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LETTRES
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES
DU BAS-RHI^.
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LETTRES
ARCHriES DÉÏVVRTEMENTALES
Dl' BAS-RHIN
M. rouis SPACH,
ARCH.VISTE DO DAS RHIN , l'RESIDENT DE LA SOCIETE PULU LA CONSERVATION DES MONUMENT.
HISTORIQUES DALSACE, CORRESPONDANT DU MINISTERE DE l'iNSTRICTION PUBLIQUE.
STRASBOURG,
ÉD. PITON, LIBRAIHE-ÉDITEUR
Rit 1)1 L* I.ANTEKNE , C.
1862.
Introduction.
En adressant, dans les premiers jours d'octobre 1860, au
Courrier du Bas-Rhin, la première lettre sur les Archives dé-
partementales, je ne pensais pas que ces communications heb-
domadaires se prolongeraient au delà de quelques mois. Mon
intention avait été de ne donner qu'un aperçu général des
principaux fonds de notre dépôt. L'indulgence avec laquelle
le rédacteur du journal et le public alsacien ont accueilli ces
indications sommaires et ces aperçus historiques, m'a permis
de parcourir successivement, presque un à un, tous les fonds
des archives civiles et ecclésiastiques antérieures à 1790. Ce
1 sont des tètes de chapitre, qui suffiront pour orienter, dans
nos vastes collections, les hommes studieux et les hommes
du monde qui ont quelque prédilection pour l'histoire de notre
province et de nos cités municipales.
A l'entrée de chaque fonds , c'est-à-dire de chaque série de
titres ayant trait à une maison princière ou seigneuriale, à
une institution gouvernementale ou religieuse, je me suis
appliqué à donner en quelques pages une idée du rôle que ces
familles de dynastes ou ces établissements épiscopaux et mo-
nastiques ont joué dans l'histoire d'Alsace et, au besoin, dans
l'histoire générale. Toute personne un peu famiharisée avec ce
genre d'études pourra donc induire de ces données, quelle
était l'importance relative de ces princes , de ces seigneurs ,
de ces évoques, de ces abbayes dont les noms figurent en tête
de chaque collection spéciale.
Il me reste à remplir, dans cette introduction, une petite
lacune, que présentent forcément ces Lettres sur les ar-
chives. Tout le monde n'est pas tenu d'avoir présente , dans
sa mémoire, la succession chronologique des périodes qui
<^,
-1^^
II INTRODUCTION.
coiisliLueut l'histoire d'Alsace; je vais, dans quelques lignes
fugitives, rappeler cet enchaînement, indiquer comment l'en-
"semble de nos collections s'enchâsse dans les annales alsa-
tiques, faire toucher du doigt ce fd élémentaire, auquel vien-
dront alors se rattacher d'eux-mêmes les aperçus partiels qui
précèdent chaque fonds spécial.
Il suffit d'un seul coup d'œil jeté sur la carte d'Alsace et les
pays environnants , ou sur un relief géologique de notre large
vallée du Rhin, pour se convaincre que l'Alsace ne peut être
géographiqucment détachée des contrées qui l'avoisinenl, et
que toutes les terres de ce grand bassin doivent, au point de
vue historique, se trouver aussi dans une intime connexité.
En effet, les annales de notre pays se rattachent à celles de
Bade, à celles du Palatinat surtout; car de ce côté, nos fron-
tières ont été variables et indécises ; notre histoire ne peut
être complètement détachée de celle de Suisse, pas plus que
le Rhin, qui nous côtoie, ne peut être retranché des Alpes,
d'où descendent ses sources multiples ; plus d'une fois notre
histoire se rattache à celle de la Franche-Comté, dont la fron-
tière jurassique nous envoie la rivière d'Ill, le principal affluent
du Rhin moyen, et notre parrain dans le Dictionnaire géo-
graphique; les vallons de la Lorraine touchent aux nôtres par
les cols des Vosges ; aussi celte province voisine a-t-elle des
rapports fréquents avec nous dès l'époque mérovingienne et
carlovingienne ; l'histoire alsalique enfin se rattache sans cesse
à l'histoire générale de France et d'Allemagne; car, incessam-
ment ballottée entre les deux nationahtés, elle présente l'in-
téressant et douloureux spectacle d'une population , tiraillée
eotre l'Orient et l'Occident.
Mais ce manque de cohésion et d'unité que j'ai déjà fait
ressortir dans un. autre ouvrage * , se trouve largement com-
pensé par l'intérêt qui s'attache à l'infinie variété des détails.
Je ne puis mieux comparer l'Alsace qu'au Rhin lui-même,
'Histoire de la Basse-Alsace , cliap. I^''.
INTRODUCTION. III
alimenté et grossi par de nombreux affluents. Pour com-
prendre, pour raconter, et surtout pour renouveler et rajeu-
nir l'histoire d'Alsace , il faut étudier les annales des provinces
allemandes et françaises, nos voisines, et amener successive-
ment dans le grand réservoir ces courants partiels et latéraux.
On aurait une idée très-incomplète des évêques de Strasbourg,
dont le domaine matériel et spirituel s'étendait sur les deux
rives du fleuve, on ne comprendrait pas l'histoire des muni-
cipalités et des châteaux de notre province, si les noms des
électeurs palatins, des margraves de Bade, des comtes de Wur-
temberg et de Montbéliard , des princes lorrains , des héros
suisses, et par moment les grandes figures des empereurs
d'Allemagne et des rois de France ne venaient y fixer en temps
et lieu l'attention des lecteurs. Et pour donner à ma pensée
le rehef d'une image, permettez-moi de dire que si vous pla-
ciez au cœur de l'Alsace, à Strasbourg, autour de la cathé-
drale, les statues et les bustes de ses princes ecclésiastiques,
de ses grands citoyens, et dans les châteaux de la montagne
et de la plaine, les simulacres de nos chevaliers bardés de fer
et d'acier, vous n'auriez évoqué qu'une partie des ombres du
passé; il vous faudrait ranger aux quatre points cardinaux,
ou dans tout le pourtour de notre vallée rhénane, des figures
bien plus imposantes encore : il faudrait, de cette pénombre
du passé, faire surgir des empereurs et des rois, puis les
nombreux dynastes allemands et français, les uns étendant
vers nous des mains protectrices et bienfaisantes, d'autres
nous lançant, de leurs bras nerveux, la menace et le défi.
Singulière destinée d'un pays, qui n'a jamais pu former un
grand tout par lui-même; qui, morcelé en principautés ecclé-
siastiques et laïques, en territoires seigneuriaux et munici-
paux, a constamment vécu dans une agitation fébrile, jusqu'à
ce qu'au sortir d'une dernière lutte trentenaire et fratricide,
il ait pris sa part de gloire et de sécurité, en allant se reposer
au sein d'une grande nation.
Vous pouvez résumer la destinée finale de l'Alsace, après
IV INTRODUCTION.
des fluctuations sans fin et des traverses sans nombre, vous
pouvez la résumer dans la sentence épigrammatique d'un
grand poëte de l'Allemagne :
.... Und kannst du selber kein Ganzes
Seyn , als ein d/enendes Glied, scliliess an ein Ganzes dich an*.
Les Archives départementales du Bas-Rhin sont le miroir
fidèle de ce morcellement du pays dont elles conservent les
chartes historiques et les titres de propriété ; dans les fonds
qui en forment la base, elles reproduisent bien les principaux
contours de cette carte provinciale, subdivisée en nombreuses
régences et seigneuries : le représentant de la puissance impé-
riale, le landvogt ou préfet d'Alsace y précède le représentant
du roi de France; les délégués de la haute aristocratie terri-
toriale consignent leurs arrêts dans une longue série de pro-
tocoles; les dynastes du château de Lichtenberg, qui vont
aboutir par des lignes féminines, à des princes de liesse, les
comtes de Montbéliard, les comtes de Sponheim, ceux de
Linange, les ducs de Deux-Ponts y étalent tour à tour leurs
droits et leurs prétentions, leurs titres de noblesse et de pro-
priétés, leur autorité paternelle ou leurs exigences fiscales;
les princes-évêqucs y prennent une part active aux grandes
destinées de France et de Germanie; les abbés y régissent
leurs communautés, et s'engrènent, à leur tour, dans le
rouage général du pays. Étudiées dans leurs détails, les ar-
chives du Bas-Rhin ressemblent tantôt à un vaste pandémo-
nium, tantôt à un temple ouvert à de grands mérites et à des
gloires immortelles.
Ces annales domestiques ne remontent pas au delà de l'é-
poque carlovingienne. Nos chartes authentiques les plus an-
ciennes datent du règne de Louis-le-Débonnaire ; c'est une
antiquité de bientôt dix siècles et demi; elle est respectable
* .... Et si lu ne peux former toi-même un lonl , entre comme une partie
utile et inléîïranto dans un grand tout. (Schiller.)
INTRODUCTION. V
sans do'ute, mais elle laisse hors de notre cercle d'étude directe
toute l'époque celtique, l'époque gallo-romaine, et l'époque
franque sous les Mérovingiens. — Dans l'intérieur de notre
dépôt , nous n'avons pas à nous préoccuper de ces temps pri-
mitifs, du moins nous ne pouvons apporter aucune lumière
nouvelle à leur exploration. Ces tertres funéraires, récem-
ment fouillés dans les forêts de notre plaine, et qui révèlent,
dans les ornements et les armes que la pioche met à jour,
une civilisation rudiraentaire assez avancée ; ces thermes ou
ces villas, qui montrent au soleil leurs anciens compartiments,
leurs mosaïques fracturées, et leurs calorifères, ces vases, ces
statuettes, ces monnaies, que le tracé des nouveaux chemins
de fer rejette à la surface du sol, ces fortifications sur les
plateaux des Vosges, que de savants compatriotes suivent avec
une ardeur infatigable à travers les forêts et les bruyères,
toutes ces heureuses trouvailles , gage et promesse de dé-
couvertes futures, ne peuvent trouver, dans les archives du
Bas-Rhin, ni point d'appui ni confirmation. — Tandis que
le dépôt départemental du Haut-Rhin possède du moins une
charte mérovingienne, nous n'avons aucun témoin de ces pre-
miers siècles de la royauté franque ; et l'origine chrétienne de
Hohenbourg ne marque chez nous que par un document apo-
cryphe.
Le siècle carlovingien même, cette époque mémorable, qui
figure dans nos annales par la trahison du Champ-du-Men-
songe, par les tournois et le serment biUngue de Strasbourg,
par les malheurs et la gloire de Richardis, épouse de Charles-
le-Gros , ce siècle même ne nous a légué que peu de chartes
authentiques. — L'église de Saint-Étienne a, sous ce rapport,
le privilège de figurer chez nous au premier rang, et de pro-
duire un de nos plus anciens titres, émané de l'empereur
Lothaire. Avec la chute de l'empire carlovingien, l'Alsace
devient décidément allemande ; mais encore pendant la pé-
riode des rois et empereurs de la maison de Saxe, qui ont
laissé cbez nous des traces multiples de leur influence, les
VI INTRODUCTION.
documents, qui ont survécu à ces princes, sont rares dans
notre dépôt ; l'empereur Henri-le-Saint et l'évêque Werinhar,
son ami, se montrent presque en tête des noms inscrits dans
notre trésor des chartes. La maison franconienne ne nous four-
nit guère plus de données; pendant le onzième siècle, le pape
alsacien, saint Léon, inscrit son nom sur les soubassements
celtiques de liohenbourg, et sur le cercueil de sainte Odile,
son aïeule ; mais il est à peu de chose près le seul nom illustre
qui paraisse dans nos titres, à cette époque si grosse de luttes
et si fertile en péripéties tragiques.
Lorsque nous touchons à la troisième grande dynastie alle-
mande, aux Hohenstauffen, les boîtes et les cartons de nosx
archives commencent à se remplir. Des titres, émanés de
Frédéric Barberousse et de ses illustres descendants, cons-
tatent chez nous, ce qui est du reste un fait élémentaire pour
toute personne familiarisée avec l'histoire d'Allemagne, la
présence fréquente de ces empereurs dans nos contrées , leur
paternelle sollicitude pour nos cités et nos couvents. Vers la
même époque, la prose allemande paraît aussi dans nos actes ;
elle n'y brille pas au même degré que la langue poétique dans
les vers des Minnesinger ; mais le savant s'incline avec un
mouvement de respect devant ces premiers monuments au-
thentiques d'un idiome qui prendra un développement inoui,
et qui, à partir de ce moment, ne subira plus, dans notre
dépôt, la moindre solution de continuité.
A partir du douzième et du treizième siècle, les bulles pon-
tificales , les lettres épiscopales figurent aussi de plus en plus
nombreuses à côté des lettres-privilèges impériales ; par des
actes de donations et de fondations multiples en faveur des
abbayes et des monastères , le bien-être croissant de ces éta-
blissements se révèle au milieu des révolutions politiques. —
Après l'époque anarchique de l'interrègne, surgit, dans plus
d'un de nos titres, la noble figure de Rodolphe de Habsbourg,
à côté de celle de son ami l'évêque Conrad de Lichtenberg,
le constructeur du grand portail de notre cathédrale.
INTRODUCTION. VII
Sous les empereurs tic la maison de Luxembourg et de
Bavière , au qualoi'zième siècle , nos matériaux deviennent
surabondants. Tous ces souverains laissent plus ou moins
de traces dans nos archives. La préfecture de Haguenau se
constitue avec la décapole. L'évêque, tantôt en lutte, tantôt
en paix avec Strasbourg, continue à former, dans nos car-
tons comme dans l'histoire du pays, le point vraiment cen-
tral. Le siècle clôt par une mémorable guerre de la capitale
de l'Alsace avec le prince ecclésiastique et le chef de l'em-
pire; nos archives acquièrent, pour cette époque, une in-
comparable valeur. Les noms slaves de l'empereur Wences-
las et de son représentant le landvogt Borziwoy de Swinar,
figurent à côté de celui de l'évêque Frédéric de Blankenheim
et de l'astucieux Braun de Ribeaupierre, ce Reinecke Fuchs
de l'Alsace.
Avec le commencement du quinzième siècle, les archives
du Bas-Rhin étalent une richesse qui serait peut-être remar-
quée même dans les archives de l'empire. La désastreuse ad-
ministration de Guillaume de Diest , de cetévêque néerlandais
intrus , s'y manifeste par de nombreuses lettres d'engagement.
On y voit de profil la physionomie du galant Sigismond; la
lutte du grand-chapitre avec le concile de Constance ne passe
pas inaperçue. Les ligues pour le bien public, contractées
par des membres laïques et ecclésiastiques, soit contre l'évê-
que, soit contre les Armagnacs, constituent une série de vé-
ritables actes diplomatiques ou de traités d'alliances poli-
tiques et religieux.
Au cœur et à côté de cette vie agitée de l'évcché, les grands
dynastes alsaciens, les Lichtenberg, les Linange, jouent sur
notre théâtre local un rôle de plus en plus actif. De nombreux
titres de propriété indiquent, pour les Lichtenberg surtout,
le lent, mais systématique accroissement de cette grande for-
tune territoriale.
A l'extrémité de la Basse-Alsace, la ville libre et impériale
de Wissembourg présente dans ses annales de remarquables
VIII INTRODUCTION.
péripéties , qui lui sont communes avec l'abbaye de Wissem-
bourg, premier point de départ de la ville elle-même. L'acti-
vité dévorante de l'électeur palatin du Rhin Frédéric-le-Victo-
rieux, en guerre avec l'empire, imprime à l'histoire d'Alsace,
qui en est en partie le théâtre, une physionomie originale. Des
papiers nombreux, car les parchemins ne sont plus seuls à
remplir nos cartons , constatent les querelles de Philippe-
ringénu avec l'empereur^ avec l'abbé de Wissenibourg, et ses
discussions avec la cour de Rome. ... J'enlève quelques feuillets
seulement à nos grandes collections épisCopales ou abbatiales ,
pour continuer et mener à bout ce parallèle entre la marche
des événements et la quote-part qu'y viennent apporter nos
archives locales.
Dès le commencement du seizième siècle presque tous nos
fonds contiennent les symptômes avant-coureurs du grand
mouvement social etrehgieux. Déjà, dans la seconde moitié
du siècle précédent, la lutte intérieure entre le clergé parois-
sial et les ordres monastiques , pour la question de Yultimum
voie ou du droil de sépulture, a vivement préoccupé les esprits
à Strasbourg et laissé des traces fréquentes dans les fonds
ecclésiastiques. Le nom du prédicateur prophéticjue, Geiler
de Kaysersberg et celui de Sébastien Brant, son ami, moins
connu comme secrétaire de la ville de Strasbourg, que par
ses vers satiriques, paraissent dans quelques-uns de nos do-
cuments ; ils s'y montrent comme ces messagers précurseurs
qui annoncent, hélas! en vain, la tempête et la desiruction.
Lorsque l'orage éclate, lorsque les discussions violentes entre
les magistrats municipaux et le clergé agitent le pays, lorsque
la guerre des paysans promène sa torche dans nos fertiles
campagnes , nous trouvons dans nos liasses et nos parche-
mins le contre-coup de ces luttes, le reflet de ces incendies.
Partout, dans les archives épiscopales, chapitrâtes, abba-
tiales, dans celles de la landvogtey, dans celles des princi-
pautés laïques , nous découvrons les indices de la guerre
entre l'autorité ecclésiastique et les représentants de la bour-
INTRODUCTION. IX
geoisie alsacienne qui se déclare pour la rénovation des doc-
trines. Au milieu de ces conflits d'intérêts, de passions, de
croyances, l'Autriche montre dans la cité de Ilaguenau et
dans le Ilaul-Rhin son inébranlable et systématique volonté
de maintenir l'ancien état des choses, et si elle cède un mo-
ment devant le flot qui grossit, c'est pour reconquérir plus
de terrain qu'elle n'en a perdu.
Avec l'époque de transaction , de discussions et de halte
pendant la seconde moitié du dix-septième siècle, lorsque la
lutte de paroles remplace pour un temps la lutte en champ
clos, nous voyons apparaître une figure d'évêque, qui semble
à elle seule occuper le premier plan sur le théâtre des événe-
ments en Alsace; nos archives sont j^emplies des preuves de
l'activité intelligente que déploie Jean de Manderscheid pour
sauver son église, son diocèse, sa foi. Fils d'une mère pro-
testante , il résume dans sa noble personnalité les tentatives
de conciliation et la reprise de la lutte. Pendant qu'à Stras-
bourg le grand- chapitre et le grand -chœur cèdent forcé-
ment le haut du pavé à la réforme triomphante, Jean de Man-
derscheid, retranché dans le château épiscopal de Saverne,
appelle les Pères Jésuites à Molsheim, et organise la résis-
tance, en attendant que ses successeurs puissent reprendre
l'offensive. Pendant une éclaircie, sous cet horizon chargé de
nuages, nous voyons l'évêque, remplissant une mission de
pure courtoisie politique, escorter à travers notre pays la
fiancée de Charles IX, Elisabeth d'Autriche (1570), et rem-
plir, cinq ans plus tard auprès de la jeune veuve, le même
rôle de guide et d'ambassadeur.
Pendant ce même siècle, si violemment remué, et comme
pour faire contraste avec l'agitation générale, la petite ville
de Bouxwiller arrive sous les comtes de Hanau , successeurs
des Lichtenberg, à un rare degré de développement intellec-
tuel et matériel; des élablissements d'instruction publique et
de charité s'y consolident sous la tutelle de ces princes origi-
naires de la Wetteravie, qui enrichissent le domaine de leui'
>: INTRODUCTION.
prédécesseur. Un vaste fonds dans notre dépôt est le témoin
vivant et éloquent de l'administration bienfaisante de cette
petite régence qui traversera , sans être écrasée , les terribles
épreuves de la guerre de Trente ans.
J'ai nommé la période capitale de l'histoire d'Alsace au
dix-septième siècle. Tous nos fonds surabondent en rensei-
gnements sur cette désastreuse et tragique période. Déjà la
lutte entre le prince lorrain cardinal -évèquc de Strasbourg,
et l'administrateur protestant Jean-George, margrave de Bran-
debourg, avait rempli les années qui forment la clôture du
seizième, et l'ouverture du dix-septième siècle; nos archives
sont demeurées les fidèles dépositaires de celte longue et
infructueuse querelle. ,
Quant aux documents contemporains de la guerre de Trente
ans , ils sont aussi nombreux que désespérants par les faits
qu'ils confirment ou qu'ils révèlent. L'archiviste , toutes les
fois qu'il a touché à ces papiers, témoins et vengeurs muets
de ces monstrueuses cruautés , a senti ses doigts se crisper
et ses yeux s'obscurcir. Les lettres qui vont suivre indiquent
par moment ses impressions ; mais il a dû, en grande partie,
les étouffer ou les voiler.
Avec la paix de Westphalie un nouvel ordre de choses com-
mence. On en trouve bien l'empreinte ou le contre-coup dans
nos fonds civils et ecclésiastiques; cependant, avant la cons-
titution régulière de l'intendance à Strasbourg même, c'est-
à-dire avant la fin du dix-septième siècle, il n'est guère pos-
sible d'étudier à fond cette mémorable époque dans nos
archives seules; les années qui précèdent la réunion de
Strasbourg, cet acte même, et ses suites immédiates n'y ont
pas laissé la moindre trace. J'ai dû puiser mon instruction,
sous ce rapport, dans des papiers de famille et dans les docu-
ments publiés par des explorateurs habiles, qui ont été cher-
cher dans les archives de Paris ou de l'étranger le complément
de notre histoire locale. La destinée tragique de l'ammeister
Domenicus Dietrich m'a fortement impressionné; et j'ai été
INTRODUCTION. XI
un moment infidèle à mes devoirs de chaque jour, en consi-
gnant dans une biographie spéciale le sort de cet intelligent
et infortuné concitoyen.
Notre dix-huitième siècle est tout entier dans les papiers
de l'Intendance. L'une des lettres de ce recueil caractérise
l'institution dans ses rapports bienfaisants avec notre pays ;
je n'ai pas à y revenir. Dans nos diverses collections, la niasse
des papiers , avant-coureurs de la bureaucratie polygraphe du
dix-neuvième siècle, remplace les parchemins des précé-
dentes périodes. L'adminish^ation, dans la plupart des petites
régences d'Alsace, ressemble déjà, à ne pas s'y méprendre,
à celle de notre temps. Hanau-Lichtenbei'g, par exemple,
avait une comptabilité établie presque sur le môme pied que
la comptabilité moderne. Il en é(ait ainsi chez les Deux-Ponts ,
les Linange etc. En général, la révolution, dans plusieurs de
nos administrations locales d'Alsace , a moins bouleversé les
choses , qu'elle n'a déplacé ou chassé les hommes. Les titres
de famille nobihaires transportés de 1792 à 1793 dans les
archives du tribunal, et maintenant réunis à notre dépôt, en
fournissent la preuve irrécusable. La plupart de ces familles
qui, au dix-huitième siècle encore, ont occupé dans nos
affaires provinciales une place distinguée, ou n'existent plus,
ou se sont retirées sur la rive droite du Rhin, d'où elles
viennent consulter chez nous les débris de leurs archives do-
mestiques. Quelques noms seuls survivent en Alsace à ce
grand cataclysme des existences individuelles.
A partir de 1790, les archives de tous les départements se
ressemblent plus ou moins. La physionomie originale des
nôtres s'efface avec les vestiges de l'ancien ordre féodal , tel que
l'empire germanique nous l'avait légué , et tel que Louis XIV
l'avait laissé subsister. Dans mes conférences épistolaires, je
me suis arrêté à celte ligne de démarcation , qui forme aussi
le point d'arrêt pour les inventaires rédigés sur la demande
et d'après les instructions des circulaires ministérielles.
Dans le cours de celle publication, j'ai été cnlraîné à trois
XII INTRODUCTION.
reprises sur un tenain qui n'était pas à la rigueur celui des
archives même. Je crois avoir obtenu un bill d'indemnité de
la plupart de mes lecteurs, puisqu'il s'agissait, une première
fois de l'existence de sainte Odile, une autre fois des œuvres
de Herrade de Landsperg, et enfin du passé historique de
l'église de Saint-Thomas.
Je demande la permission de dire quelques mots sur le
premier incident.
A ce propos, l'un de mes savants amis, qui ne partage
point mon opinion sur la légende et la tradition en général,
m'a envoyé, à titre de muette et éloquente protestation, un
charmant petit volume, publié en 1840 par M. Hœusser sur
la Légende de Tell. — Je suis l'un des lecteurs les plus recon-
naissants de VHistoire du Palatinai, c'est-à-dire de l'œuvre
capitale de M. Ilajusser, qui réunit dans ce solide travail les
qualités de l'érudil à celles de l'écrivain. Dans la Légende de
Tell, on trouve le même talent appliqué à des recherches de
bonne foi.
M. Hœusser, discute avec beaucoup de sagacité, la valeur
intrinsèque etrc^a^m'des chroniqueurs suisses du quatorzième,
du quinzième et du seizième siècle; il accorde aux plus an-
ciens, c'est-à-dire à lustinger de Berne, et à Jean de Win -
Lerthur {Vitoduranus) , qui ne font aucune mention, ni de Tell
ni de Gessler, une confiance presque sans limite; il la refuse
d'une manière à peu près absolue aux chroniqueurs posté-
rieurs (Russ, Stumpf, Etterlin, Tschudi), qui racontent, avec
quelques variantes , sur la foi de la tradition ou de chants po-
pulaires, les faits delà révolution des montagnards suisses,
tels qu'on les avait admis, presque sans contestation, jusque
dans les derniers temps. A ses yeux, Tschudi , sur lequel Jean
de Mûller a basé en parfie son récit, -aurait sciemment altéré
l'histoire réelle, en haine de l'Autriche, dont il était l'adver-
saire passionné.
En un mot, M. Haeusser démolit aussi une bonne partie de
l'histoire primitive des petits cantons; mais il laisse debout
INTRODUCTION. XII I"
un point, qui pour moi est essentiel et vital, savoir l'existence
de Tell. En effet, dans une enquête publique à laquelle on
procéda dans le canton d'Uri, l'an 1388, e'est-à-dire quatre-
vingts ans après la confédération du Grûtli*, et trente ou qua-
rante ans après la mort de Tell, 414, je dis cent quatorze,
témoins attestèrent avoir connu le héros de Burglen. Pour
amoindrir Fimportance de ce document officiel, M. Hcsusser
fait remarquer que l'enquête n'a point porté sur les actes
mêmes attribués à Tell ou accomplis par lui; il affirme, un
peu à priori, que ces faits ont dû être d'une minime valeur et
n'avoir exercé aucune influence sur la marche générale des
affaires dans la Suisse primitive.
Je pense, de mon côté, avec toute la déférence due à l'émi-
nent historien du Palatinat, que d'habitude, en fait de re-
nommée, on ne prête qu'aux riches; qu'il faut bien que Tell
ait eu une valeur quelconque pour qu'il soit devenu l'objet
d'une enquête solennelle dans son pays natal, et pour que des
chants nationaux aient cru devoir le célébrer.
Au surplus, Schiller, avec la divination du génie, avait déjà
entrevu que les actes de Tell ne s'étaient point confondus avec
ceux des conjurés du Grûtli, et il a motivé cette étrange ligne
de conduite de son héros par des raisons psychologiques pai'-
faitement admissibles. Oui, Tell est resté à l'écart; il a suivi
sa voie spéciale, et les chroniqueurs contemporains ne le trou-
vant pas mêlé aux conjurés du Griïtli, peut-être pas même
dans les rangs des combattants deMorgarten, n'ont point parlé
de lui, parce que, excusez mon expression vulgaire, ils ne
l'avaient pas sous la main. Mais induire de là, avec M. Hseus-
ser, que Tell a été un homme tout à fait ordinaire, qu'il n'a
exercé aucune influence, ni directe ni indirecte, sur la déh-
vrance des cantons forestiers, et que les faits accomphs par
lui, même s'ils étaient vrais, seraient plutôt à son désavan-
' C'est Jean de .Mûller qui admet la date de 1307 pour la léiiuion du Grûtli :
car à ce sujet aussi il y a des v.nriantes assez considérables.
XIV INTRODUCTION.
lage qu'à sa gloire, c'est faire de spirituels paradoxes, el ne
pas rester à la hauteur des autres pages d'un traité dont nous
nous plaisons à reconnaître la facture ingénieuse , appuyée d'un
grand savoir.
La tradition qui fait périr Tell au moment où il cherche à
sauver les victimes d'une inondation torrentielle du SchîEchen ,
est , à mes yeux la confirmation du caractère , prêté au citoyen
de Burglen par la poésie et par l'histoire; c'est le couronne-
ment solennel d'une vie de dévouement, qui n'a point cherché
le bruit et qui s'est trouvée , malgré elle, un moment rattachée
aux événements publics'.
Quant à l'existence de sainte Odile, je continue à me tenir
'Quant à la résidence du landvogl aulrichien Gessler, à Kûssnacht., elle ne
peut guère être admise d'après les documents édités par Kopp, qui cite, à
la date du 15 mai 1302 et 3 octobre ^314, un chevalier Ebbe de Kussnaclil
comme vogt de cette localité. 11 y a eu des Geissler à Seedorf. Il est probable
que la tradition populaire, suivant en cela un procédé instinctif, involontaire ,
aura réuni, dans la personne de Gessler, sur une seule tête les actes de vio-
lence commis par plusieurs de ces représentants autrichiens.
C'est à une chance heureuse, a une éventualité imprévue qu'il faut désor-
mais abandonner la constatation de l'existence réelle ou du mythe de Gessler.
Le savant éditeur de la chronique de Klingenberg, le docteur Henné de
Sargans, vient de se reconstituer l'avocat de l'histoire complète de Tell el de
Gessler (voy. p. 44-4S noies de la Chronique publiée à Gotha, 1 vol. in-S", 1861).
Le sacriiice volontaire de Winkelried , récemment contesté, vient de se ré-
péter celte année môme dans la Nouvelle-Zélande où l'on a vu en janvier 1861
les plus braves des Maoris ou indigènes, révoltés contre la domination anglaise,
se précipiter sur les baïonnettes européennes et frayer une rue, un passage à
leurs camarades en ramassant sur leurs poitrines ces armes meurtrières. H est
bien entendu que la victoire finale est restée aux Anglais , appuyés par les
canons; mais la valeur intrépide des Zélandais, combattant avec le courage
du désespoir, pour leur nationalité, a inspiré l'étonnement et le respecta
leurs vainqueurs.
L'illustre voyageur Barth raconte, en empruntant ses données a une chro-
nique arabe, un acte analogue à celui de Winckelried, accompli lors de la
prise d'une ville nègre. Il n'est guère probable que l'historien arabe , du sei-
zième siècle je crois , ait eu connaissance de « la légende helvétique », et qu'il
ait cherché a la transporter au cœur de l'Afrique.
INTRODUCTION. XY
pour satisfait, grâce à la i)iillo de saint Léon IX; elle est pos-
térieure de trois siècles à l'époque où la sainte a vécu ; mais
je me refuse à croire à l'altération de la vérité par le pape
alsacien ; je pense que des annales ou des traditions domes-
tiques lui garantissaient les faits qu'il affirmait en face de
l'Europe, et que sa conscience était, autant que sa raison
lucide, en parfaite sécurité au moment où il canonisait la
fondatrice de Hohenbourg-.
L'authenticité de Herrade de Landsperg-, qui gouvernait,
quatre siècles et demi après sainte Odile, la communauté
chrétienne au haut de la montagne druidique , n'a point été
attaquée. La ville de Strasbourg possède un document (|ui
imposerait silence aux plus incrédules. Le magnifique volume,
illustré soit par l'abbesse elle-même, soit par ses élèves sous
sa direction, porte le cachet irrécusable de l'art byzantin, et
l'érudition, ainsi que la poésie latine du Jardin des délices ,
sont bien imprégnées du souffle du douzième siècle. Point de
doute pour nous, Herrade a vécu ; elle a pensé, elle a écrit,
elle a agi , quoique plus d'un point de son existence demeure
pour nous enveloppé de mystère. Mais les temps pourront
venir où cette carrière si bien remplie sera aussi rayée du
livre de vie : que le beau manuscrit de Herrade vienne à périr
dans un cataclysme qu'au surplus je ne veux point prévoir,
mais que la monographie de Maurice Engelhardt survive, le
moment propice arriverait, après mille ou deux mille ans,
pour les aristarques futurs; on démontrerait avec beaucoup
de vraisemblance, que l'abbesse de Hohenbourg, dont le nom
ne figure point dans les annales générales de l'Europe, pas
même dans celles de France ou d'Allemagne, n'a jamais existé,
et que l'opuscule de notre compatriote est un pastiche habile,
composé, pour conquérir à l'aide de celte supercherie, une
gloire facile. Et pour faire valoir une hypothèse de ce genre,
le critique de fan oOOO de Jésus-Christ n'aura (ju'à rappeler
une partie des supercheries littéraires du dix-huitième et du
dix- neuvième siècle, l'amplification des poésies d'un barde
XVI INTRODUCTION.
Erse par l'audacieux Macpherson, les vers du moine Rowley
composés par Chatterton, les poésies ravissantes de Clothilde
de Surville, composées par Wanderbourg-. Maurice Engelhardt
et Herrade de Landsperg seront identifiés ; la prétendue ab-
besse du douzième siècle, la protégée de Frédéric Barberousse
deviendra la sœur ou la fille ou la créature de Maurice de
Strasbourg.
Je ne dis pas que les choses se passeront précisément de la
sorte, j'aime à croire que le joyau de la bibliothèque de Slras-
])0urg, récemment échappé à un grand péril, survivra long-
temps et toujours aux catastrophes matérielles ou politiques ,
et cependant l'éventualité que je laisse entrevoir n'est pas
impossible; du domaine des chimères elle peut, en un mo-
ment donné, passer dans le domaine des faits; convenable-
ment développée, elle ne figurerait pas mal dans un chapitre
de «Roman d'avenir,» et servirait à démontrer que le scep-
ticisme doit souvent tomber à faux lorsqu'il appuie ses preuves
ou ses doutes sur l'absence de documents contemporains.
-oci'îf)«ïv>o^
LETTRES
SUR LKS
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES
DU BAS-RHIiN.
PREMIERE LETTRE.
TLe bâtiment «les archives, — Son origine. — Sa situation. —
Distribution de l'intérieur.
Octobre 1860.
Monsieur le rédacteur du Courrier du Bas-Rhin,
A plusieurs reprises déjà vous m'avez dit, avec beaucoup
de bienveillance, que les archives du Bas-Rhin mériteraient
d'être mieux connues ; que le public alsacien en ignorait
l'existence, ou du moins le contenu; qu'il ne serait point
inutile d'introduire vos lecteurs dans les salles et sous des
combles du vaste et sombre édifice encombre de parchemins,
de cartons et de liasses, depuis le rez-de-chaussée jusque
sous les dernières luiles de la toiture. A vos instances, j'avais
commencé par opposer, non pas une fin de non-recevoir,
mais beaucoup de doutes; je devais hésiter à aborder un
sujet, aride en apparence, et que j'ai traité depuis bientôt
vingt années dans les rapports périodiquement présentés au
Conseil général ou dans des monographies spéciales.
Vos rapports, avez-vous répliqué, sont imprimés, il est
vrai, mais ils sont mêlés aux délibérations du Conseil; des
hommes spéciaux seuls les cherchent ou les connaissent; ce
sont des résumés succincts et sévères de vos travaux; leur
forme n'est point de nature à attirer les regards de l'homme
2 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN.
du monde, qui veut bien s'instruire, mais sans se fatiguer;
prenez, dans vos brochures, dans vos comptes rendus et
dans vos souvenirs d'archiviste, les points culminants; por-
tez-y un peu de lumière et de fraîcheur (hclas! de la lumière
et de la fraîcheur sur les parchemins et les papiers jaunis !)
et soyez convaincu que quelques esprits impartiaux, quelques
amateurs d'histoire locale vous sauront gré de cette tentative.
Chose capitale, enfin! les contribuables comprendront que
les sommes allouées pour vos archives ne le sont pas en pure
perte, que la science historique, le service administratif et
les administrés eux-mêmes en tirent quelque parti.
Je vais essayer. Monsieur, de vous donner raison ; je vais
secouer la poussière, nullement métaphorique, mais très-
réelle, qui couvre nos liasses; je tacherai de renoncer au
langage de l'école , et de vous conduire sans façon le long des
travées de ce vaste dépôt d'écritures, qu'on appelle les ar-
chives du département; de temps à autre je m'arrêterai, soit
pour résumer le contenu de telle ou telle série de titres, soit
pour vous signaler des documents hors ligne, les sommets
aristocratiques de ces montagnes de papier. Peut-être arri-
verai-je à vous faire toucher du doigt les liens par lesquels
no4i'e dépôt se rattache à l'histoire générale d'Allemagne ou
de France ; peut-cire qu'à l'appel de ma faible voix répondra
l'écho des temps passés, qui sommeille, mystérieux et voilé,
dans ces vastes galeries de rayons courbés sous leur charge
séculaire. Vous ne devez point craindre mon importunité; au
premier symptôme de fatigue que vous devinerez chez vos
lecteurs, et ce moment arrivera bien vite, il vous suffira d'un
signe pour interrompre nos pérégrinations, et laisser dormir
dans leurs sépulcres poudreux, empereurs et rois, pontifes,
évêques et abbés, princes, chevaliers et nobles, bourgeois
et manants.
Mais avant de faire connaissance avec les matériaux qui
constituent les archives de notre département, souffrez que
je fasse la description du bâtiment même qui leur sert d'asile.
PREMIÈRE LETTRE. 3
quoique cet édifine n'ait rien de recommandable au point de
vue de la belle archilecture. Je tiens à cette introduction :
ces vieux murs, percés de petites fenêtres ogivales, s'ils ne
sont pas élégants, ont une autre valeur et une signification
historique ; leur étendue seule donne au surplus une idée de
la richesse numérique du dépôt qui s'y trouve à l'étroit,
menace de déborder et nécessitera, dans un temps rappro-
ché, des dispositions nouvelles pour suffire à sa destination.
Le vaste bâtiment quadrangulaire qui s'élève latéralement
au théâtre, du côté du midi, servait, dès le quinzième siècle,
de grenier d'abondance; sa construction date probablement
de cette époque*; il couvre, avec les bâtiments de la pré-
fecture, l'emplacement de l'ancien cimetière des juifs. C'est
dans cette localité que s'accomplit un des forfaits les plus
odieux de l'histoire de Strasbourg. Le 14 février 1349, deux
mille Israélites, accusés par un fanatisme ignorant et fa-
rouche , d'avoir empoisonné les fontaines publiques , et occa-
sionné la peste, furent traînés dans cette enceinte, où l'on
avait dressé un immense bûcher. Mais pourquoi m'étendrais-je
sur les détails d'un crime, dont le souvenir cruel est dans
toutes les mémoires, et qui a été tardivement réparé et expié,
s'il existe une réparation pour un méfait de cette nature, par
l'admission des descendants de ces malheureux au sein de la
grande famille nationale?
On dirait que dans l'histoire des localités, comme dans la
destinée des peuples et des individus, les contrastes les plus
frappants se trouvent côte à côte, disposés par la main d'un
grand artiste et d'un grand instructeur. Sur cet ossuaire •
israélite, ébranlé, il y a cinq siècles, par les cris désespérés
des martyrs de la loi mosaïque, s'élève maintenant l'asile
^ L'édifice des arc'.iives est long de 3G™,50 sur H'", 90 de profondeur, et
i0'",3o de hauteur, à partir du sol jusqu'à la corniclie. Les greniers d'abon-
dance avaient plus du double de cette longueur; on les a coupés on deux
pour ménager une issue à la préfecture. La partie située à l'ouest des ar-
chives sert de magasin pour les décorations du théâtre.
4 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
inviolable, où chrétiens et juifs retrouvent les titres de leurs
droits civils et de leurs propriétés. Les recherches paisibles
de la science et du travail administratif se poursuivent dans
ces mômes lieux, où la férocité populaire avait violé les
notions élémentaires de la sainte justice, et détruit, avec
les cadavres des créanciers, les titres constitutifs de leurs
créances.
Un contraste d'une toute autre nature signale encore la po-
sition que les archives occupent à l'extrémité de Strasbourg.
Je veux parler du voisinage du théâtre. Celte juxtaposition
des deux établissements n'est ni heureuse ni désirable ; mais
elle existe, et dans une forteresse, encombrée d'habitants et
de soldats, la latitude du choix n'est pas grande. Contre les
éventualités d'un sinistre on a muni de plaques de tôle toutes
les ouvertures du côté septentrional des archives ; une assez
large esplanade, plantée de marronniers, sépare d'ailleurs du
théâtre le réceptacle des écritures; elle va se relier aux jar-
dins de la préfecture, qui bordent le dépôt du côté du midi ,
et forme avec eux , pendant la belle saison , un massif de ver-
dure cl de fleurs autour du sombre asile accordé aux vieux
papiers el aux employés chargés de leur classement. A travers
les lucarnes de leur prison volontaire, ces travailleurs peuvent
laisser errer ou reposer leurs yeux sur les branches touffues
des arbres ou prêter une oreille distraite aux chants d'essai
des choristes; c'est, je crois, pour eux la seule manière de
jouir du théâtre. Ainsi, d'une part, le monde et ses pompes,
l'attrait du plaisir, le séjour féerique, l'enivrement des sens
et de l'imagination, les jouissances de l'esprit vives et instan-
tanées, et, à cinquante pas de distance, les catacombes du
passé , les gloires ensevelies , le demi-jour même au cœur de
l'été, le travail et ses jouissances austères , le silence et l'oubli.
Jamais cette opposition entre les deux édifices n'est plus
prononcée que dans ces moments où la salle de spectacle res-
plendit de lumières par toutes ses hautes croisées, lorsque
les vibrations de l'orchestre et des chants d'ensemble percent
PREMIÈRE LETTRE. 5
les murs et se prolongent au dehors dans le silence d'une
nuit d'hiver. Qu'il vous arrive, dans une nuit pareille, de
mettre le pied dans l'une des salles du vieux grenier d'abon-
dance, et d'y suivre, sur les travées, les reflets amoindris
et ternes du jour magique dont une foule heureuse de spec-
tateurs est inondée de l'autre côté de l'esplanade, et quelque
fortement trempé que vous soyez, vous n'échapperez point à
une impression sinistre mais instructive : c'est la mort côte à
côte de la vie , le cimetière près de la fête païenne.
Mais ce cimetière, je l'ai déjà dit, recèle des inscriptions
nombreuses ; sous cette mort apparente circule une vie réelle.
Je n'oublie point que je dois vous entretenir de celle-ci ; le
contenu des archives vaut mieux que leur enveloppe.
Lorsqu'en 1790 un décret de l'Assemblée constituante pres-
crivit de réunir au chef-heu des nouvelles administrations les
documents et les titres de tous les établissements civils et re-
ligieux que la Révolution venait de fermer, on concentra à
Strasbourg, dans les bâtiments de l'ancienne Intendance d'Al-
sace, les papiers et les parchemins de l'évéché de Strasbourg,
des chapitres ecclésiastiques , des abbayes , des couvents
d'hommes et de femmes; on mit la main sur les archives des
petites principautés allemandes , qui avaient subsisté en Al-
sace de 1648 à 1789 sous la suzeraineté du roi de France.
Aux approches de l'orage révolutionnaire, évêques, abbés et
princes avaient , sans aucun doute , transporté au delà du
Rhin des caisses nombreuses chargées de leur correspondance
intime, ou même de titres historiques et de propriété; mais
il en restait toujours un nombre suffisant pour constituer plus
tard, au centre des nouvelles circonscriptions territoriales, des
dépôts très-considérables. C'était, sans contredit, une grande
iniquité, une spoliation. Dans les catastrophes politiques, où
l'existence des individus et des familles est compromise ou
ravagée, on respecte bien moins encore la lettre morte; c'était
déjà beaucoup , à cette époque néfaste , que de sauver des
papiers pour des temps meilleurs;* pendant la guerre des
6 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
paysans et celle de trente ans, on brûlait les titres; c'était
plus simple et plus expéditif. Bref, dans les premiers mois de
1791, on vit, réunies à l'hôtel de l'Intendance, toutes les ar-
chives partielles, disséminées jusque-là dans une trentaine de
localités diverses. Les chapitres et les abbayes livrèrent leurs
bulles, leurs lettres épiscopales et impériales; les anciennes
régences de Bouxwiller (Hanau-Lichtenberg), de Bischwiller
(Deux-Ponts) , d'Oberbronn (Linange) etc. etc. furent dé-
pouillées de leurs titres de propriété et de leurs papiers de
procédure ; les familles nobles et bourgeoises qui avaient
émigré, perdaient le résidu de leurs titres particuliers.
La translation de ces archives ne se fit pas toujours pacifi-
quement. A Strasbourg môme, en février 1791, une émeute
assez grave signala le transfcrement des parchemins du cha-
pitre de Saint-Picrrc-le-Jeune; il fallut l'intervention de la
force publique pour dissiper une foule irritée, qui s'attachait
au côté fâcheux de l'acte sans en apprécier les circonstances
atténuantes.
A ces documents apportés du dehors se joignirent les pa-
piers des bureaux de l'Intendance, et bientôt ceux de l'admi-
nistration intermédiaire, puis de l'administration départemen-
tale, et, à partir de 1800, les papiers de la préfecture.
Ce fut, dès lors, un amoncellement de liasses qui a suivi
une progression presque géométrique et produit l'effet d'une
avalanche menaçante, malgré la vente et la destruction pério-
dique des pièces devenues inutiles. En 1791 , la fusion des
archives partielles de l'Alsace portait sur une masse encore
appréciable ; mais avec l'établissement de la bureaucratie du
dix-neuvième siècle, cet accroissement progressif des archives
eut quelque chose d'effrayant, et peut-être, en vue d'y remé-
dier, n'a-l-on pas toujours gardé, à de certaines époques,
toute la mesure voulue dans la suppression des pièces.
Depuis une vingtaine d'années , une réglementation systé-
matique s'est emparée du service des archives ; on a donné
des soins minutieux surtout à la conservation et à l'analyse
PREMIÈRE LETTRE. 7
des titres antérieurs à la Révolution ; les cas où les papiers
modernes peuvent être supprimés, ont été prévus, et, si l'on
pèche aujourd'hui par un côté, c'est par un excès de précau-
tion , et par la conservation méticuleuse de liasses de procé-
dure ou de papiers de comptabilité, qui, malgré leur âge,
n'ont pas toujours une raison de subsister. A partir du seizième
et du dix-septième siècle , on chiffrait et l'on écrivait déjà
beaucoup; l'intempérance du plumitif n'est pas une maladie
de date toute récente.
De ce préambule, vous pouvez vous-même, Monsieur, déduire
les grandes lignes de démarcation et le caractère des pièces de
notre dépôt départemental. L'année 1790 forme une limite
rigoureuse et infranchissable; antérieurement à celte époque
nous nous trouvons en face de deux grandes subdivisions :
Archives civiles ;
Archives ecclésiastiques.
Les archives de 1790 à 1800 forment une série spéciale et
intermédiaire.
L'administration préfectorale, qui commença en 1800,
fournit les matériaux des archives modernes et contempo-
raines, jetées dans un cadre uniforme pour tous les départe-
ments de la France.
Quant aux archives anciennes , un formulaire identique a
de même été prescrit pour toutes les parties du pays. Ici, un
peu plus de latitude eût été désirable; les institutions des an-
ciennes provinces de France sont loin d'être toutes jetées
dans le même moule ; leur passé historique diffère souvent
du tout au tout. L'Alsace, pendant huit à neuf siècles, a suivi
un développement différent de celui des provinces françaises
au delà des Vosges. Mais peu importe ; un cadre unique a de
si grands avantages pour l'ensemble d'un grand service, et
même pour l'appréciation comparée de tous les dépôts, qu'il
ne faut point, pour un peu de gêne dans le classement, se
gendarmer contre une impulsion vitale partie du centre de
l'Empire.
8 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
L'archiviste du Bas-Rhin a éprouvé constamment une autre
espèce de gêne: l'espace lui fait défaut; chaque série de titres
modernes tendant à grossir indéfiniment, il a été souvent
ohligé de recourir à des expédients pour tenir réunies les
pièces du même groupe. Depuis son entrée en fonctions, il a
dû recourir, cinq ou six fois , à un remaniement général. 11 y
a cinq ans , le préfet lui a fait livrer et approprier, en dehors
du grand bàliment des archives, une ancienne salle d'adjudi-
cation; elle a été, en peu de mois, envahie, remplie de fond
en comble, et je suis souvent à me demander, comment feront
mes successeurs , à moins qu'ils ne disposent de construc-
tions nouvelles.
Quoi qu'il en soit, et sans trop me préoccuper de l'avenir,
voici, en peu de mots, quelle est en ce moment la disposition
de l'intérieur des bâtiments, dont je ne vous ai montré jus-
qu'ici que le sol,, les murs, el l'ensemble des parchemins et
des papiers entassés dans leur enceinte.
Une première salle basse, à la droite de l'escalier d'entrée,
contient les archives civiles antérieures à 1790; c'est par là
que nous commencerons bientôt notre tournée.
Au premier étage, l'escalier donne accès à un bureau long et
obscur, flanqué à droite d'une vaste salle, qui est tout entière
réservée aux anciennes archives ecclésiastiques; une salle pa-
reille à gauche contient une bonne partie des archives modernes.
Puis un entresol bas et obscur a été livré jusqu'ici aux im-
primés.
Le premier étage du grenier est attribué surtout à la comp-
tabilité (pièces justificatives des comptes communaux). 11 faut
quelques minutes pour arpenter dans toute sa longueur cette
galerie de rayons et revenir sur ses pas. Le second grenier a
la même longueur; mais ses rayons nouvellement établis ne
sont pas encore remplis ; les papiers de rebut en garnissent
une partie ; dans les gros temps d'hiver, la neige , pénétrant
à travers les tuiles et les lucarnes, sème ses flocons sur ces
enfants perdus, destinés à la destruction.
PREMIÈRE LETTRE. 9
La salle en dehors des archives est occupée par les afiaires
de contribulions, de recelte générale el de police; la partie
centrale réunit les cartons de l'administration de 1790 à 1800.
Vous voilà, Monsieur, au courant de l'ensemble du dépôt.
En le parcourant d'un pas rapide, en entier, il y a pour un
kilomètre de chemin à taire ; il n'est pas question , bien en-
tendu, de circuler autour des rayons; ceci aboutirait à un
autre calcul ; cet exercice hygiénique demeure réservé aux
habitués de l'endroit.
-«<Ca5X(î>3o-
10 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU DAS-RHL\.
DEUXIEME LETTRE.
Ijeii anciens archivistes. — Crandldicr. — Drendel. — liCS arehives
sous TEnipire et in Restauration.
Monsieur,
Vous ne vous attendez sans doute pas à ce que je vous en-
tretienne des archives modernes et contemporaines; il de-
meure bien entendu, n'est-il point vrai, que les comparti-
ments historiques auront à peu près seuls le privilcg-e de fixer
un moment votre attention?... Tout en circonscrivant ainsi le
terrain à explorer, une nouvelle question préliminaire se pré-
sente. Dans quel état les fonds de l'évéché, des corporations
religieuses, des régences civiles ont-ils été livrés, en 1790, à
l'administration intermédiaire? S'était-on occupé, antérieure-
ment à cette époque, du classement et de l'analyse des litres?
l'a-t-on fait postérieurement? ou bien l'archiviste actuel a-t-il
abordé sa tâche sans fil conducteur? a-t-il eu des prédéces-
seurs qui lui ont aplani la voie?
Au moment de la réception des pièces (de 1790 à i792),
on dressait un procès-verbal de délivrante; quelquefois des
cahiers, contenant l'indication succincte des séries de titres à
livrer, étaient joints à la constatation ofiicielle de la prise de
possession par l'Etat. Quelques fonds étaient munis d'anciens
répertoires , défectueux en ce qu'ils ne portaient que sur une
partie des titres livrés, ou que des documents étaient égarés;
au total, il n'existait d'inventaire complet et régulier pour
aucun fonds, sauf celui de l'évéché.
Pour cette partie du dépôt, vingt-six volumes in-folio, ma-
nuscrits, d'une fort bonne écriture, contiennent l'analyse dé-
taillée de la majeure partie des litres. Cet inventaire, attribué
à l'abbé Grandidier, correspond à peu près à la sixième ou
septième partie des archives ecclésiastiques.
Je viens de nommer un savant, célèbre dans les fastes scien-
DEUXIÈME LETTRE. H
lifiques de noire province. Sa vie laborieuse m'a fourni la ma-
tière d'une notice biographique' à laquelle je prends la liberté
de renvoyer ceux de vos lecteurs qui seraient curieux de faire
connaissance avec un caractère aimable, avec une intelligence
d'élite, et un homme malheureux au sein de la gloire litté-
raire. Je ne rappellerai ici que quelques points saillants de
cette belle vie, moissonnée dans sa fleur; le sujet que je traite
me le permet; ma gratitude envers cet illustre devancier m'en
fait une loi.
Au temps où Grandidier vécut (1752 à 4787), la science de
la paléographie (c'est-à-dire de l'art de déchiffrer et de dé-
crire les anciens documents) était moins cultivée que de nos
jours ; les historiens-littérateurs ou rhéteurs du dix-huitième
siècle liraient peu de parti des chartes, témoins ou miroirs
du passé. En Alsace, Schœpflin avait toutefois ouvert cette
voie pour l'historiographie locale; Grandidier marcha sur ses
traces. Issu d'une famille parlementaire de Metz_, de bonne
heure poussé vers le travail intellectuel , Grandidier était un
enfant précoce ; à l'âge de dix ans déjà il écrivit une histoire
abrégée de la République romaine. A peine âgé de dix-neuf
ans, il fut nommé archiviste de l'évêché de Strasbourg. Le
cardinal-évêque Louis-Constantin de Rohan avait deviné l'ap-
titude exceptionnelle du jeune lévite pour l'élude des diplômes ;
il était convaincu que l'on ne pouvait donner à Schœpflin de
meilleur successeur comme historiographe d'Alsace.
Grandidier justifia les prévisions de son noble protecteur.
Il classa le dépôt considérable confié à sa garde , et transcri-
vit, sur feuilles volantes, à ce qu'il paraît, l'analyse ou le ré-
sumé des litres. C'est la copie de ce premier jet que nous
possédons. Plus d'un document décrit par Grandidier a été
égaré ou enlevé pendant la crise révolutionnaire ; mais le tra-
vail de l'archiviste épiscopal y supplée, autant que des ex-
traits peuvent remplacer des litres originaux.
' Revue d'Alsace, année 1850, p. ^G.".
12 ARCHIVES DÉPARTEMEATALES DU RAS-RHIN.
Indépendamment de ce beau recueil , auquel Grandidier
paraît avoir attaché peu d'importance, quoiqu'il soit presque
au niveau de la science moderne, le jeune savant avait re-
cueilli les matériaux pour une histoire de l'église de Stras-
bourg et de la province d'Alsace; il publia, de l'une et de
l'autre, la partie la plus difficile, l'histoire des origines, et
dans cette obscurité des premiers siècles de l'ère chrétienne il
porta la lumière d'une critique à la fois saine, respectueuse
et modérée. Il avait de plus composé, pour la description de
l'histoire de la cathédrale de Strasbourg, un petit volume qui
conserve une incontestable valeur, quelques progrès qu'ait faits
depuis la science de l'archéologie, dont Grandidier pressen-
tait plus d'un demi-siècle à l'avance les services et les décou-
vertes futures. Les ouvrages de Grandidier se distinguent par
un style lucide, élégant, ferme; le jeune liistorien d'Alsace
conservait les bonnes traditions des écrivains du dix-septième
siècje; il semblait appelé à une vaste célébrité ; mais une ap-
plication excessive avait de bonne heure use les ressorts de
cette organisation délicate ; des chagrins de position vinrent
s'y joindre. Grandidier paraît avoir été desservi auprès du
successeur du cardinal Louis-Edouard de Rohan ; on le fai-
sait passer pour un novateur dangereux, pour un fds ingrat
de l'Église. Ces insinuations, — démenties par l'étude atten-
tive de ses ouvrages, où la sagacité de l'historien est tout en-
tière au service de la foi, — empoisonnèrent néanmoins l'exis-
tence du jeune prêtre et découragèrent l'écrivain. S'il avait
vécu à une époque de lutte pareille à la nôtre, il serait arrivé
peut-être à se cuirasser contre les traits de ses adversaires ;
mais élevé, abrité au fond du sanctuaire, enivré de trop bonne
heure sans doute par les émotions de la gloire, il se troubla
dès que le vent d'orage vint souffler sur son existence pai-
sible. Pendant une tournée qu'il fit sur les frontières de la
Franche-Comté, dans l'abbaye de Lucelle, où il allait recueil-
lir ou copier des documents , il fut pris d'une maladie inflam-
matoire et mourut au bout de quatre jours, calme et serein
DEUXIÈME LETTRE. iS
au milieu de vives souffrances, et consolant les moines cons-
ternés qui entouraient son lit de douleur.
Je me suis toujours incline devant la noble figure de Gran-
didier; s'il avait vécu , s'il avait échappé à la proscription ter-
roriste, il aurait sans doute fait pour les autres élablisse-
ments religieux d'Alsace ce qu'il avait accompli pour les ar-
chives de l'évêché; il aurait continué, mené à bout l'histoire
ecclésiastique, politique et littéraire de notre province; la
tache de ses successeurs eût été facihtée dans tous les sens.
Mais son œuvre incomplète, le beau torse qu'il nous a légué,
a peut-être mieux servi sa gloire que ne l'eût fait une œuvre
achevée. Conçue d'après un plan évidemment trop vaste
pour une histoire provinciale, son histoire de l'Éghsc de
Strasbourg, et celle de l'Alsace elle-même, auraient eu,
dans leur totalité, une physionomie bénédictine, capable
d'effrayer les hommes du monde; elle aurait attiré tout au
plus les intrépides et les studieux. Maintenant on lui tient
compte des espérances qu'il a fait naître, et son image oc-
cupe dans la galerie de nos célébrités indigènes un rang ana-
logue à celui d'André Chénier dans le Panthéon de la France
poétique.
En succombant à sa tâche , Grandidier accomplissait à peine
sa trente-cinquième année. De nombreux honneurs étaient
venus le chercher dans son asile scientifique : il était mem-
bre de vingt et une sociétés savantes, protonotaire du Saint-
Siège, grand-vicaire du diocèse de Boulogne, chanoine des
chapitres cTé Haguenau et de Neuwiller , chanoine du grand
chœur de notre cathédrale, dont il avait pieusement décrit
toutes les richesses. Qu'aurait-il pu demander de plus, à
moins d'arriver à l'épiscopat, et de multiplier, de provoquer
ces chances de lutte, qui avaient déjà si profondément affligé
son cœur dans la carrière littéraire?... Sa fin prématurée , si
regrettable pour nous, a laissé à sa physionomie charmante
l'empreinte de la douceur juvénile, et, tout en échappant
aux tristes ravages de la vieillesse, il a conquis sur le théâtre
14 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN.
(.'Iroit, OÙ la Providence l'avait placé, cette illustration hon-
nête que doit ambitionner le travailleur intellectuel le plus
modeste.
Au sortir de la terreur, l'administration plaça à la tète des
archives réunies de tout le département un autre prêtre, qui
n'a point laissé dans le diocèse de Strasbourg- un renom pa-
reil à celui de Grandidier. Je doute fort que beaucoup de vos
lecteurs connaissent l'évêque constitutionnel Brendel , qui
succéda, sur le siège de Strasbourg, au dernier cardinal de
Rohan, et qui l'occupa pendant le court espace où quelques
formes de l'ancienne France monarchique , ébranlée par le
choc de 89, subsistaient encore. Le prêtre qui acceptait
l'héritage des anciens prélats pendant ce régime intermé-
diaire, cl qui renonçait à l'obédience absolue envers le Saint-
Siège , en prêtant le serment civique à la nation, ce prêtre
devait encourir la réprobation du clergé catholique, sans se
faire accepter par les novateurs, qui voulaient le renverse-
ment total de l'Église et le règne de la déesse Raison. Telle
fut à Strasbourg la position de l'abbé Brendel , dont je n'ai
point à sciuter ici les intentions, ni à retracer le caractère.
Je n'ai voulu qu'indiquer la fâcheuse destinée de cet ami et
protégé de Frédéric de Dietrich, cherchant à sauver, dans le
naufrage général des lois et des croyances , quelques débris
de l'ancien sanctuaire; momentanément englouti lui-même,
il surnagea dans cette vase , où se choquaient , entremêlés ,
tous les débris du passé, et aboutit à une position obscure,
au fond d'un bureau, où il échangea contre une plume et une
solde en assignats, les splendeurs passagères d'une prélature
contestée. Je n'ai trouvé d'autres traces du passage de l'abbé
Brendel aux archives que des feuilles d'émargement. Sa des-
tinée m'inspire une profonde compassion. Il eût été préférable
pour lui de manger le triste pain de l'exil.
Sous le premier Empire et au commencement de la Res-
tauration, les archives , sans contrôle, sans directeur spécial,
demeurèrent quelquefois livrées à une exploitation intéres-
DEUXIÈME LETTRE. 15
sée. Il y a près de quarante ans, des employés infidèles se
hasardèrent à couper les sigillés des anciens litres pour en
vendre la cire ; cette mutilation impie a dépouillé de leur plus
belle parure une grande partie de nos anciens documents, et
amoindri leur valeur en vue d'un profit misérable. L'un des
inculpés, homme d'esprit, de science et d'imagination, expia
sa faute par une maladie douloureuse , qui eut, sous la pres-
sion du désespoir , une issue funeste. Je ne sais si le mal-
heureux avait jamais entendu parler d'un archiviste de Zurich,
qui dans la seconde moitié du dix-huitième siècle livra , pour
une publication périodique , des documents importants entre
les mains de l'historien Schlœzer, et qui expia son infidélité
sur l'échafaud. Nos lois, nullement barbares comme celles de
l'ancienne république zurichoise , lui auraient appliqué tout
au plus une peine correctionnelle ; mais cet épouvantait devait
suffire à briser le ressort vital de l'homme qui avait failli aux
devoirs élémentaires de sa position basée sur la confiance , le
respect des vieux titres et l'obéissance aveugle au règlement.
Ce déplorable incident appela la sollicitude de l'administra-
tion départementale sur cette partie essentielle du service.
Tandis que dans d'autres chefs-lieux les archives demeuraient
livrées au hasard , chez nous , longtemps avant la réglemen-
tation officielle de la matière, des employés intelligents, ap-
pliqués et désormais fidèles, s'occupaient sans intermittence
du triage des papiers , et en partie de la coordination des ar-
chives historiques.
En entrant aux archives, je trouvai un ordre relatif établi
dans beaucoup de fonds, surtout dans la section ecclésias-
tique; dans les archives civiles, antérieures à 1790, à peu près
tout restait à faire. Je fus , dans le premier moment , saisi
d'une espèce d'étourdissement, en vue des masses qu'il fal-
lait aborder, mais soutenu, d'un autre côté, par l'attrait de la
nouveauté. Dès le premier rapport, soumis par moi, en août
184.0, à M. Sers, j'exprimai en ces termes, avec l'ardeur d'un
néophyte, les sentiments qui m'agitaient :
16 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
« Parcourir les documents que renferme une semblable
((collection, c'est presque faire l'œuvre d'un antiquaire qui
«creuse le terrain d'une nécropole. De telles recbercbes ont
« tout le charme de l'inconnu et l'attrait de la chance ; les
« émotions de la découverte s'y joignent aux pures jouissances
«scientifiques et leur donnent plus de relief; on fouille pour
((trouver et pour apprendre. Les richesses que l'archiviste
«peut espérer mettre au jour sont moins brillantes, il est
« vrai , que les statues , les mosaïques , les colonnes , les sar-
«cophages déterrés par des mains intelligentes ou heureuses
(( sur le sol classique de la Grèce et de l'Italie. Dans les actes
«poudreux, derniers legs des couvents du moyen âge, il n'y
«a rien qui fascine les yeux, peu d'idées qui captivent le cœur
«ou l'inteHigence. Mais du moment où l'érudit s'applique à
« déchiffrer ces manuscrits , à dépouiller ces rouleaux entas-
«sés dans les cartons, comme les momies égyptiennes dans
«leur sépulcre, du moment où le savant, occupé de recher-
«ches d'histoire locale, scrute les détails de ces caractères
«souvent hiéroglyphiques , à moitié rongés et effacés par les
(( siècles , l'intérêt qu'inspire ce genre d'études devient tout-
« puissant; comme des perles enfouies dans les décombres,
((Surgissent parfois d'inappréciables détails, de curieux ren-
«seignemcnts sur les personnes et les choses d'un âge qui
«n'est plus; c'est avec ces pièces de rapport que l'historien
«de génie reconstruit l'édifice du passé ; l'histoire de la con-
« quête de l'Angleterre par les Normands , ce chef-d'œuvre de
«l'historiographie contemporaine, n'a point d'autre origine. »
Plus d'une fois , depuis lors , mon enthousiasme primitif
a été mis à une pénible épreuve. Je ne crains point d'avouer
que des découragements, des mécomptes, des fatigues phy-
siques vinrent quelquefois entraver l'œuvre de patience que
j'entamais avec une ardeur naïve. C'est une erreur ou une es-
pérance de néophyte que de croire à des jouissances inces-
santes dans le labeur journalier d'un archiviste; ces jouissan-
DEUXIÈME LETTRE. 17
ces peuvent se rencontrer dans le clépouillemeut de cartons
exclusivement liistoriques, de correspondances illustres con-
servées dans les grands dépôts de l'Empire ; dans une collec-
tion provinciale pareille à la nôtre ; les documents ayant une
valeur individuelle , qu'on me pardonne cette expression im-
propre, forment une imperceptible minorité , tandis que les
actes vulgaires de propriété , les volumineux dossiers de pro-
cédure, des comptabilités sans valeur et sans intérêt, occu-
pent la majeure partie des rayons et désespèrent par leur uni-
forme monotonie l'archiviste chercheur. Malheur à lui, s'il
n'a d'autre but que celui de fouiller dans l'intérêt égoïste de
la science^ de fermer les yeux à l'intérêt pratique et de tour-
ner le dos au devoir quotidien!
Môme dans les cartons historiques, les chartes ayant une
physionomie précise , ou recelant des données profitables à
l'étude des mœurs et des coutumes anciennes , à l'éclaircisse-
ment des faits contestes, à l'interprétation d'un caractère
illustre faisant figure dans les annales du pays, ces chartes,
dis-je, sont clair-semées; les indications précieuses, il faut
apprendre à les chercher, à les découvrir au fond d'un texte
incolore ou diffus; il faut acquérir une espèce de seconde
vue, un instinct, qui fait, à l'aspect même superficiel d'un
document, deviner la notion utile à votre plan de travail; il
faut d'autres fois lire entre les lignes, recourir à l'induction.
Que de fois, après des journées, des semaines, des mois de
laborieuse analyse, sans résultat majeur ou appréciable, me
suis-je rappelé les paroles désespérantes de Faust:
Wie nur dem Kopf nicht aile Iloff'niing schwindet ,
Der immerfort an schalcm Zeuge fclebt ,
Mit gier'ger Iland nach Scliœtzen grœbt
Vnd froh ist wenn er Regenwûrmer findet ' .
' Comment loiit espoir n'échappe t-il point à colle pauvre t^le qui s'allaclie
oonslamment h des misères, fouille avidement pour trouver des trésors, et se
contente en (in de compte de quelques vers de terre.
18 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Est-ce à dire que j'éprouve du regret d'avoir appliqué à une
œuvre en apparence ingrate une longue série d'années? A
Dieu ne plaise! Je crois d'abord que l'idée d'un devoir accom-
pli est à elle seule la meilleure réponse à faire à celui qui
blâmerait l'emploi d'un temps infini en vue d'un résultat en
apparence peu appréciable ; puis dans l'ordre intellectuel ,
comme dans l'ordre matériel , il est toujours nécessaire que
les uns se dévouent aux autres, et, si l'on veut bien me pas-
ser le terme vulgaire , que le gros de la besogne se fasse par
quelques travailleurs obscurs, sauf à voir tirer les consé-
quences par un artiste plus heureux et mieux partagé; c'est
celte conviction que j'ai énoncée, il y a dix-neuf ans, en
1841 , dans mon second rapport annuel au préfet :
(( En parcourant les basiliques de notre déparlement et les
«chartes qui s'y rapportent, j'ai été saisi d'un scrupule : je
« me suis demandé si l'étude minutieuse du passé , lorsqu'elle
« est appliquée à un coin imperceptible de l'Europe et à des
« élabhssements qui n'ont point pris une part active à l'his-
(( toire générale, pouvait être d'une utililé réelle à la science;
«je me suis demandé si l'analyse microscopique d'une frac-
« tion d'histoire provinciale pouvait jamais attirer l'attention
«de quelques lecteurs.... je crois avoir trouvé une solution
(( satisfaisante à ce doute, qui s'est peut-èlre élevé dans l'es-
« prit de plus d'un de mes confrères.
« Au milieu du mouvement irrésistible qui nous entraîne
« vers un but inconnu , à la veille d'événements qui boule-
« verseront l'Orient et par contre-coup l'Europe, on dirait
« que la génération actuelle sent le besoin de jeter encore
« une fois un coup d'œil en arrière, et d'inventorier scrupu-
« leusement son passé historique. Je ne saurais m'expliquer
« autrement cet élan général et simultané dans toutes les par-
« lies de l'Europe vers les études d'archéologie et de paléogra-
« phie. 11 y a dans la spontanéité avec laquelle on a parlent
« entamé ces études, quelque chose qui repousse l'idée d'un
DEUXIÈME LETTRE. 19
« calcul OU d'une impulsion venue d'un seul point donné.
(( Tous les penseurs se disent. (|ue la civilisation a failli ])érii',
« il y a quatorze siècles, et que le fil de l'histoire s'est un ins-
« tant trouve rompu , parce ([u'en face d'une rénovation so-
«ciale, on avait négligé par incurie, paresse ou désespoir,
«d'explorer et de résumer le passé qui s'abîmait. Nous ne
« voulons plus être pris au dépourvu. Les esprits secondai-
« res se condamnent volontiers à une opération en apparence
« ingrate , parce qu'ils savent que l'esprit genéralisateur ,
« que l'homme de génie destiné à tirer la quintessence de
«ces actes amoncelés ne se fera point attendre, et léguera
« à nos petits-fils un monument historique dans lequel ils
«pourront, comme dans un miroir condensateur, retrouver
«tous les faits, toutes les gloires, toutes les souffrances de
«leurs pères. Les monographies historiques sont destinées
« à être peu connues , et à être oubliées dans la locahté
«même qui leur a donné le jour, mais elles ne disparais-
« sent qu'après avoir servi de pierres d'assise dans l'un de
« ces édifices littéraires qui résistent à toutes les révolutions,
«à toutes les invasions, et à l'apathie intellectuelle, bien
« plus dangereuse encore que le fer et le feu des peuples
« barbares. »
Dans ma prochaine lettre, je me propose de vous entrete-
nir de l'un des fonds spéciaux de nos archives civiles , en
commençant par la préfecture de Haguenau.
-<:O^X(î>i>Ow
20 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
TROISIÈME LETTRE.
I<e fonds de la préfecture de Hajçuenau.
Monsieur,
Haguenau, qui n'est aujourd'hui qu'un chef-lieu de can-
ton , avait au moyen âge une bien autre importance : alors
elle était pour le moins l'égale de Strasbourg; un instant
même elle fut sa rivale favorisée par des circonstances excep-
tionnelles. La puissante famille impériale des HohenstaufTen
y avait établi , du douzième au treizième siècle , l'une de ses
résidences. Sur une île de la Moder, aux bords de la Forèt-
Sainte, le palais du grand Frédéric-Barbarossa rappelait la
splendeur des palais de Charlemagne à Ingelheim et Aix-la-
Chapelle; on y conservait les joyaux de l'empire; les tournois
et les fêtes chevaleresques animaient cette contrée un peu
austère ; le cor de chasse des princes troublait la solitude des
vieux chênes et les portiques des abbayes récemment fondées
sur cette lisière sylvestre ; les poêles , fondateurs de la litté-
rature allemande, y célébraient à l'envi la guerre, les fleurs
et les dames; Godefroi de Strasbourg, dont la vie est envelop-
pée de mystère, comme celle du chantre d'Achille, y pro-
menait ses rêveries , et trouvait sous ses yeux , dans cette
cour brillante, les modèles de son Tristan et de sa charmante
Yseult; l'illustre captif, Richard Cœur-de-Lion , y vint pen-
dant quelques journées fugitives conférer avec le tyrannique
Henri Vï, et, au sortir de cette pénible entrevue, il alla dire
aux échos de la prison de Trifels la vanité des affections et
des grandeurs humaines.
Chaque fois que l'un des grands souverains de la Germanie
faisait une apparition dans ces lieux, il signalait sa présence
par l'émission de chartes royales , dont bon nombre consti-
tuent encore aujourd'hui les principaux ornements des ar-
chives de France, d'Italie et d'Allemagne. Une puissante or-
TROISIÈME LETTRE. 21
ganisation municipale put cclore sous la prolection de l'Em-
pereur; les murs elles tours de la cité de Haguenau s'ap-
puyèrent contre le palais. L'avoué impérial ou le préfet (land-
vogl), dans l'origine simple administrateur des domaines per-
sonnels de son suzerain , réunit peu à peu dans ses mains toutes
les attributions militaires et g-ouvernementales ; il resta h la
fois l'homme de l'empereur, le protecteur de la cité aux pieds
du château, et plus tard (1354), lorsque d'autres villes de
l'Alsace eurent contracté, sous la présidence de Haguenau ,
une alliance, le landvogt ou préfet fut le chef naturel, le ré-
gulateur, le directeur de cette confédération, le chef en un
mot de la décapolc alsatique*.
Ce fut l'origine de la landvogtey de Haguenau, terme que
nous traduisons par ceux de préfecture ou de grand-bailliage,
mais qui, de fait, n'a point d'analogie complète dans les ins-
titutions françaises d'au delà des Vosges.
Je vous demande pardon. Monsieur, de continuer à faire de
l'histoire; en procédant ainsi, je caractérise le fonds même
dont j'ai à vous entretenir; sans en avoir l'air, je reste dans
mon sujet.
Dans l'origine, lors de la fondation de la ville de Hague-
nau , ces vœgte ou landvœgte étaient donc les délégués ou
administrateurs impériaux, révocables à volonté. Tel fut Het-
zel, vers 1123; et, cent ans plus tard, Wœlfelinus, le préfet
de Frédéric H, le constructeur des fortifications urbaines en
Alsace, un homme énergique , dont la destinée tragique est
enveloppée d'obscurité et dont le nom n'est arrivé à nous qu'à
^ Voici les noms de ces dix villes : Haguenau, Wissembouig , Colniar ,
Schlesladt, Obernai, Rostieim, Mulhouse, Kaysersberg, Tiiickheim et Miiii-
sler. En -1302, la ville de Sellz , quelque temps après celle de Hagenbacli,
enfin Landau entrèrent dans la ligue alsalique ; mais Sellz et Hagenbach eu
furent de nouveau détachées; et lorsque Landau entra dans la confédération,
Mulhouse se rattacha aux cantons suisses, de sorte qu'il est permis de main-
tenir l'expression de décapolc. A peu d'exceptions près, ce furent toujours
dix villes qui formaient le cercle d'aclion du landvogt de Haguenau.
2:2 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
travers le nuage de la tradition. Après Rodolphe de Habs-
bourg , les noms des grandes familles d'Alsace , les noms des
dynastes de Lichtenberg, d'Oclisenstein , de Fleckenstein, de
Berglieim, de Wangen , etc. etc. figurent au nombre des
landvœgte ; de temps à autre, des princes autrichiens, bava-
rois, wurtembergeois prennent rang parmi ces dignitaires
alsaciens et ne dédaignent point cette position considérable
sur la limite occidentale de l'Empire. Sous les empereurs de
la maison de Luxembourg, rois de Bohême, un nom slave
est inscrit sur la liste : le landvogt Borziwoy de Swinar joue
l'un des premiers rôles dans la longue lutte entre la ville de
Sti'asbourg et l'évC'que Frédéric de Blankcnlieim ; étranger
aux intérêts de notre pays, il s'enrichit aux dépens de ses ad-
ministrés et laisse dans nos annales un renom détestable.
A partir du commencement du quinzième siècle, avec l'avé-
nemcnt de Robert-lc-Palatiu, la dignité de landvogt de Ilague-
nau devint stable; jusqu'alors elle avait passé de main en
main, non-seulement avec chaque changement d'empereur,-
mais au gré de chacun de ces souverains et selon les con-
venances du jour : pendant un siècle et demi , de 1408 à
1558, elle resta presque sans interruption entre les mains
des électeurs palatins. Voici comment s'était opérée cette
transformation d'une charge à peu près annuelle en charge
viagère et presque héréditaire.
L'empereur Robcrt-le-Palatin avait commencé par conférer
la dignité de langvogt à son fils Louis-le-Barbu ; celui-ci, îiu
moment de l'avénemcnt de Sigismond de Luxembourg, avait
prêté 25,000 florins au nouvel empereur, constamment be-
sogneux, et il avait retenu , à titre de gage , la préfecture de
Haguenau. Ce gage ne fut l'acheté qu'en 1558 par la maison
impériale d'Autriche ; car, dans ce long intervalle, la dette
primitive de l'Empire avait augmenté, et la maison palatine ,
rivale de celle d'Autriche, trouvait moyen d'opposer un refus
péremploire et de soutenir ses droits d'engagiste, toutes les
fois que les souverains électifs de l'Allemagne faisaient mine de
TROISIEME LETTRE. "ZÔ
vouloir rentrer cii jouissance de la préfecture de Haguenau ,
en choisissant des préfets dans d'autres maisons princières.
L'histoire de cet engagement et de ce dégagement, les dé-
mêlés, les luttes à main armée, les négociations , tous les in-
cidents occasionnés par la rivalité entre la maison d'Autriche
et la famille des électeurs palatins, forment l'une des princi-
pales parties de notre fonds de la préfecture de Haguenau.
On Y voit paraître, dans de nombreuses lettres et dans des
actes de toute nature , des noms bien connus , tels que ceux de
l'électeur Frédéric-le-Victorieux, ce précurseur du grand Fré-
déric de Prusse ; de Philippe-l'Ingénu , protecteur de l'Uni-
versité de Heidelberg et de ses savants Européens ; de l'élec-
teur Otton-IIenri, constructeur de la plus belle façade dans la
cour du château des princes palatins ; de Maximilien I^r d'Au-
triche, ennemi acharné de Philippe-l'Ingénu, de Charles V et
de son frère Ferdinand. Ainsi, pendant ce long espace , et
encore pendant le siècle qui va suivre (de 1558 à 1648) ,
l'histoire de la cité de Haguenau se trouve rattachée à
la destinée mobile, romanesque de la maison palatine,
puis à celle de la maison de Habsbourg, qui donne des
souverains aux deux mondes , sans négliger les intéi'êts
quotidiens de la magistrature locale sur les bords du Rhin.
Une fois rentrée en possession des magnifiques prérogatives
et des domaines dépendants de la landvogtey , après avoir
ressaisi l'influence qu'elle exerçait, par ces fonctions, sur
les villes libres d'Alsace, la maison de Habsbourg ne s'en
laissa plus dépouiller par des familles princières de l'Alle-
magne ; elle soutint avec constance , en Alsace , la lutte contre
la Réforme, plus tard contre Mansfeld et les Suédois, et ne
céda le terrain qu'aux armes réunies de la Suède et de la
France. Par le traité de Westphalie , la préfecture de Hague-
nau passa entre les mains de Louis XIV , qui conféra le titre
de préfet ou de grand-bailli d'abord aux d'Harcourt et aux
Mazarin, et qui en fit plus tard un fief dont furent investis
successivement les Châtillon et les Choiseul. Mais , avec l'ex-
24 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU lUS-RIIIN.
pulsion de la maison d'Autriche , la charge de préfet ou de
grand-bailli de Haguenau avait perdu son ancienne significa-
tion; l'autonomie des villes lihres d'Alsace était détruite; les
attaques de 1789 n'efîacèrent ici qu'une ombre.
Je viens de faire allusion à deux autres séries d'événements
qui occupent dans l'histoire de la préfecture de Haguenau une
place importante ; les titres de ce fonds en sont les témoins
vivants : c'est la Réforme d'abord, puis la guerre de Trente
ans. On ne peut, dans nos archives d'Alsace, toucher à au-
cune série de pièces historiques, sans se trouver en face de
ces deux époques de trouble qui se traduisent sur la scène
du monde, tantôt en actes de la pensée et de la parole, tantôt
en voies de fait et combats meurtriers. La Réforme en Alsace
est venue se briser en partie contre Haguenau. Déjà elle y
avait jeté de profondes racines, mais dans ces murs la maison
d'Autriche était plus forte qu'à Strasbourg et sur d'autres
points de l'Alsace. Les antiques traditions du pouvoir préfec-
toral vinrent sans aucun doute en aide à la force matérielle ;
la bourgeoisie de Haguenau n'avait pas été gagnée tout en-
tière, comme à Strasbourg, aux doctrines des novateurs reli-
gieux, et les archiducs autrichiens, préfets de la décapote,
ainsi que leurs délégués et lieutenants, se montrèrent les fer-
vents soutiens de la foi de leurs pères. Tel fut Nicolas , baron
de Pollviler'; cet unterlandvogt ou sous-préfet autrichien
réunissait l'énergie et l'audace de l'exécution à l'habileté des
conceptions. Il se mit à lutter corps à corps avec le parti pro-
testant au sein du conseil de la cité, et s'appliquant à prouver
par les textes de l'Ecriture que les prophètes, qui avaient em-
ployé le glaive pour combattre l'erreur, étaient agréables à
Dieu , il réussit à comprimer l'élément réformiste.
Au moment où la guerre de Trente ans éclata, l'archiduc
Léopold, cardinal-évêque de Strasbourg, frère de l'empereur
Ferdinand 11, reçut des mains de celui-ci la préfecture de
' C'est ainsi que s'écrit le nom de la famille de Bolhviller au seizième siècle.
TROISIÈME LETTUE. 25
l'Alsace inférieure et soutint la hitle dans le principe. Mais
lorsque l'aventureux Mansleld envahit l'Alsace, et plus spé-
cialement Ilaguenau , avec ses bandes armées, il fallut bien
céder devant ce torrent dévastateur. Momentanément les dé-
légués impériaux rentrèrent au chef-lieu de la décapole ; ils
n'y trouvèrent que des finances délabrées , l'ordre régulier
troublé , les villages qui dépendaient de la préfecture brûlés
ou abandonnés, les campagnes ravagées. A Haguenau môme
la réaction autrichienne fut à la fois sanglante et fiscale ; elle
y détruisit les dernières traces de l'ancienne prospérité , et
lorsque vint le tour des Suédois, ils n'y trouvèrent, comme
dans le reste de l'Alsace, qu'une population clair-semée, ré-
duite au dixième, ayant elle-même besoin d'être sustentée.
Rienm'est plus triste que la correspondance des fonction-
naires et généraux autrichiens et suédois pendant celte époque
de calamité ; à travers le voile diaphane des réticences offi-
cielles, on entrevoit toute la cruauté des exactions journa-
lières, et l'impitoyable attitude des commissaires impériaux
qui avaient à poursuivre les citoyens ou les employés com-
promis. Les suppliques des victimes, l'intervcnfion de quelques
âmes moins endurcies forment les seuls points de repos dans
ce pandémonium où s'agite la force brutale. Pendant le court
espace de temps où le gouvernement autrichien avait repris
pied à Haguenau, la préfecture elle-même avait fini par pro-
tester contre les exactions (avril i63i); elle écrit au colonel
Ascagne Albertini d'Ichtratzheim (ce nom se retrouve souvent
dans nos titres), que la régence d'Ensisheim prescrit la levée
de mille soldats dans un district où l'on ne peut plus trouver
cinq cents habitants valides.
Je craindrais d'avoir l'air de charger les couleurs , en met-
-tant davantage à jour les détails hideux cachés dans cette partie
des titres de la préfecture de Haguenau.
Si, dans un fonds qui compte de 9,000 à 10,000 pièces,
les événements historiques occupent une large place, dont je
viens d'indiquer à peine les contours, la partie administra-
26 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
live doit être bien plus abondamment représentée. En effet,
les nominations de fonctionnaires, des employés et des agents
de tous les degrés forment de volumineuses liasses, offrant
une importance relative, une valeur réelle pour celui qui
s'intéresse au mécanisme de nos anciennes institutions.
Par ces études, on peut se convaincre que les besoins ana-
logues des services publics appellent dans tous les temps,
sous des noms différents , la création de charges analogues.
Ainsi, les palatins, les empereurs, les archiducs ne pouvant
ou ne voulant résider toujours eux-mêmes à lïaguenau , durent
nommer des délégués, des unterlandvogis, qui demeurèrent
investis de la réah"té du pouvoir, surtout dans les temps de
crise. Je viens de nommer, à l'occasion des troubles de la Ré-
forme, un seigneur de Bolhviller; il serait facile découvrir
ces pages de noms plus ou moins marquants, emj)runtés à
nos grandes familles d'Alsace , qui tour à tour ont fait preuve ,
dans ces fonctions, d'aptitude, d'initiative, souvent aussi
d'incapacité ou de défaillance. Les relations des électeurs pa-
latins et des empereurs d'Allemagne avec les unterlandvogts
de lïaguenau constituent, dans l'ensemble de ce fonds, une
rubricjue importante. Sous les palatins, et en partie sous l'em-
pereur Maximilien l^'^, nous voyons passer devant nous comme
unterlandvogts : Émich de Linange, Jean Wildgrave de Dhan
ou Thune, les Fleckenslein, les Morimont, les Schenck d'Er-
pach, les Rechberg ; sous les empereurs successeurs de Charles-
Quint et de Ferdinand I^r, ce sont des Kœnigsegg, des Fiir-
stenbcrg, des comtes de Soultz et de Spaur qui occupent ces
charges. A un rang inférieur, nous trouvons des conseillers
de préfecture, des receveurs généraux, des gardes-généraux
des forêts, et tous ces nombreux agents que le pouvoir est
obligé de créer. Les rapports de la préfecture avec le prévôt
et la municipalité de lïaguenau , avec la magistrature des autres
villes impériales faisant partie de la décapote, et même avec
celles qui étaient restées en dehors de cette fédération , mettent
en vue une série d'individualités qui, sans avoir joué un rôle
TROISIÈME LETTRE. 27
sur le grand théâtre de l'histoire de l'Europe, occupent néan-
moins une place d'affection, d'estime ou d'honneur dans le
souvenir de celui qui étudie les détails d'une histoire provin-
ciale. Il suffit qu'un nom d'ailleurs obscur se reproduise sou-
vent dans des lettres ou des actes publics, ou qu'il se présenle
encadré dans quelques faits curieux, dans quelques détails
de mœurs, pour prendre corps, se constituer à l'état de per-
sonne, et vivre au moins dans le souvenir de l'homme qui
parcourt ces dossiers inconnus. C'est ainsi que le nom d'Em-
merich Ritler, receveur général de la préfecture de Haguenau
pendant la seconde moitié du quinzième siècle, se trouvant
sur beaucoup de pages des pièces qui concernent cette charge,
avait fini par me frapper; plus tard j'ai pu me convaincre que
cet agent des électeurs palatins occupait en effet une place
distinguée dans leur estime et leur confiance.
A l'aide de documents originaux empnmtés à ce fonds, j'ai
pu consigner dans une monographie sur Hohkœnigsbourg le
nom d'Albert de Beerwangen, ingénieur des premières an-
nées du seizième siècle , qui se fait fort auprès de l'unter-
landvogt palatin de reprendre le château de Hohkœnigsbourg,
alors occupé par les Autrichiens. Mais indépendamment de
ces noms isolés , les villes et les châteaux , les chapitres , ab-
bayes et couvents de la vallée rhénane jouent un rôle consi-
dérable dans l'histoire de la préfecture de Haguenau , dont
l'action s'étend surtout du côté du Palatinat. Landau et Wis-
sembourg se trouvent constamment en rapport avec la Land-
vogtey, et l'abbaye mérovingienne des bords de la Lauter
fournit aux pièces réunies dans ce fonds une part curieuse '.
Les longs démêlés de cette riche congrégation avec les élec-
teurs Frédéric-le-Victorieux et son fils Philippe , les révolu-
tions intérieures du cloître bénédictin , les péripéties de ces
' Voy. V Abbaye de Wissembourg ^ nionngrapliie de l'archiviste du Das-
liliiii. — Le foiuis (Je la préfecture de Haguenau a beaucoup contribué à la
rédaction de cet opuscule.
28 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
guerres entre l'autorité laïque et l'autorité cléricale, la figure
sauvage de Jean de Dratt , grand-maréchal de l'électeur pala-
tin, qui, du fond de son château de Berbelstein, inquiète les
bénédictins de l'abbaye, les appels en cour de Rome et les
foudres lancées par le Vatican contre l'ambitieux électeur et
son acolyte, forment dans l'histoire de la préfecture, mêlée à
ces débats, les pages les plus dramatiques.
Jean de Dratt avait déjà passé à l'état de personnage légen-
daire ' ; les titres trouvés dans le fonds de la prélecture de
Haguenau, ont servi à le ramener sur le terrain de la réalité,
à adoucir peut-être quelques aspérités de son caractère fictif
et à dissiper quelques nuages qui voilaient sa carrière agitée
et turbulente. La chapelle écartée qui, sur les confins du Pa-
laliriat et de l'Alsace, abrite le monument funéraire de cet
homme au corps et au cœur d'acier, ne sera jamais un lieu
de pèlerinage, mais c'est bien certainement ifnc localité mar-
quée au coin d'une renommée anormale.
La guerre des paysans, quelque passagère qu'elle ait été, a
laissé de profondes traces à Wissembourg, l'une des villes de
la décapole ; elle en a de même laissé dans le fonds qui nous
occupe. Des notes historiques en latin constatent quelques-
uns des incidents de la lutte du prolétariat contre les castes
privilégiées du seizième siècle, et les conditions de la paix
conclue sous la médiation du baron de Morimont, sous-préfet
de Haguenau , conditions plus dures et plus barbares que la
lutte elle-même ne l'avait été.
La sécularisation de l'abbaye de Wissembourg (IS^^) , et
après la mort de l'abbé prévôt Rudiger (1545), les discussions
de l'électeur palatin avec le chapitre de Wissembourg, enfin
l'incorporation de ce chapitre à l'évêché de Spire se trouvent
constatées dans une série de pièces de correspondances.
Ces indications , prises dans mon rapport au préfet du Bas-
' Hans Trapp, l'épouvanlail des onfanls.
TROISIÈME LETTRE. 29
Rhin', doivent suffire pour donner une idée approximative de
la variété de ce fonds. Je craindrais d'abuser de la patience
de vos lecteurs en puisant davantage dans mon ancien travail
et dans mes souvenirs.
Le contraste des localités et de leur destination cpie j'ai
déjà fait remarquer à propos du bâtiment même des archives
du Bas-Rhin , se montre d'une manière plus frappante encore
dans l'aspect des lieux où siégeait le représentant de l'empe-
reur à Haguenau. Cette antique résidence, déjà fort endom-
magée par les vicissitudes du seizième siècle et de la guerre
de trente ans, disparut tout à fait dans un cruel incendie, qui
consuma en 1677 une partie de Haguenau pendant la guerre
entre l'Empire et la France. Il est impossible aujourd'hui d'en
retrouver ou reconnaître aucune trace, sauf quelques subs-
tructions dans le ht de la Moder, visibles lorsque les eaux sont
basses et mettent à jour quelques pauvres débris de l'un des
édifices les plus splendides du moyen âge. Sur l'emplacement
même où s'élevait la demeure du maître et où flottait la ban-
nière de l'Empire, à la place de la chapelle historique qui
abritait les insignes du pouvoir impérial de Charlemagne , se
dressent maintenant les murs d'une maison de détention; et
le malheureux rebut de la population féminine se cache à tous
les yeux, sur le sol même où s'épanouissait, il y a sept siècles,
la fleur de la chevalerie.
Je pourrais multiplier indéfiniment ces points de compa-
raison, montrer un simple juge de paix siégeant aujourd'hui
à la place de l'ancien prévôt impérial (Sclmllheiss) ; un con-
seil municipal remplaçant l'ancienne magistrature souveraine
de Haguenau ; les pouvoirs militaires et administratifs du land-
vogt transférés au général commandant la (Hvision militaire
et aux deux préfets du Haut et du Bas-Rhin; mais, en plaçant
ainsi la ville actuelle à côté de la cité des Hohenstauffen, des
'Rapport sur le fonds de la prôfecUire de Haguenau, 1.S56, I vol. in-12,
12o pages.
30 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
Luxembourg, des électeurs palatins, des Habsbourg-, en sup-
primant les siècles intermédiaires, je serais injuste pour la
situation présente; je ferais, pour l'amour des contrastes, un
tableau inexact. Pour rendre justice à la vitalité et à l'aspect
de Haguenau en 1860, il faut se rappeler qu'elle avait été
anéantie au dix-septième siècle, et que, tout en ne remon-
tant pas à la bauteur de ses destinées premières, son sort au-
jourd'hui et sa prospérité croissante paraîtraient dignes d'en-
vie à la plupart des communes cantonales de l'Empire. Il y a
bien des villes d'arrondissement et plusieurs chefs-lieux de
préfecture qui n'ont ni la population, ni les ressources, ni
l'avenir de Haguenau ; son passé historique même fait partie
de sa fortune patrimoniale, et les archives de la localité ré-
cèlent dans leur riche collection de chartes impériales et mu-
nicipales les plus beaux titres de gloire d'une cité.
QUATRIÈME LETTRE. 31
QUATRIEME LETTRE.
FoiiiIm de rintenilance d'Alsace. — laCS Intendants. — licur histoire et
celle de l'institution. — Contenu soniuiaire du fonds. — Ce Cfui ne
n'y trouve pas. — lies travaux publics. — lies flefs. i— lies ramilles
des feudatalres.
Monsieur,
L'établissement des intendants de France remonte à Riche-
lieu ; ce puissant génie fit de cette institution le plus actif
instrument de surveillance et de centralisation. Bien plus in-
fluents que les préfets d'aujourd'hui, les intendants des pro-
vinces réunissaient entre leurs mains des pouvoirs adminis-
tratifs, judiciaires, financiers; un intendant était, dans le
ressort de son gouvernement, la tête du pouvoir ; le gouver-
neur militaire n'en était que le bras.
C'était quelque chose d'inouï, sans doute, que cette réu-
nion d'attributions entre les mains d'un seul fonctionnaire;
confier à la fois la police et les impôts , l'honneur, la bourse
et en quelque sorte la vie des citoyens à un seul homme , c'é-
tait presque tenter la Providence. Le succès a donné gain de
cause au grand cardinal. Il fallait, pour comprimer les émeutes
et les révoltes de la féodahté , cette impulsion active et inces-
sante partie d'un seul point. Tout ce qui émane de Richelieu
inspire un sentiment d'admiration , de respect et de terreur.
C'est lui qui a préparé, qui a rendu possible la grandeur de
la France. Mazarin, Louis XIV et Napoléon ï^r le savaient bien ;
ils ont continué ou repris son œuvre.
Après la conquête et la réunion de l'Alsace, le premier soin
de Mazarin fut d'y envoyer un intendant. Au nombre de ces
fonctionnaires qui résidaient d'abord dans le Haut-Rhin,
nous trouvons un frère du grand Colbert, M. Charles Colbert
de Croisy, qui fut plus tard ambassadeur en Angleterre, plé-
nipotentiaire au congrès de Nimègue et ministre secrétaire
32 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
d'Etat. Il a écrit des mémoires sm- l'Alsace et les trois évè-
chés de Metz, Toul et Verdun; mais, quels que soient ses mé-
rites, son nom reste écrasé par celui de son illustre frère;
sans ce voisinage, il aurait brillé d'un éclat plus grand parmi
les hommes d'Etat que le siècle de Louis XIV a fait éclore.
Comme intendant d'Alsace, Colbert de Croisy prépara l'œuvre
difficile de l'assimilation; ses successeurs ont marché sur ses
traces, avec un esprit de suite qu'aucune résistance locale ne
décourageait.
M. de Lagrange , le premier intendant qui vint résider à
Strasbourg après la réunion de cette ville à la France, M. de
Lagrange était , eu toute ciiconstance, le docile exécuteur des
volontés de son maître. Dominique Dietrich , l'ammeislrc de
Strasbourg, en apprit quelque chose. Lorsque, brisé par son
exil à Guéret et à Vesoul , le vieux magistrat strasbourgeois
revint dans sa ville natale, il respirait à peine sous la surveil-
lance de l'intendant ; les volets de ses fenêtres ne s'ouvraient
plus; et ce vieillard, autrefois si énergique et si habile, main-
tenant l'ombre de lui-même, expira dans la solitude que fai-
sait autour de lui le délégué du })ouvoir royal.
Mais les temps d'une compression exceptionnelle cessèrent ;
sous une administration active et intelligente, les profondes
blessures de la guerre de Trente ans et de celles de Louis XIV
avec l'Empire furent peu à peu cicatrisées ; la population tripla ;
le commerce et l'industrie, les travaux publics , à l'état d'en-
fance avant la période française, prirent un développement
rapide; tous les dossiers du fonds de rintcndance d'Alsace font
preuve de l'intervention incessante et de l'initiative du gou-
vernement français. Les noms de MM. de Vanolles (intendant
de 1744 à 1750), de Lucé (1753 à 17G4) , de Blair (1764 à
1778), de la Galaizière (1779 à 1789) se retrouvent sur toutes
les pages de notre histoire provinciale pendant la seconde
moitié du dix-huitième siècle. C'est dans leurs salons , oij ré-
gnait l'urbanité la plus exquise, que commença l'œuvre de
fusion des deux nationalités. La politesse, la grâce, l'esprit
QUATRIÈME LETTRE. 33
prit opérèrent mieux que n'aurait fait la violence ou l'ordre
impérieux.
J'ai essayé de retracer dans un autre cadre * cette irrésis-
tible action des salons français à Strasbourg. L'Intendance
donna la main au prestige militaire, à la littérature et au
théâtre , pour captiver les âmes , et gagner à la France intel-
lectuelle et politique les caractères qui jusqu'alors ne s'étaient
point plies à l'ordre de choses élabh par la paix de Westphalic
et le traité signé à Illkirch. L'élite des savants allemands de
l'Université de Strasbourg rendit hommage à cette toute-puis-
sance du génie français. Le retentissement de la gloire de
Voltaire, réfugié pendant plusieurs années dans un vallon du
Haut-Rhin , ne fut pas sans écho dans ces réunions de Stras-
bourg et dans celles de la magistrature de Golmar ; les mon-
dains se laissaient prendre au charme de cette voix de vieille
sirène ; les cœurs, avides d'une autre nourriture , s'attachaient
aux perspectives enchanteresses que leur ouvrait Racine ; la
foi trouvait des arguments nouveaux dans la hante éloquence
de Bossuet et de Fénelon ; et l'homme pratique , l'homme
d'affaires s'inclinait devant un gouvernement qui traçait et
exécutait de nouvelles routes à travers les hauteurs jusqu'alors
inaccessibles des Vosges, qui multipliait les ponts, creusait
des canaux, forçait le Rhin à couler, encaissé, entre des
digues, aménageait avec intelligence les vastes forêts de
la montagne et de la plaine, encourageait les plantations du
tabac et de la garance, constiuisait des palais, des hôtels,
des casernes, des arsenaux, élevait de nouveaux remparts et
montrait avec orgueil le drapeau victorieux de Fontenoy en
face de l'aigle amoindrie de l'Empire germanique.
C'estdanslescarlonsderintendance, dans les septàhuit mille
pièces formant leur contenu , que l'œil exercé peut trouver le
secret de cette influence gouvernementale de plus en plus forte
■i La ville et l'Université de Strasbourg en 1770. — Mémoires du Con
grès scientifique de 1842, vol. I, p. 05 a 82.
3
34 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
et étendue. Sans doute , la Révolution de 89 a soudé davan-
tage encore les liens qui attachaient depuis 1648 l'Alsace à la
France, elle a eiïacé les anomalies politiques qui subsistaient
dans l'administration intérieure du pays et sur lesquelles j'au-
rai l'occasion de revenir en traitant les fonds des petites prin-
cipautés allemandes qui restaient enclavées dans notre pro-
vince. Mais 89 ne fut, à tout prendre, en Alsace^ que la dé-
claration officielle et solennelle d'un fait préparé en silence
depuis cent quarante ans. L'administration de l'Intendance
s'était si bien infiltrée dans toutes les habitudes, elle avait si
bien envahi les principautés soi-disant indépendantes, le ré-
seau couvrait si bien tout le territoire, que 89 aurait changé
peu de choses à la surface et même au cœur du pays, si les
violences de la Terreur, les perturbations dans les finances
publiques, la guerre avec l'étranger et contre les consciences
n'avaient troublé la paix du foyer domestique et ébranlé le
sol jusque dans ses fondements.
Si j'ai réussi. Monsieur, à vous donner une idée de l'In-
tendance comme institution , et à rendre palpable son in-
fluence sur les mœurs et les affaires publiques, ma tâche est
aux trois quarts remplie ; car , à l'aide de ces contours en ap-
parence étrangers aux archives mêmes, j'ai indiqué à l'avance
le contenu des cartons de cette administration et magistra-
ture provinciale. Mes lecteurs bénévoles auront deviné avec
vous, avant que je le leur aie dit, que les papiers de l'Inten-
dance doivent toucher, de près ou de loin, à toutes les ques-
tions qui ressortissent au gouvernement civil d'une grande et
riche province. Cependant, avant de rendre palpable, par
quelques exemples , le genre d'affaires traitées par l'intendant,
je vous demanderai la permission de dire ce qui ne se trouve
pas dans ce fonds, quoiqu'on soit tenté de l'y chercher.
En abordant l'Intendance, il y a vingt ans, je pensais que
l'acte de la réunion de Strasbourg à la France devait y avoir
laissé des traces; il n'en fut rien ; au bout de quelques mois
je pus me convaincre que toutes les pièces relatives à cetévé-
QUATRIÈME LETTRE. 35
nemenL historique, ou bien n'avaient jamais été recueillies et
déposées dans les bureaux de l'Intendance, ou qu'elles avaient
disparu. Il m'en coûta de renoncer à l'espoir d'éclaircir quel-
ques points demeurés obscurs dans la reddition de Strasbourg
et de faire connaître la vérité sur quelques hommes mêlés
aux négociations qui ont précédé l'entrée de Louvois et de
Louis XIV. Dans mon premier rapport au préfet du Bas-Rhin,
j'ai consigné ce désappointement; plus récemment, en m'oc-
cupant de la biographie de Dominique Dietrich, j'ai éprouvé
de nouveaux regrets, oiseux au fond, car je suis convaincu
maintenant que les actes les plus confidentiels de cette année
mémorable de 1681 n'apprendraient rien ou peu de chose sur
la prétendue trahison des magistrats qui ont signé le traité. Il
est, dans l'histoire, une série de faits qui s'accomplissent
d'une manière irrésistible, parce qu'ils sont habilement pré-
parés de longue main ou amenés par la force des choses. Du
jour où le dauphin Louis (XI) , à la tête de ses Armagnacs ,
avait, dans la première moitié du quinzième siècle, mis le
pied en Alsace, du moment où Henri II, au seizième, avait
fait une promenade militaire jusque sous les murs de Stras-
bourg, la politique de la France devait tendre à l'envahisse-
ment de cette province frontière et de sa capitale. L'anar-
chie de l'Empire devait tôt ou tard amener ce moment, sans
qu'il fût besoin d'une corruption systématique appliquée aux
hommes influents de la localité. Les armes de Turcnne (1674-
1675), l'habileté de Louvois, la couardise de Léopold , voilà
quels furent les moteurs de la conquête de l'Alsace et de
Strasbourg par le gouvernement de Louis XIV. Il serait temps
d'en finir avec des commérages indignes de la grande his-
toire , et de ne plus attribuera quelques chaînes d'or ou à des
pensions envoyées de Versailles, la reddition de la ville libre
et impériale.
Une série de cartons bien fournie dans l'Intendance est sans
contredit celle des travaux publics, ponts et chaussées, af-
faires de rivières et de cours d'eau. Ce sont des plans , devis ,
3G ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
états estimatifs , arrêtés , lettres etc. , concernant différentes
routes et voies fluviales de la Basse-Alsace. Je professe un
grand respect pour le corps des ingénieurs contemporains ,
mais sans déprécier pour cela leurs devanciers du dix-huitième
siècle. Toute cette partie de l'administration répondait évi-
demment aux besoins de l'époque. Les chefs de service con-
sultent souvent ces cartons.
Nous possédons aussi , dans ce même fonds de l'Inten-
dance , une série complète de plans cadastraux de toutes les
communes du Bas-Rhin, plans magistralement exécutés,
quelques-uns il y a plus d'un siècle , et qui ont une valeur
positive encore de nos jours. Je fais une supposition qui n'a
rien d'impossible ni d'absurde: si, après de grands cata-
clysmes sociaux, de pareils dessins lopographiques se trou-
vaient miraculeusement conservés au bout de mille ou deux
mille ans, n'auraicnl-ils point alors une valeur analogue à
celle que la table de Peuliiiger eut pour les routes et les loca-
lités de l'Empire romain d'Occident?.... Ne reirouverait-on
pas dans notre collection de plans , pour une partie de l'Em-
pire français, des notions précises sur la culture des terres
au dix-huitième siècle, sur l'étendue relative du ban des
communes etc.?
Une partie capitale du fonds de l'Intendance est celle des
fiefs; elle a une valeur historique, parce que la féodalité n'existe
plus; et, en effet, beaucoup de titres de cette catégorie sont
antérieurs aux autres papiers de l'Intendance, qui ne remon-
tent guère au delà des premières années du dix- huitième
siècle. Le gouvernement avait demandé, en avriHVoG, un
relevé de tous ses vassaux en Alsace et des fiefs possédés
par eux. C'est l'intendant M. de Lucé qui procéda à ce grand
travail ; l'on fit consigner les résultats dans un volume in-
folio, manuscrit qui pourra toujours servir à constater la
situation d'une partie de notre noblesse territoriale à cette
époque. En même temps, les nobles étant tenus de justifier
de leurs droits à chaque vacance de fief, ils produisirent des
QUATRIÈME LETTRE. 37
titres historiques et des litres de famille dont la collection est
conservée dans noire fonds.
Je sais parfaitement que la noblesse d'Alsace n'a point une
valeur historique égale à celle de l'aristocratie seigneuriale
en d'autres parties de la France ou de l'Allemagne ; nous n'a-
vons pas de noms à placer à côté de ceux de Dugueschn ou
de Bayard, de Gœtz de Berlichingen, de François de Sickin-
gen, d'Ulrich de Ilutten. Les noms de nos chevaliers et de
notre noblesse territoriale sont moins retentissants; mais
pour nous ils ont une inappréciable importance; ils ont droit
à notre souvenir , ne serait-ce que parce que nous avons ap-
pris, dès notre enfance, à prononcer ceux de leurs familles
et de leurs châteaux , à visiter les ruines de ces castels au
cœur de nos forêts de sapins, et à connaître, dans beaucoup
de représentants de ces dynastes , des prélats qui ont illustré
le siège épiscopal de Strasbourg, des magistrats qui ont siégé
dans le conseil des empereurs d'Allemagne ou dans le sénat
de nos libres cités. Quand nous nous trouvons en face des
d'Andlau , des Berckheim , des Berstett, des Bœcklin de
Bœcklinsau , des Dielrich , des Dûrckheim , des Fugger , des
deGail , des Holzapfel de Herxheim , des Kageneck , des Joham
de Mundolsheim, des Landsberg, des Mûllenheim , des Ober-
kirch , des Rathsamhausen , des Reich de Reichenslein , des
de Rosen, des Streilt d'Immendingen, des Schauenburg, des
Wangen de Géroldseck, des Waldner de Freundstein, des
Wetzel de Marsilien, des Voltz d'Altenau, des Wurmser, des
Zorn de Bulach , — et presque toutes ces familles figurent
dans nos dossiers, — il faudrait ne pas avoir de sang alsacien
dans les veines pour rejeter sur un arriére-plan ou regarder
d'un œil de dédain les documents produits à l'effet de cons-
tater une filière non interrompue d'aïeux. Il n'est point donné
à tout noble prisonnier de faire payer sa rançon « par les
fileuses de la Bretagne » ; il n'est point donné à tout chevalier
de mourir, couvert de gloire, dans les champs d'Italie en
face d'un connétable de Bourbon; mais il n'est pas une des
38 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHLX.
familles que je viens de citer, qui n'ait inscrit l'un ou l'autre
de ses membres dans les fastes de notre province ; quelques-
uns d'entre eux ont môme une renommée plus vaste et plus
éclatante. Dans les lettres d'investiture, qui forment la ma-
jeure partie des titres féodaux , on retrouve presque toute la
filière des empereurs d'Allemagne à partir de la maison de
Luxembourg et d'Autriche. Puis, comme les terres féodales,
avant de se trouver entre les mains des feudataires enregistrés
dans le grand livre de 1756, avaient appartenu à d'autres fa-
milles nobles, la trace de ces dernières peut se poursuivre
dans nos dossiers , et nous remontons ainsi au cœur du moyen
âge par une échelle naturelle et facile. Enfin, ces terres,
tenues en fief par les descendants ou les héritiers de nos
dynastes , sont disséminées dans toute l'Alsace ; il s'ensuit
qu'en parcourant les lettres patentes, les lettres privilèges, la
correspondance, les procédures qui composent les cartons
des fiefs, on fait un véritable cours de géographie locale; on
traverse au pas de course nos bourgs, nos villages , nos ha-
meaux, nos censés, nos forets , nos montagnes et nos ruines ;
ce qui ne laisse pas que d'avoir quelque intérêt dans ces
études au microscope.
Je vous entends. Monsieur, qui m'interrompez pour me
reprocher la manie des détails. Je reconnais bien là , direz-
vous , le travailleur qui pense qu'après avoir creusé un sil-
lon dans un champ stérile, toutes les inflexions de cette ligne
tracée par ses mains vont prendre un intérêt quelconque
pour celui qui ne veut embrasser qu'un pays tout entier du
haut d'une montagne. Montre-nous, laboureur, l'ensemble
de ta moisson, et fais-nous grâce de la glèbe que ta charrue a
traversée !
A ces reproches, à ces sommations. Monsieur, je n'ai rien
à répondre. J'ai soulevé moi-même, dès l'origine, quelques
doutes puisés dans l'aridité apparente et dans la circonscrip-
tion étroite du terrain que je laboure. Aussi ne proposerais-je
point à un habitant de Paris ou de l'intérieur de la France de
QUATRIÈME LETTRE. 39
me suivre dans cette marche à traînée d'escargot à travers les
cantons ou les villages d'un département frontière ; je crain-
drais , rien qu'en reproduisant ces noms barbares où l'élé-
ment germanique domine, de troubler son oreille et de char-
ger inutilement sa mémoire. Mais ici , n'est-ce pas, nous par-
lons à un auditoire plus restreint, qui porte quelque affection
à ces communes dont il connaît les clochers, à ces familles
dont il a vu ou dont il voit encore les représentants?
N'avons-nous pas tous visité le château d'Andlau et sa pit-
toresque vallée? N'avons-nous pas, beaucoup d'entre nous,
touché la main de l'un des braves descendants de ces comtes
qui étaient contemporains des Hohenstauffen? Serai-je mal
venu si, pour faire connaître la nature des titres dont je vous
entretiens, je dis que les seigneurs d'Andlau tenaient des fiefs
à Ammerschwihr , à Andlau même et dans ses environs , à Berg-
heim, à Itterswiller, à Blienschwiller, àBernardswiller ; puis
àAugst prés des ruines de l'ancienne colonie romaine, à Sis-
sach dans le canton de Bàle , à Ensisheim , à Issenheim , à Boll-
willer, à Ottmarsheim prés de la rotonde carlovingienne?...
J'en passe, et des meilleurs Ne pensez-vous pas que, sans
être indiscret, je pourrais citer des lettres d'investiture éma-
nées, en leur faveur, des empereurs Wenceslas et Sigis-
mond , de Charles-Quint, de Ferdinand, de Léopold, etc.,
puis rappeler le long litige entre la famille de ces dynastes et
l'abbaye d'Andlau pour la jouissance des fiefs et du péage
dans le val d'Andlau, et le procès des deux branches de la
famille même pour le château de Wittenheim. Ne pourrai-je,
à propos des fiefs tenus par les Dûrckheim , indiquer , parmi
les titres annexés à leurs demandes, un traité ou une paix
caslrense {Biircjfrieden) , conclue, en lo(S9, entre Henri Ecke-
brecht de Dûrckheim , Henri de Lichtenberg et Robert, comte
palatin du Rhin ? Ne pourrai-je désigner leurs fiefs à Haguenau,
à Huncbourg, à Seltz, au Wasichcnstein , à Weilbruch , au
château cyclopéen de Windeck , illustré par la défense hé-
roïque de l'un des membres de leur famille? Mais non , vous
40 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
me donnez un avertissement significatif; je ferme le grand
livre des fiefs pour ne le rouvrir que sur demande contresi-
gnée par le secrétaire général de la préfecture.
Et les juifs, Monsieur, admettez-vous que je vous parle
d'eux? Voici leurs pétitions nombreuses, pour se faire ad-
mettre dans les communes d'Alsace; ils sont chassés par Ma-
rie-Thérèse , par la mère de Joseph II ! Ils viennent chercher
un refuge chez nous! Voici l'opposition qu'ils rencontrent, la
persécution tantôt sourde, tantôt patente qu'ils essuient même
en France ! voici des mémoires contre eux ; puis-je les ana-
lyser?... Non, car les juifs sont admis au rang des citoyens
français; ce serait plaider une cause gagnée, ce serait faire
une Iliade après Homère !
...Les fêtes royales et princières peut-être vous agréent ! Il
sera permis de parler des solennités qui ont marqué la venue
de Louis XV le Bien-Aimé, après sa maladie et sa convales-
cence à Metz? ou bien l'accueil fait, en MAI, à laDauphinc,
et, en 1770, à Marie-Antoinette?... Les programmes de toutes
les réceptions offîciclles se ressemblent, et je devine votre
impatience... Nos liasses de l'Intendance ne contiennent, à
ce sujet, que les invitations, l'appareil extérieur de ces fêtes;
mais ils évoquent involontairement chez moi d'autres sou-
venirs.
L'arrivée de l'archiduchesse d'Autriche , son entrée en
France, près du pont du Rhin, dans un pavillon tapissé de
Gobelins qui représentent les scènes les plus funestes et les
plus sanglantes de la mythologie grecque, a fait naître des
pressentiments sinistres dans l'esprit d'un jeune étranger qui
assiste, inconnu encore au monde, à cette scène en appa-
rence triomphale. Le jeune Gœthe est au milieu de cette foule
idolâtre, et son âme de poëte est involontairement saisie par
des rapprochements auxquels l'histoire ne donnera point de
démenti.
Le Rhin que la Dauphine vient de traverser, occupe dans
les cartons de l'Intendance une place marquante. Au nombre
QUATRIÈME LETTRE. 41
des pièces qui concernent la navigation du fleuve, se trouvent
des extraits ou des copies de règlement de batellerie du qua-
torzième et du quinzième siècle, des mémoires surlecom'sdu
Rhin depuis Bàle jusqu'à Cologne, des réclamations de bate-
liers ou' de négociants, des procès-verbaux de conférences
tenues entre des délégués de la tribu des bateliers de Stras-
bourg et des députés de l'électeur palatin etc. La question de
la libre navigation du Rhin était déjà agitée au milieu du dix-
huitième siècle; elle l'a été si longtemps que l'établissement
des chemins de fer sur les deux rives a eu la bonne chance de
la trancher en la rendant presque surannée et superflue.
Dans les nombreux mémoires plus ou moins curieux se
trouve une notice sur l'hôtel même de l'Intendance et sur sa
construction (1741). On sait que le préteur Klinglin l'avait
fait élever à peu prés en entier sous son nom, mais aux frais
de la ville, et qu'il trouva moyen de le revendre très-cher au
gouvernement, qui établit le siège de son représentant civil
dans ce palais. Cette scandaleuse affaire devint plus tard un des
chefs d'accusation contre le préteur prévaricateur. A l'heure
présente on ne se préoccupe plus de l'origine de ce bel édi-
fice ; l'habitant de Strasbourg n'y voit plus que l'hôtel de la
préfecture, et quelquefois la résidence temporaire des princes
et des souverains qui traversent Strasbourg. A quelques pas
delà, l'hôtel de Deux-Ponts (maintenant la division militaire),
un peu plus loin , l'hôtel de Darmstadt (la mairie) . forment
avec l'ancien hôtel de l'Intendance un ensemble qui imprime,
dans ce quartier, à la ville de Strasbourg une physionomie de
petite résidence allemande. Dans mes prochaines lettres, je
vous entretiendrai, si vous voulez bien le permettre, des fonds
de Deux-Ponts et de Hanau-Lichtenberg (Darmstadt) qui se
rattachent à ces édifices mêmes , ou plutôt à l'histoire et aux
antécédents des princes qui les ont construits et habités.
42 ARCHIVES DÉPARTEMEJN TALES DU BAS-RHIN.
CIIVQUIEME LETTRE.
Fond.s du «liiché de Deux-Ponts. — l.e prince ytax de Deux-Pon<s, ses
ancêtres, sa fanaille. — Possessions des princes de Deu\-Ponts en
Alsace. — Risciiwiiler. Caractère de cette ville. — Ia's réformés de
Biscliwllier. — Culture du tabac eu Alsace. — l<es mines de Sniutc-
9Iarie.
Monsieur,
Pendant les années qui ont précédé la révolution de 1789,
nos pères et nos grands-pères ont pu voir souvent passer dans
les rues de Strasbourg un jeune et brillant colonel du régi-
ment de Royal-Alsace; sa physionomie souriante, ouverte,
gagnait les cœurs, et, ce qui n'y gâtait rien, ce beau mili-
taire était de race ducale; il comptait des empereurs et des
rois au nombre de ses aïeux; son frère aîné possédait en toute
propriété, mais sous la suzeraineté de la France, les bail-
liages de Bischwiller, de Seltz, de Cléebourg, de La Petite-
Pierre, de Gulenberg et le comté de Ribeaupierre.
Ce colonel , ce prince allemand au service du roi de France,
était Maximilien-Joseph de Birkenfeld-Deux-Ponls , plus tard
électeur et enfin roi de Bavière.
Je demande la permission de dire quelques mots de lui, de
sa famille , de ses ascendants et quelques mots aussi de sa
principauté en Alsace*, avant d'aborder le fonds qui dans nos
archives porte le titre de duché de Deux-Ponts. Le détour que
je fais n'est cpi'apparent ; nous arriverons au même but, seu-
lement par un chemin un peu moins ennuyeux et moins obs-
cur que si je vous plaçais, de prime abord, au milieu des
liasses presque toutes d'un médiocre intérêt, qui constituent
le fonds des archives de ladite principauté.
'Je dis sa principauté , quoique son frère aîné Charles vécût encore dans
ce temps; mais ce frère aîné n'avait point d'enfants, et l'on savait que le
prince iMax lui succéderait dans le duché de Deux-Ponts.
CINQUIÈME LETTRE. 43
Je n'établirai point ici le tableau généalogique très-com-
plexe et Irès-étendu de notre prince Max ; je ne dirai que ce
qui est strictement nécessaire pour apprécier son illustre ori-
gine, et faire comprendre comment sa famille se trouvait pos-
séder des seigneuries sur le territoire français*.
Le fondateur de la maison de Bavière et de la maison élec-
torale-palatine, est Otton de Wittelsbach (1180), l'ami elle
protégé de l'empereur Frédéric Barberousse. Nous ne suivrons
pour le moment que la destinée de la brancbe palatine qui se
détache, au quatorzième siècle, du tronc principal, et four-
nit, en 1400, un empereur à l'Allemagne, dans la personne
de Robert-le-Palatin, un roi à la Scandinavie, dans la per-
sonne de Christophe, roi de l'Union du Nord (iMO), et un
roi éphémère à la Bohême, dans la personne de l'électeur Fré-
déric (1619). Cette branche électorale palatine se divise et se
subdivise, dans le cours du quinzième et du seizième siècle, en
plusieurs rameaux, pour se réunir et se fondre de nouveau,
à la fin du dix-huitième siècle, en un seul tronc. Je me borne
à indiquer ces subdivisions, en nommant les maisons deSim-
mern , de Deux-Ponts , de Cléebourg , de Neubourg , de Soultz-
bach, de Birkenfeld. La maison ou le rameau de Cléebourg
fournit trois rois au trône de Suède. Ce sont Charles X,
Charles XI et Charles XII , les rivaux des rois de Pologne , de
Danernarck et du czar Pierre-le-Grand.
En 1731, Gustave-Samuel, duc de Deux-Ponts, comte de
Cléebourg, cousin ou oncle à la mode de Bretagne de CharlesXlf,
meurt sans laisser d'enfants ; alors Christian , comte de Bir-
kenfeld, l'un des collatéraux de Gustave-Samuel, réunit Deux-
Ponts et Cléebourg à ses terres patrimoniales. Ce Christian
est le grand-père du colonel de Royal-Alsace.
< Je renvoie ceux de mes lecleurs qui seraient curieux de plus amples
détails chronologiques el généalogiques , à mou rnpport de l'année t818, im-
primé a la suite des délibérations du Conseil général el aux Tableaux généa-
logiques de la maison de Bavière, t. lit des Révolutions de l'Europe^ par
Koch.
44 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
Ainsi la perspective s'agrandit; le chef d'une petite princi-
pauté alsacienne et palatine se rattache par ses pères au grand
théâtre de l'histoire européenne, et lui-même à son tour fera
souche royale.
Cette transformation s'opéra sous l'Empereur Napoléon \^^,
et grâce à la volonté de ce fondateur de la Confédération du
Rhin.
Le prince Max avait toujours aimé la France ; il regardait
l'Alsace comme sa seconde patrie. Son fils aîné, Louis, est
né à Strasbourg (en 1786), à l'hôtel même de Deux-Ponts.
Toutes les fois que le prince Max, élevé à la dignité de roi,
voyait arriver à sa cour de Munich un Alsacien ou un habi-
tant de Strasbourg, il le questionnait affectueusement sur les
localités où s'était écoulé le meilleur temps de sa vie , le temps
où il avait aimé, où il avait parcouru nos belles montagnes
et noué des amitiés, auxquelles il restait fidèle sur son trône
de moderne création.
Voici comment il avait été porté à cette haute fortune :
La maison ducale de Bavière, issue d'Olton de Witlelsbach ,
et de l'empereur Louis de Bavière , s'était éteinle en 1777 dans
la personne de l'électeur Maxiniilien-Joseph , fils de l'éphé-
mère empereur Charles Vil. Alors le représentant le plus
proche dans la branche collatérale (palatine) succéda ; c'était
Charles-Théodore, électeur palatin résidant à Mannheim.
Celui-ci à son tour étant mort en 1799, sans héritier direct,
le plus proche agnat dans les branches palatines, Maximilien-
Joseph , duc de Deux-Ponts-Birkenfeld recueillit la totalité de
l'héritage bavarois; il devint électeur, et sept ans plus tard
roi de Bavière. L'antique maison de Wittelsbach vil renaître
en lui sa splendeur première. Je vous ferai plus grand que ne
l'ont été tous vos ancêtres , avait dit Napoléon , et il tint parole * !
Louis, son fils, lui succéda en 1825; il se fit le prolecteur
1 L'une des filles du roi Max , la princesse Auguste , épousa le vice-roi
d'Italie, le prince Eugène Beauharnais ; elle est la tante de l'Empereur Napo-
léon III.
CINQUIÈME LETTRE. 45
des arts dans rAllemagne méridionale; il est le vrai créateur
de Munich moderne, de ces palais, de ces galeries, de ces
musées, de ces basiliques, où se pressent journellement des
voyageurs venus des quatre coins de l'Europe et de l'Amé-
rique pour voir et admirer ; nobles édifices , peintures épiques ,
qui formeront le vrai titre de gloire de leur patron, et plaide-
ront sa cause, malgré sa gallophobie, passionnée.
Le fils du roi Louis , Maximilien II , le roi actuel de Bavière,
cultive et protège, comme avilit fait son père, l'art dans ses
plus belles manifestations; il réunit dans ses salons les poêles
et les littérateurs les plus distingués de l'Allemagne contem-
poraine. Dans l'ancienne cité de Minerve, Otton l^^ , roi de
Grèce, frère de Maximilien II, représente la civilisation mo-
derne au pied de l'Acropole, sur les confins de l'Orient.
Certes, il est permis d'affirmer que les destinées de la mai-
son de Bavière, écloses sous la main puissante de l'Empereur
Napoléon, n'étaient et ne sont pas inférieures à celles que
l'empereur Frédéric I^'" avait faites à Otton de Wittelsbach et
à ses descendants.
Vous me demanderez maintenant, à bon droit, comment
des bailliages situés dans la Basse-Alsace étaient échus à une
branche de la maison palatine ; comment il a pu arriver que
des descendants d'Otton de Wittelsbach, duc de Bavière,
vinrent à posséder une seigneurie dans la Haute-Alsace.
Dans une de mes dernières lettres, j'ai déjà fait paraître la
grande figure de Frédéric-le-Victorieux , électeur palatin, qui
joue, dans la seconde moitié du quinzième siècle, le rôle
d'un conquérant au petit pied sur les bords du Rhin , et de-
vance, par la manière dont il compose et discipline son armée
peu nombreuse, les allures et les hauts faits de Frédéric-le-
Grand, roi de Prusse.
Cet électeur belliqueux s'empara, d'une part, du château
et du bourg de Bischwiller, puis de la Sibérie alsacienne, du
comté de La Petite-Pierre, enfin de la ville de Phalsbourg
(alors Einartshausen). Après des péripéties que je dois passer
46 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
SOUS silence, pour ne pas trop allonger ce récit, Bischwiller
échut, au commencement du dix-septième siècle, à la maison
palatine de Deux-Ponts, et passa définitivement, au dix-hui-
tième siècle, avec l'héritage de celle-ci, à la branche palatine
de BirkenfekP.
Quant au comté de Ribeaupierre ou de Rappolstein , celte
belle seigneurie, — qui comprenait, dans la partie la plus
pittoresque de l'Alsace, les trois châteaux, la ville de Ribeau-
villé , Guémar, Zellenbcrg, Berghcim, Sainte-Marie-aux-
Mines etc., — était échue par mariage, dès iC73, à la mai-
son de Birkenfeld". Ce fut la main habile et puissante de
Louis XIV qui s'était entremise dans cette succession.
Ainsi, Maximilien-Joseph, le colonel français, le prince
germanique de Birkenfeld, qui, au moment de la Révolution
française n'était que le fils puîné d'une petite maison souve-
raine, et ne possédait en toute propriété que son épée et son
régiment, lequel allait se fondre dans la grande armée répu-
blicaine, — Max-Joseph qui, en 4795, même après la mort
de son frère, le duc régnant de Dcux-Ponts-Birkenfeld, n'avait
que des droits désormais problématiques sur des seigneuries
alsaciennes , se vit , par un concours de circonstances inat-
tendues, dès la fin du dix-huitième siècle, porté vers des
destinées exceptionnelles. 11 pouvait presque dire comme
Saiil , fils de Kis , qu'il était sorti à la recherche du trou-
peau nourricier de son père, et qu'il avait lini par trouver un
royaume.
Une partie des possessions de l'ancienne maison palatine
appartient encore aujourd'hui au royaume de Bavière ; c'est
' La maison de Birlienfeld avait déjà possédé Biscliwiller au dix-septième
siècle comme engagisie.
^r^e prince Christian II de Birlienfeld avait épousé l'une des fdles de
Jean-Jacques, dernier comte de Bibeaupierre. Il est le bisaïeul du prince
Max. Je fais remarquer en passant, que Frédéric, père de Max, de luthérien
qu'il était, se fit catholique en 1746. — Les Deux-Ponts étaient réformés-
calvinistes.
CINQUIÈME LETTRE. 47
Deux-Ponts et la i)artie de l'ancien Palatinat qui est située
sur la rive gauche du Rhin; mais les bailliages alsaciens,
indiqués plus haut, sont restés. Dieu merci, dans le ressort
des deux départements du Rhin; c'est à ceux-là que se rap-
porte le fonds de nos archives, dont je compte vous entre-
tenir.
L'administration ou la régence de ces petits bailliages avait
été établie à Bischwiller dès le dix-septième siècle ; aussi la
plupart de nos papiers sont-ils relatifs à cette ville qui con-
serve, dans sa métamorphose actuelle, les traces de l'ancien
gouvernement allemand. Bischwiller avait commencé par être
une ferme épiscopale {episcopi villa') qui passa entre les mains
de plusieurs seigneurs, et, après la conquête de Frédéric-le-
Viclorieux, un moment même à l'empire. Rentrée sous la
domination d'une branche de la maison palatine, elle vit ,
dans la seconde moitié du seizième siècle, l'introduction de
la réforme zwinglienne ; enfin, en 4618, des calvinistes fran-
çais , fabricants et commerçants, y furent appelés par le duc
de Deux-Ponts. De la, cette population réformée, qui consti-
tue encore aujourd'hui le noyau delà petite ville industrielle ;
de là cet aspect de colonie morave, qui imprime à Bischwiller
une physionomie particulière. La ville et le pays sont à l'unis-
son; plaine austère, peu accidentée, que traverse la Modcr,
rivière mélancolique, utilisée par les usines; horizon de fo-
rêts qui forment une demi-ceinture à l'entour de cette enclave
puritaine, oi^i la population des fabriques se discipline sous
une tutelle intelligente et paternelle.
J'ai déjà fait pressentir que le fonds du duché de Deux-
Ponts, c'est-à-dire de cette partie du duché, qui était formée
par les bailliages alsaciens, est moins remar(|uable que d'au-
tres parties de nos archives. Je ne vous laisserai point feuil-
leter les liasses de la comptabilité et des titres de propriété
vulgaires ; mais consentez à me suivre , un instant, dans celte
période de l'admission des réformés français, qui signale à
Bischwiller le commencement de la guerre de Trente ans.
4-8 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Les nouveaux arrivants, j'emj3runte les détails à une cor-
respondance du bailliage de Bischwiller , les nouveaux arri-
vants avaient demandé à la régence de Deux-Ponts la faveur
de célébrer le culte divin dans leur langue maternelle. Un
pasteur français, Didier de Mageron , avait été consacré par les
pasteurs et les anciens de l'église de Bàle et envoyé à Bisch-
willer. Mais à peine installé, le minisire de l'Évangile, peu
content de 200 florins d'appointements, mal logé d'ailleurs,
commence à se plaindre ; et pour ajouter à ses tribulations ,
son confrère allemand, le pasteur Emmerich, le dénonce à la
régence comme réfractaire aux ordres du duc et du synode
de l'église réformée allemande. A peine cette affaire paraît-
elle réglée, que Mageron demande un sauf-conduit au duc de
Deux-Ponts , pour se rendre en Lorraine où l'appellent des
affaires de famille, et où son père , le capitaine de Mageron,
catholique fervent, ne manquera pas de le persécuter. Leduc
obtempère à ce vœu ; mais à peine le pasteur français est-il
parti , que les réformés français donnent de nouveaux sujets
de mécontentement au pasteur allemand , qui , de son côté ,
paraît ne pas avoir été d'une facile composition. Mageron re-
vient de son voyage de Lorraine , et les frottements repren-
nent ; c'étaient évidemment des antij)alhies de races et de na-
tionalité qui se manifestaient au sein de la communauté pro-
testante : tantôt ce sont des discussions sur les heures de ser-
vice, tantôt sur la construction d'une nouvelle église; quel-
quefois des questions touchant au dogme viennent se mêler
aux causes matérielles de ressentiment. Pendant toute cette
période de détresse, les dissensions intérieures se mêlent aux
malheurs pubhcs qui en sont en partie la cause et l'occasion,
La fabrique de l'église et le trésor ducal étaient dans une égale
pénurie. En 16!23^ les malheurs de la guerre frappent Bisch-
willer ; la maison curiale est saccagée et devient inhabitable ;
une autre fois il y a impossibilité de parfaire le traitement du
pasteur. Enfin, en 1648, le duc Chrétien de Birkenfeld et la
duchesse sa femme, font un legs à la cure française, qui dès
CINQUIÈME LETTRE. . 49
lors paraît avoir été mieux pourvue , car les demandes ne se
renouvellent plus.
Au moment oi^i le premier pasteur français avait été installé
à Biscliwiller , on avait aussi songé à un maître d'école pour
la petite colonie française. Après bien des pourparlers, on
avait obtenu la création de cet emploi modeste ; un certain
Gérard élait entré en fonctions avec une bien misérable solde !
Et pourtant cette pauvre place fut vivement sollicitée en 1G52,
par un savant, par le sieur François Lépicier, ancien précep-
teur de la princesse Louise de Deux-Ponts. Je ne sais si le
pétitionnaire obtint l'emploi, et si, après avoir donné des
leçons à uneducliessc, il fut trouvé propre à enseigner le ca-
téchisme et la grammaire aux enfants des fabricants et des ar-
tisans de Bischwiller.
De même qu'à Bischwiller, il existait une petite colonie de
réformés français à Anweiler, près de Landau. Il paraît qu'en
1663, le pasteur Pache passa de cette paroisse dans celle de
Bischwiller, et qu'à cette occasion il s'éleva entre les deux
communautés une discussion où le duc fut obligé d'interve-
nir. Dans ces temps de vives croyances, c'étaient les fidèles
qui se disputaient les membres chargés de la cure d'àmes ;
sans compter qu'il devait être difficile, au sein d'un pays oij.
dominait la langue allemande , de se pourvoir de pasteurs
français.
A l'année 1684 se rapporte la nomination d'un prédicateur
de la cour de Bischwiller; ce qui implique la résidence des
comtes de Birkenfeld, qui, depuis quarante-quatre ans, te-
naient la ville à titre de gage de leurs cousins de Deux-Ponts.
A l'aide des titres du bailliage de Bischwiller , on peut cons-
tater l'introduction de la culture du tabac en Alsace. En 1629,
l'année même où Bischwiller fut brûlée, l'un des colons fran-
çais. Benjamin iMauclerc, revendique l'honneur d'avoir le
premier cultivé la nicotiane à Bischwiller et à Hanhofen. Il
se vantait surtout d'avoir fait subir à la feuille de cette plante
une préparation si bien appropriée au goût du public , que sa
50 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN.
marchandise, acceptée et approuvée par le commerce, se
vendait jusque dans les Pays-Bas, exactement comme le tabac
des colonies. La réclamation de Mauclerc est dirigée contre
un habitant de Metz qui avait aussi commencé à planter le
tabac, mais qui, dans la préparation, falsifiait le produit. Sur
cette pétition , le duc Jean de Deux-Ponts accorde à Mauclerc
un privilège qui fait naître une nouvelle réclamation de la part
des bourgeois Aubertin et Solcourt ; ceux-ci à leur tour veulent
se livrer à la culture du tabac, et à l'appui de leur pétition,
ils joignent un extrait de la capitulation de iG18 , qui permet
aux colons français établis à Bischwiller, de se livrer, selon
leur convenance , à tout métier.
Mauclerc, dans un autre mémoire, cherche à réfuter les
objections de ses adversaires; il les engage «à continuer
l'exercice de leur profession de passementier, qui n'est point
à l'état de chômage» , et il s'applique à prouver que la prépa-
ration du tabac exige des connaissances qui manquent à ses
concurrents et qui pourraient tourner au détriment de la santé
publique. La décision du bailli de Bischwillcr est favorable à
Mauclerc ; la régence de Deux-Ponts se prononce dans le même
sens; mais les concurrents ne se tiennent point pour battus,
ils continuent à empester la ville ella campagne. Celte affaire
litigieuse traîne pendant deux ans et au delà. Solcourt , irrité
de sa déconfiture , a cherché à répandre parmi le peuple de
la campagne l'idée que la planlafion du tabac est malsaine
et produit la pluie et les brouillards malfaisants. La déci-
sion finale porte que les deux partis auront à s'abstenir de
planter du tabac. A-t-on respecté cette défense, faite au mi-
lieu des troubles de la guerre de Trente ans? Je l'ignore et
nos dossiers n'en parlent point ; mais ce qui demeure établi ,
c'est l'introduction première de cette culture par les réfugiés
français.
Les autres bailliages qui se rattachent à cette régence de
Bischwiller-Deux-Ponts, étaient en partie situés dans le Pa-
latinat; le résidu de leurs titres, dans nos archives , offre
CINQUIÈME LETTRE. 51
peu d'intérêt. Dans le bailliage de Cléebourg on a commencé
à exploiter les mines dès le commencement du dix-huitième
siècle, et cette circonstance mérite d'être mentionnée, puis-
que dans les mêmes cantons ou dans leur voisinage cette ex-
ploitation a pris depuis lors un prodigieux essor. Un dossier
de 4748 à 1766 est relatif aux mines d'asphalte prèsdeSoultz
et de Lampertsloch.
Les mines de Sainte-Marie au val de Lièpvre ont aussi une
rubrique dans ce fonds de Deux-Ponts. Un mémoire, rédigé
au dix-huitième siècle, constate la découverte de ces mines
vers la fin du quinzième siècle, sous Brunon ou Braun de Ri-
beaupierre. L'existence de ce dynaste, qui est bien l'un des
caractères les plus astucieux de son temps et l'un des sei-
gneurs alsaciens les plus malfamés dans ce siècle de perfidie,
aurait donc été marquée au moins par un fait utile.
Les mines de Sainte-Marie au val de Lièpvre, s'il faut en
croire le même rapport, furent abandonnées en 1636, puis
reprises en 1711 par quelques bourgeois de Strasbourg, avec
la permission du prince de Birkenfeld.
Ces papiers de la seigneurie de Ribeauvillé ne se trouvant
qu'incidemment sur noire chemin, je ne me crois point le
droit , malgré votre indulgence , de m'y arrêter plus longtemps ,
quelque riche en événements et en caractères originaux que
soit précisément ce domaine. Mais la longue route que je dé-
sire vous faire suivre m'empêche de m'arrêter aux chemins
de traverse; je continue donc à parcourir les principautés alle-
mandes , premières étapes de notre voyage dans le dépôt du
Bas-Rhin.
52 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
SIXIÈME LETTRE.
liC tonds de ]Ianau-l.icbtenbcrg. — Aperçu historique et gëog:ra-
piiique. — I.e oiiùteau de I^ichtenberj^ ; le comté. — lia faïuiile
ancienne de liiciitenberg. — La faniilic de llanan. — La famille
de Ilesse-Darm.stailt. — Individualités marquantes de ces trois
familles. — La résidence de Bouxwiller. — L'Orangerie de Straa-
bourg.
Monsieur ,
Vous m'accordez , n'est-il point vrai, la faculté de suivre la
marche adoptée jusqu'ici; de faire reposer vos yeux et ceux
de vos lecteurs sur les points culminants de l'histoire de nos
familles princières, de nos familles nobles et de nos institu-
tions, avant de caractériser les documents qui nous parlent
d'elles, avant de vous introduire dans les fonds spéciaux de
nos archives, qui conservent le souvenir de ces institutions
ou de ces dynastes?
Il est superflu de vous prévenir que c'est, en partie, à l'aide
même de nos titres, que j'essaie de retracer ces contours gé-
néraux de leur histoire.
La famille de Ilanau-Lichtenberg doit nous arrêter un peu
plus que les fonds précédents; elle constitue l'une des parties
les plus considérables de noire dépôt'; c'est aussi, comme
existence historique , la seigneurie laïque la plus marquante
de la Basse-Alsace.
Le nom qui se trouve en tète de ce fonds, vous indiquerait
du reste, si vous ne le saviez déjà, qu'il y a là une fusion
d'intérêts et de familles; vos lecteurs le comprendront davan-
tage encore , lorsqu'ils sauront que les princes de Darm-
stadt, feudataires alsaciens du roi de France au dix-huitième
siècle , étaient les héritiers de l'ancienne maison de Hanau-
Lichtenberg.
^ 170,000 litres, pour I;i plupart titres de propriété , il est vrai, mais im-
posants par leur masse, et souvent intéressants par leur contenu.
SIXIÈME LETTRE. 53
Jo vais donc, sous réserve de votre approbation, — car
vous devez pressentir le goût de votre public, — je vais
m'étendre un peu sur la malière indiquée en tète de la })ré-
sente lettre; je le ferai toutefois avec discrétion, en donnant
en raccourci une photographie du tableau d'ensemble que
j'ai présenté à la Société historique d'Alsace*, et en termi-
nant par J'imperceptible résumé de 1700 pages de mon in-
ventaire.
Et pour capter un peu la bienveillante indulgence de vos
lecteurs, dont quelques-uns ont consenti jusqu'ici à prendre
part à ces entretiens familiers, je vais vous prier de vous pla-
cer avec moi , en pensée , au haut du château de Lichtenberg-,
puis en face du grand portail de notre cathédrale, puis dans
une salle basse de la bibliothèque de Strasbourg, puis dans
les rues de Bouxwiller; enfin, en face de l'ancien hôtel de
Darmstadt et dans les allées de l'Orangerie Joséphine.
Quand j'aurai de la sorte rappelé à quelques-uns de nos
indulgents amis ce qu'ils savent, et fait connaître à d'autres
ce qu'ils ignorent, je pourrai espérer trouver grâce pour
quelques détails un peu plus sévères, et pour l'indication
aride, nécessairement incomplète, de ces masses de papier
que 90 a trouvées à Bouxwiller et jetées dans les bâtiments
de l'ancienne Intendance d'Alsace.
Au nord de Bouxwiller s'élève, sur la première chaîne des
Vosges, à une hauteur de 420 mètres, et visible de loin, la
forteresse de Lichtenberg, dont la partie centrale, le donjon,
date de la seconde moitié du treizième siècle ; tandis que le
corps de la place a été agrandi et renouvelé par l'architecte
Speckle dans la seconde moitié du seizième siècle.
Du haut de ce château , demeure première des seigneurs de
Lichtenberg-, l'œil peut suivre, dans la belle plaine ondulée
au pied des montagnes, une partie considérable des propriétés
' Le comté de Ilanau- Lichtenberg , vol. II[ du Dullclin de la Société pour
la conservation des monuments historiques d'Alsace , p. -1-80.
54 ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
de ces dynastes qui prétendaient remonter jusqu'aux temps
des Mérovingiens. Ils avaient, eux et leurs successeurs, par le
droit du plus fort, par des achats, des échanges, des mariages,
des héritages , réuni peu à peu entre leurs mains les villes et
les bourgades de Bouxwiller, d'Ingwiller, de PfafTenhofîen ,
de ReichshofTen' , de Wœrth et les villages qui environnent
ces localités; un peu plus à l'est, vers le Rhin, un groupe de
communes autour de la bourgade dellatten; puis, plus au
sud, Brumath et ses environs, Ofiendorf sur le Rhin, Wolfis-
heim, près de Strasbourg, quelques communes près du Kron-
thal , deux bailliages (Liclitenau etWillstetl) sur la rive droite
du Rhin, et un petit district dans le Palatinat, autour de Pir-
masens et de Lemberg.
C'étaient, dans la Basse-Alsace seulement, près de 100,000
habitants répartis entre 150 communes qui reconnaissaient,
au dix-builième siècle, la souveraineté des comtes de Hanau-
Lichtenberg, représentés alors par les princes de liesse -
Darmstadt.
Trois ou quatre fois, dans la suite des siècles, ces belles et
fertiles terres, couvertes d'une population laborieuse et aisée,
avaient changé de maître. Les anciens dynastes de Lichtenberg
s'étaient éteints en 1481 dans la personne de Jacques , comte
de Lichtenberg. Ses deux nièces Anne et Elisabeth avaient
porté les droits de leur oncle et les droits de leur père, Louis
de Lichtenberg, à leurs maris, Philippe, comte de Hanau,
et Simon Wecker^ comte de Deux-Ponts. Les bailliages alsa-
ciens furent temporairement partagés entre ces deux familles;
je dis temporairement, car, dès 1570, Philippe de Ilanau ,
petit-fils du premier Philippe, réunit de nouveau entre ses
mains la totalité de l'héritage des anciens Lichtenberg, et en
1736, encore une fois par suite d'extinction de la ligne mas-
culine, cette magnifique succession passa aux landgraves de
Hesse-Darmstadt, un prince de cette maison (Louis YIII) ayant
1 ReichsliofTen n'a fait parlie du domaine de Hanau que lemporairemenl.
SIXIÈME LETTRE. 55
épousé Charlotlc-l^liristine, fille et hérilière de Jean-René ,
dernier comte de Hanau-Lichtenberg.
Ces faits, Monsieur, sont élémentaires dans l'histoire d'Al-
sace ; mais tout le monde n'étant pas tenu de connaître ou de
retenir dans sa tête ces évolutions dynastiques dans une petite
principauté alsacienne, j'ai dû en reproduire, à tout hasard,
les lignes principales.
Le château cyclopéen de Lichtenberg a été témoin de plus
d'un drame domestique; et ces murs, s'ils pouvaient parler,
comme on dit vulgairement, raconteraient bien des souf-
frances, bien des misères, bien des scènes tragiques et co-
miques ; car, à côté des larmes et du deuil, le grand drama-
turge a bien aussi voulu permettre le rire. Plus d'une fois ce
donjon, qui domine encore les fortifications modernes, a
donné un abri involontaire aux prisonniers, que les Lichten-
berg avaient ramassés dans leurs luttes avec les dynastes al-
saciens, lorrains, badois et palatins; plusieurs fois il a servi
d'asile bienvenu aux seigneurs eux-mêmes, lorsque, au qua-
torzième siècle, les bandes anglaises de Servole et d'Enguer-
rand de Coucy, au quinzième, les Armagnacs, au seizième,
les Rustauds , au dix-septième , les hordes de Mansfeld , les
armées des Impériaux et des Suédois ravagèrent ces plaines
fertiles. Du haut de ces murs, les Lichtenberg et les comtes
de Hanau ont pu voir la torche incendiaire lancée sur les mai-
sons et les cabanes de leurs vassaux ; et bientôt après, la fer-
tilité native de ce sol 'inépuisable reprendre le dessus, et
réparer, à l'aide de nouvelles moissons, les désastres de la
guerre ,
Maintenant, descendons de ces hauteurs protectrices et pro-
tégées, plaçons-nous un instant devant la cathédrale de Stras-
bourg, inclinons-nous pour la centième fois devant la façade,
œuvre d'Ervvin. — Erwin, le Bramante alsacien, a été inspiré,
soutenu par un Jules II alsacien, par l'évèque Conrad de Lich-
tenberg, par le même prélat qui éleva le donjon féodal, dont
nous venons à peine de quitter la terrasse. Ces deux noms, le
5(3 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
nom de l'architecte et le nom de son protecteur intellii^enl et
énergique , sont indissolublement unis dans les annales de
notre pays. La circulaire épiscopale' qui, en 1275, prescri-
vit une quête pour terminer «la demeure de la sainte mère
«de Dieu, qui daignera à son tour préparer aux donateurs
« une habitation éternelle dans les cieux, » cette pélition épis-
copale est, pour Conrad, le plus beau titre de gloire; elle
place, à mon gré, son nom plus haut que tous les faits d'armes
qui ont illiislré sa carrière agitée (1273 à 1299); lui aussi,
a reçu, déjà sur cette terre, la récompense qu'il promet au
fidèle troupeau de son diocèse; car rien peut-il équivaloir à
celle immortalité conquise par une œuvre pacifique, l'admi-
ration des siècles passés et des siècles à venir !
Conrad de Lichlcnberg ouvre la série des hommes illustres
de sa maison; deux évoques, Frédéric de Lichtenberg, frère
de Conrad (1299 à 1306), rénovateur de l'église ogivale de
Haslach , et le pieux Jean de Lichtenberg (1355 à 1365), le
bienfaiteur et le visiteur assidu de l'abbaye de Pairis-, le prélat
qui meurt le cœur brisé à la vue des misères de son diocèse,
continuent celte galerie de portraits historiques dont je vous
laisse à peine entrevoir quelques-uns à la dérobée, car je tiens
à faire passer sous vos yeux beaucoup de personnes et beau-
coup de choses, dans le moindre espace de temps possible.
Je vous ai promis tout à l'heure de vous conduire à la bi-
bliothèque de la ville de Strasbourg, qui est d'ailleurs en
toute circonstance la succursale, que dis-je? l'institutrice et
la mère nourricière des archives. Là , vous verrez deux bustes :
l'un, celui d'un vieillard amaigri, soucieux, à figure de faune
ou de satyre; l'autre, celui d'une jeune femme belle, mais
dont les traits , à la fois énergiques et sensuels , accusent de
violentes passions ; c'était la femme ou plutôt la maîtresse de
ce vieux faune qui, jeune, avait été un chevalier brave, hé-
^ Elle fail partie du fonds de révêclié, cl a été éditée pour la première
fois en 18i2, avec commentaires et traduction, par l'archiviste.
^ Dans le liaul-Uliin,
SIXIÈME LETTRE. 57
l'oïqiie , le seul champion alsacien (|iio les Armagnacs ren-
contrèrent en rase campagne. Dcjàvons avez nommé Jacques,
comte de Lichtenberg, et Barbe d'Oltenbeim , la villageoise
d'outre-Rhin, élevée par son vieil amant à la dignité de châ-
telaine de la main gauche, et qui devait être précipitée plus
tard, par un triste retour des choses d'ici-bas, dans l'abîme
du malheur, de l'ignominie et des tortures physiques.
Qui ne connaît cette tragique histoire, entremêlée, dans
l'origine, de scènes moitié burlesques? N'a-t-elle pas été ra-
contée, redite par des chronicfueurs et des historiens popu-
laires , et n'est-elle pas toujours res'tée neuve , grâce aux le-
çons qu'elle porte dans ses lignes funèbres?... Quoi! c'est
ainsi qu'un brave, qu'un héros — car Jacques de Lichtenberg
l'avait été — peut finir ! Quoi ! c'est ainsi qu'une femme adu-
lée, protégée par un puissant dynaste, peut être jetée de son
lit de repos sur le bûcher des sorcières! Nos archives ne con-
tiennent pas une page de cet assassinat juridique, et pourtant
elles ne manquent pas de documents de cette nature. Quelle
révélation fournirait, au surplus, un dossier sur Barbe d'Ot-
tenheim? On devine bien que la vengeance populaire, n'ayant
pu assouvir ses colères sur la maîtresse insolente du seigneur,
se soit exercée plus tard sur cette malheureuse , par l'inter-
médiaire des bourreaux officiels.
Pendant riue le feu dévorait cette belle tête, qui avait jeté
le trouble dans l'esprit et les sens du dernier comte de Lich-
tenberg^ les nièces de ce dynaste' recueillaient, sans aucun
embarras, sa succession; car, disons-le bien en l'honneur du
comte Jacques , il avait tenu fidèlement la parole donnée dix
ans auparavant (1470) à son fi'ère Louis, lorsque celui-ci, af-
faibli, mourant, l'avait appelé dans le vieux château de Lich-
tenberg et lui avait recommandé l'avenir de ses filles. Louis
et Jacques, modèles pendant longtemps de l'amour fraternel,
seigneurs par indivis des domaines patrimoniaux de Lichten-
berg, frères d'armes sur les champs de bataille, comme ils
étaient frères par le sang, Louis et Jacques, ce Castor et ce
58 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Pollux tlii moyen âge alsatique , un moment désunis pendant
l'éclipsé morale de l'un d'eux, s'étaient rapprochés en face de
la vieillesse , de la mort et de l'éternité.
La famille des comtes de Hanau qui venait prendre la place
des vieux dynastes, était originaire de la Wetteravie, près de
Francfort. La branche aînée de la famille , celle de Ilanau-
Miintzenberg , continuait à résider en Allemagne; elle a une
histoire parallèle et liée à celle de Hanau-Lichlenberg; ce-
pendant je ne puis me^iermettre de l'esquisser ici; cela m'en-
traînerait sur l'un de ces chemins de traverse que j'ai déjà
déclaré vouloir éviter.
Les comtes de la famille de Hanau, sans abandonner com-
plètement le château dynastique de Lichtenberg, situé au
haut de la montagne, résidaient de préférence à Bouxwiller,
où le comte Jacques de Lichtenberg avait déjà établi sa de-
meure pendant qu'il était sous le charme de l'enchanteresse
rustique. La nouvelle famille régnante, je demande votre in-
dulgence pour cette expression un peu trop pompeuse, devint
la bienfaitrice de la petite ville où elle élablissait sa demeure
habituelle ; avant et après l'introduction de la religion réfor-
mée, Bouxwiller fut dotée, par les comtes hanauiens, d'éta-
blissements de bienfaisance et d'instruction publitjue, qui en
firent un centre d'activité religieuse , morale et intellectuelle.
Philippe (111) de Hanau avait jeté, vers 1530, les fondements
de l'hospice; c'était d'abord une œuvre très-modeste, qui
prit peu à peu, à l'aide de dotations, une remarquable éten-
due , et qui réunit vers ilAO sous son administration les biens
des églises protestantes des environs. Jean Pieinhard , comte
de Hanau-Lichtenberg (1595 à 1625) devint le fondateur du
Gymnase de Bouxwiller, c'est-à-dire d'un Séminaire théolo-
gique au petit pied, où l'on cultivait la philologie sacrée et
profane, et qui a vu sortir de son enceinte des savants dis-
tingués.
On a aussi remarqué que l'éducation de tous les enfants de
la maison de Hanau-Lichtenberg était remarquablement soi-
SIXIÈME LETTRE. 50
gnée. Les dynasles de celte fomille d'oiitre-Rhin , greffée ^ur
un vieux tronc indigène, sentaient instinctivement qu'il fallait
justifier par le développement de l'esprit et par la pureté des
mœurs la grande et violente métamorphose qu'on avait laissé
s'accomplir dans l'édifice social.
A ce propos, je me rappelle que dans une discussion orale,
vous, Monsieur, vous blâmiez l'espèce d'engouement que
je manifestais pour ces petits seigneurs; vous trouviez que
j'en fais des types quelque peu grandissoniens. Mais pourquoi
ne pas être juste, lorsque l'occasion s'en présente, même
pour des princes d'une taille médiocre? Il n'y a d'ailleurs pas
de monotonie dans mes éloges; je vous ai bien livré ce pauvre
Jacques de Lichtenberg, quoiqu'il eût d'excellentes qualités
qui pouvaient en quelque façon contre-balancer sa faiblesse
sénile ; et je vais vous livrer impitoyablement un autre per-
sonnage qui rompt de nouveau cette lignée de seigneurs par-
faits qui semblaient vous inspirer quelque ennui.
Vers la fin de la guerre de Trente ans, la branche de Hanau-
Mùntzenberg, avec laquelle la nôtre, c'est-à-dire celle de
Hanau-Lichtenberg, avait constamment entretenu de bons rap-
ports de parenté, quelquefois de tutelle, cette branche d'outre-
Rhin, dis-je, s'éteignit, et Frédéric-Casimir de Hanau-Lich-
tenberg opéra la fusion de tous les domaines (1642) ; il
résidait même de préférence sur la rive droite du Rhin , à
Hanau , ville plus considérable que Bouxwiller, dotée d'éta-
blissements analogues, et qui prit un essor nouveau dès que
les plaies de la guerre de religion commencèrent à se cica-
triser.
Frédéric-Casimir, après de bons commencements, préfen-
dit jouer, dans ses domaines restreints, le rôle de Louis XIV;
il déploya un faste inouï, se lança dans des projets de coloni-
sation extravagants; et se livra, corps et âme, à quelques
courtisans, aventuriers éhontés, qui ruinèrent le pays par
leurs exigences personnelles et leurs chimériques entreprises.
Pour subvenir à ses folles dépenses, Frédéric-Casimir fut
60 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BASRIllN.
obligé d'engager ses domaines patrimoniaux; l'altention de
l'empereur lui-même fut appelée sur le faste et sur les allures
insensées du comte de Hanau.
Il y avait, dans la parenté de ce seigneur, une personne
très-intéressée à ne pas laisser tomber en lambeaux l'héritage
des Lichlenberg : c'était Anne-Madeleine, née princesse de
Birkcnfcld, veuve d'un comte de Ilanau et mère des deux
jeunes neveux, héritiers présomptifs du comte régnant. Dans
l'intérêt de ses fils, cette femme, au grand cœur, fit un vrai
coup d'Etat ; elle réunit dans le château de Lichtenberg les
délégués des bailliages alsaciens, et leur arracha un serment
de fidélité en faveur des héritiers de Frédéric-Casimir. C'é-
tait mettre le pays alsacien à l'abri d'un engagement onéreux ,
et avertir tout prince qui aurait été tenté d'avancer des fonds
au comte prodigue, qu'il y avait des risques à courir.
Cette révolution intérieure, qui eut lieu en 1680, précisé-
ment deux siècles après la mort de Jacques de Lichtenberg,
eut une pleine réussite; l'empereur intervint, et à la suite
d'une conférence à Ilanau , l'avenir des deux comtés (de Lich-
tenberg et de Mûntzenberg) fut officiellement réglé.
Jean-Casimir, ébranlé par cet avertissement, secoua ses
détestables habitudes et finit en bon prince, comme il avait
commencé.
Je serais obligé de, faire l'éloge de ses deux neveux, si je
disais les détails de leur jeunesse, de leurs voyages, de leur
attitude dans les cours étrangères et à Vienne, de leur ad-
ministration intelligente dans les deux comtés. Vous m'en
dispensez, et je saute a pieds joints par dessus un demi-
siècle jusqu'en 1736, époque à laquelle l'un de ces comtes
de Hanau, Jean Reinhard, réunissait depuis un quart de
siècle sur sa tête tous les domaines hanauiens situés sur les
deux rives du Rhin.
Jean Reinhard avait trouvé moyen, sans pressurer ses sujets,
de faire de Bouxwiller un Versailles en miniature , et de cons-
truire à Bischoffsheim , où il était né, un château considé-
SIXIÈME LETTRE. 61
rable , de même que son frère avait élevé dans ses domaines
allemands , près de Hanau , le château de Philippsruhe et le
bel élablissemenl de Wilhelmsbad.
Jean Reinhard s'était aussi fortifié par des alliances matri-
moniales , en épousant une margravine de Brandebourg, et en
donnant saiilIe unique, Charlotte-Christine — il n'avait point
de fils — • en mariage à Louis, prince héréditaire de Hesse-
Darmstadt. Charlotte-Christine mourut très-jeune^ en 1726
déjà ; mais ce deuil de famille ne changea en rien la transmis-
sion projetée des domaines ; le prince de liesse succéda , sans
contestation, à son beau-père, dans ses possessions alsa-
ciennes de la rive gauche et dans celles de l'Ortenau. Nous
entrons dans la dernière phase des destinées de ce petit comté
deHanau-Lichtenberg, maintenant apanage des princes héré-
ditaires de Hesse-Darmstadt.
Ces princes avaient pour leur résidence alsacienne une pré-
dilection particulière et toute paternelle. C'était pour eux une
espèce de joyau , comme la principauté de Neuchâtel l'a été
pendant longtemps pour le roi de Prusse. Sans qu'il y eût
analogie complète entre les deux petites souverainetés, l'une
au pied du Jura, l'autre au pied des Vosges, la position de
Neuchâtel, à la fois canton suisse et principauté prussienne,
était aussi anormale que celle du comté de Hanau-Lichten-
berg, enclave de la France, possédée par un prince hessois
sous la tutelle du cabinet de Versailles et sous la surveillance
de l'intendant d'Alsace. Les conflits auraient été inévitables
pour le prince de Darmstadt, si, vassal du monarque français,
il n'avait pris le sage parti d'adopter la pohtique austro-fran-
çaise, et d'attendre de préférence son salut de l'occident
plutôt que du nord.
A Bouxwiller il y avait une régence, c'est-à-dire une admi-
nistration passablement indépendante pour tout ce qui regar-
dait le gouvernement intérieur de ce petit Etat. Un président
de régence entouré de six conseillers, de secrétaires, de bura-
listes, d'huissiers et de sergents, assisté d'une Chambre des
bla ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
comptes, d'une Chambre des eaux et forêts, d'une Chambre
des fiefs, donnait le branle à cette petite machine ; une admi-
nistration consistoriale, hospitalière et universitaire complé
tait l'ensemble de ce gouvernement, sans compter le personnel
des courtisans qu'y amenait temporairement le séjour de la fa-
mille landgraviale de Hesse-Darmstadt. C'était un mouvement
peut-être hors de proportion avecl'exiguité de la ville-capitale,
une vie un peu factice qui'avait fini par devenir une vie réelle.
Le château de Jean Reinhard, dernier comte de Ilanau-
Lichtenberg, avait été agrandi, embelli; il était flanqué d'une
vaste et belle orangerie et de jardins dans le style de Le Notre,
de serres-chaudes avec fleurs et primeurs, qui servaient à faire
des cadeaux aux gouverneurs et fonctionnaires français, in-
corruptibles gardiens de la dignité centrale. Au sortir du
bourg, parc et faisanderie complétaient cet ensemble; dans
l'intérieur du bourg, des maisons confortables servaient de
logement aux conseillers. Le costume de la cour étalait sa ma-
gnificence un peu raide dans les longues allées et entre les
charmilles des jardins ; le procureur fiscal y saluait, chapeau
bas et Tépée au côté , Son Altesse Sérénissime ; mais , je l'ai
déjà dit, le pays agricole, producteur, ne soutirait point de
tout cet étalage princier ; l'industrie minière , l'aménagement
forestier, l'amélioration du sol trouvaient, dans cette autorité
locale, de sages et efficaces encouragements; une viabilité
bien entretenue facilitait l'écoulement des produits. Le pays
de Ilanau était cité comme le pays modèle d'une bonne et
belle culture.
Au-dessus de la régence de Bouxwiller planait, invisible, le
représentant de l'autorité du roi de France. Le prince de
Hesse ne disposait, comme comte de Ilanau, en fait de force
armée, que d'une petite milice bourgeoise armée de piques.
Cet attirail n'avait non-seulement rien de formidable; il était
bien le symbole parlant de l'autorité limitée du prince.
A Strasbourg, l'hôtel de Darmstadt fut élevé en 1740, sur
l'emplacement de l'ancienne demeure des Ochsenstein , où les
SIXIÈME LETTRE. 03
factions s'étaienl débattues et parfois entrechoquées matériel-
lement au moyen âge. Les princes de Darrasladt venaient de
temps à autre y faire un séjour plus ou moins prolongé, sur-
tout depuis que le prince Louis (X) était, comme son voisin
et parent le prince de Deux-Ponts-Birkenfeld , propriétaire
d'un régiment au service de France. Les magnifiques appar-
tements qui servent aujourd'hui de salons de réception au
maire de Strasbourg, étaient aussi, pendant le dix-huitième
siècle si léger en face de catastrophes prochaines, le théâtre
de belles fêtes militaires et civiles. En tout temps on a dansé
au bord des volcans.
C'est de l'hôtel de Darmstadt que sortit le 21 juillet 1789 le
prince Louis de Hesse, pour comprimer, de concert avec le
prince Max de Deux-Ponts, la révolte qui triomphait momen-
tanément aux abords et dans les salles de l'ancien Hôtel-de-
Ville. C'était, de la part de ces princes , colonels français, une
dernière tentative de résistance en face d'un mouvement fatal,
qui allait engloutir des destinées bien autrement considérables
que ceUes de l'ancien gouvernement de Strasbourg et des
principautés de Hanau et de Deux-Ponts.
Les malheurs individuels disparaissent dans l'abîme des
cataclysmes sociaux comme une goutte d'eau dans la mer.
Qu'il me soit permis cependant de rappeler ici le sort d'un
serviteur dévoué des princes de Darmstadt, qui paya de sa
tête la fidélité aux engagements et le courage civique, à l'en-
trée de la terreur. Dans l'un des petits appartements de l'hôtel
de Darmstadt habitait, au commencement de la révolution,
un conseiller hanauien, faisant les fonctions de receveur de
Wolfisheim ; en 4793 encore, il parvint à transmettre un re-
hquat de fonds à son ancien maître; ce service, dans ce mo-
ment, était un crime de lèse-nation. L'accusateur public ap-
pliqua impitoyablement la lettre de la loi. Henri Rausch fut
conduit à l'échafaud en décembre 1793. C'était l'une des pre-
mières têtes qui tombaient sous la hache révolutionnaire. J'ai
encore connu le fils du digne pasteur qui a préparé à la mort
64 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
le fidèle intendant et qui a assisté lui-même, enfant en bas
âge, à ce moment solennel. Henri Rausch était demeuré
croyant au milieu d'un siècle incrédule, et la foi lui adoucit
l'amertume de ce terrible passage que toute cbair redoute,
surtout lorsqu'il s'agit de franchir l'abîme en passant sur les
planclies de l'écbafaud.
Celte terrible époque de 93 valut à la ville de Strasbourg-
une partie de l'héritage des princes de Darmsladt. Indépen-
damment de l'hôtel de la mairie, les orangers de laRobertsau
proviennent de ce fonds de confiscation. Les exemplaires de
l'Orangerie-Joséphine n'ont pas le développement de tous
ceux de Versailles; ils ne remontent pas à François I^r; ils
ne peuvent lutter avec les jardins d'orangers de Terracine,
de Mola-di-Gaëta ou de Sorrente; mais tels qu'ils sont, ils
évoquent les souvenirs du midi dans la saison embaumée des
fleurs, et, sans aller si loin, ils rappellent le nom et le sou-
venir de quelques-uns des princes qui ont fait venir dans
nos climats déshérités ces beaux arbres des Hespérides. L'o-
rangerie de Bouxvviller a vu plus d'une fois sans doute dans
ses allées la princesse Louise, qui devint duchesse de Saxe-
Weimar, et qui présidait avec son mari Charles-Auguste et sa
belle-mère Amélie, cette cour de poètes, où Gœthe, par la
bouche de l'adorable Mignon , chantait « le citronnier, l'oranger
«aux fruits d'or dans sa verdure sombre, le myrte silencieux
« et le laurier sublime. »
Convenez , Monsieur , que sans sortir des confins de la
Basse-x\lsace, et à peine des murs de Strasbourg, celte fa-
mille de Ilanau-Lichtenberg vient de nous offrir, dans sa triple
fihalion, quelques points d'arrcls, auxquels les mémoires les
plus rebelles peuvent se fixer, sauf à laisser tomber dans l'oubli
ou dans le domaine des savants , ce qui est tout un, les parties
moins saillantes, moins pittoresques, moins émouvantes de
cette fraction d'histoire provinciale. En effet, nous avons ren-
contré l'évêque Conrad au pied de la façade d'Erwin , et au
haut du donjon féodal de Lichtenberg; puis les deux frères
SIXIÈME LETTRE. 65
chevaliers, dont l'un meurt dans toute sa gloire, dont l'autre
s'étiole sous le joug d'une maîtresse rustique ; nous avons
touché au lit de mort du brave et au bûcher de la «sorcière
de beauté» ; nous avons vu l'hôpital et l'école produits de la
réforme à Bouxwiller, et les splendeurs princières de cette
petite ville puritaine, puis les magnificences de l'hôtel de
Darmsladt à Strasbourg, un supplice de 93, des fleurs enfin
pour couvrir lés victimes et les fantômes du passé.
Dans ma prochaine lettre, je vous placerai au milieu même
des papiers, derniers legs de Hanau-Lichtenberg; ce sera une
rude épreuve.
60 AUCflIVES DÉPAr.TEME>;TALES DU BAS -RHIN.
SEPTIEME LETTRE.
Fonds «le naiian-I^ichtenbcrg. — liCS papiers. — «oiif ins. Communes.
Cietidertheiiii. — Briimath. — Ciiiei-re des l.iclitenberg et des liî-
naiige. — n»rlic d'Ottenheim. — Bernard Ilerzog. Iiailli de IVœrtli.
— iVIarclie de Marmoutier. — Cnerre de Trente ans. — Ernolslieini
et ses châtaigneraies. — Comptabilité de llanau<liicbtenberg. —
K<es chàteaux-forts. • — Caractère général du fonds. — Encore une
fois les villages. — Leur origine.
Monsieur,
Ce sera toujours une entreprise fort ingrate que celle de
donner de l'ensemble d'une collection de livres, manuscrits,
tableaux, estampes, titres quelconques, une idée sommaire
à des lecteurs qui n'ont que peu d'instants ou un coup d'œil
distrait à vous accorder. Vous serez constamment ballotté
entre les écucils d'une sèche nomenclature ou d'un aperçu
nécessairement incomplet; mais, si de ces deux inconvénients
ou de ce double danger il faut choisir le moindre, courons
les risques du second ; tous les genres sont bons, hors le genre
ennuyeux.
D'ailleurs, comment fcrais-je si j'avais la prétention malen-
contreuse d'être consciencieusement pédant? Rien qu'en re-
produisant les têtes de rubrique du gros volume in-folio que
remplit mon inventaire analytique de Hanau -Lichtenberg,
j'abuserais pendant plusieurs jours et de votre patience et des
colonnes tronquées que vous pouvez m'accorder au rez-de-
chaussée de votre journal politique. C'est donc une chose bien
convenue : je ferai de l'éclectisme, encore à très-petites doses ;
je vais en user avec vous comme font les directeurs des ad-
minislrations hospitalières ou pénitentiaires avec les membres
des commissions de surveillance ou avec les visiteurs, qui
viennent goûter du pain et de la soupe des prisonniers et des
malades ; on leur offre une cuillerée prise dans le grand chau-
dron ; rein suffît pfirfaifement pour apprécier le corps du déh"l.
SEPTIÈME LETTRE. 07
Vous savez déjà que l'immense majorité des titres que nous
a laissés la régence de Bouxvviller ou de llanau-Lichtenberg,
ou de Hesse-Darnistadt, consiste en litres de propriétés, ré-
partis par bailliages', et en pièces de comptabilité. Les titres
de la famille régnante, les pièces confidentielles du cabinet
des princes, les affaires consistoriales, tout cela fut évacué à
temps et transporté à Darmstadt ; les archives grand-ducales
actuelles contiennent donc le noyau ou le complément du
fonds spécial de nos archives; je sais de bonne source qu'elles
ont été mises à profit par un savant ecclésiastique du Palati-
nat, déjà connu par un beau travail sur les châteaux de cette
province, et qui prépare une vaste monographie sur la famille
de Hanau-Lichtenberg.
Au nombre des litres de propriété de nos bailliages, je me
bornerai à vous faire remarquer, en ce moment, ceux des
moulins et ceux qui tiennent à l'histoire communale.
De tout temps , je me suis senti attiré vers les établisse-
ments ou usines qui préparent l'aliment quotidien du riche
et du pauvre; je suis convaincu que vous, Monsieur, d'accord
avec beaucoup de vos lecteurs, vous éprouvez le même genre
de sympathie pour les moulins, surtout pour ceux qui sont
situés sur les cours d'eau de notre province. Les moulins à
vent des hauteurs de Montmartre, de la Champagne, de Pots-
dam et des plaines de la Manche ont bien aussi leur intérêt
pittoresque et quelquefois historique; mais qu'ils sont loin,
avec leurs bras gigantesques , de valoir la paisible demeure
d'un meunier alsacien, abritée derrière un groupe d'arbres,
ayant jardin, verger et champs près du moulin, jouissant à
peu près sans intermittence du secours que la petite rivière ,
'Ce sont les bailliages de BouxwiUcr, Ingwillcr, PrafTonliolTen , Wœrlli ,
Kulzenliausen , IlaUen, Bnimalli, OlTt'nilo'rf, Wcsllioffon , Wollisheim, en
Alsace; les bailliages de Liclileiiau et Wilstelt s:irlaiive droite du liliiii, celui
de Lembcrg dans le Palalinat actuel. Les comtes de lianau-LicIilenberg possé-
daient aussi temporairement le bailliage de Nioderbronn-ReiclisliolTen et luic
parlie de la marclie de Marmoulier. Voir la lettre sixième.
68 ARClirVES DEPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
J)orclée d'aulnes, de peupliers , ou de saules, prêle à Tiii-
dustrie et au labeur de l'homme ! Un moulin alsacien donne
l'idée du confort, même de l'abondance; le mouvement, la
vie qu'il imprime aux environs, appelle sur ces propriétés
individuelles un intérêt bien plus grand, plus distinct que sur
les demeures agglomérées dans les villages ou les villes. Les
poêles allemands ont toujours su tirer bon parli des moulins,
de leur site et de leurs habitants ; les belles meunières ont
défrayé plus d'une ballade, plus d'un opéra. Paix toutefois à
de pareilles réminiscences !... Il nous faut ici des sujets plus
graves et plus instructifs.
Le comté de llanau-Lichtenbcrg est traversé par plusieurs
cours d'eau qui viennent porter leur tribut, soit isolé, soit
confondu, au grand fleuve de la frontière: ce sont la Zorn, la
Zinsel, le Sauerbach , le Sellzbach, la Mussig, et chacun de
ces courants est utilisé par des moulins et des usines; chacun
a son histoire domestique, qui remonte parfois assez haut, et
se traduit, non pas en chansons, mais en emphytéoses et
baux, en discussions des meuniers avec les seigneurs ou avec
les communes, — car de tout temps on s'est disputé sur l'usage
de l'eau , — en correspondances , en rapports de fonction-
naires et d'employés, en questions d'intérêts journaliers, qui
ouvrent des échappées de vue sur l'existence publique et pri-
vée de la population.
Le moulin de Geuderlheim , par exemple, possède des an
nales depuis le treizième jusqu'au dix-huitième siècle ; des
affaires de droit, de cabaret et de mouture se rattachent à son
exploitation. Le moulin de Deltwiller a des souvenirs qui
touchent au quinzième et au seizième siècle. En 1521 le ma-
gistrat de Strasbourg élève des réclamations en faveur du meu-
nier de Deltwiller, son homme, auprès du comte Philippe de
Hanau.
Je viens de nommer le village de Geuderlheim ; dans ma mo-
nographie sur Hanau-Lichtenberg je l'ai pris à titre d'exemple
du genre de récit historique (juo comporteraient nos com~
SEPTIÈMK LETTRE. 69
munes rurales. Pendant loiile In diuée du moyen âge et les
siècles qui ont précédé la Piévolution ,, Geudertheiin avait été
partagé entre plusieurs seigneurs : aussi les actes relatifs à la
copropriété de Geudertheim remplissent-ils plusieurs liasses;
ils font passer sous les yeux de l'explorateur la famille d'Och-
senstein, qui acquiert le village, dès le treizième siècle, des
mains des Gougenheim ; puis viennent les Rallisamhausen ,
les Linange, les Lichlenberg, qui revendent leur part aux
Ramstein. En 1490, c'est Emmerich Ritter, le receveur gé-
néral de la préfecture de Ilaguenau , qui acquiert une partie
de Geudertheim des mains des Ramstein. Au commencement
du seizième siècle, l'empereur Maximilien le'-, maître de la
moitié du village , la cède à son secrétaire Mathieu Wurm ,
natif de Geudertheim ; de là des litiges , des émeutes même ,
suscitées par Isaac Wurm contre les coseigneurs , et qui
amènent en 4570 l'emprisonnement de ce perturbateur de
l'ordre public.
Dans le bailliage de Brumath, où Geudertheim était situé ,
il n'y a presque pas de village qui n'ait de titre remontant au
quinzième siècle. A Brumath même, les nombreux actes d'en-
gagement mettent en rehef l'instabilité de ces sortes de co-
propriétés. A partir de 1324 les Lichtenberg donnent successi-
vement, à titre de gage, Brumath, le château et le bourg, aux
Fénétrange , aux Bock , aux Linange , aux Zorn , aux Win-
deck, aux Fegersheim. Pendant le quinzième siècle (1450
à 4452), c'est Brumath surtout qui souffre de la guerre entre
les Lichtenberg et les Linange , guerre locale qui prit de
grandes proportions , parce que des deux côtés on vit des
dynastes alsaciens et lorrains s'engager dans les rangs des
combattants, et l'électeur palatin, Frédéric-le-Victorieux, sou-
tenir les antagonistes des Lichtenberg. Brumath , alors de-
meure seigneuriale des Linange, fut, dans le cours de cette
lutte intestine, pris, livré au pillage et aux flammes (10 juin
4454). La paix fut conclue sous la médiation de l'évêque Ro-
bert-le-Palatin ; mais celte transaction entre les deux partis
70 AriCIIlVES DÉPAUTEMEIVTALES DU BAS-RHIN.
rivaux n'avait été obtenue qu'après le grand désastre des Li-
nange et des Ochsenstcin , qui succombèrent dans la rencontre
de Reichshoffen , où Scliaffrid de Linange faillit être massacre
par le bouillant Louis de Lichtenberg. C'est à la suite de celte
petite bataille que le donjon de Lichtenberg^ dont nous con-
naissons déjà la situation et l'origine , se remplit de prison-
niers appartenant aux principales familles de la vallée rhé'
nane. Dans ces occasions , les frères Louis et Jacques de
Lichtenberg n'y allaient pas de main-morte ; ils étaient alors
l'un et l'autre dans toute la verdeur de l'âge; Louis revenait
d'un pèlerinage en Terre-Sainte, et Jacques n'avait pas encore
abdiqué son énergie aux pieds de Barbe d'Ollcnhcim.
Je vous demande pardon, Monsieur, de ramener encore
une fois le nom de celle malheureuse sur les pages qui de-
vraient en ce moment se couvrir exclusivement d'analyses
d'actes de vente et de contrats de toute nature; mais le sort et
la figure de la maîtresse de Jacques de Lichtenberg exercent
sur tous ceux qui se sont occupés de l'histoire de cette famille
une irrésistible inllnence. Pour ceux qui seraient tentés de
blâmer celle espèce d'engouement, je les engage à aller étu-
dier le buste de la belle sorcière et le récit naïf, rabelaisien ,
mais émouvant du chroniqueur Bernard Herzog.
Cet estimable écrivain a été l'un des fonctionnaires les plus
distingués de llanau-Lichlenberg. Il remplissait la charge de
bailli de Wœrth dans la seconde moitié du seizième siècle , et
il paraît que son emploi lui a laissé des loisirs suffisants; car
son œuvre historique a dû nécessiter de nombreuses re-
cherches sur les origines , les destinées et les familles nobi-
liaires de noire province. Le fonds de Ilanau-Lichtenberg
renferme, sous la rubrique du bailliage de Wœrth, des
rapports écrits de la main de Bernard Herzog; plus d'une
lettre que le bailli adresse à ses maîtres , aux comtes Phi-
hppe (V) et Jean Reinhard, porte sa signature. Il acquiert
des maisons et des terrains, soit de ses propres deniers,
soit de la munificence de la seigneurie ; quelquefois on en-
^ SEPTIÈME LETTRE. 71
Irevoit des dissentiments cnirc elle cl lui , prouve de l'indé-
pendance de son caractère ; d'autres fois il est délégué par le
comte de Hanau près d'autres seigneurs , amis ou antagonistes.
C'est ainsi qu'il prend part aux conférences de Strasbourg,
où l'on discutait, avec les copropriétaires de la Marche de
Marmoulier, des questions de juridictions très-complexes.
Dans ces conflits surgissent les noms de l'abbé Giselbert de
Marmoutier, de Tévcque Jean de Manderscheid, d'Egénolphe
de Ribeaupierre, de Philippe V de Hanau-Lichlenbcrg; mais
celui de Bernard Herzog les prime tous; lui, ne se doutait
guère que son nom modeste serait un jour acquis à la science
moderne, et offrirait plus d'intérêt que ceux des grands sei-
gneurs dont il se disait le très-humble sujet.
La Mark ou Marche de Marmoutier, patrimoine primiitif du
monastère du même nom, occupe dans les papiers de Hanau-
Lichtenberg un des premiers rangs, quoique nos seigneurs par-
tageassent avec cinq ou six autres ce domaine, ancien fief de
l'évêchédeMetz. J'aurai l'occasion d'en reparler, lorsque vien-
dra le tour de l'abbaye de Marmoutier, toujours en supposant
que d'ici- là vous ne soyez point fatigué de cette pérégrination.
La vallée de Reichshoffen ou le bailliage de Niederbronn,
propriété temporaire de Hanau-Lichlenberg(dc 1570 à 1707),
attire aussi l'attention à raison de la ville aux eaux thermales.
L'amodiation de la maison des bains, l'accueil à faire aux
membres de la famille seigneuriale ou à d'autres personnages
haut placés, forment le sujet de quelques rapports de baillis.
Dans le voisinage immédiat de. cette locahté , le Jsegerthal avec
ses usines commençait à être exploité. Le château de Reichs-
hofl'en, dans le même district, fait le sujet d'une correspon-
dance variée de la seigneurie de Hanau avec les évêques et le
grand-chapitre de Strasbourg, enfin avec le margrave Jean-
George de Brandebourg , administrateur protestant de l'évêché
de Strasbourg pendant les années de scission confessionnelle
qui font la triste clôture du seizième siècle dans l'histoire de
notre province.
72 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
La première moitié du dix-septième siècle se présente avec
son inévitable cortège de misère et de massacres. Les pièces
de la plupart des bailliages confirment les faits déjà connus
de cette efiroyable guerre de Trente ans ou contribuent à en
varier les scènes désolantes. J'ai cité, dans mon rapport de
1849, la commune d'Ernolsheim, propriété des Lichtenberg
dès 1395; ce beau village, d'après une note adressée parle
prévôt à la régence de Bouxwiller, en 16-44, c'est-à-dire
quatre ans avant la conclusion de la paix, n'avait plus que
dix habitants. Et savez-vous ce qu'étaient ces pauvres restes
d'une population de six à huit cents âmes ? huit bourgeois et
deux femmes, dont l'une vieille, l'autre dévorée de maladies
et chargée d'un enfant sans père ; pas un cheval , pas une
vache dans les écuries; pas un brin de paille ou de foin dans
les greniers ; mais des logements militaires deux fois par
semaine. Qu'y a-t-il de plus éloquent qu'une pauvre feuille
de papier avec de semblables détails ! L'étude de'la guerre de
Trente ans en Allemagne et plus spécialement dans notre pa-
trie locale a été longtemps pour moi un cauchemar ; il m'a
fallu un grand effort pour le secouer. J'ai visité à plus d'une
reprise le piltorcstjue villaî^e d'Ernolsheim et ses belles châ-
taigneraies sur le penchant de la montagne ; récemment
encore je l'ai salué de loin , en passant au pied des Vosges
avec le cortège d'archéologues, jeunes et vieux, amateurs et
savants, qui se pressaient autour de M. deCauniont; mais
toujours l'image de cette population du dix-septième siècle,
afTamée, réduite à un centième, venait se mêler aux rêves de
bonheur qu'évoque ce beau site et sa fertilité exceptionnelle.
Lorsqu'on examine l'interminable série de la comptabilité
des bailliages dans notre fonds de Ilanau-Lichlenberg, on
s'aperçoit invariablement, à partir de 1618 jusqu'en 1650, de
l'influence de la guerre fratricide. C'est une diminution de re-
cette, et une augmentation de dépense qui effrayent; ou bien
les comptes , ce qui est plus fréquent encore, ne commencent
qu'après la guerre ; car pendant cette interminable tragédie
SEPTIÈME LETTRE. 73
on ne vivait qu'au jour le jour et il n'y avait plus de solde à
régler ; j'ai remarqué de même, et ceci s'applique à tout notre
dépôt départemental , à toutes nos archives communales, que
la plupart des renouvellements de biens et des livres terriers
dataient de quelques années après la paix de Westphalie. On
recommençait à vivre, à faire un pacte avec l'existence; mais
que de fermes, que de villages détruits à jamais ! La population
des grands centres a constamment tendu à augmenter depuis
cette époque désastreuse ; mais on n'a pas observé la même
progression dans les communes rurales.
Nos châteaux forts ont aussi subi, on le sait, de notables
dégradations pendant cette longue guerre ; mais leur destruc-
tion totale date surtout de l'époque des guerres de Turenne
et de ses successeurs. Au point de vue de la prospérité du
pays la chute de ces nids d'aigle n'intéresse pas, comme
la disparition des villages nourriciers; seulement au point de
vue historique on serait heureux de trouver plus de données
précises sur leur abandon ou leur destruction. Aux châteaux
situés dans les domaines de Hanau-Lichtenberg , tels que
Reichshoffen , Windeck , Geroldseck , Ochsenstein , Hatten,
Niederrœdern etc., se rattachent on de longues séries de
lettres réversales, d'investitures, de pactes de famille, de
conventions publiques, de paix castrales ou des détails d'ad-
ministration et de comptabilité , mais peu ou point de détails
sur les sièges soutenus, sur la sape qui a fait écrouler ces
murs et ces tours superbes.
Maintenant, Monsieur, si vous me demandiez de préciser
en quelques hgnes ce que sont ces milliers de titres qui
forment les archives administratives de Hanau-Lichtenberq-,
je dirais qu'ils embrassent dans sa totalité la vie d'une pro-
vince ; qu'invariablement les constitutions de rente y prennent
le plus de place; qu'une longue série de rayons est remplie
de ventes, d'échanges, de donations, d'actes testamentaires,
de baux et d'cmphytéoscs, d'obligations et de créances, de
pièces de procédure et de transactions, en un mot de ces mille
74 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU lUS-IiHIN.
el une pièces qui de nos jours forment l'étude d'un notaire.
Les dossiers qui concernent les travaux publics , les édifices
el les routes , les fleuves et les cours d'eau sont nombreux ;
presque tous ces titres et ceux qui précèdent émanent des
seigneurs de Lichtenberg eux-mêmes ; cependant autour d'eux
se groupent aussi les noms de seigneurs ecclésiastiques et
laïques de notre province et des pays voisins, et ils font à nos
seigneurs de Bouxwiller un cortège historique. Les noms
des « vilains » sont plus nombreux encore , el ils ont aussi
leur valeur relative ; ils constituent les annales domestiques ,
bourgeoises, roturières d'une province; l'outrecuidance seule
pouiTait les couvrir de dédain. Au début de ma carrière d'ar-
chiviste , j'étais peu soucieux , je l'avoue , de pareille matière ;
je m'en tenais plutôt aux noms qui avaient une signification
ou une valeur aristocratique ; l'expérience et les conseils de
collègues plus anciens que moi m'apprirent à attacher de la va-
leur même à ces noms rustiques. Je fus en dernier lieu con-
verti par un argument ad hominem, lorsque je rencontrai le
nom patronymique très-obscur que je porte moi-même , dans
un document de la première moitié du quinzième siècle. Sans
avoir la prétention d'établir un arbre généalogique qui me
rattache en ligne droite ou collatérale à cet ancêtre , j'éprou-
vai quelque plaisir à voir que ce nom n'était pas d'hier, et je
compris davantage encore la fort innocente satisfaction des
grandes familles nobiliaires qui retrouvent ou croient retrou-
ver dans des temps plus reculés encore , leurs aïeux bons ou
mauvais, célèbres ou inconnus.
A l'aide des documents de Hanau-Lichtenberg on pourrait
reconstruire , pour beaucoup de villages de l'Alsace moyenne,
de petites notices spéciales , qui auraient pour chaque clo-
cher l'incontestable mérite de montrer «que dans chaque
« petit groupe communal s'agitaient, à toutes les époques,
«des passions, preuve de vie et de fécondité ; que sur le point
«le plus imperceptible du territoire, il existait des travail-
« leurs qui acquéraient lentement et défendaient ou transmet-
SEPTIÈME LETTRE. 75
«taieni à d'autres ce qu'ils avaient acquis '. » Lorsqu'on par-
court les nombreux règlements municipaux conservés dans ccf
fonds, l'organisation de nos municipalités du moyen âge se
dessine nettement devant la pensée. Ce qui serait plus intéres-
sant encore, ce serait de retrouver l'histoire de la première
naissance de nos communes rurales, le secret de leur forma-
lion.... Mais notre fonds de Hanau-Lichtenberg n'en fournit
point les matériaux, et les ouvrages théoriques que j'ai con-
sultés à ce sujet n'ont fait qu'épaissir pour moi l'obscurité
qui enveloppe toute origine première. Est-ce la ferme iso-
lée — plus tard la villa mérovingienne — qui est le point de
départ, le noyau primitif du village? ou bien le village est-il
une agglomération première de tous les membres appartenant
à une môme famille , à une même tribu?... Pardon de ces
questions, mais il me semble qu'elles ont de la valeur pour
toute personne qui pense, et que, même sans aboutir à une
solution, il suffît de poser de pareils problèmes pour indiquer
le degré d'intérêt auquel peuvent arriver les recherches qui
s'appliquent à pénétrer derrière le voile dont l'origine de
toute société se couvre.
Longtemps j'ai pensé que la métairie individuelle était le
germe du village; et je persiste encore à croire que plus
d'une commune rurale de notre Alsace s'est formée par l'ac-
croissement et la fusion des dépendances de la villa mérovin-
gienne. Mais dans les contrées d'outre-Rhin, dans l'Alle-
magne méridionale et en remontant avant l'ère chrétienne,
les choses ne paraissent pas s'être passées ainsi. Au moment
où la Germanie fut peuplée par des nomades , venus de
l'Orient , la culture du sol a dû être entamée par grandes
masses; c'est la tribu, c'est le clan qui paraît avoir possédé
et défriché en commun la Marche (Mark), le finage, le ban
ou le territoire communal dont il s'emparait. Sous ce rap-
port , l'Algérie nous offre encore le rudiment du village pa-
' Voy. Le comté de Ilanau- Lichtenberrj , par rarcliiviblo , p. il.
76 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU lUS-RHIN.
triarcal ; la tribu y vit, agglomérée autour du Scheich ; l'élève
'du bétail forme la ressource première et principale ; l'exploi-
tation du sol en grand et en comçiun arrive en seconde ligne.
En Germanie , le village s'est probablement formé et développé
d'une manière analogue; et de même, dans la Gaule primi-
tive, en Scandinavie, chez les races slaves, chez les Magyares
en Hongrie , et au delà de l'Océan chez les tribus aztèques ou
mexicaines. La formation de la Marche , la constitution du
ban , serait, en un mot, la transition de la vie nomade à la
vie agricole'.
Tout cela, répliquerez-vous, ne sont que des hypothèses, pass
sons outre.... ou plutôt ne nous égarons pas davantage jusque
dans les steppes de l'Asie ou sur les plateaux et dans les sa-
vanes du Mexique ; revenons à nos modestes et pacifiques ar-
chives du Bas-Rhin, à leur contenu positif, aux hommes, aux
familles que nous connaissons, et dont nous pouvons retrouver
la trace, sans sautera pieds joints par dessus l'abîme des âges,
jusque dans les temps anté-historiques^.
Ce sera donc. Monsieur, dans ma prochaine lettre, le tour
des Linange.
' Voy. l'ouvrage allemand de M. de Mauror sur la conslilulion de la Marche,
de la forme, du village el du pouvoir public.
2 r>an.s l'Afiifiue centrale, l'illuslre cl audacieux voyageur Barth a fait dos
observations d'une immense portée sur la formation dos communes. Je prends,
à litre d'exemple , le vaste district d'Adamava ou de Foumbina que les Foulbé
(fellanis, fellataiis) — celle puissante nation nègre, maliomélane, conqué-
rante — s'occupent à coloniser en ce moment. Eh bien! on y remarque la
double voie que je suis tenté d'admettre pour l'origine des villages ou com-
munes en Alsace. I.a métairie du gouverneur el des sous-cliefs serl de point
de départ et devient peu à peu le noyau d'une série d'autres habitalions;
mais il existe aussi des communautés complètes dès le principe, des bour-
gades ou des villages formés par l'agglomération dos fimilles de la race con-
quérante; eniin dos villages ou hameaux exclusivement habités par les esclaves
de la race conquise, c'osl-a-dire par les nègres païens et indigènes. Je dois
me borner ici a ces rapides indications.
HUITIEME LETTRE. 77
HUITIÈME LETTRE.
Fonds de la seigneurie «l'OberBironn on de la famille de Linauge. — ■
Détails géuôalogtqiies. — Iii> eliàtcaii «i'Obei'brwiiu en lOGO. —
l.e château d'Ohei'Nlein. — Procédures scandaleuses de la famille
de IJnauge. — iJniboui'g etc.
Monsieur ,
Dans la plaine fertile du Palatinat, aux pieds de la chaîne
du Haardtgebirge , prolongation septentrionale des Vosges ,
se trouve située la charmante petite ville de Dûrkheim. Des
vignobles productifs couvrent le revers occidental de la
chaîne ; les villas des riches propriétaires et des commerçants
ornent les collines ou bordent la route ; c'est un pays qui
respire l'abondance et le bien-être; aussi chaque automne
voit arriver une foule d'étrangers qui viennent chercher à
Diirkheim la santé dans l'usage plus ou moins modéré du
raisin , dont les grappes dorées mûrissent sur ces coteaux
privilégiés. Une vaste esplanade en terrasse réunit tous les
matins ces groupes de souffrants et de désœuvrés. C'est sur
l'emplacement du château desLinange, autrefois seigneurs
de ces lieux , que se professe et se pratique ce nouveau culte
d'Esculape. Dans les vallées voisines, des ruines féodales'
rappellent le nom et les demeures primitives de ces mêmes
seigneurs, et offrent aux simples promeneurs un but pitto-
resque, au touriste-archéologue un objet d'exploration.
Un peu plus au nord, sur la rive droite du Rhin, la petite
seigneurie de Miltenberg-Amorbach , perdue dans les solitudes
boisées et les prairies de l'Odenwald , sert depuis 1806 do ré-
sidence à un rejeton de l'une des branches de cette même fa-
mille que nous venons de rencontrer au pied et dans l'inté-
rieur des montagnes du Palatinat.
Rentrons en Alsace.... A Oberbronn un vieux château du
' ^1/;- ttnd Scu-LeiniiKjen ; le vieux el le nouveau I.inange.
78 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES Di: DAS-RIIIN.
seizième siècle, de médiocre architecture, se présente aussi
comme résidence de la famille des Linange, autrefois sei-
gneurs de celte localité et de ses riants alentours. Des faits,
assez graves pour mériter une large place dans l'histoire de
notre province, se sont passés dans cet édifice; nous allons
y revenir.
A Brumath, un château des Linange fut en 1-451 le théâtre
d'une lutte entre cette famille et les Lichtenherg; peut-être
en avez-vous , depuis ces dernières semaines , gardé quelque
souvenir*.
Le pittoresque comté de Daho , territoire des ruines cel-
tiques, sur le revers occidental des Vosges , en Lorraine, ap-
partenait pendant assez longtemps à l'une des hranches des
Leiningen (Linange-Daho).
Je pourrais à la rigueur vous promener dans d'autres par-
ties de la Lorraine, de l'Alsace et du Palatinat, voire même
jusqu'en Angleterre, dans le voisinage du trône de la Grande-
Bretagne , et vous y montrer le nom et le souvenir de cette
famille.
Mais je commence par vous déclarer ou plutôt par vous
rappeler que ce n'est pas chose facile (jue de se retrouver dans
les rameaux de cet arhrc généalogique vraiment incommen-
surable; il faudra me borner à quelques indications som-
maires, sauf à renvoyer les courageux lecteurs qui seraient
tentés d'en apprendre davantage, à un rapport officiel que j'ai
présenté au préfet du Bas-Rhin en 1857 sur le «fonds de la
seigneurie d'Oberbronn. » Là, dans de longues pages, je me
suis étendu , par devoir , et , j'ose le dire , avec une impitoyable
conscience, sur celte ingrate matière; je crois même, Mon-
sieur, qu'à cette occasion vous m'avez complimenté sur la
fatigue que je vous avais fait éprouver; j'en ai une vraie peine
rétrospective; mais que serait-ce si vous aviez été tenu d'é-
tudier, comme moi, les pages du manuel généalogique de
- Vov. la lellre sixième.
HUITIÈME LETTRE. 79
Kliiber, qui se rapportent aux Linange, et les recherches ana-
logues de Riehl sur la même famille, et les volumineux dos-
siers de procédure qui constituent à peu près exclusivement
les débris de ces archives seigneuriales? Mais ayant pris
l'engagement de vous mettre au courant de nos archives, ce
serait un cas grave de passer sous silence un fonds de 26,000
pièces; je vais donc m'efforcer de découvrir quelques clai-
rières dans cette forêt de litiges^ et de rendre l'arbre généa-
logique des Linange un peu présentable, en émondant ses
branches parasites.
Il y avait d'abord — pardon de commencer comme dans
les contes de fées — une bien ancienne famille des Linange ,
dont les branches actuelles ne descendent que par les femmes.
C'est de cette vieille dynastie qu'on serait le plus heureux de
s'occuper, si les renseignements certains ne faisaient défaut.
La tradition met les premiers Linange en rapport avec les em-
pereurs romains ; l'histoire nous montre un de leurs ancêtres ,
Wiprecht, se battant sous Henri l'Oiseleur avec les féroces
Magyares ou Hongrois.
Saint-Héribert , archevêque de Cologne et intime conseiller
de l'empereur Otton-le-Grand , est le petit-fils de ce Wiprecht.
Après lui, les sièges épiscopaux d'Augsbourg, de Wi^irzbourg
et de Spire , furent, au douzième siècle , occupés par quelques
Linange; dans les grands tournois de cette époque leurs noms
brillent parmi ceux des plus audacieux chevaliers ; un des
leurs s'inscrit au rang des premiers Minnesingers ou trouvères
allemands.
Cette ancienne branche s'éteignit en 1220. A partir d'ici,
il faut vous résigner à ajouter foi à mes affirmations , sans me
demander compte des détails accessoires que je passe sous
silence , dans l'intérêt de vos loisirs.
Frédéric de Hardenbourg succéda à son oncle maternel ,
Frédéric de Linange, dont il prit les armes (les trois aiglons);
il acquit de plus, par mariage, le comté de Dabo ou de Dags-
bouru'.
80 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN-
Cent ans plus tard, en 1317, les possessions territoriales
fies Linange-Dabo furent partagées entre deux frères. 11 est
inutile de charger votre mémoire de leurs noms; veuillez
seulement retenir que l'arrière-petit-fils de l'un d'eux, Iles-
son, fut élevé en iM4;, par l'empereur Frédéric III, à la di-
gnité de landgrave, et qu'il mourut en li67 sans laisser de
postérité mâle. Mais il avait une sœur ambitieuse et active,
veuve du comte Rcinhard de Westerbourg (dans le Wester-
wald). Celte femme virile, qui se nommait Marguerite, s'em-
para de la plupart des possessions territoriales de feu son
frère , le landgrave Ilesson. Dans les empiétements qu'elle se
permit ainsi, au détriment de la branche cadette de Linange-
Dabo, elle fut assistée par l'électeur palatin, Frédéric-le-
Viclorieux, dont nous retrouvons partout le nom dans nos
annales rhénanes.
Marguerite prit bravement le titre de comtesse de Linange
et devint la fondatrice de la nouvelle maison de Linange-
Westerbourg.
Chacune des deux branches principales de Linange-Dabo
et de Linange-Westcrbourg se subdivisa en une infinie quan-
tité de rameaux; je vous en fais grâce : suivez-moi seule-
ment dans l'expose succinct des destinées de Linange-Wester-
bourg.
Il était écrit que les Westerbourg feraient leur fortune par
les femmes. De même que Marguerite, sœur du landgrave
Hesson, leur avait apporté, par usurpation, une partie con-
sidérable des possessions patrimoniales de Linange-Dabo,
une autre femme, Amélie de Dcux-Ponts-Bitche, épouse de
Philippe de Linange-Westerbourg , apporta, vers le milieu
du seizième siècle, dans sa nouvelle famille, la seigneurie
d' Oherhronn.
Nous voilà maintenant. Dieu merci, sur terre ferme, et il
nous est permis de respirer.
Cette seigneurie d'Oberbronn était un petit fragment de
l'ancienne seigneurie de Lichtenberg. Puis-je faire un appel
IHUTiÈME LETTRE. 8!
à voire mémoire?.... Vous sotivcnez-vous de Jacques de
Lichlenberg, amanl de la belle sorcière? Vous souvenez-vous
de sa mort en 1481 , el du partage de sa succession entre deux
nièces, dont l'une était la femme de Simon-Wecker, comte
de Deux-Ponts-Bilclie? C'est Amélie, la fille de ce Simon-We-
cker, qui apporta la belle propriété d'Oberbronn aux Linange-
Westerbourg.
Les nouveaux seigneurs résidaient alternativement à Ober-
bronn el à Rauschenbourg, prés d'ïngwiller. Le château
d'Oberbronn ne datait ni des anciens comtes de Lichtenberg
ni des Deux-Ponts-Bitcbe; il ne fut construit que dans la
seconde moitié du seizième siècle par les Linange, et devint,
dans la seconde moitié du dix-septième, le théâtre de scènes
étranges que j'ai retracées dans un autre cadre, mais dont
vous me permettrez de rappeler ici les principaux incidents.
A la suite de mon récit très-sommaire, vos lecteurs com-
prendront pourquoi les archives de la seigneurie d'Oberbronn
ou deLinange-Westerbourg sont, comme je l'ai dit plus haut,
si mal fournies en documents historiques. Je n'ose d'ailleurs
me flatter que mon Mémoire sur le château d'Oberbronn, confié
nw Bulletin delà Société historique d'Alsace\ ait franchi le
forum de ce public spécial; je puis donc, sans trop de pré-
somption , emprunter quelques lignes à ce récit.
Pour imprimer au fait incroyable que je vais raconter son
caractère spécial, je rappellerai aussi que l'événement se
passa une vingtaine d'années après la réunion de l'Alsace à
la France.
Le comte Philippe de Linange-Westerbourg avait vendu
en 1605 une partie de ses domaines, situés dans la Lorraine
allemande, au comte palatin Adolphe-Jean, frère de Charles X,
roi de Suède, et oncle de Charles XL L'acquéreur ne s'était
pas hâté d'acquitter le prix assez considérable de la vente ; il
restait débiteur de 90,000 rixdalers au moment de la mort
^Tome II, p. 2G0.
82 AUCIIIVES DEPAnTEMFlNTAI.ES DU BAS-RIIIN.
du vendeur. A la sommation du fds du' comte Philippe, qui
était lui-même obsédé et pressé par ses propres créanciers,
le comte palatin répondit d'abord par une fin de non-rccevoir;
puis, après avoir enrôlé en cachette, au fond de la Wcstpha-
lie, des soudards Saxons, derniers débris delà guerre de Trente
ans, il envahit, lui, le prince allemand, il envahit sur le ter-
ritoire français le château d'Oberbronn (16 au 17 mars 1609).
Cet acte brutal avait été précédé d'une correspondance
curieuse entre les deux parties, car les enrôlements avaient
transpiré, et Eberhard-Louis,. comte de Linange, avait eu le
temps de prévenir l'électeur de Mayence et quelques digni-
taires de l'empire germanique. On s'était moqué de lui et de
ses craintes pusillanimes ; «on ne pouvait croire à des inten-
«tions aussi malveillantes de la part de Son Altesse Sérénis-
« sime le comte palatin. »
A distance de l'événement, nous ne pouvons nous empê-
cher maintenant de nous demander : pourquoi ne s'adres-
sait-il pas à Louis XIV, dont il relevait comme possesseur de
la seigneurie d'Oberbronn? Hélas! c'est qu'il occupait aussi
la charge de président de la Chambre impériale de Spire; sa
position personnelle était aussi ambiguë que celle de l'Alsace
elle-même; en sa qualité de magistrat impérial, il devait
avoir le roi de France en horreur.
La palatin avait au surplus donné les assurances verbales
les meilleures, et le comte de Westerbourg, tout confiant,
allait partir pour Spire, lorsque dans la nuit du 15 au 10 mars
16C9, un écuyer se précipita, bride abattue, dans la cour du
château d'Oberbronn, en jetant le cri d'alarme : Les Saxons
arrivent !
Quoique peu habitué au métier de la guerre, le comte de
Westerbourg arme à la hâte ses gens, fait barricader portes
et fenêtres^ et, avec une quinzaine de serviteurs fidèles, sou-
tient bravement, pendant plusieurs heures, le feu des assail-
lants, qui avaient attaqué le château en poussant des cris
forcenés. La cour du château était envahie; une trentaine de
HUITIÈME LETTRE. 80
Saxons étaient étendus par terre; mais quelques-uns des dé-
fenseurs aussi sont blessés; leur courage faiblit. On supplie
le comte de Linange de céder, de se soustraire à une mort
certaine. Il saule par dessus les murs du jardin, se fracture
la jambe; im serviteur dévoué le charge sur ses épaules, et
le transporte, au point du jour,, à travers la montagne dans,
le château de Rauschenbourg.
Pendant ce temps, le château d'Oberbronn se trouva livré
à toutes les violences d'une soldatesque exaltée de son succès
et enivrée de libations abondantes ; le vin coulait dans les
caves seigneuriales comme dans les jours de grande réjouis-
sance publique. Les cris du bailli et des domestiques torturés
])ar les soldats, formaient le sinistre accompagnement de cette
orgie, qu'encourageait la présence du comte palatin. Les ar-
chives furent envahies et les documents jetés par les fenêtres,
foulés aux pieds des chevaux, ou employés comme combus-
tible pendant les journées qui suivirent cette nuit sinistre. Les
arbres des beaux vergers qui formaient une ceinture toufl'ue
autour de la demeure seigneuriale furent coupés sur pied.
Ainsi, les documents témoins du passé,. les récoltes accumu-
lées dans les granges, ressource du présent, et les planta-
tions, promesse d'avenir, tout subit le même sort.
En attendant , la bande indisciplinée qui avait commis tous
ces dégâts, se trouva bientôt dans une grande perplexité. Elle
avait été enveloppée ; assiégée elle-même par les habitants
d'Oberbronn , sujets fidèles du comte Eberhard-Louis de Li-
nange, elle se mourait de soif, car le vin était gaspillé, et les
sources qui fournissaient l'eau avaient été détournées par les
assiégeants. Dans cette extrémité, la garnison palatine en-
traîna sur les murs du château le bailli d'Oberbronn, son pri-
sonnier, et menaça de mort le malheureux, à la vue des as-
siégeants ; ceux-ci, émus et plus humains que leurs ennemis,
consentirent à rendre les sources à la garnison et à l'approvi-
sionner.
Sur ces entrefaites, le comte palatin qui, dès le lendemain
Si ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
de sa victoire effrontée, était allé chercher des renforts dans
ses domaines patrimoniaux d'Alsace et du Palatinat, revint,
et pour récompenser les hahilants d'Oberbronn de leur con-
descendance charitable, il mit le feu aux quatre coins du vil
lage, après avoir fait emmener toutes les provisions dans le
château. La réprobation publique avait été unanime en Alsace
et au delà des frontières; sans doute le palatin pressentait
qu'en dépit de son alliance avec la Suède , il ne pourrait con-
server sa conquête récente et qu'il ne perdait rien en se ven-
geant sur des gens qui ne seraient point ses sujets.
Il était allé mettre le siège devant le château de Rauschen-
bourg, où le comte Eberhard-Louis guérissait de sa fracture;
mais devant cette seconde résidence des Weslerbourg, le pa-
latin échoua. Toutefois les troupes des Linange ne se trou-
vèrent en force pour rentrer au château d'Oberbronn qu'après
la débandade des hordes saxonnes du comte palatin. Adolphe-
Jean avait traité ses auxiliaires comme des gens dont on se
sert, mais qu'on ne récompense point. De leur côté, les sou-
dards , indignés de ne plus recevoir de paie , s'étaient révoltés
et avaient abandonné sans tambour ni trompette le théâtre de
leurs exploits.
Le comte palatin avait ensuite tenté de justifier son agres-
sion et d'expliquer les violences commises. A cet effet il pu-
blia un manifeste oi^i le sophisme servait d'interprète à l'im-
pudence, le tout écrit dans le style allemand polyglotte de
l'époque.
Cet inqualifiable événement d'Oberbronn s'était passé, nous
le répétons, sous le règne de Louis XIV, et l'on comprend
parfaitement que, fatigué de cette situation hybride et d'un
état de choses qui permettait à un prince de l'empire d'entrer
à main armée dans une province française, le grand roi ait
voulu en finir, se trouver maître chez lui, et interpréter à sa
guise les traités de Westphalie , puisque la Chambre de Spire,
la Diète de l'empire germanique et les princes étrangers ayant
des possessions en Alsace expliquaient et appliquaient, selon
HUITIÈME LETTllC. 85
leurs convenances, les articles de ce même Irailé de pacifica-
tion. Je n'hésite point à penser que les événemenis graves
qui se passèrent en Alsace après l'inlcrraède tragique du châ-
teau d'Oberbronn, que la réunion de Strasbourg à la France,
et les prises de possession décrétées par les Chambres de
réunion se rattachent par quelques points à cet acte de spolia-
tion dont je viens de raconter les principaux incidents.
Je ne prétends certes pas justifier la légalité des Chambres
de réunion, et moins encore les violences qui ont accom-
pagné l'apphcation de leurs sentences ; mais il est permis de
trouver le dernier mot de ces procédés arbitraires dans les
actes non moins arbitraires que la Diète germanique avait to-
lérés.
Je viens de nommer les tribunaux exceptionnels institués
sous Louis XIV, pour une raison d'État; cela me conduit à dire
quelques mots du château d'Oberstein, résidence de l'une des
branches de Linange-Dabo.
La Chambre de réunion de Metz avait déclaré que le duché
de Deux-Ponts, les comtés de Veldentz et de Saarbruck, le
comté de Linange et \si seigneurie d'Oberstein appartenaient à
la France.
Dans le château d'Oberstein vivait alors, retirée du monde,
mais sans avoir renoncé à Satan et à ses œuvres, la comtesse
Amélie-Sibylle de Linange-Dabo-Falkenstein (je donne, à titre
d'échantillon, tous les noms de l'une des subdivisions de la
branche aînée de Linange). Cette femme était la fille d'un
comte Wyrich de Dhan de Falkenbourg ; elle a rempli la der-
nière partie du dix-septième siècle du bruit de ses apostasies
et de ses désordres. Des liens prétendus morganatiques l'a-
vaient unie au comte Jean-Louis de Linange-Dabo. Lorsque
le château d'Oberstein fut envahi par les troupes françaises,
elle passa sans vergogne du côté des conquérants, partagea
la couche du commandant, chevalier, à ce qu'il parait, irré-
sistible, et pour couronner une existence déjà remplie de
dévergondages, elle, la femme intruse, se fit attribuer par la
8G ARCIIIVFS DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Chambre de réunion de Metz toutes les rentes de la maison
de Linange-Oberstein ; de plus, elle arracha au comte Emile
de Linange, dépouillé par elle, l'attestation que son fds, dont
la provenance était fort suspecte , appartenait bien et dû-
ment à la famille des Linange. Cette reconnaissance après
coup amena, dans le cours du dix-huitième siècle, une série
de procès dont le scandale ne doit pas nous occuper da-
vanlage.
Le filet d'eau, descendu ou détourné d'une source pure,
qui avait abrité sa mystérieuse origine dans les forêls de la
Germanie, se perdait donc ici dans un bourbier.
Un autre procès passablement scandaleux avait eu lieu dans
la famille de Westerbourg peu d'années avant la prise du châ-
teau d'Oberbronn : c'est le procès de l'intrus Louis Rœder de
Dicrspcrg, marié morganatiquement avec Marie-Julienne de
Linangc-Westerbourg. Cette union morganatique, une fois
connue, provoqua la colère de la noble famille de Marie-Ju-
lienne, puis l'emprisonnement du séducteur, qui fut confiné
dans le château d'Oberbronn. Il fallut l'intervention de plu-
sieurs nobles personnages, tels que Jean Ilaffner de Wasse-
lonne, Philippe-Louis Geyling d'Altenhcim, Philippe-Chris-
tophe Gremp de Freudenstein , pour arracher Rœder de Diers-
perg des mains de son beau-père irrité.
A en juger d'après les liasses qui nous restent, on dirait
que la famille Linange en Alsace était la race la plus procé-
durière des bords du Rhin, qu'elle avait échangé l'épée des
anciens et véritables Linange et les audacieuses allures de
Marguerite de Linange-Westerbourg contre les plumes des
avoués et des jurisconsultes qui plaidaient sa cause à Spire et
plus tard à Colmar.
Plusieurs établissements religieux de l'Alsace septentrionale
se trouvent constamment en conflit avec les Linange ; beau-
coup de seigneurs de haut et bas lignage deviennent forcé-
ment leurs antagonistes, et quand l'aliment étranger manque,
c'est entre eux que se heurtent , ébranlés par le vent malfai-
HUITIÈME LETTRE. 87
sanl de la chicane, les rameaux innombrables de cet arbre
surchargé de greffes élrangères, qui détournenL la scve vitale
de la racine primitive.
Je vous prie d'être persuade, Monsieur, que mon assertion
métaphorique n'exprime que la réalité.
Je n'ai parlé plus haut qu'à la dérobée de deux procès scan-
daleux. Rentrons un moment dans les litiges honnêtes, entre-
pris purement pour soutenir des droits ou des intérêts.
Au seizième siècle, la jeune comtesse Améhe de Deux-Ponts-
Bitche, qui va apporter à son époux Philippe de Linange-
Westerbourg une partie notable de l'héritage des anciens
Lichtenberg, cette comtesse Amélie se trouve en discussion
avec son oncle Jacques de Bitche pour la dîme d'Oberbronn,,
le bien à rente d'Ingwiller et la forêt de Reichshoffen. — Au
dix-septième siècle^ c'est Hanau -Lichtenberg qui entre en
lutte judiciaire avec les Linange-Weslerbourg à propos des
cinq villages du val de Reichshoffen. — Au dix-huitième siècle,
la princesse Sophie-Sibylle de Hesse-Hombourg, née de Li-
nange, et la comtesse Esther de Linange élèvent des con-
testations avec les Westerbourg à propos de la seigneurie
d'Oberbronn. Les conventions matrimoniales et les douaires
s'étendent à travers quatre siècles , et se joignent naturelle-
ment à ces pièces litigieuses. Dans les affaires matrimoniales
figurent les principaux seigneurs et les grandes dames des
bords du Rhin. L'affaire Rœder de Diersperg, indiquée plus
haut, donne lieu à une correspondance entre la famille des
Linange et les jurisconsultes de Tiibingen. Je ne pourrais con-
tinuer à vous parler sur ce ton , sans avoir l'air de faire le re-
levé des dossiers d'une élude d'avoué. R serait inexact d'ail-
leurs d'affirmer que tous les débris de ces archives de Linange
ne consistent uniformément qu'en liasses de procédure. Quel-
ques titres historiques assez précieux surnagent; un grand
nombre de lettres-privilèges émanent des empereurs d'Alle-
magne; deux rois de France, Charles IX et Henri IIl, figurent
dans la collection connue souscripteurs d'obligations en fa-
88 ARCHIVES DÉPARTEMEMALES DU BÂS-RHIN.
veur des Linange; les différents châteaux, construits par la
famille dans le Palalinat et la Basse-Alsace, fournissent des
matériaux soit pour les mœurs de l'époque, soit pour les an-
nales de ces localités. Nous possédons par exemple la copie
authentique d'un acte par lequel Frédéric de Linange achète,
en 1249, du couvent de Limbourg le terrain sur lequel fut
construit le château de Ilardenbourg. Ces noms, surtout celui
de l'abbaye de Limbourg, rappellent des souvenirs chers à
tous les visiteurs du Palatinat et des pittoresques montagnes
aux environs de Dùrkhcim.
La série des titres historiques de ce fonds clôt par une lettre
de M. de Montmorin, ministre de Louis XVI, à un prince de
Linange; elle est datée du 6 décembre 1790, et accompagne
une expédition du décret de l'Assemblée nationale, du 28 oc-
tobre précédent, sur les princes allemands posscssionnés en
France. C'était là un vrai certificat mortuaire délivré à l'un
des représentants de celte antique et illustre famille , dont
les destinées, à partir de ce moment, n'eurent plus rien
de commun avec les nôtres ; ses propriétés alsaciennes el
palatines ont, depuis la paix de Lunéville, passé en d'autres
mains.
Je crains. Monsieur, de vous avoir arrêté bien longtemps
sur un fonds qui ne présente qu'un intérêt secondaire. Devais-
je le passer complètement sous silence, laisser ignorer jus-
qu'à son existence, lorsqu'il touche cependant à l'histoire
intime de notre pays? Ai-je trop présumé de votre complai-
sance et de celle d'un public alsacien , en lui soumettant des
résultats qui n'ont rien de fort attrayant, mais dont les maté-
riaux premiers forment une grande masse dans notre collec-
tion? Puis-je ajouter, avec un peu de satisfaction , que tous
ces papiers gisaient ici disséminés, dans une aussi inextri-
cable confusion que celle de la fomille môme des Linange , et
qu'ils sont maintenant triés, rangés, abordables comme les
livres d'une bibliothèque? On finit par avoir, en face de ces
travaux de manœuvre intellectuel, péniblement et lentement
HUITIÈME LETTRE. 89
accomplis, la môme émotion qu'im pôro de flimillc en face
d'un fils mal né , mais peu à peu redressé; l'enfant ne paie
pas de mine, mais il fait illusion à l'auteur de ses jours. Que
ce soit là, non ma justification, mais mon excuse !
90 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RUl.N.
AEUYIEME LETTRE.
Fonds du comté de Sponlielni. — Description géogrnpbiqiia. — His-
toire fies comtes. — Provenance du fonds. — Seigneurie de Bein-
heini. Titres remarquables.
Monsieur ,
Je compte aujourd'hui vous enti^aîncr un peu hors des li-
mites de noire Alsace. Le fonds du comte de Sponheim que
j'ai là sous mes yeux et qui réclame sa part dans notre revue
sommaire, me convie et m'autorise à faire cette excursion au
delà de nos frontières. Les seigneurs de ce comté possédaient
bien des terres dans la Basse-Alsace; mais, à rigoureusement
parler, ils n'étaient pas des nôtres. — Qu'était-ce donc (juc
ces comtes? Qu'était-ce que le comté de Sponheim? Comment
des titres , relatifs à des seigneurs étrangers , se trouvent-ils
incorporés dans notre dépôt alsacien? Voilà les questions pré-
liminaires que nous ne saurions éviter. Moi^ je suis bien dé-
cidé à les attaquer de front; mais vous, Monsieur? et vos lec-
teurs sont-ils bien résignés à me suivre sur un terrain qui n'est
plus exclusivement local? Jusqu'ici nous avons pu, à l'aide
de souvenirs du terroir, empiéter, sans trop de présomption ,
sur leurs heures de loisir. De ces seigneurs féodaux qui se
partagent l'Alsace jusqu'à la Révolution, les palatins de Deux-
Ponts , les Hanau - Lichtenberg , les Linange même ont eu
quelque prétexte plausible à faire valoir pour capter notre at-
tention ; mais les seigneurs de Sponheim , qu'en faire, et com-
ment justifier leur présence au milieu de ce Parlement de dy-
nastes indigènes ?
L'embarras que j'éprouve , Monsieur, à défendre mon pro-
gramme de ce jour, un embarras dix fois plus grand, je l'ai
éprouvé en face du fonds lui-même qui se trouvait, comme
celui des Linange , je ne dirai pas mêlé , mais jeté au beau
milieu de nos archives dans un extrême désordre. C'était une
NEUVIÈME LETTRE. 01
trentaine de milliers de titres qu'il s'agissait de retirer «des
bras de Morphéc » pour me servir d'une métaphore mytholo-
gique, excessivement surannée, mais parfaitement en rapport
avec l'état de choses dont je vous entretiens. Oui, ces vail-
lants comtes de Sponheim qui, au moyen âge, ont joue leur
rôle dans toute la vallée rhénane, qui se sont trouvés alliés et
parents d'empereurs, de rois et d'électeurs, qui ont conclu
des traités comme de petits potentats qu'ils étaient, qui se
sont batailles non-seulement sur les bords du grand fleuve de
notre frontière , mais jusqu'aux frontières slaves de l'empire
germanique, eh bien! oui, ces illustres comtes, ils risquaient
bien de dormir, dans nos greniers, de l'éternel sommeil du
juste , si la curiosité et le devoir n'avaient usé de leur double
stimulant sur mon esprit ; j'ai donc bien résolument abordé,
il y a quatre à cinq ans, les parchemins princiers, les liasses
roturières et les cartulaires de cette vaste collection qui se
présente maintenant dans notre dépôts endimanchée comme
un jeune parvenu, et soigneusement inventoriée comme le
vieux «trésor des chartes» du fonds épiscopal lui-même.
Il était digne de toute espèce de soins, ce fonds magnifique,
dont je pourrais diflicilement vous donner une idée adéquate,
car les nombreuses chartes-privilèges, les traités castreuses
{Burgfrieden) , les transactions de toute nature qui ont un
grand intérêt pour moi, n'en ont point pour vous , et leur
air de parenté ou de famille rendrait leur exhibition com-
plète excessivement monotone. Je sais parfaitement que ces
Jean de Sponheim , ces Simon de Sponheim , avec lesquels j'ai
vécu longtemps en grande intimité, ont acquis à mes yeux une
valeur individuelle, dont j'essaierais en vain de vous commu-
niquer le sympathique contrecoup. C'est tout au plus par
groupes, à l'aide de quelques contours rapidement esquissés,
(]ue je pourrai faire passer sous vos yeux ces documents, une
fois que j'aurai constaté à quel pays ils se rattachent. Soyez au
surplus bien rassuré. Monsieur, je suis décidé à ne jamais
mettre votre patience à une épreuve extrême.
92 ARCHIVES DÉPART£MENTALES DU BAS-RllLN.
Vous arriverez dans le district de l'ancien comté de Spon-
heim , espèce de triangle formé par le Rhin , la Moselle et une
ligne imaginaire tirée de Worms à Trêves, si vous voulez
bien suivre au nord de nos Vosges la chaîne du Haardtge-
birge et toucher ainsi au groupe élevé du Ilundsruck ' {Hun-
norum tractus), couvert d'épaisses forêts, telles que l'Idar-
wald, le Saanwald etc. Ce pays original de plateaux et de
montagnes envoie, par de nombreuses rigoles élargies en
vallons ou en petites plaines, les ruisseaux, les torrents, les
cours d'eau de ses hauteurs vers la Nahe, la Moselle et vers
le grand fleuve, fils du Saint-Gothard.
Les fermes et les villages disséminés sur les plateaux ou
adossés contre les montagnes, abritent une population fière,
laborieuse et pauvre, que la tradition fait descendre de quel-
ques bandes hunniqucs, qui s'étaient perdues après la retraite
d'Altila dans ces contrées sauvages entre la Saar, la Nahe, la
Moselle et le Rhin.
C'est donc ceHundsrûck, élevé, prés de Gmûnden, jusqu'à
une altitude de 500 mètres, qui constituait le noyau de l'an-
cien comté de Sponheim (Spanheim , Spaynheim) ; mais les
possessions de ces comtes n'étaient pas limitées à ces mon-
tagnes seulement; elles s'étendaient dans le Spiregau, le
Wormsgau et dans la Rassc-Alsacc. Chez nous , c'était Hoch-
feldcn, Schweighausen, la forêt sainte de Haguenau qui leur
appartenaient, dès le onzième siècle, par donation impériale;
Dhan ou Grœfendhan surlaLauter, Altleiningen (le Vieux-Li-
nange), Wachenheim dans le Palatinat, la seigneurie de Ho-
1 Vers le commencenu'ul du siècle acUiel, l'imagination populaire a été
singulièrement impressionnée, le long des rives du Rhin, par les faits lémé-
r;iires d'un bandit connu sous le nom de Schinderhannes . 11 faut que l'indi-
vidualité de ce voleur de grand chemin ait été bien accentuée pour attirer
l'attention , au moment solennel de la clôture du dix-huitième siècle et au
milieu des événements qui transformaient alors l'aspect du monde politique.
C'est sur le territorre montagneux et boisé de l'ancien comté de Sponheim
que le Mandrin allemand exerçait ses audacieux brigandages.
NEUVIÈME LETTRE. 9o
henfels près du MoiU-ToiinciTe, joiiUes à leurs possessions
du Ilundsrûck , faisaient de ces comtes une famille puissante
dont le sort est intimement lié à l'histoire des électeurs ecclé-
siastiques et laïques des bords du Rhin, à celle de l'Alsace
et de Bade. Ils ont laissé des traces profondes dans l'histoire
des provinces rhénanes, puisqu'ils possédaient sur les deux
rives et sur les nombreux affluents du Rhin des villes, des
couvents, des châteaux, des bourgades, des villages, des
fermes et surtout de vastes forêts, et lorsqu'ils s'éteignirent
(en 1437) dans la ligne masculine, leur souvenir se perpétua
par les femmes dans les maisons souveraines du Palatinat et
de Bade.
Je m'aperçois que je touche déjà à la partie vitale de l'his-
toire des comtés, sans vous avoir mis au courant de leur ori-
gine et de leur destinée.
Sur le Feldberg, au-dessus de la charmante petite ville de
Kreuznach (Prusse rhénane), s'élevait, vers le milieu du on-
zième siècle^ l'église (puis le couvent) de Sponheim, fondée
par le comte Eberhard de Sponheim, par son fils Etienne et
son petit-fils Meginhard ou Meinhard. Ce dernier décida
(en 1123) que les fils aînés de la famille seraient constamment
les avoués du couvent et seigneurs de ce Kreuznach , qui a
conquis de nos jours, par ses eaux minérales, ses salines,
son gymnase , son commerce , une existence supérieure à
celle dont elle jouissait comme chef-lieu d'un comté *.
En 1269, cette seigneurie fut partagée entre deux branches.
Jean de Sponheim eut le comté citérieur, avec Kreuznach
pour chef-lieu ; son frère Simon eut le comté ultérieur avec
Trarbach sur la Moselle pour chef-lieu. Vers la fin du qua-
torzième siècle une partie du comté citérieur passa , par ma-
riage, dans la famille électorale palatine; et en 1-425, Jean VI
' Je nif suis jjorné a vous indiquer reUe origiuc des Sponlieini du ouzième
siècli;; la Iradilion les fait remouler, comuie les Liuanyc jus(iu'aux empe-
reurs rouKiius.
94 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
l'Aveugle, comte de Sponheiin, qui voulait se croiser contre
les Hussites en Bohême, et n'avait point d'héritier màle, fit
une espèce de testament politique , signé à Beinheim en Alsace ,
en vertu duquel le comté devait, après sa mort, échoir par
moitié à ses parents collatéraux, le margrave de Bade et le
comte palatin de Veldenlz.
Jean YI de Sponheim mourut en 1437. Ses deux héritiers
collatéraux , Frédéric de Veldentz et Jacques , margrave de
Bade, firent immédiatement une convention nouvelle, qui
attrihua, à titre de gage, à l'électeur palatin une i)artie du
comté citérieur.
Voilà donc, à partir de ce moment, trois seigneurs, de fa-
milles souvent rivales, qui se partagent le petit comté. Aussi
les plus incroyahles complications furent-elles la suite de ce
traité. En 1461 , après la célèbre bataille de Seckcnheim, ga-
gnée par l'électeur Frédéric-le-Yictoricux sur une petite coa-
lition de dynastes voisins, il se trouva que Charles, margrave
de Bade, fut prisonnier de l'électeur et retenu comme tel
dans le château de Ileidclbcrg. Il paraît que la beauté du
site et les détails architectoniqucs de cette demeure prin-
cière ne contrebalancèrent point, dans l'esprit du margrave
Charles, l'ennui de sa captivité; pour se libérer à tout prix,
il céda sa part de Sponheim à l'électeur, et se crut (juilte à
bon marché.
Je suis obligé, Monsieur, toujours dans l'intérêt de vos
lecteurs , et en les avertissant que les courageux peuvent à la
rigueur se désaltérer à une source plus abondante', je suis
obligé de sauter à pieds joints sur deux siècles et demi , et de
dire qu'après bien des péripéties, des sous-partages, des en-
gagements et des rachats, il arriva qu'en 1680 un souverain
bien plus puissant que tous les princes réunis de l'empire
germanique , fit déclarer parla Chambre de réunion, siégeant
^ Yoy. lo rapport U'ès-éleiulu de rarchlvisle du Bas Illiin sur lo coiiilé de
SponliPim , à la suile des délibérations du Conseil général de 1857.
NEUVIÈME LETTRE. 95
à Brisacli , que le comté de Sponheim serait incorporé à la
France. Louis XIV accorda de plus au priuce de Furslenbcrg ,
cardiual-évéque de Strasbourg-, la jouissance des revenus de
ce territoire pour le dédommager des pertes que son épisco-
pat avait éprouvées pendant les guerres du Palalinat.
Voilà donc le comté de Sponheim intimement lié à notre
histoire nationale, comme il l'avait été, à l'histoire de notre
province, dés le onzième siècle, par des donations impériales ,
et au quinzième siècle, par le traité de Beinlîeim.
Mais cette réunion ou cet empiétement ne devait pas être
de longue durée. A la paix de Ryswick (1697), le comté de
Sponheim fit retour à ses anciens possesseurs, le? comtes pa-
latins (alors de Birkenleld) et les margraves de Bade, qui
avaient racheté leur part.
Alors apparaît sur ce petit théâtre la célèbre margravine
Sibylle-Auguste, la fondatrice de la Favorite, près de Rastatt,
la veuve énergique et intelligente d'un héros, de Louis de
Bade; elle intervient en sa qualité de tutrice du jeune mar-
grave Louis-George son fils. Des litiges prolongés avec la
maison palatine de Birkenfeld sur les droits respectifs des
deux maisons régnantes dans la principauté de Sponheim
marquent cette dernière période. Nous trouvons la margra-
vine Sibylle, en 1718, à Trarbach, sur la Moselle, dans le
comté ultérieur, occupée à faire prêter le serment de fidé-
lité par les vassaux de son fils, et à amener les Birkenfeld à
des transactiens, surtout au sujet des droits épiscopaux qui ,
dans ces pays protestants, étaient exercés par les souverains
laïques.
Après la révolution de 1789, le comté de Sponheim se
trouve incorporé dans les nouveaux départements français de
la rive gauche du Rhin. Après 1814 il échut à la Prusse.
Maintenant que vous connaissez la circonscription du comté
et les contours de son histoire, vous me demanderez comment
il se fait qu'une collection, dont beaucoup de titres se rappor-
tent à des localités et à des personnes étrangères à l'Alsace,
96 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU CAS-RIIIN.
se trouve clans nos archives. Je me suis épuisé à ce sujet en
conjectures; j'ai en vain interrogé la suscription des dossiers
et des parchemins, je n'ai trouvé nulle part une donnée pré-
cise sur la transmission des pièces. Voici la supposition qui
m'a semblé la plus admissible, en l'absence de toute tradition
et de toute note écrite.
A l'époque de la conclusion du traité de Lunéville, le do-
maine français a dû réclamer du margrave de Bade la déli-
vrance des pièces qui se rapportent à l'ancienne seigneurie
de Beinheim appartenant à la maison margraviale depuis le
commencement du quinzième siècle*. Or l'administration de
Beinheim paraît avoir été reliée, en 1437, à celle de la partie
du comté de Sponheim qui échéait à Bade par le traité de
1425. Les archives des deux seigneuries ont dû être de même
réunies, et lors de la cession des pièces concernant Beinheim
(en 1802) , on aura probablement aussi délivré les pièces con-
cernant Sponheim.
Si mon explication paraît inadmissible , je passerai condam-
nation là-dessus. A l'appui de ma thèse je citerai seulement la
circonstance du mélange absolu des titres de Beinheim et de
Sponheim dans les recoins de notre dépôt".
Je vous demande pardon, Monsieur, de vous arrêter par
' La maison de Fleckenslein avait vendu sa pari aux margraves de Bade,
de 1402-1-504.
-iNe perdons pas de vue non plus le l'ail de la convention de Beinheim
(1425), qui forme dans l'histoire du comté de Sponheim l'événement capital.
Il est assez singulier que Jean VI de Sponheim date son leslamenl poli-
tique de Beinheim qui appartenait à l'un de ces parents collatéraux institués
héritiers par lui.
Un moment j'ai pensé que les archives de Sponheim avaient bien pu élre
emportées en France et confiées au cardinal-évôqne de Strasbourg, sous
Louis XIV, pendant que le comté faisait partie du domaine épiscopal. Mais
dans ce cas, comment expliquer la présence de pièces du dix huitième siècle
postérieures au traité de lîyswick ?.... D'ailleurs, si ces litres avaient fait
partie du fonds épiscopal , il est diflicile de croire qu'ils eussent échappé à
l'allenlion de Grandidier.
NEUVIÈME LETTRE. 97
des détails en apparence fulilcs. Les questions de provenance
de pièces ont, dans l'intérieur d'un dépôt, une grande impor-
tance : elles servent à constater la raison d'être , le droit de
présence de certains titres dans le corps même du dépôt ou
dans tel fonds spécial.
Dans le cas présent, nous profitons probablement d'un droit
de conquête quelconque, d'un fait accompli. Je dois d'ailleurs
répéter que beaucoup de titres historiques de ce vaste fonds
se relient directement ou indirectement à l'histoire de la Basse-
Alsace, et plus spécialement à celle de la seigneurie de Bein-
heim.
Parmi les pièces historiques concernant cette dernière se
trouvent, en première ligne, toutes celles qui servent à cons-
tater la grande mutation subie par cette importante propriété
féodale de ^40^2 à 1404. Un acte spécial fait connaître l'em-
ploi de 6000 florins , prix de la première vente faite par les
Fieckenstein au margrave Bernard. Les vendeurs déhent leurs
sujets et vassaux de leur serment de fidélité, et les renvoient
à l'acquéreur; mais à peine le contrat est-il conclu, que les
difficultés commencent. Dès 1406, le margrave se voit obhgé
de se plaindre des troubles apportés à sa possession quant
aux droits de chasse et d'affouage, et il demande l'extradition
des lettres-privilèges impériales que les Fieckenstein avaient
gardées en main. Les arbitres nommés (Rodolphe de Hohen-
stein, Bernard deWindeck, et Burkard de Morsperg) con-
damnent les vendeurs ; une correspondance échangée entre
les deux parties semble indiquer que l'un des Fieckenstein
ne se serait pas tenu dans les bornes des convenances vis-à-
vis du margrave et aurait médit de lui en plein pubhc , à l'au-
berge de l'Ours à Haguenau ; le landvogt d'Alsace fut choisi
comme arbitre.
Les margraves, à leur tour, disposèrent temporairement
de leur nouvelle acquisition.
En 1462, Charles, margrave de Bade, prisonnier de l'élec-
teur Frédéric-le-Victorieux , engagea Beinheim jusqu'à paie-
98 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
ment de sa rançon de 100,000 florins'; le successeur du
Victorieux, Philippe-Eugène, engagea à son tour Beinheim au
comte Bernard d'Eberstein (-14-97); enfin en 1505 Christophe
de Bade parvint à racheter cette belle propriété.
Quant aux titres concernant le comté de Sponheim lui-
même , il faudrait pouvoir les relater en totalité. L'étude de
ces documents révèle une de ces grandes existences du moyen
âge qui , sans remplir dans l'histoire générale une place pa-
reille à celle des maisons princiéres, met au jour cependant
une exubérance de force, d'activité matérielle, et subit une
série d'incidents que pouvait seule enfanter celle époque agi-
tée où les relations civiles et politiques n'élaienl point régu-
larisées. L'influence des comtes de Sponheim ne se borne
point, je l'ai déjà fait remarquer, à Kreuznach, et aux âpres
montagnes du Hundsriick; elle suit le cours du Rhin, en
amont et en aval , et ne s'arrête qu'aux confins de la Suisse et
de la Hollande ; une circonstance particulière à ce fonds , c'est
qu'il renferme quelques titres en bas-allemand ou néerlan-
dais; j'ai salué avec un vif plaisir ces témoins isolés de l'une
des grandes subdivisions de l'idiome germanique.
Parmi les têtes couronnées , ce sont les empereurs de la
maison de Luxembourg et de Habsbourg qui se trouvent dans
les rapports les plus fréquents avec les Sponheim. Parmi les
électeurs de l'Empire , c'est le palatin , ce sont les trois élec-
teurs ecclésiastiques qui apparaissent le plus fréquemment
dans cette vaste collection. Les villes et châteaux du Palalinat,
du Hundsriick, des rives rhénanes figurent surtout dans les
nombreuses paix castrales- conclues par les Sponheim avec
leurs voisins. Une pareille énumération deviendrait oiseuse et
fastidieuse, ou bien il faudrait pouvoir détailler les chartes,
et vous faire circuler depuis Namstuhl et le vieux Linange
jusqu'au pic du Drachenfels.
* Nous avons dit plus liaul qu'il céda aussi sa part de Sponheim au même
élecleur.
- Durgfrieiien.
NEUVIÈME LETTRE. 00
Les affaires foreslières constituent nécessairement de nom-
breuses liasses, dans un fonds qui s'applique à un pays cou-
vert de vastes et belles forêts. Les constitutions de douaire et
les contrats de mariage forment aussi de véritables collections
dans les archives de celte famille lice à tant de maisons de
l'empire i^ermanique.
Les affaires administratives sont classées par bailliages ,
d'après le rang d'ordre que présentent les deux moitiés du
comté et les autres possessions des Sponheim.
Je ne voudrais cependant pas quitter ce fonds sans avoir
légitimé mes assertions sur l'intérêt qu'il présente par quel-
ques exemples isolés ; je les prends littéralement au hasard ,
m'appliquant seulement à faire ce tirage au sort parmi les
pièces qui offrent quelques détails de mœurs, et qui se dé-
tachent aussi , par un intérêt que j'appellerai humain, sur la
masse uniforme des conventions politiques ou des affaires
d'administration.
Une bulle de Jean XXII, de l'année 1330, nomme Henri de
Sponheim à un canonicat à Mayence, et confère à Loretle de
Sponheim le privilège d'un autel mobile. Celte dame, ainsi
favorisée, avait été auparavant excommuniée pour emprison-
nement illégal de Baudouin, archevêque de Trêves; mais lors-
que, saisie de repentir, elle eut relâché le prélat, le pape
Jean XXII la releva, elle et ses complices, de l'excommunica-
tion, à des conditions toutefois qui devaient vivement impres-
sionner le peuple et les grands; car la comtesse et les cheva-
liers , ses adhérents , devaient se rendre dans un sanctuaire
près de Trêves, pieds nus, dans un costume soigneusement
décrit, portant en main un cierge de quatre livres, et faire
pénitence publique devant le maître-autel, au moment où l'é-
glise serait remplie de fidèles. « Si la comtesse, est-il dit, ne
«pouvait porter le cierge trop lourd pour ses forces, elle aura
«la permission de le faire porter devant elle par une autre
«personne, et elle en portera un de moindre poids, selon que
« sa conscience le lui dictera. » Un instrument notarié , dressé
100 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
dans le château de Starkenbourg où résidait la comtesse,
constate l'absolution accomplie (14 août 1330). Quelques
jours plus tard, une autre bulle du même pape indique une
réconciliation complète , puisque le pontife accorde à la com-
tesse le privilège d'entrer dans le couvent de Hymenrode, de
l'ordre de Citeaux, où son mari, Henri de Sponheim, était
enterré, et d'y faire ses dévotions, le jour de l'anniversaire
du comte.
Vers le même temps, l'empereur Louis de Bavière donne à
sa tante, Mathildc de Sponheim, le droit d'entourer de murs
les bourgs de Frauenbourg et de Birkenfcld, et au comte
Walram de Sponheim le droit d'avoir des juifs dans ses do-
maines; c'était là , on ne l'ignore point, une source de bons
revenus au moyen âge.
Les rapports de l'empereur Charles IV de Luxembourg
avec Walram de Sponheim , son parent^ étaient excellents. A
la date du 26 avril 1359, il fait inviter le comte par deux de
ses familiers à assister aux noces de ses fdles , les princesses
Catherine et Elisabeth, l'une fiancée d'Olton, margrave de
Brandebourg, l'autre d'Albert d'Autriche. En retour de ces
prévenances, l'empereur réclame aussi des services : il de-
mande au même comte un sauf-conduit pour les marchands
qui passeront sur ses terres (1360). — L'empereur Wences-
las assigne au comte Jean de Sponheim un revenu sur le
péage de Seltz en Alsace (1391), et à cette occasion il prescrit
à Scislas von der Weitenmùhlen, préfet impérial à Hagucnau,
de protéger le comte dans le prélèvement de cette largesse.
Indépendamment de ces libéralités, et toujours à raison de
services rendus, Wenceslas accorde à Jean de Sponheim le
passage libre sur les terres de Luxembourg et sur la Moselle ,
pour les céréales nécessaires à l'approvisionnement de son
pauvre pays de montagnes (1398).
Une liasse importante est formée parles titres qui concernent
la confiscation temporaire du comté au profit du cardinal
Guillaume-Egon de Fùrstenberg, évêque de Strasbourg. Une
NEUVIÈME LETTRE. 101
série de suppliques, de lettres, dénotes, de mémoires adres-
sés au cardinal et à l'intendant de la Sarre pendant la durée
de la confiscation , sont répartis entre les années 1690 à 1694 ;
le magistrat local de ïrarbach et de Castellaun y figure;
puis des états contenant la désignation des fonctionnaires ;
enfin des projets d'amélioration qu'on n'eut pas le temps
d'accomplir.
Je m'arrête; ces indications suffiront, j'aime à le penser,
pour faire entrevoir les sujets d'étude que présente le petit
coin de terre appelé le comté de Sponheim. Je serais heureux
si j'avais pu obtenir pour lui droit de bourgeoisie, ou du
moins le droit d'être écouté dans le petit conventicule de lec-
teurs qui s'intéressent à l'histoire d'Alsace et à celle des pays
limitrophes.
102 ARCHIVES DÉPARTEMEIN TALES DU BAS-RHIN.
DIXIEME LETTRE.
Foncl<4 du comte de Tloiilbéliard. — I^cs conitcM et duc^ de n'iirteiii*
berg, comte!» de :nontliélinrd , $«eigneiirM de Rif|iie^vil)r. — aieii-
ricttc de :nontbéliard. — l,oui*$-Frédéric et I.éopold Kberhard,
comtes de :?Iontbéliard. — l.e comté au ilix-hiiitième siècle. —
Contrainte entre le js;oiivernement du ^Vurtemberg et cehil de
.llontboliard. — Kclilllcr et Cuvier h Stuttgart. — Caractère rc-
ncral et «guelqucM titres spéciaux du fonds de nontbéllard, nl-
f|HC\vilir et llorbourg. — Réunion de :viontbéliard à la France.
La statue de George Cuvier.
Monsieur,
Je vais encore une fois vous convier à me suivre hors des
frontières de l'Alsace; celte fois ce sera au midi de notre pro-
vince, sur les confins de l'ancienne Franche-Comté. A vrai
dire, le pays de Montbéliard est uni par tant de liens d'intérêt
et d'affection à notre patrie locale; il existe entre son histoire
et la nôtre tant de points de contact, entre ses mœurs et les
nôtres tant de ressemblance , que ce n'est presque pas sortir
de chez nous que d'entrer dans le domaine des anciens
comtes de Montbéliard.
Comment se fait-il que nous possédions, dans nos archives
'du Bas-Rhin, un fonds spécial relatif à ce comté jurrassique
ou bourguignon? A cette question je n'ai pas de réponse
beaucoup plus précise à donner que pour le fonds de Spon-
heim. Voici la seule hypothèse rationnelle à laquelle j'ai pu
m'arrêter. Les ducs de Wurtemberg, comtes de Montbéliard ,
seigneurs de Riquewihr et de Ilorbourg dans le Ilaut-Rhin,
avaient en cette dernière qualité des affaires à traiter, des ré-
clamations à présenter auprès de l'Intendance d'Alsace. Ils
entretenaient à Strasbourg un chargé d'affaires ou un agent
attitré; c'était, dans la seconde moitié du dix-huitième siècle,
le jurisconsulte Treiltlinger. On a dû envoyer à cette personne
DIXIÈME LETTRE. iOo
de confiance bien des dossiers et des copies de litres pour la
renseigner; il se peut que le fonds se soit ainsi forme par
voie d'agglomération successive, peut-être aussi par un dépôt
simultané, au moment de la Révolution. Quoi qu'il en soit,
nous en profitons, car ces dossiers renferment, pour l'his-
toire de la Réforme surtout et pour celle de la guerre de Trente
ans, des détails qui entrent dans l'ensemble des événements
dont l'Alsace a été le théâtre à la même époque.
Tout en causant avec vous. Monsieur, je viens, comme
d'habitude, de faire allusion à un état de choses énigmatique
dont vos lecteurs n'ont pas encore la solution ; j'ai dit que
les souverains du Wurtemberg étaient aussi comtes de Mont-
béhard et seigneurs de quelques terres dans la Haute-Alsace.
Ceci exige nécessairement une explication : au surplus , on
devine déjà que nous sommes là en face d'une situation toute
pareille à celle que nous avons étudiée à Bischwiller et à Boux-
willer, c'esl-à-dire que nous trouvons des princes étrangers
établis, à titre de seigneurs, dans des provinces françaises.
Comment ce fait est-il arrivé pour Montbéliard, Horbourg et
Riquewihr?
11 faut bien remonter le cours des âges pour se rendre
compte de cette situation complexe. Veuillez vous confier à
ma direction ; je tâcherai d'abréger et d'aplanir la route autant
que possible.
Le fonds conservé dans nos archives n'a absolument rien
de commun avec l'ancien comté de Montbéliard , dont l'ori-
gine remonte à Louis de Dagsbourg ou Dabo, c'est-à-dire à
la seconde moitié du dixième siècle. Nos documents se rap-
portent à peu près tous à l'époque où la principauté appar-
tenait à la famille régnante de Wurtemberg. Je puis et dois
même me borner à vous entretenir de celte seconde période ,
qui commence en 1396 et 1397.
Henri, comte de Montbéliard, avait fait partie de l'expédi-
tion aventureuse des chevaliers français, qui, allant au secours
de l'empire de Byzance, se firent hacher ou prendre par les
104 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Turcs à Nicopolis (1396). Le comte de Montbéliard resta mort
sur le champ de bataille. Ses domaines passèrent, faute d'hé-
ritier mule, à sa fdle Henriette, qui avait épousé Eberhard,
le jeune comte de Wurtemberg et de Teck. A partir de cette
époque , Montbéliard fut administré tantôt par le comte ré-
gnant de Wurtemberg , tantôt par un membre de la branche
cadette, sous le nom de simple ténementicr; parfois aussi la
seconde branche régnait en toute souveraineté à Montbéliard,
sous condition de réversibilité du comté, lorsque les héritiers
directs venaient à manquer.
Le comté de Ilorbourg et les seigneuries de Riquewihr,
qui appartenaient, depuis 1324, aux anciens comtes de
Wurtemberg par droit d'achat, suivirent le sort de Mont-
béliard.
La comtesse Henriette, qui avait apporté à la maison de
Wurtemberg le bel apanage d'une cinquantaine de communes
dans le bassin du Doubs, ouvrait d'une manière brillante la
nouvelle série des souverains montbéliardais; c'était, comme
on dit vulgairement, une maîtresse-femme, de la même trempe
que Marguerite de Linange-Westerbourg. Tutrice de ses deux
fils mineurs , après la mort de son mari Eberhard , elle sut
non-seulement conserver, mais agrandir le patrimoine de ses
enfants. C'est elle qui fit à Frédéric de IIohenzollern-Hecliingen,
dépouillé par elle , et regimbant contre ce mauvais traitement,
une réponse bien connue, dont je ne puis reproduire ici l'é-
nergique crudité.
Le château de Montbéliard , qui domine encore aujourd'hui
la ville du côté de l'est, devint la prison et le tombeau de
Frédéric de Hohenzollern.
Pendant le seizième siècle , la réforme introduite dans le
comté par Guillaume Farel , s'y consolida; cette similitude
dans les destinées confessionnelles fut un lien entre Montbé-
liard et les grandes cités de l'Alsace.
En 1617, presqu'à l'entrée de la guerre.de Trente ans,
commence la ligne spéciale des comtes de Wurtemberg-Mont-
DIXIÈME LETTRE. 105
béliard. Louis-Frédéric, fils puîné du duc Frédéric', obtint,
à la suite d'un traité de famille conclu avec son frère , le
comté de Montbéliard et les seigneuries situées dans la Haute-
Alsace.
Au milieu des horreurs de la guerre de Trente ans , qui
étendit ses ravages sur le territoire montbéliardais , le comte
Louis-Frédéric vint à mourir (en 1631) à peine âgé de trente-
cinq ans. La France occupa temporairement le comté ; ce ne
fut qu'après la paix de Westphalie que Léopold-Frédéric de
Wurtemberg- prit en main la direction des affaires de Montbé-
liard. Son frère George lui succéda en 1062; il est le fonda-
teur du collège de Montbéliard ; mais cette institution toute
pacifique faillit être engloutie dans les malheurs du temps. En
1676 le maréchal de Luxembourg envahit le pays et fit dé-
manteler la citadelle située à l'ouest de la ville. Le prince
George, époux d'Anne de Coligny, passa une grande partie de
sa vie dans un exil involontaire , et ne rentra en possession
du comté qu'après la paix de Ryswick. Il mourut à la fin du
dix-septième siècle.
Son fils , Léopold-Eberhard, né en 1670, lui succéda; mais
il fut aussi troublé dans sa possession par le gouvernement
français, qui fit constamment des essais d'intervention dans
les affaires confessionnelles du pays. C'était une existence
anormale que celle de la petite enclave , entre l'Alsace et le
comté de Bourgogne. La tentation irrésistible, pour un puis-
sant voisin , d'absorber la principauté étrangère , devait tôt
ou tard aboutir à une confiscation.
Pendant la plus grande parfie du dix-huitième siècle le
comté de Montbéliard n'eut plus de princes résidents. Après
la mort de Léopold-Eberhard, le pays avait fait retour à la
branche aînée de Wurtemberg. Des ordres, partis de Stutt-
gart, dirigeaient la régence locale de Montbéhard, et il est
* En 1495 l'empereur Maximilieu P"" avait érigé le comté de Wurtemberg
en duché.
106 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
juste de dire que l'administration wurtembergeoise était pa-
ternelle dans ce domaine de langue française, qu'elle avait
toute espèce d'intérêt à ménager.
L'on vit alors un spectacle véritablement bizarre, un con-
traste tel qu'il s'en présente rarement dans l'histoire : deux
pays , appartenant au même souverain , gouvernés d'après
des principes tout à fait différents ; le Wurtemberg, le pays
patrimonial , livré aux caprices d'un régime de favoris , de
maîtresses et d'usuriers, à toutes les turpitudes d'une cour
où le maître jouait, dans toute la force du terme, le rôle d'un
sultan au petit pied; et Montbéliard, le territoire acquis par
mariage, occupé par une populalion romane, étrangère aux
souvenirs et aux antécédents historiques de la terre ducale,
Montbéliard, moralement, religieusement, économiquement
gouverné ; les fils de ses principales familles jouissant de
bourses pour faire' leurs études à TiUjingen ; George Cuvier
— celui qui allait être le grand Cuvier — élevé aux frais du
duc dans l'Académie militaire de Stuttgart; le gouverneur de
Montbéliard , usant à l'endroit de ses administrés, j'allais dire
de ses ouailles, de tous les ménagements, de tous les égards,
de toutes les prévenances que ses instructions lui prescri-
vaient, tandis que dans les villes et campagnes de Souabe,
à l'orient de la Forêt-Noire, l'honneur et la fortune des fa-
milles dépendaient du caprice d'un intendant ou d'une con-
cubine du prince.
A qui m'accuserait de charger les couleurs, je répondrai
hardiment que je les adoucis, que je n'articule rien, parce
que je n'écris point ici l'histoire du Wurtemberg , que je
couvre d'un triple voile les actes odieux qui ont pendant toute
la durée du dix-huitième siècle fait de la cour de Stuttgart et
de Ludwigsbourg l'asile et le paradis des danseuses et des
aventuriers. J'engage les incrédules à étudier l'histoire du duc
Eberhard-Louis (1693 à 1733) et de M^e de Grœvcnitz ; puis
celle du règne de Charles-Alexandre (1733 à 1744) et du juif
Siiss-Oppenheimer, qui suça la moelle du pays et finit, grâce
DIXIÈME LETTRE. 107
aux cris d'indignation de toute l'iVllemagne, par se faire pendre
dans une cage de 1er. Qu'on lise surtout l'histoire du règne de
Charles-Eugène, plus connu sous le nom du duc Charles (17M
à 1793), de son ministre M. de Montmartin, et de la comtesse
de Hohenheim ; et si cette lecture devait répugner à des esprits
délicats , l'un des drames bourgeois de Schiller (Intrigue et
Amour) leur fera voir comment la poésie a su transporter sur
les planches du théâtre , pour l'instruction des peuples et des
rois, un état de choses qu'aujourd'hui nous serions tentés de
reléguer dans le domaine de la fable.
C'est un fait connu que Schiller, le camarade d'études de
Cuvier, puisa la haine de la tyrannie dans l'atmosphère viciée
qui pesait alors sur Stuttgart. Ses (l Brigands y> ne sont que
l'expression hyperbohque, déclamatoire, d'un sentiment d'op-
position, qui était alors au fond de toutes les consciences
droites, et qui menait le poète Schubart au cachot du Hohen-
asperg, le fonctionnaire patriote Moser dans les casemates de
Hohentwiel.
Mais si de ce régime sans nom nous nous réfugions à Mont-
béliard , la scène change complètement ; ici , nous nous trou-
vons sous l'aile protectrice d'un gouvernement patriarcal, tout
à fait approprié à ces pittoresques campagnes, traversées par
le Doubs et ses affluents, couvertes de forêts, de prairies, de
vergers, empruntant aux ramifications du Jura les charmes
d'un terrain accidenté, sans les inconvénients d'un climat tout
à fait alpestre. Ici, la dignité de l'homme et du citoyen est
respectée, garantie ; on n'enlève point à l'agriculture , on ne
vend point à la Hollande ou à l'Angleterre les jeunes hommes
les plus vigoureux, pour échanger ce prix du sang contre une
parure de courtisane; on n'y comprime pas l'essor de l'intel-
ligence ; d'excellentes écoles , legs de la réforme , développent
les bons germes dans toutes les communes rurales ; à Mont-
béliard un collège presque académique entretient une pépi-
nière de bons théologiens; de pieuses fondations, qui ont en
partie survécu aux ébranlements des révolutions modernes ,
108 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
viennent en aide à l'indigence ou à la maladie ; à côté de l'a-
griculture, l'industrie minière commence ses essais dans les
forges d'Audincourt; déjà l'on discute la jonction du Rhône et
du Rhin; on semble deviner l'avenir de cette voie fluviale que
la main de l'homme doit créer. Je m'arrête; je crains que l'on
ne m'accuse de tracer, pour l'amour des contrastes, un ta-
bleau de fantaisie ^ quoique les éléments en soient tous pris
dans le fonds môme, objet de cette lettre, et dont je dois bien
aussi vous dire quelques mots. Ce seront, comme toujours,
des indications , consignées presque à la dérobée dans ces
lettres , où je dois chercher à intéresser, et non à cataloguer
des liasses.
J'ai classé cet amas de 28,000 titres sous les rubriques d'af-
faires historiques, ecclésiastiques, féodales, judiciaires, ad-
ministratives, financières etc. Les pièces les plus nombreuses
dans ce fonds, comme dans ceux qui précèdent ou qui vont
suivre, sont toujours celles qui ont trait à la comptabilité ou
à l'administration; les plus rares sont précisément celles que
nous voudrions trouver en quantité respectable; savoir: celles
qui intéressent le mouvement des esprits ou indiquent la
marche des événements. Une remarque générale qui s'est
présentée d'elle-même lorsque j'ai parcouru toutes ces liasses
de Montbéliard , c'est la persistance* des noms propres. Que de
familles, dont nous connaissons les membres actuels, se re-
trouvent dans les documents des siècles derniers ! et cette
observation s'applique surtout aux professions savantes. Les
théologiens protestants de Montbéliard forment une espèce de
ni y a bien aussi quelques omlires dans ce beau tableau. Je trouve, par
exemple, dans la rubrique féodale de ce fonds de Montbéliard, un lief appar-
tenant à la famille L****. Quatre demoiselles de cette maison figurent dans
nos papiers, comme lilles naturelles de feu Léopold-Eberhard de Monlhé-
liard; mais que cette peccadille est vénielle à côté des atrocités de Slullgarl!
Ce même prince Léopold acquiert des mains de George de Guilderich,
seigneur de Sigmarshofen et d'Allanjoie, en ^707, le château de VVolfsberg,
près .\renenberg.
DIXIÈME LETTRE. 109
corporalion, qui s'est perpétuée de père en fils. Il y a d'ail-
leurs toute espèce d'avantages dans une pareille transmission
héréditaire ; le cas se rencontre bien aussi en Alsace , mais à
un moindre degré, ce me semble ; on dirait que l'envahisse-
ment de notre province par les Français d'au delà des Vosges
a enveloppé, du moins dans les villes, la couche de la popu-
lation primitive.
Pour sortir des généralités, abordons quelques faits du
quinzième, du seizième et du dix-septième siècle, consignés
dans ces documents de Montbéliard, et plus ou moins con-
nexes avec l'histoire de notre pays.
Pas un de nos lecteurs qui n'ait connaissance de la des-
cente du dauphin Louis (XI) , avec ses Armagnacs , dans les
plaines d'Alsace. Pendant cette même campagne , Louis avait
occupé la ville et le château de Montbéliard; mais il promit à
Ulrich de Wurtemberg de le rendre dans dix-huit mois {Vi-
dimus d'une lettre en latin et en allemand de 14M). Deux ans
plus tard, une lettre de félicitation, adressée par le père du
dauphin Louis , par Charles VII , aux comtes Louis et Ulrich
de Wurtemberg, constate que cette libération de Montbéliard
a eu lieu en réalité.
Déjà plus haut j'ai fait pressentir que l'époque de la réforme
est marquée dans ce fonds par plus d'une pièce curieuse. Point
de trace, par exemple, ni du passage de Guillaume Farel, ni
de celui de Théodore de Bèze ; mais des règlements ecclésias-
tiques,, des rapports du prince Christophe à son frère Ulrich
(1544 à 1545) , à ce même duc qui, chassé de ses États pour
des crimes néroniens, n'a point laissé de mauvais souvenirs
à Montbéliard ; puis, dans le cours du même siècle, des rap-
ports du conseil de régence sur la situation des esprits , sur
la persécution qui menace de fondre, de la Franche-Comté
espagnole, sur le petit pays réformé; vers le milieu du siècle,
le passage du colonel Schertlin et de ses troupes réunies contre
l'Empereur (1552); vers 1587, une correspondance du duc
Louis avec soj;i frère Frédéric sur les incidents de la guerre
liO ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
avec la Lorraine; la correspondance du duc avec ses fonction-
naires et avec ses délégués à Prague (1590 à 1591) pendant la
même lutte etc.
Lors des troubles qui précédèrent la guerre de Trente ans,
au moment où le petit souverain de la Savoie nourrissait des
projets conti'Q Genève, il paraît qu'à Montbéliard on avait aussi
conçu des craintes. Nos dossiers indiquent des demandes d'as-
sistance adressées à Bâle, à Berne et à l'électeur palatin (1611).
Je ne rentrerai point, pour Montbéliard, dans les détails de
la guerre de Trente ans. Les seigneuries de Riqucwihr et de
Ilorbourg en ont aussi souffert, comme le reste de la province,
et les dossiers , d'ailleurs peu nombreux , (pii concernent ces
propriétés wurtcmbergeoises , en conservent des traces.
Noire fonds contient une copie de l'acte de vente , en vertu
duquel Waltlier et Burkard de Ilorbourg cédèrent à Ulrich de
Wurtemberg (1324), outre HorbourgelRiquewiiir,le château
de Bilslein, le landgericlit im Leimenthal etc. Plus d'une fois
cette acquisition devint, pour la régence -wurtembergcoise ,
un sujet d'embarras. Souvent les comtes ou ducs de Wur-
temberg se trouvent en lutte avec les seigneurs locaux , soit
pour la levée des impositions, soit pour la prestation du ser-
ment des habilants; ou bien les seigneurs des localités sont
en litige entre eux-mêmes , et le Wurtemberg est obligé d'in-
tervenir ou de recourir, soit à l'arbitrage de l'évoque de Stras-
bourg, soit aux tribunaux de l'empire. Ainsi, pendant le sei-
zième et le dix-septième siècle, les discussions entre le Wur-
temberg et les Ralhsamhausen sont incessantes; en 1060,
l'immédiateté des Rathsamhausen est reconnue par la Cham-
bre impériale contre le duc. Veuillez remarquer. Monsieur,
qu'à cette époque l'Alsace, en vertu du traité de Westphalie,
appartenait depuis douze ans à la France, et que l'on conti-
nuait néanmoins à recourir, pour ces litiges , à la décision
d'un tribunal germanique; anomalie qui avait sa raison
d'être dans quelques articles ambigus du grand traité euro-
péen , mais qu'un souverain de la taille de \.ou\s XIV ne
DIXIÈME LETTRE. 111
pouvait admettre à la longue. Pour le cas spécial, en exami-
nant la correspondance des fonctionnaires de Riquewihr avec
Montbéliard et Stuttgart, on voit que lesRathsamhausen com-
mettaient des illégalités, précisément parce qu'ils se savaient
appuyés par la Chambre impériale de Spire. Le duc régnant,
Eberliard, conseillait prudemment à Léopold, comte de Mont-
béliard, d'assoupir l'affaire; il pressentait que la griffe du
lion de Versailles pourrait dans un avenir prochain tirer bon
parti de ces discussions et s'emparer de l'objet du litige.
La principauté de Montbéliard avec les seigneuries qui en
dépendaient (Iléricourt, Blàmont etc.) fut, comme on sait,
réunie à la France en 4793 par le représentant du peuple
Bernard de Saintes; cette opération, longtemps prévue, ne
faisait qu'exécuter ce que la monarchie des Bourbons médi-
tait depuis cent cinquante ans; toutes les convenances géo-
graphiques, toutes les sympathies nationales parlaient en fa-
veur de cette fusion. La France y gagnait un arrondissement
et un grand naturaliste; George Cuvier avait vingt-quatre ans
au moment de la réunion; il était mort depuis trois ans, lors-
que sa statue fut inaugurée, en i8o5, sur la place pubhque
de Montbéliard par une députation de l'Institut, par un con-
cours de savants de toutes les nationalités, et par les accla-
mations des citoyens, fiers d'être les compatriotes de l'une
des plus hautes illustrations de la science contemporaine.
Cinq ans plus lard, Strasbourg inaugura la statue de l'in-
venteur qui a rendu possible le prodigieux essor qu'ont pris
les lettres et les sciences depuis quatre siècles. Sans Guten-
berg , Cuvier existerait-il? C'est une heureuse coïncidence,
qui réunit ainsi, sur deux ppints de la fronlière de l'est, les
images des deux génies qui ont entre eux cette mystérieuse
corrélation. Je n'étendiai point ce rapprochement aux hommes
d'action et de talent auxquels l'Alsace reconnaissante a ré-
cemment décerné et élevé des statues ; Kléber et Rapp , sur-
tout Lezay-Marnésia et Pfeffel, protesteraient contre l'assigna-
tion d'un rang qu'ils savent ne point occuper sur la môme
112 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN".
ligne que l'illustre Mayençais et que le créateur de la paléon-
tologie. Mais la patrie a des palmes pour toutes les gloires, et
j'aime à penser que l'Alsace et le Comté , ces deux provinces
sœurs , tiennent encore du marbre ou du bronze en réserve
pour les statues de plus d'un de leurs nobles enfants.
-— +a*M'
ONZIHMK LETTIiE. 11":^
ONZIEME LETTRE.
I.e foHils «lii Directoire de la noblesse. — ïiC Itltterliaiis. — Devoirs
de l'areliivistc en face des papiers de famille. — Composition dn
Directoire. — Sa juridiction. — Correspondance histori<giie d«i Di-
rectoire. E.es familles nobles. — . ILenrs titres. — M. de Koche-
brune. — E.e testament «l'un coniSamné ù mort. — Familles rotn-
rières. — Adieu aux archives civiles.
Monsieur ,
Sur la place Saint-Étienne de Strasbourg s'élève la longue
et belle façade de l'ancien RiUerhcms , qui porte l'empreinte
des temps passés , même pour les yeux les moins habitués à
distinguer les styles d'architecture. Cet édifice était le siège
du Directoire de la noblesse de la Basse- Alsace , dont j'ai en-
core à vous entretenir avant de quitter la salle de nos archives
civiles.
Le Directoire avait un caractère mixte : il représentait offi-
ciellement le corps de notre noblesse ; il était le défenseur
de ses intérêts moraux, politiques, territoriaux; il envoyait
des députés aux réunions ou diètes de la noblesse immédiate
de l'Empire germanique ; il correspondait quelquefois avec
les empereurs eux-mêmes ; ses propriétés en immeubles et
rentes n'étaient pas sans importance; comme tenancier du
Rilterhaus, il était, à partir de la fin du dix-huitième siècle,
feudalaire du roi de France; il exerçait , par des baillis , une
juridiction sur les villages et terres de la noblesse ; il jugeait
enfin comme tribunal et décidait, en première instance , les
litiges dans lesquels les membres de la noblesse étaient en-
gagés.
Certes il y avait là un cercle d'action assez étendu, qui ne
doit pas échapper à notre attention; nous devons nous y ar-
rêter d'autant plus que des protocoles considérables, c'est-
à-dire les procès-verbaux des séances du Directoire , consti-
tuent, avec les litres des familles nobles elles-mêmes, un
114 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
fonds étendu, intéressant par les noms qu'il contient et par
les souvenirs qu'il évoque.
Quelques mots d'abord sur le Directoire considéré dans ses
attributions judiciaires. Je me borne, comme d'babitude ,
aux indications les plus indispensables, pour ne pas fatiguer
l'attention de vos lecteurs par des détails qui sont du domaine
des bommes d'étude.
Le Directoire jugeait au civil et informait quelquefois au
criminel. A ce propos , je dois encore intercaler quelques ré-
flexions préliminaires.
Par les dossiers correctionnels ou criminels , l'archiviste se
trouve forcément introduit dans l'intérieur des familles ; il
apprend à connaître leur passé, bon ou mauvais, comme le
médecin ou le confesseur apprend à connaître les misères
physiques et morales de ses contemporains. Lorsque les fa-
milles sont éteintes, lorsque les années affaiblissent les im-
pressions, les événements môme désavantageux pour le nom
d'une famille appartiennent à l'histoire ; nulle maison ne peut
avoir la prétention de croire tous ses ancêtres impeccables
ou élevés au-dessus de la sphère des passions humaines. Je
crois même que, l'amour- propre aidant, on ne serait pas
trop fâché de retrouver à trois ou quatre siècles de distance
quelque grand criminel inscrit sur l'une des branches d'un
arbre généalogique; dans un lointain vaporeux, le méfait
perd quelque chose de son caractère repoussant; il ne con-
serve que son caractère historique, servant à constater l'exis-
tence de quelque personnalité de grande ou moyenne taille,
et à donner à une époque ce qu'on est convenu d'appeler la
couleur locale. Plus d'inconvénient alors à dévoiler un fait
criminel, à en parler, à le commenter, h le flétrir, en lui
appliquant les règles immuables de la justice et de la cons-
cience publique ; il ne peut en rejaillir aucune espèce de blâme
sur le descendant de l'individu incriminé ou flétri; il ne peut
rester dans l'esprit du descendant d'un grand coupable au-
cune rancune contre le narrateur.
ONZIÈME LETTRE. 115
Mais les choses ne sont plus les mômes, lorsque les faits
criminels ou honteux se sont passés dans des temps qui tou-
chent encore aux nôtres; alors ces affaires de concussion, de
diffamation, d'adultère, de séduction, de prodigalité, d'in-
sultes, de suppression de personnes, qui forment (ordinaire-
ment le contenu des dossiers criminels ou correctionnels,
tombent dans le domaine du scandale; elles blesseraient au
vif de justes susceptibilités et ne sauraient appartenir au forum
de la publicité. Le devoir élémentaire de l'archiviste, déposi-
taire de semblables papiers, c'est non-seulement de ne pas
les publier, de ne pas les divulguer, mais de les oublier, s
possible , lui-même. C'est le cas de beaucoup de papiers cri-
minels du fonds du Directoire de la noblesse; si vous me de-
mandiez ce que j'en sais ou ce que j'en ai retenu , je répon-
drais qu'en tout temps, dans tous les pays du monde, dans
toutes les classes de la société, les passions exubérantes, dé-
sordonnées , ont produit des turpitudes qui varient dans les
détails, mais qui se ressemblent par le fonds , et que ce qu'il
y a de mieux à faire en pareil cas, 'c'est de détourner, si.
vous me permettez cette métaphore mythologique, un filet
d'eau du Lethé sur le résidu bourbeux du passé.
Au surplus je me hâte d'ajouter que l'immense majorité
des cas jugés par le Directoire sont des cas civils, des cas de
très-médiocre intérêt; il y avait appel de tout ce qui dépassait
la somme de 500 fr. , et dans les procès -verbaux que j'ai dû
parcourir, je n'ai constamment trouvé à l'ordre du jour (jue
des valeurs minimes et des affaires presque puériles.
Comme tribunal, le Directoire était composé de dix juges,
membres du corps de la noblesse ; sept directeurs , pris parmi
ces dix, présidaient à tour de rôle par semestre. Trois asses-
seurs, un syndic ou procureur-général, huit adjoints, dont
quatre catholiques et quatre protestants, complétaient cette
organisation. Les officiers inférieurs, notaires, greffiers, avo-
cats, procureurs et baillis étaient nommés par le Directoire,
dont la juridiction s'étendait sur quatre-vingt-dix localités.
i16 ARCHIVES DÉPARTEME^sTALES DU RAS-RIIIN.
bourgs OU villages. Les baillis résidaient à Strasbourg, à l'ex-
ception d'un seul, en résidence à Saverne. C'était, comme
vous le voyez, une organisation judiciaire un peu étendue ,
pour la défense d'intérêts qui ne semblent point en rapport
de qualité et de quantité avec ce nombreux personnel. On ne
peut en général se défendre d'une observation de ce genre
en considérant toutes les juridictions ecclésiastiques et civiles
qui, sans aller plus loin, s'entrecroisaient dans la Basse-
Alsace; la simplification amenée par 89 est un incontes-
table bienfait, qui doit frapper même les adversaires de ce
grand ébranlement bistorique dont les oscillations sont en-
core loin de s'arrêter.
Mais le fonds du Directoire, je l'ai déjà fait pressentir, ne
contient pas seulement des protocoles judiciaires ; des titres
bistoriques, des titres de propriété, une correspondance éten-
due lui donnent une valeur d'une autre nature. Toute une
série de privilèges impériaux, de transactions, de paix cas-
Irales impriment à cette collection un caractère de parenté
avec les groupes de titres qui ont déjà passé sous nos yeux.
— Les procès -verbaux des diètes tenues dans diverses villes
d'Alsace, et les récez, c'est-à-dire les décisions prises dans ces
réunions solennelles pour la défense du pays et pour des ques-
tions d'un intérêt général, s'étendent sur une partie du sei-
zième et du dix-septième siècle; la correspondance du Direc-
toire , représentant de ses pairs , avec l'évêque et la ville de
Strasbourg, avec les dignitaires de l'Empire, les princes éta-
blis en Alsace, le préfet de Haguenau, la régence d'Ensis-
heim, embrasse aussi une série d'années de la même époque.
La guerre de Trente ans en fait, comme de raison, les fiais
principaux. Parmi les personnages qui figurent dans ces
rapports épistolaires, se trouvent en première ligne : le car-
dinal de Lavalette , lieutenant-général de Ricbelieu (1636),
le colonel d'Ossa , le duc Bernard de Saxe-Weimar, le cban-
celier suédois Oxenstierna , le rhingrave Olton Henri, le duc
de Roban etc. , et en seconde ligne des personnages moins
ONZIÈME LETTHK. 117
connus: le ritlmeislrc de Plessen, le commandant, de Plii-
lippsbourg, ]\1M. de Gifl'en et de Gemmingen, délégués à
Mûnsler par le Direcloiie etc. Presque toujours ce sont des
questions de logement militaire , de contribution de guerre
et de sauvegarde qui sont traitées dans ces lettres , minutes ou
copies. s
La grande guerre finie, l'ère des discussions recommence;
elle a aussi sa place dans notre collection. Voici un journal
tenu par le syndic Wieland pendant le voyage des délégués
de la noblesse à Vienne et à Prague (1652) ; voici le récez de
la Diète tenue à Mergentheim par la noblesse de la Souabe ,
de la Franconie et du Rhin, première réunion de ce genre
après la guerre de Trente ans (1651); on y voit figurer, de la
part de notre noblesse, Christophe Wangen de Géroldseck,
Hugues Wyrich de Berslett, J. Rodolphe deBerckheim , Wolf-
Jacques Bœckel de Bœcklinsau , noms qui nous sont tous fa-
miliers et qui se retrouvent, bien entendu, à toutes les pages
des protocoles et de la correspondance du Directoire.
Ce corps avait grand soin d'envoyer des agents dans toutes
les assemblées officielles de l'Empire germanique, même
après la réunion de l'Alsace à la France; non-seulement il ne
considérait pas encore ses relations avec l'Empire comme dé-
finitivement rompues; il espérait sans doute s'y rattacher. Ce
n'est que la réunion de Strasbourg qui a fait du corps de la
noblesse d'Alsace un corps français. En 1674 le Directoire
entretient encore un délégué (Fabricius) à Ralisbonne; de
1674 à 1678, il correspond encore avec l'évêque de Gurck à
Nimègue. Louis XIV ne s'y trompait point. En 1080 des lettres
patentes du roi transfèrent le siège du Directoire de Stras-
bourg au château de Niedernai; c'était un exil significatif qui
ne cessa qu'en 1682, lorsque Strasbourg fut devenue ville
française; alors le Directoire obtint la permission d'y rentre
et d'y faire à l'avenir ses petites affaires administratives et ju-
diciaires en toute paix et sécurité. C'est vers cette époque qu'il
acquiert le Ritlerhaus des mains de M. de Wangen (1685), et
118 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIUN.
en 1697 une déclaration du président du Directoire reconnaît
avoir transféré sur l'hôtel de la place Saint-Etienne les droits
féodaux que le roi exerçait sur l'hôtel de la Haute-Montée, où
se trouvait auparavant le poêle de la nohlesse*.
Les noms des nobles alsaciens cités dans ma lettre sur l'In-
tendance d'Alsace, ont à peu près tous, et bien d'autres en-
core, leurs titres de famille annexés au fonds du Directoire. A
plusieurs reprises dans le cours de cette revue des archives,
nous nous trouverons encore en face du corps de la noblesse ,
dans les fiefs de l'évêché, par exemple, et dans le grand cha-
pitre. Ici, dans le fonds qui nous occupe, ce sont invariable-
ment des affaires de succession, d'actes matrimoniaux, do
testaments, d'immatriculation, d'inventaire etc. qui consti-
tuent les liasses. Les litres ont une grande valeur pour les fa-
milles elles-mêmes; quant à l'histoire générale du pays, clic
n'y est presque pas intéressée. En parcourant, pour les ana-
lyser et les enregistrer , ces nombreux documents, témoins
de tant de fêtes et de deuils de famille, j'ai été amené plus
d'une fois à me dire avec un mouvement de tristesse, qui
n'était au fond qu'un retour égoïste sur moi-même, combien
ces contractants, ces fiancés, ces testateurs, s'ils pouvaient
revenir à la vie , seraient étonnés ou péniblement impres-
sionnés à voir les actes constitutifs de leur foyer domestique
livres entre les mains d'un tiers, sinon indifférent, étranger
du moins à ces joies, à ces douleurs, à ces prévisions pater-
nelles des chefs de maison ! Mais qu'y faire?... Des destinées
bien autrement grandes que celles de nos honorabilités
pi'ovinciales ont été ravagées d'une manière plus tragique;
et au demeurant, ces pièces qui par suite de troubles révo-
lutionnaires sont tombées dans le domaine public, ont plus
de chances de conservation maintenant, dans un dépôt dé-
1 Ce dtM'nior iminonble fait le sujet de plusieurs titres qui remontent en
partie au quinzième siècle , par exemple, un traité entre les aubergistes de la
Ilaute-Monlée — Jacques de Coluiar et ilodolphe Yollz — avec les représeu
lanls de la noblesse.
OiNZIÈME LETTRE. 1 i9
partoinciitnl , sous la sauvegarde cl le rcspecl de la loi,
qu'elles n'en auraient , disséminées dans des archives parti-
culières, exposées aux mille et une chances de l'incurie, de
la dilapidation et des accidents indépendants de la volonté des
hommes.
Je ne pourrais, sans dépasser les hornes extrêmes de votre
complaisance, me remettre à citer une à une chaque famille
noble ayant place dans cette partie de notre dépôt, et encore
moins me perdre dans le détail de ces titres qui n'ont, ainsi
que je viens de le dire, aucun rapport avec les affaires géné-
rales du pays. Le parti qui me reste à prendre, c'est de tirer,
comme on dit vulgairement, à la courte paille, de noter som-
mairement les documents qui concernent quelques maisons ;
à peu de chose près, les archives d'une famille ressemblent à
celles des autres... Je dois aussi prévenir que beaucoup de
ces représentants de nos anciens dynastes étaient apparentés;
presque toujours on se mariait chez soi , entre cousins à tous
les degrés , rarement à l'étranger ; peut-être cette circonstance
a-t-elle contribué, avec la tourmente révolutionnaire, à dé-
cimer notre noblesse, à éteindre sa progéniture dans une
proportion plus forte qu'en d'autres provinces de France ou
d'Allemagne.
Abordons maintenant quelques maisons spéciales. Pour la
famille des Berstett, par exemple, les titres s'étendent dans
notre fonds, du quinzième au dix-huitième siècle ; ils se rap-
portent à leurs biens situés dans la commune même dont ils
tirent leur nom, et dans celles d'Eckwersheim, Zeinheim etc.
Des comptes de succession, des conventions matrimoniales^
des inféodations de bien accordées par les Ribeaupierre
forment ces dossiers.
Dans les titres des Bœcklin de Bœcklinsau je vois des af-
faires de succession d'Eve-Régine Bœcklin (1650); un inven-
taire de Marie-Symburge Bœcklin de Bœcklinsau etc. ; il m'eût
été très-agréable de renseigner l'érudit et spirituel auteur de
l'école d'Alexandrie sur le compte de Mad. de Bœcklin, amie
120 AIICIIIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
du Ihcosoplie Sainl-Martin ; mais je ne trouve rien qui con-
cerne cette dame de mystique mémoire.
Les Delllingm sont bien pourvus dans notre collection ; il
se trouve , sous leur nom , des titres concernant des biens à
Scharrachbergheim et à Zellwiller. — Au dix-huitime siècle ,
un sieur Meylach de Dettlingen cède des rentes en pfennings
à sa fille Bénigne-Salomé de ManteufTel , à Arnhausen. Cet acte
semble contredire mon assertion de tout à l'heure sur le ca-
ractère des mariages de notre noblesse ; mais point de règle
sans exception ; je me suis appliqué à signaler plutôt un cas
lare que le fait ordinaire.
LesDurckheim sont représentés par des titres qui remontent
à 1424 et descendent jusqu'au dix-huitième siècle; ce sont
pour la plupart des pièces concernant des propriétés à l'é-
tranger, des fiefs relevant des Dcux-Ponts-Bitche etc.
Les Joliam de Muiidolsheim figurent pour des aiïaires de
succession et de comptabilité, à partir de IGOO jusqu'en 1783;
les Kageneck, pour des affaires de rente, des acquisitions,
des concessions impériales, de 1424 à 1785; les titres des
Miillenheim courent de 1303 à 1780; ceux des Waldncr de
Freundsloin se rapportent à des litiges avec les Liitzelbourg,
les zu Rhein, les zum Ruest. Un dossier important traite de
l'échange de la commune de Schweinheim contre celle de
Hartmanswiller (1758) etc.
Presque invariablement ces familles interviennent auprès
du Directoire pour des affaires d'immatriculation ; aussi les
registres de cette opération , quoique incomplets, forment-ils
une partie précieuse de notre fonds; ils sont souvent con-
sultés ; c'est une espèce de livre d'or au petit pied , pour nous
finalement de même valeur que le grand registre de la no-
blesse de Venise pour les membres aristocratiques de l'illustre
RépubHque.
Un nom qui ne fait point partie de notre aristocratie indi-
gène, a une certaine valeur locale à raison des fonctions dont
le représentant de cette famille était revêtu : c'est celui de
ONZIÈME LETTRE. 121
M. de Rochehruiie, agent diplomatique du inargrave de Bade,
en résidence à Kehl dans la seconde moitié du dix-huitième
siècle. M. de Rochebrune est en correspondance avec les
membres de la noblesse d'Alsace pour des affaires judiciaires
ou d'intérêt privé. Dans son dossier, les questions d'extradi-
tion et les affaires commerciales, auxquelles les bateliers du
Rhin et les marchands de bois sont mêlés, occupent quelque
place. M. de Rochebrune assiste en 4777 à l'arrivée de l'em-
pereur Joseph II à Kehl; il paraît avoir été honoré de la con-
fiance du margrave, car, en 1778 des ordres confidentiels
donnés aux bourguemestres des environs de Kehl leur pres-
crivent de consulter cet agent pour toutes les affaires urgentes,
en cas d'absence du grand bailli. C'est à titre de bon voisinage
que j'ai dû consigner ici le nom et le souvenir d'un fonc-
tionnaire badois qui était en rapports permanents avec des
négociants de Strasbourg- et avec les grandes familles de
l'Alsace.
Nous avons aussi dans nos archives civiles un comparti-
ment réservé aux titres de familles bourgeoises et campa-
gnardes, et aux actes notariés. J'ai fait plus haut ma profes-
sion de foi sur les noms des roturiers, qui peuvent avec le
temps acquérir une véritable valeur; mais ce n'est pas le cas
de ceux qui sont relatés dans ces litres assez récents ; la con-
sécration des siècles leur faisant défaut, je ne me sens ni le
droit ni la mission d'exhumer dans ces liasses des noms d'in-
dividus que je crois tous très-honorables, mais qui n'ont ni
ancêtres avérés ni hauts faits inscrits dans nos annales.
Il n'y a point d'ambiguité , j'ose l'espérer, dans l'expression
de ma pensée. J'ai tenu récemment dans mes mains des pa-
piers de famille qui concernent Henri Rausch, le receveur
et conseiller hanauïen, l'une des premières victimes de la
hache révolutionnaire à Strasbourg. La correspondance, les
brevets , le contrat de mariage , le testament de ce fidèle ser-
viteur de son maître m'ont vivement impressionné, quoique
le nom du supplicié ne soit pas mscrit sur un parchemin no-
\±2 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RillN.
biliaire. Mais ici c'est la consécration du malheur qui ennoblit
le bourgeois.
Rien de plus émouvant, en tout état de cause, que le tes-
tament d'un condamné; celui du conseiller de Hesse-Darm-
stadt a été écrit à la maison d'arrêt, le 16 novembre 1793, à
deux heures du matin, à peu de distance de son heure der-
nière. C'est un acte très-simple de style et de pensée, une
profession de foi plutôt qu'une disposition de dernière vo-
lonté. Le condamné redresse la Icte en face des hommes qui
l'envoient à l'échafaud malgré son innocence patente ; il plie
le genou et se frappe la poitrine devant Dieu , dont la misé-
ricorde, invoquée au nom d'un divin médiateur, peut seule
gracier et sauver. Le citoyen est fier, le chrétien est humble
et soumis, le père de famille attendri; tout est à l'unisson
dans celle belle nature, grandie par une infortune exception-
nelle. Le souvenir d'un tel père est pour toute une famille
un souvenir de bénédiction De pareils actes testamentaires ,
fussent-ils dictés par la bouche la moins éloquente, par l'es-
prit le moins cultivé, avec le seul cachet du malheur ou d'une
conviction religieuse et politique, ont un prix inestimable;
je les lirais avec avidité partout où ils tomberaient sous mes
yeux.
Peut-être nos archives en recèlenl-ellcs d'autres du même
genre; mais qui pourrait tout lire? Un digne ecclésiastique
me. dit un jour, croyant sans doute me faire un compliment
llalteur, en promenant ses yeux le long des avenues de car-
Ions de nos archives : El vous avez lu tout cela !.... Ah , bon
Dieu, deux ou trois existences n'y suffiraient pas, et d'ailleurs
où en serait l'utilité?
— Mais le temps presse ; je ne me suis que trop étendu
sur cette première section du dépôt'. J'entends bourdonner
à mon oreille la grande cloche de la cathédrale; des plaines
et des vallées , de tous les points de notre beau pays , les cloches
' l>cs archives civiles.
ONZIÈME LETTUE. 123
des églises, des couvents, des abbayes répondent à ce signal.
Les noms de nos prélats, qui ont un rang dans l'histoire
d'Allemagne et de France, se pressent dans ma mémoire; ils
prennent corps ; ils passent sous mes yeux ; je dois les pré-
senter aussi vivants, aussi nombreux que possible aux yeux
de vos lecteurs. Le tour des archives ecclésiastiques est à la
fin venu ; nous y entrerons dans ma prochaine lettre, sous
votre égide.
--oCOXtî>^'^
124 ARCI11YE.S DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN,
DOUZIEME LETTRE.
Archives errlésias(iqiie<<i. — Leur caractère général. — Clerfçé sécu-
lier et clergé régulier. — Fontls de l'évèchc de iHitrasbourg. — Con-
sidérations préliminaires. — Promenade h travers les bailliages
épiscopaux.
Monsieur ,
Pour vous introduire dans nos archives ecclésiastiques , je
n'ai point de porte à deux battants à vous ouvrir : ce n'est
qu'une petite porte, étroite comme celle du salut, qui donne
accès à cette seconde division de notre dépôt. Nos arrange-
ments matériels , vous le savez déjà , sont très-modestes ; nous
ne payons pas de mine, et si les richesses historiques, ca-
chées dans certains cartons, ne rachetaient cette pauvre ap-
parence extérieure, jamais je n'aurais osé vous engager dans
cette pérégrination.
Nous laissons donc derrière nous le monde et ses pompes,
le gouvernement civil , les principautés laïques , la noblesse
de la Basse-Alsace, et nous allons faire connaissance avec le
clergé séculier et le clergé régulier de cette même fraction de
province.
Je viens d'indiquer la subdivision réglementaire de nos ar-
chives ecclésiastiques ; elle était dictée par la nature des
choses; car toute collection de documents relatifs aux affaires
de l'église doit se rapporter soit à cette fraction du clergé
(lui est liée par la règle monastique et claustrale (clergé ré-
gulier), soit à celle qui ne l'est pas, mais qui reste, sinon
mêlée, du moins rattachée au monde, au siècle , par les de-
voirs pastoraux, par la cure d'àmes dans les paroisses (clergé
sécuher).
L'une et l'autre de ces subdivisions est largement représen-
tée dans nos archives : le clergé régulier l'est par le fonds de
toutes nos abbayes, de tous nos couvents d'hommes et de
femmes et par les ordres mihtaires monastiques; le clergé se-
DOUZIEME LETTRE. 125
CLilier nous otïi'o d'abord le vasie Ibiids de l'évèelié de Stras-
bourg, avec son grand cbapitre et son grand chœui-, les cba-
pitres urbains et ruraux; puis le fonds restreint de l'évêché de
Spire, dont le diocèse s'étendait avant la Révolution sur
toute la partie septentrionale de notre département.
Ainsi, dans la sphère où nous entrons, nous allons nous
trouver face à face de prélats et de chanoines , d'abbés prin-
ciers , de prieurs , d'abbesses , de supérieures , de moines et
de religieuses , de commandeurs de Saint-Jean et de l'ordre
teutonique. Cependant cette austère assemblée ne remplira
pas exclusivement toutes les nefs de ces cathédrales , de ces
basihques, de ces églises, pas tous les cloîtres, pas tous les
vastes corridors de ces maisons murées ; car ces prélats, ces
chanoines et ces conventuels étaient tous forcément en rela-
tion avec des hommes d'épée et de robe, avec le commerce et
l'agriculture à leur porte ; ces couvents , ces abbayes , ces
églises demandent ou acceptent des lettres-privilèges, éma-
nées des empereurs, des rois, des princes, des dynastes et
des nobles ; tous ils ont des propriétés constatées par des
titres notariés, mondains; sans doute la bulle pontificale, la
lettre épiscopale ou abbatiale prédomine dans beaucoup de
ces cartons des archives ecclésiastiques ; mais h côté de la
bulle de plomb se trouve aussi le sigillé des chancelleries de
l'empire ; et à côté de la lettre d'indulgence qui confère des
bénéfices spirituels, l'acte de donation ou l'acte testamentaire
constitue l'existence matérielle de ces admirables étabhsse-
ments qui ont été, au début du moyen âge, l'asile de la piété,
du savoir, du droit et de la bienfaisance.
Vous avez dû remarquer. Monsieur, que dans nos archives
civiles les titres présentaient invariablement trois ou quatre
grandes rid)riques. C'étaient des titres historiques d'abord ,
dans la pins large acception de ce terme , puis des titres de
propriété, des liasses de procédure, des registres et des pièces
de comptabilité. A peu de nuances près, les archives ecclé-
siastiques offriront le même caractère : les mêmes rubriques
126 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN,
s'y rencontrent; seulement il faudra tenir compte aussi d'un
compartiment spécial d'affaires ecclésiastiques qui , par la
force des choses , forment ici une série principale.
Je me garderai bien^ Monsieur, de vous faire traverser sys-
tématiquement , dans chaque fonds , toutes ces rubriques ;
vous ne pouvez, vous ne devez point me laisser mes coudées
franches. Des inventaires régulièrement dressés et de longs
rapports officiels sont là , pour les chercheurs et les hommes
du métier. A peine si je puis ici, dans ces indications som-
maires, procéder par grandes masses. Mon devoir est de ca-
ractériser, de résumer, non d'analyser; et, pour ne pas res-
ter* d'une manière absolue dans les généralités ou dans les
abstractions , je dois amener, par-ci , par-là, un rayon de lu-
mière sur quoique point spécial , sur quelque document ex-
ceptionnel. Ce seront des fanaux isolés, ahumés au-dessus de
cette rner sombre où des milliers et des milliers de noms
s'entrechoquent comme des vagues houleuses; ce sera, dans
ce vaste champ du repos, la lampe placée sur quelques pierres
tumulaires où les inscriptions révèlent quelque existence ex-
ceptionnelle. — Nous déchiffrerons ensemble, Monsieur, dans
quelques Chartes, les noms vénérés de Sainte-Odile et de Iler-
rade de Landsperg; nous passerons sous le portail et dans la
nef de quelques basiliques ; nous tournerons les feuillets de
la correspondance de quelques prélats ; nous soulèverons le
voile de quelques procédures, et lorsque vous me direz enfin:
c'est assez ! je vous ferai mes adieux, et je plaiderai ma cause
par le résumé numérique des pièces dont je vous ai épargné la
fastidieuse nomenclature; ou, si vous trouvez ma présomption
trop grande, je vous laisserai, sans cérémonie, au milieu de
ces travées de notre (LCamposanto)-) où les trépassés semblent,
du haut de leurs rayons et de leurs niches, railler notre vaine
tentative de les rappeler à la vie réelle.
En attendant que sonne l'heure de notre séparation , voici
donc la salle épiscopale, voici le «trésor et l'armoire des
Chartes,» voici les fonds des droits, des fiefs, des bailliages
DOUZIÈME LETTRE. 127
de l'évèclié ; voici les afTaires ecclésiastiques, les eaux et fo-
rêts, la comptabilité, voici tous les chapitres urbains et ru-
raux. Mais avant toute chose, parcourons en pensée le terrain
même sur lequel s'exerçait rinduence de l'évèquc de Stras-
bourg-; circonscrivons bien ses limites, et puis lions connais-
sance avec les prélats eux-mêmes. Cette revue géographique
et historique, cette descente. sur les lieux et ce catalogue som-
maire d'une longue galerie de portraits serviront d'introduc-
tion à l'examen du fonds de l'évêché et de ses nombreuses
subdivisions. Ai-je besoin d'ajouter que ce résumé n'est lui-
même qu'un imperceptible extrait des matériaux contenus
dans ce vaste fonds épiscopal?...
Quelques-uns de nos lecteurs ignorent peut-être que le dio-
cèse de l'évêché de Strasbourg d'aujourd'hui ne correspond
pas exactement à celui d'autrefois : il est plus étendu sur la
rive gauche , puisqu'il embrasse maintenant la totalité des
deux départements; il l'est moins, en ce sens, que l'ancien
évêché avait aussi des domaines de l'autre côté du Rhin. En
le prenant au moment de sa plus grande extension, vers la fin
du dix-huitième siècle, notre évêché commençait au sud du
cours d'eau du Seltzbach et s'arrêtait dans le Haut-Rhin , à
peu près sur les bords de la Thur, à l'entrée du Sundgau. En
d'autres termes, le nord de la Basse-Alsace (Landau, Wis-
sembourg, etc.) appartenait au diocèse de l'évêché de Spire
dont j'aurai à vous parler plus tard, mais que j'écarte pour le
moment; la partie méridionale du Haut-Rhin relevait de l'é-
vêché de B;ile ; sur le revers occidental des Vosges , la Lor-
raine allemande dépendait, pour les affaires spirituelles, de
l'évêché de Metz. De l'autre côté du Rhin , où l'cvêque actuel de
Strasbourg n'a plus charge d'àmes, ses prédécesseurs, en re-
montant au delà de 4790, tenaient les beaux domaines de
rOrtenau.
Pour vous rendre un compte clair et précis de cet ordre de
choses, je ne vous engage point. Monsieur^ à recourir à l'an-
cienne carte de Ilomann , un peu confuse et terne pour nos
128 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
yeux et nos exigences actuelles ; mais je vous conseille de
prendre en main la carte de l'ancienne Alsace récemment
dressée par M. le comte Hallez-Claparède ; vous y verrez les
contours nets du territoire où s'exerçait l'autorité pastorale et
l'influence temporelle de nos évoques.
Les territoires possédés par eux ont été acquis par voie de
donation, par les armes ou par des contrats de toute nature,
A partir des Mérovingiens, chaque siècle a fourni son contin-
gent au magnifique patrimoine que les princes -évêques de
Strasbourg- administraient au moment de la paix de Westpha-
lie , et pendant cent (juaranfe ans encore sous la suzeraineté
de la France.
Dans le Ilaut-Rhin, le Mundat^ de Roufîacli formait le pre-
mier corps de ce patrimoine. Dagobert II d'Austrasie en avait
doté l'église de Strasbourg. Cet Obermundat s'étendait dans la
belle plaine entre la Thur et Colmar; au centre, Rouffach et
le château d'Isenbourg avaient plus d'une fois été honorés de
la présence des rois de la première race. Dans les trois bail-
liages de RoufTach, de Soultz et d'Éguisheim se pressaient des
communes riches et populeuses; des fiefs , dont les principaux
étaient tenus, à partir du dix-septième siècle, par les Waldner
elles Schauenburg, en relevaient; un grand bailli (Obervogl)
gouvernait rObermundat ; les Habsbourg ne dédaignèrent point
de se laisser revêtir de cette dignité.
Dans l'Alsace inférieure, l'évèché possédait les terres du
landgraviat d'Alsace qui lui étaient échues en 1358, 1359 et
13G2 sous l'évèque Jean de Lichtenberg, par voie d'acquisi-
tion des mains de la famille d'Œttingen qui avait succédé aux
de Werde. Par ces actes importants l'évèché devint proprié-
taire du château de Werde, de celui de Frankenbourg, de
Iloh-Kœnigsbourg, de la ville de Saint-Hippolyte et de celle
d'Erstein, sans compter les fiefs que les anciens landgraves
tenaient de l'église ou de l'Empire.
^ Einun/tas , terrain libre de loule reilevance à l'eiulroil (l'un souverain
hiïquc.
DOUZIÈME LETTRE. 129
Mais indépendamment de l'Obermundal et des terres du
landgravial, sept bailliages sur la rive gauche du Rhin et deux
sur la rive droite appartenaient à l'évoque de Strasbourg.
Le bailliage de Saverne formait, sinon le plus vaste, du
moins le plus beau des domaines de l'évêque. Autour de la
ville même do Saverne, où siégeait la régence épiscopale, sur
la cime et aux pieds des pittoresques hauteurs, les châteaux
de Hoh-Barr, de Nieder-Barr, de Greifenstein, le Zornhof,
les villages de Monswiller, Eckartswillcr etc. etc. apparte-
naient au prince-évèque. Cet heureux coin de terre, ce gra-
cieux amphithéâtre de montagnes boisées, de vignobles et de
vergers, formait le jardin de l'évêché; le parc étendu et la
faisanderie, qui dataient des évoques de la famille de Rohan,
entraient naturellement dans ce beau cadre, comme s'ils es.
avaient toujours fait partie intégrante; collines et plaines y
mariaient leurs suaves contours. Peu de résidences princières
pouvaient se comparer au château épiscopal de Saverne; peu
de populations étaient aussi heureuses, aussi favorisées que
les habitants de ce charmant séjour. Même sous le dernier
cardinal de Rohan, les fidèles s'agenouillaient volontiers au
moment du passage du prince-évêque, car ils ne connais-
saient en lui qu'un bienfaiteur.
Si du bailliage de Saverne nous passons dans celui du Ko-
chersberg, nous trouvons une trentaine de communes rurales
qui formaient ici, avec leurs vastes champs de blé, l'apanage
de l'évêque. Moins pittoresque sans doute que les environs
de la résidence, ce vaste canton — pays de transition entre
la montagne et la plaine — était un vrai grenier d'abondance.
Les clochers des villages, qui s'élevaient en été au-dessus
des moissons dorées, en hiver, au-dessus de champs déneige
ondulés, appelaient à la prière une population tenace dans
ses habitudes traditionnelles et pieusement dévouée à son
seigneur.
Aux environs de Strasbourg, le bailliage étroit de la Wan-
tzcnau contenait quelques communes, sises en plaine , sur un
•j
130 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
terrain d'alluvion où l'IU vient apporter son tribut au fleuve
imposant de la frontière. Ici, dans ces bas-fonds souvent
inondes , les revenus de l'évêque se bornaient à peu près à
des droits de chasse et de pêche.
Rejelons-nous vers la montagne, et nous touchons au
bailliage de Dachstein , îormé ipdiT une vingtaine de villes, de
bourgades , et de communes rurales sises au pied des der-
niers contreforts des Vosges et le long de la Bruche, au point
où ce torrent débouche dans la plaine. Ce n'était pas une
des parties les moins riches du domaine épiscopal ; car les
collines de la Bruche , étalées au soleil , ont , depuis des temps
immémoriaux, été couverts de vignobles féconds, et Mols-
heim , avec son collège, était situé dans ce bailliage qui s'ar-
rêtait sur les confins du val de la Bruche, où la nature devient
agreste et sauvage.
A partir de Mutzig jusqu'à l'entrée du ban de la Roche s'é-
tendait le bailliage de Schinncck. Il comprenait tout le val de
la Bruche avec les vallons latéraux qui débouchent dans cette
grande échancrure des Vosges. Une vingtaine de communes,
de fermes, de censés; puis de frôs-belles forêts, où le chas-
seur et le bûcheron seuls portaient leurs pas, conslituaient
des possessions utiles ; les souvenirs historiques aussi fai-
saient de cette partie des terres épiscopales un point vers le-
quel devaient se porter les sympathies des prêtres-archéo-
logues ou simplement versés dans les traditions de l'Église;
car la seigneurie de Hohenbourg, où reposaient les reliques
de la patronne de l'Alsace, touchait à ce même district.
Enfin, le vaste château de Guirbaden, acquis par les évêques
des mains des Linange-Dabo , s'élevait à l'entrée de cette
pittoresque vallée, en face des restes romains du Heiligen-
berg.
Retournons vers la plaine et la partie méridionale du Bas-
Rhin pour entrer dans le bailliage de Benfeld (d'abord bailliage
de Bernstein). Une cinquantaine de villes, de bourgs, de vil-
lages, de châteaux, disséminés le long des Vosges ou dans la
DOUZIÈME LETTRE. 131
plaine, le long de l'Ill, formaient cette circonscription; tous
les genres d'industrie, agricole et champêtre, y trouvaient
lem's représentants; les pêcheurs et les bateliers de Rhinau
et d'Ebersmûnsler habitaient côte à côte des laboureurs ré-
pandus jusqu'aux pieds des Vosges où le vigneron s'abritait
dans les murs de Dambach , non loin du château de Bernstein ,
résidence première du bailli épiscopal.
Enfin, sur la lisière méridionale du Bas-Rhin s'étendait le
bailliage de Marckolsheiin , fragment détaché de celui de Ben-
feld.
En passant sur la rive droite du Rhin , c'est le bailliage
d'Oberkirch (primitivement d'Uhlenbourg) qui se présente
avec les bourgades et villages d'Oppenau, deRenchen, de
Sasbach, de Cappel, d'Ulm etc.; enfin le bailliage d'Etten-
heim, patrimoine presque primitif de l'évêché.
Indépendamment de ces bailliages, dont je viens d'esquis-
ser les contours, l'église de Strasbourg, représentée par le
grand-chapitre, possédait encore d'autres terres, des fiefs
surtout, tenus par les premières familles d'Alsace, par les
ducs d'Autriche, par le burgrave de Nuremberg, par les
comtes de Ferrette, un moment même parles Hohenstauffen.
Vous conviendrez. Monsieur, que nous venons de visiter,
en pensée, une série de magnifiques propriétés, et que la
grandeur de l'église de Strasbourg semblait appuyée sur de
bien solides garanties. Cette existence splendide de nos
princes-évêques a cependant eu des temps d'éclipsé : quel-
ques prélats, peu dignes de leur haute position, compro-
mettent de loin en loin le siège épiscopal ; les guerres fratri-
cides du seizième et du dix-septième siècle ébranlent le
patrimoine créé par les Dagobert, par le fils de Charlcmagne
et par la sagesse de quelques évêques, véritables hommes
d'Étal. Ces variations , ces intermittences , nous allons les ob-
server; nous allons attacher nos yeux sur les portraits les
plus marquants dans celte longue galerie de nos prélats. Je
me hâle d'avertir les hommes versés dans l'histoire d'Alsace
Î32 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
que je ne les invite point à nous accompagner dans celle ra-
pide promenade; ils connaissent déjà ces figures, les unes
austères, les autres bienveillantes et douces; ils ont déjà
vu ces fronts sillonnés de rides, ou illuminés des reflets de
la pureté intérieure ; ils ont déjà plongé au fond de ces re-
gards animés par le feu de l'ambition mondaine, ou par les
inspirations de la piété ; ils ont déjà vécu dans l'intimité
avec ces caractères de nature si diverse; je n'ai rien à ap-
prendre aux savants ; je ne parle qu'aux ignorants de bonne
volonté, et à quelques amis qui ne dédaignent point de revoir
de vieux tableaux , dont l'image commençait à pâlir dans leur
mémoire.
►<>C\ÎU«>A»-
TREIZIEME LETTRE. Ido
TREIZIÈME LETTUE.
les évêquefl de Strasbourg.
Monsieur,
Si je tiens à faire passer sous vos yeux les évêques de Stras-
bourg avant d'entrer dans le fonds môme de l'évêché, c'est
pour donner à vos lecteurs bénévoles un fd conducteur à tra-
vers les faits et les événements auxquels je serai plus d'une
fois dans le cas de faire allusion. L'histoire des évêques de
Strasbourg, ce n'est pas seulement l'histoire de l'éghse, c'est
aussi celle de la ville et du pays. Les évêques de Strasbourg
forment, dans la multiplicité des détails et des intérêts com-
pliqués de l'histoire d'Alsace, le seul centre rationnel; ils sont
pour notre province ce que sont pour de grands pays les dy-
nasties régnantes. J'ai établi, dans une autre occasion*, la
thèse que l'unité indispensable dans tout récit hislorique qui
aspire à éclairer, non à troubler l'esprit du lecteur, réside
pour l'histoire d'Alsace dans la succession chronologique de
nos prélats. Ce qui est vrai pour l'histoire écrite ou racontée,
l'est aussi pour l'histoire en germe : c'est-à-dire pour les do-
cuments dont il s'agit de rendre compte ; on ne saurait ni les
aborder ni en parler avec fruit, sans avoir quelques jalons
devant soi. Pour les archives ecclésiastiques de l'Alsace , ces
jalons indispensables , ce sont les noms des principaux évêques
de Strasbourg, et comme une assez longue série de noms abs-
traits se relient difficilement, le buste de l'homme placé à côté
de son nom , ou la figure indiquée par un léger contour, for-
meront l'indispensable accompagnement de la table chrono-
logique.
De Saint-Amand jusqu'au dernier cardinal de Rohan, nous
comptons quatre-vingt-onze évêques de Strasbourg. Il n'est
' Dans l'inlroduclion a V Histoire de la Basse-Alsace,
IS-i ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
point indispensable de retenir les vingt-six ou trente noms
qui ouvrent la série; des soixante restants, trente noms à peu
près ont une importance historique individuelle ; dans ce
nombre ainsi réduit, on compte sept ou huit grands hommes,
princes de l'égHse ou hommes d'Etat dans la véritable accep-
tion du terme.
Cette réduction ainsi annoncée doit rassurer un peu les in-
telligences et les mémoires qui ne sont pas disposées à se fati-
guer et qui admettent tout au plus que l'on soit responsable
des noms des rois de France , des noms des principaux em-
pereurs d'Allemagne et d'Orient, des pontifes les plus illustres
et des grandes familles régnantes dans_les^principaux pays
d'Europe.
Nos évêques peuvent aussi se présenter par groupes ; ce pro-
cédé mnémonique n'a rien d'arbitraire ; j'ai toujours trouvé
que leur série se déroulait et se comprenait plus facilement,
lorsqu'on réunissait les évoques carlovingiens; puis ceux con-
temporains des trois grandes dynasties allemandes (936-124-0) ;
puis les évêques à partir de l'interrègne jusqu'au milieu du
quinzième siècle (12i0-1439) ; puis les évoques de la famille
palatine et ceux de l'époque de la Réforme (1439-1592); puis
les évoques lorrains et autrichiens (1592-1CG2); enfin les
évêques français.
Pardon, si cet appareil préliminaire vous semble trop lourd. . .
traversons au pas de course notre galerie de portraits ; il en
restera bien quelque trace dans le souvenir de vos complai-
sants lecteurs, lorsqu'une partie des mômes noms se trouvera
reproduite dans le cours de nos explorations.
Les premiers évoques d'Argentorat ou de Strasbourg, sim-
ples comme les apôtres , et pasteurs d'une église tantôt per-
sécutée, tantôt tolérée, échappent au contrôle de l'histoire;
leur existence est plutôt légendaire; tel estSainl-Materne, qui
prêche vers la fin du troisième siècle de notre ère le chris-
tianisme en Alsace; tel est Saint-Amand, qui ouvre au com-
mencement du quatrième siècle la série de nos évêques.
TREIZIÈME LETTRE. 135
Au septième siècle seulement commence la véritable église
de Strasbourg, quoiqu'on rapporte à Clovis la fondation pre-
mière de la cathédrale ; mais avec Dagobert II , qui séjourne
en Alsace de 674-677, le jour se fait dans les annales de l'é-
vêché; Saint-Arbogast et Saint-Florent sont dans notre église
les premiers noms d'une authenticité plus avérée. Saint-Flo-
rent, l'hermite fondateur de l'abbaye de Haslach, dans un
vallon latéral de la Bruche, accepte le siège épiscopal de Stras-
bourg sur la demande expresse du roi mérovingien; sous lui
et ses successeurs, l'influence du comte Franc dans l'intérieur
de la ville commence à être contrebalancée par celle du chef
spirituel de la Cité. Sur tous les points du territoire alsatique
s'élèvent, à cette époque de rénovation religieuse, les abbayes
et les couvents; les évêques provoquent ce mouvement ou le
dirigent.
Sous les premiers Carlovingiens, le siège épiscopal de Stras-
bourg est occupé par des prélats qui se rattachent à la fa-
mille du père de Sainte-Odile. Eddon ou Heddon (734-766) est
fait évêque sous l'influence de Charles Martel ; il est l'ami de
Pcpin-le-Bref et de Charlemagne , et suit ce grand souverain
en Lombardie , où il obtient de sa munificence des privilèges
énormes pour les négociants de son diocèse. Protecteur des
écoles et des arts, Eddon avait élevé un temple en pierre à la
place de l'humble église en bois construite sous Clovis ou
sous Dagobert (II). Son successeur Saint-Rémy, petit neveu de
Sainte-Odile, devient le fondateur de la riche abbaye d'Eschau,
presque aux portes de Strasbourg.
Sous Louis-le-Dèbonnaire , l'évêque Adeloch (817-822),
ami de l'empereur, fonde l'école de Saint-Thomas et recons-
truit l'église du même nom.
L'évêque Bernald (822-840) fut chargé de missions impor-
tantes auprès des fils de Louis-le-Débonnaire ; mais il ne put
prévenir le sort de ce malheureux prince si odieusement trahi
dans les plaines de la Ilaule-Alsace.
Le successeur de Bernald, l'évêque Rathold (840-874), se
•136 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
déclara parlisan de Louis-le-Gernianique dans les luttes qui
suivirent la mort de l'empereur débonnaire. Pendant ces temps
de troubles et de transition , l'évcque de Strasbourg s'arrogea
le droit monétaire; lorsque Rathold mourut, après trente -
quatre années d'uno très-habile administration , l'église de
Strasbourg était assise sur des fondements inébranlables.
Sous l'évèque Baldram (888-906) qui s'occupait de littéra-
ture latine et était lui-même poëte élégiaque , le grand cha-
pitre de la cathédrale , dont l'origine date probablement de
Charlemagne, fut définitivement constitué; des noms histo-
riques seront inscrits au nombre des chanoines capitulaires,
et cette institution contribuera pendant neuf siècles à la gloire
de l'église de Strasbourg.
Pendant les sept siècles qui suivent la chute des Carlo-
vingicns, nos évèques partagent, ainsi que l'Alsace, les
destinées de l'Empire germanique. Sous les trois empereurs
qui portèrent le nom d'Otton, les évoques de Strasbourg,
amis ou parents de la maison impériale, furent parfaitement
au niveau de la haute position que la Providence leur as-
signait.
Udon (éveque de 950-905), neveu de Herrmann, duc de
Souabe et d'Alsace, se fit le restaurateur de la discipline ecclé-
siastique, ébranlée par les longs désordres de la guerre entre
les deux nationalités. Homme d'une haute vertu et d'iîne rare
culture intellectuelle , il fonda des écoles, augmenta la biblio-
thèque de la cathédrale, et acquit, par sa liaison avec l'impé-
ratrice Adélaïde, une influence politique qui fructifia entre
les mains de son successeur Erchanbohl.
Le nom de ce prélat (965-991) est inscrit en grands carac-
tères dans les annales d'Alsace et d'Allemagne. Evêque, légis-
lateur et administrateur, il consacra plus de cent églises et
de chapelles, obtint de l'empereur Otton II la confirmation du
droit monétaire , la propriété de vastes domaines sur les deux
rives du Rhin , enfin, par une lettre impériale datée de Sa-
lerne (8 janvier 982), où il avait accompagné son souverain.
TREIZIÈME LETTRE. 137
toutes les attributions judiciaires qu'avait exercées jusqu'ici
le comte impérial. Les voyages d'Italie portaient bonheur à
nos évêques. D'un trait de plume Erchanbold se trouva placé
à la tête du gouvernement municipal de Strasbourg. Dans les
conseils de l'Etal, où il siégeait au premier rang, quoique
lui-même sorti d'une famille obscure, il exerçait une influence
marquée sur les impératrices Adélaïde et Théophanie. Er-
chanbold est le vrai créateur du rôle politique que nos évêques
jouèrent en Allemagne.
Son successeur Widerhold (991-999) appartenait à la fa-
mille impériale. Pendant les campagnes du jeune Otton III en
Italie, il administra comme gouverneur l'Alsace et les pays
riverains du Rhin. Législateur de l'abbaye d'Ebersheimmûns-
ter, restaurateur de l'abbaye d'Eschau, il consacra l'abbaye
de Seltz, la belle création de l'impératrice Adélaïde (992).
Ami des papes Grégoire V et Sylvestre II, Widerhold mourut
à Bénévent (999) , laissant le diocèse de Strasbourg dans un
état de prospérité, que l'évêque Werinhar (iOOl-1027), le
fondateur de la cathédrale byzantine de Strasbourg, maintint,
malgré les troubles du commencement du règne de Henri (II)
le saint.
Le nom de Werinhar ou Werner • , est intimement lié à
celui de l'empereur Henri II; unis d'une étroite amitié, le
prêtre et le souverain semblent se compléter; mais par un
contraste bizarre, c'est le prélat qui est l'homme d'action,
tandis que le prince se trouve porté vers la vie contemplative.
Issu de la maison de Gontram-le-Riche, comte d'Alsace, et
frère du fondateur du château de Habsbourg-, Werinhar,
même comme évêque, ne renonça point aux habitudes guer-
rières de sa première jeunesse. Il aimait passionnément la
chasse, et obtint de son royal ami la concession d'un vaste
territoire dans la Basse-Alsace, pour s'y livrer à cet exercice.
• Voy. Un droit de chasse accordé par l'empereur Henri II à Werinhar;
chaile traduilc cl commentée par l'archiviste tlii BasRIiin. Strasbourg -1842.
iS8 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
La fin deWerinharne répondit point aux belles et heureuses
années de sa carrière, pendant laquelle il avait constamment
pratiqué les devoirs du général d'armée, en même temps que
les fonctions de l'épiscopat. Tombé en disgrâce sous l'empe-
reur Conrad-le-Salique , il partit, chargé d'une mission pour
l'empereur de Byzance, et mourut pendant cet exil, dans une
île de la Proponlide. Le poison, à ce que l'on affirme, ne fut
point étranger à cette fin tragique.
Les empereurs de la maison franconienne s'appliquent
comme leurs prédécesseurs, les empereurs de la maison de
Saxe , à placer des évcques amis ou apparentés sur le siège de
Strasbourg. C'est l'époque où s'élèvent les IIohenstaufTen ;
l'évêque Otton (1084-1100) appartenait à cette puissante et il-
lustre famille. Sous lui surgissent de nouvelles abbayes,
telles que Sainte-Foye, à Schlestadt, et Sainte-Wal purge
(Walbourg), dans la forêt de llaguenau; il prend part à la
première croisade sous la bannière de Godefroi de Bouillon,
et, de retour de celte pieuse expédition, il oclroie aux citadins
de Strasbourg une première charte municipale qui contient
dans ses articles le germe de l'institution du jury.
Les prélats qui se succèdent pendant le douzième et le trei-
zième siècle, ont tous une physionomie plus ou moins dis-
tincte, mais presque tous se ressemblent ou se réunissent dans
une commune tendance : tous prétendent agrandir leur dio-
cèse, et s'y fortifier. Rodolphe de Rolwyl (110:2-1179) cons-
truit le château cyclopéen de Hoh-Barr au-dessus de Saverne;
Henri de Vehringen (1202 -1222) élève le château-fort de Dach-
stein; Berthold de Teck (1223-1244) acquiert le château de
Bernstein; il engage avec Strasbourg, pour des questions
municipales, une lutte qui, sous l'un de ses successeurs, va
prendre une importance plus grande , et arrêtera un moment
le développement du pouvoir épiscopal.
Nous entrons dans l'époque désastreuse de l'interrègne.
Henri de Stahleck (évêque de 1244-1260) avait mis à profit
ce temps d'anarchie pour conquérir une partie de la rive
TREIZIÈME LETTRE. 139
droite du Rhin moyen. Walther de Geroldseck (évoque de
1260 à 1263) , avec des velléités guerrières plus prononcées
encore, eut la maladresse de blesser au vif les vanités bour-
geoises et l'orgueil nobiliaire. La guerre qu'il fit à la muni-
cipalité naissante de Strasbourg devait tourner à sa perte;
des seigneurs puissants s'étaient ralliés aux citadins ; Rodolphe
de Habsbourg avait mis son épée à la disposition de la ville
en révolte contre l'autorité épiscopalc , et la bataille de Haus-
bergen (mars 1262) avait décidé en quelques heures du sort
de l'évêque.
Après lui , sous Henri de Geroldseck (évêque de 1263-1273),
les privilèges de Strasbourg reçurent de notables accroisse-
ments; la ville fut autorisée à contracter, de son chef, des
alliances et à présenter à l'évêque des candidats pour les
principales charges publiques. Henri, pieux et charitable,
se livra tout entier aux affaires ecclésiastiques; il n'en fut pas
de même sous son successeur Conrad de Lichtcnberg ^ après
Erchanbold et Werinhar, le prélat le plus illustre qui ait gou-
verné le diocèse.
Conrad (1273-1299), appartenant à l'une des plus an-
ciennes familles de la vallée du Rhin , ne devait guère aimer
la bourgeoisie outrecuidante ; mais plus prudent que quelques
uns de ses prédécesseurs, il n'usa point ses forces dans une
lutte stérile. Appuyé sur son royal ami, Rodolphe de Habs-
bourg, il fit sur les deux rives du Rhin des expéditions qui
tournèrent au profit du trône et de l'autel, et de la municipa-
lité de Strasbourg elle-même. Conrad de Lichtenberg, comme
Werinhar, payait de sa personne, à tel point qu'il mourut
d'une blessure gagnée au siège de Fribourg; mais sa vraie
gloire n'est point dans ses exploits guerriers ni dans ses
conquêtes locales ; nous savons déjà qu'il confia la construc-
tion de la merveilleuse façade ogivale de Notre-Dame de Stras-
bourg à un artiste dont le nom a passé à la postérité avec
celui de l'évêque.
Sous Frédéric de Lichtenberg (évêque de 1295-1306), frère
140 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
de Conrad, l'église ogivale de Haslach fui reconstruite par
le fils d'Erwin de Steinbach, et sous Jean (I) de Dirpheim
(évoque de 1306-1328) , l'acquisition pacifique des châteaux
et des bourgades de Bilstein, Bergheim, Ortenberg, Scher-
willer, agrandit le domaine de l'évêché, en même temps que
s'élevèrent dans l'intérieur de Strasbourg des édifices religieux
et civils, et qu'une nouvelle codification municipale couronna
l'œuvre d'Erchanbold et d'Otton de IIobenstaufTen. Dans la
kitlc intestine entre lesZorn et lesMiillcnheim, l'évêque Jean
fut constamment l'apôtre de la conciliation.
L'épiscopat de Berthold de Bucheck (1328-1352) est mar-
qué par de grands malheurs publics et par l'infortune per-
sonnelle du prélat. En lutte avec un dignitaire du grand-cha-
pitre pour une question de bénéfice, il fut emprisonné par
son adversaire et subit ses exigences. La guerre civile des
Zorn et des Miïllenhcim aboutit à l'exil des nobles de Stras-
bourg; et la peste d'Orient, qui vint s'abattre sur la capitale
de l'Alsace, amena le supplice de quelques milliers d'infor-
tunés Israélites, prétendus empoisonneurs des populations
chrétiennes.
L'administration paternelle de l'évcque Jean de Lichtenberg
(1353-1365) ne put prévenir les dévastations de la plaine d'Al-
sace par les bandes d'Arnauld de Servole, lieutenant d'En-
guerrand de Goucy, qui vint lui-môme, dix ans plus tard, re-
nouveler ces scènes de carnage.
Frédéric de Blankenheim (1375-1393) succédait au neveu
de l'empereur Charles IV, à Jean de Ligny (évêque de 1365-
1375) et à Lambert de Bûren (1371-1375. Il conserva d'ex-
cellentes relations avec la maison impériale de Luxembourg.
Ce fut probablement là ce qui l'enhardit à renouveler la lutte
avec la ville libre de Strasbourg dont il était le débiteur. Il
comptait parmi ses alliés un margrave de Bade , le seigneur
Jean de Lichtenberg, un comte de Wurtemberg, le préfet im-
périal en Alsace, Borziwoy de Swinar, et un méchant dynasle
du Haut-Rhin, Brunon de Ribeaupierre. L'issue de cette lutte
TREIZIÈME LETTRE, '141
fut favorable à la ville courageuse; et l'évèque, ne pouvant
satisfaire ni ses alliés ni ses créanciers, se vit contraint de
quitter furtivement son diocèse (1393).
Pour l'évèché de Strasbourg-, l'époque la plus désastreuse
est sans contredit celle de l'administration de Guillaume
de Diest (1393-1439). De mœurs peu recommandables, pro-
digue à l'excès et constamment besoigneux comme Frédéric
de Blankenheim , Guillaume (II) vendit ou engagea successi-
vement les plus beaux domaines épiscopaux, et par son ex-
travagante conduite il s'aliéna les esprits et les cœurs. Le
haut clergé, le grand-chapitre surtout, lui furent hostiles, et
pour cause ; car la fortune de cette grande corporation s'en
allait avec la fortune personnelle de l'évèque et avec les terres
ou les villes et bourgades de l'évèché. Un coup d'Etat fut
tramé contre lui : Guillaume de Diest subit à Strasbourg les
rigueurs et les injures d'un emprisonnement dont l'empe-
reur Sigismond et le concile de Constance eurent grand'-
peine à le tirer. Relaxé , il ne s'amenda guère ; ses dilapida-
tions étaient devenues proverbiales, et lorsqu'il mourut, sa
mémoire fut chargée d'une imputation que l'histoire impar-
tiale doit proclamer calomnieuse : la rumeur populaire l'ac-
cusa d'avoir appelé en Alsace les bandes féroces des Arma-
gnacs ^
Conrad de Bussnang, un homme de bien, ne fit que passer
quelques instants sur le siège épiscopal ; il se retira dans l'O-
bermundat de Rouffach , pour faire place à un èvêque de la
puissante maison palatine.
La personnalité des deux prélats qui appartiennent à cette
famille (Robert et Albert) s'efface derrière les événements po-
litiques dont l'Alsace est le théâtre au quinzième siècle. L'é-
piscopat de Robert (évêque de (1439-1478), petit-fds de l'em-
pereur du même nom, coïncide avec la grande existence de
* Voy. Une alliance contra les Armagnacs, charte allemande U-aduite cl
comiiienlée [>ar l'arcliivislo du Bas-Uiiiii. SUasbouig 1S40.
14-2 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
l'électeur Frédéric-le-Victorieuxetavec son action directe sur
l'Alsace comme préfet (landvogl) de Haguenau. Le dauphin
Louis, Charles-le-Téméraire et son lieutenant Hauenbacli, les
comtes Jacques et Louis de Lichlenberg- occupent l'avant-
scène. Il est juste cependant de rappeler que Robert chercha
de son mieux à réparer la brèche que l'extravagant Guillaume
de Diest avait faite au patrimoine de l'Eglise de Strasbourg,
et que l'évêque Albert (1478-1506) marcha dans la voie de
Robert-le-Palalin , en rachetant les propriétés épiscopales en-
gagées , en fortifiant les places démantelées , et en commen-
çant dans l'intérieur de l'Eglise, sans secousse et sans bruit ,
la réforme des abus. Mais il n'était plus temps : la querelle
intestine entre les curés et les ordres mendiants avait com-
mencé à Strasbourg ; un mouvement socialiste (le Buntschuch)
se produisit dans les campagnes ; l'esprit novateur régnait
dans l'école des humanistes; et lorsque l'évêque Guillaume
de Hohenstein fit en 1506 son entrée à Strasbourg, le ter-
rain était miné partout. Sous Guillaume, et malgré ses ten-
dances conciliantes, la Réforme remporta dans une partie
considérable de l'Alsace un triomphe incontesté sur l'Eglise,
et amena à sa suite la guerre des paysans (1525). Sous l'évêque
Erasme de Limbourg (1540-1508) éclata en Allemagne la
guerre de religion à laquelle la ville libre de Strasbourg prit
une part active.
Moins porté à la conciliation que l'évoque Guillaume III de
Hohenstein, Erasme de Limbourg se raidit contre les événe-
ments et enraya dans quelques parties de l'Alsace le mou-
vement de la Réforme. L'évêque Jean de Manderscheid-Blan-
kenheira (1569-1592) s'enhardit au point de refuser le serment
qu'il devait prêter à la ville de Strasbourg, et qui consistait
seulement^à promettre le respect des privilèges de la cité. Il
amena en 1571 les jésuites de Cologne à Saverne, et quelques
années plus tard il les établit à Molsheim , où leur collège se
transforma en Université catholique, rivale de l'Académie
protestante de Strasbourg. D'une pureté de mœurs irrépro-
TREIZIÈME LETTRE. 143
chable, Jean de Manderscheid en imposait même à ses adver-
saires, et si le terrain avait pu être totalement rcconciuis à la
vieille foi, cet évêque aurait accompli la mission qu'il s'était
imposée. Mais le schisme religieux avait gagné le grand-cha-
pitre lui-môme : à la mort de Jean de Manderscheid il se fit
une rupture complète entre les deux partis ; les capilulaires
protestants nommèrent à l'administration de l'évôché Jean-
George, margrave de Brandebourg; les chanoines catholiques
lui opposèrent le cardinal Charles de Lorraine ; la guerre, dite
épiscopale , éclata pour aboutir à un partage des revenus de
l'évêché (27 février 1593).
Dix ans plus lard, le margrave de Brandebourg résigna
toutefois ses fonctions moyennant une transaction pécuniaire,
et lorsqu'en 1607, à la mort de Charles de Lorraine, Léopold
d'Autriche fut nommé administrateur de l'évêché, les cha-
noines protestants ne lui opposèrent plus de concurrent. Les-
deux partis pressentaient que leurs différends se videraient
dans une arène plus vaste. Les troubles précurseurs de la
guerre de Trente ans allaient déjà commencer en Alsace.
Au milieu de cette lutte fratricide, Léopold se démit de ses
fonctions d'administrateur de l'évêché , en faveur de son neveu
Léopold-Guillaume, fils puîné de l'empereur Ferdinand II. Le
nouvel élu ne fut qu'un évêque nominal ; car jamais, pendant
la longue durée de son épiscopat (1625-1661), il ne mit le
pied dans son diocèse livré aux inexprimables horreurs d'une
guerre qui n'a plus eu sa pareille ni en longueur ni en cruelle
intensité.
L'époque intermédiaire entre la paix de Westphalie et la
reddition de Strasbourg est remplie presque tout entière par
l'épiscopat de François Egon de Fûrstenberg (1660-1682) ;
c'est lui qui reçut Louis XIV sous le grand portail de la ca-
thédrale avec les paroles que Siméon prononça dans le temple
de Jérusalem.
Le fièrc de l'évêque François et les quatre cardinaux de l'il-
lustre maison de Rohan qui occupent le siège de Strasbourg
1M ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
de 1682 à 1789, ne prennent qu'une part indirecte à l'histoire
politique de la province d'Alsace. Les Rohan résidaient d'ail-
leurs de préférence à Saverne. «Je comprends, mon cousin»,
dit Louis XV au cardinal-évêque Armand-Gaston de Rohan-
Soubise, «je comprends que vous aimiez ce séjour; c'est plus
beau que Versailles. »
En 1790, Louis-René-Edouard de Rohan-Guémené fut obligé
de quitter ce magnifique château qui venait à peine d'être re-
construit à neuf, et de se retirer sur la rive droite du Rhin
dans la ville d'Etlenheim. Nous savons quel fut son successeur
à Strasbourg.
Dans cette revue rapide, non-seulement je n'ai pas été com-
plet; j'ai peut-être été injuste à force de ménager vos loisirs ;
j'ai sacrifié plusieurs noms qui semblent m'adresser des re-
proches et réclamer une mention honorable. Ainsi , les évèques
compagnons de Conrad 111 et de Frédéric Rarbcrousse pendant
leurs croisades, n'ont point trouvé de place dans notre cata-
logue; j'ai surtout été cruel pour les prélats qui ont occupé le
siège épiscopal dans les premiers siècles et sous les Mérovin-
giens; mais avant tout je tenais a vous prouver que je ne
veux point éterniser ces entretiens.
De ces chefs de notre Église locale , quels sont ceux qui
resteront gravés dans notre mémoire? Quelles sont les intelli-
gences d'élite, quels sont les caractères exceptionnels que j'ai
annoncés? Quelles sont les têtes qui dépassent le niveau même
des hommes distingués? Vous les désigne?. , n'est-ce pas , avant
moi? C'est Ileddon , l'ami de Charles Martel et de son illustre
famille; c'est Erchanbold, l'ami des Otloii et des deux impé-
ratrices ; c'est Widerhold, son successeur, si cruellement mal-
traité par la légende; c'est Werinhar d'Argovie, l'ami de
Henri-le-Saint , le constructeur de notre cathédrale byzantine ;
c'est Otton de Ilohenstauflen, le législateur libéral; c'est Con-
rad de Lichteiiberg, l'ami de Rodolphe de Habsbourg, le pro-
tecteur d'Erwin de Steinbach; c'est Jean de Manderscheid, le
représentant sincère et convaincu de la vieille foi ; c'est l'é-
TREIZIÈME LETTRE. -145
vèque placé sur la limite d'un monde qui croule et dont il
amortit la chute. Puis, pour faire ombre au tableau de ces
prélats législateurs, littérateurs , guerriers, Frédéric de Blan-
kenheim , l'allié de Brunon de Ribeaupicrre, Guillaume de
Diest, le dissipateur, l'allié de tous les grands seig-neurs pro-
digues de son époque, et le dernier Rohan, l'allié de Ca-
gliostro.
Un voile , un voile pour couvrir la honte d'une impercep-
tible minorité! Un piédestal de marbre dans le temple ra-
dieux de l'immortalité pour les prélats éminents qui ont
compris leur double mission de dynastes et de pasteurs et qui
feront éternellement battre le cœur de tout Alsacien, catho-
lique , protestant ou israéhte, qui professe le culte de la vraie
grandeur.
Maintenant , Monsieur , si vous le voulez bien , nous allons
lire le testament de sainte Odile et les vers de Herrade de
Landsperg.
iO
146 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
QUATORZIEME LETTRE.
Fonds de révêché de Strasbourg. — Trésor des Chartes. — Testament
de sainte Odile. — ïiégende de sainte Odile. — Son authenticité. —
Discussion avec n. Roth , de Bàle.
hicedo per ignés.
Monsieur ,
Nous connaissons, du moins de profd, les principaux cvê-
ques de Strasbourg, le théâtre de leur activité, les limites de
leurs possessions, et je puis aborder plus librement le vaste
fonds qui contient les documents de toute nature, témoins de
rinlUience historique de nos prélats. Ce fonds de l'évèché de
Strasbourg- ouvre par deux subdivisions, intitulées avec raison
par mes prédécesseurs le Trésor et V Armoire des Chartes; car
ces compartiments renferment dans une série de boîtes et de
cartons les parchemins incontestablement les plus précieux de
notre collection ecclésiastique.
En tête du Trésor des Charles se trouve le document connu
sous le nom de Testament de sainte Odile. Je commence par
vous dire, — sans hardiesse et sans présomption irrespec-
tueuse, puisque c'est un fait avéré, — que ce document n'est
pas authentique; néanmoins je vais, avec votre consentement,
consacrer quelques pages à l'exposé de son contenu et aux
questions que cette Charte soulève. Le nom de la patronne de
l'Alsace , l'auréole qui depuis des siècles entoure ce nom vé-
néré, les attaques récentes qu'il a subies, excuseront, j'ose
l'espérer, ma tentative. Je n'ignore point qu'en me hasardant
sur ce terrain brûlant , je vais blesser les incrédules , qui sont
aussi absolus , aussi intolérants dans leurs négations , qu'un
inquisiteur du Saint-Office l'était autrefois dans la poursuite
d'un hérétique; je crains fort aussi de ne point être agréable
aux croyants, qui préfèrent que le voile du sanctuaire ne soit
QUATORZIÈME LETTRE. 147
pas soulevé par une main indiscrète. Aux uns je dirai que je
me résigne à passer i)Our crédule et ù me réfugier sous l'aile
protectrice de Schœpflin ; aux autres, que la discussion n'a
jamais fait de tort à une bonne cause , pourvu que l'examen
soit contenu dans les bornes du respect dû à toute croyance
sincère, et qu'il soit dirigé par le désir de concilier les droits
de la science et ceux de la tradition, sans sacrifier inutile-
ment l'une à l'autre.
Le prétendu testament de sainte Odile est un parchemin long
de 0™,46, large de 0"\56, en assez mauvais état de conserva-
tion, sillonné de rides qui brisent l'écriture, où l'on recon-
naît, à n'en pas douter, le caractère de la fin du dixième ou
du commencement du onzième siècle. Le sceau détérioré en
cire d'un empereur Lothaire se trouve apposé au bas de l'acte,
qui porte la date de l'an 708 , et la ville de Francfort comme
localité où il aurait été émis.
Dans le corps du texte , il est dit que « sainte Od'ile , fille
«d'Adalrich, abbesse du couvent supérieur et inférieur de
«Hohenbourg, partage, par acte de dernière volonté et par
«égales portions, tout son patrimoine entre les deux cou-
« vents. La sainte testatrice décide néanmoins, sous réserve
«exceptionnelle, que la coiu' d'Ehenheim (Obernai), qui avait
«été la résidence de son père Adalrich, resterait par indivis
« aux deux communautés ; elle veut qu'à des jours fixes les
«deux abbesses président en commun dans cette cour, qui
«sera le symbole et le lien de leur amitié mutuelle et qui
« manifestera en tout lieu que les deux mères des deux con-
« grégations sont de fait deux sœurs égales en dignité et en
«iniluence. »
L'acte énumère en outre les biens qui auront à payer la
dîme au couvent inférieur.
Quelle doit être, aux yeux d'une critique judicieuse, la
vraie signification de ce document, dont Schœpflin et Grandi-
148 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
dier' ont déjà prouvé la falsification? car le nom de l'empe-
reur Lothaire, porté à l'an 708, est une erreur si évidente
qu'il est presque inutile de la relever. Il paraît que pour con-
fectionner le document on a pris pour modèle quelque acte
émis au commencement du onzième siècle par l'empereur
Henri Il-le-Saint, et que le but de cette invention était d'as-
surer au couvent inférieur (Niedermûnster) des biens usurpés
par lui sur le couvent supérieur (Ilohenbourg). Ceci admis,
pourra-t-on induire de cette pièce que sainte Odile n'a jamais
légué de biens ni à l'un ni à l'autre couvent, vu que la sainte
n'a point existé, parce qu'un document falsifié du onzième
siècle est mis sous le couvert de son nom? Je ne comprendrais
point pour ma part cette manière de raisonner ; je verrais bien
plutôt une preuve de l'indubitable existence de sainte Odile et
de la véracité des traditions établies sur son compte dans le
soin que prend le faussaire d'abriter les empiétements du cou-
vent de Niedermûnster sous l'égide d'une patronne dont per-
sonne, à cette époque^ c'est-à-dire deux siècles et demi après
la mort de la sainte, ne contestait ni de loin ni de près l'indi-
vidualité historique et la filiation.
Mais dans les attaques récentes, dirigées contre la légende
de sainte Odile , il ne s'agit guère de cet acte de donation de
708 : une argumentation plus formidable , empruntée à l'ar-
senal meurtrier de la critique moderne, a cherché à battre
en brèche et à ruiner une fois pour toutes l'antique monas-
tère et les existences séculaires qui s'abritaient sur ses hau-
teurs. Je vais essayer de transporter ceux de mes lecteurs qui
demeurent étrangers à de pareilles querelles, de les transpor-
ter, dis-je, au cœur de l'école historique qui a fait de la né-
* Scliœpdin, Alsatia diplomatica, I, p. 2S, col. I et 2 au bas de la page.
Grandidier, Histoire de l'Église de Strasbourg. Examen du testament de
sainte Odile , p. 90 à 94. — Les noms des deux clianceliers Guntlierus et
Erchiiibaldus , qui figurent au bas de l'acte, sont empruntés à des fonction-
naires et à des diplômes de l'empereur Henri-Ie-Saint.
QUATORZIÈME LETTRE. 149
gation son article de foi. C'est un détour apparent qui doit les
mettre en mesure déjuger eux-mêmes la discussion sur la lé-
gende de sainte Odile.
Avec des avocats subtils , rompus au métier de la dialec-
tique , vous aurez tort, en tout état de cause, si vous vous ha-
sardez à les suivre , pas à pas , dans le labyrinthe de leurs
syllogismes ; tandis qu'il y a quelque chance d'échapper à
leurs filets, si, placé en dehors de leur cercle, vous vous boi--
nez à montrer le point de départ de leurs évolutions , le tracé
de leur route , le terme auquel ils aboutissent. Ne vous appli-
quez point à les réfuter, mais arborez drapeau contre drapeau,
élevez autel contre autel; dites pourquoi vous ne vous rendez
point à leurs raisons spécieuses, à leurs pétitions de prin-
cipes , et laissez le lecteur impartial juger entre eux et vous.
Il y a eu de tout temps des sceptiques, des esprits pen-
chant vers la négation ; toujours, ce que tel siècle avait établi
en fait de croyance religieuse ou historique, tel autre a
cherché à le défaire. Quelquefois on a élevé de nouveaux édi-
fices à la place de ceux qu'on renversait; souvent aussi on n'a
laissé derrière soi que des ruines.
De nos jours, l'Allemagne scientifique dont personne plus
que moi ne respecte les incontestables mérites et -l'immense
savoir, l'Allemagne a vu naître dans son sein une école qui
s'est appliquée à scruter les origines , à démêler le vrai et le
faux dans les événements transmis d'âge en âge, et à deman-
der qu'à côté de chaque fait, pour qu'il soit acquis irré-
vocablement à la science, vienne se placer un document con-
temporain ou un témoignage postérieur équivalent à un titre
primitif. On comprend facilement ce qu'un système pareil,
apphqué avec une logique implacable , peut amener de bons
et de funestes résultats ; il peut dégager le vrai du milieu des
données fausses qui l'obstruent; il peut, il doit aussi très-
souvent dépasser le but et écraser le vrai sous les débris qu'il
amoncelé avec l'enivrement et l'orgueil qu'inspire le savoir
laborieusement conquis.
150 ARCHIVES DÉPAUTEME.MALES DU BAS-RHIN.
Cet examen , prôné et appliqué par l'école historique , a
porté plus spécialement sur le terrain de l'histoire romaine ,
de l'histoire suisse , de l'histoire sainte et légendaire.
Je ne puis qu'efïleurer ce vaste sujet , je ne puis qu'indi-
quer ici très-sommairement la marche suivie par ces redou-
tables adversaires de la tradition , de la poésie historique et
de la légende'.
Pour l'histoire romaine, Beaufort avait ouvert le feu; au
dix-huitième siècle déjà , il avait cherché à démontrer la non-
existence des rois de Rome ; son œuvre fut reprise , il y a
bientôt quarante ans , avec une érudilion bien plus formidable
et une sagacité bien plus grande, par l'illustre Niebuhr, qui
démontra, à n'en point douter, (|ue les premiers livres de
Titc-Live ont été écrits avec des données légendaires, avec
des fragmenls de chants et de ballades épiques, et que tel
héros ou telle héroïne , dont on nous avait inculqué les noms
sur les bancs de l'école , ne jouissait que d'une vie Irès-pro-
•blématique. Mais à côté de ce travail savamment destructeur,
Niebuhr poursuivait pieusement une œuvre de reconstruc-
tion : il refit avec une merveilleuse habileté, ou plutôt il fit
pour la première fois l'histoire des diverses magistratures ro-
maines ; les questions constitutionnelles les plus complexes
sortirent élaborées à neuf de son creuset; il mourut , chargé
de gloire littéraire , conservateur dans l'àme, malgré les ap-
parences, et idolâtre de la science qui avait été dans ses
mains un instrument à deux fins. — De nos jours et sous nos
* Ainsi, je ne m'étends pas sur les attaques de Wolf contre Homère; c'est
une question a peu près jugée maintenant. Après avoir nié l'exislence d'Ho-
mère et afiirmé que Vlliade et l'Odyssée non-seulement n'aparliennenl pas
au même auteur, mais ne sont qu'un ensemble, qu'une fusion de ballades ou
de rliapsodies provenant de toute une école de poêles, on abandonne au-
jourd'hui les Prolégomènes de Wolf et on revient h Homère un et indivisi-
ble^ h Homère, créateur indubitable des deux merveilleuses épopées que
Wolf avait dépecées. — Voy. sur celle question la préface de Minkwilz à sa
belle traduction de l'Iliade.
QUATORZIÈME LETTRE. 151
yeux, Théodore Mommsen , dans son Histoire de Rome, pour-
suit un but pareil; son œuvre est hors ligne, il renverse et
reconstruit; j'aurais mauvaise grdee , moi, incompétent, à
élever une seule objection contre cette œuvre ingénieuse qui
fait sortir presque du néant \ Histoire des anciennes races ita-
liques , montre sous un nouveau jour leurs conflits avec Rome
et dessine à neuf tel caractère, dont les traits nous sem-
blaient arrêtés à tout jamais et burinés sur l'airain. Eh bien ,
l'œuvre de Mommsen , saluée avec respect par l'Europe sa-
vante , a trouvé en Allemagne même de violents contradic-
teurs : et cela devait être ; car bien certainement tous ces
hommes éminents ont été trop loin sur la route de la néga-
tion. Pour ma part, dussé-je être traité d'ignorant incorri-
gible , je ne vois point pourquoi la personnalité de quelques-
uns des rois de Rome et des fondateurs de la république ne
pourrait être sauvée , malgré les mythes qui les enveloppent.
Loin d'être le seul de mon avis , je ne fais qu'énoncer celui
de plus d'une intelligence sincère et droite ; je me trouve
même avoir un auxiliaire dans le camp des sceptiques. Byron,
le panégyriste et l'incarnation du doute, Byron, lorsqu'il se
trouve dans la vallée d'Egérie , en face du pittoresque nym-
phée qui a conservé le nom du génie féminin , inspirateur de
Numa , Byron a cru fermement à la réalité de la tradition et
a trouvé, sous sa plume délétère, des strophes ravissantes qui
rajeunissent l'immortalité du législateur de Rome et de son
invisible amie.
Nier d'une manière absolue l'existence d'une personnalité,
uniquement parce que^ à côté de l'histoire, ou antérieure-
ment à elle , le mythe l'a transfigurée , c'est, en tout état de
cause , faire une œuvre de Vandale. Je vais , sinon justifier ,
du moins donner quelque valeur à mon assertion à l'aide de
quelques hypothèses.
Attila , le fléau de Dieu, apparaît dans le poëme des Niebe-
lungen sous le nom d'Elzel, et sous le voile de la fiction. Fort
heureusement pour son immortalité terrestre, il figure aussi
152 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
dans les liisloriens contemporains. Sans cette circonstance ,
la poésie , dans l'esprit de nos critiques modernes , loin de
sauver son nom , lui aurait porté malheur. Je suppose que
Jornandés , que tous les historiens ecclésiastiques ou chroni-
queurs qui nous parlent de lui, eussent péri, avec tant de
chefs-d'œuvre de l'antiquité ; que la poésie épique et de vagues
traditions populaires eussent seules porté jusqu'à nous ce
nom défiguré.... Eh bien, aujourd'hui, la plupart des sa-
vants, aux grands applaudissements du monde scientifique,
nieraient l'existence d'Attila ; le roi des Iluns serait relégué
dans le domaine des fables ; on le jetterait dans le gouflre du
néant, avec le démon antagoniste de Dieu; et cependant
Attila aurait en réalité vécu, il aurait enterré des milliers
de victimes humaines dans les champs catalauniens, et aurait
reculé devant Aëtius et saint Léon.
Charlemagne vit au milieu des Paladins, dans la chronique
fabuleuse de Turpin; il vit dans la chanson de Roland'; il vit
dans toutes les chansons de Geste ; il vit dans la tradition, mais
bien lui a pris d'avoir un secrétaire annaliste. Admettez un seul
instant que la biographie du grand empereur, racontée en
style classique par Eginhard, n'ait point été conservée, que
ses capitulaires aient disparu, que les chroniques qui suivent
immédiatement son règne aient toutes péri dans les incendies
allumés par les pirates normands ; qu'arriverait-il aujourd'hui?
La figure du rénovateur de l'empire romain d'Occident aurait,
malgré ces désastres partiels et celte éclipse temporaire,
traversé les siècles ; elle serait arrivée à nous par les mille
voix de la renommée, qui n'ont cessé de proclamer son nom
à travers les âges barbares, à travers le mouvement des croi-
sades et le siècle de la renaissance. Eh bien ! aujourd'hui les
savants habiles démontreraient, à l'aide des chants même de
Théroulde, ou que Charlemagne n'a pas plus vécu que Roland
et les autres Paladins, ou que, s'il a vécu, la poésie a singu-
' Voir l'admirable traduction de l'œuvre de Théroulde, par feu M. Géniu.
QUATORZIÈME LETTRE. 153
lièrcmenl alléré son caractère, et qu'une existence pareille
équivaut à un non-être , à une ombre; il n'y aurait point de
lycéen qui ne se crût fondé à s'égayer aux dépens des... «an-
ciens» qui persisteraient à croire au couronnement de Karl-
le-Graiid et à ses guerres contre les Sarrazins d'Espagne.
Rentrez dans la question, me direz-vous, venez-en à sainte
Odile, puisque c'est d'elle que vous prétendez nous entretenir;
vous n'êtes point dans la question.
J'y suis, Monsieur; ayez, de grâce, un peu de patience.
Sur le terrain de l'histoire suisse , ai-je dit plus haut, des
attaques analogues se sont produites de nos jours. Il y a
trente ans , vous pouviez à la rigueur vous hasarder dans les
petits cantons avec le léger bagage de connaissances histo-
riques amassées dans Tschudi , Jean de Mûller et Zschokke,
avec les vers de Schiller dans votre mémoire et votre cœur,
sans crainte de trouver un démenti donné à votre gai savoir
par quelque livre de récente facture. Les chapelles commé-
moratives sur les bords du lac de Lucerne avaient encore leur
signification pleine et entière ; Kûssnacht, le Griitli, Allorff,
Bùrglen marquaient les étapes de ce pèlerinage romantique ,
oîi vous trouviez le nom d'un héros patriarcal, marié à tous
les échos de la montagne, au coup de chaque rame sur les
flots, au grondement du torrent dans la vallée du Schaechen ,
au murmure du vent dans les arbres du Grûlli. Maintenant
tout est changé. Des savants contemporains ont prouvé avec
une incontestable supériorité de vues, un savoir vaste et ha-
bilement distribué, avec une parfaite bonne foi , un amour
sincère , je dirais presque avec le fanatisme de la vérité , ils
ont prouvé que les documents suisses ou allemands contem-
porains du quatorzième siècle ne parlent ni de Tell ni de
Gessler; que ces noms ne se retrouvent ni parmi ceux des
familles indigènes, ni parmi ceux des dynastes ou des fonc-
tionnaires autrichiens; que dans l'histoire légendaire de l'an-
tique Scandinavie un fait pareil à celui que l'on met sur le
compte du préfet (vogt) autrichien se rencontre; qu'il avait
loi ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RHIN,
déjà attiré l'attention de plusieurs érudits; que la pomme et
la ilèche sont empruntées à ce mythe ou à cet événement du
Nord; que Tell et Gessler sont des êtres créés par l'imagina-
tion populaire ; que l'histoire même de la délivrance de la
Suisse et de sa lutte contre les gouverneurs impériaux est
enveloppée de contradiction et d'incertitude. On ne s'est point
arrêté en si bon chemin; il y a peu de temps, un travail,
remarquable par le fond d'érudition qu'il laisse entrevoir et
par l'habileté dans l'enchaînement des faits ou des raisons
alléguées à l'appui de la thèse, a cherché à démonétiser Ar-
nold de Winkclried , le héros de Sempach , dont le sacrifice
n'a été jusqu'ici contesté par personne. Eh bien! Arnold de
Winkclried n'a point vécu, car son nom ne se rencontre point
dans les chroniques et les Chartes contemporaines de la ba-
taille (1380); ou, s'il a vécu, s'il a assisté au combat, son
intervention n'a été qu'un incident insignifiant de cette mé-
morable journée; sa mort volontaire n'a pas plus de valeur
que celle du fabuleux Curtius; les piques qu'il a ramassées
sur sa large poitrine pour ouvrir une brèche à ses compagnons,
ces piques sont tirées du même arsenal que la flèche libéra-
trice du héros de Biirglen; ou bien, si le sang de Winkclried
a coulé , il n'a point fécondé le sol ; les poëmes qui ont célé-
bré ce haut fait sont de facture postérieure, évidemment des
centons cousus les uns au bout des autres, des interpolations
plus ou moins adroites et audacieuses.
Que vous dirai-je, Monsieur?... Je commençais à renoncer
à l'existence de Tell; mais cette dernière hardiesse — je me
sers d'un mot honnête — m'a donné à réfléchir; ne pouvant
vérifier moi-même dans les archives des villes et des abbayes
suisses si le nom de Winkclried se trouve ou ne se trouve
point caché au fond de quelque titre de propriété ou de
famille, obligé de m'en tenir au récit immortel de Millier,
j'ai cherché dans mes propres inspirations, dans mon esprit
seul, des arguments pour lutter avec ceux qui venaient
d'ébranler en moi d'anciennes convictions. Il me semblait
' QUATORZIÈME LETTRE. 155
dur de voir réduire en poussière un idéal de ma" jeunesse,
sans essayer de sauver ces figures radieuses qui mainliennenl
dans notre cœur la faculté d'admirer et d'aimer.
Les érudils qui attaquent des traditions établies, des faits
que l'on croyait acquis à l'histoire, font un appel aux parche-
mins, dont certes je suis moins en droit que personne de
nier la haute autorité. Mais à côté de la lettre morte, il est un
autre juge encore auquel j'ai le droit de recourir : c'est le
bon sens. Le parchemin destiné à conserver le souvenir d'un
fait, d'un événement, d'une personne, peut périr; le sens
commun est immortel.
De ce qu'un nom ne se trouve point dans les documents
contemporains, vouloir en induire que le personnage en ques-
tion n'a point existé, quoique la tradition ait conserve son
souvenir et son individualité, c'est, permettez-moi de l'affir-
mer, c'est presque de l'outrecuidance. Malgré les moyens de
publicité multiples que la presse moderne a mis entre nos
mains, que de fois n'arrive-t-il pas que dans le compte rendu
d'une catastrophe ou d'une action d'éclat, le nom de l'un des
acteurs soit omis à dessein ou par inadvertance, sans qu'une
réclamation le réhabilite et le mette à sa place dans un im-
primé quelconque; le même nom, négligé, effacé, omis dans
les témoignages officiels, peut vivre dans la bouche de quel-
ques amis, d'un cercle restreint de concitoyens, reparaître à
quelque distance seulement, être remis en honneur par un
annaliste ou un poète, et conquérir une renommée tardive,
mais incontestablement méritée. Avant l'invention de l'im-
primerie il y avait dix chances contre une, pour qu'un nom,
même méritant, même illustre, ne figurât point, séance
tenante pour ainsi dire, dans le récit d'un événement. A ces
époques d'actions désintéressées, on songeait bien moins que
de nos jours à consigner par écrit jusqu'aux moindres détails
d'un combat. La reconnaissance publique dans un pays tel
que la Suisse était le meilleur archiviste; le chroniqueur, en
recueillant plus tard ces souvenirs vivaces, pouvait les rc-
156 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
trouver légèrement altérés ou incomplets; mais le noyau était
resté incorruptible , entier ; il y a dans certains faits une vé-
rité psychologique que l'on n'invente pas ; même pour que,
dans ce cas , la fiction prenne racine et s'épanouisse , il faut
qu'il y ait un point de départ.
C'est ce point de départ que l'imagination ou l'imposture
ne parviennent ni à créer ni à inventer. «Donnez-moi un
point, disait Archimède, un point, et je remuerai le monde.»
Pas plus dans l'histoire que dans la nature, vous ne ferez rien
de rien; il faut que le germe soit réel. Je vous défie, je vous
le donne en cent , je vous le donne en mille, de faire circuler
par la seule force de votre volonté et de votre imagination, de
faire adopter par le populaire un nom comme celui de Tell,
de Gessler, de Winkelried, si ce nom n'a pas eu, dans un
moment quelconque, une existence vraie; s'il ne s'est pas,
dans l'origine, appliqué à la figure d'un homme de chair et
d'os; je vous défie d'aller prendre dans la mythologie ou
l'histoire de la Scandinavie un récit quelconque et de l'im-
planter dans une vallée suisse; de faire croire, à un jour
donné, que tel fait s'est passé dans tel endroit, si du moins
une vague tradition , basée sur ce point de départ réel dont
j'ai parlé plus haut, n'a préparé le terrain sur lequel vous
prétendez asseoir votre hisloire. Et pour appliquer mon rai-
sonnement au fait spécial — plutôt que de supposer cet em-
prunt bizarre fait à la Norwége, dans le but de populariser
une légende... il me serait, à moi, plus facile d'admettre
qu'un landvogl tel que Gessler, raffiné dans sa barbarie et
ayant eu quelque notion d'un fait cruel accompli dans les
royaumes Scandinaves, eût voulu se donner l'infâme jouis-
sance de répéter à Altorf ce qu'un Wikinger avait imaginé
dans'Je iNord.
Un mien ami, savant hors ligne, qui croyait, il y a trente
ans , fermement à l'existence des héros suisses du quatorzième
siècle, et qui m'aurait fait un mauvais parti, si j'avais à cette
époque soulevé un seul doute sur quelques parties accès-
QUATORZIÈME LETTRE. 157
soires de ce merveilleux récit, s'est laissé gagner dans l'inter-
valle par les arguments de l'école moderne, et, à la première
hésitation que j'ai laissé entrevoir , un sourire dédaigneux a
effleuré ses lèvres. D'après lui, ces légendes qui passent d'un
pays dans un autre, sont comme la graine d'une fleur ou d'un
arbre enlevée par un oiseau ou par le vent, et transportée
à travers l'espace sur un terrain lointain. La comparaison est
ingénieuse , mais elle n'explique et ne prouve rien ; le mys-
tère du transfèrement serait pour le moins aussi grand que
celui de l'origine , de la naissance spontanée d'un événement
sur le sol auquel la tradition l'attribue.
Au surplus, ce ne sont point là des articles de foi. Que
Tell ou Winkelried aient vécu, ou que ce soient des héros-
fantômes , la Suisse est assez riche du reste de son fonds
historique et poétique ; elle peut à la rigueur se laisser arra-
cher un fleuron de sa couronne sans montrer pour cela une
tète dégarnie; ses glaciers et ses lacs attireront toujours des
milliers de passionnés admirateurs ; l'immortelle création de
Schiller sauvegardera, mieux que les annales les moins con-
testées, les noms qui depuis cinq siècles vivent dans la mé-
moire des peuples libres et des peuples opprimés.
J'en dirai autant de Rome : les Tarquins, Brutus, la chaste
Lucrèce, Iloratius Coclès, Mucius Scœvola, peuvent aller re-
joindre Curtius dans son gouffre , sans que la grandeur du
tableau qu'on appelle l'histoire romaine en soit altérée, sans
qu'une seule couleur sur cette toile immense s'efface ou pâ-
lisse. Les vies des hommes illustres de Plutarque et les livres
de Tite-Live seront lus et dévorés, longtemps après que les
œuvres d'une critique ingénieuse, mais délétère, et souvent
peu attrayanle, auront rejoint sur les rayons de nos bibho-
Ihèques ces milliers de volumes que chaque siècle lègue au
siècle suivant comme un héritage plein d'embarras, de plus
en plus difficile à administrer ou à contrôler.
Tous les arguments que j'ai fait valoir en faveur de la tra-
dition dans l'histoire profane, peuvent aussi s'appliquer sur
158 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
le terrain de l'histoire sainte et de l'histoire légendaire, avec
celte différence qu'ici la matière est un millier de fois plus
délicate. Le travail de la critique dans l'histoire romaine ou
suisse, porte sur des questions et des personnes qu'à la ri-
gueur on peut traiter comme des abstractions , sans blesser
aucun intérêt, aucune idée contemporaine, sans toucher à la
foi vive d'un concitoyen; tandis que la discussion sur les
livres saints et sur la légende adoptée par l'Église, remplit
de tristesse , de dégoût et d'indignalion les croyants et les
fidèles.
La science de son côté reste impassible ; elle examine, elle
examinera toujours, à moins d'être violemment comprimée
dans ses manifestations. Mais à son tour elle doit subir la
contradiction et la loi du talion, et elle doit admettre (ju'à
côté de son point de vue, il puisse en exister un autre ; l'in-
tolérance en tout cas sied mal aux partisans de la négation.
Je n'ai ni la prétention ni la mission d'être le défenseur
infaillible de la légende; je viens seulement en dehors de
toute passion confessionnelle, dans l'intérêt de ce qui me
semble la vérité, et dans l'intérêt de l'histoire d'Alsace, ap-
porter à ces débats quelques arguments dictés par ce bon
sens dont j'ai proclamé plus haut le règne éternel.
Les attaques contre l'histoire sainte ne sont pas de date ré-
cente. Je n'ai point à faire ici la pénible récapitulation des
auteurs et des ouvrages qui, depuis des siècles, ont cherché
obstinément à saper les bases écrites de la foi chrétienne*.
• De nos jours wii nom U'islomeul célèlire a edacé ceux de ses devanciers:
c'est celui de Strauss. Il a tonié de réduire l'existence du fondateur de l'É-
i;lisc chrélieune à l'état de mythe; il l'a lait, sans animation , avec la froide
impassibililé de l'anatomisle qui applique le scalpel a un cadavre. Je n'ai
pas davantage à m'appesantir sur les conséquences possibles d'une sembla-
ble tentative; elles sautent aux yeux les moins clairvoyants. Fort lieureuse-
mciit son ouvrage est indigeste, didicile à lire; il n'a convaincu et ne con-
vaincra que ceux qui apportent à une pareille étude des dispositions précon-
çues, liosliies , aveugles en face des vérités et des bienfaits hisloriques d'i
QUATORZIÈME LETTRE. 159
J'en viens tout droit à la question de l'existence de sainte
Odile, de la patronne de l'Alsace. Sa réalité historique et lé-
gendaire , admise jusqu'ici , même par des savants protestants,
tels que Schœpflin et Strobel, a été révoquée en doute tout
récemment par un savant bàlois, M. le professeur Roth', puis
défendue avec vivacité par M. Louis Levrault-. Peut-être ne
devrais-je point, après lui, descendre dans la lice; je ne
puis me servir des armes de l'érudition ; je n'ai point de do-
cuments inédils à faire valoir; j'arrive sur le terrain , pauvre
comme Job et n'ayant d'autre bouclier, d'autre auxiliaire que
ma foi dans les imprescriptibles raisons de la probabilité his-
torique appuyée sur le simple sens commun.
M. Roth , à l'appui de sa thèse , examine les monuments et
les documents. Commençons par les derniers.
La mort de sainte Odile est communément placée vers l'an
720. De documents authentiques du huitième ou neuvième
siècle qui parlent d'elle, il n'en existe point. C'est une Charte
de Louis-lc-Débonnaire qui menlionne pour la première fois
HoJienburc en 837, mais sans nommer la première abbesse ^.
Cette circonstance est fâcheuse, j'en conviens, mais elle
n'est point péremptoire pour moi, comme elle semble l'être
pour M. Roth. Avec M. Louis Levrault, je ne vois pas pour-
quoi l'empereur, fils de Charlemagne, n'aurait pu confirmer
les privilèges du couvent de liohenbourg, sans mentionner
expressément les circonstances du premier établissement ,
d'autant plus qu'à cette époque sainte Odile n'était point en-
core canonisée.
Avec une incontestable habileté, M. Roth cherche à cons-
truire à sa façon la légende de sainte Odile, c'est-à-dire à ex-
ciirisliniiisme, cl qui onl la iialieiice tle suivre l'iuiteur dans ses rléduclions
et inductions subtiles.
1 Voy. Alsatia^ année 185S, p. Go a tl8.
" Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques
d'Alsace^ l. !I, p. I 10 à IGI.
3 Ce docuMienl existe d:ins noire liésor de.-; Charles.
160 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN.
pliquer comment elle a pu se former peu à peu , à l'aide de
données empruntées à d'autres localités. Il montre , vers le
milieu du huitième siècle , une religieuse Odile à Toul ; vers
le commencement du onzième siècle , une Odile , abbesse de
Ilobenbourg , allant mourir à Verdun ; il affirme que les moines
d'Ebersmiinster, confesseurs et secrétaires du couvent deHo-
henbourg, forgeaient audacieusemenl des titres de donation,
et à l'aide de ces prémisses il fait voir la légende qui gagne
peu à peu de l'ampleur, et se cristallise pour ainsi dire au
onzième et au douzième siècle.
Je dois ajouter que M. Rolh ne donne point ses hypothèses
comme chose certaine : il signale les analogies qui se trouvent
entre des faits attribués à la sainte patronne de l'Alsace, et
des faits que l'on trouve établis en d'autres localités de l'in-
térieur de la France ; il cherche à prouver la non-existence
de la légende complète de sainte Odile avant le douzième
siècle; mais nulle part il ne s'aventure jusqu'à prétendre que
sa manière d'envisager la chose soit la seule bonne et la seule
admissible; il laisse donc, avec une inconleslable tolérance
delà part d'un antagoniste démolisseur, il laisse toute latitude
aux convictions opposées à la sienne. Il n'a point le fanatisme
de la négation.
Sa longue argumentation , développée dans une cinquan-
taine de pages, vient pour moi se briser, impuissante, contre
un seul fait, que lui aussi est bien obligé d'admettre, sa-
voir : le passage du pape saint Léon (IX) en Alsace (1049 à
1050) ; la reconstruction et la dédicace du couvent de Hohen-
bourg sous les auspices de ce pape alsacien, et, à cette oc-
casion , la canonisation de sainte Odile , constatée par une
bulle authentique (1050). M. Roth n'ose pas le dire d'une
manière explicite, mais il donne à entendre que le pape saint
Léon avait, pour l'accomplissement de cet acte, un intérêt de
famille; or M. Levrault s'élève avec une véhémente suscepti-
bilité, que je comprends, contre le jour douteux, jeté sur le
caractère du saint pontife par une semblable insinuation. Rien
QUATORZIÈME LETTRE. 161
n'autorise à suspecter la droiture de saint Léon dans cette
circonstance ; aucun soupçon ne peut ternir cette belle figure;
aucun nuage ne peut monter à la hauteur de ce front pur et
serein.
Resterait à imputer au pape alsacien une crédulité ou une
ignorance inqualifiable. Léon IX était, aux yeux de ses con-
temporains, une intelligence d'élile, un savant théologien ,
un érudit en fait d'histoire ecclésiastique. Il est né en 1002 ,
à peu près deux cent cinquante ans après l'époque présumée
de la mort de la bienheureuse Odile, qui figure parmi les as-
cendants du pontife. Coitiment le souvenir d'une apparition
aussi extraordinaire que celle de la vierge et abbesse Odile,
au cœur d'une famille, ne se serait-il point transmis de père
en fils? Comment aurait-il pu s'effacer dans un espace de
temps aussi restreint? Comment ne pas admettre, avec toute
espèce de probabilité , que des documents écrits aient subsisté
à cette époque dans les archives de cette maison d'Éguis-
heim-Dagsbourg? Les témoignages de la voix publique pla-
çaient depuis deux siècles le tombeau de la sainte sur la
montagne de Hohenbourg, et y attachaient des influences
mystérieuses qui devaient motiver la canonisation. Comment
le pape aurait-il pu se hasarder à faire adopter par le monde
contemporain une aussi audacieuse imposture , que l'eût été
celle qui , appliquant du jour au lendemain au mont Sainte-
Odile en Alsace des faits réputés accomplis antérieurement ,
à Toul, Verdun ou Laon , devait provoquer une explosion
dans le monde chrétien et le monde politique? On voudra
bien se rappeler que la famille franconienne qui occupait
alors le trône impérial, manifesta, peu de lustres plus tard,
des dispositions peu amicales pour la papauté; elle n'aurait
pas manqué de tirer parti contre son ennemie d'une sem-
blable infraction aux lois de la prudence la plus élémen-
taire ;■ elle l'eût fait , quoique Conrad-Ie-Salique ait été le pa-
rent de saint Léon ; car dans les luttes politiques on fait
flèche de tout bois , et Henri IV, pour nuire à Grégoire VU ,
11
162 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
n'aurait pas respecté le souvenir d'un pape de sa propre fa-
mille. Tout esprit impartial conviendra avec moi, que si le
sépulcre de sainte Odile à Hohenbourg n'avait été, depuis un
temps immémorial, entouré de la vénération des fidèles, ni
prélat ni pontife ne se fût hasardé à y appeler d'office la dé-
votion des fidèles. La canonisation ne créait rien : elle consta-
tait, après enquête, un fait séculaire; elle légitimait, elle con-
sacrait, par l'adoption de l'Eglise, un culte spontané.
Il est vrai que M. Roth conserve la ressource de supposer
ou d'affirmer que ce concours de fidèles au mont Sainte-Odile
avait commencé dans un moment quelconque, à placer entre
la mort de la sainte apocryphe et la naissance du pontife ,
son arrière-petit-neveu ; et que cette vénération avait été dès
l'origine appliquée sans motif à une tombe ou vide ou men-
songère.
Je n'aurais plus rien à répliquer , je l'avoue , à cette argu-
mentation.
M. Roth appuie aussi sur les monuments de la localité une
partie des raisons qui lui semblent militer contre l'anlhenli-
cité des traditions du mont Sainte-Odile. La chapelle de la
Croix, selon lui, date de l'an 1050 seulement; le sarcophage
du père de sainte Odile et les bas-reliefs seraient du douzième
siècle. Ici M. Roth se trouve sur un terrain plus solide ; je
me déclare incompétent pour infirmer ou approuver la fixa-
tion précise de ces dates ; je veux , je dois les croire bonnes.
Au dixième siècle, de terribles dévastations ont passé sur la
montagne et sur les édifices sacrés, qui dominaient au loin le
pays et attiraient les regards des spoliateurs hongrois ; les
Magyars en un mot ont ravagé Hohenbourg ; les constructions
premières et l'ornementation de l'ameublement sacré ont dû
être renouvelées sous le pape saint Léon (IX) et après lui ;
mais ce fait n'infirme point, il laisse au contraire subsister
en entier l'hypolhèse que les premiers édifices conventuels
ont daté de la fin de l'époque mérovingienne ou du commen-
cement des Carlovingiens. Ici d'ailleurs , la Charte de Louis-
QUATORZIÈME LETTRE. 163
le-Débonnaire (837) , et un acte de partage entre Louis-le-
Germanique et Charles-le-Chauve de 870 , ne laissent plus
aucun doute sur l'existence d'un établissement quelconque à
Hohenbourg dès cette époque reculée *.
M. Roth termine son plaidoyer contra domum Ottiliœ par
ces mots : « Nous n'arrivons pas au delà du résultat suivant :
«Le couvent existait sous Charlemagne, et il a été fondé par
«un duc. »
Je prendrai la liberté de substituer une autre formule à cette
conclusion, et j'aime à me tlatter que le scepticisme histo-
rique ne la trouvera pas contraire aux faits probables , que le
croyant ne la trouvera pas irrespectueuse. Je dirai : «En l'an
«1050, le pape saint Léon (IX), Alsacien d'origine, s'appuyant
« sur des traditions de famille et prêtant l'oreille à l'impérieuse
«voix publique, qui attribuait à la tombe de l'abbesse Odile,
« placée au sommet de Hohenbourg , des influences miracu-
«leuses, le pape canonisa la sainte fdle d'un duc ou grand
«d'Alsace qui avait été, sur la limite de l'époque mérovin-
«gienne et carlovingienne , le premier fondateur et donateur
«de ce monastère ; il fit en même temps restaurer les édifices
« et renouveler les institutions de charité, qui se trouvaient,
« depuis l'époque de l'invasion magyare, dans un déplorable
« état d'abandon. »
A partir de celte époque, le culte de sainte Odile devenu
officiel, prit de siècle en siècle une extension plus grande et
un éclat plus imposant. La magie de la distance entoura cette
figure d'une auréole de plus en plus éclatante ; à travers les
' Je n'entame point la question d'Athalricli ou d'Etichon , duc d'Alsace.
J'ai déjà trop longtemps abusé de la patience de mes lecteurs. — M. Rotli ,
dans l'édilice généalogique, si laborieusement construit par Schœpflin, ne
laisse pas pierre sur pierre. Il apporte de formidables argunoents contre la
personnalité du duc, et surtout contre celle de Bereswinthe , mère de sainte
Odile. M. Levrault l'a courageusement combattu, mais avec moins de bon-
heur que dans le reste de sou argumentation.
164 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES BU RAS-RHIN.
révolutions politiques et religieuses , à travers les convulsions
sociales , elle demeura, dans la croyance du pays, le modèle
de la piété filiale, de l'abnégation monastique et de la charité
chrétienne.
QUINZIÈME LETTRE. 165
QUINZIEME LETTRE.
Herrailc de liandspcrg. — • Ouvrage de feu ITIauriee Kngelhardt. —
Documents relatifs h Herrade. — Analyse du «lardiu des dcUce*.
Monsieur ,
Le «Trésor des Chartes» (fonds de l'évêché de Strasbourg)
contient plusieurs documents relatifs à Herrade de Landsperg.
Le nom de cette abbesse de Hohenbourg , à peine connu de
quelques érudits alsaciens au siècle dernier , ignoré , il y a
quarante ans encore de la totalité du public cultivé , ce nom
est désormais européen. 11 doit, en grande partie, cette sou-
daine célébrité à l'opuscule de l'un de nos compatriotes, feu
M. Maurice Engelhardt, qui a le premier, en 1818, appelé
l'attention de l'Allemagne sur « le Jardin des délices^ » ce beau
manuscrit de Herrade , conservé à la bibliothèque de Stras-
bourg. Après M. Engelhardt, des savants français, des archéo-
logues, des littérateurs, des touristes de toutes les nations se
sont empressés de feuilleter le volume et d'en rendre compte,
souvent sans même nommer le modeste travailleur et dessina-
teur qui le premier s'était appliqué à illustrer Herrade, cette
femme artiste, poète, philosophe, théologienne, et mieux
que cela , directrice maternelle des religieuses , confiées à son
intelligente tendresse.
Vous me permettrez. Monsieur, de m'arrêter en face de
cette adorable figure , de vous parler un peu des documents
qui la concernent, et davantage d'elle-même et de son œuvre
originale.
Je vais au devant de vos objections , au devant des reproches
que pourraient m'adresser vos lecteurs , en me voyant faire
' Herrade de Landsperg, abbesse de Hohenbourg ou de Sainte-Odile, en
Alsace, et son ouvrage Hortus deliciarum , par M. Chr, M. Engell>ardt, I vol.
in-8" et 12 planches in fol. Suiligarlel Tiibingen 1818 (en allemand).
166 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN,
une halte sur cette route déjà si longue , où j'ai eu la présomp-
tion de les acheminer. Puisque le nom de Herrade et son
œuvre , me direz-vous , ont une célébrité incontestée , et se
trouvent dans le domaine public, pourquoi nous en reparler?
Donnez-nous de l'inconnu ! instruisez-nous ! intéressez-nous
par des données complètement neuves!
Un moment, Monsieur; c'est parce que le nom de Herrade
est désormais européen, que j'ose vous en entretenir; c'est
parce que dans tout le domaine de nos archives, il n'y a pres-
que rien qui approche de l'éclat de cette renommée scienti-
fique et littéraire , que je m'arrête aux pieds de la belle statue ,
qui, sans être entourée de l'auréole de la sainteté canonique,
est illuminée de tous les rayons que la gloire terrestre peut
concentrer autour d'une tête privilégiée. Les noms de Dante ,
de Cervantes, de Camoëns, de Shakespeare, de Michel Ange,
de Raphaël, les noms de tous les génies, de tous les talents
qui ont ilhistré l'humanité, sont européens; mais on n'est
jamais mal venu d'en parler , pourvu qu'on apporte à l'examen
de leurs œuvres et de leur caractère un peu d'intelligence et
beaucoup d'amour; pourvu que sur ces diamants à mille fa-
cettes on arrive , par une observation assidue , à découvrir un
nouveau jet de lumière ; pourvu que dans les vallées qui sil-
lonnent les flancs de ces hautes montagnes , on trouve une
nouvelle source d'eau vive et quelques plantes échappées à
l'œil des premiers voyageurs.
D'ailleurs, soyons de bon compte, et, sans offenser per-
sonne, voyons, combien de vos lecteurs ont, de leurs yeux,
examiné le manuscrit de Herrade? Quels sont ceux qui en ont
parcouru les six cents pages in-folio ? Quels sont ceux qui ont
étudié l'œuvre de feu M. Maurice Engelhardt, ou tel compte
rendu de l'École des Chartes ou d'un journal savant?.... Je
puis donc espérer d'être à peu près neuf pour quelques-unes
des personnes qui consentent à nous prêter un quart d'heure
d'attention. Quant aux savants de profession, le mieux qui
puisse m'arriver, c'est d'être ignoré d'eux; non-seulement je
QUINZIÈME LETTRE. 167
ne leur apprendrai rien; je serai pdur quelques-uns d'entre
eux une pierre d'achoppement, vu que je m'applique à vul-
gariser un sujet scientifique, à mettre à la portée de quelques
intelligences cultivées, mais par devoir avares de leur temps,
les notions qui d'habitude demeurent réservées aux érudits
exclusifs et égoïstes.
J'ai nommé plus haut, à tout hasard, quelques génies écla-
tants, immortels; je les ai cités à titre d'exemple, non pou
établir un parallèle entre eux et Herrade..,. la modeste abbesse
de Ilohenbourg reculerait effrayée, si elle revenait à l'exis-
tence, devant le dangereux honneur d'une pareille comparai-
son. Herrade n'a qu'une valeur relative : l'intérêt qu'elle ins-
pire, découle de sa situation isolée au haut d'une montagne
de l'Alsace, au-dessus des forêts de sapins, dans la région
des nuages; il découle du siècle où elle vécut, et qui nous a
légué , avec tant de parcimonie , des notions littéraires , scien-
tifiques, artistiques, incomplètes; il vient de sa qualité de
femme, de religieuse, qui ajoute au charme de sa présence
dans un monde à moitié barbare, la fascination dont nous
sommes saisis toutes les fois qu'un être angélique de pureté
descend sur la terre où se débattent les passions haineuses
et charnelles.
Pour ne pas trop m'étendre ? je vais d'avance limiter le ter-
rain sur lequel je vous prie de me suivre aujourd'hui. Peu de
mots suffiront pour rappeler la place qu'occupe Herrade dans
la série des abbesses de Hohenbourg ; je tâcherai de même de
ne point être trop longtemps importun en indiquant les Chartes
qui nous parlent d'elle. La femme artiste , si bien caractérisée
par M. Engelhardt, ne m'arrêtera aussi que peu de temps;
mon incompétence m'en fait une loi. C'est la femme érudite
et poëte que je désire montrer, enlevée de sa cellule dans
les régions où disparaissent les vanités de la terre , jusqu'au
sein de la Jérusalem céleste.
Pendant le siècle qui suivit la visite du pape Saint-Léon (IX)
au haut du mont Sainte-Odile (1050 à 1150), il paraît, sans
168 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
qu'il y ait à ce sujet une'notice précise , qu'un revirement dé-
plorable s'était opéré au cœur de la communauté de Hohen-
bourg: c'était la réaction fatale contre le merveilleux élan
d'enthousiasme, qui avait provoqué la canonisation de Sainte-
Odile. La foi s'était éclipsée, la discipline relâchée; l'inter-
vention d'une autorité quelconque était devenue nécessaire
pour ramener la congrégation religieuse à la rigidité, à la
pureté de son point de départ.
Une autre circonstance qu'on n'a pas suffisamment remar-
quée, avait sans doute contribué à ce relâchement dans la vie
intime de Hohenbourg. Frédéric, duc de Souabe et d'Alsace,
père de Frédéric Barberousse, avait, pour des motifs incon-
nus, porté la dévastation dans les édifices et les dépendances
du couvent*. Son fils, l'illustre empereur, suivit des errements
diamétralement opposés : dès la première année de son règne,
il appela l'une de ses parentes, Relinl ou Rclindis, du fond
du couvent de Berg, près Neubourg en Bavière, au mont
Sainte-Odile, et lui confia la mission de régénérer cet asile
qui était resté dans le triste état de délabrement où l'avait ré-
duit Frédéric de Souabe.
Relindis, malgré l'austérité de son caractère^ était adon-
née au culte des muses ; elle fut probablement l'institutrice
de Ilerrade de Landsberg, qui se trouvait au nombre des no-
vices confiées à ses soins et qui lui succéda, en 11G7, sur le
siège abbatial de Hohenbourg.
Comment et pourquoi Ilerrade avait-elle pris le voile? Etait-
ce une vocation, un ordre émané de ses parents ou de son
frère Gùnther? Était-ce une expérience anticipée de la vie,
la prévision des luttes, des passions, des tourments qui l'at-
tendraient dans le monde, dont le spectacle effrayait sa jeune
et vive imagination? Étaient-ce toutes ces causes réunies qui
portèrent Ilerrade à quitter la demeure paternelle et à se ré-
' Voy. ia bulle de Luce III, confirmative des privilèges de Holienbourg,
année 1I8S.
QUINZIÈME LETTRE. '169
fugier dans la vie contemplative du cloître ? Une réponse pro-
bable à ces questions, nous la trouverons dans les œuvres de
Herrade; quant à une certitude quelconque sur les premières
années de la savante abbesse, il faut y renoncer; un voile
épais les couvrira peut-être toujours.
L'examen des documents nous montre Herrade en rapports
d'afîaires avec l'empereur Frédéric Barberousse , qui avait
d'ailleurs visité le monastère sous l'abbesse Relindis et avait
sans doute remarqué, parmi les jeunes religieuses, le rejeton
de l'une des familles les plus illustres de l'Alsace. Herrade
était en relation avec les pontifes , avec les évêques de Stras-
bourg, avec des prélats de Lorraine et d'Allemagne, avec des
dynastes alsaciens; mais accidentellement^ transitoirement,
pour le bien de son monastère. De fait, selon l'heureuse ex-
pression de M. Engelhardt, «elle vivait dans le temps, mais
non avec ou pour le temps. » Le bruit du monde venait expirer
aux pieds de Hohenbourg ; la lutte terrible entre la France et
les souverains normands de la jeune Angleterre , le mouve-
ment des croisades qui agitait alors l'Europe entière , les
figures de Frédéric l^r, de Richard Cœur-de-Lion, de Louis VII,
de Philippe-Auguste ne laissent pas la moindre empreinte dans
les œuvres de Herrade; soit parti pris, soit indifférence, soit
ignorance non présumable, l'abbesse de Hohenbourg semble
fermer les yeux et les oreilles aux objets du dehors, comme
la porte de son couvent est fermée aux hommes du siècle ; elle
entend l'harmonie des sphères; ses yeux, elle les tient atta-
chés aux étoiles du ciel, dont elle voit de plus près et dans
un air plus pur toute la magnificence , et qui lui révèlent les
splendeurs de la cilé de Dieu. La brume épaisse qui , pendant
une partie de l'année , couvre pour elle les plaines du Rhin
étendues aux pieds des Vosges , cette brume est le symbole
matériellement exact du voile impénétrable qui la sépare, elle
et ses filles adoplives, du monde des vivants.
Avant de la montrer complètement absorbée par les visions
apocalyptiques et par ces harmonies célestes qui la rendent
170 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
insensible aux vains bruits de la terre, examinons toutefois
par quelle espèce de liens elle s'y rattache ; car les esprits
qui vivent dans les régions de la pensée abstraite et de l'amour
divin, tiennent forcément, par un fil presque imperceptible,
au monde extérieur; ils ne se transfigurent qu'au moment de
la mort. D'ailleurs Ilerrade, en sa qualité d'abbesse, avait
des devoirs positifs à remplir, des devoirs de suzeraine et de
directrice d'âmes ; elle n'y faisait point défaut.
La position de Hohenbourg seule captive déjà irrésistible-
ment; en répétant ce lieu commun, je ne suis que l'écho de
milliers de visiteurs qui ont joui sur le sommet de cette belle
montagne du charme des souvenirs religieux et historiques,
et de l'impression d'une nature presque alpestre. Mais ce qui
donne plus de valeur encore à cet incomparable site , à ce
monastère aérien, séjour d'abord des Druides celtiques, puis
arche sainte des religieuses chrétiennes , c'est le cortège que
lui forment, sur les deux revers et aux pieds du mont, d'autres
couvents, d'autres églises, d'autres chapelles, et ces châteaux
dont nous avons tous épelé les noms dès les premières années
de notre enfance. Quelques-unes des fondations pieuses , suc-
cursales de Sainte-Odile , datent précisément de Ilerrade de
Landsperg. Depuis neuf ans elle occupait le siège abbatial
(1178), lorsqu'elle jugea nécessaire d'appeler dans son voisi-
nage des religieux actifs, pour que le service divin se fît sans
interruption aucune dans son couvent, alors si difficile d'ac-
cès pendant les temps d'hiver. A cet effet elle prit des arran-
gements avec Warner, abbé d'Etival en Lorraine, et assigna
libéralement des revenus à quelques Prémonlrés qui quit-
tèrent leur couvent d'au delà des Vosges pour s'établir à Saint-
Gorgon, localité alors déserte, à mi-côte de Sainte-Odile.
L'empereur Frédéric I^r confirma la donation de la localité
que l'abbesse de Hohenbourg crut devoir faire à ces moines.
L'abbé d'Etival lui-même s'obligeait de visiter le couvent de
Sainte-Odile sur la demande de l'abbesse , et d'y célébrer le
service à de certaines grandes fêtes fixées dans l'acte de dona-
QUINZIÈME LETTRE. 171
tioii. Les biens et les rentes, dont les Prémonlrés de Saint-
Gorgon allaient jouir avec engagement de célébrer tous les
jours la messe au couvent dcllohenbourg, se trouvaient dans
quehjues-unes des riches localités des environs'.
Le droit de parcours pour les troupeaux que les moines
seraient tentés d'entretenir, s'appUquait à toutes les forêts
de liohenbourg. Le pape Luce III (118i) et Henri, évêque de
Strasbourg (1183)% confirmèrent ces dispositions.
Mais cette fondation de Saint-Gorgon paraît ne pas avoir
suffi aux exigences du service religieux de Hohenbourg; car
trois années plus tard , un nouvel établissement se forma ,
grâce aux libéralités de Herrade : c'est celui de Truttenhausen,
couvent de chanoines réguhers de l'ordre des Augustins , qui
furent appelés de l'abbaye de Marbach (du Haut-Rhin) et riche-
ment dotés par l'abbesse de Hohenbourg , sous condition de
remplir des offices analogues à ceux des Prémontrés de Saint-
Gorgon. Un acte émané du second fils de Frédéric Barbe-
rousse, de Frédéric, duc d'Alsace, avoué ou défenseur (Vogt)
de Hohenbourg, confirme en 1181 les libéralités de Herrade^
L'empereur lui-même et Pierre, évoque de Tusculum , légat
du Saint-Siège, y donnèrent leur assentiment. Des vignes,
des arpents, des fermes, des rentes en nature à Rosheim ,
Niedernai , Goxwiller, Bergheim, sont affectés à l'entretien de
ces douze chanoines qui viennent s'établir au pied du mont
Sainte-Odile , sur un territoire fertile , pittoresque , où les
riynes de l'ancienne église* rappellent encore la création de
Herrade. On avait prié Henri , roi des Romains (plus tard
connu sous le nom de Henri VI, empereur), frère aîné de
'Par exemple à Rosheim, Ergerslieim , Wolxheim. Voy. la Cliarle de
Frédéric Barberousse, du 12 octobre -Il 78. Trésor des Chartes, n" 23.
'Voy. Pellre, Histoire de Suinte-Odile , t. II, pièces jiislilicalives.
3 Voy. Scliœpllin , Als. dipl. , l ,[>. 275.
^L'église primitive byzantine avait été détruite par un incendie, puis re-
construite vers la lin du quinzième siècle. Les ruines actuelles portent le ca-
ractère de ce déclin de l'osive.
1 72 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Frédéric , Vogt de Hohenbourg , de figurer comme témoin de
l'acte solennel de fondation ; son nom , de funeste mémoire,
s'y trouve à côté de ceux des archevêques et évoques de Be-
sançon , Worms , Mersebourg , Constance , Strasbourg , du
margrave de Vérone , d'Egenolphe d'Urselingen , seigneur de
Ribeaupierre , de Werner, maréchal de la ville de Stras-
bourg etc.*.
A l'autorité de ces représentants delà famille impériale,
de l'épiscopat allemand et de l'aristocratie alsacienne et rhé-
nane, vint se joindre, en 1185, la sanction pontificale.
Luce IIÏ, ce pape, avec lequel Ilerrade se trouve en perma-
nente relation , confirma la fondation de Truttenhausen par
une bulle émise à Vérone-, et par cet acte officiel du père
des fidèles nous apprenons qu'à Truttenhausen il ne s'agissait
pas seulement, comme à Saint-Gorgon , delà création d'un
couvent pour assurer la régularité du service divin de Hohen-
bourg, mais d'un asile à offrir aux malades et aux pauvres
passagers. Un hôpital et un hospice furent attachés au mo-
nastère Augustin, exactement comme on avait procédé quel-
ques siècles auparavant à Nicdcrmiinster' , sur un autre
point, à mi-côte de la montagne de Sainte-Odile, pour ac-
cueilhr auprès de ce couvent de femmes les pauvres, les
souffrants et les pèlerins.
La bulle pontificale prescrit aux chanoines de Truttenhau-
' f/acto de fonHalion émanant h la fois de Herrade et de Giinlher de Jim-
genhege (appelé Yienliege dans la bulle de Luce III, de 1 185), Wimpheling
affirme que Giintlipr était le Crère de Herrade.
2 Tréso)- des Chartes, n" 28; Schœpflin, Als. dipl. , I, p. 282.
3 La tradition attribue la fondation du couvent de Niedermuuster (le mo-
nastère inférieur") à Sainte-Odile elle-mônie. M. Rolh , fidèle à son système de
démolition et de rajeunissement des dates, attribue la fondalion de Nieder-
miinster à Herrade. Il s'appuie à cet eff'et sur le style des constructions;
Niedermiinster fut incendié, il est vrai, en ^180 et restauré sous Herrade;
circonstance qui, loin de contredire, confirme l'existence antérieure de ce
monastère.
QUINZIÈME LETTRE. 173
sen d'ôlre soumis en toute circonstance à l'abbesse de Holien-
bouig, et d'établir deux des leurs en qualité de semainiers
au haut de la montagne, pour être en mesure d'y remplir ré-
gulièrement leurs devoirs de prêtrise. On fixe les jours so-
lennels où le prévôt (Probst) de Truttenhausen lui-même
célébrera les offices au haut du mont Sainte-Odile ; et dans la
prévision d'une négligence ou d'une désobéissance des cha-
noines, l'abbesse aura les mains libres pour leur retirer pré-
bendes et bénéfices. L'élection du supérieur spirituel de
Truttenhausen se fera, bien entendu, par les chanoines eux-
mêmes, mais l'opération devra être confirmée par l'abbesse
de Hohenbourg, à l'aide de la transmission symbolique d'un
livre.
Ainsi tous les cas qui peuvent se présenter dans les rap-
ports futurs entre les abbesses de Hohenbourg et les religieux
desservant le monastère, sont réglés à Vérone, et Herrade
qui, dans l'intérieur du couvent, maintint avec une douce
sérénité la règle introduite par sa mère spirituelle, par l'ab-
besse Relindis, Herrade put se rendre le témoignage d'avoir
aussi, dans tous les détails, pourvu aux doux devoirs de la
charité et aux secours spirituels , que ni elle ni les supérieures
futures ne pouvaient directement conférer à leurs disciples.
Dans les dernières années de son gouvernement , elle de-
mande encore à Conrad de Hûnebourg, évêque de Strasbourg',
de confirmer tous les statuts , tous les privilèges de son cou-
vent ; et ce prélat s'empresse de déférer aux prières de l'ab-
besse, dont il devait apprécier le grand cœur. Dans l'acte
émis par l'évêque Conrad (H), toutes les mesures préserva-
trices sont adoptées pour mettre le couvent à l'abri des em-
piétements si fréquents dans ces siècles agités , dominés par
la force matérielle. Ainsi, défense est faite à tout homme sé-
culier de posséder au haut du mont Sainte-Odile une cour ou
ferme quelconque, d'y construire une maison, à moins d'une
* Voy. Trésor dex Chartes , n" 31 .
174 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
permission expresse de la seigneurie; cette interdiction s'ap-
plique à tout le plateau , et s'étend , avec la défense de cultiver
des champs, au vaste espace au-dessous «du mur païen» *,
parce que c'est «une terre salique»^.
Défense est faite de même d'établir une paroisse sur le
mont, ce qui implique la crainte de quelque empiétement
clérical, ou la présomption que les hommes auxquels l'ab-
besse permettrait d'habiter soit autour, soit aux pieds du cou-
vent, seraient tentés de se constituer en réunion paroissiale
ou communale.
Indépendamment de ces grands actes publics et solennels,
obtenus du pape, de l'empereur, des évoques, en faveur de
Ilohenbourg pendant les siècles suivants — car les empe-
reurs surtout y laissent des traces de leur protection — des
titres d'acquisition ou de donation viennent augmenter les
domaines du couvent sous l'administration de Herrade. Lors-
que la noble Willebire d'Andlau, pour le salut de son âme,
celle de son mari et de ses parents, donne au couvent,
avec l'assentiment de Frédéric Barberousse, une maison sise
à Rosheim , cet acte semble assez important à l'abbesse pour
qu'elle appelle à y figurer ce même GiiiUlier de Vienhege ou
Jungenhege qui intervient dans la fondation de Trultenhausen ;
puis un Dietherich de Lapide (c'est-à-dire un Rathsamhausen
zum Stein), un Rodolphe d'Ehenheim , le prévôt de celte der-
nière localité, et le receveur de Rosheim^.
Ces respectables documents constituent pour Ilohenbourg
et pour Ilerrade de vrais titres de famille ; leur âge qui les
rend contemporains des plus anciens restes du couvent , et
antérieurs de près d'un siècle à la façade de notre cathédrale ,
^ Ce sont les expressions de la Cliarle.
2 Ici, terre salique siijnilie, non pas un terrain iransmissible aux m.Mes,
mais un territoire indissolublement atlaclié a la l'oudation primitive du cou-
vent.
3 Voj'. Trésor des Chartes , n° 22 , sans date.
QUINZIÈME LETTRE. 175
leur assigne un rang hors ligne dans notre dépôt. Mais ce sont
à tout prendre des fragments, qui ne nous permettent pas
d'esquisser la vie officielle de Herrade; ce sont des échappées
de vue sur cette carrière si active sous son calme apparent.
Pour étudier à fond, pour connaître Ilerradc, il faut aborder
résolument le volume môme qu'elle nous a légué et dans
lequel sont déposées les aspirations de son âme, les créations
de sa main d'artiste, les résumés de ses lectures savantes ,
les rêves de son imagination et les chants de triomphe qu'elle
entonne en l'honneur de son maître, de son sauveur, de son
divin fiancé.
Que contenait donc ce manuscrit entouré à Hohenbourg
d'une espèce de vénération , estimé à l'instar des reliques au-
près desquelles on le conservait pieusement? Quel était ce livre
précieux orné de peintures au type byzantin, oîi éclatent des
couleurs que l'on dirait prises hier seulement sur la palette
du peintre? Quel était ce legs, transmis par Herrade à ses
fdles adoptives, sauvé par une protection toute spéciale, dans
les fréquents désastres qui sont venus fondre sur le mont
Sainte-Odile? Quel est ce volume apocalyptique, recueilli un
moment par les évêques de Strasbourg, puis par les Chartreux
deMolsheim, puis par la bibliothèque du district républicain,
puis par un abbé collecteur, enfin par la bibliothèque de
Strasbourg, et réservé, Dieu seul le sait, à quelles destinées
encore?
Nous apprendrons ce que contient le manuscrit en suivant
un seul instant l'abbesse Herrade au fond de sa cellule , dans
ce laboratoire silencieux où elle tient dans ses mains et sous
ses yeux , sur une série de tablettes , la sagesse des livres
sacrés et du monde profane, les Ecritures, quelques pères
de l'Église, surtoiit le saint évoque d'IIippone, puis saint
Irénée, Eusèbe de Césarée , l'évêque historien, Fréculphe,
l'évêque chroniqueur; une foule d'auteurs scolastiques , phi-
losophes , historiens , polygraphes , Pierre Comeslor , Pierre-
le-Lombard ; des ouvrages astrologiques , des œuvres incon-
176 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
nues; d'autres dont le titre est parvenu à nous, mais dont
les auteurs sont tombés dans l'oubli ; « la gemme d'or » , « le
miroir de l'Eglise » , vaste assemblage de savoir encyclopé-
dique, parfois puéril, parfois touchant aux questions qui,
de tout temps et en tout lieu , ont préoccupé et passionné les
penseurs. Dans cette mystérieuse bibliothèque elle butine ,
selon sa propre expression, comme une abeille ; elle amasse
un trésor de sapience ; elle construit un monde de fantas-
tique création ; elle prépare des rayons de miel. Lire , mé-
diter, composer, prier, chanter, voilà sa vie; elle parcourt
toute l'histoire profane et sacrée; elle monte et redescend
toute l'échelle des connaissances alors abordables à une
femme, à une religieuse sachant le grec, parlant le latin
comme sa langue maternelle ; mais toujours elle revient à la
Bible ; c'est le centre d'oii elle rayonne, et vers lequel, après
avoir efQeuré la sagesse humaine , clic se replie ; l'histoire
du peuple de Dieu, les promesses de l'ancienne et de la nou-
velle alliance lui servent de fil conducteur à travers ce dédale
de faits amassés dans les casiers de ses extraits et de sa mé-
moire; c'est à ce centre vital que se rattachent jusqu'aux vi-
sions allégoriques dont elle compte diversifier et orner son
œuvre d'abeille et de poète créateur.
Après ces travaux préparatoires, qui auraient brisé une tête
moins fortement constituée que la sienne , Herrade exécute
un plan dont je vais indiquer les contours et qui pourra
sembler étrange, informe, bizarre, à plus d'un lecteur mo-
derne , mais qui devait, dans un temps où toutes les notions
revêtaient le caractère du symbole et de l'allégorie, répon-
dre aux besoins des intelligences et des cœurs. Ne perdons
pas de vue que a le jardin des délices » était destiné aux re-
ligieuses de Sainte-Odile, qu'il devait être pour elles à la fois
un recueil encyclopédique de tout savoir a licite» ; il devait
leur faire connaître le monde réel , sans le rendre trop ai-
mable , trop attrayant ; il devait leur ouvrir les espaces du
ciel et les profondeurs de l'abîme, sans mêler à ces concep-
QUINZIÈME LETTRE. 177
lions mystiques les dangereuses fictions des poëtes profanes
« des mages » , auteurs de toute perdition , inspirés par l'oi-
seau noir, symbole de l'esprit immonde'. Que d'écueils à
éviter sur cette mer du savoir et de la poésie , où Ilerrade se
lançait , confiante dans la pureté de ses intentions , et sou-
mettant la plus indépendante des facultés humaines , fimagi-
nation , à la douce mais sévère discipline de la foi.
Je m'aperçois , Monsieur , que tout en causant avec vous
de l'œuvre de Herrade, j'ai déjà tracé une partie de sa vaste
composition; il ne me reste qu'à vous laisser puiser dans
votre propre mémoire, en vous plaçant à l'entrée de la Ge-
nèse, au moment de la création de l'homme , que l'abbesse
raconte , après avoir entretenu ses religieuses de Dieu , des
anges, de Lucifer et de la Trinité. Vous voudrez bien ensuite
parcourir en pensée le vaste cycle de l'histoire de l'Ancien et
du Nouveau Testament , jusqu'au moment suprême du juge-
ment dernier. Je vous ai laissé deviner de même les digres-
sions de l'auteur ; à l'histoire biblique de la création d'Adam
et d'Eve , ïlerrade mêle des notions élémentaires d'astrologie
et de cosmogonie , de géographie, voire même de technologie ;
elle retrace le système planétaire de Ptolémée, et indique les
éléments de la mythologie païenne : presque côte à côte du
tableau de la création , tel que le récit à la fois simple et ma-
jestueux de Moïse le retrace, vous voyez Apollon, le dieu de
la lumière, sur son char resplendissant. La construction
de la tour de Babel offre à Herrade un point de rattache pour
la description des travaux et des occupations diverses des
hommes ; au passage de la mer Rouge par les Israélites et
Pharaon se lie la description des mers et des fleuves ; et sur
le sépulcre de Moïse, à l'entrée de la Terre-Sainte, la lutte
de Satan et de saint Michel personnifie la guerre du bon et du
mauvais principe, qui se reproduit dans le cœur des hommes
* C'est le sujet de l'une des peintures, mêlées au texte du jardin des dé-
lices.
12
1 78 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
les plus haut placés et dans l'histoire même des nations spé-
cialement protégées de Dieu.
Lorsque Herrade touche à la naissance du Christ qu'elle
célèbre par des cantiques enthousiastes, elle remonte un mo-
ment le cours des âges, et place, à côté de l'histoire du peuple
de Dieu , par une espèce de parallélisme instructif et hardi ,
toute l'histoire profane depuis l'origine du monde jusqu'au
règne de Tibère. La généalog-ie du Sauveur, dont le sacrifice
expiatoire va s'accomplir , est rendue sensible par un tableau
digne de l'imagination de Dante Alighieri , dont Ilerrade est
sous plus d'un rapport le précurseur ou l'avant-garde , s'il
m'est permis de me servir de cette expression matérielle,
pour indiquer une parenté spirituelle. Cette puissante fa-
culté de rendre sensibles les idées Ihéologiques et abstraites ,
qui caractérise à un si haut degré l'immortel auteur de la
« Divine Comédie » , Ilerrade la possède aussi , mais à un
degré moindre et non réglée par des études classiques. Ainsi
l'intime union de l'Ancien et du Nouveau Testament, le
triomphe final de l'Église , la lutte des vices et des vertus ,
les efforts de l'homme pour atteindre la couronne céleste et
les irrésistibles tentations qui l'en détournent , toutes ces
graves questions , reprises et jamais épuisées par les théolo-
giens, les philosophes, les moralistes 'de tous les âges, de-
viennent pour Herrade le sujet de compositions aussi ingé-
nieuses que hardies ; elles dénotent chez elle une puissance
de création qui , hors du cloître , exaltée par l'amour de la
gloire et par des passions mondaines , aurait pu donner
des résultats étonnants , effrayants peut-être. Même dans le
cercle limité où Herrade permet à sa fantaisie de s'ébattre ,
elle nous révèle quelque chose du génie viril de Michel-Ange.
L'histoire de l'Antéchrist, de son règne éphémère , des tor-
tures qu'il inflige aux croyants qui refusent de l'adorer; le
jugement dernier, rendu sensible par un tableau gigan-
tesque , le ciel et la terre en combustion , la naissance d'un
nouveau ciel plus éclatant , d'une nouvelle lerre parée d'un
QUINZIÈME LETTRE. 179
éternel printemps , où les Élus se promènent et se reposent
à l'ombre des palmiers; le règne final du Christ, royaume
où les rangs d'ordre sont hiérarchiquement assignés, l'enfer
et ses tortures infinies , tous ces tableaux, naïfs et burlesques
quelquefois selon nos idées ou nos conceptions modernes,
ouvrent derrière leur enveloppe matérielle des perspectives
infinies ; le ciel et la terre se confondent dans ces vastes com-
positions ; les idées dogmatiques y prennent corps ; l'abîme
nous montre ses mystères terrifiants , et le paradis soulève le
voile qui nous cache ses féhcités.
S'il m'était permis en face d'une pareille création , qui
tantôt éblouit et écrase, tantôt provoque un imperceptible
sourire, s'il m'était permis d'émettre un avis, j'aurais, pour
ma part, désiré qu'au sortir de la Jérusalem céleste, Herrade
opérât la clôture de son étonnant volume. Mais elle tenait en
réserve des provisions, des trésors de savoir et d'affection
pour ses jeunes ouailles, et comme elle ne se piquait point
d'une régularité classique dans ses compositions , elle a cru
devoir continuer ses enseignements même après la fin du
monde. Les usages religieux des peuples païens lui fournissent
le sujet d'un chapitre instructif, et dans un traité polémique
elle flagelle le clergé séculier de son temps, pour exalter le
clergé régulier, au sein duquel s'étaient alors réfugiées et la
foi et la discipline.
Un calendrier perpétuel, avec un poëme didactique, expli-
catif — vrai jeu d'esprit , je ne veux point le cacher — fait
suite à ces hors-d'œuvre. Mais le tableau final rachète ces di-
gressions; c'est le vrai couronnement du jardin des délices.
Je crois ne pas vous avoir fatigué de descriptions. Monsieur ;
vous me rendrez peut-être cette justice; à peine si j'ai indi-
qué quelques-unes des nombreuses peintures qui illustrent le
texte du manuscrit de Herrade. Maintenant je ne résiste point
au désir de vous montrer quelques détails du feuillet final ,
qui représente le couvent supérieur de Hohenbourg : le Christ ,
la Sainte-Vierge, saint Pierre se tiennent à l'entrée du cloître;
480 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
un peu plus bas, le duc Etichon s'agenouille sur son man-
teau ducal, et leur offre, par la présentation d'un sceptre
d'or, celte nouvelle maison de Dieu, construite sur les hau-
teurs. Dans la partie inférieure du tableau , le duc est assis
sur un trône et transmet le couvent à sa fille sainte Odile,
qui s'avance accompagnée de ses nonnes, et tend les mains
vers les clefs symboliques que lui remet son père. Dans un
autre compartiment du feuillet sont présentées les abbesses
Relindis et Herrade, avec les médaillons des quarante-six re-
ligieuses et des douze sœurs converses de Hohenbourg.
«Blanches fleurs , leur dit Herrade, pures comme la neige,
«vous qui répandez le parfum de vos vertus et qui vous re-
« posez dans la contemplation des choses divines, méprisant
«la poussière terrestre, oh! que votre course soit toujours
« dirigée vers le ciel , où vous verrez face à face le fiancé en
«ce moment encore caché à vos yeux affaiblis. »
On est heureux, au sortir des visions et de la polémique de
Herrade , on est heureux de reposer sa pensée sur ce groupe
de jeunes fiancées du Christ , et sur cette allocution , oii la
douceur du rhythme se marie dans l'original à la grâce de
l'expression. Mon pauvre calque en a nécessairement effacé le
charme ; je n'ai pu échapper au désespoir de tout interprète
qui cherche à initier ses auditeurs ou lecteurs bénévoles dans
le secret d'une pensée créatrice et d'une âme de poète. Je me
résigne de'bonne grâce à être insuffisant et incomplet, et je
persiste toujours, sous la réserve de votre approbation, à exa-
miner avec un peu plus de détails, les poésies que Herrade
nous a léguées , en attachant ces perles comme une broderie
sur le tissu de son œuvre érudite.
SEIZIÈME LETTRE. 181
SEIZIEME LETTRE.
Ilcrratle de I>andsperg (suite); ses poésies; leur caractère: mépris
du monde. — Amour du Christ ; dévouement aux reiigleuses de
Holienboiir;;. — Caractère historique de Herrade; sa rencontre
avec Sibylle, veuve de Tancrède, roi de Siciie.
Monsieur,
Les poésies lyriques et didactiques de Herrade sont écrites
en vers latins rimes (vers léonins). Ceux de mes lecteurs qui
connaissent le Faust de Gœthe , se souviennent de la terrible
scène où Marguerite , brisée par l'angoisse et le remords, est
agenouillée à l'entrée du sanctuaire , et entend les chants d'é-
glise qui proclament la colère divine contre le pécheur. Le
rhythme de ce chant funèbre leur donnera une idée de quel-
ques-uns des vers de Herrade; je dis de quelques-uns, car,
Dieu merci, elle produit aussi des mélodies plus douces. La
rime qui apparaît dans cette poésie latine du moyen âge, y
retentit tantôt comme la trompette du jtigement dernier ou
comme le glas des funérailles, tantôt comme la douce cloche
des matines ou comme ces clochettes aériennes des troupeaux
sur les prairies élevées des Alpes. L'hymnologie romaine a
évidemment servi de modèle à Herrade, et parfois elle égale
ces admirables vers qui célèbrent les grandes solennités de
l'Eglise et les martyrs, et qui redisent les ineffables tristesses
de Rome, la cité des ruines. Voilà pour la forme; quant au
fond, Herrade a puisé ses inspirations à une triple source et
la laisse échapper dans un triple courant. Le mépris du monde,
la glorification du Sauveur et de la Sainte-Vierge, l'amour
maternel pour ses jeunes élèves du couvent, voilà les sujets
sur lesquels l'abbesse revient constamment dans ses vers,
à tel point, que les exigences modernes, qui réclament
même dans la poésie lyrique une infinie variété d'intonations,
182 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
trouveraient la poésie de Ilerrade empreinte d'une uniformité
désespérante. J'aurais eu le temps d'y songer aussi, et de
penser de même, si je faisais de ces compositions ma lecture
habituelle ; mais , lorsqu'à de longs intervalles on revient ,
par choix ou par hasard, à ces strophes où la foi et la cha-
rité du moyen âge débordent dans toute leur plénitude native,
on n'a guère ni le temps ni la volonté de les trouver mono-
tones ; je crois môme qu'à la longue on s'y habituerait volon-
tiers , comme au son des cloches et au tonnerre de la marée
montante.
Ilerrade a lu la Bible, mais dans la Bible elle a fait un choix
pour son usage domestique; de préférence elle s'est attachée
à l'Ecclésiaste, aux Proverbes de Salomon, au Cantique des
Cantiques et à l'Apocalypse. L'influence des visions de saint
Jean se trahit dans les peintures et les inventions allégoriques
de Herrade. Le Cantique des Cantiques a laissé son empreinte
dans les vers qu'elle adresse aux religieuses de Hohenbourg ;
l'étude de l'Ecclésiaste se remarque dans chaque vers didac-
tique qui sort de la plume de Ilerrade. Vanité des vanités,
tout est vanité, voilà la sentence magistrale et le dernier ré-
sultat des méditations de Herrade ; c'est l'alpha et l'oméga de son
catéchisme poétique. Vraie poésie de chartreux, comme, dans
une autre sphère d'idées, celle du chantre anglais des Nuits.
Herrade n'a pour le monde que mépris et que haine, et ces
sentiments, peut-être exagérés, mais conformes à la vie d'un
cloître à peine régénéré et reconquis sur le désordre, ces sen-
timents , dis-je , elle cherche à les inculquer à ses enfants
d'adoption. Dans un petit poëme , si l'on peut donner ce nom à
un vrai sermon funèbre, dans un poëme intitulé : De la faiblesse
de la chair, qui fait tomber l'homme du haut de l'échelle de la
charité, Herrade jette le défi au monde et à ses pompes; elle
l'injurie avec une joie à peine contenue. Oh ! que ce cœur a
dû être ulcéré ou comprimé dans son premier développe-
ment, pour que des cris aussi désespérants sortent de ses
profondeurs ! Écoutez-la qui récapitule tous les maux dont
SEIZIÈME LETTRE. 183
l'homme est accablé; ses désirs inassouvis, sans cesse re-
naissants ; le vice , le péché , celte hydre de Lerne qui le dé-
vore ; la joie, qui est absorbée par la tristesse, le rire par les
larmes ; et les soucis , et les tourments ; et à côté de la louange
stupide qui exalte, le blâme qui tue; et à côté de la prospé-
rité mensongère qui gonfle le sein, l'afïliction qui brise et fait
courber la tête. Vierge pure et au-dessus de toute tentation,
elle ne craint point de flétrir, devant ces jeunes filles qu'elle
doit préserver pures, elle ne craint point de flétrir ces désirs
qui troublent , déchirent et hébèlent l'âme ; elle leur crie :
«Donc, domptez la chair, si vous voulez échapper à la mort;
«que la raison soit votre souveraine maîtresse. Si la tentation
«frappe contre le rempart de votre cœur, ne souffrez point
«que la volupté devienne cause de votre chute; car, qu'est-ce
«que la face superbe et la belle chevelure, et la belle forme
«des membres et l'incarnat des joues? Tout se flétrit, tout
«passe, tout retourne à la cendre; la douceur de la chair
«cache sous son enveloppe le ver du sépulcre.... Tout ce qui
«se produit dans l'orbe du monde, coule vers la mort; la
<i gloire, la richesse, la noblesse de la race, tout ce qui brille
« et honore , tout ce qui embellit, oh ! rien ne peut arrêter la
« mort ; rien ne peut racheter la vie ! »
Je viens de dire que Herrade s'inspirait de l'Ecclésiaste ;
j'aurais dû ajouter : et des prophètes ; tant ces cris de l'âme
rappellent certaines lamentations. — • Il me semble aussi^ par
un rapprochement d'idées involontaires, entendre Mathisson
qui proclame sur les ruines d'un château féodal ces vérités
désolantes , mais éternelles :
Hoheit, Ehre, Ruhm und Macht sind eitel^.
Ecoutez encore Herrade, qui parle : « Monde caduc, lu en-
« lèves tout, tu salis tout, tu descends sur une route sombre,
« en pente rapide, car tu es loi-même privé de lumière; tu te
'La grandeur, l'honneur, la gloire, la puissance, tout est vanité!
184 ARCHIVES DÉPARTEMEISTALES DU BAS-RHIN.
«fonds comme la neige ; tu es glissant, mobile, pernicieux à
((tous ; ceux qui renoncent à leur bonheur, en te cherchant,
«toi et tes plaisirs, tu les enchaînes par les délices d'abord,
«puis tu les domptes par les vices. »
Et dans ce qui suit maintenant, faut-il n'y voir aussi que ce
débordement de reproches , avec lequfel nous sommes déjà
familiarisés , ou bien serait-ce une allusion à des malheurs
personnels ?
— «Monde, tes fiançailles sont mensongères, ton alliance
«est trompeuse ; tu tiens parole par la ruine et la trahison ;
«lu conduis à l'enfer....
— «Souvent tu verdis, tu as quelque croissance; car le
«printemps, c'est la floraison; mais après un court laps de
« temps , l'Avernc moissonne les fleurs. »
Que penser? A-t-elle éprouvé elle-même ce triste revire-
ment, cet hiver mortel après un court printemps? A-t-elle,
avant de prendre le voile , vu flétrir ses affections premières ,
et se dessécher comme l'herbe des champs? Ou ces cris de
détresse ne sont-ils que l'écho de la sagesse de Salomon et le
fantôme terrifiant qu'elle montre à ses ouailles au delà des
murs du saint monastère? A-t-elle voulu effacer dans le sou-
venir et le cœur des saintes filles du couvent les images du
bonheur terrestre qui peut-être s'y étaient glissées à la suite
de l'une de ces visites de princes qui de loin en loin hono-
raient le cloître de leur présence?
Quoi qu'il en soit, féhcitons-nous de la conservation du
volume dépositaire de pareils accents, confident de ces larmes
cachées et de ces éloquentes invectives; et demandons-lui
d'autres révélations encore et d'autres préceptes ! Herrade
n'aurait-elle que des cris de réprobation ; n'a-t-elle pas aussi
des chants d'amour? Après avoir recommandé le jeûne, la
prière et les veilles, le mépris des richesses et de l'amour
charnel , après avoir montré la colère et l'omniscience de
SEIZIÈME LETTRE. 185
Dieu, incorruptible pour le pécheur, n'a-t-elle point une pa-
role qui rassure , point de strophe pour annoncer le salut au
pécheur repentant?
Herrade ne serait point chrétienne si elle ne faisait que
menacer. Cette même main qui a déchire, devant les nonnes
de Holienbourg, le voile qui, pour la plupart d'entre elles,
cachait sans doute les turpitudes et les apparences trompeuses
du monde; la même main qui a fait lire chacune de ces en-
fants dans son propre cœur et gémir sur sa corruption héré-
ditaire, elle a aussi un baume qui guérit. Voici les chants
de triomphe qui éclatent en l'honneur de la naissance du
Christ :
«0 sainte enfance qui as racheté la vie de notre race ! ô gé-
« missements délectables qui nous arrachez aux lamentations
«éternelles ! ô langes bienheureuses qui enlevez à notre corps
«la souillure du péché! ô splendide crèche qui contient la
a nourriture des anges ! »
Et dans une autre hymne sur le même sujet:
«Voici venir de Sion celui qui châtiera Babel, et foulera
«aux pieds Gabaon et exterminera Ammon...
«Il est né à Bethléhem, celui qui gouvernera Jérusalem la
«sainte.... Une fleur est née de la Vierge et toute créature se
«réjouit, toutes les lèvres louent le Seigneur; car l'abîme qui
«était béant entre nous et les anges s'est fermé ; car Dieu est
«ce que nous sommes.
« . , . . Ce roi de toute gloire , revêtu de la forme d'un esclave ,
« a fait son apparition dans le siècle ; la misère sort du fond
«des cachots, car la joie de la jeune mère porte bonheur; ne
«pleure plus, ô Sion, étouffe tes soupirs! dépouille-toi de
« ton cilice, revêts tes habits de fête !
«.... Entendez-vous dans la crèche les gémissements du
«Roi du monde! la salvation du peuple vient par le Fils ! ô
«mystère ineffable! voyez! sur le sein d'une vierge un Dieu
186 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
« souffre la faim , lui qui est la nourriture de vie pour ceux
(( qui croient... »
Hélas! je sais que je transmets des sons affaiblis, que je
donne des couleurs ternes; il faut lire dans l'original même
l'exaltation de cet amour mystique.
Herrade , lorsqu'elle s'adresse aux habitants de Hohenbourg,
trouve des accents d'une merveilleuse suavité. Je vous ai déjà
prévenu que, dans ces occasions, son cœur déborde , qu'il se
laisse aller à tout l'entraînement d'un amour maternel com-
mandé par le devoir, sanctifié par le ciel.
«Salut, cohorte des vierges de Hohenbourg ! amantes du
«fils de Dieu, blanches comme les lis! c'est Herrade, ta mère
«dévouée, ta servante qui t'adresse ce cantique; elle te sa-
« lue, elle fait des vœux journaliers pour que tu remportes
«une glorieuse victoire sur les choses passagères... Christ te
«prépare des noces au milieu d'ineffables délices; attends ce
«prince du ciel et réserve-toi vierge pour lui. Ici, supporte
« tout ce qui est âpre^ méprise tout ce qui est prospère ; sois
«ici l'alliée de la croix; plus tard, tu seras participant au
«royaume des cieux! Lestée de ta sainteté, navigue au milieu
«de cette mer orageuse, pourvu qu'en sortant du navire, tu
« occupes Sion la très-sainte ; là, le roi virginal , fils de Marie ,
«te réclamera, et, dans ses bras, te relèvera de toute Iris-
âtes se! »
Il faut cesser ; je ne puis tout citer. Vous devinez , j'aime à
le penser, à travers le voile de la traduction, les expressions
passionnées du texte primitif. Partout et toujours dans ces
vers, adressés par Herrade à la communauté, c'est le bonheur
des noces célestes opposé au triste mais passager veuvage sur
la terre; c'est la promesse, c'est la certitude d'une alliance
éternelle avec le Sauveur, au prix d'un renoncement au bon-
heur d'une famille terrestre.
En lisant avec attention les vers de Herrade, en suivant son
SEIZIÈME LETTRE. 187
inspiration dans toutes ses phases, on est un peu étonné de
ne trouver nulle part ce que nous appellerions, en langage
moderne, une impression prise dans la localité. — «Herrade
ne parle donc point de Hohenbourg? mais cela n'est guère
possible!» — Elle en parle, et vous allez l'entendre; mais
dans celte hymne adressée au couvent, rien ne rappelle la
poésie descriptive qu'aurait faite, à ce propos, un poète latin
de la décadence ou un auteur de l'école moderne.
— «Sur ce mont, dans une fontaine toujours vive, se dés-
« altèrent mes brebis; des abeilles pacifiques y font provision
«du pain de vie; elles boivent abondamment le clair nectar
« des écritures ; oh ! qu'elles s'y désaltèrent! que cette sainte
«famille, toujours proche du Christ, brûle de la gloire du
« célibat ! »
Vous voyez, c'est toujours le retour de la même pensée ; on
dirait que rien du dehors n'a de prise sur cette âme. Et ce-
pendant les hauts heux, oii elle réside, ont dû l'inspirer,
l'exalter; mais rien chez elle ne trahit cet amour, cette idolâ-
trie presque panthéiste de la nature, qui fait à la fois le bon-
heur et le tourment de nos poètes contemporains.
Sans aucun doute le grand spectacle des montagnes et des
forêts a dû agir sur cette âme impressionnable , mais à son
insu, et comme une musique incomprise agit sur des esprits
qui ne connaissent point les règles de l'harmonie. Quand Her-
rade, retirée de nuit dans sa cellule, entendait le vent s'en-
gouffrer dans les sapinières sur les flancs de la haute mon-
tagne, elle se plongeait avec un double bonheur dans ses
extases mystiques; ou quand, de jour, ses yeux erraient sur
l'immense plaine rhénane et sur les ondulations des Vosges ,
elle bénissait Dieu qui déployait devant elle et à ses pieds tant
de magnificences ; mais l'idée de décrire ce merveilleux aspect
ne lui venait pas, précisément parce qu'elle s'élevait plus
haut et que les pierres précieuses de la Jérusalem céleste
éclataient pour elle en couleurs plus merveilleuses encore
188 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
que les diamants de la rosée sur les prairies des vallons sus-
pendus aux côtés de Hohenbourg. — «Voyez! le jaspe à coû-
te leur verte signifie la vigueur de la foi qui ne périt pas et dont
«le secours prémunit contre les démons. Voyez, le saphir,
«couleur du trône céleste, image des cœurs simples, etl'é-
« meraude , image de la charité , et la topaze , rare et précieuse ,
«qui reluit d'une couleur dorée, image de la contempla-
«tion.» Voilà les fondements de Jérusalem, voilà pour Her-
rade les plus belles productions de la nature, voilà les seules
descriptions qu'elle se permette, parce que leur objet rentre
dans la gloriticalion de la cité de Dieu.
Ainsi , dans toute cette œuvre de Ilerrade rien qui annonce
le culte du monde extérieur, pas même dans une direction
que nous croyons permise; rien qui annonce le sentiment de
ce qu'en style moderne on est convenu d'appeler «les beautés
de la nature» ; rien de personnel, si ce n'est l'affection pour
les êtres qu'elle doit aimer; rien d'individuel que quelques
rares cris de l'âme, échappés à la dérobée et aussitôt com-
primés. Mais, dans presque toutes les strophes, le mépris du
monde et de soi-même, le culte de la Sainte-Vierge et de son
fils, et la dévorante préoccupation du salut des jeunes récluses
de Hohenbourg.
Parmi les Chartes dont je vous ai tout à l'heure donné une
analyse succincte, il en est une seule qui fait allusion au ca-
ractère de l'abbesse , c'est l'acte émané de Frédéric Barbe-
rousse en 1178; il appelle Ilerrade, «prudente et fidèle», et
ces expressions conviennent en effet si bien à ce que nous
pouvons deviner de son individualité, qu'il est permis d'y
voir autre chose qu'un compliment officiel de la chancellerie
impériale. Herrade , dans le peu de circonstances où nous la
trouvons active, fait preuve en effet de tact et de prévoyance.
La fidéhté dont on la félicite peut s'appliquer à la fois à son
attachement à la famille régnante et au gouvernement inté-
rieur du couvent, où elle maintient et affermit inviolablement
les traditions de l'abbesse Rehndis.
SEIZIÈME LETTRE. 189
Les derniers mois de l'exislcnce de Ilerrade sont marqués
par une scène tragique. En 1195, les portes de Hohcnbourg
s'ouvrirent pour Sibylle , veuve de Tancréde , roi de Sicile.
Celte malheureuse princesse arrivait au haut des Vosges , pri-
sonnière, avec ses deux filles et)e cœur déchiré. L'empereur
Henri VI venait de conquérir la Sicile, Tancréde avait péri;
les nobles Siciliens, attachés sur des fauteuils en fer incan-
descents , avaient expié par des tortures atroces leur fidélité
au malheur et au souvenir des rois normands ; Guillaume ,
fils de Tancréde et de Sibylle , transporté à Ilohenems dans la
Rhétie par les sicaires de l'empereur allemand , avait eu les
yeux crevés, et se mourait lentement. Il suffit de rappeler
quelques-uns de ces cruels détails, pour deviner la tempête
qui agitait le cœur de la reine exilée, ou le morne désespoir
qui usait les derniers ressorts de sa vie.
Je n'ignore point qu'une autre tradition confine cette in-
fortunée dans l'abbaye d'Andlau. Voici ce qui me fait adopter
sans hésiter la variante qui amène Sibylle à Hohenbourg. Les
ratfinements de la cruauté de Henri VI sont notoires ; jamais
résistance légitime ne fut comprimée par des mesures aussi
atroces que celles dont ce souverain usa à l'endroit du royaume
de Sicile; les tortures morales qu'il infligea froidement à une
tête couronnée ont entouré le nom de Richard Gœur-de-Lion
d'une auréole poétique ; il est donc permis , sans calomnier
Henri VI, de penser, qu'ayant pour la prison de Sibylle le
choix entre l'abbaye d'Andlau et celle de Hohenbourg, il se
décida pour le séjour le plus rude; il comptait bien que l'àpre
climat hâterait le déclin de la reine dont il venait de briser le
cœur maternel , après avoir renversé le trône de son mari.
Sans avoir assisté à la première entrevue de la princesse
déchue et de l'illustre abbesse de Hohenbourg, sans cher-
cher dans celte rencontre saisissante un effet dramatique , il
est impossible de ne point sentir que le cœur de Herrade,
dont les derniers jours approchaient, devait à la vue d'une
aussi grande infortune se rouvrir une fois encore à toutes les
190 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
sensations déchirantes , et une fois encore , sur le bord de la
tombe , éprouver ce que les grandeurs humaines peuvent re-
celer de larmes et de misères. En serrant dans ses bras la
pauvre exilée, elle a dû, pour la relever, lui montrer le cœur
de Marie, percé d'un glaive, et dans les cieux enlr'ouverts la
palme du martyre.
-c«C\9X<!/>»-
DIX-SEPTIÈJIE LETTRE. 191
DIX-SEPTIÈME LETTRE.
Snltte du fonds du trésor des Chartes. — Explication et excuses de
l'nrcliiviste sur lu luarciic suivie en dernier iieu. — Testament de
saint Rcniy ; abbaye tl'Ksciiau. — Ciiarte de IiOuis-lc-nél>onnairc.
— Ile et abiiuye de Beicheuau. — Arenenberg. — Embarras crois-
sant de l'arcbiviste.
Monsieur,
Si vous entendiez dire , si vous trouviez vous-même que je
m'engage dans une fausse route, et que dans mes dernières
lettres je me suis beaucoup trop étendu sur sainte Odile ou
sur Herrade, il ne faut me cacher ni ces impressions ni ce
blâme. 11 serait d'ailleurs parfaitement impossible de donner
un semblable développement à chaque document spécial ; et
cependant , à mon avis, les Chartes principales , pour être es-
timées à leur juste valeur, devraient être mises en relief par
un procédé analogue à celui que je viens d'employer. Que
pour les érudits on se borne à la reproduction textuelle d'une
pancarte, rien de mieux; le lecteur savant d'un Gode diplo-
matique saura faire usage du document imprimé, sans tra-
duction, sans commentaire; mais, pour notre pubhc déjà si
complaisant, ce serait le moyen le plus sûr de lui faire rejeter
avec dépit les colonnes hebdomadaires réservées à cette revue
de nos archives. Il n'y faut point songer : une indication som-
maire ne remplirait pas la tâche que nous nous donnons dans
ces entretiens ; la sécheresse d'une nomenclature rebuterait
nécessairement tout le monde au bout de fort peu de temps.
Je crois donc avoir été dans le vrai en prenant , à titre
d'exemple , deux noms aussi illustres que ceux de l'abbesse
fondatrice et de l'abbesse poêle et artiste de Hohenbourg ; à
leur endroit j'ai pu me permettre ces excursions sur le do-
maine de la critique historique et littéraire. Ces notes fugi-
tives n'ont pas de grande valeur intrinsèque, je ne le sais que
trop ; mais peut-être auront-elles porté dans quelques esprits
méditatifs la conviction que ces mêmes documents, élucidés
192 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
par un talent véritable , peuvent acquérir un intérêt dont le
lecteur superficiel ou inexpérimenté ne se doute guère.
Voilà donc le grand embarras où je me trouve , où je n'ai
cessé de me trouver depuis le début de ces entreliens fami-
liers avec vous, Monsieur, et avec quelques amateurs de notre
histoire locale ; la sécheresse ou la prolixité se sont dressées
comme des pierres bornes , continues, le long de ma route,
et j'ai constamment couru le danger de me briser contre l'une
ou contre l'autre. Ce danger va môme en croissant , avec
chaque nouvel élan , sans que mon ardeur se ralentisse ; je
sens que l'air me manque , que le fardeau que je porte écrase
mes épaules, sans que je trouve moyen de m'en débarrasser
dans le court espace qui me reste encore disponible. Jugez
plutôt vous-même, Monsieur,.... le fonds «du trésor des-
Chartes » contient cent soixante-quatre documents sur parche-
min; l'armoire des Chartes en compte quatre cent soixante-
treize, soit un total de six cent trente-sept pièces presque
toutes d'une importance majeure. Si je voulais appliquer à
chacune d'elles la méthode adoptée pour le peu de Chartes
relatives àHerradc de Landspcrg, où cela nous conduirait-il?
Si je n'en parle point du tout, ou sommairement, je crois
manquer à mes devoirs d'archiviste. Dans cette perplexité ,
que faire? Il ne s'agit point ici de résumer, de caractériser
comme j'ai pu le faire dans les séries des archives civiles , et
comme je serai bien obhgé de procéder encore pour la masse
des archives ecclésiastiques. La nature de ces titres du trésor
des Charles ne se prête pas au même genre de généralisation;
car dans ces documents , émis par de grands personnages ou
adressés à des notabilités historiques , la société du moyen
âge est représentée à peu près. dans tous ses membres; c'est ^
comme je l'ai dit dans mon premier rapport delS-iO au préfet
du Bas-Rhin , c'est «une vaste pyramide de noms, au sommet
de laquelle se trouvent :
«Ces deux moitiés de Dieu, le Pape et l'Empereur.»
DIX-SEPTIÈME LETTRE. 193
Je sens que je dois prévenir un soupçon que vous auriez
quelque droit de concevoir à mon égard. Vous ne révoquerez
pas en doute ma bonne foi; mais vous pensez peut-être que
sous l'empire de mes illusions personnelles , sous la pression
de cet amour dont je semble épris pour nos vieux titres , j'exa-
gère involontairement leur importance. Voici le parti auquel
je vais m'arrêter, à l'effet de vous établir juge vous-même. Je
vais ouvrir mon inventaire du trésor des Chartes et le suivre
pendant quelques pages seulement, sans préméditation, re-
later les Chartes telles qu'elles sont inscrites à la suite du tes-
tament de sainte Odile, indiquer leur contenu sommaire et
tracer, en quelques contours seulement, le dessin du tableau
d'ensemble que chacune d'elles semblerait réclamer pour être
mise à sa vraie place et envisagée dans son vrai jour. Je
compte obtenir par ce procédé si simple deux résultats, et
porter en votre esprit une double conviction , savoir : que la
physionomie de chacun de ces titres a bien un caractère indi-
viduel, mais que ce mode de les dessiner aboutirait, à la
longue, vis-à-vis de vos lecteurs, à une sérieuse indiscrétion,
à un empiétement sur leurs droits.
Permettez-moi donc, encore à titre d'épreuve, et à l'appui
de ce que je viens de dire , permettez-moi de copier textuel-
lement mon inventaire, en omettant toutefois le grimoire du
numérotage, des lettres de série et des citations.
«778. Ides de mars, deuxième année du règne de Chaiie-
« magne.
«(Copie du) testament de Saint-Remy^ évêque de Stras-
«bourg, fondateur du monastère situé dans l'Ile d'Eschau
« (Hasegaugia) près de la rivière d'Ill, dans le ban ou la marche
«de Plobsheim (Blabodesbaime). En l'honneur de la Sainte-
« Vierge, Saint-Remy lègue au couvent la marche adjacente,
«c'est-à-dire l'île d'Eschau avec ses édifices^ sa basilique, ses
« serfs etc. La donation se fait sous la forme d'un legs, la Sainte-
« Vierge étant instituée héritière de l'évêque.
13
194 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
(( Le même acle rappelle la tlonalion que l'évêque fait à la
«Vierge du petit couvent de Werth sur la rivière de l'Aar, en
«Argovie. Cinq évoques sont signataires de l'acte ; quarante-
«deux témoins sont énumérés. La copie est probablement du
«dixième siècle.
«Une note sur parchemin du douzième ou treizième siècle
«est jointe à l'acte testamentaire de Saint-Remy (évêque
«de 776 à 883); elle relate les divers faits historiques qui
« se rattachent à la fondation et à la restauration d'Eschau ,
«sous les évoques Saint-Remy, Wicderhold , Guillaume l^^ et
«Wetzel. »
Voilà bien le résumé succinct du titre. A première vue,
vous devinez, je pense, sous ces lignes arides la valeur d'un
acte dont l'original émane d'un prélat alsacien , parent de
sainte Odile, et qui nous fait connaître, presqu'aux portes de
Strasbourg, la première origine d'un monastère de bénédic-
tines , dont la destinée se trouve mêlée à l'histoire ecclésias-
tique de notre province et finit par se confondre tout à fait
avec celle du grand chapitre. Que faudrait-il maintenant, sans
parler de la reproduction du texte et de la traduction com-
plète du titre latin, (jue faudrait-il ajouter, pour y répandre
la vie?.... Décrire d'abord le site, vous conduircà deux lieues
au midi de Strasbourg, vous placer en face de l'église d'Es-
chau (jui porte encore dans l'hémicycle extérieur de l'abside,
dans les pilastres en grès rouge, enchâssés dans le mur, et
surtout dans son arcature légère, le caractère de l'époque
byzantine ; il faudrait vous montrer, à l'intérieur de la basi-
lique, ces douze pilastres rustiques et carrés, qui servent de
base à des arcs en plein cintre, et divisent l'église en trois
nefs; enfin au sortir de l'éghse, vous transporter en pensée
dans les vastes bâtiments, maintenant disparus, de l'abbaye
succursale de Sainte-Odile ; rappeler l'invasion cruelle des
Magyars, qui réduisent en cendre le pieux asile où les pe-
tites nièces de la fondatrice de Hohenbourg furent les pre-
DIX-SEPTIÈME LETTRE. 195
mièrcs abbcsses ; indiquer l'hospice que l'évêque Burchard
fonda, en 1143, auprès du monastère relevé de ses ruines par
Wiederliold ; reproduire le remarquable acte de cette fonda-
tion de charité, près de l'antique voie romaine, pour les
pauvres pèlerins et les malades ; et aboutir à la pompeuse
bulle d'Alexandre 111', qui confirme en 1180 les donations
multipliées faites par quatre évêques en faveur du cloître
d'Eschau. C'est une curieuse énumération, que celle des nom-
breuses propriétés dont l'abbaye jouissait sur les deux rives
du Rhin; le préambule de la missive apostolique, et sa con-
clusion, j'allais dire sa péroraison, portent le cachet du style
à la fois nerveux et éloquent qui caractérise la plupart des
bulles émanées du grand pontife contemporain et vainqueur
de Frédéric Barberousse. Je ne veux point reproduire toute
la Charte, mais suivez-moi pendant quelques lignes seule-
ment ; elles justifieront mon dire :
«Alexandre, évoque, serviteur des serviteurs de Dieu, à
«mes bien-aimées fdles en Jésus-Christ, Wurtrude, abbesse
«du monastère de Sainte-Sophie, et de ses lillcs d'Eschau,
«et à ses sœurs coreligieuses, présentes et futures, à tout ja-
«mais.
« Le siège apostolique doit sa protection aux vierges sages
«qui, sous l'habit religieux et les lampes allumées^ se pré-
« parent chastement par des œuvres de sainteté à marcher au
«devant du divin époux, afin que nulle attaque téméraire ne
«détourne de leur dessein ces pieuses filles, et ne porte au-
«cunement atteinte à l'autorité de la sainte religion. C'est
«pourquoi, mes bien-aimées filles en Jésus-Christ, notre clé-
«mence accède à vos justes demandes, et nous accueillons
« sous la protection de saint Pierre et sous la nôtre, la susdite
' L'archiviste a essayé de faire ce travail, dès J840. Voy. « L'église d'Es-
chau d'aujourd'hui et l'abbaye d'Eschau d'autrefois. » — Cet opuscule ren-
ferme, outre la bulle pontificale , l'acte de fondation de l'hospice.
•Î96 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
«église à laquelle vous êtes attachées par les liens d'un divin
«servage.... »
Je passe maintenant l'intéressante mais trop longue série
des localités attribuées au couvent, et j'arrive à la fin de la
bulle :
«....Mais lorsque la mort viendra te frapper, toi, aujour-
«d'hui abbesse dudit lieu, ou telle sœur qui après toi sera
«revêtue de cette dignité, que le choix de la nouvelle abbesse
«se fasse sans violence, sans astuce, sans moyens subrep-
«tices, et que la religieuse élue du consentement unanime
« de vos sœurs , ou par la partie la plus saine de votre com-
«munauté, vous gouverne dans la crainte de Dieu et selon la
«règle de saint Benoît.
« ....Si à l'avenir quelqu'individu séculier ou laïque contre-
« venait sciemment ou témérairement au contenu delà pré-
« sente constitution, et si admonesté une seconde et une troi-
«sième fois il n'expiait son méfait par une satisfaction pleine
« et entière , qu'il soit déchu de sa puissance , de ses honneurs
«et de son rang, que , pour avoir perpétré une telle iniquité,
«il se sache condamné par le jugement de Dieu... , et qu'à
«l'article de la mort, il demeure sans défense devant la co-
«lère divine. Mais les défenseurs des droits dudit monastère,
«que la paix de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec eux;
«puissent-ils recueillir sur terre le prix de leur bonne action
«et devant le juge, armé du glaive, trouver la paix de la vie
« éternelle ! Amen ! »
La signature de douze cardinaux se trouve au bas de la
bulle que j'ai forcément tronquée.
Cette belle abbaye d'Eschau, création de Remigius, si libé-
ralement dotée et si paternellement protégée , fut incorporée
à la mense ' épiscopale au moment de la Réforme; en 1617,
le grand chapitre commence à en jouir. L'Eglise servit de
' On nppelnit ;iinsi le corps des revenus palrimoniiinx de l'évéclié.
DIX-SEPTIÈME LETTRE. 197
lieu de sépulture à plus d'un noble alsacien ; tout récemment
la Société historique d'Alsace est parvenue à sauver d'une
dégradation imminente quelques-uns de ces monuments funé-
raires.
Dans l'inventaire du trésor des Charles , le testament de
saint Rémy est suivi du relevé de cinq documents apparte-
nant au régne de Louis-le-Débonnaire. Vous vous rappelez
sans aucun doute que la scène la plus tragique de cette époque ,
la dépossession de l'empereur par ses fds, se passe dans les
campagnes du Haut-Rhin, aux environs de Colmar (30 juin
833), et que l'évêque Bernold de Strasbourg était intervenu
dans la négociation infructueuse qui avait précédé l'acte de
trahison. Indépendamment de l'intérêt humain qu'inspire cet
événement , nos souvenirs locaux nous portent à examiner avec
attention toute pièce émanée du faible et malheureux souve-
rain, que l'on a bien à tort comparé à Saint-Louis, si pieux
mais aussi très-énergique. Des cinq Chartes du Débonnaire,
conservées dans nos archives , deux se rapportent presqu'à
l'époque de son avènement, une seule est postérieure à la dé-
fection accomplie dans le «champ du mensonge. » Mon inven-
taire du «trésor des Chartes» porte ce qui suit:
«816, 19^ jour avant les kalendes de janvier.
«Confirmation par l'empereur Louis du privilège de l'ab-
«baye de Reichenau {Sintleozesavia , plus tard Augia dives)
«dans le duché d'AUémanie et dans le lac inférieur de Cons-
« tance, en faveur de Heiton (Heddon, Eddon), évêque de
«Bàle et abbé de Reichenau — point de sigillé — document
« détérioré. »
Cet acte, daté d'Aix-la-Chapelle, a été édité par Schœpflin
et par Grandidier; l'intérêt qu'il inspire ne réside donc point
dans sa nouveauté, mais dans la localité dont il rappelle la
juridiction et les franchises en fait d'élections abbatiales.
Il s'agirait donc, comme pour les Chartes d'Eschau, de
198 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
dire au lecteur ce qu'était cette opulente abbaye de Reiche-
nau, dont le supérieur spirituel et temporel pouvait, à ce
que l'on assure, voyager de Constance à Rome, et trouver
chaque soir , pendant ce long pèlerinage , un gîte sur l'une
des dépendances du monastère. Il faudrait remonter à Charles
Martel, premier donateur, et à saint Pirmin d'Ecosse, premier
fondateur du couvent, dans cet îlot concédé par le noble
Sintlaz; il faudrait rappeler toutes les libéralités des Carlovin-
giens, et les missions de confiance que lïeddon, le principal
donataire, avait remplies à Byzance au nom deCharlemagne ;
faire assister le lecteur aux derniers instants de l'empereur
Charles-le-Gros, qui, destitué, vient se réfugier et mourir
obscurément dans cet asile, doté par ses illustres aïeux et
par lui-même (888) ; d'écrire , à l'aide de la belle monographie
récemment éditée par la Société archéologique de Bade, les
cinq basiliques romanes, les chapelles, la demeure abbatiale,
la bibliothèque^ l'école, l'hospice, tous ces établissements
de piété et de haute science élevés dans ce site pittoresque ;
il faudrait, sur tous les points de l'horizon, dérouler le ma-
gnifique panorama qui forme autour de l'île un cadre in-
comparable ; ces deux lacs , aux rives si variées; l'un restreint,
pacifique, à peine ridé par les vents; l'autre large comme
un golfe de la Méditerranée et souvent troublé par les orages ;
à l'occident les cimes basaltiques du Ilœhgau, couronnées
de leurs châteaux forts, dont chacun a sa chronique ou sa lé-
gende; à l'est, au delà de l'île de Mcinau, les coteaux de la
Souabe, au midi les riches collines de la Thurgovie, et au
fond du tableau les cimes alpestres d'Appenzell, du Vorarl-
berg et du Tyrol. Étonnante réunion de sites gracieux et de
majestueuses perspectives ! contrastes partout où l'œil s'ar-
rête un instant, partout où l'imagination promène son vol,
partout où la pensée évoque les souvenirs ! Les abbés-princes,
en rapport avec leurs collègues de Saint-Gall, avec les prélats
de Constance, de Bàle, de Strasbourg, avec l'Allemagne , avec
l'Italie, favorisant les fortes études théologiques et littéraires
DIX-SEPTIÈME LETTRE. 199
clans ces murs cachés au milieu des vergers et des vignes, en-
veloppés des eaux dormantes du lac , et garantis par celte
barrière contre les bruits importuns du monde; de précieux
manuscrits, des joyaux, dons des empereurs et des rois,
amassés dans le trésor du monastère ; de savants missionnaires
sortant de cet asile pour régénérer les études dans les églises
d'Alsace et de Souabe; puis, comme toujours et partout,
après un beau temps de floraison intellectuelle et matérielle,
le déclin du couvent , de l'école , du culte ; l'incorporation de
Reichenau avec Constance (1538); puis une nouvelle vie in-
fusée dans ce vieux corps ; au bout de deux siècles et demi
les armées de la République française déroulant leurs irrésis-
tibles bataillons sur les rives du lac , la solitude de Reichenau
envahie par la forte marée qui signale le dix-huitième siècle à
son déclin et le dix-neuvième à son aurore; enfin, après quel-
ques lustres, l'une des victimes les plus touchantes du grand
naufrage napoléonien venant se réfugier sur les bords de ce
même lac, en face du monastère carlovingien.
Précisément à mille ans de distance, quelle tragique anti-
thèse! En 817, le fils de Charlemagne, créant, consohdant
l'asile des sciencres, des lettres et de la prière dans ce silen-
cieux îlot d'un lac allémanique ; et peu d'années après Water-
loo , la fille adoptive de Napoléon Jer, la mère de Napoléon III,
cachant son diadème de reine, au milieu des bosquets et des
fleurs, dans un chalet suisse, ancienne dépendance de l'ab-
baye où vint s'éteindre l'un des derniers rejetons du grand
empereur d'Occident. Que de fois un jeune exilé n'a-t-il pas
dû prendre terre, avec sa barque, dans l'une des anses de
celte île aux vieilles basiliques , alors peu visitée, • — vrai frag-
ment de l'Aventin , enlevé à la Rome du moyen âge — que
de fois n'a-t-il pas dû penser aux grandeurs déchues qui
dorment sous ces voûtes byzantines, et méditer sur les causes
qui font perdre et gagner des empires !
Descendons de ces hauteurs de l'histoire passée et de l'his-
toire contemporaine, pour reprendre, très-prosaïquement le
200 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
fil de l'inventaire, et plus spécialement l'énumération des
Chartes carlovingiennes :
«A. 817, 28 août. — Aix-la-Chapelle.
((Confirmation faite par Louis-le-Débonnaire à l'évêque
« Adeloch de Strasbourg- de la possession d'un district situé
« dans le val de la Bruche. »
Ce document nécessiterait , pour être éclairci , une notice
biographique sur l'évêque Adeloch, dont le remarquable mo-
nument funèbre se trouve non loin de celui du maréchal de
Saxe dans le chœur de l'église de Saint-Thomas ; il faudrait
aussi spécifier les localités mentionnées dans la donation car-
lovingienne qui constitue une belle partie du domaine épisco-
pal de Strasbourg ' , et confronter les noms du moyen âge
avec la dénomination des communes modernes, situées à
l'entrée du val de la Bruche ; mais passons outre :
«Confirmation d'un échange fait entre Bernold, évêque de
«Strasbourg, et le comte Erchingar du Nordgau.)) — Cette
Charte de ,Louis-!e -Débonnaire est datée de Francfort, la
dixième année de son règne (824) ; elle est d'une bonne con-
servation , avec un beau sigillé impérial, empreinte évidente
d'un camée antique.
Ici , il y aurait nécessité ou du moins opportunité de donner
quelques notes sur l'existence des puissants comtes du Nord-
gau , c'est-à-dire de l'Alsace inférieure, et sur les localités,
objet de l'échange ; mais je poursuis à la hâte ma tâche in-
grate :
« Déclaration émise par Louis-le-Débonnaire, portant: que
« les hommes de l'Église de Strasbourg sont affranchis de
«tout péage, par terre et par mer, dans toute l'étendue de
« l'empire ; cette immunité est accordée sur la demande de
«Bernold, évêque de Strasbourg; elle porte la date d'ingel-
«heim près Mayence, a. 831 , 8 juin. »
Ici, à la rigueur, la valeur de l'acte résulte de ce simple
' Yoy. leure ciouzième, la partie coiiceniaul le bailliage de Schirmeck..
DIX-SEPTIÈME LETTRE. 201
énoncé, qui implique à la fois la grande considération dont
l'cvèque Bcrnold jouissait auprès de l'empereur et la richesse
de la jeune ville épiscopale, dont les habitants exerçaient
déjà au neuvième siècle un commerce extérieur assez impor-
tant pour motiver la munificence de Louis-le-Pieux.
Vous devez commencer à êlre à la fois convaincu de mon
assertion première et fatigué de cette énumération qui , pour
être la plus abrégée possible, ne nous amènerait pas moins
à entreprendre une tache infinie. Vous comprendrez, j'en
suis sûr, qu'au moment de ma première entrée au milieu de
ces boîtes et de ces cartons si bien garnis , mon embarras ait
été celui d'un artiste à la fois enthousiaste et inexpérimenté
qui, avant l'invention de la photographie, se serait trouvé
jeté, un beau matin, au milieu des palais ruinés de Thèbes
et aurait essayé, sans choix ni mesure, de reproduire non-
seulement ces avenues de sphinx et d'obélisques , ces colon-
nades infinies , mais les mille détails de leur architecture et
les peintures murales et les hiéroglyphes qui couvrent les
obélisques. Le malheureux aurait pris, quitté, repris pour
les rejeter encore ses crayons impuissants , jusqu'à ce que le
jour se fût fait dans son esprit et qu'il eût modestement arrêté
les limites rationnelles dans lesquelles il se serait résigné à
travailler et à reproduire les mille et une merveilles qui l'ac-
cablaient. Mon point de comparaison n'est ni prétentieux ni
inexact, veuillez en être bien convaincu; l'infini du champ de
la science a de fout temps fait le désespoir du travailleur sé-
rieux, et ce qui est vrai pour l'exploration érudite, l'est bien
davantage encore pour une reproduction éclectique, c'est-à-
dire pour l'entreprise que nous faisons en commun , vous et
moi. Monsieur; établir un choix juste et rigoureux, pour un
espace très-restreint, dans un amas pareil de documents,
c'est de toute manière se résigner à l'alternative et au blâme
d'être reste en deçà de la juste limite ou de l'avoir dépassée.
202 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
DIX-HUITIEME LETTRE.
Suite du trésor des Chartes. — Voyage des Chartes carlovinglennes
à Paris. - In droit de citasse accordé par Henri-Ie-Saint à l'évèque
n erinliar. — ï'orniation du domaine épiscopal. — Cuirbailen. —
Charles IV aiu mont Sainte-Odile; l'enlèvement de l'avaut-bras
droit de la sainte. — li'évêque Ouillaume de Diest. Traité contre
les Armagnacs i,es fêtes de Outcubcrg.
Monsieur ,
Les Charles carloviiigienncs dont j'ai reproduit le contenu
sommaire dans ma dernière lettre ont eu, il y a cinq ans,
l'honneur d'un voyage à Paris; Son Excellence le ministre de
l'instruction publique en avait réclamé la délivrance tempo-
raire, pour les communiquer à l'Académie des inscriptions
qui devait en prendre une copie destinée à la collection des
diplômes royaux. Dans sa sollicitude pour notre précieuse
collection, M. Migneret, préfet du Bas-Rhin , a vouhi lui-
même emporter nos Chartes abritées dans leurs boîtes , et il
a eu soin de les faire réintégrer le plus tôt possible dans notre
dépôt.
J'ai salué le retour de ces documents avec un sentiment
analogue à celui qu'a dû éj)rouver le savant bibliothécaire
de la ville de Strasbourg , lorsque l'inappréciable manuscrit
du (L Jardin des délices)) lui est revenu de la capitale, oii il
avait séjourné pendant plusieurs années pour servir à l'illus-
tration de l'ouvrage de M. de Bastard.
Quoique ces documents carlovingiens soient les plus an-
ciens de notre trésor des Charles , et que leur authenticité
ne puisse être révoquée en doute, il existe à leur suite plus
d'un parchemin moins ancien d'une valeur égale , peut-être
supérieure ; j'en ai traduit et commenté quelques-uns, à une
époque déjà bien loin de nous ; cette dernière circonstance
m'enhardit non pas à les reproduire , mais à les citer par-
tiellement; je ne risque rien en me faisant mon propre pla-
DIX-IIUITIÈME LETTRE. 203
giaire; tout au plus si quelques amis personnels ou quelques
amateurs de ce genre de publications se souviennent de ces
essais.
1! en est jusqu'à trois que je ponn-ais nommer.
Parmi les Chartes publiées dès les premiers temps de mon
séjour aux archives se trouve « un droit de chasse accorder
par l'empereur Henri-le-Saint à révêqueWerinhar» (an 1017)
et le mandement de l'évêque Conrad de Lichtenberg prescri-
vant des collectes pour la construction de la façade de la Ca-
thédrale (1275). Je me suis senti, dès l'abord, poussé par une
admiration instinctive vers les grandes figures de ces deux
évêques , et mon sentiment sympathique ne s'est pas amoin-
dri depuis ce temps heureux d'un premier entraînement et
d'une première découverte. Ce sont deux caractères d'une
taille peu commune ; il y a en eux quelque chose du type ro-
main , et s'ils ne sont pas conformes à l'idéal que nous nous
faisons de nos jours d'un prélat pacifique, pasteur de l'église
et non pas conquérant de territoires et de sujets , Werner et
Conrad désarment toute critique par la réflexion toute simple
qu'ils étaient les enfants , les produits de leur siècle , d'un
siècle guerrier , disposé à admirer , dans un prince de l'Église,
les qualités ou les hautes facultés que l'on désire rencontrer,
ou que l'on admire aujourd'hui dans les monarques absolus
ou constitutionnels.
Quoiqu'ils aient vécu à près de trois siècles de distance
l'un de l'autre, les deux évêques ont dans toute leur destinée,
dans le moule de leur esprit et de leur caractère , tant de
rapports, tant d'analogies, que le parallélisme entre eux se
présente de lui-même, à l'examen le plus superficiel. Ils des-
cendent, l'un et l'autre , d'une noble famille; ils ont, l'un et
l'autre, un empereur d'Allemagne pour ami; Werinhar est
le confident , le directeur spirituel de Henri II ; Conrad de
Lichtenberg donne la main à Rodolphe de Habsbourg ; l'un
et l'autre courent les chances des combats ; ils meurent, tous
204 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
deux, d'une manière anormale; l'un, mystérieusement, en
Orient, dans une île de la Propontide ; l'autre, de la main
d'un ennemi , sous les murs de Fribourg ; enfin coïncidence
plus frappante encore! Werinhar construit la partie byzan-
tine de Notre-Dame de Strasbourg , Conrad de Lichtenberg
fait élever le grand portail ogival de celte église. Ils sont
aussi , l'un et l'autre , représentés dans notre collection par
de remarquables documents qui perpétuent leur souvenir par
l'expression de la pensée écrite , comme Notre-Dame de Stras-
bourg immortalise le nom de tous les deux dans ses pierres
monumentales.
« Le droit de chasse » , accordé à Werinhar sur la demande
de l'impératrice Cunégonde, par l'empereur Henri-le-Saint,
est indirectement un témoignage parlant de l'énergique acti-
vité qui dévorait l'évêque batailleur. Werinhar se délassait
des soucis de sa haute position dans les exercices violents,
images de la guerre. Le vaste territoire, concédé par l'em-
pereur, foruiail un quadrilatère, qui embrassait toute une
partie de la moyenne Alsace , comprise entre le Rhin et les
Vosges, depuis la foret de Haguenau jusqu'à une ligne de
démarcation, au midi deBenfeld'. C'était un district forestier,
livré aux ébats du prince et de sa cour, qui trouvait, dans
cette immense plaine, l'ours, dont la race est depuis long-
temps éteinte dans notre pays, et des troupeaux de cerfs et
de sangliers. Mais ce n'étaient là que des délassements. We-
linhar était mêlé à la haute politique de son temps; il aug-
mentait la fortune de l'évèché. Saint-Etienne de Strasbourg
lui était livré par son royal ami (voy. une Charte de donation
de l'an 1003); son nom glorieux était répandu dans toute
l'Allémanie, dans toute l'Helvétie; il avait porté ses armes
sur plus d'un point de ces régions et avait siégé, quelquefois
comme président, dans les diètes de l'Empire; il ne s'était
'Voy. pour plus de détails, la Charte publiée en 1840 par l'archivisle,
sous le litre de : Un droit de chasse accordé par Henri 11.
DIX-IIUITIÈMR LETTRE. 205
point borné à faire creuser et établir les fondations souter-
raines de la Cathédrale, œuvre de géants, digne de la har-
diesse de l'architeclLire antique ; comme promoteur de la
construction du château de Habsbourg, il jetait les premières
assises de la grandeur de cette maison, dont les représentants
allaient, deux siècles et demi plus tard, occuper le premier
trône de la chrétienté. Mais après tant de gloire , quel triste
exemple aussi de l'inconstance des destinées humaines ! We-
rinhar, disgracié sous l'empereur Gonrad-le-Salique, part,
exilé, malgré les dehors li'ompeurs d'une éclatante ambas-
sade ; ses pressentiments secrets ne le trompent pas ; il
mourra, empoisonné, non loin deByzance: il ne reposera
point sous les voûtes de cette majestueuse basihque dont il a
été le premier , le véritable fondateur.
Conrad de Lichtenberg, du moins, fut enterré dans l'inté-
rieur de la Cathédrale (en 1300), et son épitaphe, dans la
chapelle de Saint-Jean, porte «qu'il avait brillé en toutes
(( sortes de qualités qui sont requises pour un homme du
(( monde, et qu'il n'avait point eu son pareiP. » Cette inscrip-
tion funéraire est le plus bel éloge qui , dans l'esprit des
contemporains, pût être fait d'un prélat, destiné à gouver-
ner de vastes domaines^ et à vivre, le glaive en main, sur
les marches d'un trône dont il avait été le plus ferme sou-
tien au sortir de l'anarchique interrègne.
Beaucoup de Chartes épiscopales, prenant date dans la pé-
riode bi-séculaire entre Werinhar et Conrad, peuvent servir
à constater le lent mais incessant agrandissement du domaine
temporel de l'évêché. On a vu, dans la formation de ce beau
patrimoine, se produire les mômes faits qui constituent les
grandes fortunes privées, lorsque celles-ci sont destinées à
être solides et durables. Ce n'est point d'une seule fois que
s'est constitué le territoire épiscopal, tel que nous l'avons
' Voy. !a Charte ou circulaire ép/scopale de Conrad de Liclilcnberg, éditée
par l'arcliiviste en 1842.
200 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
VU dans son ensemble vers la fin du dix-huitième siècle ' ;
c'est pierre par pierre qu'ont été construits les murs de ce
vaste édifice; à l'exception de quelques grands coups de for-
tune, c'est château par château, village par village, ferme
par ferme que le domaine s'accroît; on dirait que sur le fon-
dement de granit jeté par les Dagobert et par les premiers
Carlovingiens viennent se poser, par couches très-minces,
les terres d'alluvion successives. S'il était encore possible
d'entrer en quclcjues détails , je vous signalerais les Chartes
qui constatent l'acquisition du magnifique château de Guir-
baden par l'évoque Berthold de Teck — nous possédons une
bulle de Grégoire IX, qui confirme cette acquisition (1227)
— et un traité conclu entre le môme évêque et Frédéric de
Linange (1239), acte par lequel ce seigneur concède au pré-
lat tous ses droits sur les fermes du val de la Bruche et sur le
colossal château qui domine l'entrée de la vallée. Quelle ten-
tative de faire , ne serait-ce ([u'cii (pielques lignes, l'analyse
de ces documents, constatant l'acquisition de cette imposante
forteresse par l'évèché !
Après Conrad de Lichtenberg, le fait le plus marquant
dans cette progressive accumulation de terres entre les mains
de l'évoque de Strasbourg, c'est bien certainement la vente
du landgraviat d'Alsace, par les comtes d'Œttingen, à l'un
des descendants collatéraux de Conrad , à Jean de Lichten-
berg (13o8-1359). Au miheu des désastres publics qui si-
gnalent le gouvernement temporel de ce malheureux et excel-
lent prélat, il y avait au moins lieu de se féliciter de ce coup
de filet ; nos archives contiennent, au trésor des Chartes , une
série d'actes et de quittances qui constatent cette précieuse
acquisition.
A peu près à la même époque a eu lieu un incident d'une
tout autre nature , et qui nous ramène un moment encore
sur le petit plateau de Hohenbourg où je vous ai arrêté bien
' Voy. lellres H et 12.
DIX-IIUITIÈME LETTRE. 207
longtemps, il y a quelques semaines. Que scrail-ce, si j'avais
mes coudées franches; car les privilèges impériaux, conférés
au couvent de Sainte-Odile, et les actes de propriété quelque-
fois très-curieux qui ont trait à cet asile de Herradede Lands-
perg- abondent dans notre dépôt. A présent je veux seulement
rappeler la visite que fit au monastère de la montagne celti-
que, en mai 1354-, l'emperem^ Charles IV. Cette tournée,
dans la saison des fleurs, était tout intéressée, bien diffé-
rente de celle que Frédéric Barberousse avait faite en plein
hiver , à travers neige et glace , sur les mômes hauteurs.
Charles IV, dans un but égoïste, auquel je ne trouve aucune
excuse, fit ouvrir le sépulcre de sainte Odile, enleva l'avant-
bras droit de la sainte, et fit transporter cette rehque dans
lune des églises de sa résidence favorite de Prague. Un do-
cument de notre fonds épiscopal * constate cet acte, ou plu-
tôt cette spoliafion, pour nommer la chose par son vrai nom.
C'est une espèce de procès-verbal solennel, dressé à cette oc-
casion, «en présence de Jean de Lichtonberg-, évêque de
«Strasbourg, et de Jean, évêque d'Ollmùtz, d'Agnèse, ab-
«besse de Ilohenbourg, et d'une foule de prélats et de per-
« sonnes ecclésiastiques et dévotes. »
La violation du sépulcre eut lieu avec le consentement de
l'abbesse, le 4 mai 1354; la rédaction de l'acte est du 8 du
même mois, datée de Schlestadt, et signée par le chancelier
impérial , Rodolphe de Friedeberg-. Défense est faite , sous
peine d'excommunication, de rouvrir la tombe et d'emporter
quelque fragment des membres de la sainte, dont le corps
avait été trouvé intact. C'était une inqualifiable impudence
que cette interdiction émanant du spoliateur lui-même; mais
rien ne doit étonner de la part d'un prince qui avait acheté
la couronne impériale à prix d'or, empoisonné son noble et
généreux antagoniste , Gûnther de Schwarzbourg, épousé une
' Voy. L'avant-bras droit de sainte Odile. Charte publiée par l'arcliiviste
en 1840.
208 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
princesse palatine uniquement pour se rendre favorable un
des grands dignitaires de l'Empire, vendu à l'encan les gran-
des charges et les lettres de noblesse , violé toutes les pro-
messes faites aux grands et aux petits , trompé en Italie les
blancs et les noirs, les Guelphes et les Gibelins, engagé les
biens domaniaux de l'Empire , et fermé l'oreille aux cris jetés
par les juifs que l'on massacrait impunément sur tous les
points de la Germanie. — Pour arriver au munt Sainte-Odile,
n'avait-il pas, en traversant Strasbourg, côtoyé le cimetière
encore fumant des israéliles de Strasbourg? Et cependant il
était ou se disait le fils du chevaleresque Jean de Luxem-
bourg, qui mourut si noblement pour la France sur le
champ de bataille de Crécy; mais Charles IV était aussi, et
bien certainement, le i)ère de l'ivrogne Wenceslas.
D'un mauvais empereur à un évêque mal famé il n'y a qu'un
pas, quoique Charles IV et Guillaume de Diest soient séparés
par une vingtaine d'années *.
La place de Guillaume de Diest est marquée d'un point
noir dans la série chronologique de nos prélats ; non qu'il ait
été un homme précisément méchant; mais, à force d'être
prodigue des biens de l'évèché , son laisser-aller a produit
des maux incalculables , et appelé sur son nom l'animadver-
sion , comme aurait pu le faire le tyran le plus mal famé.
Quoi qu'il en soit, son caractère a plutôt été rembruni : on a
chai'gé sa mémoire de méfaits plus nombreux qu'il n'en a
commis en réalité. Aussi longtemps qu'on se bornera à blâmer
cet évêque qui nous est venu de la Néerlande, à propos des
dettes infinies qu'il a contractées, des aliénations et des en-
gagements des biens de l'évèché , il faudra bien passer con-
damnation sur son compte ; mais lorsque l'acte d'accusation
porte sur un crime de lèse-pairie, de haute trahison, le de-
voir de l'historien impartial est de défendre sa mémoire
'Charles IV meurt en 1376; Guillaume de Diest est évêque de Strasbourg
de 139b a t4i9.
DIX -HUITIÈME LETTRE. 209
contre cette charge nouvelle, formulée à l'occasion de l'ar-
rivée des Armagnacs , que Guillaume de Diest aurait appelés
en Alsace.
Le fonds épiscopal (dans V Armoire des Chartes) contient un
document officiel, qui ne doit laisser, à ce sujet, aucun doute
dans notre esprit. C'est un traité d'alliance contre ces mêmes
Landes * , traité offensif et défensif , en tète duquel se trouve
le nom de l'évêque Guillaume. — Quoique j'aie publié ce do-
cument , je prends la liberté d'y revenir en passant ; cette con-
fédération occupe dans l'histoire de notre pays une place si
importante, qu'il doit être permis de renouveler le souvenir
de la pancarte de 1439.
Deux mots seulement })our mettre vos lecteurs au courant
de la situation. La Charte allemande, à laquelle je fais allu-
sion, est datée du 5 février 1439; c'est une année néfaste
pour l'Alsace, au moment même où dans l'intérieur de la
France on commençait à respirer après la lutte séculaire avec
les Anglais. Jeanne Darcq venait d'accomplir sa glorieuse et
providentielle mission , tout récemment racontée, rajeunie et
idéalisée par trois historiens éminents qui se sont trouvés à
la hauteur de leur noble tâche ^. Mais ce fut précisément ce.
temps d'arrêt dans la guerre nationale de la France qui allait
être fatal à nos ancêtres alsaciens. Les condottieri français et
anglais se trouvaient désœuvrés ; ils cherchèrent dans d'autres
régions de l'occupation , c'est-à-dire des combats faciles et
du butin. Appelés en Lorraine par l'évêque de Metz contre le
prince de Vaudéraont , les Armagnacs ^ durent être tentés im-
• Celte Charte allemande a été traduite et commentée par l'archiviste.
Strasbourg 1840, in- 8».
-MM. Miclielel, Henri Martin et Vallon.
3 C'étaient dans l'origine les bandes qui , sous le connétable Bernard d'Ar-
magnac, avaient ravagé Paris. On donna plus tard ce surnom indistinctement
à toutes les troupes mercenaires qui manquaient de « travail » et se ruaient
sur les populations inofTensives. En -1439, ils arrivent en Alsace, dirigés par
Jean de Finstiugen ou de Fénétrange; en 1444, c'est le dauphin Louis (XI)
qni les amène dans notre province et en Suisse.
14
210 ARCHTVTS DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
médiatement de descendre dans les riches plaines de l'Al-
sace; un traître, le seigneur de Fénétrange, se chargea de les
y conduire.
LcTsque les premiers bruits de cette invasion projetée par-
vinrent dans la vallée rhénane, la terreur fut extrême; leiFroi
populaire avait démesurément grandi ces pillards insolents ;
on en faisait des démons incarnés , contre lesquels toute ré-
sistance était inutile, et qui traversaient les pays, irrésistibles
comme un incendie qui dévore les hautes herbes ou les arbres
des forêts.
Un cri d'alarme retentit donc de Cologne jusqu'à Bàle ; on
se confédéra sur plusieurs points de la grande vallée ; chez
nous , révêque, si mal famé, se mit à la tête d'une Ugue où
figurent, au nom de la chevalerie d'Alsace, nos deux amis
Jacques et Louis de Lichtenbei^; Massmann (Maximinj de
Rappolstein (Ribeaupierrei ; Henri de Landsperg ; Jean de
Ratzenhusen (Rathsamhauseu) de Tnberg ; Eberhard d'And-
lau ; au nom de Strasbourg, le stettmeister Jean Zorn d'E-
ckerich; au nom de la préfecture de Haguenau ou d'Alsace,
Reinhard de N\-perg; enfin la magistrature de neuf villes im-
périales de notre province. Les noms de tous ces alUés ou
cotraitants sont portés en tête de la convention ; le traité
lui-même, très-long, très-diffus , et un peu fanfaron en face
d'un danger immense que l'on n'était pas en mesure de con-
jurer, le traité rappelle dans un préambule historique les mé-
faits des cEcorcheurs Armiacs», puis indique les principales
mesures adoptées en prévision d'une lutte prochaine, savoir,
la nomination de quatre chefs ou capitaines, qui auraient
à se concerter pour les moyens de défense ; la part contribu-
tive de chacun; le mode de partager le butin et les priwnniers ;
le genre d'assistance que châteaux et villes seront tenus de
prêter à cette figue du bien pubfic, qui devait s'étendre à
toute la surface du pays, depuis Soultz dans le Haut-Rhin
jusqu'à Wissembourg. On fixait la durée de l'alliance à trois
ans; si la ville de Mulhouse, qui ne figurait pas dans le
DIX-HUITIÈME LETTRE. 211
traité , devait être bloquée ou assiégée , elle aussi aurait le
droit d'être secourue, comme faisant partie de la décapole
alsatique.
Je viens d'indiquer en quelques mots les conditions fonda-
mentales de cet acte, dont les intentions étaient excellentes
sans doute, mais qui ne devait remédier à rien. Pour lutter
avec quelques chances de succès contre une armée compacte
de malandrins, il fallait évidemment nommer un chef unique,
absolu, irresponsable, aussi longtemps que durerait le dan-
ger ; il fallait en un mot un dictateur ; au lieu de cette mesure
si simple en apparence, dictée par le bon sens, mais difficile
peut-être à prendre dans un pays morcelé comme l'était la
vallée rhénane, et sous un empereur de la maison de Luxem-
bourg, le caractère allemand se manifeste dans toute sa pri-
mitive originalité : chaque contractant propose et fait rece-
voir son capitaine ; chacun veut se faire , dans roccasion ,
partie prenante ; on partage la peau de Tours avant d'avoir
tué la bête. L'ours descendit en Alsace, au commencement
de mars , par la montée de Saverne , et dévora tout sur son
passage.
Les détails de cette horrible invasion sont connus ' ; je me
perdrais dans les redites , si j'en reproduisais les révoltantes
circonstances ; elles sont au niveau des raffinements de bar-
barie que la guerre de Trente ans a inventés ou renouvelés.
La ligue contre les Armagnacs demeura letti^e morte ; Jacques
de Lichtenberg s'opposa seul , près de la descente de Saverne,
à ces hordes barbares; il fut culbuté prés de Steinbourg, ses
soldats massacrés. Seul de tous les alliés, il avait le droit de
dire : Tout est perdu , fors l'honneur !
A Strasbourg, il y eut une échauffourée hors la porte
Blanche; la milice bourgeoise fut battue par les Ecorcheurs,
et se retira, confuse, dans l'intérieur de la ville , où l'on se
tint prudemment renfermé.
' Yoy. dans le Traité d'alliance contre les Armagnacs, édité par l'arclii-
visle, les p. 9 à i I . — Dans mou Histoire de la Basse-Alsace , p. 130 à 137.
212 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Pendant ce temps, « à peu de distance de la scène du com-
«bat, un homme de génie se livrait dans une solitude pro-
(( fonde à des essais qui allaient changer la face de l'Europe
«morale, intellectuelle et politique. Nouvel Archimède, Jean
«Gutenberg- remuait timidement encore, dans sa retraite, le
«levier de la presse ; tout entier à son œuvre magique, il
«n'entendait ni les gémissements des mourants ni les cris
«féroces des vainqueurs. Le sublime égoïsme des inventeurs
« l'absorbait tout entier ' . . . »
Et pendant que j'écrivais timidement ces lignes (mai 1840),
on préparait dans les murs de ma ville natale les belles fêtes
destinées à inaugurer la statue du grand inventeur ; on orga-
nisait avec une intelligente passion ce piWoresque et original
cortège des métiers, qui rappelait, sous une forme adaptée à
nos mœurs et à nos souvenirs nationaux, les processions
grecques, les Théories d'Athènes, ou les grandes fêtes de
Rome républicaine. A la longue distance de quatre siècles ,
on était en droit de ne saisir, du passé du moyen âge , que le
coté recommandable et brillant; on pouvait se borner à re-
produire les emblèmes de ces fraternelles associations , qui
maintenaient, au moins dans l'intérieur des cités bourgeoises,
l'apparence de l'ordre, de la concorde et d'une existence nor-
male, pendant que la torche des guerres intestines portait le
ravage dans les campagnes ; il était permis , il était néces-
saire de repousser dans l'ombre , bien loin derrière l'image
pensive mais radieuse de Gutenberg, les hideuses figures des
Armagnacs, et les traits du prince- évêque qui a laissé un si
triste renom dans nos annales.
L'armoire des Chartes est remplie , hélas ! de tous ces ar-
rangements onéreux, contractés par Guillaume de Diest à
l'effet de subvenir à ses incessantes prodigalités. Pendant qua-
rante-cinq ans que dura cette inqualifiable administration ,
honnie par prêtres et laïques , nobles et bourgeois , blâmée
' Vov. lo Traité , p. 10.
DIX-IIUITIÈME LETTRE. 21 o
par le Concile de Conslancc lui-mcme qui couvrait encore de
son indulgente protection, dans la personne de Guillaume, le
prêtre et le prince de l'Eglise ; pendant ce demi-siècle, dis-je,
c'est dans nos cartons une suite non interrompue de titres
qui flétrissent par le seul énoncé de leur objet les opérations
de l'évêque de Strasbourg. Le beau patrimoine , si laborieu-
sement amassé par ses prédécesseurs , s'en allait pièce par
pièce. En mettant, bien à tort, l'invasion des Armagnacs sur
le compte de Diest, la légende populaire ne faisait que prêter
au riche. Guillaume III avait perdu en détail ce que les Arma-
gnacs prenaient en masse; lui, il gaspillait; eux, ils dévo-
raient. Je ne me permettrai pas de pousser plus loin ce paral-
lèle. Non-seulement Guillaume de Diest n'était pas sangui-
naire ; je suis sûr que s'il était possible de lire au fond des
cœurs, on trouverait en lui plus d'un côté recommandable et
que ses dissipations profitaient plus à son entourage qu'à lui-
même. Pour sauver sa mémoire, pour racheter ses coupables
faiblesses administratives, j'aurais voulu lui voir, sur la fin
de ses jours , un élan guerrier, une seule étincelle de l'esprit
pétulant de Werinhar de Habsbourg et de Conrad de Lichten-
berg; j'aurais voulu qu'il ceignît comme eux le glaive tem-
porel, et qu'il allât mourir aux pieds des colHnes de Saverne,
au heu de s'éteindre à Molsheim , chargé des imprécations de
son diocèse.
La colère du peuple ne fut pas moins grande contre
Charles IV; on le chansonna , lui et l'évêque; c'était, sous
tous les régimes , le mode populaire de se venger des grands
coupables , placés au-dessus de l'atteinte des lois.
21 i ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
DIX-iVEUVIÈME LETTRE.
Suite du trésor et de l'armoire des Chartes. — l,"abbaye de Horsiiani
en Angleterre. — I-a prévôté €l"Ittenwiller. — E.es comtes de Ki-
bourg, feudataires de févêché. — Armoire lilstori<|ue. — Corres-
pondance liîstorlfiue après la Béforme. — Armoire des droits. —
Armoire de Strasbourg.
Monsieur,
A mesure que j'avance dans l'exploration sommaire de nos
Chartes historiques , chaque fois que je me prépare à fermer
cette partie de mes inventaires , les nombreux documents de
valeur que je laisse en arrière, semblent à mes yeux s'ani-
mer, se personnifier dans les individualités dont ils émanent,
et m'adresser des reproches navrants sur le péché d'omission
que je commets à leur égard, sur cette condamnation à l'oubli
que je prononce , en ne les mentionnant pas plus que s'ils
n'avaient jamais existé. Tous ces seigneurs laïques et ecclé-
siastiques de l'Alsace et des pays limitrophes ou de contrées
plus lointaines , tous les habitants des villes et des riches cor-
porations entre les Vosges et le Rhin m'interpellent d'une voix
dolente : « Nous aussi, nous avons vécu ! »
Hélas ! mes bons, mes vieux amis, que voulez-vous que j'y
fasse?... Vous végéterez dans les registres, vous dormirez
dans les cartons, jusqu'à ce que je trouve le moment oppor-
tun pour vous réveiller, ou que mes successeurs ou d'autres
travailleurs plongent la main dans les liasses qui recèlent vos
noms et qu'ils vous introduisent devant un public phis ou
moins bienveillant, plus ou moins attentif.
En attendant, je suis obligé de vous écarter presque tous,
comme ces ombres importunes qui, dans les fictions des poètes
antiques , viennent assaillir les rares visiteurs , parvenus par
une grâce spéciale dans les régions souterraines.
Ne pouvant pas même résumer le contenu de ces magni-
fiques cartons et obligé , pour en donner une idée approxi-
DIX-NEUVIÈME LETTRE. 215
mativc, de choisir, de ci, de là, quelques exemplaires mar-
qués au coin d'une originalité exceptionnelle, je vais, en ce
moment, vous rendre attentif à une Charte dont le sujet est
étranger à l'Alsace; déjà dans les archives civiles, et récem-
ment à l'occasion des Chartes cariovingiennes, je me suis per-
mis une excursion au delà de nos frontières ^
Le litre remarquable auquel je fais allusion nous transporte
sur le sol de l'Angleterre, dans le comté de Sussex, une ving-
taine d'années à peine après la destruction de la monarchie
saxonne par Guillaume-le-Conquérant. Le trône est occupé
par Henri (l^r) Beauclerc ; le pays est soumis , mais nullement
pacifié ; les barons normands ont froissé les sentiments les
plus intimes de la race conquise; la violence et la fraude ont
activé l'une des plus audacieuses spoHations dont l'histoire
du monde ait gardé la mémoire. Chez quelques-uns de ces
spoliateurs la conscience se réveille, et, ne pouvant ressusci-
ter les victimes, on cherche à calmer la colère divine; car,
dans le silence des nuits , les nouveaux seigneurs entendent
les éclats menaçants d'une voix vengeresse. Plus d'un cou-
vent, plus d'une église ont dû, en Angleterre, pendant le
onzième siècle, leur origine à ces remords que les annales ne
révèlent point, que les Chartes de fondation n'énoncent nul-
lement, mais que l'historien psychologue devine à travers les
réticences d'un texte où figurent seules les donations des biens
affectés aux nouveaux établissements, où retentissent seules
les imprécations contre des spoliateurs futurs. Telle fut, je
me plais à le croire, l'origine de l'abbaye de Horsham , qui
s'élève à une quinzaine de lieues au nord-ouest du fameux
champ de bataille où se décida le sort d'Édouard-le-Confes-
seur et de l'Angleterre saxonne. La création de Ilorsham est
due, d'après notre Charte latine, à Robert, fils de Gauthier,
et à son épouse Sibylle. L'acte se borne à énoncer, à litre de
date, les noms du souverain (Henri) et d'un évêque (Herbert),
' Vov. les ieures 9« et 10^ etc.
216 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
SOUS l'administration duquel le seigneur normand fonde l'ab-
baye en l'honneur de Dieu et de sainte Foy, vierge et martyre
(vers 1110); puis il énuraère les villas, les églises, les ar-
pents de terre, les forêts, les moulins, les dîmes et revenus
qui doivent échoir à la fondation pieuse. Dans ces dénomina-
tions étranges, la langue saxonne n'est pas encore altérée par
la langue du conquérant ; car l'époque de l'invasion est trop
rapprochée , et le rédacteur de la Charte — probablement
quelque moine ou notaire saxon — laisse à ces locahtés nom-
breuses leurs noms primitifs , témoins irrécusables de leur
provenance ^ Et, pour qu'il n'y ait à ce sujet aucun doute,
les noms de quelques anciens propriétaires figurent dans cette
liste ; ce sont les terres d'Edrich , d'Olvard , de Radulf etc.
Rien qu'à épeler ces noms, vous vous sentez transporté, par
la pensée, vers cette époque de transition, burinée sur l'ai-
rain par Augustin Thierry et admirablement dramatisée par
l'illustre auteur d'Ivanhoé.
Comment celte Charte isolée — minute ou copie — relative
à un prieuré anglo-normand, s'est-elle égarée dans notre col-
lection épiscopalc? C'est là une de ces mystérieuses migra-
tions que nous avons déjà signalées à l'occasion deSponheim.
En tout cas, la prescription fait titre de possession, et je ne
pense pas que nous poussions jamais la galanterie, à l'endroit
du Musée britannique , au point d'extrader une pièce qui ap-
porte une agréable variété dans notre fonds épiscopal, et sert
à constater une propriété de l'ancienne abbaye normande de
Sainte-Foy de Couches; car c'est à cette congrégation que
Robert, fils de Gauthier, avait attribué le prieuré de Horsham
avec ses dépendances-.
* Ce sont, par exemple, les églises de Ilorsforda (Ileresford), Richduiia,
Mor, la forêt de Ilaldenesage, la dîme d'Alreluna, de Siibituna , de Refliam,
deForchle, de Cramford etc.
2 Les rapports de Sainte Foy de Sclilesladt, avec Couches sont connus;
peul-êlre est-ce par l'intermédiaire de l'église byzantine de Schlesladl que
nous est parvenu l'acte de fondation de Horsham.
DIX-NEUVTÈME LETTRE. 217
Les donations , les immunités pontificales etc., concédées
à des couvents , surabondent dans le « trésor des Chartes ; »
rien que dans le courant du douzième siècle , je vois figurer
dans la série de nos communautés privilégiées : Bongars
(Baumgarten), Honcourt (Hugshoffen) , Sainte-Walpurge , Sin-
delsberg, Holienbourg, Ittenvviller, Saint-Valentin près Rouf-
fach, Pairis, Truttenhausen, Lutenbach, Altorff... Par oi^i com-
mencer et par où finir?
Dans l'embarras du choix , je m'arrête de préférence aux
localités vers lesquelles des souvenirs d'enfance, de jeunesse
ou de pieuse gratitude m'entraînent.
Au pied des derniers contreforts des Vosges , non loin de
l'abbaye d'Andlau, était située l'ancienne prévôté ou l'église
de Sainte-Christine d'Ittenwiller.Sa fondation remonte à l'an
1137; sa première confirmafion apostolique à 1179; c'est de
la bulle pontificale, émise en faveur du couvent d'Ittenwiller,
que je veux vous entretenir pendant quelques instants*.
Vos lecteurs connaissent déjà le style énergique et pompeux
des bulles d'Alexandre III ; je vous en ai donné , par extrait,
un modèle à l'occasion de l'abbaye d'Eschau". La bulle émise
en faveur d'Ittenwiller, sur la demande de Renaud, supé-
rieur de l'église Sainte-Christine, et sur la proposition du
cardinal-chancelier Albert , est tout aussi remarquable par
l'élévation des pensées et par l'intérêt que nous offrent les
localités énumérées dans la pancarte-privilège. Au nombre
de ces localités figurent les terres allodiales (libres) d'Epfig
(Epiacha), de Stotzheim, de Diebolsheim (Tubelsheim), les
fermes du Hohwald , les églises de Breitenbach et de Holtz-
heim. Douze cardinaux-évêques , prêtres et diacres apposent
leur signature à ce document où semble respirer l'esprit
austère et militant du pontife qui avait humilié le plus puis-
sant et le plus hardi monarque de son époque. «La force
' Voy. une bulle d'Alexandre 111, éditée et conimenléc par l'archivisle du
Ba5-Uliin. Strasbourg 1840, in-S".
2 Yoy. lettre 17^
218 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
de l'équité , » est-il dit dans le préambule , « et la simple rai-
son commandent d'accueillir de justes pétitions, surtout lors-
que le désir des postulants s'appuie sur la piété et se trouve
conforme à la vérité des faits. C'est pourquoi, mes fds bien-
aimés en Jésus-Christ, notre clémence cède à vos justes de-
mandes, et, marchant sur les traces de notre père et notre
prédécesseur, le pape Eugène , de Irès-heureuse mémoire ,
nous accueillons sous la protection de saint Pierre et sous la
nôtre la susdite église , à laquelle vous êtes attachés par les
liens d'un divin servage, et lui prêtons force par le privilège
du présent écrit. »
A la confirmation des propriétés du couvent habité par des
moines Augustins , succèdent les menaces proférées contre
quiconque troublerait les conventuels dans leurs possessions;
à peu de variantes près, les mômes imprécations se retrouvent
dans la Charte d'Eschau. Ces images empruntées à la Bible,
ce glaive suspendu sur les hommes assez osés pour s'attaquer
à une congrégation abritée sous les ailes protectrices du Saint-
Siège, n'étaient pas de vaines figures de rhétorique; dans la
bouche du i)ontife, vainqueur de Frédéric Barberousse, c'é-
taient des moyens de défense qui se transformaient au besoin
en armes réelles. Aussi, la prévôté d'IttenwiUcr, fondée avec
une intention de piété filiale, jouit-elle d'une longue prospé-
rité. C'était, parmi les nombreux couvents d'Alsace, l'un des
mieux partagés pour le site pittoresque et la fertilité des alen-
tours; son origine lui avait porté bonheur*.
Lorsqu'au seizième siècle Ittenv^iller fut réunie à la manse
épiscopale , la belle époque des abbayes est des couvents était
'déjà passée. Pour l'évêché aussi, la vraie période ascendante
avait cessé ; désormais il fallait lutter avec un ennemi sou-
vent égal en forces; les victoires même affaiblissaient le
vainqueur.
* Le chanoine Conrad avait fondé l'église de Saiiite-Clirisline d'IUenwiller
pour le salut de l'âme de ses parents Trutlier el l^ertlia.
DIX-NEUVIÈME LETTRE. 219
Si vous insistiez, Monsieur, pour avoir en rinelques mots
le résumé de ces fonds du trésor et de TArmoire des Chartes,
je dirais qu'ils nous offrent le beau spectacle de cette existence
épiscopale, qui, à partir de Saint-Rémy, ne fait que grandir,
sauf quelques temps d'arrêt plus ou moins longs, sous l'évêque
Gauthier deGeroldseck, ou sous Guillaume de Diest. Au total,
du huitième jusqu'au commencement du seizième siècle, notre
évêché gagne constamment du terrain, soit en luttant, soit
en acquérant par des voies pacifiques, tantôt à Strasbourg,
tantôt en Alsace et au delà de nos frontières. Ainsi une cir-
constance qui n'a pas été suftîsamment appréciée, c'est l'ex-
tension de l'influence de nos évêques dans la partie septen-
trionale de la Suisse.
Je ne veux point, pour en fournir la preuve, remonter une
seconde fois aux temps de l'évêque Werinhar , qui était puis-
sant et respecté en Argovie d'où il sortait, et qui fit élever,
sous son égide, le château historique de Habsbourg. Mais je
prends à l'appui de ma thèse, la donation ou plutôt l'oblation
du château de Kibourg, et de nombreuses locahtés dans les
environs, oblation qui est faite par Hartmann, comte de Ki-
bourg, en faveur de noire évêque Berthold de Teck (1244),
et plus tard en faveur de Henri de Stahleck (4260).
Le château de Kibourg, autrefois le siège de puissants dy-
nastes , est situé dans le canton de Zurich, suruneéminence
isolée, non loin de Winterthur, au milieu de cette contrée
qui n'est pas encore la Suisse alpestre , mais qui réunit à une
nature déjà montagneuse et partou* pittoresque les avantages
des terrains moins élevés que les cantons primitifs. Sous le
roi de Germanie Arnoulphe, un comte de Kibourg, Adalberl
de nom, était landgrave de la Thurgovie. Ses descendants,
après des intermittences de bons et de mauvais jours, avaient
acquis par mariage, au treizième siècle, les comtés de Bade
et de Lenzbourg en Argovie, la seigneurie de Windeck, les
villes de Sempach, Sursee, Zug, Fribourg, Burgdorf, Thoune
sur les bords du lac idylhque de ce nom. Ainsi les seigneurs
220 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
de Kibourg réunissaient sous leur suzeraineté, dès le milieu
du treizième siècle, des terres considérables en Argovie et
Thurgovie, et de nombreuses enclaves, au centre, dans quel-
ques-uns des cantons primitifs.
Hartmann l'aîné, comle de Kibourg, probablement pour
s'appuyer sur un grand seigneur ecclésiastique pendant les
troubles qui allaient commencer avec le déclin des Hohen-
stauffen, Hartmann donne à l'église de Strasbourg en toute
propriété, les villes de Winterthur et de Bade, Usler, Win-
deck, Wandelberg, Schœnnis, Liebenberg , Morsberg, avec
leurs hommes et dépendances; puis il les reçoit, à litre de
fiefs, des mains de l'évèque (25 aYriH244). Ces rapports mu-
tuels de suzerain*et de vassal étaient si bien établis, que,
treize ans plus tard, lorsque Hartmann veut donner un simple
revenu en cire à l'église de la ville de Diessenbofen sur le Rhin,
il recourt à notre évêque et lui demande humblement la per-
mission d'appliquer ces revenus à l'œuvre pieuse. L'évèque
de Strasbourg, bien entendu, ne refuse point ; mais il le pou-
vait puisqu'il a été consulté*. En 12G0 une oblalion de fiefs,
pareille à celle qui avait été faite à l'évcciue Berthold, se
répète en faveur de l'évèque Henri de Stahleck, par le même
comte Hartmann , doht les seigneuries passèrent après sa
mort à une ligne collatérale et plus tard à la maison d'Autriche
qui les engagea au canton de Zurich,
Mais la négociation, de toutes la plus importante pour l'é-
vêché, est celle qui, sous l'évèque Jean de Lichlenberg,
amène l'achat du château de Werde et du landgraviat d'Al-
sace (1359); une série assez considérable de litres constate
* Une supplique adressée on 1257 à l'évt^que de Strasbourg par les frères
Harlmaiin, comtes de Kibourg, tend à faire autoriser Pierre d'Arenenhusen .
leur vassal, à donner au couvent de ïhossa une série de biens silués pour
la plup;irl en ïhurgovie; preuve surégoratoire a l'appui de celte relation de
vassal a suzerain, si bien établie entre les Kibourg et notre évèclié.
Voy. mon Rapport au préfet du Bas-Rhin. Année 1846.
DIX-NEUXIÈME LETTRE. 221
les pourparlers qui ont lieu à cel effet avec les comtes d'Œt-
tingen, et la conclusion de cette affaire majeure.
Résistant à toute tentation ultérieure, je fais décidément
mes adieux au trésor et à l'Armoire des Chartes, pour vous
dire, en passant, quelques mots de «l'Armoire historique» ,
de celle des « droits de l'évêché » et de celle « de Strasbourg » ;
ce sera, je vous en préviens, une vraie course au clocher.
Dans l'Armoire historique on a réuni plus spécialement les
pièces de correspondance du seizième au dix-huitième siècle.
J'ai pu, pendant le cours de mes travaux et explorations dans
les archives , augmenter considérablement ce fonds à l'aide
de lettres qui étaient restées oubliées , entassées dans les
combles.
Les personnes familiarisées avec l'histoire d'Alsace n'igno-
rent pas qu'il y eut , entre la réforme du seizième et la guerre
fratricide du dix-septième siècle , une époque où l'on prélu-
dait à Strasbourg , ainsi qu'à Cologne, et en Allemagne, par
des discussions haineuses , quelquefois par des prises d'armes
partielles à la grande lutte qui , de 1018 ù 1648 , allait ensan-
glanter toute l'Europe centrale.
Cette époque, grosse d'orage, fait, dans notre dépôt, le
sujet de beaucoup de documents qui mériteraient une ana-
lyse spéciale. Nous nous trouvons en face de la querelle entre
l'évêque catholique et les chanoines protestants , qui s'étaient
emparés , à Strasbourg, des hôtels du Bruderhof et du Giirt-
lerhof , sièges du grand-chapitre et du grand chœur de la Ca-
thédrale; toute la lutte entre le cardinal-évêque Charles de
Lorraine et George , margrave de Brandebourgs se déroule
à nos yeux.
Les passions fermentaient à un point inouï ; tous les esprits
sérieux, — je ne rappelle que Lazare de Schwendi — pré-
voyaient un inévitable éclat ; car les souvenirs amers de la
profonde déchirure , opérée dans l'église chrétienne , étaient
trop récents ; on touchait encore par tous les bouts à l'époque
« oîi la ligue et les huguenots en France , Henri VIII en An-
ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
«gleterre, Charles-Quint et les confédérés en Allemagne, les
a petits cantons et les Zwingliens'en Suisse avaient jeté l'épée
« dans la balance de la justice, des droits et des devoirs res-
« peclifs ' . »
Dans la correspondance qui se rapporte à ces temps agités,
figurent tour à tour l'empereur , les évêqucs de Strasbourg ,
les électeurs ecclésiastiques, les membres du grand-chapitre,
les commissaires impériaux, le magistrat de Strasbourg.
En 1588, c'est le baron de Gréhangcs, l'un des dignitaires
du grand-chapitre, qui mande à l'évèque (]ue les chanoines
luthériens se sont opposés à ses opérations dans la collonge
deGeispolsheim ; le comte de Manderscheid raconte au prélat
le pillage du Gûrllerhof ; l'archevêque de Trêves démontre à
l'empereur la nécessité d'une intervention , pour empêcher
la ruine de l'évèché de Strasbourg. En 1590, l'évèque de
Strasbourg cherche de son côté à se disculper auprès du ma-
gistrat de Strasbourg , d'avoir appelé des troupes lorraines à
son secours ; des deux côtés ce sont des violences , des récri-
minations , que les esprits conciliants cherchent encore à ar-
rêter , à étouffer.
Pendant la guerre de Trente ans, l'évèché correspond avec
les généraux amis et ennemis, et avec les commissaires im-
périaux pour aiïaires de contributions forcées; vers i648,
nos correspondances se rapportent à la démolition des forte-
resses alsaciennes , telles que Benfeld , Iloh-Barr , Saverne ;
puis aux négociations suivies à Miinster par M. de Giffen ,
délégué et conseiller épiscopal. Une proclamation d'Ottavio
Piccolomini, duc d'Amalfi, délégué impérial pour l'exécution
du traité de Westphalie, amène devant nous ce général-di-
plomate, si habile, si ambitieux, dont Schiller a immortahsé
le nom et la figure dans sa trilogie de Wallenstein.
Le dix-huitiéme siècle présente une série de pièces rela-
tives aux funérailles des évêques ; il8i marque par une rela-
* Voy. mon Rapport au préfet du Bas-Iihin. Année 1846.
DIX-NEUVIÈME LETTRE. 223
tion des fêtes séculaires destinées à célébrer la réunion de
Slrasbourg- à la France.
Je m'aperçois très-Lien, Monsieur, que j'emprunte des
notes à une lable de matières; mais le simple énoncé de ces
faits historiques parle, je pense, en faveur de ces citations et
indique la richesse de ces séries.
Dans l'Armoire «des droits )) , il est question de la juridic-
tion civile et criminelle de l'évêché. Les charges et les offices
. sont réglementés; tous les appointements de la maison épis-
copale se trouvent fixés depuis le grand-maréchal de la cour
jusqu'aux architectes, forestiers, secrétaires, tailleurs, pê-
cheurs, gardes et bedeaux.
Les impositions et les corvées, le débit du sel et du fer, la
monnaie, les mines, les foires et les marchés etc. forment
autant de série» , dont la simple indication commence à dépas-
ser la limite de cette lettre.
Quant aux Israélites, les règlements qui les concernent sont
ou vexatoires ou timidement protecteurs. Le cardinal-évêque
de Fiirstenherg, à la fin du dix-septième siècle, les couvre de
son autorité et leur promet la confirmation de leurs privilèges.
En 1736, un décret prononce une amende contre ceux qui
injurient les juifs. Nous savons que ces mesures partielles,
bien insufiîsantes, n'étaient que le préambule de la grande
mesure réparatrice de la fin du siècle.
«L'Armoire de Strasbourg» comprend les rapports de l'é-
vêque avec la ville, les hôpitaux, les églises, et plus spécia-
lement les affaires de la douane (Zollkeller) et du Stockfiericlit
(tribunal criminel). Dans plusieurs de ces rubriques, les in-
terminables discussions entre l'autorité épiscopale et la mu-
nicipaUté frappent les yeux de qui parcourt ces dossiers. Une
série de traités entre l'évêque et la ville prouvent qu'en fait
de juridiction les deux partis cherchaient à se garantir, cha-
cun de son côté, et les lettres impériales qui défendent de
rien entreprendre contre la juridiction de l'évêque, prouvent
que les mesures d'en haut étaient nécessaires pour abriter
224 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
le prélat contre les envahissements de la cité bourgeoise.
Dans le carton intitulé « Palais épiscopal » , on trouve des
litres relatifs à diverses maisons peu à peu acquises par l'é-
vêché. En 1295, Ellenhart, le procureur de l'Œuvre-Nolre-
Dame, donne à cette fondation antique une maison sise sur
le Frohnhof, probablement celle qui sert encore aujourd'hui
à l'Œuvre- Notre-Dame et qui offre, dans son escalier tour-
nant, l'un des plus gracieux monuments de la renaissance.
« La pêche clans la Bruches est aussi réglementée ; les pièces
constatent que l'évêque avait le droit de pêche dans la rivière,
à partir de l'église de Saint-Thomas jusqu'à celle de Saint-
Etienne.
Le dix-huilième siècle offre, dans cette Armoire de Stras-
bourg , des états de population et des règlements de police sur
la taxe des fiacres, le commerce d'or et d'argent, la quincail-
lerie, les incendies, les jeux etc.
J'ai commencé, dans cette lettre, par une Charte anglo-
normande, et je finis par des affaires de police dans notre cité
natale , après avoir touché à plusieurs points de l'histoire suisse
et de l'histoire civile et ecclésiastique d'Alsace; à défaut
d'autre intérêt , vous avez pu y trouver la preuve nouvelle
que les matériaux les plus variés ne feraient point défaut à de
plus longs entretiens.
Je vous invite maintenant à parcourir avec moi «les fiefs»
del'évêché; ils nous fourniront un sujet historique majeur,
que je n'ai pas cru devoir passer sous silence: l'arrivée en
Alsace d'une archiduchesse autrichienne, fiancée, épouse et
veuve de l'un de nos rois.
VINGTIÈME LETTRE. 225
LETTRE VINGTIEME.
Fonds des flcfs de l'évêehé de Strasbourg. — Correspondance cpis-
oopale lie la seconde moitié du seizième siècle, au sujet ilu double
passage, en .%isace, d'Klisabetli «l'Autriche, épouse de Charles IX,
roi tie France. — Portrait d'Elisabeth. — l,es feudataires de l'évcque.
— liazare de Schwendl. — liCS conseillers de l'évcque.
Monsieur,
A deux reprises déjà nous nous sommes trouvés en face
des familles nobles de l'Alsace ; dans le fonds de l'Inlendance
d'abord, et plus récemment dans celui du Directoire de la
noblesse. Les fiefs de l'évêehé nous ramènent encore vers nos
anciens dynastes et vers les grandes existences qui se sont
formées dans les siècles plus rapprochés du nôtre. L'aristo^
cratie alsacienne presque tout entière relevait de l'évêque de
Strasbourg ; une formidable série de lettres d'investitures et
de réversales avec titres généalogiques ou historiques à l'ap-
pui des réclamations de fiefs constitue ce sous-fonds ; nous
allons y toucher, incidemment, tout à l'heure; cette phalange
imposante de feudataires épiscopaux vaut bien un temps d'ar-
rêt passager, ne serait-ce que pour remémorer une fois de
plus quelques-uns de ces noms indigènes, qui nous sont
presqu'aussi chers que l'étaient aux Romains les noms de
leurs vieux magistrats républicains, de leurs consuls et de
leurs dictateurs. Ils ont, pour nous, le goût du terroir; cela
répond à tout reproche de passion aveugle ou de prédilection
injustifiable que l'on pourrait nous adresser. Permettez-moi
de le répéter ici, le souvenir de nos chevaliers et de leurs
descendants se rattache pour nous aux tours et aux voûtes ef-
fondrées des ruines historiques , dont les assises de grès ou
de granit sont le plus bel ornement de nos Vosges. La brise
embaumée de la montagne, lèvent qui s'engouffre dans les
sapins, les torrents dans les vallées^ toutes ces inexphcables
15
226 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
et mystérieuses voix des grandes solitudes nous parlent des
«hommes d'acier» d'autrefois. Qu'ils aient été souvent en lutte
avec nos ancêtres , les bourgeois des villes , et avec les labou-
reurs des campagnes, qu'ils n'aient pas toujours été des mo-
dèles de désintéressement et de vertu , peu importe mainte-
nant; la distance idéalise tout, le bien et le mal; elle enve-
loppe d'un demi-jour magique ces «maisons», qui ont rempli
nos annales le plus souvent du bruit de leurs discussions, et
du bruit de leur chute; car il en est peu (jui subsistent, et ce
petit nombre même est amoindri dans son existence, mêlé à
la grande famille nationale, et ne relève plus de l'évêque, de
l'empereur d'Allemagne ou du roi de France, mais du Code
civil, comme les autres mortels.
Dans celte armoire des ficfs, réceptacle d'une masse d'arbres
généalogiques maintenant déracinés, on a conservé une liasse
de correspondance qui, de fait, aurait dû tiouvcr place dans
l'Armoire historique. Je n'ai pas voulu donner tort à mes pré-
décesseurs, en déplaçant les titres auxquels je fais allusion.
Ce sont, pour la plupart, des lettres adressées par l'évêque
Jean de Manderscheid à ses feudataires et les réponses de ces
nobles vassaux. Il s'agissait, en 4570, de former cortège à la
fille de l'empereur Maximilien II, à l'archiduchesse Elisa-
beth, qui allait traverser une partie de l'Alsace pour épouser
Charles IX, le jeune roi de France; et cinq ans plus tard, il
fallait, une fois de plus, accompagner la même princesse,
déjà veuve, au moment de son retour en Allemagne. A pre-
mière vue, une pareille correspondance semble offrir peu
d'intérêt : après un examen plus sérieux elle fournit au con-
traire des données sur les principales familles alsaciennes, et
sur des personnages historiques très-considérables de la se-
conde moitié du seizième siècle.
En premier lieu , qui était cette Elisabeth d'Autriche , pour
laquelle l'évêque allait mettre en mouvement le ban et l'ar-
rière-ban de ses vassaux?
La fiancée de Charles IX qui traverse l'Alsace en 1570 et en
VINGTIÈME LETTRE. 227
1575, est une mélancolique figure qui n'apparaît qu'un mo-
ment sur le théâtre du monde, et qui expie, volontairement,
sous le ciliée, sa royauté d'un jour ^
Cent vingt-six lettres, échangées entre l'cvêque de Stras-
bourg-, ses vassaux, la Cour impériale et quelques dignitaires
de l'Empire, nous initient dans les préparatifs et les incidents
de ces deux voyages princiers.
Comme sa belle-sœur Marie Stuart, épouse de François II,
Elisabeth , la fille de Maximilien II ne fait aussi qu'une courte
apparition en France; elle y arrive dix-huit mois avant la
Saint-Barthélémy, et repart trois ans après ce terrible coup
d'État, n'emportant de Paris et du Louvre que les tableaux
déchirants de la guerre civile, à peine un avant-goût des joies
maternelles, et le souvenir d'un bonheur conjugal très-dou-
teux. Charles IX parait avoir été plein d'égards pour sa jeune
épouse, qui avait à peine seize ans au moment de son arrivée
en France, et qui donnait, dans une cour voluptueuse et
cruelle, l'exemple d'une pureté angélique, d'une douce et sé-
vère piété. Pendant que son mari était livré aux tortures d'une
lente agonie, Elisabeth fut écartée de ce lit de douleur, pro-
bablement par ordre de sa belle-mère; elle devait se sentir
entourée d'ennemis et d'indifférents; aussi, à peine veuve,
fit-elle demander un asile à son père Maximilien , qui se hâta
à son tour de réclamer l'extradition de sa fille.
Les princesses allemandes, mariées à des souverains fran-
çais, ont eu, à partir du quatorzième siècle, de singulières
destinées. Le sort d'EHsabelh d'Autriche, sans aboutir à une
catastrophe personnelle, est tragique cependant; jugez quelle
impression ont dû produire sur cette organisation délicate les
effroyables scènes de la nuit du 24 août 1572! Dans ces si-
nistres moments , Elisabeth était sur le point de devenir mère ;
' Voy., pour plus de détails, une monographie de l'arcliivisle du Bas-Rhin :
Deux voyages d'Elisabeth d'Autriche , épouse de Charles IX, roi de Fiança,
correspondance inédite du seizième siècle. Cohiiar 1855, 2 cahiers in-8".
ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
sa fille, née à peine trois mois après cette catastrophe, ne
vécut point; et la mère, rendue à sa liberté, c'est-à-dire, de
retour à Vienne, se hâta de fonder des maisons religieuses et
de s'enfermer dans l'un de ces asiles. La veuve de Charles IX
prenait évidemment ce grand parti parce qu'elle avait le cœur
brisé, l'imagination frappée; elle était jeune, fille d'un grand
prince, pelite-fille de Charles-Quint, demandée en mariage
par Philippe II d'Espagne et par don Sébastien de Portugal.
Mais pour elle, tout était fini ; il est des ébranlements dont les
natures frêles ne se relèvent point; elle avait été plus mal-
heureuse sur le trône que la dernière paysanne dans une chau-
mière; elle se refusa résolument à rattacher son existence à
celle d'un roi.
Pendant seize à dix-sept ans elle vécut d'œuvres pieuses et
s'éteignit, en silence, âgée de trente-sept ans.
Dans la correspondance qui va nous occuper pendant quel-
ques instants, une seule pièce émane de la jeune reine de
France ; c'est une lettre de recommandation , adressée le 13 no-
vembre 1570, en langue latine, à Jean de Manderscheid ,
évêque de Strasbourg. Puis-je me permettre de la transcrire
en entier?..,.
«Une certaine Marie Kisin * nous a humblement exposé,
«que son mari était retenu en prison à Strasbourg, qu'elle-
« même avait été évincée de tous ses biens et exilée de sa pa-
«trie, enfin qu'elle était privée de tout secours et n'espérait
«plus qu'en l'assistance divine et en la nôtre, ainsi que Votre
«Grandeur pourra s'en assurer plus amplement dans la sup-
«plique de cette femme. C'est pourquoi. Votre Grandeur étant
«le chef spirituel de la ville en question, nous avons voulu
«vous recommander particulièrement la suppliante, son mari
«et ses intérêts et réclamer vivement et gracieusement de
«Votre Grandeur, qu'elle daignât s'apphquer avec zèle auprès
' Mavie Kiss.
VINGTIÈME LETTRE. 229
((de qui de droit, pour Yiue son mari soit libéré, par égard
«pour nous, et que cetlc malheureuse femme soit sans délai
«réintégrée dans la jouissance de ses biens et du sol natal.
« Quoique nous sachions que Votre Grandeur a constamment
«été zélée pour le service de toute notre famille, nous aurons
«fait l'épreuve de votre dévouement particulier pour nous-
«méme, si Votre Grandeur veut bien mener cette affaire à
«bonne fin comme nous sommes portés à le croire. »
Ainsi la seule et unique fois que la princesse autrichienne
apparaît dans cette collection de lettres écrites à l'occasion de
son voyage, elle se montre intercédant pour le malheur. Cette
pétition royale, quelque brève qu'elle soit, peut aider à sou-
lever le voile derrière lequel se cache la mallieureuse épouse
de Charles IX ; il est permis de deviner une âme compatissante
dans ce caractère humble et modeste, écrasé à la cour de
France et sur la scène de l'histoire par la sinistre figure de
Catherine de Médicis.
Lors de ce premier passage de la reine, sa route était tra-
cée de Spire sur Saverne, et de là sur Luxembourg et Mé-
zières. La lettre qu'elle écrit à l'évêque est datée de Sarregue-
mines. Lorsqu'elle revient de Paris, c'est à Nancy qu'elle est
reçue par le cortège allemand au sein duquel se trouva l'é-
vêque de Strasbourg et un prince bavarois. On repasse par
Saverne , et de là on se dirige par Colmar sur Bàle , où l'on
arrive dans les premiers jours de 1576. Colmar fut donc l'une
des dernières étapes de la 'reine sur la rive gauche du Rhin,
Ce second voyage de la princesse autrichienne à travers notre
pays m'a rappelé celui de Joséphine de Saxe , qui traverse en
1810 le chef-lieu du Haut-Rhin, pour aller en Espagne, au
devant d'une union peu désirable et d'une mort prématurée.
Elle avait le pressentiment de sa triste destinée; on sut, à
Colmar, qu'elle avait écrit beaucoup de lettres d'adieu à ses
amis de Dresde, et qu'elle avait versé d'abondantes larmes,
en apprenant que c'était sa dernière couchée dans un pays où
230 ■ ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
l'on parle encore la langue allemande. Elle récompensa roya
lement un pauvre joueur d'orgue, qui avait fait entendre,
sous les fenêtres de son hôtel , un air qu'elle semblait affec-
tionner et qui lui rappelait, pour la dernière fois peut-être ,
les souvenirs poignants du sol natal.
Je doute fort que la veuve de Charles IX , en touchant chez
nous aux terres de l'empire, ait pu faire la moindre largesse ;
en France , le désordre régnait dans les finances comme dans
les esprits et les cœurs; on avait discuté, marchandé pendant
plus d'un an le pauvre douaire d'Elisabeth d'Autriche ; cette
détresse financière avait retardé son départ de la cour de
Henri III ; il lui restait tout juste l'obole de la veuve pour
payer son voyage.
La noblesse d'Alsace ne s'était pas non plus montrée fort
empressée à faire cortège à cette grandeur déchue; les temps
étaient de plus en plus mauvais; le pays, dévasté tantôt par
les bandes lorraines, tantôt par des bandes suisses ou alle-
mandes. Lorsque Jean de Manderscheid adressa en 1570 ses
circulaires à ses grands vassaux, pour les prier de se trouver
sur le passage de la fiancée royale, il avait déjà essuyé quel-
ques refus ; mais cette altitude froide de notre noblesse se
dessina bien plus nettement en 1575 et 1576.
C'est chose curieuse que de parcourir à ce point de vue la
correspondance qui nous occupe : on a recours à tous les pré-
textes , à tous les faux-fuyants possibles pour esquiver une
corvée qui ne peut plus rapporter ni honneur ni profit. Voyons
le contenu de quelques-unes de ces lettres d'excuse :
Le 11 décembre 1575, Frédéric de Sickingen écrit de Hoh-
kœnigsbourg qu'il est déjà invité et mandé pour la même
époque et dans le même but par Ferdinand, archiduc d'Au-
triche, et que son frère, Schweickart de Sickingen, résidant à
vingt-huit milles de distance, ne peut plus se rendre à temps
à la destination voulue. Laissons passer ces deux descendants
de François de Sickingen; nous les tenons pour valablement
dispensés.
VINGTIÈME LETTRE. 231
A la date du môme jour, Jean-Louis Surger de Mutzig écrit
à l'évêque que depuis trois ans il n'a ni chevaux ni valets, et
ne peut s'en procurer dans le court espace de temps alloué
pour les préparatifs.
Reinbold Wetzel de Marsilien écrit de Jebsheim qu'il est
obligé de se rendre pour affaire d'héritage à Haguenau. Quant
à celui-ci, l'évêque insiste, et lui prescrit de se trouver à
Molsheim le 20 décembre.
Le bailli d'Ettenheim, Bernard de Kageneck, s'excuse à la
date du 15 décembre; il a un rhumatisme au bras gauche, et
il est obligé de se tenir chaudement. Puis le greffier du bail-
liage est surchargé de comptes à l'approche de Noël; et lui, le
bailli, il a un énorme arriéré à régler. L'évêque s'impatiente,
il insiste; il se méfie de ce rhumatisme venu, tout à point,
au bras gauche du bailli.
Jacques de Berne écrit au prélat pour lui annoncer la mort
de son beau-frère , Jodocus Iloldermann de Holderstein —
vrai nom de vaudeville burlesque • — il est occupé du partage
de cette fortune.
Ebermann Holdermann de Holderstein s'abrite derrière la
perte qu'il vient d'éprouver dans la personne de son frère Jo-
docus. Auprès de lui, l'évêque, bien entendu, se garde d'in-
sister, mais il gourmande son bailli paresseux, Jacques de
Berne, et lui enjoint de venir.
Jean-Jacques Holtzapfel de Herxheim vient d'être blessé au
bras par son cheval. L'évêque lui répond que le voyage de la
reine douairière de France est un peu retardé; il espère bien
que la plaie du sieur Holtzapfel guérira, et persiste à donner
rendez-vous à ce personnage à Molsheim.
Le jeune Walraff de Zuckmantel , en résidence à Strasbourg,
où il fait ses études, «s'apprête à partir pour la Bourgogne ou
«pour l'Italie, où il compte apprendre les langues étrangères;
«il a déjà vendu ses chevaux. Grande est sa désolation de ne
«pouvoir en racheter d'autres; si Sa Grandeur avait daigné le
«prévenir quinze jours plus tôt, il n'aurait pas manqué au
232 ARCnfvES départementales du BAS-RHIN.
« rendez-vous ; car il aurait eu grande envie de faire ce plai-
«sant voyage. » Peut-être cette lettre a-t-elle été écrite en toute
sincérité par le jeune philologue; mais, quoi qu'il en soit, il
va manquer au cortège.
Si les feudataires s'excusent auprès de l'évêque, celui-ci,
de son côté , donne des instructions significatives à ses délé-
gués auprès du duc Guillaume de Bavière , neveu de l'empe-
reur Ferdinand I^r, qui a été chargé par l'empereur Maximi-
lien II d'aller recevoir sa fille à Nancy des mains des seigneurs
français. L'évêque ne tenait évidemment point à recevoir l'am-
bassadeur impérial lors de son passage à Saverne; une mala-
die pestilentielle régnait dans cette résidence épiscopale; le
trésor était vide; un campement de dix-huit compagnies suisses
se trouvait dans le bailliage de Dachstein. Ces embarras réels,
peut-être un peu exagérés, déterminent Jean deMandcrscheid,
non pas à manquer complètement à ses devoirs qui l'obHgent
d'aller à Nancy, mais du moins à esquiver la partie la plus
onéreuse de la mission dont l'empereur l'a chargé. Cinq ans
auparavant, Jean de Manderscheid s'était déjà jeté dans de
fortes dépenses, à l'occasion du premier passage de la reine;
il avait longtemps séjourné à Spire pour y attendre l'arrivée
d'Elisabeth, et y avait tenu maison ouverte. Une feuille de la
correspondance détaille le menu des provisions en gibier et
en charcuterie qu'il a fait venir de Saverne. Il mettait en pra-
tique, deux siècles et demi à l'avance, le vers du poëte :
Et c'est par les dîners qu'on gouverne les hommes.
Cependant, quoi qu'en pense le spirituel auteur de V Alsace
à table, l'évêque Jean de Manderscheid se bornait à faire dîner
ses hôtes, et lorsqu'il reçut les députés du magistrat de Stras-
bourg dans le palais épiscopal de Saverne*, il dut éprouver
un malicieux plaisir à voir l'intempérance des bourgeois' de la
ville infidèle. Les caractères trempés comme celui de Jean de
1 Voy. la Revue d'Alsace , novembre 1860.
VINGTIÈME LETTRE. 233
Manderscheid veillent sur eux-mêmes; les hommes de celte
nature boivent et rient du bout des lèvres; ils apprennent à
se contenir avant de se mêler de la direction d'aulrui.
Dans cette correspondance de la seconde moitié du seizième
siècle nous lisons bien d'autres noms encore que ceux des feu-
dalaires royaux. Surtout au début de cette longue négociation
occasionnée par le voyage d'Elisabeth d'Autriche, plusieurs
membres de la famille impériale et l'empereur lui-même ap-
paraissent un instant sur la scène; parmi les conseillers im-
périaux qui prennent part à ces débats préliminaires, nous
trouvons en première ligne le général Lazare de Scliwendi, l'un
des caractères les plus originaux de cette époque si riche en
caractères hardiment dessinés. Il appartient plus spécialement
à l'histoire d'Alsace comme seigneur engagiste de Kaysersberg
et comme seigneur du chàteau-fort de Ilohenlandsperg, qui
domine la plaine de Colmar. En 1570, il avait, depuis quelque
temps déjà, quitté la carrière des armes, et ne figurait plus
que dans les affaires diplomatiques. Comme son maître Maxi-
milien II, c'était un caractère conciliant et, de plus, un es-
prit vraiment prophétique. Il prévoyait, un demi-siècle à l'a-
vance, l'inévitable lutte entre les deux cultes. Dès 1574, c'est-
à-dire une année avant le retour d'Elisabeth d'Autriche, il
représentait à l'empereur à quel point les cruels procédés de
Phihppe II vis-à-vis de ses sujets des Pays-Bas devaient rem-
plir d'épouvante et exaspérer les Allemands. Pendant la Diète
de Ratisbonne en 1576, peu de temps avant la mort de Maxi-
mihen, il recommandait aux protestants la fermeté pour le
maintien complet des articles de la paix de religion. Mais déjà
les chances tournaient contre la conciliation ; triste et dégoûté
des affaires, le chevalier sans peur, mais pas tout à fait sans
reproche, alla mourir dans sa seigneurie à l'âge de soixante-
deux ans. Il y avait dans cette belle vie une seule tache,
l'abandon d'un ami, Gaspard Vogelsberger, coupable de lèse-
majesté; Lazare de Schwendi l'arrêta lui-même au nom de
Charles-Quint, et le fit transférer de Wissembourg à Augs-
234 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
bourg, OÙ une exécution capitale trancha les jours de ce
malheureux.
• J'en reviens à notre correspondance. Dans les actes préli-
minaires à l'arrivée d'Elisabeth, figurent deux conseillers
épiscopaux, Othon de Soultz et Conrad Pfeilstiicker ; ils sont
accrédités par Jean de Manderscheid à Spire, et se trouvent
en rapports fréquents avec Lazare de Schwendi. Leurs noms
reviennent à plusieurs reprises dans notre correspondance.
J'ai trouvé celui de Pfeilstiicker dans bien d'autres papiers
du fonds épiscopal. Il est permis, il est bon de rappeler quel-
quefois des services obscurs; ces hommes occupent une place
honorable; ce sont des existences de la nature de celle du re-
ceveur général Emmerich Ritter *.
Quant à la correspondance, à travers laquelle je vous fais
circuler, à peine si j'ai pu en indiquer le caractère général.
Et la forme de ces lettres, il n'y a que du mal à en dire:
c'est une absence totale de style; c'est une diffusion, une
prolixité, une incohérence inqualifiable de langage et de pen-
sée! Un lecteur du dix-neuvième siècle a peine à s'y habituer;
pourtant la plupart de ces missives émanent de personnes
considérables et sont adressées à des individuahtés distinguées.
On dirait que le désordre du temps se reflète dans le peu de
soin qu'on prend à faciliter au destinataire le travail de la
lecture. En donnant l'analyse et en partie la traduction de ces
pièces, j'ai constamment été obligé de venir en aide à l'insuf-
fisance de l'expression et du syllogisme; enfin, la calligraphie
de l'époque est au niveau de la rédaction.
En dépit de cette critique, j'ai trouvé une certaine jouis-
sance à vivre pendant quelque temps dans une espèce d'inti-
mité avec nos familles nobiliaires, dont quelques-unes, à
cette époque déjà, semblent être passablement déchues ou
ruinées par les troubles prolongés, puisqu'elles sont ou se
disent incapables de réunir quelques chevaux et quelques
' Voy. leUre troisième.
VINGTIÈME LETTRE. 235
écus. Les premières circulaires de l'évèquc s'adressent aux
seigneurs les plus haut placés, aux Wurmser, Berckheim,
Landsderg, Miillenheim, Weilersheim, Berstett, d'Andlau etc.
Une lettre spéciale invite Bernard de Lûtzelbourg à venir au
rendez-vous; ce seigneur, dont l'arbre généalogique remonte
au commencement du treizième siècle, relevait aussi de la
Lorraine, et il est connu pour avoir joué im assez méchant
rôle, un rôle de violence, dans l'histoire de l'abbaye de ]\lar-
moulier. A son sujet, l'évoque se voit obligé d'entrer en
négociation avec Charles-le-Grand, duc de Lorraine, celui
que Catherine de Médicis songeait un instant à faire roi de
France, au détriment des Bourbons et des Guise. Vous voyez,
Monsieur, que notre liasse touche à beaucoup de noms et de
choses; je crois avoir observé dans mes citations une extrême
réserve; et, pourtant il se peut que je me trompe, et qu'à
l'exception de la douce et timide reine , dont nous avons
entrevu le profil , vous m'auriez fait grâce des autres person-
nages qui ont joué un rôle dans cet intermède tragi-comique
des deux voyages princiers.
— »®ç&s.<—
236 AFxCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
LETTRE VINGT ET UNIEME.
Armoire des affaires ecclésiastiques. Son contenu. Rapport de l'érê
elle avec les établissements reli$!;ieux de TAlsace. — Etendue de
ce sous-fonds. — Correspondance de l'évéque Krasme. — Marie
I/Cczynska. — Kl'architecte Ileckler. — tes seigneurs de Kolbs-
helni en lutte avec le ^rand-chapitre : invasion nocturne de Kolbs-
heim. — Protestation des cliapitres intra-muros contre la Réforme.
— lia chapelle île lu Robcrtsau. — l,es dernières abbesses de
Hohenbourg.
Monsieur,
Ne craignez point, en lisant le litre d'Armoire des affaires
ecclésiastiques, que je me prépare à vous faire un cours de
droit-canon ou d'histoire ecclésiastique ; j'en suis parfaite-
ment incapable ; les vingt mille titres du sous-fonds, qui vont
nous occuper pendant quelques instants, renferment d'ail-
leurs tout autre chose. Mes prédécesseurs ont fait entrer
dans celte série singuhèrement élastique tout ce qui , de loin
ou de près, touche aux questions de juridiction, de privi-
lèges, de règlements, d'inspections, de droits honorifiques,
d'affaires de testament. Dans ces nombreux cartons, l'explo-
rateur passe en revue le grand monde des dignitaires et des
juges ecclésiastiques; on y voit apparaître tour à tour les
suiï'ragants de l'évèque, les archidiacres, les grands prévôts,
les doyens, les custodes, les écolâtres, l'ofïiciaUté ou le tri-
bunal épiscopal et ses membres, en un mot tous les officiers
créés pour entourer d'une pompe plus grande les princes de
rÉglise et pour régulariser, par la division des travaux , l'ad-
ministration d'un ensemble aussi vaste que l'est celui d'une
église épiscopale.
«En voyant de près cette puissante organisation, qui a
«défié tant de siècles, je ne puis jamais me défendre d'un
«mouvement d'admiration, qui ne sera point suspect sur mes
VINGT ET UNIÈME LETTRE. 237
«lèvres. La réforme a simplifié ce rouage; elle a coupé le
«superflu et uu peu rogné le nécessaire; si elle a, par là,
«donné satisfaction à une tendance légitime de l'esprit liu-
«main, cela ne saurait empêcher de rendre justice à l'esprit
«d'ordre et de prévoyance, qui a présidé aux arrangements
«intérieurs dans les grandes œuvres de l'église catholique, et
«qui a su absorber dans le sein de la société spirituelle une
«foule d'ambitions, dont l'inquiète activité aurait peut-être
«troublé le monde à contre-temps, et entravé son progrès en
«voulant le hâter '.»
Mais indépendamment de ce rouage compliqué que l'on
voit fonctionner avec une grande précision, il y a, dans le
sous-fonds des affaires ecclésiastiques, un autre genre d'in-
térêt; on est à l'avance introduit dans l'intérieur de toutes les
communautés religieuses, avec lesquelles l'évêque se trouve
en rapport d'affaires; à l'avance on est familiarisé avec les
nombreux établissements, chapitres, abbayes, couvents, avec
les ordres religieux mihtaires, tels que l'ordre teutonique et
l'ordre de Saint-Jean, qui, dans notre immense collection,
sont représentés à leur tour par des fonds spéciaux. En sup-
posant que toutes les collections de documents qui consti-
tuaient, avant la Révolution de 1789, les archives particulières
de chacun de ces établissements, eussent péri, ou n'eussent
point été délivrées au dépôt départemental, ce qui fort heu-
reusement n'est pas le cas, nous arriverions encore, avec ce
résidu de correspondances, de titres de fondation, de titres
de propriété de toute nature, conservé dans cette Armoire
ecclésiastique de l'évêché, nous arriverions, dis-je, à re-
constituer quelques fragments d'histoire de chaque chapitre,
de chaque abbaye, de chaque couvent, de chaque église.
Il n'y a point eu, à Strasbourg et en Alsace, d'église, de
terre, de communauté d'hommes et de femmes, de chapitre
* Voy. mon rapport au préfet du Bas-Rliin, de ^848.
238 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
noble, de maison religieuse quelconque , dont l'évêque ne se
soit occupé et qui n'ait laissé des traces dans la collection
épiscopale. En parcourant les montagnes, la plaine, les bords
du Rhin, l'intérieur des villes et des bourgs, en frappant à la
porte des cloîtres, des presbytères, des basiliques, vous n'en
trouverez guère qui n'ait eu quelque place dans le fonds de
l'évêché. Il est évident que toutes les questions de discipline
et d'intérêt ressortissaient, pour examen , décision ou conseil ,
à l'administration diocésaine; que des titres, à l'appui des
suppliques, étaient fournis, soit en original, soit en copie,
et composaient ainsi , peu à peu , par une agglomération
inévitable, une série de dossiers, qui souvent peuvent servir
à contrôler les documents primitifs attachés aux fonds spé-
ciaux.
Mais l'évêché, c'est-à-dire la régence épiscopale et l'officia-
lilé, n'étaient pas seulement en rapport avec tous les établis-
sements religieux, depuis le grand-chapitre jusqu'à la der-
nière confrérie et chapelle du diocèse; ils avaient des affaires
ecclésiastiques et disciplinaires, des questions d'intérêt gé-
néral et d'intérêt mondain à traiter avec les bailliages épisco-
paux et avec les localités qui ne relevaient point de l'autorité
diocésaine (lieux forains). Autre source de correspondances
et d'accumulation de titres de toute nature ! Le cabinet de
l'évoque lui-même avait ses relations spéciales et confiden-
tielles qui s'étendaient bien au delà de son diocèse , bien au
delà de notre pays. Voyez donc, comme notre horizon s'élar-
git, s'agrandit !
Lorsqu'on laisse errer ses yeux dans ces avenues de dos-
siers , on épouvc une impression pareille à celle d'un visiteur
dans une vaste galerie de tableaux; avec cette différence, que
dans un musée, les contours et les couleurs présentent des
images matérielles palpables, tandis qu'en feuilletant rapide-
ment les cartons ou les pages d'un inventaire , vous ne tra-
versez que des abstractions; durant ce fatigant examen, un
nom chasse l'autre; il ne reste dans notre mémoire qu'un
VINGT ET UNIÈME LETTRE. 239
chaos, OÙ se dessinent quelques formes indécises. Je cherche
à en fixer quelques-unes, sans vous initier davantage dans les
fatigues ou les ennuis du métier.
Parmi les pièces de correspondance qui ont un caractère
historique, je citerai celles de l'évêque Erasme qui assiste au
concile de Trente, où s'est consommée la séparation des deux
éghses rivales; au surplus, ces lettres adressées à des offi-
ciers de notre évêché et à d'autres prélats ne touchent guère
à des questions d'un intérêt général.
Parmi les imprimés se trouvent des lettres-circulaires adres-
sées par Louis XV à l'évoque de Strasbourg-, pour lui annon-
cer la mort de la reine Marie Leczynska et pour demander des
prières publiques. Rappelons-nous que la reine qui venait
d'expirer avait quitté, le cœur plein d'espoir, la modeste de-
meure de son père Stanislas , qui vivait obscurément , roi dé-
trôné, dans une petite ville d'Alsace. Au milieu des ennuis de
la royauté et aux côtés d'un époux libertin avec effronterie ,
Marie Leczynska, plus d'une fois sans doute, a regretté
l'humble mais élégant asile au pied des remparts de Wissem-
bourg-, non loin de cette belle église abbatiale de Saint-Pierre
et Saint-Paul, où elle allait prier Dieu pour le salut et la con-
solation de son père. Singulier aveuglement de nos pensées !
Si Marie Leczynska était morte jeune dans ce séjour calme où
l'on respirait quelque chose de la paix du vieux cloître méro-
vingien, personne qui n'eût plaint le sort de cette fille de roi
succombant dans les douleurs de l'exil et dans l'obscurité. Et
cependant, ce sort n'eùt-il pas été mille fois préférable à la
royauté mensongère que lui faisait son union avec Louis XV ?. . . ,
Le carton de la fabrique de notre cathédrale contient quel-
ques détails archiiectoniques : par exemple, une correspon-
dance entre l'évêque et le grand -chapitre (1532) au sujet
d'une petite tour au-dessus du chœur que le magistrat voulait
faire abattre; des instructions datées du seizième siècle sur
la manière d'ouvrir et de fermer la crypte; et un traité avec
l'architecte fleckler (1682) au sujet de l'agrandissement du
240 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
chœur, projet qui n'a point été exécuté et qui a fait place
maintenant à une restauration consciencieuse et savante. Tout
ce qui, de loin ou de près, touche aux constructions succes-
sives et même aux simples réparations de l'édifice qui est l'or-
gueil de notre cité et de l'Europe chrétienne, doit attirer, à
un égal degré, l'attention de l'architecte, de l'archéologue et
du modeste amateur.
Les relations les plus fréquentes de l'évêque étaient celles
avec le grand-chapitre. Sous la ruhrique du grand-doyenné
se trouve une liasse relative à une discussion entre les Voltz
d'Altenau, seigneurs de Kolbsheim, et le grand-doyen, qui
avait des droits sur la même commune; les lettres les plus
intéressantes sont de l'année 1668; l'indication sommaire de
leur contenu justifiera une petite digression.
Les Voltz d'Altenau et Dagobert Wormser de Vendenheim
avaient surpris de nuil, avec quatre cents hommes, le village
de Kolbsheim. En vrais barons du moyen âge, ils pillent la
commune, et essaient d'arracher aux femmes intimidées les
titres constatant les privilèges du grand-doyen ; mais les ha-
bitants mâles, mieux avisés, avaient abandonné le terrain et
mis en sûreté les titres dont ils paraissent avoir été plus en
peine que de leurs femmes confiées aux bons procédés des
nobles envahisseurs.
La dignité de grand-doyen reposait alors sur la tète du
comte de Créhange, qui informa sur-le-champ l'évêque des
violences commises ; il lui demanda secours et assistance pour
avoir satisfaction de l'injure; car le lieutenant-prévôt avait
été lui-même en butte aux excès des troupiers. Les sieurs
Voltz, de leur côté, appuyés par le Directoire de la noblesse,
prétendaient que les coseigneurs laïques du village étaient en
droit de punir des sujets rebelles. Un mandement delà Chambre
impériale désapprouva les violences, les défendit à l'avenir,
et prescrivit les voies réguhères. La décision finale n'est pas
jointe; je présume qu'une transaction aura mis fin à ce fâ-
cheux débat, et que les habitants des deux sexes auront été
VINGT ET UNIÈME LETTRE. 241
les seules dupes dans l'affaire. Remarquons une fois de plus
que ces incroyables scènes se passent dans l'époque de tran-
sition , entre la paix de Westplialie et la réunion de Strasbourg.
Qu'on ne blâme plus Louis XIV d'avoir mis fin à cet état de
choses hybride et anormal !
Le grand chœur, l'asile des chanoines roturiers, nous pré-
sente les cartons de ses rentes, et, à ce titre, des lettres
échangées avec le comte de Hanau-Lichtenberg (1584-1585).
Ce dernier demande que les chanoines nomment, à titre de
décimateur de Wintzenheim , le ministre protestant, et il s'é-
tonne naïvement de ne point recevoir de réponse. A l'année
1588 se rapportent des circulaires adressées par l'évêque aux
baillis pour les informer que les chanoines protestants ont
chassé du Gûrtlerhof les vicaires du grand-chœur, qu'ils ont
mis les caves et les greniers au pillage. Les baillis devaient
engager les fermiers à ne plus porter les rentes au Gûrtlerhof,
mais à Saverne. Ce fait rentre dans la lutte tantôt sourde,
tantôt ouverte qui précéda la guerre de Trente ans et sur
laquelle j'ai déjà appelé votre attention. Un titre de 1634, de
la même liasse, est relatif à un fait de la guerre elle-même.
Le colonel suédois Bastelli avait enlevé au grand-chœur les
revenus de Kùttolsheim. A ce sujet, les chanoines présentent
requête au prince de Salm, administrateur général de l'évê-
ché. Il est fort douteux que justice ait été faite au milieu de
la tourmente.
Les relations de l'évêché avec le chapitre de Saint-Pierre-
le-Jeune de Strasbourg ont trait aux discussions religieuses
amenées par l'introduction du luthéranisme à Strasbourg.
Nous y trouvons, en premier lieu, la protestation des trois
chapitres intra-muros au moment où le magistrat venait d'em-
pêcher l'exercice de la religion catholique, et de mettre le
séquestre sur les biens canoniaux; puis un mandement de
Charles-Quint, qui prescrit à la ville de Strasbourg de ne point
insulter ni inquiéter la ville d'Offenbourg, où les chapitres de
Saint-Pierre-le-Vieux, Saint-Pierre-le-Jeune et Saint-Thomas
24-2 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
avaient déposé les ornemenls d'église, au moment où les
troubles religieux éclataient à Strasbourg-.
Des indices sur les violences de la guerre de Trente ans se
trouvent dans les rapports de l'évèque avec la maison de Saint-
Jean de Strasbourg. On sait que l'ancienne demeure, occupée
par l'ordre de Malte, à Strasbourg, dans l'île verte (im grimen
Wœrth)\ fut démolie en grande partie, de 1G33 à 1634, pour
faire place aux forlifications de la ville. Cette opération est
mentionnée dans nos cartons de Saint-Jean, où figurent aussi
tous les actes de confirmation accordés aux privilèges de la
maison par nos évèques.
Toujours sans sortir des murs et de la banlieue, nous voyons
l'évêché en contact avec l'abbaye de Saint-Etienne, pour la
chapelle de la Robertsau, par exemple, qui avait été fondée
au milieu du quatorzième siècle, dans le but de faciliter aux
paroissiens campagnards de Saint-Etienne la fréquentation du
service divin pendant les inondations; car, à cette époque,
les grandes crues du Rhin , non maîtrisées par les travaux
d'art, empêchaient fréquemment les habitants de la Robert-
sau de communiquer avec la ville. Le couvent de Saint-Etienne
conserva la nomination du prébendier ou chapelain de la Ro-
bertsau; plus d'un titre de donation, de constitution de rente,
de procuration, constate ce droit. Au seizième siècle, lorsque
les troubles religieux éclatent, ce lien paroissial de Saint-
Élienne avec la Robertsau donne lieu à des discussions avec
le magistrat de Strasbourg, qui veut obliger le cloître d'en-
tretenir un curé extra-muros sous peine de perdre les dîmes
dans la localité. Une fois que l'on touche à cette époque agi-
tée, les conflits se répètent sur tous les points du diocèse.
En sortant des murs de Strasbourg, l'abbaye d'Eschau et le
couvent de Hohenbourg constituent, dans l'Armoire ecclésias-
tique, les subdivisions les plus considérables.
Des donations et des conflits de toute nature caractérisent
1 Sur remiiln^^emont île la maison tin convclion.
VINGT ET UNIÈME LETTRE. 243
les titres relatifs à Eschaii. En 1272, une transaction entre le
couvent et le seigneur de Rathsanmhausen mit fm à un long
litige, à la suite des violences commises par ce seigneur, qui
avait enlevé des chevaux et séquestré un prêtre de l'abbaye.
Quant à Hohenbourg dont nous avons, à plusieurs reprises,
abordé le pittoresque sanctuaire, ce sont des élections et con-
firmations d'abbesses, des investitures de prébendes, des af-
faires de statuts, des discussions entre le couvent au haut de
la montagne et Niedermiinster, pour la cure d'Obernai, qui
constituent cette subdivision. Les noms des dernières ab-
besses, Agnès Zuckmantel, Anne d'Oberkirch et Agnès d'Ober-
kirch (1546), inspirent un pénible intérêt, puisqu'ils forment
la clôture d'une liste qui remonte à Herrade et à Sainte-Odile.
Singulier contraste des faits! l'origine première du couvent se
perd dans le crépuscule de la tradition et de l'époque méro-
vingienne si confuse et si mystérieuse; tandis que la dernière
abbesse de Hohenbourg manque périr dans un incendie, dont
les sinistres clartés se projettent sur un pays où tout était en
combustion et en voie de se transformer.
^M ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RIIIN.
LETTRE VINGT-DEUXIEME.
Fonds du graud-chupitrc et du grand-chœur. — Histoire ftoinniaire
de ces corporations. — nicliesses des deux fonds. — Tables généa-
logiques des récipiendaires au grand -cliapitre. — Ciiarte d'Ar-
noulphe , roi des Romains. — Procès de sorcellerie. — Oeyler de
Kayserslierg , prédicateur de la cathédrale. — .u. Bautain.
Monsieur,
A la suite du fonds de révêché de Sirasbourg, nous avons
rangé, dans notre collection ecclésiastique, les fonds spéciaux
du grand-chapitre çt du grand-chœur de la Cathédrale. Il est
bien entendu que ces deux corporations faisaient partie inté-
grante de l'évèché, mais elles avaient des dignitaires à elles,
des propriétés distinctes, une administration séparée de celle
de l'évèché. La collection des documents de ces deux corps
est d'une grande richesse, d'une grande étendue; à peine si
je puis côtoyer un instant ce terrain fécond en révélations sur
la vie politique, civile et religieuse de notre province, depuis
les Carlovingiens jusqu'au cœur du dix-huitième siècle.
Je vous ai déjà parlé, incidemment, du grand-chapitre et
de ses vastes domaines; ses dotations lui venaient, en partie
peut-être, des Mérovingiens; mais la grosse part est due aux
premiers Carlovingiens, et au roi de Germanie Arnoulphe,
issu, par la bâtardise, de cette illustre famille impériale.
Mais qu'était-ce que ce grand-chapitre de notre église ca-
thédrale? Sous Charlemagne et ses lils, c'était un corps de
soixante-six chanoines ou prébendiers, pourvus de riches bé-
néfices; corps qui se recrutait lui-même, par élection, en
prenant ses membres exclusivement dans les rangs de la haute
noblesse et même dans les familles princières. Les chanoines
étaient tenus de célébrer certains offices ou d'y assister; ils
contribuaient, bien entendu, à la pompe du culte; une réunion
pareille de dignitaires ajoutait, dans une résidence diocésaine,
VINGT-DEUXIÈME LETTRE. 245
à l'éclat du service divin, et grandissait l'cvêque entouré de ce
brillant cortège, comme les cardinaux, qui forment la cour
pontificale, ajoutent à l'imposante apparition du Père des
fidèles. Le grand-chapitre était un sénat ecclésiastique, con-
servant les traditions de l'Église de Strasbourg, et les faisant
valoir avec indépendance, quelquefois dans un esprit d'hosti-
lité systématique, contre les prélats, lorsque ces derniers
poursuivaient un but qui ne s'accordait phis avec le bien gé-
néral de l'Église. Le g-rand-chapitre, en un mot, était un col-
lège modérateur.
Sous l'évêque Werinhar, l'empereur Henri-le-Saint avait
manifesté l'intention bien nette de se faire recevoir dans le
grand -chapitre de Sirasbourg, mais l'évêque, effrayé des
troubles que l'empire aurait à traverser s'il fallait arriver à
l'élection d'un nouveau souverain, décida son royal ami à
rentrer dans le siècle; il lui imposa même ce sacrifice, en
vertu de l'obédience que le chanoine récipiendaire devait à
l'évêque, son chef spirituel.
Henri II se soumit, et pour remplir la place qu'il laissait
vide, il institua la prébende de Roi du chœur, espèce de siné-
cure qui restait à la nomination de l'empereur d'Allemagne,
et qui fut, on le pense bien, constamment très-recherchée.
Après les Carlovingiens, le grand-chapitre réduisit le nombre
de ses membres à vingt-quatre, dont douze étaient chanoines
capitulaires, c'est-à-dire vivant en commun, et douze cha-
noines domiciliés à volonté dans la ville; ces derniers n'a-
vaient que le quart de la compétence dont jouissaient leurs
collègues.
Pour être admis dans le grand-chapitre de Strasbourg, il
fallait faire preuve de seize quartiers de noblesse du côté pa-
ternel et du côté maternel, ou bien descendre de princes,
ducs ou comtes. Dans le statut royal de 1687, il était dit que
le tiers des places canoniales appartiendrait désormais à des
nobles d'extracUon française. Pendant le dix-huitième siècle
on vit siéger dans cet illustre corps les descendants des plus
246 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
grandes familles de l'intérieur. Les Rohan, par exemple, en
avaient fait une espèce d'apanage de leur maison princière.
Voulez-vous jeter un coup d'œil sur les preuves de no-
blesse fournies par les récipiendaires, et sur les arbres généa-
logiques, dont les dessins formant de grands rouleaux, sont
conservés dans notre collection? Vous y trouverez quelquefois
des paysages pas trop mal coloriés, représentant les châteaux
patrimoniaux des candidats. Tel est l'arbre généalogique des
Truchsess; si la peinture dit vrai, je puis vous donner l'assu-
rance que leur castel héréditaire était situé dans une contrée
pittoresque. Les preuves fournies par Jean Erbtruchsess , ba-
• ron de Walbourg, sont corroborées par les sigillés d'un comte
de Montfort et d'un baronet de Kœnigsegg. Un autre membre
de la même famille de Truchsess (Léopold-Frédéric, en 1626)
a pour parrains le duc de Bavière Maximilien, comte palatin
du Rhin; W^erner, évêque de Constance; Charles, comte de
Zolleren ; Egon de Fiirstenberg. — Un certificat de naissance
émis en faveur de Wolfgang de Ileuvven (en 1493), aspirant
au grand-chapitre, porte la signature d'un comte de Montfort,
de l'évêque de Constance et de l'abbé de Rcichcnau.
Parmi les récipiendaires figurent, à partir du quinzième
jusqu'au dix-huitième siècle, des membres de la maison ar-
chiducalc d'Autriche, margraviale de Bade, ducale de Bavière,
de Saxe, de Lorraine, landgraviale de Hesse, princière de
Salm, baroniale de Hohensax, des comtes de Hohenlohe, de
Hohenzollern, de Holstein-Schauenburg , de Lœwenstein, de
Manderscheid, de Nassau.
Si vous étiez curieux. Monsieur, de parcourir les livres-
copies de la correspondance du grand-chapitre, vous seriez
arrêté à chaque page par les noms les plus éminents; je ne
veux point dire par là que tous les correspondants, sans excep-
tion, ont une valeur historique, individuelle. Les noms qui
brillent d'un éclat sans pareil sont rares dans l'histoire ; tenons-
nous pour satisfaits d'avoir, dans notre collection, des noms
qui se rattachent, ne serait-ce que par une petite feuille de
VINGT-DEUXIÈME LETTRE. 247
leur arbre généalogiciuc, aux grandes existences de l'empire
germanique. Ces princes, ces ducs, ces barons des bords du
Rhin et du Danube nous ont fait beaucoup d'honneur en dai-
gnant siéger dans le cénacle, doté par les Dagobert, parChar-
lemagne, Arnoulphe et Henri II !
Deux fois déjà j'ai nommé le roi Arnoulphe, qui parvint à
s'emparer de la Germanie au moment où Charles-le-Gros était
confiné à Reichenau. La plus ancienne Charte de la collection
du grand-chapitre émane de lui, et elle remonte précisément
à cette année climatérique, qui fut celle de la dislocation de
l'Empire carlovingien. — Sur les prières d'un comte Eber-
liard, Arnoulphe donne en 888 au prêtre Isanphret (Isem-
brechl) huit lois de terres dans le canton de Mortenau ' , es
bans d'Avenheini- et de Baldenheim; de plus, dans ledit can-
ton, une église avec ses dépendances. Après la mort du dona-
taire, et éventuellement après la mort de son plus proche
parent, les biens de l'église devaient échoir à Notre-Dame de
Strasbourg. — Voilà, certes, un bien d'une provenance res-
pectable, et qui imprimerait une double valeur à la Charte de
888, si l'on pouvait deviner la situation précise et les limites
du terrain.
Parmi les donateurs du grand-chapitre figurent aussi des
évêques de Strasbourg et des chanoines du chapitre même.
Pendant le moyen âge on donnait libéralement, car on était
sûr de gagner le ciel ; plus tard, les parties prenantes devinrent
plus nombreuses que les faiseurs de libéralités.
Une partie bien curieuse de ce fonds du grand-chapitre,
c'est la rubrique des procédures criminelles, et, parmi ces
dossiers, ceux qui se rapportent à la sorcellerie. A partir de
la fin du quinzième jusqu'à la fin du dix-septième siècle, l'Eu-
rope centrale a été infectée de cette déplorable contagion mo-
rale. Mais à aucune époque, ces atroces procès n'ont été aussi
fréquents qu'aux approches de la guerre de Trente ans. On eût
' Ortenau.
- Aiienlieiii).
248 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
dit que l'atmosphère physique et intellectuelle était viciée en
même temps, et que les esprits les plus fermes cédaient à
une influence occulte, funeste et presque inexplicable. «Les
«juges catholiques et prolestants rivalisaient dans l'applica-
« lion des lois rigoureuses portées contre des crimes imagi-
« naires; car les partisans de chaque culte voulaient, dans la
« punition des coupables, faire preuve de zèle pour la cause
« de Dieu contre le règne occulte du démon. Non-seulement
«les actes de procédure de notre grand-chapitre, mais ceux
« de la préfecture de Ilaguenau, mais ceux des villes et des
« bailliages ecclésiastiques et civils abondent en causes cri-
« minelles qui rentrent dans la classe des maléfices , sur les-
« quels le marteau des sorciers ' frappa des coups si longs et
<i si répétés, que les âmes honnêtes et saines finirent par s'é-
« mouvoir et par jeter, au risque d'être elles-mêmes soup-
« çonnées et damnées, un long cri de détresse-. »
Dans les dossiers du grand -chapitre j'ai surtout remar-
qué les actes de la procédure de deux pauvres femmes de
Geispolsheim , Apollonie Spener et Dorothée Pfister, sa fille
(4616). Leur interrogatoire, la froide impassibihté du procu-
reur, le relaté laconique des tortures infligées à ces malheu-
reuses, pour leur extorquer l'aveu d'une connivence ciiar-
nelie avec le démon habillé de noir comme un beau gentil-
lâtre, la description des onguents que ces femmes ignorantes
conviennent d'avoir préparés pour se rendre invisibles et as-
sister à la réunion du sabbat des sorcières, ce mélange de
scènes si burlesques et tragiques ; le rire involontaire qui
vous saisit au milieu des tressaillements sympathiques pour
la douleur de ces victimes, puis la colère qui à son tour ar-
rête le rire au moment où il effleure vos lèvres, non, rien ne
peut rendre cette fluctuation de pensées et de sensations, rien
* Maliens maleficorum , on appelait ainsi le Code de procédure inquisito-
riale de la fin du quinzième siècle.
^ Voy. Histoire de la Basse-Alsace , par l'arcliiviste du Bas-Rliin, p. 209
et suiv.
VINGT-DEUXIÈME LETTRE. 249
ne peut en donner une idée que la lecture de ces hideux pro-
cès-verbaux qu'on dirait dictés par le diable lui-même dans
un moment de satanique ironie contre l'espèce humaine'.
Par quel mystérieux enchaînement de faits et d'idées suis-je
arrivé à prendre cet intérêt passionné pour deux paysannes
inconnues? Quel concours de circonstances bizarres n'a-t-il
pas fallu pour me faire exhumer ces pauvres noms et appeler
l'intérêt sur ces victimes d'une ténébreuse procédure? Ces
martyrs de la superstition n'ont-ils pas droit à toute notre
sympathie, et leur réhabilitation n'est- elle pas commandée
par le double et impérieux besoin du cœur et de la raison?
Que l'on ne dise point : ces crimes d'un autre âge sont en-
terrés à jamais; laissons-les dormir du sommeil éternel....
Qu'en savons-nous ! Les stupides croyances populaires sont-
elles partout éteintes et étouffées dans nos campagnes? n'a-t-
on pas vu souvent les nations tourner dans un cercle vicieux
et revenir à des errements que l'on croyait oubliés ! Tout
n'est-il pas possible, tout n'est-il pas croyable à une époque
qui a vu la manie des tables tournantes et des esprits frap-
peurs faire le tour du monde? qu'est-ce qui dénote une cré-
dulité plus grande, la tendance qui vous porte à croire à la
réalité d'un pacte secret avec. le diable, ou celle qui loge le
diable lui-même dans le bois mort de notre mobilier?
C'est un Père Jésuite qui, le premier a élevé sa voix con-
tre les procès de sorcellerie, et qui a stigmatisé l'absurde
cruauté des juges, et la connivence contagieuse des popula-
tions. Son nom mérite d'être proclamé; il s'appelait Frédéric
Spee (1631); vous pouvez hardiment placer son nom à côté
de celui de Lascasas.
Quant aux causes secrètes de cette singulière aberration de
l'esprit humain, les dossiers de la préfecture de Haguenau
n'ont pu laisser subsister à ce sujet aucun doute dans mon
^ Voy. les actes de la procédure, sous la rubrique de Pièces justificatives ,
à la fin du volume.
250 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
esprit. Les amendes et les confiscalions ont joue un grand
rôle dans ces procédures; et, dans la plupart des cas, lors-
qu'il s'agissait de sorcières, la concupiscence mêlait ses ef-
frayantes ardeurs à l'âpreté des poursuites officielles. Si,
comme on a cherché à l'insinuer, les inculpés de sorcellerie
étaient, pour la plupart du temps, coupables d'autres méfaits
et d'autres crimes que la loi pouvait plus difficilement atteindre,
et que l'on empruntait la procédure du marteau des sorciers
pour frapper des coups assurés sur des tètes de fer et de feu ,
je dirais tant pis! je n'ai jamais compris le système de juris-
prudence qui veut singer la justice divine.
Parmi les innombrables titres de propriété de cette vaste
collection du grand-chapitre , je ne puis me dispenser de par-
ler d'un acte de l'an 1200 : l'antiquité du document et les per-
sonnages qui y figurent autorisent ce i)oint d'arrêt. Il s'agit de
la cession du fonds de terre sur lequel est construit le châ-
teau de Landsperg, à mi-hauteur de la chaîne des Vosges.
Adelindis, abbesse de Niedermiinster , transmet celte localité
avec la forêt voisine, bien nettement délimitée, au chevalier
Conrad de Landsperg. Les abbesses de ce couvent de Nieder-
raùnster figurent dans beaucoup de bulles, de lettres épisco-
pales, de lettres impériales, réunies dans une subdivision du
fonds du grand-chapitre.
Dans les affaires du culte se trouve la nomination du célè-
bre Geyler de Kaysersberg à l'office de prédicateur de la ca-
thédrale , vers la fin du quinzième siècle. Ce petit dossier con-
siste en une série d'actes notariés, dont l'un mentionne l'éta-
blissement de l'office en question, un autre la renonciation
de Geyler à la prébende de l'évêque, un troisième la confir-
mation pontificale. Est-il besoin d'insister sur la signification
du nom de cet orateur chrétien aux approches de la Réforme?
Faut-il rappeler que si les événements de 1517 avaient pu
être détournés, Geyler de Kaysersberg (mort en 1510) aurait
contribué à faire ce miracle? Geyler, l'orateur à la fois philo-
sophe et inspiré, opposait aux folies de son siècle le miroir
VINGT-DEUXIÈME LETTRE. 251
d'une vie chrétienne. L'évêque Albert avait autorisé le prédi-
cateur de la cathédrale à tonner contre les vices d'une géné-
ration dont l'un et l'autre connaissaient les misères, les espé-
rances et les ressources. Les contemporains de Geyler étaient
absorbés, comme nous, par les soins et les exigences de la
vie matérielle ; le prédicateur illustre voulait les rappeler à la
vie en Dieu , et réveiller les consciences endormies. Il a borné
son ambition à cette tâche ardue, et conquis la gloire d'un
orateur chrétien et d'un remarquable écrivain, qui fournit
jusqu'à l'heure présente les données les plus exactes sur les
mœurs , l'état religieux et la langue de son époque. Sébastien
Brandt a célébré sa mémoire, et la postérité s'est empressée
de ratifier le panégyrique de cet autre écrivain, qui a laissé
un nom impérissable dans les annales de l'histoire littéraire
de Strasbourg et de l'Allemagne.
A côté du grand-chapitre, une seconde corporation offrait
un asile aux illustrations ou notabilités ecclésiastiques sorties
delà bourgeoisie, qui ne pouvaient, à raison de leur origine,
être admises dans lé cénacle aristocratique. Si j'ai comparé
plus haut le grand-chapitre à un collège de cardinaux au pe-
tit pied, à une espèce de Chambre haute de ce Parlement ec-
clésiastique réuni autour de l'évêque de Strasbourg, j'assimi-
lerai le grand-chœur à une chambre basse, à siège viager,
où l'éligibilité n'impliquait d'autre condition que celle delà
capacité et de l'honorabilité. C'est dans le grand-chœur que
siégeait l'abbé Grandidier, l'historiographe élégant et érudit
de l'église d'Argentorat , l'archiviste épiscopal, l'homme ai-
mable et aimant, dont vous connaissez la silhouette '. En re-
montant au siècle de Henri-le-Saint , qui avait fondé le grand-
chœur de la cathédrale , l'abbé Grandidier devait bénir la mé-
moire du prince, qui lui faisait ses doux loisirs. Officielle-
ment, il était bien tenu de remercier le cardinal de Rohan ;
mais je suis convaincu qu'au fond de son cœur il rapportait
1 Voy. la lettre deuxième.
252 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
sa gratitude à l'ami royal de l'évéque Werinhar, et qu'il pen-
sait de lui ce que Virgile disait d'Auguste :
Deus iiobis hsec otia fecit'.
La série des titres relatifs à cette création de l'empereur
Henri II est aussi riche que celle du grand-chapitre; cepen-
dant je me vois obligé de passer outre et de me contenter d'une
mention fugitive. Comme dans tous nos fonds ecclésiastiques,
on y trouve des affaires de culte, des titres de propriété, de
comptabilité, de procédures, et surtout une correspondance
historique. Dans cette catégorie, c'est le seizième siècle qui
est le mieux représenté. En 1586, par exemple, les chanoines
protestants, c'est-à-dire les partisans de Jean-George de Bran-
debourg , adressent un appel à l'empereur à propos d'une bulle
d'excommunication afïïchée à la porte de la cathédrale; en
1588, le grand-chapitre proteste à son tour contre les mêmes
chanoines luthériens, qui se sont emparés de l'hôtel ditGiirt-
leihof, dans la rue du Dôme, au préjudice du grand-chœur
dont c'était la propriété et la résidence.
Les discussions entre les dignitaires des deux cultes conti-
nuèrent pendant les premières années du dix-seplièmc siècle;
une liasse qui n'est pas sans intérêt se rapporte à celle que-
relle, terminée en 1604 par la transaction de Haguenau. Un
inventaire, confectionné la môme année, relate les ornements
d'église et l'argenterie que les chanoines protestants rétro-
cèdent aux délégués du giand-chœur.
Une des pièces remarquables de ce recueil historique, c'est
la lettre de convocation adressée le 13 octobre 1681 au clergé
de Strasbourg pour recevoir Louis XIV, qui venait prendre
possession de la capitale de l'Alsace.
L'existence séparée du grand-chœur, quoique bien nette-
ment établie par l'empereur de la maison de Saxe, fut con-
testée à plusieurs reprises. D'abord le chiffre des membres,
primitivement fixé à 72, fut successivement réduit; du temps
' C'est un Dieu qui m'a fait ces loisirs.
VINGT-DEUXIÈME LETTRE, 253
de Grandidier il n'était guère j)lus considérable que celui des
membres du grand-chapitre. On comprend que, dans le siècle
agité de la Réforme, le grand-chœur ait couru de sérieux
dangers; mais il y a lieu de s'étonner lorsqu'on trouve le gou-
vernement de Louis XIV peu favorablement disposé pour cette
antique corporation. Il fallut, en 1692, un long mémoire à
l'appui de son indépendance. L'intendant d'Alsace, qui visita
à cette époque le Gûrtlcrhof — notre fonds contient le procès-
verbal de son inspection, — en a-t-il rendu un compte favo-
rable? Nous devons le présumer, puisque le grand-chœur ne
fut point supprimé, et qu'il arriva, comme le grand-chapitre,
jusqu'à la limite fatale de 1790.
De nos jours, on n'a rétabli ni le grand -chapitre ni le
grand-chœur; ces deux institutions carlovingienne et saxonne
sont fondues en une seule. Le chapitre de la cathédrale se
compose de deux grands-vicaires, de chanoines diocésains en
activité et de chanoines honoraires-. Parmi ces derniers se
trouve le nom d'un homme célèbre dans les fastes de la phi-
losophie et de la théologie moderne; un nom qui s'est illustré
à la fois dans la chaire chrétienne et la chaire universitaire,
dans le monde savant et le monde de la littérature. Le théo-
logien , aujourd'hui retiré sur les hauteurs sereines où la foi
seule éclaire et domine l'horizon, a-t-il complètement oublié
les jours d'enivrante faveur où le jeune maître, électrisant un
auditoire de jeunes élèves, préludait parla gymnastique du
raisonnement à l'éloquente humihté du prédicateur incliné,
dans la chaire de Geyler de Kaysersberg, devant le souvenir
de tous les confesseurs de la foi? Les ombres de ces heures
fugitives ne viennent-elles pas quelquefois assiéger, comme
le souvenir d'un premier amour, ce large et beau front à
la fois sévère et doux, siège de la pensée et voile de la rési-
gnation?
254 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
LETTRE VINGT-TROISIEME.
Chapitre Intra-muros de Strasbourg. — lies deux chapitres de Saint-
I»ierre-lc-V«eux et Saint-l»ierre-le-Jeune — Saînt-Picrrc-lc-Vlcux
formé ou partie tHes ciiapiti'e»« tic llonau et de Rkinau. - — lia ville
de Itliinaii engloutie pur le Itliiu. — Saiut-Pierre-le-Jeuuc direc-
teur de l'Oratoire de la Tous!>aiut. — I,e sraud-duipitre de la ca-
thédrale aduiinistrateur du chapitre de Saiut-Iiéonard. — Chapitre
de Suint-TliouiaN. — Kxiguité de ce fonds dans le tiépot départe-
nienlal. — Aperçu historique sur l'église et le chapitre de Saint-
Thomas.
Monsieur,
Indépendamment du grand-chapitre et du grand-chœur, la
ville de Strasbourg renfermait dans l'enceinle de ses murs,
trois collégiales ou trois élablissemcnts de chanoines sécu-
liers, savoir: Sainl-Pierre-le-Vieux , Saint-Pierre-le-Jeune et
Saint-Thomas. Ils étaient tous les trois, vers la fin du moyen
âge , constamment unis par des pactes ou traités solennels
contre l'évèché et ses empiétements.
L'église de Saint-Pierre-le-Vieux a été fondée, d'après la
tradition , par saint Materne , disciple de saint Pierre lui-même ;
il résulte en tout cas de cette légende que ce sanctuaire chré-
tien est antérieur à la cathédrale. A Rome, nous trouvons
des rapports chronologiques analogues entre saint Jean de
Latran et saint Pierre, la première de ces deux basihques
ayant été fondée avant celle du prince des apôtres.
Saint-Picrre-le-Vieux de Strasbourg, malgré sa haute anti-
quité, constituait un chapitre pauvre, et il l'a toujours été,
quoique l'empereur Henri VI l'eût affranchi de toute charge
(en 1290), et qu'en 1398 les chanoines de Saint-Michel de Rhi-
nau, chassés de cette dernière locahlé par les inondations,
les corrosions et les menaces incessantes du Rhin, se fussent
retirés à Strasbourg et réunis au chapitre de Saint-Pierre-le-
Vieux qui prit de ce moment le titre de Saint-Pierre et de
Saint- Michel.
VINGT-TROISIÈME LETTRE. 255
La corporation se composait, après cette fusion du chapitre
rural avec le chapitre urbain, de dix-sept chanoines , dont l'un
remplissait les fonctions de curé de la paroisse.
Des legs, faits en 1381, avaient permis de rebâtir à neuf
l'église, qui fut encore une fois agrandie de 1428 à 14-32,
Aussi Saint-Pieire-le-Vieux porte-t-il le caractère ogival d'une
manière très-accentuée. De cette époque de reconstruction
totale date la pierre tumulaire de Pierre d'Epfig, prévôt du
chapitre (vers 1400); monument sur lequel M. le vicaire de
Saint-Pierre a récemment appelé l'attention du Comité histo-
rique d'Alsace *.
La réforme fut introduite dans l'église et le chapitre de
Saint-Pierre-le-Vieux par Theobaldus Niger (Schwartz) ; mais
après la réunion de Strasbourg à la France, l'église fut par-
tagée entre les deux cultes. Le chœur, avec ses panneaux,
recouverts de peintures de l'ancienne école allemande, et
avec son vieux cloître, échut en partage aux habitants ca-
tholiques.
Pour compléter ces indications historiques sur le plus an-
cien étabhssement religieux de Strasbourg, je rappellerai que
le chapitre de Saint-Michel de Rhinau, avant de se fondre
dans celui de Saint-Pierre de Strasbourg, avait été lui-même
agrandi, un siècle auparavant (en 1290), de celui de Honau.
Ce dernier, situé dans une île du Rhin, en aval de Strasbourg,
s'était vu obligé de quitter sa vieille demeure du huitième
siècle, menacée par le Rhin, exactement comme il en advint
pour la collégiale de Rhinau à la fin du quatorzième siècle.
Ainsi Saint-Pierre-le-Vieux est de fait le composé de trois
chapitres, et le fonds de ses archives spéciales en garde la
trace, puisqu'il contient des titres provenant à la fois de Ho-
nau — fondation du duc Adalbert d'Alsace — de Saint-Michel
de Rhinau et de son propre patrimoine.
' Voy. la description de celle dalle funéraire, par M. le professeur Slraub
{Bulletin de la Société, vol. 14., p. 135 des procès- verbaux).
256 ARCHIVES départementales du BAS-RHIN.
La plupart des anciens documents sont même relatifs à
l'église de Honaii et au chapitre de Rliinau. Une affaire de
dime se traite en 1190, entre le chevalier Garsilius de Ber-
stett et l'église de Honau ; une transaction se conclut, en 1233 ,
entre la même église et Wallher, maréchal de l'évêché de
Strasbourg, au sujet de l'île du loup (Wolfswœrth) et de la
pêche dans le Rhin; en 13G2 c'est un arrangement qui se fait
entre le chapitre et la ville de Rhinau , à propos d'un revenu
de quatre livres à prélever sur le passage du Rhin, car le bac
de Rhinau a fait depuis des siècles le sujet de conventions et
de contrats, dont les archives locales de la commune rive-
raine, si souvent menacée et ravagée parle terrible fleuve,
ont gardé le souvenii- matériel. Celle pauvre ville du moyen
âge a même été totalement engloutie à une époque qui n'a pu
être précisée, mais qui doit avoir suivi de bien près le trans-
fèrement des chanoines à Strasbourg; car il est probable que
ces ecclésiastiques n'auront abandonné qu'à la dernière extré-
mité leurs demeures séculaires.
La commune de Rhinau m'a bien rappelé ces vieilles cités
slaves des côtes de la Baltique, englouties par la mer, et dont
les ruines peuvent être découvertes en temps de calme, par
le navigateur attentif, au fond des eaux dormantes. Le Rhin,
toujours troublé, n'offre pas les mêmes facilités pour entre-
voir les anciennes demeures canoniales, l'église du chapitre,
les habitations et les murs éboulés de la cité, au-dessus de
laquelle roulent sans relâche ses vagues. On assure cepen-
dant qu'au dix-huitième siècle, dans un moment où les eaux
étaient très-basses, on apercevait encore les pans de mur de
cette pauvre enceinte sous-fluviale. Depuis cette époque, l'im-
pétueux fils du Saint-Gothard aura sans aucun doute déman-
telé les derniers débris du Rhinau primitif, et la croyance
populaire ne pourrait point ici, comme sur les bords de la
mer de Scandinavie, entendre, dans les nuits calmes, le son
plaintif des cloches englouties se marier au murmure des flots.
Au moment du Iransfèrementdu chapitre de Rhinau à Stras-
VllNGT-TROISIÈME LETTRE. 257
bourg, l'évêque Guillaume de Diest s'occupa aussi de la trans-
lation des reliques de saint Amond, qui furent déposées dans
noti'e église collégiale (Charte de 1398), après avoir, depuis
des temps immémoriaux, attiré les hommages des lidèlcs dans
l'église de Saint-Michel de Rhinau.
L'un des plus curieux et des plus anciens documents du cha-
pitre de Saint-Pierre lui-même est un acte de 1188 relatif au
moulin à trois roues d'Eckbolsheim, dont j'ai entretenu ré-
cemment mes collègues du Comité historique. Je prends la
liberté de renvoyer au Bulletin de la Société 'pour la conserva-
tion des monuments historiques d'Alsace ceux de mes lecteurs
qui seraient curieux de connaître les détails de cet arrange-
ment à propos d'un service pour anniversaire qui remonte
aux dernières années de Frédéric Barberousse, et qui nous
initie dans la composition de l'intérieur du chapitre à cette
époque reculée*.
Une rotule^ de 1422, qui s'est glissée on ne sait comment
dans ce fonds de Saint-Pierre-le-Vieux, constitue une espèce
de charte commerciale, un privilège que Philippe-Angelo-
Marie Visconti, duc de Milan, accorde à quelques marchands
allemands. Ce sont des questions de douane, de transit et de
protection commerciale, traitées en vue d'un cas spécial,
quatre siècles avant notre époque d'économie pohtique.
Mais ce sont là des accidents, des exceptions, des chartes
isolées, tandis que les affaires de culte et de religion forment
l'immense majorité des documents. Au seizième siècle, nous
trouvons dans ce fonds de Saint-Pierre-le-Vieux des protesta-
tions contre le margrave de Brandebourg, administrateur pro-
testant de l'évêché; un mémoire relatif aux trois chapitres
' Voy. Bulletin, vol. Il, p. l'iS el siiiv. (Mémoires). Par la même Charte
nous apprenons qu'un médecin lombard, probablement un Gibelin réfugié,
exerçait à Strasbourg la profession de médecin el avait acquis la qualité de
citoyen de noire ville.
2 On appelle du nom de rotule les parchemins oblongs, roulés comme un
cylindre sur eux-mêmes.
17
258 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU DAS-RIIIN.
urbains (Saint-Pierre-le-Vieux , Sainl-Pierre-le-Jeune et Saint-
Thomas) par le magistrat protestant de la ville etc. Je ne parle
point d'un nombre infini de procédures du dix-huitième siècle ;
ces liasses abondent dans tous les fonds, sans distinction.
Quittons ce chapitre, qui en a absorbé deux autres dans son
sein, pour examiner le fonds du chapitre de Saint-Pierre-le-
Jeune. L'église collégiale de ce nom avait été paroissiale dans
l'origine, et dédiée alors à Sainl-Colomban, à ce missionnaire
irlandais, dont les disciples vinrent coloniser les déserfs des
Vosges lorraines et alsaciennes. Cette circonstance implique
une fondation correspondante à la fin du sixième ou au com-
mencement du septième siècle de notre ère.
Cette église de Saint-Colomban fut agrandie en 1031 par
l'évèque Guillaume, successeur de Werinhar, et dédiée en 1052
â saint Pierre par le pape alsacien saint Léon (IX). L'église
actuelle de Saint-Pierre-le-Jeune date dans sa presque totalité
de 1290. Son chapitre se composait de quinze prébendiers;
l'évèque Hetzcl (1047) en avait ajouté six au nombre primitif;
le curé paroissial était, de plus, prébendier de droit. Huit
vicaires et six chapelains complétaient la composition de cette
importante collégiale.
Pendant la Réforme, les protestants s'emparèrent de l'église
et en rcslôîcnt possesseurs sans partage de 1560 à 1681 ; alors
le chœur fut rendu au service catholique. Cet état de choses
subsiste encore aujourd'hui, exactement comme à Saint-Pierre-
le-Vieux.
L'Oratoire de la Toussaint, composé de douze prébendiers
et chapelains, relevait du chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune;
il forme dans notre dépôt un fonds spécial; mais parce qu'il
est pour ainsi dire une annexe de notre chapitre, qui exerçait
sur lui une influence à la fois spirituelle et administrative, je
crois pouvoir me permettre de vous en entretenir dès ce mo-
ment.
L'origine de la Toussaint est loin d'être aussi ancienne que
celle de Saint-Pierre-le-Jeune; l'Oratoire ne date que de 1328,
VINGT-TROISIÈME LETTRE. 259
époque où il fiil fondé par Henri de Mûllenheim snr un em-
placement occupé par les frères Sacciles ou de la confrérie du
sac (Sackbriïdcr). Les pi'ébendes devaient rester à la nomina-
tion de la famille de Mûllenheim, qui avait aussi fondé l'église
de Saint-Guillaume; à défaut de membres de cette famille, le
droit de patronage devait échoir à notre chapitre.
La Réforme du seizième siècle agit sur l'Oratoire de la Tous-
saint, comme sur tous les chapitres et couvents intra-muros
de Strasbourg. Pendant quelque temps, il y eut six chanoines
protestants à la Toussaint; ce fut le résultat d'une transaction
entre Biaise de Mûllenheim et les prébendiers (iG75), transac-
tion approuvée par l'évèque et par la ville, mais qui ne devait
pas être de longue durée; car après la réunion de Strasbourg
(1681), l'Oratoire fut rendu en totalité aux catholiques.
Dans le fonds de Saint-Pierre-le-Jeune — considérable, puis-
qu'il renferme quelques milliers de titres de propriété etc., —
c'est une charte de 1040 qui constitue le titre le plus ancien
de la collection spéciale; elle consiste en un acte de donation,
par lequel Wehil et Hatton donnent soixante-dix livres d'ar-
gent à l'église de Saint-Pierre.
Dans la série de l'intérieur et des statuts, une pièce de 1303
règle l'admission des chantres du chœur. Un acte d'union des
divers chapitres contre l'évêché, de l'an I^SO, est la repro-
duction de plusieurs conventions ou traités analogues, conclus
sous l'administration désastreuse de Guillaume de Diest.
Une bulle du concile de Bàle (de 1433) peut être classée
parmi nos titres historiques les plus marquants; c'est une
excommunication lancée contre beaucoup de nobles Alsaciens
et Souabes, pour avoir maltraité et mis à l'amende divers
prêtres du diocèse de Strasbourg.
Dans la série des transactions, il en est une de l'an 1355
entre le chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune et les .luifs au sujet
de ce cimetière Israélite qui avait été, à peine six ans aupara-
vant, le théâtre d'un funeste holocauste. Jusqu'à cette époque,
le trésorier du chapitre avait appliqué à son usage personnel
260 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
le tribut payé par les Israélites; à partir de 1355, le cha-
pitre traite en son propre nom.
La série des fondations renferme l'acte, en vertu duquel
Henri de Mûllenheim avait établi l'Oratoire de la Toussaint
sur le terrain même de la paroisse de Saint-Pierre. Dans le
préambule de cette charte, on est reporté à l'origine de l'éta-
blissement qui dépendait d'abord de la belle abbaye de la
Toussaint {Allcrhciligen), dans la Forèt-Noire, dont les ruines
pittoresques attirent les touristes des deux rives du Rhin et
popularisent, par le charme d'un site sohtaire et grandiose,
par des eaux abondantes et pures, le souvenir de l'ancien
cloître perdu au milieu de ces majestueuses forets.
Le fonds spécial de la Toussaint contient au nombre des
lettres d'indulgences, un document de ce genre avec une bor-
dure où l'on entrevoit les têtes du Christ et des apôtres.
Le grand-chapitre de Strasbourg était en rapport avec le
chapitre de Saint-Léonard extra-muros , à peu près comme
Saint-Pierre-le-Jeune l'était avec l'Oratoire de la Toussaint. —
Saint-Léonard, communauté de l'ordre de saint Benoît, datait
de liOO; c'était alors un simple et modeste couvent, situé
sur une colline du Kling-enthal, entre la ville d'Obernai et le
mont Sainte-Odile. En 1215, elle fut convertie en collégiale et
dirigée, dans la suite, par le prévôt du grand-chapitre de la
cathédrale.
Les propriétés de Saint-Léonard s'étendaient dans les bans
d'un assez grand nombre de communes, et les bâtiments de
la collégiale elle-même offraient, jusque dans ces derniers
temps, de beaux échantillons du style roman et ogival. En ce
moment, presque toutes les traces de ces édifices ont disparu.
Le comité historique a eu la douloureuse impression, dès les
premiers mois de son activité , d'entendre à ce sujet le compte
rendu de deux de ses membres, et il n'a pu qu'exprimer de
tardifs regrets, comme pour les derniers vestiges de l'antique
abbaye de Neubourg, qui venaient de tomber, précisément à
la même époque, sous le marteau d'impitoyables démolisseurs.
VINGT-TROISIÈME LETTRE. 261
— Le fonds de la collégiale de Saint-Léonard renferme, parmi
ses titres de propriété, beaucoup de pièces relatives à la ville
de Bœrsch , dans le voisinage de laquelle s'élevait la belle en-
ceinte et l'église romane de ce chapitre. Au nombre des dons
curieux je citerai celui que fait Henri Walther, chanoine de
Saint-Léonard, en 1430. Son legs consiste en deux livrés
d'heures préliminairement déposés chez un autre membre du
chapitre. Le procureur Théobald d'Uhlenheim accepte le legs
et promet au donateur une rente viagère d'un sou.
Un acte passé devant l'offîcialité, en iAA^, prononce entre
le chapitre de Saint-Léonard et la veuve d'Alexis Bœrsch, qui
avait négligé de payer une redevance en vin. Cette veuve avait
épousé en secondes noces le chevalier Frédéric zum Rist, et
prétendait que son premier mari n'avait payé ladite rente que
bénévolement ; elle ajoutait que cette rente en faveur de
Saint-Léonard, par l'intercession duquel les captifs sont dé-
livrés, avait été fondée par le père d'Alexis Bœrsch pendant
sa captivité en France, et pour le temps de sa vie seulement;
qu'Alexis s'était encore astreint à payer la rente par piété
filiale. La veuve remariée trouvait, en d'autres termes, que
son devoH^ conjugal ne s'étendait pas jusqu'à payer une rente
instituée par son beau-père défunt; mais l'otïicialité de Stras-
bourg en jugea autrement et maintint le chapitre en posses-
sion de la redevance.
Quant aux relations intimes établies entre cet étabhssement
et le grand-chapitre de la cathédrale, plusieurs chartes en
portent la trace ; elles constatent aussi la détresse presque
constante où se trouvait la collégiale de Saint-Léonard. Dans
l'un de ces documents (charte de 1218) il est dit que le cou-
vent était appauvri d'une manière déplorable par l'incurie des
administrateurs , au grand détriment de la religion ; dans un
autre (charte de 1264), on expose l'insuffisance des revenus
des prébendiers pour la culture de la vigne. Un règlement de
1419 cherche à remédier aux dettes dont la collégiale est sur-
chargée à la suite des guerres ; il fixe la compétence et le
262 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
nombre des chanoines, la perception des renies et leur em-
ploi. Toutes ces pièces émanent du prévôt du grand-chapitre
ou lui sont adressées.
Après cette excursion passagère hors des murs de Stras-
bourg, permettez-moi d'y rentrer un moment encore pour le
chapitre de Saint-Thomas. Le fonds que nous tenons en main
est à la vérité des plus exigus; il ne consiste qu'en quelques
comptes et colhgendes ; le fonds réel est resté entre les mains
du chapitre actuel, qui a conservé son existence intacte à
travers les révolutions modernes. L'importance historique de
cette corporation motive l'excursion, que je vais me per-
mettre, malgré le petit nombre et le peu de valeur de nos
titres spéciaux.
En 670, l'évoque Saint-Florent, venu des solitudes du val-
lon de Haslach * , construisit sous les murs de Strasbourg,
près de la Bruche, une maison et un oratoire, qu'il confia
aux religieux écossais ou irlandais, compagnons de son apos-
tolat.
Sous Louis-le-Débonnaire, dans le premier quart du neu-
vième siècle, l'évêque Adeloch agrandit l'établissement écos-
sais ou irlandais de Strasbourg, et le dédia à l'apôtre saint
Thomas. Singulière coïncidence! le disciple sceptique devint
le patron du couvent et de la collégiale, qui, dès le moyen
âge, avait mis sa gloire «à chercher» et qui arbora plus tard
le drapeau de la liberté religieuse!
La première église de Saint-Thomas fut frappée par la
foudre en 1008 et reconstruite en 1031 sous l'évêque Guil-
laume-. Relevée de ses cendres, elle brûla de nouveau en 1144
avec ses archives. Le prieur Rodolphe s'adressa à l'empereur
Frédéric Barberousse, pour obtenir une charte confirmative
• On sait que celle vallée latérale aboutit d'un côté à la cascade de Nideck
et débouche dans le val de la Bruche.
2 M. Charles Schmidi attribue à cet évêque la première transformation du
couvent de Saint-Thomas en chapitre, dont les chanoines toutefois continuè-
rent à vivre en commun au moins pendant un siècle encore.
VINGT-TROISIÈME LETTRE. 263
des anciennes propriétés de Saint-Thomas; il voulait assurer
l'avenir du couvent. Au surplus, tous les supérieurs des éta-
blissements religieux en Alsace en usèrent de même, lors-
qu'un accident majeur détruisait leurs litres; c'est toujours
à l'aide de la tradition que l'on est parvenu à reconstituer
ainsi le passé.
Vers 1260 ou 1270, la nef de Saint-Thomas fut reconstruite
à neuf, peu de temps avant l'époque où Conrad de Lichten-
berg- adopta les plans d'Erwin pour la construction de la
cathédrale.
De 1300 à 1330, s'éleva, sous la direction de l'architecte
Kettner, la tour massive au-dessus du portail occidental*.
Enfin, en 1348, une seconde tour avec galerie extérieure se
dressa au-dessus du chœur, grâce aux soins de l'écolâtre
Nicolas Wetzel. Sauf quelques additions postérieures peu
importantes , l'église fut donc terminée vers la fin du quator-
zième siècle; elle offre, par son imposante carrure, un con-
traste frappant avec l'architecture aérienne de la cathédrale.
Les religieux de Saint-Thomas vécurent longtemps en com-
mun sous l'autorité d'un prieur, même après avoir été dé-
clarés chanoines par l'évêque Guillaume (1030). En 1374 ils
partagèrent en prébendes individuelles le corps de leurs re-
venus. Quatorze chanoines" formèrent alors le chapitre, et
maintinrent les traditions de l'abbaye, qui, de longue date,
s'était appliquée à l'enseignement des sciences, telles qu'on
les cultivait au moyen âge dans les hautes écoles. Le collège
de Saint-Thomas avait dans une très-haute antiquité déjà mé-
' M. Ch. Sclimidt place la construction de la punie inférieure de cette tour
vers l'an 1200; de la môme époque daterait le portail occidental. On y remar-
que en effet la tiansilion du style roman au style ogival. Si cette hypothèse
est fondée , et nous le pensons , Kettner aurait cherché h adapter la partie
superposée au style de la partie inférieure, ■ — F^e dernier clage de la tour
occidentale ne saurait être que de la fin du quatorzième siècle. — Voy. pour
les détails M. Ch. Schmidt, p. 199, 200, de son Histoire du chapitre de
Saint-Thomas.
2 l^lus tard vinqt.
264 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
rite le surnom de savant. Il conserva ce caractère, ou plutôt
il rétendit au moment de la Réforme. Dès l'origine de ce mou-
vement capital , Saint-Thomas de Strasbourg s'était fractionné
en deux camps; la majorité embrassa le parti des novateurs.
En 1523, le curé Antoine Fini , de Ilaii^uenau , prêcha sous
les voûtes du temple, fondé par saint Florent _, contre la reli-
gion catholique, et ceux des chanoines qui restaient fidèles à
l'ancien culte, se retirèrent sur la rive droite du Rhin.
En 1549, l'évêquc Érasme, fatigué de lutter avec des in-
fluences qui dépassaient ses forces, abandonna chapitre,
temple et biens de Saint-Thomas au culte prolestant et à l'en-
seignement de ses dogmes.
Je viens de dire que notre fonds de Saint-Thomas est tout
à fait insignifiant. Pour donner une idée de la collection des
documents du chapitre , je vais recourir à l'ouvrage que l'un
des professeurs du Séminaire protestant, M. Charles Schmidt,
vient de publier'. A l'aide de ce guide érudit nous serons
aussi orientés dans la constitution intérieure de l'établisse-
ment; je puis vous promettre que ce temps d'arrêt dans notre
course sera du temps bien employé.
< Le Chapitre de Saint-Thomas au moyen âge. Strasbourg ^860 , 1 vol.
in-4".
VINGT-QUATRIÈME LETTRE. 265
VINGT-QUATRIÈME LETTRE.
fjc chapitre de Saint-Thomas. — I/oiivrage de I?l. Schniidt; son ca-
ractère g;cnëral. — Po»>ition exceptionnelle du chapitre en Alsace.
— Sa déviation. — liC costume et les mœurs des chanoines an
quinzième siècle. — I^a « Société de Saint-Tliomas. u — Le chanoine
Jean Ilepp. — !Wenibres distingués du chapitre : IIurckhar<Et ^
ambassadeur de Frédéric Barlieronsse. le poëte Ciodefroi de Ila-
guenau. Le chroniqueur Hœnig;shorren. Burckardt, le maître (!es
cérémonies d'Alexandre VI. Thomas Wolff, l'antiquaire etc. — I.a
bibliothèque de Saint-Thomas. — l,ivres du chanoine Paul Munt-
hart. — li'ccole de Saint-Thomas. Aperçu de son histoire.
Monsieur,
J'ai rarement trouvé sur un sujet quelconque une mono-
graphie aussi complète que l'est celle de M. Charles Schmidt
sur le chapitre de Saint-Thomas ; il s'agissait pour lui évi-
demment d'une œuvre de piété. Le chanoine protestant de
4860 s'est appliqué à rechercher quelle a été, depuis plus de
mille ans, la position des religieux et des chanoines de l'an-
cien chapitre; il a remonté le cours des âges pour se rendre
un compte bien exact de la situation actuelle. Son ouvrage ,
il est vrai , s'arrête sur la lisière extrême où le moyen âge
touche à l'histoire moderne; en d'autres termes, M. Schmidt
ne traite pas la question de la réforme et de la métamorphose
radicale que Saint-Thomas subit dès la première moitié du
seizième siècle. Mais je dois croire que ce point d'arrêt ne lui
a pas été commandé par la crainte d'aborder un sujet délicat;
il lient sans aucun doute en réserve les matériaux d'un se-
cond volume in-4o; contentons-nous, en attendant, de le suivre
sur le terrain circonscrit comme je viens de le dire , mais
exploré, dans les limites ainsi tracées, avec une conscience
désespérantepeut-êtrepourdes lecteurs superficiels. M. Schmidt
touche à tout, à l'origine et à l'histoire du chapitre, à son
organisation intérieure, à ses propriétés, au culte, à la vie
intellectuelle et morale des membres capitulaires , à la fa-
266 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
brique et à l'église de Saint-Thomas , aux paroisses de Sainte-
Aurélie et de Saint-Nicolas qui en relevaient; et à l'appui de
son exposé, fait avec un calme, un aplomb et une impartia-
lité très-louables, si nous considérons la position personnelle
de l'auteur, il donne la transcription du texte de 127 docu-
ments, dont quelques-uns sont fort longs, empruntés en ma-
jeure partie au fonds spécial du chapitre.
Voilà bien la science sérieuse! voilà son immensité déses-
pérante! Qui aurait dit que l'histoire d'une seule église collé-
giale de la ville de Strasbourg pourrait de nos jours, où tout
le monde, même Ig cheicheur j)alient, est pressé d'arriver à
des conclusions et à un résultat, pourrait fournir l'étolTe d'un
gros volume in-40; que cette histoire, qui s'étend à peine à
la'moitié de l'espace à parcourir, est, dans plusieurs de ses
parties, pleine d'intérêt, instructive dans toutes; que ces an-
nales d'une corporation (jui a déjà donné lieu aux discus-
sions les plus épineuses , sont écrites de manière à ne blesser
aucune susceptibilité? Cette dernière remarque, au surplus,
doit être admise sous quelque réserve; je parle, bien entendu,
des esprits raisonnables, modérés, de cfes intelligences qui
ne sont ni susceptibles ni passionnées, qui n'exigent point,
pour être satisfaites, des pamphlets rouges ou noirs, au lieu
de récits à contours simples, mais fermes.
Au surplus, la richesse des matériaux que fournit le cha-
pitre de Saint-Thomas, est due à une circonstance heureuse:
ses archives n'ont point subi , à l'époque de la révolution, les
mauvaises chances d'un déménagement; sans compter que
c'était après le grand-chapitre de la cathédrale la corporation
la plus considérable de l'Alsace, une des plus importantes de
toute la vallée rhénane. Sa double qualité de Société religieuse
et d'institution scolaire lui donne , dès le temps de l'évèque
Adeloch, c'est-à-dire, depuis les premiers Carlovingiens, une
physionomie spéciale; elle appelle dans son sein et elle forme
des hommes distingués , célèbres ; elle joue un rôle presque
politique en face des évêques, des nobles d'Alsace et des
VINGT-QUATRIÈME LETTRE. 267
grands de l'empire; elle possède des propriétés étendues, et
même des droits seigneuriaux ; elle est, en sa qualité de capi-
taliste, forcément mêlée aux questions du siècle; elle subit
les avantages , les inconvénients et les dangers de cette posi-
tion complexe; ce sont dans sa destinée des fluctuations aux-
quelles échappent les communautés moins bien partagées
qu'elle au point de vue de la fortune mondaine.
Je dois me hâter, du reste, de réfi'éner l'essor que pour-
raient prendre^ dès ce moment, à propos de richesses accu-
mulées par Saint-Thomas au moyen âge, des imaginations
aventureuses et passionnées. Si Saint-Thomas n'était point
pauvre comme un couvent de Frères déchaussés, il y avait,
pour le partage de ses revenus, beaucoup de parties pre-
nantes; un corps de dignitaires, de chanoines, de summis-
saires, de vicaires, d'employés de tous les degrés; le culte
était organisé avec splendeur, l'administration établie sur une
large échelle; jusqu'à ce que tout le monde, depuis le prévôt
et le doyen et le custode jusqu'au dernier enfant de chœur,
eût sa part afférente, il n'y avait pas trop de fonds disponibles ;
de nos jours , un commis ne se contenterait point du traite-
ment d'un capilulaire de Saint-Thomas au quatorzième siècle;
l'abus était plutôt dans le cumul, dans la non-résidence, dans
l'admission forcée de personnes ou indignes , ou incapables ,
ou mineures; M. Schmidt ne s'est pas fait faute de montrer
impitoyablement le revers de la monnaie, de signaler surtout
aux approches de la Réforme en quoi l'antique institution
avait dévié; il laisse entrevoir comment les événements de
1520 ont dû arriver avec l'irrésistible impétuosité des phé-
nomènes atmosphériques , qu'aucune puissance humaine ne
parvint plus à conjurer.
La majorité des chanoines de Saint-Thomas du cjuinzième
siècle n'avait plus aucun trait de ressemblance avec les moines
gaéliques ou kymriques, venus à la suite de saint Florent,
sur les bords de l'Ill et de la Bruche, pour évangéliser les
pauvres pêcheurs et jardiniers de l'ancien Argentorat. Depuis
268 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
longtemps les huttes de bois qui avaient abrité ces actifs
missionnaires du christianisme, étaient remplacées par des
demeures plus commodes, peut-être un peu somptueuses;
depuis longtemps la maigre pitance^ la nourriture pythagori-
cienne des conventuels était passée de mode; d'abondantes
distributions de céréales et de vin avaient rendu fort tolc-
rable la vie matérielle des membres capitulaires et de leurs
serviteurs. Et ne croyez point que je trace ce parallèle à titre
de reproche pour les chanoines de Saint-Thomas de la seconde
partie du moyen âge... A Dieu ne plaise ! personne n'exigeait
d'eux, en 1-450, les vertus et l'abnégation monastique des
apôtres de l'époque mérovingienne. Mais il paraît, d'après les
documents authentiques, que chez quelques-uns d'entre eux
le confort permis avait dégénéré en luxe et en magnificence ;
les vêtements surtout de ces jeunes nobles, de ces patriciens
et courtisans venus de Rome ou de Vienne chercher une pré-
bende de plus dans notre opulent chapitre, n'avaient plus rien
qui rappelât l'état ecclésiastique. Les mœurs de plus d'un
membre de la communauté capitulaire étaient à l'unisson de
ces allures aristocratiques et mondaines.
Le costume de ville des chanoines consistait en une tunique
de soie noire, avec un pardessus doublé de noir; une espèce
de chapeau arrondi (KugeUmt) couvrait leur tête; «mais mal-
ce gré la distinction de ce costume, les chanoines plus jeunes
«le trouvaient trop sévère ;... ils portaient au quatorzième et
« au quinzième siècle des habits courts de couleur éclatante;
« des manteaux bordés de fi-anges dorées et ornés de nœuds ;
«des coiffures et des bottes rouges, vertes ou jaunes ; quel-
ce quefois même ils négligeaient la tonsure et laissaient croître
«leur chevelure à la façon des damoiseaux du temps. A leurs
«habits d'histrion (expression du synode de 1335), ils ajou-
«taient des épées et des poignards à manches précieux'...»
Par malheur,, ce n'étaient pas des armes de luxe seulement;
' Schmidt, Histoire du chapitre , p. 176.
VINGT-QUATRIÈME LETTRE. 560
en plus d'une occasion les jeunes chanoines furent mêlés aux
querelles intestines des Zorn et des Miillenhcim, des Rosheim
et des Rebstock. Les luttes meurtrières de ces derniers furent
livrées en 1374 et 1375 dans le local même de la «Société de
Saint-Thomas, » lieu de divertissement situé dans le voisinage
de l'église, et fréquenté par les nobles; lieu de délices, où
les jeux de dés remplaçaient les bréviaires. Les jongleurs et
les comédiens y venaient exhiber leurs tours d'adresse; des
banquets splendides et des bals y solennisaient les soirées ,
et, sans que je le dise, sans que j'abuse des citations em-
pruntées à l'ouvrage du savant chanoine de 1860, vous devinez
que le désordre des mœurs privées était la conséquence iné-
vitable de cet oubli des convenances publiques. M. Schmidt
touche à ces choses délicates avec tact et réserve; cependant,
puisqu'il est narrateur, il est bien obligé de nommer quelque-
fois les choses par leur nom. N'ayant pas la même mission ni
le devoir d'être aussi complet que lui, je puis me dispenser
de soulever le rideau des cubiculaires de plusieurs de ces di-
gnitaires ou aspirants aux places canoniales ; je renvoie à la
source même les personnes curieuses de connaître des traits
de mœurs qui étaient tout juste le contraire de l'abstention
que l'austère Grégoire Vil avait imposée au clergé.
Lorsqu'un individu ou les membres d'une corporation se
trouvent sur une mauvaise pente, ils roulent jusqu'au fond
de l'abîme avec une effrayante et progressive vitesse. Il en fut
ainsi de notre chapitre au commencement du seizième siècle.
El notez que, par une loi fatale, dans ces circonstances le
corps tout entier paie pour les méfaits d'une minorité ou d'un
seul coupable qu'on n'a pas su ou voulu retrancher en temps
utile. Que les capitulaires de Saint-Thomas aient introduit
dans l'intérieur de leurs maisons celte élégance que les mœurs
générales du temps autorisaient, rien de mieux; qu'ils aient
eu pour leur service de table des coupes ciselées par des
mains d'artistes habiles, le goût du beau, certes, ce n'est point
là un crime; qu'ils aient eu des basses-cours bien fournies,
270 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
des maisons de campagne pour faire les vendanges dans
leurs vignobles de Wolxheim ou de Molsheim , et que les
beaux jours d'automne, sur ces coteaux fortunés delà Bruche,
aient été l'occasion de quelque symposium dans le goût de la
renaissance, qui oserait leur en faire un sujet de reproche?...
Mais il est si difficile de s'arrêter sur une route aussi glis-
sante , aussi inclinée vers les jouissances sensuelles. Le dicton
bien connu, et que j'ai entendu répéter par un respectable
prélat: «il est plus facile de s'abstenir que de se contenir,»
devait recevoir à Saint-Thomas une éclatante confirmation.
Suivez plutôt vous-même la gradation! Les moines pionniers
de Saint-Florent s'étaient d'abord transformés en moines
conventuels , ceux-ci en chanoines de la règle sévère , avec
vie en commun ; puis la vie claustrale avait été remplacée
par la vie canoniale en des maisons séparées; puis le patri-
moine commun avait été réparti en prébendes individuelles.
Ici l'on louchait au terme extrême, où il eût fallu s'arrêter;
mais à partir de la fin du cjuatorzième siècle, l'abus remplaça
l'usage et l'on aboutit à un genre de vie dont j'ai indiqué
quelques traits à la dérobée. Le point culminant, c'est l'his-
toire scandaleuse et romanesque du chanoine Jean Hepp de
Kirchberg, qui eut lieu dans les premières années du seizième
siècle, et à laquelle se trouvaient mêlés, mais en bonne part,
les noms de Jean Murner et de Sébastien Brant. Encore une
fois, loin de moi la pensée de rendre le corps des chanoines
responsable des méfaits d'un libertin isolé , qui joue le rôle
d'un Don Juan au petit pied; mais le tort du chapitre, en
cette déplorable circonstance , c'est de n'avoir pas sévi lui-
même contre un effronté, qui déshonorait sa robe, et de
n'avoir vu que l'infraction faite à ses privilèges par l'inter-
vention du magistrat de Strasbourg évoquant l'affaire ; c'est
d'avoir soutenu jusqu'en cour de Rome une cause insoute-
nable et d'avoir ainsi lui-même fourni un prétexte et des armes
au peuple de Strasbourg déjà mal disposé pour les couvents
et les chapitres.
VINGT-QUATRIÈME LETTRE. 271
Mais détournons nos regards de ces tristes excroissances;
revenons à une tâche plus agréable, plus utile. Le chapitre
qui avait le surnom de «docte» contenait certes plus d'un
membre distingué.... Quels étaient ces hommes, dont les
noms doivent être répétés de nos jours encore? Quels étaient
ces capitulaires qui ont dû à Saint-Thomas leur existence ho-
norable et qui lui ont rendu, avec usure, par des services per-
sonnels ou par l'éclat de leur renommée, ce qu'ils avaient
reçu viagèrement du patrimoine commun du chapitre?
Dès les temps de Frédéric Barberousse, nous rencontrons
un chanoine qui a vu, comme Ulysse, be;\ucoup d'hommes
et beaucoup de choses, et qui a mieux fait que de voir. C'est
le chanoine Burckardt, vidame de l'évèché de Strasbourg;
car je dois dire ou répéter en passant que les évêques ont
constamment recruté leurs fonctionnaires élevés dans le corps
de Saint-Thomas. Le chanoine Burckardt fut appelé au ser-
vice de l'empereur Frédéric 1er, q^j en fît son délégué auprès
du sultan Saladin (1175), quinze ou seize ans avant la mal-
heureuse croisade oi^i l'empereur lui-même devait périr. Il
paraît que Burckardt avait assisté aux campagnes d'Italie du
puissant souverain de la maison de Hohenstauffen et au ter-
rible sac de Milan, puisqu'il a adressé à l'abbé Nicolas de
Sigeberg une épître sur cet événement déplorable, qui pesa
sur la mémoire de Barberousse et lui valut plus lard, sur la
place de Saint-Marc de Venise , une humiliante altitude aux
pieds de la mule du pontife Alexandre IIL Bref, Burckardt,
chanoine de Saint-Thomas de Strasbourg et notaire impérial,
partit en 1175 pour l'Orient, s'acquitta de sa mission auprès
du sultan d'Egypte et de Syrie, vit et parcourut les îles de la
Méditerranée, le Liban, Damas, Alexandrie, et raconta sa
curieuse Odyssée à une génération qui conservait encore le
souvenir vivace de Godefroi de Bouillon, de Baudouin, de
Tancrède, de tous ces héros de la Jérusalem délivrée. Hélas!
pourquoi faut-il que le récit du chanoine ambassadeur et
touriste ne soit arrivé à nous que par fragments, tandis que
272 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN.
tant d'élucubralions , tant de plagiats impudents ont échappé
à l'aveugle destruction ou à la dilapidation des richesses in-
tellectuelles du passé!
Un autre dignitaire de Saint-Thomas , le prévôt Rodolphe ,
avait été chapelain impérial de ce même Frédéric, protecteur
de Burckardt ; sous l'empereur Philippe de Souabe, le prévôt
Frédéric de Saint-Thomas avait rempli la même charge et
avait été envoyé par l'empereur en mission à Rome auprès du
pape Innocent III.
Vers la fin du treizième siècle , le poëte Godefroi , de Ha-
guenau'^ est rangé parmi les chanoines de Saint-Thomas.
Aux connaissances hlléraires, à l'inspiration de l'artiste, au
savoir philologique , Godefroi joignait des connaissances phy-
siologiques ; il était médecin et ne faisait de vers qu'aux
heures de loisir. Il est l'auteur d'un poëme latin sur les six
fêtes de la Vierge, composé de quatre mille vers léonins ou
rimes. Je dois avouer en toute humilité que je n'ai point lu
cette vaste composition; en attendant que j'en trouve le mo-
ment, je laisse à M. Schmidt la responsabilité du jugement
favorable qu'il porte sur ce panégyrique de la mère du Sau-
veur. Godefroi ne s'est pas contenlé de rimer des vers latins;
il a écrit des vers allemands, dans le goût des Minnesinger,
et, circonstance singulière pour un médecin, toutes ses ins-
pirations sont religieuses; comme poëte, il est complètement
détaché de ce monde de la matière dont il a fait son étude
forcée comme physiologiste.
Je suis obligé de renvoyer à M. Schmidt pour la série des
noms propres qui ont honoré le chapitre; il doit suffire de
rendre attentif à quelques illustrations alsaciennes ou euro-
péennes. Kœnigshoffen, le chroniqueur, est de ce nombre;
le naïf et intelligent narrateur des faits et gestes de nos an-
cêtres a été élu chanoine de Saint-Thomas (1395 à l/t^O) ,
'Ne le confondez point avec Godefroi de Strasbourg, l'anleur de Tristan
et d'iseult, qui a vécu à peu près un siècle plus tôt et dont l'existence est en-
veloppée de mystère.
VL\GT-QUATRIÈME LETTRE. 273
après avoir été recteur de l'église de Driisenheim, prében-
dier du grand-chœur plébéien, notaire apostolique et impérial.
JN'a-t-on pas souvent remarqué que les auteurs les plus dis-
tingués, que les historiens surtout ont presque toujours réuni
à leurs facultés littéraires les qualités de l'homme pratique
et de l'homme du monde? Rien de plus étroit que la préten-
tion des spéciahtés qui refusent péremptoirement aux hommes
de savoir ou d'imagination le talent nécessaire pour diriger
les aflaires administratives ou politiques! Que d'exemples,
dans tous les siècles et chez toutes les nations, d'hommes
éminents, à face de Janus, qui se sont trouvés également pro-
pres au travail du cabinet et au gouvernement des hommes !
Kœnigshoffen était de ce nombre; il ne lui a manqué qu'un
théâtre plus grand pour constater toute son aptitude aux af-
faires du monde. Comme chanoine de Saint-Thomas, il a
rendu de grands services à l'établissement qui abritait son
âge mûr et sa vieillesse; il a mis de l'ordre dans la compta-
bilité jusque-là négligée; il avait l'esprit de détail et d'exacti-
tude, qui fait les bons comptables. Avant son administration,
les comptes annuels étaient ou lacérés ou égarés ; on avait
même négligé de conserver ou de copier exactement les titres
de propriété.
Kœnigshoffen mit fin à ce désordre; il assistait lui-même
aux redditions de compte des receveurs et leur prescrivit des
formulaires plus pratiques^ préludant ainsi à cette compta-
bilité simple et régulière qui fait le mérite des administrations
modernes. La conservation première des archives de Saint-
Thomas lui est due; c'est dans cette inappréciable collection
qu'il déposa les comptes dont la série est non interrompue à
partir de cette époque. Les livres saliques, dépareillés avant
lui, furent reliés et l'on conserve une multitude de titres co-
piés de sa main, de cette même main qui a tracé le drama-
tique récit des luttes municipales du treizième et du quator-
zième siècle.
Au quinzième siècle, le chapitre de Saint-Thomas fournit
274 ARCHIVES DÉPARTEMENTACES du BAS-RHIN.
parmi ses membres, une longue liste de licenciés et de doc-
teurs en droit, savants jurisconsultes et hommes d'aiïaires,
qui rendent de signalés services à leur corporation, au dio-
cèse, à des cités étrangères. Ainsi le chanoine Christophe
d'Uttenheim passa au rectorat et à l'évêché de Bâle.
Après les jurisconsultes, vers la fin du quinzième siècle , ce
fut le tour des humanistes, de ces savants philologues nour-
ris de la substance de l'antiquité classique et puissants pro-
moteurs de ce beau mouvement des esprits, qui, après la
chute de Byzance et l'exil des savants byzantins, s'était com-
muniqué à l'Italie et à l'Europe centrale. Thomas Woliï le
jeune (né en i.475), était à Saint-Thomas le représentant de
celte tendance littéraire, dont il avait cherché les inspirations
aux écoles d'Erfurt et de Bologne. WolfT était archéologue et
philosophe, ami de l'historien Wimpheling et du prédicateur
Geiler; sa profession de foi était celle des novateurs modérés
qui voulaient une réforme, mais par les voies de douceur.
La Providence lui épargna la douleur de voir les violences des
deux partis ; il salua l'aurore d'un nouveau jour, sans en
pressentir les orages et les obscurcissements. Wollf mourut
à peine âgé de trente-quatre ans, à Rome, au milieu des
ruines de l'antiquité, qu'il était allé éludicr avec la hardiesse
d'un néophyte. Il aurait pu, à peu d'années près, s'y ren-
contrer avec un autre chanoine de Saint-Thomas, avec Jean
Burckardl, qui avait rempli, à partir de 1484, la charge de
maître des cérémonies du pape, et qui laissa, dans son curieux
journal, le narré le plus naïvement scandaleux des désordres
et des crimes qui déshonorèrent, sous Alexandre VI, la cour
pontificale, sans ébranler le dogme ou l'antique édifice de la
foi.
Vers la même époque, le chanoine Paul Munthart, collec-
teur de manuscrits et de livres, légua ses trésors à la biblio-
thèque populaire qui existait déjà du temps de Kœnigshoffen ,
mais ne consistait alors qu'en une cinquantaine de volumes
presque tous théologiques. Le laborieux collecteur nous en a
VINGT-QUATRIÈME LETTRE. 275
laissé le calalogiie inslruclif; nous y retrouvons quelques-
uns des auteurs qui ont déjà été pour Hcrradc la source d'une
instruction variée, tels que Jacques de Voragine, Pierre Co-
niestor, Pierre Riga, interprélateur allégorique de la Bible,
dans son ouvrage intitulé : Aurora, dont M. Schmidt indique
le contenu. Nous sommes trop habitués à ignorer ou à regar-
der avec dédain cette science du passé. Forcés de dévorer au
jour le jour les nombreuses productions jetées sur le marché
littéraire, nous nous rendons difficilement compte de l'effet
que la lecture recueillie des traités scolastiques ou des récits
légendaires a dû produire sur des esprits élevés à l'école de
Saint-Jérôme ou de Saint-Augustin. Je ne suis point le détrac-
teur du temps présent au profit du temps passé; mais j'aime
à rendre justice à tout le monde, et à penser que cette mo-
deste bibliothèque de Saint-Thomas, telle que Kœnigshoffen
l'a trouvée et que Paul Munthart a considérablement augmen-
tée, suffisait à entretenir le feu sacré dans le cœur de ceux des
chanoines qui ne se bornaient pas à célébrer les offices et à
administrer leurs prébendes.
Paul Munthart n'avait pas légué sans condition ces éditions
de légistes et de canonistes, et ces ouvrages sortis de la presse
de Mentelin. Le chanoine testateur exigea qu'une salle spécia-
lement adaptée à sa nouvelle destination, avec rayons, bancs
et chaînes, servît à héberger ces incunables et ces manuscrits.
Des chaînes! oui, et comme vous le devinez, non pour retenir
les lecteurs, mais pour préserver les volumes contre tout en-
lèvement! D'après le testament de Munthart, aucun de ces
volumes ne devait être ni aliéné, ni échangé, ni prêté à une
personne étrangère au chapitre. On exécuta, bien entendu, le
dernier vœu du testateur. C'était bien le moins que l'on pût
faire en retour d'une pareille libéralité ! M. Schmidt nous ap-
prendra sans doute, dans un second volume, à quelle époque
la bibliothèque de Saint-Thomas reçut des accroissements
successifs et quelle fut la métamorphose que subit l'antique
école de Saint-Thomas, fondée par Adeloch, agrandie par
276 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Erkanbold, négligée vers la fin du douzième siècle, mais ja-
mais close, et servant, à tout prendre, de chaînon intermé-
diaire entre les institutions carlovingicnnes, telles que nous
les avons vues près de la cathédrale, et les académies et uni-
versités modernes.
VINGT-CINQUIÈME LETTRE. 277
VINGT-CINQUIEME LETTRE.
liCfl choristes ilc Kaint-Thomas. — liCS fêtes à Snint-Thomas. — les
mystères de la Passion. — E,es propriétés de Saint-Thomas. —
Ecklioislieini, seigneurie et eollonge. — Proce)<sion de la Pente-
côte. — Saint -Thomas, bailleur de fonds : Jean Cutenberg, son
débiteur. — l,es Ilohenstein. — Pillage d'EckboIsheim. — Évalua-
tion du revenu des prébendiers ; abus, leur cause. — Conflits de
Saint-Thomas avec l'cvéché. — I^e sarcophage d'Adeloch et le
mausolée du maréchal de Saxe.
Monsieur,
Vous me demanderez quelle était, en définitive, l'organisa-
tion de celte école de Saint-Thomas au moyen âge? Nous en
savons, de fait, fort peu de chose; l'auteur de la monographie
sur le chapitre en convient lui-même. Etablie dans une mai-
son attenant au cloître, placée sous la direction d'un maître
des écohers, qui plus tard (vers 1200) prit le titre d'écolàtre,
et qui se faisait l'emplacer par un recteur, l'école avait pour
mission de donner l'instruction aux enfants admis à jouir
des canonicats.
Indépendamment de ces petits chanoines (chanoines mi-
neurs ou domicellaires), on y admettait aussi les enfants des
paroissiens. Il est probable que les fils de la riche bourgeoisie,
peut-être même ceux de la noblesse, prenaient leurs leçons à
Saint-Thomas, qui aurait ainsi, de bonne heure, présenté ce
caractère mixte qu'on a quelquefois reproché au gymnase, à
la fois petit séminaire et école bourgeoise, mais ayant par cela
même une physionomie originale.
Des legs faits en faveur de pauvres écohers indiquent aussi
l'admission à Saint-Thomas d'enfants appartenant aux classes
peu aisées de la population urbaine; peut-être n'assistaient-ils
qu'aux classes élémentaires. Ce serait un titre de gloire de plus
pour cette école d'avoir, à une époque d'inégalité sociale, pra-
tiqué le plus beau précepte de l'évangile, celui de l'égalité des
âmes.
278 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RJÎIN.
Parmi ces écoliers pauvres on choisissait les choristes, qui
se tenaient auprès des chanoines pendant les fonctions litur-
giques; ces enfants devaient être exercés au chant et à la lec-
ture; l'écolàtre était juge de leur aptitude et de leur admis-
sibilité. Une cerlainc quantité de pain était affectée à leur
usage, et le receveur fournissait annuellement à la boulangerie
soixante rézeaux quatre boisseaux de seigle pour cette desti-
nation spéciale.
Lorsqu'un chanoine venait à mourir, tous les élèves de
l'école, choristes ou non, assistaient aux funérailles; ils fai-
saient partie de toutes les processions. On utilisait leurs chants
au chœur et dans la nef, et ils rendaient ainsi au décuple à
l'église la nourriture matérielle et spirituelle qu'on leur avait
donnée.
Interrogé par un voyageur étranger sur ses occupations
journalières et sur ses devoirs, le jeune choriste de Saint-
Thomas aurait pu répondre comme Eliacin-Joas :
.l'adon; le Soigneur, on m'explique sa loi;^
Dans son livre divin on m'apprend h la lire,
El dt'ja de ma main je commence à l'écrire.
.... J'onlends chanter de Dieu les grandeurs infinies;
Je vois l'ordre pompeux de ses cérémouies.
A Saint-Thomas, ces cérémonies avaient, à de certains
grands jours, un caractère spécial. Ainsi, la veille de Pâques
on bénissait l'eau et le feu. La bénédiction de l'eau consistait
dans la consécration des fonts baptismaux, vidés et remplis à
neuf, en mémoire des premiers siècles de l'église, où ce jour
était fixé pour le baptême des catéchumènes. La bénédiction
du feu se faisait en invoquant la faveur divine sur le cierge
pascal, qui était allumé au moyen d'une étincelle jaillissant
du frottement du briquet contre une pierre ; les paroissiens,
après avoir éteint toute espèce de feu dans leurs maisons, ve-
naient allumer des cierges à ce feu pascal, et les reporlaien
ainsi dans leurs foyers.
YllNGT-CINQUIÈME LETTRE. 279
Le jour de Pâques môme, on donnait aux fidèles une ré-
présentation symbolique de la résurrection du Seigneur ; c'était
dans le principe une action fort simple, conforme au récit
biblique ; puis on y mêla des incidents un peu plus compliqués
pour fixer l'attention de la foule; mais, dans cette représen-
tation, les chants d'église faisaient le vrai fond du service, et
produisaient, à tout prendre, un effet imposant. On ne sau-
rait méconnaître dans ces cérémonies, moitié ecclésiastiques,
moitié mondaines, l'origine des mystères ou drames religieux
qui se sont perpétués jusqu'à nos jours dans le spectacle dé-
cennal des scènes de la Passion , représentées sous la voûte
du ciel, au pied des Alpes bavaroises *, devant des milliers
d'auditeurs émus.
Comment le chapitre de Saint-Thomas faisait-il face à ces
grandes exhibitions, à ces pompes du culte, à l'entretien d'un
personnel qui constituait presque une cité dans la cité?.... A
plusieurs reprises déjà, il a été question des biens et l'evenus
de Saint-Thomas. Qu'étaient donc ces richesses que l'imagi-
nation populaire a de tout temps grossies, et qui ont fini par
acquérir, dans les mille bouches de la renommée , une ampleur
pareille à celle d'un ballon gonflé?
Les principales propriétés du chapitre étaient situées pres-
que aux portes de la ville, dans la riche commune d'Eckbols-
heim, où les chanoines exerçaient les droits seigneuriaux. De
vagues traditions faisaient de l'un des rois Dagobert le premier
bienfaiteur du couvent de Saint-Thomas; c'est l'un de ces rois
d'Austrasie qui aurait donné Eckbolsheim aux moines de Saint-
Thomas. M. Schmidt renverse, par des raisonnements qui me
semblent irréfutables, cette croyance populaire; il attribue à
l'évêque Rudhart (940) la première donation d'une ferme ou
cour, sise à Eckbolsheim. Ce milieu du dixième siècle cons-
titue vraiment une date assez reculée, puisqu'elle forme une
prescription à peu de chose près millénaire. Deux siècles après
' Duns rOberamniorgaii.
280 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
Rudhardt, une charte, émanée de Frédéric Barberousse, con-
firme les domaines du chapitre à Eckbolsheim ; or à cette
époque (1163), la corporation étendait déjà ses mains sur
presque tout le village; les acquisitions ont par conséquent
dû avoir lieu dans l'intervalle qui s'écoule entre l'évèque
Rudhardt et le règne du grand empereur.
Le chapitre déléguait à Eckbolsheim un tribun avec mission
de présider, comme son titre l'indique, le tribunal ou la cour
de justice seigneuriale, où siégeait le Sclmlthciss (prévôt) et
trois jurés ou cchevins de la commune, et qui jugeait au cri-
minel et au civil '. Lorsque les chanoines se rendaient au vil-
lage pour l'exercice des droits seigneuriaux ou pour la per-
ception des impôts, la commune leur devait nourriture et
logement (Herbcrge nnd Zehrunij). En sa qualité de seigneur,
le chapitre avait aussi le droit de patronage, c'est-à-dire qu'il
disposait de la cure; les habitants d'Eckbolshcim, en recon-
naissance de ce droit, étaient tenus de se rendre, le mardi de
la Pentecôte, en procession, à l'église de Saint-Thomas, pour
y entendre une messe. C'était, fort heureusement pour eux,
à l'entrée de la bonne saison; le devoir se transformait en
journée d'agrément; car le chapitre, en bon seigneur, leur
distribuait sans doute des rations de pain et de vin pour com-
penser la fatigue de la promenade et la perte de temps.
Mais indépendamment de ces droits seigneuriaux, qui étaient
plus glorieux que productifs, le chapitre possédait aussi à
Eckbolsheim une cour collongère (Dinghof); et c'était là le
domaine vraiment utile, la terre grasse, sous-louée aux fer-
miers à titre de bail perpétuel. De semblables cours ou fermes,
Saint-Thomas en avait dans plusieurs grandes communes sur
les deux rives du Rhin, à Adelshofen (Schilligheim), Haus-
bergen, Uttenheim, Ilugesgerute, comme le prouvent les
règlements collongers (Dinghofsrœdel) fort étendus que relate
'La justice collongère était indépendante de celte justice seigneuriale;
elle prononçait sur des questions d'emptiviliéose litigieuses.
VINGT-CINQUIÈME LETTRE. 281
et qu'analyse le savant historien de Saint-Thomas. A ces pro-
priétés domaniales , dont quelques-unes se perdent dans la
nuit des temps, le chapitre ajouta, sur beaucoup de points
de la Basse-Alsace, des biens acquis par donation, legs ou
achat; il en avait à peu près dans toutes les communes rive-
raines de la Bruche, entre Strasbourg et Molsheim , puis le
long- des collines de Ilausbergen jusqu'à Mundolsheim et
Pfulgriesheim dans le Kochersberg; dans un groupe de com-
munes près de Barr; à Geispolsheim, à Weyersheim ; à Stras-
bourg même il possédait plusieurs immeubles, un moulin*,
une boulangerie- ; je fais grâce d'une cnumération plus com-
plète. Les capitaux , fruits de ses épargnes , il les prêtait sur
hypothèque et contre caution, mais d'après les lois de l'église
le prêt à intérêt se trouvant rangé dans la catégorie de
l'usure, ses opérations s'effectuaient sous forme d'achat de
rente; en d'autres termes, le chapitre vous donnait à vous,
qui aviez besoin d'argent, il vous donnait le capital demandé,
mais vous deviez, par réciprocité, lui servir une rente, qu'il
vous était loisible de racheter par le paiement du capital'.
Parmi les emprunteurs ou débiteurs de Saint-Thomas se trou-
vait un nom illustre ou qui allait le devenir, c'est celui de
Jean Gensfleisch , dit Gutenberg, de Mayence. A la date du
17 novembre 14-4.2 il contracta un emprunt de 80 florins,
sous forme de rente de 4 florins; pour l'acquittement régulier
de cette redevance le noble Mayençais donnait en garantie un
revenu de 10 florins sur sa ville natale. Et cependant le cha-
pitre cauteleux ne s'était pas tenu pour satisfait; il avait exigé
qu'un citoyen de Strasbourg se déclarât caution de l'étranger.
Martin Brechter s'engagea comme codébiteur de Gutenberg,
qui, à cette époque déjà, devait être gêné et sur la pente
'Au haut de la rue des Dentelles.
Miue de l'Ail.
•* Toutes les corporations religieuses et même les particuliers étaient obligés
de recourir au même subterfuge pour se procurer de l'argent sans encourir la
censure de l'Énlise.
ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
d'une ruine financière, qui allait être pour lui un brevet
d'immorlalilé. Il fut obligé de qiriller Strasbourg en 1444;
mais la rente continua à être payée régulièrement jusqu'en
1458 ; à partir de ce moment, après un procès perdu contre
son coassocié Fust, le malheureux inventeur sévit dans l'im-
possibilité de remplir ses cn^iiagcments ; le chapitre poursuivit
son codébiteur Brechter devant le tribunal aulique de Rotwyl,
pour restitution du capital. Il s'ensuivit une interminable pro-
cédure, et après une série de poursuiles infructueuses, on
inscrivit en 1474 à l'article des non-valeurs la petite somme
prêtée à fonds perdu sur la tête d'un homme de génie.
Ce n'était là qu'une perte d'argent peu sensible pour une
corporation solide; j'aime à penser que le docte aréopage de
Saint-Thomas, s'il avait pu deviner l'avenir, aurait acheté
cent fois plus cher l'honneur de propager un art qui allait
contribuer au développement rapide des études classiques ,
et grossir, dans une proportion inespérée, les trésors d'éru-
dition que depuis six siècles l'école confinait péniblement dans
son armoire des chartes.
D'autres placements devaient avoir pour le chapitre des
conséquences bien plus graves.
Précisément à la même époque où il devenait créancier du
Mayençais, Saint-Thomas avait prêté à Henri de Huhenstein,
vidame de l'évêché , une somme de quatre cents florins
assis, pour plus de sûreté, sur le village de Berghieten. En
1451, le vidame vint à mourir; mais son fils, Antoine de
Hohenstein, s'engagea au paiement de la rente. Il n'en fit
rien, et lorsque le chapitre réclama^ Antoine agit en digne
seigneur du moyen âge; il se jeta avec ses afïïdés sur le vil-
lage d'Eckbolsheim, et pilla brutalement celte possession
seigneuriale du chapitre créancier.
Délirant reges , plectuntur Achivi.
L'affaire fut portée successivement devant le tribunal de
VINGT-CIISQUIÈME LETTRE. 283
Rotwyl, devant l'empereur, devaril Frédéric-le-Victorieux,
landvogt ou préfet d'Alsace : elle traîna ainsi pendant plus de
six ans , et l'on finit, en 14-57, par aboutir à un arrangement,
où le chapitre tira un peu la courte paille; ce qui ne l'empê-
cha pas de continuer à prêter à d'autres seigneurs, aux Deux-
Ponts, aux Lichtenberg-, au margrave de Bade.
Malgré ces belles apparences et cette espèce d'embarras des
richesses, le revenu individuel des vingt-cinq prébendiers
n'était vraiment pas considérable. Soixante-quatre rézeaùx de
céréales, voilà quelle était la part principale de chacun. Je ne
parle point des redevances accessoires, ni de la jouissance
des maisons canoniales. Vers le milieu du quatorzième siècle,
on avait un moment transformé en argent les revenus en na-
ture; eh bien, ce n'était qu'une somme de 400 florins qui
échéait à chaque prébendier. En tenant compte de la plus-
value de l'argent à cette époque, la somme correspondrait à
peu près à un millier de francs d'aujourd'hui. Il ne faut point
oublier, du reste, que la plupart des bénéficiaires étaient
pourvus autre part; que ces positions étaient de véritables
sinécures, puisqu'en dépit des statuts, des règlements, des
prescriptions de toute nature, les chanoines étrangers esqui-
vaient la résidence, et que les résidants se déchargeaient au-
tant que possible du soin des offices sur les summissaires ou
sur les vicaires. On peut se faire une idée très-exacte de cet
état de choses en le comparant à ce qui se passe dans l'église
anghcane, dont les grands dignitaires assistent, à Rome, en
spectateurs, aux cérémonies de Saint-Pierre, et laissent la
charge des âmes saxonnes et irlandaises à des vicaires débar-
rassés du soin d'administrer les deniers.
Sous quelle pression impérieuse les choses étaient -elles
devenues à ce point abusives? A qui la faute? Est-ce la cour
de Rome, l'empereur, le chapitre lui-même qu'il faut en accu-
ser? ou bien tout le monde? Hélas! oui. Depuis son érection
en chapitre, le corps de Saint-Thomas avait grandi en impor-
tance; il était censé faire de libres élections, ou bien, pen-
284 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
dant quelque temps, le recrutement des membres nouveaux
s'était réellement fait dans un esprit de paix et de liberté;
mais affranchi de l'autorité diocésaine, le chapitre n'avait pas
non plus l'appui de son évéque ; le pape et l'empereur pesaient
sur les élections, l'un par les grâces apostohques ou par la
nomination par provision, l'autre par le droit des premières
prières; en d'autres termes, la cour pontificale nommait à
l'avance à tel canonicat, lorsqu'il serait vacant; et l'on ne
choisissait pas toujours les candidats les plus dignes, (/empe-
reur intervenait lors des vacances; enfin, le chapitre lui-même
allait au devant des abus, dans la personne de plus d'un de
ses membres qui pétitionnait à Rome, pour cumuler avec les
bénéfices de Strasbourg-, des prébendes étrangères. Dans le
principe, et jusqu'au treizième siècle, les roturiers avaient
occupé ou la totalité ou une partie des canonicats; mais peu
à peu l'aristocratie alsacienne fit entrer ses fils dans la riche
communauté; c'étaient des rentes viagères acquises au prix de
la renonciation au mariage officiel. De la sorte, les Zorn et
les Mûllenlicim, les Landsperg et les Kageneck, les Meerswin
et les Ilohenstcin participèrent aux bénéfices de Saint-Thomas ;
et, ce qui était plus regrettable encore, c'est ainsi qu'un bel
établissement religieux se trouva entraîné dans les querelles
de coterie et môme dans ces guerres civiles au petit pied,
qui troublèrent, au quatorzième siècle, la cité souveraine de
Strasbourg. Presque toujours c'est pour des questions d'ar-
gent que s'engagent ces conflits du chapitre de Saint-Thomas;
il en a, surtout avec les évêques, à partir du quatorzième
siècle, après avoir été auparavant l'objet de leur sollicitude et
en partie de leur munificence. Vers 1310, il y a lutte entre le
chapitre et l'évèque Jean de Dirpheim pour affaire de col-
lectes. Sous l'épiscopat de Berlhold de Buchek, elle s'engage
pour des questions de taxe et de contributions, ou pour des
affaires de discipline. Puis le chapitre s'élève contre l'évèque
Frédéric de Blanckenheim, ce digne précurseur de Guillaume
de Diest, en fait de dilapidations. Pendant le grand schisme
VINGT-CINQUIÈME LETTRE. 285
d'Occident, le chapitre prend toujours le parti contraire à
celui de l'évêque.
Au quinzième siècle, Sainl-Tliomas s'applique à gagner les
bonnes grâces du magistrat municipal de Strasbourg.... Je ne
fais qu'indiquer des situations; mais l'on entrevoit bien à quel
point celte ancienne communauté, fdle de Saint-Florent et
d'Adeloch, était inilée au.K affaires de ce monde. Les autres
chapitres et abbayes n'y restent pas étrangers ; l'abbaye de
Wissembourgjoue aussi un rôle politique au quinzième siècle ;
mais quelle différence dans les motifs! On dirait, quant à
notre chapitre, que, par ces frottements avec les puissances
temporelles et spirituelles, il préludait aux ruptures du seizième
siècle. On dirait que Saint-Thomas, à la fois cloître et école
dès le neuvième siècle, couvait dès lors dans son sein les
germes d'opposition qui plus tard arrivèrent à un si luxurieux
degré de développement, et que sa mission, dans le diocèse
de Strasbourg, était de servir de levain pour empêcher l'en-
gourdissement des esprits.
Avant de terminer, rentrons un instant encore en plein
moyen âge; allons-nous reposer et respirer le calme sous les
belles voûtes ogivales de l'église, dans ce chœur où deux sar-
cophages attirent nos regards, celui de l'évoque du neuvième
siècle et celui du guerrier franco-saxon du dix-huitième. Quel
contraste encore et quel enseignement!
Le voilà, presque inaperçu dans sa niche, le monument
funèbre d'Adeloch, ce cercueil de minime dimension', qui
a renfermé les restes mortels d'un saint, ce corps chélif, asile
d'une grande âme. M. Schmidt explique avec tact et bon sens
les figures et les ornements allégoriques dont les niches en
plein cintre des deux faces du cercueil sont décorées; il ne se
perd point en interprétations plus ou moins hasardées, plus
ou moins ingénieuses de ce symbolisme. Je renvoie à l'ou-
'JM. Sclimidl fait remaïquci' les petites diniensions de ce sarcopliage:
1'°,G3 de long, 0'",50 de large, 0n',4G de liaut; il pense qu'on n'a l'ail qu'y
déposer les osseuienls de l'évêque Adelocli.
286 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
vrage même de notre savant guide, pour y lire l'histoire
d'Adeloch ciselée sur la pierre * ; et puis je ramène une fois
de plus vos regards vers le superbe mausolée, symbole de
l'histoire moderne, qui écrase par son actualité, par la sym-
pathie directe (ju'il nous inspire, nos retours vers le moyen
âge. Pour comprendre ce dernier, il nous faut toujours une
espèce d'effort, il nous faut l'assistance de l'érudition , le désir
de vivre un moment au cœur de ce passé si loin de nous, tan-
dis que nous touchons du doigt, nous comprenons, comme si
elle venait de s'éteindre hier seulement, cette existence du
vainqueur de Fontenoy, de l'un des plus nobles précurseurs de
Napoléon I^r. Je ne regarde jamais le mausolée du maréchal
de Saxe, sans répéter mentalement la magnifique péroraison
de l'éloge funèbre composé par l'académicien Thomas; je
vois les deux soldats qui ont servi sous Maurice entrer dans
le temple où est déposée sa cendre, aiguiser leurs épées au
marbre de la tombe, et sortir en pleurant sans proférer un
seul mot; puis j'entends l'orateur, si heureusement inspiré,
s'écrier : «Ils pensaient ces deux guerriers, que le marbre
«qui touchait aux cendres de Maurice avait le pouvoir de com-
«muniquer la valeur, et de faire des héros. Vous ne vous
«trompez pas, dignes soldats de Maurice, tandis que son
«ombre, du milieu de l'Alsace (ju'elle habite, sèmera encore
«la terreur chez nos ennemis et gardera les bords du Rhin,
«la vue du marbre, qui'renferme ses cendres, élèvera l'ame
«de tous les Français, leur inspirera le courage, la magnani-
«mité, l'amour généreux de la gloire, le zèle pour la patrie, d
' Voy. aussi doux monograpliios sur l'église de Sainl-Tliomas composées
par MM. Scliiieegaiis pl lleilz.
(^.^^Xl=)(îL?''îr---^
VINGT-SIXIÈME LETTRE. 287
VINGT-SIXIÈME LETTRE.
Chapitres cxtra-iiiiiros de Stru!«iiourg. — Cliuiiid-c de Ilaslacli. — Re-
liques de jiiaint Florent; eon.«triietion de l'ég^lUc ogivale de llaslacli;
sa restauration moderne. — I>i>icu.s.>«ion»« Au cliai»itre avec l'évéché.
— Kevcuu»« du chai>itrc au di.\-liuitièiue siècle.
Monsieur,
Quatre ou cinq chapitres ou églises collégiales doivent attirer
notre attention dans la Basse-Alsace. Ce sont les chapitres de
Haslach, de Neuwiller, de Saverne, de Surbourg-Haguenau,
de Wissembourg; ce dernier appartenait au diocèse de Spire '.
Chacune de ces corporations exigerait une monographie
spéciale. Ici nous n'aurons que le temps de jeter un coup
d'œil rapide sur la destinée de ces églises, qui toutes ont joué
un rôle plus ou moins grand dans l'histoire ecclésiastique
de notre province.
Haslach est connu de la plupart de nos lecteurs; de nom-
breux promeneurs visitent chaque année, dans un vallon laté-
ral du grand val de Bruche, la cascade de Nideck, qui ne
peut, dans ses modestes proportions, se mesurer avec les
chutes d'eau de la Suisse, mais qui ofTre au fond de magni-
fiques sapinières, et avec les ruines du château de Nideck*,
perché sur un roc, un point d'excursion inappréciable pour
les habitants de la plaine.
Avant d'arriver à la cascade solitaire, on traverse, de toute
nécessité, les deux communes deNieder-ct Oberhaslach, et
dans le premier de ces villages se présente, à la droite du
promeneur, l'antique église collégiale, nouvellement restau-
rée, à glands frais, sous la direction d'un savant architecte
alsacien^.
'Il en sera question sous la rubrique de \'Évôch6 de Spire ^ au bout de
la série du clergé séculier que nous parcourons en ce moment.
*ll a été rendu abordable tout récemment par les soins de l'administra-
tion forebtière.
3 M. Rœswillwald.
288 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN,
La collection du chapitre de Haslach est une des plus im-
portantes pour la valeur intrinsèque des pièces qu'elle ren-
ferme, plutôt que pour la quantité. Dans ces documents, on
peut distinguer quatre groupes de faits principaux : les dis-
cussions qu'occasionnent les reliques du fondateur de l'abbaye
primitive; les phases diverses de la reconstruction de l'église;
les discussions avec l'évêché pour des affaires de juridiction;
.enfin des questions de revenus.
Au septième siècle de l'ère chrétienne, un petit hermitage
abritait, dans la vallée de la Ilasel, saint Florent, qui, d'après
la légende fut appelé au palais mérovingien de Kirchheim, où
il guérit miraculeusement la fille de l'un des rois Dagobert.
Ce souverain (probablement Dagobert II) gratifia le saint
hermite de vastes domaines, situés dans le val de la Bi'uche:
la magnifique dotation mérovingienne consistait surtout en
forêts, et servit à l'établissement d'un cloître bénédictin, à
Nieder-IIaslach. Quoique saint Florent fût appelé à l'évêché
de Strasbourg vers G78, il ne cessa de donner des soins à
l'asile des cénobites qu'il avait réunis autour de sa primitive
cellule.
Saint Florent mourut vers la fin du septième siècle, et son
corps, enterré d'abord à Saint-Thomas de Strasbourg, qui lui
devait aussi son origine, fut transporté dans le monastère de
Haslach par les soins de l'évêque carlovingien Rachion (783
à815).
Au douzième siècle, ce transfèrement donna lieu à de vio-
lentes discussions entre l'église de Saint-Thomas et celle de
Haslach, chacune prétendant être nantie des reliques véri-
tables du saint fondateur des deux établissements. Une des-
cente sur les lieux fut faite, à Haslach, le 26 octobre 1143,
par Burkard, évèque de Strasbourg, accompagné de quelques
prélats de la Basse-Alsace. Quoique le corps du saint fût trouvé
intact dans le tombeau, les chanoines de Saint-Thomas con-
tinuèrent à soutenir qu'ils possédaient la tête de saint Florent.
En 1350, l'évêque Berthold de Bucheck, ayant appris que la
VINGT-SIXIÈME LETTRE. 289
collégiale de Saint-Thomas s'apprêtait à faire de grandes dé-
penses pour l'ornement de celte relique, engagea la commu-
nauté à ne point passer outre jusqu'à plus ample information.
A ce sujet Berthold rappela que l'évêque Burkard s'était déjà
prononcé en faveur des reliques déposées dans le cloître de
Haslach.
Quatre ans plus tard, l'empereur Charles IV, le spoliateur
par excellence, visita le cloître au fond de la pittoresque vallée
de Haslach, fit rouvrir le tombeau de saint Florent, et em-
porta, à cette occasion, le bras droit du saint; comme il fit,
vers la même époque au haut du mont Sainle-Odile , où il s'em-
para de l'avant-bras droit de la sainte fondatrice ^
Quelques années après la visite intéressée de Charles IV,
Rodolphe d'Autriche, landgrave d'Alsace, obtint la moitié du
bras gauche de saint Florent. Cent ans plus tard (1450),
Robert-le-Palatin, évêque de Strasbourg, confirma une fois
de plus l'authenticité du corps mutilé, qui restait déposé à
Haslach.
Ce fut là le terme des spoliations, du moins de celles qui
sont officiellement constatées. Pendant que l'on se disputait
ainsi les restes vénérés de l'hermite mérovingien, l'église pri-
mitive de Haslach avait complètement disparu, et allait subir
une rénovation totale. Il n'est pas sans intérêt de parcourir
les phases principales de ces reconstructions, constatées par
des documents authentiques dont noire collection reste dépo-
sitaire.
Vers 1274, l'église romane de Haslach menaçait ruine. Con-
rad de Lichtenberg, évêque de Strasbourg, appela par une
lettre circulaire les fidèles de son diocèse et les membres de
son clergé à contribuer de leur mieux à la reconstruction de
l'église primitive de Haslach. Cet appel de l'illustre évêque
coïncidait avec le mandement émis par lui pour la façade de
la cathédrale.
' Vov. lollro dix liuiliôme.
19
290 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Voici en quels termes intéressants il convie à la réédifica-
tion de l'humble sanctuaire de Haslach :
« ....Puisque selon les paroles de l'apôtre, tous nous serons
«au pied du tribunal du Christ pour, selon nos œuvres cor-
«porelles, y recueillir la récompense ou la peine, il nous faut
«prévenir par des œuvres de miséricorde le jour du jugement
«dernier et, en vue des choses de l'éternité, semer sur terre
«ce que, le Seigneur aidant, nous récolterons un jour au cen-
«tuple dans les cieux, ayant ferme espoir et confiance que
«celui qui sème parcimonieusement fera une parcimonieuse
«récolle et qui sème les bonnes œuvres recueillera de ces
« bonnes œuvres la vie éternelle.
« Doncque , comme l'œuvre de notre église de Haslach ,
«dont les murs, consumés par une trop longue durée, me-
«nacent ruine, vient d'être reprise à neuf avec dépense et
«avec de somptueux travaux, et comme à cette église les res-
« sources ne suffisent presque plus, pour que ladite œuvre
«puisse être à bonne fin menée, ainsi qu'il convient en l'hon-
«neur de Dieu et de la glorieuse vierge Marie et de saint Flo-
«rent, patron de ladite église, nous prions, avertissons expres-
« sèment et au nom du Seigneur exhortons, et en rémission
«de vos péchés enjoignons à vous tous que sur les biens à
«vous par Dieu conférés vous appliquiez de pieuses aumônes,
«et que vous receviez les messagers de l'œuvre avec charité....
« ....Mais faisons défeme aussi d'arrêter m quelque manière
(Lpar les présentes l'œuvre de l'église de Strasbourg , que nous
a entendons devoir primer sur toute autre pétition, la présente
« n'ayant de valeur que pendant deux années. »
Au mois de juin 1287, ces travaux furent interrompus par
un incendie; mais en 1295, vers la fin de sa carrière épisco-
pale, Conrad engagea le fils de l'architecte Erwin de Stein-
bach à mettre la main à l'œuvre; il pubha une nouvelle lettre
d'indulgence pour émouvoir les fidèles. De plus, il s'adressa
à quelques-uns de ses confrères; sur sa demande, les évêques
VINGT-SIXIÈME LETTRE. 291
(le Metz, de Bamberg et d'autres prélats accordent aussi des
lettres d'indulgence dans l'intérêt de Haslach; enfin, après
la mort violente de Conrad, son frère l'évêque Frédéric de
Lichtenberg suivit les mêmes errements à l'endroit de l'église
de Saint-Florent.
«La vénérable église de Saint-Florent à Haslach, est-il dit
«au début du très-long mandement de l'évêque Frédéric,
«ayant été naguère dévastée avec ses livres, calices et autres
«ornements par un déplorable accident, à savoir, un incendie
«imprévu , de telle façon que ses murs, ses parvis, ses voûtes
«et ses tours qui déjà menacent ruine, réclament une restau-
« ration presque à partir de ses fondements; et les prévôts,
«doyen et chapitre de ladite église de Saint-Florent ayant
«l'intention de construire et restaurer somptueusement ladite
«église, et leurs propres facultés ne suffisant point à cet effet,
« nous vous prions , et au besoin ordonnons , en vertu de votre
«vœu d'obéissance, et sous peine de suspension et d'excom-
«munication, de recevoir avec bienveillance les fondés de
«pouvoir de ladite œuvre, lorsqu'ils viendront à vous et exhi-
«beront les présentes....»
Trente ans plus tard, Berthold de Bucheck, évêque de
Strasbourg, intervient de nouveau en faveur de l'église de
Haslach; enfin, en 1885, l'évêque Frédéric de Blankenheim,
pour hâter la fin de cette construction , qui traînait depuis un
siècle, pubha, avec quelques variantes, les lettres d'indul-
gence de Frédéric de Lichtenberg.
L'église ogivale de Haslach, telle que nous la voyons au-
jourd'hui, date donc de la seconde moitié du quatorzième
siècle; il est rare de pouvoir préciser d'une manière aussi
positive, à l'aide de documents, l'âge respectif de nos églises.
La guerre des paysans et celle de Trente ans amenèrent de
bien mauvais jours pour l'abbaye et l'éghse de Haslach. A la
date funeste du G juin 1632, la torche incendiaire ravagea les
bâtiments du chapitre et la partie extérieure de l'église. En
292 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
1744, les pandours autrichiens campèrent dans l'édifice et la
révolution de 1793 en chassa les chanoines bénédictins.
J'ai dit plus haut qu'au dix-huitième siècle, le chapitre de
Haslach fut engagé dans des discussions pénibles avec l'évê-
ché ; il s'agissait du droit d'apposer les scellés sur les meubles
et papiers des chanoines. Le bailli épiscopal de Schirmeck
avait procédé à cette opération après la mort de Laurent Trenck
(1756), prêtre vicaire du chapitre, malgré les protestations
des chanoines, qui prétendaient relever dirf3Ctement du con-
seil souverain d'Alsace. En d'autres termes, Ilaslach, comme
fondation royale mérovingienne, voulait Vimmédiateté; elle
voulait être rattachée, sans chaînon intermédiaire, au gou-
vernement français, et rejetait la justice seigneuriale de la
régence de Saverne. Les récriminations du chapitre sont vives
et amères; dans un mémoire, annexé à ce dossier, on rappelle
les événements de la guerre de Trente ans et l'incendie de
l'abbaye qui ne put être sauvée, quoique le chapitre, quelques
années auparavant, eût fourni à l'évèché une contribution
volontaire à l'effet d'en être protégé.
Il n'est pas sans intérêt de connaître la situation des revenus
que percevait l'abbaye à peu près à la même époque. Dans un
extrait des registres de visite, on trouve qu'en 1758 elle rece-
vait 836 sacs de froment, 388 sacs de seigle, 187 sacs de mé-
teil, 984 sacs d'orge, 93 sacs d'avoine, 1438 mesures (Ohmen)
de vin blanc, 120 de vin rouge, le revenu de 69 arpents de
prairies et 2370 florins en argent. Ce ne sont point là ces
richesses exorbitantes, attribuées aux couvents par l'imagi-
nation populaire, qui aime à grossir les chiffres; mais il y
avait, en tout cas, un revenu sulTisant pour entretenir l'église
et une dizaine de chanoines. En 1770 encore, un décret, émis
par le vicaire général de Strasbourg, porte une augmentation
de 200 livres pour la compétence de chaque membre du cha-
pitre.
Ainsi, la situation de l'église de Haslach, aux approches
de la révolution , était prospère et les mœurs des capitulaires
VINGT-SIXIÈME LETTRE. 293
n'étaient plus sujettes aux reproches que leur adressait l'évêque
de Strasbourg- vers le commencement de la guerre de Trente
ans. En 1014, ce prélat leur défendait de chasser pendant les
offices, de porter des collerettes à fraise, et les barbes déme-
surément longues, à la mode du temps; il les engageait, en
un mot, à ne pas donner lieu à scandale. Les malheurs du
dix-septième siècle avaient porté remède aux abus signalés
par le prélat; de plus terribles épreuves encore attendaient
les chanoines de Haslach vers la fin du dix-huitième siècle;
les portes de leurs demeures, celles de l'église allaient être
fermées, les habitants dispersés ou emprisonnés. L'histoire
de toutes nos abbayes aboutit, en 93, à une fin uniformément
tragique.
Mais il n'en est pas tout à fait de même des destinées anté-
rieures de ces établissements. Ici nous retrouvons, au con-
traire, cette infinie variété qui caractérise l'histoire des hommes
et des institutions qu'ils fondent. Je vais , au sortir de Haslach ,
vous introduire dans le chapitre de Neuwiller, et vous verrez
que le site, les édifices, les événements forment avec ce que
nous avons observé dans la vallée de la Hasel, un étonnant
contraste.
-c<Cr^XSV>a-
294' ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
VINGT-SEPTIEME LETTRE.
Abbaye et chapitre de ■«cu'willep. — liC .site. — l>es deux église»*. —
l.eur histoire. — Troubles de la Réforme et de la guerre «le Trente
ans. — nansfeld. — Relations du chapitre avec IIanau-l.ichtcn
berg. — I^e duc de Teltre à IVenwiller.
Monsieur,
A Haslach, une seule église ogivale au milieu d'une contrée
de montagnes, de forêts, de prairies, nous a parlé du temps
d'autrefois. Le sort de ces bénédictins ne présente point d'in-
cidents très-variés; sauf les querelles avec Saint-Thomas et
les grandes guerres dont toute l'Alsace a souffert, rien ne
vient interrompre l'heureuse monotonie dans l'existence des
disciples et successeurs de saint Florent.
A Neuwiller, ce qui frappe de prime abord, c'est, au cœur
d'un pays ouvert, fertile, au pied de nos belles Vosges,
une riante bourgade à laquelle de beaux édifices capitulaires
donnent l'aspect d'une petite ville; deux églises, dont l'une
(Saint-Pierre et Saint-Paul) réunit tous les styles d'architec-
ture, depuis le byzantin du onzième siècle jusqu'aux replâ-
trages du dix-huitième; et dont l'autre (celle de Saint-Adelphe),
quoique mutilée et privée de son chœur, présente un ensemble
harmonieux du style plein cintre; et ces deux églises, comme
nous allons le voir, témoins vivants de l'existence d'une collé-
giale qui les tenait réunis, dès la fin du quinzième siècle,
sous une commune loi; puis, aux environs de Neuwiller, et
dominant la bourgade au haut d'une montagne escarpée, le
Herrenstein, cette demeure féodale si intimement liée à l'his-
toire de la communauté; enfin, à quelque distance du bourg,
et plus en plaine, la ville de Bouxwiller, siège de la famille
de Hanau-Lichtenberg, dont les rapports ou les conflits avec
l'abbaye et le chapitre en diversifient l'histoire.
Si l'époque précise de la fondation de l'abbaye de Neu-
VINGT-SEPTIÈME LETTRE. 295
willer, communément atlribuée à Sigebaiid, évoque de Metz,
n'est point connue, il est à peu près avéré que saint Firmin,
au commencement du huitième siècle, en fut le premier
abbé. Cette origine nous ramène en tout cas à l'époque mé-
rovingienne, comme pour Ilaslach et comme pour Wissem-
bourg, Marnioutier et d'autres abbayes de l'Alsace.
Drogon, fils naturel de Gharleraagne et évêque de Metz, y
transporta, vers 816, les reliques de saint Adelphe, et re-
construisit l'église, qui avait été dévastée par un incendie en
750. Les chapelles souterraines de l'église actuelle remonte-
raient, d'après Schweighaeuser, jusqu'à cette époque carlo-
vingienne*.
L'église et l'abbaye étaient consacrées à saint Pierre et saint
Paul ; toutefois, les reliques de saint Adelphe y étaient aussi
vénérées jusqu'au douzième siècle ; alors une seconde église
fut construite hors de l'enceinte du monastère bénédictin ; la
châsse du saint y fut transportée, et des chanoines spéciale-
ment attachés à ce service constituèrent la collégiale de Saint-
Adelphe.
Pendant plus de trois siècles, l'abbaye et la collégiale vé-
curent ainsi l'une à côté de l'autre , la plupart du temps unies
de cœur, quelquefois divisées d'intérêts. Un compromis entre
Erpho, abbé de Saint-Pierre et Saint-Paul de Neuwiher, et
Philippe, économe de Saint-Adelphe, révèle, dans la seconde
moitié du douzième siècle déjà, un désaccord entre les deux
établissements.
Il paraît, au surplus, que l'abbé exerçait un droit de sur-
veillance sur la collégiale ; car, à la date de 1303, Guillaume,
abbé de Neuwiller, fit un règlement en vertu duquel nul ne
pouvait être reçu chanoine de Saint-Adelphe, à moins de
s'engager à prendre les ordres dans l'espace d'une année.
' Voy. les Antiquités d'Alsace, l. II, p. 136; et, sur la chapelle de Sainl-
Sébaslien , les discussions soulevées dans le Comité historique d'Alsace, dès
les premières séances {Bulletin, t. I^"').
296 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Plusieurs pièces du même siècle se rapportent à une discus-
sion élevée entre l'abbé Dielmannus et Jean de Créhanges , le
cellerier, qui ne s'était point conformé au règlement de 1303;
confiné dans l'intérieur du cloître , Jean le cellerier rompit
son ban et fut privé de sa prébende (1334 à 1336).
Des règlements émis par l'évèque Berthold , de 134-3 à 1345^
constituent pour l'abbaye des espèces de lois somptuaires.
Défense expresse est faite aux moines de se servir de capu-
chons de soie au lieu de capuchons de peau de mouton, de
porter des couteaux-poignards comme les laïques dissolus,
d'innover dans le costume, de trop peu marquer la tonsure.
Les règlements de 1362 défendent les jeux de hasard, la fré-
quentation des auberges , le port d'armes , les promenades
dans les rues en jouant de la guitare. Une lettre de l'abbé
Otton blâme les chanoines qui ont pernocté hors de l'enceinte
du cloître. La tendance à la sécularisation était donc indiquée
par les mœurs mêmes d'un couvent qui regimbait contre la
sévérité de la règle monastique.
Le 28 décembre 1496 amène dans la situation respective
des deux églises de Neuwiller un changement radical. C'est
la date d'une bulle d'Alexandre VI qui sécularise l'abbaye,
c'est-à-dire qui la transforme en chapitre, et ses moines en
chanoines séculiers; au nouveau chapitre elle incorpore aussi
l'ancienne collégiale de Saint-Adelphe, dont l'existence sépa-
rée cesse dès ce moment.
Ce n'était pas trop de l'union officielle de ces deux églises,
pour faire face aux difficultés du seizième et du dix-septième
siècle. Au moment où l'incorporation de Saint-Adelphe avec
Saint-Pierre et Saint-Paul s'accomplissait, on n'avait sans
doute pas encore la prévision ou le pressentiment des ca-
tastrophes instantes ; mais il est permis de dire que , sans cette
fusion, les deux communautés isolées n'auraient peut-être
pas résisté à toutes les attaques et aux calamités qui vinrent
fondre sur le chapitre.
Les agitations commencèrent dès 1502. A cette époque.
VINGT-SEPTIÈME LETTRE. 297
de nouveaux statuts étaient devenus nécessaires. Hugues de
Fegersheini , prévôt de Saint-Pierre et Saint-Paul , en pro-
mulgua, avec le consentement des seize chanoines du cha-
pitre. Il semblerait que ce règlement n'ait point remédié aux
désordres intérieurs ; car, en 1520 déjà, Walther de Butten ,
successeur de Hugues, formule des plaintes contre des abus
qui s'étaient glissés dans la congrégation.
En face de la Réforme^ le chapitre, au lieu d'être en bonne
harmonie , passa souvent son temps en procédures intérieures
pour de mesquines redevances. Le nom de Conrad Rhyn-
prucker, qui avait été nommé prévôt sous l'influence du
comte de Hanau-Lichtenberg, seigneur temporel de la ville
de Neuwiller, se mêle à toutes ces discussions. Rhynprucker
rendit au décuple à son patron laïque les services qu'il avait
reçus de lui ; en plus d'une occasion il lui sacrifia les intérêts
du chapitre. Lorsqu'il mourut, la communauté crut être dé-
livrée d'un traître et d'un tyran.
Dans la première moitié du dix-septième siècle, le chapitre
traversa des tribulations bien plus grandes que celles de la
Réforme, qui, après tout , ne lui enleva que l'usage de l'église
de Saint-Adelphe et quelques revenus. Mais la guerre de Trente
ans vint impitoyablement frapper la communauté. Au mois
de décembre 1620, le comte Reinhard de Hanau offre aux
chanoines de conserver, dans son château de Lichtenberg, les
actes qu'ils voudraient soustraire aux chances de la guerre;
il s'engage à les recevoir eux-mêmes dans cet asile alors ré-
puté inexpugnable. Des ordres donnés par le comte à ses
agents forestiers prescrivent d'emporter des magasins du
chapitre de Neuwiller une grande quantité de céréales et de
vider les caves pour prévenir le pillage. Le dernier jour de
cette même année, il engage itérativement les chanoines à se
réfugier dans le fort de Bitche, comme seul moyen d'échap-
per aux vexations des soldats de Man^feld.
Dans les premiers mois de l'année suivante, nous sommes
en pleine guerre. A la date du 15 février, Michel Obertraut,
298 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
colonel allemand, mande aux chanoines réfugiés àBitche,
qu'ils aient à envoyer un délégué à Haguenau , pour y traiter
d'une seconde contribution de guerre, exigée par le feldma-
réchal Mansfeld. Le colonel s'abrite derrière les ordres reçus
et conseille aux chanoines de s'exécuter pour prévenir de
plus grands malheurs. Au dos de la lettre est minutée la ré-
ponse : (c Le chapitre allait en référer au comte de Hanau , et
priait en attendant le colonel de prendre pour sa part 10,000
rixdalers ! » — Malgré l'intervention du comte de Hanau,
Mansfeld demeura inflexible et exigea une contribution de
15,000 florins.
Des questions de patronage d'église et d'avouerie agitent
le chapitre après la paix de Westphalie , et occasionnent de
fréquents conflits avec les comtes et la régence de Hanau-
Lichtenberg.
Au dix-huitième siècle , la réunion de l'Alsace à la France
ayant amené, par lettres patentes du roi, des chanoines fran-
çais à Neuwiller, des luttes entre les deux nationalités ont lieu
dans l'intérieur de la communauté. Nous verrons le môme
spectacle se reproduire dans d'autres établissements religieux
d'Alsace. A Neuwiller, comme à Marmoutier, on accueillait
sans empressement, souvent avec répugnance, les collègues
d'au delà des Vosges.
Des conflits de juridiction entre le chapitre et les princes
de Hesse-Darmstadt, successeurs des Hanau-Lichtenberg, se
prolongent pendant tout le dix-huitième siècle jusqu'aux jours
néfastes où les deux partis hostiles furent englobés dans une
ruine commune.
Le chapitre de Neuwiller avait des propriétés et des rentes
dans tous les villages des environs et sur d'autres points de
la Basse-Alsace. A Strasbourg même , le prévôt et les chanoines
avaient un hôtel, dont l'architecture, à la fois solide et élé-
gante, fait encore de nos jours contraste avec la plupart deS:
habitations du même quartier. Les belles habitations cano-
niales de Neuwiller se trouvent maintenant presque toutes
9
VINGT-SEPTIÈME LETTRE. 299
entre les mains de propriétaires laïques. Vous pouviez, en
passant au commencement tic la Restauration sous les croi-
sées de l'un de ces hôtels, voir, de nuit, les reflets d'une
lampe solitaire; ils éclairaient les travaux d'un homme de
guerre, d'un ministre du premier Empire; le duc de Feltre
(Clarke) y terminait silencieusement, au milieu de pacifiques
études , une existence laborieuse qui avait été mêlée aux
grandes affaires de son pays.
Et que de faits, que de discussions concentrées dans ce
coin de terre depuis la fondation de l'abbaye carlovingienne!
Que de bulles pontificales ' , pour régler les intérêts religieux
ou confirmer les privilèges de l'abbaye de Drogon ! Que de
titres pour constater les donations, les actes de propriété de
toute nature qui formèrent peu à peu le patrimoine de la double
communauté de Saint-Pierre et de Saint-Adelphe! Que de
transactions pour mettre fin à des conflits multiples, renais-
sants comme la tête de fhydre de Lerne! Que de statuts et de
règlements pour maintenir ou rétablir l'antique discipline!
Que de guerres, de dévastations, que de mutations dans f as-
pect extérieur du sol, que d'ébranlements dans les consciences
et de métamorphoses morales! Quel rayonnement d'influence
au loin par la communauté des prières, par la nomination de
prêtres et de prébendiers dans plus d'une cure, dans plus
d'une chapelle de cette contrée moyenne de l'Alsace! Que
d'agitation aussi pour des causes souvent futiles ! Tels que
nous les avons vus dans les principales phases de leur exis-
tence , l'abbaye et le chapitre de Neuwiller occupent , dans
l'histoire ecclésiastique de notre province^ une assez large
place; ils nous montrent, à plusieurs époques du moyen âge,
dans l'intérieur de l'ancien couvent, la lutte sourde, compri-
mée de la chair en révolte contre l'esprit inflexible de la règle;
plus tard, la lutte du pouvoir spirituel avec le pouvoir tem-
porel. Comme site, Neuwiller, l'abbaye et la ville nous offrent,
' Le fonds de Neuwiller est un des plus riches en bulles.
300 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
côte à côte, le double caractère de notre belle province;
d'une part la plaine avec ses molles ondulations et ses cbamps
fertiles; la vigne et le châtaigner mariant leur riche végéta-
tion sur le flanc des coteaux ; puis les montagnes avec leurs
vallées agrestes et leurs forêts productives, objets de bien
des contestations.
Les moines établis au cœur de ces domaines , sur la lisière
de deux climats, de deux configurations de terrain toutes
diverses, avaient-ils la conscience de ces beaux sites et de
leurs efl"ets pittoresques que nous ne nous lassons pas d'ad-
mirer?
Il me semble qu'on ne saurait refuser aux Bénédictins et
aux autres corporations religieuses un tact exquis dans le
choix des sites où s'élevaient leurs cloîtres et leurs lieux de
prières. Plus réservés , plus tempérants que nous dans l'ex-
pression de leur pensée, ils ne faisaient point la description
des tableaux qui les entouraient. En jouissaient-ils moins que
nous? Je me refuse à le croire; les abbés Erpho ou Bie-
tramnus, tout en réglementant la vie de leurs subordonnés,
avaient, sans doute, l'àme ouverte aux grands spectacles de
la nature; même au milieu des événements du seizième et du
dix-septième siècle, plus d'un chanoine de Neuwiller, en gra-
vissant les hauteurs du Ilerrenstein ou du Ilûnebourg, faisait
trêve à ses douleurs, et se fortifiait pour la lutte avec les
hommes dans la contemplation des œuvres de Dieu.
VINGT-HUITIÈME LETTRE. 804
VINGT-HUITIEME LETTRE.
Toiid<« du prieure de JSteigc et tlu chapitre de Saverne. — Fonds du
ciiapitrc de Haguenaii-Surbourg. — Fond!« de l*abliaye ou de la
prévôté de Seitz. — I/impératriee Adélaïde. — Sa jeunesse en Italie.
— Sa délivrance par Otton-ie-Orand. — Son as;e n«ùr et ma vieil-
lesse en Alleiuag;ne et eu Alsace. — Fondation de l'abbaye de Selts.
— îMort de l'impératrice.
Monsieur,
Lorsqu'au delà de Wasselonne vous pénétrez dans la soli-
taire vallée de la Mossig, que vous suivez ce cours d'eau dans
la direction du Scbnéeberg" et que vous montez ensuite par
les forêts du Freudeneck, sur l'un des contreforts des Vosges,
vous trouvez dans ce désert forestier une petite église romane ,
classée parmi les monuments historiques de la Basse-Alsace:
c'est l'église d'Obersteige, qui nous rappelle un ancien prieuré,
fondé par un comte de Dabo dans le courant du douzième
siècle. La destination primitive de cet asile monastique avait
été de donner, dans ces montagnes inhospitalières, des soins
aux malades et aux pauvres voyageurs. Les pontifes, pendant
le treizième siècle, laissèrent tomber des regards favorables
sur cette église et sur ce couvent perdus au cœur d'un pays
de forêts et de montagnes. Des bulles-priviléges d'Innocent IV
et de Nicolas V sont émises en faveur de Steige. Mais en 1303,
en vue de la détresse du temps, du peu de sûreté de ces routes
solitaires et de l'impossibilité où se trouvaient les frères de
vaquer à leurs devoirs hospitaliers, Frédéric de Lichtenberg,
évêque de Strasbourg, frère de l'illustre protecteur d'Erwin,
transféra les moines de Steige à Saverne. Une bulle de Clé-
ment V ratifia la translation de ce couvent-hospice, qui était
dédié à la Sainte-Vierge,
Le couvent primitif, toutefois , ne fut pas complètement
abandonné. Quehjues conventuels continuèrent à y résider;
302 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN.
il y eut même partage régulier des propriétés (en 1807) entre
les frères de Steige et ceux de Saverne ; mais au quinzième
siècle, les premiers quittèrent définitivement l'asile forestier,
où ils furent remplacés par les religieuses de Klingenthal.
A Saverne , des discussions sur le service divin , sur la per-
ception des offrandes et les attributions respectives ne tar-
dèrent pas à s'élever entre les conventuels de Steige et le curé
paroissial. A plusieurs reprises les évèques de Strasbourg
durent intervenir et réglementer les rapports mutuels. A la
fin on préféra fondre le couvent avec la paroisse. Une bulle
de Sixte IV (1483) sécularisa le couvent de Sainle-Marie, qui
devint chapitre de Saverne, et celui-ci poursuivit dès lors sa
carrière, sans subir d'autres alternatives de bonne ou de
mauvaise fortune que celles auxquelles fut exposée la ville de
Saverne elle-même. C'est dire que les grandes crises sociales
du seizième et du dix-septième siècle éprouvèrent fortement
le chapitre.
Ces quelques notes historiques sont empruntées au fonds
même annoncé en tête de cette lettre ; ce n'est point un des
plus considérables de notre collection , et je puis me dispen-
ser d'en parler davantage pour passer à Haguenau et sur la
lisière septentrionale de la forêt sainte, qui a pris son nom
de cette ville préfectorale.
Le premier établissement d'une collégiale à Haguenau date
de l'empereur Rodolphe de Habsbourg. Par son ordre , un
prévôt et des chanoines furent installés dans l'église de Saint-
George en 1287. Pendant les troubles du quinzième siècle,
il fut question de transférer le chapitre de Haguenau à Sa-
verne; on y renonça. Au dix-septième siècle, tout au con-
traire, on songeait à transférer à Haguenau même une col-
légiale voisine, celle de Surbourg, située au nord de la forêt;
mais cette proposition rencontra des obstacles et ne fut réa-
lisée qu'en 1738.
La collégiale ou le chapitre de Surbourg, que je viens de
citer pour la première fois, datait, comme abbaye, du sep-
VINGT-HUITIÈME LETTRE. 303
tiéme siècle; elle avait clé fondée, vers 676, par Dagobert II,
et jouissait, dès son origine, d'une souveraineté régalienne.
Sécularisée vers le commencement du treizième siècle, la
collégiale de Surbourg eut l'honneur de fournir plusieurs
prélats à notre siège épiscopal ; Frédéric de Lichtenberg,
Erasme de Limbourg , Jean de Manderscheid avaient été cha-
noines de Surbourg avant d'y monter.
L'église romane de Surbourg, dédiée à saint Martin et à
saint Arbogast, est d'une grande simplicité*. Une lettre d'in-
dulgence, émise par une série de cardinaux en faveur de ce
sanctuaire, mérite de fixer un instant notre attention. Les
chartes historiées sont rares dans notre dépôt.
Dans les fleurs ou arabesques, qui forment une bordure
longitudinale sur les deux côtés du parchemin, se trouve en-
cadrée , à la gauche du lecteur, la figure de saint Martin à
cheval, découpant, selon la légende, une partie de son man-
teau pour en revêtir la nudité d'un pauvre. A la droite du
lecteur saillit la figure de l'évêque saint Arbogast, dont les
instances auprès du roi d'Austrasie avaient amené la pre-
mière fondation de l'abbaye de Surbourg.
Le nom de Grégoire, cardinal-évêque d'Ostie, qui se trouve
en tête de la charte, est formé par des lettres enluminées.
Dans la lettre initiale on voit encadrée la figure de la Vierge
avec l'enfant Jésus. Une bordure en fleurs est suspendue en
ligne transversale, comme une guirlande, au haut de la
charte; la partie inférieure n'a point d'ornementation. Une
tête noire — celle du Christ — imprimée sur le suaire est
placée au centre de la bordure supérieure.
Toutes ces peintures sont grossières ; mais l'ensemble ne
laisse pas de produire un effet agréable; les physionomies
des saints ne sont pas dépourvues d'animation : celle de la
Vierge manque de noblesse. Les arabesques sont gracieuses
et les couleurs d'une belle conservation.
' L'église paroissiale élait dédiée à saint Jean.
304 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
La translation de la collégiale de Surbourg à Haguenau a
laissé des traces nombreuses dans nos archives. Une longue
correspondance, des règlements, des procès-verbaux, des
lettres-patentes du roi servent à constater ce fait majeur,
amené par la décadence de l'établissement. A plusieurs re-
prises on avait tenté de mettre à exécution une mesure pa-
reille. Pendant la guerre de Trente ans, en 1622, des confé-
rences furent tenues à cet effet à Saverne; mais le chapitre de
Surbourg fît rédiger un mémoire contre ce projet, en basant
son refus sur l'exiguité des revenus, « qui seraient insuffisants
« pour les chanoines s'ils devaient résider à Haguenau ; » on
appuyait de plus sur l'impossibilité de meltrc à profil les
terres et les jardins de Surbourg dans le cas où la collégiale
y serait transférée. Un rapport des commissaires épiscopaux
(1631) sur les moyens de prévenir la ruine de Surbourg dé-
montre la nécessité de destituer le prévôt, le doyen et quel-
ques chanoines; le tout appuyé de preuves tirées de la con-
duite de ces dignitaires.
Au dix-huitième siècle, lorsque l'œuvre de la translation
eut été consommée , on vit s'élever des querelles assez fré-
quentes avec le curé de Saint-George de Haguenau , pour des
affaires de compétence et pour des droits de préséance au
chœur. Deâ démêlés analogues eurent heu avec les Prémon-
trés de Haguenau pour des questions de préséance dans une
procession; plus d'une fois, je pense, les chanoines durent
regretter l'asile paisible de Surbourg, que leurs prédéces-
seurs n'avaient pas voulu quitter.
En sortant de Surbourg, et en longeant la forêt de Hague-
nau, vers l'est, nous nous trouvons sur les bords du Rhin ,
en face de la très-ancienne ville de Seltz. Ici l'abbaye (plus
tard prévôté et chapitre), fondée par l'impératrice Adélaïde,
doit nous arrêter pendant quelque temps. Avant de parler du
fonds de ce chapitre et du point de départ même de l'abbaye
primitive, je demande la permission de retracer, de mon
mieux, cette noble et belle figure de princesse et de femme
VINGT-HUITIÈME LETTRE. 305
qui, aux côtés de l'ôvêquc Erkanbold, domine l'histoire ec-
clésiastique d'Alsace pendant la seconde moitié du dixième
siècle.
La poésie populaire et la légende ont orné, ont immorta-
lisé le nom de l'impératrice Adélaïde ; je veux avant tout dire
la simple histoire de cette princesse, appelée par la provi-
dence du fond de l'Ialie sur le trône d'Allemagne et dans nos
contrées rhénanes , où le souvenir de son nom se rattache
surtout à la fondation de l'abbaye de Seltz.
Dans la première moitié du dixième siècle, l'Italie était
déchirée par des factions; les grands de la Lombardie, pour
se rendre indépendants, avaient l'adresse d'opposer conslam-
ment aux rois d'Italie, des princes de maisons étrangères.
Ainsi, l'on vit Déranger de Frioul lutter avec Guy, et Lambert
de Spolète avec Louis et Rodolphe de Bourgogne; puis Ro-
dolphe de Bourgogne lutter à son tour avec Hugues de Pro-
vence.
Ce dernier parvint à se maintenir comme roi d'Itahe; il
épousa la reine Berthe, veuve de Rodolphe, et fit épouser à
son fils Lothaire la princesse Adélaïde, fille de Derthe et de
ce même Rodolphe, de son vivant roi d'Italie et de Bourgogne
cis-jurane.
Adélaïde, épouse de Lothaire, était, selon tous les témoi-
gnages contemporains, éclatante de beauté; sa carrière,
comme impératrice, prouve que les grâces de son sexe n'étaient
que les ornements extérieurs d'un caractère viril et d'une
intelligence incomparable.
Déranger, marquis ou margrave d'Ivrée, parvint à grandir
et à prendre de l'influence dans le nord de l'Italie contre
Hugues de Provence. On reprochait à ce dernier d'avoir mé-
nagé les Sarrasins, qui poussaient, du fond de l'Italie méri-
dionale, leurs avant-postes jusque dans les passages des Alpes.
Ce seul trait caractérise la situation du pays et l'anarchie de
l'époque.
Les grands et les prélats abandonnèrent Hugues, qui se retira
20
306 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
dans ses domaines en Provence^ laissant le fardeau du gou-
vernement à son fils Lolhaire, couronné roi d'Italie. Peu de
temps après, Lothaire mourut à Turin, empoisonné, dit-on,
par le fait de son concurrent Béranger (22 novembre 950).
Adélaïde restait veuve; elle était jeune, belle, et représen-
tait, sinon des droits héréditaires , du moins un parti puis-
sant. Béranger demanda sa main, non pour lui-même, mais
pour son fils Adalbert; et ayant éprouvé un refus, il empri-
sonna la veuve royale dans un château sur les bords du lac
de Côme; d'autres versions placent le cachot de la reine
Adélaïde sur les rives du lac de Garde'. La religieuse Ilros-
witha, à peu près contemporaine de la veuve de Lothaire,
affirme que Bérang:er d'Ivrée confina la belle reine dans un
château, uniquement par esprit de vengeance et pour s'em-
parer de ses bijoux, de ses trésors; elle ne parle point de
projets de mariage repoussés par la veuve de Lothaire.
En prison, Adélaïde n'avait d'autre société que celle d'une
servante et d'un clerc; la garde de sa personne était confiée
à un comte. Elle parvint à s'échapper (le 20 août 951), grâce
au prêtre qui avait pratiqué un corridor souterrain, donnant
issue dans la campagne. A travers des périls sans fin et des
aventures, oîi le roman se mêle évidemment à l'histoire,
Adélaïde eut la bonne chance d'être recueillie par l'évêque
Adelhard de Reggio , qui la cacha dans le château de Canosse ,
dans cette résidence historique, au pied de l'Apennin, où,
125 ans plus tard, l'empereur Henri IV subit, devant Gré-
goire Vil, une humiliation sans exemple dans l'histoire de
l'Empire et du monde chrétien.
Nous allons laisser un instant Adélaïde dans son nouvel
asile, et nous reporter au nord des Alpes, d'où son hbéraleur
devait lui arriver.
Tandis qu'au dixième siècle l'Italie et la France contem-
poraine se fractionnaient, il s'opérait au contraire, en Alle-
' Annales de Trêves , l. 1^'', p. iSQ, cilécs par Ranke el Dœnnigès.
VINGT-HUITIÈME LETTRE. 307
magne, un travail d'organisation et de concentration , comme
si, sur le théâtre mobile de l'histoire, les contrastes devaient
toujours et partout se trouver côte à côte pour l'amusement
et l'instruction des hommes.
Ollon Icr, celui qui allait douze ans plus tard poser sur son
front la couronne impériale de Charlemagne , Otton I^r , roi
de Germanie, avait, depuis son avènement en 936, poursuivi
l'œuvre de son père, Henri l'Oiseleur, avec un éclatant suc-
cès ; à l'est de l'Allemagne il avait maintenu et battu les Hon-
grois, maîtrisé les Slaves au nord-est, dompté les Danois au
nord et pesé à l'ouest sur les rois carlovingiens de France.
Etendre son influence au midi des Alpes , écraser les Sarra-
sins et le mahométisme en Italie, comme il avait fait du pa-
ganisme magyare et slave, pousser jusqu'en Toscane et à
Rome, telle devait être l'ambition de ce souverain, le pre-
mier roi d'Occident, qui, depuis Karl-le-Grand , avait toutes
les qualités du héros et de l'homme d'État.
H descendit en Italie (septembre 951), rallia à lui les prélats
lombards les plus influents, s'empara de Vérone et de Milan,
Se fit déclarer roi des Francs et des Lombards , et mit en fuite
Béranger, qui quitta furtivement sa résidence de Pavie.
Cette promenade militaire d'Otton-le-Grand s'était faite,
d'après quelques chroniquem^s , sur l'appel même de la reine
Adélaïde ; mais c'est là une circonstance quelque peu dou-
teuse. A cette époque , Otton touchait déjà à sa quarantième
année; il avait, de son premier mariage, un fils, Ludolphe,
duc de Souabe , qui servait dans les rangs de l'armée impé-
riale et qui allait peu de temps après jouer le rôle de fils re-
belle. Que des motifs politiques aient rapproché Otton et
Adélaïde, cela est très-croyable; mais travestir complaisam-
ment ce fait en une passion mutuelle ou même unilatérale ,
ce serait avoir trop de complaisance pour les traditions ro-
manesques dont la vie d'Adélaïde est semée.
Otton voulait, par la main d'Adélaïde, acquérir des droits
sur la Lombardie; il invita la princesse à se rendre à Pavie ,
308 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
et délégua auprès d'elle, pour l'escorter, son frère Henri,
duc de Bavière. Ce mariage de raison, improvisé, se fit vers
Noël 951.
Gregorovius, l'éminent historien de «la ville de Rome au
moyen âge, résume en quelques paroles énergiques les noces
d'Otton : « Lorsqu'il serra dans ses bras nerveux la jeune reine
« de Lombardie, cette princesse devint le symbole de l'Italie
«qui se donnait à lui. »
En février 952, le nouveau roi d'Italie quitia la Lombardie
avec sa jeune épouse, et se rendit, par le Saint-Bernard,
Saint-Maurice et Zurich, dans ses Etats d'Allemagne. Béran-
ger, marquis d'Ivrée, vint faire acte de soumission à Magde-
bourg. Voilà l'histoire, dépouillée de tout ornement parasite.
Ne vous semble-t-il pas que ces contours seuls indiquent un
tableau assez complet sans que la fiction vienne y appliquer
ses couleurs ou son cadre d'arabesques?
Je me garderai toutefois de vous priver ou plutôt de vous
faire grâce des principaux traits que la légende a mêlés aux
événements positifs; il est toujours bon d'observer ce travail
que l'imagination populaire accomplit sur la réalité. J'em-
prunte les linéaments de ces circonstances romanesques à
une série de chroniqueurs reproduits par Muratori * et extraits
par Doénnigès-.
Dans sa fuite mystérieuse, la reine d'Italie, la belle veuve
de Lothaire, est cachée dans un champ de blé; ses persécu-
teurs traversent le même champ; mais la protection visible
de Dieu et du Christ cache et sauve la fugitive. D'après Odilon
de Cluny, elle s'est réfugiée dans un marais; elle est épuisée
de fatigue, de froid et de faim. Un pauvre pêcheur la dé-
couvre : «Qui êtes-vous, que faites-vous ici?» — Elle répon-
dit : « Ne vois-tu pas que nous sommes loin de tout secours
^ Scriptores , rer. ital. Il, p. 734. C'est la clironique delN'ovalose, Boui-
zon, Léon d'Oslie, Donnizoïi, Odilon de Cluny elc.
-Annales de l'empire germanique sous Otlon /«■■, p. 173.
VINGT-HUITIÈME LETTRE. o09
« des hommes, el, ce qui est bien plus dur, que nous pcris-
« sons de soucis et de faim. Si tu le peux, donne-nous quel-
ce que nourriluie , console-nous.» Et l'autre, ému de pitié,
répliqua : « Nous n'avons rien à manger que du poisson , rien
« à boire que de l'eau. » Le pêcheur, comme tous les gens de
son métier, avait du feu; il allume un brasier, prépare un
poisson. La reine goûte de cette nourriture; le pêcheur et la
servante l'assistent. Alors survient le clerc, le compagnon de
sa prison et de sa fuite; il annonce l'approche d'une troupe
de vassaitx armés, qui accueillent la reine avec des transports
de joie et la conduisent dans un castel inabordable. — Telle
est la version d'Odilon de Cluny.
D'après la chronique de Novalèse, la reine, pendant sa re-
traite dans les marais, est exposée aux désirs impudiques de
l'un de ses compagnons de voyage et sauvée par la miracu-
leuse conversion de cet ami hypocrite et infidèle. Ces détails
sont pleins d'intérêt, mais peu édifiants; je n'oserais les re-
produire ; le langage naïf des chroniques blesserait nos oreilles
modernes.
Arrivée à Canosse, la reine y est assiégée pendant trois ans
par le terrible Béranger, et c'est du fond de ce château qu'elle
envoie un message au roi de Germanie. Otton arrive sur les
ailes du vent, rapide et terrible comme la foudre; à l'aide
d'une flèche il fait lancer par dessus le camp des assiégeants
une lettre à l'adresse de la reine, avec un anneau nuptial,
jusque dans le château de Canosse; le siège est levé, Béran-
ger pris ; on lui crève les yeux par ordre d'Otton et on le
relègue à son tour au fond d'un cachot.
L'un des chroniqueurs reproduits par Muratori met sur
le comte d'Otton II, fils d'Otton ler, la délivrance de la reine.
C'est le roman complet. Là jeune et belle princesse ne pouvait
et ne devait être délivrée que par un jeune prince; l'union
des deux cœurs devait précéder ou couronner l'œuvre de la
politique.
Donnizon, le biographe de la comtesse Mathilde d'Esté, ra-
310 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
conte incidemment la merveilleuse délivrance d'Adélaïde; il.
la fait sortir de prison sm^ les bords du lac de Garde, à l'aide
d'un prêtre très-adroit, nommé Martin, qui se constitue am-
bassadeur de la reine auprès de l'évêque Adélard et d'Olton,
seigneur de Canosse, en éprouvant la fidélité de ces grands
vassaux par une ruse mélodramatique. Il leur annonce la
fausse nouvelle de la mort d'Adélaïde, leur arrache des larmes
non douteuses et leur confie, seulement après cette épreuve,
le sort de la belle fugitive.
Nous allons maintenant rentrer en Alsace, à SeUzmôme,
dont l'abbaye, comme je l'ai indiqué au début de ce récit,
doit son origine à l'auguste épouse d'Ollon-le-Grand,
Après les incidents tragiques de son premier veuvage, ar-
rivent pour l'impératrice Adélaïde les jours d'une éclatante
prospérité. Pendant la durée de trois règnes, elle exerce une
influence majeure sur les affaires publiques et trace dans nos
contrées un sillon lumineux sur son passage. Elle aimait l'Al-
sace plus que les autres provinces du vaste empire germa-
nique. Ne pourrions-nous pas chercher les motifs de cette
prédilection dans le climat tempéré de la belle vallée du Rhin,
dans les demeures royales construites par les Mérovingiens et
les Carlovingiens, qui rappelaient un peu à l'impératrice les
palais de la Lombardie, dans ces couvents enfin qui s'éle-
vaient de toute part, en plaine et sur les hauteurs, et dont
elle allait augmenter le nombre?.... Qui sait si le souvenir de
la fondatrice de ïlohenbourg, et celui de l'épouse persécutée
de Charles-le-Gros n'ont pas contribué à attirer dans notre
pays ce cœur ouvert, dès sa jeunesse, aux grandes émo-
tions ?
L'impératrice Adélaïde avait appelé auprès d'elle sa mère,
la reine Berthe, et avait décidé son royal époux à donner à
cette princesse l'abbaye (i'Erstein (953). Elle-même obtint
d'Otton l'abbaye de Wissembourg, celle d'Andlau et les cinq
fermes royales de lîochfelden, Sermersheim, Schweighausen ,
Mertzwiller et Sellz (donation du 16 novembre 968), cette
VliNGT-HUITIÈME LETTRE, 311
dernière située près de remplacement du Sqjtetio des Romains,
que le fleuve capricieux du Rhin avait englouti.
Le fils d'Adélaïde, l'empereur Olton II, confirma (en 975)
toutes ces donations et vit avec plaisir l'impératrice douairière
conférer à l'abbaye de Murbacli de vastes propriétés sises à
Ammerswyr. Enfin, sous l'empereur Otton III, fils d'Olton II
et de Théophanie, Adélaïde fonda en 987 l'abbaye de Sellz au
milieu des domaines que l'empereur Otton-le-Grand avait dé-
tachés du fisc royal pour en doter son épouse. Ce patrimoine
de l'abbaye de Seltz était appelé la propriété spéciale d'Adé-
laïde' et comprenait, sur un terrain de deux lieues de long
et d'une lieue de large, quatorze communes dont neuf sur la
rive droite et les autres sur la rive gauche du Rhin. Par la
volonté de la pieuse fondatrice, cette terre, libre et impériale
dans l'origine, devint terre ecclésiastique; la juridiction toute-
fois demeurait réservée à l'Etat.
L'impératrice ne s'en tint point à cette première libéralité.
L'abbaye bénédictine de Seltz obtint successivement de l'em-
pereur Otton III, petit-fils d'Adéaïde, la confirmation de toutes
ses propriétés (992) et l'octroi de grands privilèges, par
exemple celui d'élire librement son abbé (993) , le droit de
tenir un marché dans cette localité de Seltz, où affluaient les
voyageurs des deux rives du Rhin et ceux qui allaient du nord
au midi et du midi au nord de la Germanie. Le droit régalien
de battre monnaie et de percevoir un péage fut conféré à l'abbé
par le même souverain, sur les instances de son aïeule, qui
fit consacrer par l'évêque Wiederhold (992) cette création,
sur laquefie se concentra, pendant le reste de sa longue car-
rière, toute son affectueuse sollicitude. Adélaïde mourut le
15 décembre 999, presque sur la limite de deux siècles, à la
clôture d'une période qui avait vu la reconstitution de l'Italie
et de la Germanie. A cette œuvre, l'impératrice Adélaïde avait
pris une part active; à l'intelligente prévoyance de l'âge mûr
' Proprium Adelheidis.
312 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
et de la vieillesse ^vait succédé l'agitation involontaire de sa
jeunesse; elle avait été l'amie et la conseillère de son époux,
la directrice de son fils et de son petit-fils, l'aide et le soutien
de quelques-uns de nos grands évêques*; elle fut l'objet de
la vénération des fidèles, et l'église reconnaissante récom-
pensa les immenses services rendus par elle aux cathédrales
et aux abbayes, au clergé séculier et au clergé régulier, en
lui conférant les honneurs de la canonisation.
Cette illustre et sainte impératrice reposait à Magdebourg
dans le même caveau que son époux, qui l'avait précédée de
plus d'un quart de siècle dans la tombe-. Le nom d'Adélaïde
est inscrit en lettres d'or dans l'histoire ecclésiastique et poli-
tique de l'Europe ; l'Alsace est, à bon droit, fièie de rattacher
à ses annales du dixième siècle le souvenir de celle grande
princesse.
Quelques mots seulement sur les destinées de l'abbaye fon-
dée par Adélaïde.
L'empereur Henri VII conféra, en 1309, le titre de prince
à Jean, abbé de Seltz, et érigea en principauté les terres de
son domaine. Le pape Sixte IV convertit l'abbaye en collégiale,
et l'électeur palatin Frédéric III, en confisquant ses revenus,
l'érigea en Académie équestre.
Après la réunion de l'Alsace et de Strasbourg à la France,
Louis XIV, ne voulant pas rendre tous les revenus de la collé-
giale de Seltz à leur primitive destination, en donna une partie
au collège des jésuites de Strasbourg (1691).
Je n'ai pas le courage, après avoir fait le récit de la vie de
l'impératrice Adélaïde, de vous entretenir du fonds même de
l'abbaye de Seltz ; il consiste en titres de propriété plus ou
moins importants et en papiers de comptabilité; le souvenir
de la fondatrice n'y a point laissé de traces. Descendre à des
détails d'un intérêt un peu vulgaire, après avoir séjourné dans
'Erkambold et Wiederhold.
- Olton-le-Grand élail mort en 973.
VINGT-HUITIÈME LETTRE. 313
les hautes régions de la politique et de l'Église, ce ne serait
pas même faire un tableau de genre après un tableau d'his-
toire; ce serait produire la nature morte à la suite des mani-
festations d'une existence vouée aux devoirs du trône et de la
charité populaire.
314- ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
VINGT-IVEUVIÊME LETTRE.
li'évéché de Spire. — Sa circonscription. — I/abbaye de Wisseniboiirg.
— Son liii^toire. — liUtte entre l'abl>aye et la ville. — I>utte avec les
électeurs palatins. — I.c château de Herwartstein. — Jean de Uratt.
— I>'alibaye transformée en chapitre. — liC chapitre réuni à i'évé-
ché de Spire. — l.cs prlnccs-évéques.
Monsieur ,
Jusqu'ici je vous ai entretenu à peu près exclusivement
d'établissements religieux qui faisaient partie de la circonscrip-
tion de notre ancien cvêché; il ne m'est point permis de clore
cette revue de notre clergé séculier, sans avoir parlé des titres
concernant le diocèse de Spire , qui est aussi représente dans
notre dépôt départemental.
L'ancien évcché de Strasbourg- s'arrêtait, dans la Basse-
Alsace, au midi du Seltzbach; au nord de ce cours d'eau, tout
le reste de notre province relevait de l'évêché de Spire, qui
s'étendait de plus sur le Palatinal et au delà du Rhin, sur une
petite partie du pays actuel de Bade.
Lorsqu'en 1(S15 il s'est agi de faire le partage des pièces qui
appartenaient à l'ancien évêché de Spire, nous avons livré aux
commissaires de la Bavière rhénane l'immense majorité de ces
documents, et nous ne possédons plus que les tristes débris
de la collection primitive : d'abord, les liasses qui contiennent
les titres de propriété des communes demeurées françaises,
puis, les pièces de toute nature qui constatent les relations
de l'évêché de Spire avec l'antique abbaye de Wissembourg,
fondée par les rois mérovingiens, richement dotée par eux,
sécularisée de 1524 à 1530, et incorporée par le pape Paul III
à l'église de Spire (1545 à 1546).
L'intérêt historique de notre fonds de l'évêché de Spire re-
pose tout entier dans les relations entre l'église métropolitaine
de Spire et l'église abbatiale, puis chapitrale de Wissembourg.
Pendant les deux siècles qui ont précédé la fusion, cet intérêt
se concentre dans la lutte permanente des abbés de Wissem-
VINGT-NEUVIÈME LETTRE. 315
bourg avec la cité impériale, avecles dynastes voisins, surtout
avec les électeurs palatins.
Le sort de Wissembourg me semble tragique comme celui
de Haguenau ; après avoir joué un grand rôle au moyen âge, et
s'être maintenu à une certaine hauteur pendant les trois siècles
qui ont précédé la révolution de 89, le chapitre de "Wissem-
bourg a disparu dans la tempête; et la ville, l'une des cités de
la Décapole, s'est elle-même amoindrie de plus en plus à la
suite des coups qui frappaient sa mère nourricière ; le traité
de 1815, en nous enlevant une partie de l'ancienne Alsace, a
réduit Wissembourg à n'être plus, sur l'extrême frontière du
département du Bas-Rhin, qu'une petite ville, sans débouchés,
sans commerce, sans industrie, bornée aux ressources de son
terrain fertile, où les produits de la plaine se marient à ceux
des coteaux vignobles et des montagnes boisées.
Le déclin est dur pour les individus, pour les corporations,
pour les cités, pour les peuples. «Pas de douleur plus grande
que de se souvenir du temps heureux dans la misère» a dit le
grand poète florentin. Wissembourg, c'est-à-dire les citoyens
lettrés qui, dans celte ancienne cité de la landvogtey d'Alsace,
parlaient ou comprenaient le beau langage toscan , pouvaient
répéter et s'appliquer à bon droit la mélancolique sentence
du Dante. Aucune espèce de gloire n'avait manqué à l'an-
cienne ville de Wissembourg : elle avait eu ses illustrations
politiques, guerrières, religieuses, municipales, littéraires;
empereurs, rois, pontifes, prélats avaient doté de privilèges
l'abbaye et la ville, ou les avaient combattues tour à tour;
amis ou ennemis avaient contribué à rehausser son nom;
l'institution du Staffelgericht (justice rendue sur les degrés
de l'abbaye), et du Kammergericht (justice camérale, justice
d'appel) jouissaient d'une considération historique, méritée;
mais, depuis soixante ans, elle n'était plus que l'ombre d'elle-
même; elle penchait tristement sa tête, dépouillée de sa cou-
ronne murale; le cours d'eau de la Lauter, en passant au
pied des murs de l'antique collégiale de Saint-Pierre et Saint-
S\6 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Paul, où les princes-évèques de Spire n'officiaient plus, mur-
murait des sons plaintifs, parfaitement intelligibles pour les
vieillards qui avaient encore vu les chanoines nobles animer
ces splendides habitations, maintenant transformées en bu-
reaux administratifs et en demeures champêtres.
Comment une abbaye seule pouvait-elle, de la sorte, fa-
voriser l'essor d'une ville et lui valoir cette illustration euro-
péenne?
Le point de départ de cette congrégation bénédictine avait
été brillant; le Mundat de Wissembourg, ce beau district situé
des deux côtes de la Lauter, entre les montagnes et le Rhin,
formait dès le septième et le huitième siècle, le noyau d'un
vaste patrimoine; les bains de Bade appartenaient à l'abbaye
à partir de 712; elle percevait de larges redevances du Rhin
au Danube, des Vosges à la Forêt-Noire; des prélats intelli-
gents et énergiques régissaient la communauté ; à l'époque
carlovingienne, les études fortes prospéraient au sein de ce
cloître alsacien , comme à Reichenau ; le moine Ottfried y com-
posa son pocme du Christ, et nous légua, dans cette sonore
paraphrase des Evangiles, le premier monument de la langue
théodisque ou allemande....
Et lorsqu'à la fin du treizième siècle. et dans le cours du
quatorzième, la cité, qui avait grandi sous la protection du
sanctuaire, devint sa rivale, lorsque les prétentions de la mu-
nicipalité, favorisée par les Habsbourg, se heurtèrent contre
les droits historiques de l'abbaye, les luttes incessantes, les
violences même développèrent les forces respectives : le mouve-
ment seul donne la vie; le repos ou l'indolence, c'est la mort.
Je ne puis entrer dans le détail de ces luttes, qui prennent
au quinzième siècle un caractère plus grand; à cette époque,
Frédéric-le-Victorieux paraît sur la scène; de protecteur qu'il
devait être, il devient l'adversaire de l'abbaye, et, par contre
coup, de la cité elle-même.
Vers 1469, l'abbaye de Wissembourg comptait vingt-quatre
membres, issus des meilleures familles d'Alsace et de Lor-
VINGT-NEUVIÈME LETTRE. 317
raine; mais ces conventuels avaient conservé, au sein du
cloître , les habitudes de luxe de leur maison paternelle. L'abbé
Philippe d'Erbach était mort, laissant un déficit énorme qu'i
s'agissait de combler; son successeur, Jean de Bruck, homme
très-honorable d'ailleurs, ne se trouva point au niveau de sa
tâche : Frédéric-le-\ïctorieux, en sa qualité de préfet d'Al-
sace, intervint et envoya une commission de réforme à Wis-
sembourg-. La position n'était plus tenable pour le chef spiri-
tuel de l'abbaye ; il se réfugia dans les montagnes du Palatinat,
au haut du château de Drachenfels, avec son prieur Anlhès
(Antoine) de Linange, dont le caractère remuant formait le
principal obstacle à une conciliation.
Maintenant que l'abbé était en fuite et que la commission
palatine intimidait le cloître et la ville, une réaction s'opéra
dans l'opinion publique en faveur du prélat exilé. Il ne faut
point oublier que plus d'un bourgeois de Wissembourg- était
investi de biens-fonds, appartenant au couvent, et que la révo-
ution opérée dans l'intérieur de l'établissement par les moines
de la stricte observance, envoyés par l'électeur, devait gêner
les laïques qui dépendaient de l'abbaye.
Le mécontentement public se fit jour pendant un sermon
tenu, dans l'église paroissiale de Saint-Jean, par le professeur
Jodocus de Calw, venu tout exprès de l'université de Ileidel-
berg, pour faire le panégyrique du coup d'État électoral, et
pour vanter les vertus des moines de l'observance. Des injures
violentes furent lancées contre le prédicateur, qui se sauva en
compagnie des moines et des commissaires. Une députation
bourgeoise se rendit, en octobre 1469, à Bade, où l'abbé Jean
de Bruck s'était réfugié en quittant le Drachenfels, et où il
habitait la maison, dite zum Baldreit, qui appartenait à l'ab-
baye de Wissembourg*. On le décida sans peine à rentrer à
Wissembourg. L'abbé se travestit en femme malade, et passa
la porte de la ville, dans un chariot conduit par le bourgeois
'L'empire nvail , depuis longleiiips, mis la main sur la doiialioii de Dago-
berl , sur les ihermes de Bade.
318 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
Pierre Brenfz. Caché d'abord chez les Augustins, il put dès le
lendemain faire sa rentrée solennelle à Saint-Pierre.
L'électeur palatin était furieux; jusqu'ici tout, dans sa car-
rière ambitieuse , avait réussi au gré de ses désirs ; mainte-
nant il fallait compter avec des moines et des bourgeois re-
belles. Frédéric-le-Viclorieux essaya d'abord la voie des armes ;
il assiégea Wissembourg; ses ingénieurs lançaient du feu
grégeois sur les assiégés qui paraissent s'être comportés vail-
lamment; car la campagne aboutit à la convention de Ger-
mersheim (1470), qui maintint Jean de Bruck et Anthés de
Linange dans leurs charges.
Cette guerre de Wissembourg avec l'électeur Frédéric-le-
Viclorieux a été racontée d'une manière vive, pittoresque par
un habitant de la ville assiégée, par Eikard Arzt , dont la
chronique a fait l'admiration du savant éditeur Mone ; c'est
une célébrité littéraire à inscrire après Ottfried.
Le traité de Germershcim ne mit point un terme aux dé-
vastations qui désolaient les belles campagnes des environs
de Wissembourg. L'empereur Frédéric III, en haine du Vic-
torieux , avait empêché la cessation des hostilités. Louis de
Veldenlz, nommé préfet de Ilaguenau ou d'Alsace, à la place
de son parent, l'électeur Frédéric, poussait les habitants de
Wissembourg à se venger, et on ne suivit que trop cette im-
pulsion venue du fonctionnaire impérial.
L'abbaye de Wissembourg était flanquée aux quatre points
cardinaux, mais à quelque distance de la ville, des forts de
Saint-Remy,' de Saint-Paul^ de Saint-Germain, de Saint-Pan-
taléon ou des quatre tours. Ce dernier, qui était un couvent
fortifié, fut détruit, et celui de Saint-Paul, situé au nord de
Wissembourg, fut assiégé parles comtes de Linange, frères
du prieur Anlliès.
Ce siège donna lieu à un incident dramatique. Au moment
où la garnison du fort, qui voulait se rendre, éprouva un
refus de la part des assiégeants , on ^it s'élancer derrière les
créneaux la jeune et belle femme du commandant Mûhlhofer ;
VINGT-NEUVIÈME LETTRE. 310
éperdue de douleur, échevelée , elle poussait des cris de dé-
tresse , en vue du sort qui l'attendait. Ce spectacle déchirant
émut les comtes de Linange; ils accordèrent la vie sauve au
commandant et à ses soldats; mais le château fut incendié
sous les yeux mômes de l'ahhé de Bruck, qui était venu assis-
ter à cet acte de vengeance.
Sous le neveu et successeur de Frédéric-le-Victorieux, sous
Philippc-l'Ingénu , la lutte de l'abhaye avec la maison palatine
entre dans une phase nouvelle. Une figure, que la tradition
a considérablement altérée, nous montre ses traits énergiques
et audacieux. C'est du maréchalJean de Dratt que je veux par-
ler; mais avant de le faire voir lui-même, ne serait-ce que de
profil, et un seul instant, il faut vous introduire dans sa rési-
dence habituelle, ce nid d'où sortait le « dragon, » qui fut pen-
dant de longues années le fléau et l'épouvanlail de l'abbaye.
En entrant, au nord-ouest de Wissembourg, près de Berg-
zabern, dans une vallée transversale des Vosges, vous arrivez
au village d'Erlenbach, que domine le château de Bervvarl-
stein (Berbelstein). Cette demeure féodale offre un caractère
particulier; des voûtes, creusées dans le roc vif. forment
trois étages de corridors sombres ou de casemates, qui ser-
vaient soit de refuge, soit de magasin et d'arsenal; l'habita-
tion du maître est superposée au labyrinthe des souterrains ,
et du haut des chambres, ouvertes à tous les vents, le regard
plonge sur un pays charmant de forêts , de prairies et d'étangs.
Le caslel et le roc , sur lequel il est assis , constituent le centre
d'une assez vaste enceinte fortifiée, dont les ouvrages datent
de la seconde moitié du quinzième siècle, tandis (jue l'origine
première de la citadelle ou de l'habitation centrale remonte
au delà du temps de Frédéric Barberousse. Cet empereur
donna le Berwartstein en toute propriété à l'évêque de Spire;
au treizième siècle, des usurpateurs paraissent s'y être éta-
blis ; vers le milieu du quatorzième , l'abbaye de Wissembourg
acquiert le château des frères de Wingarten et y nomme des
châtelains (Vœgte), dont les lettres réversales et les arrange-
320 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
menls conclus avec l'abbaye forment, dans noire fonds de
Spire, une série de titres curieux.
Quelques-uns de ces châtelains furent outrecuidants à l'ex-
cès, et comme ils avaient affaire à des voisins qui n'étaient
pas d'une humeur plus pacifique, il en résultait des conflits
incessants, quelquefois des surprises et des occupations tem-
poraires du Bervvartstein par les Ekebrecht de DiJrkheim , qui
résidaient dans le voisinage, à Drachenfels.
Pour en finir, l'abbé de Wissembourg mit le Bervvartstein,
en 14-53, sous la protecfion de Frédéric-le-Viclorieux.
Ce droit de protection se trouva converti , à la sourdine, en
droit de propriété, sous le successeur de Frédéric. Le cheva-
lier Jean de Dralt, natif de la Thuringe, avait rendu des ser-
vices signalés aux deux électeurs palatins dans leurs longues
luttes avec les dynastes de la vallée du Rhin ; Philippe-l'Ingénu
lui assigna, entre autres récompenses, la seigneurie ou châ-
telainie du Berwartstein.
Jean de Dratt, qui n'était ni plus ni moins violent que les
autres chevaliers du Palalinat, mais qui avait, de plus qu'eux,
une énergie à toute épreuve, et l'intelligence de ce qu'il pow-
vait oser, l'esprit de calcul et l'appui d'un maître puissant _,
Jean de Dratt se permit dans les vastes forets des environs
du Berbelstcin , des dégâts et des empiétements intolérables;
sur la Lauter, il entravait le flottage et la pêche; l'abbaye de
Wissembourg et ses gens étaient lésés dans leurs intérêts vi-
taux ; de là , des conflits , des discussions , des violences , dont
le scandale arriva jusqu'aux oreilles du pape, de l'empereur
et des membres de la Diète germanique. L'électeur Philippe
prit aveuglément fait et cause pour son protégé; il s'ensuivit
des litiges devant la chambre impériale, les diètes et en cour
de Rome.
Nos cartons sont remplis de missives, mémoires, procès-
verbaux d'enquête , instructions données , projets d'arrange-
ments, actes notariés, sentences impériales, ayant trait à cette
interminable lutte; c'est un labyrinthe de procédures, bien
VINGT-NEUVIÈME LETTRE. 321
autrement inextricable et compliqué que celui des souter-
rains du Berwartslein*. La mort môme de Jean de Dratt,
survenue en 1504, ne mit point fin à ces litiges, qui conti-
nuèrent entre l'abbaye et Christophe de Dratt, fils de l'usur-
pateur.
L'apparition et les actes du chevalier saxon , Jean de Dratt,
élevé à la dignité de maréchal par son maître, paraissent
avoir si vivement impressionné l'imagination populaire dans
les contrées palatines, qu'on fit de lui un véritable démon in-
carné ; la chronique de Hirsau par Trithème a surtout con-
tribué à cette métamorphose que la tradition fit subir à l'an-
tagoniste de l'abbaye de Wissembourg. La figure du cheva-
lier, sculptée sur la pierre sépulcrale dans la chapelle de
Schlettenbach, annonce bien un caractère fort et décidé,
mais rien n'y dénote la méchanceté native, ni l'amour pas-
sionné du mal. La mauvaise renommée posthume de Jean de
Dratt est pour moi un nouvel exemple du procédé que la
tradition légendaire applique aux individualités marquantes
pour les transformer, les grandir ou les enlaidir, mais elle
me fournit aussi la preuve patente que le mythe est la méta-
morphose de la réalité, et non la création d'un être ou d'un
fait imaginaire.
Au début de cette lettre , j'ai mentionné l'un des événe-
ments majeurs, qui imprima , après tant de traverses, à l'ab-
baye de Wissembourg, un caractère nouveau. La sécularisa-
tion de l'ancien établissement bénédictin eut lieu, en i5i24,
sous le pape Clément VII , et sous l'abbé Rudiger Fischer,
qui devint ainsi le premier prévôt du nouveau chapitre de
Wissembourg.
A peine cette faveur immense est-elle accordée à la véné-
rable fondation des Dagobert, que la guerre des paysans
éclate avec ses violences communistes , et que le château-fort
de Saint-Remy est pris et incendié par les révoltés. Wissem-
T.o cliâtoau appnrliont mainlenant à M. G Kastnor, membre de ITiistiiiit.
2î
ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
bourg, la ville, ne leur ouvrit point ses portes; mais cette
résistance, méritoire clans des circonstances aussi graves, ne
valut point à la ville le pardon de l'abbé-prévôt; les bourgeois ,
pour satisfaire ou éconduire les insurgés, leur avaient livré
une partie des munitions de l'arsenal ; les curés paroissiaux
avaient été chassés. Le prévôt Rudiger commit le soin de sa
vengeance à l'électeur palatin Louis V, lils et petit-neveu des
mêmes princes, qui, pendant trois quarts de siècle, avaient
fait à l'abbaye une guerre incessante.
Wissembourg fut bombardée (en juillet 1525), livrée et
punie comme on punissait au seizième siècle, au sortir d'une
lutte, où l'acharnement mutuel était au niveau des passions
politiques et religieuses qui éclataient alors dans toute l'Eu-
rope centrale.
Au milieu du mouvement de la réforme qui enlevait à l'ab-
baye de Wissembourg une partie de son influence, l'incorpo-
ration du couvent de Sainte-Walpurge (en 1544) lui valut une
augmentation de revenus. L'abbé-prévôt Rudiger avait encore
vu s'accomplir cetle adjonction du cloître situé sur la lisière
de la forêt sainte; bientôt après il mourut à Sainle-Waipurge
même (1545), et les embarras, les désordres qui suivirent
sa mort, amenèrent, sous l'influence de l'électeur palatin
Frédéric (lïl) , l'incorporation du chapitre de Wissembourg
à l'évêché de Spire (1545).
L'évêque Philippe de Flersheim prit en main les rênes du
gouvernement du chapitre, et, à partir de cette époque, tous
les prélats, ses successeurs, cumulèrent la dignité épiscopale
avec celle de prévôt du chapitre de Wissembourg. Us cou-
vrirent de leur protection cet établissement historique. A
chaque changement de règne , s'il m'est permis de me servir
de cette expression un peu trop ambitieuse pour l'adminis-
tration d'un ancien cloître, des cérémonies imposantes et
significatives signalaient l'avènement de l'évêque-prévôt.
Parmi les noms de ces princes-évèques, successeurs de
Philippe de Flersheim et de Christophe de Sœtern, se ren-
VINGT-NEUVIÈME LETTRE. 323
contrent ceux des familles les plus haut placées dans l'empire
germanique : ainsi le successeur immédiat de Christophe fut
Lothaire-Frédéric de Metternich (1652 à 1C75), qui cumulait
avec sa dignité d'évêque de Spire, celles d'archevêque de
Mayence et d'évêque de Worms.
Damien -Hugues-Philippe-Antoine, comte de Schœnhorn
(1719 à 1743), était à la fois évoque de Spire et coadjuteur
de l'évêque de Constance. De 1743 à 1770 c'est Francisque-
Christophe de Huttcn qui occupe le siège épiscopal de Spire
et l'ancien siège abbatial de Wissembourg-; la révolution sur-
prend, dans cette double dignité, l'évêque Auguste Limbourg-
de Styrum,
Vous avez reconnu facilement parmi ces dignitaires le nom
d'une famille qui avait déjà reçu le baptême d'une illustration
littéraire; et un autre qui allait être revêtu d'un éclat nouveau
dans l'histoire de la diplomatie contemporaine.
Pour ma part, je ne connais point, dans l'étude de l'his-
toire, d'occupation plus intéressante et plus instructive que
celle de suivre les fils , imperceptibles d'abord , qui relient le
présent au passé , et qui rattachent une simple abbaye aux
destinées des grandes nationalités, des grandes familles et
des grandes questions agitées sur le théâtre du monde. L'ab-
baye austrasienne de Wissembourg et le chapitre germanique
qui la remplace au seizième siècle , offrent plus d'un de ces
points de contact et de rapprochement; si j'ai réussi à mon-
trer comment celte histoire toute locale touche à celle du
Palatinat, de l'Alsace, de Bade et de l'empire germanique
lui-même, mon but est atteint, et je serai justifié d'avoir, une
fois de plus, ralenti nos pas dans cette course à travers nos
étabhssements ecclésiastiques d'autrefois.
~c<C\9X(*/>^>-
324 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
TRENTIEME LETTRE.
tiCS abbayes d'hoinnie.x. — Altorf. Son origine, len «lonations. — Kphé-
niëriilcN d'Altorf. — Abbaye trKber»«iniiii<<iter. — lleatiiM Rhenanus.
l'hiNforieii. — KébaNtien Brant, l'auteur «le l'Ei^quif «les fouis. —
Ii*abbayc de :viarnioutler et le couvent du Sindeisberg.
Monsieur ,
Dans quelques-unes de mes dernières lettres je vous ai
entretenu de celles de nos abbayes qui ont été sécularisées • ,
ou qui se sont fondues dans la manse épiscopale. Maintenant
il s'ai^it d'aborder les établissements religieux qui n'ont ja-
mais perdu leur caractère monastique, c'est-à-dire les abbayes
d'hommes et de femmes. C'est la dernière grande série de nos
archives historiques, la dernière halle que nous ferons dans
ces asiles , ouverts par la piété de nos ancêtres aux âmes fa-
tiguées du monde, aux existences déclassées, au repentir, et
où l'ambition avec ses froids calculs est parvenue quelquefois
à se glisser.
Veuillez me suivre d'abord à une petite distance de Stras-
bourg, presque à l'entrée du val de la Bruche, auprès de l'église
d'Altorf, dernier reste de l'abbaye bénédictine de ce nom.
Cet élégant édifice offre dans plusieurs de ses parties la juxta-
position des deux styles d'architecture qui se sont partagé
le moyen Age. Comme elle est élégante , l'ornementation de
la porte cintrée dans la façade méridionale , avec ses coquil-
lages et ses enroulements! quelle gracieuse corniche et
quel charmant encadrement de colonneltes et de chapiteaux
d'acanthe pour les fenêtres de la façade gothique , exposées
aux rayons du soleil couchant! Et si par l'atrium byzantin
vous entrez dans l'église même, où domine le tiers-point,
' Haslncli , Nouwiller , Sleige, Saverne, Hagnonau , vSnrhonrg, Escliaii Plc.
TRENTIÈME LETTRE. 325
partout vous trouverez des sujets d'étude, qui vous inspire-
ront à l'avance quelque intérêt pour l'histoire et les docu-
ments de l'abbaye elle-même.
Le monastère, qui doit son origine à Hugues, comte de
Dabo ou Dagsbourg (960), grand-père du pape saint Léon (IX),
possédait des archives, dont les plus anciens titres remon-
taient presqu'à l'époque de sa fondation. Une charte, émanée
du jeune et aventureux empereur Othon III (de l'an 999), ap-
prouve une donation faite au couvent par le noble Ncmediech.
Même en faisant abstraction de la haute antiquité de ce titre,
qui dotait l'abbaye du village de Diitllenheim, du privilège de
la bangardie (Bamvarthum) etc., on rencontre dans le corps
de la charte la désignation du district du Nortgau (opposé au
Sundgau ou Sudgau), qui lui donne une valeur géographique.
Cinquante ans plus tard, une bulle de Léon IX confirme une
donation faite à l'abbaye par le comte Eberhard, et qui con-
sistait en dîmes à Altorf, Grendelbruch, Bserenbach, De sem-
blables donations se répètent de distance en distance et sont
constatées par des chartes de Frédéric Barberousse (1153);
d'Agnès, abbesse de sainte Clodeswinde, à Metz (1171) ; d'UI-
ric, comte de Ferrette (1235); par des bulles de Célestin IIP
(1192), d'Urbain IV (1263), du Concile de Bàle (1438-1440)%
de Nicolas V (1451-1457), de Pie II (1462) etc.
Parmi les pièces historiques , un volume in-folio , intitulé :
Les éphémérides d' Altorf, rédigé en latin par Amandus Trenss,
prêtre d'Altorf, indique les faits mémorables qui se sont pas-
sés sous les divers abbés , à partir de l'époque de la fonda-
tion, jusqu'en 1617, au moment où la guerre de Trente ans
' l.a bulle de Céleslin énuirière parmi les propriétés de l'abbaye: Diitllen-
lieini, Baerenbach, Grendelbruch, Guirbaden , Dambach, Sainle-Aurélie de
Strasbourg, Ergersheim , Meislralzheiui , Sigolsheim, Woliisheim etc. , toutes
localités qui nous sont bien connues.
"Le Concile de Bàle défend aux barons, comtes et seigneurs, d'inquiéter
ou de troubler l'abbaye par des tailles et des exactions; il fait un lamentable
récit des mailieuis du temps: c'était l'époque des Armagnacs.
326 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
allait éclater. Que trouvons-nous, en jetant un coup d'œil
sur ce passé de l'abbaye ? Une vie de prospérité d'abord ,
puis un point d'arrêt au treizième siècle pendant les luttes
entre l'évoque et la ville de Strasbourg ; car l'abbaye subit
alors des dévastations, que les libéralités des siècles suivants
répareront à peine.
Le seizième siècle la trouve déjà fort amoindrie ; au mo-
ment de la réforme, douze religieux en forment tout le per-
sonnel ; vers la fin du même siècle (en 1587), les troupes
françaises l'occupent pendant six semaines, et la lutte de l'é-
vêque de Strasbourg avec l'administrateur protestant, George
de Brandebourg, eut pour Altorf des suites désastreuses.
Un abbé intrus , Gaspard Bronner, ne parvint point à résider
dans l'abbaye môme; il fixa sa demeure de Taulre côté du
Rhin, à Offenbourg, où il mourut (1600). Les conventuels
d'Altorf , réunis à Ettenheimmiinster, à l'entrée d'un vallon
de la Forèt-Noire, se hâtèrent de lui donner un successeur
dans la personne de George Laubach ; mais , à son tour,
l'administrateur protestant ne voulut point admettre la rési-
dence de ce prélat, ni celle des conventuels survivants.
Lorsqu'on 1010, l'abbé parvint à rentrer dans la demeure
abbatiale dépouillée , trois religieux l'occupaient. L'église fut
lentement restaurée et consacrée de nouveau, en 1617, à la
veille de la guerre de Trente ans.
Je vous fais grâce des nombreux titres de propriété que
renferme ce fonds, et je vous prie de faire vos adieux à l'église
où reposaient les aïeux de saint Léon ; nous allons nous di-
riger, au midi de Strasbourg, aussi en pays de plaine, vers
l'abbaye à' Ehersheimmûnster . 11 n'y a point en Alsace de
monastère qui ait aussi complètement disparu du sol pen-
dant la guerre de Trente ans. L'église actuelle d'Ebersmûnstcr
et les bâtiments attenants ne conservent plus de trace des
anciennes constructions. Les clochers qui, de loin annoncent
l'emplacement du temple mérovingien, ont été élevés dans la
seconde moitié du dix-septième siècle ; les substructions de la
TRENTIÈME LETTRE. 327
tour située vers l'est paraissent seules dater de plus haut.
Tout ce qui reste de l'ancien Ebersmùnster se trouve désor-
mais dans nos archives, dans la légende et les vagues tradi-
tions du peuple. Des édifices convenables, mais privés de la
consécration des siècles, occupent le terrain où saint Déodat,
évêque de Nevers, bâtit une première église (vers 667) , sous
l'invocation de saint "Pierre , saint Paul et saint Maurice ; les
moissons recouvrent le sol où Sigebert , fils de Dagobert II ,
fut blessé , dit-on , par un sanglier dont il avait suivi la trace
au fond des forêts'.
De nombreux cénobites étaient venus rejoindre saint Déo-
dat ; leur agglomération dans ces forêts vierges donna nais-
sance au monastère d'Ebersmùnster, libéralement doté par le
père de sainte Odile, à ce que porte la tradition, et par
Thierry III, roi d'Austrasie, qui vint lui-même visiter saint
Ehrhard, successeur de saint Déodat et fondateur de Saint-
Dié en Lorraine-.
En 889, Arnoulphe, roi de Germanie, mit Ebersmùnster,
l'abbaye bénédictine, sous la protection de l'évêque de Stras-
bourg; de ce moment, l'histoire de l'abbaye se confond avec
celle de l'évêché.
Les relations de clientèle et de patronage n'empêchèrent
pas des litiges assez fréquents entre le chef du diocèse et
l'abbé, au sujefde la possession du bourg d'Ebersheim; et
ces luttes intestines, constatées par des enquêtes et des pièces
de procédure, contribuèrent à l'appauvrissement successif
de l'abbaye.
A l'entrée de la révolution , des scènes de violence se pas-
sèrent dans le cloître, où des paysans de la localité et des
environs firent invasion pour s'emparer des colligendes et des
' Ue là lo nom de la localité: Eberslieim, demeure du sanglier; Ebers-
mùnster, Apri monasterium.
2 Les premières dotations d'Ebersmiinsler étaient, pour la plupart, situées
dans le llaut-Hhin, au val de iMiinsler et à Sigolslieim.
328 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
anciens titres de propriété. Le dernier abbé, Exuperius Hirn,
dut céder la place.
Les documents qui forment le fonds de l'abbaye d'Ebers-
miinster, sont loin de remonter à l'époque de la fondation du
monastère; les plus anciens datent du treizième siècle. Une
longue série de bulles et de lettres épiscopales s'étend de
1297 à 1749. La pièce la plus curieuse de cette rubrique du
«culte» est une ligue ou convention formée en 1415 par une
grande partie des monastères et des chapitres du diocèse de
Strasbourg contre les exactions de l'évêque Guillaume de
Diest ; trente-trois sigillés appendues à cet acte historique
rappellent, ainsi que le préambule de la charte, les noms
des parties contractantes. Un autre document de 1487 fait
connaître l'existence d'une ligue analogue formée contre la
perception illégale des dîmes par le Saint-Siège. L'évêque
Albert de Strasbourg s'engage lui-même avec son parent,
l'archevêque de Mayence, à résister à ces exactions. La con-
vention est rédigée en termes respectueux, mais péremp-
toires ; elle revendique formellement les droits , pactes et pri-
vilèges de la nation germanique à l'endroit de la cour de
Rome. Ces pièces ne sont pas sans importance historique ;
elles fournissent une preuve de plus à l'appui de l'opinion ,
que, dans le sein du clergé même, se préparait cette réforme
qui éclata violemment au seizième siècle.
Rarmi les nombreux inventaires de succession qui figurent
dans le fonds d'Ebersmiinster, on remarque celui de l'histo-
rien Beatus Rhenanus (seizième siècle). Le relevé de l'argen-
terie et des obligations du savant Schlestadtien a été fait au
nom de l'abbé d'Ebersmiinster par le bourguemestre de
Schlestadt, sur la demande des héritiers. A ceux de mes lec-
teurs qui ne connaissent ni l'origine ni la valeur littéraire ou
scientifique de Beatus Rhenanus, je dirai qu'il est né à Rlii-
nau d'un père néerlandais ; que son vrai nom est Béat Bild ,
mais qu'il a été latinisé suivant la mode du seizième siècle;
que le jeune Beatus fit ses études à Strasbourg, à Bàle et à
TRENTIÈME LETTRE. 329
Paris; qu'à partir de 1520 il ne quitta plus Schlestadl, où il
vécwt , anobli par Charles V, dans la jouissance d'une grande
renommée, comme savant humaniste, éditeur de Tacite, des
œuvres d'Erasme de Rotterdam, et comme historien de l'em-
pire germanique. Il ne fut point mêlé aux discussions poli-
tiques et religieuses qui divisaient son pays ; il consacra son
temps et son influence à la prospérité des lettres , et se fit une
gloire respectée de tous. Sa bibliothèque, considérable pour
l'époque où elle fut réunie, devint, par la volonté du testa-
teur, la propriété de sa ville d'adoption. Ces volumes de
Beatus Rhenanus sont encore le plus bel ornement de la bi-
bliothèque de Schlestadl.
Le nom d'un autre savant, à peu près contemporain de
Beatus, figure aussi dans le fonds d'Ebersmùnster. C'est dans
une charte émise par le stettmeister de Strasbourg , que se
rencontre , comme arbitre , Sébastien Brant , docteur en
droit, à côté de Jacques Worm, André Trachenfels et Pierre
Museler. Sébastien Brant , n'avait pas seulement étudié la
jurisprudence ; il connaissait à fonds la nature humaine. Son
œuvre capitale, V Esquif des fous (das Narrcnschiff) , est peu
poétique, quant à l'invention; et cependant elle a eu l'in-
signe «honneur d'être éditée, interprétée, imitée, puis tra-
« duite dans toutes les langues de l'Europe civilisée ; enfin
«commentée à l'instar du Dante, et admirée par les plus
4 illustres de ses contemporains. A toutes les époques, les na-
« lions les plus dissolues ont rendu justice aux hommes de
«talent et de génie qui voulaient leur enseigner l'art de bien
«vivre et de bien mourir, non pas en suivant la règle d'Épi-
« cure , mais en se conformant à la loi divine et en extirpant
«du cœur la racine du mal. Sébastien Brant n'est point l'égal
«de Molière, quoiqu'il ait connu, aussi bien que l'illustre
« contemporain et protégé de Louis XIV, les abîmes du cœur
«et les plaies de la société humaine; mais il est l'égal de
«Rabelais, moins l'impureté grotesque de l'auteur de Gar-
(Lgantua. Sa vie pratique a été à la hauteur de sa doctrine
330 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
a. morale ; il a conservé les mains pures au milieu des grandes
« affaires , et l'àme droite au milieu des intrigues du monde'.»
L'abbaye d'Ebersmiinster, enveloppée par l'Ill, était aussi
située dans le voisinage du Rhin ; il n'y a donc rien d'étonnant
que, dans ce fonds, plus d'une pièce ait trait à la navigation
fluviale.
Un document de 1546 renferme une transaction entre l'abbé
d'Ebersmûnster et les maîtres de l'endiguemcnt du Rhin à
Marckolsheim , au sujet des contributions pour les travaux du
Rhin , auxquels le couvent était tenu par un engagement daté
de 1458. Le Rhin, en tout temps capricieux et destructeur,
nécessitait le concours de tous les propriétaires riverains
pour arrêter les inondations ou la corrosion des rives ; aussi
l'abbé d'Ebersmûnster, qui avait fait mine de ne point s'ac-
([uittcr des charges assumées par ses prédécesseurs , fut-il
condamné par les arbitres.
L'époque de la guerre de Trente ans est marquée dans
notre fonds par deux ou trois pièces curieuses ; l'une ren-
ferme la liste des objets précieux, livrés le 17 décembre 1632,
par la commune d'Ebersheimmiinster au fiscal suédois. A côté
de chaque article figure le nom du propriétaire qui subit
cette contribution forcée. Une autre pièce de 1637 est la mi-
nute d'une supplique adressée, probablement par l'abbé, au
nonce apostolique pour lui demander la faculté d'absoudre,
en certains cas, les hérétiques venus à résipiscence. Dans les
considérants de ce mémoire il est dit que l'évèché de Stras-
bourg est partout infecté d'hérésie, et que ses dignitaires
ecclésiastiques sont en fuite pour échapper aux Suédois.
Enfin , une circulaire adressée par Gabriel , évèque de Tri-
poli, à tous les membres du clergé du diocèse strasbour-
geois, à la date du 23-iîovembre 1646, demande des rensei-
gnements sur le nombre des paroisses vacantes ou désertées
'Voy. Histoire de la Uasse-Âlsace et de la ville de Strasbourg ^ par l'iir-
chivisle du Bas-Rliin, p. 162 el IC3.
TRENTlrâlK LETTRE. 331
par leurs curés. On approchait de la fin de l'épouvantable
crise trentenaire, et l'on songeait à réparer le mal.
Ces indications, prises un peu au hasard, doivent suffire,
je pense, pour donner une idée du genre d'intérêt qui s'at-
tache à ce fonds, peu considérable en quantité, lorsqu'on le
compare à d'autres, par exemple à celui de Marmoutier dans
lequel je vais vous introduire.
J'ai visité l'église de Marmoutier, comme celle d'Ebers-
mûnster, pour la première fois, presque au début de ma car-
rière d'archiviste , dans un moment où la fraîcheur des im-
pressions, que rien ne compense plus tard, donnait à ces
courses tout le charme d'une découverte. A cette époque
(1844) l'aspect de la remarquable église de Marmoutier et de
ses alentours immédiats était triste et pénible. Au nord , au
sud, au couchant de l'église s'étendaient les débris des vastes
bâtiments qui formaient l'enceinte de l'abbaye. Des pans de
murs, d'élégantes croisées sans vitraux, avec des portes dont
l'ornementation dégradée attestait encore une splendeur pas-
sée, embrassaient une vaste étendue de terrains entrecoupée de
décombres.... Sur quelques-uns de ces murs, il y avait des
simulacres de toits : derrière quelques-unes de ces croisées ,
des restes de chambres où l'indigence était allée se cacher.
En passant à travers les cours nombreuses , sous les voûtes
des anciens passages et des avenues , on se croyait dans un
vaste édifice , pris d'assaut et systématiquement dégradé.
Les vergers de l'abbaye étaient transformés en pièces labou-
rées; au pied des murs, du côté septentrional et méridional
de l'église , des parcelles de jardinets séparés par des murs
à hauteur d'appui, formaient de ces abords un vrai labyrinthe
de ruelles. Je ne sais si cet état des lieux a considérablement
changé. Quant à la basilique elle-même, elle était lézardée
surplus d'un point, et elle exigeait de promptes réparations,
effectuées depuis cette époque. Au surplus, même dans son
état de dégradation partielle, cette vieille église aux tons
chauds , avec les deux étages de sa façade , divisée en réguhers
ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
compartiments par des plates-bandes imitant des pilastres ,
avec ses guirlandes d'arcatures, son triple pignon, ses deux
tourelles octogones, dominées par une grande tour carrée,
cette église exerça sur moi un attrait irrésistible; je venais,
avant de la visiter, d'être initié dans une partie de ses desti-
nées; ce que j'en savais, me suffisait largement pour y ratta-
cher le souvenir des moines, qui pendant neuf siècles avaient
traversé les arcades cintrées de ce portique , et étaient venus
s'agenouiller sous les voûtes ogivales de la nef. Quelques par-
ties de cette histoire locale demeuraient encore enveloppées
pour moi de ce jour crépusculaire qui exerce une autre es-
pèce d'attraction.
En sortant de Marmoutier, je m'étais acheminé vers une
colline qui s'élève à l'ouest de la bourgade, et au sommet de
celte petite éminence, je me trouvai en face d'une humble
chapelle, dont j'ignorais le nom el l'existence. Un journalier,
qui travaillait dans le voisinage , me nomma le Sindclsberg.
J'étais sur l'emplacement d'un couvent de femmes qui avait
complètement disparu du sol. Quelques mois plus tard, en
continuant mes explorations dans le fonds de l'abbaye de
Marmoutier, je tombai sur une charte historiée qui représen-
tait dans sa partie centrale l'église byzantine du Sindelsberg,
et dont les inscriptions placées dans des bandes longitudi-
nales et transversales , relataient l'origine de ce monastère ,
rattaché par des liens spirituels à la grande abbaye voisine.
Ainsi la petite chapelle, presque insignifiante, dont j'avais
touché le seuil, était le dernier témoin d'une fondation mo-
nastique, fille et sœur de Marmoutier. La charte-polyptique
que je tenais entre mes mains , révélait à mon ignorance un
nouveau chapitre dans l'histoire de l'abbaye, qui rattachait
sa première origine à un moine irlandais, à saint Léobard,
• disciple de l'illustre saint Colomban. — Et comme toutes nos
abbayes d'Alsace , quoique apparentées et similaires dans leur
point de départ, offrent néanmoins, sous cet air de parenté,
des traits dislincfifs et des accidents qui diversifient leurs an-
TRENTIÈME LETTRE. 833
nales, j'enlrevis de prime abord que je me trouvais, ici, en
face d'une circonstance spéciale, particulière à Marmoutier ;
je voyais une communauté de femmes s'élevant à côté d'une
congrégation d'hommes , à laquelle le couvent des religieuses
devait son existence et qui allait un jour l'absorber dans son
sein.
Plus tard encore, assez récemment, en étudiant les élo-
quentes pages de l'histoire de France de Henri Martin, j'y vis
la confirmation de ma sympathie primitive pour Marmoutier*.
Je crus retrouver dans ce couvent du Sindelsberg la réalisa-
tion des traditions monastiques de l'Irlande, où des commu-
nautés de femmes s'établissaient aussi à côté des monastères
d'hommes, pour vivre sous une règle commune. L'éminent
historien que je viens de citer, signale en Flandre et en
France des couveîits doubles (ceux de Nivelle, deMaubeuge , de
Remiremont), établis à l'imitation de celui de Kildare, en Ir-
lande, pas des disciples de saint Colomban.
Dans ma prochaine lettre j'entrerai en quelques détails sur
l'abbaye de Marmoutier et sur le vaste fonds que ces béné-
dictins nous ont légué.
' Voy. mes ra[)ports au préfet du lias-Iihiii, années iSM et 1843.
-CO^X(>A»-
SS4- ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS -RHIN.
TREIVTE ET UNIEME LETTRE.
Conds de l'abbajc de :viarnioutier , du couvent du Sindeisberg et du
prieure de Saint-4[^Hirin. — Premiers siècles de l'abbaye. — I^eN
moines ou saints irlandais. — Origine et fondation du Sindelsberg;.
— Belle cburte i»olyptl(|ue. — Kglise de Suint-Martin de iriarniou-
tler. — Ciuerre des paysans. — niscussions pénibles dans l'inté-
rieur de l'abbaye. — Origine du prieuré de Kaint-Quirin : sou his-
toire. — Contenu sommaire du fonds de lYIurmoutier.
Monsieur,
Le site de ranciennc abbaye de Marmoiilier et du bourg de
ce nom , sans compter parmi les plus pittoresques de l'Alsace,
présente néanmoins un mélange agreste et charmant de terres
cultivées, de prairies, de bois, de collines, et aboutit à un
fond de montagnes peu élevées, où les ruines des deux Gé-
roldseck raj)pellent les relations intimes et souvent fort désa-
gréables du monastère avec ses avoués (Vœgte) ou prétendus
défenseurs.
Sous les Mérovingiens , les disciples de saint Colomban vin-
rent s'établir dans ce pays, alors appelé la Marche d'Aquilée,
et tout couvert de forêts épaisses servant aux chasses royales.
Les moines Irlandais ou hibcrniens, de race gaélique , firent
ici, à la fm du sixième et au commencement du septième
siècle, ce que d'autres moines bénédictins firent un peu plus
tard dans plus d'une localité d'Alsace et de Lorraine : ils dé-
frichèrent à la fois le sol et les âmes *.
Dans plus d'une occasion j'ai fait, à ce sujet, une profession
de foi , non équivoque , de respect et d'admiration ; et je pense ,
que par tout homme sérieux, à quelque confession qu'il ap-
partienne, ces premiers chapitres de l'histoire générale de
France et de l'histoire locale d'Alsace seront jugés du même
' J'emprunte celle expression à Henri Martin , voy. Histoire de France, II ,
p. 128.
TRENTE ET UNIÈME LETTRE. 335
point de vue. — La fin de l'abbaye de Marmoulier ne répondit
pas tout à fait à ses commencements; c'est encore là une loi
presque fatale : les institutions paraissent avoir leur temps
de floraison, de maturité et de déclin, exactement comme
l'homme et tous les organismes animés de la nature.
En parlant des chapitres de Ilaslach, de Neuwiller et de
Wissembourg-, des abbayes d'Altorff , d'Ebersmûnster etc. ,
j'ai déjà dû remonter le cours des siècles; mais l'abbaye de
Marmoulier ou , pour parler plus exactement, celle de Maur-
moutier {Mauri monasteriwm) nous entraînera plus loin en-
core; c'est la plus ancienne d'Alsace. Saint Léobard , le dis-
ciple chéri de saint Colomban, la fonda vers 590; et plusieurs
rois mérovingiens, probablement Ghildebert II , Dai>obert II,
Dagobert III , la dotèrent. Une Charte de Thierry IV de Ghelles
confirma en 724 la dotation primitive de Ghildebert II ; mais ce
document précieux périt dans l'incendie de l'abbaye, en 827.
La marche (finage) d'Aquiléc ou de Marmoutier, qui faisait
partie du domaine royal, était entrée dans cette dotation.
Plusieurs châteaux,' tels que ceux de Lùtzelbourg , de Hoh-
Barr, d'Ochsenslein etc. y furent compris plus lard. Des
ahénations , des usurpations que se permirent les seigneurs
voisins , amoindrirent successivement ces propriétés , de sorte
que vers la fin du dix-huitième siècle, le domaine de l'abbaye
ne comprenait plus que la ville même de Marmoutier, les
deux châteaux de Géroldseck, et huit villages des environs*.
Saint Léobard n'avait, de fait, établi qu'un hermitage (Le'o-
bardi cella) ; le véritable créateur du monastère fut le cin-
quième abbé, Maurus, disciple de saint Pirmin. Sous lui ,
trente et un religieux bénédictins formèrent la communauté.
G'est lui qui eut recours au roi Thierry pour obtenir la con-
firmation authentique des propriétés antéiieurement données
par les rois d'Austrasie; saint Benoît, abbé d'Aniane, fut, de
'Celaient les villages de Lociiwiller, Reiilenbourg , Singiisl, Salileiillial ,
Dimsllial, Htegeii , Tiial et Gotlenhaiiseii.
336 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
816 à 817, pendant dix mois, abbé de Marmoulier , où il avait
été appelé par l'empereur Louis-le-Débonnaire.
Après le terrible incendie de 827, qui consuma l'abbaye et'
l'église , l'abbé Celsus eut soin de faire renouveler les Chartes ;
quant au rétablissement même de l'abbaye, il est dû à Dro-
gon, évêque de Metz, frère naturel de Louis-le-Débonnaire.
A partir de cette époque, l'abbaye de Marmoulier fut sou-
mise, pour le temporel, à l'advocatie de l'évêque de Metz,
dont elle relevait à titre de fief perpétuel.
Dans les premiers siècles de rétablissement de Marmou-
tier, la légende côtoie l'histoire ; elle entoure d'une auréole
la tête de ces premiers colonisateurs qui vinrent apporter à
l'une des parties les plus incultes du vaste domaine auslra-
sien les bienfaits du christianisme. Le fait de l'arrivée de ces
saints Irlandais est positif; l'heureuse métamorphose opérée
par eux dans notre pays est aussi très-certaine ; la reconnais-
sance des peuples a salué ces premiers rayons d'un jour nou-
veau avec des expressions peut-être hyperboUques; oserait-on
la blâmer?
Pendant les trois siècles qui suivent le fatal incendie de
827 , les annales de Marmoulier restent passablement confu-
ses ; mais en 1115, un fait majeur et bien avéré se produit.
L'abbaye était gouvernée à cette époque par Richvinus , qui
avait à ses côtés un prévôt du même nom, plus tard abbé de
Neuwiller.
Ce prévôt Richvinus eut une vision, qui lui prescrivit d'é-
lever près de la ferme ou cour de Sindenus , aux environs de
Marmoulier, une église, qu'on livra, huit ans plus tard (en
1123), sous l'abbé Adélon , à des religieuses, affiUées à Mar-
nloutier. Enfin , douze ans plus tard encore, sous l'abbé Mein-
hard, l'église et le couvent du Sindelsbcrg furent consacrés à
la sainte Vierge et à saint Biaise par le légat apostolique Théo-
dewinus , évêque de Sainte-Rufine à Rome.
Tous ces faits sont constatés par une remarquable pan-
carte, à laquelle j'ai déjà fait allusion dans ma précédente
i TRENTE ET UNIÈME LETTRE. 3.j7
lettre. Voici pourquoi j'appuie sur la circonstance de la fon-
dation d'une ('glisc conventuelle, annexe de Marmoutier. xV
l'appui de ma thèse , j'apporte l'opinion émise par un élo-
quent et érudit historien, par M. Henri Martin, que l'on n'ac-
cusera point d'être un aveugle partisan de la vie monas-
tique.
Les religieux irlandais qui arrivaient en Belgique, en Neus-
trie , en Austrasie et dans l'Helvétie , y apportaient un élément
de douceur idéale , qui n'enlevait toutefois rien à l'austérité ,
à l'inflexihililé de la règle monastique elle-même. Il me
semble probable , que ces traditions irlandaises s'étaient con-
servées dans l'abbaye de Marmoutier , fondée par les disciples
de saint Goîomban, et qu'au douzième siècle, Richvinus,
imbu de ces idées, les couvant en silence , exalté par des rêves
— qui pour lui acquirent le caractère d'une véritable et
sérieuse révélation, puisqu'il parvint à les réaliser — voulut
appliquer à la localité de Marmoutier des projets sans doute
déjà formes par plus d'un de ces prédécesseurs. Alors on vit
s'accomplir et se répéter, à Marmoutier et au Sindelsbcrg-, ce
qui s'était fait dans le voisinage , au delà de& Vosges , à Re-
miremont : une communion de frères et de sœurs de la vie
régulière coexista dans la locahté, illustrée, sanctifiée par
saint Léobard , saint Maur , saint Pirmin , saint Benoît d'Aniane
et par Sindenus, lui-même disciple de saint Léobard. Une
église, un cloître, tels que les avait vus dans sa pieuse
extase le moine Richvinus, s'élevèrent sur ce monticule à
pente douce, où, de nos jours, alternent les champs, les
vignes et les vergers; une charte contemporaine de l'évé-
nement perpétua le souvenir de l'origine miraculeuse du
temple et la forme primitive de cet édifice avec ses arcades
romanes , sa porte ferrée et ses clochers surmontés du sym-
bole chrétien.
Sous l'empire de la même règle, les deux communautés de
Marmoutier et de Sindelsbcrg cherchaient à se sanctifier et à
conquérir le ciel, en priant aux mêmes heures, à l'appel des
338 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN. •
mêmes cloches, dans un double asile, également fermé à la
barbarie et à l'impiété du siècle, dont le bruit venait expirer
à l'abri de ces murs, consacrés et rendus inviolables par un
délégué du pouvoir pontifical.
La charte polyptyque * dont je ne vous parle qu'incidem-
ment, sans oser m'aventurer ici dans les détails descriptifs
que j'ai déjà consignés autre part, contient dans ses divers com-
partiments, formés par des bandes historiées et croisées, l'é-
numération des propriétés du Sindclsberg et un échange de
biens fait par Berthe, la supérieure du couvent, avec l'abbé
Adélon. Tous ces noms do lieux sont instructifs; ils appar-
tiennent, pour la plupart, à l'Alsace, quelques-uns à la Lor-
raine voisine; car vous savez déjà par quelle espèce de liens
notre abbaye était unie à l'évcché messin. Dans l'ensemble de
la description des biens du Sindelsberg-, il est facile de recon-
naître le caractère de cette gracieuse contrée qui entoure Mar-
moutier, dans un rayon plus ou moins étendu, avec ses forêts
et ses carrières, ses ondulations de terrains et ses montagnes,
ses prairies, ses champs, ses vignes, ses cours d'eau et ses
moulins.
L'existence du Sindelsberg' comme couvent filial, mais de
fait indépendant, puisqu'il jouit de revenus spéciaux, dure
près de trois siècles. Frédéric Barberousse , donf, le nom se
retrouve à plus d'une page de nos annales provinciales, s'y
intéresse ; les papes et les évoques de Strasbourg examinent
et ratifient certains de ses actes, ou réglementent le service
divin dans le couvent. Au quatorzième siècle, l'église elle-
même est renouvelée, et consacrée à neuf par Bcrlhold (II),
évêque de Strasbourg; mais Acrs la fin du quinzième siècle,
aux approches d'un grand orage politique, religieux et social,
le monastère du mont Sindeniis paraît avoir été en décadence
progressive; il avait fait son temps, et l'évèque de Strasbourg
' A plusiours cnniparlimenll.
TRENTE ET UNIÈME LETTRE. 339
incorpore formellement, à la date du 2 septembre 1488, le
cloître et l'église avec l'antique abbaye de Marmoulicr.
A peine fondu dans la vieille abbaye, le Sindelsberg eut à su-
bir les ravages de la guerre des paysans et de celle du dix-sep-
tième siècle. On comprend que l'établissement principal n'ait
point tenu à la restauration d'édifices, qui n'avaient plus de
but réel et qui n'étaient qu'une occasion de dépenses d'en-
tretien.
Je retourne maintenant sur mes pas, pour dire en quelques
mots les destinées de l'abbaye elle-même.
A côté d'elle se trouvait l'église paroissiale de Saint-Martin,
unie du reste, dès le principe, par des liens multiples et in-
times à l'établissement mérovingien. Ces rapports sont cons-
tatés dans notre fonds par les plus anciens documents qui
mettent aussi en relief les usages bizarres de ces époques re-
culées. Guebhard, évoque de Strasbourg, confirma en 1137
(année de la consécralion de Sindelsberg) les privilèges que
l'abbaye exerçait sur l'église paroissiale.
Ainsi , le curé de Marmoutier devait à l'abbé un service de
j)oissons, à de certains jours de fête, et l'entretien d'une mon-
ture convenable dans les écuries abbatiales. Le peuple de la
paroisse avait le droit de porter plainte contre le curé devant
l'abbé de Marmoutier, qui pouvait réprimander à buis-clos
l'ecclésiastique inculpé. D'après ces indications, ce dernier
n'aurait pas été trop bien partagé; il subissait l'influence d'un
dignitaire puissant. Et ces dispositions n'étaient nullement
temporaires. En 1169, le cardinal Winfred les confirme; en
rappelant ftquele démon se plaît souvent à fausser les an-
«ciennes coutumes, à dresser des embûches aux défenseurs
«des droits des communautés, à faire naître des haines sur
« le terrain même de la justice. » On serait fondé à'croire (]ue
1 a bonne harmonie entre le prélat mitre et l'humble curé de
la paroisse fut plus d'une fois troublée. L'évêque Henri de
Y ehringen trancha en 1220 ces dilïicullés , en incorporant l'é-
glise avec l'abbaye, et en motivant cet acte par des considéra-
SAO ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
lions puisées clans les événements contemporains. L'anarchie
de l'époque est caractérisée dans la charte épiscopale par des
phrases éloquentes. On était à la veille de l'interrègne. ,
D'autres paroisses et des chapelles des environs furent suc-
cessivement incorporées avec l'église et l'ahhaye de Marraou-
tier ; c'étaient les filets d'eau qui venaient alimenter un courant
plus considérable. Telles étaient la chapelle de Saint-Maurice
à Salenthal, où les sires de Geroldseck se faisaient enter-
rer; la chapelle de Reinacker, la cure de Duntzenheim, celle
de Saint-Martin de Westhoffen. Il existe pour cette dernière
une bulle d'incorporation, émanée du pape avignonais Jean XXII
(1330), qui motive cet acte par les empiétements des seigneurs
voisins, dont l'outrecuidance et l'avarice imposaient, lors des
vacances de la cure, des membres de leur famille, «illettrés,
« quelquefois mineurs ou non reçus dans les ordres. » A peine
cette bulle ful-cllc connue, que l'évoque Berlhold II de Bucheck
s'empresse d'aller môme au delà des intentions du pape ; de
son propre mouvement il renonce, au nom de l'évèché de
Strasbourg, à la perception des fruits, qui lui ai)partienncnt
en cas de vacance de la cure. Certes, pour ces temps de ru-
desse et d'iniquité sociale, c'était là un trait fort honorable
pour l'évèque.
Près de Weslhoffen se trouvait la chapelle de Bfuderbach,
dédiée à la Sainte-Vierge, « laquelle y opérait des miracles sur
« des malades. » (Charte de 1439.) Les échevins de Westhof-
fen prièrent, en '1437, l'abbé de Marmoutier de consacrer ce
sanctuaire. On en confia la direction spirituelle à MathiasSar-
burger, curé de Westhoffen, et la garde matérielle à frère
Nicolas de Sarrebourg. Dans les clauses minutieuses de cet
acte on règle jusqu'à la conservation des clefs du tronc.
Ces quelques faits pourront servir à caractériser le genre de
rapports qui existaient entre l'abbaye mérovingienne et les
églises successivement fondées dans la Marche de Marmoutier.
— Les relations avec les coseigneurs de la Marche n'étaient
pas si pacifiques. Les sires de Geroldseck et les comtes de
TRENTE ET UNIÈME LETTRE. 341
Ilanau-Lichlenbcrg* étaicnl inquiélants, et plus d'une fois di-
rectement hostiles. En 1287, Conrad deLichtcnberg-, l'èvcquc
protecteur d'Erwin, se vit obligé de déléguer le vicaire de Sa-
verne pour qu'il eût à porter un troisième monitoireaux sires
de Geroldseck, qui s'arrogeaient, au nombre de quatre, le
droit d'avocatie sur l'abbaye ; pour eux cela impliquait le droit
de commettre des exactions sans bornes. A ces défenseurs in-
commodes l'abbé de Marmoutier aurait pu dire :
« Ilonorez-nioi, seii,Mieurs, de votre indifférence.»
Le même évoque de Strasbourg eut plus d'une fois recours
au moyen d'intimidation que lui donnait le monitoire, mais
qui paraît ne pas avoir eu d'effet durable, quoique le prélat
en question eût le bras aussi long que sa têtciétait forte.
C'étaient là , pour l'abbaye , des maux supportables ; mais
lorsque la guerre des paysans eut éclaté, il n'en fut plus de
même. Voici comment un chroniqueur parle de cette jaquerie
du seizième siècle, dans son application au personnel et au
monastère de Marmoutier :
«...Oultre plus en ladicte ville de Sarburg estait un poure
« (pauvre) religieux de l'ordre sainct Benoist, moult triste et
« désolé tant pour sa deffortune que pour certains récents
« ouitrages à luy faicts par un compagnon de guerre , en prenant
« logis pour son maistre ; pensant qu'il fust du nombre des
« luthériens pervers ; mais la chose fut trouvée tout autrement :
«car c'était l'abbé de Mormousticr en Aulsays (Alsace), que
« les paysans mutins et endurcis avaient voulu escorcher tout
« vif et rostir inhumainement, aprèz qu'ilz eurent ruyné et
« destruit l'abbaye, violé l'église et lieux sacrez: rompu et
« mis en pièces les ymages de Dieu et de ses saincts : démoli
«et mis par terre cloistre, dortouer, chambres, salles et
(( librairie : bruslé les livres desquels ils avaient chauffé les
' Ces derniers devinrent coseigneurs de la Marclie à liire d'iiériiiers de
la famille d'Oclisenstein.
342 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
« fours : avec ce decouppé les lettres et détranché les Chartres
« des fondations anciennes ; que pieça jadis les Roys de France
(( et d'Austrasie avaient donné , octroyé et conféré au dict lieu et
« ailleurs : si comme facile est à prouver par les croniques et
« annales sur ce faict approuvées. Mesme comme il apert par
«ung grant cercle pourtraict et painct contre le mur dedans
« ladicte église^ sur costière du grand autel ou le tout est dé-
fi claré suffisamment comme Childcbert Roy de France et
« d'Austrasie donna la marque d'acquilc qui est le territoire
« d'illecques alentour pour ériger et construire ladicte église
« et couvent dont la fabrique et structure est aussy belle que
« possible est regarder*. »
Cet orage étant passé, l'abbé Gaspard, le même qui venait
d'être si ruderrfênt traité,, et qui parvint néanmoins à l'âge de
quatre-vingts ans, adressa une supphque (en 1527) aux co-
seigneurs de la Marche, tendant à faire rétablir les bâtiments
endommagés, à faire respecter les fortins de l'abbaye, et à
forcer le bailli lorrain Murner à payer des dommages-intérêts
pour avoir démoli complètement les bâtiments du Sindelsberg.
Je doute fort que les seigneurs aient tenu compte de ces
instances. Dans la seconde moitié du seizième siècle com-
mencent les litiges avec Ilanau-Lichtenberg, puis avec les
autres seigneurs (les Ribeaupierre par exemple), la plupart
du temps pour des questions de juridiction, de revenus, de
droits forestiers. La fin du dix-septième et le commencement
du dix-huitième siècle sont remplis par des discussions inté-
rieures que j'ai retracées à deux reprises-. C'est l'élection ab-
^ Volcyr de Senoiiville, Histoire do l'expklitinn du duc de Lorraine en
Alsace, liv. I'^''. — Dans son liv. Itl il donne le fac-slinile du Cercle, dont
it est question à la (in dn passage cité.
Il paraît qu'on étail parvenu à sauver beaucoup do documents de Marmou-
lier avant l'arrivée des rustauds; car le fonds, tel qu'il nous reste, est Irès-
considôrable.
°Voy. mon rapport de ISH et le Bulletin de la Société historique d'Al-
sace, t. IV, p. 117 à I4i.
TRENTE ET UNIÈME LETTRE. 343
batiale qui donna lieu à ce litige et à ses incidents drama- '
tiques.
Une lutte acharnée s'était établie entre Edmond Ilerb et le
père Anselme, le premier soutenu par les religieux, le second
par les représentants de Louis XIV. Sur le terrain du cloître,
on vit se produire la querelle des deux nationalités. L'avan-
tage dut évidemment rester au plus fort, c'est-à-dire au pro-
tégé de l'autorité gouvernemenlale.
Avec l'histoire de l'abbaye de Marmoutierse trouve intime-
ment liée celle du prieuré de Saint-Quirin, en Lorraine, qui
avait été consacré, en 1123, par l'évêque de Metz sur la de-
mande de l'abbé Adélon. C'est la même époque que celle de
la fondation et de la consécration du Sindelsberg. Une bulle
d'Alexandre III, énumérant les propriétés de notre abbaye,
nomme aussi le prieuré lorrain et le montre « situé dans l'im-
(( mense solitude des Vosges. ï» Dans l'origine, le prieuré avait
été une simple chapelle; bientôt il devint un lieu de pèleri-
nage et de dévotion très-renommé ; dévastes domaines furent
peu à peu acquis par l'abbaye aux environs de Sainl-Quirin,
et le service de la haute , moyenne et basse justice fut succès- ■
sivement joint aux droits territoriaux. Déjà en H37, Mein-
hard, cet abbé que nous connaissons par son intervention au
Sindelsberg, Meinhard règle les plaids, c'est-à-dire les assises
qui se tenaient trois fois par an au prieuré ; il rappelle les
anciennes coutumes. L'avoué pourra y amener trois com-
pagnons , qui devront être hébergés et nourris le premier jour
aux frais de la communauté. Pendant la nuit qui précède les
grandes solennités, deux gardes devaient faire le tour de
l'église et empêcher que la foule ne commît des dégâts. Les
amendes, les redevances des fermiers, les coutumes à obser-
ver pendant la moisson et la fenaison, se trouvent fixées dans
cette charte du douzième siècle.
Dans les cartons de Saint-Quirin, les usines, les moulins,
les verreries ont leur place et figurent dans les letlres-privi-
léges impériales. Au dix-huitième siècle, de volumineuses
SM ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
* liasses de procédure nous introduisent dans le litige occa-
sionné par l'union forcée du prieuré avec l'abbaye de Saint-
Louis de Metz.
Après la mort de l'évèque de Metz en 1760, le vicaire géné-
ral du diocèse, M. de Saint-Ignon , demanda au roi le prieuré
de Saint-Quirin, comme vacant, en régale, et obtinten17G7,
à force d'intrigues, le brevet désiré. La prise de possession
s'ensuivit en 1768, malgré l'opposition de l'abbé de Marmou-
tier, qui affirmait que le prieuré n'était pas un bénéfice à la
disposition du roi, mais qu'il devait être assimilé à une simple
administration de biens dépendante de l'abbaye de Marmou-
tier.
L'affaire fut portée devant le Parlement de Paris , qui décida
que le bénéfice resterait à M. de Saint-Ignon. Puis le prieuré
fut réuni, par lettres-patentes, au chapitre de Saint-Louis à
Metz. Le 6 septembre 1769, les religieux établis à Saint-Qui-
lin se virent expulsés par arrêt et renvoyés à Marmoutier.
Quelque temps après cette spoliation judiciaire, une nou-
velle contestation s'éleva à la suite de la première. La verrerie
de Saint-Quirin avait été donnée, par bail emphytéotique, au
sieur Laiifrey; mais M. de Saint-Ignon s'empressa de faire an-
nuler ce contrat et d'ordonner, par provision, l'exécution de
l'emphytéose en sa faveur. Après ([uelques vaines tentatives
de conciliation, cette affaire fut aussi évoquée au Parlement
de Paris, et, par arrêt du 15 mai 1781 , l'abbaye de Marmou-
tier fut encore condamnée à 50,000 livres de dommages-in-
térêts.
Nous voilà bien loin do ces siècles poétiques où l'œuvre de
civilisation s'accomplissait dans les forêts austrasiennes !
Si vous me demandez quel est de fait le contenu de ce fonds
de Marmoutier dont je vous ai vanté l'étendue et la richesse ,
je dirai que, dans les indications précédentes , vous en tenez
un peu la substance. Ajoulez-y beaucoup de bulles , de lettres-
privilèges, des titres de propriété de toute nature , des affaires
féodales, forestières, juridiques, des comptes, des colli-
TRENTE RT UNIÈME LETTRE. 845
geiidcs, (les renouvellements de biens etc., et vous aurez une
idée approximative de l'ensemljle de ces documents.
Pour Marmoutier, ainsi que pour la plupart des chapitres
et abbayes d'Alsace, le point intéressant c'est le point de dé-
part ; c'est la lutte des fondateurs avec la nalurc sauvage des
habitants et des localités ; c'est la lutte de l'esprit avec la ma-
tière. A Marmoutier, nous devons reconnaître le point culmi-
nant dans la consécration du Sindelsberg et de Saint-Ouirin,
qui triple l'existence primitive, et qui lui donne, surtout
dons l'adjonction d'un couvent de religieuses, un complé-
ment, privilège d'un petit nombre de monastères. Quoique le
fait n'ait eu heu qu'au commencement du douzième siècle, il
ramène, par un enchaînement d'idées et de traditions , jus-
qu'au sixième siècle de notre ère, et rattache, pour moi, la
cellule de saint Léobard et le cloître de saint Maur aux fonda-
tions biberniennes ou gaéliques.
316 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
TRENTE-DEUXIEME LETTRE.
FoiiiN de l'altlmyc de 1%'euboiirs. — ïoret sainte de Ilagiienaii. —
]Vavi;;alion du Rhin. — Droit d'arfoua^fe. — Fonds de Talibaye de
'%1'aiiioiirg ou Mainte-'tVal|iiirg;e. — Vond.s des couvents de Hague-
nau;. — li'hôpital de Frédéric Barberousse.
Monsieur ,
La forêt sainte ou la forêt de Ilagucnau offrait un spec-
tacle curieux dès les premiers siècles de l'iulroduclion du
christianisme en Alsace; et ce spectacle se prolongea, se
transforma au moyen âge et dans les temps modernes jusqu'à
la Révolution de 89. Dans ces vastes solitudes, où les popula-
tions celtiques avaient déjà cherché un asile et creusé leurs
tombeaux, et qui après elles étaient redevenues le séjour des
bêtes fauves,, dans ces bois immenses vinrent, dès le sixième
et le septième siècle de notre ère, s'établir, à l'ombre des
chênes , des confréries d'ermites et de moines ; la forêt de-
vint, dans toute la force du terme, un vaste sanctuaire, où la
voix des pénitents moulait au ciel avec le chant des oiseaux;
où les parfums de l'encens se confondaient avec la brise em-
baumée du désert. Plus' tard, ces établissements isolés se
transformèrent en couvents, en abbayes, en chapitres; le
même sol qui avait abrité des ermilcs, offrit un refuge hos-
pitalier à des conventuels des deux sexes. A partir du dou-
zième siècle, tout un hémicycle d'églises abbatiales entoura
l'ouest et le nord de la forêt; voyez plutôt vous-même et sui-
vez du doigt sur la carte, toutes ces localités dont le nom
vous est familier: Neu bourg, Walbourg, Surbourg, Biblis-
heim, Kœnigsbruck, Scltz, sans compter les couvents et le
chapitre de llaguenau même, au raidi de cette grande région
boisée.
Nous connaissons déjà Surbourg, Haguenau etSeltz, l'ab-
baye de la sainte impératrice Adélaïde. Je vais maintenant
TRENTE-DEUXIÈME LETTRE. S-i?
VOUS placer aux pieds des murs de Neubourg et de Sainte-
Walj)urge — car c'est là le vrai nom primitif de Waibourg.
— Je dis « aux pieds des murs,» par un abus impardonnable
de la métaphore! de Neubourg', par exemple, il n'existe plus
une pierre ! Au moment même où s'organisait la Société 'pour
la conservation des monuments historiques d'Alsace, dans l'une
des premières séances du Comité, on vint lui annoncer
qu'une chapelle ogivale, dont l'ouvrage de feu Schweighseu-
ser donne le dessin charmant, et qui était le dernier débris,
le dernier témoin de l'antique abbaye, tombait sous le mar-
teau des démolisseurs. Le Comité historique put consigner
dans ses procès-verbaux la chute de ce monument commémo-
ralif; mais les élégies ne sont qu'un hommage rendu aux
morts, et n'amènent point leur résurrection.
Cette abbaye de Ncuboui'g, dont il ne reste plus trace,
était située à quelques kilomètres à l'est de PfalTenhoffen,
non loin de la Moder, et sur la lisière de la forêt de Hague-
nau, qui lui offrait, grâce à la munificence impériale et prin-
cière, des ressources inépuisables en fait de parcours et d'af-
fouage.
Neubourg (Abbatia Neocastrensis) avait été fondée , en 4 128,
par Reinald ou Rcinhold, comte de Lûtzelbourg, et par Fré-
déric, duc de Souabe, père de Frédéric Barberousse. C'était
une filiale ou un rejeton, une colonie, si vous voulez, de
l'abbaye de Lucelle située sur les confins méridionaux de la
Haute-Alsace. Le fondateur même de Lucelle, Ulrich, issu de
la famille des comtes de Neuchàtel ou Neuenburg, vint habi-
ter le couvent de la forêt sainte et en fut le premier abbé sous
la règle de Cîteaux.
De même que le couvent de Neubourg, qui prit son nom
de la famille de son premier abbé, était issu d'un établisse-
ment un peu plus ancien, lui , à son tour, devint la souche de
plusieurs autres couvents en Alsace et au delà du Rhin.
Sur la demande de Walther, baron de Lammersheim, Ul-
rich, premier abbé de Neubourg, envoya douze moines fon-
348 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
derle couvent de Maulbronn, dans le Wurtemberg ; el sous
l'abbé Berthold^ douze religieux de notre couvent alsacien
allèrent habiter le couvent de Herrenalb, que Bertbold, comte
d'Eberstein, venait d'établir dans le même pays de Souabc
(1148).
Un siècle plus tard /^i245), le couvent de Lichtenthal, situé
dans la pittoresque vallée de l'Oos, derrière Bade, et fondé
par une princesse palatine, Irmcngarde, veuve de Ilermann
de Bade, le couvent de religieuses qui dans le dix-neuvième
siècle a conquis une célébrité européenne, grâce aux chants
angéliques de ses nonnes, grâce aux forets de sapins qui le
surplombent, et au voisinage du Baies contemporain, Lich-
tenthal doit êlre considérée comme un rejeton de Neubourg;
dès l'origine, ses religieuses furent soumises à l'inspection
spirituelle de l'abbé de notre couvent alsacien.
.le n'en ai point fini avec les colonies saintes qui doivent
leur naissance au couvent de Neubourg. Au nord de la foret
de IlagLicnau, le couvent de femmes ou abbaye de Kœnigs-
bruck, et non loin de l'abbaye de Sainte-Richarde d'Andlau,
le couvent de Bongars ou Baumgartcn , sont issus de l'éta-
blissement fondé par le père de Frédéric Barberousse.
Les premières atteintes à ces prospérités lui vinrent au mi-
lieu du quatorzième siècle , par les bandes d'Enguerrand de
Couci; au quinzième, par des incendies; au seizième, parla
guerre des paysans; au dix-septième, par les hordes de
Mansfeld et les troupes suédoises. Les années 1521 et 1G22
marquent surtout parmi les époques néfastes de Neubourg ;
à deux reprises, l'abbaye fut ruinée de fond en comble. Sous
l'administration des abbés Michel (Stromeyer) , Bernard (Du-
perchc) , Charles (Béranger) et Jean (Vereau) , elle répara peu
à peu ses dommages, reconstitua ses titres de propriété et
jouit, jusqu'à la Révolution de 93, d'un bien-êjre considé-
rable. L'abbé Jacques Gacier d'Anvilliers (1715-1759) eut des
relations fréquentes avec le roi de Pologne détrôné, avec
Stanislas Leczynski , qui habitait alors Wissembourg ; Marie
TRENTE-DEUXIÈME LETTRE. 3-49
Leczynska, la reine de France, tlola de sa main l'église de
Ncubourg, qu'elle avait probablement visitée avant ses gran-
deurs '.
Le dernier abbé (Ignace-Xavier Dreux, de la Sorbonne) fut
témoin de tristes journées. Dans une lettre, datée de décembre
1790, ce dignitaire, voyant crouler l'œuvre de sept siècles,
ou plutôt ne s'expliquant pas encore l'immense mouvement
qui s'accomplit sous ses yeux, se plaint d'être obligé d'inter-
rompre les travaux dans un beau plant de vignes. «Le cœur
«saigne de voir dépérir la plus belle plantation delà Basse-
« Alsace pour laquelle j'ai eu tant de soins et dépensé tant
«d'argent.» — Ilclas ! c'est bien de vin et de vignes qu'il s'a-
gissait alors!... Puis l'abbé se plaint des fermiers de Win -
gersheim qui élèvent des prétentions ridicules. «Pourquoi la
«retenue sur mon traitement? j'ai essuyé de la part de mes
«religieux une insurrection à l'instar de celle des paysans
«contre leurs seigneurs.» L'esprit de révolte avait donc gagné
le cloître lui-même. Des cris séditieux allaient retentir aux
pieds même de la chaire, d'où n'étaient descendues jusqu'a-
lors que des paroles de paix. Neubourg allait subir le sort de
toutes les abbayes d'Alsace , de France et d'Europe.
Les pièces capitales du fonds de Neubourg se rapportent à
la navigation du Rhin et au droit d'affouage dans la forêt
sainte.
Presque dès mon entrée en fonctions , il y a une vingtaine
d'années, j'ai mis la main sur une série de chartes impé-
riales, épiscopales et princières qui octroient à l'abbaye des
faveurs considérables pour la libre navigation, c'est-à-dire
pour le transport des denrées sur le fleuve de la frontière.
Quoique Neubourg (l'abbaye) ne fût pas exactement riveraine
du llhin, elle n'en est pas assez éloignée pour que l'approvi-
sionnement ou l'exportation ne lui aient procuré de grands
' Voy. pour ce dernier détail : YUistoire de V abbaye de Neubourg, par le
père Marcel Moreau. — Revue d'Alsace, janvier cl février 18G0.
350 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
avantages à la suite des leltres-priviléges. Ces rescrits sont des
documents d'un intérêt historique général, puisqu'ils donnent
des détails sur la navigation fluviale au quatorzième et au
quinzième siècles et sur les coutumes qui régissaient cette
matière. Les chartes émanent de Henri, roi des Romains, fils
de Frédéric H (1223), de Conrad IV (1244), de Ilerrmann,
margrave de Bade (1281), de Rodolphe, margrave de Bade
(1309), de Frédéric d'Autriche, roi des Romains (1315), de
Walther, archevêque de Cologne (1344), de l'empereur Louis
de Bavière (1344), de l'empereur Charles IV (1349-1350), et
de son fils Sigismond (1434).
Le plus important de ces documents est celui de l'empe-
reur Louis; il spécifie les conditions et les limites de cette
navigation. «Le couvent aura le droit de charger chaque an-
«néc, pour descendre le fleuve, un bateau de la contenance
«de 150 charretées devin et de blé, ou deux ou trois bateaux
« de moindre grandeur avec charge équivalente ; les charge-
« menls ne seront tenus ni d'acquitter le péage , ni de subir
«le droit d'épave (gruntnir). En amont du fleuve, les gens de
«l'abbaye auront le droit de charger trente tonnes de harengs
« et un quintal de sel.î
Le dispositif de cette charte est bien clair : l'abbaye est
avantagée pour l'exportation de ses denrées (vins et céréales)
et l'importation des approvisionnements pour le carême. Ce
droit de libre navigation s'étendait jusqu'à l'Océan.
Quant au droit de parcours , auquel l'abbaye devait tenir
plus qu'à tout autre privilège, à raison de sa situation sur la
lisière de la grande forêt d'Alsace, le plus ancien document à
ce sujet date de Louis de Bavière (1330) ; il permet à l'abbé de
tenir quatre cents porcs dans la forêt, mais point de brebis.
Dans une charte rendue par Charles IV sur les instances de
l'abbé Werner, le même droit de parcours est confirmé ;
l'empereur Sigismond corrobore les chartes précédentes
(1436), en autorisant l'abbé à faire des coupes dans la forêt
TRENTE-DEUXIÈME LETTRE. 351
de Ilagucnau et à se servir de l'étang- ou de la marc du Wasen-
sée. Un document émané de l'empereur Ferdinand II relaie les
nombreuses faveurs accordées au couvent par ses prédéces-
seurs, et de plus une letlre-privilége en faveur de Heinz
(Henri) de Falkenstein, propriétaire du Burghaus (caslel) , de
la maison de Falkenstein et de la Obercstubc à Haguenau.
Le droit de parcours si souvent garanti par les empereurs,
à partir du treizièrfie jusqu'au dix-septième siècle, fait encore
au dix-huitiéme le sujet de plus d'une liasse de procédures
entre le magistrat de Haguenau et l'abbaye. Dans ces papiers
modernes, les anciennes chartes- jouent toujours un grand
rôle, tant le respect de la tradition écrite est fondé à la fois
en justice et dans le cœur de l'homme.
Le droit de patronage fait aussi le sujet de plusieurs chartes
dans le fonds de Neubourg-. Dans un document de Rodolphe
de Habsbourg (1291), il est fait défense à qui que ce soit
de s'arroger un droit d'avouerie sur les possessions, fermes,
terres et granges de l'abbaye; plus d'une vingtaine de villages
très-considérables sont énumérés dans cette charte, que con-
firme en 1292 Adolphe de Nassau , le successeur de Rodolphe,
L'empereur Sigismond, dans une lettre datée de Constance
(1417), enjoint aux habitants de plusieurs villages situés prés
des fermes de l'abbaye de ne point inquiéter les habitants de
ces fermes, surtout de ne pas les empêcher d'arriver par la
Hart au moulin de l'abbaye. Un droit de chasse onéreux (le
Huntfjclt), et le droit de la herberg ou du logement militaire
ne pouvaient peser sur l'abbaye, en vertu de quelques chartes
impériales de la maison de Luxembourg-.
Permettez-moi de m'étendre encore sur un arbitrage (133i)
qui figure parmi les titres de Neubourg-.
Un homicide avait été commis sur la personne de l'abbé
Berlhold, par des habitants d'Uhlwiller et de Niedcraltorf , qui
avaient en vain réclamé au sujet des terres appelées le
Pferchbruch. Rodolphe de Fegersheim et Wallher deBrumath
furent nommés arbitres pour examiner les causes du diffé-
352 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
rend et prononcer sur le sort des meurtriers. Il £ut reconnu
par eux, après examen des anciennes lettres-privilèges, que
le Pferchbruch appartenait à l'abbé. Quant à l'homicide, tous
les habitants mâles des deux communes furent condamnés à
une expiation consistant à faire le tour de la cathédrale de
Strasbourg-, des cierges en mains, nu pieds et nu tète. Les
cierges devaient être déposés en offrande sur l'autel de la
Sainte-Vierge. Trois individus reconnus pour avoir plus spé-
cialement favorisé le meurtre de l'abbé Berthold, reçurent
l'injonction de faire le pèlerinage de Rome, et de ne point
rentrer dans le diocèse dç Strasbourg sans le consentement
de l'abbé de Neubourg. Deux autres individus, reconnus pour
avoir pris part au meurtre, furent égalemenl bannis du dio-
cèse et condamnés au double pèlerinage de Rome et de Saint-
Jacques-de-Compostelle. Une sentence arbitrale prononcée la
même année (1344), par Rodolphe de Ilohenberg, règle les li-
mites des propriétés des deux partis, et une sentence du magis-
trat de Hagucnau met l'abbaye en possession du Pferchbruch.
Pas fort loin du site de Neubourg, en tournant autour de
l'angle nord-ouest de la forêt , nous arrivons à Walbourg ou
plutôt à Sainte-Walpurge. Cette abbaye de l'ordre de saint
Benoît doit son origine à Thierry, comte de Montbéliard (1074).
D'autres versions placent la fondation de cet établissement à
l'an 11 00 et l'attribuent à Pierre de Lûtzelbourg et à Frédé-
ric, duc de Souabe et d'Alsace. En tout cas, ce duc, grand-
père de Frédéric Barberousse, combla de ses bienfiiits la
jeune abbaye qui fut confirmée par une bulle de Pascal II
(1102).
Vers 1473, l'église de Sainte-Walpurge fut complètement
renouvelée par Burkard de Mûllenheim' , et cette restaura-
tion éciiappa aux ravages de la guerre des paysans, qui s'abat-
tirent sur les édifices et les autres propriétés de l'abbaye.
' On sait que le cliœur de celte église est très-vaste et orné de beaux vi-
traux de couleur.
TlîENTE-UEUXIÈME LETTRE. 353
En i5M, l'abbaye coiisidcrablcmL'nt décbue, fut incor-
porée an cbapilre de Wisscmbourg'. Depuis une quinzaine
d'années le prévôt de cet établissement administrait les biens
de Sainte-Walpurge ; la Réforme et la guerre des paysans
avaient évidemment porté un coup mortel au couvent.
Cet état de choses dura jusrpi'cn 1G84 ou 1685; alors un
arrêt du Conseil d'Etat révoqua cette incorporation, etl'évêque
de Strasbourg- fut chargé d'unir l'abbaye au séminaire épis-
copal de Strasbourg-.
Après la paix de Ryswick, le grand-chapitre de la cathé-
drale s'empara des biens de l'ancienne abbaye ; il en résulta
de graves litiges entre ce corps puissant et les RR. PP. Jé-
suites, qui tenaient entre leurs mains l'enseignement du sé-
minaire. La comptabilité de notre fonds prouve que les Pères
restèrent maîtres du terrain.
Le fonds de Sainte-Walpurge n'est pas très-considérable ;
mais il consiste en lettres-privilèges, en bulles et en pièces
de procédure, constatant des faits importants, tel que celui
dont je viens de parler.
Tout d'abord, une charte impériale émanée de Frédéric.
Rarberousse(li59, datée de Roncaglia) , confirmative des pri-
vilèges déjà accordés à l'abbaye, nous apprend que le père
de l'empereur, Frédéric, duc de Souabe, y est enterré. Des
biens considérables sis à Peterlingen (Payerne dans le pays
de Vaud), Schœnau, Hûttendorf, Schalkendorf, Wintzen-
heim, Ergersheim, sont conférés par l'empereur à la com-
munauté, sans compter le droit de pèche dans les étangs, le
droit d'affouage dans la forêt de Haguenau. Ces chartes pri-
vilèges s'étendent depuis Henri V jusqu'à Charles V (1106-
1548), et les bulles, de Pascal 11 à Alexandre VI (1497). Une
lettre d'indulgence, émise le 29 novembre 1349 par dix-sept
évoques, accorde une rémission de quarante jours de péni-
tence aux pèlerins qui assisteront au service de l'église, ou
qui auront prié dans le cimetière pour l'âme d'un défunt; à
ceux qui auront dit des prières pendant que la cloche du soir
354 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
annonce VAvc-Maria; à ceux qui auront suivi le Saint-Sacre-
ment porté à un malade; à qui aura prêté une main secou-
rable pour l'ornementation de l'église et la disposition des
séminaires ; enfin, à quiconque aura donné et légué à l'église
de Sainte-Walpurge, de l'or, des vêtements ou des calices.
fin passant au midi de la forêt sainte, à Haguenau même,
nous y trouvons les couvents des Augustins, des Cordeliers,
des Dominicains et des Prémontrés, qui tous sont représentés
par des fonds spéciaux, mais exigus; celui des Prémontrés
offre seul un intérêt majeur.
En 1189, l'empereur Frédéric Barberousse donna à quatre
religieux de cet ordre un hôpital qu'il venait de fonder, dans
la jeune ville de Haguenau , en l'honneur de la sainte Vierge
et de saint Nicolas. C'était l'asile du malheur et de la souf-
france, consacré non loin du splendide palais, séjour des
fêtes, des plaisirs et des soucis politiques. En 1235, Henri,
roi des Romains , fils de l'empereur Frédéric II, assigne à ces
mêmes Prémontrés de Haguenau des biens à Kœnigshoffen.
Cet ancien hôpital , qu'il ne faut point confondre avec l'hô-
pital de Saint-Martin , construit par la ville en 1328 , fut con-
verti en prieuré de Prémontrés; et c'est à cet établissement
que se rapporte ce fonds, qui renferme une série de lettres-
privilèges impériales à partir du règne de Frédéric Barbe-
rousse jusqu'à celui de Sigismond.
Le plus ancien de ces documents remonte précisément à
l'année 1189; c'est l'acte de fondation même de l'ancien ou
premier hôpital de Haguenau'. Je vous prie de remarquer
que c'est l'année qui précède la troisième croisade et la mort
de Barberousse ; il est bien permis de croire que l'empereur,
courbé par l'âge et à la veille d'une expédition aventureuse
dont il devait, mieux que personne, calculer les immenses
dangers, ait songé à solenniser son départ pour l'Orient et à
1 L'iiôpilal acliicl Jale, comme nous venons rie le voir, de 1328 seule-
nienl. Un oratoire élail annoxé à l'hôpilul de Frédéric Barberousse.
TRENTE-DEUXIÈME LETTRE. 355
sanclifier les derniers instants de sa vie par celle créalion de
charité.
Au nombre des pièces relatives à ce vénérable établisse-
ment, se trouvent deux lettres d'indulgence qui se distinguent,
ainsi qu'une charte semblable du chapitre de Surbourg, par
un grand luxe d'ornemenlation. Elles sont émises, le 12 et le
15 mars 4503, par quelques cardinaux en faveur de l'autel
de Sainte-Anne dans l'église de l'hôpital.
Les lettres qui forment le nom d'Oliverius, en tête de l'une
des chartes, sont tracées en or, rouge et bleu; la lettre ini-
tiale sert, (dans le document du 12 mars, de cadre à une tête
de Christ, imprimée sur le suaire. La lettre du 15 mars pré-
sente une ornementation encore plus riche et plus variée. Lj
nom d'Oliverius est aussi tracé en lettres d'or et en lettres
vertes, rouges et bleues. La lettre initiale sert de cadre à un
petit tableau représentant Jésus, auquel la sainte Vierge vêtue
de bleu et assise à côté de sainte Anne , présente un globe.
Quatre anges jouant de divers instruments de musique, rem-
plissent le reste du compartiment. Deux de ces messagers se
tiennent derrière le fauteuil sur lequel est assise sainte Anne,
ils sont vêtus de blanc; deux autres anges, vêtus de brun,
sont placés des deux côtés du tableau, dans une espèce de
vestibule formé par les contours de la lettre 0. Dans les deux
parchemins une guirlande de fleurs et d'arabesques part de
la lettre 0 et couronne les autres lettres du nom d'Oliverius.
Toutes les figures sont grossièrement peintes ; celle de sainte
Anne surtout est d'une remarquable laideur, mais les fleurs
sont belles et les lettres éclatantes. Un acte de 1535 nous
apprend que le prieur et les conventuels de l'hôpital vieux
incorporent leur couvent à la fabrique de Saint-George de
Haguenau, «parce que l'établissement est ruiné par les sectes
«et les malheurs du temps. »
Des autres couvents que renfermait la ville de Haguenau,
celui des Augustins dut son origine à une congrégation de
religieux établis dès les siècles les plus reculés au cœur même
356 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
de la forêt sainte. En 1281, c'est-à-dire sous Rodolphe de
Habsbourg, ces moines quittèrent leur retraite forestière et
vinrent se caser dans le monastère qu'ils avaient construit sur
la place duRosshof. En 1284- l'Empereur approuva cette cons-
truction par un diplôme daté de Brisacli, mais qui ne se
trouve plus dans notre collection '.
Les Cordeliers et les Dominicains de Haguenau n'y figurent
que pour des titres sans valeur.
'Les Auguslins de Wissemboiirg eurent une tout autre origine. Ils ve-
naient du couvent des Auguslins de l'^ribourg en Suisse, avec le consente-
ment d'Edelin , abbé de Wissembourg. Au milieu des troubles de la Ré-
forme, le monastère abandonné fut vendu au Cbapitre de Wissembourg, qui
le donna 'a la ville, sous la condition de l'annexer à l'bospice de la localité.
TrxENTE- TROISIÈME LETTRE. 357
TRENTE-TROISIEME LETTRE.
Molsheini, Tille éiilscopale; résumé de son histoire. — Fonds du col-
lège des Jésuites de nolslieini et du séniinuire épiseopal de {Stras-
bourg. — Fonds du couvent des Cliartreux de nolslieini. — Suppres-
sion de la Cliartreuse de Strasbourg. — • i%sile de Stépliansfcld. —
Les hospitaliers du Siaint-Esprit. — Feu David Richard.
Monsieur,
Je compte vous entretenir aujourd'hui du fonds du collège
des Jésuites et de celui des Chartreux; ceci me conduit néces-
sairement à Molsheim, où se trouvaient ces deux établisse-
ments. Quelques mots sur le passé de la ville ne seront pas de
trop.
Nous avons l'habitude de parler de Molsheim comme d'une
ville épiscopale ; elle ne l'élait pas exclusivement dès son ori-
gine ; elle a commencé par être une ville impériale ; elle figure
sous cette qualité vers la fin du dixième siècle. Les envahisse-
ments du pouvoir épiscopal furent lents et successifs; on n'en
peut guère fixer le point de départ. Encore au treizième siècle,
Molsheim paraît avoir été partagé entre les deux pouvoirs im-
périal et ecclésiastique; en 1236, l'empereur Frédéric II ap-
pelle les habitants àeMohheîm ses bourgeois. A la même époque
cependant, les droits utiles, c'est-à-dire les charges qui rap-
portaient, étaient déjà divisés : l'advocatie (préfecture) appar-
tenait à l'empire, les droits de patronage étaient à l'évêque.
Quant aux habitants, nous les trouvons flottants entre les
deux pouvoirs. En 1236 et encore en 1300, la ville de Mols-
heim est l'alliée de Strasbourg. Puis la balance commence à
pencher du côté épiscopal; en 1308 l'empereur Henri VII
cède à l'évêque de Strasbourg tous les droits de l'empire , et
l'évêque Jean de Dirpheim construit en 1314 à Molsheim un
château, qui a subsisté jusqu'au dix-seplième siècle. A partir
de 1314 nous pouvons donc hardiment admettre que Molsheim
358 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
prend une physionomie distincte; qu'elle échappe aux in-
fluences laïques et municipales ; qu'elle appartient même de
cœur aux chefs du diocèse, qui souvent viennent y résider.
Le même évêque qui construit le château , fonde aussi l'hôpi'
tal de Molsheim avec un oratoire, qui sera, trois siècles plus
lard, attribué aux jésuites.
C'est l'introduction de cette corporation puissante qui im-
prime, en 1580, un caractère définitif à Molsheim. Déjà cinq
ans auparavant, l'évêque Jean de Manderscheid , le vrai bien-
faiteur de Molsheim, y avait transféré l'atelier monétaire. En
appelant dans la charmante résidence, à l'entrée du val de la
Bruche, le corps enseignant qui allait lutter avec la Réforme
triomphante à Strasbourg, Jean de Manderscheid relevait le
drapeau de la « vieille foi » et déclarait solennellement qu'il
ne suivrait pas la voie des concessions adoptée par quelques-
uns de ses prédécesseurs. Le grand-chapitre avait aussi fixé
sa résidence à Molsheim, cinq ans avant l'arrivée des jésuites
de Cologne; en 4597, le successeur de Jean de Manderscheid
y appela le tribunal de l'ofiicialité. Ainsi se trouvèrent réunis
au môme siège, dans l'étroite enceinte de la môme petite cité,
les corps qui représentaient la justice, l'instruction publique
et les traditions historiques du diocèse de Strasbourg, sans
compter le mouvement matériel qu'y apportaient l'hôtel de la
Monnaie et la présence fréquente de l'évêque lui-même. C'est
donc du dernier quart du seizième siècle que date le rôle im-
portant que Molsheim va jouer dans l'histoire ecclésiastique
et politique d'Alsace. Elle y devint, avec Saverne, Haguenau,
Schlestadt, l'un des boulevards de la foi catholique, et ce ca-
ractère indélébile lui est resté, ainsi qu'aux trois autres villes
précitées, plus considérables que Molsheim parleur passé,
mais tenues de regarder la nouvelle parvenue comme un
membre vital de l'union catholique en Alsace; car, de ce mo-
ment, Molsheim fut pour le parti catholique une tribune,
consacrée plus tard par l'établissement formel d'une Univer-
sité.
TRENTE-TROISIÈME LETTRE. ' 859
On est un peu à se demander ()ue]les ont été, pour l'épis-
copat^ les causes déterminantes de ce choix. Pourquoi fixer
à Molsheim, plutôt qu'à Saverne , l'élablisscment des jésuites?
Pourquoi y transférer la Monnaie? Pourquoi y donner asile
au grand-chapitre et à l'oITicialité? Pourquoi y recueillir,
comme nous allons le voir, les chartreux de Strasbourg? Je
pense que le voisinage de la capitale de l'Alsace y était pour
quelque chose ; les communications étaient plus faciles en
toute saison ; il restait des intérêts majeurs à soigner à Stras-
bourg, une ancienne position historique à y reconquérir; un
échange journalier de relations avec les partisans épiscopaux
demeurant au milieu de la population protestante, était de
toute rigueur. Et puis le site de Molsheim, sans être pitto-
resque dans toute l'acception du terme, le site est gracieux,
le climat salubre et tempéré. Aux pieds de collines couvertes
de vignes productives , abritée par ces hauteurs contre le
souffle glacial de l'hiver, la ville de Molsheim participe aux
avantages de la plaine et de la montagne. Du fond des Vosges
lui arrive, pur encore, le grand cours d'eau de la Bruche ; le
jardinage, la culture des champs, l'arrosage dévastes prai-
ries, les vignobles occupaient tour à tour ses habitants, qui
n'avaient point adopté dans leur régime municipal, le sys-
tème des turbulentes tribus. Qui sait, si ces motifs, instincti-
vement sentis ou calculés avec intelligence, n'ont pas déter-
miné les évêques à y transférer d'abord une partie, puis la
presque totalité et le siège de leur influence politique' ou
cléricale? Quoi qu'il en soit, Molsheim, à partir de 1575, a
occupé une large place dans les annales de notre province.
Les ravages de la guerre épiscopale et de celle de Trente ans,
l'occupation temporaire de la ville par le compétiteur protes-
tant de l'évêché ou par les ennemis, n'apportèrent aucun
changement dans cet étal de choses ; c'est seulement la réu-
nion de Strasbourg à la France, c'est-à-dire l'événement ma-
' La régence épiscopale demeura seule a Saverne.
360 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
jeur à la suile duquel les corps cl les institutions catholiques
entrèrent en partie avec l'évèque au chef-lieu du pays, qui
amena dans la situation de Molsheim un considérable amoin-
drissement.
C'est donc dans cette ville jusqu'alors peu connue et rare-
ment appelée à prendre part aux affaires générales du pays,
que Jean (Je Manderscheid établit ses collaborateurs les plus
actifs et les plus puissants. Il avait appelé les Révérends Pères
de Cologne, les avait d'abord casés à Saverne , puis transférés
à l'entrée du val de la Bruche, dans cet ancien hôpital, fondé
vers 4319, par l'un de ses prédécesseurs, par Jean de Dirp-
heim. Tous les biens, toutes les dotations de l'hospice pas-
sèrent du même coup à la compagnie. Aussi, le fonds du col-
lège des jésuites consiste-t-il presque totalement en pièces qui
remontent soit à la création de cet ancien hôpital, soit aux
époques des diverses donations qui assurent son existence et
son développement.
La fondation de l'hôpital de Sainte-Marie de Molsheim avait
été confirmée par Guebhard de Fribourg, prévôt du grand-
chapitre ; puis exemptée de la dîme et des subsides (1323-
1378), favorisée et munie de bulles et de lettres d'indulgence
(1320, 1322, 1323), enrichie par de nombreuses prébendes
et par des incorporations d'église (1337, 1851, 1325, 1428),
corroborée enfin par l'évèque Robert (1440).
Lorsqu'en 1580 le collège des jésuites eut pris la place et
les revenus de l'hôpital, il exerça bientôt une influence mar-
quée sur l'instruction publique en Alsace. Jean de Mander-
scheid accorda en 1585 aux membres de ce corps la permis-
sion de remplir les fonctions pastorales, après qu'une bulle
de Grégoire XIII eut ratifié la fondation même du collège, et
que des règlements, émis encore par l'évèque Jean lui-même,
eurent soumis les étudiants à une inspection sévère.
Au dix-septième siècle il n'y eut pas un seul évêque de
Strasbourg qui ne comblât de bienfaits l'institution des jé-
suites de Molsheim, et qui n'augmentât leurs revenus. En
TRENTE-TROISIÈME LETTRE. 3G1
1618, rcmpereur (rAIloiuniiiie accorda sur la dcmaiulc de
l'évêque Léopold d'Autriche, au collège des jésuites de Mols-
hcim les privilèges académiques pour renseignement de la
pliilosopliie et de la lliéologie'. Celle môme année (1G18),
l'évêque de Bàle consacrait l'élégante église de Molsheim , où
avaient été déposées les reliques de saint Augustin, de saint
Materne et des martyrs Thébains.
Pendant la guerre de Trente ans , le nouvel édifice échappa
miraculeusement aux ravages et à la destruction qui frap-
paient tant d'églises en Alsace. Plusieurs sauf-conduits, dé-
livrés par Louis XllI ou ses généraux, expliquent ce bonheur
exceptionnel du collège de Molsheim au milieu du désastre
général.
L'histoire et le fonds de ce collège trouvent leur clôture
dans l'arrêt du Conseil souverain d'Alsace (20 décembre
17G4), qui enjoint aux pères de se soumettre à la volonté du
roi et de quitter le pays. Dans plusieurs mémoires on avait
protesté contre la suppression de l'établissement, f[ui comp-
tait, en le rattachant aux origines de l'hospice, 445 années
d'existence.
Je dois de toute nécessité vous entretenir ici incidemment
du Séminaire épiscopal de Strasbourg, qui se lie au Collège,
ou plutôt qui est greffé sur lui et a fini par l'absorber. La
marche de ces événements est d'une haute valeur pour l'his-
toire de l'instruction publique et religieuse en Alsace.
En 1683, précisément un siècle après l'entrée des jésuites
à Molsheim, l'évêque Guillaume Rgon, prince de Fiirsten-
berg, frère de l'évêque François qui avait reçu Louis XIV sur
le seuil de la cathédrale, Guillaume Egon fonda le Séminaire
de Strasbourg ; il en confia l'enseignement au môme corps
qui avait, à Molsheim, rempli si habilement sa tâche. En
1685, Louis XIV établit, avec la munificence qui caraclérise
' Vers la inùme époque, ce souverain conférail les [iiiviléges universitaires
à rAcadéniie proleslanle de Strasbourg.
362 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
tous ses actes politiques, dans la cour du grand-chapitre de
Strasbourg un collège qu'il remit aussi entre les mains de la
Compagnie de Jésus. Pour augmenter la dotation du Sémi-
liaire et du Collège, le roi leur fit don, en 1687, des biens de
l'abbaye de Sainte-Walpurge dans la forêt de Haguenau , et en
1602 il y ajouta une partie des biens de l'ancienne abbaye de
Seltz.
Le couronnement de toutes ces mesures, habilement calcu-
lées pour engager une lutte sérieuse avec le protestantisme en
Alsace, ce couronnement est dans l'acte qui fait passer en
1702 les droits d'université du collège de Molsheim à celui de
Strasbourg.
De ce moment ce collège professait l'enseignement des hu-
manités, de la philosophie, du droit canon, de la théologie
dogNiali(jue et morale, et conférait les grades de théologie et
de philosophie.
Après la suppression de l'ordie des jésuites, une université
catholique remplaça l'ancien séminaire et le collège.
I/hisloire littéraire d'Alsace a conservé le souvenir de quel-
ques-uns des Pères jésuites qui , dès la fin du dix-septième
siècle et pendant une grande partie du dix-huitième, illus-
trèrent le haut enseignement dans la ville même qui avait été
le berceau et l'un des principaux foyers de la Réforme en Al-
sace.
C'est dans ce corps enseignant que professait le Père La-
guillc, l'auleur d'une Histoire d'Alsace écrite avec élégance
et facilité, mais sans la connaissance suffisante des sources
du moyen âge. On remarquait dans le même groupe de pro-
fesseurs le Père Bœgert, qui visita comme missionnaire la
Californie , alors parfaitement inconnue , le missionnaire Guil-
laume , auleur d'une Histoire des ducs de Lorraine , et les for-
midables controversistes Dèz , Lempereur, Ralabon , qui
s'étaient installés à Strasbourg immédiatement après la red-
dition de la ville.
Si l'université protestante de Strasbourg a jeté un véritable
TRENTE-TROISIÈME LETTRE. 363
éclat dans la seconde moitié du di\-liui(ième siècle, elle doit
cette splendeur -inopinée à l'impérieuse nécessité de déployer
toutes ses forces, de lutter par la science avec des rivaux dis-
tingués. Sans Laguille, peut-être Schœpflin n'eût -il point
existé ; Schœpflin à son tour a fait naître le talent précoce de
Grandidier. C'est dans le choc des intelligences que réside la
vie ; c'est de ce contact que jaillit le feu sacré.
Cette excursion passagère à Strashourg- a été motivée par
l'étroite parenté entre les divers établisseitients d'instruction
du culte catholique; je vais maintenant vous ramener encore
une fois à Molsheim , dans le couvent des Chartreux. La
Chartreuse de Molsheim doit son origine à la suppression de
la Chartreuse de Strasbourg.
Celle-ci, fondée en -1339, non loin de Kœnigshoffen , et
confirmée par une lettre -privilège de l'évêque Berthold de
Bucheck, comptait deux siècles et demi d'existence^ lors-
qu'une lutte, malheureusement engagée avec le magistrat
protestant de Strasbourg, se termina par la démolition même
du couvent et par le transfèrement de son personnel dans la
ville épiscopale de Molsheim. La spoliation de la Chartreuse,
dite Zu unserer Franen BiïhV, a laissé de nombreuses traces
dans le fonds du couvent des Chartreux de Molsheim ; de fait,
les documents histori(jues les plus importants se rapportent à
l'acte hostile qui amena la translation de ce couvent. Le
prieur dut recourir à rintcrvention puissante de l'empire ger-
manique et du roi de France pour ne pas rester écrasé. Ro-
dolphe II, empereur d'Allemagne, Henri IV roi de France et
de Navarre, les trois archevêques électeurs du saint empire,
le prieur de la Grande-Chartreuse on Dauphiné, d'autres di-
gnitaires de l'ordre, des conseillers impériaux, des hommes
'C'est, ainsi que s'appelait la pelile émineiice sur laquelle élail siUiée la
CliarU'euse de Su-asbourg , a U^ois kiloiiièlies à l'ouest de la ville, au-dessus
de la Bruche, ti'emplaeement est occupé par une propriélé moderne qui porle
encore le nom de la « Chartreuse. »
364 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
de loi, les membres de la magistrature de Strasbourg inter-
viennent dans cette discussion, attestée par une correspon-
dance considérable, qui se termine, grâce au roi de France.
La Chartreuse échangea une grande partie de ses biens et re-
venus contre une rente sur la gabelle de Normandie; voici
dans quelles conditions :
Henri IV était débiteur de la ville de Strasbourg ; à l'aide
de cette créance de la ville, on parvint, sinon à contenter les
parties, du moins à empocher que la procédure ne se pro-
longeât indéfiniment devant les tribunaux impériaux. Le roi
de France, au lieu de rester le débiteur de la cité impériale
de Strasbourg, se chargea de constituer en faveur de la Char-
treuse une rente de 75U0 fr. au capital de 150,000 fr., et le
magistrat de Strasbourg s'acquitta, moyennant cette compen-
sation , vis-à-vis de la Cbartreuse lésée.
Encore en 4749, la Chartreuse eut recours à une consul-
tation d'avocats près du conseil souverain d'Alsace pour ren-
trer dans la possession de quelques-uns de ses anciens biens,
quoique des privilèges nombreux émanés des évèques de
Strasbourg et des rois de France, pendant le dix-septième
siècle, eussent été appliqués à guérir la plaie de la fin du
seizième.
Le fonds de notre Chartreuse est riche en cartulaires; cette
collection de copies de titres de propriété forme dix-sept vo-
lumes in-fol. ; les baux s'étendent à cinquante-six communes,
les renouvellements de biens à une soixantaine de localités.
11 suffira, je pense, de donner ces indications sommaires
pour justifier ce que je diS' sur la réparation des pertes que
le patrimoine du couvent avait éprouvées.
Je n'exprime point une critique. Toute communauté, une
fois établie, tend naturellement à assurer son existence et son
avenir. A qui contesterait l'utilité de l'établissement des Char-
treux, on pourrait répondre que la société civilisée, telle que
nous l'avons faite , recèle plus d'une existence blessée'à mort,
qui aspire au silence de la tombe et qui trouve. une première
TRENTE-TROISIÈME LETTRE. ' 865
garantie de repos et de sécurité dans l'intcrdiclion même de
la parole, à l'aide de laqnelle on jette si souvent le trouble
dans les consciences et les âmes. La force de l'édifice romain,
tel que les siècles l'ont construit et étendu, consiste précisé-
ment dans la satisfaction donnée à tous les besoins de l'intel-
ligence et du cœur. Les ordres monastiques de toutes les
nuances répondent aux êtres déclassés de tout genre, errant
comme des âmes en peine entre le ciel et l'enfer. Le protes-
tantisme a cherché à combler celte lacune dans son organisa-
tion par l'établissement des frères moraves , où les fi ères et
les sœurs, qui n'ont point de famille, trouvent des asiles
pour y mener la vie claustrale.
Il faut se sentir bien malheureux avant d'entrer dans une
Chartreuse et ne plus respirer qu'en face d'un mémento mori;
mais puisqu'il y a des infortunes ou des culpabilités qui ont
éprouvé à ce point le néant des forces et des joies humaines ,
il n'est point inutile de leur ouvrir une porte, derrière la-
quelle ils puissent cacher et oubher leur vie passée.
L'austérité du cloître des Chartreux de Molsheim était tem-
pérée par la douce influence de l'art religieux. Vous pour-
rez, dans l'une des salles de la bibliothèque de Strasbourg,
jeter un coup d'œil sur les belles verrières qui viennent de
cet asile. Au dix-septième siècle, les frères Linck en avaient
décoré les croisées des Chartreux, et laissé dans leur œuvre,
digne d'être mise à côté des beaux produits de l'art du moyen
âge, une preuve nouvelle de l'élévation que peut atteindre
le procédé humain mis au service de l'inspiration sacrée. Les
pieux solitaires, les villes, les forêts, les rivières, tous ces
tableaux sévères et naïfs , représentés sur les vitraux de
Molsheim, respirent l'inimitable parfum du sanctuaire, qui ne
monte jamais à la tête des faiseurs mondains.
Veuillez maintenant me suivre vers un autre asile de mal-
heur; je veux parler de celui de Stéphansfeld, qui a été , dans
le principe , une maison destinée aux pauvres et aux enfants
abandonnés. Fondé au commencement du treizième siècle
366 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
par les comtes de Werde, landgraves d'Alsace, dans le but
charitable que je viens d'indiquer, il fut habité et administré
par les chanoines hospitaliers du Saint-Esprit, vivant sous la
règle de saint Augustin , et devint la souche de plusieurs éta-
bHssements de même nature.
L'asile ou la commanderie hospitalière de Sléphansfeld
relevait d'un hôpital du même ordre à Rome (spedale di san-
spirito in Sassia), oii l'un des comtes de Werde avait proba-
blement puisé la première idée de sa création charitable. Des
religieuses y furent attachées , dès l'origine , pour les soins
à donner aux enfants.
En 1220 déjà, le landgrave Sigebert et ses fils avaient
richement doté cet hôpital alsacien ; une partie de la vaste
forêt de Brumath , au cœur de laquelle était situé l'établisse-
ment, y fut affectée par les généreux fondateurs. Des bulles ,
des brefs, des lettres-privilèges impériales et épiscopales
vinrent, à plusieurs reprises, en aide à Sléphansfeld.
Le fonds spécial qui se rapporte à cet asile, est très-exigu,
mais dans le fonds de la préfecture de Haguenau une liasse
portant la suscription de Stéphansfeld, concerne les relations
de l'établissement avec les comtes de Ilanau-Lichtenberg qui
accaparèrent au dix-septième siècle une partie de ses revenus
et se mirent par là en conilit avec la préfecture. Un trait de
mœurs assez curieux est révélé dans une lettre du landvogt
au commandeur (lettre du 8 décembre 1602); on reprochait
à cette époque au couvent d'être l'occasion d'un grand scan-
dale : des femmes avaient été admises dans l'intérieur de la
maison pour le service des caves et des greniers. Le landvogt
ou préfet de Haguenau prescrit le renvoi de ces hôtes dange-
reux; je dois croire qu'on a obtempéré à cet ordre.
Des lettres patentes du roi (datées du mois de mars 1777)
concernent la destination des biens et des revenus de Sté-
phansfeld, la régie et l'administration de la maison, sécula-
risée depuis quelques années. Un compte dépareillé de 1785
à 1789 porte les revenus, à cette époque, à 50,000 livres en-
TRENTE-TROISIÈME LETTRE. 367
viron; les dépenses laissaient un boni de 10,000 livres. Ce
sont là, je le sais, des détails fort incomplets et clairsemés ;
évidemment la Révolntion a englouti les documents capitaux
qui se rapportent à cette pieuse fondation des landgraves
d'Alsace.
Au commencement du dix-neuvième siècle, on assigna à
Stéphansfeld une destination qui n'était i)as trop étrangère à
sa première origine. Plus récemment, en 1834, un asile
d'aliénés a remplacé celui des enfants abandonnés ; et l'homme
qui, naguère encore le dirigeait, était animé du même esprit
de charité (jui avait inspiré les premiers fondateurs. Feu
David Richard appartenait à cette famille de caractères excep-
tionnels qui marient le cœur le plus aimant cà une intelligence
éclairée, et qui accomplissent leurs devoirs journaliers comme
une tâche providentielle. C'est une belle chose sans doute
que de porter la lumière et les bienfaits de l'Evangile dans
les régions éloignées et barbares; mais chercher à rallumer
le flambeau de la raison dans de pauvres tètes privées de cette
lumière divine, c'est une mission aussi dangereuse, aussi
difficile que celle des apôtres du christianisme parmi les sau-
vages. On peut y laisser sa vie et sa propre raison. David Ri-
chard a sacrifié à ses devoirs officiels son existence privée ; il
est mort à la peine. Cet esprit charmant, qui avait vécu dans
l'intimité de quelques-uns des plus beaux génies du siècle, a
volontairement renoncé à l'attrait et aux rêves de la gloire ;
lui, si curieux du passé, lui, si érudit, si porté vers l'étude
des questions sociales , il a tourné le dos à ces brillantes sé-
ductions du monde intellectuel ; il est descendu dans les bas-
fonds où la souffrance mentale bégaie ses paroles de délire ,
et il a cherché à rendre le calme et la santé morale à ces
pauvres déshérités. 11 a porté sa croix, comme les vieux hos-
pitaliers du Saint-Esprit, dont il cherchait à connaître, dans
ses rares moments de loisir, les antécédents et Thistoire.
Maintenant qu'il repose pour toujours de ses fatigues et de
ses souffrances, — car la douleur des autres était la sienne,
368 ARCHIVES DÉPARTEMEINTALES DU BAS-RHIN.
— maintenant qu'il dort, le bon pasteur des âmes, dans la
même terre, où se sont couchés avant lui ces hommes du
moyen âge, dévorés comme lui par l'amour et la charité,
pourquoi n'aurais-je pas le droit de proclamer sa vertu mo-
deste et de répéter, sans crainte d'être taxé d'une exagération
louangeuse, que, vivant, il a marché dans la même voie que
les bienfaiteurs de l'humanité souffrante, et que mort, il a
droit à notre respect posthume !
TRE-NTE-QUATRIÈME LETTRE. 369
TREIVTE-QUATRIEME LETTRE.
Voniif^ de l'ordre tie Kniiit-Jonn de Jérusalem (ordre de Malte). —
9Iai»ion de l'Ile-Verie on eoiiininnderie de Strii»>liourg^. — Le site. —
Origine de la maison. — Waither de Huneiioiirg, niaréclial de
réveehé. — Ruinianu MeersMin et les Amis de Dieu. — Caractère
de cette société ««ystérleiise. — Incorporation de la conimanderie
de iSclilestadt. — ^tiiiipressiou de la maison tIe i'Ile-Verte en 1033.
— Son rétablissement, en 1CS9, i^ Saint-Marc, «inl prend le nom
d'église de Saint-Jean. — Les commandenrs de la maison de Saint-
Jean de Strasbourg. — La maison de JDorlisheim. — Contenu du
fonds de l'ordre de Saint-Jean. — La bibliothèque de l'ordre. —
Le livre manuscrit u ties Sept Rocbers. » — Caractère de cette Ac-
tion dantesi|ue, œuvre de Ruimann Meersvvin. — Amitié de Rul-
mann et de Micolas de Râle. — Le livre des « Cinii hommes» fie
Nicolas. — Le livre des Abeilles. — Varia.
Monsieur,
Nous sommes souvent bien injustes pour tout ce que nous
avons sous la main , ou inaltenlifs à ce qui frapperait nos
yeux, si nous daignions les lever. Ainsi, ne Irouvez-vous pas
que le site , créé par l'IU , qui coupe en deux les remparts et
entre dans la ville par les douze arceaux du grenier d'abon-
dance, est incomparable et vraiment original? Ce fractionne-
ment de la rivière barrée, traversée par la sombre et longue
galerie d'où descendent, comme d'un pont couvert, les herses
de clôture; puis, les tours des vieilles fortifications qui se
dressent sur les îlots et les bords de la rivière; les quatre bras
qui partagent la nappe d'eau, dès qu'elle essaie de se déployer
à l'entrée de la ville; enfin, par delà les moulins, au bout de
cet horizon de maisons de toute forme et de toute taille, la
svelte flèche delà cathédrale et les masses de Saint-Thomas....
convenez, Monsieur, que ce tableau, bien des fois reproduit,
mais toujours neuf, forme à l'une des extrémités occidentales
de notre vieille cité un sujet d'étude pour le peintre observa-
teur. L'histoi'ien local y trouve tout autant son compte. Nous
370 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RIILN.
touchons ici à l'un des points classiques de notre territoire
municipal. Sur la rive gauche de la rivière, presque à partir
du point où elle pénètre dans l'intérieur de la ville et le long
du bras, transformé en canal régulier, s'élèvent les tristes
murs de la maison de correction. Eh bien, ces bâtiments, je
n'ose dire cet édifice, occupent la place et conservent quel-
ques restes de l'ancienne maison de Saint-Jean dans l'Ile-
Verte {im grïmen Wœrlh).
Dans les leçons d'histoire les plus élémentaires , toute jeune
imagination a été émue par le nom et le souvenir des Tem-
pliers , des chevaliers de Malte et de l'ordre tcutonique. C'est
qu'en effet, il y a dans la seule existence de ces ordres mili-
taires, moitié chevaleresques et guerriers, moitié monas-
tiques, un je ne sais quoi qui captive la pensée. Si le sort de
l'ordre religieux de Saint-Jean de Jérusalem ou de Malle n'est
pas aussi tragique que celui des chevaliers du Temple, il offre
tout de même des péripéties, des catastrophes si variées , à
partir de sa fondation près du Saint-Sépulcre et de son éta-
blissement dans l'hôpital de Saint-Jean-Baptiste, à travers de
longues migrations, la plupart du temps forcées, de Jérusa-
lem à Sain l-Jean-d' Acre, à Limisso en Chypre^ à Rhodes, dans
l'île de Candie, en Sicile, à Vitcrbe , jusqu'à sa longue rési-
dence à Malte, que le lecteur le plus superficiel de ces récits
de combats sur terre et sur mer, de ces sièges soutenus contre
les infidèles, s'attache à des annales où figurent les noms des
plus grandes familles d'Europe. Ces souvenirs pâlissent ou
s'effacent à la fin du dix-huitième siècle seulement, devant
un nom cent fois plus grand et plus glorieux, lorsque Napo^
léon Bonaparte , cinglant vers l'Egypte , prend en passant les
clefs de la forteresse de La Valette , et confisque Malte au
profit de la République française.
La gloire, dont brille l'ordre de Malte, rejaillit jusque sur
les commandcries ou les maisons répandues dans les princi-
paux pays de l'Europe. La maison de Strasbourg relevait du
grand prieuré d'Allemagne, ou, comme on disait, a de la
TRENTE-QUATRIÈME LETTRE. 371
langue allemande, » et son histoire locale est loin d'être dé-
nuée d'intérêt. Il faut renoncer à découvrir chez nous des
noms éclatants comme ceux de d'Aubusson et de Villiers l'Isle
Adam , les modestes commandeurs en résidence à Strasbourg
n'ont point eu maille à partir avec les sultans Mahomet II et
Soliman-le-Grand ; ils n'ont point eu de siège à soutenir
contre les Turcs; leurs luttes étaient tout intérieures, soit
avec la grande maîtrise de l'ordre, soit avec le grand prieuré
d'Allemagne , soit avec le magistrat de Strasbourg. Mais l'ori-
gine de la maison de l'Ile-Verle est accompagnée de circons-
tances exceptionnelles; c'est là-dessus que je vais appeler
votre attention. Il est inutile d'ajouter que les détails où je
vais entrer, sont en partie empruntés au fonds considérable
dont j'ai à vous entretenir'.
Au moyen âge , le côté sud-ouest de notre cité convenai''
parfaitement à un asile où la contemplation pût se réfugier.
Vers 116(5, un homme, violent dans sa jeunesse, mais con-
verti plus tard par la grâce divine, Walther de Hùnebourg,
maréchal de l'évêché de Strasbourg, avait fondé le couvent
Augustin de la Trinité hors des murs de Strasbourg, dans
une île mélancolique, déserte, où les saules baignaient leur
pâle verdure dans le cours de la rivière. A cette époque recu-
lée, l'Ill, plus fractionnée encore que de nos jours , rejoignait
par des canaux transversaux le cours d'eau de la Bruche, et
formait du côté où s'étend aujourd'hui le faubourg National,
un terrain insulaire assez vaste". Précisément deux siècles
plus tard , en 1366 , l'évêque de Strasbourg et l'abbé d'Altorf,
dont relevait le couvent de la Trinité, permirent à un magis-
trat strasbourgeois, nommé Rulmann Meerswin, d'établir des
prêtres séculiers dans cette maison de l'Ile-Verte, qui tombait
' Voy. aussi l'ouvrage plein d'érudition el d'intérêt de M. Charles Sclimidt,
professeur au Séminaire prolestant de Strasbourg, sur « les amis de Dieu »
ou Gottesfreunde.
2 Voiries caries de Silbermann. LohaJgeschichte von Slrassburg.
372 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
alors de véluslé. L'année suivante, l'abbé d'Allorf compléta
cette première faveur, en cédant , à titre de propriété , à la
famille Meerswin les constructions et le terrain environnant.
En 1368, quatre cbapelains de l'ordre de Saint-Jean de Jé-
rusalem , appelés par Meerswin , s'y fixèrent, avec l'agrément
du pape avignonais Urbain V; en 1370, le grand-maître de
l'ordre, alors en résidence à Rbodes, confirma cet établisse-
ment; enfin en 1372, le grand-prieur de l'ordre de Saint-
Jean en Allemagne lui donna un règlement. C'est depuis 1366,
presque d'année en année , un progrès dans l'organisation de
cette maison hospitalière, qui allait avoir son commandeur
spécial dans la personne de Henri de Wolfach.
Mais qui était ce fondateur libéral , ce Rulmann Meerswin,
dont nous prononçons le nom pour la première fois dans ces
entretiens ?
Pour apprécier Meerswin, il faut connaître la société mys-
térieuse dont il faisait partie; il faut savoir avec quels esprits
d'élite il se trouvait en communion d'idées et de prières,
avant de le juger soit comme donateur généreux à l'endroit
de l'ordre de l'hôpital, soit comme auteur théologique du
quatorzième siècle.
Vers le milieu de ce siècle, si riche en contrastes, à l'épo-
que môme où le fanatisme le plus hideux persécutait les juifs ,
il s'était formé dans la vallée rhénane supérieure {im Obcr-
land) une association, une vraie franc-maçonnerie religieuse,
composée de penseurs , d'hommes voués à la contemplation ,
à la recherche du bien absolu. Pour eux le suprême bonheur
c'était l'oubli de soi-même, la guerre implacable faite au
sentiment égoïste, qui empoisonne le cœur et forme un obs-
tacle insurmontable à la fusion de l'homme avec la divinité.
Ne plus avoir de volonté individuelle, se laisser absorber
par Dieu, s'abîmer en lui, se fondre en lui et avec lui, voilà
le but auquel aspiraient ces amants ou amis de Dieu {Gottes-
freunde); tel était le nom qu'ils se donnaient ou qu'on don-
nait à leur invisible confraternité. Loin de se séparer de l'E-
TRENTE-QUATRIÈME LETTRE. 373
glise, dont ils acceptaienl tous les dogmes , loin de se séques-
trer d'une manière absolue, loin de renoncer au siècle et de
se vouer à une vie tout ascétique, les amis de Dieu conser-
vaient des relations fréquentes avec le monde ; les hommes
mariés ne se séparaient pas nécessairement de leurs femmes:
ils attendaient que la mort vînt manifester la volonté de Dieu,
et dénouer ces liens sacrés. Si je devais préciser en quoi les
«amis de Dieu» se distinguaient du commun des hommes,
je dirais qu'un symbolisme mystique faisait leur profession
de foi intime. Ils croyaient aux rêves, aux visions prophéti-
ques qui, selon eux, pouvaient, dans certains cas, révéler la
volonté de Dieu ou rendre palpables des vérités immatérielles.
Les extases , tantôt involontaires , tantôt provoquées , étaient
fréquentes chez les adeptes de cette confrérie secrète; ils
étaient en communion avec le monde invisible, et leur corps
était brisé par cette dangereuse familiarité avec un ordre de
choses surnaturel. Chez eux l'imagination prédominait, tandis
que chez d'autres mystiques du moyen âge, c'était une charité
infinie ou la spéculation métaphysique.
Les ramifications de cette société — je ne puis dire de cette
secte, car ce n'en était pas une — s'étendaient fort loin, le
long du Pdiin, en Suisse, en Italie, en Autriche, en Hongrie'.
Rulmann Meerswin était l'un des principaux adhérents de
la doctrine. Lié d'amitié avec Nicolas de Bàle, le fondateur de
l'Association, peut-être avec quelque Itahen de l'école du
Dante , peut-être avec quelques chevaliers de Malte , qui
avaient encore connu, par transmission orale, les doctrines
' RœnigshofTen rapporte que l'on conservait à SaiiU-Élienne une main de
sainte Altale dans un vase d'agate avec l'inscription snivanle : Gothe frit
Cote frit cide lehre dœda, ce qu'il explique par : Gottes fried yuter fried
zeiten lehre todtet. En d'autres ternies : la paix de Dieu est la seule bonne
paix; le dogme du siècle lue. Ne dirait-on pas que celle sentence du liuilième
ou neuvième siècle contient en germe la doctrine fondamentale des amis de
Dieu? (voy. Kœnffjslioffen, rdition de Schiller, p. 523.
.374 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BÂS-RHlN.
secrètes du temple, Meerswin puisait évidemment ses inspi-
rations dans l'un de ces courants d'idées qui, à plus d'une
époque de l'histoire ecclésiastique, passait sur le front de
quelques êtres prédestinés, et leur communiquait, comme au
contact d'un fluide électrique, une force de pensée ou d'ac-
,tion incomprise du vulgaire.
Rulmann Meerswin était à la fois un homme pratique et un
homme d'une piété rêveuse, amoureuse de l'allégorie, cher-
chant à prêter aux idées abstraites un corps visible, des
formes tangibles, des couleurs propres à captiver la vue et à
pénétrer dans l'ame par le médium des sens. Ainsi d'une
part, Meerswin après des visions répétées contre lesquelles il
se débat en vain, consacre à l'ordre de Saint-Jean de Jérusa-
lem une maison dans sa ville natale, et donne ses soins au
développement méthodique de cet asile ; mais il pénètre aussi
dans les régions découvertes par Dante Alighieri , et consigne
dans l'ingénieuse fiction «des Sept Rochers» ses rêves ou ses
méditations sur le Salut.
Autour de Meerswin se dessinent, dans la maison de Stras-
bourg, quelques figures dignes de paraître dans ce cénacle:
tel était Nicolas de Lœfenc, (|ui vint, dès i36G, s'établir dans
rile-Vcrle; Henri deWolfach, le premier commandeur, et
Conrad de Brunsberg, grand-prieur de l'ordre en Allemagne,
l'un et l'autre affiliés sans aucun doute aux «amis de Dieu;»
Jean de Schaftolsheim, vicaire épiscopal, qui se trouve aussi
en correspondance avec Nicolas de Bàle. Tous ces hommes
tendaient évidemment vers le même but : sous leur costume
officiel ils s'appliquaient à leur sanctification intérieure.
A la fin du quatorzième siècle, la maison fondée par Meers-
win grandit en importance par l'adjonction ou incorporation
de la commanderie de Schlestadt, qui datait de 1265, et qui
s'était enrichie en 1307 des dépouilles des Templiers; car le
Tempelhof, ou la Cour-du-Tcmplc d'Oberbergheim lui était
échu en partage.
L'union des deux commanderies de Strasbourg et de Schle-
TRENTE-QUATRIÈME LETTRE. 375
stadt fut décidée dans un cliapllrc général tenu par le grand-
bailliage d'Allemagne à Leimbach , près Landau. Dix-neuf ans
plus tard, le grand-maître de l'ordre de Saint-Jean, Philippe
de Naillac, ratifia celte opération, qui devait profiter aux deux
communautés.
De nombreuses lettres impéiiales et épiscopales confir-
mèrent les privilèges de la maison de l'Ile-Verte. Les souve-
rains temporels, les pontifes, les prélats se montrèrent à partir
du quatorzième jusqu'au dix-septième siècle, libéraux et bien-
veillants envers ce foyer d'activé piété; tandis que des luttes
assez fréquentes eurent lieu entre la maison de Strasbourg et
la grande-maîtresse de l'ordre, dont les exigences en fait
d'impôt excitaient souvent dans l'Ile-Verte un vif sentiment
d'opposition.
L'époque de la réforme à Strasbourg amena pour notre
maison des épreuves difficiles. Les discussions avec le magis-
trat, qui avait officiellement adopté le nouveau culte, abou-
tirent pendant la seconde moitié de la guerre de Trente ans
(en 16o3) à la suppression totale de la commanderie. Il est
juste de dire que les nécessités impérieuses de cette funeste
guerre furent la cause principale de la confiscation. Les édi-
fices de la commanderie tombaient dans le rayon des nouvelles
fortifications ou des remparts que les ingénieurs avaient éle-
vés sur la lisière occidentale de la ville.
Un demi-siècle plus tard (1686 à 1687) , lorsque le gouver-
nement de Louis XIV s'appliquait en Alsace et à Strasbourg à
cicalriserles blessures faites au culte catholique depuis 1521,
l'église de Saint-Marc fut remise, par ordre du roi, entre les
mains de l'ordre de Saint-Jean, à titre de compensation pour
les pertes essuyées et en échange des terrains et des bâiiments
de l'Ile-Verte. Douze prêtres de l'ordre de Malte s'établirent
dans cette nouvelle commanderie; l'un d'eux remplissait
même les fonctions de curé dans cette ancienne église parois-
siale de Saint-Marc, qui prit le nom d'égalisé de Saint-Jean.
De 1687 à 1789, l'histoire de l'ancienne fondation de Rul-
376 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RIIIN.
mann Meerswin, transférée sur un nouveau terrain , ne pré-
sente plus d'incidents majeurs. Sur l'ancien emplacement, et
en partie dans les bâtiments qui ont échappé à l'expropria-
tion forcée de 1633, se trouve aujourd'hui la prison départe-
mentale : singulier changement de destination que celui qui
de Wallher de Ilûnebourg, de Rulmann et de la croix de
Malle vient aboutir à un grefTc, à des salles de travail manuel
et à des cachots.
L'église de Saint-Jean, c'est-à-dire l'ancienne église de
Saint-Marc, conserve le nom qu'elle tient du traité d'échange
et de cession de 1687; dans les édifices attenant au temple
paroissial, c'est-à-dire dans la commanderie du dix-huitième
siècle , on a établi le Mont-de-Piété du dix-neuvième et des
écoles communales.
Parmi les noms des commandeurs de l'Ile-Verte, il s'en
trouve plus d'un qui dénote une origine alsacienne. Leur exis-
tence modeste n'a pas exercé d'influence marquée sur l'en-
semble de l'histoire de l'ordre; on dirait que, perdus dans
l'Europe centrale, ils ont échappé au courant qui entraînait
les chevaliers de Malle à faire face à l'Orient, dont ils avaient
été expulsés ; on ne tenait compte des commanderies d'Alsace
que lorsqu'il s'agissait de prélever des contributions.
Lidépendamment des maisons réunies de Strasbourg et de
Schlesladl, l'ordre possédait encore dans la Basse-Alsace celle
de Wissembourg, puis celle de Dorlisheim^ dont l'enclos a
passé entre les mains d'un propriétaire qui porte un nom his-
torique presque contemporain de l'établissement des cheva-
liers de l'hôpital de Jérusalem '.
Notre fonds de l'ordre de Saint-Jean est très-vaste : indé-
pendamment des bulles, diplômes et patentes,- il renferme
des donations et des legs, une correspondance variée, une
interminable série de titres de propriété, de baux et de re-
nouvellements de biens, qui portent sur deux cents coni-
* Le baron Waiigen de Geroldseck.
TRENTE-QUATRIÈME LETTRE. 877
munes, des circulaires, des colligendes, des pièces de comp-
tabilité en masse. La custodic de la maison, c'est-à-dire l'en-
semble dos documenis qui se rapportent à celte importante
fonction, forme dans celle^collection une annexe spéciale.
Je ne pense pas que vous conserviez le désir d'entrer dans
le détail de ces documents; mais vous me permettrez de feuil-
leter devant vous quelques volumes de l'ancienne biblio-
thèque de la maison; cette revue, très-sommaire du reste,
complétera un peu les notions que j'ai données tout à l'heure
sur l'origine de la commanderie de l'Ile-Verte.
Voici un volume manuscrit du quatorzième au quinzième
siècle, qui porte le titre iVÉpistolaire (dis ist das brife bûcheï)
inscrit sur l'une des planches de la reliure; et, sur l'autre,
la recommandation de garder soigneusement le manuscrit qui
contenait, sur ses 82 feuillets, entre autres une série de
lettres adressées par l'ami invisible de Rulmann Meerswin
aux prêtres séculiers qui, dans l'origine, habitaient la mai-
son de Saint-Jean, puis aux chapelains, au premier com-
mandeur, Henri de Wolfach, à Jean de Schaftolsheim, vicaire
épiscopal, enfin à Rulmann Meerswin lui-même. Cette cor-
respondance de Nicolas de Bàle est coj)iée de la main de
Nicolas de Lœfene, l'un des premiers conventuels de la mai-
son de Strasbourg, et probablement affilié lui-même — du
moins au second degré — à la Société des «amis de Dieu ; »
elle a, par conséquent, un caractère d'indubitable authenti-
cité, et ouvre des échappées de vue sur les opinions ou plutôt
sur la foi des GoUesfreunde et sur des faits moitié réels, moi-
tié légendaires, touchant à lavie intime de Nicolas de Bàle.
Indépendamment de cette correspondance à la fois mystique
et mystérieuse, où de loin en loin surgissent quelques noms
propres de messagers ou d'affiliés, ce livre manuscrit ren-
ferme deux petits cahiers de la main même de Rulmann
Meerswin sur les quatre premières années de ses luttes inté-
rieures et de sa conversion — véritable révélation psycholo-
gique ; — puis un récit sur l'origine miraculeuse de la mai-
378 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
son de l'Ile-Verte, rédigé peut-èlre par le mystérieux ami de
Rnlmann. Grâce à celle notice, nous sommes initiés dans les
fluctualions cruelles que durent traverser les deux amis avant
de se mettre à l'œuvre ; stimulés par des visions presque
identiques et simultanées qui leur prescrivaient de construire
dans riIc-Verle un nouveau sanctuaire et un couvent, ils ré-
sistent d'abord l'un et l'autre à cet appel ; ils regimbent
contre l'aiguillon invisible qui laboure leurs flancs : Rulmann
Meerswin trouve que les couvents et les églises surabondent ;
que ce qui fait défaut à ce siècle de perdition, ce ne sont pas
les édifices consacrés à Dieu, mais les bommes voués à une
existence pure et sainte ; il lui semble qu'il serait plus utile
de découvrir et d'enrôler de bons conventuels que d'élever à
grands frais des cloîtres où règne la solitude. Mais les visions
reviennent; et c'est par les visions répétées que les «amis de
Dieu» reconnaissent surtout l'inspiration véritable. Nicolas
deBàle, plus ferme, plus impératif que son ami de Strasbourg,
insiste ; et, sur les fondements du couvent de la Trinité, s'é-
lèvent successivement — toujours sur l'injonction des voix
intérieures — maison d'habitation, église, chœur, chapelle,
cloître ogival ; les halliers de l'île font place à des jardins, et
Rulmann lui-même renonce à la vie du siècle ; il vient se
confiner et mourir dans l'asile qu'il a si libéralement ouvert à
l'ordre de riiôpilal.
Après le décès de ce pieux donateur (1382), qui avait seul
le secret de la retraite ou du séjour temporaire de Nicolas de
Râle, les hospitaliers de Strasbourg, désireux de rester en
rapport avec les amis de Dieu, firent de vaines tentatives
pour renouer les fils qui s'étaient rompus avec la mort de
Rulmann ; ils envoyèrent des messagers de confiance dans
plusieurs localités de la Suisse, par exemple, dans le couvent
d'Engelberg, mais sans succès ; ils durent se résigner à jouir
du bienfait sans connaître le bienfaiteur.
Un écrit, de la main de Nicolas de Bàle, dans le même
manuscrit, relate la conversion miraculeuse de cinq de ses
TRENTE-QUATRIÈME LETTRE. 379
fidèles acolytes (das Buch von den fànf Mannen) ; mais les in-
dications biographiques^ au point de vue du monde réel , sont
aussi très-vagues. Il y avait dans toute cette organisation une
évidente tendance à se soustraire à toute inspection ecclé-
siastique et politique. Cela n'empêcha point Nicolas de Bàle
de tomber martyr de sa doctrine. Convenons d'ailleurs que la
réforme qu'il essayait d'accomplir sur les âmes, aurait pré-
senté de graves inconvénients si elle s'était répandue dans
les masses avec son alhage mysticjue ; de véritables dangers
en résultaient, du reste, pour f organisation hiérarchique de
l'église.
Une vague tradition porte que Nicolas de Baie , déjà fort
avancé en âge, aurait fait, vers 1377, une tournée à Rome,
pour gagner le Pape à son œuvre de régénération intérieure ;
que , plus tard , ému par le grand schisme d'Occident qui ve-
nait d'éclater, il n'aurait pu maîtriser l'indignation que lui
causaient les troubles où l'on jetait témérairement l'Église
chrétienne, et qu'il aurait péri sur un bûcher, à Vienne, en
Dauphiné.
J'ai déjà parlé incidemment de l'ouvrage mystique de Rul-.
mann Meerswin. Les Sept Rochers, primitivement écrits en
allemand, existent, traduits en latin, dans notre collection,
et remplissent un volume in-fol. de 50 feuillets.
Donner une froide et incomplète analyse de ce dialogue
entre Rulmann et une voix mystérieuse, ce serait dépouiller
de son caractère propre cette composition inspirée au fonda-
teur de la maison de l' Ile-Verte par la pensée directrice de sa
vie, par cet irrésistible élan vers le salut éternel. Dire en
quelques lignes les aspirations qui pour cette âme aimante
se traduisaient en un langage symbolique, ce serait efiacer le
coloris et même les contours d'un tableau, et n'en laisser
subsister que la sèche légende inscrite au bas du cadre, ou
pour rendre ma pensée d'une manière plus nette encore, ce
serait donner le squelette d'un sermon, en supprimant les
développements et en écartant la figure de l'orateur, l'anima-
380 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
lion de son geste, toutes les manifestations qui introduisent
dans le foyer de vie dont elles émanent. Essayez donc de don-
ner une idée de Dante, par les sommaires des chants de la
Divine comédie! Et pour saisir la valeur, la portée de cette
fiction qui pour Rulmann Meerswin était une réalité, il aurait
fallu, avant toute chose, initier vos lecteurs dans toutes les
angoisses de cette âme tourmentée avant sa régénération in-
térieure.
Qu'il suffise donc de savoir que les visions allégoriques,
j'allais dire apocalyptiques , dont l'auteur entretient ses frères
de rile-Verte — car c'est à eux qu'il destinait son poëme ou
son traité — devaient personnifier les tentations qui viennent
assaillir les hommes, lorsqu'ils se mettent sérieusement en
route pour gagner le ciel. Le dogme de la chute de l'homme
et de sa rédemption est expliqué par des formes ou des images
visibles; et les plaies qui aflligcnt l'humanité, les vices qui la
déshonorent à tous les degrés de l'échelle sociale, dans l'E-
glise et hors de l'Eglise, donnent lieu à des plaintes élé-
giaques, à des tableaux satyriques que l'on dirait inspirés pur
l'un des grands moralistes modernes.
Dans l'ensemble de cette composition dantesque, on recon-
naît, à ne pas s'y méiircndre, la faculté dominante «des
amis de Dieu, » cette imagination créatrice^ qui les transporte,
sur des ailes de flammes dans un monde surnaturel et donne
à des visions le caractère de faits biographiques.
Dans ces organisations exceptionnelles, la réalité et la fic-
tion se touchaient de si près, que l'on ne peut plus dire où
l'une finit, où l'autre commence; sur les confins des deux
mondes, du monde des sens et du monde futur, ces hommes
dévorés à la fois par l'amour divin et par le culte de l'huma-
nité, tiennent à la terre par la racine de leur être matériel,
et percent à travers les nuages jusqu'au fond des cieux dans
les moments où toutes leurs facultés sont surexcitées par
l'extase.
On verra peut-être d'un autre œil les murs sombres et in-
TRENTE-QUATRIKME LETTRE. 381
formes de la maison do corrcclion, mainleiiant que l'on sait
quels claiciU leurs habitanls d'autrefois; que Rulmann Meers-
Avin a donné corps dans cette enceinte à ses poétiques et
pieuses hallucinations; que Nicolas de Lœfene y consacrait
ses veilles à recopier soigneusement les lettres de Nicolas de
Bàle; que Conrad de Brunsberg, maître de l'ordre en Alle-
magne, venait s'y abriter sur la fin de ses jours ; que, sur le
bord de ces eaux silencieuses, s'échangeaient les mystérieux
messages entre le fondateur de la maison et son ami caché,
mais toujours actif, jusqu'au jour néfaste, où les llammes dé-
vorèrent cette existence vouée à la régénération du monde
chrétien.
Je n'en ai point, fini avec la bibhothèque de la maison de
rile-Verte. Comme je serais tenté de décrire «le Livre des
abeilles », recueil d'historiettes morales et légendaires, de
conseils, de maximes, à l'usage des religieux! — et «le Livre
des sentences » , recueil de discussions, de dissertations théo-
logiques du quinzième siècle ; et un autre volume de la même
époque^ bizarre amalgame de notes diverses, par exemple:
d'un dictionnaire de mots techniques du droit , d'une instruc-
tion sur les degrés de parenté, de lettres pontificales et épis-
copales, réglant des points de discipline; d'un livre de mo-
rale «sur le culte de la vertu», dédié à un landgrave de
liesse, qui en aura profité, il faut le croire charitablement.
Ce même manuscrit contient un dialogue « sur la prospérité
du roi et du royaume de France;» les interlocuteurs soni:
Martin-le-Frank, prévôt de Lausanne; Jean Bertonelli, pré-
cepteur de Saint-Antoine d'Issenheim, dans le Haut-Rhin, et
Pierre Heroncellus. Quel bizarre pot-pourri! mais avant la
vulgarisation des livres par l'imprimerie, de semblables col-
lections avaient une véritable valeur poui' l'intérieur d'une
maison religieuse.
Un autre manuscrit, du seizième siècle, contient la copie
d'un opuscule sur l'origine de la maison de l'Ilc-Verte; un
abrégé des statuts de la maison; un poëme allemand, traduit
382 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
du latin de Jean Regalis, chevalier de Sainl-Jean, sur les pri-
vilèges de l'ordre etc.
L'histoire des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem trou-
verait quelques matériaux épars dans un volume du quinzième
siècle, contenant les statuts à partir de Raymond du Puy,
premier grand-maître (1118-1102), jusqu'à Philippe de Nail-
lac (1390-1421), la liste des dignitaires depuis Gérard, cus-
tode de l'hôpital de Sainl-Jean de Jérusalem, jusqu'au grand-
maître Roger du Pin, avec une notice biographique accolée
à chaque nom.
Décidément je m'arrête.... tomber dans la sécheresse d'un
catalogue de librairie, après s'être promené un instant sous
les saules de l'Re- Verte et dans les régions de l'allégorie,
c'est mal finir. Soyez indulgent. Monsieur, à cette passion
désintéressée, qui s'attache à quelques feuillets, sur lesquels
s'est posée la main de Rulman Meerswin, et à ces volumes
que les commandeurs de Saint-Jean de Strasbourg avaient
réunis pour l'instruction et l'édification des chevaliers, des
chapelains, des prêtres et des servants attachés à la Comman-
derie alsacienne.
TRENTE-CINQUIÈME LETTRE. 383
TREATE-CIIVQUIÈME LETTRE.
liCS abbnyes et les couvents de fciiiiiies. — Saiiit-Ktienne de Stras-
bourg. — Histoire de l'abliaye. — Saint-.%tfale et Adulbcrt, duc
d'Alsace. — Les chartes priiuitives. — Kpoquc de la Kéforme. —
liC tiiéàtrc de Strasbourg tcniporairenient établi à. Saint-Ktiennc.
— Le fouds de Saint-Kticnuc. — Salnte-.lladcleiue. — ■ Sulntc-.^lar-
guerite.
Monsieur,
Nous approchons du terme: les abbayes et les couvents de
femmes que nous allons traverser forment la clôture de la
dernière série. Commençons par les établissements iiitm-inu-
ros de Strasbourg; ceux de la campagne auront leur tour.
Si dans l'histoire il y a des existences prédestinées , n'en se-
rait-il pas de même, en géographie, de certains sites? A Stras-
bourg, l'emplacement occupé par Saint-Etienne rentre dans
cette catégorie. A partir de l'époque celtique jusqu'à nos
jours, cette pointe de terre, cet angle formé par le confluent
de deux bras de l'Ill a subi un sort spécial. Couvert primiti-
vement d'un bosquet sacré, où se consommaient sans doute
de sanglants sacrifices druidiques, fortifié dès les premiers
siècles de notre ère par les légions romaines, château-rési-
dence de l'état-major de la huitième légion, ensuite palais du
comte d'Argentorat, enfin surbâti par une abbaye mérovin-
gienne, ce mémorable coin de terre a toujours éprouvé chez
nous, l'un des premiers, tous les contrecoups des révolutions
sociales et religieuses qui depuis dix-neuf siècles bientôt se
sont succédé dans la vallée alsatique. Un coup d'œil rapide jeté
sur les annales de Saint-Etienne justifiera mon assertion; quel-
ques lambeaux arrachés au riche fonds de cet établissement,
contemporain de Sainte-Odile, suffiront pour donner une idée
d'une collection, dont les plus anciens documents remontent
presque à l'époque de la fondation elle-même.
38-i ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
Je n'ai point à vous entretenir des temps gaulois ou ro-
mains; nos documents ne dépassent pas le neuvième siècle
de notre ère. Une charte carlovingienne da l'empereur Lo-
thaire, charte bien authentique, émise à Strasbourg même,
en 845, nous apprend que l'abbaye construite en l'honneur
du premier martyr chrétien avait été fondée sur les ruines de
l'ancien Argentorat , aux bords de la Bruche ' , au cœur d'une
sohtude profonde, et que ce fondateur se nommait Adalbert,
comte ou duc d'Alsace, d'après la tradition légendaire, fils
d'Atlicus et frère de sainte Odile.
Schœpflin place l'époque approximative de cette pi'imitivc
fondation en l'an 720. La charte émise par Adalbert existait
du temps de Lothairc l^'" et de Louis-le-Germanique; Werin-
har, évêque de Strasbourg, l'avait tenue en main (vers l'an
1000). C'est une regrettable et immense perte que celle de ce
premier document mérovingien; mais celui de Lothaire peut
à la rigueur le remplacer; d'après toutes les règles de la pro-
babilité, nous pouvons ajouter foi au diplôme impérial, et
tenir pour constant que dans la première moitié du huitième
siècle, Attale, fille d'Adalbcrt, a été la première supérieure
ou abbesse de Saint-Etienne de Strasbourg. En nous plaçant
sur le terrain des hypothèses, il est possible que sainte Odile,
dont Attale aurait été la nièce, ail visité le cloître construit
sur les substructions d'un castellum romain, et sur le même
sol où les prêtres gaulois et les druidesses avaient tenu leurs
assemblées.
L'empereur Lothaire, dans son diplôme de 845, rappelle
une disposition du roi Chilpéric, qui aurait sanctionné la pre-
mière fondation et aurait affranchi le couvent de toute autre
autorité que celle de l'évèque diocésain; trente sœurs et
quatre chanoines, dont l'un était chargé de l'administration
temporelle des biens de l'abbaye, formèrent le premier con-
' Brusca. L'ill portail alors, à Strasbourg niCnie, le nom de son princi|ia!
affluent.
Tr.KNTl'l-CINQriÈME LETTRE. 385
tingenl de cet élablisscmcnl religieux (jiii li'avcrse, avant
d'être englouti par la révolution de 93, des phases diverses
et des orages plus ou moins violents.
L'évoque Werinhar, l'ami de l'empereur Ilenri-le-Saint,
fut, pour le couvent de Saint-Etienne, l'auteur d'une innova-
tion peu avanlageuse : il obtint de l'empereur que ce cloilre
serait soumis à l'évèque pour l'adminislralion temporelle.
Les intentions du prélat étaient bonnes; il cherchait dans cet
arrangement le moyen de relever les édifices ccchîsiasliques,
dévastés pendant une guerre récente avec Ilerrmann, duc de
Souabe et d'Alsace. Mais la légende populaire transforma en
véritable acte de spolation cet expédient de l'évèque, cons-
tructeur de la cathédrale byzantine, et par un singulier ana-
chronisme, elle accusa de cette spolation non pas Werinhar
lui-même, mais l'un de ses prédécesseurs, l'évèque Wider-
hold, parent des empereurs de la maison de Saxe; et pour
mettre le comble à ces imputations imaginaires, on appliqua
un véritable jugement de Dieu à ce prélat; on fit passer sa
mémoire sous les fourches caudines; «une armée de souris
ou de rats aurait dévoré le prétendu spoliateur de l'abbaye de
Saint-Étienne. » Le jury populaire est, il faut bien en conve-
nir, sujet à de singuhères méprises; il est l'are cependant
que l'éclaircissement soit relardé jusqu'au jugement dernier.
Une critique, cette fois saine et impartiale, a depuis long-
temps réduit à néant le prétendu supplice de Widerhold.
Notre prononcé n'est point une réhabilitation, mais une
simple note pour ceux de nos lecteurs que nou's introduisons
pour la première fois sur ce terrain de notre passé.
Dans la seconde moitié du douzième siècle, l'abbaye de
Saint-Etienne fut à peu près reconstruite à l'aide des revenus
de ses terres provenant des premières libéralités mérovin-
giennes ; ce qui implique en tout cas une bonne administra-
tion épiscopale, et met à néant les absurdes rumeurs trans-
formées par la voix du peuple en poétique légende.
Permettez-moi d'interrompre pour un moment ce récit et
25
386 ARCHIVES DÉPARTEME.NTALES du BAS-RIllX.
de vous placer sur le quai derrière l'abside, à l'est de l'église
de Saint-Etienne. Tenez un instant vos yeux fixés sur la gra-
cieuse arcature romane qui entoure comme une guirlande le
haut de l'hémicycle. Cette partie de l'édifice est certes d'une
respectale antiquité, puisque nous sommes obligés de remon-
ter le cours de près de sept siècles pour abouUr au temps de
sa construction. Eh bien! il nous faut encore franchir près de
douze siècles de plus pour atteindre l'époque des premières
constructions romaines, et arriver sur la lisière des temps
contemporains de ces tertres mystérieux semés dans nos fo-
rêts et nos plaines d'Alsace. Toute celle longue période depuis
le premier siècle de notre ère, a vu passer, sur ce sol in-
cessament battu et rongé par les eaux de l'Ill, des Gaulois,
des Romains, des Francs mérovingiens et carlovingiens, des
prélats, des abbesses, des religieuses de la race franque et de
la race allémanique; le couteau du sacrificateur, le glaive du
conquérant méridional, la framée du conquérant du Nord, le
bàtoii pastoral ont été tour à tour, dans cette enceinte, le
symbole de la force et du commandement, un appel à l'obéis-
sance servile ou volontaire.
Des péripéties moins grandes marquent les siècles qui suiven t
ce point culminant du moyen âge; elles aboutissent, à travers
la Réforme , aux bouleversements de la fin du dix-huitième
siècle. L'abbaye de Saint-Etienne fut sécularisée en •1343, et
devint un chapitre de chanoinesses nobles de l'ordre des Au-
gustins. De ce moment, on y voit figurer les noms des pre-
mières familles d'Alsace, tels que ceux des dames de Lands-
perg, de Rathsamhausen, d'Andlau , de Wangen de Geroldseck.
Au quinzième siècle une lutte opiniâtre et longue s'établit
entre l'abbesse et les chanoinesses pour des questions de rè-
glement intérieur. En 1U3, l'évèque Robert-lc-Palatin avait
renouvelé les statuts; mais un demi-siècle plus tard, en 1492,
le successeur de Robert, Albert de Bavière, fut obligé de
convoquer une commission pour rédiger de nouveaux statuts.
Parmi les commissaires nous voyons figurer le célèbre Geyler
TRENTE-CINQUIÈME LETTRE. 387
de Kaysersbci'g- qui préludait dans la chaire de la callicdralc
par des sermons incisifs, aux violentes attaques d(5 la généra-
ration des i)rédicateurs qui allaient recueillir son héritage.
Au milieu du bouleversement de la première moitié du
seizième siècle, l'abbaye de Saint-Etienne fut ébranlée dans
ses fondements; les principes constitutifs de son existence
furent méconnus. En 1539, l'abbesse Adélaïde, de la famille
d'Andlau jeta loin d'elle son voile et se maria; on élut à sa
place Marguerite de Landsperg, quoique cette demoiselle fût
protestante. Le chiffre des chanoinesses était réduit à trois;
il n'y avait plus de chanoines catholiques ; leur rôle était rem-
pli par les pasteurs et les diacres de l'église luthérienne de
Saint-Guillaume située en face de Saint-Etienne sur la rive
droite de l'ill.
Quel étrange ordre de choses! Une abbaye, dont la pre-
mière supérieure se rattachait à la famille de Hohenbourg
et de sainte Odile, se métamorphose au point de se sou-
mettre à des doctrines et à des règlements anlicatholiques ;
ses chanoinesses deviennent des mères de famille, et ses
chanoines distribuent la communion sous les deux espèces.
Et, fait plus incroyable encore, cet ordre de choses ap-
puyé sur la situation politique et municipale, subsiste pen-
dant plus d'un siècle et demi. En 1560 , les chanoines protes-
tants procèdent à une élection, et nomment aux fonctions
d'abbesse Mad. Cunégonde Wctzel de Marsilien ; l'évêque
Erasme de Limbourg- contirme la nomination 1
Je ne trouve d'explication pour cet événement anormal que
dans une situation sans exemple dans l'histoire ecclésiastique.
L'évêque préférait évidemment sauvegarder les apparences et
ne point abandonner complètement les rênes; il voulait sau-
ver le pi'incipe de l'autorité souveraine de l'Eglise même sur
l'hérésie victorieuse, sauf à laisser à ses successeurs le soin
de ramener dans la voie de l'ancienne et immuable orthodoxie
le char dévié de la discipline ecclésiastique.
En 1566, Odile de Dormentz succède à M^e de Marsilien sur
o88 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
le siège abbatial de Saint-Elienne. Son élection s'était faite en
présence de l'official de l'cvèque et de quelques délégués épis-
copaux. L'empereur Maximilien II confirma, sur les instances
de l'abbesse protestante, tous les anciens droits de l'abbaye,
et lorsque Odile de Dormentz mourut en' 1592, le pasteur
lutbérien de Saint-Guillaume prononça son oraison funèbre '.
Le gouvernement de Louis XIV prescrivit la clôture de la
maison. En 1687 une ordonnance royale avait déjà remis le
culte dans l'église de Saint-Élienne aux Pères de Saint-Antoine.
L'ancienne abbaye, qui depuis près de deux siècles était la
propriété de la ville , fut cédée par le magistrat de Strasbourg
aux dames de la Visitation, qui s'y établirent définitivement
en 1702.
Cet ordre de choses dura jusqu'à la Révolution. Des demoi-
selles de familles nobles catholiques furent élevées, pendant
le dix-huitième siècle, aux frais du roi, chez les dames de la
Visitation qui avaient repris, après l'interrègne des chanoi-
nesses protestantes, la place des religieuses, filles d'Attale et
de Basilla.
Pendant la Révolution, la belle église byzantine (1170) et le
cloître de Saint-Etienne furent convertis en magasin. Un ins-
tant, sur les confins des deux siècles, une synagogue s'établit
dans l'église. Le chant des psaumes hébraïques retentit sous
les mêmes voûtes qui avaient entendu les hymnes chrétiens
du moyen âge.
Puis, pendant vingt ans, le théâtre et ses pompes mondaines
profanèrent le temple que le roi Childebert et l'empereur
Lothaire avaient doté pour la gloire de Dieu et la mémoire du
premier martyr chrétien.
Au reste, soyons justes, sévères avec mesure, sans exagé-
ration de puritanisme. Il pouvait arriver pire à cette noble
basilique ! La métamorphose transitoire qu'elle subit sauva
^ Voy. la nolico iiiUM'cssaiile. de M. \e piofcsseiu' Jung sur les inscriptions
de Saint-Élicnne. Bxtlletin de la Société historique d'Alsace , l. Il, p. 380.
TRENTE-CINQUIÈME LETTRE. 389
peut-être rédillce d'une démolition complète on d'nne desti-
nation plus vulgaire. Dans cette salle de spectacle improvisée,
on vit apparaître, comme liôtes passagers, de grands talents
qui ont illustré la scène française et révélé à toute une gé-
nération alsacienne les immortelles beautés du théâtre de
Louis XIV. Le culte de l'art avait temporairement remplacé le
culte chrétien; mais il amenait, par un détour, au bien et
au vrai les esprits d'élite, en les familiarisant avec les idées
qui élèvent l'âme et la purifient. La voix de tonnerre de Talma
a éclaté sous ces voûtes et prêté des accents déchirants au
remords :
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?
Le timbre argentin de Céhmène a fait vibrer ici les cordes
les plus délicates du cœur, et meiTeilleusement hâté l'initia-
tion des esprits à la sociabilité française. Et, pour conserver
à Strasbourg le caractère de sa double provenance et de sa
situation sur deux versants — qui fait son originalité et don-
nera à ses enfants un brevet de force, s'ils savent en user, —
les chefs-d'œuvre du théâtre allemand ont aussi passé sur ces
planches fragiles; dans les vers du plus grand poète drama-
tique de la Gei^manie, Jeanne d'Arc proclamait l'immortalité
de la race et de la nationalité française ; Marie Stuart y mar-
chait au supplice en reportant ses derniers adieux vers sa pa-
trie d'adoption au delà de la Manche, et, par un anachronisme
heui^eux, WalJenstein y personnifiait les traits du créateur de
la tactique du dix-neuvième siècle.
En 1821, le théâtre fut transféré dans l'édifice qu'il occupe
aujourd'hui; Saint-Étienne redevint magasin et entrepôt de
tabac.
L'archiviste actuel du Bas-Rhin, dans le premier rapport
qu'il adressait à son préfet en août 1840, émit le vœu que le
sanctuaire, auquel se rattachent les souvenirs les plus respec-
tables et les plus anciens de notre province, fût rendu au culte.
Ce vœu, timidement formulé, a reçu depuis quelques années
390 ARCHIVES DF:PARTEMENTALES du BAS-RHIN.
une éclatante réalisation. Saint-Etienne est restauré, ouvert
aux fidèles, et sur l'emplacement du magasin de tabac s'é-
lèvent les constructions d'un vaste séminaire. La chaîne in-
terrompue est ressoudée; l'année 1860 donne la main à 4170,
845 et 721.
Quelques mots maintenant sur le contenu même du fonds
qui a été l'occasion de ce petit résumé liistorique. Vous con-
naissez déjà la pièce capitale de la collection , la charte de
Lothaire. Ce même document relate toutes les propriétés
de Saint-Étienne, soit à Strasbourg, soit aux environs delà
ville et à Wangen. Une charte de Louis-le-Germanique (856),
confirmative de celle de l'empereur Lothaire, semble apo-
cryphe ; du moins elle fourmille de fautes grammaticales et de
noms estropiés, peut-être par la seule faute du co['iste. Une
charte de l'évêque Werinhar (1105) énumère de nouveau les
privilèges de l'abbaye et vient à l'appui des deux diplômes an-
térieurs.
La rubrique des procédures est d'une richesse et d'une ori-
ginalité rares. Nous possédons une rotule qui a au delà de
quatorze mèh'cs de longueur ; essayez de la déployer, et il vous
faudra une salle d'une diiiiension considérable pour que vous
puissiez dérouler complètement ce bandeau, couvert des dé-
tails d'une enquête à laquelle on a procédé, en 1359, dans un
litige entre le chapitre de Saint-Étienne et Agnèsc de Win-
deck, religieuse de rélablissenient'.
Un autre acte notarié, d'une longueur très -respectable,
mais de moindre dimension que le précédent, contient la
sentence des juges collongers de Wangen contre le chevalier
Jean de Wangen, qui s'était permis d'enlever un cheval de
la cour ou mairie coUongère- de l'abbaye, et qui avait en-
* La roliile est un vidiimis (copie) notarié de -1368.
" L'abliaye de Saint-Étienne possédait à Wangen une cour collongère
{Dinghoff'), siège de l'administration de ses propriétés dans la banlieue et au
delà. Dans les collonges, les fermiers collongers [Huber) formaient, sous la
TRENTE-CINQUIÈME LETTl'.K. ')0i
freint par là les privilèges de ki piopriélé et de la juridiclion
abbatiale. La sentence est de 4388, et porte, en seconde ins-
tance, la confirmation des juges collongcrs do Booflzbeim.
Rien de plus rréqucnt que ces démêlés pour des cas de
juridiclion. Parmi les litres relatifs à la commune de Macken-
heim, où notre abbaye possédait des biens, se rencontre une
sentence de roflicialitc épiscopale, de l'année -1352, contre
le messager Nicolas Clafï'er, qui avait arrêté Nicolas Volmar
et sa femme dans l'intérieur de la cour collongère abbatiale
de Mackenheim , quoique celle-ci eût le privilège du droit d'a-
sile. Aussi les magistrats locaux de la commune se hâtèrent-ils
de reconnaître la juridiction exceptionnelle de Saint-Etienne.
Un fait analogue se reproduit en 1488 dans la même com-
mune. Henri deBolsenheim y avait procédé à une arrestation,
et s'était vu obligé de baisser pavillon devant la juridiclion
abbatiale.
La rubrique des règlements offre un genre d'intérôl spécial ;
elle nous révèle la nécessité de réprimer incessamment les
abus qui se glissent, à la longue, dans toute communauté.
En 1307, l'abbesse de Saint-Étienne fait sommer les quatre
chanoinesses de fréquenter le service divin et de ne s'absenter
de Strasbourg' qu'après permission obtenue. — En "1381, l'é-
vèque de Strasbourg règle le costume; en 1439, le concile de
Bàle réforme l'intérieur du couvent, où l'on se permettait des
allures qui n'étaient plus en rapport avec la vie cloîtrée; car
les chanoinesses fréquentaient, en costume élégant et mon-
dain, les spectacles mondains. — Des statuts de 1545, émis
par Mnifî Marguerite de Landsperg, forment un code complet
qui initie dans la vie intérieure de l'établissement pendant
cette incroyable époque de transition signalée plus haut.
Ce serait abuser de votre attention si je prétendais m'égarer
dans les vastes rubriques des titres de propriété et de la comp-
présidencft du maire (Meyer), une espèce de jury pour la décision des cas 11-
tii^ieiix qui loiiaiL'iil à la culture el à raduiiuiblralioii des terres du (inago.
392 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
tabilité. Jetons un dernier regard sur celte porte romane, qui
s'ouvre de nouveau pour les solennités de l'église, et sur le
chœur fidèlement restauré; puis passons la Brusca, celte ri-
vière illustrée dans le diplôme impérial de Lothairc; nous tou-
cherons, i)rès de l'église de la Madeleine, à l'emplacement où
fut en dernier lieu le couvent de ce nom , c'est-à-dire l'asile
des Pénitentes (Zti den Reiierinnen). Dans l'origine, la congré-
gation avait été établie hors des nuirs de la ville; le fondateur,
qui se nommait Henri de Ilohcnbourg, avait acheté en 1315
quelques maisons extérieures près de la porte de rilopilal,
pour y recueillir les femmes vagabondes (fahrcnde Weiber),
qui manifestaient le désir de pleurer leurs péchés et de faire
amende honorable. Un peu plus lard, Henri de nohenbourg
donna ces mômes maisons à la ville pour la construction d'un
hôpital extra-muros ; la souffrance matérielle allait y remplacer
la souffrance morale.
En 1836, un monaslère pareil au premier établissement
fut construit hors la porle des Juifs, ini Wascneck, auf dem
Schiessrain, c'esl-à-dii'e, i)rcs du boulevard au tir, remplacé
maintenant par les massifs et les ombrages du Contades.
Enfin, en 1473, ce couvent des Pénitentes fut ti'ansféré dans
l'intérieur de la ville, dans la rue dite Bnlengassc; la situation
politique du pays — c'était l'époque agitée de Charles-le-
Téméraire — forçait ces brebis égarées de chercher un asile
mieux abrité que celui du Waseneck. Ce troisième couvent de
la Madeleine a subsisté jusqu'à la Révolution avec ses reli-
gieuses sans clôture, mais sous la règle de saint Augustin et
sous la tutelle de la ville. 11 portait le nom de Pénitentier de
la Madeleine {Zu den Rcucrinnen); c'était en Alsace le seul
établissement de ce genre. Faut-il en induire que les mœurs
de notre province et de notre ville étaient excellentes et n'ont
pu motiver la construction de plusieurs couvents ayant cette
même destination, ou que les cas de contrition étaient chez
nous moins fréquents et moins profonds qu'en d'autres cités?
J'abandonne ces questions controversables à l'arbitrage des
TUENTE-CINQUIÈME LETTRE. 393
moralistes (lui daigncruiil jcLor un coup d'œil sur ces lignes
fugitives.
Le fonds du couvent de la Madeleine renferme des bulles,
des lettres d'indulgence, des actes de fondation, parmi lescjucls
se trouve celui de Robert, évêque de Strasbourg, qui permit
en l^Tô la construction du couvent dans l'inlcrieur de la ville.
Une pétition adressée en 4492 par la supérieure de la Made-
leine au Saint-Père, est encadrée d'arabesques, avec les images
de saint Augustin et de la patronne de la congrégation
Parmi les nombreux titres de propriété, nn acte de '1380
constate la destination d'une maison sise alors près du pont
du Corbeau {Schintbriïcke). Les bateliers y avaient établi leur
salle de réunion (Trinkstube) , et payaient à la propriétaire
Dyna Peigerin un loyer annuel de 2 livres 10 pfennings. Je ne
sais comment ce titie s'est égaré dans la collection du cou-
vent; probablement l'immeuble avait passé dans le petit do-
maine de Sainte-Madeleine.
Si j'avais le droit de vous entretenir des belles verrières de
Sainte-Madeleine, je vous arrêterais quelques instants de plus
dans cette église ; mais ce travail a été fait en détail , et en
pleine connaissance de cause, par l'un des collaborateurs les
plus actifs du Didlelin historique; je prends la liberté de vous
y renvoyer'.
Nous terminerons notre revue* de ce jour en nous transpor-
tant à l'extrémité du faubourg National, dans l'enclos de l'an-
cien couvent de Sainte-Marguerite, aujourd'hui transformé en
quartier militaire.
Les premières sœurs de Sainte-Marguerite étaient des bé-
guines, instituées dans le village d'Eckbolsbeim par un noble
de Guirbaden, puis transférées à Strasbourg, en 1270, et
réunies en 1322 dans un monastère que l'on construisit à l'ex-
trémité du faubourg Blanc. Cette communauté s'accrut de
' Vov. le Inivuil Je M. l'abbé SUaub sur ces verrières. Bulletin de la So-
ciété des monuments historiques d'Alsace, l. l^^'', p, 100.
394 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
l'adjonction des religieuses de Sainte -Agnése (1473) et de
Saint-Nicolas in tindis (1592). C'est le Sénat prolestant de
Strasbourg- qui, à partir de la Reforme, nommait les direc-
teurs ou administrateurs du couvent*.
Le fonds de Sainte-Marguerite contient des notes historiques
snr les diverses phases que cette maison religieuse a traver-
sées. Quelques bulles, quelques donations et investitures, des
constitutions de rente et des litres de propriété forment le
noyau de celte collection, que je n'ai citée, à vrai dire, que
pour mémoire.
Les fonds de quelques abbayes bien plus importantes nous
appellent hors des murs de Strasbourg. Non loin de llohcn-
bourg, au pied de l'Ungcrsherg , dans la pittoresque vallée
(| n'arrose l'Andlau, se montre à nous, toujours jeune, la figure
de Richardis, entourée de son auréole de malheuj- et de sain-
teté. Inclinons-nous devant cette illustration poétique et reli-
gieuse au moment de terminer notre visite des documents de
l'Jiistoire d'Alsace ; c'est un des plus émouvants souvenirs à
emporter de cette salle des Pas-Perdus, (jue nous a])pelons
les archives ecclésiastiques.
' l.L's couvonls de Siuiilc-Madclciiiu et de Saiiilr-.Maryueiili> , seuls de tous
les élidjlissemonls relii^icux , se soiil nuinlemis iiilacls peiidaiil l'épocjiK! de
liansilion de Io20 a '1C8I.
TRENTE-SIXIÈME LETTRE. 395
TRENTE-SIXIEME LETTRE.
Alilinyes et couvents «le rciniiiOM cxtru-niuros. — VoiiiIh «le rnltliayc
«rAn«llaii. — Ii*iiui>«>ratriec Rieliar(!i<«. Son hi.stoire et sa lî'gende.
Histoire «le son abbaye. — I^es «looiiiiieiits et fonils «le l'abbaye «le
Saint- Jean -«les- Ciioiix , près taverne. — Couvents «le BClblislieini
et Kœnigsbriiek. — Arehives liospitalièces «le IIa;;ueiiaii. — Feu
llencker.
Monsieur ,
L'impératrice Richardis , fondatrice de l'abliaye d'Andlau,
a vécn. soixante ans à peu près ' avant l'époque où l'impéra-
trice Adélaïde- fait son apparition sur le théâtre du monde;
mais indépendamment de ce voisinage chronologique, les
illustres princesses ont plus d'un point de ressemblance : elles
se sont assises l'une et l'autre sur le trône de Charlemagne ;
elles ont, toutes deux, par leur caractère, exercé une inllnence
marquée sur les affaires de leur temps, et, par leur éclatante
beauté, sur l'imagination de leurs contemporains; l'histoire
et la légende ont, à l'envi, contribué à immortaliser leurs
noms; enfin elles ont été canonisées comme bienfaitrices de
l'Eglise. Mais, au total, la carrière de ces deux femmes extra-
ordinaires ne se ressemble point: tandis que l'épouse d'Otlon-
le-Grand, après une jeunesse sévèrement éprouvée et à la
suite d'incidents romanesques, arrive au faîte des honneurs
et de la gloire, et jouit, sous trois règnes d'empereurs, d'une
autorité incontestée, l'épouse de Charles-le-Gros, après une
jeunesse heureuse, arrive à une célébrité européenne par des
malheurs inouïs, sort victorieuse d'une épreuve judiciaire et
s'éteint doucement dans le cloître fondé et illustré par elle.
En parlant de sainte Ricliardis, j'oublie que quelques-uns
M).^SiO h 890.
' l)i' O.jÛ a 997.
396 ARCHIVES départementales du BAS-RHIN.
de nos lecteurs ne connaissent j)eut-èlre point les délails de
sa carrière, quoique son souvenir et son nom soient très-
populaires en Alsace. Je rappellerai donc à tout hasard les
principaux faits de cette poétique existence, en indiquant ce
qui appartient au domaine jjosilif, et en faisant la part des
embellissements dont la croyance du peuple a cru devoir orner
ce front déjà si radieux ^
Au moment où j'entamais, il y a vingt ans, le fonds si
riche de l'abbaye d'Andlau , il me semblait que je devais y
découvrir immanquablement quelques chartes ayant Irait à
la fondation du cloître et à la légende de l'impératrice. J'é-
tais dans la disposition d'esprit des premiers chercheurs d'or
de la Californie, qui s'imaginaient trouver de toute néces-
sité, au bout de leur pioche, des trésors fabuleux. J'ignorais
combien mes prédécesseurs, avant la révolution, ont dû
fouiller, dans un but analogue, ces archives locales! Je ne
fus pas longtemps à me résigner et à ne recueilhr sur sainte
Richardis que le dire incomplet de quelques chroniqueurs ou
de quelques auteurs récents'-.
Richardis passe pour être la fille d'Erchangart, coijite de
Norigau ; de fait, son extraction n'est rien moins que cer-
taine'', à la dilférence de celle de l'impératrice x\délaïde, ori-
ginaire à n'en pas douter, de la famille des rois de Bourgogne
cisjurane. L'union de Richardis avec Charles-le-Gros avait
été, sinon heureuse, du moins non troublée pendant un quart
de siècle, lorsque des calomnies insidieuses sur les relations
de l'impératrice avec Luilprand, évéque de Vercelli, vinrent
jeter le désordre dans l'esprit affaibli de l'empereur, qui réu-
nissait sur sa pauvre tête toutes les couronnes de son bis-
aïeul Charlemagne.
' Voy. iioiir plus de déuiils, mon Histoire de la Basse-Alsace, p. 34
et suiv.
- Voy. Antiquités des Vosges, de Ruys, p. 234. — Isidore Fiiciis, Alsat,
doct., vol. II.
^ La légende en fail la fille d'un roi d'Aniilelerre.
TRENTE-SIXIKME LETTRE. 397
Peu à peu Cliai'les-le-Gros suspccla la piirclô de son
épouse, qui était non-seulement au-dessus de tout soupçon ,
mais qui avait voue son existence à des œuvres de piété et
aux muses chrétiennes. Déjà en 880, quelques années avant
l'accusation portée contre elle, Ricliardis avait fondé le mo-
nastère d'Andlau, pour des âmes qui seraient, comme elle,
fatiguées du monde; plus d'une fois déjà, elle s'y était reti-
rée, pour fuir les grandeurs du trône, et trouver dans cette
solitude des forets et des montagnes le calme qui lui man-
quait à la cour.
Citée devant un tribunal des pairs, à Kirchheim, la sainte
impératrice comparut devant cette assemblée des grands et
des prélats ; elle demanda à subir l'épreuve du feu. Rien
n'autorise à penser qu'elle ait été réellement soumise à celte
solennelle torture. La haute cour judiciaire était évidemment
bien disposée pour Richardis. L'empereur, atteint d'une ma-
ladie qui louchait à l'aliénation mentale, avait déjà perdu
toute considération, et l'époque de sa destitution officielle
approchait. Sur le simple exposé des faits et de la nature de
ses rapports avec l'éveque de Vercelli , homme lettré, conseil-
ler intime de l'empereur lui-même, Richardis fut acquittée ;
mais ne pouvant surmonter le trouble et l'émotion que cette
scène judiciaire lui avait causé, elle se retira dans le cloître
fondé par elle. Là, dans ce charmant asile, elle écrivit des
strophes latines pleines d'une douce mélancolie, et qui seules
suffiraient à justifier la royale victime, si le témoignage des
contemporains et le verdict de l'opinion publique, transmis
symboliquement par la légende, ne proclamaient son inno-
cence. «J'ai trouvé le port, s'écrie-t-elle, après avoir enduré
«les tempêtes du monde, et déjà je tiens l'objet de tous mes
«désirs; le repos entre dans mon âme... Que sont pour moi
«les royaumes de ce monde; je les méprise; je n'aspire
«qu'aux choses célestes; mon esprit s'enrichit, et je touche
«au seul but qui ne trompe jamais. »
ô\fb ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
La légende ne s'est point contentée de la pieuse résignation
et de l'acquittement de Richardis : elle lui fait traverser le
feu. Isidore Fuchs affirme que l'impératrice subit l'épreuve,
en chemise enduite de cire que l'on alluma en quatre en-
droits différents sans être entamée. De Ruys dit «qu'elle
«monstra son innocence, en clicminant pieds nus, sans se
«brûler, sur des socs de charrue ardents et sortants de la
«fournaise. Ainsi elle décéda vierge et au nombre des
«saintes» (AtUiquitcs des Vosges, p. 23).
La fondation du couvent est aussi racontée avec des va-
riantes par les auteurs légendaires (]ui jilaccnt l'origine de
l'abbaye d'Andlau après le jugement de Dieu ou l'épreuve su-
bie à Kirchhcim, près du palais mérovingien. L'impératrice,
au sortir du tribunal et du bûcher, se serait retirée soit au
monastère de llohenbourg-, soit à Saint-Élienne de Stras-
bourg, et aurait envoyé un jeune chevalier, qui avait été son
champion, à la recherche d'une localité propre à l'établisse-
ment d'un cloître. C'est ici que se place le récit de l'ours,
creusant la terre pour y abriter ses petits, au fond d'une forêt
des Vosges, et indi(juant au chevalier, par voie de similitude,
que c'était là une solitude assez profonde pour donner un
asile convenable à la princesse justifiée, mais fatiguée du
monde. D'après une autre version , c'est l'impératrice elle-
même qui aurait rencontré la bête sauvage et aurait fixé sur
cet indice le lieu de sa retraite.
Cette entrée de sainte Richarde au couvent a-t-clle été dé-
finitive et irrévocable? Pour ma part, je serais tenté de le
croire. L'orage qui avait assailli Richardis était de nature à
pousser une àme depuis longtemps vouée au recueillement
vers une réclusion absolue. En passant le seuil du couvent,
n'avait-clle pas écrit des vers plaintifs que l'on dirait échappés
à la plume d'un poète élégiaque du dix-neuvième siècle:
Fîeaux lieux soyez pour moi les lieux où l'on oublie,
L'oubli seul désormais esl ma félicité.
TRENTE-SIXIÈME LETTRE. 'ÎOO
No dovait-ellc p;is ci'aiiulrede l'aire un seul pas en arrière,
eL (le se ratlaclier peut-être aux liens fragiles qu'elle venait
de rompre de son propre mouvement?...
Un de ses biographes, toutefois, affirme qu'elle aurait en-
core visité la Palestine, le Saint-Sépulcre^ Constantinoplc ,
collectant partout des reliques, et rapportant au fond du val-
lon paisible d'Andlau les ossements de saint Lazare, mort
évoque de Chypre. Quoi qu'il en soit, irrévocablement retirée
dans l'asile déjà doté par Charles-le-Gros, ou circulant en-
core dans les lieux saints, oi!i Jésus-Christ et les apôtres
avaient laissé partout l'empreinte de leur passage, Richardis
était morte au monde, et son décès, arrivé en 890, ne fut
évidemment que sa transfiguration.
La crypte romane, située sous l'église d'Andlau, remonte
probablement à l'époque carlovingienne, et doit être considé-
rée comme contemporaine de la sainte impératrice*.
Dès les premiers siècles de son existence , l'abbaye d'Andlau
avait été richement dotée; des bulles, des lettres-privilèges,
des lettres épiscopales nombreuses confirmèrent ses droits et
ses propriétés. Ses premiers statuts dataient déjà de 802.
Mais les temps d'épreuve aussi ne lui firent point défaut.
Après la Réforme au seizième siècle, c'étaient des luttes in-
cessantes avec les nobles sires d'Andlau, qui avaient em-
brassé le nouveau culte; au dix-septième siècle, la guerre de
Trente ans et les guerres de Louis XIV avec l'empire lais-
sèrent dans l'abbaye des traces que l'époque prospère du dix-
huitième siècle ne parvint plus à effacer complètement.
Sur la liste des abbesses d'Andlau figurent des noms qui
appartiennent aux premières familles alsaciennes et alle-
mandes. Les d'Andlau eux-mêmes, les Geroldseck, les Ri-
beaupierre, les Reinach, les Rebstock, les Reich de Reichen-
' ï/égliso d'Amilau vieiU d'èlro roslaiiréc avec iiilelligciicc! el im désin-
téressement bien rare, par M. le curé Deliarije. L?i Société pour la conserva-
tion des monuments historiques d'Alsace a déjà signalé l'œuvre de ce digne
ecclésiastique.
400 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
stein , les Beroldingeii , les Flaxland, les Landenberg four-
nirent leur contingent à celle brillanle série de clianoinesses.
C'était une position convoitée, qui plusieurs fois occasionna
des luttes intérieures dont notre fonds a conservé des traces.
Il est temps que je vous entretienne de cette collection, quoi-
que j'hésite à aborder ces indications arides, après avoir
évoqué la victime de Kirchheim, dans le voisinage de Sainte-
Odile et de Landsberg.
Je vous fais grâce des nombreuses bulles; elles se rappor-
tent pour la plupart au couvent de Ilugshoffen (Honcourt),
dans le val de Ville, incorporé à l'abbaye d'Andlau, au com-
mencement du dix-septième siècle.
C'est la rubrique du personnel des abbesscs, qui offre, par
les élections contestées, le plus d'intérêt.
Vers 1570, le cboix de M^e Marie-Madeleine Rebstock fait
naître des difficultés sans fin avec l'autorité pontificale, quoi-
que l'évéquc de Strasbourg, Jean de Manderscheid, eût con-
firmé l'élection. Vers 1666 , celle de Marie-Cunégonde de
Beroldingen, qui succède à Marie-Béatrice d'Eptingen, donne
lieu à une interminable série d'épîtres, dont les plus signifi-
catives consistent en lettres de remercîments pour cadeaux et
lettres écrites à l'abbesse, après les cérémonies, par le nonce
apostolique de Lucerne et par son secrétaire. La mort de
M'"e Cunégonde et l'élection de Marie-Cléophée de Flaxlanden
occasionne une correspondance où se rencontrent les noms
de MM. de Barbézieux, de Laubanie, d'Huxelles, de la Ilous-
saye , de la Grange. Ce petit dossier renferme aussi les actes
de soumission de l'abbesse aux constitutions d'Innocent V et
d'Alexandre Vil, touchant les doctrines de Jansénius et le
formulaire du serment prêté par elle. Chaque élection d'ab-
besse ramène des pièces analogues.
La correspondance historique présente, à la fin du seizième
siècle, une discussion à propos d'un «prédicanl luthérien,»
que plusieurs membres protestants de la famille d'Andlau
s'efforcent de faire nommer par l'abbesse. Dans cette que-
TRENTE-SIXIÈME LETTRE. -401
relie intervient Charles de Loriaine, évêque de Strasbourg,
Frédéric, duc de Wurtemberg, l'empereur Rodolphe II, dont
l'autorité supprime le pasteur, malgré les vives instances de
MM. d'Andlau , qui le rétablissent à main armée dans ses
fonctions. Ce procès violent dure jusqu'en 4598 et produit
force enquêtes, lettres-suppliques, rescrits impériaux, ins-
tructions supplémentaires; il aboutit à une décision finale de
la cour aulique, qui maintient envers et contre tous le pre-
mier mandat impérial.
Les affaires de la Diète de Ratisbonne occupent une grande
place dans ces carions historiques (fin du seizième et com-
mencement du dix-septième siècle). Un délégué de l'abbesse
lui rend compte des affaires traitées et passe quelquefois sur
le terrain de l'histoire du jour.
La période de la guerre de Trente ans est marquée par des
apurements de compte pour contributions de guerre. Les
cloches enlevées par les troupes de Mansfeld donnent lieu à
de vives réclamations ; et plus tard, sous la pression des
Suédois stationnés à Benfeld, des mémoires sont adressés
par l'abbesse au commandant pour réclamer contre les exac-
tions de toute nature qui pèsent sur l'abbaye. Cherté exces-
sive des denrées, abandon des habitations, violences faites
aux habitants, désolation dans tous les villages des environs
de l'abbaye, voilà le thème habituel des plaintes. Puis, en
4643, ce sont de nouvelles tribulations occasionnées par l'ar-
mée du maréchal de Guebriant; en 16i5, le rnagislrat de
Schlestadt empiète sur le Freyhof ou la cour abbatiale d'And-
lau àSchlestadt, forçant le receveur à payer d'exorbitantes
contributions, plaçant garnison dans la cour et la réduisant
à se mettre sous la tutelle de la ville. Enfin, au moment où la
paix de Westphalie va se conclure, ce sont de nouveaux em-
barras occasionnés par la difficulté de faire reconnaître l'in-
dépendance de l'abbaye et d'obtenir des indemnités. Le coup
d'œil le plus rapide jeté sur ces documents apprend combien
les plus solides établissements sont ébranlés par ces commo-
402 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RlllN.
lions politiques, où les existences isolées disparaissent sans
laisser ni trace ni souvenir.
Sous Louis XIV, pendant qu'il est en guerre avec l'empire ,
avant la réunion de Strasbourg, des scènes analogues se ré-
pètent, mais sur une moindre échelle. Les noms du prince
de Condé, de Turenne, du marquis de Vaubrun, de M. de
Haugwilz et de Charles, duc de Lorraine, se trouvent dans
les actes de celte époque.
Je m'abstiens de vous parler des nombreux titres de pro-
priété. Dans les affaires féodales, qui sont aussi considé-
rables, les pièces relatives au fief d'Andiau constatent les in-
terminables discussions enhc l'abbaye .et MM. d'Andiau, qui
prétendaient tenir le val d'Andiau directement de l'empire.
Les questions de péage divisent l'abbaye et la famille du
même nom.
L'ordre teutonique, qui possédait une commanderie à
Andlau dans le voisinage de l'abbaye, donne lieu , en 1313, à
un jugement arbitral, prononcé par le préfet de la Basse-Al-
sace entre la commanderie d'Andiau et les gens du val de
Ville. C'est une question de propriété litigieuse, que j'aurais
passée sous silence si je n'avais tenu à rappeler incidemment
que cet ordre militaire, qui était considéré presque à l'égal
de celui des chevaliers de Malte, avait pris pied dans la belle
vallée de Sainte-Richarde, tout comme il avait des comman-
deries à Strasbourg, Schlestadt etc.
Je sais parfaitement que je vous donne une idée très-in-
complète de ce riche fonds d'Andiau. Encore, si ce n'eût été
le souvenir d'une impératrice recommandée par le triple
charme de la beauté, du malheur et de la poésie, je n'aurais
plus osé, au bout d'une correspondance prolongée outre me-
sure, vous arrêter un seul instant de plus dans les murs de
cette abbaye princière.
Et comment plaider maintenant en faveur de celle de
Saint-Jean-des-Choux, près de Saverne? Car ici nous n'avons
plus de fondatrice impériale à faire valoir. Eh bien ! pour
TRENTE-SIXIÈME LETTRE. 403
Saint-Joan, prés Saverne, j'en appelle au soinTînir de vos
lecteurs, qui tous ont vu sur le penchant de la montagne,
entre les vignes et la cliàlaigneraie, cet édifice abbalial encore
debout, dominant au loin le pays, et au-dessus de l'abbaye et
de l'église romane, la chapelle de Saint -Michel, plantée
comme un phare sur un promontoire à l'extrémité orientale
de ce bel amphithéâtre des Vosges savernoiscs. Pourrais-jc
passer sous silence les souvenirs historiques de ce splendide
couvent de femmes, qui n'a point abrité dans son enceinte
une princcsse-poëte et presque martyre, mais qui a ramené
dans plus d'une àme isolée ou souffrante, le sentiment du re-
pos et du bonheur, sous l'influence de cet air vif et pur, à la
vue de ce large horizon et de ces campagnes fertiles, et de ce
parc gigantesque étendu jusqu'aux pieds du couvent?.,.
L'église dédiée à saint Jean-Baptiste conserve, dans sa dis-
position actuelle, dans son abside surtout, des traces consi-
dérables du douzième siècle, époque de sa construction. En
1126, Pierre, comte de Liilzelbourg, la donna, avec un grand
domaine, à l'abbaye de Saint-George, dans la Forêt-Noire.
De ce moment, cet abbé exerça sur Saint-Jean-des-Choux
une juridiction spirituelle et temporelle, souvent contestée
par l'évêque de Strasbourg. Les titres marquants de ce fonds
ont trait aux relations de cette abbaye bénédictine avec l'évê-
ché, avec l'abbaye de Saint-George dans la Forêt-Noire et
avec les communes des environs, où se trouvent les proprié-
tés forestières et rurales du cloître. Des procès-verbaux d'é-
lection font connaître le personnel des religieuses ; dans les
pièces de procédure, un acte d'aborncment avec Ernolsheim
donne des détails relatifs au serment prêté par les deux par-
ties sur une cassette remplie de reliques. Une transaction de
1672 entre l'abbaye de Saint-Jean et la confrérie de Saint-'
Michel concerne les revenus du tronc de cette chapelle pit-^
toresque, et la caverne creusée dans le roc au-dessous du
petit sanctuaire, figure aussi dans notre dossier ; il paraît que
dans la seconde moitié du dix-septième siècle elle abritait
404 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RIIIN.
des ermites. Un solitaire, Galliis de nom, et habitant de celte
demeure de troglodytes, fut trouve assassiné dans les foi^êts
des environs, en 1670. Ce fait est constaté par un procès-
verbal d'enquête.
Bes affaires de dîmes et de juridiction constatent l'exis-
tence de la bergerie et de la scierie du Zornhof, située à peu
près en plaine, aux pieds mêmes des vignobles de Saint-Jean.
Pour une dernière fois je vous convie à me suivre au nord
de la forêt sainte de Haguenau. Nous avons vu successive-
ment les Hohenstauffen y tailler des éclaircies, asseoir dans
une île et sur les bords de la Moder les fondements d'un pa-
lais, d'une ville,' d'un hôpital, et en même temps des abbayes
d'hommes et de femmes s'élever sur les bords de cette vaste
région forestière*. Il me reste à vous signaler en quelques
lignes deux abbayes de femmes, Bibhslieim et Kœnigsbruck,
qui appartiennent au même district.
Celle de Biblisheim, de l'ordre des Bénédictins, fut fondée
au commencement du douzième siècle par Théodoric, comte
de Montbéliard, ou plutôt par sa fille Gunlhilde. Ce sont des
pièces peu nombreuses qui constituent le fonds de ce cou-
Vent; à côté des papiers de comptabilité, des baux, des pro-
cès-verbaux d'élection, on peut signaler une correspondance
avec l'abbé de Marmoulicr, qui laisse entrevoir des discus-
sions intérieures et des plaintes sur la misère et le délabre-
ment de l'abbaye. C'était une des rares communautés alsa-
ciennes, où les ressources ne se trouvaient pas au niveau des
besoins. Au dix-huitième siècle la situation s'était améliorée à
Biblisheim, cl quelques religieuses y végétaient avec des re-
venus convenables.
Dans le voisinage de Surbourg, sur le cours d'eau de la
Sauer, se trouvaille couvent de Kœnigsbruck (Hegnispons),
fondé vers le milieu du douzième siècle par Frédéric, duc de
Souabe, père de Frédéric Barberousse. Les pièces de ce fonds
sont peu considérables; elles consistent en baux, renouvelle-
' A Surbourg, Seltz, Neuboury, Saiiile-Walbourg etc.
TRENTE-SIXIÈME LETTRE. 405
ments, accords etc. elc. ; ils proviennent en partie d'une ces-
sion de pièces, que par ordi'e de M. le ministi-e de l'intérieur
les archives de l'hospice de Ilaguenau nous ont faite en 1855.
Et puisque je viens de mentionner ce riche dépôt hospita-
lier de Ilaguenau, qui était, il y a douze ans encore, parfai-
tement inconnu, je ne puis passer sous silence le modeste
travailleur qui, le premier, a retiré d'un caveau infect où gi-
saient ces documents, quelques milliers de chartes et un
nombre considérable de liasses, le tout relatif à l'origine et
aux propriétés des deux hospices de Haguenau. M. Wenker,
greffier de l'administration hospitalière, a opéré, à partir de
iSA9, le classement rationnel de ces titres, dont plusieurs re-
montent au temps des premiers empereurs de la maison de
Souabe. Epris d'une véiitable passion pour son œuvre, il a
voué à ce labeur ses dernières années ; il faisait de fréquentes
tournées à Strasbourg, pour me communiquer son bonheur
naïf à chaque pas fait en avant dans cette voie de découvertes
et d'analyse. Son nom patronymique, qui est aussi celui d'un
érudit connaisseur de chartes et de documents diplomatiques
du dernier siècle, lui a véritablement porté bonheur. Si
l'hospice neuf de Saint Martin de Ilaguenau, pour ainsi dire
greffé sur l'ancien hospice de Frédéric Barberousse, possède
maintenant \me collection archivale qui peut se mesurer avec
la plupart des archives hospitalières de France, il le doit à
Wencker, qu'une mort subite a enlevé en 1856 à ses travaux
inachevés. Lorsqu'on est venu m'annoncer cette perte inat-
tendue, j'ai pu faire un sérieux retour sur moi-même et me
répéter que notre tâche d'archiviste est le travail inaperçu
d'un jour, et que nous réunissons péniblement des maléi'iaux
sans savoir qui les mettra en œuvre.
Vous me permettrez de jeter, dans une prochaine et der-
nière lettre, un coup d'œil sur l'ensemble de nos archives
départementales.
406 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
TRENTE-SEPTIEAIE ET DERNIERE LETTRE.
Total niiincrif|iic des archives ri viles c( ceciésinstiiiiie.s. — Coup fl'œil
»$iir leur réjg;lenientatioii. Arclilves coiniiiunales. Archives hospita-
lières. — l'ièces dans les arcliives «léparteiiientales postérieures «^
1990. — Coup d'oeil rétrospectif sur les archives «lu nas«llliin.
Monsieur ,
Dans celle longue revue de nos archives civiles el ecclé-
siastiques, je me suis abstenu de vous accabler de chiffres;
nous avons traversé toutes ces collections de litres sans trop
nous arrêter à leur proportion numérique ; à peu d'excep-
tions près, je vous ai laissé ignorer à dessein ces détails d'in-
térieur, quoique les chiffres, comme on l'a dit, aient aussi,
dans un moment donné, leur éloquence spéciale. Maintenant
sur le point de quitter ces austères galeries, peut-être m'ac-
corderez-vous la faveur dernière de mettre sous vos yeux, en
quelques lignes, l'addition sommaire des pièces, parchemins
et papiers que renferment nos cartons.
Une première série, doi^J, je ne vous ai point entretenu, est
relative aux actes de l'autorité centrale; elle monte à 1066
litres.
La série formée par la préfecture de Haguenau et par l'in-
tendance d'Alsace en a 47,575.
La grande série de la féodalité , celle où figurent toutes les
principautés laïques de l'ancienne Basse-Alsace, c'est-à-dire
Deux-Ponts, llanau-Lichtcnberg, Oberbronn (les Linange) ;
Beinheim (Sponheim) etc., s'élève à l'énorme chiffre de
321,907 pièces.
Dans les archives ecclésiastiques, l'évêché elles chapitres
intra et extra-muros de Strasbourg, l'évêché de Spire etc.
arrivent à 198,039 pièces, et la dernière série, celle du clergé
régulier, c'est-à-dire les abbayes et couvents d'hommes et de
TRENTE-SEPTIÈME ET DERNIÈRE LETTRE. 407
femmes, l'ordre de Saint-Jean elc, s'arrête à 55,545 pièces.
En ajoutant à ces chiiïres partiels les pièces de deux séries
de moindre importance, nous parvenons à un total de
629,534 pièces, dont plus de 30,000 sur parchemin; sans
compter 3207 volumes répartis entre les différents fonds.
Dans cette évaluation, qui s'arrête à l'année 1790, n'en-
trent par conséquent ni les vastes fonds de l'époque révolu-
tionnaire, ni ceux du Directoire, ni les papiers du dix-neu-
vième siècle ou de l'époque préfectorale. Ici ce serait une
véritable folie que d'essayei' de compter; il n'y aurait d'ail-
leurs rien de fixe, rien de précis dans un pareil travail. Les
règlements ministériels autorisent et commandent même la
suppression des papiers réputés inutiles au bout d'une cer-
taine période d'années. On s'est arrêté, pour la marche à
suivre dans ces opérations délicates, à des prescriptions dic-
tées par l'expérience, par le bon sens, par la valeur relative
des liasses, par leur masse encombrante. Les personnes les
plus étrangères à un service administratif peuvent comprendre
que si l'on était tenu, par exemple, de conserver indéfini-
ment des imprimés, des affiches, dont l'intérêt est passager,
avec le même soin que des titres de propriété, des certificats
de service, des arrêtés constituant des droits et pouvant ame-
ner une décision dans les affaires litigieuses , les bâtiments
les plus vastes ne suffiraient bientôt plus à la destination des
archives ; la mauvaise herbe envahirait le champ fertile. Je
reviens donc à dire que l'énumération des papiers modernes
aboutirait à une véritable puérihté, en supposant qu'il fût
possible, à force de patience et en hébélant les intelligences
des employés, de compter ces feuilles volantes, destinées à
vivre «ce que vivent les roses », avec lesquelles au surplus ces
papiers moisis n'ont de commun que ce brevet de courte vie.
Je viens de faire allusion à des règlements pour la sup-
pression des papiers ; ce ne sont pas les seuls ; tous les détails
du service des archives, de la confection des inventaires, de
la tenue des registres etc. ont été successivement prévus,
408 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
quelquefois avec un peu de minutie; mais dans ces matières
il vaut mieux pécher par un excès que par un défaut de
soins, et il est juste que les archivistes subissent, en travail-
lant, la loi commune imposée^ déjà dans la Genèse, à la
pauvre humanité.
Ainsi, pour ne citer que peu d'exemples de cette régle-
mentation, des registres conslalent le versement des pièces
par les bureaux de l'administration préfectorale ; la commu-
nication des litres est entourée de formalités et de précau-
tions; l'expédition ou copie des documents, lorsqu'elle est
demandée et accordée, se fait sous des conditions prévues;
le mécanisme est à peu près le même dans tous les chefs-lieux
de département.
L'autorité centrale a de même réglé depuis dix-huit ans le
service des archives dans les grandes et les petites com-
munes ; des instructions uniformes pour la confection des in-
ventaires dans les villes et les villages ont été transmises, il
y a quatre ans, aux maires de toutes les communes de l'em-
pire. Mais sur ce terrain il est plus difficile d'obtenir des ré-
sultats prompts et identiques; le département du Bas-Rhin a
été l'un des premiers à s'acheminer dans la voie tracée pour
le service des archives communales; des résultats majeurs
ont été obtenus ; la masse des localités a satisfait au pro-
gramme ministériel: depuis dix-huit ans déjà les communes
rurales étaient habituées au système d'inventorier leurs litres.
Il ne i"esle guère que quelques grandes communes, où le
travail est plus considérable et exige un temps plus long pour
aboutir à la consciencieuse perfection et à l'uniformité que
la dictature de Paris réclame en toute chose.
Les archives hospitalières, depuis six ans, ont été soumises
à une réglementation analogue. Les dépôts dans le Bas-Rhin
ont tous répondu à l'appel de l'autorité centrale et préfecto-
rale.
Dans la première ferveur de mon zèle d'archiviste, il y a
quinze à dix-huit ans, j'ai circulé sur beaucoup de points de
TRENTE-SEPTIÈME ET DERNIÈRE LETTRE. 409
noire Basse-Alsace, dans le seul but de visiter nos arcliives
communales et de me rendre compte des maléi'iaux qu'elles
renferment'. Ce serait le sujet de nouveaux entretiens si je
voulais recueillir ces anciens souvenirs; mais quediriez-vous
d'une présomption pareille, après cette longue épreuve à la-
quelle j'ai soumis votre patience exemplaire, qui a pu me
faire illusion sur celle de vos lecteurs? Ce serait une pérégri-
nation (oute nouvelle à recommencer, sur toutes les branches
de nos voies ferrées, et môme dans quelques parties de ces
contrées inconnues qu'on appelle la Lorraine allemande, ou le
long des Vosges, dans quelques-unes des vieilles cités de la
Décapole, telles qu'Obei-nai, Rosheim etc., que le chemin de
fer n'a pas encore englobées dans son étreinte.
Je ne connais pas même approximativement les richesses
paléographiques des anciennes villes de l'intérieur de la
France ; je sais qu'il y a des communes dans les pays de droit
écrit et de droit coutumier, dont le lot, dans cet héj'ilage de
parchemins, de registres, de cartulaires, est très-considé-
rable; mais les points de comparaison qu'elles peuvent offrir
avec les archives municipales des villes ou des bourgs de
l'Alsace me font défaut. Je pense toutefois , qu'à peu d'excep-
tions près, nous ne devons pas craindre de nous montrer au
grand jour; en tous cas, la masse des privilèges impériaux,
des lettres épiscopales, des titres historiques de toute nature
dans nos archives de Schlesladt, d'Obernai, de Haguenau,
deSaverne, nous vaudrait une place très-honorable. Mettre en
relief ces témoins de notre vie municipale , les encadrer dans
l'histoire succincte et dans la description des localités elles-
mêmes, faire ressortir, par un parallélisme naturel, le ca-
ractère spécial de chacune de ces collections , ce serait un
but assez facile à atteindre, et d'un intérêt assez évident pour
me dispenser de le faire ressortir; mais, encore une fois,
'Les résiillala de cos visites ont été soumis par moi, dans dos rapports
spéciaux , au préfet et au Conseil générai.
410 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU RAS-RHIN.
qu'en diriez-vous? Le pourrais-je, moi-même, lorsque les
devoirs de chaque jour amènent de nouvelles perspectives de
Iravail, et que dans l'occupation la plus attrayante, il est des
lialtes commandées par les convenances et par le besoin de
respirer ?
Dès le début de celte correspondance, nous avons fixé une
limite chronologique; il était convenu que nous ne dépasse-
rions pas le commencement de la Révolution. C'est aussi le
point extrême que la commission centrale des archives a fixé
jusqu'ici pour la confection des inventaires. A partir de là,
dans les soixante-dix années qui nous séparent de cette
époque, il y aurait certainement à glaner et même à récolter
dans nos archives au point de vue historique. Dès le début de
la Révolution, notre dépôt offre une correspondance curieuse
entre le maréchal Luckner et les généraux qui, sous ses
ordres ou de concert avec lui, se préparaient à défendre la
frontière de l'Est et du Nord-Est contre la première coalition.
Les noms du vainqueur de Valmy, du général Biron, de
M. de Broghe etc. se trouvent dans ces liasses. En épluchant
les procès-verbaux des séances de l'autorité administrative
(de 1700 à 1800), on y (rouverait des notes à recueillir ; et
une fois ai rivé à l'Empire, à la Restauration, au gouverne-
ment de Juillet, plus d'un carton, dans la série de l'adminis-
tration générale, offrirait des données curieuses sur la situa-
tion de notre pays et sur le personnel qui était appelé à gérer
ses affaires. Une histoire sérieuse et franche de l'administra-
lion préfectorale et des préfets qui se sont succédé dans le
jtalais du préteur Klinglin et de l'intendance, aurait sans
aucun doute un attrait de curiosité et offrirait aux hommes
d'affaires et au public même, des sujets d'une instruction va-
riée. — J'ai essayé pour celui de ces administrateurs qui a
laissé le souvenir le plus populaire dans nos campagnes, de
reproduire, dans une notice biographique assez étendue, la
physionomie de notre département pendant les dernières
années de l'Empire et au commencement de la Reslauralion.
TRENTE-SEPTIÈME ET DERNIÈRE LETTRE. -411
La carrière agitée d'Adrien Lczay de Marnésia, son iniluence
dans les provinces rhénanes — alors partie intégrante de
l'Empire français, — son charmant caractère, sa fin tragique
surtout, se prêtaient à des développements de cette nature;
et l'époque où il a vécu est déjà assez loin de nous pour ad-
mettre un jugement calme et indépendant. Il n'en serait pas
tout à fait de même , lorsqu'il s'agirait de toucher aux actes
de ses successeurs. Tous les inconvénients de l'histoire con-
temporaine, multiphés par les embarras des souvenirs lo-
caux, des sympathies et des antipathies qu'inspirait la per-
sonnalité de ces fonctionnaires, se produiraient dans une
pareille tentative. La louange dans la bouche d'un homme
admis autrefois dans l'intimité de 'quelques-uns de ces admi-
nistrateurs, semblerait suspecte, le blâme inconvenant; les
indiscrétions qui piquent le plus la curiosité , prendraient un
caractère odieux ; que de raisons qui plaident pour le silence !
Soyez donc parfaitement rassuré, Monsieur; je ne franchirai
point pour le moment le seuil des compartiments où les
titres postérieurs à 1790 sont confinés, ou si jamais je le fais,
je resterai dans la voie tracée par le devoir et les conve-
nances.
Mais avant de vous faire mes adieux, souffrez que je jette
un coup d'œil en arrière sur la roule que nous avons par-
courue ensemble. Je me suis pris d'une affection à la fois plus
vive et plus profonde encore pour ces travées silencieuses ,
depuis qu'un groupe d'intrépides lecteurs a honoré d'une
attention bienveillante ces comptes rendus improvisés. Les
parchemins entamés par fàge, les noms souvent à demi-effa-
cés qui sont inscrits sur leurs plis ou dans leurs rouleaux,
ont pour moi une valeur nouvelle depuis que j'ai conquis,
pour plusieurs de ces titres, la sympathie de quelques com-
patriotes et de quelques amis indulgents. La conviction, —
pardon , Monsieur, je me hâte de corriger ce terme trop am-
bitieux,— l'illusion que je ne suis plus seul à les aimer,
m'aide à ne point l'cgi'eller les belles années passées dans une
412 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU BAS-RHIN.
séqiiestralion volontaire, presque monacale, loin de la vie
de famille, loin des grandes scènes de la nature, qui com-
pensent quelquefois l'absence des affections, loin du grand
théâtre du monde , qui enivre ou qui étourdit sur la brièveté
et le néant des choses terrestres.
A l'entrée du dépôt, nous nous sommes placés devant la
collection de la préfecture de Haguenau ; elle nous a révélé
l'une des formes les plus curieuses, les plus complexes de
l'administration gouvernementale du moyen âge et de la re-
naissance ; nous avons pu ramener sa première origine à
ce vogt ou préfet de Frédéric II de Ilohenslauffen , dont la
mystérieuse deslinée a jusqu'ici échappé à toute recherche;
les préfets slaves de la maison de Luxembourg , les électeurs
palatins cumulant avec leur grande existence celle de land-
vogt d'Alsace, et les archiducs autrichiens ont un instant
posé devant nous ; le nom sonore de la Décapole alsalicjue a
retenti à notre oreille; et dans cette confédération j)olitique
et municipale, large, indépendante, ne relevant que de l'em-
pire et de ses magistrats locaux , nous avons ])eut-être regretté
de ne point rencontrer le nom de la plus grande et de la plus
ancienne cité de l'Alsace. La figure audacieuse de Frédéric-
le-Victorieux, celle de Philippe-l'Ingénu, celle de Henri-Otton
ont passé devant nos yeux; et cette première perspective sur
l'histoire dramatique de l'empire d'Allemagne nous a fait
entrevoir l'intérêt général qui s'attache à notre dépôt. Un
examen rapide des papiers de l'intendance nous a confirmés
dans cette ap[)réciation pi'cmière; car ce fonds, l'un des plus
considérables et des plus fréquemment consultés , nous a fait
remonter jusqu'au fondateur de ce puissant mécanisme de
centralisation. Nous avons reconnu le principe de la grandeur
de la France dans cet impitoyable nivellement, cruel pour les
individus, source de gloire pour la nation, sujet d'étonne-
ment et d'admiration pour l'observateur. Dans une seule série
nous avons touché, d'une part aux empereurs germaniques
et à leurs représentants , d'autre part à Richelieu et Louis XIV;
TRENTE SEPTIÈME ET DERNIÈRE LETTRE. 113
dès cette entrée en matière, la position compliquée de l'Al-
sace s'est manifestée dans la nature même des documents
contenus dans notre collection départementale.
La bigarrure de la carte d'Alsace avant la Révolution de 89
a produit sur nous l'effet d'un singulier mirage. En face de
ces bailliages de Bischwiller et de La Petite-Pierre, qui se rat-
tachent à Deux-Ponts, des douze bailliages de Ilanau-Lich-
tenberg-, de la seigneurie d'Oberbronn et du val de Reichs-
hoffen relevant des Linange, en face de la seigneurie de
Riquewihr et de llorbourg, apanage de la maison ducale du
Wurtemberg, en face de la seigneurie de Beinbeim , apparte-
nant aux margraves de Bade, héritiers des Sponheim, nous
avons été saisis, dans le premier moment,- du trouble que
fait naître toute vision étrange; ces vieilles résidences de
princes étrangers , enclavées dans les terres du roi de France,
nous ont fait l'effet de ces demeures fantastiques aperçues
par les voyageurs dans le désert, ou par le touriste sur les
côtes de la Calabre et de la Sicile. Peu à peu ces rêves ont
pris une forme moins confuse; nous avons reconnu que ces
châteaux, ces vergers, ces bosquets, ces orangeries apparte-
naient bien et dûment à des souverains microscopiques, à
des seigneurs de village, qui ne relevaient point du domaine
de la féerie ou de l'opéra ; quelques-uns ont même pris à nos
yeux une taille respectable , puisque nous avons rencontré
leurs ascendants ou leurs descendants sur des trônes ; l'an-
cienne famille des comtes de Lichtenberg nous a surtout ins-
piré une vive sympathie, grâce à quelques caractères éner-
giques, à quelques individualités puissantes écloses dans le
sein de cette maison de dynastes, grâce surtout à quelques
violen-tes passions qui ont sillonné^ comme des éclairs, cette
nuit des temps passés.
Le directoire de la noblesse a pendant quelques minutes
arrêté nos pas. Nous avons lu, dans sa matricule, les noms
de nos célébrités, de nos illustrations locales , et eiïleuré ces
annales domestiques dont quelques-unes se rattachent au
414 ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU CAS-RIIIN.
siècle des empereurs de la maison de Ilohenslauiïen , quel-
ques-unes à ces temps de funeste discorde , où se produi-
saient à Strasbourg, sur un théâtre restreint, des luttes pa-
reilles à celles des noirs et des blancs à Florence.
Puis, quand nous eûmes tourné le dos à ces existences
laïques et abordé les premiers siècles du christianisme ou
les temps mérovingiens, pour y trouver l'origine de notre
épiscopat, et le point de départ de nos établissements reh-
gieux, notre intérêt a pu s'attacher à une scène plus vaste et
plus saisissante que ne l'était celle de la féodalité alsatique.
Les passions humaines ne se sont point effacées, mais elles
se sont mises au service d'une puissance plus haute et plus
forte ; elles ont concouru à fonder un ordre de choses qui
offrait, au sein de l'anarchie, des refuges, des asiles à la
prière, au travail, aux existences qui voulaient fuir la souil-
lure du siècle. Au pied des Vosges, sur leur pente et en partie
sur leurs cimes, le long des rives du Rhin, dans les vastes
forêts de la plaine, au cœur des cités et des bourgades, nous
avons vu successivement s'élever la tour romane et la llèche
ogivale des églises chrétiennes, les demeures canoniales des
membres des chapitres. Les évêques et les abbés mitres, en
rapport d'amitié ou en conflit hostile avec les empereurs,
avec les princes et dynasles de la vallée rhénane, en rapport
d'obédience avec les pontifes et les prélats romains, ont laissé
échapper devant nous le secret de leur politique, de leur
force, quelquefois de leur faiblesse et de leur défaite. Quel-
ques tôles entourées d'une auréole nous sont apparues à
des hauteurs inaccessibles aux intérêts et aux clameurs du
monde. Une émotion involontaire nous a gagné à la vue de
quelques grandes et nobles victimes, ou sur les champs de
carnage qui ont ensanglanté les rives du Rhin plus que beau-
coup d'autres pays de l'Europe. — Et maintenant, adieu à
tout ce passe, adieu à la Cathédrale et aux prélats qui l'ont
deux fois fondée, agrandie, embellie et vivifiée, adieu aux
chapitres et à leurs dignitaires dans l'enceinte et hors des
TRENTE-SKPTIÈME ET DERNIÈRE LETTRE. 415
murs de Strasbourg, adieu à ces cloîtres bénédictius Ibudés
par des saints de l'Hibernie , aux abbayes de femmes , asiles
et créations de saintes impératrices , adieu à ces maisons de
l'hôpital , où la croix de Malte couvrait plus d'un noble cœur!
Quelquefois, en marchant le long- de ces travées débordées
par des sigillés aux armes parlantes , lorsque les rayons obli-
ques du soleil couchant pénètrent dans ces couloirs et dorent
l'étiquette des cartons, je suis pris par de singuhères hallu-
cinations. Il me semble que ces hommes du passé, avec les-
quels j'ai si souvent eu des conversations muettes, vont res-
susciter, vont prendre corps et se réchauffer à ce beau soleil
qui éclaire leur dernier asile; je les vois se dresser devant
moi ; les uns me saluent d'un air de complaisante satisfaction ;
ils chuchottent mystérieusement à mon oreille : Nous sommes
contents de toi!... D'autres me poursuivent de leur sourire
infernal...
Ecartons ces fantômes du passé! point de rêves, mais du
travail jusqu'à la dernière heure , avec l'espoir téméraire
peut-être, mais plein de doux encouragements, que quelque
successeur, en parcourant mes rapports, mes inventaires, les
fragments historiques crayonnés dans quelques heures de
loisir, rendra justice à mes intentions et couvrira du manteau
de l'indulgence les défectuosités inévitables de l'œuvre et les
involontaires défaillances de l'ouvrier.
ï:l-^^-K1S)(5jK-3-~-j
PIÈGE JUSTIFICATIVE.
ACTES D'UN PROCÈS CRIMINEL
CONTRE
APOLLONIE5 VEUVE DE 3IICHEL SPEIVER,
ET CONTRE
DOROTHÉE 5 FEMME DE JACQUES PFISTER5
A GEISPOLSHEIM,
TOUTES DEUX INCULPÉES DE SORTILÈGE'.
Le 4 mai 1616.
Les conseillers séculiers du très-vénérable grand-chapitre de l'église
cathédrale de Strasbourg, après inquisition générale, faite le 4 mars
de laditeannée, et après inquisition spéciale, faite le 15, le 1 6 et le 17 du-
dit mois, après avoir pris conseil et avis de la très-honorable faculté
de droit de l'université autrichienne de Fribourg-en-Brisgau, — con-
sultation émise en date du 25 avril de la même année. — Ont donné
ordre, par écrit, ta Thiébaùd Millier, prévôt de Geispolsheim, de sai-
sir, audit lieu, deux personnes du sexe féminin, mal famées et très-
suspectes de magie, à savuir: Apollonie, veuve de Michel Spcner, et
Dorothée, femme de Jacques Plistcr, de déposer chacune d'elles en
prison spéciale, et immédiatement faire perquisition en la maison,
par les deux femmes habitée, à l'effet d'y découvrir des vases suspects,
des bâtons, du sable, de la poudre, des onguents etc.; et après expul-
sion du mari de ladite Dorothée, clore ladite maison et la tenir sous
scellé jusqu'à plus ample informé.
Le 5 mai 1616.
Ledit prévôt rapporte , que les deux femmes susdites ont été par lui
saisies et arrêtées la nuit précédente à une heure, et que les ordres à
lui prescrits ont été exécutés;
Qu'ensuite, le même jour, à cinq heures du soir, Dorothée, femme
de Jacques Plister, a été extraite de prison, examinée et questionnée à
l'amiable par le docteur Gail et par le secrétaire, en présence du pré-
1 Traduit de l'original allemand, consigné dans le fonds du grand- chapitre
G. 3168, n» 3.
27
418 PIÈCE JUSTIFICATIVE.
\ôt, de Baltbazar Bodmar, forraicr collongcr, et de Melchior Ansz ,
membre de lajusiice locale, à savoir: «Si elle s'entend en magie,
ou si elle l'a apprise » mais qu'elle ayant tout nié, on lui avait pré-
senté trois pièces, trouvées en sa maison; que, là-dessus elle avait
répondu, que le petit vase renferme de l'eau de romarin (ce qui a été
plus tard constaté) à l'effet d'arroser la chambre, que la petite flole
contient de l'huile de bouillon blanc pour médecine, et le petit pot
de l'onguent, cherché par elle chez l'apoiliicaire à Strasbourg contre
l'érysipèle;
Qu'ensuite ayant été examinée en détail sur certains faits, notés sur
son compte dans l'inquisilion spéciale, elle n'a presque rien voulu ni
avouer ni savoir, même des circonstances les plus indifférentes, si ce
n'est qu'elle sa^t bien qu'on l'appelle sorcière; sur quoi les cxami-
Dateurs lui ont fuit lecture des points principaux, et déjà précités, de
l'inquisition, avec intimation d'y songer, et, lors d'un nouvel interro-
gatoire, de dire la vérité, si elle ne voulait encourir la torture, qu'en-
suite ils l'ont fait de nouveau incarcérer.
Le 6 mai 1616.
A été de même extraite de prison, vers six heures du malin, Apol-
lonie, veuve de Michel Spener, et examinée à l'amiable, de même que
la précédente, en un lieu ouvert, en présence du prévôt et de Ballhazar
Bodmer, fermier libre, par le docteur Gail et par le secrétaire;
Et elle est convenue, que dans le verre se trouve de l'huile de
bouillon blanc, dans le petit vase de l'eau de romarin, et dans le petit
pot de l'onguent, à elle donné par la femme du bourreau contre l'éry-
sipèle; a confessé seulement, qu'elle sait fort bien, que dans le
bourg on la tient pour sorcière, et que depuis trente ans elle est te-
nue pour telle, que dans les rues on crie ce sobriquet à ses oreilles
et, que faute d'assistance, elle a dû le souffrir; qu'y pouvait-elle faire?
— Item^ qu'elle avait entendu dire aux gens que la mère de son mari
avait été brûlée, qu'elle n'ignore point que son mari était réputé
sorcier, mais à tort; que sa mère aussi avait été réputée sorcière; que
Barthélémy Zimmcrmann avait dit en elfet : Je veux être brûlé, si la
tille de Dorothée n'est pas une sorcière.
Ladite inculpée n'ayant pas voulu faire d'autres aveux, lecture lui
a été donnée des principaux points, annotés contre elle lors de l'en-
quête, avec avis sérieux d'y songer et de manifester plus tard^ sur plus
ample examen, la vérité entière, plutôt que d'encourir la peine de
torture.
Puis elle a été reconduite en prison, et k-s meubles de sa maison ont été
inventoriés par le prévôt {eodem die), le fermier collonger et les deux
PIÈCE .(i;stifr:ative. 419
messagers; et de nouveau a été rcinlégrc en sa demeure Jacques
Pfislcr, le mari de l'une d'elles.
Le 27 mai 1616.
Le docteur Gail et le fircfficr ont l'ait exlraiie de prison Doroiliée la
femme de Jacques Plisler, et l'ont lait amener, à neuf lieuros du ma-
tin, sans liens, en la maison de Jean Hitler, le mossafjer', près le châ-
teau , et en présence du prévôt, de Ballhazar Bodmar le collonger , de
Jean IMiiller l'écrivain, de Jacques Schwaah l)Our{jeois (lleimburger),
de Laurent Obscr juré, de Diehold Nuss, IMekliior Ansz et Isaac
Speisser, tous de la magistrature locale de Geispolslicim;
Et a été examinée de nouveau à l'amiable sur les points de l'en-
quête; mais l'inculpée n'ayant fait aucun aveu, a été appelé le bour-
reau, puis elle a été conduite ad locum torturx^ menacée sérieuse-
ment, lentement préparée, puis, les mains liées, conduite près la
corde; par intervalles, à plusieurs reprises, exhortée à l'aveu de la vé-
rité, et à la fin à plusieurs reprises, mais toujours sans poids appendu,
a été soulevée, et allemative^ redescendue, et forcée aux aveux, de
telle manière, que la torture, en comptant toute alternance, n'af duré
qu'une demi-heure, voire même un peu moins; mais que l'interroga-
toire in luco fortune a bien duré deux heures;
Après quoi elle a été redescendue, et en la demeure du susdit mes-
sager, libre de tous liens, elle s'est plainte à plusieurs reprises, avoir
été amenée à ce par sa mère Appollonie;
Puis, sur avis de répéter complètement en ce lieu ce que m loco
tortura; oUe avaitavoué, et après interrogatoire à l'amiable, mêlé à ce,
et après exhortation, a confessé les articles suivants:
^» Après ladci nièrc guerre, Apollonio, sa marâtre, luj aurait dit que, si
elle voulait apprendre quelque chose, elle devait l'accompagner, puis
lui aurait donné un bàlon, sur lequel, en compagnie de sa mère, elle
aurait chevauché, h travers l'air, sur le Glœckelsperg ;
2» Qu'au haut du Glœckelspei g ^ (^lail venu à elle en habits noirs
de prix, un homme noir, Folaut de nom, lequel avait été l'amant
d'Apollonie, qu'elle avait conclu avec lui des fiançailles, i)uis dansé,
et que la danse avait duré une demi-heure, qu'ils avaient eu un vio-
lon, lequel était un homme, à elle inconnu, et que son amant lui
avait donné, en guise de gage, une monnaie à elle inconnue, et
qu'elle aurait plus tard jetée loin d'elle;
3" Qu'une autre fois encore elle aurait été au Glœclulxptry ^ à la
danse, que celle fois là elle auiait renie Dieu, que d'abord elle n'avait
point voulu renier la mère de Dieu et les saints, mais qu'enfin elle
avait été forcée de le faire, surtout sa mère le lui prescrivant;
4.20 PIÈCE JUSTIFICATIVE.
40
5° Que d'autres personnes, hommes et femmes, s'étaient trouvés à
la danse de Glœckelsperg, qu'elle avait reconnu seulement Marthe, la
veuve de StolTel (dont elle ignorait l'autre nom) près de la porte basse ,
et la femme de Jean Ileid, le vieux; qu'elle les avait vues danser, mais
rien de plus;
0" Qu'il y a trois ans, pendant la dernière peste des bestiaux, sa mère
lui aurait ordonné de frapper avec un bâton la vache de Régine ,
femme d'Urbain Schal, parce que cette Régine était mauvaise langue ;
qu'elle l'avait fait do jour, et sur la route; qu'elle ignorait, si sa mère
avait mis quelque chose dans le bâton, ou si la \ache en suite de ce
était morte ;
70 Que sa mère lui avait ordonné de jeter un sort sur le fils de Ma-
thieu Rietsch (lequel était mort très-misérablement cette année au
commencement du carême), parce qu'il l'avait injuriée et s'était que-
rellé avec elle; qu'en ce temps, son amant était venu chez clic dans la
cour (de la ferme), l'avait enlevée à travers l'air devant l'étable de
George Nuss, l'avait forcée à coudoyer celui-ci, et lui avait dit (à elle)
que George en deviendrait malade à mort;
8° Que son amant l'avait encore d'autres fois visitée, mais pas sou-
vent; qu'elle ne l'avait pas suivi chaque fois;
9" Qu'il l'avait battue à deux fois;
-JO" Qu'elle n'avait jamais dit à confesse: Je suis sorcière, parce que
son amant le lui avait défendu; qu'il lui avait permis de prendre le
Saint-Sacrement.
Sur quoi elle a été exhortée à ne point revenir sur ces articles, à
réfléchir a toutes ces choses, parce qu'elle serait forcée de dire la
vérité avec plus de détails; après qiioi elle a été réintégrée en prison.
Le 28 mai 1616.
A été amenée de même en la demeure du susdit messager, en pré-
sence, de tous ceux qui ont assisté hier et de Jacques Schal , de Gcispols-
hcim, la nommée Apollonie, veuve de Michel Spener : puis a été in-
terrogée ci l'amiable sur les dépositions faites dans l'enquête ainsi que
sur les points confessés à son égard par sa fille Dorothée, au sujet de
de l'instruction donnée du voyage au Glœckelsperg; puis a été sadite
fille avec elle confrontée, laquelle a de nouveau témoigné que sa mère
' Les passages omis ont trait aux relations charnelles de l'inculpée avec le démon.
riÈCE JUSTIFICATIVE. 421
lui avait cnsci2[nc l'art (de la magie); qu'elle l'avait cnuiienoe au
Glœckelsperg après la dernière guerre, qu'elle s'y était rendue en en-
fourchant un Làlon, que l'amant d'Apollonie s'appelait aussi Volant;
que toutes deux elles avaient eu un seul amant;
Mais elle (Apollonie), après tous ces points constatés, et après me-
naces sérieuses ne s'étant point émue, a été mise en présence du
bourreau, et avec lui conduite ad locum torturx; ampiel lieu, avant
d'êlre liée, elle a en cflet commencé à faire quelques aveux; mais
n'ayant pas voulu faire de confession complète, a été liée , et soulevée
parla corde à plusieurs reprises, mais sans poids appendu, le tout
durant un quart-d'licure, et interrogée plus de deux heures et demie;
après quoi de nouveau reconduite en la demeure du susdit messager,
et là, sur et après les aveux précédemment faits, a été de nouveau in-
terrogée point par point, et a confessé ce qui suit:
-|o yu'il y a treize ans, pendant la guerre de Schœffolsheim , le ma
lin, en habit de paysan, était venu pour la première fois auprès d'elle
dans le canton de Schwabsheim, au moment où elle se rendait à Stras-
bourg ,
3" Que l'amant de sa lille Dorothée avait aussi été son amant; qu'il
s'appelait aussi Volant;
4» Qu'un jour il était venu auprès d'elles deux, dans leur chambre;
qu'il avait fait sortir Dorothée , que l'infâme l'avait suivie, mais qu'elle
(Apollonie) avait reçu la défense de sortir ou de demander ce qui se
passait; mais que, dans sa pensée, il avait aussi souillé sa tille.
5° Que sur les instances sévères du malin, elle lui avait promis de
renier Dieu, et de le servir, lui;
6" Que toutes les fois qu'il la visitait plus tard, il lui avait donné des
ordres méchants; qu'elle avait jeté un sort sur une vache en pâturage;
que le malin l'avait forcée de frapper sur le derrière de cette vache,
laquelle probablement en a crevé;
7" Qu'il l'avait aussi conduite dans la cour de Michel Ileilz, puis ou-
vcit l'élable, et prescrit de crier: ho! ce qu'elle avait fait; sur quoi, il
l'avait reconduite à travers l'air; qu'elle ignorait ce qui était advenu
des chevaux de Ileitz;
8° Que de même il l'avait aussi conduite devant l'écurie du maire et
fait crier ho! qu'elle avait obéi, ne sachant pas ce qui est advenu du
cheval ;
423 PIÈCE JUSTIFICATIVE.
9" Que deux M-; elle avait fait le voyage, mais Dorolliée une seule
fois; qu'une fois le malin l'avait menée tout au haut du Glœckclsperg,
à la danse; mais qu'elle et Dorothée n'étaient arrivées qu'à la lin, au
moment où tout s'en allait en l'air, et quensuite il les avait ramenées
dans le han (de Geispolsheim).
10° Qu'elle ignore où il l'avait conduite une autre fois, mais qu'il
l'avait ramenée à la cour (de la ferme).
-il "Que le malin lui avait donné, au moment des fiançailles, quel-
que chose de rond et de plat, qu'elle avait cru reconnaître un écu,
mais qu'après son départ ce n'était plus qu'un morceau do pot de
terre qu'elle avait jeté.
Le 9 juin 1616.
La torture susmentionnée, et les aveux qui s'en sont suivis, ayant
été reconnus à peu près insulllsanfs en ce qu'aucune mention n'a été
faite de maléfices sur bestiaux et hommes quelque grands que fussent
les soupçons à ce sujet;
Ce pourquoi , a été examinée de nouveau par le grclficr et par Henri
Loppinckh, vofjt d'Erstein, à la date du 9 juin KilC, à 9 heures du ma-
tin, la nommée Dorothée, femme de Jacques Pfister, et ce en présence
du maire, du collonijcr, de l'écrivain, de Diebold Nuss, Melchior Ernst,
Jacques Schwab, Laurent Obser, Isaac Spciser, tous du tribunal local
de Geispolsheim, et lecture préalable, intelligible et point par point lui
a élé donnée en premier lieu des articles par elle avoués le 27 mai
dernier à la suite de la torture au premier degré, et elle a été interro-
gée, si ces articles étaient vrais, si elle y persistait, et sur réponse
alfirmalive, a élé de nouveau interrogée si les deux personnes indi-
quées et nonnuées à l'art. 5 s'elaient tiouvées à la danse, avec avis de
ne faire du tort à personne, et a répondu de nouveau alfirmalivement.
Sur quoi, les examinateurs, en lui faisant connaître leurs soupçons
iillérieurs, l'ont engagée à d'autres aveux, et, l'inculpoe n'ayant pas
voulu aller en avant, après appel du bourreau l'ont fait de nouveau
conduire ad locum tortnrx^ lier, puis soulever plusieurs fois par la
corde à peu près en tout pendant un demi-quarl-d'heure sans pierre
appendue et enfin avec une pierre pesant de 50 à 50 livres d'après
l'eslimalion du bourreau, aussi pendant un demi-quart-d'heure, et
dans les intervalles l'ont fait examiner pendant à peu près trois heures
in locn forfiirœ, et après ce, l'ont fait de nouveau reconduire en la
susdite demeure du messager; et, sur exhortation bienveillante, elle
a confessé ce qui suit:
-J» Qu'il y a quatorze ans, sa mère Apollonie lui aurait enseigné la
sorcellerie, et l'aurait forcée à la pratiquer; qu'elle l'aurait présentée
PIÈCE JUSTIFICATIVE. 423
dans Ici cour à un homme noir, avec lequel elle aurait élé oLli{;ée de
partir en tournoyant dans les hauteurs et puis serait redescendue à la
maison;
2" gu'à peu près il y a dix ans, elle avait, sur le haut du Glœckels-
perg, renié Dieu et les saints, et avait céléhré noces avec le.malin, ap-
pelé/^o/or?*/, que beaucoup d'autres personnes, surtout de la ville do
StrasLourp-, à elles inconnues, y avaient été, qu'on avail manjjé et bu,
— point de pain ni de sel, mais de la viande et une bouillie de mil
avec du lait; que les autres avaient cherché du vin à Blœsheim, dans
les caves du jeune seigneur;
3" Que lors de celle fêle nuplialc elle avait dansé avec son amant;
qu'à cette danse avaient assisté la veuve de Sloiïel Poley, !a femme
du vieux Jean Heid, Marie, la fille de Stoffel Poley, la fille de Yix kiihl,
et la femme de J, Speiser le londeur;
4" Qu'en tout elle a>ait assiste de une à six fois à ce bal;
5o
0" Qu'il y a deux ou trois ans, elle avait assisié aux noces de la fille
de Kiihl Vix, et de la fille de Stoffel I^oley, que là les jeunes filles
avaient élé bien atliflées, et n'avaient eu qu'un seul amant, lequel était
noir et velu d'habits noirs;
8° Qu'il y a huit ans, le malin l'avait aussi conduite au Glœckelsperg,
que les autres fois elle y avait été, chevauchant sur un bàlon; d'autres
fois aussi à pied, qu'elle avait voulu abîmer les vignes, que les deux
femmes susnommées s'y élaient tiouvées, et deux petites filles et la
femme du tondeur; que le malin avait fait des ordures dans un vase,
qu'elles avaient cherché de l'eau et versé dans le vase, que le maliu
aurait répandu le tout d'en haut, qu'il s'en était suivi brouillard et
pluie, qui cependant n'ont point fait de mal, parce que de partout on
avait commencé à sonner les cloches.
8° Qu'elle s'était aussi rendue à califourchon sur le gazon, le pré
aux vaches de Geis|)olsheim, où elle s'était trouvée en société des deux
femmes et des deux tilles précitées, ainsi qu'en société de la femme
du londeur; que le malin leur avait prescrit d'abîmer la fleur des arbres ;
que Ici aulies (femmes et filles) avaient ramasse la fioiai>on; que le
malin l'avait mise en un vase qu'il avait renversé de manière à en
faire sortir la pluie, laquelle toutefois, pour cause inconnue à l'inculpée,
n'avait occasionné aucun dommage; qu'elles a\âient aussi tente en
cette occasion de ruiner la floraison dans le ban de Strasbourg; qu'elle
(l'inculpée) avait seulement assisté à ces pratiques sans y aider.
9" Qu'il y a six ans elle avait enfourché un bàlon pour aller à la
424 PIÈCE JUSTIFICATIVE.
Hart près DùppiVlieim; que les personnes précitées y avaient été do
même; que le malin avait fait des ordures dans un pot, et les avait
forcées à y mettre de l'eau; qu'elles avaient tenté d'abîmer les chênes,
ce qui n'avait pas réussi, vu qu'une femme étrangère, en dansant en
rond, avait heurté le pot qui avait versé trop vite; qu'il en était cepen-
dant résulté une grande pluie, du vent et de la grêle.
^0° Qu'il y trois ans elle avait frappé, en pleine rue, avec un bâton
que lui avait donné sa mère, une vache appartenant à un marchand
de bestiaux welchc; qu'elle avait agi do la sorte parce que la bête l'avait
heurtée; que la vache, placée chez Antoine Poley, était morte du coup.
^\° Que do même, parce que Silvesfrc Obach l'avait irritée, elle
avait frappé d'un bâton et abîmé la vache dudit homme; que ceci était
advenu de jour dans la rue , il y a doux ou six ans.
-120 Que de môme, il y a six ans, elle avait aidé à abîmer nn cheval
appartenant à Vix (Valcnlin) Kùlil; que sa mère, la tiiio mémo do Vix
Kiihl, et le malin avaient monté ce cheval, l'avaient frappé et fait
gambader.
-13» Que de même, il y a quatre ans, elle avait aidé à abîmer en plein
pâturage, do nuit, le cheval de Tlienig (Antoine) Schneider, que la tille
do Vix Kiihl et la femme du tondeur, puis la veuve de Stoffel (Chris-
tophe) Poley et la femme de llcyd l'avaient monté doux à deux, puis
le malin lui tout seul; qu'elle n'avait fait que frapper le cheval.
14" Qu'elle avait aidé à abîmer, de nuit, il y a six ans, une vache
dans la forme do Malhis (Mathieu) Schal le jeune ; que la veuve de
StofTcl Poley et puis le malin l'avaient montée, qu'elle s'était bornée à
la frapper; que la vache avait d'abord guéri et n'était morte que plus
tard.
-15° Qu'il y a six ans, le malin l'avait invitée à abîmer une autre
vache , et que n'ayant pas voulu le faire , elle avait été bàtonnée par lui.
-IG» Qu'il y a quatorze ans, sa mère, vu que le cheval était plusieurs
fois venu ouvrir violemment la porte, l'avait forcée de jeter de l'eau
sur le cheval do Balthazar Bodomer le vieux , à tel point qu'il en est de-
venu paralytique et boiteux; que plus tard elle lui avait prescrit de
le bénir, de sorte qu'il a guéri.
17" Que de gaîté de canir elle avait donné un coup sur le bras de la
fille de Thenig Landtmann, parce que celte fille s'était querellée avec
elle; qu'elle en avait eu une tumeur; que le malin l'avait forcée à ce
faire.
^8o Qu'il y a cinq ou six ans elle avait frappé de la main un petit gar-
çon, fils d'une pauvre femme, hébergé chez elle; que le petit en était
malade; qu'elle avait agi ainsi parce que ladite femme lui avait volé
PIÈCE JUSTIFICATIVE. â^ij
quelque objet et que le petit lui avait causé beaucoup d'enibanas dans
la maison ; ([ue la rcuime h la vérité était partie avec cet enfant, mais,
revenue plus tard , elle avait dit que l'enfant était mort.
19" Que récemment, après la dernière Noël, prise de colère parce
que sa mère lui avait ordonné de grand matin de traire les vaches,
elle était sortie dans la cour, qu'un homme habillé de noir qui s'y
trouvait l'avait immédiatement forcée à s'en aller, que celui-là l'avait
enlevée à travers l'air, dans la cour de la ferme de George iNuss, qu'il
avait saisi par le bras le Jils de Mathieu Uictsch, l'avait soulevé, près
des élabies, et lui avait prescrit à elle de le pousser, qu'elle avait été
obligée de le faire; qu'elle ignorait ce qui devait en résulter; qu'il
n'aurait éprouvé aucun mal s'il avait prononcé une prière ; mais que
c'était un franc-joueur et qu'il l'avait irritée.
Die sequenli (10 juin 1G16).
A été amenée derechef Apollonie, veuve de Michel Spener, pour
causes précitées, en présence des témoins d'hier, et lecture lui a été
donnée, en premier lieu, des aveux déjà faits, qu'elle a confirmés
article par article, et puis le total, excepté toutefois l'art. 3 , à l'occa-
sion duquel elle a dit, que l'homme ne se nommait pas Volant, qu'elle
n'avait jamais connu son nom, car toutes les fois qu'il s'était présenté
chez elle, il l'avait saisie et jetée par terre; qu'elle l'avait pris pour un
mauvais plaisant {/labe i/in fur ein schlechkr Iludler angeseUen) ;
qu'elle avait aussi nié vertement l'art. 5, mais qu'elle avait répondu
par oui à tous les autres articles.
Après ce, les examinateurs, ayant articulé leurs présomptions ulté-
rieures, et fait donner lecture ce dont sa fille l'avait inculpée hier, ont
poussé ad confessionem nlleriorem, et elle n'ayant pas voulu y con-
sentir, ils l'ont fait conduire en lieu de torture à l'élage supérieur, puis
lier, et pendant un demi-quarl-d'heure soulever en l'air sans poids
appendu; ensuite ils onl fait attacher (aux pieds de l'inculpée) une
petite pierre de 30 à 35 livres ; mais par égard pour son âge avancé et
à raison des aveux faits sur simple menace, ils ne l'ont pas fait soule-
ver; l'interrogatoire s'est bien prolongé, in loco torlarie pendant trois
heures, et après, elle a fait, en endroit libre, les aveux suivants :
^0 Qu'à peu près deux ans après son mariage, lorsqu'elle était dans
sa vingt et unième année, et un au avant la guerre de Wolfgang ', elle
avait été fourrager en plein champ avec une femme étrangèie (pi'ellc
Ml est probable qu'elle fait allusion à la guerre dite épiscopale, c'est-ù-dire
à la lutte entre les deux compétiteurs à l'évèché de Strasbourg vers la fin du
seizième siècle (1592), voy. Slrobel, IV, p. 262 et suiv.
426 PIÈCE JUSTIFICATIVE.
avail liéljcrgéc chez elle; que cède femme l'avait bien éconduile pour
la première fois en rase campajjnc; qu'un homme noir en habit de
paysan était venu devers elle, qu'il avait d'abord adresse la parole à
la femme clrangcrc, <à tel point qu'elle avait pensé que c'était son pa-
rent, qu'ensuite il s'était adressé à elle-même, et lui avait fait de une
à quatre fois des pioposilions honteuses; que ladite femme lui avait
donné de mauvais conseils en ajoutant qu'a partir de là elle ne man-
querait de rien toute sa vie, qu'enfin elle y avait consenti, mais qu'elle
l'avait trouvé froid, mais qu'ensuite elle n'avait plus revu le malin;
2" Que peut-être six ans plus tard, un jour en allant devers Stras-
bourg, un homme noir l'avait aperçue dans le ban de Schwabsheim,
l'avait suivie, fait quatre fois de certaines propositions, puis enlevé la
corbeille de dessus sa tête, posé par terre, puis l'avait jetée par tCàre
elle-même et violentée;
3" Qu'après ce, peut-être dix ou douze semaines plus tard, au mo-
ment où elle fourrageait dans le Halisserftld ^ le même s'était de nou-
veau présenté à elle, l'avait de nouveau forcée à l'inipudicilé, qu'elle
avait été forcée à renier Dieu et les saints et à lui promettre de ne
jamais renoncer ci lui ;
Qu'ensuite de cela, il l'avait conduite à travers l'air sur le Ihitliser-
ziech '; que là elle avail été de nouveau forcée à lenier Dieu et faire
promesse de lui obéir a lui; (ju'cnsuite elle avait fait noces avec lui;
(|u'un mauvais chien noir les avait coj)ulés par la main gaiiche en
présence de six ou de neuf autres personnes, toutes do la bourgade,
mais qui toutes étaient mortes depuis; qu'on avait fait passer à la
ronde une boisson, mais sans danser, puisque tout cela s'était passé
de jour et eu plein champ; que son amant se nommait llolland , que
celui de la lille Dorothée se nommait \ olant et était jeune , que le sien
n'était plus jeune, que c'étaient donc deux personnes distinctes, que
le sien était toujours venu à elle en habits de paysan ;
4" Qu'il était arrivé, ce qui suit, quant au mariage de sa lille Dorothée:
qu'en un certain temps un malin esprit, qui plus tard était devenu
l'amant de Dorothée, était venu chez toutes deux dans la maison, que
Dorothée était sortie avec lui, qu'elle (Apollonie) ignorait ce qu'il avait
■fait avec sa lille, que jilus tard le même malin esprit, au moment où
elles fourrageaient en rase campagne, était levenu auprès d'elles,
qu'il avait sollicité la mère de lui donner sa lille, qu'elle avait été
obligée de le faire, que le malin l'avait épousée après lui avoir donné
les arrhes des liancailles {ein llu/lytid) qu'elle n'avait point vues,
' Impossible de deviner cette localité.
PIÈCE JUSTIFICATIVE. 427
que c'claient prai)al)ieincnt quelques morceaux de poterie; quii huit
jours plus tard, leurs amants à elles deux les avaient conduites par
les airs au petit bois de Wickershcim, que là on avait célèbre les noces
de Dorothée vers le temps de la moisson; que du temps où elle (Do-
rothée) était encore (ille (le mariage a eu lieu peu de temps avant la
guerre de Strasbourg'), elle avait cueilli dans les champs une petite
guirlande de fleurs; qu'un galant homme {ein kosUicher il/ann) les
avait copules au nom du diable et par la main gauche, que beaucoup
de personnes nolablos de Strasbouig y avaient assisté ainsi que qualie
femmes de Geispolshcira, savoir la femme de Jean Ileid, la femme du
tondeur, la sage-femme et Marthe, la veuve de Christophe Poley; qu'on
avait mangé et bu du pain et du vin; les invités {die Kôsilicheu) ont
bu dans des vases d'argent, mais elle-même dans un pot; qu'elle n'a-
vait point dansé àr cette fête parce que, en sa qualité de mère, elle
était occupée à verser à boire et cà servir les autres; que deux diables,
un violon et un fifre, avaient joué d'un petit violon et d'un petit fla-
geolet; qu'ils jouaient toujours pian piano, et qu'ils dansaient de la
main gauche, de telle façon qu'ils conduisent les femmes du côté
gauche et de la main gauche; qu'on ne parlait pas beaucoup dans ces
réunions; que les malins avaient tous une patte d'oie à la place du
pied^jauche, et que leur pied droit était un pied d'homme; que le su-
périeur était toujours vêtu de noir comme un prince, avec quatre ou
cinq suivants; que toutes les fois qu'elle était venue au rendez-vous,
le malin avait déjà été sur place, assis dans unfauteueil, que les invités,
au moment de partir, lui donnaient toujours la main gauche, en l'ap-
pelant Oberschir au Obirncuj {■'i'c), qu'ellc-mèmp ne lui avait pas donné
la main, parce qu'on ne faisait pas attention aux petites gens, qu'ils
mangent et font toute chose de la main gauche; que toutes les fois
qu'elle avait causé du dommage, elle l'avait fait de la main gauche;
50 Qu'il y a quatre ou cinq ans son amant l'avait conduite au
Glœcke/sperg ; que lorsqu'elle y était arrivée , tout s'était courbé comme
des brins de paille et qu'elle était restée seule au haut de la montagne ;
qu'alors elle avait vu passer en l'air les quatre femmes susdites et la
tille de Vix Kiihl et la tille aînée de Christophe Poley, et qu'elle pensait
biei que ces deux tilles avaient alors célébré leurs noces, mais qu'elle
n'y avait pas assisté, que son amant l'avait reconduite dans le ban de
son village et l'avait ensuite laissée s'en allei' chez elle.
6" Qu'il y a des années, elle avait aidé à faire un gros temps près
d'Ergersheim ; qu'elle s'y était rendue de nuit à travers les airs; que
1 I6IO-IGI2. Yoy. Strobcl, !V, p. 232 et suiv.
428 PIÈCE JUSTIFICATIVE.
les quatre susdites femmes et d'autres étranîïeis s'y étaient trouves;
qu'on avait apporté deux pots, qu'elle avait cherché de l'eau, et que,
pensant qu'on en boirait, elle avait uriné dedans, parce qu'elle avait
été vexée de chercher toujours de l'eau, mais qu'on avait versé le tout
dans les deux pots et fait cuire; que le malin avait répandu le tout, de
manière qu'il s'en était suivi un mauvais temps qui avait gâté la fleur
des fèves ;
7° Qu'il y a huit ans elles avaient été à un rendez-vous commun au
Ilurenberg à Ilangenbielcnhcim; qu'elles avaient essayé de gâter les
blés, mais que c'était vers le temps du printemps où les tiges sont
trop courtes, de manière qu'elles n'ont pu les endommager, qu"'clle
ignorait ce que les autres avaient mis dans les pots; qu'elle s'était
bornée à chercher de l'eau, et qu'il en était résulté de la pluie avec
des grêlons aussi gros que des fèves ;
8» Qu'il y a six ans elles avaient fabriqué un gros temps près de
Dorollzhcim (Dorlisheim) ; qu'elle avait comme toujours porté de l'eau;
mais que ce gros temps n'avait pas fait de mal; que les quatre sus-
dites femmes avaient toutes assisté à ces trois gros temps;
0" Qu'il y a sept ans elle avait essayé à Lingolsheim de gâter la
floraison des arbres, mais que les pots avaient été versés à contre-
temps, de sorte qu'il n'en était pas arrivé de mal, mais qu'il en. était
résulté un gros temps.
10'^ Qu'un an avant la grande maladie des bestiaux après la moisson,
à six heures du matin, elle avait aidé à gâter le pâturage près du
petit bois do Wickersheim ; qu'elle y était allée à travers les airs; qu'elle
avait porté de l'eau, que les autres ont fait cuire dans deux pots, que
le malin avait versés; qu'il en était sorti une pluie qui a empoi-
sonné le pâturage ;
-i|o Qu'item, lors de la grande maladie du bétail, elle avait aidé à
gâter le pâturage dans le Brudi du ban de Blœsheim; qu'elle y était
allée de nuit à travers les airs; que le matin avait constamment pré-
paré le poison, que les femmes avaient fait la cuisson en deux pots,
dont l'un avait été répandu dans les airs par le malin, mais que l'autre
pot avait versé au moment de la ronde et que le malin avait marché
"dessus; qu'il en était sorti une fumée et un brouillard qui sont des-
cendus sur le ban, que de pareilles choses ne s'étendaient pas au
loin; qu'autre part les dommages ont dû être causés par d'autres ; que
ces deux dernières fois les quatre femmes susdites y avaient été;
-J20 Qu'il y a huit ans elle s'était rendue, de nuit, par les airs,
dans le ban de Kolbsheim, avec les quatre femmes susdites et quel-
ques étrangères, pour gâter les vignes; qu'à chaque fois elle avait
PIÈCE JUSTIFICATINE. 429
porté de l'eau; que pour vexer les autres, parce qu'on l'avait « turlu-
pinée,» et précisément parce que celte fois-là elle avait été obligée
de chercher l'eau de bien loin , elle avait uriné dedans , mais que cette
fois-là rien n'avait réussi, parce qu'il s'était élevé une jjrande pluie
qui avait tout inondé, de telle manière qu'elles (les femmes) se seraient
presque noyées;
13" Que le malin lui avait donné, il y a cinq ans, un pot rempli
d'onguent noir qui était resté toujours dans la cliambrette (mansarde)
de la maison ; que Dorothée en avait fait usage , mais qu'elle-même
ne s'en était point servie;
^A'> Qu'item le malin avait donné, il y cinq ans, un bâton blanc (le-
quel en efl'et a été, sur se§ indications, trouvé dans la cliambrette, et
a été reconnu par elle); que toutes les fois qu'elle ou sa lille avait
frappé homme ou bête de ce bâton, mort s'en était suivie; qu'elle en
avait fait usage une ou deux fois ; qu'on pouvait se servir de ce bâton
en guise de cheval ; qu'elle n'en avait pas fait cet usage; qu'elle avait
dit à sa fille d'en frapper bêtes ou gens, si quelqu'un lui faisait du mal ;
Và° Et que surtout, il y deux ans à peu près, avant la dernière guerre,
lorsque les vaches se sont donné des coups de corne dans la rue de-
vant leur cour, elle avait dit à sa fille Dorothée de frapper de ce bâton
(lequel se trouvait toujours contre la porte) la vache d'Antoine Poley ;
que cette bête était morte à la suite.
16° Que de même sa fille, sur son ordre, lorsque les vaches se sont
cognées dans la rue, avait frappé du même bâton la vache de Jean
Nuss;
-17" Que le malin l'avait aussi conduite une fois en plein jour par la
main devers le troupeau de vaches sur le pâturage, vu qu'elle s'était
précisément trouvée dans le voisinage ; qu'il lui avait ordonné de
frapper de la main gauche sur le derrière d'une vache; qu'il s'était
lui-même emparé de sa main gauche et avait ainsi frappé; qu'elle ignore
ce qu'était advenu de la vache, ni à qui la bête appartenait;
-IS" Qu'il l'avait jetée par terre, il y a douze ans, dans la cour du
prévôt, qu'il l'avait forcée à dire hol et que l'ayant fait et dit hof il
l'avait de nouveau soulevée en l'air et endommagé ensuite lui-même
les chevaux du prévôt ;
J9o Que de même après la toute dernière guerre, il l'avait conduite à
travers les airs, dans la cour de Michel Ileitz, le fermier; qu'il l'avait
fait crier hu! devant l'écurie de ce dernier, et qu'après avoir fait cette
exclamation, elle avait été immédiatement ramenée; que le malin
devait donc avoir lui-même endommagé les chevaux.
20" Qu'elle avait, il y longtemps de cela, frappé de la main gauche
430 PIÈCE JUSTIFCATIVE.
et au nom du diable le cou d'André le Melche , et qu'elle lui avait oc-
casionné par là un abcès ;
210 Que trois ans avant la dernière guerre, au moment où elle venait
de porter du (il vers Hiindeshcim ([lindishcim), et qu'elle retournait
chez clic, un cheval de Gcispolsiicim clait venu à sa rcnconirc; qu'elle
avait pousse de son pied gauciie cette bête laquelle avait crevé bicniôt
après, mais que ce cheval n'avait rien valu auparavant;
22" Qu'il y a trois ans elle avait touché, de la main gauche, Régine,
la pénultième enfant de la femme d'Urbain Schal, dans la maison
même de cette femme, en prononçant ces paroles : «quel bel enfant! »
que là-dfissus la petite était morte au bout de huit jours, mais que, à
vrai dire, l'enfant avait été malade auparavant; qu'elle ignore donc
si elle était la cause de ce décès ';
23" Qu'il y a deux ou li ois ans , le valet de Ballhazar Bodmer le vieux
l'avait toujours injuiiée partout où il la rencontrait; que donc elle
avait pensé: tu ne le fcias pas longtemps; qu'elle avait pris pour
aide le malin, qu'elle a\ait été trouver de nuit à l'établc ledit valet, et
l'avait frapjié, au nom du diable, de la main gauche, sur le cœur, et
qu'il en était mort au bout de trois ou quatre jours ;
24" Qu'à pou près un an avant la dernière guerre une pauvre femme
couchait dans la grange avec un enfant malade; qu'elle détestait pour
cela cette femme et l'avait maudite plus d'une fois au nom du diable:
qu'elle l'avait touchée de la main gauche, en prononçant le nom du
malin, et qu'à la suite le petit était mort au bout de quinze jours;
23" Qu'item, il y a vingt ans, un marchand italien, un méchant
homme , avait couché dans l'écurie de Vix Schneider, à côté de sa
cour à e le; qu'il lui avait croqué quatre poules, que la-dessus elle
avait pense: tu ne le feras plus longtemps; qu'elle avait appelé l'aide
du diable; que de nuit clic avait passé dans l'écurie et avait, de la
main gauche, frappé le cœur dudit Italien, lequel en était mort dans
la quinzaine ;
2G" Que Jacques, le mari de Barbe Kremer, l'avait aussi très-souvent
injuriée il y a des années de cela, de manière qu'elle n'avait pu le sup-
porter plus longtemps; que la femme Ivrcmei d'aillcuis n'aimait pas
beaucoup ce Jacques; qu'elle était par conséquent, il y a quatorze ou
quinze ans, entrée dans la maison dudit, pour acheter des épingles à
raison d'un denier, et comme il l'avait de nouveau injuriée, quoique
sa femme eût cherché à l'en empêcher avec ces mois : mais tu ne
vaux rien loi non plus; elle (l'inculpée) l'avait louché du bras gauche
' Littéralenienl: Si cela clait vcmi d'elle.
PIECE JUSTIFICATIVE. 431
au nom dti diable, et que là-dessus il élait mort en trois semaines;
qu'à vrai dire il avait éié malade auparavant déjà;
27" Qu'il y a huit ans un mendiant étranger, Tliicbault de nom , lui
avait vendu beaucoup de pain, et que, n'ayant pas voulu prendre à
plusieurs reprises l'arfjent qu'elle voulait lui donner, elle l'avait, de la
main gauche et au nom du diable, poussé de côté et hors la porte;
qu'il en élait immédiatement tombé malade et était parti, de sorte
qu'elle ignorait s'il en était mort, mais qu'au fond de sa conscience
elle avait bien désiré qu'il mourût ;
28" Qu'item, elle avait bientôt après la dernière guerre, poussé hors
la porte et en le maudissant à mort, un soldat qui élait entré de force
chez elle, le sabre nu; que le soldat avait quitté le village, de sorte
qu'elle ignorait s'il élait mort ou non.
14 juin 1616.
Le secrétaire et Henri Loppinekh, avoué d'Erstein, en présence du
prévôt, du collonger, du greffier et de Jacques Schal, se sont enquis
à Geispolsheim, vers neuf heures du malin, si le dommage causé au
bétail et aux gens , du propre aveu des deux personnes inculpées de
maléûce, a eu lieu infacto^ de plus quand et comment il a été opéré,
et ont interrogé sur ces faits les personnes qui furent citées à cette
intention par le prévôt, et leur ont fait prêter d'abord serment de dire
la vérité sur les questions qui allaient leur être posées.
, -l" Antoine Poley, bourgeois à Geispolsheim, après avoir prêté ser-
ment, a affirmé sans dévier, quant à l'art. 10 de Dorothée, et à l'art. I<>
d'Apollonie, qu'il y a trois ans de cela il avait vendu à un marchand
de bétail italien, Maurice de nom, trois vaches dont l'une avait crevé
il y a un au et l'autre il y a deux ans, de telle manière qu'elles n'avaient
de maladies que deux jours auparavant et sans cause connue; que la
troisième vache était encore entre les mains de l'acheteur.
2» Silvestre Obach, également bourgeois à Geispolsheim, prête ser-
ment et examiné sur l'art. Il de Dorothée, dépose: qu'il avait perdu
quatre ou cinq vaches, sans cause connue; qu'il y a cinq ans surtout
une vache qui élait sortie avec les bergers, était rentrée malade le soir,
de manière qu'il avait été obligé de la garder chez lui le lendemain;
qu'elle avait crevé bientôt après, qu'il sesou\ient bien de s'être que-
rellé un jour avec Dorothée pour cause de fenaison , mais ne se rappelle
pas ci quelle époque.
3" Item Vix Kiihl, à Geispolsheim, atteste après serment prêté, et sur
examen, à propos de l'art. \2 de Dorothée, qu'il y a dix ans , plusieurs
de ses chevaux avaient crevé sans qu'il pût dire par quelle cause;
qu'il s'était aussi aperçu que l'un de ces chevaux avait été monté.
432 PIÈCE JUSTIFICATIVE.
4» Antoine (Thenig) Schneider, ibidem, interroge sur l'art. 13 de
Dorothée, atteste après serment prèle {subjuratnenlo), qu'il y a quatre
ans à peu près une belle jument dont il ne se servait pas, était subi-
tement tombée malade au pâturage et devenue paralytique; qu'il s'en
était ému lorsque les bergers lui curent fait dire qu'il n'avait qu'à la
faire chercher, et lorsqu'il la lui curent ramenée, elle était restée
couchée dans le jardin où il l'avait mise, sans pouvoir se relever, et
qu'elle était morte dans l'espace de deux jours.
De même ', quant au deuxième point de l'interrogatoire de Dorothée,
voir l'aveu d'Apollonie art. 3;
Et sur le point 3 de la même Dorothée, voir la déposition d'Apol-
lonie, art. ^0.
Quant au point dix, voir la déposition d'Apollonie, art. 10. Quant à
l'art. 16, voir la déposition du collonger Balthazar Bodmer le jeum^ ,
dans l'enquête spéciale, et quant au point 17, la déposition d'Antoine
Landtmann, dans la même enquête;
Enfin quant au point 10 et dernier de la première déposition, voir
la déposition de Mathieu Rietsch, tant dans l'enquête générale que
spéciale;
A comparer ensuite le ¥ point de la déposition d'Apollonie avec le
2« de Dorothée;
De même le 5» d'Apollonie avec le G» de la même;
De plus le 10'' avec le 8'=;
Le 15'-, I6« et I7« avec le 10'' et le I h de la même Dorothée;
Quant au -19^ voir la déposition du prévôt dans l'enquête spéciale;
Et quant au 20'', la déposition de Michel lleitz, le fermier, ibidem;
Le fait relaté sous le n" 21 est réputé notoire. Comparez aussi avec
les articles les premiers aveux.
5" -Régine Lrban, femme Schal, à Geispolsheim, après avoir prêté
serment, a été interrogée sur l'art. 23 d'Apollonie et a déposé que
dans la dernière guerre son pénultième enfant, du sexe masculin et
Thomas de nom, était mort séchant sur pied en moins de quinze
jours, et que précisément huit jours auparavant Apollonic était venue
dans sa maison, et avait demandé à son mari une voiture qui lui avait
été refusée; que lorsque son enfant eut rendu l'âme de nuit, ladite
Apollonie était venue le lendemain de grand malin contre la haie dans
sa cour lui demandant: si elle avait de nouveau perdu un enfant, et
qu'elle s'étantmise à se lamenter et à pleurer, l'autre aurait dit : ce ne
' A partir d'ici le texte est écrit en lalin,
2 loi recommence le texte allemand.
PIÈCE JUSTIFICATIVE. 433
serait pas étonnant que tu criasses au meurtre ! qu'elle avait réplique:
Contre qui? qu'au surplus elle ne se rappelle point qu'Apollonie était
venue chez son enfant pendant sa maladie. Voir la déposition delà
môme dans le procès-verbal d'enquête '.
60 JeanNuss, examiné sur l'art Al d'Jpolionie, dépose sous serment \
que lors de l'épidémie des bestiaux, il avait perdu deux vaches; que
ces bêtes, de retour le soir du pâturage, s'étaient tellement allaissces
que dès le lendemain il avait été obligé de les garder chez lui; qu'elles
étaient mortes ensuite dans l'espace de trois jours; qu'il ne s'était au
surplus pas aperçu que l'une d'elles eût été frappée.
Le fait de l'art. Il est notoire \
7« Jacques Schneider, lils de feu Valentin Schneider, dépose sur
l'art. 26 d'Apollonie, après avoir prêté serment: qu'il sait bien que
son père avait beaucoup de locataires, mais qu'il ne se rappelle pas
que l'un d'eux fût mort chez lui.
8" Balthazar Bodmer le collonger atteste, sur le simple serment
d'être dévoué à ses maîtres et seigneurs, ce dont on se contenta, en
vue de son honnêteté : qu'il se rappelle bien qu'avant la guerre de Stras-
bourg son oncle paternel Balthazar Bodemer le vieux avait eu un do-
mestique welche, lequel était mort dans l'espace de deux ou trois jours
sans cause connue.
9oSalomé, fille de Balthazar Bodmer le vieux, maintenant femme
de Jean Nuss, après avoir prêté serment, dépose sur le même article
qu'avant la guerre de Strasbourg un compagnon charpentier était
tombé malade dans la grange de son père et était mort en trois jours.
Et sur ce point le susdit collonger informe de plus que ledit valet,
dont il avait déjà fait mention, était muni d'outils de charpentier.
-lO» Barbe Krcemer, maintenant femme de illichel Stock, après avoir
prêté serment, et interrogée sur l'art. 27, dépose qu'elle est mariée
pour la troisième fois; qu'elle a son troisième mari depuis qua-
torze ans déjà; qu'elle n'avait eu que pendant quatre ans le second
mari, Jacques de nom, un veuf de Bietlenheim; que ce dernier était
vieux et avait été malade avant sa mort pendant huit semaines à peu
près ; qu'en dernier lieu il avait été pris d'hydropisie et en était mort;
qu'Apollonie avait acheté beaucoup d'objets dans sa boutique et qu'elle
(Barbe Krsemer) les lui avait toujours laissés au prix qu'elle (Apollonie)
offrait; mais qu'elle ne peut so rappeler, qu'elle (Appolonie) ait été
dans sa maison peu de temps avant le décès de Jacques.
' Cette dernière phrase est en latin
'^ Cette phrase est en latin.
3 Phrase en latin.
•2K
âM PIÈCE JUSTIFICATIVE.
eodemdie...
Le secrétaire et l'avoué d'Erstein ont aussi entendu les deux détenues ;
et en présence du prévôt, du collonger, du greffier, de Jacques Schwab
com-bourgois, de Laurent Obser et d'Isaac Speiser, tous deux jurés,
de Jacques Schal, d'André Lingolsheim, de Jean Freud et de Schal le
tisserand, tous de la magistrature locale de Geispolsheira, ils ont en
premier lieu placé la plus âgée Apollonie, veuve de Michel Spener,
libre de tout lien, entre onze et midi, dans la demeure de Jean Rittcr,
le messager, et ce dans l'avant- cour près du château Johm (.s/c), lui
ont donné lecture de sa dernière déposition du 10 juin, l'ont exhortée
à dire la vérité librement et à confesser si elle persistait maintenant
dans ses premiers aveux; et elle a affirmé chaque article séparément;
et interrogée ensuite sur tous les articles ensemble , elle les a de nou-
veau confirmés, seulement à l'art. 17 elle a intercalé que cela pouvait
avoir eu lieu plus anciennement; ensuite les susnommés ont égale-
ment entendu la femme de Jacques Pfister, laquelle affirme qu'ayant été
avisée, quant au ^" et2<^ article, que sa mère avait dans sa déposition
fait remonter ses rapports avec le malin déjà avant la guerre de Stras-
bourg et pendant qu'elle était encore fille, elle ne pouvait confirmer
ses premières dépositions et devait affirmer que sa mère lui faisait
grand tort;
Et quant ci l'art. 3, que les femmes seules avaient assisté à ses noces,
et les filles point, et que plus tard seulement ces dernières avaient fait
elles-mêmes noces (avec le malin);
Quant à l'art, i, qu'elle n'avait été que deux fois à la danse (des
sorcières).
Quant à l'art. 7, que les filles n'y avaient point assisté, mais les
femmes seules;
Quant à l'art. 8, que les filles y avaient aussi pris part, vu que cela
était arrivé tout récemment;
Quanta l'art. 9, que les filles n'y avaient point été pour le coup,
mais les femmes seulement;
Quant à l'art. ^3, que la fille de Vix Kiihl n'y avait pas été, mais au
contraire toutes les autres ci-dessus nommées ;
Quanta l'art. 18, que la femme était venue longtemps après et avait
annoncé la mort de l'enfant, lequel avait repris la santé à l'occasion
prccilée.
Le reste de sa déposition elle l'a confirmé article par article, in
specie, et puis tous les articles ensemble.
Et moi soussigné j'ai sommé tous les assistants d'être témoins de ces
i'IKCE JUSTIFICATIVE. 435
aveux, et leur ai rappelé leurs devoirs de ne rien ébruiter, et ai lait
ramener les détenues, jusqu'à nouvel ordre, dans leur prison.
16 juin 1616.
M. le doyen du Jïrand-chapilrc, en présence du secrélairc-{ïrellier,
et après avoir entendu un rapport détaillé, a prescrit de livrer les deux
détenues entre les mains de la justice. Fait à Saverne le jour que
dessus, vers les dix heures du matin.
17 juin 1616.
Et sur ce, incontinent, le secrétaire-greffier a lixé au mercredi
22 juin, à Saverne, l'exécution du jugement et en même temps fait
connaître par écrit au prévôt de Geispolsheim, qu'il aurait, le lende-
main -18 juin, de jour, à consigner les deux détenues, en deux compar-
timents séparés dans le prétoire après les exhortations usuelles , et il
a mandé auprès d'elles deux peines de la société de Jésus.
20 juin 1616.
Sous cette date, le prévôt de Molsheim a été requis par écrit scellé
du sceau du grand-chapitre, au nom des conseillers (épiscopaux) de
mander l'exécuteur des hautes-œuvres et deux aides; de plus l'avoué
d'Erstein a été invité à prescrire au prévôt dudit lieu et à deux con-
seillers des plus âgés et des plus discrets, qu'ils eussent à assister à
l'exécution dudit jugement pour maléfice; et de plus on a écrit à
l'avoué de Bœrsch qu'il eût à comparaître (à Saverne) avec le prévôt
dudit lieu, ou qu'il eût à y envoyer quelqu'autre (représentant) eu
cas d'un empêchement majeur.
Les autres actes ont élé consignés au protocole par Jean Miiller, le
greffier de Geispolsheim.
•«♦«+. —
436
TABLE ALPHABÉTIQUE
TABLE ALPHABÉTIQUE
PRINCIPAUX PERSONNAGES NOMMÉS DANS CE VOLUME.
A.
Adalberl, duc d'Alsace, 255, 384.
Adélaïde (l'impératrice), femme d'Ot-
ton 1", 304-312, 395.
Adelindis, abbesse de Niedcrmùnster,
250.
Adeloch (l'évêque), 135,200, 262, 266,
275, 285.
Adeloii (l'abbé), 336, 343.
Adelphe (saint), 295.
Agnèse, abbesse de Hohenbourg, 207.
Albert, évèque de Strasbourg, 141,
251, 328, 386.
Albertini d'Ichlratzheim, colonel au-
trichien, 25.
Alexandre IH, pape, 195, 217, 343.
— VI, — 296, 353.
— VII, — 400.
Amand (saint), 133, 134.
Andlau (Willebire d'), 174.
— (Eberhard d'), 210.
— (Adélaïde d'), 387.
Anselme (le père), 343.
Arbogast (saint), 135, 303.
Archiviste de Zurich puni de mort pour
avoir livré des documents impor-
tants ,15.
Armagnac (Bernard d') , 209.
Arnoulphe, roi des Romains, 247, 327.
Arzt (Eikard), clironiqueur, 318.
Athalrich, duc d'Alsace, 163, voy. Éti-
chon.
Attale (sainte), 384.
Auberlin, adversaire de Benjamin Mau-
clerc, 50.
Auguste (princesse) de Bavière, épouse
du prince Eugène , tante de Is'apo-
léon III , 44.
Autriche (Léopold d"), 143.
— (Léopold-Guillaume d') , 143.
— (Elisabeth d'), femme de Char-
les IX, roi de France, 225-
234.
— (Frédéric d') , 350.
B.
Bade (Sibylle-Auguste, margravine de),
95.
— (Hermann de), 348, 350.
— (Rodolphe de), 350.
Bœgert (le père), 362.
baldram (l'évêque), poëte élégiaque,
136.
Barbe d'Ottenheim, 57, 70.
Barth, le voyageur, cité, 76.
Bastard (M. de), 202.
Baslelli, colonel suédois, 241.
Bautain (M.), 253.
Beatus Rhenanus, humaniste, 328, 329.
Beaufort, 150.
Beerwangen (Albert de), ingénieur, 27.
Benoît (saint) d'Aniane, 335, 337.
Béranger (d'ivrée), 308, 309.
— (Charles), abbé, 348.
Berckheim (J. Rodolphe de), 117.
Bereswinlhe, mère de sainte Odile, 163.
Bernald (l'évêque), 135.
Berne (Jacques de), 231.
Bernolrt (l'évêque), 197, 200, 201.
Beroldingen (Marie-Cunégonde de), 400.
Berstelt (Hugues-Wyrich de), 117.
Berstett (le chevalier Garsilius de), 256.
Berlhe (la reine), 310.
Bertonelli (Jean), 381.
Birkenfeld (Christian, comte de), grand-
père du prince Max de Deux-Ponts ,
43, 48.
Blair (de), intendant d'Alsace, 32.
Blankenheim (l'évêque Frédéric de),
140, 145, 284, 291.
Bœcklinsau.(W. J. Bœckel de), 117.
— (Eve - Régine Bœcklin de),
119.
— (Marie -Symburge Bœcklin
de), 119.
— (Mme de Bœcklin), 119.
Bœrsch (Alexis), 261.
Bolsenheim (Henri de), 391.
Bonizon, chroniqueur, 308.
Borziwoy de Svvinar, landvogt, 22, 140.
Brandebourg (Jean-George, margrave
de), 143, 221, 252, 257, 326.
Brant (Sébastien), 251, 270, 329.
Brechter, codébiteur de Gutenberg, 282.
Brendel, évêque constitutionnel, à la
tête des archives du département, 14.
DES PRINCIPAUX PERSONNAGES.
437
Brentz (Pierre), bourgeois de Wissem-
bourg, 318.
Bruck (Jean de), abbé de Wissembourg,
317, 318, 319.
Brunsberg (Conrad de), 374, 381.
Bucheciv (lîertliold de) , évêque, 140,
284, 288, 291, 296, 338, 340, 363.
Burckardt, chanoine de Saint-Thomas ,
271, 274.
Burcliard, évêque de Strasbourg, 195,
289.
Biircn (l'évèque Lambert de), 140.
Bussnang (l'évèque Conrad de), 141.
Byron, 151.
C.
Cagliostro , 145.
Calw (Jodocus de) , professeur de Hei-
delberg, 317.
Caumont (M. de), 72.
Célestin III, 325.
Celsus, abbé de Marmoutier, 336.
Charles VII , roi de France, 109.
Martel. 135, 144, 198.
— le-Gros, 198, 247, 395.
— IV, empereur, 207, 208, 213,
289, 350.
— V, empereur, 353.
— IX , roi de France , 225 et suiv.
— -Quint, 241.
Charlemagne, 244, 247.
Chàtillon (les) sont investis du fief
attaché à la préfecture de Hague-
nau, 23.
Childebert II, 335, 342.
Chilpéric, 384.
Choiseul (les) sont investis du fief atta-
ché àla préfecture de Haguenau , 23.
Claffer (Nicolas), 391.
Clément V, pape, 301.
— VII, pape, 321.
Cluny (Odilon de), 308, 309.
Colbert de Croisy, intendant d'Alsace,
31.
Colomban (samt) , 258, 332.
Condé, 402.
Conrad (II), évêque, 173.
Conrad-le-Salique , 205.
Couci (Enguerrand de) , 348.
Créhange (le baron de), 222.
— (le comte de), 240.
— (Jean de), cellerier à Neu-
willer, 296.
Cunégonde , impératrice , femme de
Henri-le-Saint , 204.
Cuvier (George), 106, 111.
D.
Dabo (Hugues , comte de) , 325.
Dagobert I, 247.
II, 288, 335.
— III, 335.
Dante. Herrade est son précurseur, 178.
Darcq (Jeanne) , 209.
Décret de 1790 prescrivant de réunir
au chef-lieu des nouvelles adminis-
trations les titres des établissements
civils et religieux, 5.
Deharbe (M. l'abbé) , 399.
Déodat (saint), évêque de Nevers , 327.
Dettlingen (Meylach de) , 120.
Deux-Ponts (Maximilien-Joseph de Bir-
kenfeld) , colonel du régiment de
Royal-Alsace , 42.
Dèz , conlroversiste, 362.
Dhan (Jean Wildgrave de) , unterland-
vogt, 26.
Dielmann, abbé deNeuwiller, 296.
Diest (l'évèque Guillaume de), 141 ,
145, 208,209, 212, 213, 219, 257,
328.
Dietrich (Dominique) , ammeistre de
Strasbourg, 32.
Dietrich (Frédéric de) , ami et protec-
teur de Brendel, 14.
Dietramnus , abbé de Neuwiller, 300.
Dirpheim (l'évèque Jean de) , 140, 284,
357.
Dœnnigès , historien, 308.
Donnizon , chroniqueur, 308, iO'J.
Dormentz (Odile de), 387 , 388.
Dratt (Jean de), grand -maréchal de
l'électeur palatin , 28 , 319 , 320,
321 , voy. Trapp.
— • (Christophe de), son fils, 321.
Dreux (Ignace-Xavier), 349.
Drogon , fils naturel de Charlemagne,
295, 299, 336.
Duperche (Bernard), 348.
Dùrckheim (Henri Eckebrecht de) ,39.
E.
Eberhardt (saint) , fondateur de Saint-
Dié, 327.
Eberslein (Berthold comte d'), 348
Eckerich (J" Zorn d') , slettmeistre ,210.
Eddon , évêque de Strasbourg, 135,
144, 197.
Ellenhart, procureur de l'Œuvre-Notre-
Dame, 224.
438
TABLE ALPHABETIQUE
Emmerich, pasteur allemand à Bisch-
willer , 48.
Engelhardt (Maurice) , auteur de Her-
rade de Landsperg etc., 165, 166,
467, 169.
Epfig (Pierre d') , 255.
Eptlngen (Marie-Béatrice d'), 400.
Erchanbold (l'évêque) , 136, 140, 276,
305, 312.
Erchingar, comte du Nordgau, 200,396.
Erpach (Schenck d'), unterlandvogt, 26.
Erpho , abbé de Neuwiller, 295, 300.
ErwindeSteinbach, 55, 144, 263, 301.
— son fils, 140, 290.
Etichon, duc d'Alsace, 180, v'oy. Athal-
rich.
Elzel (Attila), 151.
Eusèbe de Césarée , 175.
F.
Fabricius, délégué du directoire de la
noblesse de la Basse-Alsace, 117.
Falkenstein (Heintz de), 351.
Feltre (Clarke, duc de), 299.
Fénétrange (Jean de), 209, voy. Fin-
stingen.
Ferdinand II , empereur, 351.
Ferretle (Ulric, comte de), 325.
Finstingen (Jean de) , 209, voy. Féné-
trange.
Firmin (saint) , premier abbé de Neu-
willer, 295.
Firn (Ant.),curé novateur, 264.
Flaxlanden (Marie-Cléophée de) , 400.
Flersheim ( l'évêque Philippe de ) ,
322.
Florent (saint) , 135,262, 267, 270,
288.
Fréculphe, chroniqueur, 175.
Frédéric-Barberousse, 20, 169, 170,
171, 174, 195, 207, 218,
257, 262, 271, 280, 325,
338, 353, 354.
— 11,357.
Frédéric , duc de Souabe et d'Alsace ,
168, 347, 352, 353, 404.
Frédéric-le-Victorieux , électeur pala-
tin, 23, 27, 45, 47, 69, 80,
94, 142, 283, 316.
— m, 312, 322.
Frédéric, vogt de Holicnbourg, 172.
Friedeberg (Rodolphe de), 207.
Fuchs (Isidore), historien, 396, 398.
Fiirstenberg (l'évêque François - Egon
de), 143.
— (le cardinal Cuillaume-Egon
de), 100,223, 361.
Fust, coassocié de Gutenberg, 282.
G.
Gacier d'Anvilliers (Jacques), 348.
Galaisière (de la), intendant d'Alsace,
32.
Gallus, solitaire , 404
Gaspard , abbé, 342.
Gemrningen (M. de), 117.
Geroldseck (Christophe Wangen de), 11 7 .
— (l'évêque Wallher de) ,139,
219.
— (l'évêque Henri de), 139.
— (le baron Wangen de), 376.
Geyler de Kaisersberg, 250, 251 , 253,
274, 386.
Giffen (M. de), 117, 222.
Godefroi de Strasbourg, poëte, 20, 272.
Godefroi de Haguenau, poëte, 272
Gœthe assiste à l'entrée de Marie-An-
toinette en France, 40.
— à la cour de Saxe-Weimar, 64.
Gontram-le-Riche, comte d'Alsace, 137.
Grandidier (l'abbé), 10, 11, 12, 13,
147, 197, 251, 363.
Grœvenitz (M"e de), ses relations avec
le duc Louis de Wurtemberg, 106.
Grégoire Vil, pape, 306.
— IX, — 206.
— Xni. - 360.
Gregorovius , historien, 308.
Guebhardt, évêque de Strasbourg, 339.
Guilderich (George de) , seigneur de
Sigmarshofen, 108.
Guillaume, auteur d'une Histoire des
dues de Lorraine, 362.
Guillaume le^ , évêque de Strasbourg ,
194.
Giinlher, frère de Herrade de Lands-
perg, 168, 172, 174.
Gutenberg, 111, 212, 281.
H.
Habsbourg (Rodolphe de), 139, 144,
203 , 302, 351.
Hallez-Claparède (comte), sa carte de
l'ancienne Alsace, 128.
Hanau (Philippe comte de), 64.
Hanau (Anne-Madeleine comtesse de) ,
60, voy. Lichtenberg.
Harcourt (les d') , reçoivent le titre de
préfets de Haguenau, 23.
Haugwitz (M. dé), 402.
DES PRINCIPAUX PERSONNAGES.
439
Hcckler, arcliitecle , 239.
Hciiiill, empereur, 137, 144, 203,
204, 245, 251, 252.
— IV, — 306.
— V, — 353.
— \1, — 171, 254.
— VU, — 312, 357.
— IV, roi de France, 363, 364.
— évoque de Strasbourg, 171.
Hepp de Kirchberg (Jean), chanoine de
Saint-Thomas, 270.
Herb (Edmond), 3 43.
Heroncellus (Pierre), 381.
Hermann, duc d'Alsace, 385.
Herzog (Bernard) , chroniqueur . 70.
Herxheim (J. J. Holtzaptel de), 231.
Hesse-Darmsladt (Louis prince de), 61.
Hetzel, landvogt , 21.
— évèque de Strasbourg, 258.
Heuwen (Wolfgang de) , 246.
Hohenbourg (Henri de), 392.
Hohenheim (comtesse de), ses'relations
avec le duc Charles de Wurtemberg,
107.
Hohenstauffen (l'évèque Otton de) , 138,
140, 144.
Hohenstein (l'évèque Guillaume de) ,
142.
— (Henri de), vidamc de l'é-
vèché , 282.
— (Antoine de), 282.
Holderstein (Jodocus HoUlermann de) ,
231.
— ( Ebermann Holdermann
de), 231.
Horbourg (Walther de), 110.
— (Burkard de), 110.
Hroswitha , religieuse, 306.
Hunebourg (Conrad de), évèque, 173.
— (Walther de), maréchal de
l'évèché, 371, 376.
Hutten (l'évèque Francis-Christophede) ,
323.
I.
Innocent IV, pape, 301.
— V, — 400.
1 renée (saint), 175.
Irmengarde, princesse palatine, 348.
Isanphret, prêtre, 247.
Israélites brûlés vifs le 14 février 1349
sur l'emplacement du bâtiment actuel
des archives , 3.
•I.
Jansénius , 400.
.Jean XXU, pape, 99, 340.
Jung (M.), professeur, 388
K.
Kageneck (Bernard de), 231.
Kastner (G.), membre de l'Institut, 321.
Ketlner, architecte de Saint-Thomas ,
263.
Kibourg (Hartmann, comte de), 219.
— (Adalbertde), 219.
Kiss (Marie), 228.
Kléber, 111.
Klinglin, préteur de Strasbourg, 41.
Kœnigsegg, unterlandvogt, 26.
— baronet, 246.
Kœnigshoffen, chroniqueur, 272, 273,
274, 275.
li.
L'" (quatre demoiselles), filles natu-
relles de Léopold-Eberhard de Mont-
béliard, 108.
Lagrange (de), intendant d'Alsace, 32.
Laguille (le père), 362, 363.
Lammersheim (Walther, baron de),
347.
Landsperg (Herrade de), analyse de son
Jardin des délices, 165-190.
Landsperg (Henri de), 210.
_ (Conrad de), 250.
— (Marguerite de), 387, 391.
Lapide (Dieteric'h de), 174, voy. Rath-
samhausen.
Lavalette (le cardinal de), 116.
Lazare (saint), évèque de Chypre, 399.
Leczynska (Marie), 239, 348.
Lempereur, coptroversiste, 362.
Leobard (saint), 332, 335, 337.
Léon IX, pape, 160 -163; 258, 325.
Lépicier (François) sollicite la place de
maître d'école à Bischwiller, 49.
Levrault (M. Louis), 159 - 163.
Lezay-Marnésia, 111 .
Lichtenberg (Jacques , comte de), 54,
57, 58, 70, 210, 211.
— (Jean-René , comte de Ha-
nau-) 55.
440
TABLE ALPHABETIQUE
Lichtenberg (l'évêque Conrad de), 55,
56, 139, 144, 203, 204,
205, 213, 289, 341.
— (l'évêque Frédéric de), 56,
139, 291, 301, 303.
— (l'évêque Jean de), 56 , 128 ,
140, 206, 207, 220.
— (Louis, comte de), 67, 70,
210.
— (Frédéric -Casimir de Ha-
nau-), 59, 241.
— (Jean-Reinliard, comte de
Hanau-, 1595), 58, 297.
— (Jean-Reinhard, 1736), 60.
Ligny (l'évêque Jean de), 140.
Limbourg (l'évêque Erasme de), 142,
239, 264 , 303.
Linange (Emich de), unterlandvogt, 26.
— (Schaffrid de), 70.
— (Wiprechtde), 79.
— (Héribert de), 79.
— (Frédéric de), 79.
— (Hesson de), 80.
— (Philippe de), 80, 81.
— (Eberhard-Louis de), 82, 83,
84.
— (Jean-Louis de), 85.
— (Emile de), 86.
— (Anthès de), 317, 318.
Linck (les frères), peintres-verriers, 365.
Lœfene (Nicolas de), 374 , 377, 381.
Lorraine (le cardinal Charles de), 143,
221, 401.
— (Charles-le-Grand, duc de),
235.
Louis-le-Débonnaire, 197, 200, 201,
— 262, 336.
— Xi, 109, 209.
_ XIll, 361.
— XIV, 241, 312,
343, 361 , 375,
388. 389.
— XV, 239.
— de Bavière , em-
pereur , 100,
350.
— ( de Bavière ) le
roi, 44.
— (le Barbu), land-
vogt, 22.
— le Germanique ,
390.
Lothaire ,• empereur, 384.
Luce III, pape, 168, 171, 172.
Lucé (de), intendant d'Alsace, 32, 36.
Luitprand, évoque de Vercelli, 396.
Lutzelbourg (Bernard de), 235.
— (Reinhold de), 347.
— (Pierre de), 352, 403.
Luxembourg (Charles IV de), empereur,
100.
— (Jean de), 208.
M.
Mageron (Didier de), pasteur français à
Bischwiller, 48.
Manderscheid - Blankenheim ( l'évêque
Jean de), 142, 144, 226, 228, 230,
232, 234, 303, 358, 360, 400.
Manderscheid (le comte de), 222.
Mansfeld, 297, 298.
Martm (Henri), 209, 333, 337.
— le Frank, 381.
Marsilien (Reinbold-Wetzel de), 231.
— (Mme Cunégde Welzel de), 387.
Materne (saint), 134.
Mauclerc (Benjamin) revendique l'hon-
neur d'avoir le premier cultivé la ni-
cotiane à Bischwiller, 49.
Maurer (M. de), cité, 76.
Maurus , créateur de l'abbaye de Mar-
moutier, 335, 337.
Maximilien II , 388.
Mazarin (lesj reçoivent le titre de pré-
fet de Haguenau , 23.
Merswin (Rulmann), 371-382.
Meinhard (l'abbé), 336, 343.
Mentelin, 275.
Metternich (l'évêque Lothaire-Frédéric
de), 323.
Michelet, 209.
Minckwitz, traducteur d'Homère, 150.
Mommsen (Théodore), 151.
Monlbéliard (Henri comte de), 103.
— (Henriette de). 104.
_ (Thierry de), 352.
— (Théodoric de), 404.
— (Gunthilde de), 404.
More, savant, 318).
Montfort (comte de), 246.
Montmarlin (M. de), ministre du duc
de Wurtemberg, 107.
Moreau (le père Marcel) , chroniqueur,
349.
Morimont (baron de), unterlandvogt,
26, 28.
Moser, dans les casemates de Hohen-
twiel, 107.
Miihlhofer , commandant à Wissem-
bourg, 318.
MùUenheim (Henri de), 259.
— (Biaise de), 259.
— (Burkard de), 352.
Muller (Jean de), 153, 154.
Munthart (Paul), chanoine de Saint-
Thomas, 274, 275.
Muratori, 308, 309.
Murner (Jean), 270.
Museler (Pierre), 329.
Mutzig (Jean-Louis Surger de), 231.
DES PRINCIPAUX PERSONNAGES.
Ui
IX.
Naillac (Philippe de), grand-maître de
l'ordre de Saint-Jean, 382.
Napoléon 111 à Arenenberg, 199.
Nassau (Adolphe de), 351.
Nicolas V, pape, 301, 325.
Nicolas de Bâle, 373, 37i, ?.7S, 379.
Niebuiir, 150.
Niger (Tlieobaldus), 255, voy. Schwarlz.
Novalcse, chroniqueur, 308, 309.
Nyperg (Reinhard de), 210.
O.
Obertraut (Michel) , colonel allemand ,
297.
Oberkirch (Anne d'), abbesse de Hohen-
bourg, 243.
— (Agnèse d'), — 243.
Odile (sainte), son testament, sa lé-
^ gende, 146-165; 172, 384.
Ossa (le colonel d'), 116.
Oslie (Léon d'), chroniqueur. 308.
Ottfried, de Wissembourg, 316.
Otton ler, empereur, 307-312.
— H, 311.
— m, 311, 323.
Otton-Henri (le rhingrave), 116.
Oxenstierna ,116.
P.
Pache, pasteur français à Anweiler et
à Bischwiller, 49.
Pascal II, pape, 353.
Paul III, 314.
Peigerin (Dyna), 393.
Peltre, historien de Sainte-Odile, 171.
Pfeffel, 111.
Pfeilstùcker (Conrad), conseiller épis-
copal, 234.
Pfister (Dorothée), sorcière, 248.
Philippe-l'Ingénu, électeur palatin, 319.
Piccolomini(Ottavio), duc d'Amalfi, 222.
Pierre Comeslor, 175, 275.
Pierre-le-Lombard, 175.
Pie II, 325.
Pin (Roger du), grand-maître de l'ordre
de Saint-.Iean, 382.
Pirmin (saint), 198, 333, 337.
Plessen (le riltmeistre de), 117.
Pollwiller (Nicolas, baron de), uuter-
landvogt, 24.
Puy (Raymond du), 382.
R.
Rachion, évèque, 288.
Rapp , 111.
Rappolstein (Massmann de), 210, voy.
Ribeaupierre.
Ratabon, corttroversiste, 362.
Rathold (l'évêque), 135.
Rathsamhausen (zum Stein), 174, voy.
Lapide (de).
— (Jean de), 210.
Rausch (Henri), conseiller hanauien
conduit à l'échafaud en 1793 , 63 ,
121.
Rebstock (M^e Marie-Madeleine), 400.
Rechberg, unterlandvogt, 20.
Regalis (Jean), 382.
Relindis, abbesse, 108, 180, 188.
Rémy (saint), 135, 193, 194, 219.
Rhynprucher (Conrad), prévôt du cha-
pitre deNeuwiller, 297.
Ribeaupierre (Braun de). Découverte des
mines de Sainte-Marie
sous sa domination, 51.
— allié de Frédéric de Blan-
kenheim, 140 , 145.
— (Egenolphe d'Urselingen ,
seigneur de), 172.
Ribeaupierre (Massmann ou Maximin
de), 210, voy. Rappol-
stein.
Richard-Cœur-de-Lion , confère avec
Henri VI à Haguenau , 20.
Richard (David), 367.
Richardis (l'impératrice), 395-399.
Richvinus, 336.
Riga (Pierre)Jnterpréte de la Bible, 275.
Rist (le chevalier Frédéric zum), 261.
Rilter '^Emmerich), reveveur général de
la préfecture de Haguenau, 27, 69
234.
Robert, évèque de Strasbourg, IH
289, 360, 386, 393.
Robert , créateur de l'abbaye de Hors-
ham, 215.
Rochebrune (M. de), agent du mar-
grave de Bade, 121.
Rodolphe (d'Ehenheim), 174.
— H, empereur, 363, 401.
Rohan (le cardinal Louis -Constantin
de), 11.
— (le duc dei, 116.
Rohan-Soubise (le cardinal-cvèque Av'
mand-Gaston de), 144.
442
TABLE ALPHABETIQUE
Rohan-Guéméné (Louis- René-Edouard
de), 144, 145, 251.
Roth (M.), de Bàle, 159-163; 172.
Rotwyl {Rodolphe de), évêque, 138.
Rudhart, évèque, 279, 280.
Rudiger (l'abbé), prévôt de l'abbaye de
Wissembourg , 28, 321 , 322.
Ruys, historien, 396, 398.
S.
Saint-Ignon (M. de), 344.
Salm (le prince de), 241.
Sarburger (Mathias), 340.
Saxe-Weimar (Louise, duchesse de), 64.
— (le duc Bernard de), 116.
Saxe (Maurice comte de), 286.
Saxe (Joséphine de), 229.
Schaftolsheim (Jean de), 374, 377.
Schertlin , colonel, 109.
Schiller, son drame Intrigue et amour
transporte sur le théâtre les
mœurs de la cour de Stutt-
gart, 107.
— Ses Brigands expriment son
opposition à la cour de Stutt-
gart, 107.
— Son Guillaume Tell, 153.
— Son Wallenstein, 222, 389.
— Sa Jeanne d'Arc, 389.
— Sa Marie-Stuart, 389.
Schinderhannes , le Mandrin allemand ,
92.
Schmidt(M Charles), 262-285 ; 371.
Schœnborn (l'évèque comte de), 323.
Schceptlin, 11, 147, 159, 171, 197,
363.
Schubart, le poëte , au cachot de Ho-
henasperg, 107.
Schwartz, 255, voy. Niger.
Schwartzbourg (OUnther de), 207.
Sohweighœuser, 295, 347.
Schwendi (Lazare de), 225 , 233.
Sibylle, veuve de Tancrède, roi de Si-
cile, 189.
Sickingen (Frédéric de), 230.
— (Schweickart de), 230.
Sigebaud , évêque de Metz , 295.
Sigebert , fils de Dagobert II , 327.
— landgrave, 366.
Sigillés des anciens titres coupés par
des employés infidèles, 15.
Sigismond, empereur, 350, 351.
Silbermann, liistorien, 371.
Sindenus , 336, 337.
Sintlaz , propriétaire de l'île de Rei-
clicnau, 198.
Sixte IV, 302, 312.
Solcourt , adversaire de Benjamin Mau-
clcrc, 50.
Sœtern (l'évèque Christophe de), 322.
Soultz (comte de), unterlandvogt, 26.
Soultz (Othon de), conseiller épiscopal ,
234.
Spach , nom qui se rencontre au quin-
zième siècle, 74.
Spaur (comte de), unterlandvogt, 26.
Spce (Frédéric), père jésuite, 249.
Spener (ApoUonie), sorcière, 248.
Sponheim (Eberhard comte de), 93.
— (Etienne de), 93.
— (Meinhard de), 93.
— (Jean de), 93, 100.
— (Simon de), 93.
— (Jean VI de), 93.
— (Henri de), 99, 100.
— (Loretle de), 99.
_ (Malhilde de), 100.
— (Walram de), 100.
Stahleck (Henri de), évêque, 138, 219,
220.
Stanislas, roi de Pologne, 239, 348.
Straub (M. l'abbé), 393. .
Strauss (le docteur), 158.
Strobel, 159.
Stromeyer (Michel).
Styrum (l'évèque Auguste-Limbourg de) ,
323.
SUss-Oppenheinier, 106.
T.
Teck (Berthold de), évêque, 138, 206,
219, 220.
Tell (Guillaume), 153, 156, 157.
Theodewinus, légat apostolique, 336.
Theroulde (Chanson de Roland), 152.
Thierry 111, roi d'Austrasie, 327.
— IV, 335.
Thomas, l'académicien, 286.
Trachenfels (André), 329.
Trapp (Hans), épouvantail des enfants,
28 , voy. Dralt.
Treittlinger, chargé d'aft'aires des comtes
de Montbéliard, 102.
Trenck (Laurent), vicaire du chapitre
de Haslach, 292.
Trenss (Amandus), auteur des Éphé-
mérides d'Alturf, 325.
Trithème ,321.
Tristan et \seult, poëme de Godefroi
de Strasbourg, 20, 272.
Truchsess (Jean-Erb), baron de Wal-
bourg, 246.
— (Léopold-Frédéric), 246.
Tschudi, 153.
Turenne, 402.
DES PRINCIPAUX PERSONNAGES.
443
Udon (l'évêque), 136.
Uhlenheim (Théobald d') , 261.
Ulrich, abbé de Neubourg, 347.
Urbain IV, pape, 325.
U.
Urbain V , pape, 372.
Uttenheiin (Ciiristophe d') , chanoine de
Saint-Tbomas, 274.
Vanolles (de), intendant d'Alsace, 32.
Vaubrun (marquis de) , 402.
Vaudémont (le prince de), 209.
Vehringen (l'évêque Henri de), 1 38, 339.
Vendenheim (Dagobert Worniser de) ,
240.
Veldentz (Louis de), landvogt, 318.
Vereau (Jean), 348.
Visconti (Philippe-Auguste-Marie), duc
de Milan, 257.
Vogelberger (Gaspard), ami de L. de
Schwendi , 233.
Volcyrde Senonville, chroniqueur, 342.
Volmar (Nicolas), 391.
Voragine (Jacques de) , 275.
\¥,
Wallon (M.), 209.
Walther (Henri), fait un legs curieux,
261.
— archevêque de Cologne, 350.
Wangen (Jean de), 390.
Warner, abbé d'Elival, 170.
Weitenmiihlen (Scislas von der) , land-
vogt, 100.
Wenceslas , empereur, 100, 208.
Wencker, archiviste, 405.
Werinhar (l'évêque), 137, 144, 203,
204 , 205, 213, 245, 252,
384, 385, 390.
— (le fondateur du château de
Habsbourg), 137.
Werner , maréchal de la ville de Stras-
bourg, 172.
Westerbourg (Marguerite de), 80, voy.
Linange.
Wetzel, évêque de Strasbourg, 194.
— (Nicolas) , écolàtre de Saint-
Thomas, 263.
Widerhold (l'évêque), 137, 144, 194,
195, 311, 312, 385.
Wimpheling, 172 , 274.
Windeck (Agnèse de), 390.
Winfred (cardinal), 339.
Wingarten (les frères de), 319.
Winkelried (Arnold de) , lû4, 156 , 157.
Wœlfelinus, landvogt de Frédéric II, 21 .
Wolfach (Henri de)', 372, 374, 377.
Wolflf (Thomas) le jeune, antiquaire,
274,
Wolf, adversaire d'Homère, 150.
Worm (Jacques) , 329.
Wurtemberg (Eberhard comte de) , 1 04
— (Frédéric duc de) , 105 ,
401.
— (Louis-Frédéric de), 105.
— (Léopold-Frédéric de), 105.
— (George de) , 105.
— (Léopold - Eberhard de) ,
105, 108.
— (EberhardLouis de) , 106.
— (Charles- Alexandre de).
1*06.
— (Charles-Eugène de), 107.
— (Ulrich de). 109.
Wurtrude , abbesse d'Eschau, 195.
Z.
ZoUeren (Charles comte de) , 246.
Zschokke, 153.
Zuckmantel (Walraff de) , 231.
— (Agnèse de), 243.
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444 TABLE DES MATIÈRES.
TABLE DES MATIÈRES.
Page».
LETTRE I" 1
Le bâtiment des archives. Son origine. Sa situation. Distribution de l'in-
térieur.
LETTRE II 10
Les anciens archivistes. — Grandidier. Brendel. — Les archives sous
l'Empire et la Restauration.
LETTRE m 20
Le fonds de la préfecture de Haguenau. Les Hohenstauffen à Haguenau.
Les fonctions du préfet ou landvogt. — Les électeurs palatins et les
archiducs d'Autriche, préfets d'Alsace. — Les grands baillis français.
— La Réforme et la guerre de Trente ans à Haguenau. — Les Unter-
landvœgte. — Les receveurs. — Rapports avec l'abbaye de AVissem-
bourg. — Incendie de 1677. — Contraste entre la ville au moyen âge
et celle d'aujourd'hui.
LETTRE IV .^1
Fonds de l'intendance d'Alsace. Les intendants. Leur liistoire et celle de
l'institution. — Contenu sommaire du fonds. — Ce qui ne s'y trouve
pas. — Les travaux publics. Les fiefs. Les familles des feudataires.
LETTRE V 42
Fonds du duché de Deux-Ponts. — Le prince Max de Deux-Ponts, ses
ancêtres, sa famille. — Possessions des princes de Deux-Ponts en
Alsace. — Bischwiller. Caractère de celte ville. — Les réformés de
Bischwiller. — Culture du tabac en Alsace. — Les mines de Sainte- ,
Marie.
LETTRE VI i .• 52
Le fonds de Hanau-Lichtenberg. — Aperçu historique et géographique.
— Le château de Lichtcnberg; le comté. — La famille ancienne de
Lichtenberg. — La famille de Hanau. — La famille de Hesse-Darm-
stadt. Individualités marquantes de ces trois familles. — Résidence
de Rouxwiller. — L'orangerie de Strasbourg.
LETTRE VII 66
Fonds de Hanau-Liclitcnberg. — Les papiers. — Moulins. Communes.
Geudcrtheim. — Brumalh. — Guerre des Lichtenberg et des Linange. —
Barbe d'Ottenheim. — Bernard Herzog, bailli de Wœrth. — La marche
de Marmoulier. — Guerre de Trente ans. — Ernolsheim et ses châtai-
gneraies. — Comptabilité de Hanau-Lichtenberg. — Les châteaux-forts.
— Caractère général du fonds. — Encore une fois les villages. — Leur
origine.
LETTRE VIII 77
Fonds de la seigneurie d'Oberbronn ou de la famille de Linange. — Dé-
tails généalogiques. — Le château d'Oberbronn en 1669. — Le château
d'Oberstein. — Procédures scandaleuses de la famille de Linange. —
Limbourg etc.
LETTRE IX.
TABLE DES MATIÈRES. 445
Pages.
90
Fonds du comté de Sponheim. — Description géographique. — Histoire
des comtes. — Provenance d\i fonds. — Seigneurie de Beiniieim. —
Titres remarquables.
LETTRE X ,Q2
Fonds du comté de Montbéliard. — Les comtes et ducs de Wurtemberg,
comtes de Montbéliard, seigneurs de Riquewihr. — Henriette de Mont-
béliard. — Louis-Frédéric et Léopold Eberhardt, comtes de Montbé-
liard. — Le comté au dix-huitième siècle. — Contraste entre le gou-
vernement de Wurtemberg et celui de Montbéliard. — Schiller et Cuvier
à Stuttgart. — Caractère général et quelques titres spéciaux du fonds
de Monlbéliard, Riqucwihr et Horbourg. — Riquewihr et Horbourg. —
Réunion de Monlbéliard à la France. — La statue de George Cuvier
LETTRE XI ..." 113
Le fonds du directoire de la noblesse. — Le Ritterhaus. — Devoirs de
l'archiviste en face des papiers de famille. — Composition du directoire.
— La juridiction. — Correspondance historique du directoire. — Les
familles nobles. — Leurs titres. — M. de Rochebrune. — Le testament
d'un condamné à mort. — Familles roturières. — Adieu aux archives
civiles.
LETTRE XII ^24
Archives ecclésiastiques. — Leur caractère général. — Clergé séculier
et clergé régulier. — Fonds de l'évèché de Strasbourg. — Considéra-
tions préliminaires. — Promenade à travers les bailliages épiscopaux
LETTRE XIII "^33
Les évèques de Strasbourg.
LETTRE XIV j^g
Fonds de l'évèché de Strasbourg. — Trésor des chartes. — Testament de
sainte Odile. — Son authenticité. — Discussion avec M. Roth, de Bàle
LETTRE XV .... 165
Herrade de Landsperg. — Ouvrage de feu Maurice Engelhardt. — Docu-
ments relatifs à Herrade. — Analyse du Jardin des délices.
LETTRE XVI 18^
Herrade de Landsperg (suite); ses poésies; leur caractère. Mépris du
monde. — Amour du Christ; dévouement aux religieuses de Hohen-
bourg. — Caractère historique de Herrade; sa rencontre probable avec
Sibille, veuve de Tancrède, roi de Sicile.
LETTRE XVII 191
Suite du fonds du trésor des chartes. — Explication et excuses de l'ar-
chiviste sur la marche suivie en dernier lieu. — Testament de saint
Remy ; abbaye d'Eschau. — Chartes de Louis-le-Débonnaire. — Ile et
abbaye de Reichenau. — Arenenberg. — Embarras croissant de l'ar-
chiviste.
LETTRE XVIII 202
Suite du trésor des chartes. — Voyage des chartes carlovingiennes à
Paris. — Un droit de chasse accordé par Henri-le-Saint à l'évêque
Werinhar. — Formation du domaine épiscopal. — Charles IV au mont
Sainte-Odile; enlèvement de l'avant-bras droit de la sainte. — L'évêque
Guillaume de Diest. — Traité d'alliance contre les Armagnacs. — Les
fêtes de Gutenberg.
!^k^ TABLE PES MATIÈRES.
Pages.
LETTRE XIX 214
Suite du trésor et de l'armoire des chartes. — L'abbaye de Horsham en
Angleterre. — La prévôté d'Ittenwiller.'Les comtes de Kibourg, feu-
dataires de l'évêché. — Armoire historique. — Correspondance histo-
rique après la Réforme. — Armoire des droits. Armoire de Strasbourg.
LETTRE XX .... , 225
Fonds des fiefs de l'évêché de Strasbourg. — Correspondance épiscopale
de la seconde moitié du seizième siècle, au sujet du double passage,
en Alsace, d'Elisabeth d'Autriche, épouse de Charles IX, roi de France.
— Portrait d'Elisabeth. — Les feudataires de l'évèque. — Lazare de
Schwendi. — Les conseillers de l'évèque.
LETTRE XXi 236
Armoire ecclésiastique. — Rapport de l'évèque avec les diverses institu-
tions religieuses d'Alsace. — Correspondance. — Imprimés. — Marie
Leczynska à Wissembourg. — Surprise de Vendenheim par les Voltz
d'Altenau et les Wormser. — Le Giirtlerhof. — Destruction de Saint-
Jean de Strasbourg (1633). — Fondation de l'église de la Robertsau.
— Les dernières abbesses de Hohenbourg.
LETTRE XXII 2U
Fonds du grand-chapitre et du grand-chœur. — Histoire sommaire de
ces corporations. — Richesses des deux fonds. — Tables généalogiques
des récipiendiaires au grand-chapitre. — Charte d'Arnoulphe, roi des
Romains. — Procès de sorcellerie. — Geyler de Kaysersberg, prédica-
teur de la cathédrale. — M. Baulain.
LETTRE XXm 234
Chapitres intra-muros de Strasbourg. — Les deux chapitres de Saint-
Pierrc-le-Vieux et Saint-Pierre-le-Jeune. — Saint-Pierre-le-Vieux formé
en partie des chapitres de Honau et de Rhinau. — La ville de Rhinau
engloutie par le Rhin. — Saint-Pierre-le-Jeune directeur de l'oratoire
de la Toussaint. — Le grand-chapitre de la cathédrale administrateur
du chapitre de Saint-Léonard. — Chapitre de Saint-Thomas. — Exiguïté
de ce fonds dans le dépôt départemental. — Aperçu historique sur
l'église et le chapitre de Saint-Thomas.
LETTRE XXIV 265
Le chapitre de Saint-Thomas. — L'ouvrage de M. Schmidt; son caractère
général. — Position exceptionnelle du chapitre en Alsace. — Sa dévia-
tion, — Le costume et les mœurs des chanoines au quinzième siècle.
— La «Société de Saint-Thomas.» — Le chanoine Jean Hepp. —
Membres distingués du chapitre : Burckhardt, ambassadeur de Fréi
déric Barberousse. Le poëte Godefroi de Haguenau. Le chroniqueur
Kœnigshoffen. Burckardt, le maître des cérémonies d'Alexandre VI.
Thomas Wolff, l'antiquaire etc. — La bibliothèque de Saint-Thomas.
— Livres du chanoine Paul Munthart. — L'école de Saint-Thomas. —
Aperçu de son histoire.
LETTRE XXV 277
Les choristes de Saint-Thomas. — Les fêtes à Saint-Thomas. Les mys-
tères de la Passion. — Les propriétés de Saint-Thomas. — Eckbols-
heim, seigneurie et colonge. — Procession de la Pentecôte. — Saint-
Thomas, bailleur de fonds; Jean Gutenberg, son débiteur. — Les
Hohenstein. — Pillase d'Eckbolsheim. — Évaluation du revenu des
TABLE DES MATIÈRES. 447
prébendiers ; abus, leur cause. — Conflits de Saint-Thomas avec
l'évèché. — Le sarcophage d'Adeloch et le mausolée du maréchal de
Saxe.
LETTRE XXVI 287
Chapitres extra-muros de Strasbourg. — Chapitre de Haslach. — Re-
liques de saint Florent; construction de l'église ogivale de Haslach; sa
restauration moderne. Discussions du chapitre avec l'évèché. — Reve-
nus du chapitre au dix-huitième siècle.
LETTRE XXVII 294
Abbaye et chapitre de Neuwiller. — Le site. — Les deux églises. —
Leur histoire. — Troubles de la Réforme et de la guerre de Trente
ans. — Mansfeld. — Relations du chapitre avec Hanau-Lichtenberg.
— Le duc de Feltre à Neuwiller.
LETTRE XXVlll ^Ol
Fonds du prieuré de Steige et du chapitre de Saverne. Fonds du cha-
pitre de Haguenau-Surbourg. — Fonds de l'abbaye ou de la prévôté
de Seltz. — L'impératrice Adélaïde. — Sa jeunesse en Italie. — Sa
délivrance par Otton-le-Grand. — Son âge mûr et sa vieillesse en Alle-
magne et en Alsace. — Fondation de l'abbaye de Seltz. — 3Iort de
l'impératrice.
LETTRE XXIX f ..... 314
L'évèché de Spire. — Sa circonscription. — L'abbaye de Wissembourg.
— Son histoire. — Lutte entre l'abbaye et la ville. — Lutte avec les
électeurs Palatins. — Le château de Berwartstein. — Jean de Dratt.
— L'abbaye transformée en chapitre. — Le chapitre réuni à l'évèché
de Spire. — Les princes-évêques. '
LETTRE XXX 334
Les abbayes d'hommes. — Altorf. Son origine, les donations. — Éphé-
mérides d'Altorf. — Abbaye d'Ebersmûnster. — Beatus Rhenanus,
l'historien. — Sébastien Brant, l'auteur de l'Esquif des fous. — L'ab-
baye de Marmoutier et le couvent du Sindelsberg.
LETTRE XXXI 334
Fonds de l'abbaye de Marmoutier, du couvent du Sindelsberg et du
prieuré de Saint-Quirin. — Premiers siècles de l'abbaye. Les moines
ou saints Irlandais. — Origine et fondation du Sindelsberg. — Belle
charte polyptyque. — Église de Saint-Martin de Marmoutier. Guerre des
paysans. — Discussions pénibles dans l'intérieur de l'abbaye. — Ori-
gine du prieuré de Saint-Quirin; son histoire. — Contenu sommaire
du fonds de Marmoutier.
LETTRE XXXII 346
Fonds de l'abbaye de Neubourg. — Forêt sainte de Haguenau. — Navi-
gation du Rhin. — Droit d'affouage. — Fonds de l'abbaye de Wal-
bourg, ou Sainte- Walpurge. — Fonds des couvents de Haguenau. —
L'hôpital de Frédéric Barberousse.
LETTRE XXXllI 357
Molsheim , ville épiscopale; résumé de son histoire. — Fonds du collège
des Jésuites de Molsheim et du séminaire épiscopal de Strasbourg. ■ —
Fonds du couvent des Chartreux de Molsheim. — Suppression de la
Chartreuse de Strasbourg. — Asile de Stéphansfeld. — Les hospitaliers
du Saint-Esprit. — Feu David Richard.
448 TABLE DES MATIÈRES.
LETTRE XXXIV 369
Fonds de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem (ordre de Malte). — Maison
de rile-Verle ou Commanderie de Strasbourg. — Le site. — Origine
de la maison. — Waltlier de Hiinebourg, maréchal de l'évèché. —
Rulmann Meerswin et les amis de Dieu. — Caractère de cette société
mystérieuse. Incorporation de la commanderie de Schlestadt. — Sup-
pression de la maison de l'Ile-Yerte en 1633. — Son rétablissement,
en 1687, à Saint-Marc, qui prend le nom d'église de Saint-Jean. — Les
commandeurs de la maison de Saint-Jean de Strasbourg. — La maison
de Dorlisiieim. — Contenu du fonds de l'ordre de Saint-Jean. — La
bibliothèque de l'ordre. — Le livre manuscrit des Sepl-Ruchers. Ca-
ractère de cette fiction dantesque, œuvre de Rulmann Meerswin. —
Amitié de Rulmann et de Nicolas de Bàle. — Le livre des Cinq hommes,
de Nicolas. — Le livre des Abeilles. — Varia.
LETTRE XXW 383
Les abbayes et les couvents de femmes. — Saint-Étienne de Strasbourg.
Histoire de l'abbaye. — Sainte Attale et Adalbert, duc d'Alsace. — Les
chartes primitives. — Époque de la Réforme. Le théâtre de Strasbourg
temporairement établi à Saint-Étienne. Le fonds de Saint-Étienne. —
Sainte-Madeleine. — Sainte-Marguerite.
LETTRE XXXVI . 1 395
Abbayes et couvents de femmes extra-muros. Fonds de l'abbaye d'Andlau.
L'impératrice Richarde. — Son histoire et sa légende. — Histoire de
son abbaye. — Les documents. Fonds de l'abbaye de Sainl-Jean-des-
Choux , près Saverne. — Couvents de Riblisheim et de Kœnigsbruck.
— Archives Iiospitalières de Haguenau. — Feu Wencker.
LETTRE XXXVIl ET DERNIÈRE 406
Total numérique des archives civiles et ecclésiastiques. Coup d'œil sur
leur réglementation. — Archives communales. — Archives hospitalières.
— Pièces dans les archives départementales, postérieures à 1790. —
Coup d'œil rétrospectif sur les archives du Bas-Rhin.
PIÈCE JUSTIFICATIVE -117
Actes du procès de sorcellerie d'ApoUonie Spener et de Dorothée Pfister
de Geispolshcim.
TABLE ALPHARÉTIQUE DES PRINCIPAUX PERSONNAGES NOMMÉS DANS
CE VOLUME 436
'-— '^ïv^>!i3^S2:S='~'- —
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