Skip to main content

Full text of "Le Vatican"

See other formats


\i 


'm 


\1 


V. 


X 


<Ji 


'■f: 


,-^--éÂ\,r     *- 


Le  Gouvernement 
de  l'Église 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés 

pour  tous  les  pays, 

y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


Typographie  Pirmm-Didot  et  C"=.  —  Mesnil  (Eure). 


Goyau    *    Pératé    *  .  Fabre 

LE  VATICAN 


,e  Gouvernement 
de  l'Église 


mo  o((o))o  G((6)l0 


LES  PALAIS  APOSTOLIQUES 
*  CONGRÉGATIONS  SECRÉ- 
TAIRERIES   :    BIBLIOTHÈQUES 


Épilogue  par  le  V»^  MELCHIOR  DE  VOGUÉ 


LIBRAIRIE    DE    PARIS 

FIRMIN-DIDOT  ET  C>k,  IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

56,    RUE    JACOB,    PARIS 


LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL 

DE  L'ÉGLISE 


1.E    VATICAN.    —    II. 


CHAPITRE  PREMIER 
Le  Sacré  Collège.  —  Les  consistoires. 


C'est  au  pape  qu'appartient  le  gouvernement  de 
rÉglise  :  il  est  assisté  d'un  conseil,  le  Sacré  Collège, 
dont  les  membres  s'appellent  cardinaux.  Du  vivant 
du  pape,  les  réunions  plénières  de  ce  conseil,  dites 
consistoires,  sont  des  séances  d'apparat,  non  des 
séances  de  discussion.  C'est  en  assemblées  spéciales  et 
peu  nombreuses,  constituées  par  le  pape  et  appelées 
congrégations,  que  les  cardinaux  délibèrent  et  déci- 
dent, sous  réserve  de  l'approbation  papale,  sur  les 
multiples  affaires  de  l'Église.  Enfin,  dès  la  mort  du 
pape,  la  réunion  plénière  du  Sacré  Collège  com- 
mence à  jouer  un  rôle  actif  sans  avoir  le  droit,  d'ail- 
leurs, de  rien  innover  dans  l'Église;  elle  se  trans- 
forme en  conclave  pour  élire  le  successeur.  A  l'égard 
de  la  monarchie  papale,  le  Sacré  Collège  est  un  pou- 
voir subordonné;  mais  la  monarcliie  papale  a  des  in- 
terrègnes, et  le  Sacré  Collège  est  permanent;  c'est  lui 
qui,  désignant  les  papes,  maintient  la  continuité  de 
l'histoire  occlésiaslique.  A  ce  titre,  la  logique  exige 
([ue  nous  parlions  dabord  des  cardinaux,  élus  par  le 
pape  défunt,  mais  électeurs  du  pape  futur,  et  créa- 


4  LE  GOUVERNEMENT  CENTR.U.  DE  L'ÉGLISE. 

tures  du  passé,  sans  doute,  mais  aussi  créateurs  de 
l'avenir. 


I 


LES   ORIGINES   DU    COLLEGE    CARDINALICE.    —  LES   TROIS 
ORDRES    DES   CARDINAUX. 

Au  moyen  âge,  le  nom  de  cardinaux  n'était  pas  ré- 
servé aux  dignitaires  de  l'Église  de  Rome.  A  Londres, 
Aix-la-Chapelle,  Cologne  et  Magdebourg,  à  Ravenne 
et  Milan,  Compostelle  et  Orléans,  certains  prêtres  ou 
chanoines,  titulaires  d'églises  déterminées,  prenaient 
ou  recevaient  du  Saint-Siège  le  titre  de  cardinaux. 
Pie  V,  en  1567,  réserva  à  l'Église  de  Rome  le  privi- 
lège de  posséder  des  cardinaux.  Enumérant  les  mem- 
bres du  Sacré  Collège,  l'Annuaire  qui  paraît  à  Rome 
chaque  année  sous  le  titre  :  La  Gerarchia  cattolica, 
les  classe  en  trois  ordres  :  cardinaux-évêques,  cardi- 
naux-prêtres, cardinaux-diacres.  Cette  division  re- 
trace et  perpétue  la  triple  origine  du  Sacré  Collège. 

C'est  dans  un  concile  de  Rome,  tenu  en  709  par 
Etienne  III,  qu'on  rencontre  la  première  mention  des 
cardinaux-évêques  {episcopi  cardinales).  On  appelait 
ainsi  les  chefs  des  diocèses  voisins  de  Rome  ;  on  leur 
attribuait  l'épithète  de  semainiers  {liebdomadarii), 
parce  que  secondant  le  pontife  romain  dans  sa 
charge  épiscopale,  ils  passaient  chacun  une  semaine, 
à  tour  de  rôle,  au  Latran,  centre  de  l'administration 
papale.  Ils  étaient  sept.  Le  titulaire  du  siège  d'Ostie, 
réputé  le  premier  d'entre  eux,  avait  le  privilège,  dès 
le  temps  de  saint  Augustin,  de  consacrer  évéque  le 
prêtre  élu  à  la  papauté.    Sixte-Quint  fixa  à  six  le 


T.KS  ORIGINES  DC  COLLEGE  CARDINALICE. 

nombre  des  évêchés  suburbicaires  :  Ostie  et  Velletri, 
Porto  et  Sainle-Rufine,  Sabina,  Albano,  Paleslrina, 
Frascati.  Les  cardinaux-évèques,  appartenant  au 
conseil  du  Pape,  sont  dispensés  de  résider  dans 
leurs  diocèses;  ils  ne  peuvent  quitter  Rome,  au  con. 
traire,  qu'avec  la  permission  pontificale. 

Dans  l'intérieur  même  de  la  communauté  chré- 
tienne de  Rome,  certaines  circonscriptions  parois- 
siales furent  tracées,  dès  une  époque  ancienne.  On 
les  appela  des  Titres  [litulï).  Leur  organisation  re- 
monte certainement  aux  débuts  de  la  «  paix  de  l'É- 
glise »,  décrétée  par  Constantin;  même,  par  ses  ori- 
gines, elle  semble  se  rattacher  à  certaines  institu- 
tions de  la  période  antérieure.  Les  actes  du  concile 
de  499,  tenu  par  Symmaque,  et  ceux  du  concile  de 
595,  tenu  par  Grégoire  le  Grand,  énuraèrent  déjà  ces 
«  titres  ».  Il  y  en  avait  alors  vingt-cinq  :  les  églises 
qui  en  étaient  le  centre  étaient  généralement  situées 
dans  les  quartiers  reculés,  à  l'écart  des  monuments 
et  des  souvenirs  païens;  seule,  Sainte-Anastasie, 
installée  au  pied  du  Palatin,  faisait  exception.  A 
la  tète  de  chaque  titre,  un  prêtre  portait  le  nom  de 
cardinal.  Et  de  même  que  les  cardinaux-évêques 
desservaient  la  basilique  du  Latran,  cathédrale  du 
pape,  ainsi  les  cardinaux-prêtres  desservaient  Saint- 
Pierre,  Saint-Paul,  Saint-Laurent  et  Sainte-Marie 
Majeure,  cathédrales  spéciales  des  quatre  patriarches 
d'Orienl.  Le  nombre  des  cardinaux-prêtres  fut  porté 
à  vingt-huit  par  Calixle  II,  à  cinquante  par  Sixte- 
Quint. 

Au  septième  siècle  apparaît  la  mention  des  dia- 
conies.  On  appelait  ainsi  des  institutions  charitables, 
des  dispensaires,  auxquels  était  jointe  une  chapelle. 


6  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

Le  savant  M»""  Duchesne  a  prouvé  qu'il  n'y  a  rien 
de  commun  entre  ces  diaconies  d'une  époque  tardive 
et  les  sept  régions  ecclésiastiques,  découpée^  dans 
Rome,  au  troisième  siècle,  par  le  pape  Fabien,  et 
confiées  à  sept  diacres.  Lorsqu'on  édifiait,  au  len- 
demain de  la  persécution,  les  églises  des  «  titres  »,  on 
les  installait  timidement  à  la  périphérie  de  Rome  ;  la 
crainte  d'une  revanche  païenne  subsistait  encore 
dans  les  esprits.  Les  diaconies,  au  contraire,  s'élevè- 
rent au  centre  de  la  ville  ;  douze  sur  seize,  au  moins, 
empruntèrent  l'emplacement  ou  lés  restes  des  mo- 
numents païens.  Une  chapelle  était  jointe  au  dispen- 
saire ;  lorsque  celui-ci  disparut,  celle-là  subsista  sous 
le  nom  de  diaconie.  Le  diacre  qui  présidait  à  l'établis- 
sement de  bienfaisance  s'appelait  cardinal-diacre;  il 
y  avait  donc,  au  moyen  âge,  seize,  cardinaux-diacres. 
Sixte-Quint  fixa  le  nombre  à  quatorze. 

Le  total  des  cardinaux-évèques,  prêtres  et  diacres 
s'élève  à  soixante-dix.  Le  total  des  évèchés  suburbi- 
caires,  des  titres  presbytéraux  et  des  diaconies,  s'é- 
lève présentement  à  soixante-quatorze.  Un  certain 
nombre  de  ces  titres  ou  diaconies  sont  donc  néces- 
sairement vacants  :  d'autant  que  le  Sacré  Collège  est 
rarement  au  complet.  En  avril  19(j1,  il  y  a  soixante- 
sept  cardinaux.  Innocent  X  est  le  seul  pape,  depuis 
le  seizième  siècle,  qui  soit  mort  sans  laisser  un  seul 
vide  dans  le  Sacré  Collège. 

Les  trois  ordres  sont  un  archaïque  vestige;  ils 
rappellent  l'époque  où  le  collège  cardinalice  était 
une  assemblée  proprement  romaine,  plutôt  que  le 
grand  conseil  de  la  Papauté.  Membres  de  congré- 
gations diverses,  les  cardinaux-prêtres  ou  diacres 
qui   résident  à  Rome    ne   peuvent  s'occuper   assi- 


LES  ORIGINES  DU  COLLEGE  CARDINALICE.  7 

dûment  de  leurs  titres  ou  des  églises  qui  survivent 
aux  diaconies.  Quant  aux  Éminences  qui  régissent,  à 
l'étranger,  de  lointains  diocèses,  les  liens  qui  les 
rattachent  à  leurs  titres  sont  nécessairement  plus 
lâches  encore.  Il  y  a  des  cardinaux  à  Baltimore,  à 
Sydney  :  dans  les  églises  romaines  dont  ils  sont  titu- 
laires, un  tableau  les  représente  ;  ils  n'y  régnent  que 
par  ce  portrait.  Même,  la  juridiction  que  possédaient 
jadis  les  cardinaux  sur  les  prêtres  ou  tidéles  de  leurs 
titres,  est  fort  réduite  depuis  Innocent  XII,  et  limitée 
par  le  droit  de  surveillance  que  conserve  le  cardinal 
vicaire  sur  le  clergé  de  ces  titres.  Enfin  le  lien  qui 
unit  un  cardinal  à  son  titre  n'est  pas  indissoluble  : 
les  cardinaux-prêtres  peuvent  devenir  cardinaux- 
évèques,  en  réclamant,  au  fur  et  à  mesure  des  va- 
cances, les  diocèses  suburbicaires  ;  les  cardinaux- 
diacres,  après  avoir  passé  dix  ans  dans  cet  ordre, 
ont  le  droit  de  demander  un  titre  presbytéral. 

Dans  le  haut  moyen  âge,  on  devenait  cardinal  par 
le  fait  même  qu'on  était  curé  d'un  titre  ou  président 
d'une  diaconie;  aujourd'hui,  par  le  fait  même  qu'on 
est  cardinal,  on  est  invité  par  le  pape  à  prendre  pos- 
session d'un  litre  ou  dune  diaconie  :  les  rapports  sont 
renversés.  La  répartition  du  Sacré  Collège  en  trois 
ordres  date  de  l'époque  où  Ton  appelait  cardinaux 
les  chefs  du  clergé  romain  et  du  clergé  suburbicaire; 
elle  a  survécu  à  ce  recrutement  local;  et  longtemps 
encore,  sans  doute,  elle  y  survivra.  Elle  ne  traduit  en 
aucune  façon  la  conception  actuelle  du  Sacré  Collège; 
mais  elle  perpétue  jusqu'à  nous,  avec  une  précision 
suggestive,  l'antique  organisation  de  l'assemblée  car- 
dinalice. 


LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 


II 


LA    CREATION    DES   CARDINAUX.    —  LES   POSTES 
CARDINALICES. 

A  Torigine,  lorsque  le  substantif  cardinal  n'était 
qu'une  épithète  désignant  les  chefs  du  clergé  romain, 
la  création  des  cardinaux  était  faite  par  le  pape,  dans 
les  solennités  des  Quatre-Temps,  après  consultation 
du  peuple.  A  mesure  que  se  modifia  le  caractère  du 
collège  cardinalice,  le  mode  d'élection  changea.  Le 
pape,  en  deux  consistoires  secrets,  interrogeait  les 
cardinaux  sur  le  choix  de  leurs  nouveaux  collègues  ; 
et  ceux-ci  recevaient  le  chapeau  en  consistoire  public. 

Aujourd'hui  le  pape,  de  sa  volonté  propre,  comble 
les  vides  du  Sacré  Collège.  C'est  Sixte-Quint  qui  fixa 
à  soixante-dix  le  nombre  des  cardinaux,  en  souvenir 
des  soixante-dix  vieillards  qui  formaient  le  conseil 
de  Moïse  ;  et  la  fréquence  ou  la  rareté  des  promo- 
tions, le  nombre  des  chapeaux  qui  y  sont  imposés 
dépendent  complètement  de  la  volonté  du  pape. 
Léon  X  fit  d'un  coup  trente  et  un  porporati  ;  on  peut, 
en  revanche,  citer  des  consistoires  où  un  seul  fut  créé. 
Présentement,  il  y  a  d'ordinaire  deux  consistoires 
par  an.  Théoriquement,  aucune  limite  d'âge  n'est 
prescrite  :  Jean  de  Médicis,  plus  tard  Léon  X,  fut 
cardina\-diacre  à  sept  ans.  Mais  le  concile  de  Trente, 
en  recommandant  d'apporter  au  choix  des  cardinaux 
la  même  attention  qu'au  choix  des  évêques,  a  fait 
obstacle  ù  ces  élévations  prématurées;  aux  dix-sep- 
tième et  dix-huitième  siècles,  elles  ne  sont  consenties 


LA  CRÉATION  DES  CARDINAUX.  9 

par  les  papes  qu'en  faveur  de  certains  membres  des 
maisons  souveraines;  encore  le  concile  de  Trente 
avait-il  prescrit  de  ne  point  multiplier  à  Texcès  les 
promotions  d'enfants  royaux.  De  nos  jours,  ces  excep- 
tions mêmes  ont  disparu  :  le  plus  jeune  cardinal,  à 
l'heure  actuelle,  a  trente-huit  ans.  Un  simple  clerc 
peut  être  gratifié  de  la  pourpre;  en  peu  de  jours, 
alors,  il  reçoit  le  diaconat  et  la  prêtrise  ;  s'il  s'arrête 
au  diaconat,  c'est  là,  naturellement,  une  raison  déci- 
sive pour  qu'il  appartienne  aux  cardinaux-diacres. 
Le  collège  cardinalice,  représentant  l'Église  uni- 
verselle, peut  contenir  des  prélats  de  toutes  nations. 
En  fait,  le  nombre  des  cardinaux  étrangers  va  crois- 
sant :  ils  étaient  huit  à  la  mort  de  Grégoire  XVI; 
Pie  IX,  qui  créa  durant  son  long  pontificat  cent  vingt- 
trois  cardinaux,  en  choisit  cinquante  et  un  hors 
d'Italie  ;  et  le  Sacré  Collège,  à  sa  mort,  comptait  vingt- 
cinq  Éminences  étrangères;  en  avril  1901,  ils  sont 
vingt-sept.  Il  n'y  a  qu'un  siège  épiscopal  qui  pré- 
destine son  titulaire  à  une  élévation  cardinalice  im- 
médiate :  c'est  le  patriarcat  de  Lisbonne,  en  vertu 
d'une  faveur  de  Clément  XII.  En  outre,  il  est  d'usage 
que  les  nonces  de  Paris,  Vienne,  Madrid  et  Lisbonne, 
l'assesseur  du  Saint-Office,  les  secrétaires  du  Sacré 
Collège,  de  la  congrégation  du  Concile  et  de  la  con- 
grégation des  évêques  et  réguliers,  le  majordome, 
le  vice-camerlingue,  l'auditeur  et  le  trésorier  de  la 
chambre  apostolique  soient  créés  cardinaux  lors- 
qu'ils quittent  ces  fonctions. 


10  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 


m 


LE   CONSISTOIRE   SECRET.  —  PROCLAMATION   DES   NOUVEAUX 
CARDINAUX.    —   LES    «    IN   PETTO    ». 

Quand  le  pape  a  décidé  la  nomination  d'un  cardi- 
nal, un  billet  de  la  secrétairerie  d'État  informe  l'élu. 
Ce  billet  annonce  la  dignité,  mais  ne  la  confère  pas. 
Supposez  le  pape  mourant  sur  ces  entrefaites  :  le  per- 
sonnage ainsi  désigné  ne  serait  point  admis  au  con- 
clave. Sa  proclamation  au  consistoire  est  un  complé- 
ment nécessaire  du  billet. 

On  appelle  consistoire  secret  une  réunion  des  car- 
dinaux, présidée  par  le  pape,  et  d'où  tous  autres  per- 
sonnages —  si  ce  n'est  les  rois  —  sont  exclus.  La 
veille  du  jour  iixé,  le  maître  des  ciirsores  apostolici 
(ainsi  désigne-t-on  les  messagers  officiels  du  Vatican) 
se  vient  agenouiller  aux  pieds  du  pape  :  «  Santé  et 
longue  vie,  Très  Saint-Père.  Y  aura-t-il  consistoire 
demain?  »  Le  pape  répond  :  il  y  aura  consistoire,  et 
il  en  précise  l'heure.  Alors  les  cursores  se  rendent 
chez  les  cardinaux  pour  leur  transmettre  la  nouvelle. 
A  l'heure  dite,  les  cardinaux  se  réunissent  dans  une 
salle  du  Vatican  :  sous  un  dais,  un  siège  de  damas 
rouge  est  réservé  au  pape.  Il  entre  avec  les  prélats 
de  sa  suite.  «  Tous  dehors!  «  crie  au  bout  d'un  instant 
le  gardien  du  consistoire.  Le  pape  reste  seul  avec 
les  cardinaux.  Il  fait  une  allocution;  il  enchaîne  par- 
fois ses  illustres  auditeurs  par  la  loi  du  secret;  plus 
souvent,  au  contraire,  il  livre  ses  paroles  à  la  presse 
H  nomme,  en  terminant,  les  personnages  qu'il  veut 


SECOND  BUT  DU  CONSISTUlUE  SECKKT.  11 

élever  à  la  pourpre.  En  souvenir  du  temps  où  l'on 
consultait  les  cardinaux,  il  demande  :  «  Que  vous 
semble-t-il?  çujrf  vohis  videlur?  »  Mueltement,  ceux- 
ci  mettent  bas  leur  calotte  rouge,  se  lèvent,  s'incli- 
nent... ils  ont  consenti.  «  Par  rautorilé  du  Dieu  tout- 
puissant,  reprend  le  pape,  par  celle  des  apôtres  Pierre 
et  Paul,  et  parla  nôtre,  nous  créons  cardinaux...  ».  Il 
poursuit  parfois  :  «  Nous  ajoutons  un  (ou  deux,  ou 
trois,  etc.)  cardinaux,  que  nous  réservons  pourtant 
m  pectore  et  qui  seront  proclamés  quand  nous  le  vou- 
drons ».  Ceux-ci  sont  dits  in  petto;  lorsque  le  pape, 
dans  un  consistoire  ultérieur,  dévoile  leurs  noms,  ils 
prennent  rang,  dans  le  Sacré  Collège,  d'après  la  date 
de  cette  incomplète  création,  et  touchent  à  partir  de 
cette  date  l'arriéré  des  rentes  annuelles  de  vingt-deux 
mille  francs  attribuées  à  tout  cardinal  de  curie.  Il 
arrive  que  le  maintien  de  certains  personnages  dans 
les  hautes  fonctions  de  la  prélature  apparaît  oppor- 
tun, et  que  le  pape  estime  équitable  de  ne  point 
ajourner  la  récompense,  au  moins  virtuelle,  dont  il 
les  veut  gratifier  :  il  les  fait  cardinaux  in  petto.  S'il 
meurt  sans  les  avoir  révélés,  ses  intentions  demeu- 
rent inefficaces  :  ni  le  conclave  ni  le  pape  nouveau 
ne  réputeraient  membre  du  Sacré  Collège  un  prélat 
que  la  rumeur  publique  prétendrait  cardinal  in  petto. 


IV 


SECOND    BIT   DU    CONSISTOIRE   SECRET  :    LA    PRÉCONISATION 
DES   ÉVÊQUES. 

C'est  aussi  en  consistoire  secret  que  le  pape  pré- 
conise les  évéques.  On  s'étonne  parfois,  en  France, 


12  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

qu'un  prélat  «  nommé  »  par  le  gouvernement  ne 
prenne  possession  de  son  siège  qu'après  plusieurs 
mois.  C'est  que  les  articles  4  et  5  du  Concordat,  en 
même  temps  qu'ils  concèdent  au  pouvoir  civil  la 
«  nomination  »  des  archevêques  et  des  évêques, 
réservent  au  pape  Y  «  institution  canonique  >>  de  ces 
hauts  dignitaires;  un  consistoire  est  nécessaire  pour 
qu'ils  reçoivent  cette  institution. 

On  distingue  trois  cas  :  ou  bien  l'évêché  vacant 
appartient  à  un  pays  où  la  hiérarchie  catholique 
est  immédiatement  soumise  à  la  congrégation  de  la 
Propagande  ;  ou  bien  il  est  immédiatement  dépen- 
dant du  Saint-Siège,  mais  le  Saint-Siège,  soit  qu'il 
ait  signé  avec  l'État  un  concordat,  soit  qu'il  ait  re- 
connu à  quelque  laïque  puissant  un  droit  de  patro- 
nat, soit  enfin  qu'il  ait  respecté  une  ancienne  préro- 
gative des  chanoines,  a  réservé  à  cet  État,  à  ce  laïque 
ou  à  ces  chanoines  la  nomination  de  l'évèque  ;  ou 
enfin  l'évêché  vacant,  immédiatement  dépendant  du 
Saint-Siège,  est  soumis,  par  surcroît,  à  la  nomina- 
tion directe  du  pape.  Au  premier  cas,  que  nous 
expliquerons  dans  le  chapitre  de  la  Propagande,  le 
pape  se  borne  à  «  déclarer  »,  dans  le  consistoire,  la 
nomination  épiscopale.  Au  second  et  au  troisième 
cas,  ce  n'est  pas  une  déclaration  qui  est  faite  par  le 
pape,  c'est  une  «  proposition  ». 

Par  une  instruction  de  1G27,  Urbain  VIII  prescrit 
la  minutieuse  enquête  dont  un  ecclésiastique  doit 
être  l'objet  avant  d'être  élevé  à  l'épiscopat.  Hors 
d'Italie  cette  enquête  est  faite  par  les  nonces,  qui  en 
transmettent  le  résultat  à  la  secrétairerie  d'État  : 
ainsi  s'explique-t-on  qu'un  gouvernement,  même 
investi  par  le  concordat  du  privilège  de  «  nommer  >^ 


SECOND  BUT  DU  CONSISTOIRE  SECRET.  Il 

les  évèques,  ne  fasse  aucune  nomination  sans  accord 
avec  la  nonciature;  un  rapport  favorable  du  nonci' 
l'st  nécessaire  pour  qu'un  évêque  «  nommé  »  reçoive 
l'institution  canonique.  L'enquête,  pour  les  évêchés 
d'Italie,  est  conduite,  depuis  le  pontificat  actuel, 
par  une  congrégation  de  cinq  cardinaux,  qui  doi- 
vent, même  avant  la  vacance  des  sièges,  envisager 
les  candidatures  qu'on  y  pourrait  proposer,  et  qui 
soumettent  au  pape,  à  chaque  vacance,  une  liste  de 
propositions.  Par  surcroît,  jadis,  devant  la  congré- 
gation pour  l'examen  des  évêques,  sous  les  yeux  du 
pape  ou  du  prélat  auditeur  de  Sa  Sainteté,  les  futurs 
évèques  d'Italie  subissaient  un  interrogatoire  en 
théologie  et  droit  canon  ;  cette  formalité  n'a  plus 
lieu.  Les  enquêtes  sont  contrôlées,  soit  par  la  con- 
grégation consistoriale  s'il  s'agit  de  promotions 
épiscopales  hors  d'Italie,  soit  par  le  prélat  audi- 
teur de  Sa  Sainteté,  s'il  s'agit  de  promotions  en 
Italie.  Si  le  contrôle  est  favorable  à  l'enquête  et  l'en- 
quête au  futur  évêque,  alors  le  notaire  du  consistoire 
rédige,  pour  le  pape  et  les  cardinaux,  un  abrégé  de 
ce  procès;  il  y  mentionne  la  vacance  du  siège,  l'état 
du  diocèse,  les  titres  du  candidat  proposé;  ce  docu- 
ment s'appelle  la  «  proposition  »  ;  après  approbation 
de  l'auditeur,  on  l'imprime,  et  on  le  distribue,  avant 
le  consistoire,  aux  membres  du  Sacr^  Collège.  D'autre 
part,  le  substitut  du  consistoire,  sous  la  surveillance 
de  l'auditeur,  rédige  pour  chaque  siège  les  «  feuilles 
consistoriales  ».  La  veille  de  l'assemblée,  il  en  doit 
remettre  quatre  minutes  au  pape,  au  vice-chancelier, 
au  camerlingue  et  au  secrétaire  des  Brefs.  Ces  feuil- 
les sont  courtes  :  elles  résument  la  «  proposition  ». 
«  Que  voussemble-t-il?  qnid  vohis  videtur?  »  demande 


14  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

ensuite  le  pape  aux  cardinaux.  Ceux-ci  se  lèvent  et  se 
découvrent.  Alors  le  pape,  «  par  l'autorité  du  Tout- 
Puissant  »,  prépose  à  FÉglise  veuve  Tévèque  désigné. 
L'expédition  des  bulles  par  la  chancellerie  aposto- 
lique complète  cette  promotion.  Dès  lors,  le  prélat 
élevé  à  la  dignité  épiscopale  s'intitule  «  évèque  élic 
de...  ».  C'est  seulement  après  sa  consécration  qu'il 
s'appellera  «  évèque  de...  »;  avant  le  consistoire,  s'il 
était  déjà  désigné  par  le  gouvernement,  il  se  quali- 
fiait «  évèque  nommé  de...  ».  Ces  étapes  de  la  pro- 
motion épiscopale  ne  sont  pas  moins  nettement 
définies  par  le  vêtement  que  par  le  langage  :  avant 
le  consistoire,  l'évèque  n'a  pas  droit  au  costume 
prélatice;  il  le  revêt  à  l'issue  du  consistoire;  consa- 
cré, il  prendra  la  croix  pastorale  et,  par-dessus  sa 
mantelletta,  la  mozette,  signe  de  juridiction. 


LE  CONSISTOIRE  PUBLIC  :  REMISE  DU  CHAPEAU  AUX  NOU- 
VEAUX CARDINAUX.  —  LE  SECOND  CONSISTOIRE  SECRET  : 
OUVERTURE   DE   LA    BOUCUE. 

A  l'issue  du  consistoire  secret,  les  nouveaux  cardi- 
naux résidant  à  Rome  accueillent  une  triple  visite  : 
on  leur  apporte,  au  nom  de  la  secrétairerie  d'État, 
le  billet  marquant  leur  élévation  ;  au  nom  de  la  chan- 
cellerie, le  décret  du  consistoire  qui  la  constate  ;  enfin 
un  maître  des  cérémonies  leur  indique  le  jour  et 
l'heure  où  le  pape  leur  remettra  la  barrette.  Les  car- 
dinaux étrangers  reçoivent,  en  général,  le  jour  même 
du  consistoire,   un  garde-noble,  qui  leur  porte  la 


LE  CONSISTOIRE  PUBLIC.  15 

calotte  rou^e,  et  un  prélat,  dit  ablégat,  porteur  de 
la  barrette  rouge. 

C'est  dans  la  salle  du  Trône,  au  milieu  des  cardi- 
naux, que  le  pape  remet  aux  nouvelles  Éminences 
italiennes  la  barrette  rouge,  et  les  couvre  de  la  mo- 
zette  violette.  Quant  aux  cardinaux  appartenant  à 
des  États  catholiques  en  relations  avec  le  Saint-Siège, 
le  chef  de  ces  États  leur  impose  la  barrette  :  la  céré- 
monie donne  lieu  à  un  échange  de  compliments  entre 
le  prince  ou  le  président  de  République,  d'une  part, 
Tablégat  et  les  cardinaux,  d'autre  part.  Généralement 
lorsqu'une  nation  catholique  entretient  des  relations 
avec  le  Saint-Siège,  il  appartient  au  chef  du  gouver- 
nement de  solliciter  du  pape,  pour  tel  évéque,  les 
honneurs  de  la  pourpre  ;  et  les  nominations  de  cardi- 
naux étrangers  résultent  parfois  de  longues  négocia- 
tions entre  le  pape  et  les  ambassadeurs.  Au  lende- 
main de  ces  négociations,  à  l'heure  même  où  le 
consistoire  en  ratifie  le  succès,  le  rôle  de  l'ablégat 
est  facile;  il  n"a point  à  faire  de  diplomatie;  il  revient 
décoré  par  le  chef  d'État,  et  parfois  enrichi  par  les 
cadeaux  du  cardinal. 

Les  nouvelles  Éminences,  pourvues  de  la  calotte 
et  de  la  barrette,  attendent  encore  le  chapeau  :  elles 
le  reçoivent  en  consistoire  public.  Sous  peine  de 
déchéance,  les  cardinaux  éloignés  de  Rome  s'y  doi- 
vent rendre,  dans  le  délai  d'un  an,  pour  prendre 
le  chapeau.  C'est  dans  la  salle  Royale  que  cette 
cérémonie  a  lieu.  Les  ambassadeurs,  l'aristocratie 
romaine,  un  certain  nombre  de  speclateurs  y  sont 
conviés.  Au  fond  se  dresse  le  trône  pontifical  : 
une  housse  de  soie  violette,  lamée  d'or,  le  recou- 
vre. 11  est  comme  encadré  par  la  superbe  tapisse- 


IG  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L  EGLISE. 

rie  des  Lions  :  entre  la  Justice  et  la  Charité,  la 
Religion  pose  ses  pieds  sur  le  globe  du  monde;  et 
deux  lions  accroupis  soutiennent  les  étendards  de 
l'Église,  timbrés,  sur  fond  rouge,  dune  tiare  et  de 
deux  clefs  en  sautoir.  A  droite  et  à  gauche  du 
pape,  jusqu'au  milieu  de  la  salle,  deux  banquettes 
sont  alignées  :  les  cardinaux  précédemment  créés 
y  prennent  place.  Au  début  du  consistoire,  ils 
s'approchent  du  trùne  et  baisent  la  main  du  pape. 
«  Accédant,  qu'ils  viennent  »,  dit  alors  un  maître 
des  cérémonies.  Cet  appel  s'adresse  aux  avocats 
consistoriaux  et  au  secrétaire  de  la  congrégation 
des  Rites;  ils  s'avancent:  et  l'un  des  avocats  lit 
une  instance  latine  concernant  une  canonisation 
ou  une  béatification.  En  souvenir  du  temps  où 
l'on  traitait  en  consistoire  toutes  les  affaires  de 
l'Église,  on  remplit  ainsi  les  vides  de  la  cérémonie 
par  la  lecture  d'une  pièce  relative  au  procès  d'un 
saint.  Après  quelques  minutes  de  lecture,  le  maître 
des  cérémonies,  sur  un  signe  du  pape,  interrompt 
l'avocat  consistorial  :  «  Recédant,  qu'ils  s'éloi- 
gnent »  ;  aussitôt,  devant  le  trône  papal,  le  vide  se 
fait.  Plusieurs  cardinaux,  créés  dans  les  plus  récents 
consistoires,  se  lèvent  :  ils  vont  chercher  à  la 
Sixtine  leurs  nouveaux  collègues.  Alors  le  maître 
des  cérémonies  prononce  un  nouvel  Accédant;  le 
secrétaire  des  Rites  et  les  avocats  consistoriaux 
réapparaissent,  et  la  lecture  se   poursuit. 

A  la  Sixtine,  peu  avant  l'ouverture  du  consistoire, 
les  nouveaux  membres  du  Sacré  Collège  ont  trouvé 
les  trois  doyens  de  l'ordre  des  évèques,  des  prêtres 
et  des  diacres,  et  le  camerlingue  :  en  leur  pré- 
sence, ils  ont  prêté  les  divers  serments  ordonnés  par 


LE  CONSISTOIRE  PLBLIC.  47 

Jules  II,  Pie  Y,  Sixte-Quint,  Grégoire  XV.  Ils 
■seront  fidèles  au  pape;  ils  l'aideront  à  «  conserver, 
défendre  ou  reconquérir,  contre  tous,  le  Siège 
llomain  et  les  biens  de  saint  Pierre  »;  ils  ne  permet- 
tront ni  ne  souhaiteront  Tinféodation  ou  l'aliénation 
(les  villes  et  campagnes  de  l'État  Romain.  Les  doyens 
d'ordres  et  le  camerlingue  ont  quitté  la  Sixtine, 
laissant  les  nouveaux  cardinaux  en  présence  de 
Dieu  et  de  leur  serment.  Sur  la  carte  de  l'Italie,  les 
États  de  l'Église  ont  disparu;  on  parle,  à  la  Sixtine, 
comme  s'ils  existaient.  Les  mots  ont  leur  force,  lors 
même  qu'ils  subissent  le  démenti  des  faits  ;  l'É- 
glise ainsi  maintient  à  l'ordre  du  jour  la  question 
romaine,  et  réfute  ceux  qui  la  disent  résolue;  un 
anachronisme  voulu,  mûri,  raisonné,  est-il  une 
erreur?  Transportés  dans  le  passé  par  la  formule 
même  de  leurs  serments,  les  nouveaux  cardinaux 
sont  ramenés,  bientôt,  à  la  réalité  présente,  par 
l'entrée  des  Éminences  qui  les  doivent  introduire 
dans  la  salle  Royale. 

Entourés  chacun  de  deux  collègues  plus  anciens, 
ils  s'acheminent  vers  le  pape.  L'avocat  consistorial 
et  ses  acolytes  sont  aussitôt  congédiés.  Chaque 
nouveau  cardinal  fait  trois  révérences,  baise  le 
pied  de  Sa  Sainteté,  puis  sa  main,  reçoit  du  pape 
la  double  accolade,  et  dessine  un  large  circuit, 
tout  le  long  des  sièges  :  en  passant  devant  chacun 
de  ses  collègues  une  double  accolade  est  échangée. 
Et  les  nouveaux  membres  du  Sacré  Collège  pren- 
nent place  à  leur  tour  sur  la  série  des  sièges  car- 
dinalices. Un  Accédant  encore;  le  pape,  après  avoir 
entendu,  pour  la  troisième  fois,  quelques  lignes  de 
la  harangue,  rapporte  la  connaissance  du  procès  à 


18  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

la  congrégation  des  Rites;  l'avocat  consistorial  se 
retire  :  on  ne  le  reverra  plus. 

Les  deux  premiers  cardinaux-diacres  entourent 
le  trône  pontifical  ;  et  leurs  nouveaux  collègues  se 
présentent  derechef.  «  Pour  la  gloire  du  Dieu  tout- 
puissant  et  l'ornement  du  Siège  Apostolique,  recois 
le  chapeau  rouge,  éminent  insigne  de  la  dignité 
cardinalice;  il  atteste  que  jusqu'à  l'effusion  de  ton 
sang  inclusivement,  pour  Texaltation  delà  foi  sainte, 
pour  la  paix  et  le  repos  du  peuple  chrétien,  pour 
Taccroissement  et  la  conservation  de  l'Église  romaine, 
tu  dois  te  montrer  intrépide  ».  Ainsi  parle  le  pape, 
et  sur  la  tête  des  nouveaux  cardinaux  il  place  une 
coiffure  que  lui  passe  le  majordome.  Elle  est  en  drap 
rouge,  doublée  de  soie  rouge,  avec  glands  et  cordons 
rouges;  les  paroles  du  pape  expliquent  le  symbo- 
lisme de  celte  couleur.  Les  bords  en  sont  larges,  la 
forme  ronde,  l'ensemble  plat,  presque  sans  fond. 
Jadis,  à  certaines  cavalcades  solennelles,  les  car- 
dinaux arboraient,  par-dessus  le  capuchon  de  leur 
chape,  cet  incommode  et  singulier  couvre-chef;  c'en 
est  fait  de  cet  usage.  Le  chapeau  pontifical  frôle  la 
tète  du  cardinal  pendant  quelques  secondes  du 
consistoire  ;  il  frôlera  ses  pieds  sur  le  lit  de  parade 
où  l'on  exposera  son  corps;  il  ornera  sa  bière,  et, 
suspendu  à  la  voûte  de  FËglise,  se  balancera  au- 
dessus  de  sa  sépulture.  C'est  à  la  mort  des  Émi- 
nences  que  commence  l'usure  des  chapeaux. 

Lorsque  les  élus  sont  coiffés,  le  consistoire  public 
s'achève.  Le  pape  se  lève,  bénit  le  Sacré  Collège;  la 
croix  papale,  les  Éminences,  les  prélats  sortent  avec 
lui.  Un  second  consistoire  secret,  dans  une  salle  voi- 
sine, commence  en  général  immédiatement.  «  Nous 


LES  INSIGNES  ET  L'ETIQUETTE  DES  CARDINAUX.     10 

VOUS  fermons  la  bouche,  dit  le  pape  aux  nouveaux 
porporaii,  de  façon  que,  ni  dans  les  consistoires,  ni 
dans  les  congrégations,  ni  dans  d'autres  fonctions 
vous  ne  puissiez  dire  votre  avis  ».  Peu  après,  il  leur 
rouvre  la  bouche.  Il  leur  passe  au  doigt  Tanneau, 
dont  ils  payeront  le  prix  à  la  Propagande;  il  leur 
assigne  un  litre  presbytéral  ou  une  diaconie.  La  pro- 
motion cardinalice  est  dès  lors  achevée. 


VI 

LES    LNSIGNES   ET   l/ÉïIOlETTE   DES   CARDINAUX. 

On  commet  un  archaïsme  en  parlant  de  la  pourpre  : 
voilà  plusieurs  siècles  que  les  cardinaux  n'en  font 
plus  usage.  Leurs  vêtements  sont  teints  en  écarlate 
simplement.  Par  le  costume  non  moins  que  par  l'ori- 
gine et  les  fonctions,  les  évoques,  prêtres  et  diacres 
cardinali  du  haut  moyen  âge  différaient  des  cardi- 
naux évèques,  prêtres  et  diacres  de  l'époque  ac- 
tuelle. C'est  seulement  au  temps  d'Innocent  IV,  en 
1245,  que  le  chapeau  rouge  devint  un  insigne  car- 
dinalice; Paul  II,  au  quinzième  siècle,  y  joignit  la 
calotte  et  la  barrette  rouges.  Avant  l'occupation  de 
Rome,  et  plus  encore  au  dix-huitième  siècle,  les  ha- 
bitudes princières  étaient  observées,  parles  cardinaux 
vivant  à  Rome,  avec  un  faste  minutieux.  A  l'anti- 
chambre des  domestiques,  deux  gendarmes  ponti- 
ficaux veillaient;  au-dessus  d'un  autel,  recouvert  de 
drap  rouge,  que  surmontait  un  baldaquin,  les  armes 
du  cardinal  apparaissaient;  deux  coussins  de  soie 
rouge  et  violette  et  deux  parasols  étaient  appendus 


20  LE  GOU\'ERNEMENT  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 

au  mur.  Les  coussins  étaient  emportés  par  la  suite  de 
rÉminence  lorsqu'Elle  se  rendait  à  une  solennité;  les 
parasols  surplombaient  son  carrosse  et  protégeaient 
rÉminence  lorsqu'Elle  se  découvrait  et  mettait  pied  à 
terre  pour  suivre  le  Viatique.  La  seconde  antichambre 
était  réservée  au  secrétaire.  Dans  la  troisième,  ap- 
pelée l'antichambre  noble,  la  barrette  était  déposée 
sur  une  crédence,  au  pied  du  crucifix.  La  salle  du 
Trône  suivait,  toute  tendue  de  rouge  :  on  y  voyait 
sous  un  baldaquin  de  soie  rouge  le  portrait  du  pape 
régnant,  et  un  fauteuil  en  soie  rouge,  retourné  du 
côté  du  mur  :  c'est  là  que  le  cardinal  recevait  la  visite 
du  pape.  Il  fut  un  temps  oii  le  train  de  maison  d'un 
cardinal  comprenait  seize  offices.  Quatre  voitures,  tel 
était  le  chiff"re  requis  pour  son  train  de  gala. 

Aujourd'hui  les  antichambres  des  cardinaux  de- 
meurent à  peu  près  conformes  à  la  disposition  clas- 
sique. Mais  le  pape  ne  visite  plus  la  salle  du  Trône; 
les  gendarmes  pontificaux  ne  se  relaient  plus  dans 
l'antichambre;  car,  hors  de  l'enceinte  du  Vatican,  le 
port  du  costume  de  gendarme  pontifical  serait  pas- 
sible d'emprisonnement;  la  soie  rouge  du  parasol  ne 
protège  plus  les  pompeux  étalages  du  cardinal  et  de 
sa  suite  ;  ces  étalages  eux-mêmes  ont  cessé  d'être  pom- 
peux. Sur  les  routes  avoisinant  Rome,  aux  heures 
qui  précèdent  le  crépuscule,  on  rencontre  souvent  un 
étrange  cortège  :  un  ecclésiastique,  de  noir  vêtu, 
portant  discrètement  au  chapeau  une  torsade  rouge 
et  or;  à  quelques  pas,  un  domestique;  à  quelques 
pas  encore,  une  voiture  couverte,  que  traînent  len- 
tement deux  chevaux  noirs.  Voilà  la  promenade  ac- 
tuelle d'un  cardinal  de  la  Sainte  Église.  Il  met  pied  à 
terre,  hors  de  Rome  seulement,  et  regagne  son  car- 


LES  FONCTIONS  RESERVEES  AUX    CARDINAUX.        21 

rosse  jalousement  fermé,  pour  rentrer  dans  la  ville. 
Les  circonstances  politiques  et  la  diminution  des  res- 
sources du  Sacré  Collège  ont  singulièrement  simplifié 
l'existence  des  princes  de  l'Église.  Ce  n'est  pas  avec 
vingt-deux  mille  francs  de  rente  qu'ils  pourraient 
imiter  les  cardinaux  des  siècles  passés. 

Mais  ils  demeurent  des  princes  Éminentissimes. 
C'est  Urbain  VIll,  en  1G30,  qui  attribua  aux  cardinaux 
le  titre  d'Éminence.  Ils  ont  un  écusson,  qui  reproduit 
les  armoiries  de  leur  famille,  ou  celles  de  leur  ordre 
s'ils  appartiennent  au  clergé  régulier,  ou  des  armoi- 
ries de  convention.  Ils  traitaient  jadis  avec  les  rois  sur 
un  pied  d'égalité,  et  les  appelaient  :  «  Mon  cher  cou- 
sin ».  A  l'égard  des  évoques,  archevêques,  patriarches 
même,  ils  possèdent  la  préséance  :  elle  leur  était  déjà 
reconnue  au  concile  de  Lyon  en  12io.  En  France,  enfin, 
le  décret  de  messidor  fait  passer  les  cardinaux,  dans 
les  cérémonies,  «  immédiatement  après  les  princes 
français  »  et  les  «  grands  dignitaires  »,  avant  les 
«ministres  »  et  les  «  grands  officiers  de  l'Empire  ». 


VII 


LES   FONCTIONS    RESERVEES    ACX    CARDINAUX. 
LE   VICAIRE   DU    PAPE.  —  LE   GKAND    PÉNITENCIER. 

Dans  le  gouvernement  de  l'Église,  certaines  fonc- 
tions sont  réservées  aux  cardinaux.  Le  vice-chance- 
lier, le  prodataire,  le  secrétaire  des  Brefs,  le  secré- 
taire des  Mémoriaux,  ont  nécessairement  la  pourpre; 
nous  reviendrons  sur  eux  au  chapitre  IV.  Le  secré- 
taire d'État  sera  l'objet  du  chapitre  V.  Il  sera  question 


•22  LE  GOUVERNEME>T  CENTRAX  DE  L'ÉGLISE. 

du  camerlingue  à  propos  du  conclave.  Nous  parlerons 
seulement,  pour  linstant,  de  deux  cardinaux  dont  la 
charge  est  si  constamment  utile  à  la  vie  de  TÉglise, 
qu'ils  la  conservent  durant  la  vacance  du  Siège  Apos- 
tolique :  le  Vicaire  et  le  grand  Pénitencier. 

Le  pape,  évèque  de  Rome,  doit  administrer  un  dio- 
cèse et  conférer  aux  clercs  l'ordination.  Il  se  remet  de 
ce  soin  à  un  vicaire,  qui,  depuis  Paul  IV,  est  revêtu  de 
la  pourpre.  Le  cardinal-vicaire  est  assisté  dun  évèque 
désigné  par  le  pape,  «  Monseigneur  le  vice-gérant  ». 
Le  diocèse  de  Rome  est  petit  :  il  s'étend  à  quarante 
milles  au  delà  des  murs  de  la  ville.  Dans  ce  rayon 
même,  il  subit  de  graves  amputations  :  les  diocèses 
suburbicaires,  dont  les  cardinaux-évêques  sont  titu- 
laires, projettent  des  pointes  jusqu'aux  approches  de 
Rome  ;  et  la  juridiction  du  cardinal-vicaire  hors  des 
murs  s'exerce  seulement,  en  fait,  sur  les  langues  de 
terre  qui  ont  échappé  à  l'enclave  de  ces  diocèses.  Dans 
Rome  même,  Saint-Pierre,  Saint-Jean  de  Latran, 
Sainte-Marie  Majeure,  ont  leurs  cardinaux  archiprê- 
tres  spéciaux.  <(  Vicaire  général  de  Sa  Sainteté,  juge 
ordinaire  de  la  curie  romaine  et  de  son  district  »,  tel 
est  le  titre  attribué  par  la  Gerarchia  à  TÉminentissime 
Respighi. 

Sous  la  domination  pontificale,  le  Vicaire  avait  une 
juridiction  civile;  il  punissait  les  transgresseurs  des 
lois  religieuses  :  le  «  juge  »,  aujourd'hui,  est  inoc- 
cupé. Mais  le  Vicariat  n'est  point  une  sinécure. 
Rome  et  sa  banlieue  comptent  cinquante-sept  pa- 
roisses ;  vingt-six  sont  confiées  à  des  prêtres  sécu- 
liers, trente  et  une  à  des  réguliers  :  voilà  les  sujets  du 
Vicaire.  Il  préside  la  congrégation  de  la  Visite  Apos- 
tolique, que  créa  Clément  VIII,  en  1502,  pour  la  sur- 


LES  FONCTIOiNS  RESERVEES  AUX  CARDINAUX.       23 

veillance  des  paroisses  et  pieux  établissements  de  la 
Ville  éternelle.  Il  délivre  les  pouvoirs  pour  confesser; 
il  surveille  les  séminaires  et  procède  aux  ordinations. 
Le  prêtre  étranger,  de  passage  à  Rome,  obtient  du 
Vicariat  la  permission  de  dire  la  messe.  Lévéque 
étranger,  de  passage  à  Rome,  à  moins  qu'il  ne  dépende 
de  la  Propagande,  doit  deux  visites  au  Vicaire,  l'une 
à  l'arrivée,  l'autre  au  départ;  jadis,  la  congrégation 
pour  la  résidence  des  évéques  surveillait  leur  voyage, 
de  peur  que.  contrairement  aux  règles  de  Trente,  ils 
ne  s'attardassent  loin  de  leur  chrétienté;  la  Gerarcliia 
aujourd'hui  lui  attribue  deux  membres  seulement, 
un  président  et  un  secrétaire  ;  or  le  président  est  le 
cardinal-vicaire;  grâce  à  cet  office,  après  quelques 
années  d'exercice,  il  a  pu  entretenir  les  prélats  du 
monde  entier. 

Il  préside,  aussi,  la  commission  d'archéologie  sa- 
crée. Dans  une  salle  du  Vicariat,  décorée  d'aquarelles 
reproduisant  les  peintures  des  catacombes,  beaucoup 
de  reliques  sont  déposées  :  cette  collection,  appelée 
Lipsanothèque,  s'enrichit  et  s'appauvrit  chaque  jour. 
Elle  s'appauvrit  en  faveur  des  évéques  et  des  fidèles, 
qui  sollicitent  du  Vicaire  quelques  reliques.  Elle  s'en- 
richit aux  dépens  des  catacombes.  Dès  1672,  Clé- 
ment X  chargeait  le  cardinal  Carpegna  de  faire  retirer 
les  corps  des  catacombes  par  un  «  gardien  des  reli- 
ques et  visiteur  des  cimetières  ».  Ces  fonctions  appar- 
tinrent, dans  la  suite,  à  des  archéologues  de  valeur, 
Boldetti,  Marangoni.  Les  reliques  exhumées  se  con- 
servaient chez  le  «  gardien  ».  Pie  VII,  en  1801,  leur 
affecta  un  local  :  ce  fut  d'abord  le  Collège  Romain, 
puis  en  1824  le  collège  de  l'Apollinaire,  enfin,  depuis 
18o;j,    le    Vicariat.    Le     savant   de  génie,   dont  les 


24  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

découvertes  éclairèrent  la  Rome  souterraine,  Jean- 
Baptiste  de  Rossi,  était  secrétaire  de  la  commission 
d'archéologie  sacrée  jointe  à  la  Lipsanothèque;  entre 
les  savants  qui  trouvent  les  reliques  et  les  dévots  qui 
les  cherchent,  le  Vicariat  sert  d'intermédiaire. 

Entre  le  chrétien  et  Dieu,  la  Pénitencerie  s'inter- 
pose, pour  définir  à  celui-là  ce  que  permet  celui-ci 
et  à  quelles  conditions  il  pardonne.  Elle  accorde  des 
dispenses  et  efface  des  fautes  :  son  rôle  est  double. 
Il  est  des  cas  de  conscience  qu'elle  seule  peut  tran- 
cher; il  est  des  consciences  qu'elle  seule  peut  laver. 
On  ne  la  connaît  guère  à  Rome  que  par  les  confes- 
sionnaux installés  dans  les  trois  grandes  basiliques  : 
à  certaines  heures,  des  religieux  y  résident  (ce  sont 
les  pénitenciers),  et  de  grandes  baguettes  y  sont  sus- 
pendues ;  le  visiteur  qui  passe  s'agenouille  ;  de  sa 
baguette,  le  religieux  lui  touche  la  tète;  cet  acte  de 
piété  fait  gagner  une  indulgence.  Les  pénitenciers 
confessent,  aussi,  dans  les  diverses  langues.  Pour  la 
foule  des  menus  pécheurs,  la  Pénitencerie  n'est  rien 
autre  chose.  Mais  ouvrez  la  Gerarchia;  au  service  de 
cette  administration,  vous  trouvez  une  complexe 
bureaucratie.  Elle  éclaire  et  rassure  les  consciences 
les  plus  inquiètes  de  la  chrétienté.  A  sa  tète  elle  a  le 
cardinal  grand  Pénitencier.  Exceptionnellement,  du- 
rant quatre  jours  de  la  Semaine  Sainte,  il  promène 
la  baguette,  dans  les  grandes  basiliques,  sur  les  têtes 
courbées  devant  lui.  Le  reste  de  l'année,  il  fait  office 
de  théologien,  de  canoniste  et  de  casuiste;  tantôt,  il 
répond  lui-même  aux  requêtes  qui  lui  sont  faites; 
tantôt,  pour  les  cas  graves,  il  consulte  le  pape.  Le 
régent  de  la  Pénitencerie,  qui  sert  de  Vicaire  général, 
discute  avec  lui  les  questions  et  signe  à  sa  place  les 


LES  FONCTIONS  RÉSERVÉES  AUX  CARDINAUX.       .25 

rescrits;  mais  le  grand  Pénitencier  peut  décider  par 
lui-même,  sans  prendre  conseil  de  personne;  aucun 
préfet  de  congrégation  ne  possède  une  telle  pléni- 
tude de  pouvoirs;  les  procureurs,  le  correcteur,  le 
dataire,  le  scelleur  et  le  pro-scelleur  attachés  à  la 
Pénitencerie,  ne  sont  que  des  subalternes. 


CHAPITRE  II 

Comment  un  pape  meurt  et  comment  on 
devient  pape. 


L  AGONIE   PAPALE.    —   MORT   DE   PIE   IX. 

Le  7  février  1878,  Pie  IX  vit  venir  la  mort.  Il  en- 
tretint son  confesseur.  Le  sacriste,  évêque  de  l'ordre 
de  Saint- Augustin,  apporta  le  viatique  et  l'extrême- 
onction  :  habillé  de  noir,  avec  un  cordon  vert  au  cha- 
peau, il  brille,  parmi  la  foule  violette  des  prélats, 
par  la  simplicité  du  costume;  mais  aux  grands 
offices,  au  lit  d'agonie,  bref  à  tous  les  rendez-vous 
solennels  entre  le  pape  et  Dieu,  il  intervient  pour 
certaines  fonctions  privilégiées.  Le  cardinal  péni- 
tencier prononça  la  grande  absolution  suprême.  Et 
les  pénitenciers  de  Saint-Pierre  —  une  douzaine 
de  mineurs  conventuels  —  psalmodiaient,  là-bas,  les 
psaumes  de  la  Pénitence.  Dans  la  chambre,  cardi- 
naux et  camériers  affluaient.  Vers  trois  heures, 
Pie  IX  les  bénit.  A  cinq  heures  et  demie,  il  n'était 
plus. 


L.V  SOUVERAINETÉ  DE  L'ÉGLISE.  57 


II 


I.A  SOUVERAINETE  DE  L  ÉGLISE,  .IISQUA  L  ELECTION  DU 
Sl'CCESSEUR,  EST  EXERCÉE  COLLECTIVEMENT  PAR  LE 
SACRÉ    COLLÈGE. 

Lo  cardinal  Simeoni,  secrétaire  d'État,  notifia 
la  mort  au  corps  diplomatique;  ce  fut  le  dernier  acte 
de  ses  fonctions  :  elles  expiraient  avec  son  maître. 
L'Éminentissime  Monaco  La  Valletta  fit  afficher  aux 
portes  des  églises  une  notification  au  clergé  et  au 
peuple;  il  ne  s'intitulait  plus  «  vicaire  général  de 
Notre  Très  Saint  Seigneur  Pape  »,  mais  «  vicaire  gé- 
néral et  juge  ordinaire  de  Rome  »  :  il  conservait, 
pendant  l'interrègne,  la  gestion  du  diocèse  de  Rome. 
Le  cardinal  Bilio,  grand  Pénitencier,  gardait  aussi 
son  office  :  la  Pénitencerie  ne  saurait  chômer,  tant 
qu'il  y  a  des  pécheurs.  Les  secrétaires  et  employés 
des  Congrégations  continuaient  de  vaquer  à  leurs 
besognes  ;  mais  ils  en  référaient  au  Sacré  Collège  ou 
au  camerlingue,  non  plus  aux  préfets.  La  Chancelle- 
rie, la  Daterie,  la  secrétairerie  des  Brefs,  qui  expé- 
dient les  lettres  et  faveurs  pontificales,  fermèrent 
leurs  bureaux.  L'administration  intérimaire  de  l'É- 
glise revenait  aux  cardinaux;  ils  la  devaient  exercer 
discrètement  et  se  souvenir,  surtout,  que  «  durant 
l'interrègne  rien  ne  doit  être  innové  ». 

L'étiquette  affirmait  leur  nouvelle  souveraineté.  Du 
vivant  du  ])ape,  dans  Rome,  ils  couvrent  leur  rochet 
d'une  manlellclla  et  d'une  mozette;  le  pape  mort, 
ils  le  découvrent;  leur  juridiction  n'est  plus   res- 


28  LE  GOUVERNEMENT  CENTIL^L  DE  L  ÉGLISE. 

treinle  par  une  autorité  supérieure.  Ils  n'admettent 
plus  personne  à  leurs  côtés  dans  leur  voiture.  Réunis 
même  en  petit  nombre,  le  fidèle  s'agenouille  devant 
eux,  comme  devant  le  Saint-Père.  Le  soir  même  du 
7  février,  commença,  pour  les  cardinaux,  cette  gran- 
deur éphémère. 


III 


LES  DEPOSITAIRES  DU  POUVOIR  EXÉCUTIF  1  CARDINAL  CA- 
MERLINGUE (JOACUIM  PECCI),  TRIUMVIRAT  DES  CARDI- 
NAUX  CHEFS   d'ordres. 

Le  Sacré  Collège  ne  peut  être  directement  mêlé  à 
tous  les  actes  de  l'interrègne  :  on  ne  conçoit  pas  la 
puissance  executive  entre  soixante-dix  mains.  Elle 
est  confiée  à  quatre  cardinaux.  Trois  d'entre  eux 
forment  un  directoire,  renouvelable  :  jusqu'au  qua- 
trième jour  du  conclave,  il  comprend  les  trois  doyens 
d'ordres;  ils  font  place,  ensuite,  aux  trois  sous- 
doyens;  si  le  conclave  se  prolonge,  de  trois  en  trois 
jours  on  change  le  directoire,  en  suivant,  pour  cha- 
que ordre,  la  liste  chronologique  des  promotions. 
Quant  au  quatrième  cardinal,  le  camerlingue,  il 
conserve  jusqu'à  l'élection  du  pape  son  office  exécu- 
tif. Sa  puissance  est  ancienne  :  dès  le  onzième  siècle, 
chef  de  la  Chambre  apostolique,  il  présidait  la  ges- 
tion des  biens  du  Saint-Siège  et  des  États  Romains; 
par  surcroît,  il  avait  l'intendance  de  la  maison  ponti- 
ficale. Il  fut,  au  quatorzième  siècle,  déchargé  de  ce 
dernier  soin;  sa  puissance  politique,  réduite,  au 
seizième,  par  la  secrétairerie  d'État,  fut  annihilée 
par  les  réformes  de  Grégoire  XVI  et  Pie  IX.  A  l'heure 


LES  DEPOSITAIRES  DU  POUVOIR  EXÉCUTIF.  29 

actuelle,  du  vivant  du  pape,  il  reçoit  le  serment  d'un 
certain  nombre  de  fonctionnaires  pontificaux  :  voilà 
sa  seule  besogne.  Cependant  lélévation  d'un  camer- 
lingue demeure  solennelle.  En  septembre  1877,  la 
mort  du  cardinal  De  Angelis  rendit  la  charge  va- 
cante. En  consistoire  secret,  Pie  IX  déclara  :  «  Par 
l'autorité  du  Dieu  tout-puissant  et  celle  des  Apôtres 
Pierre  et  Paul,  nous  confions  la  charge  de  camer- 
lingue de  la  Sainte  Église  Romaine  au  cardinal  Joa- 
chim  Pecci,  et  nous  le  créons  et  députons  tel,  pour 
sa  vie  durant,  avec  toutes  les  charges,  privilèges  et 
facultés,  selon  la  teneur  des  bulles  apostoliques.  In 
nominc  Patris  et  Filii  et  Spiritus  Sancti.  Amen!  » 

Vingt-quatre  heures  après,  dans  les  appartements 
pontificaux,  se  déroulait  le  second  épisode  de  l'avè- 
nement du  camerlingue.  «  Rerois  le  bâton  de  ta  ju- 
ridiction et  de  ton  autorité,  disait  Pie  IX  au  cardinal 
Pecci,  et  sois  le  camerlingue  de  la  Sainte  Église 
Romaine  ».  Il  lui  tendit  le  bâton  symbolique  que 
couronnent  deux  pommes  d'or. 

Ces  solennités  s'expliquent,  parce  qu'à  la  mort  du 
pape  le  camcrlingat  cesse  d'être  une  sinécure.  Ins- 
tituant le  conclave  en  4274,  Grégoire  X  écrivait  : 
«  Que  tout  reste  sous  la  garde  de  celui  à  la  fidélité  et 
à  la  diligence  duquel  a  été  confiée  la  Chambre  aposto- 
lique ».  Six  siècles  durant,  le  camerlingue,  pendant 
linterrègne,  apparut  aux  Romains  comme  le  repré- 
sentant provisoire  de  l'autorité  suprême  :  il  battait 
monnaie  à  ses  armes;  à  travers  la  ville,  la  garde 
pontificale  escortait  son  train  de  gala.  En  1878,  le 
•  ardinal  Pecci  dut  rompre  avec  ces  traditions  :  il  gé- 
rait l'intérim  d'une  souveraineté  spoliée.  Mais  cette 
situation  même  lui  créait  une  lourde  responsabilité, 

2. 


,{0         J.E  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE, 

son  office  regagnait  en  importance  ce  qu'il  perdait  en 
éclat  :  les  lois  antérieures  et  des  instructions  de 
Pie  IX  chargeaient  le  camerlingue  de  préparer  le  con- 
clave, d'en  surveiller  les  incidents  et  den  protéger  la 
liberté.  Pour  régler  les  funérailles  du  premier  pape 
dépossédé  et  pour  exercer  dans  l'enceinte  du  Vatican 
la  régence  de  TÉglise  orpheline,  un  ordonnateur  de 
pompes  ecclésiastiques  neùt  point  suffi  :  le  cardinal 
Pecci  avait  une  plus  haute  conception  de  sa  mission. 


IV 


LES  FUNERAILLES  PAPALES.  —  CEREMONIES   QUI  SUIVIRENT 
LA    MORT    DE    PIE   IX. 

Deux  heures  après  la  mort  de  Giovanni  Mastaï, 
que  l'Italie  et  l'Église  avaient  aimé  sous  le  nom  de 
Pio  Nono,  le  cardinal  Pecci  s'approcha  du  lit  fu- 
nèbre. 11  portait  la  luanlelletta,  comme  si  le  pape  vi- 
vait. Le  voile  blanc,  qui  cou\Tait  le  visage  de  Pie  IX, 
fut  levé  :  «  Giovanni  !  Giovanni  !  Giovanni  !  »  appela 
le  camerlingue  ;  et  par  trois  fois  il  lui  frappa  le  front 
d'un  marteau  d'argent.  A  trois  reprises  la  bouche  de- 
meura muette,  les  rides  immobiles.  «  Le  pape  est 
vraiment  mort  »,  dit-il  aux  assistants.  Et  le  JJe  Pro- 
fundis  retentit.  Alors  le  maître  de  chambre,  M^""  Mac- 
chi,  aujourd'hui  cardinal,  enleva  du  doigt  de  Pie  IX 
l'anneau  du  pécheur,  dont  l'effigie,  depuis  trente- 
deux  ans,  timbrait  les  brefs  pontificaux;  il  le  rendit 
au  camerlingue.  La  voix  d'un  protonotaire  s'éleva  : 
il  lisait  le  procès-verbal  de  ces  cérémonies,  constata- 
tion du  décès,  dépôt  de  l'anneau.  Et  le  cardinal  Pecci 


LES  FUNÉRAILLES  PAPALES.  31 

quitta  la  chambre.  Désormais  la  garde  suisse  l'es- 
cortait. 11  déposa  la  mantellella,  puisque  le  pape 
éUiit  vraiment  mort.  Et,  le  soir  même,  les  trois  chefs 
d'ordres  se  joignirent  à  lui  :  le  gouvernement  inté- 
rimaire était  constitué. 

Dans  l'antichambre  secrète,  sur  un  lit  recouvert 
de  soie  rouge.  Pie  IX  fut  couché.  Il  est  d'usage,  de- 
puis Paul  IV,  «  de  faire  une  fente  dans  le  corps  du 
pape,  de  l'ouvrit,  d'en  retirer  les  viscères,  de  le 
laver,  de  l'apprêter  ».  Ainsi  fut  embaumé  Pie  IX, 
dans  la  nuit  du  8.  On  mit  son  cœur  dans  une  urne 
de  marbre,  et  l'urne  elle-même  dans  les  cryptes  de 
Saint-Pierre.  Depuis  Sixte-Quint,  on  confiait  le  plus 
souvent  ces  dépouilles  à  l'église  des  Saints-Vincent  et 
.\nastase,  paroisse  du  «  palais  apostolique  »  du  Qui- 
rinal,  où  beaucoup  de  papes  moururent  :  le  Qui- 
rinal  n'est  plus  «  apostolique  »  ;  et  le  caveau  des 
Saints-Vincent  et  Anastase,  construit  sur  l'ordre  de 
Benoît  XIV,  attend  toujours  le  cœur  de  Pie  IX. 

Il  faut  beaucoup  de  lenteurs,  plusieurs  étapes  et 
plusieurs  toilettes,  pour  que  le  cadavre  d'un  pape 
sorte  du  Vatican.  Une  de  ces  étapes  fut  supprimée  en 
1878.  L'usage  voulait  que  le  mort,  revêtu  des  or- 
nements avec  lesquels  il  officiait,  passât  une  nuit 
dans  la  Sixtine.  Le  cardinal  Pecci  craignit  l'irrup- 
tion de  la  foule,  l'importun  concours,  surtout,  de  la 
police  italienne,  trop  jalouse  de  rétablir  l'ordre  dans 
le  Vatican  pour  qu'on  lui  en  offrit  le  prétexte.  L'a- 
dieu de  Pie  IX  aux  fresques  de  Michel-Ange  n'eut 
pas  lieu.  Cette  suppression  permit  au  camerlingue 
de  faire  transporter  Pie  IX  à  Saint-Pierre  dès  le 
soir  du  \)  :  l'ouverture  du  conclave,  ainsi,  fut  avancée 
d'une  journée. 


32  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

Dans  la  salle  même  où  il  était  exposé,  Pie  IX  fut 
revêtu  des  ornements  liturgiques.  Un  cortège  se 
forma.  Les  hallebardes  des  Suisses,  les  torches  du 
clergé  précédaient  les  livrées  rouges  des  Sediani, 
qui  soutenaient  la  bière  du  pape  mort,  comme  ils 
élèvent  la  Sedia  du  pape  vivant.  La  cour  et  la  famille 
pontificale  suivaient.  On  traversa  les  Loges  de  Ra- 
phaël, la  salle  Ducale,  la  salle  Royale;  et  par  une 
issue  latérale  qui  relie  Saint-Pierre  au  Vatican,  on 
déboucha  dans  la  chapelle  du  Saint-Sacrement.  La 
grille  en  était  fermée  :  au  delà,  dans  l'église,  la 
foule  se  pressait,  maintenue  par  la  police  italienne  ; 
en  deçà,  dans  la  chapelle,  le  chapitre  de  la  basi- 
lique attendait.  Pie  IX  fut  étendu  sur  un  petit  cata- 
falque :  les  pieds  dépassaient  les  barreaux,  afin 
que  la  foule  pût  les  baiser.  Il  était  alors  cinq  heures 
du  soir.  Jusqu'au  13,  le  corps  resta  là.  Grégoire  XV 
prescrit  que  les  funérailles  se  prolongeront  neuf 
jours;  les  chrétientés  d'Orient  observent  ce  délai 
pour  l'enterrement  de  leurs  patriarches.  L'épisode 
quotidien  de  la  neuvaine  funèbre  [Novemdiali)  doit 
être  la  célébration  d'une  grand'messe  à  Saint-Pierre. 
Jadis,  les  six  premiers  jours,  cet  office  était  célébré 
dans  la  chapelle  des  chanoines  par  un  cardinal;  du- 
rant les  trois  derniers  jours  dits  des  grandes  funé- 
railles, autour  d'un  catafalque  monumental  dressé 
dans  la  grande  nef,  cinq  cardinaux  donnaient  les 
absoutes.  En  1878,  le  sixième  service  des  chanoines 
et  le  premier  office  du  triduum  final  eurent  lieu  en 
même  temps;  le  conclave,  par  là,  fut  avancé  d'une 
seconde  journée. 

Il  est  de  règle  qu'un  pape  séjourne  à  Saint-Pieire 
douze  mois  au  moins  après   sa  mort.  C'est  le  13, 


LES  FUNERAILLES  PAPALES.  33, 

quatrième  jour  des  funérailles,  qu'eut  lieu  linhu- 
mation  provisoire  de  Pie  IX.  11  faisait  nuit;  la  foule 
avait  pris  congé  du  pape,  les  portes  étaient  fermées. 
Dans  la  chapelle  du  Saint-Sacrement,  projetant  sur 
le  cadavre  la  lueur  de  leurs  cierges,  les  cardinaux 
attendaient.  Les  chanoines  soulevèrent  le  lit  de  pa- 
rade, et  derrière  leur  fardeau  une  procession  s'a- 
ligna. La  chapelle  du  Saint-Sacrement  s'ouvre  sur 
la  nef  droite  de  la  basilique;  et  c'est  à  une  niche 
de  la  nef  gauche  que  le  pape  doit  être  confié.  Pour 
rejoindre  cet  asile,  la  funèbre  pompe  évoluait  à  tra- 
vers l'église;  elle  fr(jla  la  statue  de  saint  Pierre,  as- 
sise à  droite  de  la  grande  nef,  et  longea  la  Confes- 
sion, que  la  coupole  surplombe.  Elle  s'acheminait 
ainsi  vers  la  chapelle  du  choeur  des  chanoines,  où 
trois  cercueils  s'ouvraient.  Le  premier  était  en  cy- 
près :  parmi  les  chants  funèbres,  chapelains  et  gar- 
des-nobles y  couchèrent  le  cadavre;  le  majordome  y 
déposa  trois  bourses;  elles  contenaient  les  médailles 
d'or,  d'argent  et  de  bronze,  frappées  annuellement  à 
l'effigie  de  Pie  IX;  et  le  plus  ancien  des  cardinaux 
créés  par  le  défunt  mit  à  ses  pieds  un  tube  en  métal  ; 
un  parchemin,  contenu  dans  ce  tube,  donne  l'his- 
toire résumée  du  pontificat.  Un  voile  blanc  fut  jeté 
sur  la  tète,  un  voile  pourpre  sur  le  buste,  un  linceul 
en  brocart  sur  le  tout.  Le  notaire  du  cliapitre  lut 
un  procès-verbal  et  le  couvercle  fut  vissé.  On  y  mit 
quatre  cachets  en  cire,  rouge,  aux  armes  du  major- 
dome, de  rarchiprêtre  et  du  chapitre.  Dès  ce  mo- 
ment, le  corps  de  Pie  IX  n'était  plus  sous  la  garde 
(lu  Sacré  Collège;  les  chanoines  en  avaient  le  dép(M. 
Deux  cercueils  restaient  béants  :  l'un  de  plomb, 
l'autre  de  chêne.  On  renferma  le  cercueil  de  cyprès 


34  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

dans  le  cercueil  de  plomb;  le  camerlingue,  le  major- 
dome, rarchiprètre  et  le  chapitre  scellèrent  de  leurs 
armes;  on  avait  gravé,  en  latin,  sur  cette  seconde 
enveloppe  :  «  Corps  de  Pie  IX  pontife  souve- 
rain, qui  vécut  quatre-vingt-cinq  ans,  qui  gou- 
verna lÉglise  universelle  trente  et  un  ans,  sept 
mois  et  vingt-deux  jours.  Il  .mourut  le  sept  février 
mil  huit  cent  soixante-dix-huit  ».  La  croix  et  Té- 
cusson  du  mort  surmontaient  cette  épitaphe.  Elle 
disparut  bientôt,  avec  le  cercueil  de  plomb,  sous  le 
couvercle  du  troisième  cercueil. 

A  gauche  du  chœur  des  chanoines,  au-dessus  d'une 
porte  qui  mène  à  la  tribune  des  chantres,  à  mi-hauteur 
d'un  pilier,  une  niche  est  pratiquée  :  c'est  là  que  font 
halte  tous  les  papes,  avant  d'être  remis  à  leur  sépul- 
ture définitive.  Pour  hisser  le  triple  cercueil,  un  écha- 
faudage, des  treuils  et  des  poulies,  étaient  à  Tavanco 
disposés.  On  l'introduisit  dans  la  niche;  un  maçon  la 
referma  ;  une  plaque  de  marbre  oîi  on  lisait  Plus  lA, 
Pont.  Max.  fut  appliquée.  Et  Pie  IX  resta  là  jusqu'en 
juillet  1881,  date  de  son  transport  à  Saint-Laurent 
hors  les  Murs.  A  la  mort  de  chaque  pape,  ces  scènes 
se  répètent.  Lorsque  le  Souverain  Pontife  descend 
à  Saint-Pierre,  la  Confession,  la  Chaire,  la  Statue 
séculaire  de  l'Apùtre,  lui  rappellent  l'immortalité  de 
l'Église;  la  chapelle  du  Saint-Sacrement  à  droite,  la 
niche  funèbre  à  gauche,  stations  nécessaires  entre 
son  lit  d'agonie  et  sa  dernière  demeure,  lui  rappellent 
sa  propre  mortalité. 

Ce  n'est  pas  autour  du  cercueil,  renfermé  dès  le 
quatrième  jour,  mais  autour  d'un  catafalque  pom- 
peux, haut  de  .3", 50,  que  les  cardinaux  célébrèrent  le 
triduum   final  des  «  grandes  funérailles  ».  Pour  la 


L'ÉLÉVATION  DU  PAPE.  35* 

première  fois  en  1878,  elles  eurent  lieu,  non  point 
à  Saint-Pierre,  mais  à  la  Sixtine.  Au  dernier  jour, 
le  secrétaire  des  lettres  latines  prononça  l'éloge 
de  Pie  IX  :  c'est  l'acte  suprême  des  «  Novemdiali  ». 
Les  frais  de  ces  cérémonies  ne  dépassèrent  guère 
2(),(X30  francs.  Pie  IV,  au  seizième  siècle,  fixait  à 
90,(X)0  francs,  Alexandre  YIII,  au  dix-septième 
siècle,  réduisait  à  53,000  francs  les  dépenses  permises 
pour  un  pape  mort.  L'esprit  d'économie  dont  on  fit 
preuve  en  1878  était  conforme  aux  désirs  de  Pie  IX, 
qui  lui-même,  dans  son  testament,  réservait  pour  sa 
sépulture  à  Saint-Laurent  hors  les  Murs  la  somme 
modique  de  400  écus. 


l'élévation    du     I'APE,    la    LEGISLATION    TRADITIONNELLE 
DU    CONCLAVE. 

La  neuvaine  qui  suit  le  transport  à  Saint-Pierre 
n'est  pas  exclusivement  remplie  par  des  pompes  fu- 
nèbres :  en  même  temps  qu'ils  rendent  hommage  au 
passé,  les  cardinaux  préparent  l'élection  du  pape, 
c'est-à-dire  l'avenir. 

Nicolas  II,  en  1059,  sans  supprimer  l'intervention 
du  clergé  et  du  peuple  romain,  confia  le  choix  du 
pape  aux  cardinaux-évôques.  En  1180,  l'adhésion  du 
bas  clergé  et  le  consentement  du  peuple  disparurent 
complètement;  mais  Alexandre  III  décida  que  les 
cardinaux-prêtres  et  diacres  exerceraient,  à  l'égal 
des  évèques,  un  droit  électoral.  Il  prescrivit  aussi 
que  nul  ne  serait  pape  s'il  n'avait  les  deux  tiers  des 
voix,  enlevant  ainsi  tout  prétexte  à  des  insurrections 


36  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

d'antipapes.  Si  l'on  excepte,  à  la  fin  du  grand  schisme, 
l'élection  de  Martin  V,  à  laquelle  prirent  part,  avec 
les  cardinaux,  trente  prélats,  délégués  par  les  six 
nations  représentées  au  concile  de  Constance,  on  peut 
dire  que  la  détermination  du  corps  électoral  et  de  la 
majorité  légale,  depuis  Alexandre  III,  est  demeurée 
invariable.  Tout  cardinal,  même  excommunié  ou 
frappé  de  censures,  est  électeur  à  moins  qu'il  ne  soit 
démissionnaire,  déposé,  ou  privé  formellement  du 
vote  par  le  pape  défunt. 

Du  treizième  siècle  date  l'institution  du  conclave. 
Clément  IV  était  mort  en  1269  ;  l'interrègne  dura  deux 
ans  et  neuf  mois.  Encore  les  dix-sept  cardinaux 
l'eussent-ils  prolongé,  si  la  population  de  Viterbe  ne 
les  avait  enfermés  sans  autres  vivres  que  du  pain, 
sans  autre  boisson  que  de  l'eau.  L'austérité  de  la 
clôture  triompha  de  leurs  tergiversations  :  Grégoire  X 
fut  pape.  Le  caprice  des  gens  de  Viterbe  devint  loi 
pontificale;  par  une  constitution  de  1274,  les  élec- 
teurs du  pape  furent  soumis  à  une  rigoureuse  ré- 
clusion. L'abstinence  cénobitique,  même,  passa  dans 
ces  règlements  primitifs  :  Grégoire  X  réduisit  à  un 
plat  l'ordinaire  des  cardinaux  à  partir  du  troisième 
jour;  il  ne  leur  accordait,  au  bout  de  huit  jours,  que 
du  pain,  de  l'eau  et  un  peu  de  vin.  Le  temps  et  une 
bulle  de  Clément  VI  atténuèrent  ces  dernières  sévé- 
rités. Pie  IV  en  1562,  Grégoire  XV  en  1621,  Clé- 
ment XII  en  1732,  codifièrent  et  précisèrent  la  légis- 
lation antérieure.  Pratiquement,  aujourd'hui,  leurs 
bulles  et  règlements  font  lois;  mais  les  initiateurs 
furent  Alexandre  III  et  Grégoire  X. 

A  ces  instructions  positives  il  faut  joindre  deux 
bulles,  l'une  de  Jules  II  en  1303,  l'autre  de  Paul  IV 


L  ÉLÉVATION  DU  PAPE.  37 

rn  l.")5S.  La  première  annule  toute  élection  entachée 
de  simonie;  elle  excommunie  et  prive  de  leurs  di- 
gnités les  cardinaux  qui  trafiqueraient  de  leur  suf- 
frage. La  seconde  décrète  l'excommunication  ma- 
jeure, la  malédiction  éternelle  et  la  déchéance,  contre 
tout  personbage,  fùt-il  roi,  qui  traiterait,  à  l'insu  du 
pape  vivant,  de  l'élection  du  pape  futur.  Rien  n'em- 
pêche, en  revanche,  le  pape  vivant  d'indiquer  au 
Sacré  Collège  le  successeur  qu'il  souhaiterait  :  ainsi 
firent,  à  la  suite  de  Grégoire  VII,  plusieurs  papes  du 
douzième  siècle.  Clément  VII  au  seizième.  Innocent  X 
ot  Innocent  XI  au  dix-septième.  Mais  ces  recomman- 
dations n'avaient  pas  force  de  loi.  La  tentative  que 
tirent  au  sixième  siècle  Félix  IV  et  Boniface  II  pour 
s'adjoindre  un  coadjuteur  qui  serait  le  pape  futur 
réussit  assez  mal  à  ce  dernier  pontife;  elle  ne  fut 
jamais  renouvelée. 

On  peut  dire,  strictement,  qu'il  n'est  aucun  catho- 
lique masculin  qui  ne  soit  éligible  à  la  papauté. 
Jean  XIX,  pape  en  102i,  et  peut-être  Adrien  V,  pape 
en  1270,  étaient  laïques.  Durant  les  onze  premiers 
siècles  on  élisait,  d'habitude,  des  diacres  ou  des  prê- 
tres; jusqu'à  la  fin  du  neuvième,  un  seul  évêque, 
Formose,  obtint  la  tiare;  llildebrand,  devenant  Gré- 
goire VII,  n'était  que  diacre.  La  consécration  épisco- 
pale  du  pape  était  alors  le  complément  de  l'élection. 
Depuis  Mcolas  II,  tous  les  papes,  sauf  neuf,  sortirent 
du  Sacré  Collège  :  le  dernier  à  qui  la  pourpre  ait  fait 
défaut  fut  Urbain  VI,  en  1378;  cette  exception  faillit 
se  produire  en  1740,  au  conclave  d'où  sortit  finale- 
ment Benoît  XIV.  On  a  vu  des  cardinaux  devenir 
papes,  qui  n'avaient  reçu  ni  la  consécration  épisco- 
palc  ni  môme  la  prêtrise  :  Pie  III  en  1503,  Léon  X  en 

I.E    VATICAN.    —    11.  3 


38  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

1513,  étaient  seulement  diacres;  Martin  Y  en  1417, 
Sixte  IV  en  1471,  Clément  VIII  en  1594,  Clément  XI  en 
1700,  Clément  XIV  en  1769,  Pie  VI  en  1775,  et  Gré- 
goire XVI  en  1831,  étaient  de  simples  prêtres.  Depuis 
le  dix-septième  siècle,  les  élus  sont  en  général  de 
grande  ou  petite  noblesse  :  mais  Sixte-Quint  était  fils 
d'un  paysan.  Depuis  le  grand  schisme,  les  élus  sont 
des  Italiens,  à  Texception  des  deux  Borgia,  Espa- 
gnols, et  dWdrien  VI,  Hollandais;  mais  avant  cette 
époque,  dix  Français  à  Rome  et  sept  à  Avignon,  cinq 
Allemands,  vingt-deux  Espagnols  ou  Anglais,  et  dans 
les  huit  premiers  siècles  vingt-deux  Orientaux,  furent 
papes.  Les  publicistes  qui  soutiennent  que  «  le  pape 
doit  être  Italien  »  ne  sont  pas  des  canonistes. 

Quant  au  lieu  du  conclave,  dans  le  haut  moyen 
âge,  c'était  souvent  le  Latran,  parfois  le  Septizo- 
nium,  au  flanc  du  Palatin,  ou  bien  telle  ville  d'Italie 
où  mouraitun  pape  exilé.  Grégoire  X  et  Clément  V  fixè- 
rent une  loi  :  où  est  mort  le  pape,  là  doit  être  élu  le 
successeur.  Mais  depuis  le  trsizième  siècle,  elle  a  subi 
de  fréquentes  dérogations;  car  elle  n'annulait  pas  une 
règle  de  Nicolas  II  et  Grégoire  VII,  stipulant  qu'en 
cas  de  périls  ou  de  difficultés,  les  cardinaux  choisi- 
raient eux-mêmes  le  lieu  de  leur  réunion.  Le  Sacré 
Collège,  à  cet  égard,  eut  toujours  une  certaine  li- 
berté, et  les  précédents,  non  plus  que  les  règlements, 
ne  permettent  de  dire  que  l'élection  du  pape,  pour 
être  régulière,  doit  être  faite  à  Rome. 


PRESCRIPTIONS  NOUVELLES  DE  PIE  IX.  39 


VI 


CHANGEMENTS  SUBIS  AU  DIX-NEUVIEME  SIECLE  PAR  LA  LE- 
GISLATION TRADITIONNELLE  DU  CONCLAVE,  —  PRESCRIP- 
TIONS  NOUVELLES   DE    PIE   IX. 

La  législation  traditionnelle  fut  rigoureusement 
observée  jusqu'à  notre  siècle.  Mais  Pie  VI  captif  du 
Directoire,  Pic  VII  captif  deNapoléon,  Pie ÏXenfermé 
lu  Vatican,  redoutant,  pour  le  conclave,  des  entraves 
uu  des  violences,  signalèrent  au  Sacré  Collège,  par 
lies  constitutions  précises,  les  libertés  qu'il  pourrait 
prendre  avec  les  règlements.  Pie  VI,  en  1797,  permit 
aux  cardinaux  de  tenir  le  conclave  oii  ils  le  vou- 
draient, et  d'en  avancer  ou  d'en  retarder  l'ouverture 
sans  tenir  compte  du  délai  de  dix  jours.  En  1798,  il 
les  autorisa  à  s'affranchir  des  règles  si  les  deux  tiers 
le  croyaient  nécessaire;  car  «  ce  qui  importe,  écri- 
vait-il, c'est  moins  l'oltservation  de  cérémonies  et  de 
solennités  secondaires,  ([ue  la  possibilité  dune  élec- 
tion rapide  ».  Pie  VII,  en  1807,  renouvela  ces  tolé- 
rances. 

Pie  IX,  après  1870,  craignit  l'immixtion,  dans  le 
prochain  conclave,  de  la  royauté  italienne  et  des 
autres  États.  Puisque  l'administration  temporelle  de 
Rome  avait  passé  du  camerlingue  à  la  maison  de  Sa- 
voie, celle-ci  ne  prétendrait-elle  pas  hériter  des  pré- 
rogatives du  camerlingue  à  l'égard  du  conclave?  Plu- 
sieurs publicistes  italiens  caressaient  ces  ambitions. 
De  son  côté,  le  chancelier  de  Bismarck  insinuait  cer- 
taines menaces.  «  Nous  nous  abstiendrons  de  peser 
sur  l'élection  papale,  disait-il  au  Parlement  allemand 


40  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE 

le  i)  juin  IST,*];  mais  quand  on  nous  en  apprendra  le 
résultat,  nous  aurons  à  examiner  si  elle  a  été  faite 
dans  des  conditions  d'entière  légitimité  )>.  Un  an  au- 
paravant, dans  une  circulaire  diplomatique  qui  ne  fut 
publiée  qu'en  1874,  il  rappelait  l'extension  donnée  à 
l'autorité  pontificale  par  le  concile  du  Vatican,  et  dé- 
clarait formellement  qu'  «  avant  de  reconnaître  le 
futur  pape,  les  gouvernements  devaient  examiner  si 
son  élection  et  sa  personne  offraient  des  garanties 
suffisantes  contre  l'abus  d'une  pareille  autorité  ». 

En  1871  et  1874,  Pie  IX  rédigea  deux  bulles  en  vue 
du  conclave;  il  les  reprit  et  les  compléta  par  la  bulle 
Consulturi,  du  10  octobre  1877.  Lorsque  ce  dernier 
acte  fut  signé,  le  cardinal  Pecci  était  camerlingue  de- 
puis vingt  jours;  à  ce  titre,  il  avait  pris  part  aux  déli- 
bérations d'où  résultait  la  bulle.  Elle  dispense  les  car- 
dinaux de  suivre  les  lois  antérieures  concernant  le 
temps,  le  lieu,  la  clôture  et  les  cérémonies  accessoi- 
res du  conclaA'e  ;  en  revanche,  l'obligation  d'observer 
le  secret  est  maintenue.  Pie  IX  prévoit  deux  cas  :  la 
mort  du  pape  hors  de  Rome  ;  la  mort  du  pape  à  Rome. 
Au  premier  cas,  le  doyen  du  Sacré  Collège,  prenant 
l'avis  du  camerlingue  et  des  deux  autres  chefs  d'or- 
dres, fixera  le  lieu  du  conclave.  Au  second  cas,  les 
magistrats  civils,  jadis  fonctionnaires  de  la  Papauté 
et  préparés,  dans  une  certaine  mesure,  à  la  garde  du 
conclave,  seront  déchus  de  cette  prérogative;  les  car- 
dinaux présents  à  Rome  décideront  aussitôt,  à  la  ma- 
jorité absolue  des  voix,  si  le  conclave  doit  se  tenir 
hors  de  Rome  et  hors  d'Italie  ;  il  pourra  s'ouvrir,  dès 
que  la  moitié  plus  un  des  membres  du  Sacré  Collège 
seront  présents;  et  s'il  sul)it  quelque  violence,  il  sera 
dissous  et  transféré  hors  d'Italie.  Enfin  Pie  IX.  «  con- 


L\  RÉCEPTION  DES  AMBASSADEURS.  ^I 

sidérant  les  vicissitudes  et  les  périls  des  temps  pré- 
sents »,  ne  pouvait  se  défendre  de  "  souhaiter  vivement 
<]ue  le  lieu  désigné  pour  Télection  lût  choisi  hors 
d'Italie  ».  Ce  n'était  là  quun  vœu  pourtant;  et  un 
long  règlement,  du  10  janvier  1878,  prévit  au  con- 
traire les  plus  menus  détails  de  la  tenue  du  conclave 
au  Vatican.  Chaque  article  opposait  une  barricade 
aux  ingérences,  violentes  ou  discrètes,  que  la  royauté 
italienne  pouvait  commettre.  Il  était  prescrit  au  ca- 
merlingue de  faire  acte  immédiat  de  souveraineté  en 
dressant,  à  titre  d'officier  d'état-civil,  l'acte  de  décès 
du  pape,  et  en  correspondant  avec  les  représentants 
des  puissances.  Si  les  agents  italiens  demandaient  de 
communiquer  avec  le  Sacré  Collège,  ils  seraient  con- 
finés dans  un  parloir  installé  «  du  cùté  extérieur  des 
musées  »  ;  et  les  ambassadeurs  près  le  Saint-Siège 
seraient  officiellement  avertis  de  leurs  démarches. 
Enfin  si  l'on  tentait  quelque  coup  de  force  contre  le 
Vatican,  le  conclave,  une  fois  les  portes  brisées,  se- 
rait suspendu,  et  la  diplomatie  avisée. 

Depuis  1878,  la  situation  du  pape  à  Rome  n'a  point 
varié  :  Léon  XIII,  sans  doute,  a  maintenu  dans  leur 
ensemble  les  prescriptions  acceptées  ou  suggérées, 
on  1878,  par  le  camerlingue  Joachim  Pecci. 


VII 


LES   DIX   CONGREGATIONS    QVl   PRECEDENT   L  ENTREE   EN 
CONCLAVE.    —    LA    RÉCEPTION    DES    AMBASSADEURS. 

Clément  XII  a  tracé  le  programme  des  dix  congr(''- 
gations  plénières  que  doivent  tenir  les  cardinaux  entre 


42  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

le  transfert  du  pape  à  Saint-Pierre  et  l'entrée  en  con- 
clave. Le  doyen  les  préside  ;  le  secrétaire  du  Sacré 
Collège  y  fait  office  de  greffier  ;  deux  cérémoniaires  à  la 
porte  attendent  lesordres  de  l'assemblée.  En  1878,  les 
instructions  de  Pie  IX  amenèrent  les  cardinaux  à 
s'écarter  fréquemment  de  celles  de  Clément  XII. 

Dès  le  8  février,  dans  la  salle  des  Parements,  voi- 
sine de  la  Sixtine,  ils  eurent  une  première  réunion. 
Comme  Pie  IX  Tavait  désiré,  on  s'occupa  du  lieu  du 
conclave.  Le  9,  à  l'issue  de  la  seconde  congrégation, 
trente-deux  voix  contre  cinq  choisirent  Rome  Sans 
profiter  de  la  tolérance  accordée  par  Pie  IX,  on  dé- 
cida que  l'assemblée  électorale  serait  clôturée.  Troi- 
sième séance  le  10  :  comme  la  précédente  et  les  sui- 
vantes, elle  se  passait  dans  la  salle  des  consistoires. 
On  y  lut  les  bulles  et  règlements  concernant  la  no- 
mination des  pontifes  ;  on  ])risa  l'anneau  du  pécheur, 
détaché  du  doigt  de  Pie  IX;  on  adopta  les  plans  de 
l'architecte  Martinucci  pour  la  construction  du  con- 
clave dans  le  Vatican;  et  l'on  chargea  le  cardinal 
Franchi,  qui  devait  être  le  premier  secrétaire  d'État 
de  Léon  XIII,  de  signaler  aux  puissances  les  condi- 
tions exceptionnelles  parmi  lesquelles  s'ouvrait  le 
conclave.  Réuni  le  11  pour  la  quatrième  congrégation, 
le  Sacré  Collège  reçut  le  sous-dataire  et  le  secrétaire 
des  brefs  :  ils  apportaient,  dans  deux  caisses,  les 
requêtes  et  suppliques  restées  sans  réponse;  la  juri- 
diction pontificale  étant  suspendue,  elles  furent  con- 
fiées à  deux  prélats  de  la  Chambre  apostolique,  char- 
gés de  les  transmettre  au  pape  futur.  La  cinquième 
congrégation,  le  1:2,  désignales  médecins,  le  chirur- 
gien, le  pharmacien  et  le  confesseur  du  conclave.  On 
nomma  dans  la  sixième  les  six  maîtres  des  cérémo- 


L\  RÉCEPTION  DES  AMBASSADEURS.  43 

nies  qui  en  devaient  diriger  le  service  inU-rieur,  et 
deux  cardinaux  curent  mission  d'examiner  le  choix 
du  secrétaire  et  du  domestique  que  chaque  Éminence 
peut  enfermer  avec  elle.  La  septième  congrégation 
approuva  le  projet  de  note  diplomatique,  commandé 
quatre  jours  auparavant  au  cardinal  Franchi.  Dans 
la  huitième,  le  15,  on  commença  de  recevoir  les  am- 
bassadeurs. A  la  neuvième  furent  tirés  au  sort  les  nu- 
méros des  cellules  destinées  à  chaque  cardinal;  puis 
on  continua  les  réceptions  diplomatiques,  qui  se  ter- 
minèrent le  17  avec  la  dixième  congrégation. 

Le  cérémonial  en  est  soigneusement  fixé.  Dans  la 
salle  du  consistoire,  les  sièges  des  cardinaux  dessi- 
nent par  leur  ensemble  les  trois  côtés  d'un  carré  : 
le  quatrième  côté,  où  s'ouvre  la  porte,  reste  vide  : 
c'est  par  là  qu'entre  l'ambassadeur.  Il  salue  le  Sacre 
Collège,  en  s'agenouillant  s'il  représente  une  cour 
catholique,  en  s'incliriant  s'il  représente  une  cour 
protestante  :  les  cardinaux  se  lèvent  et  ôlent  leurs 
barrettes.  L'ambassadeur  témoigne  les  condoléances 
de  son  gouvernement.  A  peine  a-t-il  élevé  la  voix 
que  le  doyen  l'invite  à  se  couvrir.  Il  se  couvre. 
Derechef  à  la  lin  de  son  discours,  il  met  chapeau 
bas,  et  les  cardinaux,  derechef,  enlèvent  leurs  bar- 
rettes. Le  doyen,  au  nom  de  ses  collègues,  remercie 
le  visiteur  et  le  gouvernement  qui  l'envoie.  Après 
ces  harangues  officielles,  l'ambassadeur  entre  en 
conversation  plus  intime  et  plus  intéressante  avec 
les  Éminences  qu'il  connaît  ou  qu'il  juge  bon  de 
pressentir.  Il  sort  avec  le  même  formalisme  et  les 
mêmes  révérences  qu'à  l'entrée. 


44  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

YIII 

LA  COXSTRUCTIOX  DU  CONCLAVE. 

Pendant  que  les  cardinaux  tenaient  les  dix  con- 
grégations, l'architecte  construisait  le  conclave.  Un 
grand  dortoir,  sans  parois  de  séparation,  sans  rideau, 
communiquant  avec  l'extérieur  par  une  seule  fenêtre  : 
tel  doit  être  le  logis  des  électeurs,  d'après  Grégoire  X. 
Clément  VI,  en  13ol,  leur  permit  d'entourer  leurs 
lits  d'un  rideau.  Urbain  V,  dans  le  palais  d'Avignon, 
fît  construire  cinq  grandes  chambres,  dont  chacune 
pouvait  abriter  une  dizaine  de  personnes  :  elles  ou- 
vraient toutes  sur  un  même  passage,  le  corridor  du 
conclave;  il  suffisait  d'en  murer  les  deux  extrémités 
pour  que  les  Éminences  fussent  dûment  enfermées. 
Au  quinzième  siècle,  les  rideaux  furent  remplacés 
par  des  cloisons  mobiles  ;  on  avait  aussi,  à  plusieurs 
reprises,  tenu  l'assemblée  électorale  dans  des  monas- 
tères :  pour  ces  deux  raisons,  le  conclave  en  cellules 
se  substitua  lentement  au  conclave-dortoir.  Bientôt, 
dans  les  greniers  du  Vatican,  s'entassèrent  des 
charpentes,  pièces  de  bois  numérotées;  lorsque  be- 
soin était,  on  avait  vite  fait  de  les  agencer  en  cellules. 
Il  y  en  avait  de  petites  pour  les  secrétaires  et  domes- 
tiques; les  cardinaux  en  occupaient  de  plus  grandes, 
qui  avaient  quatre  mètres  cinquante  de  long  sur  trois 
mètres  soixante-seize  de  large  ;  c'est  là  qu'ils  dor- 
maient, mangeaient  et  recevaient.  Léon  XII,  Pie  VIII, 
Grégoire  XVI  et  Pie  IX  furent  élus  au  Quirinal;  ce 
palais,  plus  régulièrement  construit  que  le  Vatican, 
offrait  de  belles  galeries,  droites  et  spacieuses,  où  les 
cellules  s'alignaient  admirablement. 


L'ENTRÉE  EN  CONCLAVE.  \:, 

Il  fallut,  en  1878,  improviser  un  conclave  dans  le 
Vatican  :  jour  et  nuit  cinq  cents  ouvriers  y  travaillè- 
rent. On  renonça  au  système  des  cellules.  Dans  les 
grandes  salles  du  palais,  on  éleva  des  cloisons,  par- 
fois des  planches  à  mi-hauteur;  et  Tintrusion  de  ces 
charpentes,  verticales  et  horizontales,  permit  d'offrir 
à  chaque  cardinal  plusieurs  petites  pièces.  On  découpa 
des  appartements  de  ce  genre  à  tous  les  étages;  une 
grande  partie  du  palais  fut  englobée  dans  la  clô- 
ture conelavaire.  Douze  Éminences  occupèrent  les 
coins*  les  plus  divers  du  rez-de-chaussée,  vingt-sept 
les  différentes  ailes  du  premier  étage;  dix  logèrent 
au  second,  onze  au  troisième  dans  Tappartement  du 
secrétaire  d'État,  que  pour  la  circonstance  on  démé- 
nageait. Cet  éphémère  et  indispensable  travail  coûta 
cinquante-sept  mille  francs. 


IX 


L  ENTRKE  EN  CONCLAVE.  —  L  OHGANISATION  DES  SERVICES 
LNTÉRIEI  RS.  —  LES  ALENTOURS  DU  CONCLAVE  :  LE  MA- 
RÉCUAL. 

Le  18  février  au  matin,  dans  la  chapelle  Pauline, 
la  messe  du  Saint-Esprit,  qui  précède  le  conclave, 
fut  chantée.  L'usage  voulait  qu'on  la  célébrât  à  Saint- 
Pierre  ;  mais  les  «  conditions  exceptionnelles  »  de 
l'Église  s'y  opposaient.  A  la  Sixtine  ensuite,  les  car- 
dinaux écoutèrent  la  harangue  latine  pro  eligendo 
Ponlifice;  M»'  Mercurelli,  secrétaire  de  Pie  IX,  en 
avait  été  chargé.  Grégoire  XV  en  a  tracé  le  canevas  : 
<«  Un  prélat  ou  quelque  autre  savant  ecclésiastique 
prononce  un  discours  sur    la  situation  de  l'Église, 

3. 


4fi  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

exhortant  les  cardinaux  à  mettre  de  côté  toutes  les 
préoccupations  et  préférences  particulières,  pour 
n'avoir  devant  les  yeux  que  Dieu  seul  ;  il  les  con- 
jure de  donner  à  l'Église  selon  les  constitutions 
apostoliques  et  les  décrets  des  conciles,  dans  le  plus 
bref  délai  possible,  un  Pasteur  capable  et  qui  soit 
à  la  hauteur  des  exigences  du  temps  ». 

A  quatre  heures  et  demie  les  cardinaux,  après  s'être 
installés  dans  leurs  cellules,  retournèrent  à  la  cha- 
pelle Pauline  pour  le  chant  du  Veni  Creator.  De  là, 
en  procession,  ils  gagnèrent  la  Sixtine.  Le  prince 
Chigi  fut  introduit;  vêtu  d'un  justaucorps  que  re- 
haussait une  collerette  Henri  IV,  il  jura  de  veiller  à 
la  sécurité  des  Éminences  :  les  Savelli  depuis  le  qua- 
torzième siècle  jusqu'en  1712,  et  les  Chigi  dans  la 
suite  furent,  de  père  en  fils,  «  maréchaux  de  la  Sainte 
Église  romaine  et  custodes  perpétuels  du  conclave  ». 
Les  quatre  officiers  du  maréchal,  les  officiers  des 
gardes  suisse  et  palatine,  et  ceux  de  la  gendarmerie, 
prêtèrent  ensuite  serment.  Et  le  camerlingue  se  rendit 
auprès  du  majordome  malade,  pour  qu'à  son  tour  il 
jurât.  Alors  les  cardinaux,  précédés  chacun  par  un 
garde-noble,  rentrèrent  en  cellules.  Le  camerlingue 
et  le  sous-doyen  restèrent  à  la  Sixtine  :  ils  reçurent 
le  serment  des  ecclésiastiques  qui  servaient  de  secré- 
taires aux  cardinaux.  Passant  dans  les  loges  de  Ra- 
phaël, ils  y  trouvèrent  les  laïques  autorisés  à  de- 
meurer dans  le  conclave,  employés  ou  domestiques  : 
ceux-ci  jurèrent  aussi.  Ils  s'engageaient,  ecclésias- 
tiques et  laïques,  à  ne  rien  révéler  de  ce  qu'ils  pour- 
raient voir  ou  savoir,  et  à  ne  rien  faire  qui  entravât 
Télection. 

A  sept  heures,  toutes  les  issues  étaient  murées, 


L'ENTRÉE  EN  CONCLAVE.  47 

sauf  une  :  elle  livra  passage  aux  curieux  qui  n'avaient 
pas  le  droit  d'être  captifs.  Trois  coups  de  cloche  se 
succédèrent;  le  maréchal,  sortant  de  l'enceinte,  ferma 
les  deux  serrures  extérieures,  elle  camerlingue  ferma 
les  deux  serrures  intérieures  :  de  part  et  d'autre  de 
la  porte,  des  procès-verbaux  attestèrent  qu'elle  était 
bien  close.  «  Les  chefs  d'ordres  et  le  camerlingue, 
accompagnés  du  maître  des  cérémonies,  parcourent 
à  la  lueur  des  torches  tous  les  recoins  du  conclave, 
afin  de  constater  qu'aucun  étranger  ne  s'y  trouve 
caché  ».  Ainsi  l'a  voulu  Grégoire  XV  :  le  cardinal 
Pecci  fit  cette  ronde.  Il  ne  rencontra  nul  intrus.  De 
toutes  parts,  le  conclave  avait  la  clôture  congrue. 
Seuls,  les  souverains  qui  rendraient  visite  aux  élec- 
teurs la  pourraient  franchir  :  ainsi  firent  Joseph  II  et 
Léopold  de  Toscane  au  conclave  de  Clément  XIV,  et 
l'électeur  palatin  au  conclave  de  Pie  \'I.  Une  grande 
partie  du  Vatican  était  transformée  en  une  prison 
parfaite;  poui"  les  cardinaux  électeurs,  l'emprison- 
nement devait  durer  jusqu'à  la  nomination  du  pape  ; 
le  camerlingue  était  geôlier.  Pour  le  camerlingue  de- 
venu pape,  l'emprisonnement  dure  encore. 

Sous  les  verrous,  deux  cent  cinquante  personnes 
environ  étaient  réunies.  Le  Sacré  Collège,  à  la  mort  de 
Pie  IX,  comptait  soixante-quatre  membres  :  soixante 
étaient  présents.  Quatre  cardinaux,  créés  par  Gré- 
goire XVI,  avaient  leurs  appartements  tendus  de 
vert;  les  autres,  créatures  du  pape  défunt,  avaient 
leurs  appartements  tendus  de  violet.  Ils  conservaient 
chacun  un  secrétaire  et  un  domestique.  Quatre  bar- 
biers, un  menuisier,  un  serrurier,  un  maçon,  assistés 
chacun  d'un  aide,  un  vitrier,  un  plombier,  deux 
chefs  de  cuisine,  quatre  cuisiniers  et  sept  garçons, 


48  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

vingt-quatre  valets  étaient  commis  aux  divers  ser- 
vices. Le  sacriste,  qu'assistaient  trois  Augustins  et 
deux  convers,  avait  la  charge  de  confesseur;  et  le 
sous-sacriste  faisait  l'office  de  curé  pour  la  menue 
population  du  conclave.  Un  service  sanitaire,  aussi, 
fonctionnait.  Six  maîtres  des  cérémonies  surveillaient 
l'ensemble,  sous  la  haute  direction  du  préfet  des 
cérémonies,  responsable  auprès  du  camerlingue. 

Aux  alentours,  deux  personnages  faisaient  garde  : 
le  gouverneur  et  le  maréchal.  Le  majordome  de 
Pie  IX,  sous  le  titre  de  gouverneur  du  conclave,  était 
chargé  des  approvisionnements;  dans  la  clôture  on 
avait  pratiqué  quatre  «  tours  »,  par  lesquels  les  vi- 
vres et  la  correspondance  oflicielle  devaient  passer; 
des  prélats  et  des  Suisses  y  faisaient  sentinelle  ;  on  y 
remettait,  ouvertes,  les  lettres  destinées  aux  cardi- 
naux; les  prélats  vérifiaient  si  elles  n'avaient  pas  trait 
à  l'élection  ;  car  il  est  interdit  aux  reclus  de  rece- 
voir du  dehors  les  échos  du  conclave.  Les  jour- 
naux entraient  librement.  Pour  les  aliments,  ces 
guichets  s'ouvraient  peu;  des  cuisines  étaient  instal- 
lées à  l'intérieur  ;  et  l'on  ne  revit,  en  1878,  ni  le  pitto- 
resque défilé  des  sénéchaux  et  valets  apportant  les 
plats  ni  l'indiscret  contrôle  auquel  les  prélats  sou- 
mettaient ces  plats  pour  constater  qu'on  n'y  dissimu- 
lait aucun  message.  Quant  au  maréchal,  il  comman- 
dait la  force  armée  du  Vatican  ;  il  portait,  dans  une 
bourse  de  velours  cramoisi,  les  clefs  des  serrures 
extérieures.  Lorsque  se  présenta  le  patriarche  de  Lis- 
bonne, le  prince  Chigi,  du  dehors,  avisa  le  cardinal 
Pecci.  Le  maréchal  ouvrit  les  deux  serrures  exté- 
rieures, le  camerlingue  ouvrit  les  deux  serrures  inté- 
rieures; le  patriarche  entra,  et  tout  se  referma.  Dans 


LKS  OPERATIONS  1)L   CONCLAVE.  'iO 

la  partie  du  Vatican  non  comprise  dans  la  clôture,  le 
majordome  et  le  maréchal  étaient  maîtres  ;  et  les  étran- 
gers jaloux  d'y  circuler  devaient  montrer,  soit  une 
baguette  aux  armes  d'un  cardinal,  soit  une  médaille 
à  reffigie  du  camerlingue  ou  du  maréchal. 


X 


LES    OPÉKATIONS    DU    CONCLAVE    : 
COMMENT    LE    CAKDINAL    l'ECCI    DEVINT    PAI'E. 

Le  19  au  matin,  la  clochette  du  préfet  des  céré- 
monies retentit  par  trois  fois  :  elle  appelait  les  car- 
dinaux à  la  chapelle  Pauline.  Ils  s'y  acheminèrent, 
liabillés  d'une  ample  pièce  de  laine  violette,  sans 
manches,  sagrafTant  au  haut  de  la  poitrine  et  ter- 
minée par  une  longue  traîne  :  c'est  le  vêtement  rituel 
du  conclave.  Le  sous-doyen  les  lit  communier. 

Ils  se  retrouvèrent  à  la  Sixtine,  à  neuf  heures  et 
demie*,  pour  le  premier  vote.  On  avait  transformé  la 
•  hapelle  en  salle  de  scrutin.  Au-dessus  des  stalles, 
soixante-quatre  baldaquins  s'élevaient;  et  soixante- 
quatre  petites  tables,  couvertes  d'un  tapis  vert  ou 
violet,  étaient  disposées  en  face  des  sièges.  Au  milieu 
du  quadrilatère,  six  autres  tables  étaient  dressées, 
où  les  électeurs  pouvaient  rédiger  leurs  votes.  Devant 
l'autel  que  surplombe  \cJu(jcm(;nt  dernier,  une  grande 
lablc  était  réservée  pour  le  dépouillement.  Tout  près 
s'ouvrait  la  cheminée,  où  l'on  brûle  les  bulletins.  Et 
dans  un  vestiaire,  près  la  porte  d'entrée,  des  véte- 
nients  blancs  étaient  préparés  ;  ils  devaient  habiller 
le  pape. 


50  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

Accompagnées  de  leurs  secrétaires,  les  Éminences 
s'installèrent.  On  pria  suivant  les  rites.  Extra  om- 
nes!  «  tout  le  monde  dehors  »,  cria  le  chef  des  céré- 
moniaires.  Il  fit  sortir  les  secrétaires,  sortit  lui- 
même  ;  un  cardinal  poussa  le  verrou.  Et  sous  les  re- 
gards des  Sibylles  et  des  prophètes,  du  Christ  fou- 
droyant et  de  la  Vierge  timidement  suppliante,  les 
électeurs  restèrent  seuls  —  «  l'esprit  libre  et  la  cons- 
cience nue  »,  prescrit  Grégoire  XV.  L'élection  peut 
avoir  lieu  par  inspiration;  sans  entente  préalable, 
l'unanimité  des  cardinaux  acclament  l'un  d'eux  en  di- 
sant :  «  Je  le  nomme  »,  Ecjo  eligo.  Ainsi  furent  dé- 
signés plusieurs  papes  du  seizième  siècle;  mais  le 
surcroît  de  précautions  que  Grégoire  XV  requiert 
rend  impraticable  ce  mode  d'élection.  Le  système 
du  compromis,  aussi,  d'après  lequel  les  cardinaux 
conviendraient,  à  l'unanimité,  de  désigner  quelques- 
uns  d'entre  eux  pour  choisir  le  pape  et  fixeraient 
des  règles  à  cette  commission,  est  tombé  en  désué- 
tude. Le  mode  ordinaire  de  l'élection  est  le  scrutin. 
Grégoire  XV  prescrit  deux  séances  par  jour. 

Préparés  par  les  cérémoniaires,  les  bulletins  ont 
trois  compartiments.  Dans  la  case  supérieure  sont 
imprimés  les  mots  :  Ego  cardinalis...,  moi  car- 
dinal...; c'est  là  que  le  votant  mettra  son.  nom. 
Dans  la  case  du  milieu,  on  lit  :  Eligo  in  Summum 
Pontificem  /î'"  D"^  meum  D.  Card.,  j'élis  Souverain 
Pontife  le  cardinal...  ;  c'est  là  que  le  votant  écrira  son 
suffrage.  La  case  inférieure  est  vide,  il  y  inscrira  une 
devise  et  un  chiffre.  Repliées  sur  elles-mêmes,  les 
parties  inférieure  et  supérieure  seront  cachetées  d'un 
sceau  de  fantaisie,  qui  ne  trahisse  pas  l'auteur  du 
bulletin.  A  leur  verso  deux  vignettes  sont  gravées  : 


LES  OPÉRATIONS  DU  CONCLAVE.  51 

elles  entourent  en  haut  le  mot  Nomen,  indiquant  que 
sur  le  recto  se  trouve  le  nom  du  votant,  en  bas  le 
mot  Signa,  indiquant  que  le  recto  porte  des  devises. 
Si  transparent  que  soit  le  papier,  elles  empêchent  de 
lire  à  travers,  et  préservent  le  secret  du  vote.  Sur  la 
grande  table  que  domine  Tautel,  ces  bulletins  sont 
déposés  dans  deux  bassins  d'argent. 

Les  électeurs  tirent  au  sort  trois  scrutateurs,  puis 
trois  infirmiers,  qui  sortiront  pour  recueillir  dans 
les  cellules  les  suffrages  des  cardinaux  malades.  Le 
doyen  s'avance  le  premier  vers  lautel  ;  il  élève  son 
bulletin  au-dessus  du  calice,  et  dit  :  «  Je  prends  à  té- 
moin le  Seigneur  Christ,  qui  sera  mon  Juge,  que 
je  donne  ma  voix  ù  celui  que,  d'après  Dieu,  je  juge 
digne  d'être  élu;  et  que  je  ferai  de  même  dans  le 
vote  d'iaccession  ».  Le  bulletin  tombe  dans  le  calice. 
Les  infirmiers  d'abord,  puis  les  autres  cardinaux  par 
rang  d'ancienneté,  s'acheminent  vers  l'autel;  ils  s'a- 
genouillent, jurent  et  votent.  Lorsque  les  infirmiers 
ont  rapporté  les  suffrages  des  infirmes,  les  scruta- 
teurs, portant  le  calice  sur  la  grande  table,  dépouil- 
lent. Ils  ne  peuvent  lire  que  le  milieu  du  bulletin  : 
les  sceaux  protègent  le  reste.  Rarement  ce  premier 
scrutin  donne  la  majorité  des  deux  tiers;  aussitôt  on 
commence  un  second  vote,  1'  «  accession  »,  qui  per- 
met aux  électeurs  de  reporter  leurs  voix  sur  l'un 
des  cardinaux  favorisés  au  premier  tour.  Chacun 
d'eux,  sur  le  nouveau  bulletin,  doit  inscrire  le  même 
chiffre  et  la  même  devise  qu'au  précédent  scrutin.  La 
case  du  milieu  porte  cette  formule  :  Acccdo  Reveren- 
diss.  D.  mno  D.  aird...  «  Je  me  rallie  au  cardinal...  ». 
Si  l'on  demeure  fidèle  à  son  premier  vote,  on  écrit  : 
iXeminij  «  personne  »  :  ainsi  font  les  électeurs  dont 


52  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

le  candidat  a  recueilli  une  majorité  relative.  Si  les 
votes  d'accession,  joints  aux  votes  du  précédent 
scrutin,  assurent  à  un  cardinal  la  majorité  des  deux 
tiers,  on  entreprend  une  vérification  minutieuse  : 
les  scrutateurs,  qui  ont  conservé  les  l)ulletins  du  pre- 
mier tour,  constatent,  en  brisant  les  sceaux  des  cases 
inférieures,  et  en  confrontant  les  devises,  que  les  élec- 
teurs qui,  par  leur  accession,  assurent  le  succès  de 
l'un  d'entre  eux,  désignaient,  au  premier  tour,  un 
autre  nom;  car,  les  voix  du  premier  vote  et  celles  de 
l'accession  s'additionnant,  un  cardinal  ne  peut 
émettre  le  même  suffrage  aux  deux  scrutins.  Le  se- 
cret du  vote  demeure  sauf.  La  partie  supérieure  du 
bulletin,  qui  contient  le  nom  de  l'électeur,  n'est  dé- 
cachetée qu'en  deux  cas  :  il  j^eut  arriver  que  les  ca- 
chets et  devises  adoptés  par  plusieurs  Éminences  se 
ressemblent  au  point  de  se  confondre;  et  les  doutes 
qui  subsistent,  alors,  sur  la  correction  de  l'accession, 
ne  peuvent  être  dissipés  que  par  l'ouverture  du  pli 
supérieur;  en  second  lieu,  si  le  cardinal  qui  paraît  élu 
a  strictement  recueilli  les  deux  tiers  des  suffrages,  et 
pas  un  de  plus,  on  l'invite  à  faire  connaître  sa  devise 
et  son  chiffre;  on  vérifie  son  dire  en  ouvrant  le  pli 
supérieur  de  son  bulletin,  et  l'on  constate  qu'il  n'a 
pas  voté  pour  lui.  Trois  réviseurs,  tirés  au  sort  parmi 
les  cardinaux  diacres,  contrôlent  le  dépouillement. 
Enfin  tous  les  bulletins  sont  brûlés  dans  la  cheminée. 
On  y  jette  un  peu  de  paille  humide,  si  le  vote  est 
sans  résultat  :  alors  s'échappe  au  dehors  une  petite 
colonne  de  fumée,  et  la  foule,  sur  la  place  Saint- 
Pierre,  conclut  que  la  tiare  est  toujours  vacante.  Si 
un  pape  est  élu,  on  essaie  de  faire  brûler  les  bulle- 
lins  sans   fumée;   et  la   foule,   au   dehors,    attend 


LA  PREMIÈRE  JOURNÉE  DU  PAPE  LÉON  XIIL         Vî 

sans  rien  conclure,  ou  conclut  à  tort  et  à  travers. 
Le  19  février  1878,  à  la  séance  du  matin,  le  premier 
scrutin,  qui  donnait  dix-neuf  voix  au  cardinal 
Pecci,  fut  annulé  pour  certaines  irrégularités;  il  n'y 
eut  pas  lieu  de  faire  accession.  A  la  séance  du  soir,  le 
premier  scrutin  donna  vingt-six  voix  au  cardinal 
Pecci;  au  vote  d'accession,  huit  voix  s'ajoutèrent.  Au 
matin  du  20,  dès  le  premier  scrutin,  il  recueillit  qua- 
rante-quatre voix.  En  sa  faveur,  la  majorité  des  deux 
tiers  était  dépassée;  tous  les  cardinaux,  dont  la  sou- 
veraineté cessait,  abaissèrent  leurs  baldaquins; 
Léon    XIII  était  pape. 


XI 


l.A    PREMIÈRE   JOURNÉE   DU    PAPE   LEON    XIII . 
LES    TROIS    OBÉniENCES. 

Avec  les  deux  autres  chefs  d'ordres,  le  sous-doyen 
s'approcha  de  l'élu.  «  Acceptes-tu  ton  élection  au 
-souverain  pontificat,  faite  suivant  les  règles  canoni- 
ques? n  lui  demanda-t-il.  Et  le  camerlingue  répondit  : 
'<  Puisque  Dieu  veut  que  j'assume  le  pontificat,  je  n'y 
puis  contredire  ».  —  «  Quel  nom  voulez-vous  pren- 
dre? »  reprit  le  sous-doyen.  Depuis  Tan  OriS,  où  le 
jeune  Octavien,  patrice  de  Rome,  prit  avec  la  tiare  le 
nom  de  Jean  XII,  il  est  d'usage  qu'à  leur  avènement 
les  pontifes  changent  de  prénom  ;  seuls  Adrien  VI  et 
Marcel  II  gardèrent  leur  nom  de  baptême.  Le  camer- 
lingue répondit  :  «  Le  nom  de  Léon,  à  cause  du  res- 
ï>ect  et  de  la  gratitude  que  j'ai  toujours  eus  pour 
Léon  XII,  et  de  la  dévotion  que,  depuis  ma  jcunossf, 
j'ai  pour  saint  Léon  le  Grand  ».  .Mors  le  nouveau  pape 


54         LE  GOUVERNEMENT  CENTR.VL  DE  L'ÉGLISE. 

fut  conduit  à  l'autel,  puis  au  vestiaire;  on  lui  passa 
les  vêtements  pontificaux  et  l'une  des  trois  soutanes 
blanches,  de  grandeurs  différentes,  préparées  à  l'a- 
vance. Lorsqu'il  rentra  dans  la  chapelle,  son  trône 
était  disposé  devant  Tautel  du  côté  de  l'Évangile.  Il  s'y 
assit  et  les  cardinaux,  s'agenouillant,  lui  baisèrent  la 
main  et  reçurent  l'accolade  :  ce  fut  la  première  obé- 
dience. 

Le  doyen  des  diacres,  précédé  de  la  croix  papale, 
se  rendit  au  balcon  de  Saint-Pierre  :  «  Je  vous  an- 
nonce une  grande  joie,  dit-il  à  la  foule  ;  nous  avons 
pour  pontife  l'Éminentissime  cardinal  Joachim  Pecci, 
qui  s'est  donné  le  nom  de  Léon  Xllf».  Bientôt  les 
cloches  de  Rome  sonnèrent,  et  le  canon  du  château 
Saint-Ange,  qui  saluait,  avant  1870,  l'élection  papale, 
resta  muet.  A  quatre  heures,  on  ouvrit  les  portes  de 
Saint-Pierre;  et  Léon  XIII,  apparaissant  dans  la 
Loggia  de  Paul  Y,  fit  ouvrir  la  fenêtre  intérieure, 
donnant  sur  la  basilique  :  il  bénit  la  Ville  et  l'Univers. 
Urbi  et  Orhi.  Le  pape  se  montrait,  jadis,  au  balcon 
extérieur  de  la  Loggia,  d'où  ses  yeux  dominaient  et 
dépassaient  la  Ville  éternelle.  Léon  XIII  voulut  que 
ses  regards  fussent  captifs,  comme  sa  personne. 
Avant  1870,  le  pape,  quatre  fois  par  an,  bénissait 
«  la  Ville  et  l'Univers  »,  deux  fois  à  Saint-Pierre,  le 
jeudi  saint  et  le  jour  de  Pâques,  puis  au  Latran  pour 
l'Ascension,  et  à  Sainte-Marie  Majeure  pour  l'Assomp- 
tion. Ces  traditions  sont  aujourd'hui  suspendues, 
sans  être  oubliées.  Léon  XIII,  regagnant  la  Sixtine, 
revêtit  les  insignes  épiscopaux;  il  s'assit  sur  l'autel; 
une  seconde  fois,  le  défilé  des  cardinaux  s'agenouilla  : 
ce  fut  la  deuxième  obédience.  Avant  1870,  le  nouveau 
pape  se  rendait  à  Saint-Pierre,  s'asseyait  sur  l'autel 


LES  CÉRÉMOMES  DE  L'INSTALLATION  PONTIFICALE.  55 

delà  Confession,  et  recevait  une  troisième  fois  les 
hommages  du  Sacré  Collège.  C'est  dans  la  Sixtine, 
le  malin  du  21,  que  cette  troisième  obédience  fut 
rendue  à  Léon  XIII. 

XII 

LES  CÉRÉMONIES  DE  l'iNSTALLATION  PONTIFICALE  :  LA  PRISE 
DE  POSSESSION  DU  LATRAN-  —  LA  MESSE  DU  COURON- 
NEMENT. —  LA  gUATRIt;ME  ET  LA  CINQUIÈME  OBÉDIENCES. 
—  l'imposition   de  la  TIARE. 

Si  le  pape  élu  na  pas  reçu  la  consécration  épisco- 
pale  (c'était  le  cas  pour  Grégoire  XVI),  elle  lui  est  con- 
férée parle  cardinal-évèque  d'Ostie.  Pour  Léon  XIIL 
évéque  depuis  18 4 i,  cette  cérémonie  était  superflue. 
En  raison  des  «  conditions  exceptionnelles  »  de  l'É- 
glise, la  prise  de  possession  du  Latran,  qui  clôturait 
jadis  l'avènement  des  papes,  fut  supprimée. 

Des  solennités  qui  complètent  l'élection,  une  seule 
fut  conservée,  le  couronnement.  C'est  du  jour  où  ils 
reçoivent  la  tiare,  non  de  celui  où  ils  sont  élus,  que 
les  papes,  depuis  le  onzième  siècle,  datent  leur  pon- 
tificat; généralement,  jasqu'à  celte  cérémonie,  ils 
écrivent  des  brefs,  non  des  bulles.  En  théorie,  pour- 
tant, leur  autorité  n'est  pas  accrue  par  le  couronne- 
ment; elle  y  reçoit  seulement  son  insigne,  la  tiare, 
caractérisée  par  les  trois  couronnes  et  portée  par  les 
papes  depuis  le  treizième  siècle. 

C'est  le  3  mars  1878  que  Léon  XIII  coiffa  la  tiare  : 
la  cérémonie  eut  lieu,  non  point,  comme  jadis,  dans 
la  Loi/f/ia  de  Saint-Pierre,  mais  à  l'intérieur  du  Vati- 
can. Dans  la  salle  Ducale,  les  cardinaux,  pour  la  ([ua- 


56         LE  GOUN'ERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

trième  fois,  apportèrent  leur  obédience;  lorsque  ces 
pompes  se  déroulaient  dans  la  basilique  Vaticane,  on 
disposait  sous  le  portique,  devant  la  porte  sainte  qui 
s'ouvre  aux  années  jubilaires,  le  trône  sur  lequel  le 
pape  accueillait  ces  hommages.  Puis  le  cortège  gagna 
la  Sixtine;  et  devant  Léon  XIII,  porté  sur  la  Sedia, 
uncérémoniaire,  à  trois  reprises,  fit  brûler  des  flo- 
cons d'étoupes,  au  bout  d'un  bâton  :  «  Père  saint, 
disait-il,  ainsi  passe  la  gloire  du  monde  »  ;  les  vieux 
rituels  exigent  qu'au  moment  de  conférer  au  pape 
l'insigne  de  la  suprême  grandeur,  on  lui  rappelle  la 
vanité  de  la  gloire.  A  la  Sixtine,  Léon  XIII  célébra  la 
messe,  d'une  liturgie  complexe  et  perpétuellement 
symbolique.  Dès  le  Confiteor,  il  regagna  la  Sedia,  et 
le  premier  cardinal-diacre  lui  passa  la  petite  écharpe 
de  laine  qu'on  appelle  pallium  :  «  Reçois,  lui  dit-il, 
ce  sacré  pallium,  plénitude  de  la  fonction  pontificale, 
pour  l'honneur  du  Dieu  tout-puissant,  de  la  très  glo- 
rieuse vierge  Marie  sa  mère,  des  bienheureux  apôtres 
Pierre  et  Paul,  et  de  la  sainte  Église  romaine  ».  Le 
21  janvier  de  chaque  année,  à  Sainte-Agnès  hors  les 
Murs,  on  bénit  des  agneaux  et  leur  laine  sert  à  la  con- 
fection des  palliums.  Déposés  dans  une  urne  sur  le 
tombeau  de  Saint-Pierre, ils  sont  envoyés  par  le  pape 
aux  patriarches,  aux  archevêques,  parfois  même  aux 
évêques;  mais  seul  le  pape  porte  \e  pallium  de  plein 
droit.  Revêtu  de  cette  écharpe,  Léon  XIII  se  rendit 
au  trône  pontifical,  et  les  cardinaux  défilèrent,  appor- 
tant la  cinquième  et  dernière  obédience.  Elle  fut 
suivie  par  le  chant  des  litanies  :  «  Exaucez-nous, 
Christ!  »  qu'entonna  le  cardinal-diacre.  Et  les  autres 
répondaient  par  trois  fois  :  «  A  notre  Seigneur  Léon, 
établi  par  Dieu  souverain  pontife  et  pape  universel, 


LES  CÉRÉMONIES  DE  L'INSTALLATION  PONTIFICALE.  §7 

vie  !  ')  Tour  à  tour,  suivant  l'antique  formulaire,  le 
cardinal-diacre  invoquait  le  Sauveur  du  monde  par 
trois  fois,  Marie  par  deux  fois,  puis  plusieurs  saints, 
et  le  chœur  à  chaque  fois  répondait  :  «  Soyez-lui  se- 
coural)lc.  Tu  illum  adjuva  ».  L'épître  et  Févangilc 
furent  chantés,  en  latin  d'abord  par  des  diacres  occi- 
dentaux, puis  en  grec  par  des  diacres  orientaux  enve- 
loppés dans  leurs  dalmatiquos  :  de  même  que  la  chaire 
de  l'Apôtre,  au  fond  de  la  liasiliquc  Vaticane,  est  sou- 
tenue par  les  Pères  des  deux  Églises,  ainsi  la  parole 
du  Christ,  à  la  messe  du  couronnement,  est  annoncée 
dans  la  langue  des  deux  Églises.  Après  YAgiim  Dei, 
Léon  XIII  gagna  son  trône  ;  le  sous-diacre  lui  pré- 
senta l'hostie,  le  diacre  le  calice;  du  corps  du  Christ 
il  détacha  deux  parcelles,  fit  communier  les  deux  as- 
sistants et  communia  lui-même.  A  l'issue  de  cette 
messe,  le  pape  assis  fut  coiffé  de  la  tiare  par  le  pre- 
mier cardinal-diacre  :  «  Reçois  la  tiare,  ornée  de 
trois  couronnes,  et  sache  que  tu  es  le  père  des  prin- 
ces et  des  rois,  le  recteur  de  l'univers,  le  vicaire  de 
notre  Sauveur  Jésus-Christ,  gui  possède  honneur  et 
gloire  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen  ».  Et  la  béné- 
diction solennelle  prononcée  par  Léon  XIII  termina 
la  solennité.  Dès  le  lendemain,  il  publiait  la  bulle 
rétablissant  en  Ecosse  la  hiérarchie  épiscopale,  et 
vingt-cinq  jours  après  il  tenait  son  premier  consis- 
toire. L'histoire  du  pontificat  commençait  (1). 

(1)  C'est  un  devoir  pour  nous  de  menlionner  ici  un  livre  rccenl  : 
Le  Conclave,  par  I^ucius  l.cctor  (Paris,  Lethielleux).  Si  les  détails  qu(; 
nous  y  avons  puisés  inlcrossent  k- le(;tcur,  il  doit  rechercher,  dans  ce 
livre  d'une  curieuse  érudition,  ceux  que  nous  y  avons  laissés,  ainsi 
que  de  nombreux  renseignements  sur  l'ingérence  de  l'Autriche,  de 
l'Espagne  et  de  la  France,  dans  les  conclaves  des  trois  derniers  siècles. 


CHAPITRE  III 
Les  congrégations  romaines. 


DECADENCE  DE  L  INSTITUTION  DES  CONSISTOIRES.  —  CREA- 
TION DES  CONGRÉGATIONS,  LEUR  COMPOSITION,  LEUR 
PROCÉDURE. 

Durant  une  longue  période,  les  consistoires, 
qui  groupaient  autour  du  pape  le  Sacré  Collège 
entier,  furent  l'unique  nouage  du  gouvernement  de 
l'Église.  Presque  quotidiens  au  moyen  âge,  ils  for- 
maient le  conseil  assidu  et  le  tribunal  ordinaire  du 
Pontife.  Aux  quinzième  et  seizième  siècles,  des  tri- 
bunaux spéciaux  s'établirent;  pour  les  affaires  poli- 
tiques et  religieuses,  les  papes  du  seizième  siècle 
inaugurèrent  un  nouveau  mode  de  consultation. 
Ainsi  les  consistoires  se  transformèrent  en  séances 
d'apparat  où  les  cardinaux  sont  muets.  La  nomina- 
tion d'Éminences  nouvelles  et  la  préconisation  des 
évéques  :  voilà  presque  le  seul  motif  qui  conduise  le 
pape,  deux  ou  trois  fois  par  an,  à  réunir  des  consis- 
toires. 11  en    convoque,  aussi,   pour  une   canonisa- 


DÉCADENCE  DE  L'INSTITUTION  DES  CONSISTOIRES.  59 

tion.  En  loute  autre  circonstance,  ces  assemblées 
acquièront  une  exceptionnelle  portée  :  tel  le  consis- 
toire du  30  juin  188!),  où  Léon  XIII  tint  un  discours 
sur  les  manifestations  faites  à  Rome  en  Thonneur  de 
Giordano  Bruno.  On  publie,  dans  les  consistoires, 
les  actes  les  plus  importants  du  Saint-Siège,  mais  ce 
n'est  plus  là  qu'en  les  prépare,  qu'on  les  décide. 
De  conseil  délibératif,  la  réunion  plénière  des  cardi- 
naux est  devenue  une  chambre  d'enregistrement; 
on  n'y  travaille  plus,  on  y  officie. 

Le  seizième  siècle  introduisit  dans  le  gouverne- 
ment de  l'Église  la  division  du  travail.  Les  cardi- 
naux furent  répartis  en  commissions  :  la  besogne, 
ainsi,  se  fît  plus  régulièrement,  plus  vite  et  plus  sû- 
rement. \u  surplus,  cette  organisation  était  mieux 
appropriée  aux  progrès  de  la  centralisation  pontifi- 
cale :  la  papauté,  fortifiée  par  le  concile  de  Trente, 
souhaitait  de  posséder,  non  point  un  vaste  comité 
parlementaire  qu'elle  associât  à  ses  décisions,  mais 
un  certain  nombre  de  sections  administratives,  qui 
en  préparassent  les  éléments.  Ces  sections  s'appelè- 
rent congrégations.  Tour  à  tour  furent  créés  le  Saint- 
Office,  l'Index,  la  congrégation  des  Évèques,  et  sous 
Grégoire  XIII  des  congrégations  spéciales  pour  les 
affaires  d'Allemagne  et  de  France.  Longtemps  ces 
essais  furent  incomplets  :  le  poids  de  l'Église  re- 
tombait toujours  sur  les  consistoires.  La  bulle  Im- 
mcnsn  yEterni  Dei,  publiée  par  Sixte-Ouint  en  jan- 
vier 1587,  fit  une  révolution;  elle  établit  quinze 
congrégations,  dont  six  devaient  pourvoir  à  l'ad- 
ministration des  États  Romains,  et  les  neuf  autres  à 
l'Église. 

Depuis  trois  siècles,  les  noms  mêmes  et  la  répar- 


60         LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

tition  des  congrégations  ont  varié.  Certaines  ont  suc- 
combé, faute  de  raison  d'être  :  telles,  en  1870,  les 
congrégations  préposées  aux  États  de  l'Église,  en 
particulier  la  Sagra  Consulta,  conseil  d'État  et  cour 
de  cassation,  qui  a  légué  son  nom  de  Consulta  au 
palais  actuellement  occupé  par  le  Ministère  des  Af- 
faires étrangères  du  roi  d'Italie.  D'autres  ont  fu- 
sionné, soit  faute  de  besogne  (c'est  ainsi  que  la 
congrégation  de  l'Immunité  a  été  jointe  à  celle  du 
Concile),  soit  pour  prévenir  des  conflits  d'attribu- 
tion i^c'est  ainsi  que  la  congrégation  des  Évêques 
et  celle  des  Réguliers  furent  réunies,  dès  le  temps 
de  Sixte-Quint).  Certaines  congrégations  extraordi- 
naires, créées  pour  lexamen  d'une  affaire  spéciale, 
achevèrent  leur  existence  en  même  temps  que  leur 
travail  :  telle,  la  docte  congrégation  de  Auxiliis  gra- 
ine divinse,  que  Clément  VIII  avait  chargée  d'étudier 
le  problème  de  la  grâce  et  de  la  prédestination.  Mais 
ces  changements  de  détail  n'intéressent  que  l'érudi- 
tion. Le  fait  essentiel,  c'est  que,  depuis  trois  siècles, 
le  système  de  gouvernement  inauguré  par  Sixte- 
Quint  a  constamment  prévalu.  Même,  au  début  du 
pontificat  de  Léon  XIII,  l'auguste  mécanisme  de 
plusieurs  congrégations  fut  pourvu  d'un  nouveau 
rouage.  Aux  congrégations  de  la  Propagande,  des 
Évêques  et  des  Réguliers,  du  Concile  et  des  Rites» 
une  consulte  de  prélats  fut  adjointe  :  les  circonstan- 
ces politiques,  qui  les  excluaient  de  l'administration 
de  l'État  Romain,  les  laissaient  désœuvrés  ;  Léon  XIII 
les  a  conviés  à  l'administration  de  l'Église  Romaine. 
Le  pape,  après  le  consistoire,  assigne  aux  nou- 
veaux cardinaux  quatre  congrégations.  S'ils  sont 
étrangers  à  Rome,  cette  désignation  ne  leur  impose 


DÉCADENCE  DK  L'INSTITUTION  DES  CONSISTOIRES.  G4 

aucun  travail;  elle  les  autorise  seulement,  lorsqu'ils, 
viendront  ad  l'imina,  à  suivre  les  réunions  dont  ils 
sont  membres.  Au  contraire,  c'est  à  la  besogne  des 
congrégations  que  les  cardinaux  vivant  à  Rome  dé- 
vouent assidûment  leur  temps.  On  pourrait  donc 
distinguer,  dans  ces  éminentes  commissions,  les 
membres  ad  pompam  et  les  membres  laborieux  :  les 
premiers  sont  occupés,  sous  les  diverses  latitudes, 
par  le  soin  de  leurs  diocèses;  les  seconds  seraient 
inoccupés,  s'ils  n'avaient  des  congrégations,  et  sans 
l'agrément  du  pape  ils  ne  peuvent  quitter  Rome.  Une 
partie  seulement  du  Sacré  Collège  est  associée  au 
gouvernement  central  de  l'Église;  il  suffit,  au  reste^ 
que  trois  cardinaux  assistent  à  une  congrégation 
pour  qu'elle  délibère  efticacement.  Les  congrégations 
les  plus  importantes  comptent  en  général  de  dix  à 
quinze  membres  demeurant  à  Rome. 

Dans  ces  assemblées,  même,  le  préfet,  qui  est  un 
cardinal  (sauf  trois  exceptions  que  nous  signalerons 
en  leur  lieu),  et  le  secrétaire,  qui  est  presque  partout 
lin  prélat,  ont  un  rôle  prépondérant.  C'est  au  dix- 
septième  siècle  que  les  congrégations  reçurent  des 
préfets;  les  travaux,  à  l'origine,  étaient  dirigés, 
dans  chacune  d'elles,  par  le  plus  ancien  des  cardi- 
naux. Le  pape  désigne  les  préfets  :  il  examine,  à 
cet  effet,  I,a  compétence,  la  science,  on  pourrait 
même  dire  le  tempérament  des  Éminences  :  telle 
préfecture  requiert  un  juriste,  et  telle  autre  un  théo- 
logien. Il  est  un  certain  nombre  d'affaires,  à  la  fois 
banales  et  de  médiocre  gravité,  dont  le  préfet  et  le 
.secrétaire  sont  juges  :  le  pape,  une  fois  pour  toutes, 
leur  a  donné  tout  pouvoir  pour  en  expédier  la  solu- 
tion. Pour  une  seconde  catégorie  de  questions,  la 


62  LE  G0UVER^'EME]^'T  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

délibération  du  préfet  et  du  secrétaire  est  encore  ré- 
putée suffisante  ;  mais  la  décision  doit  être  soumise 
au  pape  avant  d'être  rendue.  Ce  sont  là  les  me- 
nues occupations  :  aussi  simples  que  multiples,  elles 
échappent  aux  cardinaux  de  la  congrégation,  aux 
consulteurs  aussi,  s'il  y  en  a;  on  y  pourvoit  dans  le 
tête-à-tète  du  Congresso,  chez  le  préfet.  Les  causes 
graves  et  toutes  les  questions  contentieuses  ont  une 
autre  destinée.  Le  secrétaire  en  fait  deux  parts.  Sur 
les  unes  il  fera  lui-même  un  rapport  aux  Éminences, 
qui  voteront.  Quant  aux  autres,  vraiment  importan- 
tes, il  en  forme  le  dossier;  il  le  transmet  à  un  cardi- 
nal qui  sera  rapporteur  du  débat  et  qu'on  appelle 
ponent.  Il  en  fait  imprimer  un  résumé,  qu'il  trans- 
met aux  membres  de  la  congrégation.  Si  des  consul- 
teurs et,  par  surcroît,  une  consulte  prélatice  y  sont 
adjoints,  leurs  avis  sont  recueillis  avant  la  séance 
de  la  congrégation.  S'agit-il  enfin  d'un  procès,  les 
mémoires  rédigés  par  les  avocats  des  deux  parties 
sont,  à  l'avance,  soumis  aux  cardinaux;  car  on  ne 
plaide  que  par  écrit  devant  les  congrégations  romai- 
nes. A  la  séance,  le  ponent  expose  l'afTaire  et  donne 
son  vote  ;  les  autres  cardinaux  énoncent  le  leur.  Du 
calcul  résulte  la  sentence.  Elle  n"a  pas  de  consi- 
dérants; elle  est  brève  et  nette.  Les  cardinaux  ré- 
pondent :  Négative,  ou  bien  Affirmaiive;  ce  qui  veut 
dire  «  non  »  ou  «  oui  »  :  la  difficulté  est  clairement 
résolue.  Parfois  ils  introduisent  des  nuances  :  Juxta 
menlemy  disent-ils,  et  menft  est...  »  :  ce  qui  signifie  : 
«  Oui,  en  un  certain  sens,  et  au  sens  que  voici...  ». 
11  leur  arrive  d'indiquer  au  questionneur  les  sources 
d'information  qu'il  ignore  :  «  Denlur  decretœ  »,  c'est- 
à-dire  :  «  Les  décrets  antérieurs  de  la  congrégation 


DÉCADENCE  DE  L'INSTITUTION  DES  CONSISTOIRES.  03 

VOUS  renseigneront  amplement  ».  Les  fins  de  non- 
recevoir,  enfin,  ne  sont  pas  rares  :  elles  sont  détini- 
tives  :  Niliil,  «  nous  n'avons  rien  à  dire  »  —  ou  pro- 
visoires :  Dilata,  «  nous  ajournons  la  réponse  ». 
La  séance  terminée,  le  prélat  secrétaire  résume  les 
arguments,  nomme  les  Éminences  qui  ont  opiné  oui, 
(•elles  qui  ont  opiné  non,  indique  enfin  la  sentence. 
Le  cardinal  ponent  vérifie  Tcxactitude,  et  écrit  au 
bas  du  sommaire  :  Il  en  est  ainsi,  Ita  esl.  Une  fois 
par  semaine,  le  secrétaire  a  l'audience  du  pape  :  il 
soumet  d'une  part  les  décisions  moins  importantes 
prises  en  Congresso  et  d'autre  part  le  procès-verbal 
de  la  congrégation.  Le  pape  convie  les  cardinaux  à 
un  examen  plus  approfondi,  ou  bien  approuve  immé- 
diatement la  sentence.  Alors,  revêtue  du  sceau  du 
préfet  et  du  secrétaire,  elle  acquiert  force  de  loi.  Ces 
deux  personnages  ont  Yornculum  vioœ  vocis,  c'est- 
à-dire  qu'ils  doivent  être  crus,  sur  parole  et  sans 
preuves,  lorsqu'ils  affirment  un  avis  ou  un  ordre 
du  pape. 

Suivant  la  besogne,  les  congrégations  romaines 
siègent  plus  ou  moins  fréquemment  :  le  Saint-Office, 
les  Évêques  et  Réguliers,  les  Rites,  le  Concile,  sont 
fort  occupés;  d'autres  chôment  plus  souvent.  Elles 
ont  leurs  archives,  qui  contiennent  d'innombrables 
précédents;  elles  conservent  des  traditions,  des  ha- 
bitudes de  travail.  Ainsi  le  morcellement  de  la  be- 
sogne, dans  une  institution  aussi  complexe  que 
l'Église,  a  d'excellents  effets.  Un  inconvénient  fut 
il  craindre,  au  dix-septième  siècle  :  certaines  cau- 
ses, de  nature  mixte,  pouvaient  être  déférées  à  des 
congrégations  différentes.  Il  fut  décidé  qu'on  ne 
doit  porter  un  procès  que  devant  une  seule  congre- 


64  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

gation  :  en  appel,  si  le  pape  permet  ce  recours,  c'est 
à  ce  même  tribunal  qu'il  doit  être  déféré.  Si,  par  sur- 
prise, on  obtenait  un  arrêt  d'une  autre  congrégation, 
Tarrét  serait  nul  de  droit. 


II 


LA    DEFENSE   DE    LA    FOI  I  LE    SAINT-OFFICE,    L  INDEX, 
LES    ÉTUDES. 

Parlant  des  consistoires  secrets,  j"ai  mentionné  la 
congrégation  de  la  Consistoriale;  et  parlant  du  car- 
dinal-vicaire, celle  de  la  Sagra  Visfa  (visite  aposto- 
lique). Ces  deux  congrégations  ont  le  pape  lui-même 
pour  préfet  ;  avec  le  Saint-Office,  qui  présente  la  même 
singularité,  elles  sont  les  premières  que  mentionne 
la  Gemrchia,  dans  la  liste  générale  des  congrégations. 

«  La  Sainte  Inquisition  Romaine  et  Universelle  »  : 
ainsiFondésigneleSaint-Office.  En  1542,  Paulin  char- 
gea six  cardinaux  d'être  «  commissaires  sur  les  affaires 
de  la  foi,  inquisiteurs  généraux  et  généralissimes  ». 
Paul  IV,  en  1558,  donna  au  Saint-Office  sa  forme  ac- 
tuelle ;  Pie  IV  l'appelait,  en  15G"2,  la  citadelle  de  la  re- 
ligion. Les  progrès  de  la  Réforme  contraignaient 
l'Église  à  une  rigoureuse  défensive,  et  le  bras  sécu- 
lier, dans  toutes  nations  catholiques  et  protestantes, 
servait  la  religion  d'État.  Aujourd'hui  les  condamna- 
tions du  Saint-Office  sont  dépourvues  de  sanction 
temporelle  ;  et  c'est  surtout  par  les  campagnes  offen- 
sives de  la  Propagande  que  l'Église  Romaine  combat 
les  communions  adverses.  Néanmoins  le  Saint-Office 
ne  chôme  pas.  Ses  consulteurs  et  ses  qualificateurs 


LA  DEFENSE  DE  h\  I  ()l.  Q:, 

apprécient  les  doctrines  soupçonnées  d'hérésie  : 
c'estainsi  qu'en  1887  ils  ont  condamné  quarante  pro- 
positions extraites  des  œuvres  de  Rosmini.  L'examen 
d'un  livre  n'est  pas  directement  de  leur  ressort;  il  ap- 
partient à  l'Index.  Juges  des  systèmes  théologiquos 
et  philosophiques,  ils  peuvent  condamner  un  écrit  où 
ces  systèmes  erronés  seraient  exposés  ex  jjrofesso,  et 
l'Index,  alors,  doit  enregistrer  l'arrêt;  mais  rarement 
le  Saint-Office  descend  à  ces  détails.  Il  se  propose, 
non  de  défendre  la  foi  des  fidèles  contre  des  lec- 
tures qu'il  réputerait  dangereuses,  mais  de  défendre 
l'Église  enseignante  contre  le  voisinage  des  spécu- 
lations compromettantes  ou  l'assaut  des  négations. 
Les  révélations,  les  phénomènes  démoniaques,  les 
questions  de  magie,  sont  aussi  de  son  ressort  :  il  sur- 
veille les  abords  du  monde  surnaturel;  c'est  à  ce  titre 
qu'il  a  condamné  les  visionnaires  de  Loigny.  Avec  la 
police  de  l'orthodoxie  et  celle  de  la  dévotion,  il  fait  aussi 
la  police  des  mœurs.  11  accomplit,  enfin,  une  menue 
besogne  absorbante  pour  sa  bureaucratie  :  c'est  cette 
.ongrégation  qui  accorde,  soit  aux  évêques  soit  aux 
fidèles,  les  dispenses  du  jeûne  et  de  l'abstinence;  et 
c'est  elle,  aussi,  qui  autorise  les  mariages  mixtes. 
Trois  fois  par  semaine,  dans  le  palais  qu'elle  occupe 
lUX  environs  du  Vatican,  elle  tient  des  réunions.  Le 
-samedi,  c'est  plutôt  un  simple  congrcsso;  l'assesseur 
y  préside  ;  ce  prélat  est  le  plus  actif  de  la  congréga- 
tion ;  il  surveille  la  marche  de  toutes  les  afTaires  et  en 
est  le  rapporteur  auprès  du  pape  ;  le  commissaire  du 
Saint-Office  et  son  «  premier  compagnon  »,  deux 
l'rères  Prêcheurs,  spécialement  chargés  des  procès, 
<-ollai)orentavec  l'assesseur.  Ils  déterminent  les  ques- 
tions  qu'on   doit   adresser  aux  consulteurs,    celles 

4. 


66  LE  GOm^lRNEMEM  CENTRAL  DE  L  ÉGLISE, 

qu'on  proposera  directement  aux  cardinaux;  ils  ju- 
gent d'eux-mêmes  les  requêtes  peu  importantes.  Le 
lundi,  ils  appellent  autour  d'eux  les  dix-sept  autres 
consulteurs  :  c'est  une  assemblée  délibérative.  Le  mer- 
credi, les  neuf  cardinaux  de  la  congrégation  —  ils 
résident  tous  à  Rome  —  se  réunissent;  au  début, 
l'assesseur  est  seul  avec  eux;  puis  on  introduit  les 
consulteurs;  une  seconde  délibération  s'engage,  et 
Ton  arrête  la  décision  qui  sera  soumise  au  pape.  Si 
l'affaire  était  très  grave,  on  tiendrait  une  quatrième 
séance,  le  jeudi,  en  présence  du  pape;  mais  le  fait  est 
rare.  Tous  les  mercredis  soirs,  l'assesseur  a  l'au- 
dience de  Sa  Sainteté  :  il  expose  le  travail  des  cardi- 
naux; et  les  sentences,  signées  du  notaire,  sont  ren- 
dues au  nom  du  pape.  Quant  aux  communications 
d'une  portée  générale,  émanant  de  cette  congréga- 
tion, elles  ont  la  signature  du  secrétaire,  qui  n'est 
autre  que  le  plus  ancien  cardinal  du  Saint-Office. 

La  congrégation  de  l'Index,  aussi,  se  rattache,  par 
ses  origines,  à  cette  action  défensive  de  l'Église  ro- 
maine, qui  tint  la  Réforme  en  échec.  Paul  IV.  avec  le 
concours  du  Saint-Office,  avait  dressé  un  premier 
Index  des  livres  défendus;  sur  la  demande  du  concile 
de  Trente,  Pie  IV,  en  1564,  en  lit  publier  un  second. 
Pie  V,  en  l.oTi,  créa  une  congrégation  spéciale.  Le 
Frère  Prêcheur  qui  en  est  le  secrétaire  remet  à  l'un 
des  vingt-neuf  consulteurs  le  livre  dénoncé  ;  celui-ci 
fait  un  rapport,  qu'on  imprime.  Sous  la  présidence 
du  secrétaire,  une  réunion  préparatoire  composée 
de  six  consulteurs  et  du  maître  des  Sacrés  Palais, 
Frère  Prêcheur  chargé  jadis  de  l'approbation  des  li- 
vres imprimés  à  Rome,  donne  un  avis.  Les  cardinaux 
de  l'Index  s'assemblent  ensuite;  ils  délibèrent,  en 


LA  DÉFENSE  DE  LA  FOI.  67 

premier  lieu,  si  le  livre  est  condamnable,  en  second 
lieu,  si  la  condamnation  est  opportune.  Insulfisani- 
ment  éclairés,  ils  défèrent  la  cause  à  un  nouvel  exa- 
men. Lorsque  la  décision  leur  paraît  mûre,  ou  bien  ils 
acquittent  le  livre,  ou  bien  ils  le  condamnent,  tantôt 
sans  aucune  restriction,  et  tantôt  jusqu'à  correction. 
Toute  condamnation  est  soumise  par  le  secrétaire  à 
l'assentiment  du  pape. 

La  congrégation  des  Étudesfutcréée  par  Léon  XII,  en 
18:2  i.  11  la  préposait  à  l'enseignement  dans  les  États 
Romains.  A  cet  égard,  les  circonstances  politiques 
ont  réduit  son  activité  :  elle  confère  encore,  aujour- 
d'hui, au  collège  de  la  Minerve  et  à  celui  de  TApolli- 
naire,  les  pouvoirs  nécessaires  pour  décerner  les  di- 
plômes. Les  candidats  aux  doctorats  en  théologie  et 
en  droit  canon  fréquentent  plus  volontiers,  pour  la 
première  de  ces  sciences,  le  Collège  Romain,  dit 
aussi  Université  Grégorienne,  oîi  professent  les  Jésui- 
tes, et  pour  la  seconde  l'Apollinaire  ;  quant  au  collège 
de  la  Minerve,  consacré  à  l'étude  de  la  Somme  de 
saint  Thomas,  il  prépare  des  docteurs  et  des  «  mai - 
très  en  saint  Thomas  ».  La  Congrégation  desËtudes 
a  dans  son  ressort,  aussi,  les  diverses  universités 
catholiques  fondées  à  l'étranger  :  en  décembre  1875, 
les  archevêques  de  Paris,  Lyon,  Toulouse,  etl'évê- 
(lue  d'Angers,  durent  lui  remettre  les  statuts  de  leurs 
universités.  Elle  compte  dix  consulteurs  dont  deux 
laïques  :  l'un  d'eux  était  l'illustre  commandeur  de 
Rossi. 

A  côté  de  cette  congrégation,  Léon  XIII  a  créé,  en 
188.'i,  une  «  commission  cardinalice  pour  les  études 
historiques  »;  cette  innovation  se  rattache  à  un  en- 
semble de  mesures  qui  ont  lait  du  Vatican  un  centre 


68  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

scientifique  :  il  en  sera  parlé  dans  la  partie  de  cet 
ouvrage  consacrée  à  la  bibliothèque  du  Vatican. 


III 


LA  DISCIPLINE  ECCLESIASTIQUE.  —  CONGREGATION  DES  EVE- 
QUES  ET  RÉGULIERS.  —  l' APPROBATION  DES  NOUVEAUX 
INSTITUTS.  —  CONGRÉGATION  SUR  l'ÉTAT  DES  RÉGU- 
LIERS. —  LA  RÉFORME  DE  LA  VIE  RELIGIEUSE.  —  CON- 
GRÉGATION DU    CONCILE. 

La  congrégation  des  Évèques  et  Réguliers  date  de 
Sixte-Quint.  Il  créa,  en  1586,  une  congrégation  super 
consultationibus  regularium ;  mais  les  différends  entre 
les  évéques  et  les  réguliers  pouvaient  être  évoqués, 
également,  devant  une  congrégation  super  consulta- 
tionibus episcoporum,  précédemment  instituée  par 
Grégoire  XIII.  Sixte-Quint,  pour  éviter  des  conflits 
d'attributions,  fondit  les  deux  assemblées  en  une 
seule.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  la  Gerarchia 
nomme  cette  congrégation  la  première  parmi  celles 
qui.ont  un  cardinal  pour  préfet.  Elle  mérite  vraiment 
cette  préséance.  Elle  est  la  cour  d'appel  oîi  continent 
les  causes  ecclésiastiques  de  la  chrétienté  :  sous  la 
direction  du  prélat  secrétaire,  une  importante  bu- 
reaucratie prépare  les  dossiers  des  procès  et  expédie 
les  sentences.  Les  parties  déposent  de  volumineux 
mémoires;  le  cardinal  ponent  en  prend  connaissance; 
il  détermine  la  «  concordance  du  doute  »,  c'est-à-dire 
le  point  précis  sur  lequel  les  plaideurs  sont  en  désac- 
cord; et  les  cardinaux  prononcent.  Le  perdant  peut, 
en  général,  dans  un  délai  de  dix  jours,  en  appeler  à 
la  congrégation  mieux  informée,  à  moins  qu'il  ne 


LA   DISCIPLINE  ECCLESIASTIQUE.  V.O 

s'agisse  cVune  cause  criminelle  dans  laquelle  les 
•cardinaux,  auraient  confirmé  ou  annulé  la  sentence 
précédemment  rendue  par  un  tribunal  épiscopal  ; 
dans  ce  dernier  cas,  le  pape  seul  peut  autoriser  la 
révision  du  procès.  La  congrégation  des  Évèques  et 
liéguliers  exerce,  en  second  lieu,  des  pouvoirs  éten- 
dus pour  l'administration  des  diocèses  :  elle  envoie 
(les  visiteurs  apostoliques  lorsque  des  enquêtes  sont 
urgentes,  et  des  vicaires  apostoliques  lorsque  la 
maladie  de  l'évèque,  ou  bien,  en  cas  de  mort,  l'ab- 
sence de  vicaires  capitulaires,  laissent  le  diocèse  sans 
gérant.  Enfin  toutes  les  institutions  monastiques 
relèvent  de  cette  congrégation  :  et  c'est  une  clientèle 
que  le  dix-neuvième  siècle  a  vue  s'accroître,  bien  loin 
quelle  dépérisse.  M.  Taine  a  constaté  ce  phénomène 
pour  la  France;  partout  il  s'est  produit,  et  la  congré- 
gation des  Évèques  et  Réguliers  n'a  jamais  été  plus 
occupée.  Un  grand  nombre  de  petits  instituts  reli- 
gieux se  contentent  de  l'approbation  épiscopale; 
mais  lorsqu'ils  veulent  faire  agréer  leurs  statuts  par 
Rome,  c'est  à  cette  congrégation  qu'ils  s'adressent. 
Klle  procède  avec  lenteur.  L'histoire  antérieure  de 
l'institut,  le  sommaire  de  ses  ressources,  le  texte 
de  ses  constitutions,  l'avis  de  l'autorité  épiscopale, 
doivent  être  transmis  :  il  faut  qu'un  institut  se  soit 
déjà  essayé  à  la  vie,  avant  de  présenter  une  requête 
à  Rome.  Un  des  prélats  ou  religieux  consulteurs, 
adjoints  à  la  congrégation  depuis  1834,  et  qui  pré- 
sentement sont  trente-deux,  examine  ce  dossier;  il 
propose  un  certain  nombre  de  modifications  aux 
statuts  de  la  fondation  nouvelle.  Les  membres  de  la 
tonsulte  prélatice,  créée  par  Léon  XIII,  font  une 
seconde   révision.   L'assemblée  générale  des  cardi- 


70  LE  GOU^TR^'EME^T  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

naux  discute.  Si  l'œuvre  parait  digne  d'encourage- 
ments, on  décide  l'envoi  d'un  bref  d'éloge  et  d'un 
certain  nombre  de  remarques  sur  les  statuts.  Une 
dizaine  d'années  après,  1  institut  peut  recommencer 
d'être  importun  :  il  réclame,  cette  fois,  une  appro- 
bation formelle.  Si  les  autorités  diocésaines  témoi- 
gnent en  sa  faveur,  cette  approbation  est  accordée. 
Les  statuts,  néanmoins,  ne  sont  pas  encore  réputés 
définitifs;  lévéque  ne  peut  plus  les  modifier  à  son 
gré;  mais  la  congrégation  adresse,  à  leur  sujet,  une 
seconde  série  de  remarques.  Après  un  nouveau  délai, 
l'institut  représente  ses  statuts.  A  ce  troisième  exa- 
men, ils  sont  corrigés  avec  un  surcroît  de  minutie; 
et  la  congrégation  les  approuve,  à  titre  d'essai,  pour 
quelques  années.  Ce  laps  de  temps  s'écoule  ;  elle  les 
reçoit  et  les  examine  une  quatrième  fois  et  leur  ac- 
corde, enfin,  l'approbation  définitive. 

La  congrégation  de  la  Discipline  régulière,  insti- 
tuée par  Innocent  X,  en  1G49,  sous  le  nom  de  Con- 
grégation sur  l'État  des  Réguliers,  pour  remettre 
sous  la  juridiction  des  évèques  d'Italie  les  instituts 
religieux  qui  auraient  moins  de  douze  membres,  et 
plus  tard  chargée  par  Innocent  XII  de  veiller  à  l'ob- 
servation de  la  discipline  régulière,  était  exposée  à 
de  fréquents  conflits  d'attribution  avec  la  congréga- 
tion des  Évèques  et  Réguliers;  Grégoire  XVI,  en 
1833.  définit  la  compétence  de  ces  deux  assemblées. 
Il  semble  qu  elles  tendent  à  se  confondre  ;  elles  ont 
le  même  préfet,  le  même  prélat  pro-secrétaire  ;  dans 
l'une  et  l'autre,  enfin,  les  membres  actifs,  c'est-à-dire 
les  cardinaux  domiciliés  à  Rome,  sont  les  mêmes. 

On  lit  dans  la  Gerarchia  cette  autre  mention  : 
«  Sur  l'État  des   Réguliers.  La  présidence  de  cette 


LA  DISCIPLINE  ECCLESIASTIQUE.  71 

congrégation  est  provisoirement  retenue  par  Sa  Sain- 
teté ».  Suit  le  nom  du  pro-secrétaire  :  il  est  le  même 
({ue  celui  des  Évèques  et  Réguliers.  Cette  congréga- 
tion créée  par  Pie  IX  en  184G  eut  un  rôle  important 
dans  la  résurrection  de  la  vie  religieuse  au  dix-neu- 
vième siècle;  elle  élabora  les  documents  de  lSi8, 
IS,")!,  18o2  et  1857,  par  lesquels  Pie  IX,  moins  sou- 
cieux du  grand  nombre  des  recrues  monastiques 
tjue  de  leur  bon  aloi,  assura  la  dignité  des  novices, 
la  rigoureuse  observation  des  règles,  la  maturité  des 
vocations. 

La  congrégation  du  Concile,  comme  le  Saint-Office 
.t  l'Index,  fut  créée  au  seizième  siècle  par  la  contre- 
réforme  catholique.  Les  décrets  de  Trente  formaient 
un  catéchisme  et  un  code,  aboutissement  de  la  tra- 
dition catholique.  Pie  IV,  en  V'AM,  chargea  huit  car- 
dinaux daviser  à  l'observation  de  ces  décrets.  Il  ne 
leur  laissait  qu'un  rôle  de  surveillants  :  quant  aux 
doutes  qui  pourraient  surgir  sur  le  sens  ou  la  portée 
d'un  décret,  le  pape  seul  les  pourrait  dissiper.  Dé- 
fense était  faite  à  tous  théologiens,  de  bonne  ou  ma- 
ligne volonté,  de  risquer  des  commentaires;  le  pape 
seul  demeurait  linterprète  légitime  du  concile  de 
Trente.  Mais  Sixte-Quint,  en  1587,  assigna  pour 
besogne  à  la  congrégation  du  Concile  d'interpréter 
les  décrets  disciplinaires  de  Trente;  quant  aux  cha- 
pitres dogmatiques,  il  les  réservait  à  la  décision  du 
pape.  Dès  ce  moment,  la  congrégation  du  Concile 
(hivint  l'arbitre  de  la  discipline  ecclésiastique.  Chaque 
année  depuis  1718,  elle  imprime  ses  arrêts  en  un 
volume,  sous  le  titre  :  >•  Trésor  des  résolutions  de  la 
Sacrée  Congrégation  du  Concile  »  ;  cette  collection 
<'sl  un  arsenal  pour  les  canonisles. 


7L'  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L  ÉGLISE. 

La  congrégation  du  Concile  est  un  bureau  de  per- 
missions :  c'est  d'elle  que  les  évèques  et  clercs  re- 
quièrent certaines  faveurs  incompatibles  avec  la  lettre 
des  canons.  Elle  est,  surtout,  un  tribunal  occupé  : 
les  causes  jugées  en  premier  ressort  par  les  tribu- 
naux épiscopaux,  et  dont  la  solution  diffère  suivant 
rinterprétation  qu'on  donne  aux  décrets  de  Trente, 
lui  sont  transmises.  Les  demandes  d'annulation  de 
mariage  sont  aussi  de  son  domaine.  Une  étude  préli- 
minaire des  questions  est  entreprise  par  les  jeunes  ec- 
clésiastiques qui  font  partie  du  Studio  :  la  mémoire 
encore  fraîche  du  droit  qu'ils  viennent  d'apprendre,  ils 
s'escriment,  sous  la  direction  du  secrétaire  du  Concile 
ou  de  son  auditeur,  contre  les  difficultés  que  la  Con- 
grégation devra  trancher;  ils  les  éclairent  en  même 
temps  qu'ils  s'éclairent  eux-mêmes  ;  après  quatre  ans 
d'apprentissage,  ils  peuvent,  à  titre  d'avocats,  sou- 
mettre aux  congrégations  des  plaidoiries  écrites.  Une 
fois  par  mois,  les  cardinaux  de  la  congrégation  du  Con- 
cile se  réunissent.  Dix  jours  avant  la  séance,  ils  ont 
reçu  communication  du  dossier,  formé  par  le  prélat 
secrétaire  :  ce  dossier  comprend,  avec  les  mémoires 
des  avocats,  les  pièces  initiales  des  procès.  La  congré- 
gation rend  la  sentence,  qui  est  soumise  au  pape. 

Depuis  le  seizième  siècle,  l'importance  de  la  con- 
grégation du  Concile  a  grandi  :  Benoit  XI Y  en  17  40, 
Pie  IX  en  1849,  l'enrichirent  d'organes  nouveaux.  Les 
évêques  lui  doivent  adresser  des  relations  sur  l'état 
de  leurs  diocèses  :  beaucoup  ne  mentionnent  que 
des  difficultés  secondaires:  quelques-unes  seulement 
soulèvent  de  graves  questions.  Depuis  1740,  un  cer- 
tain nombre  de  prélats,  sous  la  direction  du  pré- 
fet du  Concile,  font  un  tri  :  ils  élaborent  eux-mêmes 


LA  DISCIPLINE  ECCLESIASTIQUE.  -  73 

la  réponse  qu'il  convient  de  faire  aux  premières,  et 
qui  sera  directement  adressée  par  le  préfet;  ils  réser- 
vent les  secondes  à  l'examen  de  la  congrégation. 
Cette  commission,  qui  prépare  efficacement  le  tra- 
vail, comprend  neuf  prélats. 

Les  conciles  provinciaux  ne  doivent  publier  leurs 
décrets  qu'après  les  corrections  et  l'approbation  du 
Saint-Siège.  C'est  à  la  congrégation  du  Concile  qu'é- 
tait confié,  jusqu'en  1849,  l'examen  de  ces  décrets. 
Depuis  Pie  IX  existe  une  «  Congrégation  spéciale 
pour  la  révision  des  conciles  provinciaux  »;  elle  a  le 
même  préfet  et  le  même  secrétaire  que  celle  du  Con- 
cile. Dix  prélats  et  quatorze  réguliers  y  sont  adjoints 
comme  consulteurs  ;  pour  la  besogne  de  contrôle 
législatif  dont  elle  est  chargée,  le  zèle  des  jeunes 
membres  du  Studio,  surtout  rompus  à  la  chicane, 
ne  suffirait  point. 

On  lit  dans  la  Gerarchia  :  «  Immunité  Ecclésias- 
tique. Par  disposition  de  Sa  Sainteté,  cette  congré- 
gation est  unie  provisoirement  à  celle  du  Concile  ». 
Elle  fut  établie  par  Urbain  VIII,  en  1022;  les  privi- 
lèges des  clercs,  les  questions  concernant  la  compé- 
tence des  tribunaux  ecclésiastiques,  les  conflits  entre 
les  juridictions  temporelles  et  spirituelles  étaient  de 
son  ressort.  Chez  les  peuples  catholiques,  ces  immu- 
nités sont  en  général  supprimées  ou  réduites  par  les 
concordats;  chez  les  autres,  elles  ne  sont  point  re- 
connues :  ainsi  s'explique  la  décadence  de  la  congré- 
gation de  l'Immunité. 

Deux  autres  congrégations  sont  préposées  à  la  Ré- 
sidence des  évéques  et  à  l'Examen  des  évêques  :  par- 
lant précédemment  du  cardinal-vicaire  et  de  la  pré- 
conisalion  en  consistoire,  nous  avons  indiqué  ce  que 

LE    VATICAN.    —    II.  5 


74         LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

sont  ces  deux  congrégations  —  ou  plutôt  ce  qu'elles 
furent. 


IV 


LA  CONGREGATION  DES  RITES  :  COMMENT  L  EGLISE  DÉCLARE 
LES  VÉNÉRABLES,  LES  BIENHEUREUX,  LES  SAINTS.  —  LA 
CONGRÉGATION  DES  INDULGENCES  ET  RELIQUES.  —  LES 
INSIGNES  BASILIQUES   DE  SAINT-PIERRE   ET  DE   LORETTE. 

«  Les  rites  sacrés  et  les  cérémonies  dont  l'Église, 
instruite  par  l'Esprit-Saint,  fait  usage,  contiennent 
un  enseignement  élevé  pour  le  peuple  de  Dieu,  ren- 
ferment une  profession  de  la  vraie  foi,  expriment  la 
majesté  des  choses  saintes,  élèventl'esprit  des  fidèles 
à  la  méditation  des  mystères  de  la  religion,  et  allu- 
ment en  eux  le  feu  de  la  dévotion.  Nous  avons  choisi 
cinq  cardinaux,  qui  devront  s'occuper  principale- 
ment de  faire  observer  avec  exactitude  les  rites 
sacrés  ».  Ainsi  écrivait  Sixte-Quint,  en  1587.  La  con- 
grégation des  Rites  s'est  singulièrement  développée  ; 
la  Gerarchia  de  1901  lui  assigne  trente  et  un  cardinaux, 
dont  dix-sept  demeurant  à  Rome  ;  l'un  de  ces  cardi- 
naux en  est  le  préfet;  un  prélat  en  est  le  secrétaire. 
Les  auxiliaires  se  rangent  en  deux  catégories  :  les  uns, 
choisis  par  le  pape  pour  exercer  cette  fonction,  por- 
tent le  titre  de  consulteurs;  ils  sont  dix-huit,  dont 
deux  prélats  et  seize  religieux  ;  les  autres,  en  vertu  des 
fonctions  qu'ils  exercent  dans  l'Église,  participent  de 
droit  aux  travaux  de  la  congrégation  ;  ils  portent  le 
titre  de  prelati  officiali;  ce  sont  le  doyen  et  les  deux 
plus  anciens  auditeurs  du  tribunal  de  la  rote,  le  maître 


L\  CONGREGATION  DES  RITES.  75 

des  Sacrés  Palais,  le  sacriste  du  pape,  le  secrétaire 
de  la  Cérémoniale,  et  un  protonotaire  apostolique 
spécialement  attaché  aux  rites.  Les  autres  auditeurs 
de  rote,  dont  Toccupation  de  Rome  a  supprimé  la 
juridiction,  et  les  prélats  maîtres  des  cérémonies 
pontificales,  sont  également  appelés  à  aider  la  con- 
grégation des  Rites.  Elle  possède  des  scribes,  un 
archiviste  avec  coadjuteur,  et  un  substitut  du  secré- 
taire, également  doublé  d'un  coadjuteur.  On  y  trouve, 
enfin,  trois  personnages  qu'on  chercherait  en  vain 
dans  les  autres  congrégations  :  Thymnographe,  le 
promoteur  de  la  foi,  l'assesseur  et  sous-promoteur  de 
la  foi;  nous  expliquerons  leurs  fonctions. 

La  congrégation  des  Rites  examine  le  texte  des 
prières  liturgiques  :  le  bréviaire,  le  missel,  les  offices 
en  l'honneur  d'un  saint,  les  hymnes  sont  révisés 
par  ses  soins;  c'est  pour  cette  dernière  besogne 
qu'elle  a  besoin  d'un  métricien,  le  prélat  hymno- 
graphe.  Vin  de  la  messe,  cire  des  cierges,  il  n'est 
aucun  détail  dont  elle  dédaigne  de  s'occuper.  Elle 
veille  au  bon  aloi  des  chants  liturgiques,  à  la  sévé- 
rité de  la  musique  religieuse;  en  189t,  même,  elle  a 
publié  à  ce  sujet  un  décret  et  des  instructions  spé- 
ciales. Elle  apprécie  et  peut  condamner  les  représen- 
tations pieuses  qu'introduisent  l'imagerie  et  la  sta- 
tuaire. Elle  autorise  les  dérogations  ù  la  liturgie  : 
c'est  à  elle  qu'un  prêtre  recourt,  par  exemple,  pour 
célébrer  la  messe  avant  l'aurore,  ou  pour  dire  dès 
minuit,  le  jour  de  Noël,  les  trois  messes  prescrites. 
Enfin  elle  déclare  les  saints. 

Avant  Alexandre  III,  le  privilège  des  canonisations 
n'était  pas  réservé  au  Saint-Siège;  en  Uri.'J,  cncoïc, 
Gautier  de  Ponloisc  était  élevé  aux  honneurs  du  culte 


76  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 

par  Tarchevêque  de  Rouen.  Urbain  VIII  au  dix-sep- 
tième siècle,  Benoît  XIV  au  dix-huitième,  furent  les 
grands  législateurs  des  canonisations. 

Un  chrétien  meurt  avec  une  réputation  d'éminente 
sainteté.  Lorsque  la  piété  publique,  après  quelques 
années,  entretient  cette  réputation,  Tévêque  ouvre 
un  procès  sur  la  vie  édifiante  qui  a  laissé  de  tels  sou- 
venirs. Il  constitue  un  tribunal,  convoque  des  té- 
moins, forme  un  dossier,  le  signe,  le  scelle,  et  l'a- 
dresse à  Rome.  Auprès  de  la  congrégation  des  Rites, 
il  s"assure  le  concours  de  deux  personnages  :  un 
postulateur,  généralement  ecclésiastique,  qui  sur- 
veillera et  pressera  la  marche  du  procès;  un  avocat, 
souvent  laïque,  qui  rédigera  les  mémoires  néces- 
saires pour  les  diverses  phases. 

La  congrégation  des  Rites,  par  un  premier  décret, 
autorise  l'ouverture  du  pli  scellé  qu'a  envoyé  l'évè- 
que.  On  commence  par  faire  une  copie  du  dossier, 
traduit  en  italien.  L'avocat,  ensuite,  fait  les  premiers 
pas  :  il  rédige  une  vie  du  saint  personnage,  un  som- 
maire de  ses  vertus,  un  résumé  de  l'enquête  épisco- 
pale,  il  rassemble  les  lettres  qui  réclament  sa  ca- 
nonisation :  le  travail,  qui  forme  souvent  un  gros 
volume,  est  remis  au  prélat  promoteur  de  la  foi.  Ce- 
lui-ci remplit  les  fonctions  de  ministère  public;  avec 
laide  du  prélat  sous-promoleur,  il  épluche  minu- 
tieusement le  sommaire  remis  par  l'avocat;  il  cri- 
tique les  vertus  du  personnage,  en  conteste  l'excep- 
tionnelle éminence;  ce  réquisitoire  forme  à  son  tour 
un  gros  volume.  L'avocat  réplique,  plaide  pour  les 
vertus  attaquées,  nie  le  bon  aloi  des  arguments 
invoqués;  certaines  causes  sont  l'occasion  de  litiges 
historiques.  Le  promoteur  de  la  foi  peut  de  nouveau 


LA  CONGREGATION  DES  RITES.  77 

répondre;  s'il  le  juge  inutile,  la  partie  préparatoire 
du  procès  est  terminée.  Aux  sérieux  travaux  du 
promoteur  et  de  l'avocat,  on  joint,  s'il  y  a  lieu,  le 
rapport  d'un  consulteur  sur  les  écrits  du  personnage. 
La  congrégation  se  réunit  en  assemblée  générale  ; 
<^lle  décide  s'il  faut  introduire  la  cause  du  serviteur 
de  Dieu.  Dix  ans  au  moins  doivent  s'être  écoulés  de- 
puis l'ouverture  du  procès.  La  décision  est  approuvée 
par  le  pape;  si  elle  est  favorable,  le  candidat  à  la 
sainteté  a  droit  au  titre  de  Vénérable  :  la  première 
étape  est  parcourue.  Jeanne  d'Arc,  en  1894,  est  de- 
venue Vénérable. 

Alors  commencent  les  procès  apostoliques.  On  re- 
cherche, dans  le  premier  procès,  si  le  candidat  à  la 
sainteté  n'a  pas  été,  jusque-là,  l'objet  d'un  culte  pu- 
Ijlic;  par  là,  sa  cause  serait  compromise;  ce  culte 
public  prématuré  apparaîtrait  au  Saint-Siège  comme 
une  usurpation  commise  par  les  fidèles.  Le  promo- 
teur de  la  foi  élève  des  objections  ;  et  le  procès  de  non 
cultu  est  tranché  par  la  congrégation.  Le  second 
procès  porte  «  sur  la  renommée  du  saint  »,  super 
famam  sancAitaiis ;  il  soulève  une  nouvelle  discussion 
générale,  dans  laquelle  s'escriment  à  nouveau  le  pro- 
moteur et  l'avocat.  Lorsque  la  congrégation  se  juge 
éclairée,  elle  arrive  à  deux  procès  plus  détaillés  ;  il 
faut,  à  ce  moment,  que  cinquante  ans  au  moins  aient 
passé  depuis  la  mort  du  saint;  pour  les  martyrs 
seuls,  on  apporte  parfois  des  atténuations  à  ces  ri- 
gueurs. Le  premier  de  ces  procès  a  trait  aux  vertus; 
on  en  examine  le  degré  d'héroïcité.  L'autre  a  trait 
aux  deux  miracles  que  la  congrégation  des  Rites 
juge  nécessaires  pour  une  béatification;  l'authenti- 
cité, la  réalité,  la  portée,  en  sont  critiquées.  Les  clii- 


78  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

canes  du  promoteur  de  la  foi  peuvent  ralentir  ces 
examens,   ou  même  les   arrêter.  Quand  ils  parais- 
sent toucher  à  leur  terme,  les  vertus  sont  étudiées 
dans  trois  congrégations  :  la  première,  dite  antépré- 
paratoire,  se  tient  chez  le  cardinal  rapporteur  de  la 
cause  ;  elle  ne   comprend  que  les  consulteurs  et  les 
auditeurs  de  rote;  la  seconde,  dite  préparatoire,  réu- 
nit tous  les  cardinaux  des  Rites,  en  présence  des- 
quels  les  consulteurs  apportent  leur  vote  ;  la  troi- 
sième,   dite  générale,  se   tient  devant  le  pape;  il 
entend  les  votes  des  consulteurs,  ceux  des  cardinaux, 
et  se  réserve  de  publier,  au  bout  de  quelques  jours, 
le  décret  constatant  l'héroïcité  des  vertus.  Pour  les 
miracles,  de  même,  ces  trois  congrégations  se  succè- 
dent; et  le  pape  les  couronne,  s'il  y  a  lieu,  par  un 
décret  affirmant  que  les  deux  miracles  témoignent 
la  puissance  du  serviteur  de  Dieu.  Une  dernière  con- 
grégation générale  se  réunit;  elle  est  dite  congré- 
gation de  tiilo.  «  Peut-on  sûrement  procéder   à  la 
béatification?   An   tiito  procedi  possit  ad    beaiifica- 
tionem?  »  Telle  est  la  question.  Une  dernière  fois,  le 
pape  recueille  les  avis.  A  ce  moment,  ils  sont  natu- 
rellement favorables;  un  bref  pontifical,  peu  de  jours 
après,  annonce  la   béatification.   De   Vénérable,   le 
personnage  devient  Bienheureux.  Au  jour  fixé  pour 
la  cérémonie,  dans  la  Loggia,  qui  domine  la  façade 
de  Saint-Pierre,  toute  la  congrégation  des  Rites  se 
réunit.  Avant  la  messe,  le  secrétaire  de  la  congréga- 
tion  lit   le  décret   pontifical.    Immédiatement,    au- 
dessus  de  l'autel,  le  portrait  du  saint,  que  jusque-là 
cachait  un  voile,  est  découvert  ;  et  le  nouveau  Bien- 
heureux apparaît  dans  une  gloire.  L'après-midi,  le 
pape  se  rend  à  la  Loggia  pour  le  vénérer  officielle- 


LA  CONGRÉGATION  DES  RITES.  .79 

nient.  Jadis  ces  cérémonies  se  passaient  à  Saint- 
Pierre;  et  la  canonisation  de  Jean-Baptiste  de  la  Salle 
a  été  célébrée  dans  cette  basilique  en  1900. 

Le  postulateur,  après  la  béatification,  apprend-il 
des  miracles  nouveaux  :  aussitôt  il  demande  à  la  con- 
grégation de  reprendre  TaHaire.  L'avocat  et  le  pro- 
moteur font  l'étude  de  ces  miracles.  Si  le  premier 
l'emporte,  le  pape,  sur  le  rapport  de  la  congrégation 
des  Rites,  déclare  par  décret  qu'il  y  a  lieu  de  con- 
duire la  cause  jusqu'à  la  canonisation.  Il  réunit  alors 
trois  consistoires  :  dans  le  premier,  qui  est  secret, 
il  recueille  l'avis  de  tous  les  cardinaux;  dans  le 
second,  qui  est  public,  l'avocat  expose,  en  présence 
du  pape,  des  cardinaux,  d'archevêques  et  d'évêques, 
les  titres  du  saint  à  la  canonisation;  dans  le  troi- 
sième, semi-public,  les  cardinaux,  archevêques,  évê- 
ques,  donnent  une  dernière  fois  leurs  suffrages.  Peu 
de  jours  après,  à  Saint-Pierre,  le  pape  chante  ponti- 
ficalement  la  messe  et  lit  lui-même,  à  l'évangile,  la 
bulle  de  canonisation.  Le  Bienheureux  est  devenu 
Saint;  le  culte  qui  lui  est  décerné  oblige  désormais 
le  monde  entier. 

La  congrégation  de  la  Cérémoniale  est,  en  quelque 
mesure,  une  annexe  des  Rites.  Présidée  par  le  doyen 
du  Sacré  Collège,  ayant  pour  consulteurs  les  maî- 
tres des  cérémonies  pontificales,  elle  fixe  les  détails 
du  costume  ecclésiastique  et  tranche  les  questions 
de  préséance  ou  d'étiquette.  Les  Rites  règlent  le  for- 
malisme des  cérémonies  liturgiques;  les  solennités 
d'apparat,  qui  ne  sont  point  des  actes  religieux  par 
essence,  sont  du  domaine  de  la  Cérémoniale;  c'est 
elle,  par  exemple,  qui  donne  les  instructions  aux 
ablégats  et  aux  gardes-nobles   dépêchés  aux  nou- 


80         LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

veaux  cardinaux.  Elle  fut  créée  par  Grégoire  XIII  en 
1572. 

Une  autre  congrégation  intéresse  la  piété  des 
fidèles  :  c'est  celle  des  Indulgences  et  Reliques.  Elle 
résout  toutes  les  difficultés  au  sujet  des  indulgences; 
elle  évince  les  fausses  reliques,  signale  les  fausses 
indulgences  ;  elle  expédie  les  faveurs  spirituelles  que 
souhaitent  les  évêques  et  les  clercs,  soit  directement, 
soit  par  la  secrétairerie  des  Brefs. 

La  congrégation  de  la  «  Révérende  Fabrique  de 
Saint-Pierre  »,  fondée  par  Clément  VIII  en  1592, 
conserve  l'administration  de  la  basilique.  Son  pré- 
fet est  Tarchiprètre  de  Saint-Pierre;  depuis  1894,  le 
cardinal  Rampolla  a  cette  charge.  L'économe  de  la 
basilique  en  est  le  secrétaire.  Elle  est  pourvue  d'une 
secrétairerie  ecclésiastique,  dune  section  adminis- 
trative qui  veille  au  budget,  d'une  section  légale  qui 
tranche  les  questions  contentieuses,  enfin  d'un  office 
technique  de  quatre  architectes,  qui  prennent  soin 
de.  l'édifice.  Le  prélat  secrétaire  est  le  président  de 
la  fabrique  de  mosaïque  (Studio  del  musaico),  instal- 
lée dans  l'enceinte  du  Vatican,  et  qui  exécute,  pour 
les  diverses  églises,  des  copies  en  mosaïques  des 
tableaux  célèbres.  Avant  1870,  la  Révérende  Fabri- 
que surveillait  l'exécution  des  legs  pieux  dans  les 
États  Romains;  aujourd'hui  encore,  elle  accorde  aux 
églises  ou  aux  clercs  les  permissions  nécessaires 
pour  déroger,  en  certains  détails,  aux  clauses  accom- 
pagnant les  créations  temporaires  ou  perpétuelles  de 
messes,  ou  autres  fondations  pieuses  faites  par  tes- 
tament. 

De  droit,  à  titre  de  secrétaire  d'État,  le  cardinal 
Rampolla  est  préfet  de  la  congrégation  dite  «  Laure- 


LA  CONGRÉGATION'  DES  RITES.  ,    81 

tana  »,  préposée  par  Innocent  XII  à  la  basilique  de 
Lorelle.  Elle  a  perdu,  depuis  roccupation  de  cette 
ville  par  les  troupes  italiennes,  l'administration  du 
sanctuaire;  elle  maintient  seulement  la  juridiction 
spirituelle  du  Saint-Siège  sur  la  Sanla  Casa,  c'est- 
à-dire  sur  la  maison  miraculeuse,  conservée  dans  la 
basilique,  et  sur  un  espace  de  deux  mètres  tout  au- 
tour; le  reste  de  Téglise,  comme  l'ensemble  du  dio- 
cèse, relève  de  Tévèque  de  Lorette. 


CHAPITRE  IV 

Les  communications  du  pape 
avec  le  monde  chrétien. 


La  bulle,  le  bref,  la  simple  lettre,  telles  sont  les 
trois  formes  que  revêt  l'expression  publique  de  la  pen- 
sée pontificale.  La  bulle  émane  de  la  chancellerie  ;  le 
bref,  de  la  secrétairerie  des  Brefs  ou  de  la  Daterie,  et 
les  faveurs  attestées  par  Tun  ou  l'autre  de  ces  actes 
sont  souvent  obtenues  du  pape  par  cette  dernière 
administration;  la  simple  lettre  enfin  est  rédigée,  sur 
les  ordres  du  pape,  par  les  secrétaireries  d'État,  des 
Brefs  aux  princes  ou  des  lettres  latines. 


I 


LES  BULLES  :  COMMENT  ON  LES  SCELLE;  COMMENT  ON  LES 
ÉCRIT.  —  LES  HABITUDES  DE  LA  DIPLOMATIQUE  PONTIFI- 
CALE. 

La  plus  ancienne  forme  de  lettre  pontificale  est  la 
bulle.  Elle  emprunte  ce  nom  au  sceau  de  plomb, 
huila,  qui  en  marque  l'authenticité.  Voici  comment 
on  appose  ce  sceau  :  dans  une  sphère  de  plomb,  per- 


LES  BULLES.  ^3 

cée  de  part  en  part  d'un  trou,  on  introduit  des  atta- 
ches; elles  ont  été  passées,  auparavant,  dans  deux 
trous  ménagés  à  la  partie  inférieure  du  parchemin; 
on  prend  une  pince,  qui  porte,  au  bout  de  ses  deux 
branches,  deux  matrices  gravées  en  creux;  avec 
cette  pince  on  aplatit  la  sphère  de  plomb;  ses  deux 
faces  reçoivent  les  deux  empreintes  ;  le  sceau  est 
obtenu. 

Du  septième  siècle  au  milieu  du  neuvième,  le  sceau 
portait,  au  droit,  le  nom  du  pape,  disposé  d'abord 
en  lignes  horizontales,  puis  en  cercle;  au  revers  le 
titre  même  de  pape.  Pascal  II,  au  début  du  douzième 
siècle,  introduisit  un  type  nouveau  :  au  droit  les 
tètes  des  saints  Pierre  et  Paul,  séparées  par  une 
croix;  les  poils  de  la  barbe  et  les  cheveux  sont  mar- 
qués par  des  traits  sur  la  tète  de  Paul,  par  des  points 
sur  celle  de  Pierre  ;  leurs  auréoles  sont  indiquées 
par  des  cordons  de  points,  et  souvent  une  dernière 
circonférence  pointillée  entoure  l'ensemble;  au  re- 
vers, le  nom  du  pape,  son  titre,  son  numéro  d'or- 
dre. «  Faute  d'un  point  Martin  perdit  son  âne  »,  dit 
le  proverbe.  Si  le  bienheureux  Pierre,  au  treizième 
siècle,  sur  le  sceau  qui  fermait  la  bulle,  n'avait  pas 
vingt-cinq  points  en  guise  de  cheveux  et  vingt-huit 
en  guise  de  barbe,  et  les  deux  cercles  soixante-treize 
et  soixante-quinze  points,  c'en  était  fait  de  la  faveur 
accordée  par  la  bulle.  Le  type  créé  par  Pascal  II  fut 
embelli  par  Sixte  IV  au  quinzième  siècle  et  ramené 
par  Pie  VII  à  sa  forme  archaïque.  Léon  XIII,  par  un 
Molu  proprio  du  29  décembre  1878,  en  a  réservé 
l'usage  pour  les  bulles  relatives  à  des  évèchés  et  pour 
les  actes  solennels  du  Saint-Siège;  les  autres  bulles, 
spécialement  celles  qui  concernent  des  dispenses  de 


84       LE  gouverneme:<t  central  de  L'église. 

mariage,  sont  authentiquées,  désormais,  par  un  tim- 
bre à  Fencre  rouge  représentant  les  têtes  des  apôtres 
et  portant  en  légende  le  nom  du  pape.  La  nécessité 
d'accommoder  les  bulles  aux  exigences  des  transports 
postaux  devait  entraîner  cette  disgrâce  du  tradition- 
nel sceau  de  plomb. 

Les  bulles  furent  toujours  de  très  grande  dimen- 
sion ;  elles  mesurent,  aujourd'hui,  soixante-dix  centi- 
mètres de  large  sur  cinquante  de  hauteur  ;  au  moyen 
âge,  certaines  atteignirent  six  mètres  cinquante. 
On  employa  le  papyrus,  fragile  et  coûteux,  jusqu'au 
onzième  siècle;  ensuite  le  parchemin. 

Clément  VIII,  à  la  fin  du  seizième  siècle,  adopta 
pour  les  bulles  une  écriture  spéciale,  fort  laide  à  la 
vue,  illisible  aux  profanes;  composée  de  pleins 
énormes  et  de  déliés  extrêmement  fins,  elle  offrait, 
par  surcroît,  un  système  d'abréviations  nouvelles  et 
compliqués  ;  on  l'appelait  littera  sancti  Pétri  ou  bolla- 
tica.  La  chancellerie  romaine  devait  joindre  aux  do- 
cuments ainsi  transcrits  une  copie  en  écriture  ordi- 
naire, qu'on  appelait  transsumpfum.  Léon  XIII,  par 
le  Motu  proprio  de  1878,  ordonna  de  substituer  à 
cette  écriture  le  caractère  latin  ordinaire. 

La  teneur  des  bulles  fut  elle-même  assujettie,  dans 
le  cours  des  siècles,  à  certaines  lois  formelles.  A  par- 
tir du  neuvième  siècle,  la  suscription  de  la  bulle 
est  invariablement  :  N...  episcopus  servus  servorum 
Dei;  cette  formule,  que  saint  Grégoire  le  Grand  avait 
employée  le  premier,  était  suivie  de  l'adresse.  Régu- 
lièrement, à  partir  de  Léon  IX,  pape  en  1048,  on 
écrivait  ensuite,  pour  commencer  la  bulle,  la  men- 
tion i??jjer/?e/uu?n,  si  l'effet  de  cet  acte  devait  être  per- 
pétuel, et  les  mots  salutem  et  apostolicam  benedic- 


LES  BULLES.  -85 

tionem,  si  Tacte  était  un  document  de  circonstance. 
C'est  ainsi  qu'est  rédigé  le  début  d'une  bulle,  encore 
aujourd'hui.  Le  protocole  final  ne  se  fixa  qu'après  un 
certain  nombre  d'incertitudes,  et  demeura  toujours 
compliqué.  Adrien  I",  pape  de  77:2  à  795,  fit  suivre 
les  bulles  d'une  double  date  :  Tune,  sommaire,  était 
de  la  main  du  «  notaire  et  scriniaire  »  qui  avait  écrit 
la  pièce;  l'autre,  plus  développée,  était  apposée 
par  un  fonctionnaire  supérieur  de  la  chancellerie, 
qui  fut  la  plupart  du  temps  le  bibliothécaire  du  Saint- 
Siège.  A  côté  de  ces  deux  dates,  le  salut  final  volon- 
tiers employé  dans  les  documents  du  moyen  âge  : 
Bene  valete,  «  portez-vous  bien  » ,  était  ajouté  sur 
l'ordre  du  pape,  parfois  même  de  sa  main.  Cet  usage 
fut  constant  aux  neuvième  et  dixième  siècles.  L'ha- 
bitude des  deux  dates  disparut  dans  les  bulles  de 
l'âge  postérieur;  mais  on  y  multiplia,  en  revanche, 
dès  le  temps  de  Léon  IX,  les  signes  d'authenticité. 
Le  hene  valete,  apposé  à  droite  de  l'acte,  dans  le 
bas,  prit  la  forme  d'un  monogramme,  accompagné 
d'abord  de  trois  points  et  d'une  virgule  gigantesque 
appelée  Komma,  et  dépourvu  de  cet  appendice  après 
le  pontificat  de  Grégoire  VII.  En  regard,  à  gauche, 
apparut  un  signe  nouveau,  la  rota;  après  quelques 
variations,  la  forme,  dès  les  premières  années  du 
douzième  siècle,  en  fut  définitivement  arrêtée;  elle 
consistait  en  deux  circonférences  concentriques; 
entre  les  deux  était  disposée  en  cercle  la  devise  du 
pape;  une  petite  croix,  souvent  tracée  par  la  main 
même  du  pontife,  précédait  cette  devise;  la  circon- 
férence intérieure  était  divisée  par  une  croix  en  quatre 
segments  :  dans  les  deux  segments  supérieurs  se  trou- 
vaient les  noms  des  apùtres  Pierre  et  Paul,  et  dans 


se,         LE  GOUNTRNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

les  deux  segments  inférieurs  le  nom,  le  titre  et  le 
rang  du  pape. 

Entre  la  rota  et  le  bene  valete,  la  suscription  du 
pape  prenait  place  :  «  Ego  N.  eatholicse  ecclesia;  epis- 
copus  S  S.  »  :  ces  deux  dernières  lettres,  abréviation 
du  mot  suhscripsi,  étaient  tracées  de  la  main  du  pape. 
Au-dessous  étaient  alignées,  sur  trois  colonnes,  les 
suscriptions  des  cardinaux  présents  au  consistoire 
où  l'on  avait  approuvé  la  bulle  ;  à  gauche,  celles  des 
cardinaux-prêtres  ;  à  droite,  celles  des  cardinaux- 
diacres  ;  au  milieu,  sous  la  suscription  du  pape,  celles 
des  cardinaux-évêques.  Mais  Urbain  II,  en  même 
temps  qu'il  fixait  ainsi  les  grandes  bulles,  créait  le 
type  des  petites  bulles,  beaucoup  plus  simples,  dé- 
pourvues de  suscriptions,  de  la  rota  et  du  bene  vo- 
leté. Avec  le  temps,  ces  dernières  prédominèrent,  on 
prit  l'invariable  habitude  de  les  dater  de  l'année  de 
l'Incarnation  et  de  les  authentiquer  par  les  nombreu- 
ses signatures  des  employés  de  la  chancellerie;  et  la 
forme  solennelle  de  la  grande  bulle  fut  réservée  pour 
certaines  circonstances  exceptionnelles. 


II 


LES  QUATRE  FAÇONS  D  EXPEDIER  UNE  BULLE.  —  LE  CAR- 
DINAL VICE-CHANCELIER  ET  SOMMISTE.  —  LE  RÉGENT.  — 
LE  SOUS-SOMSnSTE.  —  LES  ABRÉVIATEURS  DU  PARC  MA- 
JEUR. —  l'aBRÉMATEUR  DE  CURIE.  —  LA  GARDE  DU 
PLOMB.  —  LE  PLOMBEUR. 

Les  bulles  de  Léon  XIII  peuvent  emprunter  quatre 
voies  diverses,  qu'on  appelle  voie  de  chancellerie, 
voie  de  la  Chambre  apostolique,  voie  secrète  et  voie 


LES  QUATRE  FAÇONS  D'EXPÉDIER  ITSE  BULLE.       87 

de  curie;  mais  le  sceau  de  plomb  ou  l'empreinte 
k  l'encre  rouge  est  un  signe  essentiel,  que  toutes  doi- 
vent porter;  et  c'est  à  la  Chancellerie  qu'elles  en  . 
sont  revêtues.  A  la  tête  est  un  cardinal.  Il  habite  le  pa- 
lais de  la  Chancellerie,  dont  une  aile  est  formée  par 
la  basilique  de  Saint-Laurent  in  Damaso;  cette  basi- 
lique devient  un  titre  presbytéral  ou  une  diaconie, 
suivant  que  le  cardinal  appartient  à  l'ordre  des  prê- 
tres ou  des  diacres.  11  porte  le  titre  de  «  vice-chan- 
celier et  sommiste  ».  Cette  double  épithète  n'est  pas 
une  redondance;  elle  désigne  deux  offices  fort  dis- 
tincts réunis  en  1090  par  le  pape  Alexandre  VIII,  et 
conférés  par  deux  bulles,  dont  l'une  nomme  le  vice- 
chancelier,  et  dont  l'autre  désigne  le  sommiste.  La 
première  de  ces  fonctions  est  attribuée  à  un  cardinal 
depuis  Boniface  VIII,  la  seconde  depuis  Pie  V.  La 
mission  du  vice-chancelier  est  de  présider  à  la  con- 
fection des  bulles  qui  doivent  être  expédiées  par 
voie  de  chancellerie;  il  les  signe  ou  les  fait  signer 
en  son  nom;  il  prépare  les  décrets  que  le  pape  pu- 
bliera au  consistoire.  La  mission  du  sommiste  est 
de  présider  à  la  confection  des  bulles  qui  doivent 
être  expédiées  per  via  di  caméra  (par  la  voie  de  la 
Chambre  apostolique). 

A  titre  de  vice-chancelier,  le  cardinal  est  assisté 
par  un  prélat  appelé  Régent  et  par  le  collège  des  abré- 
viateurs.  Ceux-ci  préparent  un  brouillon  de  bulle,  il 
est  présenté  au  pape,  qui  le  signe.  La  minute,  retour- 
née à  la  chancellerie,  est  confiée  aux  écrivains  apos- 
toliques. La  copie  qu'ils  en  font  est  vérifiée  par  le 
régent;  il  trace  dans  un  angle  les  deux  lettres  L.  C. 
lleclum,  correcliun),  attestant  qu'il  a  fait  ce  travail;  et 
il  inscrit  la  première  lettre  du  nom  du  vice-chance- 


88  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

lier;  au-dessous,  les  abréviateurs  signent.  Jadis,  fort 
nombreux,  ils  étaient  répartis  en  deux  collèges  :  ils 
se  réunissaient  dans  deux  enceintes  dites  Parc  Mi- 
neur. Ce  dernier  collège  subsiste  seul;  il  comprend 
deux  prélats  titulaires,  qu'on  appelle  prelati  di  nu- 
méro, et  treize  prélats  surnuméraires,  enfin  un  secré- 
taire, six  substituts  et  un  substitut  surnuméraire, 
qui  sont  laïques. 

A  titre  de  sommiste,  le  cardinal  est  assisté  d'un 
ecclésiastique,  le  sous-sommiste,  et  d'un  laïque  ap- 
pelé «  substitut  du  sommistat  ».  Sous  sa  direction,  ils 
rédigent  les  minutes  des  bulles  qui  seront  expédiées 
par  la  voie  de  la  Chambre  apostolique.  Le  cardinal 
sommiste,  ou  le  sous-sommiste,  à  son  défaut,  les  si- 
gnent. Ces  bulles  ne  passent  pas  entre  les  mains  des 
abréviateurs,  parce  que  leur  rédaction  échappe  aux 
étroites  et  multiples  règles  de  la  chancellerie.  C'est 
Paul  III,  en  1545,  qui  détermina  les  cas  où  l'on  pou- 
vait simplifier  le  formalisme  en  employant  la  Via  di 
caméra  au  lieu  de  la  Via  di  cancelleria.  Entre  ces  deux 
services,  une  concurrence  s'éleva;  pour  y  mettre  fin, 
Alexandre  VIII  réunit  la  direction  aux  mains  d'un  seul 
et  même  cardinal. 

La  Lia  di  cancelleria  comportait  à  la  fois  beaucoup 
de  formalisme  et  beaucoup  de  frais;  la  Via  di  caniera 
réduisait  le  formalisme  et  maintenait  les  frais;  Pie  V, 
en  1570,  organisa  l'expédition  gratuite  de  certaines 
bulles,  par  la  Via  segreta.  Sur  l'avis  de  la  Daterie, 
l'office  du  sommiste  prépare  la  bulle.  L'acte  est  copié 
par  le  «  scrittore  délie  Bolle  di  via  segreta  »,  attaché 
à  la  Daterie.  Les  signatures  du  sommiste,  du  proda- 
taire,  du  secrétaire  des  Brefs  en  attestent  l'authenticité. 

Enfin  Clément  XII,  en  1735,  créa,  pour  l'expédition 


LES  QUATRE  FAÇONS  D'EXPEDIER  UNE  BULLE.        vi 

des  bulles,  la  Via  di  curia.  Les  bulles  qui  prennent 
cette  route  sont  les  plus  importantes  pour  rensemble 
de  la  chrétienté  :  lorsque  le  pape  condamne  une  hé- 
résie, ratifie  un  concordat,  annonce  un  concile,  publie 
im  jubilé,  canonise  un  saint,  érige  une  université, 
c'est  par  la  Via  di  curia  qu'il  transmet  sa  volonté. 
Une  bulle  expédiée  par  les  autres  voies  demeure,  si 
Ton  ose  dire,  un  document  bureaucratique;  une  bulle 
expédiée  par  la  Via  di  curia  présente  souvent  quel- 
que chose  de  personnel  et  d'exceptionnel  tout  ensem- 
ble. L'acte  par  lequel  Léon  XIII  éleva  Févèché  de 
Pérouse  au  rang  d'archevêché  fut  publié  par  cette 
voie.  Lorsque  le  pape  emprunte  ce  mode  d'expédition, 
le  décret  est  transmis  à  un  prélat  dépendant  du  pro- 
dataire,  et  qu'on  appelle  Ahbrcviatorc  di  curia.  En 
vertu  de  ce  décret,  ce  prélat  fait  une  minute  de  la 
bulle.  Le  pape  signe  cette  minute  :  Fiai,  «  ainsi  soit 
fait  »,  en  ajoutant  la  première  lettre  de  son  nom.  Le 
«  scrittore  délie  Bolle  di  via  segreta  )>,  ci-dessus 
mentionné,  écrit  aussi,  sous  la  surveillance  del'abré- 
viateur,  les  bulles  expédiées  par  la  Via  di  curia. 

Voici  les  dernières  lignes  de  la  constitution  de 
Léon  XIII  sur  l'ordre  bénédictin  en  Angleterre  (1890)  : 

A.  CARI).   BIAXCHI  PRO   DAT 

M.   CARD.   LEDOCIIOWSKI 

VISA 

DE  CVRIA   1.   DEAQVILA  E.  VICE  COMITIBVS 

I.   CVGNONIVS. 

Loco  -\-  Plumbi 

Rc(j.  in  Secret.  Brevium 

Ces  signatures  retracent  l'histoire  même  delà  bulle. 
Dès  qu'elle  est  écrite,  le  prodataire  et  le  secrétaire 


90  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

des  Brefs  (ces  dernières  fonctions  étaient  remplies, 
en  1890.  par  le  cardinal  Ledochowski)  apposent  leurs 
suscriptions.  L'abréviateur  de  curie  ajoute  la  sienne, 
en  la  faisant  précéder  des  mots  :  visa  de  curia.  Il 
s'appelle  M^'"  Giuseppe  dell'  Aquila  Visconti  ;  son  nom 
latinisé,  devient  Josephus  (abrégé  en  I.)  de  Aquila 
e  vice  comitibus.  Il  envoie  la  bulle  à  la  chancellerie, 
afin  qu'on  y  appose,  à  l'endroit  marqué,  le  sceau  de 
plomb  ou  l'empreinte  :  Loco  plumbi,  puis  à  la  secré- 
tairerie  des  Brefs,  pour  qu'elle  y  soit  enregistrée.  La 
signature  /.  Cuynonius  atteste  cet  enregistrement. 

Dans  les  bulles  de  canonisation,  qui  empruntent 
cette  dernière  voie,  les  suscriptions  du  pape  et  des 
cardinaux  de  curie  précèdent  ces  signatures;  outre  le 
sceau  de  la  chancellerie,  on  y  appose,  sous  la  suscrip- 
tion  du  pape,  un  autre  cachet  circulaire  sur  parche- 
min, reproduit  ci-contre.  Ces  bulles  sont  les  seules 
que  le  pape  signe  de  sa  propre  main;  pour  toutes  les 
autres,  il  se  borne  à  signer  la  minute;  mais  en  l'hon- 
neur des  saints  il  assume  un  surcroit  de  besogne. 

Le  sceau  de  la  chancellerie,  ou  l'empreinte  à  l'encre 
rouge  dont  Léon  XIII  a  introduit  l'usage,  sont  néces- 
saires à  toute  bulle,  par  quelque  voie  qu'elle  soit  ex- 
pédiée; par  définition,  une  bulle  est  donnée  sub 
plumbo.  Le  plomb  se  conservait  jadis  au  Vatican;  il 
est,  depuis  Pie  VI,  au  palais  de  la  Chancellerie,  et 
((  le  Dépositaire  général  du  plomb  »,  qui  en  a  la 
garde,  est  un  important  personnage;  on  l'appelle  le 
pape  des  employés.  Il  est  assisté  d'un  coadjuteur, 
qui  est  un  successeur  présomptif.  Jadis,  il  avait  sous 
ses  ordres,  pour  apposer  les  sceaux,  des  Cisterciens, 
les  fratelli piombatori ;  un  laïque,  aujourd'hui,  détient 
cet  emploi. 


LES  BREFS.  9i 


III 


LES  BREFS.  —  L  ANNEAU  DU  PECHEUR.  —  LA  SECRETAIRERIE 
DES  BREFS.  —  FAVEURS  QU'eLLE  PEUT  PROCURER.  — 
LA    DATERIE.  —  ALLER  ET   RETOUR  DUNE  SUPPLIQUE. 

Entre  un  bref  et  une  bulle,  les  différences  sont 
saillantes.  Le  bref  est  sur  vélin,  la  bulle  sur  parche- 
min, et  c'est  seulement  depuis  Léon  \III  que  l'écri- 
ture est  la  même,  de  part  et  d'autre.  Le  bref  est  daté 
d'après  notre  calendrier:  la  bulle  est  datée  d'après 
le  calendrier  latin,  par  calendes,  par  nones  et  par 
ides,  et  les  mots  :  a)n}o  Incarnationis  domxmcx,  y 
précèdent  l'indication  de  l'année.  En  tète  du  bref,  le 
pape  se  nomme  :  Léo  papa  ;  en  tète  de  la  bulle  :  Léo 
epxscopus,  servus  servorum  Dei.  Les  inscriptions  d'un 
bref  sont  singulièrement  moins  compliquées  que 
celles  d'une  bulle.  Enfin  la  bulle  est  cachetée  du  sceau 
de  plomb  ou  d'une  empreinte  y  ressemblant;  l'an- 
neau du  pécheur,  au  contraire,  scelle  le  bref,  et  dans 
la  clause  finale  s'insère  régulièrement  la  mention  : 
sut)  anvlo  piscatoris.  Cette  difl'érence  est  capitale. 

C'est  depuis  le  quinzième  siècle  que  les  brefs  se 
sont  multipliés;  ils  sont  aujourd'hui  le  grand  moyen 
de  correspondance  pour  les  affaires  politiques  ou  de 
discipline  ecclésiastique.  Indifféremment,  dans  bien 
des  cas,  le  Saint-Siège  peut  employer  la  forme  du 
t)ref  ou  celle  de  la  bulle  ;  c'est  par  un  bref  que  Pie  IX, 
en  IHoO,  rétablit  la  liiérarcliie  épiscopale  en  Angle- 
terre; c'est  par  une  bulle  quf  Léon  XIII,  en  1878,  la 
rétablit  en  Ecosse.  Et  la  Compagnie  de  Jé.sus,  insti- 


92  LE  GOUVER>'EMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

tuée  par  une  bulle  de  Paul  III,  supprimée  par  un 
bref  en  1773,  fut  rétablie  par  bulle  en  1818. 

L'  «  anneau  du  pêcheur  »  représente,  dans  un  car- 
touche de  forme  circulaire,  Tapôtre  Pierre  assis  dans 
une  barque  et  lançant  ses  filets;  autour  de  cette 
image  est  inscrit  le  nom  du  pape.  L'original  de  ce 
sceau  est  à  la  garde  du  maître  de  chambre  et  le  pape 
porte  à  son  doigt,  fixée  sur  une  bague  d'or,  une  pla- 
que où  cette  empreinte  est  fixée.  On  cachetait  les 
brefs,  jadis,  d"un  sceau  de  cire  rouge  à  cette  effigie; 
ce  sceau  était  plaqué,  soit  au  bas,  soit  au  revers  du 
vélin,  et  entouré  d'un  tortil  de  parchemin,  qui  le 
protégeait.  Grégoire  XYI,  en  184:^,  y  a  substitué  un 
timbre  à  l'encre  rouge,  reproduisant  la  même  image; 
il  est  déposé  à  la  secrétairerie  des  Brefs.  La  signa- 
ture du  cardinal  secrétaire  des  Brefs  ou  de  son  subs- 
titut suffit,  avec  le  sceau  du  pécheur,  pour  attester  le 
bon  aloi  du  document. 

Un  cardinal  secrétaire  et  un  prélat  substitut,  as- 
sisté d'un  assesseur  laïque,  trois  employés  ou  minu- 
tanti,  deux  miautanti  honoraires,  un  prélat  archi- 
viste, un  caissier  et  un  computiste  laïque  :  tel  est  le 
personnel  actuel  de  la  secrétairerie  des  Brefs.  La  plu- 
part des  brefs  ont  pour  objet  de  conférer  des  faveurs  ; 
la  remise,  alors,  en  est  souvent  subordonnée  au 
paiement  d'une  taxe.  Cette  organisation  de  la  secré- 
tairerie remonte  à   Sixte-Quint. 

La  secrétairerie  sert  d'intermédiaire,  aussi,  entre 
les  fidèles  et  le  pape.  Avant  de  fournir  aux  brefs  une 
issue,  elle  offre  un  accès  aux  demandes  de  brefs.  Le 
secrétaire  et  son  substitut,  à  l'audience  papale,  n'ont 
pas  seulement  un  rôle  d'enregistreurs  et  d'exécu- 
teurs, mais  un  rôle  de  rapporteurs.  Benoît  XIV,  en 


LES  BREFS.  93 

174o,  a  déterminé  les  faveurs  spirituelles  et  tempo- 
relles que  la  secrétairerie  a  le  droit  exclusif  de  pro- 
curer. C'est  à  cotte  porte  que  frappent  les  ecclé- 
siastiques, pour  devenir  protonotaires,  prélats  de  la 
maison  de  Sa  Sainteté,  assistants  au  trône  pontifical. 
Là  s'adressent  aussi  les  laïques,  pour  se  faire  affilier, 
à  titre  de  chevaliers  ou  de  commandeurs,  à  cette  an- 
tique Milice  de  l'Éperon  d'or  que  réorganisa  Gré- 
goire XVI  sous  le  nom  d'ordre  de  Saint  Sylvestre, 
pour  être  décorés,  soit  de  l'Ordre  de  Saint  Grégoire 
le  Grand,  qui  date  de  1831,  soit  de  l'Ordre  de  Pie  IX, 
qui  date  de  1847.  Ils  y  recourent  aussi,  pour  devenir 
«  comtes  du  palais  apostolique  et  de  la  cour  du  La- 
Iran  »,  plus  brièvement  comtes  romains. 

La  secrétairerie  des  Brefs  est  un  organisme  actif, 
mis  en  branle  par  deux  moteurs.  L'un  est  le  pape, 
qui  ordonne  soit  personnellement,  soit  par  le  canal 
de  la  Daterie;  sur  son  commandement,  la  machine 
fonctionne,  comme  il  veut,  tant  qu'il  veut,  parce  qu'il 
veut;  tout  est  matière  à  bref,  dès  que  le  pape  entend 
donner  cette  forme  à  l'expression  de  sa  volonté. 
L'autre  moteur  est  le  monde  chrétien  qui  réclame;  si 
les  requêtes  sont  de  la  compétence  de  la  secrétairerie 
des  Brefs,  celle-ci  accélère  et  multiplie  son  travail;  si 
elles  se  sont  trompées  d'adresse,  la  secrétairerie  reste 
inerte.  Au  gré  du  pape  elle  peut  être,  auprès  des  fi- 
dèles, une  sorte  de  messagère  universelle  ;  mais  les 
traditions  et  les  règles  qui  déterminent  sa  compé- 
tence et  son  incompétence  ne  permettent  pas  qu'elle 
remplisse,  au  gré  des  fidèles,  le  rôle  d'un  avoué  uni- 
versel auprès  du  pape. 


94         LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 


IV 


LA  DATERIE.  —  ALLER  ET  RETOUR  D  UNE  SUPPLIQUE 
CONFIÉE  A  LA  DATERIE. 

Depuis  Martin  V,  pape  en  lilT,  jusqu'à  Pie  Vil. 
les  archives  de  la  Daterie  comprennent  six  mille  six 
cent  quatre-vingt-dix  volumes;  les  requêtes  adressées 
au  pape  par  lintermédiaire  de  la  Daterie  durank  trois 
siècles  et  demi  remplissent  ces  énormes  monceaux. 
Lorsque  le  pape  concède  la  satisfaction  désirée,  la 
Daterie  met  la  date  de  cette  concession  :  voilà  son 
rùle  essentiel,  indiqué  par  son  nom.  Le  prodataire, 
distributeur  des  grâces,  en  est  aussi  le  requérant. 
«  L'œil  du  pape,  oculus  papœ  »,  ainsi  les  vieux  au- 
teurs appellent  le  dataire.  Si  les  rouages  qu'il  dirige 
s'arrêtaient,  la  vie  de  l'Église  serait  en  partie  para- 
lysée. 

Suppliche  beneficiali  et  SuppUche  matrinioniali, 
concessions  de  bénéfices  ecclésiastiques,  et  dispenses 
d'empêchements  de  mariage  :  voilà  ce  qu'accorde  la 
Daterie.  A  la  fin  du  moyen  âge,  la  collation  d'un  cer- 
tain nombre  de  bénéfices  vacants  était  réservée  au 
Saint-Siège;  la  Daterie  prélevait  six  mois  des  revenus. 
Ces  droits  et  ces  profits  lui  furent  soustraits,  en  beau- 
coup d'États,  par  les  concordats.  Mais  dans  les  pays 
où  le  droit  canon  demeure  en  vigueur,  spécialement 
en  Italie,  la  Daterie,  six  mois  de  l'année  sur  douze, 
continue  de  conférer  les  emplois  vacants  dans  les  dio- 
cèses. Quant  aux  dispenses  d'empêchements  de  ma- 
riage, elles  absorbent  une  partie  de  l'activité  de  la 
Daterie. 


LA  DATERIE.  'J* 

A  la  Daterie  sont  attachés,  en  1901,  vingt-huit  expé- 
ditionnaires apostoliques.  Ces  personnages  sont  des 
avoués  en  cour  de  Rome.  Auprès  de  la  Daterie,  de  la 
secrétairerie  des  Brefs,  des  congrégations,  ils  intro- 
duisent les  causes,  en  suivent  les  phases,  en  acquit- 
tent les  frais,  et  prennent  livraison  des  actes  qui 
terminent  ces  instances.  Seuls  les  expéditionnaires 
inscrits  sur  la  liste  du  prodataire  peuvent  intervenir 
officiellement  dans  les  procès  en  cour  de  Rome.  Ils 
n'obtiennent  cette  reconnaissance  qu'après  une  sé- 
rieuse enquête.  Le  clerc  en  quête  d'un  bénéfice,  le 
laïque  qui  souhaite  un  mariage  contraire  à  la  rigueur 
des  canons,  intéressent  dabord  à  leur  cause  un  ex- 
péditionnaire apostolique. 

C'est  par  la  remise  d'une  supplique,  accompagnée 
d'un  long  mémoire,  que  le  clerc  introduit  son  ins- 
tance. Il  la  fait  porter  aux  bureaux  du  préfet  per  obi- 
tum,  si  la  vacance  du  bénéfice  résulte  d'un  décès  : 
la  qualification  de  ce  personnage  est  passablement 
funèbre;  obilus  signifie  mort.  Si  lejîénéfice  est  libre 
pour  toute  autre  cause,  le  substitut  du  sous-dataire 
reçoit  la  requête.  La  supplique  est  mise  en  style  con- 
venable, in  sh/lo  curke,  par  les  bureaux  de  la  Daterie; 
ils  l'écrivent  sur  deux  feuillets;  sur  le  premier  ils  ex- 
posent les  motifs  de  la  demande;  sur  le  second  ils 
énoncent  la  grâce  requise  et  les  clauses  de  la  conces- 
sion. Ainsi  rédigée,  la  pièce  sera  soumise  au  pape 
par  le  cardinal  prodataire.  , 

Quant  aux  dispenses  d'empêchements  de  mariages, 
•  •'est  un  autre  fonctionnaire,  le  «  réviseur  des  matri- 
moniales »,  qui  en  accueille  la  demande.  Elles  sont 
classées  en  quatre  catégories  suivant  leur  gravité. 
Les  requêtes  des  deux  dernières  catégories,  qu'il  est 


96  LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

de  règle  d'exaucer,  sont  immédiatement  souscrites 
par  un  prélat  qu'on  appelle  «  préfet  ^;er  concessum  », 
parce  que  la  formule  d'agrément  dont  il  revêt  la  sup- 
plique commence  par  le  mot  concessum,  «  accordé  ». 
Les  requêtes  de  la  seconde  catégorie  sont  examinées 
en  commun,  «  en  Congrès  »,  comme  Ion  dft,  par  les 
hauts  personnages  de  la  Daterie,  cardinal  prodataire, 
sous-dataire  et  préfet  per  obitum  ;  exaucées,  elles  font 
l'objet  d'un  rescrit  que  signe  le  cardinal.  Pour  les  re- 
({uêtes  de  la  première  catégorie,  enfin,  le  «  réviseur 
des  matrimoniales  »  prépare  un  sommaire,  qui  sera 
soumis  au  pape.  Voilà  le  premier  acte  des  travaux  de 
la  Daterie. 

Deux  fois  par  semaine,  le  cardinal  prodataire  voit 
le  pape.  Jadis  la  présidence  de  cette  administration 
appartenait  à  un  prélat,  qu'on  nommait  dataire  ;  de- 
puis plus  de  trois  siècles,  cet  office  est  exercé  par  un 
cardinal;  mais  de  même  qu'une  Éminence  chargée 
d'une  nonciature  prend  le  titre  de  pro-nonce,  de  même 
le  nom  de  prodataire  s'est  substitué  à  celui  de  dataire. 
A  l'audience  pontificale,  le  cardinal  est  suivi  par  le 
prélat  sous-dataire,  qui  porte  dans  une  bourse,  vio- 
lette ou  rouge  suivant  l'époque  de  Tannée  liturgique, 
les  suppliques  à  faire  approuver.  Le  pape  signe  par 
les  mots  :  Fiat  ut  petitur,  «  qu'il  soit  fait  comme  il 
est  requis  ».  Et  le  sous-dataire  sort  avec  la  bourse  et 
les  suppliques,  pendant  que  le  cardinal  entretient  le 
pape  des  bénéfices  vacants. 

Les  demandes  sont  exaucées;  elles  passent  entre 
les  mains  du  «  substitut  du  sous-dataire  ».  Mais  à 
ces  pièces  une  ligne  manque  :  celle  de  la  date.  Elles 
sont  communiquées  au  «  préfet  des  dates  »  qui  com- 
ble cette  lacune  :  suivant  les  cas,  il  écrit  au  bas  de  la 


L.V  DATER lE.  -97 

pièce  la  petite  date  ou  la  grande  date;  pour  lexac- 
titude,  Tune  et  l'autre  se  valent;  la  seconde  est  plus 
solennelle  et  plus  compliquée.  Ainsi  complétées,  les 
suppliques  retournent  au  substitut  du  sous-dataire. 
11  y  fait  mettre  les  suscriptions  nécessaires. 

Il  les  adresse,  ensuite,  à  1'  «  Officiale  de  missis  », 
ainsi  désigné  parce  qu'il  est  chargé  de  faire  enregis- 
trer les  pièces  qu'on  envoie  (missis).  Une  fois  enre- 
gistrées, elles  sont  transmises  au  caissier  des  compo- 
nendes,  chargé  de  recevoir  la  taxe.  La  Daterie  tient 
compte  de  la  fortune  du  requérant;  elle  réclame, 
pour  les  dispenses  d'empêchements  de  mariage,  des 
sommes  très  différentes  :  de  là  le  mot  de  componendes , 
appliqué  à  ces  taxes  qui  peuvent  être  l'objet  d'arran- 
gements. L'administrateur  général  des  componendes 
délibère  «  en  Congrès  »  avec  le  prodataire  et  le  sous- 
dataire  sur  les  demandes  de  gratuité  ou  de  réduc- 
tion des  frais;  il  rend  compte,  à  ce  même  congrès, 
des  sommes  reçues  chaque  mois;  un  substitut  et  un 
caissier  l'assistent.  Un  computiste,  enfin,  révise  l'en- 
semble du  budget  de  la  Daterie. 

En  évinçant  maints  détails,  nous  venons  de  décrire 
les  étapes  d'une  supplique,  aux  divers  étages  de  la 
Daterie.  Lorsqu'elles  sont  parcourues,  toutn'estpoint 
achevé-  «  Avant  que  les  lettres  apostoliques  ne  soient 
faites,  la  faveur  obtenue  est  informe  »  :  ainsi  s'ex- 
prime l'une  des  règles  de  la  Chancellerie.  La  Daterie 
remet  aux  expéditeurs  apostoliques  les  faveurs  dû- 
ment signées  ;  il  faut  qu'elles  fassent  l'objet  d'une 
bulle  ou  d'un  bref.  Si  une  bulle  est  nécessaire,  ils 
envoient  la  pièce  à  la  Chancellerie.  Si  un  bref  suffit, 
ils  la  remettent  à  un  fonctionnaire  de  la  Daterie, 
qu'on  appelle  «  Officiale  dei  Brevi  ». 

II.  6 


98  LE  GOL'VERNEMENT  CENTRAL  DE  L  ÉGLISE. 


LES  SECRETAIRERIES  DES  BREFS  AUX  PRINCES  ET  DES  LET- 
TRES LATLNES.  —  LA  RÉDACTION  DES  ENCYCLIQUES  : 
LÉON  XIII  AUTEUR  LATIN. 

A  côté  de  la  secrétairerie  des  Brefs  et  de  la  Daterie, 
un  troisième  bureau  existe  pour  la  confection  des 
brefs  :  on  l'appelle  secrétairerie  des  Brefs  aux  prin- 
ces. Les  princes,  naturellement  les  évêques,  et  par 
surcroît  les  personnes  que  le  pape  veut  spécialement 
honorer,  reçoivent  les  communications  de  cette  secré- 
tairerie. Innocent  XI  l'établit,  à  la  fin  du  dix-septième 
siècle  :  le  prélat  qui  la  dirige  est  généralement  cha- 
noine d'une  grande  basilique.  Il  soumet  la  minute  du 
bref  à  l'approbation  pontificale,  et  le  fait  dresser  par 
le  minutante,^  le  seul  employé  de  la  secrétairerie  que 
mentionne  la  Gerarchia. 

La  Gerarchia  mentionne,  en  outre,  la  secrétairerie 
des  lettres  latines,  composée,  comme  la  précédente, 
d'un  prélat  secrétaire  et  d'un  minulantc  On  ne  rencon- 
tre point,  dans  les  lettres  qui  en  émanent,  la  solennité 
officielle  d'un  bref  :  elles  sont  écrites  sur  papier,  non 
sur  parchemin-;  elles  portent  le  sceau  privé  du  pape, 
non  Fanneau  du  pécheur.  Le  pape  emprunte  fréquem- 
ment cette  secrétairerie  pour  répondre  aux  auteurs 
catholiques  désireux  d'abriter  leurs  livres  sous  la  re- 
commandation pontificale. 

Enfin  les  deux  prélats  secrétaires,  celui  des  brefs 
aux  princes  surtout,  sont  appelés  à  seconder  le  pape 
dans  la  rédaction  des  encycliques.  Léon  XIII  est  un 
latiniste;   aucun  pontife  depuis  Urbain  Vlll  —  on 


LES  SECUÉTAIRERIES  DES  BREFS  AUX  PRINCES.      99 

pourrait  même  dire  depuis  Pie  II  —  n'avait  manié  le 
vers  latin  avec  une  aussi  noble  aisance.  Dans  ses  en- 
cycliques, la  langue  de  Cicéron  est  le  vêtement  natu- 
rel de  sa  pensée  ;  toute  traduction  les  déforme  et  les 
mutile.  Écrire  en  un  idiome  disparu  avec  un  style 
vraiment  personnel  :  cela  fait  l'effet  d'une  impossibi- 
lité. Léon  XIII  la  réalise;  il  ne  remplit  pas  l'office 
d'un  rédacteur  en  latin;  dix-neuf  siècles  après  l'Incar- 
nation, le  pape  actuel  est  un  auteur  latin.  Son  éduca- 
tion première  commença  ce  miracle;  son  avènement 
au  trO>ne  pontifical  l'acheva.  Avant  la  tiare,  il  avait  la 
science  et  l'impeccable  élégance  de  l'humaniste;  mais 
sur  les  tablettes  d'un  lettré,  si  savant  qu'il  soit,  le  latin 
demeure  une  langue  morte  ;  elle  se  prête  à  de  jolis 
étalages,  curieusement  aménagés;  avec  elle,  on 
s'exerce  ou  l'on  s'amuse;  elle  est  prétexte  à  gymnas- 
tiqueoubienà  dilettantisme  ;maisenfin,  elle  estmorte. 
Léon  XIII,  devenant  pape,  s'installait  au  seul  endroit 
du  monde  oii  cette  langue  fût  demeurée  vivante.  Par- 
tout ailleurs,  on  travaille  de  moins  en  moins  en  latin, 
et  l'on  joue  de  moins  en  moins  aux  compositions  la- 
tines ;  le  Saint-Siège  prolonge  l'existence  posthume 
du  vieil  idiome  in  ssecula  sœculoruni.  Le  latin,  par  son 
histoire,  est  une  langue  de  gouvernement;  il  conquit 
et  civilisa  le  monde  ;  il  seconda,  quelques  siècles  du- 
rant, les  ambitions  universelles  de  la  Rome  païenne, 
dont  hérita  l'Église  chrétienne  pour  l'éternité.  Lors- 
que Léon  XIII,  dépositaire  de  ces  ambitions,  les  tra- 
duit en  un  tel  langage,  une  sorte  de  complicité  s'éta- 
blit entre  l'outil  et  l'ouvrier;  les  prodiges  accomplis 
-jadis  par  cette  langue  dominatrice  repassent  dans  la 
pensée  du  pape,  qui  l'emploie  pour  invoquer  d'autres 
prodiges;  dans  ces  pages  latines,  Léon  XIII  met  tout 


100        LE  GOU>'ERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

son  être;  sa  science  dliumaniste  le  guide,  et  son  ima- 
gination l'entraîne;  il  pense  en  latin,  il  voit  en  latin. 
Démembrez  une  encyclique  de  Léon  XIII  en  la  dé- 
pouillant de  sa  forme;  je  ne  sais  quelle  impression 
de  grandiose  s'en  évapore;  c'est  comme  une  moitié 
de  la  signature  papale  qui  va  s'elTacant.  Oh  trahit 
Léon  XIII  en  disloquant  son  ample  et  longue  période, 
comme  on  aurait  trahi  Napoléon  en  refondant  sur  le 
moule  de  la  période  ses  nerveuses  proclamations; 
de  part  et  d'autre,  avec  l'habit  primitif,  on  arrache 
quelque  chose  de  l'âme.  Malgré  l'assiduité  de  ses 
secrétaires,  Léon  XIII,  écrivant  une  encyclique,  ne 
commande  guère  à  d'autres  plumes  que  la  sienne  un 
habillement  pour  sa  pensée  ;  et  lorsque  au  terme  de 
l'œuvre  il  les  signe  :  Léo,  il  se  peut  rendre  ce  témoi- 
gnage que  dans  le  travail  qui  les  a  mûries  il  a  réelle- 
ment pris  la  part  du  lion. 


CHAPITRE  V 

La  secrétairerie  d'État  et  la  diplomatie 
papale. 


I 


LES   CARDINAUX-NEVEUX    :    DEVELOPPEMENTS 
DE    LA   SECRÉTAIRERIE    d'ÉTAT. 

On  peut  faire  remonter  au  quinzième  siècle  l'origine 
de  la  secrétairerie  d'État.  Comme  la  substitution  des 
congrégations  aux  consistoires  fut  l'indice  et  le  résul- 
tat des  progrès  de  la  monarchie  pontificale,  ainsi  l'ins- 
titution de  la  secrétairerie  d'État  fut  suggérée  par  le 
changement  de  politique  que  le  seizième  siècle  impo- 
sait à  la  Papauté.  Ces  créations  sont  des  symboles; 
elles  traduisent,  par  leur  nouveauté,  un  ensemble  de 
circonstances  nouvelles.  Un  pape  du  moyen  âge  n'a- 
vait nul  besoin  d'un  secrétaire  d'État.  A  l'administra- 
tion du  Territoire  Romai  n ,  la  Chambre  apostolique  était 
préposée;  le  camerlingue  réunissait  —  qu'on  nous 
passe  l'anachronisme  —  tous  les  portefeuilles  minis- 
tériels du  petit  royaume.  Quant  au  gouvernement  de 
l'Église,  il  était  matière  théologique  et  canonique, 


102   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

non  politique;  le  Saint-Siège  affirmait  et  comman- 
dait; il  ne  discutait  pas,  et  ne  négociait  pas.  C'est  aux 
quinzième  et  seizième  siècles,  seulement,  que  les 
papes  durent  avoir,  à  proprement  parler,  une  politi- 
que. Autour  d'eux,  les  princes  italiens  avaient  chacun 
la  leur;  Comines  en  français,  Machiavel  en  italien, 
constataient  ou  enseignaient  cet  art  inédit.  L'intérêt 
des  États  Romains,  d'abord,  contraignait  le  souve- 
rain temporel  de  suivre  une  politique  extérieure, 
sous  peine  de  mort  pour  sa  souveraineté.  Qu'on  se 
rappelle,  ensuite,  ce  que  nous  avons  observé  sur  l'in- 
troduction nécessaire  de  la  diplomatie  dans  le  règle- 
ment des  affaires  ecclésiastiques;  le  souverain  spiri- 
tuel était  sollicité,  lui  aussi,  aux  jeux  de  la  politique. 
Celte  fonction  nouvelle  requérait  un  organe  nouveau. 
Elle  fut  en  général  remplie,  cent  cinquante  ans  du- 
rant, par  le  cardinal-neveu.  Certains  papes  de  l'âge 
antérieur  enrichissaient  leurs  neveux;  Pie  IV,  Gré- 
goire XIII,  Sixte-Quint,  font  travailler  les  leurs.  On  ac- 
cuse à  tort  cette  seconde  variété  de  népotisme  :  ils 
n'exploitaient  pas  l'Église  au  profit  de  leur  famille, 
mais  leur  famille  pour  le  service  de  l'Église  :  Charles 
Borromée,  neveu  de  Pie  IV,  fut  un  ascète  et  un  saint. 
Le  cardinal-neveu  s'appelait  aussi  cardinal-maître, 
cardinale  Padrone.    En  1002,  furent   imprimées,    à 
Vicence,  les  instructions  de  Sixte-Quint  à  son  neveu 
Montalto.  L'authenticité  en  est  contestée  ;  en  tout  cas, 
elles  donnent  une  exacte  idée  des  attributions  du  carr 
dinal-neveu;  et  l'auteur,  pape  ou  faussaire,  mérite 
d'être  cru.  «  La  dignité  du  cardinal,  dit-il,  apparaît 
plus  élevée  et  plus  éminente  dans  la  personne  de 
ceux  qui  sont  alliés  au  pape  par  les  liens  du  sang, 
puisque,  en  raison  du  désir  qu'il  a  de  leur  grandeur 


LES  CARDINAUX-NEVEUX.  f03 

et  en  raison  de  la  confiance  qu'il  leur  accorde  de  pré- 
férence à  d'autres,  les  affaires  les  plus  importantes 
qu'on  soumet  au  Saint-Siège  leur  sont  communi- 
quées. C'est  avec  eux  que  traitent  les  envoyés  des 
princes,  tant  ceux  qui  résident  ici  que  ceux  qui  sont 
venus  en  mission  spéciale  à  cette  cour:  c'est  par  leur 
organe  que  le  pape  apprend  à  connaître  les  désirs  et 
les  besoins  de  toute  la  chrétienté;  c'est  à  eux  qu'écri- 
vent les  nonces  et  les  autres  ministres  du  Saint-Siège; 
c'est  par  leur  entremise  qu'est  gouverné  l'État  ecclé- 
siastique; c'est  par  leur  intervention  et  à  la  suite  de 
leur  intercession  que  beaucoup  d'emplois  et  de  béné- 
fices ecclésiastiques  sont  conférés,  et  ce  qui  importe 
davantage  encore,  par  eux  se  fait  la  promotion  des 
cardinaux;  enfin,  c'est  par  eux  que  le  pape  manifeste 
sa  pensée,  et  qu'il  distribue  des  grâces  :  leur  assis- 
tance, plus  que  toute  autre,  l'aide  à  porter  le  lourd 
fardeau  du  pontificat  ».  De  son  cardinal-neveu,  Sixte- 
Quint  réclame  de  nombreuses  qualités  :  le  dévoue- 
ment absolu  aux  fins  que  se  propose  le  pape;  assez 
d'opulence  pour  vivre  avec  splendeur  et  dignité;  un 
discernement  éprouvé  pour  le  choix  des  amis,  clients 
et  auxiliaires  ;  une  impitoyable  défiance  à  l'égard  des 
indiscrets  et  des  traîtres,  «  pestilentielle  espèce  de 
serviteurs  »  ;  un  certain  mélange  de  gravité  et  de 
douceur;  une  attentive  surveillance  de  ses  paroles; 
une  connaissance  parfaite  de  l'administration  du 
Saint-Siège,  de  la  noblesse  romaine,  de  toutes  les  par- 
ties de  l'histoire;  une  exacte  initiation  aux  affaires 
étrangères,  puisée  dans  des  lectures,  dans  des  con- 
versations, enfin  aux  représentations  théâtrales  où  les 
mo'urs  exotiques  sont  mises  sur  la  scène;  une  bien- 
veillante facilité  d'audience,  surtout  pour  les  pauvres, 


104        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

les  femmes,  les  religieux  et  les  malheureux;  un 
grand  souci  de  la  justice,  supérieur  à  l'influence  des 
recommandations;  «  une  élévation  de  vue  qui  em- 
brasse d'ensemble  l'état  du  corps  tout  entier  de  la  ré- 
publique chrétienne  »  ;  une  certaine  habileté  dans  Ta- 
gencement  des  conversations  qu'il  tient  avec  le  pape; 
le  souci  d'être  bref,  de  commencer  l'entretien  par  les 
choses  agréables  et  faciles;  une  assez  franche  au- 
dace pour  répliquer,  si  le  pape  inclinait  vers  une  «  dé- 
cision injuste  »  ;  une  adresse  assez  consommée  pour 
insinuer  des  objections  et  faire  ajourner  le  décret,  si 
le  pape  inclinait  vers  une  décision  «  fâcheuse  »  ; 
enfin  une  pieuse  assiduité  à  invoquer  le  Saint-Esprit. 
—  D'abord  coadjuteur  de  confiance,  le  cardinal-neveu 
se  transforma  rapidement,  par  la  force  des  choses, 
en  un  haut  fonctionnaire  de  l'administration  papale; 
d'officieux,  il  devint  officiel.  Il  avait  sa  bureaucratie. 
Lunadoro,  publiant,  en  10:21,  sa  Relation  de  la  cour 
de  Rome,  écrit  :  «  Le  secrétaire  du  Pape  est  toujours 
le  cardinal-neveu,  qui  a  beaucoup  de  secrétaires  sous 
ses  ordres.  Les  plus  élevés  parmi  eux,  les  secrétaires 
d'État,  ont  partagé  entre  eux  les  nonciatures  et  les 
provinces,  et  parmi  eux  il  y  a  un  secrétaire  du  chiffre». 
A  cette  époque,  le  titre  de  secrétaire  d'État  était  ré- 
servé aux  sous-ordres;  «  Secrétaire  du  pape  et  su- 
rintendant général  de  l'État  ecclésiastique  »,  ainsi 
nommait-on  l'Éminentissime  ministre.  Bientôt  la 
coutume  changea,  la  qualification  qui  désignait  les 
auxiliaires  fut  héritée  par  le  maître  ;  il  s'appela  car- 
dinal-secrétaire d'État.  Cette  expression  évinça  défi- 
nitivement celle  de  cardinal-neveu,  lorsque  Inno- 
cent XII,  en  1692,  eut  abrogé  l'habitude  d'associer  le 
neveu  du  pape  au  pouvoir  de  son  oncle. 


LES  FONCTIONS  D'UN  CARDINAL-SECRETAIRE  D'ETAT.  105 

Jusqu'au  dix-neuvième  siècle  le  carmerlingue  avait 
dans  les  États  Romains,  du  vivant  même  du  pape,  un 
rôle  politique;  entre  lui  et  le  secrétaire  d'État,  des 
rivalités  étaient  fatales.  Par  surcroît,  celui-ci  était 
rhomme  du  pape  ;  sa  nomination  résultait  d'un  choix 
personnel,  et  était  soustraite  à  toute  proclamation  en 
consistoire;  il  apparaissait  comme  la  créature  et  l'a- 
gent du  souverain  ;  au  lendemain  de  la  mort  du  pape, 
il  redevenait  simple  cardinal.  Celui-là,  au  contraire,  se 
considéraitcomme  le  représentant  de  l'aristocratie  car- 
dinalice, à  laquelle  il  présidait,  de  droit,  dès  l'instant 
011  le  pape  expirait.  Au  temps  de  Pie  YII,  l'antago- 
nisme du  cardinal  Pacca,  camerlingue,  et  du  cardinal 
Consalvi,  secrétaire  d'État,  fut  célèbre.  Grégoire  XVI, 
pour  mettre  un  terme  à  ces  conflits,  dépouilla  la 
Chambre  Apostolique  de  ses  prérogatives  politiques, 
et  créa  un  second  secrétaire  d'État  pour  les  aflfaires 
intérieures.  Les  «  aflaires  intérieures  »  de  la  papauté 
sont  réduites,  depuis  ;1870,  à  l'enceinte  du  Vatican; 
la  secrétairerie  d'État  a  retrouvé  son  unité.  Le  secré- 
taire actuel  est  le  cardinal  Rampolla. 


Il 


les  fonctions  et  l  existence  d  un  cardinal-secretaire 
d'État. 

Dans  notre  régime  parlementaire,  un  ministre  des 
affaires  étrangères,  en  môme  temps  président  du  con- 
seil, exerce,  outre  les  attributions  spéciales  de  son 
ministère,  une  surveillance  générale  du  gouverne- 
ment.  De  même  le  cardinal-secrétaire  est  spéciale- 


106        LE  GOU^TR^'EME^T  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

ment  chargé  des  rapports  entre  le  Saint-Siège  et  les 
États  ;  mais  en  fait,  parmi  les  actes  importants  de  la 
curie,  aucun  n'échappe  à  sa  collaboration.  Il  exerce  un 
office,  qui  lui  impose  certaines  besognes  déterminées  ; 
et  il  occupe  un  poste,  dont  les  exigences  sont  plus 
considérables  et  moins  définies.  De  par  son  office,  il 
est  le  directeur  de  la  diplomatie  pontificale;  de  par 
son  poste,  il  esiValter  ego  du  pape,  et  sans  cesse  asso- 
cié à  toutes  les  préoccupations  du  souverain,  qui  ne 
sont  pas  exclusivement  diplomatiques. 

Au  début  de  1901,  dix-neuf  États  entretenaient  des 
représentants  auprès  du  Saint-Siège  :  la  France,  l'Au- 
triche, la  Prusse,  la  Bavière,  la  Russie,  l'Espagne,  le 
Portugal,  la  Belgique,  la  principauté  de  Monaco,  le 
Brésil,  la  Bolivie,  l'Argentine,  la  Colombie,  l'Equateur, 
le  Nicaragua,  le  Pérou,  le  Chili,  Haïti,  Saint-Domin- 
gue. Le  Saint-Siège,  de  son  côté,  entretenait  des  non- 
ces en  France,  en  Autriche,  en  Espagne,  en  Portugal, 
en  Belgique,  en  Bavière,  des  internonces  en  Hollande 
et  au  Brésil,  et  quatre  délégués  apostoliques  et  envoyés 
extraordinaires,  l'un  pour  la  Colombie,  le  second  pour 
l'Equateur,  la  Bolivie  et  le  Pérou,  le  troisième  pour 
Saint-Domingue,  Haïti  et  le  Venezuela,  le  quatrième 
enfin  pour  l'Argentine,  le  Paraguay  et  FUruguay.  H 
est  à  remarquer  que  la  Hollande,  qui  n'est  pas  repré- 
sentée à  Rome,  accueille  un  internonce,  et  quele  Saint- 
Siège  d'autre  part  ne  délègue  aucun  envoyé  auprès  du 
czar,  du  roi  de  Prusse,  empereur  d'Allemagne,  et  du 
prince  de  Monaco. 

C'est  par  certains  actes  du  pontificat  de  Pie  VI  que 
les  prérogatives  des  nonces  ont  été  le  plus  exacte- 
ment définies.  Certains  prélats  allemands,  qui  pro- 
fessaient les  doctrines  antiromaines  de  Fébronius, 


LES  FONCTIONS  D'UN  CARDINAL-SECRETAIRE  D'ETAT.  197 

contestaient  ces  prérogatives  ou  même  hésitaient  ù 
recevoir  les  nonces;  l'un  d'eux,  l'archevêque  de  Co- 
logne, reçut  de  Pie  VI  un  bref  qui  confirmait  au 
nonce  la  charge  de  «  gérer  les  affaires  du  pape  et 
d'exercerconséquemment  l'autorité  apostolique.  Vous 
le  traitez  d'étranger,  ajoutait  le  pape,  comme  si  Nous- 
mème  nous  étions  étranger  dans  l'Église  et  dans 
votre  diocèse  ».  Sous  le  pontificat  de  Léon  XIII,  le 
Saint-Siège,  à  plusieurs  reprises,  a  rappelé  le  res- 
pect dû  aux  nonces  et  le  droit  qu'ils  ont  d'être  écoutés 
par  les  publicistes  et  les  hommes  d'État  catholiques. 
On  peut  voir,  aux  chapitres  de  la  Papauté  au  sei- 
zième siècle  et  de  la  Papauté  au  dix-neuvième,  com- 
ment le  développement  et  le  rôle  actuel  des  non- 
ciatures intéressent  l'histoire  même  de  l'Église. 

Deux  fois  par  semaine,  le  mardi  et  le  vendredi,  le 
cardinal-secrétaire  reçoit,  l'un  après  l'autre,  les  am- 
bassadeurs. Ceux  qui  représentent  les  grands  États, 
ayant  toujours  quelque  affaire  à  régler,  sont  assidus 
à  cette  double  audience.  C'est  là,  pour  un  secrétaire 
d'État,  la  première  fonction.  La  seconde  est  la  corres- 
pondance avec  les  nonces  :  il  reçoit  leurs  rapports, 
et  leur  expédie  des  instructions.  Les  dîners  diploma- 
tiques (ce  serait  la  troisième  fonction)  sont  rares  au 
Vatican  :  ils  n'ont  guère  lieu  qu'à  l'occasion  des  con- 
sistoires. L'étiquette  défend  au  pape  d'y  assister. 
Hors  de  Rome  seulement,  il  pourrait  déroger  à  cette 
abstention  ;  la  salle  à  manger  de  Pie  IX,  dans  la  villa 
de  CastelGandolfo,  était  souvent  ouverte,  avant  1870, 
à  des  convives  de  choix. 

Chaque  matin,  le  cardinal-secrétaire  est  reçu 
par  le  pape;  dans  ces  tète-à-téte  est  discutée  l'orien- 
tation du  gouvernement  de  l'Église.  A  l'issue  de  l'en- 


108        LE  GOL^TRXEMEM  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 

tretien,  il  pourvoit  aux  correspondances  :  ou  bien  il 
les  rédige  lui-même,  ou  bien  il  en  charge  les  prélats 
attachés  à  la  secrétairerie  ;  il  commande  les  recher- 
ches sur  les  questions  délicates  dont  la  solution  a  été 
ajournée.  Exécuter  les  instructions  reçues  à  l'au- 
dience du  matin,  préparer  les  interrogations  pour 
l'audience  du  lendemain  :  ainsi  passe  la  vie  du  car- 
dinal-secrétaire. Instructions  et  interrogations  ne 
concernent  pas  seulement  la  diplomatie.  A  V Angé- 
lus du  soir,  tous  les  jours  de  l'année,  il  reçoit  les  vi- 
siteurs. On  l'entretient  des  questions  les  plus  diver- 
ses, car  il  est  le  premier  ministre  du  pape  ;  à  lui  non 
plus  qu'au  pape,  rien  de  ce  qui  intéresse  l'Église  ne 
doit  rester  étranger.  Il  est  le  représentant  permanent 
du  Siège  Apostolique;  on  lui  transmet  tout  ce  qu'on 
croit  utile  d'annoncer  ou  de  demander  au  pape.  En 
deux  ou  trois  heures,  les  visiteurs  promènent  l'atten- 
tion du  cardinal  dans  les  pays  les  plus  divers  :  en  un 
clin  dœil  —  le  temps  nécessaire  pour  qu'une  porte 
s'ouvre  ou  se  referme  —  sa  pensée  brusquement 
détournée  des  affaires  de  France  ou  d'Allemagne, 
objet  de  la  précédente  conversation,  de^Ta,  sans 
transition,  émigrer  aux  États-Unis,  jusqu'à  ce  qu'un 
troisième  fâcheux,  le  faisant  déchoir  de  ces  hautes 
préoccupations,  lui  raconte,  avec  une  obsédante  insis- 
tance, quelque  banale  querelle  où  le  narrateur  dési- 
rerait vivement  mettre  le  pape  de  son  coté.  Aucun 
premier  ministre  en  Europe  n'est  d'un  accès  plus 
facile;  et  comme  toute  affaire  religieuse  est  de  la 
compétence  du  pape,  il  est  rare  que  le  cardinal- 
secrétaire  puisse  opposer  un  déolinatoire  d'incom- 
pétence. Il  a  besoin  d'une  singulière  gymnastique 
intellectuelle,  pour  comprendre,  classer  et  trier  tout 


LES  FONCTIONS  D  UN  CARDINAL-SECRETAIRE  DÉTAT.  -lOO 

ce  qu'il  entend  —  pour  trier  surtout,  car  il  n'aura 
pas  le  droit,  le  lendemain,  de  fatiguer  l'attention  du 
pape,  comme  il  permettait,  la  veille,  qu'on  fatiguât 
la  sienne.  Il  lui  faut  connaître  en  détail  les  affaires 
religieuses  du  monde;  et  son  expérience  doit  être 
quotidiennement  enrichie,  sous  peine  de  devenir 
surannée;  un  anachronisme  ne  serait  pas  seulement 
une  erreur,  mais  une  faute.  Pour  cette  formation, 
livres  et  journaux  sont  utiles,  mais  insuffisants  :  ils 
ne  découvrent  pas,  en  général,  les  dessous  de  l'his- 
toire contemporaine;  parfois,  il  est  vrai,  ils  préten- 
dent entre-bàiller  la  porte  de  certaines  coulisses; 
mais  alors  surtout  ils  méritent  défiance,  de  peur  que 
ces  coulisses  ne  soient  postiches.  Un  secrétaire 
d'État  a  besoin  de  correspondants  et  de  confidents 
qui  lui  chuchotent  toute  la  vérité.  Sa  situation  l'ex- 
pose aux  embûches;  elle  lui  crée  des  adversaires  per- 
sonnels, et  par  surcroît  tous  les  ennemis  de  l'Église 
sont  ses  ennemis.  Sous  une  demande  en  apparence  in- 
signifiante peuvent  se  dissimuler  des  intentions  plus 
graves;  les  actes  du  Saint-Siège,  à  notre  époque,  sont 
assidûment  commentés;  on  prête  une  signification 
secrète,  une  portée  conjecturale,  aux  plus  simples 
d'entre  eux  ;  avant  de  hasarder  un  mot  au  nom  du 
pape,  le  cardinal-secrétaire  doit  pressentir  quelles 
conséquences  en  seront  tirées  par  les  observateurs, 
de  boqne  ou  de  mauvaise  foi  ;  et  pour  écrire  avec 
sécurité  ce  qu'il  veut  dire,  il  doit  songer  à  ce  que  les 
interprètes  lui  feront  dire. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  affaires  intérieures  du  Vatican 
qui  ne  captivent  ses  loisirs.  Les  palais  apostoliques 
demeurent  depuis  1870  le  seul  endroit  où  le  pape 
soit  roi  :  le  secrétaire  d'État,  ancien  coadjuteur  de 

l,E    VATICVN.    —    II.  7 


110        LE  GOmTRNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

cette  royauté,  est  préfet  des  palais  apostoliques  et 
président  de  leurs  administrations. 


III 


LES  ROUAGES  DE  LA  DIPLOMATIE  PONTIFICALE  :  BUREAUX  DU 
LA  SECRÉTAIRERIE  d'ÉTAT,  CONGRÉGATION  DES  AFFAIRES 
ECCLÉSIASTIQUES  EXTRAORDINAIRES. 

Pour  ses  multiples  besognes,  le  cardinal-secrétaire 
a  deux  bureaux  sous  ses  ordres  :  ceux  de  la  secrétai- 
rerie  d'État,  ceux  des  Affaires  Ecclésiastiques  extra- 
ordinaires. 

Le  prélat  «  substitut  de  la  secrétairerie  et  secré- 
taire du  chiffre  »  a  pour  mission  spéciale  de  mettre  en 
langage  chiffré  ou  de  traduire  en  langage  clair  les 
dépeciies  échangées  entre  le  pape  et  les  nonces.  Le 
marai  et  le  vendredi,  il  remplace  à  Taudience  pon- 
tincaie  le  cardinal-secrétaire,  retenu  ce  jour-là  par 
es  ambassadeurs.  11  dirige,  enfin,  le  personnel  de  la 
secrétairerie,  composé  de  six  rédacteurs,  ecclésiasti- 
ques ei  laïques  {miuutanti),  et  de  deux  archivistes. 

On  appelle  «  affaires  ecclésiastiques  extraordinai- 
res »  une  congrégation  de  cardinaux  créée  par  Pie  VII 
en  1814.  ^'ous  avons  observé  qu'au  lendemain  de  la  crise 
révolutionnaire  et  du  Congrès  de  Vienne,  la  cour  de 
Rome,  justement  impatiente  de  préciser  la  situation 
de  lÉglise  dans  plusieurs  États  dont  les  principes 
ou  même  l'existence  étaient  une  nouveauté,  pré- 
para des  concordats.  Si  elle  n'eût  consulté  que  des 
politiques,  ils  risquaient  d'oublier  l'inviolable  ri- 
gueur de  certains  principes;  si  elle  n'eût  consulté 
que     es  canonistes,  ils  risquaient  d'oublier  les  né- 


LES  ROUAGES  DE  LA  DIPLOMATIE  PONTIFICALE.     111 

cessités  des  temps.   Les  premiers,  opportunistes  à 
l'excès,  rauraient  sollicitée  à  trop  de  concessions; 
les  seconds,  inopportuns,  ù  trop  dentèlement.  (irou- 
pés  ensemble  dans  la  congrégation  des  affaires  ex- 
traordinaires, ils  s'éclairent  et  se  tempèrent  mutuel- 
lement; l'immutabilité  de  la  thèse  s'assoupjitauxcon- 
lingences  de  l'hypothèse,  et  s'en  fait  en  même  temps 
respecter.    Le  pro-secrétaire,   le   sous-secrétaire   et 
leurs  quatre  employés  sont  commis  à  l'observation 
constante   des    affaires     ecclésiastiques    des    divers 
pays;  les  bureaux  de  la  secrétairerie  d'État,  aussi, 
se  déchargent  sur  eux  d'une  partie  du  travail.  Ces 
prélats,   spécialement   attachés  à  la  congrégation, 
suivent  les  faits  au  jour  le  jour.  Lorsqu'une  ques- 
tion grave,  qui  intéresse  la  situation  de  TÉglise  dans 
un  pays  étranger,    réclame  de  Rome  une   solution 
prompte  et  circonspecte,  alors  les  cardinaux  de  la 
congrégation    sont    convoqués.     La    Gerarchia    en 
nomme  treize;  de  droit,  le  secrétaire  d'État  est  l'un 
d'entre  eux.  Dix  consulteurs  leur  sont  adjoints.  C'est 
dans  ces  réunions  que  sont  préparées  et  mûries  les 
plus  délicates  décisions  politiques  du  Saint-Siège. 

Les  bureaux  de  la  secrétairerie  d'État  et  des  Affaires 
Ecclésiastiques  extraordinaires  sont  une  sorte  de  sé- 
minaire diplomatique  :  les  prélats  y  font  un  stage, 
pour  devenir  dignes  d'occuper  des  nonciatures.  Un 
poste  dans  ces  administrations  :  voilà  le  premier 
échelon  de  la  carrière  politique  d'un  prélat  Romain. 
Li's  nonciatures  sont  le  second  échelon.  Celles  de 
Paris,  Vienne,  Madrid,  Lisbonne,  sont  de  premier 
ordre;  en  les  quittant,  on  devient  ordinairement 
«ardinal.  Les  autres,  dites  de  second  ordre,  sont  une 
étape  pour  s'élever  vers  les  premières. 


CHAPITRE  VI 
La  Propagande. 


CREATION    DE   LA   PROPAGANDE,    SON    ORGANISATION. 

La  congrégation  de  Propagonda  fide,  plus  simple- 
ment la  Propagande,  préside  à  la  diffusion  de  la  foi. 
Dès  Grégoire  le  Grand,  Rome  était  un  centre  d'évan- 
gélisation  :  TAngieterre  et  la  Germanie  devinrent 
catholiques  par  l'initiative  de  la  Papauté.  Les  papes 
d'Avignon  multiplièrent  en  Asie  les  missions  des  Or- 
dres Mendiants.  La  découverte  de  l'Amérique  recula 
l'horizon  de  la  chrétienté.  Racheter,  par  des  con- 
quêtes sur  l'Orient  schismatique  et  sur  rextrême  Oc- 
cident païen,  le  recul  subi  en  Europe,  et  préparer 
d'ailleurs  une  offensive  nouvelle  qui  réparerait  ce  re- 
cul :  tel  fut,  à  la  fin  du  seizième  siècle,  le  rêve  de  la 
Papauté.  Grégoire  XIII,  Clément  VIII,  s'occupèrent 
activement  des  missions  d'Orient;  celui-ci,  même, 
établit  une  «  congrégation  sur  les  affaires  de  la  foi  et 
de  la  religion  catholique  ».  Elle  ne  survécut  pas  à  son 
créateur,  mais  Grégoire  XV,  en  162!^,  la  ressuscita. 


CRÉATION  DE  L\  PROPAGANDE,  SON  ORGANISATION.  113 

Il  y  était  sollicité  par  deux  missionnaires,  le  P.  Jérôme 
de  Narni,  capucin,  et  le  P.  Dominique  de  Jésus- 
Marie,  carme  déchaussé;  il  y  fut  aidé  par  un  prélat 
espagnol,  Vives,  et  par  le  bienheureux  Jean  Leonardi, 
fondateur  des  clercs  réguliers  de  la  Mère  de  Dieu. 

Le  22  juin  1022,  la  bulle  Inscrutalnli  crén  la  Propa- 
gande. Une  fois  par  mois,  les  cardinaux  membres  de 
la  congrégation  devaient  se  réunir  en  présence  du 
pape;  à  deux  autres  jours  du  mois,  ils  devaient  tenir 
une  séance  chez  le  plus  ancien  d'entre  eux.  «  L'ensem- 
ble et  le  détail  des  affaires  ayant  trait  à  la  propaga- 
tion de  la  foi  dans  l'univers  »  leur  étaient  attribués; 
pour  les  plus  importantes,  ils  recouraient  aux  papes. 
L'esprit  de  ce  règlement  primitif  régit  encore  la  Pro- 
pagande contemporaine.  Chaque  semaine,  chez  le  car- 
dinal-préfet (actuellement  le  cardinal  Ledocho\vski\ 
le  prélat  secrétaire  et  les  scribes  s'assemblent  pour 
les  affaires  courantes.  Le  premier  lundi  du  mois, 
les  cardinaux  de  la  Propagande  se  réunissent  en 
congrégation  ;  ils  sont  vingt-cinq,  dont  quinze  seu- 
lement résident  à  Kome.  Ils  écoutent,  sur  chaque 
question,  le  rapport  du  cardinal  ponent.  Discussions 
et  décisions  sont  relatées  au  pape  par  le  secrétaire, 
dans  l'audience  qui  suit  la  congrégation.  Trente- 
quatre  consulteurs  sont  associés  aux  travaux  pré- 
liminaires qui  éclairent  et  préparent  lavis  des  car- 
dinaux. Enfin  un  protonotaire  apostolique,  muet  et 
attentif,  assiste  aux  séances;  lorsque  la  correspon- 
dance dune  chrétienté  lointaine  annonce  le  martyre 
d'un  missionnaire,  le  protonotaire  en  dresse  l'acte, 
ainsi  qu'on  faisait  dans  la  primitive  Église  persé- 
cutée. 


114   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 


II 


ETENDUE  DES  POUVOIRS  ET  DES  DOMAINES 
DE  I.A  PROPAGANDE. 

Rome  fait  deux  parts  de  l'univers  ;  elles  sont  fort 
inégales.  Dans  la  moindre  des  deux,  les  chrétientés, 
nombreuses  et  denses,  sont  soumises  à  une  hiérar- 
chie ecclésiastique  régulièrement  organisée;  l'autre, 
immense,  et  qui  s'accroît  à  mesure  qu'on  explore  des 
régions  nouvelles,  comprend  «  les  pays  de  missions», 
disputés  à  l'hérésie,  au  schisme,  à  l'Islam  ou  au  pa- 
ganisme: elle  appartient  à  la  Propagande. 

Les  congrégations  que  nous  avons  étudiées  pren- 
nent tantôt  des  décisions  générales,  applicables  au 
monde  chrétien,  et  tantôt,  constituées  en  tribunaux, 
elles  jugent  les  difficultés  spéciales  qui  leur  sont  dé- 
férées. Dans  le  vaste  royaume  de  la  Propagande, 
celte  dernière  juridiction  n'a  point  lieu  de  s'exercer; 
la  Propagande  elle-même  y  supplée.  Un  missionnaire 
est-il  taxé  d'indignité  :  elle  fait,  à  son  égard,  fonction 
de  Saint-Office.  Est-il  nécessaire,  en  un  pays  infidèle, 
de  dérogera  la  liturgie  :  elle  y  autorise,  faisant  fonc- 
tion de  congrégation  des  Rites;  des  évêques  et  des 
religieux,  résidant  en  pays  de  missions,  sont-ils  en 
désaccord,  ou  bien  des  instituts  de  missionnaires 
réclament-ils  l'approbation  de  Rome  :  c'est  la  Pro- 
pagande encore,  et  non  point  la  congrégation  des 
Évêques  et  Réguliers,  qui  intervient.  Un  prêtre  et  un 
évêque  appartenant  à  ses  sujets  ont-ils  entre  eux  un 
débat  :  elle  le  tranchera  comme  une  congrégation  du 
Concile.   Une  Université  catholique,  enfin,   s'érige- 


ÉTENDUE  DES  POUVOIRS  DE  \.X  PROPAGANDE.  M15 

t-elle  à  Washington  ou  à  Ottawa  :  la  Propagande, 
suppléant  à  la  congrégation  des  Études,  en  approuve 
les  statuts. 

Par  surcroît,  certaines  congrégations,  bureaux  de 
dispenses  et  de  grâces,  doivent  délivrer  gratuitement 
les  faveurs  qui  leur  sont  demandées  par  l'intermé- 
diaire de  la  Propagande.  Entre  les  chrétientés  dépen- 
dantes de  lu  Propagande  et  celles  qu'elle  n'a  point  à 
régir,  nombreux  sont  les  contrastes.  Pour  savoir 
l'avis  du  Siège  Apostolique,  celles-ci  empruntent  le 
complexe  réseau  des  congrégations  romaines;  au 
début  des  procès,  il  y  a  des  questions  de  compétence 
à  définir;  à  la  fin,  des  taxes  à  payer.  Les  pays  de 
missions  sont  reliés  à  Rome  par  une  voie  plus  sim- 
ple et  plus  économique  :  la  Propagande  remplit,  à 
leur  égard,  le  rôle  de  presque  toutes  les  congréga- 
tions; elle  est,  auprès  de  celles  dont  elle  ne  peut  faire 
la  besogne,  l'intermédiaire  nécessaire  des  requérants  ; 
c'est  une  loi,  enfin,  qu'elle  ne  débourse  rien  et  ne  fait 
rien  débourser  :  Chancellerie,  secrétairerie  des  Brefs, 
Daterie,  travaillent  gratis  pour  elle. 

Nous  connaissons  les  privilèges  des  pays  de  mis- 
sions; mesurons-en  l'étendue.  Si  l'on  excepte  l'évê- 
ché  de  Goa,  possession  portugaise  en  Ilindoustan, 
l'Asie  entière  relève  de  la  Propagande.  Si  l'on  excepte 
l'Algérie,  l'archevêché  de  Carthagc  depuis  1804,  et 
révèché  portugais  d'Angola,  le  continent  africain 
relève  de  la  Propagande.  Ktsi  l'on  excepte  les  Philip- 
pines, qui,  jusqu'en  1000,  étaient  province  ecclésias- 
tique espagnole,  l'Océanie  entière  relève  de  la  Pro- 
pagande. Elle  règne  dans  le  iNouveau-Monde,  sur  le» 
terres  anglaises  de  l'Amérique  du  Nord,  le  Canada, 
les  États-Unis,  les  Antilles,  la  Guyane,  la  Patagonie; 


116        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

elle  ne  possède  aucuns  droits  sur  le  Mexique  et  les 
États  de  l'Amérique  du  Sud,  solidement  conquis  à 
l'Église  par  FEspagne.  Essayons  de  dessiner,  sur 
une  carte  d'Europe,  l'empire  de  la  Propagande;  cette 
carte  apparaîtra  comme  une  mosaïque.  Grande-Bre- 
tagne, Norvège,  Suède,  Danemark,  Hollande,  Luxem- 
bourg, Bosnie,  Serbie,  Roumanie,  Bulgarie,  Monté- 
négro, Turquie,  Grèce,  une  partie  de  l'Allemagne  et 
quelques  points  de  la  Suisse  relèvent  de  cette  con- 
grégation. Les  rapports  de  ses  missionnaires  donnent 
avec  une  parfaite  précision  le  nombre  de  ses  sujets  : 

En  Angleterre 1.347.840  catlioliiiues  sur  2:..00O.ûOO 

En  Ecosse 36-2.-o0  —  3.000.000 

En  Irlande 3.i73.-2o0  —  o.OOO.OOO 

En  Norvège 1.000  —  -2.000.000 

En  Suède 1.180  —  '..600.000 

En  Danemark 4.4O0  —  2.200.O00 

En  Hollande I.'38.ti00  —  4..-;00.000 

En  lu  se  m  bourg -211.0îiO  —  513.000 

Dans  le  vicariat  d'An  liait.              4,540  —  23-2.000 
Dans  le  territoire  des  \illes  j 

Hanséatiques    et    des   du-  | 

thés     de     Mecklembourg-  ',      34.000  -  -2.000.000 

Schwerin  et  Strelilz.  I.aucn- 

bourg  et  Oldenbourg. 

Dans  le  Sclilesvig-Holslein.             -2-2.000  —  1.300.000 

Dans  le  royaume  de  Sa\e .■iS.307  —  3.000.000 

En  Bosnie  et  Herzégovine....    -286.380  —  l.Tol.OOO 

En  Serbie 8.000  —  1.600.000 

En  Roumanie 11.3.000  —  4.844.000 

En  Bulgarie  et  Roumélie 24.i:»  —  3.000.0O0 

En  Monténégro 5.-200  —  2fl0..50O 

Dans  la  Tuniuie  d'Euroi)e 1(17.710  —  8.:J00.000 


COMMENT  LA  PROPAGANDE  CONDUIT  SES  CONQUETES.  117 

COMMENT   LA    PROPAGANDE   CONDUIT   SES   CONOlÈTES. 

Dans  une  région  inexplorée  par  les  hommes  et  par 
le  Christ,  quelques  missionnaires  fondent  une  chré- 
tienté. La  Propagande,  bientôt,  assigne  un  nom  et  un 
rang  à  ce  membre  encore  frêle  ;  à  peine  sait-on  s'il 
est  viable,  mais  on  lui  dresse  un  état  civil;  on  le  qua- 
lifie station,  mission,  préfecture,  vicariat.  La  chré- 
tienté se  développe,  essaime  autour  d'elle  ;  féconde, 
audacieuse,  elle  éparpille  ses  avant-gardes  sur  un 
ample  espace  ;  alors  on  la  démembre  :  plusieurs  chefs 
de  missions  se  partagent  le  territoire  où  naguère, 
lorsque  manquaient  les  fidèles,  un  seul  régnait.  Ainsi 
marchent  les  apôtres,  attestant  leurs  ambitions  par  la 
fondation  de  missions  nouvelles  et  ratifiant  leurs  suc- 
cès par  le  morcellement  des  missions  anciennes. 
Voilà  les  deux  moyens  par  lesquels  la  Propagande 
étend  et  affermit  ses  conquêtes.  Il  existe  un  immense 
terrain,  présentement,  sur  lequel  on  peut  la  voir  à 
l'œuvre  :  c'est  l'Afrique  centrale  et  méridionale. 

En  183.5,  la  région  était  à  peu  près  vierge  ;  elle  est 
aujourd'hui  découpée  par  la  Propagande,  à  la  façon 
d'un  échiquier.  Grégoire  XVI  fonda  trois  vicariats  en 
Afrique  :  celui  du  Promontoire  de  Bonne-Espérance 
en  18.37,  celui  des  deux  Guinées  en  1842,  celui  du 
Soudan  en  1846.  Suivons-en  les  destinées.  En  1847' 
le  premier  est  subdivisé  en  vicariat  du  district  oriental 
et  vicariat  du  district  occidental;  en  1850,  le  vicariat 
du  Natal  est  taillé  dans  le  vicariat  du  district  oriental; 
en  1874,  la  préfecture  du  district  central  est  taillée 

7. 


118        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 

dans  le  vicariat  du  district  occidental.  A  l'égard  du 
vicariat  de  1837,  ces  deux  districts  nouveaux  étaient, 
si  Ton  ose  dire,  des  descendants  à  la  seconde  généra- 
tion. La  troisième  vint  à  son  heure  :  de  la  préfecture 
du  district  central  fut  détachée,  en  Î884,  la  préfecture 
du  fleuve  Orange  ;  du  vicariat  du  Natal  furent  déta- 
chés, en  1886,  le  vicariat  de  l'État  libre  d'Orange  et 
la  préfecture  du  Transvaal.  L'histoire  du  vicariat  des 
deux  Guinées  offre  un  phénomène  analogue.  En  1858, 
le  vicariat  de  Sierra-Leone  en  fut  détaché.  En  1860, 
on  en  sépara  le  vicariat  du  Bénin.  En  1863,  un  nou- 
veau morcellement  donna  naissance  au  vicariat  de 
Sénégambie.  En  1879,  on  tailla  les  préfectures  de 
Cimbébasie  et  de  la  Cote  d"Or.  L'ancien  vicariat  des 
deux  Guinées,  ainsi  réduit,  s'appela  vicariat  du  Ga- 
bon. On  en  détacha  encore,  en  1889,  la  préfecture  du 
Niger  inférieur;  en  1892,  celle  du  Cameroun.  A  son 
tour,  le  vicariat  du  Bénin  a  engendré,  en  1882,  la  pré- 
fecture du  Dahomey,  et,  en  1884,  la  préfecture  du 
Niger.  Enfin  du  vicariat  du  Soudan,  le  troisième  qui 
remonte  au  pontificat  de  Grégoire  XVI,  est  issue,  en 
18.j8.,  la  préfecture  du  Sahara,  transformée  en  vicariat 
en  1891.  Sous  Pie  IX,  en  1862,  la  région  de  Zanzibar 
devint  préfecture  apostolique  ;  elle  est  vicariat  aujour- 
d'hui, et  l'on  en  a  séparé,  en  1887,  la  préfecture  du 
Zanzibar  méridional.  En  1865,  la  région  du  Congo 
inférieur,  évangélisée  par  les  Capucins  de  1640  à 
1834,  e.t  abandonnée  à  cette  date,  fut  érigée  de  rechef 
en  préfecture  :  on  l'a  amputée  en  1886,  pour  créer  à 
cùté  d'elle  le  vicariat  du  Congo  français  inférieur.  Du- 
rant le  pontificat  de  Léon  XIII,  en  effet,  les  progrès 
ont  continué,  par  la  double  voie  que  j'indiquais  :  fon- 
dation, dislocation.  Avançant  à  la  suite  de  Brazza  et 


LA  PR(JPAf'.ANDE  ORGANISE  SES  CONQUETES.-     Il.t 

de  Stanley,  la  Propagande  établit,  en  1888,  le  vicariat 
du  Congo  indépendant  (on  pourrait  dire,  plus  exacte- 
ment :  du  Congo  belge)  ;  en  18!)U,  le  vicariat  du  Congo 
français  supérieur,  appelé  aussi  vicariat  de  l'Ouban- 
glii.  Dans  la  région  des  Grands  Lacs  existent,  depuis 
188U,  les  pro-vicariats  des  lacs  Tanganyika  et  Victo- 
ria-Nyanza,  érigés  maintenant  en  vicariats;  depuis 
1889,  le  pro-vicariat  du  lac  Nyassa.  Le  premier  de  ces 
districts  s'est  déjà  démembré,  dès  1886,  par  la  créa- 
lion  des  vicariats  d'Ounianembe  et  du  Congo  supé- 
rieur. Le  district  de  Nyanza  forme  depuis  18î)i  trois 
vicariats  :  Victoria-Nyanza  septentrional,  Victoria- 
Nyanza  méridional,  et  Nil  supérieur  ou  Ouganda.  A 
l'est,  le  Zambèze  est  devenu  préfecture  en  187λ. 

Nous  pourrions  retracer  de  même  la  marche  du 
catholicisme  en  Océanie  et  en  Chine.  Partout  la  Pro- 
pagande applique  les  mêmes  maximes  ;  elle  découpe 
la  carte  du  monde  en  circonscriptions  toujours  plus 
étroites,  tantôt  pour  organiser  en  un  groupe  auto- 
nome une  population  chrétienne  suffisamment  dense, 
tantôt  pour  mettre  un  terme  à  l'isolement  dune  mis- 
sion, trop  éloignée  du  centre  du  vicariat. 


IV 


<;OMMENT  LA  I»R0I'AGANDE  ORGANISE  SES  CONQUETES  :  VICA- 
RIATS, l'HÉFECTURES,  DÉLÉGATIONS  APOSTOLIQUES,  ÉVÉ- 
CIIÉS    TITULAIRES. 

La  hiérarchie  établie  par  la  Propagande  comprend 
deux  degrés  :  vicaires,  préfets.  Le  vicaire  n'est  pas 
forcément  un  métropolitain  à  l'égard  du  préfet  ;  beau- 


120        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

coup  de  préfectures  sont  autonomes  sous  la  direction 
de  la  Propagande.  Suivant  les  circonstances,  une  ré- 
gion où  la  Propagande  a  pris  pied  est  soumise  à  un 
préfet  ou  à  un  vicaire;  suivant  les  progrès  de  la  mis- 
sion, la  préfecture  subsiste  ou  devient  vicariat. 

Les  préfets,  en  général,  n'ont  pas  le  titre  épiscopal. 
Les  vicaires  en  revanche  sont  évêques,  en  vertu  d'une 
coutume  introduite  au  dix-septième  siècle  parles  fon- 
dateurs du  Séminaire  des  Missions  étrangères  de  Pa- 
ris, MM.  Pallu  et  de  Lamotte- Lambert.  Ils  réclamè- 
rent d'Alexandre  VII  que  les  missions  fussent  confiées 
à  des  personnages  revêtus  de  la  dignité  d'évêques 
le  premier  fut  nommé  évêque  d'Héliopolis  et  devint 
vicaire  apostolique  du  Fokien;  le  second  fut  nommé 
évêque  de  Beyrouth  et  évangélisa  la  Cochinchine.  N 
M.  Pallu  n'occupa  jamais  le  siège  d'Héliopolis  ni  M 
de  Lamotte-Lambert  celui  de  Beyrouth  :  ces  sièges 
rentrent  dans  la  catégorie  des  «  évèchés  titulaires  «, 
qu'on  oppose  aux  a  évêchés  résidentiels  ».  La  Gerav" 
chia  mentionne  324  évêchés  titulaires.  Ils  emprun- 
tent leurs  noms  à  des  villes  d'Asie,  d'Europe  et  d'A- 
frique, qui,  dans  les  premiers  siècles,  possédaient  des 
évêques;  l'Islam  balaya  le  troupeau;  la  ville,  peut- 
être,  n'est  plus  qu'un  hameau;  mais  l'Église  continue 
d'attacher  au  nom  de  ces  localités  un  titre  épiscopal. 
«  Archaïsme,  diront  les  uns;  elle  s'assoit  sur  des  tom- 
bes». «  Présomptueuse  audace,  répondront  les  autres; 
même  évincée,  elle  n'avoue  pas  sa  défaite  »,  Il  est 
vrai  que  c'est  le  droit  de  l'Église  et  que  c'est  aussi 
son  devoir,  de  ne  pas  réputer  définitives  les  évictions 
qu'elle  subit;  pour  transformer  en  évêchés  résiden- 
tiels les  évêchés  titulaires,  elle  escompte  les  siècles. 
En  attendant,  cette  institution  permet  au  Siège  de 


LA  PROPAGANDE  ORGANISE  SES  CONQUETES.  '  Vîi 

Rome  de  donner  les  pouvoirs  épiscopaux,  sans  dio- 
cèse effectif,  aux  personnages  qui  ont  besoin  de  ces 
pouvoirs  :  tels  sont  les  coadjuteurs  des  évèques,  qui 
doivent  être  en  mesure  de  confirmer,  et  qui  pourtant 
n'ont  point  directement  la  charge  .d'un  diocèse;  tels 
sont  aussi  les  vicaires  apostoliques.  Ils  s'appelèrent 
longtemps  évèques  in  partibus  infidelium,  «  parmi 
les  infidèles  »  :  ainsi  désignait-on  les  musulmans, 
dont  l'invasion  ruina  ces  antiques  évêchés.  Mais 
Léon  XIII,  en  1882,  voulut  .satisfaire  à  certaines  sus- 
ceptibilités; il  déplaisait  au  royaume  de  Grèce,  qui 
renferme  quelques-unes  de  ces  localités  déchues,  de 
passer  pour  une  région  d'infidèles  ;  le  pape  décida 
que  les  évèques  «  in  partihus  infideliutn  »  seraient 
désormais  qualifiés  évèques  titulaires.  «  Évêque  titu- 
laire d'Abila,  province  de  Phénicie  seconde  »  :  voilà 
la  dignité  de  M»""  Fraysse,  vicaire  apostolique  de  la 
Nouvelle-Calédonie. 

Avant  les  vicariats  et  les  préfectures,  la  Gerarchia 
mentionne  neuf  délégations  apostoliques,  sujettes  de 
la  Propagande,  et  confiées  à  des  ecclésiastiques  revê- 
tus de  la  dignité  archiépiscopale.  Les  Délégations 
de  Constantinople,  d'Egypte  et  d'Arabie,  de  Mésopo- 
tamie, Kurdistan  et  Asie  Mineure,  de  Perse,  de  Syrie, 
sont  attachées  ù  des  vicariats  apostoliques;  les  pré- 
lats qui  en  sont  titulaires  portent  le  double  titre  de 
vicaires  pour  les  Latins  et  délégués  pour  les  Orien- 
taux; ils  exercent  une  certaine  surveillance  sur  les 
chrétiens  des  autres  rites.  L'archevêque  d'Athènes  a 
le  titre  de  délégué  apostolique  pour  la  Grèce. 
Léon  XIII  a  créé  deux  délégations  apo.stoliques  nou- 
velles, d'un  caractère  tout  différent  :  l'une  pour  les 
Indes  Orientales,  l'autre  pour  les  États-Unis.  La  pre- 


122        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

mière  fut  instituée  par  Léon  XIII  en  1884;  M^''  Ag- 
liardi,  aujourd'hui  cardinal,  M^"^  Aiuti ,  aujourd'hui 
nonce  en  Portugal,  en  furent  successivement  chargés  ; 
elle  prépara  le  concordat  de  1886,  laborieusement 
conclu  entre  le  Saint-Siège  et  le  Portugal,  la  suppres- 
sion du  droit  de  patronat  que  prétendait  ce  dernier 
royaume  sur  les  évêchés  de  l'Inde  anglaise,  l'établis- 
sement d'une  hiérarchie  épiscopale  en  1886,  de  deux 
vicariats  pour  les  chrétiens  unis  du  rite  syro-ma- 
labar  en  1887.  De  même  les  différends  provoqués  aux 
États-Unis  par  la  question  scolaire ,  suscitèrent , 
en  1893,  l'envoi  de  M«'  Satolli  avec  un  titre  analo- 
gue. 


SUBSTITUTION   DE   LA  HIERARCHIE   EPISCOPALE 
AU    GOUVERNEMENT   DE   MISSIONS. 

On  ne  fournit  pas  une  définition  complète  du  do- 
maine de  la  Propagande,  en  disant  qu'il  comprend 
tous  les  pays  de  missions;  il  englobe  aussi  des 
églises  que  les  missions  ont  conduites  à  l'état  adulte  : 
alors,  à  l'organisation  en  vicariats  et  préfectures, 
provisoire,  faite  pour  la  conquête,  se  substitue  l'or- 
ganisation en  archevêchés  et  évêchés,  indice  d'une 
prise  de  possession  durable.  A  cet  égard,  l'exemple 
de  la  Grande-Bretagne  est  caractéristique.  Cent  cin- 
quante ans  durant,  l'Église  y  envoya  clandestine- 
ment des  missionnaires;  en  1685,  sous  Innocent  XI, 
le  premier  vicariat  naquit;  en  1688,  trois  autres  fu- 
rent créés;  en  1840,  il  yen  eut  huit.  L'Ecosse  suivait 
les  mêmes  étapes  :  un  vicariat  en  169i,un  second 


SUBSTITUTION  DE  LA  HIERARCHIE  EPISCOPALE.    123 

en  1727,  un  troisième  en  1827.  Au  terme  de  ce  pro- 
grès, dans  les  deux  moitiés  de  la  grande  île,  la  hié- 
rarchie épiscopale  a  été  rétablie  :  Pie  IX,  en  1850,  la 
ressuscita  en  Angleterre;  Léon  XIII,  en  1878,  la  res- 
suscita en  Ecosse;  la  métropole  de  Westminster  rè- 
gne sur  quinze  évèchés,  celle,  d'Edimbourg  sur 
quatre.  En  Irlande,  pays  de  majorité  catholique,  la 
série  des  évéques  ne  fut  interrompue  que  passagè- 
rement par  les  persécutions  protestantes  :  on  pourvut 
à  cet  interrègne  par  quelques  vicariats,  et  la  hiérar- 
chie bientôt  put  être  rétablie.  Il  est  naturel,  aussi, 
que  le  Luxembourg,  presque  exclusivement  catho- 
lique, possède  un  évèque  :  c'est  en  1833,  après  l'at- 
tribution du  grand-duché  à  la  famille  protestante  de 
Nassau,  que  les  fidèles,  précédemment  soumis  à  l'é- 
vèque  de  Namur,  furent  adoptés  par  la  Propagande; 
mais  leur  organisation  en  vicariat  ne  pouvait  être 
maintenue  sans  bizarrerie;  le  vicariat  devint  évêché. 
La  hiérarchie  épiscopale  a  été  rétablie  en  Hollande 
en  18.j3,  dans  les  Indes  Orientales  en  188();  les  ori- 
gines de  l'épiscopat  canadien  remontent  à  1(174, 
celles  de  l'épiscopat  des  États-Unis  à  1789,  celles 
de  l'épiscopat  australien  à  1842. 

Tiiéoriquement,  une  terre  soumise  à  la  hiérarchie 
des  Ordinaires,  archevêques  et  évéques,  cesse  d'être 
un  pays  de  missions  :  il  semblerait  qu'elle  dût  né- 
cessairement échapper  à  la  Propagande.  Mais  nous 
avons  dit  les  privilèges  de  cette  congrégation,  et  quels 
avantages  sont  réservés  à  ses  sujets.  C'est  pourquoi 
le  Saint-Siège  accordait  une  faveur  aux  catholiques 
de  la  Grande-Bretagne,  de  la  Hollande  et  du  Luxem- 
bourg, de  l'Hindoustan,  de  l'Amérique  du  Nord  et 
de  l'Australie,  en  leur  permettant  de  demeurer  les 


124        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 

sujets  de  la  Propagande  ;  ils  réclamaient  précisément 
cette  non-émancipation. 

Une  remarque  s'impose  :  le  domaine  de  cette  con- 
grégation comprend  des  morceaux  singulièrement  va- 
riés. Elle  règne  à  la  fois  sur  le  nègre  des  Grands  Lacs 
el  sur  le  lord-maire  catholique  de  Londres,  en  Patago- 
nie  et  à  Chicago.  Son  empire  ne  se  développe  pas  tout 
d'une  pièce,  d'une  façon  homogène;  hétérogène  par 
nature,  il  comprend  des  Églises  adultes,  adolescentes, 
nouveau-nées  et  naissantes.  Un  coup  d'œil  sur  les 
États-Unis  fait  saisir  ce  mélange  :  dans  la  vaste  Répu- 
blique, des  chrétientés  de  tout  âge  et  de  toute  forme, 
également  sujettes  de  la  Propagande,  sont  ramas- 
sées. En  1880,  l'archevêque  belge  Seghers  explorait 
l'Alaska;  il  y  fut  tué;  personne  encore  ne  lui  a  suc- 
cédé :  voilà  le  type  original  de  la  mission,  l'avant- 
garde  nécessaire,  un  prêtre  qui  s'aventure  et  meurt. 
Dans  la  Caroline  du  Nord,  oîi  l'évangélisation  des 
nègres  est  urgente,  dans  les  territoires  indiens  des 
Montagnes  Rocheuses,  enfin  dans  l'Utah,  qu'il  faut 
disputer  aux  Mormons,  les  Joséphistes,  les  Béné- 
dictins, les  Jésuites  ont  des  missions,  et  quelques 
vicariats  sont  érigés;  c'est  la  seconde  étape,  la  mis- 
sion organisée,  mais  ces  missions  sont  englobées 
dans  les  quatorze  provinces  ecclésiastiques  que  com- 
prennent les  États-Unis;  le  régime  de  l'Église  amé- 
ricaine est  la  hiérarchie  épiscopale;  en  un  siècle 
elle  s'est  rapidement  développée;  et  la  démocratie 
catholique  du  Nouveau-Monde  a  pour  guides,  au- 
jourd'hui, treize  archevêques  et  soixante-sept  évo- 
ques. 


COMMENT  SONT  NOMMKS  LES  VICAIRES,  ETC.    ,125 


VI 


COMMENT   SONT    NOMMES   LES    VICAIRES,    ORDINAIRES   ET 
PATRIARCUES   SUJETS   DE    LA   PROPAC.ANDE. 

La  Propagande  nommo  directement  les  préfets, 
les  vicaires,  qui  ont  un  caractère  épiscopal,  et  les 
évèques  résidentiels,  sujets  de  la  Propagande,  sont 
désignés  avec  plus  de  formalités.  Fréquemment,  les 
chefs  des  missions  adressent  des  rapports  sur  l'état 
de  leurs  Églises  ;  des  interrogatoires  détaillés  leur 
sont  soumis,  auxquels  ils  doivent  une  réponse  pré- 
cise; l'un  de  ces  questionnaires  a  pour  objet,  en  cas 
de  vacance  d'un  siège  épiscopal,  «  les  qualités  »  du 
personnage  qui  pourrait  y  être  promu.  A  l'aide  de  ces 
rapports,  la  Propagande  procède  aux  nominations. 
Pour  le  vicariat  apostolique  elle  désigne  immédiate- 
ment un  nom;  elle  prie  l'Auditeur  de  Sa  Sainteté, 
qui  a  la  liste  des  évèchés  titulaires  vacants,  d'indi- 
quer un  évèché  titulaire  pour  lequel  le  nouveau  vi- 
caire sera  proposé  au  pape.  Pour  les  évéchés  rési- 
dentiels qui  sont  de  son  ressort,  elle  désigne  d'abord 
trois  noms;  les  cardinaux  delà  congrégation,  réunis 
ensuite  en  assemblée  générale,  élisent  un  nom  parmi 
les  trois.  Pour  les  sièges  des  Étals-Unis  et  d'Irlande, 
la  liste  des  trois  noms,  dite  terna,  est  dressée,  non 
f>ar  la  Propagande,  mais  par  les  curés  et  chanoines 
du  diocèse,  dont  la  décision,  en  même  temps  qu'elle 
est  expédiée  à  Rome,  est  communiquée  aux  évêques 
<h'  la  province;  ceux-ci,  dans  un  rapport  à  la  Pro- 
pagande, apprécient  la  liste  et  peuvent  même,  en 
Amérique,  en  proposer  une  seconde.  Dans  cette  tenta 


126   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

d'origine  indigène,  la  congrégation  générale  choisit; 
le  secrétaire  annonce  au  pape  les  élus  de  la  Propa- 
gande, aussi  bien  pour  les  évèchés  titulaires  que 
pour  les  évèchés  résidentiels.  Les  nominations,  ap- 
prouvées par  le  pape,  sont  transmises  par  bref; 
et  le  pape  se  contente,  au  consistoire,  de  «  déclarer» 
qu'il  les  a  faites  d'après  l'avis  de  la  Propagande.  En 
revanche,  c'est  en  consistoire  que  les  patriarches  des 
chrétientés  unies  d'Orient  sont  confirmés.  Désignés 
par  les  évêques  de  leur  nation,  ils  adressent  à  Rome 
le  procès-verbal  des  opérations  électorales;  si  la 
Propagande  les  juge  régulières,  elle  sollicite  l'ap- 
probation du  pape  ;  solennellement,  en  consistoire 
secret,  il  «  propose  »  le  patriarche;  les  cardinaux 
opinent  oui,  et  la  bulle  de  nomination  prend  la 
route  d'Orient. 


VII 


LA    PAPAUTE    ET    L  ORIENT.    —    CONGREGATION   SPECIALE 
POUR    LES    AFFAIRES    ORIENTALES. 

A  l'étendue  des  pouvoirs  et  des  domaines  de  la 
Propagande,  on  peut  mesurer  le  poids  de  son  fardeau. 
Elle  en  est  allégée  par  deux  commissions  adjointes, 
qui  examinent  les  rapports  des  Ordinaires  et  des  vi- 
caires sur  l'état  de  leurs  Églises,  et  les  constitutions 
des  nouveaux  instituts  de  missionnaires,  et  par  une 
congrégation  particulière  pour  les  affaires  de  Rite 
oriental,  que  créa  Pie  IX  en  iSiS'l.  Pour  saisir  la 
portée  de  cette  dernière  création,  une  brève  notice 
est  nécessaire. 


1,A   l'APVUTÉ  ET  L'ORIENT.  ,     127 

L'ensemble  des  règles  liturf^iques  pour  Tadminis- 
tration  des  sacrements  et  la  célébration  des  offices  : 
voilà  ce  qu'on  appelle  un  rite.  Les  Orientaux,  à  l'au- 
tel, usent  de  leurs  propres  langues;  les  Occidentaux, 
du  latin.  Les  Grecs  se  servent,  pour  les  cérémonies 
eucharistiques,  de  pain  fermenté;  les  Latins  et  les 
Arméniens,  de  pain  azyme,  c'est-à-dire  sans  levain. 
A  l'élévation  de  la  messe,  les  chrétiens  d'Orient  invo- 
quent l'Esprit-Saint,  et  professent,  d'ailleurs,  que  la 
répétition  du  texte  sacré  :  «  Ceci  est  mon  corps, 
ceci  est  mon  sang  »,  est  non  seulement  nécessaire, 
mais  suffisante,  pour  renouveler  le  miracle  eucharis- 
tique; dans  la  messe  occidentale  cette  invocation, 
dite  «  épiclèse  »,  n'existe  pas.  Ces  dill'érences  n'affec- 
tent point  le  dogme  et  n'attestent  point,  môme,  des 
façons  diverses  de  l'interpréter.  Rome  n'a  jamais 
prohil)é  la  diversité  des  rites  :  au  grec  qu'elle  em- 
ploya d'abord,  elle  substitua  le  latin,  vers  le  début 
du  quatrième  siècle,  pour  les  chrétientés  d'Occident  ; 
saint  Basile  et  probabhmient  aussi  saint  Jean  Chry- 
sostome  composèrent  ensuite,  pour  les  chrétientés 
d'Orient,  les  liturgies  grecques  qui  portent  leur 
nom;  les  liturgies  syriaque  et  copte  thébaine  paru- 
rent sans  doute  au  deuxième  siècle,  les  liturgies 
arménienne  et  étiiiopienne  vers  le  cinquième;  au 
neuvième,  saints  Cyrille  et  Méthode,  traduisant  la 
messe  grecque  en  slave,  eurent  l'approbation  d'A- 
drien Il  et  de  Jean  VIII  ;  Léon  IX,  enfin,  au  onzième, 
prescrivit  aux  Grecs  établis  en  Occident  de  conserver 
leurs  rites.  X  celte  attitude  de  Rome,  il  est  remar- 
quable d'opposer  celh'  de  Photius  et  Cérulaire, 
qu'offusquait  cliez  les  Latins  une  liturgie  difl'érento 
de  la  leur. 


128    LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

Les  chrétiens  d'Orient,  étrangers  au  rite  latin,  peu- 
vent être  classés  en  trois  catégories:  1°  les  hérétiques, 
antique  survivance  des  querelles  sur  Tlncarnation  : 
Terreur  de  Nestorius  fut  adoptée  au  cinquième  siècle 
par  les  Syriens  Orientaux;  celle  d"Eutychès,  vers  la 
même  époque,  fît  d'importantes  conquêtes  parmi 
les  Syriens  Occidentaux,  qui  s'intitulèrent  Jacobi- 
tes,  les  Coptes,  les  Âljyssins,  les  Arméniens;  depuis 
treize  siècles,  ces  chrétientés  vivent  isolées,  et  leurs 
membres  à  l'heure  actuelle,  fort  ignorants  en  théolo- 
gie, ont  à  peu  près  perdu  toute  notion  des  divergences 
qui  les  séparèrent  jadis  de  l'Église;  —  2°  les  schis- 
matiques  ou  «  frères  séparés  ».  Ils  forment  la  masse 
des  chrétiens  d'Orient.  Au  moment  où  l'unité  se 
rompit,  les  dogmes  étaient  les  mêmes.  Depuis  lors, 
ils  se  sont  précisés  et  développés  dans  l'Église  latine, 
assoupis  et  embaumés  dans  l'Église  grecque  ;  au- 
jourd'hui, de  part  et  d'autre,  ils  sont  à  deux  moments 
divers  de  leur  croissance.  Dans  la  foi  des  Orientaux 
le  dogme  romain  est  en  germe.  Les  différences  entre 
les  deux  Églises,  plus  importantes  apparemment 
qu'au  début  du  schisme,  ne  creusent  pas  un  infran- 
chissable fossé.  Il  serait  comblé  si  les  Grecs  signaient 
un  acte  d'union  au  Saint-Siège  ;  on  ne  les  réputé  pas 
hérétiques;  cette  union  n'implique  donc  aucune  ré- 
tractation. La  Grèce,  la  Roumanie,  la  Bulgarie,  beau- 
coup de  chrétientés  de  l'empire  Ottoman,  la  Russie 
enfin,  sont  schismatiques  ;  —  S'' les  chrétiens  unis 
au  Saint-Siège. 

L'Annuaire  de  la  Propagande  énumère  douze  rites 
de  chrétiens  unis.  Le  rite  grec  pur  est  suivi  par 
quelques  centaines  de  catholiques  à  Constantinople, 
Césarée  de  Cappadoce,  Margara  en  Thrace  ;  la  Pro- 


L\  PAPAUTÉ  ET  L'ORIENT.  -    12'.t 

pagande  respecte  ces  minuscules  îlots,  confiés  au 
délégué  de  Conslantinople  ;  en  outre,  elle  entretient 
deux  séminaires,  en  Calabre  et  Sicile,  pour  l'ins- 
truction des  catholiques  de  rite  grec,  que  la  conquête 
turque  chassa  jadis  d'Albanie.  Le  rite  grec  bulgare, 
observé  par  trente  mille  catholiques  en  Macédoine 
et  trois  mille  en  Thrace,  est  remis  à  deux  vicaires, 
à  Salonique  et  Andrinople;  c'est  seulement  depuis 
1S()()  qu'un  certain  nombre  d'adeptes  de  ce  rite  sont 
revenus  à  l'unité  catholique.  Le  rite  copte  compte, 
en  Egypte,  dix  mille  fidèles  unis;  ils  furent  confiés 
dès  1()27  à  une  mission  de  Franciscains,  vicariat 
depuis  1815.  Le  rite  éthiopien  en  compte  vingt-cinq 
mille  en  Abyssinie  ;  un  vicaire  installé  à  Keren  les 
dirige.  Le  rite  syrien  du  Malabar,  dans  IHindous- 
tan,  est  pratiqué  par  deux  cent  mille  adhérents  ca- 
tholiques; naguère  soumis,  comme  les  catholiques 
latins,  il  l'archevêque  de  Goa  et  à  l'évèque  de  Vera- 
poly,  ils  dépendent  depuis  1887  de  deux  vicaires. 
Les  chrétientés,  beaucoup  plus  importantes,  qui  pra- 
tiquent les  sept  autres  liturgies,  ont  une  hiérarchie 
constituée.  Le  rite  grec  roumain  possède  dans  la  Tran- 
sylvanie, terre  roumaine  occupée  par  les  Hongrois, 
plus  d'un  million  d'adhérents  unis  au  Saint-Siège; 
un  archevêque  et  trois  évêques  en  sont  les  pasteurs. 
DanslaGalicie,  la  Croatie  et  la  Hongrie  septentrionale, 
environ  3.400.000  catholiques,  avec  un  archevêque  et 
quatre  évêques,  suivent  le  rite  grec  ruthêne.  Le  rite 
grec  melchite,  dont  la  liturgie  emprunte  la  languearabe 
et  les  cérémonies  grecques,  est  observé  par  109.000Sy- 
riens,  tous  catholiques;  c'est  depuis  1089  qu'un  cer- 
tain nombre  de  Melchites  renouèrent  avec  Rome  les 
antiques  relations  :  ces  Melchites  ont  un  patriarche, 


130        LE  GOU\TRNEMEM  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

du  titre  d'Antioche,  Alexandrie  et  Jérusalem,  qui 
réside  à  Damas  et  régit  neuf  évèchés.  En  1783.  un 
petit  groupe  de  chrétiens  de  Syrie  et  Mésopotamie, 
professant  le  rite  syriaque  pur,  s'unit  au  Saint- 
Siège;  au  nombre  de  22.000,  ils  ont  un  patriarche 
qui  réside  à  Mardin,  et  neuf  diocèses.  Dès  le  début 
du  dix-septième  siècle,  des  observateurs  du  rite  syro- 
chaldaïque,  dont  la  langue  est  le  chaldéen,  échangè- 
rent le  nestorianisme  contre  la  communion  romaine  : 
en  Mésopotamie,  Perse  et  Kurdistan,  ils  sont  environ 
quarante  mille,  répartis  en  onze  diocèses,  sous  l'au- 
torité du  «  patriarche  de  Babylone  «  qui  réside  à 
Mossoul.  Le  rite  syro-maronite,  dont  la  liturgie  mêle 
le  syrien  à  l'arabe,  est  observé  en  Syrie  et  à  Chypre 
par  275.000  catholiques  :  il  n'y  a  pas  de  maronites 
non-unis;  le  patriarche,  du  ti4;re  d'Antioche,  réside 
près  de  Beyrouth  et  commande  à  huit  diocèses.  Enfin 
le  rite  arménien,  dont  la  langue  est  l'arménien,  est 
professé  à  Constantinople  et  Alexandrie,  dans  l'Asie 
Mineure,  la  Mésopotamie  et  la  Perse,  dans  la  région 
de  Lemberg  en  Hongrie,  et  dans  celle  d'Artuin  en 
Russie,  par  97.01J0  catholiques  environ;  c'est  au 
dix-huitième  siècle  qu'un  certain  nombre  d'Armé- 
niens revinrent  à  la  communion  romaine;  ils  rele- 
vaient alors,  en  Asie  du  patriarche  de  Cilicie,  en 
Europe  du  vicaire  apostolique  de  rite  latin;  Pie  VIII, 
en  1830,  créa  à  Constantinople  un  archevêché  armé- 
nien; Pie  IX,  en  1867,  fondit  avec  cet  archevêché  le 
patriarcat  de  Cilicie,  et  transporta  à  Constantinople 
le  siège  de  ce  patriarcat.  M^^  Âzarian,  qui  en  est  ac- 
tuellement titulaire,  occupe  une  êminente  situation 
parmi  les  chrétientés  d'Orient;  il  eut  mission  de 
porter  à  Rome,  à  l'occasion  du  jubilé  épiscopal  de 


LA  PAPAUTÉ  ET  L'ORIENT.  J3l 

Sa  Sainteté,  les  compliments  du  sultan.  Un  diocèse 
hongrois,  un  diocèse  russe,  un  diocèse  égyptien, 
(juinze  diocèses  asiatiques  sont  sous  sa  juridiction. 

A  l'égard  de  ces  rites,  la  doctrine  de  la  papauté  n'a 
Jamais  changé.  Elle  leur  reconnut,  à  toute  époque,  un 
droit  à  Texislence.  Elle  les  protégea,  même,  contre 
lindiscrétion  des  missionnaires  de  rite  latin,  en  pro- 
hil)ant  le  passage  d'un  rite  oriental  au  rite  latin  : 
Nicolas  V  au  quinzième  siècle.  Pie  V  au  seizième,  Ur- 
bain Vin  et  Clément  IX  au  dix-septième,  Benoît  XIV 
au  dix-huitième,  énoncèrent  formellement  celte 
défense.  Les  l)ulles  Demandalum,  de  1743,  et  Allaliv 
suiit,  de  1755,  publiées  par  ce  dernier  pape,  sont 
décisives;  en  voici  la  doctrine  :  «  Lorsqu'un  Grec  ou 
tout  autre  Oriental  non-uni  désire  revenir  à  l'unité 
catholique,  il  n'est  jamais  permis  à  un  missionnaire 
de  l'engager  à  quitter  son  propre  rite.  Il  n'a  jamais 
été  et  il  n'est  permis  à  personne  de  rien  innover, 
(le  rien  introduire,  qui  diminue  l'exacte  et  entière 
observance  du  rite  grec  ».  Le  rite,  pour  les  chrétiens 
d'Orient,  est  à  la  fois  un  élément,  un  symbole  et 
une  garantie  de  leur  nationalité;  Rome  exige  qu'en 
se  rattachant  à  l'Église  internationale  ils  conservent 
leur  façon  nationale  de  prier  Dieu.  Et  les  instructions 
données  par  le  Saint-Siège  à  la  congrégation  de  la 
Propagande  furent  toujours  conçues  en  ce  sens. 

Depuis  trois  siècles,  cette  congrégation  consacrt' 
aux  afl'aires  Orientales  une  attention  spéciale.  Ur- 
bain VIII  chargea  deux  commissions,  prises  dans  la 
Propagande,  de  faire  enquête  «  sur  les  questions  liti- 
gieuses relatives  aux  Orientaux,  super  dii/nis  Orioi- 
tdlium,  et  de  discuter  les  corrections  requises  par  le 
missel  grec,  appelé  Euchologe.  La  seconde  commis- 


132        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

sion,  du  vivant  d'Urbain  VIII,  tint  quatre-vingt-deux 
séances;  ses  travaux,  restés  inachevés,  furent  repris 
sous  Benoît  XIY.  Avec  une  conscience  aduiirable,  l'ac- 
tif et  savant  pontife  les  surveilla;  il  exigeait  que  la 
commission  se  réunît  fréquemment;  le  secrétaire, 
avant  chaque  séance,  devait  étudier  les  pages  de  TEu- 
chologe  qu'on  allait  examiner,  et  transmettre  au 
pape,  ainsi  qu'aux  commissaires,  un  abrégé  des  dif- 
ficultés avec  des  indications  précises,  sur  l'avis  des 
commissions  antérieures  et  sur  l'opinion  des  théolo- 
giens autorisés.  Ainsi  travailla-t-on  dix  ans;  en  1754, 
une  édition  de  l'Euchologe  sortait  des  presses  de  la 
Propagande.  Jusqu'à  Pie  IX,  la  commission  pour  l'é- 
tude des  livres  orientaux  fut  maintenue.  Pie  IX,  en 
janvier  1862,  par  la  bulle  Romani  Pontifices,  résolut 
de  créer  une  congrégation  de  la  Propagande  pour  les 
rites  orientaux,  de  Propaganda  fide  pro  negodis  ritus 
Onentalis,  «  congrégation  spéciale  et  stable,  écrivait- 
il,  qui  s'occupera  uniquement  de  corriger  les  livres 
orientaux  et  de  traiter,  dans  l'ensemble  et  dans  le  dé- 
tail, les  multiples  affaires  des  Orientaux  ».  Cette  as- 
semblée dépend  du  même  préfet  que  la  congrégation 
générale  de  la  Propagande,  et  elle  a  pour  membres 
quelques-uns  des  cardinaux  de  cette  congrégation 
générale.  Mais  elle  possède  un  secrétaire  des  consul- 
teurs  et  des  employés  spéciaux.  De  même  que  les 
affaires  de  l'Orient  étaient  attribuées  à  une  congréga- 
tion spéciale,  de  même,  dans  cette  congrégation,  les 
cardinaux  étaient  appelés  à  se  partager  la  besogne. 
Pie  IX  ordonnait  que  chacun  d'entre  eux  fût  chargé 
des  affaires  d'une  ou  plusieurs  nations  orientales,  et 
devînt  dans  la  congrégation  le  cardinal  rapporteur  de 
ces  affaires;  par  là,  les  diverses  chrétientés  unies 


LA  PAPAUTE  ET  L'ORIENT.  .I;j3 

étaient  pourvues  d'avocats  compétents.  Par  surcroit, 
il  tira  de  cette  congrégation  nouvelle  une  commission 
pour  la  révision  et  la  correction  des  livres  de  TÉgliso 
orientale  :  un  cardinal  «  ponent  »,  nommé  par  le 
pape,  y  devait  présider.  La  publication  de  tous  les 
livres  liturgiques  de  l'Église  grecque,  commencée  en 
1872  et  achevée  eu  onze  années,  attesta  l'activité  de 
cette  commission,  que  guidait  la  docte  expérience  du 
cardinal  Pitra. 

Les  résultats  obtenus  sont  demeurés  fort  inférieurs 
aux  efforts  prodigués.  L'Orient  conservait  une  grande 
défiance  à  l'égard  de  la  Propagande;  il  considérait 
comme  des  agents  de  conquête,  menaçants  pour  ses 
propres  rites,  les  missionnaires  latins  qu  elle  en- 
voyait. Lorsque  Pie  IX,  par  les  bulles  Reversurus,  du 
l'I  juillet  1807,  et  Ciim  ecclesiaslica  disciplina,  du  31 
août  1800,  modifia  les  règles  électorales  du  patriarcat 
d'Arménie  et  du  patriarcat  de  Chaldée,  confia  le  choix 
du  patriarche  aux  seuls  évoques  et  le  soumit  à  la  con- 
iirmation  du  Saint-Siège,  l'Orient  s'émut,  et  les  im- 
prudentes espérances  de  certains  Occidentaux,  qui 
rêvaient  l'unification  des  rites  comme  couronnement 
de  la  centralisation  Romaine,  semblaient  justifier  ces 
anxiétés.  En  vain  Pie  IX,  en  1870,  par  sa  lettre  à 
M»'  Pluym  et  son  bref  aux  Arméniens,  s'efforça-t-il 
de  rassurer  les  frères  d'Orient  :  dans  certaines  chré- 
tientés unies,  des  défections  se  produisirent,  dont 
Léon  Xlll,  au  début  de  son  pontificat,  recueillit  la 
soumission. 

11  ne  suffit  pas  à  Léon  XIII  de  rappeler  formelle- 
ment, dans  l'encyclique  par  laquelle  il  étendit  à  lÉ- 
glise  entière  la  fête  des  saints  Cyrille  et  Méthode,  et 
dans  les  lettres  apostoliques  par  lesquelles  il  réforma 


134        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 

Tordre basilien  de  Galicie,  rattachement  du  Saint-Siège 
à  rintégrité  desritesorientaux.  En  envoyant  un  légat, 
en  1893,  au  Congrès  eucharistique  de  Jérusalem,  le 
Saint-Siège  a  voulu  se  rapprocher  des  Orientaux.  Il 
ne  connaissait,  naguère,  les  besoins  et  les  souffrances 
des  chrétientés  unies,  que  par  les  rapports  de  la 
Propagande;  il  les  connaît  aujourd'hui,  d'une  façon 
plus  complète  et  plus  intime,  par  les  rapports  du  car- 
dinal Langénieux.  A  cœur  ouvert,  les  clergés  unis 
d'Orient  ont  pu  s'entretenir  avec  le  légat,  qui,  loin  de 
traiter  ombrageusement  ses  interlocuteurs,  provo- 
quait au  contraire  leurs  confidences.  Dans  les  rela- 
tions du  Saint-Siège  avec  l'Orient,  le  Congrès  de  Jé- 
rusalem inaugure  une  phase  nouvelle  :  entre  les 
chrétientés  unies  et  le  pape,  il  a  renoué  les  liens  d'une 
confiance  réciproque  ;  et  c'était  précisément  l'absence 
de  ces  liens  qui  rendait  inféconde  l'action  de  la  Pro- 
pagande en  Orient.  Deux  politiques  étaient  en  pré- 
sence. L'une,  implicitement  professée  et  volontiers 
appliquée,  malgré  la  doctrine  contraire  des  papes, 
par  certains  missionnaires  de  rite  latin,  pouvait  s'é- 
noncer ainsi  :  «  Pour  convertir  les  Orientaux,  il  faut 
leur  imposer  le  rite  latin,  il  faut  qu'ils  cessent  d'être 
Orientaux,  bref,  les  supprimer  ».  L'autre  politique, 
résultant  logiquement  de  la  tradition  romaine,  con- 
seillait d'écouter  les  chrétientés  unies,  de  les  traiter 
avec  une  affection  et  une  déférence  assidues,  de  les 
honorer  sous  les  regards  des  schismatiques,  de  les 
rendre  assez  fortes  pour  qu'elles  devinssent,  chacune 
en  leur  nation,  des  centres  de  propagande,  et  de  pré- 
parer, ainsi,  la  conversion  des  Orientaux  par  les 
Occidentaux.  C'est  dans  cette  seconde  voie  que  le 
Saint-Siège  s'engage. 


LES  COLLÈGES  DE  LA  PROPAGANDE.      13:. 

En  octobre  1804,  le  pape,  le  cardinal  archevêque 
lie  Reims  et  trois  patriarches  orientaux,  réunis  à 
Kome  en  un  de  ces  colloques  dont  l'habitude  avait  de- 
puis longtemps  disparu,  ont  avisé  aux  moyens  de 
rendre  plus  florissantes  les  chrétientés  unies  d'Orient^ 
de  développer  leur  vitalité,  de  les  pourvoir  d'écoles  et 
de  séminaires  indigènes. 

Il  n'est  pas  impossible,  même,  que  les  affaires  d'O- 
rient soient  conhées,  dans  la  suite,  à  l'étude  d'une 
congrégation  spéciale,  complètement  distincte  de  la 
Propagande.  La  réunion  des  frères  séparés  demeure 
l'idéal  lointain  du  Saint-Siège;  mais  pour  l'instant, 
l'œuvre  immédiate  et  pratique  qu'il  entreprend  peut 
être  définie  :  le  relèvement  des  frères  unis. 


VIII 


LES   COLLÈGES   DE   LA     PROPAGANDE.    —   INSTRUCTIONS    DE 
LÉON  Mil  POUR  LA  FORMATION  DE  CLERGÉS  INDIGÈNES. 

Sous  Urbain  VIII,  un  prélat  espagnol,  Jean-Bap- 
tiste Vives,  offrit  à  la  Propagande  le  palais  qu'il  pos- 
sédait a  Rome  sur  la  place  d'Espagne.  En  1020,  le 
pape  acepta  l'offre.  II  érigea,  dans  le  palais,  un  col- 
lège pontifical  ou  séminaire  apostolique,  «  sous  le  pa- 
tronage des  Apôtres  Pierre  et  Paul,  et  sous  le  nom 
d'Urbain,  pour  la  propagation  et  la  défense  de  la  foi 
catholique  et  apostolique  ».  Ce  collège  était  destiné 
aux  clercs  «  de  toutes  nations  et  de  toutes  races  »,  ex 
omni  cjcnte  et  natione.  La  création  de  vingt-cinq 
bourses  par  le  capucin  Antoine  Harberini,  frère  d'Ur- 
bain VIII,  et  de  dix  bourses  nouvelles  par  le  testa- 


136   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  D£  L'ÉGLISE. 

ment  de  Vives,  enfin  les  bulles  de  1G37  et  1639,  qui 
assuraient  au  collège  certaines  ressources,  affermi- 
rent cette  fondation.  Elle  est  aujourd'hui  dirigée  par 
des  séculiers  subordonnés  au  préfet  et  au  secrétaire 
de  la  Propagande.  Les  élèves  sont  originaires  des 
pays  infidèles  ou  hérétiques.  En  1892,  ils  étaient  cent 
vingt,  d'origines  fort  diverses.  Clément  XIV  quali- 
fiait le  collège  Urbain  «  séminaire  de  l'Église  univer- 
selle ».  Jadis,  le  dimanche  après  l'Epiphanie,  on  y 
donnait  une  solennelle  séance  littéraire,  appelée  la 
fête  des  langues;  le  6  janvier  1870,  devant  une  assem- 
blée cosmopolite  d'évêques  réunis  pour  le  concile,  la 
cosmopolite  jeunesse  des  clercs  développa,  en  trente 
idiomes  différents,  des  textes  relatifs  à  l'Epiphanie. 
((  MoiN...  fils  de  N...,  du  diocèse  de  N...,  par- 
faitement informé  de  l'organisation  de  ce  collège,  je 
me  soumets  de  moi-même  à  ses  lois  et  à  ses  consti- 
tutions, j'y  adhère  conformément  à  l'interprétation 
des  supérieurs,  et  je  promets  de  les  observer  dans  la 
mesure  de  mon  pouvoir;  en  outre,  je  jure  que,  tant 
que  je  resterai  dans  ce  collège  et  lorsque,  mes  études 
achevées  ou  non  achevées,  j'en  serai  sorti,  je  n'en- 
trerai dans  aucun  ordre  religieux  ou  dans  aucune 
congrégation  de  réguliers,  sans  la  permission  du 
Siège  Apostolique  ou  de  la  congrégation  de  la  Propa- 
gande. Je  jure  d'envoyer  à  la  Propagande  des  rap- 
ports sur  mon  activité  et  les  conditions  de  l'endroit 
où  je  séjournerai:  et  cela  chaque  année  si  je  suis  en 
Europe,  tous  les  deux  ans  si  je  suis  hors  d'Europe.  Je 
jure  que,  sur  l'ordre  de  la  Propagande,  je  gagnerai 
sansretardma  province,  afin  d'y  dépenser  perpétuel- 
lement mes  fatigues  et  mes  soins,  pour  le  salut  des 
âmes,  dans  l'administration  des  choses  divines;  ainsi 


LES  COLLÈGES  DK  LA  PROPAGANDE.  137 

lerai-je,  lors  môme  qu'avec  la  permission  du  Saint- 
Siège,  je  serais  entré  dans  un  ordre  religieux  ou  dans 
une  congrégation  de  réguliers  et  y  aurais  fait  profes- 
sion ».  Depuis  Alexandre  VII,  en  1660,  tous  les  élèves 
du  collège  Ur])ain  prêtent  ce  serment.  Institutrice  de 
leur  jeunesse,  la  Propagande  demeure  la  gouver- 
nante de  leur  vie  :  ils  ne  peuvent  rien  contre  ses 
ordres,  ne  veulent  rien  sans  son  consentement,  ne 
doivent  ni  l'oublier  ni  se  laisser  oublier.  Urbain  VIII 
définit  ainsi  leur  devoir  :  «  s'exposer  à  la  mort  et  au 
martyre,  si  besoin  est,  pour  la  défense,  les  progrès, 
la  diffusion  et  la  propagation  de  la  foi,  et  cela  jusqu'à 
la  fin  des  siècles,  jusqu'à  ce  que  le  nombre  des  élus 
soit  complet  et  qu'il  n'y  ait  plus  qu'un  seul  pasteur  et 
un  seul  bercail  ».  Parfaire  le  nombre  des  croyants  jus- 
qu'à ce  qu'il  atteigne  celui  des  vivants  :  voilà  le  but  du 
collège  Urbain.  Verser  leur  sang  pour  cette  œuvre  : 
voilà  l'ambition  proposée  à  ses  élèves  ;  la  ceinture, 
la  bordure  et  les  boutons  rouges  qui  tranchent  sur 
leur  noire  soutane,  apparaissent  aux  jeunes  Propa- 
gandistes comme  une  annonce,  parfois  vérifiée,  de 
cette  sanglante  destinée. 

A  Rome  et  hors  de  Rome,  un  certain  nombre  de 
séminaires  et  collèges,  à  cùté  du  collège  Urbain,  pré- 
parent des  missionnaires  pour  le  service  de  la  Propa- 
gande. On  les  doit  classer  en  deux  catégories  :  dans 
les  uns,  les  clercs,  issus  de  nations  infidèles  ou  héré- 
tiques, se  préparent  à  évangéliser  leurs  compatriotes  ; 
dans  les  autres,  les  clercs,  issus  le  plus  souvent  de 
nations  catholiques,  se  préparent  à  prêcher  l'Évangile 
à  des  peuplades  qui  leur  sont  étrangères  aussi  bien 
par  la  race  que  par  la  langue. 

Parmi  ce  dernier  groupe,  l'établissement  le  plus 

8. 


138   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

considérable  est  le  séminaire  des  Missions  étrangères 
de  Paris:  depuis  1663,  il  a  fourni  près  de  quatre- 
vingts  noms  au  martyrologe;  il  comptait,  en  1892, 
lieux  cent  soixante-quatre  élèves,  et  neuf  cent  dix- 
sept  anciens  élèves  répandus  dans  l'Asie  orientale  et 
méridionale.  Le  séminaire  des  Missions  africaines 
de  Lyon,  le  séminaire  des  Missions  étrangères  de 
Milan,  le  séminaire  romain  de  Saint-Pierre  et  Saint- 
Paul,  le  séminaire  de  Vérone  pour  les  missions  parmi 
les  nègres,  le  collège  Brignole-Sale  de  Gènes,  le  sémi- 
naire de  Saint-Joseph  du  Sacré-Cœur  à  Mill-Hill,  le 
séminaire  hollandais  de  Styl,  le  collège  américain  de 
Louvain,  le  collège  anglais  de  Bruges  et  la  congré- 
gation du  Cœur  Immaculé  de  Marie,  de  Scheut-lès- 
Bruxelles,  datent  du  pontificat  de  Pie  IX.  A  l'origine 
de  toutes  ces  institutions,  vous  rencontrez  Finitiative 
privée  ;  ce  n'est  pas  Rome  qui  les  a  fait  surgir,  elles 
ont  surgi  pour  se  donner  à  Rome. 

Je  passe  aux  collèges  qui  instruisent  pour  divers 
pays  des  prédicateurs  indigènes.  Plusieurs  ont  une 
origine  officielle  :  un  pape  est  leur  créateur.  C'est 
le  cas  du  collège  anglais,  qu'établit  à  Rome  Gré- 
goire XIII  en  1579;  les  élèves,  anglais  d'origine,  pro- 
pagent la  foi  romaine  en  Angleterre.  A  Valladolid 
depuis  1592,  à  Lisbonne  depuis  1662,  deux  autres 
collèges  anglais  ont  une  clientèle  et  un  ])ut  analo- 
gues. L'Ecosse  a  son  collège  à  Rome,  fondé  par  Clé- 
ment VIII  en  1600,  et  un  second  à  Valladolid,  de- 
puis 1627.  Le  collège  irlandais  de  Rome  fut  fondé,  au 
début  du  pontificat  d'Urbain  VIII,  par  le  cardinal  Lu- 
dovisi  ;  à  Paris,  dès  le  seizième  siècle,  existait  un  pa- 
reil séminaire,  encore  très  prospère  ;  les  Franciscains, 
en  1625,  créèrent  à  Rome,  sous  le  vocable  de  Saint- 


LES  COLLEGES  DE  LA  PROPAGANDE.      139 

Isidore,  un  second  collège  pour  l'Irlande;  et  les  Au- 
guslinsen  installèrent  un  troisième  en  1739.  En  1892, 
cent  quarante  et  un  Irlandais  (dont  quatre-vingt-trois 
à  Paris),  trente-neuf  Écossais,  quatre-vingt-quinze 
Anglais,  se  recueillaient  dans  ces  différents  asiles, 
avant  de  porter  la  foi  romaine  en  Grande-Bretagne. 
Pie  IX,  en  1859,  établit  à  Rome  un  collège  pour  les 
États-Unis,  et  Léon  XIII,  en  1888,  un  collège  pour  le 
Canada;  ils  comptaient,  en  [H\)-I,  le  premier  soixante- 
cinq  clercs,  le  second  vingt  et  un.  Le  collège  albanais, 
fondé  à  Scutari  en  1858,  donne  des  prêtres  à  l'Albanie, 
où  les  séminaires  font  défaut.  Au  dix-huitième  siècle, 
Mathieu  Ripa  fondait  à  Naples  le  collège  de  la  Sainte- 
Famille,  pour  l'éducation  de  jeunes  Chinois  et  de 
jeunes  Indiens,  futurs  apôtres  de  leurs  pays  ;  dépos- 
sédé par  le  gouvernement  italien,  ce  collège  a  été 
rétabli  aux  frais  de  la  Propagande;  en  1892,  huit 
Chinois  en  étaient  élèves.  Plus  important  est  le  col- 
lège qu'entretient  dans  TExtréme  Orient,  depuis  IGGG, 
le  séminaire  des  Missions  étrangères  de  Paris,  et  qui 
depuis  1807  est  installé  à  Poulo-Penang  :  il  reçoit 
des  Chinois,  des  Indo-Chinois,  des  Birmans,  et  les 
renvoie  instruits  et  consacrés  dans  leurs  patries;  il 
abritait,  en  1892,  quatre-vingt-dix  élèves.  Enfin  dans 
plusieurs  vicariats  de  la  Chine,  existent  des  grands 
séminaires,  où  l'élite  des  catholiques  chinois  est 
élevée  pour  la  prêtrise. 

La  multiplication  des  ap<Hrcs  indigènes,  instruits 
soit  à  l'étranger,  soit  dans  leurs  propres  nations,  et 
-^e  consacrant  exclusivement  à  la  conversion  de  leurs 
'Ompalriotes  :  c'était  là,  au  seizième  siècle,  le  sou- 
hait le  plus  ardent  de  saint  François  Xavier,  et 
Léon  XIII,  au  dix-neuvième,  le  répète  impérieuse- 


140   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

ment.  Il  écrivait  en  1893,  dans  sa  lettre  aux  Indiens  : 
«  Le  zèle  des  hommes  apostoliques  venus  d'Europe 
rencontre  beaucoup  d'obstacles,  dont  les  plus  grands 
sont  l'ignorance  de  la  langue  du  pays,  bien  difficile  à 
apprendre,  la  nouveauté  des  mœurs  et  des  habitudes 
auxquelles  on  ne  se  fait  pas  toujours,  même  après  de 
longues  années;  aussi  le  clergé  européen  reste-t-il 
considéré,  dans  l'Inde,  absolument  comme  étranger. 
De  même,  à  cause  de  la  moins  grande  confiance  des 
indigènes  envers  les  étrangers,  il  est  évident  que 
des  prêtres  du  pays  produiront  des  fruits  de  salut 
beaucoup  plus  abondants  ».  Et  Léon  XIII  rappelait 
qu'en  Chine,  aux  époques  de  persécution,  les  vica- 
riats gérés  par  les  prêtres  chinois  survécurent 
intacts;  en  Ethiopie,  au  contraire,  où  toutes  les  mis- 
sions étaient  composées  d'étrangers,  elles  furent  ba- 
layées, et  du  coup  deux  cent  mille  chrétiens  furent 
perdus.  Encore  que  les  séminaires  du  premier 
groupe,  installant  dans  les  régions  lointaines  des 
prédicateurs  exotiques,  rendent  de  précieux  servi- 
ces, les  collèges  du  second  groupe,  empruntant  des 
indigènes  et  restituant  des  missionnaires  aux  peu- 
ples mêmes  qu'il  s'agit  d'amener  à  l'Église,  sont 
d'une  plus  grande  efficacité  ;  on  ne  peut  les  installer 
d'ailleurs  que  pour  la  conversion  des  pays  où  l'É- 
glise romaine  occupe  déjà  quelques  positions  ;  ail- 
leurs ils  ne  pourraient  se  recruter. 

Naturellement,  pour  former  le  clergé  destiné  aux 
chrétientés  unies  de  l'Orient,  c'est  à  ce  second  type 
de  séminaires  que  le  Saint-Siège  recourt;  il  suffirait 
de  ce  fait,  pour  attester  sa  sincère  bienveillance  à 
l'égard  des  rites  orientaux.  Grégoire  XIII,  dès  la  fin 
du  seizième  siècle,  établit  à  Rome  un  collège  pour  les 


L'ECONOMIE  DE  LA  l'UOPAGANDE.  141 

Grecs  et  les  Maronites  et  projetait  d'en  créer  un  pour 
les  Arméniens;  ils  devaient  être  élevés  dans  leurs 
rites  respectifs  et  rendus  ensuite  à  leur  patrie.  Ce 
collège,  après  diverses  vicissitudes,  devint,  sous 
Grégoire  XVI,  le  collège  grec-ruthène.  Par  un 
bref  du  l"  mars  188  i,  Léon  XIII  a  créé  à  Rome  un 
collège  pour  les  clercs  arméniens;  le  rétablissement 
d'un  collège  pour  les  Maronites  a  été  décidé  en  1891. 
Si  convaincu  qu'il  soit  de  légale  excellence  des  di- 
vers rites,  le  prêtre  latin  chargé  d'instruire  les 
Orientaux  considère  instinctivement  sa  propre  litur- 
gie comme  la  meilleure  :  de  là  des  susceptibilités  con- 
traires aux  intentions  du  Saint-Siège  et  aux  intérêts 
de  l'Église.  C'est  par  des  clergés  indigènes  que  le  Vati- 
can, de  plus  en  plus,  fortifiera  sa  prise  sur  Tunivers: 
lorsqu'il  voulait  faire  du  collège  Urbain  de  la  Propa- 
gande une  pépinière  pour  ces  divers  clergés,  le  pape 
Urbain  VIII  devinait  les  nécessités  de  l'avenir. 


IX 


L ECONOMIE  DE  LA  PROPAGANDE;  SES  REVENUS: 
CONVERSION  DE  SES  RENTES, 

Les  besoins  de  la  Propagande,  à  l'avenant  de  ses 
ambitions,  sont  immenses.  Grégoire  XV  commença 
d'y  pourvoir  :  il  «  l'enrichit  à  perpétuité  par  le  re- 
venu des  anneaux  cardinalices  :  pcrpetuo  ex  annulis 
rardinaliliis  cam  locupletavit  »,  dit  une  inscription 
gravée  dans  l'église  du  collège  Urbain.  Le  pape, 
en  consistoire,  créant  un  cardinal,  lui  remet  un 
saphir  :  c'est  la  Propagande  qui  fournit  cet  anneau. 


142        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  LEGLISE. 

Grégoire  XY,  en  retour,  réclama  de  chaque  Émi- 
nence  nouvelle,  au  profit  de  la  congrégation,  cinq 
cents  écus  d'or  (environ  cinq  mille  francs).  Pie  YIII 
réduisit  la  taxe  à  six  cents  écus  d'argent  (environ 
trois  mille  francs'i.  Elle  continue  d'être  requise  et 
versée.  Clément  X,  lorsqu'il  prit  la  tiare,  n'avait  pas 
encore  acquitté  cette  dette  ;  on  ne  lui  fit  pas  grâce 
du  paiement.  De  nombreux  legs  en  argent,  aux  dix- 
septième  et  dix-huitième  siècles,  accrurent  les  res- 
sources de  la  Propagande  :  Innocent  XII,  Clément  XII, 
les  cardinaux  Âbda  et  Splnola.  comptèrent  parmi  ses 
bienfaiteurs.  Au  cardinal  préfet,  qui  surveillait,  à 
l'origine,  les  intérêts  temporels  en  même  temps  que 
la  mission  spirituelle  de  l'établissement,  fut  adjoint 
un  cardinal  économe  [prxfectus  rei  œconomicœ  cu- 
randœ); d'abord,  tous  les  quatre  mois,  cette  fonction 
changea  de  titulaire;  Clément  XIII  la  rendit  stable. 
Elle  est  exercée,  aujourd'hui,  par  le  cardinal  Vin- 
cenzo  Vannutelli. 

L'invasion  de  l'État  Romain  par  les  troupes  fran- 
çaises et  les  lourdes  exigences  de  la  paix  de  Tolentino 
ruinèrent  en  peu  de  temps  les  finances  papales.  Lai 
Propagande  en  pâtit.  Lentement,  au  cours  du  dix- 
neuvième  siècle,  elle  a  reconstitué  sa  fortune.  Pie  VII, 
en  1817,  lui  vint  en  aide;  il  lui  permit  de  prélever 
chaque  année,  sur  la  caisse  dite  des  Sporjli,  trente 
mille  écus  (environ  101.000  francs);  on  appelait  ainsi 
la  caisse  pontificale  à  laquelle  affluaient  les  revenus 
des  bénéfices  ou  évèchés  italiens  dépourvus  de 
titulaire  ;  après  distraction  des  frais  nécessaires  au 
culte,  ces  revenus  étaient  réclamés  par  l'administra- 
tion des  Spogli.  Comme  le  chiffre  d'écus  que  conte- 
nait cette  caisse  fut  toujours  inférieur  aux  prévisions 


L'ÉCONOMIE  DE  LA  PROPAGANDE.  1  irJ 

de  Pie  VIJ,  la  Propagande  n'avait  pas,  en  réalité, -de 
prélèvement    à  faire,   mais  simplement  à  vider  la 
caisse.  Ainsi  fit-elle,    et  le  cardinal  économe  de  la 
Propagande  est  en  même  temps  président  de  la  «  Ro- 
verenda  Caméra  degli  Spogli  ».  Mais  cette  ressource, 
]ieu  à  peu,  a  singulièrement  baissé.  Un  certain  nom- 
bre de  diocèses,  par  une  taxe  fixe  annuellement  payée, 
échappent  à  l'intervention  des  collecteurs   des  Spo- 
i/li ;  et  Léon  XIII,  en  188.S,  à  l'occasion  de  son  jubilé 
sacerdotal,  a  déchargé  les  évèques  d'Italie,  pour  une 
période  de  vingt  ans,  de  ces  taxes  intérimaires.  Do 
notre  temps  comme  aux  siècles  passés,  c'est  surtout 
par  la  charité  des  catholiques   de  l'univers  que  la 
Propagande  est  assidûment  secondée.  Trois  œuvres 
franf-aises,  tour  à  tour  grefTécs  lune  sur  l'autre,  ren- 
dent aux  missions  d'insignes  services  :  l'œuvre  de  la 
Propagation  de  la  Foi,  l'ondée  à  Lyon  en  18:i2;  l'œu- 
vre de  la  Sainte-Enfance,  fondée   en  1843;  l'œuvre 
des  Parlants,  qui  date  du  pontificat  de  Léon  XIII.  Les 
deux  premières  récollent  les  oboles  de  la  chrétienté 
au  profit    des  non-chrétiens;   la  troisième,    encore 
jeune,  se  propose  de  payer  les  frais  de  voyage  des 
missionnaires  expédiés  à  de  lointaines  destinations. 
On  évalue  les  rentes  annuelles  de  la  Propagande 
à  GOO.OfX)  francs.  Pour  le  seul  entretien  du  collège 
Lrbain,   170.000  sont  dépensés.   Le  budget  de  celte 
congrégation  ne  doit  pas  seulement  prévoir  les  frais 
ordinaires  requis  pour  l'instruction   des   apôtres  et 
pour  l'entretien  de  certaines  missions,  spécialement 
orientales,  qu'elle  prend  à  sa  charge;  il  est  fréquem- 
ment grevé  d'autres  dépenses,  non  moins  urgentes 
quinallendut's.  Qu'une  catastrophe  afilige  une  chré- 
lienlé,  immédiatement  la  Propagande  est  sollicitée  ; 


144   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

de  1860  à  1870,  elle  aliéna,  pour  distribuer  des  se- 
cours extraordinaires,  deux  millions  de  ses  capitaux. 

Il  importe  à  Tinlérêt  des  missions  que  la  Propa- 
gande soit  riche  et  qu'elle  puisse  user  de  ses  richesses; 
en  1884,  le  gouvernement  italien  prit  à  son  égard  une 
alarmante  décision.  Une  loi  de  1873  ordonnait  la  con- 
version en  rentes  italiennes  de  toutes  les  propriétés 
des  œuvres  ecclésiastiques  de  Rome.  Dès  1874,  la 
«junte  liquidatrice  »  commise  à  cette  opération  vou- 
lut toucher  à  une  villa  de  la  Propagande,  mais  les  tergi- 
versations de  Victor-Emmanuel  ajournèrent  un  pro- 
cès dont  il  redoutait  le  scandale.  Le  débat  se  rouvrit, 
en  1880,  par  un  acte  du  commissaire  royal  :  il  fit  met- 
tre aux  enchères,  au  nom  de  l'Italie,  les  biens  de  la 
Propagande,  qui,  par  leur  origine  et  la  destination  de 
leurs  rentes,  appartiennent  à  la  chrétienté.  En  1881» 
le  tribunal  et  la  Cour  d'appel  de  Rome  prirent  parti 
contre  la  congrégation ,  la  Cour  de  cassation  pour  elle. 
Conviée  par  cette  dernière  juridiction  à  se  pourvoir 
devant  la  Cour  d'appel  d'Ancùne,  la  Propagande  y  fut 
condamnée;  la  Cour  de  cassation,  de  nouveau  consul- 
tée, infligea  en  1884  un  parfait  démenti  à  son  arrêt 
de  1881,  et  ratifia  la  condamnation.  La  conversion 
des  biens  de  la  Propagande  en  rentes  italiennes  deve- 
nait inévitable.  M.  Ruggero  Bonghi,  l'auteur  même 
de  la  loi  des  garanties,  écrivait  :  «  En  paralysant  ou 
en  troublant  l'action  de  la  Propagande,  on  ne  rend 
service  ni  à  l'humanité,  ni  à  la  civilisation,  ni  à 
l'Italie  ». 

Auparavant  la  congrégation,  dans  les  circonstances 
extraordinaires,  consacrait  au  salut  des  chrétientés 
lointaines,  non  seulement  ses  rentes,  mais  même  une 
parcelle  de  ses  capitaux;  désormais  cette  dernière  gé- 


LÉCONOMIE  DE  LA  PROPAGANDE.       14:. 

nérosité  lui  devenait  impossible  :  ses  richesses  étaient 
immobilisées  entre  les  mains  du  fisc.  Auparavant  la 
Congrégation  plaçait  et  exploitait  ses  capitaux  à  son 
gré;  désormais  elle  ne  pouvait  posséder  que  des 
rentes  italiennes;  le  chiffre  même  de  ses  ressources 
était  ainsi  subordonné  aux  variations  du  crédit  italien; 
en  1801,  les  expédients  financiers  auxquels  le  royaume 
est  réduit  ont  diminué  de  quarante  mille  francs 
les  revenus  de  la  Propagande;  et  comme  la  conver- 
sion faite  en  1884  est  maintenant  irréparable,  certains 
publicistes  italiens  constatent,  avec  une  machiavé- 
lique ingénuité,  qu'une  banqueroute  de  l'Italie  serait 
une  banqueroute  de  la  Propagande  et  que  le  Saint- 
Siège,  financièrement,  est  le  prisonnier  du  royaume 
subalpin.  Il  est  intéressant  de  relire,  aujourd'hui,  les 
polémiques  diplomatiques  qu'échangèrent,  en  188i, 
à  la  face  de  l'Europe,  le  cardinal  Jacobini  et  le  minis- 
tre Mancini  :  le  premier  dénonçait  les  périls  de  la  con- 
version, en  même  temps  qu'il  en  signalait  l'injustice; 
le  second  aftirmaitlinoffensive  correction  du  procédé. 
De  tous  les  points  du  monde,  les  protestations  affluè- 
rent; elles  furent  rassemblées  en  deux  gros  volumes. 
Mais  la  Cour  de  cassation  de  Rome  avait  jugé  en 
dernier  ressort;  l'Italie  passa  outre  à  la  manifestation 
de  l'univers  chrétien. 

Le  premier  soin  de  la  Propagande  ainsi  frappée  fut 
de  se  ménager  la  libre  disposition  des  biens  que  lui 
procurerait,  dans  l'avenir,  la  charité  catholique.  Le 
i.*»  mars  188i,  le  cardinal  Simconi  désigna  onze  villes 
d'Europe  —  toutes  hors  d'Italie,  naturellement,  — 
trois  d'Asie,  une  d'Afrique,  sept  d'Amérique,  une 
d'Australie,  où  devaient  être  élal)lies,  auprès  des  non- 
ces, évéques  ou  vicaires  aposlolifiues,  des  procures 

LE   VATICAN.    —   II.  9 


146   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

de  la  Propagande.  A  l'heure  présente,  pour  assurer 
à  la  congrégation  la  sûre  et  libre  possession  des  libé- 
ralités qu'ils  lui  offrent,  les  catholiques  empruntent 
le  canal  de  l'une  de  ces  procures,  soustraites  par  leur 
situation  même  au  contrôle  de  la  monarchie  italienne. 
Traitée  par  l'Italie  comme  un  établissement  national, 
la  Propagande,  internationale  par  essence,  répondit 
en  essaimant  dans  l'univers  des  bureaux  d'adminis- 
tration ;  et  les  donateurs  qui  l'enrichissent  ont  désor- 
mais un  moyen  d'accroître  les  revenus  de  cette  con- 
grégation sans  grossir,  par  là  même,  les  capitaux 
de  l'Italie  royale. 


LA   TYPOGRAPHIE   DE   LA    PROPAGANDE.    —   CONCLUSION. 

La  congrégation  de  la  Propagande  ne  mérite  pas 
seulement  la  reconnaissance  des  chrétiens  et  des  phi- 
lanthropes, mais  celle  aussi  des  philologues.  A  peine 
fut-elle  fondée,  qu'elle  souhaita  de  posséder  une  im- 
primerie pour  fournir  au  collège  Urbain  et  aux  mis- 
sions des  livres  en  diverses  langues.  Dès  1626,  cette 
imprimerie  fut  créée  ;  et  l'on  réunit,  en  quelques  mois, 
des  poinçons  et  des  matrices  qui  coulèrent  près  de 
cent  mille  francs.  Le  grand-duc  de  Toscane  possédait 
une  collection  de  caractères  orientaux;  l'empereur 
Ferdinand  II,  une  collection  de  caractères  illyriens  : 
les  deux  collections  furent  offertes  à  la  Propagande. 
L'imprimerie,  dès  ces  premières  années,  fut  d'une 
telle  activité,  qu'elle  fit  paraître,  dès  1639,  un  catalo- 
gue de  ses  publications.  Elle  eut  pour  directeurs,  au 
dix-huitième  siècle,  certains  savants  délite  :  l'abbé 


LA  TYPOGRAPHIE   DE   LA  PROPAGANDE.  147 

Ruggeri  en  1753,  labbé  Amaduzzi  en  1773;  c'est 
Amaduzziqui,  le  premier,  fit  connaître  en  Europe  cer- 
tains alphabets  de  lExtrème-Orient.  Au  temps  de  la 
Révolution  française  et  du  premier  Empire,  1" impri- 
merie de  la  Propagande  perdit  une  grande  partie  de 
ses  riciiesses;  elle  les  reconstitua  rapidement  sous  le 
pontificat  de  Grégoire  XVI.  A  la  mort  de  ce  pape,  elle 
pouvait  imprimer  des  livres  en  cinquante-cinq  lan- 
gues :  vingt-deux  asiatiques,  vingt-sept  européennes, 
trois  africaines,  trois  américaines.  Sous  Pie  IX,  les 
éditions  des  livres  liturgiques  orientaux,  préparées 
par  la  soigneuse  érudition  du  cardinal  Pitra,  sont  sor- 
ties des  presses  de  la  Propagande.  Elle  a  publié,  sous 
Léon  XIII,  la  grande  édition  de  saint  Thomas  d'A- 
quin,  dite  édition  Léonine.  Enfin  le  manuscrit  grec 
de  la  Bible  que  possède  la  Bibliothèque  du  Vatican  fut 
publié,  par  les  soins  de  la  Propagande,  de  1869  à 
18SI. 

Cette  congrégation  possède  aussi  un  important  Mu- 
sée, que  créa  jadis  le  cardinal  Etienne  Borgia.  On  y 
conserve  la  carte  du  Nouveau-Monde  sur  laquelle  le 
pape  Alexandre  VI  traça  une  ligne  de  démarcation 
entre  les  conquêtes  des  Portugais  et  celles  des  Espa- 
gnols, des  livres  chinois,  des  manuscrits  orientaux, 
des  idoles  de  diverses  provenances. 

Telle  est  l'activité  de  la  Propagande.  Pour  lui  accor- 
der, à  elle  seule,  une  aussi  large  place  qu'à  toutes  les 
autres  congrégations,  nul  artifice  n'était  nécessaire. 
Volontiers  les  philosophes  contemporains  signalent, 
dans  l'évolution  des  sociétés,  une  diflérenciation  pro- 
gressive des  organes,  qui  se  multiplient  à  mesure  que 
se  précisent  et  se  distinguent  les  fonctions.  Selon  le 
point  de  la  carte  où  l'on  regarde,  on  saisit  la  vie  de 


148        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

l'Église  à  l'une  ou  à  l'autre  des  deux  phases  que 
traverse  toute  société.  Dans  les  pays  de  missions,  la 
Propagande  a  la  gestion  générale.  Dans  les  vieux 
pays  catholiques,  toutes  les  congrégations  régnent, 
chacune  suivant  son  office  :  la  spécialisation  est  ac- 
complie. Là  l'existence  est  simplifiée,  ici  elle  est  com- 
pliquée. De  part  et  d'autre,  la  société  religieuse  de- 
meure une  et  homogène,  sans  heurt  ni  dislocation. 


CHAPITRE  YII 
La  cour  pontificale. 


I 


LA  PRÉLATURE  ACTIVE,  SES  DIVERSES  FONCTIONS.  —  PRK- 
LATS  palatins;  CAMÉRIERS  SECRETS  PARTICIPANTS.  — 
PROTONOTAIRES  PARTICIPANTS.  —  PRÉLATS  DE  COLLÈGE. 
—  CÉRÉMONIAIRES.  —  CHAPELAINS  SECRETS. 

On  range  sous  la  rubrique  :  Prêlaluro,  deux  caté- 
gories d'ecclésiastiques.  La  première,  peu  nombreuse, 
comprend  les  prélats  qui  remplissent  près  du  pape 
des  fonctions  actives  moyennant  un  traitement  annuel. 
La  seconde,  dont  les  cadres  sont  élastiques,  comprend 
un  certain  nombre  de  prélats  vivant  à  Rome,  un 
grand  nombre  vivant  hors  de  Rome  :  leur  dignité, 
purement  honorifique,  les  convie  à  shabiller  de  vio- 
let et  à  se  qualifier  «  Monseigneur  »  ;  elle  les  rehausse, 
mais  ne  les  nourrit  pas;  elle  est  une  récompense 
prestigieuse,  mais  nullement  lucrative,  de  leurs  ser- 
vices. 

.\u  premier  rang  des  prélats  actifs  sont  les  prélats 
palatins.  Le  plus  haut,  le  majordome,  est  le  gérant 


l.-iO        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

suprême  de  la  maison  du  Pape.  A  ce  titre,  il  sur- 
veille l'intérieur  du  Vatican,  en  désigne  le  personnel, 
et  distribue  les  cartes  d'entrée  pour  les  cérémonies 
publiques  oii  paraît  Sa  Sainteté.  Cette  surintendance 
est  d'ailleurs  limitée,  comme  il  convient,  par  les  pou- 
voirs du  cardinal-secrétaire  d'État,  préfet  des  palais 
apostoliques.  —  Le  prélat  maître  de  chambre  est  le 
distributeur  des  audiences  :  son  entremise  est  indis- 
pensable pour  approcher  le  pape.  Les  secrétaires  des 
congrégations  doivent  être  reçus,  à  intervalles  régu- 
liers, pour  soumettreles  décisions  :  c'est  lui  qui  dresse, 
chaque  semestre,  le  tableau  général  de  ces  audiences 
périodiques.  Les  fidèles  qui  souhaitent  d'être  admis 
auprès  du  pape  recourent  au  maître  de  chambre;  il 
les  convoquera  s'il  y  a  lieu.  —  L'auditeur  de  Sa  Sain- 
teté prépare  la  besogne  des  consistoires  ;  nous  avons 
dit  que  les  préconisations  épiscopales  requièrent 
l'examen  de  ce  prélat.  —  Le  maître  du  Sacré  Palais, 
un  Frère  Prêcheur,  est  le  gardien  de  la  librairie 
romaine  ;  jadis  tous  les  écrits  publiés  à  Rome  étaient 
pourvus  de  son  Imprimatur.  —  Le  sacriste  est  préposé 
à  l'entretien  de  la  sacristie  du  Pape;  il  veille  sur  les 
reliques  qui  y  sont  déposées  ;  il  est  le  curé  de  la  popu- 
lation du  Vatican.  —  Le  secrétaire  de  la  Cérémoniale 
connaît  l'étiquette  ;  préfet  des  cérémonies  pontificales, 
il  la  fait  observer.  Il  est  à  la  fois  pouvoir  législatif  et 
exécutif. 

Sous  le  titre  commun  de  camériers  secrets  partici- 
pants, la  Gerarchia  range  :  l'aumônier  secret,  loin- 
tain successeur  du  diacre  saint  Laurent,  président  du 
bureau  d'aumônes  ;  le  secrétaire  des  Brefs  aux  prin- 
ces, le  substitut  de  la  secrétairerie  d'État,  le  sous- 
dalaire,  le  secrétaire  des  lettres  latines,  personnages 


LA  PllÉLATURE  ACTIVE.  151 

(\m  nous  sont  familiers;  —  et  quatre  autres,  enfin, 
([ui  font  réellement  office  de  camériers  secrets  parti- 
cipants :  l'échanson  {coppiere),  attaché  jadis  à  la  table 
du  pape  lorsque  celui-ci  recevait  (souci  dont  il  est 
affranchi  depuis  1S70);  le  secrétaire  d'ambassade, 
chargé  de  porter  aux  princes  de  passage  à  Rome  les 
cadeaux  du  pape;  le  «  garde  robe  »,  préposé  au  ves- 
tiaire; et  un  quatrième  camérier  auquel  la  Gerarcliia 
n'assigne  aucune  attribution  spéciale.  INi  le  quatrième 
n'est  désœuvré,  ni  les  trois  premiers  ne  sont  absorbés 
par  l'oftice  spécial  auquel  ils  empruntent  leur  nom; 
ils  forment,  à  eux  quatre,  l'entourage  assidu  du  pape, 
et  s'acquittent,  réellement,  d'un  service  de  cour. 

Les  sept  protonotaires  participants  formaient  aux 
quinzième  et  seizième  siècles  un  collège  important.  Us 
ont  encore,  dans  les  consistoires,  un  rôle  et  une  place  ; 
ils  dressent,  à  certains  moments  solennels  des  funé- 
railles et  du  conclave,  des  procès-verbaux;  enfin 
l'adjonction  d'un  protonotaire  aux  congrégations  des 
Rites  et  de  la  Propagande  témoigne  que  le  notariat 
apostolique  n'est  point  devenu  une  complète  siné- 
cure. 

On  appelle  prélats  de  collège  les  membres  des 
quatre  collèges  prélatices.  Le  premier,  le  tribunal  de  la 
Rote,  prit  à  partir  du  quatorzième  siècle  un  sérieux 
développement.  Ses  décisions  avaient  des  considé- 
rants :  elles  se  distinguent,  par  là,  des  sentences 
laconiques  des  congrégations  romaines.  «  Le  tribunal 
suprême  des  États  Romains,  écrivait  en  1831  le  comte 
de  Tournon,  est  la  Socra  Ituola  Romana,  qui  reçoit 
les  appels  des  jugements  de  tous  les  tribunaux  infé- 
rieurs, lorsque  la  valeur  du  litige  dépasse  H:2o  scudi. 
L'étendue  de  la  juridiction  de  ces  douze  amphictyons 


152   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 

était  fort  grande  dans  les  temps  anciens,  et,  de  toutes 
les  parties  de  l'Europe,  on  s'en  remettait  à  la  sagesse 
reconnue  de  leurs  décisions.  Maintenant,  la  Rote  n'est 
plus  qu'un  tribunal  d'appel  pour  les  seuls  États  pon- 
tificaux dans  les  causes  civiles.  Les  auditeurs  de  Rote 
sont  des  prélats  du  second  rang,  entourés  d'une 
grande  considération;  et  ceux  qui  appartiennent 
aux  couronnes  remplacent,  dans  certains  cas,  leurs 
ambassadeurs.  Parmi  les  auditeurs  français,  on 
a  souvent  compté  des  hommes  de  premier  mérite, 
tels  que  MM.  de  Polignac,  depuis  cardinal  et  auteur 
de  Y  Anti-Lucrèce,  de  Canillac,  de  Very,  de  Bayanne 
etisoard,  ces  deux  derniers  cardinaux  ».  Aujourd'hui 
la  Rote  est  inoccupée;  cour  d'appel  et  jury  amphic- 
tyonique  chôment  également.  Mais  les  cadres  en  exis- 
tent toujours  :  elle  compte  neuf  auditeurs,  un  Autri- 
chien, un  Français  et  sept  Italiens.  Ils  sont  associés 
aux  travaux  des  RUes  et  remplissent  près  du  pape  les 
fonctions  de  sous-diacres.  Dans  les  diplomatiques 
dialogues  entre  le  Saint-Siège  et  les  États  étrangers, 
les  auditeurs  de  Rote  appartenant  à  ces  États  placent 
opportunément  leur  mot  :  le  caractère  de  leur  nomi- 
nation, la  nature  de  leur  activité,  les  convient  à  ser- 
vir deux  maîtres  :  le  pape  et  leur  pays  ;  ils  esquivent 
le  péril  en  travaillant  à  l'entente  de  ces  deux  maîtres, 
et  leur  action,  discrète  et  constante,  peut  seconder 
utilement  les  diplomaties  nationales.  Depuis  1879, 
l'auditeur  de  Rote  pour  la  France  est  M-""  Mourey. 

Le  second  collège  est  celui  des  clercs  delà  Chambre 
Apostolique.  On  appelait  ainsi,  jadis,  le  ministère  des 
finances  des  États  Romains.  Aujourd'hui  les  huit 
clercs  de  la  Chambre,  sous  la  direction  du  camerlin- 
gue, gèrent  les    palais  apostoliques   durant  Tinter- 


LA  PRÉLATURE  ACTIVE.  153 

règne  :  c'est  à  peu  près  Tunique  occupation  qui  leur 
reste.  Le  troisième  collège,  celui  de  la  signature 
papale  de  justice,  était,  dans  les  États  Romains,  une 
cour  de  cassation  qui  prononçait  sur  les  récusations 
et  règlements  déjuges,  sur  les  demandes  en  révision, 
sur  la  violation  des  formes  de  procédure.  On  en  rem- 
plit toujours  les  cadres;  il  comprend  cinq  prélats 
votants  et  soixante  et  un  référendaires,  leurs  fonctions 
sont  des  sinécures.  Le  quatrième  collège,  celui  des 
abréviateurs  du  Parc  Majeur,  a  été  mentionné  au 
chapitre  IV.  Les  listes  des  diverses  prélatures  sont 
nombreuses  et  longues;  mais  le  nom  du  même  prélat 
se  trouve  sur  plusieurs  listes.  On  peut  être  à  la  fois, 
par  exemple,  abréviateur  du  Parc  Majeur,  prélat  vo- 
tant à  la  signature  papale  de  justice,  protonotaire 
apostolique  surnuméraire  :  chacune  de  ces  fonctions 
suffit  pour  conférer  le  titre  de  Monseigneur;  mais  on 
les  accumule  sur  la  tète  du  même  Monseigneur,  pour 
Thonorer  et  l'occuper. 

Certains  camériers  secrets,  d'un  degré  moins  élevé 
que  les  camériers  secrets  participants,  sont  intime- 
ment mêlés  aux  détails  de  la  cour  pontificale  :  ils 
forment  les  collèges  des  maîtres  des  cérémonies;  ils 
sont  onze,  dont  six  surnuméraires;  la  congrégation 
de  la  Cérémoniale  les  a  pour  consulteurs.  Enfin  les 
chapelains  secrets  font  à  la  chapelle  papale  un  service 
actif;  ils  sont  six;  le  secrétaire  privé  de  Léon  XIII, 
M»""  Angeli,  appartient  aux  chapelains  secrets. 


154        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE. 


II 


LA  PRELATURE  HONORIFIQUE  : 
DIVERS  TITRES  DE  CETTE  PRÉLATIRE. 

La  prélature  purement  honorifique  nous  occupera 
moins  longtemps!  Elle  comprend  :  l^le  collège  des  pa- 
triarches, archevêques  et  évêques  assistants  au  trône 
pontifical  :  le  pape  y  fait  entrer  un  certain  nombre 
de  membres  de  la  hiérarchie  ecclésiastique  ;  le  collège 
comprend,  à  l'heure  présente,  cent  trente-six  mem- 
bres patriarches,  archevêques,  ou  évêques.  Les  prélats 
assistants,  lorsqu'ils  sont  à  Rome,  forment  le  cortège 
pontifical  dans  les  cérémonies  solennelles;  —  2"  en- 
viron deux  cents  protonotaires  ad  instar  jmrticipan- 
tium:  —  3°  plus  de  deux  cents  prélats  de  la  maison  de 
Sa  Sainteté  ;  —  4°  plus  de  six  cents  camériers  secrets 
surnuméraires;  —  5°  les  trois  cent  dix-huit  camériers 
d'honneur  en  habit  violet  ;  —  6°  plus  de  trois  cents 
camériers  dhonneur  hors  de  Rome,  extra  urbem;  — 
7°  plus  de  cinquante  chapelains  secrets  d'honneur;  — 
S°  plus  de  quatre-vingts  chapelains  secrets  d'honneur 
hors  de  Rome,  extra  urbem.  Le  nombre  de  ces  prélats 
est  illimité  :  sur  une  recommandation  notable,  le  pape 
élève  à  l'une  de  ces  dignités  les  ecclésiastiques  qu'il 
veut  récompenser.  Ils  doivent  à  cet  honneur  le  titre 
de  Monseigneur,  le  col  violet,  insigne  de  la  prélature 
entière,  et,  suivant  leur  rang,  des  costumes  violets 
plus  ou  moins  semblables  à  l'habit  épiscopal.  Ceux 
qui  sont  seulement  camériers  et  chapelains  d'honneur 
extra  urbem  doivent  abdiquer,  dans  Rome,  leur  titre 
et  leur  costume  :  si  le  pape  quittait  Rome,  ils  pour- 


LES  DIGNITAIRES  LAÏQUES.  155 

raient  prendre  service  auprès  de  lui.  Aucune  obliga- 
tion n'enchaîne  ces  diverses  classes  de  prélats.  Seule- 
ment, les  camériers  secrets  surnuméraires  et  les 
camériers  dhonneur  en  habit  violet,  soit  qu'ils  rési- 
dent à  Rome  soit  qu'ils  y  fassent  un  séjour  suffisant, 
peuvent,  s'ils  le  souhaitent,  faire  le  service  de  cour, 
une  semaine  par  an,  les  premiers  dans  l'antichambre 
secrète,  les  seconds  dans  l'antichambre  d'honneur. 


III 


LES   DIONITAIRES   LAÏOLES.    —   POUKOUOI  LA   FAMILLE 
PONTIFICALE   s'EST   ACCRUE   AU    DIX-.NEUVIÈME   SIÈCLE. 

A  ces  camériers  ecclésiastiques  savamment  éche- 
lonnés, correspondent  des  séries  parallèles  de  ca- 
mériers laïques  :  d'abord  les  camériers  secrets  de 
cape  et  d'épée  surnuméraires;  puis  les  camériers 
d'honneur  de  cape  et  d'épée.  Les  premiers  étaient  six 
il  y  a  un  siècle;  ils  sont  maintenant  plus  de  trois 
cents.  Les  seconds  dépassent  le  chiffre  de  cent.  Fort 
au-dessus  de  ce^  menus  dignitaires  s'élèvent  les  ca- 
mériers de  cape  et  d'épée  participants,  quatre  hauts 
personnages  de  l'aristocratie  romaine.  Plus  haut  en- 
core, les  princes  assistants  du  trône  pontifical  émer- 
gent :  ils  sont  deux,  un  Orsini  et  un  Colonna  :  il 
semble  que  la  communauté  des  fonctions,  triomphant 
en  eux  des  vieilles  haines  de  famille,  doive  les  rap- 
procher. 

On  commettrait  une  plaisante  erreur,  en  concluant 
que  le  dix-neuvième  siècle  introduisit  à  la  cour  do 
Home  un  formalisme  byzantin  et  je  ne  sais  quel  goût 


156        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

des  pompes  superflues.  Anulle  époque,  au  contraire, 
Tétiquette  du  Vatican  n'a  été  plus  simplifiée.  Ce  n'est 
pas  pour  la  décoration  de  sa  cour  que  le  Pape  mul- 
tiplie les  camériers  de  cape  et  d'épée;  c'est  pour  la 
décoration,  plutôt,  de  ceux  qu'il  fait  camériers.  D'in- 
terminables énumérations  de  prélats  et  de  laïques 
remplissent  cent  pages  de  la  Gerarchia.  Mais  à  la  plu- 
part de  ces  dignités,  nulle  obligation  n'est  attachée. 
Les  camériers  qui  viennent  à  Rome  pour  faire  dans 
les  antichambres  pontificales  leur  semaine  de  service 
reçoivent  comme  récompense  la  médaille  qui,  chaque 
année,  retrace  un  acte  important  du  pontificat;  on 
admet  que  les  autres,  c'est-à-dire  le  grand  nombre, 
continuent  de  mériter  en  leurs  lointaines  résidences, 
par  leur  dévouement  à  l'Église,  leur  titre  honorifi- 
que. Beaucoup  d'institutions  de  la  «  famille  ponti- 
ficale »  servent  moins  à  rehausser  la  cour  romaine 
qu'à  rehausser  au  loin,  dans  leurs  cercles  respectifs, 
un  certain  nombre  de  personnages  de  la  catholicité. 
Précisément  parce  que  les  progrès  simultanés  de  la 
centralisation  romaine  et  de  la  civilisation  moderne 
ont  rendu  plus  fréquents  et  plus  rapides  les  rapports 
de  Rome  avec  le  monde  chrétien,  une  habitude  s'est 
introduite  chez  un  grand  nombre  d'évêques  :  celle  de 
réclamer  du  Saint-Siège,  à  titre  d'encouragement 
pour  leurs  prêtres  ou  leurs  diocésains,  des  distinc- 
tions d'élite;  il  arrive  aussi  que,  d'eux-mêmes,  ces 
prêtres  ou  ces  diocésains  se  font  solliciteurs.  De  là 
l'accroissement  considérable  de  la  famille  pontificale. 
Sous  Grégoire  XVI,  le  comte  de  Tournon  écrivait  : 
«  Le  service  de  ces  divers  ordres  de  courtisans  se  ré- 
duit à  paraître  dans  quelques  cérémonies  publiques, 
le  pape  vivant  ordinairement  dans  la  plus  grande 


LA  GARDE  DU  VATICAN.  l.V? 

simplicité,  et  paraissant  ne  souffrir  Téclat  des  pompes 
mondaines,  que  lorsqu'elles  concourent  à  la  splen- 
deur du  culte  ».  Ainsi  en  est-il  encore,  bien  que  les 
«  courtisans  »  des  «  divers  ordres  »  aient  été  multipliés. 
Singuliers  «  courtisans  »,  au  demeurant,  que  ces  pro- 
tonotaires ad  instar,  prélats  domestiques,  et  camé- 
riers  de  tout  degré,  dont  beaucoup  vivent  loin  de 
Romel 

IV 

LA  GARDE   DU   VATICAN;    LES   A.NÏICUAMBRES   PAPALES. 

Les  gardes-nobles,  les  palatins,  les  gendarmes  et 
les  Suisses,  voilà  tout  ce  qui  reste  de  l'ancienne  milice 
pontiîicale.  Les  gardes-nobles,  créés  par  Pie  VII,  sont 
recrutés  dans  la  fraction  de  l'aristocratie  romaine 
qui  n"a  pas  déserté  le  pape  pour  la  cour  royale.  Elle 
comprend  le  capitaine  commandant,  treize  autres 
officiers,  et  quarante-huit  gardes-nobles.  C'est  dans  la 
petite  bourgeoisie  et  les  corps  de  métiers  que  se  re- 
crute, depuis  Pie  IX,  la  «  garde  palatine  d'honneur  ». 
Elle  comprend  quatre  cents  membres.  Ces  gardes, 
noble  et  palatine,  font  plutôt  un  service  de  cour 
qu'un  service  militaire;  elles  ne  sont  au  complet  que 
dans  les  grandes  cérémonies.  Chaque  jour  elles  four- 
nissent l'une  et  l'autre  un  petit  piquet  pour  les  anti- 
chambres pontificales.  D!exercice,  on  ne  leur  en 
demande  aucun  ;  le  seul  usage  qu'elles  fassent  de 
leurs  armes  consiste  aies  présenter  et  à  les  déposer. 

La  Gerarchia  mentionne,  comme  «  délégué  pour 
les  services  do  sûreté  et  de  police  »,  un  major  com- 
mandant de  la  gendarmerie.  Cent  vingt  hommes  la 


158   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

composent  :  les  escaliers,  la  cour  Saint -Damase,  les 
corridors,  les  jardins,  sont  confiés  à  leur  surveil- 
lance; un  étranger  qui  circule  dans  le  Vatican  ne 
peut  se  dérober  à  leurs  interrogations;  à  tous  les 
angles  des  galeries,  on  rencontre  des  gendarmes. 

La  gendarmerie  est  la  maréchaussée  du  Vatican; 
les  Suisses,  depuis  1505,  en  sont  Tarmée.  Un  capi- 
taine commandant  avec  rang  de  colonel,  un  lieute- 
nant avec  rang  de  lieutenant-colonel,  un  sous-lieute- 
nant avec  rang  de  major,  sont  à  leur  tête.  Ils  sont 
cent  vingt.  Ils  montent  perpétuellement  trois  gardes. 
A  la  «  porte  de  bronze  »,  par  laquelle  on  pénètre  en 
venant  de  la  place  Saint-Pierre,  un  Suisse  est  tou- 
jours en  vigilance.  Une  douzaine,  assis  sans  apprêts, 
attendent  que  l'approche  d'un  haut  dignitaire  ou 
d'un  ambassadeur  soit  signalée.  Aussitôt  ils  courent  à 
leurs  armes  et  rendent  les  honneurs  militaires.  La 
caserne  des  Suisses  est  située  dans  la  partie  posté- 
rieure du  Vatican,  derrière  Saint-Pierre.  En  cet  en- 
droit, sur  quelques  pouces  de  terre,  la  dualité  de  la 
Rome  contemporaine  éclate  en  un  frappant  symbole. 
La  rue  des  Fundamenti,  qui  contourne  Saint-Pierre,, 
aboutit  au  Cortile  del  Forno,  cour  quadrangulaire, 
avec  une  fontaine  au  milieu  :  au  fond  de  ce  Cortile 
une  porte,  gardée  par  les  Suisses,  donne  accès  dans 
les  cours  du  Vatican;  à  main  gauche  s'ouvre  une 
avenue,  terre  pontificale  aussi  :  elle  conduit  droit  aux 
musées  de  sculpture,  laissant  à  droite  les  écuries  du 
pape  et  les  archives,  longeant  à  gauche  les  jardins; 
ù  main  droite,  de  pittoresques  pignons,  archaïque 
fragment  du  vieux  Vatican ,  surplombent  la  porte 
des  Suisses;  en  face  de  cette  porte,  enfin,  s'échelon- 
nent les  degrés  d'une  large  rue  :  elle  mène  aux  bâti- 


LA  GARDE  DU  VATICAN.  .159 

ments  de  la  Zecca,  l'ancienne  Monnaie  pontificaVe. 
Celte  rue  est  aujourd'hui  territoire  italien;  sur  le 
pt'lit  mur  qui  la  borde  et  qui  longe  la  via  dei  Funda- 
uiriiti,  une  sentinelle  italienne  se  promène.  Soldats 
du  pape  et  soldats  du  roi  vivent  ainsi  depuis  vingt- 
quatre  ans,  les  uns  en  face  des  autres,  à  une  portée 
de  fusil;  mais  les  fusils  ne  partent  point.  Il  suffit  du 
plus  léger  incident  pour  que  ce  coin  de  terre  isolé 
absorbe  l'attention  de  l'Europe.  Lorsque  le  V)  juillet 
181>0  la  voiture  du  pape,  passant  des  cours  Yaticanes 
à  l'allée  des  musées,  traversa  le  Corlile  del  Forno,  la 
presse  du  Quirinal  conclut  que  le  pape  rompait  sa 
réclusion  ;  celle  du  Vatican  répondit  que  le  Cortile 
del  Forno  était  un  territoire  pontifical,  et  que  le  pape, 
en  s'y  montrant,  avait  voulu  faire  acte  de  proprié- 
taire. Le  Cortile,  depuis  lors,  n'a  plus  reçu  la  visite 
de  Léon  XIII;  les  Suisses  y  veillent  toujours;  entre  la 
porte  du  Vatican  et  la  fontaine  centrale  du  Cortile,  ils 
se  promènent  librement.  Enfin  sur  le  palier  des  appar- 
tements du  pape  et  dans  la  grande  antichambre  à 
laquelle  il  donne  accès,  un  troisième  piquet  de  Suis- 
ses est  de  service. 

Forcément,  on  passe  devant  eux  pour  entrer  chez 
le  pape.  A  ce  vestibule  succède  la  salle  des  Busso- 
binti.  On  appelle  ainsi  des  laïques,  habillés  de  velours 
rouge,  préposés  à  la  garde  d'une  porte  à  tambour 
{liussola)  qui  donne  accès  dans  les  antichambres  pri- 
vées. La  Gerarcliia  mentionne  trente-si.\  bussolanii. 
(Test  dans  leur  salle  qu'un  laïque,  admis  à  l'audience 
pontificale,  doit  laisser  son  chapeau.  Dès  quil  a  fran- 
chi le  tambour,  il  parcourt  une  série  d'antichambres. 
La  première  est  gardée  i)ar  des  gendarmes  :les  secré- 
taires des  cardinaux  attendent,  dans  cette  pièce,  le 


160        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

retour  de  leurs  maîtres.  La  seconde  est  confiée  à  la 
garde  palatine.  Obliquant  à  droite,  le  visiteur,  par 
une  troisième  salle  ornée  de  tapisseries,  accède  à  une 
quatrième,  qu'occupent  des  gardes-nobles  :  à  droite, 
une  porte,  qui  peut  être  largement  ouverte,  commu- 
nique avec  la  chapelle  du  Saint-Père,  et  c'est  dans 
cette  salle  qu'on  assiste  à  la  messe  du  pape.  Une  cin- 
quième pièce,  dite  antichambre  d'honneur,  est  déco- 
rée du  trône  papal  :  lorsqu'on  est  convoqué  pour  une 
audience  privée,  on  attend  dans  cette  salle,  et  c'est 
là  que  le  pape  s'installe  pour  accueillir  des  groupes 
importants  de  visiteurs,  pour  entendre,  au  nouvel 
an  et  à  l'anniversaire  du  couronnement,  les  vœux 
des  prélats  et  des  cardinaux,  et  durant  le  Carême  et 
l'Avent  les  prédications  destinées  à  la  cour  pontifi- 
cale. Deux  camériers  d'honneur,  l'un  en  habit  violet, 
l'autre  de  cape  et  d'épée,  font  le  service  dans  cette 
antichambre.  Devant  une  porte,  au  fond,  un  garde- 
noble  est  en  faction  :  cette  porte  accède  à  l'anticham- 
bre secrète,  réservée  aux  prélats  qui  sont  au  moins 
camériers  secrets,  et  aux  cardinaux.  Dès  qu'on  y  est 
parvenu,  on  n'a  plus  qu'un  seuil  à  franchir;  on  est 
aux  pieds  du  pape. 


LA  JOURNEE  DU  PAPE;  LES  .JARDLN'S  DU  VATICAN. 

Pie  IX  depuis  1870,  Léon  XIII  depuis  son  élec- 
tion, ne  sont  pas  sortis  du  Vatican.  La  descente  du 
Pape  à  Saint-Pierre,  autrefois  fréquente,  est  devenue 
une  exception  ;  la  villa  pontificale  de  Castel  Gandolfo 
est  toujours  veuve   de  Sa   Sainteté.   En  s'imposant 


L\  JOURNÉE  DU  PAPE,  IGl 

ette  réclusion,  le  Souverain  Pontife  dresse  une  pro- 
testation permanente  contre  la  situation  qui  lui  est 
faite.  S'il  sortait  dans  Rome,  en  vain  répéterait-il,  de 
temps  à  autre,  des  réserves  formelles  ;  la  longueur 
du  temps,  l'habitude  que  prendrait  le  Pape,  en  fait, 
d'adapter  son  existence  aux  conditions  nouvelles, 
sembleraient  périmer  ses  droits.  Il  se  condamne, 
volontairement,  à  une  anormale  captivité;  en  laissant 
au  monde  chrétien,  qui  constamment  observe  le  Va- 
tican, l'impression  constante  de  cette  anomalie,  il 
maintient  en  litige  la  question  Romaine. 

Les  jardins  du  Vatican  :  voilà  le  seul  territoire 
où  les  pas  de  Sa  Sainteté  puissent  s'égarer.  Encore 
sont-ils  assez  étroits;  après  quelques  jours  de  pon- 
tificat, l'auguste  promeneur  en  connaît  chaque  dé- 
tour. Les  murailles  qui  l'entourent,  en  maints  en- 
droits, ne  s'opposeraient  pas  à  l'escalade  ;  lorsque  le 
pape  s'y  promène,  des  gendarmes  veillent,  épars  le 
long  de  ces  clôtures.  De  certains  parages,  la  vue  ja- 
dis était  fort  belle;  elle  est  aujourd'hui  gâtée.  Sous 
les  murs  du  Vatican,  on  a  tenté  depuis  vingt-quatre 
ans  la  construction  d'un  quartier  nouveau.  Entre  les 
yeux  du  pape  el  l'horizon  lointain,  des  usines, 
même,  ont  essayé  de  s'installer.  Quelques  années 
encore  et  ces  constructions  contemporaines  paraî- 
tront plus  vieilles  que  le  vieux  Vatican  :  beaucoup 
sont  délabrées  déjà,  faute  d'entretien,  ou  bien  ina- 
chevées à  jamais,  faute  d'argent;  aux  diverses  allu- 
vions  archéologiques,  vestiges  des  divers  âges,  que 
conserve  le  sol  de  Rome,  une  nouvelle  couche  de 
ruines  est  en  train  de  s'ajouter.  Le  Vatican  la  sur- 
plombe, tranquillement,  comme  il  surplombe  toutes 
les  autres. 


162        LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  LÉGLISE. 

Deux  casinos,  Tun  construit  par  Pie  IV  en  1561, 
l'autre  élevé  par  les  soins  de  Léon  XIII  ;  deux  grandes 
fontaines  qui  datent  du  pontificat  de  Paul  V;  des 
buis  ingénieusement  disposés  et  dessinant  les  armoi- 
ries de  Pie  IX;  enfin  des  statues  antiques  :  voilà  ce 
qu'on  observe  dans  les  jardins  du  Vatican.  A  l'épo- 
que des  âpres  chaleurs,  le  pape  y  passe  ses  journées 
entières;  alors  les  audiences  sont  suspendues;  et  les 
préfets  ou  secrétaires  qui  conservent  le  privilège  de 
l'approcher  vont  trouver  Sa  Sainteté  dans  le  petit 
casino  des  jardins. 

Presque  chaque  jour,  sauf  au  fort  de  l'hiver,  le 
pape  se  promène  une  heure  ou  deux  dans  les  ave- 
nues; il  s'y  rend  dans  l'une  de  ses  voitures,  puis 
s'égare  avec  ses  familiers,  soit  en  «  portantine  »,  soit 
à  pied,  dans  les  allées  non  carrossables  :  voilà  le  seul 
divertissement  du  pape  Léon  XIII  depuis  vingt-trois 
ans. 

RÉSUMÉ 

Xous  venons  d'analyser,  un  à  un,  les  rouages  du 
gouvernement  de  l'Église;  il  est  plus  difficile  —  si- 
non impossible  —  d'en  faire  revivre  le  fonctionne- 
ment dans  un  tableau  d'ensemble.  Ils  font  avec  peu 
de  bruit  beaucoup  de  besogne.  On  constate  la  beso- 
gne, on  perçoit  à  peine  le  bruit;  on  reconnaît,  chaque 
jour,  les  résultats  de  ce  constant  labeur  qui  s'accom- 
plit au  centre  de  l'Église;  le  labeur  même  échappe 
aux  regards.  Les  congrégations  vivent  d'une  vie  dis- 
crète et  cachée.  On  commettrait  une  singulière  erreur 
en  se  figurant  le  Vatican  comme  une  formidable  ru- 
che, fourmillante  d'une  incessante  activité;  il  n'est 


UESUME.  1.63 

point  une  principauté,  si  microscopique  soit-elle,  où 
l'aspect  des  ministères  ne  soit  plus  affairé  et  leurs 
corridors  plus  tumultueux.  La  vie  de  TÉglise  Ro- 
maine n'est  pas  un  phénomène  palpable,  éclatant, 
dont  on  éprouve  la  sensation  et  qu'on  puisse  photo- 
graphier. 

Dans  quelque  vieux  palais  de  Rome,  ou  dans  des 
.salles  du  Vatican,  les  congrégations  et  les  adminis- 
trations apostoliques  tiennent  séance;  à  peine  le 
public  sait-il  qu'elles  siègent,  encore  moins  est-il 
informé  de  leurs  pourparlers;  il  ne  les  connaît  que 
par  leurs  décisions,  publiées  après  Tagrément  du 
pape.  La  divination  la  plus  experte  est  impuissante 
à  reconstituer  le  travail  qui  a  préparé  ces  décisions 
et  les  arguments  qui  les  ont  inspirées  :  manquant  de 
considérants,  elles  n'offrent  aucune  prise  à  la  dis- 
cussion; elles  se  justifient  par  les  signatures  qu'elles 
portent,  par  le  cachet  qui  authentique  ces  signatures  ; 
elles  n'ouvrent  aucune  vue  rétrospective  sur  les  dé- 
bals d'où  elles  sont  issues,  et  elles  excluent  tout 
débat  ultérieur;  préparées  en  clôture  par  le  parle- 
mentarisme (car  chaque  congrégation  est,  à  sa  façon, 
un  petit  parlement),  elles  sont  publiées  au  nom  de 
l'absolutisme. 

Parlementarisme,  absolutisme  :  les  deux  éléments 
sont  associés,  à  doses  diverses,  dans  la  vie  actuelle  de 
l'Église.  Elle  est  le  seul  gouvernement  qui  les  sache 
concilier  d'une  façon  durable.  Partout  ailleurs,  le 
premier  détrône  le  second,  ou  le  second  expulse  le 
premier;  à  Rome,  le  parlementarisme  éclaire  l'abso- 
lutisme. Une  congrégation  n'est  pas  simplement  une 
consulte  mise  en  activité  par  le  pouvoir  souverain  ; 
l'ordre  du  jour  de  ses  travaux  est  tout  à  la  fois  fixé 


164   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

par  les  commandements  du  pape,  les  vœux  des  li- 
dèles  et  les  intentions  de  ses  membres;  il  dépend 
d'elle  d'abréger  ou  de  prolonger  les  discussions;  elle 
les  conduit  et  les  oriente  avec  une  pleine  liberté. 
Quant  au  pape,  lors  même  que  les  affaires  lui  sont 
directement  déférées,  il  est  naturellement  amené  à 
consulter  la  congrégation  compétente  ;  n'a-t-elle  pas 
des  maximes  anciennes  qui  font  foi,  et  des  précé- 
dents innombrables  qui  font  loi? 

Le  morcellement  des  affaires  religieuses  entre  un 
certain  nombre  de  conseils  a  parfois  été  signalé 
comme  un  effort  des  papes  pour  asseoir  plus  sûre- 
ment leur  domination  :  ils  en  auraient  voulu  finir 
avec  les  séances  agitées  des  consistoires,  dans  les- 
quelles tous  les  cardinaux  disaient  leur  mot;  ils  au- 
raient divisé  le  gouvernement  pour  demeurer  les 
seuls  gouvernants.  On  oublie,  en  parlant  ainsi,  que 
les  papes,  en  substituant  au  gouvernement  par  con- 
sistoire le  gouvernement  par  congrégations,  permi- 
rent à  l'Église  Romaine  de  demeurer,  si  l'on  ose  ainsi 
dire,  maîtresse  chez  elle.  Aux  dix-septième  et  dix- 
huitième  siècles,  il  fallait  préserver  l'Église  contre 
l'indiscrète  incursion  des  diplomaties  d'État;  elles 
avaient  à  leur  service,  non  seulement  des  ambassa- 
deurs, mais  des  cardinaux  protecteurs,  et  si  l'on  eût 
maintenu  l'ancien  système,  on  eût  vu  ces  cardinaux, 
dans  les  consistoires,  parler  impérieusement  au  nom 
de  leurs  souverains,  comme  maintes  fois  ils  firent 
dans  les  conclaves.  Avec  des  congrégations  com- 
posées au  gré  du  pape,  ce  péril  était  évité  et  l'au- 
tonomie de  l'Église  demeurait  sauve.  Observons  d'ail- 
leurs que  le  gouvernement  de  l'Église  est  d'une 
complexité  chaque  jour  croissante,  qu'il  doit  s'adap- 


RESUME.  Ii55 

ter  aux  nécessités  des  divers  pays  et  qu'il  comporte 
l'étude  de  diverses  commissions,  non  les  discussions 
agitées  d'une  nombreuse  assemblée.  Ce  sont  préci- 
sément ces  commissions  qui,  depuis  trois  siècles, 
représentent  l'élément  traditionnel,  préexistant  et 
survivant  aux  pontifes  successifs,  et  s'imposant,  dans 
une  certaine  mesure,  au  respect  attentif  de  ces  pon- 
tifes. 

L'Église  Romaine  est  tout  ensemble,  si  l'on  ose 
dire,  conservatrice  et  progressiste.  Ses  congréga- 
tions sont  la  force  conservatrice,  et  perpétuent  à 
son  service  les  exemples  et  les  coutumes  du  passé  ; 
et  le  génie  de  certains  de  ses  pontifes  lui  commu- 
nique l'impulsion  progressiste,  par  laquelle  l'Église 
s'ouvre  les  voies  de  l'avenir.  D'ordinaire,  c'est  le 
parlementarisme  qui  affronte  les  nouveautés  et  l'ab- 
solutisme qui  les  subit  :  il  en  est  autrement,  au  Va- 
tican. Les  initiatives  fécondes,  jugées  audacieuses 
en  leur  temps,  viennent  des  papes  eux-mêmes.  Les 
congrégations  compulsent  la  tradition  des  âges  anté- 
rieurs; les  papes  préparent  l'histoire  des  âges  futurs. 
Cantonnées  chacune  dans  leur  sphère,  les  congréga- 
tions aident  le  pape,  et  il  centralise  leurs  travaux; 
mais  il  les  domine,  il  plane  au-dessus  d'elles;  pontife 
universel,  qui  n'a  ni  le  loisir  ni  le  droit  d'être  un  spé- 
cialiste, il  conserve  une  large  vue  sur  l'horizon  de 
l'espace  et  du  temps.  Il  laisse  les  congrégations  faire 
la  besogne  quotidienne,  et  de  son  paraphe  il  légalise 
cette  besogne.  Mais  il  y  a  dans  le  gouvernement  de 
l'Église,  prétendante  à  l'éternité,  une  part  d'  «  au 
delà  »,  une  invitation  perpétuelle  à  mtirir  les  germes 
du  lendemain,  à  semer  ceux  du  surlendemain  :  il 
appartient  au  pape  et  à  son  secrétaire  d'État  de  pion- 


1G6   LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'ÉGLISE. 

ger  leurs  regards  dans  1'  «  au  delà  »,  et  de  favoriser 
les  éclosions,  prochaines  ou  lointaines,  attendues  ou 
inopinées.  Voilà  leur  œuvre  personnelle  dans  le  gou- 
vernement de  l'Église  :  le  grand  pape  et  Texcellent 
secrétaire  d'État  se  reconnaissent  à  ce  trait,  que  leurs 
successeurs  pourront  saluer  en  eux  des  collabora- 
teurs prématurés. 

Georges  GOYAU. 


LA  BIBLIOTHÈQUE  VATICANE  Cj 


(1)  La  mort,  qui  en  février  1899  venait  interrompre  les  travaux  éru- 
(lils  (le  Paul  Fabre,  n'a  pas  permis  que  ces  pages  fussent  remaniées 
et  complélées  romme  il  le  di-sirait.  Nous  avons  cru  devoir  les  repro- 
duire lidélemcnt,  sauf  la  correction  de  quelques  erreurs  d'imprcs- 
liion,  telles  qu'elles  avaient  paru  à  la  lin  de  l'année  1895.  {Note  des 
èdileurs.) 


CHAPITRE  PRE:MIER 
La  bibliothèque  ancienne. 


La  Bibliothèque  apostolique  a  été  de  tout  temps 
un  des  organes  essentiels  de  l'action  du  Saint-Siège. 
Aux  temps  oîi  on  fixait  le  dogme,  elle  a  fourni  aux 
discussions  des  conciles  les  textes  des  anciens  Pères  ; 
plus  tard,  elle  a  opposé  aux  ambitions  impériales  les 
vieux  titres  du  Saint-Siège  à  la  possession  territo- 
riale, et  elle  a  aidé  à  la  formation  du  droit  canon; 
elle  a  reflété  et  alimenté  le  mouvement  scolastique  ; 
puis,  quand  la  Renaissance  s'est  produite,  elle  a  re- 
cueilli les  débris  de  l'antiquité  et  les  a  mis  au  service 
des  humanistes.  Elle  a  été  un  des  laboratoires  d'où 
est  sortie  la  pensée  moderne,  et  lorsque  la  Réforme 
allemande  eut  cherché  un  auxiliaire  dans  le  renou- 
vellement des  études  et  des  méthodes,  elle  est  deve- 
nue la  grande  source  où  ont  puisé  à  l'envi  les  lin- 
guistes, les  exégètes  et  les  historiens.  Depuis  près 
de  quatre  siècles,  ce  travail  se  poursuit,  travail 
véritablement  catholique,  qui  intéresse  le  passé  et 
l'avenir  du  monde  occidental  et  qui  s'est  étendu  aux 
églises  et  aux  liturgies  orientales,  dont  Rome  éclaire 
les  vicissitudes  comme  pour  dissiper  les  malenten- 

It.  10 


170  LA  BIBLIOTHÈQUE  VATICANE. 

dus.  L'histoire  ecclésiastique  en  sort  peu  à  peu,  et 
avec  elle  séclaire  et  se  précise  l'histoire  du  monde 
civilisé.  Le  chef  actuel  de  lÉglise  y  a  convié  les  éru- 
dits  de  toute  croyance  et  de  toute  nation. 


LA    BIBLIOTHEQUE   DU    PAPE   DAMASE. 

La  Bibliothèque  du  Saint-Siège  remonte  aux  plus 
anciens  temps  de  lÉglise  Romaine.  A  Rome,  en  effet, 
comme  dans  les  autres  Églises,  les  Livres  Saints 
qu'on  lisait  chaque  jour  dans  l'assemblée  des  fidèles 
constituèrent  un  premier  fonds  de  bibliothèque,  au- 
quel vinrent  peu  à  peu  s'ajouter  les  écrits  liturgiques, 
les  traités  des  docteurs  et  des  Pères. 

La  correspondance  avec  les  autres  Églises  et  les 
actes  de  l'administration  intérieure  accrurent  bien 
vite  le  nombre  des  documents  à  conserver.  De  bonne 
heure,  un  double  des  lettres  pontificales  demeura 
dans  les  archives  du  Saint-Siège  sous  la  forme  de 
registres  rédigés  sur  le  modèle  des  registres  impé- 
riaux, et  de  bonne  heure  aussi  les  discussions  doc- 
trinales laissèrent  à  Rome  d'importants  dossiers  : 
professions  de  foi,  appels  au  Saint-Siège,  rétracta- 
tions et  condamnations,  Rome  conservait  tout  cela 
dès  le  temps  de  TertuUien.  Bientôt,  les  notaires  ec- 
clésiastiques enregistrèrent  soigneusement  le  «  té- 
moignage »  rendu  à  la  vérité  par  les  martyrs  et  les 
confesseurs  dans  des  procès-verbaux  détaillés  des 
interrogatoires,  jugements  et  exécutions  subis  par 


L\  BIBLIOTHÈQUE  DU  PAPE  DAMASE.  IJl 

leurs  frères  en  Jésus-Christ  :  c'est  ce  qu'on  a  appelé 
les  «  Actes  des  martyrs  >^ 

En  même  temps,  la  gestion  des  intérêts  temporels, 
11'  budget  des  recettes  et  des  dépenses  créait  des  li- 
\  res  de  compte  dont  l'importance  alla  croissant  avec 
les  revenus  du  Saint-Siège.  De  très  bonne  heure,  la 
bienfaisance  de  l'Église  Romaine  s'exerça  non  seu- 
lement sur  les  pauvres  de  Rome  et  des  villes  voisines, 
mais  sur  «  les  frères  éloignés  et  sur  les  autres 
Églises  ».  Au  milieu  du  troisième  siècle,  les  clercs  et 
les  pauvres  nourris  par  l'Église  de  Rome  s'élevaient 
à  plus  de  quinze  cents,  et  chacun  d'eux  était  inscrit 
sur  les  matricules  de  l'Église.  Bien  avant  Constantin, 
on  avait  dressé  un  état  des  revenus  et  des  dépenses 
du  Saint-Siège,  dans  le  genre  de  ce  Polyptyque  ré- 
digé à  la  fin  du  cinquième  siècle  par  le  pape  Gélase 
et  retouché  plus  tard  par  Grégoire  le  Grand,  dans 
lequel  étaient  inscrits  les  traitements  et  subventions 
fournis  par  le  pape  «  au  clergé,  aux  fonctionnaires  du 
l)alais  pontifical,  aux  monastères,  églises,  cimetières, 
diaconies,  hospices  urbains  et  suburbains  ». 

La  persécution  de  Dioclétien  dispersa  cette  pre- 
mière bibliothèque;  perte  à  jamais  déplorable,  qui  a 
privé  l'Église  Romaine  de  ses  plus  anciens  titres  de 
gloire,  car  les  actes  des  martyrs  romains  qui  nous 
sont  parvenus  sont  tous,  à  très  peu  d'exceptions  près, 
postérieurs  à  la  Paix  de  l'Église,  refaits  de  mémoire 
en  des  temps  moins  agités.  Ainsi  ont  disparu  les  pa- 
ges glorieuses  de  ces  lettres  encycliques  où  le  clergé 
romain  avait  raconté  le  martyre  des  deux  papes  Fa- 
bien et  Sixte  II  ;  et,  de  toutes  les  pièces  relatives  aux 
nombreuses  controverses  sur  le  dogme  ou  la  disci- 
plin»'  qui  ont  été  agitées  et  résolues  à  Rome  pendant 


172  LA  BIBLIOTHEQUE  YATICANE. 

les  trois  premiers  siècles,  bien  peu  ont  échappé^  qui 
toutes  (à  commencer  par  la  lettre  du  pape  Clément  à 
TÉglise  de  Corinthe)  ne  nous  ont  été  conservées  que 
par  des  manuscrits  d'Afrique,  d'Egypte  ou  d'Orient. 
L'ère  qui  s'ouvre  avec  la  paix  de  l'Église  vit  se  re- 
former la  Bibliothèque  du  Saint-Siège.  Le  pape 
Damase,  soucieux  de  réparer  les  ruines  entassées 
par  les  persécutions  et  de  donner  à  la  Rome  chré- 
tienne sa  place  au  grand  jour,  fit  construire,  pour 
loger  la  bibliothèque  et  les  archives  reconstituées,  un 
vaste  édifice  dont  les  portiques  enveloppèrent  la  ba- 
silique qu'il  élevait,  non  loin  du  théâtre  de  Pompée, 
en  l'honneur  de  saint  Laurent  et  qui  garde  aujour- 
d'hui encore  le  nom  de  San  Lorenzo  in  Damaso , 
comme  Damase  le  souhaitait  : 

ARCllIlîIS  FATEOR  VOLVI  NOVA  CONDERE  TECTA 

ADDERE  PRAETFREA  DEXTRA  LAEVAQVE  COLVMNAS 

QVAE  DAMASI  TENEANT  l'ROPRIVM  l'ER  SAECVLA  NOMEN. 

C'est  là  sans  doute  que  furent  conservés  les  actes 
du  concile  romain  de  369,  que  souscrivirent  cent 
quarante-six  évéques  orientaux;  c'est  delà  que  saint 
Jérôme,  qui  fut  secrétaire  du  pape  Damase,  dut  «  ré- 
pondre aux  consultations  de  l'Orient  et  de  TOcci- 
dent  »  ;  c'est  là  ce  qu'il  appelle  le  «  chartrier  »  de  l'Ë- 
glise  romaine  [chartarium],  où  il  était  aisé,  selon  lui, 
de  venir  consulter  la  série  des  lettres  pontificales. 

Ce  dernier  détail  est  important  parce  qu'il  nous 
montre  qu'une  organisation  intérieure  des  services 
correspondit  à  l'installation  matérielle  dans  de  nou- 
veaux locaux. 

De  fait,  à  partir  de  ce  moment,  les  registres  ponti- 


I,A  BIBLIOTHEQUE  DU  TAPE  DAMASE.  173 

ficaux,  où  on  insérait  année  par  année  aussi  bien 
les  lettres  reçues  par  le  pape  que  celles  qu'il  écrivait 
lui-même  ou  que  les  pièces  relatives  aux  difTércnt(!S 
affaires  traitées,  nous  apparaissent  comme  bien  te- 
nus et  bien  gardés.  Au,  synode  réuni  à  Rome  en  531, 
le  pape  Boniface  II  pouvait  aisément  faire  recher- 
cher dans  les  archives  le  texte  authentique  d'une 
correspondance  du  pape  Damase,  et  il  ne  faut  pas 
oublier  que  c'est  avec  Sirice,  le  successeur  immédiat 
de  Damase,  que  commence  la  série  des  Décrétales 
réunies  à  Rome  même  par  Denys  le  Petit. 

On  sait  aujourd'hui  comment  travailla  ce  moine 
scytlie  qui  est  inscrit  en  tête  des  canonistes  latins  et 
qui  a  eu  l'honneur  de  fixer  la  première  année  de  l'ère 
chrétienne.  Venu  à  Rome  sous  le  pape  Anastase  II, 
il  n'a  pas  été  livré  à  ses  seules  forces.  Une  lettre  de 
lui  au  pape  Hormisdas  montre  quels  ont  été  ses 
rapports  avec  le  Saint-Siège  :  non  content  de  s'inté- 
resser à  ses  travaux,  le  pape  les  a  lui-même  dirigés. 
Aussi  faut-il  bien  admettre  que  la  collection  de 
Denys,  ainsi  composée  sous  les  auspices  mêmes  du 
pape,  a  été  faite  sur  les  originaux,  c'est-à-dire  sur 
les  registres  alors  conservés  dans  les  archives.  D'ail- 
leurs, dans  plusieurs  lettres  d'Innocent  I^',  qui  nous 
sont  parvenues  par  d'anciennes  collections  cano- 
niques, Frédéric  Maassen  a  relevé  divers  signes  qui 
ne  sauraient  provenir  que  du  registre  original  de  ce 
pape,  et  on  est  unanime  à  reconnaître  aujourd'hui. 
(]U('  nombre  de  pièces  du  cinquième  siècle  ne  nous 
ont  été  conservées  que  grâce  aux  registres  de  Zosime» 
de  Célestin  P"",  de  Léon  le  Grand  et  de  Gélase. 


10. 


174  LA  BIBLIOTHEQUE  YATICANE. 

II. 

LA    BIBLIOTHÈQUE   ET   LES   ARCHIVES   AU    LATRAN. 

Selon  toute  apparence,  la  bibliothèque  pontificale 
ne  demeura  pas  longtemps  dans  l'édifice  damasien. 
Comme  le  Latran  était  le  siège  de  radministratlon 
et  du  gouvernement  ecclésiastique,  il  était  naturel 
qu'on  désirât  y  avoir  sous  la  main  les  documents 
nécessaires  à  l'étude  des  questions  et  à  l'expédition 
des  affaires  ;  aussi  le  précieux  dépôt  du  chartrier  ro- 
main prit  bientôt  le  chemin  du  palais  pontifical.  A 
partir  du  septième  siècle  des  formules  du  Liber 
Dhirnus  en  font  foi),  quand  on  parle  de  la  Biblio- 
thèque du  Latran,  c'est  de  la  Bibliothèque  apostoli- 
que qu'il  est  question;  et  sous  ce  nom  de  «  Biblio- 
thèque »  les  archives  aussi  étaient  comprises,  si 
bien  que  le  dépôt  tout  entier,  en  raison  de  l'usage 
qu'on  en  faisait,  était  confié  aux  soins  des  notaires 
et  des  chanceliers,  chargés  de  la  rédaction  des  actes 
du  Saint-Siège. 

Du  commencement  du  septième  siècle,  les  archives 
pontificales  nous  ont  conservé  un  monument  insi- 
gne :  ce  sont  les  lettres  de  saint  Grégoire  le  Grand. 
Nous  ne  possédons  sans  doute  ni  l'original  ni  même 
une  copie  intégrale.  Nous  n'avons  que  deux  volumes 
d'extraits  que  le  pape  Hadrien  P'^  fît  faire  au  huitième 
siècle,  sur  le  registre  authentique,  et  cinquante-trois 
lettres  copiées  à  la  même  époque  par  Paul  Diacre 
pour  son  ami  Adalard,  abbé  de  Corbie.  La  critique 
moderne  a  fort  à  faire  pour  distribuer  entre  les  qua- 
torze indictions,  c'est-à-dire  les  quatorze  années  du 


LA  BIBLIOTHEQUE  ET  LES  ARCHIVES  AU  LATRAN.  175 

pontificat,  les  lettres  qui,  pèle-mèle,  nous  ont  été 
données  en  douze  livres,  sans  grand  souci  de  Tordre 
chronologique  que  le  registre  indiquait  cependant 
avec  tant  de  rigueur.  Mais  telles  ({u'clles  nous  sont 
parvenues,  elles  constituent  un  incomparable  trésor. 
Elles  éclairent  toute  une  époque  d'une  pleine  lumière 
et  font  revivre  jusque  dans  les  détails  la  tlgure  de 
ce  grand  pape  et  de  ses  contemporains.  Elles  nous 
renseignent  sur  la  Bibliothèque  pontificale  comme 
sur  bien  d'autres  choses;  elles  nous  apprennent,  par 
exemple,  qu'une  collation  minutieuse  du  très  ancien 
exemplaire  des  actes  du  concile  d'Éphèse,  conservé 
dans  la  Bibliothèque  du  Siège  apostolique,  fut  faite 
sur  Tordre  de  saint  Grégoire  et  que  cet  examen 
prouva  clairement  que  le  texte  tenu  par  les  Grecs 
pour  authentique  était  en  réalité  interpolé. 

La  Bibliothèque  est,  à  cette  époque,  très  souvent 
appelée  du  nom  de  scrinium  :  c'était  prendre  la  partie 
pour  le  tout,  car  le  moi  scrinium  désignait  un  coffre, 
d'une  fermeture  facile  et  sûre,  dans  lequel  on  met- 
tait à  l'abri  les  documents  d'importance.  Mais  ce 
nom  ne  doit  pas  faire  illusion  :  les  archives  du  Saint- 
Siège  n'étaient  nullement  tenues  secrètes.  Déjà  saint 
Jérôme  laissait  entendre  que  rien  n'était  plus  aisé 
que  d'aller  y  consulter  la  correspondance  pontificale, 
et  au  temps  de  Grégoire  le  Grand  on  ne  trouva  rien 
de  mieux,  pour  mettre  les  homélies  de  ce  pape  à  la 
portée  de  tous,  que  de  les  déposer  dans  le  scrinium 
de  la  sainte  Église. 

A  certains  indices,  on  pourrait  croire  que  bien 
peu  usaient  de  la  permission,  car  il  semble  avéré 
que  Tauteur  de  la  première  édition  du  Liber  ponlifi- 
ralis  (514-530),  qui  mentionne  pourtant  à  diverses 


176  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

reprises  YArchivum  ecclesise  Romanse,  «  a  vu  ce  dé 
pôt  plutôt  du  dehors  que  du  dedans  ».  M.  Tabbé 
Duchesne  estime  que  le  clerc  en  question  est  sans 
doute  demeuré  confiné  dans  la  section  des  Archives 
afférente  au  département  administratif  auquel  il 
était  attaché,  c'est-à-dire  au  vesliarium  ou  garde- 
meuble.  C'est  là  qu'il  a  trouvé,  réunies  déjà  en  une 
sorte  de  cartulaire,  les  chartes  de  fondations  pieuses 
et  les  états  des  largesses  faites  aux  églises  par  les 
papes  du  cinquième  siècle  et  du  commencement  du 
sixième;  cela  a  suffi  à  sa  curiosité. 

Les  actes  du  concile  tenu  à  Rome  en  649,  à  propos 
des  monothélites,  nous  donnent  une  idée  de  ce  qu'é- 
tait la  Bibliothèque  apostolique  à  cette  date  et  de 
l'usage  qu'on  en  faisait.  Elle  fut  mise  à  la  dispo- 
sition des  Pères  du  concile,  et  le  primicier  des 
notaires,  qui  en  avait  la  garde,  put  aisément  pro- 
duire à  la  réquisition  du  concile  les  documents  et 
les  volumes  dont  on  eut  besoin  au  cours  des  délibé- 
rations. La  rapidité  avec  laquelle  nous  voyons  le 
primicier  Théophylacte  satisfaire  aux  demandes,  alors 
même  qu'il  s'agissait  de  volumes  qui  n'étaient  pa^ 
d'un  usage  courant,  nous  prouve  que  la  Bibliothèque 
pontificale  était  alors  fort  bien  ordonnée  et  pourvue 
d'excellents  catalogues.  A  voir  les  raretés  qu'on  y 
trouvait,  rien  que  pour  la  littérature  dogmatique,  on 
peut  juger  de  ce  qu'elle  renfermait  dans  les  autres 
branches  de  la  science  ecclésiastique  et  du  savoir 
humain. 


LE  ROLE  DE  LA  lilBLIOTHEQUE  EN  OCCIDENT.      177 


III 


lE    ROLE   DE   LA    BIBLIOTUEOLE  APOSTOLIQUE  EN  OCCIDENT  ; 
LA    BIliLE    AMLVTLNE. 

Aussi  bien,  la  Bibliothèque  apostolique  constituait 
un  immense  réservoir  où  venait  s'alimenter  presque 
tout  l'Occident.  Les  missionnaires  qui  partaient  do 
Rome  pour  conquérir  au  Christ  de  nouveaux  royau- 
mes emportaient  avec  eux  les  Livres  Saints,  et  les 
chrétientés  naissantes  demandaient  au  Saint-Siège 
de  les  confirmer  dans  la  foi.  En  l'année  601,  à  ce 
que  nous  rapporte  Bède  le  Vénérable,  le  moine  Au- 
gustin, apôtre  de  l'Angleterre,  reçut  du  pape  (irégoire 
le  Grand  un  fonds  de  bibliothèque  pour  la  mission 
de  Canterbury,  et  l'Angleterre  montre  aujourd'hui 
avec  fierté  deux  évangéliaires  de  facture  latine,  l'un 
conservé  à  Oxford  et  l'autre  à  Cambridge,  qui  datent 
du  sixième  ou  du  septième  siècle,  et  dans  lesquels 
quelques-uns  se  plaisent  h  reconnaître  deux  des 
volumes  ainsi  remis  par  Grégoire  à  Augustin. 

Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  eût  aussi  entre  anciennes 
F^glises  des  demandes  et  des  échanges  de  manus- 
crits :  saint  Grégoire  envoyait  à  Alexandrie,  à  la 
prière  du  patriarche  Euloge,  une  copie  de  tout  ce 
que  le  scrinium  apostolique  et  les  autres  bibliothèques 
de  Rome  fournissaient  sur  les  actes  des  martyrs 
romains  :  et,  plus  tard,  l'évèque  de  Saragosse  de- 
mandait au  Saint-Siège,  au  nom  du  roi  wisigolh 
Cliindasvinde,  les  Mnralia  de  saint  Grégoire. 

Mais  le  grand  rùle  de  la  Bibliothèque  apostolique 
consistait  à  fournir  d'abord  de  bibles  et  d'évangé- 


178  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICA>E. 

Maires,  et  ensuite  d'ouvrages  de  tout  genre,  les  pays 
qui  naissaient  alors,  sous  l'action  immédiate  de  Rome, 
au  christianisme  et  à  la  civilisation.  Ces  Églises  nou- 
velles, fdles  de  l'Église  Romaine,  attendaient  du 
Saint-Siège  leur  initiation  à  la  science  comme  à  la 
foi.  Pour  elles,  la  Bibliothèque  apostolique  devenait 
une  sorte  d'atelier  où  les  copistes  ne  cessaient  de 
transcrire  les  monuments  de  l'antiquité  chrétienne 
et  de  l'antiquité  profane,  monuments  que  les  mis- 
sionnaires colportaient  ensuite  partout  où  l'éveil 
d'idées  nouvelles  faisait  naître  des  besoins  nouveaux. 
Les  demandes  étaient  telles,  qu'à  peine  on  y  pou- 
vait suffire.  Au  milieu  du  septième  siècle,  saint 
Âmand,  occupé  à  évangéliser  la  Frise,  demandait 
au  Saint-Siège  des  manuscrits,  et  le  pape  était  con- 
traint de  lui  répondre  que,  la  provision  de  volumes 
destinés  aux  pays  de  mission  se  trouvant  épuisée, 
il  lui  fallait  quelque  temps  pour  faire  exécuter  des 
copies  nouvelles. 

Il  suffit  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  le  rapide  déve- 
loppement de  la  civilisation  en  Angleterre  à  la  suite 
de  la  prédication  d'Augustin  et  des  fondations  de 
Théodore,  pour  comprendre  quelle  influence  a  eue 
sur  les  Anglo-Saxons  l'infusion  de  la  culture  latine 
importée  par  les  manuscrits  venus  d'outre-mer.  Le 
représentant  par  excellence  de  cette  civilisation  an- 
glo-saxonne, initié  si  fortement  à  l'étude  de  l'anti- 
quité qu'il  peut  paraître  lui-même  presque  un  ancien, 
le  vénérable  Bède,  nous  a  laissé  sur  l'importation 
en  Angleterre  des  manuscrits  romains  des  détails 
qui  sont  à  retenir. 

Il  a  passé  toute  sa  vie  dans  les  monastères  de 
Wearmouth  et  de  Jarrow,  et  cependant  il  a  pu  se 


LE  ROLE  DE  LA  BIBLIOTHEQUE  EN  OCCIDENT.      17<J 

procurer,  pour  les  insérer  dans  ses  œuvres,  des  do- 
cuments tirés  des  archives  du  Saint-Siège.  Les  mo- 
nastères où  s'est  écoulée  toute  son  existence  étaient 
lort  bien  pourvus  en  manuscrits  de  tout  genre,  puis- 
qu'ils  ont  sufli   à  la  culture   encyclopédique   d'un 
homme  comme  Bède,  et  lui-même  il  nous  a  indiqué 
à  quelle  source  s'alimentait  la  riche  bibliothèque  de 
ces  couvents.  Dans  le  récit  qu'il  nous  a  laissé  de  la 
vie  de  leur  fondateur,  l'abbé  Benoit,  il  nous  raconte 
qu'après  avoir,  sur  l'ordre  du  pape,  accompagné  de 
Rome  en  .\ngleterre  l'archevêque  Théodore,  Benoît 
avait  fait  ensuite  cinq  fois  le  voyage  de  Rome,  et 
chaque  fois  il  avait  rapporté  de  Rome  en  Angleterre 
non  seulement  beaucoup  de  livres  théologiques  mais 
encore   beaucoup   d'autres   ouvrages,  qui,   au    dire 
de  Bède,  étaient  pour  la  plupart  des  présents  du 
Saint-Siège.    Parmi  toutes  ces  richesses   figuraient 
des  manuscrits  ornés  de  miniatures  qui  initièrent 
l'Angleterre  à  l'art  romain,  et  Bède  signale  en  particu- 
lier cette  concordance  figurée  de  l'Ancien  et  du  Nou- 
veau Testament  qui  devait  avoir  au  moyen  âge  une  si 
grande  fortune  sous  le  nom  de  «  Bible  des  pauvres  ». 
La  très  belle  bibliothèque  ainsi  constituée  par  ces 
apports  successifs  de  manuscrits  romains,    Benoit 
ordonna  de  la  garder  intacte  :  c'était  un  puissant 
instrument  de  culture  intellectuelle,  qui  ne  tarda  pas 
à  produire  d'admirables  fruits.  La  Northumbrie  uti- 
lisa le  trésor  qu'on  lui  apportait;  il  se  forma  à  York, 
sous  un  élève  de  Bède,  une  école  bien  vite  tloris- 
sanle,  et  c'est  de  celte  école  que  sortit  Alcuin,  en  qui 
nous  saluons  non  pas  seulement  un  représentant, 
mais  bien  le  véritable  initiateur  de  la  renaissance 
carlovingienne.  Quand  Alcuin  établit  à  Tours  la  ce- 


180  LA  BIBLIOTHEQUE  YATICANE. 

lèbre  école  qui  devint  le  centre  intellectuel  de  Tem- 
pire,  c'est  à  York  qu'il  demanda  les  maîtres  et  les 
manuscrits  dont  il  avait  besoin,  et  c'est  ainsi  que  les 
Bibles  d'Alcuin  dérivent  des  Bibles  anglo-saxonnes, 
comme  ses  calligraphes  des  calligraphes  anglo-sa- 
xons. York  était  dépositaire  du  flambeau  dont  la  lu- 
mière rayonna  sur  toute  l'Europe  occidentale;  or, 
ce  flambeau  c'était  à  Rome,  c'était  à  la  Bibliothèque 
du  Saint-Siège  qu'il  s'était  allumé. 

Un  des  faits  saillants  et  tout  à  fait  caractéristiques 
de  l'histoire  de  la  civilisation  au  moyen  âge,  c'est  assu- 
rément le  rôle  actif  d'agents  du  Saint-Siège  joué  par 
les  Anglo-Saxons.  Les  conséquences  en  furent  nom- 
breuses et  graves.  Le  grand  apôtre  de  la  Germanie, 
saint  Boniface,  est  un  produit  de  cette  civilisation 
anglo-saxonne  qui  s'était  alimentée  aux  sources  ro- 
maines, et  l'école  fondée  par  lui  à  Fulda  avec  des 
éléments  anglo-saxons  —  école  d'où  sortirent  des 
hommes  comme  Éginard,  Raban  Maur,  Walafrid  Stra- 
bon  —  fut  le  centre  d'où  la  culture  se  répandit  dans 
toute  l'Allemagne.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  si 
durant  de  longues  années  on  peut  suivre  dans  la  lit- 
térature de  cette  région  rhénane  (où  paraît  s'être 
réfugiée,  à  partir  du  neuvième  siècle,  la  vie  intellec- 
tuelle de  l'Empire  disloqué),  les  traces  indéniables 
d'un  courant  venu  de  Rome  à  travers  l'Angleterre.  A 
elles  seules  les  collections  canoniques  en  font  foi. 

L'histoire  de  la  Bible  Amiatine  précise  admirable- 
ment le  rôle  de  la  Bibliothèque  apostolique  à  l'ori- 
gine de  ce  grand  mouvement. 

Céolfrid,  successeur  de  l'abbé  Benoît,  marcha  sur 
ses  traces.  Nous  savons,  par  Bède,  qu'il  doubla,  grâce 
à  de  fréquents  voyages  à  Rome  d'où  il  revint  porteur 


LE  ROLE  DE  LA  BIBLIOTHEQUE  EN  OCCIDENT.      181 

des  libéralités  pontificales,  la  bibliothèque  des  mo- 
nastères de  Wearmoulh  et  de  Jarrow,  et  une  biogra- 
phie anonyme  récemment  découverte  au  Britisii  Mu- 
séum nous  apprend  qu'il  parvint  assez  vite  à  mettre 
ses  moines  en  état  de  profiter  du  trésor  ainsi  créé.  Il 
réussit  à  faire  exécuter  sous  ses  yeux  trois  magnifi- 
([ues  exemplaires  de  la  Bible  hiéronymienne,  dont 
deux  furent  données  aux  églises  des  deux  couvents, 
et  dont  le  troisième  fut  destiné  par  Céolfrid  à  être 
offert  en  présent  à  saint  Pierre,  pour  témoigner  que 
les  bienfaits  de  TApùtre  avaient  porté  leurs  fruits. 
Céolfrid  se  mit  en  route  vers  Rome,  pour  déposer  lui- 
même  son  offrande  sur  la  Confession,  mais  il  mourut 
en  chemin  et  ce  furent  ses  compagnons  qui  accompli- 
rent son  pieux  dessein. 

Cet  exemplaire  de  la  Bible  offert  à  TApôtre  par  TAn- 
gleterre  reconnaissante  existe  encore.  C'est  le  seul 
échantillon  qui  nous  reste  des  collections  apostoli- 
ques antérieures  au  huitième  siècle,  mais  depuis 
longtemps  il  a  cessé  de  faire  partie  de  la  Bibliothèque 
pontificale.  Transporté  de  bonne  heure  au  monastère 
de  Monte  Amiata,en  Toscane,  dans  des  circonstances 
qui  nous  échappent,  il  est  passé  au  XVIII^  siècle 
dans  la  bibliothèque  Laurentienne  de  Florence.  C'est 
la  Bible  célèbre  depuis  quatre  siècles  sous  le  nom  de 
Bible  Amiatine. 

Le  frontispice  de  ce  précieux  volume  porte  une  dé- 
dicace, mais,  pendant  le  séjour  du  manuscrit  au  Monte 
Amiata,le  texte  de  cette  dédicace  a  été  profondément 
altéré;  au  nom  du  donateur  on  a  substitué  un  autre 
nom,  et  il  a  fallu  toute  la  sagacité  de  M.  de  Rossi 
pour  restituer  le  nom  de  Céolfrid  et  rétablir  le  texte 
primitif  de  l'épigraphe. 

LE   VATir.V».    —   II.  11 


182  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

Cette  magnifique  découverte  a  été  pleinement  con- 
firmée par  un  passage  de  la  biographie  anonyme 
dont  nous  parlions  tout  à  l'heure;  maintenant  on 
peut  lire  en  toute  certitude  la  dédicace  composée  par 
Céolfrid  et  que  voici  : 

Corpus  ad  eximii  merito  venerabile  Petii 
Quem  caput  Ecclesiaî  dedicat  alta  fides 
Ceolfridus  Anglorum  extremis  de  finibus  abbas 
Devota  affectus  pignora  mitto  mei . 

Le  volume  offert  à  saint  Pierre  par  l'abbé  saxon 
est  d'une  grande  importance  pour  l'établissement  du 
texte  hiéronymiende  la  Bible.  Les  correcteurs  del'édi- 
tion  Sixtine  l'ont  préféré  à  tous  les  autres  manuscrits 
et  en  cela  ils  ont  fait  preuve  d'un  sens  critique  auquel 
rendent  hommage  les  éditeurs  modernes  de  la  Vul- 
gate  tel  que  Vercellone,  Tischendorf  et  Wordsworth. 
De  fait,  on  reconnaît  en  lui  des  signes  non  équivoques 
de  parenté  avec  la  Bible,  aujourd'hui  perdue,  qui 
avait  été  donnée  par  Cassiodore  au  monastère  de  Vi- 
varia,  dans  la  première  moitié  du  sixième  siècle,  et 
cela  n'a  rien  qui  nous  puisse  surprendre.  La  Bible 
(ie  Céolfrid  était  moins  une  importation  étrangère 
qu'une  transcription  saxonne  d'un  texte  romain.  Elle 
représentait  ces  livres  saints  autrefois  donnés  par  le 
Saint-Siège  à  Céolfrid  et  à  Benoît. 

L'étroite  parenté  de  la  Bible  Âmiatine  avec  la  Bible 
d'Alcuin  témoigne  du  rôle  capital  qu'ont  eu  dans  la 
transmission  des  Ecritures  (et  vraisemblablement 
dans  la  tradition  manuscrite  de  maint  autre  livre)  les 
textes  fournis  par  la  Bibliothèque  apostolique  à  l'An- 
gleterre chrétienne. 

Si  le  don  de  Céolfrid  était  destiné  «  à  la  Confes- 


LE  IIOLE  DE  LA  RIHLIOTHEQUE  EN  OCCIDENT.      183 1 

sion  »  de  Saint-Pierre,  ce  n'est  pas  que  l'ancienne 
Bibliothèque  du  Latran  eût  cessé  d'exister.  Le  Liber 
Pontifiriilis  mentionne  en  détail  les  travaux  d'embel- 
lissement exécutés  sous  le  pape  Zacharie  au  scriniiun 
Laleranense  ;  c'est  assurément  dans  ce  même  scrinium 
qu'en  l'année  730  l'Anglo-Saxon  Nothelme  avait  été 
admis  par  le  pape  à  consulter  les  lettres  de  saint 
Grégoire  et  de  ses  successeurs,  et  c'est  là  que  plus 
tard  le  pape  Hadrien  I'''  fit  déposer  les  actes  authen- 
tiques du  second  concile  de  Nicée,  avec  traduction  , 
latine. 

Mais  depuis  longtemps  l'usage  s'était  introduit  de 
conserver  auprès  de  la  Confession  le  texte  des  enga- 
gements qu'on  prenait  envers  l'Apôtre,  tels  que  les 
professions  de  foi  des  papes  et  des  évèques,  les 
donations  faites  à  saint  Pierre,  les  cautions  des  ad- 
ministrateurs de  son  patrimoine  :  le  présent  de  Céol- 
frid  était  avant  tout  un  témoignage  de  reconnais- 
sance et  de  dévotion  ù  l'Apôtre,  et  c'est  pour  cela 
qu'il  avait  été  destiné  au  tombeau  du  saint. 

Le  cardinal  Pitra,  dressant  la  liste  de  ceux  qui  l'a- 
vaient précédé  dans  la  charge  de  bibliothécaire  de  la 
sainte  Ëglise,  fait  remonter  à  la  fin  du  septième  siècle 
(au  pontificat  de  Serge)  l'apparition  d'un  fonction- 
naire spécialement  chargé  du  soin  de  la  Bibliothè- 
que, fonctionnaire  d'abord  subordonné  au  primicier 
des  notaires,  puis  complètement  indépendant  et 
choisi  le  plus  souvent  parmi  les  plus  hauts  digni- 
taires du  clergé  romain.  Cette  institution  semble 
bien  indiquer  la  très  grande  importance  de  la  Bi- 
bliothèque à  ce  moment-là.  De  fait,  nous  voyons  le 
Saint-Siège  continuer  à  jouer  activement  le  rôle  d'é- 
diteur et  de  commissionnaire  en  manuscrits.  Livres 


184  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICAXE. 

grecs  et  latins,  auteurs  sacrés  et  profanes,  partent 
de  Rome  pour  tout  l'Occident. 

Lorsque,  grâce  à  saint  Boniface,  la  dynastie  carlo- 
vingienne  se  fut  tournée  vers  le  Saint-Siège,  c'est  à 
Rome  qu'elle  demanda  les  livres  nécessaires  pour  la 
réforme  et  l'éducation  du  clergé  franc.  En  "57,  le 
pape  Paul  P""  envoyait  à  Pépin,  outre  un  antipho- 
naire  et  un  liber  responsalis,  une  collection  d"auteur.s 
grecs,  un  traité  de  géométrie,  d'orthographe  et  de 
grammaire,  les  écrits  de  Denys  l'Aréopagite  et  la 
Grammaire  d'Aristote.  Avec  Charlemagne,  les  envois 
continuent  :  ce  sont  des  antiphonaires  avec  notation 
musicale  qu'on  adresse  aux  principales  églises  fran- 
ques,  et  le  Saint-Siège  pousse  si  loin  la  générosité 
en  la  matière,  que  plus  tard  Grégoire  IV  se  trouvera 
complètement  démuni  de  livres  de  ce  genre  et  n'aura 
plus  sous  la  main  un  seul  exemplaire  pour  satisfaire 
aux  demandes  de  Louis  le  Pieux;  ce  sont  des  ou- 
vrages liturgiques,  et  particulièrement  des  sacra- 
mentaires;  c'est  la  fameuse  collection  canonique 
connue  sous  le  nom  de  collectio  Hadriana,  dont  la 
préface  proclame  l'origine  romaine  et  apostolique. 
Hildebald,  archevêque  de  Cologne,  fait  copier  pour 
son  église  des  manuscrits  qu'il  a  reçus  de  Rome,  et 
vers  l'année  855  Loup  de  Ferrières  demande  au 
pape  Benoit  III  de  lui  envoyer  le  commentaire  de 
saint  Jérôme  sur  Jérémie,  le  De  oratore  de  Cicéron, 
l'Institution  oratoire  de  Quintilien,  le  commentaire 
de  Donat  sur  Térence,  s'engageant  à  restituer  fidèle- 
ment tous  ces  volumes  dès  qu'il  les  aura  fait  trans- 
crire. 

D'autre  part,  on  continuait  à  offrir  au  Saint-Siège 
des  manuscrits  —  surtout  des  manuscrits  liturgi- 


L\  BIBLIOTHEQUE  DU  LATRAN.  185 

ques  —  qui  étaient  comme  un  hommage  rendu  à 
sa  divine  mission.  L'usage  en  devint  si  général,  que 
plusieurs  monastères  censiers  de  TÉglise  Romaine 
s'engagèrent  à  fournir  au  Saint-Siège,  à  certaines 
échéances,  un  ou  plusieurs  livres  liturgiques  en  guise 
de  cens  :  l'abbé  de  Reichenau,  par  exemple,  devait, 
lors  de  son  sacre,  envoyer  au  Latran  un  sacramen- 
taire,  un  livre  des  Ëpitres  et  un  évangéliaire. 

C'est  au  temps  du  pape  Jean  VIII  que  se  manifes- 
tent les  derniers  signes  de  l'activité  littéraire  dont  la 
Bibliothèque  apostolique  avait  été  si  longtemps  le 
théâtre.  Le  grec  et  le  latin  y  étaient  encore  en  hon- 
neur. La  Vie  de  saint  Grégoire  le  Grand  y  a  été  écrite 
par  Paul  Diacre  sur  des  documents  tirés  des  Archives 
et  on  devine  quelle  a  été  la  contribution  de  la  Bi- 
bliothèque aux  travaux  qui  ont  rendu  célèbre  le  nom 
d'Anastase  le  Bibliothécaire. 


IV 

LA  BMILIOTHÈOUE  DU  LATRAN  ET  l'ccl  VRE  DE  GRÉGOIRE  VII. 

Mais  de  toutes  les  richesses  accumulées  à  ce  mo- 
ment-là dans  les  collections  du  Saint-Siège  à  peu 
près  rien  n'est  resté.  Pas  un  seul  des  manuscrits  qui 
figuraient  au  huitième  siècle  dans  la  Bibliothèque 
pontificale  ne  paraît  avoir  échappé  à  la  destruction. 
Les  recherches  faites  à  ce  sujet  par  M.  de  Rossi  sem- 
hlent  décisives.  Quelques  rares  lectionnaires  ou  pas- 
sionnaires  subsistent,  des  iiuitièine,  neuvième  et 
«lixième  siècles,  qui  ont  été  en  usage  dans  l'Église 
MU  les  églises  de  Rome,  et  c'est  tout.  La  Bible  de 


186  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

Céolfrid  n"a  échappé  que  parce  qu'elle  a  trouvé  un 
asile  à  Monte  Amiata,  la  Bible  de  Saint-Paul  n'a  été 
sans  doute  épargnée  que  parce  qu'elle  était  enfermée 
dans  le  Trésor  de  la  basilique,  et,  dans  la  collection 
pontificale  d'aujourd'hui,  il  n'y  a  vraisemblablement 
d'autres  débris  des  collections  anciennes  que  le  petit 
formulaire  connu  sous  le  nom  de  Liber  Duirmis  : 
encore  n'est-il  rentré  aux  archives  qu'au  siècle  der- 
nier, après  bien  des  vicissitudes. 

Le  pontificat  de  Grégoire  VII  a  vu  tout  au  moins 
la  fin  de  cette  première  dispersion,  et  il  est  permis 
de  penser  que  l'horrible  dévastation  promenée  par 
Robert  Guiscard  sur  tout  le  quartier  du  Latran 
n'est  pas  étrangère  à  cette  ruine  lamentable. 

Une  collection  canonique  contemporaine  de  Gré- 
goire VII,  la  collection  du  cardinal  Deusdedit,  con- 
tient un  précieux  chapitre  sur  les  droits  temporels 
du  Saint-Siège.  La  source  d'oîi  proviennent  chacune 
des  mentions  insérées  dans  ce  chapitre  est  soigneu- 
sement indiquée,  et  on  peut  aisément  suivre  le  com- 
pilateur dans  ses  recherches  à  travers  la  Bibliothè- 
que et  les  Archives  de  l'Église  Romaine. 

Il  nous  conduit  d'abord  à  la  bibliothèque  du  Latran, 
et  il  nous  montre  là  des  rouleaux  de  papyrus  itomi 
charticïi),  sur  lesquels  se  lisait  extérieurement  le 
nom  de  divers  papes  des  neuvième,  dixième  et  on- 
zième siècles.  Ces  rouleaux  étaient  les  minutes  des 
actes  de  location  consentis  par  le  Saint-Siège,  et  plu- 
sieurs se  trouvaient  en  si  mauvais  état,  qu'il  était  à 
peu  près  impossible  d'y  rien  lire,  si  bien  quo  la  fra- 
gilité de  la  matière  employée  pour  la  rédaction  des 
actes  par  la  chancellerie  pontificale  jusqu'au  com- 
mencement du  onzième  siècle  est  un  élément  dont  il 


LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  LATBAN.  t87 

faut  tenir  compte  pour  expliquer  la  disparition  de 
bien  des  documents.  Mais  les  archives  du  Latran  ne 
sont  pas,  à  ce  moment-là,  réunies  tout  entières  dans 
le  «  palriarch'ium  Lateranense  ».  Si  nous  suivons 
notre  guide,  il  nous  mène  fsans  nous  avertir  que 
nous  sortons  de  la  Bibliothèque  apostolique;  dans 
une  autre  section  des  archives,  conservée  celle-là 
dans  une  tour  qu'on  appelait,  à  cause  de  son  contenu, 
la  Tour  du  Chartrier  {Turris  charlularia,.  Cette  tour 
faisait  vraisemblablement  partie  du  palais  construit 
entre  le  Palatin  et  la  Voie  Sacrée  par  le  pape 
Jean  VII,  à  la  fin  du  septième  siècle.  C'était  une  sorte 
de  donjon,  dans  lequel  les  papes  ont  trouvé  à  di- 
verses reprises  un  refuge  pour  leurs  personnes  au 
milieu  des  factions  qui  ensanglantaient  la  ville.  11 
était  naturel,  par  conséquent,  qu'on  y  mit  à  l'abri 
les  anciens  titres  du  Saint-Siège;  mais  cela  même 
suffit  à  indiquer  dans  quelles  conditions  précaires  se 
trouvait  alors  la  Bibliothèque. 

Pourtant  les  registres  des  anciens  papes  subsis- 
taient encore  :  notre  compilateur  trouva  dans  la  Bi- 
bliothèque du  Latran  les  registres  d'Honorius  I",  de 
Grégoire  II,  de  Zacharie,  et,  selon  toute  apparence, 
c'est  vers  le  même  temps  qu'on  empruntait  à  de  très 
vieux  registres,  comme  ceux  de  Gélase  1'%  de  Pelage  l""" 
et  de  Pelage  II,  les  fragments  dont  on  s'est  servi  pour 
la  collection  canonique  signalée  en  IHH'.i  par  M.  Paul 
Ewald  au  British  Muséum. 

Mais  le  chapitre  de  Deusdedit  que  nous  venons 
d'analyser  n'a  certainement  pas  été  composé  par  lui  : 
il  l'a  inséré  tel  quel  dans  sa  collection.  Ce  n'est  pas 
que  le  chapitre  en  question  soit  beaucoup  plus  an- 
cien ;  dans  la  forme  sous  laquelle  il  nous  est  donné,  il 


188  LA  BIBLIOTHÈQUE  YATICANE. 

ne  remonte  pas  au  delà  du  pontificat  de  Grégoite  VII  ; 
mais  les  renseignements  qu'il  fournit  ont  été  em- 
pruntés aux  archives  avant  la  fin  de  ce  pontificat, 
c'est-à-dire  avant  l'incendie  de  tout  le  quartier  du  La- 
tran  par  les  Normands  de  Guiscard.  Après  cet  affreux 
ravage,  personne  désormais  ne  citera  les  mêmes  do- 
cuments pour  les  avoir  directement  compulsés.  Au 
douzième  siècle,  le  plus  ancien  registre  que  l'on  con- 
naisse est  celui  d'Alexandre  II,  prédécesseur  immé- 
diat de  Grégoire  VII;  encore  ce  registre  avait-il  été 
mis  en  sûreté  hors  de  Rome  et  commis  à  la  garde 
des  moines  du  Mont  Soracte,  chez  qui  on  le  con- 
sultait. 

Heureusement,  avant  qu'une  telle  perte  fût  infligée 
au  Saint-Siège,  toute  une  littérature,  née  à  la  voix 
de  Grégoire  VII,  avait  pu  mettre  à  profit  une  partie 
de  ce  trésor.  Grégoire  «  avait  pressé  Pierre  Damien 
de  parcourir  les  actes  et  décrets  des  pontifes  romains 
pour  en  extraire  tout  ce  qui  concernait  l'autorité  du 
Saint-Siège,  de  manière  à  former  avec  ces  extraits  un 
volume  assez  court  qu'on  pût  facilement  répandre  ». 
A  défaut  de  Pierre  Damien,  d'autres  collaborateurs 
se  rencontrèrent,  qui,  dans  sa  lutte  contre  les  préten- 
tions impériales,  fournirent  à  ce  grand  pape  les  armes 
dont  il  avaitbesoin.  Ils  affirmèrent  les  droits  impres- 
criptibles de  l'Église  romaine,  sa  primauté  dans  l'or- 
dre spirituel,  son  indépendance  dans  le  domaine 
temporel.  A  côté  de  manuels  comme  la  colleclion  ca- 
nonique en  soixante-quatorze  titres  dite  :  «(  Diverso- 
rum  se7iientise  patrum  »,  récemment  mise  en  lumière 
par  M.  Paul  Fournier,  collection  qui  joua  un  rùh» 
important  dans  la  grande  œuvre  de  la  réforme  ecclé- 
siastique, il  y  eut  des  traités,  originaux  par  certains 


LV  BIBLIOTHEQUE  DU  LATRAN.  m 

(•(■)tés,  comme  ceux  de  Bonizon  de  Sutri,  d'Anselme 
•  le  Lucques,  deDeusdedit,  dont  les  auteurs  ne  se  con- 
tentèrent point  d'utiliser  les  collections  antérieures; 
recherchant  à  l'envi  les  titres  du  Saint-Siège  pour  les 
opposer  aux  envahissements  des  empereurs,  ils  dé- 
pouillèrent les  registres  originaux.  Bonizon  semble 
avoir  connu  les  registres  des  papes  Gélase,  Vigile, 
.Jean,  Pelage,  Eugène,  Grégoire  III,  Hadrien,  Paschal 
et  Nicolas,  et  il  nous  apporte  un  texte  trop  peu  re- 
marqué du  privilège  de  Louis  le  Pieux  en  faveur  du 
Saint-Siège;  outre  le  chapitre  que  nous  analysions 
plus  haut  et  qui  provient  tout  entier  des  anciennes 
archives,  Deusdedit  a  tiré  des  registres  de  Gélase  et 
«le  Pelage  des  citations  qui  décèlent  nettement  leur 
origine;  enfin,  Anselme  de  Lucques  paraît  avoir  eu 
encore  sous  les  yeux  le  registre  authentique  de  saint 
Grégoire,  dont  il  cite  intégralement  des  titres  et  des 
suscriptions  qui  ne  sont  donnés  qu'incomplètement 
dans  le  registre  tel  qu'il  nous  est  parvenu,  et  lui  aussi 
a  formé  une  sorte  de  recueil  des  privilèges  impériaux 
trouvés  dans  les  archives. 

Ces  livres,  écrits  sous  l'inspiration  de  Grégoire  VII, 
ont  sauvé  une  partie  des  anciens  titres  du  Saint-Siège. 
C'est  grâce  à  eux  que  le  droit  ecclésiastique  a  pris 
corps;  c'est  par  eux  que  s'est  affirmée  l'indépendance 
temporelle  de  l'Église  romaine;  ce  sont  eux  qui  ont 
posé  les  bases  de  la  souveraineté  pontificale. 

Cent  ans  plus  tard,  les  défenseurs  des  prérogatives 
du  Saint-Siège  trouvent  bien  dans  les  archives  de 
(juoi  marquer  les  progrès  de  la  puissance  pontificale 
au  cours  du  douzième  siècle;  mais,  pour  les  siècles 
antérieurs,  ils  en  sont  réduits  à  puiser  dans  les  collec- 
tions de  Bonizon  et  de  Deusdedit.  LecamérierCencius, 

M. 


190  LA  BIBLIOTHEQUE  YATICANE. 

qui,  en  1192,  consignait  sur  un  registre  officielle  dé- 
tail des  temporalités  du  Saint-Siège,  ne  peut,  pour 
tout  ce  qui  remonte  au  delà  du  pontificat  d'Urbain  II, 
que  s'en  rapporter  au  témoignage  de  ses  devanciers 
grégoriens.  Ce  qui  fait  son  originalité,  c'est  qu'il  les 
complète  en  les  continuant.  Il  connaît  à  merveille  les 
archives  qui  se  sont  reformées  depuis  la  ternpète  qui 
a  emporté  les  anciens  titres,  et  il  met  ces  nouvelles 
archives  à  contribution  :  il  compulse  et  dépouille  les 
registres  de  tous  les  papes  depuis  Urbain  II.  Élevé 
lui-même,  sous  le  nom  d'Honorius  III,  au  souverain 
pontificat,  il  cite  encore  avec  amour  des  documents 
extraits  des  registres  du  douzième  siècle;  de  ses  an- 
ciennes fonctions,  il  a  gardé  le  sens  très  net  de  la 
force  que  le  pontificat  pouvait  tirer  de  la  tradition 
emmagasinée  dans  les  archives,  et  il  s'est  soigneuse- 
ment référé  aux  actes  de  ses  prédécesseurs. 


LES  PAPES    DU    TREIZIÈME    SIÈCLE. 

Mais  ces  archives,  que  la  vie,  bien  agitée  pourtant, 
des  papes  du  douzième  siècle  avait  peu  à  peu  recons- 
tituées par  le  jeu  normal  de  la  chancellerie,  allaient 
bientôt  disparaître  dans  un  nouveau  désastre.  Hono- 
rius  III  est  le  dernier  pape  qui  les  ait  eues  à  sa  dis- 
position. A  travers  le  douzième  siècle,  la  vieille  tour 
cartulaire  avait  plus  d'une  fois  otïèrt  un  asile  aux 
pontifes  menacés  par  les  factions  et  c'est  sans  doute 
dans  ce  donjon,  qui  était  pour  les  papes  d'alors  ce 
que  sera  pour  leurs  successeurs  le  château  Saint- 


LES  PAPES  DU  TREIZIEME  SIECLE.  191 

Ange,  que  furent  aussi  tenus  à  Tabri  les  actes  du 
Saint-Siège.  Tel  était  le  malheur  des  temps,  que  les 
précautions  prises  pour  sauver  les  registres  pontin- 
caux  amenèrent  leur  perte.  Les  «  châtelains  »  du 
Saint-Siège  étaient  alors  les  Frangipani,  et  c'est  à  eux 
qu'était  confiée  la  principale  forteresse  que  le  pape 
eût  dans  Rome.  Or,  après  la  mort  d'HonoriusIll,  les 
Frangipani  passèrent  au  parti  de  Frédéric  II,  et  livrè- 
rent aux  Annibaldi,  impériaux  forcenés,  toutes  les 
défenses  quils  tenaient  au  nom  du  Saint-Siège  entre 
le  Colisée  et  le  Palatin.  Ce  fut  la  ruine  di-finitive  de? 
anciennes  archives. 

Heureusement,  dès  le  commencement  de  son  ponti- 
ticat,  Innocent  III  avait  établi  ailleurs  sa  chancellerie 
ses  registres  et  ceux  de  son  successeur,  conservés 
dans  les  nouveaux  locaux  du  Vatican,  échappèrent 
au  désastre,  et  c"est  ainsi  qu'a  pu  se  former,  à  par- 
tir d'Innocent  III,  une  nouvelle  série  de  registres,  la 
seule  qui  subsiste  aujourd'hui,  série  que  nous  pos- 
sédons à  peu  près  intacte  pour  les  quatre  siècles 
([ui  s'écoulèrent  jusqu'au  jour  où  l'établissement  des 
Congrégations  par  Sixte-Quint  mit  fin  à  l'ancien  mode 
d'enregistrement.  Presque  à  sanaissance,  elle  a  fourni 
à  Raymond  de  Pennafurt  les  principaux  matériaux 
"le  la  célèbre  collection  de  Décrétales  solennellement 
publiée  par  Grégoire  IX  en  1^34  et  qui  pourrait  s'ap- 
peler en  droit  canon  «  le  Code  (îrégorien  ». 

Qudques  rares  documents  de  l'époque  antérieure 
survécurent.  Ce  furent,  pour  la  plupart,  des  chartes 
relatives  au  domaine  temporel  du  Saint-Siège,  qui, 
rn  majorité,  sont  venues  jusqu'à  nous.  Quelques-unes 
lesmoins  importantes  avaient  sans  doute  trouvé  asile 
'lans  les  bureaux  de  la  Chambre  apostolique  installés 


192  LA  BIBLIOTHEQUE  YATICANE. 

par  Innocent  III  au  Vatican  ;  d'autres,  qui  contenaient 
des  donations  impériales  ou  royales,  des  concessions 
de  terre  ou  d'argent  au  Saint-Siège,  avaient  été  pro- 
bablement préservées  dans  les  armoires  établies  tout 
autour  de  la  Confession  de  l'Apôtre;  parmi  elles  figu- 
raient un  certain  nombre  de  parchemins  bleus  ou 
pourpres,  écrits  en  lettres  dor  ou  d'argent,  tel  que 
le  célèbre  diplôme  d'Othon,  récemment  étudié  par 
M.  de  Sickel;  quatre-vingt-onze  de  ces  documents, 
transcrits  par  ordre  d'Innocent  IV  en  plusieurs  exem- 
plaires, composés  chacun  de  dix-sept  feuilles  ou  «  rou- 
leaux »  séparés  de  parchemin,  furent  vidimés  le  17 
juillet  1245  par  les  Frères  du  concile  de  Lyon.  Un  de 
ces  exemplaires,  demeuré  en  France,  est  devenu  cé- 
lèbre sous  le  nom  de  «  Rouleaux  de  Cluny  »  ;  il  était 
encore  complet  en  1775,  lorsque  Lambert  de  Barive 
en  prit  copie,  mais  des  dix-sept  rouleaux  primitifs 
un  seul  subsiste  aujourd'hui  (Bibl.  Nat.,  n»  8989). 
Quant  aux  Archives  Vaticanes,  elles  n'ont  conservé  en 
original  que  sept  des  rouleaux  de  la  série. 

Après  la  lamentable  ruine  de  l'ancienne  Bibliothè- 
que, les  papes  se  préoccupèrent  d'empêcher  le  retour 
d'un  pareil  désastre.  Les  li^Tes  nécessaires  à  la  curie 
pour  l'étude  et  l'expédition  des  affaires  n'eurent  plus 
désormais  le  caractère  d'un  dépôt  fixe.  La  nouvelle 
bibliothèque  fut,  pour  ainsi  dire,  mobilisée,  et  suivit 
le  pape  dans  tous  ses  déplacements.  Elle  devint  une 
partie  de  ce  qu'on  appelait  «  le  Trésor  »,  c'est-à-dire 
de  cet  ensemble  d'objets  très  variés  que  le  pape  con- 
duisait partout  avec  lui  et  où  il  devait  trouver  tout  ce 
qui  était  nécessaire  à  l'exercice  de  ses  hautes  fonc- 
tions. Au  reste,  la  conception  n'était  pas  particulière 
à  Rome;  les  rois  de  France  n'en  usaient  pas  autre- 


LES  PAPES  DU  TREIZIEME  SIECLE.  W.i 

ment.  Mais  ce  caractère  ambulant  n'était  guère  favo- 
rable à  l'extension  ni  même  à  la  conservation  de  la 
bibliothèque  pontificale  :  les  livres  que  trouvait  Boni- 
face  VIII  lors  de  son  avènement,  en  1295,  ne  consti- 
tuent pas  une  collection  de  bien  jurande  importance, 
et  l'inventaire  dressé  quelques  années  plus  tard  à 
Pérouse  (où  la  bibliothèque  avait  suivi  Benoît  XI  et 
où  elle  était  demeurée  après  sa  mort)  accuse  de  re- 
grettables pertes,  à  cùlé  d'insignifiantes  acquisitions 
(1311).  Encore  cette  collection  n'avait-elle  rien  qui  la 
distinguât  des  autres  bibliothèques  de  formation  ré- 
cente. Le  II.  P.  Ehrle  a  remarqué  qu'elle  rappelait  de 
très  près  (les  pièces  d'archives  mises  à  part)  la  bi- 
bliothèque naissante  de  la  Sorbonne,  toute  de  scolas- 
tique  et  de  théologie,  et  si,  comme  nombre  de  volu- 
mes, elle  pouvait  soutenir  la  comparaison  avec  les 
bibliothèques  les  plus  riches,  elle  restait  bien  infé- 
rieure à  la  plupart  d'entre  elles  pour  l'antiquité  et  la 
valeur  intrinsèque  des  manuscrits.  Elle  ne  se  compo- 
sait guère  que  de  livres  usuels,  de  ceux  qu'on  trouvait 
alors  couramment  dans  le  commerce.  Dans  l'ensem- 
ble, c'est  à  peine  si  on  peut  signaler  quelques  manus- 
crits antérieurs  au  treizième  siècle,  encore  le  plus  an- 
cien paraît-il  être  la  copie  du  registre  mutilé  de 
Jean  VIII,  copie  exécutée  au  onzième  siècle  chez  les 
moines  du  Mont-Cassin,  et  introduite  par  Bérard  de 
Naples  dans  les  collections  pontillcales  au  temps  de 
Clément  IV. 

Il  faut  noter  pourtant  la  présence  de  trente-trois 
manuscrits  grecs;  on  a,  en  effet,  beaucoup  exagéré 
l'ignorance  où  Rome  s'est  trouvée  à  l'égard  du  grec 
durant  tout  le  moyen  âge,  et  il  importe  de  remarquer 
la  place  que  tenaient  dans  la  Bibliothèque  ponti- 


194  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

licale  du  treizième  siècle  les  livres  écrits  en  langue 
grecque.  Ce  n'était  pas  à  Rome  que  Ion  pouvait 
dire  :  ^<  Gnecum  est  non  legitur  »,  et  il  y  avait  peut- 
être  là  une  semence   pour  Tavenir. 

Malheureusement  le  départ  de  la  curie  pour  la 
France  et  l'installation  du  Saint-Siège  à  Avignon  fut 
fatal  à  cette  bibliothèque  à  peine  constituée.  On  la 
transporta  à  Assise,  pour  qu'elle  y  fût  en  sûreté.  De 
là,  les  registres  pontificaux  du  treizième  siècle  et  un 
grand  nombre  de  documents  d'archives  émigrèrent 
à  Avignon,  en  1339,  par  ordre  de  Benoît  XII;  le  reste, 
demeuré  dans  la  sacristie  du  couvent  d'Assise,  fut 
dispersé  misérablement,  et  on  en  a  vainement  cher- 
ché la  trace. 


VI 

LA   «IBLIOïnÈOUE    d'aVIGNON. 

Les  papes  d'Avignon  commencèrent  une  nouvelle 
bibliothèque,  qui  devint  beaucoup  plus  importante 
que  celle  qui  venait  de  disparaître,  mais  qui  fut  do 
même  nature,  c'est-à-dire  avant  tout  théologique  et 
scolastique.  A  partir  de  Jean  XXIJ,  se  procurer  des 
livres  parait  être  une  de  leurs  préoccupations  cons- 
tantes. Ils  en  font  chercher  au  loin,  et  ne  craignent 
pas  d'y  mettre  le  prix.  Ils  entretiennent  auprès 
d'eux  tout  un  personnel  de  copistes  et  de  miniatu- 
ristes, et  lorsqu'ils  ne  peuvent  obtenir  qu'on  leur 
envoie  en  Avignon  un  exemplaire  de  l'œuvre  à  repro- 
duire, ils  font  copier  sur  place  les  manuscrits  qui  ne 
voyagent  point.  Le  droit  de  «  dépouille  »  couram- 


LA  BIBLIOTHÈQUE  DAVIGNON.  lOr. 

ment  exercé  contribue  aussi  grandement  à  l'accrois- 
sement de  leur  collection,  puisque  le  Saint-Siège 
hérite  de  la  dépouille  (argent,  meubles,  joyaux  et 
livres)  des  prélats  qui  meurent  en  cour  d'Avignon. 
De  ce  chef  pourtant  le  gain  est  surtout  numérique, 
car  toutes  ces  bibliothèques  se  ressemblent,  et  il  est 
bien  rare  qu'elles  contiennent  des  manuscrits  de 
réelle  valeur  :  ce  sont  toujours  à  peu  près  les  mêmes 
ouvrages,  livres  de  pratique,  textes  et  commentaires 
(le  droit  civil  et  de  droit  canon,  traités  de  philoso- 
phie, questions,  sommes  ou  sentences.  En  sept  ans, 
de  l.'Ji3  à  13.'jO,  plus  de  douze  cents  volumes  entrè- 
rent ainsi  à  la  Bibliothèque,  alors  installée  dans  la 
Tour  des  Saints-Anges,  et  il  n'est  pas  surprenant 
que  l'inventaire  de  1309  accuse  jusqu'à  2.108  nu- 
méros. 

11  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  les  papes 
aient  gardé  pour  leur  bibliothèque  tous  les  livres 
que  le  droit  de  dépouille  y  amenait.  Innocent  VI  et 
l'rbain  V  surent  faire  bon  usage  des  doubles  qui 
s'entassaient  ainsi  dans  le  «  Trésor  »  :  aux  collèges 
fondés  par  eux  pour  l'instruction  des  jeunes  clercs 
dans  les  Universités  de  Montpellier,  de  Toulouse  et 
de  Bologne  (et  dans  lesquels  ils  entretinrent  jus- 
qu'à mille  étudiants),  ils  donnèrent  libéralement 
ces  livres  usuels  dont  regorgeait  la  bibliothèque 
d'Avignon. 

Comme  la  bibliothèque  du  treizième  siècle,  cette 
bibliothèque  avignonnaise  était  faite  pour  l'usage  du 
pape  et  de  la  curie.  Pourtant,  les  anciennes  tradi- 
tions n'étaient  pas  tout  à  fait  perdues,  et  les  manus- 
crits du  Saint-Siège  ne  demeuraient  pas  inaccessi- 
bles :  on  pouvait  être  admis  à  les  consulter,  parfois 


196  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

même  à  les  emprunter.  Pétrarque,  en  villégiature  à 
Vaucluse,  écrivait  le  8  janvier  1352  à  un  de  ses  amis 
de  Florence  :  «  Je  n'attends  que  le  rétablissement 
du  pape  pour  consulter  son  manuscrit  de  Pline,  qui 
n'est,  à  ma  connaissance,  dans  aucune  autre  biblio- 
thèque, et  satisfaire  ainsi  à  votre  curiosité  ». 

Les  inventaires  de  1369  et  de  1375  publiés  par  le 
R.  P.  Ehrle  nous  montrent  que  toutes  les  branches 
de  la  science  ecclésiastique  étaient  représentées  dans 
la  Bibliothèque  d'Avignon;  et  il  est  intéressant  de 
constater  à  quel  point  les  tendances  d'esprit  du  qua- 
torzième siècle  et  les  questions  qui  l'ont  passionné 
se  reflètent  fidèlement  dans  ces  catalogues.  On  voit 
même  poindre  l'aurore  de  temps  nouveaux  :  à  côté 
des  classiques  familiers  au  moyen  âge,  il  faut  noter, 
comme  un  fait  très  rare  à  cette  époque,  la  pré- 
sence de  deux  volumes  contenant  les  Discours  de 
Cicéron. 

Le  contre-coup  du  trouble  jeté  dans  l'Église  par 
le  grand  schisme  se  lit  sentir  dans  les  collections 
du  Saint-Siège.  Déjà  Urbain  V,  partant  pour  Rome, 
avait  emporté  avec  lui  quelques  livres;  Grégoire  XI 
tit  de  même.  Pourtant  le  gros  de  la  Bibliothèque 
était  demeuré  à  Avignon.  Elle  avait  continué  de 
s'enrichir,  par  les  soins  du  très  magnifique  Clé- 
ment YII  (Robert  de  Genève)  et  de  son  successeur 
Benoît  XIII  (Pierre  de  Luna  grand  amateur  de  li- 
vres. Lorsque  Pierre  de  Luna  quitta  le  palais  pon- 
tifical des  bords  du  Rhône  pour  se  réfugier  en  Ara- 
gon, il  emporta  avec  lui,  à  Peniscola,  une  grande 
partie  de  la  Bibliothèque  et  des  archives  du  Saint- 
Siège  (1408).  Plus  tard,  en  L4-29,  le  cardinal  de  Foix 
recouvra,  au  nom  du  pape  Martin  Y,  le  Trésor  de 


LA  BIBLIOTHEQUE  D'AVIGNON.  197 

Peniscola,  que  l'antipape  Gilles  Munoz  rendit  au 
pape  légitime,  mais  ces  richesses  ne  retournèrent 
pas  toutes  à  Avignon  :  la  plupart  des  livres  restè- 
rent entre  les  mains  du  légat  qui  les  donna,  en 
1437,  au  collège  fondé  par  lui  à  Toulouse.  C'est  là 
qu'ils  ont  été  utilisés  au  XVIF  siècle  par  Pierre  de 
Marca  et  François  Bosquet,  et  c'est  de  là  qu'ils 
sont  passés,  «  moyennant  quarante  sous  pièce,  l'un 
portant  l'autre  »,  dans  la  bibliothèque  de  Colbert, 
et  ils  sont  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  Nationale 
de  Paris. 


CHAPITRE  II 
La  Renaissance 


LES   DEBUTS    DE   L  HUMANISME. 

Avec  Martin  V  commençait  pour  les  papes  une  ère 
nouvelle  :  Tunité  était  rentrée  dans  l'Église. 

On  ne  se  pressa  pas  cependant  de  ramener  à  Rome 
les  collections  d'Avignon  :  bien  d'autres  affaires  sol- 
licitaient l'attention  du  Saint-Siège.  -Ce  ne  fut  que 
peu  à  peu,  et  à  d'assez  longs  intervalles,  que  les 
manuscrits  d'Avignon  rentrèrent  à  Rome  :  le  dernier 
envoi  précéda  de  peu  l'annexion  à  la  France  du 
Comtat  Venaissin.  Inutile  d'ajouter  que  beaucoup 
s'égarèrent  en  route.  Le  R.  P.  Ehrle  a  retrouvé  dans 
la  bibliothèque  des  princes  Borghèse  un  grand 
nombre  de  volumes  provenant  de  la  bibliothèque 
pontificale  d'Avignon  ;  la  munificence  du  pape 
Léon  XIII  les  a  ramenés  au. bercail;  mais  combien 
d'autres  ont  disparu  sans  qu'on  puisse  suivre  leurs 
traces  ! 

Quant  aux  manuscrits  réunis  par  les  papes  depuis 


LES  DÉBUTS  DE  L'HUMANISME.  .190 

leur  retour  à  Rome,  ils  ne  paraissent  pas  avoir  été 
bien  nombreux,  et  la  détresse  financière  était  telle, 
qu'on  voit,  en  1407,  le  pape  Grégoire  XII  autoriser 
la  vente  d'un  certain  nombre  de  livres,  dont  on  tira 
cinq  cents  florins. 

Il  faut  donc  considérer  la  biljliolhèque  réunie  au 
Vatican  par  les  papes  du  quinzième  siècle  comme 
une  création  entièrement  nouvelle.  Sans  doute  quel- 
ques éléments  furent  empruntés  à  la  bibliothèque 
d'Avignon  la  collection  des  registres  pontificaux 
d'Innocent  III  à  Grégoire  XI  y  entra  tout  entière,  et 
avec  elle  un  certain  nombre  de  documents  d'ar- 
chives) ;  d'autres  (en  particulier  les  registres  ponti- 
ficaux depuis  Urbain  VI  y  vinrent  du  couvent  de  la 
Minerve  et  du  palais  construit  par  Martin  V  auprès 
de  l'église  des  Saints-Apùtres.  Mais  ce  qui  constitue 
son  originalité  et  lui  donne  son  vrai  caractère,  c'est 
la  physionomie  des  temps  qui  la  virent  se  former. 

Lorsque  Martin  V  rentra  dans  Rome  en  1 4^0,  les 
esprits  étaient  en  travail.  Un  monde  nouveau  se  pré- 
parait, qui,  brisant  avec  les  formes  de  la  pensée  du 
moyen  âge,  reconnaissait  les  anciens  pour  ancêtres 
directs  et  saluait  dans  la  civilisation  gréco-latine  le 
plus  bel  épanouissement  de  l'humanité.  On  en  était  à 
l'aurore  de  ce  grand  mouvement  de  la  Renaissance, 
qui  allait  modifier  si  profondément  les  conditions  de 
la  vie  et  de  la  pensée  dans  tout  l'Occident. 

Au  début  du  quinzième  siècle,  en  dépit  des  diffi- 
cultés au  sein  desquelles  il  se  débattait,  le  pape 
Innocent  VII  avait  manifesté  la  volonté  de  restaurer 
l'Université  fondée  à  Rome  par  Boniface  VIII,  et, 
dans  une  bulle  publiée  à  cet  efîet,  il  prévoyait  la 
création  d'enseignements  nouveaux,  tels   que  ceux 


200  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

de  la  littérature  grecque  et  latine.  Le  style  même  de 
cette  bulle,  d'une  belle  latinité  classique,  toute  pleine 
d'un  sentiment  de  vénération  profonde  pour  la  Rome 
antique,  décèle  la  plume  d'un  humaniste.  Et,  en 
effet,  des  humanistes  de  marque  se  trouvaient  alors 
parmi  les  secrétaires  apostoliques.  Pogge,  dont  le 
nom  est  si  intimement  lié  à  la  première  renaissance 
des  lettres,  était  entré  à  la  chancellerie  pontificale 
sous  Boniface  IX,  et  Innocent  YII  lui-même  venait 
d'y  appeler  le  célèbre  Lionardo  Bruni  d'Ârezzo.  On 
sait  quelle  action  le  concile  de  Constance  exerça  sur 
le  développement  de  l'humanisme.  Il  fut  l'occasion 
des  plus  retentissantes  «  découvertes  »  littéraires  de 
Pogge,  et  tandis  qu'on  transmettait  en  Italie  les 
classiques  latins  retrouvés  dans  les  bibliothèques 
ultramontaines,  les  Pères  du  Concile  recevaient  en 
échange  de  l'Italie  lettrée  la  première  étincelle  d'un 
feu  qui  allait  se  propager  à  travers  l'Europe. 

Martin  V,  bien  qu'entouré  d'humanistes,  demeura 
personnellement  étranger  au  mouvement;  un  an 
après  sa  mort,  Ambroise  le  Camaldule,  visitant 
Rome,  ne  trouvait  dans  la  bibliothèque  du  pape 
aucun  manuscrit  intéressant,  u  si  ce  n'est  un  traité 
de  la  perfection  religieuse  d'Isaac  le  Syrien  ». 

Mais  déjà  Eugène  IV  croit  nécessaire  d'introduire 
parmi  ses  livres  les  classiques  grecs  et  latins.  Il  faut 
se  représenter  son  long  séjour  à  Florence,  qui  était 
alors  le  vrai  foyer  de  la  Renaissance,  et  on  compren- 
dra combien  il  lui  était  difficile  de  se  défendre  contre 
l'infiuence  d'un  pareil  milieu.  Au  reste,  son  entou- 
rage le  poussait  vers  les  études  alors  en  faveur; 
Flavio  Biondo,  qui  est  le  premier  en  date  des  ar- 
chéologues, fut  nommé  par  lui  secrétaire  apostolique 


L'HUMANISME  ET  LA  VATICANE  DE  NICOLAS  V.    ,201 

et  lui  dédia  sa  Borna  inslnurala ;  les  meilleurs  cardi- 
naux de  la  curie  se  faisaient  les  protecteurs  des  hu- 
manistes. 

Cn  peu  avant  li43,  la  bibliothèque  pontificale 
comprenait  environ  .340  volumes,  dont  la  composi- 
tion est  à  noter.  Les  tendances  nouvelles  se  manifes- 
tent par  la  présence  des  œuvres  de  Tite-Live,  de  Ci- 
céron,  d'Ovide,  de  Sénèque,  de  Galien,  d'Aristote,  de 
Xénophon,  dEschine  et  de  Démosthène;  mais  la  col- 
lection demeure  avant  tout,  ainsi  qu'il  convient, 
théologique  et  scolastique  :  TÉcriture  est  bien  repré- 
sentée, les  Pères  sont  nombreux,  les  textes  et  com- 
mentaires de  droit  canon  abondent.  D'ailleurs,  chose 
étrange,  au  lendemain  du  concile  de  Florence,  les 
classiques  grecs  ne  sont  là  qu'en  traduction  ;  en  fait 
de  manuscrits  grecs,  il  n'y  a  qu'un  Boèce  et  un  psau- 
tier; encore  ne  sont-ils  pas  franchement  grecs,  puis- 
que le  Boèce  est  accompagné  du  texte  latin,  et  que  le 
psautier  est  moitié  grec,  moitié  latin. 


II 


L  HUMANISME    ET   LA   VATICANE    DE    NICOLAS   V. 

C'est  Nicolas  V  qui  est  le  véritable  fondateur  de  la 
Bibliothèque  Vaticane.  On  a  eu  raison  de  dire  qu'avec 
lui  l'humanisme  s'était  assis  sur  la  chaire  de  saint 
Pierre  :  Rome  s'en  aperçut  bientôt.  Si  Eugène  IV 
n'avait  pu  séjourner  à  Florence  sans  se  laisser  gagner 
par  les  idées  nouvelles,  c'était  bien  autre  chose  pour 
iS'icolas  V.  11  était  le  produit  accompli,  le  représen- 
tant parfait  de  cette  libre  académie  florentine  de  San 


■liY2  LA.  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

Spirito.  dont  les  échos  avaient  éveillé  le  palais  tout 
voisin  qui  abritait  Eugène  IV.  «  Depuis  sa  jeunesse, 
écrivait  de  lui  le  futur  Pie  II,  il  est  initié  à  tous  les 
arts  libéraux,  il  connaît  tous  les  philosophes,  les  his- 
toriens, les  poètes,  les  cosmographes  et  les  théolo- 
giens ;  le  droit  civil  et  le  droit  canon .  la  médecine  elle- 
même  ne  sont  pas  pour  lui  des  sciences  étrangères  ». 

LÉglise  avait  fortement  marqué  son  empreinte  sur 
le  moyen  âge;  mais  ce  n'est  pas  à  dire  que  le  moyen 
âge  dût  être  considéré  par  elle  comme  un  état  idéal. 
Elle  n'avait  pas  systématiquement  détruit  la  civilisa- 
tion romaine,  ni  proscrit  l'œuvre  séculaire  de  l'intel- 
ligence humaine  chez  les  peuples  païens.  Le  jour  oii 
la  curiosité  naturelle  des  esprits  seportaverslemonde 
antique,  elle  n'eut  aucun  scrupule  à  encourager  des 
études  destinées  à  reprendre  ce  qu'elle  considérait 
comme  le  patrimoine  commun  de  l'humanité,  et  elle 
choisit  pour  chef  un  «  humaniste  ». 

Thomas  Parentucelli,  qui  prit  le  nom  de  Nicolas  V, 
aimait  passionnément  les  livres,  oîi  était  renfermé  le 
précieux  héritage  des  anciens  ;  si  parfois  il  avait  sou- 
haité d'être  riche,  c'était  afin  de  pouvoir  acheter  des 
livres  sans  compter.  Quand  il  devint  pape,  et  qu'il 
disposa  à  son  gré  de  sommes  énormes,  accrues  en- 
core par  le  Jubilé  de  1 450,  on  devine  l'usage  qu'il  en 
fit.  Mais  ce  serait  méconnaître  la  portée  de  son  œu- 
vre que  d'y  voir  simplement  la  satisfaction  d'un  rêve 
égoïste  de  bibliophile.  C'est  à  Florence  que  la  Renais- 
sance était  née  spontanément,  et  bien  que,  depuis  un 
demi-siècle,  nombre  d'humanistes  eussent  été  appe- 
lés aux  fonctions  de  la  curie,  Rome  n'était  pas  encore 
entrée  dans  le  courant  de  vie  qui  se  répandait  sur 
l'Europe.  Nicolas  V  se  préoccupa  de  donner  à  Rome 


LHUMANISME  ET  LA  VATJCÎ^NE  DE  NICOLAS  V.     203 

la  maîtrise  des  esprits,  d'en  faire  le  centre  du  mouve- 
ment intellectuel  de  la  chrétienté,  ^«'était-ce  pas  le 
meilleur  moyen  dempècher  que  ce  mouvement  ne 
s'égarât?  Les  humanistes  les  plus  célèbres  furent  sol- 
licités de  venir  à  Rome  et  remplirent  tous  les  emplois 
de  la  curie;  il  se  forma  autour  du  pape  une  véritable 
académie  où  brillent  des  noms  comme  ceux  de  Pogge, 
de  Valla,  de  Manetti,  d'Alberti,  d'Aurispa,  de  Tortello, 
et  d'autres  encore.  Tout  ce  que  Florence  comptait  de 
lettrés  en  renom  avait  émigré  à  Rome,  et  Tortello. 
qui  fut  un  des  amis  du  pape,  lui  rappelait  dans  un  de 
ses  traités  «  qu'il  avait  fait  de  Rome  l'asile  de  tous 
les  talents,  en  y  appelant  de  tous  les  coins  de  la  terre 
les  savants  grecs  et  latins,  en  les  mettant  à  même  par 
ses  libéralités  de  cultiver  leur  génie,  d'acquérir  de 
la  gloire,  et  de  faire  des  travaux  utiles  à'ia  Postérité  ». 
Cette  réunion  temporaire  des  plus  excellents  hu- 
manistes ne  pouvait  suffire.  Au  moyen  âge,  on  avait 
cru  en  la  parole  du  maître;  la  science  était  toute  de 
tradition;  Aristote,  entrevu  à  travers  ses  commen- 
tateurs, avait  paru  résumer  en  lui  toute  la  doctrine 
de  l'antiquité,  et  la  spéculation  philosophique  régnait 
en  maîtresse  dans  les  chaires  des  universités.  C'est  là 
que  se  créait  et  se  propageait  la  science.  Nicolas  V  et 
la  Renaissance  avaient  une  tout  autre  conception. 
Pour  eux,  l'antiquité  n'était  pas  tout  entière  dans  ses 
philosophes  et  ses  grammairiens.  Aux  yeux  de  Nico- 
las V  et  des  humanistes,  à  qui  le  monde  ancien  se  ré- 
vélait dans  toute  sa  grandeur  et  sa  complexité,  les 
vrais  maîtres  n'étaient  point  ceux  qui  enseignaient 
dans  les  chaires,  c'étaient  les  anciens  eux-mêmes  dont 
le  contact  direct  et  immédiat  pouvait  seul  éveiller 
l'Ame  longtemps  assoupie  de  l'humanité.  Aussi  pen- 


204  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

saient-ils  qu'un  foyer  de  vraie  science  ne  pouvait  s'al- 
lumer que  là  où  on  installerait  non  point  seulement 
les  interprètes  de  l'antiquité  (Théodore  Gaza,  Laurent 
Valla,  Georges  de  Trébizonde,  Enoch  d'Ascoli  ensei- 
gnèrent sous  son  pontificat  à  l'Université  de  Rome), 
mais  les  anciens  eux-mêmes.  Il  voulut  que  Rome  de- 
vînt pour  toujours  la  dépositaire  des  monuments 
laissés  parle  génie  des  Grecs  et  des  Latins,  persuadé 
que  le  trésor  de  la  sagesse  et  de  l'éloquence  antique, 
confié  à  la  sollicitude  du  Saint-Siège,  se  transmettrait 
intact  de  génération  en  génération  et  ne  cesserait 
d'attirer  à  lui  de  toutes  parts  ceux  en  qui  vivrait  la 
flamme  divine.  Et,  comme  ce  grand  humaniste  était 
en  même  temps  un  grand  chrétien,  il  prétendait  ins- 
taller dans  ce  tabernacle  la  science  divine  à  côté  de  la 
science  humaine.  Dans  la  part  qu'il  avait  prise  autre- 
fois à  cette  chasse  aux  manuscrits  antiques  qui  carac- 
térise les  débuts  du  quinzième  siècle,  il  avait  montré 
que  l'antiquité  chrétienne  lui  tenait  à  cœur  autant 
qu'à  Pogge  l'antiquité  profane,  et  des  monastères 
d'outre-monts,  où  Pogge  avait  fait  si  ample  moisson 
de  classiques,  il  avait  rapporté  les  sermons  de 
Léon  le  Grand  et  un  exemplaire  complet  de  Tertullien. 
Aussi  la  Vaticane,  telle  qu'il  la  conçut,  fut  à  la  fois 
chrétienne  et  classique. 

De  tous  cùtés  partirent  des  émissaires  du  pape,  en 
quête  de  manuscrits.  Non  seulement  l'Italie  fut  battue 
tout  entière,  mais  des  messagers  de  sa  pensée  furent 
mandés  «  jusqu'aux  confins  du  monde,  sans  regar- 
der à  la  difficulté  ni  à  la  dépense,  pour  tâcher  de  re- 
trouver celles  des  œuvres  des  anciens  que  l'on  croyait 
perdues  ».  C'est  ainsi  que,  sur  le  bruit  qu'on  avait 
découvert  en  Danemark  un  exemplaire  complet  de 


L'HUMANISME  ET  LA  VATICANE  DE  NICOLAS  V.     205 

Tite-Live,  le  pape  dépêcha  vers  la  Baltique  Enoch 
dAscoli;  le  bruit  se  trouva  faux,  mais  Enoch  ne  revint 
pas  les  mains  vides.  Du  côté  de  l'Orient,  le  butin  était 
plus  abondant  encore  :  avant  et  après  la  prise  de 
Constantinople  par  les  Turcs,  Nicolas  V  sauva  une 
partie  des  richesses  littéraires  de  Byzance  en  faisant 
acheter  aux  vainqueurs,  par  l'entremise  d'agents 
secrets,  des  lots  entiers  de  manuscrits. 

»<  La  Grèce  n'est  pas  morte,  écrivait  Philelphe;  il 
semble  qu'elle  ait  émigré  en  Italie,  à  laquelle  l'anti- 
quité donnait  le  nom  de  Grande-Grèce.  »  Nicolas  V 
se  préoccupait,  en  effet,  vivement  d'introduire  et  de 
répandre  la  littérature  grecque  en  Italie;  il  rêvait  de 
lui  donner  ses  lettres  de  grande  naturalisation.  Et  ce 
n'était  pas  seulement  la  langue  grecque  qu'il  avait 
en  vue,  c'était  surtout  l'esprit  de  la  Grèce,  le  génie 
grec  qu'il  voulait  infuser  à  ses  contemporains.  Aussi 
il  ne  se  contentait  pas  de  faire  rechercher  et  de  faire 
copier  les  manuscrits  grecs  :  il  voulait  les  voir  tra- 
duire. C'est  une  tâche  qu'il  distribua  aux  lettrés  qui 
l'entouraient,  et  sa  cour  devint  comme  un  vaste  ate- 
lier où  copistes  et  traducteurs  rivalisaient  de  zèle 
pour  mériter  sa  faveur.  Georges  de  Trébizonde, 
Théodore  Gaza,  Grégoire  de  Città  di  Castello  s'occu- 
pèrent d'Aristote;  Thucydide  et  Hérodote  furent  tra- 
duits par  Valla,  Diodore  par  Pogge,  Appien  par  Do- 
cembri,  Polybe  par  Nicolas  Perotti  le  jeune,  Strabon 
par  Guarino  de  Vérone.  La  Grèce  devenait  ainsi  acces- 
sible à  tous  ceux  ({ui  connaissaient  la  langue  latine, 
c'est-à-dire  à  quiconque  avait  étudié.  El  la  généro- 
sité du  pape  encourageait  les  traducteurs  :  à  Laurent 
Valla,  pour  sa  traduction  do  Thucydide,  Nicolas  V 
donnait,  à  titre  de  gratification,  cinq  cents  écus  d'or; 

II.  12 


■lOG  L\  BIBLIOTHÈQUE  VATICANE. 

Perotti  recevait  cinq  cents  ducats  pour  son  Polybe. 
et  Guarino  mille  écus  pour  les  dix  premiers  livres 
de  Strabon.  Lorsque  Nicolas  V  mourut,  il  avait  déposé 
chez  un  banquier  une  somme  de  dix  mille  sequins 
destinée  à  payera  Philelphe  une  traduction  d'Homère, 
qu'il  avait  toujours  passionnément  désirée  et  que  les 
circonstances  lui  avaient  impitoyablement  refusée. 

La  sollicitude  du  pape  s'étendait  naturellement  aux 
auteurs  sacrés.  Manetti  reçut  de  lui  commission  de 
traduire  le  teste  grec  du  Nouveau  Testament;  Tor- 
tello  mit  en  latin  la  Vie  de  saint  Athanase  par  Gré- 
goire de  Nazianze;  à  Georges  de  Trébizonde  fut  confié 
le  soin  de  traduire  divers  ouvrages  de  Cyrille,  de  Ba- 
sile et  de  Grégoire  de  Nysse,  ainsi  que  la  Prépara- 
tion Évangélique  d'Eusèbe;  et  Théodore  Gaza  donna 
une  version  des  homélies  de  saint  Jean  Chrysostome 
sur  FÉvangile  de  saint  Mathieu. 

Des  œuvres  originales  naissaient,  à  l'instigation 
du  pape.  Il  commandait,  par  exemple,  à  Gianozzo 
Manetti  un  traité  apologétique  contre  les  juifs  et  les 
païens;  il  chargeait  le  Florentin  Antonio  degl'  Agli, 
futur  évèque  de  Fiesole  et  de  Volterra,  de  rechercher 
des  documents  sur  la  vie  et  les  actes  des  saints  ;  il  ins- 
pirait à  Timothée  Maffei,  prieur  des  chanoines  régu- 
liers de  Fiesole,  un  traité  «  contre  la  sainte  igno- 
rance »,  destiné  à  réfuter  l'opinion  que  les  lettres 
sont  incompatibles  avec  la  piété. 

Ces  traductions  et  ces  ouvrages  prenaient  place 
dans  la  Bibliothèque  Yaticane,  cà  côté  des  textes  que 
le  pape  faisait  rechercher  et  copier  partout.  Dans  tous 
les  centres  littéraires  un  peu  importants,  il  entrete- 
nait des  copistes  qui  transcrivaient  pour  son  usage  les 
manuscrits  qu'il  n'avait  pu  se  procurer  directement,- 


LIIUMANISME  ET  LA  VATICANE  DE  NICOLAS  V.     207 

et  à  Home  même  il  avait  sous  la  main  un  nombreux 
personnel,  rompu  aux  travaux  de  ce  genre. 

C'est  de  tous  ces  éléments  que  la  Vaticano  se  forma. 
M.  Miintz  a  publié  Tinventaire  des  livres  latins  et 
grecs  qui  figuraient  dans  la  Bibliothèque  pontificale 
à  la  mort  de  son  fondateur.  Aucune  bibliothèque  à 
cette  époque  ne  présente  un  nombre  de  volumes 
comparable  à  celui  que  renfermait  la  collection  réu- 
nie par  Nicolas  V.  La  plus  riche  des  bibliothèques 
italiennes  alors  existantes  celle  des  Yisconti,  au  châ- 
teau de  Paviej  contenait,  en  14:2(),  neuf  cent  quatre- 
vingt-huit  ouvrages,  tandis  que  la  bibliothèque  de 
Nicolas  V  atteignait  un  total  de  1.140  numéros,  dont 
."^31  manuscrits  grecs.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant  que. 
pour  former,  dans  un  temps  relativement  si  court, 
une  bibliothèque  unique  en  son  genre,  Nicolas  V  ait 
dépensé,  d'après  le  calcul  des  Assémani,  plus  de 
quarante  mille  écus.  —  Mais  c'est  moins  la  richesse 
que  la  composition  de  cette  bibliothèque  qui  doit  atti- 
rer l'attention.  Lorsqu'on  en  parcourt  le  catalogue,  on 
s'aperçoit  que  Ihumanisle  devenu  pape  avait  bien 
compris  ce  que  devait  être  la  bibliothèque  pontificale. 
L'Écriture,  les  Pères,  les  théologiens  sont  classés  à 
part,  à  la  place  d'honneur,  et  forment,  aussi  bien  en 
grec  qu'en  latin,  la  majeure  partie  des  volumes.  Les 
ouvrages  profanes,  tels  que  romans  de  chevalerie, 
traités  de  jeux,  d'astrologie  et  de  médecine  sont  à 
peu  près  bannis.  Par  contre,  la  plupart  des  classiques 
y  figurent,  dans  le  texte  original  ou  dans  des  traduc- 
tions latines.  Aucun  écrit  d'ailleurs  en  langues  moder- 
nes, pas  même  en  italien.  Plus  étonnante  est  l'ab- 
sence de  manuscrits  orientaux;  peut-être  y  avait-il 
pour  eux  un  catalogue  spécial  :  en  tout  cas,  on  ne 


208  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

saurait  attribuer  cette  lacune  à  Texclusivisme  deTliu- 
maniste  impénitent,  car  Nicolas  fît  rechercher  l'Évan- 
gile de  saint  Mathieu  en  langue  originale,  promettant 
cinq  mille  écus  à  celui  qui  lui  en  procurerait  le  texte. 

Cette  Bibliothèque,  qui  coûta  à  Nicolas  V  tant  de 
soins  et  tant  dargent,  ne  devait  pas  être,  dans  sa 
pensée,  un  inutile  joyau.  Il  l'avait  réunie  «  pour  l'u- 
sage commun  de  la  cour  de  Rome  et  des  savants  de 
tout  pays  »,  et  en  cela  (il  ne  faut  pas  se  lasser  de  le 
répéter)  il  était  bien  dans  la  tradition  du  Saint-Siège, 
non  pas  seulement  dans  la  tradition  ancienne,  mais 
dans  la  tradition  immédiate  de  son  prédécesseur,  qui 
avait  plus  d'une  fois  confié  à  divers  personnages  de 
la  curie  (Jean  Torquemada,  François  de  Padoue,  Paul 
et  Pierre  Barbo,  Jean  d'Osnabruck,  Alphonse  Borgia, 
et  d'autres  encore)  des  manuscrits  de  sa  bibliothèque. 

Calixte  III,  successeur  de  Nicolas  V,  a  été  accusé 
d'avoir  dilapidé  le  trésor  littéraire  qu'il  trouvait  tout 
formé  au  Vatican.  En  réalité,  il  s'est  montré  seule- 
ment très  libéral  dans  le  prêt  des  manuscrits  de  la  Va- 
ticane,  et  ce  n'est  peut-être  pas  un  si  grand  crime  que 
d'avoir  prêté  des  livres  à  François  d'Arezzo,  à  Bessa- 
rîon  et  au  cardinal  de  Russie. 

Paul  II,  au  dire  de  son  biographe,  se  montra  tout 
aussi  large,  et  Sixte  lY  demeura  scrupuleusement 
fidèle  à  la  tradition. 

m 

LA    VATICANE    DE    SIXTE    IV  ;    l'IMPRIMERIE    A    RO.ME. 

Sixte  IV  a  été  le  vrai  continuateur  de  Nicolas  V,  et 
on  peut  à  bon  droit  le  considérer  comme  le  second 
fondateur  de  la  Vaticane. 


L\  VATICANE  DE  S1\TE  IV.  209 

Son  premier  soin  fut  de  l'installer  dans  un  local 
digne  d'elle  : 

Templa,  domum  expositis,  vicos,  fora,  mocnia,  pontes, 
Virfjinemn  Trivii  quod  repararis  aquam, 

Prisca  liccf  naulis  statuas  dare  commoda  porfus 
/:t  Vaticanum  cingere,  Sixte,  jugum. 

fins  tamen  Urbs  débet  :  nam  quae  sguallore  latebat 
Cernitur  in  celebri  bibliotheca  loco. 

Peut-être  ne  faut-il  pas  prendre  trop  à  la  lettre  le 
sqnallor  dont  parle  Platina  dans  cet  éloge  métrique, 
mais  il  est  certain  que  Nicolas  V  n'avait  pas  eu  le 
temps  de  donner  à  sa  collection  l'emplacement  qu'il 
avait  rêvé  pour  elle  :  pour  loger  les  huit  armoires  qui 
contenaient  sa  Bibliothèque  latine,  il  n'avait  disposé 
qu'une  seule  salle  où  le  jour  n'entrait  que  par  une 
unique  fenêtre. 

Sixte  IV  affecta  à  la  Bibliothèque  les  locaux  occupés 
aujourd'hui  par  les  magasins  du  Garde-meuble  {flo- 
rcria  apostolica),  au  rez-de-chaussée  de  la  cour  dite 
du  Pappagallo,  au-dessous  de  l'appartement  Borgia, 
dans  un  corps  de  bâtiment  élevé  par  Nicolas  V  et  dont 
les  différents  étages  furent  aménagés  par  ses  suc- 
cesseurs. Sans  se  laisser  égarer  par  les  humanis- 
tes, si  nombreux  pourtant  à  sa  cour  et  si  bien  vus 
(If  lui  il  se  préoccupa  de  conserver  à  la  collection  qu'il 
installait  le  caractère  du  Bibliothèque  apostolique, 
dans  la  large  acception  du  mot.  Revenant  à  la  tradi- 
tion Damasienne,  il  voulut  que  les  documents  d'ar- 
chives rt  les  livres  proprement  dits  fussent  conservés 
rùte  à  côte,  pour  servir  à  une  tin  commune.  A  côté  de 
la  Bibliotltrque  publiqui-  ou  /iiblio(hi''qur  covimitne,di- 
visée  elle-même  en  deux  saMes  (jnuidi-  salle  ou  sali'' 

12, 


210  LA  BIBLIOTHEQUE  YATICANE. 

latine,  et  salle  grecque  , il  constitua  \a  Bibliothèque  se- 
crète (nous  dirions  aujourd'hui  la  «  Réserve  »)  où  fut 
placée,  entre  autres  choses,  la  collection  des  registres 
pontificaux.  Dès  1479,  on  prépara  une  nouvelle  salle, 
qui  fut  prête  en  1481.  On  l'appela  d'abord  Nouvelli' 
Bibliothèque  ou  Bibliothèque  Pontificale  :  ce  fut  en 
réalité  comme  une  seconde  bibliothèque  secrète,  dans 
laquelle  on  installa  les  registres  et  quelques  manus- 
crits particulièrement  précieux;  au  seizième  siècle, 
après  les  changements  opérés  par  Jules  II,  elle  forma 
la  Grande  bibliothèque  secrète^  tandis  que  l'ancienne 
Bibliothèque  secrète  prenait  le  nom  de  Petite  biblio- 
thèque secrète. 

On  ne  peut  plus  aujourd'hui  se  faire  que  difficile- 
ment idée  de  la  magnificence  qui  éclatait  partout  dans 
laBibliothèqueSixtine;  pavé  en  mosaïque  de  verre  et  de 
marbre,  peintures  murales  (auxquelles  travaillèrent 
Ghirlandajo  et  Melozzo  da  Forli),  fenêtres  à  vitraux 
peints,  sur  lesquels  étincelait  le  chêne  des  délia  Ro- 
vere,  portes  en  marqueterie,  boiseries  sculptées,  ar- 
moires et  bancs  finement  travaillés,  rehaussés  de  cou- 
leurs et  de  dorures,  tout  cela  est  comme  évanoui.  Il 
n'est  guère  resté  d'intact  que  la  grande  fresque  de 
Melozzo  da  Forli  qui  ornait  le  mur  de  la  grande  salle 
latine  en  face  de  la  porte  d'entrée  :  elle  a  été  trans- 
portée sur  toile,  et  elle  est  conservée  maintenant  à 
la  Pinacothèque  Yaticane  ;  quelques  fragments  de 
l'ancien  pavé,  et,  sur  les  murs,  quelques  figures  de 
docteurs  et  de  philosophes,  échappées  au  badigeon 
qui  recouvre  les  murs,  rappellent  pourtant  dans  la 
Floreria  solitaire  la  destination  primitive  des  locaux 
et  implorent  une  restauration  tardive  mais  possible 
encore. 


LA  VATICANE  DE  SIXTE  IV.  2U 

Quant  à  la  disposition  intérieure  des  salles,  il  faut, 
si  on  veut  se  la  représenter,  songer  à  la  Lauren- 
tienne  de  Florence  ou  à  la  bibliothèque  Malatesla  d<' 
Césène,  en  y  ajoutant  par  la  pensée  quelques  map- 
pemondes et  sphères  célestes,  ainsi  que  la  tradition 
s'en  est  conservée,  par  exemple,  à  la  bibliothèque 
Barberini.  La  salle  latine  était  garnie  de  seize  bancs 
avec  pupitres  {plutei),  auxquels  les  manuscrits 
étaient  fixés  par  des  chaînes  courant  sur  des  verges 
de  fer;  la  salle  grecque  en  avait  huit.  Dans  les  deux 
bibliothèques  secrètes,  il  y  avait  en  outre  des  ar- 
moires et  des  coffres,  les  uns  flanquant  les  pupitres  à 
droite  et  à  gauche,  les  autres  rangés  le  long  des 
murs  :  cette  disposition  est  à  retenir,  car,  même 
après  les  remaniements  opérés  par  Jules  II,  la  dis- 
tribution des  livres  et  du  matériel  n'a  pas  été  modi- 
fiée pendant  plus  d'un  siècle. 

A  la  tète  du  service,  Sixte  IV  plaça  un  des  premiers 
humanistes  de  son  temps,  Bartolomeo  Platina.  Il  lui 
assigna  un  traitement  de  deux  ducats  par  mois  iliTo), 
et  lui  donna  pour  auxiliaires,  en  1481,  deux  savants 
de  mérite,  Démétrius  de  Lucques  et  Jean  Chadel  de 
Lyon,  qui  eurent  le  titre  de  gardiens  ou  custodes,  et 
furent  logés  dans  un  local  construit  tout  exprès  à 
côté  du  dépôt  dont  ils  avaient  la  garde. 

En  même  temps,  il  constituait  à  la  Bibliothèque  un 
revenu  propre,  qui  devait  en  assurer  désormais  l'en- 
tretien et  le  développement  normal.  Les  dons  en  ar- 
gent et  en  nature  que  tout  nouveau  titulaire  d'un 
emploi  à  la  curie  était  tenu  d'offrir  au  pape,  ainsi  que 
les  étrennes  obligatoires  icent  ducats  par  an)  et  les 
droits  de  dispense  acquittés  par  les  secrétaires  apos- 
toliques formèrent  dès  lors  un  fonds  spécial,  admi- 


212  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

nistré  par  le  bibliothécaire  et  affecté  .tout  entier  aux 
besoins  de  la  Bibliothèque. 

u  Notre  Seigneur  Sixte  IV,  écrivait  Démétrius  de 
Lucques,  a  dépensé  tant  dargent  et  tant  de  soin  pour 
sa  bibliothèque  qu'elle  sera  bientôt  complète.  Pour 
attirer  à  lui  les  hommes  les  plus  instruits,  il  n'épar- 
gne ni  présents  ni  promesses.  Il  leur  fait  traduire  en 
langue  latine,  de  Fhébreu,  du  grec  et  de  l'arabe.  Il  a 
à  son  service  des  copistes  habiles,  appelés  de  partout, 
qui  transcrivent  ces  traductions  ou  qui  copient  des 
ouvrages  que  la  Bibliothèque  ne  possède  pas  encore, 
et  il  ne  leur  ménage  ni  sa  faveur,  ni  ses  bienfaits  ». 

La  collection  de  Nicolas  V  formait  le  premier  noyau 
de  la  bibliothèque  de  Sixte  lY;  Sixte  nous  en  avertit 
lui-même.  Mais  il  sut  bientôt  l'accroître;  l'inventaire 
de  1475  mentionne  déjà  2.527  manuscrits,  dont  770 
grecs  et  1.757  latins,  c'est-à-dire  trois  fois  plus  de 
volumes  que  n'en  comptait  la  Vaticane  de  Nicolas  V, 
et  pendant  les  neuf  dernières  années  du  pontificat, 
près  de  1.100  volumes  nouveaux  entrèrent  à  la  Biblio- 
thèque. Parmi  ces  acquisitions  peut-être  faut-il 
compter  le  plus  ancien  texte  grec  de  la  Bible,  le  fa- 
meux Vaiicanus  de  la  critique  biblique,  coté  aujour- 
d'hui 1209  dans  le  fonds  grec  du  Vatican;  c'est,  en 
effet,  dans  l'inventaire  de  1481  qu'il  est  pour  la  pre- 
mière fois  mentionné  d'une  manière  bien  explicite  : 
Bible  en  (rois  colonnes,  sur  parchemin. 

Dans  son  ensemble,  la  Bibliothèque  Sixtine  est 
avant  tout  ecclésiastique  :  l'Écriture,  les  Pères,  les 
canonistes  et  les  théologiens  en  forment  la  plus 
grosse  part,  c'est  bien  la  bibliothèque  qui  convient 
au  chef  de  l'Église. 

Sixte  IV,  en  effet,  n'a  jamais  perdu  de  vue  la  vraie 


LA  VATICAN'E  DE  SIXTE  IV.  213 

lin  de  toute  fondation  pontificale.  A  ses  yeux,  la  Bi- 
bliothèque est  faite  avant  tout  «  pour  l'honneur  de 
l'Église  militante,  et  pour  raccroissement  de  la  foi  ». 
Mais  aussi,  comme  le  pape  est  pour  lui  le  protecteur 
naturel  de  toutes  les  études  qui  élèvent  l'homme,  il 
se  préoccupe  d'aider  les  savants  et  les  lettrés  à  em- 
brasser l'ensemble  des  connaissances  humaines  et  h 
enrichir  par  leurs  découvertes  le  patrimoine  de  l'hu- 
manité; c'est  pour  cela  qu'  «  il  les  attire,  les  favorise, 
leur  prépare  des  locaux  et  des  bibliothèques  où  il 
réunit  pour  leur  usage  les  livres  disséminés  par  le 
monde  ».  11  pousse  même  la  sollicitude  jusqu'à 
assurer  à  leur  travail  les  conditions  matérielles  les 
plus  favorables  :  la  Bibliothèque  recevra  la  lumière 
par  de  larges  fenêtres,  et  durant  l'hiver  elle  sera  soi- 
gneusement chaufîée. 

Au  reste,  pour  profiter  des  trésors  amassés  dans 
la  Bibliothèque  Sixtine,  il  n'était  point  nécessaire  de 
s'y  enfermer.  Le  prêt  se  pratiquait  largement,  et  le 
registre  où  Platina  a  consigné  les  noms  des  emprun- 
teurs et  les  titres  des  ouvrages  empruntés  est  une  des 
pages  les  plus  éloquentes  de  l'histoire  de  la  Vaticane. 
Elle  mériterait  d'être  citée  tout  entière.  Elle  nous 
montre,  réalisées  dans  la  pratique,  les  vues  si  hautes 
qu'avait  le  pape  sur  sa  Bibliothèque.  Un  merveilleux 
instrument  était  créé  qui  faisait  de  Rome  et  de  la  cu- 
rie le  centre  littéraire  peut-être  le  plus  actif  de  l'Eu- 
rope, sans  en  excepter  Florence.  Tous  les  ordres 
d'étude  y  sont  représentés  ;  on  emprunte  les  conciles, 
les  Pères,  les  scolastiques,  les  canonistes;  on  em- 
prunte aussi  les  classiques  latins  et  grecs,  les  phi- 
losophes, les  historiens,  les  géomètres  et  les  astro- 
nomes ;  et  parmi  les  emprunteurs  il  y  a  les  plus  grands 


214  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

personnages  de  la  cour,  comme  Jean  et  Guillaume 
délia  Rovere,  ou  comme  le  futur  Jules  II  qui  s'oflre  le 
plaisir  princier  de  lire  Virgile  dans  le  fameux  «  Co- 
dex Romanus  »  en  majuscules,  devenu  déjà  un  des 
joyaux  de  la  Yaticane  ;  il  y  a  des  théologiens  et  des 
canonistes,  comme  François  de  Tolède,  Urbain  Fies- 
chi,  Pedro  Ferriz;  il  y  a  les  plus  célèJjres  humanistes 
du  temps,  tels  que  Pomponio  Leto,  le  chef  de  l'Aca- 
démie. Jean  Argyropoulos,  gloire  de  l'université 
romaine,  Lionardo  Dati,  Giglio  de  Città  di  Castello, 
Mathias  Palmieri,  Jacques  de  Volterra,  Agostino 
Patrizzi,  Démétrius  de  Lucques,  Cristoforo  Persona, 
Sigismond  de"  Conti,  Jérôme  Barbano,  qui  tous 
avaient  un  emploi  à  la  curie,  et  Platina  lui-même,  qui 
écrivait  pour  le  pape  les  Biographies  de  ses  prédé- 
cesseurs et  surveillait  la  compilation  en  trois  volumes 
d'un  registre  des  Privilèges  temporels  de  la  sainte 
Église;  il  y  a  de  modestes  érudits,  comme  Jean  de 
Carpi,  bachelier  eu  théologie,  comme  Antoine  Bren- 
tius  de  Padoue  qui,  dans  une  dédicace  au  pape, 
tient  à  déclarer  «  que  son  livre  doit  tant  à  la  Biblio- 
thèque publique  ouverte  par  Sixte  IV  à  tous  les  let- 
trés, qu'il  le  prie  d'agréer  son  œuvre  comme  prémis- 
ses des  études  fructueuses  rendues  possibles  à  tous 
par  sa  grande  institution  «  ;  il  y  a  enfin  des  impri- 
meurs, comme  Arnold  Pannartz  et  Philippe  de  Ligna- 
mine,  et  cela  nous  amène  à  considérer  la  part  qu'a 
eue  le  Saint-Siège  au  développement  que  prenait 
alors  à  Rome  l'art  récemment  importé  de  l'impri- 
merie. 

On  sait  l'histoire  de  ces  typographes  allemands, 
Conrad  Sweinheim  et  Arnold  Pannartz,  que  le  cardi- 
nal Nicolas  de  Cues  fit  venir  à  Rome  sous  le  pontificat 


LA  VATICANE  DE  SIXTE  IV.  213 

cIo  Paul  II.  .\u  couvent  de  Subiaco,  où  ils  avaient 
trouvé  un  asile,  il  donnèrent,  en  1465,  la  Grammaire 
de  Donat,  les  Jnslilutions  de  Lactance  et  le  De  Ora- 
lore  de  Cicéron  ;  la  Cité  de  Dieu  de  saint  Augustin 
suivit  en  1407,  et,  la  même  année,  les  compagnons 
vinrent  installer  leurs  presses  à  Rome  même,  dans 
le  palais  Massimo,  où  ils  éditèrent  les  Lettres  de  Ci- 
céron. Le  pape  fit  le  meilleur  accueil  à  ces  représen- 
t^mts  de  l'invention  nouvelle,  qui  secondait  si  admi- 
rablement l'œuvre  tentée  à  la  Vaticane.  Nous  en 
avons  la  preuve  dans  les  préfaces  de  Jean-A.ndré 
Bussi,  dont  le  nom  est  inséparable  de  ces  premières 
éditions  romaines.  C'est  lui,  en  efTet,  qui  était  chargé 
d'établir  le  texte  des  œuvres  qu'imprimaient  Conrad 
et  Arnold;  il  était,  comme  on  disait  alors,  leur  <•  cor- 
recteur »  ou  «  réviseur  ».  Dès  l'année  14G8,  dans  sa 
préface  au  Saint  Jérôme,  Bussi  se  présentait  comme 
l'auxiliaire  de  l'œuvre  apostolique  :  •<  nous  savons, 
disait-il,  que  c'est  pour  l'Église  Romaine  une  an- 
cienne coutume  de  rechercher  les  livres  et  de  les  con- 
server soigneusement  pour  qu'on  puisse  facilement 
les  consulter  en  cas  de  besoin  »;  or,  l'imprimerie  se- 
conde excellemment  les  vues  du  Saint-Siège,  «  puis- 
que, grâce  à  elle,  des  ouvrages  qu'on  ne  pouvait  se 
procurer  autrefois  pour  cent  ducats  en  coûtent  main- 
tenant à  peine  vingt,  si  bien  qu'il  devient  possible 
aux  plus  pauvres  de  se  constituer  une  bibliotlièque. 
On  paie  moins  aujourd'hui  pour  un  livre  qu'autrefois 
pour  une  reliure.  C'est  véritablement  une  grâce  que 
Dieu  a  faite  à  Paul  II  que  de  choisir  son  pontifical 
pour  accorder  à  l'univers  chrétien  un  don  qui  promrt 
d'avoir  de  si  heureux  résultats  ». 
Le  Sacré  Collège  tout  entier  «  accueillait  l'art  nou- 


216  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

veau  avec  bienveillance  et  faveur  »  ;  le  cardinal  Marc 
Barbo  mettait  à  la  disposition  de  Bussi  les  ressources 
de  sa  très  belle  bibliothèque,  et  le  pape  prodiguait 
à  Tinfatigable  éditeur  les  témoignages  de  sa  satisfac- 
tion :  en  li69,  Paul  II  le  faisait  évêque  d'Aléria,  et 
Sixte  IV,  dès  son  avènement,  lui  marquait  son  es- 
time et  sa  confiance  en  lui  ouvrant  toutes  grandes  les 
portes  de  la  Vaticane  par  sa  nomination  au  poste  de 
bibliothécaire.  C'était,  en  effet,  le  collaborateur  dési- 
gné du  souverain  pontife  dans  la  mission  que  le 
Saint-Siège  avait  assumée. 

Tout  venait  à  point.  L'admirable  collection  formée 
par  Nicolas  V,  et  que  Sixte  IV  allait  augmenter 
encore,  fournissait  abondamment  aux  travaux  de  ces 
im-primeurs  qui  semblaient  venus  tout  exprès  pour 
mettre  en  œuvre  tant  de  richesses  accumulées.  Aussi 
l'extension  que  prit  à  Rome  l'imprimerie  à  ses  débuts 
fut  véritablement  merveilleuse.  On  reste  confondu, 
quand  on  parcourt  la  liste  des  éditions  romaines  sous 
Paul  II  et  Sixte  IV,  de  la  rapidité  avec  laquelle  les 
livres  se  succèdent  :  antiquité  profane,  antiquité 
chrétienne,  ouvrages  d'auteurs  contemporains,  tout 
cela  défile  chez  Sweinheim  et  Pannartz,  chez  Ulrich 
Hahn,  chez  Philippe  de  Lignamine,  chez  Georges 
Laver,  chez  Georges  Sachsel,  le  plus  souvent  avec  dé- 
dicace au  pape  en  qui  on  sait  un  protecteur.  On  voit, 
pour  ne  citer  que  quelques  exemples,  Tite-Live,  Vir- 
gile, Aulu-Gelle,  César,  Térence,  Quintilien  imprimés 
pour  la  première  fois,  et  avec  eux  saint  Cyprien, 
saint  Ambroise,  saint  Thomas,  Guillaume  Durand, 
Nicolas  de  Lyra,  Jean  Torquemada,  Sanchez  d'Are- 
valo.  Les  érudits  abondent  à  la  cour  pontificale,  qui 
peuvent  utilement  remplir  les  fonctions  de  corrcc- 


LA  VATICANE  DE  SIXTE  IV.  .U7 

leurs  :  Jean-Antoine  Campano,  Pomponio  Lclo,  Domi- 
zio  Calderini  et  d'autre^ï  encore.  C'est  un  moment 
unique  dans  l'histoire,  un  moment  glorieux  pour  le 
Saint-Siège  qui  exerce  sur  les  esprits  une  incompa- 
rable maîtrise. 

Un  élan  était  donné,  qui  ne  devait  plus  s'arrêter 
désormais.  Sous  les  successeurs  de  Sixte  IV,  la  Va- 
ticane  ne  cesse  de  s'accroître.  Ce  sont  des  transcrip- 
tions nouvelles,  ou  des  dons,  des  legs,  des  achats; 
tantôt  c'est  le  fruit  de  missions  lointaines,  comme 
celle  dont  est  chargé  Pomponio  Leto,  tantôt  on  se 
procure  en  Italie  même  d'inappréciables  trésors, 
comme  sont  les  manuscrits  rapportés  de  Bobbio  par 
Thomas  Inghirami.  Elle  attire  les  érudits  étrangers  ; 
elle  sert  à  Bembo,  à  Valeriano  et  à  Sadolet;  elle  prête 
à  domicile  sur  nantissement,  et  nous  relevons  sur 
ses  registres  de  prêt  les  émargements  de  Jean  Las- 
caris,  de  Pierre  Carafa,  d'Angelo  Colucci;  on  trouve 
naturel  que  ses  manuscrits  «  voyagent  pour  une 
cause  honorable  »,  et,  sur  la  prière  de  Laurent  de 
Médicis,  Innocent  VIII  en  fait  envoyer  ù,  Politien, 
qui  habite  Florence.  Enfin,  ses  bibliothécaires  sont 
toujours  au  premier  rang  parmi  lés  érudits  :  c'est 
Giovanni  Lorenzi,  l'helléniste,  élève  de  Théodore 
<ia/.a,  ami  de  Démétrius  Chalcondyle  et  de  Politien  ; 
c'est  Inghirami,  le  «  Cicéron  de  son  temps  »,  immor- 
talisé par  Raphaël;  c'est  Philippe  Béroald,  à  qui  est 
échu  l'honneur  de  donner  au  monde  savant  les  cinq 
premiers  livres  des  Annales  de  Tacite,  ignorés  jus- 
que-là; c'est  Jérôme  Aléandre,  d'un  savoir  universel, 
aussi  versé  dans  la  connaissance  du  grec  et  de  l'hé- 
breu que  dans  celle  de  la  théologie  et  du  droit  canon. 

LE   VATICAN.    —    II.  13 


218  LA  BIBLIOTHÈQUE  VATICA>E. 

IV 

LA    VATICANE    ET   LA    RÉFORME:    l'ÉRlDITIOX    CATHOLIOCE. 

Le  nom  d'Âléandre  évoque  d'autres  souvenirs  que 
ceux  de  la  Renaissance  des  lettres:  il  est  intimement 
lié  à  la  première  période  de  la  Réforme,  dont  Aléan- 
dre  a  été  un  des  plus  ardents  adversaires,  et  il  y  a  là 
comme  un  symbole  de  ce  qu'allait  être  la  Vaticane 
au  cours  du  seizième  siècle. 

Quelques-uns   se  sont  demandé    si  la  protection 
accordée  par  le  Saint-Siège  à  Thumanisme,  si  les  en- 
couragements et  les  facilités  de  toute  sorte  donnés 
par  les  papes  au  développement  de  la  Renaissance 
littéraire  n'ont  pas  eu  de  suites  fâcheuses  pour  l'É- 
glise. Il  est  bien  certain,  en  effet,  que  la  passion  ex- 
clusive de  l'antiquité  a  produit  comme  un  renouveau 
de  paganisme,    qui  souvent  s'est  traduit  par  une 
excessive  liberté  de  conduite  et  de  pensée,  et  que  le 
spectacle  d'une  cour  comme  celle  de  Léon  X  —  en 
qui  le  Médicis  a  vraiment  tué  le  pape  —  a  été  pour 
quelque  chose  dans  l'attitude  de  Luther.  Il  n'est  pas 
douteux  non  plus  que  l'étude  de  l'antiquité,  qui  don- 
nait aux  hommes  de  nouvelles  habitudes  d'esprit,  ne 
les  ait  amenés  peu  à  peu  à  l'idée  de  rompre  avec 
toutes  les  formes  de  la  tradition  intellectuelle,  et  il 
est  bien  certain  que  la  Réforme,  qui  est  un  produit 
direct  de  la  Renaissance  en  même  temps  qu'elle  est 
une  protestation  contre  elle,  a  tiré  1res  habilement 
parti,  dans  sa  lutte  contre  le  Saint-Siège,  des  pro- 
cédés et  des  méthodes  que  la  Papauté  avait  si  puis- 
samment contribué  à  répandre. 


LA  VATIC.VNE  ET  LA  RÉFORME.  219 

A  vrai  dire,  le  Saint-Siège  avait  eu  le  tort  de  ne 
pas  appliquer  lui-même  ces  procédés  et  ces  méthodes 
au  renouvellement  des  études  philosophiques  et  re- 
ligieuses. Il  en  a  porté  la  peine.  Ce  qui  s'est  fait  sans 
lui  s'est  fait  contre  lui,  et  quand  on  a  vu  les  Réformés 
le  combattre  avec  les  armes  qu'il  avait  forgées  lui- 
même,  un  certain  trouble  s'est  emparé  des  esprits. 
Mais  si  Home  a  semblé  souffrir  tout  d'abord  de  la 
diffusion  de  l'esprit  nouveau,  qu'importe?  La  Pa- 
l»auté,  dépositaire  de  la  vérité,  n'avait  au  fond  rien  à 
redouter  de  la  lumière.  L'Église  attaquée  a  pu  faci- 
lement soutenir  la  lutte  sur  le  terrain  que  la  Réforme 
avait  choisi.  Elle  était  au  courant  des  méthodes 
nouvelles,  et  admirablement  outillée  pour  la  défense. 
Elle  avait  ses  écrivains,  ses  philologues,  ses  histo- 
riens, et  la  Vaticane  constituait,  par  sa  composition 
mémo,  le  plus  admirable  arsenal. 

Quelle  magnifique  page  dans  l'histoire  de  l'Ëglise 
que  celle  de  la  constitution  de  la  science  catholique 
l'U  face  de  l'hérésie  de  Luther!  Le  protestantisme, 
rejetant  la  tradition  séculaire  représentée  par  l'Église 
catholique,  prétendait  entrer  en  communication  di- 
recte avec  la  parole  de  Dieu  contenue  dans  l'Écriture; 
H  l'autorilé  de  l'Église  il  opposait  celle  de  la  Bible, 
et  c'est  à  l'Écriture  qu'il  demandait  des  arguments 
'ontre  les  croyances,  la  discipline  et  la  hiérarchie 
du  catholicisme  dont  il  se  séparait  :  de  là,  pour  l'É- 
glise, la  nécessité  de  suivre  son  adversaire  dans 
l'étude  critique  des  Livres  Saints,  d'en  discuter  et 
d'en  déterminer  la  composition,  d'en  fixer  l'autorité, 
d'en  établir  minutieusement  le  texte.  Puis,  comme 
par  une  inconséquence  facilement  explicable,  les  par- 
tisans des  nouvelles  doctrines  se  prétendaient  les 


220  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

héritiers  directs  de  la  primitive  Église,  il  fallut  scruter 
les  antiquités  chrétiennes,  remonter  à  l'origine  de  la 
hiérarchie  et  de  la  discipline,  étudier  dans  les  Pères 
apostoliques  l'interprétation  de  l'Écriture. 

Il  se  forma  ainsi  en  peu  de  temps,  dans  le  domaine 
de  la  patristique  et  de  l'histoire  ecclésiastique,  une 
littérature  si  considérable,  que  les  controversistes 
protestants,  presque  sans  y  prendre  garde,  abandon- 
nèrent peu  à  peu  le  terrain  primitif  oii  ils  s'étaient 
placés  et  en  vinrent  à  discuter  avec  acharnement  sur 
le  sens  que  des  commentateurs,  venus  quatre  cents 
ans  après  Jésus-Christ,  donnaient  aux  paroles  de 
l'institution  eucharistique.  Il  restait  sans  doute  aux 
protestants  la  ressource  de  nier  que  l'Église  Romaine 
fût  demeurée  dans  la  tradition  des  Pères,  et  c'est 
l'œuvre  que  tentèrent  les  centuriateurs  de  Magde- 
bourg  :  Rome  et  Baronius  leur  réservaient  l'écrasante 
réponse  des  An)} aies  Ecclesiastici. 

La  Réforme  fut  ainsi  l'occasion  d'une  véritable  ré- 
novation dans  la  pensée  catholique  ;  mais  elle  en  fut 
seulement  l'occasion.  Le  mouvement  d'érudition  au- 
quel elle  donna  lieu  avait  ses  antécédents  et  son 
principe  en  dehors  d'elle  :  il  était  si  naturel  et  si  sin- 
cère qu'il  se  marqua  jusque  dans  les  questions  les 
plus  étrangères  aux  préocupations  des  réformés.  La 
contre-réformalion  catholique  n'était  pas  seulement 
une  réaction,  elle  était  un  progrès,  et  il  est  intéres- 
sant de  voir  comment  ce  progrès  s'était  préparé  et 
comment  il  s'est  réalisé. 

Il  faut  se  rendre  compte  de  ce  qu'était  ce  monde 
de  savants  et  d'érudits  qu'on  rencontrait  à  Rome  au 
moment  où  éclata  la  Réforme.  Sans  doute  l'huma- 
nisme avait  en  la  personne  d'Érasme  et  de  Reuchlin 


LA  VATICANE  ET  LA  REFORME.  221 

de  grands  représentants  au  delà  des  monts;  mais  ce 
serait  une  erreur  singulière  de  s'imaginer  les  huma- 
nistes romains  de  ce  temps  comme  des  «  singes  de 
Cicéron  »,  capables  seulement  de  bien  tourner  une 
phrase  latine.  Leurs  connaissances  étaient  fort  éten- 
dues :  beaucoup  possédaient  à  fond  le  latin,  le  grec, 
l'hébreu,  les  langues  orientales;  tous  étaient  curieux 
d'antiquité,  rompus  aux  nouvelles  méthodes  d'inves- 
tigation, tout  prêts  à  transporter  dans  le  champ  des 
anti<iuités  chrétiennes  les  procédés  qu'ils  employaient 
pour  l'étude  de  l'antiquité  profane. 

La  Vaticane  était  le  foyer  de  toutes  ces  études  :  le 
litre  seul  des  volumes  empruntés  sous  Sixte  IV, 
Jules  II  et  Léon  X  est,  à  ce  point  de  vue,  une  indica- 
tion très  précieuse;  la  Bibliothèque  Vaticane  et  les 
érudits  romains  sont  mis  ù  contribution  pour  la  Po- 
lyglotte d'Alcala  (loi 4-20  ,  l'édition  aldine  des  Sep- 
tante (irilH),  et  la  version  latine  du  texte  liébraïque 
donnée  chez  les  Aide  en  l.jîO;  il  suffit  de  rappeler 
des  noms  comme  ceux  d'Alberto  Pio  de  Carpi,  de 
Zanobio  Acciajuoli,  de  Vigerio  de  Savone,  d'Agostino 
Steuco  et  d'Aléandre  lui-même  pour  prouver  qu'à 
Kome  les  études  religieuses  n'étaient  point  mortes. 

11  semble  que  Paul  III  ait  eu  la  vision  très  nette 
des  services  que  la  Vaticane  pouvait  rendre  à  la  cause 
catholique  :  il  fit  refaire  les  inventaires,  multiplia  les 
«•opistes  chargés  de  transcrire  les  manuscrits  que  le 
temps  menaçaitoules  ouvrages  que  ne  possédait  pas 
encore  la  Bibliothèque,  et  créa  deux  «  correcteurs  » 
chargés  de  revoir  le  travail  des  copistes,  de  réviser 
•  l  d'amender  les  textes  transcrits  par  eux  :  ces  correc- 
teurs furent  Faerno  et  Nicolas  Majorano.  En  même 
temps,  pour  avoir  sous  la  main  l'instrument  désor- 


222  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

mais  indispensable  à  toute  propagande,  il  songeait 
à  installer  une  imprimerie,  destinée  non  seulement 
à  publier  les  actes  du  Saint-Siège,  mais  surtout  à 
éditer  les  trésors  de  la  Yaticane,  «  pour  qu'en  mul- 
tipliant les  exemplaires  des  ouvrages  qu'elle  contient 
on  put  les  répandre  à  travers  le  monde,  pour  l'usage 
de  tous  les  peuples  et  de  tous  les  temps  «;  enfin,  il 
mettait  un  cardinal  à  la  tète  de  la  Yaticane  avec  le 
titre  de  bibliothécaire  etde  protecteur,  et  ce  cardinal 
s'appelait  Marcel  Cervini. 

La  belle  période  pour  la  Yaticane  que  cette  seconde 
moitié  du  seizième  siècle,  où  après  Cervini  (sous  l'ad- 
ministration duquel  elle  s'enrichit  de  plus  de  cinq 
cents  manuscrits  grecs,  hébreux  et  latins)  elle  compta 
comme  bibliothécaires  (luillaume  Sirleto,  Antoine 
Carafîa,  Marc-Antoine  Colonna,  César  Baronius!  On 
sent  si  bien  qu'elle  est  le  centre  de  cet  admirable  dé- 
veloppement de  l'érudition  catholique,  dont  elle  a  eu 
à  sa  tête  les  plus  illustres  représentants! 

Le  concile  qui  se  tient  à  Trente  s'inspire  à  Rome. 
Ce  n'est  pas  seulement  parce  que  Cervini  le  préside; 
c'€st  aussi  parce  que  Cervini  a  laissé  à  Rome,  en  la 
personne  de  Sirleto,  un  correspondant  incomparable, 
qui  lui  adresse  des  mémoires  sur  toutes  les  questions 
d'érudition  qui  se  posent  au  concile.  On  a  pu  dire  que 
la  correspondance  de  Sirleto  avec  Cervini  durant  les 
années  lo45-15o:2  contient  «  la  documentation  patris- 
tique  de  presque  tous  les  décrets  de  Trente  ».  Cervini, 
en  effet,  faisait  rechercher  par  Sirleto  les  textes  pu- 
bliés ou  inédits  dont  on  avait  besoin  pour  le  concile, 
et  son  correspondant  puisait  à  pleines  mains  dans  la 
Yaticane;  il  envoyait  des  copies  et  des  extraits,  à 
moins  que  le  légat  ne  demandât,  ce  qui  arrivait  par- 


LA   VATICANE  ET  LA  REFORME.  223 

fois,  qu'on  lui  expédiât  à  Trente  les  manuscrits  eux 
mêmes.  Et  ce  rôle  de  Sirleto  paraissait  si  précieux  que 
le  cardinal  Seripando,  successeur  de  Cervini  à  la  pré- 
sidence du  concile,  lui  demandait  comme  une  faveur 
de  vouloir  bien  continuer  de  la  remplir;  Sirleto  con- 
tinua, en  effet,  de  donner  son  concours,  et  plus  tard 
Seripando  lui  rendait  ce  témoignage  «  que,  tout  en 
restant  à  Rome,  il  avait  rendu  au  concile  plus  de  ser- 
vices que  n'en  auraient  pu  rendre  cinquante  prélats 
de  plus  à  Trente  ». 

Lorsque,  dans  la  lY''  session,  le  concile  eut  adopté 
le  décret  relatif  "  à  l'usage  et  au  texte  des  livres  saints  ■> , 
et  qu'il  eut  décidé  que,  pour  couper  court  à  l'abus  qui 
s'était  introduit  de  citer  l'Écriture  dans  cent  versions 
différentes,  il  jugeait  nécessaire  «  de  tenir  pour  au- 
thentique, c'est-à-dire  pour  officiel,  l'ancien  texte 
connu  sous  le  nom  de  Vulgate,  texte  sanctionné  par 
l'usage  que  l'Église  en  avait  fait  durant  tant  de  siècles, 
et  de  s'en  servir  à  l'exclusion  de  tous  autres  dans  les 
lectures  publiques,  les  controverses,  les  prédications 
et  les  expositions  »,  on  se  trouva  dans  l'obligation  de 
préparer  de  ce  texte  officiellement  adopté  par  l'Église 
une  édition  correcte,  d'où  on  ferait  disparaître  les 
fautes  qui  le  défiguraient  dans  la  plupart  des  exem- 
plaires. Cette  œuvre  de  la  «  correction  »  de  la  Vulgate 
ne  pouvait  être  menée  à  bonne  fin  nulle  part  aussi  bien 
qu'à  Rome,  oii,  disait  l'évéquede  Fano,  se  trouvaient 
réunies  toutes  les  conditions  désirables  :  de  l'argent, 
une  belle  collection  de  manuscrits  anciens,  et  un 
corps  de  savants  rompus  aux  recherches  érudites. 
Aussi  ce  fut  au  pape  que  le  concile  s'en  remit  du  soin 
de  faire  exécuter  ce  grand  travail. 

Les  correcteurs  institués  par  Paul  III  trouvaient  là 


224  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

leur  emploi  naturel,  et,  dès  son  retour  à  Rome,  Cer- 
vini  s'entendit  avec  Maggiorani  pour  commencer  les 
étudespréparatoires,quelesecondcorrecteur,Faerno, 
continua  plus  tard  de  concert  avec  Sirleto.  Les  cho- 
ses cependant  traînèrent  en  longueur.  La  typogra- 
phie que  Paul  III  considérait  comme  le  complément 
indispensable  de  la  Bibliothèque  tarda  à  s'établir.  Ce 
fut  seulement  en  1361  que  Paul  Manuce,  sur  les  pres- 
santes instances  de  Pie  lY,  consentit  (moyennant  un 
traitement  de  cinq  cents  ducats  et  une  part  dans  les 
bénéfices)  à  venir  installer  à  Rome  une  imprimerie 
dont  tous  les  frais  seraient  supportés  par  le  Saint- 
Siège,  ce  dont  le  pape  se  prévalut  pour  exiger  que 
les  livres  sortis  de  cette  imprimerie  se  vendraient  à 
très  bas  prix.  On  devait  commencer  par  l'impression 
de  la  Bible  latine,  continuer  par  la  Bible  grecque,  et 
donner  ensuite  des  éditions  des  Pères;  mais  diverses 
circonstances  empêchèrent  l'exécution  du  projet. 

Dans  sa  XXV  session,  le  concile,  avant  de  se  sépa- 
rer, avait  remis  au  Saint-Siège  le  soin  de  réformer 
certains  livres  d'un  usage  journalier,  et  le  Saint-Siège 
jugea  nécessaire  de  s'acquitter  sans  tarder  delà  tâche 
qu'on  lui  confiait.  Dans  ce  milieu  où  abondaient  les 
hommes  savants  et  compétents,  on  ne  fut  pas  en  peine 
pour  constituer  des  commissions  (des  «  congréga- 
tions »,  comme  on  disait  alors i  et  du  travail  de  ces 
commissions  sortirent  bientôt  le  Catéchisme  du  con- 
cile de  Trente,  le  Bréviaire,  remanié  conformément 
aux  idées  sainement  archéologiques  de  la  cour  ro- 
maine, le  Missel,  réformé  d'après  les  mêmes  doctri- 
nes; les  presses  romaines  de  Paul  Manuce  (occupées 
déjà  à  l'édition  des  actes  du  concile  qui  venait  de 
finir)  furent  chargées  de  donner  au  monde  catholi- 


LA  VATICANE  ET  LA  REFORME.  22.-) 

que  les  livres  liturgiques  conformes  aux  décisions 
des  congrégations,  et  la  Bible  attendit  :  non  sans 
profit  d'ailleurs,  car  les  études  préliminaires  se  pour- 
suivent activement  pendant  tout  le  règne  de  Pie  V. 

C'est  à  Sixte-Quint  que  revient  l'honneur  d'avoir 
définitivement  constitué  la  «  Stamperia  Vaticana  », 
dans  le  vaste  dessein  «  d'y  imprimer  les  conciles  gé- 
néraux et  les  Pères,  d'y  éditer  les  livres  ecclésiasti- 
ques de  toute  sorte  et  de  répandre  ainsi  à  travers  le 
monde  la  discipline  catholique,  entreprise  bien  digne 
d'un  pape  et  d'un  tel  homme  »,  comme  dit  son  con- 
temporain AngeloRocca.  Il  s'entendit  avec  le  Vénitien 
Domenico  Basa,  à  qui  il  ouvrit  un  crédit  de  quarante 
mille  ducats  pour  lacliat  du  matériel,  et  l'imprimerie 
Vaticane  se  trouva  en  peu  de  temps  plus  abondam- 
ment pourvue  qu'aucune  autre  de  caractères  latins, 
grecs,  hébreux  et  arabes;  elle  eut  surtout,  chose  ca- 
pitale, un  personnel  de  correcteurs  soigneusement 
choisis,  «  et  elle  fournit,  en  imprimant  l'Écriture,  les 
Pères,  les  docteurs  et  les  théologiens  un  vaste  arse- 
nal pour  la  défense  de  la  vérité  atta([uée  avec  tant 
d'acharnement  par  les  adversaires  ». 

De  ces  presses  sortirent,  coup  sur  coup,  le  texte  des 
Septante  (1587;,  la  version  latine  de  ce  texte  par  le 
cardinal  bibliothécaire  Antonio  Caraffa  (1588),  et 
enfin  la  Vulgate  hiéronymienne  à  laquelle  on  avait 
travaillé  durant  près  de  quarante  ans  (1590).  Le  P. 
Vercellone  a  raconté  l'histoire  de  ces  éditions,  pour 
lesquelles  furent  mis  à  contribution  tous  les  manus- 
(•rits  de  l'Europe  aujourd'hui  reconnus  les  meilleurs, 
et  qui  s'élaborèrent  dans  le  sein  de  commissions  in- 
ternationales où  figurent,  sous  la  direction  de  Sirleto 
et  d'Antonio  Caralla  son  élève,  des  savants  comme 

13. 


226  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

J.-B.  Rossi.  Latino  Latini,  Pedro  Chacon,  Pierre  Mo- 
rin,  Fulvio  Orsini,  Yalverde,  Antonio  Agellio,  Bellar- 
min  :  la  correspondance  de  ces  érudits  témoigne  de 
l'entrain  avec  lequel  ce  travail  collectif  était  mené. 

Sixte-Quint  tint  à  revoir  lui-même  les  épreuves  de 
la  Vulgate  qui  paraissait  sous  ses  auspices  et  d'après 
les  règles  qu'il  avait  tracées.  Pourtant  ce  ne  fut  pas 
encore  là  l'édition  définitive.  Divers  scrupules  soule- 
vés par  quelques  additions  et  suppressions  admises 
par  le  pape  à  la  Bible  «  ordinaire  »,  émurent  plusieurs 
consulteurs  de  l'ancienne  congrégation  présidée  par 
Caraffa,  et,  Sixte-Quint  étant  venu  à  mourir  sur  ces 
entrefaites,  Grégoire  XIV  forma  une  congrégation 
nouvelle,  sous  la  présidence  du  cardinal  Marc-An- 
toine Colonna,  qui  venait  de  remplacer  Caraffa  à  la 
tète  de  la  Bibliothèque.  Cette  commission,  revisant 
l'édition  Sixtine  (dontle  principe  fondamental  n'était 
d'ailleurs  pas  contesté),  prépara  une  édition  nouvelle, 
qui  parut  en  159:2,  par  les  soins  du  savant  Fran- 
çois Tolet,  avec  une  préface  du  P.  Bellarmin  :  ce  fut 
cette  fois  l'édition  définitive,  dite  édition  Clémentine, 
du  nom  du  pape  alors  régnant,  édition  bientôt  suivie 
de  deux  autres,  typographiquement  plus  correctes, 
mais  identiques  comme  texte  à  la  première. 

C'est  dans  une  de  ces  congrégations  qu'il  faudrait 
pénétrer  pour  avoir  idée  de  l'extraordinaire  activiti" 
intellectuelle  qui  règne  alors  à  la  cour  romaine;  en 
recueillant  les  conversations  qui  s'échangent  hors 
séances,  dans  les  instants  de  repos,  après  une  jour- 
née donnée  tout  entière  à  la  tâche  commune,  on 
s'aperçoit  vite  que  les  études  religieuses  ne  sont  pas 
seules  à  intéresser  ces  éi'udits,  mais  qu'ils  lisent  avec 
passion  les  anciens  et  qu'ils  sont  tout  à  la  fois  ar- 


LA  VATICANE  KT  LA  REFORME.  227 

chéologues, historiens, philologues... etchrétiens.  Les 
plus  savants  hellénistes  de  l'Europe  consultent  Sir- 
leto  sur  les  difdcultés  des  textes  classiques,  et  lui- 
même  autrefois  a  dû  repousser  «  comme  une  tenta- 
tion »  une  chaire  de  grec  à  l'Université  de  fiome,  qui 
l'eût  obligé  à  délaisser  l'étude  des  auteurs  sacrés 
«  pour  commenter  Chrysoloras  ».  Presque  tous  ceux 
qui  lenlourent  et  ^[u"il  inspire  se  partagent  entre 
l'antiquité  profane  et  l'antiquité  chrétienne,  tels  : 
(Jnofrio  Panvinio,  «  ce  glouton  d'antiquités  »,  Ba- 
galto,  Sigonio,  Vettori,  (îérard  Yossius,  pour  en  citer 
quelques-uns  parmi  bien  d'autres,  qu'ils  soient  prê- 
tres ou  laïques,  moines  ou  séculiers. 

Tous  ces  esprits  ont  soif  de  science  et  de  vérité. 
Sans  doute  ils  travaillent  pour  répondre  aux  attaques 
des  protestants,  mais  ils  travaillent  aussi  pour  sa- 
tisfaire aux  exigences  de  leur  propre  critique  ;  alors 
même  qu'aucune  question  de  dogme  ou  de  discipline 
ne  se  trouve  engagée,  ils  éprouvent  un  impérieux  be- 
soin d'améliorer  et  d'étendre  leurs  connaissances.  Le 
mot  de  «  correction  »  est  à  l'ordre  du  jour.  Les  ha- 
bitudes d'esprit  sont  telles,  que  l'Église  sent  le  be- 
soin d'établir  à  nouveau  le  texte  de  son  droit  canon  : 
une  commission  est  cliargée  par  le  pape  (îrégoire  XIII 
de  préparer,  sous  la  haute  direction  d'Antoine  Au- 
gustin, l'édition  du  Décret  de  Gratien,  et  elle  fait 
api)el  à  travers  toute  l'Kurope  aux  lumières  des  éru- 
ditset  aux  ressources  des  bibliothèques;  de  son  côté, 
le  cardinal  CarafTa  entreprend  sur  un  vaste  plan  une 
collection  générale  des  lettres  pontificales  l'cc  fameux 
Bullaire  que  nous  attendons  encore),  et  il  la  pousse, 
en  trois  volumes,  jusqu'au  pontificat  de  Grégoire  VII  ; 
puis,  comme  il  faut  introduire  dans  la  célébration 


228  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

des  fêtes  une  rigueur  et  une  unité  que  le  calen- 
drier julien  ne  permet  pas  d'atteindre,  on  n'hésite 
pas  devant  cette  tâche  si  délicate  de  la  correction 
du  calendrier,  on  ne  recule  devant  aucune  difficulté, 
devant  aucune  dépense  :  on  construit  un  Observa- 
toire au  Vatican,  on  s'adresse  aux  plus  fameux 
mathématiciens,  on  appelle  à  Rome  Clavius,  Danti, 
Giglio,  et  on  trouve  dans  l'universel  Sirleto  un  éru- 
dit  capable  de  suivre  les  calculs  de  la  commission 
de  spécialistes  oii  s'élabore  la  réforme. 

Le  mouvement  parti  de  Rome  s'est  étendu  de  pro- 
che en  proche  chez  tous  les  peuples  catholiques.  Les 
commissions  Vaticanes  étaient  cosmopolites;  elles 
ont  eu  dans  tous  les  pays  leur  écho  et  leur  contre- 
coup, et  la  France,  cette  fille  ainée  de  l'Église,  a  pris 
bien  vite  la  tête  dans  les  études  patristiques  et  litur- 
giques comme  dans  l'exégèse  et  dans  l'histoire.  Les 
jésuites  et  les  oratoriens,  si  intimement  mêlés  à  la 
contre-réformation  et  qui  tiraient  de  Rome  leur  ori- 
gine, ont  été  les  initiateurs;  la  congrégation  de  Saint- 
Maur  vint  ensuite ,  qui  pendant  plus  d'un  siècle  a 
représenté  en  Europe  tout  à  la  fois  la  science  chré- 
tienne et  l'érudition  française. 

C'est  de  la  Vaticane  qu'est  né  en  grande  partie  ce 
mouvement  d'érudition;  c'est  à  la  Vaticane  qu'il  s'ali- 
mente. C'est  la  Vaticane  qui  fournit  les  éléments  de 
l'édition  grecque  des  Septante,  pour  laquelle  la  «  con- 
grégation »  n'avait  qu'à  donner  «  mot  à  mot  »,  comme 
elle  l'annonçait,  le  texte  du  Codex  Vaticanus  ;  c'est  à 
elle  qu'on  a  recours  pour  les  grandes  éditions  de 
saint  Cyprien,  de  saint  Ephrem,  de  Théodoret;  c'est 
elle  qui  procure  à  Baronius  presque  tous  les  maté- 
riaux diplomatiques  ou  littéraires  de  ces  Annales  de 


LA  VATICANE  DE  SIXÏE-QUI.NT.  220 

l'Église,  œuvre  immense  où  tant  de  documents  sont 
pour  la  première  fois  cités,  analysés  ou  publiés  qu'il 
s'en  dégage  une  esquisse  définitive  des  grandes  lignes 
de  l'Histoire  ecclésiastique. 

Tout  le  monde  d'ailleurs  est  convié  à  profiter  des 
ressources  qu'elle  renferme.  Montaigne,  qui  la  visite 
au  mois  de  mars  1.j81,  au  temps  où  le  cardinal  «  Cliar- 
let  »  (Sirleto)  en  était  le  «  maistre  »,  nous  dit  «  qu'il 
la  vit  sans  nulle  difficulté;  chacun  la  voit  einsin  et  en 
extrait  ce  qu'il  veut;  et  est  ouverte  quasi  tous  les  ma- 
tins et  si  fus  conduit  partout  et  convié  par  un  jantil- 
liomme  d'en  user  quand  je  voudrais  ». 


LA    VATICANE    DE    SIXTE-QUINT. 

Au  temps  du  voyage  de  Montaigne,  la  «  Librerie  du 
Vatican  était  en  cinq  ou  six  salles  tout  de  suite  »  dans 
les  locaux  aménagés  pour  elle  un  siècle  plus  tôt  par 
le  pape  Sixte  IV.  Mais,  depuis  la  construction  du 
«  Théâtre  »  dans  la  grande  cour  du  Belvédère,  la  Bi- 
bliothèque de  Sixte  IV  avait  beaucoup  perdu  :  elle 
était  comme  aveuglée,  et  on  pouvait  avec  raison  lui 
reprocher  d'être  située  «  dans  un  lieu  bas,  obscur  et 
insalubre  ».  Aussi  Sixte-Quint  songea-t-il  à  ta  trans- 
porter dans  un  édifice  mieux  approprié  et  plus  digne 
d'elle.  Selon  sa  coutume,  il  n(!  lit  pas  les  choses  à 
demi;  Fontana,  l'architecte  chargé  de  réaliser  ses  con- 
ceptions grandioses,  jeta  à  travers  la  cour  du  Belvé- 
dère, entre  les  deux  portiques  parallèles  élevés  par 
Itramanle  à  l'est  et  à  l'ouest,  une  vaste  construction 


230  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

qui  les  relia  en  leur  milieu.  La  bâtisse  coûta  à  elle 
seule  plus  de  deux  cent  cinquante  mille  écus;  mais 
les  travaux  furent  menés  avec  une  extraordinaire  ra- 
pidité. Commencé  à  la'  fin  de  1587,  le  gros  œuvre, 
toiture  comprise,  était  achevé  en  septembre  1588,  et 
on  lit  encore,  au-dessus  de  la  porte  d'entrée,  l'ins- 
cription suivante  : 

SIXTVS.  V.   PONT.  MAX. 

BIBLIOTDECAM.    HANC.  VATICANAM 

.EDIFIGAVIT.  EXORNAVITQVE 

ANN.    MDLXXXVIII 

PONT.  m. 

Des  deux  étages  dont  se  composait  l'édifice,  l'étage 
supérieur  seul  fut  aff'ecté  à  la  Bibliothèque.  Il  formait 
une  magnifique  galerie  voûtée,  à  deux  nefs,  longue 
de  soixante-dix  mètres  et  large  de  quinze,  abondam- 
ment éclairée  à  droite  et  à  gauche  par  quatorze  fenê- 
tres, et  entièrement  décorée  de  peintures  à  fresque. 
Sur  la  voûte,  on  peignit  en  seize  tableaux,  chacun 
avec  une  inscription  métrique,  les  principaux  événe- 
ments du  pontificat;  sur  les  murailles  et  sur  les  pi- 
liers, on  représenta  d'une  part  la  série  des  conciles 
œcuméniques,  d'autre  part  les  plus  célèbres  biblio- 
thèques et  les  inventeurs  des  divers  alphabets  ;  à  l'en- 
trée, la  fameuse  statue  de  saint  Hippolyte  —  retrou- 
vée en  1551  près  çle  Saint-Laurent  et  placée  dans 
l'ancienne  Bibliothèque  par  les  soins  de  Marcel  Ger- 
vini,  heureux  de  faire  ainsi  revivre  une  pratique  de 
l'antiquité  —  continuait  à  faire  face  dans  la  nouvelle 
Bibliothèque  à  la  statue  du  rhéteur  Aristide  conser- 
vée aujourd'liui  encore  à  la  Vaticane,  et  dont  Montai- 
gne admirait  déjà  la  «  bêle  teste  chauve,  la  barbe 


LA  VATICANK  DE   SIXTE-QL'IN T.  231 

espesse,  le  grand  front,  lo  regard  plein  de  douceur  cl 
de  majesté  » .  Comme  dans  la  Bibliothèque  de  Sixte  IV, 
la  décoration  même  du  nouvel  édifice  allestait  ainsi 
le  double  caractère,  marqué  dès  Torigine,  et  depuis 
soigneusement  maintenu,  de  la  Bibliothèque  aposto- 
lique; une  inscription  placée  à  droite  de  la  porte  d'en- 
trée proclamait  que  la  Hil)liothèque  du  Saint-Siège 

avait  pour  objet  de  conserver  à  notre  foi  les  livres 
^^aints  et  les  écrits  de  toute  langue  contenant  des  té- 
moignages relatifs  à  l'ancienne  discipline  et  aux 
anciens  rites  de  l'Église,  afin  de  maintenir  de  géné- 
ration en  génération  la  pureté  de  la  foi  et  de  la  doc- 
trine »,  et  déclarait  en  même  temps  l'œuvre  de  Sixte- 
Quint  «  faite  pour  la  science  et  la  commune  utilité  de 
ceux  qui  se  livrent  aux  études  libérales  ». 

Le  mol)ilier  fut  emprunté  à  la  vieille  bibliothèque 
de  Sixte  IV,  et  dans  le  nouveau  local  on  put  admirer 
quelque  temps  les  armoires,  les  bancs  et  pupitres  et 
les  «  spalliere  »  si  linernent  travaillés  par  les  artistes 
du  quinzième  siècle.  Deux  chambres,  qu'on  appela 
chambres  secrètes  {secretiorns),  furent  aménagées,  en 
1589,  à  l'extrémité  gauche  de  la  nouvelle  Bibliothèque, 
au-dessous  delà  galerie  des  cartes  géographiques  ré- 
cemment décorée  par  ("irégoire  XIll  ;  elles  étaient  des- 
tinées à  contenir  les  manuscrits  de  la  Réserve  ou  «  lii- 
hUntltcca  sécréta  »,  c'est-à-dire  en  particulier  la  série 
desregistrespontilicaux  qui  venait  de  s'accroître,  par 
les  soins  de  Pie  IV,  de  cent  cinquante-huit  volumes 
avignonnais),  (;t  un  certain  nombre  d'autres  docu- 
ments ollrant  plus  spécialement  le  caractère  depièces 
d'archives. 

11  y   eut  par    conséquent  transfert  de  l'ancienne 
bibliothèque  dans  les  nouveaux  locaux,  mais  la  des- 


232  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

cription  que  Montaigne  faisait  quelques  années  plus 
tôt  de  la  bibliothèque  pontificale  demeurait  exacte  : 
«  Il  y  a  un  grand  nombre  de  livres  attachés  sur  un 
certain  nombre  de  pupitres:  il  y  en  a  aussi  dans  des 
coffres,  qui  me  furent  tous  ouverts.  » 

La  physionomie  pas  plus  que  la  composition  de 
la  bibliothèque  de  Sixte  IV  ne  se  trouvait  altérée. 

C'est  à  Paul  V  qu'il  était  réservé  d'opérer  ce  chan- 
gement et  de  donner  à  la  Yaticane  la  forme  qu'elle 
conserve  encore  aujourd'hui. 


CHAPITRE  III 
La  bibliothèque  moderne 


I 

LES   ARCHIVES     HU    SAINT-SIÈGE 

C'était  depuis  longtemps  une  préoccupation  des 
papes  de  réunir  en  un  vaste  dépôt  les  documents 
d'archives  épars  de  divers  côtés. 

On  avait  pensé  d'abord  au  Château  Saint-Ange. 
Dès  le  temps  de  Sixte  IV,  on  avait  mis  à  l'abri  au 
sein  du  vieux  donjon  pontifical  les  chartes  les  plus 
importantes  de  la  Sainte  Église;  Léon  X  y  transféra 
d'autres  pièces,  extraites  de  la  «  Bibliothèque  se- 
crète »  du  Vatican,  et  un  inventaire  général  fut  dressé 
par  Zanobio  Acciajuoli  :  Montfaucon  Va  publié. 

Mais  ce  Trésor  des  chartes,  contenu  alors  dans  des 
sacs  de  soie  de  différentes  couleurs,  était  peu  de 
chose  en  comparaison  de  tout  ce  qui  avait  été  laissé 
à  Avignon,  et  de  tout  ce  qu'enfantait  la  vie  quoti- 
dienne de  la  curie  depuis  la  tin  du  grand  schisme  : 
or,  tout  cela  était  disséminé  en  divers  endroits.  Sans 
parler  de  la  Bibliothèque  secrète,  où  Jérôme  Aléan- 


234  LA  BIBLIOTHÈQUE  VATICANE. 

dre  faisait  encore  déposer  des  lettres  de  Luther,  il 
y  avait  les  Archives  de  la  Chambre  Apostolique, 
celles  de  la  Garde-robe,  celles  de  la  Chancellerie, 
celles  des  Secrétaires  Apostoliques,  celles  des  Noncia- 
tures. Pie  IV  et  Pie  V  révèrent  de  réunir  tout  cela 
dans  un  dépôt  unique,  et  Clément  VIII,  préludant  à 
l'exécution  de  ce  grand  dessein,  fit  établir,  par  l'ar- 
chitecte Balthazar  Telarivi  de  Lugo,  une  fort  belle 
salle  au  sommet  du  Château  Saint-Ange,  au-dessus  de 
la  «  Chambre  du  Trésor  »  dans  laquelle  avaient  été 
jusque-l<à  conservés  les  anciens  diplômes  :  tout  au- 
tour furent  disposées  d'élégantes  armoires,  ornées 
de  dorures  et  de  filets  de  cuivre,  qui  subsistaient  en- 
core à  la  fin  du  dix-huitième  siècle  et  que  Gaetano  Ma- 
rini  vit  détruire  en  1799.  Dès  que  le  local  fut  prêt,  on  se 
mit  en  devoir  d'y  transporter  non  seulement  les  do- 
cuments qu'on  trouvait  épars  dans  Rome,  mais  même 
un  certain  nombre  de  pièces  qui  avaient  fait  jusque- 
là  partie  de  la  Vaticane. 

Cependant,  peu  après  son  avènement.  Paul  V  prit 
de  nouvelles  dispositions.  Il  jugea  que  cette  dépen- 
dance de  la  Bibliothèque  (les  Archives  du  Château 
continuaient,  en  effet,  à  être  confiées  à  un  des  deux 
custodes  de  la  Vaticane)  était  vraiment  un  peu  loin- 
taine, et,  ordonnant  de  cesser  tout  envoi  nouveau 
au  Château  Saint-Ange,  il  érigea  au  Vatican,  tout  à 
côté  de  la  Bibliothèque,  ce  qui  s'appela  YArchivio 
Valkano.  Il  destina  à  cette  fondation  nouvelle  les 
chambres  qui  avaient  été  réservées  par  Sixte-Quint  à 
l'habitation  du  cardinal  bibliothécaire,  et  il  les  fit 
décorer,  à  cette  occasion,  de  peintures  traduisant 
aux  yeux  les  titres  constitutifs  du  domaine  temporel. 

Les  registres  de  la  Bibliothèque  secrète  étaient  na- 


LES  ARCHIVES  DU  SAINT-SIEOE.  m* 

turellement  désignés  pour  former  le  premier  noyau 
des  nouvelles  archives;  Michel  Lonigo,  chargé  d'en 
assurer  le  transport,  nous  en  donne  le  détail,  et  nous 
savons  très  exactement  aujourdiiui  quels  volumes 
furent  extraits  de  la  Bibliothèque,  quels  autres  vinrent 
des  archives  de  la  Chambre  pour  constituer  cette  sé- 
rie initiale  (on  pourrait  dire  cet  ancien  fonds)  des 
Archives  du  Vatican.  Dans  ce  premier  fonds,  qui 
comprenait  environ  deux  mille  sept  cents  volumes, 
furent  incorporés  presque  aussitôt  un  certain  nombre 
de  registres  rappelés  du  Château  Saint-Ange;  mais 
l'Archive  du  Château  subsista.  Les  diplômes  et  pièces 
détachées  dont  Silvio  de  Paoli  venait  de  faire  l'inven- 
taire 1  l()10i  demeurèrent  dans  les  layettes  qui  avaient 
remplacé  les  anciens  sacs  de  soie,  et  près  d'elles, 
dans  les  armoires  qu'avait  fait  établir  Clément  VIll, 
on  conserva  des  séries  entières  de  registres  et  de  lias-' 
ses,  relatives  pour  la  plupart  aux  questions  politiques 
et  territoriales;  l'inventaire  en  fut  dressé  par  Confa- 
lonieri  de  i()2()  à  1638. 

Mais  ce  n'en  était  pas  moins  VArchivio  Valicano 
qui  devenait  peu  à  peu  le  grand  dépôt  des  Archives 
pontificales  :  Urbain  VIII  y  faisait  transporter  de 
l'Archive  des  Secrétaires  Apostoliques  les  bulles  en- 
registrées par  voie  secrète  de  Sixte  IV  à  Pie  V,  et, 
de  l'Archive  de  la  Secrétairerie  des  brefs,  les  regis- 
tres et  minutes  de  brefs  d'Alexandre  VI  à  1567;  il  y 
joignait  un  certain  nombre  de  volumes  provenant 
d'Avignon,  ainsi  que  la  correspondance  des  nonces 
du  seizième  siècle,  restée  jusque-là  dans  l'Archive 
de  la  Garde-robe;  et  Alexandre  VII  y  ajoutait  les  pa- 
piers de  la  Secrétairerie  d'f^tat.  Peu  à  peu  s'organi- 
saient, dans  cet  amas  de  documents,  des  séries  dis- 


236  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

tinctes;  sous  Alexandre  VII,  les  Nonciatures  étaient 
rangées  à  l'étage  supérieur  dans  des  armoires  spé- 
ciales, et  près  d'elles  une  autre  série  était  formée  par 
les  lettres  des  cardinaux,  des  princes  et  de  divers; 
sous  Clément  XI.  on  constituait,  dans  la  même  salle, 
la  série  des  ^  Varia  politicorum  »  enfermées  dans 
douze  armoires;  et  sous  Benoît  XIII  le  chanoine  De 
Pretis  faisait  l'inventaire  de  ces  diverses  séries. 

Un  peu  plus  tard,  la  nomination  de  Garampi 
au  poste  darchiviste  1751)  marque  une  date  im- 
portante :  tandis  qu'il  continuait  la  répartition  des 
volumes  en  séries,  il  rédigeait  un  inventaire  analy- 
tique, et  ajoutait  au  dépôt  dont  il  avait  la  garde 
treize  cents  manuscrits  tirés  des  archives  de  la 
Chambre  Apostolique.  Un  peu  après,  sous  Pie  VI,  les 
Archives  Vaticanes  s'enrichissaient  encore  de  cinq 
cents  gros  volumes  revenus  d'Avignon;  enfin,  au 
mois  de  mai  1798,  lorsque  la  République  eut  été  pro- 
clamée à  Rome,  le  commandant  du  fort  Saint-Ange 
ayant  requis  l'archiviste  liaetano  Marini  de  lui  re- 
mettre les  clefs  des  Archives  du  Château.  Marini  ob- 
tint des  autorités  françaises  la  permission  de  trans- 
porter au  Vatican  le  dépôt  menacé,  ce  qui  se  fit  en 
un  jour.  «  grâce  à  la  diligence  de  nos  troupiers  ». 

Après  la  confusion  du  premier  moment,  les  Ar- 
chives du  Château  prirent  place  dans  l'Archivio  Vati- 
cano  M  au-dessus  des  armoires  des  deux  dernières 
salles  du  premier  étage  et  dans  quelques  armoires 
de  la  salle  d'entrée  'n  et  Marini  leur  conserva  soi- 
gneusement le  même  classement  qu'au  Château  Saint- 
Ange.  Malheureusement,  le  transfert  à  Paris  des 
Archives  Vaticanes,  ordonné  par  Napoléon  en  1810, 
et  leur  réinstallation  au  Vatican  en  1817,  après  la  mort 


L  uRGAMSATION  DE  LA  VATICANE  SOUS  PALL  \.  .m7 

dit  Marini,  jeta  quelque  incertitude  dans  celte  belle 
ordonnance.  Du  moins  l'unité  d'.Vrchives,  longtemps 
désirée,  se  trouvait  établie  par  ces  circonstances 
fortuites,  et  ces  Archives  se  trouvaient,  conformé- 
ment aux  traditions  anciennes,  toutes  voisines  de  la 
Bibliothèque  :  sous  le  pontificat  de  Léon  XIII,  elles 
ont  encore  reçu  plus  de  deux  mille  volumes  de  brefs, 
apportés  en  1883  et  en  1888  des  Archives  de  la  Date- 
rie  actuellement  déposées  au  palais  de  Latran. 


II 

l'organisation    de    la    VATICANE   SOUS   PAUL  V. 

Il  faut  maintenant  revenir  en  arrière,  et  nous 
représenter  la  perturbation  que  la  création  de  YAr- 
chivio  Vaticano  par  Paul  V  et  le  transfert  en  ce  nou- 
veau dépôt  des  volumes  qui  composaient  la  majeure 
partie  de  la  Bibliothèque  secrète  avait  jetée  dans 
l'agencement  intérieur  de  la  Vaticane.  D'autre  part, 
la  Bibliothèque  s'était  beaucoup  accrue.  Elle  venait 
de  s'enrichir  notamment  de  trois  cent  quarante-deux 
manuscrits  provenant  de  la  bibliothèque  d'.\lde  Ma- 
nuce.et  en  l'année  itiO<)  de  la  magnifique  collection 
formée  par  Fulvio  Orsini,  collection  dont  M.  de 
Nolhac  a  écrit  la  très  intéressante  histoire  :  il  y  avait 
là  quatre  cent  soixant>i-deux  manuscrits  latins,  grecs 
et  italiens,  presque  tous  de  valeur,  quelques-uns 
d'un  prix  exceptionnel,  comme  le  Térence  et  le  Virgile 
de  Bembo,  comme  le  Cunzoniere  autographe  de  Pé- 
trarque, qui  figurent  aujourd'hui  parmi  les  joyaux  que 
1  '    Viticane  est  fière  de  montrer  à  ses  visiteurs. 


'238  LA  BIBLIOTHEQUE  YATICAN'E. 

Paul  Y  lui-même,  par  une  rigoureuse  application  des 
droits  régaliens,  ajoutait  de  nouvelles  richesses  aux 
anciennes  :  nombre  de  manuscrits  provenant  de  lab- 
baye  de  Grotta  Ferrata,  de  la  bibliothèque  Altemps, 
du  collège  Capranica,  du  couvent  d'Assise  et  du  col- 
lège grec  de  Rome  entraient  ainsi  rer/ia  manu  à  la 
Vaticane,  et,  de  Bobbio,  labbé  Silvarezza  envoyait, 
en  1618,  un  nouveau  lot  de  ces  admirables  manus- 
crits, qui  devaient  plus  tard  fournir  au  cardinal  Mai 
la  matière  de  ses  plus  belles  découvertes. 

Dès  1611,  le  pape  avait  dû  agrandir  les  locaux 
qui  devenaient  insuffisants,  et  créer  à  Textrémité 
droite  de  la  galerie  Sixtine  deux  salles  nouvelles 
correspondant  vers  le  nord  à  celles  que  Sixte-Quint 
avait  fait  aménager  du  côté  sud  pour  la  Bibliothèque 
secrète.  Il  devenait  donc  indispensable  de  reviser 
les  anciens  inventaires.  Heureusement  les  frères 
Dominique  et  Alexandre  Rainaldi,  custodes  de  la 
Bibliothèque,  s'étaient  déjà  mis  courageusement  à 
la  tâche,  et  vers  1620  ils  achevaient  le  nouvel  inven- 
taire des  manuscrits  latins  en  six  grands  volumes. 

La  confection  de  cet  inventaire  marque  la  nais- 
sance de  la  Vaticane  moderne  :  aujourd'hui  encore 
c'est  rindex  alphabétique  de  l'inventaire  des  Rai- 
naldi qu'on  met  entre  les  mains  de  ceux  qui  vien- 
nent faire  des  recherches  dans  le  fonds  Vatican  latin. 
Désormais,  il  n'est  plus  question  de  bancs  et  de  pu- 
pitres :  la  Bibliothèque  y  a  perdu  en  pittoresque, 
mais  le  classement  y  a  gagné  en  simplicité.  Les  ma- 
nuscrits, facilement  accessibles  dans  les  armoires, 
courant  à  hauteur  de  main  le  long  des  murailles  et 
autour  des  piliers  les  manuscrits  latins  à  gauche  de 
l'entrée  et  les  manuscrits  grecs  à  droite),  ont  reçu 


LES  NOL'VEALX  FONDS.  2a« 

dans  chacune  des  deux  séries  des  numéros  d'ordre 
progressif,  si  bien  que  le  catalogue  reste  toujours 
ouvert  à  l'insertion  des  acquisitions  nouvelles,  qu'il 
s'agisse  de  manuscrits  isolés  ou  de  collections  :  le 
fonds  latin,  qui  comprenait  six  mille  vingt-cinq  ma- 
nuscrits en  16:20,  contient  aujourd'hui  près  de  dix 
mille  neuf  cents  numéros,  et  sans  bouleverser  l'ordre 
ancien  on  a  pu  inscrire  et  décrire  les  nouveaux  vo- 
lumes au  fur  et  à  mesure  de  leur  entrée,  de  telle 
sorte  que  le  travail  commencé  par  les  Rainaldi  a  pu 
être  continué  sans  interruption  jusqu'à  nos  jours. 


III 


LES    -NOLVEAUX    FONDS. 

Le  fonds  Vatican  proprement  dit  n'est  d'ailleurs 
qu'un  des  fonds  de  la  Vaticane.  Au  cours  du  dix-sep- 
lième  et  du  dix-huitième  siècle,  il  est  entré  au  Va- 
tican des  bibliothèques  entières,  qui  avaient  leur 
physionomie  et  leur  histoire,  et  dont  on  s'est  bien 
gardé  de  détruire  l'unité. 

Pendant  la  guerre  de  Trente  Ans,  comme  Tilly  venait 
d'enlever  Heidelberg  à  l'Électeur  Palatin,  le  duc  de 
Havièrt  Maximilien  imagina  de  s'acquitter  envers  le 
pape  des  grosses  sommes  que  le  Saint-Siège  lui  avait 
envoyées  pour  soutenir  la  lutte,  en  faisant  don  à  l'É- 
glise Romaine  de  la  magnifique  bibliothèque  qu'a- 
vaient constituée  à  l'Université  d'IIeidelberg  les 
libéralités  des  Électeurs,  les  dépouilles  des  couvents 
(comme  ceux  de  Lorsch  et  de  Sponheim),  et  la  muni- 
licence  de  riches  particuliers  comme  Ulrich  Fugger. 


240  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

Scaliger  la  déclarait  plus  complète  que  la  Vaticane 
et  fournie  de  meilleurs  manuscrits  :  c'était  certaine- 
ment le  joyau  littéraire  de  l'Allemagne.  La  combinai- 
son imaginée  par  le  prince  bavarois  était  habile  : 
c'était  une  façon  de  faire  payer  les  frais  de  la  guerre 
par  le  Palatinat.  Léon  Allatius  fut  envoyé  de  Rome 
pour  prendre  livraison  de  ce  royal  cadeau,  et  ce  fut 
aux  frais  du  pape  que  se  fit  le  transport  d'Heidelberg 
à  Rome  (1623).  Chacun  des  volumes  porta  la  mention 
de  son  origine  :  «  Je  suis  de  la  bibliothèque  que  la 
chute  d'Heidelberg  a  faite  prise  de  guerre,  et  que 
Maximilien,  duc  de  Bavière,  a  envoyé  comme  tro- 
phée au  pape  Grégoire  XV  »  ;  et  on  leur  prépara  un 
vaste  local  dans  la  Vaticane,  au  delà  des  deux  cham- 
bres destinées  autrefois  par  Sixte-Quint  à  la  Biblio- 
thèque secrète  :  dans  cette  nouvelle  salle,  qu'éclai- 
raient seize  fenêtres,  huit  à  gauche  et  huit  à  droite, 
ils  remplirent  trente  armoires. 

Trente-cinq  ans  plus  tard  (1658),  le  pape  Alexan- 
dre VII  installait  dans  cette  même  salle  une  biblio- 
thèque qui  représentait  pour  la  Renaissance  italienne 
ce  que  la  Palatine  était  pour  le  Moyen  Age  et  la  Re- 
naissance des  pays  Souabes  et  Franconiens  :  je  veux 
dire  la  Bibliothèque  des  ducs  d'Urbin.  On  sait  le  rôle 
joué  par  la  cour  d'Urbin  dans  la  Renaissance  ita- 
lienne, et  l'importance  exceptionnelle  de  la  Biblio- 
thèque formée  si  méthodiquement  par  le  duc  Frédéric 
de  Montefeltro.  Moyennant  une  indemnité  de  dix 
mille  écus  payée  au  municipe  d'Urbin  qui  avait  hé- 
rité de  cette  bibliothèque  à  la  mort  du  dernier  duc 
(1631),  Alexandre  VII  «  incorporait  ce  trésor  à  la 
Vaticane,  pour  en  assurer  la  conservation  et  la  per- 
pétuité »,  amenant  ainsi  d'un  seul  coup  vingt  et  un 


LES  NOUVEAUX  FONDS.  241 

manuscrits  hébreux,  cent  soixante-cinq  manuscrits 
grecs,  et  dix-sept  cent  soixante  manuscrits  latins  et 
italiens,  la  plupart  de  grand  prix. 

Après  les  richesses  littéraires  de  l'Allemagne  et  de 
l'Italie,  ce  fut  le  tour  de  celles  de  la  France.  La 
lameuse  Christine,  reine  de  Suède,  guidée  par  le 
conseil  dérudits  tels  que  Vossius,  Naudé,  Heinsius, 
avait  eu  la  main  singulièrement  heureuse  dans  la 
composition  de  la  bibliothèque  manuscrite  qu'elle 
avait  formée.  Elle  avait  acquis  en  particulier  linap- 
préciable  collection  formée  par  le  savant  Alexandre 
Peteau  :  Vossius  l'acheta  pour  elle  à  Paul  Peteau,  en 
1650,  pour  le  prix  de  quarante  mille  livres,  et  elle 
entra  ainsi  en  possession  de  précieuses  reliques. 
Les  trésors  littéraires  que  renfermaient  les  grande^ 
bibliothèques  monastiques  de  France  avaient  été 
misérablement  dispersés  par  les  guerres  de  religion, 
et  Peteau  avait  recueilli  bien  des  épaves  échappées 
ù  ce  grand  naufrage,  en  particulier  un  bon  nombre 
de  manuscrits  provenant  de  la  célèbre  abbaye  de 
Fleury  (Saint-Benoît-sur-Loire).  Il  y  avait  là,  selon 
le  mot  de  Saumaise,  «  la  moelle  des  manuscrits  de 
France  ».  De  Stockholm,  où  la  Bibliothèque  se  trou- 
vait tout  entière  en  Hjr33,  les  manuscrits  de  Chris- 
tine la  suivirent  sur  le  continent  et  la  rejoignirent 
à  Rome  (I608),  où  elle  les  établit  près  d'elle  au  pa- 
lais Corsini,  avec  ses  autres  collections.  C'est  là  que 
se  termina,  le  19  avril  1689,  cette  vie  aventureuse. 
Avant  de  mourir,  Christine  avait  institué  pourléga- 
tiiire  universel  le  cardinal  Azzolini,  qui  mourut  lui- 
même  deux  mois  après,  laissant  pour  héritier  son 
neveu  Pompeo  Azzolini.  La  Bibliothèque  allait  être 
mise  en  vente  et  probablement  dispersée.  Le  pape 

II.  14 


242  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

Alexandre  VIII  Ottoboni  s'émut  à  la  pensée  que  de 
tels  trésors,  réunis  avec  tant  de  peine,  allaient  de 
nouveau  courir  les  grands  chemins,  et  il  préleva 
sur  sa  fortune  privée  de  quoi  acheter  la  collection 
tout  entière,  qu'il  paya  huit  cents  écus.  Soixante- 
douze  manuscrits  furent  donnés  aux  Archives  Vali- 
canes,  deux  cent  quarante  (des  doubles  pour  la  plu- 
part) demeurèrent  dans  la  bibliothèque  personnelle 
du  pape  et  passèrent  après  sa  mort  chez  les  Ottoboni; 
les  autres,  au  nombre  de  dix-neuf  cents,  entrèrent  à 
la  Vaticane  et  y  formèrent  un  nouveau  fonds  auquel 
Alexandre  VIII  donna  officiellement  le  nom  de  Bi- 
bliothèque Alexandrine,  mais  auquel  l'usage  a  con- 
servé le  nom  de  Bibliothèque  de  la  Reine. 

Pour  recevoir  ses  nouveaux  hôtes,  la  Vatîcane 
s'adjoignit  une  nouvelle  salle,  à  la  suite  des  chambres 
aménagées  par  Paul  V  :  c'était,  au  nord,  le  pendant 
très  exact  de  la  salle  qui  contenait  au  midi,  par  delà 
les  chambres  «  secrètes  »  de  Sixte-Quint,  la  Palatine 
et  le  fonds  d'Urbin  :  la  Bibliothèque  présentait  dès 
lors  la  forme  régulière  d'un  T,  ainsi  que  le  remarque 
Montfaucon  dans  ses  notes  de  voyage  (1698-1700). 

Vers  le  même  temps,  Alexandre  Wlll  prenait,  à 
l'égard  d'une  autre  bibliothèque  de  Rome,  une  me- 
sure conservatrice,  dont  profita  plus  tard  la  Vaticane. 
La  bibliothèque  de  la  famille  Altemps  était  considé- 
rable, et  elle  avait  ce  mérite  spécial  qu'elle  était  nourrie 
du  suc  le  plus  pur  de  l'humanisme  romain  du  seizième 
siècle.  A  part  quelques  manuscrits  acquis  après  sa 
mort  par  la  Vaticane,  presque  toute  la  bibliothèque 
de  Sirleto  se  trouvait  chez  les  Altemps,  et  on  sait 
quel  long  et  intelligent  effort  personnel  représentait 
cette  collection,  dont  la  formation  avait  été  pour- 


LES  NOUVEAUX  FONDS.  2^i 

suivie  pendant  plus  de  quatre-vingts  ans  sur  les  mar- 
chés d'Italie  et  d'Orient  par  Alberto  Pio  de  Carpi,  par 
Agostino  Steuco,  par  Marcel  Cervini  et  enfin  par 
Sirleto  lui-même. 

Poussé  par  le  même  sentiment  qui  le  déterminait 
à  acquérir  la  bibliothèque  de  la  reine  Christine, 
Alexandre  VIII  acheta  la  bibliothèque  Altemps,  qu'il 
constitua  en  fidéicommis  dans  sa  propre  famille,  en 
y  ajoutant  sa  collection  personnelle  et  deux  cent  qua- 
rante manuscrits  distraits  de  la  l)ibliothèque  de  la 
Reine.  La  bibliothèque  Altemps  passée  ainsi  aux 
Ottoboni  était  certainement  la  bibliothèque  romaine 
la  plus  riche  en  manuscrits,  et  Ruggieri,  qui  en  ra- 
contait à  ce  moment-là  l'histoire,  attribuait  sa  con- 
servation au  bon  génie  de  Rome.  Ce  bon  génie, 
c'était  la  Papauté.  Cela  se  vit  bien  en  1748,  lorsque,  à 
la  mort  du  cardinal  Pierre  Ottoboni,  dernier  repré- 
sentant de  la  famille,  le  pape  Benoît  XIV  intervint 
de  nouveau  pour  en  empêcher  la  dispersion.  Cette  fois, 
ce  fut  pour  la  Vaticane  que  le  pape  acquit,  au  prix 
de  cinq  mille  cinq  cents  écus,  les  trois  mille  trois 
cents  manuscrits  qui  la  composaient.  Benoît  XIV 
fournit  lui-même  cinq  cents  écus  sur  sa  cassette 
particulière,  et,  pour  le  reste,  il  avisa  la  banque 
S.  Spirito  d'avoir  a  avancer  les  fonds,  que  la  Vaticane 
rembourserait  ensuite  sur  ses  revenus.  La  Biblio- 
thèque Ottoboni,  augmentée  d'un  certain  nombre  de 
volumes  acquis  par  Benoît  XIV  et  enrichie  d'un  lot 
de  manuscrits  de  grande  valeur  acheté  à  Florence, 
en  17rjî),  lors  de  la  vente  de  la  collection  Stosch,  fut 
déposée  —  à  côté  de  deux  cent  quatre-vingt-cinq  ma- 
nuscrits de  choix  légués  à  la  Vaticane  par  le  marquis 
-Mexandre  Capponi  et  formant  un  fonds  spécial  — 


244  LA  BIBLIOTHÉQLE  VATICANE. 

dans  la  seconde  des  salles  de  Paul  V,  où  on  lui  garda 
son  individualité. 

Ces  acquisitions  occasionnelles  de  grandes  biblio- 
thèques, quelque  importantes  qu'elles  aient  été,  ne 
donnent  pourtant  pas  idée  de  la  direction  géné- 
rale que  prenaient  les  accroissements  systématiques 
et  raisonnes  de  la  Vaticane.  Sans  doute  les  travaux 
d'érudition  relatifs  aux  antiquités  grecques  et  ro- 
maines, profanes  ou  sacrées,  continuaient  à  fleurir 
dans  ce  sanctuaire  des  hautes  études,  et  si  les  car- 
dinaux bibliothécaires,  souvent  choisis  dans  la  plus 
proche  parenté  du  pape,  ne  brillaient  plus  au  premier 
rang  de  la  science  et  de  l'érudition,  comme  ils  avaient 
coutume  de  le  faire  au  seizième  siècle,  ils  exerçaient 
efficacement  leur  rôle  de  protecteurs  et  de  mécènes, 
et,  à  leur  défaut,  les  custodes  se  distinguaient  par 
des  travaux  de  valeur  :  Nicolas  Âlemanni,  qui  savait 
si  bien  interroger  les  vieux  murs  du  palais  de  Latran, 
retrouvait  à  la  Vaticane  Y  Histoire  Secrète  et  les  Anec- 
dotes de  Procope;  le  Hambourgeois  Luc  Holstein 
(1653)  collaborait  à  la  Byzantine,  annotait  l'œuvre  de 
Cluvier,  publiait  des  Geographi  Grœci,  préparait  les 
éléments  d'une  édition  du  Liber  Pontificalis,  et  re- 
trouvait dans  la  bibliothèque  de  Sainte-Croix  le  fa- 
meux Liber  Diurnus;  Léon  Allatius.  Grec  d'origine, 
et  qui  fut  durant  près  de  quarante  ans  <>  scriptor  »  de 
langue  grecque  à  la  Vaticane  avant  d'en  devenir  cus- 
tode à  la  mort  de  Luc  Holstein  (1660),  inventoriait 
les  manuscrits  grecs  du  fonds  Vatican  et  du  fonds 
Palatin  comme  les  Rainaldi  avaient  inventorié  les 
manuscrits  latins,  et  pendant  ce  temps  il  publiait  son 
très  célèbre  livre  sur  «  la  perpétuelle  harmonie  des 
doux  Églises  ». 


I.\  VATICANE  ET  L'ORIENT  CHRETIEN.  2i5 


IV 


LA    VATICANE    ET    L  ORIENT    CURETIEN. 

Ce  livre  d'Allatius  mérite,  à  tous  points  de  vue,  de 
fixer  rattention.  Il  est  l'indice  des  tendances  qui  se 
manifestent  alors  nettement  à  la  Yaticane,  et  qui 
iront  se  marquant  de  plus  en  plus.  En  présence  du 
protestantisme,  c'était  FÉglise  latine,  directement 
prise  à.  partie,  qui  avait  été  l'objet  principal  de  Féru- 
dition  catholique.  Maintenant,  la  curiosité  scienti- 
fique se  portait  vers  l'Orient,  qui  représentait  une 
part  glorieuse  de  l'ancien  passé  de  l'Église,  et  dont 
le  perpétuel  accord  avec  Rome  jusqu'au  schisme  de 
Photius  était  une  victorieuse  réponse  aux  insinuations 
des  Réformés.  Dès  le  seizième  siècle,  la  Yaticane 
avait  acquis  des  manuscrits  arabes,  coptes  et  syria- 
ques, non  seulement  par  héritage  mais  aussi  par  voie 
d'achat;  elle  en  faisait  copier  pour  son  usage  ou  en 
faisait  rechercher  par  ses  agents,  au  même  titre  que 
les  manuscrits  latins  et  grecs  :  c'est  ce  qui  résulte  de 
la  correspondance  de  Pie  lY  avec  Francesco  Avan- 
zati. 

Sous  Paul  Y  et  Urbain  YIII,  il  entra  à  la  Yaticane 
un  grand  nombre  de  manuscrits  coptes  et  arabes;  en 
ICÙiG,  le  P.  Kircher  donnait  un  premier  catalogue  des 
manuscrits  coptes,  et,  en  lOdO,  Alexandre  VII  ajou- 
tait aux  six  '<  srriptores  »  alors  existant  à  la  Yaticane 
deux  latins,  deux  grecs  et  deux  hébreux)  un  scrip- 
lor  »  pour  les  langues  arabe  et  syriaque.  C'était  pré- 
cisément l'époque  à  la(juelle  Léon  Allatius  devenait 

14. 


246  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

premier  custode  en  remplacement  de  Luc  Holstein,et 
la  coïncidence  est  à  noter.  Le  nouveau  poste  fut  confié 
à  un  maronite,  Abraham  dEckel  Ecchellense)  ;  puis, 
quand  ce  premier  titulaire  vint  à  mourir,  ce  fut  un 
autre  maronite,  Mathieu  Naironi,  qui  lui  succéda. 
L'Orient  entrait  ainsi  à  la  Yaticane  :  avec  quel  esprit, 
cela  se  voit  par  les  écrits  polémiques  et  apologétiques 
des  deux  maronites.  Ce  sont  les  mêmes  tendances 
que  dans  le  livre  d'Allatius,  c'est  le  même  désir  de 
réfuter  l'erreur  des  dissidents,  le  même  espoir  qu»' 
la  manifestation  complète  de  la  vérité  amènera  la 
solution  des  conflits  engendrés  par  l'ignorance,  fera 
cesser  les  malentendus  entre  l'Église  romaine  et  les 
Églises  d'Orient,  et  proclamera,  en  face  de  la  Réforme 
et  des  dissidents  orthodoxes,  la  catholicité  effective 
de  Rome.  Tout  un  Orient  lointain,  étranger  aux  pré- 
jugés de  Byzance,  reconnaissait  la  primauté  de 
Pierre  et  constatait  l'indéfectibilité  de  sa  chaire. 

Ce  n'est  pas  à  dire  que  ces  études  sur  la  liturgie,  le 
droit  canon,  et  l'histoire  ecclésiastique  de  l'Orient 
fussent  devenues  exclusives.  Nous  avons  dans  la  cor- 
respondance et  les  récits  de  voyages  de  nos  grands 
bénédictins  de  la  fin  du  dix-septième  siècle  un  tableau 
très  vivant  du  monde  d'érudits  qui  gravitait  alors  au- 
tour de  la  Yaticane,  et  on  sent  bien  que,  depuis  un 
siècle,  les  tendances  de  ce  milieu  ne  se  sont  guère 
modifiées  :  ni  le  cardinal  Henri  Noris,  custode  en 
169^,  bibliothécaire  en  1700,  ni  Emmanuel  Schels- 
trate.  ni  Laurent  Zaccagni,  tous  deux  custodes  de  la 
Yaticane,  qui  entr'ouvrent  toutes  grandes  les  portes  à 
Mabillonen  1085-1(180  et  àMontfaucon  de  1098  à  1700, 
ne  sont  des  orientalistes,  pas  plus  que  ceux  dont  ils 
f'>nf  leur  société  habituelle,  tels  que  Raphaël  Fabretti 


LA  VATICANE  ET  L'ORIENT  (  HRKTIEN.  247 

et  Jean  Ciampini  dont  la  vie  est  tout  entière  consa- 
crée à  l'antiquité  latine,  tant  païenne  que  chrétienne. 

Mais  l'impulsion  donnée  aux  études  orientales  n'en 
était  pas  moins  considérable.  Il  semble  que  le  pape 
Clément  XI  (1700-1721  ait  eu  conscience  de  la  grande 
œuvre  commencée  ;  en  tout  cas,  il  aida  de  toutes  ses 
forces  à  sa  réalisation.  Son  pontificat  marque  une 
époque  dans  Ihistoire  de  la  Vaticane.  Sans  cesser  de 
veiller  à  l'accroissement  normal  de  l'ancienne  Biblio- 
thèque (c'est  lui  qui  acheta  aux  Pères  de  Saint-André 
délia  Valle  la  collection  grecque  de  Pie  II  ,  il  comprit 
qu'il  fallait  achever  de  donner  à  la  Vaticane  un  ca- 
ractère vraiment  catholique,  et  d'y  faire  à  l'Orient  (à 
rOrient  chrétien  en  particulier,  où  les  tendances  à 
l'union  se  manifestaient  très  vives)  la  place  qui  lui 
était  due.  Il  est  le  véritable  créateur  du  fonds  oriental 
de  la  Vaticane. 

Le  don  d'une  collection  de  soixante-seize  manus- 
crits formée  dans  la  première  moitié  du  dix-septième 
siècle  par  Pietro  délia  Valle  au  cours  de  ses  voyages 
à  travers  la  Turquie,  la  Perse  et  l'Inde,  et  qui  conte- 
nait le  fameux  Pentateuque  samaritain,  fut  une  joie 
pour  lui;  et  il  n'eut  garde,  pour  sa  part,  de  laisser 
disperser  la  collection  personnelle  d'Abraham  Ecchel- 
lense,  non  plus  que  celle  de  -\aironi.  Mais  ces  me- 
sures conservatrices  lui  paraissaient  insuflisantes, 
et  lorsqu'il  apprit  que  les  nionastères  du  Val  de  Na- 
Iron,  dans  la  Basse-Egypte,  recelaient  une  quantité 
de  précieux  manuscrits  orientaux,  il  y  dépécha  un 
maronite,  Élie  Assémani,  archiprêtre  d'.Vntioche,  qui 
lui  en  rapporta  trente-quatre,  sauvés  à  grand'peinc 
d'un  naufrage  sur  le  Nil  (  1707).  Ce  fut  un  neveu  d'Élie, 
Joseph  Simon  Assémani  (juc  le  pape  appela  à  la  Va- 


248  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

ticane  pour  étudier  les  nouveaux  manuscrits,  pres- 
que tous  syriaques,  et  le  jeune  homme  donna  de  si 
belles  espérances  qu"on  Tadjoignit  à  son  oncle  en 
1715  pour  une  nouvelle  expédition  en  Orient.  Il  par- 
courut la  Syrie,  le  Liban  et  l'Egypte,  et  revint  à  Rome 
en  1717  porteur  d'un  véritable  trésor  :  cette  fois,  c'é- 
taient les  manuscrits  coptes  qui  dominaient,  et  leur 
arrivée  à  Rome  fut  le  signal  d'un  progrès  rapide  des 
études  coptes,  auxquelles  Renaudot  venait  de  faire 
faire  un  si  grand  pas.  En  même  temps,  le  pape  dépê- 
chait un  autre  oriental,  André  Scandar,  interprèle  à  la 
Propagande,  pour  chercher  de  nouveaux  manuscrits  ; 
Scandar  fouilla  l'Egypte,  la  Syrie,  la  Mésopotamie, 
jusqu'à  Ninive,  et,  à  la  suite  de  ce  voyage,  le  succes- 
seur de  Clément  XI  pouvait  introduire  à  la  Bibliothè- 
que soixante  et  un  manuscrits,  arabes  et  syriaques 
pour  la  plupart,  tandis  que  la  Propagande,  qui  pre- 
nait une  part  active  à  ce  grand  mouvement,  cédait  à 
la  Vaticane  trente-quatre  manuscrits  orientaux. 

C'est  au  grand  nom  d'Assémani  que  se  rattache 
l'impulsion  donnée  par  Rome  aux  études  orientales 
dans  la  première  moitié  du  dix-huitième  siècle.  Jo- 
seph Simon  fut  plus  que  le  propagateur,  il  fut  l'initia- 
teur des  études  syriaques  en  Europe  :  les  trois  volu- 
mes de  sa  Bibliothèque  orientale  publiés  «  par  ordre» 
de  Clément  XI,  et  les  six  volumes  de  son  édition  de 
saint  Ephrem  font  véritablement  époque.  Il  person- 
nifie si  bien  la  physionomie  de  la  Vaticane  de  son 
temps,  qu'il  fut  chargé  d'en  préparer  le  catalogue, 
non  pas  seulement  le  catalogue  des  manuscrits  orien- 
taux, mais  le  catalogue  général.  C'est  en  1721  que  fu- 
rent commencés  les  travaux  préliminaires,  et  en  17.^(1 
paraissait  le  premier  volume,  bientôt  suivi  de  deux 


LA  VATICANE  ET  L'ORIENT  CHRÉTIEN.  2V.i 

autres.  Il  nedevaitpasy  enavoirmoinsdevingt;  mais, 
dans  les  proportions  où  elle  était  conçue,  Tentrepri.se 
était  au-dessus  des  forces  humaines;  bien  qu'aidé 
par  son  neveu,  Stéphane  Evodius,  archevêque  d'Apa- 
mée,  le  vieil  Asséniani  imprimait  seulement  le  qua- 
trième volume  quand  la  mort  l'enleva  (17G8). 

Si  le  nom  des  Assémani  domine  toute  cette  pé- 
riode et  suffit  à  indiquer  les  tendances  qui  s'affir- 
ment, dans  la  direction  donnée  aux  accroissements 
de  la  Vaticane,  avec  d'autant  plus  de  force  qu'elles 
sont  plus  nouvelles  et  qu'elles  répondent  à  un  besoin 
plus  récent,  il  ne  faut  pas  oublier  pourtant  que  les 
études  anciennement  représentées  à  la  Bibliothèque 
continuent  à  y  être  en  honneur.  Clément  XI,  tout  pré- 
occupé qu'il  puisse  paraître  des  questions  orientales. 
«  ordonne  »  au  P.  Joseph  Bianchini,  «  scripior  »  de 
langue  latine,  et  à  Vignoli,  second  custode,  une  édi- 
tion du  Liher  Pontificalh ;  il  favorise  les  recherches 
de  Dom  Constant  sur  les  lettres  des  anciens  papes; 
il  imagine,  pour  enrichir  la  Bibliothèque,  une  sorte 
de  «  dép(jt  légal  «,  et  ordonne  à  toutes  les  imprime- 
ries romaines  de  remettre  à  la  Vaticane  un  e.\em- 
plaire  de  chacun  des  livres  qu'elles  publieraient. 
Dans  une  inscription  placée  sur  un  sarcophage  de 
marbre  par  lui  donné  à  la  Bibliothèque,  il  célébrait 
«  les  très  anciens  manuscrits  syriaques  et  arabes 
cherchés  jusqu'au  centre  de  l'Egypte  »,  mais  il  se 
glorifiait  aussi  de  ses  autres  acquisitions  pour  la  Va- 
ticane :  '<  alla  litleraria  supcllt^ctile  locuplelala  »;  et 
nous  voyons,  en  effet,  le  premier  custode  Zaccagni 
acheter,  en  ITO.'i,  pour  cinq  cents  écus,  cent  quatre- 
vingt-six  manuscrits  grecs  et  latins  à  la  vente  Tolo- 
mei. 


250  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

Sous  Benoît  XIII,  sous  Clément  XII,  sous  Be- 
noît XIV,  le  personnel  de  la  Vaticane  continue  à  se 
préoccuper  des  antiquités  grecques  et  romaines,  sa- 
crées et  profanes.  Boldetti  étudie  les  catacombes, 
Bottari  reprend  l'œuvre  de  Bosio,  et  publie  les  pein- 
tures du  manuscrit  Vatican  de  Virgile;  Cenni,  qui 
puise  à  la  Bibliothèque  les  principaux  éléments  de 
ses  travaux,  donne,  en  1740,  ses  dissertations  sur 
«  les  Antiquités  de  l'Église  )),et,  en  1760,  les  «  Monu- 
ments du  pouvoir  temporel  ».  Lorsque,  en  1755,  les 
custodes  notifient  la  nomination  du  cardinal  Passio- 
nei  au  poste  de  bibliothécaire,  ils  s'adressent  «  à  tous 
ceux  qui  cultivent  l'antiquité  sacrée  ou  profane  »,  et 
Benoît  XIV  ne  fait  acception  d'aucune  étude  parti- 
culière quand  il  proclame  que  dans  sa  sollicitude  pour 
la  Vaticane  il  a  eu  en  vue  «  l'utilité  des  lettrés  et  le 
progrès  des  sciences  :  litteratorum  commodo ,  scientia- 
rum  incremenlo  ». 

C'est  tout  simplement  que  le  champ  s'ouvre  de 
plus  en  plus  vaste  devant  les  érudits.  Les  nouvelles 
études  ne  font  pas  oublier  les  anciennes.  En  1732, 
Clément  XII  se  voit  forcé  d'ouvrir,  pour  contenir  les 
acquisitions  nouvelles,  une  autre  salle,  immédiate- 
ment au  delà  de  celle  qu'Alexandre  VIII  avait  assignée 
pour  demeure  aux  manuscrits  de  la  Reine  Christine, 
et  il  déclare  qu'à  l'avenir  les  revenus  de  la  bibliothè- 
que seront  affectés  exclusivement  à  l'achat  des  livres 
et  des  manuscrits  :  c'est  l'administration  des  Palais 
Apostoliques  qui  devra  pourvoir  à  l'entretien  et  à 
l'amélioration  des  locaux  et  du  matériel  et  qui  <■  four- 
nira chaque  année  une  somme  de  quatre-vingts 
écus  pour  l'achat  du  papier,  des  plumes  et  du  par- 
chemin »  (1739), 


LES  ANNEXES  DE  LA  VATICANE.  251 

La  dotation  de  la  Vaticane  remontait  à  Paul  V,  qui, 
à  la  mort  de  Baronius,  avait  affecté  aux  services  gé- 
néraux de  la  Bibliothèque  les  revenus  de  l'abbaye  de 
Sainte-Marie  de  Venticano,  au  diocèse  de  Bénévent, 
assignés  par  Clément  YIII  au  cardinal  bibliothécaire, 
et,  depuis  lors,  les  bibliothécaires  successifs  n'avaient 
touché  aucun  émolument  du  fait  de  leur  charge. 
Quant  au  traitement  des  deux  custodes,  Sixte-Quint 
y  avait  pourvu  par  la  collation  de  divers  bénéfices  si- 
tués dans  TAbruzze  et  dans  les  diocèses  de  Concor- 
diaetde  Padoue. 

Pourtant  les  revenus  particuliers  de  la  Yaticane 
n'auraient  pu  suffire  à  tous  ses  accroissements;  dans 
toute  acquisition  importante,  le  pape  intervenait  de 
ses  deniers.  Clément  \II  tout  le  premier,  non  content 
d'orner  de  vases  grecs  les  armoires  qui  contenaient 
les  manuscrits,  dépensa  en  achats  de  livres  (il  nous 
l'apprend  dans  une  inscription  j  de  très  grosses  som- 
mes; il  acquit  à  ses  frais  pour  la  Bibliothèque  une 
magnifique  collection  de  médailles  impériales  réunie 
par  le  cardinal  Alexandre  Albani,  et  récompensa  d'un 
présent  de  six  cents  écus  le  don  fait  par  le  marquis 
Scipion  Mafîei  de  cinq  précieux  papyrus. 


LES    ANNEXES   DE    LA    VAÏICANE. 

Ces  libéralités  de  Clément  XII  sont  le  point  de  dé- 
part do  très  intéressantes  créations  qui  complètent  à 
merveille  l'admirable  collection  de  textes  manuscrits 
que  renfermait  la  Yaticane.  Autour  de  ce  noyau  cen- 


252  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

tral  prirent  naissance  des  collections  qu'on  pourrait 
appeler  «  auxiliaires  »,  et  dans  lesquelles  les  textes 
épigraphiques,  les  monuments  figurés,  la  sigillo- 
graphie, la  glyptique  et  la  numismatique  furent  re- 
présentés par  des  échantillons  de  choix. 

Les  médailles  de  la  collection  Âlbani,  décrites  par 
Ridolfino  Venturini  dès  leur  entrée  à  la  Vaticane, 
donnèrent  naissance  au  cabinet  numismatique;  Be- 
noît XIV  joignit  à  ce  premier  fonds  les  monnaies 
pontificales  recueillies  et  décrites  par  Xavier  Scilla, 
la  collection  des  médailles  pontificales  depuis  Mar- 
tin V,  et  les  médailles  antiques  de  la  collection  Car- 
pegna  autrefois  étudiées  par  Buonarotti  :  Clément  XIV 
y  ajouta  une  belle  collection  de  monnaies  grecques 
et  romaines  et  une  série  de  seize  cent  soixante  et  une 
médailles  impériales  ;  Pie  VI  y  fit  déposer  soixante 
médailles  d'or  trouvées  dans  les  fouilles  de  Castro 
Nuovo  et  de  toutes  les  monnaies  provenant  des  tra- 
vaux de  dessèchement  des  Marais  Pontins.  Malheu- 
reusement, ce  premier  cabinet  ne  survécut  pas  à  la 
Révolution  française.  Une  partie  fut  transportée  à 
Paris  en  vertu  du  traité  de  Tolentino  et  y  est  demeu- 
rée ;  le  reste  fut  dispersé  durant  les  troubles  qui  sui- 
virent. Mais,  aussitôt  après  la  tourmente,  Pie  VII  re- 
commença une  nouvelle  collection,  Pie  VIII  confia 
à  Borghesi  le  soin  de  la  mettre  en  ordre,  et  aujour- 
d'hui, malgré  quelques  pertes  subies  en  1849,  le 
Médaillier  pontifical,  avec  ses  cinquante  mille  pièces, 
est  encore  un  des  premiers  de  lEurope,  renommé 
surtout  pour  la  richesse  de  deux  séries,  celle  des 
monnaies  romaines  de  la  République  et  de  TEmpire, 
et  celle  des  anciennes  monnaies  papales. 

La  collection  de  pierres  gravées  se  rattachait  tout 


LES  ANNEXES  DE  LA  YATK  ANE.  253 

naturellement  au  cabinet  des  médailles.  Dès  le  milieu 
du  dix-huitième  siècle,  elle  était  fort  riche,  et  four- 
nissait un  large  contingent  au  livre  de  Ficoroni  sur 
les  Gemmœ  antiqux  litteratx  (1757);  mais  elle  aussi 
eut  beaucoup  ù  souffrir  des  suites  de  la  Révolution 
française. 

Plus  heureuse,  parce  que  composée  de  matières 
moins  précieuses,  fut  la  collection  de  sigillographie. 
Elle  a  été  organisée  sous  le  pontiOcat  de  Fie  VI,  qui, 
par  une  série  d'échanges,  obtint  du  musée  Kircher 
trois  cents  matrices  de  sceaux  du  moyen  âge;  ce 
chiffre  a  été  depuis  plus  que  doublé,  et  il  faut  comp- 
ter  en  outre  un  nombre  considérable  d'empreintes  de 
cire  et  de  bulles  de  plomb,  surtout  pontificales,  dont 
quelques-unes,  qui  sont  depuis  longtemps  à  la  Bi- 
bliothèque, ont  été  publiées  dès  le  dix-huitième  siècle 
par  Ficoroni  (17 40'. 

L'entrée  à  la  Vaticane,  en  1744,  de  la  collection  ar- 
chéologique formée  par  le  cardinal  Carpegna  eut  de 
grandes  conséquences.  Le  médaillier  ne  fut  pas  seul 
à  s'en  ressentir;  Benoit  XIV  y  trouva  matière  à  l'or- 
ganisation de  deux  nouveaux.  Musées. 

Il  y  avait  là  un  très  grand  nombre  de  verres  ornés 
et  autres  menus  objets  provenant  des  Catacombes  :  à 
ce  point  de  vue,  c'était  une  collection  vraiment  uni- 
que, et  d'une  importance  originelle  d'autant  plus 
grande  que  les  cimetières  chrétiens,  découverts  à  la 
fin  du  seizième  siècle,  avaient  été  laissés,  depuis  Bo- 
sio,  dans  un  funeste  abandon;  l'ouvrage  dans  lequel 
le  savant  Buonarotti  (171())  avait  décrit  et  illustré  les 
principaux  objets  de  verre  et  de  bronze  coptenus  dans 
le  Musée  Carpegna  est  devenu  un  des  livres  classiques 
de  l'archéologie  chrétienne.  L'acquisition  de  ce  trésor 

LE    \ATIC.\N.    —    Il  15 


254  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

par  le  pape  Lambertini  fut  lorigine  du  Musée  Sacré, 
ou  Musée  des  antiquités  chrétiennes,  aujourd'hui  en- 
core annexé  à  la  Vaticane. 

A  la  collection  Carpegna,  Benoît  XIV  joignit  bien- 
tôt celle  de  Vettori;  il  y  ajouta  quelques  objets  qu'il 
avait  lui-même  réunis,  installa  le  tout  dans  une  nou- 
velle salle,  qu'il  fit  aménager  au  delà  de  la  salle  ré- 
servée à  la  Palatine,  et  y  fit  transporter  les  inscriptions 
cémétériales  conservées  dans  les  difTérentes  églises 
de  Rome.  Les  inscriptions  ont  été  transférées  sous  le. 
règne  de  Pie  IX  dans  le  somptueux  Musée  si  métho- 
diquement disposé  par  M.  de  Rossi  dans  les  galeries 
du  Palais  de  Latran,  mais  les  menus  objets  sont  restés 
à  la  Vaticane,  et  d'année  en  année  les  fouilles  des 
Catacombes  ou  la  munificence  pontiiicale  ajoutent  à 
ce  trésor  de  nouveaux  joyaux. 

Les  bijoux  et  objets  précieux  delà  collection  Car- 
pegna  qui  appartenaient  à  l'antiquité  païenne  tels  que 
camées,  ivoires,  figurines  de  bronze,  fibules  et  brace- 
lets .  formèrent  le  noyau  d'un  nouveau  Musée,  qui  fut 
établi  par  Pie  VI  à  l'extrémité  du  bras  septentrional 
de  la  Bibliothèque,  dans  la  salle  des  colonnes  de  por- 
phyre. C'était  l'exact  pendant  du  Musée  Chrétien  que 
Benoit  XIV  avait  installé  à  l'extrémité  du  bras  méri- 
dional; ce  fut,  par  opposition,  le  «  Musée  Profane  «. 
Il  s'est,  depuis,  beaucoup  accru. 

A  la  suite  du  Musée  Chrétien,  le  même  Pie  VI  faisait 
installer  un  cabinet  pour  les  Papyrus,  entrés  à  la  Va- 
ticane sous  Clément  XII  et  Clément XIV,  et  il  en  con- 
tiait  la  décoration  à  Raphaël  Mengs;  il  nous  sera  per- 
mis toutefois  de  préférer  à  l'œuvre  trop  vantée  du 
peintre  la  publication  faite  quelques  années  plus  tard 
de  ces  précieuses  reliques  par  Gaetano  Marini  dans 


LES  ANNEXES  DE  l.V   VATICANE.  255 

6QS>  Pojjivi  diiiloiiifitici,  sortis,  en  ISO,j,  des  presses  de 
la  Propagande  et  dédiés  au  pape  par  leur  auteur 
comme  «  nés  et  grandis  tout  entiers  dans  la  Biijliotliè- 
que  ». 

En  même  temps,  Pie  VI  rattachait  aux  services  gé- 
néraux de  la  Biblioliièque  l'ancien  Oi)servatoire  de 
la  Torn;  dr  venli,  institué  au  seizième  siècle  pour  la 
fameuse  réforme  du  calendrier;  il  le  dotait  d'instru- 
ments astronomiques  nouveaux,  et  mettait  à  sa  tête 
le  savant  Filippo  Luigi  (iilii,  à  la  lois  naturaliste  et 
astronome.  Léon  XIII  s'est  inspiré  de  cette  tradition, 
et  l'installation  à  la  Spccola  Vadcmia  du  R.  P.  Denza, 
qui  honore  maintenant  l'ordre  des  Barnabiles  comme 
le  P.  Secchi  illustrait  naguère  celui  des  Jésuites,  est 
une  des  mesures  qui  caractérisent  le  mieux  les  ten- 
dances du  pontife  actuel  et  son  attitude  à  l'égard  de 
la  science. 

Le  successeur  de  Pie  VI  acheva  de  doter  la  Vati- 
cane  de  ses  organes  secondaires.  C'est  sous  Pie  VII 
que  fut  créée,  au  delà  du  Cabinet  des  Papyrus,  la  salle 
des  peintures  du  moyen  âge,  oii  vint  s'abriter  la 
collection  de  Seroux  dWgincourt,  singulièrement  ac- 
crue plus  tard  par  Grégoire  XVI,  et,  latéralement,  la 
salle  des  fresques  antiques,  longtemps  unique  en  son 
genre,  où  on  plaça,  en  1S18,  les  fameuses  Noces  Ai- 
dobrandines  et  les  figures  de  femmes  trouvées  ù  Tor 
Marancia,  que  sont  venues  rejoindre  plus  tard  les 
scènes  de  VOdysst'r,  trouvées  au  Viminal,  les  pein- 
tures (les  fouilles  d'Ostie,  et  ces  courses  de  chevaux 
conduits  par  des  enfants  provenant  d'un  lomlx.'au  de 
la  Voie  Appienne;  tout  à  côté,  Marini  installa  le  petit 
cabinet  des  inscriptions  doliaires. 

Mais  ce  qui  rend  le  p(jntilicat  de  Pie  VU  parlicu- 


256  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

lièrement  important  dans  l'histoire  extérieure  de  la 
Vaticane,  c'est  l'organisation,  dans  la  galerie  de  Cléo- 
pâtre  (c'est-à-dire  dans  le  portique  oriental  de  Bra- 
mante), d'une  bibliothèque  lapidaire  incomparable. 
L'œuvre  avait  été  préparée  par  les  prédécesseurs  de 
Pie  YII  ;  elle  fut  exécutée  sous  ses  yeux  par  Gaetano 
Marini,  et  tandis  que  la  seconde  moitié  de  cette  ga- 
lerie, longue  de  près  de  trois  cents  mètres,  devenait 
le  Musée  Chiaramonti,  toute  la  partie  antérieure, 
depuis  le  portique  de  Jean  d'Udine  sur  la  cour  Saint- 
Damase  jusqu'à  l'entrée  de  la  Vaticane ,  devint  pour 
la  Bibliothèque  la  plus  royale  avenue  que  Sixte-Quint 
eût  jamais  pu  rêver  pour  elle. 


VI 


LA    VATICANE,    DE    TIE   VI   A    PIE   IX. 

Au  milieu  de  ce  cortège  d'annexés,  la  Bibliothèque 
continuait  de  s'enrichir.  Pie  VI  lui  donnait  cent 
soixante-trois  manuscrits  du  monastère  de  Saint-Ba- 
sile de  Rome,  grecs  pour  la  plupart,  qui  représen- 
taient la  fleur  des  bibliothèques  basiliennes  de  Sicile 
et  de  Calabre,  il  achetait  pour  elle  la  collection  Conti, 
et  payait  trois  cents  écus  un  manuscrit  des  Prophètes 
fameux  dans  les  annales  de  l'érudition  biblique,  le 
Codex  Marchalianus,  qui  provenait  de  la  bibliothèque 
du  collège  de  Clermont.  Le  traité  de  Tolentino,  en 
1797,  priva  pour  quelque  temps  la  Vaticane  de  cinq 
cents  de  ses  manuscrits  les  plus  précieux.  Le  choix 
des  richesses  qui  formèrent  alors  la  rançon  du  Saint- 
Siège  fait  grand  honneur  aux  lumières  des  commis- 


LA  VATK  ANE,   DK  PIE  M  A  PIE  I\.  V.h7 

saires  français  et  aux  conseils  dont  ils  s'entourèrent 
—  (Niebuhr,  en  pleine  Allemagne,  fut  en  effet  con- 
sulté ù  cette  occasion);  —  mais  presque  tous  ces 
manuscrits  revinrent  après  1815,  et  reprirent  la  place 
qu'ils  n'auraient  jamais  dû  quitter. 

Les  pontiflcats  de  Pie  VI  et  de  Pie  VII  constituent 
une  des  plus  glorieuses  périodes  dans  le  développe- 
ment de  la  solide  et  patiente  érudition  romaine,  et 
tout  naturellement  de  grands  noms  se  rattachent 
alors  à  la  Vatican e  :  c'est  le  cardinal  Stefano  Borgia, 
à  la  fois  orientaliste,  antiquaire  et  médiéviste;  c'est 
le  polygraplie  romain  Cancellieri,  élève  de  Garampi 
et  passionné  comme  lui  pour  les  antiquités  profanes 
et  sacrées;  c'est  le  bénédictin  Galletti,  longtemps 
((  scriptor  »  de  langue  latine,  dont  les  manuscrits, 
formant  plus  de  deux  cents  volumes,  sont  entrés  à  la 
Vaticane,  où  ils  constituent  une  mine  inépuisable  de 
renseignements  sur  le  moyen  âge  romain;  c'est 
Gaetano  Marini,  diplomatiste,  épigraphiste  et  nu- 
mismate, qui  a  marqué  une  si  lumineuse  trace  dans 
l'étude  du  moyen  âge  comme  dans  celle  de  l'anti- 
quité; c'est  Angelo  Mai,  déjà  connu  par  ses  travaux 
à  l'Ambrosienne  de  Milan,  appelé  à  Rome  par 
Pie  VII  en  1810  et  nommé  par  lui  préfet  de  la  Biblio- 
thèque. 

Il  faut  s'arrêter  devant  cette  figure,  qui  s'imposa 
si  rapidement  à  l'attention  et  à  l'admiration  de  l'Eu- 
rope lettrée.  Ce  ne  fut  peut-être  pas  un  très  grand 
esprit;  mais  il  eut  le  génie  et  la  passion  de  la  décou- 
verte, et  là  où  tant  d'autres  étaient  passés  sans  rien 
voir,  il  devina  des  traités  entiers  et  lit  revivre  des 
textes  morts.  Les  manuscrits  palimpsestes  de  Bobbio 
fournirent  à  sa  sagacité  les  premiers  problèmes,  et 


258  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

à  son  mérite  les  premiers  tributs  d'admiration. 
Quand  il  donna  l'œuvre  entière  de  Fronton  tirée  de 
deux  palimpsestes  (celui  de  Rome  complétant  celui 
de  Milan!,  on  cria  au  miracle,  et  quand  il  lut  sous 
des  sermons  de  saint  Augustin  le  De  Republica  de 
Cicéron.  ce  fut  pour  toute  TEurope  un  événement. 
De  1819  à  18.j4,  Mai  demeura  à  la  Vaticane,  d'abord 
comme  préfet,  puis  comme  cardinal  bibliothécaire, 
et  dans  ce  vaste  champ  offert  à  son  activité,  41  tra- 
vailla infatigablement.  Il  a  mis  au  jour  cinquante 
gros  volumes  de  textes  inédits,  relatifs  à  l'antiquité 
profane  et  à  l'antiquité  chrétienne  ;  classiques  grecs  et 
latins.  Pères  de  l'Église,  histoire,  liturgie,  droit  civil 
et  droit  canon,  aucun  domaine  n'est  demeuré  étran- 
ger à  ses  incessantes  découvertes.  Avec  lui,  il  sem- 
blait que  la  Vaticane  fût  inépuisable  en  textes  inédits. 

D'ailleurs  les  accroissements  continuaient  :  la  Bi- 
bliothèque grecque  de  la  maison  Golonna,  le  manus- 
crit original  du  Liber  Censuum,  un  certain  nombre 
de  manuscrits  orientaux,  un  dossier  bien  précieux  et 
trop  peu  remarqué,  qui  contenait  les  papiers  de  Dom 
Constant  et  les  travaux  préparatoires  des  Bénédictins 
de  Saint-Maur  à  l'édition  des  «  Conciles  de  France  », 
entraient  à  la  Vaticane. 

Et  quelque  place  qu'occupe  dans  l'histoire  de  la  Va- 
ticane durant  la  première  moitié  de  ce  siècle  l'absor- 
bante personnalité  du  cardinal  Mai,  quelque  Jalou- 
sement qu'il  ait  gardé  les  trésors  confiés  à  sa  garde, 
il  n'a  pas  été  le  seul  à  profiter  de  cette  grande  institu- 
tion. Dans  la  vie  intellectuelle  de  la  Rome  de  Pie  VII, 
de  Pie  VIII,  de  Léon  XII  et  de  Grégoire  XVI,  la  Vati- 
cane a  conservé  son  rôle  :  Xiebuhr,  Bunsen,  Borghesi, 
Blurae,  Greith,  Pertz  y  ont  eu  accès  et  en  ont  usé. 


LA  VATICANE.   DE  PIE  VI  A  PIE  IX.  •>:>(.) 

M.  do  Rossi  y  a  fait  ses  premières  armes,  et  il  se 
plaisait  à  rappeler  avec  quelle  curiosité  et  quel  in- 
térêt le  vieux  cardinal  suivit  les  progrès  de  cette  jeune 
vocation  suscitée  ou  révélée  par  de  précoces  visites  à 
la  Bibliothèque  Yalicane. 

Pie  IX  se  montra  largement  hospitalier,  et  ce  se- 
rait une  liste  longue  à  dresser  que  celle  de  tous  les 
hôtes  que  reçut  la  Vaticanc  durant  ce  pontificat  de 
trente-deux  ans.  Elle  aida  puissamment  au  dévelop- 
pement des  études  archéologiques  et  fournit  un  large 
contingent  aux  recherches  des  historiens  et  des  phi- 
hïlogues;  Bethmann  en  1854  et  Dudik  en  ISoo  pou- 
vaient dépouiller  page  par  page  les  inventaires  vati- 
cans. 

Mais  le  pape  n'avait  garde  d'oublier  le  caractère 
premier  et  fondamental  de  la  Bibliothèque  apostoli- 
([ue,  et  la  nomination  du  savant  cardinal  Pitra  au 
poste  de  bibliothécaire,  en  18(»9,  se  rattache  au 
dessein  nourri  par  Pie  IX  de  reprendre,  à  l'égard  de 
l'Orient,  les  travaux  d'Allatius  et  des  Assémani.  C'est 
à  l'année  1857  que  remontaient  les  premiers  rapports 
du  pape  avec  Dom  Pitra;  une  dissertation  sur  les 
constitutions  et  collections  canoniques  des  Grecs,  pu- 
bliée par  Térudit  bénédictin  l'avait  signalé  à  l'atten- 
tion de  Pie  IX  et  désigné  «  comme  un  des  savants 
les  mieux  préparés  à  réunir  et  à  éditer  les  monu- 
ments anciens  du  droit  des  Grecs  et  à  montrer  par 
Tétude  de  ces  sources  ({ue  jusqu'au  schisme  de  Pho- 
tius  et  aux  tentatives  qui  l'ont  amené,  l'Église  orien- 
tale a  été  étroitement  unie  à  l'Église  Romaine  ». 
Appelé  par  le  pape,  il  vint  à  Rome;  il  travailla  à  la 
Vaticane  et  à  la  Propagande,  fut  envoyé  en  Russie,  et 
revint  par  l'Autriche  et  la  Bavière  «  avec  quinze  cents 


260  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

pages  de  notes  sur  toutes  les  matières  canoniques, 
liturgiques,  historiques,  touchant  le  monde  slave  et 
grec  antique  et  moderne  ».  De  là  sortirent,  en  deux 
volumes,  les  Juris  ecclesiastici  Grœcorum  hisloria  et 
moninnenfo  (1865-08i,  et  de  nombreux  textes  liturgi- 
ques et  hymnographiques,  doù  le  savant  éditeur 
dégagea  le  premier  les  lois  de  l'hymnographie  grec- 
que. Le  poste  de  bibliothécaire  était  la  récompense 
de  tous  ces  travaux,  et  le  moyen  de  les  poursuivre 
pour  la  plus  grande  gloire  de  l'Église  et  de  la  Biblio- 
thèque. 

En  même  temps,  Pie  IX  avait  mis  à  la  tète  des 
Archives  Vaticanes  un  oratorien  connu  d'abord 
comme  canoniste.  En  quelques  années,  avec  une 
fougue  extraordinaire,  le  P.  Theiner  tira  des  Archives 
la  matière  d'énormes  volumes  qui  sont,  pour  toute 
une  partie  de  l'Europe,  comme  des  fragments  de 
bullaires  nationaux,  tandis  qu'il  tentait  de  dresser 
comme  une  barrière  aux  convoitises  de  l'Italie  nou- 
velle les  trois  in-folios  de  son  «  Recueil  de  diplômes 
concernant  le  domaine  temporel  du  Saint-Siège  ». 

Avec  le  pontificat  de  Léon  XIII,  ces  tendances  à 
tirer  parti  des  trésors  que  renferment  la  Bibliothè- 
que et  les  Archives  se  précisent  et  se  systématisent. 
Les  érudits  placés  à  la  tète  de  ces  deux  grands  dé- 
pôts avaient  souvent  travaillé  vite,  préoccupés  qu'ils 
étaient  d'amasser  en  peu  de  temps  des  gerbes  dans 
le  vaste  champ  qui  s'ouvrait  devant  eux.  L'heure 
était  venue  de  donner  satisfaction  aux  exigences  de 
l'esprit  critique  de  notre  temps,  et  de  continuer  l'oeu- 
vre avec  plus  de  méthode  et  de  rigueur,  sur  des 
bases  renouvelées  et  élargies. 


CHAPITRE  IV 
Le  pontificat  de  Léon  XIII 


I 

LA    SOLLiriTlDE    DU    l'AI'E    l'Ol  R    LA    VATICANE. 

Dans  l'histoire  de  la  Vaticane,  le  pontificat  de 
Léon  XIII  est  un  des  plus  glorieux.  Le  pape  actuel, 
en  effet,  a  admiral)lement  compris  l'importance  du 
dépôt  que  lui  ont  transmis  ses  prédécesseurs;  il  a 
eu  conscience  de  la  part  de  responsabilité  qui  lui  est 
échue,  et  dès  la  première  année  de  son  pontificat  il 
a  affirmé  pratiquement  le  principe  qui  devait  diriger 
toute  sa  conduite. 

C'est  une  grande  chose  que  ce  trésor  littéraire 
amassé  depuis  des  siècles  par  la  Papauté.  Quelques- 
uns  peut-être  l'ont  considéré  comme  un  joyau  des- 
tiné à  rehausser  le  prestige  du  pouvoir  pontifical  : 
puisque  le  pontife  est  un  roi,  disent-ils,  il  doit  pos- 
séder tout  ce  qui  sied  au  souverain  pouvoir,  un  pa- 
lais, l'éclat  d'une  cour,  la  magnificence  des  cérémo- 
nies, la  pompe  des  cortèges,  le  prestige  de  colh^ctions 
sans  pareilles  et  de  galeries  merveilleuses.   Mais  la 

1.".. 


2fi2  LA  BIBLIOTHEQCE  VATICANE. 

Vaticane  n'est  pas  pour  la  Papauté  une  sorte  de  dia- 
mant de  la  couronne.  Aux  yeux  des  papes,  la  Biblio- 
thèque Apostolique  a  une  bien  autre  importance. 
Nicolas  Y  et  Sixte  IV,  Sixte-Quint,  Clément  XI  et 
Benoît  XIV  ont  proclamé  que  la  Vaticane  avait  en  elle- 
même  sa  raison  d'être  ;  ils  ont  voulu  qu'elle  fût  un 
foyer  d"oi!i  la  lumière  rayonnerait  sur  le  monde.  Sa 
place  auprès  du  Saint-Siège  s'explique  non  par  l'éclat 
mondain  dont  elle  l'environne,  mais  par  les  services 
que  la  Papauté  se  croit  le  devoir  de  rendre  au  monde 
civilisé  et  à  la  science  chrétienne.  C'est  à  ce  point 
de  vue  qu'elle  apparaît  comme  nécessaire  à  l'action 
du  Saint-Siège. 

Remarquez  la  place  qui  est  faite  à  la  personne  du 
pape  dans  un  palais  comme  celui  du  Vatican.  La 
plupart  de  ceux  qui  le  visitent  et  devant  qui  s'ou- 
vrent de  tous  côtés  des  galeries  sans  fin  se  demandent 
parfois  ce  qui  reste  au  Saint-Père  dune  aussi  colos- 
sale habitation.  Volontairement  relégué  à  un  étage 
du  Palais  de  Sixte-Quint,  il  ouvre  à  tout  venant  les 
trésors  artistiques  et  littéraires  accumulés  par  ses 
prédécesseurs. 

Au  centre  des  collections  et  des  galeries  est  la 
Bibliothèque,  avec  son  cortège  de  royales  dépendan- 
ces. On  la  traite  comme  une  souveraine,  et,  dans  le 
règlement  édicté  par  Léon  XIII,  en  1888,  il  est  soi- 
gneusement interdit  d'en  gêner  les  abords;  tous  les 
autres  services  gravitent  autour  d'elle;  elle  demeure 
topographiquement  indépendante  et  autonome. 

Léon  XIII  s'est  préoccupé  d'accroître  la  puissance 
de  l'institution,  et  sous  son  pontificat  plus  de  neuf 
cents  manuscrits  de  tout  ordre  sont  entrés  à  la  Vati- 
cane. Parmi  ces  acquisitions,  il  y  a  celle  d'une  col- 


LV  SOLLICITUDE  UU  l'APE  l'ULU  LA  VATICANE.    203 

leotion  qui  avait  au  Vatican  sa  place  toute  marcjtiée. 
En  1891,  quand  l'occasion  s'oflrit  d'acquérir  les  pré- 
cieuses collections  de  la  maison  Borghèse,  le  pape 
acheta  les  trois  cent  soixante-dix-neuf  manuscrits 
qui  composaient  la  bibliotlièque.  Le  P.  Ehrle  y  avait, 
en  eflet,  reconnu  de  vénérables  débris  de  la  biblio- 
thèque pontificale  d'Avignon.  Les  volumes,  trans- 
portés d'Avignon  à  Rome  à  la  fin  du  seizième  siècle, 
étaient  sans  doute  entrés  dans  la  famille  du  pape 
régnant  ^Clément  VIll  Aldobrandini)  et  étaient  pas- 
sés par  héritage  chez  les  Borghèse  avec  toute  la  for- 
tune des  Aldobrandini.  Grâce  à  Léon  XIII,  la  Biblio- 
thèque Apostolique  est  ainsi  rentrée  en  possession 
d'un  ancien  patrimoine,  et  les  vieux  volumes  d'Avi- 
gnon se  sont  retrouvés  chez  eux. 

Léon  XIII  s'est  pénétré  profondément  de  l'esprit 
de  ses  prédécesseurs.  Il  aime  la  tradition,  non  pour 
s'y  enfermer,  mais  pour  la  développer  en  s'y  confor- 
mant. Il  a  respecté  l'organisation  traditionnelle  de  la 
Vaticane,  avec  son  cardinal  bibliothécaire,  ses  deux 
custodes  ou  préfets,  ses  «  scriptorrs  »  successivement 
institués  pour  le  latin,  le  grec,  l'hébreu  et  les  langues 
orientales.  Mais,  à  côté,  il  a  créé  une  commission 
supérieure  destinée  à  décharger  des  soucis  adminis- 
tratifs les  savants  d'élite  dont  le  personnel  était  com- 
posé; il  a  rétabli  le  poste  de  sous-bibliothécaire;  il 
a  mis  à  la  tète  du  Musée  Chrétien  un  préfet  autonome, 
et  ce  préfet  a  été  M.  de  Rossi;  enfin,  désireux  de 
donner  aux  Slaves  un  nouveau  témoignage  de  sa 
paternelle  sollicitude,  il  a  voulu  que  le  slave  de  Cy- 
rille et  de  Méthode,  le  slave  dont  il  autorisait  et  en- 
courageait l'emploi  dans  la  liturgie,  eût  lui  aussi 
droit  de  cité  à  la  Vaticane;  :  toutes  les  langues  dont 


264  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICAXE. 

se  sert  l'Église  pour  parler  à  Dieu  ont  un  droit  égal 
à  être  connues  et  étudiées  dans  la  maison  du  Père 
commun  des  fidèles. 


II. 

LÉON   XIII   ET   LA   SCIENCE   HISTORIQUE. 

Mais  les  trésors  de  la  Yaticane  ne  sont  point  faits 
pour  demeurer  enfouis  comme  ceux  des  avares;  il 
importe  (et  cette  conception  est  aussi  ancienne  que 
la  Bibliothèque  elle-même)  que  le  capital  intellectuel 
qui  y  est  emmagasiné  ne  reste  pas  improductif;  il  y  a 
longtemps  que  le  pape  se  sait  le  dispensateur  du  bien 
des  pauvres,  de  ceux  qui  souffrent  la  faim  et  la  soif 
physique  comme  de  ceux  qui  ont  faim  et  soif  de  vérité. 

Léon  XIII  veut  que  nous  n'ayons  aucun  doute  à 
cet  égard,  et  lorsqu'en  octobre  1888  il  a  promulgué 
pour  la  Bibliothèque  un  règlement  nouveau,  il  a  pris 
soin  d'indiquer  lui-même,  dans  l'exposé  des  motifs 
qui  précède  le  texte  de  son  ordonnance,  le  sens  de 
ses  réformes  à  la  Bibliothèque  et  les  résultats  qu'il 
en  attend  : 

«  Nous  ne  désirions  rien  tant,  dit-il,  que  d'apporter 
une  réforme  qui  fût  à  l'honneur  de  l'Église  et  qui 
favorisât  le  progrès  de  la  vraie  science.  Nous  savions 
combien  les  hommes  de  notre  temps  sont  passionnés 
pour  la  recherche  historique  et  avec  quel  soin  ils 
s'efforcent  de  découvrir  les  causes  cachées  des  événe- 
ments, et  Nous  n'ignorions  pas  que  les  ennemis  de 
la  religion  abusaient  de  ces  tendances  pour  obscur- 
cir la  lumière  de  l'histoire  et  la  souiller  par  le  men- 
songe, ajoutant  foi  aux  inventions  les  plus  fausses, 


LKON  XI!I  ET  LA   SCIENCE  lllSTORiQUE.  vti:. 

calomniant  les  innocents,  et  déversant  la  haine  et  le 
mépris  sur  des  hommes  dignes  de  toute  l'admiration 
de  la  postérité.  Or,  pour  réduire  à  néant  toutes  ces 
faussetés,  rien  n'est  plus  propre  et  plus  efficace  que 
d'exposer  à  tous  les  yeux  la  vérité  telle  qu'elle  ré- 
sulte du  témoignage  irréfragable  des  textes  et  des 
monuments,  et  comme  la  Vaticane  est,  à  ce  point  de 
vue,  admirablement  outillée,  Nous  avons  jugé  que 
si  Nous  voulions  lui  demander  lumière  et  force  pour 
découvrir  à  tous  la  vérité,  pour  défendre  l'institu- 
tion catholique,  et  combattre  l'erreur,  il  était  utile 
de  la  pourvoir  de  ressources  de  tout  genre,  d'y  ins- 
taller tous  les  offices  nécessaires  au  bon  fonction- 
nement du  service  et  susceptibles  d'aider  les  érudits 
à  explorer  le  plus  facilement  possible  les  trésors 
quelle  contient.  » 

Faciliter  l'accès  des  trésors  de  la  Vaticane,  voilà 
donc  le  but  que  poursuit  le  Souverain  Pontife.  De 
là,  la  publication  des  catalogues  ordonnée  par  lui. 
Cette  grande  œuvre,  entreprise  sous  les  auspices  du 
cardinal  Pitra,  a  été  poursuivie  sous  ses  deux  succes- 
seurs, le  cardinal  Schiaffino  et  le  cardinal  Capece- 
latro  ;  plusieurs  volumes  ont  déjà  paru  il),  dans  les- 

'I,  La  |iréface  '^èoéTBlc  a  (-tê  imhlii'c  on  18«t!.  cii  tétc  du  calalogm- 
«If'S  manuscrits  laiins  de  la  Bihliciilicque  l'alaliiic.  M.  de  K<>ssi  y  a  iiia- 
SistiHlcnuMit  retracé,  dans  lampli-ur  de  ce  style  latin  don!  il  avait  le 
secret.  l'Iiistoire  des  origines  et  des  \icissitudes  de  la  Bibliothèque 
A|)<)stolii|UC,  et  je  voudrais  qu'on  pût  retrouver  à  travers  les  pages  île 
ce  rapiile  exposé  un  lointain  écho  de  la  voix  si  chère  qui  m'a  servi  de 
guide  et  qui  manquera  tant  dc-sorniais.  I)e|)uis.  s'inspirant  de  l'œuvre 
du  Maître.  Monseif?neur  Carini.  préfet  de  la  Vaticane.  a  expos»',  dans 
un  savant  mi-nioire  sur  •  I.a  Bibliothèque  Vaticane  propriété  du  Saint- 
Siè^'e  ..  quels  principes  ont  présidé  à  la  formation  et  à  l'accroisscraeni 
de  la  Biblioiliéque  et  quelles  ressources  y  ont  été  affectées.  Je  lui 
dois  plus  d'un  rcnscigncnicnl  utile. 


26fi  L.V  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

quels  ont  été  successivement  décrits  les  manuscrits 
grecs  et  latins  de  la  Palatine,  les  imprimés  du  même 
fonds,  les  manuscrits  grecs  de  la  Reine,  de  Pie  II  et 
du  fonds  Ottoboni,  ainsi  que  les  papyrus  égyptiens 
de  la  Vatican e. 

On  peut  y  rattacher  deux  publications  collectives  de 
la  Vaticane,  parues  à  l'occasion  des  deux  jubilés  de 
1887  et  de  1893,  et  auxquelles  le  cardinal  bibliothé- 
caire, les  deux  préfets  et  les  «  scriptores  »  ont  chaque 
fois  contribué.  Ce  n'est  pas  là  seulement  une  intéres- 
sante collaboration  de  tout  le  personnel,  c'est  la  col- 
laboration de  ce  personnel  à  l'œuvre  même  du  Saint- 
Père.  Interprètes  de  sa  pensée,  les  savants  placés  à 
la  tête  de  ce  grand  établissement  scientifique  ont  il- 
lustré chacun  une  partie  du  domaine  qui  leur  est  spé- 
cialement confié.  Il  y  a  là  un  tableau  suggestif  des 
ressources  qu'offre  la  Bibliothèque  et  des  travaux  aux- 
quels elle  peut  donner  lieu  :  ce  sont  autant  de  fenêtres 
ouvertes  au  public  sur  l'intérieur  de  cette  magnifique 
création  du  pontificat  romain. 

Léon  XIII  d'ailleurs  s'est  fait  l'éditeur  des  richesses 
de  la  Vaticane.  C'est  sur  des  manuscrits  Vaticans  — 
et  en  particulier  sur  les  fameux  autographes  offerts, 
en  1871,  au  pape  Pie  IX  —  qu'a  été  faite  la  grande 
édition  des  œuvres  de  saint  Thomas  d'Aquin,  sortie 
des  presses  de  la  Propagande  1882-180-2)  et  à  laquelle 
le  pape  a  attaché  son  nom  ;  du  fonds  Capponi,  on  a 
tiré,  sur  son  ordre,  le  commentaire  dantesque  de  Fra 
Giovanni  da  Serravalle  et  on  l'a  publié  avec  le  texte 
de  la  Divine  Comédie  fourni  par  des  manuscrits  Vati- 
cans; on  a  reproduit  photographiquement  le  fameux 
Codex  Vaticanns  giwcus  des  Saintes  Écritures,  et  le 
célèbre  manuscrit  des  Prophètes  connu  sous  le  nom  de 


LKON  XIII  ET   LA  SCIENCE  HISTORIQUE.  267 

Codex  Mttrchalianits ;  Vahhé  Cozza-Luzi,  sous-bibfio- 
tliécaire,  a  donné,  d'après  un  palimpseste,  de  nou- 
veaux fra^monls  de  Strabon  et  publié  deux  volumes 
préparés  par  Angelo  Mai  pour  sa  .Xoca  Palrum  Bi- 
hliotlipca ; eniinVXcadémie  historico-juridique  publie 
aux  frais  du  pape  dans  un  périodique  '  Studi  n  docu- 
iiienli  di  storia  e  diritloi  et  dans  une  <•  Bibliothèque  » 
des  dissertations  et  des  volumes  où  sont  mis  en  œu- 
vre des  matériaux  extraits  de  la  Vaticane  et  des  Ar- 
chives, et  ces  travaux  sont  l'honneur  de  l'érudition 
romaine,  ainsi  qu'en  témoigne,  pour  ne  citer  qu'un 
(exemple,  le  monument  élevé  par  le  R.  P.  Ehrle  à  la 
Bibliothèque  pontihcale  d'Avignon. 

Individuellement  d'ailleurs  les  «  scriptores  »  de  la 
Vaticane,  dont  nous  rappelions  plus  haut  l'œuvre 
collective,  ont  admirablement  secondé  la  pensée  pon- 
tilicale,  et  c'est  tout  un  chapitre  de  bibliographie 
([uil  faudrait  écrire  pour  énumérer  leurs  travaux  et 
montrer  ce  qu'ils  ont  tiré  de  cette  bibliothèque  dont 
ils  sont  les  interprètes  désignés. 

Mais  ce  qui  caractérise  tout  spécialement  l'œuvre 
de  Léon  XIII,  c'est  l'importance  prise  par  la  Vaticane 
dans  les  préoccupations  et  les  études  des  érudits 
étrangers. 

Et  quand  je  parle  de  la  Vaticane,  j'entends  ici  les 
Archives  aussi  bien  que  la  Bibliothèque.  Léon  XIII, 
en  effet,  fidèle  à  la  vraie  tradition  du  Saint-Siège, 
non  peut-être  à  la  tradition  immédiate  des  deux  der- 
niers siècles,  mais  à  celle  que  nous  avons  constatée 
depuis  l'origini;  jusqu'au  commencement  du  dix-hui- 
tième siècle,  considère  la  Bibliothèque  et  les  Archi- 
ves comme  deux  parties  d'un  grand  tout.  Aussi  ne  les 
a-t-il  pas  séparées  dans  sa  sollicitude,  et  il  a  voulu 


2G8  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

que  les  Archives,  aussi  bien  que  la  Bibliothèque,  eus- 
sent à  leur  tète  un  cardinal.  Il  y  a  ouvert,  au  rez-de- 
chaussée,  de  nouvelles  salles,  où  il  a  fait  transporter 
plus  de  deux  mille  volumes  provenant  des  Archives 
de  la  Daterie,  et,  comme  il  fallait  une  âme  à  ce  corps, 
il  a  appelé  dans  cet  admirable  dépôt  des  hommes  ca- 
pables d"en  tirer  parti.  Il  s'est  adressé  à  l'Italie  et  à 
l'Allemagne,  aux  séculiers  et  aux  réguliers,  aux  domi- 
nicains et  aux  bénédictins,  et,  tout  comme  le  person- 
nel de  la  Bibliothèque,  celui  des  Archives  a  répondu, 
par  des  travaux  de  valeur,  à  la  confiance  que  mettait 
en  lui  le  Souverain  Pontife.  Mais  ici  encore  ce  qui  est 
nouveau,  ce  ne  sont  pas  les  travaux  particuliers  des 
archivistes  :  Garampi  et  Marini,  pour  ne  citer  que  les 
plus  grands,  avaient  déjà  mis  à  profit  le  dépôt  qui  leur 
était  confié.  Voici  venir  maintenant  des  publications 
d'ensemble,  et  d'un  caractère  presque  officiel,  entre- 
prises aux  frais  du  Saint-Père  :  Registres  d'Hono- 
rius  m,  Registres  de  Clément  V,  Registres  de  Léon  X. 
Le  pape  actuel  professe,  en  effet,  que  le  Saint-Siège 
n'a  rien  à  perdre  à  publier  ses  actes;  à  ses  yeux,  la 
démonstration  du  rôle  providentiel  de  la  Papauté  à 
travers  les  âges  ressort  de  la  seule  lecture  des  docu- 
ments; il  suffit  donc  de  les  faire  connaître  pour  ren- 
dre le  plus  signalé  service  à  la  cause  de  l'Église  et  de 
la  vérité.  Dans  une  mémorable  lettre  écrite  au  mois 
d'août  1883  aux  cardinaux  di  Luca,  Pitra  et  Hergen- 
rœther  sur  les  études  historiques,  il  estime  «  que  si 
quelqu'un  étudie  les  monuments  authentiques  de 
l'histoire  d'un  œil  calme  et  d'un  esprit  exempt  de  pré- 
jugé, l'Église  et  le  pontificat  se  défendent  d'eux- 
mêmes.  Puisqu'on  se  sert  aujourd'hui  de  l'histoire 
comme  dune  arme  contre  l'Église,  il  faut  que  l'Église 


LKON  XIII  ET  LA  SCIKNCE  IIIST(JIUQUE.  2Gît 

engage  la  lutte  sur  ce  terrain  et  qu'elle  accumule  les 
moyens  de  défense  du  côté  où  elle  est  attaquée  avec 
if  plus  d'acharnement.  C'est  pour  cela,  ajoute  le  pape, 
que  Nous  avons  disposé  par  ailleurs  que  nos  Archives 
fussent  ouvertes,  et  c'est  dans  ce  même  dessein  que 
Nous  ordonnons  aujourd'hui  que  la  Bibliothèque  Va- 
ticano  fournisse  libéralement  des  matériaux  aux  œu- 
vres historiques  ». 

Ainsi  le  pape  ne  s'en  remet  pas  à  un  personnel 
choisi  —  et  trop  facilement  avare  —  du  soin  d'ex- 
ploiter les  richesses  que  renferment  la  Bibliothèque 
et  les  Archives.  Dès  la  première  année  de  son  ponti- 
ticat,  il  a  ouvert  aux  érudits,  sans  distinction  d'ori- 
gine, de  croyance  ou  d'opinion,  les  Archives  Yati- 
canes,  pour  que  tous  ceux  qui  ont  souci  de  la  vérité 
pussent  travailh'r,  chacun  pour  sa  part,  à  la  grande 
euvre  d'où  sortira  (il  en  a  l'absolue  certitude)  la  plus 
éclatante  justification  de  l'Église  et  du  Saint-Siège. 

C'est  là  un  des  grands  faits  de  l'histoire  contem- 
poraine. 

La  réforme  avait  rendu  la  cour  de  Rome  soupçon- 
neuse, et  l'épithète  de  sécréta  par  laquelle  on  dési- 
gnait à  la  Bibliothèque  ce  que  nous  appellerions  tout 
simplement  «  la  Réserve  »  avait  pris  peu  à  peu  un 
caractère  plus  étroit;  les  archives  installées  par  Paul  V 
héritèrent  de  cette  épithète,  en  même  temps  que  des 
volumes  qui  composaient  la  liihiwtlu'qw  secrète,  et 
le  sens  en  devint  de  plus  en  plus  farouche.  Le  positif 
sembla  bientôt  trop  faible,  trop  faibh'  surtout  le  com- 
paratif usité  sous  Sixte-Quint,  et  on  eut  recours  au 
superlatif.  Les  Archives  devinrent  très  secrètes  s^- 
grr(issi)iii,  et,  à  la  faveur  d'un  secret  aussi  absolu, 
maintenu  sous  les  peines  les  plus  sévères,  pas  mal 


270  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE. 

de  documents  s'égarèrent;  il  y  eut  de  nombreuses 
soustractions,  facilement  explicables  par  le  défaut  de 
publicité. 

Les  Chroniqueurs  pourtant  n'avaient  pas  ménagé 
le  Saint-Siège,  et  dans  tous  les  pays  la  verve  satirique 
s'était  exercée  aux  dépens  de  la  Papauté.  Quoi  qu'on 
put  trouver  dans  les  Archives,  il  était  bien  certain 
que  la  réalité  ne  dépasserait  point  ce  qu'avait  ima- 
giné la  malignité  des  hommes.  Le  meilleur  moyen  de 
confondre  la  calomnie  n'était-il  pas  d'en  appeler  des 
témoignages  prévenus  et  intéressés  -^  si  perfidement 
exploités  par  les  «  philosophes  »  du  siècle  dernier  et 
leurs  émules  du  nôtre  —  aux  documents  qui  sont  la 
matière  même  de  l'histoire?  En  un  temps  où  l'his- 
toire conventionnelle  tend  à  se  renouveler  par  l'étude 
des  chartes  et  des  diplômes,  qui  infirment  si  souvent 
les  récits  et  les  jugements  des  historiens,  le  moment 
n'était-il  pas  venu  de  divulger  les  diplômes  et  les 
chartes  de  ce  grand  chartrier? 

«  Le  moyen  de  réfuter  les  calomnies  et  toutes  les 
faussetés  qui  ont  été  inventées  contre  l'Église,  écrit 
le  pape  dans  sa  lettre  aux  trois  cardinaux,  c'est  de 
recourir  aux  sources.  « 


III 


LE    ROLE   ACTUEL   DE    LA   BIBLIOTHEQUE    ET    DES    ARCHIVES 
VATICANES   AUX    YEUX    DE    LÉON   XIII. 

Lorsque  les  Assémani  commencèrent,  au  siècle  der- 
nier, la  publication  des  catalogues  de  la  Vaticane,  on 
leur  objectait  «  qu'ils  seraient  exposés  à  mettre  sous 


LE  lu  ILE  ACTl  EL  DE  LA  HinLIOTIIEQlE  VVTICANE.    271 

les  yeux  de  tous  un  certain  nombre  de  pièces  con- 
traires à  la  dignité  et  à  lautorité  du  Saint-Siège,  et 
que  ce  serait  fournir  des  armes  aux  ennemis  de  la 
Papauté  ».  Ces  pusillanimes  contemporains  de  Vol- 
taire faisaient  le  jeu  de  leur  adversaire  ;  heureu- 
sement le  pape  d'alors  s'appelait  Henoît  XIV,  et  il 
passa  outre  aux  scrupules  de  ces  singuliers  défen- 
seurs de  l'Église. 

Pareil  reproche  a  peut-être  été  adressé  au  pape 
Léon  XIII;  mais,  pas  plus  que  Benoît  XIV,  il  ne  s'est 
laissé  arrêter  dans  son  «  audacieux  »  dessein. 

Tout  se  tient  dans  son  œuvre,  et  son  attitude  à 
l'égard  de  la  science  historique  s'explique  par  la 
doctrine  exposée  dans  l'encyclique  yE terni  Patris.  Le 
principe  fondamental  de  ce  retour  à  la  philosophie 
traditionnelle  de  saint  Thomas  est,  en  effet,  le  besoin 
de  relever  la  raison  humaine  et  l'ordre  naturel  tout 
entier  par  son  alliance  avec  la  foi.  La  séparation  de 
la  raison  et  de  la  foi  enseignée  par  Descartes  et  ad- 
mise après  lui  parle  rationalisme  contemporain  a  pro- 
duit une  véritable  anarchie  intellectuelle  :  la  foi  se 
défie  de  la  science  et  la  science  méprise  la  foi.  Or, 
H  Nous  ne  devons,  dit  le  pape,  mépriser  ni  négliger  les 
secours  naturels  mis  à  la  disposition  des  hommes 
par  un  bienfait  de  la  divine  sagesse  ».  Aussi,  loin  de 
jeter  l'anathème  à  la  science,  il  la  bénit  comme  l'auxi- 
liaire naturelle  de  la  foi.  Science  et  foi  n'ont  pas  même 
domaine,  mais  elles  ont  même  principe  et  même  fin. 
Kntrc  elles,  il  ne  saurait  y  avoir  antagonisme,  et 
puisque  la  science  poursuit  la  vérité,  elle  ne  saurait 
lire  en  contradiction  avec  la  foi,  c'est-à-dire  avec  la 
vérité  révélée.  Le  pape  nous  invite  à  chercher  en  tout 
la  vérité  :  il  estime  que  toute  vérité  est  bonne  à  dire 


272  LA  BIBLIOTHÈQUE  VATICANE. 

et  que  la  lumière  ne  doit  pas  être  mise  sous  le  bois- 
seau. 

Son  appel  a  été  entendu.  De  tous  cotés  ceux  qui 
sont  en  quête  de  la  vérité  historique  sont  accourus  au 
Vatican,  oîi  on  leur  en  ouvrait  les  sources.  Bientôt  les 
salles  de  travail  de  la  Bibliothèque  et  des  Archives  sont 
devenues  trop  petites.  A  la  Bibliothèque,  Léon  XIII 
a  transformé  les  deux  cabinets  réservés  au  biblio- 
thécaire en  une  grande  salle,  éclairée  à  l'ouest  par 
trois  larges  fenêtres  et  aménagée  avec  tout  le  confort 
des  bibliothèques  modernes  les  mieux  entendues  : 
aux  archives,  il  a  ouvert  une  longue  salle,  qui  prend 
jour  du  côté  de  lAUée  des  Musées  par  de  hautes 
ouvertures  oîi  passe  la  pleine  lumière  des  jardins  Ya- 
ticans.  Rien  n"a  été  négligé  pour  rendre  le  travail 
plus  facile  et  pour  épargner  la  fatigue  aux  hôtes 
pontificaux. 

Enfin,  il  y  a  deux  ans,  le  pape  a  créé,  sous  la  grande 
galerie  de  la  bibliothèque  Sixtine,  une  nouvelle  biblio- 
thèque qui  porte  son  nom  et  qui  restera  une  des 
grandes  œuvres  de  son  règne.  Au  rez-de-chaussée  de 
l'édifice  construit  par  Fontana  pour  la  Vaticane,  Sixte- 
Quint  avait  établi  un  dépôt  darmes  (Armeria),  et  une 
inscription  proclamait  déjà  que  le  pape  avait  «  soumis 
les  armes  aux  lettres  »  : 

LITERIS    SVBIECIT    ARMA 

Léon  XIII  a  fait  mieux;  il  a  relégué  ailleurs  ces 
armes  inutiles,  et  il  a  installé  les  livres  à  leur  place. 
Les  imprimés  de  la  Vaticane  avaient  depuis  long- 
temps besoin  de  trouver  un  asile  approprié.  Us  avaient 
d'abord  figuré,  à  côté  des  manuscrits,  dans  la  galerie 


LE  ROLE  A(  TLËL  DE  LA  BIBLIOTHEQUE  VATICANE.    273 

de  Sixte-Quint  :  mais  peu  ù  peu  l'accession  de  manus- 
crits nouveaux  les  avaient  chassés  de  place  en  place; 
ni  les  salles  de  Paul  V,  qu'ils  avaient  dû  bientôt 
évacuer  parliellemenl,  ni  la  salle  ouverte  pour  eux 
en  H'-i"!  par  Clément  XII,  ni  les  rayons  qu'ils  occu- 
paient dans  la  salle  de  la  Palatine  ne  pouvaient  leur 
suffire.  Considérablement  accrus,  à  la  tin  du  siècle 
dernier,  par  la  bibliothèque  du  cardinal  espagnol 
François  Zelada,  bibliothécaire  de  la  Vaticane  sous 
Pie  VI,  et  dans  ce  siècle-ci  par  les  livres  d'Antoine 
Kuland,  bibliothécaire  de  Wurtzbourg,  et  ceux  d'An- 
gelo  Mai,  ils  avaient  été  relégués,  dès  le  pontificat  de 
(irégoire  XVI,  dans  l'appartement  Borgia.  11  était  par 
suite  extrêmement  difficile  d'en  faire  usage,  et,  en 
même  temps,  les  chambres  Borgia,  ce  joyau  de  la  fin 
du  quinzième  siècle,  demeuraient  inaccessibles  au 
public.  Léon  XHI  a  trouvé  le  moyen  de  rendre  l'ap- 
partement Borgia  à  l'admiration  des  artistes  et  de 
donner  du  même  coup  à  la  belle  collection  d'impri- 
més de  la  Vaticane  la  place  et  l'emploi  qui  leur  con- 
venaient. Sous  la  galerie  de  Sixte-Quint  s'étend 
maintenant  une  autre  bibliothèque,  décorée  sobre- 
ment, dans  le  goiU  pompéien,  et  dans  laquelle  ont  été 
réunis  plus  de  deux  cent  cinquante  mille  volumes 
imprimés.  Elle  a  été  mise  sous  la  protection  de  saint 
Thomas,  dont  la  statue  de  marbre  préside  aux  huit 
salles  qui  la  composent,  expression  concrète  de  la 
pensée  qui  a  inspiré  le  pape  Léon  XIII. 

On  accède  à  la  bibliothèque  Léonine  de  deux  côtés  : 
de  la  bibliothèque  Sixtine,  par  un  escalier  qui  s'ouvre 
à  côté  de  la  nouvelle  salle  de  travail,  et  des  Archives 
Vaticanes,  qui  communiquent  avec  elle  de  plain- 
pied.  .\ussi  a-t-il  été  facile  de  disposer  dans  ce  vaste 


274  LA  BIBLIUTHEQUE  VATICANE. 

local  une  «  Bibliothèque  de  consultation  »,  pour  l'u- 
sage commun  de  ceux  qui  travaillent  à  la  Bibliothèque 
et  de  ceux  qui  explorent  les  Archives.  C'est  un  trait 
d'union  entre  les  deux  dépôts  qui,  dans  la  pensée  du 
pape,  doivent  concourir  à  la  même  œuvre.  Avec 
quelle  parfaite  entente  des  besoins  particuliers  qu'elle 
doit  satisfaire  la  bibliothèque  de  consultation  a  été 
installée,  le  nom  seul  du  P.  Ehrle,  à  qui  on  a  fort  à 
propos  confié  la  tâche,  suffit  à  l'indiquer.  Pour  au}<- 
menter  cette  bibliothèque  spéciale  et  l'enrichir 
des  ouvrages  récents  qu'on  jugeait  particulièrement 
utiles  au  but  proposé,  on  a  eu  recours  aux  échan- 
ges, la  Vaticane  disposant,  grâce  â  la  munificence  de 
Léon  XIII,  des  collections  publiées  aux  frais  du  Saint- 
Siège.  "  Mais  beaucoup  d'instituts  et  de  gouver- 
nements, renonçant  à  toute  réciprocité,  ont  donné  li- 
béralement les  publications  qu'on  leur  demandait,  se 
déclarant  très  honorés  de  pouvoir  ainsi  coopérer  à 
l'avancement  de  la  science  si  désirée  par  Léon  XIII 
et  manifester  au  Souverain  Pontife  leur  vive  recon- 
naissance pour  avoir  ouvert  à  l'histoire  les  sources 
des  Archives  et  de  la  Bibliothèque  Vaticane,  en  en- 
tourant de  continuelles  faveurs  ceux  qui  viennent  y 
travailler.  » 

Le  monde  civilisé  peut  être,  en  effet,  reconnaissant 
à  Léon  XIII.  Grâce  à  lui,  la  Bibliothèque  et  les  Archi- 
ves du  Vatican  sont  devenues  un  grand  laboratoire 
international  de  science  historique.  Le  pape  a  nette- 
ment aperçu  ce  qui,  dès  l'origine,  a  été  le  caractère 
propre  de  la  Bibliothèque  et  des  Archives  Apostoli- 
ques. Ce  dépôt,  si  intimement  lié  à  l'institution  pon- 
tificale, a  participé  à  la  nature  de  la  Papauté  :  il  est 
essentiellement  quelque  chose  de  catholique,  c'est-à- 


LE  ROLE  ACTUEL  DE  LA  15I15LIOTHÈQUE  VATICANE.     275 

dire  d'universel.  Pour  lépoque  où  le  Saint-Siège  a 
dominé  l'histoire  européenne,  c'est  dans  les  collec- 
tions Vaticanes  qu'il  faut  chercher  la  clef  de  l'histoire; 
eu  tout  temps,  les  rapports  du  Saint-Siège  avec  les 
ilifîérentes  nations,  le  rôle  quil  a  joué  dans  lapoliti- 
i|ue  intérieure  et  dans  les  relations  internationales 
des  divers  peuples  font  de  ses  Archives  et  de  sa  Biblio- 
thèque une  des  principales  sources  de  l'histoire  gé- 
nérale. 

La  France  a  été  la  première  à  répondre  àlappel  du 
Souverain  Pontife.  Dès  1873  (décret  du  25  mars)  avait 
"'té  établie  à  Rome  une  section  de  l'École  archéolo- 
i^ique  d'Athènes  ;  on  s'aperçut  bientôt  que  le  champ  de 
l'antiquité  classique^  depuis  longtemps  objet  spécial 
des  études  de  l'institut  archéologique  allemand,  ja- 
lousement cultivé  d'autre  part,  comme  un  patrimoine 
national,  par  les  savants  italiens  qui  trouvaient  dans 
le  service  général  des  fouilles  un  incomparable  ins- 
trument, n'oflrait  qu'un  terrain  bien  restreint  à  l'acti- 
vité scientifique  de  nos  jeunes  gens;  et,  dès  la  fin  du 
pontificat  de  Pie  IX,  l'École  française  de  Rome,  défi- 
nitivement constituée  (décret  du  20  novembre  1875), 
-ous  la  direction  de  M.  (ieflroy,  obtenait  jjour  un  de 
ses  membres,  grâce  à  la  haute  protection  du  cardinal 
Pitra,  la  faveur  insigne  de  dépouiller  à  la  Vûticane 
les  Registres  d'Innocent  IV  conservés  aux  Archives. 
L'École  française  était  pur  conséquent  toute  prête  à 
profiter  de  la  mesure  libérale  prise  par  Léon  XIII  dès 
le  commencement  de  son  règne,  puisqu'elle  avait  en 
quelque  sorte  devancé  les  temps,  et  la  publication 
des  Registres  pontificaux  du  treizième  siècle  témoi- 
gne de  la  part  qu'elh'  a  prise  au  grand  mouvement 
créé  par  le  Souverain  Pontife. 


276  LA  BIBLIOTHEQL'E  VATICANE. 

L'exemple  de  la  France  a  été  bien  vite  suivi.  LAu- 
triche  dabord,  la  Prusse  ensuite  ont  créé  à  Rome  des 
instituts  historiques  pour  exploiter  les  richesses  mises 
par  le  pape  à  la  disposition  des  érudits  :  des  Acadé- 
mies comme  l'Académie  royale  de  Bavière,  des  socié- 
tés savantes  comme  la  Gœrres-GeseUschaft  et  comme 
la  société  hongroise  dirigée  par  M-'"'  Fraknoi,  des  com- 
missions historiques  comme  celles  du  Public  Record 
Office  ont  envoyé  des  missionnaires;  des  publications 
spéciales  ont  été  entreprises  en  Prusse  et  en  Autriche, 
aux  frais  du  gouvernement  prussien  et  de  l'Académie 
des  Sciences  de  Vienne,  qui  s'alimentent  exclusive- 
ment de  documents  empruntés  aux  Archives  Yati- 
canes. 

C'est  aujourd'hui  un  beau  et  réconfortant  spectacle 
que  celui  de  cette  grande  ruche,  où  des  représentants 
de  tous  les  peuples  d'Occident,  appartenant  à  toutes 
les  écoles  et  à  toutes  les  confessions,  travaillent  en- 
semble, avec  une  activité  toujours  croissante,  à  la 
grande  enquête  que  le  pape  lui-même  non  seulement 
leur  permet,  mais  encore  leur  demande.  L'erreur  sé- 
pare les  hommes,  et  la  vérité  les  rapproche.  Ce  que 
rêve  le  pape,  c'est  l'union  dans  la  vérité. 

«  Il  est  certain,  Très  Saint-Père,  écrivait  Tannée 
dernière  dans  une  adresse  au  pape  le  cardinal  Cape- 
celatro,  bibliothécaire  de  la  Sainte  Église,  que  de  pa- 
reilles recherches  pourront  révéler  chez  des  papes, 
des  évêques  et  des  prêtres  des  faiblesses  qui  sont  de- 
meurées cachées  jusqu'ici.  Mais  Vous  êtes  profondé- 
ment convaincu,  et  Vous  avez  raison,  que  la  vérité  du 
christianisme  n'a  pas  besoin  de  nos  subterfuges  et 
de  nos  mensonges,  qui  ne  feraient  que  l'obscurcir. 
L'Église,  dont  Vous  êtes  le  chef  infaillible,  resplendit 


LE  ROLE  ACTUEL  DE  L\  blHLIOTIIEQUE  VATICANE.     277 

d'un  tel  éclat  de  vérité,  de  bonté  et  de  beauté  que  les 
ombres  de  nos  imperfections  ne  sauraient  l'atteindre. 
Un  grand  et  courageux  amour  de  la  vérité  est  donc, 
à  ce  qu'il  mesemble,  la  signification  de  tout  ce  que  Vo- 
tre Sainteté  a  accompli  en  faveur  de  la  Bibliothèque 
et  des  Archives  Vaticanes.  Les  bienfaisantes  mesu- 
res que  Vous  avez  prises  ne  sont  pas  exclusivement 
destinées  à  Rome  et  à  l'Italie  ;  tout  ceux  qui  aiment  les 
études,  principalement  les  études  historiques,  sans 
distinction  même  de  croyances,  en  bénéficient.  Ces 
mesures  enseignent  à  tous  l'amour  que  le  Pape  a  pour 
la  vérité  et  le  courage  avec  lequel  il  veut  à  tout  prix, 
sans  tenir  compte  des  difficultés  et  des  dangers, 
qu'elle  soit  répandue  partout,  » 

La  Bibliothèque  et  les  Archives  Vaticanes,  où  s'est 
lentement  enregistré  tout  le  passé  de  l'Église,  le  dé- 
couvrent aujourd'hui  à  la  patiente  enquête,  non  plus 
de  quelques  érudits,  mais  de  l'érudition  moderne  tout 
entière,  conviée  par  le  pape  à  ce  grand  travail  collec- 
tif. Le  rôle  du  Saint-Siège  dans  l'Histoire,  tel  qu'il  a 
été  retracé  dans  la  première  partie  de  ce  livre,  s'en 
dégage  lumineusement,  et  nous  ne  pouvons  qu'appe- 
ler de  tous  nos  vœux  l'extension  d'un  mouvement  qui 
doit  aboutir,  ainsi  que  le  proclame  le  pape  qui  en  a 
pris  l'initiative  et  à  qui  en  revient  l'honneur,  au  triom- 
phe de  la  vérité  :  Ut  vincal  veritas. 

Pall  Fabre. 


16 


ÉPILOGUE 


Des  événements,  des  paroles,  des  actes  présents 
à  tous  les  esprits  ont  rappelé  les  regards  de  nos 
contemporains  sur  le  Vatican. 

Les  fidèles  n'avaient  jamais  cessé  d'orienter  leur 
pensée  vers  ce  pôle  de  la  catholicité;  mais  il  attirait 
plus  faiblement,  naguère  encore,  l'attention  des  in- 
difierents,  des  étrangers,  des  adversaires  de  lÉglise. 
Abusés  par  le  prodigieux  développement  et  par  la 
prépondérance  apparente  des  forces  matérielles,  dis- 
traits par  les  bruits  violents  de  notre  siècle,  beau- 
coups  d'hommes  estimaient  que  le  rùle  d'une  force 
purement  morale  était  diminué,  sinon  fini.  Devant 
la  concentration  des  grands  États  modernes,  devant 
l'énorme  mécanisme  militaire,  économique,  scien- 
tifique, d'où  ils  tirent  leur  puissance,  on  se  refusait 
à  croire  que  le  monde  dût  compter  désormais  avec 
les  petits  États  qui  avaient  exercé  une  influence  dans 
le  passé;  à  plus  forte  raison  avec  un  petit  État  dé- 
pouillé de  son  corps,  et  qui  ne  pesait  plus  dans  les 
balances  temporelles  que  du  poids  d'une  âme  in- 
saisissable. 

Cependant,  à  l'heure  même  où  le  Pontife  qui  in- 
carne aujourd'hui  cette  âme  semblait  destitué  de 
toute  action  par  la  logique  humaine  des  choses,  l'at- 
tention universelle  est  revenue  à  ce  frêle  vieillard; 
elle  lui  est  revenue  avec  un  crédit  d'attente,  avec  des 
sollicitudes,  des  curiosités,  des  espérances  ou  des 
craintes  que  les  plus  redoutables  souverains  provo- 
quent à  peine  au  môme  degré.  Dans  les  pays  séparés 


280      LE  VATICAN,  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

du  catholicisme,  dans  les  milieux  réfractaires  à  toute 
foi  religieuse,  l'opinion ,  reine  de  notre  temps,  guette 
la  pensée  du  pape  avec  une  application  égale  à  celle 
des  ouailles  qui  attendent  de  lui  une  direction  spi- 
rituelle. Rien  n'est  plus  signiûcatif  que  la  préoccu- 
pation maîtresse  des  visiteurs  de  marque,  chefs 
d'États,  diplomates,  publicistes  ou  penseurs  désinté- 
ressés, dès  qu'ils  arrivent  à  Rome.  Quel  que  soit  le 
motif  qui  les  amène,  il  devient  secondaire;  tous  n'ont 
qu'un  désir,  voir  et  entendre  le  pape;  tous  vont  frap- 
per d'abord  au  portone,  à  ces  portes  de  bronze  fer- 
mées sur  le  prisonnier  volontaire.  Hommes  d'action 
ou  hommes  de  pensée,  ceux  qui  font  l'histoire  et 
ceux  qui  l'écrivent  sont  avertis  par  un  sûr  instinct 
que  le  Vatican  est  encore  l'un  des  grands  ateliers  de 
l'histoire.  En  gravissant  les  interminables  degrés  qui 
conduisent  Ifi-haut,  à  ces  loges  aériennes  d'où  l'on 
embrasse  tout  le  spectacle  du  monde,  le  plus  puis- 
sant monarque  frôle  des  ombres  silencieuses  qui  ont 
malgré  lui  pouvoir  d'étendre  ou  de  limiter  sa  puis- 
sance. S'il  règne  sur  un  empire  où  Goethe  est  dans 
toutes  les  mémoires,  ces  ombres  lui  rappellent  les 
paroles  d'Egmont  :  «  Je  vois  devant  moi  des  esprits 
muets  et  pensifs  qui  pèsent  dans  de  noires  balances 
la. destinée  des  princes  et  des  peuples  ». 

Cette  recrudescence  de  vie  devait  solliciter  les 
gens  d'étude  à  faire  plus  ample  connaissance  avec  le 
foyer  où  elle  se  produit.  Des  hommes  de  science, 
armés  des  fortes  méthodes  de  l'Université  de  France, 
ont  dirigé  leurs  travaux  de  ce  côté.  Le  livre  qu'ils 
nous  donnent  est  né  dune  pensée  juste,  croyons- 
nous  :  il  y  a  aujourd'hui  un  nombreux  public,  égale- 
ment prévenu  contre  les  louanges  et  les  dénigre- 
ments systématiques,  soucieux  d'avoir  sur  toutes 
choses  des  notions  exactes.  11  les  trouvera  ici.  Ce  que 
fut  la  Papauté  dans  le  passé,  ce  qu'elle  est  dans  le 
présent,  comment  fonctionnent  les  rouages  délicats 


EPILOGUE.  281 

de  cette  machine  de  gouvernement  universel ,  nos 
collaborateurs  Font  brièvement  exposé;  ils  ont  dressé 
l'inventaire  du  plus  riche  dépôt  d'histoire  et  d'art 
que  les  hommes  aient  réuni,  ils  ont  lixé  dans  ce  vo- 
lume la  physionomie  intime  du  Vatican. 

Le  Vatican  !  gigantesque  et  vénérable  palais,  lourd 
de  siècles  et  de  souvenirs,  qui  a  grandi  dans  l'ombre 
de  Saint-Pierre  comme  la  Figure  monumentale  de 
lËglisc.  Le  nom  du  lieu  où  il  s'élève  disait  d'avance 
sa  destinée.  C'était  le  mont  des  Oracles,  rapporte 
Aulu-Gelle  :  à  Vaticaniis  qiue  vi  ac  iyislinctu  rjus 
dei  in  eo  agro  fieri  solita  essenl.  Les  fondateurs  de 
Rome  trouvèrent  sur  la  colline  Vaticane  des  devins 
étrusques,  qu'ils  remplacèrent  par  leurs  propres  au- 
gures. On  y  venait  consulter  sur  les  affaires  de  la 
Ville.  Elles  devinrent  peu  à  peu  les  affaires  du  monde. 
Le  monde  s'étant  fait  chrétien,  le  pape  Libère  éta- 
blit dans  ce  lieu  prédestiné  la  consultation  souve- 
raine de  la  chrétienté.  Dépossédé  un  temps  par  le 
Latran,  qui  fut  le  centre  de  la  catholicité  durant  le 
haut  moyen  âge,  le  Vatican  reconquit  sa  primauté 
après  le  retour  d'Avignon.  Depuis  lors,  il  est  l'enve- 
loppe matérielle  de  la  Papauté,  il  en  raconte  l'his- 
toire. La  tour  féodale  a  été  noyée  dans  les  élégantes 
constructions  de  la  Renaissance,  remaniées  elles- 
mêmes  et  augmentées  par  les  fastueux  bâtisseurs  des 
époques  suivantes.  Cette  végétation  de  pierre  fait 
penser  aux  lentes  créations  vivantes  de  la  nature; 
sans  cesse  accrue  avec  les  âges,  marquée  par  chaque 
siècle  d'un  trait  particulier,  elle  plonge  ses  racines 
dans  la  tombe  de  l'Apùtre;  les  profondes  assises  des 
palais,  confondues  avec  celles  do  la  basilique,  tou- 
chent îi  la  Crypte  du  Pêcheur.  Ainsi  est  réalisée  la 
parole  :  «  Tu  es  Pierre,  et  sur  celte  pierre  je  fonderai 
mon  Église.  »  De  ces  catacombes,  les  palais  ont  surgi 
progressivement  jusqu'au  faite  élevé,  dominateur  de 
toute  la  Ville,  où  sont  aménagés  aujourd'hui  les  ap- 


282      LE  VATICAN,  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

partements  du  Souverain  Pontife  et  de  sa  Secrétai- 
rerie  d'État.  Il  semble  qu'une  poussée  continue  de 
THisloire  ait  porté  le  pape  à  ces  hauteurs.  Le  soir, 
du  fond  des  cours  intérieures,  on  y  voit  briller  sa 
lampe  comme  une  vigie.  Mais  entre  le  successeur  de 
Pierre  qui  réside  là-haut  et  les  ossements  cachés  d"où 
il  tire  sa  raison  d'être,  la  communication  n'est  ja- 
mais rompue.  La  chaîne  séculaire  s'allonge,  des  ori- 
gines souterraines  à  ce  sommet;  elle  est  sensible  aux 
yeux  et  l'esprit  la  découvre  sur  chacun  des  degrés 
par  où  l'on  s'élève  dans  ce  labyrinthe  de  marbre  et 
de  travertin. 

Le  lecteur  l'a  vue  se  dérouler  à  travers  les  pages 
de  ce  livre,  avec  le  récit  des  vicissitudes  et  des 
gloires  du  Vatican.  Il  s'étonnerait  à  bon  droit,  s'il 
rencontrait,  dans  un  chapitre  de  conclusion,  des  con- 
jectures téméraires  sur  les  prolongements  futurs  de 
la  chaîne  mystérieuse.  Chargé  de  conclure,  nous  vou- 
drions, à  l'exemple  de  nos  collaborateurs,  n'apporter 
ici  que  les  méthodes  habituelles  de  l'historien.  Nous 
oublierons  provisoirement  que  l'Église  s'appuie  sur 
les  promesses  éternelles;  nous  examinerons  ses 
chances  de  durée  avec  les  seules  données  de  la  rai- 
son critique,  éclairée  par  l'histoire. 

Les  rites  traditionnels  du  Vatican  veulent  que  le 
pape  mort  passe  une  nuit  dans  la  Chapelle  Sixtino. 
Supprimée  pour  Pie  IX  en  raison  des  circonstances, 
cette  station  reparaîtra  sans  doute  au  cérémonial. 
Transportons-nous  en  imagination  à  la  prochaine 
veillée  funèbre,  devant  le  Jugement  dernier  du  su- 
blime Florentin.  Autant  il  est  malséant  d'appeler 
l'attention  des  autres  hommes  sur  la  fin  de  leur  vie 
terrestre,  autant  celte  méditation  de  l'inévitable  est 
indifférente  pour  un  pape.  Comme  les  religieux,  il 
habite  des  lieux  où  tout  lui  remémore  les  étapes  qui 
attendent  sa  dépouille  mortelle;  et  l'institution  dont 


1:PIL0GUE.  283 

il  est  le  gardien  temporaire  a  une  telle  force  de  vie, 
que  le  plus  grand  pape  considère  sa  propre  personne 
comme  une  modalité  fugitive  de  celte  existence  im- 
mortelle. 

Donc,  celui  qui  porta  la  tiare  est  étendu,  sous  les 
regards  des  Sybilles  et  des  Prophètes,  dans  le  plus 
auguste  reposoir  où  puisse  s'élargir  une  dernière  vi- 
sion du  monde.  L'histoire  de  l'humanité  l'environne. 
Au-dessus  de  lui,  notre  globe  se  forme  dans  l'espace, 
le  triste  Adam  de  Michel-Ange  surgit  au  pied  de  la 
montagne  qu'il  devra  gravir,  les  scènes  symboliques 
où  se  résume  la  vie  de  ses  fils  couvrent  les  voûtes 
et  les  murailles,  jusqu'au  Christ  juge  qui  appelle  les 
multitudes  hors  des  tombeaux.  La  piété,  le  génie, 
l'émotion  accumulée  des  hommes  de  toute  race, 
tout  conspire  à  créer  dans  la  Sixtine  une  atmosphère 
qui  dilate  et  féconde  la  pensée.  Le  lieu  et  l'instant 
invitent  l'esprit  à  réfléchir  avec  détachement,  avec 
équité,  non  seulement  sur  la  vie  individuelle  qui 
vient  de  s'éteindre,  mais  sur  la  vie  collective  et  con- 
tinue du  grand  corps  dont  ce  mort  fut  une  parcelle, 
du  grand  pouvoir  dont  il  fut  dépositaire.  La  veillée 
de  la  Sixtine  serait  pour  les  participants  l'occasion 
d'un  examen  général,  d'une  vue  sommaire  sur  le 
passé  et  l'avenir  de  la  Papauté.  Prenons  les  senti- 
ments que  nous  aurions  à  cette  heure ,  essayons  de 
présumer  les  enseignements  qu'elle  nous  apporterait. 

La  Rome  impériale  vient  d'uniûor  le  monde,  elle  a 
achevé  et  fixé  en  Occident  la  civilisation  supérieure, 
cette  fleur  de  raison  et  de  beauté  éclose  au  soleil  de 
la  Grèce.  Elle  est  magnifique  et  languissante.  Elle 
n'a  plus  de  vie  à  mettre  dans  le  grand  corps  qu'elle 
a  formé.  Les  foules  obscures  souffrent  et  périssent, 
sous  la  fleur  qu'elles  cultivent  pour  l'agrément  d'un 
petit  nombre  et  dont  elles  ne  jouissent  pas.  Le  vent 
il'OritMit  apporte  une  humble  semence,  graine  étran- 


2S4      LE  VATICAN,  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

gère,  méprisée  par  la  raison  des  sages,  graine  popu- 
laire qui  germe  sur  le  fumier  des  pauvres  pour  apai- 
ser leur  faim.  Une  petite  plante  en  sort,  pariétaire 
des  tombeaux,  rampante  dans  leur  nuit,  arrosée  de 
sang.  Amère  et  rebutante  pour  les  heureux,  les  ci- 
vilisés, son  parfum  est  doux  pour  d'autres,  il  n'eni- 
vre d'abord  que  les  misérables;  ceux-ci  meurent  avec 
volupté  en  le  respirant.  Elle  croit  et  se  multiplie, 
malgré  les  efforts  répétés  pour  la  déraciner;  elle  de- 
vient un  arbuste  vivace,  résistant  aux  orages,  et 
bientôt  un  grand  arbre  qui  couvre  de  son  ombre  les 
ruines  de  la  Rome  impériale,  les  multitudes  barba- 
res campées  sur  ces  ruines.  Quelques  siècles  pas- 
sent, et  l'on  n'aperçoit  plus  que  cet  arbre  unique,  sur 
l'horizon  dévasté  où  la  civilisation  antique  a  sombré. 

C'est  l'Église  chrétienne,  avec  la  Papauté  au  som- 
met. De  la  civilisation  qu'elle  remplace,  l'Église  n'a 
retenu  d'abord  que  les  parties  utilitaires,  les  élé- 
ments efficaces  pour  organiser  et  dominer  le  monde 
barbare  dont  elle  prend  la  direction.  Ainsi  les  basi- 
liques n'ont  emprunté  aux  monuments  païens  que 
des  colonnes,  des  piliers  de  soutien  :  jamais  une 
sculpture,  une  frise,  un  morceau  d'ornementation. 
L'Église  s'est  approprié  dans  l'héritage  romain  les 
méthodes  gouvernementales,  les  pratiques  adminis- 
tratives, les  règles  juridiques;  et  aussi  les  pompes 
extérieures,  l'air  de  majesté  que  confère  un  pareil 
héritage,  l'idée  de  primauté  et  de  pérennité  attachée 
par  l'imagination  universelle  à  la  ville  de  Rome. 
L'héritière  de  César  connaît  la  vigueur  persistante  du 
corps  dont  elle  a  triomphé  :  l'âme  seule  y  était  fai- 
ble, elle  le  sait,  et  se  garde  bien  d'en  rien  mêler  à 
l'âme  neuve  qu'elle  insinue  dans  ce  corps. 

Le  nouveau  pouvoir,  accepté  au  début  comme  l'u- 
nique régulateur  de  l'anarchie  ambiante,  rencontre 
bientôt  des  compétiteurs  dans  les  États  qu'il  a  or- 
ganisés.  Des  souverains  temporels,  des  empereurs 


ÉPILOGUE.  285 

revendiquent  pour  eux-mêmes  la  succession  de  Cé- 
sar. La  possession  de  Home  a  une  valeur  représen- 
tative de  la  possession  du  monde,  elle  est  le  signe  et 
l'instrument  d'une  double  juridiction,  étendue  à  l'uni- 
vers. De  Charlemagne  à  Barberousse,  elle  devient  entre 
les  deux  pouvoirs  l'objet  de  luttes  et  d'accords  très 
complexes,  très  imparfaitement  définis  par  les  mots 
de  temporel  et  de  spirituel,  au  sens  que  nous  leur  don- 
nons aujourd'hui.  Les  rapports  de  ces  deux  pouvoirs 
impliquent  alors  une  subordination  réciproque,  une 
indistinction  dont  l'esprit  du  moyen  âge  s'accommo- 
dait sans  peine.  Il  est  diflicile  de  préciser  leurs  li- 
mites respectives,  changeantes  avec  le  moment,  les 
circonstances,  la  force  et  l'humeur  des  deux  co-par- 
tageants.  Les  revendications  sur  la  capitale  indivise 
nejouent  qu'un  rôle  accidentel  dans  les  dilférends  de 
l'Empire  et  de  la  Papauté;  on  combat  des  deux  parts 
pour  de  plus  grands  intérêts,  pour  le  droit  à  dispo- 
ser du  globe,  pour  la  prééminence  d'un  des  deux  vi- 
caires de  Dieu.  Le  pouvoir  temporel,  tel  que  les  papes 
le  réclament  à  cette  époque,  ce  n'est  pas  le  pouvoir 
régalien  sur  une  ville  et  un  territoire  où  l'Empereur 
fait  acte  de  souveraineté,  c'est  le  droit  d'intervention 
du  Vicaire  spirituel  dans  le  gouvernement  universel 
des  affaires  humaines.  Qu'importe  si  le  lieutenant 
terrestre  gouverne  directement  ce  coin  de  terre, 
pourvu  qu'il  accepte  l'investiture  du  représentant  du 
Ciel?  L'autorité  locale  du  Saint-Siège  ne  devient  un 
fait  reconnu  qu'au  moment  où  l'Empire  affaibli  se 
concentre  en  Allemagne,  où  le  Saint-Siège  lui-même 
se  relilche  de  ses  prétentions  à  la  juridiction  sur  tous 
les  princes. 

Durant  ces  luttes  où  elle  fut  souvent  meurtrie,  la  Pa- 
pauté prit  conscience  de  sa  vraie  vocation.  Contrainte 
de  s'appuyer  sur  les  peuples  pour  résister  aux  nou- 
veaux Césars,  elle  se  soutint  au  faite  de  la  grandeur 
par  le  principe  qui  avait  affermi  ses  humbles  com- 


286      LE  VATICAN,   LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

mencements;  elle  accusa  nettement  sa  figure  de  puis- 
sance morale,  émancipatrice  et  tutélairc  des  petits. 
Dans  la  société  du  moyen  âge,  la  Papauté  se  com- 
porte comme  une  mère  chargée  d'enfants  mineurs; 
elle  les  suit  pas  à  pas  dans  tous  les  actes  de  leur  vie  ; 
sa  tâche  ne  se  borne  pa^  à  leur  éducation  religieuse, 
elle  leur  donne  des  règles  civiles  et  politiques;  elle 
contrôle,  quand  elle  ne  les  prend  pas  en  main,  tous 
les  pouvoirs,  législatif,  judiciaire,  exécutif.  Cette 
main  maternelle  est  parfois  rude,  comme  le  temps  et 
les  hommes  qu'elle  conduit.  Les  membres  humains 
de  l'Église  sont  des  hommes  de  ce  temps,  ils  en  ont 
les  énergies  violentes,  les  appétits,  les  mœurs.  «  Il 
n'existe  pas  de  pouvoir  qui  n'ait  jamais  abusé  de  ses 
forces  »,  dit  Joseph  de  Maistre  dans  son  livre  du 
Pape.  Et  il  n'existe  pas  d'institution  qui  échappe  aux 
souillures  du  milieu  oii  elle  opère.  Devant  les  su- 
jets de  scandale  que  l'histoire  fournit  aux  détracteurs 
de  la  Papauté,  il  importe  de  faire  une  distinction  bien 
nécessaire.  Les  Papes  nous  demandent  de  croire 
qu'ils  sont  garantis  contre  l'erreur  doctrinale,  là  s'ar- 
rête leur  privilège;  ils  ne  se  sont  jamais  donnés 
comme  préservés  du  péché,  c'est-à-dire  du  mal  et 
de  l'erreur  sous  toutes  ses  formes,  dans  la  conduite 
publique  ou  privée  de  leur  vie. 

Dans  ce  monde  du  moyen  âge  façonné  par  l'Église, 
une  civilisation  renaît,  très  différente  de  l'antique, 
inférieure  à  celle-ci  pour  l'élégance,  la  culture  de 
l'esprit,  la  compréhension  rationnelle  des  phénomè- 
nes; supérieure  par  son  idéal  ultra-terrestre,  et  par 
les  conséquences  sociales  de  cet  idéal ,  plus  de  cha- 
rité, plus  de  pitié,  une  justice  plus  exacte  pour  tous 
les  hommes.  Certes,  la  brutalité  des  faits  contredit 
souvent  ces  principes,  mais  ils  n'en  ont  pas  moins 
pris  place  dans  la  conscience  et  dans  la  législation, 
surtout  dans  la  législation  ecclésiastique.  La  théolo- 
gie reste  longtemps  la  seule  lumière  intellecluelle  de 


EPILOGUE.  287 

ce  nouveau  monde;  peu  à  peu,  de^  clartés  profanes 
se  rallument  autour  d'elle,  aube  de  la  Renaissance 
prochaine. 

La  Renaissance  exhume  la  fleur  antique.  Éblouie 
par  l'éclat,  étourdie  par  le  parfum  de  la  merveille  re- 
trouvée, la  société  chrétienne  chancelle  sur  les  bases 
où  l'Église  l'avait  assise.  L'arbre  du  Christ  sera-t-il 
assez  robuste  pour  supporter  la  greffe  qu'il  avait  re- 
fusée au  sortir  des  catacombes?  Quand  on  y  réfléchit, 
ce  fut  la  plus  redoutable  épreuve  qu'il  ait  jamais  af- 
frontée. D'autres  révolutions  ont  pu  l'entamer;  elles 
ne  menaçaient  pas  de  changer  sa  nature.  Un  esprit 
étranger,  adverse,  revenait  s'introduire  dans  le  monde 
chrétien,  il  pouvait  dévier  à  jamais  l'esprit  même  qui 
avait  créé  ce  monde.  On  comprend  les  anxiétés  et  les 
répulsions  d'un  Savonarole  devant  ce  grand  péril.  La 
résurrection  du  rationalisme  enleva  à  l'Église  des  en- 
fants qu'elle  pleure  encore. 

Néanmoins  la  Papauté  se  jeta  avec  intrépidité 
dans  le  mouvement  de  la  Renaissance,  elle  en  prit  la 
tète.  Grandiose  et  puissante  jusqu'alors,  elle  voulut 
être  belle,  d'une  beauté  humaine,  païenne  quelque- 
fois. Pendant  plus  d'un  siècle,  de  Nicolas  V  jusqu'aux 
Médicis  et  aux  Farnèse,  le  Vatican  fut  le  foyer  d'où 
rayonnèrent  Ihumanisme  et  les  arts,  la  serre  d'élec- 
tion où  la  fleur  renaissante  acquit  toute  sa  crois- 
sancH.  Il  n'y  a  pas  dans  l'histoire  un  second  exemple 
d'une  pareille  prodigalité  de  génie.  Tous  les  enchan- 
teurs se  donnaient  rendez-vous  dans  le  sanctuaire  de 
la  vertu;  il  semblait  qu'une  nouvelle  religion,  la  reli- 
gion du  Beau,  voulut  surpasser  l'ancienne  par  la  gran- 
deur et  la  mulliplicité  des  miracles.  Le  plus  étonnant 
miracle,  ce  fut  que  la  Papauté  surv»'cut  sans  dé- 
chéance à  cette  longue  fête  de  gloire  profane,  cent 
fois  plus  dangereuse  que  l'ère  des  persécutions.  Fille 
eut  raison  de  s'y  prêter;  elle  prouve  sa  vitalité  en 
s'associant  à  toutes  les  métamorphoses  de  la  civili- 


288      LE  VATICAN.  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

sation.  Régulatrice  des  divers  courants  qui  emportent 
l'humanité,  elle  devait  diriger  la  Renaissance  comme 
elle  avait  dirigé  les  Croisades  ;  il  était  nécessaire  qu'on 
la  vit  artiste  et  lettrée  avec  Léon  X,  comme  on  Favait 
vue  apostolique  et  martyre  avec  les  premiers  papes, 
féodale  et  scolastique  avec  ceux  du  moyen  âge,  ré- 
formatrice et  combative  avec  un  Grégoire  VII  ou  un 
Innocent  III. 

La  période  suivante  est  plus  ingrate  pour  l'initia- 
tive pontificale;  elle  n'a  pas  oîi  s'exercer.  Les  grandes 
monarchies  absolues  se  sont  constituées,  elles  repous- 
sent désormais  l'ingérence  du  Saint-Siège.  Lui-même 
s'est  éloigné  de  ses  origines  populaires,  avec  les  ha- 
bitudes fastueuses  que  lui  a  données  la  Renaissance, 
avec  le  recrutement  nouveau  du  Sacré  Collège  dans 
quelques  maisons  aristocratiques,  où  l'on  se  trans- 
met la  tiare  comme  un  bien  de  famille.  Son  pouvoir 
idéal  de  jadis  s'est  transformé  en  pouvoir  matériel  et 
en  richesse;  tout  ce  qu'il  gagne  en  sécurité,  en  plé- 
nitude de  ses  droits  territoriaux,  il  le  perd  en  éclat 
et  en  puissance  universelle.  Gouvernement  d'opinion, 
pour  qui  les  sentiments  des  peuples  valent  des  ar- 
mées, son  meilleur  ressort  n'existe  plus  dans  une 
Europe  où  l'opinion  est  muette,  vis-à-vis  des  princes 
obéis  et  jaloux  qui  n'accordent  à  la  Papauté  que  les 
déférences  d'étiquette.  Son  action  politique  est  ré- 
duite à  la  défense  des  intérêts  de  l'État  romain;  son 
action  sociale  est  annihilée;  ce  mot  n'a  plus  de  sens 
dans  le  siècle  de  Louis  XIV.  Pendant  deux  cents  ans 
et  plus,  l'évêque  de  Rome  rentre  dans  sa  fonction 
stricte  de  gardien  et  d'interprétateur  du  dogme,  de 
négociateur  écouté  sur  le  terrain  des  affaires  pure- 
ment ecclésiastiques.  Et  l'on  put  même  croire  que 
cette  fonction  allait  devenir  inutile,  avec  les  progrès 
de  l'esprit  philosophique  et  de  l'indifférence  en  ma- 
tière de  religion  :  les  contemporains  et  les  succes- 
seurs de  Voltaire  le  crurent. 


ÉPILOGUE.  289 

Il  était  réservé  à  notre  siècle  de  rouvrir  les  vastes 
horizons  devant  la  Papauté.  La  Révolution  française, 
qui  semblait  devoir  balayer  le  Saint-Siège  avec  les 
Trônes,  déchaînait  les  forces  d'opinion  :  c'était  ren- 
dre à  l'Église  les  armes  qui  lui  ont  procuré  toutes 
ses  victoires.  Dès  la  première  heure,  le  Concordat  et 
le  sacre  de  Napoléon  nous  ramènent  d'un  bond  bien 
en  deçà  du  dix-huitième  siècle,  au.x  grands  jours  du 
Poutiûcat.  Elle  est  très  fine  et  très  juste,  cette  vue 
dun  de  nos  collaborateurs  :  «  Pie  VII  signant  le  Con- 
cordat est  plus  proche  des  papes  du  moyen  âge  que 
d'aucun  des  papes  de  l'époque  moderne.  En  fait, 
Napoléon  I",  par  sa  politique  à  l'égard  du  Pontife, 
se  rapprocha  plutôt  de  Barberousse  ou  de  Frédé- 
ric H  que  de  Louis  XIV  :  celui-ci  considérait  la  Pa- 
pauté comme  une  quantité  négligeable  en  Europe  ; 
ceux-là  la  redoutaient  comme  une  force  ». 

On  n'aperçut  pas  tout  d'abord  ce  changement  plein 
de  conséquences.  Il  était  caché  aux  yeux  par  les 
humiliations  du  malheureux  pape.  Nous-mêmes  ne 
le  discernons  aujourd'hui  qu'à  la  lumière  d'événe- 
ments dont  nous  sommes  témoins,  et  qu'il  faut  rap- 
porter à  ce  fait  initial.  Après  la  chute  de  l'Empire,  la 
Papauté  fut  de  nouveau  confinée  dans  le  cercle  étroit 
où  l'enfermaient  les  traditions  diplomatiques  de  l'an- 
cien régime,  reprises  par  les  gouvernements  despo- 
tiques ou  libéraux  qui  se  succédèrent  en  Europe 
durant  la  première  moitié  du  siècle.  Son  rôle  parais- 
sait encore  amoindri  par  l'irréligion  des  pays  libéraux. 

La  voix  prophétique  de  Ghâteaubriant,  lorsqu'il 
eut  accès  au  Conclave  de  1829,  souhaita  (|ue  le  futur 
pontife  «  puissant  par  la  doctrine  et  l'autorilé  du 
passé,  n'en  connût  pas  moins  les  nouveaux  besoins 
(lu  présent  et  de  l'avenir  ».  Ces  paroles  significatives 
restèrent  alors  sans  écho.  Les  vicissitudes  politiques 
et  l'activité  doctrinale  qui  remplirent  le  long  règne 
de  Pic  IX  rendirent   la  Papauté  plus  vivante,  plus 


290      LE  VATICAN.  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

touchante  pour  le  monde  catholique;  mais  cette  forcb 
accrue  ne  se  projetait  pas  encore  au  delà  de  ce  monde 
soumis. 

La  dépossession  de  1870  a  inauguré  l'ère  nouvelle. 
Ère  du  déclin  définitif,  pensaient  les  observateurs 
superficiels.  C'était  faire  bon  marché  des  enseigne- 
ments de  l'histoire.  Pour  nous  qui  venons  de  passer 
en  revue  cette  histoire,  l'événement  de  1870  nest 
qu'un  accident  après  tant  d'autres.  Papes  prison- 
niers, chassés  du  Vatican,  errant  sur  les  routes, 
exilés  hors  d'Italie,  émigrés  pendant  trois  quarts  de 
siècle  en  Avignon  ;  papes  co-partageants  de  Rome 
avec  le  César  latin,  le  César  byzantin,  le  César  alle- 
mand; papes  dominateurs  absolus  du  monde  sans 
avoir  où  reposer  leur  tête;  papes  maîtres  absolus  dd 
leur  domaine  sans  que  leur  voix  fût  obéie  au  delà 
par  un  monde  indifférent  ou  révolté,  nous  les  avons 
vus  dans  toutes  les  conditions,  dans  toutes  les  infor- 
tunes, accommodant  toujours  leur  institution  per- 
manente aux  formes  transitoires  les  plus  diverses,  et 
toujours  investis  de  leur  autorité  indéfectible  dans 
l'évolution  perpétuelle  de  leurs  droits  régaliens  ou 
domaniaux.  Nul  ne  peut  prévoir  aujourd'hui  com- 
ment prendra  fin  une  épreuve  temporaire,  et  quelle 
sera  la  situation  acceptable  faite  au  Pontife  par  les 
combinaisons  historiques  de  l'avenir.  Mais  les  leçons 
du  passé  nous  autorisent  à  négliger  ces  incidents  se- 
condaires dans  une  vue  d'ensemble  sur  la  Papauté  ; 
ils  n'ont  que  de  lointains  rapports  avec  une  étude  oîi 
l'on  essaye  de  dégager  ce  qui  en  fait  la  force  intrin- 
sèque. Si  le  Pape  est  privé  depuis  1870  d'une  indé- 
pendance très  nécessaire,  il  n'a  perdu  aucun  élément 
essentiel  de  sa  puissance.  Dans  un  monde  où  les 
petits  États  ne  comptent  plus,  où  l'influence  des  na- 
tions se  calcule  d'après  les  millions  de  baïonnettes 
qu'elles  peuvent  mettre  en  ligne,  quelques  milliers 
de  sujets  et  quelques  lieues  carrées  n'ajouteraient 


EPILOGUE.  291 

pas  un  atome  de  force  réelle  à  leur  possesseur.  Il  faut 
chercher  ailleurs  le  secret  de  la  puissance  pontiflcale. 

Pouvoir  d'opinion,  le  Pape  bénéficie  de  la  prépon- 
dérance acquise  aujourd'hui  aux  pouvoirs  de  cet 
ordre.  Il  est  le  chef  de  la  plus  nombreuse  association 
qui  existe,  de  la  plus  disciplinée,  en  un  temps  où  la 
force  du  principe  d'association  est  décuplée  par  l'é- 
miettement  individualiste  de  tout  ce  qui  pourrait 
faire  contre-partie.  On  nous  permettra  de  reproduire 
ici  ce  que  nous  écrivions  à  ce  sujet  il  y  a  quelques 
années;  l'observation  n'a  pu  qu'affermir  notre  con- 
viction. —  «  Toutes  les  transformations  de  notre 
temps  conspirent  pour  l'Église.  Par  suite  du  double 
mouvement  démocratique  et  cosmopolite,  il  se  fait 
un  notable  déplacement  de  la  puissance  publique. 
Les  pouvoirs  dopinion,  les  pouvoirs  internationaux 
grandissent  aux  dépens  des  pouvoirs  officiels  et  li- 
mités dans  un  lieu  :  ainsi  la  presse,  les  grandes  ban- 
ques européennes,  les  vastes  fédérations  ouvrières.  Si 
l'on  pouvait  doser  comme  une  quantité  pondérable  la 
somme  de  puissance  publique  existante  dans  le  monde, 
ou  trouverait  que  la  franc-maçonnerie,  la  Bourse 
de  Paris,  ou  le  Times,  par  exemple,  détiennent  à  des 
degrés  divers  une  portion  de  cette  puissance  égale 
à  celle  que  détenaient,  il  y  a  deux  siècles,  telle  princi- 
pauté, tel  royaume  secondaire.  D'autre  part,  l'effet 
inéluctable  de  la  démocratie  est  d'avilir  les  charges  of- 
ficielles, de  relever  par  contre-coup  les  charges  mora- 
les et  intellectuelles,  que  l'opinion  seule  a  conférées  » . 

Le  pape. occupe  la  première  de  ces  charges.  Il  re- 
présente l'opinion,  mieux  que  l'opinion,  la  foi  de 
nombreux  millions  d'hommes.  Par  delà  le  cercle  des 
fidèles,  la  Papauté  est  un  centre  d'attraction  pour 
beaucoup  de  libres  intelligences.  Ceci  demande  quel- 
ques explications. 

Les  discussions  contemporaines  roulent  volontiers 
sur  le  renouveau  religieux  dont  certains  observateurs 


292      LE  VATICAN,  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

affirment  Texistence.  Il  est  très  malaisé,  sinon  impos- 
sible, de  fonder  en  cette  matière  des  affirmations  sur 
ce  qui  nous  échappe  le  plus,  sur  l'état  général  des 
consciences.  Il  y  a  de  fortes  apparences,  c'est  tout  ce 
que  Ton  peut  dire,  en  faveur  de  la  thèse  suivante  : 
si  Ton  prend  un  point  de  comparaison  dans  le  der- 
nier siècle,  la  foi  catholique  est  aujourd'hui  plus 
vivante,  plus  agissante,  dans  le  clergé  et  dans  les 
milieux  orthodoxes;  si  l'on  reporte  ce  point  de  com- 
paraison à  vingt  ou  trente  ans  en  arrière  de  nous, 
l'heure  présente  marque  encore  un  progrès,  sinon 
dans  la  quantité,  du  moins  dans  l'activité  des  ca- 
tholiques déclarés,  effectifs. 

En  dehors  de  ceux-ci ,  dans  les  classes  dirigeantes, 
dans  la  jeunesse  studieuse,  et  particulièrement  dans 
le  monde  adonné  aux  travaux  de  la  pensée,  on  trouve 
un  grand  nombre  d'esprits  détachés,  indifférents  par 
habitude  ou  sceptiques  par  raisonnement.  Depuis 
quelques  années,  un  courant  sensible  a  amené  ces 
esprits  de  l'agnosticisme  positiviste  aux  recherches 
philosophiques  et  morales;  du  réalisme  pratique  aux 
aspirations  idéalistes.  Ils  ont  vu  s'effondrer  les  bases 
purement  rationnelles  sur  lesquelles  ils  avaient  assis 
leurs  certitudes  intimes.  Le  grand  travail  critique  de 
notre  temps  et  l'application  expérimentale  ont  mon- 
tré la  vanité  de  tous  les  principes  politiques,  sociaux, 
esthétiques,  pseudo- scientifiques  dont  nos  pères 
s'étaient  engoués.  Il  en  reste  moins  que  rien.  Chaque 
jour  on  nous  met  impitoyablement  sous  les  yeux  ce 
qu'un  écrivain  a  nommé  «  les  mensonges  conven- 
tionnels de  notre  civilisation  ».  Vis-à-vis  de  cette 
banqueroute,  l'homme  intérieur  s'inquiète  de  se  sen- 
tir abandonné  sans  gouvernail;  le  citoyen  s'épou- 
vante de  voir  la  machine  publique,  cette  machine  qui 
est  la  patrie,  fonctionner  à  vide  et  produire  du  néant, 
alimentée  qu'elle  est  par  le  néant. 

Sur  les   ruines  de  toutes  les  doctrines,  un  seul 


ÉPILOGUE.  293 

corps  de  doctrines  demeure  debout;  il  offre  des  solu- 
tions pour  tous  les  besoins  publics  et  individuels; 
ii  plonge  au  plus  profond  de  l'histoire,  il  a  prouvé  son 
eflicacité  dans  les  sociétés  les  plus  dissemblables. 
C'est  le  dépôt  confié  au  gardien  du  Vatican.  Pour  les 
esprits  dont  nous  parlons,  l'adhésion  à  ce  corps  de 
doctrines  souffre  de  grandes  diflicultés;  leurs  habi- 
tudes de  raisonnement  s'y  heurtent  à  de  graves  objec- 
tions. Mais  il  était  inévitable  que  ces  esprits  dé- 
semparés s'en  rapprochassent,  comme  d'un  centre 
d'attraction.  Le  journalisme  superûciel  a  baptisé  ce 
mouvement  d'appellations  inexactes  et  saugrenues  : 
mysticisme,  néo- christianisme,  dilettantisme  reli- 
gieux, combien  d'autres  encore?  Mieux  que  par  une 
épithète  hasardée,  on  peut  le  définir  par  une  compa- 
raison rigoureusement  exacte,  nous  semble-t-il,  et  em- 
pruntée aux  lois  les  plus  connues  du  système  stellaire. 
Les  corps  célestes  font  leur  révolution  autour  d'un 
astre  relativement  fixe,  foyer  contrai  qui  les  sollicite 
en  vertu  de  la  loi  d'attraction.  Ils  y  tomberaient,  ils 
viendraient  s'y  fondre,  s'ils  n'étaient  retenus  à  dis- 
tance par  les  attractions  en  sens  contraire  d'une 
multitude  d'autres  corps,  disséminés  dans  l'espace. 
Qu  il  y  ait  parmi  ces  derniers  des  extinctions  totales 
ou  des  diminutions  de  densité,  l'équilibre  des  forces 
sera  modifié,  les  globes  en  mouvement  se  rapproche- 
ront du  foyer  central  où  ils  tendent.  —  Tel  est  le  cas 
des  esprits  qui  nous  occupent  :  retenus  encore,  mais 
moins  fortement,  par  l'influence  d'étoiles  qui  pâlis- 
sent ou  s'éteignent,  ils  raccourcissent  leur  circuit  et 
se  rapprochent  du  centre  d'attraction.  Viendront-ils 
s'y  joindre?  Quand  et  comment?  C'est  le  secret  de 
l'avenir,  nous  n'avons  pas  à  le  préjuger  :  nous  devions 
seulement  éclaircir  et  justiOer  ce  que  nous  avons 
avancé,  le  fait  d'une  attraction  croissante  exercée  par 
la  Piipauté  sur  des  intelligences  qui  ne  lui  appartien- 
nent pas  officiellement. 

17 


294      LE  VATICAN,  Li:S  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

D'autres  causes  la  rapprochent  d'autres  groupe- 
ments contemporains.  La  démocratie  a  définitivement 
triomphé  chez  quelques  peuples  des  deux  mondes, 
elle  assiège  et  réduira  inévitablement  les  citadelles 
qui  lui  résistent  encore.  Cette  démocratie  souffre 
d'un  malaise  social  aigu ,  caractérisé ,  le  plus  grave 
que  l'histoire  ait  enregistré  depuis  longtemps  ,  ou  du 
moins  le  plus  impatiemment  supporté.  Le  soulage- 
ment de  ce  malaise  est  sa  préoccupation  dominante. 
—  Or,  le  Pontife  clairvoyant  qui  occupe  aujourd'hui 
le  Siège  apostolique  a  marqué  son  inclination  pour 
la  démocratie  ;  il  ramène  doucement  l'Église  à  la  tra- 
dition des  origines  et  du  moyen  âge ,  il  la  prépare  au 
rôle  de  conductrice  des  foules.  Lui  aussi,  il  s  est  voué 
plus  particulièrement  à  la  recherche  des  remèdes  du 
malaise  social.  11  n'a  pas  craint  d'aborder,  dans  une 
encyclique  fameuse,  les  problèmes  épineux  de  la 
propriété,  des  salaires,  des  rapports  entre  le  capital 
et  le  travail;  il  a  rappelé  les  principes  de  la  théologie 
catholique  avec  une  hardiesse  dont  s'effrayèrent  les 
économistes  peu  versés  dans  le  thomisme.  Il  a  convié 
les  ouvriers  dans  les  salles  du  Vatican ,  déshabituées 
depuis  plusieurs  siècles  à  de  pareilles  ambassades. 

Cette  bonne  volonté  n'aura  probablement  pas  de 
prises  immédiates  sur  le  monde  du  travail,  en  grande 
majorité  aigri,  révolté,  prévenu  contre  loule  inter- 
vention religieuse  ;  sur  un  monde  où  chaque  in- 
dividu demande  une  solution  précise,  topique,  pour 
le  cas  particulier  dont  il  se  plaint.  Le  Pape  ne  peut 
donner  que  des  directions  générales,  préventives 
des  conflits,  et  subordonnées  à  une  réforme  des 
mœurs.  C'est  néanmoins  un  grand  point  qu'on  ne 
s'ignore  plus  absolument,  entre  le  Vatican  et  l'ate- 
lier. On  s'observe,  on  se  dévisage,  on  se  cherche, 
d'un  côté  avec  une  sollicitude  paternelle,  de  l'autre 
avec  une  curiosité  défiante;  il  y  a  parfois  discussion 
sceptique  chez  l'ouvrier,  mais  il  y  a  discussion.  Ces 


EPILOGUE.  295 

foules  moraloment  abandonnées  savent  qu'un  oracle 
réputé  infaillible  prend  la  défense  de  leurs  intérêts. 
Jl  sera  désormais  moins  suspect  à  leurs  yeux,  puis- 
qu'il est  dépouillé  de  sa  souveraineté  et  de  sa  pro- 
priété; il  en  est  dépouillé,  fait  remarquable,  à  l'heure 
môme  où  toutes  les  souverainetés  sont  furieusement 
battues  en  brèche,  où  plusieurs  changent  de  nature 
et  d'origine;  à  l'heure  où  la  notion  de  la  propriété, 
soumise  à  un  examen  attentif,  risque  d'y  laisser 
quelque  chose  de  son  caractère  absolu.  Soit  que  la 
crise  sociale  empire  sans  aboutir,  soit  qu'elle  se  ré- 
solve par  (les  catastrophes  après  lesquelles  il  ne  res- 
tera plus  que  des  chimères  impuissantes  sur  des  dé- 
combres, le  moment  peut  venir  où  une  partie  du 
monde  ouvrier  s'avisera,  malgré  ses  préventions  enra- 
cinées, qu'il  y  a  au  Vatican  un  arbitre  pour  juger  ses 
conflits,  un  avocat  pour  plaider  sa  cause,  un  architecte 
pour  l'aider  à  reconstruire  les  sociétés  détruites. 
-  La  coufiuête  inattendue  de  nouveaux  domaines  n'a 
pas  moins  contribué  à  grandir  et  à  rajeunir  la  Pa- 
pauté. Le  catholicisme,  pèlerin  éternel,  a  franchi  les 
Océans.  Je  ne  m'étendrai  pas  ici  sur  les  espérances 
que  lui  donne  la  constitution  rapide  de  cette  Église 
américaine,  qui  frappe  si  vivement  les  imaginations. 
Chacun  est  renseigné  sur  les  particularités  de  celte 
jeune  armée,  où  il  n'y  a  pas  de  non-valeurs,  où  dix 
millions  d'inscrits  sont  dix  millions  de  soldats  actifs, 
exaltés  par  leur  conOance  dans  le  succès;  chacun  sait 
quels  admirables  chefs  les  conduisent,  et  comment 
ils  approprient  l'institution  calholi(|no  aux  mœurs 
d'une  démocratie,  avec  l'allégresse,  la  hardiesse  des 
premiers  apôtres.  D'autre  part,  le  Pontife  romain  mé- 
dite de  ramener  au  bercail  l'Orient  séparé;  si  diffi- 
cile que  paraisse  une  entreprise  qui  a  toujours  échoué, 
il  ne  désespère  pas  dune  meilleure  réussite,  il  a  déjà 
commencé  les  travaux  d'approche,  i-^llle  n'est  [)oint 
paralysée,  la  puissance  prévoyante  qui  s'attaque  aux 


296      LE  VATICAN,  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION'. 

grandes  masses  humaines,  désignées  par  la  fatalité  du 
nombre  comme  les  futures  maîtresses  de  la  planète. 

La  recrudescence  de  vie  du  Pontificat  lient  encore 
au  phénomène  le  plus  saillant  de  notre  époque,  ù 
l'expansion  de  notre  activité  sur  tout  le  globe.  La 
mission  accomplie  actuellement  par  l'Europe  eu 
Afrique,  en  Asie,  en  Océanie,  offre  une  ressemblance 
frappante  avec  celle  qui  fut  dévolue  à  l'Empire  ro- 
main dans  le  monde  barbare  :  conquérir,  unifier, 
préparer  des  terrains  neufs  pour  une  semence  spiri- 
tuelle. Toutes  ces  familles  jaunes  ou  noires  que 
guette  la  Propagande,  l'Église  est  fondée  à  les  consic 
dérer  comme  des  recrues  probables  ;  elles  seront  ca- 
téchisées par  quelque  Boniface,  comme  le  furent  les 
tribus  des  forêts  saxonnes;  elles  fourniront  peut-être 
dans  la  suite  des  temps  les  moissons  opulentes  que 
nous  avons  fournies  dans  le  passé.  Qui  sait  si  la  Pa- 
pauté n'aura  pas  la  joie  de  voir  refleurir  un  jour, 
chez  des  races  naïves  et  dociles,  entre  le  Zambése  et 
le  Niger,  une  civilisation  façonnée  par  elle  pour  un 
autre  moyen  âge? 

Ainsi,  dans  toutes  les  directions  où  s'emploient  les 
énergies  de  l'Église,  on  constate  une  évolution  for- 
melle de  cette  institution  permanente,  en  rapport 
avec  l'évolution  des  idées  et  des  faits  dans  le  monde 
contemporain.  Nul  n'est  fondé  à  dire  qu'il  y  ait  rien 
de  changé  dans  l'essence  de  ce  pouvoir  immuable, 
alors  que  ses  applications  décèlent  des  changements 
considérables.  Avec  la  force  plastique  qui  est  par  ex- 
cellence le  signe  de  sa  vitalité,  l'Église  s'adapte  de 
nos  jours  au  service  de  sociétés  formées  en  dehors 
d'elle,  souvent  contre  elle,  comme  elle  s'était  adaptée 
à  la  cité  antique,  à  la  féodalité,  à  la  Renaissance,  à 
toutes  les  métamorphoses  de  ses  ouailles.  Ce  travail 
échappe  parfois  aux  regards  inattentifs,  parce  qu'il 
s'opère  lentement,  insensiblement,  par  des  procédés 
contraires  à  ceux  de  la  société  laïque,  semblables 


ÉPILOGUK.  397 

aux  procédés  mystérieux  de  la  vie  dans  la  réfection  et 
l'accroissement  des  organismes  supérieurs.  La  vie 
répare  et  renouvelle  incessamment  tous  les  atomes 
de  notre  être;  notre  forme  et  notre  personnalité  ne 
sont  pas  modifiées  par  ces  substitutions  perpétuelles. 
C'est  dans  ce  sens  qu'il  faut  entendre  le  renouvelle- 
ment de  l'Eglise.  Ce  souci  constant  d'introduire  l'es- 
prit de  rénovation  sous  d'anciens  délions  pieusement 
conservés,  n'est-ce  point  la  sage  méthode  par  où  le 
civilisé  difl'jre  du  barbare,  l'homme  qui  améliore  son 
outil  de  l'enfant  qui  brise  le  sien  pour  en  réclamer 
un  autre? 

Lorsqu'elle  fait,  suivant  le  précepte  du  poète,  «  des 
vers  antiques  sur  des  pensers  nouveaux  »,  l'Église 
ne  se  hâte  jamais.  Dans  tout  ce  qui  n'a  pas  trait  aux 
choses  éternelles,  dans  le  domaine  du  contingent  et 
du  relatif,  son  rôle  n'est  point  de  devancer,  mais  de 
régulariser,  de  consacrer  les  progrès  définitivement 
acquis.  Quelques  penseurs  objectent,  comme  un 
exemple  de  variations  inexplicables  pour  eux,  les 
mésaventures  des  esprits  hardis  qui  furent  blâmés 
dans  le  passé  pour  avoir  soutenu  des  doctrines  poli- 
tiques et  sociales  bien  accueillies  par  la  suite  au  Va- 
tican. Ces  pionniers  étaient  partis  trop  tôt.  Les  vé- 
rités essentiellement  relatives  de  la  politique  ne 
deviennent  des  vérités  compilâtes,  acceptables  par 
l'Eglise,  qu'au  moment  où  elles  apparaissent  pra- 
tiques, où  les  circonstances  historiques  démontrent 
que  le  fruit  mûr  peut  être  cueilli.  L'Église  est  seule 
juge  de  ce  moment,  en  ce  qui  la  concerne;  elle  ne 
donne  son  estampille  qu'aux  vérités  dont  le  besoin  se 
fait  sentir.  Fâcheux  o[iportunisnie,  diront  les  irréflé- 
chis. Sagesse  profonde,  si  l'on  veut  bien  y  appliquer 
la  réflexion.  Pour  tout  ce  qui  ne  tombe  pas  sub  spe- 
cieciilerniialis,  une  vérité  inopportune  n'est  pas  encore 
une  vérité.  Le  fiuit de:«liné  à  nous  alimenter  se  forme, 
il  sera  bon  et  ulib;  ;  il  n'est  qu'indigeste  t;t  nuisible,  si 


298      LE  VATICAN,  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

nous  y  goûtons  avant  sa  maturité.  Libre  à  nous  tous 
de  défendre,  à  nos  risques  et  périls,  ce  que  nous 
croyons  être  la  vérité  de  l'avenir  ;  c'est  notre  rôle;  ce- 
lui de  rÉglise  est  d'ignorer,  de  réprouver  parfois  une 
idée  hâtive,  dont  l'heure  n'a  pas  sonné  sur  V  Horloge  où 
la  régulatrice  de  nos  besoins  a  les  yeux  toujours  fixés. 

Nous  n'étendrons  pas  davantage  ces  considéra- 
tions. Elles  suffisent  pour  motiver  les  jugements  de 
l'historien  que  nous  avons  laissé  dans  la  Sixtine,  mé- 
ditant sur  le  destin  de  la  Papauté;  de  cet  historien 
que  nous  avons  supposé  sincère,  sans  parti  pris, 
uniquement  soucieux  de  se  représenter  le  vrai  carac- 
tère, la  vraie  physionomie  de  l'institution  qu'il  étu- 
die, dans  le  passé,  dans  le  présent,  dans  ce  qu'il 
nous  est  permis  d'entrevoir  de  l'avenir.  Trois  ques- 
tions capitales  se  poseraient  dans  son  esprit. 

La  Papauté  a-t-elle  exercé  une  grande  influence 
sur  le  développement  de  notre  civilisation?  Celte  in- 
fluence a-t-elle  été  bonne  et  utile?  —  Oui.  dirait-il; 
malgré  les  faiblesses  et  les  fautes  auxquelles  toute 
chair  est  sujette,  malgré  les  entraînements  des  con- 
voitises temporelles,  malgré  les  excès  inséparables  de 
tout  grand  pouvoir,  la  Papauté  fut  une  puissance  auxi- 
liatrice  des  idées  généreuses  et  justes;  il  faut  lui  rap- 
porter une  très  large  part  de  la  supériorité  morale  qui 
distingue  notre  civilisation  de  la  civilisation  antique. 

La  Papauté  continue-t-elle  ce  rôle  dans  le  présent? 
Et  avec  quel  succès?  —  En  dépit  des  hostilités  bruyan- 
tes que  le  respect  des  peuples  étouffait  jadis,  des  scis- 
sions qui  se  sont  opérées  dans  le  troupeau,  de  l'indif- 
férence réelle  ou  apparente  des  masses  dans  quelques 
États  d'Europe,  le  rôle  de  la  Papauté  n'est  pas  amoin- 
dri. La  diminution  de  sa  situation  matérielle  n'a  pas 
atteint  son  influence;  il  semble  au  contraire  qu'elle 
ait  retiré  de  cet  accident  un  surcroît  de  force  morale. 
Celte  influence  perd  le  caractère  que  les  derniers  siè- 
cles lui  avaient  donné,  elle  retrouve  celui  des  périodes 


ÉPILOGUt:.  299 

aniérieuros.  La  Papauté  recommence  sa  tâche  dans 
les  pays  nouveaux,  sur  des  terrains  favorables,  avec 
une  énergie  et  un  succès  (|ui  nous  reportent  k  ses 
lilus  mémorables  époques  :  nous  y  sommes  également 
reportés  par  sa  participation  active  en  Kurope  aux 
grands  mouvements  d'idées,  par  la  place  qu'elle  lient 
dans  les  préoccupations  des  pouvoirs  séculiers  et  de 
l'opinion  populaire. 

L'avenir  apparait-il  favorable  à  la  continuation  de 
ce  rôle?  —  Les  lignes  précédentes  répondent  à  cette 
question,  s'il  est  démontré  que  les  courants  qui  en- 
traînent notre  monde  vont  dans  le  sens  de  la  vraie 
vocation  des  Papes,  que  ces  courants  recréent  les 
conditions  historiques  oii  le  Souverain  Pontificat  a 
remporté  ses  plus  belles  victoires.  La  nouveauté  sur- 
prenante, ce  serait  que  le  Pape  manquât  aux  circons- 
tances ou  que  les  circonstances  lui  manquassent. 

Au  jugement  de  quelques  personnes,  disposées  à 
exagérer  le  pouvoir  dune  action  individuelle,  la 
force  et  l'éclat  de  la  Papauté  contemporaine  seraient 
uniquement  dus  au  génie  du  titulaire  actuel.  Certes, 
il  en  faut  attribuer  une  large  part  à  celui  que  des 
témoins  désintéressés,  adversaires  politiques  ou  ad- 
hérents d'autres  confessions,  ont  proclamé  de  concert 
11'  plus  grand  homme  de  ce  temps.  Mais  il  serait  le 
premier  à  protester,  si  l'on  méconnaissait  la  vertu 
efficace  de  la  fonction,  indépendamment  des  talents 
du  fonctionnaire.  Un  de  nos  collaborateurs  l'a  très 
bien  dit  :  «  Il  y  a  un  certain  nombre  de  pontifes 
qu'on  est  convenu  d'appeler  «  les  grands  papes  »  : 
additionnez  toutes  ces  grandeurs,  vous  n'obtenez  pas 
encore  une  imago  afb'quate  de  la  Papauté.  Cette  ins- 
titution surpasse  en  hauteur  et  en  ('clat  les  titulaires 
passagers  rjui  la  représentent  ». 

Ces  mêmes  personnes  semblent  croire  que  le  choix 
d'un  futur  Conclave  peut  arr^Herou  dévier  l'évolution 
ù  laquelle  nous  assistons.  Sentiment  bien  peu  con- 


300      LE  VATICAN,  LES  PAPES  LT  LA  CIVILISATION. 

forme  aux  enseignements  de  l'histoire!  Quand  elle 
crée  un  mouvement  irrésistible,  tous  y  sont  empor- 
tés :  les  forts  le  dirigent,  les  faibles  le  subissent.  Les 
résistances  individuelles,  accidents  éphémères,  ont 
tout  au  plus  le  pouvoir  de  l'entraver  un  instant.  Le 
successeur  de  Léon  Xlll  n'aura  peut-être  point  le 
prestige  personnel  du  pontife  que  nous  admirons; 
mais  imaginer  qu'il  imprimera  à  l'Église  une  direc- 
tion contraire  à  celle  qui  est  imposée  par  l'évolution 
des  peuples,  acceptée  par  l'élite  de  l'Église,  cela  re- 
vient à  supposer  un  capitaine  qui  conduirait  son 
navire  en  sens  inverse  de  la  destination  fixée  par  l'i- 
tinéraire et  par  les  nécessités  de  la  navigation. 

Une  autre  objection  est  plus  grave,  au  moins  chez 
ceux  qui  la  formulent  de  bonne  foi.  Ils  aperçoivent 
les  magnifiques  perspectives  ouvertes  à  l'action  de  la 
Papauté  par  les  conjonctures  du  temps  présent  ;  et  ils 
craignent  qu'une  réalisation  complète  do  ces  pro- 
messes n'amène  un  retour  de  la  théocratie,  incom- 
patible avec  les  exigences  légitimes  de  l'esprit  mo- 
derne. C'est  faire  trop  bon  marché  de  la  prudence 
naturelle  à  l'Église.  Elle  n'ignore  pas  que  si  l'enfance 
de  nos  races,  au  moyen  âge,  a  requis  sa  vigilance  de 
chaque  instant  sur  tous  les  détails  de  la  vie,  sa  pro- 
tection contre  la  brutalité  des  pouvoirs  féodaux,  pro- 
tection qui  ne  pouvait  s'exercer  que  par  une  main- 
mise effective  sur  les  protégés,  rien  de  pareil  n'est 
demandé,  rien  de  pareil  n'est  possible  dans  nos 
conditions  actuelles  d'existence.  Nos  nations  vieillies, 
nos  intelligences  formées,  émancipées,  requièrent 
encore  de  la  Papauté  des  secours,  des  directions  gé- 
nérales; maîtresses  désormais  de  leur  conduite  pour 
le  bien  ou  pour  le  mal,  elles  sont  libres  de  refuser 
ces  secours  et  ces  directions;  elles  n'ont  plus  besoin 
de  l'intervention  minutieuse,  constante,  sanctionnée 
par  des  pénalités,  qui  fut  à  proprement  parler  le 
régime  théocratique.  et  qui  pourra  encore  s'employer 


ÈPILOGUK  301 

utilomenl  dans  l'intérêt  de  telle  tribu  d'Afrique  ou 
d'Océanie.  Mais  y  a-t-il  nécessité,  n'y  a-t-il  point 
na'iveté  à  réfuter  des  objections  que  le  bon  sens  re- 
pousse d'instinct?  On  n'a  pas  encore  rencontré  une 
mère  qui  conservât  à  ses  enfants  adultes  les  lisières 
de  leur  berceau.  Et  Joseph  do  Maistre  lui-même  s'est 
chargé  de  répondre  à  ces  craintes,  dans  un  temps 
qui  n'offrait  pas  à  la  liberté  humaine  toutes  les  ga- 
ranties accumulées  par  le  nôtre.  —  «  S'ils  m'adres- 
sent la  question  :  Qu'est-ce  qui  arrêtera  le  Pope?  ie 
leur  répondrai  :  tout;  les  canons,  les  lois,  les  coutu- 
mes des  nations,  les  souverainetés,  les  grands  tri- 
bunaux, les  assemblées  nationales,  la  prescription, 
les  représentations,  les  négociations,  le  devoir,  la 
crainte,  la  prudence,  et  par-dessus  tout  l'opinion, 
reine  du  monde  ». 

Oui,  le  philosophe  que  nous  imaginons,  songeant 
auprès  du  Pape  mort  et  cherchant  les  meilleures 
voies  pour  la  pauvre  humanité,  quittera  la  compagnie 
des  Sibylles  avec  une  double  confiance  dans  l'avenir 
do  la  Papauti'',  dans  les  bons  effets  de  cet  avenir 
pour  l'humanité.  S'il  a  vieilli  dans  l'étude  de  l'his- 
toire et  dans  la  contemplation  du  siècle  où  le  sort  l'a 
jeté,  s'il  a  vu  de  prés  les  surprises  des  événements, 
la  tromperie  des  prévisions,  l'enroyablc  désarroi  de 
la  raison  livrée  à  ses  seules  forces,  l'incapacité  des 
hommes  à  décider  de  leurs  véritables  intérêts,  l'é- 
goi'sme  et  la  sottise  de  la  plupart  des  entrepreneurs 
du  bonheur  public,  la  douloureuse  impuissance  des 
meilleurs  pour  remédier  à  l'inguérissable  misère  du 
plus  grand  nombre,  ce  philosophe  sortira  de  la  Si.K- 
line  avec  une  conviction  encore  plus  affermie;  il  ap- 
préciera mieux  encore  la  nécessité  du  régulateur 
dont  on  croit  entendre  le  sourd  balancier,  sous  les 
crucifix  qui  saignent  de  l'éternelle  plaie  de  l'Homme, 
dans  les  salles  silencieuses  du  Vatican. 

Et  lorsqu'il  traversera  la  cour  Saint-Damase,  le  soir, 


302      LE  VATICAN,  LES  PAPES  ET  LA  CIVILISATION. 

lorsqu'il  reverra  briller  au  faite  du  palais  la  lampe 
du  nouveau  Pape,  il  ne  se  demandera  pas  si  ce  Pape 
est  un  génie  transcendant  ou  un  obscur  et  simple 
frère  du  premier  Pêcheur;  quel  que  soit  l'homme,  il 
est  TAutorité ,  le  Pouvoir,  le  seul  Pouvoir  subsistant 
dans  un  monde  qui  a  ruiné  tous  les  autres;  il  est  le 
pilote  qui  devient,  fùt-il  le  dernier  des  matelots  et 
par  cela  seul  qu'il  sait  lire  la  boussole,  l'unique  maî- 
tre moral  dô  la  barque  oii  il  n'y  a  plus  d'ofïiciers 
régulièrement  commissionnés.  Au  plein  jour,  par  la 
mer  calme,  en  vue  des  côtes,  l'équipage  peut  l'oublier  ; 
ces  passagers  sont  gens  d'expérience  et  qui  savent 
beaucoup;  ils  n'ont  pas  trop  de  peine  à  se  diriger, 
avec  leur  connaissance  approfondie  de  la  terre,  leurs 
observations  scientifiques,  leur  longue  habitude  du 
voyage.  Vienne  la  nuit,  vienne  la  tempête,  tous  ces 
recours  s'évanouiront;  il  n'y  en  aura  plus  d'autre  que 
l'aiguille  mystérieuse,  aimantée  par  une  force  incon- 
nue. L'instinct  de  la  conservation  amènera  nos  gens 
à  la  boussole  qui  veille  sous  cetie  lampe,  au  pilote 
qui  la  garde,  là-haut,  qui  les  attend  avec  une  tran- 
quille certitude,  et  qui  fait  son  quart  depuis  tant  de 
siècles  dans  la  solitude  active  du  Vatican. 

Eugène-Melchior  de  VoGiJÉ. 


TABLE  DES  MATIERES 


LE  GOUVERNEMENT  CENTRAL  DE  L'EGLISE 
PAR  Georges  Goyau. 

Page». 

Chapithe  premier.  —  Le  Sacré  Collège.  —  Les  con-        3 
sistoires 

I.  Les  origines  du  collège  cardinalice.  —  Les  trois  ordres  des 
cardinaux.  —  H.  La  création  des  cardinaux.  —  Les  i)Ostes 
canlinaliccs.  —  IIL  Le  consistoire  secret.  —  Proclamation 
des  nouveaux  cardinaux.  —  Les  «  in  petto  ».  —  IV.  Second 
but  du  consistoire  secret  :  La  préconisalion  des  évc(|ues.  — 
V.  Le  consistoire  public  :  Remise  du  chapeau  aux  nouveaux 
cardinaux.  —  Le  second  consistoire  secret  :  Ouverture  de  la 
bouche.  —  VI.  Les  insignes  et  l'étiquette  des  cardinaux. 
—  VIL  Les  fonctions  réservées  aux  cardinaux.  —  Le  vicaire 
du  pape.  —  Le  grand  pénitencier. 

CiiAPiïUE  II.  —  Comment  un  pape  meurt  et  com- 
ment on  devient  pape 26 

1.  L'agonie  papale.  —  Mort  de  Pie  IX.  —  II.  La  souveraineté 
de  l'Église,  jusqu'à  l'élection  du  successeur,  est  exercée 
collectivement  par  le  Sacré  collège.  —  lll.  Les  dépositaires 
du  pouvoir  exécutif:  cardinal  caincilingue  (.loacliim  Pecci), 
Triumvirat  des  cardinaux  chefs  d'ordres.  —  IW  Les  funé- 
railles papales.  —  Cér(''mouies  qui  suivirent  la  mort  de 
Pie  IX.  —  V.  L'élévation  du  l'ape,  la  législation  tradition- 
nelle du  conclave.  —  VI. Changements subisaudix-neuvième 
siècle  parla  législatinn  traditionnelle  du  conclave.  —Pres- 
criptions nouvelles  de  Pie  IX.  —  VII.  Les  dix  congrégations 
<|ui  précèdent  l'entrée  en  conclave.  —  La  réception  des  am- 
bassadeurs. —  VIII.  La  construction  du  Conclave.  —  IX. 
L'entrée  en  Conclave.  —  L'organisation  des  services  inté- 


304  TABLE  DES  MATIERES. 

Page?. 

rieurs.  —  Les  alentours  du  conclave  ;  Le  maréchal.  —  X. 
Les  opérations  du  Conclave  :  Comment  le  cardinal  Pecci 
devint  pape.  —  XL  La  première  journée  du  pape  Léon  \\U, 

—  Les  trois  obédiences.  —  XIL  Les  cérémonies  de  l'instal- 
latioû  pontificale  :  La  prise  de  possession  du  Latran.  —  La 
messe  du  couronnement.  —  La  quatrième  et  la  cinquième 
obédiences.  —  L'imposition  de  la  tiare. 

Ch.\pitre  III.  —  Les  congrégations  romaines 58 

1.  Décadence  de  l'institution  des  consistoires.  —  Création  des 
congrégations,  leur  composition,  leur  procédure.  —IL  La 
défense  de  la  foi  :  Le  Saint-Office,  l'Index,  les  Études.  — 
III.  La  discipline  ecclésiastique.  —  Congrcgalion  des  Évê- 
ques  et  Réguliers.  —  L'approbation  des  nouveaux  instiluts. 

—  Congrégation  sur  l'état  des  Réguliers.  —  La  réforme  de  la 
vie  religieuse.  —  Congrégation  du  concile.  —  IV.  La  congré- 
gation des  Rites  :  Comment  l'Église  déclaré  les  vénérables, 
les  bienlieureux,  les  saints.  —  La  Congrégation  des  indul- 
gences et  reliques.  —  Les  insignes  basiliques  de  Saint- 
Pierre  et  de  Lorette. 

Chapitre  IV.  —  Les  communications  du  pape  avec 

3e  monde  chrétien 82 

1.  Les  bulles  :  Comment  on  les  scelle;  comment  on  les  écrit. 
Les  habitudes  de  la  diplomatique  pontificale.  — II.  Les  quatre 
façons  d'expédier  une  bulle.  —  Le  cardinal  vice-cliancelier 
et  sommiste.  —  Le  Régent.  —  Le  sous-sommiste.  —  Les 
abréviateurs  du  Parc  Majeur.  —  L'abréviateur  de  Curie.  —La 
garde  du  plomb.  —  Le  plombeur.  —  III.  Les  brefs.  —  L'an- 
neau du  pêcheur.  —  La  secrétairerie  des  brefs.  —  Faveurs 
qu'elle  peut  procurer.  —  lY.  La  Dalerie.  —  Aller  et  retour 
d'une  supplique  confiée  à  la  Daterie.—  V.  Les  seciétaireries 
des  Brefs  aux  princes  et  des  lettres  latines.  —  La  rédaction 
des  Encycliques  :  Léon  XIII  auteur  latin. 

Chapitre  V.  —  La  secrétairerie  d  État  et  la  diplo- 
matie papale 101 

I.  Les  cardinaux-neveux  :  Développements  de  la  secrétairerie 
d'État.  —  IL  Les  fonctions  et  l'existence  d'un  cardinal-secré- 
taire d'État.  —III.  Les  rouages  de  la  diplomatie  pontificale: 
Bureau  de  la  secrétairerie  d'Etat,  Congrégation  des  Affaires 
ecclésiastiques  extraord  inaircs. 


TABLE  DES  MATIÈRES,  305 

ragea. 

Chapitre  VI.  —  La  Propagande 112 

I.  Création  de  la  Propagande,  son  organisation.— II.  Étendue  des 
pouvoirs  et  des  domaines  de  la  Propagande.  —  III.  Comment 
la  Propagande  conduit  ses  conquêtes.  —  IV.  Comment  la  Pro- 
jiagande  organise  ses  conquêtes  :  vicariats,  préfectures,  délé- 
gations apostoliques,  évèciiés  titulaires.  —  V.  Substitution 
de  la  hiérarchie  cpiscopale  au  gouvernement  de  Missions. 

—  VI.  Comment  sont  nommés  les  vicaires,  ordinaires  et  pa- 
triarches sujets  de  la  Propagande.  —  VU.  La  Papauté  et  l'O- 
rient. —  Congrégation  spéciale  pour  les  Aiïaires  Orientales. 

—  VIII.  Les  collèges  de  la  Pro|)agande.  —  Instructions  de 
Léon  XIII  pour  la  formation  de  clergés  indigènes.  —  IX.  L'é- 
conomie de  la  Propagande;  ses  revenus;  conversion  de  ses 
renies.  —  X.  La  typogra  pliie  de  la  Propagande.  —  Conclusion. 

Chapitre  VII.  —  La  cour  pontificale M9 

I.  La  prélalure  active,  ses  diverses  fonctions.  —  Prélats  pala- 
tins, camériers  secrets  participants.— Protonotaires  partici- 
pants. —  Prélats  de  collège.  —  Cérémoniaires.  —  Chape- 
lains secrets.  —  II.  La  prélalure  honorifique  :  Divers  titres 
de  cette  ])rélature.  —  III.  Les  dignitaires  laïques.  —  Pour- 
quoi la  famille  pontificale  s'est  accrue  au  dix-neuviéme 
siècle.  —  IV.  La  garde  du  Vatican;  les  antichambres  Papa- 
les. —  Y.  La  journée  du  Pape;  les  jardins  du  Vatican. 


LA  BIBLIOTHEQUE  VATIC.VNE 
PAR  Paul  Faiîre. 

Chapitre  PREMIER.   —  La  bibliothèque  ancienne IG9 

I.  La  bibliothèque  du  pape  Damase.  —  II.  La  bibliothèque  et 
les  archives  au  Latran.  —  m.  Le  rôle  de  la  bibliothèque 
apostolique  en  Occident;  la  bible  Amialine.  —  IV.  La  biblio- 
thèque du  Latran  et  l'œuvre  de  Grégoire  VII.  —  V.  Les  Papes 
du  treizième  siècle.  —  VI.  La  bibliothèque  d'Avignon. 

(]iiAPiTHE  II.  —  La   Renaissance 108 

I.  Les  débuts  de  l'humanisme.  —  II.  L'humanisme  et  la  Vati- 
cane  de  .Nicolas  V.  —  lll.  La  Vaticanc  de  Sixte  IV  ;  l'impri- 


BQX 
103 
G6ô 


\ 


N 


i