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Le Gouvernement
de l'Église
Droits de traduction et de reproduction réservés
pour tous les pays,
y compris la Suède et la Norvège.
Typographie Pirmm-Didot et C"=. — Mesnil (Eure).
Goyau * Pératé * . Fabre
LE VATICAN
,e Gouvernement
de l'Église
mo o((o))o G((6)l0
LES PALAIS APOSTOLIQUES
* CONGRÉGATIONS SECRÉ-
TAIRERIES : BIBLIOTHÈQUES
Épilogue par le V»^ MELCHIOR DE VOGUÉ
LIBRAIRIE DE PARIS
FIRMIN-DIDOT ET C>k, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
56, RUE JACOB, PARIS
LE GOUVERNEMENT CENTRAL
DE L'ÉGLISE
1.E VATICAN. — II.
CHAPITRE PREMIER
Le Sacré Collège. — Les consistoires.
C'est au pape qu'appartient le gouvernement de
rÉglise : il est assisté d'un conseil, le Sacré Collège,
dont les membres s'appellent cardinaux. Du vivant
du pape, les réunions plénières de ce conseil, dites
consistoires, sont des séances d'apparat, non des
séances de discussion. C'est en assemblées spéciales et
peu nombreuses, constituées par le pape et appelées
congrégations, que les cardinaux délibèrent et déci-
dent, sous réserve de l'approbation papale, sur les
multiples affaires de l'Église. Enfin, dès la mort du
pape, la réunion plénière du Sacré Collège com-
mence à jouer un rôle actif sans avoir le droit, d'ail-
leurs, de rien innover dans l'Église; elle se trans-
forme en conclave pour élire le successeur. A l'égard
de la monarchie papale, le Sacré Collège est un pou-
voir subordonné; mais la monarcliie papale a des in-
terrègnes, et le Sacré Collège est permanent; c'est lui
qui, désignant les papes, maintient la continuité de
l'histoire occlésiaslique. A ce titre, la logique exige
([ue nous parlions dabord des cardinaux, élus par le
pape défunt, mais électeurs du pape futur, et créa-
4 LE GOUVERNEMENT CENTR.U. DE L'ÉGLISE.
tures du passé, sans doute, mais aussi créateurs de
l'avenir.
I
LES ORIGINES DU COLLEGE CARDINALICE. — LES TROIS
ORDRES DES CARDINAUX.
Au moyen âge, le nom de cardinaux n'était pas ré-
servé aux dignitaires de l'Église de Rome. A Londres,
Aix-la-Chapelle, Cologne et Magdebourg, à Ravenne
et Milan, Compostelle et Orléans, certains prêtres ou
chanoines, titulaires d'églises déterminées, prenaient
ou recevaient du Saint-Siège le titre de cardinaux.
Pie V, en 1567, réserva à l'Église de Rome le privi-
lège de posséder des cardinaux. Enumérant les mem-
bres du Sacré Collège, l'Annuaire qui paraît à Rome
chaque année sous le titre : La Gerarchia cattolica,
les classe en trois ordres : cardinaux-évêques, cardi-
naux-prêtres, cardinaux-diacres. Cette division re-
trace et perpétue la triple origine du Sacré Collège.
C'est dans un concile de Rome, tenu en 709 par
Etienne III, qu'on rencontre la première mention des
cardinaux-évêques {episcopi cardinales). On appelait
ainsi les chefs des diocèses voisins de Rome ; on leur
attribuait l'épithète de semainiers {liebdomadarii),
parce que secondant le pontife romain dans sa
charge épiscopale, ils passaient chacun une semaine,
à tour de rôle, au Latran, centre de l'administration
papale. Ils étaient sept. Le titulaire du siège d'Ostie,
réputé le premier d'entre eux, avait le privilège, dès
le temps de saint Augustin, de consacrer évéque le
prêtre élu à la papauté. Sixte-Quint fixa à six le
T.KS ORIGINES DC COLLEGE CARDINALICE.
nombre des évêchés suburbicaires : Ostie et Velletri,
Porto et Sainle-Rufine, Sabina, Albano, Paleslrina,
Frascati. Les cardinaux-évèques, appartenant au
conseil du Pape, sont dispensés de résider dans
leurs diocèses; ils ne peuvent quitter Rome, au con.
traire, qu'avec la permission pontificale.
Dans l'intérieur même de la communauté chré-
tienne de Rome, certaines circonscriptions parois-
siales furent tracées, dès une époque ancienne. On
les appela des Titres [litulï). Leur organisation re-
monte certainement aux débuts de la « paix de l'É-
glise », décrétée par Constantin; même, par ses ori-
gines, elle semble se rattacher à certaines institu-
tions de la période antérieure. Les actes du concile
de 499, tenu par Symmaque, et ceux du concile de
595, tenu par Grégoire le Grand, énuraèrent déjà ces
« titres ». Il y en avait alors vingt-cinq : les églises
qui en étaient le centre étaient généralement situées
dans les quartiers reculés, à l'écart des monuments
et des souvenirs païens; seule, Sainte-Anastasie,
installée au pied du Palatin, faisait exception. A
la tète de chaque titre, un prêtre portait le nom de
cardinal. Et de même que les cardinaux-évêques
desservaient la basilique du Latran, cathédrale du
pape, ainsi les cardinaux-prêtres desservaient Saint-
Pierre, Saint-Paul, Saint-Laurent et Sainte-Marie
Majeure, cathédrales spéciales des quatre patriarches
d'Orienl. Le nombre des cardinaux-prêtres fut porté
à vingt-huit par Calixle II, à cinquante par Sixte-
Quint.
Au septième siècle apparaît la mention des dia-
conies. On appelait ainsi des institutions charitables,
des dispensaires, auxquels était jointe une chapelle.
6 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
Le savant M»"" Duchesne a prouvé qu'il n'y a rien
de commun entre ces diaconies d'une époque tardive
et les sept régions ecclésiastiques, découpée^ dans
Rome, au troisième siècle, par le pape Fabien, et
confiées à sept diacres. Lorsqu'on édifiait, au len-
demain de la persécution, les églises des « titres », on
les installait timidement à la périphérie de Rome ; la
crainte d'une revanche païenne subsistait encore
dans les esprits. Les diaconies, au contraire, s'élevè-
rent au centre de la ville ; douze sur seize, au moins,
empruntèrent l'emplacement ou lés restes des mo-
numents païens. Une chapelle était jointe au dispen-
saire ; lorsque celui-ci disparut, celle-là subsista sous
le nom de diaconie. Le diacre qui présidait à l'établis-
sement de bienfaisance s'appelait cardinal-diacre; il
y avait donc, au moyen âge, seize, cardinaux-diacres.
Sixte-Quint fixa le nombre à quatorze.
Le total des cardinaux-évèques, prêtres et diacres
s'élève à soixante-dix. Le total des évèchés suburbi-
caires, des titres presbytéraux et des diaconies, s'é-
lève présentement à soixante-quatorze. Un certain
nombre de ces titres ou diaconies sont donc néces-
sairement vacants : d'autant que le Sacré Collège est
rarement au complet. En avril 19(j1, il y a soixante-
sept cardinaux. Innocent X est le seul pape, depuis
le seizième siècle, qui soit mort sans laisser un seul
vide dans le Sacré Collège.
Les trois ordres sont un archaïque vestige; ils
rappellent l'époque où le collège cardinalice était
une assemblée proprement romaine, plutôt que le
grand conseil de la Papauté. Membres de congré-
gations diverses, les cardinaux-prêtres ou diacres
qui résident à Rome ne peuvent s'occuper assi-
LES ORIGINES DU COLLEGE CARDINALICE. 7
dûment de leurs titres ou des églises qui survivent
aux diaconies. Quant aux Éminences qui régissent, à
l'étranger, de lointains diocèses, les liens qui les
rattachent à leurs titres sont nécessairement plus
lâches encore. Il y a des cardinaux à Baltimore, à
Sydney : dans les églises romaines dont ils sont titu-
laires, un tableau les représente ; ils n'y régnent que
par ce portrait. Même, la juridiction que possédaient
jadis les cardinaux sur les prêtres ou tidéles de leurs
titres, est fort réduite depuis Innocent XII, et limitée
par le droit de surveillance que conserve le cardinal
vicaire sur le clergé de ces titres. Enfin le lien qui
unit un cardinal à son titre n'est pas indissoluble :
les cardinaux-prêtres peuvent devenir cardinaux-
évèques, en réclamant, au fur et à mesure des va-
cances, les diocèses suburbicaires ; les cardinaux-
diacres, après avoir passé dix ans dans cet ordre,
ont le droit de demander un titre presbytéral.
Dans le haut moyen âge, on devenait cardinal par
le fait même qu'on était curé d'un titre ou président
d'une diaconie; aujourd'hui, par le fait même qu'on
est cardinal, on est invité par le pape à prendre pos-
session d'un litre ou dune diaconie : les rapports sont
renversés. La répartition du Sacré Collège en trois
ordres date de l'époque où Ton appelait cardinaux
les chefs du clergé romain et du clergé suburbicaire;
elle a survécu à ce recrutement local; et longtemps
encore, sans doute, elle y survivra. Elle ne traduit en
aucune façon la conception actuelle du Sacré Collège;
mais elle perpétue jusqu'à nous, avec une précision
suggestive, l'antique organisation de l'assemblée car-
dinalice.
LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
II
LA CREATION DES CARDINAUX. — LES POSTES
CARDINALICES.
A Torigine, lorsque le substantif cardinal n'était
qu'une épithète désignant les chefs du clergé romain,
la création des cardinaux était faite par le pape, dans
les solennités des Quatre-Temps, après consultation
du peuple. A mesure que se modifia le caractère du
collège cardinalice, le mode d'élection changea. Le
pape, en deux consistoires secrets, interrogeait les
cardinaux sur le choix de leurs nouveaux collègues ;
et ceux-ci recevaient le chapeau en consistoire public.
Aujourd'hui le pape, de sa volonté propre, comble
les vides du Sacré Collège. C'est Sixte-Quint qui fixa
à soixante-dix le nombre des cardinaux, en souvenir
des soixante-dix vieillards qui formaient le conseil
de Moïse ; et la fréquence ou la rareté des promo-
tions, le nombre des chapeaux qui y sont imposés
dépendent complètement de la volonté du pape.
Léon X fit d'un coup trente et un porporati ; on peut,
en revanche, citer des consistoires où un seul fut créé.
Présentement, il y a d'ordinaire deux consistoires
par an. Théoriquement, aucune limite d'âge n'est
prescrite : Jean de Médicis, plus tard Léon X, fut
cardina\-diacre à sept ans. Mais le concile de Trente,
en recommandant d'apporter au choix des cardinaux
la même attention qu'au choix des évêques, a fait
obstacle ù ces élévations prématurées; aux dix-sep-
tième et dix-huitième siècles, elles ne sont consenties
LA CRÉATION DES CARDINAUX. 9
par les papes qu'en faveur de certains membres des
maisons souveraines; encore le concile de Trente
avait-il prescrit de ne point multiplier à Texcès les
promotions d'enfants royaux. De nos jours, ces excep-
tions mêmes ont disparu : le plus jeune cardinal, à
l'heure actuelle, a trente-huit ans. Un simple clerc
peut être gratifié de la pourpre; en peu de jours,
alors, il reçoit le diaconat et la prêtrise ; s'il s'arrête
au diaconat, c'est là, naturellement, une raison déci-
sive pour qu'il appartienne aux cardinaux-diacres.
Le collège cardinalice, représentant l'Église uni-
verselle, peut contenir des prélats de toutes nations.
En fait, le nombre des cardinaux étrangers va crois-
sant : ils étaient huit à la mort de Grégoire XVI;
Pie IX, qui créa durant son long pontificat cent vingt-
trois cardinaux, en choisit cinquante et un hors
d'Italie ; et le Sacré Collège, à sa mort, comptait vingt-
cinq Éminences étrangères; en avril 1901, ils sont
vingt-sept. Il n'y a qu'un siège épiscopal qui pré-
destine son titulaire à une élévation cardinalice im-
médiate : c'est le patriarcat de Lisbonne, en vertu
d'une faveur de Clément XII. En outre, il est d'usage
que les nonces de Paris, Vienne, Madrid et Lisbonne,
l'assesseur du Saint-Office, les secrétaires du Sacré
Collège, de la congrégation du Concile et de la con-
grégation des évêques et réguliers, le majordome,
le vice-camerlingue, l'auditeur et le trésorier de la
chambre apostolique soient créés cardinaux lors-
qu'ils quittent ces fonctions.
10 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
m
LE CONSISTOIRE SECRET. — PROCLAMATION DES NOUVEAUX
CARDINAUX. — LES « IN PETTO ».
Quand le pape a décidé la nomination d'un cardi-
nal, un billet de la secrétairerie d'État informe l'élu.
Ce billet annonce la dignité, mais ne la confère pas.
Supposez le pape mourant sur ces entrefaites : le per-
sonnage ainsi désigné ne serait point admis au con-
clave. Sa proclamation au consistoire est un complé-
ment nécessaire du billet.
On appelle consistoire secret une réunion des car-
dinaux, présidée par le pape, et d'où tous autres per-
sonnages — si ce n'est les rois — sont exclus. La
veille du jour iixé, le maître des ciirsores apostolici
(ainsi désigne-t-on les messagers officiels du Vatican)
se vient agenouiller aux pieds du pape : « Santé et
longue vie, Très Saint-Père. Y aura-t-il consistoire
demain? » Le pape répond : il y aura consistoire, et
il en précise l'heure. Alors les cursores se rendent
chez les cardinaux pour leur transmettre la nouvelle.
A l'heure dite, les cardinaux se réunissent dans une
salle du Vatican : sous un dais, un siège de damas
rouge est réservé au pape. Il entre avec les prélats
de sa suite. « Tous dehors! « crie au bout d'un instant
le gardien du consistoire. Le pape reste seul avec
les cardinaux. Il fait une allocution; il enchaîne par-
fois ses illustres auditeurs par la loi du secret; plus
souvent, au contraire, il livre ses paroles à la presse
H nomme, en terminant, les personnages qu'il veut
SECOND BUT DU CONSISTUlUE SECKKT. 11
élever à la pourpre. En souvenir du temps où l'on
consultait les cardinaux, il demande : « Que vous
semble-t-il? çujrf vohis videlur? » Mueltement, ceux-
ci mettent bas leur calotte rouge, se lèvent, s'incli-
nent... ils ont consenti. « Par rautorilé du Dieu tout-
puissant, reprend le pape, par celle des apôtres Pierre
et Paul, et parla nôtre, nous créons cardinaux... ». Il
poursuit parfois : « Nous ajoutons un (ou deux, ou
trois, etc.) cardinaux, que nous réservons pourtant
m pectore et qui seront proclamés quand nous le vou-
drons ». Ceux-ci sont dits in petto; lorsque le pape,
dans un consistoire ultérieur, dévoile leurs noms, ils
prennent rang, dans le Sacré Collège, d'après la date
de cette incomplète création, et touchent à partir de
cette date l'arriéré des rentes annuelles de vingt-deux
mille francs attribuées à tout cardinal de curie. Il
arrive que le maintien de certains personnages dans
les hautes fonctions de la prélature apparaît oppor-
tun, et que le pape estime équitable de ne point
ajourner la récompense, au moins virtuelle, dont il
les veut gratifier : il les fait cardinaux in petto. S'il
meurt sans les avoir révélés, ses intentions demeu-
rent inefficaces : ni le conclave ni le pape nouveau
ne réputeraient membre du Sacré Collège un prélat
que la rumeur publique prétendrait cardinal in petto.
IV
SECOND BIT DU CONSISTOIRE SECRET : LA PRÉCONISATION
DES ÉVÊQUES.
C'est aussi en consistoire secret que le pape pré-
conise les évéques. On s'étonne parfois, en France,
12 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
qu'un prélat « nommé » par le gouvernement ne
prenne possession de son siège qu'après plusieurs
mois. C'est que les articles 4 et 5 du Concordat, en
même temps qu'ils concèdent au pouvoir civil la
« nomination » des archevêques et des évêques,
réservent au pape Y « institution canonique >> de ces
hauts dignitaires; un consistoire est nécessaire pour
qu'ils reçoivent cette institution.
On distingue trois cas : ou bien l'évêché vacant
appartient à un pays où la hiérarchie catholique
est immédiatement soumise à la congrégation de la
Propagande ; ou bien il est immédiatement dépen-
dant du Saint-Siège, mais le Saint-Siège, soit qu'il
ait signé avec l'État un concordat, soit qu'il ait re-
connu à quelque laïque puissant un droit de patro-
nat, soit enfin qu'il ait respecté une ancienne préro-
gative des chanoines, a réservé à cet État, à ce laïque
ou à ces chanoines la nomination de l'évèque ; ou
enfin l'évêché vacant, immédiatement dépendant du
Saint-Siège, est soumis, par surcroît, à la nomina-
tion directe du pape. Au premier cas, que nous
expliquerons dans le chapitre de la Propagande, le
pape se borne à « déclarer », dans le consistoire, la
nomination épiscopale. Au second et au troisième
cas, ce n'est pas une déclaration qui est faite par le
pape, c'est une « proposition ».
Par une instruction de 1G27, Urbain VIII prescrit
la minutieuse enquête dont un ecclésiastique doit
être l'objet avant d'être élevé à l'épiscopat. Hors
d'Italie cette enquête est faite par les nonces, qui en
transmettent le résultat à la secrétairerie d'État :
ainsi s'explique-t-on qu'un gouvernement, même
investi par le concordat du privilège de « nommer >^
SECOND BUT DU CONSISTOIRE SECRET. Il
les évèques, ne fasse aucune nomination sans accord
avec la nonciature; un rapport favorable du nonci'
l'st nécessaire pour qu'un évêque « nommé » reçoive
l'institution canonique. L'enquête, pour les évêchés
d'Italie, est conduite, depuis le pontificat actuel,
par une congrégation de cinq cardinaux, qui doi-
vent, même avant la vacance des sièges, envisager
les candidatures qu'on y pourrait proposer, et qui
soumettent au pape, à chaque vacance, une liste de
propositions. Par surcroît, jadis, devant la congré-
gation pour l'examen des évêques, sous les yeux du
pape ou du prélat auditeur de Sa Sainteté, les futurs
évèques d'Italie subissaient un interrogatoire en
théologie et droit canon ; cette formalité n'a plus
lieu. Les enquêtes sont contrôlées, soit par la con-
grégation consistoriale s'il s'agit de promotions
épiscopales hors d'Italie, soit par le prélat audi-
teur de Sa Sainteté, s'il s'agit de promotions en
Italie. Si le contrôle est favorable à l'enquête et l'en-
quête au futur évêque, alors le notaire du consistoire
rédige, pour le pape et les cardinaux, un abrégé de
ce procès; il y mentionne la vacance du siège, l'état
du diocèse, les titres du candidat proposé; ce docu-
ment s'appelle la « proposition » ; après approbation
de l'auditeur, on l'imprime, et on le distribue, avant
le consistoire, aux membres du Sacr^ Collège. D'autre
part, le substitut du consistoire, sous la surveillance
de l'auditeur, rédige pour chaque siège les « feuilles
consistoriales ». La veille de l'assemblée, il en doit
remettre quatre minutes au pape, au vice-chancelier,
au camerlingue et au secrétaire des Brefs. Ces feuil-
les sont courtes : elles résument la « proposition ».
« Que voussemble-t-il? qnid vohis videtur? » demande
14 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
ensuite le pape aux cardinaux. Ceux-ci se lèvent et se
découvrent. Alors le pape, « par l'autorité du Tout-
Puissant », prépose à FÉglise veuve Tévèque désigné.
L'expédition des bulles par la chancellerie aposto-
lique complète cette promotion. Dès lors, le prélat
élevé à la dignité épiscopale s'intitule « évèque élic
de... ». C'est seulement après sa consécration qu'il
s'appellera « évèque de... »; avant le consistoire, s'il
était déjà désigné par le gouvernement, il se quali-
fiait « évèque nommé de... ». Ces étapes de la pro-
motion épiscopale ne sont pas moins nettement
définies par le vêtement que par le langage : avant
le consistoire, l'évèque n'a pas droit au costume
prélatice; il le revêt à l'issue du consistoire; consa-
cré, il prendra la croix pastorale et, par-dessus sa
mantelletta, la mozette, signe de juridiction.
LE CONSISTOIRE PUBLIC : REMISE DU CHAPEAU AUX NOU-
VEAUX CARDINAUX. — LE SECOND CONSISTOIRE SECRET :
OUVERTURE DE LA BOUCUE.
A l'issue du consistoire secret, les nouveaux cardi-
naux résidant à Rome accueillent une triple visite :
on leur apporte, au nom de la secrétairerie d'État,
le billet marquant leur élévation ; au nom de la chan-
cellerie, le décret du consistoire qui la constate ; enfin
un maître des cérémonies leur indique le jour et
l'heure où le pape leur remettra la barrette. Les car-
dinaux étrangers reçoivent, en général, le jour même
du consistoire, un garde-noble, qui leur porte la
LE CONSISTOIRE PUBLIC. 15
calotte rou^e, et un prélat, dit ablégat, porteur de
la barrette rouge.
C'est dans la salle du Trône, au milieu des cardi-
naux, que le pape remet aux nouvelles Éminences
italiennes la barrette rouge, et les couvre de la mo-
zette violette. Quant aux cardinaux appartenant à
des États catholiques en relations avec le Saint-Siège,
le chef de ces États leur impose la barrette : la céré-
monie donne lieu à un échange de compliments entre
le prince ou le président de République, d'une part,
Tablégat et les cardinaux, d'autre part. Généralement
lorsqu'une nation catholique entretient des relations
avec le Saint-Siège, il appartient au chef du gouver-
nement de solliciter du pape, pour tel évéque, les
honneurs de la pourpre ; et les nominations de cardi-
naux étrangers résultent parfois de longues négocia-
tions entre le pape et les ambassadeurs. Au lende-
main de ces négociations, à l'heure même où le
consistoire en ratifie le succès, le rôle de l'ablégat
est facile; il n"a point à faire de diplomatie; il revient
décoré par le chef d'État, et parfois enrichi par les
cadeaux du cardinal.
Les nouvelles Éminences, pourvues de la calotte
et de la barrette, attendent encore le chapeau : elles
le reçoivent en consistoire public. Sous peine de
déchéance, les cardinaux éloignés de Rome s'y doi-
vent rendre, dans le délai d'un an, pour prendre
le chapeau. C'est dans la salle Royale que cette
cérémonie a lieu. Les ambassadeurs, l'aristocratie
romaine, un certain nombre de speclateurs y sont
conviés. Au fond se dresse le trône pontifical :
une housse de soie violette, lamée d'or, le recou-
vre. 11 est comme encadré par la superbe tapisse-
IG LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L EGLISE.
rie des Lions : entre la Justice et la Charité, la
Religion pose ses pieds sur le globe du monde; et
deux lions accroupis soutiennent les étendards de
l'Église, timbrés, sur fond rouge, dune tiare et de
deux clefs en sautoir. A droite et à gauche du
pape, jusqu'au milieu de la salle, deux banquettes
sont alignées : les cardinaux précédemment créés
y prennent place. Au début du consistoire, ils
s'approchent du trùne et baisent la main du pape.
« Accédant, qu'ils viennent », dit alors un maître
des cérémonies. Cet appel s'adresse aux avocats
consistoriaux et au secrétaire de la congrégation
des Rites; ils s'avancent: et l'un des avocats lit
une instance latine concernant une canonisation
ou une béatification. En souvenir du temps où
l'on traitait en consistoire toutes les affaires de
l'Église, on remplit ainsi les vides de la cérémonie
par la lecture d'une pièce relative au procès d'un
saint. Après quelques minutes de lecture, le maître
des cérémonies, sur un signe du pape, interrompt
l'avocat consistorial : « Recédant, qu'ils s'éloi-
gnent » ; aussitôt, devant le trône papal, le vide se
fait. Plusieurs cardinaux, créés dans les plus récents
consistoires, se lèvent : ils vont chercher à la
Sixtine leurs nouveaux collègues. Alors le maître
des cérémonies prononce un nouvel Accédant; le
secrétaire des Rites et les avocats consistoriaux
réapparaissent, et la lecture se poursuit.
A la Sixtine, peu avant l'ouverture du consistoire,
les nouveaux membres du Sacré Collège ont trouvé
les trois doyens de l'ordre des évèques, des prêtres
et des diacres, et le camerlingue : en leur pré-
sence, ils ont prêté les divers serments ordonnés par
LE CONSISTOIRE PLBLIC. 47
Jules II, Pie Y, Sixte-Quint, Grégoire XV. Ils
■seront fidèles au pape; ils l'aideront à « conserver,
défendre ou reconquérir, contre tous, le Siège
llomain et les biens de saint Pierre »; ils ne permet-
tront ni ne souhaiteront Tinféodation ou l'aliénation
(les villes et campagnes de l'État Romain. Les doyens
d'ordres et le camerlingue ont quitté la Sixtine,
laissant les nouveaux cardinaux en présence de
Dieu et de leur serment. Sur la carte de l'Italie, les
États de l'Église ont disparu; on parle, à la Sixtine,
comme s'ils existaient. Les mots ont leur force, lors
même qu'ils subissent le démenti des faits ; l'É-
glise ainsi maintient à l'ordre du jour la question
romaine, et réfute ceux qui la disent résolue; un
anachronisme voulu, mûri, raisonné, est-il une
erreur? Transportés dans le passé par la formule
même de leurs serments, les nouveaux cardinaux
sont ramenés, bientôt, à la réalité présente, par
l'entrée des Éminences qui les doivent introduire
dans la salle Royale.
Entourés chacun de deux collègues plus anciens,
ils s'acheminent vers le pape. L'avocat consistorial
et ses acolytes sont aussitôt congédiés. Chaque
nouveau cardinal fait trois révérences, baise le
pied de Sa Sainteté, puis sa main, reçoit du pape
la double accolade, et dessine un large circuit,
tout le long des sièges : en passant devant chacun
de ses collègues une double accolade est échangée.
Et les nouveaux membres du Sacré Collège pren-
nent place à leur tour sur la série des sièges car-
dinalices. Un Accédant encore; le pape, après avoir
entendu, pour la troisième fois, quelques lignes de
la harangue, rapporte la connaissance du procès à
18 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
la congrégation des Rites; l'avocat consistorial se
retire : on ne le reverra plus.
Les deux premiers cardinaux-diacres entourent
le trône pontifical ; et leurs nouveaux collègues se
présentent derechef. « Pour la gloire du Dieu tout-
puissant et l'ornement du Siège Apostolique, recois
le chapeau rouge, éminent insigne de la dignité
cardinalice; il atteste que jusqu'à l'effusion de ton
sang inclusivement, pour Texaltation delà foi sainte,
pour la paix et le repos du peuple chrétien, pour
Taccroissement et la conservation de l'Église romaine,
tu dois te montrer intrépide ». Ainsi parle le pape,
et sur la tête des nouveaux cardinaux il place une
coiffure que lui passe le majordome. Elle est en drap
rouge, doublée de soie rouge, avec glands et cordons
rouges; les paroles du pape expliquent le symbo-
lisme de celte couleur. Les bords en sont larges, la
forme ronde, l'ensemble plat, presque sans fond.
Jadis, à certaines cavalcades solennelles, les car-
dinaux arboraient, par-dessus le capuchon de leur
chape, cet incommode et singulier couvre-chef; c'en
est fait de cet usage. Le chapeau pontifical frôle la
tète du cardinal pendant quelques secondes du
consistoire ; il frôlera ses pieds sur le lit de parade
où l'on exposera son corps; il ornera sa bière, et,
suspendu à la voûte de FËglise, se balancera au-
dessus de sa sépulture. C'est à la mort des Émi-
nences que commence l'usure des chapeaux.
Lorsque les élus sont coiffés, le consistoire public
s'achève. Le pape se lève, bénit le Sacré Collège; la
croix papale, les Éminences, les prélats sortent avec
lui. Un second consistoire secret, dans une salle voi-
sine, commence en général immédiatement. « Nous
LES INSIGNES ET L'ETIQUETTE DES CARDINAUX. 10
VOUS fermons la bouche, dit le pape aux nouveaux
porporaii, de façon que, ni dans les consistoires, ni
dans les congrégations, ni dans d'autres fonctions
vous ne puissiez dire votre avis ». Peu après, il leur
rouvre la bouche. Il leur passe au doigt Tanneau,
dont ils payeront le prix à la Propagande; il leur
assigne un litre presbytéral ou une diaconie. La pro-
motion cardinalice est dès lors achevée.
VI
LES LNSIGNES ET l/ÉïIOlETTE DES CARDINAUX.
On commet un archaïsme en parlant de la pourpre :
voilà plusieurs siècles que les cardinaux n'en font
plus usage. Leurs vêtements sont teints en écarlate
simplement. Par le costume non moins que par l'ori-
gine et les fonctions, les évoques, prêtres et diacres
cardinali du haut moyen âge différaient des cardi-
naux évèques, prêtres et diacres de l'époque ac-
tuelle. C'est seulement au temps d'Innocent IV, en
1245, que le chapeau rouge devint un insigne car-
dinalice; Paul II, au quinzième siècle, y joignit la
calotte et la barrette rouges. Avant l'occupation de
Rome, et plus encore au dix-huitième siècle, les ha-
bitudes princières étaient observées, parles cardinaux
vivant à Rome, avec un faste minutieux. A l'anti-
chambre des domestiques, deux gendarmes ponti-
ficaux veillaient; au-dessus d'un autel, recouvert de
drap rouge, que surmontait un baldaquin, les armes
du cardinal apparaissaient; deux coussins de soie
rouge et violette et deux parasols étaient appendus
20 LE GOU\'ERNEMENT CENTRAL DE LÉGLISE.
au mur. Les coussins étaient emportés par la suite de
rÉminence lorsqu'Elle se rendait à une solennité; les
parasols surplombaient son carrosse et protégeaient
rÉminence lorsqu'Elle se découvrait et mettait pied à
terre pour suivre le Viatique. La seconde antichambre
était réservée au secrétaire. Dans la troisième, ap-
pelée l'antichambre noble, la barrette était déposée
sur une crédence, au pied du crucifix. La salle du
Trône suivait, toute tendue de rouge : on y voyait
sous un baldaquin de soie rouge le portrait du pape
régnant, et un fauteuil en soie rouge, retourné du
côté du mur : c'est là que le cardinal recevait la visite
du pape. Il fut un temps oii le train de maison d'un
cardinal comprenait seize offices. Quatre voitures, tel
était le chiff"re requis pour son train de gala.
Aujourd'hui les antichambres des cardinaux de-
meurent à peu près conformes à la disposition clas-
sique. Mais le pape ne visite plus la salle du Trône;
les gendarmes pontificaux ne se relaient plus dans
l'antichambre; car, hors de l'enceinte du Vatican, le
port du costume de gendarme pontifical serait pas-
sible d'emprisonnement; la soie rouge du parasol ne
protège plus les pompeux étalages du cardinal et de
sa suite ; ces étalages eux-mêmes ont cessé d'être pom-
peux. Sur les routes avoisinant Rome, aux heures
qui précèdent le crépuscule, on rencontre souvent un
étrange cortège : un ecclésiastique, de noir vêtu,
portant discrètement au chapeau une torsade rouge
et or; à quelques pas, un domestique; à quelques
pas encore, une voiture couverte, que traînent len-
tement deux chevaux noirs. Voilà la promenade ac-
tuelle d'un cardinal de la Sainte Église. Il met pied à
terre, hors de Rome seulement, et regagne son car-
LES FONCTIONS RESERVEES AUX CARDINAUX. 21
rosse jalousement fermé, pour rentrer dans la ville.
Les circonstances politiques et la diminution des res-
sources du Sacré Collège ont singulièrement simplifié
l'existence des princes de l'Église. Ce n'est pas avec
vingt-deux mille francs de rente qu'ils pourraient
imiter les cardinaux des siècles passés.
Mais ils demeurent des princes Éminentissimes.
C'est Urbain VIll, en 1G30, qui attribua aux cardinaux
le titre d'Éminence. Ils ont un écusson, qui reproduit
les armoiries de leur famille, ou celles de leur ordre
s'ils appartiennent au clergé régulier, ou des armoi-
ries de convention. Ils traitaient jadis avec les rois sur
un pied d'égalité, et les appelaient : « Mon cher cou-
sin ». A l'égard des évoques, archevêques, patriarches
même, ils possèdent la préséance : elle leur était déjà
reconnue au concile de Lyon en 12io. En France, enfin,
le décret de messidor fait passer les cardinaux, dans
les cérémonies, « immédiatement après les princes
français » et les « grands dignitaires », avant les
«ministres » et les « grands officiers de l'Empire ».
VII
LES FONCTIONS RESERVEES ACX CARDINAUX.
LE VICAIRE DU PAPE. — LE GKAND PÉNITENCIER.
Dans le gouvernement de l'Église, certaines fonc-
tions sont réservées aux cardinaux. Le vice-chance-
lier, le prodataire, le secrétaire des Brefs, le secré-
taire des Mémoriaux, ont nécessairement la pourpre;
nous reviendrons sur eux au chapitre IV. Le secré-
taire d'État sera l'objet du chapitre V. Il sera question
•22 LE GOUVERNEME>T CENTRAX DE L'ÉGLISE.
du camerlingue à propos du conclave. Nous parlerons
seulement, pour linstant, de deux cardinaux dont la
charge est si constamment utile à la vie de TÉglise,
qu'ils la conservent durant la vacance du Siège Apos-
tolique : le Vicaire et le grand Pénitencier.
Le pape, évèque de Rome, doit administrer un dio-
cèse et conférer aux clercs l'ordination. Il se remet de
ce soin à un vicaire, qui, depuis Paul IV, est revêtu de
la pourpre. Le cardinal-vicaire est assisté dun évèque
désigné par le pape, « Monseigneur le vice-gérant ».
Le diocèse de Rome est petit : il s'étend à quarante
milles au delà des murs de la ville. Dans ce rayon
même, il subit de graves amputations : les diocèses
suburbicaires, dont les cardinaux-évêques sont titu-
laires, projettent des pointes jusqu'aux approches de
Rome ; et la juridiction du cardinal-vicaire hors des
murs s'exerce seulement, en fait, sur les langues de
terre qui ont échappé à l'enclave de ces diocèses. Dans
Rome même, Saint-Pierre, Saint-Jean de Latran,
Sainte-Marie Majeure, ont leurs cardinaux archiprê-
tres spéciaux. <( Vicaire général de Sa Sainteté, juge
ordinaire de la curie romaine et de son district », tel
est le titre attribué par la Gerarchia à TÉminentissime
Respighi.
Sous la domination pontificale, le Vicaire avait une
juridiction civile; il punissait les transgresseurs des
lois religieuses : le « juge », aujourd'hui, est inoc-
cupé. Mais le Vicariat n'est point une sinécure.
Rome et sa banlieue comptent cinquante-sept pa-
roisses ; vingt-six sont confiées à des prêtres sécu-
liers, trente et une à des réguliers : voilà les sujets du
Vicaire. Il préside la congrégation de la Visite Apos-
tolique, que créa Clément VIII, en 1502, pour la sur-
LES FONCTIOiNS RESERVEES AUX CARDINAUX. 23
veillance des paroisses et pieux établissements de la
Ville éternelle. Il délivre les pouvoirs pour confesser;
il surveille les séminaires et procède aux ordinations.
Le prêtre étranger, de passage à Rome, obtient du
Vicariat la permission de dire la messe. Lévéque
étranger, de passage à Rome, à moins qu'il ne dépende
de la Propagande, doit deux visites au Vicaire, l'une
à l'arrivée, l'autre au départ; jadis, la congrégation
pour la résidence des évéques surveillait leur voyage,
de peur que. contrairement aux règles de Trente, ils
ne s'attardassent loin de leur chrétienté; la Gerarcliia
aujourd'hui lui attribue deux membres seulement,
un président et un secrétaire ; or le président est le
cardinal-vicaire; grâce à cet office, après quelques
années d'exercice, il a pu entretenir les prélats du
monde entier.
Il préside, aussi, la commission d'archéologie sa-
crée. Dans une salle du Vicariat, décorée d'aquarelles
reproduisant les peintures des catacombes, beaucoup
de reliques sont déposées : cette collection, appelée
Lipsanothèque, s'enrichit et s'appauvrit chaque jour.
Elle s'appauvrit en faveur des évéques et des fidèles,
qui sollicitent du Vicaire quelques reliques. Elle s'en-
richit aux dépens des catacombes. Dès 1672, Clé-
ment X chargeait le cardinal Carpegna de faire retirer
les corps des catacombes par un « gardien des reli-
ques et visiteur des cimetières ». Ces fonctions appar-
tinrent, dans la suite, à des archéologues de valeur,
Boldetti, Marangoni. Les reliques exhumées se con-
servaient chez le « gardien ». Pie VII, en 1801, leur
affecta un local : ce fut d'abord le Collège Romain,
puis en 1824 le collège de l'Apollinaire, enfin, depuis
18o;j, le Vicariat. Le savant de génie, dont les
24 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
découvertes éclairèrent la Rome souterraine, Jean-
Baptiste de Rossi, était secrétaire de la commission
d'archéologie sacrée jointe à la Lipsanothèque; entre
les savants qui trouvent les reliques et les dévots qui
les cherchent, le Vicariat sert d'intermédiaire.
Entre le chrétien et Dieu, la Pénitencerie s'inter-
pose, pour définir à celui-là ce que permet celui-ci
et à quelles conditions il pardonne. Elle accorde des
dispenses et efface des fautes : son rôle est double.
Il est des cas de conscience qu'elle seule peut tran-
cher; il est des consciences qu'elle seule peut laver.
On ne la connaît guère à Rome que par les confes-
sionnaux installés dans les trois grandes basiliques :
à certaines heures, des religieux y résident (ce sont
les pénitenciers), et de grandes baguettes y sont sus-
pendues ; le visiteur qui passe s'agenouille ; de sa
baguette, le religieux lui touche la tète; cet acte de
piété fait gagner une indulgence. Les pénitenciers
confessent, aussi, dans les diverses langues. Pour la
foule des menus pécheurs, la Pénitencerie n'est rien
autre chose. Mais ouvrez la Gerarchia; au service de
cette administration, vous trouvez une complexe
bureaucratie. Elle éclaire et rassure les consciences
les plus inquiètes de la chrétienté. A sa tète elle a le
cardinal grand Pénitencier. Exceptionnellement, du-
rant quatre jours de la Semaine Sainte, il promène
la baguette, dans les grandes basiliques, sur les têtes
courbées devant lui. Le reste de l'année, il fait office
de théologien, de canoniste et de casuiste; tantôt, il
répond lui-même aux requêtes qui lui sont faites;
tantôt, pour les cas graves, il consulte le pape. Le
régent de la Pénitencerie, qui sert de Vicaire général,
discute avec lui les questions et signe à sa place les
LES FONCTIONS RÉSERVÉES AUX CARDINAUX. .25
rescrits; mais le grand Pénitencier peut décider par
lui-même, sans prendre conseil de personne; aucun
préfet de congrégation ne possède une telle pléni-
tude de pouvoirs; les procureurs, le correcteur, le
dataire, le scelleur et le pro-scelleur attachés à la
Pénitencerie, ne sont que des subalternes.
CHAPITRE II
Comment un pape meurt et comment on
devient pape.
L AGONIE PAPALE. — MORT DE PIE IX.
Le 7 février 1878, Pie IX vit venir la mort. Il en-
tretint son confesseur. Le sacriste, évêque de l'ordre
de Saint- Augustin, apporta le viatique et l'extrême-
onction : habillé de noir, avec un cordon vert au cha-
peau, il brille, parmi la foule violette des prélats,
par la simplicité du costume; mais aux grands
offices, au lit d'agonie, bref à tous les rendez-vous
solennels entre le pape et Dieu, il intervient pour
certaines fonctions privilégiées. Le cardinal péni-
tencier prononça la grande absolution suprême. Et
les pénitenciers de Saint-Pierre — une douzaine
de mineurs conventuels — psalmodiaient, là-bas, les
psaumes de la Pénitence. Dans la chambre, cardi-
naux et camériers affluaient. Vers trois heures,
Pie IX les bénit. A cinq heures et demie, il n'était
plus.
L.V SOUVERAINETÉ DE L'ÉGLISE. 57
II
I.A SOUVERAINETE DE L ÉGLISE, .IISQUA L ELECTION DU
Sl'CCESSEUR, EST EXERCÉE COLLECTIVEMENT PAR LE
SACRÉ COLLÈGE.
Lo cardinal Simeoni, secrétaire d'État, notifia
la mort au corps diplomatique; ce fut le dernier acte
de ses fonctions : elles expiraient avec son maître.
L'Éminentissime Monaco La Valletta fit afficher aux
portes des églises une notification au clergé et au
peuple; il ne s'intitulait plus « vicaire général de
Notre Très Saint Seigneur Pape », mais « vicaire gé-
néral et juge ordinaire de Rome » : il conservait,
pendant l'interrègne, la gestion du diocèse de Rome.
Le cardinal Bilio, grand Pénitencier, gardait aussi
son office : la Pénitencerie ne saurait chômer, tant
qu'il y a des pécheurs. Les secrétaires et employés
des Congrégations continuaient de vaquer à leurs
besognes ; mais ils en référaient au Sacré Collège ou
au camerlingue, non plus aux préfets. La Chancelle-
rie, la Daterie, la secrétairerie des Brefs, qui expé-
dient les lettres et faveurs pontificales, fermèrent
leurs bureaux. L'administration intérimaire de l'É-
glise revenait aux cardinaux; ils la devaient exercer
discrètement et se souvenir, surtout, que « durant
l'interrègne rien ne doit être innové ».
L'étiquette affirmait leur nouvelle souveraineté. Du
vivant du ])ape, dans Rome, ils couvrent leur rochet
d'une manlellclla et d'une mozette; le pape mort,
ils le découvrent; leur juridiction n'est plus res-
28 LE GOUVERNEMENT CENTIL^L DE L ÉGLISE.
treinle par une autorité supérieure. Ils n'admettent
plus personne à leurs côtés dans leur voiture. Réunis
même en petit nombre, le fidèle s'agenouille devant
eux, comme devant le Saint-Père. Le soir même du
7 février, commença, pour les cardinaux, cette gran-
deur éphémère.
III
LES DEPOSITAIRES DU POUVOIR EXÉCUTIF 1 CARDINAL CA-
MERLINGUE (JOACUIM PECCI), TRIUMVIRAT DES CARDI-
NAUX CHEFS d'ordres.
Le Sacré Collège ne peut être directement mêlé à
tous les actes de l'interrègne : on ne conçoit pas la
puissance executive entre soixante-dix mains. Elle
est confiée à quatre cardinaux. Trois d'entre eux
forment un directoire, renouvelable : jusqu'au qua-
trième jour du conclave, il comprend les trois doyens
d'ordres; ils font place, ensuite, aux trois sous-
doyens; si le conclave se prolonge, de trois en trois
jours on change le directoire, en suivant, pour cha-
que ordre, la liste chronologique des promotions.
Quant au quatrième cardinal, le camerlingue, il
conserve jusqu'à l'élection du pape son office exécu-
tif. Sa puissance est ancienne : dès le onzième siècle,
chef de la Chambre apostolique, il présidait la ges-
tion des biens du Saint-Siège et des États Romains;
par surcroît, il avait l'intendance de la maison ponti-
ficale. Il fut, au quatorzième siècle, déchargé de ce
dernier soin; sa puissance politique, réduite, au
seizième, par la secrétairerie d'État, fut annihilée
par les réformes de Grégoire XVI et Pie IX. A l'heure
LES DEPOSITAIRES DU POUVOIR EXÉCUTIF. 29
actuelle, du vivant du pape, il reçoit le serment d'un
certain nombre de fonctionnaires pontificaux : voilà
sa seule besogne. Cependant lélévation d'un camer-
lingue demeure solennelle. En septembre 1877, la
mort du cardinal De Angelis rendit la charge va-
cante. En consistoire secret, Pie IX déclara : « Par
l'autorité du Dieu tout-puissant et celle des Apôtres
Pierre et Paul, nous confions la charge de camer-
lingue de la Sainte Église Romaine au cardinal Joa-
chim Pecci, et nous le créons et députons tel, pour
sa vie durant, avec toutes les charges, privilèges et
facultés, selon la teneur des bulles apostoliques. In
nominc Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen! »
Vingt-quatre heures après, dans les appartements
pontificaux, se déroulait le second épisode de l'avè-
nement du camerlingue. « Rerois le bâton de ta ju-
ridiction et de ton autorité, disait Pie IX au cardinal
Pecci, et sois le camerlingue de la Sainte Église
Romaine ». Il lui tendit le bâton symbolique que
couronnent deux pommes d'or.
Ces solennités s'expliquent, parce qu'à la mort du
pape le camcrlingat cesse d'être une sinécure. Ins-
tituant le conclave en 4274, Grégoire X écrivait :
« Que tout reste sous la garde de celui à la fidélité et
à la diligence duquel a été confiée la Chambre aposto-
lique ». Six siècles durant, le camerlingue, pendant
linterrègne, apparut aux Romains comme le repré-
sentant provisoire de l'autorité suprême : il battait
monnaie à ses armes; à travers la ville, la garde
pontificale escortait son train de gala. En 1878, le
• ardinal Pecci dut rompre avec ces traditions : il gé-
rait l'intérim d'une souveraineté spoliée. Mais cette
situation même lui créait une lourde responsabilité,
2.
,{0 J.E GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE,
son office regagnait en importance ce qu'il perdait en
éclat : les lois antérieures et des instructions de
Pie IX chargeaient le camerlingue de préparer le con-
clave, d'en surveiller les incidents et den protéger la
liberté. Pour régler les funérailles du premier pape
dépossédé et pour exercer dans l'enceinte du Vatican
la régence de TÉglise orpheline, un ordonnateur de
pompes ecclésiastiques neùt point suffi : le cardinal
Pecci avait une plus haute conception de sa mission.
IV
LES FUNERAILLES PAPALES. — CEREMONIES QUI SUIVIRENT
LA MORT DE PIE IX.
Deux heures après la mort de Giovanni Mastaï,
que l'Italie et l'Église avaient aimé sous le nom de
Pio Nono, le cardinal Pecci s'approcha du lit fu-
nèbre. 11 portait la luanlelletta, comme si le pape vi-
vait. Le voile blanc, qui cou\Tait le visage de Pie IX,
fut levé : « Giovanni ! Giovanni ! Giovanni ! » appela
le camerlingue ; et par trois fois il lui frappa le front
d'un marteau d'argent. A trois reprises la bouche de-
meura muette, les rides immobiles. « Le pape est
vraiment mort », dit-il aux assistants. Et le JJe Pro-
fundis retentit. Alors le maître de chambre, M^"" Mac-
chi, aujourd'hui cardinal, enleva du doigt de Pie IX
l'anneau du pécheur, dont l'effigie, depuis trente-
deux ans, timbrait les brefs pontificaux; il le rendit
au camerlingue. La voix d'un protonotaire s'éleva :
il lisait le procès-verbal de ces cérémonies, constata-
tion du décès, dépôt de l'anneau. Et le cardinal Pecci
LES FUNÉRAILLES PAPALES. 31
quitta la chambre. Désormais la garde suisse l'es-
cortait. 11 déposa la mantellella, puisque le pape
éUiit vraiment mort. Et, le soir même, les trois chefs
d'ordres se joignirent à lui : le gouvernement inté-
rimaire était constitué.
Dans l'antichambre secrète, sur un lit recouvert
de soie rouge. Pie IX fut couché. Il est d'usage, de-
puis Paul IV, « de faire une fente dans le corps du
pape, de l'ouvrit, d'en retirer les viscères, de le
laver, de l'apprêter ». Ainsi fut embaumé Pie IX,
dans la nuit du 8. On mit son cœur dans une urne
de marbre, et l'urne elle-même dans les cryptes de
Saint-Pierre. Depuis Sixte-Quint, on confiait le plus
souvent ces dépouilles à l'église des Saints-Vincent et
.\nastase, paroisse du « palais apostolique » du Qui-
rinal, où beaucoup de papes moururent : le Qui-
rinal n'est plus « apostolique » ; et le caveau des
Saints-Vincent et Anastase, construit sur l'ordre de
Benoît XIV, attend toujours le cœur de Pie IX.
Il faut beaucoup de lenteurs, plusieurs étapes et
plusieurs toilettes, pour que le cadavre d'un pape
sorte du Vatican. Une de ces étapes fut supprimée en
1878. L'usage voulait que le mort, revêtu des or-
nements avec lesquels il officiait, passât une nuit
dans la Sixtine. Le cardinal Pecci craignit l'irrup-
tion de la foule, l'importun concours, surtout, de la
police italienne, trop jalouse de rétablir l'ordre dans
le Vatican pour qu'on lui en offrit le prétexte. L'a-
dieu de Pie IX aux fresques de Michel-Ange n'eut
pas lieu. Cette suppression permit au camerlingue
de faire transporter Pie IX à Saint-Pierre dès le
soir du \) : l'ouverture du conclave, ainsi, fut avancée
d'une journée.
32 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
Dans la salle même où il était exposé, Pie IX fut
revêtu des ornements liturgiques. Un cortège se
forma. Les hallebardes des Suisses, les torches du
clergé précédaient les livrées rouges des Sediani,
qui soutenaient la bière du pape mort, comme ils
élèvent la Sedia du pape vivant. La cour et la famille
pontificale suivaient. On traversa les Loges de Ra-
phaël, la salle Ducale, la salle Royale; et par une
issue latérale qui relie Saint-Pierre au Vatican, on
déboucha dans la chapelle du Saint-Sacrement. La
grille en était fermée : au delà, dans l'église, la
foule se pressait, maintenue par la police italienne ;
en deçà, dans la chapelle, le chapitre de la basi-
lique attendait. Pie IX fut étendu sur un petit cata-
falque : les pieds dépassaient les barreaux, afin
que la foule pût les baiser. Il était alors cinq heures
du soir. Jusqu'au 13, le corps resta là. Grégoire XV
prescrit que les funérailles se prolongeront neuf
jours; les chrétientés d'Orient observent ce délai
pour l'enterrement de leurs patriarches. L'épisode
quotidien de la neuvaine funèbre [Novemdiali) doit
être la célébration d'une grand'messe à Saint-Pierre.
Jadis, les six premiers jours, cet office était célébré
dans la chapelle des chanoines par un cardinal; du-
rant les trois derniers jours dits des grandes funé-
railles, autour d'un catafalque monumental dressé
dans la grande nef, cinq cardinaux donnaient les
absoutes. En 1878, le sixième service des chanoines
et le premier office du triduum final eurent lieu en
même temps; le conclave, par là, fut avancé d'une
seconde journée.
Il est de règle qu'un pape séjourne à Saint-Pieire
douze mois au moins après sa mort. C'est le 13,
LES FUNERAILLES PAPALES. 33,
quatrième jour des funérailles, qu'eut lieu linhu-
mation provisoire de Pie IX. 11 faisait nuit; la foule
avait pris congé du pape, les portes étaient fermées.
Dans la chapelle du Saint-Sacrement, projetant sur
le cadavre la lueur de leurs cierges, les cardinaux
attendaient. Les chanoines soulevèrent le lit de pa-
rade, et derrière leur fardeau une procession s'a-
ligna. La chapelle du Saint-Sacrement s'ouvre sur
la nef droite de la basilique; et c'est à une niche
de la nef gauche que le pape doit être confié. Pour
rejoindre cet asile, la funèbre pompe évoluait à tra-
vers l'église; elle fr(jla la statue de saint Pierre, as-
sise à droite de la grande nef, et longea la Confes-
sion, que la coupole surplombe. Elle s'acheminait
ainsi vers la chapelle du choeur des chanoines, où
trois cercueils s'ouvraient. Le premier était en cy-
près : parmi les chants funèbres, chapelains et gar-
des-nobles y couchèrent le cadavre; le majordome y
déposa trois bourses; elles contenaient les médailles
d'or, d'argent et de bronze, frappées annuellement à
l'effigie de Pie IX; et le plus ancien des cardinaux
créés par le défunt mit à ses pieds un tube en métal ;
un parchemin, contenu dans ce tube, donne l'his-
toire résumée du pontificat. Un voile blanc fut jeté
sur la tète, un voile pourpre sur le buste, un linceul
en brocart sur le tout. Le notaire du cliapitre lut
un procès-verbal et le couvercle fut vissé. On y mit
quatre cachets en cire, rouge, aux armes du major-
dome, de rarchiprêtre et du chapitre. Dès ce mo-
ment, le corps de Pie IX n'était plus sous la garde
(lu Sacré Collège; les chanoines en avaient le dép(M.
Deux cercueils restaient béants : l'un de plomb,
l'autre de chêne. On renferma le cercueil de cyprès
34 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
dans le cercueil de plomb; le camerlingue, le major-
dome, rarchiprètre et le chapitre scellèrent de leurs
armes; on avait gravé, en latin, sur cette seconde
enveloppe : « Corps de Pie IX pontife souve-
rain, qui vécut quatre-vingt-cinq ans, qui gou-
verna lÉglise universelle trente et un ans, sept
mois et vingt-deux jours. Il .mourut le sept février
mil huit cent soixante-dix-huit ». La croix et Té-
cusson du mort surmontaient cette épitaphe. Elle
disparut bientôt, avec le cercueil de plomb, sous le
couvercle du troisième cercueil.
A gauche du chœur des chanoines, au-dessus d'une
porte qui mène à la tribune des chantres, à mi-hauteur
d'un pilier, une niche est pratiquée : c'est là que font
halte tous les papes, avant d'être remis à leur sépul-
ture définitive. Pour hisser le triple cercueil, un écha-
faudage, des treuils et des poulies, étaient à Tavanco
disposés. On l'introduisit dans la niche; un maçon la
referma ; une plaque de marbre oîi on lisait Plus lA,
Pont. Max. fut appliquée. Et Pie IX resta là jusqu'en
juillet 1881, date de son transport à Saint-Laurent
hors les Murs. A la mort de chaque pape, ces scènes
se répètent. Lorsque le Souverain Pontife descend
à Saint-Pierre, la Confession, la Chaire, la Statue
séculaire de l'Apùtre, lui rappellent l'immortalité de
l'Église; la chapelle du Saint-Sacrement à droite, la
niche funèbre à gauche, stations nécessaires entre
son lit d'agonie et sa dernière demeure, lui rappellent
sa propre mortalité.
Ce n'est pas autour du cercueil, renfermé dès le
quatrième jour, mais autour d'un catafalque pom-
peux, haut de .3", 50, que les cardinaux célébrèrent le
triduum final des « grandes funérailles ». Pour la
L'ÉLÉVATION DU PAPE. 35*
première fois en 1878, elles eurent lieu, non point
à Saint-Pierre, mais à la Sixtine. Au dernier jour,
le secrétaire des lettres latines prononça l'éloge
de Pie IX : c'est l'acte suprême des « Novemdiali ».
Les frais de ces cérémonies ne dépassèrent guère
2(),(X30 francs. Pie IV, au seizième siècle, fixait à
90,(X)0 francs, Alexandre YIII, au dix-septième
siècle, réduisait à 53,000 francs les dépenses permises
pour un pape mort. L'esprit d'économie dont on fit
preuve en 1878 était conforme aux désirs de Pie IX,
qui lui-même, dans son testament, réservait pour sa
sépulture à Saint-Laurent hors les Murs la somme
modique de 400 écus.
l'élévation du I'APE, la LEGISLATION TRADITIONNELLE
DU CONCLAVE.
La neuvaine qui suit le transport à Saint-Pierre
n'est pas exclusivement remplie par des pompes fu-
nèbres : en même temps qu'ils rendent hommage au
passé, les cardinaux préparent l'élection du pape,
c'est-à-dire l'avenir.
Nicolas II, en 1059, sans supprimer l'intervention
du clergé et du peuple romain, confia le choix du
pape aux cardinaux-évôques. En 1180, l'adhésion du
bas clergé et le consentement du peuple disparurent
complètement; mais Alexandre III décida que les
cardinaux-prêtres et diacres exerceraient, à l'égal
des évèques, un droit électoral. Il prescrivit aussi
que nul ne serait pape s'il n'avait les deux tiers des
voix, enlevant ainsi tout prétexte à des insurrections
36 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
d'antipapes. Si l'on excepte, à la fin du grand schisme,
l'élection de Martin V, à laquelle prirent part, avec
les cardinaux, trente prélats, délégués par les six
nations représentées au concile de Constance, on peut
dire que la détermination du corps électoral et de la
majorité légale, depuis Alexandre III, est demeurée
invariable. Tout cardinal, même excommunié ou
frappé de censures, est électeur à moins qu'il ne soit
démissionnaire, déposé, ou privé formellement du
vote par le pape défunt.
Du treizième siècle date l'institution du conclave.
Clément IV était mort en 1269 ; l'interrègne dura deux
ans et neuf mois. Encore les dix-sept cardinaux
l'eussent-ils prolongé, si la population de Viterbe ne
les avait enfermés sans autres vivres que du pain,
sans autre boisson que de l'eau. L'austérité de la
clôture triompha de leurs tergiversations : Grégoire X
fut pape. Le caprice des gens de Viterbe devint loi
pontificale; par une constitution de 1274, les élec-
teurs du pape furent soumis à une rigoureuse ré-
clusion. L'abstinence cénobitique, même, passa dans
ces règlements primitifs : Grégoire X réduisit à un
plat l'ordinaire des cardinaux à partir du troisième
jour; il ne leur accordait, au bout de huit jours, que
du pain, de l'eau et un peu de vin. Le temps et une
bulle de Clément VI atténuèrent ces dernières sévé-
rités. Pie IV en 1562, Grégoire XV en 1621, Clé-
ment XII en 1732, codifièrent et précisèrent la légis-
lation antérieure. Pratiquement, aujourd'hui, leurs
bulles et règlements font lois; mais les initiateurs
furent Alexandre III et Grégoire X.
A ces instructions positives il faut joindre deux
bulles, l'une de Jules II en 1303, l'autre de Paul IV
L ÉLÉVATION DU PAPE. 37
rn l.")5S. La première annule toute élection entachée
de simonie; elle excommunie et prive de leurs di-
gnités les cardinaux qui trafiqueraient de leur suf-
frage. La seconde décrète l'excommunication ma-
jeure, la malédiction éternelle et la déchéance, contre
tout personbage, fùt-il roi, qui traiterait, à l'insu du
pape vivant, de l'élection du pape futur. Rien n'em-
pêche, en revanche, le pape vivant d'indiquer au
Sacré Collège le successeur qu'il souhaiterait : ainsi
firent, à la suite de Grégoire VII, plusieurs papes du
douzième siècle. Clément VII au seizième. Innocent X
ot Innocent XI au dix-septième. Mais ces recomman-
dations n'avaient pas force de loi. La tentative que
tirent au sixième siècle Félix IV et Boniface II pour
s'adjoindre un coadjuteur qui serait le pape futur
réussit assez mal à ce dernier pontife; elle ne fut
jamais renouvelée.
On peut dire, strictement, qu'il n'est aucun catho-
lique masculin qui ne soit éligible à la papauté.
Jean XIX, pape en 102i, et peut-être Adrien V, pape
en 1270, étaient laïques. Durant les onze premiers
siècles on élisait, d'habitude, des diacres ou des prê-
tres; jusqu'à la fin du neuvième, un seul évêque,
Formose, obtint la tiare; llildebrand, devenant Gré-
goire VII, n'était que diacre. La consécration épisco-
pale du pape était alors le complément de l'élection.
Depuis Mcolas II, tous les papes, sauf neuf, sortirent
du Sacré Collège : le dernier à qui la pourpre ait fait
défaut fut Urbain VI, en 1378; cette exception faillit
se produire en 1740, au conclave d'où sortit finale-
ment Benoît XIV. On a vu des cardinaux devenir
papes, qui n'avaient reçu ni la consécration épisco-
palc ni môme la prêtrise : Pie III en 1503, Léon X en
I.E VATICAN. — 11. 3
38 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
1513, étaient seulement diacres; Martin Y en 1417,
Sixte IV en 1471, Clément VIII en 1594, Clément XI en
1700, Clément XIV en 1769, Pie VI en 1775, et Gré-
goire XVI en 1831, étaient de simples prêtres. Depuis
le dix-septième siècle, les élus sont en général de
grande ou petite noblesse : mais Sixte-Quint était fils
d'un paysan. Depuis le grand schisme, les élus sont
des Italiens, à Texception des deux Borgia, Espa-
gnols, et dWdrien VI, Hollandais; mais avant cette
époque, dix Français à Rome et sept à Avignon, cinq
Allemands, vingt-deux Espagnols ou Anglais, et dans
les huit premiers siècles vingt-deux Orientaux, furent
papes. Les publicistes qui soutiennent que « le pape
doit être Italien » ne sont pas des canonistes.
Quant au lieu du conclave, dans le haut moyen
âge, c'était souvent le Latran, parfois le Septizo-
nium, au flanc du Palatin, ou bien telle ville d'Italie
où mouraitun pape exilé. Grégoire X et Clément V fixè-
rent une loi : où est mort le pape, là doit être élu le
successeur. Mais depuis le trsizième siècle, elle a subi
de fréquentes dérogations; car elle n'annulait pas une
règle de Nicolas II et Grégoire VII, stipulant qu'en
cas de périls ou de difficultés, les cardinaux choisi-
raient eux-mêmes le lieu de leur réunion. Le Sacré
Collège, à cet égard, eut toujours une certaine li-
berté, et les précédents, non plus que les règlements,
ne permettent de dire que l'élection du pape, pour
être régulière, doit être faite à Rome.
PRESCRIPTIONS NOUVELLES DE PIE IX. 39
VI
CHANGEMENTS SUBIS AU DIX-NEUVIEME SIECLE PAR LA LE-
GISLATION TRADITIONNELLE DU CONCLAVE, — PRESCRIP-
TIONS NOUVELLES DE PIE IX.
La législation traditionnelle fut rigoureusement
observée jusqu'à notre siècle. Mais Pie VI captif du
Directoire, Pic VII captif deNapoléon, Pie ÏXenfermé
lu Vatican, redoutant, pour le conclave, des entraves
uu des violences, signalèrent au Sacré Collège, par
lies constitutions précises, les libertés qu'il pourrait
prendre avec les règlements. Pie VI, en 1797, permit
aux cardinaux de tenir le conclave oii ils le vou-
draient, et d'en avancer ou d'en retarder l'ouverture
sans tenir compte du délai de dix jours. En 1798, il
les autorisa à s'affranchir des règles si les deux tiers
le croyaient nécessaire; car « ce qui importe, écri-
vait-il, c'est moins l'oltservation de cérémonies et de
solennités secondaires, ([ue la possibilité dune élec-
tion rapide ». Pie VII, en 1807, renouvela ces tolé-
rances.
Pie IX, après 1870, craignit l'immixtion, dans le
prochain conclave, de la royauté italienne et des
autres États. Puisque l'administration temporelle de
Rome avait passé du camerlingue à la maison de Sa-
voie, celle-ci ne prétendrait-elle pas hériter des pré-
rogatives du camerlingue à l'égard du conclave? Plu-
sieurs publicistes italiens caressaient ces ambitions.
De son côté, le chancelier de Bismarck insinuait cer-
taines menaces. « Nous nous abstiendrons de peser
sur l'élection papale, disait-il au Parlement allemand
40 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE
le i) juin IST,*]; mais quand on nous en apprendra le
résultat, nous aurons à examiner si elle a été faite
dans des conditions d'entière légitimité )>. Un an au-
paravant, dans une circulaire diplomatique qui ne fut
publiée qu'en 1874, il rappelait l'extension donnée à
l'autorité pontificale par le concile du Vatican, et dé-
clarait formellement qu' « avant de reconnaître le
futur pape, les gouvernements devaient examiner si
son élection et sa personne offraient des garanties
suffisantes contre l'abus d'une pareille autorité ».
En 1871 et 1874, Pie IX rédigea deux bulles en vue
du conclave; il les reprit et les compléta par la bulle
Consulturi, du 10 octobre 1877. Lorsque ce dernier
acte fut signé, le cardinal Pecci était camerlingue de-
puis vingt jours; à ce titre, il avait pris part aux déli-
bérations d'où résultait la bulle. Elle dispense les car-
dinaux de suivre les lois antérieures concernant le
temps, le lieu, la clôture et les cérémonies accessoi-
res du conclaA'e ; en revanche, l'obligation d'observer
le secret est maintenue. Pie IX prévoit deux cas : la
mort du pape hors de Rome ; la mort du pape à Rome.
Au premier cas, le doyen du Sacré Collège, prenant
l'avis du camerlingue et des deux autres chefs d'or-
dres, fixera le lieu du conclave. Au second cas, les
magistrats civils, jadis fonctionnaires de la Papauté
et préparés, dans une certaine mesure, à la garde du
conclave, seront déchus de cette prérogative; les car-
dinaux présents à Rome décideront aussitôt, à la ma-
jorité absolue des voix, si le conclave doit se tenir
hors de Rome et hors d'Italie ; il pourra s'ouvrir, dès
que la moitié plus un des membres du Sacré Collège
seront présents; et s'il sul)it quelque violence, il sera
dissous et transféré hors d'Italie. Enfin Pie IX. « con-
L\ RÉCEPTION DES AMBASSADEURS. ^I
sidérant les vicissitudes et les périls des temps pré-
sents », ne pouvait se défendre de " souhaiter vivement
<]ue le lieu désigné pour Télection lût choisi hors
d'Italie ». Ce n'était là quun vœu pourtant; et un
long règlement, du 10 janvier 1878, prévit au con-
traire les plus menus détails de la tenue du conclave
au Vatican. Chaque article opposait une barricade
aux ingérences, violentes ou discrètes, que la royauté
italienne pouvait commettre. Il était prescrit au ca-
merlingue de faire acte immédiat de souveraineté en
dressant, à titre d'officier d'état-civil, l'acte de décès
du pape, et en correspondant avec les représentants
des puissances. Si les agents italiens demandaient de
communiquer avec le Sacré Collège, ils seraient con-
finés dans un parloir installé « du cùté extérieur des
musées » ; et les ambassadeurs près le Saint-Siège
seraient officiellement avertis de leurs démarches.
Enfin si l'on tentait quelque coup de force contre le
Vatican, le conclave, une fois les portes brisées, se-
rait suspendu, et la diplomatie avisée.
Depuis 1878, la situation du pape à Rome n'a point
varié : Léon XIII, sans doute, a maintenu dans leur
ensemble les prescriptions acceptées ou suggérées,
on 1878, par le camerlingue Joachim Pecci.
VII
LES DIX CONGREGATIONS QVl PRECEDENT L ENTREE EN
CONCLAVE. — LA RÉCEPTION DES AMBASSADEURS.
Clément XII a tracé le programme des dix congr(''-
gations plénières que doivent tenir les cardinaux entre
42 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
le transfert du pape à Saint-Pierre et l'entrée en con-
clave. Le doyen les préside ; le secrétaire du Sacré
Collège y fait office de greffier ; deux cérémoniaires à la
porte attendent lesordres de l'assemblée. En 1878, les
instructions de Pie IX amenèrent les cardinaux à
s'écarter fréquemment de celles de Clément XII.
Dès le 8 février, dans la salle des Parements, voi-
sine de la Sixtine, ils eurent une première réunion.
Comme Pie IX Tavait désiré, on s'occupa du lieu du
conclave. Le 9, à l'issue de la seconde congrégation,
trente-deux voix contre cinq choisirent Rome Sans
profiter de la tolérance accordée par Pie IX, on dé-
cida que l'assemblée électorale serait clôturée. Troi-
sième séance le 10 : comme la précédente et les sui-
vantes, elle se passait dans la salle des consistoires.
On y lut les bulles et règlements concernant la no-
mination des pontifes ; on ])risa l'anneau du pécheur,
détaché du doigt de Pie IX; on adopta les plans de
l'architecte Martinucci pour la construction du con-
clave dans le Vatican; et l'on chargea le cardinal
Franchi, qui devait être le premier secrétaire d'État
de Léon XIII, de signaler aux puissances les condi-
tions exceptionnelles parmi lesquelles s'ouvrait le
conclave. Réuni le 11 pour la quatrième congrégation,
le Sacré Collège reçut le sous-dataire et le secrétaire
des brefs : ils apportaient, dans deux caisses, les
requêtes et suppliques restées sans réponse; la juri-
diction pontificale étant suspendue, elles furent con-
fiées à deux prélats de la Chambre apostolique, char-
gés de les transmettre au pape futur. La cinquième
congrégation, le 1:2, désignales médecins, le chirur-
gien, le pharmacien et le confesseur du conclave. On
nomma dans la sixième les six maîtres des cérémo-
L\ RÉCEPTION DES AMBASSADEURS. 43
nies qui en devaient diriger le service inU-rieur, et
deux cardinaux curent mission d'examiner le choix
du secrétaire et du domestique que chaque Éminence
peut enfermer avec elle. La septième congrégation
approuva le projet de note diplomatique, commandé
quatre jours auparavant au cardinal Franchi. Dans
la huitième, le 15, on commença de recevoir les am-
bassadeurs. A la neuvième furent tirés au sort les nu-
méros des cellules destinées à chaque cardinal; puis
on continua les réceptions diplomatiques, qui se ter-
minèrent le 17 avec la dixième congrégation.
Le cérémonial en est soigneusement fixé. Dans la
salle du consistoire, les sièges des cardinaux dessi-
nent par leur ensemble les trois côtés d'un carré :
le quatrième côté, où s'ouvre la porte, reste vide :
c'est par là qu'entre l'ambassadeur. Il salue le Sacre
Collège, en s'agenouillant s'il représente une cour
catholique, en s'incliriant s'il représente une cour
protestante : les cardinaux se lèvent et ôlent leurs
barrettes. L'ambassadeur témoigne les condoléances
de son gouvernement. A peine a-t-il élevé la voix
que le doyen l'invite à se couvrir. Il se couvre.
Derechef à la lin de son discours, il met chapeau
bas, et les cardinaux, derechef, enlèvent leurs bar-
rettes. Le doyen, au nom de ses collègues, remercie
le visiteur et le gouvernement qui l'envoie. Après
ces harangues officielles, l'ambassadeur entre en
conversation plus intime et plus intéressante avec
les Éminences qu'il connaît ou qu'il juge bon de
pressentir. Il sort avec le même formalisme et les
mêmes révérences qu'à l'entrée.
44 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
YIII
LA COXSTRUCTIOX DU CONCLAVE.
Pendant que les cardinaux tenaient les dix con-
grégations, l'architecte construisait le conclave. Un
grand dortoir, sans parois de séparation, sans rideau,
communiquant avec l'extérieur par une seule fenêtre :
tel doit être le logis des électeurs, d'après Grégoire X.
Clément VI, en 13ol, leur permit d'entourer leurs
lits d'un rideau. Urbain V, dans le palais d'Avignon,
fît construire cinq grandes chambres, dont chacune
pouvait abriter une dizaine de personnes : elles ou-
vraient toutes sur un même passage, le corridor du
conclave; il suffisait d'en murer les deux extrémités
pour que les Éminences fussent dûment enfermées.
Au quinzième siècle, les rideaux furent remplacés
par des cloisons mobiles ; on avait aussi, à plusieurs
reprises, tenu l'assemblée électorale dans des monas-
tères : pour ces deux raisons, le conclave en cellules
se substitua lentement au conclave-dortoir. Bientôt,
dans les greniers du Vatican, s'entassèrent des
charpentes, pièces de bois numérotées; lorsque be-
soin était, on avait vite fait de les agencer en cellules.
Il y en avait de petites pour les secrétaires et domes-
tiques; les cardinaux en occupaient de plus grandes,
qui avaient quatre mètres cinquante de long sur trois
mètres soixante-seize de large ; c'est là qu'ils dor-
maient, mangeaient et recevaient. Léon XII, Pie VIII,
Grégoire XVI et Pie IX furent élus au Quirinal; ce
palais, plus régulièrement construit que le Vatican,
offrait de belles galeries, droites et spacieuses, où les
cellules s'alignaient admirablement.
L'ENTRÉE EN CONCLAVE. \:,
Il fallut, en 1878, improviser un conclave dans le
Vatican : jour et nuit cinq cents ouvriers y travaillè-
rent. On renonça au système des cellules. Dans les
grandes salles du palais, on éleva des cloisons, par-
fois des planches à mi-hauteur; et Tintrusion de ces
charpentes, verticales et horizontales, permit d'offrir
à chaque cardinal plusieurs petites pièces. On découpa
des appartements de ce genre à tous les étages; une
grande partie du palais fut englobée dans la clô-
ture conelavaire. Douze Éminences occupèrent les
coins* les plus divers du rez-de-chaussée, vingt-sept
les différentes ailes du premier étage; dix logèrent
au second, onze au troisième dans Tappartement du
secrétaire d'État, que pour la circonstance on démé-
nageait. Cet éphémère et indispensable travail coûta
cinquante-sept mille francs.
IX
L ENTRKE EN CONCLAVE. — L OHGANISATION DES SERVICES
LNTÉRIEI RS. — LES ALENTOURS DU CONCLAVE : LE MA-
RÉCUAL.
Le 18 février au matin, dans la chapelle Pauline,
la messe du Saint-Esprit, qui précède le conclave,
fut chantée. L'usage voulait qu'on la célébrât à Saint-
Pierre ; mais les « conditions exceptionnelles » de
l'Église s'y opposaient. A la Sixtine ensuite, les car-
dinaux écoutèrent la harangue latine pro eligendo
Ponlifice; M»' Mercurelli, secrétaire de Pie IX, en
avait été chargé. Grégoire XV en a tracé le canevas :
<« Un prélat ou quelque autre savant ecclésiastique
prononce un discours sur la situation de l'Église,
3.
4fi LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
exhortant les cardinaux à mettre de côté toutes les
préoccupations et préférences particulières, pour
n'avoir devant les yeux que Dieu seul ; il les con-
jure de donner à l'Église selon les constitutions
apostoliques et les décrets des conciles, dans le plus
bref délai possible, un Pasteur capable et qui soit
à la hauteur des exigences du temps ».
A quatre heures et demie les cardinaux, après s'être
installés dans leurs cellules, retournèrent à la cha-
pelle Pauline pour le chant du Veni Creator. De là,
en procession, ils gagnèrent la Sixtine. Le prince
Chigi fut introduit; vêtu d'un justaucorps que re-
haussait une collerette Henri IV, il jura de veiller à
la sécurité des Éminences : les Savelli depuis le qua-
torzième siècle jusqu'en 1712, et les Chigi dans la
suite furent, de père en fils, « maréchaux de la Sainte
Église romaine et custodes perpétuels du conclave ».
Les quatre officiers du maréchal, les officiers des
gardes suisse et palatine, et ceux de la gendarmerie,
prêtèrent ensuite serment. Et le camerlingue se rendit
auprès du majordome malade, pour qu'à son tour il
jurât. Alors les cardinaux, précédés chacun par un
garde-noble, rentrèrent en cellules. Le camerlingue
et le sous-doyen restèrent à la Sixtine : ils reçurent
le serment des ecclésiastiques qui servaient de secré-
taires aux cardinaux. Passant dans les loges de Ra-
phaël, ils y trouvèrent les laïques autorisés à de-
meurer dans le conclave, employés ou domestiques :
ceux-ci jurèrent aussi. Ils s'engageaient, ecclésias-
tiques et laïques, à ne rien révéler de ce qu'ils pour-
raient voir ou savoir, et à ne rien faire qui entravât
Télection.
A sept heures, toutes les issues étaient murées,
L'ENTRÉE EN CONCLAVE. 47
sauf une : elle livra passage aux curieux qui n'avaient
pas le droit d'être captifs. Trois coups de cloche se
succédèrent; le maréchal, sortant de l'enceinte, ferma
les deux serrures extérieures, elle camerlingue ferma
les deux serrures intérieures : de part et d'autre de
la porte, des procès-verbaux attestèrent qu'elle était
bien close. « Les chefs d'ordres et le camerlingue,
accompagnés du maître des cérémonies, parcourent
à la lueur des torches tous les recoins du conclave,
afin de constater qu'aucun étranger ne s'y trouve
caché ». Ainsi l'a voulu Grégoire XV : le cardinal
Pecci fit cette ronde. Il ne rencontra nul intrus. De
toutes parts, le conclave avait la clôture congrue.
Seuls, les souverains qui rendraient visite aux élec-
teurs la pourraient franchir : ainsi firent Joseph II et
Léopold de Toscane au conclave de Clément XIV, et
l'électeur palatin au conclave de Pie \'I. Une grande
partie du Vatican était transformée en une prison
parfaite; poui" les cardinaux électeurs, l'emprison-
nement devait durer jusqu'à la nomination du pape ;
le camerlingue était geôlier. Pour le camerlingue de-
venu pape, l'emprisonnement dure encore.
Sous les verrous, deux cent cinquante personnes
environ étaient réunies. Le Sacré Collège, à la mort de
Pie IX, comptait soixante-quatre membres : soixante
étaient présents. Quatre cardinaux, créés par Gré-
goire XVI, avaient leurs appartements tendus de
vert; les autres, créatures du pape défunt, avaient
leurs appartements tendus de violet. Ils conservaient
chacun un secrétaire et un domestique. Quatre bar-
biers, un menuisier, un serrurier, un maçon, assistés
chacun d'un aide, un vitrier, un plombier, deux
chefs de cuisine, quatre cuisiniers et sept garçons,
48 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
vingt-quatre valets étaient commis aux divers ser-
vices. Le sacriste, qu'assistaient trois Augustins et
deux convers, avait la charge de confesseur; et le
sous-sacriste faisait l'office de curé pour la menue
population du conclave. Un service sanitaire, aussi,
fonctionnait. Six maîtres des cérémonies surveillaient
l'ensemble, sous la haute direction du préfet des
cérémonies, responsable auprès du camerlingue.
Aux alentours, deux personnages faisaient garde :
le gouverneur et le maréchal. Le majordome de
Pie IX, sous le titre de gouverneur du conclave, était
chargé des approvisionnements; dans la clôture on
avait pratiqué quatre « tours », par lesquels les vi-
vres et la correspondance oflicielle devaient passer;
des prélats et des Suisses y faisaient sentinelle ; on y
remettait, ouvertes, les lettres destinées aux cardi-
naux; les prélats vérifiaient si elles n'avaient pas trait
à l'élection ; car il est interdit aux reclus de rece-
voir du dehors les échos du conclave. Les jour-
naux entraient librement. Pour les aliments, ces
guichets s'ouvraient peu; des cuisines étaient instal-
lées à l'intérieur ; et l'on ne revit, en 1878, ni le pitto-
resque défilé des sénéchaux et valets apportant les
plats ni l'indiscret contrôle auquel les prélats sou-
mettaient ces plats pour constater qu'on n'y dissimu-
lait aucun message. Quant au maréchal, il comman-
dait la force armée du Vatican ; il portait, dans une
bourse de velours cramoisi, les clefs des serrures
extérieures. Lorsque se présenta le patriarche de Lis-
bonne, le prince Chigi, du dehors, avisa le cardinal
Pecci. Le maréchal ouvrit les deux serrures exté-
rieures, le camerlingue ouvrit les deux serrures inté-
rieures; le patriarche entra, et tout se referma. Dans
LKS OPERATIONS 1)L CONCLAVE. 'iO
la partie du Vatican non comprise dans la clôture, le
majordome et le maréchal étaient maîtres ; et les étran-
gers jaloux d'y circuler devaient montrer, soit une
baguette aux armes d'un cardinal, soit une médaille
à reffigie du camerlingue ou du maréchal.
X
LES OPÉKATIONS DU CONCLAVE :
COMMENT LE CAKDINAL l'ECCI DEVINT PAI'E.
Le 19 au matin, la clochette du préfet des céré-
monies retentit par trois fois : elle appelait les car-
dinaux à la chapelle Pauline. Ils s'y acheminèrent,
liabillés d'une ample pièce de laine violette, sans
manches, sagrafTant au haut de la poitrine et ter-
minée par une longue traîne : c'est le vêtement rituel
du conclave. Le sous-doyen les lit communier.
Ils se retrouvèrent à la Sixtine, à neuf heures et
demie*, pour le premier vote. On avait transformé la
• hapelle en salle de scrutin. Au-dessus des stalles,
soixante-quatre baldaquins s'élevaient; et soixante-
quatre petites tables, couvertes d'un tapis vert ou
violet, étaient disposées en face des sièges. Au milieu
du quadrilatère, six autres tables étaient dressées,
où les électeurs pouvaient rédiger leurs votes. Devant
l'autel que surplombe \cJu(jcm(;nt dernier, une grande
lablc était réservée pour le dépouillement. Tout près
s'ouvrait la cheminée, où l'on brûle les bulletins. Et
dans un vestiaire, près la porte d'entrée, des véte-
nients blancs étaient préparés ; ils devaient habiller
le pape.
50 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
Accompagnées de leurs secrétaires, les Éminences
s'installèrent. On pria suivant les rites. Extra om-
nes! « tout le monde dehors », cria le chef des céré-
moniaires. Il fit sortir les secrétaires, sortit lui-
même ; un cardinal poussa le verrou. Et sous les re-
gards des Sibylles et des prophètes, du Christ fou-
droyant et de la Vierge timidement suppliante, les
électeurs restèrent seuls — « l'esprit libre et la cons-
cience nue », prescrit Grégoire XV. L'élection peut
avoir lieu par inspiration; sans entente préalable,
l'unanimité des cardinaux acclament l'un d'eux en di-
sant : « Je le nomme », Ecjo eligo. Ainsi furent dé-
signés plusieurs papes du seizième siècle; mais le
surcroît de précautions que Grégoire XV requiert
rend impraticable ce mode d'élection. Le système
du compromis, aussi, d'après lequel les cardinaux
conviendraient, à l'unanimité, de désigner quelques-
uns d'entre eux pour choisir le pape et fixeraient
des règles à cette commission, est tombé en désué-
tude. Le mode ordinaire de l'élection est le scrutin.
Grégoire XV prescrit deux séances par jour.
Préparés par les cérémoniaires, les bulletins ont
trois compartiments. Dans la case supérieure sont
imprimés les mots : Ego cardinalis..., moi car-
dinal...; c'est là que le votant mettra son. nom.
Dans la case du milieu, on lit : Eligo in Summum
Pontificem /î'" D"^ meum D. Card., j'élis Souverain
Pontife le cardinal... ; c'est là que le votant écrira son
suffrage. La case inférieure est vide, il y inscrira une
devise et un chiffre. Repliées sur elles-mêmes, les
parties inférieure et supérieure seront cachetées d'un
sceau de fantaisie, qui ne trahisse pas l'auteur du
bulletin. A leur verso deux vignettes sont gravées :
LES OPÉRATIONS DU CONCLAVE. 51
elles entourent en haut le mot Nomen, indiquant que
sur le recto se trouve le nom du votant, en bas le
mot Signa, indiquant que le recto porte des devises.
Si transparent que soit le papier, elles empêchent de
lire à travers, et préservent le secret du vote. Sur la
grande table que domine Tautel, ces bulletins sont
déposés dans deux bassins d'argent.
Les électeurs tirent au sort trois scrutateurs, puis
trois infirmiers, qui sortiront pour recueillir dans
les cellules les suffrages des cardinaux malades. Le
doyen s'avance le premier vers lautel ; il élève son
bulletin au-dessus du calice, et dit : « Je prends à té-
moin le Seigneur Christ, qui sera mon Juge, que
je donne ma voix ù celui que, d'après Dieu, je juge
digne d'être élu; et que je ferai de même dans le
vote d'iaccession ». Le bulletin tombe dans le calice.
Les infirmiers d'abord, puis les autres cardinaux par
rang d'ancienneté, s'acheminent vers l'autel; ils s'a-
genouillent, jurent et votent. Lorsque les infirmiers
ont rapporté les suffrages des infirmes, les scruta-
teurs, portant le calice sur la grande table, dépouil-
lent. Ils ne peuvent lire que le milieu du bulletin :
les sceaux protègent le reste. Rarement ce premier
scrutin donne la majorité des deux tiers; aussitôt on
commence un second vote, 1' « accession », qui per-
met aux électeurs de reporter leurs voix sur l'un
des cardinaux favorisés au premier tour. Chacun
d'eux, sur le nouveau bulletin, doit inscrire le même
chiffre et la même devise qu'au précédent scrutin. La
case du milieu porte cette formule : Acccdo Reveren-
diss. D. mno D. aird... « Je me rallie au cardinal... ».
Si l'on demeure fidèle à son premier vote, on écrit :
iXeminij « personne » : ainsi font les électeurs dont
52 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
le candidat a recueilli une majorité relative. Si les
votes d'accession, joints aux votes du précédent
scrutin, assurent à un cardinal la majorité des deux
tiers, on entreprend une vérification minutieuse :
les scrutateurs, qui ont conservé les l)ulletins du pre-
mier tour, constatent, en brisant les sceaux des cases
inférieures, et en confrontant les devises, que les élec-
teurs qui, par leur accession, assurent le succès de
l'un d'entre eux, désignaient, au premier tour, un
autre nom; car, les voix du premier vote et celles de
l'accession s'additionnant, un cardinal ne peut
émettre le même suffrage aux deux scrutins. Le se-
cret du vote demeure sauf. La partie supérieure du
bulletin, qui contient le nom de l'électeur, n'est dé-
cachetée qu'en deux cas : il j^eut arriver que les ca-
chets et devises adoptés par plusieurs Éminences se
ressemblent au point de se confondre; et les doutes
qui subsistent, alors, sur la correction de l'accession,
ne peuvent être dissipés que par l'ouverture du pli
supérieur; en second lieu, si le cardinal qui paraît élu
a strictement recueilli les deux tiers des suffrages, et
pas un de plus, on l'invite à faire connaître sa devise
et son chiffre; on vérifie son dire en ouvrant le pli
supérieur de son bulletin, et l'on constate qu'il n'a
pas voté pour lui. Trois réviseurs, tirés au sort parmi
les cardinaux diacres, contrôlent le dépouillement.
Enfin tous les bulletins sont brûlés dans la cheminée.
On y jette un peu de paille humide, si le vote est
sans résultat : alors s'échappe au dehors une petite
colonne de fumée, et la foule, sur la place Saint-
Pierre, conclut que la tiare est toujours vacante. Si
un pape est élu, on essaie de faire brûler les bulle-
lins sans fumée; et la foule, au dehors, attend
LA PREMIÈRE JOURNÉE DU PAPE LÉON XIIL Vî
sans rien conclure, ou conclut à tort et à travers.
Le 19 février 1878, à la séance du matin, le premier
scrutin, qui donnait dix-neuf voix au cardinal
Pecci, fut annulé pour certaines irrégularités; il n'y
eut pas lieu de faire accession. A la séance du soir, le
premier scrutin donna vingt-six voix au cardinal
Pecci; au vote d'accession, huit voix s'ajoutèrent. Au
matin du 20, dès le premier scrutin, il recueillit qua-
rante-quatre voix. En sa faveur, la majorité des deux
tiers était dépassée; tous les cardinaux, dont la sou-
veraineté cessait, abaissèrent leurs baldaquins;
Léon XIII était pape.
XI
l.A PREMIÈRE JOURNÉE DU PAPE LEON XIII .
LES TROIS OBÉniENCES.
Avec les deux autres chefs d'ordres, le sous-doyen
s'approcha de l'élu. « Acceptes-tu ton élection au
-souverain pontificat, faite suivant les règles canoni-
ques? n lui demanda-t-il. Et le camerlingue répondit :
'< Puisque Dieu veut que j'assume le pontificat, je n'y
puis contredire ». — « Quel nom voulez-vous pren-
dre? » reprit le sous-doyen. Depuis Tan OriS, où le
jeune Octavien, patrice de Rome, prit avec la tiare le
nom de Jean XII, il est d'usage qu'à leur avènement
les pontifes changent de prénom ; seuls Adrien VI et
Marcel II gardèrent leur nom de baptême. Le camer-
lingue répondit : « Le nom de Léon, à cause du res-
ï>ect et de la gratitude que j'ai toujours eus pour
Léon XII, et de la dévotion que, depuis ma jcunossf,
j'ai pour saint Léon le Grand ». .Mors le nouveau pape
54 LE GOUVERNEMENT CENTR.VL DE L'ÉGLISE.
fut conduit à l'autel, puis au vestiaire; on lui passa
les vêtements pontificaux et l'une des trois soutanes
blanches, de grandeurs différentes, préparées à l'a-
vance. Lorsqu'il rentra dans la chapelle, son trône
était disposé devant Tautel du côté de l'Évangile. Il s'y
assit et les cardinaux, s'agenouillant, lui baisèrent la
main et reçurent l'accolade : ce fut la première obé-
dience.
Le doyen des diacres, précédé de la croix papale,
se rendit au balcon de Saint-Pierre : « Je vous an-
nonce une grande joie, dit-il à la foule ; nous avons
pour pontife l'Éminentissime cardinal Joachim Pecci,
qui s'est donné le nom de Léon Xllf». Bientôt les
cloches de Rome sonnèrent, et le canon du château
Saint-Ange, qui saluait, avant 1870, l'élection papale,
resta muet. A quatre heures, on ouvrit les portes de
Saint-Pierre; et Léon XIII, apparaissant dans la
Loggia de Paul Y, fit ouvrir la fenêtre intérieure,
donnant sur la basilique : il bénit la Ville et l'Univers.
Urbi et Orhi. Le pape se montrait, jadis, au balcon
extérieur de la Loggia, d'où ses yeux dominaient et
dépassaient la Ville éternelle. Léon XIII voulut que
ses regards fussent captifs, comme sa personne.
Avant 1870, le pape, quatre fois par an, bénissait
« la Ville et l'Univers », deux fois à Saint-Pierre, le
jeudi saint et le jour de Pâques, puis au Latran pour
l'Ascension, et à Sainte-Marie Majeure pour l'Assomp-
tion. Ces traditions sont aujourd'hui suspendues,
sans être oubliées. Léon XIII, regagnant la Sixtine,
revêtit les insignes épiscopaux; il s'assit sur l'autel;
une seconde fois, le défilé des cardinaux s'agenouilla :
ce fut la deuxième obédience. Avant 1870, le nouveau
pape se rendait à Saint-Pierre, s'asseyait sur l'autel
LES CÉRÉMOMES DE L'INSTALLATION PONTIFICALE. 55
delà Confession, et recevait une troisième fois les
hommages du Sacré Collège. C'est dans la Sixtine,
le malin du 21, que cette troisième obédience fut
rendue à Léon XIII.
XII
LES CÉRÉMONIES DE l'iNSTALLATION PONTIFICALE : LA PRISE
DE POSSESSION DU LATRAN- — LA MESSE DU COURON-
NEMENT. — LA gUATRIt;ME ET LA CINQUIÈME OBÉDIENCES.
— l'imposition de la TIARE.
Si le pape élu na pas reçu la consécration épisco-
pale (c'était le cas pour Grégoire XVI), elle lui est con-
férée parle cardinal-évèque d'Ostie. Pour Léon XIIL
évéque depuis 18 4 i, cette cérémonie était superflue.
En raison des « conditions exceptionnelles » de l'É-
glise, la prise de possession du Latran, qui clôturait
jadis l'avènement des papes, fut supprimée.
Des solennités qui complètent l'élection, une seule
fut conservée, le couronnement. C'est du jour où ils
reçoivent la tiare, non de celui où ils sont élus, que
les papes, depuis le onzième siècle, datent leur pon-
tificat; généralement, jasqu'à celte cérémonie, ils
écrivent des brefs, non des bulles. En théorie, pour-
tant, leur autorité n'est pas accrue par le couronne-
ment; elle y reçoit seulement son insigne, la tiare,
caractérisée par les trois couronnes et portée par les
papes depuis le treizième siècle.
C'est le 3 mars 1878 que Léon XIII coiffa la tiare :
la cérémonie eut lieu, non point, comme jadis, dans
la Loi/f/ia de Saint-Pierre, mais à l'intérieur du Vati-
can. Dans la salle Ducale, les cardinaux, pour la ([ua-
56 LE GOUN'ERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
trième fois, apportèrent leur obédience; lorsque ces
pompes se déroulaient dans la basilique Vaticane, on
disposait sous le portique, devant la porte sainte qui
s'ouvre aux années jubilaires, le trône sur lequel le
pape accueillait ces hommages. Puis le cortège gagna
la Sixtine; et devant Léon XIII, porté sur la Sedia,
uncérémoniaire, à trois reprises, fit brûler des flo-
cons d'étoupes, au bout d'un bâton : « Père saint,
disait-il, ainsi passe la gloire du monde » ; les vieux
rituels exigent qu'au moment de conférer au pape
l'insigne de la suprême grandeur, on lui rappelle la
vanité de la gloire. A la Sixtine, Léon XIII célébra la
messe, d'une liturgie complexe et perpétuellement
symbolique. Dès le Confiteor, il regagna la Sedia, et
le premier cardinal-diacre lui passa la petite écharpe
de laine qu'on appelle pallium : « Reçois, lui dit-il,
ce sacré pallium, plénitude de la fonction pontificale,
pour l'honneur du Dieu tout-puissant, de la très glo-
rieuse vierge Marie sa mère, des bienheureux apôtres
Pierre et Paul, et de la sainte Église romaine ». Le
21 janvier de chaque année, à Sainte-Agnès hors les
Murs, on bénit des agneaux et leur laine sert à la con-
fection des palliums. Déposés dans une urne sur le
tombeau de Saint-Pierre, ils sont envoyés par le pape
aux patriarches, aux archevêques, parfois même aux
évêques; mais seul le pape porte \e pallium de plein
droit. Revêtu de cette écharpe, Léon XIII se rendit
au trône pontifical, et les cardinaux défilèrent, appor-
tant la cinquième et dernière obédience. Elle fut
suivie par le chant des litanies : « Exaucez-nous,
Christ! » qu'entonna le cardinal-diacre. Et les autres
répondaient par trois fois : « A notre Seigneur Léon,
établi par Dieu souverain pontife et pape universel,
LES CÉRÉMONIES DE L'INSTALLATION PONTIFICALE. §7
vie ! ') Tour à tour, suivant l'antique formulaire, le
cardinal-diacre invoquait le Sauveur du monde par
trois fois, Marie par deux fois, puis plusieurs saints,
et le chœur à chaque fois répondait : « Soyez-lui se-
coural)lc. Tu illum adjuva ». L'épître et Févangilc
furent chantés, en latin d'abord par des diacres occi-
dentaux, puis en grec par des diacres orientaux enve-
loppés dans leurs dalmatiquos : de même que la chaire
de l'Apôtre, au fond de la liasiliquc Vaticane, est sou-
tenue par les Pères des deux Églises, ainsi la parole
du Christ, à la messe du couronnement, est annoncée
dans la langue des deux Églises. Après YAgiim Dei,
Léon XIII gagna son trône ; le sous-diacre lui pré-
senta l'hostie, le diacre le calice; du corps du Christ
il détacha deux parcelles, fit communier les deux as-
sistants et communia lui-même. A l'issue de cette
messe, le pape assis fut coiffé de la tiare par le pre-
mier cardinal-diacre : « Reçois la tiare, ornée de
trois couronnes, et sache que tu es le père des prin-
ces et des rois, le recteur de l'univers, le vicaire de
notre Sauveur Jésus-Christ, gui possède honneur et
gloire dans les siècles des siècles. Amen ». Et la béné-
diction solennelle prononcée par Léon XIII termina
la solennité. Dès le lendemain, il publiait la bulle
rétablissant en Ecosse la hiérarchie épiscopale, et
vingt-cinq jours après il tenait son premier consis-
toire. L'histoire du pontificat commençait (1).
(1) C'est un devoir pour nous de menlionner ici un livre rccenl :
Le Conclave, par I^ucius l.cctor (Paris, Lethielleux). Si les détails qu(;
nous y avons puisés inlcrossent k- le(;tcur, il doit rechercher, dans ce
livre d'une curieuse érudition, ceux que nous y avons laissés, ainsi
que de nombreux renseignements sur l'ingérence de l'Autriche, de
l'Espagne et de la France, dans les conclaves des trois derniers siècles.
CHAPITRE III
Les congrégations romaines.
DECADENCE DE L INSTITUTION DES CONSISTOIRES. — CREA-
TION DES CONGRÉGATIONS, LEUR COMPOSITION, LEUR
PROCÉDURE.
Durant une longue période, les consistoires,
qui groupaient autour du pape le Sacré Collège
entier, furent l'unique nouage du gouvernement de
l'Église. Presque quotidiens au moyen âge, ils for-
maient le conseil assidu et le tribunal ordinaire du
Pontife. Aux quinzième et seizième siècles, des tri-
bunaux spéciaux s'établirent; pour les affaires poli-
tiques et religieuses, les papes du seizième siècle
inaugurèrent un nouveau mode de consultation.
Ainsi les consistoires se transformèrent en séances
d'apparat où les cardinaux sont muets. La nomina-
tion d'Éminences nouvelles et la préconisation des
évéques : voilà presque le seul motif qui conduise le
pape, deux ou trois fois par an, à réunir des consis-
toires. 11 en convoque, aussi, pour une canonisa-
DÉCADENCE DE L'INSTITUTION DES CONSISTOIRES. 59
tion. En loute autre circonstance, ces assemblées
acquièront une exceptionnelle portée : tel le consis-
toire du 30 juin 188!), où Léon XIII tint un discours
sur les manifestations faites à Rome en Thonneur de
Giordano Bruno. On publie, dans les consistoires,
les actes les plus importants du Saint-Siège, mais ce
n'est plus là qu'en les prépare, qu'on les décide.
De conseil délibératif, la réunion plénière des cardi-
naux est devenue une chambre d'enregistrement;
on n'y travaille plus, on y officie.
Le seizième siècle introduisit dans le gouverne-
ment de l'Église la division du travail. Les cardi-
naux furent répartis en commissions : la besogne,
ainsi, se fît plus régulièrement, plus vite et plus sû-
rement. \u surplus, cette organisation était mieux
appropriée aux progrès de la centralisation pontifi-
cale : la papauté, fortifiée par le concile de Trente,
souhaitait de posséder, non point un vaste comité
parlementaire qu'elle associât à ses décisions, mais
un certain nombre de sections administratives, qui
en préparassent les éléments. Ces sections s'appelè-
rent congrégations. Tour à tour furent créés le Saint-
Office, l'Index, la congrégation des Évèques, et sous
Grégoire XIII des congrégations spéciales pour les
affaires d'Allemagne et de France. Longtemps ces
essais furent incomplets : le poids de l'Église re-
tombait toujours sur les consistoires. La bulle Im-
mcnsn yEterni Dei, publiée par Sixte-Ouint en jan-
vier 1587, fit une révolution; elle établit quinze
congrégations, dont six devaient pourvoir à l'ad-
ministration des États Romains, et les neuf autres à
l'Église.
Depuis trois siècles, les noms mêmes et la répar-
60 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
tition des congrégations ont varié. Certaines ont suc-
combé, faute de raison d'être : telles, en 1870, les
congrégations préposées aux États de l'Église, en
particulier la Sagra Consulta, conseil d'État et cour
de cassation, qui a légué son nom de Consulta au
palais actuellement occupé par le Ministère des Af-
faires étrangères du roi d'Italie. D'autres ont fu-
sionné, soit faute de besogne (c'est ainsi que la
congrégation de l'Immunité a été jointe à celle du
Concile), soit pour prévenir des conflits d'attribu-
tion i^c'est ainsi que la congrégation des Évêques
et celle des Réguliers furent réunies, dès le temps
de Sixte-Quint). Certaines congrégations extraordi-
naires, créées pour lexamen d'une affaire spéciale,
achevèrent leur existence en même temps que leur
travail : telle, la docte congrégation de Auxiliis gra-
ine divinse, que Clément VIII avait chargée d'étudier
le problème de la grâce et de la prédestination. Mais
ces changements de détail n'intéressent que l'érudi-
tion. Le fait essentiel, c'est que, depuis trois siècles,
le système de gouvernement inauguré par Sixte-
Quint a constamment prévalu. Même, au début du
pontificat de Léon XIII, l'auguste mécanisme de
plusieurs congrégations fut pourvu d'un nouveau
rouage. Aux congrégations de la Propagande, des
Évêques et des Réguliers, du Concile et des Rites»
une consulte de prélats fut adjointe : les circonstan-
ces politiques, qui les excluaient de l'administration
de l'État Romain, les laissaient désœuvrés ; Léon XIII
les a conviés à l'administration de l'Église Romaine.
Le pape, après le consistoire, assigne aux nou-
veaux cardinaux quatre congrégations. S'ils sont
étrangers à Rome, cette désignation ne leur impose
DÉCADENCE DK L'INSTITUTION DES CONSISTOIRES. G4
aucun travail; elle les autorise seulement, lorsqu'ils,
viendront ad l'imina, à suivre les réunions dont ils
sont membres. Au contraire, c'est à la besogne des
congrégations que les cardinaux vivant à Rome dé-
vouent assidûment leur temps. On pourrait donc
distinguer, dans ces éminentes commissions, les
membres ad pompam et les membres laborieux : les
premiers sont occupés, sous les diverses latitudes,
par le soin de leurs diocèses; les seconds seraient
inoccupés, s'ils n'avaient des congrégations, et sans
l'agrément du pape ils ne peuvent quitter Rome. Une
partie seulement du Sacré Collège est associée au
gouvernement central de l'Église; il suffit, au reste^
que trois cardinaux assistent à une congrégation
pour qu'elle délibère efticacement. Les congrégations
les plus importantes comptent en général de dix à
quinze membres demeurant à Rome.
Dans ces assemblées, même, le préfet, qui est un
cardinal (sauf trois exceptions que nous signalerons
en leur lieu), et le secrétaire, qui est presque partout
lin prélat, ont un rôle prépondérant. C'est au dix-
septième siècle que les congrégations reçurent des
préfets; les travaux, à l'origine, étaient dirigés,
dans chacune d'elles, par le plus ancien des cardi-
naux. Le pape désigne les préfets : il examine, à
cet effet, I,a compétence, la science, on pourrait
même dire le tempérament des Éminences : telle
préfecture requiert un juriste, et telle autre un théo-
logien. Il est un certain nombre d'affaires, à la fois
banales et de médiocre gravité, dont le préfet et le
.secrétaire sont juges : le pape, une fois pour toutes,
leur a donné tout pouvoir pour en expédier la solu-
tion. Pour une seconde catégorie de questions, la
62 LE G0UVER^'EME]^'T CENTRAL DE L'ÉGLISE.
délibération du préfet et du secrétaire est encore ré-
putée suffisante ; mais la décision doit être soumise
au pape avant d'être rendue. Ce sont là les me-
nues occupations : aussi simples que multiples, elles
échappent aux cardinaux de la congrégation, aux
consulteurs aussi, s'il y en a; on y pourvoit dans le
tête-à-tète du Congresso, chez le préfet. Les causes
graves et toutes les questions contentieuses ont une
autre destinée. Le secrétaire en fait deux parts. Sur
les unes il fera lui-même un rapport aux Éminences,
qui voteront. Quant aux autres, vraiment importan-
tes, il en forme le dossier; il le transmet à un cardi-
nal qui sera rapporteur du débat et qu'on appelle
ponent. Il en fait imprimer un résumé, qu'il trans-
met aux membres de la congrégation. Si des consul-
teurs et, par surcroît, une consulte prélatice y sont
adjoints, leurs avis sont recueillis avant la séance
de la congrégation. S'agit-il enfin d'un procès, les
mémoires rédigés par les avocats des deux parties
sont, à l'avance, soumis aux cardinaux; car on ne
plaide que par écrit devant les congrégations romai-
nes. A la séance, le ponent expose l'afTaire et donne
son vote ; les autres cardinaux énoncent le leur. Du
calcul résulte la sentence. Elle n"a pas de consi-
dérants; elle est brève et nette. Les cardinaux ré-
pondent : Négative, ou bien Affirmaiive; ce qui veut
dire « non » ou « oui » : la difficulté est clairement
résolue. Parfois ils introduisent des nuances : Juxta
menlemy disent-ils, et menft est... » : ce qui signifie :
« Oui, en un certain sens, et au sens que voici... ».
11 leur arrive d'indiquer au questionneur les sources
d'information qu'il ignore : « Denlur decretœ », c'est-
à-dire : « Les décrets antérieurs de la congrégation
DÉCADENCE DE L'INSTITUTION DES CONSISTOIRES. 03
VOUS renseigneront amplement ». Les fins de non-
recevoir, enfin, ne sont pas rares : elles sont détini-
tives : Niliil, « nous n'avons rien à dire » — ou pro-
visoires : Dilata, « nous ajournons la réponse ».
La séance terminée, le prélat secrétaire résume les
arguments, nomme les Éminences qui ont opiné oui,
(•elles qui ont opiné non, indique enfin la sentence.
Le cardinal ponent vérifie Tcxactitude, et écrit au
bas du sommaire : Il en est ainsi, Ita esl. Une fois
par semaine, le secrétaire a l'audience du pape : il
soumet d'une part les décisions moins importantes
prises en Congresso et d'autre part le procès-verbal
de la congrégation. Le pape convie les cardinaux à
un examen plus approfondi, ou bien approuve immé-
diatement la sentence. Alors, revêtue du sceau du
préfet et du secrétaire, elle acquiert force de loi. Ces
deux personnages ont Yornculum vioœ vocis, c'est-
à-dire qu'ils doivent être crus, sur parole et sans
preuves, lorsqu'ils affirment un avis ou un ordre
du pape.
Suivant la besogne, les congrégations romaines
siègent plus ou moins fréquemment : le Saint-Office,
les Évêques et Réguliers, les Rites, le Concile, sont
fort occupés; d'autres chôment plus souvent. Elles
ont leurs archives, qui contiennent d'innombrables
précédents; elles conservent des traditions, des ha-
bitudes de travail. Ainsi le morcellement de la be-
sogne, dans une institution aussi complexe que
l'Église, a d'excellents effets. Un inconvénient fut
il craindre, au dix-septième siècle : certaines cau-
ses, de nature mixte, pouvaient être déférées à des
congrégations différentes. Il fut décidé qu'on ne
doit porter un procès que devant une seule congre-
64 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
gation : en appel, si le pape permet ce recours, c'est
à ce même tribunal qu'il doit être déféré. Si, par sur-
prise, on obtenait un arrêt d'une autre congrégation,
Tarrét serait nul de droit.
II
LA DEFENSE DE LA FOI I LE SAINT-OFFICE, L INDEX,
LES ÉTUDES.
Parlant des consistoires secrets, j"ai mentionné la
congrégation de la Consistoriale; et parlant du car-
dinal-vicaire, celle de la Sagra Visfa (visite aposto-
lique). Ces deux congrégations ont le pape lui-même
pour préfet ; avec le Saint-Office, qui présente la même
singularité, elles sont les premières que mentionne
la Gemrchia, dans la liste générale des congrégations.
« La Sainte Inquisition Romaine et Universelle » :
ainsiFondésigneleSaint-Office. En 1542, Paulin char-
gea six cardinaux d'être « commissaires sur les affaires
de la foi, inquisiteurs généraux et généralissimes ».
Paul IV, en 1558, donna au Saint-Office sa forme ac-
tuelle ; Pie IV l'appelait, en 15G"2, la citadelle de la re-
ligion. Les progrès de la Réforme contraignaient
l'Église à une rigoureuse défensive, et le bras sécu-
lier, dans toutes nations catholiques et protestantes,
servait la religion d'État. Aujourd'hui les condamna-
tions du Saint-Office sont dépourvues de sanction
temporelle ; et c'est surtout par les campagnes offen-
sives de la Propagande que l'Église Romaine combat
les communions adverses. Néanmoins le Saint-Office
ne chôme pas. Ses consulteurs et ses qualificateurs
LA DEFENSE DE h\ I ()l. Q:,
apprécient les doctrines soupçonnées d'hérésie :
c'estainsi qu'en 1887 ils ont condamné quarante pro-
positions extraites des œuvres de Rosmini. L'examen
d'un livre n'est pas directement de leur ressort; il ap-
partient à l'Index. Juges des systèmes théologiquos
et philosophiques, ils peuvent condamner un écrit où
ces systèmes erronés seraient exposés ex jjrofesso, et
l'Index, alors, doit enregistrer l'arrêt; mais rarement
le Saint-Office descend à ces détails. Il se propose,
non de défendre la foi des fidèles contre des lec-
tures qu'il réputerait dangereuses, mais de défendre
l'Église enseignante contre le voisinage des spécu-
lations compromettantes ou l'assaut des négations.
Les révélations, les phénomènes démoniaques, les
questions de magie, sont aussi de son ressort : il sur-
veille les abords du monde surnaturel; c'est à ce titre
qu'il a condamné les visionnaires de Loigny. Avec la
police de l'orthodoxie et celle de la dévotion, il fait aussi
la police des mœurs. 11 accomplit, enfin, une menue
besogne absorbante pour sa bureaucratie : c'est cette
.ongrégation qui accorde, soit aux évêques soit aux
fidèles, les dispenses du jeûne et de l'abstinence; et
c'est elle, aussi, qui autorise les mariages mixtes.
Trois fois par semaine, dans le palais qu'elle occupe
lUX environs du Vatican, elle tient des réunions. Le
-samedi, c'est plutôt un simple congrcsso; l'assesseur
y préside ; ce prélat est le plus actif de la congréga-
tion ; il surveille la marche de toutes les afTaires et en
est le rapporteur auprès du pape ; le commissaire du
Saint-Office et son « premier compagnon », deux
l'rères Prêcheurs, spécialement chargés des procès,
<-ollai)orentavec l'assesseur. Ils déterminent les ques-
tions qu'on doit adresser aux consulteurs, celles
4.
66 LE GOm^lRNEMEM CENTRAL DE L ÉGLISE,
qu'on proposera directement aux cardinaux; ils ju-
gent d'eux-mêmes les requêtes peu importantes. Le
lundi, ils appellent autour d'eux les dix-sept autres
consulteurs : c'est une assemblée délibérative. Le mer-
credi, les neuf cardinaux de la congrégation — ils
résident tous à Rome — se réunissent; au début,
l'assesseur est seul avec eux; puis on introduit les
consulteurs; une seconde délibération s'engage, et
Ton arrête la décision qui sera soumise au pape. Si
l'affaire était très grave, on tiendrait une quatrième
séance, le jeudi, en présence du pape; mais le fait est
rare. Tous les mercredis soirs, l'assesseur a l'au-
dience de Sa Sainteté : il expose le travail des cardi-
naux; et les sentences, signées du notaire, sont ren-
dues au nom du pape. Quant aux communications
d'une portée générale, émanant de cette congréga-
tion, elles ont la signature du secrétaire, qui n'est
autre que le plus ancien cardinal du Saint-Office.
La congrégation de l'Index, aussi, se rattache, par
ses origines, à cette action défensive de l'Église ro-
maine, qui tint la Réforme en échec. Paul IV. avec le
concours du Saint-Office, avait dressé un premier
Index des livres défendus; sur la demande du concile
de Trente, Pie IV, en 1564, en lit publier un second.
Pie V, en l.oTi, créa une congrégation spéciale. Le
Frère Prêcheur qui en est le secrétaire remet à l'un
des vingt-neuf consulteurs le livre dénoncé ; celui-ci
fait un rapport, qu'on imprime. Sous la présidence
du secrétaire, une réunion préparatoire composée
de six consulteurs et du maître des Sacrés Palais,
Frère Prêcheur chargé jadis de l'approbation des li-
vres imprimés à Rome, donne un avis. Les cardinaux
de l'Index s'assemblent ensuite; ils délibèrent, en
LA DÉFENSE DE LA FOI. 67
premier lieu, si le livre est condamnable, en second
lieu, si la condamnation est opportune. Insulfisani-
ment éclairés, ils défèrent la cause à un nouvel exa-
men. Lorsque la décision leur paraît mûre, ou bien ils
acquittent le livre, ou bien ils le condamnent, tantôt
sans aucune restriction, et tantôt jusqu'à correction.
Toute condamnation est soumise par le secrétaire à
l'assentiment du pape.
La congrégation des Étudesfutcréée par Léon XII, en
18:2 i. 11 la préposait à l'enseignement dans les États
Romains. A cet égard, les circonstances politiques
ont réduit son activité : elle confère encore, aujour-
d'hui, au collège de la Minerve et à celui de TApolli-
naire, les pouvoirs nécessaires pour décerner les di-
plômes. Les candidats aux doctorats en théologie et
en droit canon fréquentent plus volontiers, pour la
première de ces sciences, le Collège Romain, dit
aussi Université Grégorienne, oîi professent les Jésui-
tes, et pour la seconde l'Apollinaire ; quant au collège
de la Minerve, consacré à l'étude de la Somme de
saint Thomas, il prépare des docteurs et des « mai -
très en saint Thomas ». La Congrégation desËtudes
a dans son ressort, aussi, les diverses universités
catholiques fondées à l'étranger : en décembre 1875,
les archevêques de Paris, Lyon, Toulouse, etl'évê-
(lue d'Angers, durent lui remettre les statuts de leurs
universités. Elle compte dix consulteurs dont deux
laïques : l'un d'eux était l'illustre commandeur de
Rossi.
A côté de cette congrégation, Léon XIII a créé, en
188.'i, une « commission cardinalice pour les études
historiques »; cette innovation se rattache à un en-
semble de mesures qui ont lait du Vatican un centre
68 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
scientifique : il en sera parlé dans la partie de cet
ouvrage consacrée à la bibliothèque du Vatican.
III
LA DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE. — CONGREGATION DES EVE-
QUES ET RÉGULIERS. — l' APPROBATION DES NOUVEAUX
INSTITUTS. — CONGRÉGATION SUR l'ÉTAT DES RÉGU-
LIERS. — LA RÉFORME DE LA VIE RELIGIEUSE. — CON-
GRÉGATION DU CONCILE.
La congrégation des Évèques et Réguliers date de
Sixte-Quint. Il créa, en 1586, une congrégation super
consultationibus regularium ; mais les différends entre
les évéques et les réguliers pouvaient être évoqués,
également, devant une congrégation super consulta-
tionibus episcoporum, précédemment instituée par
Grégoire XIII. Sixte-Quint, pour éviter des conflits
d'attributions, fondit les deux assemblées en une
seule. Ce n'est pas sans raison que la Gerarchia
nomme cette congrégation la première parmi celles
qui.ont un cardinal pour préfet. Elle mérite vraiment
cette préséance. Elle est la cour d'appel oîi continent
les causes ecclésiastiques de la chrétienté : sous la
direction du prélat secrétaire, une importante bu-
reaucratie prépare les dossiers des procès et expédie
les sentences. Les parties déposent de volumineux
mémoires; le cardinal ponent en prend connaissance;
il détermine la « concordance du doute », c'est-à-dire
le point précis sur lequel les plaideurs sont en désac-
cord; et les cardinaux prononcent. Le perdant peut,
en général, dans un délai de dix jours, en appeler à
la congrégation mieux informée, à moins qu'il ne
LA DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE. V.O
s'agisse cVune cause criminelle dans laquelle les
•cardinaux, auraient confirmé ou annulé la sentence
précédemment rendue par un tribunal épiscopal ;
dans ce dernier cas, le pape seul peut autoriser la
révision du procès. La congrégation des Évèques et
liéguliers exerce, en second lieu, des pouvoirs éten-
dus pour l'administration des diocèses : elle envoie
(les visiteurs apostoliques lorsque des enquêtes sont
urgentes, et des vicaires apostoliques lorsque la
maladie de l'évèque, ou bien, en cas de mort, l'ab-
sence de vicaires capitulaires, laissent le diocèse sans
gérant. Enfin toutes les institutions monastiques
relèvent de cette congrégation : et c'est une clientèle
que le dix-neuvième siècle a vue s'accroître, bien loin
quelle dépérisse. M. Taine a constaté ce phénomène
pour la France; partout il s'est produit, et la congré-
gation des Évèques et Réguliers n'a jamais été plus
occupée. Un grand nombre de petits instituts reli-
gieux se contentent de l'approbation épiscopale;
mais lorsqu'ils veulent faire agréer leurs statuts par
Rome, c'est à cette congrégation qu'ils s'adressent.
Klle procède avec lenteur. L'histoire antérieure de
l'institut, le sommaire de ses ressources, le texte
de ses constitutions, l'avis de l'autorité épiscopale,
doivent être transmis : il faut qu'un institut se soit
déjà essayé à la vie, avant de présenter une requête
à Rome. Un des prélats ou religieux consulteurs,
adjoints à la congrégation depuis 1834, et qui pré-
sentement sont trente-deux, examine ce dossier; il
propose un certain nombre de modifications aux
statuts de la fondation nouvelle. Les membres de la
tonsulte prélatice, créée par Léon XIII, font une
seconde révision. L'assemblée générale des cardi-
70 LE GOU^TR^'EME^T CENTRAL DE L'EGLISE.
naux discute. Si l'œuvre parait digne d'encourage-
ments, on décide l'envoi d'un bref d'éloge et d'un
certain nombre de remarques sur les statuts. Une
dizaine d'années après, 1 institut peut recommencer
d'être importun : il réclame, cette fois, une appro-
bation formelle. Si les autorités diocésaines témoi-
gnent en sa faveur, cette approbation est accordée.
Les statuts, néanmoins, ne sont pas encore réputés
définitifs; lévéque ne peut plus les modifier à son
gré; mais la congrégation adresse, à leur sujet, une
seconde série de remarques. Après un nouveau délai,
l'institut représente ses statuts. A ce troisième exa-
men, ils sont corrigés avec un surcroît de minutie;
et la congrégation les approuve, à titre d'essai, pour
quelques années. Ce laps de temps s'écoule ; elle les
reçoit et les examine une quatrième fois et leur ac-
corde, enfin, l'approbation définitive.
La congrégation de la Discipline régulière, insti-
tuée par Innocent X, en 1G49, sous le nom de Con-
grégation sur l'État des Réguliers, pour remettre
sous la juridiction des évèques d'Italie les instituts
religieux qui auraient moins de douze membres, et
plus tard chargée par Innocent XII de veiller à l'ob-
servation de la discipline régulière, était exposée à
de fréquents conflits d'attribution avec la congréga-
tion des Évèques et Réguliers; Grégoire XVI, en
1833. définit la compétence de ces deux assemblées.
Il semble qu elles tendent à se confondre ; elles ont
le même préfet, le même prélat pro-secrétaire ; dans
l'une et l'autre, enfin, les membres actifs, c'est-à-dire
les cardinaux domiciliés à Rome, sont les mêmes.
On lit dans la Gerarchia cette autre mention :
« Sur l'État des Réguliers. La présidence de cette
LA DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE. 71
congrégation est provisoirement retenue par Sa Sain-
teté ». Suit le nom du pro-secrétaire : il est le même
({ue celui des Évèques et Réguliers. Cette congréga-
tion créée par Pie IX en 184G eut un rôle important
dans la résurrection de la vie religieuse au dix-neu-
vième siècle; elle élabora les documents de lSi8,
IS,")!, 18o2 et 1857, par lesquels Pie IX, moins sou-
cieux du grand nombre des recrues monastiques
tjue de leur bon aloi, assura la dignité des novices,
la rigoureuse observation des règles, la maturité des
vocations.
La congrégation du Concile, comme le Saint-Office
.t l'Index, fut créée au seizième siècle par la contre-
réforme catholique. Les décrets de Trente formaient
un catéchisme et un code, aboutissement de la tra-
dition catholique. Pie IV, en V'AM, chargea huit car-
dinaux daviser à l'observation de ces décrets. Il ne
leur laissait qu'un rôle de surveillants : quant aux
doutes qui pourraient surgir sur le sens ou la portée
d'un décret, le pape seul les pourrait dissiper. Dé-
fense était faite à tous théologiens, de bonne ou ma-
ligne volonté, de risquer des commentaires; le pape
seul demeurait linterprète légitime du concile de
Trente. Mais Sixte-Quint, en 1587, assigna pour
besogne à la congrégation du Concile d'interpréter
les décrets disciplinaires de Trente; quant aux cha-
pitres dogmatiques, il les réservait à la décision du
pape. Dès ce moment, la congrégation du Concile
(hivint l'arbitre de la discipline ecclésiastique. Chaque
année depuis 1718, elle imprime ses arrêts en un
volume, sous le titre : >• Trésor des résolutions de la
Sacrée Congrégation du Concile » ; cette collection
<'sl un arsenal pour les canonisles.
7L' LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L ÉGLISE.
La congrégation du Concile est un bureau de per-
missions : c'est d'elle que les évèques et clercs re-
quièrent certaines faveurs incompatibles avec la lettre
des canons. Elle est, surtout, un tribunal occupé :
les causes jugées en premier ressort par les tribu-
naux épiscopaux, et dont la solution diffère suivant
rinterprétation qu'on donne aux décrets de Trente,
lui sont transmises. Les demandes d'annulation de
mariage sont aussi de son domaine. Une étude préli-
minaire des questions est entreprise par les jeunes ec-
clésiastiques qui font partie du Studio : la mémoire
encore fraîche du droit qu'ils viennent d'apprendre, ils
s'escriment, sous la direction du secrétaire du Concile
ou de son auditeur, contre les difficultés que la Con-
grégation devra trancher; ils les éclairent en même
temps qu'ils s'éclairent eux-mêmes ; après quatre ans
d'apprentissage, ils peuvent, à titre d'avocats, sou-
mettre aux congrégations des plaidoiries écrites. Une
fois par mois, les cardinaux de la congrégation du Con-
cile se réunissent. Dix jours avant la séance, ils ont
reçu communication du dossier, formé par le prélat
secrétaire : ce dossier comprend, avec les mémoires
des avocats, les pièces initiales des procès. La congré-
gation rend la sentence, qui est soumise au pape.
Depuis le seizième siècle, l'importance de la con-
grégation du Concile a grandi : Benoit XI Y en 17 40,
Pie IX en 1849, l'enrichirent d'organes nouveaux. Les
évêques lui doivent adresser des relations sur l'état
de leurs diocèses : beaucoup ne mentionnent que
des difficultés secondaires: quelques-unes seulement
soulèvent de graves questions. Depuis 1740, un cer-
tain nombre de prélats, sous la direction du pré-
fet du Concile, font un tri : ils élaborent eux-mêmes
LA DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE. - 73
la réponse qu'il convient de faire aux premières, et
qui sera directement adressée par le préfet; ils réser-
vent les secondes à l'examen de la congrégation.
Cette commission, qui prépare efficacement le tra-
vail, comprend neuf prélats.
Les conciles provinciaux ne doivent publier leurs
décrets qu'après les corrections et l'approbation du
Saint-Siège. C'est à la congrégation du Concile qu'é-
tait confié, jusqu'en 1849, l'examen de ces décrets.
Depuis Pie IX existe une « Congrégation spéciale
pour la révision des conciles provinciaux »; elle a le
même préfet et le même secrétaire que celle du Con-
cile. Dix prélats et quatorze réguliers y sont adjoints
comme consulteurs ; pour la besogne de contrôle
législatif dont elle est chargée, le zèle des jeunes
membres du Studio, surtout rompus à la chicane,
ne suffirait point.
On lit dans la Gerarchia : « Immunité Ecclésias-
tique. Par disposition de Sa Sainteté, cette congré-
gation est unie provisoirement à celle du Concile ».
Elle fut établie par Urbain VIII, en 1022; les privi-
lèges des clercs, les questions concernant la compé-
tence des tribunaux ecclésiastiques, les conflits entre
les juridictions temporelles et spirituelles étaient de
son ressort. Chez les peuples catholiques, ces immu-
nités sont en général supprimées ou réduites par les
concordats; chez les autres, elles ne sont point re-
connues : ainsi s'explique la décadence de la congré-
gation de l'Immunité.
Deux autres congrégations sont préposées à la Ré-
sidence des évéques et à l'Examen des évêques : par-
lant précédemment du cardinal-vicaire et de la pré-
conisalion en consistoire, nous avons indiqué ce que
LE VATICAN. — II. 5
74 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
sont ces deux congrégations — ou plutôt ce qu'elles
furent.
IV
LA CONGREGATION DES RITES : COMMENT L EGLISE DÉCLARE
LES VÉNÉRABLES, LES BIENHEUREUX, LES SAINTS. — LA
CONGRÉGATION DES INDULGENCES ET RELIQUES. — LES
INSIGNES BASILIQUES DE SAINT-PIERRE ET DE LORETTE.
« Les rites sacrés et les cérémonies dont l'Église,
instruite par l'Esprit-Saint, fait usage, contiennent
un enseignement élevé pour le peuple de Dieu, ren-
ferment une profession de la vraie foi, expriment la
majesté des choses saintes, élèventl'esprit des fidèles
à la méditation des mystères de la religion, et allu-
ment en eux le feu de la dévotion. Nous avons choisi
cinq cardinaux, qui devront s'occuper principale-
ment de faire observer avec exactitude les rites
sacrés ». Ainsi écrivait Sixte-Quint, en 1587. La con-
grégation des Rites s'est singulièrement développée ;
la Gerarchia de 1901 lui assigne trente et un cardinaux,
dont dix-sept demeurant à Rome ; l'un de ces cardi-
naux en est le préfet; un prélat en est le secrétaire.
Les auxiliaires se rangent en deux catégories : les uns,
choisis par le pape pour exercer cette fonction, por-
tent le titre de consulteurs; ils sont dix-huit, dont
deux prélats et seize religieux ; les autres, en vertu des
fonctions qu'ils exercent dans l'Église, participent de
droit aux travaux de la congrégation ; ils portent le
titre de prelati officiali; ce sont le doyen et les deux
plus anciens auditeurs du tribunal de la rote, le maître
L\ CONGREGATION DES RITES. 75
des Sacrés Palais, le sacriste du pape, le secrétaire
de la Cérémoniale, et un protonotaire apostolique
spécialement attaché aux rites. Les autres auditeurs
de rote, dont Toccupation de Rome a supprimé la
juridiction, et les prélats maîtres des cérémonies
pontificales, sont également appelés à aider la con-
grégation des Rites. Elle possède des scribes, un
archiviste avec coadjuteur, et un substitut du secré-
taire, également doublé d'un coadjuteur. On y trouve,
enfin, trois personnages qu'on chercherait en vain
dans les autres congrégations : Thymnographe, le
promoteur de la foi, l'assesseur et sous-promoteur de
la foi; nous expliquerons leurs fonctions.
La congrégation des Rites examine le texte des
prières liturgiques : le bréviaire, le missel, les offices
en l'honneur d'un saint, les hymnes sont révisés
par ses soins; c'est pour cette dernière besogne
qu'elle a besoin d'un métricien, le prélat hymno-
graphe. Vin de la messe, cire des cierges, il n'est
aucun détail dont elle dédaigne de s'occuper. Elle
veille au bon aloi des chants liturgiques, à la sévé-
rité de la musique religieuse; en 189t, même, elle a
publié à ce sujet un décret et des instructions spé-
ciales. Elle apprécie et peut condamner les représen-
tations pieuses qu'introduisent l'imagerie et la sta-
tuaire. Elle autorise les dérogations ù la liturgie :
c'est à elle qu'un prêtre recourt, par exemple, pour
célébrer la messe avant l'aurore, ou pour dire dès
minuit, le jour de Noël, les trois messes prescrites.
Enfin elle déclare les saints.
Avant Alexandre III, le privilège des canonisations
n'était pas réservé au Saint-Siège; en Uri.'J, cncoïc,
Gautier de Ponloisc était élevé aux honneurs du culte
76 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE LÉGLISE.
par Tarchevêque de Rouen. Urbain VIII au dix-sep-
tième siècle, Benoît XIV au dix-huitième, furent les
grands législateurs des canonisations.
Un chrétien meurt avec une réputation d'éminente
sainteté. Lorsque la piété publique, après quelques
années, entretient cette réputation, Tévêque ouvre
un procès sur la vie édifiante qui a laissé de tels sou-
venirs. Il constitue un tribunal, convoque des té-
moins, forme un dossier, le signe, le scelle, et l'a-
dresse à Rome. Auprès de la congrégation des Rites,
il s"assure le concours de deux personnages : un
postulateur, généralement ecclésiastique, qui sur-
veillera et pressera la marche du procès; un avocat,
souvent laïque, qui rédigera les mémoires néces-
saires pour les diverses phases.
La congrégation des Rites, par un premier décret,
autorise l'ouverture du pli scellé qu'a envoyé l'évè-
que. On commence par faire une copie du dossier,
traduit en italien. L'avocat, ensuite, fait les premiers
pas : il rédige une vie du saint personnage, un som-
maire de ses vertus, un résumé de l'enquête épisco-
pale, il rassemble les lettres qui réclament sa ca-
nonisation : le travail, qui forme souvent un gros
volume, est remis au prélat promoteur de la foi. Ce-
lui-ci remplit les fonctions de ministère public; avec
laide du prélat sous-promoleur, il épluche minu-
tieusement le sommaire remis par l'avocat; il cri-
tique les vertus du personnage, en conteste l'excep-
tionnelle éminence; ce réquisitoire forme à son tour
un gros volume. L'avocat réplique, plaide pour les
vertus attaquées, nie le bon aloi des arguments
invoqués; certaines causes sont l'occasion de litiges
historiques. Le promoteur de la foi peut de nouveau
LA CONGREGATION DES RITES. 77
répondre; s'il le juge inutile, la partie préparatoire
du procès est terminée. Aux sérieux travaux du
promoteur et de l'avocat, on joint, s'il y a lieu, le
rapport d'un consulteur sur les écrits du personnage.
La congrégation se réunit en assemblée générale ;
<^lle décide s'il faut introduire la cause du serviteur
de Dieu. Dix ans au moins doivent s'être écoulés de-
puis l'ouverture du procès. La décision est approuvée
par le pape; si elle est favorable, le candidat à la
sainteté a droit au titre de Vénérable : la première
étape est parcourue. Jeanne d'Arc, en 1894, est de-
venue Vénérable.
Alors commencent les procès apostoliques. On re-
cherche, dans le premier procès, si le candidat à la
sainteté n'a pas été, jusque-là, l'objet d'un culte pu-
Ijlic; par là, sa cause serait compromise; ce culte
public prématuré apparaîtrait au Saint-Siège comme
une usurpation commise par les fidèles. Le promo-
teur de la foi élève des objections ; et le procès de non
cultu est tranché par la congrégation. Le second
procès porte « sur la renommée du saint », super
famam sancAitaiis ; il soulève une nouvelle discussion
générale, dans laquelle s'escriment à nouveau le pro-
moteur et l'avocat. Lorsque la congrégation se juge
éclairée, elle arrive à deux procès plus détaillés ; il
faut, à ce moment, que cinquante ans au moins aient
passé depuis la mort du saint; pour les martyrs
seuls, on apporte parfois des atténuations à ces ri-
gueurs. Le premier de ces procès a trait aux vertus;
on en examine le degré d'héroïcité. L'autre a trait
aux deux miracles que la congrégation des Rites
juge nécessaires pour une béatification; l'authenti-
cité, la réalité, la portée, en sont critiquées. Les clii-
78 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
canes du promoteur de la foi peuvent ralentir ces
examens, ou même les arrêter. Quand ils parais-
sent toucher à leur terme, les vertus sont étudiées
dans trois congrégations : la première, dite antépré-
paratoire, se tient chez le cardinal rapporteur de la
cause ; elle ne comprend que les consulteurs et les
auditeurs de rote; la seconde, dite préparatoire, réu-
nit tous les cardinaux des Rites, en présence des-
quels les consulteurs apportent leur vote ; la troi-
sième, dite générale, se tient devant le pape; il
entend les votes des consulteurs, ceux des cardinaux,
et se réserve de publier, au bout de quelques jours,
le décret constatant l'héroïcité des vertus. Pour les
miracles, de même, ces trois congrégations se succè-
dent; et le pape les couronne, s'il y a lieu, par un
décret affirmant que les deux miracles témoignent
la puissance du serviteur de Dieu. Une dernière con-
grégation générale se réunit; elle est dite congré-
gation de tiilo. « Peut-on sûrement procéder à la
béatification? An tiito procedi possit ad beaiifica-
tionem? » Telle est la question. Une dernière fois, le
pape recueille les avis. A ce moment, ils sont natu-
rellement favorables; un bref pontifical, peu de jours
après, annonce la béatification. De Vénérable, le
personnage devient Bienheureux. Au jour fixé pour
la cérémonie, dans la Loggia, qui domine la façade
de Saint-Pierre, toute la congrégation des Rites se
réunit. Avant la messe, le secrétaire de la congréga-
tion lit le décret pontifical. Immédiatement, au-
dessus de l'autel, le portrait du saint, que jusque-là
cachait un voile, est découvert ; et le nouveau Bien-
heureux apparaît dans une gloire. L'après-midi, le
pape se rend à la Loggia pour le vénérer officielle-
LA CONGRÉGATION DES RITES. .79
nient. Jadis ces cérémonies se passaient à Saint-
Pierre; et la canonisation de Jean-Baptiste de la Salle
a été célébrée dans cette basilique en 1900.
Le postulateur, après la béatification, apprend-il
des miracles nouveaux : aussitôt il demande à la con-
grégation de reprendre TaHaire. L'avocat et le pro-
moteur font l'étude de ces miracles. Si le premier
l'emporte, le pape, sur le rapport de la congrégation
des Rites, déclare par décret qu'il y a lieu de con-
duire la cause jusqu'à la canonisation. Il réunit alors
trois consistoires : dans le premier, qui est secret,
il recueille l'avis de tous les cardinaux; dans le
second, qui est public, l'avocat expose, en présence
du pape, des cardinaux, d'archevêques et d'évêques,
les titres du saint à la canonisation; dans le troi-
sième, semi-public, les cardinaux, archevêques, évê-
ques, donnent une dernière fois leurs suffrages. Peu
de jours après, à Saint-Pierre, le pape chante ponti-
ficalement la messe et lit lui-même, à l'évangile, la
bulle de canonisation. Le Bienheureux est devenu
Saint; le culte qui lui est décerné oblige désormais
le monde entier.
La congrégation de la Cérémoniale est, en quelque
mesure, une annexe des Rites. Présidée par le doyen
du Sacré Collège, ayant pour consulteurs les maî-
tres des cérémonies pontificales, elle fixe les détails
du costume ecclésiastique et tranche les questions
de préséance ou d'étiquette. Les Rites règlent le for-
malisme des cérémonies liturgiques; les solennités
d'apparat, qui ne sont point des actes religieux par
essence, sont du domaine de la Cérémoniale; c'est
elle, par exemple, qui donne les instructions aux
ablégats et aux gardes-nobles dépêchés aux nou-
80 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
veaux cardinaux. Elle fut créée par Grégoire XIII en
1572.
Une autre congrégation intéresse la piété des
fidèles : c'est celle des Indulgences et Reliques. Elle
résout toutes les difficultés au sujet des indulgences;
elle évince les fausses reliques, signale les fausses
indulgences ; elle expédie les faveurs spirituelles que
souhaitent les évêques et les clercs, soit directement,
soit par la secrétairerie des Brefs.
La congrégation de la « Révérende Fabrique de
Saint-Pierre », fondée par Clément VIII en 1592,
conserve l'administration de la basilique. Son pré-
fet est Tarchiprètre de Saint-Pierre; depuis 1894, le
cardinal Rampolla a cette charge. L'économe de la
basilique en est le secrétaire. Elle est pourvue d'une
secrétairerie ecclésiastique, dune section adminis-
trative qui veille au budget, d'une section légale qui
tranche les questions contentieuses, enfin d'un office
technique de quatre architectes, qui prennent soin
de. l'édifice. Le prélat secrétaire est le président de
la fabrique de mosaïque (Studio del musaico), instal-
lée dans l'enceinte du Vatican, et qui exécute, pour
les diverses églises, des copies en mosaïques des
tableaux célèbres. Avant 1870, la Révérende Fabri-
que surveillait l'exécution des legs pieux dans les
États Romains; aujourd'hui encore, elle accorde aux
églises ou aux clercs les permissions nécessaires
pour déroger, en certains détails, aux clauses accom-
pagnant les créations temporaires ou perpétuelles de
messes, ou autres fondations pieuses faites par tes-
tament.
De droit, à titre de secrétaire d'État, le cardinal
Rampolla est préfet de la congrégation dite « Laure-
LA CONGRÉGATION' DES RITES. , 81
tana », préposée par Innocent XII à la basilique de
Lorelle. Elle a perdu, depuis roccupation de cette
ville par les troupes italiennes, l'administration du
sanctuaire; elle maintient seulement la juridiction
spirituelle du Saint-Siège sur la Sanla Casa, c'est-
à-dire sur la maison miraculeuse, conservée dans la
basilique, et sur un espace de deux mètres tout au-
tour; le reste de Téglise, comme l'ensemble du dio-
cèse, relève de Tévèque de Lorette.
CHAPITRE IV
Les communications du pape
avec le monde chrétien.
La bulle, le bref, la simple lettre, telles sont les
trois formes que revêt l'expression publique de la pen-
sée pontificale. La bulle émane de la chancellerie ; le
bref, de la secrétairerie des Brefs ou de la Daterie, et
les faveurs attestées par Tun ou l'autre de ces actes
sont souvent obtenues du pape par cette dernière
administration; la simple lettre enfin est rédigée, sur
les ordres du pape, par les secrétaireries d'État, des
Brefs aux princes ou des lettres latines.
I
LES BULLES : COMMENT ON LES SCELLE; COMMENT ON LES
ÉCRIT. — LES HABITUDES DE LA DIPLOMATIQUE PONTIFI-
CALE.
La plus ancienne forme de lettre pontificale est la
bulle. Elle emprunte ce nom au sceau de plomb,
huila, qui en marque l'authenticité. Voici comment
on appose ce sceau : dans une sphère de plomb, per-
LES BULLES. ^3
cée de part en part d'un trou, on introduit des atta-
ches; elles ont été passées, auparavant, dans deux
trous ménagés à la partie inférieure du parchemin;
on prend une pince, qui porte, au bout de ses deux
branches, deux matrices gravées en creux; avec
cette pince on aplatit la sphère de plomb; ses deux
faces reçoivent les deux empreintes ; le sceau est
obtenu.
Du septième siècle au milieu du neuvième, le sceau
portait, au droit, le nom du pape, disposé d'abord
en lignes horizontales, puis en cercle; au revers le
titre même de pape. Pascal II, au début du douzième
siècle, introduisit un type nouveau : au droit les
tètes des saints Pierre et Paul, séparées par une
croix; les poils de la barbe et les cheveux sont mar-
qués par des traits sur la tète de Paul, par des points
sur celle de Pierre ; leurs auréoles sont indiquées
par des cordons de points, et souvent une dernière
circonférence pointillée entoure l'ensemble; au re-
vers, le nom du pape, son titre, son numéro d'or-
dre. « Faute d'un point Martin perdit son âne », dit
le proverbe. Si le bienheureux Pierre, au treizième
siècle, sur le sceau qui fermait la bulle, n'avait pas
vingt-cinq points en guise de cheveux et vingt-huit
en guise de barbe, et les deux cercles soixante-treize
et soixante-quinze points, c'en était fait de la faveur
accordée par la bulle. Le type créé par Pascal II fut
embelli par Sixte IV au quinzième siècle et ramené
par Pie VII à sa forme archaïque. Léon XIII, par un
Molu proprio du 29 décembre 1878, en a réservé
l'usage pour les bulles relatives à des évèchés et pour
les actes solennels du Saint-Siège; les autres bulles,
spécialement celles qui concernent des dispenses de
84 LE gouverneme:<t central de L'église.
mariage, sont authentiquées, désormais, par un tim-
bre à Fencre rouge représentant les têtes des apôtres
et portant en légende le nom du pape. La nécessité
d'accommoder les bulles aux exigences des transports
postaux devait entraîner cette disgrâce du tradition-
nel sceau de plomb.
Les bulles furent toujours de très grande dimen-
sion ; elles mesurent, aujourd'hui, soixante-dix centi-
mètres de large sur cinquante de hauteur ; au moyen
âge, certaines atteignirent six mètres cinquante.
On employa le papyrus, fragile et coûteux, jusqu'au
onzième siècle; ensuite le parchemin.
Clément VIII, à la fin du seizième siècle, adopta
pour les bulles une écriture spéciale, fort laide à la
vue, illisible aux profanes; composée de pleins
énormes et de déliés extrêmement fins, elle offrait,
par surcroît, un système d'abréviations nouvelles et
compliqués ; on l'appelait littera sancti Pétri ou bolla-
tica. La chancellerie romaine devait joindre aux do-
cuments ainsi transcrits une copie en écriture ordi-
naire, qu'on appelait transsumpfum. Léon XIII, par
le Motu proprio de 1878, ordonna de substituer à
cette écriture le caractère latin ordinaire.
La teneur des bulles fut elle-même assujettie, dans
le cours des siècles, à certaines lois formelles. A par-
tir du neuvième siècle, la suscription de la bulle
est invariablement : N... episcopus servus servorum
Dei; cette formule, que saint Grégoire le Grand avait
employée le premier, était suivie de l'adresse. Régu-
lièrement, à partir de Léon IX, pape en 1048, on
écrivait ensuite, pour commencer la bulle, la men-
tion i??jjer/?e/uu?n, si l'effet de cet acte devait être per-
pétuel, et les mots salutem et apostolicam benedic-
LES BULLES. -85
tionem, si Tacte était un document de circonstance.
C'est ainsi qu'est rédigé le début d'une bulle, encore
aujourd'hui. Le protocole final ne se fixa qu'après un
certain nombre d'incertitudes, et demeura toujours
compliqué. Adrien I", pape de 77:2 à 795, fit suivre
les bulles d'une double date : Tune, sommaire, était
de la main du « notaire et scriniaire » qui avait écrit
la pièce; l'autre, plus développée, était apposée
par un fonctionnaire supérieur de la chancellerie,
qui fut la plupart du temps le bibliothécaire du Saint-
Siège. A côté de ces deux dates, le salut final volon-
tiers employé dans les documents du moyen âge :
Bene valete, « portez-vous bien » , était ajouté sur
l'ordre du pape, parfois même de sa main. Cet usage
fut constant aux neuvième et dixième siècles. L'ha-
bitude des deux dates disparut dans les bulles de
l'âge postérieur; mais on y multiplia, en revanche,
dès le temps de Léon IX, les signes d'authenticité.
Le hene valete, apposé à droite de l'acte, dans le
bas, prit la forme d'un monogramme, accompagné
d'abord de trois points et d'une virgule gigantesque
appelée Komma, et dépourvu de cet appendice après
le pontificat de Grégoire VII. En regard, à gauche,
apparut un signe nouveau, la rota; après quelques
variations, la forme, dès les premières années du
douzième siècle, en fut définitivement arrêtée; elle
consistait en deux circonférences concentriques;
entre les deux était disposée en cercle la devise du
pape; une petite croix, souvent tracée par la main
même du pontife, précédait cette devise; la circon-
férence intérieure était divisée par une croix en quatre
segments : dans les deux segments supérieurs se trou-
vaient les noms des apùtres Pierre et Paul, et dans
se, LE GOUNTRNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
les deux segments inférieurs le nom, le titre et le
rang du pape.
Entre la rota et le bene valete, la suscription du
pape prenait place : « Ego N. eatholicse ecclesia; epis-
copus S S. » : ces deux dernières lettres, abréviation
du mot suhscripsi, étaient tracées de la main du pape.
Au-dessous étaient alignées, sur trois colonnes, les
suscriptions des cardinaux présents au consistoire
où l'on avait approuvé la bulle ; à gauche, celles des
cardinaux-prêtres ; à droite, celles des cardinaux-
diacres ; au milieu, sous la suscription du pape, celles
des cardinaux-évêques. Mais Urbain II, en même
temps qu'il fixait ainsi les grandes bulles, créait le
type des petites bulles, beaucoup plus simples, dé-
pourvues de suscriptions, de la rota et du bene vo-
leté. Avec le temps, ces dernières prédominèrent, on
prit l'invariable habitude de les dater de l'année de
l'Incarnation et de les authentiquer par les nombreu-
ses signatures des employés de la chancellerie; et la
forme solennelle de la grande bulle fut réservée pour
certaines circonstances exceptionnelles.
II
LES QUATRE FAÇONS D EXPEDIER UNE BULLE. — LE CAR-
DINAL VICE-CHANCELIER ET SOMMISTE. — LE RÉGENT. —
LE SOUS-SOMSnSTE. — LES ABRÉVIATEURS DU PARC MA-
JEUR. — l'aBRÉMATEUR DE CURIE. — LA GARDE DU
PLOMB. — LE PLOMBEUR.
Les bulles de Léon XIII peuvent emprunter quatre
voies diverses, qu'on appelle voie de chancellerie,
voie de la Chambre apostolique, voie secrète et voie
LES QUATRE FAÇONS D'EXPÉDIER ITSE BULLE. 87
de curie; mais le sceau de plomb ou l'empreinte
k l'encre rouge est un signe essentiel, que toutes doi-
vent porter; et c'est à la Chancellerie qu'elles en .
sont revêtues. A la tête est un cardinal. Il habite le pa-
lais de la Chancellerie, dont une aile est formée par
la basilique de Saint-Laurent in Damaso; cette basi-
lique devient un titre presbytéral ou une diaconie,
suivant que le cardinal appartient à l'ordre des prê-
tres ou des diacres. 11 porte le titre de « vice-chan-
celier et sommiste ». Cette double épithète n'est pas
une redondance; elle désigne deux offices fort dis-
tincts réunis en 1090 par le pape Alexandre VIII, et
conférés par deux bulles, dont l'une nomme le vice-
chancelier, et dont l'autre désigne le sommiste. La
première de ces fonctions est attribuée à un cardinal
depuis Boniface VIII, la seconde depuis Pie V. La
mission du vice-chancelier est de présider à la con-
fection des bulles qui doivent être expédiées par
voie de chancellerie; il les signe ou les fait signer
en son nom; il prépare les décrets que le pape pu-
bliera au consistoire. La mission du sommiste est
de présider à la confection des bulles qui doivent
être expédiées per via di caméra (par la voie de la
Chambre apostolique).
A titre de vice-chancelier, le cardinal est assisté
par un prélat appelé Régent et par le collège des abré-
viateurs. Ceux-ci préparent un brouillon de bulle, il
est présenté au pape, qui le signe. La minute, retour-
née à la chancellerie, est confiée aux écrivains apos-
toliques. La copie qu'ils en font est vérifiée par le
régent; il trace dans un angle les deux lettres L. C.
lleclum, correcliun), attestant qu'il a fait ce travail; et
il inscrit la première lettre du nom du vice-chance-
88 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
lier; au-dessous, les abréviateurs signent. Jadis, fort
nombreux, ils étaient répartis en deux collèges : ils
se réunissaient dans deux enceintes dites Parc Mi-
neur. Ce dernier collège subsiste seul; il comprend
deux prélats titulaires, qu'on appelle prelati di nu-
méro, et treize prélats surnuméraires, enfin un secré-
taire, six substituts et un substitut surnuméraire,
qui sont laïques.
A titre de sommiste, le cardinal est assisté d'un
ecclésiastique, le sous-sommiste, et d'un laïque ap-
pelé « substitut du sommistat ». Sous sa direction, ils
rédigent les minutes des bulles qui seront expédiées
par la voie de la Chambre apostolique. Le cardinal
sommiste, ou le sous-sommiste, à son défaut, les si-
gnent. Ces bulles ne passent pas entre les mains des
abréviateurs, parce que leur rédaction échappe aux
étroites et multiples règles de la chancellerie. C'est
Paul III, en 1545, qui détermina les cas où l'on pou-
vait simplifier le formalisme en employant la Via di
caméra au lieu de la Via di cancelleria. Entre ces deux
services, une concurrence s'éleva; pour y mettre fin,
Alexandre VIII réunit la direction aux mains d'un seul
et même cardinal.
La Lia di cancelleria comportait à la fois beaucoup
de formalisme et beaucoup de frais; la Via di caniera
réduisait le formalisme et maintenait les frais; Pie V,
en 1570, organisa l'expédition gratuite de certaines
bulles, par la Via segreta. Sur l'avis de la Daterie,
l'office du sommiste prépare la bulle. L'acte est copié
par le « scrittore délie Bolle di via segreta », attaché
à la Daterie. Les signatures du sommiste, du proda-
taire, du secrétaire des Brefs en attestent l'authenticité.
Enfin Clément XII, en 1735, créa, pour l'expédition
LES QUATRE FAÇONS D'EXPEDIER UNE BULLE. vi
des bulles, la Via di curia. Les bulles qui prennent
cette route sont les plus importantes pour rensemble
de la chrétienté : lorsque le pape condamne une hé-
résie, ratifie un concordat, annonce un concile, publie
im jubilé, canonise un saint, érige une université,
c'est par la Via di curia qu'il transmet sa volonté.
Une bulle expédiée par les autres voies demeure, si
Ton ose dire, un document bureaucratique; une bulle
expédiée par la Via di curia présente souvent quel-
que chose de personnel et d'exceptionnel tout ensem-
ble. L'acte par lequel Léon XIII éleva Févèché de
Pérouse au rang d'archevêché fut publié par cette
voie. Lorsque le pape emprunte ce mode d'expédition,
le décret est transmis à un prélat dépendant du pro-
dataire, et qu'on appelle Ahbrcviatorc di curia. En
vertu de ce décret, ce prélat fait une minute de la
bulle. Le pape signe cette minute : Fiai, « ainsi soit
fait », en ajoutant la première lettre de son nom. Le
« scrittore délie Bolle di via segreta )>, ci-dessus
mentionné, écrit aussi, sous la surveillance del'abré-
viateur, les bulles expédiées par la Via di curia.
Voici les dernières lignes de la constitution de
Léon XIII sur l'ordre bénédictin en Angleterre (1890) :
A. CARI). BIAXCHI PRO DAT
M. CARD. LEDOCIIOWSKI
VISA
DE CVRIA 1. DEAQVILA E. VICE COMITIBVS
I. CVGNONIVS.
Loco -\- Plumbi
Rc(j. in Secret. Brevium
Ces signatures retracent l'histoire même delà bulle.
Dès qu'elle est écrite, le prodataire et le secrétaire
90 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
des Brefs (ces dernières fonctions étaient remplies,
en 1890. par le cardinal Ledochowski) apposent leurs
suscriptions. L'abréviateur de curie ajoute la sienne,
en la faisant précéder des mots : visa de curia. Il
s'appelle M^'" Giuseppe dell' Aquila Visconti ; son nom
latinisé, devient Josephus (abrégé en I.) de Aquila
e vice comitibus. Il envoie la bulle à la chancellerie,
afin qu'on y appose, à l'endroit marqué, le sceau de
plomb ou l'empreinte : Loco plumbi, puis à la secré-
tairerie des Brefs, pour qu'elle y soit enregistrée. La
signature /. Cuynonius atteste cet enregistrement.
Dans les bulles de canonisation, qui empruntent
cette dernière voie, les suscriptions du pape et des
cardinaux de curie précèdent ces signatures; outre le
sceau de la chancellerie, on y appose, sous la suscrip-
tion du pape, un autre cachet circulaire sur parche-
min, reproduit ci-contre. Ces bulles sont les seules
que le pape signe de sa propre main; pour toutes les
autres, il se borne à signer la minute; mais en l'hon-
neur des saints il assume un surcroit de besogne.
Le sceau de la chancellerie, ou l'empreinte à l'encre
rouge dont Léon XIII a introduit l'usage, sont néces-
saires à toute bulle, par quelque voie qu'elle soit ex-
pédiée; par définition, une bulle est donnée sub
plumbo. Le plomb se conservait jadis au Vatican; il
est, depuis Pie VI, au palais de la Chancellerie, et
(( le Dépositaire général du plomb », qui en a la
garde, est un important personnage; on l'appelle le
pape des employés. Il est assisté d'un coadjuteur,
qui est un successeur présomptif. Jadis, il avait sous
ses ordres, pour apposer les sceaux, des Cisterciens,
les fratelli piombatori ; un laïque, aujourd'hui, détient
cet emploi.
LES BREFS. 9i
III
LES BREFS. — L ANNEAU DU PECHEUR. — LA SECRETAIRERIE
DES BREFS. — FAVEURS QU'eLLE PEUT PROCURER. —
LA DATERIE. — ALLER ET RETOUR DUNE SUPPLIQUE.
Entre un bref et une bulle, les différences sont
saillantes. Le bref est sur vélin, la bulle sur parche-
min, et c'est seulement depuis Léon \III que l'écri-
ture est la même, de part et d'autre. Le bref est daté
d'après notre calendrier: la bulle est datée d'après
le calendrier latin, par calendes, par nones et par
ides, et les mots : a)n}o Incarnationis domxmcx, y
précèdent l'indication de l'année. En tète du bref, le
pape se nomme : Léo papa ; en tète de la bulle : Léo
epxscopus, servus servorum Dei. Les inscriptions d'un
bref sont singulièrement moins compliquées que
celles d'une bulle. Enfin la bulle est cachetée du sceau
de plomb ou d'une empreinte y ressemblant; l'an-
neau du pécheur, au contraire, scelle le bref, et dans
la clause finale s'insère régulièrement la mention :
sut) anvlo piscatoris. Cette difl'érence est capitale.
C'est depuis le quinzième siècle que les brefs se
sont multipliés; ils sont aujourd'hui le grand moyen
de correspondance pour les affaires politiques ou de
discipline ecclésiastique. Indifféremment, dans bien
des cas, le Saint-Siège peut employer la forme du
t)ref ou celle de la bulle ; c'est par un bref que Pie IX,
en IHoO, rétablit la liiérarcliie épiscopale en Angle-
terre; c'est par une bulle quf Léon XIII, en 1878, la
rétablit en Ecosse. Et la Compagnie de Jé.sus, insti-
92 LE GOUVER>'EMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
tuée par une bulle de Paul III, supprimée par un
bref en 1773, fut rétablie par bulle en 1818.
L' « anneau du pêcheur » représente, dans un car-
touche de forme circulaire, Tapôtre Pierre assis dans
une barque et lançant ses filets; autour de cette
image est inscrit le nom du pape. L'original de ce
sceau est à la garde du maître de chambre et le pape
porte à son doigt, fixée sur une bague d'or, une pla-
que où cette empreinte est fixée. On cachetait les
brefs, jadis, d"un sceau de cire rouge à cette effigie;
ce sceau était plaqué, soit au bas, soit au revers du
vélin, et entouré d'un tortil de parchemin, qui le
protégeait. Grégoire XYI, en 184:^, y a substitué un
timbre à l'encre rouge, reproduisant la même image;
il est déposé à la secrétairerie des Brefs. La signa-
ture du cardinal secrétaire des Brefs ou de son subs-
titut suffit, avec le sceau du pécheur, pour attester le
bon aloi du document.
Un cardinal secrétaire et un prélat substitut, as-
sisté d'un assesseur laïque, trois employés ou minu-
tanti, deux miautanti honoraires, un prélat archi-
viste, un caissier et un computiste laïque : tel est le
personnel actuel de la secrétairerie des Brefs. La plu-
part des brefs ont pour objet de conférer des faveurs ;
la remise, alors, en est souvent subordonnée au
paiement d'une taxe. Cette organisation de la secré-
tairerie remonte à Sixte-Quint.
La secrétairerie sert d'intermédiaire, aussi, entre
les fidèles et le pape. Avant de fournir aux brefs une
issue, elle offre un accès aux demandes de brefs. Le
secrétaire et son substitut, à l'audience papale, n'ont
pas seulement un rôle d'enregistreurs et d'exécu-
teurs, mais un rôle de rapporteurs. Benoît XIV, en
LES BREFS. 93
174o, a déterminé les faveurs spirituelles et tempo-
relles que la secrétairerie a le droit exclusif de pro-
curer. C'est à cotte porte que frappent les ecclé-
siastiques, pour devenir protonotaires, prélats de la
maison de Sa Sainteté, assistants au trône pontifical.
Là s'adressent aussi les laïques, pour se faire affilier,
à titre de chevaliers ou de commandeurs, à cette an-
tique Milice de l'Éperon d'or que réorganisa Gré-
goire XVI sous le nom d'ordre de Saint Sylvestre,
pour être décorés, soit de l'Ordre de Saint Grégoire
le Grand, qui date de 1831, soit de l'Ordre de Pie IX,
qui date de 1847. Ils y recourent aussi, pour devenir
« comtes du palais apostolique et de la cour du La-
Iran », plus brièvement comtes romains.
La secrétairerie des Brefs est un organisme actif,
mis en branle par deux moteurs. L'un est le pape,
qui ordonne soit personnellement, soit par le canal
de la Daterie; sur son commandement, la machine
fonctionne, comme il veut, tant qu'il veut, parce qu'il
veut; tout est matière à bref, dès que le pape entend
donner cette forme à l'expression de sa volonté.
L'autre moteur est le monde chrétien qui réclame; si
les requêtes sont de la compétence de la secrétairerie
des Brefs, celle-ci accélère et multiplie son travail; si
elles se sont trompées d'adresse, la secrétairerie reste
inerte. Au gré du pape elle peut être, auprès des fi-
dèles, une sorte de messagère universelle ; mais les
traditions et les règles qui déterminent sa compé-
tence et son incompétence ne permettent pas qu'elle
remplisse, au gré des fidèles, le rôle d'un avoué uni-
versel auprès du pape.
94 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE LÉGLISE.
IV
LA DATERIE. — ALLER ET RETOUR D UNE SUPPLIQUE
CONFIÉE A LA DATERIE.
Depuis Martin V, pape en lilT, jusqu'à Pie Vil.
les archives de la Daterie comprennent six mille six
cent quatre-vingt-dix volumes; les requêtes adressées
au pape par lintermédiaire de la Daterie durank trois
siècles et demi remplissent ces énormes monceaux.
Lorsque le pape concède la satisfaction désirée, la
Daterie met la date de cette concession : voilà son
rùle essentiel, indiqué par son nom. Le prodataire,
distributeur des grâces, en est aussi le requérant.
« L'œil du pape, oculus papœ », ainsi les vieux au-
teurs appellent le dataire. Si les rouages qu'il dirige
s'arrêtaient, la vie de l'Église serait en partie para-
lysée.
Suppliche beneficiali et SuppUche matrinioniali,
concessions de bénéfices ecclésiastiques, et dispenses
d'empêchements de mariage : voilà ce qu'accorde la
Daterie. A la fin du moyen âge, la collation d'un cer-
tain nombre de bénéfices vacants était réservée au
Saint-Siège; la Daterie prélevait six mois des revenus.
Ces droits et ces profits lui furent soustraits, en beau-
coup d'États, par les concordats. Mais dans les pays
où le droit canon demeure en vigueur, spécialement
en Italie, la Daterie, six mois de l'année sur douze,
continue de conférer les emplois vacants dans les dio-
cèses. Quant aux dispenses d'empêchements de ma-
riage, elles absorbent une partie de l'activité de la
Daterie.
LA DATERIE. 'J*
A la Daterie sont attachés, en 1901, vingt-huit expé-
ditionnaires apostoliques. Ces personnages sont des
avoués en cour de Rome. Auprès de la Daterie, de la
secrétairerie des Brefs, des congrégations, ils intro-
duisent les causes, en suivent les phases, en acquit-
tent les frais, et prennent livraison des actes qui
terminent ces instances. Seuls les expéditionnaires
inscrits sur la liste du prodataire peuvent intervenir
officiellement dans les procès en cour de Rome. Ils
n'obtiennent cette reconnaissance qu'après une sé-
rieuse enquête. Le clerc en quête d'un bénéfice, le
laïque qui souhaite un mariage contraire à la rigueur
des canons, intéressent dabord à leur cause un ex-
péditionnaire apostolique.
C'est par la remise d'une supplique, accompagnée
d'un long mémoire, que le clerc introduit son ins-
tance. Il la fait porter aux bureaux du préfet per obi-
tum, si la vacance du bénéfice résulte d'un décès :
la qualification de ce personnage est passablement
funèbre; obilus signifie mort. Si lejîénéfice est libre
pour toute autre cause, le substitut du sous-dataire
reçoit la requête. La supplique est mise en style con-
venable, in sh/lo curke, par les bureaux de la Daterie;
ils l'écrivent sur deux feuillets; sur le premier ils ex-
posent les motifs de la demande; sur le second ils
énoncent la grâce requise et les clauses de la conces-
sion. Ainsi rédigée, la pièce sera soumise au pape
par le cardinal prodataire. ,
Quant aux dispenses d'empêchements de mariages,
• •'est un autre fonctionnaire, le « réviseur des matri-
moniales », qui en accueille la demande. Elles sont
classées en quatre catégories suivant leur gravité.
Les requêtes des deux dernières catégories, qu'il est
96 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
de règle d'exaucer, sont immédiatement souscrites
par un prélat qu'on appelle « préfet ^;er concessum »,
parce que la formule d'agrément dont il revêt la sup-
plique commence par le mot concessum, « accordé ».
Les requêtes de la seconde catégorie sont examinées
en commun, « en Congrès », comme Ion dft, par les
hauts personnages de la Daterie, cardinal prodataire,
sous-dataire et préfet per obitum ; exaucées, elles font
l'objet d'un rescrit que signe le cardinal. Pour les re-
({uêtes de la première catégorie, enfin, le « réviseur
des matrimoniales » prépare un sommaire, qui sera
soumis au pape. Voilà le premier acte des travaux de
la Daterie.
Deux fois par semaine, le cardinal prodataire voit
le pape. Jadis la présidence de cette administration
appartenait à un prélat, qu'on nommait dataire ; de-
puis plus de trois siècles, cet office est exercé par un
cardinal; mais de même qu'une Éminence chargée
d'une nonciature prend le titre de pro-nonce, de même
le nom de prodataire s'est substitué à celui de dataire.
A l'audience pontificale, le cardinal est suivi par le
prélat sous-dataire, qui porte dans une bourse, vio-
lette ou rouge suivant l'époque de Tannée liturgique,
les suppliques à faire approuver. Le pape signe par
les mots : Fiat ut petitur, « qu'il soit fait comme il
est requis ». Et le sous-dataire sort avec la bourse et
les suppliques, pendant que le cardinal entretient le
pape des bénéfices vacants.
Les demandes sont exaucées; elles passent entre
les mains du « substitut du sous-dataire ». Mais à
ces pièces une ligne manque : celle de la date. Elles
sont communiquées au « préfet des dates » qui com-
ble cette lacune : suivant les cas, il écrit au bas de la
L.V DATER lE. -97
pièce la petite date ou la grande date; pour lexac-
titude, Tune et l'autre se valent; la seconde est plus
solennelle et plus compliquée. Ainsi complétées, les
suppliques retournent au substitut du sous-dataire.
11 y fait mettre les suscriptions nécessaires.
Il les adresse, ensuite, à 1' « Officiale de missis »,
ainsi désigné parce qu'il est chargé de faire enregis-
trer les pièces qu'on envoie (missis). Une fois enre-
gistrées, elles sont transmises au caissier des compo-
nendes, chargé de recevoir la taxe. La Daterie tient
compte de la fortune du requérant; elle réclame,
pour les dispenses d'empêchements de mariage, des
sommes très différentes : de là le mot de componendes ,
appliqué à ces taxes qui peuvent être l'objet d'arran-
gements. L'administrateur général des componendes
délibère « en Congrès » avec le prodataire et le sous-
dataire sur les demandes de gratuité ou de réduc-
tion des frais; il rend compte, à ce même congrès,
des sommes reçues chaque mois; un substitut et un
caissier l'assistent. Un computiste, enfin, révise l'en-
semble du budget de la Daterie.
En évinçant maints détails, nous venons de décrire
les étapes d'une supplique, aux divers étages de la
Daterie. Lorsqu'elles sont parcourues, toutn'estpoint
achevé- « Avant que les lettres apostoliques ne soient
faites, la faveur obtenue est informe » : ainsi s'ex-
prime l'une des règles de la Chancellerie. La Daterie
remet aux expéditeurs apostoliques les faveurs dû-
ment signées ; il faut qu'elles fassent l'objet d'une
bulle ou d'un bref. Si une bulle est nécessaire, ils
envoient la pièce à la Chancellerie. Si un bref suffit,
ils la remettent à un fonctionnaire de la Daterie,
qu'on appelle « Officiale dei Brevi ».
II. 6
98 LE GOL'VERNEMENT CENTRAL DE L ÉGLISE.
LES SECRETAIRERIES DES BREFS AUX PRINCES ET DES LET-
TRES LATLNES. — LA RÉDACTION DES ENCYCLIQUES :
LÉON XIII AUTEUR LATIN.
A côté de la secrétairerie des Brefs et de la Daterie,
un troisième bureau existe pour la confection des
brefs : on l'appelle secrétairerie des Brefs aux prin-
ces. Les princes, naturellement les évêques, et par
surcroît les personnes que le pape veut spécialement
honorer, reçoivent les communications de cette secré-
tairerie. Innocent XI l'établit, à la fin du dix-septième
siècle : le prélat qui la dirige est généralement cha-
noine d'une grande basilique. Il soumet la minute du
bref à l'approbation pontificale, et le fait dresser par
le minutante,^ le seul employé de la secrétairerie que
mentionne la Gerarchia.
La Gerarchia mentionne, en outre, la secrétairerie
des lettres latines, composée, comme la précédente,
d'un prélat secrétaire et d'un minulantc On ne rencon-
tre point, dans les lettres qui en émanent, la solennité
officielle d'un bref : elles sont écrites sur papier, non
sur parchemin-; elles portent le sceau privé du pape,
non Fanneau du pécheur. Le pape emprunte fréquem-
ment cette secrétairerie pour répondre aux auteurs
catholiques désireux d'abriter leurs livres sous la re-
commandation pontificale.
Enfin les deux prélats secrétaires, celui des brefs
aux princes surtout, sont appelés à seconder le pape
dans la rédaction des encycliques. Léon XIII est un
latiniste; aucun pontife depuis Urbain Vlll — on
LES SECUÉTAIRERIES DES BREFS AUX PRINCES. 99
pourrait même dire depuis Pie II — n'avait manié le
vers latin avec une aussi noble aisance. Dans ses en-
cycliques, la langue de Cicéron est le vêtement natu-
rel de sa pensée ; toute traduction les déforme et les
mutile. Écrire en un idiome disparu avec un style
vraiment personnel : cela fait l'effet d'une impossibi-
lité. Léon XIII la réalise; il ne remplit pas l'office
d'un rédacteur en latin; dix-neuf siècles après l'Incar-
nation, le pape actuel est un auteur latin. Son éduca-
tion première commença ce miracle; son avènement
au trO>ne pontifical l'acheva. Avant la tiare, il avait la
science et l'impeccable élégance de l'humaniste; mais
sur les tablettes d'un lettré, si savant qu'il soit, le latin
demeure une langue morte ; elle se prête à de jolis
étalages, curieusement aménagés; avec elle, on
s'exerce ou l'on s'amuse; elle est prétexte à gymnas-
tiqueoubienà dilettantisme ;maisenfin, elle estmorte.
Léon XIII, devenant pape, s'installait au seul endroit
du monde oii cette langue fût demeurée vivante. Par-
tout ailleurs, on travaille de moins en moins en latin,
et l'on joue de moins en moins aux compositions la-
tines ; le Saint-Siège prolonge l'existence posthume
du vieil idiome in ssecula sœculoruni. Le latin, par son
histoire, est une langue de gouvernement; il conquit
et civilisa le monde ; il seconda, quelques siècles du-
rant, les ambitions universelles de la Rome païenne,
dont hérita l'Église chrétienne pour l'éternité. Lors-
que Léon XIII, dépositaire de ces ambitions, les tra-
duit en un tel langage, une sorte de complicité s'éta-
blit entre l'outil et l'ouvrier; les prodiges accomplis
-jadis par cette langue dominatrice repassent dans la
pensée du pape, qui l'emploie pour invoquer d'autres
prodiges; dans ces pages latines, Léon XIII met tout
100 LE GOU>'ERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
son être; sa science dliumaniste le guide, et son ima-
gination l'entraîne; il pense en latin, il voit en latin.
Démembrez une encyclique de Léon XIII en la dé-
pouillant de sa forme; je ne sais quelle impression
de grandiose s'en évapore; c'est comme une moitié
de la signature papale qui va s'elTacant. Oh trahit
Léon XIII en disloquant son ample et longue période,
comme on aurait trahi Napoléon en refondant sur le
moule de la période ses nerveuses proclamations;
de part et d'autre, avec l'habit primitif, on arrache
quelque chose de l'âme. Malgré l'assiduité de ses
secrétaires, Léon XIII, écrivant une encyclique, ne
commande guère à d'autres plumes que la sienne un
habillement pour sa pensée ; et lorsque au terme de
l'œuvre il les signe : Léo, il se peut rendre ce témoi-
gnage que dans le travail qui les a mûries il a réelle-
ment pris la part du lion.
CHAPITRE V
La secrétairerie d'État et la diplomatie
papale.
I
LES CARDINAUX-NEVEUX : DEVELOPPEMENTS
DE LA SECRÉTAIRERIE d'ÉTAT.
On peut faire remonter au quinzième siècle l'origine
de la secrétairerie d'État. Comme la substitution des
congrégations aux consistoires fut l'indice et le résul-
tat des progrès de la monarchie pontificale, ainsi l'ins-
titution de la secrétairerie d'État fut suggérée par le
changement de politique que le seizième siècle impo-
sait à la Papauté. Ces créations sont des symboles;
elles traduisent, par leur nouveauté, un ensemble de
circonstances nouvelles. Un pape du moyen âge n'a-
vait nul besoin d'un secrétaire d'État. A l'administra-
tion du Territoire Romai n , la Chambre apostolique était
préposée; le camerlingue réunissait — qu'on nous
passe l'anachronisme — tous les portefeuilles minis-
tériels du petit royaume. Quant au gouvernement de
l'Église, il était matière théologique et canonique,
102 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
non politique; le Saint-Siège affirmait et comman-
dait; il ne discutait pas, et ne négociait pas. C'est aux
quinzième et seizième siècles, seulement, que les
papes durent avoir, à proprement parler, une politi-
que. Autour d'eux, les princes italiens avaient chacun
la leur; Comines en français, Machiavel en italien,
constataient ou enseignaient cet art inédit. L'intérêt
des États Romains, d'abord, contraignait le souve-
rain temporel de suivre une politique extérieure,
sous peine de mort pour sa souveraineté. Qu'on se
rappelle, ensuite, ce que nous avons observé sur l'in-
troduction nécessaire de la diplomatie dans le règle-
ment des affaires ecclésiastiques; le souverain spiri-
tuel était sollicité, lui aussi, aux jeux de la politique.
Celte fonction nouvelle requérait un organe nouveau.
Elle fut en général remplie, cent cinquante ans du-
rant, par le cardinal-neveu. Certains papes de l'âge
antérieur enrichissaient leurs neveux; Pie IV, Gré-
goire XIII, Sixte-Quint, font travailler les leurs. On ac-
cuse à tort cette seconde variété de népotisme : ils
n'exploitaient pas l'Église au profit de leur famille,
mais leur famille pour le service de l'Église : Charles
Borromée, neveu de Pie IV, fut un ascète et un saint.
Le cardinal-neveu s'appelait aussi cardinal-maître,
cardinale Padrone. En 1002, furent imprimées, à
Vicence, les instructions de Sixte-Quint à son neveu
Montalto. L'authenticité en est contestée ; en tout cas,
elles donnent une exacte idée des attributions du carr
dinal-neveu; et l'auteur, pape ou faussaire, mérite
d'être cru. « La dignité du cardinal, dit-il, apparaît
plus élevée et plus éminente dans la personne de
ceux qui sont alliés au pape par les liens du sang,
puisque, en raison du désir qu'il a de leur grandeur
LES CARDINAUX-NEVEUX. f03
et en raison de la confiance qu'il leur accorde de pré-
férence à d'autres, les affaires les plus importantes
qu'on soumet au Saint-Siège leur sont communi-
quées. C'est avec eux que traitent les envoyés des
princes, tant ceux qui résident ici que ceux qui sont
venus en mission spéciale à cette cour: c'est par leur
organe que le pape apprend à connaître les désirs et
les besoins de toute la chrétienté; c'est à eux qu'écri-
vent les nonces et les autres ministres du Saint-Siège;
c'est par leur entremise qu'est gouverné l'État ecclé-
siastique; c'est par leur intervention et à la suite de
leur intercession que beaucoup d'emplois et de béné-
fices ecclésiastiques sont conférés, et ce qui importe
davantage encore, par eux se fait la promotion des
cardinaux; enfin, c'est par eux que le pape manifeste
sa pensée, et qu'il distribue des grâces : leur assis-
tance, plus que toute autre, l'aide à porter le lourd
fardeau du pontificat ». De son cardinal-neveu, Sixte-
Quint réclame de nombreuses qualités : le dévoue-
ment absolu aux fins que se propose le pape; assez
d'opulence pour vivre avec splendeur et dignité; un
discernement éprouvé pour le choix des amis, clients
et auxiliaires ; une impitoyable défiance à l'égard des
indiscrets et des traîtres, « pestilentielle espèce de
serviteurs » ; un certain mélange de gravité et de
douceur; une attentive surveillance de ses paroles;
une connaissance parfaite de l'administration du
Saint-Siège, de la noblesse romaine, de toutes les par-
ties de l'histoire; une exacte initiation aux affaires
étrangères, puisée dans des lectures, dans des con-
versations, enfin aux représentations théâtrales où les
mo'urs exotiques sont mises sur la scène; une bien-
veillante facilité d'audience, surtout pour les pauvres,
104 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
les femmes, les religieux et les malheureux; un
grand souci de la justice, supérieur à l'influence des
recommandations; « une élévation de vue qui em-
brasse d'ensemble l'état du corps tout entier de la ré-
publique chrétienne » ; une certaine habileté dans Ta-
gencement des conversations qu'il tient avec le pape;
le souci d'être bref, de commencer l'entretien par les
choses agréables et faciles; une assez franche au-
dace pour répliquer, si le pape inclinait vers une « dé-
cision injuste » ; une adresse assez consommée pour
insinuer des objections et faire ajourner le décret, si
le pape inclinait vers une décision « fâcheuse » ;
enfin une pieuse assiduité à invoquer le Saint-Esprit.
— D'abord coadjuteur de confiance, le cardinal-neveu
se transforma rapidement, par la force des choses,
en un haut fonctionnaire de l'administration papale;
d'officieux, il devint officiel. Il avait sa bureaucratie.
Lunadoro, publiant, en 10:21, sa Relation de la cour
de Rome, écrit : « Le secrétaire du Pape est toujours
le cardinal-neveu, qui a beaucoup de secrétaires sous
ses ordres. Les plus élevés parmi eux, les secrétaires
d'État, ont partagé entre eux les nonciatures et les
provinces, et parmi eux il y a un secrétaire du chiffre».
A cette époque, le titre de secrétaire d'État était ré-
servé aux sous-ordres; « Secrétaire du pape et su-
rintendant général de l'État ecclésiastique », ainsi
nommait-on l'Éminentissime ministre. Bientôt la
coutume changea, la qualification qui désignait les
auxiliaires fut héritée par le maître ; il s'appela car-
dinal-secrétaire d'État. Cette expression évinça défi-
nitivement celle de cardinal-neveu, lorsque Inno-
cent XII, en 1692, eut abrogé l'habitude d'associer le
neveu du pape au pouvoir de son oncle.
LES FONCTIONS D'UN CARDINAL-SECRETAIRE D'ETAT. 105
Jusqu'au dix-neuvième siècle le carmerlingue avait
dans les États Romains, du vivant même du pape, un
rôle politique; entre lui et le secrétaire d'État, des
rivalités étaient fatales. Par surcroît, celui-ci était
rhomme du pape ; sa nomination résultait d'un choix
personnel, et était soustraite à toute proclamation en
consistoire; il apparaissait comme la créature et l'a-
gent du souverain ; au lendemain de la mort du pape,
il redevenait simple cardinal. Celui-là, au contraire, se
considéraitcomme le représentant de l'aristocratie car-
dinalice, à laquelle il présidait, de droit, dès l'instant
011 le pape expirait. Au temps de Pie YII, l'antago-
nisme du cardinal Pacca, camerlingue, et du cardinal
Consalvi, secrétaire d'État, fut célèbre. Grégoire XVI,
pour mettre un terme à ces conflits, dépouilla la
Chambre Apostolique de ses prérogatives politiques,
et créa un second secrétaire d'État pour les aflfaires
intérieures. Les « aflaires intérieures » de la papauté
sont réduites, depuis ;1870, à l'enceinte du Vatican;
la secrétairerie d'État a retrouvé son unité. Le secré-
taire actuel est le cardinal Rampolla.
Il
les fonctions et l existence d un cardinal-secretaire
d'État.
Dans notre régime parlementaire, un ministre des
affaires étrangères, en môme temps président du con-
seil, exerce, outre les attributions spéciales de son
ministère, une surveillance générale du gouverne-
ment. De même le cardinal-secrétaire est spéciale-
106 LE GOU^TR^'EME^T CENTRAL DE L'ÉGLISE.
ment chargé des rapports entre le Saint-Siège et les
États ; mais en fait, parmi les actes importants de la
curie, aucun n'échappe à sa collaboration. Il exerce un
office, qui lui impose certaines besognes déterminées ;
et il occupe un poste, dont les exigences sont plus
considérables et moins définies. De par son office, il
est le directeur de la diplomatie pontificale; de par
son poste, il esiValter ego du pape, et sans cesse asso-
cié à toutes les préoccupations du souverain, qui ne
sont pas exclusivement diplomatiques.
Au début de 1901, dix-neuf États entretenaient des
représentants auprès du Saint-Siège : la France, l'Au-
triche, la Prusse, la Bavière, la Russie, l'Espagne, le
Portugal, la Belgique, la principauté de Monaco, le
Brésil, la Bolivie, l'Argentine, la Colombie, l'Equateur,
le Nicaragua, le Pérou, le Chili, Haïti, Saint-Domin-
gue. Le Saint-Siège, de son côté, entretenait des non-
ces en France, en Autriche, en Espagne, en Portugal,
en Belgique, en Bavière, des internonces en Hollande
et au Brésil, et quatre délégués apostoliques et envoyés
extraordinaires, l'un pour la Colombie, le second pour
l'Equateur, la Bolivie et le Pérou, le troisième pour
Saint-Domingue, Haïti et le Venezuela, le quatrième
enfin pour l'Argentine, le Paraguay et FUruguay. H
est à remarquer que la Hollande, qui n'est pas repré-
sentée à Rome, accueille un internonce, et quele Saint-
Siège d'autre part ne délègue aucun envoyé auprès du
czar, du roi de Prusse, empereur d'Allemagne, et du
prince de Monaco.
C'est par certains actes du pontificat de Pie VI que
les prérogatives des nonces ont été le plus exacte-
ment définies. Certains prélats allemands, qui pro-
fessaient les doctrines antiromaines de Fébronius,
LES FONCTIONS D'UN CARDINAL-SECRETAIRE D'ETAT. 197
contestaient ces prérogatives ou même hésitaient ù
recevoir les nonces; l'un d'eux, l'archevêque de Co-
logne, reçut de Pie VI un bref qui confirmait au
nonce la charge de « gérer les affaires du pape et
d'exercerconséquemment l'autorité apostolique. Vous
le traitez d'étranger, ajoutait le pape, comme si Nous-
mème nous étions étranger dans l'Église et dans
votre diocèse ». Sous le pontificat de Léon XIII, le
Saint-Siège, à plusieurs reprises, a rappelé le res-
pect dû aux nonces et le droit qu'ils ont d'être écoutés
par les publicistes et les hommes d'État catholiques.
On peut voir, aux chapitres de la Papauté au sei-
zième siècle et de la Papauté au dix-neuvième, com-
ment le développement et le rôle actuel des non-
ciatures intéressent l'histoire même de l'Église.
Deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, le
cardinal-secrétaire reçoit, l'un après l'autre, les am-
bassadeurs. Ceux qui représentent les grands États,
ayant toujours quelque affaire à régler, sont assidus
à cette double audience. C'est là, pour un secrétaire
d'État, la première fonction. La seconde est la corres-
pondance avec les nonces : il reçoit leurs rapports,
et leur expédie des instructions. Les dîners diploma-
tiques (ce serait la troisième fonction) sont rares au
Vatican : ils n'ont guère lieu qu'à l'occasion des con-
sistoires. L'étiquette défend au pape d'y assister.
Hors de Rome seulement, il pourrait déroger à cette
abstention ; la salle à manger de Pie IX, dans la villa
de CastelGandolfo, était souvent ouverte, avant 1870,
à des convives de choix.
Chaque matin, le cardinal-secrétaire est reçu
par le pape; dans ces tète-à-téte est discutée l'orien-
tation du gouvernement de l'Église. A l'issue de l'en-
108 LE GOL^TRXEMEM CENTRAL DE LÉGLISE.
tretien, il pourvoit aux correspondances : ou bien il
les rédige lui-même, ou bien il en charge les prélats
attachés à la secrétairerie ; il commande les recher-
ches sur les questions délicates dont la solution a été
ajournée. Exécuter les instructions reçues à l'au-
dience du matin, préparer les interrogations pour
l'audience du lendemain : ainsi passe la vie du car-
dinal-secrétaire. Instructions et interrogations ne
concernent pas seulement la diplomatie. A V Angé-
lus du soir, tous les jours de l'année, il reçoit les vi-
siteurs. On l'entretient des questions les plus diver-
ses, car il est le premier ministre du pape ; à lui non
plus qu'au pape, rien de ce qui intéresse l'Église ne
doit rester étranger. Il est le représentant permanent
du Siège Apostolique; on lui transmet tout ce qu'on
croit utile d'annoncer ou de demander au pape. En
deux ou trois heures, les visiteurs promènent l'atten-
tion du cardinal dans les pays les plus divers : en un
clin dœil — le temps nécessaire pour qu'une porte
s'ouvre ou se referme — sa pensée brusquement
détournée des affaires de France ou d'Allemagne,
objet de la précédente conversation, de^Ta, sans
transition, émigrer aux États-Unis, jusqu'à ce qu'un
troisième fâcheux, le faisant déchoir de ces hautes
préoccupations, lui raconte, avec une obsédante insis-
tance, quelque banale querelle où le narrateur dési-
rerait vivement mettre le pape de son coté. Aucun
premier ministre en Europe n'est d'un accès plus
facile; et comme toute affaire religieuse est de la
compétence du pape, il est rare que le cardinal-
secrétaire puisse opposer un déolinatoire d'incom-
pétence. Il a besoin d'une singulière gymnastique
intellectuelle, pour comprendre, classer et trier tout
LES FONCTIONS D UN CARDINAL-SECRETAIRE DÉTAT. -lOO
ce qu'il entend — pour trier surtout, car il n'aura
pas le droit, le lendemain, de fatiguer l'attention du
pape, comme il permettait, la veille, qu'on fatiguât
la sienne. Il lui faut connaître en détail les affaires
religieuses du monde; et son expérience doit être
quotidiennement enrichie, sous peine de devenir
surannée; un anachronisme ne serait pas seulement
une erreur, mais une faute. Pour cette formation,
livres et journaux sont utiles, mais insuffisants : ils
ne découvrent pas, en général, les dessous de l'his-
toire contemporaine; parfois, il est vrai, ils préten-
dent entre-bàiller la porte de certaines coulisses;
mais alors surtout ils méritent défiance, de peur que
ces coulisses ne soient postiches. Un secrétaire
d'État a besoin de correspondants et de confidents
qui lui chuchotent toute la vérité. Sa situation l'ex-
pose aux embûches; elle lui crée des adversaires per-
sonnels, et par surcroît tous les ennemis de l'Église
sont ses ennemis. Sous une demande en apparence in-
signifiante peuvent se dissimuler des intentions plus
graves; les actes du Saint-Siège, à notre époque, sont
assidûment commentés; on prête une signification
secrète, une portée conjecturale, aux plus simples
d'entre eux ; avant de hasarder un mot au nom du
pape, le cardinal-secrétaire doit pressentir quelles
conséquences en seront tirées par les observateurs,
de boqne ou de mauvaise foi ; et pour écrire avec
sécurité ce qu'il veut dire, il doit songer à ce que les
interprètes lui feront dire.
Il n'est pas jusqu'aux affaires intérieures du Vatican
qui ne captivent ses loisirs. Les palais apostoliques
demeurent depuis 1870 le seul endroit où le pape
soit roi : le secrétaire d'État, ancien coadjuteur de
l,E VATICVN. — II. 7
110 LE GOmTRNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
cette royauté, est préfet des palais apostoliques et
président de leurs administrations.
III
LES ROUAGES DE LA DIPLOMATIE PONTIFICALE : BUREAUX DU
LA SECRÉTAIRERIE d'ÉTAT, CONGRÉGATION DES AFFAIRES
ECCLÉSIASTIQUES EXTRAORDINAIRES.
Pour ses multiples besognes, le cardinal-secrétaire
a deux bureaux sous ses ordres : ceux de la secrétai-
rerie d'État, ceux des Affaires Ecclésiastiques extra-
ordinaires.
Le prélat « substitut de la secrétairerie et secré-
taire du chiffre » a pour mission spéciale de mettre en
langage chiffré ou de traduire en langage clair les
dépeciies échangées entre le pape et les nonces. Le
marai et le vendredi, il remplace à Taudience pon-
tincaie le cardinal-secrétaire, retenu ce jour-là par
es ambassadeurs. 11 dirige, enfin, le personnel de la
secrétairerie, composé de six rédacteurs, ecclésiasti-
ques ei laïques {miuutanti), et de deux archivistes.
On appelle « affaires ecclésiastiques extraordinai-
res » une congrégation de cardinaux créée par Pie VII
en 1814. ^'ous avons observé qu'au lendemain de la crise
révolutionnaire et du Congrès de Vienne, la cour de
Rome, justement impatiente de préciser la situation
de lÉglise dans plusieurs États dont les principes
ou même l'existence étaient une nouveauté, pré-
para des concordats. Si elle n'eût consulté que des
politiques, ils risquaient d'oublier l'inviolable ri-
gueur de certains principes; si elle n'eût consulté
que es canonistes, ils risquaient d'oublier les né-
LES ROUAGES DE LA DIPLOMATIE PONTIFICALE. 111
cessités des temps. Les premiers, opportunistes à
l'excès, rauraient sollicitée à trop de concessions;
les seconds, inopportuns, ù trop dentèlement. (irou-
pés ensemble dans la congrégation des affaires ex-
traordinaires, ils s'éclairent et se tempèrent mutuel-
lement; l'immutabilité de la thèse s'assoupjitauxcon-
lingences de l'hypothèse, et s'en fait en même temps
respecter. Le pro-secrétaire, le sous-secrétaire et
leurs quatre employés sont commis à l'observation
constante des affaires ecclésiastiques des divers
pays; les bureaux de la secrétairerie d'État, aussi,
se déchargent sur eux d'une partie du travail. Ces
prélats, spécialement attachés à la congrégation,
suivent les faits au jour le jour. Lorsqu'une ques-
tion grave, qui intéresse la situation de TÉglise dans
un pays étranger, réclame de Rome une solution
prompte et circonspecte, alors les cardinaux de la
congrégation sont convoqués. La Gerarchia en
nomme treize; de droit, le secrétaire d'État est l'un
d'entre eux. Dix consulteurs leur sont adjoints. C'est
dans ces réunions que sont préparées et mûries les
plus délicates décisions politiques du Saint-Siège.
Les bureaux de la secrétairerie d'État et des Affaires
Ecclésiastiques extraordinaires sont une sorte de sé-
minaire diplomatique : les prélats y font un stage,
pour devenir dignes d'occuper des nonciatures. Un
poste dans ces administrations : voilà le premier
échelon de la carrière politique d'un prélat Romain.
Li's nonciatures sont le second échelon. Celles de
Paris, Vienne, Madrid, Lisbonne, sont de premier
ordre; en les quittant, on devient ordinairement
«ardinal. Les autres, dites de second ordre, sont une
étape pour s'élever vers les premières.
CHAPITRE VI
La Propagande.
CREATION DE LA PROPAGANDE, SON ORGANISATION.
La congrégation de Propagonda fide, plus simple-
ment la Propagande, préside à la diffusion de la foi.
Dès Grégoire le Grand, Rome était un centre d'évan-
gélisation : TAngieterre et la Germanie devinrent
catholiques par l'initiative de la Papauté. Les papes
d'Avignon multiplièrent en Asie les missions des Or-
dres Mendiants. La découverte de l'Amérique recula
l'horizon de la chrétienté. Racheter, par des con-
quêtes sur l'Orient schismatique et sur rextrême Oc-
cident païen, le recul subi en Europe, et préparer
d'ailleurs une offensive nouvelle qui réparerait ce re-
cul : tel fut, à la fin du seizième siècle, le rêve de la
Papauté. Grégoire XIII, Clément VIII, s'occupèrent
activement des missions d'Orient; celui-ci, même,
établit une « congrégation sur les affaires de la foi et
de la religion catholique ». Elle ne survécut pas à son
créateur, mais Grégoire XV, en 162!^, la ressuscita.
CRÉATION DE L\ PROPAGANDE, SON ORGANISATION. 113
Il y était sollicité par deux missionnaires, le P. Jérôme
de Narni, capucin, et le P. Dominique de Jésus-
Marie, carme déchaussé; il y fut aidé par un prélat
espagnol, Vives, et par le bienheureux Jean Leonardi,
fondateur des clercs réguliers de la Mère de Dieu.
Le 22 juin 1022, la bulle Inscrutalnli crén la Propa-
gande. Une fois par mois, les cardinaux membres de
la congrégation devaient se réunir en présence du
pape; à deux autres jours du mois, ils devaient tenir
une séance chez le plus ancien d'entre eux. « L'ensem-
ble et le détail des affaires ayant trait à la propaga-
tion de la foi dans l'univers » leur étaient attribués;
pour les plus importantes, ils recouraient aux papes.
L'esprit de ce règlement primitif régit encore la Pro-
pagande contemporaine. Chaque semaine, chez le car-
dinal-préfet (actuellement le cardinal Ledocho\vski\
le prélat secrétaire et les scribes s'assemblent pour
les affaires courantes. Le premier lundi du mois,
les cardinaux de la Propagande se réunissent en
congrégation ; ils sont vingt-cinq, dont quinze seu-
lement résident à Kome. Ils écoutent, sur chaque
question, le rapport du cardinal ponent. Discussions
et décisions sont relatées au pape par le secrétaire,
dans l'audience qui suit la congrégation. Trente-
quatre consulteurs sont associés aux travaux pré-
liminaires qui éclairent et préparent lavis des car-
dinaux. Enfin un protonotaire apostolique, muet et
attentif, assiste aux séances; lorsque la correspon-
dance dune chrétienté lointaine annonce le martyre
d'un missionnaire, le protonotaire en dresse l'acte,
ainsi qu'on faisait dans la primitive Église persé-
cutée.
114 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
II
ETENDUE DES POUVOIRS ET DES DOMAINES
DE I.A PROPAGANDE.
Rome fait deux parts de l'univers ; elles sont fort
inégales. Dans la moindre des deux, les chrétientés,
nombreuses et denses, sont soumises à une hiérar-
chie ecclésiastique régulièrement organisée; l'autre,
immense, et qui s'accroît à mesure qu'on explore des
régions nouvelles, comprend « les pays de missions»,
disputés à l'hérésie, au schisme, à l'Islam ou au pa-
ganisme: elle appartient à la Propagande.
Les congrégations que nous avons étudiées pren-
nent tantôt des décisions générales, applicables au
monde chrétien, et tantôt, constituées en tribunaux,
elles jugent les difficultés spéciales qui leur sont dé-
férées. Dans le vaste royaume de la Propagande,
celte dernière juridiction n'a point lieu de s'exercer;
la Propagande elle-même y supplée. Un missionnaire
est-il taxé d'indignité : elle fait, à son égard, fonction
de Saint-Office. Est-il nécessaire, en un pays infidèle,
de dérogera la liturgie : elle y autorise, faisant fonc-
tion de congrégation des Rites; des évêques et des
religieux, résidant en pays de missions, sont-ils en
désaccord, ou bien des instituts de missionnaires
réclament-ils l'approbation de Rome : c'est la Pro-
pagande encore, et non point la congrégation des
Évêques et Réguliers, qui intervient. Un prêtre et un
évêque appartenant à ses sujets ont-ils entre eux un
débat : elle le tranchera comme une congrégation du
Concile. Une Université catholique, enfin, s'érige-
ÉTENDUE DES POUVOIRS DE \.X PROPAGANDE. M15
t-elle à Washington ou à Ottawa : la Propagande,
suppléant à la congrégation des Études, en approuve
les statuts.
Par surcroît, certaines congrégations, bureaux de
dispenses et de grâces, doivent délivrer gratuitement
les faveurs qui leur sont demandées par l'intermé-
diaire de la Propagande. Entre les chrétientés dépen-
dantes de lu Propagande et celles qu'elle n'a point à
régir, nombreux sont les contrastes. Pour savoir
l'avis du Siège Apostolique, celles-ci empruntent le
complexe réseau des congrégations romaines; au
début des procès, il y a des questions de compétence
à définir; à la fin, des taxes à payer. Les pays de
missions sont reliés à Rome par une voie plus sim-
ple et plus économique : la Propagande remplit, à
leur égard, le rôle de presque toutes les congréga-
tions; elle est, auprès de celles dont elle ne peut faire
la besogne, l'intermédiaire nécessaire des requérants ;
c'est une loi, enfin, qu'elle ne débourse rien et ne fait
rien débourser : Chancellerie, secrétairerie des Brefs,
Daterie, travaillent gratis pour elle.
Nous connaissons les privilèges des pays de mis-
sions; mesurons-en l'étendue. Si l'on excepte l'évê-
ché de Goa, possession portugaise en Ilindoustan,
l'Asie entière relève de la Propagande. Si l'on excepte
l'Algérie, l'archevêché de Carthagc depuis 1804, et
révèché portugais d'Angola, le continent africain
relève de la Propagande. Ktsi l'on excepte les Philip-
pines, qui, jusqu'en 1000, étaient province ecclésias-
tique espagnole, l'Océanie entière relève de la Pro-
pagande. Elle règne dans le iNouveau-Monde, sur le»
terres anglaises de l'Amérique du Nord, le Canada,
les États-Unis, les Antilles, la Guyane, la Patagonie;
116 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
elle ne possède aucuns droits sur le Mexique et les
États de l'Amérique du Sud, solidement conquis à
l'Église par FEspagne. Essayons de dessiner, sur
une carte d'Europe, l'empire de la Propagande; cette
carte apparaîtra comme une mosaïque. Grande-Bre-
tagne, Norvège, Suède, Danemark, Hollande, Luxem-
bourg, Bosnie, Serbie, Roumanie, Bulgarie, Monté-
négro, Turquie, Grèce, une partie de l'Allemagne et
quelques points de la Suisse relèvent de cette con-
grégation. Les rapports de ses missionnaires donnent
avec une parfaite précision le nombre de ses sujets :
En Angleterre 1.347.840 catlioliiiues sur 2:..00O.ûOO
En Ecosse 36-2.-o0 — 3.000.000
En Irlande 3.i73.-2o0 — o.OOO.OOO
En Norvège 1.000 — -2.000.000
En Suède 1.180 — '..600.000
En Danemark 4.4O0 — 2.200.O00
En Hollande I.'38.ti00 — 4..-;00.000
En lu se m bourg -211.0îiO — 513.000
Dans le vicariat d'An liait. 4,540 — 23-2.000
Dans le territoire des \illes j
Hanséatiques et des du- |
thés de Mecklembourg- ', 34.000 - -2.000.000
Schwerin et Strelilz. I.aucn-
bourg et Oldenbourg.
Dans le Sclilesvig-Holslein. -2-2.000 — 1.300.000
Dans le royaume de Sa\e .■iS.307 — 3.000.000
En Bosnie et Herzégovine.... -286.380 — l.Tol.OOO
En Serbie 8.000 — 1.600.000
En Roumanie 11.3.000 — 4.844.000
En Bulgarie et Roumélie 24.i:» — 3.000.0O0
En Monténégro 5.-200 — 2fl0..50O
Dans la Tuniuie d'Euroi)e 1(17.710 — 8.:J00.000
COMMENT LA PROPAGANDE CONDUIT SES CONQUETES. 117
COMMENT LA PROPAGANDE CONDUIT SES CONOlÈTES.
Dans une région inexplorée par les hommes et par
le Christ, quelques missionnaires fondent une chré-
tienté. La Propagande, bientôt, assigne un nom et un
rang à ce membre encore frêle ; à peine sait-on s'il
est viable, mais on lui dresse un état civil; on le qua-
lifie station, mission, préfecture, vicariat. La chré-
tienté se développe, essaime autour d'elle ; féconde,
audacieuse, elle éparpille ses avant-gardes sur un
ample espace ; alors on la démembre : plusieurs chefs
de missions se partagent le territoire où naguère,
lorsque manquaient les fidèles, un seul régnait. Ainsi
marchent les apôtres, attestant leurs ambitions par la
fondation de missions nouvelles et ratifiant leurs suc-
cès par le morcellement des missions anciennes.
Voilà les deux moyens par lesquels la Propagande
étend et affermit ses conquêtes. Il existe un immense
terrain, présentement, sur lequel on peut la voir à
l'œuvre : c'est l'Afrique centrale et méridionale.
En 183.5, la région était à peu près vierge ; elle est
aujourd'hui découpée par la Propagande, à la façon
d'un échiquier. Grégoire XVI fonda trois vicariats en
Afrique : celui du Promontoire de Bonne-Espérance
en 18.37, celui des deux Guinées en 1842, celui du
Soudan en 1846. Suivons-en les destinées. En 1847'
le premier est subdivisé en vicariat du district oriental
et vicariat du district occidental; en 1850, le vicariat
du Natal est taillé dans le vicariat du district oriental;
en 1874, la préfecture du district central est taillée
7.
118 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE LÉGLISE.
dans le vicariat du district occidental. A l'égard du
vicariat de 1837, ces deux districts nouveaux étaient,
si Ton ose dire, des descendants à la seconde généra-
tion. La troisième vint à son heure : de la préfecture
du district central fut détachée, en Î884, la préfecture
du fleuve Orange ; du vicariat du Natal furent déta-
chés, en 1886, le vicariat de l'État libre d'Orange et
la préfecture du Transvaal. L'histoire du vicariat des
deux Guinées offre un phénomène analogue. En 1858,
le vicariat de Sierra-Leone en fut détaché. En 1860,
on en sépara le vicariat du Bénin. En 1863, un nou-
veau morcellement donna naissance au vicariat de
Sénégambie. En 1879, on tailla les préfectures de
Cimbébasie et de la Cote d"Or. L'ancien vicariat des
deux Guinées, ainsi réduit, s'appela vicariat du Ga-
bon. On en détacha encore, en 1889, la préfecture du
Niger inférieur; en 1892, celle du Cameroun. A son
tour, le vicariat du Bénin a engendré, en 1882, la pré-
fecture du Dahomey, et, en 1884, la préfecture du
Niger. Enfin du vicariat du Soudan, le troisième qui
remonte au pontificat de Grégoire XVI, est issue, en
18.j8., la préfecture du Sahara, transformée en vicariat
en 1891. Sous Pie IX, en 1862, la région de Zanzibar
devint préfecture apostolique ; elle est vicariat aujour-
d'hui, et l'on en a séparé, en 1887, la préfecture du
Zanzibar méridional. En 1865, la région du Congo
inférieur, évangélisée par les Capucins de 1640 à
1834, e.t abandonnée à cette date, fut érigée de rechef
en préfecture : on l'a amputée en 1886, pour créer à
cùté d'elle le vicariat du Congo français inférieur. Du-
rant le pontificat de Léon XIII, en effet, les progrès
ont continué, par la double voie que j'indiquais : fon-
dation, dislocation. Avançant à la suite de Brazza et
LA PR(JPAf'.ANDE ORGANISE SES CONQUETES.- Il.t
de Stanley, la Propagande établit, en 1888, le vicariat
du Congo indépendant (on pourrait dire, plus exacte-
ment : du Congo belge) ; en 18!)U, le vicariat du Congo
français supérieur, appelé aussi vicariat de l'Ouban-
glii. Dans la région des Grands Lacs existent, depuis
188U, les pro-vicariats des lacs Tanganyika et Victo-
ria-Nyanza, érigés maintenant en vicariats; depuis
1889, le pro-vicariat du lac Nyassa. Le premier de ces
districts s'est déjà démembré, dès 1886, par la créa-
lion des vicariats d'Ounianembe et du Congo supé-
rieur. Le district de Nyanza forme depuis 18î)i trois
vicariats : Victoria-Nyanza septentrional, Victoria-
Nyanza méridional, et Nil supérieur ou Ouganda. A
l'est, le Zambèze est devenu préfecture en 187λ.
Nous pourrions retracer de même la marche du
catholicisme en Océanie et en Chine. Partout la Pro-
pagande applique les mêmes maximes ; elle découpe
la carte du monde en circonscriptions toujours plus
étroites, tantôt pour organiser en un groupe auto-
nome une population chrétienne suffisamment dense,
tantôt pour mettre un terme à l'isolement dune mis-
sion, trop éloignée du centre du vicariat.
IV
<;OMMENT LA I»R0I'AGANDE ORGANISE SES CONQUETES : VICA-
RIATS, l'HÉFECTURES, DÉLÉGATIONS APOSTOLIQUES, ÉVÉ-
CIIÉS TITULAIRES.
La hiérarchie établie par la Propagande comprend
deux degrés : vicaires, préfets. Le vicaire n'est pas
forcément un métropolitain à l'égard du préfet ; beau-
120 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
coup de préfectures sont autonomes sous la direction
de la Propagande. Suivant les circonstances, une ré-
gion où la Propagande a pris pied est soumise à un
préfet ou à un vicaire; suivant les progrès de la mis-
sion, la préfecture subsiste ou devient vicariat.
Les préfets, en général, n'ont pas le titre épiscopal.
Les vicaires en revanche sont évêques, en vertu d'une
coutume introduite au dix-septième siècle parles fon-
dateurs du Séminaire des Missions étrangères de Pa-
ris, MM. Pallu et de Lamotte- Lambert. Ils réclamè-
rent d'Alexandre VII que les missions fussent confiées
à des personnages revêtus de la dignité d'évêques
le premier fut nommé évêque d'Héliopolis et devint
vicaire apostolique du Fokien; le second fut nommé
évêque de Beyrouth et évangélisa la Cochinchine. N
M. Pallu n'occupa jamais le siège d'Héliopolis ni M
de Lamotte-Lambert celui de Beyrouth : ces sièges
rentrent dans la catégorie des « évèchés titulaires «,
qu'on oppose aux a évêchés résidentiels ». La Gerav"
chia mentionne 324 évêchés titulaires. Ils emprun-
tent leurs noms à des villes d'Asie, d'Europe et d'A-
frique, qui, dans les premiers siècles, possédaient des
évêques; l'Islam balaya le troupeau; la ville, peut-
être, n'est plus qu'un hameau; mais l'Église continue
d'attacher au nom de ces localités un titre épiscopal.
« Archaïsme, diront les uns; elle s'assoit sur des tom-
bes». « Présomptueuse audace, répondront les autres;
même évincée, elle n'avoue pas sa défaite », Il est
vrai que c'est le droit de l'Église et que c'est aussi
son devoir, de ne pas réputer définitives les évictions
qu'elle subit; pour transformer en évêchés résiden-
tiels les évêchés titulaires, elle escompte les siècles.
En attendant, cette institution permet au Siège de
LA PROPAGANDE ORGANISE SES CONQUETES. ' Vîi
Rome de donner les pouvoirs épiscopaux, sans dio-
cèse effectif, aux personnages qui ont besoin de ces
pouvoirs : tels sont les coadjuteurs des évèques, qui
doivent être en mesure de confirmer, et qui pourtant
n'ont point directement la charge .d'un diocèse; tels
sont aussi les vicaires apostoliques. Ils s'appelèrent
longtemps évèques in partibus infidelium, « parmi
les infidèles » : ainsi désignait-on les musulmans,
dont l'invasion ruina ces antiques évêchés. Mais
Léon XIII, en 1882, voulut .satisfaire à certaines sus-
ceptibilités; il déplaisait au royaume de Grèce, qui
renferme quelques-unes de ces localités déchues, de
passer pour une région d'infidèles ; le pape décida
que les évèques « in partihus infideliutn » seraient
désormais qualifiés évèques titulaires. « Évêque titu-
laire d'Abila, province de Phénicie seconde » : voilà
la dignité de M»"" Fraysse, vicaire apostolique de la
Nouvelle-Calédonie.
Avant les vicariats et les préfectures, la Gerarchia
mentionne neuf délégations apostoliques, sujettes de
la Propagande, et confiées à des ecclésiastiques revê-
tus de la dignité archiépiscopale. Les Délégations
de Constantinople, d'Egypte et d'Arabie, de Mésopo-
tamie, Kurdistan et Asie Mineure, de Perse, de Syrie,
sont attachées ù des vicariats apostoliques; les pré-
lats qui en sont titulaires portent le double titre de
vicaires pour les Latins et délégués pour les Orien-
taux; ils exercent une certaine surveillance sur les
chrétiens des autres rites. L'archevêque d'Athènes a
le titre de délégué apostolique pour la Grèce.
Léon XIII a créé deux délégations apo.stoliques nou-
velles, d'un caractère tout différent : l'une pour les
Indes Orientales, l'autre pour les États-Unis. La pre-
122 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
mière fut instituée par Léon XIII en 1884; M^'' Ag-
liardi, aujourd'hui cardinal, M^"^ Aiuti , aujourd'hui
nonce en Portugal, en furent successivement chargés ;
elle prépara le concordat de 1886, laborieusement
conclu entre le Saint-Siège et le Portugal, la suppres-
sion du droit de patronat que prétendait ce dernier
royaume sur les évêchés de l'Inde anglaise, l'établis-
sement d'une hiérarchie épiscopale en 1886, de deux
vicariats pour les chrétiens unis du rite syro-ma-
labar en 1887. De même les différends provoqués aux
États-Unis par la question scolaire , suscitèrent ,
en 1893, l'envoi de M«' Satolli avec un titre analo-
gue.
SUBSTITUTION DE LA HIERARCHIE EPISCOPALE
AU GOUVERNEMENT DE MISSIONS.
On ne fournit pas une définition complète du do-
maine de la Propagande, en disant qu'il comprend
tous les pays de missions; il englobe aussi des
églises que les missions ont conduites à l'état adulte :
alors, à l'organisation en vicariats et préfectures,
provisoire, faite pour la conquête, se substitue l'or-
ganisation en archevêchés et évêchés, indice d'une
prise de possession durable. A cet égard, l'exemple
de la Grande-Bretagne est caractéristique. Cent cin-
quante ans durant, l'Église y envoya clandestine-
ment des missionnaires; en 1685, sous Innocent XI,
le premier vicariat naquit; en 1688, trois autres fu-
rent créés; en 1840, il yen eut huit. L'Ecosse suivait
les mêmes étapes : un vicariat en 169i,un second
SUBSTITUTION DE LA HIERARCHIE EPISCOPALE. 123
en 1727, un troisième en 1827. Au terme de ce pro-
grès, dans les deux moitiés de la grande île, la hié-
rarchie épiscopale a été rétablie : Pie IX, en 1850, la
ressuscita en Angleterre; Léon XIII, en 1878, la res-
suscita en Ecosse; la métropole de Westminster rè-
gne sur quinze évèchés, celle, d'Edimbourg sur
quatre. En Irlande, pays de majorité catholique, la
série des évéques ne fut interrompue que passagè-
rement par les persécutions protestantes : on pourvut
à cet interrègne par quelques vicariats, et la hiérar-
chie bientôt put être rétablie. Il est naturel, aussi,
que le Luxembourg, presque exclusivement catho-
lique, possède un évèque : c'est en 1833, après l'at-
tribution du grand-duché à la famille protestante de
Nassau, que les fidèles, précédemment soumis à l'é-
vèque de Namur, furent adoptés par la Propagande;
mais leur organisation en vicariat ne pouvait être
maintenue sans bizarrerie; le vicariat devint évêché.
La hiérarchie épiscopale a été rétablie en Hollande
en 18.j3, dans les Indes Orientales en 188(); les ori-
gines de l'épiscopat canadien remontent à 1(174,
celles de l'épiscopat des États-Unis à 1789, celles
de l'épiscopat australien à 1842.
Tiiéoriquement, une terre soumise à la hiérarchie
des Ordinaires, archevêques et évéques, cesse d'être
un pays de missions : il semblerait qu'elle dût né-
cessairement échapper à la Propagande. Mais nous
avons dit les privilèges de cette congrégation, et quels
avantages sont réservés à ses sujets. C'est pourquoi
le Saint-Siège accordait une faveur aux catholiques
de la Grande-Bretagne, de la Hollande et du Luxem-
bourg, de l'Hindoustan, de l'Amérique du Nord et
de l'Australie, en leur permettant de demeurer les
124 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE LÉGLISE.
sujets de la Propagande ; ils réclamaient précisément
cette non-émancipation.
Une remarque s'impose : le domaine de cette con-
grégation comprend des morceaux singulièrement va-
riés. Elle règne à la fois sur le nègre des Grands Lacs
el sur le lord-maire catholique de Londres, en Patago-
nie et à Chicago. Son empire ne se développe pas tout
d'une pièce, d'une façon homogène; hétérogène par
nature, il comprend des Églises adultes, adolescentes,
nouveau-nées et naissantes. Un coup d'œil sur les
États-Unis fait saisir ce mélange : dans la vaste Répu-
blique, des chrétientés de tout âge et de toute forme,
également sujettes de la Propagande, sont ramas-
sées. En 1880, l'archevêque belge Seghers explorait
l'Alaska; il y fut tué; personne encore ne lui a suc-
cédé : voilà le type original de la mission, l'avant-
garde nécessaire, un prêtre qui s'aventure et meurt.
Dans la Caroline du Nord, oîi l'évangélisation des
nègres est urgente, dans les territoires indiens des
Montagnes Rocheuses, enfin dans l'Utah, qu'il faut
disputer aux Mormons, les Joséphistes, les Béné-
dictins, les Jésuites ont des missions, et quelques
vicariats sont érigés; c'est la seconde étape, la mis-
sion organisée, mais ces missions sont englobées
dans les quatorze provinces ecclésiastiques que com-
prennent les États-Unis; le régime de l'Église amé-
ricaine est la hiérarchie épiscopale; en un siècle
elle s'est rapidement développée; et la démocratie
catholique du Nouveau-Monde a pour guides, au-
jourd'hui, treize archevêques et soixante-sept évo-
ques.
COMMENT SONT NOMMKS LES VICAIRES, ETC. ,125
VI
COMMENT SONT NOMMES LES VICAIRES, ORDINAIRES ET
PATRIARCUES SUJETS DE LA PROPAC.ANDE.
La Propagande nommo directement les préfets,
les vicaires, qui ont un caractère épiscopal, et les
évèques résidentiels, sujets de la Propagande, sont
désignés avec plus de formalités. Fréquemment, les
chefs des missions adressent des rapports sur l'état
de leurs Églises ; des interrogatoires détaillés leur
sont soumis, auxquels ils doivent une réponse pré-
cise; l'un de ces questionnaires a pour objet, en cas
de vacance d'un siège épiscopal, « les qualités » du
personnage qui pourrait y être promu. A l'aide de ces
rapports, la Propagande procède aux nominations.
Pour le vicariat apostolique elle désigne immédiate-
ment un nom; elle prie l'Auditeur de Sa Sainteté,
qui a la liste des évèchés titulaires vacants, d'indi-
quer un évèché titulaire pour lequel le nouveau vi-
caire sera proposé au pape. Pour les évéchés rési-
dentiels qui sont de son ressort, elle désigne d'abord
trois noms; les cardinaux delà congrégation, réunis
ensuite en assemblée générale, élisent un nom parmi
les trois. Pour les sièges des Étals-Unis et d'Irlande,
la liste des trois noms, dite terna, est dressée, non
f>ar la Propagande, mais par les curés et chanoines
du diocèse, dont la décision, en même temps qu'elle
est expédiée à Rome, est communiquée aux évêques
<h' la province; ceux-ci, dans un rapport à la Pro-
pagande, apprécient la liste et peuvent même, en
Amérique, en proposer une seconde. Dans cette tenta
126 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
d'origine indigène, la congrégation générale choisit;
le secrétaire annonce au pape les élus de la Propa-
gande, aussi bien pour les évèchés titulaires que
pour les évèchés résidentiels. Les nominations, ap-
prouvées par le pape, sont transmises par bref;
et le pape se contente, au consistoire, de « déclarer»
qu'il les a faites d'après l'avis de la Propagande. En
revanche, c'est en consistoire que les patriarches des
chrétientés unies d'Orient sont confirmés. Désignés
par les évêques de leur nation, ils adressent à Rome
le procès-verbal des opérations électorales; si la
Propagande les juge régulières, elle sollicite l'ap-
probation du pape ; solennellement, en consistoire
secret, il « propose » le patriarche; les cardinaux
opinent oui, et la bulle de nomination prend la
route d'Orient.
VII
LA PAPAUTE ET L ORIENT. — CONGREGATION SPECIALE
POUR LES AFFAIRES ORIENTALES.
A l'étendue des pouvoirs et des domaines de la
Propagande, on peut mesurer le poids de son fardeau.
Elle en est allégée par deux commissions adjointes,
qui examinent les rapports des Ordinaires et des vi-
caires sur l'état de leurs Églises, et les constitutions
des nouveaux instituts de missionnaires, et par une
congrégation particulière pour les affaires de Rite
oriental, que créa Pie IX en iSiS'l. Pour saisir la
portée de cette dernière création, une brève notice
est nécessaire.
1,A l'APVUTÉ ET L'ORIENT. , 127
L'ensemble des règles liturf^iques pour Tadminis-
tration des sacrements et la célébration des offices :
voilà ce qu'on appelle un rite. Les Orientaux, à l'au-
tel, usent de leurs propres langues; les Occidentaux,
du latin. Les Grecs se servent, pour les cérémonies
eucharistiques, de pain fermenté; les Latins et les
Arméniens, de pain azyme, c'est-à-dire sans levain.
A l'élévation de la messe, les chrétiens d'Orient invo-
quent l'Esprit-Saint, et professent, d'ailleurs, que la
répétition du texte sacré : « Ceci est mon corps,
ceci est mon sang », est non seulement nécessaire,
mais suffisante, pour renouveler le miracle eucharis-
tique; dans la messe occidentale cette invocation,
dite « épiclèse », n'existe pas. Ces dill'érences n'affec-
tent point le dogme et n'attestent point, môme, des
façons diverses de l'interpréter. Rome n'a jamais
prohil)é la diversité des rites : au grec qu'elle em-
ploya d'abord, elle substitua le latin, vers le début
du quatrième siècle, pour les chrétientés d'Occident ;
saint Basile et probabhmient aussi saint Jean Chry-
sostome composèrent ensuite, pour les chrétientés
d'Orient, les liturgies grecques qui portent leur
nom; les liturgies syriaque et copte thébaine paru-
rent sans doute au deuxième siècle, les liturgies
arménienne et étiiiopienne vers le cinquième; au
neuvième, saints Cyrille et Méthode, traduisant la
messe grecque en slave, eurent l'approbation d'A-
drien Il et de Jean VIII ; Léon IX, enfin, au onzième,
prescrivit aux Grecs établis en Occident de conserver
leurs rites. X celte attitude de Rome, il est remar-
quable d'opposer celh' de Photius et Cérulaire,
qu'offusquait cliez les Latins une liturgie difl'érento
de la leur.
128 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
Les chrétiens d'Orient, étrangers au rite latin, peu-
vent être classés en trois catégories: 1° les hérétiques,
antique survivance des querelles sur Tlncarnation :
Terreur de Nestorius fut adoptée au cinquième siècle
par les Syriens Orientaux; celle d"Eutychès, vers la
même époque, fît d'importantes conquêtes parmi
les Syriens Occidentaux, qui s'intitulèrent Jacobi-
tes, les Coptes, les Âljyssins, les Arméniens; depuis
treize siècles, ces chrétientés vivent isolées, et leurs
membres à l'heure actuelle, fort ignorants en théolo-
gie, ont à peu près perdu toute notion des divergences
qui les séparèrent jadis de l'Église; — 2° les schis-
matiques ou « frères séparés ». Ils forment la masse
des chrétiens d'Orient. Au moment où l'unité se
rompit, les dogmes étaient les mêmes. Depuis lors,
ils se sont précisés et développés dans l'Église latine,
assoupis et embaumés dans l'Église grecque ; au-
jourd'hui, de part et d'autre, ils sont à deux moments
divers de leur croissance. Dans la foi des Orientaux
le dogme romain est en germe. Les différences entre
les deux Églises, plus importantes apparemment
qu'au début du schisme, ne creusent pas un infran-
chissable fossé. Il serait comblé si les Grecs signaient
un acte d'union au Saint-Siège ; on ne les réputé pas
hérétiques; cette union n'implique donc aucune ré-
tractation. La Grèce, la Roumanie, la Bulgarie, beau-
coup de chrétientés de l'empire Ottoman, la Russie
enfin, sont schismatiques ; — S'' les chrétiens unis
au Saint-Siège.
L'Annuaire de la Propagande énumère douze rites
de chrétiens unis. Le rite grec pur est suivi par
quelques centaines de catholiques à Constantinople,
Césarée de Cappadoce, Margara en Thrace ; la Pro-
L\ PAPAUTÉ ET L'ORIENT. - 12'.t
pagande respecte ces minuscules îlots, confiés au
délégué de Conslantinople ; en outre, elle entretient
deux séminaires, en Calabre et Sicile, pour l'ins-
truction des catholiques de rite grec, que la conquête
turque chassa jadis d'Albanie. Le rite grec bulgare,
observé par trente mille catholiques en Macédoine
et trois mille en Thrace, est remis à deux vicaires,
à Salonique et Andrinople; c'est seulement depuis
1S()() qu'un certain nombre d'adeptes de ce rite sont
revenus à l'unité catholique. Le rite copte compte,
en Egypte, dix mille fidèles unis; ils furent confiés
dès 1()27 à une mission de Franciscains, vicariat
depuis 1815. Le rite éthiopien en compte vingt-cinq
mille en Abyssinie ; un vicaire installé à Keren les
dirige. Le rite syrien du Malabar, dans IHindous-
tan, est pratiqué par deux cent mille adhérents ca-
tholiques; naguère soumis, comme les catholiques
latins, il l'archevêque de Goa et à l'évèque de Vera-
poly, ils dépendent depuis 1887 de deux vicaires.
Les chrétientés, beaucoup plus importantes, qui pra-
tiquent les sept autres liturgies, ont une hiérarchie
constituée. Le rite grec roumain possède dans la Tran-
sylvanie, terre roumaine occupée par les Hongrois,
plus d'un million d'adhérents unis au Saint-Siège;
un archevêque et trois évêques en sont les pasteurs.
DanslaGalicie, la Croatie et la Hongrie septentrionale,
environ 3.400.000 catholiques, avec un archevêque et
quatre évêques, suivent le rite grec ruthêne. Le rite
grec melchite, dont la liturgie emprunte la languearabe
et les cérémonies grecques, est observé par 109.000Sy-
riens, tous catholiques; c'est depuis 1089 qu'un cer-
tain nombre de Melchites renouèrent avec Rome les
antiques relations : ces Melchites ont un patriarche,
130 LE GOU\TRNEMEM CENTRAL DE L'ÉGLISE.
du titre d'Antioche, Alexandrie et Jérusalem, qui
réside à Damas et régit neuf évèchés. En 1783. un
petit groupe de chrétiens de Syrie et Mésopotamie,
professant le rite syriaque pur, s'unit au Saint-
Siège; au nombre de 22.000, ils ont un patriarche
qui réside à Mardin, et neuf diocèses. Dès le début
du dix-septième siècle, des observateurs du rite syro-
chaldaïque, dont la langue est le chaldéen, échangè-
rent le nestorianisme contre la communion romaine :
en Mésopotamie, Perse et Kurdistan, ils sont environ
quarante mille, répartis en onze diocèses, sous l'au-
torité du « patriarche de Babylone « qui réside à
Mossoul. Le rite syro-maronite, dont la liturgie mêle
le syrien à l'arabe, est observé en Syrie et à Chypre
par 275.000 catholiques : il n'y a pas de maronites
non-unis; le patriarche, du ti4;re d'Antioche, réside
près de Beyrouth et commande à huit diocèses. Enfin
le rite arménien, dont la langue est l'arménien, est
professé à Constantinople et Alexandrie, dans l'Asie
Mineure, la Mésopotamie et la Perse, dans la région
de Lemberg en Hongrie, et dans celle d'Artuin en
Russie, par 97.01J0 catholiques environ; c'est au
dix-huitième siècle qu'un certain nombre d'Armé-
niens revinrent à la communion romaine; ils rele-
vaient alors, en Asie du patriarche de Cilicie, en
Europe du vicaire apostolique de rite latin; Pie VIII,
en 1830, créa à Constantinople un archevêché armé-
nien; Pie IX, en 1867, fondit avec cet archevêché le
patriarcat de Cilicie, et transporta à Constantinople
le siège de ce patriarcat. M^^ Âzarian, qui en est ac-
tuellement titulaire, occupe une êminente situation
parmi les chrétientés d'Orient; il eut mission de
porter à Rome, à l'occasion du jubilé épiscopal de
LA PAPAUTÉ ET L'ORIENT. J3l
Sa Sainteté, les compliments du sultan. Un diocèse
hongrois, un diocèse russe, un diocèse égyptien,
(juinze diocèses asiatiques sont sous sa juridiction.
A l'égard de ces rites, la doctrine de la papauté n'a
Jamais changé. Elle leur reconnut, à toute époque, un
droit à Texislence. Elle les protégea, même, contre
lindiscrétion des missionnaires de rite latin, en pro-
hil)ant le passage d'un rite oriental au rite latin :
Nicolas V au quinzième siècle. Pie V au seizième, Ur-
bain Vin et Clément IX au dix-septième, Benoît XIV
au dix-huitième, énoncèrent formellement celte
défense. Les l)ulles Demandalum, de 1743, et Allaliv
suiit, de 1755, publiées par ce dernier pape, sont
décisives; en voici la doctrine : « Lorsqu'un Grec ou
tout autre Oriental non-uni désire revenir à l'unité
catholique, il n'est jamais permis à un missionnaire
de l'engager à quitter son propre rite. Il n'a jamais
été et il n'est permis à personne de rien innover,
(le rien introduire, qui diminue l'exacte et entière
observance du rite grec ». Le rite, pour les chrétiens
d'Orient, est à la fois un élément, un symbole et
une garantie de leur nationalité; Rome exige qu'en
se rattachant à l'Église internationale ils conservent
leur façon nationale de prier Dieu. Et les instructions
données par le Saint-Siège à la congrégation de la
Propagande furent toujours conçues en ce sens.
Depuis trois siècles, cette congrégation consacrt'
aux afl'aires Orientales une attention spéciale. Ur-
bain VIII chargea deux commissions, prises dans la
Propagande, de faire enquête « sur les questions liti-
gieuses relatives aux Orientaux, super dii/nis Orioi-
tdlium, et de discuter les corrections requises par le
missel grec, appelé Euchologe. La seconde commis-
132 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
sion, du vivant d'Urbain VIII, tint quatre-vingt-deux
séances; ses travaux, restés inachevés, furent repris
sous Benoît XIY. Avec une conscience aduiirable, l'ac-
tif et savant pontife les surveilla; il exigeait que la
commission se réunît fréquemment; le secrétaire,
avant chaque séance, devait étudier les pages de TEu-
chologe qu'on allait examiner, et transmettre au
pape, ainsi qu'aux commissaires, un abrégé des dif-
ficultés avec des indications précises, sur l'avis des
commissions antérieures et sur l'opinion des théolo-
giens autorisés. Ainsi travailla-t-on dix ans; en 1754,
une édition de l'Euchologe sortait des presses de la
Propagande. Jusqu'à Pie IX, la commission pour l'é-
tude des livres orientaux fut maintenue. Pie IX, en
janvier 1862, par la bulle Romani Pontifices, résolut
de créer une congrégation de la Propagande pour les
rites orientaux, de Propaganda fide pro negodis ritus
Onentalis, « congrégation spéciale et stable, écrivait-
il, qui s'occupera uniquement de corriger les livres
orientaux et de traiter, dans l'ensemble et dans le dé-
tail, les multiples affaires des Orientaux ». Cette as-
semblée dépend du même préfet que la congrégation
générale de la Propagande, et elle a pour membres
quelques-uns des cardinaux de cette congrégation
générale. Mais elle possède un secrétaire des consul-
teurs et des employés spéciaux. De même que les
affaires de l'Orient étaient attribuées à une congréga-
tion spéciale, de même, dans cette congrégation, les
cardinaux étaient appelés à se partager la besogne.
Pie IX ordonnait que chacun d'entre eux fût chargé
des affaires d'une ou plusieurs nations orientales, et
devînt dans la congrégation le cardinal rapporteur de
ces affaires; par là, les diverses chrétientés unies
LA PAPAUTE ET L'ORIENT. .I;j3
étaient pourvues d'avocats compétents. Par surcroit,
il tira de cette congrégation nouvelle une commission
pour la révision et la correction des livres de TÉgliso
orientale : un cardinal « ponent », nommé par le
pape, y devait présider. La publication de tous les
livres liturgiques de l'Église grecque, commencée en
1872 et achevée eu onze années, attesta l'activité de
cette commission, que guidait la docte expérience du
cardinal Pitra.
Les résultats obtenus sont demeurés fort inférieurs
aux efforts prodigués. L'Orient conservait une grande
défiance à l'égard de la Propagande; il considérait
comme des agents de conquête, menaçants pour ses
propres rites, les missionnaires latins qu elle en-
voyait. Lorsque Pie IX, par les bulles Reversurus, du
l'I juillet 1807, et Ciim ecclesiaslica disciplina, du 31
août 1800, modifia les règles électorales du patriarcat
d'Arménie et du patriarcat de Chaldée, confia le choix
du patriarche aux seuls évoques et le soumit à la con-
iirmation du Saint-Siège, l'Orient s'émut, et les im-
prudentes espérances de certains Occidentaux, qui
rêvaient l'unification des rites comme couronnement
de la centralisation Romaine, semblaient justifier ces
anxiétés. En vain Pie IX, en 1870, par sa lettre à
M»' Pluym et son bref aux Arméniens, s'efforça-t-il
de rassurer les frères d'Orient : dans certaines chré-
tientés unies, des défections se produisirent, dont
Léon Xlll, au début de son pontificat, recueillit la
soumission.
11 ne suffit pas à Léon XIII de rappeler formelle-
ment, dans l'encyclique par laquelle il étendit à lÉ-
glise entière la fête des saints Cyrille et Méthode, et
dans les lettres apostoliques par lesquelles il réforma
134 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE LÉGLISE.
Tordre basilien de Galicie, rattachement du Saint-Siège
à rintégrité desritesorientaux. En envoyant un légat,
en 1893, au Congrès eucharistique de Jérusalem, le
Saint-Siège a voulu se rapprocher des Orientaux. Il
ne connaissait, naguère, les besoins et les souffrances
des chrétientés unies, que par les rapports de la
Propagande; il les connaît aujourd'hui, d'une façon
plus complète et plus intime, par les rapports du car-
dinal Langénieux. A cœur ouvert, les clergés unis
d'Orient ont pu s'entretenir avec le légat, qui, loin de
traiter ombrageusement ses interlocuteurs, provo-
quait au contraire leurs confidences. Dans les rela-
tions du Saint-Siège avec l'Orient, le Congrès de Jé-
rusalem inaugure une phase nouvelle : entre les
chrétientés unies et le pape, il a renoué les liens d'une
confiance réciproque ; et c'était précisément l'absence
de ces liens qui rendait inféconde l'action de la Pro-
pagande en Orient. Deux politiques étaient en pré-
sence. L'une, implicitement professée et volontiers
appliquée, malgré la doctrine contraire des papes,
par certains missionnaires de rite latin, pouvait s'é-
noncer ainsi : « Pour convertir les Orientaux, il faut
leur imposer le rite latin, il faut qu'ils cessent d'être
Orientaux, bref, les supprimer ». L'autre politique,
résultant logiquement de la tradition romaine, con-
seillait d'écouter les chrétientés unies, de les traiter
avec une affection et une déférence assidues, de les
honorer sous les regards des schismatiques, de les
rendre assez fortes pour qu'elles devinssent, chacune
en leur nation, des centres de propagande, et de pré-
parer, ainsi, la conversion des Orientaux par les
Occidentaux. C'est dans cette seconde voie que le
Saint-Siège s'engage.
LES COLLÈGES DE LA PROPAGANDE. 13:.
En octobre 1804, le pape, le cardinal archevêque
lie Reims et trois patriarches orientaux, réunis à
Kome en un de ces colloques dont l'habitude avait de-
puis longtemps disparu, ont avisé aux moyens de
rendre plus florissantes les chrétientés unies d'Orient^
de développer leur vitalité, de les pourvoir d'écoles et
de séminaires indigènes.
Il n'est pas impossible, même, que les affaires d'O-
rient soient conhées, dans la suite, à l'étude d'une
congrégation spéciale, complètement distincte de la
Propagande. La réunion des frères séparés demeure
l'idéal lointain du Saint-Siège; mais pour l'instant,
l'œuvre immédiate et pratique qu'il entreprend peut
être définie : le relèvement des frères unis.
VIII
LES COLLÈGES DE LA PROPAGANDE. — INSTRUCTIONS DE
LÉON Mil POUR LA FORMATION DE CLERGÉS INDIGÈNES.
Sous Urbain VIII, un prélat espagnol, Jean-Bap-
tiste Vives, offrit à la Propagande le palais qu'il pos-
sédait a Rome sur la place d'Espagne. En 1020, le
pape acepta l'offre. II érigea, dans le palais, un col-
lège pontifical ou séminaire apostolique, « sous le pa-
tronage des Apôtres Pierre et Paul, et sous le nom
d'Urbain, pour la propagation et la défense de la foi
catholique et apostolique ». Ce collège était destiné
aux clercs « de toutes nations et de toutes races », ex
omni cjcnte et natione. La création de vingt-cinq
bourses par le capucin Antoine Harberini, frère d'Ur-
bain VIII, et de dix bourses nouvelles par le testa-
136 LE GOUVERNEMENT CENTRAL D£ L'ÉGLISE.
ment de Vives, enfin les bulles de 1G37 et 1639, qui
assuraient au collège certaines ressources, affermi-
rent cette fondation. Elle est aujourd'hui dirigée par
des séculiers subordonnés au préfet et au secrétaire
de la Propagande. Les élèves sont originaires des
pays infidèles ou hérétiques. En 1892, ils étaient cent
vingt, d'origines fort diverses. Clément XIV quali-
fiait le collège Urbain « séminaire de l'Église univer-
selle ». Jadis, le dimanche après l'Epiphanie, on y
donnait une solennelle séance littéraire, appelée la
fête des langues; le 6 janvier 1870, devant une assem-
blée cosmopolite d'évêques réunis pour le concile, la
cosmopolite jeunesse des clercs développa, en trente
idiomes différents, des textes relatifs à l'Epiphanie.
(( MoiN... fils de N..., du diocèse de N..., par-
faitement informé de l'organisation de ce collège, je
me soumets de moi-même à ses lois et à ses consti-
tutions, j'y adhère conformément à l'interprétation
des supérieurs, et je promets de les observer dans la
mesure de mon pouvoir; en outre, je jure que, tant
que je resterai dans ce collège et lorsque, mes études
achevées ou non achevées, j'en serai sorti, je n'en-
trerai dans aucun ordre religieux ou dans aucune
congrégation de réguliers, sans la permission du
Siège Apostolique ou de la congrégation de la Propa-
gande. Je jure d'envoyer à la Propagande des rap-
ports sur mon activité et les conditions de l'endroit
où je séjournerai: et cela chaque année si je suis en
Europe, tous les deux ans si je suis hors d'Europe. Je
jure que, sur l'ordre de la Propagande, je gagnerai
sansretardma province, afin d'y dépenser perpétuel-
lement mes fatigues et mes soins, pour le salut des
âmes, dans l'administration des choses divines; ainsi
LES COLLÈGES DK LA PROPAGANDE. 137
lerai-je, lors môme qu'avec la permission du Saint-
Siège, je serais entré dans un ordre religieux ou dans
une congrégation de réguliers et y aurais fait profes-
sion ». Depuis Alexandre VII, en 1660, tous les élèves
du collège Ur])ain prêtent ce serment. Institutrice de
leur jeunesse, la Propagande demeure la gouver-
nante de leur vie : ils ne peuvent rien contre ses
ordres, ne veulent rien sans son consentement, ne
doivent ni l'oublier ni se laisser oublier. Urbain VIII
définit ainsi leur devoir : « s'exposer à la mort et au
martyre, si besoin est, pour la défense, les progrès,
la diffusion et la propagation de la foi, et cela jusqu'à
la fin des siècles, jusqu'à ce que le nombre des élus
soit complet et qu'il n'y ait plus qu'un seul pasteur et
un seul bercail ». Parfaire le nombre des croyants jus-
qu'à ce qu'il atteigne celui des vivants : voilà le but du
collège Urbain. Verser leur sang pour cette œuvre :
voilà l'ambition proposée à ses élèves ; la ceinture,
la bordure et les boutons rouges qui tranchent sur
leur noire soutane, apparaissent aux jeunes Propa-
gandistes comme une annonce, parfois vérifiée, de
cette sanglante destinée.
A Rome et hors de Rome, un certain nombre de
séminaires et collèges, à cùté du collège Urbain, pré-
parent des missionnaires pour le service de la Propa-
gande. On les doit classer en deux catégories : dans
les uns, les clercs, issus de nations infidèles ou héré-
tiques, se préparent à évangéliser leurs compatriotes ;
dans les autres, les clercs, issus le plus souvent de
nations catholiques, se préparent à prêcher l'Évangile
à des peuplades qui leur sont étrangères aussi bien
par la race que par la langue.
Parmi ce dernier groupe, l'établissement le plus
8.
138 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
considérable est le séminaire des Missions étrangères
de Paris: depuis 1663, il a fourni près de quatre-
vingts noms au martyrologe; il comptait, en 1892,
lieux cent soixante-quatre élèves, et neuf cent dix-
sept anciens élèves répandus dans l'Asie orientale et
méridionale. Le séminaire des Missions africaines
de Lyon, le séminaire des Missions étrangères de
Milan, le séminaire romain de Saint-Pierre et Saint-
Paul, le séminaire de Vérone pour les missions parmi
les nègres, le collège Brignole-Sale de Gènes, le sémi-
naire de Saint-Joseph du Sacré-Cœur à Mill-Hill, le
séminaire hollandais de Styl, le collège américain de
Louvain, le collège anglais de Bruges et la congré-
gation du Cœur Immaculé de Marie, de Scheut-lès-
Bruxelles, datent du pontificat de Pie IX. A l'origine
de toutes ces institutions, vous rencontrez Finitiative
privée ; ce n'est pas Rome qui les a fait surgir, elles
ont surgi pour se donner à Rome.
Je passe aux collèges qui instruisent pour divers
pays des prédicateurs indigènes. Plusieurs ont une
origine officielle : un pape est leur créateur. C'est
le cas du collège anglais, qu'établit à Rome Gré-
goire XIII en 1579; les élèves, anglais d'origine, pro-
pagent la foi romaine en Angleterre. A Valladolid
depuis 1592, à Lisbonne depuis 1662, deux autres
collèges anglais ont une clientèle et un ])ut analo-
gues. L'Ecosse a son collège à Rome, fondé par Clé-
ment VIII en 1600, et un second à Valladolid, de-
puis 1627. Le collège irlandais de Rome fut fondé, au
début du pontificat d'Urbain VIII, par le cardinal Lu-
dovisi ; à Paris, dès le seizième siècle, existait un pa-
reil séminaire, encore très prospère ; les Franciscains,
en 1625, créèrent à Rome, sous le vocable de Saint-
LES COLLEGES DE LA PROPAGANDE. 139
Isidore, un second collège pour l'Irlande; et les Au-
guslinsen installèrent un troisième en 1739. En 1892,
cent quarante et un Irlandais (dont quatre-vingt-trois
à Paris), trente-neuf Écossais, quatre-vingt-quinze
Anglais, se recueillaient dans ces différents asiles,
avant de porter la foi romaine en Grande-Bretagne.
Pie IX, en 1859, établit à Rome un collège pour les
États-Unis, et Léon XIII, en 1888, un collège pour le
Canada; ils comptaient, en [H\)-I, le premier soixante-
cinq clercs, le second vingt et un. Le collège albanais,
fondé à Scutari en 1858, donne des prêtres à l'Albanie,
où les séminaires font défaut. Au dix-huitième siècle,
Mathieu Ripa fondait à Naples le collège de la Sainte-
Famille, pour l'éducation de jeunes Chinois et de
jeunes Indiens, futurs apôtres de leurs pays ; dépos-
sédé par le gouvernement italien, ce collège a été
rétabli aux frais de la Propagande; en 1892, huit
Chinois en étaient élèves. Plus important est le col-
lège qu'entretient dans TExtréme Orient, depuis IGGG,
le séminaire des Missions étrangères de Paris, et qui
depuis 1807 est installé à Poulo-Penang : il reçoit
des Chinois, des Indo-Chinois, des Birmans, et les
renvoie instruits et consacrés dans leurs patries; il
abritait, en 1892, quatre-vingt-dix élèves. Enfin dans
plusieurs vicariats de la Chine, existent des grands
séminaires, où l'élite des catholiques chinois est
élevée pour la prêtrise.
La multiplication des ap<Hrcs indigènes, instruits
soit à l'étranger, soit dans leurs propres nations, et
-^e consacrant exclusivement à la conversion de leurs
'Ompalriotes : c'était là, au seizième siècle, le sou-
hait le plus ardent de saint François Xavier, et
Léon XIII, au dix-neuvième, le répète impérieuse-
140 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
ment. Il écrivait en 1893, dans sa lettre aux Indiens :
« Le zèle des hommes apostoliques venus d'Europe
rencontre beaucoup d'obstacles, dont les plus grands
sont l'ignorance de la langue du pays, bien difficile à
apprendre, la nouveauté des mœurs et des habitudes
auxquelles on ne se fait pas toujours, même après de
longues années; aussi le clergé européen reste-t-il
considéré, dans l'Inde, absolument comme étranger.
De même, à cause de la moins grande confiance des
indigènes envers les étrangers, il est évident que
des prêtres du pays produiront des fruits de salut
beaucoup plus abondants ». Et Léon XIII rappelait
qu'en Chine, aux époques de persécution, les vica-
riats gérés par les prêtres chinois survécurent
intacts; en Ethiopie, au contraire, où toutes les mis-
sions étaient composées d'étrangers, elles furent ba-
layées, et du coup deux cent mille chrétiens furent
perdus. Encore que les séminaires du premier
groupe, installant dans les régions lointaines des
prédicateurs exotiques, rendent de précieux servi-
ces, les collèges du second groupe, empruntant des
indigènes et restituant des missionnaires aux peu-
ples mêmes qu'il s'agit d'amener à l'Église, sont
d'une plus grande efficacité ; on ne peut les installer
d'ailleurs que pour la conversion des pays où l'É-
glise romaine occupe déjà quelques positions ; ail-
leurs ils ne pourraient se recruter.
Naturellement, pour former le clergé destiné aux
chrétientés unies de l'Orient, c'est à ce second type
de séminaires que le Saint-Siège recourt; il suffirait
de ce fait, pour attester sa sincère bienveillance à
l'égard des rites orientaux. Grégoire XIII, dès la fin
du seizième siècle, établit à Rome un collège pour les
L'ECONOMIE DE LA l'UOPAGANDE. 141
Grecs et les Maronites et projetait d'en créer un pour
les Arméniens; ils devaient être élevés dans leurs
rites respectifs et rendus ensuite à leur patrie. Ce
collège, après diverses vicissitudes, devint, sous
Grégoire XVI, le collège grec-ruthène. Par un
bref du l" mars 188 i, Léon XIII a créé à Rome un
collège pour les clercs arméniens; le rétablissement
d'un collège pour les Maronites a été décidé en 1891.
Si convaincu qu'il soit de légale excellence des di-
vers rites, le prêtre latin chargé d'instruire les
Orientaux considère instinctivement sa propre litur-
gie comme la meilleure : de là des susceptibilités con-
traires aux intentions du Saint-Siège et aux intérêts
de l'Église. C'est par des clergés indigènes que le Vati-
can, de plus en plus, fortifiera sa prise sur Tunivers:
lorsqu'il voulait faire du collège Urbain de la Propa-
gande une pépinière pour ces divers clergés, le pape
Urbain VIII devinait les nécessités de l'avenir.
IX
L ECONOMIE DE LA PROPAGANDE; SES REVENUS:
CONVERSION DE SES RENTES,
Les besoins de la Propagande, à l'avenant de ses
ambitions, sont immenses. Grégoire XV commença
d'y pourvoir : il « l'enrichit à perpétuité par le re-
venu des anneaux cardinalices : pcrpetuo ex annulis
rardinaliliis cam locupletavit », dit une inscription
gravée dans l'église du collège Urbain. Le pape,
en consistoire, créant un cardinal, lui remet un
saphir : c'est la Propagande qui fournit cet anneau.
142 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE LEGLISE.
Grégoire XY, en retour, réclama de chaque Émi-
nence nouvelle, au profit de la congrégation, cinq
cents écus d'or (environ cinq mille francs). Pie YIII
réduisit la taxe à six cents écus d'argent (environ
trois mille francs'i. Elle continue d'être requise et
versée. Clément X, lorsqu'il prit la tiare, n'avait pas
encore acquitté cette dette ; on ne lui fit pas grâce
du paiement. De nombreux legs en argent, aux dix-
septième et dix-huitième siècles, accrurent les res-
sources de la Propagande : Innocent XII, Clément XII,
les cardinaux Âbda et Splnola. comptèrent parmi ses
bienfaiteurs. Au cardinal préfet, qui surveillait, à
l'origine, les intérêts temporels en même temps que
la mission spirituelle de l'établissement, fut adjoint
un cardinal économe [prxfectus rei œconomicœ cu-
randœ); d'abord, tous les quatre mois, cette fonction
changea de titulaire; Clément XIII la rendit stable.
Elle est exercée, aujourd'hui, par le cardinal Vin-
cenzo Vannutelli.
L'invasion de l'État Romain par les troupes fran-
çaises et les lourdes exigences de la paix de Tolentino
ruinèrent en peu de temps les finances papales. Lai
Propagande en pâtit. Lentement, au cours du dix-
neuvième siècle, elle a reconstitué sa fortune. Pie VII,
en 1817, lui vint en aide; il lui permit de prélever
chaque année, sur la caisse dite des Sporjli, trente
mille écus (environ 101.000 francs); on appelait ainsi
la caisse pontificale à laquelle affluaient les revenus
des bénéfices ou évèchés italiens dépourvus de
titulaire ; après distraction des frais nécessaires au
culte, ces revenus étaient réclamés par l'administra-
tion des Spogli. Comme le chiffre d'écus que conte-
nait cette caisse fut toujours inférieur aux prévisions
L'ÉCONOMIE DE LA PROPAGANDE. 1 irJ
de Pie VIJ, la Propagande n'avait pas, en réalité, -de
prélèvement à faire, mais simplement à vider la
caisse. Ainsi fit-elle, et le cardinal économe de la
Propagande est en même temps président de la « Ro-
verenda Caméra degli Spogli ». Mais cette ressource,
]ieu à peu, a singulièrement baissé. Un certain nom-
bre de diocèses, par une taxe fixe annuellement payée,
échappent à l'intervention des collecteurs des Spo-
i/li ; et Léon XIII, en 188.S, à l'occasion de son jubilé
sacerdotal, a déchargé les évèques d'Italie, pour une
période de vingt ans, de ces taxes intérimaires. Do
notre temps comme aux siècles passés, c'est surtout
par la charité des catholiques de l'univers que la
Propagande est assidûment secondée. Trois œuvres
franf-aises, tour à tour grefTécs lune sur l'autre, ren-
dent aux missions d'insignes services : l'œuvre de la
Propagation de la Foi, l'ondée à Lyon en 18:i2; l'œu-
vre de la Sainte-Enfance, fondée en 1843; l'œuvre
des Parlants, qui date du pontificat de Léon XIII. Les
deux premières récollent les oboles de la chrétienté
au profit des non-chrétiens; la troisième, encore
jeune, se propose de payer les frais de voyage des
missionnaires expédiés à de lointaines destinations.
On évalue les rentes annuelles de la Propagande
à GOO.OfX) francs. Pour le seul entretien du collège
Lrbain, 170.000 sont dépensés. Le budget de celte
congrégation ne doit pas seulement prévoir les frais
ordinaires requis pour l'instruction des apôtres et
pour l'entretien de certaines missions, spécialement
orientales, qu'elle prend à sa charge; il est fréquem-
ment grevé d'autres dépenses, non moins urgentes
quinallendut's. Qu'une catastrophe afilige une chré-
lienlé, immédiatement la Propagande est sollicitée ;
144 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
de 1860 à 1870, elle aliéna, pour distribuer des se-
cours extraordinaires, deux millions de ses capitaux.
Il importe à Tinlérêt des missions que la Propa-
gande soit riche et qu'elle puisse user de ses richesses;
en 1884, le gouvernement italien prit à son égard une
alarmante décision. Une loi de 1873 ordonnait la con-
version en rentes italiennes de toutes les propriétés
des œuvres ecclésiastiques de Rome. Dès 1874, la
«junte liquidatrice » commise à cette opération vou-
lut toucher à une villa de la Propagande, mais les tergi-
versations de Victor-Emmanuel ajournèrent un pro-
cès dont il redoutait le scandale. Le débat se rouvrit,
en 1880, par un acte du commissaire royal : il fit met-
tre aux enchères, au nom de l'Italie, les biens de la
Propagande, qui, par leur origine et la destination de
leurs rentes, appartiennent à la chrétienté. En 1881»
le tribunal et la Cour d'appel de Rome prirent parti
contre la congrégation , la Cour de cassation pour elle.
Conviée par cette dernière juridiction à se pourvoir
devant la Cour d'appel d'Ancùne, la Propagande y fut
condamnée; la Cour de cassation, de nouveau consul-
tée, infligea en 1884 un parfait démenti à son arrêt
de 1881, et ratifia la condamnation. La conversion
des biens de la Propagande en rentes italiennes deve-
nait inévitable. M. Ruggero Bonghi, l'auteur même
de la loi des garanties, écrivait : « En paralysant ou
en troublant l'action de la Propagande, on ne rend
service ni à l'humanité, ni à la civilisation, ni à
l'Italie ».
Auparavant la congrégation, dans les circonstances
extraordinaires, consacrait au salut des chrétientés
lointaines, non seulement ses rentes, mais même une
parcelle de ses capitaux; désormais cette dernière gé-
LÉCONOMIE DE LA PROPAGANDE. 14:.
nérosité lui devenait impossible : ses richesses étaient
immobilisées entre les mains du fisc. Auparavant la
Congrégation plaçait et exploitait ses capitaux à son
gré; désormais elle ne pouvait posséder que des
rentes italiennes; le chiffre même de ses ressources
était ainsi subordonné aux variations du crédit italien;
en 1801, les expédients financiers auxquels le royaume
est réduit ont diminué de quarante mille francs
les revenus de la Propagande; et comme la conver-
sion faite en 1884 est maintenant irréparable, certains
publicistes italiens constatent, avec une machiavé-
lique ingénuité, qu'une banqueroute de l'Italie serait
une banqueroute de la Propagande et que le Saint-
Siège, financièrement, est le prisonnier du royaume
subalpin. Il est intéressant de relire, aujourd'hui, les
polémiques diplomatiques qu'échangèrent, en 188i,
à la face de l'Europe, le cardinal Jacobini et le minis-
tre Mancini : le premier dénonçait les périls de la con-
version, en même temps qu'il en signalait l'injustice;
le second aftirmaitlinoffensive correction du procédé.
De tous les points du monde, les protestations affluè-
rent; elles furent rassemblées en deux gros volumes.
Mais la Cour de cassation de Rome avait jugé en
dernier ressort; l'Italie passa outre à la manifestation
de l'univers chrétien.
Le premier soin de la Propagande ainsi frappée fut
de se ménager la libre disposition des biens que lui
procurerait, dans l'avenir, la charité catholique. Le
i.*» mars 188i, le cardinal Simconi désigna onze villes
d'Europe — toutes hors d'Italie, naturellement, —
trois d'Asie, une d'Afrique, sept d'Amérique, une
d'Australie, où devaient être élal)lies, auprès des non-
ces, évéques ou vicaires aposlolifiues, des procures
LE VATICAN. — II. 9
146 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
de la Propagande. A l'heure présente, pour assurer
à la congrégation la sûre et libre possession des libé-
ralités qu'ils lui offrent, les catholiques empruntent
le canal de l'une de ces procures, soustraites par leur
situation même au contrôle de la monarchie italienne.
Traitée par l'Italie comme un établissement national,
la Propagande, internationale par essence, répondit
en essaimant dans l'univers des bureaux d'adminis-
tration ; et les donateurs qui l'enrichissent ont désor-
mais un moyen d'accroître les revenus de cette con-
grégation sans grossir, par là même, les capitaux
de l'Italie royale.
LA TYPOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE. — CONCLUSION.
La congrégation de la Propagande ne mérite pas
seulement la reconnaissance des chrétiens et des phi-
lanthropes, mais celle aussi des philologues. A peine
fut-elle fondée, qu'elle souhaita de posséder une im-
primerie pour fournir au collège Urbain et aux mis-
sions des livres en diverses langues. Dès 1626, cette
imprimerie fut créée ; et l'on réunit, en quelques mois,
des poinçons et des matrices qui coulèrent près de
cent mille francs. Le grand-duc de Toscane possédait
une collection de caractères orientaux; l'empereur
Ferdinand II, une collection de caractères illyriens :
les deux collections furent offertes à la Propagande.
L'imprimerie, dès ces premières années, fut d'une
telle activité, qu'elle fit paraître, dès 1639, un catalo-
gue de ses publications. Elle eut pour directeurs, au
dix-huitième siècle, certains savants délite : l'abbé
LA TYPOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE. 147
Ruggeri en 1753, labbé Amaduzzi en 1773; c'est
Amaduzziqui, le premier, fit connaître en Europe cer-
tains alphabets de lExtrème-Orient. Au temps de la
Révolution française et du premier Empire, 1" impri-
merie de la Propagande perdit une grande partie de
ses riciiesses; elle les reconstitua rapidement sous le
pontificat de Grégoire XVI. A la mort de ce pape, elle
pouvait imprimer des livres en cinquante-cinq lan-
gues : vingt-deux asiatiques, vingt-sept européennes,
trois africaines, trois américaines. Sous Pie IX, les
éditions des livres liturgiques orientaux, préparées
par la soigneuse érudition du cardinal Pitra, sont sor-
ties des presses de la Propagande. Elle a publié, sous
Léon XIII, la grande édition de saint Thomas d'A-
quin, dite édition Léonine. Enfin le manuscrit grec
de la Bible que possède la Bibliothèque du Vatican fut
publié, par les soins de la Propagande, de 1869 à
18SI.
Cette congrégation possède aussi un important Mu-
sée, que créa jadis le cardinal Etienne Borgia. On y
conserve la carte du Nouveau-Monde sur laquelle le
pape Alexandre VI traça une ligne de démarcation
entre les conquêtes des Portugais et celles des Espa-
gnols, des livres chinois, des manuscrits orientaux,
des idoles de diverses provenances.
Telle est l'activité de la Propagande. Pour lui accor-
der, à elle seule, une aussi large place qu'à toutes les
autres congrégations, nul artifice n'était nécessaire.
Volontiers les philosophes contemporains signalent,
dans l'évolution des sociétés, une diflérenciation pro-
gressive des organes, qui se multiplient à mesure que
se précisent et se distinguent les fonctions. Selon le
point de la carte où l'on regarde, on saisit la vie de
148 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
l'Église à l'une ou à l'autre des deux phases que
traverse toute société. Dans les pays de missions, la
Propagande a la gestion générale. Dans les vieux
pays catholiques, toutes les congrégations régnent,
chacune suivant son office : la spécialisation est ac-
complie. Là l'existence est simplifiée, ici elle est com-
pliquée. De part et d'autre, la société religieuse de-
meure une et homogène, sans heurt ni dislocation.
CHAPITRE YII
La cour pontificale.
I
LA PRÉLATURE ACTIVE, SES DIVERSES FONCTIONS. — PRK-
LATS palatins; CAMÉRIERS SECRETS PARTICIPANTS. —
PROTONOTAIRES PARTICIPANTS. — PRÉLATS DE COLLÈGE.
— CÉRÉMONIAIRES. — CHAPELAINS SECRETS.
On range sous la rubrique : Prêlaluro, deux caté-
gories d'ecclésiastiques. La première, peu nombreuse,
comprend les prélats qui remplissent près du pape
des fonctions actives moyennant un traitement annuel.
La seconde, dont les cadres sont élastiques, comprend
un certain nombre de prélats vivant à Rome, un
grand nombre vivant hors de Rome : leur dignité,
purement honorifique, les convie à shabiller de vio-
let et à se qualifier « Monseigneur » ; elle les rehausse,
mais ne les nourrit pas; elle est une récompense
prestigieuse, mais nullement lucrative, de leurs ser-
vices.
.\u premier rang des prélats actifs sont les prélats
palatins. Le plus haut, le majordome, est le gérant
l.-iO LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
suprême de la maison du Pape. A ce titre, il sur-
veille l'intérieur du Vatican, en désigne le personnel,
et distribue les cartes d'entrée pour les cérémonies
publiques oii paraît Sa Sainteté. Cette surintendance
est d'ailleurs limitée, comme il convient, par les pou-
voirs du cardinal-secrétaire d'État, préfet des palais
apostoliques. — Le prélat maître de chambre est le
distributeur des audiences : son entremise est indis-
pensable pour approcher le pape. Les secrétaires des
congrégations doivent être reçus, à intervalles régu-
liers, pour soumettreles décisions : c'est lui qui dresse,
chaque semestre, le tableau général de ces audiences
périodiques. Les fidèles qui souhaitent d'être admis
auprès du pape recourent au maître de chambre; il
les convoquera s'il y a lieu. — L'auditeur de Sa Sain-
teté prépare la besogne des consistoires ; nous avons
dit que les préconisations épiscopales requièrent
l'examen de ce prélat. — Le maître du Sacré Palais,
un Frère Prêcheur, est le gardien de la librairie
romaine ; jadis tous les écrits publiés à Rome étaient
pourvus de son Imprimatur. — Le sacriste est préposé
à l'entretien de la sacristie du Pape; il veille sur les
reliques qui y sont déposées ; il est le curé de la popu-
lation du Vatican. — Le secrétaire de la Cérémoniale
connaît l'étiquette ; préfet des cérémonies pontificales,
il la fait observer. Il est à la fois pouvoir législatif et
exécutif.
Sous le titre commun de camériers secrets partici-
pants, la Gerarchia range : l'aumônier secret, loin-
tain successeur du diacre saint Laurent, président du
bureau d'aumônes ; le secrétaire des Brefs aux prin-
ces, le substitut de la secrétairerie d'État, le sous-
dalaire, le secrétaire des lettres latines, personnages
LA PllÉLATURE ACTIVE. 151
(\m nous sont familiers; — et quatre autres, enfin,
([ui font réellement office de camériers secrets parti-
cipants : l'échanson {coppiere), attaché jadis à la table
du pape lorsque celui-ci recevait (souci dont il est
affranchi depuis 1S70); le secrétaire d'ambassade,
chargé de porter aux princes de passage à Rome les
cadeaux du pape; le « garde robe », préposé au ves-
tiaire; et un quatrième camérier auquel la Gerarcliia
n'assigne aucune attribution spéciale. INi le quatrième
n'est désœuvré, ni les trois premiers ne sont absorbés
par l'oftice spécial auquel ils empruntent leur nom;
ils forment, à eux quatre, l'entourage assidu du pape,
et s'acquittent, réellement, d'un service de cour.
Les sept protonotaires participants formaient aux
quinzième et seizième siècles un collège important. Us
ont encore, dans les consistoires, un rôle et une place ;
ils dressent, à certains moments solennels des funé-
railles et du conclave, des procès-verbaux; enfin
l'adjonction d'un protonotaire aux congrégations des
Rites et de la Propagande témoigne que le notariat
apostolique n'est point devenu une complète siné-
cure.
On appelle prélats de collège les membres des
quatre collèges prélatices. Le premier, le tribunal de la
Rote, prit à partir du quatorzième siècle un sérieux
développement. Ses décisions avaient des considé-
rants : elles se distinguent, par là, des sentences
laconiques des congrégations romaines. « Le tribunal
suprême des États Romains, écrivait en 1831 le comte
de Tournon, est la Socra Ituola Romana, qui reçoit
les appels des jugements de tous les tribunaux infé-
rieurs, lorsque la valeur du litige dépasse H:2o scudi.
L'étendue de la juridiction de ces douze amphictyons
152 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
était fort grande dans les temps anciens, et, de toutes
les parties de l'Europe, on s'en remettait à la sagesse
reconnue de leurs décisions. Maintenant, la Rote n'est
plus qu'un tribunal d'appel pour les seuls États pon-
tificaux dans les causes civiles. Les auditeurs de Rote
sont des prélats du second rang, entourés d'une
grande considération; et ceux qui appartiennent
aux couronnes remplacent, dans certains cas, leurs
ambassadeurs. Parmi les auditeurs français, on
a souvent compté des hommes de premier mérite,
tels que MM. de Polignac, depuis cardinal et auteur
de Y Anti-Lucrèce, de Canillac, de Very, de Bayanne
etisoard, ces deux derniers cardinaux ». Aujourd'hui
la Rote est inoccupée; cour d'appel et jury amphic-
tyonique chôment également. Mais les cadres en exis-
tent toujours : elle compte neuf auditeurs, un Autri-
chien, un Français et sept Italiens. Ils sont associés
aux travaux des RUes et remplissent près du pape les
fonctions de sous-diacres. Dans les diplomatiques
dialogues entre le Saint-Siège et les États étrangers,
les auditeurs de Rote appartenant à ces États placent
opportunément leur mot : le caractère de leur nomi-
nation, la nature de leur activité, les convient à ser-
vir deux maîtres : le pape et leur pays ; ils esquivent
le péril en travaillant à l'entente de ces deux maîtres,
et leur action, discrète et constante, peut seconder
utilement les diplomaties nationales. Depuis 1879,
l'auditeur de Rote pour la France est M-"" Mourey.
Le second collège est celui des clercs delà Chambre
Apostolique. On appelait ainsi, jadis, le ministère des
finances des États Romains. Aujourd'hui les huit
clercs de la Chambre, sous la direction du camerlin-
gue, gèrent les palais apostoliques durant Tinter-
LA PRÉLATURE ACTIVE. 153
règne : c'est à peu près Tunique occupation qui leur
reste. Le troisième collège, celui de la signature
papale de justice, était, dans les États Romains, une
cour de cassation qui prononçait sur les récusations
et règlements déjuges, sur les demandes en révision,
sur la violation des formes de procédure. On en rem-
plit toujours les cadres; il comprend cinq prélats
votants et soixante et un référendaires, leurs fonctions
sont des sinécures. Le quatrième collège, celui des
abréviateurs du Parc Majeur, a été mentionné au
chapitre IV. Les listes des diverses prélatures sont
nombreuses et longues; mais le nom du même prélat
se trouve sur plusieurs listes. On peut être à la fois,
par exemple, abréviateur du Parc Majeur, prélat vo-
tant à la signature papale de justice, protonotaire
apostolique surnuméraire : chacune de ces fonctions
suffit pour conférer le titre de Monseigneur; mais on
les accumule sur la tète du même Monseigneur, pour
Thonorer et l'occuper.
Certains camériers secrets, d'un degré moins élevé
que les camériers secrets participants, sont intime-
ment mêlés aux détails de la cour pontificale : ils
forment les collèges des maîtres des cérémonies; ils
sont onze, dont six surnuméraires; la congrégation
de la Cérémoniale les a pour consulteurs. Enfin les
chapelains secrets font à la chapelle papale un service
actif; ils sont six; le secrétaire privé de Léon XIII,
M»"" Angeli, appartient aux chapelains secrets.
154 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE.
II
LA PRELATURE HONORIFIQUE :
DIVERS TITRES DE CETTE PRÉLATIRE.
La prélature purement honorifique nous occupera
moins longtemps! Elle comprend : l^le collège des pa-
triarches, archevêques et évêques assistants au trône
pontifical : le pape y fait entrer un certain nombre
de membres de la hiérarchie ecclésiastique ; le collège
comprend, à l'heure présente, cent trente-six mem-
bres patriarches, archevêques, ou évêques. Les prélats
assistants, lorsqu'ils sont à Rome, forment le cortège
pontifical dans les cérémonies solennelles; — 2" en-
viron deux cents protonotaires ad instar jmrticipan-
tium: — 3° plus de deux cents prélats de la maison de
Sa Sainteté ; — 4° plus de six cents camériers secrets
surnuméraires; — 5° les trois cent dix-huit camériers
d'honneur en habit violet ; — 6° plus de trois cents
camériers dhonneur hors de Rome, extra urbem; —
7° plus de cinquante chapelains secrets d'honneur; —
S° plus de quatre-vingts chapelains secrets d'honneur
hors de Rome, extra urbem. Le nombre de ces prélats
est illimité : sur une recommandation notable, le pape
élève à l'une de ces dignités les ecclésiastiques qu'il
veut récompenser. Ils doivent à cet honneur le titre
de Monseigneur, le col violet, insigne de la prélature
entière, et, suivant leur rang, des costumes violets
plus ou moins semblables à l'habit épiscopal. Ceux
qui sont seulement camériers et chapelains d'honneur
extra urbem doivent abdiquer, dans Rome, leur titre
et leur costume : si le pape quittait Rome, ils pour-
LES DIGNITAIRES LAÏQUES. 155
raient prendre service auprès de lui. Aucune obliga-
tion n'enchaîne ces diverses classes de prélats. Seule-
ment, les camériers secrets surnuméraires et les
camériers dhonneur en habit violet, soit qu'ils rési-
dent à Rome soit qu'ils y fassent un séjour suffisant,
peuvent, s'ils le souhaitent, faire le service de cour,
une semaine par an, les premiers dans l'antichambre
secrète, les seconds dans l'antichambre d'honneur.
III
LES DIONITAIRES LAÏOLES. — POUKOUOI LA FAMILLE
PONTIFICALE s'EST ACCRUE AU DIX-.NEUVIÈME SIÈCLE.
A ces camériers ecclésiastiques savamment éche-
lonnés, correspondent des séries parallèles de ca-
mériers laïques : d'abord les camériers secrets de
cape et d'épée surnuméraires; puis les camériers
d'honneur de cape et d'épée. Les premiers étaient six
il y a un siècle; ils sont maintenant plus de trois
cents. Les seconds dépassent le chiffre de cent. Fort
au-dessus de ce^ menus dignitaires s'élèvent les ca-
mériers de cape et d'épée participants, quatre hauts
personnages de l'aristocratie romaine. Plus haut en-
core, les princes assistants du trône pontifical émer-
gent : ils sont deux, un Orsini et un Colonna : il
semble que la communauté des fonctions, triomphant
en eux des vieilles haines de famille, doive les rap-
procher.
On commettrait une plaisante erreur, en concluant
que le dix-neuvième siècle introduisit à la cour do
Home un formalisme byzantin et je ne sais quel goût
156 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
des pompes superflues. Anulle époque, au contraire,
Tétiquette du Vatican n'a été plus simplifiée. Ce n'est
pas pour la décoration de sa cour que le Pape mul-
tiplie les camériers de cape et d'épée; c'est pour la
décoration, plutôt, de ceux qu'il fait camériers. D'in-
terminables énumérations de prélats et de laïques
remplissent cent pages de la Gerarchia. Mais à la plu-
part de ces dignités, nulle obligation n'est attachée.
Les camériers qui viennent à Rome pour faire dans
les antichambres pontificales leur semaine de service
reçoivent comme récompense la médaille qui, chaque
année, retrace un acte important du pontificat; on
admet que les autres, c'est-à-dire le grand nombre,
continuent de mériter en leurs lointaines résidences,
par leur dévouement à l'Église, leur titre honorifi-
que. Beaucoup d'institutions de la « famille ponti-
ficale » servent moins à rehausser la cour romaine
qu'à rehausser au loin, dans leurs cercles respectifs,
un certain nombre de personnages de la catholicité.
Précisément parce que les progrès simultanés de la
centralisation romaine et de la civilisation moderne
ont rendu plus fréquents et plus rapides les rapports
de Rome avec le monde chrétien, une habitude s'est
introduite chez un grand nombre d'évêques : celle de
réclamer du Saint-Siège, à titre d'encouragement
pour leurs prêtres ou leurs diocésains, des distinc-
tions d'élite; il arrive aussi que, d'eux-mêmes, ces
prêtres ou ces diocésains se font solliciteurs. De là
l'accroissement considérable de la famille pontificale.
Sous Grégoire XVI, le comte de Tournon écrivait :
« Le service de ces divers ordres de courtisans se ré-
duit à paraître dans quelques cérémonies publiques,
le pape vivant ordinairement dans la plus grande
LA GARDE DU VATICAN. l.V?
simplicité, et paraissant ne souffrir Téclat des pompes
mondaines, que lorsqu'elles concourent à la splen-
deur du culte ». Ainsi en est-il encore, bien que les
« courtisans » des « divers ordres » aient été multipliés.
Singuliers « courtisans », au demeurant, que ces pro-
tonotaires ad instar, prélats domestiques, et camé-
riers de tout degré, dont beaucoup vivent loin de
Romel
IV
LA GARDE DU VATICAN; LES A.NÏICUAMBRES PAPALES.
Les gardes-nobles, les palatins, les gendarmes et
les Suisses, voilà tout ce qui reste de l'ancienne milice
pontiîicale. Les gardes-nobles, créés par Pie VII, sont
recrutés dans la fraction de l'aristocratie romaine
qui n"a pas déserté le pape pour la cour royale. Elle
comprend le capitaine commandant, treize autres
officiers, et quarante-huit gardes-nobles. C'est dans la
petite bourgeoisie et les corps de métiers que se re-
crute, depuis Pie IX, la « garde palatine d'honneur ».
Elle comprend quatre cents membres. Ces gardes,
noble et palatine, font plutôt un service de cour
qu'un service militaire; elles ne sont au complet que
dans les grandes cérémonies. Chaque jour elles four-
nissent l'une et l'autre un petit piquet pour les anti-
chambres pontificales. D!exercice, on ne leur en
demande aucun ; le seul usage qu'elles fassent de
leurs armes consiste aies présenter et à les déposer.
La Gerarchia mentionne, comme « délégué pour
les services do sûreté et de police », un major com-
mandant de la gendarmerie. Cent vingt hommes la
158 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
composent : les escaliers, la cour Saint -Damase, les
corridors, les jardins, sont confiés à leur surveil-
lance; un étranger qui circule dans le Vatican ne
peut se dérober à leurs interrogations; à tous les
angles des galeries, on rencontre des gendarmes.
La gendarmerie est la maréchaussée du Vatican;
les Suisses, depuis 1505, en sont Tarmée. Un capi-
taine commandant avec rang de colonel, un lieute-
nant avec rang de lieutenant-colonel, un sous-lieute-
nant avec rang de major, sont à leur tête. Ils sont
cent vingt. Ils montent perpétuellement trois gardes.
A la « porte de bronze », par laquelle on pénètre en
venant de la place Saint-Pierre, un Suisse est tou-
jours en vigilance. Une douzaine, assis sans apprêts,
attendent que l'approche d'un haut dignitaire ou
d'un ambassadeur soit signalée. Aussitôt ils courent à
leurs armes et rendent les honneurs militaires. La
caserne des Suisses est située dans la partie posté-
rieure du Vatican, derrière Saint-Pierre. En cet en-
droit, sur quelques pouces de terre, la dualité de la
Rome contemporaine éclate en un frappant symbole.
La rue des Fundamenti, qui contourne Saint-Pierre,,
aboutit au Cortile del Forno, cour quadrangulaire,
avec une fontaine au milieu : au fond de ce Cortile
une porte, gardée par les Suisses, donne accès dans
les cours du Vatican; à main gauche s'ouvre une
avenue, terre pontificale aussi : elle conduit droit aux
musées de sculpture, laissant à droite les écuries du
pape et les archives, longeant à gauche les jardins;
ù main droite, de pittoresques pignons, archaïque
fragment du vieux Vatican , surplombent la porte
des Suisses; en face de cette porte, enfin, s'échelon-
nent les degrés d'une large rue : elle mène aux bâti-
LA GARDE DU VATICAN. .159
ments de la Zecca, l'ancienne Monnaie pontificaVe.
Celte rue est aujourd'hui territoire italien; sur le
pt'lit mur qui la borde et qui longe la via dei Funda-
uiriiti, une sentinelle italienne se promène. Soldats
du pape et soldats du roi vivent ainsi depuis vingt-
quatre ans, les uns en face des autres, à une portée
de fusil; mais les fusils ne partent point. Il suffit du
plus léger incident pour que ce coin de terre isolé
absorbe l'attention de l'Europe. Lorsque le V) juillet
181>0 la voiture du pape, passant des cours Yaticanes
à l'allée des musées, traversa le Corlile del Forno, la
presse du Quirinal conclut que le pape rompait sa
réclusion ; celle du Vatican répondit que le Cortile
del Forno était un territoire pontifical, et que le pape,
en s'y montrant, avait voulu faire acte de proprié-
taire. Le Cortile, depuis lors, n'a plus reçu la visite
de Léon XIII; les Suisses y veillent toujours; entre la
porte du Vatican et la fontaine centrale du Cortile, ils
se promènent librement. Enfin sur le palier des appar-
tements du pape et dans la grande antichambre à
laquelle il donne accès, un troisième piquet de Suis-
ses est de service.
Forcément, on passe devant eux pour entrer chez
le pape. A ce vestibule succède la salle des Busso-
binti. On appelle ainsi des laïques, habillés de velours
rouge, préposés à la garde d'une porte à tambour
{liussola) qui donne accès dans les antichambres pri-
vées. La Gerarcliia mentionne trente-si.\ bussolanii.
(Test dans leur salle qu'un laïque, admis à l'audience
pontificale, doit laisser son chapeau. Dès quil a fran-
chi le tambour, il parcourt une série d'antichambres.
La première est gardée i)ar des gendarmes :les secré-
taires des cardinaux attendent, dans cette pièce, le
160 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
retour de leurs maîtres. La seconde est confiée à la
garde palatine. Obliquant à droite, le visiteur, par
une troisième salle ornée de tapisseries, accède à une
quatrième, qu'occupent des gardes-nobles : à droite,
une porte, qui peut être largement ouverte, commu-
nique avec la chapelle du Saint-Père, et c'est dans
cette salle qu'on assiste à la messe du pape. Une cin-
quième pièce, dite antichambre d'honneur, est déco-
rée du trône papal : lorsqu'on est convoqué pour une
audience privée, on attend dans cette salle, et c'est
là que le pape s'installe pour accueillir des groupes
importants de visiteurs, pour entendre, au nouvel
an et à l'anniversaire du couronnement, les vœux
des prélats et des cardinaux, et durant le Carême et
l'Avent les prédications destinées à la cour pontifi-
cale. Deux camériers d'honneur, l'un en habit violet,
l'autre de cape et d'épée, font le service dans cette
antichambre. Devant une porte, au fond, un garde-
noble est en faction : cette porte accède à l'anticham-
bre secrète, réservée aux prélats qui sont au moins
camériers secrets, et aux cardinaux. Dès qu'on y est
parvenu, on n'a plus qu'un seuil à franchir; on est
aux pieds du pape.
LA JOURNEE DU PAPE; LES .JARDLN'S DU VATICAN.
Pie IX depuis 1870, Léon XIII depuis son élec-
tion, ne sont pas sortis du Vatican. La descente du
Pape à Saint-Pierre, autrefois fréquente, est devenue
une exception ; la villa pontificale de Castel Gandolfo
est toujours veuve de Sa Sainteté. En s'imposant
L\ JOURNÉE DU PAPE, IGl
ette réclusion, le Souverain Pontife dresse une pro-
testation permanente contre la situation qui lui est
faite. S'il sortait dans Rome, en vain répéterait-il, de
temps à autre, des réserves formelles ; la longueur
du temps, l'habitude que prendrait le Pape, en fait,
d'adapter son existence aux conditions nouvelles,
sembleraient périmer ses droits. Il se condamne,
volontairement, à une anormale captivité; en laissant
au monde chrétien, qui constamment observe le Va-
tican, l'impression constante de cette anomalie, il
maintient en litige la question Romaine.
Les jardins du Vatican : voilà le seul territoire
où les pas de Sa Sainteté puissent s'égarer. Encore
sont-ils assez étroits; après quelques jours de pon-
tificat, l'auguste promeneur en connaît chaque dé-
tour. Les murailles qui l'entourent, en maints en-
droits, ne s'opposeraient pas à l'escalade ; lorsque le
pape s'y promène, des gendarmes veillent, épars le
long de ces clôtures. De certains parages, la vue ja-
dis était fort belle; elle est aujourd'hui gâtée. Sous
les murs du Vatican, on a tenté depuis vingt-quatre
ans la construction d'un quartier nouveau. Entre les
yeux du pape el l'horizon lointain, des usines,
même, ont essayé de s'installer. Quelques années
encore et ces constructions contemporaines paraî-
tront plus vieilles que le vieux Vatican : beaucoup
sont délabrées déjà, faute d'entretien, ou bien ina-
chevées à jamais, faute d'argent; aux diverses allu-
vions archéologiques, vestiges des divers âges, que
conserve le sol de Rome, une nouvelle couche de
ruines est en train de s'ajouter. Le Vatican la sur-
plombe, tranquillement, comme il surplombe toutes
les autres.
162 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE LÉGLISE.
Deux casinos, Tun construit par Pie IV en 1561,
l'autre élevé par les soins de Léon XIII ; deux grandes
fontaines qui datent du pontificat de Paul V; des
buis ingénieusement disposés et dessinant les armoi-
ries de Pie IX; enfin des statues antiques : voilà ce
qu'on observe dans les jardins du Vatican. A l'épo-
que des âpres chaleurs, le pape y passe ses journées
entières; alors les audiences sont suspendues; et les
préfets ou secrétaires qui conservent le privilège de
l'approcher vont trouver Sa Sainteté dans le petit
casino des jardins.
Presque chaque jour, sauf au fort de l'hiver, le
pape se promène une heure ou deux dans les ave-
nues; il s'y rend dans l'une de ses voitures, puis
s'égare avec ses familiers, soit en « portantine », soit
à pied, dans les allées non carrossables : voilà le seul
divertissement du pape Léon XIII depuis vingt-trois
ans.
RÉSUMÉ
Xous venons d'analyser, un à un, les rouages du
gouvernement de l'Église; il est plus difficile — si-
non impossible — d'en faire revivre le fonctionne-
ment dans un tableau d'ensemble. Ils font avec peu
de bruit beaucoup de besogne. On constate la beso-
gne, on perçoit à peine le bruit; on reconnaît, chaque
jour, les résultats de ce constant labeur qui s'accom-
plit au centre de l'Église; le labeur même échappe
aux regards. Les congrégations vivent d'une vie dis-
crète et cachée. On commettrait une singulière erreur
en se figurant le Vatican comme une formidable ru-
che, fourmillante d'une incessante activité; il n'est
UESUME. 1.63
point une principauté, si microscopique soit-elle, où
l'aspect des ministères ne soit plus affairé et leurs
corridors plus tumultueux. La vie de TÉglise Ro-
maine n'est pas un phénomène palpable, éclatant,
dont on éprouve la sensation et qu'on puisse photo-
graphier.
Dans quelque vieux palais de Rome, ou dans des
.salles du Vatican, les congrégations et les adminis-
trations apostoliques tiennent séance; à peine le
public sait-il qu'elles siègent, encore moins est-il
informé de leurs pourparlers; il ne les connaît que
par leurs décisions, publiées après Tagrément du
pape. La divination la plus experte est impuissante
à reconstituer le travail qui a préparé ces décisions
et les arguments qui les ont inspirées : manquant de
considérants, elles n'offrent aucune prise à la dis-
cussion; elles se justifient par les signatures qu'elles
portent, par le cachet qui authentique ces signatures ;
elles n'ouvrent aucune vue rétrospective sur les dé-
bals d'où elles sont issues, et elles excluent tout
débat ultérieur; préparées en clôture par le parle-
mentarisme (car chaque congrégation est, à sa façon,
un petit parlement), elles sont publiées au nom de
l'absolutisme.
Parlementarisme, absolutisme : les deux éléments
sont associés, à doses diverses, dans la vie actuelle de
l'Église. Elle est le seul gouvernement qui les sache
concilier d'une façon durable. Partout ailleurs, le
premier détrône le second, ou le second expulse le
premier; à Rome, le parlementarisme éclaire l'abso-
lutisme. Une congrégation n'est pas simplement une
consulte mise en activité par le pouvoir souverain ;
l'ordre du jour de ses travaux est tout à la fois fixé
164 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
par les commandements du pape, les vœux des li-
dèles et les intentions de ses membres; il dépend
d'elle d'abréger ou de prolonger les discussions; elle
les conduit et les oriente avec une pleine liberté.
Quant au pape, lors même que les affaires lui sont
directement déférées, il est naturellement amené à
consulter la congrégation compétente ; n'a-t-elle pas
des maximes anciennes qui font foi, et des précé-
dents innombrables qui font loi?
Le morcellement des affaires religieuses entre un
certain nombre de conseils a parfois été signalé
comme un effort des papes pour asseoir plus sûre-
ment leur domination : ils en auraient voulu finir
avec les séances agitées des consistoires, dans les-
quelles tous les cardinaux disaient leur mot; ils au-
raient divisé le gouvernement pour demeurer les
seuls gouvernants. On oublie, en parlant ainsi, que
les papes, en substituant au gouvernement par con-
sistoire le gouvernement par congrégations, permi-
rent à l'Église Romaine de demeurer, si l'on ose ainsi
dire, maîtresse chez elle. Aux dix-septième et dix-
huitième siècles, il fallait préserver l'Église contre
l'indiscrète incursion des diplomaties d'État; elles
avaient à leur service, non seulement des ambassa-
deurs, mais des cardinaux protecteurs, et si l'on eût
maintenu l'ancien système, on eût vu ces cardinaux,
dans les consistoires, parler impérieusement au nom
de leurs souverains, comme maintes fois ils firent
dans les conclaves. Avec des congrégations com-
posées au gré du pape, ce péril était évité et l'au-
tonomie de l'Église demeurait sauve. Observons d'ail-
leurs que le gouvernement de l'Église est d'une
complexité chaque jour croissante, qu'il doit s'adap-
RESUME. Ii55
ter aux nécessités des divers pays et qu'il comporte
l'étude de diverses commissions, non les discussions
agitées d'une nombreuse assemblée. Ce sont préci-
sément ces commissions qui, depuis trois siècles,
représentent l'élément traditionnel, préexistant et
survivant aux pontifes successifs, et s'imposant, dans
une certaine mesure, au respect attentif de ces pon-
tifes.
L'Église Romaine est tout ensemble, si l'on ose
dire, conservatrice et progressiste. Ses congréga-
tions sont la force conservatrice, et perpétuent à
son service les exemples et les coutumes du passé ;
et le génie de certains de ses pontifes lui commu-
nique l'impulsion progressiste, par laquelle l'Église
s'ouvre les voies de l'avenir. D'ordinaire, c'est le
parlementarisme qui affronte les nouveautés et l'ab-
solutisme qui les subit : il en est autrement, au Va-
tican. Les initiatives fécondes, jugées audacieuses
en leur temps, viennent des papes eux-mêmes. Les
congrégations compulsent la tradition des âges anté-
rieurs; les papes préparent l'histoire des âges futurs.
Cantonnées chacune dans leur sphère, les congréga-
tions aident le pape, et il centralise leurs travaux;
mais il les domine, il plane au-dessus d'elles; pontife
universel, qui n'a ni le loisir ni le droit d'être un spé-
cialiste, il conserve une large vue sur l'horizon de
l'espace et du temps. Il laisse les congrégations faire
la besogne quotidienne, et de son paraphe il légalise
cette besogne. Mais il y a dans le gouvernement de
l'Église, prétendante à l'éternité, une part d' « au
delà », une invitation perpétuelle à mtirir les germes
du lendemain, à semer ceux du surlendemain : il
appartient au pape et à son secrétaire d'État de pion-
1G6 LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'ÉGLISE.
ger leurs regards dans 1' « au delà », et de favoriser
les éclosions, prochaines ou lointaines, attendues ou
inopinées. Voilà leur œuvre personnelle dans le gou-
vernement de l'Église : le grand pape et Texcellent
secrétaire d'État se reconnaissent à ce trait, que leurs
successeurs pourront saluer en eux des collabora-
teurs prématurés.
Georges GOYAU.
LA BIBLIOTHÈQUE VATICANE Cj
(1) La mort, qui en février 1899 venait interrompre les travaux éru-
(lils (le Paul Fabre, n'a pas permis que ces pages fussent remaniées
et complélées romme il le di-sirait. Nous avons cru devoir les repro-
duire lidélemcnt, sauf la correction de quelques erreurs d'imprcs-
liion, telles qu'elles avaient paru à la lin de l'année 1895. {Note des
èdileurs.)
CHAPITRE PRE:MIER
La bibliothèque ancienne.
La Bibliothèque apostolique a été de tout temps
un des organes essentiels de l'action du Saint-Siège.
Aux temps oîi on fixait le dogme, elle a fourni aux
discussions des conciles les textes des anciens Pères ;
plus tard, elle a opposé aux ambitions impériales les
vieux titres du Saint-Siège à la possession territo-
riale, et elle a aidé à la formation du droit canon;
elle a reflété et alimenté le mouvement scolastique ;
puis, quand la Renaissance s'est produite, elle a re-
cueilli les débris de l'antiquité et les a mis au service
des humanistes. Elle a été un des laboratoires d'où
est sortie la pensée moderne, et lorsque la Réforme
allemande eut cherché un auxiliaire dans le renou-
vellement des études et des méthodes, elle est deve-
nue la grande source où ont puisé à l'envi les lin-
guistes, les exégètes et les historiens. Depuis près
de quatre siècles, ce travail se poursuit, travail
véritablement catholique, qui intéresse le passé et
l'avenir du monde occidental et qui s'est étendu aux
églises et aux liturgies orientales, dont Rome éclaire
les vicissitudes comme pour dissiper les malenten-
It. 10
170 LA BIBLIOTHÈQUE VATICANE.
dus. L'histoire ecclésiastique en sort peu à peu, et
avec elle séclaire et se précise l'histoire du monde
civilisé. Le chef actuel de lÉglise y a convié les éru-
dits de toute croyance et de toute nation.
LA BIBLIOTHEQUE DU PAPE DAMASE.
La Bibliothèque du Saint-Siège remonte aux plus
anciens temps de lÉglise Romaine. A Rome, en effet,
comme dans les autres Églises, les Livres Saints
qu'on lisait chaque jour dans l'assemblée des fidèles
constituèrent un premier fonds de bibliothèque, au-
quel vinrent peu à peu s'ajouter les écrits liturgiques,
les traités des docteurs et des Pères.
La correspondance avec les autres Églises et les
actes de l'administration intérieure accrurent bien
vite le nombre des documents à conserver. De bonne
heure, un double des lettres pontificales demeura
dans les archives du Saint-Siège sous la forme de
registres rédigés sur le modèle des registres impé-
riaux, et de bonne heure aussi les discussions doc-
trinales laissèrent à Rome d'importants dossiers :
professions de foi, appels au Saint-Siège, rétracta-
tions et condamnations, Rome conservait tout cela
dès le temps de TertuUien. Bientôt, les notaires ec-
clésiastiques enregistrèrent soigneusement le « té-
moignage » rendu à la vérité par les martyrs et les
confesseurs dans des procès-verbaux détaillés des
interrogatoires, jugements et exécutions subis par
L\ BIBLIOTHÈQUE DU PAPE DAMASE. IJl
leurs frères en Jésus-Christ : c'est ce qu'on a appelé
les « Actes des martyrs >^
En même temps, la gestion des intérêts temporels,
11' budget des recettes et des dépenses créait des li-
\ res de compte dont l'importance alla croissant avec
les revenus du Saint-Siège. De très bonne heure, la
bienfaisance de l'Église Romaine s'exerça non seu-
lement sur les pauvres de Rome et des villes voisines,
mais sur « les frères éloignés et sur les autres
Églises ». Au milieu du troisième siècle, les clercs et
les pauvres nourris par l'Église de Rome s'élevaient
à plus de quinze cents, et chacun d'eux était inscrit
sur les matricules de l'Église. Bien avant Constantin,
on avait dressé un état des revenus et des dépenses
du Saint-Siège, dans le genre de ce Polyptyque ré-
digé à la fin du cinquième siècle par le pape Gélase
et retouché plus tard par Grégoire le Grand, dans
lequel étaient inscrits les traitements et subventions
fournis par le pape « au clergé, aux fonctionnaires du
l)alais pontifical, aux monastères, églises, cimetières,
diaconies, hospices urbains et suburbains ».
La persécution de Dioclétien dispersa cette pre-
mière bibliothèque; perte à jamais déplorable, qui a
privé l'Église Romaine de ses plus anciens titres de
gloire, car les actes des martyrs romains qui nous
sont parvenus sont tous, à très peu d'exceptions près,
postérieurs à la Paix de l'Église, refaits de mémoire
en des temps moins agités. Ainsi ont disparu les pa-
ges glorieuses de ces lettres encycliques où le clergé
romain avait raconté le martyre des deux papes Fa-
bien et Sixte II ; et, de toutes les pièces relatives aux
nombreuses controverses sur le dogme ou la disci-
plin»' qui ont été agitées et résolues à Rome pendant
172 LA BIBLIOTHEQUE YATICANE.
les trois premiers siècles, bien peu ont échappé^ qui
toutes (à commencer par la lettre du pape Clément à
TÉglise de Corinthe) ne nous ont été conservées que
par des manuscrits d'Afrique, d'Egypte ou d'Orient.
L'ère qui s'ouvre avec la paix de l'Église vit se re-
former la Bibliothèque du Saint-Siège. Le pape
Damase, soucieux de réparer les ruines entassées
par les persécutions et de donner à la Rome chré-
tienne sa place au grand jour, fit construire, pour
loger la bibliothèque et les archives reconstituées, un
vaste édifice dont les portiques enveloppèrent la ba-
silique qu'il élevait, non loin du théâtre de Pompée,
en l'honneur de saint Laurent et qui garde aujour-
d'hui encore le nom de San Lorenzo in Damaso ,
comme Damase le souhaitait :
ARCllIlîIS FATEOR VOLVI NOVA CONDERE TECTA
ADDERE PRAETFREA DEXTRA LAEVAQVE COLVMNAS
QVAE DAMASI TENEANT l'ROPRIVM l'ER SAECVLA NOMEN.
C'est là sans doute que furent conservés les actes
du concile romain de 369, que souscrivirent cent
quarante-six évéques orientaux; c'est delà que saint
Jérôme, qui fut secrétaire du pape Damase, dut « ré-
pondre aux consultations de l'Orient et de TOcci-
dent » ; c'est là ce qu'il appelle le « chartrier » de l'Ë-
glise romaine [chartarium], où il était aisé, selon lui,
de venir consulter la série des lettres pontificales.
Ce dernier détail est important parce qu'il nous
montre qu'une organisation intérieure des services
correspondit à l'installation matérielle dans de nou-
veaux locaux.
De fait, à partir de ce moment, les registres ponti-
I,A BIBLIOTHEQUE DU TAPE DAMASE. 173
ficaux, où on insérait année par année aussi bien
les lettres reçues par le pape que celles qu'il écrivait
lui-même ou que les pièces relatives aux difTércnt(!S
affaires traitées, nous apparaissent comme bien te-
nus et bien gardés. Au, synode réuni à Rome en 531,
le pape Boniface II pouvait aisément faire recher-
cher dans les archives le texte authentique d'une
correspondance du pape Damase, et il ne faut pas
oublier que c'est avec Sirice, le successeur immédiat
de Damase, que commence la série des Décrétales
réunies à Rome même par Denys le Petit.
On sait aujourd'hui comment travailla ce moine
scytlie qui est inscrit en tête des canonistes latins et
qui a eu l'honneur de fixer la première année de l'ère
chrétienne. Venu à Rome sous le pape Anastase II,
il n'a pas été livré à ses seules forces. Une lettre de
lui au pape Hormisdas montre quels ont été ses
rapports avec le Saint-Siège : non content de s'inté-
resser à ses travaux, le pape les a lui-même dirigés.
Aussi faut-il bien admettre que la collection de
Denys, ainsi composée sous les auspices mêmes du
pape, a été faite sur les originaux, c'est-à-dire sur
les registres alors conservés dans les archives. D'ail-
leurs, dans plusieurs lettres d'Innocent I^', qui nous
sont parvenues par d'anciennes collections cano-
niques, Frédéric Maassen a relevé divers signes qui
ne sauraient provenir que du registre original de ce
pape, et on est unanime à reconnaître aujourd'hui.
(]U(' nombre de pièces du cinquième siècle ne nous
ont été conservées que grâce aux registres de Zosime»
de Célestin P"", de Léon le Grand et de Gélase.
10.
174 LA BIBLIOTHEQUE YATICANE.
II.
LA BIBLIOTHÈQUE ET LES ARCHIVES AU LATRAN.
Selon toute apparence, la bibliothèque pontificale
ne demeura pas longtemps dans l'édifice damasien.
Comme le Latran était le siège de radministratlon
et du gouvernement ecclésiastique, il était naturel
qu'on désirât y avoir sous la main les documents
nécessaires à l'étude des questions et à l'expédition
des affaires ; aussi le précieux dépôt du chartrier ro-
main prit bientôt le chemin du palais pontifical. A
partir du septième siècle des formules du Liber
Dhirnus en font foi), quand on parle de la Biblio-
thèque du Latran, c'est de la Bibliothèque apostoli-
que qu'il est question; et sous ce nom de « Biblio-
thèque » les archives aussi étaient comprises, si
bien que le dépôt tout entier, en raison de l'usage
qu'on en faisait, était confié aux soins des notaires
et des chanceliers, chargés de la rédaction des actes
du Saint-Siège.
Du commencement du septième siècle, les archives
pontificales nous ont conservé un monument insi-
gne : ce sont les lettres de saint Grégoire le Grand.
Nous ne possédons sans doute ni l'original ni même
une copie intégrale. Nous n'avons que deux volumes
d'extraits que le pape Hadrien P'^ fît faire au huitième
siècle, sur le registre authentique, et cinquante-trois
lettres copiées à la même époque par Paul Diacre
pour son ami Adalard, abbé de Corbie. La critique
moderne a fort à faire pour distribuer entre les qua-
torze indictions, c'est-à-dire les quatorze années du
LA BIBLIOTHEQUE ET LES ARCHIVES AU LATRAN. 175
pontificat, les lettres qui, pèle-mèle, nous ont été
données en douze livres, sans grand souci de Tordre
chronologique que le registre indiquait cependant
avec tant de rigueur. Mais telles ({u'clles nous sont
parvenues, elles constituent un incomparable trésor.
Elles éclairent toute une époque d'une pleine lumière
et font revivre jusque dans les détails la tlgure de
ce grand pape et de ses contemporains. Elles nous
renseignent sur la Bibliothèque pontificale comme
sur bien d'autres choses; elles nous apprennent, par
exemple, qu'une collation minutieuse du très ancien
exemplaire des actes du concile d'Éphèse, conservé
dans la Bibliothèque du Siège apostolique, fut faite
sur Tordre de saint Grégoire et que cet examen
prouva clairement que le texte tenu par les Grecs
pour authentique était en réalité interpolé.
La Bibliothèque est, à cette époque, très souvent
appelée du nom de scrinium : c'était prendre la partie
pour le tout, car le moi scrinium désignait un coffre,
d'une fermeture facile et sûre, dans lequel on met-
tait à l'abri les documents d'importance. Mais ce
nom ne doit pas faire illusion : les archives du Saint-
Siège n'étaient nullement tenues secrètes. Déjà saint
Jérôme laissait entendre que rien n'était plus aisé
que d'aller y consulter la correspondance pontificale,
et au temps de Grégoire le Grand on ne trouva rien
de mieux, pour mettre les homélies de ce pape à la
portée de tous, que de les déposer dans le scrinium
de la sainte Église.
A certains indices, on pourrait croire que bien
peu usaient de la permission, car il semble avéré
que Tauteur de la première édition du Liber ponlifi-
ralis (514-530), qui mentionne pourtant à diverses
176 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
reprises YArchivum ecclesise Romanse, « a vu ce dé
pôt plutôt du dehors que du dedans ». M. Tabbé
Duchesne estime que le clerc en question est sans
doute demeuré confiné dans la section des Archives
afférente au département administratif auquel il
était attaché, c'est-à-dire au vesliarium ou garde-
meuble. C'est là qu'il a trouvé, réunies déjà en une
sorte de cartulaire, les chartes de fondations pieuses
et les états des largesses faites aux églises par les
papes du cinquième siècle et du commencement du
sixième; cela a suffi à sa curiosité.
Les actes du concile tenu à Rome en 649, à propos
des monothélites, nous donnent une idée de ce qu'é-
tait la Bibliothèque apostolique à cette date et de
l'usage qu'on en faisait. Elle fut mise à la dispo-
sition des Pères du concile, et le primicier des
notaires, qui en avait la garde, put aisément pro-
duire à la réquisition du concile les documents et
les volumes dont on eut besoin au cours des délibé-
rations. La rapidité avec laquelle nous voyons le
primicier Théophylacte satisfaire aux demandes, alors
même qu'il s'agissait de volumes qui n'étaient pa^
d'un usage courant, nous prouve que la Bibliothèque
pontificale était alors fort bien ordonnée et pourvue
d'excellents catalogues. A voir les raretés qu'on y
trouvait, rien que pour la littérature dogmatique, on
peut juger de ce qu'elle renfermait dans les autres
branches de la science ecclésiastique et du savoir
humain.
LE ROLE DE LA lilBLIOTHEQUE EN OCCIDENT. 177
III
lE ROLE DE LA BIBLIOTUEOLE APOSTOLIQUE EN OCCIDENT ;
LA BIliLE AMLVTLNE.
Aussi bien, la Bibliothèque apostolique constituait
un immense réservoir où venait s'alimenter presque
tout l'Occident. Les missionnaires qui partaient do
Rome pour conquérir au Christ de nouveaux royau-
mes emportaient avec eux les Livres Saints, et les
chrétientés naissantes demandaient au Saint-Siège
de les confirmer dans la foi. En l'année 601, à ce
que nous rapporte Bède le Vénérable, le moine Au-
gustin, apôtre de l'Angleterre, reçut du pape (irégoire
le Grand un fonds de bibliothèque pour la mission
de Canterbury, et l'Angleterre montre aujourd'hui
avec fierté deux évangéliaires de facture latine, l'un
conservé à Oxford et l'autre à Cambridge, qui datent
du sixième ou du septième siècle, et dans lesquels
quelques-uns se plaisent h reconnaître deux des
volumes ainsi remis par Grégoire à Augustin.
Ce n'est pas qu'il n'y eût aussi entre anciennes
F^glises des demandes et des échanges de manus-
crits : saint Grégoire envoyait à Alexandrie, à la
prière du patriarche Euloge, une copie de tout ce
que le scrinium apostolique et les autres bibliothèques
de Rome fournissaient sur les actes des martyrs
romains : et, plus tard, l'évèque de Saragosse de-
mandait au Saint-Siège, au nom du roi wisigolh
Cliindasvinde, les Mnralia de saint Grégoire.
Mais le grand rùle de la Bibliothèque apostolique
consistait à fournir d'abord de bibles et d'évangé-
178 LA BIBLIOTHEQUE VATICA>E.
Maires, et ensuite d'ouvrages de tout genre, les pays
qui naissaient alors, sous l'action immédiate de Rome,
au christianisme et à la civilisation. Ces Églises nou-
velles, fdles de l'Église Romaine, attendaient du
Saint-Siège leur initiation à la science comme à la
foi. Pour elles, la Bibliothèque apostolique devenait
une sorte d'atelier où les copistes ne cessaient de
transcrire les monuments de l'antiquité chrétienne
et de l'antiquité profane, monuments que les mis-
sionnaires colportaient ensuite partout où l'éveil
d'idées nouvelles faisait naître des besoins nouveaux.
Les demandes étaient telles, qu'à peine on y pou-
vait suffire. Au milieu du septième siècle, saint
Âmand, occupé à évangéliser la Frise, demandait
au Saint-Siège des manuscrits, et le pape était con-
traint de lui répondre que, la provision de volumes
destinés aux pays de mission se trouvant épuisée,
il lui fallait quelque temps pour faire exécuter des
copies nouvelles.
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur le rapide déve-
loppement de la civilisation en Angleterre à la suite
de la prédication d'Augustin et des fondations de
Théodore, pour comprendre quelle influence a eue
sur les Anglo-Saxons l'infusion de la culture latine
importée par les manuscrits venus d'outre-mer. Le
représentant par excellence de cette civilisation an-
glo-saxonne, initié si fortement à l'étude de l'anti-
quité qu'il peut paraître lui-même presque un ancien,
le vénérable Bède, nous a laissé sur l'importation
en Angleterre des manuscrits romains des détails
qui sont à retenir.
Il a passé toute sa vie dans les monastères de
Wearmouth et de Jarrow, et cependant il a pu se
LE ROLE DE LA BIBLIOTHEQUE EN OCCIDENT. 17<J
procurer, pour les insérer dans ses œuvres, des do-
cuments tirés des archives du Saint-Siège. Les mo-
nastères où s'est écoulée toute son existence étaient
lort bien pourvus en manuscrits de tout genre, puis-
qu'ils ont sufli à la culture encyclopédique d'un
homme comme Bède, et lui-même il nous a indiqué
à quelle source s'alimentait la riche bibliothèque de
ces couvents. Dans le récit qu'il nous a laissé de la
vie de leur fondateur, l'abbé Benoit, il nous raconte
qu'après avoir, sur l'ordre du pape, accompagné de
Rome en .\ngleterre l'archevêque Théodore, Benoît
avait fait ensuite cinq fois le voyage de Rome, et
chaque fois il avait rapporté de Rome en Angleterre
non seulement beaucoup de livres théologiques mais
encore beaucoup d'autres ouvrages, qui, au dire
de Bède, étaient pour la plupart des présents du
Saint-Siège. Parmi toutes ces richesses figuraient
des manuscrits ornés de miniatures qui initièrent
l'Angleterre à l'art romain, et Bède signale en particu-
lier cette concordance figurée de l'Ancien et du Nou-
veau Testament qui devait avoir au moyen âge une si
grande fortune sous le nom de « Bible des pauvres ».
La très belle bibliothèque ainsi constituée par ces
apports successifs de manuscrits romains, Benoit
ordonna de la garder intacte : c'était un puissant
instrument de culture intellectuelle, qui ne tarda pas
à produire d'admirables fruits. La Northumbrie uti-
lisa le trésor qu'on lui apportait; il se forma à York,
sous un élève de Bède, une école bien vite tloris-
sanle, et c'est de celte école que sortit Alcuin, en qui
nous saluons non pas seulement un représentant,
mais bien le véritable initiateur de la renaissance
carlovingienne. Quand Alcuin établit à Tours la ce-
180 LA BIBLIOTHEQUE YATICANE.
lèbre école qui devint le centre intellectuel de Tem-
pire, c'est à York qu'il demanda les maîtres et les
manuscrits dont il avait besoin, et c'est ainsi que les
Bibles d'Alcuin dérivent des Bibles anglo-saxonnes,
comme ses calligraphes des calligraphes anglo-sa-
xons. York était dépositaire du flambeau dont la lu-
mière rayonna sur toute l'Europe occidentale; or,
ce flambeau c'était à Rome, c'était à la Bibliothèque
du Saint-Siège qu'il s'était allumé.
Un des faits saillants et tout à fait caractéristiques
de l'histoire de la civilisation au moyen âge, c'est assu-
rément le rôle actif d'agents du Saint-Siège joué par
les Anglo-Saxons. Les conséquences en furent nom-
breuses et graves. Le grand apôtre de la Germanie,
saint Boniface, est un produit de cette civilisation
anglo-saxonne qui s'était alimentée aux sources ro-
maines, et l'école fondée par lui à Fulda avec des
éléments anglo-saxons — école d'où sortirent des
hommes comme Éginard, Raban Maur, Walafrid Stra-
bon — fut le centre d'où la culture se répandit dans
toute l'Allemagne. Aussi ne faut-il pas s'étonner si
durant de longues années on peut suivre dans la lit-
térature de cette région rhénane (où paraît s'être
réfugiée, à partir du neuvième siècle, la vie intellec-
tuelle de l'Empire disloqué), les traces indéniables
d'un courant venu de Rome à travers l'Angleterre. A
elles seules les collections canoniques en font foi.
L'histoire de la Bible Amiatine précise admirable-
ment le rôle de la Bibliothèque apostolique à l'ori-
gine de ce grand mouvement.
Céolfrid, successeur de l'abbé Benoît, marcha sur
ses traces. Nous savons, par Bède, qu'il doubla, grâce
à de fréquents voyages à Rome d'où il revint porteur
LE ROLE DE LA BIBLIOTHEQUE EN OCCIDENT. 181
des libéralités pontificales, la bibliothèque des mo-
nastères de Wearmoulh et de Jarrow, et une biogra-
phie anonyme récemment découverte au Britisii Mu-
séum nous apprend qu'il parvint assez vite à mettre
ses moines en état de profiter du trésor ainsi créé. Il
réussit à faire exécuter sous ses yeux trois magnifi-
([ues exemplaires de la Bible hiéronymienne, dont
deux furent données aux églises des deux couvents,
et dont le troisième fut destiné par Céolfrid à être
offert en présent à saint Pierre, pour témoigner que
les bienfaits de TApùtre avaient porté leurs fruits.
Céolfrid se mit en route vers Rome, pour déposer lui-
même son offrande sur la Confession, mais il mourut
en chemin et ce furent ses compagnons qui accompli-
rent son pieux dessein.
Cet exemplaire de la Bible offert à TApôtre par TAn-
gleterre reconnaissante existe encore. C'est le seul
échantillon qui nous reste des collections apostoli-
ques antérieures au huitième siècle, mais depuis
longtemps il a cessé de faire partie de la Bibliothèque
pontificale. Transporté de bonne heure au monastère
de Monte Amiata,en Toscane, dans des circonstances
qui nous échappent, il est passé au XVIII^ siècle
dans la bibliothèque Laurentienne de Florence. C'est
la Bible célèbre depuis quatre siècles sous le nom de
Bible Amiatine.
Le frontispice de ce précieux volume porte une dé-
dicace, mais, pendant le séjour du manuscrit au Monte
Amiata,le texte de cette dédicace a été profondément
altéré; au nom du donateur on a substitué un autre
nom, et il a fallu toute la sagacité de M. de Rossi
pour restituer le nom de Céolfrid et rétablir le texte
primitif de l'épigraphe.
LE VATir.V». — II. 11
182 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
Cette magnifique découverte a été pleinement con-
firmée par un passage de la biographie anonyme
dont nous parlions tout à l'heure; maintenant on
peut lire en toute certitude la dédicace composée par
Céolfrid et que voici :
Corpus ad eximii merito venerabile Petii
Quem caput Ecclesiaî dedicat alta fides
Ceolfridus Anglorum extremis de finibus abbas
Devota affectus pignora mitto mei .
Le volume offert à saint Pierre par l'abbé saxon
est d'une grande importance pour l'établissement du
texte hiéronymiende la Bible. Les correcteurs del'édi-
tion Sixtine l'ont préféré à tous les autres manuscrits
et en cela ils ont fait preuve d'un sens critique auquel
rendent hommage les éditeurs modernes de la Vul-
gate tel que Vercellone, Tischendorf et Wordsworth.
De fait, on reconnaît en lui des signes non équivoques
de parenté avec la Bible, aujourd'hui perdue, qui
avait été donnée par Cassiodore au monastère de Vi-
varia, dans la première moitié du sixième siècle, et
cela n'a rien qui nous puisse surprendre. La Bible
(ie Céolfrid était moins une importation étrangère
qu'une transcription saxonne d'un texte romain. Elle
représentait ces livres saints autrefois donnés par le
Saint-Siège à Céolfrid et à Benoît.
L'étroite parenté de la Bible Âmiatine avec la Bible
d'Alcuin témoigne du rôle capital qu'ont eu dans la
transmission des Ecritures (et vraisemblablement
dans la tradition manuscrite de maint autre livre) les
textes fournis par la Bibliothèque apostolique à l'An-
gleterre chrétienne.
Si le don de Céolfrid était destiné « à la Confes-
LE IIOLE DE LA RIHLIOTHEQUE EN OCCIDENT. 183 1
sion » de Saint-Pierre, ce n'est pas que l'ancienne
Bibliothèque du Latran eût cessé d'exister. Le Liber
Pontifiriilis mentionne en détail les travaux d'embel-
lissement exécutés sous le pape Zacharie au scriniiun
Laleranense ; c'est assurément dans ce même scrinium
qu'en l'année 730 l'Anglo-Saxon Nothelme avait été
admis par le pape à consulter les lettres de saint
Grégoire et de ses successeurs, et c'est là que plus
tard le pape Hadrien I''' fit déposer les actes authen-
tiques du second concile de Nicée, avec traduction ,
latine.
Mais depuis longtemps l'usage s'était introduit de
conserver auprès de la Confession le texte des enga-
gements qu'on prenait envers l'Apôtre, tels que les
professions de foi des papes et des évèques, les
donations faites à saint Pierre, les cautions des ad-
ministrateurs de son patrimoine : le présent de Céol-
frid était avant tout un témoignage de reconnais-
sance et de dévotion ù l'Apôtre, et c'est pour cela
qu'il avait été destiné au tombeau du saint.
Le cardinal Pitra, dressant la liste de ceux qui l'a-
vaient précédé dans la charge de bibliothécaire de la
sainte Ëglise, fait remonter à la fin du septième siècle
(au pontificat de Serge) l'apparition d'un fonction-
naire spécialement chargé du soin de la Bibliothè-
que, fonctionnaire d'abord subordonné au primicier
des notaires, puis complètement indépendant et
choisi le plus souvent parmi les plus hauts digni-
taires du clergé romain. Cette institution semble
bien indiquer la très grande importance de la Bi-
bliothèque à ce moment-là. De fait, nous voyons le
Saint-Siège continuer à jouer activement le rôle d'é-
diteur et de commissionnaire en manuscrits. Livres
184 LA BIBLIOTHEQUE VATICAXE.
grecs et latins, auteurs sacrés et profanes, partent
de Rome pour tout l'Occident.
Lorsque, grâce à saint Boniface, la dynastie carlo-
vingienne se fut tournée vers le Saint-Siège, c'est à
Rome qu'elle demanda les livres nécessaires pour la
réforme et l'éducation du clergé franc. En "57, le
pape Paul P"" envoyait à Pépin, outre un antipho-
naire et un liber responsalis, une collection d"auteur.s
grecs, un traité de géométrie, d'orthographe et de
grammaire, les écrits de Denys l'Aréopagite et la
Grammaire d'Aristote. Avec Charlemagne, les envois
continuent : ce sont des antiphonaires avec notation
musicale qu'on adresse aux principales églises fran-
ques, et le Saint-Siège pousse si loin la générosité
en la matière, que plus tard Grégoire IV se trouvera
complètement démuni de livres de ce genre et n'aura
plus sous la main un seul exemplaire pour satisfaire
aux demandes de Louis le Pieux; ce sont des ou-
vrages liturgiques, et particulièrement des sacra-
mentaires; c'est la fameuse collection canonique
connue sous le nom de collectio Hadriana, dont la
préface proclame l'origine romaine et apostolique.
Hildebald, archevêque de Cologne, fait copier pour
son église des manuscrits qu'il a reçus de Rome, et
vers l'année 855 Loup de Ferrières demande au
pape Benoit III de lui envoyer le commentaire de
saint Jérôme sur Jérémie, le De oratore de Cicéron,
l'Institution oratoire de Quintilien, le commentaire
de Donat sur Térence, s'engageant à restituer fidèle-
ment tous ces volumes dès qu'il les aura fait trans-
crire.
D'autre part, on continuait à offrir au Saint-Siège
des manuscrits — surtout des manuscrits liturgi-
L\ BIBLIOTHEQUE DU LATRAN. 185
ques — qui étaient comme un hommage rendu à
sa divine mission. L'usage en devint si général, que
plusieurs monastères censiers de TÉglise Romaine
s'engagèrent à fournir au Saint-Siège, à certaines
échéances, un ou plusieurs livres liturgiques en guise
de cens : l'abbé de Reichenau, par exemple, devait,
lors de son sacre, envoyer au Latran un sacramen-
taire, un livre des Ëpitres et un évangéliaire.
C'est au temps du pape Jean VIII que se manifes-
tent les derniers signes de l'activité littéraire dont la
Bibliothèque apostolique avait été si longtemps le
théâtre. Le grec et le latin y étaient encore en hon-
neur. La Vie de saint Grégoire le Grand y a été écrite
par Paul Diacre sur des documents tirés des Archives
et on devine quelle a été la contribution de la Bi-
bliothèque aux travaux qui ont rendu célèbre le nom
d'Anastase le Bibliothécaire.
IV
LA BMILIOTHÈOUE DU LATRAN ET l'ccl VRE DE GRÉGOIRE VII.
Mais de toutes les richesses accumulées à ce mo-
ment-là dans les collections du Saint-Siège à peu
près rien n'est resté. Pas un seul des manuscrits qui
figuraient au huitième siècle dans la Bibliothèque
pontificale ne paraît avoir échappé à la destruction.
Les recherches faites à ce sujet par M. de Rossi sem-
hlent décisives. Quelques rares lectionnaires ou pas-
sionnaires subsistent, des iiuitièine, neuvième et
«lixième siècles, qui ont été en usage dans l'Église
MU les églises de Rome, et c'est tout. La Bible de
186 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
Céolfrid n"a échappé que parce qu'elle a trouvé un
asile à Monte Amiata, la Bible de Saint-Paul n'a été
sans doute épargnée que parce qu'elle était enfermée
dans le Trésor de la basilique, et, dans la collection
pontificale d'aujourd'hui, il n'y a vraisemblablement
d'autres débris des collections anciennes que le petit
formulaire connu sous le nom de Liber Duirmis :
encore n'est-il rentré aux archives qu'au siècle der-
nier, après bien des vicissitudes.
Le pontificat de Grégoire VII a vu tout au moins
la fin de cette première dispersion, et il est permis
de penser que l'horrible dévastation promenée par
Robert Guiscard sur tout le quartier du Latran
n'est pas étrangère à cette ruine lamentable.
Une collection canonique contemporaine de Gré-
goire VII, la collection du cardinal Deusdedit, con-
tient un précieux chapitre sur les droits temporels
du Saint-Siège. La source d'oîi proviennent chacune
des mentions insérées dans ce chapitre est soigneu-
sement indiquée, et on peut aisément suivre le com-
pilateur dans ses recherches à travers la Bibliothè-
que et les Archives de l'Église Romaine.
Il nous conduit d'abord à la bibliothèque du Latran,
et il nous montre là des rouleaux de papyrus itomi
charticïi), sur lesquels se lisait extérieurement le
nom de divers papes des neuvième, dixième et on-
zième siècles. Ces rouleaux étaient les minutes des
actes de location consentis par le Saint-Siège, et plu-
sieurs se trouvaient en si mauvais état, qu'il était à
peu près impossible d'y rien lire, si bien quo la fra-
gilité de la matière employée pour la rédaction des
actes par la chancellerie pontificale jusqu'au com-
mencement du onzième siècle est un élément dont il
LA BIBLIOTHÈQUE DU LATBAN. t87
faut tenir compte pour expliquer la disparition de
bien des documents. Mais les archives du Latran ne
sont pas, à ce moment-là, réunies tout entières dans
le « palriarch'ium Lateranense ». Si nous suivons
notre guide, il nous mène fsans nous avertir que
nous sortons de la Bibliothèque apostolique; dans
une autre section des archives, conservée celle-là
dans une tour qu'on appelait, à cause de son contenu,
la Tour du Chartrier {Turris charlularia,. Cette tour
faisait vraisemblablement partie du palais construit
entre le Palatin et la Voie Sacrée par le pape
Jean VII, à la fin du septième siècle. C'était une sorte
de donjon, dans lequel les papes ont trouvé à di-
verses reprises un refuge pour leurs personnes au
milieu des factions qui ensanglantaient la ville. 11
était naturel, par conséquent, qu'on y mit à l'abri
les anciens titres du Saint-Siège; mais cela même
suffit à indiquer dans quelles conditions précaires se
trouvait alors la Bibliothèque.
Pourtant les registres des anciens papes subsis-
taient encore : notre compilateur trouva dans la Bi-
bliothèque du Latran les registres d'Honorius I", de
Grégoire II, de Zacharie, et, selon toute apparence,
c'est vers le même temps qu'on empruntait à de très
vieux registres, comme ceux de Gélase 1'% de Pelage l"""
et de Pelage II, les fragments dont on s'est servi pour
la collection canonique signalée en IHH'.i par M. Paul
Ewald au British Muséum.
Mais le chapitre de Deusdedit que nous venons
d'analyser n'a certainement pas été composé par lui :
il l'a inséré tel quel dans sa collection. Ce n'est pas
que le chapitre en question soit beaucoup plus an-
cien ; dans la forme sous laquelle il nous est donné, il
188 LA BIBLIOTHÈQUE YATICANE.
ne remonte pas au delà du pontificat de Grégoite VII ;
mais les renseignements qu'il fournit ont été em-
pruntés aux archives avant la fin de ce pontificat,
c'est-à-dire avant l'incendie de tout le quartier du La-
tran par les Normands de Guiscard. Après cet affreux
ravage, personne désormais ne citera les mêmes do-
cuments pour les avoir directement compulsés. Au
douzième siècle, le plus ancien registre que l'on con-
naisse est celui d'Alexandre II, prédécesseur immé-
diat de Grégoire VII; encore ce registre avait-il été
mis en sûreté hors de Rome et commis à la garde
des moines du Mont Soracte, chez qui on le con-
sultait.
Heureusement, avant qu'une telle perte fût infligée
au Saint-Siège, toute une littérature, née à la voix
de Grégoire VII, avait pu mettre à profit une partie
de ce trésor. Grégoire « avait pressé Pierre Damien
de parcourir les actes et décrets des pontifes romains
pour en extraire tout ce qui concernait l'autorité du
Saint-Siège, de manière à former avec ces extraits un
volume assez court qu'on pût facilement répandre ».
A défaut de Pierre Damien, d'autres collaborateurs
se rencontrèrent, qui, dans sa lutte contre les préten-
tions impériales, fournirent à ce grand pape les armes
dont il avaitbesoin. Ils affirmèrent les droits impres-
criptibles de l'Église romaine, sa primauté dans l'or-
dre spirituel, son indépendance dans le domaine
temporel. A côté de manuels comme la colleclion ca-
nonique en soixante-quatorze titres dite : «( Diverso-
rum se7iientise patrum », récemment mise en lumière
par M. Paul Fournier, collection qui joua un rùh»
important dans la grande œuvre de la réforme ecclé-
siastique, il y eut des traités, originaux par certains
LV BIBLIOTHEQUE DU LATRAN. m
(•(■)tés, comme ceux de Bonizon de Sutri, d'Anselme
• le Lucques, deDeusdedit, dont les auteurs ne se con-
tentèrent point d'utiliser les collections antérieures;
recherchant à l'envi les titres du Saint-Siège pour les
opposer aux envahissements des empereurs, ils dé-
pouillèrent les registres originaux. Bonizon semble
avoir connu les registres des papes Gélase, Vigile,
.Jean, Pelage, Eugène, Grégoire III, Hadrien, Paschal
et Nicolas, et il nous apporte un texte trop peu re-
marqué du privilège de Louis le Pieux en faveur du
Saint-Siège; outre le chapitre que nous analysions
plus haut et qui provient tout entier des anciennes
archives, Deusdedit a tiré des registres de Gélase et
«le Pelage des citations qui décèlent nettement leur
origine; enfin, Anselme de Lucques paraît avoir eu
encore sous les yeux le registre authentique de saint
Grégoire, dont il cite intégralement des titres et des
suscriptions qui ne sont donnés qu'incomplètement
dans le registre tel qu'il nous est parvenu, et lui aussi
a formé une sorte de recueil des privilèges impériaux
trouvés dans les archives.
Ces livres, écrits sous l'inspiration de Grégoire VII,
ont sauvé une partie des anciens titres du Saint-Siège.
C'est grâce à eux que le droit ecclésiastique a pris
corps; c'est par eux que s'est affirmée l'indépendance
temporelle de l'Église romaine; ce sont eux qui ont
posé les bases de la souveraineté pontificale.
Cent ans plus tard, les défenseurs des prérogatives
du Saint-Siège trouvent bien dans les archives de
(juoi marquer les progrès de la puissance pontificale
au cours du douzième siècle; mais, pour les siècles
antérieurs, ils en sont réduits à puiser dans les collec-
tions de Bonizon et de Deusdedit. LecamérierCencius,
M.
190 LA BIBLIOTHEQUE YATICANE.
qui, en 1192, consignait sur un registre officielle dé-
tail des temporalités du Saint-Siège, ne peut, pour
tout ce qui remonte au delà du pontificat d'Urbain II,
que s'en rapporter au témoignage de ses devanciers
grégoriens. Ce qui fait son originalité, c'est qu'il les
complète en les continuant. Il connaît à merveille les
archives qui se sont reformées depuis la ternpète qui
a emporté les anciens titres, et il met ces nouvelles
archives à contribution : il compulse et dépouille les
registres de tous les papes depuis Urbain II. Élevé
lui-même, sous le nom d'Honorius III, au souverain
pontificat, il cite encore avec amour des documents
extraits des registres du douzième siècle; de ses an-
ciennes fonctions, il a gardé le sens très net de la
force que le pontificat pouvait tirer de la tradition
emmagasinée dans les archives, et il s'est soigneuse-
ment référé aux actes de ses prédécesseurs.
LES PAPES DU TREIZIÈME SIÈCLE.
Mais ces archives, que la vie, bien agitée pourtant,
des papes du douzième siècle avait peu à peu recons-
tituées par le jeu normal de la chancellerie, allaient
bientôt disparaître dans un nouveau désastre. Hono-
rius III est le dernier pape qui les ait eues à sa dis-
position. A travers le douzième siècle, la vieille tour
cartulaire avait plus d'une fois otïèrt un asile aux
pontifes menacés par les factions et c'est sans doute
dans ce donjon, qui était pour les papes d'alors ce
que sera pour leurs successeurs le château Saint-
LES PAPES DU TREIZIEME SIECLE. 191
Ange, que furent aussi tenus à Tabri les actes du
Saint-Siège. Tel était le malheur des temps, que les
précautions prises pour sauver les registres pontin-
caux amenèrent leur perte. Les « châtelains » du
Saint-Siège étaient alors les Frangipani, et c'est à eux
qu'était confiée la principale forteresse que le pape
eût dans Rome. Or, après la mort d'HonoriusIll, les
Frangipani passèrent au parti de Frédéric II, et livrè-
rent aux Annibaldi, impériaux forcenés, toutes les
défenses quils tenaient au nom du Saint-Siège entre
le Colisée et le Palatin. Ce fut la ruine di-finitive de?
anciennes archives.
Heureusement, dès le commencement de son ponti-
ticat, Innocent III avait établi ailleurs sa chancellerie
ses registres et ceux de son successeur, conservés
dans les nouveaux locaux du Vatican, échappèrent
au désastre, et c"est ainsi qu'a pu se former, à par-
tir d'Innocent III, une nouvelle série de registres, la
seule qui subsiste aujourd'hui, série que nous pos-
sédons à peu près intacte pour les quatre siècles
([ui s'écoulèrent jusqu'au jour où l'établissement des
Congrégations par Sixte-Quint mit fin à l'ancien mode
d'enregistrement. Presque à sanaissance, elle a fourni
à Raymond de Pennafurt les principaux matériaux
"le la célèbre collection de Décrétales solennellement
publiée par Grégoire IX en 1^34 et qui pourrait s'ap-
peler en droit canon « le Code (îrégorien ».
Qudques rares documents de l'époque antérieure
survécurent. Ce furent, pour la plupart, des chartes
relatives au domaine temporel du Saint-Siège, qui,
rn majorité, sont venues jusqu'à nous. Quelques-unes
lesmoins importantes avaient sans doute trouvé asile
'lans les bureaux de la Chambre apostolique installés
192 LA BIBLIOTHEQUE YATICANE.
par Innocent III au Vatican ; d'autres, qui contenaient
des donations impériales ou royales, des concessions
de terre ou d'argent au Saint-Siège, avaient été pro-
bablement préservées dans les armoires établies tout
autour de la Confession de l'Apôtre; parmi elles figu-
raient un certain nombre de parchemins bleus ou
pourpres, écrits en lettres dor ou d'argent, tel que
le célèbre diplôme d'Othon, récemment étudié par
M. de Sickel; quatre-vingt-onze de ces documents,
transcrits par ordre d'Innocent IV en plusieurs exem-
plaires, composés chacun de dix-sept feuilles ou « rou-
leaux » séparés de parchemin, furent vidimés le 17
juillet 1245 par les Frères du concile de Lyon. Un de
ces exemplaires, demeuré en France, est devenu cé-
lèbre sous le nom de « Rouleaux de Cluny » ; il était
encore complet en 1775, lorsque Lambert de Barive
en prit copie, mais des dix-sept rouleaux primitifs
un seul subsiste aujourd'hui (Bibl. Nat., n» 8989).
Quant aux Archives Vaticanes, elles n'ont conservé en
original que sept des rouleaux de la série.
Après la lamentable ruine de l'ancienne Bibliothè-
que, les papes se préoccupèrent d'empêcher le retour
d'un pareil désastre. Les li^Tes nécessaires à la curie
pour l'étude et l'expédition des affaires n'eurent plus
désormais le caractère d'un dépôt fixe. La nouvelle
bibliothèque fut, pour ainsi dire, mobilisée, et suivit
le pape dans tous ses déplacements. Elle devint une
partie de ce qu'on appelait « le Trésor », c'est-à-dire
de cet ensemble d'objets très variés que le pape con-
duisait partout avec lui et où il devait trouver tout ce
qui était nécessaire à l'exercice de ses hautes fonc-
tions. Au reste, la conception n'était pas particulière
à Rome; les rois de France n'en usaient pas autre-
LES PAPES DU TREIZIEME SIECLE. W.i
ment. Mais ce caractère ambulant n'était guère favo-
rable à l'extension ni même à la conservation de la
bibliothèque pontificale : les livres que trouvait Boni-
face VIII lors de son avènement, en 1295, ne consti-
tuent pas une collection de bien jurande importance,
et l'inventaire dressé quelques années plus tard à
Pérouse (où la bibliothèque avait suivi Benoît XI et
où elle était demeurée après sa mort) accuse de re-
grettables pertes, à cùlé d'insignifiantes acquisitions
(1311). Encore cette collection n'avait-elle rien qui la
distinguât des autres bibliothèques de formation ré-
cente. Le II. P. Ehrle a remarqué qu'elle rappelait de
très près (les pièces d'archives mises à part) la bi-
bliothèque naissante de la Sorbonne, toute de scolas-
tique et de théologie, et si, comme nombre de volu-
mes, elle pouvait soutenir la comparaison avec les
bibliothèques les plus riches, elle restait bien infé-
rieure à la plupart d'entre elles pour l'antiquité et la
valeur intrinsèque des manuscrits. Elle ne se compo-
sait guère que de livres usuels, de ceux qu'on trouvait
alors couramment dans le commerce. Dans l'ensem-
ble, c'est à peine si on peut signaler quelques manus-
crits antérieurs au treizième siècle, encore le plus an-
cien paraît-il être la copie du registre mutilé de
Jean VIII, copie exécutée au onzième siècle chez les
moines du Mont-Cassin, et introduite par Bérard de
Naples dans les collections pontillcales au temps de
Clément IV.
Il faut noter pourtant la présence de trente-trois
manuscrits grecs; on a, en effet, beaucoup exagéré
l'ignorance où Rome s'est trouvée à l'égard du grec
durant tout le moyen âge, et il importe de remarquer
la place que tenaient dans la Bibliothèque ponti-
194 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
licale du treizième siècle les livres écrits en langue
grecque. Ce n'était pas à Rome que Ion pouvait
dire : ^< Gnecum est non legitur », et il y avait peut-
être là une semence pour Tavenir.
Malheureusement le départ de la curie pour la
France et l'installation du Saint-Siège à Avignon fut
fatal à cette bibliothèque à peine constituée. On la
transporta à Assise, pour qu'elle y fût en sûreté. De
là, les registres pontificaux du treizième siècle et un
grand nombre de documents d'archives émigrèrent
à Avignon, en 1339, par ordre de Benoît XII; le reste,
demeuré dans la sacristie du couvent d'Assise, fut
dispersé misérablement, et on en a vainement cher-
ché la trace.
VI
LA «IBLIOïnÈOUE d'aVIGNON.
Les papes d'Avignon commencèrent une nouvelle
bibliothèque, qui devint beaucoup plus importante
que celle qui venait de disparaître, mais qui fut do
même nature, c'est-à-dire avant tout théologique et
scolastique. A partir de Jean XXIJ, se procurer des
livres parait être une de leurs préoccupations cons-
tantes. Ils en font chercher au loin, et ne craignent
pas d'y mettre le prix. Ils entretiennent auprès
d'eux tout un personnel de copistes et de miniatu-
ristes, et lorsqu'ils ne peuvent obtenir qu'on leur
envoie en Avignon un exemplaire de l'œuvre à repro-
duire, ils font copier sur place les manuscrits qui ne
voyagent point. Le droit de « dépouille » couram-
LA BIBLIOTHÈQUE DAVIGNON. lOr.
ment exercé contribue aussi grandement à l'accrois-
sement de leur collection, puisque le Saint-Siège
hérite de la dépouille (argent, meubles, joyaux et
livres) des prélats qui meurent en cour d'Avignon.
De ce chef pourtant le gain est surtout numérique,
car toutes ces bibliothèques se ressemblent, et il est
bien rare qu'elles contiennent des manuscrits de
réelle valeur : ce sont toujours à peu près les mêmes
ouvrages, livres de pratique, textes et commentaires
(le droit civil et de droit canon, traités de philoso-
phie, questions, sommes ou sentences. En sept ans,
de l.'Ji3 à 13.'jO, plus de douze cents volumes entrè-
rent ainsi à la Bibliothèque, alors installée dans la
Tour des Saints-Anges, et il n'est pas surprenant
que l'inventaire de 1309 accuse jusqu'à 2.108 nu-
méros.
11 ne faudrait pas croire cependant que les papes
aient gardé pour leur bibliothèque tous les livres
que le droit de dépouille y amenait. Innocent VI et
l'rbain V surent faire bon usage des doubles qui
s'entassaient ainsi dans le « Trésor » : aux collèges
fondés par eux pour l'instruction des jeunes clercs
dans les Universités de Montpellier, de Toulouse et
de Bologne (et dans lesquels ils entretinrent jus-
qu'à mille étudiants), ils donnèrent libéralement
ces livres usuels dont regorgeait la bibliothèque
d'Avignon.
Comme la bibliothèque du treizième siècle, cette
bibliothèque avignonnaise était faite pour l'usage du
pape et de la curie. Pourtant, les anciennes tradi-
tions n'étaient pas tout à fait perdues, et les manus-
crits du Saint-Siège ne demeuraient pas inaccessi-
bles : on pouvait être admis à les consulter, parfois
196 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
même à les emprunter. Pétrarque, en villégiature à
Vaucluse, écrivait le 8 janvier 1352 à un de ses amis
de Florence : « Je n'attends que le rétablissement
du pape pour consulter son manuscrit de Pline, qui
n'est, à ma connaissance, dans aucune autre biblio-
thèque, et satisfaire ainsi à votre curiosité ».
Les inventaires de 1369 et de 1375 publiés par le
R. P. Ehrle nous montrent que toutes les branches
de la science ecclésiastique étaient représentées dans
la Bibliothèque d'Avignon; et il est intéressant de
constater à quel point les tendances d'esprit du qua-
torzième siècle et les questions qui l'ont passionné
se reflètent fidèlement dans ces catalogues. On voit
même poindre l'aurore de temps nouveaux : à côté
des classiques familiers au moyen âge, il faut noter,
comme un fait très rare à cette époque, la pré-
sence de deux volumes contenant les Discours de
Cicéron.
Le contre-coup du trouble jeté dans l'Église par
le grand schisme se lit sentir dans les collections
du Saint-Siège. Déjà Urbain V, partant pour Rome,
avait emporté avec lui quelques livres; Grégoire XI
tit de même. Pourtant le gros de la Bibliothèque
était demeuré à Avignon. Elle avait continué de
s'enrichir, par les soins du très magnifique Clé-
ment YII (Robert de Genève) et de son successeur
Benoît XIII (Pierre de Luna grand amateur de li-
vres. Lorsque Pierre de Luna quitta le palais pon-
tifical des bords du Rhône pour se réfugier en Ara-
gon, il emporta avec lui, à Peniscola, une grande
partie de la Bibliothèque et des archives du Saint-
Siège (1408). Plus tard, en L4-29, le cardinal de Foix
recouvra, au nom du pape Martin Y, le Trésor de
LA BIBLIOTHEQUE D'AVIGNON. 197
Peniscola, que l'antipape Gilles Munoz rendit au
pape légitime, mais ces richesses ne retournèrent
pas toutes à Avignon : la plupart des livres restè-
rent entre les mains du légat qui les donna, en
1437, au collège fondé par lui à Toulouse. C'est là
qu'ils ont été utilisés au XVIF siècle par Pierre de
Marca et François Bosquet, et c'est de là qu'ils
sont passés, « moyennant quarante sous pièce, l'un
portant l'autre », dans la bibliothèque de Colbert,
et ils sont aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale
de Paris.
CHAPITRE II
La Renaissance
LES DEBUTS DE L HUMANISME.
Avec Martin V commençait pour les papes une ère
nouvelle : Tunité était rentrée dans l'Église.
On ne se pressa pas cependant de ramener à Rome
les collections d'Avignon : bien d'autres affaires sol-
licitaient l'attention du Saint-Siège. -Ce ne fut que
peu à peu, et à d'assez longs intervalles, que les
manuscrits d'Avignon rentrèrent à Rome : le dernier
envoi précéda de peu l'annexion à la France du
Comtat Venaissin. Inutile d'ajouter que beaucoup
s'égarèrent en route. Le R. P. Ehrle a retrouvé dans
la bibliothèque des princes Borghèse un grand
nombre de volumes provenant de la bibliothèque
pontificale d'Avignon ; la munificence du pape
Léon XIII les a ramenés au. bercail; mais combien
d'autres ont disparu sans qu'on puisse suivre leurs
traces !
Quant aux manuscrits réunis par les papes depuis
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME. .190
leur retour à Rome, ils ne paraissent pas avoir été
bien nombreux, et la détresse financière était telle,
qu'on voit, en 1407, le pape Grégoire XII autoriser
la vente d'un certain nombre de livres, dont on tira
cinq cents florins.
Il faut donc considérer la biljliolhèque réunie au
Vatican par les papes du quinzième siècle comme
une création entièrement nouvelle. Sans doute quel-
ques éléments furent empruntés à la bibliothèque
d'Avignon la collection des registres pontificaux
d'Innocent III à Grégoire XI y entra tout entière, et
avec elle un certain nombre de documents d'ar-
chives) ; d'autres (en particulier les registres ponti-
ficaux depuis Urbain VI y vinrent du couvent de la
Minerve et du palais construit par Martin V auprès
de l'église des Saints-Apùtres. Mais ce qui constitue
son originalité et lui donne son vrai caractère, c'est
la physionomie des temps qui la virent se former.
Lorsque Martin V rentra dans Rome en 1 4^0, les
esprits étaient en travail. Un monde nouveau se pré-
parait, qui, brisant avec les formes de la pensée du
moyen âge, reconnaissait les anciens pour ancêtres
directs et saluait dans la civilisation gréco-latine le
plus bel épanouissement de l'humanité. On en était à
l'aurore de ce grand mouvement de la Renaissance,
qui allait modifier si profondément les conditions de
la vie et de la pensée dans tout l'Occident.
Au début du quinzième siècle, en dépit des diffi-
cultés au sein desquelles il se débattait, le pape
Innocent VII avait manifesté la volonté de restaurer
l'Université fondée à Rome par Boniface VIII, et,
dans une bulle publiée à cet efîet, il prévoyait la
création d'enseignements nouveaux, tels que ceux
200 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
de la littérature grecque et latine. Le style même de
cette bulle, d'une belle latinité classique, toute pleine
d'un sentiment de vénération profonde pour la Rome
antique, décèle la plume d'un humaniste. Et, en
effet, des humanistes de marque se trouvaient alors
parmi les secrétaires apostoliques. Pogge, dont le
nom est si intimement lié à la première renaissance
des lettres, était entré à la chancellerie pontificale
sous Boniface IX, et Innocent YII lui-même venait
d'y appeler le célèbre Lionardo Bruni d'Ârezzo. On
sait quelle action le concile de Constance exerça sur
le développement de l'humanisme. Il fut l'occasion
des plus retentissantes « découvertes » littéraires de
Pogge, et tandis qu'on transmettait en Italie les
classiques latins retrouvés dans les bibliothèques
ultramontaines, les Pères du Concile recevaient en
échange de l'Italie lettrée la première étincelle d'un
feu qui allait se propager à travers l'Europe.
Martin V, bien qu'entouré d'humanistes, demeura
personnellement étranger au mouvement; un an
après sa mort, Ambroise le Camaldule, visitant
Rome, ne trouvait dans la bibliothèque du pape
aucun manuscrit intéressant, u si ce n'est un traité
de la perfection religieuse d'Isaac le Syrien ».
Mais déjà Eugène IV croit nécessaire d'introduire
parmi ses livres les classiques grecs et latins. Il faut
se représenter son long séjour à Florence, qui était
alors le vrai foyer de la Renaissance, et on compren-
dra combien il lui était difficile de se défendre contre
l'infiuence d'un pareil milieu. Au reste, son entou-
rage le poussait vers les études alors en faveur;
Flavio Biondo, qui est le premier en date des ar-
chéologues, fut nommé par lui secrétaire apostolique
L'HUMANISME ET LA VATICANE DE NICOLAS V. ,201
et lui dédia sa Borna inslnurala ; les meilleurs cardi-
naux de la curie se faisaient les protecteurs des hu-
manistes.
Cn peu avant li43, la bibliothèque pontificale
comprenait environ .340 volumes, dont la composi-
tion est à noter. Les tendances nouvelles se manifes-
tent par la présence des œuvres de Tite-Live, de Ci-
céron, d'Ovide, de Sénèque, de Galien, d'Aristote, de
Xénophon, dEschine et de Démosthène; mais la col-
lection demeure avant tout, ainsi qu'il convient,
théologique et scolastique : TÉcriture est bien repré-
sentée, les Pères sont nombreux, les textes et com-
mentaires de droit canon abondent. D'ailleurs, chose
étrange, au lendemain du concile de Florence, les
classiques grecs ne sont là qu'en traduction ; en fait
de manuscrits grecs, il n'y a qu'un Boèce et un psau-
tier; encore ne sont-ils pas franchement grecs, puis-
que le Boèce est accompagné du texte latin, et que le
psautier est moitié grec, moitié latin.
II
L HUMANISME ET LA VATICANE DE NICOLAS V.
C'est Nicolas V qui est le véritable fondateur de la
Bibliothèque Vaticane. On a eu raison de dire qu'avec
lui l'humanisme s'était assis sur la chaire de saint
Pierre : Rome s'en aperçut bientôt. Si Eugène IV
n'avait pu séjourner à Florence sans se laisser gagner
par les idées nouvelles, c'était bien autre chose pour
iS'icolas V. 11 était le produit accompli, le représen-
tant parfait de cette libre académie florentine de San
■liY2 LA. BIBLIOTHEQUE VATICANE.
Spirito. dont les échos avaient éveillé le palais tout
voisin qui abritait Eugène IV. « Depuis sa jeunesse,
écrivait de lui le futur Pie II, il est initié à tous les
arts libéraux, il connaît tous les philosophes, les his-
toriens, les poètes, les cosmographes et les théolo-
giens ; le droit civil et le droit canon . la médecine elle-
même ne sont pas pour lui des sciences étrangères ».
LÉglise avait fortement marqué son empreinte sur
le moyen âge; mais ce n'est pas à dire que le moyen
âge dût être considéré par elle comme un état idéal.
Elle n'avait pas systématiquement détruit la civilisa-
tion romaine, ni proscrit l'œuvre séculaire de l'intel-
ligence humaine chez les peuples païens. Le jour oii
la curiosité naturelle des esprits seportaverslemonde
antique, elle n'eut aucun scrupule à encourager des
études destinées à reprendre ce qu'elle considérait
comme le patrimoine commun de l'humanité, et elle
choisit pour chef un « humaniste ».
Thomas Parentucelli, qui prit le nom de Nicolas V,
aimait passionnément les livres, oîi était renfermé le
précieux héritage des anciens ; si parfois il avait sou-
haité d'être riche, c'était afin de pouvoir acheter des
livres sans compter. Quand il devint pape, et qu'il
disposa à son gré de sommes énormes, accrues en-
core par le Jubilé de 1 450, on devine l'usage qu'il en
fit. Mais ce serait méconnaître la portée de son œu-
vre que d'y voir simplement la satisfaction d'un rêve
égoïste de bibliophile. C'est à Florence que la Renais-
sance était née spontanément, et bien que, depuis un
demi-siècle, nombre d'humanistes eussent été appe-
lés aux fonctions de la curie, Rome n'était pas encore
entrée dans le courant de vie qui se répandait sur
l'Europe. Nicolas V se préoccupa de donner à Rome
LHUMANISME ET LA VATJCÎ^NE DE NICOLAS V. 203
la maîtrise des esprits, d'en faire le centre du mouve-
ment intellectuel de la chrétienté, ^«'était-ce pas le
meilleur moyen dempècher que ce mouvement ne
s'égarât? Les humanistes les plus célèbres furent sol-
licités de venir à Rome et remplirent tous les emplois
de la curie; il se forma autour du pape une véritable
académie où brillent des noms comme ceux de Pogge,
de Valla, de Manetti, d'Alberti, d'Aurispa, de Tortello,
et d'autres encore. Tout ce que Florence comptait de
lettrés en renom avait émigré à Rome, et Tortello.
qui fut un des amis du pape, lui rappelait dans un de
ses traités « qu'il avait fait de Rome l'asile de tous
les talents, en y appelant de tous les coins de la terre
les savants grecs et latins, en les mettant à même par
ses libéralités de cultiver leur génie, d'acquérir de
la gloire, et de faire des travaux utiles à'ia Postérité ».
Cette réunion temporaire des plus excellents hu-
manistes ne pouvait suffire. Au moyen âge, on avait
cru en la parole du maître; la science était toute de
tradition; Aristote, entrevu à travers ses commen-
tateurs, avait paru résumer en lui toute la doctrine
de l'antiquité, et la spéculation philosophique régnait
en maîtresse dans les chaires des universités. C'est là
que se créait et se propageait la science. Nicolas V et
la Renaissance avaient une tout autre conception.
Pour eux, l'antiquité n'était pas tout entière dans ses
philosophes et ses grammairiens. Aux yeux de Nico-
las V et des humanistes, à qui le monde ancien se ré-
vélait dans toute sa grandeur et sa complexité, les
vrais maîtres n'étaient point ceux qui enseignaient
dans les chaires, c'étaient les anciens eux-mêmes dont
le contact direct et immédiat pouvait seul éveiller
l'Ame longtemps assoupie de l'humanité. Aussi pen-
204 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
saient-ils qu'un foyer de vraie science ne pouvait s'al-
lumer que là où on installerait non point seulement
les interprètes de l'antiquité (Théodore Gaza, Laurent
Valla, Georges de Trébizonde, Enoch d'Ascoli ensei-
gnèrent sous son pontificat à l'Université de Rome),
mais les anciens eux-mêmes. Il voulut que Rome de-
vînt pour toujours la dépositaire des monuments
laissés parle génie des Grecs et des Latins, persuadé
que le trésor de la sagesse et de l'éloquence antique,
confié à la sollicitude du Saint-Siège, se transmettrait
intact de génération en génération et ne cesserait
d'attirer à lui de toutes parts ceux en qui vivrait la
flamme divine. Et, comme ce grand humaniste était
en même temps un grand chrétien, il prétendait ins-
taller dans ce tabernacle la science divine à côté de la
science humaine. Dans la part qu'il avait prise autre-
fois à cette chasse aux manuscrits antiques qui carac-
térise les débuts du quinzième siècle, il avait montré
que l'antiquité chrétienne lui tenait à cœur autant
qu'à Pogge l'antiquité profane, et des monastères
d'outre-monts, où Pogge avait fait si ample moisson
de classiques, il avait rapporté les sermons de
Léon le Grand et un exemplaire complet de Tertullien.
Aussi la Vaticane, telle qu'il la conçut, fut à la fois
chrétienne et classique.
De tous cùtés partirent des émissaires du pape, en
quête de manuscrits. Non seulement l'Italie fut battue
tout entière, mais des messagers de sa pensée furent
mandés « jusqu'aux confins du monde, sans regar-
der à la difficulté ni à la dépense, pour tâcher de re-
trouver celles des œuvres des anciens que l'on croyait
perdues ». C'est ainsi que, sur le bruit qu'on avait
découvert en Danemark un exemplaire complet de
L'HUMANISME ET LA VATICANE DE NICOLAS V. 205
Tite-Live, le pape dépêcha vers la Baltique Enoch
dAscoli; le bruit se trouva faux, mais Enoch ne revint
pas les mains vides. Du côté de l'Orient, le butin était
plus abondant encore : avant et après la prise de
Constantinople par les Turcs, Nicolas V sauva une
partie des richesses littéraires de Byzance en faisant
acheter aux vainqueurs, par l'entremise d'agents
secrets, des lots entiers de manuscrits.
»< La Grèce n'est pas morte, écrivait Philelphe; il
semble qu'elle ait émigré en Italie, à laquelle l'anti-
quité donnait le nom de Grande-Grèce. » Nicolas V
se préoccupait, en effet, vivement d'introduire et de
répandre la littérature grecque en Italie; il rêvait de
lui donner ses lettres de grande naturalisation. Et ce
n'était pas seulement la langue grecque qu'il avait
en vue, c'était surtout l'esprit de la Grèce, le génie
grec qu'il voulait infuser à ses contemporains. Aussi
il ne se contentait pas de faire rechercher et de faire
copier les manuscrits grecs : il voulait les voir tra-
duire. C'est une tâche qu'il distribua aux lettrés qui
l'entouraient, et sa cour devint comme un vaste ate-
lier où copistes et traducteurs rivalisaient de zèle
pour mériter sa faveur. Georges de Trébizonde,
Théodore Gaza, Grégoire de Città di Castello s'occu-
pèrent d'Aristote; Thucydide et Hérodote furent tra-
duits par Valla, Diodore par Pogge, Appien par Do-
cembri, Polybe par Nicolas Perotti le jeune, Strabon
par Guarino de Vérone. La Grèce devenait ainsi acces-
sible à tous ceux ({ui connaissaient la langue latine,
c'est-à-dire à quiconque avait étudié. El la généro-
sité du pape encourageait les traducteurs : à Laurent
Valla, pour sa traduction do Thucydide, Nicolas V
donnait, à titre de gratification, cinq cents écus d'or;
II. 12
■lOG L\ BIBLIOTHÈQUE VATICANE.
Perotti recevait cinq cents ducats pour son Polybe.
et Guarino mille écus pour les dix premiers livres
de Strabon. Lorsque Nicolas V mourut, il avait déposé
chez un banquier une somme de dix mille sequins
destinée à payera Philelphe une traduction d'Homère,
qu'il avait toujours passionnément désirée et que les
circonstances lui avaient impitoyablement refusée.
La sollicitude du pape s'étendait naturellement aux
auteurs sacrés. Manetti reçut de lui commission de
traduire le teste grec du Nouveau Testament; Tor-
tello mit en latin la Vie de saint Athanase par Gré-
goire de Nazianze; à Georges de Trébizonde fut confié
le soin de traduire divers ouvrages de Cyrille, de Ba-
sile et de Grégoire de Nysse, ainsi que la Prépara-
tion Évangélique d'Eusèbe; et Théodore Gaza donna
une version des homélies de saint Jean Chrysostome
sur FÉvangile de saint Mathieu.
Des œuvres originales naissaient, à l'instigation
du pape. Il commandait, par exemple, à Gianozzo
Manetti un traité apologétique contre les juifs et les
païens; il chargeait le Florentin Antonio degl' Agli,
futur évèque de Fiesole et de Volterra, de rechercher
des documents sur la vie et les actes des saints ; il ins-
pirait à Timothée Maffei, prieur des chanoines régu-
liers de Fiesole, un traité « contre la sainte igno-
rance », destiné à réfuter l'opinion que les lettres
sont incompatibles avec la piété.
Ces traductions et ces ouvrages prenaient place
dans la Bibliothèque Yaticane, cà côté des textes que
le pape faisait rechercher et copier partout. Dans tous
les centres littéraires un peu importants, il entrete-
nait des copistes qui transcrivaient pour son usage les
manuscrits qu'il n'avait pu se procurer directement,-
LIIUMANISME ET LA VATICANE DE NICOLAS V. 207
et à Home même il avait sous la main un nombreux
personnel, rompu aux travaux de ce genre.
C'est de tous ces éléments que la Vaticano se forma.
M. Miintz a publié Tinventaire des livres latins et
grecs qui figuraient dans la Bibliothèque pontificale
à la mort de son fondateur. Aucune bibliothèque à
cette époque ne présente un nombre de volumes
comparable à celui que renfermait la collection réu-
nie par Nicolas V. La plus riche des bibliothèques
italiennes alors existantes celle des Yisconti, au châ-
teau de Paviej contenait, en 14:2(), neuf cent quatre-
vingt-huit ouvrages, tandis que la bibliothèque de
Nicolas V atteignait un total de 1.140 numéros, dont
."^31 manuscrits grecs. Aussi n'est-il pas étonnant que.
pour former, dans un temps relativement si court,
une bibliothèque unique en son genre, Nicolas V ait
dépensé, d'après le calcul des Assémani, plus de
quarante mille écus. — Mais c'est moins la richesse
que la composition de cette bibliothèque qui doit atti-
rer l'attention. Lorsqu'on en parcourt le catalogue, on
s'aperçoit que Ihumanisle devenu pape avait bien
compris ce que devait être la bibliothèque pontificale.
L'Écriture, les Pères, les théologiens sont classés à
part, à la place d'honneur, et forment, aussi bien en
grec qu'en latin, la majeure partie des volumes. Les
ouvrages profanes, tels que romans de chevalerie,
traités de jeux, d'astrologie et de médecine sont à
peu près bannis. Par contre, la plupart des classiques
y figurent, dans le texte original ou dans des traduc-
tions latines. Aucun écrit d'ailleurs en langues moder-
nes, pas même en italien. Plus étonnante est l'ab-
sence de manuscrits orientaux; peut-être y avait-il
pour eux un catalogue spécial : en tout cas, on ne
208 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
saurait attribuer cette lacune à Texclusivisme deTliu-
maniste impénitent, car Nicolas fît rechercher l'Évan-
gile de saint Mathieu en langue originale, promettant
cinq mille écus à celui qui lui en procurerait le texte.
Cette Bibliothèque, qui coûta à Nicolas V tant de
soins et tant dargent, ne devait pas être, dans sa
pensée, un inutile joyau. Il l'avait réunie « pour l'u-
sage commun de la cour de Rome et des savants de
tout pays », et en cela (il ne faut pas se lasser de le
répéter) il était bien dans la tradition du Saint-Siège,
non pas seulement dans la tradition ancienne, mais
dans la tradition immédiate de son prédécesseur, qui
avait plus d'une fois confié à divers personnages de
la curie (Jean Torquemada, François de Padoue, Paul
et Pierre Barbo, Jean d'Osnabruck, Alphonse Borgia,
et d'autres encore) des manuscrits de sa bibliothèque.
Calixte III, successeur de Nicolas V, a été accusé
d'avoir dilapidé le trésor littéraire qu'il trouvait tout
formé au Vatican. En réalité, il s'est montré seule-
ment très libéral dans le prêt des manuscrits de la Va-
ticane, et ce n'est peut-être pas un si grand crime que
d'avoir prêté des livres à François d'Arezzo, à Bessa-
rîon et au cardinal de Russie.
Paul II, au dire de son biographe, se montra tout
aussi large, et Sixte lY demeura scrupuleusement
fidèle à la tradition.
m
LA VATICANE DE SIXTE IV ; l'IMPRIMERIE A RO.ME.
Sixte IV a été le vrai continuateur de Nicolas V, et
on peut à bon droit le considérer comme le second
fondateur de la Vaticane.
L\ VATICANE DE S1\TE IV. 209
Son premier soin fut de l'installer dans un local
digne d'elle :
Templa, domum expositis, vicos, fora, mocnia, pontes,
Virfjinemn Trivii quod repararis aquam,
Prisca liccf naulis statuas dare commoda porfus
/:t Vaticanum cingere, Sixte, jugum.
fins tamen Urbs débet : nam quae sguallore latebat
Cernitur in celebri bibliotheca loco.
Peut-être ne faut-il pas prendre trop à la lettre le
sqnallor dont parle Platina dans cet éloge métrique,
mais il est certain que Nicolas V n'avait pas eu le
temps de donner à sa collection l'emplacement qu'il
avait rêvé pour elle : pour loger les huit armoires qui
contenaient sa Bibliothèque latine, il n'avait disposé
qu'une seule salle où le jour n'entrait que par une
unique fenêtre.
Sixte IV affecta à la Bibliothèque les locaux occupés
aujourd'hui par les magasins du Garde-meuble {flo-
rcria apostolica), au rez-de-chaussée de la cour dite
du Pappagallo, au-dessous de l'appartement Borgia,
dans un corps de bâtiment élevé par Nicolas V et dont
les différents étages furent aménagés par ses suc-
cesseurs. Sans se laisser égarer par les humanis-
tes, si nombreux pourtant à sa cour et si bien vus
(If lui il se préoccupa de conserver à la collection qu'il
installait le caractère du Bibliothèque apostolique,
dans la large acception du mot. Revenant à la tradi-
tion Damasienne, il voulut que les documents d'ar-
chives rt les livres proprement dits fussent conservés
rùte à côte, pour servir à une tin commune. A côté de
la Bibliotltrque publiqui- ou /iiblio(hi''qur covimitne,di-
visée elle-même en deux saMes (jnuidi- salle ou sali''
12,
210 LA BIBLIOTHEQUE YATICANE.
latine, et salle grecque , il constitua \a Bibliothèque se-
crète (nous dirions aujourd'hui la « Réserve ») où fut
placée, entre autres choses, la collection des registres
pontificaux. Dès 1479, on prépara une nouvelle salle,
qui fut prête en 1481. On l'appela d'abord Nouvelli'
Bibliothèque ou Bibliothèque Pontificale : ce fut en
réalité comme une seconde bibliothèque secrète, dans
laquelle on installa les registres et quelques manus-
crits particulièrement précieux; au seizième siècle,
après les changements opérés par Jules II, elle forma
la Grande bibliothèque secrète^ tandis que l'ancienne
Bibliothèque secrète prenait le nom de Petite biblio-
thèque secrète.
On ne peut plus aujourd'hui se faire que difficile-
ment idée de la magnificence qui éclatait partout dans
laBibliothèqueSixtine; pavé en mosaïque de verre et de
marbre, peintures murales (auxquelles travaillèrent
Ghirlandajo et Melozzo da Forli), fenêtres à vitraux
peints, sur lesquels étincelait le chêne des délia Ro-
vere, portes en marqueterie, boiseries sculptées, ar-
moires et bancs finement travaillés, rehaussés de cou-
leurs et de dorures, tout cela est comme évanoui. Il
n'est guère resté d'intact que la grande fresque de
Melozzo da Forli qui ornait le mur de la grande salle
latine en face de la porte d'entrée : elle a été trans-
portée sur toile, et elle est conservée maintenant à
la Pinacothèque Yaticane ; quelques fragments de
l'ancien pavé, et, sur les murs, quelques figures de
docteurs et de philosophes, échappées au badigeon
qui recouvre les murs, rappellent pourtant dans la
Floreria solitaire la destination primitive des locaux
et implorent une restauration tardive mais possible
encore.
LA VATICANE DE SIXTE IV. 2U
Quant à la disposition intérieure des salles, il faut,
si on veut se la représenter, songer à la Lauren-
tienne de Florence ou à la bibliothèque Malatesla d<'
Césène, en y ajoutant par la pensée quelques map-
pemondes et sphères célestes, ainsi que la tradition
s'en est conservée, par exemple, à la bibliothèque
Barberini. La salle latine était garnie de seize bancs
avec pupitres {plutei), auxquels les manuscrits
étaient fixés par des chaînes courant sur des verges
de fer; la salle grecque en avait huit. Dans les deux
bibliothèques secrètes, il y avait en outre des ar-
moires et des coffres, les uns flanquant les pupitres à
droite et à gauche, les autres rangés le long des
murs : cette disposition est à retenir, car, même
après les remaniements opérés par Jules II, la dis-
tribution des livres et du matériel n'a pas été modi-
fiée pendant plus d'un siècle.
A la tète du service, Sixte IV plaça un des premiers
humanistes de son temps, Bartolomeo Platina. Il lui
assigna un traitement de deux ducats par mois iliTo),
et lui donna pour auxiliaires, en 1481, deux savants
de mérite, Démétrius de Lucques et Jean Chadel de
Lyon, qui eurent le titre de gardiens ou custodes, et
furent logés dans un local construit tout exprès à
côté du dépôt dont ils avaient la garde.
En même temps, il constituait à la Bibliothèque un
revenu propre, qui devait en assurer désormais l'en-
tretien et le développement normal. Les dons en ar-
gent et en nature que tout nouveau titulaire d'un
emploi à la curie était tenu d'offrir au pape, ainsi que
les étrennes obligatoires icent ducats par an) et les
droits de dispense acquittés par les secrétaires apos-
toliques formèrent dès lors un fonds spécial, admi-
212 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
nistré par le bibliothécaire et affecté .tout entier aux
besoins de la Bibliothèque.
u Notre Seigneur Sixte IV, écrivait Démétrius de
Lucques, a dépensé tant dargent et tant de soin pour
sa bibliothèque qu'elle sera bientôt complète. Pour
attirer à lui les hommes les plus instruits, il n'épar-
gne ni présents ni promesses. Il leur fait traduire en
langue latine, de Fhébreu, du grec et de l'arabe. Il a
à son service des copistes habiles, appelés de partout,
qui transcrivent ces traductions ou qui copient des
ouvrages que la Bibliothèque ne possède pas encore,
et il ne leur ménage ni sa faveur, ni ses bienfaits ».
La collection de Nicolas V formait le premier noyau
de la bibliothèque de Sixte lY; Sixte nous en avertit
lui-même. Mais il sut bientôt l'accroître; l'inventaire
de 1475 mentionne déjà 2.527 manuscrits, dont 770
grecs et 1.757 latins, c'est-à-dire trois fois plus de
volumes que n'en comptait la Vaticane de Nicolas V,
et pendant les neuf dernières années du pontificat,
près de 1.100 volumes nouveaux entrèrent à la Biblio-
thèque. Parmi ces acquisitions peut-être faut-il
compter le plus ancien texte grec de la Bible, le fa-
meux Vaiicanus de la critique biblique, coté aujour-
d'hui 1209 dans le fonds grec du Vatican; c'est, en
effet, dans l'inventaire de 1481 qu'il est pour la pre-
mière fois mentionné d'une manière bien explicite :
Bible en (rois colonnes, sur parchemin.
Dans son ensemble, la Bibliothèque Sixtine est
avant tout ecclésiastique : l'Écriture, les Pères, les
canonistes et les théologiens en forment la plus
grosse part, c'est bien la bibliothèque qui convient
au chef de l'Église.
Sixte IV, en effet, n'a jamais perdu de vue la vraie
LA VATICAN'E DE SIXTE IV. 213
lin de toute fondation pontificale. A ses yeux, la Bi-
bliothèque est faite avant tout « pour l'honneur de
l'Église militante, et pour raccroissement de la foi ».
Mais aussi, comme le pape est pour lui le protecteur
naturel de toutes les études qui élèvent l'homme, il
se préoccupe d'aider les savants et les lettrés à em-
brasser l'ensemble des connaissances humaines et h
enrichir par leurs découvertes le patrimoine de l'hu-
manité; c'est pour cela qu' « il les attire, les favorise,
leur prépare des locaux et des bibliothèques où il
réunit pour leur usage les livres disséminés par le
monde ». 11 pousse même la sollicitude jusqu'à
assurer à leur travail les conditions matérielles les
plus favorables : la Bibliothèque recevra la lumière
par de larges fenêtres, et durant l'hiver elle sera soi-
gneusement chaufîée.
Au reste, pour profiter des trésors amassés dans
la Bibliothèque Sixtine, il n'était point nécessaire de
s'y enfermer. Le prêt se pratiquait largement, et le
registre où Platina a consigné les noms des emprun-
teurs et les titres des ouvrages empruntés est une des
pages les plus éloquentes de l'histoire de la Vaticane.
Elle mériterait d'être citée tout entière. Elle nous
montre, réalisées dans la pratique, les vues si hautes
qu'avait le pape sur sa Bibliothèque. Un merveilleux
instrument était créé qui faisait de Rome et de la cu-
rie le centre littéraire peut-être le plus actif de l'Eu-
rope, sans en excepter Florence. Tous les ordres
d'étude y sont représentés ; on emprunte les conciles,
les Pères, les scolastiques, les canonistes; on em-
prunte aussi les classiques latins et grecs, les phi-
losophes, les historiens, les géomètres et les astro-
nomes ; et parmi les emprunteurs il y a les plus grands
214 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
personnages de la cour, comme Jean et Guillaume
délia Rovere, ou comme le futur Jules II qui s'oflre le
plaisir princier de lire Virgile dans le fameux « Co-
dex Romanus » en majuscules, devenu déjà un des
joyaux de la Yaticane ; il y a des théologiens et des
canonistes, comme François de Tolède, Urbain Fies-
chi, Pedro Ferriz; il y a les plus célèJjres humanistes
du temps, tels que Pomponio Leto, le chef de l'Aca-
démie. Jean Argyropoulos, gloire de l'université
romaine, Lionardo Dati, Giglio de Città di Castello,
Mathias Palmieri, Jacques de Volterra, Agostino
Patrizzi, Démétrius de Lucques, Cristoforo Persona,
Sigismond de" Conti, Jérôme Barbano, qui tous
avaient un emploi à la curie, et Platina lui-même, qui
écrivait pour le pape les Biographies de ses prédé-
cesseurs et surveillait la compilation en trois volumes
d'un registre des Privilèges temporels de la sainte
Église; il y a de modestes érudits, comme Jean de
Carpi, bachelier eu théologie, comme Antoine Bren-
tius de Padoue qui, dans une dédicace au pape,
tient à déclarer « que son livre doit tant à la Biblio-
thèque publique ouverte par Sixte IV à tous les let-
trés, qu'il le prie d'agréer son œuvre comme prémis-
ses des études fructueuses rendues possibles à tous
par sa grande institution « ; il y a enfin des impri-
meurs, comme Arnold Pannartz et Philippe de Ligna-
mine, et cela nous amène à considérer la part qu'a
eue le Saint-Siège au développement que prenait
alors à Rome l'art récemment importé de l'impri-
merie.
On sait l'histoire de ces typographes allemands,
Conrad Sweinheim et Arnold Pannartz, que le cardi-
nal Nicolas de Cues fit venir à Rome sous le pontificat
LA VATICANE DE SIXTE IV. 213
cIo Paul II. .\u couvent de Subiaco, où ils avaient
trouvé un asile, il donnèrent, en 1465, la Grammaire
de Donat, les Jnslilutions de Lactance et le De Ora-
lore de Cicéron ; la Cité de Dieu de saint Augustin
suivit en 1407, et, la même année, les compagnons
vinrent installer leurs presses à Rome même, dans
le palais Massimo, où ils éditèrent les Lettres de Ci-
céron. Le pape fit le meilleur accueil à ces représen-
t^mts de l'invention nouvelle, qui secondait si admi-
rablement l'œuvre tentée à la Vaticane. Nous en
avons la preuve dans les préfaces de Jean-A.ndré
Bussi, dont le nom est inséparable de ces premières
éditions romaines. C'est lui, en efTet, qui était chargé
d'établir le texte des œuvres qu'imprimaient Conrad
et Arnold; il était, comme on disait alors, leur <• cor-
recteur » ou « réviseur ». Dès l'année 14G8, dans sa
préface au Saint Jérôme, Bussi se présentait comme
l'auxiliaire de l'œuvre apostolique : •< nous savons,
disait-il, que c'est pour l'Église Romaine une an-
cienne coutume de rechercher les livres et de les con-
server soigneusement pour qu'on puisse facilement
les consulter en cas de besoin »; or, l'imprimerie se-
conde excellemment les vues du Saint-Siège, « puis-
que, grâce à elle, des ouvrages qu'on ne pouvait se
procurer autrefois pour cent ducats en coûtent main-
tenant à peine vingt, si bien qu'il devient possible
aux plus pauvres de se constituer une bibliotlièque.
On paie moins aujourd'hui pour un livre qu'autrefois
pour une reliure. C'est véritablement une grâce que
Dieu a faite à Paul II que de choisir son pontifical
pour accorder à l'univers chrétien un don qui promrt
d'avoir de si heureux résultats ».
Le Sacré Collège tout entier « accueillait l'art nou-
216 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
veau avec bienveillance et faveur » ; le cardinal Marc
Barbo mettait à la disposition de Bussi les ressources
de sa très belle bibliothèque, et le pape prodiguait
à Tinfatigable éditeur les témoignages de sa satisfac-
tion : en li69, Paul II le faisait évêque d'Aléria, et
Sixte IV, dès son avènement, lui marquait son es-
time et sa confiance en lui ouvrant toutes grandes les
portes de la Vaticane par sa nomination au poste de
bibliothécaire. C'était, en effet, le collaborateur dési-
gné du souverain pontife dans la mission que le
Saint-Siège avait assumée.
Tout venait à point. L'admirable collection formée
par Nicolas V, et que Sixte IV allait augmenter
encore, fournissait abondamment aux travaux de ces
im-primeurs qui semblaient venus tout exprès pour
mettre en œuvre tant de richesses accumulées. Aussi
l'extension que prit à Rome l'imprimerie à ses débuts
fut véritablement merveilleuse. On reste confondu,
quand on parcourt la liste des éditions romaines sous
Paul II et Sixte IV, de la rapidité avec laquelle les
livres se succèdent : antiquité profane, antiquité
chrétienne, ouvrages d'auteurs contemporains, tout
cela défile chez Sweinheim et Pannartz, chez Ulrich
Hahn, chez Philippe de Lignamine, chez Georges
Laver, chez Georges Sachsel, le plus souvent avec dé-
dicace au pape en qui on sait un protecteur. On voit,
pour ne citer que quelques exemples, Tite-Live, Vir-
gile, Aulu-Gelle, César, Térence, Quintilien imprimés
pour la première fois, et avec eux saint Cyprien,
saint Ambroise, saint Thomas, Guillaume Durand,
Nicolas de Lyra, Jean Torquemada, Sanchez d'Are-
valo. Les érudits abondent à la cour pontificale, qui
peuvent utilement remplir les fonctions de corrcc-
LA VATICANE DE SIXTE IV. .U7
leurs : Jean-Antoine Campano, Pomponio Lclo, Domi-
zio Calderini et d'autre^ï encore. C'est un moment
unique dans l'histoire, un moment glorieux pour le
Saint-Siège qui exerce sur les esprits une incompa-
rable maîtrise.
Un élan était donné, qui ne devait plus s'arrêter
désormais. Sous les successeurs de Sixte IV, la Va-
ticane ne cesse de s'accroître. Ce sont des transcrip-
tions nouvelles, ou des dons, des legs, des achats;
tantôt c'est le fruit de missions lointaines, comme
celle dont est chargé Pomponio Leto, tantôt on se
procure en Italie même d'inappréciables trésors,
comme sont les manuscrits rapportés de Bobbio par
Thomas Inghirami. Elle attire les érudits étrangers ;
elle sert à Bembo, à Valeriano et à Sadolet; elle prête
à domicile sur nantissement, et nous relevons sur
ses registres de prêt les émargements de Jean Las-
caris, de Pierre Carafa, d'Angelo Colucci; on trouve
naturel que ses manuscrits « voyagent pour une
cause honorable », et, sur la prière de Laurent de
Médicis, Innocent VIII en fait envoyer ù, Politien,
qui habite Florence. Enfin, ses bibliothécaires sont
toujours au premier rang parmi lés érudits : c'est
Giovanni Lorenzi, l'helléniste, élève de Théodore
<ia/.a, ami de Démétrius Chalcondyle et de Politien ;
c'est Inghirami, le « Cicéron de son temps », immor-
talisé par Raphaël; c'est Philippe Béroald, à qui est
échu l'honneur de donner au monde savant les cinq
premiers livres des Annales de Tacite, ignorés jus-
que-là; c'est Jérôme Aléandre, d'un savoir universel,
aussi versé dans la connaissance du grec et de l'hé-
breu que dans celle de la théologie et du droit canon.
LE VATICAN. — II. 13
218 LA BIBLIOTHÈQUE VATICA>E.
IV
LA VATICANE ET LA RÉFORME: l'ÉRlDITIOX CATHOLIOCE.
Le nom d'Âléandre évoque d'autres souvenirs que
ceux de la Renaissance des lettres: il est intimement
lié à la première période de la Réforme, dont Aléan-
dre a été un des plus ardents adversaires, et il y a là
comme un symbole de ce qu'allait être la Vaticane
au cours du seizième siècle.
Quelques-uns se sont demandé si la protection
accordée par le Saint-Siège à Thumanisme, si les en-
couragements et les facilités de toute sorte donnés
par les papes au développement de la Renaissance
littéraire n'ont pas eu de suites fâcheuses pour l'É-
glise. Il est bien certain, en effet, que la passion ex-
clusive de l'antiquité a produit comme un renouveau
de paganisme, qui souvent s'est traduit par une
excessive liberté de conduite et de pensée, et que le
spectacle d'une cour comme celle de Léon X — en
qui le Médicis a vraiment tué le pape — a été pour
quelque chose dans l'attitude de Luther. Il n'est pas
douteux non plus que l'étude de l'antiquité, qui don-
nait aux hommes de nouvelles habitudes d'esprit, ne
les ait amenés peu à peu à l'idée de rompre avec
toutes les formes de la tradition intellectuelle, et il
est bien certain que la Réforme, qui est un produit
direct de la Renaissance en même temps qu'elle est
une protestation contre elle, a tiré 1res habilement
parti, dans sa lutte contre le Saint-Siège, des pro-
cédés et des méthodes que la Papauté avait si puis-
samment contribué à répandre.
LA VATIC.VNE ET LA RÉFORME. 219
A vrai dire, le Saint-Siège avait eu le tort de ne
pas appliquer lui-même ces procédés et ces méthodes
au renouvellement des études philosophiques et re-
ligieuses. Il en a porté la peine. Ce qui s'est fait sans
lui s'est fait contre lui, et quand on a vu les Réformés
le combattre avec les armes qu'il avait forgées lui-
même, un certain trouble s'est emparé des esprits.
Mais si Home a semblé souffrir tout d'abord de la
diffusion de l'esprit nouveau, qu'importe? La Pa-
l»auté, dépositaire de la vérité, n'avait au fond rien à
redouter de la lumière. L'Église attaquée a pu faci-
lement soutenir la lutte sur le terrain que la Réforme
avait choisi. Elle était au courant des méthodes
nouvelles, et admirablement outillée pour la défense.
Elle avait ses écrivains, ses philologues, ses histo-
riens, et la Vaticane constituait, par sa composition
mémo, le plus admirable arsenal.
Quelle magnifique page dans l'histoire de l'Ëglise
que celle de la constitution de la science catholique
l'U face de l'hérésie de Luther! Le protestantisme,
rejetant la tradition séculaire représentée par l'Église
catholique, prétendait entrer en communication di-
recte avec la parole de Dieu contenue dans l'Écriture;
H l'autorilé de l'Église il opposait celle de la Bible,
et c'est à l'Écriture qu'il demandait des arguments
'ontre les croyances, la discipline et la hiérarchie
du catholicisme dont il se séparait : de là, pour l'É-
glise, la nécessité de suivre son adversaire dans
l'étude critique des Livres Saints, d'en discuter et
d'en déterminer la composition, d'en fixer l'autorité,
d'en établir minutieusement le texte. Puis, comme
par une inconséquence facilement explicable, les par-
tisans des nouvelles doctrines se prétendaient les
220 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
héritiers directs de la primitive Église, il fallut scruter
les antiquités chrétiennes, remonter à l'origine de la
hiérarchie et de la discipline, étudier dans les Pères
apostoliques l'interprétation de l'Écriture.
Il se forma ainsi en peu de temps, dans le domaine
de la patristique et de l'histoire ecclésiastique, une
littérature si considérable, que les controversistes
protestants, presque sans y prendre garde, abandon-
nèrent peu à peu le terrain primitif oii ils s'étaient
placés et en vinrent à discuter avec acharnement sur
le sens que des commentateurs, venus quatre cents
ans après Jésus-Christ, donnaient aux paroles de
l'institution eucharistique. Il restait sans doute aux
protestants la ressource de nier que l'Église Romaine
fût demeurée dans la tradition des Pères, et c'est
l'œuvre que tentèrent les centuriateurs de Magde-
bourg : Rome et Baronius leur réservaient l'écrasante
réponse des An)} aies Ecclesiastici.
La Réforme fut ainsi l'occasion d'une véritable ré-
novation dans la pensée catholique ; mais elle en fut
seulement l'occasion. Le mouvement d'érudition au-
quel elle donna lieu avait ses antécédents et son
principe en dehors d'elle : il était si naturel et si sin-
cère qu'il se marqua jusque dans les questions les
plus étrangères aux préocupations des réformés. La
contre-réformalion catholique n'était pas seulement
une réaction, elle était un progrès, et il est intéres-
sant de voir comment ce progrès s'était préparé et
comment il s'est réalisé.
Il faut se rendre compte de ce qu'était ce monde
de savants et d'érudits qu'on rencontrait à Rome au
moment où éclata la Réforme. Sans doute l'huma-
nisme avait en la personne d'Érasme et de Reuchlin
LA VATICANE ET LA REFORME. 221
de grands représentants au delà des monts; mais ce
serait une erreur singulière de s'imaginer les huma-
nistes romains de ce temps comme des « singes de
Cicéron », capables seulement de bien tourner une
phrase latine. Leurs connaissances étaient fort éten-
dues : beaucoup possédaient à fond le latin, le grec,
l'hébreu, les langues orientales; tous étaient curieux
d'antiquité, rompus aux nouvelles méthodes d'inves-
tigation, tout prêts à transporter dans le champ des
anti<iuités chrétiennes les procédés qu'ils employaient
pour l'étude de l'antiquité profane.
La Vaticane était le foyer de toutes ces études : le
litre seul des volumes empruntés sous Sixte IV,
Jules II et Léon X est, à ce point de vue, une indica-
tion très précieuse; la Bibliothèque Vaticane et les
érudits romains sont mis ù contribution pour la Po-
lyglotte d'Alcala (loi 4-20 , l'édition aldine des Sep-
tante (irilH), et la version latine du texte liébraïque
donnée chez les Aide en l.jîO; il suffit de rappeler
des noms comme ceux d'Alberto Pio de Carpi, de
Zanobio Acciajuoli, de Vigerio de Savone, d'Agostino
Steuco et d'Aléandre lui-même pour prouver qu'à
Kome les études religieuses n'étaient point mortes.
11 semble que Paul III ait eu la vision très nette
des services que la Vaticane pouvait rendre à la cause
catholique : il fit refaire les inventaires, multiplia les
«•opistes chargés de transcrire les manuscrits que le
temps menaçaitoules ouvrages que ne possédait pas
encore la Bibliothèque, et créa deux « correcteurs »
chargés de revoir le travail des copistes, de réviser
• l d'amender les textes transcrits par eux : ces correc-
teurs furent Faerno et Nicolas Majorano. En même
temps, pour avoir sous la main l'instrument désor-
222 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
mais indispensable à toute propagande, il songeait
à installer une imprimerie, destinée non seulement
à publier les actes du Saint-Siège, mais surtout à
éditer les trésors de la Yaticane, « pour qu'en mul-
tipliant les exemplaires des ouvrages qu'elle contient
on put les répandre à travers le monde, pour l'usage
de tous les peuples et de tous les temps «; enfin, il
mettait un cardinal à la tète de la Yaticane avec le
titre de bibliothécaire etde protecteur, et ce cardinal
s'appelait Marcel Cervini.
La belle période pour la Yaticane que cette seconde
moitié du seizième siècle, où après Cervini (sous l'ad-
ministration duquel elle s'enrichit de plus de cinq
cents manuscrits grecs, hébreux et latins) elle compta
comme bibliothécaires (luillaume Sirleto, Antoine
Carafîa, Marc-Antoine Colonna, César Baronius! On
sent si bien qu'elle est le centre de cet admirable dé-
veloppement de l'érudition catholique, dont elle a eu
à sa tête les plus illustres représentants!
Le concile qui se tient à Trente s'inspire à Rome.
Ce n'est pas seulement parce que Cervini le préside;
c'€st aussi parce que Cervini a laissé à Rome, en la
personne de Sirleto, un correspondant incomparable,
qui lui adresse des mémoires sur toutes les questions
d'érudition qui se posent au concile. On a pu dire que
la correspondance de Sirleto avec Cervini durant les
années lo45-15o:2 contient « la documentation patris-
tique de presque tous les décrets de Trente ». Cervini,
en effet, faisait rechercher par Sirleto les textes pu-
bliés ou inédits dont on avait besoin pour le concile,
et son correspondant puisait à pleines mains dans la
Yaticane; il envoyait des copies et des extraits, à
moins que le légat ne demandât, ce qui arrivait par-
LA VATICANE ET LA REFORME. 223
fois, qu'on lui expédiât à Trente les manuscrits eux
mêmes. Et ce rôle de Sirleto paraissait si précieux que
le cardinal Seripando, successeur de Cervini à la pré-
sidence du concile, lui demandait comme une faveur
de vouloir bien continuer de la remplir; Sirleto con-
tinua, en effet, de donner son concours, et plus tard
Seripando lui rendait ce témoignage « que, tout en
restant à Rome, il avait rendu au concile plus de ser-
vices que n'en auraient pu rendre cinquante prélats
de plus à Trente ».
Lorsque, dans la lY'' session, le concile eut adopté
le décret relatif " à l'usage et au texte des livres saints ■> ,
et qu'il eut décidé que, pour couper court à l'abus qui
s'était introduit de citer l'Écriture dans cent versions
différentes, il jugeait nécessaire « de tenir pour au-
thentique, c'est-à-dire pour officiel, l'ancien texte
connu sous le nom de Vulgate, texte sanctionné par
l'usage que l'Église en avait fait durant tant de siècles,
et de s'en servir à l'exclusion de tous autres dans les
lectures publiques, les controverses, les prédications
et les expositions », on se trouva dans l'obligation de
préparer de ce texte officiellement adopté par l'Église
une édition correcte, d'où on ferait disparaître les
fautes qui le défiguraient dans la plupart des exem-
plaires. Cette œuvre de la « correction » de la Vulgate
ne pouvait être menée à bonne fin nulle part aussi bien
qu'à Rome, oii, disait l'évéquede Fano, se trouvaient
réunies toutes les conditions désirables : de l'argent,
une belle collection de manuscrits anciens, et un
corps de savants rompus aux recherches érudites.
Aussi ce fut au pape que le concile s'en remit du soin
de faire exécuter ce grand travail.
Les correcteurs institués par Paul III trouvaient là
224 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
leur emploi naturel, et, dès son retour à Rome, Cer-
vini s'entendit avec Maggiorani pour commencer les
étudespréparatoires,quelesecondcorrecteur,Faerno,
continua plus tard de concert avec Sirleto. Les cho-
ses cependant traînèrent en longueur. La typogra-
phie que Paul III considérait comme le complément
indispensable de la Bibliothèque tarda à s'établir. Ce
fut seulement en 1361 que Paul Manuce, sur les pres-
santes instances de Pie lY, consentit (moyennant un
traitement de cinq cents ducats et une part dans les
bénéfices) à venir installer à Rome une imprimerie
dont tous les frais seraient supportés par le Saint-
Siège, ce dont le pape se prévalut pour exiger que
les livres sortis de cette imprimerie se vendraient à
très bas prix. On devait commencer par l'impression
de la Bible latine, continuer par la Bible grecque, et
donner ensuite des éditions des Pères; mais diverses
circonstances empêchèrent l'exécution du projet.
Dans sa XXV session, le concile, avant de se sépa-
rer, avait remis au Saint-Siège le soin de réformer
certains livres d'un usage journalier, et le Saint-Siège
jugea nécessaire de s'acquitter sans tarder delà tâche
qu'on lui confiait. Dans ce milieu où abondaient les
hommes savants et compétents, on ne fut pas en peine
pour constituer des commissions (des « congréga-
tions », comme on disait alors i et du travail de ces
commissions sortirent bientôt le Catéchisme du con-
cile de Trente, le Bréviaire, remanié conformément
aux idées sainement archéologiques de la cour ro-
maine, le Missel, réformé d'après les mêmes doctri-
nes; les presses romaines de Paul Manuce (occupées
déjà à l'édition des actes du concile qui venait de
finir) furent chargées de donner au monde catholi-
LA VATICANE ET LA REFORME. 22.-)
que les livres liturgiques conformes aux décisions
des congrégations, et la Bible attendit : non sans
profit d'ailleurs, car les études préliminaires se pour-
suivent activement pendant tout le règne de Pie V.
C'est à Sixte-Quint que revient l'honneur d'avoir
définitivement constitué la « Stamperia Vaticana »,
dans le vaste dessein « d'y imprimer les conciles gé-
néraux et les Pères, d'y éditer les livres ecclésiasti-
ques de toute sorte et de répandre ainsi à travers le
monde la discipline catholique, entreprise bien digne
d'un pape et d'un tel homme », comme dit son con-
temporain AngeloRocca. Il s'entendit avec le Vénitien
Domenico Basa, à qui il ouvrit un crédit de quarante
mille ducats pour lacliat du matériel, et l'imprimerie
Vaticane se trouva en peu de temps plus abondam-
ment pourvue qu'aucune autre de caractères latins,
grecs, hébreux et arabes; elle eut surtout, chose ca-
pitale, un personnel de correcteurs soigneusement
choisis, « et elle fournit, en imprimant l'Écriture, les
Pères, les docteurs et les théologiens un vaste arse-
nal pour la défense de la vérité atta([uée avec tant
d'acharnement par les adversaires ».
De ces presses sortirent, coup sur coup, le texte des
Septante (1587;, la version latine de ce texte par le
cardinal bibliothécaire Antonio Caraffa (1588), et
enfin la Vulgate hiéronymienne à laquelle on avait
travaillé durant près de quarante ans (1590). Le P.
Vercellone a raconté l'histoire de ces éditions, pour
lesquelles furent mis à contribution tous les manus-
(•rits de l'Europe aujourd'hui reconnus les meilleurs,
et qui s'élaborèrent dans le sein de commissions in-
ternationales où figurent, sous la direction de Sirleto
et d'Antonio Caralla son élève, des savants comme
13.
226 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
J.-B. Rossi. Latino Latini, Pedro Chacon, Pierre Mo-
rin, Fulvio Orsini, Yalverde, Antonio Agellio, Bellar-
min : la correspondance de ces érudits témoigne de
l'entrain avec lequel ce travail collectif était mené.
Sixte-Quint tint à revoir lui-même les épreuves de
la Vulgate qui paraissait sous ses auspices et d'après
les règles qu'il avait tracées. Pourtant ce ne fut pas
encore là l'édition définitive. Divers scrupules soule-
vés par quelques additions et suppressions admises
par le pape à la Bible « ordinaire », émurent plusieurs
consulteurs de l'ancienne congrégation présidée par
Caraffa, et, Sixte-Quint étant venu à mourir sur ces
entrefaites, Grégoire XIV forma une congrégation
nouvelle, sous la présidence du cardinal Marc-An-
toine Colonna, qui venait de remplacer Caraffa à la
tète de la Bibliothèque. Cette commission, revisant
l'édition Sixtine (dontle principe fondamental n'était
d'ailleurs pas contesté), prépara une édition nouvelle,
qui parut en 159:2, par les soins du savant Fran-
çois Tolet, avec une préface du P. Bellarmin : ce fut
cette fois l'édition définitive, dite édition Clémentine,
du nom du pape alors régnant, édition bientôt suivie
de deux autres, typographiquement plus correctes,
mais identiques comme texte à la première.
C'est dans une de ces congrégations qu'il faudrait
pénétrer pour avoir idée de l'extraordinaire activiti"
intellectuelle qui règne alors à la cour romaine; en
recueillant les conversations qui s'échangent hors
séances, dans les instants de repos, après une jour-
née donnée tout entière à la tâche commune, on
s'aperçoit vite que les études religieuses ne sont pas
seules à intéresser ces éi'udits, mais qu'ils lisent avec
passion les anciens et qu'ils sont tout à la fois ar-
LA VATICANE KT LA REFORME. 227
chéologues, historiens, philologues... etchrétiens. Les
plus savants hellénistes de l'Europe consultent Sir-
leto sur les difdcultés des textes classiques, et lui-
même autrefois a dû repousser « comme une tenta-
tion » une chaire de grec à l'Université de fiome, qui
l'eût obligé à délaisser l'étude des auteurs sacrés
« pour commenter Chrysoloras ». Presque tous ceux
qui lenlourent et ^[u"il inspire se partagent entre
l'antiquité profane et l'antiquité chrétienne, tels :
(Jnofrio Panvinio, « ce glouton d'antiquités », Ba-
galto, Sigonio, Vettori, (îérard Yossius, pour en citer
quelques-uns parmi bien d'autres, qu'ils soient prê-
tres ou laïques, moines ou séculiers.
Tous ces esprits ont soif de science et de vérité.
Sans doute ils travaillent pour répondre aux attaques
des protestants, mais ils travaillent aussi pour sa-
tisfaire aux exigences de leur propre critique ; alors
même qu'aucune question de dogme ou de discipline
ne se trouve engagée, ils éprouvent un impérieux be-
soin d'améliorer et d'étendre leurs connaissances. Le
mot de « correction » est à l'ordre du jour. Les ha-
bitudes d'esprit sont telles, que l'Église sent le be-
soin d'établir à nouveau le texte de son droit canon :
une commission est cliargée par le pape (îrégoire XIII
de préparer, sous la haute direction d'Antoine Au-
gustin, l'édition du Décret de Gratien, et elle fait
api)el à travers toute l'Kurope aux lumières des éru-
ditset aux ressources des bibliothèques; de son côté,
le cardinal CarafTa entreprend sur un vaste plan une
collection générale des lettres pontificales l'cc fameux
Bullaire que nous attendons encore), et il la pousse,
en trois volumes, jusqu'au pontificat de Grégoire VII ;
puis, comme il faut introduire dans la célébration
228 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
des fêtes une rigueur et une unité que le calen-
drier julien ne permet pas d'atteindre, on n'hésite
pas devant cette tâche si délicate de la correction
du calendrier, on ne recule devant aucune difficulté,
devant aucune dépense : on construit un Observa-
toire au Vatican, on s'adresse aux plus fameux
mathématiciens, on appelle à Rome Clavius, Danti,
Giglio, et on trouve dans l'universel Sirleto un éru-
dit capable de suivre les calculs de la commission
de spécialistes oii s'élabore la réforme.
Le mouvement parti de Rome s'est étendu de pro-
che en proche chez tous les peuples catholiques. Les
commissions Vaticanes étaient cosmopolites; elles
ont eu dans tous les pays leur écho et leur contre-
coup, et la France, cette fille ainée de l'Église, a pris
bien vite la tête dans les études patristiques et litur-
giques comme dans l'exégèse et dans l'histoire. Les
jésuites et les oratoriens, si intimement mêlés à la
contre-réformation et qui tiraient de Rome leur ori-
gine, ont été les initiateurs; la congrégation de Saint-
Maur vint ensuite , qui pendant plus d'un siècle a
représenté en Europe tout à la fois la science chré-
tienne et l'érudition française.
C'est de la Vaticane qu'est né en grande partie ce
mouvement d'érudition; c'est à la Vaticane qu'il s'ali-
mente. C'est la Vaticane qui fournit les éléments de
l'édition grecque des Septante, pour laquelle la « con-
grégation » n'avait qu'à donner « mot à mot », comme
elle l'annonçait, le texte du Codex Vaticanus ; c'est à
elle qu'on a recours pour les grandes éditions de
saint Cyprien, de saint Ephrem, de Théodoret; c'est
elle qui procure à Baronius presque tous les maté-
riaux diplomatiques ou littéraires de ces Annales de
LA VATICANE DE SIXÏE-QUI.NT. 220
l'Église, œuvre immense où tant de documents sont
pour la première fois cités, analysés ou publiés qu'il
s'en dégage une esquisse définitive des grandes lignes
de l'Histoire ecclésiastique.
Tout le monde d'ailleurs est convié à profiter des
ressources qu'elle renferme. Montaigne, qui la visite
au mois de mars 1.j81, au temps où le cardinal « Cliar-
let » (Sirleto) en était le « maistre », nous dit « qu'il
la vit sans nulle difficulté; chacun la voit einsin et en
extrait ce qu'il veut; et est ouverte quasi tous les ma-
tins et si fus conduit partout et convié par un jantil-
liomme d'en user quand je voudrais ».
LA VATICANE DE SIXTE-QUINT.
Au temps du voyage de Montaigne, la « Librerie du
Vatican était en cinq ou six salles tout de suite » dans
les locaux aménagés pour elle un siècle plus tôt par
le pape Sixte IV. Mais, depuis la construction du
« Théâtre » dans la grande cour du Belvédère, la Bi-
bliothèque de Sixte IV avait beaucoup perdu : elle
était comme aveuglée, et on pouvait avec raison lui
reprocher d'être située « dans un lieu bas, obscur et
insalubre ». Aussi Sixte-Quint songea-t-il à ta trans-
porter dans un édifice mieux approprié et plus digne
d'elle. Selon sa coutume, il n(! lit pas les choses à
demi; Fontana, l'architecte chargé de réaliser ses con-
ceptions grandioses, jeta à travers la cour du Belvé-
dère, entre les deux portiques parallèles élevés par
Itramanle à l'est et à l'ouest, une vaste construction
230 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
qui les relia en leur milieu. La bâtisse coûta à elle
seule plus de deux cent cinquante mille écus; mais
les travaux furent menés avec une extraordinaire ra-
pidité. Commencé à la' fin de 1587, le gros œuvre,
toiture comprise, était achevé en septembre 1588, et
on lit encore, au-dessus de la porte d'entrée, l'ins-
cription suivante :
SIXTVS. V. PONT. MAX.
BIBLIOTDECAM. HANC. VATICANAM
.EDIFIGAVIT. EXORNAVITQVE
ANN. MDLXXXVIII
PONT. m.
Des deux étages dont se composait l'édifice, l'étage
supérieur seul fut aff'ecté à la Bibliothèque. Il formait
une magnifique galerie voûtée, à deux nefs, longue
de soixante-dix mètres et large de quinze, abondam-
ment éclairée à droite et à gauche par quatorze fenê-
tres, et entièrement décorée de peintures à fresque.
Sur la voûte, on peignit en seize tableaux, chacun
avec une inscription métrique, les principaux événe-
ments du pontificat; sur les murailles et sur les pi-
liers, on représenta d'une part la série des conciles
œcuméniques, d'autre part les plus célèbres biblio-
thèques et les inventeurs des divers alphabets ; à l'en-
trée, la fameuse statue de saint Hippolyte — retrou-
vée en 1551 près çle Saint-Laurent et placée dans
l'ancienne Bibliothèque par les soins de Marcel Ger-
vini, heureux de faire ainsi revivre une pratique de
l'antiquité — continuait à faire face dans la nouvelle
Bibliothèque à la statue du rhéteur Aristide conser-
vée aujourd'liui encore à la Vaticane, et dont Montai-
gne admirait déjà la « bêle teste chauve, la barbe
LA VATICANK DE SIXTE-QL'IN T. 231
espesse, le grand front, lo regard plein de douceur cl
de majesté » . Comme dans la Bibliothèque de Sixte IV,
la décoration même du nouvel édifice allestait ainsi
le double caractère, marqué dès Torigine, et depuis
soigneusement maintenu, de la Bibliothèque aposto-
lique; une inscription placée à droite de la porte d'en-
trée proclamait que la Hil)liothèque du Saint-Siège
avait pour objet de conserver à notre foi les livres
^^aints et les écrits de toute langue contenant des té-
moignages relatifs à l'ancienne discipline et aux
anciens rites de l'Église, afin de maintenir de géné-
ration en génération la pureté de la foi et de la doc-
trine », et déclarait en même temps l'œuvre de Sixte-
Quint « faite pour la science et la commune utilité de
ceux qui se livrent aux études libérales ».
Le mol)ilier fut emprunté à la vieille bibliothèque
de Sixte IV, et dans le nouveau local on put admirer
quelque temps les armoires, les bancs et pupitres et
les « spalliere » si linernent travaillés par les artistes
du quinzième siècle. Deux chambres, qu'on appela
chambres secrètes {secretiorns), furent aménagées, en
1589, à l'extrémité gauche de la nouvelle Bibliothèque,
au-dessous delà galerie des cartes géographiques ré-
cemment décorée par ("irégoire XIll ; elles étaient des-
tinées à contenir les manuscrits de la Réserve ou « lii-
hUntltcca sécréta », c'est-à-dire en particulier la série
desregistrespontilicaux qui venait de s'accroître, par
les soins de Pie IV, de cent cinquante-huit volumes
avignonnais), (;t un certain nombre d'autres docu-
ments ollrant plus spécialement le caractère depièces
d'archives.
11 y eut par conséquent transfert de l'ancienne
bibliothèque dans les nouveaux locaux, mais la des-
232 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
cription que Montaigne faisait quelques années plus
tôt de la bibliothèque pontificale demeurait exacte :
« Il y a un grand nombre de livres attachés sur un
certain nombre de pupitres: il y en a aussi dans des
coffres, qui me furent tous ouverts. »
La physionomie pas plus que la composition de
la bibliothèque de Sixte IV ne se trouvait altérée.
C'est à Paul V qu'il était réservé d'opérer ce chan-
gement et de donner à la Yaticane la forme qu'elle
conserve encore aujourd'hui.
CHAPITRE III
La bibliothèque moderne
I
LES ARCHIVES HU SAINT-SIÈGE
C'était depuis longtemps une préoccupation des
papes de réunir en un vaste dépôt les documents
d'archives épars de divers côtés.
On avait pensé d'abord au Château Saint-Ange.
Dès le temps de Sixte IV, on avait mis à l'abri au
sein du vieux donjon pontifical les chartes les plus
importantes de la Sainte Église; Léon X y transféra
d'autres pièces, extraites de la « Bibliothèque se-
crète » du Vatican, et un inventaire général fut dressé
par Zanobio Acciajuoli : Montfaucon Va publié.
Mais ce Trésor des chartes, contenu alors dans des
sacs de soie de différentes couleurs, était peu de
chose en comparaison de tout ce qui avait été laissé
à Avignon, et de tout ce qu'enfantait la vie quoti-
dienne de la curie depuis la tin du grand schisme :
or, tout cela était disséminé en divers endroits. Sans
parler de la Bibliothèque secrète, où Jérôme Aléan-
234 LA BIBLIOTHÈQUE VATICANE.
dre faisait encore déposer des lettres de Luther, il
y avait les Archives de la Chambre Apostolique,
celles de la Garde-robe, celles de la Chancellerie,
celles des Secrétaires Apostoliques, celles des Noncia-
tures. Pie IV et Pie V révèrent de réunir tout cela
dans un dépôt unique, et Clément VIII, préludant à
l'exécution de ce grand dessein, fit établir, par l'ar-
chitecte Balthazar Telarivi de Lugo, une fort belle
salle au sommet du Château Saint-Ange, au-dessus de
la « Chambre du Trésor » dans laquelle avaient été
jusque-l<à conservés les anciens diplômes : tout au-
tour furent disposées d'élégantes armoires, ornées
de dorures et de filets de cuivre, qui subsistaient en-
core à la fin du dix-huitième siècle et que Gaetano Ma-
rini vit détruire en 1799. Dès que le local fut prêt, on se
mit en devoir d'y transporter non seulement les do-
cuments qu'on trouvait épars dans Rome, mais même
un certain nombre de pièces qui avaient fait jusque-
là partie de la Vaticane.
Cependant, peu après son avènement. Paul V prit
de nouvelles dispositions. Il jugea que cette dépen-
dance de la Bibliothèque (les Archives du Château
continuaient, en effet, à être confiées à un des deux
custodes de la Vaticane) était vraiment un peu loin-
taine, et, ordonnant de cesser tout envoi nouveau
au Château Saint-Ange, il érigea au Vatican, tout à
côté de la Bibliothèque, ce qui s'appela YArchivio
Valkano. Il destina à cette fondation nouvelle les
chambres qui avaient été réservées par Sixte-Quint à
l'habitation du cardinal bibliothécaire, et il les fit
décorer, à cette occasion, de peintures traduisant
aux yeux les titres constitutifs du domaine temporel.
Les registres de la Bibliothèque secrète étaient na-
LES ARCHIVES DU SAINT-SIEOE. m*
turellement désignés pour former le premier noyau
des nouvelles archives; Michel Lonigo, chargé d'en
assurer le transport, nous en donne le détail, et nous
savons très exactement aujourdiiui quels volumes
furent extraits de la Bibliothèque, quels autres vinrent
des archives de la Chambre pour constituer cette sé-
rie initiale (on pourrait dire cet ancien fonds) des
Archives du Vatican. Dans ce premier fonds, qui
comprenait environ deux mille sept cents volumes,
furent incorporés presque aussitôt un certain nombre
de registres rappelés du Château Saint-Ange; mais
l'Archive du Château subsista. Les diplômes et pièces
détachées dont Silvio de Paoli venait de faire l'inven-
taire 1 l()10i demeurèrent dans les layettes qui avaient
remplacé les anciens sacs de soie, et près d'elles,
dans les armoires qu'avait fait établir Clément VIll,
on conserva des séries entières de registres et de lias-'
ses, relatives pour la plupart aux questions politiques
et territoriales; l'inventaire en fut dressé par Confa-
lonieri de i()2() à 1638.
Mais ce n'en était pas moins VArchivio Valicano
qui devenait peu à peu le grand dépôt des Archives
pontificales : Urbain VIII y faisait transporter de
l'Archive des Secrétaires Apostoliques les bulles en-
registrées par voie secrète de Sixte IV à Pie V, et,
de l'Archive de la Secrétairerie des brefs, les regis-
tres et minutes de brefs d'Alexandre VI à 1567; il y
joignait un certain nombre de volumes provenant
d'Avignon, ainsi que la correspondance des nonces
du seizième siècle, restée jusque-là dans l'Archive
de la Garde-robe; et Alexandre VII y ajoutait les pa-
piers de la Secrétairerie d'f^tat. Peu à peu s'organi-
saient, dans cet amas de documents, des séries dis-
236 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
tinctes; sous Alexandre VII, les Nonciatures étaient
rangées à l'étage supérieur dans des armoires spé-
ciales, et près d'elles une autre série était formée par
les lettres des cardinaux, des princes et de divers;
sous Clément XI. on constituait, dans la même salle,
la série des ^ Varia politicorum » enfermées dans
douze armoires; et sous Benoît XIII le chanoine De
Pretis faisait l'inventaire de ces diverses séries.
Un peu plus tard, la nomination de Garampi
au poste darchiviste 1751) marque une date im-
portante : tandis qu'il continuait la répartition des
volumes en séries, il rédigeait un inventaire analy-
tique, et ajoutait au dépôt dont il avait la garde
treize cents manuscrits tirés des archives de la
Chambre Apostolique. Un peu après, sous Pie VI, les
Archives Vaticanes s'enrichissaient encore de cinq
cents gros volumes revenus d'Avignon; enfin, au
mois de mai 1798, lorsque la République eut été pro-
clamée à Rome, le commandant du fort Saint-Ange
ayant requis l'archiviste liaetano Marini de lui re-
mettre les clefs des Archives du Château. Marini ob-
tint des autorités françaises la permission de trans-
porter au Vatican le dépôt menacé, ce qui se fit en
un jour. « grâce à la diligence de nos troupiers ».
Après la confusion du premier moment, les Ar-
chives du Château prirent place dans l'Archivio Vati-
cano M au-dessus des armoires des deux dernières
salles du premier étage et dans quelques armoires
de la salle d'entrée 'n et Marini leur conserva soi-
gneusement le même classement qu'au Château Saint-
Ange. Malheureusement, le transfert à Paris des
Archives Vaticanes, ordonné par Napoléon en 1810,
et leur réinstallation au Vatican en 1817, après la mort
L uRGAMSATION DE LA VATICANE SOUS PALL \. .m7
dit Marini, jeta quelque incertitude dans celte belle
ordonnance. Du moins l'unité d'.Vrchives, longtemps
désirée, se trouvait établie par ces circonstances
fortuites, et ces Archives se trouvaient, conformé-
ment aux traditions anciennes, toutes voisines de la
Bibliothèque : sous le pontificat de Léon XIII, elles
ont encore reçu plus de deux mille volumes de brefs,
apportés en 1883 et en 1888 des Archives de la Date-
rie actuellement déposées au palais de Latran.
II
l'organisation de la VATICANE SOUS PAUL V.
Il faut maintenant revenir en arrière, et nous
représenter la perturbation que la création de YAr-
chivio Vaticano par Paul V et le transfert en ce nou-
veau dépôt des volumes qui composaient la majeure
partie de la Bibliothèque secrète avait jetée dans
l'agencement intérieur de la Vaticane. D'autre part,
la Bibliothèque s'était beaucoup accrue. Elle venait
de s'enrichir notamment de trois cent quarante-deux
manuscrits provenant de la bibliothèque d'.\lde Ma-
nuce.et en l'année itiO<) de la magnifique collection
formée par Fulvio Orsini, collection dont M. de
Nolhac a écrit la très intéressante histoire : il y avait
là quatre cent soixant>i-deux manuscrits latins, grecs
et italiens, presque tous de valeur, quelques-uns
d'un prix exceptionnel, comme le Térence et le Virgile
de Bembo, comme le Cunzoniere autographe de Pé-
trarque, qui figurent aujourd'hui parmi les joyaux que
1 ' Viticane est fière de montrer à ses visiteurs.
'238 LA BIBLIOTHEQUE YATICAN'E.
Paul Y lui-même, par une rigoureuse application des
droits régaliens, ajoutait de nouvelles richesses aux
anciennes : nombre de manuscrits provenant de lab-
baye de Grotta Ferrata, de la bibliothèque Altemps,
du collège Capranica, du couvent d'Assise et du col-
lège grec de Rome entraient ainsi rer/ia manu à la
Vaticane, et, de Bobbio, labbé Silvarezza envoyait,
en 1618, un nouveau lot de ces admirables manus-
crits, qui devaient plus tard fournir au cardinal Mai
la matière de ses plus belles découvertes.
Dès 1611, le pape avait dû agrandir les locaux
qui devenaient insuffisants, et créer à Textrémité
droite de la galerie Sixtine deux salles nouvelles
correspondant vers le nord à celles que Sixte-Quint
avait fait aménager du côté sud pour la Bibliothèque
secrète. Il devenait donc indispensable de reviser
les anciens inventaires. Heureusement les frères
Dominique et Alexandre Rainaldi, custodes de la
Bibliothèque, s'étaient déjà mis courageusement à
la tâche, et vers 1620 ils achevaient le nouvel inven-
taire des manuscrits latins en six grands volumes.
La confection de cet inventaire marque la nais-
sance de la Vaticane moderne : aujourd'hui encore
c'est rindex alphabétique de l'inventaire des Rai-
naldi qu'on met entre les mains de ceux qui vien-
nent faire des recherches dans le fonds Vatican latin.
Désormais, il n'est plus question de bancs et de pu-
pitres : la Bibliothèque y a perdu en pittoresque,
mais le classement y a gagné en simplicité. Les ma-
nuscrits, facilement accessibles dans les armoires,
courant à hauteur de main le long des murailles et
autour des piliers les manuscrits latins à gauche de
l'entrée et les manuscrits grecs à droite), ont reçu
LES NOL'VEALX FONDS. 2a«
dans chacune des deux séries des numéros d'ordre
progressif, si bien que le catalogue reste toujours
ouvert à l'insertion des acquisitions nouvelles, qu'il
s'agisse de manuscrits isolés ou de collections : le
fonds latin, qui comprenait six mille vingt-cinq ma-
nuscrits en 16:20, contient aujourd'hui près de dix
mille neuf cents numéros, et sans bouleverser l'ordre
ancien on a pu inscrire et décrire les nouveaux vo-
lumes au fur et à mesure de leur entrée, de telle
sorte que le travail commencé par les Rainaldi a pu
être continué sans interruption jusqu'à nos jours.
III
LES -NOLVEAUX FONDS.
Le fonds Vatican proprement dit n'est d'ailleurs
qu'un des fonds de la Vaticane. Au cours du dix-sep-
lième et du dix-huitième siècle, il est entré au Va-
tican des bibliothèques entières, qui avaient leur
physionomie et leur histoire, et dont on s'est bien
gardé de détruire l'unité.
Pendant la guerre de Trente Ans, comme Tilly venait
d'enlever Heidelberg à l'Électeur Palatin, le duc de
Havièrt Maximilien imagina de s'acquitter envers le
pape des grosses sommes que le Saint-Siège lui avait
envoyées pour soutenir la lutte, en faisant don à l'É-
glise Romaine de la magnifique bibliothèque qu'a-
vaient constituée à l'Université d'IIeidelberg les
libéralités des Électeurs, les dépouilles des couvents
(comme ceux de Lorsch et de Sponheim), et la muni-
licence de riches particuliers comme Ulrich Fugger.
240 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
Scaliger la déclarait plus complète que la Vaticane
et fournie de meilleurs manuscrits : c'était certaine-
ment le joyau littéraire de l'Allemagne. La combinai-
son imaginée par le prince bavarois était habile :
c'était une façon de faire payer les frais de la guerre
par le Palatinat. Léon Allatius fut envoyé de Rome
pour prendre livraison de ce royal cadeau, et ce fut
aux frais du pape que se fit le transport d'Heidelberg
à Rome (1623). Chacun des volumes porta la mention
de son origine : « Je suis de la bibliothèque que la
chute d'Heidelberg a faite prise de guerre, et que
Maximilien, duc de Bavière, a envoyé comme tro-
phée au pape Grégoire XV » ; et on leur prépara un
vaste local dans la Vaticane, au delà des deux cham-
bres destinées autrefois par Sixte-Quint à la Biblio-
thèque secrète : dans cette nouvelle salle, qu'éclai-
raient seize fenêtres, huit à gauche et huit à droite,
ils remplirent trente armoires.
Trente-cinq ans plus tard (1658), le pape Alexan-
dre VII installait dans cette même salle une biblio-
thèque qui représentait pour la Renaissance italienne
ce que la Palatine était pour le Moyen Age et la Re-
naissance des pays Souabes et Franconiens : je veux
dire la Bibliothèque des ducs d'Urbin. On sait le rôle
joué par la cour d'Urbin dans la Renaissance ita-
lienne, et l'importance exceptionnelle de la Biblio-
thèque formée si méthodiquement par le duc Frédéric
de Montefeltro. Moyennant une indemnité de dix
mille écus payée au municipe d'Urbin qui avait hé-
rité de cette bibliothèque à la mort du dernier duc
(1631), Alexandre VII « incorporait ce trésor à la
Vaticane, pour en assurer la conservation et la per-
pétuité », amenant ainsi d'un seul coup vingt et un
LES NOUVEAUX FONDS. 241
manuscrits hébreux, cent soixante-cinq manuscrits
grecs, et dix-sept cent soixante manuscrits latins et
italiens, la plupart de grand prix.
Après les richesses littéraires de l'Allemagne et de
l'Italie, ce fut le tour de celles de la France. La
lameuse Christine, reine de Suède, guidée par le
conseil dérudits tels que Vossius, Naudé, Heinsius,
avait eu la main singulièrement heureuse dans la
composition de la bibliothèque manuscrite qu'elle
avait formée. Elle avait acquis en particulier linap-
préciable collection formée par le savant Alexandre
Peteau : Vossius l'acheta pour elle à Paul Peteau, en
1650, pour le prix de quarante mille livres, et elle
entra ainsi en possession de précieuses reliques.
Les trésors littéraires que renfermaient les grande^
bibliothèques monastiques de France avaient été
misérablement dispersés par les guerres de religion,
et Peteau avait recueilli bien des épaves échappées
ù ce grand naufrage, en particulier un bon nombre
de manuscrits provenant de la célèbre abbaye de
Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire). Il y avait là, selon
le mot de Saumaise, « la moelle des manuscrits de
France ». De Stockholm, où la Bibliothèque se trou-
vait tout entière en Hjr33, les manuscrits de Chris-
tine la suivirent sur le continent et la rejoignirent
à Rome (I608), où elle les établit près d'elle au pa-
lais Corsini, avec ses autres collections. C'est là que
se termina, le 19 avril 1689, cette vie aventureuse.
Avant de mourir, Christine avait institué pourléga-
tiiire universel le cardinal Azzolini, qui mourut lui-
même deux mois après, laissant pour héritier son
neveu Pompeo Azzolini. La Bibliothèque allait être
mise en vente et probablement dispersée. Le pape
II. 14
242 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
Alexandre VIII Ottoboni s'émut à la pensée que de
tels trésors, réunis avec tant de peine, allaient de
nouveau courir les grands chemins, et il préleva
sur sa fortune privée de quoi acheter la collection
tout entière, qu'il paya huit cents écus. Soixante-
douze manuscrits furent donnés aux Archives Vali-
canes, deux cent quarante (des doubles pour la plu-
part) demeurèrent dans la bibliothèque personnelle
du pape et passèrent après sa mort chez les Ottoboni;
les autres, au nombre de dix-neuf cents, entrèrent à
la Vaticane et y formèrent un nouveau fonds auquel
Alexandre VIII donna officiellement le nom de Bi-
bliothèque Alexandrine, mais auquel l'usage a con-
servé le nom de Bibliothèque de la Reine.
Pour recevoir ses nouveaux hôtes, la Vatîcane
s'adjoignit une nouvelle salle, à la suite des chambres
aménagées par Paul V : c'était, au nord, le pendant
très exact de la salle qui contenait au midi, par delà
les chambres « secrètes » de Sixte-Quint, la Palatine
et le fonds d'Urbin : la Bibliothèque présentait dès
lors la forme régulière d'un T, ainsi que le remarque
Montfaucon dans ses notes de voyage (1698-1700).
Vers le même temps, Alexandre Wlll prenait, à
l'égard d'une autre bibliothèque de Rome, une me-
sure conservatrice, dont profita plus tard la Vaticane.
La bibliothèque de la famille Altemps était considé-
rable, et elle avait ce mérite spécial qu'elle était nourrie
du suc le plus pur de l'humanisme romain du seizième
siècle. A part quelques manuscrits acquis après sa
mort par la Vaticane, presque toute la bibliothèque
de Sirleto se trouvait chez les Altemps, et on sait
quel long et intelligent effort personnel représentait
cette collection, dont la formation avait été pour-
LES NOUVEAUX FONDS. 2^i
suivie pendant plus de quatre-vingts ans sur les mar-
chés d'Italie et d'Orient par Alberto Pio de Carpi, par
Agostino Steuco, par Marcel Cervini et enfin par
Sirleto lui-même.
Poussé par le même sentiment qui le déterminait
à acquérir la bibliothèque de la reine Christine,
Alexandre VIII acheta la bibliothèque Altemps, qu'il
constitua en fidéicommis dans sa propre famille, en
y ajoutant sa collection personnelle et deux cent qua-
rante manuscrits distraits de la l)ibliothèque de la
Reine. La bibliothèque Altemps passée ainsi aux
Ottoboni était certainement la bibliothèque romaine
la plus riche en manuscrits, et Ruggieri, qui en ra-
contait à ce moment-là l'histoire, attribuait sa con-
servation au bon génie de Rome. Ce bon génie,
c'était la Papauté. Cela se vit bien en 1748, lorsque, à
la mort du cardinal Pierre Ottoboni, dernier repré-
sentant de la famille, le pape Benoît XIV intervint
de nouveau pour en empêcher la dispersion. Cette fois,
ce fut pour la Vaticane que le pape acquit, au prix
de cinq mille cinq cents écus, les trois mille trois
cents manuscrits qui la composaient. Benoît XIV
fournit lui-même cinq cents écus sur sa cassette
particulière, et, pour le reste, il avisa la banque
S. Spirito d'avoir a avancer les fonds, que la Vaticane
rembourserait ensuite sur ses revenus. La Biblio-
thèque Ottoboni, augmentée d'un certain nombre de
volumes acquis par Benoît XIV et enrichie d'un lot
de manuscrits de grande valeur acheté à Florence,
en 17rjî), lors de la vente de la collection Stosch, fut
déposée — à côté de deux cent quatre-vingt-cinq ma-
nuscrits de choix légués à la Vaticane par le marquis
-Mexandre Capponi et formant un fonds spécial —
244 LA BIBLIOTHÉQLE VATICANE.
dans la seconde des salles de Paul V, où on lui garda
son individualité.
Ces acquisitions occasionnelles de grandes biblio-
thèques, quelque importantes qu'elles aient été, ne
donnent pourtant pas idée de la direction géné-
rale que prenaient les accroissements systématiques
et raisonnes de la Vaticane. Sans doute les travaux
d'érudition relatifs aux antiquités grecques et ro-
maines, profanes ou sacrées, continuaient à fleurir
dans ce sanctuaire des hautes études, et si les car-
dinaux bibliothécaires, souvent choisis dans la plus
proche parenté du pape, ne brillaient plus au premier
rang de la science et de l'érudition, comme ils avaient
coutume de le faire au seizième siècle, ils exerçaient
efficacement leur rôle de protecteurs et de mécènes,
et, à leur défaut, les custodes se distinguaient par
des travaux de valeur : Nicolas Âlemanni, qui savait
si bien interroger les vieux murs du palais de Latran,
retrouvait à la Vaticane Y Histoire Secrète et les Anec-
dotes de Procope; le Hambourgeois Luc Holstein
(1653) collaborait à la Byzantine, annotait l'œuvre de
Cluvier, publiait des Geographi Grœci, préparait les
éléments d'une édition du Liber Pontificalis, et re-
trouvait dans la bibliothèque de Sainte-Croix le fa-
meux Liber Diurnus; Léon Allatius. Grec d'origine,
et qui fut durant près de quarante ans <> scriptor » de
langue grecque à la Vaticane avant d'en devenir cus-
tode à la mort de Luc Holstein (1660), inventoriait
les manuscrits grecs du fonds Vatican et du fonds
Palatin comme les Rainaldi avaient inventorié les
manuscrits latins, et pendant ce temps il publiait son
très célèbre livre sur « la perpétuelle harmonie des
doux Églises ».
I.\ VATICANE ET L'ORIENT CHRETIEN. 2i5
IV
LA VATICANE ET L ORIENT CURETIEN.
Ce livre d'Allatius mérite, à tous points de vue, de
fixer rattention. Il est l'indice des tendances qui se
manifestent alors nettement à la Yaticane, et qui
iront se marquant de plus en plus. En présence du
protestantisme, c'était FÉglise latine, directement
prise à. partie, qui avait été l'objet principal de Féru-
dition catholique. Maintenant, la curiosité scienti-
fique se portait vers l'Orient, qui représentait une
part glorieuse de l'ancien passé de l'Église, et dont
le perpétuel accord avec Rome jusqu'au schisme de
Photius était une victorieuse réponse aux insinuations
des Réformés. Dès le seizième siècle, la Yaticane
avait acquis des manuscrits arabes, coptes et syria-
ques, non seulement par héritage mais aussi par voie
d'achat; elle en faisait copier pour son usage ou en
faisait rechercher par ses agents, au même titre que
les manuscrits latins et grecs : c'est ce qui résulte de
la correspondance de Pie lY avec Francesco Avan-
zati.
Sous Paul Y et Urbain YIII, il entra à la Yaticane
un grand nombre de manuscrits coptes et arabes; en
ICÙiG, le P. Kircher donnait un premier catalogue des
manuscrits coptes, et, en lOdO, Alexandre VII ajou-
tait aux six '< srriptores » alors existant à la Yaticane
deux latins, deux grecs et deux hébreux) un scrip-
lor » pour les langues arabe et syriaque. C'était pré-
cisément l'époque à la(juelle Léon Allatius devenait
14.
246 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
premier custode en remplacement de Luc Holstein,et
la coïncidence est à noter. Le nouveau poste fut confié
à un maronite, Abraham dEckel Ecchellense) ; puis,
quand ce premier titulaire vint à mourir, ce fut un
autre maronite, Mathieu Naironi, qui lui succéda.
L'Orient entrait ainsi à la Yaticane : avec quel esprit,
cela se voit par les écrits polémiques et apologétiques
des deux maronites. Ce sont les mêmes tendances
que dans le livre d'Allatius, c'est le même désir de
réfuter l'erreur des dissidents, le même espoir qu»'
la manifestation complète de la vérité amènera la
solution des conflits engendrés par l'ignorance, fera
cesser les malentendus entre l'Église romaine et les
Églises d'Orient, et proclamera, en face de la Réforme
et des dissidents orthodoxes, la catholicité effective
de Rome. Tout un Orient lointain, étranger aux pré-
jugés de Byzance, reconnaissait la primauté de
Pierre et constatait l'indéfectibilité de sa chaire.
Ce n'est pas à dire que ces études sur la liturgie, le
droit canon, et l'histoire ecclésiastique de l'Orient
fussent devenues exclusives. Nous avons dans la cor-
respondance et les récits de voyages de nos grands
bénédictins de la fin du dix-septième siècle un tableau
très vivant du monde d'érudits qui gravitait alors au-
tour de la Yaticane, et on sent bien que, depuis un
siècle, les tendances de ce milieu ne se sont guère
modifiées : ni le cardinal Henri Noris, custode en
169^, bibliothécaire en 1700, ni Emmanuel Schels-
trate. ni Laurent Zaccagni, tous deux custodes de la
Yaticane, qui entr'ouvrent toutes grandes les portes à
Mabillonen 1085-1(180 et àMontfaucon de 1098 à 1700,
ne sont des orientalistes, pas plus que ceux dont ils
f'>nf leur société habituelle, tels que Raphaël Fabretti
LA VATICANE ET L'ORIENT ( HRKTIEN. 247
et Jean Ciampini dont la vie est tout entière consa-
crée à l'antiquité latine, tant païenne que chrétienne.
Mais l'impulsion donnée aux études orientales n'en
était pas moins considérable. Il semble que le pape
Clément XI (1700-1721 ait eu conscience de la grande
œuvre commencée ; en tout cas, il aida de toutes ses
forces à sa réalisation. Son pontificat marque une
époque dans Ihistoire de la Vaticane. Sans cesser de
veiller à l'accroissement normal de l'ancienne Biblio-
thèque (c'est lui qui acheta aux Pères de Saint-André
délia Valle la collection grecque de Pie II , il comprit
qu'il fallait achever de donner à la Vaticane un ca-
ractère vraiment catholique, et d'y faire à l'Orient (à
rOrient chrétien en particulier, où les tendances à
l'union se manifestaient très vives) la place qui lui
était due. Il est le véritable créateur du fonds oriental
de la Vaticane.
Le don d'une collection de soixante-seize manus-
crits formée dans la première moitié du dix-septième
siècle par Pietro délia Valle au cours de ses voyages
à travers la Turquie, la Perse et l'Inde, et qui conte-
nait le fameux Pentateuque samaritain, fut une joie
pour lui; et il n'eut garde, pour sa part, de laisser
disperser la collection personnelle d'Abraham Ecchel-
lense, non plus que celle de -\aironi. Mais ces me-
sures conservatrices lui paraissaient insuflisantes,
et lorsqu'il apprit que les nionastères du Val de Na-
Iron, dans la Basse-Egypte, recelaient une quantité
de précieux manuscrits orientaux, il y dépécha un
maronite, Élie Assémani, archiprêtre d'.Vntioche, qui
lui en rapporta trente-quatre, sauvés à grand'peinc
d'un naufrage sur le Nil ( 1707). Ce fut un neveu d'Élie,
Joseph Simon Assémani (juc le pape appela à la Va-
248 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
ticane pour étudier les nouveaux manuscrits, pres-
que tous syriaques, et le jeune homme donna de si
belles espérances qu"on Tadjoignit à son oncle en
1715 pour une nouvelle expédition en Orient. Il par-
courut la Syrie, le Liban et l'Egypte, et revint à Rome
en 1717 porteur d'un véritable trésor : cette fois, c'é-
taient les manuscrits coptes qui dominaient, et leur
arrivée à Rome fut le signal d'un progrès rapide des
études coptes, auxquelles Renaudot venait de faire
faire un si grand pas. En même temps, le pape dépê-
chait un autre oriental, André Scandar, interprèle à la
Propagande, pour chercher de nouveaux manuscrits ;
Scandar fouilla l'Egypte, la Syrie, la Mésopotamie,
jusqu'à Ninive, et, à la suite de ce voyage, le succes-
seur de Clément XI pouvait introduire à la Bibliothè-
que soixante et un manuscrits, arabes et syriaques
pour la plupart, tandis que la Propagande, qui pre-
nait une part active à ce grand mouvement, cédait à
la Vaticane trente-quatre manuscrits orientaux.
C'est au grand nom d'Assémani que se rattache
l'impulsion donnée par Rome aux études orientales
dans la première moitié du dix-huitième siècle. Jo-
seph Simon fut plus que le propagateur, il fut l'initia-
teur des études syriaques en Europe : les trois volu-
mes de sa Bibliothèque orientale publiés « par ordre»
de Clément XI, et les six volumes de son édition de
saint Ephrem font véritablement époque. Il person-
nifie si bien la physionomie de la Vaticane de son
temps, qu'il fut chargé d'en préparer le catalogue,
non pas seulement le catalogue des manuscrits orien-
taux, mais le catalogue général. C'est en 1721 que fu-
rent commencés les travaux préliminaires, et en 17.^(1
paraissait le premier volume, bientôt suivi de deux
LA VATICANE ET L'ORIENT CHRÉTIEN. 2V.i
autres. Il nedevaitpasy enavoirmoinsdevingt; mais,
dans les proportions où elle était conçue, Tentrepri.se
était au-dessus des forces humaines; bien qu'aidé
par son neveu, Stéphane Evodius, archevêque d'Apa-
mée, le vieil Asséniani imprimait seulement le qua-
trième volume quand la mort l'enleva (17G8).
Si le nom des Assémani domine toute cette pé-
riode et suffit à indiquer les tendances qui s'affir-
ment, dans la direction donnée aux accroissements
de la Vaticane, avec d'autant plus de force qu'elles
sont plus nouvelles et qu'elles répondent à un besoin
plus récent, il ne faut pas oublier pourtant que les
études anciennement représentées à la Bibliothèque
continuent à y être en honneur. Clément XI, tout pré-
occupé qu'il puisse paraître des questions orientales.
« ordonne » au P. Joseph Bianchini, « scripior » de
langue latine, et à Vignoli, second custode, une édi-
tion du Liher Pontificalh ; il favorise les recherches
de Dom Constant sur les lettres des anciens papes;
il imagine, pour enrichir la Bibliothèque, une sorte
de « dép(jt légal «, et ordonne à toutes les imprime-
ries romaines de remettre à la Vaticane un e.\em-
plaire de chacun des livres qu'elles publieraient.
Dans une inscription placée sur un sarcophage de
marbre par lui donné à la Bibliothèque, il célébrait
« les très anciens manuscrits syriaques et arabes
cherchés jusqu'au centre de l'Egypte », mais il se
glorifiait aussi de ses autres acquisitions pour la Va-
ticane : '< alla litleraria supcllt^ctile locuplelala »; et
nous voyons, en effet, le premier custode Zaccagni
acheter, en ITO.'i, pour cinq cents écus, cent quatre-
vingt-six manuscrits grecs et latins à la vente Tolo-
mei.
250 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
Sous Benoît XIII, sous Clément XII, sous Be-
noît XIV, le personnel de la Vaticane continue à se
préoccuper des antiquités grecques et romaines, sa-
crées et profanes. Boldetti étudie les catacombes,
Bottari reprend l'œuvre de Bosio, et publie les pein-
tures du manuscrit Vatican de Virgile; Cenni, qui
puise à la Bibliothèque les principaux éléments de
ses travaux, donne, en 1740, ses dissertations sur
« les Antiquités de l'Église )),et, en 1760, les « Monu-
ments du pouvoir temporel ». Lorsque, en 1755, les
custodes notifient la nomination du cardinal Passio-
nei au poste de bibliothécaire, ils s'adressent « à tous
ceux qui cultivent l'antiquité sacrée ou profane », et
Benoît XIV ne fait acception d'aucune étude parti-
culière quand il proclame que dans sa sollicitude pour
la Vaticane il a eu en vue « l'utilité des lettrés et le
progrès des sciences : litteratorum commodo , scientia-
rum incremenlo ».
C'est tout simplement que le champ s'ouvre de
plus en plus vaste devant les érudits. Les nouvelles
études ne font pas oublier les anciennes. En 1732,
Clément XII se voit forcé d'ouvrir, pour contenir les
acquisitions nouvelles, une autre salle, immédiate-
ment au delà de celle qu'Alexandre VIII avait assignée
pour demeure aux manuscrits de la Reine Christine,
et il déclare qu'à l'avenir les revenus de la bibliothè-
que seront affectés exclusivement à l'achat des livres
et des manuscrits : c'est l'administration des Palais
Apostoliques qui devra pourvoir à l'entretien et à
l'amélioration des locaux et du matériel et qui <■ four-
nira chaque année une somme de quatre-vingts
écus pour l'achat du papier, des plumes et du par-
chemin » (1739),
LES ANNEXES DE LA VATICANE. 251
La dotation de la Vaticane remontait à Paul V, qui,
à la mort de Baronius, avait affecté aux services gé-
néraux de la Bibliothèque les revenus de l'abbaye de
Sainte-Marie de Venticano, au diocèse de Bénévent,
assignés par Clément YIII au cardinal bibliothécaire,
et, depuis lors, les bibliothécaires successifs n'avaient
touché aucun émolument du fait de leur charge.
Quant au traitement des deux custodes, Sixte-Quint
y avait pourvu par la collation de divers bénéfices si-
tués dans TAbruzze et dans les diocèses de Concor-
diaetde Padoue.
Pourtant les revenus particuliers de la Yaticane
n'auraient pu suffire à tous ses accroissements; dans
toute acquisition importante, le pape intervenait de
ses deniers. Clément \II tout le premier, non content
d'orner de vases grecs les armoires qui contenaient
les manuscrits, dépensa en achats de livres (il nous
l'apprend dans une inscription j de très grosses som-
mes; il acquit à ses frais pour la Bibliothèque une
magnifique collection de médailles impériales réunie
par le cardinal Alexandre Albani, et récompensa d'un
présent de six cents écus le don fait par le marquis
Scipion Mafîei de cinq précieux papyrus.
LES ANNEXES DE LA VAÏICANE.
Ces libéralités de Clément XII sont le point de dé-
part do très intéressantes créations qui complètent à
merveille l'admirable collection de textes manuscrits
que renfermait la Yaticane. Autour de ce noyau cen-
252 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
tral prirent naissance des collections qu'on pourrait
appeler « auxiliaires », et dans lesquelles les textes
épigraphiques, les monuments figurés, la sigillo-
graphie, la glyptique et la numismatique furent re-
présentés par des échantillons de choix.
Les médailles de la collection Âlbani, décrites par
Ridolfino Venturini dès leur entrée à la Vaticane,
donnèrent naissance au cabinet numismatique; Be-
noît XIV joignit à ce premier fonds les monnaies
pontificales recueillies et décrites par Xavier Scilla,
la collection des médailles pontificales depuis Mar-
tin V, et les médailles antiques de la collection Car-
pegna autrefois étudiées par Buonarotti : Clément XIV
y ajouta une belle collection de monnaies grecques
et romaines et une série de seize cent soixante et une
médailles impériales ; Pie VI y fit déposer soixante
médailles d'or trouvées dans les fouilles de Castro
Nuovo et de toutes les monnaies provenant des tra-
vaux de dessèchement des Marais Pontins. Malheu-
reusement, ce premier cabinet ne survécut pas à la
Révolution française. Une partie fut transportée à
Paris en vertu du traité de Tolentino et y est demeu-
rée ; le reste fut dispersé durant les troubles qui sui-
virent. Mais, aussitôt après la tourmente, Pie VII re-
commença une nouvelle collection, Pie VIII confia
à Borghesi le soin de la mettre en ordre, et aujour-
d'hui, malgré quelques pertes subies en 1849, le
Médaillier pontifical, avec ses cinquante mille pièces,
est encore un des premiers de lEurope, renommé
surtout pour la richesse de deux séries, celle des
monnaies romaines de la République et de TEmpire,
et celle des anciennes monnaies papales.
La collection de pierres gravées se rattachait tout
LES ANNEXES DE LA YATK ANE. 253
naturellement au cabinet des médailles. Dès le milieu
du dix-huitième siècle, elle était fort riche, et four-
nissait un large contingent au livre de Ficoroni sur
les Gemmœ antiqux litteratx (1757); mais elle aussi
eut beaucoup ù souffrir des suites de la Révolution
française.
Plus heureuse, parce que composée de matières
moins précieuses, fut la collection de sigillographie.
Elle a été organisée sous le pontiOcat de Fie VI, qui,
par une série d'échanges, obtint du musée Kircher
trois cents matrices de sceaux du moyen âge; ce
chiffre a été depuis plus que doublé, et il faut comp-
ter en outre un nombre considérable d'empreintes de
cire et de bulles de plomb, surtout pontificales, dont
quelques-unes, qui sont depuis longtemps à la Bi-
bliothèque, ont été publiées dès le dix-huitième siècle
par Ficoroni (17 40'.
L'entrée à la Vaticane, en 1744, de la collection ar-
chéologique formée par le cardinal Carpegna eut de
grandes conséquences. Le médaillier ne fut pas seul
à s'en ressentir; Benoit XIV y trouva matière à l'or-
ganisation de deux nouveaux. Musées.
Il y avait là un très grand nombre de verres ornés
et autres menus objets provenant des Catacombes : à
ce point de vue, c'était une collection vraiment uni-
que, et d'une importance originelle d'autant plus
grande que les cimetières chrétiens, découverts à la
fin du seizième siècle, avaient été laissés, depuis Bo-
sio, dans un funeste abandon; l'ouvrage dans lequel
le savant Buonarotti (171()) avait décrit et illustré les
principaux objets de verre et de bronze coptenus dans
le Musée Carpegna est devenu un des livres classiques
de l'archéologie chrétienne. L'acquisition de ce trésor
LE \ATIC.\N. — Il 15
254 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
par le pape Lambertini fut lorigine du Musée Sacré,
ou Musée des antiquités chrétiennes, aujourd'hui en-
core annexé à la Vaticane.
A la collection Carpegna, Benoît XIV joignit bien-
tôt celle de Vettori; il y ajouta quelques objets qu'il
avait lui-même réunis, installa le tout dans une nou-
velle salle, qu'il fit aménager au delà de la salle ré-
servée à la Palatine, et y fit transporter les inscriptions
cémétériales conservées dans les difTérentes églises
de Rome. Les inscriptions ont été transférées sous le.
règne de Pie IX dans le somptueux Musée si métho-
diquement disposé par M. de Rossi dans les galeries
du Palais de Latran, mais les menus objets sont restés
à la Vaticane, et d'année en année les fouilles des
Catacombes ou la munificence pontiiicale ajoutent à
ce trésor de nouveaux joyaux.
Les bijoux et objets précieux delà collection Car-
pegna qui appartenaient à l'antiquité païenne tels que
camées, ivoires, figurines de bronze, fibules et brace-
lets . formèrent le noyau d'un nouveau Musée, qui fut
établi par Pie VI à l'extrémité du bras septentrional
de la Bibliothèque, dans la salle des colonnes de por-
phyre. C'était l'exact pendant du Musée Chrétien que
Benoit XIV avait installé à l'extrémité du bras méri-
dional; ce fut, par opposition, le « Musée Profane «.
Il s'est, depuis, beaucoup accru.
A la suite du Musée Chrétien, le même Pie VI faisait
installer un cabinet pour les Papyrus, entrés à la Va-
ticane sous Clément XII et Clément XIV, et il en con-
tiait la décoration à Raphaël Mengs; il nous sera per-
mis toutefois de préférer à l'œuvre trop vantée du
peintre la publication faite quelques années plus tard
de ces précieuses reliques par Gaetano Marini dans
LES ANNEXES DE l.V VATICANE. 255
6QS> Pojjivi diiiloiiifitici, sortis, en ISO,j, des presses de
la Propagande et dédiés au pape par leur auteur
comme « nés et grandis tout entiers dans la Biijliotliè-
que ».
En même temps, Pie VI rattachait aux services gé-
néraux de la Biblioliièque l'ancien Oi)servatoire de
la Torn; dr venli, institué au seizième siècle pour la
fameuse réforme du calendrier; il le dotait d'instru-
ments astronomiques nouveaux, et mettait à sa tête
le savant Filippo Luigi (iilii, à la lois naturaliste et
astronome. Léon XIII s'est inspiré de cette tradition,
et l'installation à la Spccola Vadcmia du R. P. Denza,
qui honore maintenant l'ordre des Barnabiles comme
le P. Secchi illustrait naguère celui des Jésuites, est
une des mesures qui caractérisent le mieux les ten-
dances du pontife actuel et son attitude à l'égard de
la science.
Le successeur de Pie VI acheva de doter la Vati-
cane de ses organes secondaires. C'est sous Pie VII
que fut créée, au delà du Cabinet des Papyrus, la salle
des peintures du moyen âge, oii vint s'abriter la
collection de Seroux dWgincourt, singulièrement ac-
crue plus tard par Grégoire XVI, et, latéralement, la
salle des fresques antiques, longtemps unique en son
genre, où on plaça, en 1S18, les fameuses Noces Ai-
dobrandines et les figures de femmes trouvées ù Tor
Marancia, que sont venues rejoindre plus tard les
scènes de VOdysst'r, trouvées au Viminal, les pein-
tures (les fouilles d'Ostie, et ces courses de chevaux
conduits par des enfants provenant d'un lomlx.'au de
la Voie Appienne; tout à côté, Marini installa le petit
cabinet des inscriptions doliaires.
Mais ce qui rend le p(jntilicat de Pie VU parlicu-
256 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
lièrement important dans l'histoire extérieure de la
Vaticane, c'est l'organisation, dans la galerie de Cléo-
pâtre (c'est-à-dire dans le portique oriental de Bra-
mante), d'une bibliothèque lapidaire incomparable.
L'œuvre avait été préparée par les prédécesseurs de
Pie YII ; elle fut exécutée sous ses yeux par Gaetano
Marini, et tandis que la seconde moitié de cette ga-
lerie, longue de près de trois cents mètres, devenait
le Musée Chiaramonti, toute la partie antérieure,
depuis le portique de Jean d'Udine sur la cour Saint-
Damase jusqu'à l'entrée de la Vaticane , devint pour
la Bibliothèque la plus royale avenue que Sixte-Quint
eût jamais pu rêver pour elle.
VI
LA VATICANE, DE TIE VI A PIE IX.
Au milieu de ce cortège d'annexés, la Bibliothèque
continuait de s'enrichir. Pie VI lui donnait cent
soixante-trois manuscrits du monastère de Saint-Ba-
sile de Rome, grecs pour la plupart, qui représen-
taient la fleur des bibliothèques basiliennes de Sicile
et de Calabre, il achetait pour elle la collection Conti,
et payait trois cents écus un manuscrit des Prophètes
fameux dans les annales de l'érudition biblique, le
Codex Marchalianus, qui provenait de la bibliothèque
du collège de Clermont. Le traité de Tolentino, en
1797, priva pour quelque temps la Vaticane de cinq
cents de ses manuscrits les plus précieux. Le choix
des richesses qui formèrent alors la rançon du Saint-
Siège fait grand honneur aux lumières des commis-
LA VATK ANE, DK PIE M A PIE I\. V.h7
saires français et aux conseils dont ils s'entourèrent
— (Niebuhr, en pleine Allemagne, fut en effet con-
sulté ù cette occasion); — mais presque tous ces
manuscrits revinrent après 1815, et reprirent la place
qu'ils n'auraient jamais dû quitter.
Les pontiflcats de Pie VI et de Pie VII constituent
une des plus glorieuses périodes dans le développe-
ment de la solide et patiente érudition romaine, et
tout naturellement de grands noms se rattachent
alors à la Vatican e : c'est le cardinal Stefano Borgia,
à la fois orientaliste, antiquaire et médiéviste; c'est
le polygraplie romain Cancellieri, élève de Garampi
et passionné comme lui pour les antiquités profanes
et sacrées; c'est le bénédictin Galletti, longtemps
(( scriptor » de langue latine, dont les manuscrits,
formant plus de deux cents volumes, sont entrés à la
Vaticane, où ils constituent une mine inépuisable de
renseignements sur le moyen âge romain; c'est
Gaetano Marini, diplomatiste, épigraphiste et nu-
mismate, qui a marqué une si lumineuse trace dans
l'étude du moyen âge comme dans celle de l'anti-
quité; c'est Angelo Mai, déjà connu par ses travaux
à l'Ambrosienne de Milan, appelé à Rome par
Pie VII en 1810 et nommé par lui préfet de la Biblio-
thèque.
Il faut s'arrêter devant cette figure, qui s'imposa
si rapidement à l'attention et à l'admiration de l'Eu-
rope lettrée. Ce ne fut peut-être pas un très grand
esprit; mais il eut le génie et la passion de la décou-
verte, et là où tant d'autres étaient passés sans rien
voir, il devina des traités entiers et lit revivre des
textes morts. Les manuscrits palimpsestes de Bobbio
fournirent à sa sagacité les premiers problèmes, et
258 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
à son mérite les premiers tributs d'admiration.
Quand il donna l'œuvre entière de Fronton tirée de
deux palimpsestes (celui de Rome complétant celui
de Milan!, on cria au miracle, et quand il lut sous
des sermons de saint Augustin le De Republica de
Cicéron. ce fut pour toute TEurope un événement.
De 1819 à 18.j4, Mai demeura à la Vaticane, d'abord
comme préfet, puis comme cardinal bibliothécaire,
et dans ce vaste champ offert à son activité, 41 tra-
vailla infatigablement. Il a mis au jour cinquante
gros volumes de textes inédits, relatifs à l'antiquité
profane et à l'antiquité chrétienne ; classiques grecs et
latins. Pères de l'Église, histoire, liturgie, droit civil
et droit canon, aucun domaine n'est demeuré étran-
ger à ses incessantes découvertes. Avec lui, il sem-
blait que la Vaticane fût inépuisable en textes inédits.
D'ailleurs les accroissements continuaient : la Bi-
bliothèque grecque de la maison Golonna, le manus-
crit original du Liber Censuum, un certain nombre
de manuscrits orientaux, un dossier bien précieux et
trop peu remarqué, qui contenait les papiers de Dom
Constant et les travaux préparatoires des Bénédictins
de Saint-Maur à l'édition des « Conciles de France »,
entraient à la Vaticane.
Et quelque place qu'occupe dans l'histoire de la Va-
ticane durant la première moitié de ce siècle l'absor-
bante personnalité du cardinal Mai, quelque Jalou-
sement qu'il ait gardé les trésors confiés à sa garde,
il n'a pas été le seul à profiter de cette grande institu-
tion. Dans la vie intellectuelle de la Rome de Pie VII,
de Pie VIII, de Léon XII et de Grégoire XVI, la Vati-
cane a conservé son rôle : Xiebuhr, Bunsen, Borghesi,
Blurae, Greith, Pertz y ont eu accès et en ont usé.
LA VATICANE. DE PIE VI A PIE IX. •>:>(.)
M. do Rossi y a fait ses premières armes, et il se
plaisait à rappeler avec quelle curiosité et quel in-
térêt le vieux cardinal suivit les progrès de cette jeune
vocation suscitée ou révélée par de précoces visites à
la Bibliothèque Yalicane.
Pie IX se montra largement hospitalier, et ce se-
rait une liste longue à dresser que celle de tous les
hôtes que reçut la Vaticanc durant ce pontificat de
trente-deux ans. Elle aida puissamment au dévelop-
pement des études archéologiques et fournit un large
contingent aux recherches des historiens et des phi-
hïlogues; Bethmann en 1854 et Dudik en ISoo pou-
vaient dépouiller page par page les inventaires vati-
cans.
Mais le pape n'avait garde d'oublier le caractère
premier et fondamental de la Bibliothèque apostoli-
([ue, et la nomination du savant cardinal Pitra au
poste de bibliothécaire, en 18(»9, se rattache au
dessein nourri par Pie IX de reprendre, à l'égard de
l'Orient, les travaux d'Allatius et des Assémani. C'est
à l'année 1857 que remontaient les premiers rapports
du pape avec Dom Pitra; une dissertation sur les
constitutions et collections canoniques des Grecs, pu-
bliée par Térudit bénédictin l'avait signalé à l'atten-
tion de Pie IX et désigné « comme un des savants
les mieux préparés à réunir et à éditer les monu-
ments anciens du droit des Grecs et à montrer par
Tétude de ces sources ({ue jusqu'au schisme de Pho-
tius et aux tentatives qui l'ont amené, l'Église orien-
tale a été étroitement unie à l'Église Romaine ».
Appelé par le pape, il vint à Rome; il travailla à la
Vaticane et à la Propagande, fut envoyé en Russie, et
revint par l'Autriche et la Bavière « avec quinze cents
260 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
pages de notes sur toutes les matières canoniques,
liturgiques, historiques, touchant le monde slave et
grec antique et moderne ». De là sortirent, en deux
volumes, les Juris ecclesiastici Grœcorum hisloria et
moninnenfo (1865-08i, et de nombreux textes liturgi-
ques et hymnographiques, doù le savant éditeur
dégagea le premier les lois de l'hymnographie grec-
que. Le poste de bibliothécaire était la récompense
de tous ces travaux, et le moyen de les poursuivre
pour la plus grande gloire de l'Église et de la Biblio-
thèque.
En même temps, Pie IX avait mis à la tète des
Archives Vaticanes un oratorien connu d'abord
comme canoniste. En quelques années, avec une
fougue extraordinaire, le P. Theiner tira des Archives
la matière d'énormes volumes qui sont, pour toute
une partie de l'Europe, comme des fragments de
bullaires nationaux, tandis qu'il tentait de dresser
comme une barrière aux convoitises de l'Italie nou-
velle les trois in-folios de son « Recueil de diplômes
concernant le domaine temporel du Saint-Siège ».
Avec le pontificat de Léon XIII, ces tendances à
tirer parti des trésors que renferment la Bibliothè-
que et les Archives se précisent et se systématisent.
Les érudits placés à la tète de ces deux grands dé-
pôts avaient souvent travaillé vite, préoccupés qu'ils
étaient d'amasser en peu de temps des gerbes dans
le vaste champ qui s'ouvrait devant eux. L'heure
était venue de donner satisfaction aux exigences de
l'esprit critique de notre temps, et de continuer l'oeu-
vre avec plus de méthode et de rigueur, sur des
bases renouvelées et élargies.
CHAPITRE IV
Le pontificat de Léon XIII
I
LA SOLLiriTlDE DU l'AI'E l'Ol R LA VATICANE.
Dans l'histoire de la Vaticane, le pontificat de
Léon XIII est un des plus glorieux. Le pape actuel,
en effet, a admiral)lement compris l'importance du
dépôt que lui ont transmis ses prédécesseurs; il a
eu conscience de la part de responsabilité qui lui est
échue, et dès la première année de son pontificat il
a affirmé pratiquement le principe qui devait diriger
toute sa conduite.
C'est une grande chose que ce trésor littéraire
amassé depuis des siècles par la Papauté. Quelques-
uns peut-être l'ont considéré comme un joyau des-
tiné à rehausser le prestige du pouvoir pontifical :
puisque le pontife est un roi, disent-ils, il doit pos-
séder tout ce qui sied au souverain pouvoir, un pa-
lais, l'éclat d'une cour, la magnificence des cérémo-
nies, la pompe des cortèges, le prestige de colh^ctions
sans pareilles et de galeries merveilleuses. Mais la
1."..
2fi2 LA BIBLIOTHEQCE VATICANE.
Vaticane n'est pas pour la Papauté une sorte de dia-
mant de la couronne. Aux yeux des papes, la Biblio-
thèque Apostolique a une bien autre importance.
Nicolas Y et Sixte IV, Sixte-Quint, Clément XI et
Benoît XIV ont proclamé que la Vaticane avait en elle-
même sa raison d'être ; ils ont voulu qu'elle fût un
foyer d"oi!i la lumière rayonnerait sur le monde. Sa
place auprès du Saint-Siège s'explique non par l'éclat
mondain dont elle l'environne, mais par les services
que la Papauté se croit le devoir de rendre au monde
civilisé et à la science chrétienne. C'est à ce point
de vue qu'elle apparaît comme nécessaire à l'action
du Saint-Siège.
Remarquez la place qui est faite à la personne du
pape dans un palais comme celui du Vatican. La
plupart de ceux qui le visitent et devant qui s'ou-
vrent de tous côtés des galeries sans fin se demandent
parfois ce qui reste au Saint-Père dune aussi colos-
sale habitation. Volontairement relégué à un étage
du Palais de Sixte-Quint, il ouvre à tout venant les
trésors artistiques et littéraires accumulés par ses
prédécesseurs.
Au centre des collections et des galeries est la
Bibliothèque, avec son cortège de royales dépendan-
ces. On la traite comme une souveraine, et, dans le
règlement édicté par Léon XIII, en 1888, il est soi-
gneusement interdit d'en gêner les abords; tous les
autres services gravitent autour d'elle; elle demeure
topographiquement indépendante et autonome.
Léon XIII s'est préoccupé d'accroître la puissance
de l'institution, et sous son pontificat plus de neuf
cents manuscrits de tout ordre sont entrés à la Vati-
cane. Parmi ces acquisitions, il y a celle d'une col-
LV SOLLICITUDE UU l'APE l'ULU LA VATICANE. 203
leotion qui avait au Vatican sa place toute marcjtiée.
En 1891, quand l'occasion s'oflrit d'acquérir les pré-
cieuses collections de la maison Borghèse, le pape
acheta les trois cent soixante-dix-neuf manuscrits
qui composaient la bibliotlièque. Le P. Ehrle y avait,
en eflet, reconnu de vénérables débris de la biblio-
thèque pontificale d'Avignon. Les volumes, trans-
portés d'Avignon à Rome à la fin du seizième siècle,
étaient sans doute entrés dans la famille du pape
régnant ^Clément VIll Aldobrandini) et étaient pas-
sés par héritage chez les Borghèse avec toute la for-
tune des Aldobrandini. Grâce à Léon XIII, la Biblio-
thèque Apostolique est ainsi rentrée en possession
d'un ancien patrimoine, et les vieux volumes d'Avi-
gnon se sont retrouvés chez eux.
Léon XIII s'est pénétré profondément de l'esprit
de ses prédécesseurs. Il aime la tradition, non pour
s'y enfermer, mais pour la développer en s'y confor-
mant. Il a respecté l'organisation traditionnelle de la
Vaticane, avec son cardinal bibliothécaire, ses deux
custodes ou préfets, ses « scriptorrs » successivement
institués pour le latin, le grec, l'hébreu et les langues
orientales. Mais, à côté, il a créé une commission
supérieure destinée à décharger des soucis adminis-
tratifs les savants d'élite dont le personnel était com-
posé; il a rétabli le poste de sous-bibliothécaire; il
a mis à la tète du Musée Chrétien un préfet autonome,
et ce préfet a été M. de Rossi; enfin, désireux de
donner aux Slaves un nouveau témoignage de sa
paternelle sollicitude, il a voulu que le slave de Cy-
rille et de Méthode, le slave dont il autorisait et en-
courageait l'emploi dans la liturgie, eût lui aussi
droit de cité à la Vaticane; : toutes les langues dont
264 LA BIBLIOTHEQUE VATICAXE.
se sert l'Église pour parler à Dieu ont un droit égal
à être connues et étudiées dans la maison du Père
commun des fidèles.
II.
LÉON XIII ET LA SCIENCE HISTORIQUE.
Mais les trésors de la Yaticane ne sont point faits
pour demeurer enfouis comme ceux des avares; il
importe (et cette conception est aussi ancienne que
la Bibliothèque elle-même) que le capital intellectuel
qui y est emmagasiné ne reste pas improductif; il y a
longtemps que le pape se sait le dispensateur du bien
des pauvres, de ceux qui souffrent la faim et la soif
physique comme de ceux qui ont faim et soif de vérité.
Léon XIII veut que nous n'ayons aucun doute à
cet égard, et lorsqu'en octobre 1888 il a promulgué
pour la Bibliothèque un règlement nouveau, il a pris
soin d'indiquer lui-même, dans l'exposé des motifs
qui précède le texte de son ordonnance, le sens de
ses réformes à la Bibliothèque et les résultats qu'il
en attend :
« Nous ne désirions rien tant, dit-il, que d'apporter
une réforme qui fût à l'honneur de l'Église et qui
favorisât le progrès de la vraie science. Nous savions
combien les hommes de notre temps sont passionnés
pour la recherche historique et avec quel soin ils
s'efforcent de découvrir les causes cachées des événe-
ments, et Nous n'ignorions pas que les ennemis de
la religion abusaient de ces tendances pour obscur-
cir la lumière de l'histoire et la souiller par le men-
songe, ajoutant foi aux inventions les plus fausses,
LKON XI!I ET LA SCIENCE lllSTORiQUE. vti:.
calomniant les innocents, et déversant la haine et le
mépris sur des hommes dignes de toute l'admiration
de la postérité. Or, pour réduire à néant toutes ces
faussetés, rien n'est plus propre et plus efficace que
d'exposer à tous les yeux la vérité telle qu'elle ré-
sulte du témoignage irréfragable des textes et des
monuments, et comme la Vaticane est, à ce point de
vue, admirablement outillée, Nous avons jugé que
si Nous voulions lui demander lumière et force pour
découvrir à tous la vérité, pour défendre l'institu-
tion catholique, et combattre l'erreur, il était utile
de la pourvoir de ressources de tout genre, d'y ins-
taller tous les offices nécessaires au bon fonction-
nement du service et susceptibles d'aider les érudits
à explorer le plus facilement possible les trésors
quelle contient. »
Faciliter l'accès des trésors de la Vaticane, voilà
donc le but que poursuit le Souverain Pontife. De
là, la publication des catalogues ordonnée par lui.
Cette grande œuvre, entreprise sous les auspices du
cardinal Pitra, a été poursuivie sous ses deux succes-
seurs, le cardinal Schiaffino et le cardinal Capece-
latro ; plusieurs volumes ont déjà paru il), dans les-
'I, La |iréface '^èoéTBlc a (-tê imhlii'c on 18«t!. cii tétc du calalogm-
«If'S manuscrits laiins de la Bihliciilicque l'alaliiic. M. de K<>ssi y a iiia-
SistiHlcnuMit retracé, dans lampli-ur de ce style latin don! il avait le
secret. l'Iiistoire des origines et des \icissitudes de la Bibliothèque
A|)<)stolii|UC, et je voudrais qu'on pût retrouver à travers les pages île
ce rapiile exposé un lointain écho de la voix si chère qui m'a servi de
guide et qui manquera tant dc-sorniais. I)e|)uis. s'inspirant de l'œuvre
du Maître. Monseif?neur Carini. préfet de la Vaticane. a expos»', dans
un savant mi-nioire sur • I.a Bibliothèque Vaticane propriété du Saint-
Siè^'e .. quels principes ont présidé à la formation et à l'accroisscraeni
de la Biblioiliéque et quelles ressources y ont été affectées. Je lui
dois plus d'un rcnscigncnicnl utile.
26fi L.V BIBLIOTHEQUE VATICANE.
quels ont été successivement décrits les manuscrits
grecs et latins de la Palatine, les imprimés du même
fonds, les manuscrits grecs de la Reine, de Pie II et
du fonds Ottoboni, ainsi que les papyrus égyptiens
de la Vatican e.
On peut y rattacher deux publications collectives de
la Vaticane, parues à l'occasion des deux jubilés de
1887 et de 1893, et auxquelles le cardinal bibliothé-
caire, les deux préfets et les « scriptores » ont chaque
fois contribué. Ce n'est pas là seulement une intéres-
sante collaboration de tout le personnel, c'est la col-
laboration de ce personnel à l'œuvre même du Saint-
Père. Interprètes de sa pensée, les savants placés à
la tête de ce grand établissement scientifique ont il-
lustré chacun une partie du domaine qui leur est spé-
cialement confié. Il y a là un tableau suggestif des
ressources qu'offre la Bibliothèque et des travaux aux-
quels elle peut donner lieu : ce sont autant de fenêtres
ouvertes au public sur l'intérieur de cette magnifique
création du pontificat romain.
Léon XIII d'ailleurs s'est fait l'éditeur des richesses
de la Vaticane. C'est sur des manuscrits Vaticans —
et en particulier sur les fameux autographes offerts,
en 1871, au pape Pie IX — qu'a été faite la grande
édition des œuvres de saint Thomas d'Aquin, sortie
des presses de la Propagande 1882-180-2) et à laquelle
le pape a attaché son nom ; du fonds Capponi, on a
tiré, sur son ordre, le commentaire dantesque de Fra
Giovanni da Serravalle et on l'a publié avec le texte
de la Divine Comédie fourni par des manuscrits Vati-
cans; on a reproduit photographiquement le fameux
Codex Vaticanns giwcus des Saintes Écritures, et le
célèbre manuscrit des Prophètes connu sous le nom de
LKON XIII ET LA SCIENCE HISTORIQUE. 267
Codex Mttrchalianits ; Vahhé Cozza-Luzi, sous-bibfio-
tliécaire, a donné, d'après un palimpseste, de nou-
veaux fra^monls de Strabon et publié deux volumes
préparés par Angelo Mai pour sa .Xoca Palrum Bi-
hliotlipca ; eniinVXcadémie historico-juridique publie
aux frais du pape dans un périodique ' Studi n docu-
iiienli di storia e diritloi et dans une <• Bibliothèque »
des dissertations et des volumes où sont mis en œu-
vre des matériaux extraits de la Vaticane et des Ar-
chives, et ces travaux sont l'honneur de l'érudition
romaine, ainsi qu'en témoigne, pour ne citer qu'un
(exemple, le monument élevé par le R. P. Ehrle à la
Bibliothèque pontihcale d'Avignon.
Individuellement d'ailleurs les « scriptores » de la
Vaticane, dont nous rappelions plus haut l'œuvre
collective, ont admirablement secondé la pensée pon-
tilicale, et c'est tout un chapitre de bibliographie
([uil faudrait écrire pour énumérer leurs travaux et
montrer ce qu'ils ont tiré de cette bibliothèque dont
ils sont les interprètes désignés.
Mais ce qui caractérise tout spécialement l'œuvre
de Léon XIII, c'est l'importance prise par la Vaticane
dans les préoccupations et les études des érudits
étrangers.
Et quand je parle de la Vaticane, j'entends ici les
Archives aussi bien que la Bibliothèque. Léon XIII,
en effet, fidèle à la vraie tradition du Saint-Siège,
non peut-être à la tradition immédiate des deux der-
niers siècles, mais à celle que nous avons constatée
depuis l'origini; jusqu'au commencement du dix-hui-
tième siècle, considère la Bibliothèque et les Archi-
ves comme deux parties d'un grand tout. Aussi ne les
a-t-il pas séparées dans sa sollicitude, et il a voulu
2G8 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
que les Archives, aussi bien que la Bibliothèque, eus-
sent à leur tète un cardinal. Il y a ouvert, au rez-de-
chaussée, de nouvelles salles, où il a fait transporter
plus de deux mille volumes provenant des Archives
de la Daterie, et, comme il fallait une âme à ce corps,
il a appelé dans cet admirable dépôt des hommes ca-
pables d"en tirer parti. Il s'est adressé à l'Italie et à
l'Allemagne, aux séculiers et aux réguliers, aux domi-
nicains et aux bénédictins, et, tout comme le person-
nel de la Bibliothèque, celui des Archives a répondu,
par des travaux de valeur, à la confiance que mettait
en lui le Souverain Pontife. Mais ici encore ce qui est
nouveau, ce ne sont pas les travaux particuliers des
archivistes : Garampi et Marini, pour ne citer que les
plus grands, avaient déjà mis à profit le dépôt qui leur
était confié. Voici venir maintenant des publications
d'ensemble, et d'un caractère presque officiel, entre-
prises aux frais du Saint-Père : Registres d'Hono-
rius m, Registres de Clément V, Registres de Léon X.
Le pape actuel professe, en effet, que le Saint-Siège
n'a rien à perdre à publier ses actes; à ses yeux, la
démonstration du rôle providentiel de la Papauté à
travers les âges ressort de la seule lecture des docu-
ments; il suffit donc de les faire connaître pour ren-
dre le plus signalé service à la cause de l'Église et de
la vérité. Dans une mémorable lettre écrite au mois
d'août 1883 aux cardinaux di Luca, Pitra et Hergen-
rœther sur les études historiques, il estime « que si
quelqu'un étudie les monuments authentiques de
l'histoire d'un œil calme et d'un esprit exempt de pré-
jugé, l'Église et le pontificat se défendent d'eux-
mêmes. Puisqu'on se sert aujourd'hui de l'histoire
comme dune arme contre l'Église, il faut que l'Église
LKON XIII ET LA SCIKNCE IIIST(JIUQUE. 2Gît
engage la lutte sur ce terrain et qu'elle accumule les
moyens de défense du côté où elle est attaquée avec
if plus d'acharnement. C'est pour cela, ajoute le pape,
que Nous avons disposé par ailleurs que nos Archives
fussent ouvertes, et c'est dans ce même dessein que
Nous ordonnons aujourd'hui que la Bibliothèque Va-
ticano fournisse libéralement des matériaux aux œu-
vres historiques ».
Ainsi le pape ne s'en remet pas à un personnel
choisi — et trop facilement avare — du soin d'ex-
ploiter les richesses que renferment la Bibliothèque
et les Archives. Dès la première année de son ponti-
ticat, il a ouvert aux érudits, sans distinction d'ori-
gine, de croyance ou d'opinion, les Archives Yati-
canes, pour que tous ceux qui ont souci de la vérité
pussent travailh'r, chacun pour sa part, à la grande
euvre d'où sortira (il en a l'absolue certitude) la plus
éclatante justification de l'Église et du Saint-Siège.
C'est là un des grands faits de l'histoire contem-
poraine.
La réforme avait rendu la cour de Rome soupçon-
neuse, et l'épithète de sécréta par laquelle on dési-
gnait à la Bibliothèque ce que nous appellerions tout
simplement « la Réserve » avait pris peu à peu un
caractère plus étroit; les archives installées par Paul V
héritèrent de cette épithète, en même temps que des
volumes qui composaient la liihiwtlu'qw secrète, et
le sens en devint de plus en plus farouche. Le positif
sembla bientôt trop faible, trop faibh' surtout le com-
paratif usité sous Sixte-Quint, et on eut recours au
superlatif. Les Archives devinrent très secrètes s^-
grr(issi)iii, et, à la faveur d'un secret aussi absolu,
maintenu sous les peines les plus sévères, pas mal
270 LA BIBLIOTHEQUE VATICANE.
de documents s'égarèrent; il y eut de nombreuses
soustractions, facilement explicables par le défaut de
publicité.
Les Chroniqueurs pourtant n'avaient pas ménagé
le Saint-Siège, et dans tous les pays la verve satirique
s'était exercée aux dépens de la Papauté. Quoi qu'on
put trouver dans les Archives, il était bien certain
que la réalité ne dépasserait point ce qu'avait ima-
giné la malignité des hommes. Le meilleur moyen de
confondre la calomnie n'était-il pas d'en appeler des
témoignages prévenus et intéressés -^ si perfidement
exploités par les « philosophes » du siècle dernier et
leurs émules du nôtre — aux documents qui sont la
matière même de l'histoire? En un temps où l'his-
toire conventionnelle tend à se renouveler par l'étude
des chartes et des diplômes, qui infirment si souvent
les récits et les jugements des historiens, le moment
n'était-il pas venu de divulger les diplômes et les
chartes de ce grand chartrier?
« Le moyen de réfuter les calomnies et toutes les
faussetés qui ont été inventées contre l'Église, écrit
le pape dans sa lettre aux trois cardinaux, c'est de
recourir aux sources. «
III
LE ROLE ACTUEL DE LA BIBLIOTHEQUE ET DES ARCHIVES
VATICANES AUX YEUX DE LÉON XIII.
Lorsque les Assémani commencèrent, au siècle der-
nier, la publication des catalogues de la Vaticane, on
leur objectait « qu'ils seraient exposés à mettre sous
LE lu ILE ACTl EL DE LA HinLIOTIIEQlE VVTICANE. 271
les yeux de tous un certain nombre de pièces con-
traires à la dignité et à lautorité du Saint-Siège, et
que ce serait fournir des armes aux ennemis de la
Papauté ». Ces pusillanimes contemporains de Vol-
taire faisaient le jeu de leur adversaire ; heureu-
sement le pape d'alors s'appelait Henoît XIV, et il
passa outre aux scrupules de ces singuliers défen-
seurs de l'Église.
Pareil reproche a peut-être été adressé au pape
Léon XIII; mais, pas plus que Benoît XIV, il ne s'est
laissé arrêter dans son « audacieux » dessein.
Tout se tient dans son œuvre, et son attitude à
l'égard de la science historique s'explique par la
doctrine exposée dans l'encyclique yE terni Patris. Le
principe fondamental de ce retour à la philosophie
traditionnelle de saint Thomas est, en effet, le besoin
de relever la raison humaine et l'ordre naturel tout
entier par son alliance avec la foi. La séparation de
la raison et de la foi enseignée par Descartes et ad-
mise après lui parle rationalisme contemporain a pro-
duit une véritable anarchie intellectuelle : la foi se
défie de la science et la science méprise la foi. Or,
H Nous ne devons, dit le pape, mépriser ni négliger les
secours naturels mis à la disposition des hommes
par un bienfait de la divine sagesse ». Aussi, loin de
jeter l'anathème à la science, il la bénit comme l'auxi-
liaire naturelle de la foi. Science et foi n'ont pas même
domaine, mais elles ont même principe et même fin.
Kntrc elles, il ne saurait y avoir antagonisme, et
puisque la science poursuit la vérité, elle ne saurait
lire en contradiction avec la foi, c'est-à-dire avec la
vérité révélée. Le pape nous invite à chercher en tout
la vérité : il estime que toute vérité est bonne à dire
272 LA BIBLIOTHÈQUE VATICANE.
et que la lumière ne doit pas être mise sous le bois-
seau.
Son appel a été entendu. De tous cotés ceux qui
sont en quête de la vérité historique sont accourus au
Vatican, oîi on leur en ouvrait les sources. Bientôt les
salles de travail de la Bibliothèque et des Archives sont
devenues trop petites. A la Bibliothèque, Léon XIII
a transformé les deux cabinets réservés au biblio-
thécaire en une grande salle, éclairée à l'ouest par
trois larges fenêtres et aménagée avec tout le confort
des bibliothèques modernes les mieux entendues :
aux archives, il a ouvert une longue salle, qui prend
jour du côté de lAUée des Musées par de hautes
ouvertures oîi passe la pleine lumière des jardins Ya-
ticans. Rien n"a été négligé pour rendre le travail
plus facile et pour épargner la fatigue aux hôtes
pontificaux.
Enfin, il y a deux ans, le pape a créé, sous la grande
galerie de la bibliothèque Sixtine, une nouvelle biblio-
thèque qui porte son nom et qui restera une des
grandes œuvres de son règne. Au rez-de-chaussée de
l'édifice construit par Fontana pour la Vaticane, Sixte-
Quint avait établi un dépôt darmes (Armeria), et une
inscription proclamait déjà que le pape avait « soumis
les armes aux lettres » :
LITERIS SVBIECIT ARMA
Léon XIII a fait mieux; il a relégué ailleurs ces
armes inutiles, et il a installé les livres à leur place.
Les imprimés de la Vaticane avaient depuis long-
temps besoin de trouver un asile approprié. Us avaient
d'abord figuré, à côté des manuscrits, dans la galerie
LE ROLE A( TLËL DE LA BIBLIOTHEQUE VATICANE. 273
de Sixte-Quint : mais peu ù peu l'accession de manus-
crits nouveaux les avaient chassés de place en place;
ni les salles de Paul V, qu'ils avaient dû bientôt
évacuer parliellemenl, ni la salle ouverte pour eux
en H'-i"! par Clément XII, ni les rayons qu'ils occu-
paient dans la salle de la Palatine ne pouvaient leur
suffire. Considérablement accrus, à la tin du siècle
dernier, par la bibliothèque du cardinal espagnol
François Zelada, bibliothécaire de la Vaticane sous
Pie VI, et dans ce siècle-ci par les livres d'Antoine
Kuland, bibliothécaire de Wurtzbourg, et ceux d'An-
gelo Mai, ils avaient été relégués, dès le pontificat de
(irégoire XVI, dans l'appartement Borgia. 11 était par
suite extrêmement difficile d'en faire usage, et, en
même temps, les chambres Borgia, ce joyau de la fin
du quinzième siècle, demeuraient inaccessibles au
public. Léon XHI a trouvé le moyen de rendre l'ap-
partement Borgia à l'admiration des artistes et de
donner du même coup à la belle collection d'impri-
més de la Vaticane la place et l'emploi qui leur con-
venaient. Sous la galerie de Sixte-Quint s'étend
maintenant une autre bibliothèque, décorée sobre-
ment, dans le goiU pompéien, et dans laquelle ont été
réunis plus de deux cent cinquante mille volumes
imprimés. Elle a été mise sous la protection de saint
Thomas, dont la statue de marbre préside aux huit
salles qui la composent, expression concrète de la
pensée qui a inspiré le pape Léon XIII.
On accède à la bibliothèque Léonine de deux côtés :
de la bibliothèque Sixtine, par un escalier qui s'ouvre
à côté de la nouvelle salle de travail, et des Archives
Vaticanes, qui communiquent avec elle de plain-
pied. .\ussi a-t-il été facile de disposer dans ce vaste
274 LA BIBLIUTHEQUE VATICANE.
local une « Bibliothèque de consultation », pour l'u-
sage commun de ceux qui travaillent à la Bibliothèque
et de ceux qui explorent les Archives. C'est un trait
d'union entre les deux dépôts qui, dans la pensée du
pape, doivent concourir à la même œuvre. Avec
quelle parfaite entente des besoins particuliers qu'elle
doit satisfaire la bibliothèque de consultation a été
installée, le nom seul du P. Ehrle, à qui on a fort à
propos confié la tâche, suffit à l'indiquer. Pour au}<-
menter cette bibliothèque spéciale et l'enrichir
des ouvrages récents qu'on jugeait particulièrement
utiles au but proposé, on a eu recours aux échan-
ges, la Vaticane disposant, grâce â la munificence de
Léon XIII, des collections publiées aux frais du Saint-
Siège. " Mais beaucoup d'instituts et de gouver-
nements, renonçant à toute réciprocité, ont donné li-
béralement les publications qu'on leur demandait, se
déclarant très honorés de pouvoir ainsi coopérer à
l'avancement de la science si désirée par Léon XIII
et manifester au Souverain Pontife leur vive recon-
naissance pour avoir ouvert à l'histoire les sources
des Archives et de la Bibliothèque Vaticane, en en-
tourant de continuelles faveurs ceux qui viennent y
travailler. »
Le monde civilisé peut être, en effet, reconnaissant
à Léon XIII. Grâce à lui, la Bibliothèque et les Archi-
ves du Vatican sont devenues un grand laboratoire
international de science historique. Le pape a nette-
ment aperçu ce qui, dès l'origine, a été le caractère
propre de la Bibliothèque et des Archives Apostoli-
ques. Ce dépôt, si intimement lié à l'institution pon-
tificale, a participé à la nature de la Papauté : il est
essentiellement quelque chose de catholique, c'est-à-
LE ROLE ACTUEL DE LA 15I15LIOTHÈQUE VATICANE. 275
dire d'universel. Pour lépoque où le Saint-Siège a
dominé l'histoire européenne, c'est dans les collec-
tions Vaticanes qu'il faut chercher la clef de l'histoire;
eu tout temps, les rapports du Saint-Siège avec les
ilifîérentes nations, le rôle quil a joué dans lapoliti-
i|ue intérieure et dans les relations internationales
des divers peuples font de ses Archives et de sa Biblio-
thèque une des principales sources de l'histoire gé-
nérale.
La France a été la première à répondre àlappel du
Souverain Pontife. Dès 1873 (décret du 25 mars) avait
"'té établie à Rome une section de l'École archéolo-
i^ique d'Athènes ; on s'aperçut bientôt que le champ de
l'antiquité classique^ depuis longtemps objet spécial
des études de l'institut archéologique allemand, ja-
lousement cultivé d'autre part, comme un patrimoine
national, par les savants italiens qui trouvaient dans
le service général des fouilles un incomparable ins-
trument, n'oflrait qu'un terrain bien restreint à l'acti-
vité scientifique de nos jeunes gens; et, dès la fin du
pontificat de Pie IX, l'École française de Rome, défi-
nitivement constituée (décret du 20 novembre 1875),
-ous la direction de M. (ieflroy, obtenait jjour un de
ses membres, grâce à la haute protection du cardinal
Pitra, la faveur insigne de dépouiller à la Vûticane
les Registres d'Innocent IV conservés aux Archives.
L'École française était pur conséquent toute prête à
profiter de la mesure libérale prise par Léon XIII dès
le commencement de son règne, puisqu'elle avait en
quelque sorte devancé les temps, et la publication
des Registres pontificaux du treizième siècle témoi-
gne de la part qu'elh' a prise au grand mouvement
créé par le Souverain Pontife.
276 LA BIBLIOTHEQL'E VATICANE.
L'exemple de la France a été bien vite suivi. LAu-
triche dabord, la Prusse ensuite ont créé à Rome des
instituts historiques pour exploiter les richesses mises
par le pape à la disposition des érudits : des Acadé-
mies comme l'Académie royale de Bavière, des socié-
tés savantes comme la Gœrres-GeseUschaft et comme
la société hongroise dirigée par M-'"' Fraknoi, des com-
missions historiques comme celles du Public Record
Office ont envoyé des missionnaires; des publications
spéciales ont été entreprises en Prusse et en Autriche,
aux frais du gouvernement prussien et de l'Académie
des Sciences de Vienne, qui s'alimentent exclusive-
ment de documents empruntés aux Archives Yati-
canes.
C'est aujourd'hui un beau et réconfortant spectacle
que celui de cette grande ruche, où des représentants
de tous les peuples d'Occident, appartenant à toutes
les écoles et à toutes les confessions, travaillent en-
semble, avec une activité toujours croissante, à la
grande enquête que le pape lui-même non seulement
leur permet, mais encore leur demande. L'erreur sé-
pare les hommes, et la vérité les rapproche. Ce que
rêve le pape, c'est l'union dans la vérité.
« Il est certain, Très Saint-Père, écrivait Tannée
dernière dans une adresse au pape le cardinal Cape-
celatro, bibliothécaire de la Sainte Église, que de pa-
reilles recherches pourront révéler chez des papes,
des évêques et des prêtres des faiblesses qui sont de-
meurées cachées jusqu'ici. Mais Vous êtes profondé-
ment convaincu, et Vous avez raison, que la vérité du
christianisme n'a pas besoin de nos subterfuges et
de nos mensonges, qui ne feraient que l'obscurcir.
L'Église, dont Vous êtes le chef infaillible, resplendit
LE ROLE ACTUEL DE L\ blHLIOTIIEQUE VATICANE. 277
d'un tel éclat de vérité, de bonté et de beauté que les
ombres de nos imperfections ne sauraient l'atteindre.
Un grand et courageux amour de la vérité est donc,
à ce qu'il mesemble, la signification de tout ce que Vo-
tre Sainteté a accompli en faveur de la Bibliothèque
et des Archives Vaticanes. Les bienfaisantes mesu-
res que Vous avez prises ne sont pas exclusivement
destinées à Rome et à l'Italie ; tout ceux qui aiment les
études, principalement les études historiques, sans
distinction même de croyances, en bénéficient. Ces
mesures enseignent à tous l'amour que le Pape a pour
la vérité et le courage avec lequel il veut à tout prix,
sans tenir compte des difficultés et des dangers,
qu'elle soit répandue partout, »
La Bibliothèque et les Archives Vaticanes, où s'est
lentement enregistré tout le passé de l'Église, le dé-
couvrent aujourd'hui à la patiente enquête, non plus
de quelques érudits, mais de l'érudition moderne tout
entière, conviée par le pape à ce grand travail collec-
tif. Le rôle du Saint-Siège dans l'Histoire, tel qu'il a
été retracé dans la première partie de ce livre, s'en
dégage lumineusement, et nous ne pouvons qu'appe-
ler de tous nos vœux l'extension d'un mouvement qui
doit aboutir, ainsi que le proclame le pape qui en a
pris l'initiative et à qui en revient l'honneur, au triom-
phe de la vérité : Ut vincal veritas.
Pall Fabre.
16
ÉPILOGUE
Des événements, des paroles, des actes présents
à tous les esprits ont rappelé les regards de nos
contemporains sur le Vatican.
Les fidèles n'avaient jamais cessé d'orienter leur
pensée vers ce pôle de la catholicité; mais il attirait
plus faiblement, naguère encore, l'attention des in-
difierents, des étrangers, des adversaires de lÉglise.
Abusés par le prodigieux développement et par la
prépondérance apparente des forces matérielles, dis-
traits par les bruits violents de notre siècle, beau-
coups d'hommes estimaient que le rùle d'une force
purement morale était diminué, sinon fini. Devant
la concentration des grands États modernes, devant
l'énorme mécanisme militaire, économique, scien-
tifique, d'où ils tirent leur puissance, on se refusait
à croire que le monde dût compter désormais avec
les petits États qui avaient exercé une influence dans
le passé; à plus forte raison avec un petit État dé-
pouillé de son corps, et qui ne pesait plus dans les
balances temporelles que du poids d'une âme in-
saisissable.
Cependant, à l'heure même où le Pontife qui in-
carne aujourd'hui cette âme semblait destitué de
toute action par la logique humaine des choses, l'at-
tention universelle est revenue à ce frêle vieillard;
elle lui est revenue avec un crédit d'attente, avec des
sollicitudes, des curiosités, des espérances ou des
craintes que les plus redoutables souverains provo-
quent à peine au môme degré. Dans les pays séparés
280 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION.
du catholicisme, dans les milieux réfractaires à toute
foi religieuse, l'opinion , reine de notre temps, guette
la pensée du pape avec une application égale à celle
des ouailles qui attendent de lui une direction spi-
rituelle. Rien n'est plus signiûcatif que la préoccu-
pation maîtresse des visiteurs de marque, chefs
d'États, diplomates, publicistes ou penseurs désinté-
ressés, dès qu'ils arrivent à Rome. Quel que soit le
motif qui les amène, il devient secondaire; tous n'ont
qu'un désir, voir et entendre le pape; tous vont frap-
per d'abord au portone, à ces portes de bronze fer-
mées sur le prisonnier volontaire. Hommes d'action
ou hommes de pensée, ceux qui font l'histoire et
ceux qui l'écrivent sont avertis par un sûr instinct
que le Vatican est encore l'un des grands ateliers de
l'histoire. En gravissant les interminables degrés qui
conduisent Ifi-haut, à ces loges aériennes d'où l'on
embrasse tout le spectacle du monde, le plus puis-
sant monarque frôle des ombres silencieuses qui ont
malgré lui pouvoir d'étendre ou de limiter sa puis-
sance. S'il règne sur un empire où Goethe est dans
toutes les mémoires, ces ombres lui rappellent les
paroles d'Egmont : « Je vois devant moi des esprits
muets et pensifs qui pèsent dans de noires balances
la. destinée des princes et des peuples ».
Cette recrudescence de vie devait solliciter les
gens d'étude à faire plus ample connaissance avec le
foyer où elle se produit. Des hommes de science,
armés des fortes méthodes de l'Université de France,
ont dirigé leurs travaux de ce côté. Le livre qu'ils
nous donnent est né dune pensée juste, croyons-
nous : il y a aujourd'hui un nombreux public, égale-
ment prévenu contre les louanges et les dénigre-
ments systématiques, soucieux d'avoir sur toutes
choses des notions exactes. 11 les trouvera ici. Ce que
fut la Papauté dans le passé, ce qu'elle est dans le
présent, comment fonctionnent les rouages délicats
EPILOGUE. 281
de cette machine de gouvernement universel , nos
collaborateurs Font brièvement exposé; ils ont dressé
l'inventaire du plus riche dépôt d'histoire et d'art
que les hommes aient réuni, ils ont lixé dans ce vo-
lume la physionomie intime du Vatican.
Le Vatican ! gigantesque et vénérable palais, lourd
de siècles et de souvenirs, qui a grandi dans l'ombre
de Saint-Pierre comme la Figure monumentale de
lËglisc. Le nom du lieu où il s'élève disait d'avance
sa destinée. C'était le mont des Oracles, rapporte
Aulu-Gelle : à Vaticaniis qiue vi ac iyislinctu rjus
dei in eo agro fieri solita essenl. Les fondateurs de
Rome trouvèrent sur la colline Vaticane des devins
étrusques, qu'ils remplacèrent par leurs propres au-
gures. On y venait consulter sur les affaires de la
Ville. Elles devinrent peu à peu les affaires du monde.
Le monde s'étant fait chrétien, le pape Libère éta-
blit dans ce lieu prédestiné la consultation souve-
raine de la chrétienté. Dépossédé un temps par le
Latran, qui fut le centre de la catholicité durant le
haut moyen âge, le Vatican reconquit sa primauté
après le retour d'Avignon. Depuis lors, il est l'enve-
loppe matérielle de la Papauté, il en raconte l'his-
toire. La tour féodale a été noyée dans les élégantes
constructions de la Renaissance, remaniées elles-
mêmes et augmentées par les fastueux bâtisseurs des
époques suivantes. Cette végétation de pierre fait
penser aux lentes créations vivantes de la nature;
sans cesse accrue avec les âges, marquée par chaque
siècle d'un trait particulier, elle plonge ses racines
dans la tombe de l'Apùtre; les profondes assises des
palais, confondues avec celles do la basilique, tou-
chent îi la Crypte du Pêcheur. Ainsi est réalisée la
parole : « Tu es Pierre, et sur celte pierre je fonderai
mon Église. » De ces catacombes, les palais ont surgi
progressivement jusqu'au faite élevé, dominateur de
toute la Ville, où sont aménagés aujourd'hui les ap-
282 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION.
partements du Souverain Pontife et de sa Secrétai-
rerie d'État. Il semble qu'une poussée continue de
THisloire ait porté le pape à ces hauteurs. Le soir,
du fond des cours intérieures, on y voit briller sa
lampe comme une vigie. Mais entre le successeur de
Pierre qui réside là-haut et les ossements cachés d"où
il tire sa raison d'être, la communication n'est ja-
mais rompue. La chaîne séculaire s'allonge, des ori-
gines souterraines à ce sommet; elle est sensible aux
yeux et l'esprit la découvre sur chacun des degrés
par où l'on s'élève dans ce labyrinthe de marbre et
de travertin.
Le lecteur l'a vue se dérouler à travers les pages
de ce livre, avec le récit des vicissitudes et des
gloires du Vatican. Il s'étonnerait à bon droit, s'il
rencontrait, dans un chapitre de conclusion, des con-
jectures téméraires sur les prolongements futurs de
la chaîne mystérieuse. Chargé de conclure, nous vou-
drions, à l'exemple de nos collaborateurs, n'apporter
ici que les méthodes habituelles de l'historien. Nous
oublierons provisoirement que l'Église s'appuie sur
les promesses éternelles; nous examinerons ses
chances de durée avec les seules données de la rai-
son critique, éclairée par l'histoire.
Les rites traditionnels du Vatican veulent que le
pape mort passe une nuit dans la Chapelle Sixtino.
Supprimée pour Pie IX en raison des circonstances,
cette station reparaîtra sans doute au cérémonial.
Transportons-nous en imagination à la prochaine
veillée funèbre, devant le Jugement dernier du su-
blime Florentin. Autant il est malséant d'appeler
l'attention des autres hommes sur la fin de leur vie
terrestre, autant celte méditation de l'inévitable est
indifférente pour un pape. Comme les religieux, il
habite des lieux où tout lui remémore les étapes qui
attendent sa dépouille mortelle; et l'institution dont
1:PIL0GUE. 283
il est le gardien temporaire a une telle force de vie,
que le plus grand pape considère sa propre personne
comme une modalité fugitive de celte existence im-
mortelle.
Donc, celui qui porta la tiare est étendu, sous les
regards des Sybilles et des Prophètes, dans le plus
auguste reposoir où puisse s'élargir une dernière vi-
sion du monde. L'histoire de l'humanité l'environne.
Au-dessus de lui, notre globe se forme dans l'espace,
le triste Adam de Michel-Ange surgit au pied de la
montagne qu'il devra gravir, les scènes symboliques
où se résume la vie de ses fils couvrent les voûtes
et les murailles, jusqu'au Christ juge qui appelle les
multitudes hors des tombeaux. La piété, le génie,
l'émotion accumulée des hommes de toute race,
tout conspire à créer dans la Sixtine une atmosphère
qui dilate et féconde la pensée. Le lieu et l'instant
invitent l'esprit à réfléchir avec détachement, avec
équité, non seulement sur la vie individuelle qui
vient de s'éteindre, mais sur la vie collective et con-
tinue du grand corps dont ce mort fut une parcelle,
du grand pouvoir dont il fut dépositaire. La veillée
de la Sixtine serait pour les participants l'occasion
d'un examen général, d'une vue sommaire sur le
passé et l'avenir de la Papauté. Prenons les senti-
ments que nous aurions à cette heure , essayons de
présumer les enseignements qu'elle nous apporterait.
La Rome impériale vient d'uniûor le monde, elle a
achevé et fixé en Occident la civilisation supérieure,
cette fleur de raison et de beauté éclose au soleil de
la Grèce. Elle est magnifique et languissante. Elle
n'a plus de vie à mettre dans le grand corps qu'elle
a formé. Les foules obscures souffrent et périssent,
sous la fleur qu'elles cultivent pour l'agrément d'un
petit nombre et dont elles ne jouissent pas. Le vent
il'OritMit apporte une humble semence, graine étran-
2S4 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION.
gère, méprisée par la raison des sages, graine popu-
laire qui germe sur le fumier des pauvres pour apai-
ser leur faim. Une petite plante en sort, pariétaire
des tombeaux, rampante dans leur nuit, arrosée de
sang. Amère et rebutante pour les heureux, les ci-
vilisés, son parfum est doux pour d'autres, il n'eni-
vre d'abord que les misérables; ceux-ci meurent avec
volupté en le respirant. Elle croit et se multiplie,
malgré les efforts répétés pour la déraciner; elle de-
vient un arbuste vivace, résistant aux orages, et
bientôt un grand arbre qui couvre de son ombre les
ruines de la Rome impériale, les multitudes barba-
res campées sur ces ruines. Quelques siècles pas-
sent, et l'on n'aperçoit plus que cet arbre unique, sur
l'horizon dévasté où la civilisation antique a sombré.
C'est l'Église chrétienne, avec la Papauté au som-
met. De la civilisation qu'elle remplace, l'Église n'a
retenu d'abord que les parties utilitaires, les élé-
ments efficaces pour organiser et dominer le monde
barbare dont elle prend la direction. Ainsi les basi-
liques n'ont emprunté aux monuments païens que
des colonnes, des piliers de soutien : jamais une
sculpture, une frise, un morceau d'ornementation.
L'Église s'est approprié dans l'héritage romain les
méthodes gouvernementales, les pratiques adminis-
tratives, les règles juridiques; et aussi les pompes
extérieures, l'air de majesté que confère un pareil
héritage, l'idée de primauté et de pérennité attachée
par l'imagination universelle à la ville de Rome.
L'héritière de César connaît la vigueur persistante du
corps dont elle a triomphé : l'âme seule y était fai-
ble, elle le sait, et se garde bien d'en rien mêler à
l'âme neuve qu'elle insinue dans ce corps.
Le nouveau pouvoir, accepté au début comme l'u-
nique régulateur de l'anarchie ambiante, rencontre
bientôt des compétiteurs dans les États qu'il a or-
ganisés. Des souverains temporels, des empereurs
ÉPILOGUE. 285
revendiquent pour eux-mêmes la succession de Cé-
sar. La possession de Home a une valeur représen-
tative de la possession du monde, elle est le signe et
l'instrument d'une double juridiction, étendue à l'uni-
vers. De Charlemagne à Barberousse, elle devient entre
les deux pouvoirs l'objet de luttes et d'accords très
complexes, très imparfaitement définis par les mots
de temporel et de spirituel, au sens que nous leur don-
nons aujourd'hui. Les rapports de ces deux pouvoirs
impliquent alors une subordination réciproque, une
indistinction dont l'esprit du moyen âge s'accommo-
dait sans peine. Il est diflicile de préciser leurs li-
mites respectives, changeantes avec le moment, les
circonstances, la force et l'humeur des deux co-par-
tageants. Les revendications sur la capitale indivise
nejouent qu'un rôle accidentel dans les dilférends de
l'Empire et de la Papauté; on combat des deux parts
pour de plus grands intérêts, pour le droit à dispo-
ser du globe, pour la prééminence d'un des deux vi-
caires de Dieu. Le pouvoir temporel, tel que les papes
le réclament à cette époque, ce n'est pas le pouvoir
régalien sur une ville et un territoire où l'Empereur
fait acte de souveraineté, c'est le droit d'intervention
du Vicaire spirituel dans le gouvernement universel
des affaires humaines. Qu'importe si le lieutenant
terrestre gouverne directement ce coin de terre,
pourvu qu'il accepte l'investiture du représentant du
Ciel? L'autorité locale du Saint-Siège ne devient un
fait reconnu qu'au moment où l'Empire affaibli se
concentre en Allemagne, où le Saint-Siège lui-même
se relilche de ses prétentions à la juridiction sur tous
les princes.
Durant ces luttes où elle fut souvent meurtrie, la Pa-
pauté prit conscience de sa vraie vocation. Contrainte
de s'appuyer sur les peuples pour résister aux nou-
veaux Césars, elle se soutint au faite de la grandeur
par le principe qui avait affermi ses humbles com-
286 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION.
mencements; elle accusa nettement sa figure de puis-
sance morale, émancipatrice et tutélairc des petits.
Dans la société du moyen âge, la Papauté se com-
porte comme une mère chargée d'enfants mineurs;
elle les suit pas à pas dans tous les actes de leur vie ;
sa tâche ne se borne pa^ à leur éducation religieuse,
elle leur donne des règles civiles et politiques; elle
contrôle, quand elle ne les prend pas en main, tous
les pouvoirs, législatif, judiciaire, exécutif. Cette
main maternelle est parfois rude, comme le temps et
les hommes qu'elle conduit. Les membres humains
de l'Église sont des hommes de ce temps, ils en ont
les énergies violentes, les appétits, les mœurs. « Il
n'existe pas de pouvoir qui n'ait jamais abusé de ses
forces », dit Joseph de Maistre dans son livre du
Pape. Et il n'existe pas d'institution qui échappe aux
souillures du milieu oii elle opère. Devant les su-
jets de scandale que l'histoire fournit aux détracteurs
de la Papauté, il importe de faire une distinction bien
nécessaire. Les Papes nous demandent de croire
qu'ils sont garantis contre l'erreur doctrinale, là s'ar-
rête leur privilège; ils ne se sont jamais donnés
comme préservés du péché, c'est-à-dire du mal et
de l'erreur sous toutes ses formes, dans la conduite
publique ou privée de leur vie.
Dans ce monde du moyen âge façonné par l'Église,
une civilisation renaît, très différente de l'antique,
inférieure à celle-ci pour l'élégance, la culture de
l'esprit, la compréhension rationnelle des phénomè-
nes; supérieure par son idéal ultra-terrestre, et par
les conséquences sociales de cet idéal , plus de cha-
rité, plus de pitié, une justice plus exacte pour tous
les hommes. Certes, la brutalité des faits contredit
souvent ces principes, mais ils n'en ont pas moins
pris place dans la conscience et dans la législation,
surtout dans la législation ecclésiastique. La théolo-
gie reste longtemps la seule lumière intellecluelle de
EPILOGUE. 287
ce nouveau monde; peu à peu, de^ clartés profanes
se rallument autour d'elle, aube de la Renaissance
prochaine.
La Renaissance exhume la fleur antique. Éblouie
par l'éclat, étourdie par le parfum de la merveille re-
trouvée, la société chrétienne chancelle sur les bases
où l'Église l'avait assise. L'arbre du Christ sera-t-il
assez robuste pour supporter la greffe qu'il avait re-
fusée au sortir des catacombes? Quand on y réfléchit,
ce fut la plus redoutable épreuve qu'il ait jamais af-
frontée. D'autres révolutions ont pu l'entamer; elles
ne menaçaient pas de changer sa nature. Un esprit
étranger, adverse, revenait s'introduire dans le monde
chrétien, il pouvait dévier à jamais l'esprit même qui
avait créé ce monde. On comprend les anxiétés et les
répulsions d'un Savonarole devant ce grand péril. La
résurrection du rationalisme enleva à l'Église des en-
fants qu'elle pleure encore.
Néanmoins la Papauté se jeta avec intrépidité
dans le mouvement de la Renaissance, elle en prit la
tète. Grandiose et puissante jusqu'alors, elle voulut
être belle, d'une beauté humaine, païenne quelque-
fois. Pendant plus d'un siècle, de Nicolas V jusqu'aux
Médicis et aux Farnèse, le Vatican fut le foyer d'où
rayonnèrent Ihumanisme et les arts, la serre d'élec-
tion où la fleur renaissante acquit toute sa crois-
sancH. Il n'y a pas dans l'histoire un second exemple
d'une pareille prodigalité de génie. Tous les enchan-
teurs se donnaient rendez-vous dans le sanctuaire de
la vertu; il semblait qu'une nouvelle religion, la reli-
gion du Beau, voulut surpasser l'ancienne par la gran-
deur et la mulliplicité des miracles. Le plus étonnant
miracle, ce fut que la Papauté surv»'cut sans dé-
chéance à cette longue fête de gloire profane, cent
fois plus dangereuse que l'ère des persécutions. Fille
eut raison de s'y prêter; elle prouve sa vitalité en
s'associant à toutes les métamorphoses de la civili-
288 LE VATICAN. LES PAPES ET LA CIVILISATION.
sation. Régulatrice des divers courants qui emportent
l'humanité, elle devait diriger la Renaissance comme
elle avait dirigé les Croisades ; il était nécessaire qu'on
la vit artiste et lettrée avec Léon X, comme on Favait
vue apostolique et martyre avec les premiers papes,
féodale et scolastique avec ceux du moyen âge, ré-
formatrice et combative avec un Grégoire VII ou un
Innocent III.
La période suivante est plus ingrate pour l'initia-
tive pontificale; elle n'a pas oîi s'exercer. Les grandes
monarchies absolues se sont constituées, elles repous-
sent désormais l'ingérence du Saint-Siège. Lui-même
s'est éloigné de ses origines populaires, avec les ha-
bitudes fastueuses que lui a données la Renaissance,
avec le recrutement nouveau du Sacré Collège dans
quelques maisons aristocratiques, où l'on se trans-
met la tiare comme un bien de famille. Son pouvoir
idéal de jadis s'est transformé en pouvoir matériel et
en richesse; tout ce qu'il gagne en sécurité, en plé-
nitude de ses droits territoriaux, il le perd en éclat
et en puissance universelle. Gouvernement d'opinion,
pour qui les sentiments des peuples valent des ar-
mées, son meilleur ressort n'existe plus dans une
Europe où l'opinion est muette, vis-à-vis des princes
obéis et jaloux qui n'accordent à la Papauté que les
déférences d'étiquette. Son action politique est ré-
duite à la défense des intérêts de l'État romain; son
action sociale est annihilée; ce mot n'a plus de sens
dans le siècle de Louis XIV. Pendant deux cents ans
et plus, l'évêque de Rome rentre dans sa fonction
stricte de gardien et d'interprétateur du dogme, de
négociateur écouté sur le terrain des affaires pure-
ment ecclésiastiques. Et l'on put même croire que
cette fonction allait devenir inutile, avec les progrès
de l'esprit philosophique et de l'indifférence en ma-
tière de religion : les contemporains et les succes-
seurs de Voltaire le crurent.
ÉPILOGUE. 289
Il était réservé à notre siècle de rouvrir les vastes
horizons devant la Papauté. La Révolution française,
qui semblait devoir balayer le Saint-Siège avec les
Trônes, déchaînait les forces d'opinion : c'était ren-
dre à l'Église les armes qui lui ont procuré toutes
ses victoires. Dès la première heure, le Concordat et
le sacre de Napoléon nous ramènent d'un bond bien
en deçà du dix-huitième siècle, au.x grands jours du
Poutiûcat. Elle est très fine et très juste, cette vue
dun de nos collaborateurs : « Pie VII signant le Con-
cordat est plus proche des papes du moyen âge que
d'aucun des papes de l'époque moderne. En fait,
Napoléon I", par sa politique à l'égard du Pontife,
se rapprocha plutôt de Barberousse ou de Frédé-
ric H que de Louis XIV : celui-ci considérait la Pa-
pauté comme une quantité négligeable en Europe ;
ceux-là la redoutaient comme une force ».
On n'aperçut pas tout d'abord ce changement plein
de conséquences. Il était caché aux yeux par les
humiliations du malheureux pape. Nous-mêmes ne
le discernons aujourd'hui qu'à la lumière d'événe-
ments dont nous sommes témoins, et qu'il faut rap-
porter à ce fait initial. Après la chute de l'Empire, la
Papauté fut de nouveau confinée dans le cercle étroit
où l'enfermaient les traditions diplomatiques de l'an-
cien régime, reprises par les gouvernements despo-
tiques ou libéraux qui se succédèrent en Europe
durant la première moitié du siècle. Son rôle parais-
sait encore amoindri par l'irréligion des pays libéraux.
La voix prophétique de Ghâteaubriant, lorsqu'il
eut accès au Conclave de 1829, souhaita (|ue le futur
pontife « puissant par la doctrine et l'autorilé du
passé, n'en connût pas moins les nouveaux besoins
(lu présent et de l'avenir ». Ces paroles significatives
restèrent alors sans écho. Les vicissitudes politiques
et l'activité doctrinale qui remplirent le long règne
de Pic IX rendirent la Papauté plus vivante, plus
290 LE VATICAN. LES PAPES ET LA CIVILISATION.
touchante pour le monde catholique; mais cette forcb
accrue ne se projetait pas encore au delà de ce monde
soumis.
La dépossession de 1870 a inauguré l'ère nouvelle.
Ère du déclin définitif, pensaient les observateurs
superficiels. C'était faire bon marché des enseigne-
ments de l'histoire. Pour nous qui venons de passer
en revue cette histoire, l'événement de 1870 nest
qu'un accident après tant d'autres. Papes prison-
niers, chassés du Vatican, errant sur les routes,
exilés hors d'Italie, émigrés pendant trois quarts de
siècle en Avignon ; papes co-partageants de Rome
avec le César latin, le César byzantin, le César alle-
mand; papes dominateurs absolus du monde sans
avoir où reposer leur tête; papes maîtres absolus dd
leur domaine sans que leur voix fût obéie au delà
par un monde indifférent ou révolté, nous les avons
vus dans toutes les conditions, dans toutes les infor-
tunes, accommodant toujours leur institution per-
manente aux formes transitoires les plus diverses, et
toujours investis de leur autorité indéfectible dans
l'évolution perpétuelle de leurs droits régaliens ou
domaniaux. Nul ne peut prévoir aujourd'hui com-
ment prendra fin une épreuve temporaire, et quelle
sera la situation acceptable faite au Pontife par les
combinaisons historiques de l'avenir. Mais les leçons
du passé nous autorisent à négliger ces incidents se-
condaires dans une vue d'ensemble sur la Papauté ;
ils n'ont que de lointains rapports avec une étude oîi
l'on essaye de dégager ce qui en fait la force intrin-
sèque. Si le Pape est privé depuis 1870 d'une indé-
pendance très nécessaire, il n'a perdu aucun élément
essentiel de sa puissance. Dans un monde où les
petits États ne comptent plus, où l'influence des na-
tions se calcule d'après les millions de baïonnettes
qu'elles peuvent mettre en ligne, quelques milliers
de sujets et quelques lieues carrées n'ajouteraient
EPILOGUE. 291
pas un atome de force réelle à leur possesseur. Il faut
chercher ailleurs le secret de la puissance pontiflcale.
Pouvoir d'opinion, le Pape bénéficie de la prépon-
dérance acquise aujourd'hui aux pouvoirs de cet
ordre. Il est le chef de la plus nombreuse association
qui existe, de la plus disciplinée, en un temps où la
force du principe d'association est décuplée par l'é-
miettement individualiste de tout ce qui pourrait
faire contre-partie. On nous permettra de reproduire
ici ce que nous écrivions à ce sujet il y a quelques
années; l'observation n'a pu qu'affermir notre con-
viction. — « Toutes les transformations de notre
temps conspirent pour l'Église. Par suite du double
mouvement démocratique et cosmopolite, il se fait
un notable déplacement de la puissance publique.
Les pouvoirs dopinion, les pouvoirs internationaux
grandissent aux dépens des pouvoirs officiels et li-
mités dans un lieu : ainsi la presse, les grandes ban-
ques européennes, les vastes fédérations ouvrières. Si
l'on pouvait doser comme une quantité pondérable la
somme de puissance publique existante dans le monde,
ou trouverait que la franc-maçonnerie, la Bourse
de Paris, ou le Times, par exemple, détiennent à des
degrés divers une portion de cette puissance égale
à celle que détenaient, il y a deux siècles, telle princi-
pauté, tel royaume secondaire. D'autre part, l'effet
inéluctable de la démocratie est d'avilir les charges of-
ficielles, de relever par contre-coup les charges mora-
les et intellectuelles, que l'opinion seule a conférées » .
Le pape. occupe la première de ces charges. Il re-
présente l'opinion, mieux que l'opinion, la foi de
nombreux millions d'hommes. Par delà le cercle des
fidèles, la Papauté est un centre d'attraction pour
beaucoup de libres intelligences. Ceci demande quel-
ques explications.
Les discussions contemporaines roulent volontiers
sur le renouveau religieux dont certains observateurs
292 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION.
affirment Texistence. Il est très malaisé, sinon impos-
sible, de fonder en cette matière des affirmations sur
ce qui nous échappe le plus, sur l'état général des
consciences. Il y a de fortes apparences, c'est tout ce
que Ton peut dire, en faveur de la thèse suivante :
si Ton prend un point de comparaison dans le der-
nier siècle, la foi catholique est aujourd'hui plus
vivante, plus agissante, dans le clergé et dans les
milieux orthodoxes; si l'on reporte ce point de com-
paraison à vingt ou trente ans en arrière de nous,
l'heure présente marque encore un progrès, sinon
dans la quantité, du moins dans l'activité des ca-
tholiques déclarés, effectifs.
En dehors de ceux-ci , dans les classes dirigeantes,
dans la jeunesse studieuse, et particulièrement dans
le monde adonné aux travaux de la pensée, on trouve
un grand nombre d'esprits détachés, indifférents par
habitude ou sceptiques par raisonnement. Depuis
quelques années, un courant sensible a amené ces
esprits de l'agnosticisme positiviste aux recherches
philosophiques et morales; du réalisme pratique aux
aspirations idéalistes. Ils ont vu s'effondrer les bases
purement rationnelles sur lesquelles ils avaient assis
leurs certitudes intimes. Le grand travail critique de
notre temps et l'application expérimentale ont mon-
tré la vanité de tous les principes politiques, sociaux,
esthétiques, pseudo- scientifiques dont nos pères
s'étaient engoués. Il en reste moins que rien. Chaque
jour on nous met impitoyablement sous les yeux ce
qu'un écrivain a nommé « les mensonges conven-
tionnels de notre civilisation ». Vis-à-vis de cette
banqueroute, l'homme intérieur s'inquiète de se sen-
tir abandonné sans gouvernail; le citoyen s'épou-
vante de voir la machine publique, cette machine qui
est la patrie, fonctionner à vide et produire du néant,
alimentée qu'elle est par le néant.
Sur les ruines de toutes les doctrines, un seul
ÉPILOGUE. 293
corps de doctrines demeure debout; il offre des solu-
tions pour tous les besoins publics et individuels;
ii plonge au plus profond de l'histoire, il a prouvé son
eflicacité dans les sociétés les plus dissemblables.
C'est le dépôt confié au gardien du Vatican. Pour les
esprits dont nous parlons, l'adhésion à ce corps de
doctrines souffre de grandes diflicultés; leurs habi-
tudes de raisonnement s'y heurtent à de graves objec-
tions. Mais il était inévitable que ces esprits dé-
semparés s'en rapprochassent, comme d'un centre
d'attraction. Le journalisme superûciel a baptisé ce
mouvement d'appellations inexactes et saugrenues :
mysticisme, néo- christianisme, dilettantisme reli-
gieux, combien d'autres encore? Mieux que par une
épithète hasardée, on peut le définir par une compa-
raison rigoureusement exacte, nous semble-t-il, et em-
pruntée aux lois les plus connues du système stellaire.
Les corps célestes font leur révolution autour d'un
astre relativement fixe, foyer contrai qui les sollicite
en vertu de la loi d'attraction. Ils y tomberaient, ils
viendraient s'y fondre, s'ils n'étaient retenus à dis-
tance par les attractions en sens contraire d'une
multitude d'autres corps, disséminés dans l'espace.
Qu il y ait parmi ces derniers des extinctions totales
ou des diminutions de densité, l'équilibre des forces
sera modifié, les globes en mouvement se rapproche-
ront du foyer central où ils tendent. — Tel est le cas
des esprits qui nous occupent : retenus encore, mais
moins fortement, par l'influence d'étoiles qui pâlis-
sent ou s'éteignent, ils raccourcissent leur circuit et
se rapprochent du centre d'attraction. Viendront-ils
s'y joindre? Quand et comment? C'est le secret de
l'avenir, nous n'avons pas à le préjuger : nous devions
seulement éclaircir et justiOer ce que nous avons
avancé, le fait d'une attraction croissante exercée par
la Piipauté sur des intelligences qui ne lui appartien-
nent pas officiellement.
17
294 LE VATICAN, Li:S PAPES ET LA CIVILISATION.
D'autres causes la rapprochent d'autres groupe-
ments contemporains. La démocratie a définitivement
triomphé chez quelques peuples des deux mondes,
elle assiège et réduira inévitablement les citadelles
qui lui résistent encore. Cette démocratie souffre
d'un malaise social aigu , caractérisé , le plus grave
que l'histoire ait enregistré depuis longtemps , ou du
moins le plus impatiemment supporté. Le soulage-
ment de ce malaise est sa préoccupation dominante.
— Or, le Pontife clairvoyant qui occupe aujourd'hui
le Siège apostolique a marqué son inclination pour
la démocratie ; il ramène doucement l'Église à la tra-
dition des origines et du moyen âge , il la prépare au
rôle de conductrice des foules. Lui aussi, il s est voué
plus particulièrement à la recherche des remèdes du
malaise social. 11 n'a pas craint d'aborder, dans une
encyclique fameuse, les problèmes épineux de la
propriété, des salaires, des rapports entre le capital
et le travail; il a rappelé les principes de la théologie
catholique avec une hardiesse dont s'effrayèrent les
économistes peu versés dans le thomisme. Il a convié
les ouvriers dans les salles du Vatican , déshabituées
depuis plusieurs siècles à de pareilles ambassades.
Cette bonne volonté n'aura probablement pas de
prises immédiates sur le monde du travail, en grande
majorité aigri, révolté, prévenu contre loule inter-
vention religieuse ; sur un monde où chaque in-
dividu demande une solution précise, topique, pour
le cas particulier dont il se plaint. Le Pape ne peut
donner que des directions générales, préventives
des conflits, et subordonnées à une réforme des
mœurs. C'est néanmoins un grand point qu'on ne
s'ignore plus absolument, entre le Vatican et l'ate-
lier. On s'observe, on se dévisage, on se cherche,
d'un côté avec une sollicitude paternelle, de l'autre
avec une curiosité défiante; il y a parfois discussion
sceptique chez l'ouvrier, mais il y a discussion. Ces
EPILOGUE. 295
foules moraloment abandonnées savent qu'un oracle
réputé infaillible prend la défense de leurs intérêts.
Jl sera désormais moins suspect à leurs yeux, puis-
qu'il est dépouillé de sa souveraineté et de sa pro-
priété; il en est dépouillé, fait remarquable, à l'heure
môme où toutes les souverainetés sont furieusement
battues en brèche, où plusieurs changent de nature
et d'origine; à l'heure où la notion de la propriété,
soumise à un examen attentif, risque d'y laisser
quelque chose de son caractère absolu. Soit que la
crise sociale empire sans aboutir, soit qu'elle se ré-
solve par (les catastrophes après lesquelles il ne res-
tera plus que des chimères impuissantes sur des dé-
combres, le moment peut venir où une partie du
monde ouvrier s'avisera, malgré ses préventions enra-
cinées, qu'il y a au Vatican un arbitre pour juger ses
conflits, un avocat pour plaider sa cause, un architecte
pour l'aider à reconstruire les sociétés détruites.
- La coufiuête inattendue de nouveaux domaines n'a
pas moins contribué à grandir et à rajeunir la Pa-
pauté. Le catholicisme, pèlerin éternel, a franchi les
Océans. Je ne m'étendrai pas ici sur les espérances
que lui donne la constitution rapide de cette Église
américaine, qui frappe si vivement les imaginations.
Chacun est renseigné sur les particularités de celte
jeune armée, où il n'y a pas de non-valeurs, où dix
millions d'inscrits sont dix millions de soldats actifs,
exaltés par leur conOance dans le succès; chacun sait
quels admirables chefs les conduisent, et comment
ils approprient l'institution calholi(|no aux mœurs
d'une démocratie, avec l'allégresse, la hardiesse des
premiers apôtres. D'autre part, le Pontife romain mé-
dite de ramener au bercail l'Orient séparé; si diffi-
cile que paraisse une entreprise qui a toujours échoué,
il ne désespère pas dune meilleure réussite, il a déjà
commencé les travaux d'approche, i-^llle n'est [)oint
paralysée, la puissance prévoyante qui s'attaque aux
296 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION'.
grandes masses humaines, désignées par la fatalité du
nombre comme les futures maîtresses de la planète.
La recrudescence de vie du Pontificat lient encore
au phénomène le plus saillant de notre époque, ù
l'expansion de notre activité sur tout le globe. La
mission accomplie actuellement par l'Europe eu
Afrique, en Asie, en Océanie, offre une ressemblance
frappante avec celle qui fut dévolue à l'Empire ro-
main dans le monde barbare : conquérir, unifier,
préparer des terrains neufs pour une semence spiri-
tuelle. Toutes ces familles jaunes ou noires que
guette la Propagande, l'Église est fondée à les consic
dérer comme des recrues probables ; elles seront ca-
téchisées par quelque Boniface, comme le furent les
tribus des forêts saxonnes; elles fourniront peut-être
dans la suite des temps les moissons opulentes que
nous avons fournies dans le passé. Qui sait si la Pa-
pauté n'aura pas la joie de voir refleurir un jour,
chez des races naïves et dociles, entre le Zambése et
le Niger, une civilisation façonnée par elle pour un
autre moyen âge?
Ainsi, dans toutes les directions où s'emploient les
énergies de l'Église, on constate une évolution for-
melle de cette institution permanente, en rapport
avec l'évolution des idées et des faits dans le monde
contemporain. Nul n'est fondé à dire qu'il y ait rien
de changé dans l'essence de ce pouvoir immuable,
alors que ses applications décèlent des changements
considérables. Avec la force plastique qui est par ex-
cellence le signe de sa vitalité, l'Église s'adapte de
nos jours au service de sociétés formées en dehors
d'elle, souvent contre elle, comme elle s'était adaptée
à la cité antique, à la féodalité, à la Renaissance, à
toutes les métamorphoses de ses ouailles. Ce travail
échappe parfois aux regards inattentifs, parce qu'il
s'opère lentement, insensiblement, par des procédés
contraires à ceux de la société laïque, semblables
ÉPILOGUK. 397
aux procédés mystérieux de la vie dans la réfection et
l'accroissement des organismes supérieurs. La vie
répare et renouvelle incessamment tous les atomes
de notre être; notre forme et notre personnalité ne
sont pas modifiées par ces substitutions perpétuelles.
C'est dans ce sens qu'il faut entendre le renouvelle-
ment de l'Eglise. Ce souci constant d'introduire l'es-
prit de rénovation sous d'anciens délions pieusement
conservés, n'est-ce point la sage méthode par où le
civilisé difl'jre du barbare, l'homme qui améliore son
outil de l'enfant qui brise le sien pour en réclamer
un autre?
Lorsqu'elle fait, suivant le précepte du poète, « des
vers antiques sur des pensers nouveaux », l'Église
ne se hâte jamais. Dans tout ce qui n'a pas trait aux
choses éternelles, dans le domaine du contingent et
du relatif, son rôle n'est point de devancer, mais de
régulariser, de consacrer les progrès définitivement
acquis. Quelques penseurs objectent, comme un
exemple de variations inexplicables pour eux, les
mésaventures des esprits hardis qui furent blâmés
dans le passé pour avoir soutenu des doctrines poli-
tiques et sociales bien accueillies par la suite au Va-
tican. Ces pionniers étaient partis trop tôt. Les vé-
rités essentiellement relatives de la politique ne
deviennent des vérités compilâtes, acceptables par
l'Eglise, qu'au moment où elles apparaissent pra-
tiques, où les circonstances historiques démontrent
que le fruit mûr peut être cueilli. L'Église est seule
juge de ce moment, en ce qui la concerne; elle ne
donne son estampille qu'aux vérités dont le besoin se
fait sentir. Fâcheux o[iportunisnie, diront les irréflé-
chis. Sagesse profonde, si l'on veut bien y appliquer
la réflexion. Pour tout ce qui ne tombe pas sub spe-
cieciilerniialis, une vérité inopportune n'est pas encore
une vérité. Le fiuit de:«liné à nous alimenter se forme,
il sera bon et ulib; ; il n'est qu'indigeste t;t nuisible, si
298 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION.
nous y goûtons avant sa maturité. Libre à nous tous
de défendre, à nos risques et périls, ce que nous
croyons être la vérité de l'avenir ; c'est notre rôle; ce-
lui de rÉglise est d'ignorer, de réprouver parfois une
idée hâtive, dont l'heure n'a pas sonné sur V Horloge où
la régulatrice de nos besoins a les yeux toujours fixés.
Nous n'étendrons pas davantage ces considéra-
tions. Elles suffisent pour motiver les jugements de
l'historien que nous avons laissé dans la Sixtine, mé-
ditant sur le destin de la Papauté; de cet historien
que nous avons supposé sincère, sans parti pris,
uniquement soucieux de se représenter le vrai carac-
tère, la vraie physionomie de l'institution qu'il étu-
die, dans le passé, dans le présent, dans ce qu'il
nous est permis d'entrevoir de l'avenir. Trois ques-
tions capitales se poseraient dans son esprit.
La Papauté a-t-elle exercé une grande influence
sur le développement de notre civilisation? Celte in-
fluence a-t-elle été bonne et utile? — Oui. dirait-il;
malgré les faiblesses et les fautes auxquelles toute
chair est sujette, malgré les entraînements des con-
voitises temporelles, malgré les excès inséparables de
tout grand pouvoir, la Papauté fut une puissance auxi-
liatrice des idées généreuses et justes; il faut lui rap-
porter une très large part de la supériorité morale qui
distingue notre civilisation de la civilisation antique.
La Papauté continue-t-elle ce rôle dans le présent?
Et avec quel succès? — En dépit des hostilités bruyan-
tes que le respect des peuples étouffait jadis, des scis-
sions qui se sont opérées dans le troupeau, de l'indif-
férence réelle ou apparente des masses dans quelques
États d'Europe, le rôle de la Papauté n'est pas amoin-
dri. La diminution de sa situation matérielle n'a pas
atteint son influence; il semble au contraire qu'elle
ait retiré de cet accident un surcroît de force morale.
Celte influence perd le caractère que les derniers siè-
cles lui avaient donné, elle retrouve celui des périodes
ÉPILOGUt:. 299
aniérieuros. La Papauté recommence sa tâche dans
les pays nouveaux, sur des terrains favorables, avec
une énergie et un succès (|ui nous reportent k ses
lilus mémorables époques : nous y sommes également
reportés par sa participation active en Kurope aux
grands mouvements d'idées, par la place qu'elle lient
dans les préoccupations des pouvoirs séculiers et de
l'opinion populaire.
L'avenir apparait-il favorable à la continuation de
ce rôle? — Les lignes précédentes répondent à cette
question, s'il est démontré que les courants qui en-
traînent notre monde vont dans le sens de la vraie
vocation des Papes, que ces courants recréent les
conditions historiques oii le Souverain Pontificat a
remporté ses plus belles victoires. La nouveauté sur-
prenante, ce serait que le Pape manquât aux circons-
tances ou que les circonstances lui manquassent.
Au jugement de quelques personnes, disposées à
exagérer le pouvoir dune action individuelle, la
force et l'éclat de la Papauté contemporaine seraient
uniquement dus au génie du titulaire actuel. Certes,
il en faut attribuer une large part à celui que des
témoins désintéressés, adversaires politiques ou ad-
hérents d'autres confessions, ont proclamé de concert
11' plus grand homme de ce temps. Mais il serait le
premier à protester, si l'on méconnaissait la vertu
efficace de la fonction, indépendamment des talents
du fonctionnaire. Un de nos collaborateurs l'a très
bien dit : « Il y a un certain nombre de pontifes
qu'on est convenu d'appeler « les grands papes » :
additionnez toutes ces grandeurs, vous n'obtenez pas
encore une imago afb'quate de la Papauté. Cette ins-
titution surpasse en hauteur et en ('clat les titulaires
passagers rjui la représentent ».
Ces mêmes personnes semblent croire que le choix
d'un futur Conclave peut arr^Herou dévier l'évolution
ù laquelle nous assistons. Sentiment bien peu con-
300 LE VATICAN, LES PAPES LT LA CIVILISATION.
forme aux enseignements de l'histoire! Quand elle
crée un mouvement irrésistible, tous y sont empor-
tés : les forts le dirigent, les faibles le subissent. Les
résistances individuelles, accidents éphémères, ont
tout au plus le pouvoir de l'entraver un instant. Le
successeur de Léon Xlll n'aura peut-être point le
prestige personnel du pontife que nous admirons;
mais imaginer qu'il imprimera à l'Église une direc-
tion contraire à celle qui est imposée par l'évolution
des peuples, acceptée par l'élite de l'Église, cela re-
vient à supposer un capitaine qui conduirait son
navire en sens inverse de la destination fixée par l'i-
tinéraire et par les nécessités de la navigation.
Une autre objection est plus grave, au moins chez
ceux qui la formulent de bonne foi. Ils aperçoivent
les magnifiques perspectives ouvertes à l'action de la
Papauté par les conjonctures du temps présent ; et ils
craignent qu'une réalisation complète do ces pro-
messes n'amène un retour de la théocratie, incom-
patible avec les exigences légitimes de l'esprit mo-
derne. C'est faire trop bon marché de la prudence
naturelle à l'Église. Elle n'ignore pas que si l'enfance
de nos races, au moyen âge, a requis sa vigilance de
chaque instant sur tous les détails de la vie, sa pro-
tection contre la brutalité des pouvoirs féodaux, pro-
tection qui ne pouvait s'exercer que par une main-
mise effective sur les protégés, rien de pareil n'est
demandé, rien de pareil n'est possible dans nos
conditions actuelles d'existence. Nos nations vieillies,
nos intelligences formées, émancipées, requièrent
encore de la Papauté des secours, des directions gé-
nérales; maîtresses désormais de leur conduite pour
le bien ou pour le mal, elles sont libres de refuser
ces secours et ces directions; elles n'ont plus besoin
de l'intervention minutieuse, constante, sanctionnée
par des pénalités, qui fut à proprement parler le
régime théocratique. et qui pourra encore s'employer
ÈPILOGUK 301
utilomenl dans l'intérêt de telle tribu d'Afrique ou
d'Océanie. Mais y a-t-il nécessité, n'y a-t-il point
na'iveté à réfuter des objections que le bon sens re-
pousse d'instinct? On n'a pas encore rencontré une
mère qui conservât à ses enfants adultes les lisières
de leur berceau. Et Joseph do Maistre lui-même s'est
chargé de répondre à ces craintes, dans un temps
qui n'offrait pas à la liberté humaine toutes les ga-
ranties accumulées par le nôtre. — « S'ils m'adres-
sent la question : Qu'est-ce qui arrêtera le Pope? ie
leur répondrai : tout; les canons, les lois, les coutu-
mes des nations, les souverainetés, les grands tri-
bunaux, les assemblées nationales, la prescription,
les représentations, les négociations, le devoir, la
crainte, la prudence, et par-dessus tout l'opinion,
reine du monde ».
Oui, le philosophe que nous imaginons, songeant
auprès du Pape mort et cherchant les meilleures
voies pour la pauvre humanité, quittera la compagnie
des Sibylles avec une double confiance dans l'avenir
do la Papauti'', dans les bons effets de cet avenir
pour l'humanité. S'il a vieilli dans l'étude de l'his-
toire et dans la contemplation du siècle où le sort l'a
jeté, s'il a vu de prés les surprises des événements,
la tromperie des prévisions, l'enroyablc désarroi de
la raison livrée à ses seules forces, l'incapacité des
hommes à décider de leurs véritables intérêts, l'é-
goi'sme et la sottise de la plupart des entrepreneurs
du bonheur public, la douloureuse impuissance des
meilleurs pour remédier à l'inguérissable misère du
plus grand nombre, ce philosophe sortira de la Si.K-
line avec une conviction encore plus affermie; il ap-
préciera mieux encore la nécessité du régulateur
dont on croit entendre le sourd balancier, sous les
crucifix qui saignent de l'éternelle plaie de l'Homme,
dans les salles silencieuses du Vatican.
Et lorsqu'il traversera la cour Saint-Damase, le soir,
302 LE VATICAN, LES PAPES ET LA CIVILISATION.
lorsqu'il reverra briller au faite du palais la lampe
du nouveau Pape, il ne se demandera pas si ce Pape
est un génie transcendant ou un obscur et simple
frère du premier Pêcheur; quel que soit l'homme, il
est TAutorité , le Pouvoir, le seul Pouvoir subsistant
dans un monde qui a ruiné tous les autres; il est le
pilote qui devient, fùt-il le dernier des matelots et
par cela seul qu'il sait lire la boussole, l'unique maî-
tre moral dô la barque oii il n'y a plus d'ofïiciers
régulièrement commissionnés. Au plein jour, par la
mer calme, en vue des côtes, l'équipage peut l'oublier ;
ces passagers sont gens d'expérience et qui savent
beaucoup; ils n'ont pas trop de peine à se diriger,
avec leur connaissance approfondie de la terre, leurs
observations scientifiques, leur longue habitude du
voyage. Vienne la nuit, vienne la tempête, tous ces
recours s'évanouiront; il n'y en aura plus d'autre que
l'aiguille mystérieuse, aimantée par une force incon-
nue. L'instinct de la conservation amènera nos gens
à la boussole qui veille sous cetie lampe, au pilote
qui la garde, là-haut, qui les attend avec une tran-
quille certitude, et qui fait son quart depuis tant de
siècles dans la solitude active du Vatican.
Eugène-Melchior de VoGiJÉ.
TABLE DES MATIERES
LE GOUVERNEMENT CENTRAL DE L'EGLISE
PAR Georges Goyau.
Page».
Chapithe premier. — Le Sacré Collège. — Les con- 3
sistoires
I. Les origines du collège cardinalice. — Les trois ordres des
cardinaux. — H. La création des cardinaux. — Les i)Ostes
canlinaliccs. — IIL Le consistoire secret. — Proclamation
des nouveaux cardinaux. — Les « in petto ». — IV. Second
but du consistoire secret : La préconisalion des évc(|ues. —
V. Le consistoire public : Remise du chapeau aux nouveaux
cardinaux. — Le second consistoire secret : Ouverture de la
bouche. — VI. Les insignes et l'étiquette des cardinaux.
— VIL Les fonctions réservées aux cardinaux. — Le vicaire
du pape. — Le grand pénitencier.
CiiAPiïUE II. — Comment un pape meurt et com-
ment on devient pape 26
1. L'agonie papale. — Mort de Pie IX. — II. La souveraineté
de l'Église, jusqu'à l'élection du successeur, est exercée
collectivement par le Sacré collège. — lll. Les dépositaires
du pouvoir exécutif: cardinal caincilingue (.loacliim Pecci),
Triumvirat des cardinaux chefs d'ordres. — IW Les funé-
railles papales. — Cér(''mouies qui suivirent la mort de
Pie IX. — V. L'élévation du l'ape, la législation tradition-
nelle du conclave. — VI. Changements subisaudix-neuvième
siècle parla législatinn traditionnelle du conclave. —Pres-
criptions nouvelles de Pie IX. — VII. Les dix congrégations
<|ui précèdent l'entrée en conclave. — La réception des am-
bassadeurs. — VIII. La construction du Conclave. — IX.
L'entrée en Conclave. — L'organisation des services inté-
304 TABLE DES MATIERES.
Page?.
rieurs. — Les alentours du conclave ; Le maréchal. — X.
Les opérations du Conclave : Comment le cardinal Pecci
devint pape. — XL La première journée du pape Léon \\U,
— Les trois obédiences. — XIL Les cérémonies de l'instal-
latioû pontificale : La prise de possession du Latran. — La
messe du couronnement. — La quatrième et la cinquième
obédiences. — L'imposition de la tiare.
Ch.\pitre III. — Les congrégations romaines 58
1. Décadence de l'institution des consistoires. — Création des
congrégations, leur composition, leur procédure. —IL La
défense de la foi : Le Saint-Office, l'Index, les Études. —
III. La discipline ecclésiastique. — Congrcgalion des Évê-
ques et Réguliers. — L'approbation des nouveaux instiluts.
— Congrégation sur l'état des Réguliers. — La réforme de la
vie religieuse. — Congrégation du concile. — IV. La congré-
gation des Rites : Comment l'Église déclaré les vénérables,
les bienlieureux, les saints. — La Congrégation des indul-
gences et reliques. — Les insignes basiliques de Saint-
Pierre et de Lorette.
Chapitre IV. — Les communications du pape avec
3e monde chrétien 82
1. Les bulles : Comment on les scelle; comment on les écrit.
Les habitudes de la diplomatique pontificale. — II. Les quatre
façons d'expédier une bulle. — Le cardinal vice-cliancelier
et sommiste. — Le Régent. — Le sous-sommiste. — Les
abréviateurs du Parc Majeur. — L'abréviateur de Curie. —La
garde du plomb. — Le plombeur. — III. Les brefs. — L'an-
neau du pêcheur. — La secrétairerie des brefs. — Faveurs
qu'elle peut procurer. — lY. La Dalerie. — Aller et retour
d'une supplique confiée à la Daterie.— V. Les seciétaireries
des Brefs aux princes et des lettres latines. — La rédaction
des Encycliques : Léon XIII auteur latin.
Chapitre V. — La secrétairerie d État et la diplo-
matie papale 101
I. Les cardinaux-neveux : Développements de la secrétairerie
d'État. — IL Les fonctions et l'existence d'un cardinal-secré-
taire d'État. —III. Les rouages de la diplomatie pontificale:
Bureau de la secrétairerie d'Etat, Congrégation des Affaires
ecclésiastiques extraord inaircs.
TABLE DES MATIÈRES, 305
ragea.
Chapitre VI. — La Propagande 112
I. Création de la Propagande, son organisation.— II. Étendue des
pouvoirs et des domaines de la Propagande. — III. Comment
la Propagande conduit ses conquêtes. — IV. Comment la Pro-
jiagande organise ses conquêtes : vicariats, préfectures, délé-
gations apostoliques, évèciiés titulaires. — V. Substitution
de la hiérarchie cpiscopale au gouvernement de Missions.
— VI. Comment sont nommés les vicaires, ordinaires et pa-
triarches sujets de la Propagande. — VU. La Papauté et l'O-
rient. — Congrégation spéciale pour les Aiïaires Orientales.
— VIII. Les collèges de la Pro|)agande. — Instructions de
Léon XIII pour la formation de clergés indigènes. — IX. L'é-
conomie de la Propagande; ses revenus; conversion de ses
renies. — X. La typogra pliie de la Propagande. — Conclusion.
Chapitre VII. — La cour pontificale M9
I. La prélalure active, ses diverses fonctions. — Prélats pala-
tins, camériers secrets participants.— Protonotaires partici-
pants. — Prélats de collège. — Cérémoniaires. — Chape-
lains secrets. — II. La prélalure honorifique : Divers titres
de cette ])rélature. — III. Les dignitaires laïques. — Pour-
quoi la famille pontificale s'est accrue au dix-neuviéme
siècle. — IV. La garde du Vatican; les antichambres Papa-
les. — Y. La journée du Pape; les jardins du Vatican.
LA BIBLIOTHEQUE VATIC.VNE
PAR Paul Faiîre.
Chapitre PREMIER. — La bibliothèque ancienne IG9
I. La bibliothèque du pape Damase. — II. La bibliothèque et
les archives au Latran. — m. Le rôle de la bibliothèque
apostolique en Occident; la bible Amialine. — IV. La biblio-
thèque du Latran et l'œuvre de Grégoire VII. — V. Les Papes
du treizième siècle. — VI. La bibliothèque d'Avignon.
(]iiAPiTHE II. — La Renaissance 108
I. Les débuts de l'humanisme. — II. L'humanisme et la Vati-
cane de .Nicolas V. — lll. La Vaticanc de Sixte IV ; l'impri-
BQX
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