  moment  arrivera  bien  vite,  il  vous  suffira  d'un 
signe  pour  interrompre  nos  pérégrinations,  et  laisser  dormir 
dans  leurs  sépulcres  poudreux,  empereurs  et  rois,  pontifes, 
évêques  et  abbés,  princes,  chevaliers  et  nobles,  bourgeois 
et  manants. 

Mais  avant  de  faire  connaissance  avec  les  matériaux  qui 
constituent  les  archives  de  notre  département,  souffrez  que 
je  fasse  la  description  du  bâtiment  même  qui  leur  sert  d'asile. 


PREMIÈRE  LETTRE.  3 

quoique  cet  édifine  n'ait  rien  de  recommandable  au  point  de 
vue  de  la  belle  archilecture.  Je  tiens  à  cette  introduction  : 
ces  vieux  murs,  percés  de  petites  fenêtres  ogivales,  s'ils  ne 
sont  pas  élégants,  ont  une  autre  valeur  et  une  signification 
historique  ;  leur  étendue  seule  donne  au  surplus  une  idée  de 
la  richesse  numérique  du  dépôt  qui  s'y  trouve  à  l'étroit, 
menace  de  déborder  et  nécessitera,  dans  un  temps  rappro- 
ché, des  dispositions  nouvelles  pour  suffire  à  sa  destination. 

Le  vaste  bâtiment  quadrangulaire  qui  s'élève  latéralement 
au  théâtre,  du  côté  du  midi,  servait,  dès  le  quinzième  siècle, 
de  grenier  d'abondance;  sa  construction  date  probablement 
de  cette  époque*;  il  couvre,  avec  les  bâtiments  de  la  pré- 
fecture, l'emplacement  de  l'ancien  cimetière  des  juifs.  C'est 
dans  cette  localité  que  s'accomplit  un  des  forfaits  les  plus 
odieux  de  l'histoire  de  Strasbourg.  Le  14  février  1349,  deux 
mille  Israélites,  accusés  par  un  fanatisme  ignorant  et  fa- 
rouche ,  d'avoir  empoisonné  les  fontaines  publiques ,  et  occa- 
sionné la  peste,  furent  traînés  dans  cette  enceinte,  où  l'on 
avait  dressé  un  immense  bûcher.  Mais  pourquoi  m'étendrais-je 
sur  les  détails  d'un  crime,  dont  le  souvenir  cruel  est  dans 
toutes  les  mémoires,  et  qui  a  été  tardivement  réparé  et  expié, 
s'il  existe  une  réparation  pour  un  méfait  de  cette  nature,  par 
l'admission  des  descendants  de  ces  malheureux  au  sein  de  la 
grande  famille  nationale? 

On  dirait  que  dans  l'histoire  des  localités,  comme  dans  la 
destinée  des  peuples  et  des  individus,  les  contrastes  les  plus 
frappants  se  trouvent  côte  à  côte,  disposés  par  la  main  d'un 
grand  artiste  et  d'un  grand  instructeur.  Sur  cet  ossuaire  • 
israélite,  ébranlé,  il  y  a  cinq  siècles,  par  les  cris  désespérés 
des  martyrs  de  la  loi  mosaïque,  s'élève  maintenant  l'asile 

^  L'édifice  des  arc'.iives  est  long  de  3G™,50  sur  H'", 90  de  profondeur,  et 
i0'",3o  de  hauteur,  à  partir  du  sol  jusqu'à  la  corniclie.  Les  greniers  d'abon- 
dance avaient  plus  du  double  de  cette  longueur;  on  les  a  coupés  on  deux 
pour  ménager  une  issue  à  la  préfecture.  La  partie  située  à  l'ouest  des  ar- 
chives sert  de  magasin  pour  les  décorations  du  théâtre. 


4  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

inviolable,  où  chrétiens  et  juifs  retrouvent  les  titres  de  leurs 
droits  civils  et  de  leurs  propriétés.  Les  recherches  paisibles 
de  la  science  et  du  travail  administratif  se  poursuivent  dans 
ces  mômes  lieux,  où  la  férocité  populaire  avait  violé  les 
notions  élémentaires  de  la  sainte  justice,  et  détruit,  avec 
les  cadavres  des  créanciers,  les  titres  constitutifs  de  leurs 
créances. 

Un  contraste  d'une  toute  autre  nature  signale  encore  la  po- 
sition que  les  archives  occupent  à  l'extrémité  de  Strasbourg. 
Je  veux  parler  du  voisinage  du  théâtre.  Celte  juxtaposition 
des  deux  établissements  n'est  ni  heureuse  ni  désirable  ;  mais 
elle  existe,  et  dans  une  forteresse,  encombrée  d'habitants  et 
de  soldats,  la  latitude  du  choix  n'est  pas  grande.  Contre  les 
éventualités  d'un  sinistre  on  a  muni  de  plaques  de  tôle  toutes 
les  ouvertures  du  côté  septentrional  des  archives  ;  une  assez 
large  esplanade,  plantée  de  marronniers,  sépare  d'ailleurs  du 
théâtre  le  réceptacle  des  écritures;  elle  va  se  relier  aux  jar- 
dins de  la  préfecture,  qui  bordent  le  dépôt  du  côté  du  midi , 
et  forme  avec  eux ,  pendant  la  belle  saison ,  un  massif  de  ver- 
dure cl  de  fleurs  autour  du  sombre  asile  accordé  aux  vieux 
papiers  el  aux  employés  chargés  de  leur  classement.  A  travers 
les  lucarnes  de  leur  prison  volontaire,  ces  travailleurs  peuvent 
laisser  errer  ou  reposer  leurs  yeux  sur  les  branches  touffues 
des  arbres  ou  prêter  une  oreille  distraite  aux  chants  d'essai 
des  choristes;  c'est,  je  crois,  pour  eux  la  seule  manière  de 
jouir  du  théâtre.  Ainsi,  d'une  part,  le  monde  et  ses  pompes, 
l'attrait  du  plaisir,  le  séjour  féerique,  l'enivrement  des  sens 
et  de  l'imagination,  les  jouissances  de  l'esprit  vives  et  instan- 
tanées, et,  à  cinquante  pas  de  distance,  les  catacombes  du 
passé ,  les  gloires  ensevelies ,  le  demi-jour  même  au  cœur  de 
l'été,  le  travail  et  ses  jouissances  austères ,  le  silence  et  l'oubli. 

Jamais  cette  opposition  entre  les  deux  édifices  n'est  plus 
prononcée  que  dans  ces  moments  où  la  salle  de  spectacle  res- 
plendit de  lumières  par  toutes  ses  hautes  croisées,  lorsque 
les  vibrations  de  l'orchestre  et  des  chants  d'ensemble  percent 


PREMIÈRE  LETTRE.  5 

les  murs  et  se  prolongent  au  dehors  dans  le  silence  d'une 
nuit  d'hiver.  Qu'il  vous  arrive,  dans  une  nuit  pareille,  de 
mettre  le  pied  dans  l'une  des  salles  du  vieux  grenier  d'abon- 
dance, et  d'y  suivre,  sur  les  travées,  les  reflets  amoindris 
et  ternes  du  jour  magique  dont  une  foule  heureuse  de  spec- 
tateurs est  inondée  de  l'autre  côté  de  l'esplanade,  et  quelque 
fortement  trempé  que  vous  soyez,  vous  n'échapperez  point  à 
une  impression  sinistre  mais  instructive  :  c'est  la  mort  côte  à 
côte  de  la  vie ,  le  cimetière  près  de  la  fête  païenne. 

Mais  ce  cimetière,  je  l'ai  déjà  dit,  recèle  des  inscriptions 
nombreuses  ;  sous  cette  mort  apparente  circule  une  vie  réelle. 
Je  n'oublie  point  que  je  dois  vous  entretenir  de  celle-ci  ;  le 
contenu  des  archives  vaut  mieux  que  leur  enveloppe. 

Lorsqu'en  1790  un  décret  de  l'Assemblée  constituante  pres- 
crivit de  réunir  au  chef-heu  des  nouvelles  administrations  les 
documents  et  les  titres  de  tous  les  établissements  civils  et  re- 
ligieux que  la  Révolution  venait  de  fermer,  on  concentra  à 
Strasbourg,  dans  les  bâtiments  de  l'ancienne  Intendance  d'Al- 
sace, les  papiers  et  les  parchemins  de  l'évéché  de  Strasbourg, 
des  chapitres  ecclésiastiques ,  des  abbayes ,  des  couvents 
d'hommes  et  de  femmes;  on  mit  la  main  sur  les  archives  des 
petites  principautés  allemandes ,  qui  avaient  subsisté  en  Al- 
sace de  1648  à  1789  sous  la  suzeraineté  du  roi  de  France. 
Aux  approches  de  l'orage  révolutionnaire,  évêques,  abbés  et 
princes  avaient ,  sans  aucun  doute ,  transporté  au  delà  du 
Rhin  des  caisses  nombreuses  chargées  de  leur  correspondance 
intime,  ou  même  de  titres  historiques  et  de  propriété;  mais 
il  en  restait  toujours  un  nombre  suffisant  pour  constituer  plus 
tard,  au  centre  des  nouvelles  circonscriptions  territoriales,  des 
dépôts  très-considérables.  C'était,  sans  contredit,  une  grande 
iniquité,  une  spoliation.  Dans  les  catastrophes  politiques,  où 
l'existence  des  individus  et  des  familles  est  compromise  ou 
ravagée,  on  respecte  bien  moins  encore  la  lettre  morte;  c'était 
déjà  beaucoup ,  à  cette  époque  néfaste ,  que  de  sauver  des 
papiers  pour  des  temps  meilleurs;* pendant  la  guerre  des 


6  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

paysans  et  celle  de  trente  ans,  on  brûlait  les  titres;  c'était 
plus  simple  et  plus  expéditif.  Bref,  dans  les  premiers  mois  de 
1791,  on  vit,  réunies  à  l'hôtel  de  l'Intendance,  toutes  les  ar- 
chives partielles,  disséminées  jusque-là  dans  une  trentaine  de 
localités  diverses.  Les  chapitres  et  les  abbayes  livrèrent  leurs 
bulles,  leurs  lettres  épiscopales  et  impériales;  les  anciennes 
régences  de  Bouxwiller  (Hanau-Lichtenberg),  de  Bischwiller 
(Deux-Ponts) ,  d'Oberbronn  (Linange)  etc.  etc.  furent  dé- 
pouillées de  leurs  titres  de  propriété  et  de  leurs  papiers  de 
procédure  ;  les  familles  nobles  et  bourgeoises  qui  avaient 
émigré,  perdaient  le  résidu  de  leurs  titres  particuliers. 

La  translation  de  ces  archives  ne  se  fit  pas  toujours  pacifi- 
quement. A  Strasbourg  môme,  en  février  1791,  une  émeute 
assez  grave  signala  le  transfcrement  des  parchemins  du  cha- 
pitre de  Saint-Picrrc-le-Jeune;  il  fallut  l'intervention  de  la 
force  publique  pour  dissiper  une  foule  irritée,  qui  s'attachait 
au  côté  fâcheux  de  l'acte  sans  en  apprécier  les  circonstances 
atténuantes. 

A  ces  documents  apportés  du  dehors  se  joignirent  les  pa- 
piers des  bureaux  de  l'Intendance,  et  bientôt  ceux  de  l'admi- 
nistration intermédiaire,  puis  de  l'administration  départemen- 
tale, et,  à  partir  de  1800,  les  papiers  de  la  préfecture. 

Ce  fut,  dès  lors,  un  amoncellement  de  liasses  qui  a  suivi 
une  progression  presque  géométrique  et  produit  l'effet  d'une 
avalanche  menaçante,  malgré  la  vente  et  la  destruction  pério- 
dique des  pièces  devenues  inutiles.  En  1791 ,  la  fusion  des 
archives  partielles  de  l'Alsace  portait  sur  une  masse  encore 
appréciable  ;  mais  avec  l'établissement  de  la  bureaucratie  du 
dix-neuvième  siècle,  cet  accroissement  progressif  des  archives 
eut  quelque  chose  d'effrayant,  et  peut-être,  en  vue  d'y  remé- 
dier, n'a-l-on  pas  toujours  gardé,  à  de  certaines  époques, 
toute  la  mesure  voulue  dans  la  suppression  des  pièces. 

Depuis  une  vingtaine  d'années ,  une  réglementation  systé- 
matique s'est  emparée  du  service  des  archives  ;  on  a  donné 
des  soins  minutieux  surtout  à  la  conservation  et  à  l'analyse 


PREMIÈRE   LETTRE.  7 

des  titres  antérieurs  à  la  Révolution  ;  les  cas  où  les  papiers 
modernes  peuvent  être  supprimés,  ont  été  prévus,  et,  si  l'on 
pèche  aujourd'hui  par  un  côté,  c'est  par  un  excès  de  précau- 
tion ,  et  par  la  conservation  méticuleuse  de  liasses  de  procé- 
dure ou  de  papiers  de  comptabilité,  qui,  malgré  leur  âge, 
n'ont  pas  toujours  une  raison  de  subsister.  A  partir  du  seizième 
et  du  dix-septième  siècle ,  on  chiffrait  et  l'on  écrivait  déjà 
beaucoup;  l'intempérance  du  plumitif  n'est  pas  une  maladie 
de  date  toute  récente. 

De  ce  préambule,  vous  pouvez  vous-même,  Monsieur,  déduire 
les  grandes  lignes  de  démarcation  et  le  caractère  des  pièces  de 
notre  dépôt  départemental.  L'année  1790  forme  une  limite 
rigoureuse  et  infranchissable;  antérieurement  à  celte  époque 
nous  nous  trouvons  en  face  de  deux  grandes  subdivisions  : 

Archives  civiles  ; 

Archives  ecclésiastiques. 

Les  archives  de  1790  à  1800  forment  une  série  spéciale  et 
intermédiaire. 

L'administration  préfectorale,  qui  commença  en  1800, 
fournit  les  matériaux  des  archives  modernes  et  contempo- 
raines, jetées  dans  un  cadre  uniforme  pour  tous  les  départe- 
ments de  la  France. 

Quant  aux  archives  anciennes ,  un  formulaire  identique  a 
de  même  été  prescrit  pour  toutes  les  parties  du  pays.  Ici,  un 
peu  plus  de  latitude  eût  été  désirable;  les  institutions  des  an- 
ciennes provinces  de  France  sont  loin  d'être  toutes  jetées 
dans  le  même  moule  ;  leur  passé  historique  diffère  souvent 
du  tout  au  tout.  L'Alsace,  pendant  huit  à  neuf  siècles,  a  suivi 
un  développement  différent  de  celui  des  provinces  françaises 
au  delà  des  Vosges.  Mais  peu  importe  ;  un  cadre  unique  a  de 
si  grands  avantages  pour  l'ensemble  d'un  grand  service,  et 
même  pour  l'appréciation  comparée  de  tous  les  dépôts,  qu'il 
ne  faut  point,  pour  un  peu  de  gêne  dans  le  classement,  se 
gendarmer  contre  une  impulsion  vitale  partie  du  centre  de 
l'Empire. 


8  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

L'archiviste  du  Bas-Rhin  a  éprouvé  constamment  une  autre 
espèce  de  gêne:  l'espace  lui  fait  défaut;  chaque  série  de  titres 
modernes  tendant  à  grossir  indéfiniment,  il  a  été  souvent 
ohligé  de  recourir  à  des  expédients  pour  tenir  réunies  les 
pièces  du  même  groupe.  Depuis  son  entrée  en  fonctions,  il  a 
dû  recourir,  cinq  ou  six  fois ,  à  un  remaniement  général.  11  y 
a  cinq  ans ,  le  préfet  lui  a  fait  livrer  et  approprier,  en  dehors 
du  grand  bàliment  des  archives,  une  ancienne  salle  d'adjudi- 
cation; elle  a  été,  en  peu  de  mois,  envahie,  remplie  de  fond 
en  comble,  et  je  suis  souvent  à  me  demander,  comment  feront 
mes  successeurs ,  à  moins  qu'ils  ne  disposent  de  construc- 
tions nouvelles. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  sans  trop  me  préoccuper  de  l'avenir, 
voici,  en  peu  de  mots,  quelle  est  en  ce  moment  la  disposition 
de  l'intérieur  des  bâtiments,  dont  je  ne  vous  ai  montré  jus- 
qu'ici que  le  sol,,  les  murs,  el  l'ensemble  des  parchemins  et 
des  papiers  entassés  dans  leur  enceinte. 

Une  première  salle  basse,  à  la  droite  de  l'escalier  d'entrée, 
contient  les  archives  civiles  antérieures  à  1790;  c'est  par  là 
que  nous  commencerons  bientôt  notre  tournée. 

Au  premier  étage,  l'escalier  donne  accès  à  un  bureau  long  et 
obscur,  flanqué  à  droite  d'une  vaste  salle,  qui  est  tout  entière 
réservée  aux  anciennes  archives  ecclésiastiques;  une  salle  pa- 
reille à  gauche  contient  une  bonne  partie  des  archives  modernes. 
Puis  un  entresol  bas  et  obscur  a  été  livré  jusqu'ici  aux  im- 
primés. 

Le  premier  étage  du  grenier  est  attribué  surtout  à  la  comp- 
tabilité (pièces  justificatives  des  comptes  communaux).  11  faut 
quelques  minutes  pour  arpenter  dans  toute  sa  longueur  cette 
galerie  de  rayons  et  revenir  sur  ses  pas.  Le  second  grenier  a 
la  même  longueur;  mais  ses  rayons  nouvellement  établis  ne 
sont  pas  encore  remplis  ;  les  papiers  de  rebut  en  garnissent 
une  partie  ;  dans  les  gros  temps  d'hiver,  la  neige ,  pénétrant 
à  travers  les  tuiles  et  les  lucarnes,  sème  ses  flocons  sur  ces 
enfants  perdus,  destinés  à  la  destruction. 


PREMIÈRE  LETTRE.  9 

La  salle  en  dehors  des  archives  est  occupée  par  les  afiaires 
de  contribulions,  de  recelte  générale  el  de  police;  la  partie 
centrale  réunit  les  cartons  de  l'administration  de  1790  à  1800. 

Vous  voilà,  Monsieur,  au  courant  de  l'ensemble  du  dépôt. 
En  le  parcourant  d'un  pas  rapide,  en  entier,  il  y  a  pour  un 
kilomètre  de  chemin  à  taire  ;  il  n'est  pas  question ,  bien  en- 
tendu, de  circuler  autour  des  rayons;  ceci  aboutirait  à  un 
autre  calcul  ;  cet  exercice  hygiénique  demeure  réservé  aux 
habitués  de  l'endroit. 


-«<Ca5X(î>3o- 


10  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  DAS-RHL\. 


DEUXIEME  LETTRE. 

Ijeii  anciens  archivistes.  —  Crandldicr.  —  Drendel.  —  liCS  arehives 
sous  TEnipire  et  in  Restauration. 

Monsieur, 

Vous  ne  vous  attendez  sans  doute  pas  à  ce  que  je  vous  en- 
tretienne des  archives  modernes  et  contemporaines;  il  de- 
meure bien  entendu,  n'est-il  point  vrai,  que  les  comparti- 
ments historiques  auront  à  peu  près  seuls  le  privilcg-e  de  fixer 
un  moment  votre  attention?...  Tout  en  circonscrivant  ainsi  le 
terrain  à  explorer,  une  nouvelle  question  préliminaire  se  pré- 
sente. Dans  quel  état  les  fonds  de  l'évéché,  des  corporations 
religieuses,  des  régences  civiles  ont-ils  été  livrés,  en  1790,  à 
l'administration  intermédiaire?  S'était-on  occupé,  antérieure- 
ment à  cette  époque,  du  classement  et  de  l'analyse  des  litres? 
l'a-t-on  fait  postérieurement?  ou  bien  l'archiviste  actuel  a-t-il 
abordé  sa  tâche  sans  fil  conducteur?  a-t-il  eu  des  prédéces- 
seurs qui  lui  ont  aplani  la  voie? 

Au  moment  de  la  réception  des  pièces  (de  1790  à  i792), 
on  dressait  un  procès-verbal  de  délivrante;  quelquefois  des 
cahiers,  contenant  l'indication  succincte  des  séries  de  titres  à 
livrer,  étaient  joints  à  la  constatation  ofiicielle  de  la  prise  de 
possession  par  l'Etat.  Quelques  fonds  étaient  munis  d'anciens 
répertoires ,  défectueux  en  ce  qu'ils  ne  portaient  que  sur  une 
partie  des  titres  livrés,  ou  que  des  documents  étaient  égarés; 
au  total,  il  n'existait  d'inventaire  complet  et  régulier  pour 
aucun  fonds,  sauf  celui  de  l'évéché. 

Pour  cette  partie  du  dépôt,  vingt-six  volumes  in-folio,  ma- 
nuscrits, d'une  fort  bonne  écriture,  contiennent  l'analyse  dé- 
taillée de  la  majeure  partie  des  litres.  Cet  inventaire,  attribué 
à  l'abbé  Grandidier,  correspond  à  peu  près  à  la  sixième  ou 
septième  partie  des  archives  ecclésiastiques. 

Je  viens  de  nommer  un  savant,  célèbre  dans  les  fastes  scien- 


DEUXIÈME  LETTRE.  H 

lifiques  de  noire  province.  Sa  vie  laborieuse  m'a  fourni  la  ma- 
tière d'une  notice  biographique'  à  laquelle  je  prends  la  liberté 
de  renvoyer  ceux  de  vos  lecteurs  qui  seraient  curieux  de  faire 
connaissance  avec  un  caractère  aimable,  avec  une  intelligence 
d'élite,  et  un  homme  malheureux  au  sein  de  la  gloire  litté- 
raire. Je  ne  rappellerai  ici  que  quelques  points  saillants  de 
cette  belle  vie,  moissonnée  dans  sa  fleur;  le  sujet  que  je  traite 
me  le  permet;  ma  gratitude  envers  cet  illustre  devancier  m'en 
fait  une  loi. 

Au  temps  où  Grandidier  vécut  (1752  à  4787),  la  science  de 
la  paléographie  (c'est-à-dire  de  l'art  de  déchiffrer  et  de  dé- 
crire les  anciens  documents)  était  moins  cultivée  que  de  nos 
jours  ;  les  historiens-littérateurs  ou  rhéteurs  du  dix-huitième 
siècle  liraient  peu  de  parti  des  chartes,  témoins  ou  miroirs 
du  passé.  En  Alsace,  Schœpflin  avait  toutefois  ouvert  cette 
voie  pour  l'historiographie  locale;  Grandidier  marcha  sur  ses 
traces.  Issu  d'une  famille  parlementaire  de  Metz_,  de  bonne 
heure  poussé  vers  le  travail  intellectuel ,  Grandidier  était  un 
enfant  précoce  ;  à  l'âge  de  dix  ans  déjà  il  écrivit  une  histoire 
abrégée  de  la  République  romaine.  A  peine  âgé  de  dix-neuf 
ans,  il  fut  nommé  archiviste  de  l'évêché  de  Strasbourg.  Le 
cardinal-évêque  Louis-Constantin  de  Rohan  avait  deviné  l'ap- 
titude exceptionnelle  du  jeune  lévite  pour  l'élude  des  diplômes  ; 
il  était  convaincu  que  l'on  ne  pouvait  donner  à  Schœpflin  de 
meilleur  successeur  comme  historiographe  d'Alsace. 

Grandidier  justifia  les  prévisions  de  son  noble  protecteur. 
Il  classa  le  dépôt  considérable  confié  à  sa  garde ,  et  transcri- 
vit, sur  feuilles  volantes,  à  ce  qu'il  paraît,  l'analyse  ou  le  ré- 
sumé des  litres.  C'est  la  copie  de  ce  premier  jet  que  nous 
possédons.  Plus  d'un  document  décrit  par  Grandidier  a  été 
égaré  ou  enlevé  pendant  la  crise  révolutionnaire  ;  mais  le  tra- 
vail de  l'archiviste  épiscopal  y  supplée,  autant  que  des  ex- 
traits peuvent  remplacer  des  litres  originaux. 

'  Revue  d'Alsace,  année  1850,  p.  ^G.". 


12  ARCHIVES  DÉPARTEMEATALES  DU  RAS-RHIN. 

Indépendamment  de  ce  beau  recueil ,  auquel  Grandidier 
paraît  avoir  attaché  peu  d'importance,  quoiqu'il  soit  presque 
au  niveau  de  la  science  moderne,  le  jeune  savant  avait  re- 
cueilli les  matériaux  pour  une  histoire  de  l'église  de  Stras- 
bourg et  de  la  province  d'Alsace;  il  publia,  de  l'une  et  de 
l'autre,  la  partie  la  plus  difficile,  l'histoire  des  origines,  et 
dans  cette  obscurité  des  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne  il 
porta  la  lumière  d'une  critique  à  la  fois  saine,  respectueuse 
et  modérée.  Il  avait  de  plus  composé,  pour  la  description  de 
l'histoire  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  un  petit  volume  qui 
conserve  une  incontestable  valeur,  quelques  progrès  qu'ait  faits 
depuis  la  science  de  l'archéologie,  dont  Grandidier  pressen- 
tait plus  d'un  demi-siècle  à  l'avance  les  services  et  les  décou- 
vertes futures.  Les  ouvrages  de  Grandidier  se  distinguent  par 
un  style  lucide,  élégant,  ferme;  le  jeune  liistorien  d'Alsace 
conservait  les  bonnes  traditions  des  écrivains  du  dix-septième 
siècje;  il  semblait  appelé  à  une  vaste  célébrité  ;  mais  une  ap- 
plication excessive  avait  de  bonne  heure  use  les  ressorts  de 
cette  organisation  délicate  ;  des  chagrins  de  position  vinrent 
s'y  joindre.  Grandidier  paraît  avoir  été  desservi  auprès  du 
successeur  du  cardinal  Louis-Edouard  de  Rohan  ;  on  le  fai- 
sait passer  pour  un  novateur  dangereux,  pour  un  fds  ingrat 
de  l'Église.  Ces  insinuations,  —  démenties  par  l'étude  atten- 
tive de  ses  ouvrages,  où  la  sagacité  de  l'historien  est  tout  en- 
tière au  service  de  la  foi,  —  empoisonnèrent  néanmoins  l'exis- 
tence du  jeune  prêtre  et  découragèrent  l'écrivain.  S'il  avait 
vécu  à  une  époque  de  lutte  pareille  à  la  nôtre,  il  serait  arrivé 
peut-être  à  se  cuirasser  contre  les  traits  de  ses  adversaires  ; 
mais  élevé,  abrité  au  fond  du  sanctuaire,  enivré  de  trop  bonne 
heure  sans  doute  par  les  émotions  de  la  gloire,  il  se  troubla 
dès  que  le  vent  d'orage  vint  souffler  sur  son  existence  pai- 
sible. Pendant  une  tournée  qu'il  fit  sur  les  frontières  de  la 
Franche-Comté,  dans  l'abbaye  de  Lucelle,  où  il  allait  recueil- 
lir ou  copier  des  documents ,  il  fut  pris  d'une  maladie  inflam- 
matoire et  mourut  au  bout  de  quatre  jours,  calme  et  serein 


DEUXIÈME  LETTRE.  iS 

au  milieu  de  vives  souffrances,  et  consolant  les  moines  cons- 
ternés qui  entouraient  son  lit  de  douleur. 

Je  me  suis  toujours  incline  devant  la  noble  figure  de  Gran- 
didier;  s'il  avait  vécu  ,  s'il  avait  échappé  à  la  proscription  ter- 
roriste, il  aurait  sans  doute  fait  pour  les  autres  élablisse- 
ments  religieux  d'Alsace  ce  qu'il  avait  accompli  pour  les  ar- 
chives de  l'évêché;  il  aurait  continué,  mené  à  bout  l'histoire 
ecclésiastique,  politique  et  littéraire  de  notre  province;  la 
tache  de  ses  successeurs  eût  été  facihtée  dans  tous  les  sens. 
Mais  son  œuvre  incomplète,  le  beau  torse  qu'il  nous  a  légué, 
a  peut-être  mieux  servi  sa  gloire  que  ne  l'eût  fait  une  œuvre 
achevée.  Conçue  d'après  un  plan  évidemment  trop  vaste 
pour  une  histoire  provinciale,  son  histoire  de  l'Éghsc  de 
Strasbourg,  et  celle  de  l'Alsace  elle-même,  auraient  eu, 
dans  leur  totalité,  une  physionomie  bénédictine,  capable 
d'effrayer  les  hommes  du  monde;  elle  aurait  attiré  tout  au 
plus  les  intrépides  et  les  studieux.  Maintenant  on  lui  tient 
compte  des  espérances  qu'il  a  fait  naître,  et  son  image  oc- 
cupe dans  la  galerie  de  nos  célébrités  indigènes  un  rang  ana- 
logue à  celui  d'André  Chénier  dans  le  Panthéon  de  la  France 
poétique. 

En  succombant  à  sa  tâche ,  Grandidier  accomplissait  à  peine 
sa  trente-cinquième  année.  De  nombreux  honneurs  étaient 
venus  le  chercher  dans  son  asile  scientifique  :  il  était  mem- 
bre de  vingt  et  une  sociétés  savantes,  protonotaire  du  Saint- 
Siège,  grand-vicaire  du  diocèse  de  Boulogne,  chanoine  des 
chapitres  cTé  Haguenau  et  de  Neuwiller ,  chanoine  du  grand 
chœur  de  notre  cathédrale,  dont  il  avait  pieusement  décrit 
toutes  les  richesses.  Qu'aurait-il  pu  demander  de  plus,  à 
moins  d'arriver  à  l'épiscopat,  et  de  multiplier,  de  provoquer 
ces  chances  de  lutte,  qui  avaient  déjà  si  profondément  affligé 
son  cœur  dans  la  carrière  littéraire?...  Sa  fin  prématurée  ,  si 
regrettable  pour  nous,  a  laissé  à  sa  physionomie  charmante 
l'empreinte  de  la  douceur  juvénile,  et,  tout  en  échappant 
aux  tristes  ravages  de  la  vieillesse,  il  a  conquis  sur  le  théâtre 


14  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS -RHIN. 

(.'Iroit,  OÙ  la  Providence  l'avait  placé,  cette  illustration  hon- 
nête que  doit  ambitionner  le  travailleur  intellectuel  le  plus 
modeste. 

Au  sortir  de  la  terreur,  l'administration  plaça  à  la  tète  des 
archives  réunies  de  tout  le  département  un  autre  prêtre,  qui 
n'a  point  laissé  dans  le  diocèse  de  Strasbourg-  un  renom  pa- 
reil à  celui  de  Grandidier.  Je  doute  fort  que  beaucoup  de  vos 
lecteurs  connaissent  l'évêque  constitutionnel  Brendel ,  qui 
succéda,  sur  le  siège  de  Strasbourg,  au  dernier  cardinal  de 
Rohan,  et  qui  l'occupa  pendant  le  court  espace  où  quelques 
formes  de  l'ancienne  France  monarchique ,  ébranlée  par  le 
choc  de  89,  subsistaient  encore.  Le  prêtre  qui  acceptait 
l'héritage  des  anciens  prélats  pendant  ce  régime  intermé- 
diaire, cl  qui  renonçait  à  l'obédience  absolue  envers  le  Saint- 
Siège  ,  en  prêtant  le  serment  civique  à  la  nation,  ce  prêtre 
devait  encourir  la  réprobation  du  clergé  catholique,  sans  se 
faire  accepter  par  les  novateurs,  qui  voulaient  le  renverse- 
ment total  de  l'Église  et  le  règne  de  la  déesse  Raison.  Telle 
fut  à  Strasbourg  la  position  de  l'abbé  Brendel ,  dont  je  n'ai 
point  à  sciuter  ici  les  intentions,  ni  à  retracer  le  caractère. 
Je  n'ai  voulu  qu'indiquer  la  fâcheuse  destinée  de  cet  ami  et 
protégé  de  Frédéric  de  Dietrich,  cherchant  à  sauver,  dans  le 
naufrage  général  des  lois  et  des  croyances ,  quelques  débris 
de  l'ancien  sanctuaire;  momentanément  englouti  lui-même, 
il  surnagea  dans  cette  vase ,  où  se  choquaient ,  entremêlés , 
tous  les  débris  du  passé,  et  aboutit  à  une  position  obscure, 
au  fond  d'un  bureau,  où  il  échangea  contre  une  plume  et  une 
solde  en  assignats,  les  splendeurs  passagères  d'une  prélature 
contestée.  Je  n'ai  trouvé  d'autres  traces  du  passage  de  l'abbé 
Brendel  aux  archives  que  des  feuilles  d'émargement.  Sa  des- 
tinée m'inspire  une  profonde  compassion.  Il  eût  été  préférable 
pour  lui  de  manger  le  triste  pain  de  l'exil. 

Sous  le  premier  Empire  et  au  commencement  de  la  Res- 
tauration, les  archives  ,  sans  contrôle,  sans  directeur  spécial, 
demeurèrent  quelquefois  livrées  à  une  exploitation  intéres- 


DEUXIÈME  LETTRE.  15 

sée.  Il  y  a  près  de  quarante  ans,  des  employés  infidèles  se 
hasardèrent  à  couper  les  sigillés  des  anciens  litres  pour  en 
vendre  la  cire  ;  cette  mutilation  impie  a  dépouillé  de  leur  plus 
belle  parure  une  grande  partie  de  nos  anciens  documents,  et 
amoindri  leur  valeur  en  vue  d'un  profit  misérable.  L'un  des 
inculpés,  homme  d'esprit,  de  science  et  d'imagination,  expia 
sa  faute  par  une  maladie  douloureuse ,  qui  eut,  sous  la  pres- 
sion du  désespoir ,  une  issue  funeste.  Je  ne  sais  si  le  mal- 
heureux avait  jamais  entendu  parler  d'un  archiviste  de  Zurich, 
qui  dans  la  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle  livra ,  pour 
une  publication  périodique ,  des  documents  importants  entre 
les  mains  de  l'historien  Schlœzer,  et  qui  expia  son  infidélité 
sur  l'échafaud.  Nos  lois,  nullement  barbares  comme  celles  de 
l'ancienne  république  zurichoise ,  lui  auraient  appliqué  tout 
au  plus  une  peine  correctionnelle  ;  mais  cet  épouvantait  devait 
suffire  à  briser  le  ressort  vital  de  l'homme  qui  avait  failli  aux 
devoirs  élémentaires  de  sa  position  basée  sur  la  confiance ,  le 
respect  des  vieux  titres  et  l'obéissance  aveugle  au  règlement. 

Ce  déplorable  incident  appela  la  sollicitude  de  l'administra- 
tion départementale  sur  cette  partie  essentielle  du  service. 
Tandis  que  dans  d'autres  chefs-lieux  les  archives  demeuraient 
livrées  au  hasard ,  chez  nous ,  longtemps  avant  la  réglemen- 
tation officielle  de  la  matière,  des  employés  intelligents,  ap- 
pliqués et  désormais  fidèles,  s'occupaient  sans  intermittence 
du  triage  des  papiers ,  et  en  partie  de  la  coordination  des  ar- 
chives historiques. 

En  entrant  aux  archives,  je  trouvai  un  ordre  relatif  établi 
dans  beaucoup  de  fonds,  surtout  dans  la  section  ecclésias- 
tique; dans  les  archives  civiles,  antérieures  à  1790,  à  peu  près 
tout  restait  à  faire.  Je  fus ,  dans  le  premier  moment ,  saisi 
d'une  espèce  d'étourdissement,  en  vue  des  masses  qu'il  fal- 
lait aborder,  mais  soutenu,  d'un  autre  côté,  par  l'attrait  de  la 
nouveauté.  Dès  le  premier  rapport,  soumis  par  moi,  en  août 
184.0,  à  M.  Sers,  j'exprimai  en  ces  termes,  avec  l'ardeur  d'un 
néophyte,  les  sentiments  qui  m'agitaient  : 


16  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

«  Parcourir  les  documents  que  renferme  une  semblable 
((collection,  c'est  presque  faire  l'œuvre  d'un  antiquaire  qui 
«creuse  le  terrain  d'une  nécropole.  De  telles  recbercbes  ont 
«  tout  le  charme  de  l'inconnu  et  l'attrait  de  la  chance  ;  les 
«  émotions  de  la  découverte  s'y  joignent  aux  pures  jouissances 
«scientifiques  et  leur  donnent  plus  de  relief;  on  fouille  pour 
((trouver  et  pour  apprendre.  Les  richesses  que  l'archiviste 
«peut  espérer  mettre  au  jour  sont  moins  brillantes,  il  est 
«  vrai ,  que  les  statues ,  les  mosaïques ,  les  colonnes ,  les  sar- 
«cophages  déterrés  par  des  mains  intelligentes  ou  heureuses 
((  sur  le  sol  classique  de  la  Grèce  et  de  l'Italie.  Dans  les  actes 
«poudreux,  derniers  legs  des  couvents  du  moyen  âge,  il  n'y 
«a  rien  qui  fascine  les  yeux,  peu  d'idées  qui  captivent  le  cœur 
«ou  l'inteHigence.  Mais  du  moment  où  l'érudit  s'applique  à 
«  déchiffrer  ces  manuscrits ,  à  dépouiller  ces  rouleaux  entas- 
«sés  dans  les  cartons,  comme  les  momies  égyptiennes  dans 
«leur  sépulcre,  du  moment  où  le  savant,  occupé  de  recher- 
«ches  d'histoire  locale,  scrute  les  détails  de  ces  caractères 
«souvent  hiéroglyphiques  ,  à  moitié  rongés  et  effacés  par  les 
((  siècles ,  l'intérêt  qu'inspire  ce  genre  d'études  devient  tout- 
«  puissant;  comme  des  perles  enfouies  dans  les  décombres, 
((Surgissent  parfois  d'inappréciables  détails,  de  curieux  ren- 
«seignemcnts  sur  les  personnes  et  les  choses  d'un  âge  qui 
«n'est  plus;  c'est  avec  ces  pièces  de  rapport  que  l'historien 
«de  génie  reconstruit  l'édifice  du  passé  ;  l'histoire  de  la  con- 
«  quête  de  l'Angleterre  par  les  Normands ,  ce  chef-d'œuvre  de 
«l'historiographie  contemporaine,  n'a  point  d'autre  origine.  » 

Plus  d'une  fois ,  depuis  lors ,  mon  enthousiasme  primitif 
a  été  mis  à  une  pénible  épreuve.  Je  ne  crains  point  d'avouer 
que  des  découragements,  des  mécomptes,  des  fatigues  phy- 
siques vinrent  quelquefois  entraver  l'œuvre  de  patience  que 
j'entamais  avec  une  ardeur  naïve.  C'est  une  erreur  ou  une  es- 
pérance de  néophyte  que  de  croire  à  des  jouissances  inces- 
santes dans  le  labeur  journalier  d'un  archiviste;  ces  jouissan- 


DEUXIÈME  LETTRE.  17 

ces  peuvent  se  rencontrer  dans  le  clépouillemeut  de  cartons 
exclusivement  liistoriques,  de  correspondances  illustres  con- 
servées dans  les  grands  dépôts  de  l'Empire  ;  dans  une  collec- 
tion provinciale  pareille  à  la  nôtre  ;  les  documents  ayant  une 
valeur  individuelle  ,  qu'on  me  pardonne  cette  expression  im- 
propre, forment  une  imperceptible  minorité  ,  tandis  que  les 
actes  vulgaires  de  propriété ,  les  volumineux  dossiers  de  pro- 
cédure, des  comptabilités  sans  valeur  et  sans  intérêt,  occu- 
pent la  majeure  partie  des  rayons  et  désespèrent  par  leur  uni- 
forme monotonie  l'archiviste  chercheur.  Malheur  à  lui,  s'il 
n'a  d'autre  but  que  celui  de  fouiller  dans  l'intérêt  égoïste  de 
la  science^  de  fermer  les  yeux  à  l'intérêt  pratique  et  de  tour- 
ner le  dos  au  devoir  quotidien! 

Môme  dans  les  cartons  historiques,  les  chartes  ayant  une 
physionomie  précise ,  ou  recelant  des  données  profitables  à 
l'étude  des  mœurs  et  des  coutumes  anciennes ,  à  l'éclaircisse- 
ment des  faits  contestes,  à  l'interprétation  d'un  caractère 
illustre  faisant  figure  dans  les  annales  du  pays,  ces  chartes, 
dis-je,  sont  clair-semées;  les  indications  précieuses,  il  faut 
apprendre  à  les  chercher,  à  les  découvrir  au  fond  d'un  texte 
incolore  ou  diffus;  il  faut  acquérir  une  espèce  de  seconde 
vue,  un  instinct,  qui  fait,  à  l'aspect  même  superficiel  d'un 
document,  deviner  la  notion  utile  à  votre  plan  de  travail;  il 
faut  d'autres  fois  lire  entre  les  lignes,  recourir  à  l'induction. 
Que  de  fois,  après  des  journées,  des  semaines,  des  mois  de 
laborieuse  analyse,  sans  résultat  majeur  ou  appréciable,  me 
suis-je  rappelé  les  paroles  désespérantes  de  Faust: 

Wie  nur  dem  Kopf  nicht  aile  Iloff'niing  schwindet , 
Der  immerfort  an  schalcm  Zeuge  fclebt , 
Mit  gier'ger  Iland  nach  Scliœtzen  grœbt 
Vnd  froh  ist  wenn  er  Regenwûrmer  findet  ' . 


'  Comment  loiit  espoir  n'échappe  t-il  point  à  colle  pauvre  t^le  qui  s'allaclie 
oonslamment  h  des  misères,  fouille  avidement  pour  trouver  des  trésors,  et  se 
contente  en  (in  de  compte  de  quelques  vers  de  terre. 


18  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Est-ce  à  dire  que  j'éprouve  du  regret  d'avoir  appliqué  à  une 
œuvre  en  apparence  ingrate  une  longue  série  d'années?  A 
Dieu  ne  plaise!  Je  crois  d'abord  que  l'idée  d'un  devoir  accom- 
pli est  à  elle  seule  la  meilleure  réponse  à  faire  à  celui  qui 
blâmerait  l'emploi  d'un  temps  infini  en  vue  d'un  résultat  en 
apparence  peu  appréciable  ;  puis  dans  l'ordre  intellectuel , 
comme  dans  l'ordre  matériel ,  il  est  toujours  nécessaire  que 
les  uns  se  dévouent  aux  autres,  et,  si  l'on  veut  bien  me  pas- 
ser le  terme  vulgaire ,  que  le  gros  de  la  besogne  se  fasse  par 
quelques  travailleurs  obscurs,  sauf  à  voir  tirer  les  consé- 
quences par  un  artiste  plus  heureux  et  mieux  partagé;  c'est 
celte  conviction  que  j'ai  énoncée,  il  y  a  dix-neuf  ans,  en 
1841 ,  dans  mon  second  rapport  annuel  au  préfet  : 

((  En  parcourant  les  basiliques  de  notre  déparlement  et  les 
«chartes  qui  s'y  rapportent,  j'ai  été  saisi  d'un  scrupule  :  je 
«  me  suis  demandé  si  l'étude  minutieuse  du  passé ,  lorsqu'elle 
«  est  appliquée  à  un  coin  imperceptible  de  l'Europe  et  à  des 
«  élabhssements  qui  n'ont  point  pris  une  part  active  à  l'his- 
((  toire  générale,  pouvait  être  d'une  utililé  réelle  à  la  science; 
«je  me  suis  demandé  si  l'analyse  microscopique  d'une  frac- 
«  tion  d'histoire  provinciale  pouvait  jamais  attirer  l'attention 
«de  quelques  lecteurs....  je  crois  avoir  trouvé  une  solution 
((  satisfaisante  à  ce  doute,  qui  s'est  peut-èlre  élevé  dans  l'es- 
«  prit  de  plus  d'un  de  mes  confrères. 

«  Au  milieu  du  mouvement  irrésistible  qui  nous  entraîne 
«  vers  un  but  inconnu ,  à  la  veille  d'événements  qui  boule- 
«  verseront  l'Orient  et  par  contre-coup  l'Europe,  on  dirait 
«  que  la  génération  actuelle  sent  le  besoin  de  jeter  encore 
«  une  fois  un  coup  d'œil  en  arrière,  et  d'inventorier  scrupu- 
«  leusement  son  passé  historique.  Je  ne  saurais  m'expliquer 
«  autrement  cet  élan  général  et  simultané  dans  toutes  les  par- 
«  lies  de  l'Europe  vers  les  études  d'archéologie  et  de  paléogra- 
«  phie.  11  y  a  dans  la  spontanéité  avec  laquelle  on  a  parlent 
«  entamé  ces  études,  quelque  chose  qui  repousse  l'idée  d'un 


DEUXIÈME   LETTRE.  19 

«  calcul  OU  d'une  impulsion  venue  d'un  seul  point  donné. 
((  Tous  les  penseurs  se  disent.  (|ue  la  civilisation  a  failli  ])érii', 
«  il  y  a  quatorze  siècles,  et  que  le  fil  de  l'histoire  s'est  un  ins- 
«  tant  trouve  rompu ,  parce  ([u'en  face  d'une  rénovation  so- 
«ciale,  on  avait  négligé  par  incurie,  paresse  ou  désespoir, 
«d'explorer  et  de  résumer  le  passé  qui  s'abîmait.  Nous  ne 
«  voulons  plus  être  pris  au  dépourvu.  Les  esprits  secondai- 
«  res  se  condamnent  volontiers  à  une  opération  en  apparence 
«  ingrate ,  parce  qu'ils  savent  que  l'esprit  genéralisateur , 
«  que  l'homme  de  génie  destiné  à  tirer  la  quintessence  de 
«ces  actes  amoncelés  ne  se  fera  point  attendre,  et  léguera 
«  à  nos  petits-fils  un  monument  historique  dans  lequel  ils 
«pourront,  comme  dans  un  miroir  condensateur,  retrouver 
«tous  les  faits,  toutes  les  gloires,  toutes  les  souffrances  de 
«leurs  pères.  Les  monographies  historiques  sont  destinées 
«  à  être  peu  connues ,  et  à  être  oubliées  dans  la  locahté 
«même  qui  leur  a  donné  le  jour,  mais  elles  ne  disparais- 
«  sent  qu'après  avoir  servi  de  pierres  d'assise  dans  l'un  de 
«  ces  édifices  littéraires  qui  résistent  à  toutes  les  révolutions, 
«à  toutes  les  invasions,  et  à  l'apathie  intellectuelle,  bien 
«  plus  dangereuse  encore  que  le  fer  et  le  feu  des  peuples 
«  barbares.  » 

Dans  ma  prochaine  lettre,  je  me  propose  de  vous  entrete- 
nir de  l'un  des  fonds  spéciaux  de  nos  archives  civiles ,  en 
commençant  par  la  préfecture  de  Haguenau. 


-<:O^X(î>i>Ow 


20  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

TROISIÈME  LETTRE. 

I<e  fonds  de  la  préfecture  de  Hajçuenau. 

Monsieur, 

Haguenau,  qui  n'est  aujourd'hui  qu'un  chef-lieu  de  can- 
ton ,  avait  au  moyen  âge  une  bien  autre  importance  :  alors 
elle  était  pour  le  moins  l'égale  de  Strasbourg;  un  instant 
même  elle  fut  sa  rivale  favorisée  par  des  circonstances  excep- 
tionnelles. La  puissante  famille  impériale  des  HohenstaufTen 
y  avait  établi ,  du  douzième  au  treizième  siècle ,  l'une  de  ses 
résidences.  Sur  une  île  de  la  Moder,  aux  bords  de  la  Forèt- 
Sainte,  le  palais  du  grand  Frédéric-Barbarossa  rappelait  la 
splendeur  des  palais  de  Charlemagne  à  Ingelheim  et  Aix-la- 
Chapelle;  on  y  conservait  les  joyaux  de  l'empire;  les  tournois 
et  les  fêtes  chevaleresques  animaient  cette  contrée  un  peu 
austère  ;  le  cor  de  chasse  des  princes  troublait  la  solitude  des 
vieux  chênes  et  les  portiques  des  abbayes  récemment  fondées 
sur  cette  lisière  sylvestre  ;  les  poêles ,  fondateurs  de  la  litté- 
rature allemande,  y  célébraient  à  l'envi  la  guerre,  les  fleurs 
et  les  dames;  Godefroi  de  Strasbourg,  dont  la  vie  est  envelop- 
pée de  mystère,  comme  celle  du  chantre  d'Achille,  y  pro- 
menait ses  rêveries ,  et  trouvait  sous  ses  yeux  ,  dans  cette 
cour  brillante,  les  modèles  de  son  Tristan  et  de  sa  charmante 
Yseult;  l'illustre  captif,  Richard  Cœur-de-Lion  ,  y  vint  pen- 
dant quelques  journées  fugitives  conférer  avec  le  tyrannique 
Henri  Vï,  et,  au  sortir  de  cette  pénible  entrevue,  il  alla  dire 
aux  échos  de  la  prison  de  Trifels  la  vanité  des  affections  et 
des  grandeurs  humaines. 

Chaque  fois  que  l'un  des  grands  souverains  de  la  Germanie 
faisait  une  apparition  dans  ces  lieux,  il  signalait  sa  présence 
par  l'émission  de  chartes  royales  ,  dont  bon  nombre  consti- 
tuent encore  aujourd'hui  les  principaux  ornements  des  ar- 
chives de  France,  d'Italie  et  d'Allemagne.  Une  puissante  or- 


TROISIÈME  LETTRE.  21 

ganisation  municipale  put  cclore  sous  la  prolection  de  l'Em- 
pereur; les  murs  elles  tours  de  la  cité  de  Haguenau  s'ap- 
puyèrent contre  le  palais.  L'avoué  impérial  ou  le  préfet  (land- 
vogl),  dans  l'origine  simple  administrateur  des  domaines  per- 
sonnels de  son  suzerain ,  réunit  peu  à  peu  dans  ses  mains  toutes 
les  attributions  militaires  et  g-ouvernementales  ;  il  resta  h  la 
fois  l'homme  de  l'empereur,  le  protecteur  de  la  cité  aux  pieds 
du  château,  et  plus  tard  (1354),  lorsque  d'autres  villes  de 
l'Alsace  eurent  contracté,  sous  la  présidence  de  Haguenau , 
une  alliance,  le  landvogt  ou  préfet  fut  le  chef  naturel,  le  ré- 
gulateur, le  directeur  de  cette  confédération,  le  chef  en  un 
mot  de  la  décapolc  alsatique*. 

Ce  fut  l'origine  de  la  landvogtey  de  Haguenau,  terme  que 
nous  traduisons  par  ceux  de  préfecture  ou  de  grand-bailliage, 
mais  qui,  de  fait,  n'a  point  d'analogie  complète  dans  les  ins- 
titutions françaises  d'au  delà  des  Vosges. 

Je  vous  demande  pardon.  Monsieur,  de  continuer  à  faire  de 
l'histoire;  en  procédant  ainsi,  je  caractérise  le  fonds  même 
dont  j'ai  à  vous  entretenir;  sans  en  avoir  l'air,  je  reste  dans 
mon  sujet. 

Dans  l'origine,  lors  de  la  fondation  de  la  ville  de  Hague- 
nau ,  ces  vœgte  ou  landvœgte  étaient  donc  les  délégués  ou 
administrateurs  impériaux,  révocables  à  volonté.  Tel  fut  Het- 
zel,  vers  1123;  et,  cent  ans  plus  tard,  Wœlfelinus,  le  préfet 
de  Frédéric  H,  le  constructeur  des  fortifications  urbaines  en 
Alsace,  un  homme  énergique  ,  dont  la  destinée  tragique  est 
enveloppée  d'obscurité  et  dont  le  nom  n'est  arrivé  à  nous  qu'à 

^  Voici  les  noms  de  ces  dix  villes  :  Haguenau,  Wissembouig ,  Colniar , 
Schlesladt,  Obernai,  Rostieim,  Mulhouse,  Kaysersberg,  Tiiickheim  et  Miiii- 
sler.  En  -1302,  la  ville  de  Sellz ,  quelque  temps  après  celle  de  Hagenbacli, 
enfin  Landau  entrèrent  dans  la  ligue  alsalique  ;  mais  Sellz  et  Hagenbach  eu 
furent  de  nouveau  détachées;  et  lorsque  Landau  entra  dans  la  confédération, 
Mulhouse  se  rattacha  aux  cantons  suisses,  de  sorte  qu'il  est  permis  de  main- 
tenir l'expression  de  décapolc.  A  peu  d'exceptions  près,  ce  furent  toujours 
dix  villes  qui  formaient  le  cercle  d'aclion  du  landvogt  de  Haguenau. 


2:2  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

travers  le  nuage  de  la  tradition.  Après  Rodolphe  de  Habs- 
bourg ,  les  noms  des  grandes  familles  d'Alsace ,  les  noms  des 
dynastes  de  Lichtenberg,  d'Oclisenstein  ,  de  Fleckenstein,  de 
Berglieim,  de  Wangen ,  etc.  etc.  figurent  au  nombre  des 
landvœgte  ;  de  temps  à  autre,  des  princes  autrichiens,  bava- 
rois, wurtembergeois  prennent  rang  parmi  ces  dignitaires 
alsaciens  et  ne  dédaignent  point  cette  position  considérable 
sur  la  limite  occidentale  de  l'Empire.  Sous  les  empereurs  de 
la  maison  de  Luxembourg,  rois  de  Bohême,  un  nom  slave 
est  inscrit  sur  la  liste  :  le  landvogt  Borziwoy  de  Swinar  joue 
l'un  des  premiers  rôles  dans  la  longue  lutte  entre  la  ville  de 
Sti'asbourg  et  l'évC'que  Frédéric  de  Blankcnlieim  ;  étranger 
aux  intérêts  de  notre  pays,  il  s'enrichit  aux  dépens  de  ses  ad- 
ministrés et  laisse  dans  nos  annales  un  renom  détestable. 

A  partir  du  commencement  du  quinzième  siècle,  avec  l'avé- 
nemcnt  de  Robert-lc-Palatiu,  la  dignité  de  landvogt  de  Ilague- 
nau  devint  stable;  jusqu'alors  elle  avait  passé  de  main  en 
main,  non-seulement  avec  chaque  changement  d'empereur,- 
mais  au  gré  de  chacun  de  ces  souverains  et  selon  les  con- 
venances du  jour  :  pendant  un  siècle  et  demi ,  de  1408  à 
1558,  elle  resta  presque  sans  interruption  entre  les  mains 
des  électeurs  palatins.  Voici  comment  s'était  opérée  cette 
transformation  d'une  charge  à  peu  près  annuelle  en  charge 
viagère  et  presque  héréditaire. 

L'empereur  Robcrt-le-Palatin  avait  commencé  par  conférer 
la  dignité  de  langvogt  à  son  fils  Louis-le-Barbu  ;  celui-ci,  îiu 
moment  de  l'avénemcnt  de  Sigismond  de  Luxembourg,  avait 
prêté  25,000  florins  au  nouvel  empereur,  constamment  be- 
sogneux, et  il  avait  retenu ,  à  titre  de  gage ,  la  préfecture  de 
Haguenau.  Ce  gage  ne  fut  l'acheté  qu'en  1558  par  la  maison 
impériale  d'Autriche  ;  car,  dans  ce  long  intervalle,  la  dette 
primitive  de  l'Empire  avait  augmenté,  et  la  maison  palatine  , 
rivale  de  celle  d'Autriche,  trouvait  moyen  d'opposer  un  refus 
péremploire  et  de  soutenir  ses  droits  d'engagiste,  toutes  les 
fois  que  les  souverains  électifs  de  l'Allemagne  faisaient  mine  de 


TROISIEME  LETTRE.  "ZÔ 

vouloir  rentrer  cii  jouissance  de  la  préfecture  de  Haguenau , 
en  choisissant  des  préfets  dans  d'autres  maisons  princières. 
L'histoire  de  cet  engagement  et  de  ce  dégagement,  les  dé- 
mêlés, les  luttes  à  main  armée,  les  négociations  ,  tous  les  in- 
cidents occasionnés  par  la  rivalité  entre  la  maison  d'Autriche 
et  la  famille  des  électeurs  palatins,  forment  l'une  des  princi- 
pales parties  de  notre  fonds  de  la  préfecture  de  Haguenau. 
On  Y  voit  paraître,  dans  de  nombreuses  lettres  et  dans  des 
actes  de  toute  nature  ,  des  noms  bien  connus ,  tels  que  ceux  de 
l'électeur  Frédéric-le-Victorieux,  ce  précurseur  du  grand  Fré- 
déric de  Prusse  ;  de  Philippe-l'Ingénu ,  protecteur  de  l'Uni- 
versité de  Heidelberg  et  de  ses  savants  Européens  ;  de  l'élec- 
teur Otton-IIenri,  constructeur  de  la  plus  belle  façade  dans  la 
cour  du  château  des  princes  palatins  ;  de  Maximilien  I^r  d'Au- 
triche, ennemi  acharné  de  Philippe-l'Ingénu,  de  Charles V et 
de  son  frère  Ferdinand.  Ainsi,  pendant  ce  long  espace ,  et 
encore  pendant  le  siècle  qui  va  suivre  (de  1558  à  1648)  , 
l'histoire  de  la  cité  de  Haguenau  se  trouve  rattachée  à 
la  destinée  mobile,  romanesque  de  la  maison  palatine, 
puis  à  celle  de  la  maison  de  Habsbourg,  qui  donne  des 
souverains  aux  deux  mondes  ,  sans  négliger  les  intéi'êts 
quotidiens  de  la  magistrature  locale  sur  les  bords  du  Rhin. 
Une  fois  rentrée  en  possession  des  magnifiques  prérogatives 
et  des  domaines  dépendants  de  la  landvogtey ,  après  avoir 
ressaisi  l'influence  qu'elle  exerçait,  par  ces  fonctions,  sur 
les  villes  libres  d'Alsace,  la  maison  de  Habsbourg  ne  s'en 
laissa  plus  dépouiller  par  des  familles  princières  de  l'Alle- 
magne ;  elle  soutint  avec  constance ,  en  Alsace ,  la  lutte  contre 
la  Réforme,  plus  tard  contre  Mansfeld  et  les  Suédois,  et  ne 
céda  le  terrain  qu'aux  armes  réunies  de  la  Suède  et  de  la 
France.  Par  le  traité  de  Westphalie ,  la  préfecture  de  Hague- 
nau passa  entre  les  mains  de  Louis  XIV  ,  qui  conféra  le  titre 
de  préfet  ou  de  grand-bailli  d'abord  aux  d'Harcourt  et  aux 
Mazarin,  et  qui  en  fit  plus  tard  un  fief  dont  furent  investis 
successivement  les  Châtillon  et  les  Choiseul.  Mais ,  avec  l'ex- 


24  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  lUS-RIIIN. 

pulsion  de  la  maison  d'Autriche ,  la  charge  de  préfet  ou  de 
grand-bailli  de  Haguenau  avait  perdu  son  ancienne  significa- 
tion; l'autonomie  des  villes  lihres  d'Alsace  était  détruite;  les 
attaques  de  1789  n'efîacèrent  ici  qu'une  ombre. 

Je  viens  de  faire  allusion  à  deux  autres  séries  d'événements 
qui  occupent  dans  l'histoire  de  la  préfecture  de  Haguenau  une 
place  importante  ;  les  titres  de  ce  fonds  en  sont  les  témoins 
vivants  :  c'est  la  Réforme  d'abord,  puis  la  guerre  de  Trente 
ans.  On  ne  peut,  dans  nos  archives  d'Alsace,  toucher  à  au- 
cune série  de  pièces  historiques,  sans  se  trouver  en  face  de 
ces  deux  époques  de  trouble  qui  se  traduisent  sur  la  scène 
du  monde,  tantôt  en  actes  de  la  pensée  et  de  la  parole,  tantôt 
en  voies  de  fait  et  combats  meurtriers.  La  Réforme  en  Alsace 
est  venue  se  briser  en  partie  contre  Haguenau.  Déjà  elle  y 
avait  jeté  de  profondes  racines,  mais  dans  ces  murs  la  maison 
d'Autriche  était  plus  forte  qu'à  Strasbourg  et  sur  d'autres 
points  de  l'Alsace.  Les  antiques  traditions  du  pouvoir  préfec- 
toral vinrent  sans  aucun  doute  en  aide  à  la  force  matérielle  ; 
la  bourgeoisie  de  Haguenau  n'avait  pas  été  gagnée  tout  en- 
tière, comme  à  Strasbourg,  aux  doctrines  des  novateurs  reli- 
gieux, et  les  archiducs  autrichiens,  préfets  de  la  décapote, 
ainsi  que  leurs  délégués  et  lieutenants,  se  montrèrent  les  fer- 
vents soutiens  de  la  foi  de  leurs  pères.  Tel  fut  Nicolas ,  baron 
de  Pollviler';  cet  unterlandvogt  ou  sous-préfet  autrichien 
réunissait  l'énergie  et  l'audace  de  l'exécution  à  l'habileté  des 
conceptions.  Il  se  mit  à  lutter  corps  à  corps  avec  le  parti  pro- 
testant au  sein  du  conseil  de  la  cité,  et  s'appliquant  à  prouver 
par  les  textes  de  l'Ecriture  que  les  prophètes,  qui  avaient  em- 
ployé le  glaive  pour  combattre  l'erreur,  étaient  agréables  à 
Dieu  ,  il  réussit  à  comprimer  l'élément  réformiste. 

Au  moment  où  la  guerre  de  Trente  ans  éclata,  l'archiduc 
Léopold,  cardinal-évêque  de  Strasbourg,  frère  de  l'empereur 
Ferdinand  11,  reçut  des  mains  de  celui-ci  la  préfecture  de 

'  C'est  ainsi  que  s'écrit  le  nom  de  la  famille  de  Bolhviller  au  seizième  siècle. 


TROISIÈME  LETTUE.  25 

l'Alsace  inférieure  et  soutint  la  hitle  dans  le  principe.  Mais 
lorsque  l'aventureux  Mansleld  envahit  l'Alsace,  et  plus  spé- 
cialement Ilaguenau ,  avec  ses  bandes  armées,  il  fallut  bien 
céder  devant  ce  torrent  dévastateur.  Momentanément  les  dé- 
légués impériaux  rentrèrent  au  chef-lieu  de  la  décapole  ;  ils 
n'y  trouvèrent  que  des  finances  délabrées ,  l'ordre  régulier 
troublé ,  les  villages  qui  dépendaient  de  la  préfecture  brûlés 
ou  abandonnés,  les  campagnes  ravagées.  A  Haguenau  môme 
la  réaction  autrichienne  fut  à  la  fois  sanglante  et  fiscale  ;  elle 
y  détruisit  les  dernières  traces  de  l'ancienne  prospérité ,  et 
lorsque  vint  le  tour  des  Suédois,  ils  n'y  trouvèrent,  comme 
dans  le  reste  de  l'Alsace,  qu'une  population  clair-semée,  ré- 
duite au  dixième,  ayant  elle-même  besoin  d'être  sustentée. 

Rienm'est  plus  triste  que  la  correspondance  des  fonction- 
naires et  généraux  autrichiens  et  suédois  pendant  celte  époque 
de  calamité  ;  à  travers  le  voile  diaphane  des  réticences  offi- 
cielles, on  entrevoit  toute  la  cruauté  des  exactions  journa- 
lières, et  l'impitoyable  attitude  des  commissaires  impériaux 
qui  avaient  à  poursuivre  les  citoyens  ou  les  employés  com- 
promis. Les  suppliques  des  victimes,  l'intervcnfion  de  quelques 
âmes  moins  endurcies  forment  les  seuls  points  de  repos  dans 
ce  pandémonium  où  s'agite  la  force  brutale.  Pendant  le  court 
espace  de  temps  où  le  gouvernement  autrichien  avait  repris 
pied  à  Haguenau,  la  préfecture  elle-même  avait  fini  par  pro- 
tester contre  les  exactions  (avril  i63i);  elle  écrit  au  colonel 
Ascagne  Albertini  d'Ichtratzheim  (ce  nom  se  retrouve  souvent 
dans  nos  titres),  que  la  régence  d'Ensisheim  prescrit  la  levée 
de  mille  soldats  dans  un  district  où  l'on  ne  peut  plus  trouver 
cinq  cents  habitants  valides. 

Je  craindrais  d'avoir  l'air  de  charger  les  couleurs ,  en  met- 
-tant  davantage  à  jour  les  détails  hideux  cachés  dans  cette  partie 
des  titres  de  la  préfecture  de  Haguenau. 

Si,  dans  un  fonds  qui  compte  de  9,000  à  10,000  pièces, 
les  événements  historiques  occupent  une  large  place,  dont  je 
viens  d'indiquer  à  peine  les  contours,  la  partie  administra- 


26  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

live  doit  être  bien  plus  abondamment  représentée.  En  effet, 
les  nominations  de  fonctionnaires,  des  employés  et  des  agents 
de  tous  les  degrés  forment  de  volumineuses  liasses,  offrant 
une  importance  relative,  une  valeur  réelle  pour  celui  qui 
s'intéresse  au  mécanisme  de  nos  anciennes  institutions. 

Par  ces  études,  on  peut  se  convaincre  que  les  besoins  ana- 
logues des  services  publics  appellent  dans  tous  les  temps, 
sous  des  noms  différents ,  la  création  de  charges  analogues. 
Ainsi,  les  palatins,  les  empereurs,  les  archiducs  ne  pouvant 
ou  ne  voulant  résider  toujours  eux-mêmes  à  lïaguenau ,  durent 
nommer  des  délégués,  des  unterlandvogis,  qui  demeurèrent 
investis  de  la  réah"té  du  pouvoir,  surtout  dans  les  temps  de 
crise.  Je  viens  de  nommer,  à  l'occasion  des  troubles  de  la  Ré- 
forme, un  seigneur  de  Bolhviller;  il  serait  facile  découvrir 
ces  pages  de  noms  plus  ou  moins  marquants,  emj)runtés  à 
nos  grandes  familles  d'Alsace ,  qui  tour  à  tour  ont  fait  preuve , 
dans   ces  fonctions,   d'aptitude,   d'initiative,  souvent  aussi 
d'incapacité  ou  de  défaillance.  Les  relations  des  électeurs  pa- 
latins et  des  empereurs  d'Allemagne  avec  les  unterlandvogts 
de  lïaguenau  constituent,  dans  l'ensemble  de  ce  fonds,  une 
rubricjue  importante.  Sous  les  palatins,  et  en  partie  sous  l'em- 
pereur Maximilien  l^'^,  nous  voyons  passer  devant  nous  comme 
unterlandvogts  :  Émich  de  Linange,  Jean  Wildgrave  de  Dhan 
ou  Thune,  les  Fleckenslein,  les  Morimont,  les  Schenck  d'Er- 
pach,  les  Rechberg  ;  sous  les  empereurs  successeurs  de  Charles- 
Quint  et  de  Ferdinand  I^r,  ce  sont  des  Kœnigsegg,  des  Fiir- 
stenbcrg,  des  comtes  de  Soultz  et  de  Spaur  qui  occupent  ces 
charges.  A  un  rang  inférieur,  nous  trouvons  des  conseillers 
de  préfecture,  des  receveurs  généraux,  des  gardes-généraux 
des  forêts,  et  tous  ces  nombreux  agents  que  le  pouvoir  est 
obligé  de  créer.  Les  rapports  de  la  préfecture  avec  le  prévôt 
et  la  municipalité  de  lïaguenau ,  avec  la  magistrature  des  autres 
villes  impériales  faisant  partie  de  la  décapote,  et  même  avec 
celles  qui  étaient  restées  en  dehors  de  cette  fédération ,  mettent 
en  vue  une  série  d'individualités  qui,  sans  avoir  joué  un  rôle 


TROISIÈME   LETTRE.  27 

sur  le  grand  théâtre  de  l'histoire  de  l'Europe,  occupent  néan- 
moins une  place  d'affection,  d'estime  ou  d'honneur  dans  le 
souvenir  de  celui  qui  étudie  les  détails  d'une  histoire  provin- 
ciale. Il  suffit  qu'un  nom  d'ailleurs  obscur  se  reproduise  sou- 
vent dans  des  lettres  ou  des  actes  publics,  ou  qu'il  se  présenle 
encadré  dans  quelques  faits  curieux,  dans  quelques  détails 
de  mœurs,  pour  prendre  corps,  se  constituer  à  l'état  de  per- 
sonne, et  vivre  au  moins  dans  le  souvenir  de  l'homme  qui 
parcourt  ces  dossiers  inconnus.  C'est  ainsi  que  le  nom  d'Em- 
merich  Ritler,  receveur  général  de  la  préfecture  de  Haguenau 
pendant  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  se  trouvant 
sur  beaucoup  de  pages  des  pièces  qui  concernent  cette  charge, 
avait  fini  par  me  frapper;  plus  tard  j'ai  pu  me  convaincre  que 
cet  agent  des  électeurs  palatins  occupait  en  effet  une  place 
distinguée  dans  leur  estime  et  leur  confiance. 

A  l'aide  de  documents  originaux  empnmtés  à  ce  fonds,  j'ai 
pu  consigner  dans  une  monographie  sur  Hohkœnigsbourg  le 
nom  d'Albert  de  Beerwangen,  ingénieur  des  premières  an- 
nées du  seizième  siècle ,  qui  se  fait  fort  auprès  de  l'unter- 
landvogt  palatin  de  reprendre  le  château  de  Hohkœnigsbourg, 
alors  occupé  par  les  Autrichiens.  Mais  indépendamment  de 
ces  noms  isolés ,  les  villes  et  les  châteaux ,  les  chapitres ,  ab- 
bayes et  couvents  de  la  vallée  rhénane  jouent  un  rôle  consi- 
dérable dans  l'histoire  de  la  préfecture  de  Haguenau ,  dont 
l'action  s'étend  surtout  du  côté  du  Palatinat.  Landau  et  Wis- 
sembourg  se  trouvent  constamment  en  rapport  avec  la  Land- 
vogtey,  et  l'abbaye  mérovingienne  des  bords  de  la  Lauter 
fournit  aux  pièces  réunies  dans  ce  fonds  une  part  curieuse  '. 
Les  longs  démêlés  de  cette  riche  congrégation  avec  les  élec- 
teurs Frédéric-le-Victorieux  et  son  fils  Philippe ,  les  révolu- 
tions intérieures  du  cloître  bénédictin ,  les  péripéties  de  ces 


'  Voy.  V Abbaye  de  Wissembourg  ^  nionngrapliie  de  l'archiviste  du  Das- 
liliiii.  —  Le  foiuis  (Je  la  préfecture  de  Haguenau  a  beaucoup  contribué  à  la 
rédaction  de  cet  opuscule. 


28  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

guerres  entre  l'autorité  laïque  et  l'autorité  cléricale,  la  figure 
sauvage  de  Jean  de  Dratt ,  grand-maréchal  de  l'électeur  pala- 
tin, qui,  du  fond  de  son  château  de  Berbelstein,  inquiète  les 
bénédictins  de  l'abbaye,  les  appels  en  cour  de  Rome  et  les 
foudres  lancées  par  le  Vatican  contre  l'ambitieux  électeur  et 
son  acolyte,  forment  dans  l'histoire  de  la  préfecture,  mêlée  à 
ces  débats,  les  pages  les  plus  dramatiques. 

Jean  de  Dratt  avait  déjà  passé  à  l'état  de  personnage  légen- 
daire '  ;  les  titres  trouvés  dans  le  fonds  de  la  prélecture  de 
Haguenau,  ont  servi  à  le  ramener  sur  le  terrain  de  la  réalité, 
à  adoucir  peut-être  quelques  aspérités  de  son  caractère  fictif 
et  à  dissiper  quelques  nuages  qui  voilaient  sa  carrière  agitée 
et  turbulente.  La  chapelle  écartée  qui,  sur  les  confins  du  Pa- 
laliriat  et  de  l'Alsace,  abrite  le  monument  funéraire  de  cet 
homme  au  corps  et  au  cœur  d'acier,  ne  sera  jamais  un  lieu 
de  pèlerinage,  mais  c'est  bien  certainement  ifnc  localité  mar- 
quée au  coin  d'une  renommée  anormale. 

La  guerre  des  paysans,  quelque  passagère  qu'elle  ait  été,  a 
laissé  de  profondes  traces  à  Wissembourg,  l'une  des  villes  de 
la  décapole  ;  elle  en  a  de  même  laissé  dans  le  fonds  qui  nous 
occupe.  Des  notes  historiques  en  latin  constatent  quelques- 
uns  des  incidents  de  la  lutte  du  prolétariat  contre  les  castes 
privilégiées  du  seizième  siècle,  et  les  conditions  de  la  paix 
conclue  sous  la  médiation  du  baron  de  Morimont,  sous-préfet 
de  Haguenau ,  conditions  plus  dures  et  plus  barbares  que  la 
lutte  elle-même  ne  l'avait  été. 

La  sécularisation  de  l'abbaye  de  Wissembourg  (IS^^) ,  et 
après  la  mort  de  l'abbé  prévôt  Rudiger  (1545),  les  discussions 
de  l'électeur  palatin  avec  le  chapitre  de  Wissembourg,  enfin 
l'incorporation  de  ce  chapitre  à  l'évêché  de  Spire  se  trouvent 
constatées  dans  une  série  de  pièces  de  correspondances. 

Ces  indications ,  prises  dans  mon  rapport  au  préfet  du  Bas- 


'  Hans  Trapp,  l'épouvanlail  des  onfanls. 


TROISIÈME  LETTRE.  29 

Rhin',  doivent  suffire  pour  donner  une  idée  approximative  de 
la  variété  de  ce  fonds.  Je  craindrais  d'abuser  de  la  patience 
de  vos  lecteurs  en  puisant  davantage  dans  mon  ancien  travail 
et  dans  mes  souvenirs. 

Le  contraste  des  localités  et  de  leur  destination  cpie  j'ai 
déjà  fait  remarquer  à  propos  du  bâtiment  même  des  archives 
du  Bas-Rhin ,  se  montre  d'une  manière  plus  frappante  encore 
dans  l'aspect  des  lieux  où  siégeait  le  représentant  de  l'empe- 
reur à  Haguenau.  Cette  antique  résidence,  déjà  fort  endom- 
magée par  les  vicissitudes  du  seizième  siècle  et  de  la  guerre 
de  trente  ans,  disparut  tout  à  fait  dans  un  cruel  incendie,  qui 
consuma  en  1677  une  partie  de  Haguenau  pendant  la  guerre 
entre  l'Empire  et  la  France.  Il  est  impossible  aujourd'hui  d'en 
retrouver  ou  reconnaître  aucune  trace,  sauf  quelques  subs- 
tructions  dans  le  ht  de  la  Moder,  visibles  lorsque  les  eaux  sont 
basses  et  mettent  à  jour  quelques  pauvres  débris  de  l'un  des 
édifices  les  plus  splendides  du  moyen  âge.  Sur  l'emplacement 
même  où  s'élevait  la  demeure  du  maître  et  où  flottait  la  ban- 
nière de  l'Empire,  à  la  place  de  la  chapelle  historique  qui 
abritait  les  insignes  du  pouvoir  impérial  de  Charlemagne ,  se 
dressent  maintenant  les  murs  d'une  maison  de  détention;  et 
le  malheureux  rebut  de  la  population  féminine  se  cache  à  tous 
les  yeux,  sur  le  sol  même  où  s'épanouissait,  il  y  a  sept  siècles, 
la  fleur  de  la  chevalerie. 

Je  pourrais  multiplier  indéfiniment  ces  points  de  compa- 
raison, montrer  un  simple  juge  de  paix  siégeant  aujourd'hui 
à  la  place  de  l'ancien  prévôt  impérial  (Sclmllheiss)  ;  un  con- 
seil municipal  remplaçant  l'ancienne  magistrature  souveraine 
de  Haguenau  ;  les  pouvoirs  militaires  et  administratifs  du  land- 
vogt  transférés  au  général  commandant  la  (Hvision  militaire 
et  aux  deux  préfets  du  Haut  et  du  Bas-Rhin;  mais,  en  plaçant 
ainsi  la  ville  actuelle  à  côté  de  la  cité  des  Hohenstauffen,  des 

'Rapport  sur  le  fonds  de  la  prôfecUire  de  Haguenau,  1.S56,  I  vol.  in-12, 
12o  pages. 


30  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

Luxembourg,  des  électeurs  palatins,  des  Habsbourg-,  en  sup- 
primant les  siècles  intermédiaires,  je  serais  injuste  pour  la 
situation  présente;  je  ferais,  pour  l'amour  des  contrastes,  un 
tableau  inexact.  Pour  rendre  justice  à  la  vitalité  et  à  l'aspect 
de  Haguenau  en  1860,  il  faut  se  rappeler  qu'elle  avait  été 
anéantie  au  dix-septième  siècle,  et  que,  tout  en  ne  remon- 
tant pas  à  la  bauteur  de  ses  destinées  premières,  son  sort  au- 
jourd'hui et  sa  prospérité  croissante  paraîtraient  dignes  d'en- 
vie à  la  plupart  des  communes  cantonales  de  l'Empire.  Il  y  a 
bien  des  villes  d'arrondissement  et  plusieurs  chefs-lieux  de 
préfecture  qui  n'ont  ni  la  population,  ni  les  ressources,  ni 
l'avenir  de  Haguenau  ;  son  passé  historique  même  fait  partie 
de  sa  fortune  patrimoniale,  et  les  archives  de  la  localité  ré- 
cèlent dans  leur  riche  collection  de  chartes  impériales  et  mu- 
nicipales les  plus  beaux  titres  de  gloire  d'une  cité. 


QUATRIÈME  LETTRE.  31 


QUATRIEME  LETTRE. 

FoiiiIm  de  rintenilance  d'Alsace.  —  laCS  Intendants.  — licur  histoire  et 
celle  de  l'institution.  —  Contenu  soniuiaire  du  fonds.  —  Ce  Cfui  ne 
n'y  trouve  pas.  —  lies  travaux  publics.  —  lies  flefs.  i—  lies  ramilles 
des  feudatalres. 


Monsieur, 

L'établissement  des  intendants  de  France  remonte  à  Riche- 
lieu ;  ce  puissant  génie  fit  de  cette  institution  le  plus  actif 
instrument  de  surveillance  et  de  centralisation.  Bien  plus  in- 
fluents que  les  préfets  d'aujourd'hui,  les  intendants  des  pro- 
vinces réunissaient  entre  leurs  mains  des  pouvoirs  adminis- 
tratifs, judiciaires,  financiers;  un  intendant  était,  dans  le 
ressort  de  son  gouvernement,  la  tête  du  pouvoir  ;  le  gouver- 
neur militaire  n'en  était  que  le  bras. 

C'était  quelque  chose  d'inouï,  sans  doute,  que  cette  réu- 
nion d'attributions  entre  les  mains  d'un  seul  fonctionnaire; 
confier  à  la  fois  la  police  et  les  impôts ,  l'honneur,  la  bourse 
et  en  quelque  sorte  la  vie  des  citoyens  à  un  seul  homme ,  c'é- 
tait presque  tenter  la  Providence.  Le  succès  a  donné  gain  de 
cause  au  grand  cardinal.  Il  fallait,  pour  comprimer  les  émeutes 
et  les  révoltes  de  la  féodahté ,  cette  impulsion  active  et  inces- 
sante partie  d'un  seul  point.  Tout  ce  qui  émane  de  Richelieu 
inspire  un  sentiment  d'admiration  ,  de  respect  et  de  terreur. 
C'est  lui  qui  a  préparé,  qui  a  rendu  possible  la  grandeur  de 
la  France.  Mazarin,  Louis  XIV  et  Napoléon  ï^r  le  savaient  bien  ; 
ils  ont  continué  ou  repris  son  œuvre. 

Après  la  conquête  et  la  réunion  de  l'Alsace,  le  premier  soin 
de  Mazarin  fut  d'y  envoyer  un  intendant.  Au  nombre  de  ces 
fonctionnaires  qui  résidaient  d'abord  dans  le  Haut-Rhin, 
nous  trouvons  un  frère  du  grand  Colbert,  M.  Charles  Colbert 
de  Croisy,  qui  fut  plus  tard  ambassadeur  en  Angleterre,  plé- 
nipotentiaire au  congrès  de  Nimègue  et  ministre  secrétaire 


32  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

d'Etat.  Il  a  écrit  des  mémoires  sm-  l'Alsace  et  les  trois  évè- 
chés  de  Metz,  Toul  et  Verdun;  mais,  quels  que  soient  ses  mé- 
rites, son  nom  reste  écrasé  par  celui  de  son  illustre  frère; 
sans  ce  voisinage,  il  aurait  brillé  d'un  éclat  plus  grand  parmi 
les  hommes  d'Etat  que  le  siècle  de  Louis  XIV  a  fait  éclore. 
Comme  intendant  d'Alsace,  Colbert  de  Croisy  prépara  l'œuvre 
difficile  de  l'assimilation;  ses  successeurs  ont  marché  sur  ses 
traces,  avec  un  esprit  de  suite  qu'aucune  résistance  locale  ne 
décourageait. 

M.  de  Lagrange ,  le  premier  intendant  qui  vint  résider  à 
Strasbourg  après  la  réunion  de  cette  ville  à  la  France,  M.  de 
Lagrange  était ,  eu  toute  ciiconstance,  le  docile  exécuteur  des 
volontés  de  son  maître.  Dominique  Dietrich  ,  l'ammeislrc  de 
Strasbourg,  en  apprit  quelque  chose.  Lorsque,  brisé  par  son 
exil  à  Guéret  et  à  Vesoul ,  le  vieux  magistrat  strasbourgeois 
revint  dans  sa  ville  natale,  il  respirait  à  peine  sous  la  surveil- 
lance de  l'intendant  ;  les  volets  de  ses  fenêtres  ne  s'ouvraient 
plus;  et  ce  vieillard,  autrefois  si  énergique  et  si  habile,  main- 
tenant l'ombre  de  lui-même,  expira  dans  la  solitude  que  fai- 
sait autour  de  lui  le  délégué  du  })ouvoir  royal. 

Mais  les  temps  d'une  compression  exceptionnelle  cessèrent  ; 
sous  une  administration  active  et  intelligente,  les  profondes 
blessures  de  la  guerre  de  Trente  ans  et  de  celles  de  Louis  XIV 
avec  l'Empire  furent  peu  à  peu  cicatrisées  ;  la  population  tripla  ; 
le  commerce  et  l'industrie,  les  travaux  publics ,  à  l'état  d'en- 
fance avant  la  période  française,  prirent  un  développement 
rapide;  tous  les  dossiers  du  fonds  de  rintcndance  d'Alsace  font 
preuve  de  l'intervention  incessante  et  de  l'initiative  du  gou- 
vernement français.  Les  noms  de  MM.  de  Vanolles  (intendant 
de  1744  à  1750),  de  Lucé  (1753  à  17G4) ,  de  Blair  (1764  à 
1778),  de  la  Galaizière  (1779  à  1789)  se  retrouvent  sur  toutes 
les  pages  de  notre  histoire  provinciale  pendant  la  seconde 
moitié  du  dix-huitième  siècle.  C'est  dans  leurs  salons  ,  oij  ré- 
gnait l'urbanité  la  plus  exquise,  que  commença  l'œuvre  de 
fusion  des  deux  nationalités.  La  politesse,  la  grâce,  l'esprit 


QUATRIÈME  LETTRE.  33 

prit  opérèrent  mieux  que  n'aurait  fait  la  violence  ou  l'ordre 
impérieux. 

J'ai  essayé  de  retracer  dans  un  autre  cadre  *  cette  irrésis- 
tible action  des  salons  français  à  Strasbourg.  L'Intendance 
donna  la  main  au  prestige  militaire,  à  la  littérature  et  au 
théâtre  ,  pour  captiver  les  âmes ,  et  gagner  à  la  France  intel- 
lectuelle et  politique  les  caractères  qui  jusqu'alors  ne  s'étaient 
point  plies  à  l'ordre  de  choses  élabh  par  la  paix  de  Westphalic 
et  le  traité  signé  à  Illkirch.  L'élite  des  savants  allemands  de 
l'Université  de  Strasbourg  rendit  hommage  à  cette  toute-puis- 
sance du  génie  français.  Le  retentissement  de  la  gloire  de 
Voltaire,  réfugié  pendant  plusieurs  années  dans  un  vallon  du 
Haut-Rhin ,  ne  fut  pas  sans  écho  dans  ces  réunions  de  Stras- 
bourg et  dans  celles  de  la  magistrature  de  Golmar  ;  les  mon- 
dains se  laissaient  prendre  au  charme  de  cette  voix  de  vieille 
sirène  ;  les  cœurs,  avides  d'une  autre  nourriture ,  s'attachaient 
aux  perspectives  enchanteresses  que  leur  ouvrait  Racine  ;  la 
foi  trouvait  des  arguments  nouveaux  dans  la  hante  éloquence 
de  Bossuet  et  de  Fénelon  ;  et  l'homme  pratique ,  l'homme 
d'affaires  s'inclinait  devant  un  gouvernement  qui  traçait  et 
exécutait  de  nouvelles  routes  à  travers  les  hauteurs  jusqu'alors 
inaccessibles  des  Vosges,  qui  multipliait  les  ponts,  creusait 
des  canaux,  forçait  le  Rhin  à  couler,  encaissé,  entre  des 
digues,  aménageait  avec  intelligence  les  vastes  forêts  de 
la  montagne  et  de  la  plaine,  encourageait  les  plantations  du 
tabac  et  de  la  garance,  constiuisait  des  palais,  des  hôtels, 
des  casernes,  des  arsenaux,  élevait  de  nouveaux  remparts  et 
montrait  avec  orgueil  le  drapeau  victorieux  de  Fontenoy  en 
face  de  l'aigle  amoindrie  de  l'Empire  germanique. 

C'estdanslescarlonsderintendance,  dans  les septàhuit  mille 
pièces  formant  leur  contenu  ,  que  l'œil  exercé  peut  trouver  le 
secret  de  cette  influence  gouvernementale  de  plus  en  plus  forte 


■i  La  ville  et  l'Université  de  Strasbourg  en  1770.  —  Mémoires  du   Con 
grès  scientifique  de  1842,  vol.  I,  p.  05  a  82. 

3 


34  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

et  étendue.  Sans  doute ,  la  Révolution  de  89  a  soudé  davan- 
tage encore  les  liens  qui  attachaient  depuis  1648  l'Alsace  à  la 
France,  elle  a  eiïacé  les  anomalies  politiques  qui  subsistaient 
dans  l'administration  intérieure  du  pays  et  sur  lesquelles  j'au- 
rai l'occasion  de  revenir  en  traitant  les  fonds  des  petites  prin- 
cipautés allemandes  qui  restaient  enclavées  dans  notre  pro- 
vince. Mais  89  ne  fut,  à  tout  prendre,  en  Alsace^  que  la  dé- 
claration officielle  et  solennelle  d'un  fait  préparé  en  silence 
depuis  cent  quarante  ans.  L'administration  de  l'Intendance 
s'était  si  bien  infiltrée  dans  toutes  les  habitudes,  elle  avait  si 
bien  envahi  les  principautés  soi-disant  indépendantes,  le  ré- 
seau couvrait  si  bien  tout  le  territoire,  que  89  aurait  changé 
peu  de  choses  à  la  surface  et  même  au  cœur  du  pays,  si  les 
violences  de  la  Terreur,  les  perturbations  dans  les  finances 
publiques,  la  guerre  avec  l'étranger  et  contre  les  consciences 
n'avaient  troublé  la  paix  du  foyer  domestique  et  ébranlé  le 
sol  jusque  dans  ses  fondements. 

Si  j'ai  réussi.  Monsieur,  à  vous  donner  une  idée  de  l'In- 
tendance comme  institution ,  et  à  rendre  palpable  son  in- 
fluence sur  les  mœurs  et  les  affaires  publiques,  ma  tâche  est 
aux  trois  quarts  remplie  ;  car ,  à  l'aide  de  ces  contours  en  ap- 
parence étrangers  aux  archives  mêmes,  j'ai  indiqué  à  l'avance 
le  contenu  des  cartons  de  cette  administration  et  magistra- 
ture provinciale.  Mes  lecteurs  bénévoles  auront  deviné  avec 
vous,  avant  que  je  le  leur  aie  dit,  que  les  papiers  de  l'Inten- 
dance doivent  toucher,  de  près  ou  de  loin,  à  toutes  les  ques- 
tions qui  ressortissent  au  gouvernement  civil  d'une  grande  et 
riche  province.  Cependant,  avant  de  rendre  palpable,  par 
quelques  exemples ,  le  genre  d'affaires  traitées  par  l'intendant, 
je  vous  demanderai  la  permission  de  dire  ce  qui  ne  se  trouve 
pas  dans  ce  fonds,  quoiqu'on  soit  tenté  de  l'y  chercher. 

En  abordant  l'Intendance,  il  y  a  vingt  ans,  je  pensais  que 
l'acte  de  la  réunion  de  Strasbourg  à  la  France  devait  y  avoir 
laissé  des  traces;  il  n'en  fut  rien  ;  au  bout  de  quelques  mois 
je  pus  me  convaincre  que  toutes  les  pièces  relatives  à  cetévé- 


QUATRIÈME   LETTRE.  35 

nemenL  historique,  ou  bien  n'avaient  jamais  été  recueillies  et 
déposées  dans  les  bureaux  de  l'Intendance,  ou  qu'elles  avaient 
disparu.  Il  m'en  coûta  de  renoncer  à  l'espoir  d'éclaircir  quel- 
ques points  demeurés  obscurs  dans  la  reddition  de  Strasbourg 
et  de  faire  connaître  la  vérité  sur  quelques  hommes  mêlés 
aux  négociations  qui  ont  précédé  l'entrée  de  Louvois  et  de 
Louis  XIV.  Dans  mon  premier  rapport  au  préfet  du  Bas-Rhin, 
j'ai  consigné  ce  désappointement;  plus  récemment,  en  m'oc- 
cupant  de  la  biographie  de  Dominique  Dietrich,  j'ai  éprouvé 
de  nouveaux  regrets,  oiseux  au  fond,  car  je  suis  convaincu 
maintenant  que  les  actes  les  plus  confidentiels  de  cette  année 
mémorable  de  1681  n'apprendraient  rien  ou  peu  de  chose  sur 
la  prétendue  trahison  des  magistrats  qui  ont  signé  le  traité.  Il 
est,  dans  l'histoire,  une  série  de  faits  qui  s'accomplissent 
d'une  manière  irrésistible,  parce  qu'ils  sont  habilement  pré- 
parés de  longue  main  ou  amenés  par  la  force  des  choses.  Du 
jour  où  le  dauphin  Louis  (XI) ,  à  la  tête  de  ses  Armagnacs , 
avait,  dans  la  première  moitié  du  quinzième  siècle,  mis  le 
pied  en  Alsace,  du  moment  où  Henri  II,  au  seizième,  avait 
fait  une  promenade  militaire  jusque  sous  les  murs  de  Stras- 
bourg, la  politique  de  la  France  devait  tendre  à  l'envahisse- 
ment de  cette  province  frontière  et  de  sa  capitale.  L'anar- 
chie de  l'Empire  devait  tôt  ou  tard  amener  ce  moment,  sans 
qu'il  fût  besoin  d'une  corruption  systématique  appliquée  aux 
hommes  influents  de  la  localité.  Les  armes  de  Turcnne  (1674- 
1675),  l'habileté  de  Louvois,  la  couardise  de  Léopold  ,  voilà 
quels  furent  les  moteurs  de  la  conquête  de  l'Alsace  et  de 
Strasbourg  par  le  gouvernement  de  Louis  XIV.  Il  serait  temps 
d'en  finir  avec  des  commérages  indignes  de  la  grande  his- 
toire ,  et  de  ne  plus  attribuera  quelques  chaînes  d'or  ou  à  des 
pensions  envoyées  de  Versailles,  la  reddition  de  la  ville  libre 
et  impériale. 

Une  série  de  cartons  bien  fournie  dans  l'Intendance  est  sans 
contredit  celle  des  travaux  publics,  ponts  et  chaussées,  af- 
faires de  rivières  et  de  cours  d'eau.  Ce  sont  des  plans ,  devis , 


3G  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

états  estimatifs ,  arrêtés ,  lettres  etc. ,  concernant  différentes 
routes  et  voies  fluviales  de  la  Basse-Alsace.  Je  professe  un 
grand  respect  pour  le  corps  des  ingénieurs  contemporains , 
mais  sans  déprécier  pour  cela  leurs  devanciers  du  dix-huitième 
siècle.  Toute  cette  partie  de  l'administration  répondait  évi- 
demment aux  besoins  de  l'époque.  Les  chefs  de  service  con- 
sultent souvent  ces  cartons. 

Nous  possédons  aussi ,  dans  ce  même  fonds  de  l'Inten- 
dance ,  une  série  complète  de  plans  cadastraux  de  toutes  les 
communes  du  Bas-Rhin,  plans  magistralement  exécutés, 
quelques-uns  il  y  a  plus  d'un  siècle ,  et  qui  ont  une  valeur 
positive  encore  de  nos  jours.  Je  fais  une  supposition  qui  n'a 
rien  d'impossible  ni  d'absurde:  si,  après  de  grands  cata- 
clysmes sociaux,  de  pareils  dessins  lopographiques  se  trou- 
vaient miraculeusement  conservés  au  bout  de  mille  ou  deux 
mille  ans,  n'auraicnl-ils  point  alors  une  valeur  analogue  à 
celle  que  la  table  de  Peuliiiger  eut  pour  les  routes  et  les  loca- 
lités de  l'Empire  romain  d'Occident?....  Ne  reirouverait-on 
pas  dans  notre  collection  de  plans ,  pour  une  partie  de  l'Em- 
pire français,  des  notions  précises  sur  la  culture  des  terres 
au  dix-huitième  siècle,  sur  l'étendue  relative  du  ban  des 
communes  etc.? 

Une  partie  capitale  du  fonds  de  l'Intendance  est  celle  des 
fiefs;  elle  a  une  valeur  historique,  parce  que  la  féodalité  n'existe 
plus;  et,  en  effet,  beaucoup  de  titres  de  cette  catégorie  sont 
antérieurs  aux  autres  papiers  de  l'Intendance,  qui  ne  remon- 
tent guère  au  delà  des  premières  années  du  dix- huitième 
siècle.  Le  gouvernement  avait  demandé,  en  avriHVoG,  un 
relevé  de  tous  ses  vassaux  en  Alsace  et  des  fiefs  possédés 
par  eux.  C'est  l'intendant  M.  de  Lucé  qui  procéda  à  ce  grand 
travail  ;  l'on  fit  consigner  les  résultats  dans  un  volume  in- 
folio,  manuscrit  qui  pourra  toujours  servir  à  constater  la 
situation  d'une  partie  de  notre  noblesse  territoriale  à  cette 
époque.  En  même  temps,  les  nobles  étant  tenus  de  justifier 
de  leurs  droits  à  chaque  vacance  de  fief,  ils  produisirent  des 


QUATRIÈME   LETTRE.  37 

titres  historiques  et  des  litres  de  famille  dont  la  collection  est 
conservée  dans  noire  fonds. 

Je  sais  parfaitement  que  la  noblesse  d'Alsace  n'a  point  une 
valeur  historique  égale  à  celle  de  l'aristocratie  seigneuriale 
en  d'autres  parties  de  la  France  ou  de  l'Allemagne  ;  nous  n'a- 
vons pas  de  noms  à  placer  à  côté  de  ceux  de  Dugueschn  ou 
de  Bayard,  de  Gœtz  de  Berlichingen,  de  François  de  Sickin- 
gen,  d'Ulrich  de  Ilutten.  Les  noms  de  nos  chevaliers  et  de 
notre  noblesse  territoriale  sont  moins  retentissants;  mais 
pour  nous  ils  ont  une  inappréciable  importance;  ils  ont  droit 
à  notre  souvenir  ,  ne  serait-ce  que  parce  que  nous  avons  ap- 
pris, dès  notre  enfance,  à  prononcer  ceux  de  leurs  familles 
et  de  leurs  châteaux ,  à  visiter  les  ruines  de  ces  castels  au 
cœur  de  nos  forêts  de  sapins,  et  à  connaître,  dans  beaucoup 
de  représentants  de  ces  dynastes ,  des  prélats  qui  ont  illustré 
le  siège  épiscopal  de  Strasbourg,  des  magistrats  qui  ont  siégé 
dans  le  conseil  des  empereurs  d'Allemagne  ou  dans  le  sénat 
de  nos  libres  cités.  Quand  nous  nous  trouvons  en  face  des 
d'Andlau ,  des  Berckheim ,  des  Berstett,  des  Bœcklin  de 
Bœcklinsau ,  des  Dielrich ,  des  Dûrckheim ,  des  Fugger ,  des 
deGail ,  des  Holzapfel  de  Herxheim  ,  des  Kageneck ,  des  Joham 
de  Mundolsheim,  des  Landsberg,  des  Mûllenheim  ,  des  Ober- 
kirch  ,  des  Rathsamhausen  ,  des  Reich  de  Reichenslein ,  des 
de  Rosen,  des  Streilt  d'Immendingen,  des  Schauenburg,  des 
Wangen  de  Géroldseck,  des  Waldner  de  Freundstein,  des 
Wetzel  de  Marsilien,  des  Voltz  d'Altenau,  des  Wurmser,  des 
Zorn  de  Bulach ,  —  et  presque  toutes  ces  familles  figurent 
dans  nos  dossiers,  —  il  faudrait  ne  pas  avoir  de  sang  alsacien 
dans  les  veines  pour  rejeter  sur  un  arriére-plan  ou  regarder 
d'un  œil  de  dédain  les  documents  produits  à  l'effet  de  cons- 
tater une  filière  non  interrompue  d'aïeux.  Il  n'est  point  donné 
à  tout  noble  prisonnier  de  faire  payer  sa  rançon  «  par  les 
fileuses  de  la  Bretagne  »  ;  il  n'est  point  donné  à  tout  chevalier 
de  mourir,  couvert  de  gloire,  dans  les  champs  d'Italie  en 
face  d'un  connétable  de  Bourbon;  mais  il  n'est  pas  une  des 


38  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHLX. 

familles  que  je  viens  de  citer,  qui  n'ait  inscrit  l'un  ou  l'autre 
de  ses  membres  dans  les  fastes  de  notre  province  ;  quelques- 
uns  d'entre  eux  ont  môme  une  renommée  plus  vaste  et  plus 
éclatante.  Dans  les  lettres  d'investiture,  qui  forment  la  ma- 
jeure partie  des  titres  féodaux ,  on  retrouve  presque  toute  la 
filière  des  empereurs  d'Allemagne  à  partir  de  la  maison  de 
Luxembourg  et  d'Autriche.  Puis,  comme  les  terres  féodales, 
avant  de  se  trouver  entre  les  mains  des  feudataires  enregistrés 
dans  le  grand  livre  de  1756,  avaient  appartenu  à  d'autres  fa- 
milles nobles,  la  trace  de  ces  dernières  peut  se  poursuivre 
dans  nos  dossiers ,  et  nous  remontons  ainsi  au  cœur  du  moyen 
âge  par  une  échelle  naturelle  et  facile.  Enfin,  ces  terres, 
tenues  en  fief  par  les  descendants  ou  les  héritiers  de  nos 
dynastes ,  sont  disséminées  dans  toute  l'Alsace  ;  il  s'ensuit 
qu'en  parcourant  les  lettres  patentes,  les  lettres  privilèges,  la 
correspondance,  les  procédures  qui  composent  les  cartons 
des  fiefs,  on  fait  un  véritable  cours  de  géographie  locale;  on 
traverse  au  pas  de  course  nos  bourgs,  nos  villages  ,  nos  ha- 
meaux, nos  censés,  nos  forets ,  nos  montagnes  et  nos  ruines  ; 
ce  qui  ne  laisse  pas  que  d'avoir  quelque  intérêt  dans  ces 
études  au  microscope. 

Je  vous  entends.  Monsieur,  qui  m'interrompez  pour  me 
reprocher  la  manie  des  détails.  Je  reconnais  bien  là ,  direz- 
vous ,  le  travailleur  qui  pense  qu'après  avoir  creusé  un  sil- 
lon dans  un  champ  stérile,  toutes  les  inflexions  de  cette  ligne 
tracée  par  ses  mains  vont  prendre  un  intérêt  quelconque 
pour  celui  qui  ne  veut  embrasser  qu'un  pays  tout  entier  du 
haut  d'une  montagne.  Montre-nous,  laboureur,  l'ensemble 
de  ta  moisson,  et  fais-nous  grâce  de  la  glèbe  que  ta  charrue  a 
traversée  ! 

A  ces  reproches,  à  ces  sommations.  Monsieur,  je  n'ai  rien 
à  répondre.  J'ai  soulevé  moi-même,  dès  l'origine,  quelques 
doutes  puisés  dans  l'aridité  apparente  et  dans  la  circonscrip- 
tion étroite  du  terrain  que  je  laboure.  Aussi  ne  proposerais-je 
point  à  un  habitant  de  Paris  ou  de  l'intérieur  de  la  France  de 


QUATRIÈME  LETTRE.  39 

me  suivre  dans  cette  marche  à  traînée  d'escargot  à  travers  les 
cantons  ou  les  villages  d'un  département  frontière  ;  je  crain- 
drais ,  rien  qu'en  reproduisant  ces  noms  barbares  où  l'élé- 
ment germanique  domine,  de  troubler  son  oreille  et  de  char- 
ger inutilement  sa  mémoire.  Mais  ici ,  n'est-ce  pas,  nous  par- 
lons à  un  auditoire  plus  restreint,  qui  porte  quelque  affection 
à  ces  communes  dont  il  connaît  les  clochers,  à  ces  familles 
dont  il  a  vu  ou  dont  il  voit  encore  les  représentants? 

N'avons-nous  pas  tous  visité  le  château  d'Andlau  et  sa  pit- 
toresque vallée?  N'avons-nous  pas,  beaucoup  d'entre  nous, 
touché  la  main  de  l'un  des  braves  descendants  de  ces  comtes 
qui  étaient  contemporains  des  Hohenstauffen?  Serai-je  mal 
venu  si,  pour  faire  connaître  la  nature  des  titres  dont  je  vous 
entretiens,  je  dis  que  les  seigneurs  d'Andlau  tenaient  des  fiefs 
à  Ammerschwihr ,  à  Andlau  même  et  dans  ses  environs ,  à  Berg- 
heim,  à  Itterswiller,  à  Blienschwiller,  àBernardswiller  ;  puis 
àAugst  prés  des  ruines  de  l'ancienne  colonie  romaine,  à  Sis- 
sach  dans  le  canton  de  Bàle ,  à  Ensisheim ,  à  Issenheim ,  à  Boll- 
willer,  à  Ottmarsheim  prés  de  la  rotonde  carlovingienne?... 

J'en  passe,  et  des  meilleurs Ne  pensez-vous  pas  que,  sans 

être  indiscret,  je  pourrais  citer  des  lettres  d'investiture  éma- 
nées, en  leur  faveur,  des  empereurs  Wenceslas  et  Sigis- 
mond ,  de  Charles-Quint,  de  Ferdinand,  de  Léopold,  etc., 
puis  rappeler  le  long  litige  entre  la  famille  de  ces  dynastes  et 
l'abbaye  d'Andlau  pour  la  jouissance  des  fiefs  et  du  péage 
dans  le  val  d'Andlau,  et  le  procès  des  deux  branches  de  la 
famille  même  pour  le  château  de  Wittenheim.  Ne  pourrai-je, 
à  propos  des  fiefs  tenus  par  les  Dûrckheim  ,  indiquer ,  parmi 
les  titres  annexés  à  leurs  demandes,  un  traité  ou  une  paix 
caslrense  {Biircjfrieden) ,  conclue,  en  lo(S9,  entre  Henri  Ecke- 
brecht  de  Dûrckheim ,  Henri  de  Lichtenberg  et  Robert,  comte 
palatin  du  Rhin  ?  Ne  pourrai-je  désigner  leurs  fiefs  à  Haguenau, 
à  Huncbourg,  à  Seltz,  au  Wasichcnstein ,  à  Weilbruch ,  au 
château  cyclopéen  de  Windeck ,  illustré  par  la  défense  hé- 
roïque de  l'un  des  membres  de  leur  famille?  Mais  non  ,  vous 


40  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

me  donnez  un  avertissement  significatif;  je  ferme  le  grand 
livre  des  fiefs  pour  ne  le  rouvrir  que  sur  demande  contresi- 
gnée par  le  secrétaire  général  de  la  préfecture. 

Et  les  juifs,  Monsieur,  admettez-vous  que  je  vous  parle 
d'eux?  Voici  leurs  pétitions  nombreuses,  pour  se  faire  ad- 
mettre dans  les  communes  d'Alsace;  ils  sont  chassés  par  Ma- 
rie-Thérèse ,  par  la  mère  de  Joseph  II  !  Ils  viennent  chercher 
un  refuge  chez  nous!  Voici  l'opposition  qu'ils  rencontrent,  la 
persécution  tantôt  sourde,  tantôt  patente  qu'ils  essuient  même 
en  France  !  voici  des  mémoires  contre  eux  ;  puis-je  les  ana- 
lyser?... Non,  car  les  juifs  sont  admis  au  rang  des  citoyens 
français;  ce  serait  plaider  une  cause  gagnée,  ce  serait  faire 
une  Iliade  après  Homère  ! 

...Les  fêtes  royales  et  princières  peut-être  vous  agréent  !  Il 
sera  permis  de  parler  des  solennités  qui  ont  marqué  la  venue 
de  Louis  XV  le  Bien-Aimé,  après  sa  maladie  et  sa  convales- 
cence à  Metz?  ou  bien  l'accueil  fait,  en  MAI,  à  laDauphinc, 
et,  en  1770,  à  Marie-Antoinette?...  Les  programmes  de  toutes 
les  réceptions  offîciclles  se  ressemblent,  et  je  devine  votre 
impatience...  Nos  liasses  de  l'Intendance  ne  contiennent,  à 
ce  sujet,  que  les  invitations,  l'appareil  extérieur  de  ces  fêtes; 
mais  ils  évoquent  involontairement  chez  moi  d'autres  sou- 
venirs. 

L'arrivée  de  l'archiduchesse  d'Autriche  ,  son  entrée  en 
France,  près  du  pont  du  Rhin,  dans  un  pavillon  tapissé  de 
Gobelins  qui  représentent  les  scènes  les  plus  funestes  et  les 
plus  sanglantes  de  la  mythologie  grecque,  a  fait  naître  des 
pressentiments  sinistres  dans  l'esprit  d'un  jeune  étranger  qui 
assiste,  inconnu  encore  au  monde,  à  cette  scène  en  appa- 
rence triomphale.  Le  jeune  Gœthe  est  au  milieu  de  cette  foule 
idolâtre,  et  son  âme  de  poëte  est  involontairement  saisie  par 
des  rapprochements  auxquels  l'histoire  ne  donnera  point  de 
démenti. 

Le  Rhin  que  la  Dauphine  vient  de  traverser,  occupe  dans 
les  cartons  de  l'Intendance  une  place  marquante.  Au  nombre 


QUATRIÈME  LETTRE.  41 

des  pièces  qui  concernent  la  navigation  du  fleuve,  se  trouvent 
des  extraits  ou  des  copies  de  règlement  de  batellerie  du  qua- 
torzième et  du  quinzième  siècle,  des  mémoires  surlecom'sdu 
Rhin  depuis  Bàle  jusqu'à  Cologne,  des  réclamations  de  bate- 
liers ou' de  négociants,  des  procès-verbaux  de  conférences 
tenues  entre  des  délégués  de  la  tribu  des  bateliers  de  Stras- 
bourg et  des  députés  de  l'électeur  palatin  etc.  La  question  de 
la  libre  navigation  du  Rhin  était  déjà  agitée  au  milieu  du  dix- 
huitième  siècle;  elle  l'a  été  si  longtemps  que  l'établissement 
des  chemins  de  fer  sur  les  deux  rives  a  eu  la  bonne  chance  de 
la  trancher  en  la  rendant  presque  surannée  et  superflue. 

Dans  les  nombreux  mémoires  plus  ou  moins  curieux  se 
trouve  une  notice  sur  l'hôtel  même  de  l'Intendance  et  sur  sa 
construction  (1741).  On  sait  que  le  préteur  Klinglin  l'avait 
fait  élever  à  peu  prés  en  entier  sous  son  nom,  mais  aux  frais 
de  la  ville,  et  qu'il  trouva  moyen  de  le  revendre  très-cher  au 
gouvernement,  qui  établit  le  siège  de  son  représentant  civil 
dans  ce  palais.  Cette  scandaleuse  affaire  devint  plus  tard  un  des 
chefs  d'accusation  contre  le  préteur  prévaricateur.  A  l'heure 
présente  on  ne  se  préoccupe  plus  de  l'origine  de  ce  bel  édi- 
fice ;  l'habitant  de  Strasbourg  n'y  voit  plus  que  l'hôtel  de  la 
préfecture,  et  quelquefois  la  résidence  temporaire  des  princes 
et  des  souverains  qui  traversent  Strasbourg.  A  quelques  pas 
delà,  l'hôtel  de  Deux-Ponts  (maintenant  la  division  militaire), 
un  peu  plus  loin ,  l'hôtel  de  Darmstadt  (la  mairie) .  forment 
avec  l'ancien  hôtel  de  l'Intendance  un  ensemble  qui  imprime, 
dans  ce  quartier,  à  la  ville  de  Strasbourg  une  physionomie  de 
petite  résidence  allemande.  Dans  mes  prochaines  lettres,  je 
vous  entretiendrai,  si  vous  voulez  bien  le  permettre,  des  fonds 
de  Deux-Ponts  et  de  Hanau-Lichtenberg  (Darmstadt)  qui  se 
rattachent  à  ces  édifices  mêmes  ,  ou  plutôt  à  l'histoire  et  aux 
antécédents  des  princes  qui  les  ont  construits  et  habités. 


42  ARCHIVES  DÉPARTEMEJN TALES  DU  BAS-RHIN. 


CIIVQUIEME  LETTRE. 

Fond.s  du  «liiché  de  Deux-Ponts.  —  l.e  prince  ytax  de  Deux-Pon<s,  ses 
ancêtres,  sa  fanaille.  —  Possessions  des  princes  de  Deu\-Ponts  en 
Alsace.  —  Risciiwiiler.  Caractère  de  cette  ville.  —  Ia's  réformés  de 
Biscliwllier.  —  Culture  du  tabac  eu  Alsace.  —  l<es  mines  de  Sniutc- 
9Iarie. 

Monsieur, 

Pendant  les  années  qui  ont  précédé  la  révolution  de  1789, 
nos  pères  et  nos  grands-pères  ont  pu  voir  souvent  passer  dans 
les  rues  de  Strasbourg  un  jeune  et  brillant  colonel  du  régi- 
ment de  Royal-Alsace;  sa  physionomie  souriante,  ouverte, 
gagnait  les  cœurs,  et,  ce  qui  n'y  gâtait  rien,  ce  beau  mili- 
taire était  de  race  ducale;  il  comptait  des  empereurs  et  des 
rois  au  nombre  de  ses  aïeux;  son  frère  aîné  possédait  en  toute 
propriété,  mais  sous  la  suzeraineté  de  la  France,  les  bail- 
liages de  Bischwiller,  de  Seltz,  de  Cléebourg,  de  La  Petite- 
Pierre,  de  Gulenberg  et  le  comté  de  Ribeaupierre. 

Ce  colonel ,  ce  prince  allemand  au  service  du  roi  de  France, 
était  Maximilien-Joseph  de  Birkenfeld-Deux-Ponls  ,  plus  tard 
électeur  et  enfin  roi  de  Bavière. 

Je  demande  la  permission  de  dire  quelques  mots  de  lui,  de 
sa  famille ,  de  ses  ascendants  et  quelques  mots  aussi  de  sa 
principauté  en  Alsace*,  avant  d'aborder  le  fonds  qui  dans  nos 
archives  porte  le  titre  de  duché  de  Deux-Ponts.  Le  détour  que 
je  fais  n'est  cpi'apparent ;  nous  arriverons  au  même  but,  seu- 
lement par  un  chemin  un  peu  moins  ennuyeux  et  moins  obs- 
cur que  si  je  vous  plaçais,  de  prime  abord,  au  milieu  des 
liasses  presque  toutes  d'un  médiocre  intérêt,  qui  constituent 
le  fonds  des  archives  de  ladite  principauté. 

'Je  dis  sa  principauté ,  quoique  son  frère  aîné  Charles  vécût  encore  dans 
ce  temps;  mais  ce  frère  aîné  n'avait  point  d'enfants,  et  l'on  savait  que  le 
prince  iMax  lui  succéderait  dans  le  duché  de  Deux-Ponts. 


CINQUIÈME  LETTRE.  43 

Je  n'établirai  point  ici  le  tableau  généalogique  très-com- 
plexe et  Irès-étendu  de  notre  prince  Max  ;  je  ne  dirai  que  ce 
qui  est  strictement  nécessaire  pour  apprécier  son  illustre  ori- 
gine, et  faire  comprendre  comment  sa  famille  se  trouvait  pos- 
séder des  seigneuries  sur  le  territoire  français*. 

Le  fondateur  de  la  maison  de  Bavière  et  de  la  maison  élec- 
torale-palatine, est  Otton  de  Wittelsbach  (1180),  l'ami  elle 
protégé  de  l'empereur  Frédéric  Barberousse.  Nous  ne  suivrons 
pour  le  moment  que  la  destinée  de  la  brancbe  palatine  qui  se 
détache,  au  quatorzième  siècle,  du  tronc  principal,  et  four- 
nit, en  1400,  un  empereur  à  l'Allemagne,  dans  la  personne 
de  Robert-le-Palatin,  un  roi  à  la  Scandinavie,  dans  la  per- 
sonne de  Christophe,  roi  de  l'Union  du  Nord  (iMO),  et  un 
roi  éphémère  à  la  Bohême,  dans  la  personne  de  l'électeur  Fré- 
déric (1619).  Cette  branche  électorale  palatine  se  divise  et  se 
subdivise,  dans  le  cours  du  quinzième  et  du  seizième  siècle,  en 
plusieurs  rameaux,  pour  se  réunir  et  se  fondre  de  nouveau, 
à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  en  un  seul  tronc.  Je  me  borne 
à  indiquer  ces  subdivisions,  en  nommant  les  maisons  deSim- 
mern ,  de  Deux-Ponts  ,  de  Cléebourg ,  de  Neubourg  ,  de  Soultz- 
bach,  de  Birkenfeld.  La  maison  ou  le  rameau  de  Cléebourg 
fournit  trois  rois  au  trône  de  Suède.  Ce  sont  Charles  X, 
Charles  XI  et  Charles  XII ,  les  rivaux  des  rois  de  Pologne ,  de 
Danernarck  et  du  czar  Pierre-le-Grand. 

En  1731,  Gustave-Samuel,  duc  de  Deux-Ponts,  comte  de 
Cléebourg,  cousin  ou  oncle  à  la  mode  de  Bretagne  de  CharlesXlf, 
meurt  sans  laisser  d'enfants  ;  alors  Christian ,  comte  de  Bir- 
kenfeld, l'un  des  collatéraux  de  Gustave-Samuel,  réunit  Deux- 
Ponts  et  Cléebourg  à  ses  terres  patrimoniales.  Ce  Christian 
est  le  grand-père  du  colonel  de  Royal-Alsace. 

<  Je  renvoie  ceux  de  mes  lecleurs  qui  seraient  curieux  de  plus  amples 
détails  chronologiques  el  généalogiques  ,  à  mou  rnpport  de  l'année  t818,  im- 
primé a  la  suite  des  délibérations  du  Conseil  général  el  aux  Tableaux  généa- 
logiques de  la  maison  de  Bavière,  t.  lit  des  Révolutions  de  l'Europe^  par 
Koch. 


44  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

Ainsi  la  perspective  s'agrandit;  le  chef  d'une  petite  princi- 
pauté alsacienne  et  palatine  se  rattache  par  ses  pères  au  grand 
théâtre  de  l'histoire  européenne,  et  lui-même  à  son  tour  fera 
souche  royale. 

Cette  transformation  s'opéra  sous  l'Empereur  Napoléon  \^^, 
et  grâce  à  la  volonté  de  ce  fondateur  de  la  Confédération  du 
Rhin. 

Le  prince  Max  avait  toujours  aimé  la  France  ;  il  regardait 
l'Alsace  comme  sa  seconde  patrie.  Son  fils  aîné,  Louis,  est 
né  à  Strasbourg  (en  1786),  à  l'hôtel  même  de  Deux-Ponts. 

Toutes  les  fois  que  le  prince  Max,  élevé  à  la  dignité  de  roi, 
voyait  arriver  à  sa  cour  de  Munich  un  Alsacien  ou  un  habi- 
tant de  Strasbourg,  il  le  questionnait  affectueusement  sur  les 
localités  où  s'était  écoulé  le  meilleur  temps  de  sa  vie ,  le  temps 
où  il  avait  aimé,  où  il  avait  parcouru  nos  belles  montagnes 
et  noué  des  amitiés,  auxquelles  il  restait  fidèle  sur  son  trône 
de  moderne  création. 

Voici  comment  il  avait  été  porté  à  cette  haute  fortune  : 

La  maison  ducale  de  Bavière,  issue  d'Olton  de  Witlelsbach  , 
et  de  l'empereur  Louis  de  Bavière ,  s'était  éteinle  en  1777  dans 
la  personne  de  l'électeur  Maxiniilien-Joseph ,  fils  de  l'éphé- 
mère empereur  Charles  Vil.  Alors  le  représentant  le  plus 
proche  dans  la  branche  collatérale  (palatine)  succéda  ;  c'était 
Charles-Théodore,  électeur  palatin  résidant  à  Mannheim. 
Celui-ci  à  son  tour  étant  mort  en  1799,  sans  héritier  direct, 
le  plus  proche  agnat  dans  les  branches  palatines,  Maximilien- 
Joseph  ,  duc  de  Deux-Ponts-Birkenfeld  recueillit  la  totalité  de 
l'héritage  bavarois;  il  devint  électeur,  et  sept  ans  plus  tard 
roi  de  Bavière.  L'antique  maison  de  Wittelsbach  vil  renaître 
en  lui  sa  splendeur  première.  Je  vous  ferai  plus  grand  que  ne 
l'ont  été  tous  vos  ancêtres ,  avait  dit  Napoléon ,  et  il  tint  parole  *  ! 

Louis,  son  fils,  lui  succéda  en  1825;  il  se  fit  le  prolecteur 

1  L'une  des  filles  du  roi  Max ,  la  princesse  Auguste ,  épousa  le  vice-roi 
d'Italie,  le  prince  Eugène  Beauharnais  ;  elle  est  la  tante  de  l'Empereur  Napo- 
léon III. 


CINQUIÈME  LETTRE.  45 

des  arts  dans  rAllemagne  méridionale;  il  est  le  vrai  créateur 
de  Munich  moderne,  de  ces  palais,  de  ces  galeries,  de  ces 
musées,  de  ces  basiliques,  où  se  pressent  journellement  des 
voyageurs  venus  des  quatre  coins  de  l'Europe  et  de  l'Amé- 
rique pour  voir  et  admirer  ;  nobles  édifices ,  peintures  épiques , 
qui  formeront  le  vrai  titre  de  gloire  de  leur  patron,  et  plaide- 
ront sa  cause,  malgré  sa  gallophobie, passionnée. 

Le  fils  du  roi  Louis ,  Maximilien  II ,  le  roi  actuel  de  Bavière, 
cultive  et  protège,  comme  avilit  fait  son  père,  l'art  dans  ses 
plus  belles  manifestations;  il  réunit  dans  ses  salons  les  poêles 
et  les  littérateurs  les  plus  distingués  de  l'Allemagne  contem- 
poraine. Dans  l'ancienne  cité  de  Minerve,  Otton  l^^ ,  roi  de 
Grèce,  frère  de  Maximilien  II,  représente  la  civilisation  mo- 
derne au  pied  de  l'Acropole,  sur  les  confins  de  l'Orient. 

Certes,  il  est  permis  d'affirmer  que  les  destinées  de  la  mai- 
son de  Bavière,  écloses  sous  la  main  puissante  de  l'Empereur 
Napoléon,  n'étaient  et  ne  sont  pas  inférieures  à  celles  que 
l'empereur  Frédéric  I^'"  avait  faites  à  Otton  de  Wittelsbach  et 
à  ses  descendants. 

Vous  me  demanderez  maintenant,  à  bon  droit,  comment 
des  bailliages  situés  dans  la  Basse-Alsace  étaient  échus  à  une 
branche  de  la  maison  palatine  ;  comment  il  a  pu  arriver  que 
des  descendants  d'Otton  de  Wittelsbach,  duc  de  Bavière, 
vinrent  à  posséder  une  seigneurie  dans  la  Haute-Alsace. 

Dans  une  de  mes  dernières  lettres,  j'ai  déjà  fait  paraître  la 
grande  figure  de  Frédéric-le-Victorieux ,  électeur  palatin,  qui 
joue,  dans  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  le  rôle 
d'un  conquérant  au  petit  pied  sur  les  bords  du  Rhin ,  et  de- 
vance, par  la  manière  dont  il  compose  et  discipline  son  armée 
peu  nombreuse,  les  allures  et  les  hauts  faits  de  Frédéric-le- 
Grand,  roi  de  Prusse. 

Cet  électeur  belliqueux  s'empara,  d'une  part,  du  château 
et  du  bourg  de  Bischwiller,  puis  de  la  Sibérie  alsacienne,  du 
comté  de  La  Petite-Pierre,  enfin  de  la  ville  de  Phalsbourg 
(alors  Einartshausen).  Après  des  péripéties  que  je  dois  passer 


46  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

SOUS  silence,  pour  ne  pas  trop  allonger  ce  récit,  Bischwiller 
échut,  au  commencement  du  dix-septième  siècle,  à  la  maison 
palatine  de  Deux-Ponts,  et  passa  définitivement,  au  dix-hui- 
tième siècle,  avec  l'héritage  de  celle-ci,  à  la  branche  palatine 
de  BirkenfekP. 

Quant  au  comté  de  Ribeaupierre  ou  de  Rappolstein ,  celte 
belle  seigneurie,  —  qui  comprenait,  dans  la  partie  la  plus 
pittoresque  de  l'Alsace,  les  trois  châteaux,  la  ville  de  Ribeau- 
villé ,  Guémar,  Zellenbcrg,  Berghcim,  Sainte-Marie-aux- 
Mines  etc.,  —  était  échue  par  mariage,  dès  iC73,  à  la  mai- 
son de  Birkenfeld".  Ce  fut  la  main  habile  et  puissante  de 
Louis  XIV  qui  s'était  entremise  dans  cette  succession. 

Ainsi,  Maximilien-Joseph,  le  colonel  français,  le  prince 
germanique  de  Birkenfeld,  qui,  au  moment  de  la  Révolution 
française  n'était  que  le  fils  puîné  d'une  petite  maison  souve- 
raine, et  ne  possédait  en  toute  propriété  que  son  épée  et  son 
régiment,  lequel  allait  se  fondre  dans  la  grande  armée  répu- 
blicaine, —  Max-Joseph  qui,  en  4795,  même  après  la  mort 
de  son  frère,  le  duc  régnant  de  Dcux-Ponts-Birkenfeld,  n'avait 
que  des  droits  désormais  problématiques  sur  des  seigneuries 
alsaciennes ,  se  vit ,  par  un  concours  de  circonstances  inat- 
tendues, dès  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  porté  vers  des 
destinées  exceptionnelles.  11  pouvait  presque  dire  comme 
Saiil ,  fils  de  Kis ,  qu'il  était  sorti  à  la  recherche  du  trou- 
peau nourricier  de  son  père,  et  qu'il  avait  lini  par  trouver  un 
royaume. 

Une  partie  des  possessions  de  l'ancienne  maison  palatine 
appartient  encore  aujourd'hui  au  royaume  de  Bavière  ;  c'est 

'  La  maison  de  Birlienfeld  avait  déjà  possédé  Biscliwiller  au  dix-septième 
siècle  comme  engagisie. 

^r^e  prince  Christian  II  de  Birlienfeld  avait  épousé  l'une  des  fdles  de 
Jean-Jacques,  dernier  comte  de  Bibeaupierre.  Il  est  le  bisaïeul  du  prince 
Max.  Je  fais  remarquer  en  passant,  que  Frédéric,  père  de  Max,  de  luthérien 
qu'il  était,  se  fit  catholique  en  1746.  —  Les  Deux-Ponts  étaient  réformés- 
calvinistes. 


CINQUIÈME  LETTRE.  47 

Deux-Ponts  et  la  i)artie  de  l'ancien  Palatinat  qui  est  située 
sur  la  rive  gauche  du  Rhin;  mais  les  bailliages  alsaciens, 
indiqués  plus  haut,  sont  restés.  Dieu  merci,  dans  le  ressort 
des  deux  départements  du  Rhin;  c'est  à  ceux-là  que  se  rap- 
porte le  fonds  de  nos  archives,  dont  je  compte  vous  entre- 
tenir. 

L'administration  ou  la  régence  de  ces  petits  bailliages  avait 
été  établie  à  Bischwiller  dès  le  dix-septième  siècle  ;  aussi  la 
plupart  de  nos  papiers  sont-ils  relatifs  à  cette  ville  qui  con- 
serve, dans  sa  métamorphose  actuelle,  les  traces  de  l'ancien 
gouvernement  allemand.  Bischwiller  avait  commencé  par  être 
une  ferme  épiscopale  {episcopi  villa')  qui  passa  entre  les  mains 
de  plusieurs  seigneurs,  et,  après  la  conquête  de  Frédéric-le- 
Viclorieux,  un  moment  même  à  l'empire.  Rentrée  sous  la 
domination  d'une  branche  de  la  maison  palatine,  elle  vit , 
dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  l'introduction  de 
la  réforme  zwinglienne  ;  enfin,  en  4618,  des  calvinistes  fran- 
çais ,  fabricants  et  commerçants,  y  furent  appelés  par  le  duc 
de  Deux-Ponts.  De  la,  cette  population  réformée,  qui  consti- 
tue encore  aujourd'hui  le  noyau  delà  petite  ville  industrielle  ; 
de  là  cet  aspect  de  colonie  morave,  qui  imprime  à  Bischwiller 
une  physionomie  particulière.  La  ville  et  le  pays  sont  à  l'unis- 
son; plaine  austère,  peu  accidentée,  que  traverse  la  Modcr, 
rivière  mélancolique,  utilisée  par  les  usines;  horizon  de  fo- 
rêts qui  forment  une  demi-ceinture  à  l'entour  de  cette  enclave 
puritaine,  oi^i  la  population  des  fabriques  se  discipline  sous 
une  tutelle  intelligente  et  paternelle. 

J'ai  déjà  fait  pressentir  que  le  fonds  du  duché  de  Deux- 
Ponts,  c'est-à-dire  de  cette  partie  du  duché,  qui  était  formée 
par  les  bailliages  alsaciens,  est  moins  remar(|uable  que  d'au- 
tres parties  de  nos  archives.  Je  ne  vous  laisserai  point  feuil- 
leter les  liasses  de  la  comptabilité  et  des  titres  de  propriété 
vulgaires  ;  mais  consentez  à  me  suivre  ,  un  instant,  dans  celte 
période  de  l'admission  des  réformés  français,  qui  signale  à 
Bischwiller  le  commencement  de  la  guerre  de  Trente  ans. 


4-8  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Les  nouveaux  arrivants,  j'emj3runte  les  détails  à  une  cor- 
respondance du  bailliage  de  Bischwiller ,  les  nouveaux  arri- 
vants avaient  demandé  à  la  régence  de  Deux-Ponts  la  faveur 
de  célébrer  le  culte  divin  dans  leur  langue  maternelle.  Un 
pasteur  français,  Didier  de  Mageron ,  avait  été  consacré  par  les 
pasteurs  et  les  anciens  de  l'église  de  Bàle  et  envoyé  à  Bisch- 
willer. Mais  à  peine  installé,  le  minisire  de  l'Évangile,  peu 
content  de  200  florins  d'appointements,  mal  logé  d'ailleurs, 
commence  à  se  plaindre  ;  et  pour  ajouter  à  ses  tribulations  , 
son  confrère  allemand,  le  pasteur  Emmerich,  le  dénonce  à  la 
régence  comme  réfractaire  aux  ordres  du  duc  et  du  synode 
de  l'église  réformée  allemande.  A  peine  cette  affaire  paraît- 
elle  réglée,  que  Mageron  demande  un  sauf-conduit  au  duc  de 
Deux-Ponts ,  pour  se  rendre  en  Lorraine  où  l'appellent  des 
affaires  de  famille,  et  où  son  père ,  le  capitaine  de  Mageron, 
catholique  fervent,  ne  manquera  pas  de  le  persécuter.  Leduc 
obtempère  à  ce  vœu  ;  mais  à  peine  le  pasteur  français  est-il 
parti ,  que  les  réformés  français  donnent  de  nouveaux  sujets 
de  mécontentement  au  pasteur  allemand ,  qui ,  de  son  côté , 
paraît  ne  pas  avoir  été  d'une  facile  composition.  Mageron  re- 
vient de  son  voyage  de  Lorraine ,  et  les  frottements  repren- 
nent ;  c'étaient  évidemment  des  antij)alhies  de  races  et  de  na- 
tionalité qui  se  manifestaient  au  sein  de  la  communauté  pro- 
testante :  tantôt  ce  sont  des  discussions  sur  les  heures  de  ser- 
vice, tantôt  sur  la  construction  d'une  nouvelle  église;  quel- 
quefois des  questions  touchant  au  dogme  viennent  se  mêler 
aux  causes  matérielles  de  ressentiment.  Pendant  toute  cette 
période  de  détresse,  les  dissensions  intérieures  se  mêlent  aux 
malheurs  pubhcs  qui  en  sont  en  partie  la  cause  et  l'occasion, 
La  fabrique  de  l'église  et  le  trésor  ducal  étaient  dans  une  égale 
pénurie.  En  16!23^  les  malheurs  de  la  guerre  frappent  Bisch- 
willer ;  la  maison  curiale  est  saccagée  et  devient  inhabitable  ; 
une  autre  fois  il  y  a  impossibilité  de  parfaire  le  traitement  du 
pasteur.  Enfin,  en  1648,  le  duc  Chrétien  de  Birkenfeld  et  la 
duchesse  sa  femme,  font  un  legs  à  la  cure  française,  qui  dès 


CINQUIÈME  LETTRE.  .  49 

lors  paraît  avoir  été  mieux  pourvue ,  car  les  demandes  ne  se 
renouvellent  plus. 

Au  moment  oi^i  le  premier  pasteur  français  avait  été  installé 
à  Biscliwiller ,  on  avait  aussi  songé  à  un  maître  d'école  pour 
la  petite  colonie  française.  Après  bien  des  pourparlers,  on 
avait  obtenu  la  création  de  cet  emploi  modeste  ;  un  certain 
Gérard  élait  entré  en  fonctions  avec  une  bien  misérable  solde  ! 
Et  pourtant  cette  pauvre  place  fut  vivement  sollicitée  en  1G52, 
par  un  savant,  par  le  sieur  François  Lépicier,  ancien  précep- 
teur de  la  princesse  Louise  de  Deux-Ponts.  Je  ne  sais  si  le 
pétitionnaire  obtint  l'emploi,  et  si,  après  avoir  donné  des 
leçons  à  uneducliessc,  il  fut  trouvé  propre  à  enseigner  le  ca- 
téchisme et  la  grammaire  aux  enfants  des  fabricants  et  des  ar- 
tisans de  Bischwiller. 

De  même  qu'à  Bischwiller,  il  existait  une  petite  colonie  de 
réformés  français  à  Anweiler,  près  de  Landau.  Il  paraît  qu'en 
1663,  le  pasteur  Pache  passa  de  cette  paroisse  dans  celle  de 
Bischwiller,  et  qu'à  cette  occasion  il  s'éleva  entre  les  deux 
communautés  une  discussion  où  le  duc  fut  obligé  d'interve- 
nir. Dans  ces  temps  de  vives  croyances,  c'étaient  les  fidèles 
qui  se  disputaient  les  membres  chargés  de  la  cure  d'àmes  ; 
sans  compter  qu'il  devait  être  difficile,  au  sein  d'un  pays  oij. 
dominait  la  langue  allemande ,  de  se  pourvoir  de  pasteurs 
français. 

A  l'année  1684  se  rapporte  la  nomination  d'un  prédicateur 
de  la  cour  de  Bischwiller;  ce  qui  implique  la  résidence  des 
comtes  de  Birkenfeld,  qui,  depuis  quarante-quatre  ans,  te- 
naient la  ville  à  titre  de  gage  de  leurs  cousins  de  Deux-Ponts. 

A  l'aide  des  titres  du  bailliage  de  Bischwiller  ,  on  peut  cons- 
tater l'introduction  de  la  culture  du  tabac  en  Alsace.  En  1629, 
l'année  même  où  Bischwiller  fut  brûlée,  l'un  des  colons  fran- 
çais. Benjamin  iMauclerc,  revendique  l'honneur  d'avoir  le 
premier  cultivé  la  nicotiane  à  Bischwiller  et  à  Hanhofen.  Il 
se  vantait  surtout  d'avoir  fait  subir  à  la  feuille  de  cette  plante 
une  préparation  si  bien  appropriée  au  goût  du  public ,  que  sa 


50  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS -RHIN. 

marchandise,  acceptée  et  approuvée  par  le  commerce,  se 
vendait  jusque  dans  les  Pays-Bas,  exactement  comme  le  tabac 
des  colonies.  La  réclamation  de  Mauclerc  est  dirigée  contre 
un  habitant  de  Metz  qui  avait  aussi  commencé  à  planter  le 
tabac,  mais  qui,  dans  la  préparation,  falsifiait  le  produit.  Sur 
cette  pétition ,  le  duc  Jean  de  Deux-Ponts  accorde  à  Mauclerc 
un  privilège  qui  fait  naître  une  nouvelle  réclamation  de  la  part 
des  bourgeois  Aubertin  et  Solcourt  ;  ceux-ci  à  leur  tour  veulent 
se  livrer  à  la  culture  du  tabac,  et  à  l'appui  de  leur  pétition, 
ils  joignent  un  extrait  de  la  capitulation  de  iG18 ,  qui  permet 
aux  colons  français  établis  à  Bischwiller,  de  se  livrer,  selon 
leur  convenance ,  à  tout  métier. 

Mauclerc,  dans  un  autre  mémoire,  cherche  à  réfuter  les 
objections  de  ses  adversaires;  il  les  engage  «à  continuer 
l'exercice  de  leur  profession  de  passementier,  qui  n'est  point 
à  l'état  de  chômage»  ,  et  il  s'applique  à  prouver  que  la  prépa- 
ration du  tabac  exige  des  connaissances  qui  manquent  à  ses 
concurrents  et  qui  pourraient  tourner  au  détriment  de  la  santé 
publique.  La  décision  du  bailli  de  Bischwillcr  est  favorable  à 
Mauclerc  ;  la  régence  de  Deux-Ponts  se  prononce  dans  le  même 
sens;  mais  les  concurrents  ne  se  tiennent  point  pour  battus, 
ils  continuent  à  empester  la  ville  ella  campagne.  Celte  affaire 
litigieuse  traîne  pendant  deux  ans  et  au  delà.  Solcourt ,  irrité 
de  sa  déconfiture ,  a  cherché  à  répandre  parmi  le  peuple  de 
la  campagne  l'idée  que  la  planlafion  du  tabac  est  malsaine 
et  produit  la  pluie  et  les  brouillards  malfaisants.  La  déci- 
sion finale  porte  que  les  deux  partis  auront  à  s'abstenir  de 
planter  du  tabac.  A-t-on  respecté  cette  défense,  faite  au  mi- 
lieu des  troubles  de  la  guerre  de  Trente  ans?  Je  l'ignore  et 
nos  dossiers  n'en  parlent  point  ;  mais  ce  qui  demeure  établi , 
c'est  l'introduction  première  de  cette  culture  par  les  réfugiés 
français. 

Les  autres  bailliages  qui  se  rattachent  à  cette  régence  de 
Bischwiller-Deux-Ponts,  étaient  en  partie  situés  dans  le  Pa- 
latinat;  le  résidu  de  leurs  titres,  dans  nos  archives ,  offre 


CINQUIÈME   LETTRE.  51 

peu  d'intérêt.  Dans  le  bailliage  de  Cléebourg  on  a  commencé 
à  exploiter  les  mines  dès  le  commencement  du  dix-huitième 
siècle,  et  cette  circonstance  mérite  d'être  mentionnée,  puis- 
que dans  les  mêmes  cantons  ou  dans  leur  voisinage  cette  ex- 
ploitation a  pris  depuis  lors  un  prodigieux  essor.  Un  dossier 
de  4748  à  1766  est  relatif  aux  mines  d'asphalte  prèsdeSoultz 
et  de  Lampertsloch. 

Les  mines  de  Sainte-Marie  au  val  de  Lièpvre  ont  aussi  une 
rubrique  dans  ce  fonds  de  Deux-Ponts.  Un  mémoire,  rédigé 
au  dix-huitième  siècle,  constate  la  découverte  de  ces  mines 
vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  sous  Brunon  ou  Braun  de  Ri- 
beaupierre.  L'existence  de  ce  dynaste,  qui  est  bien  l'un  des 
caractères  les  plus  astucieux  de  son  temps  et  l'un  des  sei- 
gneurs alsaciens  les  plus  malfamés  dans  ce  siècle  de  perfidie, 
aurait  donc  été  marquée  au  moins  par  un  fait  utile. 

Les  mines  de  Sainte-Marie  au  val  de  Lièpvre,  s'il  faut  en 
croire  le  même  rapport,  furent  abandonnées  en  1636,  puis 
reprises  en  1711  par  quelques  bourgeois  de  Strasbourg,  avec 
la  permission  du  prince  de  Birkenfeld. 

Ces  papiers  de  la  seigneurie  de  Ribeauvillé  ne  se  trouvant 
qu'incidemment  sur  noire  chemin,  je  ne  me  crois  point  le 
droit ,  malgré  votre  indulgence ,  de  m'y  arrêter  plus  longtemps , 
quelque  riche  en  événements  et  en  caractères  originaux  que 
soit  précisément  ce  domaine.  Mais  la  longue  route  que  je  dé- 
sire vous  faire  suivre  m'empêche  de  m'arrêter  aux  chemins 
de  traverse;  je  continue  donc  à  parcourir  les  principautés  alle- 
mandes ,  premières  étapes  de  notre  voyage  dans  le  dépôt  du 
Bas-Rhin. 


52  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

SIXIÈME  LETTRE. 

liC  tonds  de  ]Ianau-l.icbtenbcrg.  —  Aperçu  historique  et  gëog:ra- 
piiique.  —  I.e  oiiùteau  de  I^ichtenberj^  ;  le  comté.  —  lia  faïuiile 
ancienne  de  liiciitenberg.  —  La  faniilic  de  llanan.  —  La  famille 
de  Ilesse-Darm.stailt.  —  Individualités  marquantes  de  ces  trois 
familles.  —  La  résidence  de  Bouxwiller.  —  L'Orangerie  de  Straa- 
bourg. 

Monsieur , 

Vous  m'accordez  ,  n'est-il  point  vrai,  la  faculté  de  suivre  la 
marche  adoptée  jusqu'ici;  de  faire  reposer  vos  yeux  et  ceux 
de  vos  lecteurs  sur  les  points  culminants  de  l'histoire  de  nos 
familles  princières,  de  nos  familles  nobles  et  de  nos  institu- 
tions, avant  de  caractériser  les  documents  qui  nous  parlent 
d'elles,  avant  de  vous  introduire  dans  les  fonds  spéciaux  de 
nos  archives,  qui  conservent  le  souvenir  de  ces  institutions 
ou  de  ces  dynastes? 

Il  est  superflu  de  vous  prévenir  que  c'est,  en  partie,  à  l'aide 
même  de  nos  titres,  que  j'essaie  de  retracer  ces  contours  gé- 
néraux de  leur  histoire. 

La  famille  de  Ilanau-Lichtenberg  doit  nous  arrêter  un  peu 
plus  que  les  fonds  précédents;  elle  constitue  l'une  des  parties 
les  plus  considérables  de  noire  dépôt';  c'est  aussi,  comme 
existence  historique ,  la  seigneurie  laïque  la  plus  marquante 
de  la  Basse-Alsace. 

Le  nom  qui  se  trouve  en  tète  de  ce  fonds,  vous  indiquerait 
du  reste,  si  vous  ne  le  saviez  déjà,  qu'il  y  a  là  une  fusion 
d'intérêts  et  de  familles;  vos  lecteurs  le  comprendront  davan- 
tage encore ,  lorsqu'ils  sauront  que  les  princes  de  Darm- 
stadt,  feudataires  alsaciens  du  roi  de  France  au  dix-huitième 
siècle ,  étaient  les  héritiers  de  l'ancienne  maison  de  Hanau- 
Lichtenberg. 

^  170,000  litres,  pour  I;i  plupart  titres  de  propriété  ,  il  est  vrai,  mais  im- 
posants par  leur  masse,  et  souvent  intéressants  par  leur  contenu. 


SIXIÈME  LETTRE.  53 

Jo  vais  donc,  sous  réserve  de  votre  approbation,  —  car 
vous  devez  pressentir  le  goût  de  votre  public,  —  je  vais 
m'étendre  un  peu  sur  la  malière  indiquée  en  tète  de  la  })ré- 
sente  lettre;  je  le  ferai  toutefois  avec  discrétion,  en  donnant 
en  raccourci  une  photographie  du  tableau  d'ensemble  que 
j'ai  présenté  à  la  Société  historique  d'Alsace*,  et  en  termi- 
nant par  J'imperceptible  résumé  de  1700  pages  de  mon  in- 
ventaire. 

Et  pour  capter  un  peu  la  bienveillante  indulgence  de  vos 
lecteurs,  dont  quelques-uns  ont  consenti  jusqu'ici  à  prendre 
part  à  ces  entretiens  familiers,  je  vais  vous  prier  de  vous  pla- 
cer avec  moi ,  en  pensée ,  au  haut  du  château  de  Lichtenberg-, 
puis  en  face  du  grand  portail  de  notre  cathédrale,  puis  dans 
une  salle  basse  de  la  bibliothèque  de  Strasbourg,  puis  dans 
les  rues  de  Bouxwiller;  enfin,  en  face  de  l'ancien  hôtel  de 
Darmstadt  et  dans  les  allées  de  l'Orangerie  Joséphine. 

Quand  j'aurai  de  la  sorte  rappelé  à  quelques-uns  de  nos 
indulgents  amis  ce  qu'ils  savent,  et  fait  connaître  à  d'autres 
ce  qu'ils  ignorent,  je  pourrai  espérer  trouver  grâce  pour 
quelques  détails  un  peu  plus  sévères,  et  pour  l'indication 
aride,  nécessairement  incomplète,  de  ces  masses  de  papier 
que  90  a  trouvées  à  Bouxwiller  et  jetées  dans  les  bâtiments 
de  l'ancienne  Intendance  d'Alsace. 

Au  nord  de  Bouxwiller  s'élève,  sur  la  première  chaîne  des 
Vosges,  à  une  hauteur  de  420  mètres,  et  visible  de  loin,  la 
forteresse  de  Lichtenberg,  dont  la  partie  centrale,  le  donjon, 
date  de  la  seconde  moitié  du  treizième  siècle  ;  tandis  que  le 
corps  de  la  place  a  été  agrandi  et  renouvelé  par  l'architecte 
Speckle  dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle. 

Du  haut  de  ce  château  ,  demeure  première  des  seigneurs  de 
Lichtenberg-,  l'œil  peut  suivre,  dans  la  belle  plaine  ondulée 
au  pied  des  montagnes,  une  partie  considérable  des  propriétés 

'  Le  comté  de  Ilanau- Lichtenberg ,  vol.  II[  du  Dullclin  de  la  Société  pour 
la  conservation  des  monuments  historiques  d'Alsace ,  p.  -1-80. 


54  ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

de  ces  dynastes  qui  prétendaient  remonter  jusqu'aux  temps 
des  Mérovingiens.  Ils  avaient,  eux  et  leurs  successeurs,  par  le 
droit  du  plus  fort,  par  des  achats,  des  échanges,  des  mariages, 
des  héritages ,  réuni  peu  à  peu  entre  leurs  mains  les  villes  et 
les  bourgades  de  Bouxwiller,  d'Ingwiller,  de  PfafTenhofîen , 
de  ReichshofTen' ,  de  Wœrth  et  les  villages  qui  environnent 
ces  localités;  un  peu  plus  à  l'est,  vers  le  Rhin,  un  groupe  de 
communes  autour  de  la  bourgade  dellatten;  puis,  plus  au 
sud,  Brumath  et  ses  environs,  Ofiendorf  sur  le  Rhin,  Wolfis- 
heim,  près  de  Strasbourg,  quelques  communes  près  du  Kron- 
thal ,  deux  bailliages  (Liclitenau  etWillstetl)  sur  la  rive  droite 
du  Rhin,  et  un  petit  district  dans  le  Palatinat,  autour  de  Pir- 
masens  et  de  Lemberg. 

C'étaient,  dans  la  Basse-Alsace  seulement,  près  de  100,000 
habitants  répartis  entre  150  communes  qui  reconnaissaient, 
au  dix-builième  siècle,  la  souveraineté  des  comtes  de  Hanau- 
Lichtenberg,  représentés  alors  par  les  princes  de  liesse - 
Darmstadt. 

Trois  ou  quatre  fois,  dans  la  suite  des  siècles,  ces  belles  et 
fertiles  terres,  couvertes  d'une  population  laborieuse  et  aisée, 
avaient  changé  de  maître.  Les  anciens  dynastes  de  Lichtenberg 
s'étaient  éteints  en  1481  dans  la  personne  de  Jacques ,  comte 
de  Lichtenberg.  Ses  deux  nièces  Anne  et  Elisabeth  avaient 
porté  les  droits  de  leur  oncle  et  les  droits  de  leur  père,  Louis 
de  Lichtenberg,  à  leurs  maris,  Philippe,  comte  de  Hanau, 
et  Simon  Wecker^  comte  de  Deux-Ponts.  Les  bailliages  alsa- 
ciens furent  temporairement  partagés  entre  ces  deux  familles; 
je  dis  temporairement,  car,  dès  1570,  Philippe  de  Ilanau , 
petit-fils  du  premier  Philippe,  réunit  de  nouveau  entre  ses 
mains  la  totalité  de  l'héritage  des  anciens  Lichtenberg,  et  en 
1736,  encore  une  fois  par  suite  d'extinction  de  la  ligne  mas- 
culine, cette  magnifique  succession  passa  aux  landgraves  de 
Hesse-Darmstadt,  un  prince  de  cette  maison  (Louis  YIII)  ayant 

1  ReichsliofTen  n'a  fait  parlie  du  domaine  de  Hanau  que  lemporairemenl. 


SIXIÈME  LETTRE.  55 

épousé  Charlotlc-l^liristine,  fille  et  hérilière  de  Jean-René  , 
dernier  comte  de  Hanau-Lichtenberg. 

Ces  faits,  Monsieur,  sont  élémentaires  dans  l'histoire  d'Al- 
sace ;  mais  tout  le  monde  n'étant  pas  tenu  de  connaître  ou  de 
retenir  dans  sa  tête  ces  évolutions  dynastiques  dans  une  petite 
principauté  alsacienne,  j'ai  dû  en  reproduire,  à  tout  hasard, 
les  lignes  principales. 

Le  château  cyclopéen  de  Lichtenberg  a  été  témoin  de  plus 
d'un  drame  domestique;  et  ces  murs,  s'ils  pouvaient  parler, 
comme  on  dit  vulgairement,  raconteraient  bien  des  souf- 
frances, bien  des  misères,  bien  des  scènes  tragiques  et  co- 
miques ;  car,  à  côté  des  larmes  et  du  deuil,  le  grand  drama- 
turge a  bien  aussi  voulu  permettre  le  rire.  Plus  d'une  fois  ce 
donjon,  qui  domine  encore  les  fortifications  modernes,  a 
donné  un  abri  involontaire  aux  prisonniers,  que  les  Lichten- 
berg avaient  ramassés  dans  leurs  luttes  avec  les  dynastes  al- 
saciens, lorrains,  badois  et  palatins;  plusieurs  fois  il  a  servi 
d'asile  bienvenu  aux  seigneurs  eux-mêmes,  lorsque,  au  qua- 
torzième siècle,  les  bandes  anglaises  de  Servole  et  d'Enguer- 
rand  de  Coucy,  au  quinzième,  les  Armagnacs,  au  seizième, 
les  Rustauds ,  au  dix-septième ,  les  hordes  de  Mansfeld ,  les 
armées  des  Impériaux  et  des  Suédois  ravagèrent  ces  plaines 
fertiles.  Du  haut  de  ces  murs,  les  Lichtenberg  et  les  comtes 
de  Hanau  ont  pu  voir  la  torche  incendiaire  lancée  sur  les  mai- 
sons et  les  cabanes  de  leurs  vassaux  ;  et  bientôt  après,  la  fer- 
tilité native  de  ce  sol 'inépuisable  reprendre  le  dessus,  et 
réparer,  à  l'aide  de  nouvelles  moissons,  les  désastres  de  la 
guerre , 

Maintenant,  descendons  de  ces  hauteurs  protectrices  et  pro- 
tégées, plaçons-nous  un  instant  devant  la  cathédrale  de  Stras- 
bourg, inclinons-nous  pour  la  centième  fois  devant  la  façade, 
œuvre  d'Ervvin.  —  Erwin,  le  Bramante  alsacien,  a  été  inspiré, 
soutenu  par  un  Jules  II  alsacien,  par  l'évèque  Conrad  de  Lich- 
tenberg, par  le  même  prélat  qui  éleva  le  donjon  féodal,  dont 
nous  venons  à  peine  de  quitter  la  terrasse.  Ces  deux  noms,  le 


5(3  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

nom  de  l'architecte  et  le  nom  de  son  protecteur  intellii^enl  et 
énergique ,  sont  indissolublement  unis  dans  les  annales  de 
notre  pays.  La  circulaire  épiscopale'  qui,  en  1275,  prescri- 
vit une  quête  pour  terminer  «la  demeure  de  la  sainte  mère 
«de  Dieu,  qui  daignera  à  son  tour  préparer  aux  donateurs 
«  une  habitation  éternelle  dans  les  cieux,  »  cette  pélition  épis- 
copale  est,  pour  Conrad,  le  plus  beau  titre  de  gloire;  elle 
place,  à  mon  gré,  son  nom  plus  haut  que  tous  les  faits  d'armes 
qui  ont  illiislré  sa  carrière  agitée  (1273  à  1299);  lui  aussi, 
a  reçu,  déjà  sur  cette  terre,  la  récompense  qu'il  promet  au 
fidèle  troupeau  de  son  diocèse;  car  rien  peut-il  équivaloir  à 
celle  immortalité  conquise  par  une  œuvre  pacifique,  l'admi- 
ration des  siècles  passés  et  des  siècles  à  venir  ! 

Conrad  de  Lichlcnberg  ouvre  la  série  des  hommes  illustres 
de  sa  maison;  deux  évoques,  Frédéric  de  Lichtenberg,  frère 
de  Conrad  (1299  à  1306),  rénovateur  de  l'église  ogivale  de 
Haslach ,  et  le  pieux  Jean  de  Lichtenberg  (1355  à  1365),  le 
bienfaiteur  et  le  visiteur  assidu  de  l'abbaye  de  Pairis-,  le  prélat 
qui  meurt  le  cœur  brisé  à  la  vue  des  misères  de  son  diocèse, 
continuent  celte  galerie  de  portraits  historiques  dont  je  vous 
laisse  à  peine  entrevoir  quelques-uns  à  la  dérobée,  car  je  tiens 
à  faire  passer  sous  vos  yeux  beaucoup  de  personnes  et  beau- 
coup de  choses,  dans  le  moindre  espace  de  temps  possible. 

Je  vous  ai  promis  tout  à  l'heure  de  vous  conduire  à  la  bi- 
bliothèque de  la  ville  de  Strasbourg,  qui  est  d'ailleurs  en 
toute  circonstance  la  succursale,  que  dis-je?  l'institutrice  et 
la  mère  nourricière  des  archives.  Là ,  vous  verrez  deux  bustes  : 
l'un,  celui  d'un  vieillard  amaigri,  soucieux,  à  figure  de  faune 
ou  de  satyre;  l'autre,  celui  d'une  jeune  femme  belle,  mais 
dont  les  traits  ,  à  la  fois  énergiques  et  sensuels  ,  accusent  de 
violentes  passions  ;  c'était  la  femme  ou  plutôt  la  maîtresse  de 
ce  vieux  faune  qui,  jeune,  avait  été  un  chevalier  brave,  hé- 

^  Elle  fail  partie  du  fonds  de  révêclié,  cl  a  été  éditée  pour  la  première 
fois  en  18i2,  avec  commentaires  et  traduction,  par  l'archiviste. 
^  Dans  le  liaul-Uliin, 


SIXIÈME  LETTRE.  57 

l'oïqiie  ,  le  seul  champion  alsacien  (|iio  les  Armagnacs  ren- 
contrèrent en  rase  campagne.  Dcjàvons  avez  nommé  Jacques, 
comte  de  Lichtenberg,  et  Barbe  d'Oltenbeim ,  la  villageoise 
d'outre-Rhin,  élevée  par  son  vieil  amant  à  la  dignité  de  châ- 
telaine de  la  main  gauche,  et  qui  devait  être  précipitée  plus 
tard,  par  un  triste  retour  des  choses  d'ici-bas,  dans  l'abîme 
du  malheur,  de  l'ignominie  et  des  tortures  physiques. 

Qui  ne  connaît  cette  tragique  histoire,  entremêlée,  dans 
l'origine,  de  scènes  moitié  burlesques?  N'a-t-elle  pas  été  ra- 
contée, redite  par  des  chronicfueurs  et  des  historiens  popu- 
laires ,  et  n'est-elle  pas  toujours  res'tée  neuve ,  grâce  aux  le- 
çons qu'elle  porte  dans  ses  lignes  funèbres?...  Quoi!  c'est 
ainsi  qu'un  brave,  qu'un  héros  —  car  Jacques  de  Lichtenberg 
l'avait  été  —  peut  finir  !  Quoi  !  c'est  ainsi  qu'une  femme  adu- 
lée, protégée  par  un  puissant  dynaste,  peut  être  jetée  de  son 
lit  de  repos  sur  le  bûcher  des  sorcières!  Nos  archives  ne  con- 
tiennent pas  une  page  de  cet  assassinat  juridique,  et  pourtant 
elles  ne  manquent  pas  de  documents  de  cette  nature.  Quelle 
révélation  fournirait,  au  surplus,  un  dossier  sur  Barbe  d'Ot- 
tenheim?  On  devine  bien  que  la  vengeance  populaire,  n'ayant 
pu  assouvir  ses  colères  sur  la  maîtresse  insolente  du  seigneur, 
se  soit  exercée  plus  tard  sur  cette  malheureuse ,  par  l'inter- 
médiaire des  bourreaux  officiels. 

Pendant  riue  le  feu  dévorait  cette  belle  tête,  qui  avait  jeté 
le  trouble  dans  l'esprit  et  les  sens  du  dernier  comte  de  Lich- 
tenberg^ les  nièces  de  ce  dynaste' recueillaient,  sans  aucun 
embarras,  sa  succession;  car,  disons-le  bien  en  l'honneur  du 
comte  Jacques ,  il  avait  tenu  fidèlement  la  parole  donnée  dix 
ans  auparavant  (1470)  à  son  fi'ère  Louis,  lorsque  celui-ci,  af- 
faibli, mourant,  l'avait  appelé  dans  le  vieux  château  de  Lich- 
tenberg et  lui  avait  recommandé  l'avenir  de  ses  filles.  Louis 
et  Jacques,  modèles  pendant  longtemps  de  l'amour  fraternel, 
seigneurs  par  indivis  des  domaines  patrimoniaux  de  Lichten- 
berg, frères  d'armes  sur  les  champs  de  bataille,  comme  ils 
étaient  frères  par  le  sang,  Louis  et  Jacques,  ce  Castor  et  ce 


58  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU   BAS-RHIN. 

Pollux  tlii  moyen  âge  alsatique ,  un  moment  désunis  pendant 
l'éclipsé  morale  de  l'un  d'eux,  s'étaient  rapprochés  en  face  de 
la  vieillesse ,  de  la  mort  et  de  l'éternité. 

La  famille  des  comtes  de  Hanau  qui  venait  prendre  la  place 
des  vieux  dynastes,  était  originaire  de  la  Wetteravie,  près  de 
Francfort.  La  branche  aînée  de  la  famille ,  celle  de  Ilanau- 
Miintzenberg ,  continuait  à  résider  en  Allemagne;  elle  a  une 
histoire  parallèle  et  liée  à  celle  de  Hanau-Lichlenberg;  ce- 
pendant je  ne  puis  me^iermettre  de  l'esquisser  ici;  cela  m'en- 
traînerait sur  l'un  de  ces  chemins  de  traverse  que  j'ai  déjà 
déclaré  vouloir  éviter. 

Les  comtes  de  la  famille  de  Hanau,  sans  abandonner  com- 
plètement le  château  dynastique  de  Lichtenberg,  situé  au 
haut  de  la  montagne,  résidaient  de  préférence  à  Bouxwiller, 
où  le  comte  Jacques  de  Lichtenberg  avait  déjà  établi  sa  de- 
meure pendant  qu'il  était  sous  le  charme  de  l'enchanteresse 
rustique.  La  nouvelle  famille  régnante,  je  demande  votre  in- 
dulgence pour  cette  expression  un  peu  trop  pompeuse,  devint 
la  bienfaitrice  de  la  petite  ville  où  elle  élablissait  sa  demeure 
habituelle  ;  avant  et  après  l'introduction  de  la  religion  réfor- 
mée, Bouxwiller  fut  dotée,  par  les  comtes  hanauiens,  d'éta- 
blissements de  bienfaisance  et  d'instruction  publitjue,  qui  en 
firent  un  centre  d'activité  religieuse  ,  morale  et  intellectuelle. 
Philippe  (111)  de  Hanau  avait  jeté,  vers  1530,  les  fondements 
de  l'hospice;  c'était  d'abord  une  œuvre  très-modeste,  qui 
prit  peu  à  peu,  à  l'aide  de  dotations,  une  remarquable  éten- 
due ,  et  qui  réunit  vers  ilAO  sous  son  administration  les  biens 
des  églises  protestantes  des  environs.  Jean  Pieinhard ,  comte 
de  Hanau-Lichtenberg  (1595  à  1625)  devint  le  fondateur  du 
Gymnase  de  Bouxwiller,  c'est-à-dire  d'un  Séminaire  théolo- 
gique au  petit  pied,  où  l'on  cultivait  la  philologie  sacrée  et 
profane,  et  qui  a  vu  sortir  de  son  enceinte  des  savants  dis- 
tingués. 

On  a  aussi  remarqué  que  l'éducation  de  tous  les  enfants  de 
la  maison  de  Hanau-Lichtenberg  était  remarquablement  soi- 


SIXIÈME  LETTRE.  50 

gnée.  Les  dynasles  de  celte  fomille  d'oiitre-Rhin ,  greffée  ^ur 
un  vieux  tronc  indigène,  sentaient  instinctivement  qu'il  fallait 
justifier  par  le  développement  de  l'esprit  et  par  la  pureté  des 
mœurs  la  grande  et  violente  métamorphose  qu'on  avait  laissé 
s'accomplir  dans  l'édifice  social. 

A  ce  propos,  je  me  rappelle  que  dans  une  discussion  orale, 
vous,  Monsieur,  vous  blâmiez  l'espèce  d'engouement  que 
je  manifestais  pour  ces  petits  seigneurs;  vous  trouviez  que 
j'en  fais  des  types  quelque  peu  grandissoniens.  Mais  pourquoi 
ne  pas  être  juste,  lorsque  l'occasion  s'en  présente,  même 
pour  des  princes  d'une  taille  médiocre?  Il  n'y  a  d'ailleurs  pas 
de  monotonie  dans  mes  éloges;  je  vous  ai  bien  livré  ce  pauvre 
Jacques  de  Lichtenberg,  quoiqu'il  eût  d'excellentes  qualités 
qui  pouvaient  en  quelque  façon  contre-balancer  sa  faiblesse 
sénile  ;  et  je  vais  vous  livrer  impitoyablement  un  autre  per- 
sonnage qui  rompt  de  nouveau  cette  lignée  de  seigneurs  par- 
faits qui  semblaient  vous  inspirer  quelque  ennui. 

Vers  la  fin  de  la  guerre  de  Trente  ans,  la  branche  de  Hanau- 
Mùntzenberg,  avec  laquelle  la  nôtre,  c'est-à-dire  celle  de 
Hanau-Lichtenberg,  avait  constamment  entretenu  de  bons  rap- 
ports de  parenté,  quelquefois  de  tutelle,  cette  branche  d'outre- 
Rhin,  dis-je,  s'éteignit,  et  Frédéric-Casimir  de  Hanau-Lich- 
tenberg opéra  la  fusion  de  tous  les  domaines  (1642)  ;  il 
résidait  même  de  préférence  sur  la  rive  droite  du  Rhin ,  à 
Hanau  ,  ville  plus  considérable  que  Bouxwiller,  dotée  d'éta- 
blissements analogues,  et  qui  prit  un  essor  nouveau  dès  que 
les  plaies  de  la  guerre  de  religion  commencèrent  à  se  cica- 
triser. 

Frédéric-Casimir,  après  de  bons  commencements,  préfen- 
dit jouer,  dans  ses  domaines  restreints,  le  rôle  de  Louis  XIV; 
il  déploya  un  faste  inouï,  se  lança  dans  des  projets  de  coloni- 
sation extravagants;  et  se  livra,  corps  et  âme,  à  quelques 
courtisans,  aventuriers  éhontés,  qui  ruinèrent  le  pays  par 
leurs  exigences  personnelles  et  leurs  chimériques  entreprises. 
Pour  subvenir  à  ses  folles   dépenses,  Frédéric-Casimir  fut 


60  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BASRIllN. 

obligé  d'engager  ses  domaines  patrimoniaux;  l'altention  de 
l'empereur  lui-même  fut  appelée  sur  le  faste  et  sur  les  allures 
insensées  du  comte  de  Hanau. 

Il  y  avait,  dans  la  parenté  de  ce  seigneur,  une  personne 
très-intéressée  à  ne  pas  laisser  tomber  en  lambeaux  l'héritage 
des  Lichlenberg  :  c'était  Anne-Madeleine,  née  princesse  de 
Birkcnfcld,  veuve  d'un  comte  de  Ilanau  et  mère  des  deux 
jeunes  neveux,  héritiers  présomptifs  du  comte  régnant.  Dans 
l'intérêt  de  ses  fils,  cette  femme,  au  grand  cœur,  fit  un  vrai 
coup  d'Etat  ;  elle  réunit  dans  le  château  de  Lichtenberg  les 
délégués  des  bailliages  alsaciens,  et  leur  arracha  un  serment 
de  fidélité  en  faveur  des  héritiers  de  Frédéric-Casimir.  C'é- 
tait mettre  le  pays  alsacien  à  l'abri  d'un  engagement  onéreux , 
et  avertir  tout  prince  qui  aurait  été  tenté  d'avancer  des  fonds 
au  comte  prodigue,  qu'il  y  avait  des  risques  à  courir. 

Cette  révolution  intérieure,  qui  eut  lieu  en  1680,  précisé- 
ment deux  siècles  après  la  mort  de  Jacques  de  Lichtenberg, 
eut  une  pleine  réussite;  l'empereur  intervint,  et  à  la  suite 
d'une  conférence  à  Ilanau  ,  l'avenir  des  deux  comtés  (de  Lich- 
tenberg et  de  Mûntzenberg)  fut  officiellement  réglé. 

Jean-Casimir,  ébranlé  par  cet  avertissement,  secoua  ses 
détestables  habitudes  et  finit  en  bon  prince,  comme  il  avait 
commencé. 

Je  serais  obligé  de, faire  l'éloge  de  ses  deux  neveux,  si  je 
disais  les  détails  de  leur  jeunesse,  de  leurs  voyages,  de  leur 
attitude  dans  les  cours  étrangères  et  à  Vienne,  de  leur  ad- 
ministration intelligente  dans  les  deux  comtés.  Vous  m'en 
dispensez,  et  je  saute  a  pieds  joints  par  dessus  un  demi- 
siècle  jusqu'en  1736,  époque  à  laquelle  l'un  de  ces  comtes 
de  Hanau,  Jean  Reinhard,  réunissait  depuis  un  quart  de 
siècle  sur  sa  tête  tous  les  domaines  hanauiens  situés  sur  les 
deux  rives  du  Rhin. 

Jean  Reinhard  avait  trouvé  moyen,  sans  pressurer  ses  sujets, 
de  faire  de  Bouxwiller  un  Versailles  en  miniature  ,  et  de  cons- 
truire à  Bischoffsheim ,  où  il  était  né,  un  château  considé- 


SIXIÈME  LETTRE.  61 

rable  ,  de  même  que  son  frère  avait  élevé  dans  ses  domaines 
allemands ,  près  de  Hanau ,  le  château  de  Philippsruhe  et  le 
bel  élablissemenl  de  Wilhelmsbad. 

Jean  Reinhard  s'était  aussi  fortifié  par  des  alliances  matri- 
moniales ,  en  épousant  une  margravine  de  Brandebourg,  et  en 
donnant  saiilIe  unique,  Charlotte-Christine  — il  n'avait  point 
de  fils  — •  en  mariage  à  Louis,  prince  héréditaire  de  Hesse- 
Darmstadt.  Charlotte-Christine  mourut  très-jeune^  en  1726 
déjà  ;  mais  ce  deuil  de  famille  ne  changea  en  rien  la  transmis- 
sion projetée  des  domaines  ;  le  prince  de  liesse  succéda ,  sans 
contestation,  à  son  beau-père,  dans  ses  possessions  alsa- 
ciennes de  la  rive  gauche  et  dans  celles  de  l'Ortenau.  Nous 
entrons  dans  la  dernière  phase  des  destinées  de  ce  petit  comté 
deHanau-Lichtenberg,  maintenant  apanage  des  princes  héré- 
ditaires de  Hesse-Darmstadt. 

Ces  princes  avaient  pour  leur  résidence  alsacienne  une  pré- 
dilection particulière  et  toute  paternelle.  C'était  pour  eux  une 
espèce  de  joyau ,  comme  la  principauté  de  Neuchâtel  l'a  été 
pendant  longtemps  pour  le  roi  de  Prusse.  Sans  qu'il  y  eût 
analogie  complète  entre  les  deux  petites  souverainetés,  l'une 
au  pied  du  Jura,  l'autre  au  pied  des  Vosges,  la  position  de 
Neuchâtel,  à  la  fois  canton  suisse  et  principauté  prussienne, 
était  aussi  anormale  que  celle  du  comté  de  Hanau-Lichten- 
berg,  enclave  de  la  France,  possédée  par  un  prince  hessois 
sous  la  tutelle  du  cabinet  de  Versailles  et  sous  la  surveillance 
de  l'intendant  d'Alsace.  Les  conflits  auraient  été  inévitables 
pour  le  prince  de  Darmstadt,  si,  vassal  du  monarque  français, 
il  n'avait  pris  le  sage  parti  d'adopter  la  pohtique  austro-fran- 
çaise, et  d'attendre  de  préférence  son  salut  de  l'occident 
plutôt  que  du  nord. 

A  Bouxwiller  il  y  avait  une  régence,  c'est-à-dire  une  admi- 
nistration passablement  indépendante  pour  tout  ce  qui  regar- 
dait le  gouvernement  intérieur  de  ce  petit  Etat.  Un  président 
de  régence  entouré  de  six  conseillers,  de  secrétaires,  de  bura- 
listes, d'huissiers  et  de  sergents,  assisté  d'une  Chambre  des 


bla  ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

comptes,  d'une  Chambre  des  eaux  et  forêts,  d'une  Chambre 
des  fiefs,  donnait  le  branle  à  cette  petite  machine  ;  une  admi- 
nistration consistoriale,  hospitalière  et  universitaire  complé 
tait  l'ensemble  de  ce  gouvernement,  sans  compter  le  personnel 
des  courtisans  qu'y  amenait  temporairement  le  séjour  de  la  fa- 
mille landgraviale  de  Hesse-Darmstadt.  C'était  un  mouvement 
peut-être  hors  de  proportion  avecl'exiguité  de  la  ville-capitale, 
une  vie  un  peu  factice  qui'avait  fini  par  devenir  une  vie  réelle. 

Le  château  de  Jean  Reinhard,  dernier  comte  de  Ilanau- 
Lichtenberg,  avait  été  agrandi,  embelli;  il  était  flanqué  d'une 
vaste  et  belle  orangerie  et  de  jardins  dans  le  style  de  Le  Notre, 
de  serres-chaudes  avec  fleurs  et  primeurs,  qui  servaient  à  faire 
des  cadeaux  aux  gouverneurs  et  fonctionnaires  français,  in- 
corruptibles gardiens  de  la  dignité  centrale.  Au  sortir  du 
bourg,  parc  et  faisanderie  complétaient  cet  ensemble;  dans 
l'intérieur  du  bourg,  des  maisons  confortables  servaient  de 
logement  aux  conseillers.  Le  costume  de  la  cour  étalait  sa  ma- 
gnificence un  peu  raide  dans  les  longues  allées  et  entre  les 
charmilles  des  jardins  ;  le  procureur  fiscal  y  saluait,  chapeau 
bas  et  Tépée  au  côté  ,  Son  Altesse  Sérénissime  ;  mais ,  je  l'ai 
déjà  dit,  le  pays  agricole,  producteur,  ne  soutirait  point  de 
tout  cet  étalage  princier  ;  l'industrie  minière ,  l'aménagement 
forestier,  l'amélioration  du  sol  trouvaient,  dans  cette  autorité 
locale,  de  sages  et  efficaces  encouragements;  une  viabilité 
bien  entretenue  facilitait  l'écoulement  des  produits.  Le  pays 
de  Ilanau  était  cité  comme  le  pays  modèle  d'une  bonne  et 
belle  culture. 

Au-dessus  de  la  régence  de  Bouxwiller  planait,  invisible,  le 
représentant  de  l'autorité  du  roi  de  France.  Le  prince  de 
Hesse  ne  disposait,  comme  comte  de  Ilanau,  en  fait  de  force 
armée,  que  d'une  petite  milice  bourgeoise  armée  de  piques. 
Cet  attirail  n'avait  non-seulement  rien  de  formidable;  il  était 
bien  le  symbole  parlant  de  l'autorité  limitée  du  prince. 

A  Strasbourg,  l'hôtel  de  Darmstadt  fut  élevé  en  1740,  sur 
l'emplacement  de  l'ancienne  demeure  des  Ochsenstein ,  où  les 


SIXIÈME  LETTRE.  03 

factions  s'étaienl  débattues  et  parfois  entrechoquées  matériel- 
lement au  moyen  âge.  Les  princes  de  Darrasladt  venaient  de 
temps  à  autre  y  faire  un  séjour  plus  ou  moins  prolongé,  sur- 
tout depuis  que  le  prince  Louis  (X)  était,  comme  son  voisin 
et  parent  le  prince  de  Deux-Ponts-Birkenfeld  ,  propriétaire 
d'un  régiment  au  service  de  France.  Les  magnifiques  appar- 
tements qui  servent  aujourd'hui  de  salons  de  réception  au 
maire  de  Strasbourg,  étaient  aussi,  pendant  le  dix-huitième 
siècle  si  léger  en  face  de  catastrophes  prochaines,  le  théâtre 
de  belles  fêtes  militaires  et  civiles.  En  tout  temps  on  a  dansé 
au  bord  des  volcans. 

C'est  de  l'hôtel  de  Darmstadt  que  sortit  le  21  juillet  1789  le 
prince  Louis  de  Hesse,  pour  comprimer,  de  concert  avec  le 
prince  Max  de  Deux-Ponts,  la  révolte  qui  triomphait  momen- 
tanément aux  abords  et  dans  les  salles  de  l'ancien  Hôtel-de- 
Ville.  C'était,  de  la  part  de  ces  princes ,  colonels  français,  une 
dernière  tentative  de  résistance  en  face  d'un  mouvement  fatal, 
qui  allait  engloutir  des  destinées  bien  autrement  considérables 
que  ceUes  de  l'ancien  gouvernement  de  Strasbourg  et  des 
principautés  de  Hanau  et  de  Deux-Ponts. 

Les  malheurs  individuels  disparaissent  dans  l'abîme  des 
cataclysmes  sociaux  comme  une  goutte  d'eau  dans  la  mer. 
Qu'il  me  soit  permis  cependant  de  rappeler  ici  le  sort  d'un 
serviteur  dévoué  des  princes  de  Darmstadt,  qui  paya  de  sa 
tête  la  fidélité  aux  engagements  et  le  courage  civique,  à  l'en- 
trée de  la  terreur.  Dans  l'un  des  petits  appartements  de  l'hôtel 
de  Darmstadt  habitait,  au  commencement  de  la  révolution, 
un  conseiller  hanauien,  faisant  les  fonctions  de  receveur  de 
Wolfisheim  ;  en  4793  encore,  il  parvint  à  transmettre  un  re- 
hquat  de  fonds  à  son  ancien  maître;  ce  service,  dans  ce  mo- 
ment, était  un  crime  de  lèse-nation.  L'accusateur  public  ap- 
pliqua impitoyablement  la  lettre  de  la  loi.  Henri  Rausch  fut 
conduit  à  l'échafaud  en  décembre  1793.  C'était  l'une  des  pre- 
mières têtes  qui  tombaient  sous  la  hache  révolutionnaire.  J'ai 
encore  connu  le  fils  du  digne  pasteur  qui  a  préparé  à  la  mort 


64  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

le  fidèle  intendant  et  qui  a  assisté  lui-même,  enfant  en  bas 
âge,  à  ce  moment  solennel.  Henri  Rausch  était  demeuré 
croyant  au  milieu  d'un  siècle  incrédule,  et  la  foi  lui  adoucit 
l'amertume  de  ce  terrible  passage  que  toute  cbair  redoute, 
surtout  lorsqu'il  s'agit  de  franchir  l'abîme  en  passant  sur  les 
planclies  de  l'écbafaud. 

Celte  terrible  époque  de  93  valut  à  la  ville  de  Strasbourg- 
une  partie  de  l'héritage  des  princes  de  Darmsladt.  Indépen- 
damment de  l'hôtel  de  la  mairie,  les  orangers  de  laRobertsau 
proviennent  de  ce  fonds  de  confiscation.  Les  exemplaires  de 
l'Orangerie-Joséphine  n'ont  pas  le  développement  de  tous 
ceux  de  Versailles;  ils  ne  remontent  pas  à  François  I^r;  ils 
ne  peuvent  lutter  avec  les  jardins  d'orangers  de  Terracine, 
de  Mola-di-Gaëta  ou  de  Sorrente;  mais  tels  qu'ils  sont,  ils 
évoquent  les  souvenirs  du  midi  dans  la  saison  embaumée  des 
fleurs,  et,  sans  aller  si  loin,  ils  rappellent  le  nom  et  le  sou- 
venir de  quelques-uns  des  princes  qui  ont  fait  venir  dans 
nos  climats  déshérités  ces  beaux  arbres  des  Hespérides.  L'o- 
rangerie de  Bouxvviller  a  vu  plus  d'une  fois  sans  doute  dans 
ses  allées  la  princesse  Louise,  qui  devint  duchesse  de  Saxe- 
Weimar,  et  qui  présidait  avec  son  mari  Charles-Auguste  et  sa 
belle-mère  Amélie,  cette  cour  de  poètes,  où  Gœthe,  par  la 
bouche  de  l'adorable  Mignon ,  chantait  «  le  citronnier,  l'oranger 
«aux  fruits  d'or  dans  sa  verdure  sombre,  le  myrte  silencieux 
«  et  le  laurier  sublime.  » 

Convenez ,  Monsieur ,  que  sans  sortir  des  confins  de  la 
Basse-x\lsace,  et  à  peine  des  murs  de  Strasbourg,  celte  fa- 
mille de  Ilanau-Lichtenberg  vient  de  nous  offrir,  dans  sa  triple 
fihalion,  quelques  points  d'arrcls,  auxquels  les  mémoires  les 
plus  rebelles  peuvent  se  fixer,  sauf  à  laisser  tomber  dans  l'oubli 
ou  dans  le  domaine  des  savants ,  ce  qui  est  tout  un,  les  parties 
moins  saillantes,  moins  pittoresques,  moins  émouvantes  de 
cette  fraction  d'histoire  provinciale.  En  effet,  nous  avons  ren- 
contré l'évêque  Conrad  au  pied  de  la  façade  d'Erwin ,  et  au 
haut  du  donjon  féodal  de  Lichtenberg;  puis  les  deux  frères 


SIXIÈME  LETTRE.  65 

chevaliers,  dont  l'un  meurt  dans  toute  sa  gloire,  dont  l'autre 
s'étiole  sous  le  joug  d'une  maîtresse  rustique  ;  nous  avons 
touché  au  lit  de  mort  du  brave  et  au  bûcher  de  la  «sorcière 
de  beauté»  ;  nous  avons  vu  l'hôpital  et  l'école  produits  de  la 
réforme  à  Bouxwiller,  et  les  splendeurs  princières  de  cette 
petite  ville  puritaine,  puis  les  magnificences  de  l'hôtel  de 
Darmsladt  à  Strasbourg,  un  supplice  de  93,  des  fleurs  enfin 
pour  couvrir  lés  victimes  et  les  fantômes  du  passé. 

Dans  ma  prochaine  lettre,  je  vous  placerai  au  milieu  même 
des  papiers,  derniers  legs  de  Hanau-Lichtenberg;  ce  sera  une 
rude  épreuve. 


60  AUCflIVES  DÉPAr.TEME>;TALES  DU  BAS -RHIN. 


SEPTIEME  LETTRE. 

Fonds  «le  naiian-I^ichtenbcrg.  —  liCS  papiers.  —  «oiif  ins.  Communes. 
Cietidertheiiii.  —  Briimath.  —  Ciiiei-re  des  l.iclitenberg  et  des  liî- 
naiige.  — n»rlic  d'Ottenheim.  —  Bernard  Ilerzog.  Iiailli  de  IVœrtli. 
—  iVIarclie  de  Marmoutier.  —  Cnerre  de  Trente  ans.  —  Ernolslieini 
et  ses  châtaigneraies.  —  Comptabilité  de  llanau<liicbtenberg.  — 
K<es  chàteaux-forts.  • —  Caractère  général  du  fonds.  —  Encore  une 
fois  les  villages.  —  Leur  origine. 

Monsieur, 

Ce  sera  toujours  une  entreprise  fort  ingrate  que  celle  de 
donner  de  l'ensemble  d'une  collection  de  livres,  manuscrits, 
tableaux,  estampes,  titres  quelconques,  une  idée  sommaire 
à  des  lecteurs  qui  n'ont  que  peu  d'instants  ou  un  coup  d'œil 
distrait  à  vous  accorder.  Vous  serez  constamment  ballotté 
entre  les  écucils  d'une  sèche  nomenclature  ou  d'un  aperçu 
nécessairement  incomplet;  mais,  si  de  ces  deux  inconvénients 
ou  de  ce  double  danger  il  faut  choisir  le  moindre,  courons 
les  risques  du  second  ;  tous  les  genres  sont  bons,  hors  le  genre 
ennuyeux. 

D'ailleurs,  comment  fcrais-je  si  j'avais  la  prétention  malen- 
contreuse d'être  consciencieusement  pédant?  Rien  qu'en  re- 
produisant les  têtes  de  rubrique  du  gros  volume  in-folio  que 
remplit  mon  inventaire  analytique  de  Hanau -Lichtenberg, 
j'abuserais  pendant  plusieurs  jours  et  de  votre  patience  et  des 
colonnes  tronquées  que  vous  pouvez  m'accorder  au  rez-de- 
chaussée  de  votre  journal  politique.  C'est  donc  une  chose  bien 
convenue  :  je  ferai  de  l'éclectisme,  encore  à  très-petites  doses  ; 
je  vais  en  user  avec  vous  comme  font  les  directeurs  des  ad- 
minislrations  hospitalières  ou  pénitentiaires  avec  les  membres 
des  commissions  de  surveillance  ou  avec  les  visiteurs,  qui 
viennent  goûter  du  pain  et  de  la  soupe  des  prisonniers  et  des 
malades  ;  on  leur  offre  une  cuillerée  prise  dans  le  grand  chau- 
dron ;  rein  suffît  pfirfaifement  pour  apprécier  le  corps  du  déh"l. 


SEPTIÈME   LETTRE.  07 

Vous  savez  déjà  que  l'immense  majorité  des  titres  que  nous 
a  laissés  la  régence  de  Bouxvviller  ou  de  llanau-Lichtenberg, 
ou  de  Hesse-Darnistadt,  consiste  en  litres  de  propriétés,  ré- 
partis par  bailliages',  et  en  pièces  de  comptabilité.  Les  titres 
de  la  famille  régnante,  les  pièces  confidentielles  du  cabinet 
des  princes,  les  affaires  consistoriales,  tout  cela  fut  évacué  à 
temps  et  transporté  à  Darmstadt  ;  les  archives  grand-ducales 
actuelles  contiennent  donc  le  noyau  ou  le  complément  du 
fonds  spécial  de  nos  archives;  je  sais  de  bonne  source  qu'elles 
ont  été  mises  à  profit  par  un  savant  ecclésiastique  du  Palati- 
nat,  déjà  connu  par  un  beau  travail  sur  les  châteaux  de  cette 
province,  et  qui  prépare  une  vaste  monographie  sur  la  famille 
de  Hanau-Lichtenberg. 

Au  nombre  des  litres  de  propriété  de  nos  bailliages,  je  me 
bornerai  à  vous  faire  remarquer,  en  ce  moment,  ceux  des 
moulins  et  ceux  qui  tiennent  à  l'histoire  communale. 

De  tout  temps ,  je  me  suis  senti  attiré  vers  les  établisse- 
ments ou  usines  qui  préparent  l'aliment  quotidien  du  riche 
et  du  pauvre;  je  suis  convaincu  que  vous,  Monsieur,  d'accord 
avec  beaucoup  de  vos  lecteurs,  vous  éprouvez  le  même  genre 
de  sympathie  pour  les  moulins,  surtout  pour  ceux  qui  sont 
situés  sur  les  cours  d'eau  de  notre  province.  Les  moulins  à 
vent  des  hauteurs  de  Montmartre,  de  la  Champagne,  de  Pots- 
dam  et  des  plaines  de  la  Manche  ont  bien  aussi  leur  intérêt 
pittoresque  et  quelquefois  historique;  mais  qu'ils  sont  loin, 
avec  leurs  bras  gigantesques ,  de  valoir  la  paisible  demeure 
d'un  meunier  alsacien,  abritée  derrière  un  groupe  d'arbres, 
ayant  jardin,  verger  et  champs  près  du  moulin,  jouissant  à 
peu  près  sans  intermittence  du  secours  que  la  petite  rivière , 

'Ce  sont  les  bailliages  de  BouxwiUcr,  Ingwillcr,  PrafTonliolTen ,  Wœrlli , 
Kulzenliausen  ,  IlaUen,  Bnimalli,  OlTt'nilo'rf,  Wcsllioffon ,  Wollisheim,  en 
Alsace;  les  bailliages  de  Liclileiiau  et  Wilstelt  s:irlaiive  droite  du  liliiii,  celui 
de  Lembcrg  dans  le  Palalinat  actuel.  Les  comtes  de  lianau-LicIilenberg  possé- 
daient aussi  temporairement  le  bailliage  de  Nioderbronn-ReiclisliolTen  et  luic 
parlie  de  la  marclie  de  Marmoulier.  Voir  la  lettre  sixième. 


68  ARClirVES  DEPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

J)orclée  d'aulnes,  de  peupliers ,  ou  de  saules,  prêle  à  Tiii- 
dustrie  et  au  labeur  de  l'homme  !  Un  moulin  alsacien  donne 
l'idée  du  confort,  même  de  l'abondance;  le  mouvement,  la 
vie  qu'il  imprime  aux  environs,  appelle  sur  ces  propriétés 
individuelles  un  intérêt  bien  plus  grand,  plus  distinct  que  sur 
les  demeures  agglomérées  dans  les  villages  ou  les  villes.  Les 
poêles  allemands  ont  toujours  su  tirer  bon  parli  des  moulins, 
de  leur  site  et  de  leurs  habitants  ;  les  belles  meunières  ont 
défrayé  plus  d'une  ballade,  plus  d'un  opéra.  Paix  toutefois  à 
de  pareilles  réminiscences  !...  Il  nous  faut  ici  des  sujets  plus 
graves  et  plus  instructifs. 

Le  comté  de  llanau-Lichtenbcrg  est  traversé  par  plusieurs 
cours  d'eau  qui  viennent  porter  leur  tribut,  soit  isolé,  soit 
confondu,  au  grand  fleuve  de  la  frontière:  ce  sont  la  Zorn,  la 
Zinsel,  le  Sauerbach  ,  le  Sellzbach,  la  Mussig,  et  chacun  de 
ces  courants  est  utilisé  par  des  moulins  et  des  usines;  chacun 
a  son  histoire  domestique,  qui  remonte  parfois  assez  haut,  et 
se  traduit,  non  pas  en  chansons,  mais  en  emphytéoses  et 
baux,  en  discussions  des  meuniers  avec  les  seigneurs  ou  avec 
les  communes,  —  car  de  tout  temps  on  s'est  disputé  sur  l'usage 
de  l'eau ,  —  en  correspondances ,  en  rapports  de  fonction- 
naires et  d'employés,  en  questions  d'intérêts  journaliers,  qui 
ouvrent  des  échappées  de  vue  sur  l'existence  publique  et  pri- 
vée de  la  population. 

Le  moulin  de  Geuderlheim  ,  par  exemple,  possède  des  an 
nales  depuis  le  treizième  jusqu'au  dix-huitième  siècle  ;  des 
affaires  de  droit,  de  cabaret  et  de  mouture  se  rattachent  à  son 
exploitation.  Le  moulin  de  Deltwiller  a  des  souvenirs  qui 
touchent  au  quinzième  et  au  seizième  siècle.  En  1521  le  ma- 
gistrat de  Strasbourg  élève  des  réclamations  en  faveur  du  meu- 
nier de  Deltwiller,  son  homme,  auprès  du  comte  Philippe  de 
Hanau. 

Je  viens  de  nommer  le  village  de  Geuderlheim  ;  dans  ma  mo- 
nographie sur  Hanau-Lichtenberg  je  l'ai  pris  à  titre  d'exemple 
du  genre  de  récit  historique  (juo  comporteraient  nos  com~ 


SEPTIÈMK  LETTRE.  69 

munes  rurales.  Pendant  loiile  In  diuée  du  moyen  âge  et  les 
siècles  qui  ont  précédé  la  Piévolution ,,  Geudertheiin  avait  été 
partagé  entre  plusieurs  seigneurs  :  aussi  les  actes  relatifs  à  la 
copropriété  de  Geudertheim  remplissent-ils  plusieurs  liasses; 
ils  font  passer  sous  les  yeux  de  l'explorateur  la  famille  d'Och- 
senstein,  qui  acquiert  le  village,  dès  le  treizième  siècle,  des 
mains  des  Gougenheim  ;  puis  viennent  les  Rallisamhausen  , 
les  Linange,  les  Lichlenberg,  qui  revendent  leur  part  aux 
Ramstein.  En  1490,  c'est  Emmerich  Ritter,  le  receveur  gé- 
néral de  la  préfecture  de  Ilaguenau ,  qui  acquiert  une  partie 
de  Geudertheim  des  mains  des  Ramstein.  Au  commencement 
du  seizième  siècle,  l'empereur  Maximilien  le'-,  maître  de  la 
moitié  du  village ,  la  cède  à  son  secrétaire  Mathieu  Wurm , 
natif  de  Geudertheim  ;  de  là  des  litiges ,  des  émeutes  même , 
suscitées  par  Isaac  Wurm  contre  les  coseigneurs ,  et  qui 
amènent  en  4570  l'emprisonnement  de  ce  perturbateur  de 
l'ordre  public. 

Dans  le  bailliage  de  Brumath,  où  Geudertheim  était  situé , 
il  n'y  a  presque  pas  de  village  qui  n'ait  de  titre  remontant  au 
quinzième  siècle.  A  Brumath  même,  les  nombreux  actes  d'en- 
gagement mettent  en  rehef  l'instabilité  de  ces  sortes  de  co- 
propriétés. A  partir  de  1324  les  Lichtenberg  donnent  successi- 
vement, à  titre  de  gage,  Brumath,  le  château  et  le  bourg,  aux 
Fénétrange ,  aux  Bock  ,  aux  Linange  ,  aux  Zorn  ,  aux  Win- 
deck,  aux  Fegersheim.  Pendant  le  quinzième  siècle  (1450 
à  4452),  c'est  Brumath  surtout  qui  souffre  de  la  guerre  entre 
les  Lichtenberg  et  les  Linange ,  guerre  locale  qui  prit  de 
grandes  proportions ,  parce  que  des  deux  côtés  on  vit  des 
dynastes  alsaciens  et  lorrains  s'engager  dans  les  rangs  des 
combattants,  et  l'électeur  palatin,  Frédéric-le-Victorieux,  sou- 
tenir les  antagonistes  des  Lichtenberg.  Brumath ,  alors  de- 
meure seigneuriale  des  Linange,  fut,  dans  le  cours  de  cette 
lutte  intestine,  pris,  livré  au  pillage  et  aux  flammes  (10  juin 
4454).  La  paix  fut  conclue  sous  la  médiation  de  l'évêque  Ro- 
bert-le-Palatin  ;  mais  celte  transaction  entre  les  deux  partis 


70  AriCIIlVES  DÉPAUTEMEIVTALES  DU  BAS-RHIN. 

rivaux  n'avait  été  obtenue  qu'après  le  grand  désastre  des  Li- 
nange  et  des  Ochsenstcin ,  qui  succombèrent  dans  la  rencontre 
de  Reichshoffen ,  où  Scliaffrid  de  Linange  faillit  être  massacre 
par  le  bouillant  Louis  de  Lichtenberg.  C'est  à  la  suite  de  celte 
petite  bataille  que  le  donjon  de  Lichtenberg^  dont  nous  con- 
naissons déjà  la  situation  et  l'origine ,  se  remplit  de  prison- 
niers appartenant  aux  principales  familles  de  la  vallée  rhé' 
nane.  Dans  ces  occasions ,  les  frères  Louis  et  Jacques  de 
Lichtenberg  n'y  allaient  pas  de  main-morte  ;  ils  étaient  alors 
l'un  et  l'autre  dans  toute  la  verdeur  de  l'âge;  Louis  revenait 
d'un  pèlerinage  en  Terre-Sainte,  et  Jacques  n'avait  pas  encore 
abdiqué  son  énergie  aux  pieds  de  Barbe  d'Ollcnhcim. 

Je  vous  demande  pardon,  Monsieur,  de  ramener  encore 
une  fois  le  nom  de  celle  malheureuse  sur  les  pages  qui  de- 
vraient en  ce  moment  se  couvrir  exclusivement  d'analyses 
d'actes  de  vente  et  de  contrats  de  toute  nature;  mais  le  sort  et 
la  figure  de  la  maîtresse  de  Jacques  de  Lichtenberg  exercent 
sur  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de  l'histoire  de  cette  famille 
une  irrésistible  inllnence.  Pour  ceux  qui  seraient  tentés  de 
blâmer  celle  espèce  d'engouement,  je  les  engage  à  aller  étu- 
dier le  buste  de  la  belle  sorcière  et  le  récit  naïf,  rabelaisien , 
mais  émouvant  du  chroniqueur  Bernard  Herzog. 

Cet  estimable  écrivain  a  été  l'un  des  fonctionnaires  les  plus 
distingués  de  llanau-Lichlenberg.  Il  remplissait  la  charge  de 
bailli  de  Wœrth  dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle ,  et 
il  paraît  que  son  emploi  lui  a  laissé  des  loisirs  suffisants;  car 
son  œuvre  historique  a  dû  nécessiter  de  nombreuses  re- 
cherches sur  les  origines ,  les  destinées  et  les  familles  nobi- 
liaires de  noire  province.  Le  fonds  de  Ilanau-Lichtenberg 
renferme,  sous  la  rubrique  du  bailliage  de  Wœrth,  des 
rapports  écrits  de  la  main  de  Bernard  Herzog;  plus  d'une 
lettre  que  le  bailli  adresse  à  ses  maîtres ,  aux  comtes  Phi- 
hppe  (V)  et  Jean  Reinhard,  porte  sa  signature.  Il  acquiert 
des  maisons  et  des  terrains,  soit  de  ses  propres  deniers, 
soit  de  la  munificence  de  la  seigneurie  ;  quelquefois  on  en- 


^  SEPTIÈME  LETTRE.  71 

Irevoit  des  dissentiments  cnirc  elle  cl  lui ,  prouve  de  l'indé- 
pendance de  son  caractère  ;  d'autres  fois  il  est  délégué  par  le 
comte  de  Hanau  près  d'autres  seigneurs ,  amis  ou  antagonistes. 
C'est  ainsi  qu'il  prend  part  aux  conférences  de  Strasbourg, 
où  l'on  discutait,  avec  les  copropriétaires  de  la  Marche  de 
Marmoulier,  des  questions  de  juridictions  très-complexes. 
Dans  ces  conflits  surgissent  les  noms  de  l'abbé  Giselbert  de 
Marmoutier,  de  Tévcque  Jean  de  Manderscheid,  d'Egénolphe 
de  Ribeaupierre,  de  Philippe  V  de  Hanau-Lichlenbcrg;  mais 
celui  de  Bernard  Herzog  les  prime  tous;  lui,  ne  se  doutait 
guère  que  son  nom  modeste  serait  un  jour  acquis  à  la  science 
moderne,  et  offrirait  plus  d'intérêt  que  ceux  des  grands  sei- 
gneurs dont  il  se  disait  le  très-humble  sujet. 

La  Mark  ou  Marche  de  Marmoutier,  patrimoine  primiitif  du 
monastère  du  même  nom,  occupe  dans  les  papiers  de  Hanau- 
Lichtenberg  un  des  premiers  rangs,  quoique  nos  seigneurs  par- 
tageassent avec  cinq  ou  six  autres  ce  domaine,  ancien  fief  de 
l'évêchédeMetz.  J'aurai  l'occasion  d'en  reparler,  lorsque  vien- 
dra le  tour  de  l'abbaye  de  Marmoutier,  toujours  en  supposant 
que  d'ici- là  vous  ne  soyez  point  fatigué  de  cette  pérégrination. 

La  vallée  de  Reichshoffen  ou  le  bailliage  de  Niederbronn, 
propriété  temporaire  de  Hanau-Lichlenberg(dc  1570  à  1707), 
attire  aussi  l'attention  à  raison  de  la  ville  aux  eaux  thermales. 
L'amodiation  de  la  maison  des  bains,  l'accueil  à  faire  aux 
membres  de  la  famille  seigneuriale  ou  à  d'autres  personnages 
haut  placés,  forment  le  sujet  de  quelques  rapports  de  baillis. 
Dans  le  voisinage  immédiat  de. cette  locahté ,  le  Jsegerthal  avec 
ses  usines  commençait  à  être  exploité.  Le  château  de  Reichs- 
hofl'en,  dans  le  même  district,  fait  le  sujet  d'une  correspon- 
dance variée  de  la  seigneurie  de  Hanau  avec  les  évêques  et  le 
grand-chapitre  de  Strasbourg,  enfin  avec  le  margrave  Jean- 
George  de  Brandebourg ,  administrateur  protestant  de  l'évêché 
de  Strasbourg  pendant  les  années  de  scission  confessionnelle 
qui  font  la  triste  clôture  du  seizième  siècle  dans  l'histoire  de 
notre  province. 


72  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

La  première  moitié  du  dix-septième  siècle  se  présente  avec 
son  inévitable  cortège  de  misère  et  de  massacres.  Les  pièces 
de  la  plupart  des  bailliages  confirment  les  faits  déjà  connus 
de  cette  efiroyable  guerre  de  Trente  ans  ou  contribuent  à  en 
varier  les  scènes  désolantes.  J'ai  cité,  dans  mon  rapport  de 
1849,  la  commune  d'Ernolsheim,  propriété  des  Lichtenberg 
dès  1395;  ce  beau  village,  d'après  une  note  adressée  parle 
prévôt  à  la  régence  de  Bouxwiller,  en  16-44,  c'est-à-dire 
quatre  ans  avant  la  conclusion  de  la  paix,  n'avait  plus  que 
dix  habitants.  Et  savez-vous  ce  qu'étaient  ces  pauvres  restes 
d'une  population  de  six  à  huit  cents  âmes  ?  huit  bourgeois  et 
deux  femmes,  dont  l'une  vieille,  l'autre  dévorée  de  maladies 
et  chargée  d'un  enfant  sans  père  ;  pas  un  cheval ,  pas  une 
vache  dans  les  écuries;  pas  un  brin  de  paille  ou  de  foin  dans 
les  greniers  ;  mais  des  logements  militaires  deux  fois  par 
semaine.  Qu'y  a-t-il  de  plus  éloquent  qu'une  pauvre  feuille 
de  papier  avec  de  semblables  détails  !  L'étude  de'la  guerre  de 
Trente  ans  en  Allemagne  et  plus  spécialement  dans  notre  pa- 
trie locale  a  été  longtemps  pour  moi  un  cauchemar  ;  il  m'a 
fallu  un  grand  effort  pour  le  secouer.  J'ai  visité  à  plus  d'une 
reprise  le  piltorcstjue  villaî^e  d'Ernolsheim  et  ses  belles  châ- 
taigneraies sur  le  penchant  de  la  montagne  ;  récemment 
encore  je  l'ai  salué  de  loin ,  en  passant  au  pied  des  Vosges 
avec  le  cortège  d'archéologues,  jeunes  et  vieux,  amateurs  et 
savants,  qui  se  pressaient  autour  de  M.  deCauniont;  mais 
toujours  l'image  de  cette  population  du  dix-septième  siècle, 
afTamée,  réduite  à  un  centième,  venait  se  mêler  aux  rêves  de 
bonheur  qu'évoque  ce  beau  site  et  sa  fertilité  exceptionnelle. 

Lorsqu'on  examine  l'interminable  série  de  la  comptabilité 
des  bailliages  dans  notre  fonds  de  Ilanau-Lichlenberg,  on 
s'aperçoit  invariablement,  à  partir  de  1618  jusqu'en  1650,  de 
l'influence  de  la  guerre  fratricide.  C'est  une  diminution  de  re- 
cette, et  une  augmentation  de  dépense  qui  effrayent;  ou  bien 
les  comptes  ,  ce  qui  est  plus  fréquent  encore,  ne  commencent 
qu'après  la  guerre  ;  car  pendant  cette  interminable  tragédie 


SEPTIÈME  LETTRE.  73 

on  ne  vivait  qu'au  jour  le  jour  et  il  n'y  avait  plus  de  solde  à 
régler  ;  j'ai  remarqué  de  même,  et  ceci  s'applique  à  tout  notre 
dépôt  départemental ,  à  toutes  nos  archives  communales,  que 
la  plupart  des  renouvellements  de  biens  et  des  livres  terriers 
dataient  de  quelques  années  après  la  paix  de  Westphalie.  On 
recommençait  à  vivre,  à  faire  un  pacte  avec  l'existence;  mais 
que  de  fermes,  que  de  villages  détruits  à  jamais  !  La  population 
des  grands  centres  a  constamment  tendu  à  augmenter  depuis 
cette  époque  désastreuse  ;  mais  on  n'a  pas  observé  la  même 
progression  dans  les  communes  rurales. 

Nos  châteaux  forts  ont  aussi  subi,  on  le  sait,  de  notables 
dégradations  pendant  cette  longue  guerre  ;  mais  leur  destruc- 
tion totale  date  surtout  de  l'époque  des  guerres  de  Turenne 
et  de  ses  successeurs.  Au  point  de  vue  de  la  prospérité  du 
pays  la  chute  de  ces  nids  d'aigle  n'intéresse  pas,  comme 
la  disparition  des  villages  nourriciers;  seulement  au  point  de 
vue  historique  on  serait  heureux  de  trouver  plus  de  données 
précises  sur  leur  abandon  ou  leur  destruction.  Aux  châteaux 
situés  dans  les  domaines  de  Hanau-Lichtenberg ,  tels  que 
Reichshoffen  ,  Windeck  ,  Geroldseck  ,  Ochsenstein ,  Hatten, 
Niederrœdern  etc.,  se  rattachent  on  de  longues  séries  de 
lettres  réversales,  d'investitures,  de  pactes  de  famille,  de 
conventions  publiques,  de  paix  castrales  ou  des  détails  d'ad- 
ministration et  de  comptabilité  ,  mais  peu  ou  point  de  détails 
sur  les  sièges  soutenus,  sur  la  sape  qui  a  fait  écrouler  ces 
murs  et  ces  tours  superbes. 

Maintenant,  Monsieur,  si  vous  me  demandiez  de  préciser 
en  quelques  hgnes  ce  que  sont  ces  milliers  de  titres  qui 
forment  les  archives  administratives  de  Hanau-Lichtenberq-, 
je  dirais  qu'ils  embrassent  dans  sa  totalité  la  vie  d'une  pro- 
vince ;  qu'invariablement  les  constitutions  de  rente  y  prennent 
le  plus  de  place;  qu'une  longue  série  de  rayons  est  remplie 
de  ventes,  d'échanges,  de  donations,  d'actes  testamentaires, 
de  baux  et  d'cmphytéoscs,  d'obligations  et  de  créances,  de 
pièces  de  procédure  et  de  transactions,  en  un  mot  de  ces  mille 


74  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  lUS-IiHIN. 

el  une  pièces  qui  de  nos  jours  forment  l'étude  d'un  notaire. 

Les  dossiers  qui  concernent  les  travaux  publics ,  les  édifices 
el  les  routes  ,  les  fleuves  et  les  cours  d'eau  sont  nombreux  ; 
presque  tous  ces  titres  et  ceux  qui  précèdent  émanent  des 
seigneurs  de  Lichtenberg  eux-mêmes  ;  cependant  autour  d'eux 
se  groupent  aussi  les  noms  de  seigneurs  ecclésiastiques  et 
laïques  de  notre  province  et  des  pays  voisins,  et  ils  font  à  nos 
seigneurs  de  Bouxwiller  un  cortège  historique.  Les  noms 
des  «  vilains  »  sont  plus  nombreux  encore ,  el  ils  ont  aussi 
leur  valeur  relative  ;  ils  constituent  les  annales  domestiques  , 
bourgeoises,  roturières  d'une  province;  l'outrecuidance  seule 
pouiTait  les  couvrir  de  dédain.  Au  début  de  ma  carrière  d'ar- 
chiviste ,  j'étais  peu  soucieux  ,  je  l'avoue ,  de  pareille  matière  ; 
je  m'en  tenais  plutôt  aux  noms  qui  avaient  une  signification 
ou  une  valeur  aristocratique  ;  l'expérience  et  les  conseils  de 
collègues  plus  anciens  que  moi  m'apprirent  à  attacher  de  la  va- 
leur même  à  ces  noms  rustiques.  Je  fus  en  dernier  lieu  con- 
verti par  un  argument  ad  hominem,  lorsque  je  rencontrai  le 
nom  patronymique  très-obscur  que  je  porte  moi-même  ,  dans 
un  document  de  la  première  moitié  du  quinzième  siècle.  Sans 
avoir  la  prétention  d'établir  un  arbre  généalogique  qui  me 
rattache  en  ligne  droite  ou  collatérale  à  cet  ancêtre  ,  j'éprou- 
vai quelque  plaisir  à  voir  que  ce  nom  n'était  pas  d'hier,  et  je 
compris  davantage  encore  la  fort  innocente  satisfaction  des 
grandes  familles  nobiliaires  qui  retrouvent  ou  croient  retrou- 
ver dans  des  temps  plus  reculés  encore ,  leurs  aïeux  bons  ou 
mauvais,  célèbres  ou  inconnus. 

A  l'aide  des  documents  de  Hanau-Lichtenberg  on  pourrait 
reconstruire  ,  pour  beaucoup  de  villages  de  l'Alsace  moyenne, 
de  petites  notices  spéciales ,  qui  auraient  pour  chaque  clo- 
cher l'incontestable  mérite  de  montrer  «que  dans  chaque 
«  petit  groupe  communal  s'agitaient,  à  toutes  les  époques, 
«des  passions,  preuve  de  vie  et  de  fécondité  ;  que  sur  le  point 
«le  plus  imperceptible  du  territoire,  il  existait  des  travail- 
«  leurs  qui  acquéraient  lentement  et  défendaient  ou  transmet- 


SEPTIÈME  LETTRE.  75 

«taieni  à  d'autres  ce  qu'ils  avaient  acquis  '.  »  Lorsqu'on  par- 
court les  nombreux  règlements  municipaux  conservés  dans  ccf 
fonds,  l'organisation  de  nos  municipalités  du  moyen  âge  se 
dessine  nettement  devant  la  pensée.  Ce  qui  serait  plus  intéres- 
sant encore,  ce  serait  de  retrouver  l'histoire  de  la  première 
naissance  de  nos  communes  rurales,  le  secret  de  leur  forma- 
lion....  Mais  notre  fonds  de  Hanau-Lichtenberg  n'en  fournit 
point  les  matériaux,  et  les  ouvrages  théoriques  que  j'ai  con- 
sultés à  ce  sujet  n'ont  fait  qu'épaissir  pour  moi  l'obscurité 
qui  enveloppe  toute  origine  première.  Est-ce  la  ferme  iso- 
lée —  plus  tard  la  villa  mérovingienne  —  qui  est  le  point  de 
départ,  le  noyau  primitif  du  village?  ou  bien  le  village  est-il 
une  agglomération  première  de  tous  les  membres  appartenant 
à  une  môme  famille ,  à  une  même  tribu?...  Pardon  de  ces 
questions,  mais  il  me  semble  qu'elles  ont  de  la  valeur  pour 
toute  personne  qui  pense,  et  que,  même  sans  aboutir  à  une 
solution,  il  suffît  de  poser  de  pareils  problèmes  pour  indiquer 
le  degré  d'intérêt  auquel  peuvent  arriver  les  recherches  qui 
s'appliquent  à  pénétrer  derrière  le  voile  dont  l'origine  de 
toute  société  se  couvre. 

Longtemps  j'ai  pensé  que  la  métairie  individuelle  était  le 
germe  du  village;  et  je  persiste  encore  à  croire  que  plus 
d'une  commune  rurale  de  notre  Alsace  s'est  formée  par  l'ac- 
croissement et  la  fusion  des  dépendances  de  la  villa  mérovin- 
gienne. Mais  dans  les  contrées  d'outre-Rhin,  dans  l'Alle- 
magne méridionale  et  en  remontant  avant  l'ère  chrétienne, 
les  choses  ne  paraissent  pas  s'être  passées  ainsi.  Au  moment 
où  la  Germanie  fut  peuplée  par  des  nomades ,  venus  de 
l'Orient ,  la  culture  du  sol  a  dû  être  entamée  par  grandes 
masses;  c'est  la  tribu,  c'est  le  clan  qui  paraît  avoir  possédé 
et  défriché  en  commun  la  Marche  (Mark),  le  finage,  le  ban 
ou  le  territoire  communal  dont  il  s'emparait.  Sous  ce  rap- 
port ,  l'Algérie  nous  offre  encore  le  rudiment  du  village  pa- 

'  Voy.  Le  comté  de  Ilanau- Lichtenberrj ,  par  rarcliiviblo  ,  p.  il. 


76  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  lUS-RHIN. 

triarcal  ;  la  tribu  y  vit,  agglomérée  autour  du  Scheich  ;  l'élève 
'du  bétail  forme  la  ressource  première  et  principale  ;  l'exploi- 
tation du  sol  en  grand  et  en  comçiun  arrive  en  seconde  ligne. 
En  Germanie ,  le  village  s'est  probablement  formé  et  développé 
d'une  manière  analogue;  et  de  même,  dans  la  Gaule  primi- 
tive, en  Scandinavie,  chez  les  races  slaves,  chez  les  Magyares 
en  Hongrie  ,  et  au  delà  de  l'Océan  chez  les  tribus  aztèques  ou 
mexicaines.  La  formation  de  la  Marche ,  la  constitution  du 
ban ,  serait,  en  un  mot,  la  transition  de  la  vie  nomade  à  la 
vie  agricole'. 

Tout  cela,  répliquerez-vous,  ne  sont  que  des  hypothèses,  pass 
sons  outre....  ou  plutôt  ne  nous  égarons  pas  davantage  jusque 
dans  les  steppes  de  l'Asie  ou  sur  les  plateaux  et  dans  les  sa- 
vanes du  Mexique  ;  revenons  à  nos  modestes  et  pacifiques  ar- 
chives du  Bas-Rhin,  à  leur  contenu  positif,  aux  hommes,  aux 
familles  que  nous  connaissons,  et  dont  nous  pouvons  retrouver 
la  trace,  sans  sautera  pieds  joints  par  dessus  l'abîme  des  âges, 
jusque  dans  les  temps  anté-historiques^. 

Ce  sera  donc.  Monsieur,  dans  ma  prochaine  lettre,  le  tour 
des  Linange. 

'  Voy.  l'ouvrage  allemand  de  M.  de  Mauror  sur  la  conslilulion  de  la  Marche, 
de  la  forme,  du  village  el  du  pouvoir  public. 

2  r>an.s  l'Afiifiue  centrale,  l'illuslre  cl  audacieux  voyageur  Barth  a  fait  dos 
observations  d'une  immense  portée  sur  la  formation  dos  communes.  Je  prends, 
à  litre  d'exemple  ,  le  vaste  district  d'Adamava  ou  de  Foumbina  que  les  Foulbé 
(fellanis,  fellataiis)  —  celle  puissante  nation  nègre,  maliomélane,  conqué- 
rante —  s'occupent  à  coloniser  en  ce  moment.  Eh  bien!  on  y  remarque  la 
double  voie  que  je  suis  tenté  d'admettre  pour  l'origine  des  villages  ou  com- 
munes en  Alsace.  I.a  métairie  du  gouverneur  el  des  sous-cliefs  serl  de  point 
de  départ  et  devient  peu  à  peu  le  noyau  d'une  série  d'autres  habitalions; 
mais  il  existe  aussi  des  communautés  complètes  dès  le  principe,  des  bour- 
gades ou  des  villages  formés  par  l'agglomération  dos  fimilles  de  la  race  con- 
quérante; eniin  dos  villages  ou  hameaux  exclusivement  habités  par  les  esclaves 
de  la  race  conquise,  c'osl-a-dire  par  les  nègres  païens  et  indigènes.  Je  dois 
me  borner  ici  a  ces  rapides  indications. 


HUITIEME    LETTRE.  77 

HUITIÈME  LETTRE. 

Fonds  de  la  seigneurie  «l'OberBironn  on  de  la  famille  de  Linauge.  — ■ 
Détails  géuôalogtqiies.  —  Iii>  eliàtcaii  «i'Obei'brwiiu  en  lOGO.  — 
l.e  château  d'Ohei'Nlein.  —  Procédures  scandaleuses  de  la  famille 
de  IJnauge.  —  iJniboui'g  etc. 

Monsieur , 

Dans  la  plaine  fertile  du  Palatinat,  aux  pieds  de  la  chaîne 
du  Haardtgebirge  ,  prolongation  septentrionale  des  Vosges  , 
se  trouve  située  la  charmante  petite  ville  de  Dûrkheim.  Des 
vignobles  productifs  couvrent  le  revers  occidental  de  la 
chaîne  ;  les  villas  des  riches  propriétaires  et  des  commerçants 
ornent  les  collines  ou  bordent  la  route  ;  c'est  un  pays  qui 
respire  l'abondance  et  le  bien-être;  aussi  chaque  automne 
voit  arriver  une  foule  d'étrangers  qui  viennent  chercher  à 
Diirkheim  la  santé  dans  l'usage  plus  ou  moins  modéré  du 
raisin ,  dont  les  grappes  dorées  mûrissent  sur  ces  coteaux 
privilégiés.  Une  vaste  esplanade  en  terrasse  réunit  tous  les 
matins  ces  groupes  de  souffrants  et  de  désœuvrés.  C'est  sur 
l'emplacement  du  château  desLinange,  autrefois  seigneurs 
de  ces  lieux ,  que  se  professe  et  se  pratique  ce  nouveau  culte 
d'Esculape.  Dans  les  vallées  voisines,  des  ruines  féodales' 
rappellent  le  nom  et  les  demeures  primitives  de  ces  mêmes 
seigneurs,  et  offrent  aux  simples  promeneurs  un  but  pitto- 
resque,  au  touriste-archéologue  un  objet  d'exploration. 

Un  peu  plus  au  nord,  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  la  petite 
seigneurie  de  Miltenberg-Amorbach  ,  perdue  dans  les  solitudes 
boisées  et  les  prairies  de  l'Odenwald  ,  sert  depuis  1806  do  ré- 
sidence à  un  rejeton  de  l'une  des  branches  de  cette  même  fa- 
mille que  nous  venons  de  rencontrer  au  pied  et  dans  l'inté- 
rieur des  montagnes  du  Palatinat. 

Rentrons  en  Alsace....  A  Oberbronn  un  vieux  château  du 

'  ^1/;-  ttnd  Scu-LeiniiKjen  ;  le  vieux  el  le  nouveau  I.inange. 


78  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  Di:  DAS-RIIIN. 

seizième  siècle,  de  médiocre  architecture,  se  présente  aussi 
comme  résidence  de  la  famille  des  Linange,  autrefois  sei- 
gneurs de  celte  localité  et  de  ses  riants  alentours.  Des  faits, 
assez  graves  pour  mériter  une  large  place  dans  l'histoire  de 
notre  province,  se  sont  passés  dans  cet  édifice;  nous  allons 
y  revenir. 

A  Brumath,  un  château  des  Linange  fut  en  1-451  le  théâtre 
d'une  lutte  entre  cette  famille  et  les  Lichtenherg;  peut-être 
en  avez-vous ,  depuis  ces  dernières  semaines ,  gardé  quelque 
souvenir*. 

Le  pittoresque  comté  de  Daho ,  territoire  des  ruines  cel- 
tiques, sur  le  revers  occidental  des  Vosges ,  en  Lorraine,  ap- 
partenait pendant  assez  longtemps  à  l'une  des  hranches  des 
Leiningen  (Linange-Daho). 

Je  pourrais  à  la  rigueur  vous  promener  dans  d'autres  par- 
ties de  la  Lorraine,  de  l'Alsace  et  du  Palatinat,  voire  même 
jusqu'en  Angleterre,  dans  le  voisinage  du  trône  de  la  Grande- 
Bretagne  ,  et  vous  y  montrer  le  nom  et  le  souvenir  de  cette 
famille. 

Mais  je  commence  par  vous  déclarer  ou  plutôt  par  vous 
rappeler  que  ce  n'est  pas  chose  facile  (jue  de  se  retrouver  dans 
les  rameaux  de  cet  arhrc  généalogique  vraiment  incommen- 
surable; il  faudra  me  borner  à  quelques  indications  som- 
maires, sauf  à  renvoyer  les  courageux  lecteurs  qui  seraient 
tentés  d'en  apprendre  davantage,  à  un  rapport  officiel  que  j'ai 
présenté  au  préfet  du  Bas-Rhin  en  1857  sur  le  «fonds  de  la 
seigneurie  d'Oberbronn. »  Là,  dans  de  longues  pages,  je  me 
suis  étendu ,  par  devoir ,  et ,  j'ose  le  dire  ,  avec  une  impitoyable 
conscience,  sur  celte  ingrate  matière;  je  crois  même,  Mon- 
sieur, qu'à  cette  occasion  vous  m'avez  complimenté  sur  la 
fatigue  que  je  vous  avais  fait  éprouver;  j'en  ai  une  vraie  peine 
rétrospective;  mais  que  serait-ce  si  vous  aviez  été  tenu  d'é- 
tudier, comme  moi,  les  pages  du  manuel  généalogique  de 

-  Vov.  la  lellre  sixième. 


HUITIÈME    LETTRE.  79 

Kliiber,  qui  se  rapportent  aux  Linange,  et  les  recherches  ana- 
logues de  Riehl  sur  la  même  famille,  et  les  volumineux  dos- 
siers de  procédure  qui  constituent  à  peu  près  exclusivement 
les  débris  de  ces  archives  seigneuriales?  Mais  ayant  pris 
l'engagement  de  vous  mettre  au  courant  de  nos  archives,  ce 
serait  un  cas  grave  de  passer  sous  silence  un  fonds  de  26,000 
pièces;  je  vais  donc  m'efforcer  de  découvrir  quelques  clai- 
rières dans  cette  forêt  de  litiges^  et  de  rendre  l'arbre  généa- 
logique des  Linange  un  peu  présentable,  en  émondant  ses 
branches  parasites. 

Il  y  avait  d'abord  —  pardon  de  commencer  comme  dans 
les  contes  de  fées  —  une  bien  ancienne  famille  des  Linange , 
dont  les  branches  actuelles  ne  descendent  que  par  les  femmes. 
C'est  de  cette  vieille  dynastie  qu'on  serait  le  plus  heureux  de 
s'occuper,  si  les  renseignements  certains  ne  faisaient  défaut. 
La  tradition  met  les  premiers  Linange  en  rapport  avec  les  em- 
pereurs romains  ;  l'histoire  nous  montre  un  de  leurs  ancêtres , 
Wiprecht,  se  battant  sous  Henri  l'Oiseleur  avec  les  féroces 
Magyares  ou  Hongrois. 

Saint-Héribert ,  archevêque  de  Cologne  et  intime  conseiller 
de  l'empereur  Otton-le-Grand ,  est  le  petit-fils  de  ce  Wiprecht. 
Après  lui,  les  sièges  épiscopaux  d'Augsbourg,  de  Wi^irzbourg 
et  de  Spire ,  furent,  au  douzième  siècle  ,  occupés  par  quelques 
Linange;  dans  les  grands  tournois  de  cette  époque  leurs  noms 
brillent  parmi  ceux  des  plus  audacieux  chevaliers  ;  un  des 
leurs  s'inscrit  au  rang  des  premiers  Minnesingers  ou  trouvères 
allemands. 

Cette  ancienne  branche  s'éteignit  en  1220.  A  partir  d'ici, 
il  faut  vous  résigner  à  ajouter  foi  à  mes  affirmations ,  sans  me 
demander  compte  des  détails  accessoires  que  je  passe  sous 
silence  ,  dans  l'intérêt  de  vos  loisirs. 

Frédéric  de  Hardenbourg  succéda  à  son  oncle  maternel , 
Frédéric  de  Linange,  dont  il  prit  les  armes  (les  trois  aiglons); 
il  acquit  de  plus,  par  mariage,  le  comté  de  Dabo  ou  de  Dags- 
bouru'. 


80  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN- 

Cent  ans  plus  tard,  en  1317,  les  possessions  territoriales 
fies  Linange-Dabo  furent  partagées  entre  deux  frères.  11  est 
inutile  de  charger  votre  mémoire  de  leurs  noms;  veuillez 
seulement  retenir  que  l'arrière-petit-fils  de  l'un  d'eux,  Iles- 
son,  fut  élevé  en  iM4;,  par  l'empereur  Frédéric  III,  à  la  di- 
gnité de  landgrave,  et  qu'il  mourut  en  li67  sans  laisser  de 
postérité  mâle.  Mais  il  avait  une  sœur  ambitieuse  et  active, 
veuve  du  comte  Rcinhard  de  Westerbourg  (dans  le  Wester- 
wald).  Celte  femme  virile,  qui  se  nommait  Marguerite,  s'em- 
para de  la  plupart  des  possessions  territoriales  de  feu  son 
frère ,  le  landgrave  Ilesson.  Dans  les  empiétements  qu'elle  se 
permit  ainsi,  au  détriment  de  la  branche  cadette  de  Linange- 
Dabo,  elle  fut  assistée  par  l'électeur  palatin,  Frédéric-le- 
Viclorieux,  dont  nous  retrouvons  partout  le  nom  dans  nos 
annales  rhénanes. 

Marguerite  prit  bravement  le  titre  de  comtesse  de  Linange 
et  devint  la  fondatrice  de  la  nouvelle  maison  de  Linange- 
Westerbourg. 

Chacune  des  deux  branches  principales  de  Linange-Dabo 
et  de  Linange-Westcrbourg  se  subdivisa  en  une  infinie  quan- 
tité de  rameaux;  je  vous  en  fais  grâce  :  suivez-moi  seule- 
ment dans  l'expose  succinct  des  destinées  de  Linange-Wester- 
bourg. 

Il  était  écrit  que  les  Westerbourg  feraient  leur  fortune  par 
les  femmes.  De  même  que  Marguerite,  sœur  du  landgrave 
Hesson,  leur  avait  apporté,  par  usurpation,  une  partie  con- 
sidérable des  possessions  patrimoniales  de  Linange-Dabo, 
une  autre  femme,  Amélie  de  Dcux-Ponts-Bitche,  épouse  de 
Philippe  de  Linange-Westerbourg ,  apporta,  vers  le  milieu 
du  seizième  siècle,  dans  sa  nouvelle  famille,  la  seigneurie 
d' Oherhronn. 

Nous  voilà  maintenant.  Dieu  merci,  sur  terre  ferme,  et  il 
nous  est  permis  de  respirer. 

Cette  seigneurie  d'Oberbronn  était  un  petit  fragment  de 
l'ancienne  seigneurie  de  Lichtenberg.  Puis-je  faire  un  appel 


IHUTiÈME    LETTRE.  8! 

à  voire  mémoire?....  Vous  sotivcnez-vous  de  Jacques  de 
Lichlenberg,  amanl  de  la  belle  sorcière?  Vous  souvenez-vous 
de  sa  mort  en  1481 ,  el  du  partage  de  sa  succession  entre  deux 
nièces,  dont  l'une  était  la  femme  de  Simon-Wecker,  comte 
de  Deux-Ponts-Bilclie?  C'est  Amélie,  la  fille  de  ce  Simon-We- 
cker, qui  apporta  la  belle  propriété  d'Oberbronn  aux  Linange- 
Westerbourg. 

Les  nouveaux  seigneurs  résidaient  alternativement  à  Ober- 
bronn  el  à  Rauschenbourg,  prés  d'ïngwiller.  Le  château 
d'Oberbronn  ne  datait  ni  des  anciens  comtes  de  Lichtenberg 
ni  des  Deux-Ponts-Bitcbe;  il  ne  fut  construit  que  dans  la 
seconde  moitié  du  seizième  siècle  par  les  Linange,  et  devint, 
dans  la  seconde  moitié  du  dix-septième,  le  théâtre  de  scènes 
étranges  que  j'ai  retracées  dans  un  autre  cadre,  mais  dont 
vous  me  permettrez  de  rappeler  ici  les  principaux  incidents. 
A  la  suite  de  mon  récit  très-sommaire,  vos  lecteurs  com- 
prendront pourquoi  les  archives  de  la  seigneurie  d'Oberbronn 
ou  deLinange-Westerbourg  sont,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut, 
si  mal  fournies  en  documents  historiques.  Je  n'ose  d'ailleurs 
me  flatter  que  mon  Mémoire  sur  le  château  d'Oberbronn,  confié 
nw  Bulletin  delà  Société  historique  d'Alsace\  ait  franchi  le 
forum  de  ce  public  spécial;  je  puis  donc,  sans  trop  de  pré- 
somption ,  emprunter  quelques  lignes  à  ce  récit. 

Pour  imprimer  au  fait  incroyable  que  je  vais  raconter  son 
caractère  spécial,  je  rappellerai  aussi  que  l'événement  se 
passa  une  vingtaine  d'années  après  la  réunion  de  l'Alsace  à 
la  France. 

Le  comte  Philippe  de  Linange-Westerbourg  avait  vendu 
en  1605  une  partie  de  ses  domaines,  situés  dans  la  Lorraine 
allemande,  au  comte  palatin  Adolphe-Jean,  frère  de  Charles  X, 
roi  de  Suède,  et  oncle  de  Charles  XL  L'acquéreur  ne  s'était 
pas  hâté  d'acquitter  le  prix  assez  considérable  de  la  vente  ;  il 
restait  débiteur  de  90,000  rixdalers  au  moment  de  la  mort 

^Tome  II,  p.  2G0. 


82  AUCIIIVES  DEPAnTEMFlNTAI.ES  DU  BAS-RIIIN. 

du  vendeur.  A  la  sommation  du  fds  du' comte  Philippe,  qui 
était  lui-même  obsédé  et  pressé  par  ses  propres  créanciers, 
le  comte  palatin  répondit  d'abord  par  une  fin  de  non-rccevoir; 
puis,  après  avoir  enrôlé  en  cachette,  au  fond  de  la  Wcstpha- 
lie,  des  soudards  Saxons,  derniers  débris  delà  guerre  de  Trente 
ans,  il  envahit,  lui,  le  prince  allemand,  il  envahit  sur  le  ter- 
ritoire français  le  château  d'Oberbronn  (16  au  17  mars  1609). 

Cet  acte  brutal  avait  été  précédé  d'une  correspondance 
curieuse  entre  les  deux  parties,  car  les  enrôlements  avaient 
transpiré,  et  Eberhard-Louis,. comte  de  Linange,  avait  eu  le 
temps  de  prévenir  l'électeur  de  Mayence  et  quelques  digni- 
taires de  l'empire  germanique.  On  s'était  moqué  de  lui  et  de 
ses  craintes  pusillanimes  ;  «on  ne  pouvait  croire  à  des  inten- 
«tions  aussi  malveillantes  de  la  part  de  Son  Altesse  Sérénis- 
«  sime  le  comte  palatin.  » 

A  distance  de  l'événement,  nous  ne  pouvons  nous  empê- 
cher maintenant  de  nous  demander  :  pourquoi  ne  s'adres- 
sait-il pas  à  Louis  XIV,  dont  il  relevait  comme  possesseur  de 
la  seigneurie  d'Oberbronn?  Hélas!  c'est  qu'il  occupait  aussi 
la  charge  de  président  de  la  Chambre  impériale  de  Spire;  sa 
position  personnelle  était  aussi  ambiguë  que  celle  de  l'Alsace 
elle-même;  en  sa  qualité  de  magistrat  impérial,  il  devait 
avoir  le  roi  de  France  en  horreur. 

La  palatin  avait  au  surplus  donné  les  assurances  verbales 
les  meilleures,  et  le  comte  de  Westerbourg,  tout  confiant, 
allait  partir  pour  Spire,  lorsque  dans  la  nuit  du  15  au  10  mars 
16C9,  un  écuyer  se  précipita,  bride  abattue,  dans  la  cour  du 
château  d'Oberbronn,  en  jetant  le  cri  d'alarme  :  Les  Saxons 
arrivent  ! 

Quoique  peu  habitué  au  métier  de  la  guerre,  le  comte  de 
Westerbourg  arme  à  la  hâte  ses  gens,  fait  barricader  portes 
et  fenêtres^  et,  avec  une  quinzaine  de  serviteurs  fidèles,  sou- 
tient bravement,  pendant  plusieurs  heures,  le  feu  des  assail- 
lants, qui  avaient  attaqué  le  château  en  poussant  des  cris 
forcenés.  La  cour  du  château  était  envahie;  une  trentaine  de 


HUITIÈME   LETTRE.  80 

Saxons  étaient  étendus  par  terre;  mais  quelques-uns  des  dé- 
fenseurs aussi  sont  blessés;  leur  courage  faiblit.  On  supplie 
le  comte  de  Linange  de  céder,  de  se  soustraire  à  une  mort 
certaine.  Il  saule  par  dessus  les  murs  du  jardin,  se  fracture 
la  jambe;  im  serviteur  dévoué  le  charge  sur  ses  épaules,  et 
le  transporte,  au  point  du  jour,,  à  travers  la  montagne  dans, 
le  château  de  Rauschenbourg. 

Pendant  ce  temps,  le  château  d'Oberbronn  se  trouva  livré 
à  toutes  les  violences  d'une  soldatesque  exaltée  de  son  succès 
et  enivrée  de  libations  abondantes  ;  le  vin  coulait  dans  les 
caves  seigneuriales  comme  dans  les  jours  de  grande  réjouis- 
sance publique.  Les  cris  du  bailli  et  des  domestiques  torturés 
])ar  les  soldats,  formaient  le  sinistre  accompagnement  de  cette 
orgie,  qu'encourageait  la  présence  du  comte  palatin.  Les  ar- 
chives furent  envahies  et  les  documents  jetés  par  les  fenêtres, 
foulés  aux  pieds  des  chevaux,  ou  employés  comme  combus- 
tible pendant  les  journées  qui  suivirent  cette  nuit  sinistre.  Les 
arbres  des  beaux  vergers  qui  formaient  une  ceinture  toufl'ue 
autour  de  la  demeure  seigneuriale  furent  coupés  sur  pied. 
Ainsi,  les  documents  témoins  du  passé,. les  récoltes  accumu- 
lées dans  les  granges,  ressource  du  présent,  et  les  planta- 
tions, promesse  d'avenir,  tout  subit  le  même  sort. 

En  attendant ,  la  bande  indisciplinée  qui  avait  commis  tous 
ces  dégâts,  se  trouva  bientôt  dans  une  grande  perplexité.  Elle 
avait  été  enveloppée  ;  assiégée  elle-même  par  les  habitants 
d'Oberbronn ,  sujets  fidèles  du  comte  Eberhard-Louis  de  Li- 
nange, elle  se  mourait  de  soif,  car  le  vin  était  gaspillé,  et  les 
sources  qui  fournissaient  l'eau  avaient  été  détournées  par  les 
assiégeants.  Dans  cette  extrémité,  la  garnison  palatine  en- 
traîna sur  les  murs  du  château  le  bailli  d'Oberbronn,  son  pri- 
sonnier, et  menaça  de  mort  le  malheureux,  à  la  vue  des  as- 
siégeants ;  ceux-ci,  émus  et  plus  humains  que  leurs  ennemis, 
consentirent  à  rendre  les  sources  à  la  garnison  et  à  l'approvi- 
sionner. 

Sur  ces  entrefaites,  le  comte  palatin  qui,  dès  le  lendemain 


Si  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

de  sa  victoire  effrontée,  était  allé  chercher  des  renforts  dans 
ses  domaines  patrimoniaux  d'Alsace  et  du  Palatinat,  revint, 
et  pour  récompenser  les  hahilants  d'Oberbronn  de  leur  con- 
descendance charitable,  il  mit  le  feu  aux  quatre  coins  du  vil 
lage,  après  avoir  fait  emmener  toutes  les  provisions  dans  le 
château.  La  réprobation  publique  avait  été  unanime  en  Alsace 
et  au  delà  des  frontières;  sans  doute  le  palatin  pressentait 
qu'en  dépit  de  son  alliance  avec  la  Suède ,  il  ne  pourrait  con- 
server sa  conquête  récente  et  qu'il  ne  perdait  rien  en  se  ven- 
geant sur  des  gens  qui  ne  seraient  point  ses  sujets. 

Il  était  allé  mettre  le  siège  devant  le  château  de  Rauschen- 
bourg,  où  le  comte  Eberhard-Louis  guérissait  de  sa  fracture; 
mais  devant  cette  seconde  résidence  des  Weslerbourg,  le  pa- 
latin échoua.  Toutefois  les  troupes  des  Linange  ne  se  trou- 
vèrent en  force  pour  rentrer  au  château  d'Oberbronn  qu'après 
la  débandade  des  hordes  saxonnes  du  comte  palatin.  Adolphe- 
Jean  avait  traité  ses  auxiliaires  comme  des  gens  dont  on  se 
sert,  mais  qu'on  ne  récompense  point.  De  leur  côté,  les  sou- 
dards ,  indignés  de  ne  plus  recevoir  de  paie ,  s'étaient  révoltés 
et  avaient  abandonné  sans  tambour  ni  trompette  le  théâtre  de 
leurs  exploits. 

Le  comte  palatin  avait  ensuite  tenté  de  justifier  son  agres- 
sion et  d'expliquer  les  violences  commises.  A  cet  effet  il  pu- 
blia un  manifeste  oi^i  le  sophisme  servait  d'interprète  à  l'im- 
pudence, le  tout  écrit  dans  le  style  allemand  polyglotte  de 
l'époque. 

Cet  inqualifiable  événement  d'Oberbronn  s'était  passé,  nous 
le  répétons,  sous  le  règne  de  Louis  XIV,  et  l'on  comprend 
parfaitement  que,  fatigué  de  cette  situation  hybride  et  d'un 
état  de  choses  qui  permettait  à  un  prince  de  l'empire  d'entrer 
à  main  armée  dans  une  province  française,  le  grand  roi  ait 
voulu  en  finir,  se  trouver  maître  chez  lui,  et  interpréter  à  sa 
guise  les  traités  de  Westphalie ,  puisque  la  Chambre  de  Spire, 
la  Diète  de  l'empire  germanique  et  les  princes  étrangers  ayant 
des  possessions  en  Alsace  expliquaient  et  appliquaient,  selon 


HUITIÈME    LETTllC.  85 

leurs  convenances,  les  articles  de  ce  même  Irailé  de  pacifica- 
tion. Je  n'hésite  point  à  penser  que  les  événemenis  graves 
qui  se  passèrent  en  Alsace  après  l'inlcrraède  tragique  du  châ- 
teau d'Oberbronn,  que  la  réunion  de  Strasbourg  à  la  France, 
et  les  prises  de  possession  décrétées  par  les  Chambres  de 
réunion  se  rattachent  par  quelques  points  à  cet  acte  de  spolia- 
tion dont  je  viens  de  raconter  les  principaux  incidents. 

Je  ne  prétends  certes  pas  justifier  la  légalité  des  Chambres 
de  réunion,  et  moins  encore  les  violences  qui  ont  accom- 
pagné l'apphcation  de  leurs  sentences  ;  mais  il  est  permis  de 
trouver  le  dernier  mot  de  ces  procédés  arbitraires  dans  les 
actes  non  moins  arbitraires  que  la  Diète  germanique  avait  to- 
lérés. 

Je  viens  de  nommer  les  tribunaux  exceptionnels  institués 
sous  Louis XIV,  pour  une  raison  d'État;  cela  me  conduit  à  dire 
quelques  mots  du  château  d'Oberstein,  résidence  de  l'une  des 
branches  de  Linange-Dabo. 

La  Chambre  de  réunion  de  Metz  avait  déclaré  que  le  duché 
de  Deux-Ponts,  les  comtés  de  Veldentz  et  de  Saarbruck,  le 
comté  de  Linange  et  \si  seigneurie  d'Oberstein  appartenaient  à 
la  France. 

Dans  le  château  d'Oberstein  vivait  alors,  retirée  du  monde, 
mais  sans  avoir  renoncé  à  Satan  et  à  ses  œuvres,  la  comtesse 
Amélie-Sibylle  de  Linange-Dabo-Falkenstein  (je  donne,  à  titre 
d'échantillon,  tous  les  noms  de  l'une  des  subdivisions  de  la 
branche  aînée  de  Linange).  Cette  femme  était  la  fille  d'un 
comte  Wyrich  de  Dhan  de  Falkenbourg  ;  elle  a  rempli  la  der- 
nière partie  du  dix-septième  siècle  du  bruit  de  ses  apostasies 
et  de  ses  désordres.  Des  liens  prétendus  morganatiques  l'a- 
vaient unie  au  comte  Jean-Louis  de  Linange-Dabo.  Lorsque 
le  château  d'Oberstein  fut  envahi  par  les  troupes  françaises, 
elle  passa  sans  vergogne  du  côté  des  conquérants,  partagea 
la  couche  du  commandant,  chevalier,  à  ce  qu'il  parait,  irré- 
sistible, et  pour  couronner  une  existence  déjà  remplie  de 
dévergondages,  elle,  la  femme  intruse,  se  fit  attribuer  par  la 


8G  ARCIIIVFS  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Chambre  de  réunion  de  Metz  toutes  les  rentes  de  la  maison 
de  Linange-Oberstein  ;  de  plus,  elle  arracha  au  comte  Emile 
de  Linange,  dépouillé  par  elle,  l'attestation  que  son  fds,  dont 
la  provenance  était  fort  suspecte ,  appartenait  bien  et  dû- 
ment à  la  famille  des  Linange.  Cette  reconnaissance  après 
coup  amena,  dans  le  cours  du  dix-huitième  siècle,  une  série 
de  procès  dont  le  scandale  ne  doit  pas  nous  occuper  da- 
vanlage. 

Le  filet  d'eau,  descendu  ou  détourné  d'une  source  pure, 
qui  avait  abrité  sa  mystérieuse  origine  dans  les  forêls  de  la 
Germanie,  se  perdait  donc  ici  dans  un  bourbier. 

Un  autre  procès  passablement  scandaleux  avait  eu  lieu  dans 
la  famille  de  Westerbourg  peu  d'années  avant  la  prise  du  châ- 
teau d'Oberbronn  :  c'est  le  procès  de  l'intrus  Louis  Rœder  de 
Dicrspcrg,  marié  morganatiquement  avec  Marie-Julienne  de 
Linangc-Westerbourg.  Cette  union  morganatique,  une  fois 
connue,  provoqua  la  colère  de  la  noble  famille  de  Marie-Ju- 
lienne, puis  l'emprisonnement  du  séducteur,  qui  fut  confiné 
dans  le  château  d'Oberbronn.  Il  fallut  l'intervention  de  plu- 
sieurs nobles  personnages,  tels  que  Jean  Ilaffner  de  Wasse- 
lonne,  Philippe-Louis  Geyling  d'Altenhcim,  Philippe-Chris- 
tophe Gremp  de  Freudenstein ,  pour  arracher  Rœder  de  Diers- 
perg  des  mains  de  son  beau-père  irrité. 

A  en  juger  d'après  les  liasses  qui  nous  restent,  on  dirait 
que  la  famille  Linange  en  Alsace  était  la  race  la  plus  procé- 
durière des  bords  du  Rhin,  qu'elle  avait  échangé  l'épée  des 
anciens  et  véritables  Linange  et  les  audacieuses  allures  de 
Marguerite  de  Linange-Westerbourg  contre  les  plumes  des 
avoués  et  des  jurisconsultes  qui  plaidaient  sa  cause  à  Spire  et 
plus  tard  à  Colmar. 

Plusieurs  établissements  religieux  de  l'Alsace  septentrionale 
se  trouvent  constamment  en  conflit  avec  les  Linange  ;  beau- 
coup de  seigneurs  de  haut  et  bas  lignage  deviennent  forcé- 
ment leurs  antagonistes,  et  quand  l'aliment  étranger  manque, 
c'est  entre  eux  que  se  heurtent ,  ébranlés  par  le  vent  malfai- 


HUITIÈME    LETTRE.  87 

sanl  de  la  chicane,  les  rameaux  innombrables  de  cet  arbre 
surchargé  de  greffes  élrangères,  qui  détournenL  la  scve  vitale 
de  la  racine  primitive. 

Je  vous  prie  d'être  persuade,  Monsieur,  que  mon  assertion 
métaphorique  n'exprime  que  la  réalité. 

Je  n'ai  parlé  plus  haut  qu'à  la  dérobée  de  deux  procès  scan- 
daleux. Rentrons  un  moment  dans  les  litiges  honnêtes,  entre- 
pris purement  pour  soutenir  des  droits  ou  des  intérêts. 

Au  seizième  siècle,  la  jeune  comtesse  Améhe  de  Deux-Ponts- 
Bitche,  qui  va  apporter  à  son  époux  Philippe  de  Linange- 
Westerbourg  une  partie  notable  de  l'héritage  des  anciens 
Lichtenberg,  cette  comtesse  Amélie  se  trouve  en  discussion 
avec  son  oncle  Jacques  de  Bitche  pour  la  dîme  d'Oberbronn,, 
le  bien  à  rente  d'Ingwiller  et  la  forêt  de  Reichshoffen.  —  Au 
dix-septième  siècle^  c'est  Hanau -Lichtenberg  qui  entre  en 
lutte  judiciaire  avec  les  Linange-Weslerbourg  à  propos  des 
cinq  villages  du  val  de  Reichshoffen.  —  Au  dix-huitième  siècle, 
la  princesse  Sophie-Sibylle  de  Hesse-Hombourg,  née  de  Li- 
nange,  et  la  comtesse  Esther  de  Linange  élèvent  des  con- 
testations avec  les  Westerbourg  à  propos  de  la  seigneurie 
d'Oberbronn.  Les  conventions  matrimoniales  et  les  douaires 
s'étendent  à  travers  quatre  siècles ,  et  se  joignent  naturelle- 
ment à  ces  pièces  litigieuses.  Dans  les  affaires  matrimoniales 
figurent  les  principaux  seigneurs  et  les  grandes  dames  des 
bords  du  Rhin.  L'affaire  Rœder  de  Diersperg,  indiquée  plus 
haut,  donne  lieu  à  une  correspondance  entre  la  famille  des 
Linange  et  les  jurisconsultes  de  Tiibingen.  Je  ne  pourrais  con- 
tinuer à  vous  parler  sur  ce  ton ,  sans  avoir  l'air  de  faire  le  re- 
levé des  dossiers  d'une  élude  d'avoué.  R  serait  inexact  d'ail- 
leurs d'affirmer  que  tous  les  débris  de  ces  archives  de  Linange 
ne  consistent  uniformément  qu'en  liasses  de  procédure.  Quel- 
ques titres  historiques  assez  précieux  surnagent;  un  grand 
nombre  de  lettres-privilèges  émanent  des  empereurs  d'Alle- 
magne; deux  rois  de  France,  Charles  IX  et  Henri  IIl,  figurent 
dans  la  collection  connue  souscripteurs  d'obligations  en  fa- 


88  ARCHIVES  DÉPARTEMEMALES  DU  BÂS-RHIN. 

veur  des  Linange;  les  différents  châteaux,  construits  par  la 
famille  dans  le  Palalinat  et  la  Basse-Alsace,  fournissent  des 
matériaux  soit  pour  les  mœurs  de  l'époque,  soit  pour  les  an- 
nales de  ces  localités.  Nous  possédons  par  exemple  la  copie 
authentique  d'un  acte  par  lequel  Frédéric  de  Linange  achète, 
en  1249,  du  couvent  de  Limbourg  le  terrain  sur  lequel  fut 
construit  le  château  de  Ilardenbourg.  Ces  noms,  surtout  celui 
de  l'abbaye  de  Limbourg,  rappellent  des  souvenirs  chers  à 
tous  les  visiteurs  du  Palatinat  et  des  pittoresques  montagnes 
aux  environs  de  Dùrkhcim. 

La  série  des  titres  historiques  de  ce  fonds  clôt  par  une  lettre 
de  M.  de  Montmorin,  ministre  de  Louis  XVI,  à  un  prince  de 
Linange;  elle  est  datée  du  6  décembre  1790,  et  accompagne 
une  expédition  du  décret  de  l'Assemblée  nationale,  du  28  oc- 
tobre précédent,  sur  les  princes  allemands  posscssionnés  en 
France.  C'était  là  un  vrai  certificat  mortuaire  délivré  à  l'un 
des  représentants  de  celte  antique  et  illustre  famille ,  dont 
les  destinées,  à  partir  de  ce  moment,  n'eurent  plus  rien 
de  commun  avec  les  nôtres  ;  ses  propriétés  alsaciennes  el 
palatines  ont,  depuis  la  paix  de  Lunéville,  passé  en  d'autres 
mains. 

Je  crains.  Monsieur,  de  vous  avoir  arrêté  bien  longtemps 
sur  un  fonds  qui  ne  présente  qu'un  intérêt  secondaire.  Devais- 
je  le  passer  complètement  sous  silence,  laisser  ignorer  jus- 
qu'à son  existence,  lorsqu'il  touche  cependant  à  l'histoire 
intime  de  notre  pays?  Ai-je  trop  présumé  de  votre  complai- 
sance et  de  celle  d'un  public  alsacien ,  en  lui  soumettant  des 
résultats  qui  n'ont  rien  de  fort  attrayant,  mais  dont  les  maté- 
riaux premiers  forment  une  grande  masse  dans  notre  collec- 
tion? Puis-je  ajouter,  avec  un  peu  de  satisfaction  ,  que  tous 
ces  papiers  gisaient  ici  disséminés,  dans  une  aussi  inextri- 
cable confusion  que  celle  de  la  fomille  môme  des  Linange ,  et 
qu'ils  sont  maintenant  triés,  rangés,  abordables  comme  les 
livres  d'une  bibliothèque?  On  finit  par  avoir,  en  face  de  ces 
travaux  de  manœuvre  intellectuel,  péniblement  et  lentement 


HUITIÈME   LETTRE.  89 

accomplis,  la  môme  émotion  qu'im  pôro  de  flimillc  en  face 
d'un  fils  mal  né ,  mais  peu  à  peu  redressé;  l'enfant  ne  paie 
pas  de  mine,  mais  il  fait  illusion  à  l'auteur  de  ses  jours.  Que 
ce  soit  là,  non  ma  justification,  mais  mon  excuse  ! 


90  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RUl.N. 


AEUYIEME  LETTRE. 

Fonds  du  comté  de  Sponlielni.  —  Description  géogrnpbiqiia.  —  His- 
toire fies  comtes.  —  Provenance  du  fonds.  —  Seigneurie  de  Bein- 
heini.  Titres  remarquables. 

Monsieur , 

Je  compte  aujourd'hui  vous  enti^aîncr  un  peu  hors  des  li- 
mites de  noire  Alsace.  Le  fonds  du  comte  de  Sponheim  que 
j'ai  là  sous  mes  yeux  et  qui  réclame  sa  part  dans  notre  revue 
sommaire,  me  convie  et  m'autorise  à  faire  cette  excursion  au 
delà  de  nos  frontières.  Les  seigneurs  de  ce  comté  possédaient 
bien  des  terres  dans  la  Basse-Alsace;  mais,  à  rigoureusement 
parler,  ils  n'étaient  pas  des  nôtres.  —  Qu'était-ce  donc  (juc 
ces  comtes?  Qu'était-ce  que  le  comté  de  Sponheim?  Comment 
des  titres ,  relatifs  à  des  seigneurs  étrangers ,  se  trouvent-ils 
incorporés  dans  notre  dépôt  alsacien?  Voilà  les  questions  pré- 
liminaires que  nous  ne  saurions  éviter.  Moi^  je  suis  bien  dé- 
cidé à  les  attaquer  de  front;  mais  vous,  Monsieur?  et  vos  lec- 
teurs sont-ils  bien  résignés  à  me  suivre  sur  un  terrain  qui  n'est 
plus  exclusivement  local?  Jusqu'ici  nous  avons  pu,  à  l'aide 
de  souvenirs  du  terroir,  empiéter,  sans  trop  de  présomption , 
sur  leurs  heures  de  loisir.  De  ces  seigneurs  féodaux  qui  se 
partagent  l'Alsace  jusqu'à  la  Révolution,  les  palatins  de  Deux- 
Ponts  ,  les  Hanau  -  Lichtenberg ,  les  Linange  même  ont  eu 
quelque  prétexte  plausible  à  faire  valoir  pour  capter  notre  at- 
tention ;  mais  les  seigneurs  de  Sponheim  ,  qu'en  faire,  et  com- 
ment justifier  leur  présence  au  milieu  de  ce  Parlement  de  dy- 
nastes  indigènes  ? 

L'embarras  que  j'éprouve ,  Monsieur,  à  défendre  mon  pro- 
gramme de  ce  jour,  un  embarras  dix  fois  plus  grand,  je  l'ai 
éprouvé  en  face  du  fonds  lui-même  qui  se  trouvait,  comme 
celui  des  Linange ,  je  ne  dirai  pas  mêlé ,  mais  jeté  au  beau 
milieu  de  nos  archives  dans  un  extrême  désordre.  C'était  une 


NEUVIÈME  LETTRE.  01 

trentaine  de  milliers  de  titres  qu'il  s'agissait  de  retirer  «des 
bras  de  Morphéc  »  pour  me  servir  d'une  métaphore  mytholo- 
gique, excessivement  surannée,  mais  parfaitement  en  rapport 
avec  l'état  de  choses  dont  je  vous  entretiens.  Oui,  ces  vail- 
lants comtes  de  Sponheim  qui,  au  moyen  âge,  ont  joue  leur 
rôle  dans  toute  la  vallée  rhénane,  qui  se  sont  trouvés  alliés  et 
parents  d'empereurs,  de  rois  et  d'électeurs,  qui  ont  conclu 
des  traités  comme  de  petits  potentats  qu'ils  étaient,  qui  se 
sont  batailles  non-seulement  sur  les  bords  du  grand  fleuve  de 
notre  frontière  ,  mais  jusqu'aux  frontières  slaves  de  l'empire 
germanique,  eh  bien!  oui,  ces  illustres  comtes,  ils  risquaient 
bien  de  dormir,  dans  nos  greniers,  de  l'éternel  sommeil  du 
juste ,  si  la  curiosité  et  le  devoir  n'avaient  usé  de  leur  double 
stimulant  sur  mon  esprit  ;  j'ai  donc  bien  résolument  abordé, 
il  y  a  quatre  à  cinq  ans,  les  parchemins  princiers,  les  liasses 
roturières  et  les  cartulaires  de  cette  vaste  collection  qui  se 
présente  maintenant  dans  notre  dépôts  endimanchée  comme 
un  jeune  parvenu,  et  soigneusement  inventoriée  comme  le 
vieux  «trésor  des  chartes»  du  fonds  épiscopal  lui-même. 

Il  était  digne  de  toute  espèce  de  soins,  ce  fonds  magnifique, 
dont  je  pourrais  diflicilement  vous  donner  une  idée  adéquate, 
car  les  nombreuses  chartes-privilèges,  les  traités  castreuses 
{Burgfrieden) ,  les  transactions  de  toute  nature  qui  ont  un 
grand  intérêt  pour  moi,  n'en  ont  point  pour  vous ,  et  leur 
air  de  parenté  ou  de  famille  rendrait  leur  exhibition  com- 
plète excessivement  monotone.  Je  sais  parfaitement  que  ces 
Jean  de  Sponheim ,  ces  Simon  de  Sponheim ,  avec  lesquels  j'ai 
vécu  longtemps  en  grande  intimité,  ont  acquis  à  mes  yeux  une 
valeur  individuelle,  dont  j'essaierais  en  vain  de  vous  commu- 
niquer le  sympathique  contrecoup.  C'est  tout  au  plus  par 
groupes,  à  l'aide  de  quelques  contours  rapidement  esquissés, 
(]ue  je  pourrai  faire  passer  sous  vos  yeux  ces  documents,  une 
fois  que  j'aurai  constaté  à  quel  pays  ils  se  rattachent.  Soyez  au 
surplus  bien  rassuré.  Monsieur,  je  suis  décidé  à  ne  jamais 
mettre  votre  patience  à  une  épreuve  extrême. 


92  ARCHIVES  DÉPART£MENTALES  DU  BAS-RllLN. 

Vous  arriverez  dans  le  district  de  l'ancien  comté  de  Spon- 
heim  ,  espèce  de  triangle  formé  par  le  Rhin ,  la  Moselle  et  une 
ligne  imaginaire  tirée  de  Worms  à  Trêves,  si  vous  voulez 
bien  suivre  au  nord  de  nos  Vosges  la  chaîne  du  Haardtge- 
birge  et  toucher  ainsi  au  groupe  élevé  du  Ilundsruck  '  {Hun- 
norum  tractus),  couvert  d'épaisses  forêts,  telles  que  l'Idar- 
wald,  le  Saanwald  etc.  Ce  pays  original  de  plateaux  et  de 
montagnes  envoie,  par  de  nombreuses  rigoles  élargies  en 
vallons  ou  en  petites  plaines,  les  ruisseaux,  les  torrents,  les 
cours  d'eau  de  ses  hauteurs  vers  la  Nahe,  la  Moselle  et  vers 
le  grand  fleuve,  fils  du  Saint-Gothard. 

Les  fermes  et  les  villages  disséminés  sur  les  plateaux  ou 
adossés  contre  les  montagnes,  abritent  une  population  fière, 
laborieuse  et  pauvre,  que  la  tradition  fait  descendre  de  quel- 
ques bandes  hunniqucs,  qui  s'étaient  perdues  après  la  retraite 
d'Altila  dans  ces  contrées  sauvages  entre  la  Saar,  la  Nahe,  la 
Moselle  et  le  Rhin. 

C'est  donc  ceHundsrûck,  élevé,  prés  de Gmûnden,  jusqu'à 
une  altitude  de  500  mètres,  qui  constituait  le  noyau  de  l'an- 
cien comté  de  Sponheim  (Spanheim ,  Spaynheim)  ;  mais  les 
possessions  de  ces  comtes  n'étaient  pas  limitées  à  ces  mon- 
tagnes seulement;  elles  s'étendaient  dans  le  Spiregau,  le 
Wormsgau  et  dans  la  Rassc-Alsacc.  Chez  nous ,  c'était  Hoch- 
feldcn,  Schweighausen,  la  forêt  sainte  de  Haguenau  qui  leur 
appartenaient,  dès  le  onzième  siècle,  par  donation  impériale; 
Dhan  ou  Grœfendhan  surlaLauter,  Altleiningen  (le  Vieux-Li- 
nange),  Wachenheim  dans  le  Palatinat,  la  seigneurie  de  Ho- 

1  Vers  le  commencenu'ul  du  siècle  acUiel,  l'imagination  populaire  a  été 
singulièrement  impressionnée,  le  long  des  rives  du  Rhin,  par  les  faits  lémé- 
r;iires  d'un  bandit  connu  sous  le  nom  de  Schinderhannes .  11  faut  que  l'indi- 
vidualité de  ce  voleur  de  grand  chemin  ait  été  bien  accentuée  pour  attirer 
l'attention  ,  au  moment  solennel  de  la  clôture  du  dix-huitième  siècle  et  au 
milieu  des  événements  qui  transformaient  alors  l'aspect  du  monde  politique. 
C'est  sur  le  territorre  montagneux  et  boisé  de  l'ancien  comté  de  Sponheim 
que  le  Mandrin  allemand  exerçait  ses  audacieux  brigandages. 


NEUVIÈME  LETTRE.  9o 

henfels  près  du  MoiU-ToiinciTe,  joiiUes  à  leurs  possessions 
du  Ilundsrûck  ,  faisaient  de  ces  comtes  une  famille  puissante 
dont  le  sort  est  intimement  lié  à  l'histoire  des  électeurs  ecclé- 
siastiques et  laïques  des  bords  du  Rhin,  à  celle  de  l'Alsace 
et  de  Bade.  Ils  ont  laissé  des  traces  profondes  dans  l'histoire 
des  provinces  rhénanes,  puisqu'ils  possédaient  sur  les  deux 
rives  et  sur  les  nombreux  affluents  du  Rhin  des  villes,  des 
couvents,  des  châteaux,  des  bourgades,  des  villages,  des 
fermes  et  surtout  de  vastes  forêts,  et  lorsqu'ils  s'éteignirent 
(en  1437)  dans  la  ligne  masculine,  leur  souvenir  se  perpétua 
par  les  femmes  dans  les  maisons  souveraines  du  Palatinat  et 
de  Bade. 

Je  m'aperçois  que  je  touche  déjà  à  la  partie  vitale  de  l'his- 
toire des  comtés,  sans  vous  avoir  mis  au  courant  de  leur  ori- 
gine et  de  leur  destinée. 

Sur  le  Feldberg,  au-dessus  de  la  charmante  petite  ville  de 
Kreuznach  (Prusse  rhénane),  s'élevait,  vers  le  milieu  du  on- 
zième siècle^  l'église  (puis  le  couvent)  de  Sponheim,  fondée 
par  le  comte  Eberhard  de  Sponheim,  par  son  fils  Etienne  et 
son  petit-fils  Meginhard  ou  Meinhard.  Ce  dernier  décida 
(en  1123)  que  les  fils  aînés  de  la  famille  seraient  constamment 
les  avoués  du  couvent  et  seigneurs  de  ce  Kreuznach ,  qui  a 
conquis  de  nos  jours,  par  ses  eaux  minérales,  ses  salines, 
son  gymnase ,  son  commerce ,  une  existence  supérieure  à 
celle  dont  elle  jouissait  comme  chef-lieu  d'un  comté  *. 

En  1269,  cette  seigneurie  fut  partagée  entre  deux  branches. 
Jean  de  Sponheim  eut  le  comté  citérieur,  avec  Kreuznach 
pour  chef-lieu  ;  son  frère  Simon  eut  le  comté  ultérieur  avec 
Trarbach  sur  la  Moselle  pour  chef-lieu.  Vers  la  fin  du  qua- 
torzième siècle  une  partie  du  comté  citérieur  passa  ,  par  ma- 
riage, dans  la  famille  électorale  palatine;  et  en  1-425,  Jean  VI 

'  Je  nif  suis  jjorné  a  vous  indiquer  reUe  origiuc  des  Sponlieini  du  ouzième 
siècli;;  la  Iradilion  les  fait  remouler,  comuie  les  Liuanyc  jus(iu'aux  empe- 
reurs rouKiius. 


94  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

l'Aveugle,  comte  de  Sponheiin,  qui  voulait  se  croiser  contre 
les  Hussites  en  Bohême,  et  n'avait  point  d'héritier  màle,  fit 
une  espèce  de  testament  politique ,  signé  à  Beinheim  en  Alsace , 
en  vertu  duquel  le  comté  devait,  après  sa  mort,  échoir  par 
moitié  à  ses  parents  collatéraux,  le  margrave  de  Bade  et  le 
comte  palatin  de  Veldenlz. 

Jean  YI  de  Sponheim  mourut  en  1437.  Ses  deux  héritiers 
collatéraux ,  Frédéric  de  Veldentz  et  Jacques ,  margrave  de 
Bade,  firent  immédiatement  une  convention  nouvelle,  qui 
attrihua,  à  titre  de  gage,  à  l'électeur  palatin  une  i)artie  du 
comté  citérieur. 

Voilà  donc,  à  partir  de  ce  moment,  trois  seigneurs,  de  fa- 
milles souvent  rivales,  qui  se  partagent  le  petit  comté.  Aussi 
les  plus  incroyahles  complications  furent-elles  la  suite  de  ce 
traité.  En  1461 ,  après  la  célèbre  bataille  de  Seckcnheim,  ga- 
gnée par  l'électeur  Frédéric-le-Yictoricux  sur  une  petite  coa- 
lition de  dynastes  voisins,  il  se  trouva  que  Charles,  margrave 
de  Bade,  fut  prisonnier  de  l'électeur  et  retenu  comme  tel 
dans  le  château  de  Ileidclbcrg.  Il  paraît  que  la  beauté  du 
site  et  les  détails  architectoniqucs  de  cette  demeure  prin- 
cière  ne  contrebalancèrent  point,  dans  l'esprit  du  margrave 
Charles,  l'ennui  de  sa  captivité;  pour  se  libérer  à  tout  prix, 
il  céda  sa  part  de  Sponheim  à  l'électeur,  et  se  crut  (juilte  à 
bon  marché. 

Je  suis  obligé,  Monsieur,  toujours  dans  l'intérêt  de  vos 
lecteurs ,  et  en  les  avertissant  que  les  courageux  peuvent  à  la 
rigueur  se  désaltérer  à  une  source  plus  abondante',  je  suis 
obligé  de  sauter  à  pieds  joints  sur  deux  siècles  et  demi ,  et  de 
dire  qu'après  bien  des  péripéties,  des  sous-partages,  des  en- 
gagements et  des  rachats,  il  arriva  qu'en  1680  un  souverain 
bien  plus  puissant  que  tous  les  princes  réunis  de  l'empire 
germanique  ,  fit  déclarer  parla  Chambre  de  réunion,  siégeant 

^  Yoy.  lo  rapport  U'ès-éleiulu  de  rarchlvisle  du  Bas  Illiin  sur  lo  coiiilé  de 
SponliPim  ,  à  la  suile  des  délibérations  du  Conseil  général  de  1857. 


NEUVIÈME  LETTRE.  95 

à  Brisacli ,  que  le  comté  de  Sponheim  serait  incorporé  à  la 
France.  Louis  XIV  accorda  de  plus  au  priuce  de  Furslenbcrg  , 
cardiual-évéque  de  Strasbourg-,  la  jouissance  des  revenus  de 
ce  territoire  pour  le  dédommager  des  pertes  que  son  épisco- 
pat  avait  éprouvées  pendant  les  guerres  du  Palalinat. 

Voilà  donc  le  comté  de  Sponheim  intimement  lié  à  notre 
histoire  nationale,  comme  il  l'avait  été,  à  l'histoire  de  notre 
province,  dés  le  onzième  siècle,  par  des  donations  impériales , 
et  au  quinzième  siècle,  par  le  traité  de  Beinlîeim. 

Mais  cette  réunion  ou  cet  empiétement  ne  devait  pas  être 
de  longue  durée.  A  la  paix  de  Ryswick  (1697),  le  comté  de 
Sponheim  fit  retour  à  ses  anciens  possesseurs,  le?  comtes  pa- 
latins (alors  de  Birkenleld)  et  les  margraves  de  Bade,  qui 
avaient  racheté  leur  part. 

Alors  apparaît  sur  ce  petit  théâtre  la  célèbre  margravine 
Sibylle-Auguste,  la  fondatrice  de  la  Favorite,  près  de  Rastatt, 
la  veuve  énergique  et  intelligente  d'un  héros,  de  Louis  de 
Bade;  elle  intervient  en  sa  qualité  de  tutrice  du  jeune  mar- 
grave Louis-George  son  fils.  Des  litiges  prolongés  avec  la 
maison  palatine  de  Birkenfeld  sur  les  droits  respectifs  des 
deux  maisons  régnantes  dans  la  principauté  de  Sponheim 
marquent  cette  dernière  période.  Nous  trouvons  la  margra- 
vine Sibylle,  en  1718,  à  Trarbach,  sur  la  Moselle,  dans  le 
comté  ultérieur,  occupée  à  faire  prêter  le  serment  de  fidé- 
lité par  les  vassaux  de  son  fils,  et  à  amener  les  Birkenfeld  à 
des  transactiens,  surtout  au  sujet  des  droits  épiscopaux  qui , 
dans  ces  pays  protestants,  étaient  exercés  par  les  souverains 
laïques. 

Après  la  révolution  de  1789,  le  comté  de  Sponheim  se 
trouve  incorporé  dans  les  nouveaux  départements  français  de 
la  rive  gauche  du  Rhin.  Après  1814  il  échut  à  la  Prusse. 

Maintenant  que  vous  connaissez  la  circonscription  du  comté 
et  les  contours  de  son  histoire,  vous  me  demanderez  comment 
il  se  fait  qu'une  collection,  dont  beaucoup  de  titres  se  rappor- 
tent à  des  localités  et  à  des  personnes  étrangères  à  l'Alsace, 


96  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  CAS-RIIIN. 

se  trouve  clans  nos  archives.  Je  me  suis  épuisé  à  ce  sujet  en 
conjectures;  j'ai  en  vain  interrogé  la  suscription  des  dossiers 
et  des  parchemins,  je  n'ai  trouvé  nulle  part  une  donnée  pré- 
cise sur  la  transmission  des  pièces.  Voici  la  supposition  qui 
m'a  semblé  la  plus  admissible,  en  l'absence  de  toute  tradition 
et  de  toute  note  écrite. 

A  l'époque  de  la  conclusion  du  traité  de  Lunéville,  le  do- 
maine français  a  dû  réclamer  du  margrave  de  Bade  la  déli- 
vrance des  pièces  qui  se  rapportent  à  l'ancienne  seigneurie 
de  Beinheim  appartenant  à  la  maison  margraviale  depuis  le 
commencement  du  quinzième  siècle*.  Or  l'administration  de 
Beinheim  paraît  avoir  été  reliée,  en  1437,  à  celle  de  la  partie 
du  comté  de  Sponheim  qui  échéait  à  Bade  par  le  traité  de 
1425.  Les  archives  des  deux  seigneuries  ont  dû  être  de  même 
réunies,  et  lors  de  la  cession  des  pièces  concernant  Beinheim 
(en  1802) ,  on  aura  probablement  aussi  délivré  les  pièces  con- 
cernant Sponheim. 

Si  mon  explication  paraît  inadmissible ,  je  passerai  condam- 
nation là-dessus.  A  l'appui  de  ma  thèse  je  citerai  seulement  la 
circonstance  du  mélange  absolu  des  titres  de  Beinheim  et  de 
Sponheim  dans  les  recoins  de  notre  dépôt". 

Je  vous  demande  pardon,  Monsieur,  de  vous  arrêter  par 

'  La  maison  de  Fleckenslein  avait  vendu  sa  pari  aux  margraves  de  Bade, 
de  1402-1-504. 

-iNe  perdons  pas  de  vue  non  plus  le  l'ail  de  la  convention  de  Beinheim 
(1425),  qui  forme  dans  l'histoire  du  comté  de  Sponheim  l'événement  capital. 
Il  est  assez  singulier  que  Jean  VI  de  Sponheim  date  son  leslamenl  poli- 
tique de  Beinheim  qui  appartenait  à  l'un  de  ces  parents  collatéraux  institués 
héritiers  par  lui. 

Un  moment  j'ai  pensé  que  les  archives  de  Sponheim  avaient  bien  pu  élre 
emportées  en  France  et  confiées  au  cardinal-évôqne  de  Strasbourg,  sous 
Louis  XIV,  pendant  que  le  comté  faisait  partie  du  domaine  épiscopal.  Mais 
dans  ce  cas,  comment  expliquer  la  présence  de  pièces  du  dix  huitième  siècle 
postérieures  au  traité  de  lîyswick  ?....  D'ailleurs,  si  ces  litres  avaient  fait 
partie  du  fonds  épiscopal ,  il  est  diflicile  de  croire  qu'ils  eussent  échappé  à 
l'allenlion  de  Grandidier. 


NEUVIÈME  LETTRE.  97 

des  détails  en  apparence  fulilcs.  Les  questions  de  provenance 
de  pièces  ont,  dans  l'intérieur  d'un  dépôt,  une  grande  impor- 
tance :  elles  servent  à  constater  la  raison  d'être ,  le  droit  de 
présence  de  certains  titres  dans  le  corps  même  du  dépôt  ou 
dans  tel  fonds  spécial. 

Dans  le  cas  présent,  nous  profitons  probablement  d'un  droit 
de  conquête  quelconque,  d'un  fait  accompli.  Je  dois  d'ailleurs 
répéter  que  beaucoup  de  titres  historiques  de  ce  vaste  fonds 
se  relient  directement  ou  indirectement  à  l'histoire  de  la  Basse- 
Alsace,  et  plus  spécialement  à  celle  de  la  seigneurie  de  Bein- 
heim. 

Parmi  les  pièces  historiques  concernant  cette  dernière  se 
trouvent,  en  première  ligne,  toutes  celles  qui  servent  à  cons- 
tater la  grande  mutation  subie  par  cette  importante  propriété 
féodale  de  ^40^2  à  1404.  Un  acte  spécial  fait  connaître  l'em- 
ploi de  6000  florins ,  prix  de  la  première  vente  faite  par  les 
Fieckenstein  au  margrave  Bernard.  Les  vendeurs  déhent  leurs 
sujets  et  vassaux  de  leur  serment  de  fidélité,  et  les  renvoient 
à  l'acquéreur;  mais  à  peine  le  contrat  est-il  conclu,  que  les 
difficultés  commencent.  Dès  1406,  le  margrave  se  voit  obhgé 
de  se  plaindre  des  troubles  apportés  à  sa  possession  quant 
aux  droits  de  chasse  et  d'affouage,  et  il  demande  l'extradition 
des  lettres-privilèges  impériales  que  les  Fieckenstein  avaient 
gardées  en  main.  Les  arbitres  nommés  (Rodolphe  de  Hohen- 
stein,  Bernard  deWindeck,  et  Burkard  de  Morsperg)  con- 
damnent les  vendeurs  ;  une  correspondance  échangée  entre 
les  deux  parties  semble  indiquer  que  l'un  des  Fieckenstein 
ne  se  serait  pas  tenu  dans  les  bornes  des  convenances  vis-à- 
vis  du  margrave  et  aurait  médit  de  lui  en  plein  pubhc ,  à  l'au- 
berge de  l'Ours  à  Haguenau  ;  le  landvogt  d'Alsace  fut  choisi 
comme  arbitre. 

Les  margraves,  à  leur  tour,  disposèrent  temporairement 
de  leur  nouvelle  acquisition. 

En  1462,  Charles,  margrave  de  Bade,  prisonnier  de  l'élec- 
teur Frédéric-le-Victorieux  ,  engagea  Beinheim  jusqu'à  paie- 


98  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

ment  de  sa  rançon  de  100,000  florins';  le  successeur  du 
Victorieux,  Philippe-Eugène,  engagea  à  son  tour  Beinheim  au 
comte  Bernard  d'Eberstein  (-14-97);  enfin  en  1505  Christophe 
de  Bade  parvint  à  racheter  cette  belle  propriété. 

Quant  aux  titres  concernant  le  comté  de  Sponheim  lui- 
même  ,  il  faudrait  pouvoir  les  relater  en  totalité.  L'étude  de 
ces  documents  révèle  une  de  ces  grandes  existences  du  moyen 
âge  qui ,  sans  remplir  dans  l'histoire  générale  une  place  pa- 
reille à  celle  des  maisons  princiéres,  met  au  jour  cependant 
une  exubérance  de  force,  d'activité  matérielle,  et  subit  une 
série  d'incidents  que  pouvait  seule  enfanter  celle  époque  agi- 
tée où  les  relations  civiles  et  politiques  n'élaienl  point  régu- 
larisées. L'influence  des  comtes  de  Sponheim  ne  se  borne 
point,  je  l'ai  déjà  fait  remarquer,  à  Kreuznach,  et  aux  âpres 
montagnes  du  Hundsriick;  elle  suit  le  cours  du  Rhin,  en 
amont  et  en  aval ,  et  ne  s'arrête  qu'aux  confins  de  la  Suisse  et 
de  la  Hollande  ;  une  circonstance  particulière  à  ce  fonds ,  c'est 
qu'il  renferme  quelques  titres  en  bas-allemand  ou  néerlan- 
dais; j'ai  salué  avec  un  vif  plaisir  ces  témoins  isolés  de  l'une 
des  grandes  subdivisions  de  l'idiome  germanique. 

Parmi  les  têtes  couronnées ,  ce  sont  les  empereurs  de  la 
maison  de  Luxembourg  et  de  Habsbourg  qui  se  trouvent  dans 
les  rapports  les  plus  fréquents  avec  les  Sponheim.  Parmi  les 
électeurs  de  l'Empire ,  c'est  le  palatin ,  ce  sont  les  trois  élec- 
teurs ecclésiastiques  qui  apparaissent  le  plus  fréquemment 
dans  cette  vaste  collection.  Les  villes  et  châteaux  du  Palalinat, 
du  Hundsriick,  des  rives  rhénanes  figurent  surtout  dans  les 
nombreuses  paix  castrales-  conclues  par  les  Sponheim  avec 
leurs  voisins.  Une  pareille  énumération  deviendrait  oiseuse  et 
fastidieuse,  ou  bien  il  faudrait  pouvoir  détailler  les  chartes, 
et  vous  faire  circuler  depuis  Namstuhl  et  le  vieux  Linange 
jusqu'au  pic  du  Drachenfels. 

*  Nous  avons  dit  plus  liaul  qu'il  céda  aussi  sa  part  de  Sponheim  au  même 
élecleur. 

-  Durgfrieiien. 


NEUVIÈME  LETTRE.  00 

Les  affaires  foreslières  constituent  nécessairement  de  nom- 
breuses liasses,  dans  un  fonds  qui  s'applique  à  un  pays  cou- 
vert de  vastes  et  belles  forêts.  Les  constitutions  de  douaire  et 
les  contrats  de  mariage  forment  aussi  de  véritables  collections 
dans  les  archives  de  celte  famille  lice  à  tant  de  maisons  de 
l'empire  i^ermanique. 

Les  affaires  administratives  sont  classées  par  bailliages , 
d'après  le  rang  d'ordre  que  présentent  les  deux  moitiés  du 
comté  et  les  autres  possessions  des  Sponheim. 

Je  ne  voudrais  cependant  pas  quitter  ce  fonds  sans  avoir 
légitimé  mes  assertions  sur  l'intérêt  qu'il  présente  par  quel- 
ques exemples  isolés  ;  je  les  prends  littéralement  au  hasard  , 
m'appliquant  seulement  à  faire  ce  tirage  au  sort  parmi  les 
pièces  qui  offrent  quelques  détails  de  mœurs,  et  qui  se  dé- 
tachent aussi ,  par  un  intérêt  que  j'appellerai  humain,  sur  la 
masse  uniforme  des  conventions  politiques  ou  des  affaires 
d'administration. 

Une  bulle  de  Jean  XXII,  de  l'année  1330,  nomme  Henri  de 
Sponheim  à  un  canonicat  à  Mayence,  et  confère  à  Loretle  de 
Sponheim  le  privilège  d'un  autel  mobile.  Celte  dame,  ainsi 
favorisée,  avait  été  auparavant  excommuniée  pour  emprison- 
nement illégal  de  Baudouin,  archevêque  de  Trêves;  mais  lors- 
que, saisie  de  repentir,  elle  eut  relâché  le  prélat,  le  pape 
Jean  XXII  la  releva,  elle  et  ses  complices,  de  l'excommunica- 
tion, à  des  conditions  toutefois  qui  devaient  vivement  impres- 
sionner le  peuple  et  les  grands;  car  la  comtesse  et  les  cheva- 
liers ,  ses  adhérents ,  devaient  se  rendre  dans  un  sanctuaire 
près  de  Trêves,  pieds  nus,  dans  un  costume  soigneusement 
décrit,  portant  en  main  un  cierge  de  quatre  livres,  et  faire 
pénitence  publique  devant  le  maître-autel,  au  moment  où  l'é- 
glise serait  remplie  de  fidèles.  «  Si  la  comtesse,  est-il  dit,  ne 
«pouvait  porter  le  cierge  trop  lourd  pour  ses  forces,  elle  aura 
«la  permission  de  le  faire  porter  devant  elle  par  une  autre 
«personne,  et  elle  en  portera  un  de  moindre  poids,  selon  que 
«  sa  conscience  le  lui  dictera.  »  Un  instrument  notarié ,  dressé 


100  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

dans  le  château  de  Starkenbourg  où  résidait  la  comtesse, 
constate  l'absolution  accomplie  (14  août  1330).  Quelques 
jours  plus  tard,  une  autre  bulle  du  même  pape  indique  une 
réconciliation  complète  ,  puisque  le  pontife  accorde  à  la  com- 
tesse le  privilège  d'entrer  dans  le  couvent  de  Hymenrode,  de 
l'ordre  de  Citeaux,  où  son  mari,  Henri  de  Sponheim,  était 
enterré,  et  d'y  faire  ses  dévotions,  le  jour  de  l'anniversaire 
du  comte. 

Vers  le  même  temps,  l'empereur  Louis  de  Bavière  donne  à 
sa  tante,  Mathildc  de  Sponheim,  le  droit  d'entourer  de  murs 
les  bourgs  de  Frauenbourg  et  de  Birkenfcld,  et  au  comte 
Walram  de  Sponheim  le  droit  d'avoir  des  juifs  dans  ses  do- 
maines; c'était  là ,  on  ne  l'ignore  point,  une  source  de  bons 
revenus  au  moyen  âge. 

Les  rapports  de  l'empereur  Charles  IV  de  Luxembourg 
avec  Walram  de  Sponheim ,  son  parent^  étaient  excellents.  A 
la  date  du  26  avril  1359,  il  fait  inviter  le  comte  par  deux  de 
ses  familiers  à  assister  aux  noces  de  ses  fdles ,  les  princesses 
Catherine  et  Elisabeth,  l'une  fiancée  d'Olton,  margrave  de 
Brandebourg,  l'autre  d'Albert  d'Autriche.  En  retour  de  ces 
prévenances,  l'empereur  réclame  aussi  des  services  :  il  de- 
mande au  même  comte  un  sauf-conduit  pour  les  marchands 
qui  passeront  sur  ses  terres  (1360).  —  L'empereur  Wences- 
las  assigne  au  comte  Jean  de  Sponheim  un  revenu  sur  le 
péage  de  Seltz  en  Alsace  (1391),  et  à  cette  occasion  il  prescrit 
à  Scislas  von  der  Weitenmùhlen,  préfet  impérial  à  Hagucnau, 
de  protéger  le  comte  dans  le  prélèvement  de  cette  largesse. 

Indépendamment  de  ces  libéralités,  et  toujours  à  raison  de 
services  rendus,  Wenceslas  accorde  à  Jean  de  Sponheim  le 
passage  libre  sur  les  terres  de  Luxembourg  et  sur  la  Moselle , 
pour  les  céréales  nécessaires  à  l'approvisionnement  de  son 
pauvre  pays  de  montagnes  (1398). 

Une  liasse  importante  est  formée  parles  titres  qui  concernent 
la  confiscation  temporaire  du  comté  au  profit  du  cardinal 
Guillaume-Egon  de  Fùrstenberg,  évêque  de  Strasbourg.  Une 


NEUVIÈME  LETTRE.  101 

série  de  suppliques,  de  lettres,  dénotes,  de  mémoires  adres- 
sés au  cardinal  et  à  l'intendant  de  la  Sarre  pendant  la  durée 
de  la  confiscation ,  sont  répartis  entre  les  années  1690  à  1694  ; 
le  magistrat  local  de  ïrarbach  et  de  Castellaun  y  figure; 
puis  des  états  contenant  la  désignation  des  fonctionnaires  ; 
enfin  des  projets  d'amélioration  qu'on  n'eut  pas  le  temps 
d'accomplir. 

Je  m'arrête;  ces  indications  suffiront,  j'aime  à  le  penser, 
pour  faire  entrevoir  les  sujets  d'étude  que  présente  le  petit 
coin  de  terre  appelé  le  comté  de  Sponheim.  Je  serais  heureux 
si  j'avais  pu  obtenir  pour  lui  droit  de  bourgeoisie,  ou  du 
moins  le  droit  d'être  écouté  dans  le  petit  conventicule  de  lec- 
teurs qui  s'intéressent  à  l'histoire  d'Alsace  et  à  celle  des  pays 
limitrophes. 


102  ARCHIVES  DÉPARTEMEIN TALES  DU  BAS-RHIN. 


DIXIEME  LETTRE. 

Foncl<4  du  comte  de  Tloiilbéliard.  —  I^cs  conitcM  et  duc^  de  n'iirteiii* 
berg,  comte!»  de  :nontliélinrd ,  $«eigneiirM  de  Rif|iie^vil)r.  —  aieii- 
ricttc  de  :nontbéliard.  —  l,oui*$-Frédéric  et  I.éopold  Kberhard, 
comtes  de  :?Iontbéliard.  —  l.e  comté  au  ilix-hiiitième  siècle.  — 
Contrainte  entre  le  js;oiivernement  du  ^Vurtemberg  et  cehil  de 
.llontboliard.  —  Kclilllcr  et  Cuvier  h  Stuttgart.  —  Caractère  rc- 
ncral  et  «guelqucM  titres  spéciaux  du  fonds  de  nontbéllard,  nl- 
f|HC\vilir  et  llorbourg.  —  Réunion  de  :viontbéliard  à  la  France. 
La  statue    de  George  Cuvier. 


Monsieur, 

Je  vais  encore  une  fois  vous  convier  à  me  suivre  hors  des 
frontières  de  l'Alsace;  celte  fois  ce  sera  au  midi  de  notre  pro- 
vince, sur  les  confins  de  l'ancienne  Franche-Comté.  A  vrai 
dire,  le  pays  de  Montbéliard  est  uni  par  tant  de  liens  d'intérêt 
et  d'affection  à  notre  patrie  locale;  il  existe  entre  son  histoire 
et  la  nôtre  tant  de  points  de  contact,  entre  ses  mœurs  et  les 
nôtres  tant  de  ressemblance ,  que  ce  n'est  presque  pas  sortir 
de  chez  nous  que  d'entrer  dans  le  domaine  des  anciens 
comtes  de  Montbéliard. 

Comment  se  fait-il  que  nous  possédions,  dans  nos  archives 
'du  Bas-Rhin,  un  fonds  spécial  relatif  à  ce  comté  jurrassique 
ou  bourguignon?  A  cette  question  je  n'ai  pas  de  réponse 
beaucoup  plus  précise  à  donner  que  pour  le  fonds  de  Spon- 
heim.  Voici  la  seule  hypothèse  rationnelle  à  laquelle  j'ai  pu 
m'arrêter.  Les  ducs  de  Wurtemberg,  comtes  de  Montbéliard , 
seigneurs  de  Riquewihr  et  de  Ilorbourg  dans  le  Ilaut-Rhin, 
avaient  en  cette  dernière  qualité  des  affaires  à  traiter,  des  ré- 
clamations à  présenter  auprès  de  l'Intendance  d'Alsace.  Ils 
entretenaient  à  Strasbourg  un  chargé  d'affaires  ou  un  agent 
attitré;  c'était,  dans  la  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle, 
le  jurisconsulte  Treiltlinger.  On  a  dû  envoyer  à  cette  personne 


DIXIÈME  LETTRE.  iOo 

de  confiance  bien  des  dossiers  et  des  copies  de  litres  pour  la 
renseigner;  il  se  peut  que  le  fonds  se  soit  ainsi  forme  par 
voie  d'agglomération  successive,  peut-être  aussi  par  un  dépôt 
simultané,  au  moment  de  la  Révolution.  Quoi  qu'il  en  soit, 
nous  en  profitons,  car  ces  dossiers  renferment,  pour  l'his- 
toire de  la  Réforme  surtout  et  pour  celle  de  la  guerre  de  Trente 
ans,  des  détails  qui  entrent  dans  l'ensemble  des  événements 
dont  l'Alsace  a  été  le  théâtre  à  la  même  époque. 

Tout  en  causant  avec  vous.  Monsieur,  je  viens,  comme 
d'habitude,  de  faire  allusion  à  un  état  de  choses  énigmatique 
dont  vos  lecteurs  n'ont  pas  encore  la  solution  ;  j'ai  dit  que 
les  souverains  du  Wurtemberg  étaient  aussi  comtes  de  Mont- 
béhard  et  seigneurs  de  quelques  terres  dans  la  Haute-Alsace. 
Ceci  exige  nécessairement  une  explication  :  au  surplus ,  on 
devine  déjà  que  nous  sommes  là  en  face  d'une  situation  toute 
pareille  à  celle  que  nous  avons  étudiée  à  Bischwiller  et  à  Boux- 
willer,  c'esl-à-dire  que  nous  trouvons  des  princes  étrangers 
établis,  à  titre  de  seigneurs,  dans  des  provinces  françaises. 
Comment  ce  fait  est-il  arrivé  pour  Montbéliard,  Horbourg  et 
Riquewihr? 

11  faut  bien  remonter  le  cours  des  âges  pour  se  rendre 
compte  de  cette  situation  complexe.  Veuillez  vous  confier  à 
ma  direction  ;  je  tâcherai  d'abréger  et  d'aplanir  la  route  autant 
que  possible. 

Le  fonds  conservé  dans  nos  archives  n'a  absolument  rien 
de  commun  avec  l'ancien  comté  de  Montbéliard ,  dont  l'ori- 
gine remonte  à  Louis  de  Dagsbourg  ou  Dabo,  c'est-à-dire  à 
la  seconde  moitié  du  dixième  siècle.  Nos  documents  se  rap- 
portent à  peu  près  tous  à  l'époque  où  la  principauté  appar- 
tenait à  la  famille  régnante  de  Wurtemberg.  Je  puis  et  dois 
même  me  borner  à  vous  entretenir  de  celte  seconde  période , 
qui  commence  en  1396  et  1397. 

Henri,  comte  de  Montbéliard,  avait  fait  partie  de  l'expédi- 
tion aventureuse  des  chevaliers  français,  qui,  allant  au  secours 
de  l'empire  de  Byzance,  se  firent  hacher  ou  prendre  par  les 


104  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Turcs  à  Nicopolis  (1396).  Le  comte  de  Montbéliard  resta  mort 
sur  le  champ  de  bataille.  Ses  domaines  passèrent,  faute  d'hé- 
ritier mule,  à  sa  fdle  Henriette,  qui  avait  épousé  Eberhard, 
le  jeune  comte  de  Wurtemberg  et  de  Teck.  A  partir  de  cette 
époque ,  Montbéliard  fut  administré  tantôt  par  le  comte  ré- 
gnant de  Wurtemberg ,  tantôt  par  un  membre  de  la  branche 
cadette,  sous  le  nom  de  simple  ténementicr;  parfois  aussi  la 
seconde  branche  régnait  en  toute  souveraineté  à  Montbéliard, 
sous  condition  de  réversibilité  du  comté,  lorsque  les  héritiers 
directs  venaient  à  manquer. 

Le  comté  de  Ilorbourg  et  les  seigneuries  de  Riquewihr, 
qui  appartenaient,  depuis  1324,  aux  anciens  comtes  de 
Wurtemberg  par  droit  d'achat,  suivirent  le  sort  de  Mont- 
béliard. 

La  comtesse  Henriette,  qui  avait  apporté  à  la  maison  de 
Wurtemberg  le  bel  apanage  d'une  cinquantaine  de  communes 
dans  le  bassin  du  Doubs,  ouvrait  d'une  manière  brillante  la 
nouvelle  série  des  souverains  montbéliardais;  c'était,  comme 
on  dit  vulgairement,  une  maîtresse-femme,  de  la  même  trempe 
que  Marguerite  de  Linange-Westerbourg.  Tutrice  de  ses  deux 
fils  mineurs ,  après  la  mort  de  son  mari  Eberhard ,  elle  sut 
non-seulement  conserver,  mais  agrandir  le  patrimoine  de  ses 
enfants.  C'est  elle  qui  fit  à  Frédéric  de  IIohenzollern-Hecliingen, 
dépouillé  par  elle ,  et  regimbant  contre  ce  mauvais  traitement, 
une  réponse  bien  connue,  dont  je  ne  puis  reproduire  ici  l'é- 
nergique crudité. 

Le  château  de  Montbéliard ,  qui  domine  encore  aujourd'hui 
la  ville  du  côté  de  l'est,  devint  la  prison  et  le  tombeau  de 
Frédéric  de  Hohenzollern. 

Pendant  le  seizième  siècle ,  la  réforme  introduite  dans  le 
comté  par  Guillaume  Farel ,  s'y  consolida;  cette  similitude 
dans  les  destinées  confessionnelles  fut  un  lien  entre  Montbé- 
liard et  les  grandes  cités  de  l'Alsace. 

En  1617,  presqu'à  l'entrée  de  la  guerre.de  Trente  ans, 
commence  la  ligne  spéciale  des  comtes  de  Wurtemberg-Mont- 


DIXIÈME  LETTRE.  105 

béliard.  Louis-Frédéric,  fils  puîné  du  duc  Frédéric',  obtint, 
à  la  suite  d'un  traité  de  famille  conclu  avec  son  frère ,  le 
comté  de  Montbéliard  et  les  seigneuries  situées  dans  la  Haute- 
Alsace. 

Au  milieu  des  horreurs  de  la  guerre  de  Trente  ans ,  qui 
étendit  ses  ravages  sur  le  territoire  montbéliardais ,  le  comte 
Louis-Frédéric  vint  à  mourir  (en  1631)  à  peine  âgé  de  trente- 
cinq  ans.  La  France  occupa  temporairement  le  comté  ;  ce  ne 
fut  qu'après  la  paix  de  Westphalie  que  Léopold-Frédéric  de 
Wurtemberg-  prit  en  main  la  direction  des  affaires  de  Montbé- 
liard. Son  frère  George  lui  succéda  en  1062;  il  est  le  fonda- 
teur du  collège  de  Montbéliard  ;  mais  cette  institution  toute 
pacifique  faillit  être  engloutie  dans  les  malheurs  du  temps.  En 
1676  le  maréchal  de  Luxembourg  envahit  le  pays  et  fit  dé- 
manteler la  citadelle  située  à  l'ouest  de  la  ville.  Le  prince 
George,  époux  d'Anne  de  Coligny,  passa  une  grande  partie  de 
sa  vie  dans  un  exil  involontaire ,  et  ne  rentra  en  possession 
du  comté  qu'après  la  paix  de  Ryswick.  Il  mourut  à  la  fin  du 
dix-septième  siècle. 

Son  fils ,  Léopold-Eberhard,  né  en  1670,  lui  succéda;  mais 
il  fut  aussi  troublé  dans  sa  possession  par  le  gouvernement 
français,  qui  fit  constamment  des  essais  d'intervention  dans 
les  affaires  confessionnelles  du  pays.  C'était  une  existence 
anormale  que  celle  de  la  petite  enclave ,  entre  l'Alsace  et  le 
comté  de  Bourgogne.  La  tentation  irrésistible,  pour  un  puis- 
sant voisin ,  d'absorber  la  principauté  étrangère ,  devait  tôt 
ou  tard  aboutir  à  une  confiscation. 

Pendant  la  plus  grande  parfie  du  dix-huitième  siècle  le 
comté  de  Montbéliard  n'eut  plus  de  princes  résidents.  Après 
la  mort  de  Léopold-Eberhard,  le  pays  avait  fait  retour  à  la 
branche  aînée  de  Wurtemberg.  Des  ordres,  partis  de  Stutt- 
gart, dirigeaient  la  régence  locale  de  Montbéhard,  et  il  est 

*  En  1495  l'empereur  Maximilieu  P""  avait  érigé  le  comté  de  Wurtemberg 
en  duché. 


106  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

juste  de  dire  que  l'administration  wurtembergeoise  était  pa- 
ternelle dans  ce  domaine  de  langue  française,  qu'elle  avait 
toute  espèce  d'intérêt  à  ménager. 

L'on  vit  alors  un  spectacle  véritablement  bizarre,  un  con- 
traste tel  qu'il  s'en  présente  rarement  dans  l'histoire  :  deux 
pays  ,  appartenant  au  même  souverain ,  gouvernés  d'après 
des  principes  tout  à  fait  différents  ;  le  Wurtemberg,  le  pays 
patrimonial ,  livré  aux  caprices  d'un  régime  de  favoris ,  de 
maîtresses  et  d'usuriers,  à  toutes  les  turpitudes  d'une  cour 
où  le  maître  jouait,  dans  toute  la  force  du  terme,  le  rôle  d'un 
sultan  au  petit  pied;  et  Montbéliard,  le  territoire  acquis  par 
mariage,  occupé  par  une  populalion  romane,  étrangère  aux 
souvenirs  et  aux  antécédents  historiques  de  la  terre  ducale, 
Montbéliard,  moralement,  religieusement,  économiquement 
gouverné  ;  les  fils  de  ses  principales  familles  jouissant  de 
bourses  pour  faire'  leurs  études  à  TiUjingen  ;  George  Cuvier 
—  celui  qui  allait  être  le  grand  Cuvier  —  élevé  aux  frais  du 
duc  dans  l'Académie  militaire  de  Stuttgart;  le  gouverneur  de 
Montbéliard  ,  usant  à  l'endroit  de  ses  administrés,  j'allais  dire 
de  ses  ouailles,  de  tous  les  ménagements,  de  tous  les  égards, 
de  toutes  les  prévenances  que  ses  instructions  lui  prescri- 
vaient, tandis  que  dans  les  villes  et  campagnes  de  Souabe, 
à  l'orient  de  la  Forêt-Noire,  l'honneur  et  la  fortune  des  fa- 
milles dépendaient  du  caprice  d'un  intendant  ou  d'une  con- 
cubine du  prince. 

A  qui  m'accuserait  de  charger  les  couleurs,  je  répondrai 
hardiment  que  je  les  adoucis,  que  je  n'articule  rien,  parce 
que  je  n'écris  point  ici  l'histoire  du  Wurtemberg ,  que  je 
couvre  d'un  triple  voile  les  actes  odieux  qui  ont  pendant  toute 
la  durée  du  dix-huitième  siècle  fait  de  la  cour  de  Stuttgart  et 
de  Ludwigsbourg  l'asile  et  le  paradis  des  danseuses  et  des 
aventuriers.  J'engage  les  incrédules  à  étudier  l'histoire  du  duc 
Eberhard-Louis  (1693  à  1733)  et  de  M^e  de  Grœvcnitz  ;  puis 
celle  du  règne  de  Charles-Alexandre  (1733  à  1744)  et  du  juif 
Siiss-Oppenheimer,  qui  suça  la  moelle  du  pays  et  finit,  grâce 


DIXIÈME  LETTRE.  107 

aux  cris  d'indignation  de  toute  l'iVllemagne,  par  se  faire  pendre 
dans  une  cage  de  1er.  Qu'on  lise  surtout  l'histoire  du  règne  de 
Charles-Eugène,  plus  connu  sous  le  nom  du  duc  Charles  (17M 
à  1793),  de  son  ministre  M.  de  Montmartin,  et  de  la  comtesse 
de  Hohenheim  ;  et  si  cette  lecture  devait  répugner  à  des  esprits 
délicats ,  l'un  des  drames  bourgeois  de  Schiller  (Intrigue  et 
Amour)  leur  fera  voir  comment  la  poésie  a  su  transporter  sur 
les  planches  du  théâtre ,  pour  l'instruction  des  peuples  et  des 
rois,  un  état  de  choses  qu'aujourd'hui  nous  serions  tentés  de 
reléguer  dans  le  domaine  de  la  fable. 

C'est  un  fait  connu  que  Schiller,  le  camarade  d'études  de 
Cuvier,  puisa  la  haine  de  la  tyrannie  dans  l'atmosphère  viciée 
qui  pesait  alors  sur  Stuttgart.  Ses  (l Brigands  y>  ne  sont  que 
l'expression  hyperbohque,  déclamatoire,  d'un  sentiment  d'op- 
position, qui  était  alors  au  fond  de  toutes  les  consciences 
droites,  et  qui  menait  le  poète  Schubart  au  cachot  du  Hohen- 
asperg,  le  fonctionnaire  patriote  Moser  dans  les  casemates  de 
Hohentwiel. 

Mais  si  de  ce  régime  sans  nom  nous  nous  réfugions  à  Mont- 
béliard ,  la  scène  change  complètement  ;  ici ,  nous  nous  trou- 
vons sous  l'aile  protectrice  d'un  gouvernement  patriarcal,  tout 
à  fait  approprié  à  ces  pittoresques  campagnes,  traversées  par 
le  Doubs  et  ses  affluents,  couvertes  de  forêts,  de  prairies,  de 
vergers,  empruntant  aux  ramifications  du  Jura  les  charmes 
d'un  terrain  accidenté,  sans  les  inconvénients  d'un  climat  tout 
à  fait  alpestre.  Ici,  la  dignité  de  l'homme  et  du  citoyen  est 
respectée,  garantie  ;  on  n'enlève  point  à  l'agriculture  ,  on  ne 
vend  point  à  la  Hollande  ou  à  l'Angleterre  les  jeunes  hommes 
les  plus  vigoureux,  pour  échanger  ce  prix  du  sang  contre  une 
parure  de  courtisane;  on  n'y  comprime  pas  l'essor  de  l'intel- 
ligence ;  d'excellentes  écoles ,  legs  de  la  réforme ,  développent 
les  bons  germes  dans  toutes  les  communes  rurales  ;  à  Mont- 
béliard  un  collège  presque  académique  entretient  une  pépi- 
nière de  bons  théologiens;  de  pieuses  fondations,  qui  ont  en 
partie  survécu  aux  ébranlements  des  révolutions  modernes , 


108  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

viennent  en  aide  à  l'indigence  ou  à  la  maladie  ;  à  côté  de  l'a- 
griculture, l'industrie  minière  commence  ses  essais  dans  les 
forges  d'Audincourt;  déjà  l'on  discute  la  jonction  du  Rhône  et 
du  Rhin;  on  semble  deviner  l'avenir  de  cette  voie  fluviale  que 
la  main  de  l'homme  doit  créer.  Je  m'arrête;  je  crains  que  l'on 
ne  m'accuse  de  tracer,  pour  l'amour  des  contrastes,  un  ta- 
bleau de  fantaisie ^  quoique  les  éléments  en  soient  tous  pris 
dans  le  fonds  môme,  objet  de  cette  lettre,  et  dont  je  dois  bien 
aussi  vous  dire  quelques  mots.  Ce  seront,  comme  toujours, 
des  indications ,  consignées  presque  à  la  dérobée  dans  ces 
lettres  ,  où  je  dois  chercher  à  intéresser,  et  non  à  cataloguer 
des  liasses. 

J'ai  classé  cet  amas  de  28,000  titres  sous  les  rubriques  d'af- 
faires historiques,  ecclésiastiques,  féodales,  judiciaires,  ad- 
ministratives, financières  etc.  Les  pièces  les  plus  nombreuses 
dans  ce  fonds,  comme  dans  ceux  qui  précèdent  ou  qui  vont 
suivre,  sont  toujours  celles  qui  ont  trait  à  la  comptabilité  ou 
à  l'administration;  les  plus  rares  sont  précisément  celles  que 
nous  voudrions  trouver  en  quantité  respectable;  savoir:  celles 
qui  intéressent  le  mouvement  des  esprits  ou  indiquent  la 
marche  des  événements.  Une  remarque  générale  qui  s'est 
présentée  d'elle-même  lorsque  j'ai  parcouru  toutes  ces  liasses 
de  Montbéliard ,  c'est  la  persistance*  des  noms  propres.  Que  de 
familles,  dont  nous  connaissons  les  membres  actuels,  se  re- 
trouvent dans  les  documents  des  siècles  derniers  !  et  cette 
observation  s'applique  surtout  aux  professions  savantes.  Les 
théologiens  protestants  de  Montbéliard  forment  une  espèce  de 

ni  y  a  bien  aussi  quelques  omlires  dans  ce  beau  tableau.  Je  trouve,  par 
exemple,  dans  la  rubrique  féodale  de  ce  fonds  de  Montbéliard,  un  lief  appar- 
tenant à  la  famille  L****.  Quatre  demoiselles  de  cette  maison  figurent  dans 
nos  papiers,  comme  lilles  naturelles  de  feu  Léopold-Eberhard  de  Monlhé- 
liard;  mais  que  cette  peccadille  est  vénielle  à  côté  des  atrocités  de  Slullgarl! 

Ce  même  prince  Léopold  acquiert  des  mains  de  George  de  Guilderich, 
seigneur  de  Sigmarshofen  et  d'Allanjoie,  en  ^707,  le  château  de  VVolfsberg, 
près  .\renenberg. 


DIXIÈME  LETTRE.  109 

corporalion,  qui  s'est  perpétuée  de  père  en  fils.  Il  y  a  d'ail- 
leurs toute  espèce  d'avantages  dans  une  pareille  transmission 
héréditaire  ;  le  cas  se  rencontre  bien  aussi  en  Alsace  ,  mais  à 
un  moindre  degré,  ce  me  semble  ;  on  dirait  que  l'envahisse- 
ment de  notre  province  par  les  Français  d'au  delà  des  Vosges 
a  enveloppé,  du  moins  dans  les  villes,  la  couche  de  la  popu- 
lation primitive. 

Pour  sortir  des  généralités,  abordons  quelques  faits  du 
quinzième,  du  seizième  et  du  dix-septième  siècle,  consignés 
dans  ces  documents  de  Montbéliard,  et  plus  ou  moins  con- 
nexes avec  l'histoire  de  notre  pays. 

Pas  un  de  nos  lecteurs  qui  n'ait  connaissance  de  la  des- 
cente du  dauphin  Louis  (XI) ,  avec  ses  Armagnacs ,  dans  les 
plaines  d'Alsace.  Pendant  cette  même  campagne ,  Louis  avait 
occupé  la  ville  et  le  château  de  Montbéliard;  mais  il  promit  à 
Ulrich  de  Wurtemberg  de  le  rendre  dans  dix-huit  mois  {Vi- 
dimus  d'une  lettre  en  latin  et  en  allemand  de  14M).  Deux  ans 
plus  tard,  une  lettre  de  félicitation,  adressée  par  le  père  du 
dauphin  Louis ,  par  Charles  VII ,  aux  comtes  Louis  et  Ulrich 
de  Wurtemberg,  constate  que  cette  libération  de  Montbéliard 
a  eu  lieu  en  réalité. 

Déjà  plus  haut  j'ai  fait  pressentir  que  l'époque  de  la  réforme 
est  marquée  dans  ce  fonds  par  plus  d'une  pièce  curieuse.  Point 
de  trace,  par  exemple,  ni  du  passage  de  Guillaume  Farel,  ni 
de  celui  de  Théodore  de  Bèze  ;  mais  des  règlements  ecclésias- 
tiques,, des  rapports  du  prince  Christophe  à  son  frère  Ulrich 
(1544  à  1545) ,  à  ce  même  duc  qui,  chassé  de  ses  États  pour 
des  crimes  néroniens,  n'a  point  laissé  de  mauvais  souvenirs 
à  Montbéliard  ;  puis,  dans  le  cours  du  même  siècle,  des  rap- 
ports du  conseil  de  régence  sur  la  situation  des  esprits ,  sur 
la  persécution  qui  menace  de  fondre,  de  la  Franche-Comté 
espagnole,  sur  le  petit  pays  réformé;  vers  le  milieu  du  siècle, 
le  passage  du  colonel  Schertlin  et  de  ses  troupes  réunies  contre 
l'Empereur  (1552);  vers  1587,  une  correspondance  du  duc 
Louis  avec  soj;i  frère  Frédéric  sur  les  incidents  de  la  guerre 


liO  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

avec  la  Lorraine;  la  correspondance  du  duc  avec  ses  fonction- 
naires et  avec  ses  délégués  à  Prague  (1590  à  1591)  pendant  la 
même  lutte  etc. 

Lors  des  troubles  qui  précédèrent  la  guerre  de  Trente  ans, 
au  moment  où  le  petit  souverain  de  la  Savoie  nourrissait  des 
projets  conti'Q  Genève,  il  paraît  qu'à  Montbéliard  on  avait  aussi 
conçu  des  craintes.  Nos  dossiers  indiquent  des  demandes  d'as- 
sistance adressées  à  Bâle,  à  Berne  et  à  l'électeur  palatin  (1611). 

Je  ne  rentrerai  point,  pour  Montbéliard,  dans  les  détails  de 
la  guerre  de  Trente  ans.  Les  seigneuries  de  Riqucwihr  et  de 
Ilorbourg  en  ont  aussi  souffert,  comme  le  reste  de  la  province, 
et  les  dossiers ,  d'ailleurs  peu  nombreux ,  (pii  concernent  ces 
propriétés  wurtcmbergeoises ,  en  conservent  des  traces. 

Noire  fonds  contient  une  copie  de  l'acte  de  vente  ,  en  vertu 
duquel  Waltlier  et  Burkard  de  Ilorbourg  cédèrent  à  Ulrich  de 
Wurtemberg  (1324),  outre  HorbourgelRiquewiiir,le  château 
de  Bilslein,  le  landgericlit  im  Leimenthal  etc.  Plus  d'une  fois 
cette  acquisition  devint,  pour  la  régence  -wurtembergcoise , 
un  sujet  d'embarras.  Souvent  les  comtes  ou  ducs  de  Wur- 
temberg se  trouvent  en  lutte  avec  les  seigneurs  locaux ,  soit 
pour  la  levée  des  impositions,  soit  pour  la  prestation  du  ser- 
ment des  habilants;  ou  bien  les  seigneurs  des  localités  sont 
en  litige  entre  eux-mêmes  ,  et  le  Wurtemberg  est  obligé  d'in- 
tervenir ou  de  recourir,  soit  à  l'arbitrage  de  l'évoque  de  Stras- 
bourg, soit  aux  tribunaux  de  l'empire.  Ainsi,  pendant  le  sei- 
zième et  le  dix-septième  siècle,  les  discussions  entre  le  Wur- 
temberg et  les  Ralhsamhausen  sont  incessantes;  en  1060, 
l'immédiateté  des  Rathsamhausen  est  reconnue  par  la  Cham- 
bre impériale  contre  le  duc.  Veuillez  remarquer.  Monsieur, 
qu'à  cette  époque  l'Alsace,  en  vertu  du  traité  de  Westphalie, 
appartenait  depuis  douze  ans  à  la  France,  et  que  l'on  conti- 
nuait néanmoins  à  recourir,  pour  ces  litiges ,  à  la  décision 
d'un  tribunal  germanique;  anomalie  qui  avait  sa  raison 
d'être  dans  quelques  articles  ambigus  du  grand  traité  euro- 
péen ,  mais  qu'un   souverain  de  la  taille  de  \.ou\s  XIV   ne 


DIXIÈME  LETTRE.  111 

pouvait  admettre  à  la  longue.  Pour  le  cas  spécial,  en  exami- 
nant la  correspondance  des  fonctionnaires  de  Riquewihr  avec 
Montbéliard  et  Stuttgart,  on  voit  que  lesRathsamhausen  com- 
mettaient des  illégalités,  précisément  parce  qu'ils  se  savaient 
appuyés  par  la  Chambre  impériale  de  Spire.  Le  duc  régnant, 
Eberliard,  conseillait  prudemment  à  Léopold,  comte  de  Mont- 
béliard, d'assoupir  l'affaire;  il  pressentait  que  la  griffe  du 
lion  de  Versailles  pourrait  dans  un  avenir  prochain  tirer  bon 
parti  de  ces  discussions  et  s'emparer  de  l'objet  du  litige. 

La  principauté  de  Montbéliard  avec  les  seigneuries  qui  en 
dépendaient  (Iléricourt,  Blàmont  etc.)  fut,  comme  on  sait, 
réunie  à  la  France  en  4793  par  le  représentant  du  peuple 
Bernard  de  Saintes;  cette  opération,  longtemps  prévue,  ne 
faisait  qu'exécuter  ce  que  la  monarchie  des  Bourbons  médi- 
tait depuis  cent  cinquante  ans;  toutes  les  convenances  géo- 
graphiques, toutes  les  sympathies  nationales  parlaient  en  fa- 
veur de  cette  fusion.  La  France  y  gagnait  un  arrondissement 
et  un  grand  naturaliste;  George  Cuvier  avait  vingt-quatre  ans 
au  moment  de  la  réunion;  il  était  mort  depuis  trois  ans,  lors- 
que sa  statue  fut  inaugurée,  en  i8o5,  sur  la  place  pubhque 
de  Montbéliard  par  une  députation  de  l'Institut,  par  un  con- 
cours de  savants  de  toutes  les  nationalités,  et  par  les  accla- 
mations des  citoyens,  fiers  d'être  les  compatriotes  de  l'une 
des  plus  hautes  illustrations  de  la  science  contemporaine. 

Cinq  ans  plus  lard,  Strasbourg  inaugura  la  statue  de  l'in- 
venteur qui  a  rendu  possible  le  prodigieux  essor  qu'ont  pris 
les  lettres  et  les  sciences  depuis  quatre  siècles.  Sans  Guten- 
berg ,  Cuvier  existerait-il?  C'est  une  heureuse  coïncidence, 
qui  réunit  ainsi,  sur  deux  ppints  de  la  fronlière  de  l'est,  les 
images  des  deux  génies  qui  ont  entre  eux  cette  mystérieuse 
corrélation.  Je  n'étendiai  point  ce  rapprochement  aux  hommes 
d'action  et  de  talent  auxquels  l'Alsace  reconnaissante  a  ré- 
cemment décerné  et  élevé  des  statues  ;  Kléber  et  Rapp ,  sur- 
tout Lezay-Marnésia  et  Pfeffel,  protesteraient  contre  l'assigna- 
tion d'un  rang  qu'ils  savent  ne  point  occuper  sur  la  môme 


112  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN". 

ligne  que  l'illustre  Mayençais  et  que  le  créateur  de  la  paléon- 
tologie. Mais  la  patrie  a  des  palmes  pour  toutes  les  gloires,  et 
j'aime  à  penser  que  l'Alsace  et  le  Comté  ,  ces  deux  provinces 
sœurs ,  tiennent  encore  du  marbre  ou  du  bronze  en  réserve 
pour  les  statues  de  plus  d'un  de  leurs  nobles  enfants. 


-— +a*M' 


ONZIHMK  LETTIiE.  11":^ 


ONZIEME  LETTRE. 

I.e  foHils  «lii  Directoire  de  la  noblesse.  —  ïiC  Itltterliaiis.  —  Devoirs 
de  l'areliivistc  en  face  des  papiers  de  famille.  —  Composition  dn 
Directoire.  —  Sa  juridiction.  —  Correspondance  histori<giie  d«i  Di- 
rectoire.      E.es  familles  nobles.  — .  ILenrs  titres.  —  M.  de   Koche- 

brune.    —  E.e  testament  «l'un  coniSamné  ù   mort.  —  Familles  rotn- 
rières.  —  Adieu  aux  archives  civiles. 

Monsieur , 

Sur  la  place  Saint-Étienne  de  Strasbourg  s'élève  la  longue 
et  belle  façade  de  l'ancien  RiUerhcms ,  qui  porte  l'empreinte 
des  temps  passés ,  même  pour  les  yeux  les  moins  habitués  à 
distinguer  les  styles  d'architecture.  Cet  édifice  était  le  siège 
du  Directoire  de  la  noblesse  de  la  Basse- Alsace  ,  dont  j'ai  en- 
core à  vous  entretenir  avant  de  quitter  la  salle  de  nos  archives 
civiles. 

Le  Directoire  avait  un  caractère  mixte  :  il  représentait  offi- 
ciellement le  corps  de  notre  noblesse  ;  il  était  le  défenseur 
de  ses  intérêts  moraux,  politiques,  territoriaux;  il  envoyait 
des  députés  aux  réunions  ou  diètes  de  la  noblesse  immédiate 
de  l'Empire  germanique  ;  il  correspondait  quelquefois  avec 
les  empereurs  eux-mêmes  ;  ses  propriétés  en  immeubles  et 
rentes  n'étaient  pas  sans  importance;  comme  tenancier  du 
Rilterhaus,  il  était,  à  partir  de  la  fin  du  dix-huitième  siècle, 
feudalaire  du  roi  de  France;  il  exerçait ,  par  des  baillis ,  une 
juridiction  sur  les  villages  et  terres  de  la  noblesse  ;  il  jugeait 
enfin  comme  tribunal  et  décidait,  en  première  instance ,  les 
litiges  dans  lesquels  les  membres  de  la  noblesse  étaient  en- 
gagés. 

Certes  il  y  avait  là  un  cercle  d'action  assez  étendu,  qui  ne 
doit  pas  échapper  à  notre  attention;  nous  devons  nous  y  ar- 
rêter d'autant  plus  que  des  protocoles  considérables,  c'est- 
à-dire  les  procès-verbaux  des  séances  du  Directoire ,  consti- 
tuent, avec  les  litres  des  familles  nobles  elles-mêmes,   un 


114  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

fonds  étendu,  intéressant  par  les  noms  qu'il  contient  et  par 
les  souvenirs  qu'il  évoque. 

Quelques  mots  d'abord  sur  le  Directoire  considéré  dans  ses 
attributions  judiciaires.  Je  me  borne,  comme  d'babitude , 
aux  indications  les  plus  indispensables,  pour  ne  pas  fatiguer 
l'attention  de  vos  lecteurs  par  des  détails  qui  sont  du  domaine 
des  bommes  d'étude. 

Le  Directoire  jugeait  au  civil  et  informait  quelquefois  au 
criminel.  A  ce  propos ,  je  dois  encore  intercaler  quelques  ré- 
flexions préliminaires. 

Par  les  dossiers  correctionnels  ou  criminels ,  l'archiviste  se 
trouve  forcément  introduit  dans  l'intérieur  des  familles  ;  il 
apprend  à  connaître  leur  passé,  bon  ou  mauvais,  comme  le 
médecin  ou  le  confesseur  apprend  à  connaître  les  misères 
physiques  et  morales  de  ses  contemporains.  Lorsque  les  fa- 
milles sont  éteintes,  lorsque  les  années  affaiblissent  les  im- 
pressions, les  événements  môme  désavantageux  pour  le  nom 
d'une  famille  appartiennent  à  l'histoire  ;  nulle  maison  ne  peut 
avoir  la  prétention  de  croire  tous  ses  ancêtres  impeccables 
ou  élevés  au-dessus  de  la  sphère  des  passions  humaines.  Je 
crois  même  que,  l'amour- propre  aidant,  on  ne  serait  pas 
trop  fâché  de  retrouver  à  trois  ou  quatre  siècles  de  distance 
quelque  grand  criminel  inscrit  sur  l'une  des  branches  d'un 
arbre  généalogique;  dans  un  lointain  vaporeux,  le  méfait 
perd  quelque  chose  de  son  caractère  repoussant;  il  ne  con- 
serve que  son  caractère  historique,  servant  à  constater  l'exis- 
tence de  quelque  personnalité  de  grande  ou  moyenne  taille, 
et  à  donner  à  une  époque  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  la 
couleur  locale.  Plus  d'inconvénient  alors  à  dévoiler  un  fait 
criminel,  à  en  parler,  à  le  commenter,  h  le  flétrir,  en  lui 
appliquant  les  règles  immuables  de  la  justice  et  de  la  cons- 
cience publique  ;  il  ne  peut  en  rejaillir  aucune  espèce  de  blâme 
sur  le  descendant  de  l'individu  incriminé  ou  flétri;  il  ne  peut 
rester  dans  l'esprit  du  descendant  d'un  grand  coupable  au- 
cune rancune  contre  le  narrateur. 


ONZIÈME  LETTRE.  115 

Mais  les  choses  ne  sont  plus  les  mômes,  lorsque  les  faits 
criminels  ou  honteux  se  sont  passés  dans  des  temps  qui  tou- 
chent encore  aux  nôtres;  alors  ces  affaires  de  concussion,  de 
diffamation,  d'adultère,  de  séduction,  de  prodigalité,  d'in- 
sultes, de  suppression  de  personnes,  qui  forment  (ordinaire- 
ment le  contenu  des  dossiers  criminels  ou  correctionnels, 
tombent  dans  le  domaine  du  scandale;  elles  blesseraient  au 
vif  de  justes  susceptibilités  et  ne  sauraient  appartenir  au  forum 
de  la  publicité.  Le  devoir  élémentaire  de  l'archiviste,  déposi- 
taire de  semblables  papiers,  c'est  non-seulement  de  ne  pas 
les  publier,  de  ne  pas  les  divulguer,  mais  de  les  oublier,  s 
possible ,  lui-même.  C'est  le  cas  de  beaucoup  de  papiers  cri- 
minels du  fonds  du  Directoire  de  la  noblesse;  si  vous  me  de- 
mandiez ce  que  j'en  sais  ou  ce  que  j'en  ai  retenu  ,  je  répon- 
drais qu'en  tout  temps,  dans  tous  les  pays  du  monde,  dans 
toutes  les  classes  de  la  société,  les  passions  exubérantes,  dé- 
sordonnées ,  ont  produit  des  turpitudes  qui  varient  dans  les 
détails,  mais  qui  se  ressemblent  par  le  fonds ,  et  que  ce  qu'il 
y  a  de  mieux  à  faire  en  pareil  cas, 'c'est  de  détourner,  si. 
vous  me  permettez  cette  métaphore  mythologique,  un  filet 
d'eau  du  Lethé  sur  le  résidu  bourbeux  du  passé. 

Au  surplus  je  me  hâte  d'ajouter  que  l'immense  majorité 
des  cas  jugés  par  le  Directoire  sont  des  cas  civils,  des  cas  de 
très-médiocre  intérêt;  il  y  avait  appel  de  tout  ce  qui  dépassait 
la  somme  de  500  fr. ,  et  dans  les  procès -verbaux  que  j'ai  dû 
parcourir,  je  n'ai  constamment  trouvé  à  l'ordre  du  jour  (jue 
des  valeurs  minimes  et  des  affaires  presque  puériles. 

Comme  tribunal,  le  Directoire  était  composé  de  dix  juges, 
membres  du  corps  de  la  noblesse  ;  sept  directeurs ,  pris  parmi 
ces  dix,  présidaient  à  tour  de  rôle  par  semestre.  Trois  asses- 
seurs, un  syndic  ou  procureur-général,  huit  adjoints,  dont 
quatre  catholiques  et  quatre  protestants,  complétaient  cette 
organisation.  Les  officiers  inférieurs,  notaires,  greffiers,  avo- 
cats, procureurs  et  baillis  étaient  nommés  par  le  Directoire, 
dont  la  juridiction  s'étendait  sur  quatre-vingt-dix  localités. 


i16  ARCHIVES  DÉPARTEME^sTALES  DU  RAS-RIIIN. 

bourgs  OU  villages.  Les  baillis  résidaient  à  Strasbourg,  à  l'ex- 
ception d'un  seul,  en  résidence  à  Saverne.  C'était,  comme 
vous  le  voyez,  une  organisation  judiciaire  un  peu  étendue , 
pour  la  défense  d'intérêts  qui  ne  semblent  point  en  rapport 
de  qualité  et  de  quantité  avec  ce  nombreux  personnel.  On  ne 
peut  en  général  se  défendre  d'une  observation  de  ce  genre 
en  considérant  toutes  les  juridictions  ecclésiastiques  et  civiles 
qui,  sans  aller  plus  loin,  s'entrecroisaient  dans  la  Basse- 
Alsace;  la  simplification  amenée  par  89  est  un  incontes- 
table bienfait,  qui  doit  frapper  même  les  adversaires  de  ce 
grand  ébranlement  bistorique  dont  les  oscillations  sont  en- 
core loin  de  s'arrêter. 

Mais  le  fonds  du  Directoire,  je  l'ai  déjà  fait  pressentir,  ne 
contient  pas  seulement  des  protocoles  judiciaires  ;  des  titres 
bistoriques,  des  titres  de  propriété,  une  correspondance  éten- 
due lui  donnent  une  valeur  d'une  autre  nature.  Toute  une 
série  de  privilèges  impériaux,  de  transactions,  de  paix  cas- 
Irales  impriment  à  cette  collection  un  caractère  de  parenté 
avec  les  groupes  de  titres  qui  ont  déjà  passé  sous  nos  yeux. 
—  Les  procès  -verbaux  des  diètes  tenues  dans  diverses  villes 
d'Alsace,  et  les  récez,  c'est-à-dire  les  décisions  prises  dans  ces 
réunions  solennelles  pour  la  défense  du  pays  et  pour  des  ques- 
tions d'un  intérêt  général,  s'étendent  sur  une  partie  du  sei- 
zième et  du  dix-septième  siècle;  la  correspondance  du  Direc- 
toire ,  représentant  de  ses  pairs  ,  avec  l'évêque  et  la  ville  de 
Strasbourg,  avec  les  dignitaires  de  l'Empire,  les  princes  éta- 
blis en  Alsace,  le  préfet  de  Haguenau,  la  régence  d'Ensis- 
heim,  embrasse  aussi  une  série  d'années  de  la  même  époque. 
La  guerre  de  Trente  ans  en  fait,  comme  de  raison,  les  fiais 
principaux.    Parmi   les  personnages   qui  figurent  dans    ces 
rapports  épistolaires,  se  trouvent  en  première  ligne  :  le  car- 
dinal de  Lavalette ,  lieutenant-général  de  Ricbelieu  (1636), 
le  colonel  d'Ossa ,  le  duc  Bernard  de  Saxe-Weimar,  le  cban- 
celier  suédois  Oxenstierna  ,  le  rhingrave  Olton  Henri,  le  duc 
de  Roban  etc. ,  et  en  seconde  ligne  des  personnages  moins 


ONZIÈME  LETTHK.  117 

connus:  le  ritlmeislrc  de  Plessen,  le  commandant,  de  Plii- 
lippsbourg,  ]\1M.  de  Gifl'en  et  de  Gemmingen,  délégués  à 
Mûnsler  par  le  Direcloiie  etc.  Presque  toujours  ce  sont  des 
questions  de  logement  militaire ,  de  contribution  de  guerre 
et  de  sauvegarde  qui  sont  traitées  dans  ces  lettres ,  minutes  ou 
copies.  s 

La  grande  guerre  finie,  l'ère  des  discussions  recommence; 
elle  a  aussi  sa  place  dans  notre  collection.  Voici  un  journal 
tenu  par  le  syndic  Wieland  pendant  le  voyage  des  délégués 
de  la  noblesse  à  Vienne  et  à  Prague  (1652)  ;  voici  le  récez  de 
la  Diète  tenue  à  Mergentheim  par  la  noblesse  de  la  Souabe , 
de  la  Franconie  et  du  Rhin,  première  réunion  de  ce  genre 
après  la  guerre  de  Trente  ans (1651);  on  y  voit  figurer,  de  la 
part  de  notre  noblesse,  Christophe  Wangen  de  Géroldseck, 
Hugues  Wyrich  de  Berslett,  J.  Rodolphe  deBerckheim ,  Wolf- 
Jacques  Bœckel  de  Bœcklinsau ,  noms  qui  nous  sont  tous  fa- 
miliers et  qui  se  retrouvent,  bien  entendu,  à  toutes  les  pages 
des  protocoles  et  de  la  correspondance  du  Directoire. 

Ce  corps  avait  grand  soin  d'envoyer  des  agents  dans  toutes 
les  assemblées  officielles  de  l'Empire  germanique,  même 
après  la  réunion  de  l'Alsace  à  la  France;  non-seulement  il  ne 
considérait  pas  encore  ses  relations  avec  l'Empire  comme  dé- 
finitivement rompues;  il  espérait  sans  doute  s'y  rattacher.  Ce 
n'est  que  la  réunion  de  Strasbourg  qui  a  fait  du  corps  de  la 
noblesse  d'Alsace  un  corps  français.  En  1674  le  Directoire 
entretient  encore  un  délégué  (Fabricius)  à  Ralisbonne;  de 
1674  à  1678,  il  correspond  encore  avec  l'évêque  de  Gurck  à 
Nimègue.  Louis  XIV  ne  s'y  trompait  point.  En  1080  des  lettres 
patentes  du  roi  transfèrent  le  siège  du  Directoire  de  Stras- 
bourg au  château  de  Niedernai;  c'était  un  exil  significatif  qui 
ne  cessa  qu'en  1682,  lorsque  Strasbourg  fut  devenue  ville 
française;  alors  le  Directoire  obtint  la  permission  d'y  rentre 
et  d'y  faire  à  l'avenir  ses  petites  affaires  administratives  et  ju- 
diciaires en  toute  paix  et  sécurité.  C'est  vers  cette  époque  qu'il 
acquiert  le  Ritlerhaus  des  mains  de  M.  de  Wangen  (1685),  et 


118  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIUN. 

en  1697  une  déclaration  du  président  du  Directoire  reconnaît 
avoir  transféré  sur  l'hôtel  de  la  place  Saint-Etienne  les  droits 
féodaux  que  le  roi  exerçait  sur  l'hôtel  de  la  Haute-Montée,  où 
se  trouvait  auparavant  le  poêle  de  la  nohlesse*. 

Les  noms  des  nobles  alsaciens  cités  dans  ma  lettre  sur  l'In- 
tendance d'Alsace,  ont  à  peu  près  tous,  et  bien  d'autres  en- 
core, leurs  titres  de  famille  annexés  au  fonds  du  Directoire.  A 
plusieurs  reprises  dans  le  cours  de  cette  revue  des  archives, 
nous  nous  trouverons  encore  en  face  du  corps  de  la  noblesse  , 
dans  les  fiefs  de  l'évêché,  par  exemple,  et  dans  le  grand  cha- 
pitre. Ici,  dans  le  fonds  qui  nous  occupe,  ce  sont  invariable- 
ment des  affaires  de  succession,  d'actes  matrimoniaux,  do 
testaments,  d'immatriculation,  d'inventaire  etc.  qui  consti- 
tuent les  liasses.  Les  litres  ont  une  grande  valeur  pour  les  fa- 
milles elles-mêmes;  quant  à  l'histoire  générale  du  pays,  clic 
n'y  est  presque  pas  intéressée.  En  parcourant,  pour  les  ana- 
lyser et  les  enregistrer ,  ces  nombreux  documents,  témoins 
de  tant  de  fêtes  et  de  deuils  de  famille,  j'ai  été  amené  plus 
d'une  fois  à  me  dire  avec  un  mouvement  de  tristesse,  qui 
n'était  au  fond  qu'un  retour  égoïste  sur  moi-même,  combien 
ces  contractants,  ces  fiancés,  ces  testateurs,  s'ils  pouvaient 
revenir  à  la  vie ,  seraient  étonnés  ou  péniblement  impres- 
sionnés à  voir  les  actes  constitutifs  de  leur  foyer  domestique 
livres  entre  les  mains  d'un  tiers,  sinon  indifférent,  étranger 
du  moins  à  ces  joies,  à  ces  douleurs,  à  ces  prévisions  pater- 
nelles des  chefs  de  maison  !  Mais  qu'y  faire?...  Des  destinées 
bien  autrement  grandes  que  celles  de  nos  honorabilités 
pi'ovinciales  ont  été  ravagées  d'une  manière  plus  tragique; 
et  au  demeurant,  ces  pièces  qui  par  suite  de  troubles  révo- 
lutionnaires sont  tombées  dans  le  domaine  public,  ont  plus 
de  chances  de  conservation  maintenant,  dans  un  dépôt  dé- 

1  Ce  dtM'nior  iminonble  fait  le  sujet  de  plusieurs  titres  qui  remontent  en 
partie  au  quinzième  siècle  ,  par  exemple,  un  traité  entre  les  aubergistes  de  la 
Ilaute-Monlée —  Jacques  de  Coluiar  et  ilodolphe  Yollz  —  avec  les  représeu 
lanls  de  la  noblesse. 


OiNZIÈME  LETTRE.  1  i9 

partoinciitnl ,  sous  la  sauvegarde  cl  le  rcspecl  de  la  loi, 
qu'elles  n'en  auraient ,  disséminées  dans  des  archives  parti- 
culières, exposées  aux  mille  et  une  chances  de  l'incurie,  de 
la  dilapidation  et  des  accidents  indépendants  de  la  volonté  des 
hommes. 

Je  ne  pourrais,  sans  dépasser  les  hornes  extrêmes  de  votre 
complaisance,  me  remettre  à  citer  une  à  une  chaque  famille 
noble  ayant  place  dans  cette  partie  de  notre  dépôt,  et  encore 
moins  me  perdre  dans  le  détail  de  ces  titres  qui  n'ont,  ainsi 
que  je  viens  de  le  dire,  aucun  rapport  avec  les  affaires  géné- 
rales du  pays.  Le  parti  qui  me  reste  à  prendre,  c'est  de  tirer, 
comme  on  dit  vulgairement,  à  la  courte  paille,  de  noter  som- 
mairement les  documents  qui  concernent  quelques  maisons  ; 
à  peu  de  chose  près,  les  archives  d'une  famille  ressemblent  à 
celles  des  autres...  Je  dois  aussi  prévenir  que  beaucoup  de 
ces  représentants  de  nos  anciens  dynastes  étaient  apparentés; 
presque  toujours  on  se  mariait  chez  soi ,  entre  cousins  à  tous 
les  degrés  ,  rarement  à  l'étranger  ;  peut-être  cette  circonstance 
a-t-elle  contribué,  avec  la  tourmente  révolutionnaire,  à  dé- 
cimer notre  noblesse,  à  éteindre  sa  progéniture  dans  une 
proportion  plus  forte  qu'en  d'autres  provinces  de  France  ou 
d'Allemagne. 

Abordons  maintenant  quelques  maisons  spéciales.  Pour  la 
famille  des  Berstett,  par  exemple,  les  titres  s'étendent  dans 
notre  fonds,  du  quinzième  au  dix-huitième  siècle  ;  ils  se  rap- 
portent à  leurs  biens  situés  dans  la  commune  même  dont  ils 
tirent  leur  nom,  et  dans  celles  d'Eckwersheim,  Zeinheim  etc. 
Des  comptes  de  succession,  des  conventions  matrimoniales^ 
des  inféodations  de  bien  accordées  par  les  Ribeaupierre 
forment  ces  dossiers. 

Dans  les  titres  des  Bœcklin  de  Bœcklinsau  je  vois  des  af- 
faires de  succession  d'Eve-Régine  Bœcklin  (1650);  un  inven- 
taire de  Marie-Symburge  Bœcklin  de  Bœcklinsau  etc.  ;  il  m'eût 
été  très-agréable  de  renseigner  l'érudit  et  spirituel  auteur  de 
l'école  d'Alexandrie  sur  le  compte  de  Mad.  de  Bœcklin,  amie 


120  AIICIIIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

du  Ihcosoplie  Sainl-Martin  ;  mais  je  ne  trouve  rien  qui  con- 
cerne cette  dame  de  mystique  mémoire. 

Les  Delllingm  sont  bien  pourvus  dans  notre  collection  ;  il 
se  trouve ,  sous  leur  nom  ,  des  titres  concernant  des  biens  à 
Scharrachbergheim  et  à  Zellwiller.  —  Au  dix-huitime  siècle , 
un  sieur  Meylach  de  Dettlingen  cède  des  rentes  en  pfennings 
à  sa  fille  Bénigne-Salomé  de  ManteufTel ,  à  Arnhausen.  Cet  acte 
semble  contredire  mon  assertion  de  tout  à  l'heure  sur  le  ca- 
ractère des  mariages  de  notre  noblesse  ;  mais  point  de  règle 
sans  exception  ;  je  me  suis  appliqué  à  signaler  plutôt  un  cas 
lare  que  le  fait  ordinaire. 

LesDurckheim  sont  représentés  par  des  titres  qui  remontent 
à  1424  et  descendent  jusqu'au  dix-huitième  siècle;  ce  sont 
pour  la  plupart  des  pièces  concernant  des  propriétés  à  l'é- 
tranger, des  fiefs  relevant  des  Dcux-Ponts-Bitche  etc. 

Les  Joliam  de  Muiidolsheim  figurent  pour  des  aiïaires  de 
succession  et  de  comptabilité,  à  partir  de  IGOO  jusqu'en  1783; 
les  Kageneck,  pour  des  affaires  de  rente,  des  acquisitions, 
des  concessions  impériales,  de  1424  à  1785;  les  titres  des 
Miillenheim  courent  de  1303  à  1780;  ceux  des  Waldncr  de 
Freundsloin  se  rapportent  à  des  litiges  avec  les  Liitzelbourg, 
les  zu  Rhein,  les  zum  Ruest.  Un  dossier  important  traite  de 
l'échange  de  la  commune  de  Schweinheim  contre  celle  de 
Hartmanswiller  (1758)  etc. 

Presque  invariablement  ces  familles  interviennent  auprès 
du  Directoire  pour  des  affaires  d'immatriculation  ;  aussi  les 
registres  de  cette  opération ,  quoique  incomplets,  forment-ils 
une  partie  précieuse  de  notre  fonds;  ils  sont  souvent  con- 
sultés ;  c'est  une  espèce  de  livre  d'or  au  petit  pied ,  pour  nous 
finalement  de  même  valeur  que  le  grand  registre  de  la  no- 
blesse de  Venise  pour  les  membres  aristocratiques  de  l'illustre 
RépubHque. 

Un  nom  qui  ne  fait  point  partie  de  notre  aristocratie  indi- 
gène, a  une  certaine  valeur  locale  à  raison  des  fonctions  dont 
le  représentant  de  cette  famille  était  revêtu  :  c'est  celui  de 


ONZIÈME  LETTRE.  121 

M.  de  Rochehruiie,  agent  diplomatique  du  inargrave  de  Bade, 
en  résidence  à  Kehl  dans  la  seconde  moitié  du  dix-huitième 
siècle.  M.  de  Rochebrune  est  en  correspondance  avec  les 
membres  de  la  noblesse  d'Alsace  pour  des  affaires  judiciaires 
ou  d'intérêt  privé.  Dans  son  dossier,  les  questions  d'extradi- 
tion et  les  affaires  commerciales,  auxquelles  les  bateliers  du 
Rhin  et  les  marchands  de  bois  sont  mêlés,  occupent  quelque 
place.  M.  de  Rochebrune  assiste  en  4777  à  l'arrivée  de  l'em- 
pereur Joseph  II  à  Kehl;  il  paraît  avoir  été  honoré  de  la  con- 
fiance du  margrave,  car,  en  1778  des  ordres  confidentiels 
donnés  aux  bourguemestres  des  environs  de  Kehl  leur  pres- 
crivent de  consulter  cet  agent  pour  toutes  les  affaires  urgentes, 
en  cas  d'absence  du  grand  bailli.  C'est  à  titre  de  bon  voisinage 
que  j'ai  dû  consigner  ici  le  nom  et  le  souvenir  d'un  fonc- 
tionnaire badois  qui  était  en  rapports  permanents  avec  des 
négociants  de  Strasbourg-  et  avec  les  grandes  familles  de 
l'Alsace. 

Nous  avons  aussi  dans  nos  archives  civiles  un  comparti- 
ment réservé  aux  titres  de  familles  bourgeoises  et  campa- 
gnardes, et  aux  actes  notariés.  J'ai  fait  plus  haut  ma  profes- 
sion de  foi  sur  les  noms  des  roturiers,  qui  peuvent  avec  le 
temps  acquérir  une  véritable  valeur;  mais  ce  n'est  pas  le  cas 
de  ceux  qui  sont  relatés  dans  ces  litres  assez  récents  ;  la  con- 
sécration des  siècles  leur  faisant  défaut,  je  ne  me  sens  ni  le 
droit  ni  la  mission  d'exhumer  dans  ces  liasses  des  noms  d'in- 
dividus que  je  crois  tous  très-honorables,  mais  qui  n'ont  ni 
ancêtres  avérés  ni  hauts  faits  inscrits  dans  nos  annales. 

Il  n'y  a  point  d'ambiguité ,  j'ose  l'espérer,  dans  l'expression 
de  ma  pensée.  J'ai  tenu  récemment  dans  mes  mains  des  pa- 
piers de  famille  qui  concernent  Henri  Rausch,  le  receveur 
et  conseiller  hanauïen,  l'une  des  premières  victimes  de  la 
hache  révolutionnaire  à  Strasbourg.  La  correspondance,  les 
brevets ,  le  contrat  de  mariage ,  le  testament  de  ce  fidèle  ser- 
viteur de  son  maître  m'ont  vivement  impressionné,  quoique 
le  nom  du  supplicié  ne  soit  pas  mscrit  sur  un  parchemin  no- 


\±2  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RillN. 

biliaire.  Mais  ici  c'est  la  consécration  du  malheur  qui  ennoblit 
le  bourgeois. 

Rien  de  plus  émouvant,  en  tout  état  de  cause,  que  le  tes- 
tament d'un  condamné;  celui  du  conseiller  de  Hesse-Darm- 
stadt  a  été  écrit  à  la  maison  d'arrêt,  le  16  novembre  1793,  à 
deux  heures  du  matin,  à  peu  de  distance  de  son  heure  der- 
nière. C'est  un  acte  très-simple  de  style  et  de  pensée,  une 
profession  de  foi  plutôt  qu'une  disposition  de  dernière  vo- 
lonté. Le  condamné  redresse  la  Icte  en  face  des  hommes  qui 
l'envoient  à  l'échafaud  malgré  son  innocence  patente  ;  il  plie 
le  genou  et  se  frappe  la  poitrine  devant  Dieu ,  dont  la  misé- 
ricorde,  invoquée  au  nom  d'un  divin  médiateur,  peut  seule 
gracier  et  sauver.  Le  citoyen  est  fier,  le  chrétien  est  humble 
et  soumis,  le  père  de  famille  attendri;  tout  est  à  l'unisson 
dans  celle  belle  nature,  grandie  par  une  infortune  exception- 
nelle. Le  souvenir  d'un  tel  père  est  pour  toute  une  famille 
un  souvenir  de  bénédiction  De  pareils  actes  testamentaires  , 
fussent-ils  dictés  par  la  bouche  la  moins  éloquente,  par  l'es- 
prit le  moins  cultivé,  avec  le  seul  cachet  du  malheur  ou  d'une 
conviction  religieuse  et  politique,  ont  un  prix  inestimable; 
je  les  lirais  avec  avidité  partout  où  ils  tomberaient  sous  mes 
yeux. 

Peut-être  nos  archives  en  recèlenl-ellcs  d'autres  du  même 
genre;  mais  qui  pourrait  tout  lire?  Un  digne  ecclésiastique 
me. dit  un  jour,  croyant  sans  doute  me  faire  un  compliment 
llalteur,  en  promenant  ses  yeux  le  long  des  avenues  de  car- 
Ions  de  nos  archives  :  El  vous  avez  lu  tout  cela  !....  Ah  ,  bon 
Dieu,  deux  ou  trois  existences  n'y  suffiraient  pas,  et  d'ailleurs 
où  en  serait  l'utilité? 

— Mais  le  temps  presse  ;  je  ne  me  suis  que  trop  étendu 
sur  cette  première  section  du  dépôt'.  J'entends  bourdonner 
à  mon  oreille  la  grande  cloche  de  la  cathédrale;  des  plaines 
et  des  vallées ,  de  tous  les  points  de  notre  beau  pays ,  les  cloches 

'  l>cs  archives  civiles. 


ONZIÈME   LETTUE.  123 

des  églises,  des  couvents,  des  abbayes  répondent  à  ce  signal. 
Les  noms  de  nos  prélats,  qui  ont  un  rang  dans  l'histoire 
d'Allemagne  et  de  France,  se  pressent  dans  ma  mémoire;  ils 
prennent  corps  ;  ils  passent  sous  mes  yeux  ;  je  dois  les  pré- 
senter aussi  vivants,  aussi  nombreux  que  possible  aux  yeux 
de  vos  lecteurs.  Le  tour  des  archives  ecclésiastiques  est  à  la 
fin  venu  ;  nous  y  entrerons  dans  ma  prochaine  lettre,  sous 
votre  égide. 


--oCOXtî>^'^ 


124  ARCI11YE.S  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN, 


DOUZIEME  LETTRE. 

Archives  errlésias(iqiie<<i.  —  Leur  caractère  général.  —  Clerfçé  sécu- 
lier et  clergé  régulier.  —  Fontls  de  l'évèchc  de  iHitrasbourg.  — Con- 
sidérations préliminaires.  —  Promenade  h  travers  les  bailliages 
épiscopaux. 

Monsieur , 

Pour  vous  introduire  dans  nos  archives  ecclésiastiques ,  je 
n'ai  point  de  porte  à  deux  battants  à  vous  ouvrir  :  ce  n'est 
qu'une  petite  porte,  étroite  comme  celle  du  salut,  qui  donne 
accès  à  cette  seconde  division  de  notre  dépôt.  Nos  arrange- 
ments matériels ,  vous  le  savez  déjà ,  sont  très-modestes  ;  nous 
ne  payons  pas  de  mine,  et  si  les  richesses  historiques,  ca- 
chées dans  certains  cartons,  ne  rachetaient  cette  pauvre  ap- 
parence extérieure,  jamais  je  n'aurais  osé  vous  engager  dans 
cette  pérégrination. 

Nous  laissons  donc  derrière  nous  le  monde  et  ses  pompes, 
le  gouvernement  civil ,  les  principautés  laïques ,  la  noblesse 
de  la  Basse-Alsace,  et  nous  allons  faire  connaissance  avec  le 
clergé  séculier  et  le  clergé  régulier  de  cette  même  fraction  de 
province. 

Je  viens  d'indiquer  la  subdivision  réglementaire  de  nos  ar- 
chives ecclésiastiques  ;  elle  était  dictée  par  la  nature  des 
choses;  car  toute  collection  de  documents  relatifs  aux  affaires 
de  l'église  doit  se  rapporter  soit  à  cette  fraction  du  clergé 
(lui  est  liée  par  la  règle  monastique  et  claustrale  (clergé  ré- 
gulier), soit  à  celle  qui  ne  l'est  pas,  mais  qui  reste,  sinon 
mêlée,  du  moins  rattachée  au  monde,  au  siècle ,  par  les  de- 
voirs pastoraux,  par  la  cure  d'àmes  dans  les  paroisses  (clergé 
sécuher). 

L'une  et  l'autre  de  ces  subdivisions  est  largement  représen- 
tée dans  nos  archives  :  le  clergé  régulier  l'est  par  le  fonds  de 
toutes  nos  abbayes,  de  tous  nos  couvents  d'hommes  et  de 
femmes  et  par  les  ordres  mihtaires  monastiques;  le  clergé  se- 


DOUZIEME  LETTRE.  125 

CLilier  nous  otïi'o  d'abord  le  vasie  Ibiids  de  l'évèelié  de  Stras- 
bourg, avec  son  grand  cbapitre  et  son  grand  chœui-,  les  cba- 
pitres  urbains  et  ruraux;  puis  le  fonds  restreint  de  l'évêché  de 
Spire,  dont  le  diocèse  s'étendait  avant  la  Révolution  sur 
toute  la  partie  septentrionale  de  notre  département. 

Ainsi,  dans  la  sphère  où  nous  entrons,  nous  allons  nous 
trouver  face  à  face  de  prélats  et  de  chanoines ,  d'abbés  prin- 
ciers ,  de  prieurs ,  d'abbesses ,  de  supérieures ,  de  moines  et 
de  religieuses ,  de  commandeurs  de  Saint-Jean  et  de  l'ordre 
teutonique.  Cependant  cette  austère  assemblée  ne  remplira 
pas  exclusivement  toutes  les  nefs  de  ces  cathédrales ,  de  ces 
basihques,  de  ces  églises,  pas  tous  les  cloîtres,  pas  tous  les 
vastes  corridors  de  ces  maisons  murées  ;  car  ces  prélats,  ces 
chanoines  et  ces  conventuels  étaient  tous  forcément  en  rela- 
tion avec  des  hommes  d'épée  et  de  robe,  avec  le  commerce  et 
l'agriculture  à  leur  porte  ;  ces  couvents ,  ces  abbayes ,  ces 
églises  demandent  ou  acceptent  des  lettres-privilèges,  éma- 
nées des  empereurs,  des  rois,  des  princes,  des  dynastes  et 
des  nobles  ;  tous  ils  ont  des  propriétés  constatées  par  des 
titres  notariés,  mondains;  sans  doute  la  bulle  pontificale,  la 
lettre  épiscopale  ou  abbatiale  prédomine  dans  beaucoup  de 
ces  cartons  des  archives  ecclésiastiques  ;  mais  h  côté  de  la 
bulle  de  plomb  se  trouve  aussi  le  sigillé  des  chancelleries  de 
l'empire  ;  et  à  côté  de  la  lettre  d'indulgence  qui  confère  des 
bénéfices  spirituels,  l'acte  de  donation  ou  l'acte  testamentaire 
constitue  l'existence  matérielle  de  ces  admirables  étabhsse- 
ments  qui  ont  été,  au  début  du  moyen  âge,  l'asile  de  la  piété, 
du  savoir,  du  droit  et  de  la  bienfaisance. 

Vous  avez  dû  remarquer.  Monsieur,  que  dans  nos  archives 
civiles  les  titres  présentaient  invariablement  trois  ou  quatre 
grandes  rid)riques.  C'étaient  des  titres  historiques  d'abord , 
dans  la  pins  large  acception  de  ce  terme ,  puis  des  titres  de 
propriété,  des  liasses  de  procédure,  des  registres  et  des  pièces 
de  comptabilité.  A  peu  de  nuances  près,  les  archives  ecclé- 
siastiques offriront  le  même  caractère  :  les  mêmes  rubriques 


126  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN, 

s'y  rencontrent;  seulement  il  faudra  tenir  compte  aussi  d'un 
compartiment  spécial  d'affaires  ecclésiastiques  qui ,  par  la 
force  des  choses ,  forment  ici  une  série  principale. 

Je  me  garderai  bien^  Monsieur,  de  vous  faire  traverser  sys- 
tématiquement ,  dans  chaque  fonds ,  toutes  ces  rubriques  ; 
vous  ne  pouvez,  vous  ne  devez  point  me  laisser  mes  coudées 
franches.  Des  inventaires  régulièrement  dressés  et  de  longs 
rapports  officiels  sont  là ,  pour  les  chercheurs  et  les  hommes 
du  métier.  A  peine  si  je  puis  ici,  dans  ces  indications  som- 
maires, procéder  par  grandes  masses.  Mon  devoir  est  de  ca- 
ractériser, de  résumer,  non  d'analyser;  et,  pour  ne  pas  res- 
ter* d'une  manière  absolue  dans  les  généralités  ou  dans  les 
abstractions ,  je  dois  amener,  par-ci ,  par-là,  un  rayon  de  lu- 
mière sur  quoique  point  spécial ,  sur  quelque  document  ex- 
ceptionnel. Ce  seront  des  fanaux  isolés,  ahumés  au-dessus  de 
cette  rner  sombre  où  des  milliers  et  des  milliers  de  noms 
s'entrechoquent  comme  des  vagues  houleuses;  ce  sera,  dans 
ce  vaste  champ  du  repos,  la  lampe  placée  sur  quelques  pierres 
tumulaires  où  les  inscriptions  révèlent  quelque  existence  ex- 
ceptionnelle. —  Nous  déchiffrerons  ensemble,  Monsieur,  dans 
quelques  Chartes,  les  noms  vénérés  de  Sainte-Odile  et  de  Iler- 
rade  de  Landsperg;  nous  passerons  sous  le  portail  et  dans  la 
nef  de  quelques  basiliques  ;  nous  tournerons  les  feuillets  de 
la  correspondance  de  quelques  prélats  ;  nous  soulèverons  le 
voile  de  quelques  procédures,  et  lorsque  vous  me  direz  enfin: 
c'est  assez  !  je  vous  ferai  mes  adieux,  et  je  plaiderai  ma  cause 
par  le  résumé  numérique  des  pièces  dont  je  vous  ai  épargné  la 
fastidieuse  nomenclature;  ou,  si  vous  trouvez  ma  présomption 
trop  grande,  je  vous  laisserai,  sans  cérémonie,  au  milieu  de 
ces  travées  de  notre  (LCamposanto)-)  où  les  trépassés  semblent, 
du  haut  de  leurs  rayons  et  de  leurs  niches,  railler  notre  vaine 
tentative  de  les  rappeler  à  la  vie  réelle. 

En  attendant  que  sonne  l'heure  de  notre  séparation ,  voici 
donc  la  salle  épiscopale,  voici  le  «trésor  et  l'armoire  des 
Chartes,»  voici  les  fonds  des  droits,  des  fiefs,  des  bailliages 


DOUZIÈME  LETTRE.  127 

de  l'évèclié  ;  voici  les  afTaires  ecclésiastiques,  les  eaux  et  fo- 
rêts, la  comptabilité,  voici  tous  les  chapitres  urbains  et  ru- 
raux. Mais  avant  toute  chose,  parcourons  en  pensée  le  terrain 
même  sur  lequel  s'exerçait  rinduence  de  l'évèquc  de  Stras- 
bourg-; circonscrivons  bien  ses  limites,  et  puis  lions  connais- 
sance avec  les  prélats  eux-mêmes.  Cette  revue  géographique 
et  historique,  cette  descente. sur  les  lieux  et  ce  catalogue  som- 
maire d'une  longue  galerie  de  portraits  serviront  d'introduc- 
tion à  l'examen  du  fonds  de  l'évêché  et  de  ses  nombreuses 
subdivisions.  Ai-je  besoin  d'ajouter  que  ce  résumé  n'est  lui- 
même  qu'un  imperceptible  extrait  des  matériaux  contenus 
dans  ce  vaste  fonds  épiscopal?... 

Quelques-uns  de  nos  lecteurs  ignorent  peut-être  que  le  dio- 
cèse de  l'évêché  de  Strasbourg  d'aujourd'hui  ne  correspond 
pas  exactement  à  celui  d'autrefois  :  il  est  plus  étendu  sur  la 
rive  gauche ,  puisqu'il  embrasse  maintenant  la  totalité  des 
deux  départements;  il  l'est  moins,  en  ce  sens,  que  l'ancien 
évêché  avait  aussi  des  domaines  de  l'autre  côté  du  Rhin.  En 
le  prenant  au  moment  de  sa  plus  grande  extension,  vers  la  fin 
du  dix-huitième  siècle,  notre  évêché  commençait  au  sud  du 
cours  d'eau  du  Seltzbach  et  s'arrêtait  dans  le  Haut-Rhin ,  à 
peu  près  sur  les  bords  de  la  Thur,  à  l'entrée  du  Sundgau.  En 
d'autres  termes,  le  nord  de  la  Basse-Alsace  (Landau,  Wis- 
sembourg,  etc.)  appartenait  au  diocèse  de  l'évêché  de  Spire 
dont  j'aurai  à  vous  parler  plus  tard,  mais  que  j'écarte  pour  le 
moment;  la  partie  méridionale  du  Haut-Rhin  relevait  de  l'é- 
vêché de  B;ile  ;  sur  le  revers  occidental  des  Vosges ,  la  Lor- 
raine allemande  dépendait,  pour  les  affaires  spirituelles,  de 
l'évêché  de  Metz.  De  l'autre  côté  du  Rhin ,  où  l'cvêque  actuel  de 
Strasbourg  n'a  plus  charge  d'àmes,  ses  prédécesseurs,  en  re- 
montant au  delà  de  4790,  tenaient  les  beaux  domaines  de 
rOrtenau. 

Pour  vous  rendre  un  compte  clair  et  précis  de  cet  ordre  de 
choses,  je  ne  vous  engage  point.  Monsieur^  à  recourir  à  l'an- 
cienne carte  de  Ilomann  ,  un  peu  confuse  et  terne  pour  nos 


128  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

yeux  et  nos  exigences  actuelles  ;  mais  je  vous  conseille  de 
prendre  en  main  la  carte  de  l'ancienne  Alsace  récemment 
dressée  par  M.  le  comte  Hallez-Claparède  ;  vous  y  verrez  les 
contours  nets  du  territoire  où  s'exerçait  l'autorité  pastorale  et 
l'influence  temporelle  de  nos  évoques. 

Les  territoires  possédés  par  eux  ont  été  acquis  par  voie  de 
donation,  par  les  armes  ou  par  des  contrats  de  toute  nature, 
A  partir  des  Mérovingiens,  chaque  siècle  a  fourni  son  contin- 
gent au  magnifique  patrimoine  que  les  princes -évêques  de 
Strasbourg-  administraient  au  moment  de  la  paix  de  Westpha- 
lie ,  et  pendant  cent  (juaranfe  ans  encore  sous  la  suzeraineté 
de  la  France. 

Dans  le  Ilaut-Rhin,  le  Mundat^  de  Roufîacli  formait  le  pre- 
mier corps  de  ce  patrimoine.  Dagobert  II  d'Austrasie  en  avait 
doté  l'église  de  Strasbourg.  Cet  Obermundat  s'étendait  dans  la 
belle  plaine  entre  la  Thur  et  Colmar;  au  centre,  Rouffach  et 
le  château  d'Isenbourg  avaient  plus  d'une  fois  été  honorés  de 
la  présence  des  rois  de  la  première  race.  Dans  les  trois  bail- 
liages de  RoufTach,  de  Soultz  et  d'Éguisheim  se  pressaient  des 
communes  riches  et  populeuses;  des  fiefs ,  dont  les  principaux 
étaient  tenus,  à  partir  du  dix-septième  siècle,  par  les  Waldner 
elles  Schauenburg,  en  relevaient;  un  grand  bailli  (Obervogl) 
gouvernait  rObermundat  ;  les  Habsbourg  ne  dédaignèrent  point 
de  se  laisser  revêtir  de  cette  dignité. 

Dans  l'Alsace  inférieure,  l'évèché  possédait  les  terres  du 
landgraviat  d'Alsace  qui  lui  étaient  échues  en  1358,  1359  et 
13G2  sous  l'évèque  Jean  de  Lichtenberg,  par  voie  d'acquisi- 
tion des  mains  de  la  famille  d'Œttingen  qui  avait  succédé  aux 
de  Werde.  Par  ces  actes  importants  l'évèché  devint  proprié- 
taire du  château  de  Werde,  de  celui  de  Frankenbourg,  de 
Iloh-Kœnigsbourg,  de  la  ville  de  Saint-Hippolyte  et  de  celle 
d'Erstein,  sans  compter  les  fiefs  que  les  anciens  landgraves 
tenaient  de  l'église  ou  de  l'Empire. 

^  Einun/tas ,  terrain  libre  de  loule  reilevance  à  l'eiulroil  (l'un  souverain 
hiïquc. 


DOUZIÈME  LETTRE.  129 

Mais  indépendamment  de  l'Obermundal  et  des  terres  du 
landgravial,  sept  bailliages  sur  la  rive  gauche  du  Rhin  et  deux 
sur  la  rive  droite  appartenaient  à  l'évoque  de  Strasbourg. 

Le  bailliage  de  Saverne  formait,  sinon  le  plus  vaste,  du 
moins  le  plus  beau  des  domaines  de  l'évêque.  Autour  de  la 
ville  même  do  Saverne,  où  siégeait  la  régence  épiscopale,  sur 
la  cime  et  aux  pieds  des  pittoresques  hauteurs,  les  châteaux 
de  Hoh-Barr,  de  Nieder-Barr,  de  Greifenstein,  le  Zornhof, 
les  villages  de  Monswiller,  Eckartswillcr  etc.  etc.  apparte- 
naient au  prince-évèque.  Cet  heureux  coin  de  terre,  ce  gra- 
cieux amphithéâtre  de  montagnes  boisées,  de  vignobles  et  de 
vergers,  formait  le  jardin  de  l'évêché;  le  parc  étendu  et  la 
faisanderie,  qui  dataient  des  évoques  de  la  famille  de  Rohan, 
entraient  naturellement  dans  ce  beau  cadre,  comme  s'ils  es. 
avaient  toujours  fait  partie  intégrante;  collines  et  plaines  y 
mariaient  leurs  suaves  contours.  Peu  de  résidences  princières 
pouvaient  se  comparer  au  château  épiscopal  de  Saverne;  peu 
de  populations  étaient  aussi  heureuses,  aussi  favorisées  que 
les  habitants  de  ce  charmant  séjour.  Même  sous  le  dernier 
cardinal  de  Rohan,  les  fidèles  s'agenouillaient  volontiers  au 
moment  du  passage  du  prince-évêque,  car  ils  ne  connais- 
saient en  lui  qu'un  bienfaiteur. 

Si  du  bailliage  de  Saverne  nous  passons  dans  celui  du  Ko- 
chersberg,  nous  trouvons  une  trentaine  de  communes  rurales 
qui  formaient  ici,  avec  leurs  vastes  champs  de  blé,  l'apanage 
de  l'évêque.  Moins  pittoresque  sans  doute  que  les  environs 
de  la  résidence,  ce  vaste  canton  —  pays  de  transition  entre 
la  montagne  et  la  plaine  — était  un  vrai  grenier  d'abondance. 
Les  clochers  des  villages,  qui  s'élevaient  en  été  au-dessus 
des  moissons  dorées,  en  hiver,  au-dessus  de  champs  déneige 
ondulés,  appelaient  à  la  prière  une  population  tenace  dans 
ses  habitudes  traditionnelles  et  pieusement  dévouée  à  son 
seigneur. 

Aux  environs  de  Strasbourg,  le  bailliage  étroit  de  la  Wan- 
tzcnau  contenait  quelques  communes,  sises  en  plaine  ,  sur  un 

•j 


130  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

terrain  d'alluvion  où  l'IU  vient  apporter  son  tribut  au  fleuve 
imposant  de  la  frontière.  Ici,  dans  ces  bas-fonds  souvent 
inondes ,  les  revenus  de  l'évêque  se  bornaient  à  peu  près  à 
des  droits  de  chasse  et  de  pêche. 

Rejelons-nous  vers  la  montagne,  et  nous  touchons  au 
bailliage  de  Dachstein ,  îormé  ipdiT  une  vingtaine  de  villes,  de 
bourgades ,  et  de  communes  rurales  sises  au  pied  des  der- 
niers contreforts  des  Vosges  et  le  long  de  la  Bruche,  au  point 
où  ce  torrent  débouche  dans  la  plaine.  Ce  n'était  pas  une 
des  parties  les  moins  riches  du  domaine  épiscopal  ;  car  les 
collines  de  la  Bruche ,  étalées  au  soleil ,  ont ,  depuis  des  temps 
immémoriaux,  été  couverts  de  vignobles  féconds,  et  Mols- 
heim  ,  avec  son  collège,  était  situé  dans  ce  bailliage  qui  s'ar- 
rêtait sur  les  confins  du  val  de  la  Bruche,  où  la  nature  devient 
agreste  et  sauvage. 

A  partir  de  Mutzig  jusqu'à  l'entrée  du  ban  de  la  Roche  s'é- 
tendait le  bailliage  de  Schinncck.  Il  comprenait  tout  le  val  de 
la  Bruche  avec  les  vallons  latéraux  qui  débouchent  dans  cette 
grande  échancrure  des  Vosges.  Une  vingtaine  de  communes, 
de  fermes,  de  censés;  puis  de  frôs-belles  forêts,  où  le  chas- 
seur et  le  bûcheron  seuls  portaient  leurs  pas,  conslituaient 
des  possessions  utiles  ;  les  souvenirs  historiques  aussi  fai- 
saient de  cette  partie  des  terres  épiscopales  un  point  vers  le- 
quel devaient  se  porter  les  sympathies  des  prêtres-archéo- 
logues ou  simplement  versés  dans  les  traditions  de  l'Église; 
car  la  seigneurie  de  Hohenbourg,  où  reposaient  les  reliques 
de  la  patronne  de  l'Alsace,  touchait  à  ce  même  district. 
Enfin,  le  vaste  château  de  Guirbaden,  acquis  par  les  évêques 
des  mains  des  Linange-Dabo ,  s'élevait  à  l'entrée  de  cette 
pittoresque  vallée,  en  face  des  restes  romains  du  Heiligen- 
berg. 

Retournons  vers  la  plaine  et  la  partie  méridionale  du  Bas- 
Rhin  pour  entrer  dans  le  bailliage  de  Benfeld  (d'abord  bailliage 
de  Bernstein).  Une  cinquantaine  de  villes,  de  bourgs,  de  vil- 
lages, de  châteaux,  disséminés  le  long  des  Vosges  ou  dans  la 


DOUZIÈME  LETTRE.  131 

plaine,  le  long  de  l'Ill,  formaient  cette  circonscription;  tous 
les  genres  d'industrie,  agricole  et  champêtre,  y  trouvaient 
lem's  représentants;  les  pêcheurs  et  les  bateliers  de  Rhinau 
et  d'Ebersmûnsler  habitaient  côte  à  côte  des  laboureurs  ré- 
pandus jusqu'aux  pieds  des  Vosges  où  le  vigneron  s'abritait 
dans  les  murs  de  Dambach ,  non  loin  du  château  de  Bernstein , 
résidence  première  du  bailli  épiscopal. 

Enfin,  sur  la  lisière  méridionale  du  Bas-Rhin  s'étendait  le 
bailliage  de  Marckolsheiin ,  fragment  détaché  de  celui  de  Ben- 
feld. 

En  passant  sur  la  rive  droite  du  Rhin ,  c'est  le  bailliage 
d'Oberkirch  (primitivement  d'Uhlenbourg)  qui  se  présente 
avec  les  bourgades  et  villages  d'Oppenau,  deRenchen,  de 
Sasbach,  de  Cappel,  d'Ulm  etc.;  enfin  le  bailliage  d'Etten- 
heim,  patrimoine  presque  primitif  de  l'évêché. 

Indépendamment  de  ces  bailliages,  dont  je  viens  d'esquis- 
ser les  contours,  l'église  de  Strasbourg,  représentée  par  le 
grand-chapitre,  possédait  encore  d'autres  terres,  des  fiefs 
surtout,  tenus  par  les  premières  familles  d'Alsace,  par  les 
ducs  d'Autriche,  par  le  burgrave  de  Nuremberg,  par  les 
comtes  de  Ferrette,  un  moment  même  parles  Hohenstauffen. 
Vous  conviendrez.  Monsieur,  que  nous  venons  de  visiter, 
en  pensée,  une  série  de  magnifiques  propriétés,  et  que  la 
grandeur  de  l'église  de  Strasbourg  semblait  appuyée  sur  de 
bien  solides  garanties.  Cette  existence  splendide  de  nos 
princes-évêques  a  cependant  eu  des  temps  d'éclipsé  :  quel- 
ques prélats,  peu  dignes  de  leur  haute  position,  compro- 
mettent de  loin  en  loin  le  siège  épiscopal  ;  les  guerres  fratri- 
cides du  seizième  et  du  dix-septième  siècle  ébranlent  le 
patrimoine  créé  par  les  Dagobert,  par  le  fils  de  Charlcmagne 
et  par  la  sagesse  de  quelques  évêques,  véritables  hommes 
d'Étal.  Ces  variations ,  ces  intermittences ,  nous  allons  les  ob- 
server; nous  allons  attacher  nos  yeux  sur  les  portraits  les 
plus  marquants  dans  celte  longue  galerie  de  nos  prélats.  Je 
me  hâle  d'avertir  les  hommes  versés  dans  l'histoire  d'Alsace 


Î32  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

que  je  ne  les  invite  point  à  nous  accompagner  dans  celle  ra- 
pide promenade;  ils  connaissent  déjà  ces  figures,  les  unes 
austères,  les  autres  bienveillantes  et  douces;  ils  ont  déjà 
vu  ces  fronts  sillonnés  de  rides,  ou  illuminés  des  reflets  de 
la  pureté  intérieure  ;  ils  ont  déjà  plongé  au  fond  de  ces  re- 
gards animés  par  le  feu  de  l'ambition  mondaine,  ou  par  les 
inspirations  de  la  piété  ;  ils  ont  déjà  vécu  dans  l'intimité 
avec  ces  caractères  de  nature  si  diverse;  je  n'ai  rien  à  ap- 
prendre aux  savants  ;  je  ne  parle  qu'aux  ignorants  de  bonne 
volonté,  et  à  quelques  amis  qui  ne  dédaignent  point  de  revoir 
de  vieux  tableaux ,  dont  l'image  commençait  à  pâlir  dans  leur 
mémoire. 


►<>C\ÎU«>A»- 


TREIZIEME   LETTRE.  Ido 

TREIZIÈME  LETTUE. 
les  évêquefl  de  Strasbourg. 

Monsieur, 

Si  je  tiens  à  faire  passer  sous  vos  yeux  les  évêques  de  Stras- 
bourg avant  d'entrer  dans  le  fonds  môme  de  l'évêché,  c'est 
pour  donner  à  vos  lecteurs  bénévoles  un  fd  conducteur  à  tra- 
vers les  faits  et  les  événements  auxquels  je  serai  plus  d'une 
fois  dans  le  cas  de  faire  allusion.  L'histoire  des  évêques  de 
Strasbourg,  ce  n'est  pas  seulement  l'histoire  de  l'éghse,  c'est 
aussi  celle  de  la  ville  et  du  pays.  Les  évêques  de  Strasbourg 
forment,  dans  la  multiplicité  des  détails  et  des  intérêts  com- 
pliqués de  l'histoire  d'Alsace,  le  seul  centre  rationnel;  ils  sont 
pour  notre  province  ce  que  sont  pour  de  grands  pays  les  dy- 
nasties régnantes.  J'ai  établi,  dans  une  autre  occasion*,  la 
thèse  que  l'unité  indispensable  dans  tout  récit  hislorique  qui 
aspire  à  éclairer,  non  à  troubler  l'esprit  du  lecteur,  réside 
pour  l'histoire  d'Alsace  dans  la  succession  chronologique  de 
nos  prélats.  Ce  qui  est  vrai  pour  l'histoire  écrite  ou  racontée, 
l'est  aussi  pour  l'histoire  en  germe  :  c'est-à-dire  pour  les  do- 
cuments dont  il  s'agit  de  rendre  compte  ;  on  ne  saurait  ni  les 
aborder  ni  en  parler  avec  fruit,  sans  avoir  quelques  jalons 
devant  soi.  Pour  les  archives  ecclésiastiques  de  l'Alsace ,  ces 
jalons  indispensables ,  ce  sont  les  noms  des  principaux  évêques 
de  Strasbourg,  et  comme  une  assez  longue  série  de  noms  abs- 
traits se  relient  difficilement,  le  buste  de  l'homme  placé  à  côté 
de  son  nom ,  ou  la  figure  indiquée  par  un  léger  contour,  for- 
meront l'indispensable  accompagnement  de  la  table  chrono- 
logique. 

De  Saint-Amand  jusqu'au  dernier  cardinal  de  Rohan,  nous 
comptons  quatre-vingt-onze  évêques  de  Strasbourg.  Il  n'est 

'  Dans  l'inlroduclion  a  V Histoire  de  la  Basse-Alsace, 


IS-i  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

point  indispensable  de  retenir  les  vingt-six  ou  trente  noms 
qui  ouvrent  la  série;  des  soixante  restants,  trente  noms  à  peu 
près  ont  une  importance  historique  individuelle  ;  dans  ce 
nombre  ainsi  réduit,  on  compte  sept  ou  huit  grands  hommes, 
princes  de  l'égHse  ou  hommes  d'Etat  dans  la  véritable  accep- 
tion du  terme. 

Cette  réduction  ainsi  annoncée  doit  rassurer  un  peu  les  in- 
telligences et  les  mémoires  qui  ne  sont  pas  disposées  à  se  fati- 
guer et  qui  admettent  tout  au  plus  que  l'on  soit  responsable 
des  noms  des  rois  de  France ,  des  noms  des  principaux  em- 
pereurs d'Allemagne  et  d'Orient,  des  pontifes  les  plus  illustres 
et  des  grandes  familles  régnantes  dans_les^principaux  pays 
d'Europe. 

Nos  évêques  peuvent  aussi  se  présenter  par  groupes  ;  ce  pro- 
cédé mnémonique  n'a  rien  d'arbitraire  ;  j'ai  toujours  trouvé 
que  leur  série  se  déroulait  et  se  comprenait  plus  facilement, 
lorsqu'on  réunissait  les  évoques  carlovingiens;  puis  ceux  con- 
temporains des  trois  grandes  dynasties  allemandes  (936-124-0)  ; 
puis  les  évêques  à  partir  de  l'interrègne  jusqu'au  milieu  du 
quinzième  siècle  (12i0-1439)  ;  puis  les  évoques  de  la  famille 
palatine  et  ceux  de  l'époque  de  la  Réforme  (1439-1592);  puis 
les  évoques  lorrains  et  autrichiens  (1592-1CG2);  enfin  les 
évêques  français. 

Pardon,  si  cet  appareil  préliminaire  vous  semble  trop  lourd. . . 
traversons  au  pas  de  course  notre  galerie  de  portraits  ;  il  en 
restera  bien  quelque  trace  dans  le  souvenir  de  vos  complai- 
sants lecteurs,  lorsqu'une  partie  des  mômes  noms  se  trouvera 
reproduite  dans  le  cours  de  nos  explorations. 

Les  premiers  évoques  d'Argentorat  ou  de  Strasbourg,  sim- 
ples comme  les  apôtres ,  et  pasteurs  d'une  église  tantôt  per- 
sécutée, tantôt  tolérée,  échappent  au  contrôle  de  l'histoire; 
leur  existence  est  plutôt  légendaire;  tel  estSainl-Materne,  qui 
prêche  vers  la  fin  du  troisième  siècle  de  notre  ère  le  chris- 
tianisme en  Alsace;  tel  est  Saint-Amand,  qui  ouvre  au  com- 
mencement du  quatrième  siècle  la  série  de  nos  évêques. 


TREIZIÈME   LETTRE.  135 

Au  septième  siècle  seulement  commence  la  véritable  église 
de  Strasbourg,  quoiqu'on  rapporte  à  Clovis  la  fondation  pre- 
mière de  la  cathédrale  ;  mais  avec  Dagobert  II ,  qui  séjourne 
en  Alsace  de  674-677,  le  jour  se  fait  dans  les  annales  de  l'é- 
vêché;  Saint-Arbogast  et  Saint-Florent  sont  dans  notre  église 
les  premiers  noms  d'une  authenticité  plus  avérée.  Saint-Flo- 
rent, l'hermite  fondateur  de  l'abbaye  de  Haslach,  dans  un 
vallon  latéral  de  la  Bruche,  accepte  le  siège  épiscopal  de  Stras- 
bourg sur  la  demande  expresse  du  roi  mérovingien;  sous  lui 
et  ses  successeurs,  l'influence  du  comte  Franc  dans  l'intérieur 
de  la  ville  commence  à  être  contrebalancée  par  celle  du  chef 
spirituel  de  la  Cité.  Sur  tous  les  points  du  territoire  alsatique 
s'élèvent,  à  cette  époque  de  rénovation  religieuse,  les  abbayes 
et  les  couvents;  les  évêques  provoquent  ce  mouvement  ou  le 
dirigent. 

Sous  les  premiers  Carlovingiens,  le  siège  épiscopal  de  Stras- 
bourg est  occupé  par  des  prélats  qui  se  rattachent  à  la  fa- 
mille du  père  de  Sainte-Odile.  Eddon  ou  Heddon  (734-766)  est 
fait  évêque  sous  l'influence  de  Charles  Martel  ;  il  est  l'ami  de 
Pcpin-le-Bref  et  de  Charlemagne ,  et  suit  ce  grand  souverain 
en  Lombardie ,  où  il  obtient  de  sa  munificence  des  privilèges 
énormes  pour  les  négociants  de  son  diocèse.  Protecteur  des 
écoles  et  des  arts,  Eddon  avait  élevé  un  temple  en  pierre  à  la 
place  de  l'humble  église  en  bois  construite  sous  Clovis  ou 
sous  Dagobert  (II).  Son  successeur  Saint-Rémy,  petit  neveu  de 
Sainte-Odile,  devient  le  fondateur  de  la  riche  abbaye  d'Eschau, 
presque  aux  portes  de  Strasbourg. 

Sous  Louis-le-Dèbonnaire ,  l'évêque  Adeloch  (817-822), 
ami  de  l'empereur,  fonde  l'école  de  Saint-Thomas  et  recons- 
truit l'église  du  même  nom. 

L'évêque  Bernald  (822-840)  fut  chargé  de  missions  impor- 
tantes auprès  des  fils  de  Louis-le-Débonnaire  ;  mais  il  ne  put 
prévenir  le  sort  de  ce  malheureux  prince  si  odieusement  trahi 
dans  les  plaines  de  la  Ilaule-Alsace. 

Le  successeur  de  Bernald,  l'évêque  Rathold  (840-874),  se 


•136  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

déclara  parlisan  de  Louis-le-Gernianique  dans  les  luttes  qui 
suivirent  la  mort  de  l'empereur  débonnaire.  Pendant  ces  temps 
de  troubles  et  de  transition  ,  l'évcque  de  Strasbourg  s'arrogea 
le  droit  monétaire;  lorsque  Rathold  mourut,  après  trente - 
quatre  années  d'uno  très-habile  administration ,  l'église  de 
Strasbourg  était  assise  sur  des  fondements  inébranlables. 

Sous  l'évèque  Baldram  (888-906)  qui  s'occupait  de  littéra- 
ture latine  et  était  lui-même  poëte  élégiaque ,  le  grand  cha- 
pitre de  la  cathédrale ,  dont  l'origine  date  probablement  de 
Charlemagne,  fut  définitivement  constitué;  des  noms  histo- 
riques seront  inscrits  au  nombre  des  chanoines  capitulaires, 
et  cette  institution  contribuera  pendant  neuf  siècles  à  la  gloire 
de  l'église  de  Strasbourg. 

Pendant  les  sept  siècles  qui  suivent  la  chute  des  Carlo- 
vingicns,  nos  évèques  partagent,  ainsi  que  l'Alsace,  les 
destinées  de  l'Empire  germanique.  Sous  les  trois  empereurs 
qui  portèrent  le  nom  d'Otton,  les  évoques  de  Strasbourg, 
amis  ou  parents  de  la  maison  impériale,  furent  parfaitement 
au  niveau  de  la  haute  position  que  la  Providence  leur  as- 
signait. 

Udon  (éveque  de  950-905),  neveu  de  Herrmann,  duc  de 
Souabe  et  d'Alsace,  se  fit  le  restaurateur  de  la  discipline  ecclé- 
siastique, ébranlée  par  les  longs  désordres  de  la  guerre  entre 
les  deux  nationalités.  Homme  d'une  haute  vertu  et  d'iîne  rare 
culture  intellectuelle ,  il  fonda  des  écoles,  augmenta  la  biblio- 
thèque de  la  cathédrale,  et  acquit,  par  sa  liaison  avec  l'impé- 
ratrice Adélaïde,  une  influence  politique  qui  fructifia  entre 
les  mains  de  son  successeur  Erchanbohl. 

Le  nom  de  ce  prélat  (965-991)  est  inscrit  en  grands  carac- 
tères dans  les  annales  d'Alsace  et  d'Allemagne.  Evêque,  légis- 
lateur et  administrateur,  il  consacra  plus  de  cent  églises  et 
de  chapelles,  obtint  de  l'empereur  Otton  II  la  confirmation  du 
droit  monétaire  ,  la  propriété  de  vastes  domaines  sur  les  deux 
rives  du  Rhin  ,  enfin,  par  une  lettre  impériale  datée  de  Sa- 
lerne  (8  janvier  982),  où  il  avait  accompagné  son  souverain. 


TREIZIÈME   LETTRE.  137 

toutes  les  attributions  judiciaires  qu'avait  exercées  jusqu'ici 
le  comte  impérial.  Les  voyages  d'Italie  portaient  bonheur  à 
nos  évêques.  D'un  trait  de  plume  Erchanbold  se  trouva  placé 
à  la  tête  du  gouvernement  municipal  de  Strasbourg.  Dans  les 
conseils  de  l'Etal,  où  il  siégeait  au  premier  rang,  quoique 
lui-même  sorti  d'une  famille  obscure,  il  exerçait  une  influence 
marquée  sur  les  impératrices  Adélaïde  et  Théophanie.  Er- 
chanbold est  le  vrai  créateur  du  rôle  politique  que  nos  évêques 
jouèrent  en  Allemagne. 

Son  successeur  Widerhold  (991-999)  appartenait  à  la  fa- 
mille impériale.  Pendant  les  campagnes  du  jeune  Otton  III  en 
Italie,  il  administra  comme  gouverneur  l'Alsace  et  les  pays 
riverains  du  Rhin.  Législateur  de  l'abbaye  d'Ebersheimmûns- 
ter,  restaurateur  de  l'abbaye  d'Eschau,  il  consacra  l'abbaye 
de  Seltz,  la  belle  création  de  l'impératrice  Adélaïde  (992). 
Ami  des  papes  Grégoire  V  et  Sylvestre  II,  Widerhold  mourut 
à  Bénévent  (999) ,  laissant  le  diocèse  de  Strasbourg  dans  un 
état  de  prospérité,  que  l'évêque  Werinhar  (iOOl-1027),  le 
fondateur  de  la  cathédrale  byzantine  de  Strasbourg,  maintint, 
malgré  les  troubles  du  commencement  du  règne  de  Henri  (II) 
le  saint. 

Le  nom  de  Werinhar  ou  Werner  • ,  est  intimement  lié  à 
celui  de  l'empereur  Henri  II;  unis  d'une  étroite  amitié,  le 
prêtre  et  le  souverain  semblent  se  compléter;  mais  par  un 
contraste  bizarre,  c'est  le  prélat  qui  est  l'homme  d'action, 
tandis  que  le  prince  se  trouve  porté  vers  la  vie  contemplative. 
Issu  de  la  maison  de  Gontram-le-Riche,  comte  d'Alsace,  et 
frère  du  fondateur  du  château  de  Habsbourg-,  Werinhar, 
même  comme  évêque,  ne  renonça  point  aux  habitudes  guer- 
rières de  sa  première  jeunesse.  Il  aimait  passionnément  la 
chasse,  et  obtint  de  son  royal  ami  la  concession  d'un  vaste 
territoire  dans  la  Basse-Alsace,  pour  s'y  livrer  à  cet  exercice. 

•  Voy.  Un  droit  de  chasse  accordé  par  l'empereur  Henri  II  à  Werinhar; 
chaile  traduilc  cl  commentée  par  l'archiviste  tlii  BasRIiin.  Strasbourg -1842. 


iS8  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

La  fin  deWerinharne  répondit  point  aux  belles  et  heureuses 
années  de  sa  carrière,  pendant  laquelle  il  avait  constamment 
pratiqué  les  devoirs  du  général  d'armée,  en  même  temps  que 
les  fonctions  de  l'épiscopat.  Tombé  en  disgrâce  sous  l'empe- 
reur Conrad-le-Salique ,  il  partit,  chargé  d'une  mission  pour 
l'empereur  de  Byzance,  et  mourut  pendant  cet  exil,  dans  une 
île  de  la  Proponlide.  Le  poison,  à  ce  que  l'on  affirme,  ne  fut 
point  étranger  à  cette  fin  tragique. 

Les  empereurs  de  la  maison  franconienne  s'appliquent 
comme  leurs  prédécesseurs,  les  empereurs  de  la  maison  de 
Saxe ,  à  placer  des  évcques  amis  ou  apparentés  sur  le  siège  de 
Strasbourg.  C'est  l'époque  où  s'élèvent  les  IIohenstaufTen  ; 
l'évêque  Otton  (1084-1100)  appartenait  à  cette  puissante  et  il- 
lustre famille.  Sous  lui  surgissent  de  nouvelles  abbayes, 
telles  que  Sainte-Foye,  à  Schlestadt,  et  Sainte-Wal purge 
(Walbourg),  dans  la  forêt  de  llaguenau;  il  prend  part  à  la 
première  croisade  sous  la  bannière  de  Godefroi  de  Bouillon, 
et,  de  retour  de  celte  pieuse  expédition,  il  oclroie  aux  citadins 
de  Strasbourg  une  première  charte  municipale  qui  contient 
dans  ses  articles  le  germe  de  l'institution  du  jury. 

Les  prélats  qui  se  succèdent  pendant  le  douzième  et  le  trei- 
zième siècle,  ont  tous  une  physionomie  plus  ou  moins  dis- 
tincte, mais  presque  tous  se  ressemblent  ou  se  réunissent  dans 
une  commune  tendance  :  tous  prétendent  agrandir  leur  dio- 
cèse, et  s'y  fortifier.  Rodolphe  de  Rolwyl  (110:2-1179)  cons- 
truit le  château  cyclopéen  de  Hoh-Barr  au-dessus  de  Saverne; 
Henri  de  Vehringen  (1202 -1222)  élève  le  château-fort  de  Dach- 
stein;  Berthold  de  Teck  (1223-1244)  acquiert  le  château  de 
Bernstein;  il  engage  avec  Strasbourg,  pour  des  questions 
municipales,  une  lutte  qui,  sous  l'un  de  ses  successeurs,  va 
prendre  une  importance  plus  grande ,  et  arrêtera  un  moment 
le  développement  du  pouvoir  épiscopal. 

Nous  entrons  dans  l'époque  désastreuse  de  l'interrègne. 
Henri  de  Stahleck  (évêque  de  1244-1260)  avait  mis  à  profit 
ce  temps  d'anarchie  pour  conquérir  une  partie  de  la  rive 


TREIZIÈME   LETTRE.  139 

droite  du  Rhin  moyen.  Walther  de  Geroldseck  (évoque  de 
1260  à  1263) ,  avec  des  velléités  guerrières  plus  prononcées 
encore,  eut  la  maladresse  de  blesser  au  vif  les  vanités  bour- 
geoises et  l'orgueil  nobiliaire.  La  guerre  qu'il  fit  à  la  muni- 
cipalité naissante  de  Strasbourg  devait  tourner  à  sa  perte; 
des  seigneurs  puissants  s'étaient  ralliés  aux  citadins  ;  Rodolphe 
de  Habsbourg  avait  mis  son  épée  à  la  disposition  de  la  ville 
en  révolte  contre  l'autorité  épiscopalc  ,  et  la  bataille  de  Haus- 
bergen  (mars  1262)  avait  décidé  en  quelques  heures  du  sort 
de  l'évêque. 

Après  lui ,  sous  Henri  de  Geroldseck  (évêque  de  1263-1273), 
les  privilèges  de  Strasbourg  reçurent  de  notables  accroisse- 
ments; la  ville  fut  autorisée  à  contracter,  de  son  chef,  des 
alliances  et  à  présenter  à  l'évêque  des  candidats  pour  les 
principales  charges  publiques.  Henri,  pieux  et  charitable, 
se  livra  tout  entier  aux  affaires  ecclésiastiques;  il  n'en  fut  pas 
de  même  sous  son  successeur  Conrad  de  Lichtcnberg ^  après 
Erchanbold  et  Werinhar,  le  prélat  le  plus  illustre  qui  ait  gou- 
verné le  diocèse. 

Conrad  (1273-1299),  appartenant  à  l'une  des  plus  an- 
ciennes familles  de  la  vallée  du  Rhin ,  ne  devait  guère  aimer 
la  bourgeoisie  outrecuidante  ;  mais  plus  prudent  que  quelques 
uns  de  ses  prédécesseurs,  il  n'usa  point  ses  forces  dans  une 
lutte  stérile.  Appuyé  sur  son  royal  ami,  Rodolphe  de  Habs- 
bourg, il  fit  sur  les  deux  rives  du  Rhin  des  expéditions  qui 
tournèrent  au  profit  du  trône  et  de  l'autel,  et  de  la  municipa- 
lité de  Strasbourg  elle-même.  Conrad  de  Lichtenberg,  comme 
Werinhar,  payait  de  sa  personne,  à  tel  point  qu'il  mourut 
d'une  blessure  gagnée  au  siège  de  Fribourg;  mais  sa  vraie 
gloire  n'est  point  dans  ses  exploits  guerriers  ni  dans  ses 
conquêtes  locales  ;  nous  savons  déjà  qu'il  confia  la  construc- 
tion de  la  merveilleuse  façade  ogivale  de  Notre-Dame  de  Stras- 
bourg à  un  artiste  dont  le  nom  a  passé  à  la  postérité  avec 
celui  de  l'évêque. 

Sous  Frédéric  de  Lichtenberg  (évêque  de  1295-1306),  frère 


140  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

de  Conrad,  l'église  ogivale  de  Haslach  fui  reconstruite  par 
le  fils  d'Erwin  de  Steinbach,  et  sous  Jean  (I)  de  Dirpheim 
(évoque  de  1306-1328) ,  l'acquisition  pacifique  des  châteaux 
et  des  bourgades  de  Bilstein,  Bergheim,  Ortenberg,  Scher- 
willer,  agrandit  le  domaine  de  l'évêché,  en  même  temps  que 
s'élevèrent  dans  l'intérieur  de  Strasbourg  des  édifices  religieux 
et  civils,  et  qu'une  nouvelle  codification  municipale  couronna 
l'œuvre  d'Erchanbold  et  d'Otton  de  IIobenstaufTen.  Dans  la 
kitlc  intestine  entre  lesZorn  et  lesMiillcnheim,  l'évêque  Jean 
fut  constamment  l'apôtre  de  la  conciliation. 

L'épiscopat  de  Berthold  de  Bucheck  (1328-1352)  est  mar- 
qué par  de  grands  malheurs  publics  et  par  l'infortune  per- 
sonnelle du  prélat.  En  lutte  avec  un  dignitaire  du  grand-cha- 
pitre pour  une  question  de  bénéfice,  il  fut  emprisonné  par 
son  adversaire  et  subit  ses  exigences.  La  guerre  civile  des 
Zorn  et  des  Miïllenhcim  aboutit  à  l'exil  des  nobles  de  Stras- 
bourg; et  la  peste  d'Orient,  qui  vint  s'abattre  sur  la  capitale 
de  l'Alsace,  amena  le  supplice  de  quelques  milliers  d'infor- 
tunés Israélites,  prétendus  empoisonneurs  des  populations 
chrétiennes. 

L'administration  paternelle  de  l'évcque  Jean  de  Lichtenberg 
(1353-1365)  ne  put  prévenir  les  dévastations  de  la  plaine  d'Al- 
sace par  les  bandes  d'Arnauld  de  Servole,  lieutenant  d'En- 
guerrand  de  Goucy,  qui  vint  lui-môme,  dix  ans  plus  tard,  re- 
nouveler ces  scènes  de  carnage. 

Frédéric  de  Blankenheim  (1375-1393)  succédait  au  neveu 
de  l'empereur  Charles  IV,  à  Jean  de  Ligny  (évêque  de  1365- 
1375)  et  à  Lambert  de  Bûren  (1371-1375.  Il  conserva  d'ex- 
cellentes relations  avec  la  maison  impériale  de  Luxembourg. 
Ce  fut  probablement  là  ce  qui  l'enhardit  à  renouveler  la  lutte 
avec  la  ville  libre  de  Strasbourg  dont  il  était  le  débiteur.  Il 
comptait  parmi  ses  alliés  un  margrave  de  Bade ,  le  seigneur 
Jean  de  Lichtenberg,  un  comte  de  Wurtemberg,  le  préfet  im- 
périal en  Alsace,  Borziwoy  de  Swinar,  et  un  méchant  dynasle 
du  Haut-Rhin,  Brunon  de  Ribeaupierre.  L'issue  de  cette  lutte 


TREIZIÈME    LETTRE,  '141 

fut  favorable  à  la  ville  courageuse;  et  l'évèque,  ne  pouvant 
satisfaire  ni  ses  alliés  ni  ses  créanciers,  se  vit  contraint  de 
quitter  furtivement  son  diocèse  (1393). 

Pour  l'évèché  de  Strasbourg-,  l'époque  la  plus  désastreuse 
est  sans  contredit  celle  de  l'administration  de  Guillaume 
de  Diest  (1393-1439).  De  mœurs  peu  recommandables,  pro- 
digue à  l'excès  et  constamment  besoigneux  comme  Frédéric 
de  Blankenheim ,  Guillaume  (II)  vendit  ou  engagea  successi- 
vement les  plus  beaux  domaines  épiscopaux,  et  par  son  ex- 
travagante conduite  il  s'aliéna  les  esprits  et  les  cœurs.  Le 
haut  clergé,  le  grand-chapitre  surtout,  lui  furent  hostiles,  et 
pour  cause  ;  car  la  fortune  de  cette  grande  corporation  s'en 
allait  avec  la  fortune  personnelle  de  l'évèque  et  avec  les  terres 
ou  les  villes  et  bourgades  de  l'évèché.  Un  coup  d'Etat  fut 
tramé  contre  lui  :  Guillaume  de  Diest  subit  à  Strasbourg  les 
rigueurs  et  les  injures  d'un  emprisonnement  dont  l'empe- 
reur Sigismond  et  le  concile  de  Constance  eurent  grand'- 
peine  à  le  tirer.  Relaxé  ,  il  ne  s'amenda  guère  ;  ses  dilapida- 
tions étaient  devenues  proverbiales,  et  lorsqu'il  mourut,  sa 
mémoire  fut  chargée  d'une  imputation  que  l'histoire  impar- 
tiale doit  proclamer  calomnieuse  :  la  rumeur  populaire  l'ac- 
cusa d'avoir  appelé  en  Alsace  les  bandes  féroces  des  Arma- 
gnacs ^ 

Conrad  de  Bussnang,  un  homme  de  bien,  ne  fit  que  passer 
quelques  instants  sur  le  siège  épiscopal  ;  il  se  retira  dans  l'O- 
bermundat  de  Rouffach ,  pour  faire  place  à  un  èvêque  de  la 
puissante  maison  palatine. 

La  personnalité  des  deux  prélats  qui  appartiennent  à  cette 
famille  (Robert  et  Albert)  s'efface  derrière  les  événements  po- 
litiques dont  l'Alsace  est  le  théâtre  au  quinzième  siècle.  L'é- 
piscopat  de  Robert  (évêque  de  (1439-1478),  petit-fds  de  l'em- 
pereur du  même  nom,  coïncide  avec  la  grande  existence  de 

*  Voy.  Une  alliance  contra  les  Armagnacs,  charte  allemande  U-aduite  cl 
comiiienlée  [>ar  l'arcliivislo  du  Bas-Uiiiii.  SUasbouig  1S40. 


14-2  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

l'électeur  Frédéric-le-Victorieuxetavec  son  action  directe  sur 
l'Alsace  comme  préfet  (landvogl)  de  Haguenau.  Le  dauphin 
Louis,  Charles-le-Téméraire  et  son  lieutenant  Hauenbacli,  les 
comtes  Jacques  et  Louis  de  Lichlenberg-  occupent  l'avant- 
scène.  Il  est  juste  cependant  de  rappeler  que  Robert  chercha 
de  son  mieux  à  réparer  la  brèche  que  l'extravagant  Guillaume 
de  Diest  avait  faite  au  patrimoine  de  l'Eglise  de  Strasbourg, 
et  que  l'évêque  Albert  (1478-1506)  marcha  dans  la  voie  de 
Robert-le-Palalin  ,  en  rachetant  les  propriétés  épiscopales  en- 
gagées ,  en  fortifiant  les  places  démantelées ,  et  en  commen- 
çant dans  l'intérieur  de  l'Eglise,  sans  secousse  et  sans  bruit , 
la  réforme  des  abus.  Mais  il  n'était  plus  temps  :  la  querelle 
intestine  entre  les  curés  et  les  ordres  mendiants  avait  com- 
mencé à  Strasbourg  ;  un  mouvement  socialiste  (le  Buntschuch) 
se  produisit  dans  les  campagnes  ;  l'esprit  novateur  régnait 
dans  l'école  des  humanistes;  et  lorsque  l'évêque  Guillaume 
de  Hohenstein  fit  en  1506  son  entrée  à  Strasbourg,  le  ter- 
rain était  miné  partout.  Sous  Guillaume,  et  malgré  ses  ten- 
dances conciliantes,  la  Réforme  remporta  dans  une  partie 
considérable  de  l'Alsace  un  triomphe  incontesté  sur  l'Eglise, 
et  amena  à  sa  suite  la  guerre  des  paysans  (1525).  Sous  l'évêque 
Erasme  de  Limbourg  (1540-1508)  éclata  en  Allemagne  la 
guerre  de  religion  à  laquelle  la  ville  libre  de  Strasbourg  prit 
une  part  active. 

Moins  porté  à  la  conciliation  que  l'évoque  Guillaume  III  de 
Hohenstein,  Erasme  de  Limbourg  se  raidit  contre  les  événe- 
ments et  enraya  dans  quelques  parties  de  l'Alsace  le  mou- 
vement de  la  Réforme.  L'évêque  Jean  de  Manderscheid-Blan- 
kenheira  (1569-1592)  s'enhardit  au  point  de  refuser  le  serment 
qu'il  devait  prêter  à  la  ville  de  Strasbourg,  et  qui  consistait 
seulement^à  promettre  le  respect  des  privilèges  de  la  cité.  Il 
amena  en  1571  les  jésuites  de  Cologne  à  Saverne,  et  quelques 
années  plus  tard  il  les  établit  à  Molsheim ,  où  leur  collège  se 
transforma  en  Université  catholique,  rivale  de  l'Académie 
protestante  de  Strasbourg.  D'une  pureté  de  mœurs  irrépro- 


TREIZIÈME  LETTRE.  143 

chable,  Jean  de  Manderscheid  en  imposait  même  à  ses  adver- 
saires, et  si  le  terrain  avait  pu  être  totalement  rcconciuis  à  la 
vieille  foi,  cet  évêque  aurait  accompli  la  mission  qu'il  s'était 
imposée.  Mais  le  schisme  religieux  avait  gagné  le  grand-cha- 
pitre lui-môme  :  à  la  mort  de  Jean  de  Manderscheid  il  se  fit 
une  rupture  complète  entre  les  deux  partis  ;  les  capilulaires 
protestants  nommèrent  à  l'administration  de  l'évôché  Jean- 
George,  margrave  de  Brandebourg;  les  chanoines  catholiques 
lui  opposèrent  le  cardinal  Charles  de  Lorraine  ;  la  guerre,  dite 
épiscopale ,  éclata  pour  aboutir  à  un  partage  des  revenus  de 
l'évêché  (27  février  1593). 

Dix  ans  plus  lard,  le  margrave  de  Brandebourg  résigna 
toutefois  ses  fonctions  moyennant  une  transaction  pécuniaire, 
et  lorsqu'en  1607,  à  la  mort  de  Charles  de  Lorraine,  Léopold 
d'Autriche  fut  nommé  administrateur  de  l'évêché,  les  cha- 
noines protestants  ne  lui  opposèrent  plus  de  concurrent.  Les- 
deux  partis  pressentaient  que  leurs  différends  se  videraient 
dans  une  arène  plus  vaste.  Les  troubles  précurseurs  de  la 
guerre  de  Trente  ans  allaient  déjà  commencer  en  Alsace. 

Au  milieu  de  cette  lutte  fratricide,  Léopold  se  démit  de  ses 
fonctions  d'administrateur  de  l'évêché ,  en  faveur  de  son  neveu 
Léopold-Guillaume,  fils  puîné  de  l'empereur  Ferdinand  II.  Le 
nouvel  élu  ne  fut  qu'un  évêque  nominal  ;  car  jamais,  pendant 
la  longue  durée  de  son  épiscopat  (1625-1661),  il  ne  mit  le 
pied  dans  son  diocèse  livré  aux  inexprimables  horreurs  d'une 
guerre  qui  n'a  plus  eu  sa  pareille  ni  en  longueur  ni  en  cruelle 
intensité. 

L'époque  intermédiaire  entre  la  paix  de  Westphalie  et  la 
reddition  de  Strasbourg  est  remplie  presque  tout  entière  par 
l'épiscopat  de  François  Egon  de  Fûrstenberg  (1660-1682)  ; 
c'est  lui  qui  reçut  Louis  XIV  sous  le  grand  portail  de  la  ca- 
thédrale avec  les  paroles  que  Siméon  prononça  dans  le  temple 
de  Jérusalem. 

Le  fièrc  de  l'évêque  François  et  les  quatre  cardinaux  de  l'il- 
lustre maison  de  Rohan  qui  occupent  le  siège  de  Strasbourg 


1M  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

de  1682  à  1789,  ne  prennent  qu'une  part  indirecte  à  l'histoire 
politique  de  la  province  d'Alsace.  Les  Rohan  résidaient  d'ail- 
leurs de  préférence  à  Saverne.  «Je  comprends,  mon  cousin», 
dit  Louis  XV  au  cardinal-évêque  Armand-Gaston  de  Rohan- 
Soubise,  «je  comprends  que  vous  aimiez  ce  séjour;  c'est  plus 
beau  que  Versailles.  » 

En  1790,  Louis-René-Edouard  de  Rohan-Guémené  fut  obligé 
de  quitter  ce  magnifique  château  qui  venait  à  peine  d'être  re- 
construit à  neuf,  et  de  se  retirer  sur  la  rive  droite  du  Rhin 
dans  la  ville  d'Etlenheim.  Nous  savons  quel  fut  son  successeur 
à  Strasbourg. 

Dans  cette  revue  rapide,  non-seulement  je  n'ai  pas  été  com- 
plet; j'ai  peut-être  été  injuste  à  force  de  ménager  vos  loisirs  ; 
j'ai  sacrifié  plusieurs  noms  qui  semblent  m'adresser  des  re- 
proches et  réclamer  une  mention  honorable.  Ainsi ,  les  évèques 
compagnons  de  Conrad  111  et  de  Frédéric  Rarbcrousse  pendant 
leurs  croisades,  n'ont  point  trouvé  de  place  dans  notre  cata- 
logue; j'ai  surtout  été  cruel  pour  les  prélats  qui  ont  occupé  le 
siège  épiscopal  dans  les  premiers  siècles  et  sous  les  Mérovin- 
giens;  mais  avant  tout  je  tenais  a  vous  prouver  que  je  ne 
veux  point  éterniser  ces  entretiens. 

De  ces  chefs  de  notre  Église  locale ,  quels  sont  ceux  qui 
resteront  gravés  dans  notre  mémoire?  Quelles  sont  les  intelli- 
gences d'élite,  quels  sont  les  caractères  exceptionnels  que  j'ai 
annoncés?  Quelles  sont  les  têtes  qui  dépassent  le  niveau  même 
des  hommes  distingués?  Vous  les  désigne?. ,  n'est-ce  pas ,  avant 
moi?  C'est  Ileddon ,  l'ami  de  Charles  Martel  et  de  son  illustre 
famille;  c'est  Erchanbold,  l'ami  des  Otloii  et  des  deux  impé- 
ratrices ;  c'est  Widerhold,  son  successeur,  si  cruellement  mal- 
traité par  la  légende;  c'est  Werinhar  d'Argovie,  l'ami  de 
Henri-le-Saint ,  le  constructeur  de  notre  cathédrale  byzantine  ; 
c'est  Otton  de  Ilohenstauflen,  le  législateur  libéral;  c'est  Con- 
rad de  Lichteiiberg,  l'ami  de  Rodolphe  de  Habsbourg,  le  pro- 
tecteur d'Erwin  de  Steinbach;  c'est  Jean  de  Manderscheid,  le 
représentant  sincère  et  convaincu  de  la  vieille  foi  ;  c'est  l'é- 


TREIZIÈME   LETTRE.  -145 

vèque  placé  sur  la  limite  d'un  monde  qui  croule  et  dont  il 
amortit  la  chute.  Puis,  pour  faire  ombre  au  tableau  de  ces 
prélats  législateurs,  littérateurs ,  guerriers,  Frédéric  de  Blan- 
kenheim ,  l'allié  de  Brunon  de  Ribeaupicrre,  Guillaume  de 
Diest,  le  dissipateur,  l'allié  de  tous  les  grands  seig-neurs  pro- 
digues de  son  époque,  et  le  dernier  Rohan,  l'allié  de  Ca- 
gliostro. 

Un  voile ,  un  voile  pour  couvrir  la  honte  d'une  impercep- 
tible minorité!  Un  piédestal  de  marbre  dans  le  temple  ra- 
dieux de  l'immortalité  pour  les  prélats  éminents  qui  ont 
compris  leur  double  mission  de  dynastes  et  de  pasteurs  et  qui 
feront  éternellement  battre  le  cœur  de  tout  Alsacien,  catho- 
lique ,  protestant  ou  israéhte,  qui  professe  le  culte  de  la  vraie 
grandeur. 

Maintenant ,  Monsieur  ,  si  vous  le  voulez  bien  ,  nous  allons 
lire  le  testament  de  sainte  Odile  et  les  vers  de  Herrade  de 
Landsperg. 


iO 


146  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 


QUATORZIEME  LETTRE. 

Fonds  de  révêché  de  Strasbourg.  —  Trésor  des  Chartes.  —  Testament 
de  sainte  Odile.  —  ïiégende  de  sainte  Odile.  —  Son  authenticité.  — 
Discussion  avec  n.  Roth ,  de  Bàle. 

hicedo  per  ignés. 


Monsieur , 

Nous  connaissons,  du  moins  de  profd,  les  principaux  cvê- 
ques  de  Strasbourg,  le  théâtre  de  leur  activité,  les  limites  de 
leurs  possessions,  et  je  puis  aborder  plus  librement  le  vaste 
fonds  qui  contient  les  documents  de  toute  nature,  témoins  de 
rinlUience  historique  de  nos  prélats.  Ce  fonds  de  l'évèché  de 
Strasbourg-  ouvre  par  deux  subdivisions,  intitulées  avec  raison 
par  mes  prédécesseurs  le  Trésor  et  V Armoire  des  Chartes;  car 
ces  compartiments  renferment  dans  une  série  de  boîtes  et  de 
cartons  les  parchemins  incontestablement  les  plus  précieux  de 
notre  collection  ecclésiastique. 

En  tête  du  Trésor  des  Charles  se  trouve  le  document  connu 
sous  le  nom  de  Testament  de  sainte  Odile.  Je  commence  par 
vous  dire,  —  sans  hardiesse  et  sans  présomption  irrespec- 
tueuse, puisque  c'est  un  fait  avéré,  —  que  ce  document  n'est 
pas  authentique;  néanmoins  je  vais,  avec  votre  consentement, 
consacrer  quelques  pages  à  l'exposé  de  son  contenu  et  aux 
questions  que  cette  Charte  soulève.  Le  nom  de  la  patronne  de 
l'Alsace ,  l'auréole  qui  depuis  des  siècles  entoure  ce  nom  vé- 
néré, les  attaques  récentes  qu'il  a  subies,  excuseront,  j'ose 
l'espérer,  ma  tentative.  Je  n'ignore  point  qu'en  me  hasardant 
sur  ce  terrain  brûlant ,  je  vais  blesser  les  incrédules ,  qui  sont 
aussi  absolus ,  aussi  intolérants  dans  leurs  négations ,  qu'un 
inquisiteur  du  Saint-Office  l'était  autrefois  dans  la  poursuite 
d'un  hérétique;  je  crains  fort  aussi  de  ne  point  être  agréable 
aux  croyants,  qui  préfèrent  que  le  voile  du  sanctuaire  ne  soit 


QUATORZIÈME  LETTRE.  147 

pas  soulevé  par  une  main  indiscrète.  Aux  uns  je  dirai  que  je 
me  résigne  à  passer  i)Our  crédule  et  ù  me  réfugier  sous  l'aile 
protectrice  de  Schœpflin  ;  aux  autres,  que  la  discussion  n'a 
jamais  fait  de  tort  à  une  bonne  cause ,  pourvu  que  l'examen 
soit  contenu  dans  les  bornes  du  respect  dû  à  toute  croyance 
sincère,  et  qu'il  soit  dirigé  par  le  désir  de  concilier  les  droits 
de  la  science  et  ceux  de  la  tradition,  sans  sacrifier  inutile- 
ment l'une  à  l'autre. 

Le  prétendu  testament  de  sainte  Odile  est  un  parchemin  long 
de  0™,46,  large  de  0"\56,  en  assez  mauvais  état  de  conserva- 
tion, sillonné  de  rides  qui  brisent  l'écriture,  où  l'on  recon- 
naît, à  n'en  pas  douter,  le  caractère  de  la  fin  du  dixième  ou 
du  commencement  du  onzième  siècle.  Le  sceau  détérioré  en 
cire  d'un  empereur  Lothaire  se  trouve  apposé  au  bas  de  l'acte, 
qui  porte  la  date  de  l'an  708 ,  et  la  ville  de  Francfort  comme 
localité  où  il  aurait  été  émis. 

Dans  le  corps  du  texte ,  il  est  dit  que  «  sainte  Od'ile ,  fille 
«d'Adalrich,  abbesse  du  couvent  supérieur  et  inférieur  de 
«Hohenbourg,  partage,  par  acte  de  dernière  volonté  et  par 
«égales  portions,  tout  son  patrimoine  entre  les  deux  cou- 
«  vents.  La  sainte  testatrice  décide  néanmoins,  sous  réserve 
«exceptionnelle,  que  la  coiu' d'Ehenheim  (Obernai),  qui  avait 
«été  la  résidence  de  son  père  Adalrich,  resterait  par  indivis 
«  aux  deux  communautés  ;  elle  veut  qu'à  des  jours  fixes  les 
«deux  abbesses  président  en  commun  dans  cette  cour,  qui 
«sera  le  symbole  et  le  lien  de  leur  amitié  mutuelle  et  qui 
«  manifestera  en  tout  lieu  que  les  deux  mères  des  deux  con- 
«  grégations  sont  de  fait  deux  sœurs  égales  en  dignité  et  en 
«iniluence.  » 

L'acte  énumère  en  outre  les  biens  qui  auront  à  payer  la 
dîme  au  couvent  inférieur. 

Quelle  doit  être,  aux  yeux  d'une  critique  judicieuse,  la 
vraie  signification  de  ce  document,  dont  Schœpflin  et  Grandi- 


148  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

dier'  ont  déjà  prouvé  la  falsification?  car  le  nom  de  l'empe- 
reur Lothaire,  porté  à  l'an  708,  est  une  erreur  si  évidente 
qu'il  est  presque  inutile  de  la  relever.  Il  paraît  que  pour  con- 
fectionner le  document  on  a  pris  pour  modèle  quelque  acte 
émis  au  commencement  du  onzième  siècle  par  l'empereur 
Henri  Il-le-Saint,  et  que  le  but  de  cette  invention  était  d'as- 
surer au  couvent  inférieur  (Niedermûnster)  des  biens  usurpés 
par  lui  sur  le  couvent  supérieur  (Ilohenbourg).  Ceci  admis, 
pourra-t-on  induire  de  cette  pièce  que  sainte  Odile  n'a  jamais 
légué  de  biens  ni  à  l'un  ni  à  l'autre  couvent,  vu  que  la  sainte 
n'a  point  existé,  parce  qu'un  document  falsifié  du  onzième 
siècle  est  mis  sous  le  couvert  de  son  nom?  Je  ne  comprendrais 
point  pour  ma  part  cette  manière  de  raisonner  ;  je  verrais  bien 
plutôt  une  preuve  de  l'indubitable  existence  de  sainte  Odile  et 
de  la  véracité  des  traditions  établies  sur  son  compte  dans  le 
soin  que  prend  le  faussaire  d'abriter  les  empiétements  du  cou- 
vent de  Niedermûnster  sous  l'égide  d'une  patronne  dont  per- 
sonne, à  cette  époque^  c'est-à-dire  deux  siècles  et  demi  après 
la  mort  de  la  sainte,  ne  contestait  ni  de  loin  ni  de  près  l'indi- 
vidualité historique  et  la  filiation. 

Mais  dans  les  attaques  récentes,  dirigées  contre  la  légende 
de  sainte  Odile ,  il  ne  s'agit  guère  de  cet  acte  de  donation  de 
708  :  une  argumentation  plus  formidable ,  empruntée  à  l'ar- 
senal meurtrier  de  la  critique  moderne,  a  cherché  à  battre 
en  brèche  et  à  ruiner  une  fois  pour  toutes  l'antique  monas- 
tère et  les  existences  séculaires  qui  s'abritaient  sur  ses  hau- 
teurs. Je  vais  essayer  de  transporter  ceux  de  mes  lecteurs  qui 
demeurent  étrangers  à  de  pareilles  querelles,  de  les  transpor- 
ter, dis-je,  au  cœur  de  l'école  historique  qui  a  fait  de  la  né- 


*  Scliœpdin,  Alsatia  diplomatica,  I,  p.  2S,  col.  I  et  2  au  bas  de  la  page. 

Grandidier,  Histoire  de  l'Église  de  Strasbourg.  Examen  du  testament  de 
sainte  Odile  ,  p.  90  à  94.  —  Les  noms  des  deux  clianceliers  Guntlierus  et 
Erchiiibaldus ,  qui  figurent  au  bas  de  l'acte,  sont  empruntés  à  des  fonction- 
naires et  à  des  diplômes  de  l'empereur  Henri-Ie-Saint. 


QUATORZIÈME  LETTRE.  149 

gation  son  article  de  foi.  C'est  un  détour  apparent  qui  doit  les 
mettre  en  mesure  déjuger  eux-mêmes  la  discussion  sur  la  lé- 
gende de  sainte  Odile. 

Avec  des  avocats  subtils ,  rompus  au  métier  de  la  dialec- 
tique ,  vous  aurez  tort,  en  tout  état  de  cause,  si  vous  vous  ha- 
sardez à  les  suivre ,  pas  à  pas ,  dans  le  labyrinthe  de  leurs 
syllogismes  ;  tandis  qu'il  y  a  quelque  chance  d'échapper  à 
leurs  filets,  si,  placé  en  dehors  de  leur  cercle,  vous  vous  boi-- 
nez  à  montrer  le  point  de  départ  de  leurs  évolutions ,  le  tracé 
de  leur  route ,  le  terme  auquel  ils  aboutissent.  Ne  vous  appli- 
quez point  à  les  réfuter,  mais  arborez  drapeau  contre  drapeau, 
élevez  autel  contre  autel;  dites  pourquoi  vous  ne  vous  rendez 
point  à  leurs  raisons  spécieuses,  à  leurs  pétitions  de  prin- 
cipes ,  et  laissez  le  lecteur  impartial  juger  entre  eux  et  vous. 

Il  y  a  eu  de  tout  temps  des  sceptiques,  des  esprits  pen- 
chant vers  la  négation  ;  toujours,  ce  que  tel  siècle  avait  établi 
en  fait  de  croyance  religieuse  ou  historique,  tel  autre  a 
cherché  à  le  défaire.  Quelquefois  on  a  élevé  de  nouveaux  édi- 
fices à  la  place  de  ceux  qu'on  renversait;  souvent  aussi  on  n'a 
laissé  derrière  soi  que  des  ruines. 

De  nos  jours,  l'Allemagne  scientifique  dont  personne  plus 
que  moi  ne  respecte  les  incontestables  mérites  et  -l'immense 
savoir,  l'Allemagne  a  vu  naître  dans  son  sein  une  école  qui 
s'est  appliquée  à  scruter  les  origines ,  à  démêler  le  vrai  et  le 
faux  dans  les  événements  transmis  d'âge  en  âge,  et  à  deman- 
der qu'à  côté  de  chaque  fait,  pour  qu'il  soit  acquis  irré- 
vocablement à  la  science,  vienne  se  placer  un  document  con- 
temporain ou  un  témoignage  postérieur  équivalent  à  un  titre 
primitif.  On  comprend  facilement  ce  qu'un  système  pareil, 
apphqué  avec  une  logique  implacable  ,  peut  amener  de  bons 
et  de  funestes  résultats  ;  il  peut  dégager  le  vrai  du  milieu  des 
données  fausses  qui  l'obstruent;  il  peut,  il  doit  aussi  très- 
souvent  dépasser  le  but  et  écraser  le  vrai  sous  les  débris  qu'il 
amoncelé  avec  l'enivrement  et  l'orgueil  qu'inspire  le  savoir 
laborieusement  conquis. 


150  ARCHIVES  DÉPAUTEME.MALES  DU  BAS-RHIN. 

Cet  examen ,  prôné  et  appliqué  par  l'école  historique ,  a 
porté  plus  spécialement  sur  le  terrain  de  l'histoire  romaine  , 
de  l'histoire  suisse  ,  de  l'histoire  sainte  et  légendaire. 

Je  ne  puis  qu'efïleurer  ce  vaste  sujet ,  je  ne  puis  qu'indi- 
quer ici  très-sommairement  la  marche  suivie  par  ces  redou- 
tables adversaires  de  la  tradition  ,  de  la  poésie  historique  et 
de  la  légende'. 

Pour  l'histoire  romaine,  Beaufort  avait  ouvert  le  feu;  au 
dix-huitième  siècle  déjà  ,  il  avait  cherché  à  démontrer  la  non- 
existence  des  rois  de  Rome  ;  son  œuvre  fut  reprise ,  il  y  a 
bientôt  quarante  ans ,  avec  une  érudilion  bien  plus  formidable 
et  une  sagacité  bien  plus  grande,  par  l'illustre  Niebuhr,  qui 
démontra,  à  n'en  point  douter,  (|ue  les  premiers  livres  de 
Titc-Live  ont  été  écrits  avec  des  données  légendaires,  avec 
des  fragmenls  de  chants  et  de  ballades  épiques,  et  que  tel 
héros  ou  telle  héroïne  ,  dont  on  nous  avait  inculqué  les  noms 
sur  les  bancs  de  l'école  ,  ne  jouissait  que  d'une  vie  Irès-pro- 
•blématique.  Mais  à  côté  de  ce  travail  savamment  destructeur, 
Niebuhr  poursuivait  pieusement  une  œuvre  de  reconstruc- 
tion :  il  refit  avec  une  merveilleuse  habileté,  ou  plutôt  il  fit 
pour  la  première  fois  l'histoire  des  diverses  magistratures  ro- 
maines ;  les  questions  constitutionnelles  les  plus  complexes 
sortirent  élaborées  à  neuf  de  son  creuset;  il  mourut ,  chargé 
de  gloire  littéraire  ,  conservateur  dans  l'àme,  malgré  les  ap- 
parences, et  idolâtre  de  la  science  qui  avait  été  dans  ses 
mains  un  instrument  à  deux  fins.  —  De  nos  jours  et  sous  nos 


*  Ainsi,  je  ne  m'étends  pas  sur  les  attaques  de  Wolf  contre  Homère;  c'est 
une  question  a  peu  près  jugée  maintenant.  Après  avoir  nié  l'exislence  d'Ho- 
mère et  afiirmé  que  Vlliade  et  l'Odyssée  non-seulement  n'aparliennenl  pas 
au  même  auteur,  mais  ne  sont  qu'un  ensemble,  qu'une  fusion  de  ballades  ou 
de  rliapsodies  provenant  de  toute  une  école  de  poêles,  on  abandonne  au- 
jourd'hui les  Prolégomènes  de  Wolf  et  on  revient  h  Homère  un  et  indivisi- 
ble^ h  Homère,  créateur  indubitable  des  deux  merveilleuses  épopées  que 
Wolf  avait  dépecées.  —  Voy.  sur  celle  question  la  préface  de  Minkwilz  à  sa 
belle  traduction  de  l'Iliade. 


QUATORZIÈME  LETTRE.  151 

yeux,  Théodore  Mommsen  ,  dans  son  Histoire  de  Rome,  pour- 
suit un  but  pareil;  son  œuvre  est  hors  ligne,  il  renverse  et 
reconstruit;  j'aurais  mauvaise  grdee ,  moi,  incompétent,  à 
élever  une  seule  objection  contre  cette  œuvre  ingénieuse  qui 
fait  sortir  presque  du  néant  \ Histoire  des  anciennes  races  ita- 
liques ,  montre  sous  un  nouveau  jour  leurs  conflits  avec  Rome 
et  dessine  à  neuf  tel  caractère,  dont  les  traits  nous  sem- 
blaient arrêtés  à  tout  jamais  et  burinés  sur  l'airain.  Eh  bien  , 
l'œuvre  de  Mommsen ,  saluée  avec  respect  par  l'Europe  sa- 
vante ,  a  trouvé  en  Allemagne  même  de  violents  contradic- 
teurs :  et  cela  devait  être  ;  car  bien  certainement  tous  ces 
hommes  éminents  ont  été  trop  loin  sur  la  route  de  la  néga- 
tion. Pour  ma  part,  dussé-je  être  traité  d'ignorant  incorri- 
gible ,  je  ne  vois  point  pourquoi  la  personnalité  de  quelques- 
uns  des  rois  de  Rome  et  des  fondateurs  de  la  république  ne 
pourrait  être  sauvée ,  malgré  les  mythes  qui  les  enveloppent. 
Loin  d'être  le  seul  de  mon  avis ,  je  ne  fais  qu'énoncer  celui 
de  plus  d'une  intelligence  sincère  et  droite  ;  je  me  trouve 
même  avoir  un  auxiliaire  dans  le  camp  des  sceptiques.  Byron, 
le  panégyriste  et  l'incarnation  du  doute,  Byron,  lorsqu'il  se 
trouve  dans  la  vallée  d'Egérie ,  en  face  du  pittoresque  nym- 
phée  qui  a  conservé  le  nom  du  génie  féminin ,  inspirateur  de 
Numa ,  Byron  a  cru  fermement  à  la  réalité  de  la  tradition  et 
a  trouvé,  sous  sa  plume  délétère,  des  strophes  ravissantes  qui 
rajeunissent  l'immortalité  du  législateur  de  Rome  et  de  son 
invisible  amie. 

Nier  d'une  manière  absolue  l'existence  d'une  personnalité, 
uniquement  parce  que^  à  côté  de  l'histoire,  ou  antérieure- 
ment à  elle  ,  le  mythe  l'a  transfigurée  ,  c'est,  en  tout  état  de 
cause ,  faire  une  œuvre  de  Vandale.  Je  vais ,  sinon  justifier  , 
du  moins  donner  quelque  valeur  à  mon  assertion  à  l'aide  de 
quelques  hypothèses. 

Attila  ,  le  fléau  de  Dieu,  apparaît  dans  le  poëme  des  Niebe- 
lungen  sous  le  nom  d'Elzel,  et  sous  le  voile  de  la  fiction.  Fort 
heureusement  pour  son  immortalité  terrestre,  il  figure  aussi 


152  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

dans  les  liisloriens  contemporains.  Sans  cette  circonstance , 
la  poésie ,  dans  l'esprit  de  nos  critiques  modernes ,  loin  de 
sauver  son  nom ,  lui  aurait  porté  malheur.  Je  suppose  que 
Jornandés  ,  que  tous  les  historiens  ecclésiastiques  ou  chroni- 
queurs qui  nous  parlent  de  lui,  eussent  péri,  avec  tant  de 
chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  ;  que  la  poésie  épique  et  de  vagues 
traditions  populaires  eussent  seules  porté  jusqu'à  nous  ce 
nom  défiguré....  Eh  bien,  aujourd'hui,  la  plupart  des  sa- 
vants, aux  grands  applaudissements  du  monde  scientifique, 
nieraient  l'existence  d'Attila  ;  le  roi  des  Iluns  serait  relégué 
dans  le  domaine  des  fables  ;  on  le  jetterait  dans  le  gouflre  du 
néant,  avec  le  démon  antagoniste  de  Dieu;  et  cependant 
Attila  aurait  en  réalité  vécu,  il  aurait  enterré  des  milliers 
de  victimes  humaines  dans  les  champs  catalauniens,  et  aurait 
reculé  devant  Aëtius  et  saint  Léon. 

Charlemagne  vit  au  milieu  des  Paladins,  dans  la  chronique 
fabuleuse  de  Turpin;  il  vit  dans  la  chanson  de  Roland';  il  vit 
dans  toutes  les  chansons  de  Geste  ;  il  vit  dans  la  tradition,  mais 
bien  lui  a  pris  d'avoir  un  secrétaire  annaliste.  Admettez  un  seul 
instant  que  la  biographie  du  grand  empereur,  racontée  en 
style  classique  par  Eginhard,  n'ait  point  été  conservée,  que 
ses  capitulaires  aient  disparu,  que  les  chroniques  qui  suivent 
immédiatement  son  règne  aient  toutes  péri  dans  les  incendies 
allumés  par  les  pirates  normands  ;  qu'arriverait-il  aujourd'hui? 
La  figure  du  rénovateur  de  l'empire  romain  d'Occident  aurait, 
malgré  ces  désastres  partiels  et  celte  éclipse  temporaire, 
traversé  les  siècles  ;  elle  serait  arrivée  à  nous  par  les  mille 
voix  de  la  renommée,  qui  n'ont  cessé  de  proclamer  son  nom 
à  travers  les  âges  barbares,  à  travers  le  mouvement  des  croi- 
sades et  le  siècle  de  la  renaissance.  Eh  bien  !  aujourd'hui  les 
savants  habiles  démontreraient,  à  l'aide  des  chants  même  de 
Théroulde,  ou  que  Charlemagne  n'a  pas  plus  vécu  que  Roland 
et  les  autres  Paladins,  ou  que,  s'il  a  vécu,  la  poésie  a  singu- 

'  Voir  l'admirable  traduction  de  l'œuvre  de  Théroulde,  par  feu  M.  Géniu. 


QUATORZIÈME  LETTRE.  153 

lièrcmenl  alléré  son  caractère,  et  qu'une  existence  pareille 
équivaut  à  un  non-être  ,  à  une  ombre;  il  n'y  aurait  point  de 
lycéen  qui  ne  se  crût  fondé  à  s'égayer  aux  dépens  des...  «an- 
ciens» qui  persisteraient  à  croire  au  couronnement  de  Karl- 
le-Graiid  et  à  ses  guerres  contre  les  Sarrazins  d'Espagne. 

Rentrez  dans  la  question,  me  direz-vous,  venez-en  à  sainte 
Odile,  puisque  c'est  d'elle  que  vous  prétendez  nous  entretenir; 
vous  n'êtes  point  dans  la  question. 

J'y  suis,  Monsieur;  ayez,  de  grâce,  un  peu  de  patience. 

Sur  le  terrain  de  l'histoire  suisse ,  ai-je  dit  plus  haut,  des 
attaques  analogues  se  sont  produites  de  nos  jours.  Il  y  a 
trente  ans ,  vous  pouviez  à  la  rigueur  vous  hasarder  dans  les 
petits  cantons  avec  le  léger  bagage  de  connaissances  histo- 
riques amassées  dans  Tschudi ,  Jean  de  Mûller  et  Zschokke, 
avec  les  vers  de  Schiller  dans  votre  mémoire  et  votre  cœur, 
sans  crainte  de  trouver  un  démenti  donné  à  votre  gai  savoir 
par  quelque  livre  de  récente  facture.  Les  chapelles  commé- 
moratives  sur  les  bords  du  lac  de  Lucerne  avaient  encore  leur 
signification  pleine  et  entière  ;  Kûssnacht,  le  Griitli,  Allorff, 
Bùrglen  marquaient  les  étapes  de  ce  pèlerinage  romantique , 
oîi  vous  trouviez  le  nom  d'un  héros  patriarcal,  marié  à  tous 
les  échos  de  la  montagne,  au  coup  de  chaque  rame  sur  les 
flots,  au  grondement  du  torrent  dans  la  vallée  du  Schaechen , 
au  murmure  du  vent  dans  les  arbres  du  Grûlli.  Maintenant 
tout  est  changé.  Des  savants  contemporains  ont  prouvé  avec 
une  incontestable  supériorité  de  vues,  un  savoir  vaste  et  ha- 
bilement distribué,  avec  une  parfaite  bonne  foi ,  un  amour 
sincère ,  je  dirais  presque  avec  le  fanatisme  de  la  vérité ,  ils 
ont  prouvé  que  les  documents  suisses  ou  allemands  contem- 
porains du  quatorzième  siècle  ne  parlent  ni  de  Tell  ni  de 
Gessler;  que  ces  noms  ne  se  retrouvent  ni  parmi  ceux  des 
familles  indigènes,  ni  parmi  ceux  des  dynastes  ou  des  fonc- 
tionnaires autrichiens;  que  dans  l'histoire  légendaire  de  l'an- 
tique Scandinavie  un  fait  pareil  à  celui  que  l'on  met  sur  le 
compte  du  préfet  (vogt)  autrichien  se  rencontre;  qu'il  avait 


loi  ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN, 

déjà  attiré  l'attention  de  plusieurs  érudits;  que  la  pomme  et 
la  ilèche  sont  empruntées  à  ce  mythe  ou  à  cet  événement  du 
Nord;  que  Tell  et  Gessler  sont  des  êtres  créés  par  l'imagina- 
tion populaire  ;  que  l'histoire  même  de  la  délivrance  de  la 
Suisse  et  de  sa  lutte  contre  les  gouverneurs  impériaux  est 
enveloppée  de  contradiction  et  d'incertitude.  On  ne  s'est  point 
arrêté  en  si  bon  chemin;  il  y  a  peu  de  temps,  un  travail, 
remarquable  par  le  fond  d'érudition  qu'il  laisse  entrevoir  et 
par  l'habileté  dans  l'enchaînement  des  faits  ou  des  raisons 
alléguées  à  l'appui  de  la  thèse,  a  cherché  à  démonétiser  Ar- 
nold de  Winkclried  ,  le  héros  de  Sempach ,  dont  le  sacrifice 
n'a  été  jusqu'ici  contesté  par  personne.  Eh  bien!  Arnold  de 
Winkclried  n'a  point  vécu,  car  son  nom  ne  se  rencontre  point 
dans  les  chroniques  et  les  Chartes  contemporaines  de  la  ba- 
taille (1380);  ou,  s'il  a  vécu,  s'il  a  assisté  au  combat,  son 
intervention  n'a  été  qu'un  incident  insignifiant  de  cette  mé- 
morable journée;  sa  mort  volontaire  n'a  pas  plus  de  valeur 
que  celle  du  fabuleux  Curtius;  les  piques  qu'il  a  ramassées 
sur  sa  large  poitrine  pour  ouvrir  une  brèche  à  ses  compagnons, 
ces  piques  sont  tirées  du  même  arsenal  que  la  flèche  libéra- 
trice du  héros  de  Biirglen;  ou  bien,  si  le  sang  de  Winkclried 
a  coulé  ,  il  n'a  point  fécondé  le  sol  ;  les  poëmes  qui  ont  célé- 
bré ce  haut  fait  sont  de  facture  postérieure,  évidemment  des 
centons  cousus  les  uns  au  bout  des  autres,  des  interpolations 
plus  ou  moins  adroites  et  audacieuses. 

Que  vous  dirai-je,  Monsieur?...  Je  commençais  à  renoncer 
à  l'existence  de  Tell;  mais  cette  dernière  hardiesse  —  je  me 
sers  d'un  mot  honnête  —  m'a  donné  à  réfléchir;  ne  pouvant 
vérifier  moi-même  dans  les  archives  des  villes  et  des  abbayes 
suisses  si  le  nom  de  Winkclried  se  trouve  ou  ne  se  trouve 
point  caché  au  fond  de  quelque  titre  de  propriété  ou  de 
famille,  obligé  de  m'en  tenir  au  récit  immortel  de  Millier, 
j'ai  cherché  dans  mes  propres  inspirations,  dans  mon  esprit 
seul,  des  arguments  pour  lutter  avec  ceux  qui  venaient 
d'ébranler  en  moi  d'anciennes  convictions.   Il  me  semblait 


'  QUATORZIÈME  LETTRE.  155 

dur  de  voir  réduire  en  poussière  un  idéal  de  ma" jeunesse, 
sans  essayer  de  sauver  ces  figures  radieuses  qui  mainliennenl 
dans  notre  cœur  la  faculté  d'admirer  et  d'aimer. 

Les  érudils  qui  attaquent  des  traditions  établies,  des  faits 
que  l'on  croyait  acquis  à  l'histoire,  font  un  appel  aux  parche- 
mins, dont  certes  je  suis  moins  en  droit  que  personne  de 
nier  la  haute  autorité.  Mais  à  côté  de  la  lettre  morte,  il  est  un 
autre  juge  encore  auquel  j'ai  le  droit  de  recourir  :  c'est  le 
bon  sens.  Le  parchemin  destiné  à  conserver  le  souvenir  d'un 
fait,  d'un  événement,  d'une  personne,  peut  périr;  le  sens 
commun  est  immortel. 

De  ce  qu'un  nom  ne  se  trouve  point  dans  les  documents 
contemporains,  vouloir  en  induire  que  le  personnage  en  ques- 
tion n'a  point  existé,  quoique  la  tradition  ait  conserve  son 
souvenir  et  son  individualité,  c'est,  permettez-moi  de  l'affir- 
mer, c'est  presque  de  l'outrecuidance.  Malgré  les  moyens  de 
publicité  multiples  que  la  presse  moderne  a  mis  entre  nos 
mains,  que  de  fois  n'arrive-t-il  pas  que  dans  le  compte  rendu 
d'une  catastrophe  ou  d'une  action  d'éclat,  le  nom  de  l'un  des 
acteurs  soit  omis  à  dessein  ou  par  inadvertance,  sans  qu'une 
réclamation  le  réhabilite  et  le  mette  à  sa  place  dans  un  im- 
primé quelconque;  le  même  nom,  négligé,  effacé,  omis  dans 
les  témoignages  officiels,  peut  vivre  dans  la  bouche  de  quel- 
ques amis,  d'un  cercle  restreint  de  concitoyens,  reparaître  à 
quelque  distance  seulement,  être  remis  en  honneur  par  un 
annaliste  ou  un  poète,  et  conquérir  une  renommée  tardive, 
mais  incontestablement  méritée.  Avant  l'invention  de  l'im- 
primerie il  y  avait  dix  chances  contre  une,  pour  qu'un  nom, 
même  méritant,  même  illustre,  ne  figurât  point,  séance 
tenante  pour  ainsi  dire,  dans  le  récit  d'un  événement.  A  ces 
époques  d'actions  désintéressées,  on  songeait  bien  moins  que 
de  nos  jours  à  consigner  par  écrit  jusqu'aux  moindres  détails 
d'un  combat.  La  reconnaissance  publique  dans  un  pays  tel 
que  la  Suisse  était  le  meilleur  archiviste;  le  chroniqueur,  en 
recueillant  plus  tard  ces  souvenirs  vivaces,  pouvait  les  rc- 


156  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

trouver  légèrement  altérés  ou  incomplets;  mais  le  noyau  était 
resté  incorruptible ,  entier  ;  il  y  a  dans  certains  faits  une  vé- 
rité psychologique  que  l'on  n'invente  pas  ;  même  pour  que, 
dans  ce  cas  ,  la  fiction  prenne  racine  et  s'épanouisse ,  il  faut 
qu'il  y  ait  un  point  de  départ. 

C'est  ce  point  de  départ  que  l'imagination  ou  l'imposture 
ne  parviennent  ni  à  créer  ni  à  inventer.  «Donnez-moi  un 
point,  disait  Archimède,  un  point,  et  je  remuerai  le  monde.» 
Pas  plus  dans  l'histoire  que  dans  la  nature,  vous  ne  ferez  rien 
de  rien;  il  faut  que  le  germe  soit  réel.  Je  vous  défie,  je  vous 
le  donne  en  cent ,  je  vous  le  donne  en  mille,  de  faire  circuler 
par  la  seule  force  de  votre  volonté  et  de  votre  imagination,  de 
faire  adopter  par  le  populaire  un  nom  comme  celui  de  Tell, 
de  Gessler,  de  Winkelried,  si  ce  nom  n'a  pas  eu,  dans  un 
moment  quelconque,  une  existence  vraie;  s'il  ne  s'est  pas, 
dans  l'origine,  appliqué  à  la  figure  d'un  homme  de  chair  et 
d'os;  je  vous  défie  d'aller  prendre  dans  la  mythologie  ou 
l'histoire  de  la  Scandinavie  un  récit  quelconque  et  de  l'im- 
planter dans  une  vallée  suisse;  de  faire  croire,  à  un  jour 
donné,  que  tel  fait  s'est  passé  dans  tel  endroit,  si  du  moins 
une  vague  tradition ,  basée  sur  ce  point  de  départ  réel  dont 
j'ai  parlé  plus  haut,  n'a  préparé  le  terrain  sur  lequel  vous 
prétendez  asseoir  votre  hisloire.  Et  pour  appliquer  mon  rai- 
sonnement au  fait  spécial  —  plutôt  que  de  supposer  cet  em- 
prunt bizarre  fait  à  la  Norwége,  dans  le  but  de  populariser 
une  légende...  il  me  serait,  à  moi,  plus  facile  d'admettre 
qu'un  landvogl  tel  que  Gessler,  raffiné  dans  sa  barbarie  et 
ayant  eu  quelque  notion  d'un  fait  cruel  accompli  dans  les 
royaumes  Scandinaves,  eût  voulu  se  donner  l'infâme  jouis- 
sance de  répéter  à  Altorf  ce  qu'un  Wikinger  avait  imaginé 
dans'Je  iNord. 

Un  mien  ami,  savant  hors  ligne,  qui  croyait,  il  y  a  trente 
ans ,  fermement  à  l'existence  des  héros  suisses  du  quatorzième 
siècle,  et  qui  m'aurait  fait  un  mauvais  parti,  si  j'avais  à  cette 
époque  soulevé  un  seul  doute  sur  quelques  parties  accès- 


QUATORZIÈME  LETTRE.  157 

soires  de  ce  merveilleux  récit,  s'est  laissé  gagner  dans  l'inter- 
valle par  les  arguments  de  l'école  moderne,  et,  à  la  première 
hésitation  que  j'ai  laissé  entrevoir ,  un  sourire  dédaigneux  a 
effleuré  ses  lèvres.  D'après  lui,  ces  légendes  qui  passent  d'un 
pays  dans  un  autre,  sont  comme  la  graine  d'une  fleur  ou  d'un 
arbre  enlevée  par  un  oiseau  ou  par  le  vent,  et  transportée 
à  travers  l'espace  sur  un  terrain  lointain.  La  comparaison  est 
ingénieuse ,  mais  elle  n'explique  et  ne  prouve  rien  ;  le  mys- 
tère du  transfèrement  serait  pour  le  moins  aussi  grand  que 
celui  de  l'origine ,  de  la  naissance  spontanée  d'un  événement 
sur  le  sol  auquel  la  tradition  l'attribue. 

Au  surplus,  ce  ne  sont  point  là  des  articles  de  foi.  Que 
Tell  ou  Winkelried  aient  vécu,  ou  que  ce  soient  des  héros- 
fantômes  ,  la  Suisse  est  assez  riche  du  reste  de  son  fonds 
historique  et  poétique  ;  elle  peut  à  la  rigueur  se  laisser  arra- 
cher un  fleuron  de  sa  couronne  sans  montrer  pour  cela  une 
tète  dégarnie;  ses  glaciers  et  ses  lacs  attireront  toujours  des 
milliers  de  passionnés  admirateurs  ;  l'immortelle  création  de 
Schiller  sauvegardera,  mieux  que  les  annales  les  moins  con- 
testées, les  noms  qui  depuis  cinq  siècles  vivent  dans  la  mé- 
moire des  peuples  libres  et  des  peuples  opprimés. 

J'en  dirai  autant  de  Rome  :  les  Tarquins,  Brutus,  la  chaste 
Lucrèce,  Iloratius  Coclès,  Mucius  Scœvola,  peuvent  aller  re- 
joindre Curtius  dans  son  gouffre ,  sans  que  la  grandeur  du 
tableau  qu'on  appelle  l'histoire  romaine  en  soit  altérée,  sans 
qu'une  seule  couleur  sur  cette  toile  immense  s'efface  ou  pâ- 
lisse. Les  vies  des  hommes  illustres  de  Plutarque  et  les  livres 
de  Tite-Live  seront  lus  et  dévorés,  longtemps  après  que  les 
œuvres  d'une  critique  ingénieuse,  mais  délétère,  et  souvent 
peu  attrayanle,  auront  rejoint  sur  les  rayons  de  nos  bibho- 
Ihèques  ces  milliers  de  volumes  que  chaque  siècle  lègue  au 
siècle  suivant  comme  un  héritage  plein  d'embarras,  de  plus 
en  plus  difficile  à  administrer  ou  à  contrôler. 

Tous  les  arguments  que  j'ai  fait  valoir  en  faveur  de  la  tra- 
dition dans  l'histoire  profane,  peuvent  aussi  s'appliquer  sur 


158  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

le  terrain  de  l'histoire  sainte  et  de  l'histoire  légendaire,  avec 
celte  différence  qu'ici  la  matière  est  un  millier  de  fois  plus 
délicate.  Le  travail  de  la  critique  dans  l'histoire  romaine  ou 
suisse,  porte  sur  des  questions  et  des  personnes  qu'à  la  ri- 
gueur on  peut  traiter  comme  des  abstractions ,  sans  blesser 
aucun  intérêt,  aucune  idée  contemporaine,  sans  toucher  à  la 
foi  vive  d'un  concitoyen;  tandis  que  la  discussion  sur  les 
livres  saints  et  sur  la  légende  adoptée  par  l'Église,  remplit 
de  tristesse ,  de  dégoût  et  d'indignalion  les  croyants  et  les 
fidèles. 

La  science  de  son  côté  reste  impassible  ;  elle  examine,  elle 
examinera  toujours,  à  moins  d'être  violemment  comprimée 
dans  ses  manifestations.  Mais  à  son  tour  elle  doit  subir  la 
contradiction  et  la  loi  du  talion,  et  elle  doit  admettre  (ju'à 
côté  de  son  point  de  vue,  il  puisse  en  exister  un  autre  ;  l'in- 
tolérance en  tout  cas  sied  mal  aux  partisans  de  la  négation. 

Je  n'ai  ni  la  prétention  ni  la  mission  d'être  le  défenseur 
infaillible  de  la  légende;  je  viens  seulement  en  dehors  de 
toute  passion  confessionnelle,  dans  l'intérêt  de  ce  qui  me 
semble  la  vérité,  et  dans  l'intérêt  de  l'histoire  d'Alsace,  ap- 
porter à  ces  débats  quelques  arguments  dictés  par  ce  bon 
sens  dont  j'ai  proclamé  plus  haut  le  règne  éternel. 

Les  attaques  contre  l'histoire  sainte  ne  sont  pas  de  date  ré- 
cente. Je  n'ai  point  à  faire  ici  la  pénible  récapitulation  des 
auteurs  et  des  ouvrages  qui,  depuis  des  siècles,  ont  cherché 
obstinément  à  saper  les  bases  écrites  de  la  foi  chrétienne*. 


•  De  nos  jours  wii  nom  U'islomeul  célèlire  a  edacé  ceux  de  ses  devanciers: 
c'est  celui  de  Strauss.  Il  a  tonié  de  réduire  l'existence  du  fondateur  de  l'É- 
i;lisc  chrélieune  à  l'état  de  mythe;  il  l'a  lait,  sans  animation  ,  avec  la  froide 
impassibililé  de  l'anatomisle  qui  applique  le  scalpel  a  un  cadavre.  Je  n'ai 
pas  davantage  à  m'appesantir  sur  les  conséquences  possibles  d'une  sembla- 
ble tentative;  elles  sautent  aux  yeux  les  moins  clairvoyants.  Fort  lieureuse- 
mciit  son  ouvrage  est  indigeste,  didicile  à  lire;  il  n'a  convaincu  et  ne  con- 
vaincra que  ceux  qui  apportent  à  une  pareille  étude  des  dispositions  précon- 
çues, liosliies  ,  aveugles  en  face  des  vérités  et  des  bienfaits  hisloriques  d'i 


QUATORZIÈME  LETTRE.  159 

J'en  viens  tout  droit  à  la  question  de  l'existence  de  sainte 
Odile,  de  la  patronne  de  l'Alsace.  Sa  réalité  historique  et  lé- 
gendaire ,  admise  jusqu'ici ,  même  par  des  savants  protestants, 
tels  que  Schœpflin  et  Strobel,  a  été  révoquée  en  doute  tout 
récemment  par  un  savant  bàlois,  M.  le  professeur  Roth',  puis 
défendue  avec  vivacité  par  M.  Louis  Levrault-.  Peut-être  ne 
devrais-je  point,  après  lui,  descendre  dans  la  lice;  je  ne 
puis  me  servir  des  armes  de  l'érudition  ;  je  n'ai  point  de  do- 
cuments inédils  à  faire  valoir;  j'arrive  sur  le  terrain  ,  pauvre 
comme  Job  et  n'ayant  d'autre  bouclier,  d'autre  auxiliaire  que 
ma  foi  dans  les  imprescriptibles  raisons  de  la  probabilité  his- 
torique appuyée  sur  le  simple  sens  commun. 

M.  Roth ,  à  l'appui  de  sa  thèse ,  examine  les  monuments  et 
les  documents.  Commençons  par  les  derniers. 

La  mort  de  sainte  Odile  est  communément  placée  vers  l'an 
720.  De  documents  authentiques  du  huitième  ou  neuvième 
siècle  qui  parlent  d'elle,  il  n'en  existe  point.  C'est  une  Charte 
de  Louis-lc-Débonnaire  qui  menlionne  pour  la  première  fois 
HoJienburc  en  837,  mais  sans  nommer  la  première  abbesse  ^. 
Cette  circonstance  est  fâcheuse,  j'en  conviens,  mais  elle 
n'est  point  péremptoire  pour  moi,  comme  elle  semble  l'être 
pour  M.  Roth.  Avec  M.  Louis  Levrault,  je  ne  vois  pas  pour- 
quoi l'empereur,  fils  de  Charlemagne,  n'aurait  pu  confirmer 
les  privilèges  du  couvent  de  liohenbourg,  sans  mentionner 
expressément  les  circonstances  du  premier  établissement , 
d'autant  plus  qu'à  cette  époque  sainte  Odile  n'était  point  en- 
core canonisée. 

Avec  une  incontestable  habileté,  M.  Roth  cherche  à  cons- 
truire à  sa  façon  la  légende  de  sainte  Odile,  c'est-à-dire  à  ex- 

ciirisliniiisme,  cl  qui  onl  la  iialieiice  tle  suivre  l'iuiteur  dans  ses  rléduclions 
et  inductions  subtiles. 

1  Voy.  Alsatia^  année  185S,  p.  Go  a  tl8. 

"  Bulletin  de  la  Société  pour  la  conservation  des  monuments  historiques 
d'Alsace^  l.  !I,  p.  I  10  à  IGI. 

3  Ce  docuMienl  existe  d:ins  noire  liésor  de.-;  Charles. 


160  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS -RHIN. 

pliquer  comment  elle  a  pu  se  former  peu  à  peu ,  à  l'aide  de 
données  empruntées  à  d'autres  localités.  Il  montre ,  vers  le 
milieu  du  huitième  siècle ,  une  religieuse  Odile  à  Toul  ;  vers 
le  commencement  du  onzième  siècle  ,  une  Odile  ,  abbesse  de 
Ilobenbourg ,  allant  mourir  à  Verdun  ;  il  affirme  que  les  moines 
d'Ebersmiinster,  confesseurs  et  secrétaires  du  couvent  deHo- 
henbourg,  forgeaient  audacieusemenl  des  titres  de  donation, 
et  à  l'aide  de  ces  prémisses  il  fait  voir  la  légende  qui  gagne 
peu  à  peu  de  l'ampleur,  et  se  cristallise  pour  ainsi  dire  au 
onzième  et  au  douzième  siècle. 

Je  dois  ajouter  que  M.  Rolh  ne  donne  point  ses  hypothèses 
comme  chose  certaine  :  il  signale  les  analogies  qui  se  trouvent 
entre  des  faits  attribués  à  la  sainte  patronne  de  l'Alsace,  et 
des  faits  que  l'on  trouve  établis  en  d'autres  localités  de  l'in- 
térieur de  la  France  ;  il  cherche  à  prouver  la  non-existence 
de  la  légende  complète  de  sainte  Odile  avant  le  douzième 
siècle;  mais  nulle  part  il  ne  s'aventure  jusqu'à  prétendre  que 
sa  manière  d'envisager  la  chose  soit  la  seule  bonne  et  la  seule 
admissible;  il  laisse  donc,  avec  une  inconleslable  tolérance 
delà  part  d'un  antagoniste  démolisseur,  il  laisse  toute  latitude 
aux  convictions  opposées  à  la  sienne.  Il  n'a  point  le  fanatisme 
de  la  négation. 

Sa  longue  argumentation ,  développée  dans  une  cinquan- 
taine de  pages,  vient  pour  moi  se  briser,  impuissante,  contre 
un  seul  fait,  que  lui  aussi  est  bien  obligé  d'admettre,  sa- 
voir :  le  passage  du  pape  saint  Léon  (IX)  en  Alsace  (1049  à 
1050)  ;  la  reconstruction  et  la  dédicace  du  couvent  de  Hohen- 
bourg  sous  les  auspices  de  ce  pape  alsacien,  et,  à  cette  oc- 
casion ,  la  canonisation  de  sainte  Odile ,  constatée  par  une 
bulle  authentique  (1050).  M.  Roth  n'ose  pas  le  dire  d'une 
manière  explicite,  mais  il  donne  à  entendre  que  le  pape  saint 
Léon  avait,  pour  l'accomplissement  de  cet  acte,  un  intérêt  de 
famille;  or  M.  Levrault  s'élève  avec  une  véhémente  suscepti- 
bilité, que  je  comprends,  contre  le  jour  douteux,  jeté  sur  le 
caractère  du  saint  pontife  par  une  semblable  insinuation.  Rien 


QUATORZIÈME  LETTRE.  161 

n'autorise  à  suspecter  la  droiture  de  saint  Léon  dans  cette 
circonstance  ;  aucun  soupçon  ne  peut  ternir  cette  belle  figure; 
aucun  nuage  ne  peut  monter  à  la  hauteur  de  ce  front  pur  et 
serein. 

Resterait  à  imputer  au  pape  alsacien  une  crédulité  ou  une 
ignorance  inqualifiable.  Léon  IX  était,  aux  yeux  de  ses  con- 
temporains, une  intelligence  d'élile,  un  savant  théologien , 
un  érudit  en  fait  d'histoire  ecclésiastique.  Il  est  né  en  1002  , 
à  peu  près  deux  cent  cinquante  ans  après  l'époque  présumée 
de  la  mort  de  la  bienheureuse  Odile,  qui  figure  parmi  les  as- 
cendants du  pontife.  Coitiment  le  souvenir  d'une  apparition 
aussi  extraordinaire  que  celle  de  la  vierge  et  abbesse  Odile, 
au  cœur  d'une  famille,  ne  se  serait-il  point  transmis  de  père 
en  fils?  Comment  aurait-il  pu  s'effacer  dans  un  espace  de 
temps  aussi  restreint?  Comment  ne  pas  admettre,  avec  toute 
espèce  de  probabilité  ,  que  des  documents  écrits  aient  subsisté 
à  cette  époque  dans  les  archives  de  cette  maison  d'Éguis- 
heim-Dagsbourg?  Les  témoignages  de  la  voix  publique  pla- 
çaient depuis  deux  siècles  le  tombeau  de  la  sainte  sur  la 
montagne  de  Hohenbourg,  et  y  attachaient  des  influences 
mystérieuses  qui  devaient  motiver  la  canonisation.  Comment 
le  pape  aurait-il  pu  se  hasarder  à  faire  adopter  par  le  monde 
contemporain  une  aussi  audacieuse  imposture ,  que  l'eût  été 
celle  qui ,  appliquant  du  jour  au  lendemain  au  mont  Sainte- 
Odile  en  Alsace  des  faits  réputés  accomplis  antérieurement , 
à  Toul,  Verdun  ou  Laon ,  devait  provoquer  une  explosion 
dans  le  monde  chrétien  et  le  monde  politique?  On  voudra 
bien  se  rappeler  que  la  famille  franconienne  qui  occupait 
alors  le  trône  impérial,  manifesta,  peu  de  lustres  plus  tard, 
des  dispositions  peu  amicales  pour  la  papauté;  elle  n'aurait 
pas  manqué  de  tirer  parti  contre  son  ennemie  d'une  sem- 
blable infraction  aux  lois  de  la  prudence  la  plus  élémen- 
taire ;■  elle  l'eût  fait ,  quoique  Conrad-Ie-Salique  ait  été  le  pa- 
rent de  saint  Léon  ;  car  dans  les  luttes  politiques  on  fait 
flèche  de  tout  bois  ,  et  Henri  IV,  pour  nuire  à  Grégoire  VU  , 


11 


162  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

n'aurait  pas  respecté  le  souvenir  d'un  pape  de  sa  propre  fa- 
mille. Tout  esprit  impartial  conviendra  avec  moi,  que  si  le 
sépulcre  de  sainte  Odile  à  Hohenbourg  n'avait  été,  depuis  un 
temps  immémorial,  entouré  de  la  vénération  des  fidèles,  ni 
prélat  ni  pontife  ne  se  fût  hasardé  à  y  appeler  d'office  la  dé- 
votion des  fidèles.  La  canonisation  ne  créait  rien  :  elle  consta- 
tait, après  enquête,  un  fait  séculaire;  elle  légitimait,  elle  con- 
sacrait, par  l'adoption  de  l'Eglise,  un  culte  spontané. 

Il  est  vrai  que  M.  Roth  conserve  la  ressource  de  supposer 
ou  d'affirmer  que  ce  concours  de  fidèles  au  mont  Sainte-Odile 
avait  commencé  dans  un  moment  quelconque,  à  placer  entre 
la  mort  de  la  sainte  apocryphe  et  la  naissance  du  pontife , 
son  arrière-petit-neveu  ;  et  que  cette  vénération  avait  été  dès 
l'origine  appliquée  sans  motif  à  une  tombe  ou  vide  ou  men- 
songère. 

Je  n'aurais  plus  rien  à  répliquer ,  je  l'avoue ,  à  cette  argu- 
mentation. 

M.  Roth  appuie  aussi  sur  les  monuments  de  la  localité  une 
partie  des  raisons  qui  lui  semblent  militer  contre  l'anlhenli- 
cité  des  traditions  du  mont  Sainte-Odile.  La  chapelle  de  la 
Croix,  selon  lui,  date  de  l'an  1050  seulement;  le  sarcophage 
du  père  de  sainte  Odile  et  les  bas-reliefs  seraient  du  douzième 
siècle.  Ici  M.  Roth  se  trouve  sur  un  terrain  plus  solide  ;  je 
me  déclare  incompétent  pour  infirmer  ou  approuver  la  fixa- 
tion précise  de  ces  dates  ;  je  veux ,  je  dois  les  croire  bonnes. 
Au  dixième  siècle,  de  terribles  dévastations  ont  passé  sur  la 
montagne  et  sur  les  édifices  sacrés,  qui  dominaient  au  loin  le 
pays  et  attiraient  les  regards  des  spoliateurs  hongrois  ;  les 
Magyars  en  un  mot  ont  ravagé  Hohenbourg  ;  les  constructions 
premières  et  l'ornementation  de  l'ameublement  sacré  ont  dû 
être  renouvelées  sous  le  pape  saint  Léon  (IX)  et  après  lui  ; 
mais  ce  fait  n'infirme  point,  il  laisse  au  contraire  subsister 
en  entier  l'hypolhèse  que  les  premiers  édifices  conventuels 
ont  daté  de  la  fin  de  l'époque  mérovingienne  ou  du  commen- 
cement des  Carlovingiens.  Ici  d'ailleurs ,  la  Charte  de  Louis- 


QUATORZIÈME  LETTRE.  163 

le-Débonnaire  (837) ,  et  un  acte  de  partage  entre  Louis-le- 
Germanique  et  Charles-le-Chauve  de  870 ,  ne  laissent  plus 
aucun  doute  sur  l'existence  d'un  établissement  quelconque  à 
Hohenbourg  dès  cette  époque  reculée  *. 

M.  Roth  termine  son  plaidoyer  contra  domum  Ottiliœ  par 
ces  mots  :  «  Nous  n'arrivons  pas  au  delà  du  résultat  suivant  : 
«Le  couvent  existait  sous  Charlemagne,  et  il  a  été  fondé  par 
«un  duc.  » 

Je  prendrai  la  liberté  de  substituer  une  autre  formule  à  cette 
conclusion,  et  j'aime  à  me  tlatter  que  le  scepticisme  histo- 
rique ne  la  trouvera  pas  contraire  aux  faits  probables ,  que  le 
croyant  ne  la  trouvera  pas  irrespectueuse.  Je  dirai  :  «En  l'an 
«1050,  le  pape  saint  Léon  (IX),  Alsacien  d'origine,  s'appuyant 
«  sur  des  traditions  de  famille  et  prêtant  l'oreille  à  l'impérieuse 
«voix  publique,  qui  attribuait  à  la  tombe  de  l'abbesse  Odile, 
«  placée  au  sommet  de  Hohenbourg ,  des  influences  miracu- 
«leuses,  le  pape  canonisa  la  sainte  fdle  d'un  duc  ou  grand 
«d'Alsace  qui  avait  été,  sur  la  limite  de  l'époque  mérovin- 
«gienne  et  carlovingienne ,  le  premier  fondateur  et  donateur 
«de  ce  monastère  ;  il  fit  en  même  temps  restaurer  les  édifices 
«  et  renouveler  les  institutions  de  charité,  qui  se  trouvaient, 
«  depuis  l'époque  de  l'invasion  magyare,  dans  un  déplorable 
«  état  d'abandon.  » 

A  partir  de  celte  époque,  le  culte  de  sainte  Odile  devenu 
officiel,  prit  de  siècle  en  siècle  une  extension  plus  grande  et 
un  éclat  plus  imposant.  La  magie  de  la  distance  entoura  cette 
figure  d'une  auréole  de  plus  en  plus  éclatante  ;  à  travers  les 


'  Je  n'entame  point  la  question  d'Athalricli  ou  d'Etichon ,  duc  d'Alsace. 
J'ai  déjà  trop  longtemps  abusé  de  la  patience  de  mes  lecteurs.  —  M.  Rotli , 
dans  l'édilice  généalogique,  si  laborieusement  construit  par  Schœpflin,  ne 
laisse  pas  pierre  sur  pierre.  Il  apporte  de  formidables  argunoents  contre  la 
personnalité  du  duc,  et  surtout  contre  celle  de  Bereswinthe ,  mère  de  sainte 
Odile.  M.  Levrault  l'a  courageusement  combattu,  mais  avec  moins  de  bon- 
heur que  dans  le  reste  de  sou  argumentation. 


164  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  BU  RAS-RHIN. 

révolutions  politiques  et  religieuses  ,  à  travers  les  convulsions 
sociales  ,  elle  demeura,  dans  la  croyance  du  pays,  le  modèle 
de  la  piété  filiale,  de  l'abnégation  monastique  et  de  la  charité 
chrétienne. 


QUINZIÈME  LETTRE.  165 


QUINZIEME  LETTRE. 

Herrailc  de  liandspcrg.  — •  Ouvrage  de  feu  ITIauriee  Kngelhardt.  — 
Documents  relatifs  h  Herrade.  —  Analyse  du  «lardiu  des  dcUce*. 


Monsieur , 

Le  «Trésor  des  Chartes»  (fonds  de  l'évêché  de  Strasbourg) 
contient  plusieurs  documents  relatifs  à  Herrade  de  Landsperg. 
Le  nom  de  cette  abbesse  de  Hohenbourg ,  à  peine  connu  de 
quelques  érudits  alsaciens  au  siècle  dernier ,  ignoré ,  il  y  a 
quarante  ans  encore  de  la  totalité  du  public  cultivé ,  ce  nom 
est  désormais  européen.  11  doit,  en  grande  partie,  cette  sou- 
daine célébrité  à  l'opuscule  de  l'un  de  nos  compatriotes,  feu 
M.  Maurice  Engelhardt,  qui  a  le  premier,  en  1818,  appelé 
l'attention  de  l'Allemagne  sur  «  le  Jardin  des  délices^  »  ce  beau 
manuscrit  de  Herrade ,  conservé  à  la  bibliothèque  de  Stras- 
bourg. Après  M.  Engelhardt,  des  savants  français,  des  archéo- 
logues, des  littérateurs,  des  touristes  de  toutes  les  nations  se 
sont  empressés  de  feuilleter  le  volume  et  d'en  rendre  compte, 
souvent  sans  même  nommer  le  modeste  travailleur  et  dessina- 
teur qui  le  premier  s'était  appliqué  à  illustrer  Herrade,  cette 
femme  artiste,  poète,  philosophe,  théologienne,  et  mieux 
que  cela ,  directrice  maternelle  des  religieuses ,  confiées  à  son 
intelligente  tendresse. 

Vous  me  permettrez.  Monsieur,  de  m'arrêter  en  face  de 
cette  adorable  figure ,  de  vous  parler  un  peu  des  documents 
qui  la  concernent,  et  davantage  d'elle-même  et  de  son  œuvre 
originale. 

Je  vais  au  devant  de  vos  objections ,  au  devant  des  reproches 
que  pourraient  m'adresser  vos  lecteurs ,  en  me  voyant  faire 

'  Herrade  de  Landsperg,  abbesse  de  Hohenbourg  ou  de  Sainte-Odile,  en 
Alsace,  et  son  ouvrage  Hortus  deliciarum ,  par  M.  Chr,  M.  Engell>ardt,  I  vol. 
in-8"  et  12  planches  in  fol.  Suiligarlel  Tiibingen  1818  (en  allemand). 


166  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS -RHIN, 

une  halte  sur  cette  route  déjà  si  longue ,  où  j'ai  eu  la  présomp- 
tion de  les  acheminer.  Puisque  le  nom  de  Herrade  et  son 
œuvre  ,  me  direz-vous ,  ont  une  célébrité  incontestée ,  et  se 
trouvent  dans  le  domaine  public,  pourquoi  nous  en  reparler? 
Donnez-nous  de  l'inconnu  !  instruisez-nous  !  intéressez-nous 
par  des  données  complètement  neuves! 

Un  moment,  Monsieur;  c'est  parce  que  le  nom  de  Herrade 
est  désormais  européen,  que  j'ose  vous  en  entretenir;  c'est 
parce  que  dans  tout  le  domaine  de  nos  archives,  il  n'y  a  pres- 
que rien  qui  approche  de  l'éclat  de  cette  renommée  scienti- 
fique et  littéraire ,  que  je  m'arrête  aux  pieds  de  la  belle  statue , 
qui,  sans  être  entourée  de  l'auréole  de  la  sainteté  canonique, 
est  illuminée  de  tous  les  rayons  que  la  gloire  terrestre  peut 
concentrer  autour  d'une  tête  privilégiée.  Les  noms  de  Dante , 
de  Cervantes,  de  Camoëns,  de  Shakespeare,  de  Michel  Ange, 
de  Raphaël,  les  noms  de  tous  les  génies,  de  tous  les  talents 
qui  ont  ilhistré  l'humanité,  sont  européens;  mais  on  n'est 
jamais  mal  venu  d'en  parler ,  pourvu  qu'on  apporte  à  l'examen 
de  leurs  œuvres  et  de  leur  caractère  un  peu  d'intelligence  et 
beaucoup  d'amour;  pourvu  que  sur  ces  diamants  à  mille  fa- 
cettes on  arrive ,  par  une  observation  assidue  ,  à  découvrir  un 
nouveau  jet  de  lumière  ;  pourvu  que  dans  les  vallées  qui  sil- 
lonnent les  flancs  de  ces  hautes  montagnes ,  on  trouve  une 
nouvelle  source  d'eau  vive  et  quelques  plantes  échappées  à 
l'œil  des  premiers  voyageurs. 

D'ailleurs,  soyons  de  bon  compte,  et,  sans  offenser  per- 
sonne, voyons,  combien  de  vos  lecteurs  ont,  de  leurs  yeux, 
examiné  le  manuscrit  de  Herrade?  Quels  sont  ceux  qui  en  ont 
parcouru  les  six  cents  pages  in-folio  ?  Quels  sont  ceux  qui  ont 
étudié  l'œuvre  de  feu  M.  Maurice  Engelhardt,  ou  tel  compte 
rendu  de  l'École  des  Chartes  ou  d'un  journal  savant?....  Je 
puis  donc  espérer  d'être  à  peu  près  neuf  pour  quelques-unes 
des  personnes  qui  consentent  à  nous  prêter  un  quart  d'heure 
d'attention.  Quant  aux  savants  de  profession,  le  mieux  qui 
puisse  m'arriver,  c'est  d'être  ignoré  d'eux;  non-seulement  je 


QUINZIÈME  LETTRE.  167 

ne  leur  apprendrai  rien;  je  serai  pdur  quelques-uns  d'entre 
eux  une  pierre  d'achoppement,  vu  que  je  m'applique  à  vul- 
gariser un  sujet  scientifique,  à  mettre  à  la  portée  de  quelques 
intelligences  cultivées,  mais  par  devoir  avares  de  leur  temps, 
les  notions  qui  d'habitude  demeurent  réservées  aux  érudits 
exclusifs  et  égoïstes. 

J'ai  nommé  plus  haut,  à  tout  hasard,  quelques  génies  écla- 
tants, immortels;  je  les  ai  cités  à  titre  d'exemple,  non  pou 
établir  un  parallèle  entre  eux  et  Herrade..,.  la  modeste  abbesse 
de  Ilohenbourg  reculerait  effrayée,  si  elle  revenait  à  l'exis- 
tence, devant  le  dangereux  honneur  d'une  pareille  comparai- 
son. Herrade  n'a  qu'une  valeur  relative  :  l'intérêt  qu'elle  ins- 
pire, découle  de  sa  situation  isolée  au  haut  d'une  montagne 
de  l'Alsace,  au-dessus  des  forêts  de  sapins,  dans  la  région 
des  nuages;  il  découle  du  siècle  où  elle  vécut,  et  qui  nous  a 
légué ,  avec  tant  de  parcimonie ,  des  notions  littéraires ,  scien- 
tifiques, artistiques,  incomplètes;  il  vient  de  sa  qualité  de 
femme,  de  religieuse,  qui  ajoute  au  charme  de  sa  présence 
dans  un  monde  à  moitié  barbare,  la  fascination  dont  nous 
sommes  saisis  toutes  les  fois  qu'un  être  angélique  de  pureté 
descend  sur  la  terre  où  se  débattent  les  passions  haineuses 
et  charnelles. 

Pour  ne  pas  trop  m'étendre  ?  je  vais  d'avance  limiter  le  ter- 
rain sur  lequel  je  vous  prie  de  me  suivre  aujourd'hui.  Peu  de 
mots  suffiront  pour  rappeler  la  place  qu'occupe  Herrade  dans 
la  série  des  abbesses  de  Hohenbourg  ;  je  tâcherai  de  même  de 
ne  point  être  trop  longtemps  importun  en  indiquant  les  Chartes 
qui  nous  parlent  d'elle.  La  femme  artiste ,  si  bien  caractérisée 
par  M.  Engelhardt,  ne  m'arrêtera  aussi  que  peu  de  temps; 
mon  incompétence  m'en  fait  une  loi.  C'est  la  femme  érudite 
et  poëte  que  je  désire  montrer,  enlevée  de  sa  cellule  dans 
les  régions  où  disparaissent  les  vanités  de  la  terre  ,  jusqu'au 
sein  de  la  Jérusalem  céleste. 

Pendant  le  siècle  qui  suivit  la  visite  du  pape  Saint-Léon  (IX) 
au  haut  du  mont  Sainte-Odile  (1050  à  1150),  il  paraît,  sans 


168  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

qu'il  y  ait  à  ce  sujet  une'notice  précise ,  qu'un  revirement  dé- 
plorable s'était  opéré  au  cœur  de  la  communauté  de  Hohen- 
bourg:  c'était  la  réaction  fatale  contre  le  merveilleux  élan 
d'enthousiasme,  qui  avait  provoqué  la  canonisation  de  Sainte- 
Odile.  La  foi  s'était  éclipsée,  la  discipline  relâchée;  l'inter- 
vention d'une  autorité  quelconque  était  devenue  nécessaire 
pour  ramener  la  congrégation  religieuse  à  la  rigidité,  à  la 
pureté  de  son  point  de  départ. 

Une  autre  circonstance  qu'on  n'a  pas  suffisamment  remar- 
quée, avait  sans  doute  contribué  à  ce  relâchement  dans  la  vie 
intime  de  Hohenbourg.  Frédéric,  duc  de  Souabe  et  d'Alsace, 
père  de  Frédéric  Barberousse,  avait,  pour  des  motifs  incon- 
nus, porté  la  dévastation  dans  les  édifices  et  les  dépendances 
du  couvent*.  Son  fils,  l'illustre  empereur,  suivit  des  errements 
diamétralement  opposés  :  dès  la  première  année  de  son  règne, 
il  appela  l'une  de  ses  parentes,  Relinl  ou  Rclindis,  du  fond 
du  couvent  de  Berg,  près  Neubourg  en  Bavière,  au  mont 
Sainte-Odile,  et  lui  confia  la  mission  de  régénérer  cet  asile 
qui  était  resté  dans  le  triste  état  de  délabrement  où  l'avait  ré- 
duit Frédéric  de  Souabe. 

Relindis,  malgré  l'austérité  de  son  caractère^  était  adon- 
née au  culte  des  muses  ;  elle  fut  probablement  l'institutrice 
de  Ilerrade  de  Landsberg,  qui  se  trouvait  au  nombre  des  no- 
vices confiées  à  ses  soins  et  qui  lui  succéda,  en  11G7,  sur  le 
siège  abbatial  de  Hohenbourg. 

Comment  et  pourquoi  Ilerrade  avait-elle  pris  le  voile?  Etait- 
ce  une  vocation,  un  ordre  émané  de  ses  parents  ou  de  son 
frère  Gùnther?  Était-ce  une  expérience  anticipée  de  la  vie, 
la  prévision  des  luttes,  des  passions,  des  tourments  qui  l'at- 
tendraient dans  le  monde,  dont  le  spectacle  effrayait  sa  jeune 
et  vive  imagination?  Étaient-ce  toutes  ces  causes  réunies  qui 
portèrent  Ilerrade  à  quitter  la  demeure  paternelle  et  à  se  ré- 

'  Voy.  ia  bulle  de  Luce  III,  confirmative  des  privilèges  de  Holienbourg, 
année  1I8S. 


QUINZIÈME  LETTRE.  '169 

fugier  dans  la  vie  contemplative  du  cloître  ?  Une  réponse  pro- 
bable à  ces  questions,  nous  la  trouverons  dans  les  œuvres  de 
Herrade;  quant  à  une  certitude  quelconque  sur  les  premières 
années  de  la  savante  abbesse,  il  faut  y  renoncer;  un  voile 
épais  les  couvrira  peut-être  toujours. 

L'examen  des  documents  nous  montre  Herrade  en  rapports 
d'afîaires  avec  l'empereur  Frédéric  Barberousse ,  qui  avait 
d'ailleurs  visité  le  monastère  sous  l'abbesse  Relindis  et  avait 
sans  doute  remarqué,  parmi  les  jeunes  religieuses,  le  rejeton 
de  l'une  des  familles  les  plus  illustres  de  l'Alsace.  Herrade 
était  en  relation  avec  les  pontifes ,  avec  les  évêques  de  Stras- 
bourg, avec  des  prélats  de  Lorraine  et  d'Allemagne,  avec  des 
dynastes  alsaciens;  mais  accidentellement^  transitoirement, 
pour  le  bien  de  son  monastère.  De  fait,  selon  l'heureuse  ex- 
pression de  M.  Engelhardt,  «elle  vivait  dans  le  temps,  mais 
non  avec  ou  pour  le  temps.  »  Le  bruit  du  monde  venait  expirer 
aux  pieds  de  Hohenbourg  ;  la  lutte  terrible  entre  la  France  et 
les  souverains  normands  de  la  jeune  Angleterre ,  le  mouve- 
ment des  croisades  qui  agitait  alors  l'Europe  entière ,  les 
figures  de  Frédéric  l^r,  de  Richard  Cœur-de-Lion,  de  Louis  VII, 
de  Philippe-Auguste  ne  laissent  pas  la  moindre  empreinte  dans 
les  œuvres  de  Herrade;  soit  parti  pris,  soit  indifférence,  soit 
ignorance  non  présumable,  l'abbesse  de  Hohenbourg  semble 
fermer  les  yeux  et  les  oreilles  aux  objets  du  dehors,  comme 
la  porte  de  son  couvent  est  fermée  aux  hommes  du  siècle  ;  elle 
entend  l'harmonie  des  sphères;  ses  yeux,  elle  les  tient  atta- 
chés aux  étoiles  du  ciel,  dont  elle  voit  de  plus  près  et  dans 
un  air  plus  pur  toute  la  magnificence ,  et  qui  lui  révèlent  les 
splendeurs  de  la  cilé  de  Dieu.  La  brume  épaisse  qui ,  pendant 
une  partie  de  l'année ,  couvre  pour  elle  les  plaines  du  Rhin 
étendues  aux  pieds  des  Vosges ,  cette  brume  est  le  symbole 
matériellement  exact  du  voile  impénétrable  qui  la  sépare,  elle 
et  ses  filles  adoplives,  du  monde  des  vivants. 

Avant  de  la  montrer  complètement  absorbée  par  les  visions 
apocalyptiques  et  par  ces  harmonies  célestes  qui  la  rendent 


170  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

insensible  aux  vains  bruits  de  la  terre,  examinons  toutefois 
par  quelle  espèce  de  liens  elle  s'y  rattache  ;  car  les  esprits 
qui  vivent  dans  les  régions  de  la  pensée  abstraite  et  de  l'amour 
divin,  tiennent  forcément,  par  un  fil  presque  imperceptible, 
au  monde  extérieur;  ils  ne  se  transfigurent  qu'au  moment  de 
la  mort.  D'ailleurs  Ilerrade,  en  sa  qualité  d'abbesse,  avait 
des  devoirs  positifs  à  remplir,  des  devoirs  de  suzeraine  et  de 
directrice  d'âmes  ;  elle  n'y  faisait  point  défaut. 

La  position  de  Hohenbourg  seule  captive  déjà  irrésistible- 
ment; en  répétant  ce  lieu  commun,  je  ne  suis  que  l'écho  de 
milliers  de  visiteurs  qui  ont  joui  sur  le  sommet  de  cette  belle 
montagne  du  charme  des  souvenirs  religieux  et  historiques, 
et  de  l'impression  d'une  nature  presque  alpestre.  Mais  ce  qui 
donne  plus  de  valeur  encore  à  cet  incomparable  site ,  à  ce 
monastère  aérien,  séjour  d'abord  des  Druides  celtiques,  puis 
arche  sainte  des  religieuses  chrétiennes  ,  c'est  le  cortège  que 
lui  forment,  sur  les  deux  revers  et  aux  pieds  du  mont,  d'autres 
couvents,  d'autres  églises,  d'autres  chapelles,  et  ces  châteaux 
dont  nous  avons  tous  épelé  les  noms  dès  les  premières  années 
de  notre  enfance.  Quelques-unes  des  fondations  pieuses  ,  suc- 
cursales de  Sainte-Odile ,  datent  précisément  de  Ilerrade  de 
Landsperg.  Depuis  neuf  ans  elle  occupait  le  siège  abbatial 
(1178),  lorsqu'elle  jugea  nécessaire  d'appeler  dans  son  voisi- 
nage des  religieux  actifs,  pour  que  le  service  divin  se  fît  sans 
interruption  aucune  dans  son  couvent,  alors  si  difficile  d'ac- 
cès pendant  les  temps  d'hiver.  A  cet  effet  elle  prit  des  arran- 
gements avec  Warner,  abbé  d'Etival  en  Lorraine,  et  assigna 
libéralement  des  revenus  à  quelques  Prémonlrés  qui  quit- 
tèrent leur  couvent  d'au  delà  des  Vosges  pour  s'établir  à  Saint- 
Gorgon,  localité  alors  déserte,  à  mi-côte  de  Sainte-Odile. 
L'empereur  Frédéric  I^r  confirma  la  donation  de  la  localité 
que  l'abbesse  de  Hohenbourg  crut  devoir  faire  à  ces  moines. 
L'abbé  d'Etival  lui-même  s'obligeait  de  visiter  le  couvent  de 
Sainte-Odile  sur  la  demande  de  l'abbesse ,  et  d'y  célébrer  le 
service  à  de  certaines  grandes  fêtes  fixées  dans  l'acte  de  dona- 


QUINZIÈME  LETTRE.  171 

tioii.  Les  biens  et  les  rentes,  dont  les  Prémonlrés  de  Saint- 
Gorgon  allaient  jouir  avec  engagement  de  célébrer  tous  les 
jours  la  messe  au  couvent  dcllohenbourg,  se  trouvaient  dans 
quehjues-unes  des  riches  localités  des  environs'. 

Le  droit  de  parcours  pour  les  troupeaux  que  les  moines 
seraient  tentés  d'entretenir,  s'appUquait  à  toutes  les  forêts 
de  liohenbourg.  Le  pape  Luce  III  (118i)  et  Henri,  évêque  de 
Strasbourg  (1183)%  confirmèrent  ces  dispositions. 

Mais  cette  fondation  de  Saint-Gorgon  paraît  ne  pas  avoir 
suffi  aux  exigences  du  service  religieux  de  Hohenbourg;  car 
trois  années  plus  tard ,  un  nouvel  établissement  se  forma , 
grâce  aux  libéralités  de  Herrade  :  c'est  celui  de  Truttenhausen, 
couvent  de  chanoines  réguhers  de  l'ordre  des  Augustins ,  qui 
furent  appelés  de  l'abbaye  de  Marbach  (du  Haut-Rhin)  et  riche- 
ment dotés  par  l'abbesse  de  Hohenbourg ,  sous  condition  de 
remplir  des  offices  analogues  à  ceux  des  Prémontrés  de  Saint- 
Gorgon.  Un  acte  émané  du  second  fils  de  Frédéric  Barbe- 
rousse,  de  Frédéric,  duc  d'Alsace,  avoué  ou  défenseur  (Vogt) 
de  Hohenbourg,  confirme  en  1181  les  libéralités  de  Herrade^ 
L'empereur  lui-même  et  Pierre,  évoque  de  Tusculum ,  légat 
du  Saint-Siège,  y  donnèrent  leur  assentiment.  Des  vignes, 
des  arpents,  des  fermes,  des  rentes  en  nature  à  Rosheim , 
Niedernai ,  Goxwiller,  Bergheim,  sont  affectés  à  l'entretien  de 
ces  douze  chanoines  qui  viennent  s'établir  au  pied  du  mont 
Sainte-Odile ,  sur  un  territoire  fertile ,  pittoresque ,  où  les 
riynes  de  l'ancienne  église*  rappellent  encore  la  création  de 
Herrade.  On  avait  prié  Henri ,  roi  des  Romains  (plus  tard 
connu  sous  le  nom  de  Henri  VI,  empereur),  frère  aîné  de 

'Par  exemple  à  Rosheim,  Ergerslieim  ,  Wolxheim.  Voy.  la  Cliarle  de 
Frédéric  Barberousse,  du  12  octobre -Il 78.  Trésor  des  Chartes,  n"  23. 

'Voy.  Pellre,  Histoire  de  Suinte-Odile ,  t.  II,  pièces  jiislilicalives. 

3  Voy.  Scliœpllin  ,  Als.  dipl.  ,  l  ,[>.  275. 

^L'église  primitive  byzantine  avait  été  détruite  par  un  incendie,  puis  re- 
construite vers  la  lin  du  quinzième  siècle.  Les  ruines  actuelles  portent  le  ca- 
ractère de  ce  déclin  de  l'osive. 


1  72  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Frédéric ,  Vogt  de  Hohenbourg ,  de  figurer  comme  témoin  de 
l'acte  solennel  de  fondation  ;  son  nom ,  de  funeste  mémoire, 
s'y  trouve  à  côté  de  ceux  des  archevêques  et  évoques  de  Be- 
sançon ,  Worms ,  Mersebourg ,  Constance  ,  Strasbourg ,  du 
margrave  de  Vérone  ,  d'Egenolphe  d'Urselingen  ,  seigneur  de 
Ribeaupierre ,  de  Werner,  maréchal  de  la  ville  de  Stras- 
bourg etc.*. 

A  l'autorité  de  ces  représentants  delà  famille  impériale, 
de  l'épiscopat  allemand  et  de  l'aristocratie  alsacienne  et  rhé- 
nane, vint  se  joindre,  en  1185,  la  sanction  pontificale. 
Luce  IIÏ,  ce  pape,  avec  lequel  Ilerrade  se  trouve  en  perma- 
nente relation ,  confirma  la  fondation  de  Truttenhausen  par 
une  bulle  émise  à  Vérone-,  et  par  cet  acte  officiel  du  père 
des  fidèles  nous  apprenons  qu'à  Truttenhausen  il  ne  s'agissait 
pas  seulement,  comme  à  Saint-Gorgon ,  delà  création  d'un 
couvent  pour  assurer  la  régularité  du  service  divin  de  Hohen- 
bourg, mais  d'un  asile  à  offrir  aux  malades  et  aux  pauvres 
passagers.  Un  hôpital  et  un  hospice  furent  attachés  au  mo- 
nastère Augustin,  exactement  comme  on  avait  procédé  quel- 
ques siècles  auparavant  à  Nicdcrmiinster' ,  sur  un  autre 
point,  à  mi-côte  de  la  montagne  de  Sainte-Odile,  pour  ac- 
cueilhr  auprès  de  ce  couvent  de  femmes  les  pauvres,  les 
souffrants  et  les  pèlerins. 

La  bulle  pontificale  prescrit  aux  chanoines  de  Truttenhau- 


'  f/acto  de  fonHalion  émanant  h  la  fois  de  Herrade  et  de  Giinlher  de  Jim- 
genhege  (appelé  Yienliege  dans  la  bulle  de  Luce  III,  de  1 185),  Wimpheling 
affirme  que  Giintlipr  était  le  Crère  de  Herrade. 

2  Tréso)-  des  Chartes,  n"  28;  Schœpflin,  Als.  dipl. ,  I,  p.  282. 

3  La  tradition  attribue  la  fondation  du  couvent  de  Niedermuuster  (le  mo- 
nastère inférieur")  à  Sainte-Odile  elle-mônie.  M.  Rolh  ,  fidèle  à  son  système  de 
démolition  et  de  rajeunissement  des  dates,  attribue  la  fondalion  de  Nieder- 
miinster  à  Herrade.  Il  s'appuie  à  cet  eff'et  sur  le  style  des  constructions; 
Niedermiinster  fut  incendié,  il  est  vrai,  en  ^180  et  restauré  sous  Herrade; 
circonstance  qui,  loin  de  contredire,  confirme  l'existence  antérieure  de  ce 
monastère. 


QUINZIÈME  LETTRE.  173 

sen  d'ôlre  soumis  en  toute  circonstance  à  l'abbesse  de  Holien- 
bouig,  et  d'établir  deux  des  leurs  en  qualité  de  semainiers 
au  haut  de  la  montagne,  pour  être  en  mesure  d'y  remplir  ré- 
gulièrement leurs  devoirs  de  prêtrise.  On  fixe  les  jours  so- 
lennels où  le  prévôt  (Probst)  de  Truttenhausen  lui-même 
célébrera  les  offices  au  haut  du  mont  Sainte-Odile  ;  et  dans  la 
prévision  d'une  négligence  ou  d'une  désobéissance  des  cha- 
noines, l'abbesse  aura  les  mains  libres  pour  leur  retirer  pré- 
bendes et  bénéfices.  L'élection  du  supérieur  spirituel  de 
Truttenhausen  se  fera,  bien  entendu,  par  les  chanoines  eux- 
mêmes,  mais  l'opération  devra  être  confirmée  par  l'abbesse 
de  Hohenbourg,  à  l'aide  de  la  transmission  symbolique  d'un 
livre. 

Ainsi  tous  les  cas  qui  peuvent  se  présenter  dans  les  rap- 
ports futurs  entre  les  abbesses  de  Hohenbourg  et  les  religieux 
desservant  le  monastère,  sont  réglés  à  Vérone,  et  Herrade 
qui,  dans  l'intérieur  du  couvent,  maintint  avec  une  douce 
sérénité  la  règle  introduite  par  sa  mère  spirituelle,  par  l'ab- 
besse Relindis,  Herrade  put  se  rendre  le  témoignage  d'avoir 
aussi,  dans  tous  les  détails,  pourvu  aux  doux  devoirs  de  la 
charité  et  aux  secours  spirituels ,  que  ni  elle  ni  les  supérieures 
futures  ne  pouvaient  directement  conférer  à  leurs  disciples. 

Dans  les  dernières  années  de  son  gouvernement ,  elle  de- 
mande encore  à  Conrad  de  Hûnebourg,  évêque  de  Strasbourg', 
de  confirmer  tous  les  statuts ,  tous  les  privilèges  de  son  cou- 
vent ;  et  ce  prélat  s'empresse  de  déférer  aux  prières  de  l'ab- 
besse, dont  il  devait  apprécier  le  grand  cœur.  Dans  l'acte 
émis  par  l'évêque  Conrad  (H),  toutes  les  mesures  préserva- 
trices sont  adoptées  pour  mettre  le  couvent  à  l'abri  des  em- 
piétements si  fréquents  dans  ces  siècles  agités ,  dominés  par 
la  force  matérielle.  Ainsi,  défense  est  faite  à  tout  homme  sé- 
culier de  posséder  au  haut  du  mont  Sainte-Odile  une  cour  ou 
ferme  quelconque,  d'y  construire  une  maison,  à  moins  d'une 

*  Voy.  Trésor  dex  Chartes ,  n"  31 . 


174  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

permission  expresse  de  la  seigneurie;  cette  interdiction  s'ap- 
plique à  tout  le  plateau ,  et  s'étend ,  avec  la  défense  de  cultiver 
des  champs,  au  vaste  espace  au-dessous  «du  mur  païen»  *, 
parce  que  c'est  «une  terre  salique»^. 

Défense  est  faite  de  même  d'établir  une  paroisse  sur  le 
mont,  ce  qui  implique  la  crainte  de  quelque  empiétement 
clérical,  ou  la  présomption  que  les  hommes  auxquels  l'ab- 
besse  permettrait  d'habiter  soit  autour,  soit  aux  pieds  du  cou- 
vent, seraient  tentés  de  se  constituer  en  réunion  paroissiale 
ou  communale. 

Indépendamment  de  ces  grands  actes  publics  et  solennels, 
obtenus  du  pape,  de  l'empereur,  des  évoques,  en  faveur  de 
Ilohenbourg  pendant  les  siècles  suivants  —  car  les  empe- 
reurs surtout  y  laissent  des  traces  de  leur  protection  —  des 
titres  d'acquisition  ou  de  donation  viennent  augmenter  les 
domaines  du  couvent  sous  l'administration  de  Herrade.  Lors- 
que la  noble  Willebire  d'Andlau,  pour  le  salut  de  son  âme, 
celle  de  son  mari  et  de  ses  parents,  donne  au  couvent, 
avec  l'assentiment  de  Frédéric  Barberousse,  une  maison  sise 
à  Rosheim  ,  cet  acte  semble  assez  important  à  l'abbesse  pour 
qu'elle  appelle  à  y  figurer  ce  même  GiiiUlier  de  Vienhege  ou 
Jungenhege  qui  intervient  dans  la  fondation  de  Trultenhausen  ; 
puis  un  Dietherich  de  Lapide  (c'est-à-dire  un  Rathsamhausen 
zum  Stein),  un  Rodolphe  d'Ehenheim  ,  le  prévôt  de  celte  der- 
nière localité,  et  le  receveur  de  Rosheim^. 

Ces  respectables  documents  constituent  pour  Ilohenbourg 
et  pour  Ilerrade  de  vrais  titres  de  famille  ;  leur  âge  qui  les 
rend  contemporains  des  plus  anciens  restes  du  couvent ,  et 
antérieurs  de  près  d'un  siècle  à  la  façade  de  notre  cathédrale , 


^  Ce  sont  les  expressions  de  la  Cliarle. 

2  Ici,  terre  salique  siijnilie,  non  pas  un  terrain  iransmissible  aux  m.Mes, 
mais  un  territoire  indissolublement  atlaclié  a  la  l'oudation  primitive  du  cou- 
vent. 

3  Voj'.  Trésor  des  Chartes ,  n°  22 ,  sans  date. 


QUINZIÈME  LETTRE.  175 

leur  assigne  un  rang  hors  ligne  dans  notre  dépôt.  Mais  ce  sont 
à  tout  prendre  des  fragments,  qui  ne  nous  permettent  pas 
d'esquisser  la  vie  officielle  de  Herrade;  ce  sont  des  échappées 
de  vue  sur  cette  carrière  si  active  sous  son  calme  apparent. 
Pour  étudier  à  fond,  pour  connaître  Ilerradc,  il  faut  aborder 
résolument  le  volume  môme  qu'elle  nous  a  légué  et  dans 
lequel  sont  déposées  les  aspirations  de  son  âme,  les  créations 
de  sa  main  d'artiste,  les  résumés  de  ses  lectures  savantes , 
les  rêves  de  son  imagination  et  les  chants  de  triomphe  qu'elle 
entonne  en  l'honneur  de  son  maître,  de  son  sauveur,  de  son 
divin  fiancé. 

Que  contenait  donc  ce  manuscrit  entouré  à  Hohenbourg 
d'une  espèce  de  vénération ,  estimé  à  l'instar  des  reliques  au- 
près desquelles  on  le  conservait  pieusement?  Quel  était  ce  livre 
précieux  orné  de  peintures  au  type  byzantin,  oîi  éclatent  des 
couleurs  que  l'on  dirait  prises  hier  seulement  sur  la  palette 
du  peintre?  Quel  était  ce  legs,  transmis  par  Herrade  à  ses 
fdles  adoptives,  sauvé  par  une  protection  toute  spéciale,  dans 
les  fréquents  désastres  qui  sont  venus  fondre  sur  le  mont 
Sainte-Odile?  Quel  est  ce  volume  apocalyptique,  recueilli  un 
moment  par  les  évêques  de  Strasbourg,  puis  par  les  Chartreux 
deMolsheim,  puis  par  la  bibliothèque  du  district  républicain, 
puis  par  un  abbé  collecteur,  enfin  par  la  bibliothèque  de 
Strasbourg,  et  réservé,  Dieu  seul  le  sait,  à  quelles  destinées 
encore? 

Nous  apprendrons  ce  que  contient  le  manuscrit  en  suivant 
un  seul  instant  l'abbesse  Herrade  au  fond  de  sa  cellule  ,  dans 
ce  laboratoire  silencieux  où  elle  tient  dans  ses  mains  et  sous 
ses  yeux ,  sur  une  série  de  tablettes ,  la  sagesse  des  livres 
sacrés  et  du  monde  profane,  les  Ecritures,  quelques  pères 
de  l'Église,  surtoiit  le  saint  évoque  d'IIippone,  puis  saint 
Irénée,  Eusèbe  de  Césarée ,  l'évêque  historien,  Fréculphe, 
l'évêque  chroniqueur;  une  foule  d'auteurs  scolastiques ,  phi- 
losophes ,  historiens ,  polygraphes  ,  Pierre  Comeslor ,  Pierre- 
le-Lombard  ;  des  ouvrages  astrologiques  ,  des  œuvres  incon- 


176  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

nues;  d'autres  dont  le  titre  est  parvenu  à  nous,  mais  dont 
les  auteurs  sont  tombés  dans  l'oubli  ;  «  la  gemme  d'or  » ,  «  le 
miroir  de  l'Eglise  »  ,  vaste  assemblage  de  savoir  encyclopé- 
dique, parfois  puéril,  parfois  touchant  aux  questions  qui, 
de  tout  temps  et  en  tout  lieu ,  ont  préoccupé  et  passionné  les 
penseurs.  Dans  cette  mystérieuse  bibliothèque  elle  butine , 
selon  sa  propre  expression,  comme  une  abeille  ;  elle  amasse 
un  trésor  de  sapience  ;  elle  construit  un  monde  de  fantas- 
tique création  ;  elle  prépare  des  rayons  de  miel.  Lire ,  mé- 
diter,  composer,  prier,  chanter,  voilà  sa  vie;  elle  parcourt 
toute  l'histoire  profane  et  sacrée;  elle  monte  et  redescend 
toute  l'échelle  des  connaissances  alors  abordables  à  une 
femme,  à  une  religieuse  sachant  le  grec,  parlant  le  latin 
comme  sa  langue  maternelle  ;  mais  toujours  elle  revient  à  la 
Bible  ;  c'est  le  centre  d'oii  elle  rayonne,  et  vers  lequel,  après 
avoir  efQeuré  la  sagesse  humaine ,  clic  se  replie  ;  l'histoire 
du  peuple  de  Dieu,  les  promesses  de  l'ancienne  et  de  la  nou- 
velle alliance  lui  servent  de  fil  conducteur  à  travers  ce  dédale 
de  faits  amassés  dans  les  casiers  de  ses  extraits  et  de  sa  mé- 
moire; c'est  à  ce  centre  vital  que  se  rattachent  jusqu'aux  vi- 
sions allégoriques  dont  elle  compte  diversifier  et  orner  son 
œuvre  d'abeille  et  de  poète  créateur. 

Après  ces  travaux  préparatoires,  qui  auraient  brisé  une  tête 
moins  fortement  constituée  que  la  sienne ,  Herrade  exécute 
un  plan  dont  je  vais  indiquer  les  contours  et  qui  pourra 
sembler  étrange,  informe,  bizarre,  à  plus  d'un  lecteur  mo- 
derne ,  mais  qui  devait,  dans  un  temps  où  toutes  les  notions 
revêtaient  le  caractère  du  symbole  et  de  l'allégorie,  répon- 
dre aux  besoins  des  intelligences  et  des  cœurs.  Ne  perdons 
pas  de  vue  que  a  le  jardin  des  délices  »  était  destiné  aux  re- 
ligieuses de  Sainte-Odile,  qu'il  devait  être  pour  elles  à  la  fois 
un  recueil  encyclopédique  de  tout  savoir  a  licite»  ;  il  devait 
leur  faire  connaître  le  monde  réel ,  sans  le  rendre  trop  ai- 
mable ,  trop  attrayant  ;  il  devait  leur  ouvrir  les  espaces  du 
ciel  et  les  profondeurs  de  l'abîme,  sans  mêler  à  ces  concep- 


QUINZIÈME  LETTRE.  177 

lions  mystiques  les  dangereuses  fictions  des  poëtes  profanes 
«  des  mages  »  ,  auteurs  de  toute  perdition  ,  inspirés  par  l'oi- 
seau noir,  symbole  de  l'esprit  immonde'.  Que  d'écueils  à 
éviter  sur  cette  mer  du  savoir  et  de  la  poésie ,  où  Ilerrade  se 
lançait ,  confiante  dans  la  pureté  de  ses  intentions ,  et  sou- 
mettant la  plus  indépendante  des  facultés  humaines ,  fimagi- 
nation ,  à  la  douce  mais  sévère  discipline  de  la  foi. 

Je  m'aperçois ,  Monsieur ,  que  tout  en  causant  avec  vous 
de  l'œuvre  de  Herrade,  j'ai  déjà  tracé  une  partie  de  sa  vaste 
composition;  il  ne  me  reste  qu'à  vous  laisser  puiser  dans 
votre  propre  mémoire,  en  vous  plaçant  à  l'entrée  de  la  Ge- 
nèse, au  moment  de  la  création  de  l'homme  ,  que  l'abbesse 
raconte ,  après  avoir  entretenu  ses  religieuses  de  Dieu ,  des 
anges,  de  Lucifer  et  de  la  Trinité.  Vous  voudrez  bien  ensuite 
parcourir  en  pensée  le  vaste  cycle  de  l'histoire  de  l'Ancien  et 
du  Nouveau  Testament ,  jusqu'au  moment  suprême  du  juge- 
ment dernier.  Je  vous  ai  laissé  deviner  de  même  les  digres- 
sions de  l'auteur  ;  à  l'histoire  biblique  de  la  création  d'Adam 
et  d'Eve ,  ïlerrade  mêle  des  notions  élémentaires  d'astrologie 
et  de  cosmogonie  ,  de  géographie,  voire  même  de  technologie  ; 
elle  retrace  le  système  planétaire  de  Ptolémée,  et  indique  les 
éléments  de  la  mythologie  païenne  :  presque  côte  à  côte  du 
tableau  de  la  création ,  tel  que  le  récit  à  la  fois  simple  et  ma- 
jestueux de  Moïse  le  retrace,  vous  voyez  Apollon,  le  dieu  de 
la  lumière,  sur  son  char  resplendissant.  La  construction 
de  la  tour  de  Babel  offre  à  Herrade  un  point  de  rattache  pour 
la  description  des  travaux  et  des  occupations  diverses  des 
hommes  ;  au  passage  de  la  mer  Rouge  par  les  Israélites  et 
Pharaon  se  lie  la  description  des  mers  et  des  fleuves  ;  et  sur 
le  sépulcre  de  Moïse,  à  l'entrée  de  la  Terre-Sainte,  la  lutte 
de  Satan  et  de  saint  Michel  personnifie  la  guerre  du  bon  et  du 
mauvais  principe,  qui  se  reproduit  dans  le  cœur  des  hommes 

*  C'est  le  sujet  de  l'une  des  peintures,   mêlées  au  texte  du  jardin  des  dé- 
lices. 

12 


1 78  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

les  plus  haut  placés  et  dans  l'histoire  même  des  nations  spé- 
cialement protégées  de  Dieu. 

Lorsque  Herrade  touche  à  la  naissance  du  Christ  qu'elle 
célèbre  par  des  cantiques  enthousiastes,  elle  remonte  un  mo- 
ment le  cours  des  âges,  et  place,  à  côté  de  l'histoire  du  peuple 
de  Dieu  ,  par  une  espèce  de  parallélisme  instructif  et  hardi , 
toute  l'histoire  profane  depuis  l'origine  du  monde  jusqu'au 
règne  de  Tibère.  La  généalog-ie  du  Sauveur,  dont  le  sacrifice 
expiatoire  va  s'accomplir ,  est  rendue  sensible  par  un  tableau 
digne  de  l'imagination  de  Dante  Alighieri ,  dont  Ilerrade  est 
sous  plus  d'un  rapport  le  précurseur  ou  l'avant-garde ,  s'il 
m'est  permis  de  me  servir  de  cette  expression  matérielle, 
pour  indiquer  une  parenté  spirituelle.  Cette  puissante  fa- 
culté de  rendre  sensibles  les  idées  Ihéologiques  et  abstraites , 
qui  caractérise  à  un  si  haut  degré  l'immortel  auteur  de  la 
«  Divine  Comédie  » ,  Ilerrade  la  possède  aussi ,  mais  à  un 
degré  moindre  et  non  réglée  par  des  études  classiques.  Ainsi 
l'intime  union  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  le 
triomphe  final  de  l'Église ,  la  lutte  des  vices  et  des  vertus , 
les  efforts  de  l'homme  pour  atteindre  la  couronne  céleste  et 
les  irrésistibles  tentations  qui  l'en  détournent ,  toutes  ces 
graves  questions ,  reprises  et  jamais  épuisées  par  les  théolo- 
giens, les  philosophes,  les  moralistes 'de  tous  les  âges,  de- 
viennent pour  Herrade  le  sujet  de  compositions  aussi  ingé- 
nieuses que  hardies  ;  elles  dénotent  chez  elle  une  puissance 
de  création  qui ,  hors  du  cloître  ,  exaltée  par  l'amour  de  la 
gloire  et  par  des  passions  mondaines ,  aurait  pu  donner 
des  résultats  étonnants ,  effrayants  peut-être.  Même  dans  le 
cercle  limité  où  Herrade  permet  à  sa  fantaisie  de  s'ébattre , 
elle  nous  révèle  quelque  chose  du  génie  viril  de  Michel-Ange. 
L'histoire  de  l'Antéchrist,  de  son  règne  éphémère  ,  des  tor- 
tures qu'il  inflige  aux  croyants  qui  refusent  de  l'adorer;  le 
jugement  dernier,  rendu  sensible  par  un  tableau  gigan- 
tesque ,  le  ciel  et  la  terre  en  combustion ,  la  naissance  d'un 
nouveau  ciel  plus  éclatant ,  d'une  nouvelle  lerre  parée  d'un 


QUINZIÈME  LETTRE.  179 

éternel  printemps ,  où  les  Élus  se  promènent  et  se  reposent 
à  l'ombre  des  palmiers;  le  règne  final  du  Christ,  royaume 
où  les  rangs  d'ordre  sont  hiérarchiquement  assignés,  l'enfer 
et  ses  tortures  infinies  ,  tous  ces  tableaux,  naïfs  et  burlesques 
quelquefois  selon  nos  idées  ou  nos  conceptions  modernes, 
ouvrent  derrière  leur  enveloppe  matérielle  des  perspectives 
infinies  ;  le  ciel  et  la  terre  se  confondent  dans  ces  vastes  com- 
positions ;  les  idées  dogmatiques  y  prennent  corps  ;  l'abîme 
nous  montre  ses  mystères  terrifiants ,  et  le  paradis  soulève  le 
voile  qui  nous  cache  ses  féhcités. 

S'il  m'était  permis  en  face  d'une  pareille  création  ,  qui 
tantôt  éblouit  et  écrase,  tantôt  provoque  un  imperceptible 
sourire,  s'il  m'était  permis  d'émettre  un  avis,  j'aurais,  pour 
ma  part,  désiré  qu'au  sortir  de  la  Jérusalem  céleste,  Herrade 
opérât  la  clôture  de  son  étonnant  volume.  Mais  elle  tenait  en 
réserve  des  provisions,  des  trésors  de  savoir  et  d'affection 
pour  ses  jeunes  ouailles,  et  comme  elle  ne  se  piquait  point 
d'une  régularité  classique  dans  ses  compositions ,  elle  a  cru 
devoir  continuer  ses  enseignements  même  après  la  fin  du 
monde.  Les  usages  religieux  des  peuples  païens  lui  fournissent 
le  sujet  d'un  chapitre  instructif,  et  dans  un  traité  polémique 
elle  flagelle  le  clergé  séculier  de  son  temps,  pour  exalter  le 
clergé  régulier,  au  sein  duquel  s'étaient  alors  réfugiées  et  la 
foi  et  la  discipline. 

Un  calendrier  perpétuel,  avec  un  poëme  didactique,  expli- 
catif —  vrai  jeu  d'esprit ,  je  ne  veux  point  le  cacher  —  fait 
suite  à  ces  hors-d'œuvre.  Mais  le  tableau  final  rachète  ces  di- 
gressions; c'est  le  vrai  couronnement  du  jardin  des  délices. 

Je  crois  ne  pas  vous  avoir  fatigué  de  descriptions.  Monsieur  ; 
vous  me  rendrez  peut-être  cette  justice;  à  peine  si  j'ai  indi- 
qué quelques-unes  des  nombreuses  peintures  qui  illustrent  le 
texte  du  manuscrit  de  Herrade.  Maintenant  je  ne  résiste  point 
au  désir  de  vous  montrer  quelques  détails  du  feuillet  final , 
qui  représente  le  couvent  supérieur  de  Hohenbourg  :  le  Christ , 
la  Sainte-Vierge,  saint  Pierre  se  tiennent  à  l'entrée  du  cloître; 


480  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

un  peu  plus  bas,  le  duc  Etichon  s'agenouille  sur  son  man- 
teau ducal,  et  leur  offre,  par  la  présentation  d'un  sceptre 
d'or,  celte  nouvelle  maison  de  Dieu,  construite  sur  les  hau- 
teurs. Dans  la  partie  inférieure  du  tableau ,  le  duc  est  assis 
sur  un  trône  et  transmet  le  couvent  à  sa  fille  sainte  Odile, 
qui  s'avance  accompagnée  de  ses  nonnes,  et  tend  les  mains 
vers  les  clefs  symboliques  que  lui  remet  son  père.  Dans  un 
autre  compartiment  du  feuillet  sont  présentées  les  abbesses 
Relindis  et  Herrade,  avec  les  médaillons  des  quarante-six  re- 
ligieuses et  des  douze  sœurs  converses  de  Hohenbourg. 

«Blanches  fleurs ,  leur  dit  Herrade,  pures  comme  la  neige, 
«vous  qui  répandez  le  parfum  de  vos  vertus  et  qui  vous  re- 
«  posez  dans  la  contemplation  des  choses  divines,  méprisant 
«la  poussière  terrestre,  oh!  que  votre  course  soit  toujours 
«  dirigée  vers  le  ciel ,  où  vous  verrez  face  à  face  le  fiancé  en 
«ce  moment  encore  caché  à  vos  yeux  affaiblis.  » 

On  est  heureux,  au  sortir  des  visions  et  de  la  polémique  de 
Herrade ,  on  est  heureux  de  reposer  sa  pensée  sur  ce  groupe 
de  jeunes  fiancées  du  Christ ,  et  sur  cette  allocution ,  oii  la 
douceur  du  rhythme  se  marie  dans  l'original  à  la  grâce  de 
l'expression.  Mon  pauvre  calque  en  a  nécessairement  effacé  le 
charme  ;  je  n'ai  pu  échapper  au  désespoir  de  tout  interprète 
qui  cherche  à  initier  ses  auditeurs  ou  lecteurs  bénévoles  dans 
le  secret  d'une  pensée  créatrice  et  d'une  âme  de  poète.  Je  me 
résigne  de'bonne  grâce  à  être  insuffisant  et  incomplet,  et  je 
persiste  toujours,  sous  la  réserve  de  votre  approbation,  à  exa- 
miner avec  un  peu  plus  de  détails,  les  poésies  que  Herrade 
nous  a  léguées ,  en  attachant  ces  perles  comme  une  broderie 
sur  le  tissu  de  son  œuvre  érudite. 


SEIZIÈME  LETTRE.  181 


SEIZIEME  LETTRE. 


Ilcrratle  de  I>andsperg  (suite);  ses  poésies;  leur  caractère:  mépris 
du  monde.  —  Amour  du  Christ  ;  dévouement  aux  reiigleuses  de 
Holienboiir;;.  —  Caractère  historique  de  Herrade;  sa  rencontre 
avec  Sibylle,  veuve  de  Tancrède,  roi  de  Siciie. 


Monsieur, 

Les  poésies  lyriques  et  didactiques  de  Herrade  sont  écrites 
en  vers  latins  rimes  (vers  léonins).  Ceux  de  mes  lecteurs  qui 
connaissent  le  Faust  de  Gœthe ,  se  souviennent  de  la  terrible 
scène  où  Marguerite  ,  brisée  par  l'angoisse  et  le  remords,  est 
agenouillée  à  l'entrée  du  sanctuaire ,  et  entend  les  chants  d'é- 
glise qui  proclament  la  colère  divine  contre  le  pécheur.  Le 
rhythme  de  ce  chant  funèbre  leur  donnera  une  idée  de  quel- 
ques-uns des  vers  de  Herrade;  je  dis  de  quelques-uns,  car, 
Dieu  merci,  elle  produit  aussi  des  mélodies  plus  douces.  La 
rime  qui  apparaît  dans  cette  poésie  latine  du  moyen  âge,  y 
retentit  tantôt  comme  la  trompette  du  jtigement  dernier  ou 
comme  le  glas  des  funérailles,  tantôt  comme  la  douce  cloche 
des  matines  ou  comme  ces  clochettes  aériennes  des  troupeaux 
sur  les  prairies  élevées  des  Alpes.  L'hymnologie  romaine  a 
évidemment  servi  de  modèle  à  Herrade,  et  parfois  elle  égale 
ces  admirables  vers  qui  célèbrent  les  grandes  solennités  de 
l'Eglise  et  les  martyrs,  et  qui  redisent  les  ineffables  tristesses 
de  Rome,  la  cité  des  ruines.  Voilà  pour  la  forme;  quant  au 
fond,  Herrade  a  puisé  ses  inspirations  à  une  triple  source  et 
la  laisse  échapper  dans  un  triple  courant.  Le  mépris  du  monde, 
la  glorification  du  Sauveur  et  de  la  Sainte-Vierge,  l'amour 
maternel  pour  ses  jeunes  élèves  du  couvent,  voilà  les  sujets 
sur  lesquels  l'abbesse  revient  constamment  dans  ses  vers, 
à  tel  point,  que  les  exigences  modernes,  qui  réclament 
même  dans  la  poésie  lyrique  une  infinie  variété  d'intonations, 


182  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

trouveraient  la  poésie  de  Ilerrade  empreinte  d'une  uniformité 
désespérante.  J'aurais  eu  le  temps  d'y  songer  aussi,  et  de 
penser  de  même,  si  je  faisais  de  ces  compositions  ma  lecture 
habituelle  ;  mais ,  lorsqu'à  de  longs  intervalles  on  revient , 
par  choix  ou  par  hasard,  à  ces  strophes  où  la  foi  et  la  cha- 
rité du  moyen  âge  débordent  dans  toute  leur  plénitude  native, 
on  n'a  guère  ni  le  temps  ni  la  volonté  de  les  trouver  mono- 
tones ;  je  crois  môme  qu'à  la  longue  on  s'y  habituerait  volon- 
tiers ,  comme  au  son  des  cloches  et  au  tonnerre  de  la  marée 
montante. 

Ilerrade  a  lu  la  Bible,  mais  dans  la  Bible  elle  a  fait  un  choix 
pour  son  usage  domestique;  de  préférence  elle  s'est  attachée 
à  l'Ecclésiaste,  aux  Proverbes  de  Salomon,  au  Cantique  des 
Cantiques  et  à  l'Apocalypse.  L'influence  des  visions  de  saint 
Jean  se  trahit  dans  les  peintures  et  les  inventions  allégoriques 
de  Herrade.  Le  Cantique  des  Cantiques  a  laissé  son  empreinte 
dans  les  vers  qu'elle  adresse  aux  religieuses  de  Hohenbourg  ; 
l'étude  de  l'Ecclésiaste  se  remarque  dans  chaque  vers  didac- 
tique qui  sort  de  la  plume  de  Ilerrade.  Vanité  des  vanités, 
tout  est  vanité,  voilà  la  sentence  magistrale  et  le  dernier  ré- 
sultat des  méditations  de  Herrade  ;  c'est  l'alpha  et  l'oméga  de  son 
catéchisme  poétique.  Vraie  poésie  de  chartreux,  comme,  dans 
une  autre  sphère  d'idées,  celle  du  chantre  anglais  des  Nuits. 
Herrade  n'a  pour  le  monde  que  mépris  et  que  haine,  et  ces 
sentiments,  peut-être  exagérés,  mais  conformes  à  la  vie  d'un 
cloître  à  peine  régénéré  et  reconquis  sur  le  désordre,  ces  sen- 
timents ,  dis-je ,  elle  cherche  à  les  inculquer  à  ses  enfants 
d'adoption.  Dans  un  petit  poëme ,  si  l'on  peut  donner  ce  nom  à 
un  vrai  sermon  funèbre,  dans  un  poëme  intitulé  :  De  la  faiblesse 
de  la  chair,  qui  fait  tomber  l'homme  du  haut  de  l'échelle  de  la 
charité,  Herrade  jette  le  défi  au  monde  et  à  ses  pompes;  elle 
l'injurie  avec  une  joie  à  peine  contenue.  Oh  !  que  ce  cœur  a 
dû  être  ulcéré  ou  comprimé  dans  son  premier  développe- 
ment, pour  que  des  cris  aussi  désespérants  sortent  de  ses 
profondeurs  !  Écoutez-la  qui  récapitule  tous  les  maux  dont 


SEIZIÈME  LETTRE.  183 

l'homme  est  accablé;  ses  désirs  inassouvis,  sans  cesse  re- 
naissants ;  le  vice ,  le  péché ,  celte  hydre  de  Lerne  qui  le  dé- 
vore ;  la  joie,  qui  est  absorbée  par  la  tristesse,  le  rire  par  les 
larmes  ;  et  les  soucis ,  et  les  tourments  ;  et  à  côté  de  la  louange 
stupide  qui  exalte,  le  blâme  qui  tue;  et  à  côté  de  la  prospé- 
rité mensongère  qui  gonfle  le  sein,  l'afïliction  qui  brise  et  fait 
courber  la  tête.  Vierge  pure  et  au-dessus  de  toute  tentation, 
elle  ne  craint  point  de  flétrir,  devant  ces  jeunes  filles  qu'elle 
doit  préserver  pures,  elle  ne  craint  point  de  flétrir  ces  désirs 
qui  troublent ,  déchirent  et  hébèlent  l'âme  ;  elle  leur  crie  : 
«Donc,  domptez  la  chair,  si  vous  voulez  échapper  à  la  mort; 
«que  la  raison  soit  votre  souveraine  maîtresse.  Si  la  tentation 
«frappe  contre  le  rempart  de  votre  cœur,  ne  souffrez  point 
«que  la  volupté  devienne  cause  de  votre  chute;  car,  qu'est-ce 
«que  la  face  superbe  et  la  belle  chevelure,  et  la  belle  forme 
«des  membres  et  l'incarnat  des  joues?  Tout  se  flétrit,  tout 
«passe,  tout  retourne  à  la  cendre;  la  douceur  de  la  chair 
«cache  sous  son  enveloppe  le  ver  du  sépulcre....  Tout  ce  qui 
«se  produit  dans  l'orbe  du  monde,  coule  vers  la  mort;  la 
<i gloire,  la  richesse,  la  noblesse  de  la  race,  tout  ce  qui  brille 
«  et  honore ,  tout  ce  qui  embellit,  oh  !  rien  ne  peut  arrêter  la 
«  mort  ;  rien  ne  peut  racheter  la  vie  !  » 

Je  viens  de  dire  que  Herrade  s'inspirait  de  l'Ecclésiaste  ; 
j'aurais  dû  ajouter  :  et  des  prophètes  ;  tant  ces  cris  de  l'âme 
rappellent  certaines  lamentations.  — •  Il  me  semble  aussi^  par 
un  rapprochement  d'idées  involontaires,  entendre  Mathisson 
qui  proclame  sur  les  ruines  d'un  château  féodal  ces  vérités 
désolantes ,  mais  éternelles  : 

Hoheit,  Ehre,  Ruhm  und  Macht  sind  eitel^. 

Ecoutez  encore  Herrade,  qui  parle  :  «  Monde  caduc,  lu  en- 
«  lèves  tout,  tu  salis  tout,  tu  descends  sur  une  route  sombre, 
«  en  pente  rapide,  car  tu  es  loi-même  privé  de  lumière;  tu  te 

'La  grandeur,  l'honneur,  la  gloire,  la  puissance,  tout  est  vanité! 


184  ARCHIVES  DÉPARTEMEISTALES  DU  BAS-RHIN. 

«fonds  comme  la  neige  ;  tu  es  glissant,  mobile,  pernicieux  à 
((tous  ;  ceux  qui  renoncent  à  leur  bonheur,  en  te  cherchant, 
«toi  et  tes  plaisirs,  tu  les  enchaînes  par  les  délices  d'abord, 
«puis  tu  les  domptes  par  les  vices.  » 

Et  dans  ce  qui  suit  maintenant,  faut-il  n'y  voir  aussi  que  ce 
débordement  de  reproches ,  avec  lequfel  nous  sommes  déjà 
familiarisés ,  ou  bien  serait-ce  une  allusion  à  des  malheurs 
personnels  ? 

—  «Monde,  tes  fiançailles  sont  mensongères,  ton  alliance 
«est  trompeuse  ;  tu  tiens  parole  par  la  ruine  et  la  trahison  ; 
«lu  conduis  à  l'enfer.... 

—  «Souvent  tu  verdis,  tu  as  quelque  croissance;  car  le 
«printemps,  c'est  la  floraison;  mais  après  un  court  laps  de 
«  temps ,  l'Avernc  moissonne  les  fleurs.  » 

Que  penser?  A-t-elle  éprouvé  elle-même  ce  triste  revire- 
ment, cet  hiver  mortel  après  un  court  printemps?  A-t-elle, 
avant  de  prendre  le  voile ,  vu  flétrir  ses  affections  premières , 
et  se  dessécher  comme  l'herbe  des  champs?  Ou  ces  cris  de 
détresse  ne  sont-ils  que  l'écho  de  la  sagesse  de  Salomon  et  le 
fantôme  terrifiant  qu'elle  montre  à  ses  ouailles  au  delà  des 
murs  du  saint  monastère?  A-t-elle  voulu  effacer  dans  le  sou- 
venir et  le  cœur  des  saintes  filles  du  couvent  les  images  du 
bonheur  terrestre  qui  peut-être  s'y  étaient  glissées  à  la  suite 
de  l'une  de  ces  visites  de  princes  qui  de  loin  en  loin  hono- 
raient le  cloître  de  leur  présence? 

Quoi  qu'il  en  soit,  féhcitons-nous  de  la  conservation  du 
volume  dépositaire  de  pareils  accents,  confident  de  ces  larmes 
cachées  et  de  ces  éloquentes  invectives;  et  demandons-lui 
d'autres  révélations  encore  et  d'autres  préceptes  !  Herrade 
n'aurait-elle  que  des  cris  de  réprobation  ;  n'a-t-elle  pas  aussi 
des  chants  d'amour?  Après  avoir  recommandé  le  jeûne,  la 
prière  et  les  veilles,  le  mépris  des  richesses  et  de  l'amour 
charnel ,  après  avoir  montré  la  colère  et  l'omniscience  de 


SEIZIÈME  LETTRE.  185 

Dieu,  incorruptible  pour  le  pécheur,  n'a-t-elle  point  une  pa- 
role qui  rassure  ,  point  de  strophe  pour  annoncer  le  salut  au 
pécheur  repentant? 

Herrade  ne  serait  point  chrétienne  si  elle  ne  faisait  que 
menacer.  Cette  même  main  qui  a  déchire,  devant  les  nonnes 
de  Holienbourg,  le  voile  qui,  pour  la  plupart  d'entre  elles, 
cachait  sans  doute  les  turpitudes  et  les  apparences  trompeuses 
du  monde;  la  même  main  qui  a  fait  lire  chacune  de  ces  en- 
fants dans  son  propre  cœur  et  gémir  sur  sa  corruption  héré- 
ditaire, elle  a  aussi  un  baume  qui  guérit.  Voici  les  chants 
de  triomphe  qui  éclatent  en  l'honneur  de  la  naissance  du 
Christ  : 

«0  sainte  enfance  qui  as  racheté  la  vie  de  notre  race  !  ô  gé- 
«  missements  délectables  qui  nous  arrachez  aux  lamentations 
«éternelles  !  ô  langes  bienheureuses  qui  enlevez  à  notre  corps 
«la  souillure  du  péché!  ô  splendide  crèche  qui  contient  la 
a  nourriture  des  anges  !  » 

Et  dans  une  autre  hymne  sur  le  même  sujet: 

«Voici  venir  de  Sion  celui  qui  châtiera  Babel,  et  foulera 
«aux  pieds  Gabaon  et  exterminera  Ammon... 

«Il  est  né  à  Bethléhem,  celui  qui  gouvernera  Jérusalem  la 
«sainte....  Une  fleur  est  née  de  la  Vierge  et  toute  créature  se 
«réjouit,  toutes  les  lèvres  louent  le  Seigneur;  car  l'abîme  qui 
«était  béant  entre  nous  et  les  anges  s'est  fermé  ;  car  Dieu  est 
«ce  que  nous  sommes. 

« . , . .  Ce  roi  de  toute  gloire ,  revêtu  de  la  forme  d'un  esclave , 
«  a  fait  son  apparition  dans  le  siècle  ;  la  misère  sort  du  fond 
«des  cachots,  car  la  joie  de  la  jeune  mère  porte  bonheur;  ne 
«pleure  plus,  ô  Sion,  étouffe  tes  soupirs!  dépouille-toi  de 
«  ton  cilice,  revêts  tes  habits  de  fête  ! 

«....  Entendez-vous  dans  la  crèche  les  gémissements  du 
«Roi  du  monde!  la  salvation  du  peuple  vient  par  le  Fils  !  ô 
«mystère  ineffable!  voyez!  sur  le  sein  d'une  vierge  un  Dieu 


186  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

«  souffre  la  faim ,  lui  qui  est  la  nourriture  de  vie  pour  ceux 
((  qui  croient...  » 

Hélas!  je  sais  que  je  transmets  des  sons  affaiblis,  que  je 
donne  des  couleurs  ternes;  il  faut  lire  dans  l'original  même 
l'exaltation  de  cet  amour  mystique. 

Herrade ,  lorsqu'elle  s'adresse  aux  habitants  de  Hohenbourg, 
trouve  des  accents  d'une  merveilleuse  suavité.  Je  vous  ai  déjà 
prévenu  que,  dans  ces  occasions,  son  cœur  déborde  ,  qu'il  se 
laisse  aller  à  tout  l'entraînement  d'un  amour  maternel  com- 
mandé par  le  devoir,  sanctifié  par  le  ciel. 

«Salut,  cohorte  des  vierges  de  Hohenbourg  !  amantes  du 
«fils  de  Dieu,  blanches  comme  les  lis!  c'est  Herrade,  ta  mère 
«dévouée,  ta  servante  qui  t'adresse  ce  cantique;  elle  te  sa- 
«  lue,  elle  fait  des  vœux  journaliers  pour  que  tu  remportes 
«une  glorieuse  victoire  sur  les  choses  passagères...  Christ  te 
«prépare  des  noces  au  milieu  d'ineffables  délices;  attends  ce 
«prince  du  ciel  et  réserve-toi  vierge  pour  lui.  Ici,  supporte 
«  tout  ce  qui  est  âpre^  méprise  tout  ce  qui  est  prospère  ;  sois 
«ici  l'alliée  de  la  croix;  plus  tard,  tu  seras  participant  au 
«royaume  des  cieux!  Lestée  de  ta  sainteté,  navigue  au  milieu 
«de  cette  mer  orageuse,  pourvu  qu'en  sortant  du  navire,  tu 
«  occupes  Sion  la  très-sainte  ;  là,  le  roi  virginal ,  fils  de  Marie , 
«te  réclamera,  et,  dans  ses  bras,  te  relèvera  de  toute  Iris- 
âtes se!  » 

Il  faut  cesser  ;  je  ne  puis  tout  citer.  Vous  devinez ,  j'aime  à 
le  penser,  à  travers  le  voile  de  la  traduction,  les  expressions 
passionnées  du  texte  primitif.  Partout  et  toujours  dans  ces 
vers,  adressés  par  Herrade  à  la  communauté,  c'est  le  bonheur 
des  noces  célestes  opposé  au  triste  mais  passager  veuvage  sur 
la  terre;  c'est  la  promesse,  c'est  la  certitude  d'une  alliance 
éternelle  avec  le  Sauveur,  au  prix  d'un  renoncement  au  bon- 
heur d'une  famille  terrestre. 

En  lisant  avec  attention  les  vers  de  Herrade,  en  suivant  son 


SEIZIÈME  LETTRE.  187 

inspiration  dans  toutes  ses  phases,  on  est  un  peu  étonné  de 
ne  trouver  nulle  part  ce  que  nous  appellerions,  en  langage 
moderne,  une  impression  prise  dans  la  localité.  —  «Herrade 
ne  parle  donc  point  de  Hohenbourg?  mais  cela  n'est  guère 
possible!»  — Elle  en  parle,  et  vous  allez  l'entendre;  mais 
dans  celte  hymne  adressée  au  couvent,  rien  ne  rappelle  la 
poésie  descriptive  qu'aurait  faite,  à  ce  propos,  un  poète  latin 
de  la  décadence  ou  un  auteur  de  l'école  moderne. 

—  «Sur  ce  mont,  dans  une  fontaine  toujours  vive,  se  dés- 
«  altèrent  mes  brebis;  des  abeilles  pacifiques  y  font  provision 
«du  pain  de  vie;  elles  boivent  abondamment  le  clair  nectar 
«  des  écritures  ;  oh  !  qu'elles  s'y  désaltèrent!  que  cette  sainte 
«famille,  toujours  proche  du  Christ,  brûle  de  la  gloire  du 
«  célibat  !  » 

Vous  voyez,  c'est  toujours  le  retour  de  la  même  pensée  ;  on 
dirait  que  rien  du  dehors  n'a  de  prise  sur  cette  âme.  Et  ce- 
pendant les  hauts  heux,  oii  elle  réside,  ont  dû  l'inspirer, 
l'exalter;  mais  rien  chez  elle  ne  trahit  cet  amour,  cette  idolâ- 
trie presque  panthéiste  de  la  nature,  qui  fait  à  la  fois  le  bon- 
heur et  le  tourment  de  nos  poètes  contemporains. 

Sans  aucun  doute  le  grand  spectacle  des  montagnes  et  des 
forêts  a  dû  agir  sur  cette  âme  impressionnable ,  mais  à  son 
insu,  et  comme  une  musique  incomprise  agit  sur  des  esprits 
qui  ne  connaissent  point  les  règles  de  l'harmonie.  Quand  Her- 
rade, retirée  de  nuit  dans  sa  cellule,  entendait  le  vent  s'en- 
gouffrer dans  les  sapinières  sur  les  flancs  de  la  haute  mon- 
tagne, elle  se  plongeait  avec  un  double  bonheur  dans  ses 
extases  mystiques;  ou  quand,  de  jour,  ses  yeux  erraient  sur 
l'immense  plaine  rhénane  et  sur  les  ondulations  des  Vosges , 
elle  bénissait  Dieu  qui  déployait  devant  elle  et  à  ses  pieds  tant 
de  magnificences  ;  mais  l'idée  de  décrire  ce  merveilleux  aspect 
ne  lui  venait  pas,  précisément  parce  qu'elle  s'élevait  plus 
haut  et  que  les  pierres  précieuses  de  la  Jérusalem  céleste 
éclataient  pour  elle  en  couleurs  plus  merveilleuses  encore 


188  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

que  les  diamants  de  la  rosée  sur  les  prairies  des  vallons  sus- 
pendus aux  côtés  de  Hohenbourg.  —  «Voyez!  le  jaspe  à  coû- 
te leur  verte  signifie  la  vigueur  de  la  foi  qui  ne  périt  pas  et  dont 
«le  secours  prémunit  contre  les  démons.  Voyez,  le  saphir, 
«couleur  du  trône  céleste,  image  des  cœurs  simples,  etl'é- 
«  meraude ,  image  de  la  charité ,  et  la  topaze ,  rare  et  précieuse , 
«qui  reluit  d'une  couleur  dorée,  image  de  la  contempla- 
«tion.»  Voilà  les  fondements  de  Jérusalem,  voilà  pour  Her- 
rade  les  plus  belles  productions  de  la  nature,  voilà  les  seules 
descriptions  qu'elle  se  permette,  parce  que  leur  objet  rentre 
dans  la  gloriticalion  de  la  cité  de  Dieu. 

Ainsi ,  dans  toute  cette  œuvre  de  Ilerrade  rien  qui  annonce 
le  culte  du  monde  extérieur,  pas  même  dans  une  direction 
que  nous  croyons  permise;  rien  qui  annonce  le  sentiment  de 
ce  qu'en  style  moderne  on  est  convenu  d'appeler  «les  beautés 
de  la  nature»  ;  rien  de  personnel,  si  ce  n'est  l'affection  pour 
les  êtres  qu'elle  doit  aimer;  rien  d'individuel  que  quelques 
rares  cris  de  l'âme,  échappés  à  la  dérobée  et  aussitôt  com- 
primés. Mais,  dans  presque  toutes  les  strophes,  le  mépris  du 
monde  et  de  soi-même,  le  culte  de  la  Sainte-Vierge  et  de  son 
fils,  et  la  dévorante  préoccupation  du  salut  des  jeunes  récluses 
de  Hohenbourg. 

Parmi  les  Chartes  dont  je  vous  ai  tout  à  l'heure  donné  une 
analyse  succincte,  il  en  est  une  seule  qui  fait  allusion  au  ca- 
ractère de  l'abbesse ,  c'est  l'acte  émané  de  Frédéric  Barbe- 
rousse  en  1178;  il  appelle  Ilerrade,  «prudente  et  fidèle»,  et 
ces  expressions  conviennent  en  effet  si  bien  à  ce  que  nous 
pouvons  deviner  de  son  individualité,  qu'il  est  permis  d'y 
voir  autre  chose  qu'un  compliment  officiel  de  la  chancellerie 
impériale.  Herrade ,  dans  le  peu  de  circonstances  où  nous  la 
trouvons  active,  fait  preuve  en  effet  de  tact  et  de  prévoyance. 
La  fidéhté  dont  on  la  félicite  peut  s'appliquer  à  la  fois  à  son 
attachement  à  la  famille  régnante  et  au  gouvernement  inté- 
rieur du  couvent,  où  elle  maintient  et  affermit  inviolablement 
les  traditions  de  l'abbesse  Rehndis. 


SEIZIÈME  LETTRE.  189 

Les  derniers  mois  de  l'exislcnce  de  Ilerrade  sont  marqués 
par  une  scène  tragique.  En  1195,  les  portes  de  Hohcnbourg 
s'ouvrirent  pour  Sibylle ,  veuve  de  Tancréde  ,  roi  de  Sicile. 
Celte  malheureuse  princesse  arrivait  au  haut  des  Vosges ,  pri- 
sonnière, avec  ses  deux  filles  et)e  cœur  déchiré.  L'empereur 
Henri  VI  venait  de  conquérir  la  Sicile,  Tancréde  avait  péri; 
les  nobles  Siciliens,  attachés  sur  des  fauteuils  en  fer  incan- 
descents ,  avaient  expié  par  des  tortures  atroces  leur  fidélité 
au  malheur  et  au  souvenir  des  rois  normands  ;  Guillaume , 
fils  de  Tancréde  et  de  Sibylle ,  transporté  à  Ilohenems  dans  la 
Rhétie  par  les  sicaires  de  l'empereur  allemand ,  avait  eu  les 
yeux  crevés,  et  se  mourait  lentement.  Il  suffit  de  rappeler 
quelques-uns  de  ces  cruels  détails,  pour  deviner  la  tempête 
qui  agitait  le  cœur  de  la  reine  exilée,  ou  le  morne  désespoir 
qui  usait  les  derniers  ressorts  de  sa  vie. 

Je  n'ignore  point  qu'une  autre  tradition  confine  cette  in- 
fortunée dans  l'abbaye  d'Andlau.  Voici  ce  qui  me  fait  adopter 
sans  hésiter  la  variante  qui  amène  Sibylle  à  Hohenbourg.  Les 
ratfinements  de  la  cruauté  de  Henri  VI  sont  notoires  ;  jamais 
résistance  légitime  ne  fut  comprimée  par  des  mesures  aussi 
atroces  que  celles  dont  ce  souverain  usa  à  l'endroit  du  royaume 
de  Sicile;  les  tortures  morales  qu'il  infligea  froidement  à  une 
tête  couronnée  ont  entouré  le  nom  de  Richard  Gœur-de-Lion 
d'une  auréole  poétique  ;  il  est  donc  permis ,  sans  calomnier 
Henri  VI,  de  penser,  qu'ayant  pour  la  prison  de  Sibylle  le 
choix  entre  l'abbaye  d'Andlau  et  celle  de  Hohenbourg,  il  se 
décida  pour  le  séjour  le  plus  rude;  il  comptait  bien  que  l'àpre 
climat  hâterait  le  déclin  de  la  reine  dont  il  venait  de  briser  le 
cœur  maternel ,  après  avoir  renversé  le  trône  de  son  mari. 

Sans  avoir  assisté  à  la  première  entrevue  de  la  princesse 
déchue  et  de  l'illustre  abbesse  de  Hohenbourg,  sans  cher- 
cher dans  celte  rencontre  saisissante  un  effet  dramatique ,  il 
est  impossible  de  ne  point  sentir  que  le  cœur  de  Herrade, 
dont  les  derniers  jours  approchaient,  devait  à  la  vue  d'une 
aussi  grande  infortune  se  rouvrir  une  fois  encore  à  toutes  les 


190  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

sensations  déchirantes ,  et  une  fois  encore ,  sur  le  bord  de  la 
tombe ,  éprouver  ce  que  les  grandeurs  humaines  peuvent  re- 
celer de  larmes  et  de  misères.  En  serrant  dans  ses  bras  la 
pauvre  exilée,  elle  a  dû,  pour  la  relever,  lui  montrer  le  cœur 
de  Marie,  percé  d'un  glaive,  et  dans  les  cieux  enlr'ouverts  la 
palme  du  martyre. 


-c«C\9X<!/>»- 


DIX-SEPTIÈJIE  LETTRE.  191 

DIX-SEPTIÈME  LETTRE. 

Snltte  du  fonds  du  trésor  des  Chartes.  —  Explication  et  excuses  de 
l'nrcliiviste  sur  lu  luarciic  suivie  en  dernier  iieu.  —  Testament  de 
saint  Rcniy  ;  abbaye  tl'Ksciiau.  —  Ciiarte  de  IiOuis-lc-nél>onnairc. 
—  Ile  et  abiiuye  de  Beicheuau.  —  Arenenberg.  —  Embarras  crois- 
sant de  l'arcbiviste. 

Monsieur, 

Si  vous  entendiez  dire ,  si  vous  trouviez  vous-même  que  je 
m'engage  dans  une  fausse  route,  et  que  dans  mes  dernières 
lettres  je  me  suis  beaucoup  trop  étendu  sur  sainte  Odile  ou 
sur  Herrade,  il  ne  faut  me  cacher  ni  ces  impressions  ni  ce 
blâme.  11  serait  d'ailleurs  parfaitement  impossible  de  donner 
un  semblable  développement  à  chaque  document  spécial  ;  et 
cependant ,  à  mon  avis,  les  Chartes  principales ,  pour  être  es- 
timées à  leur  juste  valeur,  devraient  être  mises  en  relief  par 
un  procédé  analogue  à  celui  que  je  viens  d'employer.  Que 
pour  les  érudits  on  se  borne  à  la  reproduction  textuelle  d'une 
pancarte,  rien  de  mieux;  le  lecteur  savant  d'un  Gode  diplo- 
matique saura  faire  usage  du  document  imprimé,  sans  tra- 
duction, sans  commentaire;  mais,  pour  notre  pubhc  déjà  si 
complaisant,  ce  serait  le  moyen  le  plus  sûr  de  lui  faire  rejeter 
avec  dépit  les  colonnes  hebdomadaires  réservées  à  cette  revue 
de  nos  archives.  Il  n'y  faut  point  songer  :  une  indication  som- 
maire ne  remplirait  pas  la  tâche  que  nous  nous  donnons  dans 
ces  entretiens  ;  la  sécheresse  d'une  nomenclature  rebuterait 
nécessairement  tout  le  monde  au  bout  de  fort  peu  de  temps. 

Je  crois  donc  avoir  été  dans  le  vrai  en  prenant ,  à  titre 
d'exemple ,  deux  noms  aussi  illustres  que  ceux  de  l'abbesse 
fondatrice  et  de  l'abbesse  poêle  et  artiste  de  Hohenbourg  ;  à 
leur  endroit  j'ai  pu  me  permettre  ces  excursions  sur  le  do- 
maine de  la  critique  historique  et  littéraire.  Ces  notes  fugi- 
tives n'ont  pas  de  grande  valeur  intrinsèque,  je  ne  le  sais  que 
trop  ;  mais  peut-être  auront-elles  porté  dans  quelques  esprits 
méditatifs  la  conviction  que  ces  mêmes  documents,  élucidés 


192  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

par  un  talent  véritable ,  peuvent  acquérir  un  intérêt  dont  le 
lecteur  superficiel  ou  inexpérimenté  ne  se  doute  guère. 

Voilà  donc  le  grand  embarras  où  je  me  trouve ,  où  je  n'ai 
cessé  de  me  trouver  depuis  le  début  de  ces  entreliens  fami- 
liers avec  vous,  Monsieur,  et  avec  quelques  amateurs  de  notre 
histoire  locale  ;  la  sécheresse  ou  la  prolixité  se  sont  dressées 
comme  des  pierres  bornes ,  continues,  le  long  de  ma  route, 
et  j'ai  constamment  couru  le  danger  de  me  briser  contre  l'une 
ou  contre  l'autre.  Ce  danger  va  môme  en  croissant ,  avec 
chaque  nouvel  élan ,  sans  que  mon  ardeur  se  ralentisse  ;  je 
sens  que  l'air  me  manque ,  que  le  fardeau  que  je  porte  écrase 
mes  épaules,  sans  que  je  trouve  moyen  de  m'en  débarrasser 
dans  le  court  espace  qui  me  reste  encore  disponible.  Jugez 
plutôt  vous-même,  Monsieur,....  le  fonds  «du  trésor  des- 
Chartes  »  contient  cent  soixante-quatre  documents  sur  parche- 
min; l'armoire  des  Chartes  en  compte  quatre  cent  soixante- 
treize,  soit  un  total  de  six  cent  trente-sept  pièces  presque 
toutes  d'une  importance  majeure.  Si  je  voulais  appliquer  à 
chacune  d'elles  la  méthode  adoptée  pour  le  peu  de  Chartes 
relatives  àHerradc  de  Landspcrg,  où  cela  nous  conduirait-il? 
Si  je  n'en  parle  point  du  tout,  ou  sommairement,  je  crois 
manquer  à  mes  devoirs  d'archiviste.  Dans  cette  perplexité , 
que  faire?  Il  ne  s'agit  point  ici  de  résumer,  de  caractériser 
comme  j'ai  pu  le  faire  dans  les  séries  des  archives  civiles ,  et 
comme  je  serai  bien  obhgé  de  procéder  encore  pour  la  masse 
des  archives  ecclésiastiques.  La  nature  de  ces  titres  du  trésor 
des  Charles  ne  se  prête  pas  au  même  genre  de  généralisation; 
car  dans  ces  documents ,  émis  par  de  grands  personnages  ou 
adressés  à  des  notabilités  historiques ,  la  société  du  moyen 
âge  est  représentée  à  peu  près. dans  tous  ses  membres;  c'est ^ 
comme  je  l'ai  dit  dans  mon  premier  rapport  delS-iO  au  préfet 
du  Bas-Rhin ,  c'est  «une  vaste  pyramide  de  noms,  au  sommet 
de  laquelle  se  trouvent  : 

«Ces  deux  moitiés  de  Dieu,  le  Pape  et  l'Empereur.» 


DIX-SEPTIÈME  LETTRE.  193 

Je  sens  que  je  dois  prévenir  un  soupçon  que  vous  auriez 
quelque  droit  de  concevoir  à  mon  égard.  Vous  ne  révoquerez 
pas  en  doute  ma  bonne  foi;  mais  vous  pensez  peut-être  que 
sous  l'empire  de  mes  illusions  personnelles ,  sous  la  pression 
de  cet  amour  dont  je  semble  épris  pour  nos  vieux  titres ,  j'exa- 
gère involontairement  leur  importance.  Voici  le  parti  auquel 
je  vais  m'arrêter,  à  l'effet  de  vous  établir  juge  vous-même.  Je 
vais  ouvrir  mon  inventaire  du  trésor  des  Chartes  et  le  suivre 
pendant  quelques  pages  seulement,  sans  préméditation,  re- 
later les  Chartes  telles  qu'elles  sont  inscrites  à  la  suite  du  tes- 
tament de  sainte  Odile,  indiquer  leur  contenu  sommaire  et 
tracer,  en  quelques  contours  seulement,  le  dessin  du  tableau 
d'ensemble  que  chacune  d'elles  semblerait  réclamer  pour  être 
mise  à  sa  vraie  place  et  envisagée  dans  son  vrai  jour.  Je 
compte  obtenir  par  ce  procédé  si  simple  deux  résultats,  et 
porter  en  votre  esprit  une  double  conviction ,  savoir  :  que  la 
physionomie  de  chacun  de  ces  titres  a  bien  un  caractère  indi- 
viduel, mais  que  ce  mode  de  les  dessiner  aboutirait,  à  la 
longue,  vis-à-vis  de  vos  lecteurs,  à  une  sérieuse  indiscrétion, 
à  un  empiétement  sur  leurs  droits. 

Permettez-moi  donc,  encore  à  titre  d'épreuve,  et  à  l'appui 
de  ce  que  je  viens  de  dire ,  permettez-moi  de  copier  textuel- 
lement mon  inventaire,  en  omettant  toutefois  le  grimoire  du 
numérotage,  des  lettres  de  série  et  des  citations. 

«778.  Ides  de  mars,  deuxième  année  du  règne  de  Chaiie- 
«  magne. 

«(Copie  du)  testament  de  Saint-Remy^  évêque  de  Stras- 
«bourg,  fondateur  du  monastère  situé  dans  l'Ile  d'Eschau 
«  (Hasegaugia)  près  de  la  rivière  d'Ill,  dans  le  ban  ou  la  marche 
«de  Plobsheim  (Blabodesbaime).  En  l'honneur  de  la  Sainte- 
«  Vierge,  Saint-Remy  lègue  au  couvent  la  marche  adjacente, 
«c'est-à-dire  l'île  d'Eschau  avec  ses  édifices^  sa  basilique,  ses 
«  serfs  etc.  La  donation  se  fait  sous  la  forme  d'un  legs,  la  Sainte- 
«  Vierge  étant  instituée  héritière  de  l'évêque. 

13 


194  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

((  Le  même  acle  rappelle  la  tlonalion  que  l'évêque  fait  à  la 
«Vierge  du  petit  couvent  de  Werth  sur  la  rivière  de  l'Aar,  en 
«Argovie.  Cinq  évoques  sont  signataires  de  l'acte  ;  quarante- 
«deux  témoins  sont  énumérés.  La  copie  est  probablement  du 
«dixième  siècle. 

«Une  note  sur  parchemin  du  douzième  ou  treizième  siècle 
«est  jointe  à  l'acte  testamentaire  de  Saint-Remy  (évêque 
«de  776  à  883);  elle  relate  les  divers  faits  historiques  qui 
«  se  rattachent  à  la  fondation  et  à  la  restauration  d'Eschau , 
«sous  les  évoques  Saint-Remy,  Wicderhold  ,  Guillaume  l^^  et 
«Wetzel.  » 

Voilà  bien  le  résumé  succinct  du  titre.  A  première  vue, 
vous  devinez,  je  pense,  sous  ces  lignes  arides  la  valeur  d'un 
acte  dont  l'original  émane  d'un  prélat  alsacien  ,  parent  de 
sainte  Odile,  et  qui  nous  fait  connaître,  presqu'aux  portes  de 
Strasbourg,  la  première  origine  d'un  monastère  de  bénédic- 
tines ,  dont  la  destinée  se  trouve  mêlée  à  l'histoire  ecclésias- 
tique de  notre  province  et  finit  par  se  confondre  tout  à  fait 
avec  celle  du  grand  chapitre.  Que  faudrait-il  maintenant,  sans 
parler  de  la  reproduction  du  texte  et  de  la  traduction  com- 
plète du  titre  latin,  (jue  faudrait-il  ajouter,  pour  y  répandre 
la  vie?....  Décrire  d'abord  le  site,  vous  conduircà deux  lieues 
au  midi  de  Strasbourg,  vous  placer  en  face  de  l'église  d'Es- 
chau (jui  porte  encore  dans  l'hémicycle  extérieur  de  l'abside, 
dans  les  pilastres  en  grès  rouge,  enchâssés  dans  le  mur,  et 
surtout  dans  son  arcature  légère,  le  caractère  de  l'époque 
byzantine  ;  il  faudrait  vous  montrer,  à  l'intérieur  de  la  basi- 
lique, ces  douze  pilastres  rustiques  et  carrés,  qui  servent  de 
base  à  des  arcs  en  plein  cintre,  et  divisent  l'église  en  trois 
nefs;  enfin  au  sortir  de  l'éghse,  vous  transporter  en  pensée 
dans  les  vastes  bâtiments,  maintenant  disparus,  de  l'abbaye 
succursale  de  Sainte-Odile  ;  rappeler  l'invasion  cruelle  des 
Magyars,  qui  réduisent  en  cendre  le  pieux  asile  où  les  pe- 
tites nièces  de  la  fondatrice  de  Hohenbourg  furent  les  pre- 


DIX-SEPTIÈME  LETTRE.  195 

mièrcs  abbcsses  ;  indiquer  l'hospice  que  l'évêque  Burchard 
fonda,  en  1143,  auprès  du  monastère  relevé  de  ses  ruines  par 
Wiederliold  ;  reproduire  le  remarquable  acte  de  cette  fonda- 
tion de  charité,  près  de  l'antique  voie  romaine,  pour  les 
pauvres  pèlerins  et  les  malades  ;  et  aboutir  à  la  pompeuse 
bulle  d'Alexandre  111',  qui  confirme  en  1180  les  donations 
multipliées  faites  par  quatre  évêques  en  faveur  du  cloître 
d'Eschau.  C'est  une  curieuse  énumération,  que  celle  des  nom- 
breuses propriétés  dont  l'abbaye  jouissait  sur  les  deux  rives 
du  Rhin;  le  préambule  de  la  missive  apostolique,  et  sa  con- 
clusion, j'allais  dire  sa  péroraison,  portent  le  cachet  du  style 
à  la  fois  nerveux  et  éloquent  qui  caractérise  la  plupart  des 
bulles  émanées  du  grand  pontife  contemporain  et  vainqueur 
de  Frédéric  Barberousse.  Je  ne  veux  point  reproduire  toute 
la  Charte,  mais  suivez-moi  pendant  quelques  lignes  seule- 
ment ;  elles  justifieront  mon  dire  : 

«Alexandre,  évoque,  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu,  à 
«mes  bien-aimées  fdles  en  Jésus-Christ,  Wurtrude,  abbesse 
«du  monastère  de  Sainte-Sophie,  et  de  ses  lillcs  d'Eschau, 
«et  à  ses  sœurs  coreligieuses,  présentes  et  futures,  à  tout  ja- 
«mais. 

«  Le  siège  apostolique  doit  sa  protection  aux  vierges  sages 
«qui,  sous  l'habit  religieux  et  les  lampes  allumées^  se  pré- 
«  parent  chastement  par  des  œuvres  de  sainteté  à  marcher  au 
«devant  du  divin  époux,  afin  que  nulle  attaque  téméraire  ne 
«détourne  de  leur  dessein  ces  pieuses  filles,  et  ne  porte  au- 
«cunement  atteinte  à  l'autorité  de  la  sainte  religion.  C'est 
«pourquoi,  mes  bien-aimées  filles  en  Jésus-Christ,  notre  clé- 
«mence  accède  à  vos  justes  demandes,  et  nous  accueillons 
«  sous  la  protection  de  saint  Pierre  et  sous  la  nôtre,  la  susdite 


'  L'archiviste  a  essayé  de  faire  ce  travail,  dès  J840.  Voy.  «  L'église  d'Es- 
chau d'aujourd'hui  et  l'abbaye  d'Eschau  d'autrefois.  »  —  Cet  opuscule  ren- 
ferme, outre  la  bulle  pontificale ,  l'acte  de  fondation  de  l'hospice. 


•Î96  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

«église  à  laquelle  vous  êtes  attachées  par  les  liens  d'un  divin 
«servage....  » 

Je  passe  maintenant  l'intéressante  mais  trop  longue  série 
des  localités  attribuées  au  couvent,  et  j'arrive  à  la  fin  de  la 
bulle  : 

«....Mais  lorsque  la  mort  viendra  te  frapper,  toi,  aujour- 
«d'hui  abbesse  dudit  lieu,  ou  telle  sœur  qui  après  toi  sera 
«revêtue  de  cette  dignité,  que  le  choix  de  la  nouvelle  abbesse 
«se  fasse  sans  violence,  sans  astuce,  sans  moyens  subrep- 
«tices,  et  que  la  religieuse  élue  du  consentement  unanime 
«  de  vos  sœurs ,  ou  par  la  partie  la  plus  saine  de  votre  com- 
«munauté,  vous  gouverne  dans  la  crainte  de  Dieu  et  selon  la 
«règle  de  saint  Benoît. 

«  ....Si  à  l'avenir  quelqu'individu  séculier  ou  laïque  contre- 
«  venait  sciemment  ou  témérairement  au  contenu  delà  pré- 
«  sente  constitution,  et  si  admonesté  une  seconde  et  une  troi- 
«sième  fois  il  n'expiait  son  méfait  par  une  satisfaction  pleine 
«  et  entière  ,  qu'il  soit  déchu  de  sa  puissance  ,  de  ses  honneurs 
«et  de  son  rang,  que ,  pour  avoir  perpétré  une  telle  iniquité, 
«il  se  sache  condamné  par  le  jugement  de  Dieu... ,  et  qu'à 
«l'article  de  la  mort,  il  demeure  sans  défense  devant  la  co- 
«lère  divine.  Mais  les  défenseurs  des  droits  dudit  monastère, 
«que  la  paix  de  notre  Seigneur  Jésus-Christ  soit  avec  eux; 
«puissent-ils  recueillir  sur  terre  le  prix  de  leur  bonne  action 
«et  devant  le  juge,  armé  du  glaive,  trouver  la  paix  de  la  vie 
«  éternelle  !  Amen  !  » 

La  signature  de  douze  cardinaux  se  trouve  au  bas  de  la 
bulle  que  j'ai  forcément  tronquée. 

Cette  belle  abbaye  d'Eschau,  création  de  Remigius,  si  libé- 
ralement dotée  et  si  paternellement  protégée ,  fut  incorporée 
à  la  mense  '  épiscopale  au  moment  de  la  Réforme;  en  1617, 
le  grand  chapitre  commence  à  en  jouir.  L'Eglise  servit  de 

'   On  nppelnit  ;iinsi  le  corps  des  revenus  palrimoniiinx  de  l'évéclié. 


DIX-SEPTIÈME  LETTRE.  197 

lieu  de  sépulture  à  plus  d'un  noble  alsacien  ;  tout  récemment 
la  Société  historique  d'Alsace  est  parvenue  à  sauver  d'une 
dégradation  imminente  quelques-uns  de  ces  monuments  funé- 
raires. 

Dans  l'inventaire  du  trésor  des  Charles ,  le  testament  de 
saint  Rémy  est  suivi  du  relevé  de  cinq  documents  apparte- 
nant au  régne  de  Louis-le-Débonnaire.  Vous  vous  rappelez 
sans  aucun  doute  que  la  scène  la  plus  tragique  de  cette  époque , 
la  dépossession  de  l'empereur  par  ses  fds,  se  passe  dans  les 
campagnes  du  Haut-Rhin,  aux  environs  de  Colmar  (30  juin 
833),  et  que  l'évêque  Bernold  de  Strasbourg  était  intervenu 
dans  la  négociation  infructueuse  qui  avait  précédé  l'acte  de 
trahison.  Indépendamment  de  l'intérêt  humain  qu'inspire  cet 
événement ,  nos  souvenirs  locaux  nous  portent  à  examiner  avec 
attention  toute  pièce  émanée  du  faible  et  malheureux  souve- 
rain, que  l'on  a  bien  à  tort  comparé  à  Saint-Louis,  si  pieux 
mais  aussi  très-énergique.  Des  cinq  Chartes  du  Débonnaire, 
conservées  dans  nos  archives ,  deux  se  rapportent  presqu'à 
l'époque  de  son  avènement,  une  seule  est  postérieure  à  la  dé- 
fection accomplie  dans  le  «champ  du  mensonge.  »  Mon  inven- 
taire du  «trésor  des  Chartes»  porte  ce  qui  suit: 

«816,  19^  jour  avant  les  kalendes  de  janvier. 

«Confirmation  par  l'empereur  Louis  du  privilège  de  l'ab- 
«baye  de  Reichenau  {Sintleozesavia ,  plus  tard  Augia  dives) 
«dans  le  duché  d'AUémanie  et  dans  le  lac  inférieur  de  Cons- 
«  tance,  en  faveur  de  Heiton  (Heddon,  Eddon),  évêque  de 
«Bàle  et  abbé  de  Reichenau  —  point  de  sigillé  —  document 
«  détérioré.  » 

Cet  acte,  daté  d'Aix-la-Chapelle,  a  été  édité  par  Schœpflin 
et  par  Grandidier;  l'intérêt  qu'il  inspire  ne  réside  donc  point 
dans  sa  nouveauté,  mais  dans  la  localité  dont  il  rappelle  la 
juridiction  et  les  franchises  en  fait  d'élections  abbatiales. 

Il  s'agirait  donc,  comme  pour  les  Chartes  d'Eschau,  de 


198  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

dire  au  lecteur  ce  qu'était  cette  opulente  abbaye  de  Reiche- 
nau,  dont  le  supérieur  spirituel  et  temporel  pouvait,  à  ce 
que  l'on  assure,  voyager  de  Constance  à  Rome,  et  trouver 
chaque  soir ,  pendant  ce  long  pèlerinage ,  un  gîte  sur  l'une 
des  dépendances  du  monastère.  Il  faudrait  remonter  à  Charles 
Martel,  premier  donateur,  et  à  saint  Pirmin  d'Ecosse,  premier 
fondateur  du  couvent,  dans  cet  îlot  concédé  par  le  noble 
Sintlaz;  il  faudrait  rappeler  toutes  les  libéralités  des  Carlovin- 
giens,  et  les  missions  de  confiance  que  lïeddon,  le  principal 
donataire,  avait  remplies  à  Byzance  au  nom  deCharlemagne  ; 
faire  assister  le  lecteur  aux  derniers  instants  de  l'empereur 
Charles-le-Gros,  qui,  destitué,  vient  se  réfugier  et  mourir 
obscurément  dans  cet  asile,  doté  par  ses  illustres  aïeux  et 
par  lui-même  (888)  ;  d'écrire ,  à  l'aide  de  la  belle  monographie 
récemment  éditée  par  la  Société  archéologique  de  Bade,  les 
cinq  basiliques  romanes,  les  chapelles,  la  demeure  abbatiale, 
la  bibliothèque^  l'école,  l'hospice,  tous  ces  établissements 
de  piété  et  de  haute  science  élevés  dans  ce  site  pittoresque  ; 
il  faudrait,  sur  tous  les  points  de  l'horizon,  dérouler  le  ma- 
gnifique panorama  qui  forme  autour  de  l'île  un  cadre  in- 
comparable ;  ces  deux  lacs ,  aux  rives  si  variées;  l'un  restreint, 
pacifique,  à  peine  ridé  par  les  vents;  l'autre  large  comme 
un  golfe  de  la  Méditerranée  et  souvent  troublé  par  les  orages  ; 
à  l'occident  les  cimes  basaltiques  du  Ilœhgau,  couronnées 
de  leurs  châteaux  forts,  dont  chacun  a  sa  chronique  ou  sa  lé- 
gende; à  l'est,  au  delà  de  l'île  de  Mcinau,  les  coteaux  de  la 
Souabe,  au  midi  les  riches  collines  de  la  Thurgovie,  et  au 
fond  du  tableau  les  cimes  alpestres  d'Appenzell,  du  Vorarl- 
berg  et  du  Tyrol.  Étonnante  réunion  de  sites  gracieux  et  de 
majestueuses  perspectives  !  contrastes  partout  où  l'œil  s'ar- 
rête un  instant,  partout  où  l'imagination  promène  son  vol, 
partout  où  la  pensée  évoque  les  souvenirs  !  Les  abbés-princes, 
en  rapport  avec  leurs  collègues  de  Saint-Gall,  avec  les  prélats 
de  Constance,  de  Bàle,  de  Strasbourg,  avec  l'Allemagne ,  avec 
l'Italie,  favorisant  les  fortes  études  théologiques  et  littéraires 


DIX-SEPTIÈME  LETTRE.  199 

clans  ces  murs  cachés  au  milieu  des  vergers  et  des  vignes,  en- 
veloppés des  eaux  dormantes  du  lac ,  et  garantis  par  celte 
barrière  contre  les  bruits  importuns  du  monde;  de  précieux 
manuscrits,  des  joyaux,  dons  des  empereurs  et  des  rois, 
amassés  dans  le  trésor  du  monastère  ;  de  savants  missionnaires 
sortant  de  cet  asile  pour  régénérer  les  études  dans  les  églises 
d'Alsace  et  de  Souabe;  puis,  comme  toujours  et  partout, 
après  un  beau  temps  de  floraison  intellectuelle  et  matérielle, 
le  déclin  du  couvent ,  de  l'école ,  du  culte  ;  l'incorporation  de 
Reichenau  avec  Constance  (1538);  puis  une  nouvelle  vie  in- 
fusée dans  ce  vieux  corps  ;  au  bout  de  deux  siècles  et  demi 
les  armées  de  la  République  française  déroulant  leurs  irrésis- 
tibles bataillons  sur  les  rives  du  lac ,  la  solitude  de  Reichenau 
envahie  par  la  forte  marée  qui  signale  le  dix-huitième  siècle  à 
son  déclin  et  le  dix-neuvième  à  son  aurore;  enfin,  après  quel- 
ques lustres,  l'une  des  victimes  les  plus  touchantes  du  grand 
naufrage  napoléonien  venant  se  réfugier  sur  les  bords  de  ce 
même  lac,  en  face  du  monastère  carlovingien. 

Précisément  à  mille  ans  de  distance,  quelle  tragique  anti- 
thèse! En  817,  le  fils  de  Charlemagne,  créant,  consohdant 
l'asile  des  sciencres,  des  lettres  et  de  la  prière  dans  ce  silen- 
cieux îlot  d'un  lac  allémanique  ;  et  peu  d'années  après  Water- 
loo ,  la  fille  adoptive  de  Napoléon  Jer,  la  mère  de  Napoléon  III, 
cachant  son  diadème  de  reine,  au  milieu  des  bosquets  et  des 
fleurs,  dans  un  chalet  suisse,  ancienne  dépendance  de  l'ab- 
baye où  vint  s'éteindre  l'un  des  derniers  rejetons  du  grand 
empereur  d'Occident.  Que  de  fois  un  jeune  exilé  n'a-t-il  pas 
dû  prendre  terre,  avec  sa  barque,  dans  l'une  des  anses  de 
celte  île  aux  vieilles  basiliques ,  alors  peu  visitée,  • —  vrai  frag- 
ment de  l'Aventin ,  enlevé  à  la  Rome  du  moyen  âge  —  que 
de  fois  n'a-t-il  pas  dû  penser  aux  grandeurs  déchues  qui 
dorment  sous  ces  voûtes  byzantines,  et  méditer  sur  les  causes 
qui  font  perdre  et  gagner  des  empires  ! 

Descendons  de  ces  hauteurs  de  l'histoire  passée  et  de  l'his- 
toire contemporaine,  pour  reprendre,  très-prosaïquement  le 


200  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

fil  de  l'inventaire,  et  plus  spécialement  l'énumération  des 
Chartes  carlovingiennes  : 

«A.  817,  28  août.  —  Aix-la-Chapelle. 

((Confirmation  faite  par  Louis-le-Débonnaire  à  l'évêque 
«  Adeloch  de  Strasbourg-  de  la  possession  d'un  district  situé 
«  dans  le  val  de  la  Bruche.  » 

Ce  document  nécessiterait ,  pour  être  éclairci ,  une  notice 
biographique  sur  l'évêque  Adeloch,  dont  le  remarquable  mo- 
nument funèbre  se  trouve  non  loin  de  celui  du  maréchal  de 
Saxe  dans  le  chœur  de  l'église  de  Saint-Thomas  ;  il  faudrait 
aussi  spécifier  les  localités  mentionnées  dans  la  donation  car- 
lovingienne  qui  constitue  une  belle  partie  du  domaine  épisco- 
pal  de  Strasbourg  ' ,  et  confronter  les  noms  du  moyen  âge 
avec  la  dénomination  des  communes  modernes,  situées  à 
l'entrée  du  val  de  la  Bruche  ;  mais  passons  outre  : 

«Confirmation  d'un  échange  fait  entre  Bernold,  évêque  de 
«Strasbourg,  et  le  comte  Erchingar  du  Nordgau.))  —  Cette 
Charte  de  ,Louis-!e -Débonnaire  est  datée  de  Francfort,  la 
dixième  année  de  son  règne  (824)  ;  elle  est  d'une  bonne  con- 
servation ,  avec  un  beau  sigillé  impérial,  empreinte  évidente 
d'un  camée  antique. 

Ici ,  il  y  aurait  nécessité  ou  du  moins  opportunité  de  donner 
quelques  notes  sur  l'existence  des  puissants  comtes  du  Nord- 
gau ,  c'est-à-dire  de  l'Alsace  inférieure,  et  sur  les  localités, 
objet  de  l'échange  ;  mais  je  poursuis  à  la  hâte  ma  tâche  in- 
grate : 

«  Déclaration  émise  par  Louis-le-Débonnaire,  portant:  que 
«  les  hommes  de  l'Église  de  Strasbourg  sont  affranchis  de 
«tout  péage,  par  terre  et  par  mer,  dans  toute  l'étendue  de 
«  l'empire  ;  cette  immunité  est  accordée  sur  la  demande  de 
«Bernold,  évêque  de  Strasbourg;  elle  porte  la  date  d'ingel- 
«heim  près  Mayence,  a.  831 ,  8  juin.  » 

Ici,  à  la  rigueur,  la  valeur  de  l'acte  résulte  de  ce  simple 

'  Yoy.  leure  ciouzième,  la  partie  coiiceniaul  le  bailliage  de  Schirmeck.. 


DIX-SEPTIÈME  LETTRE.  201 

énoncé,  qui  implique  à  la  fois  la  grande  considération  dont 
l'cvèque  Bcrnold  jouissait  auprès  de  l'empereur  et  la  richesse 
de  la  jeune  ville  épiscopale,  dont  les  habitants  exerçaient 
déjà  au  neuvième  siècle  un  commerce  extérieur  assez  impor- 
tant pour  motiver  la  munificence  de  Louis-le-Pieux. 

Vous  devez  commencer  à  êlre  à  la  fois  convaincu  de  mon 
assertion  première  et  fatigué  de  cette  énumération  qui ,  pour 
être  la  plus  abrégée  possible,  ne  nous  amènerait  pas  moins 
à  entreprendre  une  tache  infinie.  Vous  comprendrez,  j'en 
suis  sûr,  qu'au  moment  de  ma  première  entrée  au  milieu  de 
ces  boîtes  et  de  ces  cartons  si  bien  garnis ,  mon  embarras  ait 
été  celui  d'un  artiste  à  la  fois  enthousiaste  et  inexpérimenté 
qui,  avant  l'invention  de  la  photographie,  se  serait  trouvé 
jeté,  un  beau  matin,  au  milieu  des  palais  ruinés  de  Thèbes 
et  aurait  essayé,  sans  choix  ni  mesure,  de  reproduire  non- 
seulement  ces  avenues  de  sphinx  et  d'obélisques ,  ces  colon- 
nades infinies  ,  mais  les  mille  détails  de  leur  architecture  et 
les  peintures  murales  et  les  hiéroglyphes  qui  couvrent  les 
obélisques.  Le  malheureux  aurait  pris,  quitté,  repris  pour 
les  rejeter  encore  ses  crayons  impuissants  ,  jusqu'à  ce  que  le 
jour  se  fût  fait  dans  son  esprit  et  qu'il  eût  modestement  arrêté 
les  limites  rationnelles  dans  lesquelles  il  se  serait  résigné  à 
travailler  et  à  reproduire  les  mille  et  une  merveilles  qui  l'ac- 
cablaient. Mon  point  de  comparaison  n'est  ni  prétentieux  ni 
inexact,  veuillez  en  être  bien  convaincu;  l'infini  du  champ  de 
la  science  a  de  fout  temps  fait  le  désespoir  du  travailleur  sé- 
rieux, et  ce  qui  est  vrai  pour  l'exploration  érudite,  l'est  bien 
davantage  encore  pour  une  reproduction  éclectique,  c'est-à- 
dire  pour  l'entreprise  que  nous  faisons  en  commun  ,  vous  et 
moi.  Monsieur;  établir  un  choix  juste  et  rigoureux,  pour  un 
espace  très-restreint,  dans  un  amas  pareil  de  documents, 
c'est  de  toute  manière  se  résigner  à  l'alternative  et  au  blâme 
d'être  reste  en  deçà  de  la  juste  limite  ou  de  l'avoir  dépassée. 


202  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 


DIX-HUITIEME  LETTRE. 

Suite  du  trésor  des  Chartes.  —  Voyage  des  Chartes  carlovinglennes 
à  Paris.  -  In  droit  de  citasse  accordé  par  Henri-Ie-Saint  à  l'évèque 
n  erinliar.  —  ï'orniation  du  domaine  épiscopal.  —  Cuirbailen.  — 
Charles    IV    aiu    mont    Sainte-Odile;   l'enlèvement   de   l'avaut-bras 

droit  de  la  sainte.  —  li'évêque  Ouillaume  de  Diest. Traité  contre 

les  Armagnacs i,es  fêtes  de  Outcubcrg. 

Monsieur , 

Les  Charles  carloviiigienncs  dont  j'ai  reproduit  le  contenu 
sommaire  dans  ma  dernière  lettre  ont  eu,  il  y  a  cinq  ans, 
l'honneur  d'un  voyage  à  Paris;  Son  Excellence  le  ministre  de 
l'instruction  publique  en  avait  réclamé  la  délivrance  tempo- 
raire, pour  les  communiquer  à  l'Académie  des  inscriptions 
qui  devait  en  prendre  une  copie  destinée  à  la  collection  des 
diplômes  royaux.  Dans  sa  sollicitude  pour  notre  précieuse 
collection,  M.  Migneret,  préfet  du  Bas-Rhin ,  a  vouhi  lui- 
même  emporter  nos  Chartes  abritées  dans  leurs  boîtes  ,  et  il 
a  eu  soin  de  les  faire  réintégrer  le  plus  tôt  possible  dans  notre 
dépôt. 

J'ai  salué  le  retour  de  ces  documents  avec  un  sentiment 
analogue  à  celui  qu'a  dû  éj)rouver  le  savant  bibliothécaire 
de  la  ville  de  Strasbourg ,  lorsque  l'inappréciable  manuscrit 
du  (L  Jardin  des  délices))  lui  est  revenu  de  la  capitale,  oii  il 
avait  séjourné  pendant  plusieurs  années  pour  servir  à  l'illus- 
tration de  l'ouvrage  de  M.  de  Bastard. 

Quoique  ces  documents  carlovingiens  soient  les  plus  an- 
ciens de  notre  trésor  des  Charles ,  et  que  leur  authenticité 
ne  puisse  être  révoquée  en  doute,  il  existe  à  leur  suite  plus 
d'un  parchemin  moins  ancien  d'une  valeur  égale  ,  peut-être 
supérieure  ;  j'en  ai  traduit  et  commenté  quelques-uns,  à  une 
époque  déjà  bien  loin  de  nous  ;  cette  dernière  circonstance 
m'enhardit  non  pas  à  les  reproduire ,  mais  à  les  citer  par- 
tiellement; je  ne  risque  rien  en  me  faisant  mon  propre  pla- 


DIX-IIUITIÈME  LETTRE.  203 

giaire;  tout  au  plus  si  quelques  amis  personnels  ou  quelques 
amateurs  de  ce  genre  de  publications  se  souviennent  de  ces 
essais. 

1!  en  est  jusqu'à  trois  que  je  ponn-ais  nommer. 

Parmi  les  Chartes  publiées  dès  les  premiers  temps  de  mon 
séjour  aux  archives  se  trouve  «  un  droit  de  chasse  accorder 
par  l'empereur  Henri-le-Saint  à  révêqueWerinhar»  (an  1017) 
et  le  mandement  de  l'évêque  Conrad  de  Lichtenberg  prescri- 
vant des  collectes  pour  la  construction  de  la  façade  de  la  Ca- 
thédrale (1275).  Je  me  suis  senti,  dès  l'abord,  poussé  par  une 
admiration  instinctive  vers  les  grandes  figures  de  ces  deux 
évêques ,  et  mon  sentiment  sympathique  ne  s'est  pas  amoin- 
dri depuis  ce  temps  heureux  d'un  premier  entraînement  et 
d'une  première  découverte.  Ce  sont  deux  caractères  d'une 
taille  peu  commune  ;  il  y  a  en  eux  quelque  chose  du  type  ro- 
main ,  et  s'ils  ne  sont  pas  conformes  à  l'idéal  que  nous  nous 
faisons  de  nos  jours  d'un  prélat  pacifique,  pasteur  de  l'église 
et  non  pas  conquérant  de  territoires  et  de  sujets ,  Werner  et 
Conrad  désarment  toute  critique  par  la  réflexion  toute  simple 
qu'ils  étaient  les  enfants ,  les  produits  de  leur  siècle ,  d'un 
siècle  guerrier ,  disposé  à  admirer  ,  dans  un  prince  de  l'Église, 
les  qualités  ou  les  hautes  facultés  que  l'on  désire  rencontrer, 
ou  que  l'on  admire  aujourd'hui  dans  les  monarques  absolus 
ou  constitutionnels. 

Quoiqu'ils  aient  vécu  à  près  de  trois  siècles  de  distance 
l'un  de  l'autre,  les  deux  évêques  ont  dans  toute  leur  destinée, 
dans  le  moule  de  leur  esprit  et  de  leur  caractère ,  tant  de 
rapports,  tant  d'analogies,  que  le  parallélisme  entre  eux  se 
présente  de  lui-même,  à  l'examen  le  plus  superficiel.  Ils  des- 
cendent, l'un  et  l'autre  ,  d'une  noble  famille;  ils  ont,  l'un  et 
l'autre,  un  empereur  d'Allemagne  pour  ami;  Werinhar  est 
le  confident ,  le  directeur  spirituel  de  Henri  II  ;  Conrad  de 
Lichtenberg  donne  la  main  à  Rodolphe  de  Habsbourg  ;  l'un 
et  l'autre  courent  les  chances  des  combats  ;  ils  meurent,  tous 


204  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

deux,  d'une  manière  anormale;  l'un,  mystérieusement,  en 
Orient,  dans  une  île  de  la  Propontide  ;  l'autre,  de  la  main 
d'un  ennemi ,  sous  les  murs  de  Fribourg  ;  enfin  coïncidence 
plus  frappante  encore!  Werinhar  construit  la  partie  byzan- 
tine de  Notre-Dame  de  Strasbourg ,  Conrad  de  Lichtenberg 
fait  élever  le  grand  portail  ogival  de  celte  église.  Ils  sont 
aussi ,  l'un  et  l'autre ,  représentés  dans  notre  collection  par 
de  remarquables  documents  qui  perpétuent  leur  souvenir  par 
l'expression  de  la  pensée  écrite  ,  comme  Notre-Dame  de  Stras- 
bourg immortalise  le  nom  de  tous  les  deux  dans  ses  pierres 
monumentales. 

«  Le  droit  de  chasse  » ,  accordé  à  Werinhar  sur  la  demande 
de  l'impératrice  Cunégonde,  par  l'empereur  Henri-le-Saint, 
est  indirectement  un  témoignage  parlant  de  l'énergique  acti- 
vité qui  dévorait  l'évêque  batailleur.  Werinhar  se  délassait 
des  soucis  de  sa  haute  position  dans  les  exercices  violents, 
images  de  la  guerre.  Le  vaste  territoire,  concédé  par  l'em- 
pereur, foruiail  un  quadrilatère,  qui  embrassait  toute  une 
partie  de  la  moyenne  Alsace ,  comprise  entre  le  Rhin  et  les 
Vosges,  depuis  la  foret  de  Haguenau  jusqu'à  une  ligne  de 
démarcation,  au  midi  deBenfeld'.  C'était  un  district  forestier, 
livré  aux  ébats  du  prince  et  de  sa  cour,  qui  trouvait,  dans 
cette  immense  plaine,  l'ours,  dont  la  race  est  depuis  long- 
temps éteinte  dans  notre  pays,  et  des  troupeaux  de  cerfs  et 
de  sangliers.  Mais  ce  n'étaient  là  que  des  délassements.  We- 
linhar  était  mêlé  à  la  haute  politique  de  son  temps;  il  aug- 
mentait la  fortune  de  l'évèché.  Saint-Etienne  de  Strasbourg 
lui  était  livré  par  son  royal  ami  (voy.  une  Charte  de  donation 
de  l'an  1003);  son  nom  glorieux  était  répandu  dans  toute 
l'Allémanie,  dans  toute  l'Helvétie;  il  avait  porté  ses  armes 
sur  plus  d'un  point  de  ces  régions  et  avait  siégé,  quelquefois 
comme  président,  dans  les  diètes  de  l'Empire;  il  ne  s'était 

'Voy.  pour  plus  de  détails,  la  Charte  publiée  en  1840  par  l'archivisle, 
sous  le  litre  de  :  Un  droit  de  chasse  accordé  par  Henri  11. 


DIX-IIUITIÈMR  LETTRE.  205 

point  borné  à  faire  creuser  et  établir  les  fondations  souter- 
raines de  la  Cathédrale,  œuvre  de  géants,  digne  de  la  har- 
diesse de  l'architeclLire  antique  ;  comme  promoteur  de  la 
construction  du  château  de  Habsbourg,  il  jetait  les  premières 
assises  de  la  grandeur  de  cette  maison,  dont  les  représentants 
allaient,  deux  siècles  et  demi  plus  tard,  occuper  le  premier 
trône  de  la  chrétienté.  Mais  après  tant  de  gloire ,  quel  triste 
exemple  aussi  de  l'inconstance  des  destinées  humaines  !  We- 
rinhar,  disgracié  sous  l'empereur  Gonrad-le-Salique,  part, 
exilé,  malgré  les  dehors  li'ompeurs  d'une  éclatante  ambas- 
sade ;  ses  pressentiments  secrets  ne  le  trompent  pas  ;  il 
mourra,  empoisonné,  non  loin  deByzance:  il  ne  reposera 
point  sous  les  voûtes  de  cette  majestueuse  basihque  dont  il  a 
été  le  premier  ,  le  véritable  fondateur. 

Conrad  de  Lichtenberg,  du  moins,  fut  enterré  dans  l'inté- 
rieur de  la  Cathédrale  (en  1300),  et  son  épitaphe,  dans  la 
chapelle  de  Saint-Jean,  porte  «qu'il  avait  brillé  en  toutes 
((  sortes  de  qualités  qui  sont  requises  pour  un  homme  du 
((  monde,  et  qu'il  n'avait  point  eu  son  pareiP.  »  Cette  inscrip- 
tion funéraire  est  le  plus  bel  éloge  qui ,  dans  l'esprit  des 
contemporains,  pût  être  fait  d'un  prélat,  destiné  à  gouver- 
ner de  vastes  domaines^  et  à  vivre,  le  glaive  en  main,  sur 
les  marches  d'un  trône  dont  il  avait  été  le  plus  ferme  sou- 
tien au  sortir  de  l'anarchique  interrègne. 

Beaucoup  de  Chartes  épiscopales,  prenant  date  dans  la  pé- 
riode bi-séculaire  entre  Werinhar  et  Conrad,  peuvent  servir 
à  constater  le  lent  mais  incessant  agrandissement  du  domaine 
temporel  de  l'évêché.  On  a  vu,  dans  la  formation  de  ce  beau 
patrimoine,  se  produire  les  mômes  faits  qui  constituent  les 
grandes  fortunes  privées,  lorsque  celles-ci  sont  destinées  à 
être  solides  et  durables.  Ce  n'est  point  d'une  seule  fois  que 
s'est  constitué  le  territoire  épiscopal,  tel  que  nous  l'avons 

'  Voy.  !a  Charte  ou  circulaire  ép/scopale  de  Conrad  de  Liclilcnberg,  éditée 
par  l'arcliiviste  en  1842. 


200  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

VU  dans  son  ensemble  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle  '  ; 
c'est  pierre  par  pierre  qu'ont  été  construits  les  murs  de  ce 
vaste  édifice;  à  l'exception  de  quelques  grands  coups  de  for- 
tune, c'est  château  par  château,  village  par  village,  ferme 
par  ferme  que  le  domaine  s'accroît;  on  dirait  que  sur  le  fon- 
dement de  granit  jeté  par  les  Dagobert  et  par  les  premiers 
Carlovingiens  viennent  se  poser,  par  couches  très-minces, 
les  terres  d'alluvion  successives.  S'il  était  encore  possible 
d'entrer  en  quclcjues  détails ,  je  vous  signalerais  les  Chartes 
qui  constatent  l'acquisition  du  magnifique  château  de  Guir- 
baden  par  l'évoque  Berthold  de  Teck  —  nous  possédons  une 
bulle  de  Grégoire  IX,  qui  confirme  cette  acquisition  (1227) 
—  et  un  traité  conclu  entre  le  môme  évêque  et  Frédéric  de 
Linange  (1239),  acte  par  lequel  ce  seigneur  concède  au  pré- 
lat tous  ses  droits  sur  les  fermes  du  val  de  la  Bruche  et  sur  le 
colossal  château  qui  domine  l'entrée  de  la  vallée.  Quelle  ten- 
tative de  faire  ,  ne  serait-ce  ([u'cii  (pielques  lignes,  l'analyse 
de  ces  documents,  constatant  l'acquisition  de  cette  imposante 
forteresse  par  l'évèché  ! 

Après  Conrad  de  Lichtenberg,  le  fait  le  plus  marquant 
dans  cette  progressive  accumulation  de  terres  entre  les  mains 
de  l'évoque  de  Strasbourg,  c'est  bien  certainement  la  vente 
du  landgraviat  d'Alsace,  par  les  comtes  d'Œttingen,  à  l'un 
des  descendants  collatéraux  de  Conrad ,  à  Jean  de  Lichten- 
berg (13o8-1359).  Au  miheu  des  désastres  publics  qui  si- 
gnalent le  gouvernement  temporel  de  ce  malheureux  et  excel- 
lent prélat,  il  y  avait  au  moins  lieu  de  se  féliciter  de  ce  coup 
de  filet  ;  nos  archives  contiennent,  au  trésor  des  Chartes ,  une 
série  d'actes  et  de  quittances  qui  constatent  cette  précieuse 
acquisition. 

A  peu  près  à  la  même  époque  a  eu  lieu  un  incident  d'une 
tout  autre  nature ,  et  qui  nous  ramène  un  moment  encore 
sur  le  petit  plateau  de  Hohenbourg  où  je  vous  ai  arrêté  bien 

'  Voy.  lellres  H  et  12. 


DIX-IIUITIÈME  LETTRE.  207 

longtemps,  il  y  a  quelques  semaines.  Que  scrail-ce,  si  j'avais 
mes  coudées  franches;  car  les  privilèges  impériaux,  conférés 
au  couvent  de  Sainte-Odile,  et  les  actes  de  propriété  quelque- 
fois très-curieux  qui  ont  trait  à  cet  asile  de  Herradede  Lands- 
perg- abondent  dans  notre  dépôt.  A  présent  je  veux  seulement 
rappeler  la  visite  que  fit  au  monastère  de  la  montagne  celti- 
que, en  mai  1354-,  l'emperem^  Charles  IV.  Cette  tournée, 
dans  la  saison  des  fleurs,  était  tout  intéressée,  bien  diffé- 
rente de  celle  que  Frédéric  Barberousse  avait  faite  en  plein 
hiver ,  à  travers  neige  et  glace ,  sur  les  mômes  hauteurs. 
Charles  IV,  dans  un  but  égoïste,  auquel  je  ne  trouve  aucune 
excuse,  fit  ouvrir  le  sépulcre  de  sainte  Odile,  enleva  l'avant- 
bras  droit  de  la  sainte,  et  fit  transporter  cette  rehque  dans 
lune  des  églises  de  sa  résidence  favorite  de  Prague.  Un  do- 
cument de  notre  fonds  épiscopal  *  constate  cet  acte,  ou  plu- 
tôt cette  spoliafion,  pour  nommer  la  chose  par  son  vrai  nom. 
C'est  une  espèce  de  procès-verbal  solennel,  dressé  à  cette  oc- 
casion, «en  présence  de  Jean  de  Lichtonberg-,  évêque  de 
«Strasbourg,  et  de  Jean,  évêque  d'Ollmùtz,  d'Agnèse,  ab- 
«besse  de  Ilohenbourg,  et  d'une  foule  de  prélats  et  de  per- 
«  sonnes  ecclésiastiques  et  dévotes.  » 

La  violation  du  sépulcre  eut  lieu  avec  le  consentement  de 
l'abbesse,  le  4  mai  1354;  la  rédaction  de  l'acte  est  du  8  du 
même  mois,  datée  de  Schlestadt,  et  signée  par  le  chancelier 
impérial ,  Rodolphe  de  Friedeberg-.  Défense  est  faite ,  sous 
peine  d'excommunication,  de  rouvrir  la  tombe  et  d'emporter 
quelque  fragment  des  membres  de  la  sainte,  dont  le  corps 
avait  été  trouvé  intact.  C'était  une  inqualifiable  impudence 
que  cette  interdiction  émanant  du  spoliateur  lui-même;  mais 
rien  ne  doit  étonner  de  la  part  d'un  prince  qui  avait  acheté 
la  couronne  impériale  à  prix  d'or,  empoisonné  son  noble  et 
généreux  antagoniste ,  Gûnther  de  Schwarzbourg,  épousé  une 

'  Voy.  L'avant-bras  droit  de  sainte  Odile.  Charte  publiée  par  l'arcliiviste 
en  1840. 


208  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

princesse  palatine  uniquement  pour  se  rendre  favorable  un 
des  grands  dignitaires  de  l'Empire,  vendu  à  l'encan  les  gran- 
des charges  et  les  lettres  de  noblesse ,  violé  toutes  les  pro- 
messes faites  aux  grands  et  aux  petits ,  trompé  en  Italie  les 
blancs  et  les  noirs,  les  Guelphes  et  les  Gibelins,  engagé  les 
biens  domaniaux  de  l'Empire ,  et  fermé  l'oreille  aux  cris  jetés 
par  les  juifs  que  l'on  massacrait  impunément  sur  tous  les 
points  de  la  Germanie.  —  Pour  arriver  au  munt  Sainte-Odile, 
n'avait-il  pas,  en  traversant  Strasbourg,  côtoyé  le  cimetière 
encore  fumant  des  israéliles  de  Strasbourg?  Et  cependant  il 
était  ou  se  disait  le  fils  du  chevaleresque  Jean  de  Luxem- 
bourg, qui  mourut  si  noblement  pour  la  France  sur  le 
champ  de  bataille  de  Crécy;  mais  Charles  IV  était  aussi,  et 
bien  certainement,  le  i)ère  de  l'ivrogne  Wenceslas. 

D'un  mauvais  empereur  à  un  évêque  mal  famé  il  n'y  a  qu'un 
pas,  quoique  Charles  IV  et  Guillaume  de  Diest  soient  séparés 
par  une  vingtaine  d'années  *. 

La  place  de  Guillaume  de  Diest  est  marquée  d'un  point 
noir  dans  la  série  chronologique  de  nos  prélats  ;  non  qu'il  ait 
été  un  homme  précisément  méchant;  mais,  à  force  d'être 
prodigue  des  biens  de  l'évèché ,  son  laisser-aller  a  produit 
des  maux  incalculables ,  et  appelé  sur  son  nom  l'animadver- 
sion ,  comme  aurait  pu  le  faire  le  tyran  le  plus  mal  famé. 
Quoi  qu'il  en  soit,  son  caractère  a  plutôt  été  rembruni  :  on  a 
chai'gé  sa  mémoire  de  méfaits  plus  nombreux  qu'il  n'en  a 
commis  en  réalité.  Aussi  longtemps  qu'on  se  bornera  à  blâmer 
cet  évêque  qui  nous  est  venu  de  la  Néerlande,  à  propos  des 
dettes  infinies  qu'il  a  contractées,  des  aliénations  et  des  en- 
gagements des  biens  de  l'évèché ,  il  faudra  bien  passer  con- 
damnation sur  son  compte  ;  mais  lorsque  l'acte  d'accusation 
porte  sur  un  crime  de  lèse-pairie,  de  haute  trahison,  le  de- 
voir de  l'historien   impartial  est  de   défendre  sa  mémoire 

'Charles  IV  meurt  en  1376;  Guillaume  de  Diest  est  évêque  de  Strasbourg 
de  139b  a  t4i9. 


DIX -HUITIÈME  LETTRE.  209 

contre  cette  charge  nouvelle,  formulée  à  l'occasion  de  l'ar- 
rivée des  Armagnacs ,  que  Guillaume  de  Diest  aurait  appelés 
en  Alsace. 

Le  fonds  épiscopal  (dans  V Armoire  des  Chartes)  contient  un 
document  officiel,  qui  ne  doit  laisser,  à  ce  sujet,  aucun  doute 
dans  notre  esprit.  C'est  un  traité  d'alliance  contre  ces  mêmes 
Landes  * ,  traité  offensif  et  défensif ,  en  tète  duquel  se  trouve 
le  nom  de  l'évêque  Guillaume.  —  Quoique  j'aie  publié  ce  do- 
cument ,  je  prends  la  liberté  d'y  revenir  en  passant  ;  cette  con- 
fédération occupe  dans  l'histoire  de  notre  pays  une  place  si 
importante,  qu'il  doit  être  permis  de  renouveler  le  souvenir 
de  la  pancarte  de  1439. 

Deux  mots  seulement  })our  mettre  vos  lecteurs  au  courant 
de  la  situation.  La  Charte  allemande,  à  laquelle  je  fais  allu- 
sion, est  datée  du  5  février  1439;  c'est  une  année  néfaste 
pour  l'Alsace,  au  moment  même  où  dans  l'intérieur  de  la 
France  on  commençait  à  respirer  après  la  lutte  séculaire  avec 
les  Anglais.  Jeanne  Darcq  venait  d'accomplir  sa  glorieuse  et 
providentielle  mission  ,  tout  récemment  racontée,  rajeunie  et 
idéalisée  par  trois  historiens  éminents  qui  se  sont  trouvés  à 
la  hauteur  de  leur  noble  tâche ^.  Mais  ce  fut  précisément  ce. 
temps  d'arrêt  dans  la  guerre  nationale  de  la  France  qui  allait 
être  fatal  à  nos  ancêtres  alsaciens.  Les  condottieri  français  et 
anglais  se  trouvaient  désœuvrés  ;  ils  cherchèrent  dans  d'autres 
régions  de  l'occupation ,  c'est-à-dire  des  combats  faciles  et 
du  butin.  Appelés  en  Lorraine  par  l'évêque  de  Metz  contre  le 
prince  de  Vaudéraont ,  les  Armagnacs  ^  durent  être  tentés  im- 

•  Celte  Charte  allemande  a  été  traduite  et  commentée  par  l'archiviste. 
Strasbourg  1840,  in- 8». 

-MM.  Miclielel,  Henri  Martin  et  Vallon. 

3  C'étaient  dans  l'origine  les  bandes  qui ,  sous  le  connétable  Bernard  d'Ar- 
magnac, avaient  ravagé  Paris.  On  donna  plus  tard  ce  surnom  indistinctement 
à  toutes  les  troupes  mercenaires  qui  manquaient  de  «  travail  »  et  se  ruaient 
sur  les  populations  inofTensives.  En  -1439,  ils  arrivent  en  Alsace,  dirigés  par 
Jean  de  Finstiugen  ou  de  Fénétrange;  en  1444,  c'est  le  dauphin  Louis  (XI) 

qni  les  amène  dans  notre  province  et  en  Suisse. 

14 


210  ARCHTVTS  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

médiatement  de  descendre  dans  les  riches  plaines  de  l'Al- 
sace; un  traître,  le  seigneur  de  Fénétrange,  se  chargea  de  les 
y  conduire. 

LcTsque  les  premiers  bruits  de  cette  invasion  projetée  par- 
vinrent dans  la  vallée  rhénane,  la  terreur  fut  extrême;  leiFroi 
populaire  avait  démesurément  grandi  ces  pillards  insolents  ; 
on  en  faisait  des  démons  incarnés  ,  contre  lesquels  toute  ré- 
sistance était  inutile,  et  qui  traversaient  les  pays,  irrésistibles 
comme  un  incendie  qui  dévore  les  hautes  herbes  ou  les  arbres 
des  forêts. 

Un  cri  d'alarme  retentit  donc  de  Cologne  jusqu'à  Bàle  ;  on 
se  confédéra  sur  plusieurs  points  de  la  grande  vallée  ;  chez 
nous ,  révêque,  si  mal  famé,  se  mit  à  la  tête  d'une  Ugue  où 
figurent,  au  nom  de  la  chevalerie  d'Alsace,  nos  deux  amis 
Jacques  et  Louis  de  Lichtenbei^;  Massmann  (Maximinj  de 
Rappolstein  (Ribeaupierrei  ;  Henri  de  Landsperg  ;  Jean  de 
Ratzenhusen  (Rathsamhauseu)  de  Tnberg ;  Eberhard  d'And- 
lau  ;  au  nom  de  Strasbourg,  le  stettmeister  Jean  Zorn  d'E- 
ckerich;  au  nom  de  la  préfecture  de  Haguenau  ou  d'Alsace, 
Reinhard  de  N\-perg;  enfin  la  magistrature  de  neuf  villes  im- 
périales de  notre  province.  Les  noms  de  tous  ces  alUés  ou 
cotraitants  sont  portés  en  tête  de  la  convention  ;  le  traité 
lui-même,  très-long,  très-diffus ,  et  un  peu  fanfaron  en  face 
d'un  danger  immense  que  l'on  n'était  pas  en  mesure  de  con- 
jurer, le  traité  rappelle  dans  un  préambule  historique  les  mé- 
faits des  cEcorcheurs  Armiacs»,  puis  indique  les  principales 
mesures  adoptées  en  prévision  d'une  lutte  prochaine,  savoir, 
la  nomination  de  quatre  chefs  ou  capitaines,  qui  auraient 
à  se  concerter  pour  les  moyens  de  défense  ;  la  part  contribu- 
tive de  chacun;  le  mode  de  partager  le  butin  et  les priwnniers ; 
le  genre  d'assistance  que  châteaux  et  villes  seront  tenus  de 
prêter  à  cette  figue  du  bien  pubfic,  qui  devait  s'étendre  à 
toute  la  surface  du  pays,  depuis  Soultz  dans  le  Haut-Rhin 
jusqu'à  Wissembourg.  On  fixait  la  durée  de  l'alliance  à  trois 
ans;  si  la  ville  de  Mulhouse,  qui  ne  figurait  pas  dans  le 


DIX-HUITIÈME  LETTRE.  211 

traité ,  devait  être  bloquée  ou  assiégée ,  elle  aussi  aurait  le 
droit  d'être  secourue,  comme  faisant  partie  de  la  décapole 
alsatique. 

Je  viens  d'indiquer  en  quelques  mots  les  conditions  fonda- 
mentales de  cet  acte,  dont  les  intentions  étaient  excellentes 
sans  doute,  mais  qui  ne  devait  remédier  à  rien.  Pour  lutter 
avec  quelques  chances  de  succès  contre  une  armée  compacte 
de  malandrins,  il  fallait  évidemment  nommer  un  chef  unique, 
absolu,  irresponsable,  aussi  longtemps  que  durerait  le  dan- 
ger ;  il  fallait  en  un  mot  un  dictateur  ;  au  lieu  de  cette  mesure 
si  simple  en  apparence,  dictée  par  le  bon  sens,  mais  difficile 
peut-être  à  prendre  dans  un  pays  morcelé  comme  l'était  la 
vallée  rhénane,  et  sous  un  empereur  de  la  maison  de  Luxem- 
bourg, le  caractère  allemand  se  manifeste  dans  toute  sa  pri- 
mitive originalité  :  chaque  contractant  propose  et  fait  rece- 
voir son  capitaine  ;  chacun  veut  se  faire ,  dans  roccasion , 
partie  prenante  ;  on  partage  la  peau  de  Tours  avant  d'avoir 
tué  la  bête.  L'ours  descendit  en  Alsace,  au  commencement 
de  mars ,  par  la  montée  de  Saverne ,  et  dévora  tout  sur  son 
passage. 

Les  détails  de  cette  horrible  invasion  sont  connus  '  ;  je  me 
perdrais  dans  les  redites ,  si  j'en  reproduisais  les  révoltantes 
circonstances  ;  elles  sont  au  niveau  des  raffinements  de  bar- 
barie que  la  guerre  de  Trente  ans  a  inventés  ou  renouvelés. 
La  ligue  contre  les  Armagnacs  demeura  letti^e  morte  ;  Jacques 
de  Lichtenberg  s'opposa  seul ,  près  de  la  descente  de  Saverne, 
à  ces  hordes  barbares;  il  fut  culbuté  prés  de  Steinbourg,  ses 
soldats  massacrés.  Seul  de  tous  les  alliés,  il  avait  le  droit  de 
dire  :  Tout  est  perdu ,  fors  l'honneur  ! 

A  Strasbourg,  il  y  eut  une  échauffourée  hors  la  porte 
Blanche;  la  milice  bourgeoise  fut  battue  par  les  Ecorcheurs, 
et  se  retira,  confuse,  dans  l'intérieur  de  la  ville  ,  où  l'on  se 
tint  prudemment  renfermé. 

'  Yoy.  dans  le  Traité  d'alliance  contre  les  Armagnacs,  édité  par  l'arclii- 
visle,  les  p.  9  à  i  I .  —  Dans  mou  Histoire  de  la  Basse-Alsace ,  p.  130  à  137. 


212  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Pendant  ce  temps,  «  à  peu  de  distance  de  la  scène  du  com- 
«bat,  un  homme  de  génie  se  livrait  dans  une  solitude  pro- 
((  fonde  à  des  essais  qui  allaient  changer  la  face  de  l'Europe 
«morale,  intellectuelle  et  politique.  Nouvel  Archimède,  Jean 
«Gutenberg-  remuait  timidement  encore,  dans  sa  retraite,  le 
«levier  de  la  presse  ;  tout  entier  à  son  œuvre  magique,  il 
«n'entendait  ni  les  gémissements  des  mourants  ni  les  cris 
«féroces  des  vainqueurs.  Le  sublime  égoïsme  des  inventeurs 
«  l'absorbait  tout  entier  ' . . .  » 

Et  pendant  que  j'écrivais  timidement  ces  lignes  (mai  1840), 
on  préparait  dans  les  murs  de  ma  ville  natale  les  belles  fêtes 
destinées  à  inaugurer  la  statue  du  grand  inventeur  ;  on  orga- 
nisait avec  une  intelligente  passion  ce  piWoresque  et  original 
cortège  des  métiers,  qui  rappelait,  sous  une  forme  adaptée  à 
nos  mœurs  et  à  nos  souvenirs  nationaux,  les  processions 
grecques,  les  Théories  d'Athènes,  ou  les  grandes  fêtes  de 
Rome  républicaine.  A  la  longue  distance  de  quatre  siècles , 
on  était  en  droit  de  ne  saisir,  du  passé  du  moyen  âge ,  que  le 
coté  recommandable  et  brillant;  on  pouvait  se  borner  à  re- 
produire les  emblèmes  de  ces  fraternelles  associations ,  qui 
maintenaient,  au  moins  dans  l'intérieur  des  cités  bourgeoises, 
l'apparence  de  l'ordre,  de  la  concorde  et  d'une  existence  nor- 
male, pendant  que  la  torche  des  guerres  intestines  portait  le 
ravage  dans  les  campagnes  ;  il  était  permis ,  il  était  néces- 
saire de  repousser  dans  l'ombre ,  bien  loin  derrière  l'image 
pensive  mais  radieuse  de  Gutenberg,  les  hideuses  figures  des 
Armagnacs,  et  les  traits  du  prince- évêque  qui  a  laissé  un  si 
triste  renom  dans  nos  annales. 

L'armoire  des  Chartes  est  remplie ,  hélas  !  de  tous  ces  ar- 
rangements onéreux,  contractés  par  Guillaume  de  Diest  à 
l'effet  de  subvenir  à  ses  incessantes  prodigalités.  Pendant  qua- 
rante-cinq ans  que  dura  cette  inqualifiable  administration , 
honnie  par  prêtres  et  laïques ,  nobles  et  bourgeois ,  blâmée 

'  Vov.  lo  Traité ,  p.   10. 


DIX-IIUITIÈME  LETTRE.  21  o 

par  le  Concile  de  Conslancc  lui-mcme  qui  couvrait  encore  de 
son  indulgente  protection,  dans  la  personne  de  Guillaume,  le 
prêtre  et  le  prince  de  l'Eglise  ;  pendant  ce  demi-siècle,  dis-je, 
c'est  dans  nos  cartons  une  suite  non  interrompue  de  titres 
qui  flétrissent  par  le  seul  énoncé  de  leur  objet  les  opérations 
de  l'évêque  de  Strasbourg.  Le  beau  patrimoine ,  si  laborieu- 
sement amassé  par  ses  prédécesseurs ,  s'en  allait  pièce  par 
pièce.  En  mettant,  bien  à  tort,  l'invasion  des  Armagnacs  sur 
le  compte  de  Diest,  la  légende  populaire  ne  faisait  que  prêter 
au  riche.  Guillaume  III  avait  perdu  en  détail  ce  que  les  Arma- 
gnacs prenaient  en  masse;  lui,  il  gaspillait;  eux,  ils  dévo- 
raient. Je  ne  me  permettrai  pas  de  pousser  plus  loin  ce  paral- 
lèle. Non-seulement  Guillaume  de  Diest  n'était  pas  sangui- 
naire ;  je  suis  sûr  que  s'il  était  possible  de  lire  au  fond  des 
cœurs,  on  trouverait  en  lui  plus  d'un  côté  recommandable  et 
que  ses  dissipations  profitaient  plus  à  son  entourage  qu'à  lui- 
même.  Pour  sauver  sa  mémoire,  pour  racheter  ses  coupables 
faiblesses  administratives,  j'aurais  voulu  lui  voir,  sur  la  fin 
de  ses  jours  ,  un  élan  guerrier,  une  seule  étincelle  de  l'esprit 
pétulant  de  Werinhar  de  Habsbourg  et  de  Conrad  de  Lichten- 
berg;  j'aurais  voulu  qu'il  ceignît  comme  eux  le  glaive  tem- 
porel, et  qu'il  allât  mourir  aux  pieds  des  colHnes  de  Saverne, 
au  heu  de  s'éteindre  à  Molsheim  ,  chargé  des  imprécations  de 
son  diocèse. 

La  colère  du  peuple  ne  fut  pas  moins  grande  contre 
Charles  IV;  on  le  chansonna ,  lui  et  l'évêque;  c'était,  sous 
tous  les  régimes ,  le  mode  populaire  de  se  venger  des  grands 
coupables  ,  placés  au-dessus  de  l'atteinte  des  lois. 


21  i  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

DIX-iVEUVIÈME  LETTRE. 

Suite  du  trésor  et  de  l'armoire  des  Chartes.  —  l,"abbaye  de  Horsiiani 
en  Angleterre.  —  I-a  prévôté  €l"Ittenwiller.  —  E.es  comtes  de  Ki- 
bourg,  feudataires  de  févêché.  —  Armoire  lilstori<|ue.  —  Corres- 
pondance liîstorlfiue  après  la  Béforme.  —  Armoire  des  droits.  — 
Armoire  de  Strasbourg. 

Monsieur, 

A  mesure  que  j'avance  dans  l'exploration  sommaire  de  nos 
Chartes  historiques ,  chaque  fois  que  je  me  prépare  à  fermer 
cette  partie  de  mes  inventaires ,  les  nombreux  documents  de 
valeur  que  je  laisse  en  arrière,  semblent  à  mes  yeux  s'ani- 
mer, se  personnifier  dans  les  individualités  dont  ils  émanent, 
et  m'adresser  des  reproches  navrants  sur  le  péché  d'omission 
que  je  commets  à  leur  égard,  sur  cette  condamnation  à  l'oubli 
que  je  prononce ,  en  ne  les  mentionnant  pas  plus  que  s'ils 
n'avaient  jamais  existé.  Tous  ces  seigneurs  laïques  et  ecclé- 
siastiques de  l'Alsace  et  des  pays  limitrophes  ou  de  contrées 
plus  lointaines ,  tous  les  habitants  des  villes  et  des  riches  cor- 
porations entre  les  Vosges  et  le  Rhin  m'interpellent  d'une  voix 
dolente  :  «  Nous  aussi,  nous  avons  vécu  !  » 

Hélas  !  mes  bons,  mes  vieux  amis,  que  voulez-vous  que  j'y 
fasse?...  Vous  végéterez  dans  les  registres,  vous  dormirez 
dans  les  cartons,  jusqu'à  ce  que  je  trouve  le  moment  oppor- 
tun pour  vous  réveiller,  ou  que  mes  successeurs  ou  d'autres 
travailleurs  plongent  la  main  dans  les  liasses  qui  recèlent  vos 
noms  et  qu'ils  vous  introduisent  devant  un  public  phis  ou 
moins  bienveillant,  plus  ou  moins  attentif. 

En  attendant,  je  suis  obligé  de  vous  écarter  presque  tous, 
comme  ces  ombres  importunes  qui,  dans  les  fictions  des  poètes 
antiques ,  viennent  assaillir  les  rares  visiteurs ,  parvenus  par 
une  grâce  spéciale  dans  les  régions  souterraines. 

Ne  pouvant  pas  même  résumer  le  contenu  de  ces  magni- 
fiques cartons  et  obligé ,  pour  en  donner  une  idée  approxi- 


DIX-NEUVIÈME  LETTRE.  215 

mativc,  de  choisir,  de  ci,  de  là,  quelques  exemplaires  mar- 
qués au  coin  d'une  originalité  exceptionnelle,  je  vais,  en  ce 
moment,  vous  rendre  attentif  à  une  Charte  dont  le  sujet  est 
étranger  à  l'Alsace;  déjà  dans  les  archives  civiles,  et  récem- 
ment à  l'occasion  des  Chartes  cariovingiennes,  je  me  suis  per- 
mis une  excursion  au  delà  de  nos  frontières  ^ 

Le  litre  remarquable  auquel  je  fais  allusion  nous  transporte 
sur  le  sol  de  l'Angleterre,  dans  le  comté  de  Sussex,  une  ving- 
taine d'années  à  peine  après  la  destruction  de  la  monarchie 
saxonne  par  Guillaume-le-Conquérant.  Le  trône  est  occupé 
par  Henri  (l^r)  Beauclerc  ;  le  pays  est  soumis ,  mais  nullement 
pacifié  ;  les  barons  normands  ont  froissé  les  sentiments  les 
plus  intimes  de  la  race  conquise;  la  violence  et  la  fraude  ont 
activé  l'une  des  plus  audacieuses  spoHations  dont  l'histoire 
du  monde  ait  gardé  la  mémoire.  Chez  quelques-uns  de  ces 
spoliateurs  la  conscience  se  réveille,  et,  ne  pouvant  ressusci- 
ter les  victimes,  on  cherche  à  calmer  la  colère  divine;  car, 
dans  le  silence  des  nuits ,  les  nouveaux  seigneurs  entendent 
les  éclats  menaçants  d'une  voix  vengeresse.  Plus  d'un  cou- 
vent, plus  d'une  église  ont  dû,  en  Angleterre,  pendant  le 
onzième  siècle,  leur  origine  à  ces  remords  que  les  annales  ne 
révèlent  point,  que  les  Chartes  de  fondation  n'énoncent  nul- 
lement, mais  que  l'historien  psychologue  devine  à  travers  les 
réticences  d'un  texte  où  figurent  seules  les  donations  des  biens 
affectés  aux  nouveaux  établissements,  où  retentissent  seules 
les  imprécations  contre  des  spoliateurs  futurs.  Telle  fut,  je 
me  plais  à  le  croire,  l'origine  de  l'abbaye  de  Horsham ,  qui 
s'élève  à  une  quinzaine  de  lieues  au  nord-ouest  du  fameux 
champ  de  bataille  où  se  décida  le  sort  d'Édouard-le-Confes- 
seur  et  de  l'Angleterre  saxonne.  La  création  de  Ilorsham  est 
due,  d'après  notre  Charte  latine,  à  Robert,  fils  de  Gauthier, 
et  à  son  épouse  Sibylle.  L'acte  se  borne  à  énoncer,  à  litre  de 
date,  les  noms  du  souverain  (Henri)  et  d'un  évêque  (Herbert), 

'  Vov.  les  ieures  9«  et  10^  etc. 


216  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

SOUS  l'administration  duquel  le  seigneur  normand  fonde  l'ab- 
baye en  l'honneur  de  Dieu  et  de  sainte  Foy,  vierge  et  martyre 
(vers  1110);  puis  il  énuraère  les  villas,  les  églises,  les  ar- 
pents de  terre,  les  forêts,  les  moulins,  les  dîmes  et  revenus 
qui  doivent  échoir  à  la  fondation  pieuse.  Dans  ces  dénomina- 
tions étranges,  la  langue  saxonne  n'est  pas  encore  altérée  par 
la  langue  du  conquérant  ;  car  l'époque  de  l'invasion  est  trop 
rapprochée ,  et  le  rédacteur  de  la  Charte  —  probablement 
quelque  moine  ou  notaire  saxon  —  laisse  à  ces  locahtés  nom- 
breuses leurs  noms  primitifs ,  témoins  irrécusables  de  leur 
provenance ^  Et,  pour  qu'il  n'y  ait  à  ce  sujet  aucun  doute, 
les  noms  de  quelques  anciens  propriétaires  figurent  dans  cette 
liste  ;  ce  sont  les  terres  d'Edrich ,  d'Olvard ,  de  Radulf  etc. 
Rien  qu'à  épeler  ces  noms,  vous  vous  sentez  transporté,  par 
la  pensée,  vers  cette  époque  de  transition,  burinée  sur  l'ai- 
rain par  Augustin  Thierry  et  admirablement  dramatisée  par 
l'illustre  auteur  d'Ivanhoé. 

Comment  celte  Charte  isolée  —  minute  ou  copie  —  relative 
à  un  prieuré  anglo-normand,  s'est-elle  égarée  dans  notre  col- 
lection épiscopalc?  C'est  là  une  de  ces  mystérieuses  migra- 
tions que  nous  avons  déjà  signalées  à  l'occasion  deSponheim. 
En  tout  cas,  la  prescription  fait  titre  de  possession,  et  je  ne 
pense  pas  que  nous  poussions  jamais  la  galanterie,  à  l'endroit 
du  Musée  britannique ,  au  point  d'extrader  une  pièce  qui  ap- 
porte une  agréable  variété  dans  notre  fonds  épiscopal,  et  sert 
à  constater  une  propriété  de  l'ancienne  abbaye  normande  de 
Sainte-Foy  de  Couches;  car  c'est  à  cette  congrégation  que 
Robert,  fils  de  Gauthier,  avait  attribué  le  prieuré  de  Horsham 
avec  ses  dépendances-. 

*  Ce  sont,  par  exemple,  les  églises  de  Ilorsforda  (Ileresford),  Richduiia, 
Mor,  la  forêt  de  Ilaldenesage,  la  dîme  d'Alreluna,  de  Siibituna  ,  de  Refliam, 
deForchle,  de  Cramford  etc. 

2  Les  rapports  de  Sainte  Foy  de  Sclilesladt,  avec  Couches  sont  connus; 
peul-êlre  est-ce  par  l'intermédiaire  de  l'église  byzantine  de  Schlesladl  que 
nous  est  parvenu  l'acte  de  fondation  de  Horsham. 


DIX-NEUVTÈME  LETTRE.  217 

Les  donations ,  les  immunités  pontificales  etc.,  concédées 
à  des  couvents ,  surabondent  dans  le  «  trésor  des  Chartes  ;  » 
rien  que  dans  le  courant  du  douzième  siècle ,  je  vois  figurer 
dans  la  série  de  nos  communautés  privilégiées  :  Bongars 
(Baumgarten),  Honcourt  (Hugshoffen) ,  Sainte-Walpurge ,  Sin- 
delsberg,  Holienbourg,  Ittenvviller,  Saint-Valentin  près  Rouf- 
fach,  Pairis,  Truttenhausen,  Lutenbach,  Altorff...  Par  oi^i  com- 
mencer et  par  où  finir? 

Dans  l'embarras  du  choix ,  je  m'arrête  de  préférence  aux 
localités  vers  lesquelles  des  souvenirs  d'enfance,  de  jeunesse 
ou  de  pieuse  gratitude  m'entraînent. 

Au  pied  des  derniers  contreforts  des  Vosges ,  non  loin  de 
l'abbaye  d'Andlau,  était  située  l'ancienne  prévôté  ou  l'église 
de  Sainte-Christine  d'Ittenwiller.Sa  fondation  remonte  à  l'an 
1137;  sa  première  confirmafion  apostolique  à  1179;  c'est  de 
la  bulle  pontificale,  émise  en  faveur  du  couvent  d'Ittenwiller, 
que  je  veux  vous  entretenir  pendant  quelques  instants*. 

Vos  lecteurs  connaissent  déjà  le  style  énergique  et  pompeux 
des  bulles  d'Alexandre  III  ;  je  vous  en  ai  donné  ,  par  extrait, 
un  modèle  à  l'occasion  de  l'abbaye  d'Eschau".  La  bulle  émise 
en  faveur  d'Ittenwiller,  sur  la  demande  de  Renaud,  supé- 
rieur de  l'église  Sainte-Christine,  et  sur  la  proposition  du 
cardinal-chancelier  Albert ,  est  tout  aussi  remarquable  par 
l'élévation  des  pensées  et  par  l'intérêt  que  nous  offrent  les 
localités  énumérées  dans  la  pancarte-privilège.  Au  nombre 
de  ces  localités  figurent  les  terres  allodiales  (libres)  d'Epfig 
(Epiacha),  de  Stotzheim,  de  Diebolsheim  (Tubelsheim),  les 
fermes  du  Hohwald ,  les  églises  de  Breitenbach  et  de  Holtz- 
heim.  Douze  cardinaux-évêques ,  prêtres  et  diacres  apposent 
leur  signature  à  ce  document  où  semble  respirer  l'esprit 
austère  et  militant  du  pontife  qui  avait  humilié  le  plus  puis- 
sant et  le  plus  hardi  monarque  de  son  époque.  «La  force 

'  Voy.  une  bulle  d'Alexandre  111,  éditée  et  conimenléc  par  l'archivisle  du 
Ba5-Uliin.  Strasbourg  1840,  in-S". 
2  Yoy.  lettre  17^ 


218  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

de  l'équité ,  »  est-il  dit  dans  le  préambule  ,  «  et  la  simple  rai- 
son commandent  d'accueillir  de  justes  pétitions,  surtout  lors- 
que le  désir  des  postulants  s'appuie  sur  la  piété  et  se  trouve 
conforme  à  la  vérité  des  faits.  C'est  pourquoi,  mes  fds  bien- 
aimés  en  Jésus-Christ,  notre  clémence  cède  à  vos  justes  de- 
mandes, et,  marchant  sur  les  traces  de  notre  père  et  notre 
prédécesseur,  le  pape  Eugène ,  de  Irès-heureuse  mémoire , 
nous  accueillons  sous  la  protection  de  saint  Pierre  et  sous  la 
nôtre  la  susdite  église ,  à  laquelle  vous  êtes  attachés  par  les 
liens  d'un  divin  servage,  et  lui  prêtons  force  par  le  privilège 
du  présent  écrit.  » 

A  la  confirmation  des  propriétés  du  couvent  habité  par  des 
moines  Augustins ,  succèdent  les  menaces  proférées  contre 
quiconque  troublerait  les  conventuels  dans  leurs  possessions; 
à  peu  de  variantes  près,  les  mômes  imprécations  se  retrouvent 
dans  la  Charte  d'Eschau.  Ces  images  empruntées  à  la  Bible, 
ce  glaive  suspendu  sur  les  hommes  assez  osés  pour  s'attaquer 
à  une  congrégation  abritée  sous  les  ailes  protectrices  du  Saint- 
Siège,  n'étaient  pas  de  vaines  figures  de  rhétorique;  dans  la 
bouche  du  i)ontife,  vainqueur  de  Frédéric  Barberousse,  c'é- 
taient des  moyens  de  défense  qui  se  transformaient  au  besoin 
en  armes  réelles.  Aussi,  la  prévôté  d'IttenwiUcr,  fondée  avec 
une  intention  de  piété  filiale,  jouit-elle  d'une  longue  prospé- 
rité. C'était,  parmi  les  nombreux  couvents  d'Alsace,  l'un  des 
mieux  partagés  pour  le  site  pittoresque  et  la  fertilité  des  alen- 
tours; son  origine  lui  avait  porté  bonheur*. 

Lorsqu'au  seizième  siècle  Ittenv^iller  fut  réunie  à  la  manse 
épiscopale  ,  la  belle  époque  des  abbayes  est  des  couvents  était 
'déjà  passée.  Pour  l'évêché  aussi,  la  vraie  période  ascendante 
avait  cessé  ;  désormais  il  fallait  lutter  avec  un  ennemi  sou- 
vent égal  en  forces;  les  victoires  même  affaiblissaient  le 
vainqueur. 

*  Le  chanoine  Conrad  avait  fondé  l'église  de  Saiiite-Clirisline  d'IUenwiller 
pour  le  salut  de  l'âme  de  ses  parents  Trutlier  el  l^ertlia. 


DIX-NEUVIÈME  LETTRE.  219 

Si  vous  insistiez,  Monsieur,  pour  avoir  en  rinelques  mots 
le  résumé  de  ces  fonds  du  trésor  et  de  TArmoire  des  Chartes, 
je  dirais  qu'ils  nous  offrent  le  beau  spectacle  de  cette  existence 
épiscopale,  qui,  à  partir  de  Saint-Rémy,  ne  fait  que  grandir, 
sauf  quelques  temps  d'arrêt  plus  ou  moins  longs,  sous  l'évêque 
Gauthier  deGeroldseck,  ou  sous  Guillaume  de  Diest.  Au  total, 
du  huitième  jusqu'au  commencement  du  seizième  siècle,  notre 
évêché  gagne  constamment  du  terrain,  soit  en  luttant,  soit 
en  acquérant  par  des  voies  pacifiques,  tantôt  à  Strasbourg, 
tantôt  en  Alsace  et  au  delà  de  nos  frontières.  Ainsi  une  cir- 
constance qui  n'a  pas  été  suftîsamment  appréciée,  c'est  l'ex- 
tension de  l'influence  de  nos  évêques  dans  la  partie  septen- 
trionale de  la  Suisse. 

Je  ne  veux  point,  pour  en  fournir  la  preuve,  remonter  une 
seconde  fois  aux  temps  de  l'évêque  Werinhar ,  qui  était  puis- 
sant et  respecté  en  Argovie  d'où  il  sortait,  et  qui  fit  élever, 
sous  son  égide,  le  château  historique  de  Habsbourg.  Mais  je 
prends  à  l'appui  de  ma  thèse,  la  donation  ou  plutôt  l'oblation 
du  château  de  Kibourg,  et  de  nombreuses  locahtés  dans  les 
environs,  oblation  qui  est  faite  par  Hartmann,  comte  de  Ki- 
bourg, en  faveur  de  noire  évêque  Berthold  de  Teck  (1244), 
et  plus  tard  en  faveur  de  Henri  de  Stahleck  (4260). 

Le  château  de  Kibourg,  autrefois  le  siège  de  puissants  dy- 
nastes ,  est  situé  dans  le  canton  de  Zurich,  suruneéminence 
isolée,  non  loin  de  Winterthur,  au  milieu  de  cette  contrée 
qui  n'est  pas  encore  la  Suisse  alpestre ,  mais  qui  réunit  à  une 
nature  déjà  montagneuse  et  partou*  pittoresque  les  avantages 
des  terrains  moins  élevés  que  les  cantons  primitifs.  Sous  le 
roi  de  Germanie  Arnoulphe,  un  comte  de  Kibourg,  Adalberl 
de  nom,  était  landgrave  de  la  Thurgovie.  Ses  descendants, 
après  des  intermittences  de  bons  et  de  mauvais  jours,  avaient 
acquis  par  mariage,  au  treizième  siècle,  les  comtés  de  Bade 
et  de  Lenzbourg  en  Argovie,  la  seigneurie  de  Windeck,  les 
villes  de  Sempach,  Sursee,  Zug,  Fribourg,  Burgdorf,  Thoune 
sur  les  bords  du  lac  idylhque  de  ce  nom.  Ainsi  les  seigneurs 


220  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

de  Kibourg  réunissaient  sous  leur  suzeraineté,  dès  le  milieu 
du  treizième  siècle,  des  terres  considérables  en  Argovie  et 
Thurgovie,  et  de  nombreuses  enclaves,  au  centre,  dans  quel- 
ques-uns des  cantons  primitifs. 

Hartmann  l'aîné,  comle  de  Kibourg,  probablement  pour 
s'appuyer  sur  un  grand  seigneur  ecclésiastique  pendant  les 
troubles  qui  allaient  commencer  avec  le  déclin  des  Hohen- 
stauffen,  Hartmann  donne  à  l'église  de  Strasbourg  en  toute 
propriété,  les  villes  de  Winterthur  et  de  Bade,  Usler,  Win- 
deck,  Wandelberg,  Schœnnis,  Liebenberg ,  Morsberg,  avec 
leurs  hommes  et  dépendances;  puis  il  les  reçoit,  à  litre  de 
fiefs,  des  mains  de  l'évèque  (25  aYriH244).  Ces  rapports  mu- 
tuels de  suzerain*et  de  vassal  étaient  si  bien  établis,  que, 
treize  ans  plus  tard,  lorsque  Hartmann  veut  donner  un  simple 
revenu  en  cire  à  l'église  de  la  ville  de  Diessenbofen  sur  le  Rhin, 
il  recourt  à  notre  évêque  et  lui  demande  humblement  la  per- 
mission d'appliquer  ces  revenus  à  l'œuvre  pieuse.  L'évèque 
de  Strasbourg,  bien  entendu,  ne  refuse  point  ;  mais  il  le  pou- 
vait puisqu'il  a  été  consulté*.  En  12G0  une  oblalion  de  fiefs, 
pareille  à  celle  qui  avait  été  faite  à  l'évcciue  Berthold,  se 
répète  en  faveur  de  l'évèque  Henri  de  Stahleck,  par  le  même 
comte  Hartmann ,  doht  les  seigneuries  passèrent  après  sa 
mort  à  une  ligne  collatérale  et  plus  tard  à  la  maison  d'Autriche 
qui  les  engagea  au  canton  de  Zurich, 

Mais  la  négociation,  de  toutes  la  plus  importante  pour  l'é- 
vêché,  est  celle  qui,  sous  l'évèque  Jean  de  Lichlenberg, 
amène  l'achat  du  château  de  Werde  et  du  landgraviat  d'Al- 
sace (1359);  une  série  assez  considérable  de  litres  constate 


*  Une  supplique  adressée  on  1257  à  l'évt^que  de  Strasbourg  par  les  frères 
Harlmaiin,  comtes  de  Kibourg,  tend  à  faire  autoriser  Pierre  d'Arenenhusen  . 
leur  vassal,  à  donner  au  couvent  de  ïhossa  une  série  de  biens  silués  pour 
la  plup;irl  en  ïhurgovie;  preuve  surégoratoire  a  l'appui  de  celte  relation  de 
vassal  a  suzerain,  si  bien  établie  entre  les  Kibourg  et  notre  évèclié. 

Voy.  mon  Rapport  au  préfet  du  Bas-Rhin.  Année  1846. 


DIX-NEUXIÈME  LETTRE.  221 

les  pourparlers  qui  ont  lieu  à  cel  effet  avec  les  comtes  d'Œt- 
tingen,  et  la  conclusion  de  cette  affaire  majeure. 

Résistant  à  toute  tentation  ultérieure,  je  fais  décidément 
mes  adieux  au  trésor  et  à  l'Armoire  des  Chartes,  pour  vous 
dire,  en  passant,  quelques  mots  de  «l'Armoire  historique»  , 
de  celle  des  «  droits  de  l'évêché  »  et  de  celle  «  de  Strasbourg  »  ; 
ce  sera,  je  vous  en  préviens,  une  vraie  course  au  clocher. 

Dans  l'Armoire  historique  on  a  réuni  plus  spécialement  les 
pièces  de  correspondance  du  seizième  au  dix-huitième  siècle. 
J'ai  pu,  pendant  le  cours  de  mes  travaux  et  explorations  dans 
les  archives ,  augmenter  considérablement  ce  fonds  à  l'aide 
de  lettres  qui  étaient  restées  oubliées ,  entassées  dans  les 
combles. 

Les  personnes  familiarisées  avec  l'histoire  d'Alsace  n'igno- 
rent pas  qu'il  y  eut ,  entre  la  réforme  du  seizième  et  la  guerre 
fratricide  du  dix-septième  siècle ,  une  époque  où  l'on  prélu- 
dait à  Strasbourg ,  ainsi  qu'à  Cologne,  et  en  Allemagne,  par 
des  discussions  haineuses  ,  quelquefois  par  des  prises  d'armes 
partielles  à  la  grande  lutte  qui ,  de  1018  ù  1648  ,  allait  ensan- 
glanter toute  l'Europe  centrale. 

Cette  époque,  grosse  d'orage,  fait,  dans  notre  dépôt,  le 
sujet  de  beaucoup  de  documents  qui  mériteraient  une  ana- 
lyse spéciale.  Nous  nous  trouvons  en  face  de  la  querelle  entre 
l'évêque  catholique  et  les  chanoines  protestants ,  qui  s'étaient 
emparés  ,  à  Strasbourg,  des  hôtels  du  Bruderhof  et  du  Giirt- 
lerhof ,  sièges  du  grand-chapitre  et  du  grand  chœur  de  la  Ca- 
thédrale; toute  la  lutte  entre  le  cardinal-évêque  Charles  de 
Lorraine  et  George ,  margrave  de  Brandebourgs  se  déroule 
à  nos  yeux. 

Les  passions  fermentaient  à  un  point  inouï  ;  tous  les  esprits 
sérieux,  — je  ne  rappelle  que  Lazare  de  Schwendi  —  pré- 
voyaient un  inévitable  éclat  ;  car  les  souvenirs  amers  de  la 
profonde  déchirure  ,  opérée  dans  l'église  chrétienne  ,  étaient 
trop  récents  ;  on  touchait  encore  par  tous  les  bouts  à  l'époque 
«  oîi  la  ligue  et  les  huguenots  en  France ,  Henri  VIII  en  An- 


ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

«gleterre,  Charles-Quint  et  les  confédérés  en  Allemagne,  les 
a  petits  cantons  et  les  Zwingliens'en  Suisse  avaient  jeté  l'épée 
«  dans  la  balance  de  la  justice,  des  droits  et  des  devoirs  res- 
«  peclifs  ' .  » 

Dans  la  correspondance  qui  se  rapporte  à  ces  temps  agités, 
figurent  tour  à  tour  l'empereur ,  les  évêqucs  de  Strasbourg , 
les  électeurs  ecclésiastiques,  les  membres  du  grand-chapitre, 
les  commissaires  impériaux,  le  magistrat  de  Strasbourg. 

En  1588,  c'est  le  baron  de  Gréhangcs,  l'un  des  dignitaires 
du  grand-chapitre,  qui  mande  à  l'évèque  (]ue  les  chanoines 
luthériens  se  sont  opposés  à  ses  opérations  dans  la  collonge 
deGeispolsheim  ;  le  comte  de  Manderscheid  raconte  au  prélat 
le  pillage  du  Gûrllerhof  ;  l'archevêque  de  Trêves  démontre  à 
l'empereur  la  nécessité  d'une  intervention ,  pour  empêcher 
la  ruine  de  l'évèché  de  Strasbourg.  En  1590,  l'évèque  de 
Strasbourg  cherche  de  son  côté  à  se  disculper  auprès  du  ma- 
gistrat de  Strasbourg ,  d'avoir  appelé  des  troupes  lorraines  à 
son  secours  ;  des  deux  côtés  ce  sont  des  violences ,  des  récri- 
minations ,  que  les  esprits  conciliants  cherchent  encore  à  ar- 
rêter ,  à  étouffer. 

Pendant  la  guerre  de  Trente  ans,  l'évèché  correspond  avec 
les  généraux  amis  et  ennemis,  et  avec  les  commissaires  im- 
périaux pour  aiïaires  de  contributions  forcées;  vers  i648, 
nos  correspondances  se  rapportent  à  la  démolition  des  forte- 
resses alsaciennes ,  telles  que  Benfeld  ,  Iloh-Barr  ,  Saverne  ; 
puis  aux  négociations  suivies  à  Miinster  par  M.  de  Giffen , 
délégué  et  conseiller  épiscopal.  Une  proclamation  d'Ottavio 
Piccolomini,  duc  d'Amalfi,  délégué  impérial  pour  l'exécution 
du  traité  de  Westphalie,  amène  devant  nous  ce  général-di- 
plomate, si  habile,  si  ambitieux,  dont  Schiller  a  immortahsé 
le  nom  et  la  figure  dans  sa  trilogie  de  Wallenstein. 

Le  dix-huitiéme  siècle  présente  une  série  de  pièces  rela- 
tives aux  funérailles  des  évêques  ;  il8i  marque  par  une  rela- 

*  Voy.  mon  Rapport  au  préfet  du  Bas-Iihin.  Année  1846. 


DIX-NEUVIÈME  LETTRE.  223 

tion  des  fêtes  séculaires  destinées  à  célébrer  la  réunion  de 
Slrasbourg-  à  la  France. 

Je  m'aperçois  très-Lien,  Monsieur,  que  j'emprunte  des 
notes  à  une  lable  de  matières;  mais  le  simple  énoncé  de  ces 
faits  historiques  parle,  je  pense,  en  faveur  de  ces  citations  et 
indique  la  richesse  de  ces  séries. 

Dans  l'Armoire  «des  droits  )) ,  il  est  question  de  la  juridic- 
tion civile  et  criminelle  de  l'évêché.  Les  charges  et  les  offices 
.  sont  réglementés;  tous  les  appointements  de  la  maison  épis- 
copale  se  trouvent  fixés  depuis  le  grand-maréchal  de  la  cour 
jusqu'aux  architectes,  forestiers,  secrétaires,  tailleurs,  pê- 
cheurs, gardes  et  bedeaux. 

Les  impositions  et  les  corvées,  le  débit  du  sel  et  du  fer,  la 
monnaie,  les  mines,  les  foires  et  les  marchés  etc.  forment 
autant  de  série» ,  dont  la  simple  indication  commence  à  dépas- 
ser la  limite  de  cette  lettre. 

Quant  aux  Israélites,  les  règlements  qui  les  concernent  sont 
ou  vexatoires  ou  timidement  protecteurs.  Le  cardinal-évêque 
de  Fiirstenherg,  à  la  fin  du  dix-septième  siècle,  les  couvre  de 
son  autorité  et  leur  promet  la  confirmation  de  leurs  privilèges. 
En  1736,  un  décret  prononce  une  amende  contre  ceux  qui 
injurient  les  juifs.  Nous  savons  que  ces  mesures  partielles, 
bien  insufiîsantes,  n'étaient  que  le  préambule  de  la  grande 
mesure  réparatrice  de  la  fin  du  siècle. 

«L'Armoire  de  Strasbourg»  comprend  les  rapports  de  l'é- 
vêque  avec  la  ville,  les  hôpitaux,  les  églises,  et  plus  spécia- 
lement les  affaires  de  la  douane  (Zollkeller)  et  du  Stockfiericlit 
(tribunal  criminel).  Dans  plusieurs  de  ces  rubriques,  les  in- 
terminables discussions  entre  l'autorité  épiscopale  et  la  mu- 
nicipaUté  frappent  les  yeux  de  qui  parcourt  ces  dossiers.  Une 
série  de  traités  entre  l'évêque  et  la  ville  prouvent  qu'en  fait 
de  juridiction  les  deux  partis  cherchaient  à  se  garantir,  cha- 
cun de  son  côté,  et  les  lettres  impériales  qui  défendent  de 
rien  entreprendre  contre  la  juridiction  de  l'évêque,  prouvent 
que  les  mesures  d'en  haut  étaient  nécessaires  pour  abriter 


224  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

le  prélat  contre  les  envahissements  de  la  cité  bourgeoise. 

Dans  le  carton  intitulé  «  Palais  épiscopal  »  ,  on  trouve  des 
litres  relatifs  à  diverses  maisons  peu  à  peu  acquises  par  l'é- 
vêché.  En  1295,  Ellenhart,  le  procureur  de  l'Œuvre-Nolre- 
Dame,  donne  à  cette  fondation  antique  une  maison  sise  sur 
le  Frohnhof,  probablement  celle  qui  sert  encore  aujourd'hui 
à  l'Œuvre- Notre-Dame  et  qui  offre,  dans  son  escalier  tour- 
nant, l'un  des  plus  gracieux  monuments  de  la  renaissance. 

«  La  pêche  clans  la  Bruches  est  aussi  réglementée  ;  les  pièces 
constatent  que  l'évêque  avait  le  droit  de  pêche  dans  la  rivière, 
à  partir  de  l'église  de  Saint-Thomas  jusqu'à  celle  de  Saint- 
Etienne. 

Le  dix-huilième  siècle  offre,  dans  cette  Armoire  de  Stras- 
bourg ,  des  états  de  population  et  des  règlements  de  police  sur 
la  taxe  des  fiacres,  le  commerce  d'or  et  d'argent,  la  quincail- 
lerie, les  incendies,  les  jeux  etc. 

J'ai  commencé,  dans  cette  lettre,  par  une  Charte  anglo- 
normande,  et  je  finis  par  des  affaires  de  police  dans  notre  cité 
natale ,  après  avoir  touché  à  plusieurs  points  de  l'histoire  suisse 
et  de  l'histoire  civile  et  ecclésiastique  d'Alsace;  à  défaut 
d'autre  intérêt ,  vous  avez  pu  y  trouver  la  preuve  nouvelle 
que  les  matériaux  les  plus  variés  ne  feraient  point  défaut  à  de 
plus  longs  entretiens. 

Je  vous  invite  maintenant  à  parcourir  avec  moi  «les  fiefs» 
del'évêché;  ils  nous  fourniront  un  sujet  historique  majeur, 
que  je  n'ai  pas  cru  devoir  passer  sous  silence:  l'arrivée  en 
Alsace  d'une  archiduchesse  autrichienne,  fiancée,  épouse  et 
veuve  de  l'un  de  nos  rois. 


VINGTIÈME  LETTRE.  225 


LETTRE  VINGTIEME. 

Fonds  des  flcfs  de  l'évêehé  de  Strasbourg.  —  Correspondance  cpis- 
oopale  lie  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  au  sujet  ilu  double 
passage,  en  .%isace,  d'Klisabetli  «l'Autriche,  épouse  de  Charles  IX, 
roi  tie  France.  —  Portrait  d'Elisabeth.  — l,es  feudataires  de  l'évcque. 
—  liazare  de  Schwendl.  —  liCS  conseillers  de  l'évcque. 


Monsieur, 

A  deux  reprises  déjà  nous  nous  sommes  trouvés  en  face 
des  familles  nobles  de  l'Alsace  ;  dans  le  fonds  de  l'Inlendance 
d'abord,  et  plus  récemment  dans  celui  du  Directoire  de  la 
noblesse.  Les  fiefs  de  l'évêehé  nous  ramènent  encore  vers  nos 
anciens  dynastes  et  vers  les  grandes  existences  qui  se  sont 
formées  dans  les  siècles  plus  rapprochés  du  nôtre.  L'aristo^ 
cratie  alsacienne  presque  tout  entière  relevait  de  l'évêque  de 
Strasbourg  ;  une  formidable  série  de  lettres  d'investitures  et 
de  réversales  avec  titres  généalogiques  ou  historiques  à  l'ap- 
pui des  réclamations  de  fiefs  constitue  ce  sous-fonds  ;  nous 
allons  y  toucher,  incidemment,  tout  à  l'heure;  cette  phalange 
imposante  de  feudataires  épiscopaux  vaut  bien  un  temps  d'ar- 
rêt passager,  ne  serait-ce  que  pour  remémorer  une  fois  de 
plus  quelques-uns  de  ces  noms  indigènes,  qui  nous  sont 
presqu'aussi  chers  que  l'étaient  aux  Romains  les  noms  de 
leurs  vieux  magistrats  républicains,  de  leurs  consuls  et  de 
leurs  dictateurs.  Ils  ont,  pour  nous,  le  goût  du  terroir;  cela 
répond  à  tout  reproche  de  passion  aveugle  ou  de  prédilection 
injustifiable  que  l'on  pourrait  nous  adresser.  Permettez-moi 
de  le  répéter  ici,  le  souvenir  de  nos  chevaliers  et  de  leurs 
descendants  se  rattache  pour  nous  aux  tours  et  aux  voûtes  ef- 
fondrées des  ruines  historiques ,  dont  les  assises  de  grès  ou 
de  granit  sont  le  plus  bel  ornement  de  nos  Vosges.  La  brise 
embaumée  de  la  montagne,  lèvent  qui  s'engouffre  dans  les 
sapins,  les  torrents  dans  les  vallées^  toutes  ces  inexphcables 

15 


226  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

et  mystérieuses  voix  des  grandes  solitudes  nous  parlent  des 
«hommes  d'acier»  d'autrefois.  Qu'ils  aient  été  souvent  en  lutte 
avec  nos  ancêtres ,  les  bourgeois  des  villes ,  et  avec  les  labou- 
reurs des  campagnes,  qu'ils  n'aient  pas  toujours  été  des  mo- 
dèles de  désintéressement  et  de  vertu ,  peu  importe  mainte- 
nant; la  distance  idéalise  tout,  le  bien  et  le  mal;  elle  enve- 
loppe d'un  demi-jour  magique  ces  «maisons»,  qui  ont  rempli 
nos  annales  le  plus  souvent  du  bruit  de  leurs  discussions,  et 
du  bruit  de  leur  chute;  car  il  en  est  peu  (jui  subsistent,  et  ce 
petit  nombre  même  est  amoindri  dans  son  existence,  mêlé  à 
la  grande  famille  nationale,  et  ne  relève  plus  de  l'évêque,  de 
l'empereur  d'Allemagne  ou  du  roi  de  France,  mais  du  Code 
civil,  comme  les  autres  mortels. 

Dans  celte  armoire  des  ficfs,  réceptacle  d'une  masse  d'arbres 
généalogiques  maintenant  déracinés,  on  a  conservé  une  liasse 
de  correspondance  qui,  de  fait,  aurait  dû  tiouvcr  place  dans 
l'Armoire  historique.  Je  n'ai  pas  voulu  donner  tort  à  mes  pré- 
décesseurs, en  déplaçant  les  titres  auxquels  je  fais  allusion. 
Ce  sont,  pour  la  plupart,  des  lettres  adressées  par  l'évêque 
Jean  de  Manderscheid  à  ses  feudataires  et  les  réponses  de  ces 
nobles  vassaux.  Il  s'agissait,  en  4570,  de  former  cortège  à  la 
fille  de  l'empereur  Maximilien  II,  à  l'archiduchesse  Elisa- 
beth, qui  allait  traverser  une  partie  de  l'Alsace  pour  épouser 
Charles  IX,  le  jeune  roi  de  France;  et  cinq  ans  plus  tard,  il 
fallait,  une  fois  de  plus,  accompagner  la  même  princesse, 
déjà  veuve,  au  moment  de  son  retour  en  Allemagne.  A  pre- 
mière vue,  une  pareille  correspondance  semble  offrir  peu 
d'intérêt  :  après  un  examen  plus  sérieux  elle  fournit  au  con- 
traire des  données  sur  les  principales  familles  alsaciennes,  et 
sur  des  personnages  historiques  très-considérables  de  la  se- 
conde moitié  du  seizième  siècle. 

En  premier  lieu ,  qui  était  cette  Elisabeth  d'Autriche ,  pour 
laquelle  l'évêque  allait  mettre  en  mouvement  le  ban  et  l'ar- 
rière-ban  de  ses  vassaux? 

La  fiancée  de  Charles  IX  qui  traverse  l'Alsace  en  1570  et  en 


VINGTIÈME  LETTRE.  227 

1575,  est  une  mélancolique  figure  qui  n'apparaît  qu'un  mo- 
ment sur  le  théâtre  du  monde,  et  qui  expie,  volontairement, 
sous  le  ciliée,  sa  royauté  d'un  jour  ^ 

Cent  vingt-six  lettres,  échangées  entre  l'cvêque  de  Stras- 
bourg-, ses  vassaux,  la  Cour  impériale  et  quelques  dignitaires 
de  l'Empire,  nous  initient  dans  les  préparatifs  et  les  incidents 
de  ces  deux  voyages  princiers. 

Comme  sa  belle-sœur  Marie  Stuart,  épouse  de  François  II, 
Elisabeth ,  la  fille  de  Maximilien  II  ne  fait  aussi  qu'une  courte 
apparition  en  France;  elle  y  arrive  dix-huit  mois  avant  la 
Saint-Barthélémy,  et  repart  trois  ans  après  ce  terrible  coup 
d'État,  n'emportant  de  Paris  et  du  Louvre  que  les  tableaux 
déchirants  de  la  guerre  civile,  à  peine  un  avant-goût  des  joies 
maternelles,  et  le  souvenir  d'un  bonheur  conjugal  très-dou- 
teux. Charles  IX  parait  avoir  été  plein  d'égards  pour  sa  jeune 
épouse,  qui  avait  à  peine  seize  ans  au  moment  de  son  arrivée 
en  France,  et  qui  donnait,  dans  une  cour  voluptueuse  et 
cruelle,  l'exemple  d'une  pureté  angélique,  d'une  douce  et  sé- 
vère piété.  Pendant  que  son  mari  était  livré  aux  tortures  d'une 
lente  agonie,  Elisabeth  fut  écartée  de  ce  lit  de  douleur,  pro- 
bablement par  ordre  de  sa  belle-mère;  elle  devait  se  sentir 
entourée  d'ennemis  et  d'indifférents;  aussi,  à  peine  veuve, 
fit-elle  demander  un  asile  à  son  père  Maximilien ,  qui  se  hâta 
à  son  tour  de  réclamer  l'extradition  de  sa  fille. 

Les  princesses  allemandes,  mariées  à  des  souverains  fran- 
çais, ont  eu,  à  partir  du  quatorzième  siècle,  de  singulières 
destinées.  Le  sort  d'EHsabelh  d'Autriche,  sans  aboutir  à  une 
catastrophe  personnelle,  est  tragique  cependant;  jugez  quelle 
impression  ont  dû  produire  sur  cette  organisation  délicate  les 
effroyables  scènes  de  la  nuit  du  24  août  1572!  Dans  ces  si- 
nistres moments ,  Elisabeth  était  sur  le  point  de  devenir  mère  ; 


'  Voy.,  pour  plus  de  détails,  une  monographie  de  l'arcliivisle  du  Bas-Rhin  : 
Deux  voyages  d'Elisabeth  d'Autriche ,  épouse  de  Charles  IX,  roi  de  Fiança, 
correspondance  inédite  du  seizième  siècle.  Cohiiar  1855,  2  cahiers  in-8". 


ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

sa  fille,  née  à  peine  trois  mois  après  cette  catastrophe,  ne 
vécut  point;  et  la  mère,  rendue  à  sa  liberté,  c'est-à-dire,  de 
retour  à  Vienne,  se  hâta  de  fonder  des  maisons  religieuses  et 
de  s'enfermer  dans  l'un  de  ces  asiles.  La  veuve  de  Charles  IX 
prenait  évidemment  ce  grand  parti  parce  qu'elle  avait  le  cœur 
brisé,  l'imagination  frappée;  elle  était  jeune,  fille  d'un  grand 
prince,  pelite-fille  de  Charles-Quint,  demandée  en  mariage 
par  Philippe  II  d'Espagne  et  par  don  Sébastien  de  Portugal. 
Mais  pour  elle,  tout  était  fini  ;  il  est  des  ébranlements  dont  les 
natures  frêles  ne  se  relèvent  point;  elle  avait  été  plus  mal- 
heureuse sur  le  trône  que  la  dernière  paysanne  dans  une  chau- 
mière; elle  se  refusa  résolument  à  rattacher  son  existence  à 
celle  d'un  roi. 

Pendant  seize  à  dix-sept  ans  elle  vécut  d'œuvres  pieuses  et 
s'éteignit,  en  silence,  âgée  de  trente-sept  ans. 

Dans  la  correspondance  qui  va  nous  occuper  pendant  quel- 
ques instants,  une  seule  pièce  émane  de  la  jeune  reine  de 
France  ;  c'est  une  lettre  de  recommandation ,  adressée  le  13  no- 
vembre 1570,  en  langue  latine,  à  Jean  de  Manderscheid , 
évêque  de  Strasbourg.  Puis-je  me  permettre  de  la  transcrire 
en  entier?..,. 

«Une  certaine  Marie  Kisin  *  nous  a  humblement  exposé, 
«que  son  mari  était  retenu  en  prison  à  Strasbourg,  qu'elle- 
«  même  avait  été  évincée  de  tous  ses  biens  et  exilée  de  sa  pa- 
«trie,  enfin  qu'elle  était  privée  de  tout  secours  et  n'espérait 
«plus  qu'en  l'assistance  divine  et  en  la  nôtre,  ainsi  que  Votre 
«Grandeur  pourra  s'en  assurer  plus  amplement  dans  la  sup- 
«plique  de  cette  femme.  C'est  pourquoi.  Votre  Grandeur  étant 
«le  chef  spirituel  de  la  ville  en  question,  nous  avons  voulu 
«vous  recommander  particulièrement  la  suppliante,  son  mari 
«et  ses  intérêts  et  réclamer  vivement  et  gracieusement  de 
«Votre Grandeur,  qu'elle  daignât  s'apphquer  avec  zèle  auprès 

'  Mavie  Kiss. 


VINGTIÈME   LETTRE.  229 

((de  qui  de  droit,  pour Yiue  son  mari  soit  libéré,  par  égard 
«pour  nous,  et  que  cetlc  malheureuse  femme  soit  sans  délai 
«réintégrée  dans  la  jouissance  de  ses  biens  et  du  sol  natal. 

«  Quoique  nous  sachions  que  Votre  Grandeur  a  constamment 
«été  zélée  pour  le  service  de  toute  notre  famille,  nous  aurons 
«fait  l'épreuve  de  votre  dévouement  particulier  pour  nous- 
«méme,  si  Votre  Grandeur  veut  bien  mener  cette  affaire  à 
«bonne  fin  comme  nous  sommes  portés  à  le  croire.  » 

Ainsi  la  seule  et  unique  fois  que  la  princesse  autrichienne 
apparaît  dans  cette  collection  de  lettres  écrites  à  l'occasion  de 
son  voyage,  elle  se  montre  intercédant  pour  le  malheur.  Cette 
pétition  royale,  quelque  brève  qu'elle  soit,  peut  aider  à  sou- 
lever le  voile  derrière  lequel  se  cache  la  mallieureuse  épouse 
de  Charles  IX  ;  il  est  permis  de  deviner  une  âme  compatissante 
dans  ce  caractère  humble  et  modeste,  écrasé  à  la  cour  de 
France  et  sur  la  scène  de  l'histoire  par  la  sinistre  figure  de 
Catherine  de  Médicis. 

Lors  de  ce  premier  passage  de  la  reine,  sa  route  était  tra- 
cée de  Spire  sur  Saverne,  et  de  là  sur  Luxembourg  et  Mé- 
zières.  La  lettre  qu'elle  écrit  à  l'évêque  est  datée  de  Sarregue- 
mines.  Lorsqu'elle  revient  de  Paris,  c'est  à  Nancy  qu'elle  est 
reçue  par  le  cortège  allemand  au  sein  duquel  se  trouva  l'é- 
vêque de  Strasbourg  et  un  prince  bavarois.  On  repasse  par 
Saverne ,  et  de  là  on  se  dirige  par  Colmar  sur  Bàle ,  où  l'on 
arrive  dans  les  premiers  jours  de  1576.  Colmar  fut  donc  l'une 
des  dernières  étapes  de  la  'reine  sur  la  rive  gauche  du  Rhin, 
Ce  second  voyage  de  la  princesse  autrichienne  à  travers  notre 
pays  m'a  rappelé  celui  de  Joséphine  de  Saxe ,  qui  traverse  en 
1810  le  chef-lieu  du  Haut-Rhin,  pour  aller  en  Espagne,  au 
devant  d'une  union  peu  désirable  et  d'une  mort  prématurée. 
Elle  avait  le  pressentiment  de  sa  triste  destinée;  on  sut,  à 
Colmar,  qu'elle  avait  écrit  beaucoup  de  lettres  d'adieu  à  ses 
amis  de  Dresde,  et  qu'elle  avait  versé  d'abondantes  larmes, 
en  apprenant  que  c'était  sa  dernière  couchée  dans  un  pays  où 


230  ■     ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

l'on  parle  encore  la  langue  allemande.  Elle  récompensa  roya 
lement  un  pauvre  joueur  d'orgue,  qui  avait  fait  entendre, 
sous  les  fenêtres  de  son  hôtel ,  un  air  qu'elle  semblait  affec- 
tionner et  qui  lui  rappelait,  pour  la  dernière  fois  peut-être , 
les  souvenirs  poignants  du  sol  natal. 

Je  doute  fort  que  la  veuve  de  Charles  IX ,  en  touchant  chez 
nous  aux  terres  de  l'empire,  ait  pu  faire  la  moindre  largesse  ; 
en  France ,  le  désordre  régnait  dans  les  finances  comme  dans 
les  esprits  et  les  cœurs;  on  avait  discuté,  marchandé  pendant 
plus  d'un  an  le  pauvre  douaire  d'Elisabeth  d'Autriche  ;  cette 
détresse  financière  avait  retardé  son  départ  de  la  cour  de 
Henri  III  ;  il  lui  restait  tout  juste  l'obole  de  la  veuve  pour 
payer  son  voyage. 

La  noblesse  d'Alsace  ne  s'était  pas  non  plus  montrée  fort 
empressée  à  faire  cortège  à  cette  grandeur  déchue;  les  temps 
étaient  de  plus  en  plus  mauvais;  le  pays,  dévasté  tantôt  par 
les  bandes  lorraines,  tantôt  par  des  bandes  suisses  ou  alle- 
mandes. Lorsque  Jean  de  Manderscheid  adressa  en  1570  ses 
circulaires  à  ses  grands  vassaux,  pour  les  prier  de  se  trouver 
sur  le  passage  de  la  fiancée  royale,  il  avait  déjà  essuyé  quel- 
ques refus  ;  mais  cette  altitude  froide  de  notre  noblesse  se 
dessina  bien  plus  nettement  en  1575  et  1576. 

C'est  chose  curieuse  que  de  parcourir  à  ce  point  de  vue  la 
correspondance  qui  nous  occupe  :  on  a  recours  à  tous  les  pré- 
textes ,  à  tous  les  faux-fuyants  possibles  pour  esquiver  une 
corvée  qui  ne  peut  plus  rapporter  ni  honneur  ni  profit.  Voyons 
le  contenu  de  quelques-unes  de  ces  lettres  d'excuse  : 

Le  11  décembre  1575,  Frédéric  de  Sickingen  écrit  de  Hoh- 
kœnigsbourg  qu'il  est  déjà  invité  et  mandé  pour  la  même 
époque  et  dans  le  même  but  par  Ferdinand,  archiduc  d'Au- 
triche, et  que  son  frère,  Schweickart  de  Sickingen,  résidant  à 
vingt-huit  milles  de  distance,  ne  peut  plus  se  rendre  à  temps 
à  la  destination  voulue.  Laissons  passer  ces  deux  descendants 
de  François  de  Sickingen;  nous  les  tenons  pour  valablement 
dispensés. 


VINGTIÈME  LETTRE.  231 

A  la  date  du  môme  jour,  Jean-Louis  Surger  de  Mutzig  écrit 
à  l'évêque  que  depuis  trois  ans  il  n'a  ni  chevaux  ni  valets,  et 
ne  peut  s'en  procurer  dans  le  court  espace  de  temps  alloué 
pour  les  préparatifs. 

Reinbold  Wetzel  de  Marsilien  écrit  de  Jebsheim  qu'il  est 
obligé  de  se  rendre  pour  affaire  d'héritage  à  Haguenau.  Quant 
à  celui-ci,  l'évêque  insiste,  et  lui  prescrit  de  se  trouver  à 
Molsheim  le  20  décembre. 

Le  bailli  d'Ettenheim,  Bernard  de  Kageneck,  s'excuse  à  la 
date  du  15  décembre;  il  a  un  rhumatisme  au  bras  gauche,  et 
il  est  obligé  de  se  tenir  chaudement.  Puis  le  greffier  du  bail- 
liage est  surchargé  de  comptes  à  l'approche  de  Noël;  et  lui,  le 
bailli,  il  a  un  énorme  arriéré  à  régler.  L'évêque  s'impatiente, 
il  insiste;  il  se  méfie  de  ce  rhumatisme  venu,  tout  à  point, 
au  bras  gauche  du  bailli. 

Jacques  de  Berne  écrit  au  prélat  pour  lui  annoncer  la  mort 
de  son  beau-frère ,  Jodocus  Iloldermann  de  Holderstein  — 
vrai  nom  de  vaudeville  burlesque  • —  il  est  occupé  du  partage 
de  cette  fortune. 

Ebermann  Holdermann  de  Holderstein  s'abrite  derrière  la 
perte  qu'il  vient  d'éprouver  dans  la  personne  de  son  frère  Jo- 
docus. Auprès  de  lui,  l'évêque,  bien  entendu,  se  garde  d'in- 
sister, mais  il  gourmande  son  bailli  paresseux,  Jacques  de 
Berne,  et  lui  enjoint  de  venir. 

Jean-Jacques  Holtzapfel  de  Herxheim  vient  d'être  blessé  au 
bras  par  son  cheval.  L'évêque  lui  répond  que  le  voyage  de  la 
reine  douairière  de  France  est  un  peu  retardé;  il  espère  bien 
que  la  plaie  du  sieur  Holtzapfel  guérira,  et  persiste  à  donner 
rendez-vous  à  ce  personnage  à  Molsheim. 

Le  jeune  Walraff  de  Zuckmantel ,  en  résidence  à  Strasbourg, 
où  il  fait  ses  études,  «s'apprête  à  partir  pour  la  Bourgogne  ou 
«pour  l'Italie,  où  il  compte  apprendre  les  langues  étrangères; 
«il  a  déjà  vendu  ses  chevaux.  Grande  est  sa  désolation  de  ne 
«pouvoir  en  racheter  d'autres;  si  Sa  Grandeur  avait  daigné  le 
«prévenir  quinze  jours  plus  tôt,  il  n'aurait  pas  manqué  au 


232  ARCnfvES  départementales  du  BAS-RHIN. 

«  rendez-vous  ;  car  il  aurait  eu  grande  envie  de  faire  ce  plai- 
«sant  voyage.  »  Peut-être  cette  lettre  a-t-elle  été  écrite  en  toute 
sincérité  par  le  jeune  philologue;  mais,  quoi  qu'il  en  soit,  il 
va  manquer  au  cortège. 

Si  les  feudataires  s'excusent  auprès  de  l'évêque,  celui-ci, 
de  son  côté ,  donne  des  instructions  significatives  à  ses  délé- 
gués auprès  du  duc  Guillaume  de  Bavière ,  neveu  de  l'empe- 
reur Ferdinand  I^r,  qui  a  été  chargé  par  l'empereur  Maximi- 
lien  II  d'aller  recevoir  sa  fille  à  Nancy  des  mains  des  seigneurs 
français.  L'évêque  ne  tenait  évidemment  point  à  recevoir  l'am- 
bassadeur impérial  lors  de  son  passage  à  Saverne;  une  mala- 
die pestilentielle  régnait  dans  cette  résidence  épiscopale;  le 
trésor  était  vide;  un  campement  de  dix-huit  compagnies  suisses 
se  trouvait  dans  le  bailliage  de  Dachstein.  Ces  embarras  réels, 
peut-être  un  peu  exagérés,  déterminent  Jean  deMandcrscheid, 
non  pas  à  manquer  complètement  à  ses  devoirs  qui  l'obHgent 
d'aller  à  Nancy,  mais  du  moins  à  esquiver  la  partie  la  plus 
onéreuse  de  la  mission  dont  l'empereur  l'a  chargé.  Cinq  ans 
auparavant,  Jean  de  Manderscheid  s'était  déjà  jeté  dans  de 
fortes  dépenses,  à  l'occasion  du  premier  passage  de  la  reine; 
il  avait  longtemps  séjourné  à  Spire  pour  y  attendre  l'arrivée 
d'Elisabeth,  et  y  avait  tenu  maison  ouverte.  Une  feuille  de  la 
correspondance  détaille  le  menu  des  provisions  en  gibier  et 
en  charcuterie  qu'il  a  fait  venir  de  Saverne.  Il  mettait  en  pra- 
tique, deux  siècles  et  demi  à  l'avance,  le  vers  du  poëte  : 

Et  c'est  par  les  dîners  qu'on  gouverne  les  hommes. 

Cependant,  quoi  qu'en  pense  le  spirituel  auteur  de  V Alsace 
à  table,  l'évêque  Jean  de  Manderscheid  se  bornait  à  faire  dîner 
ses  hôtes,  et  lorsqu'il  reçut  les  députés  du  magistrat  de  Stras- 
bourg dans  le  palais  épiscopal  de  Saverne*,  il  dut  éprouver 
un  malicieux  plaisir  à  voir  l'intempérance  des  bourgeois' de  la 
ville  infidèle.  Les  caractères  trempés  comme  celui  de  Jean  de 

1  Voy.  la  Revue  d'Alsace ,  novembre  1860. 


VINGTIÈME  LETTRE.  233 

Manderscheid  veillent  sur  eux-mêmes;  les  hommes  de  celte 
nature  boivent  et  rient  du  bout  des  lèvres;  ils  apprennent  à 
se  contenir  avant  de  se  mêler  de  la  direction  d'aulrui. 

Dans  cette  correspondance  de  la  seconde  moitié  du  seizième 
siècle  nous  lisons  bien  d'autres  noms  encore  que  ceux  des  feu- 
dalaires  royaux.  Surtout  au  début  de  cette  longue  négociation 
occasionnée  par  le  voyage  d'Elisabeth  d'Autriche,  plusieurs 
membres  de  la  famille  impériale  et  l'empereur  lui-même  ap- 
paraissent un  instant  sur  la  scène;  parmi  les  conseillers  im- 
périaux qui  prennent  part  à  ces  débats  préliminaires,  nous 
trouvons  en  première  ligne  le  général  Lazare  de  Scliwendi,  l'un 
des  caractères  les  plus  originaux  de  cette  époque  si  riche  en 
caractères  hardiment  dessinés.  Il  appartient  plus  spécialement 
à  l'histoire  d'Alsace  comme  seigneur  engagiste  de  Kaysersberg 
et  comme  seigneur  du  chàteau-fort  de  Ilohenlandsperg,  qui 
domine  la  plaine  de  Colmar.  En  1570,  il  avait,  depuis  quelque 
temps  déjà,  quitté  la  carrière  des  armes,  et  ne  figurait  plus 
que  dans  les  affaires  diplomatiques.  Comme  son  maître  Maxi- 
milien  II,  c'était  un  caractère  conciliant  et,  de  plus,  un  es- 
prit vraiment  prophétique.  Il  prévoyait,  un  demi-siècle  à  l'a- 
vance, l'inévitable  lutte  entre  les  deux  cultes.  Dès  1574,  c'est- 
à-dire  une  année  avant  le  retour  d'Elisabeth  d'Autriche,  il 
représentait  à  l'empereur  à  quel  point  les  cruels  procédés  de 
Phihppe  II  vis-à-vis  de  ses  sujets  des  Pays-Bas  devaient  rem- 
plir d'épouvante  et  exaspérer  les  Allemands.  Pendant  la  Diète 
de  Ratisbonne  en  1576,  peu  de  temps  avant  la  mort  de  Maxi- 
mihen,  il  recommandait  aux  protestants  la  fermeté  pour  le 
maintien  complet  des  articles  de  la  paix  de  religion.  Mais  déjà 
les  chances  tournaient  contre  la  conciliation  ;  triste  et  dégoûté 
des  affaires,  le  chevalier  sans  peur,  mais  pas  tout  à  fait  sans 
reproche,  alla  mourir  dans  sa  seigneurie  à  l'âge  de  soixante- 
deux  ans.  Il  y  avait  dans  cette  belle  vie  une  seule  tache, 
l'abandon  d'un  ami,  Gaspard  Vogelsberger,  coupable  de  lèse- 
majesté;  Lazare  de  Schwendi  l'arrêta  lui-même  au  nom  de 
Charles-Quint,  et  le  fit  transférer  de  Wissembourg  à  Augs- 


234  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

bourg,  OÙ  une  exécution  capitale  trancha  les  jours  de  ce 
malheureux. 
•  J'en  reviens  à  notre  correspondance.  Dans  les  actes  préli- 
minaires à  l'arrivée  d'Elisabeth,  figurent  deux  conseillers 
épiscopaux,  Othon  de  Soultz  et  Conrad  Pfeilstiicker  ;  ils  sont 
accrédités  par  Jean  de  Manderscheid  à  Spire,  et  se  trouvent 
en  rapports  fréquents  avec  Lazare  de  Schwendi.  Leurs  noms 
reviennent  à  plusieurs  reprises  dans  notre  correspondance. 
J'ai  trouvé  celui  de  Pfeilstiicker  dans  bien  d'autres  papiers 
du  fonds  épiscopal.  Il  est  permis,  il  est  bon  de  rappeler  quel- 
quefois des  services  obscurs;  ces  hommes  occupent  une  place 
honorable;  ce  sont  des  existences  de  la  nature  de  celle  du  re- 
ceveur général  Emmerich  Ritter  *. 

Quant  à  la  correspondance,  à  travers  laquelle  je  vous  fais 
circuler,  à  peine  si  j'ai  pu  en  indiquer  le  caractère  général. 

Et  la  forme  de  ces  lettres,  il  n'y  a  que  du  mal  à  en  dire: 
c'est  une  absence  totale  de  style;  c'est  une  diffusion,  une 
prolixité,  une  incohérence  inqualifiable  de  langage  et  de  pen- 
sée! Un  lecteur  du  dix-neuvième  siècle  a  peine  à  s'y  habituer; 
pourtant  la  plupart  de  ces  missives  émanent  de  personnes 
considérables  et  sont  adressées  à  des  individuahtés  distinguées. 
On  dirait  que  le  désordre  du  temps  se  reflète  dans  le  peu  de 
soin  qu'on  prend  à  faciliter  au  destinataire  le  travail  de  la 
lecture.  En  donnant  l'analyse  et  en  partie  la  traduction  de  ces 
pièces,  j'ai  constamment  été  obligé  de  venir  en  aide  à  l'insuf- 
fisance de  l'expression  et  du  syllogisme;  enfin,  la  calligraphie 
de  l'époque  est  au  niveau  de  la  rédaction. 

En  dépit  de  cette  critique,  j'ai  trouvé  une  certaine  jouis- 
sance à  vivre  pendant  quelque  temps  dans  une  espèce  d'inti- 
mité avec  nos  familles  nobiliaires,  dont  quelques-unes,  à 
cette  époque  déjà,  semblent  être  passablement  déchues  ou 
ruinées  par  les  troubles  prolongés,  puisqu'elles  sont  ou  se 
disent  incapables  de  réunir  quelques  chevaux  et  quelques 

'  Voy.  leUre  troisième. 


VINGTIÈME  LETTRE.  235 

écus.  Les  premières  circulaires  de  l'évèquc  s'adressent  aux 
seigneurs  les  plus  haut  placés,  aux  Wurmser,  Berckheim, 
Landsderg,  Miillenheim,  Weilersheim,  Berstett,  d'Andlau  etc. 
Une  lettre  spéciale  invite  Bernard  de  Lûtzelbourg  à  venir  au 
rendez-vous;  ce  seigneur,  dont  l'arbre  généalogique  remonte 
au  commencement  du  treizième  siècle,  relevait  aussi  de  la 
Lorraine,  et  il  est  connu  pour  avoir  joué  im  assez  méchant 
rôle,  un  rôle  de  violence,  dans  l'histoire  de  l'abbaye  de  ]\lar- 
moulier.  A  son  sujet,  l'évoque  se  voit  obligé  d'entrer  en 
négociation  avec  Charles-le-Grand,  duc  de  Lorraine,  celui 
que  Catherine  de  Médicis  songeait  un  instant  à  faire  roi  de 
France,  au  détriment  des  Bourbons  et  des  Guise.  Vous  voyez, 
Monsieur,  que  notre  liasse  touche  à  beaucoup  de  noms  et  de 
choses;  je  crois  avoir  observé  dans  mes  citations  une  extrême 
réserve;  et,  pourtant  il  se  peut  que  je  me  trompe,  et  qu'à 
l'exception  de  la  douce  et  timide  reine ,  dont  nous  avons 
entrevu  le  profil ,  vous  m'auriez  fait  grâce  des  autres  person- 
nages qui  ont  joué  un  rôle  dans  cet  intermède  tragi-comique 
des  deux  voyages  princiers. 


— »®ç&s.<— 


236  AFxCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 


LETTRE  VINGT  ET  UNIEME. 

Armoire  des  affaires  ecclésiastiques.  Son  contenu.  Rapport  de  l'érê 
elle  avec  les  établissements  reli$!;ieux  de  TAlsace.  —  Etendue  de 
ce  sous-fonds.  —  Correspondance  de  l'évéque  Krasme.  —  Marie 
I/Cczynska.  —  Kl'architecte  Ileckler.  —  tes  seigneurs  de  Kolbs- 
helni  en  lutte  avec  le  ^rand-chapitre  :  invasion  nocturne  de  Kolbs- 
heim.  —  Protestation  des  cliapitres  intra-muros  contre  la  Réforme. 
—  lia  chapelle  île  lu  Robcrtsau.  —  l,es  dernières  abbesses  de 
Hohenbourg. 

Monsieur, 

Ne  craignez  point,  en  lisant  le  litre  d'Armoire  des  affaires 
ecclésiastiques,  que  je  me  prépare  à  vous  faire  un  cours  de 
droit-canon  ou  d'histoire  ecclésiastique  ;  j'en  suis  parfaite- 
ment incapable  ;  les  vingt  mille  titres  du  sous-fonds,  qui  vont 
nous  occuper  pendant  quelques  instants,  renferment  d'ail- 
leurs tout  autre  chose.  Mes  prédécesseurs  ont  fait  entrer 
dans  celte  série  singuhèrement  élastique  tout  ce  qui ,  de  loin 
ou  de  près,  touche  aux  questions  de  juridiction,  de  privi- 
lèges, de  règlements,  d'inspections,  de  droits  honorifiques, 
d'affaires  de  testament.  Dans  ces  nombreux  cartons,  l'explo- 
rateur passe  en  revue  le  grand  monde  des  dignitaires  et  des 
juges  ecclésiastiques;  on  y  voit  apparaître  tour  à  tour  les 
suiï'ragants  de  l'évèque,  les  archidiacres,  les  grands  prévôts, 
les  doyens,  les  custodes,  les  écolâtres,  l'ofïiciaUté  ou  le  tri- 
bunal épiscopal  et  ses  membres,  en  un  mot  tous  les  officiers 
créés  pour  entourer  d'une  pompe  plus  grande  les  princes  de 
rÉglise  et  pour  régulariser,  par  la  division  des  travaux ,  l'ad- 
ministration d'un  ensemble  aussi  vaste  que  l'est  celui  d'une 
église  épiscopale. 

«En  voyant  de  près  cette  puissante  organisation,  qui  a 
«défié  tant  de  siècles,  je  ne  puis  jamais  me  défendre  d'un 
«mouvement  d'admiration,  qui  ne  sera  point  suspect  sur  mes 


VINGT  ET  UNIÈME  LETTRE.  237 

«lèvres.  La  réforme  a  simplifié  ce  rouage;  elle  a  coupé  le 
«superflu  et  uu  peu  rogné  le  nécessaire;  si  elle  a,  par  là, 
«donné  satisfaction  à  une  tendance  légitime  de  l'esprit  liu- 
«main,  cela  ne  saurait  empêcher  de  rendre  justice  à  l'esprit 
«d'ordre  et  de  prévoyance,  qui  a  présidé  aux  arrangements 
«intérieurs  dans  les  grandes  œuvres  de  l'église  catholique,  et 
«qui  a  su  absorber  dans  le  sein  de  la  société  spirituelle  une 
«foule  d'ambitions,  dont  l'inquiète  activité  aurait  peut-être 
«troublé  le  monde  à  contre-temps,  et  entravé  son  progrès  en 
«voulant  le  hâter  '.» 

Mais  indépendamment  de  ce  rouage  compliqué  que  l'on 
voit  fonctionner  avec  une  grande  précision,  il  y  a,  dans  le 
sous-fonds  des  affaires  ecclésiastiques,  un  autre  genre  d'in- 
térêt; on  est  à  l'avance  introduit  dans  l'intérieur  de  toutes  les 
communautés  religieuses,  avec  lesquelles  l'évêque  se  trouve 
en  rapport  d'affaires;  à  l'avance  on  est  familiarisé  avec  les 
nombreux  établissements,  chapitres,  abbayes,  couvents,  avec 
les  ordres  religieux  mihtaires,  tels  que  l'ordre  teutonique  et 
l'ordre  de  Saint-Jean,  qui,  dans  notre  immense  collection, 
sont  représentés  à  leur  tour  par  des  fonds  spéciaux.  En  sup- 
posant que  toutes  les  collections  de  documents  qui  consti- 
tuaient, avant  la  Révolution  de  1789,  les  archives  particulières 
de  chacun  de  ces  établissements,  eussent  péri,  ou  n'eussent 
point  été  délivrées  au  dépôt  départemental,  ce  qui  fort  heu- 
reusement n'est  pas  le  cas,  nous  arriverions  encore,  avec  ce 
résidu  de  correspondances,  de  titres  de  fondation,  de  titres 
de  propriété  de  toute  nature,  conservé  dans  cette  Armoire 
ecclésiastique  de  l'évêché,  nous  arriverions,  dis-je,  à  re- 
constituer quelques  fragments  d'histoire  de  chaque  chapitre, 
de  chaque  abbaye,  de  chaque  couvent,  de  chaque  église. 

Il  n'y  a  point  eu,  à  Strasbourg  et  en  Alsace,  d'église,  de 
terre,  de  communauté  d'hommes  et  de  femmes,  de  chapitre 

*  Voy.  mon  rapport  au  préfet  du  Bas-Rliin,  de  ^848. 


238  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

noble,  de  maison  religieuse  quelconque  ,  dont  l'évêque  ne  se 
soit  occupé  et  qui  n'ait  laissé  des  traces  dans  la  collection 
épiscopale.  En  parcourant  les  montagnes,  la  plaine,  les  bords 
du  Rhin,  l'intérieur  des  villes  et  des  bourgs,  en  frappant  à  la 
porte  des  cloîtres,  des  presbytères,  des  basiliques,  vous  n'en 
trouverez  guère  qui  n'ait  eu  quelque  place  dans  le  fonds  de 
l'évêché.  Il  est  évident  que  toutes  les  questions  de  discipline 
et  d'intérêt  ressortissaient,  pour  examen ,  décision  ou  conseil , 
à  l'administration  diocésaine;  que  des  titres,  à  l'appui  des 
suppliques,  étaient  fournis,  soit  en  original,  soit  en  copie, 
et  composaient  ainsi ,  peu  à  peu ,  par  une  agglomération 
inévitable,  une  série  de  dossiers,  qui  souvent  peuvent  servir 
à  contrôler  les  documents  primitifs  attachés  aux  fonds  spé- 
ciaux. 

Mais  l'évêché,  c'est-à-dire  la  régence  épiscopale  et  l'officia- 
lilé,  n'étaient  pas  seulement  en  rapport  avec  tous  les  établis- 
sements religieux,  depuis  le  grand-chapitre  jusqu'à  la  der- 
nière confrérie  et  chapelle  du  diocèse;  ils  avaient  des  affaires 
ecclésiastiques  et  disciplinaires,  des  questions  d'intérêt  gé- 
néral et  d'intérêt  mondain  à  traiter  avec  les  bailliages  épisco- 
paux  et  avec  les  localités  qui  ne  relevaient  point  de  l'autorité 
diocésaine  (lieux  forains).  Autre  source  de  correspondances 
et  d'accumulation  de  titres  de  toute  nature  !  Le  cabinet  de 
l'évoque  lui-même  avait  ses  relations  spéciales  et  confiden- 
tielles qui  s'étendaient  bien  au  delà  de  son  diocèse ,  bien  au 
delà  de  notre  pays.  Voyez  donc,  comme  notre  horizon  s'élar- 
git, s'agrandit  ! 

Lorsqu'on  laisse  errer  ses  yeux  dans  ces  avenues  de  dos- 
siers ,  on  épouvc  une  impression  pareille  à  celle  d'un  visiteur 
dans  une  vaste  galerie  de  tableaux;  avec  cette  différence,  que 
dans  un  musée,  les  contours  et  les  couleurs  présentent  des 
images  matérielles  palpables,  tandis  qu'en  feuilletant  rapide- 
ment les  cartons  ou  les  pages  d'un  inventaire ,  vous  ne  tra- 
versez que  des  abstractions;  durant  ce  fatigant  examen,  un 
nom  chasse  l'autre;  il  ne  reste  dans  notre  mémoire  qu'un 


VINGT  ET  UNIÈME  LETTRE.  239 

chaos,  OÙ  se  dessinent  quelques  formes  indécises.  Je  cherche 
à  en  fixer  quelques-unes,  sans  vous  initier  davantage  dans  les 
fatigues  ou  les  ennuis  du  métier. 

Parmi  les  pièces  de  correspondance  qui  ont  un  caractère 
historique,  je  citerai  celles  de  l'évêque  Erasme  qui  assiste  au 
concile  de  Trente,  où  s'est  consommée  la  séparation  des  deux 
éghses  rivales;  au  surplus,  ces  lettres  adressées  à  des  offi- 
ciers de  notre  évêché  et  à  d'autres  prélats  ne  touchent  guère 
à  des  questions  d'un  intérêt  général. 

Parmi  les  imprimés  se  trouvent  des  lettres-circulaires  adres- 
sées par  Louis  XV  à  l'évoque  de  Strasbourg-,  pour  lui  annon- 
cer la  mort  de  la  reine  Marie  Leczynska  et  pour  demander  des 
prières  publiques.  Rappelons-nous  que  la  reine  qui  venait 
d'expirer  avait  quitté,  le  cœur  plein  d'espoir,  la  modeste  de- 
meure de  son  père  Stanislas ,  qui  vivait  obscurément ,  roi  dé- 
trôné, dans  une  petite  ville  d'Alsace.  Au  milieu  des  ennuis  de 
la  royauté  et  aux  côtés  d'un  époux  libertin  avec  effronterie , 
Marie  Leczynska,  plus  d'une  fois  sans  doute,  a  regretté 
l'humble  mais  élégant  asile  au  pied  des  remparts  de  Wissem- 
bourg-,  non  loin  de  cette  belle  église  abbatiale  de  Saint-Pierre 
et  Saint-Paul,  où  elle  allait  prier  Dieu  pour  le  salut  et  la  con- 
solation de  son  père.  Singulier  aveuglement  de  nos  pensées  ! 
Si  Marie  Leczynska  était  morte  jeune  dans  ce  séjour  calme  où 
l'on  respirait  quelque  chose  de  la  paix  du  vieux  cloître  méro- 
vingien, personne  qui  n'eût  plaint  le  sort  de  cette  fille  de  roi 
succombant  dans  les  douleurs  de  l'exil  et  dans  l'obscurité.  Et 
cependant,  ce  sort  n'eùt-il  pas  été  mille  fois  préférable  à  la 
royauté  mensongère  que  lui  faisait  son  union  avec  Louis  XV ?. . . , 

Le  carton  de  la  fabrique  de  notre  cathédrale  contient  quel- 
ques détails  archiiectoniques  :  par  exemple,  une  correspon- 
dance entre  l'évêque  et  le  grand -chapitre  (1532)  au  sujet 
d'une  petite  tour  au-dessus  du  chœur  que  le  magistrat  voulait 
faire  abattre;  des  instructions  datées  du  seizième  siècle  sur 
la  manière  d'ouvrir  et  de  fermer  la  crypte;  et  un  traité  avec 
l'architecte  fleckler  (1682)  au  sujet  de  l'agrandissement  du 


240  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

chœur,  projet  qui  n'a  point  été  exécuté  et  qui  a  fait  place 
maintenant  à  une  restauration  consciencieuse  et  savante.  Tout 
ce  qui,  de  loin  ou  de  près,  touche  aux  constructions  succes- 
sives et  même  aux  simples  réparations  de  l'édifice  qui  est  l'or- 
gueil de  notre  cité  et  de  l'Europe  chrétienne,  doit  attirer,  à 
un  égal  degré,  l'attention  de  l'architecte,  de  l'archéologue  et 
du  modeste  amateur. 

Les  relations  les  plus  fréquentes  de  l'évêque  étaient  celles 
avec  le  grand-chapitre.  Sous  la  ruhrique  du  grand-doyenné 
se  trouve  une  liasse  relative  à  une  discussion  entre  les  Voltz 
d'Altenau,  seigneurs  de  Kolbsheim,  et  le  grand-doyen,  qui 
avait  des  droits  sur  la  même  commune;  les  lettres  les  plus 
intéressantes  sont  de  l'année  1668;  l'indication  sommaire  de 
leur  contenu  justifiera  une  petite  digression. 

Les  Voltz  d'Altenau  et  Dagobert  Wormser  de  Vendenheim 
avaient  surpris  de  nuil,  avec  quatre  cents  hommes,  le  village 
de  Kolbsheim.  En  vrais  barons  du  moyen  âge,  ils  pillent  la 
commune,  et  essaient  d'arracher  aux  femmes  intimidées  les 
titres  constatant  les  privilèges  du  grand-doyen  ;  mais  les  ha- 
bitants mâles,  mieux  avisés,  avaient  abandonné  le  terrain  et 
mis  en  sûreté  les  titres  dont  ils  paraissent  avoir  été  plus  en 
peine  que  de  leurs  femmes  confiées  aux  bons  procédés  des 
nobles  envahisseurs. 

La  dignité  de  grand-doyen  reposait  alors  sur  la  tète  du 
comte  de  Créhange,  qui  informa  sur-le-champ  l'évêque  des 
violences  commises  ;  il  lui  demanda  secours  et  assistance  pour 
avoir  satisfaction  de  l'injure;  car  le  lieutenant-prévôt  avait 
été  lui-même  en  butte  aux  excès  des  troupiers.  Les  sieurs 
Voltz,  de  leur  côté,  appuyés  par  le  Directoire  de  la  noblesse, 
prétendaient  que  les  coseigneurs  laïques  du  village  étaient  en 
droit  de  punir  des  sujets  rebelles.  Un  mandement  delà  Chambre 
impériale  désapprouva  les  violences,  les  défendit  à  l'avenir, 
et  prescrivit  les  voies  réguhères.  La  décision  finale  n'est  pas 
jointe;  je  présume  qu'une  transaction  aura  mis  fin  à  ce  fâ- 
cheux débat,  et  que  les  habitants  des  deux  sexes  auront  été 


VINGT  ET  UNIÈME  LETTRE.  241 

les  seules  dupes  dans  l'affaire.  Remarquons  une  fois  de  plus 
que  ces  incroyables  scènes  se  passent  dans  l'époque  de  tran- 
sition ,  entre  la  paix  de  Westplialie  et  la  réunion  de  Strasbourg. 
Qu'on  ne  blâme  plus  Louis  XIV  d'avoir  mis  fin  à  cet  état  de 
choses  hybride  et  anormal  ! 

Le  grand  chœur,  l'asile  des  chanoines  roturiers,  nous  pré- 
sente les  cartons  de  ses  rentes,  et,  à  ce  titre,  des  lettres 
échangées  avec  le  comte  de  Hanau-Lichtenberg  (1584-1585). 
Ce  dernier  demande  que  les  chanoines  nomment,  à  titre  de 
décimateur  de  Wintzenheim  ,  le  ministre  protestant,  et  il  s'é- 
tonne naïvement  de  ne  point  recevoir  de  réponse.  A  l'année 
1588  se  rapportent  des  circulaires  adressées  par  l'évêque  aux 
baillis  pour  les  informer  que  les  chanoines  protestants  ont 
chassé  du  Gûrtlerhof  les  vicaires  du  grand-chœur,  qu'ils  ont 
mis  les  caves  et  les  greniers  au  pillage.  Les  baillis  devaient 
engager  les  fermiers  à  ne  plus  porter  les  rentes  au  Gûrtlerhof, 
mais  à  Saverne.  Ce  fait  rentre  dans  la  lutte  tantôt  sourde, 
tantôt  ouverte  qui  précéda  la  guerre  de  Trente  ans  et  sur 
laquelle  j'ai  déjà  appelé  votre  attention.  Un  titre  de  1634,  de 
la  même  liasse,  est  relatif  à  un  fait  de  la  guerre  elle-même. 
Le  colonel  suédois  Bastelli  avait  enlevé  au  grand-chœur  les 
revenus  de  Kùttolsheim.  A  ce  sujet,  les  chanoines  présentent 
requête  au  prince  de  Salm,  administrateur  général  de  l'évê- 
ché.  Il  est  fort  douteux  que  justice  ait  été  faite  au  milieu  de 
la  tourmente. 

Les  relations  de  l'évêché  avec  le  chapitre  de  Saint-Pierre- 
le-Jeune  de  Strasbourg  ont  trait  aux  discussions  religieuses 
amenées  par  l'introduction  du  luthéranisme  à  Strasbourg. 
Nous  y  trouvons,  en  premier  lieu,  la  protestation  des  trois 
chapitres  intra-muros  au  moment  où  le  magistrat  venait  d'em- 
pêcher l'exercice  de  la  religion  catholique,  et  de  mettre  le 
séquestre  sur  les  biens  canoniaux;  puis  un  mandement  de 
Charles-Quint,  qui  prescrit  à  la  ville  de  Strasbourg  de  ne  point 
insulter  ni  inquiéter  la  ville  d'Offenbourg,  où  les  chapitres  de 
Saint-Pierre-le-Vieux,  Saint-Pierre-le-Jeune  et  Saint-Thomas 


24-2  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

avaient  déposé  les  ornemenls  d'église,  au  moment  où  les 
troubles  religieux  éclataient  à  Strasbourg-. 

Des  indices  sur  les  violences  de  la  guerre  de  Trente  ans  se 
trouvent  dans  les  rapports  de  l'évèque  avec  la  maison  de  Saint- 
Jean  de  Strasbourg.  On  sait  que  l'ancienne  demeure,  occupée 
par  l'ordre  de  Malte,  à  Strasbourg,  dans  l'île  verte  (im  grimen 
Wœrth)\  fut  démolie  en  grande  partie,  de  1G33  à  1634,  pour 
faire  place  aux  forlifications  de  la  ville.  Cette  opération  est 
mentionnée  dans  nos  cartons  de  Saint-Jean,  où  figurent  aussi 
tous  les  actes  de  confirmation  accordés  aux  privilèges  de  la 
maison  par  nos  évèques. 

Toujours  sans  sortir  des  murs  et  de  la  banlieue,  nous  voyons 
l'évêché  en  contact  avec  l'abbaye  de  Saint-Etienne,  pour  la 
chapelle  de  la  Robertsau,  par  exemple,  qui  avait  été  fondée 
au  milieu  du  quatorzième  siècle,  dans  le  but  de  faciliter  aux 
paroissiens  campagnards  de  Saint-Etienne  la  fréquentation  du 
service  divin  pendant  les  inondations;  car,  à  cette  époque, 
les  grandes  crues  du  Rhin ,  non  maîtrisées  par  les  travaux 
d'art,  empêchaient  fréquemment  les  habitants  de  la  Robert- 
sau de  communiquer  avec  la  ville.  Le  couvent  de  Saint-Etienne 
conserva  la  nomination  du  prébendier  ou  chapelain  de  la  Ro- 
bertsau; plus  d'un  titre  de  donation,  de  constitution  de  rente, 
de  procuration,  constate  ce  droit.  Au  seizième  siècle,  lorsque 
les  troubles  religieux  éclatent,  ce  lien  paroissial  de  Saint- 
Élienne  avec  la  Robertsau  donne  lieu  à  des  discussions  avec 
le  magistrat  de  Strasbourg,  qui  veut  obliger  le  cloître  d'en- 
tretenir un  curé  extra-muros  sous  peine  de  perdre  les  dîmes 
dans  la  localité.  Une  fois  que  l'on  touche  à  cette  époque  agi- 
tée, les  conflits  se  répètent  sur  tous  les  points  du  diocèse. 

En  sortant  des  murs  de  Strasbourg,  l'abbaye  d'Eschau  et  le 
couvent  de  Hohenbourg  constituent,  dans  l'Armoire  ecclésias- 
tique, les  subdivisions  les  plus  considérables. 

Des  donations  et  des  conflits  de  toute  nature  caractérisent 

1  Sur  remiiln^^emont  île  la  maison  tin  convclion. 


VINGT  ET  UNIÈME  LETTRE.  243 

les  titres  relatifs  à  Eschaii.  En  1272,  une  transaction  entre  le 
couvent  et  le  seigneur  de  Rathsanmhausen  mit  fm  à  un  long 
litige,  à  la  suite  des  violences  commises  par  ce  seigneur,  qui 
avait  enlevé  des  chevaux  et  séquestré  un  prêtre  de  l'abbaye. 
Quant  à  Hohenbourg  dont  nous  avons,  à  plusieurs  reprises, 
abordé  le  pittoresque  sanctuaire,  ce  sont  des  élections  et  con- 
firmations d'abbesses,  des  investitures  de  prébendes,  des  af- 
faires de  statuts,  des  discussions  entre  le  couvent  au  haut  de 
la  montagne  et  Niedermiinster,  pour  la  cure  d'Obernai,  qui 
constituent  cette  subdivision.  Les  noms  des  dernières  ab- 
besses,  Agnès  Zuckmantel,  Anne  d'Oberkirch  et  Agnès  d'Ober- 
kirch  (1546),  inspirent  un  pénible  intérêt,  puisqu'ils  forment 
la  clôture  d'une  liste  qui  remonte  à  Herrade  et  à  Sainte-Odile. 
Singulier  contraste  des  faits!  l'origine  première  du  couvent  se 
perd  dans  le  crépuscule  de  la  tradition  et  de  l'époque  méro- 
vingienne si  confuse  et  si  mystérieuse;  tandis  que  la  dernière 
abbesse  de  Hohenbourg  manque  périr  dans  un  incendie,  dont 
les  sinistres  clartés  se  projettent  sur  un  pays  où  tout  était  en 
combustion  et  en  voie  de  se  transformer. 


^M  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RIIIN. 


LETTRE  VINGT-DEUXIEME. 

Fonds  du  graud-chupitrc  et  du  grand-chœur.  —  Histoire  ftoinniaire 
de  ces  corporations.  —  nicliesses  des  deux  fonds.  —  Tables  généa- 
logiques  des  récipiendaires  au  grand -cliapitre.  —  Ciiarte  d'Ar- 
noulphe ,  roi  des  Romains.  —  Procès  de  sorcellerie.  —  Oeyler  de 
Kayserslierg ,  prédicateur  de  la  cathédrale.  —  .u.  Bautain. 

Monsieur, 

A  la  suite  du  fonds  de  révêché  de  Sirasbourg,  nous  avons 
rangé,  dans  notre  collection  ecclésiastique,  les  fonds  spéciaux 
du  grand-chapitre  çt  du  grand-chœur  de  la  Cathédrale.  Il  est 
bien  entendu  que  ces  deux  corporations  faisaient  partie  inté- 
grante de  l'évèché,  mais  elles  avaient  des  dignitaires  à  elles, 
des  propriétés  distinctes,  une  administration  séparée  de  celle 
de  l'évèché.  La  collection  des  documents  de  ces  deux  corps 
est  d'une  grande  richesse,  d'une  grande  étendue;  à  peine  si 
je  puis  côtoyer  un  instant  ce  terrain  fécond  en  révélations  sur 
la  vie  politique,  civile  et  religieuse  de  notre  province,  depuis 
les  Carlovingiens  jusqu'au  cœur  du  dix-huitième  siècle. 

Je  vous  ai  déjà  parlé,  incidemment,  du  grand-chapitre  et 
de  ses  vastes  domaines;  ses  dotations  lui  venaient,  en  partie 
peut-être,  des  Mérovingiens;  mais  la  grosse  part  est  due  aux 
premiers  Carlovingiens,  et  au  roi  de  Germanie  Arnoulphe, 
issu,  par  la  bâtardise,  de  cette  illustre  famille  impériale. 

Mais  qu'était-ce  que  ce  grand-chapitre  de  notre  église  ca- 
thédrale? Sous  Charlemagne  et  ses  lils,  c'était  un  corps  de 
soixante-six  chanoines  ou  prébendiers,  pourvus  de  riches  bé- 
néfices; corps  qui  se  recrutait  lui-même,  par  élection,  en 
prenant  ses  membres  exclusivement  dans  les  rangs  de  la  haute 
noblesse  et  même  dans  les  familles  princières.  Les  chanoines 
étaient  tenus  de  célébrer  certains  offices  ou  d'y  assister;  ils 
contribuaient,  bien  entendu,  à  la  pompe  du  culte;  une  réunion 
pareille  de  dignitaires  ajoutait,  dans  une  résidence  diocésaine, 


VINGT-DEUXIÈME  LETTRE.  245 

à  l'éclat  du  service  divin,  et  grandissait  l'cvêque  entouré  de  ce 
brillant  cortège,  comme  les  cardinaux,  qui  forment  la  cour 
pontificale,  ajoutent  à  l'imposante  apparition  du  Père  des 
fidèles.  Le  grand-chapitre  était  un  sénat  ecclésiastique,  con- 
servant les  traditions  de  l'Église  de  Strasbourg,  et  les  faisant 
valoir  avec  indépendance,  quelquefois  dans  un  esprit  d'hosti- 
lité systématique,  contre  les  prélats,  lorsque  ces  derniers 
poursuivaient  un  but  qui  ne  s'accordait  phis  avec  le  bien  gé- 
néral de  l'Église.  Le  g-rand-chapitre,  en  un  mot,  était  un  col- 
lège modérateur. 

Sous  l'évêque  Werinhar,  l'empereur  Henri-le-Saint  avait 
manifesté  l'intention  bien  nette  de  se  faire  recevoir  dans  le 
grand -chapitre  de  Sirasbourg,  mais  l'évêque,  effrayé  des 
troubles  que  l'empire  aurait  à  traverser  s'il  fallait  arriver  à 
l'élection  d'un  nouveau  souverain,  décida  son  royal  ami  à 
rentrer  dans  le  siècle;  il  lui  imposa  même  ce  sacrifice,  en 
vertu  de  l'obédience  que  le  chanoine  récipiendaire  devait  à 
l'évêque,  son  chef  spirituel. 

Henri  II  se  soumit,  et  pour  remplir  la  place  qu'il  laissait 
vide,  il  institua  la  prébende  de  Roi  du  chœur,  espèce  de  siné- 
cure qui  restait  à  la  nomination  de  l'empereur  d'Allemagne, 
et  qui  fut,  on  le  pense  bien,  constamment  très-recherchée. 

Après  les  Carlovingiens,  le  grand-chapitre  réduisit  le  nombre 
de  ses  membres  à  vingt-quatre,  dont  douze  étaient  chanoines 
capitulaires,  c'est-à-dire  vivant  en  commun,  et  douze  cha- 
noines domiciliés  à  volonté  dans  la  ville;  ces  derniers  n'a- 
vaient que  le  quart  de  la  compétence  dont  jouissaient  leurs 
collègues. 

Pour  être  admis  dans  le  grand-chapitre  de  Strasbourg,  il 
fallait  faire  preuve  de  seize  quartiers  de  noblesse  du  côté  pa- 
ternel et  du  côté  maternel,  ou  bien  descendre  de  princes, 
ducs  ou  comtes.  Dans  le  statut  royal  de  1687,  il  était  dit  que 
le  tiers  des  places  canoniales  appartiendrait  désormais  à  des 
nobles  d'extracUon  française.  Pendant  le  dix-huitième  siècle 
on  vit  siéger  dans  cet  illustre  corps  les  descendants  des  plus 


246  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

grandes  familles  de  l'intérieur.  Les  Rohan,  par  exemple,  en 
avaient  fait  une  espèce  d'apanage  de  leur  maison  princière. 

Voulez-vous  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  preuves  de  no- 
blesse fournies  par  les  récipiendaires,  et  sur  les  arbres  généa- 
logiques, dont  les  dessins  formant  de  grands  rouleaux,  sont 
conservés  dans  notre  collection?  Vous  y  trouverez  quelquefois 
des  paysages  pas  trop  mal  coloriés,  représentant  les  châteaux 
patrimoniaux  des  candidats.  Tel  est  l'arbre  généalogique  des 
Truchsess;  si  la  peinture  dit  vrai,  je  puis  vous  donner  l'assu- 
rance que  leur  castel  héréditaire  était  situé  dans  une  contrée 
pittoresque.  Les  preuves  fournies  par  Jean  Erbtruchsess ,  ba- 
•  ron  de  Walbourg,  sont  corroborées  par  les  sigillés  d'un  comte 
de  Montfort  et  d'un  baronet  de  Kœnigsegg.  Un  autre  membre 
de  la  même  famille  de  Truchsess  (Léopold-Frédéric,  en  1626) 
a  pour  parrains  le  duc  de  Bavière  Maximilien,  comte  palatin 
du  Rhin;  W^erner,  évêque  de  Constance;  Charles,  comte  de 
Zolleren  ;  Egon  de  Fiirstenberg.  —  Un  certificat  de  naissance 
émis  en  faveur  de  Wolfgang  de  Ileuvven  (en  1493),  aspirant 
au  grand-chapitre,  porte  la  signature  d'un  comte  de  Montfort, 
de  l'évêque  de  Constance  et  de  l'abbé  de  Rcichcnau. 

Parmi  les  récipiendaires  figurent,  à  partir  du  quinzième 
jusqu'au  dix-huitième  siècle,  des  membres  de  la  maison  ar- 
chiducalc d'Autriche,  margraviale  de  Bade,  ducale  de  Bavière, 
de  Saxe,  de  Lorraine,  landgraviale  de  Hesse,  princière  de 
Salm,  baroniale  de  Hohensax,  des  comtes  de  Hohenlohe,  de 
Hohenzollern,  de  Holstein-Schauenburg ,  de  Lœwenstein,  de 
Manderscheid,  de  Nassau. 

Si  vous  étiez  curieux.  Monsieur,  de  parcourir  les  livres- 
copies  de  la  correspondance  du  grand-chapitre,  vous  seriez 
arrêté  à  chaque  page  par  les  noms  les  plus  éminents;  je  ne 
veux  point  dire  par  là  que  tous  les  correspondants,  sans  excep- 
tion, ont  une  valeur  historique,  individuelle.  Les  noms  qui 
brillent  d'un  éclat  sans  pareil  sont  rares  dans  l'histoire  ;  tenons- 
nous  pour  satisfaits  d'avoir,  dans  notre  collection,  des  noms 
qui  se  rattachent,  ne  serait-ce  que  par  une  petite  feuille  de 


VINGT-DEUXIÈME  LETTRE.  247 

leur  arbre  généalogiciuc,  aux  grandes  existences  de  l'empire 
germanique.  Ces  princes,  ces  ducs,  ces  barons  des  bords  du 
Rhin  et  du  Danube  nous  ont  fait  beaucoup  d'honneur  en  dai- 
gnant siéger  dans  le  cénacle,  doté  par  les  Dagobert,  parChar- 
lemagne,  Arnoulphe  et  Henri  II  ! 

Deux  fois  déjà  j'ai  nommé  le  roi  Arnoulphe,  qui  parvint  à 
s'emparer  de  la  Germanie  au  moment  où  Charles-le-Gros  était 
confiné  à  Reichenau.  La  plus  ancienne  Charte  de  la  collection 
du  grand-chapitre  émane  de  lui,  et  elle  remonte  précisément 
à  cette  année  climatérique,  qui  fut  celle  de  la  dislocation  de 
l'Empire  carlovingien.  —  Sur  les  prières  d'un  comte  Eber- 
liard,  Arnoulphe  donne  en  888  au  prêtre  Isanphret  (Isem- 
brechl)  huit  lois  de  terres  dans  le  canton  de  Mortenau  ' ,  es 
bans  d'Avenheini-  et  de  Baldenheim;  de  plus,  dans  ledit  can- 
ton, une  église  avec  ses  dépendances.  Après  la  mort  du  dona- 
taire, et  éventuellement  après  la  mort  de  son  plus  proche 
parent,  les  biens  de  l'église  devaient  échoir  à  Notre-Dame  de 
Strasbourg.  — Voilà,  certes,  un  bien  d'une  provenance  res- 
pectable, et  qui  imprimerait  une  double  valeur  à  la  Charte  de 
888,  si  l'on  pouvait  deviner  la  situation  précise  et  les  limites 
du  terrain. 

Parmi  les  donateurs  du  grand-chapitre  figurent  aussi  des 
évêques  de  Strasbourg  et  des  chanoines  du  chapitre  même. 
Pendant  le  moyen  âge  on  donnait  libéralement,  car  on  était 
sûr  de  gagner  le  ciel  ;  plus  tard,  les  parties  prenantes  devinrent 
plus  nombreuses  que  les  faiseurs  de  libéralités. 

Une  partie  bien  curieuse  de  ce  fonds  du  grand-chapitre, 
c'est  la  rubrique  des  procédures  criminelles,  et,  parmi  ces 
dossiers,  ceux  qui  se  rapportent  à  la  sorcellerie.  A  partir  de 
la  fin  du  quinzième  jusqu'à  la  fin  du  dix-septième  siècle,  l'Eu- 
rope centrale  a  été  infectée  de  cette  déplorable  contagion  mo- 
rale. Mais  à  aucune  époque,  ces  atroces  procès  n'ont  été  aussi 
fréquents  qu'aux  approches  de  la  guerre  de  Trente  ans.  On  eût 

'  Ortenau. 
-  Aiienlieiii). 


248  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

dit  que  l'atmosphère  physique  et  intellectuelle  était  viciée  en 
même  temps,  et  que  les  esprits  les  plus  fermes  cédaient  à 
une  influence  occulte,  funeste  et  presque  inexplicable.  «Les 
«juges  catholiques  et  prolestants  rivalisaient  dans  l'applica- 
«  lion  des  lois  rigoureuses  portées  contre  des  crimes  imagi- 
«  naires;  car  les  partisans  de  chaque  culte  voulaient,  dans  la 
«  punition  des  coupables,  faire  preuve  de  zèle  pour  la  cause 
«  de  Dieu  contre  le  règne  occulte  du  démon.  Non-seulement 
«les  actes  de  procédure  de  notre  grand-chapitre,  mais  ceux 
«  de  la  préfecture  de  Ilaguenau,  mais  ceux  des  villes  et  des 
«  bailliages  ecclésiastiques  et  civils  abondent  en  causes  cri- 
«  minelles  qui  rentrent  dans  la  classe  des  maléfices ,  sur  les- 
«  quels  le  marteau  des  sorciers  '  frappa  des  coups  si  longs  et 
<i  si  répétés,  que  les  âmes  honnêtes  et  saines  finirent  par  s'é- 
«  mouvoir  et  par  jeter,  au  risque  d'être  elles-mêmes  soup- 
«  çonnées  et  damnées,  un  long  cri  de  détresse-.  » 

Dans  les  dossiers  du  grand -chapitre  j'ai  surtout  remar- 
qué les  actes  de  la  procédure  de  deux  pauvres  femmes  de 
Geispolsheim  ,  Apollonie  Spener  et  Dorothée  Pfister,  sa  fille 
(4616).  Leur  interrogatoire,  la  froide  impassibihté  du  procu- 
reur, le  relaté  laconique  des  tortures  infligées  à  ces  malheu- 
reuses, pour  leur  extorquer  l'aveu  d'une  connivence  ciiar- 
nelie  avec  le  démon  habillé  de  noir  comme  un  beau  gentil- 
lâtre,  la  description  des  onguents  que  ces  femmes  ignorantes 
conviennent  d'avoir  préparés  pour  se  rendre  invisibles  et  as- 
sister à  la  réunion  du  sabbat  des  sorcières,  ce  mélange  de 
scènes  si  burlesques  et  tragiques  ;  le  rire  involontaire  qui 
vous  saisit  au  milieu  des  tressaillements  sympathiques  pour 
la  douleur  de  ces  victimes,  puis  la  colère  qui  à  son  tour  ar- 
rête le  rire  au  moment  où  il  effleure  vos  lèvres,  non,  rien  ne 
peut  rendre  cette  fluctuation  de  pensées  et  de  sensations,  rien 

*  Maliens  maleficorum ,  on  appelait  ainsi  le  Code  de  procédure  inquisito- 
riale  de  la  fin  du  quinzième  siècle. 

^  Voy.  Histoire  de  la  Basse-Alsace ,  par  l'arcliiviste  du  Bas-Rliin,  p.  209 
et  suiv. 


VINGT-DEUXIÈME  LETTRE.  249 

ne  peut  en  donner  une  idée  que  la  lecture  de  ces  hideux  pro- 
cès-verbaux qu'on  dirait  dictés  par  le  diable  lui-même  dans 
un  moment  de  satanique  ironie  contre  l'espèce  humaine'. 

Par  quel  mystérieux  enchaînement  de  faits  et  d'idées  suis-je 
arrivé  à  prendre  cet  intérêt  passionné  pour  deux  paysannes 
inconnues?  Quel  concours  de  circonstances  bizarres  n'a-t-il 
pas  fallu  pour  me  faire  exhumer  ces  pauvres  noms  et  appeler 
l'intérêt  sur  ces  victimes  d'une  ténébreuse  procédure?  Ces 
martyrs  de  la  superstition  n'ont-ils  pas  droit  à  toute  notre 
sympathie,  et  leur  réhabilitation  n'est- elle  pas  commandée 
par  le  double  et  impérieux  besoin  du  cœur  et  de  la  raison? 
Que  l'on  ne  dise  point  :  ces  crimes  d'un  autre  âge  sont  en- 
terrés à  jamais;  laissons-les  dormir  du  sommeil  éternel.... 
Qu'en  savons-nous  !  Les  stupides  croyances  populaires  sont- 
elles  partout  éteintes  et  étouffées  dans  nos  campagnes?  n'a-t- 
on pas  vu  souvent  les  nations  tourner  dans  un  cercle  vicieux 
et  revenir  à  des  errements  que  l'on  croyait  oubliés  !  Tout 
n'est-il  pas  possible,  tout  n'est-il  pas  croyable  à  une  époque 
qui  a  vu  la  manie  des  tables  tournantes  et  des  esprits  frap- 
peurs faire  le  tour  du  monde?  qu'est-ce  qui  dénote  une  cré- 
dulité plus  grande,  la  tendance  qui  vous  porte  à  croire  à  la 
réalité  d'un  pacte  secret  avec. le  diable,  ou  celle  qui  loge  le 
diable  lui-même  dans  le  bois  mort  de  notre  mobilier? 

C'est  un  Père  Jésuite  qui,  le  premier  a  élevé  sa  voix  con- 
tre les  procès  de  sorcellerie,  et  qui  a  stigmatisé  l'absurde 
cruauté  des  juges,  et  la  connivence  contagieuse  des  popula- 
tions. Son  nom  mérite  d'être  proclamé;  il  s'appelait  Frédéric 
Spee  (1631);  vous  pouvez  hardiment  placer  son  nom  à  côté 
de  celui  de  Lascasas. 

Quant  aux  causes  secrètes  de  cette  singulière  aberration  de 
l'esprit  humain,  les  dossiers  de  la  préfecture  de  Haguenau 
n'ont  pu  laisser  subsister  à  ce  sujet  aucun  doute  dans  mon 


^  Voy.  les  actes  de  la  procédure,  sous  la  rubrique  de  Pièces  justificatives , 
à  la  fin  du  volume. 


250  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

esprit.  Les  amendes  et  les  confiscalions  ont  joue  un  grand 
rôle  dans  ces  procédures;  et,  dans  la  plupart  des  cas,  lors- 
qu'il s'agissait  de  sorcières,  la  concupiscence  mêlait  ses  ef- 
frayantes ardeurs  à  l'âpreté  des  poursuites  officielles.  Si, 
comme  on  a  cherché  à  l'insinuer,  les  inculpés  de  sorcellerie 
étaient,  pour  la  plupart  du  temps,  coupables  d'autres  méfaits 
et  d'autres  crimes  que  la  loi  pouvait  plus  difficilement  atteindre, 
et  que  l'on  empruntait  la  procédure  du  marteau  des  sorciers 
pour  frapper  des  coups  assurés  sur  des  tètes  de  fer  et  de  feu , 
je  dirais  tant  pis!  je  n'ai  jamais  compris  le  système  de  juris- 
prudence qui  veut  singer  la  justice  divine. 

Parmi  les  innombrables  titres  de  propriété  de  cette  vaste 
collection  du  grand-chapitre ,  je  ne  puis  me  dispenser  de  par- 
ler d'un  acte  de  l'an  1200  :  l'antiquité  du  document  et  les  per- 
sonnages qui  y  figurent  autorisent  ce  i)oint  d'arrêt.  Il  s'agit  de 
la  cession  du  fonds  de  terre  sur  lequel  est  construit  le  châ- 
teau de  Landsperg,  à  mi-hauteur  de  la  chaîne  des  Vosges. 
Adelindis,  abbesse  de  Niedermiinster ,  transmet  celte  localité 
avec  la  forêt  voisine,  bien  nettement  délimitée,  au  chevalier 
Conrad  de  Landsperg.  Les  abbesses  de  ce  couvent  de  Nieder- 
raùnster  figurent  dans  beaucoup  de  bulles,  de  lettres  épisco- 
pales,  de  lettres  impériales,  réunies  dans  une  subdivision  du 
fonds  du  grand-chapitre. 

Dans  les  affaires  du  culte  se  trouve  la  nomination  du  célè- 
bre Geyler  de  Kaysersberg  à  l'office  de  prédicateur  de  la  ca- 
thédrale ,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle.  Ce  petit  dossier  con- 
siste en  une  série  d'actes  notariés,  dont  l'un  mentionne  l'éta- 
blissement de  l'office  en  question,  un  autre  la  renonciation 
de  Geyler  à  la  prébende  de  l'évêque,  un  troisième  la  confir- 
mation pontificale.  Est-il  besoin  d'insister  sur  la  signification 
du  nom  de  cet  orateur  chrétien  aux  approches  de  la  Réforme? 
Faut-il  rappeler  que  si  les  événements  de  1517  avaient  pu 
être  détournés,  Geyler  de  Kaysersberg  (mort  en  1510)  aurait 
contribué  à  faire  ce  miracle?  Geyler,  l'orateur  à  la  fois  philo- 
sophe et  inspiré,  opposait  aux  folies  de  son  siècle  le  miroir 


VINGT-DEUXIÈME  LETTRE.  251 

d'une  vie  chrétienne.  L'évêque  Albert  avait  autorisé  le  prédi- 
cateur de  la  cathédrale  à  tonner  contre  les  vices  d'une  géné- 
ration dont  l'un  et  l'autre  connaissaient  les  misères,  les  espé- 
rances et  les  ressources.  Les  contemporains  de  Geyler  étaient 
absorbés,  comme  nous,  par  les  soins  et  les  exigences  de  la 
vie  matérielle  ;  le  prédicateur  illustre  voulait  les  rappeler  à  la 
vie  en  Dieu  ,  et  réveiller  les  consciences  endormies.  Il  a  borné 
son  ambition  à  cette  tâche  ardue,  et  conquis  la  gloire  d'un 
orateur  chrétien  et  d'un  remarquable  écrivain,  qui  fournit 
jusqu'à  l'heure  présente  les  données  les  plus  exactes  sur  les 
mœurs ,  l'état  religieux  et  la  langue  de  son  époque.  Sébastien 
Brandt  a  célébré  sa  mémoire,  et  la  postérité  s'est  empressée 
de  ratifier  le  panégyrique  de  cet  autre  écrivain,  qui  a  laissé 
un  nom  impérissable  dans  les  annales  de  l'histoire  littéraire 
de  Strasbourg  et  de  l'Allemagne. 

A  côté  du  grand-chapitre,  une  seconde  corporation  offrait 
un  asile  aux  illustrations  ou  notabilités  ecclésiastiques  sorties 
delà  bourgeoisie,  qui  ne  pouvaient,  à  raison  de  leur  origine, 
être  admises  dans  lé  cénacle  aristocratique.  Si  j'ai  comparé 
plus  haut  le  grand-chapitre  à  un  collège  de  cardinaux  au  pe- 
tit pied,  à  une  espèce  de  Chambre  haute  de  ce  Parlement  ec- 
clésiastique réuni  autour  de  l'évêque  de  Strasbourg,  j'assimi- 
lerai le  grand-chœur  à  une  chambre  basse,  à  siège  viager, 
où  l'éligibilité  n'impliquait  d'autre  condition  que  celle  delà 
capacité  et  de  l'honorabilité.  C'est  dans  le  grand-chœur  que 
siégeait  l'abbé  Grandidier,  l'historiographe  élégant  et  érudit 
de  l'église  d'Argentorat ,  l'archiviste  épiscopal,  l'homme  ai- 
mable et  aimant,  dont  vous  connaissez  la  silhouette  '.  En  re- 
montant au  siècle  de  Henri-le-Saint ,  qui  avait  fondé  le  grand- 
chœur  de  la  cathédrale ,  l'abbé  Grandidier  devait  bénir  la  mé- 
moire du  prince,  qui  lui  faisait  ses  doux  loisirs.  Officielle- 
ment, il  était  bien  tenu  de  remercier  le  cardinal  de  Rohan  ; 
mais  je  suis  convaincu  qu'au  fond  de  son  cœur  il  rapportait 

1  Voy.  la  lettre  deuxième. 


252  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

sa  gratitude  à  l'ami  royal  de  l'évéque  Werinhar,  et  qu'il  pen- 
sait de  lui  ce  que  Virgile  disait  d'Auguste  : 

Deus  iiobis  hsec  otia  fecit'. 

La  série  des  titres  relatifs  à  cette  création  de  l'empereur 
Henri  II  est  aussi  riche  que  celle  du  grand-chapitre;  cepen- 
dant je  me  vois  obligé  de  passer  outre  et  de  me  contenter  d'une 
mention  fugitive.  Comme  dans  tous  nos  fonds  ecclésiastiques, 
on  y  trouve  des  affaires  de  culte,  des  titres  de  propriété,  de 
comptabilité,  de  procédures,  et  surtout  une  correspondance 
historique.  Dans  cette  catégorie,  c'est  le  seizième  siècle  qui 
est  le  mieux  représenté.  En  1586,  par  exemple,  les  chanoines 
protestants,  c'est-à-dire  les  partisans  de  Jean-George  de  Bran- 
debourg ,  adressent  un  appel  à  l'empereur  à  propos  d'une  bulle 
d'excommunication  afïïchée  à  la  porte  de  la  cathédrale;  en 
1588,  le  grand-chapitre  proteste  à  son  tour  contre  les  mêmes 
chanoines  luthériens,  qui  se  sont  emparés  de  l'hôtel  ditGiirt- 
leihof,  dans  la  rue  du  Dôme,  au  préjudice  du  grand-chœur 
dont  c'était  la  propriété  et  la  résidence. 

Les  discussions  entre  les  dignitaires  des  deux  cultes  conti- 
nuèrent pendant  les  premières  années  du  dix-seplièmc  siècle; 
une  liasse  qui  n'est  pas  sans  intérêt  se  rapporte  à  celle  que- 
relle, terminée  en  1604  par  la  transaction  de  Haguenau.  Un 
inventaire,  confectionné  la  môme  année,  relate  les  ornements 
d'église  et  l'argenterie  que  les  chanoines  protestants  rétro- 
cèdent aux  délégués  du  giand-chœur. 

Une  des  pièces  remarquables  de  ce  recueil  historique,  c'est 
la  lettre  de  convocation  adressée  le  13  octobre  1681  au  clergé 
de  Strasbourg  pour  recevoir  Louis  XIV,  qui  venait  prendre 
possession  de  la  capitale  de  l'Alsace. 

L'existence  séparée  du  grand-chœur,  quoique  bien  nette- 
ment établie  par  l'empereur  de  la  maison  de  Saxe,  fut  con- 
testée à  plusieurs  reprises.  D'abord  le  chiffre  des  membres, 
primitivement  fixé  à  72,  fut  successivement  réduit;  du  temps 

'  C'est  un  Dieu  qui  m'a  fait  ces  loisirs. 


VINGT-DEUXIÈME  LETTRE,  253 

de  Grandidier  il  n'était  guère  j)lus  considérable  que  celui  des 
membres  du  grand-chapitre.  On  comprend  que,  dans  le  siècle 
agité  de  la  Réforme,  le  grand-chœur  ait  couru  de  sérieux 
dangers;  mais  il  y  a  lieu  de  s'étonner  lorsqu'on  trouve  le  gou- 
vernement de  Louis  XIV  peu  favorablement  disposé  pour  cette 
antique  corporation.  Il  fallut,  en  1692,  un  long  mémoire  à 
l'appui  de  son  indépendance.  L'intendant  d'Alsace,  qui  visita 
à  cette  époque  le  Gûrtlcrhof  —  notre  fonds  contient  le  procès- 
verbal  de  son  inspection,  —  en  a-t-il  rendu  un  compte  favo- 
rable? Nous  devons  le  présumer,  puisque  le  grand-chœur  ne 
fut  point  supprimé,  et  qu'il  arriva,  comme  le  grand-chapitre, 
jusqu'à  la  limite  fatale  de  1790. 

De  nos  jours,  on  n'a  rétabli  ni  le  grand -chapitre  ni  le 
grand-chœur;  ces  deux  institutions  carlovingienne  et  saxonne 
sont  fondues  en  une  seule.  Le  chapitre  de  la  cathédrale  se 
compose  de  deux  grands-vicaires,  de  chanoines  diocésains  en 
activité  et  de  chanoines  honoraires-.  Parmi  ces  derniers  se 
trouve  le  nom  d'un  homme  célèbre  dans  les  fastes  de  la  phi- 
losophie et  de  la  théologie  moderne;  un  nom  qui  s'est  illustré 
à  la  fois  dans  la  chaire  chrétienne  et  la  chaire  universitaire, 
dans  le  monde  savant  et  le  monde  de  la  littérature.  Le  théo- 
logien ,  aujourd'hui  retiré  sur  les  hauteurs  sereines  où  la  foi 
seule  éclaire  et  domine  l'horizon,  a-t-il  complètement  oublié 
les  jours  d'enivrante  faveur  où  le  jeune  maître,  électrisant  un 
auditoire  de  jeunes  élèves,  préludait  parla  gymnastique  du 
raisonnement  à  l'éloquente  humihté  du  prédicateur  incliné, 
dans  la  chaire  de  Geyler  de  Kaysersberg,  devant  le  souvenir 
de  tous  les  confesseurs  de  la  foi?  Les  ombres  de  ces  heures 
fugitives  ne  viennent-elles  pas  quelquefois  assiéger,  comme 
le  souvenir  d'un  premier  amour,  ce  large  et  beau  front  à 
la  fois  sévère  et  doux,  siège  de  la  pensée  et  voile  de  la  rési- 
gnation? 


254  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 


LETTRE  VINGT-TROISIEME. 

Chapitre  Intra-muros  de  Strasbourg.  —  lies  deux  chapitres  de  Saint- 
I»ierre-lc-V«eux  et  Saint-l»ierre-le-Jeune  —  Saînt-Picrrc-lc-Vlcux 
formé  ou  partie  tHes  ciiapiti'e»«  tic  llonau  et  de  Rkinau.  - —  lia  ville 
de  Itliinaii  engloutie  pur  le  Itliiu.  —  Saiut-Pierre-le-Jeuuc  direc- 
teur de  l'Oratoire  de  la  Tous!>aiut.  —  I,e  sraud-duipitre  de  la  ca- 
thédrale aduiinistrateur  du  chapitre  de  Saiut-Iiéonard.  —  Chapitre 
de  Suint-TliouiaN.  —  Kxiguité  de  ce  fonds  dans  le  tiépot  départe- 
nienlal.  —  Aperçu  historique  sur  l'église  et  le  chapitre  de  Saint- 
Thomas. 

Monsieur, 

Indépendamment  du  grand-chapitre  et  du  grand-chœur,  la 
ville  de  Strasbourg  renfermait  dans  l'enceinle  de  ses  murs, 
trois  collégiales  ou  trois  élablissemcnts  de  chanoines  sécu- 
liers, savoir:  Sainl-Pierre-le-Vieux ,  Saint-Pierre-le-Jeune  et 
Saint-Thomas.  Ils  étaient  tous  les  trois,  vers  la  fin  du  moyen 
âge ,  constamment  unis  par  des  pactes  ou  traités  solennels 
contre  l'évèché  et  ses  empiétements. 

L'église  de  Saint-Pierre-le-Vieux  a  été  fondée,  d'après  la 
tradition ,  par  saint  Materne ,  disciple  de  saint  Pierre  lui-même  ; 
il  résulte  en  tout  cas  de  cette  légende  que  ce  sanctuaire  chré- 
tien est  antérieur  à  la  cathédrale.  A  Rome,  nous  trouvons 
des  rapports  chronologiques  analogues  entre  saint  Jean  de 
Latran  et  saint  Pierre,  la  première  de  ces  deux  basihques 
ayant  été  fondée  avant  celle  du  prince  des  apôtres. 

Saint-Picrre-le-Vieux  de  Strasbourg,  malgré  sa  haute  anti- 
quité, constituait  un  chapitre  pauvre,  et  il  l'a  toujours  été, 
quoique  l'empereur  Henri  VI  l'eût  affranchi  de  toute  charge 
(en  1290),  et  qu'en  1398  les  chanoines  de  Saint-Michel  de  Rhi- 
nau,  chassés  de  cette  dernière  locahlé  par  les  inondations, 
les  corrosions  et  les  menaces  incessantes  du  Rhin,  se  fussent 
retirés  à  Strasbourg  et  réunis  au  chapitre  de  Saint-Pierre-le- 
Vieux  qui  prit  de  ce  moment  le  titre  de  Saint-Pierre  et  de 
Saint- Michel. 


VINGT-TROISIÈME   LETTRE.  255 

La  corporation  se  composait,  après  cette  fusion  du  chapitre 
rural  avec  le  chapitre  urbain,  de  dix-sept  chanoines ,  dont  l'un 
remplissait  les  fonctions  de  curé  de  la  paroisse. 

Des  legs,  faits  en  1381,  avaient  permis  de  rebâtir  à  neuf 
l'église,  qui  fut  encore  une  fois  agrandie  de  1428  à  14-32, 
Aussi  Saint-Pieire-le-Vieux  porte-t-il  le  caractère  ogival  d'une 
manière  très-accentuée.  De  cette  époque  de  reconstruction 
totale  date  la  pierre  tumulaire  de  Pierre  d'Epfig,  prévôt  du 
chapitre  (vers  1400);  monument  sur  lequel  M.  le  vicaire  de 
Saint-Pierre  a  récemment  appelé  l'attention  du  Comité  histo- 
rique d'Alsace  *. 

La  réforme  fut  introduite  dans  l'église  et  le  chapitre  de 
Saint-Pierre-le-Vieux  par  Theobaldus  Niger  (Schwartz)  ;  mais 
après  la  réunion  de  Strasbourg  à  la  France,  l'église  fut  par- 
tagée entre  les  deux  cultes.  Le  chœur,  avec  ses  panneaux, 
recouverts  de  peintures  de  l'ancienne  école  allemande,  et 
avec  son  vieux  cloître,  échut  en  partage  aux  habitants  ca- 
tholiques. 

Pour  compléter  ces  indications  historiques  sur  le  plus  an- 
cien étabhssement  religieux  de  Strasbourg,  je  rappellerai  que 
le  chapitre  de  Saint-Michel  de  Rhinau,  avant  de  se  fondre 
dans  celui  de  Saint-Pierre  de  Strasbourg,  avait  été  lui-même 
agrandi,  un  siècle  auparavant  (en  1290),  de  celui  de  Honau. 
Ce  dernier,  situé  dans  une  île  du  Rhin,  en  aval  de  Strasbourg, 
s'était  vu  obligé  de  quitter  sa  vieille  demeure  du  huitième 
siècle,  menacée  par  le  Rhin,  exactement  comme  il  en  advint 
pour  la  collégiale  de  Rhinau  à  la  fin  du  quatorzième  siècle. 

Ainsi  Saint-Pierre-le-Vieux  est  de  fait  le  composé  de  trois 
chapitres,  et  le  fonds  de  ses  archives  spéciales  en  garde  la 
trace,  puisqu'il  contient  des  titres  provenant  à  la  fois  de  Ho- 
nau —  fondation  du  duc  Adalbert  d'Alsace  —  de  Saint-Michel 
de  Rhinau  et  de  son  propre  patrimoine. 

'  Voy.  la  description  de  celle  dalle  funéraire,  par  M.  le  professeur  Slraub 
{Bulletin  de  la  Société,  vol.   14.,  p.  135  des  procès- verbaux). 


256  ARCHIVES  départementales  du  BAS-RHIN. 

La  plupart  des  anciens  documents  sont  même  relatifs  à 
l'église  de  Honaii  et  au  chapitre  de  Rliinau.  Une  affaire  de 
dime  se  traite  en  1190,  entre  le  chevalier  Garsilius  de  Ber- 
stett  et  l'église  de  Honau  ;  une  transaction  se  conclut,  en  1233 , 
entre  la  même  église  et  Wallher,  maréchal  de  l'évêché  de 
Strasbourg,  au  sujet  de  l'île  du  loup  (Wolfswœrth)  et  de  la 
pêche  dans  le  Rhin;  en  13G2  c'est  un  arrangement  qui  se  fait 
entre  le  chapitre  et  la  ville  de  Rhinau ,  à  propos  d'un  revenu 
de  quatre  livres  à  prélever  sur  le  passage  du  Rhin,  car  le  bac 
de  Rhinau  a  fait  depuis  des  siècles  le  sujet  de  conventions  et 
de  contrats,  dont  les  archives  locales  de  la  commune  rive- 
raine, si  souvent  menacée  et  ravagée  parle  terrible  fleuve, 
ont  gardé  le  souvenii-  matériel.  Celle  pauvre  ville  du  moyen 
âge  a  même  été  totalement  engloutie  à  une  époque  qui  n'a  pu 
être  précisée,  mais  qui  doit  avoir  suivi  de  bien  près  le  trans- 
fèrement  des  chanoines  à  Strasbourg;  car  il  est  probable  que 
ces  ecclésiastiques  n'auront  abandonné  qu'à  la  dernière  extré- 
mité leurs  demeures  séculaires. 

La  commune  de  Rhinau  m'a  bien  rappelé  ces  vieilles  cités 
slaves  des  côtes  de  la  Baltique,  englouties  par  la  mer,  et  dont 
les  ruines  peuvent  être  découvertes  en  temps  de  calme,  par 
le  navigateur  attentif,  au  fond  des  eaux  dormantes.  Le  Rhin, 
toujours  troublé,  n'offre  pas  les  mêmes  facilités  pour  entre- 
voir les  anciennes  demeures  canoniales,  l'église  du  chapitre, 
les  habitations  et  les  murs  éboulés  de  la  cité,  au-dessus  de 
laquelle  roulent  sans  relâche  ses  vagues.  On  assure  cepen- 
dant qu'au  dix-huitième  siècle,  dans  un  moment  où  les  eaux 
étaient  très-basses,  on  apercevait  encore  les  pans  de  mur  de 
cette  pauvre  enceinte  sous-fluviale.  Depuis  cette  époque,  l'im- 
pétueux fils  du  Saint-Gothard  aura  sans  aucun  doute  déman- 
telé les  derniers  débris  du  Rhinau  primitif,  et  la  croyance 
populaire  ne  pourrait  point  ici,  comme  sur  les  bords  de  la 
mer  de  Scandinavie,  entendre,  dans  les  nuits  calmes,  le  son 
plaintif  des  cloches  englouties  se  marier  au  murmure  des  flots. 

Au  moment  du  Iransfèrementdu  chapitre  de  Rhinau  à  Stras- 


VllNGT-TROISIÈME  LETTRE.  257 

bourg,  l'évêque  Guillaume  de  Diest  s'occupa  aussi  de  la  trans- 
lation des  reliques  de  saint  Amond,  qui  furent  déposées  dans 
noti'e  église  collégiale  (Charte  de  1398),  après  avoir,  depuis 
des  temps  immémoriaux,  attiré  les  hommages  des  lidèlcs  dans 
l'église  de  Saint-Michel  de  Rhinau. 

L'un  des  plus  curieux  et  des  plus  anciens  documents  du  cha- 
pitre de  Saint-Pierre  lui-même  est  un  acte  de  1188  relatif  au 
moulin  à  trois  roues  d'Eckbolsheim,  dont  j'ai  entretenu  ré- 
cemment mes  collègues  du  Comité  historique.  Je  prends  la 
liberté  de  renvoyer  au  Bulletin  de  la  Société  'pour  la  conserva- 
tion des  monuments  historiques  d'Alsace  ceux  de  mes  lecteurs 
qui  seraient  curieux  de  connaître  les  détails  de  cet  arrange- 
ment à  propos  d'un  service  pour  anniversaire  qui  remonte 
aux  dernières  années  de  Frédéric  Barberousse,  et  qui  nous 
initie  dans  la  composition  de  l'intérieur  du  chapitre  à  cette 
époque  reculée*. 

Une  rotule^  de  1422,  qui  s'est  glissée  on  ne  sait  comment 
dans  ce  fonds  de  Saint-Pierre-le-Vieux,  constitue  une  espèce 
de  charte  commerciale,  un  privilège  que  Philippe-Angelo- 
Marie  Visconti,  duc  de  Milan,  accorde  à  quelques  marchands 
allemands.  Ce  sont  des  questions  de  douane,  de  transit  et  de 
protection  commerciale,  traitées  en  vue  d'un  cas  spécial, 
quatre  siècles  avant  notre  époque  d'économie  pohtique. 

Mais  ce  sont  là  des  accidents,  des  exceptions,  des  chartes 
isolées,  tandis  que  les  affaires  de  culte  et  de  religion  forment 
l'immense  majorité  des  documents.  Au  seizième  siècle,  nous 
trouvons  dans  ce  fonds  de  Saint-Pierre-le-Vieux  des  protesta- 
tions contre  le  margrave  de  Brandebourg,  administrateur  pro- 
testant de  l'évêché;  un  mémoire  relatif  aux  trois  chapitres 

'  Voy.  Bulletin,  vol.  Il,  p.  l'iS  el  siiiv.  (Mémoires).  Par  la  même  Charte 
nous  apprenons  qu'un  médecin  lombard,  probablement  un  Gibelin  réfugié, 
exerçait  à  Strasbourg  la  profession  de  médecin  el  avait  acquis  la  qualité  de 
citoyen  de  noire  ville. 

2  On  appelle  du  nom  de  rotule  les  parchemins  oblongs,  roulés  comme  un 
cylindre  sur  eux-mêmes. 

17 


258  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  DAS-RIIIN. 

urbains  (Saint-Pierre-le-Vieux ,  Sainl-Pierre-le-Jeune  et  Saint- 
Thomas)  par  le  magistrat  protestant  de  la  ville  etc.  Je  ne  parle 
point  d'un  nombre  infini  de  procédures  du  dix-huitième  siècle  ; 
ces  liasses  abondent  dans  tous  les  fonds,  sans  distinction. 

Quittons  ce  chapitre,  qui  en  a  absorbé  deux  autres  dans  son 
sein,  pour  examiner  le  fonds  du  chapitre  de  Saint-Pierre-le- 
Jeune.  L'église  collégiale  de  ce  nom  avait  été  paroissiale  dans 
l'origine,  et  dédiée  alors  à  Sainl-Colomban,  à  ce  missionnaire 
irlandais,  dont  les  disciples  vinrent  coloniser  les  déserfs  des 
Vosges  lorraines  et  alsaciennes.  Cette  circonstance  implique 
une  fondation  correspondante  à  la  fin  du  sixième  ou  au  com- 
mencement du  septième  siècle  de  notre  ère. 

Cette  église  de  Saint-Colomban  fut  agrandie  en  1031  par 
l'évèque  Guillaume,  successeur  de  Werinhar,  et  dédiée  en  1052 
â  saint  Pierre  par  le  pape  alsacien  saint  Léon  (IX).  L'église 
actuelle  de  Saint-Pierre-le-Jeune  date  dans  sa  presque  totalité 
de  1290.  Son  chapitre  se  composait  de  quinze  prébendiers; 
l'évèque  Hetzcl  (1047)  en  avait  ajouté  six  au  nombre  primitif; 
le  curé  paroissial  était,  de  plus,  prébendier  de  droit.  Huit 
vicaires  et  six  chapelains  complétaient  la  composition  de  cette 
importante  collégiale. 

Pendant  la  Réforme,  les  protestants  s'emparèrent  de  l'église 
et  en  rcslôîcnt  possesseurs  sans  partage  de  1560  à  1681  ;  alors 
le  chœur  fut  rendu  au  service  catholique.  Cet  état  de  choses 
subsiste  encore  aujourd'hui,  exactement  comme  à  Saint-Pierre- 
le-Vieux. 

L'Oratoire  de  la  Toussaint,  composé  de  douze  prébendiers 
et  chapelains,  relevait  du  chapitre  de  Saint-Pierre-le-Jeune; 
il  forme  dans  notre  dépôt  un  fonds  spécial;  mais  parce  qu'il 
est  pour  ainsi  dire  une  annexe  de  notre  chapitre,  qui  exerçait 
sur  lui  une  influence  à  la  fois  spirituelle  et  administrative,  je 
crois  pouvoir  me  permettre  de  vous  en  entretenir  dès  ce  mo- 
ment. 

L'origine  de  la  Toussaint  est  loin  d'être  aussi  ancienne  que 
celle  de  Saint-Pierre-le-Jeune;  l'Oratoire  ne  date  que  de  1328, 


VINGT-TROISIÈME   LETTRE.  259 

époque  où  il  fiil  fondé  par  Henri  de  Mûllenheim  snr  un  em- 
placement occupé  par  les  frères  Sacciles  ou  de  la  confrérie  du 
sac  (Sackbriïdcr).  Les  pi'ébendes  devaient  rester  à  la  nomina- 
tion de  la  famille  de  Mûllenheim,  qui  avait  aussi  fondé  l'église 
de  Saint-Guillaume;  à  défaut  de  membres  de  cette  famille,  le 
droit  de  patronage  devait  échoir  à  notre  chapitre. 

La  Réforme  du  seizième  siècle  agit  sur  l'Oratoire  de  la  Tous- 
saint, comme  sur  tous  les  chapitres  et  couvents  intra-muros 
de  Strasbourg.  Pendant  quelque  temps,  il  y  eut  six  chanoines 
protestants  à  la  Toussaint;  ce  fut  le  résultat  d'une  transaction 
entre  Biaise  de  Mûllenheim  et  les  prébendiers  (iG75),  transac- 
tion approuvée  par  l'évèque  et  par  la  ville,  mais  qui  ne  devait 
pas  être  de  longue  durée;  car  après  la  réunion  de  Strasbourg 
(1681),  l'Oratoire  fut  rendu  en  totalité  aux  catholiques. 

Dans  le  fonds  de  Saint-Pierre-le-Jeune  —  considérable,  puis- 
qu'il renferme  quelques  milliers  de  titres  de  propriété  etc., — 
c'est  une  charte  de  1040  qui  constitue  le  titre  le  plus  ancien 
de  la  collection  spéciale;  elle  consiste  en  un  acte  de  donation, 
par  lequel  Wehil  et  Hatton  donnent  soixante-dix  livres  d'ar- 
gent à  l'église  de  Saint-Pierre. 

Dans  la  série  de  l'intérieur  et  des  statuts,  une  pièce  de  1303 
règle  l'admission  des  chantres  du  chœur.  Un  acte  d'union  des 
divers  chapitres  contre  l'évêché,  de  l'an  I^SO,  est  la  repro- 
duction de  plusieurs  conventions  ou  traités  analogues,  conclus 
sous  l'administration  désastreuse  de  Guillaume  de  Diest. 

Une  bulle  du  concile  de  Bàle  (de  1433)  peut  être  classée 
parmi  nos  titres  historiques  les  plus  marquants;  c'est  une 
excommunication  lancée  contre  beaucoup  de  nobles  Alsaciens 
et  Souabes,  pour  avoir  maltraité  et  mis  à  l'amende  divers 
prêtres  du  diocèse  de  Strasbourg. 

Dans  la  série  des  transactions,  il  en  est  une  de  l'an  1355 
entre  le  chapitre  de  Saint-Pierre-le-Jeune  et  les  .luifs  au  sujet 
de  ce  cimetière  Israélite  qui  avait  été,  à  peine  six  ans  aupara- 
vant, le  théâtre  d'un  funeste  holocauste.  Jusqu'à  cette  époque, 
le  trésorier  du  chapitre  avait  appliqué  à  son  usage  personnel 


260  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

le  tribut  payé  par  les  Israélites;  à  partir  de  1355,  le  cha- 
pitre traite  en  son  propre  nom. 

La  série  des  fondations  renferme  l'acte,  en  vertu  duquel 
Henri  de  Mûllenheim  avait  établi  l'Oratoire  de  la  Toussaint 
sur  le  terrain  même  de  la  paroisse  de  Saint-Pierre.  Dans  le 
préambule  de  cette  charte,  on  est  reporté  à  l'origine  de  l'éta- 
blissement qui  dépendait  d'abord  de  la  belle  abbaye  de  la 
Toussaint  {Allcrhciligen),  dans  la  Forèt-Noire,  dont  les  ruines 
pittoresques  attirent  les  touristes  des  deux  rives  du  Rhin  et 
popularisent,  par  le  charme  d'un  site  sohtaire  et  grandiose, 
par  des  eaux  abondantes  et  pures,  le  souvenir  de  l'ancien 
cloître  perdu  au  milieu  de  ces  majestueuses  forets. 

Le  fonds  spécial  de  la  Toussaint  contient  au  nombre  des 
lettres  d'indulgences,  un  document  de  ce  genre  avec  une  bor- 
dure où  l'on  entrevoit  les  têtes  du  Christ  et  des  apôtres. 

Le  grand-chapitre  de  Strasbourg  était  en  rapport  avec  le 
chapitre  de  Saint-Léonard  extra-muros ,  à  peu  près  comme 
Saint-Pierre-le-Jeune  l'était  avec  l'Oratoire  de  la  Toussaint.  — 
Saint-Léonard,  communauté  de  l'ordre  de  saint  Benoît,  datait 
de  liOO;  c'était  alors  un  simple  et  modeste  couvent,  situé 
sur  une  colline  du  Kling-enthal,  entre  la  ville  d'Obernai  et  le 
mont  Sainte-Odile.  En  1215,  elle  fut  convertie  en  collégiale  et 
dirigée,  dans  la  suite,  par  le  prévôt  du  grand-chapitre  de  la 
cathédrale. 

Les  propriétés  de  Saint-Léonard  s'étendaient  dans  les  bans 
d'un  assez  grand  nombre  de  communes,  et  les  bâtiments  de 
la  collégiale  elle-même  offraient,  jusque  dans  ces  derniers 
temps,  de  beaux  échantillons  du  style  roman  et  ogival.  En  ce 
moment,  presque  toutes  les  traces  de  ces  édifices  ont  disparu. 
Le  comité  historique  a  eu  la  douloureuse  impression,  dès  les 
premiers  mois  de  son  activité ,  d'entendre  à  ce  sujet  le  compte 
rendu  de  deux  de  ses  membres,  et  il  n'a  pu  qu'exprimer  de 
tardifs  regrets,  comme  pour  les  derniers  vestiges  de  l'antique 
abbaye  de  Neubourg,  qui  venaient  de  tomber,  précisément  à 
la  même  époque,  sous  le  marteau  d'impitoyables  démolisseurs. 


VINGT-TROISIÈME  LETTRE.  261 

—  Le  fonds  de  la  collégiale  de  Saint-Léonard  renferme,  parmi 
ses  titres  de  propriété,  beaucoup  de  pièces  relatives  à  la  ville 
de  Bœrsch ,  dans  le  voisinage  de  laquelle  s'élevait  la  belle  en- 
ceinte et  l'église  romane  de  ce  chapitre.  Au  nombre  des  dons 
curieux  je  citerai  celui  que  fait  Henri  Walther,  chanoine  de 
Saint-Léonard,  en  1430.  Son  legs  consiste  en  deux  livrés 
d'heures  préliminairement  déposés  chez  un  autre  membre  du 
chapitre.  Le  procureur  Théobald  d'Uhlenheim  accepte  le  legs 
et  promet  au  donateur  une  rente  viagère  d'un  sou. 

Un  acte  passé  devant  l'offîcialité,  en  iAA^,  prononce  entre 
le  chapitre  de  Saint-Léonard  et  la  veuve  d'Alexis  Bœrsch,  qui 
avait  négligé  de  payer  une  redevance  en  vin.  Cette  veuve  avait 
épousé  en  secondes  noces  le  chevalier  Frédéric  zum  Rist,  et 
prétendait  que  son  premier  mari  n'avait  payé  ladite  rente  que 
bénévolement  ;  elle  ajoutait  que  cette  rente  en  faveur  de 
Saint-Léonard,  par  l'intercession  duquel  les  captifs  sont  dé- 
livrés, avait  été  fondée  par  le  père  d'Alexis  Bœrsch  pendant 
sa  captivité  en  France,  et  pour  le  temps  de  sa  vie  seulement; 
qu'Alexis  s'était  encore  astreint  à  payer  la  rente  par  piété 
filiale.  La  veuve  remariée  trouvait,  en  d'autres  termes,  que 
son  devoH^  conjugal  ne  s'étendait  pas  jusqu'à  payer  une  rente 
instituée  par  son  beau-père  défunt;  mais  l'otïicialité  de  Stras- 
bourg en  jugea  autrement  et  maintint  le  chapitre  en  posses- 
sion de  la  redevance. 

Quant  aux  relations  intimes  établies  entre  cet  étabhssement 
et  le  grand-chapitre  de  la  cathédrale,  plusieurs  chartes  en 
portent  la  trace  ;  elles  constatent  aussi  la  détresse  presque 
constante  où  se  trouvait  la  collégiale  de  Saint-Léonard.  Dans 
l'un  de  ces  documents  (charte  de  1218)  il  est  dit  que  le  cou- 
vent était  appauvri  d'une  manière  déplorable  par  l'incurie  des 
administrateurs ,  au  grand  détriment  de  la  religion  ;  dans  un 
autre  (charte  de  1264),  on  expose  l'insuffisance  des  revenus 
des  prébendiers  pour  la  culture  de  la  vigne.  Un  règlement  de 
1419  cherche  à  remédier  aux  dettes  dont  la  collégiale  est  sur- 
chargée à  la  suite  des  guerres  ;  il  fixe  la  compétence  et  le 


262  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

nombre  des  chanoines,  la  perception  des  renies  et  leur  em- 
ploi. Toutes  ces  pièces  émanent  du  prévôt  du  grand-chapitre 
ou  lui  sont  adressées. 

Après  cette  excursion  passagère  hors  des  murs  de  Stras- 
bourg, permettez-moi  d'y  rentrer  un  moment  encore  pour  le 
chapitre  de  Saint-Thomas.  Le  fonds  que  nous  tenons  en  main 
est  à  la  vérité  des  plus  exigus;  il  ne  consiste  qu'en  quelques 
comptes  et  colhgendes  ;  le  fonds  réel  est  resté  entre  les  mains 
du  chapitre  actuel,  qui  a  conservé  son  existence  intacte  à 
travers  les  révolutions  modernes.  L'importance  historique  de 
cette  corporation  motive  l'excursion,  que  je  vais  me  per- 
mettre, malgré  le  petit  nombre  et  le  peu  de  valeur  de  nos 
titres  spéciaux. 

En  670,  l'évoque  Saint-Florent,  venu  des  solitudes  du  val- 
lon de  Haslach  * ,  construisit  sous  les  murs  de  Strasbourg, 
près  de  la  Bruche,  une  maison  et  un  oratoire,  qu'il  confia 
aux  religieux  écossais  ou  irlandais,  compagnons  de  son  apos- 
tolat. 

Sous  Louis-le-Débonnaire,  dans  le  premier  quart  du  neu- 
vième siècle,  l'évêque  Adeloch  agrandit  l'établissement  écos- 
sais ou  irlandais  de  Strasbourg,  et  le  dédia  à  l'apôtre  saint 
Thomas.  Singulière  coïncidence!  le  disciple  sceptique  devint 
le  patron  du  couvent  et  de  la  collégiale,  qui,  dès  le  moyen 
âge,  avait  mis  sa  gloire  «à  chercher»  et  qui  arbora  plus  tard 
le  drapeau  de  la  liberté  religieuse! 

La  première  église  de  Saint-Thomas  fut  frappée  par  la 
foudre  en  1008  et  reconstruite  en  1031  sous  l'évêque  Guil- 
laume-. Relevée  de  ses  cendres,  elle  brûla  de  nouveau  en  1144 
avec  ses  archives.  Le  prieur  Rodolphe  s'adressa  à  l'empereur 
Frédéric  Barberousse,  pour  obtenir  une  charte  confirmative 

•  On  sait  que  celle  vallée  latérale  aboutit  d'un  côté  à  la  cascade  de  Nideck 
et  débouche  dans  le  val  de  la  Bruche. 

2  M.  Charles  Schmidi  attribue  à  cet  évêque  la  première  transformation  du 
couvent  de  Saint-Thomas  en  chapitre,  dont  les  chanoines  toutefois  continuè- 
rent à  vivre  en  commun  au  moins  pendant  un  siècle  encore. 


VINGT-TROISIÈME   LETTRE.  263 

des  anciennes  propriétés  de  Saint-Thomas;  il  voulait  assurer 
l'avenir  du  couvent.  Au  surplus,  tous  les  supérieurs  des  éta- 
blissements religieux  en  Alsace  en  usèrent  de  même,  lors- 
qu'un accident  majeur  détruisait  leurs  litres;  c'est  toujours 
à  l'aide  de  la  tradition  que  l'on  est  parvenu  à  reconstituer 
ainsi  le  passé. 

Vers  1260  ou  1270,  la  nef  de  Saint-Thomas  fut  reconstruite 
à  neuf,  peu  de  temps  avant  l'époque  où  Conrad  de  Lichten- 
berg-  adopta  les  plans  d'Erwin  pour  la  construction  de  la 
cathédrale. 

De  1300  à  1330,  s'éleva,  sous  la  direction  de  l'architecte 
Kettner,  la  tour  massive  au-dessus  du  portail  occidental*. 
Enfin,  en  1348,  une  seconde  tour  avec  galerie  extérieure  se 
dressa  au-dessus  du  chœur,  grâce  aux  soins  de  l'écolâtre 
Nicolas  Wetzel.  Sauf  quelques  additions  postérieures  peu 
importantes  ,  l'église  fut  donc  terminée  vers  la  fin  du  quator- 
zième siècle;  elle  offre,  par  son  imposante  carrure,  un  con- 
traste frappant  avec  l'architecture  aérienne  de  la  cathédrale. 

Les  religieux  de  Saint-Thomas  vécurent  longtemps  en  com- 
mun sous  l'autorité  d'un  prieur,  même  après  avoir  été  dé- 
clarés chanoines  par  l'évêque  Guillaume  (1030).  En  1374  ils 
partagèrent  en  prébendes  individuelles  le  corps  de  leurs  re- 
venus. Quatorze  chanoines"  formèrent  alors  le  chapitre,  et 
maintinrent  les  traditions  de  l'abbaye,  qui,  de  longue  date, 
s'était  appliquée  à  l'enseignement  des  sciences,  telles  qu'on 
les  cultivait  au  moyen  âge  dans  les  hautes  écoles.  Le  collège 
de  Saint-Thomas  avait  dans  une  très-haute  antiquité  déjà  mé- 

'  M.  Ch.  Sclimidt  place  la  construction  de  la  punie  inférieure  de  cette  tour 
vers  l'an  1200;  de  la  môme  époque  daterait  le  portail  occidental.  On  y  remar- 
que en  effet  la  tiansilion  du  style  roman  au  style  ogival.  Si  cette  hypothèse 
est  fondée ,  et  nous  le  pensons ,  Kettner  aurait  cherché  h  adapter  la  partie 
superposée  au  style  de  la  partie  inférieure,  ■ —  F^e  dernier  clage  de  la  tour 
occidentale  ne  saurait  être  que  de  la  fin  du  quatorzième  siècle.  —  Voy.  pour 
les  détails  M.  Ch.  Schmidt,  p.  199,  200,  de  son  Histoire  du  chapitre  de 
Saint-Thomas. 

2  l^lus  tard  vinqt. 


264  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

rite  le  surnom  de  savant.  Il  conserva  ce  caractère,  ou  plutôt 
il  rétendit  au  moment  de  la  Réforme.  Dès  l'origine  de  ce  mou- 
vement capital ,  Saint-Thomas  de  Strasbourg  s'était  fractionné 
en  deux  camps;  la  majorité  embrassa  le  parti  des  novateurs. 
En  1523,  le  curé  Antoine  Fini ,  de  Ilaii^uenau ,  prêcha  sous 
les  voûtes  du  temple,  fondé  par  saint  Florent _,  contre  la  reli- 
gion catholique,  et  ceux  des  chanoines  qui  restaient  fidèles  à 
l'ancien  culte,  se  retirèrent  sur  la  rive  droite  du  Rhin. 

En  1549,  l'évêquc  Érasme,  fatigué  de  lutter  avec  des  in- 
fluences qui  dépassaient  ses  forces,  abandonna  chapitre, 
temple  et  biens  de  Saint-Thomas  au  culte  prolestant  et  à  l'en- 
seignement de  ses  dogmes. 

Je  viens  de  dire  que  notre  fonds  de  Saint-Thomas  est  tout 
à  fait  insignifiant.  Pour  donner  une  idée  de  la  collection  des 
documents  du  chapitre ,  je  vais  recourir  à  l'ouvrage  que  l'un 
des  professeurs  du  Séminaire  protestant,  M.  Charles  Schmidt, 
vient  de  publier'.  A  l'aide  de  ce  guide  érudit  nous  serons 
aussi  orientés  dans  la  constitution  intérieure  de  l'établisse- 
ment; je  puis  vous  promettre  que  ce  temps  d'arrêt  dans  notre 
course  sera  du  temps  bien  employé. 

<  Le  Chapitre  de  Saint-Thomas  au  moyen  âge.  Strasbourg  ^860 ,  1  vol. 
in-4". 


VINGT-QUATRIÈME   LETTRE.  265 


VINGT-QUATRIÈME  LETTRE. 

fjc  chapitre  de  Saint-Thomas.  —  I/oiivrage  de  I?l.  Schniidt;  son  ca- 
ractère g;cnëral.  —  Po»>ition  exceptionnelle  du  chapitre  en  Alsace. 
—  Sa  déviation.  —  liC  costume  et  les  mœurs  des  chanoines  an 
quinzième  siècle.  —  I^a  «  Société  de  Saint-Tliomas.  u  —  Le  chanoine 
Jean  Ilepp.  —  !Wenibres  distingués  du  chapitre  :  IIurckhar<Et  ^ 
ambassadeur  de  Frédéric  Barlieronsse.  le  poëte  Ciodefroi  de  Ila- 
guenau.  Le  chroniqueur  Hœnig;shorren.  Burckardt,  le  maître  (!es 
cérémonies  d'Alexandre  VI.  Thomas  Wolff,  l'antiquaire  etc.  —  I.a 
bibliothèque  de  Saint-Thomas.  —  l,ivres  du  chanoine  Paul  Munt- 
hart.  —  li'ccole  de  Saint-Thomas.  Aperçu  de  son  histoire. 

Monsieur, 

J'ai  rarement  trouvé  sur  un  sujet  quelconque  une  mono- 
graphie aussi  complète  que  l'est  celle  de  M.  Charles  Schmidt 
sur  le  chapitre  de  Saint-Thomas  ;  il  s'agissait  pour  lui  évi- 
demment d'une  œuvre  de  piété.  Le  chanoine  protestant  de 
4860  s'est  appliqué  à  rechercher  quelle  a  été,  depuis  plus  de 
mille  ans,  la  position  des  religieux  et  des  chanoines  de  l'an- 
cien chapitre;  il  a  remonté  le  cours  des  âges  pour  se  rendre 
un  compte  bien  exact  de  la  situation  actuelle.  Son  ouvrage , 
il  est  vrai ,  s'arrête  sur  la  lisière  extrême  où  le  moyen  âge 
touche  à  l'histoire  moderne;  en  d'autres  termes,  M.  Schmidt 
ne  traite  pas  la  question  de  la  réforme  et  de  la  métamorphose 
radicale  que  Saint-Thomas  subit  dès  la  première  moitié  du 
seizième  siècle.  Mais  je  dois  croire  que  ce  point  d'arrêt  ne  lui 
a  pas  été  commandé  par  la  crainte  d'aborder  un  sujet  délicat; 
il  lient  sans  aucun  doute  en  réserve  les  matériaux  d'un  se- 
cond volume  in-4o;  contentons-nous,  en  attendant,  de  le  suivre 
sur  le  terrain  circonscrit  comme  je  viens  de  le  dire ,  mais 
exploré,  dans  les  limites  ainsi  tracées,  avec  une  conscience 
désespérantepeut-êtrepourdes  lecteurs  superficiels.  M.  Schmidt 
touche  à  tout,  à  l'origine  et  à  l'histoire  du  chapitre,  à  son 
organisation  intérieure,  à  ses  propriétés,  au  culte,  à  la  vie 
intellectuelle  et  morale  des  membres  capitulaires ,  à  la  fa- 


266  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

brique  et  à  l'église  de  Saint-Thomas ,  aux  paroisses  de  Sainte- 
Aurélie  et  de  Saint-Nicolas  qui  en  relevaient;  et  à  l'appui  de 
son  exposé,  fait  avec  un  calme,  un  aplomb  et  une  impartia- 
lité très-louables,  si  nous  considérons  la  position  personnelle 
de  l'auteur,  il  donne  la  transcription  du  texte  de  127  docu- 
ments, dont  quelques-uns  sont  fort  longs,  empruntés  en  ma- 
jeure partie  au  fonds  spécial  du  chapitre. 

Voilà  bien  la  science  sérieuse!  voilà  son  immensité  déses- 
pérante! Qui  aurait  dit  que  l'histoire  d'une  seule  église  collé- 
giale de  la  ville  de  Strasbourg  pourrait  de  nos  jours,  où  tout 
le  monde,  même  Ig  cheicheur  j)alient,  est  pressé  d'arriver  à 
des  conclusions  et  à  un  résultat,  pourrait  fournir  l'étolTe  d'un 
gros  volume  in-40;  que  cette  histoire,  qui  s'étend  à  peine  à 
la'moitié  de  l'espace  à  parcourir,  est,  dans  plusieurs  de  ses 
parties,  pleine  d'intérêt,  instructive  dans  toutes;  que  ces  an- 
nales d'une  corporation  (jui  a  déjà  donné  lieu  aux  discus- 
sions les  plus  épineuses ,  sont  écrites  de  manière  à  ne  blesser 
aucune  susceptibilité?  Cette  dernière  remarque,  au  surplus, 
doit  être  admise  sous  quelque  réserve;  je  parle,  bien  entendu, 
des  esprits  raisonnables,  modérés,  de  cfes  intelligences  qui 
ne  sont  ni  susceptibles  ni  passionnées,  qui  n'exigent  point, 
pour  être  satisfaites,  des  pamphlets  rouges  ou  noirs,  au  lieu 
de  récits  à  contours  simples,  mais  fermes. 

Au  surplus,  la  richesse  des  matériaux  que  fournit  le  cha- 
pitre de  Saint-Thomas,  est  due  à  une  circonstance  heureuse: 
ses  archives  n'ont  point  subi ,  à  l'époque  de  la  révolution,  les 
mauvaises  chances  d'un  déménagement;  sans  compter  que 
c'était  après  le  grand-chapitre  de  la  cathédrale  la  corporation 
la  plus  considérable  de  l'Alsace,  une  des  plus  importantes  de 
toute  la  vallée  rhénane.  Sa  double  qualité  de  Société  religieuse 
et  d'institution  scolaire  lui  donne ,  dès  le  temps  de  l'évèque 
Adeloch,  c'est-à-dire,  depuis  les  premiers  Carlovingiens,  une 
physionomie  spéciale;  elle  appelle  dans  son  sein  et  elle  forme 
des  hommes  distingués ,  célèbres  ;  elle  joue  un  rôle  presque 
politique  en  face  des  évêques,  des  nobles  d'Alsace  et  des 


VINGT-QUATRIÈME  LETTRE.  267 

grands  de  l'empire;  elle  possède  des  propriétés  étendues,  et 
même  des  droits  seigneuriaux  ;  elle  est,  en  sa  qualité  de  capi- 
taliste, forcément  mêlée  aux  questions  du  siècle;  elle  subit 
les  avantages ,  les  inconvénients  et  les  dangers  de  cette  posi- 
tion complexe;  ce  sont  dans  sa  destinée  des  fluctuations  aux- 
quelles échappent  les  communautés  moins  bien  partagées 
qu'elle  au  point  de  vue  de  la  fortune  mondaine. 

Je  dois  me  hâter,  du  reste,  de  réfi'éner  l'essor  que  pour- 
raient prendre^  dès  ce  moment,  à  propos  de  richesses  accu- 
mulées par  Saint-Thomas  au  moyen  âge,  des  imaginations 
aventureuses  et  passionnées.  Si  Saint-Thomas  n'était  point 
pauvre  comme  un  couvent  de  Frères  déchaussés,  il  y  avait, 
pour  le  partage  de  ses  revenus,  beaucoup  de  parties  pre- 
nantes; un  corps  de  dignitaires,  de  chanoines,  de  summis- 
saires,  de  vicaires,  d'employés  de  tous  les  degrés;  le  culte 
était  organisé  avec  splendeur,  l'administration  établie  sur  une 
large  échelle;  jusqu'à  ce  que  tout  le  monde,  depuis  le  prévôt 
et  le  doyen  et  le  custode  jusqu'au  dernier  enfant  de  chœur, 
eût  sa  part  afférente,  il  n'y  avait  pas  trop  de  fonds  disponibles  ; 
de  nos  jours ,  un  commis  ne  se  contenterait  point  du  traite- 
ment d'un  capilulaire  de  Saint-Thomas  au  quatorzième  siècle; 
l'abus  était  plutôt  dans  le  cumul,  dans  la  non-résidence,  dans 
l'admission  forcée  de  personnes  ou  indignes  ,  ou  incapables , 
ou  mineures;  M.  Schmidt  ne  s'est  pas  fait  faute  de  montrer 
impitoyablement  le  revers  de  la  monnaie,  de  signaler  surtout 
aux  approches  de  la  Réforme  en  quoi  l'antique  institution 
avait  dévié;  il  laisse  entrevoir  comment  les  événements  de 
1520  ont  dû  arriver  avec  l'irrésistible  impétuosité  des  phé- 
nomènes atmosphériques ,  qu'aucune  puissance  humaine  ne 
parvint  plus  à  conjurer. 

La  majorité  des  chanoines  de  Saint-Thomas  du  cjuinzième 
siècle  n'avait  plus  aucun  trait  de  ressemblance  avec  les  moines 
gaéliques  ou  kymriques,  venus  à  la  suite  de  saint  Florent, 
sur  les  bords  de  l'Ill  et  de  la  Bruche,  pour  évangéliser  les 
pauvres  pêcheurs  et  jardiniers  de  l'ancien  Argentorat.  Depuis 


268  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

longtemps  les  huttes  de  bois  qui  avaient  abrité  ces  actifs 
missionnaires  du  christianisme,  étaient  remplacées  par  des 
demeures  plus  commodes,  peut-être  un  peu  somptueuses; 
depuis  longtemps  la  maigre  pitance^  la  nourriture  pythagori- 
cienne des  conventuels  était  passée  de  mode;  d'abondantes 
distributions  de  céréales  et  de  vin  avaient  rendu  fort  tolc- 
rable  la  vie  matérielle  des  membres  capitulaires  et  de  leurs 
serviteurs.  Et  ne  croyez  point  que  je  trace  ce  parallèle  à  titre 
de  reproche  pour  les  chanoines  de  Saint-Thomas  de  la  seconde 
partie  du  moyen  âge...  A  Dieu  ne  plaise  !  personne  n'exigeait 
d'eux,  en  1-450,  les  vertus  et  l'abnégation  monastique  des 
apôtres  de  l'époque  mérovingienne.  Mais  il  paraît,  d'après  les 
documents  authentiques,  que  chez  quelques-uns  d'entre  eux 
le  confort  permis  avait  dégénéré  en  luxe  et  en  magnificence  ; 
les  vêtements  surtout  de  ces  jeunes  nobles,  de  ces  patriciens 
et  courtisans  venus  de  Rome  ou  de  Vienne  chercher  une  pré- 
bende de  plus  dans  notre  opulent  chapitre,  n'avaient  plus  rien 
qui  rappelât  l'état  ecclésiastique.  Les  mœurs  de  plus  d'un 
membre  de  la  communauté  capitulaire  étaient  à  l'unisson  de 
ces  allures  aristocratiques  et  mondaines. 

Le  costume  de  ville  des  chanoines  consistait  en  une  tunique 
de  soie  noire,  avec  un  pardessus  doublé  de  noir;  une  espèce 
de  chapeau  arrondi  (KugeUmt)  couvrait  leur  tête;  «mais  mal- 
ce  gré  la  distinction  de  ce  costume,  les  chanoines  plus  jeunes 
«le  trouvaient  trop  sévère  ;...  ils  portaient  au  quatorzième  et 
«  au  quinzième  siècle  des  habits  courts  de  couleur  éclatante; 
«  des  manteaux  bordés  de  fi-anges  dorées  et  ornés  de  nœuds  ; 
«des  coiffures  et  des  bottes  rouges,  vertes  ou  jaunes  ;  quel- 
ce  quefois  même  ils  négligeaient  la  tonsure  et  laissaient  croître 
«leur  chevelure  à  la  façon  des  damoiseaux  du  temps.  A  leurs 
«habits  d'histrion  (expression  du  synode  de  1335),  ils  ajou- 
«taient  des  épées  et  des  poignards  à  manches  précieux'...» 

Par  malheur,,  ce  n'étaient  pas  des  armes  de  luxe  seulement; 

'  Schmidt,  Histoire  du  chapitre ,  p.  176. 


VINGT-QUATRIÈME  LETTRE.  560 

en  plus  d'une  occasion  les  jeunes  chanoines  furent  mêlés  aux 
querelles  intestines  des  Zorn  et  des  Miillenhcim,  des  Rosheim 
et  des  Rebstock.  Les  luttes  meurtrières  de  ces  derniers  furent 
livrées  en  1374  et  1375  dans  le  local  même  de  la  «Société  de 
Saint-Thomas,  »  lieu  de  divertissement  situé  dans  le  voisinage 
de  l'église,  et  fréquenté  par  les  nobles;  lieu  de  délices,  où 
les  jeux  de  dés  remplaçaient  les  bréviaires.  Les  jongleurs  et 
les  comédiens  y  venaient  exhiber  leurs  tours  d'adresse;  des 
banquets  splendides  et  des  bals  y  solennisaient  les  soirées , 
et,  sans  que  je  le  dise,  sans  que  j'abuse  des  citations  em- 
pruntées à  l'ouvrage  du  savant  chanoine  de  1860,  vous  devinez 
que  le  désordre  des  mœurs  privées  était  la  conséquence  iné- 
vitable de  cet  oubli  des  convenances  publiques.  M.  Schmidt 
touche  à  ces  choses  délicates  avec  tact  et  réserve;  cependant, 
puisqu'il  est  narrateur,  il  est  bien  obligé  de  nommer  quelque- 
fois les  choses  par  leur  nom.  N'ayant  pas  la  même  mission  ni 
le  devoir  d'être  aussi  complet  que  lui,  je  puis  me  dispenser 
de  soulever  le  rideau  des  cubiculaires  de  plusieurs  de  ces  di- 
gnitaires ou  aspirants  aux  places  canoniales  ;  je  renvoie  à  la 
source  même  les  personnes  curieuses  de  connaître  des  traits 
de  mœurs  qui  étaient  tout  juste  le  contraire  de  l'abstention 
que  l'austère  Grégoire  Vil  avait  imposée  au  clergé. 

Lorsqu'un  individu  ou  les  membres  d'une  corporation  se 
trouvent  sur  une  mauvaise  pente,  ils  roulent  jusqu'au  fond 
de  l'abîme  avec  une  effrayante  et  progressive  vitesse.  Il  en  fut 
ainsi  de  notre  chapitre  au  commencement  du  seizième  siècle. 
El  notez  que,  par  une  loi  fatale,  dans  ces  circonstances  le 
corps  tout  entier  paie  pour  les  méfaits  d'une  minorité  ou  d'un 
seul  coupable  qu'on  n'a  pas  su  ou  voulu  retrancher  en  temps 
utile.  Que  les  capitulaires  de  Saint-Thomas  aient  introduit 
dans  l'intérieur  de  leurs  maisons  celte  élégance  que  les  mœurs 
générales  du  temps  autorisaient,  rien  de  mieux;  qu'ils  aient 
eu  pour  leur  service  de  table  des  coupes  ciselées  par  des 
mains  d'artistes  habiles,  le  goût  du  beau,  certes,  ce  n'est  point 
là  un  crime;  qu'ils  aient  eu  des  basses-cours  bien  fournies, 


270  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

des  maisons  de  campagne  pour  faire  les  vendanges  dans 
leurs  vignobles  de  Wolxheim  ou  de  Molsheim  ,  et  que  les 
beaux  jours  d'automne,  sur  ces  coteaux  fortunés  delà  Bruche, 
aient  été  l'occasion  de  quelque  symposium  dans  le  goût  de  la 
renaissance,  qui  oserait  leur  en  faire  un  sujet  de  reproche?... 
Mais  il  est  si  difficile  de  s'arrêter  sur  une  route  aussi  glis- 
sante ,  aussi  inclinée  vers  les  jouissances  sensuelles.  Le  dicton 
bien  connu,  et  que  j'ai  entendu  répéter  par  un  respectable 
prélat:  «il  est  plus  facile  de  s'abstenir  que  de  se  contenir,» 
devait  recevoir  à  Saint-Thomas  une  éclatante  confirmation. 
Suivez  plutôt  vous-même  la  gradation!  Les  moines  pionniers 
de  Saint-Florent  s'étaient  d'abord  transformés  en  moines 
conventuels ,  ceux-ci  en  chanoines  de  la  règle  sévère ,  avec 
vie  en  commun  ;  puis  la  vie  claustrale  avait  été  remplacée 
par  la  vie  canoniale  en  des  maisons  séparées;  puis  le  patri- 
moine commun  avait  été  réparti  en  prébendes  individuelles. 
Ici  l'on  louchait  au  terme  extrême,  où  il  eût  fallu  s'arrêter; 
mais  à  partir  de  la  fin  du  cjuatorzième  siècle,  l'abus  remplaça 
l'usage  et  l'on  aboutit  à  un  genre  de  vie  dont  j'ai  indiqué 
quelques  traits  à  la  dérobée.  Le  point  culminant,  c'est  l'his- 
toire scandaleuse  et  romanesque  du  chanoine  Jean  Hepp  de 
Kirchberg,  qui  eut  lieu  dans  les  premières  années  du  seizième 
siècle,  et  à  laquelle  se  trouvaient  mêlés,  mais  en  bonne  part, 
les  noms  de  Jean  Murner  et  de  Sébastien  Brant.  Encore  une 
fois,  loin  de  moi  la  pensée  de  rendre  le  corps  des  chanoines 
responsable  des  méfaits  d'un  libertin  isolé  ,  qui  joue  le  rôle 
d'un  Don  Juan  au  petit  pied;  mais  le  tort  du  chapitre,  en 
cette  déplorable  circonstance ,  c'est  de  n'avoir  pas  sévi  lui- 
même  contre  un  effronté,  qui  déshonorait  sa  robe,  et  de 
n'avoir  vu  que  l'infraction  faite  à  ses  privilèges  par  l'inter- 
vention du  magistrat  de  Strasbourg  évoquant  l'affaire  ;  c'est 
d'avoir  soutenu  jusqu'en  cour  de  Rome  une  cause  insoute- 
nable et  d'avoir  ainsi  lui-même  fourni  un  prétexte  et  des  armes 
au  peuple  de  Strasbourg  déjà  mal  disposé  pour  les  couvents 
et  les  chapitres. 


VINGT-QUATRIÈME  LETTRE.  271 

Mais  détournons  nos  regards  de  ces  tristes  excroissances; 
revenons  à  une  tâche  plus  agréable,  plus  utile.  Le  chapitre 
qui  avait  le  surnom  de  «docte»  contenait  certes  plus  d'un 
membre  distingué....  Quels  étaient  ces  hommes,  dont  les 
noms  doivent  être  répétés  de  nos  jours  encore?  Quels  étaient 
ces  capitulaires  qui  ont  dû  à  Saint-Thomas  leur  existence  ho- 
norable et  qui  lui  ont  rendu,  avec  usure,  par  des  services  per- 
sonnels ou  par  l'éclat  de  leur  renommée,  ce  qu'ils  avaient 
reçu  viagèrement  du  patrimoine  commun  du  chapitre? 

Dès  les  temps  de  Frédéric  Barberousse,  nous  rencontrons 
un  chanoine  qui  a  vu,  comme  Ulysse,  be;\ucoup  d'hommes 
et  beaucoup  de  choses,  et  qui  a  mieux  fait  que  de  voir.  C'est 
le  chanoine  Burckardt,  vidame  de  l'évèché  de  Strasbourg; 
car  je  dois  dire  ou  répéter  en  passant  que  les  évêques  ont 
constamment  recruté  leurs  fonctionnaires  élevés  dans  le  corps 
de  Saint-Thomas.  Le  chanoine  Burckardt  fut  appelé  au  ser- 
vice de  l'empereur  Frédéric  1er,  q^j  en  fît  son  délégué  auprès 
du  sultan  Saladin  (1175),  quinze  ou  seize  ans  avant  la  mal- 
heureuse croisade  oi^i  l'empereur  lui-même  devait  périr.  Il 
paraît  que  Burckardt  avait  assisté  aux  campagnes  d'Italie  du 
puissant  souverain  de  la  maison  de  Hohenstauffen  et  au  ter- 
rible sac  de  Milan,  puisqu'il  a  adressé  à  l'abbé  Nicolas  de 
Sigeberg  une  épître  sur  cet  événement  déplorable,  qui  pesa 
sur  la  mémoire  de  Barberousse  et  lui  valut  plus  lard,  sur  la 
place  de  Saint-Marc  de  Venise ,  une  humiliante  altitude  aux 
pieds  de  la  mule  du  pontife  Alexandre  IIL  Bref,  Burckardt, 
chanoine  de  Saint-Thomas  de  Strasbourg  et  notaire  impérial, 
partit  en  1175  pour  l'Orient,  s'acquitta  de  sa  mission  auprès 
du  sultan  d'Egypte  et  de  Syrie,  vit  et  parcourut  les  îles  de  la 
Méditerranée,  le  Liban,  Damas,  Alexandrie,  et  raconta  sa 
curieuse  Odyssée  à  une  génération  qui  conservait  encore  le 
souvenir  vivace  de  Godefroi  de  Bouillon,  de  Baudouin,  de 
Tancrède,  de  tous  ces  héros  de  la  Jérusalem  délivrée.  Hélas! 
pourquoi  faut-il  que  le  récit  du  chanoine  ambassadeur  et 
touriste  ne  soit  arrivé  à  nous  que  par  fragments,  tandis  que 


272      ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS -RHIN. 

tant  d'élucubralions  ,  tant  de  plagiats  impudents  ont  échappé 
à  l'aveugle  destruction  ou  à  la  dilapidation  des  richesses  in- 
tellectuelles du  passé! 

Un  autre  dignitaire  de  Saint-Thomas ,  le  prévôt  Rodolphe  , 
avait  été  chapelain  impérial  de  ce  même  Frédéric,  protecteur 
de  Burckardt  ;  sous  l'empereur  Philippe  de  Souabe,  le  prévôt 
Frédéric  de  Saint-Thomas  avait  rempli  la  même  charge  et 
avait  été  envoyé  par  l'empereur  en  mission  à  Rome  auprès  du 
pape  Innocent  III. 

Vers  la  fin  du  treizième  siècle ,  le  poëte  Godefroi ,  de  Ha- 
guenau'^  est  rangé  parmi  les  chanoines  de  Saint-Thomas. 
Aux  connaissances  hlléraires,  à  l'inspiration  de  l'artiste,  au 
savoir  philologique  ,  Godefroi  joignait  des  connaissances  phy- 
siologiques ;  il  était  médecin  et  ne  faisait  de  vers  qu'aux 
heures  de  loisir.  Il  est  l'auteur  d'un  poëme  latin  sur  les  six 
fêtes  de  la  Vierge,  composé  de  quatre  mille  vers  léonins  ou 
rimes.  Je  dois  avouer  en  toute  humilité  que  je  n'ai  point  lu 
cette  vaste  composition;  en  attendant  que  j'en  trouve  le  mo- 
ment, je  laisse  à  M.  Schmidt  la  responsabilité  du  jugement 
favorable  qu'il  porte  sur  ce  panégyrique  de  la  mère  du  Sau- 
veur. Godefroi  ne  s'est  pas  contenlé  de  rimer  des  vers  latins; 
il  a  écrit  des  vers  allemands,  dans  le  goût  des  Minnesinger, 
et,  circonstance  singulière  pour  un  médecin,  toutes  ses  ins- 
pirations sont  religieuses;  comme  poëte,  il  est  complètement 
détaché  de  ce  monde  de  la  matière  dont  il  a  fait  son  étude 
forcée  comme  physiologiste. 

Je  suis  obligé  de  renvoyer  à  M.  Schmidt  pour  la  série  des 
noms  propres  qui  ont  honoré  le  chapitre;  il  doit  suffire  de 
rendre  attentif  à  quelques  illustrations  alsaciennes  ou  euro- 
péennes. Kœnigshoffen,  le  chroniqueur,  est  de  ce  nombre; 
le  naïf  et  intelligent  narrateur  des  faits  et  gestes  de  nos  an- 
cêtres  a  été  élu  chanoine  de  Saint-Thomas  (1395  à  l/t^O) , 

'Ne  le  confondez  point  avec  Godefroi  de  Strasbourg,  l'anleur  de  Tristan 
et  d'iseult,  qui  a  vécu  à  peu  près  un  siècle  plus  tôt  et  dont  l'existence  est  en- 
veloppée de  mystère. 


VL\GT-QUATRIÈME  LETTRE.  273 

après  avoir  été  recteur  de  l'église  de  Driisenheim,  prében- 
dier  du  grand-chœur  plébéien,  notaire  apostolique  et  impérial. 
JN'a-t-on  pas  souvent  remarqué  que  les  auteurs  les  plus  dis- 
tingués, que  les  historiens  surtout  ont  presque  toujours  réuni 
à  leurs  facultés  littéraires  les  qualités  de  l'homme  pratique 
et  de  l'homme  du  monde?  Rien  de  plus  étroit  que  la  préten- 
tion des  spéciahtés  qui  refusent  péremptoirement  aux  hommes 
de  savoir  ou  d'imagination  le  talent  nécessaire  pour  diriger 
les  aflaires  administratives  ou  politiques!  Que  d'exemples, 
dans  tous  les  siècles  et  chez  toutes  les  nations,  d'hommes 
éminents,  à  face  de  Janus,  qui  se  sont  trouvés  également  pro- 
pres au  travail  du  cabinet  et  au  gouvernement  des  hommes  ! 
Kœnigshoffen  était  de  ce  nombre;  il  ne  lui  a  manqué  qu'un 
théâtre  plus  grand  pour  constater  toute  son  aptitude  aux  af- 
faires du  monde.  Comme  chanoine  de  Saint-Thomas,  il  a 
rendu  de  grands  services  à  l'établissement  qui  abritait  son 
âge  mûr  et  sa  vieillesse;  il  a  mis  de  l'ordre  dans  la  compta- 
bilité jusque-là  négligée;  il  avait  l'esprit  de  détail  et  d'exacti- 
tude, qui  fait  les  bons  comptables.  Avant  son  administration, 
les  comptes  annuels  étaient  ou  lacérés  ou  égarés  ;  on  avait 
même  négligé  de  conserver  ou  de  copier  exactement  les  titres 
de  propriété. 

Kœnigshoffen  mit  fin  à  ce  désordre;  il  assistait  lui-même 
aux  redditions  de  compte  des  receveurs  et  leur  prescrivit  des 
formulaires  plus  pratiques^  préludant  ainsi  à  cette  compta- 
bilité simple  et  régulière  qui  fait  le  mérite  des  administrations 
modernes.  La  conservation  première  des  archives  de  Saint- 
Thomas  lui  est  due;  c'est  dans  cette  inappréciable  collection 
qu'il  déposa  les  comptes  dont  la  série  est  non  interrompue  à 
partir  de  cette  époque.  Les  livres  saliques,  dépareillés  avant 
lui,  furent  reliés  et  l'on  conserve  une  multitude  de  titres  co- 
piés de  sa  main,  de  cette  même  main  qui  a  tracé  le  drama- 
tique récit  des  luttes  municipales  du  treizième  et  du  quator- 
zième siècle. 

Au  quinzième  siècle,  le  chapitre  de  Saint-Thomas  fournit 


274  ARCHIVES  DÉPARTEMENTACES  du  BAS-RHIN. 

parmi  ses  membres,  une  longue  liste  de  licenciés  et  de  doc- 
teurs en  droit,  savants  jurisconsultes  et  hommes  d'aiïaires, 
qui  rendent  de  signalés  services  à  leur  corporation,  au  dio- 
cèse, à  des  cités  étrangères.  Ainsi  le  chanoine  Christophe 
d'Uttenheim  passa  au  rectorat  et  à  l'évêché  de  Bâle. 

Après  les  jurisconsultes,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle  ,  ce 
fut  le  tour  des  humanistes,  de  ces  savants  philologues  nour- 
ris de  la  substance  de  l'antiquité  classique  et  puissants  pro- 
moteurs de  ce  beau  mouvement  des  esprits,  qui,  après  la 
chute  de  Byzance  et  l'exil  des  savants  byzantins,  s'était  com- 
muniqué à  l'Italie  et  à  l'Europe  centrale.  Thomas  Woliï  le 
jeune  (né  en  i.475),  était  à  Saint-Thomas  le  représentant  de 
celte  tendance  littéraire,  dont  il  avait  cherché  les  inspirations 
aux  écoles  d'Erfurt  et  de  Bologne.  WolfT  était  archéologue  et 
philosophe,  ami  de  l'historien  Wimpheling  et  du  prédicateur 
Geiler;  sa  profession  de  foi  était  celle  des  novateurs  modérés 
qui  voulaient  une  réforme,  mais  par  les  voies  de  douceur. 
La  Providence  lui  épargna  la  douleur  de  voir  les  violences  des 
deux  partis  ;  il  salua  l'aurore  d'un  nouveau  jour,  sans  en 
pressentir  les  orages  et  les  obscurcissements.  Wollf  mourut 
à  peine  âgé  de  trente-quatre  ans,  à  Rome,  au  milieu  des 
ruines  de  l'antiquité,  qu'il  était  allé  éludicr  avec  la  hardiesse 
d'un  néophyte.  Il  aurait  pu,  à  peu  d'années  près,  s'y  ren- 
contrer avec  un  autre  chanoine  de  Saint-Thomas,  avec  Jean 
Burckardl,  qui  avait  rempli,  à  partir  de  1484,  la  charge  de 
maître  des  cérémonies  du  pape,  et  qui  laissa,  dans  son  curieux 
journal,  le  narré  le  plus  naïvement  scandaleux  des  désordres 
et  des  crimes  qui  déshonorèrent,  sous  Alexandre  VI,  la  cour 
pontificale,  sans  ébranler  le  dogme  ou  l'antique  édifice  de  la 
foi. 

Vers  la  même  époque,  le  chanoine  Paul  Munthart,  collec- 
teur de  manuscrits  et  de  livres,  légua  ses  trésors  à  la  biblio- 
thèque populaire  qui  existait  déjà  du  temps  de  Kœnigshoffen , 
mais  ne  consistait  alors  qu'en  une  cinquantaine  de  volumes 
presque  tous  théologiques.  Le  laborieux  collecteur  nous  en  a 


VINGT-QUATRIÈME  LETTRE.  275 

laissé  le  calalogiie  inslruclif;  nous  y  retrouvons  quelques- 
uns  des  auteurs  qui  ont  déjà  été  pour  Hcrradc  la  source  d'une 
instruction  variée,  tels  que  Jacques  de  Voragine,  Pierre  Co- 
niestor,  Pierre  Riga,  interprélateur  allégorique  de  la  Bible, 
dans  son  ouvrage  intitulé  :  Aurora,  dont  M.  Schmidt  indique 
le  contenu.  Nous  sommes  trop  habitués  à  ignorer  ou  à  regar- 
der avec  dédain  cette  science  du  passé.  Forcés  de  dévorer  au 
jour  le  jour  les  nombreuses  productions  jetées  sur  le  marché 
littéraire,  nous  nous  rendons  difficilement  compte  de  l'effet 
que  la  lecture  recueillie  des  traités  scolastiques  ou  des  récits 
légendaires  a  dû  produire  sur  des  esprits  élevés  à  l'école  de 
Saint-Jérôme  ou  de  Saint-Augustin.  Je  ne  suis  point  le  détrac- 
teur du  temps  présent  au  profit  du  temps  passé;  mais  j'aime 
à  rendre  justice  à  tout  le  monde,  et  à  penser  que  cette  mo- 
deste bibliothèque  de  Saint-Thomas,  telle  que  Kœnigshoffen 
l'a  trouvée  et  que  Paul  Munthart  a  considérablement  augmen- 
tée, suffisait  à  entretenir  le  feu  sacré  dans  le  cœur  de  ceux  des 
chanoines  qui  ne  se  bornaient  pas  à  célébrer  les  offices  et  à 
administrer  leurs  prébendes. 

Paul  Munthart  n'avait  pas  légué  sans  condition  ces  éditions 
de  légistes  et  de  canonistes,  et  ces  ouvrages  sortis  de  la  presse 
de  Mentelin.  Le  chanoine  testateur  exigea  qu'une  salle  spécia- 
lement adaptée  à  sa  nouvelle  destination,  avec  rayons,  bancs 
et  chaînes,  servît  à  héberger  ces  incunables  et  ces  manuscrits. 
Des  chaînes!  oui,  et  comme  vous  le  devinez,  non  pour  retenir 
les  lecteurs,  mais  pour  préserver  les  volumes  contre  tout  en- 
lèvement! D'après  le  testament  de  Munthart,  aucun  de  ces 
volumes  ne  devait  être  ni  aliéné,  ni  échangé,  ni  prêté  à  une 
personne  étrangère  au  chapitre.  On  exécuta,  bien  entendu,  le 
dernier  vœu  du  testateur.  C'était  bien  le  moins  que  l'on  pût 
faire  en  retour  d'une  pareille  libéralité  !  M.  Schmidt  nous  ap- 
prendra sans  doute,  dans  un  second  volume,  à  quelle  époque 
la  bibliothèque  de  Saint-Thomas  reçut  des  accroissements 
successifs  et  quelle  fut  la  métamorphose  que  subit  l'antique 
école  de  Saint-Thomas,  fondée  par  Adeloch,  agrandie  par 


276  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Erkanbold,  négligée  vers  la  fin  du  douzième  siècle,  mais  ja- 
mais close,  et  servant,  à  tout  prendre,  de  chaînon  intermé- 
diaire entre  les  institutions  carlovingicnnes,  telles  que  nous 
les  avons  vues  près  de  la  cathédrale,  et  les  académies  et  uni- 
versités modernes. 


VINGT-CINQUIÈME   LETTRE.  277 


VINGT-CINQUIEME   LETTRE. 

liCfl  choristes  ilc  Kaint-Thomas.  —  liCS  fêtes  à  Snint-Thomas.  —  les 
mystères  de  la  Passion.  —  E,es  propriétés  de  Saint-Thomas.  — 
Ecklioislieini,  seigneurie  et  eollonge.  —  Proce)<sion  de  la  Pente- 
côte. —  Saint -Thomas,  bailleur  de  fonds  :  Jean  Cutenberg,  son 
débiteur.  —  l,es  Ilohenstein.  —  Pillage  d'EckboIsheim.  —  Évalua- 
tion du  revenu  des  prébendiers  ;  abus,  leur  cause.  —  Conflits  de 
Saint-Thomas  avec  l'cvéché.  —  I^e  sarcophage  d'Adeloch  et  le 
mausolée  du  maréchal  de  Saxe. 

Monsieur, 

Vous  me  demanderez  quelle  était,  en  définitive,  l'organisa- 
tion de  celte  école  de  Saint-Thomas  au  moyen  âge?  Nous  en 
savons,  de  fait,  fort  peu  de  chose;  l'auteur  de  la  monographie 
sur  le  chapitre  en  convient  lui-même.  Etablie  dans  une  mai- 
son attenant  au  cloître,  placée  sous  la  direction  d'un  maître 
des  écohers,  qui  plus  tard  (vers  1200)  prit  le  titre  d'écolàtre, 
et  qui  se  faisait  l'emplacer  par  un  recteur,  l'école  avait  pour 
mission  de  donner  l'instruction  aux  enfants  admis  à  jouir 
des  canonicats. 

Indépendamment  de  ces  petits  chanoines  (chanoines  mi- 
neurs ou  domicellaires),  on  y  admettait  aussi  les  enfants  des 
paroissiens.  Il  est  probable  que  les  fils  de  la  riche  bourgeoisie, 
peut-être  même  ceux  de  la  noblesse,  prenaient  leurs  leçons  à 
Saint-Thomas,  qui  aurait  ainsi,  de  bonne  heure,  présenté  ce 
caractère  mixte  qu'on  a  quelquefois  reproché  au  gymnase,  à 
la  fois  petit  séminaire  et  école  bourgeoise,  mais  ayant  par  cela 
même  une  physionomie  originale. 

Des  legs  faits  en  faveur  de  pauvres  écohers  indiquent  aussi 
l'admission  à  Saint-Thomas  d'enfants  appartenant  aux  classes 
peu  aisées  de  la  population  urbaine;  peut-être  n'assistaient-ils 
qu'aux  classes  élémentaires.  Ce  serait  un  titre  de  gloire  de  plus 
pour  cette  école  d'avoir,  à  une  époque  d'inégalité  sociale,  pra- 
tiqué le  plus  beau  précepte  de  l'évangile,  celui  de  l'égalité  des 
âmes. 


278  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RJÎIN. 

Parmi  ces  écoliers  pauvres  on  choisissait  les  choristes,  qui 
se  tenaient  auprès  des  chanoines  pendant  les  fonctions  litur- 
giques; ces  enfants  devaient  être  exercés  au  chant  et  à  la  lec- 
ture; l'écolàtre  était  juge  de  leur  aptitude  et  de  leur  admis- 
sibilité. Une  cerlainc  quantité  de  pain  était  affectée  à  leur 
usage,  et  le  receveur  fournissait  annuellement  à  la  boulangerie 
soixante  rézeaux  quatre  boisseaux  de  seigle  pour  cette  desti- 
nation spéciale. 

Lorsqu'un  chanoine  venait  à  mourir,  tous  les  élèves  de 
l'école,  choristes  ou  non,  assistaient  aux  funérailles;  ils  fai- 
saient partie  de  toutes  les  processions.  On  utilisait  leurs  chants 
au  chœur  et  dans  la  nef,  et  ils  rendaient  ainsi  au  décuple  à 
l'église  la  nourriture  matérielle  et  spirituelle  qu'on  leur  avait 
donnée. 

Interrogé  par  un  voyageur  étranger  sur  ses  occupations 
journalières  et  sur  ses  devoirs,  le  jeune  choriste  de  Saint- 
Thomas  aurait  pu  répondre  comme  Eliacin-Joas  : 

.l'adon;  le  Soigneur,  on  m'explique  sa  loi;^ 

Dans  son  livre  divin  on  m'apprend  h  la  lire, 

El  dt'ja  de  ma  main  je  commence  à  l'écrire. 

....  J'onlends  chanter  de  Dieu  les  grandeurs  infinies; 

Je  vois  l'ordre  pompeux  de  ses  cérémouies. 

A  Saint-Thomas,  ces  cérémonies  avaient,  à  de  certains 
grands  jours,  un  caractère  spécial.  Ainsi,  la  veille  de  Pâques 
on  bénissait  l'eau  et  le  feu.  La  bénédiction  de  l'eau  consistait 
dans  la  consécration  des  fonts  baptismaux,  vidés  et  remplis  à 
neuf,  en  mémoire  des  premiers  siècles  de  l'église,  où  ce  jour 
était  fixé  pour  le  baptême  des  catéchumènes.  La  bénédiction 
du  feu  se  faisait  en  invoquant  la  faveur  divine  sur  le  cierge 
pascal,  qui  était  allumé  au  moyen  d'une  étincelle  jaillissant 
du  frottement  du  briquet  contre  une  pierre  ;  les  paroissiens, 
après  avoir  éteint  toute  espèce  de  feu  dans  leurs  maisons,  ve- 
naient allumer  des  cierges  à  ce  feu  pascal,  et  les  reporlaien 
ainsi  dans  leurs  foyers. 


YllNGT-CINQUIÈME  LETTRE.  279 

Le  jour  de  Pâques  môme,  on  donnait  aux  fidèles  une  ré- 
présentation symbolique  de  la  résurrection  du  Seigneur  ;  c'était 
dans  le  principe  une  action  fort  simple,  conforme  au  récit 
biblique  ;  puis  on  y  mêla  des  incidents  un  peu  plus  compliqués 
pour  fixer  l'attention  de  la  foule;  mais,  dans  cette  représen- 
tation, les  chants  d'église  faisaient  le  vrai  fond  du  service,  et 
produisaient,  à  tout  prendre,  un  effet  imposant.  On  ne  sau- 
rait méconnaître  dans  ces  cérémonies,  moitié  ecclésiastiques, 
moitié  mondaines,  l'origine  des  mystères  ou  drames  religieux 
qui  se  sont  perpétués  jusqu'à  nos  jours  dans  le  spectacle  dé- 
cennal des  scènes  de  la  Passion ,  représentées  sous  la  voûte 
du  ciel,  au  pied  des  Alpes  bavaroises  *,  devant  des  milliers 
d'auditeurs  émus. 

Comment  le  chapitre  de  Saint-Thomas  faisait-il  face  à  ces 
grandes  exhibitions,  à  ces  pompes  du  culte,  à  l'entretien  d'un 
personnel  qui  constituait  presque  une  cité  dans  la  cité?....  A 
plusieurs  reprises  déjà,  il  a  été  question  des  biens  et  l'evenus 
de  Saint-Thomas.  Qu'étaient  donc  ces  richesses  que  l'imagi- 
nation populaire  a  de  tout  temps  grossies,  et  qui  ont  fini  par 
acquérir,  dans  les  mille  bouches  de  la  renommée ,  une  ampleur 
pareille  à  celle  d'un  ballon  gonflé? 

Les  principales  propriétés  du  chapitre  étaient  situées  pres- 
que aux  portes  de  la  ville,  dans  la  riche  commune  d'Eckbols- 
heim,  où  les  chanoines  exerçaient  les  droits  seigneuriaux.  De 
vagues  traditions  faisaient  de  l'un  des  rois  Dagobert  le  premier 
bienfaiteur  du  couvent  de  Saint-Thomas;  c'est  l'un  de  ces  rois 
d'Austrasie  qui  aurait  donné  Eckbolsheim  aux  moines  de  Saint- 
Thomas.  M.  Schmidt  renverse,  par  des  raisonnements  qui  me 
semblent  irréfutables,  cette  croyance  populaire;  il  attribue  à 
l'évêque  Rudhart  (940)  la  première  donation  d'une  ferme  ou 
cour,  sise  à  Eckbolsheim.  Ce  milieu  du  dixième  siècle  cons- 
titue vraiment  une  date  assez  reculée,  puisqu'elle  forme  une 
prescription  à  peu  de  chose  près  millénaire.  Deux  siècles  après 

'  Duns  rOberamniorgaii. 


280  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

Rudhardt,  une  charte,  émanée  de  Frédéric  Barberousse,  con- 
firme les  domaines  du  chapitre  à  Eckbolsheim  ;  or  à  cette 
époque  (1163),  la  corporation  étendait  déjà  ses  mains  sur 
presque  tout  le  village;  les  acquisitions  ont  par  conséquent 
dû  avoir  lieu  dans  l'intervalle  qui  s'écoule  entre  l'évèque 
Rudhardt  et  le  règne  du  grand  empereur. 

Le  chapitre  déléguait  à  Eckbolsheim  un  tribun  avec  mission 
de  présider,  comme  son  titre  l'indique,  le  tribunal  ou  la  cour 
de  justice  seigneuriale,  où  siégeait  le  Sclmlthciss  (prévôt)  et 
trois  jurés  ou  cchevins  de  la  commune,  et  qui  jugeait  au  cri- 
minel et  au  civil  '.  Lorsque  les  chanoines  se  rendaient  au  vil- 
lage pour  l'exercice  des  droits  seigneuriaux  ou  pour  la  per- 
ception des  impôts,  la  commune  leur  devait  nourriture  et 
logement  (Herbcrge  nnd  Zehrunij).  En  sa  qualité  de  seigneur, 
le  chapitre  avait  aussi  le  droit  de  patronage,  c'est-à-dire  qu'il 
disposait  de  la  cure;  les  habitants  d'Eckbolshcim,  en  recon- 
naissance de  ce  droit,  étaient  tenus  de  se  rendre,  le  mardi  de 
la  Pentecôte,  en  procession,  à  l'église  de  Saint-Thomas,  pour 
y  entendre  une  messe.  C'était,  fort  heureusement  pour  eux, 
à  l'entrée  de  la  bonne  saison;  le  devoir  se  transformait  en 
journée  d'agrément;  car  le  chapitre,  en  bon  seigneur,  leur 
distribuait  sans  doute  des  rations  de  pain  et  de  vin  pour  com- 
penser la  fatigue  de  la  promenade  et  la  perte  de  temps. 

Mais  indépendamment  de  ces  droits  seigneuriaux,  qui  étaient 
plus  glorieux  que  productifs,  le  chapitre  possédait  aussi  à 
Eckbolsheim  une  cour  collongère  (Dinghof);  et  c'était  là  le 
domaine  vraiment  utile,  la  terre  grasse,  sous-louée  aux  fer- 
miers à  titre  de  bail  perpétuel.  De  semblables  cours  ou  fermes, 
Saint-Thomas  en  avait  dans  plusieurs  grandes  communes  sur 
les  deux  rives  du  Rhin,  à  Adelshofen  (Schilligheim),  Haus- 
bergen,  Uttenheim,  Ilugesgerute,  comme  le  prouvent  les 
règlements  collongers  (Dinghofsrœdel)  fort  étendus  que  relate 

'La  justice  collongère  était  indépendante  de  celte  justice  seigneuriale; 
elle  prononçait  sur  des  questions  d'emptiviliéose  litigieuses. 


VINGT-CINQUIÈME  LETTRE.  281 

et  qu'analyse  le  savant  historien  de  Saint-Thomas.  A  ces  pro- 
priétés domaniales ,  dont  quelques-unes  se  perdent  dans  la 
nuit  des  temps,  le  chapitre  ajouta,  sur  beaucoup  de  points 
de  la  Basse-Alsace,  des  biens  acquis  par  donation,  legs  ou 
achat;  il  en  avait  à  peu  près  dans  toutes  les  communes  rive- 
raines de  la  Bruche,  entre  Strasbourg  et  Molsheim ,  puis  le 
long-  des  collines  de  Ilausbergen  jusqu'à  Mundolsheim  et 
Pfulgriesheim  dans  le  Kochersberg;  dans  un  groupe  de  com- 
munes près  de  Barr;  à  Geispolsheim,  à  Weyersheim  ;  à  Stras- 
bourg même  il  possédait  plusieurs  immeubles,  un  moulin*, 
une  boulangerie-  ;  je  fais  grâce  d'une  cnumération  plus  com- 
plète. Les  capitaux ,  fruits  de  ses  épargnes ,  il  les  prêtait  sur 
hypothèque  et  contre  caution,  mais  d'après  les  lois  de  l'église 
le  prêt  à  intérêt  se  trouvant  rangé  dans  la  catégorie  de 
l'usure,  ses  opérations  s'effectuaient  sous  forme  d'achat  de 
rente;  en  d'autres  termes,  le  chapitre  vous  donnait  à  vous, 
qui  aviez  besoin  d'argent,  il  vous  donnait  le  capital  demandé, 
mais  vous  deviez,  par  réciprocité,  lui  servir  une  rente,  qu'il 
vous  était  loisible  de  racheter  par  le  paiement  du  capital'. 
Parmi  les  emprunteurs  ou  débiteurs  de  Saint-Thomas  se  trou- 
vait un  nom  illustre  ou  qui  allait  le  devenir,  c'est  celui  de 
Jean  Gensfleisch ,  dit  Gutenberg,  de  Mayence.  A  la  date  du 
17  novembre  14-4.2  il  contracta  un  emprunt  de  80  florins, 
sous  forme  de  rente  de  4  florins;  pour  l'acquittement  régulier 
de  cette  redevance  le  noble  Mayençais  donnait  en  garantie  un 
revenu  de  10  florins  sur  sa  ville  natale.  Et  cependant  le  cha- 
pitre cauteleux  ne  s'était  pas  tenu  pour  satisfait;  il  avait  exigé 
qu'un  citoyen  de  Strasbourg  se  déclarât  caution  de  l'étranger. 
Martin  Brechter  s'engagea  comme  codébiteur  de  Gutenberg, 
qui,  à  cette  époque  déjà,  devait  être  gêné  et  sur  la  pente 

'Au  haut  de  la  rue  des  Dentelles. 

Miue  de  l'Ail. 

•*  Toutes  les  corporations  religieuses  et  même  les  particuliers  étaient  obligés 
de  recourir  au  même  subterfuge  pour  se  procurer  de  l'argent  sans  encourir  la 
censure  de  l'Énlise. 


ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

d'une  ruine  financière,  qui  allait  être  pour  lui  un  brevet 
d'immorlalilé.  Il  fut  obligé  de  qiriller  Strasbourg  en  1444; 
mais  la  rente  continua  à  être  payée  régulièrement  jusqu'en 
1458  ;  à  partir  de  ce  moment,  après  un  procès  perdu  contre 
son  coassocié  Fust,  le  malheureux  inventeur  sévit  dans  l'im- 
possibilité de  remplir  ses  cn^iiagcments  ;  le  chapitre  poursuivit 
son  codébiteur  Brechter  devant  le  tribunal  aulique  de  Rotwyl, 
pour  restitution  du  capital.  Il  s'ensuivit  une  interminable  pro- 
cédure, et  après  une  série  de  poursuiles  infructueuses,  on 
inscrivit  en  1474  à  l'article  des  non-valeurs  la  petite  somme 
prêtée  à  fonds  perdu  sur  la  tête  d'un  homme  de  génie. 

Ce  n'était  là  qu'une  perte  d'argent  peu  sensible  pour  une 
corporation  solide;  j'aime  à  penser  que  le  docte  aréopage  de 
Saint-Thomas,  s'il  avait  pu  deviner  l'avenir,  aurait  acheté 
cent  fois  plus  cher  l'honneur  de  propager  un  art  qui  allait 
contribuer  au  développement  rapide  des  études  classiques , 
et  grossir,  dans  une  proportion  inespérée,  les  trésors  d'éru- 
dition que  depuis  six  siècles  l'école  confinait  péniblement  dans 
son  armoire  des  chartes. 

D'autres  placements  devaient  avoir  pour  le  chapitre  des 
conséquences  bien  plus  graves. 

Précisément  à  la  même  époque  où  il  devenait  créancier  du 
Mayençais,  Saint-Thomas  avait  prêté  à  Henri  de  Huhenstein, 
vidame  de  l'évêché ,  une  somme  de  quatre  cents  florins 
assis,  pour  plus  de  sûreté,  sur  le  village  de  Berghieten.  En 
1451,  le  vidame  vint  à  mourir;  mais  son  fils,  Antoine  de 
Hohenstein,  s'engagea  au  paiement  de  la  rente.  Il  n'en  fit 
rien,  et  lorsque  le  chapitre  réclama^  Antoine  agit  en  digne 
seigneur  du  moyen  âge;  il  se  jeta  avec  ses  afïïdés  sur  le  vil- 
lage d'Eckbolsheim,  et  pilla  brutalement  celte  possession 
seigneuriale  du  chapitre  créancier. 

Délirant  reges ,  plectuntur  Achivi. 

L'affaire  fut  portée  successivement  devant  le  tribunal  de 


VINGT-CIISQUIÈME  LETTRE.  283 

Rotwyl,  devant  l'empereur,  devaril  Frédéric-le-Victorieux, 
landvogt  ou  préfet  d'Alsace  :  elle  traîna  ainsi  pendant  plus  de 
six  ans  ,  et  l'on  finit,  en  14-57,  par  aboutir  à  un  arrangement, 
où  le  chapitre  tira  un  peu  la  courte  paille;  ce  qui  ne  l'empê- 
cha pas  de  continuer  à  prêter  à  d'autres  seigneurs,  aux  Deux- 
Ponts,  aux  Lichtenberg-,  au  margrave  de  Bade. 

Malgré  ces  belles  apparences  et  cette  espèce  d'embarras  des 
richesses,  le  revenu  individuel  des  vingt-cinq  prébendiers 
n'était  vraiment  pas  considérable.  Soixante-quatre  rézeaùx  de 
céréales,  voilà  quelle  était  la  part  principale  de  chacun.  Je  ne 
parle  point  des  redevances  accessoires,  ni  de  la  jouissance 
des  maisons  canoniales.  Vers  le  milieu  du  quatorzième  siècle, 
on  avait  un  moment  transformé  en  argent  les  revenus  en  na- 
ture; eh  bien,  ce  n'était  qu'une  somme  de  400  florins  qui 
échéait  à  chaque  prébendier.  En  tenant  compte  de  la  plus- 
value  de  l'argent  à  cette  époque,  la  somme  correspondrait  à 
peu  près  à  un  millier  de  francs  d'aujourd'hui.  Il  ne  faut  point 
oublier,  du  reste,  que  la  plupart  des  bénéficiaires  étaient 
pourvus  autre  part;  que  ces  positions  étaient  de  véritables 
sinécures,  puisqu'en  dépit  des  statuts,  des  règlements,  des 
prescriptions  de  toute  nature,  les  chanoines  étrangers  esqui- 
vaient la  résidence,  et  que  les  résidants  se  déchargeaient  au- 
tant que  possible  du  soin  des  offices  sur  les  summissaires  ou 
sur  les  vicaires.  On  peut  se  faire  une  idée  très-exacte  de  cet 
état  de  choses  en  le  comparant  à  ce  qui  se  passe  dans  l'église 
anghcane,  dont  les  grands  dignitaires  assistent,  à  Rome,  en 
spectateurs,  aux  cérémonies  de  Saint-Pierre,  et  laissent  la 
charge  des  âmes  saxonnes  et  irlandaises  à  des  vicaires  débar- 
rassés du  soin  d'administrer  les  deniers. 

Sous  quelle  pression  impérieuse  les  choses  étaient -elles 
devenues  à  ce  point  abusives?  A  qui  la  faute?  Est-ce  la  cour 
de  Rome,  l'empereur,  le  chapitre  lui-même  qu'il  faut  en  accu- 
ser? ou  bien  tout  le  monde?  Hélas!  oui.  Depuis  son  érection 
en  chapitre,  le  corps  de  Saint-Thomas  avait  grandi  en  impor- 
tance; il  était  censé  faire  de  libres  élections,  ou  bien,  pen- 


284  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

dant  quelque  temps,  le  recrutement  des  membres  nouveaux 
s'était  réellement  fait  dans  un  esprit  de  paix  et  de  liberté; 
mais  affranchi  de  l'autorité  diocésaine,  le  chapitre  n'avait  pas 
non  plus  l'appui  de  son  évéque  ;  le  pape  et  l'empereur  pesaient 
sur  les  élections,  l'un  par  les  grâces  apostohques  ou  par  la 
nomination  par  provision,  l'autre  par  le  droit  des  premières 
prières;  en  d'autres  termes,  la  cour  pontificale  nommait  à 
l'avance  à  tel  canonicat,  lorsqu'il  serait  vacant;  et  l'on  ne 
choisissait  pas  toujours  les  candidats  les  plus  dignes,  (/empe- 
reur intervenait  lors  des  vacances;  enfin,  le  chapitre  lui-même 
allait  au  devant  des  abus,  dans  la  personne  de  plus  d'un  de 
ses  membres  qui  pétitionnait  à  Rome,  pour  cumuler  avec  les 
bénéfices  de  Strasbourg-,  des  prébendes  étrangères.  Dans  le 
principe,  et  jusqu'au  treizième  siècle,  les  roturiers  avaient 
occupé  ou  la  totalité  ou  une  partie  des  canonicats;  mais  peu 
à  peu  l'aristocratie  alsacienne  fit  entrer  ses  fils  dans  la  riche 
communauté;  c'étaient  des  rentes  viagères  acquises  au  prix  de 
la  renonciation  au  mariage  officiel.  De  la  sorte,  les  Zorn  et 
les  Mûllenlicim,  les  Landsperg  et  les  Kageneck,  les  Meerswin 
et  les  Ilohenstcin  participèrent  aux  bénéfices  de  Saint-Thomas  ; 
et,  ce  qui  était  plus  regrettable  encore,  c'est  ainsi  qu'un  bel 
établissement  religieux  se  trouva  entraîné  dans  les  querelles 
de  coterie  et  môme  dans  ces  guerres  civiles  au  petit  pied, 
qui  troublèrent,  au  quatorzième  siècle,  la  cité  souveraine  de 
Strasbourg.  Presque  toujours  c'est  pour  des  questions  d'ar- 
gent que  s'engagent  ces  conflits  du  chapitre  de  Saint-Thomas; 
il  en  a,  surtout  avec  les  évêques,  à  partir  du  quatorzième 
siècle,  après  avoir  été  auparavant  l'objet  de  leur  sollicitude  et 
en  partie  de  leur  munificence.  Vers  1310,  il  y  a  lutte  entre  le 
chapitre  et  l'évèque  Jean  de  Dirpheim  pour  affaire  de  col- 
lectes. Sous  l'épiscopat  de  Berlhold  de  Buchek,  elle  s'engage 
pour  des  questions  de  taxe  et  de  contributions,  ou  pour  des 
affaires  de  discipline.  Puis  le  chapitre  s'élève  contre  l'évèque 
Frédéric  de  Blanckenheim,  ce  digne  précurseur  de  Guillaume 
de  Diest,  en  fait  de  dilapidations.  Pendant  le  grand  schisme 


VINGT-CINQUIÈME  LETTRE.  285 

d'Occident,  le  chapitre  prend  toujours  le  parti  contraire  à 
celui  de  l'évêque. 

Au  quinzième  siècle,  Sainl-Tliomas  s'applique  à  gagner  les 
bonnes  grâces  du  magistrat  municipal  de  Strasbourg....  Je  ne 
fais  qu'indiquer  des  situations;  mais  l'on  entrevoit  bien  à  quel 
point  celte  ancienne  communauté,  fdle  de  Saint-Florent  et 
d'Adeloch,  était  inilée  au.K  affaires  de  ce  monde.  Les  autres 
chapitres  et  abbayes  n'y  restent  pas  étrangers  ;  l'abbaye  de 
Wissembourgjoue  aussi  un  rôle  politique  au  quinzième  siècle  ; 
mais  quelle  différence  dans  les  motifs!  On  dirait,  quant  à 
notre  chapitre,  que,  par  ces  frottements  avec  les  puissances 
temporelles  et  spirituelles,  il  préludait  aux  ruptures  du  seizième 
siècle.  On  dirait  que  Saint-Thomas,  à  la  fois  cloître  et  école 
dès  le  neuvième  siècle,  couvait  dès  lors  dans  son  sein  les 
germes  d'opposition  qui  plus  tard  arrivèrent  à  un  si  luxurieux 
degré  de  développement,  et  que  sa  mission,  dans  le  diocèse 
de  Strasbourg,  était  de  servir  de  levain  pour  empêcher  l'en- 
gourdissement des  esprits. 

Avant  de  terminer,  rentrons  un  instant  encore  en  plein 
moyen  âge;  allons-nous  reposer  et  respirer  le  calme  sous  les 
belles  voûtes  ogivales  de  l'église,  dans  ce  chœur  où  deux  sar- 
cophages attirent  nos  regards,  celui  de  l'évoque  du  neuvième 
siècle  et  celui  du  guerrier  franco-saxon  du  dix-huitième.  Quel 
contraste  encore  et  quel  enseignement! 

Le  voilà,  presque  inaperçu  dans  sa  niche,  le  monument 
funèbre  d'Adeloch,  ce  cercueil  de  minime  dimension',  qui 
a  renfermé  les  restes  mortels  d'un  saint,  ce  corps  chélif,  asile 
d'une  grande  âme.  M.  Schmidt  explique  avec  tact  et  bon  sens 
les  figures  et  les  ornements  allégoriques  dont  les  niches  en 
plein  cintre  des  deux  faces  du  cercueil  sont  décorées;  il  ne  se 
perd  point  en  interprétations  plus  ou  moins  hasardées,  plus 
ou  moins  ingénieuses  de  ce  symbolisme.  Je  renvoie  à  l'ou- 

'JM.  Sclimidl  fait  remaïquci'  les  petites  diniensions  de  ce  sarcopliage: 
1'°,G3  de  long,  0'",50  de  large,  0n',4G  de  liaut;  il  pense  qu'on  n'a  l'ail  qu'y 
déposer  les  osseuienls  de  l'évêque  Adelocli. 


286  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

vrage  même  de  notre  savant  guide,  pour  y  lire  l'histoire 
d'Adeloch  ciselée  sur  la  pierre  *  ;  et  puis  je  ramène  une  fois 
de  plus  vos  regards  vers  le  superbe  mausolée,  symbole  de 
l'histoire  moderne,  qui  écrase  par  son  actualité,  par  la  sym- 
pathie directe  (ju'il  nous  inspire,  nos  retours  vers  le  moyen 
âge.  Pour  comprendre  ce  dernier,  il  nous  faut  toujours  une 
espèce  d'effort,  il  nous  faut  l'assistance  de  l'érudition ,  le  désir 
de  vivre  un  moment  au  cœur  de  ce  passé  si  loin  de  nous,  tan- 
dis que  nous  touchons  du  doigt,  nous  comprenons,  comme  si 
elle  venait  de  s'éteindre  hier  seulement,  cette  existence  du 
vainqueur  de  Fontenoy,  de  l'un  des  plus  nobles  précurseurs  de 
Napoléon  I^r.  Je  ne  regarde  jamais  le  mausolée  du  maréchal 
de  Saxe,  sans  répéter  mentalement  la  magnifique  péroraison 
de  l'éloge  funèbre  composé  par  l'académicien  Thomas;  je 
vois  les  deux  soldats  qui  ont  servi  sous  Maurice  entrer  dans 
le  temple  où  est  déposée  sa  cendre,  aiguiser  leurs  épées  au 
marbre  de  la  tombe,  et  sortir  en  pleurant  sans  proférer  un 
seul  mot;  puis  j'entends  l'orateur,  si  heureusement  inspiré, 
s'écrier  :  «Ils  pensaient  ces  deux  guerriers,  que  le  marbre 
«qui  touchait  aux  cendres  de  Maurice  avait  le  pouvoir  de  com- 
«muniquer  la  valeur,  et  de  faire  des  héros.  Vous  ne  vous 
«trompez  pas,  dignes  soldats  de  Maurice,  tandis  que  son 
«ombre,  du  milieu  de  l'Alsace  (ju'elle  habite,  sèmera  encore 
«la  terreur  chez  nos  ennemis  et  gardera  les  bords  du  Rhin, 
«la  vue  du  marbre,  qui'renferme  ses  cendres,  élèvera  l'ame 
«de  tous  les  Français,  leur  inspirera  le  courage,  la  magnani- 
«mité,  l'amour  généreux  de  la  gloire,  le  zèle  pour  la  patrie,  d 

'  Voy.  aussi  doux  monograpliios  sur  l'église  de  Sainl-Tliomas  composées 
par  MM.  Scliiieegaiis  pl  lleilz. 


(^.^^Xl=)(îL?''îr---^ 


VINGT-SIXIÈME  LETTRE.  287 

VINGT-SIXIÈME  LETTRE. 

Chapitres  cxtra-iiiiiros  de  Stru!«iiourg.  —  Cliuiiid-c  de  Ilaslacli.  —  Re- 
liques de  jiiaint  Florent;  eon.«triietion  de  l'ég^lUc  ogivale  de  llaslacli; 
sa  restauration  moderne.  —  I>i>icu.s.>«ion»«  Au  cliai»itre  avec  l'évéché. 
—  Kevcuu»«  du  chai>itrc  au  di.\-liuitièiue  siècle. 

Monsieur, 

Quatre  ou  cinq  chapitres  ou  églises  collégiales  doivent  attirer 
notre  attention  dans  la  Basse-Alsace.  Ce  sont  les  chapitres  de 
Haslach,  de  Neuwiller,  de  Saverne,  de  Surbourg-Haguenau, 
de  Wissembourg;  ce  dernier  appartenait  au  diocèse  de  Spire  '. 

Chacune  de  ces  corporations  exigerait  une  monographie 
spéciale.  Ici  nous  n'aurons  que  le  temps  de  jeter  un  coup 
d'œil  rapide  sur  la  destinée  de  ces  églises,  qui  toutes  ont  joué 
un  rôle  plus  ou  moins  grand  dans  l'histoire  ecclésiastique 
de  notre  province. 

Haslach  est  connu  de  la  plupart  de  nos  lecteurs;  de  nom- 
breux promeneurs  visitent  chaque  année,  dans  un  vallon  laté- 
ral du  grand  val  de  Bruche,  la  cascade  de  Nideck,  qui  ne 
peut,  dans  ses  modestes  proportions,  se  mesurer  avec  les 
chutes  d'eau  de  la  Suisse,  mais  qui  ofTre  au  fond  de  magni- 
fiques sapinières,  et  avec  les  ruines  du  château  de  Nideck*, 
perché  sur  un  roc,  un  point  d'excursion  inappréciable  pour 
les  habitants  de  la  plaine. 

Avant  d'arriver  à  la  cascade  solitaire,  on  traverse,  de  toute 
nécessité,  les  deux  communes  deNieder-ct  Oberhaslach,  et 
dans  le  premier  de  ces  villages  se  présente,  à  la  droite  du 
promeneur,  l'antique  église  collégiale,  nouvellement  restau- 
rée, à  glands  frais,  sous  la  direction  d'un  savant  architecte 
alsacien^. 

'Il  en  sera  question  sous  la  rubrique  de  \'Évôch6  de  Spire ^  au  bout  de 
la  série  du  clergé  séculier  que  nous  parcourons  en  ce  moment. 

*ll  a  été  rendu  abordable  tout  récemment  par  les  soins  de  l'administra- 
tion forebtière. 

3  M.  Rœswillwald. 


288  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN, 

La  collection  du  chapitre  de  Haslach  est  une  des  plus  im- 
portantes pour  la  valeur  intrinsèque  des  pièces  qu'elle  ren- 
ferme, plutôt  que  pour  la  quantité.  Dans  ces  documents,  on 
peut  distinguer  quatre  groupes  de  faits  principaux  :  les  dis- 
cussions qu'occasionnent  les  reliques  du  fondateur  de  l'abbaye 
primitive;  les  phases  diverses  de  la  reconstruction  de  l'église; 
les  discussions  avec  l'évêché  pour  des  affaires  de  juridiction; 
.enfin  des  questions  de  revenus. 

Au  septième  siècle  de  l'ère  chrétienne,  un  petit  hermitage 
abritait,  dans  la  vallée  de  la  Ilasel,  saint  Florent,  qui,  d'après 
la  légende  fut  appelé  au  palais  mérovingien  de  Kirchheim,  où 
il  guérit  miraculeusement  la  fille  de  l'un  des  rois  Dagobert. 

Ce  souverain  (probablement  Dagobert  II)  gratifia  le  saint 
hermite  de  vastes  domaines,  situés  dans  le  val  de  la  Bi'uche: 
la  magnifique  dotation  mérovingienne  consistait  surtout  en 
forêts,  et  servit  à  l'établissement  d'un  cloître  bénédictin,  à 
Nieder-IIaslach.  Quoique  saint  Florent  fût  appelé  à  l'évêché 
de  Strasbourg  vers  G78,  il  ne  cessa  de  donner  des  soins  à 
l'asile  des  cénobites  qu'il  avait  réunis  autour  de  sa  primitive 
cellule. 

Saint  Florent  mourut  vers  la  fin  du  septième  siècle,  et  son 
corps,  enterré  d'abord  à  Saint-Thomas  de  Strasbourg,  qui  lui 
devait  aussi  son  origine,  fut  transporté  dans  le  monastère  de 
Haslach  par  les  soins  de  l'évêque  carlovingien  Rachion  (783 
à815). 

Au  douzième  siècle,  ce  transfèrement  donna  lieu  à  de  vio- 
lentes discussions  entre  l'église  de  Saint-Thomas  et  celle  de 
Haslach,  chacune  prétendant  être  nantie  des  reliques  véri- 
tables du  saint  fondateur  des  deux  établissements.  Une  des- 
cente sur  les  lieux  fut  faite,  à  Haslach,  le  26  octobre  1143, 
par  Burkard,  évèque  de  Strasbourg,  accompagné  de  quelques 
prélats  de  la  Basse-Alsace.  Quoique  le  corps  du  saint  fût  trouvé 
intact  dans  le  tombeau,  les  chanoines  de  Saint-Thomas  con- 
tinuèrent à  soutenir  qu'ils  possédaient  la  tête  de  saint  Florent. 
En  1350,  l'évêque  Berthold  de  Bucheck,  ayant  appris  que  la 


VINGT-SIXIÈME   LETTRE.  289 

collégiale  de  Saint-Thomas  s'apprêtait  à  faire  de  grandes  dé- 
penses pour  l'ornement  de  celte  relique,  engagea  la  commu- 
nauté à  ne  point  passer  outre  jusqu'à  plus  ample  information. 
A  ce  sujet  Berthold  rappela  que  l'évêque  Burkard  s'était  déjà 
prononcé  en  faveur  des  reliques  déposées  dans  le  cloître  de 
Haslach. 

Quatre  ans  plus  tard,  l'empereur  Charles  IV,  le  spoliateur 
par  excellence,  visita  le  cloître  au  fond  de  la  pittoresque  vallée 
de  Haslach,  fit  rouvrir  le  tombeau  de  saint  Florent,  et  em- 
porta, à  cette  occasion,  le  bras  droit  du  saint;  comme  il  fit, 
vers  la  même  époque  au  haut  du  mont  Sainle-Odile ,  où  il  s'em- 
para de  l'avant-bras  droit  de  la  sainte  fondatrice  ^ 

Quelques  années  après  la  visite  intéressée  de  Charles  IV, 
Rodolphe  d'Autriche,  landgrave  d'Alsace,  obtint  la  moitié  du 
bras  gauche  de  saint  Florent.  Cent  ans  plus  tard  (1450), 
Robert-le-Palatin,  évêque  de  Strasbourg,  confirma  une  fois 
de  plus  l'authenticité  du  corps  mutilé,  qui  restait  déposé  à 
Haslach. 

Ce  fut  là  le  terme  des  spoliations,  du  moins  de  celles  qui 
sont  officiellement  constatées.  Pendant  que  l'on  se  disputait 
ainsi  les  restes  vénérés  de  l'hermite  mérovingien,  l'église  pri- 
mitive de  Haslach  avait  complètement  disparu,  et  allait  subir 
une  rénovation  totale.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  parcourir 
les  phases  principales  de  ces  reconstructions,  constatées  par 
des  documents  authentiques  dont  noire  collection  reste  dépo- 
sitaire. 

Vers  1274,  l'église  romane  de  Haslach  menaçait  ruine.  Con- 
rad de  Lichtenberg,  évêque  de  Strasbourg,  appela  par  une 
lettre  circulaire  les  fidèles  de  son  diocèse  et  les  membres  de 
son  clergé  à  contribuer  de  leur  mieux  à  la  reconstruction  de 
l'église  primitive  de  Haslach.  Cet  appel  de  l'illustre  évêque 
coïncidait  avec  le  mandement  émis  par  lui  pour  la  façade  de 
la  cathédrale. 

'  Vov.  lollro  dix  liuiliôme. 

19 


290  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Voici  en  quels  termes  intéressants  il  convie  à  la  réédifica- 
tion  de  l'humble  sanctuaire  de  Haslach  : 

«  ....Puisque  selon  les  paroles  de  l'apôtre,  tous  nous  serons 
«au  pied  du  tribunal  du  Christ  pour,  selon  nos  œuvres  cor- 
«porelles,  y  recueillir  la  récompense  ou  la  peine,  il  nous  faut 
«prévenir  par  des  œuvres  de  miséricorde  le  jour  du  jugement 
«dernier  et,  en  vue  des  choses  de  l'éternité,  semer  sur  terre 
«ce  que,  le  Seigneur  aidant,  nous  récolterons  un  jour  au  cen- 
«tuple  dans  les  cieux,  ayant  ferme  espoir  et  confiance  que 
«celui  qui  sème  parcimonieusement  fera  une  parcimonieuse 
«récolle  et  qui  sème  les  bonnes  œuvres  recueillera  de  ces 
«  bonnes  œuvres  la  vie  éternelle. 

«  Doncque ,  comme  l'œuvre  de  notre  église  de  Haslach , 
«dont  les  murs,  consumés  par  une  trop  longue  durée,  me- 
«nacent  ruine,  vient  d'être  reprise  à  neuf  avec  dépense  et 
«avec  de  somptueux  travaux,  et  comme  à  cette  église  les  res- 
«  sources  ne  suffisent  presque  plus,  pour  que  ladite  œuvre 
«puisse  être  à  bonne  fin  menée,  ainsi  qu'il  convient  en  l'hon- 
«neur  de  Dieu  et  de  la  glorieuse  vierge  Marie  et  de  saint  Flo- 
«rent,  patron  de  ladite  église,  nous  prions,  avertissons  expres- 
«  sèment  et  au  nom  du  Seigneur  exhortons,  et  en  rémission 
«de  vos  péchés  enjoignons  à  vous  tous  que  sur  les  biens  à 
«vous  par  Dieu  conférés  vous  appliquiez  de  pieuses  aumônes, 
«et  que  vous  receviez  les  messagers  de  l'œuvre  avec  charité.... 

«  ....Mais  faisons  défeme  aussi  d'arrêter  m  quelque  manière 
(Lpar  les  présentes  l'œuvre  de  l'église  de  Strasbourg ,  que  nous 
a  entendons  devoir  primer  sur  toute  autre  pétition,  la  présente 
«  n'ayant  de  valeur  que  pendant  deux  années.  » 

Au  mois  de  juin  1287,  ces  travaux  furent  interrompus  par 
un  incendie;  mais  en  1295,  vers  la  fin  de  sa  carrière  épisco- 
pale,  Conrad  engagea  le  fils  de  l'architecte  Erwin  de  Stein- 
bach  à  mettre  la  main  à  l'œuvre;  il  pubha  une  nouvelle  lettre 
d'indulgence  pour  émouvoir  les  fidèles.  De  plus,  il  s'adressa 
à  quelques-uns  de  ses  confrères;  sur  sa  demande,  les  évêques 


VINGT-SIXIÈME  LETTRE.  291 

(le  Metz,  de  Bamberg  et  d'autres  prélats  accordent  aussi  des 
lettres  d'indulgence  dans  l'intérêt  de  Haslach;  enfin,  après 
la  mort  violente  de  Conrad,  son  frère  l'évêque  Frédéric  de 
Lichtenberg  suivit  les  mêmes  errements  à  l'endroit  de  l'église 
de  Saint-Florent. 

«La  vénérable  église  de  Saint-Florent  à  Haslach,  est-il  dit 
«au  début  du  très-long  mandement  de  l'évêque  Frédéric, 
«ayant  été  naguère  dévastée  avec  ses  livres,  calices  et  autres 
«ornements  par  un  déplorable  accident,  à  savoir,  un  incendie 
«imprévu ,  de  telle  façon  que  ses  murs,  ses  parvis,  ses  voûtes 
«et  ses  tours  qui  déjà  menacent  ruine,  réclament  une  restau- 
«  ration  presque  à  partir  de  ses  fondements;  et  les  prévôts, 
«doyen  et  chapitre  de  ladite  église  de  Saint-Florent  ayant 
«l'intention  de  construire  et  restaurer  somptueusement  ladite 
«église,  et  leurs  propres  facultés  ne  suffisant  point  à  cet  effet, 
«  nous  vous  prions ,  et  au  besoin  ordonnons ,  en  vertu  de  votre 
«vœu  d'obéissance,  et  sous  peine  de  suspension  et  d'excom- 
«munication,  de  recevoir  avec  bienveillance  les  fondés  de 
«pouvoir  de  ladite  œuvre,  lorsqu'ils  viendront  à  vous  et  exhi- 
«beront  les  présentes....» 

Trente  ans  plus  tard,  Berthold  de  Bucheck,  évêque  de 
Strasbourg,  intervient  de  nouveau  en  faveur  de  l'église  de 
Haslach;  enfin,  en  1885,  l'évêque  Frédéric  de  Blankenheim, 
pour  hâter  la  fin  de  cette  construction ,  qui  traînait  depuis  un 
siècle,  pubha,  avec  quelques  variantes,  les  lettres  d'indul- 
gence de  Frédéric  de  Lichtenberg. 

L'église  ogivale  de  Haslach,  telle  que  nous  la  voyons  au- 
jourd'hui, date  donc  de  la  seconde  moitié  du  quatorzième 
siècle;  il  est  rare  de  pouvoir  préciser  d'une  manière  aussi 
positive,  à  l'aide  de  documents,  l'âge  respectif  de  nos  églises. 

La  guerre  des  paysans  et  celle  de  Trente  ans  amenèrent  de 
bien  mauvais  jours  pour  l'abbaye  et  l'éghse  de  Haslach.  A  la 
date  funeste  du  G  juin  1632,  la  torche  incendiaire  ravagea  les 
bâtiments  du  chapitre  et  la  partie  extérieure  de  l'église.  En 


292  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

1744,  les  pandours  autrichiens  campèrent  dans  l'édifice  et  la 
révolution  de  1793  en  chassa  les  chanoines  bénédictins. 

J'ai  dit  plus  haut  qu'au  dix-huitième  siècle,  le  chapitre  de 
Haslach  fut  engagé  dans  des  discussions  pénibles  avec  l'évê- 
ché  ;  il  s'agissait  du  droit  d'apposer  les  scellés  sur  les  meubles 
et  papiers  des  chanoines.  Le  bailli  épiscopal  de  Schirmeck 
avait  procédé  à  cette  opération  après  la  mort  de  Laurent  Trenck 
(1756),  prêtre  vicaire  du  chapitre,  malgré  les  protestations 
des  chanoines,  qui  prétendaient  relever  dirf3Ctement  du  con- 
seil souverain  d'Alsace.  En  d'autres  termes,  Ilaslach,  comme 
fondation  royale  mérovingienne,  voulait  Vimmédiateté;  elle 
voulait  être  rattachée,  sans  chaînon  intermédiaire,  au  gou- 
vernement français,  et  rejetait  la  justice  seigneuriale  de  la 
régence  de  Saverne.  Les  récriminations  du  chapitre  sont  vives 
et  amères;  dans  un  mémoire,  annexé  à  ce  dossier,  on  rappelle 
les  événements  de  la  guerre  de  Trente  ans  et  l'incendie  de 
l'abbaye  qui  ne  put  être  sauvée,  quoique  le  chapitre,  quelques 
années  auparavant,  eût  fourni  à  l'évèché  une  contribution 
volontaire  à  l'effet  d'en  être  protégé. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  connaître  la  situation  des  revenus 
que  percevait  l'abbaye  à  peu  près  à  la  même  époque.  Dans  un 
extrait  des  registres  de  visite,  on  trouve  qu'en  1758  elle  rece- 
vait 836  sacs  de  froment,  388  sacs  de  seigle,  187  sacs  de  mé- 
teil,  984  sacs  d'orge,  93  sacs  d'avoine,  1438  mesures  (Ohmen) 
de  vin  blanc,  120  de  vin  rouge,  le  revenu  de  69  arpents  de 
prairies  et  2370  florins  en  argent.  Ce  ne  sont  point  là  ces 
richesses  exorbitantes,  attribuées  aux  couvents  par  l'imagi- 
nation populaire,  qui  aime  à  grossir  les  chiffres;  mais  il  y 
avait,  en  tout  cas,  un  revenu  sulTisant  pour  entretenir  l'église 
et  une  dizaine  de  chanoines.  En  1770  encore,  un  décret,  émis 
par  le  vicaire  général  de  Strasbourg,  porte  une  augmentation 
de  200  livres  pour  la  compétence  de  chaque  membre  du  cha- 
pitre. 

Ainsi,  la  situation  de  l'église  de  Haslach,  aux  approches 
de  la  révolution ,  était  prospère  et  les  mœurs  des  capitulaires 


VINGT-SIXIÈME  LETTRE.  293 

n'étaient  plus  sujettes  aux  reproches  que  leur  adressait  l'évêque 
de  Strasbourg-  vers  le  commencement  de  la  guerre  de  Trente 
ans.  En  1014,  ce  prélat  leur  défendait  de  chasser  pendant  les 
offices,  de  porter  des  collerettes  à  fraise,  et  les  barbes  déme- 
surément longues,  à  la  mode  du  temps;  il  les  engageait,  en 
un  mot,  à  ne  pas  donner  lieu  à  scandale.  Les  malheurs  du 
dix-septième  siècle  avaient  porté  remède  aux  abus  signalés 
par  le  prélat;  de  plus  terribles  épreuves  encore  attendaient 
les  chanoines  de  Haslach  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle; 
les  portes  de  leurs  demeures,  celles  de  l'église  allaient  être 
fermées,  les  habitants  dispersés  ou  emprisonnés.  L'histoire 
de  toutes  nos  abbayes  aboutit,  en  93,  à  une  fin  uniformément 
tragique. 

Mais  il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  des  destinées  anté- 
rieures de  ces  établissements.  Ici  nous  retrouvons,  au  con- 
traire, cette  infinie  variété  qui  caractérise  l'histoire  des  hommes 
et  des  institutions  qu'ils  fondent.  Je  vais ,  au  sortir  de  Haslach , 
vous  introduire  dans  le  chapitre  de  Neuwiller,  et  vous  verrez 
que  le  site,  les  édifices,  les  événements  forment  avec  ce  que 
nous  avons  observé  dans  la  vallée  de  la  Hasel,  un  étonnant 
contraste. 


-c<Cr^XSV>a- 


294'  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 


VINGT-SEPTIEME  LETTRE. 

Abbaye  et  chapitre  de  ■«cu'willep.  —  liC  .site.  —  l>es  deux  église»*.  — 
l.eur  histoire.  —  Troubles  de  la  Réforme  et  de  la  guerre  «le  Trente 
ans.  —  nansfeld.  —  Relations  du  chapitre  avec  IIanau-l.ichtcn 
berg.  —  I^e  duc  de  Teltre  à  IVenwiller. 


Monsieur, 

A  Haslach,  une  seule  église  ogivale  au  milieu  d'une  contrée 
de  montagnes,  de  forêts,  de  prairies,  nous  a  parlé  du  temps 
d'autrefois.  Le  sort  de  ces  bénédictins  ne  présente  point  d'in- 
cidents très-variés;  sauf  les  querelles  avec  Saint-Thomas  et 
les  grandes  guerres  dont  toute  l'Alsace  a  souffert,  rien  ne 
vient  interrompre  l'heureuse  monotonie  dans  l'existence  des 
disciples  et  successeurs  de  saint  Florent. 

A  Neuwiller,  ce  qui  frappe  de  prime  abord,  c'est,  au  cœur 
d'un  pays  ouvert,  fertile,  au  pied  de  nos  belles  Vosges, 
une  riante  bourgade  à  laquelle  de  beaux  édifices  capitulaires 
donnent  l'aspect  d'une  petite  ville;  deux  églises,  dont  l'une 
(Saint-Pierre  et  Saint-Paul)  réunit  tous  les  styles  d'architec- 
ture, depuis  le  byzantin  du  onzième  siècle  jusqu'aux  replâ- 
trages du  dix-huitième;  et  dont  l'autre  (celle  de  Saint-Adelphe), 
quoique  mutilée  et  privée  de  son  chœur,  présente  un  ensemble 
harmonieux  du  style  plein  cintre;  et  ces  deux  églises,  comme 
nous  allons  le  voir,  témoins  vivants  de  l'existence  d'une  collé- 
giale qui  les  tenait  réunis,  dès  la  fin  du  quinzième  siècle, 
sous  une  commune  loi;  puis,  aux  environs  de  Neuwiller,  et 
dominant  la  bourgade  au  haut  d'une  montagne  escarpée,  le 
Herrenstein,  cette  demeure  féodale  si  intimement  liée  à  l'his- 
toire de  la  communauté;  enfin,  à  quelque  distance  du  bourg, 
et  plus  en  plaine,  la  ville  de  Bouxwiller,  siège  de  la  famille 
de  Hanau-Lichtenberg,  dont  les  rapports  ou  les  conflits  avec 
l'abbaye  et  le  chapitre  en  diversifient  l'histoire. 

Si  l'époque  précise  de  la  fondation  de  l'abbaye  de  Neu- 


VINGT-SEPTIÈME  LETTRE.  295 

willer,  communément  atlribuée  à  Sigebaiid,  évoque  de  Metz, 
n'est  point  connue,  il  est  à  peu  près  avéré  que  saint  Firmin, 
au  commencement  du  huitième  siècle,  en  fut  le  premier 
abbé.  Cette  origine  nous  ramène  en  tout  cas  à  l'époque  mé- 
rovingienne, comme  pour  Ilaslach  et  comme  pour  Wissem- 
bourg,  Marnioutier  et  d'autres  abbayes  de  l'Alsace. 

Drogon,  fils  naturel  de  Gharleraagne  et  évêque  de  Metz,  y 
transporta,  vers  816,  les  reliques  de  saint  Adelphe,  et  re- 
construisit l'église,  qui  avait  été  dévastée  par  un  incendie  en 
750.  Les  chapelles  souterraines  de  l'église  actuelle  remonte- 
raient, d'après  Schweighaeuser,  jusqu'à  cette  époque  carlo- 
vingienne*. 

L'église  et  l'abbaye  étaient  consacrées  à  saint  Pierre  et  saint 
Paul  ;  toutefois,  les  reliques  de  saint  Adelphe  y  étaient  aussi 
vénérées  jusqu'au  douzième  siècle  ;  alors  une  seconde  église 
fut  construite  hors  de  l'enceinte  du  monastère  bénédictin  ;  la 
châsse  du  saint  y  fut  transportée,  et  des  chanoines  spéciale- 
ment attachés  à  ce  service  constituèrent  la  collégiale  de  Saint- 
Adelphe. 

Pendant  plus  de  trois  siècles,  l'abbaye  et  la  collégiale  vé- 
curent ainsi  l'une  à  côté  de  l'autre  ,  la  plupart  du  temps  unies 
de  cœur,  quelquefois  divisées  d'intérêts.  Un  compromis  entre 
Erpho,  abbé  de  Saint-Pierre  et  Saint-Paul  de  Neuwiher,  et 
Philippe,  économe  de  Saint-Adelphe,  révèle,  dans  la  seconde 
moitié  du  douzième  siècle  déjà,  un  désaccord  entre  les  deux 
établissements. 

Il  paraît,  au  surplus,  que  l'abbé  exerçait  un  droit  de  sur- 
veillance sur  la  collégiale  ;  car,  à  la  date  de  1303,  Guillaume, 
abbé  de  Neuwiller,  fit  un  règlement  en  vertu  duquel  nul  ne 
pouvait  être  reçu  chanoine  de  Saint-Adelphe,  à  moins  de 
s'engager  à  prendre  les  ordres  dans  l'espace  d'une  année. 


'  Voy.  les  Antiquités  d'Alsace,  l.  II,  p.  136;  et,  sur  la  chapelle  de  Sainl- 
Sébaslien ,  les  discussions  soulevées  dans  le  Comité  historique  d'Alsace,  dès 
les  premières  séances  {Bulletin,  t.  I^"'). 


296  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Plusieurs  pièces  du  même  siècle  se  rapportent  à  une  discus- 
sion élevée  entre  l'abbé  Dielmannus  et  Jean  de  Créhanges ,  le 
cellerier,  qui  ne  s'était  point  conformé  au  règlement  de  1303; 
confiné  dans  l'intérieur  du  cloître ,  Jean  le  cellerier  rompit 
son  ban  et  fut  privé  de  sa  prébende  (1334  à  1336). 

Des  règlements  émis  par  l'évèque  Berthold ,  de  134-3  à  1345^ 
constituent  pour  l'abbaye  des  espèces  de  lois  somptuaires. 
Défense  expresse  est  faite  aux  moines  de  se  servir  de  capu- 
chons de  soie  au  lieu  de  capuchons  de  peau  de  mouton,  de 
porter  des  couteaux-poignards  comme  les  laïques  dissolus, 
d'innover  dans  le  costume,  de  trop  peu  marquer  la  tonsure. 
Les  règlements  de  1362  défendent  les  jeux  de  hasard,  la  fré- 
quentation des  auberges ,  le  port  d'armes ,  les  promenades 
dans  les  rues  en  jouant  de  la  guitare.  Une  lettre  de  l'abbé 
Otton  blâme  les  chanoines  qui  ont  pernocté  hors  de  l'enceinte 
du  cloître.  La  tendance  à  la  sécularisation  était  donc  indiquée 
par  les  mœurs  mêmes  d'un  couvent  qui  regimbait  contre  la 
sévérité  de  la  règle  monastique. 

Le  28  décembre  1496  amène  dans  la  situation  respective 
des  deux  églises  de  Neuwiller  un  changement  radical.  C'est 
la  date  d'une  bulle  d'Alexandre  VI  qui  sécularise  l'abbaye, 
c'est-à-dire  qui  la  transforme  en  chapitre,  et  ses  moines  en 
chanoines  séculiers;  au  nouveau  chapitre  elle  incorpore  aussi 
l'ancienne  collégiale  de  Saint-Adelphe,  dont  l'existence  sépa- 
rée cesse  dès  ce  moment. 

Ce  n'était  pas  trop  de  l'union  officielle  de  ces  deux  églises, 
pour  faire  face  aux  difficultés  du  seizième  et  du  dix-septième 
siècle.  Au  moment  où  l'incorporation  de  Saint-Adelphe  avec 
Saint-Pierre  et  Saint-Paul  s'accomplissait,  on  n'avait  sans 
doute  pas  encore  la  prévision  ou  le  pressentiment  des  ca- 
tastrophes instantes  ;  mais  il  est  permis  de  dire  que ,  sans  cette 
fusion,  les  deux  communautés  isolées  n'auraient  peut-être 
pas  résisté  à  toutes  les  attaques  et  aux  calamités  qui  vinrent 
fondre  sur  le  chapitre. 

Les  agitations  commencèrent  dès  1502.  A  cette  époque. 


VINGT-SEPTIÈME  LETTRE.  297 

de  nouveaux  statuts  étaient  devenus  nécessaires.  Hugues  de 
Fegersheini ,  prévôt  de  Saint-Pierre  et  Saint-Paul ,  en  pro- 
mulgua, avec  le  consentement  des  seize  chanoines  du  cha- 
pitre. Il  semblerait  que  ce  règlement  n'ait  point  remédié  aux 
désordres  intérieurs  ;  car,  en  1520  déjà,  Walther  de  Butten  , 
successeur  de  Hugues,  formule  des  plaintes  contre  des  abus 
qui  s'étaient  glissés  dans  la  congrégation. 

En  face  de  la  Réforme^  le  chapitre,  au  lieu  d'être  en  bonne 
harmonie ,  passa  souvent  son  temps  en  procédures  intérieures 
pour  de  mesquines  redevances.  Le  nom  de  Conrad  Rhyn- 
prucker,  qui  avait  été  nommé  prévôt  sous  l'influence  du 
comte  de  Hanau-Lichtenberg,  seigneur  temporel  de  la  ville 
de  Neuwiller,  se  mêle  à  toutes  ces  discussions.  Rhynprucker 
rendit  au  décuple  à  son  patron  laïque  les  services  qu'il  avait 
reçus  de  lui  ;  en  plus  d'une  occasion  il  lui  sacrifia  les  intérêts 
du  chapitre.  Lorsqu'il  mourut,  la  communauté  crut  être  dé- 
livrée d'un  traître  et  d'un  tyran. 

Dans  la  première  moitié  du  dix-septième  siècle,  le  chapitre 
traversa  des  tribulations  bien  plus  grandes  que  celles  de  la 
Réforme,  qui,  après  tout ,  ne  lui  enleva  que  l'usage  de  l'église 
de  Saint-Adelphe  et  quelques  revenus.  Mais  la  guerre  de  Trente 
ans  vint  impitoyablement  frapper  la  communauté.  Au  mois 
de  décembre  1620,  le  comte  Reinhard  de  Hanau  offre  aux 
chanoines  de  conserver,  dans  son  château  de  Lichtenberg,  les 
actes  qu'ils  voudraient  soustraire  aux  chances  de  la  guerre; 
il  s'engage  à  les  recevoir  eux-mêmes  dans  cet  asile  alors  ré- 
puté inexpugnable.  Des  ordres  donnés  par  le  comte  à  ses 
agents  forestiers  prescrivent  d'emporter  des  magasins  du 
chapitre  de  Neuwiller  une  grande  quantité  de  céréales  et  de 
vider  les  caves  pour  prévenir  le  pillage.  Le  dernier  jour  de 
cette  même  année,  il  engage  itérativement  les  chanoines  à  se 
réfugier  dans  le  fort  de  Bitche,  comme  seul  moyen  d'échap- 
per aux  vexations  des  soldats  de  Man^feld. 

Dans  les  premiers  mois  de  l'année  suivante,  nous  sommes 
en  pleine  guerre.  A  la  date  du  15  février,  Michel  Obertraut, 


298  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

colonel  allemand,  mande  aux  chanoines  réfugiés  àBitche, 
qu'ils  aient  à  envoyer  un  délégué  à  Haguenau ,  pour  y  traiter 
d'une  seconde  contribution  de  guerre,  exigée  par  le  feldma- 
réchal  Mansfeld.  Le  colonel  s'abrite  derrière  les  ordres  reçus 
et  conseille  aux  chanoines  de  s'exécuter  pour  prévenir  de 
plus  grands  malheurs.  Au  dos  de  la  lettre  est  minutée  la  ré- 
ponse :  (c  Le  chapitre  allait  en  référer  au  comte  de  Hanau ,  et 
priait  en  attendant  le  colonel  de  prendre  pour  sa  part  10,000 
rixdalers  !  »  —  Malgré  l'intervention  du  comte  de  Hanau, 
Mansfeld  demeura  inflexible  et  exigea  une  contribution  de 
15,000  florins. 

Des  questions  de  patronage  d'église  et  d'avouerie  agitent 
le  chapitre  après  la  paix  de  Westphalie ,  et  occasionnent  de 
fréquents  conflits  avec  les  comtes  et  la  régence  de  Hanau- 
Lichtenberg. 

Au  dix-huitième  siècle ,  la  réunion  de  l'Alsace  à  la  France 
ayant  amené,  par  lettres  patentes  du  roi,  des  chanoines  fran- 
çais à  Neuwiller,  des  luttes  entre  les  deux  nationalités  ont  lieu 
dans  l'intérieur  de  la  communauté.  Nous  verrons  le  môme 
spectacle  se  reproduire  dans  d'autres  établissements  religieux 
d'Alsace.  A  Neuwiller,  comme  à  Marmoutier,  on  accueillait 
sans  empressement,  souvent  avec  répugnance,  les  collègues 
d'au  delà  des  Vosges. 

Des  conflits  de  juridiction  entre  le  chapitre  et  les  princes 
de  Hesse-Darmstadt,  successeurs  des  Hanau-Lichtenberg,  se 
prolongent  pendant  tout  le  dix-huitième  siècle  jusqu'aux  jours 
néfastes  où  les  deux  partis  hostiles  furent  englobés  dans  une 
ruine  commune. 

Le  chapitre  de  Neuwiller  avait  des  propriétés  et  des  rentes 
dans  tous  les  villages  des  environs  et  sur  d'autres  points  de 
la  Basse-Alsace.  A  Strasbourg  même ,  le  prévôt  et  les  chanoines 
avaient  un  hôtel,  dont  l'architecture,  à  la  fois  solide  et  élé- 
gante, fait  encore  de  nos  jours  contraste  avec  la  plupart  deS: 
habitations  du  même  quartier.  Les  belles  habitations  cano- 
niales de  Neuwiller  se  trouvent  maintenant  presque  toutes 

9 


VINGT-SEPTIÈME   LETTRE.  299 

entre  les  mains  de  propriétaires  laïques.  Vous  pouviez,  en 
passant  au  commencement  tic  la  Restauration  sous  les  croi- 
sées de  l'un  de  ces  hôtels,  voir,  de  nuit,  les  reflets  d'une 
lampe  solitaire;  ils  éclairaient  les  travaux  d'un  homme  de 
guerre,  d'un  ministre  du  premier  Empire;  le  duc  de  Feltre 
(Clarke)  y  terminait  silencieusement,  au  milieu  de  pacifiques 
études ,  une  existence  laborieuse  qui  avait  été  mêlée  aux 
grandes  affaires  de  son  pays. 

Et  que  de  faits,  que  de  discussions  concentrées  dans  ce 
coin  de  terre  depuis  la  fondation  de  l'abbaye  carlovingienne! 
Que  de  bulles  pontificales  ' ,  pour  régler  les  intérêts  religieux 
ou  confirmer  les  privilèges  de  l'abbaye  de  Drogon  !  Que  de 
titres  pour  constater  les  donations,  les  actes  de  propriété  de 
toute  nature  qui  formèrent  peu  à  peu  le  patrimoine  de  la  double 
communauté  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Adelphe!  Que  de 
transactions  pour  mettre  fin  à  des  conflits  multiples,  renais- 
sants comme  la  tête  de  fhydre  de  Lerne!  Que  de  statuts  et  de 
règlements  pour  maintenir  ou  rétablir  l'antique  discipline! 
Que  de  guerres,  de  dévastations,  que  de  mutations  dans  f as- 
pect extérieur  du  sol,  que  d'ébranlements  dans  les  consciences 
et  de  métamorphoses  morales!  Quel  rayonnement  d'influence 
au  loin  par  la  communauté  des  prières,  par  la  nomination  de 
prêtres  et  de  prébendiers  dans  plus  d'une  cure,  dans  plus 
d'une  chapelle  de  cette  contrée  moyenne  de  l'Alsace!  Que 
d'agitation  aussi  pour  des  causes  souvent  futiles  !  Tels  que 
nous  les  avons  vus  dans  les  principales  phases  de  leur  exis- 
tence ,  l'abbaye  et  le  chapitre  de  Neuwiller  occupent ,  dans 
l'histoire  ecclésiastique  de  notre  province^  une  assez  large 
place;  ils  nous  montrent,  à  plusieurs  époques  du  moyen  âge, 
dans  l'intérieur  de  l'ancien  couvent,  la  lutte  sourde,  compri- 
mée de  la  chair  en  révolte  contre  l'esprit  inflexible  de  la  règle; 
plus  tard,  la  lutte  du  pouvoir  spirituel  avec  le  pouvoir  tem- 
porel. Comme  site,  Neuwiller,  l'abbaye  et  la  ville  nous  offrent, 

'  Le  fonds  de  Neuwiller  est  un  des  plus  riches  en  bulles. 


300  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

côte  à  côte,  le  double  caractère  de  notre  belle  province; 
d'une  part  la  plaine  avec  ses  molles  ondulations  et  ses  cbamps 
fertiles;  la  vigne  et  le  châtaigner  mariant  leur  riche  végéta- 
tion sur  le  flanc  des  coteaux  ;  puis  les  montagnes  avec  leurs 
vallées  agrestes  et  leurs  forêts  productives,  objets  de  bien 
des  contestations. 

Les  moines  établis  au  cœur  de  ces  domaines ,  sur  la  lisière 
de  deux  climats,  de  deux  configurations  de  terrain  toutes 
diverses,  avaient-ils  la  conscience  de  ces  beaux  sites  et  de 
leurs  efl"ets  pittoresques  que  nous  ne  nous  lassons  pas  d'ad- 
mirer? 

Il  me  semble  qu'on  ne  saurait  refuser  aux  Bénédictins  et 
aux  autres  corporations  religieuses  un  tact  exquis  dans  le 
choix  des  sites  où  s'élevaient  leurs  cloîtres  et  leurs  lieux  de 
prières.  Plus  réservés ,  plus  tempérants  que  nous  dans  l'ex- 
pression de  leur  pensée,  ils  ne  faisaient  point  la  description 
des  tableaux  qui  les  entouraient.  En  jouissaient-ils  moins  que 
nous?  Je  me  refuse  à  le  croire;  les  abbés  Erpho  ou  Bie- 
tramnus,  tout  en  réglementant  la  vie  de  leurs  subordonnés, 
avaient,  sans  doute,  l'àme  ouverte  aux  grands  spectacles  de 
la  nature;  même  au  milieu  des  événements  du  seizième  et  du 
dix-septième  siècle,  plus  d'un  chanoine  de  Neuwiller,  en  gra- 
vissant les  hauteurs  du  Ilerrenstein  ou  du  Ilûnebourg,  faisait 
trêve  à  ses  douleurs,  et  se  fortifiait  pour  la  lutte  avec  les 
hommes  dans  la  contemplation  des  œuvres  de  Dieu. 


VINGT-HUITIÈME  LETTRE.  804 


VINGT-HUITIEME  LETTRE. 

Toiid<«  du  prieure  de  JSteigc  et  tlu  chapitre  de  Saverne.  —  Fonds  du 
ciiapitrc  de  Haguenaii-Surbourg.  —  Fond!«  de  l*abliaye  ou  de  la 
prévôté  de  Seitz.  —  I/impératriee  Adélaïde.  —  Sa  jeunesse  en  Italie. 

—  Sa  délivrance  par   Otton-ie-Orand.  —  Son   as;e  n«ùr  et   ma  vieil- 
lesse en  Alleiuag;ne  et  eu  Alsace.  —  Fondation  de  l'abbaye  de  Selts. 

—  îMort  de  l'impératrice. 


Monsieur, 

Lorsqu'au  delà  de  Wasselonne  vous  pénétrez  dans  la  soli- 
taire vallée  de  la  Mossig,  que  vous  suivez  ce  cours  d'eau  dans 
la  direction  du  Scbnéeberg"  et  que  vous  montez  ensuite  par 
les  forêts  du  Freudeneck,  sur  l'un  des  contreforts  des  Vosges, 
vous  trouvez  dans  ce  désert  forestier  une  petite  église  romane , 
classée  parmi  les  monuments  historiques  de  la  Basse-Alsace: 
c'est  l'église  d'Obersteige,  qui  nous  rappelle  un  ancien  prieuré, 
fondé  par  un  comte  de  Dabo  dans  le  courant  du  douzième 
siècle.  La  destination  primitive  de  cet  asile  monastique  avait 
été  de  donner,  dans  ces  montagnes  inhospitalières,  des  soins 
aux  malades  et  aux  pauvres  voyageurs.  Les  pontifes,  pendant 
le  treizième  siècle,  laissèrent  tomber  des  regards  favorables 
sur  cette  église  et  sur  ce  couvent  perdus  au  cœur  d'un  pays 
de  forêts  et  de  montagnes.  Des  bulles-priviléges  d'Innocent  IV 
et  de  Nicolas  V  sont  émises  en  faveur  de  Steige.  Mais  en  1303, 
en  vue  de  la  détresse  du  temps,  du  peu  de  sûreté  de  ces  routes 
solitaires  et  de  l'impossibilité  où  se  trouvaient  les  frères  de 
vaquer  à  leurs  devoirs  hospitaliers,  Frédéric  de  Lichtenberg, 
évêque  de  Strasbourg,  frère  de  l'illustre  protecteur  d'Erwin, 
transféra  les  moines  de  Steige  à  Saverne.  Une  bulle  de  Clé- 
ment V  ratifia  la  translation  de  ce  couvent-hospice,  qui  était 
dédié  à  la  Sainte-Vierge, 

Le  couvent  primitif,  toutefois ,  ne  fut  pas  complètement 
abandonné.  Quehjues  conventuels  continuèrent  à  y  résider; 


302  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS -RHIN. 

il  y  eut  même  partage  régulier  des  propriétés  (en  1807)  entre 
les  frères  de  Steige  et  ceux  de  Saverne  ;  mais  au  quinzième 
siècle,  les  premiers  quittèrent  définitivement  l'asile  forestier, 
où  ils  furent  remplacés  par  les  religieuses  de  Klingenthal. 

A  Saverne ,  des  discussions  sur  le  service  divin ,  sur  la  per- 
ception des  offrandes  et  les  attributions  respectives  ne  tar- 
dèrent pas  à  s'élever  entre  les  conventuels  de  Steige  et  le  curé 
paroissial.  A  plusieurs  reprises  les  évèques  de  Strasbourg 
durent  intervenir  et  réglementer  les  rapports  mutuels.  A  la 
fin  on  préféra  fondre  le  couvent  avec  la  paroisse.  Une  bulle 
de  Sixte  IV  (1483)  sécularisa  le  couvent  de  Sainle-Marie,  qui 
devint  chapitre  de  Saverne,  et  celui-ci  poursuivit  dès  lors  sa 
carrière,  sans  subir  d'autres  alternatives  de  bonne  ou  de 
mauvaise  fortune  que  celles  auxquelles  fut  exposée  la  ville  de 
Saverne  elle-même.  C'est  dire  que  les  grandes  crises  sociales 
du  seizième  et  du  dix-septième  siècle  éprouvèrent  fortement 
le  chapitre. 

Ces  quelques  notes  historiques  sont  empruntées  au  fonds 
même  annoncé  en  tête  de  cette  lettre  ;  ce  n'est  point  un  des 
plus  considérables  de  notre  collection ,  et  je  puis  me  dispen- 
ser d'en  parler  davantage  pour  passer  à  Haguenau  et  sur  la 
lisière  septentrionale  de  la  forêt  sainte,  qui  a  pris  son  nom 
de  cette  ville  préfectorale. 

Le  premier  établissement  d'une  collégiale  à  Haguenau  date 
de  l'empereur  Rodolphe  de  Habsbourg.  Par  son  ordre ,  un 
prévôt  et  des  chanoines  furent  installés  dans  l'église  de  Saint- 
George  en  1287.  Pendant  les  troubles  du  quinzième  siècle, 
il  fut  question  de  transférer  le  chapitre  de  Haguenau  à  Sa- 
verne; on  y  renonça.  Au  dix-septième  siècle,  tout  au  con- 
traire, on  songeait  à  transférer  à  Haguenau  même  une  col- 
légiale voisine,  celle  de  Surbourg,  située  au  nord  de  la  forêt; 
mais  cette  proposition  rencontra  des  obstacles  et  ne  fut  réa- 
lisée qu'en  1738. 

La  collégiale  ou  le  chapitre  de  Surbourg,  que  je  viens  de 
citer  pour  la  première  fois,  datait,  comme  abbaye,  du  sep- 


VINGT-HUITIÈME  LETTRE.  303 

tiéme  siècle;  elle  avait  clé  fondée,  vers  676,  par  Dagobert  II, 
et  jouissait,  dès  son  origine,  d'une  souveraineté  régalienne. 

Sécularisée  vers  le  commencement  du  treizième  siècle,  la 
collégiale  de  Surbourg  eut  l'honneur  de  fournir  plusieurs 
prélats  à  notre  siège  épiscopal  ;  Frédéric  de  Lichtenberg, 
Erasme  de  Limbourg ,  Jean  de  Manderscheid  avaient  été  cha- 
noines de  Surbourg  avant  d'y  monter. 

L'église  romane  de  Surbourg,  dédiée  à  saint  Martin  et  à 
saint  Arbogast,  est  d'une  grande  simplicité*.  Une  lettre  d'in- 
dulgence, émise  par  une  série  de  cardinaux  en  faveur  de  ce 
sanctuaire,  mérite  de  fixer  un  instant  notre  attention.  Les 
chartes  historiées  sont  rares  dans  notre  dépôt. 

Dans  les  fleurs  ou  arabesques,  qui  forment  une  bordure 
longitudinale  sur  les  deux  côtés  du  parchemin,  se  trouve  en- 
cadrée ,  à  la  gauche  du  lecteur,  la  figure  de  saint  Martin  à 
cheval,  découpant,  selon  la  légende,  une  partie  de  son  man- 
teau pour  en  revêtir  la  nudité  d'un  pauvre.  A  la  droite  du 
lecteur  saillit  la  figure  de  l'évêque  saint  Arbogast,  dont  les 
instances  auprès  du  roi  d'Austrasie  avaient  amené  la  pre- 
mière fondation  de  l'abbaye  de  Surbourg. 

Le  nom  de  Grégoire,  cardinal-évêque  d'Ostie,  qui  se  trouve 
en  tête  de  la  charte,  est  formé  par  des  lettres  enluminées. 
Dans  la  lettre  initiale  on  voit  encadrée  la  figure  de  la  Vierge 
avec  l'enfant  Jésus.  Une  bordure  en  fleurs  est  suspendue  en 
ligne  transversale,  comme  une  guirlande,  au  haut  de  la 
charte;  la  partie  inférieure  n'a  point  d'ornementation.  Une 
tête  noire  —  celle  du  Christ  —  imprimée  sur  le  suaire  est 
placée  au  centre  de  la  bordure  supérieure. 

Toutes  ces  peintures  sont  grossières  ;  mais  l'ensemble  ne 
laisse  pas  de  produire  un  effet  agréable;  les  physionomies 
des  saints  ne  sont  pas  dépourvues  d'animation  :  celle  de  la 
Vierge  manque  de  noblesse.  Les  arabesques  sont  gracieuses 
et  les  couleurs  d'une  belle  conservation. 

'  L'église  paroissiale  élait  dédiée  à  saint  Jean. 


304  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

La  translation  de  la  collégiale  de  Surbourg  à  Haguenau  a 
laissé  des  traces  nombreuses  dans  nos  archives.  Une  longue 
correspondance,  des  règlements,  des  procès-verbaux,  des 
lettres-patentes  du  roi  servent  à  constater  ce  fait  majeur, 
amené  par  la  décadence  de  l'établissement.  A  plusieurs  re- 
prises on  avait  tenté  de  mettre  à  exécution  une  mesure  pa- 
reille. Pendant  la  guerre  de  Trente  ans,  en  1622,  des  confé- 
rences furent  tenues  à  cet  effet  à  Saverne;  mais  le  chapitre  de 
Surbourg  fît  rédiger  un  mémoire  contre  ce  projet,  en  basant 
son  refus  sur  l'exiguité  des  revenus,  «  qui  seraient  insuffisants 
«  pour  les  chanoines  s'ils  devaient  résider  à  Haguenau  ;  »  on 
appuyait  de  plus  sur  l'impossibilité  de  meltrc  à  profil  les 
terres  et  les  jardins  de  Surbourg  dans  le  cas  où  la  collégiale 
y  serait  transférée.  Un  rapport  des  commissaires  épiscopaux 
(1631)  sur  les  moyens  de  prévenir  la  ruine  de  Surbourg  dé- 
montre la  nécessité  de  destituer  le  prévôt,  le  doyen  et  quel- 
ques chanoines;  le  tout  appuyé  de  preuves  tirées  de  la  con- 
duite de  ces  dignitaires. 

Au  dix-huitième  siècle,  lorsque  l'œuvre  de  la  translation 
eut  été  consommée ,  on  vit  s'élever  des  querelles  assez  fré- 
quentes avec  le  curé  de  Saint-George  de  Haguenau ,  pour  des 
affaires  de  compétence  et  pour  des  droits  de  préséance  au 
chœur.  Deâ  démêlés  analogues  eurent  heu  avec  les  Prémon- 
trés de  Haguenau  pour  des  questions  de  préséance  dans  une 
procession;  plus  d'une  fois,  je  pense,  les  chanoines  durent 
regretter  l'asile  paisible  de  Surbourg,  que  leurs  prédéces- 
seurs n'avaient  pas  voulu  quitter. 

En  sortant  de  Surbourg,  et  en  longeant  la  forêt  de  Hague- 
nau, vers  l'est,  nous  nous  trouvons  sur  les  bords  du  Rhin , 
en  face  de  la  très-ancienne  ville  de  Seltz.  Ici  l'abbaye  (plus 
tard  prévôté  et  chapitre),  fondée  par  l'impératrice  Adélaïde, 
doit  nous  arrêter  pendant  quelque  temps.  Avant  de  parler  du 
fonds  de  ce  chapitre  et  du  point  de  départ  même  de  l'abbaye 
primitive,  je  demande  la  permission  de  retracer,  de  mon 
mieux,  cette  noble  et  belle  figure  de  princesse  et  de  femme 


VINGT-HUITIÈME  LETTRE.  305 

qui,  aux  côtés  de  l'ôvêquc  Erkanbold,  domine  l'histoire  ec- 
clésiastique d'Alsace  pendant  la  seconde  moitié  du  dixième 
siècle. 

La  poésie  populaire  et  la  légende  ont  orné,  ont  immorta- 
lisé le  nom  de  l'impératrice  Adélaïde  ;  je  veux  avant  tout  dire 
la  simple  histoire  de  cette  princesse,  appelée  par  la  provi- 
dence du  fond  de  l'Ialie  sur  le  trône  d'Allemagne  et  dans  nos 
contrées  rhénanes ,  où  le  souvenir  de  son  nom  se  rattache 
surtout  à  la  fondation  de  l'abbaye  de  Seltz. 

Dans  la  première  moitié  du  dixième  siècle,  l'Italie  était 
déchirée  par  des  factions;  les  grands  de  la  Lombardie,  pour 
se  rendre  indépendants,  avaient  l'adresse  d'opposer  conslam- 
ment  aux  rois  d'Italie,  des  princes  de  maisons  étrangères. 
Ainsi,  l'on  vit  Déranger  de  Frioul  lutter  avec  Guy,  et  Lambert 
de  Spolète  avec  Louis  et  Rodolphe  de  Bourgogne;  puis  Ro- 
dolphe de  Bourgogne  lutter  à  son  tour  avec  Hugues  de  Pro- 
vence. 

Ce  dernier  parvint  à  se  maintenir  comme  roi  d'Itahe;  il 
épousa  la  reine  Berthe,  veuve  de  Rodolphe,  et  fit  épouser  à 
son  fils  Lothaire  la  princesse  Adélaïde,  fille  de  Derthe  et  de 
ce  même  Rodolphe,  de  son  vivant  roi  d'Italie  et  de  Bourgogne 
cis-jurane. 

Adélaïde,  épouse  de  Lothaire,  était,  selon  tous  les  témoi- 
gnages contemporains,  éclatante  de  beauté;  sa  carrière, 
comme  impératrice,  prouve  que  les  grâces  de  son  sexe  n'étaient 
que  les  ornements  extérieurs  d'un  caractère  viril  et  d'une 
intelligence  incomparable. 

Déranger,  marquis  ou  margrave  d'Ivrée,  parvint  à  grandir 
et  à  prendre  de  l'influence  dans  le  nord  de  l'Italie  contre 
Hugues  de  Provence.  On  reprochait  à  ce  dernier  d'avoir  mé- 
nagé les  Sarrasins,  qui  poussaient,  du  fond  de  l'Italie  méri- 
dionale, leurs  avant-postes  jusque  dans  les  passages  des  Alpes. 
Ce  seul  trait  caractérise  la  situation  du  pays  et  l'anarchie  de 
l'époque. 

Les  grands  et  les  prélats  abandonnèrent  Hugues,  qui  se  retira 

20 


306  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

dans  ses  domaines  en  Provence^  laissant  le  fardeau  du  gou- 
vernement à  son  fils  Lolhaire,  couronné  roi  d'Italie.  Peu  de 
temps  après,  Lothaire  mourut  à  Turin,  empoisonné,  dit-on, 
par  le  fait  de  son  concurrent  Béranger  (22  novembre  950). 

Adélaïde  restait  veuve;  elle  était  jeune,  belle,  et  représen- 
tait, sinon  des  droits  héréditaires ,  du  moins  un  parti  puis- 
sant. Béranger  demanda  sa  main,  non  pour  lui-même,  mais 
pour  son  fils  Adalbert;  et  ayant  éprouvé  un  refus,  il  empri- 
sonna la  veuve  royale  dans  un  château  sur  les  bords  du  lac 
de  Côme;  d'autres  versions  placent  le  cachot  de  la  reine 
Adélaïde  sur  les  rives  du  lac  de  Garde'.  La  religieuse  Ilros- 
witha,  à  peu  près  contemporaine  de  la  veuve  de  Lothaire, 
affirme  que  Bérang:er  d'Ivrée  confina  la  belle  reine  dans  un 
château,  uniquement  par  esprit  de  vengeance  et  pour  s'em- 
parer de  ses  bijoux,  de  ses  trésors;  elle  ne  parle  point  de 
projets  de  mariage  repoussés  par  la  veuve  de  Lothaire. 

En  prison,  Adélaïde  n'avait  d'autre  société  que  celle  d'une 
servante  et  d'un  clerc;  la  garde  de  sa  personne  était  confiée 
à  un  comte.  Elle  parvint  à  s'échapper  (le  20  août  951),  grâce 
au  prêtre  qui  avait  pratiqué  un  corridor  souterrain,  donnant 
issue  dans  la  campagne.  A  travers  des  périls  sans  fin  et  des 
aventures,  oîi  le  roman  se  mêle  évidemment  à  l'histoire, 
Adélaïde  eut  la  bonne  chance  d'être  recueillie  par  l'évêque 
Adelhard  de  Reggio  ,  qui  la  cacha  dans  le  château  de  Canosse , 
dans  cette  résidence  historique,  au  pied  de  l'Apennin,  où, 
125  ans  plus  tard,  l'empereur  Henri  IV  subit,  devant  Gré- 
goire Vil,  une  humiliation  sans  exemple  dans  l'histoire  de 
l'Empire  et  du  monde  chrétien. 

Nous  allons  laisser  un  instant  Adélaïde  dans  son  nouvel 
asile,  et  nous  reporter  au  nord  des  Alpes,  d'où  son  hbéraleur 
devait  lui  arriver. 

Tandis  qu'au  dixième  siècle  l'Italie  et  la  France  contem- 
poraine se  fractionnaient,  il  s'opérait  au  contraire,  en  Alle- 

'  Annales  de  Trêves ,  l.  1^'',  p.  iSQ,  cilécs  par  Ranke  el  Dœnnigès. 


VINGT-HUITIÈME  LETTRE.  307 

magne,  un  travail  d'organisation  et  de  concentration ,  comme 
si,  sur  le  théâtre  mobile  de  l'histoire,  les  contrastes  devaient 
toujours  et  partout  se  trouver  côte  à  côte  pour  l'amusement 
et  l'instruction  des  hommes. 

Ollon  Icr,  celui  qui  allait  douze  ans  plus  tard  poser  sur  son 
front  la  couronne  impériale  de  Charlemagne ,  Otton  I^r ,  roi 
de  Germanie,  avait,  depuis  son  avènement  en  936,  poursuivi 
l'œuvre  de  son  père,  Henri  l'Oiseleur,  avec  un  éclatant  suc- 
cès ;  à  l'est  de  l'Allemagne  il  avait  maintenu  et  battu  les  Hon- 
grois, maîtrisé  les  Slaves  au  nord-est,  dompté  les  Danois  au 
nord  et  pesé  à  l'ouest  sur  les  rois  carlovingiens  de  France. 
Etendre  son  influence  au  midi  des  Alpes ,  écraser  les  Sarra- 
sins et  le  mahométisme  en  Italie,  comme  il  avait  fait  du  pa- 
ganisme magyare  et  slave,  pousser  jusqu'en  Toscane  et  à 
Rome,  telle  devait  être  l'ambition  de  ce  souverain,  le  pre- 
mier roi  d'Occident,  qui,  depuis  Karl-le-Grand ,  avait  toutes 
les  qualités  du  héros  et  de  l'homme  d'État. 

H  descendit  en  Italie  (septembre  951),  rallia  à  lui  les  prélats 
lombards  les  plus  influents,  s'empara  de  Vérone  et  de  Milan, 
Se  fit  déclarer  roi  des  Francs  et  des  Lombards ,  et  mit  en  fuite 
Béranger,  qui  quitta  furtivement  sa  résidence  de  Pavie. 

Cette  promenade  militaire  d'Otton-le-Grand  s'était  faite, 
d'après  quelques  chroniquem^s ,  sur  l'appel  même  de  la  reine 
Adélaïde  ;  mais  c'est  là  une  circonstance  quelque  peu  dou- 
teuse. A  cette  époque ,  Otton  touchait  déjà  à  sa  quarantième 
année;  il  avait,  de  son  premier  mariage,  un  fils,  Ludolphe, 
duc  de  Souabe ,  qui  servait  dans  les  rangs  de  l'armée  impé- 
riale et  qui  allait  peu  de  temps  après  jouer  le  rôle  de  fils  re- 
belle. Que  des  motifs  politiques  aient  rapproché  Otton  et 
Adélaïde,  cela  est  très-croyable;  mais  travestir  complaisam- 
ment  ce  fait  en  une  passion  mutuelle  ou  même  unilatérale , 
ce  serait  avoir  trop  de  complaisance  pour  les  traditions  ro- 
manesques dont  la  vie  d'Adélaïde  est  semée. 

Otton  voulait,  par  la  main  d'Adélaïde,  acquérir  des  droits 
sur  la  Lombardie;  il  invita  la  princesse  à  se  rendre  à  Pavie  , 


308  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

et  délégua  auprès  d'elle,  pour  l'escorter,  son  frère  Henri, 
duc  de  Bavière.  Ce  mariage  de  raison,  improvisé,  se  fit  vers 
Noël  951. 

Gregorovius,  l'éminent  historien  de  «la  ville  de  Rome  au 
moyen  âge,  résume  en  quelques  paroles  énergiques  les  noces 
d'Otton  :  «  Lorsqu'il  serra  dans  ses  bras  nerveux  la  jeune  reine 
«  de  Lombardie,  cette  princesse  devint  le  symbole  de  l'Italie 
«qui  se  donnait  à  lui.  » 

En  février  952,  le  nouveau  roi  d'Italie  quitia  la  Lombardie 
avec  sa  jeune  épouse,  et  se  rendit,  par  le  Saint-Bernard, 
Saint-Maurice  et  Zurich,  dans  ses  Etats  d'Allemagne.  Béran- 
ger,  marquis  d'Ivrée,  vint  faire  acte  de  soumission  à  Magde- 
bourg.  Voilà  l'histoire,  dépouillée  de  tout  ornement  parasite. 
Ne  vous  semble-t-il  pas  que  ces  contours  seuls  indiquent  un 
tableau  assez  complet  sans  que  la  fiction  vienne  y  appliquer 
ses  couleurs  ou  son  cadre  d'arabesques? 

Je  me  garderai  toutefois  de  vous  priver  ou  plutôt  de  vous 
faire  grâce  des  principaux  traits  que  la  légende  a  mêlés  aux 
événements  positifs;  il  est  toujours  bon  d'observer  ce  travail 
que  l'imagination  populaire  accomplit  sur  la  réalité.  J'em- 
prunte les  linéaments  de  ces  circonstances  romanesques  à 
une  série  de  chroniqueurs  reproduits  par  Muratori  *  et  extraits 
par  Doénnigès-. 

Dans  sa  fuite  mystérieuse,  la  reine  d'Italie,  la  belle  veuve 
de  Lothaire,  est  cachée  dans  un  champ  de  blé;  ses  persécu- 
teurs traversent  le  même  champ;  mais  la  protection  visible 
de  Dieu  et  du  Christ  cache  et  sauve  la  fugitive.  D'après  Odilon 
de  Cluny,  elle  s'est  réfugiée  dans  un  marais;  elle  est  épuisée 
de  fatigue,  de  froid  et  de  faim.  Un  pauvre  pêcheur  la  dé- 
couvre :  «Qui  êtes-vous,  que  faites-vous  ici?»  —  Elle  répon- 
dit :  «  Ne  vois-tu  pas  que  nous  sommes  loin  de  tout  secours 

^  Scriptores ,  rer.  ital.  Il,  p.  734.  C'est  la  clironique  delN'ovalose,  Boui- 
zon,  Léon  d'Oslie,  Donnizoïi,  Odilon  de  Cluny  elc. 

-Annales  de  l'empire  germanique  sous  Otlon  /«■■,  p.  173. 


VINGT-HUITIÈME  LETTRE.  o09 

«  des  hommes,  el,  ce  qui  est  bien  plus  dur,  que  nous  pcris- 
«  sons  de  soucis  et  de  faim.  Si  tu  le  peux,  donne-nous  quel- 
ce  que  nourriluie ,  console-nous.»  Et  l'autre,  ému  de  pitié, 
répliqua  :  «  Nous  n'avons  rien  à  manger  que  du  poisson  ,  rien 
«  à  boire  que  de  l'eau.  »  Le  pêcheur,  comme  tous  les  gens  de 
son  métier,  avait  du  feu;  il  allume  un  brasier,  prépare  un 
poisson.  La  reine  goûte  de  cette  nourriture;  le  pêcheur  et  la 
servante  l'assistent.  Alors  survient  le  clerc,  le  compagnon  de 
sa  prison  et  de  sa  fuite;  il  annonce  l'approche  d'une  troupe 
de  vassaitx  armés,  qui  accueillent  la  reine  avec  des  transports 
de  joie  et  la  conduisent  dans  un  castel  inabordable.  —  Telle 
est  la  version  d'Odilon  de  Cluny. 

D'après  la  chronique  de  Novalèse,  la  reine,  pendant  sa  re- 
traite dans  les  marais,  est  exposée  aux  désirs  impudiques  de 
l'un  de  ses  compagnons  de  voyage  et  sauvée  par  la  miracu- 
leuse conversion  de  cet  ami  hypocrite  et  infidèle.  Ces  détails 
sont  pleins  d'intérêt,  mais  peu  édifiants;  je  n'oserais  les  re- 
produire ;  le  langage  naïf  des  chroniques  blesserait  nos  oreilles 
modernes. 

Arrivée  à  Canosse,  la  reine  y  est  assiégée  pendant  trois  ans 
par  le  terrible  Béranger,  et  c'est  du  fond  de  ce  château  qu'elle 
envoie  un  message  au  roi  de  Germanie.  Otton  arrive  sur  les 
ailes  du  vent,  rapide  et  terrible  comme  la  foudre;  à  l'aide 
d'une  flèche  il  fait  lancer  par  dessus  le  camp  des  assiégeants 
une  lettre  à  l'adresse  de  la  reine,  avec  un  anneau  nuptial, 
jusque  dans  le  château  de  Canosse;  le  siège  est  levé,  Béran- 
ger pris  ;  on  lui  crève  les  yeux  par  ordre  d'Otton  et  on  le 
relègue  à  son  tour  au  fond  d'un  cachot. 

L'un  des  chroniqueurs  reproduits  par  Muratori  met  sur 
le  comte  d'Otton  II,  fils  d'Otton  ler,  la  délivrance  de  la  reine. 
C'est  le  roman  complet.  Là  jeune  et  belle  princesse  ne  pouvait 
et  ne  devait  être  délivrée  que  par  un  jeune  prince;  l'union 
des  deux  cœurs  devait  précéder  ou  couronner  l'œuvre  de  la 
politique. 

Donnizon,  le  biographe  de  la  comtesse  Mathilde  d'Esté,  ra- 


310  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

conte  incidemment  la  merveilleuse  délivrance  d'Adélaïde;  il. 
la  fait  sortir  de  prison  sm^  les  bords  du  lac  de  Garde,  à  l'aide 
d'un  prêtre  très-adroit,  nommé  Martin,  qui  se  constitue  am- 
bassadeur de  la  reine  auprès  de  l'évêque  Adélard  et  d'Olton, 
seigneur  de  Canosse,  en  éprouvant  la  fidélité  de  ces  grands 
vassaux  par  une  ruse  mélodramatique.  Il  leur  annonce  la 
fausse  nouvelle  de  la  mort  d'Adélaïde,  leur  arrache  des  larmes 
non  douteuses  et  leur  confie,  seulement  après  cette  épreuve, 
le  sort  de  la  belle  fugitive. 

Nous  allons  maintenant  rentrer  en  Alsace,  à  SeUzmôme, 
dont  l'abbaye,  comme  je  l'ai  indiqué  au  début  de  ce  récit, 
doit  son  origine  à  l'auguste  épouse  d'Ollon-le-Grand, 

Après  les  incidents  tragiques  de  son  premier  veuvage,  ar- 
rivent pour  l'impératrice  Adélaïde  les  jours  d'une  éclatante 
prospérité.  Pendant  la  durée  de  trois  règnes,  elle  exerce  une 
influence  majeure  sur  les  affaires  publiques  et  trace  dans  nos 
contrées  un  sillon  lumineux  sur  son  passage.  Elle  aimait  l'Al- 
sace plus  que  les  autres  provinces  du  vaste  empire  germa- 
nique. Ne  pourrions-nous  pas  chercher  les  motifs  de  cette 
prédilection  dans  le  climat  tempéré  de  la  belle  vallée  du  Rhin, 
dans  les  demeures  royales  construites  par  les  Mérovingiens  et 
les  Carlovingiens,  qui  rappelaient  un  peu  à  l'impératrice  les 
palais  de  la  Lombardie,  dans  ces  couvents  enfin  qui  s'éle- 
vaient de  toute  part,  en  plaine  et  sur  les  hauteurs,  et  dont 
elle  allait  augmenter  le  nombre?....  Qui  sait  si  le  souvenir  de 
la  fondatrice  de  ïlohenbourg,  et  celui  de  l'épouse  persécutée 
de  Charles-le-Gros  n'ont  pas  contribué  à  attirer  dans  notre 
pays  ce  cœur  ouvert,  dès  sa  jeunesse,  aux  grandes  émo- 
tions ? 

L'impératrice  Adélaïde  avait  appelé  auprès  d'elle  sa  mère, 
la  reine  Berthe,  et  avait  décidé  son  royal  époux  à  donner  à 
cette  princesse  l'abbaye  (i'Erstein  (953).  Elle-même  obtint 
d'Otton  l'abbaye  de  Wissembourg,  celle  d'Andlau  et  les  cinq 
fermes  royales  de  lîochfelden,  Sermersheim,  Schweighausen , 
Mertzwiller  et  Sellz  (donation  du  16  novembre  968),  cette 


VliNGT-HUITIÈME  LETTRE,  311 

dernière  située  près  de  remplacement  du  Sqjtetio  des  Romains, 
que  le  fleuve  capricieux  du  Rhin  avait  englouti. 

Le  fils  d'Adélaïde,  l'empereur  Olton  II,  confirma  (en  975) 
toutes  ces  donations  et  vit  avec  plaisir  l'impératrice  douairière 
conférer  à  l'abbaye  de  Murbacli  de  vastes  propriétés  sises  à 
Ammerswyr.  Enfin,  sous  l'empereur  Otton  III,  fils  d'Olton  II 
et  de  Théophanie,  Adélaïde  fonda  en  987  l'abbaye  de  Sellz  au 
milieu  des  domaines  que  l'empereur  Otton-le-Grand  avait  dé- 
tachés du  fisc  royal  pour  en  doter  son  épouse.  Ce  patrimoine 
de  l'abbaye  de  Seltz  était  appelé  la  propriété  spéciale  d'Adé- 
laïde' et  comprenait,  sur  un  terrain  de  deux  lieues  de  long 
et  d'une  lieue  de  large,  quatorze  communes  dont  neuf  sur  la 
rive  droite  et  les  autres  sur  la  rive  gauche  du  Rhin.  Par  la 
volonté  de  la  pieuse  fondatrice,  cette  terre,  libre  et  impériale 
dans  l'origine,  devint  terre  ecclésiastique;  la  juridiction  toute- 
fois demeurait  réservée  à  l'Etat. 

L'impératrice  ne  s'en  tint  point  à  cette  première  libéralité. 
L'abbaye  bénédictine  de  Seltz  obtint  successivement  de  l'em- 
pereur Otton  III,  petit-fils  d'Adéaïde,  la  confirmation  de  toutes 
ses  propriétés  (992)  et  l'octroi  de  grands  privilèges,  par 
exemple  celui  d'élire  librement  son  abbé  (993) ,  le  droit  de 
tenir  un  marché  dans  cette  localité  de  Seltz,  où  affluaient  les 
voyageurs  des  deux  rives  du  Rhin  et  ceux  qui  allaient  du  nord 
au  midi  et  du  midi  au  nord  de  la  Germanie.  Le  droit  régalien 
de  battre  monnaie  et  de  percevoir  un  péage  fut  conféré  à  l'abbé 
par  le  même  souverain,  sur  les  instances  de  son  aïeule,  qui 
fit  consacrer  par  l'évêque  Wiederhold  (992)  cette  création, 
sur  laquefie  se  concentra,  pendant  le  reste  de  sa  longue  car- 
rière, toute  son  affectueuse  sollicitude.  Adélaïde  mourut  le 
15  décembre  999,  presque  sur  la  limite  de  deux  siècles,  à  la 
clôture  d'une  période  qui  avait  vu  la  reconstitution  de  l'Italie 
et  de  la  Germanie.  A  cette  œuvre,  l'impératrice  Adélaïde  avait 
pris  une  part  active;  à  l'intelligente  prévoyance  de  l'âge  mûr 

'  Proprium  Adelheidis. 


312  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

et  de  la  vieillesse ^vait  succédé  l'agitation  involontaire  de  sa 
jeunesse;  elle  avait  été  l'amie  et  la  conseillère  de  son  époux, 
la  directrice  de  son  fils  et  de  son  petit-fils,  l'aide  et  le  soutien 
de  quelques-uns  de  nos  grands  évêques*;  elle  fut  l'objet  de 
la  vénération  des  fidèles,  et  l'église  reconnaissante  récom- 
pensa les  immenses  services  rendus  par  elle  aux  cathédrales 
et  aux  abbayes,  au  clergé  séculier  et  au  clergé  régulier,  en 
lui  conférant  les  honneurs  de  la  canonisation. 

Cette  illustre  et  sainte  impératrice  reposait  à  Magdebourg 
dans  le  même  caveau  que  son  époux,  qui  l'avait  précédée  de 
plus  d'un  quart  de  siècle  dans  la  tombe-.  Le  nom  d'Adélaïde 
est  inscrit  en  lettres  d'or  dans  l'histoire  ecclésiastique  et  poli- 
tique de  l'Europe  ;  l'Alsace  est,  à  bon  droit,  fièie  de  rattacher 
à  ses  annales  du  dixième  siècle  le  souvenir  de  celle  grande 
princesse. 

Quelques  mots  seulement  sur  les  destinées  de  l'abbaye  fon- 
dée par  Adélaïde. 

L'empereur  Henri  VII  conféra,  en  1309,  le  titre  de  prince 
à  Jean,  abbé  de  Seltz,  et  érigea  en  principauté  les  terres  de 
son  domaine.  Le  pape  Sixte  IV  convertit  l'abbaye  en  collégiale, 
et  l'électeur  palatin  Frédéric  III,  en  confisquant  ses  revenus, 
l'érigea  en  Académie  équestre. 

Après  la  réunion  de  l'Alsace  et  de  Strasbourg  à  la  France, 
Louis  XIV,  ne  voulant  pas  rendre  tous  les  revenus  de  la  collé- 
giale de  Seltz  à  leur  primitive  destination,  en  donna  une  partie 
au  collège  des  jésuites  de  Strasbourg  (1691). 

Je  n'ai  pas  le  courage,  après  avoir  fait  le  récit  de  la  vie  de 
l'impératrice  Adélaïde,  de  vous  entretenir  du  fonds  même  de 
l'abbaye  de  Seltz  ;  il  consiste  en  titres  de  propriété  plus  ou 
moins  importants  et  en  papiers  de  comptabilité;  le  souvenir 
de  la  fondatrice  n'y  a  point  laissé  de  traces.  Descendre  à  des 
détails  d'un  intérêt  un  peu  vulgaire,  après  avoir  séjourné  dans 

'Erkambold  et  Wiederhold. 

-  Olton-le-Grand  élail  mort  en  973. 


VINGT-HUITIÈME  LETTRE.  313 

les  hautes  régions  de  la  politique  et  de  l'Église,  ce  ne  serait 
pas  même  faire  un  tableau  de  genre  après  un  tableau  d'his- 
toire; ce  serait  produire  la  nature  morte  à  la  suite  des  mani- 
festations d'une  existence  vouée  aux  devoirs  du  trône  et  de  la 
charité  populaire. 


314-  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

VINGT-IVEUVIÊME  LETTRE. 

li'évéché  de  Spire.  —  Sa  circonscription.  —  I/abbaye  de  Wisseniboiirg. 

—  Son  liii^toire.  —  liUtte  entre  l'abl>aye  et  la  ville.  —  I>utte  avec  les 
électeurs  palatins.  —  I.c  château  de  Herwartstein.  —  Jean  de  Uratt. 

—  I>'alibaye  transformée  en  chapitre.  —  liC  chapitre  réuni  à  i'évé- 
ché  de  Spire.  —  l.cs  prlnccs-évéques. 

Monsieur , 

Jusqu'ici  je  vous  ai  entretenu  à  peu  près  exclusivement 
d'établissements  religieux  qui  faisaient  partie  de  la  circonscrip- 
tion de  notre  ancien  cvêché;  il  ne  m'est  point  permis  de  clore 
cette  revue  de  notre  clergé  séculier,  sans  avoir  parlé  des  titres 
concernant  le  diocèse  de  Spire ,  qui  est  aussi  représente  dans 
notre  dépôt  départemental. 

L'ancien  évcché  de  Strasbourg-  s'arrêtait,  dans  la  Basse- 
Alsace,  au  midi  du  Seltzbach;  au  nord  de  ce  cours  d'eau,  tout 
le  reste  de  notre  province  relevait  de  l'évêché  de  Spire,  qui 
s'étendait  de  plus  sur  le  Palatinal  et  au  delà  du  Rhin,  sur  une 
petite  partie  du  pays  actuel  de  Bade. 

Lorsqu'en  1(S15  il  s'est  agi  de  faire  le  partage  des  pièces  qui 
appartenaient  à  l'ancien  évêché  de  Spire,  nous  avons  livré  aux 
commissaires  de  la  Bavière  rhénane  l'immense  majorité  de  ces 
documents,  et  nous  ne  possédons  plus  que  les  tristes  débris 
de  la  collection  primitive  :  d'abord,  les  liasses  qui  contiennent 
les  titres  de  propriété  des  communes  demeurées  françaises, 
puis,  les  pièces  de  toute  nature  qui  constatent  les  relations 
de  l'évêché  de  Spire  avec  l'antique  abbaye  de  Wissembourg, 
fondée  par  les  rois  mérovingiens,  richement  dotée  par  eux, 
sécularisée  de  1524  à  1530,  et  incorporée  par  le  pape  Paul  III 
à  l'église  de  Spire  (1545  à  1546). 

L'intérêt  historique  de  notre  fonds  de  l'évêché  de  Spire  re- 
pose tout  entier  dans  les  relations  entre  l'église  métropolitaine 
de  Spire  et  l'église  abbatiale,  puis  chapitrale  de  Wissembourg. 
Pendant  les  deux  siècles  qui  ont  précédé  la  fusion,  cet  intérêt 
se  concentre  dans  la  lutte  permanente  des  abbés  de  Wissem- 


VINGT-NEUVIÈME   LETTRE.  315 

bourg  avec  la  cité  impériale,  avecles  dynastes  voisins,  surtout 
avec  les  électeurs  palatins. 

Le  sort  de  Wissembourg  me  semble  tragique  comme  celui 
de  Haguenau  ;  après  avoir  joué  un  grand  rôle  au  moyen  âge,  et 
s'être  maintenu  à  une  certaine  hauteur  pendant  les  trois  siècles 
qui  ont  précédé  la  révolution  de  89,  le  chapitre  de  "Wissem- 
bourg a  disparu  dans  la  tempête;  et  la  ville,  l'une  des  cités  de 
la  Décapole,  s'est  elle-même  amoindrie  de  plus  en  plus  à  la 
suite  des  coups  qui  frappaient  sa  mère  nourricière  ;  le  traité 
de  1815,  en  nous  enlevant  une  partie  de  l'ancienne  Alsace,  a 
réduit  Wissembourg  à  n'être  plus,  sur  l'extrême  frontière  du 
département  du  Bas-Rhin,  qu'une  petite  ville,  sans  débouchés, 
sans  commerce,  sans  industrie,  bornée  aux  ressources  de  son 
terrain  fertile,  où  les  produits  de  la  plaine  se  marient  à  ceux 
des  coteaux  vignobles  et  des  montagnes  boisées. 

Le  déclin  est  dur  pour  les  individus,  pour  les  corporations, 
pour  les  cités,  pour  les  peuples.  «Pas  de  douleur  plus  grande 
que  de  se  souvenir  du  temps  heureux  dans  la  misère»  a  dit  le 
grand  poète  florentin.  Wissembourg,  c'est-à-dire  les  citoyens 
lettrés  qui,  dans  celte  ancienne  cité  de  la  landvogtey  d'Alsace, 
parlaient  ou  comprenaient  le  beau  langage  toscan ,  pouvaient 
répéter  et  s'appliquer  à  bon  droit  la  mélancolique  sentence 
du  Dante.  Aucune  espèce  de  gloire  n'avait  manqué  à  l'an- 
cienne ville  de  Wissembourg  :  elle  avait  eu  ses  illustrations 
politiques,  guerrières,  religieuses,  municipales,  littéraires; 
empereurs,  rois,  pontifes,  prélats  avaient  doté  de  privilèges 
l'abbaye  et  la  ville,  ou  les  avaient  combattues  tour  à  tour; 
amis  ou  ennemis  avaient  contribué  à  rehausser  son  nom; 
l'institution  du  Staffelgericht  (justice  rendue  sur  les  degrés 
de  l'abbaye),  et  du  Kammergericht  (justice  camérale,  justice 
d'appel)  jouissaient  d'une  considération  historique,  méritée; 
mais,  depuis  soixante  ans,  elle  n'était  plus  que  l'ombre  d'elle- 
même;  elle  penchait  tristement  sa  tête,  dépouillée  de  sa  cou- 
ronne murale;  le  cours  d'eau  de  la  Lauter,  en  passant  au 
pied  des  murs  de  l'antique  collégiale  de  Saint-Pierre  et  Saint- 


S\6  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Paul,  où  les  princes-évèques  de  Spire  n'officiaient  plus,  mur- 
murait des  sons  plaintifs,  parfaitement  intelligibles  pour  les 
vieillards  qui  avaient  encore  vu  les  chanoines  nobles  animer 
ces  splendides  habitations,  maintenant  transformées  en  bu- 
reaux administratifs  et  en  demeures  champêtres. 

Comment  une  abbaye  seule  pouvait-elle,  de  la  sorte,  fa- 
voriser l'essor  d'une  ville  et  lui  valoir  cette  illustration  euro- 
péenne? 

Le  point  de  départ  de  cette  congrégation  bénédictine  avait 
été  brillant;  le  Mundat  de  Wissembourg,  ce  beau  district  situé 
des  deux  côtes  de  la  Lauter,  entre  les  montagnes  et  le  Rhin, 
formait  dès  le  septième  et  le  huitième  siècle,  le  noyau  d'un 
vaste  patrimoine;  les  bains  de  Bade  appartenaient  à  l'abbaye 
à  partir  de  712;  elle  percevait  de  larges  redevances  du  Rhin 
au  Danube,  des  Vosges  à  la  Forêt-Noire;  des  prélats  intelli- 
gents et  énergiques  régissaient  la  communauté  ;  à  l'époque 
carlovingienne,  les  études  fortes  prospéraient  au  sein  de  ce 
cloître  alsacien ,  comme  à  Reichenau  ;  le  moine  Ottfried  y  com- 
posa son  pocme  du  Christ,  et  nous  légua,  dans  cette  sonore 
paraphrase  des  Evangiles,  le  premier  monument  de  la  langue 
théodisque  ou  allemande.... 

Et  lorsqu'à  la  fin  du  treizième  siècle. et  dans  le  cours  du 
quatorzième,  la  cité,  qui  avait  grandi  sous  la  protection  du 
sanctuaire,  devint  sa  rivale,  lorsque  les  prétentions  de  la  mu- 
nicipalité, favorisée  par  les  Habsbourg,  se  heurtèrent  contre 
les  droits  historiques  de  l'abbaye,  les  luttes  incessantes,  les 
violences  même  développèrent  les  forces  respectives  :  le  mouve- 
ment seul  donne  la  vie;  le  repos  ou  l'indolence,  c'est  la  mort. 

Je  ne  puis  entrer  dans  le  détail  de  ces  luttes,  qui  prennent 
au  quinzième  siècle  un  caractère  plus  grand;  à  cette  époque, 
Frédéric-le-Victorieux  paraît  sur  la  scène;  de  protecteur  qu'il 
devait  être,  il  devient  l'adversaire  de  l'abbaye,  et,  par  contre 
coup,  de  la  cité  elle-même. 

Vers  1469,  l'abbaye  de  Wissembourg  comptait  vingt-quatre 
membres,  issus  des  meilleures  familles  d'Alsace  et  de  Lor- 


VINGT-NEUVIÈME  LETTRE.  317 

raine;  mais  ces  conventuels  avaient  conservé,  au  sein  du 
cloître ,  les  habitudes  de  luxe  de  leur  maison  paternelle.  L'abbé 
Philippe  d'Erbach  était  mort,  laissant  un  déficit  énorme  qu'i 
s'agissait  de  combler;  son  successeur,  Jean  de  Bruck,  homme 
très-honorable  d'ailleurs,  ne  se  trouva  point  au  niveau  de  sa 
tâche  :  Frédéric-le-\ïctorieux,  en  sa  qualité  de  préfet  d'Al- 
sace, intervint  et  envoya  une  commission  de  réforme  à  Wis- 
sembourg-.  La  position  n'était  plus  tenable  pour  le  chef  spiri- 
tuel de  l'abbaye  ;  il  se  réfugia  dans  les  montagnes  du  Palatinat, 
au  haut  du  château  de  Drachenfels,  avec  son  prieur  Anlhès 
(Antoine)  de  Linange,  dont  le  caractère  remuant  formait  le 
principal  obstacle  à  une  conciliation. 

Maintenant  que  l'abbé  était  en  fuite  et  que  la  commission 
palatine  intimidait  le  cloître  et  la  ville,  une  réaction  s'opéra 
dans  l'opinion  publique  en  faveur  du  prélat  exilé.  Il  ne  faut 
point  oublier  que  plus  d'un  bourgeois  de  Wissembourg-  était 
investi  de  biens-fonds,  appartenant  au  couvent,  et  que  la  révo- 
ution  opérée  dans  l'intérieur  de  l'établissement  par  les  moines 
de  la  stricte  observance,  envoyés  par  l'électeur,  devait  gêner 
les  laïques  qui  dépendaient  de  l'abbaye. 

Le  mécontentement  public  se  fit  jour  pendant  un  sermon 
tenu,  dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Jean,  par  le  professeur 
Jodocus  de  Calw,  venu  tout  exprès  de  l'université  de  Ileidel- 
berg,  pour  faire  le  panégyrique  du  coup  d'État  électoral,  et 
pour  vanter  les  vertus  des  moines  de  l'observance.  Des  injures 
violentes  furent  lancées  contre  le  prédicateur,  qui  se  sauva  en 
compagnie  des  moines  et  des  commissaires.  Une  députation 
bourgeoise  se  rendit,  en  octobre  1469,  à  Bade,  où  l'abbé  Jean 
de  Bruck  s'était  réfugié  en  quittant  le  Drachenfels,  et  où  il 
habitait  la  maison,  dite  zum  Baldreit,  qui  appartenait  à  l'ab- 
baye de  Wissembourg*.  On  le  décida  sans  peine  à  rentrer  à 
Wissembourg.  L'abbé  se  travestit  en  femme  malade,  et  passa 
la  porte  de  la  ville,  dans  un  chariot  conduit  par  le  bourgeois 

'L'empire  nvail ,  depuis  longleiiips,  mis  la  main  sur  la  doiialioii  de  Dago- 
berl ,  sur  les  ihermes  de  Bade. 


318  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

Pierre  Brenfz.  Caché  d'abord  chez  les  Augustins,  il  put  dès  le 
lendemain  faire  sa  rentrée  solennelle  à  Saint-Pierre. 

L'électeur  palatin  était  furieux;  jusqu'ici  tout,  dans  sa  car- 
rière ambitieuse ,  avait  réussi  au  gré  de  ses  désirs  ;  mainte- 
nant il  fallait  compter  avec  des  moines  et  des  bourgeois  re- 
belles. Frédéric-le-Viclorieux  essaya  d'abord  la  voie  des  armes  ; 
il  assiégea  Wissembourg;  ses  ingénieurs  lançaient  du  feu 
grégeois  sur  les  assiégés  qui  paraissent  s'être  comportés  vail- 
lamment; car  la  campagne  aboutit  à  la  convention  de  Ger- 
mersheim  (1470),  qui  maintint  Jean  de  Bruck  et  Anthés  de 
Linange  dans  leurs  charges. 

Cette  guerre  de  Wissembourg  avec  l'électeur  Frédéric-le- 
Viclorieux  a  été  racontée  d'une  manière  vive,  pittoresque  par 
un  habitant  de  la  ville  assiégée,  par  Eikard  Arzt ,  dont  la 
chronique  a  fait  l'admiration  du  savant  éditeur  Mone  ;  c'est 
une  célébrité  littéraire  à  inscrire  après  Ottfried. 

Le  traité  de  Germershcim  ne  mit  point  un  terme  aux  dé- 
vastations qui  désolaient  les  belles  campagnes  des  environs 
de  Wissembourg.  L'empereur  Frédéric  III,  en  haine  du  Vic- 
torieux ,  avait  empêché  la  cessation  des  hostilités.  Louis  de 
Veldenlz,  nommé  préfet  de  Ilaguenau  ou  d'Alsace,  à  la  place 
de  son  parent,  l'électeur  Frédéric,  poussait  les  habitants  de 
Wissembourg  à  se  venger,  et  on  ne  suivit  que  trop  cette  im- 
pulsion venue  du  fonctionnaire  impérial. 

L'abbaye  de  Wissembourg  était  flanquée  aux  quatre  points 
cardinaux,  mais  à  quelque  distance  de  la  ville,  des  forts  de 
Saint-Remy,' de  Saint-Paul^  de  Saint-Germain,  de  Saint-Pan- 
taléon  ou  des  quatre  tours.  Ce  dernier,  qui  était  un  couvent 
fortifié,  fut  détruit,  et  celui  de  Saint-Paul,  situé  au  nord  de 
Wissembourg,  fut  assiégé  parles  comtes  de  Linange,  frères 
du  prieur  Anlliès. 

Ce  siège  donna  lieu  à  un  incident  dramatique.  Au  moment 
où  la  garnison  du  fort,  qui  voulait  se  rendre,  éprouva  un 
refus  de  la  part  des  assiégeants ,  on  ^it  s'élancer  derrière  les 
créneaux  la  jeune  et  belle  femme  du  commandant  Mûhlhofer  ; 


VINGT-NEUVIÈME  LETTRE.  310 

éperdue  de  douleur,  échevelée ,  elle  poussait  des  cris  de  dé- 
tresse ,  en  vue  du  sort  qui  l'attendait.  Ce  spectacle  déchirant 
émut  les  comtes  de  Linange;  ils  accordèrent  la  vie  sauve  au 
commandant  et  à  ses  soldats;  mais  le  château  fut  incendié 
sous  les  yeux  mômes  de  l'ahhé  de  Bruck,  qui  était  venu  assis- 
ter à  cet  acte  de  vengeance. 

Sous  le  neveu  et  successeur  de  Frédéric-le-Victorieux,  sous 
Philippc-l'Ingénu  ,  la  lutte  de  l'abhaye  avec  la  maison  palatine 
entre  dans  une  phase  nouvelle.  Une  figure,  que  la  tradition 
a  considérablement  altérée,  nous  montre  ses  traits  énergiques 
et  audacieux.  C'est  du  maréchalJean  de  Dratt  que  je  veux  par- 
ler; mais  avant  de  le  faire  voir  lui-même,  ne  serait-ce  que  de 
profil,  et  un  seul  instant,  il  faut  vous  introduire  dans  sa  rési- 
dence habituelle,  ce  nid  d'où  sortait  le  «  dragon,  »  qui  fut  pen- 
dant de  longues  années  le  fléau  et  l'épouvanlail  de  l'abbaye. 

En  entrant,  au  nord-ouest  de  Wissembourg,  près  de  Berg- 
zabern,  dans  une  vallée  transversale  des  Vosges,  vous  arrivez 
au  village  d'Erlenbach,  que  domine  le  château  de  Bervvarl- 
stein  (Berbelstein).  Cette  demeure  féodale  offre  un  caractère 
particulier;  des  voûtes,  creusées  dans  le  roc  vif.  forment 
trois  étages  de  corridors  sombres  ou  de  casemates,  qui  ser- 
vaient soit  de  refuge,  soit  de  magasin  et  d'arsenal;  l'habita- 
tion du  maître  est  superposée  au  labyrinthe  des  souterrains , 
et  du  haut  des  chambres,  ouvertes  à  tous  les  vents,  le  regard 
plonge  sur  un  pays  charmant  de  forêts ,  de  prairies  et  d'étangs. 
Le  caslel  et  le  roc ,  sur  lequel  il  est  assis ,  constituent  le  centre 
d'une  assez  vaste  enceinte  fortifiée,  dont  les  ouvrages  datent 
de  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  tandis  (jue  l'origine 
première  de  la  citadelle  ou  de  l'habitation  centrale  remonte 
au  delà  du  temps  de  Frédéric  Barberousse.  Cet  empereur 
donna  le  Berwartstein  en  toute  propriété  à  l'évêque  de  Spire; 
au  treizième  siècle,  des  usurpateurs  paraissent  s'y  être  éta- 
blis ;  vers  le  milieu  du  quatorzième ,  l'abbaye  de  Wissembourg 
acquiert  le  château  des  frères  de  Wingarten  et  y  nomme  des 
châtelains  (Vœgte),  dont  les  lettres  réversales  et  les  arrange- 


320  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

menls  conclus  avec  l'abbaye  forment,  dans  noire  fonds  de 
Spire,  une  série  de  titres  curieux. 

Quelques-uns  de  ces  châtelains  furent  outrecuidants  à  l'ex- 
cès,  et  comme  ils  avaient  affaire  à  des  voisins  qui  n'étaient 
pas  d'une  humeur  plus  pacifique,  il  en  résultait  des  conflits 
incessants,  quelquefois  des  surprises  et  des  occupations  tem- 
poraires du  Bervvartstein  par  les  Ekebrecht  de  DiJrkheim ,  qui 
résidaient  dans  le  voisinage,  à  Drachenfels. 

Pour  en  finir,  l'abbé  de  Wissembourg  mit  le  Bervvartstein, 
en  14-53,  sous  la  protecfion  de  Frédéric-le-Viclorieux. 

Ce  droit  de  protection  se  trouva  converti ,  à  la  sourdine,  en 
droit  de  propriété,  sous  le  successeur  de  Frédéric.  Le  cheva- 
lier Jean  de  Dralt,  natif  de  la  Thuringe,  avait  rendu  des  ser- 
vices signalés  aux  deux  électeurs  palatins  dans  leurs  longues 
luttes  avec  les  dynastes  de  la  vallée  du  Rhin  ;  Philippe-l'Ingénu 
lui  assigna,  entre  autres  récompenses,  la  seigneurie  ou  châ- 
telainie  du  Berwartstein. 

Jean  de  Dratt,  qui  n'était  ni  plus  ni  moins  violent  que  les 
autres  chevaliers  du  Palalinat,  mais  qui  avait,  de  plus  qu'eux, 
une  énergie  à  toute  épreuve,  et  l'intelligence  de  ce  qu'il pow- 
vait  oser,  l'esprit  de  calcul  et  l'appui  d'un  maître  puissant _, 
Jean  de  Dratt  se  permit  dans  les  vastes  forets  des  environs 
du  Berbelstcin ,  des  dégâts  et  des  empiétements  intolérables; 
sur  la  Lauter,  il  entravait  le  flottage  et  la  pêche;  l'abbaye  de 
Wissembourg  et  ses  gens  étaient  lésés  dans  leurs  intérêts  vi- 
taux ;  de  là ,  des  conflits ,  des  discussions ,  des  violences ,  dont 
le  scandale  arriva  jusqu'aux  oreilles  du  pape,  de  l'empereur 
et  des  membres  de  la  Diète  germanique.  L'électeur  Philippe 
prit  aveuglément  fait  et  cause  pour  son  protégé;  il  s'ensuivit 
des  litiges  devant  la  chambre  impériale,  les  diètes  et  en  cour 
de  Rome. 

Nos  cartons  sont  remplis  de  missives,  mémoires,  procès- 
verbaux  d'enquête  ,  instructions  données  ,  projets  d'arrange- 
ments, actes  notariés,  sentences  impériales,  ayant  trait  à  cette 
interminable  lutte;  c'est  un  labyrinthe  de  procédures,  bien 


VINGT-NEUVIÈME  LETTRE.  321 

autrement  inextricable  et  compliqué  que  celui  des  souter- 
rains du  Berwartslein*.  La  mort  môme  de  Jean  de  Dratt, 
survenue  en  1504,  ne  mit  point  fin  à  ces  litiges,  qui  conti- 
nuèrent entre  l'abbaye  et  Christophe  de  Dratt,  fils  de  l'usur- 
pateur. 

L'apparition  et  les  actes  du  chevalier  saxon ,  Jean  de  Dratt, 
élevé  à  la  dignité  de  maréchal  par  son  maître,  paraissent 
avoir  si  vivement  impressionné  l'imagination  populaire  dans 
les  contrées  palatines,  qu'on  fit  de  lui  un  véritable  démon  in- 
carné ;  la  chronique  de  Hirsau  par  Trithème  a  surtout  con- 
tribué à  cette  métamorphose  que  la  tradition  fit  subir  à  l'an- 
tagoniste de  l'abbaye  de  Wissembourg.  La  figure  du  cheva- 
lier, sculptée  sur  la  pierre  sépulcrale  dans  la  chapelle  de 
Schlettenbach,  annonce  bien  un  caractère  fort  et  décidé, 
mais  rien  n'y  dénote  la  méchanceté  native,  ni  l'amour  pas- 
sionné du  mal.  La  mauvaise  renommée  posthume  de  Jean  de 
Dratt  est  pour  moi  un  nouvel  exemple  du  procédé  que  la 
tradition  légendaire  applique  aux  individualités  marquantes 
pour  les  transformer,  les  grandir  ou  les  enlaidir,  mais  elle 
me  fournit  aussi  la  preuve  patente  que  le  mythe  est  la  méta- 
morphose de  la  réalité,  et  non  la  création  d'un  être  ou  d'un 
fait  imaginaire. 

Au  début  de  cette  lettre ,  j'ai  mentionné  l'un  des  événe- 
ments majeurs,  qui  imprima ,  après  tant  de  traverses,  à  l'ab- 
baye de  Wissembourg,  un  caractère  nouveau.  La  sécularisa- 
tion de  l'ancien  établissement  bénédictin  eut  lieu,  en  i5i24, 
sous  le  pape  Clément  VII ,  et  sous  l'abbé  Rudiger  Fischer, 
qui  devint  ainsi  le  premier  prévôt  du  nouveau  chapitre  de 
Wissembourg. 

A  peine  cette  faveur  immense  est-elle  accordée  à  la  véné- 
rable fondation  des  Dagobert,  que  la  guerre  des  paysans 
éclate  avec  ses  violences  communistes ,  et  que  le  château-fort 
de  Saint-Remy  est  pris  et  incendié  par  les  révoltés.  Wissem- 

T.o  cliâtoau  appnrliont  mainlenant  à  M.  G    Kastnor,  membre  de  ITiistiiiit. 

2î 


ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

bourg,  la  ville,  ne  leur  ouvrit  point  ses  portes;  mais  cette 
résistance,  méritoire  clans  des  circonstances  aussi  graves,  ne 
valut  point  à  la  ville  le  pardon  de  l'abbé-prévôt;  les  bourgeois , 
pour  satisfaire  ou  éconduire  les  insurgés,  leur  avaient  livré 
une  partie  des  munitions  de  l'arsenal  ;  les  curés  paroissiaux 
avaient  été  chassés.  Le  prévôt  Rudiger  commit  le  soin  de  sa 
vengeance  à  l'électeur  palatin  Louis  V,  lils  et  petit-neveu  des 
mêmes  princes,  qui,  pendant  trois  quarts  de  siècle,  avaient 
fait  à  l'abbaye  une  guerre  incessante. 

Wissembourg  fut  bombardée  (en  juillet  1525),  livrée  et 
punie  comme  on  punissait  au  seizième  siècle,  au  sortir  d'une 
lutte,  où  l'acharnement  mutuel  était  au  niveau  des  passions 
politiques  et  religieuses  qui  éclataient  alors  dans  toute  l'Eu- 
rope centrale. 

Au  milieu  du  mouvement  de  la  réforme  qui  enlevait  à  l'ab- 
baye de  Wissembourg  une  partie  de  son  influence,  l'incorpo- 
ration du  couvent  de  Sainte-Walpurge  (en  1544)  lui  valut  une 
augmentation  de  revenus.  L'abbé-prévôt  Rudiger  avait  encore 
vu  s'accomplir  cetle  adjonction  du  cloître  situé  sur  la  lisière 
de  la  forêt  sainte;  bientôt  après  il  mourut  à  Sainle-Waipurge 
même  (1545),  et  les  embarras,  les  désordres  qui  suivirent 
sa  mort,  amenèrent,  sous  l'influence  de  l'électeur  palatin 
Frédéric  (lïl) ,  l'incorporation  du  chapitre  de  Wissembourg 
à  l'évêché  de  Spire  (1545). 

L'évêque  Philippe  de  Flersheim  prit  en  main  les  rênes  du 
gouvernement  du  chapitre,  et,  à  partir  de  cette  époque,  tous 
les  prélats,  ses  successeurs,  cumulèrent  la  dignité  épiscopale 
avec  celle  de  prévôt  du  chapitre  de  Wissembourg.  Us  cou- 
vrirent de  leur  protection  cet  établissement  historique.  A 
chaque  changement  de  règne ,  s'il  m'est  permis  de  me  servir 
de  cette  expression  un  peu  trop  ambitieuse  pour  l'adminis- 
tration d'un  ancien  cloître,  des  cérémonies  imposantes  et 
significatives  signalaient  l'avènement  de  l'évêque-prévôt. 

Parmi  les  noms  de  ces  princes-évèques,  successeurs  de 
Philippe  de  Flersheim  et  de  Christophe  de  Sœtern,  se  ren- 


VINGT-NEUVIÈME  LETTRE.  323 

contrent  ceux  des  familles  les  plus  haut  placées  dans  l'empire 
germanique  :  ainsi  le  successeur  immédiat  de  Christophe  fut 
Lothaire-Frédéric  de  Metternich  (1652  à  1C75),  qui  cumulait 
avec  sa  dignité  d'évêque  de  Spire,  celles  d'archevêque  de 
Mayence  et  d'évêque  de  Worms. 

Damien -Hugues-Philippe-Antoine,  comte  de  Schœnhorn 
(1719  à  1743),  était  à  la  fois  évoque  de  Spire  et  coadjuteur 
de  l'évêque  de  Constance.  De  1743  à  1770  c'est  Francisque- 
Christophe  de  Huttcn  qui  occupe  le  siège  épiscopal  de  Spire 
et  l'ancien  siège  abbatial  de  Wissembourg-;  la  révolution  sur- 
prend, dans  cette  double  dignité,  l'évêque  Auguste  Limbourg- 
de  Styrum, 

Vous  avez  reconnu  facilement  parmi  ces  dignitaires  le  nom 
d'une  famille  qui  avait  déjà  reçu  le  baptême  d'une  illustration 
littéraire;  et  un  autre  qui  allait  être  revêtu  d'un  éclat  nouveau 
dans  l'histoire  de  la  diplomatie  contemporaine. 

Pour  ma  part,  je  ne  connais  point,  dans  l'étude  de  l'his- 
toire, d'occupation  plus  intéressante  et  plus  instructive  que 
celle  de  suivre  les  fils ,  imperceptibles  d'abord ,  qui  relient  le 
présent  au  passé ,  et  qui  rattachent  une  simple  abbaye  aux 
destinées  des  grandes  nationalités,  des  grandes  familles  et 
des  grandes  questions  agitées  sur  le  théâtre  du  monde.  L'ab- 
baye austrasienne  de  Wissembourg  et  le  chapitre  germanique 
qui  la  remplace  au  seizième  siècle ,  offrent  plus  d'un  de  ces 
points  de  contact  et  de  rapprochement;  si  j'ai  réussi  à  mon- 
trer comment  celte  histoire  toute  locale  touche  à  celle  du 
Palatinat,  de  l'Alsace,  de  Bade  et  de  l'empire  germanique 
lui-même,  mon  but  est  atteint,  et  je  serai  justifié  d'avoir,  une 
fois  de  plus,  ralenti  nos  pas  dans  cette  course  à  travers  nos 
étabhssements  ecclésiastiques  d'autrefois. 


~c<C\9X(*/>^>- 


324  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 


TRENTIEME  LETTRE. 

tiCS  abbayes  d'hoinnie.x.  —  Altorf.  Son  origine,  len  «lonations.  —  Kphé- 
niëriilcN  d'Altorf.  —  Abbaye  trKber»«iniiii<<iter.  —  lleatiiM  Rhenanus. 
l'hiNforieii.  —  KébaNtien  Brant,  l'auteur  «le  l'Ei^quif  «les  fouis.  — 
Ii*abbayc  de  :viarnioutler  et  le  couvent  du  Sindeisberg. 


Monsieur , 

Dans  quelques-unes  de  mes  dernières  lettres  je  vous  ai 
entretenu  de  celles  de  nos  abbayes  qui  ont  été  sécularisées  • , 
ou  qui  se  sont  fondues  dans  la  manse  épiscopale.  Maintenant 
il  s'ai^it  d'aborder  les  établissements  religieux  qui  n'ont  ja- 
mais perdu  leur  caractère  monastique,  c'est-à-dire  les  abbayes 
d'hommes  et  de  femmes.  C'est  la  dernière  grande  série  de  nos 
archives  historiques,  la  dernière  halle  que  nous  ferons  dans 
ces  asiles ,  ouverts  par  la  piété  de  nos  ancêtres  aux  âmes  fa- 
tiguées du  monde,  aux  existences  déclassées,  au  repentir,  et 
où  l'ambition  avec  ses  froids  calculs  est  parvenue  quelquefois 
à  se  glisser. 

Veuillez  me  suivre  d'abord  à  une  petite  distance  de  Stras- 
bourg, presque  à  l'entrée  du  val  de  la  Bruche,  auprès  de  l'église 
d'Altorf,  dernier  reste  de  l'abbaye  bénédictine  de  ce  nom. 
Cet  élégant  édifice  offre  dans  plusieurs  de  ses  parties  la  juxta- 
position des  deux  styles  d'architecture  qui  se  sont  partagé 
le  moyen  Age.  Comme  elle  est  élégante ,  l'ornementation  de 
la  porte  cintrée  dans  la  façade  méridionale ,  avec  ses  coquil- 
lages et  ses  enroulements!  quelle  gracieuse  corniche  et 
quel  charmant  encadrement  de  colonneltes  et  de  chapiteaux 
d'acanthe  pour  les  fenêtres  de  la  façade  gothique ,  exposées 
aux  rayons  du  soleil  couchant!  Et  si  par  l'atrium  byzantin 
vous  entrez  dans  l'église  même,  où  domine  le  tiers-point, 

'  Haslncli ,  Nouwiller ,  Sleige,  Saverne,  Hagnonau  ,  vSnrhonrg,  Escliaii  Plc. 


TRENTIÈME  LETTRE.  325 

partout  vous  trouverez  des  sujets  d'étude,  qui  vous  inspire- 
ront à  l'avance  quelque  intérêt  pour  l'histoire  et  les  docu- 
ments de  l'abbaye  elle-même. 

Le  monastère,  qui  doit  son  origine  à  Hugues,  comte  de 
Dabo  ou  Dagsbourg  (960),  grand-père  du  pape  saint  Léon  (IX), 
possédait  des  archives,  dont  les  plus  anciens  titres  remon- 
taient presqu'à  l'époque  de  sa  fondation.  Une  charte,  émanée 
du  jeune  et  aventureux  empereur  Othon  III  (de  l'an  999),  ap- 
prouve une  donation  faite  au  couvent  par  le  noble  Ncmediech. 
Même  en  faisant  abstraction  de  la  haute  antiquité  de  ce  titre, 
qui  dotait  l'abbaye  du  village  de  Diitllenheim,  du  privilège  de 
la  bangardie  (Bamvarthum)  etc.,  on  rencontre  dans  le  corps 
de  la  charte  la  désignation  du  district  du  Nortgau  (opposé  au 
Sundgau  ou  Sudgau),  qui  lui  donne  une  valeur  géographique. 
Cinquante  ans  plus  tard,  une  bulle  de  Léon  IX  confirme  une 
donation  faite  à  l'abbaye  par  le  comte  Eberhard,  et  qui  con- 
sistait en  dîmes  à  Altorf,  Grendelbruch,  Bserenbach,  De  sem- 
blables donations  se  répètent  de  distance  en  distance  et  sont 
constatées  par  des  chartes  de  Frédéric  Barberousse  (1153); 
d'Agnès,  abbesse  de  sainte  Clodeswinde,  à  Metz  (1171)  ;  d'UI- 
ric,  comte  de  Ferrette  (1235);  par  des  bulles  de  Célestin  IIP 
(1192),  d'Urbain  IV  (1263),  du  Concile  de  Bàle  (1438-1440)% 
de  Nicolas  V  (1451-1457),  de  Pie  II  (1462)  etc. 

Parmi  les  pièces  historiques ,  un  volume  in-folio ,  intitulé  : 
Les  éphémérides  d' Altorf,  rédigé  en  latin  par  Amandus  Trenss, 
prêtre  d'Altorf,  indique  les  faits  mémorables  qui  se  sont  pas- 
sés sous  les  divers  abbés ,  à  partir  de  l'époque  de  la  fonda- 
tion, jusqu'en  1617,  au  moment  où  la  guerre  de  Trente  ans 

'  l.a  bulle  de  Céleslin  énuirière  parmi  les  propriétés  de  l'abbaye:  Diitllen- 
lieini,  Baerenbach,  Grendelbruch,  Guirbaden  ,  Dambach,  Sainle-Aurélie  de 
Strasbourg,  Ergersheim  ,  Meislralzheiui ,  Sigolsheim,  Woliisheim  etc. ,  toutes 
localités  qui  nous  sont  bien  connues. 

"Le  Concile  de  Bàle  défend  aux  barons,  comtes  et  seigneurs,  d'inquiéter 
ou  de  troubler  l'abbaye  par  des  tailles  et  des  exactions;  il  fait  un  lamentable 
récit  des  mailieuis  du  temps:  c'était  l'époque  des  Armagnacs. 


326  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

allait  éclater.  Que  trouvons-nous,  en  jetant  un  coup  d'œil 
sur  ce  passé  de  l'abbaye  ?  Une  vie  de  prospérité  d'abord , 
puis  un  point  d'arrêt  au  treizième  siècle  pendant  les  luttes 
entre  l'évoque  et  la  ville  de  Strasbourg  ;  car  l'abbaye  subit 
alors  des  dévastations,  que  les  libéralités  des  siècles  suivants 
répareront  à  peine. 

Le  seizième  siècle  la  trouve  déjà  fort  amoindrie  ;  au  mo- 
ment de  la  réforme,  douze  religieux  en  forment  tout  le  per- 
sonnel ;  vers  la  fin  du  même  siècle  (en  1587),  les  troupes 
françaises  l'occupent  pendant  six  semaines,  et  la  lutte  de  l'é- 
vêque  de  Strasbourg  avec  l'administrateur  protestant,  George 
de  Brandebourg,  eut  pour  Altorf  des  suites  désastreuses. 
Un  abbé  intrus ,  Gaspard  Bronner,  ne  parvint  point  à  résider 
dans  l'abbaye  môme;  il  fixa  sa  demeure  de  Taulre  côté  du 
Rhin,  à  Offenbourg,  où  il  mourut  (1600).  Les  conventuels 
d'Altorf ,  réunis  à  Ettenheimmiinster,  à  l'entrée  d'un  vallon 
de  la  Forèt-Noire,  se  hâtèrent  de  lui  donner  un  successeur 
dans  la  personne  de  George  Laubach  ;  mais ,  à  son  tour, 
l'administrateur  protestant  ne  voulut  point  admettre  la  rési- 
dence de  ce  prélat,  ni  celle  des  conventuels  survivants. 

Lorsqu'on  1010,  l'abbé  parvint  à  rentrer  dans  la  demeure 
abbatiale  dépouillée ,  trois  religieux  l'occupaient.  L'église  fut 
lentement  restaurée  et  consacrée  de  nouveau,  en  1617,  à  la 
veille  de  la  guerre  de  Trente  ans. 

Je  vous  fais  grâce  des  nombreux  titres  de  propriété  que 
renferme  ce  fonds,  et  je  vous  prie  de  faire  vos  adieux  à  l'église 
où  reposaient  les  aïeux  de  saint  Léon  ;  nous  allons  nous  di- 
riger, au  midi  de  Strasbourg,  aussi  en  pays  de  plaine,  vers 
l'abbaye  à' Ehersheimmûnster .  11  n'y  a  point  en  Alsace  de 
monastère  qui  ait  aussi  complètement  disparu  du  sol  pen- 
dant la  guerre  de  Trente  ans.  L'église  actuelle  d'Ebersmûnstcr 
et  les  bâtiments  attenants  ne  conservent  plus  de  trace  des 
anciennes  constructions.  Les  clochers  qui,  de  loin  annoncent 
l'emplacement  du  temple  mérovingien,  ont  été  élevés  dans  la 
seconde  moitié  du  dix-septième  siècle  ;  les  substructions  de  la 


TRENTIÈME   LETTRE.  327 

tour  située  vers  l'est  paraissent  seules  dater  de  plus  haut. 
Tout  ce  qui  reste  de  l'ancien  Ebersmùnster  se  trouve  désor- 
mais dans  nos  archives,  dans  la  légende  et  les  vagues  tradi- 
tions du  peuple.  Des  édifices  convenables,  mais  privés  de  la 
consécration  des  siècles,  occupent  le  terrain  où  saint Déodat, 
évêque  de  Nevers,  bâtit  une  première  église  (vers  667) ,  sous 
l'invocation  de  saint  "Pierre ,  saint  Paul  et  saint  Maurice  ;  les 
moissons  recouvrent  le  sol  où  Sigebert ,  fils  de  Dagobert  II , 
fut  blessé ,  dit-on ,  par  un  sanglier  dont  il  avait  suivi  la  trace 
au  fond  des  forêts'. 

De  nombreux  cénobites  étaient  venus  rejoindre  saint  Déo- 
dat ;  leur  agglomération  dans  ces  forêts  vierges  donna  nais- 
sance au  monastère  d'Ebersmùnster,  libéralement  doté  par  le 
père  de  sainte  Odile,  à  ce  que  porte  la  tradition,  et  par 
Thierry  III,  roi  d'Austrasie,  qui  vint  lui-même  visiter  saint 
Ehrhard,  successeur  de  saint  Déodat  et  fondateur  de  Saint- 
Dié  en  Lorraine-. 

En  889,  Arnoulphe,  roi  de  Germanie,  mit  Ebersmùnster, 
l'abbaye  bénédictine,  sous  la  protection  de  l'évêque  de  Stras- 
bourg; de  ce  moment,  l'histoire  de  l'abbaye  se  confond  avec 
celle  de  l'évêché. 

Les  relations  de  clientèle  et  de  patronage  n'empêchèrent 
pas  des  litiges  assez  fréquents  entre  le  chef  du  diocèse  et 
l'abbé,  au  sujefde  la  possession  du  bourg  d'Ebersheim;  et 
ces  luttes  intestines,  constatées  par  des  enquêtes  et  des  pièces 
de  procédure,  contribuèrent  à  l'appauvrissement  successif 
de  l'abbaye. 

A  l'entrée  de  la  révolution ,  des  scènes  de  violence  se  pas- 
sèrent dans  le  cloître,  où  des  paysans  de  la  localité  et  des 
environs  firent  invasion  pour  s'emparer  des  colligendes  et  des 


'  Ue  là  lo  nom  de  la  localité:  Eberslieim,  demeure  du  sanglier;  Ebers- 
mùnster, Apri  monasterium. 

2  Les  premières  dotations  d'Ebersmiinsler  étaient,  pour  la  plupart,  situées 
dans  le  llaut-Hhin,  au  val  de  iMiinsler  et  à  Sigolslieim. 


328  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

anciens  titres  de  propriété.  Le  dernier  abbé,  Exuperius  Hirn, 
dut  céder  la  place. 

Les  documents  qui  forment  le  fonds  de  l'abbaye  d'Ebers- 
miinster,  sont  loin  de  remonter  à  l'époque  de  la  fondation  du 
monastère;  les  plus  anciens  datent  du  treizième  siècle.  Une 
longue  série  de  bulles  et  de  lettres  épiscopales  s'étend  de 
1297  à  1749.  La  pièce  la  plus  curieuse  de  cette  rubrique  du 
«culte»  est  une  ligue  ou  convention  formée  en  1415  par  une 
grande  partie  des  monastères  et  des  chapitres  du  diocèse  de 
Strasbourg  contre  les  exactions  de  l'évêque  Guillaume  de 
Diest  ;  trente-trois  sigillés  appendues  à  cet  acte  historique 
rappellent,  ainsi  que  le  préambule  de  la  charte,  les  noms 
des  parties  contractantes.  Un  autre  document  de  1487  fait 
connaître  l'existence  d'une  ligue  analogue  formée  contre  la 
perception  illégale  des  dîmes  par  le  Saint-Siège.  L'évêque 
Albert  de  Strasbourg  s'engage  lui-même  avec  son  parent, 
l'archevêque  de  Mayence,  à  résister  à  ces  exactions.  La  con- 
vention est  rédigée  en  termes  respectueux,  mais  péremp- 
toires  ;  elle  revendique  formellement  les  droits ,  pactes  et  pri- 
vilèges de  la  nation  germanique  à  l'endroit  de  la  cour  de 
Rome.  Ces  pièces  ne  sont  pas  sans  importance  historique  ; 
elles  fournissent  une  preuve  de  plus  à  l'appui  de  l'opinion , 
que,  dans  le  sein  du  clergé  même,  se  préparait  cette  réforme 
qui  éclata  violemment  au  seizième  siècle. 

Rarmi  les  nombreux  inventaires  de  succession  qui  figurent 
dans  le  fonds  d'Ebersmiinster,  on  remarque  celui  de  l'histo- 
rien Beatus  Rhenanus  (seizième  siècle).  Le  relevé  de  l'argen- 
terie et  des  obligations  du  savant  Schlestadtien  a  été  fait  au 
nom  de  l'abbé  d'Ebersmiinster  par  le  bourguemestre  de 
Schlestadt,  sur  la  demande  des  héritiers.  A  ceux  de  mes  lec- 
teurs qui  ne  connaissent  ni  l'origine  ni  la  valeur  littéraire  ou 
scientifique  de  Beatus  Rhenanus,  je  dirai  qu'il  est  né  à  Rlii- 
nau  d'un  père  néerlandais  ;  que  son  vrai  nom  est  Béat  Bild  , 
mais  qu'il  a  été  latinisé  suivant  la  mode  du  seizième  siècle; 
que  le  jeune  Beatus  fit  ses  études  à  Strasbourg,  à  Bàle  et  à 


TRENTIÈME  LETTRE.  329 

Paris;  qu'à  partir  de  1520  il  ne  quitta  plus  Schlestadl,  où  il 
vécwt ,  anobli  par  Charles  V,  dans  la  jouissance  d'une  grande 
renommée,  comme  savant  humaniste,  éditeur  de  Tacite,  des 
œuvres  d'Erasme  de  Rotterdam,  et  comme  historien  de  l'em- 
pire germanique.  Il  ne  fut  point  mêlé  aux  discussions  poli- 
tiques et  religieuses  qui  divisaient  son  pays  ;  il  consacra  son 
temps  et  son  influence  à  la  prospérité  des  lettres ,  et  se  fit  une 
gloire  respectée  de  tous.  Sa  bibliothèque,  considérable  pour 
l'époque  où  elle  fut  réunie,  devint,  par  la  volonté  du  testa- 
teur, la  propriété  de  sa  ville  d'adoption.  Ces  volumes  de 
Beatus  Rhenanus  sont  encore  le  plus  bel  ornement  de  la  bi- 
bliothèque de  Schlestadl. 

Le  nom  d'un  autre  savant,  à  peu  près  contemporain  de 
Beatus,  figure  aussi  dans  le  fonds  d'Ebersmùnster.  C'est  dans 
une  charte  émise  par  le  stettmeister  de  Strasbourg ,  que  se 
rencontre ,  comme  arbitre  ,  Sébastien  Brant ,  docteur  en 
droit,  à  côté  de  Jacques  Worm,  André  Trachenfels  et  Pierre 
Museler.  Sébastien  Brant ,  n'avait  pas  seulement  étudié  la 
jurisprudence  ;  il  connaissait  à  fonds  la  nature  humaine.  Son 
œuvre  capitale,  V Esquif  des  fous  (das  Narrcnschiff) ,  est  peu 
poétique,  quant  à  l'invention;  et  cependant  elle  a  eu  l'in- 
signe «honneur  d'être  éditée,  interprétée,  imitée,  puis  tra- 
«  duite  dans  toutes  les  langues  de  l'Europe  civilisée  ;  enfin 
«commentée  à  l'instar  du  Dante,  et  admirée  par  les  plus 
4  illustres  de  ses  contemporains.  A  toutes  les  époques,  les  na- 
«  lions  les  plus  dissolues  ont  rendu  justice  aux  hommes  de 
«talent  et  de  génie  qui  voulaient  leur  enseigner  l'art  de  bien 
«vivre  et  de  bien  mourir,  non  pas  en  suivant  la  règle  d'Épi- 
«  cure ,  mais  en  se  conformant  à  la  loi  divine  et  en  extirpant 
«du  cœur  la  racine  du  mal.  Sébastien  Brant  n'est  point  l'égal 
«de  Molière,  quoiqu'il  ait  connu,  aussi  bien  que  l'illustre 
«  contemporain  et  protégé  de  Louis  XIV,  les  abîmes  du  cœur 
«et  les  plaies  de  la  société  humaine;  mais  il  est  l'égal  de 
«Rabelais,  moins  l'impureté  grotesque  de  l'auteur  de  Gar- 
(Lgantua.  Sa  vie  pratique  a  été  à  la  hauteur  de  sa  doctrine 


330  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

a.  morale  ;  il  a  conservé  les  mains  pures  au  milieu  des  grandes 
«  affaires  ,  et  l'àme  droite  au  milieu  des  intrigues  du  monde'.» 

L'abbaye  d'Ebersmiinster,  enveloppée  par  l'Ill,  était  aussi 
située  dans  le  voisinage  du  Rhin  ;  il  n'y  a  donc  rien  d'étonnant 
que,  dans  ce  fonds,  plus  d'une  pièce  ait  trait  à  la  navigation 
fluviale. 

Un  document  de  1546  renferme  une  transaction  entre  l'abbé 
d'Ebersmûnster  et  les  maîtres  de  l'endiguemcnt  du  Rhin  à 
Marckolsheim  ,  au  sujet  des  contributions  pour  les  travaux  du 
Rhin ,  auxquels  le  couvent  était  tenu  par  un  engagement  daté 
de  1458.  Le  Rhin,  en  tout  temps  capricieux  et  destructeur, 
nécessitait  le  concours  de  tous  les  propriétaires  riverains 
pour  arrêter  les  inondations  ou  la  corrosion  des  rives  ;  aussi 
l'abbé  d'Ebersmûnster,  qui  avait  fait  mine  de  ne  point  s'ac- 
([uittcr  des  charges  assumées  par  ses  prédécesseurs ,  fut-il 
condamné  par  les  arbitres. 

L'époque  de  la  guerre  de  Trente  ans  est  marquée  dans 
notre  fonds  par  deux  ou  trois  pièces  curieuses  ;  l'une  ren- 
ferme la  liste  des  objets  précieux,  livrés  le  17  décembre  1632, 
par  la  commune  d'Ebersheimmiinster  au  fiscal  suédois.  A  côté 
de  chaque  article  figure  le  nom  du  propriétaire  qui  subit 
cette  contribution  forcée.  Une  autre  pièce  de  1637  est  la  mi- 
nute d'une  supplique  adressée,  probablement  par  l'abbé,  au 
nonce  apostolique  pour  lui  demander  la  faculté  d'absoudre, 
en  certains  cas,  les  hérétiques  venus  à  résipiscence.  Dans  les 
considérants  de  ce  mémoire  il  est  dit  que  l'évèché  de  Stras- 
bourg est  partout  infecté  d'hérésie,  et  que  ses  dignitaires 
ecclésiastiques  sont  en  fuite  pour  échapper  aux  Suédois. 
Enfin ,  une  circulaire  adressée  par  Gabriel ,  évèque  de  Tri- 
poli, à  tous  les  membres  du  clergé  du  diocèse  strasbour- 
geois,  à  la  date  du  23-iîovembre  1646,  demande  des  rensei- 
gnements sur  le  nombre  des  paroisses  vacantes  ou  désertées 

'Voy.  Histoire  de  la  Uasse-Âlsace  et  de  la  ville  de  Strasbourg  ^  par  l'iir- 
chivisle  du  Bas-Rliin,  p.  162  el  IC3. 


TRENTlrâlK  LETTRE.  331 

par  leurs  curés.  On  approchait  de  la  fin  de  l'épouvantable 
crise  trentenaire,  et  l'on  songeait  à  réparer  le  mal. 

Ces  indications,  prises  un  peu  au  hasard,  doivent  suffire, 
je  pense,  pour  donner  une  idée  du  genre  d'intérêt  qui  s'at- 
tache à  ce  fonds,  peu  considérable  en  quantité,  lorsqu'on  le 
compare  à  d'autres,  par  exemple  à  celui  de  Marmoutier  dans 
lequel  je  vais  vous  introduire. 

J'ai  visité  l'église  de  Marmoutier,  comme  celle  d'Ebers- 
mûnster,  pour  la  première  fois,  presque  au  début  de  ma  car- 
rière d'archiviste ,  dans  un  moment  où  la  fraîcheur  des  im- 
pressions, que  rien  ne  compense  plus  tard,  donnait  à  ces 
courses  tout  le  charme  d'une  découverte.  A  cette  époque 
(1844)  l'aspect  de  la  remarquable  église  de  Marmoutier  et  de 
ses  alentours  immédiats  était  triste  et  pénible.  Au  nord ,  au 
sud,  au  couchant  de  l'église  s'étendaient  les  débris  des  vastes 
bâtiments  qui  formaient  l'enceinte  de  l'abbaye.  Des  pans  de 
murs,  d'élégantes  croisées  sans  vitraux,  avec  des  portes  dont 
l'ornementation  dégradée  attestait  encore  une  splendeur  pas- 
sée, embrassaient  une  vaste  étendue  de  terrains  entrecoupée  de 
décombres....  Sur  quelques-uns  de  ces  murs,  il  y  avait  des 
simulacres  de  toits  :  derrière  quelques-unes  de  ces  croisées , 
des  restes  de  chambres  où  l'indigence  était  allée  se  cacher. 
En  passant  à  travers  les  cours  nombreuses ,  sous  les  voûtes 
des  anciens  passages  et  des  avenues ,  on  se  croyait  dans  un 
vaste  édifice ,  pris  d'assaut  et  systématiquement  dégradé. 
Les  vergers  de  l'abbaye  étaient  transformés  en  pièces  labou- 
rées; au  pied  des  murs,  du  côté  septentrional  et  méridional 
de  l'église ,  des  parcelles  de  jardinets  séparés  par  des  murs 
à  hauteur  d'appui,  formaient  de  ces  abords  un  vrai  labyrinthe 
de  ruelles.  Je  ne  sais  si  cet  état  des  lieux  a  considérablement 
changé.  Quant  à  la  basilique  elle-même,  elle  était  lézardée 
surplus  d'un  point,  et  elle  exigeait  de  promptes  réparations, 
effectuées  depuis  cette  époque.  Au  surplus,  même  dans  son 
état  de  dégradation  partielle,  cette  vieille  église  aux  tons 
chauds ,  avec  les  deux  étages  de  sa  façade ,  divisée  en  réguhers 


ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

compartiments  par  des  plates-bandes  imitant  des  pilastres , 
avec  ses  guirlandes  d'arcatures,  son  triple  pignon,  ses  deux 
tourelles  octogones,  dominées  par  une  grande  tour  carrée, 
cette  église  exerça  sur  moi  un  attrait  irrésistible;  je  venais, 
avant  de  la  visiter,  d'être  initié  dans  une  partie  de  ses  desti- 
nées; ce  que  j'en  savais,  me  suffisait  largement  pour  y  ratta- 
cher le  souvenir  des  moines,  qui  pendant  neuf  siècles  avaient 
traversé  les  arcades  cintrées  de  ce  portique ,  et  étaient  venus 
s'agenouiller  sous  les  voûtes  ogivales  de  la  nef.  Quelques  par- 
ties de  cette  histoire  locale  demeuraient  encore  enveloppées 
pour  moi  de  ce  jour  crépusculaire  qui  exerce  une  autre  es- 
pèce d'attraction. 

En  sortant  de  Marmoutier,  je  m'étais  acheminé  vers  une 
colline  qui  s'élève  à  l'ouest  de  la  bourgade,  et  au  sommet  de 
celte  petite  éminence,  je  me  trouvai  en  face  d'une  humble 
chapelle,  dont  j'ignorais  le  nom  el  l'existence.  Un  journalier, 
qui  travaillait  dans  le  voisinage ,  me  nomma  le  Sindclsberg. 
J'étais  sur  l'emplacement  d'un  couvent  de  femmes  qui  avait 
complètement  disparu  du  sol.  Quelques  mois  plus  tard,  en 
continuant  mes  explorations  dans  le  fonds  de  l'abbaye  de 
Marmoutier,  je  tombai  sur  une  charte  historiée  qui  représen- 
tait dans  sa  partie  centrale  l'église  byzantine  du  Sindelsberg, 
et  dont  les  inscriptions  placées  dans  des  bandes  longitudi- 
nales et  transversales ,  relataient  l'origine  de  ce  monastère , 
rattaché  par  des  liens  spirituels  à  la  grande  abbaye  voisine. 
Ainsi  la  petite  chapelle,  presque  insignifiante,  dont  j'avais 
touché  le  seuil,  était  le  dernier  témoin  d'une  fondation  mo- 
nastique, fille  et  sœur  de  Marmoutier.  La  charte-polyptique 
que  je  tenais  entre  mes  mains ,  révélait  à  mon  ignorance  un 
nouveau  chapitre  dans  l'histoire  de  l'abbaye,  qui  rattachait 
sa  première  origine  à  un  moine  irlandais,  à  saint  Léobard, 
•  disciple  de  l'illustre  saint  Colomban.  —  Et  comme  toutes  nos 
abbayes  d'Alsace ,  quoique  apparentées  et  similaires  dans  leur 
point  de  départ,  offrent  néanmoins,  sous  cet  air  de  parenté, 
des  traits  dislincfifs  et  des  accidents  qui  diversifient  leurs  an- 


TRENTIÈME  LETTRE.  833 

nales,  j'enlrevis  de  prime  abord  que  je  me  trouvais,  ici,  en 
face  d'une  circonstance  spéciale,  particulière  à  Marmoutier  ; 
je  voyais  une  communauté  de  femmes  s'élevant  à  côté  d'une 
congrégation  d'hommes ,  à  laquelle  le  couvent  des  religieuses 
devait  son  existence  et  qui  allait  un  jour  l'absorber  dans  son 
sein. 

Plus  tard  encore,  assez  récemment,  en  étudiant  les  élo- 
quentes pages  de  l'histoire  de  France  de  Henri  Martin,  j'y  vis 
la  confirmation  de  ma  sympathie  primitive  pour  Marmoutier*. 
Je  crus  retrouver  dans  ce  couvent  du  Sindelsberg  la  réalisa- 
tion des  traditions  monastiques  de  l'Irlande,  où  des  commu- 
nautés de  femmes  s'établissaient  aussi  à  côté  des  monastères 
d'hommes,  pour  vivre  sous  une  règle  commune.  L'éminent 
historien  que  je  viens  de  citer,  signale  en  Flandre  et  en 
France  des  couveîits  doubles  (ceux  de  Nivelle,  deMaubeuge ,  de 
Remiremont),  établis  à  l'imitation  de  celui  de  Kildare,  en  Ir- 
lande, pas  des  disciples  de  saint  Colomban. 

Dans  ma  prochaine  lettre  j'entrerai  en  quelques  détails  sur 
l'abbaye  de  Marmoutier  et  sur  le  vaste  fonds  que  ces  béné- 
dictins nous  ont  légué. 

'  Voy.  mes  ra[)ports  au  préfet  du  lias-Iihiii,  années  iSM  et  1843. 


-CO^X(>A»- 


SS4-  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS  -RHIN. 


TREIVTE  ET  UNIEME  LETTRE. 

Conds  de  l'abbajc  de  :viarnioutier ,  du  couvent  du  Sindeisberg  et  du 
prieure  de  Saint-4[^Hirin.  —  Premiers  siècles  de  l'abbaye.  —  I^eN 
moines  ou  saints  irlandais.  — Origine  et  fondation  du  Sindelsberg;. 
—  Belle  cburte  i»olyptl(|ue.  —  Kglise  de  Suint-Martin  de  iriarniou- 
tler.  —  Ciuerre  des  paysans.  —  niscussions  pénibles  dans  l'inté- 
rieur de  l'abbaye.  —  Origine  du  prieuré  de  Kaint-Quirin  :  sou  his- 
toire. —  Contenu  sommaire  du  fonds  de  lYIurmoutier. 

Monsieur, 

Le  site  de  ranciennc  abbaye  de  Marmoiilier  et  du  bourg  de 
ce  nom  ,  sans  compter  parmi  les  plus  pittoresques  de  l'Alsace, 
présente  néanmoins  un  mélange  agreste  et  charmant  de  terres 
cultivées,  de  prairies,  de  bois,  de  collines,  et  aboutit  à  un 
fond  de  montagnes  peu  élevées,  où  les  ruines  des  deux  Gé- 
roldseck  raj)pellent  les  relations  intimes  et  souvent  fort  désa- 
gréables du  monastère  avec  ses  avoués  (Vœgte)  ou  prétendus 
défenseurs. 

Sous  les  Mérovingiens ,  les  disciples  de  saint  Colomban  vin- 
rent s'établir  dans  ce  pays,  alors  appelé  la  Marche  d'Aquilée, 
et  tout  couvert  de  forêts  épaisses  servant  aux  chasses  royales. 
Les  moines  Irlandais  ou  hibcrniens,  de  race  gaélique ,  firent 
ici,  à  la  fm  du  sixième  et  au  commencement  du  septième 
siècle,  ce  que  d'autres  moines  bénédictins  firent  un  peu  plus 
tard  dans  plus  d'une  localité  d'Alsace  et  de  Lorraine  :  ils  dé- 
frichèrent à  la  fois  le  sol  et  les  âmes  *. 

Dans  plus  d'une  occasion  j'ai  fait,  à  ce  sujet,  une  profession 
de  foi ,  non  équivoque ,  de  respect  et  d'admiration  ;  et  je  pense , 
que  par  tout  homme  sérieux,  à  quelque  confession  qu'il  ap- 
partienne, ces  premiers  chapitres  de  l'histoire  générale  de 
France  et  de  l'histoire  locale  d'Alsace  seront  jugés  du  même 

'  J'emprunte  celle  expression  à  Henri  Martin  ,  voy.  Histoire  de  France,  II , 
p.  128. 


TRENTE  ET  UNIÈME  LETTRE.  335 

point  de  vue.  —  La  fin  de  l'abbaye  de  Marmoulier  ne  répondit 
pas  tout  à  fait  à  ses  commencements;  c'est  encore  là  une  loi 
presque  fatale  :  les  institutions  paraissent  avoir  leur  temps 
de  floraison,  de  maturité  et  de  déclin,  exactement  comme 
l'homme  et  tous  les  organismes  animés  de  la  nature. 

En  parlant  des  chapitres  de  Ilaslach,  de  Neuwiller  et  de 
Wissembourg-,  des  abbayes  d'Altorff ,  d'Ebersmûnster  etc. , 
j'ai  déjà  dû  remonter  le  cours  des  siècles;  mais  l'abbaye  de 
Marmoulier  ou  ,  pour  parler  plus  exactement,  celle  de  Maur- 
moutier  {Mauri  monasteriwm)  nous  entraînera  plus  loin  en- 
core; c'est  la  plus  ancienne  d'Alsace.  Saint  Léobard ,  le  dis- 
ciple chéri  de  saint  Colomban,  la  fonda  vers  590;  et  plusieurs 
rois  mérovingiens,  probablement  Ghildebert  II ,  Dai>obert  II, 
Dagobert  III ,  la  dotèrent.  Une  Charte  de  Thierry  IV  de  Ghelles 
confirma  en  724  la  dotation  primitive  de  Ghildebert  II  ;  mais  ce 
document  précieux  périt  dans  l'incendie  de  l'abbaye,  en  827. 

La  marche  (finage)  d'Aquiléc  ou  de  Marmoutier,  qui  faisait 
partie  du  domaine  royal,  était  entrée  dans  cette  dotation. 
Plusieurs  châteaux,'  tels  que  ceux  de  Lùtzelbourg ,  de  Hoh- 
Barr,  d'Ochsenslein  etc.  y  furent  compris  plus  lard.  Des 
ahénations ,  des  usurpations  que  se  permirent  les  seigneurs 
voisins ,  amoindrirent  successivement  ces  propriétés ,  de  sorte 
que  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  le  domaine  de  l'abbaye 
ne  comprenait  plus  que  la  ville  même  de  Marmoutier,  les 
deux  châteaux  de  Géroldseck,  et  huit  villages  des  environs*. 

Saint  Léobard  n'avait,  de  fait,  établi  qu'un  hermitage  (Le'o- 
bardi  cella)  ;  le  véritable  créateur  du  monastère  fut  le  cin- 
quième abbé,  Maurus,  disciple  de  saint  Pirmin.  Sous  lui , 
trente  et  un  religieux  bénédictins  formèrent  la  communauté. 
G'est  lui  qui  eut  recours  au  roi  Thierry  pour  obtenir  la  con- 
firmation authentique  des  propriétés  antéiieurement  données 
par  les  rois  d'Austrasie;  saint  Benoît,  abbé  d'Aniane,  fut,  de 

'Celaient  les  villages  de  Lociiwiller,  Reiilenbourg  ,  Singiisl,  Salileiillial , 
Dimsllial,  Htegeii ,  Tiial  et  Gotlenhaiiseii. 


336  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

816  à  817,  pendant  dix  mois,  abbé  de  Marmoulier ,  où  il  avait 
été  appelé  par  l'empereur  Louis-le-Débonnaire. 

Après  le  terrible  incendie  de  827,  qui  consuma  l'abbaye  et' 
l'église ,  l'abbé  Celsus  eut  soin  de  faire  renouveler  les  Chartes  ; 
quant  au  rétablissement  même  de  l'abbaye,  il  est  dû  à  Dro- 
gon,  évêque  de  Metz,  frère  naturel  de  Louis-le-Débonnaire. 
A  partir  de  cette  époque,  l'abbaye  de  Marmoulier  fut  sou- 
mise, pour  le  temporel,  à  l'advocatie  de  l'évêque  de  Metz, 
dont  elle  relevait  à  titre  de  fief  perpétuel. 

Dans  les  premiers  siècles  de  rétablissement  de  Marmou- 
tier,  la  légende  côtoie  l'histoire  ;  elle  entoure  d'une  auréole 
la  tête  de  ces  premiers  colonisateurs  qui  vinrent  apporter  à 
l'une  des  parties  les  plus  incultes  du  vaste  domaine  auslra- 
sien  les  bienfaits  du  christianisme.  Le  fait  de  l'arrivée  de  ces 
saints  Irlandais  est  positif;  l'heureuse  métamorphose  opérée 
par  eux  dans  notre  pays  est  aussi  très-certaine  ;  la  reconnais- 
sance des  peuples  a  salué  ces  premiers  rayons  d'un  jour  nou- 
veau avec  des  expressions  peut-être  hyperboUques;  oserait-on 
la  blâmer? 

Pendant  les  trois  siècles  qui  suivent  le  fatal  incendie  de 
827 ,  les  annales  de  Marmoulier  restent  passablement  confu- 
ses ;  mais  en  1115,  un  fait  majeur  et  bien  avéré  se  produit. 
L'abbaye  était  gouvernée  à  cette  époque  par  Richvinus ,  qui 
avait  à  ses  côtés  un  prévôt  du  même  nom,  plus  tard  abbé  de 
Neuwiller. 

Ce  prévôt  Richvinus  eut  une  vision,  qui  lui  prescrivit  d'é- 
lever près  de  la  ferme  ou  cour  de  Sindenus ,  aux  environs  de 
Marmoulier,  une  église,  qu'on  livra,  huit  ans  plus  tard  (en 
1123),  sous  l'abbé  Adélon  ,  à  des  religieuses,  affiUées  à  Mar- 
nloutier.  Enfin  ,  douze  ans  plus  tard  encore,  sous  l'abbé  Mein- 
hard,  l'église  et  le  couvent  du  Sindelsbcrg  furent  consacrés  à 
la  sainte  Vierge  et  à  saint  Biaise  par  le  légat  apostolique  Théo- 
dewinus ,  évêque  de  Sainte-Rufine  à  Rome. 

Tous  ces  faits  sont  constatés  par  une  remarquable  pan- 
carte, à  laquelle  j'ai  déjà  fait  allusion  dans  ma  précédente 


i  TRENTE  ET  UNIÈME  LETTRE.  3.j7 

lettre.  Voici  pourquoi  j'appuie  sur  la  circonstance  de  la  fon- 
dation d'une  ('glisc  conventuelle,  annexe  de  Marmoutier.  xV 
l'appui  de  ma  thèse ,  j'apporte  l'opinion  émise  par  un  élo- 
quent et  érudit  historien,  par  M.  Henri  Martin,  que  l'on  n'ac- 
cusera point  d'être  un  aveugle  partisan  de  la  vie  monas- 
tique. 

Les  religieux  irlandais  qui  arrivaient  en  Belgique,  en  Neus- 
trie ,  en  Austrasie  et  dans  l'Helvétie ,  y  apportaient  un  élément 
de  douceur  idéale  ,  qui  n'enlevait  toutefois  rien  à  l'austérité  , 
à  l'inflexihililé  de  la  règle  monastique  elle-même.  Il  me 
semble  probable ,  que  ces  traditions  irlandaises  s'étaient  con- 
servées dans  l'abbaye  de  Marmoutier ,  fondée  par  les  disciples 
de  saint  Goîomban,  et  qu'au  douzième  siècle,  Richvinus, 
imbu  de  ces  idées,  les  couvant  en  silence ,  exalté  par  des  rêves 
—  qui  pour  lui  acquirent  le  caractère  d'une  véritable  et 
sérieuse  révélation,  puisqu'il  parvint  à  les  réaliser  —  voulut 
appliquer  à  la  localité  de  Marmoutier  des  projets  sans  doute 
déjà  formes  par  plus  d'un  de  ces  prédécesseurs.  Alors  on  vit 
s'accomplir  et  se  répéter,  à  Marmoutier  et  au  Sindelsbcrg-,  ce 
qui  s'était  fait  dans  le  voisinage ,  au  delà  de&  Vosges  ,  à  Re- 
miremont  :  une  communion  de  frères  et  de  sœurs  de  la  vie 
régulière  coexista  dans  la  locahté,  illustrée,  sanctifiée  par 
saint  Léobard ,  saint  Maur ,  saint  Pirmin ,  saint  Benoît  d'Aniane 
et  par  Sindenus,  lui-même  disciple  de  saint  Léobard.  Une 
église,  un  cloître,  tels  que  les  avait  vus  dans  sa  pieuse 
extase  le  moine  Richvinus,  s'élevèrent  sur  ce  monticule  à 
pente  douce,  où,  de  nos  jours,  alternent  les  champs,  les 
vignes  et  les  vergers;  une  charte  contemporaine  de  l'évé- 
nement perpétua  le  souvenir  de  l'origine  miraculeuse  du 
temple  et  la  forme  primitive  de  cet  édifice  avec  ses  arcades 
romanes ,  sa  porte  ferrée  et  ses  clochers  surmontés  du  sym- 
bole chrétien. 

Sous  l'empire  de  la  même  règle,  les  deux  communautés  de 
Marmoutier  et  de  Sindelsbcrg  cherchaient  à  se  sanctifier  et  à 
conquérir  le  ciel,  en  priant  aux  mêmes  heures,  à  l'appel  des 


338  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN.  • 

mêmes  cloches,  dans  un  double  asile,  également  fermé  à  la 
barbarie  et  à  l'impiété  du  siècle,  dont  le  bruit  venait  expirer 
à  l'abri  de  ces  murs,  consacrés  et  rendus  inviolables  par  un 
délégué  du  pouvoir  pontifical. 

La  charte  polyptyque  *  dont  je  ne  vous  parle  qu'incidem- 
ment, sans  oser  m'aventurer  ici  dans  les  détails  descriptifs 
que  j'ai  déjà  consignés  autre  part,  contient  dans  ses  divers  com- 
partiments, formés  par  des  bandes  historiées  et  croisées,  l'é- 
numération  des  propriétés  du  Sindclsberg  et  un  échange  de 
biens  fait  par  Berthe,  la  supérieure  du  couvent,  avec  l'abbé 
Adélon.  Tous  ces  noms  do  lieux  sont  instructifs;  ils  appar- 
tiennent, pour  la  plupart,  à  l'Alsace,  quelques-uns  à  la  Lor- 
raine voisine;  car  vous  savez  déjà  par  quelle  espèce  de  liens 
notre  abbaye  était  unie  à  l'évcché  messin.  Dans  l'ensemble  de 
la  description  des  biens  du  Sindelsberg-,  il  est  facile  de  recon- 
naître le  caractère  de  cette  gracieuse  contrée  qui  entoure  Mar- 
moutier,  dans  un  rayon  plus  ou  moins  étendu,  avec  ses  forêts 
et  ses  carrières,  ses  ondulations  de  terrains  et  ses  montagnes, 
ses  prairies,  ses  champs,  ses  vignes,  ses  cours  d'eau  et  ses 
moulins. 

L'existence  du  Sindelsberg'  comme  couvent  filial,  mais  de 
fait  indépendant,  puisqu'il  jouit  de  revenus  spéciaux,  dure 
près  de  trois  siècles.  Frédéric  Barberousse ,  donf,  le  nom  se 
retrouve  à  plus  d'une  page  de  nos  annales  provinciales,  s'y 
intéresse  ;  les  papes  et  les  évoques  de  Strasbourg  examinent 
et  ratifient  certains  de  ses  actes,  ou  réglementent  le  service 
divin  dans  le  couvent.  Au  quatorzième  siècle,  l'église  elle- 
même  est  renouvelée,  et  consacrée  à  neuf  par  Bcrlhold  (II), 
évêque  de  Strasbourg;  mais  Acrs  la  fin  du  quinzième  siècle, 
aux  approches  d'un  grand  orage  politique,  religieux  et  social, 
le  monastère  du  mont  Sindeniis  paraît  avoir  été  en  décadence 
progressive;  il  avait  fait  son  temps,  et  l'évèque  de  Strasbourg 


'  A  plusiours  cnniparlimenll. 


TRENTE  ET  UNIÈME  LETTRE.  339 

incorpore  formellement,  à  la  date  du  2  septembre  1488,  le 
cloître  et  l'église  avec  l'antique  abbaye  de  Marmoulicr. 

A  peine  fondu  dans  la  vieille  abbaye,  le  Sindelsberg  eut  à  su- 
bir les  ravages  de  la  guerre  des  paysans  et  de  celle  du  dix-sep- 
tième siècle.  On  comprend  que  l'établissement  principal  n'ait 
point  tenu  à  la  restauration  d'édifices,  qui  n'avaient  plus  de 
but  réel  et  qui  n'étaient  qu'une  occasion  de  dépenses  d'en- 
tretien. 

Je  retourne  maintenant  sur  mes  pas,  pour  dire  en  quelques 
mots  les  destinées  de  l'abbaye  elle-même. 

A  côté  d'elle  se  trouvait  l'église  paroissiale  de  Saint-Martin, 
unie  du  reste,  dès  le  principe,  par  des  liens  multiples  et  in- 
times à  l'établissement  mérovingien.  Ces  rapports  sont  cons- 
tatés dans  notre  fonds  par  les  plus  anciens  documents  qui 
mettent  aussi  en  relief  les  usages  bizarres  de  ces  époques  re- 
culées. Guebhard,  évoque  de  Strasbourg,  confirma  en  1137 
(année  de  la  consécralion  de  Sindelsberg)  les  privilèges  que 
l'abbaye  exerçait  sur  l'église  paroissiale. 

Ainsi ,  le  curé  de  Marmoutier  devait  à  l'abbé  un  service  de 
j)oissons,  à  de  certains  jours  de  fête,  et  l'entretien  d'une  mon- 
ture convenable  dans  les  écuries  abbatiales.  Le  peuple  de  la 
paroisse  avait  le  droit  de  porter  plainte  contre  le  curé  devant 
l'abbé  de  Marmoutier,  qui  pouvait  réprimander  à  buis-clos 
l'ecclésiastique  inculpé.  D'après  ces  indications,  ce  dernier 
n'aurait  pas  été  trop  bien  partagé;  il  subissait  l'influence  d'un 
dignitaire  puissant.  Et  ces  dispositions  n'étaient  nullement 
temporaires.  En  1169,  le  cardinal  Winfred  les  confirme;  en 
rappelant  ftquele  démon  se  plaît  souvent  à  fausser  les  an- 
«ciennes  coutumes,  à  dresser  des  embûches  aux  défenseurs 
«des  droits  des  communautés,  à  faire  naître  des  haines  sur 
«  le  terrain  même  de  la  justice.  »  On  serait  fondé  à'croire  (]ue 
1  a  bonne  harmonie  entre  le  prélat  mitre  et  l'humble  curé  de 
la  paroisse  fut  plus  d'une  fois  troublée.  L'évêque  Henri  de 
Y ehringen  trancha  en  1220  ces  dilïicullés ,  en  incorporant  l'é- 
glise avec  l'abbaye,  et  en  motivant  cet  acte  par  des  considéra- 


SAO  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

lions  puisées  clans  les  événements  contemporains.  L'anarchie 
de  l'époque  est  caractérisée  dans  la  charte  épiscopale  par  des 
phrases  éloquentes.  On  était  à  la  veille  de  l'interrègne.  , 

D'autres  paroisses  et  des  chapelles  des  environs  furent  suc- 
cessivement incorporées  avec  l'église  et  l'ahhaye  de  Marraou- 
tier  ;  c'étaient  les  filets  d'eau  qui  venaient  alimenter  un  courant 
plus  considérable.  Telles  étaient  la  chapelle  de  Saint-Maurice 
à  Salenthal,  où  les  sires  de  Geroldseck  se  faisaient  enter- 
rer; la  chapelle  de  Reinacker,  la  cure  de  Duntzenheim,  celle 
de  Saint-Martin  de  Westhoffen.  Il  existe  pour  cette  dernière 
une  bulle  d'incorporation,  émanée  du  pape  avignonais  Jean  XXII 
(1330),  qui  motive  cet  acte  par  les  empiétements  des  seigneurs 
voisins,  dont  l'outrecuidance  et  l'avarice  imposaient,  lors  des 
vacances  de  la  cure,  des  membres  de  leur  famille,  «illettrés, 
«  quelquefois  mineurs  ou  non  reçus  dans  les  ordres.  »  A  peine 
cette  bulle  ful-cllc  connue,  que  l'évoque Berlhold  II  de  Bucheck 
s'empresse  d'aller  môme  au  delà  des  intentions  du  pape  ;  de 
son  propre  mouvement  il  renonce,  au  nom  de  l'évèché  de 
Strasbourg,  à  la  perception  des  fruits,  qui  lui  ai)partienncnt 
en  cas  de  vacance  de  la  cure.  Certes,  pour  ces  temps  de  ru- 
desse et  d'iniquité  sociale,  c'était  là  un  trait  fort  honorable 
pour  l'évèque. 

Près  de  Weslhoffen  se  trouvait  la  chapelle  de  Bfuderbach, 
dédiée  à  la  Sainte-Vierge,  «  laquelle  y  opérait  des  miracles  sur 
«  des  malades.  »  (Charte  de  1439.)  Les  échevins  de  Westhof- 
fen prièrent,  en  '1437,  l'abbé  de  Marmoutier  de  consacrer  ce 
sanctuaire.  On  en  confia  la  direction  spirituelle  à  MathiasSar- 
burger,  curé  de  Westhoffen,  et  la  garde  matérielle  à  frère 
Nicolas  de  Sarrebourg.  Dans  les  clauses  minutieuses  de  cet 
acte  on  règle  jusqu'à  la  conservation  des  clefs  du  tronc. 

Ces  quelques  faits  pourront  servir  à  caractériser  le  genre  de 
rapports  qui  existaient  entre  l'abbaye  mérovingienne  et  les 
églises  successivement  fondées  dans  la  Marche  de  Marmoutier. 
—  Les  relations  avec  les  coseigneurs  de  la  Marche  n'étaient 
pas  si  pacifiques.  Les  sires  de  Geroldseck  et  les  comtes  de 


TRENTE  ET  UNIÈME  LETTRE.  341 

Ilanau-Lichlenbcrg*  étaicnl  inquiélants,  et  plus  d'une  fois  di- 
rectement hostiles.  En  1287,  Conrad  deLichtcnberg-,  l'èvcquc 
protecteur  d'Erwin,  se  vit  obligé  de  déléguer  le  vicaire  de  Sa- 
verne  pour  qu'il  eût  à  porter  un  troisième  monitoireaux  sires 
de  Geroldseck,  qui  s'arrogeaient,  au  nombre  de  quatre,  le 
droit  d'avocatie  sur  l'abbaye  ;  pour  eux  cela  impliquait  le  droit 
de  commettre  des  exactions  sans  bornes.  A  ces  défenseurs  in- 
commodes l'abbé  de  Marmoutier  aurait  pu  dire  : 

«  Ilonorez-nioi,  seii,Mieurs,  de  votre  indifférence.» 

Le  même  évoque  de  Strasbourg  eut  plus  d'une  fois  recours 
au  moyen  d'intimidation  que  lui  donnait  le  monitoire,  mais 
qui  paraît  ne  pas  avoir  eu  d'effet  durable,  quoique  le  prélat 
en  question  eût  le  bras  aussi  long  que  sa  têtciétait  forte. 

C'étaient  là ,  pour  l'abbaye ,  des  maux  supportables  ;  mais 
lorsque  la  guerre  des  paysans  eut  éclaté,  il  n'en  fut  plus  de 
même.  Voici  comment  un  chroniqueur  parle  de  cette  jaquerie 
du  seizième  siècle,  dans  son  application  au  personnel  et  au 
monastère  de  Marmoutier  : 

«...Oultre  plus  en  ladicte  ville  de  Sarburg  estait  un  poure 
«  (pauvre)  religieux  de  l'ordre  sainct  Benoist,  moult  triste  et 
«  désolé  tant  pour  sa  deffortune  que  pour  certains  récents 
«  ouitrages  à  luy  faicts  par  un  compagnon  de  guerre ,  en  prenant 
«  logis  pour  son  maistre  ;  pensant  qu'il  fust  du  nombre  des 
«  luthériens  pervers  ;  mais  la  chose  fut  trouvée  tout  autrement  : 
«car  c'était  l'abbé  de  Mormousticr  en  Aulsays  (Alsace),  que 
«  les  paysans  mutins  et  endurcis  avaient  voulu  escorcher  tout 
«  vif  et  rostir  inhumainement,  aprèz  qu'ilz  eurent  ruyné  et 
«  destruit  l'abbaye,  violé  l'église  et  lieux  sacrez:  rompu  et 
«  mis  en  pièces  les  ymages  de  Dieu  et  de  ses  saincts  :  démoli 
«et  mis  par  terre  cloistre,  dortouer,  chambres,  salles  et 
((  librairie  :  bruslé  les  livres  desquels  ils  avaient  chauffé  les 

'  Ces  derniers  devinrent  coseigneurs  de  la  Marclie  à  liire  d'iiériiiers  de 
la  famille  d'Oclisenstein. 


342  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

«  fours  :  avec  ce  decouppé  les  lettres  et  détranché  les  Chartres 
«  des  fondations  anciennes  ;  que  pieça  jadis  les  Roys  de  France 
((  et  d'Austrasie  avaient  donné ,  octroyé  et  conféré  au  dict  lieu  et 
«  ailleurs  :  si  comme  facile  est  à  prouver  par  les  croniques  et 
«  annales  sur  ce  faict  approuvées.  Mesme  comme  il  apert  par 
«ung  grant  cercle  pourtraict  et  painct  contre  le  mur  dedans 
«  ladicte  église^  sur  costière  du  grand  autel  ou  le  tout  est  dé- 
fi claré  suffisamment  comme  Childcbert  Roy  de  France  et 
«  d'Austrasie  donna  la  marque  d'acquilc  qui  est  le  territoire 
«  d'illecques  alentour  pour  ériger  et  construire  ladicte  église 
«  et  couvent  dont  la  fabrique  et  structure  est  aussy  belle  que 
«  possible  est  regarder*.  » 

Cet  orage  étant  passé,  l'abbé  Gaspard,  le  même  qui  venait 
d'être  si  ruderrfênt  traité,,  et  qui  parvint  néanmoins  à  l'âge  de 
quatre-vingts  ans,  adressa  une  supphque  (en  1527)  aux  co- 
seigneurs  de  la  Marche,  tendant  à  faire  rétablir  les  bâtiments 
endommagés,  à  faire  respecter  les  fortins  de  l'abbaye,  et  à 
forcer  le  bailli  lorrain  Murner  à  payer  des  dommages-intérêts 
pour  avoir  démoli  complètement  les  bâtiments  du  Sindelsberg. 

Je  doute  fort  que  les  seigneurs  aient  tenu  compte  de  ces 
instances.  Dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle  com- 
mencent les  litiges  avec  Ilanau-Lichtenberg,  puis  avec  les 
autres  seigneurs  (les  Ribeaupierre  par  exemple),  la  plupart 
du  temps  pour  des  questions  de  juridiction,  de  revenus,  de 
droits  forestiers.  La  fin  du  dix-septième  et  le  commencement 
du  dix-huitième  siècle  sont  remplis  par  des  discussions  inté- 
rieures que  j'ai  retracées  à  deux  reprises-.  C'est  l'élection  ab- 

^  Volcyr  de  Senoiiville,  Histoire  do  l'expklitinn  du  duc  de  Lorraine  en 
Alsace,  liv.  I'^''.  —  Dans  son  liv.  Itl  il  donne  le  fac-slinile  du  Cercle,  dont 
it  est  question  à  la  (in  dn  passage  cité. 

Il  paraît  qu'on  étail  parvenu  à  sauver  beaucoup  do  documents  de  Marmou- 
lier  avant  l'arrivée  des  rustauds;  car  le  fonds,  tel  qu'il  nous  reste,  est  Irès- 
considôrable. 

°Voy.  mon  rapport  de  ISH  et  le  Bulletin  de  la  Société  historique  d'Al- 
sace, t.  IV,  p.  117  à  I4i. 


TRENTE  ET  UNIÈME  LETTRE.  343 

batiale  qui  donna  lieu  à  ce  litige  et  à  ses  incidents  drama-  ' 
tiques. 

Une  lutte  acharnée  s'était  établie  entre  Edmond  Ilerb  et  le 
père  Anselme,  le  premier  soutenu  par  les  religieux,  le  second 
par  les  représentants  de  Louis  XIV.  Sur  le  terrain  du  cloître, 
on  vit  se  produire  la  querelle  des  deux  nationalités.  L'avan- 
tage dut  évidemment  rester  au  plus  fort,  c'est-à-dire  au  pro- 
tégé de  l'autorité  gouvernemenlale. 

Avec  l'histoire  de  l'abbaye  de  Marmoutierse  trouve  intime- 
ment liée  celle  du  prieuré  de  Saint-Quirin,  en  Lorraine,  qui 
avait  été  consacré,  en  1123,  par  l'évêque  de  Metz  sur  la  de- 
mande de  l'abbé  Adélon.  C'est  la  même  époque  que  celle  de 
la  fondation  et  de  la  consécration  du  Sindelsberg.  Une  bulle 
d'Alexandre  III,  énumérant  les  propriétés  de  notre  abbaye, 
nomme  aussi  le  prieuré  lorrain  et  le  montre  «  situé  dans  l'im- 
((  mense  solitude  des  Vosges.  ï»  Dans  l'origine,  le  prieuré  avait 
été  une  simple  chapelle;  bientôt  il  devint  un  lieu  de  pèleri- 
nage et  de  dévotion  très-renommé  ;  dévastes  domaines  furent 
peu  à  peu  acquis  par  l'abbaye  aux  environs  de  Sainl-Quirin, 
et  le  service  de  la  haute ,  moyenne  et  basse  justice  fut  succès-  ■ 
sivement  joint  aux  droits  territoriaux.  Déjà  en  H37,  Mein- 
hard,  cet  abbé  que  nous  connaissons  par  son  intervention  au 
Sindelsberg,  Meinhard  règle  les  plaids,  c'est-à-dire  les  assises 
qui  se  tenaient  trois  fois  par  an  au  prieuré  ;  il  rappelle  les 
anciennes  coutumes.  L'avoué  pourra  y  amener  trois  com- 
pagnons ,  qui  devront  être  hébergés  et  nourris  le  premier  jour 
aux  frais  de  la  communauté.  Pendant  la  nuit  qui  précède  les 
grandes  solennités,  deux  gardes  devaient  faire  le  tour  de 
l'église  et  empêcher  que  la  foule  ne  commît  des  dégâts.  Les 
amendes,  les  redevances  des  fermiers,  les  coutumes  à  obser- 
ver pendant  la  moisson  et  la  fenaison,  se  trouvent  fixées  dans 
cette  charte  du  douzième  siècle. 

Dans  les  cartons  de  Saint-Quirin,  les  usines,  les  moulins, 
les  verreries  ont  leur  place  et  figurent  dans  les  letlres-privi- 
léges  impériales.  Au  dix-huitième  siècle,  de  volumineuses 


SM  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

*  liasses  de  procédure  nous  introduisent  dans  le  litige  occa- 
sionné par  l'union  forcée  du  prieuré  avec  l'abbaye  de  Saint- 
Louis  de  Metz. 

Après  la  mort  de  l'évèque  de  Metz  en  1760,  le  vicaire  géné- 
ral du  diocèse,  M.  de  Saint-Ignon  ,  demanda  au  roi  le  prieuré 
de  Saint-Quirin,  comme  vacant,  en  régale,  et  obtinten17G7, 
à  force  d'intrigues,  le  brevet  désiré.  La  prise  de  possession 
s'ensuivit  en  1768,  malgré  l'opposition  de  l'abbé  de  Marmou- 
tier,  qui  affirmait  que  le  prieuré  n'était  pas  un  bénéfice  à  la 
disposition  du  roi,  mais  qu'il  devait  être  assimilé  à  une  simple 
administration  de  biens  dépendante  de  l'abbaye  de  Marmou- 
tier. 

L'affaire  fut  portée  devant  le  Parlement  de  Paris ,  qui  décida 
que  le  bénéfice  resterait  à  M.  de  Saint-Ignon.  Puis  le  prieuré 
fut  réuni,  par  lettres-patentes,  au  chapitre  de  Saint-Louis  à 
Metz.  Le  6  septembre  1769,  les  religieux  établis  à  Saint-Qui- 
lin  se  virent  expulsés  par  arrêt  et  renvoyés  à  Marmoutier. 

Quelque  temps  après  cette  spoliation  judiciaire,  une  nou- 
velle contestation  s'éleva  à  la  suite  de  la  première.  La  verrerie 
de  Saint-Quirin  avait  été  donnée,  par  bail  emphytéotique,  au 
sieur  Laiifrey;  mais  M.  de  Saint-Ignon  s'empressa  de  faire  an- 
nuler ce  contrat  et  d'ordonner,  par  provision,  l'exécution  de 
l'emphytéose  en  sa  faveur.  Après  ([uelques  vaines  tentatives 
de  conciliation,  cette  affaire  fut  aussi  évoquée  au  Parlement 
de  Paris,  et,  par  arrêt  du  15  mai  1781 ,  l'abbaye  de  Marmou- 
tier fut  encore  condamnée  à  50,000  livres  de  dommages-in- 
térêts. 

Nous  voilà  bien  loin  do  ces  siècles  poétiques  où  l'œuvre  de 
civilisation  s'accomplissait  dans  les  forêts  austrasiennes  ! 

Si  vous  me  demandez  quel  est  de  fait  le  contenu  de  ce  fonds 
de  Marmoutier  dont  je  vous  ai  vanté  l'étendue  et  la  richesse  , 
je  dirai  que,  dans  les  indications  précédentes ,  vous  en  tenez 
un  peu  la  substance.  Ajoulez-y  beaucoup  de  bulles  ,  de  lettres- 
privilèges,  des  titres  de  propriété  de  toute  nature ,  des  affaires 
féodales,  forestières,  juridiques,  des  comptes,   des  colli- 


TRENTE  RT  UNIÈME  LETTRE.  845 

geiidcs,  (les  renouvellements  de  biens  etc.,  et  vous  aurez  une 
idée  approximative  de  l'ensemljle  de  ces  documents. 

Pour  Marmoutier,  ainsi  que  pour  la  plupart  des  chapitres 
et  abbayes  d'Alsace,  le  point  intéressant  c'est  le  point  de  dé- 
part ;  c'est  la  lutte  des  fondateurs  avec  la  nalurc  sauvage  des 
habitants  et  des  localités  ;  c'est  la  lutte  de  l'esprit  avec  la  ma- 
tière. A  Marmoutier,  nous  devons  reconnaître  le  point  culmi- 
nant dans  la  consécration  du  Sindelsberg  et  de  Saint-Ouirin, 
qui  triple  l'existence  primitive,  et  qui  lui  donne,  surtout 
dons  l'adjonction  d'un  couvent  de  religieuses,  un  complé- 
ment, privilège  d'un  petit  nombre  de  monastères.  Quoique  le 
fait  n'ait  eu  heu  qu'au  commencement  du  douzième  siècle,  il 
ramène,  par  un  enchaînement  d'idées  et  de  traditions ,  jus- 
qu'au sixième  siècle  de  notre  ère,  et  rattache,  pour  moi,  la 
cellule  de  saint  Léobard  et  le  cloître  de  saint  Maur  aux  fonda- 
tions biberniennes  ou  gaéliques. 


316  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 


TRENTE-DEUXIEME  LETTRE. 

FoiiiN  de  l'altlmyc  de  1%'euboiirs.  —  ïoret  sainte  de  Ilagiienaii.  — 
]Vavi;;alion  du  Rhin.  —  Droit  d'arfoua^fe.  —  Fonds  de  Talibaye  de 
'%1'aiiioiirg  ou  Mainte-'tVal|iiirg;e.  —  Vond.s  des  couvents  de  Hague- 
nau;.  —  li'hôpital  de  Frédéric  Barberousse. 


Monsieur , 

La  forêt  sainte  ou  la  forêt  de  Ilagucnau  offrait  un  spec- 
tacle curieux  dès  les  premiers  siècles  de  l'iulroduclion  du 
christianisme  en  Alsace;  et  ce  spectacle  se  prolongea,  se 
transforma  au  moyen  âge  et  dans  les  temps  modernes  jusqu'à 
la  Révolution  de  89.  Dans  ces  vastes  solitudes,  où  les  popula- 
tions celtiques  avaient  déjà  cherché  un  asile  et  creusé  leurs 
tombeaux,  et  qui  après  elles  étaient  redevenues  le  séjour  des 
bêtes  fauves,, dans  ces  bois  immenses  vinrent,  dès  le  sixième 
et  le  septième  siècle  de  notre  ère,  s'établir,  à  l'ombre  des 
chênes ,  des  confréries  d'ermites  et  de  moines  ;  la  forêt  de- 
vint, dans  toute  la  force  du  terme,  un  vaste  sanctuaire,  où  la 
voix  des  pénitents  moulait  au  ciel  avec  le  chant  des  oiseaux; 
où  les  parfums  de  l'encens  se  confondaient  avec  la  brise  em- 
baumée du  désert.  Plus'  tard,  ces  établissements  isolés  se 
transformèrent  en  couvents,  en  abbayes,  en  chapitres;  le 
même  sol  qui  avait  abrité  des  ermilcs,  offrit  un  refuge  hos- 
pitalier à  des  conventuels  des  deux  sexes.  A  partir  du  dou- 
zième siècle,  tout  un  hémicycle  d'églises  abbatiales  entoura 
l'ouest  et  le  nord  de  la  forêt;  voyez  plutôt  vous-même  et  sui- 
vez du  doigt  sur  la  carte,  toutes  ces  localités  dont  le  nom 
vous  est  familier:  Neu bourg,  Walbourg,  Surbourg,  Biblis- 
heim,  Kœnigsbruck,  Scltz,  sans  compter  les  couvents  et  le 
chapitre  de  llaguenau  même,  au  raidi  de  cette  grande  région 
boisée. 

Nous  connaissons  déjà  Surbourg,  Haguenau  etSeltz,  l'ab- 
baye de  la  sainte  impératrice  Adélaïde.  Je  vais  maintenant 


TRENTE-DEUXIÈME  LETTRE.  S-i? 

VOUS  placer  aux  pieds  des  murs  de  Neubourg  et  de  Sainte- 
Walj)urge —  car  c'est  là  le  vrai  nom  primitif  de  Waibourg. 
—  Je  dis  «  aux  pieds  des  murs,»  par  un  abus  impardonnable 
de  la  métaphore!  de  Neubourg',  par  exemple,  il  n'existe  plus 
une  pierre  !  Au  moment  même  où  s'organisait  la  Société  'pour 
la  conservation  des  monuments  historiques  d'Alsace,  dans  l'une 
des  premières  séances  du  Comité,  on  vint  lui  annoncer 
qu'une  chapelle  ogivale,  dont  l'ouvrage  de  feu  Schweighseu- 
ser  donne  le  dessin  charmant,  et  qui  était  le  dernier  débris, 
le  dernier  témoin  de  l'antique  abbaye,  tombait  sous  le  mar- 
teau des  démolisseurs.  Le  Comité  historique  put  consigner 
dans  ses  procès-verbaux  la  chute  de  ce  monument  commémo- 
ralif;  mais  les  élégies  ne  sont  qu'un  hommage  rendu  aux 
morts,  et  n'amènent  point  leur  résurrection. 

Cette  abbaye  de  Ncuboui'g,  dont  il  ne  reste  plus  trace, 
était  située  à  quelques  kilomètres  à  l'est  de  PfalTenhoffen, 
non  loin  de  la  Moder,  et  sur  la  lisière  de  la  forêt  de  Hague- 
nau,  qui  lui  offrait,  grâce  à  la  munificence  impériale  et  prin- 
cière,  des  ressources  inépuisables  en  fait  de  parcours  et  d'af- 
fouage. 

Neubourg  (Abbatia  Neocastrensis)  avait  été  fondée ,  en  4 128, 
par  Reinald  ou  Rcinhold,  comte  de  Lûtzelbourg,  et  par  Fré- 
déric, duc  de  Souabe,  père  de  Frédéric  Barberousse.  C'était 
une  filiale  ou  un  rejeton,  une  colonie,  si  vous  voulez,  de 
l'abbaye  de  Lucelle  située  sur  les  confins  méridionaux  de  la 
Haute-Alsace.  Le  fondateur  même  de  Lucelle,  Ulrich,  issu  de 
la  famille  des  comtes  de  Neuchàtel  ou  Neuenburg,  vint  habi- 
ter le  couvent  de  la  forêt  sainte  et  en  fut  le  premier  abbé  sous 
la  règle  de  Cîteaux. 

De  même  que  le  couvent  de  Neubourg,  qui  prit  son  nom 
de  la  famille  de  son  premier  abbé,  était  issu  d'un  établisse- 
ment un  peu  plus  ancien,  lui ,  à  son  tour,  devint  la  souche  de 
plusieurs  autres  couvents  en  Alsace  et  au  delà  du  Rhin. 

Sur  la  demande  de  Walther,  baron  de  Lammersheim,  Ul- 
rich, premier  abbé  de  Neubourg,  envoya  douze  moines  fon- 


348  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

derle  couvent  de  Maulbronn,  dans  le  Wurtemberg  ;  el  sous 
l'abbé  Berthold^  douze  religieux  de  notre  couvent  alsacien 
allèrent  habiter  le  couvent  de  Herrenalb,  que  Bertbold,  comte 
d'Eberstein,  venait  d'établir  dans  le  même  pays  de  Souabc 
(1148). 

Un  siècle  plus  tard  /^i245),  le  couvent  de  Lichtenthal,  situé 
dans  la  pittoresque  vallée  de  l'Oos,  derrière  Bade,  et  fondé 
par  une  princesse  palatine,  Irmcngarde,  veuve  de  Ilermann 
de  Bade,  le  couvent  de  religieuses  qui  dans  le  dix-neuvième 
siècle  a  conquis  une  célébrité  européenne,  grâce  aux  chants 
angéliques  de  ses  nonnes,  grâce  aux  forets  de  sapins  qui  le 
surplombent,  et  au  voisinage  du  Baies  contemporain,  Lich- 
tenthal doit  êlre  considérée  comme  un  rejeton  de  Neubourg; 
dès  l'origine,  ses  religieuses  furent  soumises  à  l'inspection 
spirituelle  de  l'abbé  de  notre  couvent  alsacien. 

.le  n'en  ai  point  fini  avec  les  colonies  saintes  qui  doivent 
leur  naissance  au  couvent  de  Neubourg.  Au  nord  de  la  foret 
de  IlagLicnau,  le  couvent  de  femmes  ou  abbaye  de  Kœnigs- 
bruck,  et  non  loin  de  l'abbaye  de  Sainte-Richarde  d'Andlau, 
le  couvent  de  Bongars  ou  Baumgartcn ,  sont  issus  de  l'éta- 
blissement fondé  par  le  père  de  Frédéric  Barberousse. 

Les  premières  atteintes  à  ces  prospérités  lui  vinrent  au  mi- 
lieu du  quatorzième  siècle ,  par  les  bandes  d'Enguerrand  de 
Couci;  au  quinzième,  par  des  incendies;  au  seizième,  parla 
guerre  des  paysans;  au  dix-septième,  par  les  hordes  de 
Mansfeld  et  les  troupes  suédoises.  Les  années  1521  et  1G22 
marquent  surtout  parmi  les  époques  néfastes  de  Neubourg  ; 
à  deux  reprises,  l'abbaye  fut  ruinée  de  fond  en  comble.  Sous 
l'administration  des  abbés  Michel  (Stromeyer) ,  Bernard  (Du- 
perchc) ,  Charles  (Béranger)  et  Jean  (Vereau) ,  elle  répara  peu 
à  peu  ses  dommages,  reconstitua  ses  titres  de  propriété  et 
jouit,  jusqu'à  la  Révolution  de  93,  d'un  bien-êjre  considé- 
rable. L'abbé  Jacques  Gacier  d'Anvilliers  (1715-1759)  eut  des 
relations  fréquentes  avec  le  roi  de  Pologne  détrôné,  avec 
Stanislas  Leczynski ,  qui  habitait  alors  Wissembourg  ;  Marie 


TRENTE-DEUXIÈME  LETTRE.  3-49 

Leczynska,  la  reine  de  France,  tlola  de  sa  main  l'église  de 
Ncubourg,  qu'elle  avait  probablement  visitée  avant  ses  gran- 
deurs '. 

Le  dernier  abbé  (Ignace-Xavier  Dreux,  de  la  Sorbonne)  fut 
témoin  de  tristes  journées.  Dans  une  lettre,  datée  de  décembre 
1790,  ce  dignitaire,  voyant  crouler  l'œuvre  de  sept  siècles, 
ou  plutôt  ne  s'expliquant  pas  encore  l'immense  mouvement 
qui  s'accomplit  sous  ses  yeux,  se  plaint  d'être  obligé  d'inter- 
rompre les  travaux  dans  un  beau  plant  de  vignes.  «Le  cœur 
«saigne  de  voir  dépérir  la  plus  belle  plantation  delà  Basse- 
«  Alsace  pour  laquelle  j'ai  eu  tant  de  soins  et  dépensé  tant 
«d'argent.»  —  Ilclas  !  c'est  bien  de  vin  et  de  vignes  qu'il  s'a- 
gissait alors!...  Puis  l'abbé  se  plaint  des  fermiers  de  Win - 
gersheim  qui  élèvent  des  prétentions  ridicules.  «Pourquoi  la 
«retenue  sur  mon  traitement?  j'ai  essuyé  de  la  part  de  mes 
«religieux  une  insurrection  à  l'instar  de  celle  des  paysans 
«contre  leurs  seigneurs.»  L'esprit  de  révolte  avait  donc  gagné 
le  cloître  lui-même.  Des  cris  séditieux  allaient  retentir  aux 
pieds  même  de  la  chaire,  d'où  n'étaient  descendues  jusqu'a- 
lors que  des  paroles  de  paix.  Neubourg  allait  subir  le  sort  de 
toutes  les  abbayes  d'Alsace ,  de  France  et  d'Europe. 

Les  pièces  capitales  du  fonds  de  Neubourg  se  rapportent  à 
la  navigation  du  Rhin  et  au  droit  d'affouage  dans  la  forêt 
sainte. 

Presque  dès  mon  entrée  en  fonctions ,  il  y  a  une  vingtaine 
d'années,  j'ai  mis  la  main  sur  une  série  de  chartes  impé- 
riales, épiscopales  et  princières  qui  octroient  à  l'abbaye  des 
faveurs  considérables  pour  la  libre  navigation,  c'est-à-dire 
pour  le  transport  des  denrées  sur  le  fleuve  de  la  frontière. 
Quoique  Neubourg  (l'abbaye)  ne  fût  pas  exactement  riveraine 
du  llhin,  elle  n'en  est  pas  assez  éloignée  pour  que  l'approvi- 
sionnement ou  l'exportation  ne  lui  aient  procuré  de  grands 

'  Voy.  pour  ce  dernier  détail  :  YUistoire  de  V abbaye  de  Neubourg,  par  le 
père  Marcel  Moreau.  —  Revue  d'Alsace,  janvier  cl  février  18G0. 


350  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

avantages  à  la  suite  des  leltres-priviléges.  Ces  rescrits  sont  des 
documents  d'un  intérêt  historique  général,  puisqu'ils  donnent 
des  détails  sur  la  navigation  fluviale  au  quatorzième  et  au 
quinzième  siècles  et  sur  les  coutumes  qui  régissaient  cette 
matière.  Les  chartes  émanent  de  Henri,  roi  des  Romains,  fils 
de  Frédéric  H  (1223),  de  Conrad  IV  (1244),  de  Ilerrmann, 
margrave  de  Bade  (1281),  de  Rodolphe,  margrave  de  Bade 
(1309),  de  Frédéric  d'Autriche,  roi  des  Romains  (1315),  de 
Walther,  archevêque  de  Cologne  (1344),  de  l'empereur  Louis 
de  Bavière  (1344),  de  l'empereur  Charles  IV  (1349-1350),  et 
de  son  fils  Sigismond  (1434). 

Le  plus  important  de  ces  documents  est  celui  de  l'empe- 
reur Louis;  il  spécifie  les  conditions  et  les  limites  de  cette 
navigation.  «Le  couvent  aura  le  droit  de  charger  chaque  an- 
«néc,  pour  descendre  le  fleuve,  un  bateau  de  la  contenance 
«de  150  charretées  devin  et  de  blé,  ou  deux  ou  trois  bateaux 
«  de  moindre  grandeur  avec  charge  équivalente  ;  les  charge- 
«  menls  ne  seront  tenus  ni  d'acquitter  le  péage ,  ni  de  subir 
«le  droit  d'épave  (gruntnir).  En  amont  du  fleuve,  les  gens  de 
«l'abbaye  auront  le  droit  de  charger  trente  tonnes  de  harengs 
«  et  un  quintal  de  sel.î 

Le  dispositif  de  cette  charte  est  bien  clair  :  l'abbaye  est 
avantagée  pour  l'exportation  de  ses  denrées  (vins  et  céréales) 
et  l'importation  des  approvisionnements  pour  le  carême.  Ce 
droit  de  libre  navigation  s'étendait  jusqu'à  l'Océan. 

Quant  au  droit  de  parcours ,  auquel  l'abbaye  devait  tenir 
plus  qu'à  tout  autre  privilège,  à  raison  de  sa  situation  sur  la 
lisière  de  la  grande  forêt  d'Alsace,  le  plus  ancien  document  à 
ce  sujet  date  de  Louis  de  Bavière  (1330)  ;  il  permet  à  l'abbé  de 
tenir  quatre  cents  porcs  dans  la  forêt,  mais  point  de  brebis. 
Dans  une  charte  rendue  par  Charles  IV  sur  les  instances  de 
l'abbé  Werner,  le  même  droit  de  parcours  est  confirmé  ; 
l'empereur  Sigismond  corrobore  les  chartes  précédentes 
(1436),  en  autorisant  l'abbé  à  faire  des  coupes  dans  la  forêt 


TRENTE-DEUXIÈME  LETTRE.  351 

de  Ilagucnau  et  à  se  servir  de  l'étang-  ou  de  la  marc  du  Wasen- 
sée.  Un  document  émané  de  l'empereur  Ferdinand  II  relaie  les 
nombreuses  faveurs  accordées  au  couvent  par  ses  prédéces- 
seurs, et  de  plus  une  letlre-privilége  en  faveur  de  Heinz 
(Henri)  de  Falkenstein,  propriétaire  du  Burghaus  (caslel) ,  de 
la  maison  de  Falkenstein  et  de  la  Obercstubc  à  Haguenau. 

Le  droit  de  parcours  si  souvent  garanti  par  les  empereurs, 
à  partir  du  treizièrfie  jusqu'au  dix-septième  siècle,  fait  encore 
au  dix-huitiéme  le  sujet  de  plus  d'une  liasse  de  procédures 
entre  le  magistrat  de  Haguenau  et  l'abbaye.  Dans  ces  papiers 
modernes,  les  anciennes  chartes- jouent  toujours  un  grand 
rôle,  tant  le  respect  de  la  tradition  écrite  est  fondé  à  la  fois 
en  justice  et  dans  le  cœur  de  l'homme. 

Le  droit  de  patronage  fait  aussi  le  sujet  de  plusieurs  chartes 
dans  le  fonds  de  Neubourg-.  Dans  un  document  de  Rodolphe 
de  Habsbourg  (1291),  il  est  fait  défense  à  qui  que  ce  soit 
de  s'arroger  un  droit  d'avouerie  sur  les  possessions,  fermes, 
terres  et  granges  de  l'abbaye;  plus  d'une  vingtaine  de  villages 
très-considérables  sont  énumérés  dans  cette  charte,  que  con- 
firme en  1292  Adolphe  de  Nassau ,  le  successeur  de  Rodolphe, 
L'empereur  Sigismond,  dans  une  lettre  datée  de  Constance 
(1417),  enjoint  aux  habitants  de  plusieurs  villages  situés  prés 
des  fermes  de  l'abbaye  de  ne  point  inquiéter  les  habitants  de 
ces  fermes,  surtout  de  ne  pas  les  empêcher  d'arriver  par  la 
Hart  au  moulin  de  l'abbaye.  Un  droit  de  chasse  onéreux  (le 
Huntfjclt),  et  le  droit  de  la  herberg  ou  du  logement  militaire 
ne  pouvaient  peser  sur  l'abbaye,  en  vertu  de  quelques  chartes 
impériales  de  la  maison  de  Luxembourg-. 

Permettez-moi  de  m'étendre  encore  sur  un  arbitrage  (133i) 
qui  figure  parmi  les  titres  de  Neubourg-. 

Un  homicide  avait  été  commis  sur  la  personne  de  l'abbé 
Berlhold,  par  des  habitants  d'Uhlwiller  et  de  Niedcraltorf ,  qui 
avaient  en  vain  réclamé  au  sujet  des  terres  appelées  le 
Pferchbruch.  Rodolphe  de  Fegersheim  et  Wallher  deBrumath 
furent  nommés  arbitres  pour  examiner  les  causes  du  diffé- 


352  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

rend  et  prononcer  sur  le  sort  des  meurtriers.  Il  £ut  reconnu 
par  eux,  après  examen  des  anciennes  lettres-privilèges,  que 
le  Pferchbruch  appartenait  à  l'abbé.  Quant  à  l'homicide,  tous 
les  habitants  mâles  des  deux  communes  furent  condamnés  à 
une  expiation  consistant  à  faire  le  tour  de  la  cathédrale  de 
Strasbourg-,  des  cierges  en  mains,  nu  pieds  et  nu  tète.  Les 
cierges  devaient  être  déposés  en  offrande  sur  l'autel  de  la 
Sainte-Vierge.  Trois  individus  reconnus  pour  avoir  plus  spé- 
cialement favorisé  le  meurtre  de  l'abbé  Berthold,  reçurent 
l'injonction  de  faire  le  pèlerinage  de  Rome,  et  de  ne  point 
rentrer  dans  le  diocèse  dç  Strasbourg  sans  le  consentement 
de  l'abbé  de  Neubourg.  Deux  autres  individus,  reconnus  pour 
avoir  pris  part  au  meurtre,  furent  égalemenl  bannis  du  dio- 
cèse et  condamnés  au  double  pèlerinage  de  Rome  et  de  Saint- 
Jacques-de-Compostelle.  Une  sentence  arbitrale  prononcée  la 
même  année  (1344),  par  Rodolphe  de  Ilohenberg,  règle  les  li- 
mites des  propriétés  des  deux  partis,  et  une  sentence  du  magis- 
trat de  Hagucnau  met  l'abbaye  en  possession  du  Pferchbruch. 

Pas  fort  loin  du  site  de  Neubourg,  en  tournant  autour  de 
l'angle  nord-ouest  de  la  forêt ,  nous  arrivons  à  Walbourg  ou 
plutôt  à  Sainte-Walpurge.  Cette  abbaye  de  l'ordre  de  saint 
Benoît  doit  son  origine  à  Thierry,  comte  de  Montbéliard  (1074). 
D'autres  versions  placent  la  fondation  de  cet  établissement  à 
l'an  11 00  et  l'attribuent  à  Pierre  de  Lûtzelbourg  et  à  Frédé- 
ric, duc  de  Souabe  et  d'Alsace.  En  tout  cas,  ce  duc,  grand- 
père  de  Frédéric  Barberousse,  combla  de  ses  bienfiiits  la 
jeune  abbaye  qui  fut  confirmée  par  une  bulle  de  Pascal  II 
(1102). 

Vers  1473,  l'église  de  Sainte-Walpurge  fut  complètement 
renouvelée  par  Burkard  de  Mûllenheim' ,  et  cette  restaura- 
tion éciiappa  aux  ravages  de  la  guerre  des  paysans,  qui  s'abat- 
tirent sur  les  édifices  et  les  autres  propriétés  de  l'abbaye. 


'  On  sait  que  le  cliœur  de  celte  église  est  très-vaste  et  orné  de  beaux  vi- 
traux de  couleur. 


TlîENTE-UEUXIÈME  LETTRE.  353 

En  i5M,  l'abbaye  coiisidcrablcmL'nt  décbue,  fut  incor- 
porée an  cbapilre  de  Wisscmbourg'.  Depuis  une  quinzaine 
d'années  le  prévôt  de  cet  établissement  administrait  les  biens 
de  Sainte-Walpurge  ;  la  Réforme  et  la  guerre  des  paysans 
avaient  évidemment  porté  un  coup  mortel  au  couvent. 

Cet  état  de  choses  dura  jusrpi'cn  1G84  ou  1685;  alors  un 
arrêt  du  Conseil  d'Etat  révoqua  cette  incorporation,  etl'évêque 
de  Strasbourg-  fut  chargé  d'unir  l'abbaye  au  séminaire  épis- 
copal  de  Strasbourg-. 

Après  la  paix  de  Ryswick,  le  grand-chapitre  de  la  cathé- 
drale s'empara  des  biens  de  l'ancienne  abbaye  ;  il  en  résulta 
de  graves  litiges  entre  ce  corps  puissant  et  les  RR.  PP.  Jé- 
suites, qui  tenaient  entre  leurs  mains  l'enseignement  du  sé- 
minaire. La  comptabilité  de  notre  fonds  prouve  que  les  Pères 
restèrent  maîtres  du  terrain. 

Le  fonds  de  Sainte-Walpurge  n'est  pas  très-considérable  ; 
mais  il  consiste  en  lettres-privilèges,  en  bulles  et  en  pièces 
de  procédure,  constatant  des  faits  importants,  tel  que  celui 
dont  je  viens  de  parler. 

Tout  d'abord,  une  charte  impériale  émanée  de  Frédéric. 
Rarberousse(li59,  datée  de  Roncaglia) ,  confirmative  des  pri- 
vilèges déjà  accordés  à  l'abbaye,  nous  apprend  que  le  père 
de  l'empereur,  Frédéric,  duc  de  Souabe,  y  est  enterré.  Des 
biens  considérables  sis  à  Peterlingen  (Payerne  dans  le  pays 
de  Vaud),  Schœnau,  Hûttendorf,  Schalkendorf,  Wintzen- 
heim,  Ergersheim,  sont  conférés  par  l'empereur  à  la  com- 
munauté, sans  compter  le  droit  de  pèche  dans  les  étangs,  le 
droit  d'affouage  dans  la  forêt  de  Haguenau.  Ces  chartes  pri- 
vilèges s'étendent  depuis  Henri  V  jusqu'à  Charles  V  (1106- 
1548),  et  les  bulles,  de  Pascal  11  à  Alexandre  VI  (1497).  Une 
lettre  d'indulgence,  émise  le  29  novembre  1349  par  dix-sept 
évoques,  accorde  une  rémission  de  quarante  jours  de  péni- 
tence aux  pèlerins  qui  assisteront  au  service  de  l'église,  ou 
qui  auront  prié  dans  le  cimetière  pour  l'âme  d'un  défunt;  à 
ceux  qui  auront  dit  des  prières  pendant  que  la  cloche  du  soir 


354  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

annonce  VAvc-Maria;  à  ceux  qui  auront  suivi  le  Saint-Sacre- 
ment porté  à  un  malade;  à  qui  aura  prêté  une  main  secou- 
rable  pour  l'ornementation  de  l'église  et  la  disposition  des 
séminaires  ;  enfin,  à  quiconque  aura  donné  et  légué  à  l'église 
de  Sainte-Walpurge,  de  l'or,  des  vêtements  ou  des  calices. 

fin  passant  au  midi  de  la  forêt  sainte,  à  Haguenau  même, 
nous  y  trouvons  les  couvents  des  Augustins,  des  Cordeliers, 
des  Dominicains  et  des  Prémontrés,  qui  tous  sont  représentés 
par  des  fonds  spéciaux,  mais  exigus;  celui  des  Prémontrés 
offre  seul  un  intérêt  majeur. 

En  1189,  l'empereur  Frédéric  Barberousse  donna  à  quatre 
religieux  de  cet  ordre  un  hôpital  qu'il  venait  de  fonder,  dans 
la  jeune  ville  de  Haguenau  ,  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge 
et  de  saint  Nicolas.  C'était  l'asile  du  malheur  et  de  la  souf- 
france, consacré  non  loin  du  splendide  palais,  séjour  des 
fêtes,  des  plaisirs  et  des  soucis  politiques.  En  1235,  Henri, 
roi  des  Romains  ,  fils  de  l'empereur  Frédéric  II,  assigne  à  ces 
mêmes  Prémontrés  de  Haguenau  des  biens  à  Kœnigshoffen. 
Cet  ancien  hôpital ,  qu'il  ne  faut  point  confondre  avec  l'hô- 
pital de  Saint-Martin ,  construit  par  la  ville  en  1328 ,  fut  con- 
verti en  prieuré  de  Prémontrés;  et  c'est  à  cet  établissement 
que  se  rapporte  ce  fonds,  qui  renferme  une  série  de  lettres- 
privilèges  impériales  à  partir  du  règne  de  Frédéric  Barbe- 
rousse jusqu'à  celui  de  Sigismond. 

Le  plus  ancien  de  ces  documents  remonte  précisément  à 
l'année  1189;  c'est  l'acte  de  fondation  même  de  l'ancien  ou 
premier  hôpital  de  Haguenau'.  Je  vous  prie  de  remarquer 
que  c'est  l'année  qui  précède  la  troisième  croisade  et  la  mort 
de  Barberousse  ;  il  est  bien  permis  de  croire  que  l'empereur, 
courbé  par  l'âge  et  à  la  veille  d'une  expédition  aventureuse 
dont  il  devait,  mieux  que  personne,  calculer  les  immenses 
dangers,  ait  songé  à  solenniser  son  départ  pour  l'Orient  et  à 

1  L'iiôpilal  acliicl  Jale,  comme  nous  venons  rie  le  voir,  de  1328  seule- 
nienl.  Un  oratoire  élail  annoxé  à  l'hôpilul  de  Frédéric  Barberousse. 


TRENTE-DEUXIÈME  LETTRE.  355 

sanclifier  les  derniers  instants  de  sa  vie  par  celle  créalion  de 
charité. 

Au  nombre  des  pièces  relatives  à  ce  vénérable  établisse- 
ment, se  trouvent  deux  lettres  d'indulgence  qui  se  distinguent, 
ainsi  qu'une  charte  semblable  du  chapitre  de  Surbourg,  par 
un  grand  luxe  d'ornemenlation.  Elles  sont  émises,  le  12  et  le 
15  mars  4503,  par  quelques  cardinaux  en  faveur  de  l'autel 
de  Sainte-Anne  dans  l'église  de  l'hôpital. 

Les  lettres  qui  forment  le  nom  d'Oliverius,  en  tête  de  l'une 
des  chartes,  sont  tracées  en  or,  rouge  et  bleu;  la  lettre  ini- 
tiale sert,  (dans  le  document  du  12  mars,  de  cadre  à  une  tête 
de  Christ,  imprimée  sur  le  suaire.  La  lettre  du  15  mars  pré- 
sente une  ornementation  encore  plus  riche  et  plus  variée.  Lj 
nom  d'Oliverius  est  aussi  tracé  en  lettres  d'or  et  en  lettres 
vertes,  rouges  et  bleues.  La  lettre  initiale  sert  de  cadre  à  un 
petit  tableau  représentant  Jésus,  auquel  la  sainte  Vierge  vêtue 
de  bleu  et  assise  à  côté  de  sainte  Anne ,  présente  un  globe. 
Quatre  anges  jouant  de  divers  instruments  de  musique,  rem- 
plissent le  reste  du  compartiment.  Deux  de  ces  messagers  se 
tiennent  derrière  le  fauteuil  sur  lequel  est  assise  sainte  Anne, 
ils  sont  vêtus  de  blanc;  deux  autres  anges,  vêtus  de  brun, 
sont  placés  des  deux  côtés  du  tableau,  dans  une  espèce  de 
vestibule  formé  par  les  contours  de  la  lettre  0.  Dans  les  deux 
parchemins  une  guirlande  de  fleurs  et  d'arabesques  part  de 
la  lettre  0  et  couronne  les  autres  lettres  du  nom  d'Oliverius. 
Toutes  les  figures  sont  grossièrement  peintes  ;  celle  de  sainte 
Anne  surtout  est  d'une  remarquable  laideur,  mais  les  fleurs 
sont  belles  et  les  lettres  éclatantes.  Un  acte  de  1535  nous 
apprend  que  le  prieur  et  les  conventuels  de  l'hôpital  vieux 
incorporent  leur  couvent  à  la  fabrique  de  Saint-George  de 
Haguenau,  «parce  que  l'établissement  est  ruiné  par  les  sectes 
«et  les  malheurs  du  temps.  » 

Des  autres  couvents  que  renfermait  la  ville  de  Haguenau, 
celui  des  Augustins  dut  son  origine  à  une  congrégation  de 
religieux  établis  dès  les  siècles  les  plus  reculés  au  cœur  même 


356  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

de  la  forêt  sainte.  En  1281,  c'est-à-dire  sous  Rodolphe  de 
Habsbourg,  ces  moines  quittèrent  leur  retraite  forestière  et 
vinrent  se  caser  dans  le  monastère  qu'ils  avaient  construit  sur 
la  place  duRosshof.  En  1284-  l'Empereur  approuva  cette  cons- 
truction par  un  diplôme  daté  de  Brisacli,  mais  qui  ne  se 
trouve  plus  dans  notre  collection  '. 

Les  Cordeliers  et  les  Dominicains  de  Haguenau  n'y  figurent 
que  pour  des  titres  sans  valeur. 

'Les  Auguslins  de  Wissemboiirg  eurent  une  tout  autre  origine.  Ils  ve- 
naient du  couvent  des  Auguslins  de  l'^ribourg  en  Suisse,  avec  le  consente- 
ment d'Edelin  ,  abbé  de  Wissembourg.  Au  milieu  des  troubles  de  la  Ré- 
forme, le  monastère  abandonné  fut  vendu  au  Cbapitre  de  Wissembourg,  qui 
le  donna  'a  la  ville,  sous  la  condition  de  l'annexer  à  l'bospice  de  la  localité. 


TrxENTE- TROISIÈME  LETTRE.  357 


TRENTE-TROISIEME  LETTRE. 

Molsheini,  Tille  éiilscopale;  résumé  de  son  histoire.  —  Fonds  du  col- 
lège des  Jésuites  de  nolslieini  et  du  séniinuire  épiseopal  de  {Stras- 
bourg. —  Fonds  du  couvent  des  Cliartreux  de  nolslieini.  — Suppres- 
sion  de  la  Cliartreuse  de  Strasbourg.  — •  i%sile  de  Stépliansfcld.  — 
Les  hospitaliers  du  Siaint-Esprit.  —  Feu  David  Richard. 

Monsieur, 

Je  compte  vous  entretenir  aujourd'hui  du  fonds  du  collège 
des  Jésuites  et  de  celui  des  Chartreux;  ceci  me  conduit  néces- 
sairement à  Molsheim,  où  se  trouvaient  ces  deux  établisse- 
ments. Quelques  mots  sur  le  passé  de  la  ville  ne  seront  pas  de 
trop. 

Nous  avons  l'habitude  de  parler  de  Molsheim  comme  d'une 
ville  épiscopale  ;  elle  ne  l'élait  pas  exclusivement  dès  son  ori- 
gine ;  elle  a  commencé  par  être  une  ville  impériale  ;  elle  figure 
sous  cette  qualité  vers  la  fin  du  dixième  siècle.  Les  envahisse- 
ments du  pouvoir  épiscopal  furent  lents  et  successifs;  on  n'en 
peut  guère  fixer  le  point  de  départ.  Encore  au  treizième  siècle, 
Molsheim  paraît  avoir  été  partagé  entre  les  deux  pouvoirs  im- 
périal et  ecclésiastique;  en  1236,  l'empereur  Frédéric  II  ap- 
pelle les  habitants  àeMohheîm  ses  bourgeois.  A  la  même  époque 
cependant,  les  droits  utiles,  c'est-à-dire  les  charges  qui  rap- 
portaient, étaient  déjà  divisés  :  l'advocatie  (préfecture)  appar- 
tenait à  l'empire,  les  droits  de  patronage  étaient  à  l'évêque. 

Quant  aux  habitants,  nous  les  trouvons  flottants  entre  les 
deux  pouvoirs.  En  1236  et  encore  en  1300,  la  ville  de  Mols- 
heim est  l'alliée  de  Strasbourg.  Puis  la  balance  commence  à 
pencher  du  côté  épiscopal;  en  1308  l'empereur  Henri  VII 
cède  à  l'évêque  de  Strasbourg  tous  les  droits  de  l'empire ,  et 
l'évêque  Jean  de  Dirpheim  construit  en  1314  à  Molsheim  un 
château,  qui  a  subsisté  jusqu'au  dix-seplième  siècle.  A  partir 
de  1314  nous  pouvons  donc  hardiment  admettre  que  Molsheim 


358  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

prend  une  physionomie  distincte;  qu'elle  échappe  aux  in- 
fluences laïques  et  municipales  ;  qu'elle  appartient  même  de 
cœur  aux  chefs  du  diocèse,  qui  souvent  viennent  y  résider. 
Le  même  évêque  qui  construit  le  château  ,  fonde  aussi  l'hôpi' 
tal  de  Molsheim  avec  un  oratoire,  qui  sera,  trois  siècles  plus 
lard,  attribué  aux  jésuites. 

C'est  l'introduction  de  cette  corporation  puissante  qui  im- 
prime, en  1580,  un  caractère  définitif  à  Molsheim.  Déjà  cinq 
ans  auparavant,  l'évêque  Jean  de  Manderscheid  ,  le  vrai  bien- 
faiteur de  Molsheim,  y  avait  transféré  l'atelier  monétaire.  En 
appelant  dans  la  charmante  résidence,  à  l'entrée  du  val  de  la 
Bruche,  le  corps  enseignant  qui  allait  lutter  avec  la  Réforme 
triomphante  à  Strasbourg,  Jean  de  Manderscheid  relevait  le 
drapeau  de  la  «  vieille  foi  »  et  déclarait  solennellement  qu'il 
ne  suivrait  pas  la  voie  des  concessions  adoptée  par  quelques- 
uns  de  ses  prédécesseurs.  Le  grand-chapitre  avait  aussi  fixé 
sa  résidence  à  Molsheim,  cinq  ans  avant  l'arrivée  des  jésuites 
de  Cologne;  en  4597,  le  successeur  de  Jean  de  Manderscheid 
y  appela  le  tribunal  de  l'ofiicialité.  Ainsi  se  trouvèrent  réunis 
au  môme  siège,  dans  l'étroite  enceinte  de  la  môme  petite  cité, 
les  corps  qui  représentaient  la  justice,  l'instruction  publique 
et  les  traditions  historiques  du  diocèse  de  Strasbourg,  sans 
compter  le  mouvement  matériel  qu'y  apportaient  l'hôtel  de  la 
Monnaie  et  la  présence  fréquente  de  l'évêque  lui-même.  C'est 
donc  du  dernier  quart  du  seizième  siècle  que  date  le  rôle  im- 
portant que  Molsheim  va  jouer  dans  l'histoire  ecclésiastique 
et  politique  d'Alsace.  Elle  y  devint,  avec  Saverne,  Haguenau, 
Schlestadt,  l'un  des  boulevards  de  la  foi  catholique,  et  ce  ca- 
ractère indélébile  lui  est  resté,  ainsi  qu'aux  trois  autres  villes 
précitées,  plus  considérables  que  Molsheim  parleur  passé, 
mais  tenues  de  regarder  la  nouvelle  parvenue  comme  un 
membre  vital  de  l'union  catholique  en  Alsace;  car,  de  ce  mo- 
ment, Molsheim  fut  pour  le  parti  catholique  une  tribune, 
consacrée  plus  tard  par  l'établissement  formel  d'une  Univer- 
sité. 


TRENTE-TROISIÈME  LETTRE.  '  859 

On  est  un  peu  à  se  demander  ()ue]les  ont  été,  pour  l'épis- 
copat^  les  causes  déterminantes  de  ce  choix.  Pourquoi  fixer 
à  Molsheim,  plutôt  qu'à  Saverne  ,  l'élablisscment  des  jésuites? 
Pourquoi  y  transférer  la  Monnaie?  Pourquoi  y  donner  asile 
au  grand-chapitre  et  à  l'oITicialité?  Pourquoi  y  recueillir, 
comme  nous  allons  le  voir,  les  chartreux  de  Strasbourg?  Je 
pense  que  le  voisinage  de  la  capitale  de  l'Alsace  y  était  pour 
quelque  chose  ;  les  communications  étaient  plus  faciles  en 
toute  saison  ;  il  restait  des  intérêts  majeurs  à  soigner  à  Stras- 
bourg, une  ancienne  position  historique  à  y  reconquérir;  un 
échange  journalier  de  relations  avec  les  partisans  épiscopaux 
demeurant  au  milieu  de  la  population  protestante,  était  de 
toute  rigueur.  Et  puis  le  site  de  Molsheim,  sans  être  pitto- 
resque dans  toute  l'acception  du  terme,  le  site  est  gracieux, 
le  climat  salubre  et  tempéré.  Aux  pieds  de  collines  couvertes 
de  vignes  productives ,  abritée  par  ces  hauteurs  contre  le 
souffle  glacial  de  l'hiver,  la  ville  de  Molsheim  participe  aux 
avantages  de  la  plaine  et  de  la  montagne.  Du  fond  des  Vosges 
lui  arrive,  pur  encore,  le  grand  cours  d'eau  de  la  Bruche  ;  le 
jardinage,  la  culture  des  champs,  l'arrosage  dévastes  prai- 
ries, les  vignobles  occupaient  tour  à  tour  ses  habitants,  qui 
n'avaient  point  adopté  dans  leur  régime  municipal,  le  sys- 
tème des  turbulentes  tribus.  Qui  sait,  si  ces  motifs,  instincti- 
vement sentis  ou  calculés  avec  intelligence,  n'ont  pas  déter- 
miné les  évêques  à  y  transférer  d'abord  une  partie,  puis  la 
presque  totalité  et  le  siège  de  leur  influence  politique'  ou 
cléricale?  Quoi  qu'il  en  soit,  Molsheim,  à  partir  de  1575,  a 
occupé  une  large  place  dans  les  annales  de  notre  province. 
Les  ravages  de  la  guerre  épiscopale  et  de  celle  de  Trente  ans, 
l'occupation  temporaire  de  la  ville  par  le  compétiteur  protes- 
tant de  l'évêché  ou  par  les  ennemis,  n'apportèrent  aucun 
changement  dans  cet  étal  de  choses  ;  c'est  seulement  la  réu- 
nion de  Strasbourg  à  la  France,  c'est-à-dire  l'événement  ma- 

'  La  régence  épiscopale  demeura  seule  a  Saverne. 


360  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

jeur  à  la  suile  duquel  les  corps  cl  les  institutions  catholiques 
entrèrent  en  partie  avec  l'évèque  au  chef-lieu  du  pays,  qui 
amena  dans  la  situation  de  Molsheim  un  considérable  amoin- 
drissement. 

C'est  donc  dans  cette  ville  jusqu'alors  peu  connue  et  rare- 
ment appelée  à  prendre  part  aux  affaires  générales  du  pays, 
que  Jean  (Je  Manderscheid  établit  ses  collaborateurs  les  plus 
actifs  et  les  plus  puissants.  Il  avait  appelé  les  Révérends  Pères 
de  Cologne,  les  avait  d'abord  casés  à  Saverne  ,  puis  transférés 
à  l'entrée  du  val  de  la  Bruche,  dans  cet  ancien  hôpital,  fondé 
vers  4319,  par  l'un  de  ses  prédécesseurs,  par  Jean  de  Dirp- 
heim.  Tous  les  biens,  toutes  les  dotations  de  l'hospice  pas- 
sèrent du  même  coup  à  la  compagnie.  Aussi,  le  fonds  du  col- 
lège des  jésuites  consiste-t-il  presque  totalement  en  pièces  qui 
remontent  soit  à  la  création  de  cet  ancien  hôpital,  soit  aux 
époques  des  diverses  donations  qui  assurent  son  existence  et 
son  développement. 

La  fondation  de  l'hôpital  de  Sainte-Marie  de  Molsheim  avait 
été  confirmée  par  Guebhard  de  Fribourg,  prévôt  du  grand- 
chapitre  ;  puis  exemptée  de  la  dîme  et  des  subsides  (1323- 
1378),  favorisée  et  munie  de  bulles  et  de  lettres  d'indulgence 
(1320,  1322,  1323),  enrichie  par  de  nombreuses  prébendes 
et  par  des  incorporations  d'église  (1337,  1851,  1325, 1428), 
corroborée  enfin  par  l'évèque  Robert  (1440). 

Lorsqu'en  1580  le  collège  des  jésuites  eut  pris  la  place  et 
les  revenus  de  l'hôpital,  il  exerça  bientôt  une  influence  mar- 
quée sur  l'instruction  publique  en  Alsace.  Jean  de  Mander- 
scheid accorda  en  1585  aux  membres  de  ce  corps  la  permis- 
sion de  remplir  les  fonctions  pastorales,  après  qu'une  bulle 
de  Grégoire  XIII  eut  ratifié  la  fondation  même  du  collège,  et 
que  des  règlements,  émis  encore  par  l'évèque  Jean  lui-même, 
eurent  soumis  les  étudiants  à  une  inspection  sévère. 

Au  dix-septième  siècle  il  n'y  eut  pas  un  seul  évêque  de 
Strasbourg  qui  ne  comblât  de  bienfaits  l'institution  des  jé- 
suites de  Molsheim,  et  qui  n'augmentât  leurs  revenus.  En 


TRENTE-TROISIÈME  LETTRE.  3G1 

1618,  rcmpereur  (rAIloiuniiiie  accorda  sur  la  dcmaiulc  de 
l'évêque  Léopold  d'Autriche,  au  collège  des  jésuites  de  Mols- 
hcim  les  privilèges  académiques  pour  renseignement  de  la 
pliilosopliie  et  de  la  lliéologie'.  Celle  môme  année  (1G18), 
l'évêque  de  Bàle  consacrait  l'élégante  église  de  Molsheim ,  où 
avaient  été  déposées  les  reliques  de  saint  Augustin,  de  saint 
Materne  et  des  martyrs  Thébains. 

Pendant  la  guerre  de  Trente  ans ,  le  nouvel  édifice  échappa 
miraculeusement  aux  ravages  et  à  la  destruction  qui  frap- 
paient tant  d'églises  en  Alsace.  Plusieurs  sauf-conduits,  dé- 
livrés par  Louis  XllI  ou  ses  généraux,  expliquent  ce  bonheur 
exceptionnel  du  collège  de  Molsheim  au  milieu  du  désastre 
général. 

L'histoire  et  le  fonds  de  ce  collège  trouvent  leur  clôture 
dans  l'arrêt  du  Conseil  souverain  d'Alsace  (20  décembre 
17G4),  qui  enjoint  aux  pères  de  se  soumettre  à  la  volonté  du 
roi  et  de  quitter  le  pays.  Dans  plusieurs  mémoires  on  avait 
protesté  contre  la  suppression  de  l'établissement,  f[ui  comp- 
tait, en  le  rattachant  aux  origines  de  l'hospice,  445  années 
d'existence. 

Je  dois  de  toute  nécessité  vous  entretenir  ici  incidemment 
du  Séminaire  épiscopal  de  Strasbourg,  qui  se  lie  au  Collège, 
ou  plutôt  qui  est  greffé  sur  lui  et  a  fini  par  l'absorber.  La 
marche  de  ces  événements  est  d'une  haute  valeur  pour  l'his- 
toire de  l'instruction  publique  et  religieuse  en  Alsace. 

En  1683,  précisément  un  siècle  après  l'entrée  des  jésuites 
à  Molsheim,  l'évêque  Guillaume  Rgon,  prince  de  Fiirsten- 
berg,  frère  de  l'évêque  François  qui  avait  reçu  Louis  XIV  sur 
le  seuil  de  la  cathédrale,  Guillaume  Egon  fonda  le  Séminaire 
de  Strasbourg  ;  il  en  confia  l'enseignement  au  môme  corps 
qui  avait,  à  Molsheim,  rempli  si  habilement  sa  tâche.  En 
1685,  Louis  XIV  établit,  avec  la  munificence  qui  caraclérise 

'  Vers  la  inùme  époque,  ce  souverain  conférail  les  [iiiviléges  universitaires 
à  rAcadéniie  proleslanle  de  Strasbourg. 


362  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

tous  ses  actes  politiques,  dans  la  cour  du  grand-chapitre  de 
Strasbourg  un  collège  qu'il  remit  aussi  entre  les  mains  de  la 
Compagnie  de  Jésus.  Pour  augmenter  la  dotation  du  Sémi- 
liaire  et  du  Collège,  le  roi  leur  fit  don,  en  1687,  des  biens  de 
l'abbaye  de  Sainte-Walpurge  dans  la  forêt  de  Haguenau ,  et  en 
1602  il  y  ajouta  une  partie  des  biens  de  l'ancienne  abbaye  de 
Seltz. 

Le  couronnement  de  toutes  ces  mesures,  habilement  calcu- 
lées pour  engager  une  lutte  sérieuse  avec  le  protestantisme  en 
Alsace,  ce  couronnement  est  dans  l'acte  qui  fait  passer  en 
1702  les  droits  d'université  du  collège  de  Molsheim  à  celui  de 
Strasbourg. 

De  ce  moment  ce  collège  professait  l'enseignement  des  hu- 
manités, de  la  philosophie,  du  droit  canon,  de  la  théologie 
dogNiali(jue  et  morale,  et  conférait  les  grades  de  théologie  et 
de  philosophie. 

Après  la  suppression  de  l'ordie  des  jésuites,  une  université 
catholique  remplaça  l'ancien  séminaire  et  le  collège. 

I/hisloire  littéraire  d'Alsace  a  conservé  le  souvenir  de  quel- 
ques-uns des  Pères  jésuites  qui ,  dès  la  fin  du  dix-septième 
siècle  et  pendant  une  grande  partie  du  dix-huitième,  illus- 
trèrent le  haut  enseignement  dans  la  ville  même  qui  avait  été 
le  berceau  et  l'un  des  principaux  foyers  de  la  Réforme  en  Al- 
sace. 

C'est  dans  ce  corps  enseignant  que  professait  le  Père  La- 
guillc,  l'auleur  d'une  Histoire  d'Alsace  écrite  avec  élégance 
et  facilité,  mais  sans  la  connaissance  suffisante  des  sources 
du  moyen  âge.  On  remarquait  dans  le  même  groupe  de  pro- 
fesseurs le  Père  Bœgert,  qui  visita  comme  missionnaire  la 
Californie ,  alors  parfaitement  inconnue ,  le  missionnaire  Guil- 
laume ,  auleur  d'une  Histoire  des  ducs  de  Lorraine ,  et  les  for- 
midables controversistes  Dèz  ,  Lempereur,  Ralabon  ,  qui 
s'étaient  installés  à  Strasbourg  immédiatement  après  la  red- 
dition de  la  ville. 

Si  l'université  protestante  de  Strasbourg  a  jeté  un  véritable 


TRENTE-TROISIÈME  LETTRE.  363 

éclat  dans  la  seconde  moitié  du  di\-liui(ième  siècle,  elle  doit 
cette  splendeur -inopinée  à  l'impérieuse  nécessité  de  déployer 
toutes  ses  forces,  de  lutter  par  la  science  avec  des  rivaux  dis- 
tingués. Sans  Laguille,  peut-être  Schœpflin  n'eût -il  point 
existé  ;  Schœpflin  à  son  tour  a  fait  naître  le  talent  précoce  de 
Grandidier.  C'est  dans  le  choc  des  intelligences  que  réside  la 
vie  ;  c'est  de  ce  contact  que  jaillit  le  feu  sacré. 

Cette  excursion  passagère  à  Strashourg-  a  été  motivée  par 
l'étroite  parenté  entre  les  divers  établisseitients  d'instruction 
du  culte  catholique;  je  vais  maintenant  vous  ramener  encore 
une  fois  à  Molsheim  ,  dans  le  couvent  des  Chartreux.  La 
Chartreuse  de  Molsheim  doit  son  origine  à  la  suppression  de 
la  Chartreuse  de  Strasbourg. 

Celle-ci,  fondée  en  -1339,  non  loin  de  Kœnigshoffen ,  et 
confirmée  par  une  lettre -privilège  de  l'évêque  Berthold  de 
Bucheck,  comptait  deux  siècles  et  demi  d'existence^  lors- 
qu'une lutte,  malheureusement  engagée  avec  le  magistrat 
protestant  de  Strasbourg,  se  termina  par  la  démolition  même 
du  couvent  et  par  le  transfèrement  de  son  personnel  dans  la 
ville  épiscopale  de  Molsheim.  La  spoliation  de  la  Chartreuse, 
dite  Zu  unserer  Franen  BiïhV,  a  laissé  de  nombreuses  traces 
dans  le  fonds  du  couvent  des  Chartreux  de  Molsheim  ;  de  fait, 
les  documents  histori(jues  les  plus  importants  se  rapportent  à 
l'acte  hostile  qui  amena  la  translation  de  ce  couvent.  Le 
prieur  dut  recourir  à  rintcrvention  puissante  de  l'empire  ger- 
manique et  du  roi  de  France  pour  ne  pas  rester  écrasé.  Ro- 
dolphe II,  empereur  d'Allemagne,  Henri  IV  roi  de  France  et 
de  Navarre,  les  trois  archevêques  électeurs  du  saint  empire, 
le  prieur  de  la  Grande-Chartreuse  on  Dauphiné,  d'autres  di- 
gnitaires de  l'ordre,  des  conseillers  impériaux,  des  hommes 


'C'est,  ainsi  que  s'appelait  la  pelile  émineiice  sur  laquelle  élail  siUiée  la 
CliarU'euse  de  Su-asbourg  ,  a  U^ois  kiloiiièlies  à  l'ouest  de  la  ville,  au-dessus 
de  la  Bruche,  ti'emplaeement  est  occupé  par  une  propriélé  moderne  qui  porle 
encore  le  nom  de  la  «  Chartreuse.  » 


364  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

de  loi,  les  membres  de  la  magistrature  de  Strasbourg  inter- 
viennent dans  cette  discussion,  attestée  par  une  correspon- 
dance considérable,  qui  se  termine,  grâce  au  roi  de  France. 
La  Chartreuse  échangea  une  grande  partie  de  ses  biens  et  re- 
venus contre  une  rente  sur  la  gabelle  de  Normandie;  voici 
dans  quelles  conditions  : 

Henri  IV  était  débiteur  de  la  ville  de  Strasbourg  ;  à  l'aide 
de  cette  créance  de  la  ville,  on  parvint,  sinon  à  contenter  les 
parties,  du  moins  à  empocher  que  la  procédure  ne  se  pro- 
longeât indéfiniment  devant  les  tribunaux  impériaux.  Le  roi 
de  France,  au  lieu  de  rester  le  débiteur  de  la  cité  impériale 
de  Strasbourg,  se  chargea  de  constituer  en  faveur  de  la  Char- 
treuse une  rente  de  75U0  fr.  au  capital  de  150,000  fr.,  et  le 
magistrat  de  Strasbourg  s'acquitta,  moyennant  cette  compen- 
sation ,  vis-à-vis  de  la  Cbartreuse  lésée. 

Encore  en  4749,  la  Chartreuse  eut  recours  à  une  consul- 
tation d'avocats  près  du  conseil  souverain  d'Alsace  pour  ren- 
trer dans  la  possession  de  quelques-uns  de  ses  anciens  biens, 
quoique  des  privilèges  nombreux  émanés  des  évèques  de 
Strasbourg  et  des  rois  de  France,  pendant  le  dix-septième 
siècle,  eussent  été  appliqués  à  guérir  la  plaie  de  la  fin  du 
seizième. 

Le  fonds  de  notre  Chartreuse  est  riche  en  cartulaires;  cette 
collection  de  copies  de  titres  de  propriété  forme  dix-sept  vo- 
lumes in-fol.  ;  les  baux  s'étendent  à  cinquante-six  communes, 
les  renouvellements  de  biens  à  une  soixantaine  de  localités. 
11  suffira,  je  pense,  de  donner  ces  indications  sommaires 
pour  justifier  ce  que  je  diS'  sur  la  réparation  des  pertes  que 
le  patrimoine  du  couvent  avait  éprouvées. 

Je  n'exprime  point  une  critique.  Toute  communauté,  une 
fois  établie,  tend  naturellement  à  assurer  son  existence  et  son 
avenir.  A  qui  contesterait  l'utilité  de  l'établissement  des  Char- 
treux, on  pourrait  répondre  que  la  société  civilisée,  telle  que 
nous  l'avons  faite  ,  recèle  plus  d'une  existence  blessée'à  mort, 
qui  aspire  au  silence  de  la  tombe  et  qui  trouve. une  première 


TRENTE-TROISIÈME  LETTRE.      '  865 

garantie  de  repos  et  de  sécurité  dans  l'intcrdiclion  même  de 
la  parole,  à  l'aide  de  laqnelle  on  jette  si  souvent  le  trouble 
dans  les  consciences  et  les  âmes.  La  force  de  l'édifice  romain, 
tel  que  les  siècles  l'ont  construit  et  étendu,  consiste  précisé- 
ment dans  la  satisfaction  donnée  à  tous  les  besoins  de  l'intel- 
ligence et  du  cœur.  Les  ordres  monastiques  de  toutes  les 
nuances  répondent  aux  êtres  déclassés  de  tout  genre,  errant 
comme  des  âmes  en  peine  entre  le  ciel  et  l'enfer.  Le  protes- 
tantisme a  cherché  à  combler  celte  lacune  dans  son  organisa- 
tion par  l'établissement  des  frères  moraves ,  où  les  fi  ères  et 
les  sœurs,  qui  n'ont  point  de  famille,  trouvent  des  asiles 
pour  y  mener  la  vie  claustrale. 

Il  faut  se  sentir  bien  malheureux  avant  d'entrer  dans  une 
Chartreuse  et  ne  plus  respirer  qu'en  face  d'un  mémento  mori; 
mais  puisqu'il  y  a  des  infortunes  ou  des  culpabilités  qui  ont 
éprouvé  à  ce  point  le  néant  des  forces  et  des  joies  humaines , 
il  n'est  point  inutile  de  leur  ouvrir  une  porte,  derrière  la- 
quelle ils  puissent  cacher  et  oubher  leur  vie  passée. 

L'austérité  du  cloître  des  Chartreux  de  Molsheim  était  tem- 
pérée par  la  douce  influence  de  l'art  religieux.  Vous  pour- 
rez, dans  l'une  des  salles  de  la  bibliothèque  de  Strasbourg, 
jeter  un  coup  d'œil  sur  les  belles  verrières  qui  viennent  de 
cet  asile.  Au  dix-septième  siècle,  les  frères  Linck  en  avaient 
décoré  les  croisées  des  Chartreux,  et  laissé  dans  leur  œuvre, 
digne  d'être  mise  à  côté  des  beaux  produits  de  l'art  du  moyen 
âge,  une  preuve  nouvelle  de  l'élévation  que  peut  atteindre 
le  procédé  humain  mis  au  service  de  l'inspiration  sacrée.  Les 
pieux  solitaires,  les  villes,  les  forêts,  les  rivières,  tous  ces 
tableaux  sévères  et  naïfs ,  représentés  sur  les  vitraux  de 
Molsheim,  respirent  l'inimitable  parfum  du  sanctuaire,  qui  ne 
monte  jamais  à  la  tête  des  faiseurs  mondains. 

Veuillez  maintenant  me  suivre  vers  un  autre  asile  de  mal- 
heur; je  veux  parler  de  celui  de  Stéphansfeld,  qui  a  été ,  dans 
le  principe ,  une  maison  destinée  aux  pauvres  et  aux  enfants 
abandonnés.  Fondé  au  commencement  du  treizième  siècle 


366  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

par  les  comtes  de  Werde,  landgraves  d'Alsace,  dans  le  but 
charitable  que  je  viens  d'indiquer,  il  fut  habité  et  administré 
par  les  chanoines  hospitaliers  du  Saint-Esprit,  vivant  sous  la 
règle  de  saint  Augustin ,  et  devint  la  souche  de  plusieurs  éta- 
bHssements  de  même  nature. 

L'asile  ou  la  commanderie  hospitalière  de  Sléphansfeld 
relevait  d'un  hôpital  du  même  ordre  à  Rome  (spedale  di  san- 
spirito  in  Sassia),  oii  l'un  des  comtes  de  Werde  avait  proba- 
blement puisé  la  première  idée  de  sa  création  charitable.  Des 
religieuses  y  furent  attachées ,  dès  l'origine  ,  pour  les  soins 
à  donner  aux  enfants. 

En  1220  déjà,  le  landgrave  Sigebert  et  ses  fils  avaient 
richement  doté  cet  hôpital  alsacien  ;  une  partie  de  la  vaste 
forêt  de  Brumath ,  au  cœur  de  laquelle  était  situé  l'établisse- 
ment, y  fut  affectée  par  les  généreux  fondateurs.  Des  bulles , 
des  brefs,  des  lettres-privilèges  impériales  et  épiscopales 
vinrent,  à  plusieurs  reprises,  en  aide  à  Sléphansfeld. 

Le  fonds  spécial  qui  se  rapporte  à  cet  asile,  est  très-exigu, 
mais  dans  le  fonds  de  la  préfecture  de  Haguenau  une  liasse 
portant  la  suscription  de  Stéphansfeld,  concerne  les  relations 
de  l'établissement  avec  les  comtes  de  Ilanau-Lichtenberg  qui 
accaparèrent  au  dix-septième  siècle  une  partie  de  ses  revenus 
et  se  mirent  par  là  en  conilit  avec  la  préfecture.  Un  trait  de 
mœurs  assez  curieux  est  révélé  dans  une  lettre  du  landvogt 
au  commandeur  (lettre  du  8  décembre  1602);  on  reprochait 
à  cette  époque  au  couvent  d'être  l'occasion  d'un  grand  scan- 
dale :  des  femmes  avaient  été  admises  dans  l'intérieur  de  la 
maison  pour  le  service  des  caves  et  des  greniers.  Le  landvogt 
ou  préfet  de  Haguenau  prescrit  le  renvoi  de  ces  hôtes  dange- 
reux; je  dois  croire  qu'on  a  obtempéré  à  cet  ordre. 

Des  lettres  patentes  du  roi  (datées  du  mois  de  mars  1777) 
concernent  la  destination  des  biens  et  des  revenus  de  Sté- 
phansfeld,  la  régie  et  l'administration  de  la  maison,  sécula- 
risée depuis  quelques  années.  Un  compte  dépareillé  de  1785 
à  1789  porte  les  revenus,  à  cette  époque,  à  50,000  livres  en- 


TRENTE-TROISIÈME  LETTRE.  367 

viron;  les  dépenses  laissaient  un  boni  de  10,000  livres.  Ce 
sont  là,  je  le  sais,  des  détails  fort  incomplets  et  clairsemés  ; 
évidemment  la  Révolntion  a  englouti  les  documents  capitaux 
qui  se  rapportent  à  cette  pieuse  fondation  des  landgraves 
d'Alsace. 

Au  commencement  du  dix-neuvième  siècle,  on  assigna  à 
Stéphansfeld  une  destination  qui  n'était  i)as  trop  étrangère  à 
sa  première  origine.  Plus  récemment,  en  1834,  un  asile 
d'aliénés  a  remplacé  celui  des  enfants  abandonnés  ;  et  l'homme 
qui,  naguère  encore  le  dirigeait,  était  animé  du  même  esprit 
de  charité  (jui  avait  inspiré  les  premiers  fondateurs.  Feu 
David  Richard  appartenait  à  cette  famille  de  caractères  excep- 
tionnels qui  marient  le  cœur  le  plus  aimant  cà  une  intelligence 
éclairée,  et  qui  accomplissent  leurs  devoirs  journaliers  comme 
une  tâche  providentielle.  C'est  une  belle  chose  sans  doute 
que  de  porter  la  lumière  et  les  bienfaits  de  l'Evangile  dans 
les  régions  éloignées  et  barbares;  mais  chercher  à  rallumer 
le  flambeau  de  la  raison  dans  de  pauvres  tètes  privées  de  cette 
lumière  divine,  c'est  une  mission  aussi  dangereuse,  aussi 
difficile  que  celle  des  apôtres  du  christianisme  parmi  les  sau- 
vages. On  peut  y  laisser  sa  vie  et  sa  propre  raison.  David  Ri- 
chard a  sacrifié  à  ses  devoirs  officiels  son  existence  privée  ;  il 
est  mort  à  la  peine.  Cet  esprit  charmant,  qui  avait  vécu  dans 
l'intimité  de  quelques-uns  des  plus  beaux  génies  du  siècle,  a 
volontairement  renoncé  à  l'attrait  et  aux  rêves  de  la  gloire  ; 
lui,  si  curieux  du  passé,  lui,  si  érudit,  si  porté  vers  l'étude 
des  questions  sociales ,  il  a  tourné  le  dos  à  ces  brillantes  sé- 
ductions du  monde  intellectuel  ;  il  est  descendu  dans  les  bas- 
fonds  où  la  souffrance  mentale  bégaie  ses  paroles  de  délire , 
et  il  a  cherché  à  rendre  le  calme  et  la  santé  morale  à  ces 
pauvres  déshérités.  11  a  porté  sa  croix,  comme  les  vieux  hos- 
pitaliers du  Saint-Esprit,  dont  il  cherchait  à  connaître,  dans 
ses  rares  moments  de  loisir,  les  antécédents  et  Thistoire. 

Maintenant  qu'il  repose  pour  toujours  de  ses  fatigues  et  de 
ses  souffrances,  —  car  la  douleur  des  autres  était  la  sienne, 


368  ARCHIVES  DÉPARTEMEINTALES  DU  BAS-RHIN. 

—  maintenant  qu'il  dort,  le  bon  pasteur  des  âmes,  dans  la 
même  terre,  où  se  sont  couchés  avant  lui  ces  hommes  du 
moyen  âge,  dévorés  comme  lui  par  l'amour  et  la  charité, 
pourquoi  n'aurais-je  pas  le  droit  de  proclamer  sa  vertu  mo- 
deste et  de  répéter,  sans  crainte  d'être  taxé  d'une  exagération 
louangeuse,  que,  vivant,  il  a  marché  dans  la  même  voie  que 
les  bienfaiteurs  de  l'humanité  souffrante,  et  que  mort,  il  a 
droit  à  notre  respect  posthume  ! 


TRE-NTE-QUATRIÈME  LETTRE.  369 


TREIVTE-QUATRIEME  LETTRE. 

Voniif^  de  l'ordre  tie  Kniiit-Jonn  de  Jérusalem  (ordre  de  Malte).  — 
9Iai»ion  de  l'Ile-Verie  on  eoiiininnderie  de  Strii»>liourg^.  —  Le  site.  — 
Origine  de  la  maison.  —  Waither  de  Huneiioiirg,  niaréclial  de 
réveehé.  —  Ruinianu  MeersMin  et  les  Amis  de  Dieu.  —  Caractère 
de  cette  société  ««ystérleiise.  —  Incorporation  de  la  conimanderie 
de  iSclilestadt.  —  ^tiiiipressiou  de  la  maison  tIe  i'Ile-Verte  en  1033. 
—  Son  rétablissement,  en  1CS9,  i^  Saint-Marc,  «inl  prend  le  nom 
d'église  de  Saint-Jean.  —  Les  commandenrs  de  la  maison  de  Saint- 
Jean  de  Strasbourg.  —  La  maison  de  JDorlisheim.  —  Contenu  du 
fonds  de  l'ordre  de  Saint-Jean.  —  La  bibliothèque  de  l'ordre.  — 
Le  livre  manuscrit  u  ties  Sept  Rocbers.  »  —  Caractère  de  cette  Ac- 
tion dantesi|ue,  œuvre  de  Ruimann  Meersvvin.  —  Amitié  de  Rul- 
mann  et  de  Micolas  de  Râle.  —  Le  livre  des  «  Cinii  hommes»  fie 
Nicolas.  —  Le  livre  des  Abeilles.  —  Varia. 


Monsieur, 

Nous  sommes  souvent  bien  injustes  pour  tout  ce  que  nous 
avons  sous  la  main ,  ou  inaltenlifs  à  ce  qui  frapperait  nos 
yeux,  si  nous  daignions  les  lever.  Ainsi,  ne  Irouvez-vous  pas 
que  le  site ,  créé  par  l'IU ,  qui  coupe  en  deux  les  remparts  et 
entre  dans  la  ville  par  les  douze  arceaux  du  grenier  d'abon- 
dance, est  incomparable  et  vraiment  original?  Ce  fractionne- 
ment de  la  rivière  barrée,  traversée  par  la  sombre  et  longue 
galerie  d'où  descendent,  comme  d'un  pont  couvert,  les  herses 
de  clôture;  puis,  les  tours  des  vieilles  fortifications  qui  se 
dressent  sur  les  îlots  et  les  bords  de  la  rivière;  les  quatre  bras 
qui  partagent  la  nappe  d'eau,  dès  qu'elle  essaie  de  se  déployer 
à  l'entrée  de  la  ville;  enfin,  par  delà  les  moulins,  au  bout  de 
cet  horizon  de  maisons  de  toute  forme  et  de  toute  taille,  la 
svelte  flèche  delà  cathédrale  et  les  masses  de  Saint-Thomas.... 
convenez,  Monsieur,  que  ce  tableau,  bien  des  fois  reproduit, 
mais  toujours  neuf,  forme  à  l'une  des  extrémités  occidentales 
de  notre  vieille  cité  un  sujet  d'étude  pour  le  peintre  observa- 
teur. L'histoi'ien  local  y  trouve  tout  autant  son  compte.  Nous 


370  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RIILN. 

touchons  ici  à  l'un  des  points  classiques  de  notre  territoire 
municipal.  Sur  la  rive  gauche  de  la  rivière,  presque  à  partir 
du  point  où  elle  pénètre  dans  l'intérieur  de  la  ville  et  le  long 
du  bras,  transformé  en  canal  régulier,  s'élèvent  les  tristes 
murs  de  la  maison  de  correction.  Eh  bien,  ces  bâtiments,  je 
n'ose  dire  cet  édifice,  occupent  la  place  et  conservent  quel- 
ques restes  de  l'ancienne  maison  de  Saint-Jean  dans  l'Ile- 
Verte  {im  grïmen  Wœrlh). 

Dans  les  leçons  d'histoire  les  plus  élémentaires ,  toute  jeune 
imagination  a  été  émue  par  le  nom  et  le  souvenir  des  Tem- 
pliers ,  des  chevaliers  de  Malte  et  de  l'ordre  tcutonique.  C'est 
qu'en  effet,  il  y  a  dans  la  seule  existence  de  ces  ordres  mili- 
taires, moitié  chevaleresques  et  guerriers,  moitié  monas- 
tiques, un  je  ne  sais  quoi  qui  captive  la  pensée.  Si  le  sort  de 
l'ordre  religieux  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  ou  de  Malle  n'est 
pas  aussi  tragique  que  celui  des  chevaliers  du  Temple,  il  offre 
tout  de  même  des  péripéties,  des  catastrophes  si  variées ,  à 
partir  de  sa  fondation  près  du  Saint-Sépulcre  et  de  son  éta- 
blissement dans  l'hôpital  de  Saint-Jean-Baptiste,  à  travers  de 
longues  migrations,  la  plupart  du  temps  forcées,  de  Jérusa- 
lem à  Sain l-Jean-d' Acre,  à  Limisso  en  Chypre^  à  Rhodes,  dans 
l'île  de  Candie,  en  Sicile,  à  Vitcrbe ,  jusqu'à  sa  longue  rési- 
dence à  Malte,  que  le  lecteur  le  plus  superficiel  de  ces  récits 
de  combats  sur  terre  et  sur  mer,  de  ces  sièges  soutenus  contre 
les  infidèles,  s'attache  à  des  annales  où  figurent  les  noms  des 
plus  grandes  familles  d'Europe.  Ces  souvenirs  pâlissent  ou 
s'effacent  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle  seulement,  devant 
un  nom  cent  fois  plus  grand  et  plus  glorieux,  lorsque  Napo^ 
léon  Bonaparte  ,  cinglant  vers  l'Egypte  ,  prend  en  passant  les 
clefs  de  la  forteresse  de  La  Valette ,  et  confisque  Malte  au 
profit  de  la  République  française. 

La  gloire,  dont  brille  l'ordre  de  Malte,  rejaillit  jusque  sur 
les  commandcries  ou  les  maisons  répandues  dans  les  princi- 
paux pays  de  l'Europe.  La  maison  de  Strasbourg  relevait  du 
grand  prieuré  d'Allemagne,  ou,  comme  on  disait,  a  de  la 


TRENTE-QUATRIÈME  LETTRE.  371 

langue  allemande,  »  et  son  histoire  locale  est  loin  d'être  dé- 
nuée d'intérêt.  Il  faut  renoncer  à  découvrir  chez  nous  des 
noms  éclatants  comme  ceux  de  d'Aubusson  et  de  Villiers  l'Isle 
Adam  ,  les  modestes  commandeurs  en  résidence  à  Strasbourg 
n'ont  point  eu  maille  à  partir  avec  les  sultans  Mahomet  II  et 
Soliman-le-Grand  ;  ils  n'ont  point  eu  de  siège  à  soutenir 
contre  les  Turcs;  leurs  luttes  étaient  tout  intérieures,  soit 
avec  la  grande  maîtrise  de  l'ordre,  soit  avec  le  grand  prieuré 
d'Allemagne  ,  soit  avec  le  magistrat  de  Strasbourg.  Mais  l'ori- 
gine de  la  maison  de  l'Ile-Verle  est  accompagnée  de  circons- 
tances exceptionnelles;  c'est  là-dessus  que  je  vais  appeler 
votre  attention.  Il  est  inutile  d'ajouter  que  les  détails  où  je 
vais  entrer,  sont  en  partie  empruntés  au  fonds  considérable 
dont  j'ai  à  vous  entretenir'. 

Au  moyen  âge ,  le  côté  sud-ouest  de  notre  cité  convenai'' 
parfaitement  à  un  asile  où  la  contemplation  pût  se  réfugier. 
Vers  116(5,  un  homme,  violent  dans  sa  jeunesse,  mais  con- 
verti plus  tard  par  la  grâce  divine,  Walther  de  Hùnebourg, 
maréchal  de  l'évêché  de  Strasbourg,  avait  fondé  le  couvent 
Augustin  de  la  Trinité  hors  des  murs  de  Strasbourg,  dans 
une  île  mélancolique,  déserte,  où  les  saules  baignaient  leur 
pâle  verdure  dans  le  cours  de  la  rivière.  A  cette  époque  recu- 
lée,  l'Ill,  plus  fractionnée  encore  que  de  nos  jours ,  rejoignait 
par  des  canaux  transversaux  le  cours  d'eau  de  la  Bruche,  et 
formait  du  côté  où  s'étend  aujourd'hui  le  faubourg  National, 
un  terrain  insulaire  assez  vaste".  Précisément  deux  siècles 
plus  tard ,  en  1366  ,  l'évêque  de  Strasbourg  et  l'abbé  d'Altorf, 
dont  relevait  le  couvent  de  la  Trinité,  permirent  à  un  magis- 
trat strasbourgeois,  nommé  Rulmann  Meerswin,  d'établir  des 
prêtres  séculiers  dans  cette  maison  de  l'Ile-Verte,  qui  tombait 

'  Voy.  aussi  l'ouvrage  plein  d'érudition  el  d'intérêt  de  M.  Charles  Sclimidt, 
professeur  au  Séminaire  prolestant  de  Strasbourg,  sur  «  les  amis  de  Dieu  » 
ou  Gottesfreunde. 

2  Voiries  caries  de  Silbermann.  LohaJgeschichte  von  Slrassburg. 


372  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

alors  de  véluslé.  L'année  suivante,  l'abbé  d'Allorf  compléta 
cette  première  faveur,  en  cédant ,  à  titre  de  propriété ,  à  la 
famille  Meerswin  les  constructions  et  le  terrain  environnant. 

En  1368,  quatre  cbapelains  de  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jé- 
rusalem ,  appelés  par  Meerswin  ,  s'y  fixèrent,  avec  l'agrément 
du  pape  avignonais  Urbain  V;  en  1370,  le  grand-maître  de 
l'ordre,  alors  en  résidence  à  Rbodes,  confirma  cet  établisse- 
ment; enfin  en  1372,  le  grand-prieur  de  l'ordre  de  Saint- 
Jean  en  Allemagne  lui  donna  un  règlement.  C'est  depuis  1366, 
presque  d'année  en  année ,  un  progrès  dans  l'organisation  de 
cette  maison  hospitalière,  qui  allait  avoir  son  commandeur 
spécial  dans  la  personne  de  Henri  de  Wolfach. 

Mais  qui  était  ce  fondateur  libéral ,  ce  Rulmann  Meerswin, 
dont  nous  prononçons  le  nom  pour  la  première  fois  dans  ces 
entretiens  ? 

Pour  apprécier  Meerswin,  il  faut  connaître  la  société  mys- 
térieuse dont  il  faisait  partie;  il  faut  savoir  avec  quels  esprits 
d'élite  il  se  trouvait  en  communion  d'idées  et  de  prières, 
avant  de  le  juger  soit  comme  donateur  généreux  à  l'endroit 
de  l'ordre  de  l'hôpital,  soit  comme  auteur  théologique  du 
quatorzième  siècle. 

Vers  le  milieu  de  ce  siècle,  si  riche  en  contrastes,  à  l'épo- 
que môme  où  le  fanatisme  le  plus  hideux  persécutait  les  juifs , 
il  s'était  formé  dans  la  vallée  rhénane  supérieure  {im  Obcr- 
land)  une  association,  une  vraie  franc-maçonnerie  religieuse, 
composée  de  penseurs  ,  d'hommes  voués  à  la  contemplation  , 
à  la  recherche  du  bien  absolu.  Pour  eux  le  suprême  bonheur 
c'était  l'oubli  de  soi-même,  la  guerre  implacable  faite  au 
sentiment  égoïste,  qui  empoisonne  le  cœur  et  forme  un  obs- 
tacle insurmontable  à  la  fusion  de  l'homme  avec  la  divinité. 
Ne  plus  avoir  de  volonté  individuelle,  se  laisser  absorber 
par  Dieu,  s'abîmer  en  lui,  se  fondre  en  lui  et  avec  lui,  voilà 
le  but  auquel  aspiraient  ces  amants  ou  amis  de  Dieu  {Gottes- 
freunde);  tel  était  le  nom  qu'ils  se  donnaient  ou  qu'on  don- 
nait à  leur  invisible  confraternité.  Loin  de  se  séparer  de  l'E- 


TRENTE-QUATRIÈME  LETTRE.  373 

glise,  dont  ils  acceptaienl  tous  les  dogmes ,  loin  de  se  séques- 
trer d'une  manière  absolue,  loin  de  renoncer  au  siècle  et  de 
se  vouer  à  une  vie  tout  ascétique,  les  amis  de  Dieu  conser- 
vaient des  relations  fréquentes  avec  le  monde  ;  les  hommes 
mariés  ne  se  séparaient  pas  nécessairement  de  leurs  femmes: 
ils  attendaient  que  la  mort  vînt  manifester  la  volonté  de  Dieu, 
et  dénouer  ces  liens  sacrés.  Si  je  devais  préciser  en  quoi  les 
«amis  de  Dieu»  se  distinguaient  du  commun  des  hommes, 
je  dirais  qu'un  symbolisme  mystique  faisait  leur  profession 
de  foi  intime.  Ils  croyaient  aux  rêves,  aux  visions  prophéti- 
ques qui,  selon  eux,  pouvaient,  dans  certains  cas,  révéler  la 
volonté  de  Dieu  ou  rendre  palpables  des  vérités  immatérielles. 
Les  extases ,  tantôt  involontaires ,  tantôt  provoquées ,  étaient 
fréquentes  chez  les  adeptes  de  cette  confrérie  secrète;  ils 
étaient  en  communion  avec  le  monde  invisible,  et  leur  corps 
était  brisé  par  cette  dangereuse  familiarité  avec  un  ordre  de 
choses  surnaturel.  Chez  eux  l'imagination  prédominait,  tandis 
que  chez  d'autres  mystiques  du  moyen  âge,  c'était  une  charité 
infinie  ou  la  spéculation  métaphysique. 

Les  ramifications  de  cette  société  — je  ne  puis  dire  de  cette 
secte,  car  ce  n'en  était  pas  une —  s'étendaient  fort  loin,  le 
long  du  Pdiin,  en  Suisse,  en  Italie,  en  Autriche,  en  Hongrie'. 

Rulmann  Meerswin  était  l'un  des  principaux  adhérents  de 
la  doctrine.  Lié  d'amitié  avec  Nicolas  de  Bàle,  le  fondateur  de 
l'Association,  peut-être  avec  quelque  Itahen  de  l'école  du 
Dante ,  peut-être  avec  quelques  chevaliers  de  Malte ,  qui 
avaient  encore  connu,  par  transmission  orale,  les  doctrines 


'  RœnigshofTen  rapporte  que  l'on  conservait  à  SaiiU-Élienne  une  main  de 
sainte  Altale  dans  un  vase  d'agate  avec  l'inscription  snivanle  :  Gothe  frit 
Cote  frit  cide  lehre  dœda,  ce  qu'il  explique  par  :  Gottes  fried  yuter  fried 
zeiten  lehre  todtet.  En  d'autres  ternies  :  la  paix  de  Dieu  est  la  seule  bonne 
paix;  le  dogme  du  siècle  lue.  Ne  dirait-on  pas  que  celle  sentence  du  liuilième 
ou  neuvième  siècle  contient  en  germe  la  doctrine  fondamentale  des  amis  de 
Dieu?  (voy.  Kœnffjslioffen,  rdition  de  Schiller,  p.  523. 


.374  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BÂS-RHlN. 

secrètes  du  temple,  Meerswin  puisait  évidemment  ses  inspi- 
rations dans  l'un  de  ces  courants  d'idées  qui,  à  plus  d'une 
époque  de  l'histoire  ecclésiastique,  passait  sur  le  front  de 
quelques  êtres  prédestinés,  et  leur  communiquait,  comme  au 
contact  d'un  fluide  électrique,  une  force  de  pensée  ou  d'ac- 
,tion  incomprise  du  vulgaire. 

Rulmann  Meerswin  était  à  la  fois  un  homme  pratique  et  un 
homme  d'une  piété  rêveuse,  amoureuse  de  l'allégorie,  cher- 
chant à  prêter  aux  idées  abstraites  un  corps  visible,  des 
formes  tangibles,  des  couleurs  propres  à  captiver  la  vue  et  à 
pénétrer  dans  l'ame  par  le  médium  des  sens.  Ainsi  d'une 
part,  Meerswin  après  des  visions  répétées  contre  lesquelles  il 
se  débat  en  vain,  consacre  à  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusa- 
lem une  maison  dans  sa  ville  natale,  et  donne  ses  soins  au 
développement  méthodique  de  cet  asile  ;  mais  il  pénètre  aussi 
dans  les  régions  découvertes  par  Dante  Alighieri ,  et  consigne 
dans  l'ingénieuse  fiction  «des  Sept  Rochers»  ses  rêves  ou  ses 
méditations  sur  le  Salut. 

Autour  de  Meerswin  se  dessinent,  dans  la  maison  de  Stras- 
bourg, quelques  figures  dignes  de  paraître  dans  ce  cénacle: 
tel  était  Nicolas  de  Lœfenc,  (|ui  vint,  dès  i36G,  s'établir  dans 
rile-Vcrle;  Henri  deWolfach,  le  premier  commandeur,  et 
Conrad  de  Brunsberg,  grand-prieur  de  l'ordre  en  Allemagne, 
l'un  et  l'autre  affiliés  sans  aucun  doute  aux  «amis  de  Dieu;» 
Jean  de  Schaftolsheim,  vicaire  épiscopal,  qui  se  trouve  aussi 
en  correspondance  avec  Nicolas  de  Bàle.  Tous  ces  hommes 
tendaient  évidemment  vers  le  même  but  :  sous  leur  costume 
officiel  ils  s'appliquaient  à  leur  sanctification  intérieure. 

A  la  fin  du  quatorzième  siècle,  la  maison  fondée  par  Meers- 
win grandit  en  importance  par  l'adjonction  ou  incorporation 
de  la  commanderie  de  Schlestadt,  qui  datait  de  1265,  et  qui 
s'était  enrichie  en  1307  des  dépouilles  des  Templiers;  car  le 
Tempelhof,  ou  la  Cour-du-Tcmplc  d'Oberbergheim  lui  était 
échu  en  partage. 

L'union  des  deux  commanderies  de  Strasbourg  et  de  Schle- 


TRENTE-QUATRIÈME  LETTRE.  375 

stadt  fut  décidée  dans  un  cliapllrc  général  tenu  par  le  grand- 
bailliage  d'Allemagne  à  Leimbach  ,  près  Landau.  Dix-neuf  ans 
plus  tard,  le  grand-maître  de  l'ordre  de  Saint-Jean,  Philippe 
de  Naillac,  ratifia  celte  opération,  qui  devait  profiter  aux  deux 
communautés. 

De  nombreuses  lettres  impéiiales  et  épiscopales  confir- 
mèrent les  privilèges  de  la  maison  de  l'Ile-Verte.  Les  souve- 
rains temporels,  les  pontifes,  les  prélats  se  montrèrent  à  partir 
du  quatorzième  jusqu'au  dix-septième  siècle,  libéraux  et  bien- 
veillants envers  ce  foyer  d'activé  piété;  tandis  que  des  luttes 
assez  fréquentes  eurent  lieu  entre  la  maison  de  Strasbourg  et 
la  grande-maîtresse  de  l'ordre,  dont  les  exigences  en  fait 
d'impôt  excitaient  souvent  dans  l'Ile-Verte  un  vif  sentiment 
d'opposition. 

L'époque  de  la  réforme  à  Strasbourg  amena  pour  notre 
maison  des  épreuves  difficiles.  Les  discussions  avec  le  magis- 
trat, qui  avait  officiellement  adopté  le  nouveau  culte,  abou- 
tirent pendant  la  seconde  moitié  de  la  guerre  de  Trente  ans 
(en  16o3)  à  la  suppression  totale  de  la  commanderie.  Il  est 
juste  de  dire  que  les  nécessités  impérieuses  de  cette  funeste 
guerre  furent  la  cause  principale  de  la  confiscation.  Les  édi- 
fices de  la  commanderie  tombaient  dans  le  rayon  des  nouvelles 
fortifications  ou  des  remparts  que  les  ingénieurs  avaient  éle- 
vés sur  la  lisière  occidentale  de  la  ville. 

Un  demi-siècle  plus  tard  (1686  à  1687) ,  lorsque  le  gouver- 
nement de  Louis  XIV  s'appliquait  en  Alsace  et  à  Strasbourg  à 
cicalriserles  blessures  faites  au  culte  catholique  depuis  1521, 
l'église  de  Saint-Marc  fut  remise,  par  ordre  du  roi,  entre  les 
mains  de  l'ordre  de  Saint-Jean,  à  titre  de  compensation  pour 
les  pertes  essuyées  et  en  échange  des  terrains  et  des  bâiiments 
de  l'Ile-Verte.  Douze  prêtres  de  l'ordre  de  Malte  s'établirent 
dans  cette  nouvelle  commanderie;  l'un  d'eux  remplissait 
même  les  fonctions  de  curé  dans  cette  ancienne  église  parois- 
siale de  Saint-Marc,  qui  prit  le  nom  d'égalisé  de  Saint-Jean. 

De  1687  à  1789,  l'histoire  de  l'ancienne  fondation  de  Rul- 


376  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RIIIN. 

mann  Meerswin,  transférée  sur  un  nouveau  terrain  ,  ne  pré- 
sente plus  d'incidents  majeurs.  Sur  l'ancien  emplacement,  et 
en  partie  dans  les  bâtiments  qui  ont  échappé  à  l'expropria- 
tion forcée  de  1633,  se  trouve  aujourd'hui  la  prison  départe- 
mentale :  singulier  changement  de  destination  que  celui  qui 
de  Wallher  de  Ilûnebourg,  de  Rulmann  et  de  la  croix  de 
Malle  vient  aboutir  à  un  grefTc,  à  des  salles  de  travail  manuel 
et  à  des  cachots. 

L'église  de  Saint-Jean,  c'est-à-dire  l'ancienne  église  de 
Saint-Marc,  conserve  le  nom  qu'elle  tient  du  traité  d'échange 
et  de  cession  de  1687;  dans  les  édifices  attenant  au  temple 
paroissial,  c'est-à-dire  dans  la  commanderie  du  dix-huitième 
siècle ,  on  a  établi  le  Mont-de-Piété  du  dix-neuvième  et  des 
écoles  communales. 

Parmi  les  noms  des  commandeurs  de  l'Ile-Verte,  il  s'en 
trouve  plus  d'un  qui  dénote  une  origine  alsacienne.  Leur  exis- 
tence modeste  n'a  pas  exercé  d'influence  marquée  sur  l'en- 
semble de  l'histoire  de  l'ordre;  on  dirait  que,  perdus  dans 
l'Europe  centrale,  ils  ont  échappé  au  courant  qui  entraînait 
les  chevaliers  de  Malle  à  faire  face  à  l'Orient,  dont  ils  avaient 
été  expulsés  ;  on  ne  tenait  compte  des  commanderies  d'Alsace 
que  lorsqu'il  s'agissait  de  prélever  des  contributions. 

Lidépendamment  des  maisons  réunies  de  Strasbourg  et  de 
Schlesladl,  l'ordre  possédait  encore  dans  la  Basse-Alsace  celle 
de  Wissembourg,  puis  celle  de  Dorlisheim^  dont  l'enclos  a 
passé  entre  les  mains  d'un  propriétaire  qui  porte  un  nom  his- 
torique presque  contemporain  de  l'établissement  des  cheva- 
liers de  l'hôpital  de  Jérusalem  '. 

Notre  fonds  de  l'ordre  de  Saint-Jean  est  très-vaste  :  indé- 
pendamment des  bulles,  diplômes  et  patentes,-  il  renferme 
des  donations  et  des  legs,  une  correspondance  variée,  une 
interminable  série  de  titres  de  propriété,  de  baux  et  de  re- 
nouvellements de  biens,  qui  portent  sur  deux  cents  coni- 

*  Le  baron  Waiigen  de  Geroldseck. 


TRENTE-QUATRIÈME  LETTRE.  877 

munes,  des  circulaires,  des  colligendes,  des  pièces  de  comp- 
tabilité en  masse.  La  custodic  de  la  maison,  c'est-à-dire  l'en- 
semble dos  documenis  qui  se  rapportent  à  celte  importante 
fonction,  forme  dans  celle^collection  une  annexe  spéciale. 

Je  ne  pense  pas  que  vous  conserviez  le  désir  d'entrer  dans 
le  détail  de  ces  documents;  mais  vous  me  permettrez  de  feuil- 
leter devant  vous  quelques  volumes  de  l'ancienne  biblio- 
thèque de  la  maison;  cette  revue,  très-sommaire  du  reste, 
complétera  un  peu  les  notions  que  j'ai  données  tout  à  l'heure 
sur  l'origine  de  la  commanderie  de  l'Ile-Verte. 

Voici  un  volume  manuscrit  du  quatorzième  au  quinzième 
siècle,  qui  porte  le  titre  iVÉpistolaire  (dis  ist  das  brife  bûcheï) 
inscrit  sur  l'une  des  planches  de  la  reliure;  et,  sur  l'autre, 
la  recommandation  de  garder  soigneusement  le  manuscrit  qui 
contenait,  sur  ses  82  feuillets,  entre  autres  une  série  de 
lettres  adressées  par  l'ami  invisible  de  Rulmann  Meerswin 
aux  prêtres  séculiers  qui,  dans  l'origine,  habitaient  la  mai- 
son de  Saint-Jean,  puis  aux  chapelains,  au  premier  com- 
mandeur, Henri  de  Wolfach,  à  Jean  de  Schaftolsheim,  vicaire 
épiscopal,  enfin  à  Rulmann  Meerswin  lui-même.  Cette  cor- 
respondance de  Nicolas  de  Bàle  est  coj)iée  de  la  main  de 
Nicolas  de  Lœfene,  l'un  des  premiers  conventuels  de  la  mai- 
son de  Strasbourg,  et  probablement  affilié  lui-même  —  du 
moins  au  second  degré  —  à  la  Société  des  «amis  de  Dieu  ;  » 
elle  a,  par  conséquent,  un  caractère  d'indubitable  authenti- 
cité, et  ouvre  des  échappées  de  vue  sur  les  opinions  ou  plutôt 
sur  la  foi  des  GoUesfreunde  et  sur  des  faits  moitié  réels,  moi- 
tié légendaires,  touchant  à  lavie  intime  de  Nicolas  de  Bàle. 

Indépendamment  de  cette  correspondance  à  la  fois  mystique 
et  mystérieuse,  où  de  loin  en  loin  surgissent  quelques  noms 
propres  de  messagers  ou  d'affiliés,  ce  livre  manuscrit  ren- 
ferme deux  petits  cahiers  de  la  main  même  de  Rulmann 
Meerswin  sur  les  quatre  premières  années  de  ses  luttes  inté- 
rieures et  de  sa  conversion  —  véritable  révélation  psycholo- 
gique ;  —  puis  un  récit  sur  l'origine  miraculeuse  de  la  mai- 


378  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

son  de  l'Ile-Verte,  rédigé  peut-èlre  par  le  mystérieux  ami  de 
Rnlmann.  Grâce  à  celle  notice,  nous  sommes  initiés  dans  les 
fluctualions  cruelles  que  durent  traverser  les  deux  amis  avant 
de  se  mettre  à  l'œuvre  ;  stimulés  par  des  visions  presque 
identiques  et  simultanées  qui  leur  prescrivaient  de  construire 
dans  riIc-Verle  un  nouveau  sanctuaire  et  un  couvent,  ils  ré- 
sistent d'abord  l'un  et  l'autre  à  cet  appel  ;  ils  regimbent 
contre  l'aiguillon  invisible  qui  laboure  leurs  flancs  :  Rulmann 
Meerswin  trouve  que  les  couvents  et  les  églises  surabondent  ; 
que  ce  qui  fait  défaut  à  ce  siècle  de  perdition,  ce  ne  sont  pas 
les  édifices  consacrés  à  Dieu,  mais  les  bommes  voués  à  une 
existence  pure  et  sainte  ;  il  lui  semble  qu'il  serait  plus  utile 
de  découvrir  et  d'enrôler  de  bons  conventuels  que  d'élever  à 
grands  frais  des  cloîtres  où  règne  la  solitude.  Mais  les  visions 
reviennent;  et  c'est  par  les  visions  répétées  que  les  «amis  de 
Dieu»  reconnaissent  surtout  l'inspiration  véritable.  Nicolas 
deBàle,  plus  ferme,  plus  impératif  que  son  ami  de  Strasbourg, 
insiste  ;  et,  sur  les  fondements  du  couvent  de  la  Trinité,  s'é- 
lèvent successivement  —  toujours  sur  l'injonction  des  voix 
intérieures  —  maison  d'habitation,  église,  chœur,  chapelle, 
cloître  ogival  ;  les  halliers  de  l'île  font  place  à  des  jardins,  et 
Rulmann  lui-même  renonce  à  la  vie  du  siècle  ;  il  vient  se 
confiner  et  mourir  dans  l'asile  qu'il  a  si  libéralement  ouvert  à 
l'ordre  de  riiôpilal. 

Après  le  décès  de  ce  pieux  donateur  (1382),  qui  avait  seul 
le  secret  de  la  retraite  ou  du  séjour  temporaire  de  Nicolas  de 
Râle,  les  hospitaliers  de  Strasbourg,  désireux  de  rester  en 
rapport  avec  les  amis  de  Dieu,  firent  de  vaines  tentatives 
pour  renouer  les  fils  qui  s'étaient  rompus  avec  la  mort  de 
Rulmann  ;  ils  envoyèrent  des  messagers  de  confiance  dans 
plusieurs  localités  de  la  Suisse,  par  exemple,  dans  le  couvent 
d'Engelberg,  mais  sans  succès  ;  ils  durent  se  résigner  à  jouir 
du  bienfait  sans  connaître  le  bienfaiteur. 

Un  écrit,  de  la  main  de  Nicolas  de  Bàle,  dans  le  même 
manuscrit,  relate  la  conversion  miraculeuse  de  cinq  de  ses 


TRENTE-QUATRIÈME  LETTRE.  379 

fidèles  acolytes  (das  Buch  von  den  fànf  Mannen)  ;  mais  les  in- 
dications biographiques^  au  point  de  vue  du  monde  réel ,  sont 
aussi  très-vagues.  Il  y  avait  dans  toute  cette  organisation  une 
évidente  tendance  à  se  soustraire  à  toute  inspection  ecclé- 
siastique et  politique.  Cela  n'empêcha  point  Nicolas  de  Bàle 
de  tomber  martyr  de  sa  doctrine.  Convenons  d'ailleurs  que  la 
réforme  qu'il  essayait  d'accomplir  sur  les  âmes,  aurait  pré- 
senté de  graves  inconvénients  si  elle  s'était  répandue  dans 
les  masses  avec  son  alhage  mysticjue  ;  de  véritables  dangers 
en  résultaient,  du  reste,  pour  f organisation  hiérarchique  de 
l'église. 

Une  vague  tradition  porte  que  Nicolas  de  Baie ,  déjà  fort 
avancé  en  âge,  aurait  fait,  vers  1377,  une  tournée  à  Rome, 
pour  gagner  le  Pape  à  son  œuvre  de  régénération  intérieure  ; 
que ,  plus  tard ,  ému  par  le  grand  schisme  d'Occident  qui  ve- 
nait d'éclater,  il  n'aurait  pu  maîtriser  l'indignation  que  lui 
causaient  les  troubles  où  l'on  jetait  témérairement  l'Église 
chrétienne,  et  qu'il  aurait  péri  sur  un  bûcher,  à  Vienne,  en 
Dauphiné. 

J'ai  déjà  parlé  incidemment  de  l'ouvrage  mystique  de  Rul-. 
mann  Meerswin.  Les  Sept  Rochers,  primitivement  écrits  en 
allemand,  existent,  traduits  en  latin,  dans  notre  collection, 
et  remplissent  un  volume  in-fol.  de  50  feuillets. 

Donner  une  froide  et  incomplète  analyse  de  ce  dialogue 
entre  Rulmann  et  une  voix  mystérieuse,  ce  serait  dépouiller 
de  son  caractère  propre  cette  composition  inspirée  au  fonda- 
teur de  la  maison  de  l' Ile-Verte  par  la  pensée  directrice  de  sa 
vie,  par  cet  irrésistible  élan  vers  le  salut  éternel.  Dire  en 
quelques  lignes  les  aspirations  qui  pour  cette  âme  aimante 
se  traduisaient  en  un  langage  symbolique,  ce  serait  efiacer  le 
coloris  et  même  les  contours  d'un  tableau,  et  n'en  laisser 
subsister  que  la  sèche  légende  inscrite  au  bas  du  cadre,  ou 
pour  rendre  ma  pensée  d'une  manière  plus  nette  encore,  ce 
serait  donner  le  squelette  d'un  sermon,  en  supprimant  les 
développements  et  en  écartant  la  figure  de  l'orateur,  l'anima- 


380  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

lion  de  son  geste,  toutes  les  manifestations  qui  introduisent 
dans  le  foyer  de  vie  dont  elles  émanent.  Essayez  donc  de  don- 
ner une  idée  de  Dante,  par  les  sommaires  des  chants  de  la 
Divine  comédie!  Et  pour  saisir  la  valeur,  la  portée  de  cette 
fiction  qui  pour  Rulmann  Meerswin  était  une  réalité,  il  aurait 
fallu,  avant  toute  chose,  initier  vos  lecteurs  dans  toutes  les 
angoisses  de  cette  âme  tourmentée  avant  sa  régénération  in- 
térieure. 

Qu'il  suffise  donc  de  savoir  que  les  visions  allégoriques, 
j'allais  dire  apocalyptiques ,  dont  l'auteur  entretient  ses  frères 
de  rile-Verte  —  car  c'est  à  eux  qu'il  destinait  son  poëme  ou 
son  traité  —  devaient  personnifier  les  tentations  qui  viennent 
assaillir  les  hommes,  lorsqu'ils  se  mettent  sérieusement  en 
route  pour  gagner  le  ciel.  Le  dogme  de  la  chute  de  l'homme 
et  de  sa  rédemption  est  expliqué  par  des  formes  ou  des  images 
visibles;  et  les  plaies  qui  aflligcnt  l'humanité,  les  vices  qui  la 
déshonorent  à  tous  les  degrés  de  l'échelle  sociale,  dans  l'E- 
glise et  hors  de  l'Eglise,  donnent  lieu  à  des  plaintes  élé- 
giaques,  à  des  tableaux  satyriques  que  l'on  dirait  inspirés  pur 
l'un  des  grands  moralistes  modernes. 

Dans  l'ensemble  de  cette  composition  dantesque,  on  recon- 
naît, à  ne  pas  s'y  méiircndre,  la  faculté  dominante  «des 
amis  de  Dieu,  »  cette  imagination  créatrice^  qui  les  transporte, 
sur  des  ailes  de  flammes  dans  un  monde  surnaturel  et  donne 
à  des  visions  le  caractère  de  faits  biographiques. 

Dans  ces  organisations  exceptionnelles,  la  réalité  et  la  fic- 
tion se  touchaient  de  si  près,  que  l'on  ne  peut  plus  dire  où 
l'une  finit,  où  l'autre  commence;  sur  les  confins  des  deux 
mondes,  du  monde  des  sens  et  du  monde  futur,  ces  hommes 
dévorés  à  la  fois  par  l'amour  divin  et  par  le  culte  de  l'huma- 
nité, tiennent  à  la  terre  par  la  racine  de  leur  être  matériel, 
et  percent  à  travers  les  nuages  jusqu'au  fond  des  cieux  dans 
les  moments  où  toutes  leurs  facultés  sont  surexcitées  par 
l'extase. 

On  verra  peut-être  d'un  autre  œil  les  murs  sombres  et  in- 


TRENTE-QUATRIKME  LETTRE.  381 

formes  de  la  maison  do  corrcclion,  mainleiiant  que  l'on  sait 
quels claiciU  leurs  habitanls  d'autrefois;  que  Rulmann  Meers- 
Avin  a  donné  corps  dans  cette  enceinte  à  ses  poétiques  et 
pieuses  hallucinations;  que  Nicolas  de  Lœfene  y  consacrait 
ses  veilles  à  recopier  soigneusement  les  lettres  de  Nicolas  de 
Bàle;  que  Conrad  de  Brunsberg,  maître  de  l'ordre  en  Alle- 
magne, venait  s'y  abriter  sur  la  fin  de  ses  jours  ;  que,  sur  le 
bord  de  ces  eaux  silencieuses,  s'échangeaient  les  mystérieux 
messages  entre  le  fondateur  de  la  maison  et  son  ami  caché, 
mais  toujours  actif,  jusqu'au  jour  néfaste,  où  les  llammes  dé- 
vorèrent cette  existence  vouée  à  la  régénération  du  monde 
chrétien. 

Je  n'en  ai  point,  fini  avec  la  bibhothèque  de  la  maison  de 
rile-Verte.  Comme  je  serais  tenté  de  décrire  «le  Livre  des 
abeilles  »,  recueil  d'historiettes  morales  et  légendaires,  de 
conseils,  de  maximes,  à  l'usage  des  religieux!  —  et  «le  Livre 
des  sentences  » ,  recueil  de  discussions,  de  dissertations  théo- 
logiques du  quinzième  siècle  ;  et  un  autre  volume  de  la  même 
époque^  bizarre  amalgame  de  notes  diverses,  par  exemple: 
d'un  dictionnaire  de  mots  techniques  du  droit ,  d'une  instruc- 
tion sur  les  degrés  de  parenté,  de  lettres  pontificales  et  épis- 
copales,  réglant  des  points  de  discipline;  d'un  livre  de  mo- 
rale «sur  le  culte  de  la  vertu»,  dédié  à  un  landgrave  de 
liesse,  qui  en  aura  profité,  il  faut  le  croire  charitablement. 
Ce  même  manuscrit  contient  un  dialogue  «  sur  la  prospérité 
du  roi  et  du  royaume  de  France;»  les  interlocuteurs  soni: 
Martin-le-Frank,  prévôt  de  Lausanne;  Jean  Bertonelli,  pré- 
cepteur de  Saint-Antoine  d'Issenheim,  dans  le  Haut-Rhin,  et 
Pierre  Heroncellus.  Quel  bizarre  pot-pourri!  mais  avant  la 
vulgarisation  des  livres  par  l'imprimerie,  de  semblables  col- 
lections avaient  une  véritable  valeur  poui'  l'intérieur  d'une 
maison  religieuse. 

Un  autre  manuscrit,  du  seizième  siècle,  contient  la  copie 
d'un  opuscule  sur  l'origine  de  la  maison  de  l'Ilc-Verte;  un 
abrégé  des  statuts  de  la  maison;  un  poëme  allemand,  traduit 


382  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

du  latin  de  Jean  Regalis,  chevalier  de  Sainl-Jean,  sur  les  pri- 
vilèges de  l'ordre  etc. 

L'histoire  des  chevaliers  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  trou- 
verait quelques  matériaux  épars  dans  un  volume  du  quinzième 
siècle,  contenant  les  statuts  à  partir  de  Raymond  du  Puy, 
premier  grand-maître  (1118-1102),  jusqu'à  Philippe  de  Nail- 
lac  (1390-1421),  la  liste  des  dignitaires  depuis  Gérard,  cus- 
tode de  l'hôpital  de  Sainl-Jean  de  Jérusalem,  jusqu'au  grand- 
maître  Roger  du  Pin,  avec  une  notice  biographique  accolée 
à  chaque  nom. 

Décidément  je  m'arrête....  tomber  dans  la  sécheresse  d'un 
catalogue  de  librairie,  après  s'être  promené  un  instant  sous 
les  saules  de  l'Re- Verte  et  dans  les  régions  de  l'allégorie, 
c'est  mal  finir.  Soyez  indulgent.  Monsieur,  à  cette  passion 
désintéressée,  qui  s'attache  à  quelques  feuillets,  sur  lesquels 
s'est  posée  la  main  de  Rulman  Meerswin,  et  à  ces  volumes 
que  les  commandeurs  de  Saint-Jean  de  Strasbourg  avaient 
réunis  pour  l'instruction  et  l'édification  des  chevaliers,  des 
chapelains,  des  prêtres  et  des  servants  attachés  à  la  Comman- 
derie  alsacienne. 


TRENTE-CINQUIÈME  LETTRE.  383 


TREATE-CIIVQUIÈME  LETTRE. 

liCS  abbnyes  et  les  couvents  de  fciiiiiies.  —  Saiiit-Ktienne  de  Stras- 
bourg. —  Histoire  de  l'abliaye.  —  Saint-.%tfale  et  Adulbcrt,  duc 
d'Alsace.  —  Les  chartes  priiuitives.  —  Kpoquc  de  la  Kéforme.  — 
liC  tiiéàtrc  de  Strasbourg  tcniporairenient  établi  à.  Saint-Ktiennc. 
—  Le  fouds  de  Saint-Kticnuc.  —  Salnte-.lladcleiue.  — ■  Sulntc-.^lar- 
guerite. 


Monsieur, 

Nous  approchons  du  terme:  les  abbayes  et  les  couvents  de 
femmes  que  nous  allons  traverser  forment  la  clôture  de  la 
dernière  série.  Commençons  par  les  établissements  iiitm-inu- 
ros  de  Strasbourg;  ceux  de  la  campagne  auront  leur  tour. 

Si  dans  l'histoire  il  y  a  des  existences  prédestinées ,  n'en  se- 
rait-il pas  de  même,  en  géographie,  de  certains  sites?  A  Stras- 
bourg, l'emplacement  occupé  par  Saint-Etienne  rentre  dans 
cette  catégorie.  A  partir  de  l'époque  celtique  jusqu'à  nos 
jours,  cette  pointe  de  terre,  cet  angle  formé  par  le  confluent 
de  deux  bras  de  l'Ill  a  subi  un  sort  spécial.  Couvert  primiti- 
vement d'un  bosquet  sacré,  où  se  consommaient  sans  doute 
de  sanglants  sacrifices  druidiques,  fortifié  dès  les  premiers 
siècles  de  notre  ère  par  les  légions  romaines,  château-rési- 
dence de  l'état-major  de  la  huitième  légion,  ensuite  palais  du 
comte  d'Argentorat,  enfin  surbâti  par  une  abbaye  mérovin- 
gienne, ce  mémorable  coin  de  terre  a  toujours  éprouvé  chez 
nous,  l'un  des  premiers,  tous  les  contrecoups  des  révolutions 
sociales  et  religieuses  qui  depuis  dix-neuf  siècles  bientôt  se 
sont  succédé  dans  la  vallée  alsatique.  Un  coup  d'œil  rapide  jeté 
sur  les  annales  de  Saint-Etienne  justifiera  mon  assertion;  quel- 
ques lambeaux  arrachés  au  riche  fonds  de  cet  établissement, 
contemporain  de  Sainte-Odile,  suffiront  pour  donner  une  idée 
d'une  collection,  dont  les  plus  anciens  documents  remontent 
presque  à  l'époque  de  la  fondation  elle-même. 


38-i  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

Je  n'ai  point  à  vous  entretenir  des  temps  gaulois  ou  ro- 
mains; nos  documents  ne  dépassent  pas  le  neuvième  siècle 
de  notre  ère.  Une  charte  carlovingienne  da  l'empereur  Lo- 
thaire,  charte  bien  authentique,  émise  à  Strasbourg  même, 
en  845,  nous  apprend  que  l'abbaye  construite  en  l'honneur 
du  premier  martyr  chrétien  avait  été  fondée  sur  les  ruines  de 
l'ancien  Argentorat ,  aux  bords  de  la  Bruche  ' ,  au  cœur  d'une 
sohtude profonde,  et  que  ce  fondateur  se  nommait  Adalbert, 
comte  ou  duc  d'Alsace,  d'après  la  tradition  légendaire,  fils 
d'Atlicus  et  frère  de  sainte  Odile. 

Schœpflin  place  l'époque  approximative  de  cette  pi'imitivc 
fondation  en  l'an  720.  La  charte  émise  par  Adalbert  existait 
du  temps  de  Lothairc  l^'"  et  de  Louis-le-Germanique;  Werin- 
har,  évêque  de  Strasbourg,  l'avait  tenue  en  main  (vers  l'an 
1000).  C'est  une  regrettable  et  immense  perte  que  celle  de  ce 
premier  document  mérovingien;  mais  celui  de  Lothaire  peut 
à  la  rigueur  le  remplacer;  d'après  toutes  les  règles  de  la  pro- 
babilité, nous  pouvons  ajouter  foi  au  diplôme  impérial,  et 
tenir  pour  constant  que  dans  la  première  moitié  du  huitième 
siècle,  Attale,  fille  d'Adalbcrt,  a  été  la  première  supérieure 
ou  abbesse  de  Saint-Etienne  de  Strasbourg.  En  nous  plaçant 
sur  le  terrain  des  hypothèses,  il  est  possible  que  sainte  Odile, 
dont  Attale  aurait  été  la  nièce,  ail  visité  le  cloître  construit 
sur  les  substructions  d'un  castellum  romain,  et  sur  le  même 
sol  où  les  prêtres  gaulois  et  les  druidesses  avaient  tenu  leurs 
assemblées. 

L'empereur  Lothaire,  dans  son  diplôme  de  845,  rappelle 
une  disposition  du  roi  Chilpéric,  qui  aurait  sanctionné  la  pre- 
mière fondation  et  aurait  affranchi  le  couvent  de  toute  autre 
autorité  que  celle  de  l'évèque  diocésain;  trente  sœurs  et 
quatre  chanoines,  dont  l'un  était  chargé  de  l'administration 
temporelle  des  biens  de  l'abbaye,  formèrent  le  premier  con- 


'  Brusca.  L'ill  portail  alors,  à  Strasbourg  niCnie,  le  nom  de  son  princi|ia! 
affluent. 


Tr.KNTl'l-CINQriÈME  LETTRE.  385 

tingenl  de  cet  élablisscmcnl  religieux  (jiii  li'avcrse,  avant 
d'être  englouti  par  la  révolution  de  93,  des  phases  diverses 
et  des  orages  plus  ou  moins  violents. 

L'évoque  Werinhar,  l'ami  de  l'empereur  Ilenri-le-Saint, 
fut,  pour  le  couvent  de  Saint-Etienne,  l'auteur  d'une  innova- 
tion peu  avanlageuse  :  il  obtint  de  l'empereur  que  ce  cloilre 
serait  soumis  à  l'évèque  pour  l'adminislralion  temporelle. 
Les  intentions  du  prélat  étaient  bonnes;  il  cherchait  dans  cet 
arrangement  le  moyen  de  relever  les  édifices  ccchîsiasliques, 
dévastés  pendant  une  guerre  récente  avec  Ilerrmann,  duc  de 
Souabe  et  d'Alsace.  Mais  la  légende  populaire  transforma  en 
véritable  acte  de  spolation  cet  expédient  de  l'évèque,  cons- 
tructeur de  la  cathédrale  byzantine,  et  par  un  singulier  ana- 
chronisme, elle  accusa  de  cette  spolation  non  pas  Werinhar 
lui-même,  mais  l'un  de  ses  prédécesseurs,  l'évèque  Wider- 
hold,  parent  des  empereurs  de  la  maison  de  Saxe;  et  pour 
mettre  le  comble  à  ces  imputations  imaginaires,  on  appliqua 
un  véritable  jugement  de  Dieu  à  ce  prélat;  on  fit  passer  sa 
mémoire  sous  les  fourches  caudines;  «une  armée  de  souris 
ou  de  rats  aurait  dévoré  le  prétendu  spoliateur  de  l'abbaye  de 
Saint-Étienne.  »  Le  jury  populaire  est,  il  faut  bien  en  conve- 
nir, sujet  à  de  singuhères  méprises;  il  est  l'are  cependant 
que  l'éclaircissement  soit  relardé  jusqu'au  jugement  dernier. 
Une  critique,  cette  fois  saine  et  impartiale,  a  depuis  long- 
temps réduit  à  néant  le  prétendu  supplice  de  Widerhold. 
Notre  prononcé  n'est  point  une  réhabilitation,  mais  une 
simple  note  pour  ceux  de  nos  lecteurs  que  nou's  introduisons 
pour  la  première  fois  sur  ce  terrain  de  notre  passé. 

Dans  la  seconde  moitié  du  douzième  siècle,  l'abbaye  de 
Saint-Etienne  fut  à  peu  près  reconstruite  à  l'aide  des  revenus 
de  ses  terres  provenant  des  premières  libéralités  mérovin- 
giennes ;  ce  qui  implique  en  tout  cas  une  bonne  administra- 
tion épiscopale,  et  met  à  néant  les  absurdes  rumeurs  trans- 
formées par  la  voix  du  peuple  en  poétique  légende. 

Permettez-moi  d'interrompre  pour  un  moment  ce  récit  et 

25 


386  ARCHIVES  DÉPARTEME.NTALES  du  BAS-RIllX. 

de  vous  placer  sur  le  quai  derrière  l'abside,  à  l'est  de  l'église 
de  Saint-Etienne.  Tenez  un  instant  vos  yeux  fixés  sur  la  gra- 
cieuse arcature  romane  qui  entoure  comme  une  guirlande  le 
haut  de  l'hémicycle.  Cette  partie  de  l'édifice  est  certes  d'une 
respectale  antiquité,  puisque  nous  sommes  obligés  de  remon- 
ter le  cours  de  près  de  sept  siècles  pour  abouUr  au  temps  de 
sa  construction.  Eh  bien!  il  nous  faut  encore  franchir  près  de 
douze  siècles  de  plus  pour  atteindre  l'époque  des  premières 
constructions  romaines,  et  arriver  sur  la  lisière  des  temps 
contemporains  de  ces  tertres  mystérieux  semés  dans  nos  fo- 
rêts et  nos  plaines  d'Alsace.  Toute  celle  longue  période  depuis 
le  premier  siècle  de  notre  ère,  a  vu  passer,  sur  ce  sol  in- 
cessament  battu  et  rongé  par  les  eaux  de  l'Ill,  des  Gaulois, 
des  Romains,  des  Francs  mérovingiens  et  carlovingiens,  des 
prélats,  des  abbesses,  des  religieuses  de  la  race  franque  et  de 
la  race  allémanique;  le  couteau  du  sacrificateur,  le  glaive  du 
conquérant  méridional,  la  framée  du  conquérant  du  Nord,  le 
bàtoii  pastoral  ont  été  tour  à  tour,  dans  cette  enceinte,  le 
symbole  de  la  force  et  du  commandement,  un  appel  à  l'obéis- 
sance servile  ou  volontaire. 

Des  péripéties  moins  grandes  marquent  les  siècles  qui  suiven  t 
ce  point  culminant  du  moyen  âge;  elles  aboutissent,  à  travers 
la  Réforme ,  aux  bouleversements  de  la  fin  du  dix-huitième 
siècle.  L'abbaye  de  Saint-Etienne  fut  sécularisée  en  •1343,  et 
devint  un  chapitre  de  chanoinesses  nobles  de  l'ordre  des  Au- 
gustins.  De  ce  moment,  on  y  voit  figurer  les  noms  des  pre- 
mières familles  d'Alsace,  tels  que  ceux  des  dames  de  Lands- 
perg,  de  Rathsamhausen,  d'Andlau ,  de  Wangen  de  Geroldseck. 
Au  quinzième  siècle  une  lutte  opiniâtre  et  longue  s'établit 
entre  l'abbesse  et  les  chanoinesses  pour  des  questions  de  rè- 
glement intérieur.  En  1U3,  l'évèque  Robert-lc-Palatin  avait 
renouvelé  les  statuts;  mais  un  demi-siècle  plus  tard,  en  1492, 
le  successeur  de  Robert,  Albert  de  Bavière,  fut  obligé  de 
convoquer  une  commission  pour  rédiger  de  nouveaux  statuts. 
Parmi  les  commissaires  nous  voyons  figurer  le  célèbre  Geyler 


TRENTE-CINQUIÈME   LETTRE.  387 

de  Kaysersbci'g-  qui  préludait  dans  la  chaire  de  la  callicdralc 
par  des  sermons  incisifs,  aux  violentes  attaques  d(5  la  généra- 
ration  des  i)rédicateurs  qui  allaient  recueillir  son  héritage. 

Au  milieu  du  bouleversement  de  la  première  moitié  du 
seizième  siècle,  l'abbaye  de  Saint-Etienne  fut  ébranlée  dans 
ses  fondements;  les  principes  constitutifs  de  son  existence 
furent  méconnus.  En  1539,  l'abbesse  Adélaïde,  de  la  famille 
d'Andlau  jeta  loin  d'elle  son  voile  et  se  maria;  on  élut  à  sa 
place  Marguerite  de  Landsperg,  quoique  cette  demoiselle  fût 
protestante.  Le  chiffre  des  chanoinesses  était  réduit  à  trois; 
il  n'y  avait  plus  de  chanoines  catholiques  ;  leur  rôle  était  rem- 
pli par  les  pasteurs  et  les  diacres  de  l'église  luthérienne  de 
Saint-Guillaume  située  en  face  de  Saint-Etienne  sur  la  rive 
droite  de  l'ill. 

Quel  étrange  ordre  de  choses!  Une  abbaye,  dont  la  pre- 
mière supérieure  se  rattachait  à  la  famille  de  Hohenbourg 
et  de  sainte  Odile,  se  métamorphose  au  point  de  se  sou- 
mettre à  des  doctrines  et  à  des  règlements  anlicatholiques  ; 
ses  chanoinesses  deviennent  des  mères  de  famille,  et  ses 
chanoines  distribuent  la  communion  sous  les  deux  espèces. 
Et,  fait  plus  incroyable  encore,  cet  ordre  de  choses  ap- 
puyé sur  la  situation  politique  et  municipale,  subsiste  pen- 
dant plus  d'un  siècle  et  demi.  En  1560 ,  les  chanoines  protes- 
tants procèdent  à  une  élection,  et  nomment  aux  fonctions 
d'abbesse  Mad.  Cunégonde  Wctzel  de  Marsilien  ;  l'évêque 
Erasme  de  Limbourg-  contirme  la  nomination  1 

Je  ne  trouve  d'explication  pour  cet  événement  anormal  que 
dans  une  situation  sans  exemple  dans  l'histoire  ecclésiastique. 
L'évêque  préférait  évidemment  sauvegarder  les  apparences  et 
ne  point  abandonner  complètement  les  rênes;  il  voulait  sau- 
ver le  pi'incipe  de  l'autorité  souveraine  de  l'Eglise  même  sur 
l'hérésie  victorieuse,  sauf  à  laisser  à  ses  successeurs  le  soin 
de  ramener  dans  la  voie  de  l'ancienne  et  immuable  orthodoxie 
le  char  dévié  de  la  discipline  ecclésiastique. 

En  1566,  Odile  de  Dormentz  succède  à  M^e  de  Marsilien  sur 


o88  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

le  siège  abbatial  de  Saint-Elienne.  Son  élection  s'était  faite  en 
présence  de  l'official  de  l'cvèque  et  de  quelques  délégués  épis- 
copaux.  L'empereur  Maximilien  II  confirma,  sur  les  instances 
de  l'abbesse  protestante,  tous  les  anciens  droits  de  l'abbaye, 
et  lorsque  Odile  de  Dormentz  mourut  en' 1592,  le  pasteur 
lutbérien  de  Saint-Guillaume  prononça  son  oraison  funèbre  '. 

Le  gouvernement  de  Louis  XIV  prescrivit  la  clôture  de  la 
maison.  En  1687  une  ordonnance  royale  avait  déjà  remis  le 
culte  dans  l'église  de  Saint-Élienne  aux  Pères  de  Saint-Antoine. 
L'ancienne  abbaye,  qui  depuis  près  de  deux  siècles  était  la 
propriété  de  la  ville  ,  fut  cédée  par  le  magistrat  de  Strasbourg 
aux  dames  de  la  Visitation,  qui  s'y  établirent  définitivement 
en  1702. 

Cet  ordre  de  choses  dura  jusqu'à  la  Révolution.  Des  demoi- 
selles de  familles  nobles  catholiques  furent  élevées,  pendant 
le  dix-huitième  siècle,  aux  frais  du  roi,  chez  les  dames  de  la 
Visitation  qui  avaient  repris,  après  l'interrègne  des  chanoi- 
nesses  protestantes,  la  place  des  religieuses,  filles  d'Attale  et 
de  Basilla. 

Pendant  la  Révolution,  la  belle  église  byzantine  (1170)  et  le 
cloître  de  Saint-Etienne  furent  convertis  en  magasin.  Un  ins- 
tant, sur  les  confins  des  deux  siècles,  une  synagogue  s'établit 
dans  l'église.  Le  chant  des  psaumes  hébraïques  retentit  sous 
les  mêmes  voûtes  qui  avaient  entendu  les  hymnes  chrétiens 
du  moyen  âge. 

Puis,  pendant  vingt  ans,  le  théâtre  et  ses  pompes  mondaines 
profanèrent  le  temple  que  le  roi  Childebert  et  l'empereur 
Lothaire  avaient  doté  pour  la  gloire  de  Dieu  et  la  mémoire  du 
premier  martyr  chrétien. 

Au  reste,  soyons  justes,  sévères  avec  mesure,  sans  exagé- 
ration de  puritanisme.  Il  pouvait  arriver  pire  à  cette  noble 
basilique  !   La  métamorphose  transitoire  qu'elle  subit  sauva 

^  Voy.  la  nolico  iiiUM'cssaiile.  de  M.  \e  piofcsseiu'  Jung  sur  les  inscriptions 
de  Saint-Élicnne.  Bxtlletin  de  la  Société  historique  d'Alsace ,  l.  Il,  p.   380. 


TRENTE-CINQUIÈME  LETTRE.  389 

peut-être  rédillce  d'une  démolition  complète  on  d'nne  desti- 
nation plus  vulgaire.  Dans  cette  salle  de  spectacle  improvisée, 
on  vit  apparaître,  comme  liôtes  passagers,  de  grands  talents 
qui  ont  illustré  la  scène  française  et  révélé  à  toute  une  gé- 
nération alsacienne  les  immortelles  beautés  du  théâtre  de 
Louis  XIV.  Le  culte  de  l'art  avait  temporairement  remplacé  le 
culte  chrétien;  mais  il  amenait,  par  un  détour,  au  bien  et 
au  vrai  les  esprits  d'élite,  en  les  familiarisant  avec  les  idées 
qui  élèvent  l'âme  et  la  purifient.  La  voix  de  tonnerre  de  Talma 
a  éclaté  sous  ces  voûtes  et  prêté  des  accents  déchirants  au 
remords  : 

Pour  qui  sont  ces  serpents  qui  sifflent  sur  vos  têtes? 

Le  timbre  argentin  de  Céhmène  a  fait  vibrer  ici  les  cordes 
les  plus  délicates  du  cœur,  et  meiTeilleusement  hâté  l'initia- 
tion des  esprits  à  la  sociabilité  française.  Et,  pour  conserver 
à  Strasbourg  le  caractère  de  sa  double  provenance  et  de  sa 
situation  sur  deux  versants  —  qui  fait  son  originalité  et  don- 
nera à  ses  enfants  un  brevet  de  force,  s'ils  savent  en  user,  — 
les  chefs-d'œuvre  du  théâtre  allemand  ont  aussi  passé  sur  ces 
planches  fragiles;  dans  les  vers  du  plus  grand  poète  drama- 
tique de  la  Gei^manie,  Jeanne  d'Arc  proclamait  l'immortalité 
de  la  race  et  de  la  nationalité  française  ;  Marie  Stuart  y  mar- 
chait au  supplice  en  reportant  ses  derniers  adieux  vers  sa  pa- 
trie d'adoption  au  delà  de  la  Manche,  et,  par  un  anachronisme 
heui^eux,  WalJenstein  y  personnifiait  les  traits  du  créateur  de 
la  tactique  du  dix-neuvième  siècle. 

En  1821,  le  théâtre  fut  transféré  dans  l'édifice  qu'il  occupe 
aujourd'hui;  Saint-Étienne  redevint  magasin  et  entrepôt  de 
tabac. 

L'archiviste  actuel  du  Bas-Rhin,  dans  le  premier  rapport 
qu'il  adressait  à  son  préfet  en  août  1840,  émit  le  vœu  que  le 
sanctuaire,  auquel  se  rattachent  les  souvenirs  les  plus  respec- 
tables et  les  plus  anciens  de  notre  province,  fût  rendu  au  culte. 
Ce  vœu,  timidement  formulé,  a  reçu  depuis  quelques  années 


390  ARCHIVES  DF:PARTEMENTALES  du  BAS-RHIN. 

une  éclatante  réalisation.  Saint-Etienne  est  restauré,  ouvert 
aux  fidèles,  et  sur  l'emplacement  du  magasin  de  tabac  s'é- 
lèvent les  constructions  d'un  vaste  séminaire.  La  chaîne  in- 
terrompue est  ressoudée;  l'année  1860  donne  la  main  à  4170, 
845  et  721. 

Quelques  mots  maintenant  sur  le  contenu  même  du  fonds 
qui  a  été  l'occasion  de  ce  petit  résumé  liistorique.  Vous  con- 
naissez déjà  la  pièce  capitale  de  la  collection ,  la  charte  de 
Lothaire.  Ce  même  document  relate  toutes  les  propriétés 
de  Saint-Étienne,  soit  à  Strasbourg,  soit  aux  environs  delà 
ville  et  à  Wangen.  Une  charte  de  Louis-le-Germanique  (856), 
confirmative  de  celle  de  l'empereur  Lothaire,  semble  apo- 
cryphe ;  du  moins  elle  fourmille  de  fautes  grammaticales  et  de 
noms  estropiés,  peut-être  par  la  seule  faute  du  co['iste.  Une 
charte  de  l'évêque  Werinhar  (1105)  énumère  de  nouveau  les 
privilèges  de  l'abbaye  et  vient  à  l'appui  des  deux  diplômes  an- 
térieurs. 

La  rubrique  des  procédures  est  d'une  richesse  et  d'une  ori- 
ginalité rares.  Nous  possédons  une  rotule  qui  a  au  delà  de 
quatorze  mèh'cs  de  longueur  ;  essayez  de  la  déployer,  et  il  vous 
faudra  une  salle  d'une  diiiiension  considérable  pour  que  vous 
puissiez  dérouler  complètement  ce  bandeau,  couvert  des  dé- 
tails d'une  enquête  à  laquelle  on  a  procédé,  en  1359,  dans  un 
litige  entre  le  chapitre  de  Saint-Étienne  et  Agnèsc  de  Win- 
deck,  religieuse  de  rélablissenient'. 

Un  autre  acte  notarié,  d'une  longueur  très -respectable, 
mais  de  moindre  dimension  que  le  précédent,  contient  la 
sentence  des  juges  collongers  de  Wangen  contre  le  chevalier 
Jean  de  Wangen,  qui  s'était  permis  d'enlever  un  cheval  de 
la  cour  ou  mairie  coUongère-  de  l'abbaye,  et  qui  avait  en- 


*  La  roliile  est  un  vidiimis  (copie)  notarié  de  -1368. 

"  L'abliaye  de  Saint-Étienne  possédait  à  Wangen  une  cour  collongère 
{Dinghoff'),  siège  de  l'administration  de  ses  propriétés  dans  la  banlieue  et  au 
delà.  Dans  les  collonges,  les  fermiers  collongers  [Huber)  formaient,  sous  la 


TRENTE-CINQUIÈME  LETTl'.K.  ')0i 

freint  par  là  les  privilèges  de  ki  piopriélé  et  de  la  juridiclion 
abbatiale.  La  sentence  est  de  4388,  et  porte,  en  seconde  ins- 
tance, la  confirmation  des  juges  collongcrs  do  Booflzbeim. 

Rien  de  plus  rréqucnt  que  ces  démêlés  pour  des  cas  de 
juridiclion.  Parmi  les  litres  relatifs  à  la  commune  de  Macken- 
heim,  où  notre  abbaye  possédait  des  biens,  se  rencontre  une 
sentence  de  roflicialitc  épiscopale,  de  l'année  -1352,  contre 
le  messager  Nicolas  Clafï'er,  qui  avait  arrêté  Nicolas  Volmar 
et  sa  femme  dans  l'intérieur  de  la  cour  collongère  abbatiale 
de  Mackenheim ,  quoique  celle-ci  eût  le  privilège  du  droit  d'a- 
sile. Aussi  les  magistrats  locaux  de  la  commune  se  hâtèrent-ils 
de  reconnaître  la  juridiction  exceptionnelle  de  Saint-Etienne. 
Un  fait  analogue  se  reproduit  en  1488  dans  la  même  com- 
mune. Henri  deBolsenheim  y  avait  procédé  à  une  arrestation, 
et  s'était  vu  obligé  de  baisser  pavillon  devant  la  juridiclion 
abbatiale. 

La  rubrique  des  règlements  offre  un  genre  d'intérôl  spécial  ; 
elle  nous  révèle  la  nécessité  de  réprimer  incessamment  les 
abus  qui  se  glissent,  à  la  longue,  dans  toute  communauté. 
En  1307,  l'abbesse  de  Saint-Étienne  fait  sommer  les  quatre 
chanoinesses  de  fréquenter  le  service  divin  et  de  ne  s'absenter 
de  Strasbourg'  qu'après  permission  obtenue.  —  En  "1381,  l'é- 
vèque  de  Strasbourg  règle  le  costume;  en  1439,  le  concile  de 
Bàle  réforme  l'intérieur  du  couvent,  où  l'on  se  permettait  des 
allures  qui  n'étaient  plus  en  rapport  avec  la  vie  cloîtrée;  car 
les  chanoinesses  fréquentaient,  en  costume  élégant  et  mon- 
dain, les  spectacles  mondains.  —  Des  statuts  de  1545,  émis 
par  Mnifî  Marguerite  de  Landsperg,  forment  un  code  complet 
qui  initie  dans  la  vie  intérieure  de  l'établissement  pendant 
cette  incroyable  époque  de  transition  signalée  plus  haut. 

Ce  serait  abuser  de  votre  attention  si  je  prétendais  m'égarer 
dans  les  vastes  rubriques  des  titres  de  propriété  et  de  la  comp- 


présidencft  du  maire  (Meyer),  une  espèce  de  jury  pour  la  décision  des  cas  11- 
tii^ieiix  qui  loiiaiL'iil  à  la  culture  el  à  raduiiuiblralioii  des  terres  du  (inago. 


392  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

tabilité.  Jetons  un  dernier  regard  sur  celte  porte  romane,  qui 
s'ouvre  de  nouveau  pour  les  solennités  de  l'église,  et  sur  le 
chœur  fidèlement  restauré;  puis  passons  la  Brusca,  celte  ri- 
vière illustrée  dans  le  diplôme  impérial  de  Lothairc;  nous  tou- 
cherons, i)rès  de  l'église  de  la  Madeleine,  à  l'emplacement  où 
fut  en  dernier  lieu  le  couvent  de  ce  nom ,  c'est-à-dire  l'asile 
des  Pénitentes  (Zti  den  Reiierinnen).  Dans  l'origine,  la  congré- 
gation avait  été  établie  hors  des  nuirs  de  la  ville;  le  fondateur, 
qui  se  nommait  Henri  de  Ilohcnbourg,  avait  acheté  en  1315 
quelques  maisons  extérieures  près  de  la  porte  de  rilopilal, 
pour  y  recueillir  les  femmes  vagabondes  (fahrcnde  Weiber), 
qui  manifestaient  le  désir  de  pleurer  leurs  péchés  et  de  faire 
amende  honorable.  Un  peu  plus  lard,  Henri  de  nohenbourg 
donna  ces  mômes  maisons  à  la  ville  pour  la  construction  d'un 
hôpital  extra-muros ;  la  souffrance  matérielle  allait  y  remplacer 
la  souffrance  morale. 

En  1836,  un  monaslère  pareil  au  premier  établissement 
fut  construit  hors  la  porle  des  Juifs,  ini  Wascneck,  auf  dem 
Schiessrain,  c'esl-à-dii'e,  i)rcs  du  boulevard  au  tir,  remplacé 
maintenant  par  les  massifs  et  les  ombrages  du  Contades. 

Enfin,  en  1473,  ce  couvent  des  Pénitentes  fut  ti'ansféré  dans 
l'intérieur  de  la  ville,  dans  la  rue  dite  Bnlengassc;  la  situation 
politique  du  pays  —  c'était  l'époque  agitée  de  Charles-le- 
Téméraire  —  forçait  ces  brebis  égarées  de  chercher  un  asile 
mieux  abrité  que  celui  du  Waseneck.  Ce  troisième  couvent  de 
la  Madeleine  a  subsisté  jusqu'à  la  Révolution  avec  ses  reli- 
gieuses sans  clôture,  mais  sous  la  règle  de  saint  Augustin  et 
sous  la  tutelle  de  la  ville.  11  portait  le  nom  de  Pénitentier  de 
la  Madeleine  {Zu  den  Rcucrinnen);  c'était  en  Alsace  le  seul 
établissement  de  ce  genre.  Faut-il  en  induire  que  les  mœurs 
de  notre  province  et  de  notre  ville  étaient  excellentes  et  n'ont 
pu  motiver  la  construction  de  plusieurs  couvents  ayant  cette 
même  destination,  ou  que  les  cas  de  contrition  étaient  chez 
nous  moins  fréquents  et  moins  profonds  qu'en  d'autres  cités? 
J'abandonne  ces  questions  controversables  à  l'arbitrage  des 


TUENTE-CINQUIÈME    LETTRE.  393 

moralistes  (lui  daigncruiil  jcLor  un  coup  d'œil  sur  ces  lignes 
fugitives. 

Le  fonds  du  couvent  de  la  Madeleine  renferme  des  bulles, 
des  lettres  d'indulgence,  des  actes  de  fondation,  parmi  lescjucls 
se  trouve  celui  de  Robert,  évêque  de  Strasbourg,  qui  permit 
en  l^Tô  la  construction  du  couvent  dans  l'inlcrieur  de  la  ville. 
Une  pétition  adressée  en  4492  par  la  supérieure  de  la  Made- 
leine au  Saint-Père,  est  encadrée  d'arabesques,  avec  les  images 
de  saint  Augustin  et  de  la  patronne  de  la  congrégation 

Parmi  les  nombreux  titres  de  propriété,  nn  acte  de  '1380 
constate  la  destination  d'une  maison  sise  alors  près  du  pont 
du  Corbeau  {Schintbriïcke).  Les  bateliers  y  avaient  établi  leur 
salle  de  réunion  (Trinkstube) ,  et  payaient  à  la  propriétaire 
Dyna  Peigerin  un  loyer  annuel  de  2  livres  10  pfennings.  Je  ne 
sais  comment  ce  titie  s'est  égaré  dans  la  collection  du  cou- 
vent; probablement  l'immeuble  avait  passé  dans  le  petit  do- 
maine de  Sainte-Madeleine. 

Si  j'avais  le  droit  de  vous  entretenir  des  belles  verrières  de 
Sainte-Madeleine,  je  vous  arrêterais  quelques  instants  de  plus 
dans  cette  église  ;  mais  ce  travail  a  été  fait  en  détail ,  et  en 
pleine  connaissance  de  cause,  par  l'un  des  collaborateurs  les 
plus  actifs  du  Didlelin  historique;  je  prends  la  liberté  de  vous 
y  renvoyer'. 

Nous  terminerons  notre  revue*  de  ce  jour  en  nous  transpor- 
tant à  l'extrémité  du  faubourg  National,  dans  l'enclos  de  l'an- 
cien couvent  de  Sainte-Marguerite,  aujourd'hui  transformé  en 
quartier  militaire. 

Les  premières  sœurs  de  Sainte-Marguerite  étaient  des  bé- 
guines, instituées  dans  le  village  d'Eckbolsbeim  par  un  noble 
de  Guirbaden,  puis  transférées  à  Strasbourg,  en  1270,  et 
réunies  en  1322  dans  un  monastère  que  l'on  construisit  à  l'ex- 
trémité du  faubourg  Blanc.    Cette  communauté  s'accrut   de 

'  Vov.  le  Inivuil  Je  M.  l'abbé  SUaub  sur  ces  verrières.  Bulletin  de  la  So- 
ciété des  monuments  historiques  d'Alsace,  l.  l^^'',  p,  100. 


394  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

l'adjonction  des  religieuses  de  Sainte -Agnése  (1473)  et  de 
Saint-Nicolas  in  tindis  (1592).  C'est  le  Sénat  prolestant  de 
Strasbourg-  qui,  à  partir  de  la  Reforme,  nommait  les  direc- 
teurs ou  administrateurs  du  couvent*. 

Le  fonds  de  Sainte-Marguerite  contient  des  notes  historiques 
snr  les  diverses  phases  que  cette  maison  religieuse  a  traver- 
sées. Quelques  bulles,  quelques  donations  et  investitures,  des 
constitutions  de  rente  et  des  litres  de  propriété  forment  le 
noyau  de  celte  collection,  que  je  n'ai  citée,  à  vrai  dire,  que 
pour  mémoire. 

Les  fonds  de  quelques  abbayes  bien  plus  importantes  nous 
appellent  hors  des  murs  de  Strasbourg.  Non  loin  de  llohcn- 
bourg,  au  pied  de  l'Ungcrsherg ,  dans  la  pittoresque  vallée 
(| n'arrose  l'Andlau,  se  montre  à  nous,  toujours  jeune,  la  figure 
de  Richardis,  entourée  de  son  auréole  de  malheuj-  et  de  sain- 
teté. Inclinons-nous  devant  cette  illustration  poétique  et  reli- 
gieuse au  moment  de  terminer  notre  visite  des  documents  de 
l'Jiistoire  d'Alsace  ;  c'est  un  des  plus  émouvants  souvenirs  à 
emporter  de  cette  salle  des  Pas-Perdus,  (jue  nous  a])pelons 
les  archives  ecclésiastiques. 

'  l.L's  couvonls  de  Siuiilc-Madclciiiu  et  de  Saiiilr-.Maryueiili> ,  seuls  de  tous 
les  élidjlissemonls  relii^icux  ,  se  soiil  nuinlemis  iiilacls  peiidaiil  l'épocjiK!  de 
liansilion  de  Io20  a  '1C8I. 


TRENTE-SIXIÈME   LETTRE.  395 


TRENTE-SIXIEME  LETTRE. 

Alilinyes  et  couvents  «le  rciniiiOM  cxtru-niuros.  —  VoiiiIh  «le  rnltliayc 
«rAn«llaii.  —  Ii*iiui>«>ratriec  Rieliar(!i<«.  Son  hi.stoire  et  sa  lî'gende. 
Histoire  «le  son  abbaye.  —  I^es  «looiiiiieiits  et  fonils  «le  l'abbaye  «le 
Saint- Jean -«les- Ciioiix  ,  près  taverne.  —  Couvents  «le  BClblislieini 
et  Kœnigsbriiek.  —  Arehives  liospitalièces  «le  IIa;;ueiiaii.  —  Feu 
llencker. 


Monsieur , 

L'impératrice  Richardis ,  fondatrice  de  l'abliaye  d'Andlau, 
a  vécn.  soixante  ans  à  peu  près  '  avant  l'époque  où  l'impéra- 
trice Adélaïde-  fait  son  apparition  sur  le  théâtre  du  monde; 
mais  indépendamment  de  ce  voisinage  chronologique,  les 
illustres  princesses  ont  plus  d'un  point  de  ressemblance  :  elles 
se  sont  assises  l'une  et  l'autre  sur  le  trône  de  Charlemagne  ; 
elles  ont,  toutes  deux,  par  leur  caractère,  exercé  une  inllnence 
marquée  sur  les  affaires  de  leur  temps,  et,  par  leur  éclatante 
beauté,  sur  l'imagination  de  leurs  contemporains;  l'histoire 
et  la  légende  ont,  à  l'envi,  contribué  à  immortaliser  leurs 
noms;  enfin  elles  ont  été  canonisées  comme  bienfaitrices  de 
l'Eglise.  Mais,  au  total,  la  carrière  de  ces  deux  femmes  extra- 
ordinaires ne  se  ressemble  point:  tandis  que  l'épouse  d'Otlon- 
le-Grand,  après  une  jeunesse  sévèrement  éprouvée  et  à  la 
suite  d'incidents  romanesques,  arrive  au  faîte  des  honneurs 
et  de  la  gloire,  et  jouit,  sous  trois  règnes  d'empereurs,  d'une 
autorité  incontestée,  l'épouse  de  Charles-le-Gros,  après  une 
jeunesse  heureuse,  arrive  à  une  célébrité  européenne  par  des 
malheurs  inouïs,  sort  victorieuse  d'une  épreuve  judiciaire  et 
s'éteint  doucement  dans  le  cloître  fondé  et  illustré  par  elle. 

En  parlant  de  sainte  Ricliardis,  j'oublie  que  quelques-uns 

M).^SiO  h  890. 
'  l)i'  O.jÛ  a  997. 


396  ARCHIVES  départementales  du  BAS-RHIN. 

de  nos  lecteurs  ne  connaissent  j)eut-èlre  point  les  délails  de 
sa  carrière,  quoique  son  souvenir  et  son  nom  soient  très- 
populaires  en  Alsace.  Je  rappellerai  donc  à  tout  hasard  les 
principaux  faits  de  cette  poétique  existence,  en  indiquant  ce 
qui  appartient  au  domaine  jjosilif,  et  en  faisant  la  part  des 
embellissements  dont  la  croyance  du  peuple  a  cru  devoir  orner 
ce  front  déjà  si  radieux ^ 

Au  moment  où  j'entamais,  il  y  a  vingt  ans,  le  fonds  si 
riche  de  l'abbaye  d'Andlau  ,  il  me  semblait  que  je  devais  y 
découvrir  immanquablement  quelques  chartes  ayant  Irait  à 
la  fondation  du  cloître  et  à  la  légende  de  l'impératrice.  J'é- 
tais dans  la  disposition  d'esprit  des  premiers  chercheurs  d'or 
de  la  Californie,  qui  s'imaginaient  trouver  de  toute  néces- 
sité, au  bout  de  leur  pioche,  des  trésors  fabuleux.  J'ignorais 
combien  mes  prédécesseurs,  avant  la  révolution,  ont  dû 
fouiller,  dans  un  but  analogue,  ces  archives  locales!  Je  ne 
fus  pas  longtemps  à  me  résigner  et  à  ne  recueilhr  sur  sainte 
Richardis  que  le  dire  incomplet  de  quelques  chroniqueurs  ou 
de  quelques  auteurs  récents'-. 

Richardis  passe  pour  être  la  fille  d'Erchangart,  coijite  de 
Norigau  ;  de  fait,  son  extraction  n'est  rien  moins  que  cer- 
taine'', à  la  dilférence  de  celle  de  l'impératrice  x\délaïde,  ori- 
ginaire à  n'en  pas  douter,  de  la  famille  des  rois  de  Bourgogne 
cisjurane.  L'union  de  Richardis  avec  Charles-le-Gros  avait 
été,  sinon  heureuse,  du  moins  non  troublée  pendant  un  quart 
de  siècle,  lorsque  des  calomnies  insidieuses  sur  les  relations 
de  l'impératrice  avec  Luilprand,  évéque  de  Vercelli,  vinrent 
jeter  le  désordre  dans  l'esprit  affaibli  de  l'empereur,  qui  réu- 
nissait sur  sa  pauvre  tête  toutes  les  couronnes  de  son  bis- 
aïeul Charlemagne. 

'  Voy.  iioiir  plus  de  déuiils,  mon  Histoire  de  la  Basse-Alsace,  p.  34 
et  suiv. 

-  Voy.  Antiquités  des  Vosges,  de  Ruys,  p.  234.  — Isidore  Fiiciis,  Alsat, 
doct.,  vol.  II. 

^  La  légende  en  fail  la  fille  d'un  roi  d'Aniilelerre. 


TRENTE-SIXIKME   LETTRE.  397 

Peu  à  peu  Cliai'les-le-Gros  suspccla  la  piirclô  de  son 
épouse,  qui  était  non-seulement  au-dessus  de  tout  soupçon , 
mais  qui  avait  voue  son  existence  à  des  œuvres  de  piété  et 
aux  muses  chrétiennes.  Déjà  en  880,  quelques  années  avant 
l'accusation  portée  contre  elle,  Ricliardis  avait  fondé  le  mo- 
nastère d'Andlau,  pour  des  âmes  qui  seraient,  comme  elle, 
fatiguées  du  monde;  plus  d'une  fois  déjà,  elle  s'y  était  reti- 
rée, pour  fuir  les  grandeurs  du  trône,  et  trouver  dans  cette 
solitude  des  forets  et  des  montagnes  le  calme  qui  lui  man- 
quait à  la  cour. 

Citée  devant  un  tribunal  des  pairs,  à  Kirchheim,  la  sainte 
impératrice  comparut  devant  cette  assemblée  des  grands  et 
des  prélats  ;  elle  demanda  à  subir  l'épreuve  du  feu.  Rien 
n'autorise  à  penser  qu'elle  ait  été  réellement  soumise  à  celte 
solennelle  torture.  La  haute  cour  judiciaire  était  évidemment 
bien  disposée  pour  Richardis.  L'empereur,  atteint  d'une  ma- 
ladie qui  louchait  à  l'aliénation  mentale,  avait  déjà   perdu 
toute  considération,  et  l'époque  de  sa  destitution   officielle 
approchait.  Sur  le  simple  exposé  des  faits  et  de  la  nature  de 
ses  rapports  avec  l'éveque  de  Vercelli ,  homme  lettré,  conseil- 
ler intime  de  l'empereur  lui-même,  Richardis  fut  acquittée  ; 
mais  ne  pouvant  surmonter  le  trouble  et  l'émotion  que  cette 
scène  judiciaire  lui  avait  causé,  elle  se  retira  dans  le  cloître 
fondé  par  elle.  Là,  dans  ce  charmant  asile,  elle  écrivit  des 
strophes  latines  pleines  d'une  douce  mélancolie,  et  qui  seules 
suffiraient  à  justifier  la  royale  victime,  si  le  témoignage  des 
contemporains  et  le  verdict  de  l'opinion  publique,  transmis 
symboliquement  par  la  légende,  ne  proclamaient  son  inno- 
cence. «J'ai  trouvé  le  port,  s'écrie-t-elle,  après  avoir  enduré 
«les  tempêtes  du  monde,  et  déjà  je  tiens  l'objet  de  tous  mes 
«désirs;  le  repos  entre  dans  mon  âme...  Que  sont  pour  moi 
«les  royaumes  de  ce  monde;  je  les  méprise;  je  n'aspire 
«qu'aux  choses  célestes;  mon  esprit  s'enrichit,  et  je  touche 
«au  seul  but  qui  ne  trompe  jamais.  » 


ô\fb  ARCHIVES  DEPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

La  légende  ne  s'est  point  contentée  de  la  pieuse  résignation 
et  de  l'acquittement  de  Richardis  :  elle  lui  fait  traverser  le 
feu.  Isidore  Fuchs  affirme  que  l'impératrice  subit  l'épreuve, 
en  chemise  enduite  de  cire  que  l'on  alluma  en  quatre  en- 
droits différents  sans  être  entamée.  De  Ruys  dit  «qu'elle 
«monstra  son  innocence,  en  clicminant  pieds  nus,  sans  se 
«brûler,  sur  des  socs  de  charrue  ardents  et  sortants  de  la 
«fournaise.  Ainsi  elle  décéda  vierge  et  au  nombre  des 
«saintes»  (AtUiquitcs  des  Vosges,  p.  23). 

La  fondation  du  couvent  est  aussi  racontée  avec  des  va- 
riantes par  les  auteurs  légendaires  (]ui  jilaccnt  l'origine  de 
l'abbaye  d'Andlau  après  le  jugement  de  Dieu  ou  l'épreuve  su- 
bie à  Kirchhcim,  près  du  palais  mérovingien.  L'impératrice, 
au  sortir  du  tribunal  et  du  bûcher,  se  serait  retirée  soit  au 
monastère  de  llohenbourg-,  soit  à  Saint-Élienne  de  Stras- 
bourg, et  aurait  envoyé  un  jeune  chevalier,  qui  avait  été  son 
champion,  à  la  recherche  d'une  localité  propre  à  l'établisse- 
ment d'un  cloître.  C'est  ici  que  se  place  le  récit  de  l'ours, 
creusant  la  terre  pour  y  abriter  ses  petits,  au  fond  d'une  forêt 
des  Vosges,  et  indi(juant  au  chevalier,  par  voie  de  similitude, 
que  c'était  là  une  solitude  assez  profonde  pour  donner  un 
asile  convenable  à  la  princesse  justifiée,  mais  fatiguée  du 
monde.  D'après  une  autre  version ,  c'est  l'impératrice  elle- 
même  qui  aurait  rencontré  la  bête  sauvage  et  aurait  fixé  sur 
cet  indice  le  lieu  de  sa  retraite. 

Cette  entrée  de  sainte  Richarde  au  couvent  a-t-clle  été  dé- 
finitive et  irrévocable?  Pour  ma  part,  je  serais  tenté  de  le 
croire.  L'orage  qui  avait  assailli  Richardis  était  de  nature  à 
pousser  une  àme  depuis  longtemps  vouée  au  recueillement 
vers  une  réclusion  absolue.  En  passant  le  seuil  du  couvent, 
n'avait-clle  pas  écrit  des  vers  plaintifs  que  l'on  dirait  échappés 
à  la  plume  d'un  poète  élégiaque  du  dix-neuvième  siècle: 

Fîeaux  lieux  soyez  pour  moi  les  lieux  où  l'on  oublie, 
L'oubli  seul  désormais  esl  ma  félicité. 


TRENTE-SIXIÈME   LETTRE.  'ÎOO 

No  dovait-ellc  p;is  ci'aiiulrede  l'aire  un  seul  pas  en  arrière, 
eL  (le  se  ratlaclier  peut-être  aux  liens  fragiles  qu'elle  venait 
de  rompre  de  son  propre  mouvement?... 

Un  de  ses  biographes,  toutefois,  affirme  qu'elle  aurait  en- 
core visité  la  Palestine,  le  Saint-Sépulcre^  Constantinoplc , 
collectant  partout  des  reliques,  et  rapportant  au  fond  du  val- 
lon paisible  d'Andlau  les  ossements  de  saint  Lazare,  mort 
évoque  de  Chypre.  Quoi  qu'il  en  soit,  irrévocablement  retirée 
dans  l'asile  déjà  doté  par  Charles-le-Gros,  ou  circulant  en- 
core dans  les  lieux  saints,  oi!i  Jésus-Christ  et  les  apôtres 
avaient  laissé  partout  l'empreinte  de  leur  passage,  Richardis 
était  morte  au  monde,  et  son  décès,  arrivé  en  890,  ne  fut 
évidemment  que  sa  transfiguration. 

La  crypte  romane,  située  sous  l'église  d'Andlau,  remonte 
probablement  à  l'époque  carlovingienne,  et  doit  être  considé- 
rée comme  contemporaine  de  la  sainte  impératrice*. 

Dès  les  premiers  siècles  de  son  existence ,  l'abbaye  d'Andlau 
avait  été  richement  dotée;  des  bulles,  des  lettres-privilèges, 
des  lettres  épiscopales  nombreuses  confirmèrent  ses  droits  et 
ses  propriétés.  Ses  premiers  statuts  dataient  déjà  de  802. 

Mais  les  temps  d'épreuve  aussi  ne  lui  firent  point  défaut. 
Après  la  Réforme  au  seizième  siècle,  c'étaient  des  luttes  in- 
cessantes avec  les  nobles  sires  d'Andlau,  qui  avaient  em- 
brassé le  nouveau  culte;  au  dix-septième  siècle,  la  guerre  de 
Trente  ans  et  les  guerres  de  Louis  XIV  avec  l'empire  lais- 
sèrent dans  l'abbaye  des  traces  que  l'époque  prospère  du  dix- 
huitième  siècle  ne  parvint  plus  à  effacer  complètement. 

Sur  la  liste  des  abbesses  d'Andlau  figurent  des  noms  qui 
appartiennent  aux  premières  familles  alsaciennes  et  alle- 
mandes. Les  d'Andlau  eux-mêmes,  les  Geroldseck,  les  Ri- 
beaupierre,  les  Reinach,  les  Rebstock,  les  Reich  de  Reichen- 

'  ï/égliso  d'Amilau  vieiU  d'èlro  roslaiiréc  avec  iiilelligciicc!  el  im  désin- 
téressement bien  rare,  par  M.  le  curé  Deliarije.  L?i  Société  pour  la  conserva- 
tion des  monuments  historiques  d'Alsace  a  déjà  signalé  l'œuvre  de  ce  digne 
ecclésiastique. 


400  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

stein ,  les  Beroldingeii ,  les  Flaxland,  les  Landenberg  four- 
nirent leur  contingent  à  celle  brillanle  série  de  clianoinesses. 
C'était  une  position  convoitée,  qui  plusieurs  fois  occasionna 
des  luttes  intérieures  dont  notre  fonds  a  conservé  des  traces. 
Il  est  temps  que  je  vous  entretienne  de  cette  collection,  quoi- 
que j'hésite  à  aborder  ces  indications  arides,  après  avoir 
évoqué  la  victime  de  Kirchheim,  dans  le  voisinage  de  Sainte- 
Odile  et  de  Landsberg. 

Je  vous  fais  grâce  des  nombreuses  bulles;  elles  se  rappor- 
tent pour  la  plupart  au  couvent  de  Ilugshoffen  (Honcourt), 
dans  le  val  de  Ville,  incorporé  à  l'abbaye  d'Andlau,  au  com- 
mencement du  dix-septième  siècle. 

C'est  la  rubrique  du  personnel  des  abbesscs,  qui  offre,  par 
les  élections  contestées,  le  plus  d'intérêt. 

Vers  1570,  le  cboix  de  M^e  Marie-Madeleine  Rebstock  fait 
naître  des  difficultés  sans  fin  avec  l'autorité  pontificale,  quoi- 
que l'évéquc  de  Strasbourg,  Jean  de  Manderscheid,  eût  con- 
firmé l'élection.  Vers    1666 ,  celle   de  Marie-Cunégonde  de 
Beroldingen,  qui  succède  à  Marie-Béatrice  d'Eptingen,  donne 
lieu  à  une  interminable  série  d'épîtres,  dont  les  plus  signifi- 
catives consistent  en  lettres  de  remercîments  pour  cadeaux  et 
lettres  écrites  à  l'abbesse,  après  les  cérémonies,  par  le  nonce 
apostolique  de  Lucerne  et  par  son  secrétaire.  La  mort  de 
M'"e  Cunégonde  et  l'élection  de  Marie-Cléophée  de  Flaxlanden 
occasionne  une  correspondance  où  se  rencontrent  les  noms 
de  MM.  de  Barbézieux,  de  Laubanie,  d'Huxelles,  de  la  Ilous- 
saye ,  de  la  Grange.  Ce  petit  dossier  renferme  aussi  les  actes 
de  soumission  de  l'abbesse  aux  constitutions  d'Innocent  V  et 
d'Alexandre  Vil,  touchant  les  doctrines  de  Jansénius  et  le 
formulaire  du  serment  prêté  par  elle.  Chaque  élection  d'ab- 
besse  ramène  des  pièces  analogues. 

La  correspondance  historique  présente,  à  la  fin  du  seizième 
siècle,  une  discussion  à  propos  d'un  «prédicanl  luthérien,» 
que  plusieurs  membres  protestants  de  la  famille  d'Andlau 
s'efforcent  de  faire  nommer  par  l'abbesse.  Dans  cette  que- 


TRENTE-SIXIÈME  LETTRE.  -401 

relie  intervient  Charles  de  Loriaine,  évêque  de  Strasbourg, 
Frédéric,  duc  de  Wurtemberg,  l'empereur  Rodolphe  II,  dont 
l'autorité  supprime  le  pasteur,  malgré  les  vives  instances  de 
MM.  d'Andlau ,  qui  le  rétablissent  à  main  armée  dans  ses 
fonctions.  Ce  procès  violent  dure  jusqu'en  4598  et  produit 
force  enquêtes,  lettres-suppliques,  rescrits  impériaux,  ins- 
tructions supplémentaires;  il  aboutit  à  une  décision  finale  de 
la  cour  aulique,  qui  maintient  envers  et  contre  tous  le  pre- 
mier mandat  impérial. 

Les  affaires  de  la  Diète  de  Ratisbonne  occupent  une  grande 
place  dans  ces  carions  historiques  (fin  du  seizième  et  com- 
mencement du  dix-septième  siècle).  Un  délégué  de  l'abbesse 
lui  rend  compte  des  affaires  traitées  et  passe  quelquefois  sur 
le  terrain  de  l'histoire  du  jour. 

La  période  de  la  guerre  de  Trente  ans  est  marquée  par  des 
apurements  de  compte  pour  contributions  de  guerre.  Les 
cloches  enlevées  par  les  troupes  de  Mansfeld  donnent  lieu  à 
de  vives  réclamations  ;  et  plus  tard,  sous  la  pression  des 
Suédois  stationnés  à  Benfeld,  des  mémoires  sont  adressés 
par  l'abbesse  au  commandant  pour  réclamer  contre  les  exac- 
tions de  toute  nature  qui  pèsent  sur  l'abbaye.  Cherté  exces- 
sive des  denrées,  abandon  des  habitations,  violences  faites 
aux  habitants,  désolation  dans  tous  les  villages  des  environs 
de  l'abbaye,  voilà  le  thème  habituel  des  plaintes.  Puis,  en 
4643,  ce  sont  de  nouvelles  tribulations  occasionnées  par  l'ar- 
mée du  maréchal  de  Guebriant;  en  16i5,  le  rnagislrat  de 
Schlestadt  empiète  sur  le  Freyhof  ou  la  cour  abbatiale  d'And- 
lau àSchlestadt,  forçant  le  receveur  à  payer  d'exorbitantes 
contributions,  plaçant  garnison  dans  la  cour  et  la  réduisant 
à  se  mettre  sous  la  tutelle  de  la  ville.  Enfin,  au  moment  où  la 
paix  de  Westphalie  va  se  conclure,  ce  sont  de  nouveaux  em- 
barras occasionnés  par  la  difficulté  de  faire  reconnaître  l'in- 
dépendance de  l'abbaye  et  d'obtenir  des  indemnités.  Le  coup 
d'œil  le  plus  rapide  jeté  sur  ces  documents  apprend  combien 
les  plus  solides  établissements  sont  ébranlés  par  ces  commo- 


402  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RlllN. 

lions  politiques,  où  les  existences  isolées  disparaissent  sans 
laisser  ni  trace  ni  souvenir. 

Sous  Louis  XIV,  pendant  qu'il  est  en  guerre  avec  l'empire  , 
avant  la  réunion  de  Strasbourg,  des  scènes  analogues  se  ré- 
pètent, mais  sur  une  moindre  échelle.  Les  noms  du  prince 
de  Condé,  de  Turenne,  du  marquis  de  Vaubrun,  de  M.  de 
Haugwilz  et  de  Charles,  duc  de  Lorraine,  se  trouvent  dans 
les  actes  de  celte  époque. 

Je  m'abstiens  de  vous  parler  des  nombreux  titres  de  pro- 
priété. Dans  les  affaires  féodales,  qui  sont  aussi  considé- 
rables, les  pièces  relatives  au  fief  d'Andiau  constatent  les  in- 
terminables discussions  enhc  l'abbaye  .et  MM.  d'Andiau,  qui 
prétendaient  tenir  le  val  d'Andiau  directement  de  l'empire. 
Les  questions  de  péage  divisent  l'abbaye  et  la  famille  du 
même  nom. 

L'ordre  teutonique,  qui  possédait  une  commanderie  à 
Andlau  dans  le  voisinage  de  l'abbaye,  donne  lieu ,  en  1313,  à 
un  jugement  arbitral,  prononcé  par  le  préfet  de  la  Basse-Al- 
sace entre  la  commanderie  d'Andiau  et  les  gens  du  val  de 
Ville.  C'est  une  question  de  propriété  litigieuse,  que  j'aurais 
passée  sous  silence  si  je  n'avais  tenu  à  rappeler  incidemment 
que  cet  ordre  militaire,  qui  était  considéré  presque  à  l'égal 
de  celui  des  chevaliers  de  Malte,  avait  pris  pied  dans  la  belle 
vallée  de  Sainte-Richarde,  tout  comme  il  avait  des  comman- 
deries  à  Strasbourg,  Schlestadt  etc. 

Je  sais  parfaitement  que  je  vous  donne  une  idée  très-in- 
complète de  ce  riche  fonds  d'Andiau.  Encore,  si  ce  n'eût  été 
le  souvenir  d'une  impératrice  recommandée  par  le  triple 
charme  de  la  beauté,  du  malheur  et  de  la  poésie,  je  n'aurais 
plus  osé,  au  bout  d'une  correspondance  prolongée  outre  me- 
sure, vous  arrêter  un  seul  instant  de  plus  dans  les  murs  de 
cette  abbaye  princière. 

Et  comment  plaider  maintenant  en  faveur  de  celle  de 
Saint-Jean-des-Choux,  près  de  Saverne?  Car  ici  nous  n'avons 
plus  de  fondatrice  impériale  à  faire  valoir.  Eh  bien  !  pour 


TRENTE-SIXIÈME  LETTRE.  403 

Saint-Joan,  prés  Saverne,  j'en  appelle  au  soinTînir  de  vos 
lecteurs,  qui  tous  ont  vu  sur  le  penchant  de  la  montagne, 
entre  les  vignes  et  la  cliàlaigneraie,  cet  édifice  abbalial  encore 
debout,  dominant  au  loin  le  pays,  et  au-dessus  de  l'abbaye  et 
de  l'église  romane,  la  chapelle  de  Saint -Michel,  plantée 
comme  un  phare  sur  un  promontoire  à  l'extrémité  orientale 
de  ce  bel  amphithéâtre  des  Vosges  savernoiscs.  Pourrais-jc 
passer  sous  silence  les  souvenirs  historiques  de  ce  splendide 
couvent  de  femmes,  qui  n'a  point  abrité  dans  son  enceinte 
une  princcsse-poëte  et  presque  martyre,  mais  qui  a  ramené 
dans  plus  d'une  àme  isolée  ou  souffrante,  le  sentiment  du  re- 
pos et  du  bonheur,  sous  l'influence  de  cet  air  vif  et  pur,  à  la 
vue  de  ce  large  horizon  et  de  ces  campagnes  fertiles,  et  de  ce 
parc  gigantesque  étendu  jusqu'aux  pieds  du  couvent?.,. 

L'église  dédiée  à  saint  Jean-Baptiste  conserve,  dans  sa  dis- 
position actuelle,  dans  son  abside  surtout,  des  traces  consi- 
dérables du  douzième  siècle,  époque  de  sa  construction.  En 
1126,  Pierre,  comte  de  Liilzelbourg,  la  donna,  avec  un  grand 
domaine,  à  l'abbaye  de  Saint-George,  dans  la  Forêt-Noire. 

De  ce  moment,  cet  abbé  exerça  sur  Saint-Jean-des-Choux 
une  juridiction  spirituelle  et  temporelle,  souvent  contestée 
par  l'évêque  de  Strasbourg.  Les  titres  marquants  de  ce  fonds 
ont  trait  aux  relations  de  cette  abbaye  bénédictine  avec  l'évê- 
ché,  avec  l'abbaye  de  Saint-George  dans  la  Forêt-Noire  et 
avec  les  communes  des  environs,  où  se  trouvent  les  proprié- 
tés forestières  et  rurales  du  cloître.  Des  procès-verbaux  d'é- 
lection font  connaître  le  personnel  des  religieuses  ;  dans  les 
pièces  de  procédure,  un  acte  d'aborncment  avec  Ernolsheim 
donne  des  détails  relatifs  au  serment  prêté  par  les  deux  par- 
ties sur  une  cassette  remplie  de  reliques.  Une  transaction  de 
1672  entre  l'abbaye  de  Saint-Jean  et  la  confrérie  de  Saint-' 
Michel  concerne  les  revenus  du  tronc  de  cette  chapelle  pit-^ 
toresque,  et  la  caverne  creusée  dans  le  roc  au-dessous  du 
petit  sanctuaire,  figure  aussi  dans  notre  dossier  ;  il  paraît  que 
dans  la  seconde  moitié  du  dix-septième  siècle  elle  abritait 


404  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RIIIN. 

des  ermites.  Un  solitaire,  Galliis  de  nom,  et  habitant  de  celte 
demeure  de  troglodytes,  fut  trouve  assassiné  dans  les  foi^êts 
des  environs,  en  1670.  Ce  fait  est  constaté  par  un  procès- 
verbal  d'enquête. 

Bes  affaires  de  dîmes  et  de  juridiction  constatent  l'exis- 
tence de  la  bergerie  et  de  la  scierie  du  Zornhof,  située  à  peu 
près  en  plaine,  aux  pieds  mêmes  des  vignobles  de  Saint-Jean. 

Pour  une  dernière  fois  je  vous  convie  à  me  suivre  au  nord 
de  la  forêt  sainte  de  Haguenau.  Nous  avons  vu  successive- 
ment les  Hohenstauffen  y  tailler  des  éclaircies,  asseoir  dans 
une  île  et  sur  les  bords  de  la  Moder  les  fondements  d'un  pa- 
lais, d'une  ville,'  d'un  hôpital,  et  en  même  temps  des  abbayes 
d'hommes  et  de  femmes  s'élever  sur  les  bords  de  cette  vaste 
région  forestière*.  Il  me  reste  à  vous  signaler  en  quelques 
lignes  deux  abbayes  de  femmes,  Bibhslieim  et  Kœnigsbruck, 
qui  appartiennent  au  même  district. 

Celle  de  Biblisheim,  de  l'ordre  des  Bénédictins,  fut  fondée 
au  commencement  du  douzième  siècle  par  Théodoric,  comte 
de  Montbéliard,  ou  plutôt  par  sa  fille  Gunlhilde.  Ce  sont  des 
pièces  peu  nombreuses  qui  constituent  le  fonds  de  ce  cou- 
Vent;  à  côté  des  papiers  de  comptabilité,  des  baux,  des  pro- 
cès-verbaux d'élection,  on  peut  signaler  une  correspondance 
avec  l'abbé  de  Marmoulicr,  qui  laisse  entrevoir  des  discus- 
sions intérieures  et  des  plaintes  sur  la  misère  et  le  délabre- 
ment de  l'abbaye.  C'était  une  des  rares  communautés  alsa- 
ciennes, où  les  ressources  ne  se  trouvaient  pas  au  niveau  des 
besoins.  Au  dix-huitième  siècle  la  situation  s'était  améliorée  à 
Biblisheim,  cl  quelques  religieuses  y  végétaient  avec  des  re- 
venus convenables. 

Dans  le  voisinage  de  Surbourg,  sur  le  cours  d'eau  de  la 
Sauer,  se  trouvaille  couvent  de  Kœnigsbruck  (Hegnispons), 
fondé  vers  le  milieu  du  douzième  siècle  par  Frédéric,  duc  de 
Souabe,  père  de  Frédéric  Barberousse.  Les  pièces  de  ce  fonds 
sont  peu  considérables;  elles  consistent  en  baux,  renouvelle- 

'  A  Surbourg,  Seltz,  Neuboury,  Saiiile-Walbourg  etc. 


TRENTE-SIXIÈME  LETTRE.  405 

ments,  accords  etc.  elc.  ;  ils  proviennent  en  partie  d'une  ces- 
sion de  pièces,  que  par  ordi'e  de  M.  le  ministi-e  de  l'intérieur 
les  archives  de  l'hospice  de  Ilaguenau  nous  ont  faite  en  1855. 

Et  puisque  je  viens  de  mentionner  ce  riche  dépôt  hospita- 
lier de  Ilaguenau,  qui  était,  il  y  a  douze  ans  encore,  parfai- 
tement inconnu,  je  ne  puis  passer  sous  silence  le  modeste 
travailleur  qui,  le  premier,  a  retiré  d'un  caveau  infect  où  gi- 
saient ces  documents,  quelques  milliers  de  chartes  et  un 
nombre  considérable  de  liasses,  le  tout  relatif  à  l'origine  et 
aux  propriétés  des  deux  hospices  de  Haguenau.  M.  Wenker, 
greffier  de  l'administration  hospitalière,  a  opéré,  à  partir  de 
iSA9,  le  classement  rationnel  de  ces  titres,  dont  plusieurs  re- 
montent au  temps  des  premiers  empereurs  de  la  maison  de 
Souabe.  Epris  d'une  véiitable  passion  pour  son  œuvre,  il  a 
voué  à  ce  labeur  ses  dernières  années  ;  il  faisait  de  fréquentes 
tournées  à  Strasbourg,  pour  me  communiquer  son  bonheur 
naïf  à  chaque  pas  fait  en  avant  dans  cette  voie  de  découvertes 
et  d'analyse.  Son  nom  patronymique,  qui  est  aussi  celui  d'un 
érudit  connaisseur  de  chartes  et  de  documents  diplomatiques 
du  dernier  siècle,  lui  a  véritablement  porté  bonheur.  Si 
l'hospice  neuf  de  Saint  Martin  de  Ilaguenau,  pour  ainsi  dire 
greffé  sur  l'ancien  hospice  de  Frédéric  Barberousse,  possède 
maintenant  \me  collection  archivale  qui  peut  se  mesurer  avec 
la  plupart  des  archives  hospitalières  de  France,  il  le  doit  à 
Wencker,  qu'une  mort  subite  a  enlevé  en  1856  à  ses  travaux 
inachevés.  Lorsqu'on  est  venu  m'annoncer  cette  perte  inat- 
tendue, j'ai  pu  faire  un  sérieux  retour  sur  moi-même  et  me 
répéter  que  notre  tâche  d'archiviste  est  le  travail  inaperçu 
d'un  jour,  et  que  nous  réunissons  péniblement  des  maléi'iaux 
sans  savoir  qui  les  mettra  en  œuvre. 

Vous  me  permettrez  de  jeter,  dans  une  prochaine  et  der- 
nière lettre,  un  coup  d'œil  sur  l'ensemble  de  nos  archives 
départementales. 


406  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 


TRENTE-SEPTIEAIE  ET  DERNIERE  LETTRE. 

Total  niiincrif|iic  des  archives  ri  viles  c(  ceciésinstiiiiie.s.  —  Coup  fl'œil 
»$iir  leur  réjg;lenientatioii.  Arclilves  coiniiiunales.  Archives  hospita- 
lières. —  l'ièces  dans  les  arcliives  «léparteiiientales  postérieures  «^ 
1990.  —  Coup  d'oeil  rétrospectif  sur  les  archives  «lu  nas«llliin. 


Monsieur , 

Dans  celle  longue  revue  de  nos  archives  civiles  el  ecclé- 
siastiques, je  me  suis  abstenu  de  vous  accabler  de  chiffres; 
nous  avons  traversé  toutes  ces  collections  de  litres  sans  trop 
nous  arrêter  à  leur  proportion  numérique  ;  à  peu  d'excep- 
tions près,  je  vous  ai  laissé  ignorer  à  dessein  ces  détails  d'in- 
térieur, quoique  les  chiffres,  comme  on  l'a  dit,  aient  aussi, 
dans  un  moment  donné,  leur  éloquence  spéciale.  Maintenant 
sur  le  point  de  quitter  ces  austères  galeries,  peut-être  m'ac- 
corderez-vous  la  faveur  dernière  de  mettre  sous  vos  yeux,  en 
quelques  lignes,  l'addition  sommaire  des  pièces,  parchemins 
et  papiers  que  renferment  nos  cartons. 

Une  première  série,  doi^J,  je  ne  vous  ai  point  entretenu,  est 
relative  aux  actes  de  l'autorité  centrale;  elle  monte  à  1066 
litres. 

La  série  formée  par  la  préfecture  de  Haguenau  et  par  l'in- 
tendance d'Alsace  en  a  47,575. 

La  grande  série  de  la  féodalité ,  celle  où  figurent  toutes  les 
principautés  laïques  de  l'ancienne  Basse-Alsace,  c'est-à-dire 
Deux-Ponts,  llanau-Lichtcnberg,  Oberbronn  (les  Linange)  ; 
Beinheim  (Sponheim)  etc.,  s'élève  à  l'énorme  chiffre  de 
321,907  pièces. 

Dans  les  archives  ecclésiastiques,  l'évêché  elles  chapitres 
intra  et  extra-muros  de  Strasbourg,  l'évêché  de  Spire  etc. 
arrivent  à  198,039  pièces,  et  la  dernière  série,  celle  du  clergé 
régulier,  c'est-à-dire  les  abbayes  et  couvents  d'hommes  et  de 


TRENTE-SEPTIÈME  ET  DERNIÈRE  LETTRE.  407 

femmes,  l'ordre  de  Saint-Jean  elc,  s'arrête  à  55,545  pièces. 

En  ajoutant  à  ces  chiiïres  partiels  les  pièces  de  deux  séries 
de  moindre  importance,  nous  parvenons  à  un  total  de 
629,534  pièces,  dont  plus  de  30,000  sur  parchemin;  sans 
compter  3207  volumes  répartis  entre  les  différents  fonds. 

Dans  cette  évaluation,  qui  s'arrête  à  l'année  1790,  n'en- 
trent par  conséquent  ni  les  vastes  fonds  de  l'époque  révolu- 
tionnaire, ni  ceux  du  Directoire,  ni  les  papiers  du  dix-neu- 
vième siècle  ou  de  l'époque  préfectorale.  Ici  ce  serait  une 
véritable  folie  que  d'essayei'  de  compter;  il  n'y  aurait  d'ail- 
leurs rien  de  fixe,  rien  de  précis  dans  un  pareil  travail.  Les 
règlements  ministériels  autorisent  et  commandent  même  la 
suppression  des  papiers  réputés  inutiles  au  bout  d'une  cer- 
taine période  d'années.  On  s'est  arrêté,  pour  la  marche  à 
suivre  dans  ces  opérations  délicates,  à  des  prescriptions  dic- 
tées par  l'expérience,  par  le  bon  sens,  par  la  valeur  relative 
des  liasses,  par  leur  masse  encombrante.  Les  personnes  les 
plus  étrangères  à  un  service  administratif  peuvent  comprendre 
que  si  l'on  était  tenu,  par  exemple,  de  conserver  indéfini- 
ment des  imprimés,  des  affiches,  dont  l'intérêt  est  passager, 
avec  le  même  soin  que  des  titres  de  propriété,  des  certificats 
de  service,  des  arrêtés  constituant  des  droits  et  pouvant  ame- 
ner une  décision  dans  les  affaires  litigieuses ,  les  bâtiments 
les  plus  vastes  ne  suffiraient  bientôt  plus  à  la  destination  des 
archives  ;  la  mauvaise  herbe  envahirait  le  champ  fertile.  Je 
reviens  donc  à  dire  que  l'énumération  des  papiers  modernes 
aboutirait  à  une  véritable  puérihté,  en  supposant  qu'il  fût 
possible,  à  force  de  patience  et  en  hébélant  les  intelligences 
des  employés,  de  compter  ces  feuilles  volantes,  destinées  à 
vivre  «ce  que  vivent  les  roses  »,  avec  lesquelles  au  surplus  ces 
papiers  moisis  n'ont  de  commun  que  ce  brevet  de  courte  vie. 

Je  viens  de  faire  allusion  à  des  règlements  pour  la  sup- 
pression des  papiers  ;  ce  ne  sont  pas  les  seuls  ;  tous  les  détails 
du  service  des  archives,  de  la  confection  des  inventaires,  de 
la  tenue  des  registres  etc.  ont  été  successivement  prévus, 


408  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

quelquefois  avec  un  peu  de  minutie;  mais  dans  ces  matières 
il  vaut  mieux  pécher  par  un  excès  que  par  un  défaut  de 
soins,  et  il  est  juste  que  les  archivistes  subissent,  en  travail- 
lant, la  loi  commune  imposée^  déjà  dans  la  Genèse,  à  la 
pauvre  humanité. 

Ainsi,  pour  ne  citer  que  peu  d'exemples  de  cette  régle- 
mentation, des  registres  conslalent  le  versement  des  pièces 
par  les  bureaux  de  l'administration  préfectorale  ;  la  commu- 
nication des  litres  est  entourée  de  formalités  et  de  précau- 
tions; l'expédition  ou  copie  des  documents,  lorsqu'elle  est 
demandée  et  accordée,  se  fait  sous  des  conditions  prévues; 
le  mécanisme  est  à  peu  près  le  même  dans  tous  les  chefs-lieux 
de  département. 

L'autorité  centrale  a  de  même  réglé  depuis  dix-huit  ans  le 
service  des  archives  dans  les  grandes  et  les  petites  com- 
munes ;  des  instructions  uniformes  pour  la  confection  des  in- 
ventaires dans  les  villes  et  les  villages  ont  été  transmises,  il 
y  a  quatre  ans,  aux  maires  de  toutes  les  communes  de  l'em- 
pire. Mais  sur  ce  terrain  il  est  plus  difficile  d'obtenir  des  ré- 
sultats prompts  et  identiques;  le  département  du  Bas-Rhin  a 
été  l'un  des  premiers  à  s'acheminer  dans  la  voie  tracée  pour 
le  service  des  archives  communales;  des  résultats  majeurs 
ont  été  obtenus  ;  la  masse  des  localités  a  satisfait  au  pro- 
gramme ministériel:  depuis  dix-huit  ans  déjà  les  communes 
rurales  étaient  habituées  au  système  d'inventorier  leurs  litres. 
Il  ne  i"esle  guère  que  quelques  grandes  communes,  où  le 
travail  est  plus  considérable  et  exige  un  temps  plus  long  pour 
aboutir  à  la  consciencieuse  perfection  et  à  l'uniformité  que 
la  dictature  de  Paris  réclame  en  toute  chose. 

Les  archives  hospitalières,  depuis  six  ans,  ont  été  soumises 
à  une  réglementation  analogue.  Les  dépôts  dans  le  Bas-Rhin 
ont  tous  répondu  à  l'appel  de  l'autorité  centrale  et  préfecto- 
rale. 

Dans  la  première  ferveur  de  mon  zèle  d'archiviste,  il  y  a 
quinze  à  dix-huit  ans,  j'ai  circulé  sur  beaucoup  de  points  de 


TRENTE-SEPTIÈME  ET  DERNIÈRE  LETTRE.  409 

noire  Basse-Alsace,  dans  le  seul  but  de  visiter  nos  arcliives 
communales  et  de  me  rendre  compte  des  maléi'iaux  qu'elles 
renferment'.  Ce  serait  le  sujet  de  nouveaux  entretiens  si  je 
voulais  recueillir  ces  anciens  souvenirs;  mais  quediriez-vous 
d'une  présomption  pareille,  après  cette  longue  épreuve  à  la- 
quelle j'ai  soumis  votre  patience  exemplaire,  qui  a  pu  me 
faire  illusion  sur  celle  de  vos  lecteurs?  Ce  serait  une  pérégri- 
nation (oute  nouvelle  à  recommencer,  sur  toutes  les  branches 
de  nos  voies  ferrées,  et  môme  dans  quelques  parties  de  ces 
contrées  inconnues  qu'on  appelle  la  Lorraine  allemande,  ou  le 
long  des  Vosges,  dans  quelques-unes  des  vieilles  cités  de  la 
Décapole,  telles  qu'Obei-nai,  Rosheim  etc.,  que  le  chemin  de 
fer  n'a  pas  encore  englobées  dans  son  étreinte. 

Je  ne  connais  pas  même  approximativement  les  richesses 
paléographiques  des  anciennes  villes  de  l'intérieur  de  la 
France  ;  je  sais  qu'il  y  a  des  communes  dans  les  pays  de  droit 
écrit  et  de  droit  coutumier,  dont  le  lot,  dans  cet  héj'ilage  de 
parchemins,  de  registres,  de  cartulaires,  est  très-considé- 
rable; mais  les  points  de  comparaison  qu'elles  peuvent  offrir 
avec  les  archives  municipales  des  villes  ou  des  bourgs  de 
l'Alsace  me  font  défaut.  Je  pense  toutefois ,  qu'à  peu  d'excep- 
tions près,  nous  ne  devons  pas  craindre  de  nous  montrer  au 
grand  jour;  en  tous  cas,  la  masse  des  privilèges  impériaux, 
des  lettres  épiscopales,  des  titres  historiques  de  toute  nature 
dans  nos  archives  de  Schlesladt,  d'Obernai,  de  Haguenau, 
deSaverne,  nous  vaudrait  une  place  très-honorable.  Mettre  en 
relief  ces  témoins  de  notre  vie  municipale  ,  les  encadrer  dans 
l'histoire  succincte  et  dans  la  description  des  localités  elles- 
mêmes,  faire  ressortir,  par  un  parallélisme  naturel,  le  ca- 
ractère spécial  de  chacune  de  ces  collections ,  ce  serait  un 
but  assez  facile  à  atteindre,  et  d'un  intérêt  assez  évident  pour 
me  dispenser  de  le  faire  ressortir;  mais,  encore  une  fois, 

'Les  résiillala  de  cos  visites  ont  été  soumis  par  moi,  dans  dos  rapports 
spéciaux  ,  au  préfet  et  au  Conseil  générai. 


410  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  RAS-RHIN. 

qu'en  diriez-vous?  Le  pourrais-je,  moi-même,  lorsque  les 
devoirs  de  chaque  jour  amènent  de  nouvelles  perspectives  de 
Iravail,  et  que  dans  l'occupation  la  plus  attrayante,  il  est  des 
lialtes  commandées  par  les  convenances  et  par  le  besoin  de 
respirer  ? 

Dès  le  début  de  celte  correspondance,  nous  avons  fixé  une 
limite  chronologique;  il  était  convenu  que  nous  ne  dépasse- 
rions pas  le  commencement  de  la  Révolution.  C'est  aussi  le 
point  extrême  que  la  commission  centrale  des  archives  a  fixé 
jusqu'ici  pour  la  confection  des  inventaires.  A  partir  de  là, 
dans  les  soixante-dix  années  qui  nous  séparent  de  cette 
époque,  il  y  aurait  certainement  à  glaner  et  même  à  récolter 
dans  nos  archives  au  point  de  vue  historique.  Dès  le  début  de 
la  Révolution,  notre  dépôt  offre  une  correspondance  curieuse 
entre  le  maréchal  Luckner  et  les  généraux  qui,  sous  ses 
ordres  ou  de  concert  avec  lui,  se  préparaient  à  défendre  la 
frontière  de  l'Est  et  du  Nord-Est  contre  la  première  coalition. 
Les  noms  du  vainqueur  de  Valmy,  du  général  Biron,  de 
M.  de  Broghe  etc.  se  trouvent  dans  ces  liasses.  En  épluchant 
les  procès-verbaux  des  séances  de  l'autorité  administrative 
(de  1700  à  1800),  on  y  (rouverait  des  notes  à  recueillir  ;  et 
une  fois  ai  rivé  à  l'Empire,  à  la  Restauration,  au  gouverne- 
ment de  Juillet,  plus  d'un  carton,  dans  la  série  de  l'adminis- 
tration générale,  offrirait  des  données  curieuses  sur  la  situa- 
tion de  notre  pays  et  sur  le  personnel  qui  était  appelé  à  gérer 
ses  affaires.  Une  histoire  sérieuse  et  franche  de  l'administra- 
lion  préfectorale  et  des  préfets  qui  se  sont  succédé  dans  le 
jtalais  du  préteur  Klinglin  et  de  l'intendance,  aurait  sans 
aucun  doute  un  attrait  de  curiosité  et  offrirait  aux  hommes 
d'affaires  et  au  public  même,  des  sujets  d'une  instruction  va- 
riée. —  J'ai  essayé  pour  celui  de  ces  administrateurs  qui  a 
laissé  le  souvenir  le  plus  populaire  dans  nos  campagnes,  de 
reproduire,  dans  une  notice  biographique  assez  étendue,  la 
physionomie  de  notre  département  pendant  les  dernières 
années  de  l'Empire  et  au  commencement  de  la  Reslauralion. 


TRENTE-SEPTIÈME  ET  DERNIÈRE  LETTRE.  -411 

La  carrière  agitée  d'Adrien  Lczay  de  Marnésia,  son  iniluence 
dans  les  provinces  rhénanes  —  alors  partie  intégrante  de 
l'Empire  français,  —  son  charmant  caractère,  sa  fin  tragique 
surtout,  se  prêtaient  à  des  développements  de  cette  nature; 
et  l'époque  où  il  a  vécu  est  déjà  assez  loin  de  nous  pour  ad- 
mettre un  jugement  calme  et  indépendant.  Il  n'en  serait  pas 
tout  à  fait  de  même ,  lorsqu'il  s'agirait  de  toucher  aux  actes 
de  ses  successeurs.  Tous  les  inconvénients  de  l'histoire  con- 
temporaine, multiphés  par  les  embarras  des  souvenirs  lo- 
caux, des  sympathies  et  des  antipathies  qu'inspirait  la  per- 
sonnalité de  ces  fonctionnaires,  se  produiraient  dans  une 
pareille  tentative.  La  louange  dans  la  bouche  d'un  homme 
admis  autrefois  dans  l'intimité  de 'quelques-uns  de  ces  admi- 
nistrateurs, semblerait  suspecte,  le  blâme  inconvenant;  les 
indiscrétions  qui  piquent  le  plus  la  curiosité ,  prendraient  un 
caractère  odieux  ;  que  de  raisons  qui  plaident  pour  le  silence  ! 
Soyez  donc  parfaitement  rassuré,  Monsieur;  je  ne  franchirai 
point  pour  le  moment  le  seuil  des  compartiments  où  les 
titres  postérieurs  à  1790  sont  confinés,  ou  si  jamais  je  le  fais, 
je  resterai  dans  la  voie  tracée  par  le  devoir  et  les  conve- 
nances. 

Mais  avant  de  vous  faire  mes  adieux,  souffrez  que  je  jette 
un  coup  d'œil  en  arrière  sur  la  roule  que  nous  avons  par- 
courue ensemble.  Je  me  suis  pris  d'une  affection  à  la  fois  plus 
vive  et  plus  profonde  encore  pour  ces  travées  silencieuses , 
depuis  qu'un  groupe  d'intrépides  lecteurs  a  honoré  d'une 
attention  bienveillante  ces  comptes  rendus  improvisés.  Les 
parchemins  entamés  par  fàge,  les  noms  souvent  à  demi-effa- 
cés qui  sont  inscrits  sur  leurs  plis  ou  dans  leurs  rouleaux, 
ont  pour  moi  une  valeur  nouvelle  depuis  que  j'ai  conquis, 
pour  plusieurs  de  ces  titres,  la  sympathie  de  quelques  com- 
patriotes et  de  quelques  amis  indulgents.  La  conviction, — 
pardon ,  Monsieur,  je  me  hâte  de  corriger  ce  terme  trop  am- 
bitieux,—  l'illusion  que  je  ne  suis  plus  seul  à  les  aimer, 
m'aide  à  ne  point  l'cgi'eller  les  belles  années  passées  dans  une 


412  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  BAS-RHIN. 

séqiiestralion  volontaire,  presque  monacale,  loin  de  la  vie 
de  famille,  loin  des  grandes  scènes  de  la  nature,  qui  com- 
pensent quelquefois  l'absence  des  affections,  loin  du  grand 
théâtre  du  monde ,  qui  enivre  ou  qui  étourdit  sur  la  brièveté 
et  le  néant  des  choses  terrestres. 

A  l'entrée  du  dépôt,  nous  nous  sommes  placés  devant  la 
collection  de  la  préfecture  de  Haguenau  ;  elle  nous  a  révélé 
l'une  des  formes  les  plus  curieuses,  les  plus  complexes  de 
l'administration  gouvernementale  du  moyen  âge  et  de  la  re- 
naissance ;  nous  avons  pu  ramener  sa  première  origine  à 
ce  vogt  ou  préfet  de  Frédéric  II  de  Ilohenslauffen ,  dont  la 
mystérieuse  deslinée  a  jusqu'ici  échappé  à  toute  recherche; 
les  préfets  slaves  de  la  maison  de  Luxembourg ,  les  électeurs 
palatins  cumulant  avec  leur  grande  existence  celle  de  land- 
vogt  d'Alsace,  et  les  archiducs  autrichiens  ont  un  instant 
posé  devant  nous  ;  le  nom  sonore  de  la  Décapole  alsalicjue  a 
retenti  à  notre  oreille;  et  dans  cette  confédération  j)olitique 
et  municipale,  large,  indépendante,  ne  relevant  que  de  l'em- 
pire et  de  ses  magistrats  locaux ,  nous  avons  ])eut-être  regretté 
de  ne  point  rencontrer  le  nom  de  la  plus  grande  et  de  la  plus 
ancienne  cité  de  l'Alsace.  La  figure  audacieuse  de  Frédéric- 
le-Victorieux,  celle  de  Philippe-l'Ingénu,  celle  de  Henri-Otton 
ont  passé  devant  nos  yeux;  et  cette  première  perspective  sur 
l'histoire  dramatique  de  l'empire  d'Allemagne  nous  a  fait 
entrevoir  l'intérêt  général  qui  s'attache  à  notre  dépôt.  Un 
examen  rapide  des  papiers  de  l'intendance  nous  a  confirmés 
dans  cette  ap[)réciation  pi'cmière;  car  ce  fonds,  l'un  des  plus 
considérables  et  des  plus  fréquemment  consultés  ,  nous  a  fait 
remonter  jusqu'au  fondateur  de  ce  puissant  mécanisme  de 
centralisation.  Nous  avons  reconnu  le  principe  de  la  grandeur 
de  la  France  dans  cet  impitoyable  nivellement,  cruel  pour  les 
individus,  source  de  gloire  pour  la  nation,  sujet  d'étonne- 
ment  et  d'admiration  pour  l'observateur.  Dans  une  seule  série 
nous  avons  touché,  d'une  part  aux  empereurs  germaniques 
et  à  leurs  représentants ,  d'autre  part  à  Richelieu  et  Louis  XIV; 


TRENTE  SEPTIÈME  ET  DERNIÈRE  LETTRE.        113 

dès  cette  entrée  en  matière,  la  position  compliquée  de  l'Al- 
sace s'est  manifestée  dans  la  nature  même  des  documents 
contenus  dans  notre  collection  départementale. 

La  bigarrure  de  la  carte  d'Alsace  avant  la  Révolution  de  89 
a  produit  sur  nous  l'effet  d'un  singulier  mirage.  En  face  de 
ces  bailliages  de  Bischwiller  et  de  La  Petite-Pierre,  qui  se  rat- 
tachent à  Deux-Ponts,  des  douze  bailliages  de  Ilanau-Lich- 
tenberg-,  de  la  seigneurie  d'Oberbronn  et  du  val  de  Reichs- 
hoffen  relevant  des  Linange,  en  face  de  la  seigneurie  de 
Riquewihr  et  de  llorbourg,  apanage  de  la  maison  ducale  du 
Wurtemberg,  en  face  de  la  seigneurie  de  Beinbeim  ,  apparte- 
nant aux  margraves  de  Bade,  héritiers  des  Sponheim,  nous 
avons  été  saisis,  dans  le  premier  moment,- du  trouble  que 
fait  naître  toute  vision  étrange;  ces  vieilles  résidences  de 
princes  étrangers  ,  enclavées  dans  les  terres  du  roi  de  France, 
nous  ont  fait  l'effet  de  ces  demeures  fantastiques  aperçues 
par  les  voyageurs  dans  le  désert,  ou  par  le  touriste  sur  les 
côtes  de  la  Calabre  et  de  la  Sicile.  Peu  à  peu  ces  rêves  ont 
pris  une  forme  moins  confuse;  nous  avons  reconnu  que  ces 
châteaux,  ces  vergers,  ces  bosquets,  ces  orangeries  apparte- 
naient bien  et  dûment  à  des  souverains  microscopiques,  à 
des  seigneurs  de  village,  qui  ne  relevaient  point  du  domaine 
de  la  féerie  ou  de  l'opéra  ;  quelques-uns  ont  même  pris  à  nos 
yeux  une  taille  respectable ,  puisque  nous  avons  rencontré 
leurs  ascendants  ou  leurs  descendants  sur  des  trônes  ;  l'an- 
cienne famille  des  comtes  de  Lichtenberg  nous  a  surtout  ins- 
piré une  vive  sympathie,  grâce  à  quelques  caractères  éner- 
giques, à  quelques  individualités  puissantes  écloses  dans  le 
sein  de  cette  maison  de  dynastes,  grâce  surtout  à  quelques 
violen-tes  passions  qui  ont  sillonné^  comme  des  éclairs,  cette 
nuit  des  temps  passés. 

Le  directoire  de  la  noblesse  a  pendant  quelques  minutes 
arrêté  nos  pas.  Nous  avons  lu,  dans  sa  matricule,  les  noms 
de  nos  célébrités,  de  nos  illustrations  locales ,  et  eiïleuré  ces 
annales  domestiques   dont  quelques-unes   se  rattachent  au 


414  ARCHIVES  DÉPARTEMENTALES  DU  CAS-RIIIN. 

siècle  des  empereurs  de  la  maison  de  Ilohenslauiïen ,  quel- 
ques-unes à  ces  temps  de  funeste  discorde ,  où  se  produi- 
saient à  Strasbourg,  sur  un  théâtre  restreint,  des  luttes  pa- 
reilles à  celles  des  noirs  et  des  blancs  à  Florence. 

Puis,  quand  nous  eûmes  tourné  le  dos  à  ces  existences 
laïques  et  abordé  les  premiers  siècles  du  christianisme  ou 
les  temps  mérovingiens,  pour  y  trouver  l'origine  de  notre 
épiscopat,  et  le  point  de  départ  de  nos  établissements  reh- 
gieux,  notre  intérêt  a  pu  s'attacher  à  une  scène  plus  vaste  et 
plus  saisissante  que  ne  l'était  celle  de  la  féodalité  alsatique. 
Les  passions  humaines  ne  se  sont  point  effacées,  mais  elles 
se  sont  mises  au  service  d'une  puissance  plus  haute  et  plus 
forte  ;  elles  ont  concouru  à  fonder  un  ordre  de  choses  qui 
offrait,  au  sein  de  l'anarchie,  des  refuges,  des  asiles  à  la 
prière,  au  travail,  aux  existences  qui  voulaient  fuir  la  souil- 
lure du  siècle.  Au  pied  des  Vosges,  sur  leur  pente  et  en  partie 
sur  leurs  cimes,  le  long  des  rives  du  Rhin,  dans  les  vastes 
forêts  de  la  plaine,  au  cœur  des  cités  et  des  bourgades,  nous 
avons  vu  successivement  s'élever  la  tour  romane  et  la  llèche 
ogivale  des  églises  chrétiennes,  les  demeures  canoniales  des 
membres  des  chapitres.  Les  évêques  et  les  abbés  mitres,  en 
rapport  d'amitié  ou  en  conflit  hostile  avec  les  empereurs, 
avec  les  princes  et  dynasles  de  la  vallée  rhénane,  en  rapport 
d'obédience  avec  les  pontifes  et  les  prélats  romains,  ont  laissé 
échapper  devant  nous  le  secret  de  leur  politique,  de  leur 
force,  quelquefois  de  leur  faiblesse  et  de  leur  défaite.  Quel- 
ques tôles  entourées  d'une  auréole  nous  sont  apparues  à 
des  hauteurs  inaccessibles  aux  intérêts  et  aux  clameurs  du 
monde.  Une  émotion  involontaire  nous  a  gagné  à  la  vue  de 
quelques  grandes  et  nobles  victimes,  ou  sur  les  champs  de 
carnage  qui  ont  ensanglanté  les  rives  du  Rhin  plus  que  beau- 
coup d'autres  pays  de  l'Europe.  —  Et  maintenant,  adieu  à 
tout  ce  passe,  adieu  à  la  Cathédrale  et  aux  prélats  qui  l'ont 
deux  fois  fondée,  agrandie,  embellie  et  vivifiée,  adieu  aux 
chapitres  et  à  leurs  dignitaires  dans  l'enceinte  et  hors  des 


TRENTE-SKPTIÈME  ET  DERNIÈRE  LETTRE.  415 

murs  de  Strasbourg,  adieu  à  ces  cloîtres  bénédictius  Ibudés 
par  des  saints  de  l'Hibernie ,  aux  abbayes  de  femmes ,  asiles 
et  créations  de  saintes  impératrices ,  adieu  à  ces  maisons  de 
l'hôpital ,  où  la  croix  de  Malte  couvrait  plus  d'un  noble  cœur! 

Quelquefois,  en  marchant  le  long-  de  ces  travées  débordées 
par  des  sigillés  aux  armes  parlantes ,  lorsque  les  rayons  obli- 
ques du  soleil  couchant  pénètrent  dans  ces  couloirs  et  dorent 
l'étiquette  des  cartons,  je  suis  pris  par  de  singuhères  hallu- 
cinations. Il  me  semble  que  ces  hommes  du  passé,  avec  les- 
quels j'ai  si  souvent  eu  des  conversations  muettes,  vont  res- 
susciter, vont  prendre  corps  et  se  réchauffer  à  ce  beau  soleil 
qui  éclaire  leur  dernier  asile;  je  les  vois  se  dresser  devant 
moi  ;  les  uns  me  saluent  d'un  air  de  complaisante  satisfaction  ; 
ils  chuchottent  mystérieusement  à  mon  oreille  :  Nous  sommes 
contents  de  toi!...  D'autres  me  poursuivent  de  leur  sourire 
infernal... 

Ecartons  ces  fantômes  du  passé!  point  de  rêves,  mais  du 
travail  jusqu'à  la  dernière  heure ,  avec  l'espoir  téméraire 
peut-être,  mais  plein  de  doux  encouragements,  que  quelque 
successeur,  en  parcourant  mes  rapports,  mes  inventaires,  les 
fragments  historiques  crayonnés  dans  quelques  heures  de 
loisir,  rendra  justice  à  mes  intentions  et  couvrira  du  manteau 
de  l'indulgence  les  défectuosités  inévitables  de  l'œuvre  et  les 
involontaires  défaillances  de  l'ouvrier. 


ï:l-^^-K1S)(5jK-3-~-j 


PIÈGE  JUSTIFICATIVE. 

ACTES  D'UN  PROCÈS  CRIMINEL 

CONTRE 

APOLLONIE5  VEUVE  DE  3IICHEL  SPEIVER, 

ET   CONTRE 

DOROTHÉE  5  FEMME  DE  JACQUES  PFISTER5 

A  GEISPOLSHEIM, 

TOUTES  DEUX  INCULPÉES   DE   SORTILÈGE'. 

Le  4  mai  1616. 
Les  conseillers  séculiers  du  très-vénérable  grand-chapitre  de  l'église 
cathédrale  de  Strasbourg,  après  inquisition  générale,  faite  le  4  mars 
de  laditeannée,  et  après  inquisition  spéciale,  faite  le  15,  le  1 6  et  le  17  du- 
dit  mois,  après  avoir  pris  conseil  et  avis  de  la  très-honorable  faculté 
de  droit  de  l'université  autrichienne  de  Fribourg-en-Brisgau,  —  con- 
sultation émise  en  date  du  25  avril  de  la  même  année.  —  Ont  donné 
ordre,  par  écrit,  ta  Thiébaùd  Millier,  prévôt  de  Geispolsheim,  de  sai- 
sir, audit  lieu,  deux  personnes  du  sexe  féminin,  mal  famées  et  très- 
suspectes  de  magie,  à  savuir:  Apollonie,  veuve  de  Michel  Spcner,  et 
Dorothée,  femme  de  Jacques  Plistcr,  de  déposer  chacune  d'elles  en 
prison  spéciale,  et  immédiatement  faire  perquisition  en  la  maison, 
par  les  deux  femmes  habitée,  à  l'effet  d'y  découvrir  des  vases  suspects, 
des  bâtons,  du  sable,  de  la  poudre,  des  onguents  etc.;  et  après  expul- 
sion du  mari  de  ladite  Dorothée,  clore  ladite  maison  et  la  tenir  sous 
scellé  jusqu'à  plus  ample  informé. 

Le  5  mai  1616. 
Ledit  prévôt  rapporte ,  que  les  deux  femmes  susdites  ont  été  par  lui 
saisies  et  arrêtées  la  nuit  précédente  à  une  heure,  et  que  les  ordres  à 
lui  prescrits  ont  été  exécutés; 

Qu'ensuite,  le  même  jour,  à  cinq  heures  du  soir,  Dorothée,  femme 
de  Jacques  Plister,  a  été  extraite  de  prison,  examinée  et  questionnée  à 
l'amiable  par  le  docteur  Gail  et  par  le  secrétaire,  en  présence  du  pré- 

1  Traduit  de  l'original  allemand,  consigné  dans  le  fonds  du  grand- chapitre 

G.  3168,  n»  3. 

27 


418  PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 

\ôt,  de  Baltbazar  Bodmar,  forraicr  collongcr,  et  de  Melchior  Ansz , 
membre  de  lajusiice  locale,  à  savoir:  «Si  elle  s'entend  en  magie, 
ou  si  elle  l'a  apprise  »  mais  qu'elle  ayant  tout  nié,  on  lui  avait  pré- 
senté trois  pièces,  trouvées  en  sa  maison;  que,  là-dessus  elle  avait 
répondu,  que  le  petit  vase  renferme  de  l'eau  de  romarin  (ce  qui  a  été 
plus  tard  constaté)  à  l'effet  d'arroser  la  chambre,  que  la  petite  flole 
contient  de  l'huile  de  bouillon  blanc  pour  médecine,  et  le  petit  pot 
de  l'onguent,  cherché  par  elle  chez  l'apoiliicaire  à  Strasbourg  contre 
l'érysipèle; 

Qu'ensuite  ayant  été  examinée  en  détail  sur  certains  faits,  notés  sur 
son  compte  dans  l'inquisilion  spéciale,  elle  n'a  presque  rien  voulu  ni 
avouer  ni  savoir,  même  des  circonstances  les  plus  indifférentes,  si  ce 
n'est  qu'elle  sa^t  bien  qu'on  l'appelle  sorcière;  sur  quoi  les  cxami- 
Dateurs  lui  ont  fuit  lecture  des  points  principaux,  et  déjà  précités,  de 
l'inquisition,  avec  intimation  d'y  songer,  et,  lors  d'un  nouvel  interro- 
gatoire, de  dire  la  vérité,  si  elle  ne  voulait  encourir  la  torture,  qu'en- 
suite ils  l'ont  fait  de  nouveau  incarcérer. 

Le  6  mai  1616. 

A  été  de  même  extraite  de  prison,  vers  six  heures  du  malin,  Apol- 
lonie,  veuve  de  Michel  Spener,  et  examinée  à  l'amiable,  de  même  que 
la  précédente,  en  un  lieu  ouvert,  en  présence  du  prévôt  et  de  Ballhazar 
Bodmer,  fermier  libre,  par  le  docteur  Gail  et  par  le  secrétaire; 

Et  elle  est  convenue,  que  dans  le  verre  se  trouve  de  l'huile  de 
bouillon  blanc,  dans  le  petit  vase  de  l'eau  de  romarin,  et  dans  le  petit 
pot  de  l'onguent,  à  elle  donné  par  la  femme  du  bourreau  contre  l'éry- 
sipèle; a  confessé  seulement,  qu'elle  sait  fort  bien,  que  dans  le 
bourg  on  la  tient  pour  sorcière,  et  que  depuis  trente  ans  elle  est  te- 
nue pour  telle,  que  dans  les  rues  on  crie  ce  sobriquet  à  ses  oreilles 
et,  que  faute  d'assistance,  elle  a  dû  le  souffrir;  qu'y  pouvait-elle  faire? 
—  Item^  qu'elle  avait  entendu  dire  aux  gens  que  la  mère  de  son  mari 
avait  été  brûlée,  qu'elle  n'ignore  point  que  son  mari  était  réputé 
sorcier,  mais  à  tort;  que  sa  mère  aussi  avait  été  réputée  sorcière;  que 
Barthélémy  Zimmcrmann  avait  dit  en  elfet  :  Je  veux  être  brûlé,  si  la 
tille  de  Dorothée  n'est  pas  une  sorcière. 

Ladite  inculpée  n'ayant  pas  voulu  faire  d'autres  aveux,  lecture  lui 
a  été  donnée  des  principaux  points,  annotés  contre  elle  lors  de  l'en- 
quête, avec  avis  sérieux  d'y  songer  et  de  manifester  plus  tard^  sur  plus 
ample  examen,  la  vérité  entière,  plutôt  que  d'encourir  la  peine  de 
torture. 

Puis  elle  a  été  reconduite  en  prison,  et  k-s  meubles  de  sa  maison  ont  été 
inventoriés  par  le  prévôt  {eodem  die),  le  fermier  collonger  et  les  deux 


PIÈCE  .(i;stifr:ative.  419 

messagers;  et  de  nouveau  a  été  rcinlégrc  en  sa  demeure  Jacques 
Pfislcr,  le  mari  de  l'une  d'elles. 

Le  27  mai  1616. 

Le  docteur  Gail  et  le  fircfficr  ont  l'ait  exlraiie  de  prison  Doroiliée  la 
femme  de  Jacques  Plisler,  et  l'ont  lait  amener,  à  neuf  lieuros  du  ma- 
tin, sans  liens,  en  la  maison  de  Jean  Hitler,  le  mossafjer',  près  le  châ- 
teau ,  et  en  présence  du  prévôt,  de  Ballhazar  Bodmar  le  collonger ,  de 
Jean  IMiiller  l'écrivain,  de  Jacques  Schwaah  l)Our{jeois  (lleimburger), 
de  Laurent  Obscr  juré,  de  Diehold  Nuss,  IMekliior  Ansz  et  Isaac 
Speisser,  tous  de  la  magistrature  locale  de  Geispolslicim; 

Et  a  été  examinée  de  nouveau  à  l'amiable  sur  les  points  de  l'en- 
quête; mais  l'inculpée  n'ayant  fait  aucun  aveu,  a  été  appelé  le  bour- 
reau, puis  elle  a  été  conduite  ad  locum  torturx^  menacée  sérieuse- 
ment, lentement  préparée,  puis,  les  mains  liées,  conduite  près  la 
corde;  par  intervalles,  à  plusieurs  reprises,  exhortée  à  l'aveu  de  la  vé- 
rité, et  à  la  fin  à  plusieurs  reprises,  mais  toujours  sans  poids  appendu, 
a  été  soulevée,  et  allemative^  redescendue,  et  forcée  aux  aveux,  de 
telle  manière,  que  la  torture,  en  comptant  toute  alternance,  n'af  duré 
qu'une  demi-heure,  voire  même  un  peu  moins;  mais  que  l'interroga- 
toire in  luco  fortune  a  bien  duré  deux  heures; 

Après  quoi  elle  a  été  redescendue,  et  en  la  demeure  du  susdit  mes- 
sager, libre  de  tous  liens,  elle  s'est  plainte  à  plusieurs  reprises,  avoir 
été  amenée  à  ce  par  sa  mère  Appollonie; 

Puis,  sur  avis  de  répéter  complètement  en  ce  lieu  ce  que  m  loco 
tortura;  oUe  avaitavoué,  et  après  interrogatoire  à  l'amiable,  mêlé  à  ce, 
et  après  exhortation,  a  confessé  les  articles  suivants: 

^»  Après  ladci  nièrc  guerre,  Apollonio,  sa  marâtre,  luj  aurait  dit  que,  si 
elle  voulait  apprendre  quelque  chose,  elle  devait  l'accompagner,  puis 
lui  aurait  donné  un  bàlon,  sur  lequel,  en  compagnie  de  sa  mère,  elle 
aurait  chevauché,  h  travers  l'air,  sur  le  Glœckelsperg ; 

2»  Qu'au  haut  du  Glœckelspei  g ^  (^lail  venu  à  elle  en  habits  noirs 
de  prix,  un  homme  noir,  Folaut  de  nom,  lequel  avait  été  l'amant 
d'Apollonie,  qu'elle  avait  conclu  avec  lui  des  fiançailles,  i)uis  dansé, 
et  que  la  danse  avait  duré  une  demi-heure,  qu'ils  avaient  eu  un  vio- 
lon,  lequel  était  un  homme,  à  elle  inconnu,  et  que  son  amant  lui 
avait  donné,  en  guise  de  gage,  une  monnaie  à  elle  inconnue,  et 
qu'elle  aurait  plus  tard  jetée  loin  d'elle; 

3"  Qu'une  autre  fois  encore  elle  aurait  été  au  Glœclulxptry  ^  à  la 
danse,  que  celle  fois  là  elle  auiait  renie  Dieu,  que  d'abord  elle  n'avait 
point  voulu  renier  la  mère  de  Dieu  et  les  saints,  mais  qu'enfin  elle 
avait  été  forcée  de  le  faire,  surtout  sa  mère  le  lui  prescrivant; 


4.20                                     PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 
40 


5°  Que  d'autres  personnes,  hommes  et  femmes,  s'étaient  trouvés  à 
la  danse  de  Glœckelsperg,  qu'elle  avait  reconnu  seulement  Marthe,  la 
veuve  de  StolTel  (dont  elle  ignorait  l'autre  nom)  près  de  la  porte  basse  , 
et  la  femme  de  Jean  Ileid,  le  vieux;  qu'elle  les  avait  vues  danser,  mais 
rien  de  plus; 

0"  Qu'il  y  a  trois  ans,  pendant  la  dernière  peste  des  bestiaux,  sa  mère 
lui  aurait  ordonné  de  frapper  avec  un  bâton  la  vache  de  Régine , 
femme  d'Urbain  Schal,  parce  que  cette  Régine  était  mauvaise  langue  ; 
qu'elle  l'avait  fait  do  jour,  et  sur  la  route;  qu'elle  ignorait,  si  sa  mère 
avait  mis  quelque  chose  dans  le  bâton,  ou  si  la  \ache  en  suite  de  ce 
était  morte  ; 

70  Que  sa  mère  lui  avait  ordonné  de  jeter  un  sort  sur  le  fils  de  Ma- 
thieu Rietsch  (lequel  était  mort  très-misérablement  cette  année  au 
commencement  du  carême),  parce  qu'il  l'avait  injuriée  et  s'était  que- 
rellé avec  elle;  qu'en  ce  temps,  son  amant  était  venu  chez  clic  dans  la 
cour  (de  la  ferme),  l'avait  enlevée  à  travers  l'air  devant  l'étable  de 
George  Nuss,  l'avait  forcée  à  coudoyer  celui-ci,  et  lui  avait  dit  (à  elle) 
que  George  en  deviendrait  malade  à  mort; 

8°  Que  son  amant  l'avait  encore  d'autres  fois  visitée,  mais  pas  sou- 
vent; qu'elle  ne  l'avait  pas  suivi  chaque  fois; 

9"  Qu'il  l'avait  battue  à  deux  fois; 

-JO"  Qu'elle  n'avait  jamais  dit  à  confesse:  Je  suis  sorcière,  parce  que 
son  amant  le  lui  avait  défendu;  qu'il  lui  avait  permis  de  prendre  le 
Saint-Sacrement. 

Sur  quoi  elle  a  été  exhortée  à  ne  point  revenir  sur  ces  articles,  à 
réfléchir  a  toutes  ces  choses,  parce  qu'elle  serait  forcée  de  dire  la 
vérité  avec  plus  de  détails;  après  qiioi  elle  a  été  réintégrée  en  prison. 

Le  28  mai  1616. 
A  été  amenée  de  même  en  la  demeure  du  susdit  messager,  en  pré- 
sence, de  tous  ceux  qui  ont  assisté  hier  et  de  Jacques  Schal ,  de  Gcispols- 
hcim,  la  nommée  Apollonie,  veuve  de  Michel  Spener  :  puis  a  été  in- 
terrogée ci  l'amiable  sur  les  dépositions  faites  dans  l'enquête  ainsi  que 
sur  les  points  confessés  à  son  égard  par  sa  fille  Dorothée,  au  sujet  de 
de  l'instruction  donnée  du  voyage  au  Glœckelsperg;  puis  a  été  sadite 
fille  avec  elle  confrontée,  laquelle  a  de  nouveau  témoigné  que  sa  mère 

'  Les  passages  omis  ont  trait  aux  relations  charnelles  de  l'inculpée  avec  le  démon. 


riÈCE  JUSTIFICATIVE.  421 

lui  avait  cnsci2[nc  l'art  (de  la  magie);  qu'elle  l'avait  cnuiienoe  au 
Glœckelsperg  après  la  dernière  guerre,  qu'elle  s'y  était  rendue  en  en- 
fourchant un  Làlon,  que  l'amant  d'Apollonie  s'appelait  aussi  Volant; 
que  toutes  deux  elles  avaient  eu  un  seul  amant; 

Mais  elle  (Apollonie),  après  tous  ces  points  constatés,  et  après  me- 
naces sérieuses  ne  s'étant  point  émue,  a  été  mise  en  présence  du 
bourreau,  et  avec  lui  conduite  ad locum  torturx;  ampiel  lieu, avant 
d'êlre  liée,  elle  a  en  cflet  commencé  à  faire  quelques  aveux;  mais 
n'ayant  pas  voulu  faire  de  confession  complète,  a  été  liée ,  et  soulevée 
parla  corde  à  plusieurs  reprises,  mais  sans  poids  appendu,  le  tout 
durant  un  quart-d'licure,  et  interrogée  plus  de  deux  heures  et  demie; 
après  quoi  de  nouveau  reconduite  en  la  demeure  du  susdit  messager, 
et  là,  sur  et  après  les  aveux  précédemment  faits,  a  été  de  nouveau  in- 
terrogée point  par  point,  et  a  confessé  ce  qui  suit: 

-|o  yu'il  y  a  treize  ans,  pendant  la  guerre  de  Schœffolsheim ,  le  ma 
lin,  en  habit  de  paysan,  était  venu  pour  la  première  fois  auprès  d'elle 
dans  le  canton  de  Schwabsheim,  au  moment  où  elle  se  rendait  à  Stras- 
bourg , 


3"  Que  l'amant  de  sa  lille  Dorothée  avait  aussi  été  son  amant;  qu'il 
s'appelait  aussi  Volant; 

4»  Qu'un  jour  il  était  venu  auprès  d'elles  deux,  dans  leur  chambre; 
qu'il  avait  fait  sortir  Dorothée ,  que  l'infâme  l'avait  suivie,  mais  qu'elle 
(Apollonie)  avait  reçu  la  défense  de  sortir  ou  de  demander  ce  qui  se 
passait;  mais  que,  dans  sa  pensée,  il  avait  aussi  souillé  sa  tille. 

5°  Que  sur  les  instances  sévères  du  malin,  elle  lui  avait  promis  de 
renier  Dieu,  et  de  le  servir,  lui; 

6"  Que  toutes  les  fois  qu'il  la  visitait  plus  tard,  il  lui  avait  donné  des 
ordres  méchants;  qu'elle  avait  jeté  un  sort  sur  une  vache  en  pâturage; 
que  le  malin  l'avait  forcée  de  frapper  sur  le  derrière  de  cette  vache, 
laquelle  probablement  en  a  crevé; 

7"  Qu'il  l'avait  aussi  conduite  dans  la  cour  de  Michel  Ileilz,  puis  ou- 
vcit  l'élable,  et  prescrit  de  crier:  ho!  ce  qu'elle  avait  fait;  sur  quoi,  il 
l'avait  reconduite  à  travers  l'air;  qu'elle  ignorait  ce  qui  était  advenu 
des  chevaux  de  Ileitz; 

8°  Que  de  même  il  l'avait  aussi  conduite  devant  l'écurie  du  maire  et 
fait  crier  ho!  qu'elle  avait  obéi,  ne  sachant  pas  ce  qui  est  advenu  du 
cheval  ; 


423  PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 

9"  Que  deux  M-;  elle  avait  fait  le  voyage,  mais  Dorolliée  une  seule 
fois;  qu'une  fois  le  malin  l'avait  menée  tout  au  haut  du  Glœckclsperg, 
à  la  danse;  mais  qu'elle  et  Dorothée  n'étaient  arrivées  qu'à  la  lin,  au 
moment  où  tout  s'en  allait  en  l'air,  et  quensuite  il  les  avait  ramenées 
dans  le  han  (de  Geispolsheim). 

10°  Qu'elle  ignore  où  il  l'avait  conduite  une  autre  fois,  mais  qu'il 
l'avait  ramenée  à  la  cour  (de  la  ferme). 

-il  "Que  le  malin  lui  avait  donné,  au  moment  des  fiançailles,  quel- 
que chose  de  rond  et  de  plat,  qu'elle  avait  cru  reconnaître  un  écu, 
mais  qu'après  son  départ  ce  n'était  plus  qu'un  morceau  do  pot  de 
terre  qu'elle  avait  jeté. 

Le  9  juin  1616. 

La  torture  susmentionnée,  et  les  aveux  qui  s'en  sont  suivis,  ayant 
été  reconnus  à  peu  près  insulllsanfs  en  ce  qu'aucune  mention  n'a  été 
faite  de  maléfices  sur  bestiaux  et  hommes  quelque  grands  que  fussent 
les  soupçons  à  ce  sujet; 

Ce  pourquoi ,  a  été  examinée  de  nouveau  par  le  grclficr  et  par  Henri 
Loppinckh,  vofjt  d'Erstein,  à  la  date  du  9  juin  KilC,  à  9  heures  du  ma- 
tin, la  nommée  Dorothée,  femme  de  Jacques  Pfister,  et  ce  en  présence 
du  maire,  du  collonijcr,  de  l'écrivain,  de  Diebold  Nuss,  Melchior  Ernst, 
Jacques  Schwab,  Laurent  Obser,  Isaac  Spciser,  tous  du  tribunal  local 
de  Geispolsheim,  et  lecture  préalable,  intelligible  et  point  par  point  lui 
a  élé  donnée  en  premier  lieu  des  articles  par  elle  avoués  le  27  mai 
dernier  à  la  suite  de  la  torture  au  premier  degré,  et  elle  a  été  interro- 
gée, si  ces  articles  étaient  vrais,  si  elle  y  persistait,  et  sur  réponse 
alfirmalive,  a  élé  de  nouveau  interrogée  si  les  deux  personnes  indi- 
quées et  nonnuées  à  l'art.  5  s'elaient  tiouvées  à  la  danse,  avec  avis  de 
ne  faire  du  tort  à  personne,  et  a  répondu  de  nouveau  alfirmalivement. 

Sur  quoi,  les  examinateurs,  en  lui  faisant  connaître  leurs  soupçons 
iillérieurs,  l'ont  engagée  à  d'autres  aveux,  et,  l'inculpoe  n'ayant  pas 
voulu  aller  en  avant,  après  appel  du  bourreau  l'ont  fait  de  nouveau 
conduire  ad  locum  tortnrx^  lier,  puis  soulever  plusieurs  fois  par  la 
corde  à  peu  près  en  tout  pendant  un  demi-quarl-d'heure  sans  pierre 
appendue  et  enfin  avec  une  pierre  pesant  de  50  à  50  livres  d'après 
l'eslimalion  du  bourreau,  aussi  pendant  un  demi-quart-d'heure,  et 
dans  les  intervalles  l'ont  fait  examiner  pendant  à  peu  près  trois  heures 
in  locn  forfiirœ,  et  après  ce,  l'ont  fait  de  nouveau  reconduire  en  la 
susdite  demeure  du  messager;  et,  sur  exhortation  bienveillante,  elle 
a  confessé  ce  qui  suit: 

-J»  Qu'il  y  a  quatorze  ans,  sa  mère  Apollonie  lui  aurait  enseigné  la 
sorcellerie,  et  l'aurait  forcée  à  la  pratiquer;  qu'elle  l'aurait  présentée 


PIÈCE  JUSTIFICATIVE.  423 

dans  Ici  cour  à  un  homme  noir,  avec  lequel  elle  aurait  élé  oLli{;ée  de 
partir  en  tournoyant  dans  les  hauteurs  et  puis  serait  redescendue  à  la 
maison; 

2"  gu'à  peu  près  il  y  a  dix  ans,  elle  avait,  sur  le  haut  du  Glœckels- 
perg,  renié  Dieu  et  les  saints,  et  avait  céléhré  noces  avec  le.malin,  ap- 
pelé/^o/or?*/,  que  beaucoup  d'autres  personnes,  surtout  de  la  ville  do 
StrasLourp-,  à  elles  inconnues,  y  avaient  été,  qu'on  avail  manjjé  et  bu, 
—  point  de  pain  ni  de  sel,  mais  de  la  viande  et  une  bouillie  de  mil 
avec  du  lait;  que  les  autres  avaient  cherché  du  vin  à  Blœsheim,  dans 
les  caves  du  jeune  seigneur; 

3"  Que  lors  de  celle  fêle  nuplialc  elle  avait  dansé  avec  son  amant; 
qu'à  cette  danse  avaient  assisté  la  veuve  de  Sloiïel  Poley,  !a  femme 
du  vieux  Jean  Heid,  Marie,  la  fille  de  Stoffel  Poley,  la  fille  de  Yix  kiihl, 
et  la  femme  de  J,  Speiser  le  londeur; 

4"  Qu'en  tout  elle  a>ait  assiste  de  une  à  six  fois  à  ce  bal; 

5o 

0"  Qu'il  y  a  deux  ou  trois  ans,  elle  avait  assisié  aux  noces  de  la  fille 
de  Kiihl  Vix,  et  de  la  fille  de  Stoffel  I^oley,  que  là  les  jeunes  filles 
avaient  élé  bien  atliflées,  et  n'avaient  eu  qu'un  seul  amant,  lequel  était 
noir  et  velu  d'habits  noirs; 

8°  Qu'il  y  a  huit  ans,  le  malin  l'avait  aussi  conduite  au  Glœckelsperg, 
que  les  autres  fois  elle  y  avait  été,  chevauchant  sur  un  bàlon;  d'autres 
fois  aussi  à  pied,  qu'elle  avait  voulu  abîmer  les  vignes,  que  les  deux 
femmes  susnommées  s'y  élaient  tiouvées,  et  deux  petites  filles  et  la 
femme  du  tondeur;  que  le  malin  avait  fait  des  ordures  dans  un  vase, 
qu'elles  avaient  cherché  de  l'eau  et  versé  dans  le  vase,  que  le  maliu 
aurait  répandu  le  tout  d'en  haut,  qu'il  s'en  était  suivi  brouillard  et 
pluie,  qui  cependant  n'ont  point  fait  de  mal,  parce  que  de  partout  on 
avait  commencé  à  sonner  les  cloches. 

8°  Qu'elle  s'était  aussi  rendue  à  califourchon  sur  le  gazon,  le  pré 
aux  vaches  de  Geis|)olsheim,  où  elle  s'était  trouvée  en  société  des  deux 
femmes  et  des  deux  tilles  précitées,  ainsi  qu'en  société  de  la  femme 
du  londeur;  que  le  malin  leur  avait  prescrit  d'abîmer  la  fleur  des  arbres  ; 
que  Ici  aulies  (femmes  et  filles)  avaient  ramasse  la  fioiai>on;  que  le 
malin  l'avait  mise  en  un  vase  qu'il  avait  renversé  de  manière  à  en 
faire  sortir  la  pluie,  laquelle  toutefois,  pour  cause  inconnue  à  l'inculpée, 
n'avait  occasionné  aucun  dommage;  qu'elles  a\âient  aussi  tente  en 
cette  occasion  de  ruiner  la  floraison  dans  le  ban  de  Strasbourg;  qu'elle 
(l'inculpée)  avait  seulement  assisté  à  ces  pratiques  sans  y  aider. 

9"  Qu'il  y  a  six  ans  elle  avait  enfourché  un  bàlon  pour  aller  à  la 


424  PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 

Hart  près  DùppiVlieim;  que  les  personnes  précitées  y  avaient  été  do 
même;  que  le  malin  avait  fait  des  ordures  dans  un  pot,  et  les  avait 
forcées  à  y  mettre  de  l'eau;  qu'elles  avaient  tenté  d'abîmer  les  chênes, 
ce  qui  n'avait  pas  réussi,  vu  qu'une  femme  étrangère,  en  dansant  en 
rond,  avait  heurté  le  pot  qui  avait  versé  trop  vite;  qu'il  en  était  cepen- 
dant résulté  une  grande  pluie,  du  vent  et  de  la  grêle. 

^0°  Qu'il  y  trois  ans  elle  avait  frappé,  en  pleine  rue,  avec  un  bâton 
que  lui  avait  donné  sa  mère,  une  vache  appartenant  à  un  marchand 
de  bestiaux  welchc;  qu'elle  avait  agi  do  la  sorte  parce  que  la  bête  l'avait 
heurtée;  que  la  vache,  placée  chez  Antoine  Poley,  était  morte  du  coup. 

^\°  Que  do  même,  parce  que  Silvesfrc  Obach  l'avait  irritée,  elle 
avait  frappé  d'un  bâton  et  abîmé  la  vache  dudit  homme;  que  ceci  était 
advenu  de  jour  dans  la  rue ,  il  y  a  doux  ou  six  ans. 

-120  Que  de  môme,  il  y  a  six  ans,  elle  avait  aidé  à  abîmer  nn  cheval 
appartenant  à  Vix  (Valcnlin)  Kùlil;  que  sa  mère,  la  tiiio  mémo  do  Vix 
Kiihl,  et  le  malin  avaient  monté  ce  cheval,  l'avaient  frappé  et  fait 
gambader. 

-13»  Que  de  même,  il  y  a  quatre  ans,  elle  avait  aidé  à  abîmer  en  plein 
pâturage,  do  nuit,  le  cheval  de  Tlienig  (Antoine) Schneider,  que  la  tille 
do  Vix  Kiihl  et  la  femme  du  tondeur,  puis  la  veuve  de  Stoffel  (Chris- 
tophe) Poley  et  la  femme  de  llcyd  l'avaient  monté  doux  à  deux,  puis 
le  malin  lui  tout  seul;  qu'elle  n'avait  fait  que  frapper  le  cheval. 

14"  Qu'elle  avait  aidé  à  abîmer,  de  nuit,  il  y  a  six  ans,  une  vache 
dans  la  forme  do  Malhis  (Mathieu)  Schal  le  jeune  ;  que  la  veuve  de 
StofTcl  Poley  et  puis  le  malin  l'avaient  montée,  qu'elle  s'était  bornée  à 
la  frapper;  que  la  vache  avait  d'abord  guéri  et  n'était  morte  que  plus 
tard. 

-15°  Qu'il  y  a  six  ans,  le  malin  l'avait  invitée  à  abîmer  une  autre 
vache ,  et  que  n'ayant  pas  voulu  le  faire ,  elle  avait  été  bàtonnée  par  lui. 

-IG»  Qu'il  y  a  quatorze  ans,  sa  mère,  vu  que  le  cheval  était  plusieurs 
fois  venu  ouvrir  violemment  la  porte,  l'avait  forcée  de  jeter  de  l'eau 
sur  le  cheval  do  Balthazar  Bodomer  le  vieux ,  à  tel  point  qu'il  en  est  de- 
venu paralytique  et  boiteux;  que  plus  tard  elle  lui  avait  prescrit  de 
le  bénir,  de  sorte  qu'il  a  guéri. 

17"  Que  de  gaîté  de  canir  elle  avait  donné  un  coup  sur  le  bras  de  la 
fille  de  Thenig  Landtmann,  parce  que  celte  fille  s'était  querellée  avec 
elle;  qu'elle  en  avait  eu  une  tumeur;  que  le  malin  l'avait  forcée  à  ce 
faire. 

^8o  Qu'il  y  a  cinq  ou  six  ans  elle  avait  frappé  de  la  main  un  petit  gar- 
çon, fils  d'une  pauvre  femme,  hébergé  chez  elle;  que  le  petit  en  était 
malade;  qu'elle  avait  agi  ainsi  parce  que  ladite  femme  lui  avait  volé 


PIÈCE  JUSTIFICATIVE.  â^ij 

quelque  objet  et  que  le  petit  lui  avait  causé  beaucoup  d'enibanas  dans 
la  maison  ;  ([ue  la  rcuime  h  la  vérité  était  partie  avec  cet  enfant,  mais, 
revenue  plus  tard ,  elle  avait  dit  que  l'enfant  était  mort. 

19"  Que  récemment,  après  la  dernière  Noël,  prise  de  colère  parce 
que  sa  mère  lui  avait  ordonné  de  grand  matin  de  traire  les  vaches, 
elle  était  sortie  dans  la  cour,  qu'un  homme  habillé  de  noir  qui  s'y 
trouvait  l'avait  immédiatement  forcée  à  s'en  aller,  que  celui-là  l'avait 
enlevée  à  travers  l'air,  dans  la  cour  de  la  ferme  de  George  iNuss,  qu'il 
avait  saisi  par  le  bras  le  Jils  de  Mathieu  Uictsch,  l'avait  soulevé,  près 
des  élabies,  et  lui  avait  prescrit  à  elle  de  le  pousser,  qu'elle  avait  été 
obligée  de  le  faire;  qu'elle  ignorait  ce  qui  devait  en  résulter;  qu'il 
n'aurait  éprouvé  aucun  mal  s'il  avait  prononcé  une  prière  ;  mais  que 
c'était  un  franc-joueur  et  qu'il  l'avait  irritée. 

Die  sequenli  (10  juin  1G16). 

A  été  amenée  derechef  Apollonie,  veuve  de  Michel  Spener,  pour 
causes  précitées,  en  présence  des  témoins  d'hier,  et  lecture  lui  a  été 
donnée,  en  premier  lieu,  des  aveux  déjà  faits,  qu'elle  a  confirmés 
article  par  article,  et  puis  le  total,  excepté  toutefois  l'art.  3 ,  à  l'occa- 
sion duquel  elle  a  dit,  que  l'homme  ne  se  nommait  pas  Volant,  qu'elle 
n'avait  jamais  connu  son  nom,  car  toutes  les  fois  qu'il  s'était  présenté 
chez  elle,  il  l'avait  saisie  et  jetée  par  terre;  qu'elle  l'avait  pris  pour  un 
mauvais  plaisant  {/labe  i/in  fur  ein  schlechkr  Iludler  angeseUen)  ; 
qu'elle  avait  aussi  nié  vertement  l'art.  5,  mais  qu'elle  avait  répondu 
par  oui  à  tous  les  autres  articles. 

Après  ce,  les  examinateurs,  ayant  articulé  leurs  présomptions  ulté- 
rieures, et  fait  donner  lecture  ce  dont  sa  fille  l'avait  inculpée  hier,  ont 
poussé  ad  confessionem  nlleriorem,  et  elle  n'ayant  pas  voulu  y  con- 
sentir, ils  l'ont  fait  conduire  en  lieu  de  torture  à  l'élage  supérieur,  puis 
lier,  et  pendant  un  demi-quarl-d'heure  soulever  en  l'air  sans  poids 
appendu;  ensuite  ils  onl  fait  attacher  (aux  pieds  de  l'inculpée)  une 
petite  pierre  de  30  à  35  livres  ;  mais  par  égard  pour  son  âge  avancé  et 
à  raison  des  aveux  faits  sur  simple  menace,  ils  ne  l'ont  pas  fait  soule- 
ver; l'interrogatoire  s'est  bien  prolongé,  in  loco  torlarie  pendant  trois 
heures,  et  après,  elle  a  fait,  en  endroit  libre,  les  aveux  suivants  : 

^0  Qu'à  peu  près  deux  ans  après  son  mariage,  lorsqu'elle  était  dans 
sa  vingt  et  unième  année,  et  un  au  avant  la  guerre  de  Wolfgang  ',  elle 
avait  été  fourrager  en  plein  champ  avec  une  femme  étrangèie  (pi'ellc 

Ml  est  probable  qu'elle  fait  allusion  à  la  guerre  dite  épiscopale,  c'est-ù-dire 
à  la  lutte  entre  les  deux  compétiteurs  à  l'évèché  de  Strasbourg  vers  la  fin  du 
seizième  siècle  (1592),  voy.  Slrobel,  IV,  p.  262  et  suiv. 


426  PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 

avail  liéljcrgéc  chez  elle;  que  cède  femme  l'avait  bien  éconduile  pour 
la  première  fois  en  rase  campajjnc;  qu'un  homme  noir  en  habit  de 
paysan  était  venu  devers  elle,  qu'il  avait  d'abord  adresse  la  parole  à 
la  femme  clrangcrc,  <à  tel  point  qu'elle  avait  pensé  que  c'était  son  pa- 
rent, qu'ensuite  il  s'était  adressé  à  elle-même,  et  lui  avait  fait  de  une 
à  quatre  fois  des  pioposilions  honteuses;  que  ladite  femme  lui  avait 
donné  de  mauvais  conseils  en  ajoutant  qu'a  partir  de  là  elle  ne  man- 
querait de  rien  toute  sa  vie,  qu'enfin  elle  y  avait  consenti,  mais  qu'elle 
l'avait  trouvé  froid,  mais  qu'ensuite  elle  n'avait  plus  revu  le  malin; 

2"  Que  peut-être  six  ans  plus  tard,  un  jour  en  allant  devers  Stras- 
bourg, un  homme  noir  l'avait  aperçue  dans  le  ban  de  Schwabsheim, 
l'avait  suivie,  fait  quatre  fois  de  certaines  propositions,  puis  enlevé  la 
corbeille  de  dessus  sa  tête,  posé  par  terre,  puis  l'avait  jetée  par  tCàre 
elle-même  et  violentée; 

3"  Qu'après  ce,  peut-être  dix  ou  douze  semaines  plus  tard,  au  mo- 
ment où  elle  fourrageait  dans  le  Halisserftld ^  le  même  s'était  de  nou- 
veau présenté  à  elle,  l'avait  de  nouveau  forcée  à  l'inipudicilé,  qu'elle 
avait  été  forcée  à  renier  Dieu  et  les  saints  et  à  lui  promettre  de  ne 
jamais  renoncer  ci  lui  ; 

Qu'ensuite  de  cela,  il  l'avait  conduite  à  travers  l'air  sur  le  Ihitliser- 
ziech  ';  que  là  elle  avail  été  de  nouveau  forcée  à  lenier  Dieu  et  faire 
promesse  de  lui  obéir  a  lui;  (ju'cnsuite  elle  avait  fait  noces  avec  lui; 
(|u'un  mauvais  chien  noir  les  avait  coj)ulés  par  la  main  gaiiche  en 
présence  de  six  ou  de  neuf  autres  personnes,  toutes  do  la  bourgade, 
mais  qui  toutes  étaient  mortes  depuis;  qu'on  avait  fait  passer  à  la 
ronde  une  boisson,  mais  sans  danser,  puisque  tout  cela  s'était  passé 
de  jour  et  eu  plein  champ;  que  son  amant  se  nommait  llolland  ,  que 
celui  de  la  lille  Dorothée  se  nommait  \  olant  et  était  jeune  ,  que  le  sien 
n'était  plus  jeune,  que  c'étaient  donc  deux  personnes  distinctes,  que 
le  sien  était  toujours  venu  à  elle  en  habits  de  paysan  ; 

4"  Qu'il  était  arrivé,  ce  qui  suit,  quant  au  mariage  de  sa  lille  Dorothée: 
qu'en  un  certain  temps  un  malin  esprit,  qui  plus  tard  était  devenu 
l'amant  de  Dorothée,  était  venu  chez  toutes  deux  dans  la  maison,  que 
Dorothée  était  sortie  avec  lui,  qu'elle  (Apollonie)  ignorait  ce  qu'il  avait 
■fait  avec  sa  lille,  que  jilus  tard  le  même  malin  esprit,  au  moment  où 
elles  fourrageaient  en  rase  campagne,  était  levenu  auprès  d'elles, 
qu'il  avait  sollicité  la  mère  de  lui  donner  sa  lille,  qu'elle  avait  été 
obligée  de  le  faire,  que  le  malin  l'avait  épousée  après  lui  avoir  donné 
les  arrhes  des  liancailles   {ein  llu/lytid)  qu'elle  n'avait  point  vues, 

'  Impossible  de  deviner  cette  localité. 


PIÈCE  JUSTIFICATIVE.  427 

que  c'claient  prai)al)ieincnt  quelques  morceaux  de  poterie;  quii  huit 
jours  plus  tard,  leurs  amants  à  elles  deux  les  avaient  conduites  par 
les  airs  au  petit  bois  de  Wickershcim,  que  là  on  avait  célèbre  les  noces 
de  Dorothée  vers  le  temps  de  la  moisson;  que  du  temps  où  elle  (Do- 
rothée) était  encore  (ille  (le  mariage  a  eu  lieu  peu  de  temps  avant  la 
guerre  de  Strasbourg'),  elle  avait  cueilli  dans  les  champs  une  petite 
guirlande  de  fleurs;  qu'un  galant  homme  {ein  kosUicher  il/ann)  les 
avait  copules  au  nom  du  diable  et  par  la  main  gauche,  que  beaucoup 
de  personnes  nolablos  de  Strasbouig  y  avaient  assisté  ainsi  que  qualie 
femmes  de  Geispolshcira,  savoir  la  femme  de  Jean  Ileid,  la  femme  du 
tondeur,  la  sage-femme  et  Marthe,  la  veuve  de  Christophe  Poley;  qu'on 
avait  mangé  et  bu  du  pain  et  du  vin;  les  invités  {die  Kôsilicheu)  ont 
bu  dans  des  vases  d'argent,  mais  elle-même  dans  un  pot;  qu'elle  n'a- 
vait point  dansé  àr  cette  fête  parce  que,  en  sa  qualité  de  mère,  elle 
était  occupée  à  verser  à  boire  et  cà  servir  les  autres;  que  deux  diables, 
un  violon  et  un  fifre,  avaient  joué  d'un  petit  violon  et  d'un  petit  fla- 
geolet; qu'ils  jouaient  toujours  pian  piano,  et  qu'ils  dansaient  de  la 
main  gauche,  de  telle  façon  qu'ils  conduisent  les  femmes  du  côté 
gauche  et  de  la  main  gauche;  qu'on  ne  parlait  pas  beaucoup  dans  ces 
réunions;  que  les  malins  avaient  tous  une  patte  d'oie  à  la  place  du 
pied^jauche,  et  que  leur  pied  droit  était  un  pied  d'homme;  que  le  su- 
périeur était  toujours  vêtu  de  noir  comme  un  prince,  avec  quatre  ou 
cinq  suivants;  que  toutes  les  fois  qu'elle  était  venue  au  rendez-vous, 
le  malin  avait  déjà  été  sur  place,  assis  dans  unfauteueil,  que  les  invités, 
au  moment  de  partir,  lui  donnaient  toujours  la  main  gauche,  en  l'ap- 
pelant Oberschir  au  Obirncuj  {■'i'c),  qu'ellc-mèmp  ne  lui  avait  pas  donné 
la  main,  parce  qu'on  ne  faisait  pas  attention  aux  petites  gens,  qu'ils 
mangent  et  font  toute  chose  de  la  main  gauche;  que  toutes  les  fois 
qu'elle  avait  causé  du  dommage,  elle  l'avait  fait  de  la  main  gauche; 

50  Qu'il  y  a  quatre  ou  cinq  ans  son  amant  l'avait  conduite  au 
Glœcke/sperg ;  que  lorsqu'elle  y  était  arrivée ,  tout  s'était  courbé  comme 
des  brins  de  paille  et  qu'elle  était  restée  seule  au  haut  de  la  montagne  ; 
qu'alors  elle  avait  vu  passer  en  l'air  les  quatre  femmes  susdites  et  la 
tille  de  Vix  Kiihl  et  la  tille  aînée  de  Christophe  Poley,  et  qu'elle  pensait 
biei  que  ces  deux  tilles  avaient  alors  célébré  leurs  noces,  mais  qu'elle 
n'y  avait  pas  assisté,  que  son  amant  l'avait  reconduite  dans  le  ban  de 
son  village  et  l'avait  ensuite  laissée  s'en  allei'  chez  elle. 

6"  Qu'il  y  a  des  années,  elle  avait  aidé  à  faire  un  gros  temps  près 
d'Ergersheim ;  qu'elle  s'y  était  rendue  de  nuit  à  travers  les  airs;  que 

1  I6IO-IGI2.  Yoy.  Strobcl,  !V,  p.  232  et  suiv. 


428  PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 

les  quatre  susdites  femmes  et  d'autres  étranîïeis  s'y  étaient  trouves; 
qu'on  avait  apporté  deux  pots,  qu'elle  avait  cherché  de  l'eau,  et  que, 
pensant  qu'on  en  boirait,  elle  avait  uriné  dedans,  parce  qu'elle  avait 
été  vexée  de  chercher  toujours  de  l'eau,  mais  qu'on  avait  versé  le  tout 
dans  les  deux  pots  et  fait  cuire;  que  le  malin  avait  répandu  le  tout,  de 
manière  qu'il  s'en  était  suivi  un  mauvais  temps  qui  avait  gâté  la  fleur 
des  fèves  ; 

7°  Qu'il  y  a  huit  ans  elles  avaient  été  à  un  rendez-vous  commun  au 
Ilurenberg  à  Ilangenbielcnhcim;  qu'elles  avaient  essayé  de  gâter  les 
blés,  mais  que  c'était  vers  le  temps  du  printemps  où  les  tiges  sont 
trop  courtes,  de  manière  qu'elles  n'ont  pu  les  endommager,  qu"'clle 
ignorait  ce  que  les  autres  avaient  mis  dans  les  pots;  qu'elle  s'était 
bornée  à  chercher  de  l'eau,  et  qu'il  en  était  résulté  de  la  pluie  avec 
des  grêlons  aussi  gros  que  des  fèves  ; 

8»  Qu'il  y  a  six  ans  elles  avaient  fabriqué  un  gros  temps  près  de 
Dorollzhcim  (Dorlisheim)  ;  qu'elle  avait  comme  toujours  porté  de  l'eau; 
mais  que  ce  gros  temps  n'avait  pas  fait  de  mal;  que  les  quatre  sus- 
dites femmes  avaient  toutes  assisté  à  ces  trois  gros  temps; 

0"  Qu'il  y  a  sept  ans  elle  avait  essayé  à  Lingolsheim  de  gâter  la 
floraison  des  arbres,  mais  que  les  pots  avaient  été  versés  à  contre- 
temps, de  sorte  qu'il  n'en  était  pas  arrivé  de  mal,  mais  qu'il  en. était 
résulté  un  gros  temps. 

10'^  Qu'un  an  avant  la  grande  maladie  des  bestiaux  après  la  moisson, 
à  six  heures  du  matin,  elle  avait  aidé  à  gâter  le  pâturage  près  du 
petit  bois  do  Wickersheim ;  qu'elle  y  était  allée  à  travers  les  airs;  qu'elle 
avait  porté  de  l'eau,  que  les  autres  ont  fait  cuire  dans  deux  pots,  que 
le  malin  avait  versés;  qu'il  en  était  sorti  une  pluie  qui  a  empoi- 
sonné le  pâturage  ; 

-i|o  Qu'item,  lors  de  la  grande  maladie  du  bétail,  elle  avait  aidé  à 
gâter  le  pâturage  dans  le  Brudi  du  ban  de  Blœsheim;  qu'elle  y  était 
allée  de  nuit  à  travers  les  airs;  que  le  matin  avait  constamment  pré- 
paré le  poison,  que  les  femmes  avaient  fait  la  cuisson  en  deux  pots, 
dont  l'un  avait  été  répandu  dans  les  airs  par  le  malin,  mais  que  l'autre 
pot  avait  versé  au  moment  de  la  ronde  et  que  le  malin  avait  marché 
"dessus;  qu'il  en  était  sorti  une  fumée  et  un  brouillard  qui  sont  des- 
cendus sur  le  ban,  que  de  pareilles  choses  ne  s'étendaient  pas  au 
loin;  qu'autre  part  les  dommages  ont  dû  être  causés  par  d'autres  ;  que 
ces  deux  dernières  fois  les  quatre  femmes  susdites  y  avaient  été; 

-J20  Qu'il  y  a  huit  ans  elle  s'était  rendue,  de  nuit,  par  les  airs, 
dans  le  ban  de  Kolbsheim,  avec  les  quatre  femmes  susdites  et  quel- 
ques étrangères,  pour  gâter  les  vignes;  qu'à  chaque  fois  elle  avait 


PIÈCE  JUSTIFICATINE.  429 

porté  de  l'eau;  que  pour  vexer  les  autres,  parce  qu'on  l'avait  «  turlu- 
pinée,» et  précisément  parce  que  celte  fois-là  elle  avait  été  obligée 
de  chercher  l'eau  de  bien  loin ,  elle  avait  uriné  dedans ,  mais  que  cette 
fois-là  rien  n'avait  réussi,  parce  qu'il  s'était  élevé  une  jjrande  pluie 
qui  avait  tout  inondé,  de  telle  manière  qu'elles  (les  femmes)  se  seraient 
presque  noyées; 

13"  Que  le  malin  lui  avait  donné,  il  y  a  cinq  ans,  un  pot  rempli 
d'onguent  noir  qui  était  resté  toujours  dans  la  cliambrette  (mansarde) 
de  la  maison  ;  que  Dorothée  en  avait  fait  usage ,  mais  qu'elle-même 
ne  s'en  était  point  servie; 

^A'>  Qu'item  le  malin  avait  donné,  il  y  cinq  ans,  un  bâton  blanc  (le- 
quel en  efl'et  a  été,  sur  se§  indications,  trouvé  dans  la  cliambrette,  et 
a  été  reconnu  par  elle);  que  toutes  les  fois  qu'elle  ou  sa  lille  avait 
frappé  homme  ou  bête  de  ce  bâton,  mort  s'en  était  suivie;  qu'elle  en 
avait  fait  usage  une  ou  deux  fois  ;  qu'on  pouvait  se  servir  de  ce  bâton 
en  guise  de  cheval  ;  qu'elle  n'en  avait  pas  fait  cet  usage;  qu'elle  avait 
dit  à  sa  fille  d'en  frapper  bêtes  ou  gens,  si  quelqu'un  lui  faisait  du  mal  ; 

Và°  Et  que  surtout,  il  y  deux  ans  à  peu  près,  avant  la  dernière  guerre, 
lorsque  les  vaches  se  sont  donné  des  coups  de  corne  dans  la  rue  de- 
vant leur  cour,  elle  avait  dit  à  sa  fille  Dorothée  de  frapper  de  ce  bâton 
(lequel  se  trouvait  toujours  contre  la  porte)  la  vache  d'Antoine  Poley  ; 
que  cette  bête  était  morte  à  la  suite. 

16°  Que  de  même  sa  fille,  sur  son  ordre,  lorsque  les  vaches  se  sont 
cognées  dans  la  rue,  avait  frappé  du  même  bâton  la  vache  de  Jean 
Nuss; 

-17"  Que  le  malin  l'avait  aussi  conduite  une  fois  en  plein  jour  par  la 
main  devers  le  troupeau  de  vaches  sur  le  pâturage,  vu  qu'elle  s'était 
précisément  trouvée  dans  le  voisinage  ;  qu'il  lui  avait  ordonné  de 
frapper  de  la  main  gauche  sur  le  derrière  d'une  vache;  qu'il  s'était 
lui-même  emparé  de  sa  main  gauche  et  avait  ainsi  frappé;  qu'elle  ignore 
ce  qu'était  advenu  de  la  vache,  ni  à  qui  la  bête  appartenait; 

-IS"  Qu'il  l'avait  jetée  par  terre,  il  y  a  douze  ans,  dans  la  cour  du 
prévôt,  qu'il  l'avait  forcée  à  dire  hol  et  que  l'ayant  fait  et  dit  hof  il 
l'avait  de  nouveau  soulevée  en  l'air  et  endommagé  ensuite  lui-même 
les  chevaux  du  prévôt  ; 

J9o  Que  de  même  après  la  toute  dernière  guerre,  il  l'avait  conduite  à 
travers  les  airs,  dans  la  cour  de  Michel  Ileitz,  le  fermier;  qu'il  l'avait 
fait  crier  hu!  devant  l'écurie  de  ce  dernier,  et  qu'après  avoir  fait  cette 
exclamation,  elle  avait  été  immédiatement  ramenée;  que  le  malin 
devait  donc  avoir  lui-même  endommagé  les  chevaux. 

20"  Qu'elle  avait,  il  y  longtemps  de  cela,  frappé  de  la  main  gauche 


430  PIÈCE   JUSTIFCATIVE. 

et  au  nom  du  diable  le  cou  d'André  le  Melche ,  et  qu'elle  lui  avait  oc- 
casionné par  là  un  abcès  ; 

210  Que  trois  ans  avant  la  dernière  guerre,  au  moment  où  elle  venait 
de  porter  du  (il  vers  Hiindeshcim  ([lindishcim),  et  qu'elle  retournait 
chez  clic,  un  cheval  de  Gcispolsiicim  clait  venu  à  sa  rcnconirc;  qu'elle 
avait  pousse  de  son  pied  gauciie  cette  bête  laquelle  avait  crevé  bicniôt 
après,  mais  que  ce  cheval  n'avait  rien  valu  auparavant; 

22"  Qu'il  y  a  trois  ans  elle  avait  touché,  de  la  main  gauche,  Régine, 
la  pénultième  enfant  de  la  femme  d'Urbain  Schal,  dans  la  maison 
même  de  cette  femme, en  prononçant  ces  paroles  :  «quel  bel  enfant!  » 
que  là-dfissus  la  petite  était  morte  au  bout  de  huit  jours,  mais  que,  à 
vrai  dire,  l'enfant  avait  été  malade  auparavant;  qu'elle  ignore  donc 
si  elle  était  la  cause  de  ce  décès  '; 

23"  Qu'il  y  a  deux  ou  li  ois  ans ,  le  valet  de  Ballhazar  Bodmer  le  vieux 
l'avait  toujours  injuiiée  partout  où  il  la  rencontrait;  que  donc  elle 
avait  pensé:  tu  ne  le  fcias  pas  longtemps;  qu'elle  avait  pris  pour 
aide  le  malin,  qu'elle  a\ait  été  trouver  de  nuit  à  l'établc  ledit  valet,  et 
l'avait  frapjié,  au  nom  du  diable,  de  la  main  gauche,  sur  le  cœur,  et 
qu'il  en  était  mort  au  bout  de  trois  ou  quatre  jours  ; 

24"  Qu'à  pou  près  un  an  avant  la  dernière  guerre  une  pauvre  femme 
couchait  dans  la  grange  avec  un  enfant  malade;  qu'elle  détestait  pour 
cela  cette  femme  et  l'avait  maudite  plus  d'une  fois  au  nom  du  diable: 
qu'elle  l'avait  touchée  de  la  main  gauche,  en  prononçant  le  nom  du 
malin,  et  qu'à  la  suite  le  petit  était  mort  au  bout  de  quinze  jours; 

23"  Qu'item,  il  y  a  vingt  ans,  un  marchand  italien,  un  méchant 
homme ,  avait  couché  dans  l'écurie  de  Vix  Schneider,  à  côté  de  sa 
cour  à  e  le;  qu'il  lui  avait  croqué  quatre  poules,  que  la-dessus  elle 
avait  pense:  tu  ne  le  feras  plus  longtemps;  qu'elle  avait  appelé  l'aide 
du  diable;  que  de  nuit  clic  avait  passé  dans  l'écurie  et  avait,  de  la 
main  gauche,  frappé  le  cœur  dudit  Italien,  lequel  en  était  mort  dans 
la  quinzaine  ; 

2G"  Que  Jacques,  le  mari  de  Barbe  Kremer,  l'avait  aussi  très-souvent 
injuriée  il  y  a  des  années  de  cela,  de  manière  qu'elle  n'avait  pu  le  sup- 
porter plus  longtemps;  que  la  femme  Ivrcmei  d'aillcuis  n'aimait  pas 
beaucoup  ce  Jacques;  qu'elle  était  par  conséquent,  il  y  a  quatorze  ou 
quinze  ans,  entrée  dans  la  maison  dudit,  pour  acheter  des  épingles  à 
raison  d'un  denier,  et  comme  il  l'avait  de  nouveau  injuriée,  quoique 
sa  femme  eût  cherché  à  l'en  empêcher  avec  ces  mois  :  mais  tu  ne 
vaux  rien  loi  non  plus;  elle  (l'inculpée)  l'avait  louché  du  bras  gauche 

'  Littéralenienl:  Si  cela  clait  vcmi  d'elle. 


PIECE  JUSTIFICATIVE.  431 

au  nom  dti  diable,  et  que  là-dessus  il  élait  mort  en  trois  semaines; 
qu'à  vrai  dire  il  avait  éié  malade  auparavant  déjà; 

27"  Qu'il  y  a  huit  ans  un  mendiant  étranger,  Tliicbault  de  nom  ,  lui 
avait  vendu  beaucoup  de  pain,  et  que,  n'ayant  pas  voulu  prendre  à 
plusieurs  reprises  l'arfjent  qu'elle  voulait  lui  donner,  elle  l'avait,  de  la 
main  gauche  et  au  nom  du  diable,  poussé  de  côté  et  hors  la  porte; 
qu'il  en  élait  immédiatement  tombé  malade  et  était  parti,  de  sorte 
qu'elle  ignorait  s'il  en  était  mort,  mais  qu'au  fond  de  sa  conscience 
elle  avait  bien  désiré  qu'il  mourût  ; 

28"  Qu'item,  elle  avait  bientôt  après  la  dernière  guerre,  poussé  hors 
la  porte  et  en  le  maudissant  à  mort,  un  soldat  qui  élait  entré  de  force 
chez  elle,  le  sabre  nu;  que  le  soldat  avait  quitté  le  village,  de  sorte 
qu'elle  ignorait  s'il  élait  mort  ou  non. 

14  juin  1616. 
Le  secrétaire  et  Henri  Loppinekh,  avoué  d'Erstein,  en  présence  du 
prévôt,  du  collonger,  du  greffier  et  de  Jacques  Schal,  se  sont  enquis 
à  Geispolsheim,  vers  neuf  heures  du  malin,  si  le  dommage  causé  au 
bétail  et  aux  gens ,  du  propre  aveu  des  deux  personnes  inculpées  de 
maléûce,  a  eu  lieu  infacto^  de  plus  quand  et  comment  il  a  été  opéré, 
et  ont  interrogé  sur  ces  faits  les  personnes  qui  furent  citées  à  cette 
intention  par  le  prévôt,  et  leur  ont  fait  prêter  d'abord  serment  de  dire 
la  vérité  sur  les  questions  qui  allaient  leur  être  posées. 
,  -l"  Antoine  Poley,  bourgeois  à  Geispolsheim,  après  avoir  prêté  ser- 
ment, a  affirmé  sans  dévier,  quant  à  l'art.  10  de  Dorothée,  et  à  l'art.  I<> 
d'Apollonie,  qu'il  y  a  trois  ans  de  cela  il  avait  vendu  à  un  marchand 
de  bétail  italien,  Maurice  de  nom,  trois  vaches  dont  l'une  avait  crevé 
il  y  a  un  au  et  l'autre  il  y  a  deux  ans,  de  telle  manière  qu'elles  n'avaient 
de  maladies  que  deux  jours  auparavant  et  sans  cause  connue;  que  la 
troisième  vache  était  encore  entre  les  mains  de  l'acheteur. 

2»  Silvestre  Obach,  également  bourgeois  à  Geispolsheim,  prête  ser- 
ment et  examiné  sur  l'art.  Il  de  Dorothée,  dépose:  qu'il  avait  perdu 
quatre  ou  cinq  vaches,  sans  cause  connue;  qu'il  y  a  cinq  ans  surtout 
une  vache  qui  élait  sortie  avec  les  bergers,  était  rentrée  malade  le  soir, 
de  manière  qu'il  avait  été  obligé  de  la  garder  chez  lui  le  lendemain; 
qu'elle  avait  crevé  bientôt  après,  qu'il  sesou\ient  bien  de  s'être  que- 
rellé un  jour  avec  Dorothée  pour  cause  de  fenaison ,  mais  ne  se  rappelle 
pas  ci  quelle  époque. 

3"  Item  Vix  Kiihl,  à  Geispolsheim,  atteste  après  serment  prêté,  et  sur 
examen,  à  propos  de  l'art.  \2  de  Dorothée,  qu'il  y  a  dix  ans ,  plusieurs 
de  ses  chevaux  avaient  crevé  sans  qu'il  pût  dire  par  quelle  cause; 
qu'il  s'était  aussi  aperçu  que  l'un  de  ces  chevaux  avait  été  monté. 


432  PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 

4»  Antoine  (Thenig)  Schneider,  ibidem,  interroge  sur  l'art.  13  de 
Dorothée,  atteste  après  serment  prèle  {subjuratnenlo),  qu'il  y  a  quatre 
ans  à  peu  près  une  belle  jument  dont  il  ne  se  servait  pas,  était  subi- 
tement tombée  malade  au  pâturage  et  devenue  paralytique;  qu'il  s'en 
était  ému  lorsque  les  bergers  lui  curent  fait  dire  qu'il  n'avait  qu'à  la 
faire  chercher,  et  lorsqu'il  la  lui  curent  ramenée,  elle  était  restée 
couchée  dans  le  jardin  où  il  l'avait  mise,  sans  pouvoir  se  relever,  et 
qu'elle  était  morte  dans  l'espace  de  deux  jours. 

De  même  ',  quant  au  deuxième  point  de  l'interrogatoire  de  Dorothée, 
voir  l'aveu  d'Apollonie  art.  3; 

Et  sur  le  point  3  de  la  même  Dorothée,  voir  la  déposition  d'Apol- 
lonie, art.  ^0. 

Quant  au  point  dix,  voir  la  déposition  d'Apollonie,  art.  10.  Quant  à 
l'art.  16,  voir  la  déposition  du  collonger  Balthazar  Bodmer  le  jeum^ , 
dans  l'enquête  spéciale,  et  quant  au  point  17,  la  déposition  d'Antoine 
Landtmann,  dans  la  même  enquête; 

Enfin  quant  au  point  10  et  dernier  de  la  première  déposition,  voir 
la  déposition  de  Mathieu  Rietsch,  tant  dans  l'enquête  générale  que 
spéciale; 

A  comparer  ensuite  le  ¥  point  de  la  déposition  d'Apollonie  avec  le 
2«  de  Dorothée; 
De  même  le  5»  d'Apollonie  avec  le  G»  de  la  même; 
De  plus  le  10''  avec  le  8'=; 

Le  15'-,  I6«  et  I7«  avec  le  10''  et  le  I  h  de  la  même  Dorothée; 
Quant  au  -19^  voir  la  déposition  du  prévôt  dans  l'enquête  spéciale; 
Et  quant  au  20'',  la  déposition  de  Michel  lleitz,  le  fermier,  ibidem; 
Le  fait  relaté  sous  le  n"  21  est  réputé  notoire.  Comparez  aussi  avec 
les  articles  les  premiers  aveux. 

5" -Régine  Lrban,  femme  Schal,  à  Geispolsheim,  après  avoir  prêté 
serment,  a  été  interrogée  sur  l'art.  23  d'Apollonie  et  a  déposé  que 
dans  la  dernière  guerre  son  pénultième  enfant,  du  sexe  masculin  et 
Thomas  de  nom,  était  mort  séchant  sur  pied  en  moins  de  quinze 
jours,  et  que  précisément  huit  jours  auparavant  Apollonic  était  venue 
dans  sa  maison,  et  avait  demandé  à  son  mari  une  voiture  qui  lui  avait 
été  refusée;  que  lorsque  son  enfant  eut  rendu  l'âme  de  nuit,  ladite 
Apollonie  était  venue  le  lendemain  de  grand  malin  contre  la  haie  dans 
sa  cour  lui  demandant:  si  elle  avait  de  nouveau  perdu  un  enfant,  et 
qu'elle  s'étantmise  à  se  lamenter  et  à  pleurer,  l'autre  aurait  dit  :  ce  ne 

'  A  partir  d'ici  le  texte  est  écrit  en  lalin, 
2  loi  recommence  le  texte  allemand. 


PIÈCE  JUSTIFICATIVE.  433 

serait  pas  étonnant  que  tu  criasses  au  meurtre  !  qu'elle  avait  réplique: 
Contre  qui?  qu'au  surplus  elle  ne  se  rappelle  point  qu'Apollonie  était 
venue  chez  son  enfant  pendant  sa  maladie.  Voir  la  déposition  delà 
môme  dans  le  procès-verbal  d'enquête  '. 

60  JeanNuss,  examiné  sur  l'art  Al  d'Jpolionie,  dépose  sous  serment  \ 
que  lors  de  l'épidémie  des  bestiaux,  il  avait  perdu  deux  vaches;  que 
ces  bêtes,  de  retour  le  soir  du  pâturage,  s'étaient  tellement  allaissces 
que  dès  le  lendemain  il  avait  été  obligé  de  les  garder  chez  lui;  qu'elles 
étaient  mortes  ensuite  dans  l'espace  de  trois  jours;  qu'il  ne  s'était  au 
surplus  pas  aperçu  que  l'une  d'elles  eût  été  frappée. 
Le  fait  de  l'art.  Il  est  notoire  \ 

7«  Jacques  Schneider,  lils  de  feu  Valentin  Schneider,  dépose  sur 
l'art.  26  d'Apollonie,  après  avoir  prêté  serment:  qu'il  sait  bien  que 
son  père  avait  beaucoup  de  locataires,  mais  qu'il  ne  se  rappelle  pas 
que  l'un  d'eux  fût  mort  chez  lui. 

8"  Balthazar  Bodmer  le  collonger  atteste,  sur  le  simple  serment 
d'être  dévoué  à  ses  maîtres  et  seigneurs,  ce  dont  on  se  contenta,  en 
vue  de  son  honnêteté  :  qu'il  se  rappelle  bien  qu'avant  la  guerre  de  Stras- 
bourg son  oncle  paternel  Balthazar  Bodemer  le  vieux  avait  eu  un  do- 
mestique welche,  lequel  était  mort  dans  l'espace  de  deux  ou  trois  jours 
sans  cause  connue. 

9oSalomé,  fille  de  Balthazar  Bodmer  le  vieux,  maintenant  femme 
de  Jean  Nuss,  après  avoir  prêté  serment,  dépose  sur  le  même  article 
qu'avant  la  guerre  de  Strasbourg  un  compagnon  charpentier  était 
tombé  malade  dans  la  grange  de  son  père  et  était  mort  en  trois  jours. 
Et  sur  ce  point  le  susdit  collonger  informe  de  plus  que  ledit  valet, 
dont  il  avait  déjà  fait  mention,  était  muni  d'outils  de  charpentier. 

-lO»  Barbe  Krcemer,  maintenant  femme  de  illichel  Stock,  après  avoir 
prêté  serment,  et  interrogée  sur  l'art.  27,  dépose  qu'elle  est  mariée 
pour  la  troisième  fois;  qu'elle  a  son  troisième  mari  depuis  qua- 
torze ans  déjà;  qu'elle  n'avait  eu  que  pendant  quatre  ans  le  second 
mari,  Jacques  de  nom,  un  veuf  de  Bietlenheim;  que  ce  dernier  était 
vieux  et  avait  été  malade  avant  sa  mort  pendant  huit  semaines  à  peu 
près  ;  qu'en  dernier  lieu  il  avait  été  pris  d'hydropisie  et  en  était  mort; 
qu'Apollonie  avait  acheté  beaucoup  d'objets  dans  sa  boutique  et  qu'elle 
(Barbe  Krsemer)  les  lui  avait  toujours  laissés  au  prix  qu'elle  (Apollonie) 
offrait;  mais  qu'elle  ne  peut  so  rappeler,  qu'elle  (Appolonie)  ait  été 
dans  sa  maison  peu  de  temps  avant  le  décès  de  Jacques. 

'  Cette  dernière  phrase  est  en  latin 
'^  Cette  phrase  est  en  latin. 
3  Phrase  en  latin. 

•2K 


âM  PIÈCE  JUSTIFICATIVE. 

eodemdie... 

Le  secrétaire  et  l'avoué  d'Erstein  ont  aussi  entendu  les  deux  détenues  ; 
et  en  présence  du  prévôt,  du  collonger,  du  greffier,  de  Jacques  Schwab 
com-bourgois,  de  Laurent  Obser  et  d'Isaac  Speiser,  tous  deux  jurés, 
de  Jacques  Schal,  d'André  Lingolsheim,  de  Jean  Freud  et  de  Schal  le 
tisserand,  tous  de  la  magistrature  locale  de  Geispolsheira,  ils  ont  en 
premier  lieu  placé  la  plus  âgée  Apollonie,  veuve  de  Michel  Spener, 
libre  de  tout  lien,  entre  onze  et  midi,  dans  la  demeure  de  Jean  Rittcr, 
le  messager,  et  ce  dans  l'avant- cour  près  du  château  Johm  (.s/c),  lui 
ont  donné  lecture  de  sa  dernière  déposition  du  10  juin,  l'ont  exhortée 
à  dire  la  vérité  librement  et  à  confesser  si  elle  persistait  maintenant 
dans  ses  premiers  aveux;  et  elle  a  affirmé  chaque  article  séparément; 
et  interrogée  ensuite  sur  tous  les  articles  ensemble  ,  elle  les  a  de  nou- 
veau confirmés,  seulement  à  l'art.  17  elle  a  intercalé  que  cela  pouvait 
avoir  eu  lieu  plus  anciennement;  ensuite  les  susnommés  ont  égale- 
ment entendu  la  femme  de  Jacques  Pfister,  laquelle  affirme  qu'ayant  été 
avisée,  quant  au  ^"  et2<^  article,  que  sa  mère  avait  dans  sa  déposition 
fait  remonter  ses  rapports  avec  le  malin  déjà  avant  la  guerre  de  Stras- 
bourg et  pendant  qu'elle  était  encore  fille,  elle  ne  pouvait  confirmer 
ses  premières  dépositions  et  devait  affirmer  que  sa  mère  lui  faisait 
grand  tort; 

Et  quant  ci  l'art.  3,  que  les  femmes  seules  avaient  assisté  à  ses  noces, 
et  les  filles  point,  et  que  plus  tard  seulement  ces  dernières  avaient  fait 
elles-mêmes  noces  (avec  le  malin); 

Quant  à  l'art,  i,  qu'elle  n'avait  été  que  deux  fois  à  la  danse  (des 
sorcières). 

Quant  à  l'art.  7,  que  les  filles  n'y  avaient  point  assisté,  mais  les 
femmes  seules; 

Quant  à  l'art.  8,  que  les  filles  y  avaient  aussi  pris  part,  vu  que  cela 
était  arrivé  tout  récemment; 

Quanta  l'art.  9,  que  les  filles  n'y  avaient  point  été  pour  le  coup, 
mais  les  femmes  seulement; 

Quant  à  l'art.  ^3,  que  la  fille  de  Vix  Kiihl  n'y  avait  pas  été,  mais  au 
contraire  toutes  les  autres  ci-dessus  nommées  ; 

Quanta  l'art.  18,  que  la  femme  était  venue  longtemps  après  et  avait 
annoncé  la  mort  de  l'enfant,  lequel  avait  repris  la  santé  à  l'occasion 
prccilée. 

Le  reste  de  sa  déposition  elle  l'a  confirmé  article  par  article,  in 
specie,  et  puis  tous  les  articles  ensemble. 

Et  moi  soussigné  j'ai  sommé  tous  les  assistants  d'être  témoins  de  ces 


i'IKCE  JUSTIFICATIVE.  435 

aveux,  et  leur  ai  rappelé  leurs  devoirs  de  ne  rien  ébruiter,  et  ai  lait 
ramener  les  détenues,  jusqu'à  nouvel  ordre,  dans  leur  prison. 

16  juin  1616. 

M.  le  doyen  du  Jïrand-chapilrc,  en  présence  du  secrélairc-{ïrellier, 
et  après  avoir  entendu  un  rapport  détaillé,  a  prescrit  de  livrer  les  deux 
détenues  entre  les  mains  de  la  justice.  Fait  à  Saverne  le  jour  que 
dessus,  vers  les  dix  heures  du  matin. 

17  juin  1616. 

Et  sur  ce,  incontinent,  le  secrétaire-greffier  a  lixé  au  mercredi 
22  juin,  à  Saverne,  l'exécution  du  jugement  et  en  même  temps  fait 
connaître  par  écrit  au  prévôt  de  Geispolsheim,  qu'il  aurait,  le  lende- 
main -18  juin,  de  jour,  à  consigner  les  deux  détenues,  en  deux  compar- 
timents séparés  dans  le  prétoire  après  les  exhortations  usuelles ,  et  il 
a  mandé  auprès  d'elles  deux  peines  de  la  société  de  Jésus. 

20  juin  1616. 

Sous  cette  date,  le  prévôt  de  Molsheim  a  été  requis  par  écrit  scellé 
du  sceau  du  grand-chapitre,  au  nom  des  conseillers  (épiscopaux)  de 
mander  l'exécuteur  des  hautes-œuvres  et  deux  aides;  de  plus  l'avoué 
d'Erstein  a  été  invité  à  prescrire  au  prévôt  dudit  lieu  et  à  deux  con- 
seillers des  plus  âgés  et  des  plus  discrets,  qu'ils  eussent  à  assister  à 
l'exécution  dudit  jugement  pour  maléfice;  et  de  plus  on  a  écrit  à 
l'avoué  de  Bœrsch  qu'il  eût  à  comparaître  (à  Saverne)  avec  le  prévôt 
dudit  lieu,  ou  qu'il  eût  à  y  envoyer  quelqu'autre  (représentant)  eu 
cas  d'un  empêchement  majeur. 

Les  autres  actes  ont  élé  consignés  au  protocole  par  Jean  Miiller,  le 
greffier  de  Geispolsheim. 


•«♦«+. — 


436 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


PRINCIPAUX  PERSONNAGES  NOMMÉS  DANS  CE  VOLUME. 


A. 


Adalberl,  duc  d'Alsace,  255,  384. 

Adélaïde  (l'impératrice),  femme  d'Ot- 
ton  1",  304-312,  395. 

Adelindis,  abbesse  de  Niedcrmùnster, 
250. 

Adeloch  (l'évêque),  135,200,  262,  266, 
275,  285. 

Adeloii  (l'abbé),  336,  343. 

Adelphe  (saint),  295. 

Agnèse,  abbesse  de  Hohenbourg,  207. 

Albert,  évèque  de  Strasbourg,  141, 
251,  328,  386. 

Albertini  d'Ichlratzheim,  colonel  au- 
trichien, 25. 

Alexandre  IH,  pape,  195,  217,  343. 

—  VI,     —      296,  353. 

—  VII,  —  400. 
Amand  (saint),  133,  134. 
Andlau  (Willebire  d'),  174. 

—  (Eberhard  d'),  210. 

—  (Adélaïde  d'),  387. 
Anselme  (le  père),  343. 


Arbogast  (saint),  135,  303. 

Archiviste  de  Zurich  puni  de  mort  pour 
avoir  livré  des  documents  impor- 
tants ,15. 

Armagnac  (Bernard  d') ,  209. 

Arnoulphe,  roi  des  Romains,  247,  327. 

Arzt  (Eikard),  clironiqueur,  318. 

Athalrich,  duc  d'Alsace,  163,  voy.  Éti- 
chon. 

Attale  (sainte),  384. 

Auberlin,  adversaire  de  Benjamin  Mau- 
clerc,  50. 

Auguste  (princesse)  de  Bavière,  épouse 
du  prince  Eugène ,  tante  de  Is'apo- 
léon  III ,  44. 

Autriche  (Léopold  d"),  143. 

—  (Léopold-Guillaume  d') ,   143. 

—  (Elisabeth  d'),  femme  de  Char- 

les IX,  roi  de  France,  225- 
234. 

—  (Frédéric  d') ,  350. 


B. 


Bade  (Sibylle-Auguste,  margravine  de), 
95. 

—  (Hermann  de),  348,  350. 

—  (Rodolphe  de),  350. 
Bœgert  (le  père),  362. 

baldram  (l'évêque),   poëte  élégiaque, 

136. 
Barbe  d'Ottenheim,  57,  70. 
Barth,  le  voyageur,  cité,  76. 
Bastard  (M.  de),  202. 
Baslelli,  colonel  suédois,  241. 
Bautain  (M.),  253. 

Beatus  Rhenanus,  humaniste,  328,  329. 
Beaufort,  150. 

Beerwangen  (Albert  de),  ingénieur,  27. 
Benoît  (saint)  d'Aniane,  335,  337. 
Béranger  (d'ivrée),  308,  309. 

—        (Charles),  abbé,  348. 
Berckheim  (J.  Rodolphe  de),  117. 
Bereswinlhe,  mère  de  sainte  Odile,  163. 
Bernald  (l'évêque),  135. 
Berne  (Jacques  de),  231. 
Bernolrt  (l'évêque),   197,  200,  201. 
Beroldingen  (Marie-Cunégonde  de),  400. 
Berstelt  (Hugues-Wyrich  de),  117. 


Berstett  (le  chevalier  Garsilius  de),  256. 

Berlhe  (la  reine),  310. 

Bertonelli  (Jean),  381. 

Birkenfeld  (Christian,  comte  de),  grand- 
père  du  prince  Max  de  Deux-Ponts , 
43,  48. 

Blair  (de),  intendant  d'Alsace,  32. 

Blankenheim  (l'évêque  Frédéric  de), 
140,  145,  284,  291. 

Bœcklinsau.(W.  J.  Bœckel  de),  117. 

—  (Eve  -  Régine  Bœcklin  de), 

119. 

—  (Marie -Symburge  Bœcklin 

de),  119. 

—  (Mme  de  Bœcklin),  119. 
Bœrsch  (Alexis),  261. 
Bolsenheim  (Henri  de),  391. 
Bonizon,  chroniqueur,  308. 
Borziwoy  de  Svvinar,  landvogt,  22,  140. 
Brandebourg   (Jean-George,  margrave 

de),  143,  221,  252,  257,  326. 
Brant  (Sébastien),  251,  270,  329. 
Brechter,  codébiteur  de  Gutenberg,  282. 
Brendel,  évêque  constitutionnel,   à  la 

tête  des  archives  du  département,  14. 


DES  PRINCIPAUX  PERSONNAGES. 


437 


Brentz  (Pierre),  bourgeois  de  Wissem- 

bourg,  318. 
Bruck  (Jean  de),  abbé  de  Wissembourg, 

317,  318,  319. 
Brunsberg  (Conrad  de),  374,  381. 
Bucheciv  (lîertliold  de) ,   évêque,   140, 

284,  288,  291,  296,  338,  340,  363. 


Burckardt,  chanoine  de  Saint-Thomas  , 

271,  274. 
Burcliard,  évêque  de  Strasbourg,  195, 

289. 
Biircn  (l'évèque  Lambert  de),  140. 
Bussnang  (l'évèque  Conrad  de),  141. 
Byron,  151. 


C. 


Cagliostro  ,  145. 

Calw  (Jodocus  de) ,  professeur  de  Hei- 

delberg,  317. 
Caumont  (M.  de),  72. 
Célestin  III,  325. 
Celsus,  abbé  de  Marmoutier,  336. 
Charles  VII ,  roi  de  France,  109. 
Martel.  135,  144,  198. 

—  le-Gros,  198,  247,  395. 

—  IV,  empereur,  207,  208,  213, 

289,  350. 

—  V,  empereur,  353. 

—  IX ,  roi  de  France ,  225  et  suiv. 

—  -Quint,  241. 
Charlemagne,  244,  247. 

Chàtillon  (les)  sont  investis  du  fief 
attaché  à  la  préfecture  de  Hague- 
nau, 23. 

Childebert  II,  335,  342. 

Chilpéric,  384. 


Choiseul  (les)  sont  investis  du  fief  atta- 
ché àla  préfecture  de  Haguenau  ,  23. 
Claffer  (Nicolas),  391. 
Clément  V,  pape,  301. 

—  VII,  pape,  321. 
Cluny  (Odilon  de),  308,  309. 
Colbert  de  Croisy,  intendant  d'Alsace, 

31. 
Colomban  (samt) ,  258,  332. 
Condé,  402. 

Conrad  (II),  évêque,  173. 
Conrad-le-Salique ,  205. 
Couci  (Enguerrand  de) ,  348. 
Créhange  (le  baron  de),  222. 

—  (le  comte  de),  240. 

—  (Jean   de),  cellerier  à    Neu- 

willer,  296. 
Cunégonde ,    impératrice ,    femme    de 

Henri-le-Saint ,  204. 
Cuvier  (George),  106,  111. 


D. 


Dabo  (Hugues  ,  comte  de) ,  325. 

Dagobert  I,  247. 

II,  288,  335. 
—        III,  335. 

Dante.  Herrade  est  son  précurseur,  178. 

Darcq  (Jeanne) ,  209. 

Décret  de  1790  prescrivant  de  réunir 
au  chef-lieu  des  nouvelles  adminis- 
trations les  titres  des  établissements 
civils  et  religieux,  5. 

Deharbe  (M.  l'abbé) ,  399. 

Déodat  (saint),  évêque  de  Nevers  ,  327. 

Dettlingen  (Meylach  de) ,  120. 

Deux-Ponts  (Maximilien-Joseph  de  Bir- 
kenfeld) ,  colonel  du  régiment  de 
Royal-Alsace ,  42. 

Dèz ,  conlroversiste,  362. 

Dhan  (Jean  Wildgrave  de) ,  unterland- 
vogt,  26. 

Dielmann,  abbé  deNeuwiller,  296. 

Diest   (l'évèque    Guillaume  de),   141  , 


145,  208,209,  212,  213,  219,  257, 

328. 
Dietrich    (Dominique) ,    ammeistre    de 

Strasbourg,  32. 
Dietrich  (Frédéric  de) ,  ami  et  protec- 
teur de  Brendel,  14. 
Dietramnus  ,  abbé  de  Neuwiller,  300. 
Dirpheim  (l'évèque  Jean  de) ,  140,  284, 

357. 
Dœnnigès ,  historien,  308. 
Donnizon  ,  chroniqueur,  308,  iO'J. 
Dormentz  (Odile  de),  387  ,  388. 
Dratt  (Jean   de),   grand -maréchal    de 
l'électeur  palatin  ,  28  ,  319  ,  320, 
321 ,  voy.  Trapp. 

— •    (Christophe  de),  son  fils,  321. 
Dreux  (Ignace-Xavier),  349. 
Drogon  ,   fils  naturel  de  Charlemagne, 

295,  299,  336. 
Duperche  (Bernard),  348. 
Dùrckheim  (Henri  Eckebrecht  de)  ,39. 


E. 


Eberhardt  (saint) ,  fondateur  de  Saint- 

Dié,  327. 
Eberslein  (Berthold  comte  d'),  348 
Eckerich  (J"  Zorn  d') ,  slettmeistre  ,210. 


Eddon ,  évêque  de  Strasbourg,   135, 

144,  197. 
Ellenhart,  procureur  de  l'Œuvre-Notre- 

Dame,  224. 


438 


TABLE  ALPHABETIQUE 


Emmerich,   pasteur  allemand  à  Bisch- 

willer ,  48. 
Engelhardt  (Maurice) ,  auteur  de  Her- 

rade  de  Landsperg  etc.,  165,  166, 

467,  169. 
Epfig  (Pierre  d') ,  255. 
Eptlngen  (Marie-Béatrice  d'),  400. 
Erchanbold  (l'évêque) ,  136,  140,  276, 

305,  312. 


Erchingar,  comte  du  Nordgau,  200,396. 
Erpach  (Schenck  d'),  unterlandvogt,  26. 
Erpho  ,  abbé  de  Neuwiller,  295,  300. 
ErwindeSteinbach,  55,  144,  263,  301. 

—     son  fils,  140,  290. 
Etichon,  duc  d'Alsace,  180,  v'oy.  Athal- 

rich. 
Elzel  (Attila),  151. 
Eusèbe  de  Césarée  ,  175. 


F. 


Fabricius,  délégué  du  directoire  de  la 
noblesse  de  la  Basse-Alsace,  117. 

Falkenstein  (Heintz  de),  351. 

Feltre  (Clarke,  duc  de),  299. 

Fénétrange  (Jean  de),  209,  voy.  Fin- 
stingen. 

Ferdinand  II ,  empereur,  351. 

Ferretle  (Ulric,  comte  de),  325. 

Finstingen  (Jean  de) ,  209,  voy.  Féné- 
trange. 

Firmin  (saint) ,  premier  abbé  de  Neu- 
willer,  295. 

Firn  (Ant.),curé  novateur,  264. 

Flaxlanden  (Marie-Cléophée  de) ,  400. 

Flersheim  (  l'évêque  Philippe  de  )  , 
322. 

Florent  (saint) ,  135,262,  267,  270, 
288. 

Fréculphe,  chroniqueur,  175. 


Frédéric-Barberousse,  20,  169,  170, 
171,  174,  195,  207,  218, 
257,  262,  271,  280,  325, 
338,  353,  354. 

—  11,357. 

Frédéric ,  duc  de  Souabe  et  d'Alsace , 
168,  347,  352,  353,  404. 

Frédéric-le-Victorieux ,  électeur  pala- 
tin, 23,  27,  45,  47,  69,  80, 
94,  142,  283,  316. 

—  m,  312,  322. 
Frédéric,  vogt  de  Holicnbourg,  172. 
Friedeberg  (Rodolphe  de),  207. 
Fuchs  (Isidore),  historien,  396,  398. 
Fiirstenberg  (l'évêque   François  -  Egon 

de),  143. 
—         (le  cardinal  Cuillaume-Egon 
de),  100,223,  361. 
Fust,  coassocié  de  Gutenberg,  282. 


G. 


Gacier  d'Anvilliers  (Jacques),  348. 
Galaisière  (de  la),  intendant  d'Alsace, 

32. 
Gallus,  solitaire ,  404 
Gaspard ,  abbé,  342. 
Gemrningen  (M.  de),  117. 
Geroldseck  (Christophe  Wangen  de),  11 7 . 

—  (l'évêque  Wallher  de)  ,139, 

219. 

—  (l'évêque  Henri  de),  139. 

—  (le  baron  Wangen  de),  376. 
Geyler  de  Kaisersberg,  250,  251 ,  253, 

274,  386. 
Giffen  (M.  de),  117,  222. 
Godefroi  de  Strasbourg,  poëte,  20,  272. 
Godefroi  de  Haguenau,  poëte,  272 
Gœthe  assiste  à  l'entrée  de  Marie-An- 
toinette en  France,  40. 

—     à  la  cour  de  Saxe-Weimar,  64. 


Gontram-le-Riche,  comte  d'Alsace,  137. 
Grandidier  (l'abbé),  10,  11,  12,  13, 

147,  197,  251,  363. 
Grœvenitz  (M"e  de),  ses  relations  avec 

le  duc  Louis  de  Wurtemberg,  106. 
Grégoire  Vil,  pape,  306. 

—  IX,      —     206. 

—  Xni.  -      360. 
Gregorovius ,  historien,  308. 
Guebhardt,  évêque  de  Strasbourg,  339. 
Guilderich   (George   de) ,    seigneur   de 

Sigmarshofen,  108. 

Guillaume,  auteur  d'une  Histoire  des 
dues  de  Lorraine,  362. 

Guillaume  le^ ,  évêque  de  Strasbourg , 
194. 

Giinlher,  frère  de  Herrade  de  Lands- 
perg, 168, 172, 174. 

Gutenberg,  111,  212,  281. 


H. 


Habsbourg  (Rodolphe  de),  139,  144, 

203  ,  302,  351. 
Hallez-Claparède  (comte),  sa  carte  de 

l'ancienne  Alsace,  128. 
Hanau  (Philippe  comte  de),  64. 


Hanau  (Anne-Madeleine   comtesse  de) , 

60,  voy.  Lichtenberg. 
Harcourt  (les  d') ,  reçoivent  le  titre  de 

préfets  de  Haguenau,  23. 
Haugwitz  (M.  dé),  402. 


DES  PRINCIPAUX  PERSONNAGES. 


439 


Hcckler,  arcliitecle ,  239. 
Hciiiill,  empereur,  137,  144,   203, 
204,  245,  251,  252. 

—  IV,         —  306. 

—  V,  —  353. 

—  \1,         —  171,  254. 

—  VU,       —  312,  357. 

—  IV,  roi  de  France,  363,  364. 

—  évoque  de  Strasbourg,  171. 
Hepp  de  Kirchberg  (Jean),  chanoine  de 

Saint-Thomas,  270. 
Herb  (Edmond),  3  43. 
Heroncellus  (Pierre),  381. 
Hermann,  duc  d'Alsace,  385. 
Herzog  (Bernard)  ,  chroniqueur  .  70. 
Herxheim  (J.  J.  Holtzaptel  de),  231. 
Hesse-Darmsladt  (Louis  prince  de),  61. 
Hetzel,  landvogt ,  21. 

—      évèque  de  Strasbourg,  258. 
Heuwen  (Wolfgang  de) ,  246. 
Hohenbourg  (Henri  de),  392. 
Hohenheim  (comtesse  de),  ses'relations 


avec  le  duc  Charles  de  Wurtemberg, 

107. 
Hohenstauffen  (l'évèque  Otton  de) ,  138, 

140,  144. 
Hohenstein  (l'évèque    Guillaume    de) , 
142. 

—  (Henri  de),  vidamc  de  l'é- 

vèché ,  282. 

—  (Antoine  de),  282. 
Holderstein  (Jodocus  HoUlermann  de) , 

231. 

—  (  Ebermann     Holdermann 

de),  231. 
Horbourg  (Walther  de),  110. 
—        (Burkard  de),  110. 
Hroswitha  ,  religieuse,  306. 
Hunebourg  (Conrad  de),  évèque,  173. 

—  (Walther  de),  maréchal  de 

l'évèché,  371,  376. 
Hutten  (l'évèque  Francis-Christophede) , 
323. 


I. 


Innocent  IV,  pape,  301. 
—       V,     —       400. 
1  renée  (saint),  175. 
Irmengarde,  princesse  palatine,  348. 


Isanphret,  prêtre,  247. 

Israélites  brûlés  vifs  le  14  février  1349 

sur  l'emplacement  du  bâtiment  actuel 

des  archives ,  3. 


•I. 


Jansénius ,  400. 

.Jean  XXU,  pape,  99,  340. 


Jung  (M.),  professeur,  388 


K. 


Kageneck  (Bernard  de),  231. 

Kastner  (G.),  membre  de  l'Institut,  321. 

Ketlner,   architecte  de  Saint-Thomas , 

263. 
Kibourg  (Hartmann,  comte  de),  219. 

—      (Adalbertde),  219. 
Kiss  (Marie),  228. 


Kléber,  111. 

Klinglin,  préteur  de  Strasbourg,  41. 

Kœnigsegg,  unterlandvogt,  26. 

—  baronet,  246. 

Kœnigshoffen,  chroniqueur,  272,  273, 
274,  275. 


li. 


L'"  (quatre  demoiselles),  filles  natu- 
relles de  Léopold-Eberhard  de  Mont- 
béliard,  108. 

Lagrange  (de),  intendant  d'Alsace,  32. 

Laguille  (le  père),  362,  363. 

Lammersheim  (Walther,  baron  de), 
347. 

Landsperg  (Herrade  de),  analyse  de  son 
Jardin  des  délices,  165-190. 

Landsperg  (Henri  de),  210. 
_         (Conrad  de),  250. 
—         (Marguerite  de),  387,  391. 

Lapide  (Dieteric'h  de),  174,  voy.  Rath- 
samhausen. 


Lavalette  (le  cardinal  de),  116. 
Lazare  (saint),  évèque  de  Chypre,  399. 
Leczynska  (Marie),  239,  348. 
Lempereur,  coptroversiste,  362. 
Leobard  (saint),  332,  335,  337. 
Léon  IX,  pape,  160  -163;   258,  325. 
Lépicier  (François)  sollicite  la  place  de 

maître  d'école  à  Bischwiller,  49. 
Levrault  (M.  Louis),  159  -  163. 
Lezay-Marnésia,  111 . 
Lichtenberg  (Jacques ,  comte  de),   54, 
57,    58,    70,  210,  211. 
—        (Jean-René  ,  comte  de  Ha- 
nau-)  55. 


440 


TABLE  ALPHABETIQUE 


Lichtenberg  (l'évêque  Conrad  de),  55, 
56,  139,  144,  203,  204, 
205,  213,  289,  341. 

—  (l'évêque  Frédéric  de),  56, 

139,  291,  301,   303. 

—  (l'évêque  Jean  de),  56 ,  128  , 

140,  206,  207,  220. 

—  (Louis,  comte  de),  67,  70, 

210. 

—  (Frédéric -Casimir    de  Ha- 

nau-),  59,  241. 

—  (Jean-Reinliard,    comte  de 

Hanau-,  1595),  58,  297. 

—  (Jean-Reinhard,  1736),  60. 
Ligny  (l'évêque  Jean  de),  140. 
Limbourg  (l'évêque  Erasme  de),  142, 

239,  264  ,  303. 
Linange  (Emich  de),  unterlandvogt,  26. 

—  (Schaffrid  de),  70. 

—  (Wiprechtde),  79. 

—  (Héribert  de),  79. 

—  (Frédéric  de),  79. 

—  (Hesson  de),  80. 

—  (Philippe  de),  80,  81. 

—  (Eberhard-Louis  de),   82,  83, 

84. 

—  (Jean-Louis  de),  85. 

—  (Emile  de),  86. 

—  (Anthès  de),  317,  318. 

Linck  (les  frères),  peintres-verriers,  365. 
Lœfene  (Nicolas  de),  374 ,  377,  381. 


Lorraine  (le  cardinal  Charles  de),  143, 

221,  401. 
—      (Charles-le-Grand,   duc   de), 

235. 
Louis-le-Débonnaire,  197,    200,  201, 

—  262,  336. 

—  Xi,  109,  209. 
_  XIll,  361. 

—  XIV,    241,    312, 

343,  361  ,  375, 
388.  389. 

—  XV,  239. 

—  de   Bavière ,    em- 

pereur ,      100, 
350. 

—  (  de    Bavière  )    le 

roi,  44. 

—  (le  Barbu),   land- 

vogt,  22. 

—  le     Germanique , 

390. 
Lothaire  ,•  empereur,  384. 
Luce  III,  pape,  168,  171,  172. 
Lucé  (de),  intendant  d'Alsace,   32,  36. 
Luitprand,  évoque  de  Vercelli,  396. 
Lutzelbourg  (Bernard  de),  235. 

—  (Reinhold  de),  347. 

—  (Pierre  de),  352,  403. 
Luxembourg  (Charles  IV  de),  empereur, 

100. 

—  (Jean  de),  208. 


M. 


Mageron  (Didier  de),  pasteur  français  à 
Bischwiller,  48. 

Manderscheid  -  Blankenheim  (  l'évêque 
Jean  de),  142,  144,  226,  228,  230, 
232,  234,  303,  358,  360,  400. 

Manderscheid  (le  comte  de),  222. 

Mansfeld,  297,  298. 

Martm  (Henri),  209,  333,  337. 
—    le  Frank,  381. 

Marsilien  (Reinbold-Wetzel  de),  231. 
—      (Mme  Cunégde  Welzel  de),  387. 

Materne  (saint),  134. 

Mauclerc  (Benjamin)  revendique  l'hon- 
neur d'avoir  le  premier  cultivé  la  ni- 
cotiane  à  Bischwiller,  49. 

Maurer  (M.  de),  cité,  76. 

Maurus ,  créateur  de  l'abbaye  de  Mar- 
moutier,  335,  337. 

Maximilien  II ,  388. 

Mazarin  (lesj  reçoivent  le  titre  de  pré- 
fet de  Haguenau ,  23. 

Merswin  (Rulmann),  371-382. 

Meinhard  (l'abbé),  336,  343. 

Mentelin,  275. 

Metternich  (l'évêque  Lothaire-Frédéric 
de),  323. 

Michelet,  209. 

Minckwitz,  traducteur  d'Homère,  150. 


Mommsen  (Théodore),  151. 
Monlbéliard  (Henri  comte  de),  103. 

—  (Henriette  de).  104. 
_         (Thierry  de),  352. 

—  (Théodoric  de),  404. 

—  (Gunthilde  de),  404. 
More,  savant,  318). 
Montfort  (comte  de),  246. 
Montmarlin   (M.    de),    ministre  du  duc 

de  Wurtemberg,  107. 
Moreau  (le  père  Marcel) ,  chroniqueur, 

349. 
Morimont  (baron  de),   unterlandvogt, 

26,  28. 
Moser,  dans  les  casemates  de  Hohen- 

twiel,  107. 
Miihlhofer ,    commandant    à    Wissem- 

bourg,  318. 
MùUenheim  (Henri  de),  259. 

—  (Biaise  de),  259. 

—  (Burkard  de),  352. 
Muller  (Jean  de),  153,  154. 
Munthart  (Paul),    chanoine   de   Saint- 
Thomas,  274,  275. 

Muratori,  308,  309. 

Murner  (Jean),  270. 

Museler  (Pierre),  329. 

Mutzig  (Jean-Louis  Surger  de),  231. 


DES  PRINCIPAUX  PERSONNAGES. 


Ui 


IX. 


Naillac  (Philippe  de),  grand-maître  de 

l'ordre  de  Saint-Jean,  382. 
Napoléon  111  à  Arenenberg,  199. 
Nassau  (Adolphe  de),  351. 
Nicolas  V,  pape,  301,  325. 


Nicolas  de  Bâle,  373,  37i,  ?.7S,  379. 
Niebuiir,  150. 

Niger  (Tlieobaldus),  255,  voy.  Schwarlz. 
Novalcse,  chroniqueur,  308,  309. 
Nyperg  (Reinhard  de),  210. 


O. 


Obertraut  (Michel) ,  colonel  allemand  , 

297. 
Oberkirch  (Anne  d'),  abbesse  de  Hohen- 
bourg,  243. 
—         (Agnèse  d'),  —  243. 
Odile  (sainte),   son   testament,  sa  lé- 
^    gende,  146-165;  172,  384. 
Ossa  (le  colonel  d'),  116. 


Oslie  (Léon  d'),  chroniqueur.  308. 
Ottfried,  de  Wissembourg,  316. 
Otton  ler,  empereur,  307-312. 

—  H,  311. 

—  m,  311,  323. 
Otton-Henri  (le  rhingrave),  116. 
Oxenstierna  ,116. 


P. 


Pache,  pasteur  français  à  Anweiler  et 

à  Bischwiller,  49. 
Pascal  II,  pape,  353. 
Paul  III,  314. 
Peigerin  (Dyna),  393. 
Peltre,  historien  de  Sainte-Odile,  171. 
Pfeffel,  111. 
Pfeilstùcker  (Conrad),   conseiller  épis- 

copal,  234. 
Pfister  (Dorothée),  sorcière,  248. 
Philippe-l'Ingénu,  électeur  palatin,  319. 


Piccolomini(Ottavio),  duc  d'Amalfi,  222. 

Pierre  Comeslor,  175,  275. 

Pierre-le-Lombard,  175. 

Pie  II,  325. 

Pin  (Roger  du),  grand-maître  de  l'ordre 

de  Saint-.Iean,  382. 
Pirmin  (saint),  198,  333,  337. 
Plessen  (le  riltmeistre  de),  117. 
Pollwiller  (Nicolas,   baron  de),  uuter- 

landvogt,  24. 
Puy  (Raymond  du),  382. 


R. 


Rachion,  évèque,  288. 

Rapp  ,  111. 

Rappolstein  (Massmann  de),  210,  voy. 
Ribeaupierre. 

Ratabon,  corttroversiste,  362. 

Rathold  (l'évêque),  135. 

Rathsamhausen  (zum  Stein),  174,  voy. 
Lapide  (de). 
—  (Jean  de),  210. 

Rausch  (Henri),  conseiller  hanauien 
conduit  à  l'échafaud  en  1793  ,  63  , 
121. 

Rebstock  (M^e  Marie-Madeleine),  400. 

Rechberg,  unterlandvogt,  20. 

Regalis  (Jean),  382. 

Relindis,  abbesse,  108,  180,  188. 

Rémy  (saint),  135,  193,  194,  219. 

Rhynprucher  (Conrad),  prévôt  du  cha- 
pitre deNeuwiller,  297. 

Ribeaupierre  (Braun  de).  Découverte  des 
mines  de  Sainte-Marie 
sous  sa  domination,  51. 

—  allié  de  Frédéric  de  Blan- 

kenheim,  140  ,  145. 

—  (Egenolphe   d'Urselingen  , 

seigneur  de),  172. 


Ribeaupierre  (Massmann    ou    Maximin 
de),  210,  voy.   Rappol- 
stein. 
Richard-Cœur-de-Lion ,    confère    avec 

Henri  VI  à  Haguenau  ,  20. 
Richard  (David),  367. 
Richardis  (l'impératrice),  395-399. 
Richvinus,  336. 

Riga  (Pierre)Jnterpréte  de  la  Bible,  275. 
Rist  (le  chevalier  Frédéric  zum),  261. 
Rilter  '^Emmerich),  reveveur  général  de 

la  préfecture  de  Haguenau,  27,  69 

234. 
Robert,   évèque  de  Strasbourg,  IH 

289,  360,  386,  393. 
Robert ,  créateur  de  l'abbaye  de  Hors- 

ham,  215. 
Rochebrune    (M.   de),  agent  du   mar- 
grave de  Bade,  121. 
Rodolphe  (d'Ehenheim),  174. 

—      H,  empereur,  363,  401. 
Rohan    (le    cardinal   Louis -Constantin 
de),  11. 

—      (le  duc  dei,  116. 
Rohan-Soubise  (le  cardinal-cvèque  Av' 

mand-Gaston  de),  144. 


442 


TABLE  ALPHABETIQUE 


Rohan-Guéméné  (Louis- René-Edouard 

de),  144,  145,  251. 
Roth  (M.),  de  Bàle,  159-163;  172. 
Rotwyl  {Rodolphe  de),  évêque,  138. 


Rudhart,  évèque,  279,  280. 

Rudiger  (l'abbé),  prévôt  de  l'abbaye  de 

Wissembourg  ,  28,  321  ,  322. 
Ruys,  historien,  396,  398. 


S. 


Saint-Ignon  (M.  de),  344. 

Salm  (le  prince  de),  241. 

Sarburger  (Mathias),  340. 

Saxe-Weimar  (Louise,  duchesse  de),  64. 
—  (le  duc  Bernard  de),  116. 

Saxe  (Maurice  comte  de),  286. 

Saxe  (Joséphine  de),  229. 

Schaftolsheim  (Jean  de),  374,  377. 

Schertlin  ,  colonel,  109. 

Schiller,  son  drame  Intrigue  et  amour 
transporte  sur  le  théâtre  les 
mœurs  de  la  cour  de  Stutt- 
gart, 107. 

—  Ses  Brigands   expriment   son 

opposition  à  la  cour  de  Stutt- 
gart, 107. 

—  Son  Guillaume  Tell,  153. 

—  Son    Wallenstein,    222,    389. 

—  Sa  Jeanne  d'Arc,  389. 

—  Sa  Marie-Stuart,  389. 
Schinderhannes ,  le  Mandrin  allemand , 

92. 

Schmidt(M    Charles),  262-285  ;  371. 

Schœnborn  (l'évèque  comte  de),  323. 

Schceptlin,  11,  147,  159,  171,  197, 
363. 

Schubart,  le  poëte ,  au  cachot  de  Ho- 
henasperg,  107. 

Schwartz,  255,  voy.  Niger. 

Schwartzbourg  (OUnther  de),  207. 

Sohweighœuser,  295,  347. 

Schwendi  (Lazare  de),  225 ,  233. 

Sibylle,  veuve  de  Tancrède,  roi  de  Si- 
cile, 189. 

Sickingen  (Frédéric  de),  230. 

—  (Schweickart  de),  230. 
Sigebaud  ,  évêque  de  Metz ,  295. 
Sigebert ,  fils  de  Dagobert  II ,  327. 

—  landgrave,  366. 


Sigillés  des  anciens  titres  coupés  par 
des  employés  infidèles,  15. 

Sigismond,  empereur,  350,  351. 

Silbermann,  liistorien,  371. 

Sindenus  ,  336,  337. 

Sintlaz ,  propriétaire  de  l'île  de  Rei- 
clicnau,  198. 

Sixte  IV,  302,  312. 

Solcourt ,  adversaire  de  Benjamin  Mau- 
clcrc,  50. 

Sœtern  (l'évèque  Christophe  de),  322. 

Soultz  (comte  de),  unterlandvogt,  26. 

Soultz  (Othon  de),  conseiller  épiscopal , 
234. 

Spach ,  nom  qui  se  rencontre  au  quin- 
zième siècle,  74. 

Spaur  (comte  de),  unterlandvogt,  26. 

Spce  (Frédéric),  père  jésuite,  249. 

Spener  (ApoUonie),  sorcière,  248. 

Sponheim  (Eberhard  comte  de),  93. 

—  (Etienne  de),  93. 

—  (Meinhard  de),  93. 

—  (Jean  de),  93,  100. 

—  (Simon  de),  93. 

—  (Jean  VI  de),  93. 

—  (Henri  de),  99,  100. 

—  (Loretle  de),  99. 
_        (Malhilde  de),  100. 

—  (Walram  de),  100. 
Stahleck  (Henri  de),  évêque,  138,  219, 

220. 
Stanislas,  roi  de  Pologne,   239,  348. 
Straub  (M.  l'abbé),  393.     . 
Strauss  (le  docteur),  158. 
Strobel,  159. 
Stromeyer  (Michel). 
Styrum  (l'évèque  Auguste-Limbourg  de) , 

323. 
SUss-Oppenheinier,  106. 


T. 


Teck  (Berthold  de),  évêque,  138,  206, 

219,  220. 
Tell  (Guillaume),  153,  156,  157. 
Theodewinus,  légat  apostolique,  336. 
Theroulde  (Chanson  de  Roland),  152. 
Thierry  111,  roi  d'Austrasie,  327. 

—       IV,  335. 
Thomas,  l'académicien,  286. 
Trachenfels  (André),  329. 
Trapp  (Hans),  épouvantail  des  enfants, 

28  ,  voy.  Dralt. 
Treittlinger,  chargé  d'aft'aires  des  comtes 

de  Montbéliard,  102. 


Trenck   (Laurent),  vicaire  du  chapitre 

de  Haslach,  292. 
Trenss   (Amandus),  auteur  des  Éphé- 

mérides  d'Alturf,  325. 
Trithème  ,321. 
Tristan  et  \seult,  poëme  de   Godefroi 

de  Strasbourg,  20,  272. 
Truchsess  (Jean-Erb),   baron   de   Wal- 
bourg,  246. 
—  (Léopold-Frédéric),  246. 

Tschudi,  153. 
Turenne,  402. 


DES  PRINCIPAUX  PERSONNAGES. 


443 


Udon  (l'évêque),  136. 
Uhlenheim  (Théobald  d') ,  261. 
Ulrich,  abbé  de  Neubourg,  347. 
Urbain  IV,  pape,  325. 


U. 


Urbain  V  ,  pape,  372. 
Uttenheiin  (Ciiristophe  d') ,  chanoine  de 
Saint-Tbomas,  274. 


Vanolles   (de),  intendant  d'Alsace,  32. 
Vaubrun  (marquis  de)  ,  402. 
Vaudémont  (le  prince  de),  209. 
Vehringen  (l'évêque  Henri  de),  1 38,  339. 
Vendenheim  (Dagobert  Worniser  de)  , 

240. 
Veldentz  (Louis  de),  landvogt,  318. 
Vereau  (Jean),  348. 


Visconti  (Philippe-Auguste-Marie),  duc 

de  Milan,  257. 
Vogelberger   (Gaspard),   ami   de  L.  de 

Schwendi ,  233. 
Volcyrde  Senonville,  chroniqueur,  342. 
Volmar  (Nicolas),  391. 
Voragine  (Jacques  de) ,  275. 


\¥, 


Wallon  (M.),  209. 

Walther  (Henri),  fait  un  legs  curieux, 
261. 

—  archevêque  de  Cologne,  350. 
Wangen  (Jean  de),  390. 

Warner,  abbé  d'Elival,  170. 
Weitenmiihlen  (Scislas  von  der) ,  land- 
vogt,  100. 
Wenceslas  ,  empereur,  100,  208. 
Wencker,  archiviste,  405. 
Werinhar  (l'évêque),  137,  144,  203, 

204  ,  205,  213,  245,  252, 

384,  385,  390. 

—  (le  fondateur  du  château  de 

Habsbourg),  137. 

Werner ,  maréchal  de  la  ville  de  Stras- 
bourg, 172. 

Westerbourg  (Marguerite  de),  80,  voy. 
Linange. 

Wetzel,  évêque  de  Strasbourg,  194. 
—       (Nicolas) ,  écolàtre    de   Saint- 
Thomas,  263. 

Widerhold  (l'évêque),  137,  144,  194, 
195,  311,  312,  385. 

Wimpheling,  172  ,  274. 


Windeck  (Agnèse  de),  390. 
Winfred  (cardinal),  339. 
Wingarten  (les  frères  de),  319. 
Winkelried  (Arnold  de) ,  lû4, 156  ,  157. 
Wœlfelinus,  landvogt  de  Frédéric  II,  21 . 
Wolfach  (Henri  de)',  372,  374,  377. 
Wolflf  (Thomas)  le  jeune,  antiquaire, 

274, 
Wolf,  adversaire  d'Homère,  150. 
Worm  (Jacques) ,  329. 
Wurtemberg  (Eberhard  comte  de) ,  1 04 

—  (Frédéric  duc   de) ,    105  , 

401. 

—  (Louis-Frédéric  de),   105. 

—  (Léopold-Frédéric  de),  105. 

—  (George  de) ,  105. 

—  (Léopold  -  Eberhard     de)  , 

105,  108. 

—  (EberhardLouis  de)  ,  106. 

—  (Charles- Alexandre     de). 

1*06. 

—  (Charles-Eugène  de),  107. 

—  (Ulrich  de).  109. 
Wurtrude  ,  abbesse  d'Eschau,  195. 


Z. 


ZoUeren  (Charles  comte  de) ,  246. 
Zschokke,  153. 


Zuckmantel  (Walraff  de) ,  231. 
—        (Agnèse  de),  243. 


'-«-<«5r^&<6>Sfc^- 


444  TABLE  DES  MATIÈRES. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Page». 

LETTRE  I" 1 

Le  bâtiment  des  archives.  Son  origine.  Sa  situation.  Distribution  de  l'in- 
térieur. 

LETTRE  II 10 

Les  anciens  archivistes.  —  Grandidier.  Brendel.  —  Les  archives  sous 
l'Empire  et  la  Restauration. 

LETTRE  m 20 

Le  fonds  de  la  préfecture  de  Haguenau.  Les  Hohenstauffen  à  Haguenau. 
Les  fonctions  du  préfet  ou  landvogt.  —  Les  électeurs  palatins  et  les 
archiducs  d'Autriche,  préfets  d'Alsace.  —  Les  grands  baillis  français. 

—  La  Réforme  et  la  guerre  de  Trente  ans  à  Haguenau.  —  Les  Unter- 
landvœgte.  —  Les  receveurs.  —  Rapports  avec  l'abbaye  de  AVissem- 
bourg.  —  Incendie  de  1677.  —  Contraste  entre  la  ville  au  moyen  âge 
et  celle  d'aujourd'hui. 

LETTRE  IV .^1 

Fonds  de  l'intendance  d'Alsace.  Les  intendants.  Leur  liistoire  et  celle  de 
l'institution.  —  Contenu  sommaire  du  fonds.  —  Ce  qui  ne  s'y  trouve 
pas.  —  Les  travaux  publics.  Les  fiefs.  Les  familles  des  feudataires. 

LETTRE  V 42 

Fonds  du  duché  de  Deux-Ponts.  —  Le  prince  Max  de  Deux-Ponts,  ses 
ancêtres,  sa   famille.  —  Possessions  des  princes  de  Deux-Ponts  en 
Alsace.  —  Bischwiller.   Caractère  de  celte  ville.   —  Les  réformés  de 
Bischwiller.  —  Culture  du  tabac  en  Alsace.  —  Les  mines  de  Sainte-    , 
Marie. 

LETTRE  VI i     .•     52 

Le  fonds  de  Hanau-Lichtenberg.  —  Aperçu  historique  et  géographique. 

—  Le  château  de  Lichtcnberg;  le  comté.  — La  famille  ancienne  de 
Lichtenberg.  —  La  famille  de  Hanau.  —  La  famille  de  Hesse-Darm- 
stadt.  Individualités  marquantes  de  ces  trois  familles.  —  Résidence 
de  Rouxwiller.  —  L'orangerie  de  Strasbourg. 

LETTRE  VII  66 

Fonds  de  Hanau-Liclitcnberg.  —  Les  papiers.  —  Moulins.  Communes. 
Geudcrtheim.  —  Brumalh.  — Guerre  des  Lichtenberg  et  des  Linange.  — 
Barbe  d'Ottenheim.  —  Bernard  Herzog,  bailli  de  Wœrth.  —  La  marche 
de  Marmoulier.  —  Guerre  de  Trente  ans.  —  Ernolsheim  et  ses  châtai- 
gneraies. —  Comptabilité  de  Hanau-Lichtenberg.  —  Les  châteaux-forts. 

—  Caractère  général  du  fonds.  —  Encore  une  fois  les  villages.  —  Leur 
origine. 

LETTRE  VIII 77 

Fonds  de  la  seigneurie  d'Oberbronn  ou  de  la  famille  de  Linange.  —  Dé- 
tails généalogiques.  —  Le  château  d'Oberbronn  en  1669.  —  Le  château 
d'Oberstein.  —  Procédures  scandaleuses  de  la  famille  de  Linange.  — 
Limbourg  etc. 


LETTRE  IX. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  445 

Pages. 


90 

Fonds  du  comté  de  Sponheim.  —  Description  géographique.  —  Histoire 
des  comtes.  —  Provenance  d\i  fonds.  —  Seigneurie  de  Beiniieim.  — 
Titres  remarquables. 

LETTRE  X ,Q2 

Fonds  du  comté  de  Montbéliard.  —  Les  comtes  et  ducs  de  Wurtemberg, 
comtes  de  Montbéliard,  seigneurs  de  Riquewihr.  —  Henriette  de  Mont- 
béliard. —  Louis-Frédéric  et  Léopold  Eberhardt,  comtes  de  Montbé- 
liard. —  Le  comté  au  dix-huitième  siècle.  —  Contraste  entre  le  gou- 
vernement de  Wurtemberg  et  celui  de  Montbéliard.  —  Schiller  et  Cuvier 
à  Stuttgart.  —  Caractère  général  et  quelques  titres  spéciaux  du  fonds 
de  Monlbéliard,  Riqucwihr  et  Horbourg.  —  Riquewihr  et  Horbourg.  — 
Réunion  de  Monlbéliard  à  la  France.  —  La  statue  de  George  Cuvier 

LETTRE  XI ..."     113 

Le  fonds  du  directoire  de  la  noblesse.  —  Le  Ritterhaus.  —  Devoirs  de 
l'archiviste  en  face  des  papiers  de  famille.  —  Composition  du  directoire. 
—  La  juridiction.  —  Correspondance  historique  du  directoire.  —  Les 
familles  nobles.  —  Leurs  titres.  —  M.  de  Rochebrune.  —  Le  testament 
d'un  condamné  à  mort.  —  Familles  roturières.  —  Adieu  aux  archives 
civiles. 

LETTRE  XII ^24 

Archives  ecclésiastiques.  —  Leur  caractère  général.  —  Clergé  séculier 
et  clergé  régulier.  —  Fonds  de  l'évèché  de  Strasbourg.  —  Considéra- 
tions préliminaires.  —  Promenade  à  travers  les  bailliages  épiscopaux 

LETTRE  XIII "^33 

Les  évèques  de  Strasbourg. 

LETTRE  XIV j^g 

Fonds  de  l'évèché  de  Strasbourg.  —  Trésor  des  chartes.  —  Testament  de 
sainte  Odile.  —  Son  authenticité.  —  Discussion  avec  M.  Roth,  de  Bàle 

LETTRE  XV ....     165 

Herrade  de  Landsperg.  —  Ouvrage  de  feu  Maurice  Engelhardt.  —  Docu- 
ments relatifs  à  Herrade.  —  Analyse  du  Jardin  des  délices. 

LETTRE  XVI 18^ 

Herrade  de  Landsperg  (suite);  ses  poésies;  leur  caractère.  Mépris  du 
monde.  —  Amour  du  Christ;  dévouement  aux  religieuses  de  Hohen- 
bourg.  —  Caractère  historique  de  Herrade;  sa  rencontre  probable  avec 
Sibille,  veuve  de  Tancrède,  roi  de  Sicile. 

LETTRE  XVII 191 

Suite  du  fonds  du  trésor  des  chartes.  —  Explication  et  excuses  de  l'ar- 
chiviste sur  la  marche  suivie  en  dernier  lieu.  —  Testament  de  saint 
Remy  ;  abbaye  d'Eschau.  —  Chartes  de  Louis-le-Débonnaire.  —  Ile  et 
abbaye  de  Reichenau.  —  Arenenberg.  —  Embarras  croissant  de  l'ar- 
chiviste. 

LETTRE  XVIII 202 

Suite  du  trésor  des  chartes.  —  Voyage  des  chartes  carlovingiennes  à 
Paris.  —  Un  droit  de  chasse  accordé  par  Henri-le-Saint  à  l'évêque 
Werinhar.  —  Formation  du  domaine  épiscopal.  —  Charles  IV  au  mont 
Sainte-Odile;  enlèvement  de  l'avant-bras  droit  de  la  sainte.  —  L'évêque 
Guillaume  de  Diest.  —  Traité  d'alliance  contre  les  Armagnacs.  —  Les 
fêtes  de  Gutenberg. 


!^k^  TABLE  PES  MATIÈRES. 

Pages. 

LETTRE  XIX 214 

Suite  du  trésor  et  de  l'armoire  des  chartes.  —  L'abbaye  de  Horsham  en 
Angleterre.  — La  prévôté  d'Ittenwiller.'Les  comtes  de  Kibourg,  feu- 
dataires  de  l'évêché.  —  Armoire  historique.  —  Correspondance  histo- 
rique après  la  Réforme.  —  Armoire  des  droits.  Armoire  de  Strasbourg. 

LETTRE  XX     ....     , 225 

Fonds  des  fiefs  de  l'évêché  de  Strasbourg.  —  Correspondance  épiscopale 
de  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  au  sujet  du  double  passage, 
en  Alsace,  d'Elisabeth  d'Autriche,  épouse  de  Charles  IX,  roi  de  France. 

—  Portrait  d'Elisabeth.  —  Les  feudataires  de  l'évèque.  —  Lazare  de 
Schwendi.  —  Les  conseillers  de  l'évèque. 

LETTRE  XXi 236 

Armoire  ecclésiastique.  —  Rapport  de  l'évèque  avec  les  diverses  institu- 
tions religieuses  d'Alsace.  —  Correspondance.  —  Imprimés.  —  Marie 
Leczynska  à  Wissembourg.  —  Surprise  de  Vendenheim  par  les  Voltz 
d'Altenau  et  les  Wormser.  —  Le  Giirtlerhof.  —  Destruction  de  Saint- 
Jean  de  Strasbourg  (1633).   —  Fondation  de  l'église  de  la  Robertsau. 

—  Les  dernières  abbesses  de  Hohenbourg. 

LETTRE  XXII 2U 

Fonds  du  grand-chapitre  et  du  grand-chœur.  —  Histoire  sommaire  de 
ces  corporations.  —  Richesses  des  deux  fonds.  —  Tables  généalogiques 
des  récipiendiaires  au  grand-chapitre.  —  Charte  d'Arnoulphe,  roi  des 
Romains.  —  Procès  de  sorcellerie.  —  Geyler  de  Kaysersberg,  prédica- 
teur de  la  cathédrale.  —  M.  Baulain. 

LETTRE  XXm 234 

Chapitres  intra-muros  de  Strasbourg.  —  Les  deux  chapitres  de  Saint- 
Pierrc-le-Vieux  et  Saint-Pierre-le-Jeune.  —  Saint-Pierre-le-Vieux  formé 
en  partie  des  chapitres  de  Honau  et  de  Rhinau.  —  La  ville  de  Rhinau 
engloutie  par  le  Rhin.  —  Saint-Pierre-le-Jeune  directeur  de  l'oratoire 
de  la  Toussaint.  —  Le  grand-chapitre  de  la  cathédrale  administrateur 
du  chapitre  de  Saint-Léonard.  —  Chapitre  de  Saint-Thomas.  —  Exiguïté 
de  ce  fonds  dans  le  dépôt  départemental.  —  Aperçu  historique  sur 
l'église  et  le  chapitre  de  Saint-Thomas. 

LETTRE  XXIV 265 

Le  chapitre  de  Saint-Thomas.  —  L'ouvrage  de  M.  Schmidt;  son  caractère 
général.  —  Position  exceptionnelle  du  chapitre  en  Alsace.  —  Sa  dévia- 
tion, —  Le  costume  et  les  mœurs  des  chanoines  au  quinzième  siècle. 

—  La  «Société  de  Saint-Thomas.»  —  Le  chanoine  Jean  Hepp.  — 
Membres  distingués  du  chapitre  :  Burckhardt,  ambassadeur  de  Fréi 
déric  Barberousse.  Le  poëte  Godefroi  de  Haguenau.  Le  chroniqueur 
Kœnigshoffen.  Burckardt,  le  maître  des  cérémonies  d'Alexandre  VI. 
Thomas  Wolff,  l'antiquaire  etc.  —  La  bibliothèque  de  Saint-Thomas. 

—  Livres  du  chanoine  Paul  Munthart.  —  L'école  de  Saint-Thomas.  — 
Aperçu  de  son  histoire. 

LETTRE  XXV 277 

Les  choristes  de  Saint-Thomas.  —  Les  fêtes  à  Saint-Thomas.  Les  mys- 
tères de  la  Passion.  —  Les  propriétés  de  Saint-Thomas.  —  Eckbols- 
heim,  seigneurie  et  colonge.  —  Procession  de  la  Pentecôte.  —  Saint- 
Thomas,  bailleur  de  fonds;  Jean  Gutenberg,  son  débiteur.  —  Les 
Hohenstein.   —  Pillase  d'Eckbolsheim.  —  Évaluation  du  revenu  des 


TABLE  DES  MATIÈRES.  447 


prébendiers ;  abus,  leur  cause.  —  Conflits  de  Saint-Thomas  avec 
l'évèché.  —  Le  sarcophage  d'Adeloch  et  le  mausolée  du  maréchal  de 
Saxe. 

LETTRE  XXVI 287 

Chapitres  extra-muros  de  Strasbourg.  —  Chapitre  de  Haslach.  —  Re- 
liques de  saint  Florent;  construction  de  l'église  ogivale  de  Haslach;  sa 
restauration  moderne.  Discussions  du  chapitre  avec  l'évèché.  —  Reve- 
nus du  chapitre  au  dix-huitième  siècle. 

LETTRE  XXVII 294 

Abbaye  et  chapitre  de  Neuwiller.  —  Le  site.  —  Les  deux  églises.  — 
Leur  histoire.  —  Troubles  de  la  Réforme  et  de  la  guerre  de  Trente 
ans.  —  Mansfeld.  —  Relations  du  chapitre  avec  Hanau-Lichtenberg. 

—  Le  duc  de  Feltre  à  Neuwiller. 

LETTRE  XXVlll ^Ol 

Fonds  du  prieuré  de  Steige  et  du  chapitre  de  Saverne.  Fonds  du  cha- 
pitre de  Haguenau-Surbourg.  —  Fonds  de  l'abbaye  ou  de  la  prévôté 
de  Seltz.  —  L'impératrice  Adélaïde.  —  Sa  jeunesse  en  Italie.  —  Sa 
délivrance  par  Otton-le-Grand.  —  Son  âge  mûr  et  sa  vieillesse  en  Alle- 
magne et  en  Alsace.  —  Fondation  de  l'abbaye  de  Seltz.  —  3Iort  de 
l'impératrice. 

LETTRE  XXIX f    .....     314 

L'évèché  de  Spire.  —  Sa  circonscription.  —  L'abbaye  de  Wissembourg. 

—  Son  histoire.  —  Lutte  entre  l'abbaye  et  la  ville.  —  Lutte  avec  les 
électeurs  Palatins.  —  Le  château  de  Berwartstein.  —  Jean  de  Dratt. 

—  L'abbaye  transformée  en  chapitre.  —  Le  chapitre  réuni  à  l'évèché 
de  Spire.  —  Les  princes-évêques.  ' 

LETTRE  XXX 334 

Les  abbayes  d'hommes.  —  Altorf.  Son  origine,  les  donations.  —  Éphé- 
mérides  d'Altorf.  —  Abbaye  d'Ebersmûnster.  —  Beatus  Rhenanus, 
l'historien.  — Sébastien  Brant,  l'auteur  de  l'Esquif  des  fous.  —  L'ab- 
baye de  Marmoutier  et  le  couvent  du  Sindelsberg. 

LETTRE  XXXI 334 

Fonds  de  l'abbaye  de  Marmoutier,  du  couvent  du  Sindelsberg  et  du 
prieuré  de  Saint-Quirin.  —  Premiers  siècles  de  l'abbaye.  Les  moines 
ou  saints  Irlandais.  —  Origine  et  fondation  du  Sindelsberg.  —  Belle 
charte  polyptyque.  —  Église  de  Saint-Martin  de  Marmoutier.  Guerre  des 
paysans.  —  Discussions  pénibles  dans  l'intérieur  de  l'abbaye.  —  Ori- 
gine du  prieuré  de  Saint-Quirin;  son  histoire.  — Contenu  sommaire 
du  fonds  de  Marmoutier. 

LETTRE  XXXII 346 

Fonds  de  l'abbaye  de  Neubourg. —  Forêt  sainte  de  Haguenau.  —  Navi- 
gation du  Rhin.  —  Droit  d'affouage.  —  Fonds  de  l'abbaye  de  Wal- 
bourg,  ou  Sainte- Walpurge.  —  Fonds  des  couvents  de  Haguenau.  — 
L'hôpital  de  Frédéric  Barberousse. 

LETTRE  XXXllI 357 

Molsheim ,  ville  épiscopale;  résumé  de  son  histoire.  —  Fonds  du  collège 
des  Jésuites  de  Molsheim  et  du  séminaire  épiscopal  de  Strasbourg.  ■ — 
Fonds  du  couvent  des  Chartreux  de  Molsheim.  —  Suppression  de  la 
Chartreuse  de  Strasbourg.  —  Asile  de  Stéphansfeld.  —  Les  hospitaliers 
du  Saint-Esprit.  —  Feu  David  Richard. 


448  TABLE  DES  MATIÈRES. 

LETTRE  XXXIV 369 

Fonds  de  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  (ordre  de  Malte).  —  Maison 
de  rile-Verle  ou  Commanderie  de  Strasbourg.  —  Le  site.  —  Origine 
de  la  maison.  —  Waltlier  de  Hiinebourg,  maréchal  de  l'évèché.  — 
Rulmann  Meerswin  et  les  amis  de  Dieu.  —  Caractère  de  cette  société 
mystérieuse.  Incorporation  de  la  commanderie  de  Schlestadt.  —  Sup- 
pression de  la  maison  de  l'Ile-Yerte  en  1633.  —  Son  rétablissement, 
en  1687,  à  Saint-Marc,  qui  prend  le  nom  d'église  de  Saint-Jean.  —  Les 
commandeurs  de  la  maison  de  Saint-Jean  de  Strasbourg.  —  La  maison 
de  Dorlisiieim.  —  Contenu  du  fonds  de  l'ordre  de  Saint-Jean.  —  La 
bibliothèque  de  l'ordre.  —  Le  livre  manuscrit  des  Sepl-Ruchers.  Ca- 
ractère de  cette  fiction  dantesque,  œuvre  de  Rulmann  Meerswin.  — 
Amitié  de  Rulmann  et  de  Nicolas  de  Bàle.  —  Le  livre  des  Cinq  hommes, 
de  Nicolas.  —  Le  livre  des  Abeilles.  —  Varia. 
LETTRE   XXW 383 

Les  abbayes  et  les  couvents  de  femmes.  —  Saint-Étienne  de  Strasbourg. 
Histoire  de  l'abbaye.  —  Sainte  Attale  et  Adalbert,  duc  d'Alsace.  —  Les 
chartes  primitives.  —  Époque  de  la  Réforme.  Le  théâtre  de  Strasbourg 
temporairement  établi  à  Saint-Étienne.  Le  fonds  de  Saint-Étienne.  — 
Sainte-Madeleine.  —  Sainte-Marguerite. 
LETTRE  XXXVI    .     1 395 

Abbayes  et  couvents  de  femmes  extra-muros.  Fonds  de  l'abbaye  d'Andlau. 
L'impératrice  Richarde.  —  Son  histoire  et  sa  légende.  —  Histoire  de 
son  abbaye.  —  Les  documents.  Fonds  de  l'abbaye  de  Sainl-Jean-des- 
Choux ,  près  Saverne.  —  Couvents  de  Riblisheim  et  de  Kœnigsbruck. 

—  Archives  Iiospitalières  de  Haguenau.  —  Feu  Wencker. 

LETTRE  XXXVIl  ET  DERNIÈRE 406 

Total  numérique  des  archives  civiles  et  ecclésiastiques.  Coup  d'œil  sur 
leur  réglementation.  — Archives  communales.  —  Archives  hospitalières. 

—  Pièces  dans  les  archives  départementales,  postérieures  à  1790.  — 
Coup  d'œil  rétrospectif  sur  les  archives  du  Bas-Rhin. 

PIÈCE  JUSTIFICATIVE -117 

Actes  du  procès  de  sorcellerie  d'ApoUonie  Spener  et  de  Dorothée  Pfister 
de  Geispolshcim. 

TABLE  ALPHARÉTIQUE  DES  PRINCIPAUX  PERSONNAGES  NOMMÉS  DANS 
CE  VOLUME 436 


'-— '^ïv^>!i3^S2:S='~'- — 


-m  *\'* 


\:^ 


'■'>-(■■">,. 


m 


-  >*  ,1 


^M«^/^^ 


^?^ 


■m  m.. 


^M- 


■^''i'M*y  -HtSÉitoAii. 


■'?^  •■ 


*^^A-*m!j 


-;^^  ^  W.«