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Full text of "Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle, suivi d'une lettre à m. A. F. Didot, sur quelques points de philologie française"

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LEXIQUE  COMPARE 


DB  LA 


LANGUE  DE  MOLIÈRE. 


PAIil».  —  TYI»Or.nAMIIE   DR   FlinilN   1)!D;)T   I'IUlI'.!», 
RIE  J\Cnlî,    50. 


3>  M.  .    . 


LEXIQUE  COMPARÉ 


DE    LA 


LANGUE  DE  MOLIÈRE 

KT   DES 

ÉCRIVAINS  DU  XVII*  SIÈCLE, 

SUIVI  D'USE  LETTRE 

A  M.  A.  F.  DIDOT, 

Srn    QUELQUES    POINTS    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE  , 

PAR  F.  qÉNIN, 

rROII.SM.l.t:   A  l,A  Fir.ll.TK  «ES  I.ETTHI.R  DE  STRVSBOl'Ui;. 


•PARIS, 

LIBRAIRIE  DE  FIRMIN  DIDOT  FRÈRES, 

IMPRIHEUnS   DB  L'IKSTITL'T  , 

lii'E  j\ron,  in. 

1846. 


Jio 


J.  p.  DE  DÉRANGER. 


Voici  un  livre  sur  la  langue  du  plus  admirable  écrivain  qui 
jamais  ait  fait  parler  la  raison  et  Tesprit  en  français.  On  vit 
chez  lui ,  de  niveau ,  le  caractèi*e  de  Thonime  et  le  génie  du 
poëte.  La  dédicace  de  cet  ouvrage  revenait  de  droit  au  dernier 
et  plus  proche  parent  de  celui  qui  en  a  fourni  la  matière. 
Ilecevez-la  donc  ,  mon  cher  Béranger,  connue  Thonunage 
d*une  sincère  admiration  et  de  Taffection  la  plus  dévouée. 

F.  Gknin. 


Du  BîgnoD,  I*^  octobre  1846. 


PRÉFACE. 


Notre  langue  française  pre'sente  une  particularité  cu- 
rieuse, que  je  doute  qui  se  rencontre  dans  aucune  autre 
langue  moderne  ;  c'est  qu'elle  a  été  formée  deux  foi» 
sur  le  même  type,  en  suivant  chaque  fois  un  procédé 
différent.  Depuis  sa  naissance,  vers  le  x'  siècle,  jusqu'à 
la  lin  du  xv"",  le  françiiis  se  transforma  lentement  du 
latin,  par  des  règles  constantes  que  j'ai  essayé  d'entre- 
voir ailleurs,  et  qui  sans  doute  Uniront  par  être  saisies 
et  mises  complètement  à  découvert.  Au  xvi*^  siècle ,  la 
ferveur  de  la  renaissance  méconnut,  rejeta  dédaigneuse- 
ment tout  ce  qui  s'était  produit  jusqu'alors;  et  l'esprit 
d'érudition ,  pour  ne  rien  dire  de  pis ,  recommença  la 
langue,  mais  sans  garder  aucune  des  règles  et  des  lois 
qui  avaient  présidé  jadis  à  sa  naissance.  Les  savants  ren- 
versèrent brusquement  toutes  les  digues ,  pour  laisser  le 
latin  et  le  grec  faire  irruption  chez  nous.  Le  déluge,  à 
leur  gré,  ne  pouvait  jamais  être  assez  prompt  ni  assez 
considérable.  Ce  flot  turbulent  jeta  le  désordre  dans  no- 
tre langue  jusque-là  si  calme  et  si  reposée  ;  et  elle 
éprouva  de  celte  secousse  un  dérangement  si  profond, 
que  jamais  elle  ne  put  reprendre  son  cours  dans  la 
direction  précise  où  elle  l'avait  commencé. 

Mais  le  peuple,  qui  n'a  point  l'impétuosité  des  sa- 
vants; le  peuple,  qui  s'était  fabriqué,  à  force  de  sens 
et  d'ej&périeuce ,  un  langage  eicelleut,  plein  d'unité^ 


IT  PREFACE. 

de  logique ,  approprié  surtout  aux  délicatesses  de 
Foreilie  et  rompu  à  celles  de  la  pensée,  le  peuple 
demeura  fidèle  à  ses  liabitiides  :  il  continua  de  par- 
ler comme  par  le  passé,  et  laissa  les  savants  écrire  à 
leur  guise  ;  de  la  deux  espèces  de  langue  française.  Celle 
du  peuple  était  la  meilleure  et  la  mieux  faite,  je  nen 
doute  pas;  mais  celle  des  savants  était  la  plus  complète  : 
et  comme  après  tout  c'est  la  classe  lettrée  qui  fait  mar- 
cher les  idées,  il  fallut  bien,  en  recevant  l'idée,  recevoir 
aussi  Texpression.  Mais  la  résistance  aux  nouveautés  ne 
cède  chez  le  peuple  qu'à  la  dernière  extrémité,  et  tout 
ce  qu'il  a  pu  soustraire  à  rinfluence  moderne,  il  le  retient, 
et  refuse  encore  à  cette  heure  de  s'en  dessaisir.  Les  let- 
trés eux-mêmes  ont  été,  sur  bien  des  points,  obligés  de 
plier  à  Tobstination  du  peuple,  et  de  laisser  debout ,  au 
milieu  de  leur  langue  reconstruite,  une  foule  de  vestiges 
de  Tancien  usage.  Ces  débris  isolés,  ruinés,  noircis  par 
Tàge,  n'offrent  plus  de  sens  aux  générations  modernes, 
qui  passent  et  repassent  sans  y  faire  attention,  ou  n'y 
prennent  garde  que  pour  eu  rire  et  les  mépriser  :  la  sa- 
gesse des  pères  est  devenue  folie  aux  yeux  de  leurs  en- 
fants. Cette  espèce  d'impiété  filiale  traîne  avec  soi  son 
châtiment  :  l'ignorance  orgueilleuse  de  notre  propre 
idiome.  Et  le  mal  n'est  pas  près  de  cesser  :  la  tradition, 
qui  perpétue  les  expressions  de  la  première  langue  fran- 
çaise, créée  uniquement  par  ceux  qui  parlaient,  tend 
chaque  jour  à  s'affaiblir  par  l'influence  de  ceux  qui  écri- 
-vent.  C'est  un  vrai  malheur,  car  le  génie  natif  du  fran- 
çais est  avec  le  peuple,  et  non  avec  les  lettrés.  Le  xyii** 
siècle,  comme  plus  voisin  que  nous  de  la  vieille  et  saine 
tradition  ,  la  laisse  aussi  paraître  davantage  dans  ses 
œuvres ,  indépendamment  du  talent  individuel  des  au- 
teurs. Cela  est  si  vrai,  que,  même  les  écrivains  de  second 
et  de  troisième  ordre,  porteut  dans  leur  style  je  ne  sais 


PREFACE.  V 

quelle  saveur  particulière  qui  en  révèle  tout  de  suite  k 
date.  C'est  ce  que  prétendait  Courier  lorsqu'il  soutenait , 
avec  une  hyperbole  évidente ,  que  la  cuisinière  de  ma- 
dame de  Sévigné  écrivait  mieux  que  pas  un  académicien 
de  nos  jours. 

Mais  on  ne  saurait  le  nier  :  ce  que,  par  une  heureuse 
expression, M.  Misard  appelle  Texcèsde  Tesprit  académi- 
que, appauvrit  notre  langue  sous  prétexte  d'élégance, 
lenchaine  sous  prétexte  de  correction  ,  et  Tenroidit 
sous  prétexte  de  dignité.  Les  grammairiens  se  mêlant 
deTaffaire,  ont  achevé  de  tout  gâter  avec  leurs  décisions 
arbitraires,  leurs  distinctions,  leurs  finesses ,  et,  s'il 
faut  tout  dire,  en  appelant  sans  cesse  leur  triste  imagi- 
nation atr  secours  de  leur  ignorance ,  pour  expliquer , 
définir,  motiver  ce  qu'ils  ne  soupçonnent  pas. 

Il  est  donc  urgent  de  retremper  notre  langue  à  ses 
sources  antiques  et  populaires ,  si  nous  voulons  sauver 
son  génie  agonisant.  Pour  nous  y  préparer,  le  premier 
soin  à  prendre,  c'est  de  substituer  à  l'autorité  usurpée 
des  puristes  qui  ne  sont  pas  autre  chose ,  l'autorité  des 
grands  écrivains  qui  n'étaient  pas  puristes.  Avec  le 
même  zèle  que  le  xvii*  siècle  mettait  à  réclamer  les  li- 
bertés gallicanes,  réclamons  les  libertés  de  style  du  xvii" 
siècle  :  les  unes  comme  les  autres  sont  fondées  sur  le 
droit  et  la  raison. 

C'est  la  pensée  qui  a  inspiré  ce  Lexique  :  Fauteur  s'y 
est  proposé  de  recueillir  toutes  les  expressions  et  les 
tournures  qui  constituent  la  langue  de  Molière  ;  de  les 
relever ,  non  pas  une  seule  fois ,  mais  autant  de  fois 
qu'elles  se  rencontrent.  Cette  méthode  a  paru  néces- 
saire pour  constater  l'habitude  ou  l'intention  du  grand 
écrivain ,  et  pour  déterminer  la  portée  réelle  de  son 
exemple. 

L'autorité  étant  l'esprit  de  ce  travail,  j'ai  cru  devoir 


VI  PREFACE. 

fortifier  à  roccasion  celle  de  Molière  par  celle  de  ses  plus 
illustres  contemporains,  la  Fontaine,  Pascal,  Racine, 
Bossuet,  la  Bruyère  ;  et  je  n*ai  pas  craint  de  les  appuyer 
tous  sur  Montaigne,  Babelais,  et  les  poètes  du  moyen  âge. 

Obsequium  vestrum  sit  rationabile.  C'est  pour  rae 
conformer  à  ce  précepte  de  saint  Paul,  que  je  n'ai  point 
négligé  la  discussion  de  l'autorité  ;  car  l'autorité  ne  mé- 
rite la  confiance,  mère  de  la  soumission,  qu'autant 
qu'elle  représente  la  raison  et  la  justice. 

C'est  pourquoi,  aussi  souvent  que  je  l'ai  pu,  j'ai  tâché 
de  lui  procurer  ces  deux  bases  solides  dans  les  origines 
de  notre  langue  et  jusqu'au  sein  de  la  langue  latine.  J'ai 
poursuivi  dans  cet  ouvrage  le  développement  et  la 
preuve  des  idées  émises  dans  mon  essai  sur  les  Faria- 
lions  du  langage  français.  J'aurais  pu  borner  mon  tra- 
vail à  une  simple  nomenclature  ;  mais  la  discussion  cri- 
tique de  divers  points  de  philologie  obscurs  ou  mal 
connus  ma  semblé  indispensable  pour  donner  à  ce  li- 
vre toute  son  utifité.  La  question  n'est  pas  seulement 
de  savoir  comment  a  parlé  Molière ,  mais  pourquoi  il  a 
parlé  de  la  sorte,  et  quel  droit  il  en  avait.  Le  résultat 
doit  montrer  qu'il  nous  faut  reprendre  certaines  tour- 
nures, certaines  expressions;  en  bannir  certaines  au- 
tres ouïes  corriger,  conformément  à  l'usage  primitif. 
Le  but  de  cet  ouvrage  est  de  seconder  ceux  qui  déplo- 
rent de  voir  se  resserrer  chaque  jour  le  domaine  de 
notre  langue,  et  voudraient  lui  restituer  ses  anciennes 
limites.  En  un  mot ,  de  Molière  comme  d'un  point  cen- 
tral et  culminant,  j'essaye  de  porter  le  regard  sur  toute 
l'étendue  de  la  langue  française.  Cette  contemplation 
attentive  ne  saurait,  je  m'assure  ,  produire  que  d'heu- 
reux effets. 

Ce  travail,  fruit  d'une  admiration  bien  vive  pour 
l'auteur  de  Tartufe  et  du  Misanthrope  j  pourrait  cepen- 


PB^FACE.  VII 

I 

dant  devenir  une  arme  offensive  aux  mains  d*an  en- 
nemi de  Molière  ;  j'entends  un  ennemi  de  mauvaise  foi 
(Molière  en  peut-il  avoir  d'autres?).  Eu  effet,  je  n'é- 
claire que  la  partie  de  son  style  ou  défectueuse  ou 
douteuse  :  ce  sont  des  archaïsmes,  des  négligences,  de8 
expressions  risquées ,  de  mauvaises  métaphores ,  des 
fautes  à  lui  particulières,  ou  communes  à  toute  son  épo- 
que,  etc. ,  etc.  Mais  tant  de  sublimes  beautés  dont  il 
foisonne  n'obtiennent  ici  aucune  mention  ;  la  raison  en 
est  bien  simple  :  le  premier  mérite  de  ces  beautés  ^ 
c  est  d*étre  parfaitement  correctes  ;  dès  lors  elles  ne 
sont  plus  de  mon  domaine  :  la  rhétorique  peut  les  faire 
admirer,  la  grammaire  n  a  rien  à  y  voir. 

Ce  qu'il  y  a  de  beau  dans  Molière  frappe  d'abord 
tous  les  regards  ;  au  contraire ,  il  faut  un  commenta- 
teur pour  vous  arrêter  sur  les  endroits  qui  prêtent  à 
l'épilogue.  Mais  il  serait  injuste  d'en  rien  conclure  ni 
contre  Molière  ni  contre  ce  commentateur  ,  de  ne  sup- 
poser dans  l'un  que  des  fautes ,  et  dans  l'autre  que  le 
sentiment  de  ces  fautes. 


Je  me  suis  servi,  pour  mon  travail,  de  plusieurs  édi- 
tions ,  en  ayant  soin  de  les  conférer  avec  les  éditions 
originales  des  pièces  séparées  qui  existent  soit  à  la  bi- 
bliothèque du  Boi,  soit  dans  celle  de  M.  Ambroise-Fir- 
min  Didot ,  à  qui  j'en  offre  ici  mes  remerclments.  Aussi 
ne  devra-t-on  pas  s'étonner  que  certaines  leçons  don- 
nées comme  variantes  n'aient  pas  été  consignées  dans 
ce  recueil.  Ce  n'est  point  omission,  ou  qu'on  ait  mé- 
connu l'importance  de  ces  variantes  :  c'est  qu'elles  ne 
sont  pas  authentiques.  Deux  exemples  suffiront. 

Dans  la  fameuse  scène  du  second  acte  des  Fourberies 


VIII  PREFACE. 

de  Scapin^  M.  Auger  a  reçu  partout  dans  son  texte  cette 
leçon  :  «  Que  diable  allait-il  faire  a  cette  galère?  »  et  il 
met  au  bas  de  la  page  :  «  Variante  :  datns  cette  galère^  » 
sans  indiquer  d'où  est  prise  la  nouvelle  leçon  qu'il 
adopte.  Mais  on  doit  la  supposer  certaine ,  puisque , 
dans  sa  préface,  M.  Auger  assure  qu  il  a  donné  partout 
le  texte  vrai ,  le  texte  des  éditions  originales  (i). 

Les  Fourberies  de  Scapin  furent  représentées  pour  la 
première  fois  en  1671  ,  le  24  mai.  1/ édition  originale 
donnée  par  Fauteur  est  de  la  même  année,  chez  Pierre 
Lemonnier.  Ou  lit  à  la  suite  du  privilège  :  «  Achevé 
«  dlmprimer  le  18  aoust  1671 .  »  On  ne  peut  douter  que 
ce  ne  soit  bien  là  la  première  édition.  Eh  bien!  dans  la 
scène  dont  il  s'agit ,  il  y  a  partout,  daks  celte  galère  (a). 


Dans  Tartufe,  acte  V,  scène  f *^  : 

ORGOir. 

Quoi  !  sur  un  beau  semblant  de  ferveur  si  touchante , 
Cacher  un  cœur  si  double  ,  une  âme  si  méchante  ! 

«  Toutes  les  éditions,  dit  M.  Auger,  toutes  les  édi- 
tions .sans  exception  portent  sur  un  beau  semblant.  Ce- 
pendant, cacher  un  cœur  double  sur  un  beau  semblant 
est  une  figure  si  peu  exacte  dans  les  termes,  et  il  était 
si  naturel  d'écrire  sous  un  beau  semblant^  qu  il  est  im- 
possible de  ne  pas  supposer  une  faute  d'impression.  » 

La  première  édition  de  l  Imposteur  est  de  1609, 

(i)  «  Un  point  sur  lequel  je  m'exprimerai  avec  une  cnlicrc  assurance, 
«  parce  qu*il  est  un  pur  objet  de  patience  et  d'exactitude ,  c'est  la  rorrcc- 

«  tion  du  texte J'ai  suivi  ces  éditions  originales  avec  une  exactitude 

•  scrupuleuse.  »  {Avertissement ,  p.  XVIII  et  XXII). 

(a)  Celte  pièce  est  fort  rare  ;  la  l)ibliothèque  du  Roi  ne  la  possède  pas. 
Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  A.  F.  DiJot  d'avoir  pu  faire  cette  vérification, 
et  beaucoup  d'autres  non  moins  importantes. 


PRÉFACE.  a 

et  le  titre  porte  cette  note  :  Imprimé  aux  despens  de 
Vaulheiir  (i).  Ainsi,  pour  le  remarquer  en  passant, 
ce  chef-d'œuvre  du  génie  humain,  qui  devait  faire 
la  gloire  éternelle  de  la  France  et  la  fortune  de  tant 
de  lihraires,  Tartufe,  à  son  apparition ,  ne  put  trouver 
un  éditeur!  Fauteur  fut  obligé  de  Fimpriraer  à  ses  dé- 
pens. Lç  trait  m'a  semblé  digne  d*étre  recueilli,  ne 
fût-ce  que  pour  la  consolation  de  tant  d  auteurs  contem- 
porains, qui,  ayant  déjà  ce  point  de  commun  avec 
Molière ,  pourront  rêver  le  reste ,  et  se  promettre  dan» 
la  postérité  l'achèvement  de  la  ressemblance. 

Je  n'ai  point  examiné  toutes  les  autres  éditions  de 
Tartufe  ;  sur  le  témoignage  de  M.  Auger,  je  crois  volon- 
tiers qu  elles  portent  sur  un  beau  semblant  ;  mais  je  puis 
affirmer  que  l'édition  de  1 669,  l'édition  originale,  donne 
socs  un  beau  semblant. 

Si  j'ai  relevé  ces  deux  erreurs ,  ce  n'est  pas  pour  ac- 
cuser mon  prochain ,  mais  plutôt  pour  me  faire  un 
droit  à  lindulgence,  en  montrant  combien,  dans  le  tra- 
vail même  le  plus  soigné  et  le  plus  consciencieux ,  il 
est  difficile  de  se  garantir  de  toute  inexactitude. 


Les  exemples  ont  été  disposés  dans  l'ordre  chrono- 
logique des  pièces,  afin  qu'on  puisse  remarquer  les  pro- 
grès du  style  de  Molière.  J'ai  pris  soin  d'indiquer  le 
nom  du  personnage  qui  parle,  toutes  les  fois  que  son 
caractère  ou  sa  condition  pouvait  suggérer  quelque 
doute  sur  la  pureté  de  son  langage,  par  exemple,  si 
c'est  un  valet,  un  pédant,  une  précieuse,  etc, 

Pour  faciliter  les  vérifications ,  je  dois  prévenir  que 


(i)  De  la  bibliothèque  de  M.  A.  F.  Didot. 


%  PRÉFACK. 

lorsque  je  cite  les  œuvres  de  Voltaire,  tel  volume,  telle 
page,  il  8*agit  de  Tédition  de  M.  Ikuchot; 

Les  Pensées  de  Pascal ,  c'est  le  texte  donné  par 
M.  Cousin ,  et  suivi  d'un  petit  lexique  qui  m*a  servi 
d*un  utile  auxiliaire  ; 

Les  fabliaux  de  Barbazan,  c*est  Tédition  originale,  en 
trois  volumes  in- 12,  et  non  celle  de  M.  Méon,  en  qua- 
tre volumes  in-8°; 

Montaigne,  c  est  l'édition  Variorum  du  Panthéon  lit- 
téraire. 

J  ai  rencontré  souvent  l'occasion  de  toucher  à  des  théo- 
ries exposées  dans  mes  Variations  du  langage  français , 
soit  pour  m  en  appuyer,  soit  pour  les  fortifier.  Ces  théo- 
ries ne  se  trouvant  point  ailleurs,  ou  me  pardonnera, 
j'espère,  comme  une  nécessité  de  position  ,  d  y  renvoyer 
quelquefois.  Ce  n*est  pas  pour  la  satisfaction  puérile  de 
me  citer  moi-même;  cest  pour  épargner  le  temps  du 
lecteur. 


VIE  DE  MOLIERE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Naissance  de  Molière.  —  Sfis  études.  —  Il  se  fait  comédien  ambulant.  — 
Il  débute  à  Paris  par  les  Précieuses  ridicules. 

L'histoire  des  grands  écrivains  est  Thistoire  de  leuw 
ouvrages.  C'est  là  que  viennent  se  refléter,  comme  en 
un  miroir,  leur  cœur  et  leur  esprit,  tout  ce  qu'il  im» 
porte  de  connaître  d'un  homme. 

Jean-Baptiste  Poquelin ,  qui  prit  plus  tard  le  nom  de 
Molière,  fiit  baptisé  à  Paris,  dans  1  église  de  Saint- 
Eustache,  le  i5  janvier  1622  (i).  Le  public,  qui  attache 
un  grand  prix  aux  circonstances  matérielles  de  la  vie  des 
hommes  illustres,  a  longtemps  répété  que  Molière  nui* 
quit  sous  lès  piliers  des  Halles.  Des  découvertes  rë-* 
centes  constatent  qu'en  1622  le  père  de  Molière,  ta- 
pissier,  habitait,  au  coin  de  la  rue  des  Vieilles-Étuves 
et  de  la  rue  Saint -Honoré,   une  maison  appelée  la 

(i)  On  n*a  point  la  date  positive  de  la  naissance  de  Molière,  mais  on  a 
Tacte  de  mariage  de  ses  père  et  mère,  du  37  avril  x6az.  Tous  les  ancîenf 
biographes  de  Molière  le  font  naître ,  par  une  erreur  manifeste,  en  x6ao 
ou  i6ax.  Il  est  probable  qu'il  fut  baptisé  le  jour  même  de  sa  naissance; 
s'il  en  était  autrement,  l'acte  de  baptême  l'indiquerait,  leloD  Tuiage 
constant  du  dix-septième  liède. 


XII  VIE   DE  MOLIERE. 

maison  ou  le  pavillon  des  Singes ,  à  cause  cVun  poteau 
sculpté  placé  à  l'encoignure,  et  représentant  des  singes 
grimpés  sur  un  pommier.  Les  amateurs  de  rapproche- 
ments et  de  présages  ne  perdront  rien  à  transporter  le 
berceau  de  notre  poète  comique  de  la  maison  des  Halles 
à  la  maison  des  Singes.  Au  reste,  cette  maison  est  au- 
jourd'hui démolie,  et  une  partie  de  l'emplacement  a 
servi  à  élai^ir  la  voie  publique.  Cela  n'empêche  pas 
qu'une  inscription  officielle  ne  désigne  comme  maison 
natale  de  Molière  une  maison  de  la  rue  de  la  Tonnel- 
lerie. De  même,  dans  le  cimetière  de  l'Est,  vous  ver- 
rez un  sarcophage  décoré  du  nom  de  Molière,  et  un 
autre  du  nom  de  la  Fontaine,  bien  que  depuis  long- 
temps les  cendres  de  Molière  et  celles  de  la  Fontaine 
aient  été  égarées  ou  dispersées.  Ces  monuments  trom- 
peurs sont  destinés  à  amuser  la  curiosité  publique;  c'est, 
si  l'on  veut,  une  sorte  d'hommage  à  d'illustres  mé- 
moires :  mais,  si  l'on  prend  les  choses  au  sérieux,  il  ne 
faut  chercher  à  Paris  ni  le  berceau  ni  la  tombe  de 
Molière. 

Les  Poquelin  étaient  tapissiers  de  père  en  fils,  et 
même,  depuis  Louis  XIlï,  tapissiers  valets  de  chambre 
du  roi.  Jean  -  Baptiste ,  comme  l'aîné  de  dix  enfants, 
était  réservé  à  ce  glorieux  héritage;  il  s'en  créa  par 
son  génie  un  plus  glorieux  encore.  Cependant,  comme 
on  ne  peut,  quelque  chemin  qu'on  prenne,  éviter 
complètement  sa  destinée,  Molière  porta  plus  tard  le 
titre  de  valet  de  chambre  du  roi  ;  seulement  il  n'en  fut 
pas  tapissier. 

A  cette  époque ,  l'instruction  était  l'apanage  exclusif 
de  la  noblesse  et  du  clergé;  les  bourgeois,  voués  au 
commerce,  n'étudiaient  point.  Le  génie  de  Molière  ne 
s'accommoda  pas  de  l'ignorance  traditionnelle;  le  be- 
soin impérieux  d'apprendre  ne  tarda  pas  à  se  révéler 


VIE  DE  MOLIEJIE.  XIII 

en  lui ,  et  M.  Poquelin  le  père  vit  avec  horreur , 
comme  la  famille  Boileau ,  dans  la  poussière  de  sa  bou- 
tique, wi  poète  naissant.  Il  fallut  céder  toutefois,  et 
Jean  Poquelin  consentit  à  ce  que  son  fils  Jean-Baptiste 
fréquentât  comme  externe  le  collège  de  Clermont.  Autre 
sujet  de  rapprochement  :  l'auteur  futur  de  Tartufe  étu- 
diant chez  les  jésuites  ! 

Molière  à  dix  ans  était  orphelin  de  mère,  et  n avait 
pour  le  gâter  que  son  aïeul  Nicolas  Poquelin.  De  for- 
tune ,  il  se  trouva  que  ce  grand-père  aimait  le  théâtre , 
et  conduisait  volontiers  son  petit-fils  à  la  comédie.  On 
la  jouait  à  Thôtel  de  Bourgogne,  et  les  grands  acteurs 
comiques  de  ce  temps -là  étaient  Gautier  -  Garguille , 
Gros-Guillaume,  etTurlupin.  Les  poètes  en  renom  s'ap- 
pelaient Monchrétien,  Hardy,  Baro,  Scudéry,  Desma- 
rets;  et  à  leur  suite,  fort  éloigné  de  pouvoir  lutter 
contre  de  tels  maîtres,  un  jeune  homme,  natif  de 
Rouen,  nommé  Pierre  Corneille  :  mais  celui-ci  ne 
comptait  pas.  Ce  fut  Vécole  où  Molière  allait  étudier 
Tart  dramatique,  et  qui,  sans  doute,  éveilla  dans  son 
sein  les  premières  ardeurs  du  génie. 

Il  terminait  en  même  temps  de  solides  études.  Son 
cours  de  philosophie ,  qu'il  fit  sous  Gassendi  avec  Ber- 
nier,  Hénault,  Chapelle  et  Cyrano  de  Bergerac,  eut 
cet  avantage,  observe  Voltaire,  que  les  élèves  du  bon 
prêtre  de  Digne  échappèrent  du  moins  à  la  barbarie 
scolastique.  Molière  étudia  ensuite  le  droit  et  même  la 
théologie,  si  Ton  en  croit  le  témoignage  de  Tallemant 
des  Réaux.  Tallemant  veut  que  Molière,  destiné  par  sa 
famille  à  Tétat  ecclésiastique,  ait  déserté  la  Sorbonne, 
et  se  soit  fait  comédien  de  campagne  pour  suivre  la 
Béjart,  dont  il  était  amoureux.  Mais  c'est  là  une  histo- 
riette au  moins  suspecte  j  comme  bon  nombre  d'autres 
recueillies  par  le  même  auteur. 


JLIW  VU  DI  MOLIEBl. 

Le  cardinal  de  Richelieu,  passionné  pour  le  théâtre, 
en  avait  généralement  répandu  le  goût  :  la  comédie 
bourgeoise  était  à  la  mode.  Au  commencement  de  la 
régence,  nous  retrouvons  Molière  à  la  tête  d*un  théâtre 
de  société  qui  avait  pris  le  nom  pompeux  de  Y  Illustre 
Théâtre.  Bientôt  les  troubles  politiques  obligèrent  les 
acteurs  de  cet  illustre  théâtre  acquitter  Paris,  et  à  cou- 
rir la  province.  Molière  mena  quelqueà  années  cette  vie 
nomade  et  aventureuse,  si  plaisamment  dépeinte  par 
Scarron.  A  Bordeaux,  il  fait  jouer  une  tragédie  de  sa 
fiiçon,  la  Thébaidey  dont  plus  tard  il  donnera  le  sujet 
au  petit  Racine;  à  iSantes,  il  lutte  avec  désavantage 
contre  les  marionnettes  d'un  Vénitien;  Vienne  le  con- 
sole par  des  applaudissements  fructueux  ;  puis  il  revient 
à  Paris,  et  va  faire  la  révérence  au  prince  de  Conti, 
son  ancien  camarade  du  collège  de  Clermont,  désor- 
mais son  fidèle  protecteur  ;  puis  il  repart  pour  Lyon , 
auteur,  acteur,  directeur,  et,  par- dessus  le  marché, 
amant  tantôt  heureux,  tantôt  rebuté,  de  Madeleine  Bé- 
jart,  de  mademoiselle  du  Parc,  et  de  mademoiselle  de 
Brie.  Il  visite  Avignon,  Bé/iers,  Pézénas,  Narbonne, 
Montpellier,  où  il  a  l'honneur  de  divertir  les  états  de 
Languedoc,  tenus  par  le  prince  de  Conti.  Il  échappe 
au  poste  éminent  de  secrétaire  de  son  altesse,  il  garde 
son  indépendance,  qu'il  promène  d'Avignon  à  Rouen 
avec  des  fortunes  diverses,  sifflé  dans  un  endroit,  ac- 
cueilli dans  un  autre,  souvent  malaisé,  et  toujours  hon- 
nête homme. 

Contre  les  écueils  dont  une  pareille  vie  est  semée, 
combien  eussent  fait  naufrage  !  Molière  en  sortit  sain  et 
sauf,  parce  que  le  ciel  lui  avait  départi  une  droiture  et 
une  probité  aussi  extraordinaires  que  son  génie.  Grâce 
à  cette  libéralité  peu  commune  de  la  nature,  Molière 
se  donna  impunément  la  meilleiure  éducation  que  puisse 


yns  DX  MOUEU.  xv 

recevoir  un  poète  comique  :  il  eut  de  bonne  heure 
l'expérience  de  la  vie ,  et  à  peu  près  gratis ,  puisqu'il 
n'en  coûta  rien  4  son  caractère,  ni  à  ses  mœurs. 

Dans  cette  pratique  de  la  philosophie  qu'il  avait  ap- 
prise chez  Gassendi,  il  atteignait  la  quarantaine.  C'est 
alors  qu'il  rentra  à  Paris  pour  s'y  fixer,  pour  utiliser 
son  abondante  récolte  d'observations,  et  commencer 
cette  éclatante  carrière  qui  aurait  pu  se  prolonger  un 
demi-siècle,  et  qui  se  ferma  au  bout  de  treize  ans! 

Molière ,  arrivé  à  trente-huit  ans ,  n'avait  encore  pro** 
duit  que  quelques  canevas  informes,  le  Docteur  amou-' 
reux^la  Jalousie  de  Barbouillé^  le  Grand  benêt  de  fils  ^ 
et  deux  comédies  régulières ,  l  Etourdi  et  le  Dépit  amour 
reujCj  toutes  deux  calquées  sur  les  imbroglios  italiens, 
mais  où  se  font  déjà  remarquer  des  traits  précieux  de 
vérité  qui  décèlent  Molière.  La  comédie  moderne  n'exis- 
tait pas,  ou  n'existait  que  comme  une  imitation  de  la 
comédie  antique,  soit  que  cette  imitation  fût  directe | 
soit  qu'elle  passât  par  Tintermédiaire  de  l'Espagne  ou 
de  l'Italie.  Les  poètes,  depuis  la  renaissance,  avaient 
toujours  tenu  les  yeux  attachés  sur  les  Romains  et  les 
Grecs;  personne  ne  s'était  encore  avisé  de  regarder 
ses  contemporains.  Le  poète  doué  de  l'originalité  la 
plus  puissante,  Molière,  à  son  début,  suivit  la  route 
conunune  :  il  imita. 

Les  Précieuses  ridicules  (  lôSp)  ouvrirent  une  ère 
nouvelle.  A  partir  de  ce  moment,  Molière  sentit  qu'il 
avait  trouvé  sa  voie.  «Je  n'ai  plus  que  faire,  dit-il, 
d'étudier  Aristophane ,  Térence,  ni  Plante.  »  Il  n'avait, 
sans  porter  si  loin  ses  regards ,  qu'à  copier  les  ridicules 
qui  vivaient  et  se  mouvaient  autour  de  lui.  Désormais 
les  anciens  lui  fourniront  encore  quelques  détails  ac- 
cessoires^ quelques  procédés  dramatiques,  mais  ils  ne 


XVI  VIE  DE  MOLIERE. 

seront  plus  ses  modèles.  Ses  modèles  seront  pris  dans 
la  société  contemporaine. 

11  est  certain ,  quoi  qu'en  aient  dit  Voltaire  et  M.  Rœ- 
derer  après  lui,  que  les  Précieuses  furent  composées  à 
Paris,  et  représentées  pour  la  première  fois  à  Paris.  Il 
ne  s'agit  point  là  d'un  ridicule  de  province,  mais  du 
ridicule  de  Thôtel  de  Rambouillet.  M.  Rœderer,  dans 
son  Histoire  de  la  société  polie  ^  a  beaucoup  insisté  sur 
l'injustice  prétendue  de  Molière,  et  sur  les  éminents 
services  rendus  au  langage  par  la  coterie  de  madame  de 
Rambouillet.  Cette  thèse  a  fait  fortune  ,  par  un  air 
piquant  et  paradoxal.  Que  l'hôtel  de  Rambouillet  ait 
exercé  une  grande  influence  sur  la  langue  française,  je 
ne  prétends  pas  le  nier;  mais  que  cette  influence  ait 
été  salutaire,  c'est  ce  qui  est  très-contestable.  Pour 
moi ,  je  suis  d'un  avis  opposé.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
de  discuter  ce  point  :  je  me  contenterai  de  dire  en  bref 
que  les  précieuses  ont  réformé  ce  que,  les  trois  quarts 
du  temps,  elles  ne  comprenaient  pas;  et  qu'à  la  franche 
allure,  à  l'ampleur  native  de  notie  langue,  elles  ont  subs- 
titué un  esprit  de  circonspection  étroite,  des  habitudes 
guindées,  maniérées,  en  un  mot,  une  préciosité  qui  est 
devenue  son  caractère  essentiel ,  et  dont  il  est  à  craindre 
qu'elle  ne  puisse  jamais  se  débarrasser.  C'est  payer  bien 
cher  une  douzaine  de  mots  dont  les  précieuses  ont  enrichi 
le  dictionnaire.  Molière  en  écrivant  s'est  constamment 
affranchi  de  leur  joug;  autant  en  a  fait  la  Fontaine: 
mais  qui  oserait  aujourd'hui  écTire  la  langue  de  la  Fon- 
taine et  de  Molière?  Celle  de  Rabelais  ou  de  Mon- 
taigne ,  il  n'en  faut  point  parler  :  ce  sont  trésors  à  ja- 
mais fermés  ;  nous  sommes  condamnés  à  les  admirer 
de  loin  sans  en  pouvoir  approcher,  condamnés  à  écrire 
et  à  parler  précieux. 

Molière,  dans   son   instinct  de  vieux  Gaulois,  avait 


VIE  DE  MOLIERE.  XVII 

parfaitement  senti  la  portée  de  cette  société  polie  et  de 
son  œuvre.  Il  l'attaqua  dès  son  premier  pas  dans  la  lice; 
et  lorsque  la  mort  vint  le  surprendre,  elle  le  trouva 
encore  occupé  à  combattre  les  précieuses  ou  les  femmes 
savantes  (i). 


CHAPITRE  IL 

Mariage  de  Molière —  Molière  se  brouille  arec  Racine.  —  Il  est  accusé 
d'inceste.  —  Louis  XIV  le  protège. 

Le  20  février  1662,  qui  était  le  jour  du  lundi  gras 
de  cette  année ,  à  la  paroisse  de  Saint-Germain  T  Auxer- 
rois,  Molière  épousa  Armande-Gresinde-Claire-Élisa- 
beth  Béjart,  sœur  et  non  pas  fille  de  Madeleine  Béjart, 
avec  qui  il  avait  entretenu  une  longue  et  intime  liaison. 
Molière  avait  quarante  ans,  et  sa  femme  dix-sept!  Elle 
était  charmante,  remplie  de  grâces  et  de  talents,  chan- 
tant à  merveille  le  français  et  Titalien  ;  excellente  actrice, 
et  sachant  animer  la  scène  lors  même  qu  elle  ne  faisait 
qu'écouter  ;  mais  d'une  coquetterie  indomptable,  qui  fit 
le  désespoir  et  le  malheur  de  Molière ,  car  il  en  fut , 
jusqu'à  la  fin  de  sa  vie ,  éperdument  amoureux.  Madame 
ou  plutôt  mademoiselle  Molière,  comme  Ton  disait 
alors,  n'était  pas  cependant  une  beauté  accomplie  : 
mademoiselle  Poisson  nous  la  représente  petite,  avec 
une  très-grande  bouche  et  de  très-petits  yeux  (2).  U  est 
vrai  que  mademoiselle  Poisson  était  la  camarade  de 
mademoiselle  Molière^   mais   Molière    a   tracé  de  sa 

(i)  Les  Précieuses  ridicules   sont  de  1659  ;   les   Femmes   savantes  y 
de  167a.  Molière  mourut  au  commencement  de  1673. 

(a)  Lettre  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Molière ,  dans  le  Mercure  de 
mai  1740. 

è 


IX  VIE  DE  MOLIERE. 

ces  haines  vigoureuses 

Que  doit  donner  le  vice  aux  âmes  vertueuses. 

On  sait  comment  il  se  retourna  contre  ses  maîtres 
de  Port-Royal.  Racine  était  dévot  et  courtisan  :  dévot 
sincère ,  je  le  veux  croire  ;  et  courtisan  malhabile , 
cela  est  évident.  En  cette  occasion ,  il  ne  devina  pas  la 
pensée  du  roi.  Louis  XIV  ferma  la  bouche  aux  calom- 
niateurs, en  tenant  sur  les  fonts  de  baptême  le  premier 
enfant  de  Molière  ;  madame  Henriette  fut  la  marraine  (i). 

Louis  XIV  ne  manqua  jamais  T occasion  de  témoigner 
Testime  qu'il  faisait  de  Molière.  Il  Thonorait  d'une  fa- 
miliarité publique;  il  lui  avait  accordé  les  petites  en- 
trées; un  jour  il  le  fit  manger  dans  sa  chambre,  et  dit 
aux  courtisans  survenus  :  «  Vous  me  voyez  occupé  de 
«  faire  manger  Molière ,  que  mes  officiers  ne  trouvent 
«  pas  assez  bonne  compagnie  pour  eux.  »  On  sait  que 
le  roi  avait  dansé  un  rôle  d'Egyptien  dans  le  ballet  du 
Mariage  forcé.  Une  autre  fois  il  tança  vertement  le  duc 
de  la  Feuillade ,  son  impertinent  favori ,  qui  s'était  per- 
mis envers  Molière  un  outrage  brutal.  Enfin ,  Louis  XIV 
aimait  Molière,  cela  soit  dit  à  1  éternel  honneur  de 
l'un  et  de  l'autre;  il  l'aimait  non  par  égoïsme,  comme 
on  Ta  voulu  dire,  et  pour  le  plaisir  d'en  être  flatté.  Si 
la  vanité  du  monarque  eût  seule  inspiré  son  affection, 
on  l'eût  vu  en  montrer  une  pareille  à  Lulli,  à  Racine, 
à  tant  d'autres ,  plus  empressés  courtisans  que  Molière  ; 
et  il  est  certain  que  de  tous  les  grands  hommes  de  ce 
règne  aucun  ne  posséda  au  même  degré  que  Molière 
l'amitié  de  Louis  XIV.  Ne  cherchons  pas  à  rabaisser 

(i)  Le  roi  fut  représente  par  le  duc  de  Créquy ,  premier  gentilhomme 
de  la  chambre ,  ambassadeur  à  Rome  ;  madame  de  Choiseul ,  maréchale 
du  Plessis,  représenta  madame  Henriette.  I/acte  est  du  a8  février  1664  ; 
il  est  rapporté  dans  V Histoire  de  la  vie  et  des  ouvrages  de  Molière ,  par 
M.  J.  l^aschereau ,  3*  édit.,  p.  aS?. 


VIE  DE  MOLIERE.  XXI 

pai'  une  intei*prétation  malYeîllante  le  prix  d'un  noble 
sentiment  :  Louis  XIV  aimait  Molière  en  vertu  de  cette 
sympathie  qui  rapproche  invinciblement  les  grandes 
âmes.  Le  roi  s'est  honoré  en  protégeant  le  poète;  au- 
jourd'hui qu'ils  sont  entrés  l'un  et  l'autre  dans  la  pos- 
térité, les  rôles  sont  intervertis,  et  c'est  la  mémoire  du 
grand  poète  qui  protège  à  son  tour  la  mémoire  du 
grand  roi. 

Le  moment  est  arrivé  où  Molière  va  le  plus  avoir 
besoin  de  l'appui  de  Louis  XTV,  Tourner  en  ridicule 
les  petits  marquis ,  c'était  déjà  passablement  audacieux  ; 
mais  attaquer  les  hypocrites! ...  Nous  allons  voir  Mo- 
lière préluder  au  coup  terrible  qu'il  leur  porta  dans 
Tariufe. 

CHAPITRE  IIL 

Le  Don  Juan  de  Tirso  de  Molina  et  celui  de  Molière.  -^  Fureur  des 
hypocrites  en  Toyant  les  Provinciales  transportées  sur  le  théâtre. 

On  jouait  alors  sur  tous  les  théâtres  de  Paris ,  sans 
en  excepter  celui  des  Marionnettes,  le  Festin  de  Pierre^ 
traduit  ou  imité  de  l'espagnol ,  de  Tirso  de  Molina.  Le 
héros  de  cette  pièce,  don  Juan  Tenorîo,  a  véritable- 
ment existé.  Les  chroniques  de  Séville  en  font  mention  ; 
il  siégeait  parmi  ces  magistrats  ou  administrateurs  pu- 
blics qu'on  appelait  les  vingt-quatre  ;  il  enleva  réelle- 
ment dona  Anna,  et  lui  tua  son  père,  sans  qu'il  (¥lt 
possible  à  la  famille  outragée  d'obtenir  justice.  Les 
franciscains  résolurent  de  délivrer  Séville  d'un  homme 
qui  était  l'effroi  général.  Ils  trouvèrent  moyen,  par 
l'appât  d'un  rendez-vous ,  d'attirer  don  Juan ,  le  soir, 
dans  leur  église,  où  était  enterré  le  commandeur.  Don 
Juan  ne  reparut  jamais.  Les  moines  répandirent  sur  son 


XXII  VIE  DE  MOLIERE. 

compte  cette  terrible  et  merveilleuse  légende ,  qui  est 
devenue  la  source  de  tant  de  poésie. 

Un  religieux  de  la  Merci,  Fray-Gabriel  Tellez,  qui, 
sous  le  nom  de  Tirso  de  Molina,  a  enrichi  la  scène 
espagnole  de  plusieurs  chefs-d  œuvre ,  envisagea  le  su- 
jet de  don  Juan  avec  l'œil  du  génie.  Son  drame  est  pro- 
fondément empreint  d*une  horreur  religieuse.  Les  scè- 
nes de  la  statue  avec  le  débauché,  le  souper  dans  le 
sépulcre  du  commandeur,  sont  de  nature  à  faire  fris- 
sonner un  auditoire  populaire ,  surtout  un  auditoire  es- 
pagnol. Çà  et  là  étincellent  de  grands  traits,  des  mots 
sublimes;  je  n'en  citerai  qu'un.  Dans  la  première  scène 
entre  don  Juan  et  la  statue  du  commandeur,  le  meur- 
trier demande  à  sa  victime  en  quel  état  la  mort  l'a  sur- 
pris, quel  est  son  sort  dans  Vautre  vie,  en  un  mot  s'il 
est  sauvé  ou  damné.  Le  spectre  ne  répond  pas  à  cette 
question  ;  mais  à  la  fin  de  cette  terrible  scène ,  lorsque 
don  Juan  prend  une  bougie  pour  reconduire  le  com- 
mandeur ,  celui-ci  l'arrête ,  et  dit  solennellement  :  «  Ne 
«  m'éclaire  pas  ;  je  suis  en  état  de  grâce  !  »  Quel  mot  ! 
et  comme ,  après  cette  longue  anxiété ,  l'auditoire  catho- 
lique devait  respirer  !  Dans  Molière  la  statue  dit  aussi  : 
«  On  n'a  pas  besoin  de  lumière  quand  on  est  conduit  par 
«  le  ciel.  »  Mais  ici  la  révélation  est  indifférente  et  la  phrase 
sans  portée,  parce  qu'elle  ne  répond  à  rien.  C'est  une 
froide  équivoque  sur  le  mot  lumière ,  une  maxime  aussi 
convenable  dans  la  bouche  d'un  philosophe  que  dans  celle 
d'un  revenant.  Le  don  Juan  espagnol  n'a  donc  que  les 
semblants  de  l'incrédulité  ;  c'est  un  fanfaron  d'athéisme, 
et  il  n'en  est  que  plus  dramatique.  Molière,  pressé  par 
sa  troupe,  qui  voulait  avoir  aussi  son  Festin  de  Pierre^ 
ne  pouvait  accepter  complètement  la  donnée  de  Tirso. 
L'imagination  n'était  pas  le  caractère  du  xvu*  siècle, 
encore  moins  l'imagination  fantastique  :  c'est  la  raison. 


VI£  DE  MOLIERE.  XXIII 

tantôt  austère ,  tantôt  embellie  par  les  charmes  du 
langage,  mais  toujours  la  raison.  Molière  refit  donc  le 
caractère  de  tlon  Juan  ;  c'est  Molière  qui  a  créé  le  don 
Juan  adopté  par  les  arts,  sceptique  universel,  railleur 
de  toutes  choses,  incrédule  en  amour  comme  en  reli- 
gion et  en  médecine,  type  du  vice  élégant  et  spirituel  y 
qui  cependant  intéresse  et  s'élève  à  force  d'orgueil  et 
d'énei^ie,  comme  le  Satan  de  Milton. 

Il  répandit  ainsi  une  couleur  philosophique  sur  sa 
pièce ,  et  y  intercala  deux  scènes  excellentes  :  celle  du 
pauvre  et  celle  de  M.  Dimanche.  La  première  fut  jugée 
trop  hardie ,  et  supprimée  à  la  seconde  représentation  ; 
l'autre  est  d'un  comique  si  parfait  et  si  vrai,  qu'on  n'a 
pas  le  courage  d'observer  qu'elle  est  tout  à  fait  hors  des 
mœurs  espagnoles,  hors  surtout  du  caractère  altier  de 
don  Juan.  Don  Juan  se  transforme  tout  à  coup  ici  en 
un  marquis  de  la  cour  de  Louis  XIV,  contraint  de  ru- 
ser et  de  s'assouplir  devant  un  créancier  importun. 
Mais  M.  Dimanche  et  son  petit  chien  Brusquet  sont  de- 
meurés proverbes. 

Malheureusement  cette  philosophie  et  ces  peintures 
de  la  société  ne  font  que  mettre  mieux  en  relief  Tab- 
surdité  de  la  fantasmagorie  finale.  Au  moins  dans  le 
monde  de  Tirso  tout  est  poétique ,  tout  est  impossible 
depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin ,  actions  et  per- 
sonnages :  il  y  a  unité.  Le  poète  ne  demande  à  son 
spectateur  que  la  foi,  la  foi  aveugle.  Molière  demande 
au  sien  la  foi  et  la  raison  tout  ensemble.  Il  passe 
brusquement  du  monde  réel  et  prosaïque ,  dans  le  do- 
maine de  l'imagination  et  de  la  poésie.  C'est  là  le  vice 
radical  de  sa  pièce  :  aussi  son  malaise  est-il  sensible ,  et 
s'empresse-t-il  de  tourner  court,  lorsqu'après  quatre 
actes  d'une  portée  toute  morale  et  philosophique,  il  lui 
faut  se  servir  d'un  dénoûment  qui    ne  va  qu'aux  idées 


XXIV  VIE  DE  MOLIERE. 

religieuses  de  Tirso.  On  a  hasardé  ces  remarques  pour 
montrer  que  les  plus  admirables  natures  ne  sauraient 
s'affranchir  de  certaines  règles  dictées  par  le  bon  sens 
vulgaire  et  Texpérience.  Cela  n*empéche  pas  que  le  don 
Juan  ne  soit  une  des  plus  fortes  conceptions  de  Mo- 
lière, et  de  celles  qui  font  le  plus  d'honneur  à  son 
génie. 

Ce  don  Juan  a  tous  les  vices.  Remarquez  la  progres- 
sion :  il  est  débauché,  esprit  fort,  impie,  enfin  hypo- 
crite. Lbez,  dans  la  seconde  scène  du  cinquième  acte, 
cette  longue  tirade  de  don  Juan  en  faveur  de  l'hypo- 
crisie :  A  II  n'y  a  plus  de  honte  maintenant  à  cela  :  l'hy- 
«  pocrisie  est  un  vice  à  la  mode,  et  tous  les  vices  à  la 
«  mode  passent  pour  vertus.  La  profession  d'hypocrite 
«  a  de  merveilleux  avantages,  etc....  »  Quelle  vigueur 
de  coloris  !  quelle  verve  !  quelle  éloquence  !  Cléante  n'en 
a  pas  davantage.  <«  O  ciel  !  s*écrie  le  bonhomme  Sgana- 
«  relie ,  qu'entends-je  ici  ?  Il  ne  vous  manquait  plus  que 
«  d'être  hypocrite  pour  vous  achever  de  tout  point  ;  et 
«  voilà  le  comble  des  abominations!  »  Maintenant,  si 
vous  voulez  savoir  à  qui  tout  cela  s'adresse,  tournez 
le  feuillet  :  voyez  dans  la  scène  suivante  don  Juan, 
pressé  par  don  Carlos ,  lui  alléguer,  pour  toute  réponse 
et  toute  explication,  le  ciel,  l'intérêt  du  ciel!  puis, 
lorsque  don  Carlos  poussé  à  bout  fait  entendre  quel- 
ques paroles  de  menaces,  voyez  de  quel  style  don  Juan 
le  provoque  en  duel  :  —  «  Vous  ferez  ce  que  vous  vou- 
«  drez.  Vous  savez  que  je  ne  manque  pas  de  cœur,  et 
«  que  je  sais  me  servir  de  mon  épée  quand  il  le  faut. 
«  Je  m'en  vais  passer  tout  à  l'heure  dans  cette  petite 
«  rue  écartée  qui  mène  au  grand  couvent;  mais  je  vous 
«  déclare,  pour  moi,  que  ce  n'est  point  moi  qui  me 
«  veux  battre  :  le  ciel  m'en  défend  la  pensée  !  et  si  vous 
«  m'attaquez,  nous  verrons  ce  qui  en  arrivera.»  -—N'y 


VIE  DE  MOLIERE.  XXV 

étes-yous  pas  encore  ?  Eh  bien  !  voyez  donc  dans  la 
septième  Provinciale  en  quels  termes,  et  par  quels  arti- 
fices de  direction  d'intention,  le  grand  Hurtado  de  Men- 
doza  autorise  l'acceptation  du  duel,  «  en  se  prome- 
nant armé  dans  un  champ  en  attendant  un  homme, 
sauf  à  se  défendre  si  l'on  est  attaqué...  Et  ainsi  l'on 
ne  pèche  en  aucune  manière,  puisque  ce  n*est  point 
du  tout  accepter  un  duel ,  ayant  l'intention  dirigée  à 
d'autres  circonstances.  Car  l'acceptation  du  duel  con- 
siste en  l'intention  expresse  de  se  battre ,  laquelle  celui- 
ci  n'a  pas.  » 

Il  est  évident  que  Molière,  en  écrivant  la  scène  de 
don  Juan  avec  don  Carlos,  avait  présent  à  la  mémoire 
ce  passage  de  Pascal.  L'allusion  ne  pouvait  échapper  à 
personne.  On  ne  sera  donc  pas  étonné,  connaissant 
ceux  dont  il  s'agit,  que  des  clameurs  furibondes  aient 
accueilli  le  Festin  de  Pierre.  Un  Ubelliste  du  parti  osa 
implorer  hautement  l'autorité  du  roi  contre  un  farceur 
qui  fait  plaisanterie  de  la  religion ,  et  tient  école  de 
libertinage^  contre  ce  monstre  de  Molière  y  qui  est  l^ori" 
ginal  de  don  Juan. 

Leur  rage  s'augmentait  encore  de  la  rumeur  occasionnée 
par  le  Tartufe.  MoUère  n'en  avait  encore  composé  que 
trois  actes,  qui  avaient  été  joués  au  Baincy,  chez  le  duc 
d'Orléans.  Louis  XTV,  assailli  de  toutes  parts,  s'était  icu 
forcé  d'interdire  ces  représentations  jusqu'à  plus  ample 
informé  ;  mais  il  s'empressa  de  dédommager  Molière  en 
accordant  à  sa  troupe  le  titre  de  comédiens  du  roi,  avec 
une  pension  de  sept  mille  livres.  Molière  avait  d'ailleurs 
la  permission  de  lire  tant  qu'il  voulait  Tartufe  dans  les 
sociétés,  et,  dit  Boileau  dans  une  note  de  ses  Satires, 
tout  le  monde  le  voulait  avoir. 

La  guerre  était  déclarée  entre  Molière  et  les  hypo- 
crites. Les  hostilités  furent  suspendues  (de  son  côté,  non 


XXVI  VIE  DE  MOLIERE. 

du  leur)  par  les  représentations  du  Misanthrope^  joué 
le  4  juin  1666.  Molière  avait  alors  quarante  -  quatre 
ans;  son  génie  était  dans  toute  sa  vigueur,  les  chefs- 
d'œuvre  se  succédaient  à  de  courts  intervalles  :  on  vit 
paraître  en  i665  Don  Juan;  en  1666,  le  Misanthrope; 
en  1667,  Tartufe;  en  1668,  rj^are;  sans  compter  les 
petites  pièces  d'un  ordre  inférieur,  r Amour  midecîn^  le 
Médecin  malgré  lui^  la  Princesse  <V Elide^  le  Sicilien^  Mé* 
licerte,  et  la  Pastorale  comique. 


CHAPITRE  IV. 

le  Misanthrope  i  —  critiqué  par  J.  J.  Rousseau.  —  Le  Timon  de 
Shakspeare. 

La  chute  du  Misanthrope  à  la  première  représentation 
est  une  anecdote  reproduite  par  tous  les  commentateurs. 
Ce  n'en  est  pas  moins  une  erreur.  Il  paraît  avéré  que  le 
public  fut  en  effet  la  dupe  du  sonnet  d'Orontej  mais 
que  son  dépit  soit  allé  jusqu'à  faire  tomber  la  pièce,  c'est 
une  de  ces  fables  dont  les  anciens  biographes  de  Mo- 
lière se  sont  plu  à  embellir  leur  récit.  Les  registres  de 
la  Comédie  constatent  que  le  Misanthrope^  seul ,  sans  pe- 
tite pièce  qui  l'accompagnât,  fut  représenté  vingt  et  une 
fois  de  suite ,  succès  extraordinaire  pour  le  temps ,  et 
procura  d'excellentes  recettes. 

J.  J.  Rousseau,  dans  sa  Lettre  à  d Alemhert^  veut  éta- 
blir que  le  théâtre  corrompt  les  mœurs.  Prenons,  dit-il, 
la  meilleure  de  toutes  les  comédies,  la  plus  morale  ;  je 
vous  prouverai  qu'elle  attaque  la  vertu ,  et  il  s'ensuivra 
a  fortiori  que  toutes  les  autres  sont  également  ou  plus 
dangereuses,  corruptrices  et  perverses.  Il  choisit  pour 
cette  expérience  le  Misanthrope.  Pourquoi  pas  Tartufe? 


▼lE  DE  MOLIERE.  XXVII 

C'est  qu'il  eût  fallu  prendre  le  parti  des  hypocrites  con- 
tre la  piété  sincère  ;  et ,  avec  tout  son  talent  pour  le 
paradoxe,  le  citoyen  de  Genève  aurait  pu  s'y  trouver  em- 
barrassé. Au  contraire,  le  Misanthrope  lui  fournit  l'oc- 
casion d'entretenir  le  public  de  lui-même.  Il  s'identifie 
avec  Alceste,  et  peu  s'en  faut  qu'il  ne  regarde  la  pièce 
de  Molière  comme  une  personnalité  contre  Jean-Jac- 
ques. Sa  longue  ai^^umentation  n'est  qu'un  tissu  de  so- 
phismes,  de  contradictions  et  de  puérilités.  Molière  a 
composé  le  Misanthrope  «  pour  faire  rire  aux  dépens  de 
la  vertu,  —  pour  avilir  la  vertu j  »  et  cette  intention, 
Molière  ne  l'a  pas  eue  seulement  dans  le  Misanthrope^ 
mais  le  Misanthrope  «  nous  découvre  la  véritable  vue 
dans  laquelle  Molière  a  composé  tout  son  théâtre.  »  — 
«  On  ne  peut  nier,  dit-il ,  que  le  théâtre  de  Molière  ne 
soit  une  école  de  vices  et  de  mauvaises  moeurs^  plus  dan- 
gereuse que  les  livres  mêmes  où  Ton  fait  profession  de 
les  enseigner.  »  Peut-être,  en  écrivant  ces  dernières  pa- 
roles, la  pensée  de  Rousseau  se  reportait  à  la  Noui^elle 
Hélo'ise,  Qu'il  y  pensât  ou  non ,  la  flétrissure  est  plus 
applicable  à  ce  roman  qu'au  Misanthrope  et  à  tout  le 
théâtre  de  Molière. 

Deux  pages  plus  loin ,  vous  lisez  :  -^  «  Dans  toutes 

les  autres  pièces  de  Molière, on  sent  pour  lui  au 

fond  du  cœur  un  respect...^  etc.  »  Du  respect  pour  un 
professeur  de  vices  et  de  mauvaises  mœurs  !  pour  celui 
qui  tâche  constamment  îJl avilir  la  vertu!  Jean-Jacques 
n'y  pensait  pas  I 

Si  Molière  a  voulu,  dans  le  personnage  d' Alceste | 
avilir  la  vertu,  il  a  bien  mal  réussi^  car  il  n'est  pas 
d'honnête  homme  qui ,  comme  le  duc  de  Montausier, 
ne  îiil  charmé  de  ressembler  au  Misanthrope. 

Le  portrait  que  Rousseau  se  complaît  à  tracer  du  vé- 
ritable Misanthrope  est  évidemment,  dans  son  inten- 


XXVIII  vu  DE  MOLIEBE. 

don,  le  portrait  de  Jean-Jacques,  c'est-à-dire,  de  l'homme 
parfait.  «  Le  tort  de  Molière  est  d'avoir  donné  au  Mi- 
«  santhrope  des  fureurs  puériles  sur  des  sujets  qui  ne 
«  devraient  pas  même  l'émouvoir.  »  Eh  !  Jean-Jacques, 
rappelez-vous  un  peu  la  scène  ridicule  que  vous-même 
TOUS  jouâtes  dans  le  salon  du  baron  d'Holbach ,  lorsque 
le  curé  de  Montchauvet  y  vint  lire  sa  tragédie  de  Bal- 
thazarl  Vous  n'auriez  pas  dû  vous  émouvoir  non  plus 
des  éloges  perfides  donnés  à  cet  autre  Oronte  :  cepen- 
dant vous  vous  mîtes  en  fureur  comme  Alceste,  et  plus 
que  lui  ;  car,  à  partir  de  ce  jour,  vous  rompîtes  avec  vos 
anciens  amis,  et  ne  voulûtes  jamais  les  revoir.  Avouez 
qu' Alceste  est  moins  extrême  et  plus  raisonnable.  Mais 
c'est  justement  en  quoi  il  vous  déplaît.  Vous  vous  plai- 
gnez de  ses  ménagements  envers  Oronte  ;  vous  voudriez 
qu'il  lui  parlât  comme  vous  fîtes  à  l'auteur  de  Baltha- 
zar  :  «  Votre  pièce  ne  vaut  rien ,  votre  discours  est  une 
«  extravagance;  tous  ces  messieurs  se  moquent  de  vous. 
«  Sortez  d'ici,  et  retournez  vicarier  dans  votre  village  (  i  ) .  » 
En  un  mot,  il  aurait  fallu  que  Molière  devinât  Rous- 
seau ,  et  fît  son  apologie  anticipée  en  cinq  actes  ;  qu'au 
lieu  d' Alceste  et  de  Célimène,  il  peignît  Jean-Jacques  et 
Thérèse.  C'est  peut-être  exiger  beaucoup. 

Shakspeare  a  fait,  dans  Timon  d'Athènes ,  un  misan- 
thrope selon  le  cœur  et  le  goût  de  Rousseau.  Il  nous 
montre  d'abord  Timon  dans  son  palais,  environné  de 
luxe  et  d'un  peuple  de  faux  amis.  Timon,  ayant  fini 
par  les  apprécier,  les  invite  à  un  grand  festin.  On  sert 
sur  la  table  quantité  de  plats ,  tous  remplis  d'eau  et  de 
fumée.  Tout  à  coup  Timon  se  lève,  les  convives  croient 
que  c'est  pour  découper;  point  du  tout!  il  leur  jette  les 
plats  à  la  tête,  en  criant  :  «  Fatale  maison,  que  le  feu 

(i)  Mémoire*  de  Tabbé  Morellet,  xi,  37  x. 


VIB  DE  MOUERB.  XXI^ 

«»  te  consume  !  Péris,  Athènes,  péris  ;  et  que  désormais 
«  Thomme  et  tout  ce  qui  a  la  figure  humaine  soit  haï 
«  de  Timon  !  »  Ce  disant,  il  se  sauve  au  fond  des  bois, 
et  plante  là  ses  convives ,  fort  mal  édifiés. 

Dans  la  forêt,  Timon  rencontre  un  philosophe  de  son 
espèce.  Ils  ont  ensemble  une  longue  scène.  Timon  dit 
à  Âpémantus  :  «  Tu  es  trop  sale  pour  qu'on  te  crache 
«  au  visage;  que  la  peste  t' étouffe!  —  Apéhiantus.  To 
«  es  trop  vil  pour  qu  on  te  maudisse.  —  Timow.  Hors 
«  d*ici,  enfant  d'un  chien  galeux.  La  colère  me  trans- 
«  porte  de  te  voir  vivant.  Ta  vue  me  soulève  le  cœur. 
«  —  Apémantus.  Je  voudrais  te  voir  crever.  —  Timou, 
«  Hors  d'ici ,  ennuyeux  importun.  Je  ne  veux  pas  per- 
«  dre  une  pierre  après  toi.  —  Apebiaihtus.  Bête  sau- 
«  vage!  —  Timon.  Esclave!  —  Apémantus.  Crapaud! 
«  —  Timon.  Coquin!  coquin!  coquin  (i)!...  »  M.  W. 
A.  Schlegel  appelle  cela  une  scène  incomparable  (a); 
mais  il  trouve  le  Misanthrope  de  Molière,  sinon  tout  à 
fait  mauvais,  au  moins  bien  médiocre  ! 

Il  est  clair  que  le  Timon  de  Shakspeare  a  le  cerveau 
dérangé  ;  dès  lors  ce  qu'il  dit  comme  ce  qu'il  fait  est 
sans  portée  morale.  Âlceste,  au  contraire,  est  assez  sage 
pour  se  juger  lui-même  intérieurement  :  la  preuve,  c'est 
qu'avec  Oronte,  comme  dans  la  scène  des  portraits ,  il 
fait  des  efforts  inouïs  pour  se  contenir,  et  ne  s'échappe 
que  poussé  à  bout.  Tout  leffet  comique  et  l'effet  mo- 
ral du  rôle  consistent  dans  ce  tempérament  de  carac- 
tère. 

Mais  le  coup  de  maître  est  d'avoir  fait  Alceste  amou- 
reux, d'avoir  courbé  cette  âme  indomptée  sous  le  joug 

(i)  Acterv,icène3. 

(2)  Cours  de  littérature  dramatique  ,  tome  xn»  page  90. 


tXX  Vn  DE  MOLlinftE. 

de  la  passion,  et  montre  par  là  surtout  que  le  plus  sage 
ne  peut  être  complètement  sage, 

Et  que  dam  toos  lei  cœurs  il  est  toujours  de  ThoBUDe. 

Ce  vers  renferme  toute  la  pièce. 

Ayant  Molière ,  on  n'avait  présenté  l'amoiu*  sur  la 
scène  qu'à  l'espagnole,  c'est-à-dire,  comme  une  vertu 
héroïque  qui  grandit  les  personnages.  C'est  ainsi  que 
Corneille  l'a  employé  dans  le  Cid^  dans  Cinna^  partout. 
Molière  le  premier,  d'après  sa  triste  expérience,  a  peint 
Tamour  comme  une  faiblesse  d'un  grand  cœur.  De  là 
des  luttes  qui  peuvent  s'élever  jusqu'au  tragique  ;  et  Mo- 
Kère  y  touche  dans  la  scène  du  billet  :  Ah!  ne plaisan- 
tetpas  ;  il  n* est  pas  temps  de  rire^  etc. 

Racine  tira  de  cette  admirable  scène  une  importante 
leçon.  Il  n'avait  encore  donné  que  la  Thébaîde  et  Alexan- 
dre^ et,  dans  ces  deux  pièces,  il  avait  traité  l'amour  sui- 
vant le  procédé  de  Corneille  ;  mais ,  après  avoir  vu  le 
Misanthrope^  il  rompit  sans  retour  avec  l'amour  roma- 
nesque, et  abandonna  la  convention  pour  la  nature,  que 
Molière  lui  avait  fait  sentir.  Un  an  juste  après  le  Mi^ 
mnthrope  parut  Andromaque^  qui  commence  l'ère  véri- 
table du  génie  de  Racine.  Il  y  a  plus  :  la  position  de 
Pyrrhus  et  d'Hermione  n  est  pas  sans  analogie  avec  celle 
d'Alceste  et  de  Célimène.  Quand  Voltaire  dit,  «  C'est 
peut-être  à  Molière  que  nous  devons  Racine,  »  il  ne 
songeait  qu'aux  encouragements  pécuniaires  (i)  et  aux 
conseils  dont  le  premier  aida  le  second;  mais  ce  mot 
peut  encore  être  vrai  dans  un  sens  plus  étendu* 

(x)  Racine,  arrivant  d'Uzès,  vinl  soumettre  à  Molière  son  premier  essai 
de  tragédie,  Théagène  et  CluuricUe;  Molière  lui  donna  cent  louis,  et  le 
sujet  de  la  Thebakit:. 


VIE  DE  HOUEBE.  XXXI 

CHAPITRE  V. 

Tarhtfe, 

Beaucoup  de  critiques  d'une  autorité  imposante  ont 
proclamé  le  Misanthrope  le  chef-d'œuvre  de  la  scène 
française  :  on  prend  ici  la  liberté  de  n'être  pas  de  leur 
avis.  Quelque  prodigieuse  que  soit  cette  œuvre ,  où  Mo- 
lière s'était  fait  comme  à  plaisir  un  sujet  stérile  et  dé- 
nué d'action  pour  triompher  ensuite  des  obstacles,  7a/-- 
tufe^  soit  que  l'on  considère  le  mérite  de  la  difficulté 
vaincue,  la  perfection  du  style,  ou  la  hauteur  du  but 
et  l'importance  du  résultat,  me  paraît  l'emporter  sur 
le  Misanthrope,  Prenez-le  philosophiquement,  prenez-le 
au  point  de  vue  dramatique  ou  au  point  de  vue  pure- 
ment littéraire ,  Tartufe  est  le  dernier  effort  du  génie. 

Quelle  admirable  combinaison  de  caractères!  Deux 
morales  sont  mises  en  présence  :  la  vraie  piété  se  per- 
sonnifie dans  Cléante,  l'hypocrisie  dans  Tartufe.  Cléante 
est  la  ligne  inflexible  tendue  à  travers  la  pièce  pour  sé- 
parer le  bien  du  mal,  le  faux  du  vrai.  Orgon,  c'est  la 
multitude  de  bonne  foi ,  faible  et  crédule ,  livrée  au 
premier  charlatan  venu,  extrême  et  emportée  dans  ses 
résolutions  comme  dans  ses  préjugés.  Le  fond  du  drame 
repose  sur  ces  trois  personnages.  A  côté  d'eux  parais- 
sent les  aimables  figures  de  Marianne  et  de  Valère;  la 
piquante  et  malicieuse  Dorine,  chargée  de  représenter 
le  bon  sens  du  peuple,  comme  madame  Pemelle  en  re- 
présente rentêtement;  Damis,  Tardeur  juvénile  qui,  s'é- 
lançant  vers  le  bien  et  la  justice  avec  une  impétuosité 
aveugle,  se  brise  contre  l'impassibilité  calculée  de  l'im- 
posteur; Elmire  enfin,  toute  chiu*mante  de  décence, 
quoiqu'elle  aille  vêtue  ainsi  qu^une  princesse.  Quelle  ha- 


IXUI  VUE  DE  MOLIÈRE. 

bileté  dans  cette  demi-teinte  du  caractère  d'Elmire ,  de 
la  jeune  femme  unie  à  un  vieillard  !  Si  Molière  Teut  faite 
passionnée,  tout  le  reste  devenait  à  l'instant  impossible 
ou  invraisemblable  :  la  résistance  d'Elmire  perdait  de 
son  mérite;  Elmire  était  obligée  de  s'offenser,  de  se  ré- 
crier, de  se  plaindre  à  Orgon.  Point  : 

Une  femme  se  rit  de  loUises  ptreilles, 

Et  jamais  d*un  mari  n'en  trouble  les  oreilles. 

Elle  n'éprouve  pour  Tartufe  pas  plus  de  haine  que 
de  sympathie  ;  elle  le  méprbe,  c'est  tout.  Ce  sang-froid 
était  indispensable  pour  arriver  à  démasquer  l'imposteur. 
Elmire  nous  prouve  quels  sont  les  avantages  d'une  hon- 
nête femme  qui  demeure  insensible  sur  la  passion  du 
plus  rusé  des  hommes,  de  Tartufe.  Amour ^  Amour ^ 
quand  iu  nous  tiens  l s'écrie  le  fabuliste. 

Il  n'est  pas  jusqu'à  M.  Loyal  qui  ne  soit  utile  au  ta- 
bleau. M.  Loyal,  tout  con6t  en  patelinage,  en  bénignité 
doucereuse  et  dévote,  est  un  reflet  de  ce  bon  M.  Tar- 
tufe. Gageons  que  M.  Tartufe  a  été  son  directeur  ?  Der- 
rière M.  Loyal,  j'aperçois  Laurent  :  Laurent^  serrez  ma 
haire  auec  ma  discipline.  C'est  une  perspective  d'hypo- 
crisie à  perte  de  vue.  Molière  fait  entrevoir  à  quelle  pro- 
fondeur s'étendent  les  ramifications  de  la  société^  conmie 
dit  Pascal,  de  la  cabale^  comme  l'appelle  Cléante. 

Tartufe  parut  dans  un  moment  de  crise.  Aux  guer- 
res de  la  Fronde  avaient  succédé  les  querelles  religieuses. 
Deux  sectes  célèbres  étaient  en  lutte  :  Jansénius,  accusé 
de  schisme  et  d'hérésie;  Molina,  de  relâchement  et  d'am- 
bition. La  morale  de  Port-Royal  était  austère  avec  sin- 
cérité ,  peut-être  même  avec  excès  ;  la  morale  des  jé- 
suites, au  fond  relâchée  et  sophistiquée  ^  n'avait  de  la 
sévérité  que  les  apparences.  De  quel  côté  pencherait  un 
jeune  roi,  emporté  par  le  goût  des  voluptés  ?  L'éducation 
qu'il  avait  reçue  de  Mazarin  n'était  pas  rassurante.  Par 


VIE   DE  MOLIERE.  XXXIII 

les  soins  d'une  politique  corrompue ,  Louis  XIV  avait 
été  élevé  tlans  un  oubli  complet  de  ses  devoirs,  mais 
dans  riiabitude  de  toutes  les  pratiques  extérieures  de  la 
religion.  Livré  à  l'ignorance  et  à  ses  passions,  un  moyen 
naturel  s'offrait  à  lui  de  tout  concilier,  de  satisfaire  à  Ta 
fois  la  vieille  cour  et  la  nouvelle  :  Thypocrisie  lui  ten- 
dait les  bras,  il  n'avait  qu'à  s'y  jeter.  En  ce  péril,  Mo- 
lière se  dévoua  pour  sauver  le  roi  et  la  nation.  Le  (comé- 
dien entreprit  de  démasquer  publiquement  l'hypocrisie , 
à  la  veille  peut-être  de  monter  sur  le  trône  ;  il  résolut 
d'éclairer  cette  hideuse  figure  d'une  telle  lumière ,  qu'elle 
fît  naître  en  même  temps  l'effroi,  le  dégoût,  et  l'envie 
de  rire.  Quel  problème  d'art!  Car  il  n'est  peut-être  pas, 
l'ingrat  excepté,  un  seul  caractère  plus  opposé  que  ce- 
lui de  l'hypocrite  aux  mœurs  de  la  comédie  ;  et  Tingiat 
et  l'hypocrite  sont  réunis  dans  le  Tartufe. 

L'audace  vertueuse  de  Molière  n'eut  peur  de  rien,  ne 
déguisa  rien.  Lorsque  Cléante  presse  Tartufe  de  re- 
mettre en  glace  Damis  avec  son  père,  et  lui  rappelle  que 
la  religion  prescrit  le  pardon  des  injures ,  Tartufe 
échappe  à  l'argument  par  la  direction  d'intention  :  Hé- 
las! je  le  voudrais^  quant  à  moij  de  bon  cœur^  etc.  La 
même  théorie  lui  fournit  un  prétexte  pour  enlever  à  un 
fils  son  héritage  :  c'est  de  peur  que  tout  ce  bien  ne  tombe 
en  de  mècliatites  mains.  Vous  retrouvez  la  maxime  fa- 
vorite de  Loyola  :  La  fin  justifie  les  moyens.  Quand  El- 
mire  oppose  le  ciel  aux  vœux  de  Tartufe  :  Si  ce  n'est 
que  le  ciel!  répond-il.  Et  tout  de  suite  il  lui  développe 
cette  précieuse  doctrine  de  la  direction  d'intention  : 

Selon  divers  besoins ,  il  est  une  science 
D'étendre  les  liens  de  notre  conscience, 
Et  de  rectifier  le  mal  de  l'action 
Atcc  la  pureté  de  notre  intention. 

11  semble  qu'on  lise  la  neuvième  Provinciale ,  fortifiée 


UXnr  YtE  DE  MOLIÈAE. 

du  charme  d'une  versification  nerveuse  et  facile.  Et 
pourquoi  Orgon  a-^il  confié  aux  mains  de  Tartufe  la 
cassette  compromettante  d'Argas?  Il  vous  le  dit  :  c'est 
par  suite  de  la  doctrine  des  restrictions  mentales , 

Afin  que  pour  nier,  en  cas  de  quelque  enquête  , 
J*eusse  d'un  faux -fuyant  la  faveur  toute  prèle , 
Par  où  ma  conscience  eût  pleine  sûreté 
A  faire  des  fermenta  contre  la  vérité. 

Oi^on  n'a  point  à  se  plaindre  :  il  est  puni  par  où  il 
a  péché.  La  société  humaine  ne  subsiste  que  par  la 
bonne  foi  :  donc  l'hypocrisie  attaque  la  société  dans  sa 
base.  C'est  la  moralité  évidente  de  la  pièce. 

Ensuite  Molière  fait  appel  à  tous  les  nobles  instincts 
de  la  grande  âme  de  Louis  XIV  ;  il  sollicite  son  amour 
de  la  gloire  et  de  la  louange.  Au  dénoi^ment,  cet  éloge 
du  roi,  que  Voltaire  a  blâmé  comme  un  hors-d'œu- 
vre  (i),  est  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  adroit  et  de  plus 
équitable.  Adroit,  en  ce  que  le  conseil  se  glisse  sous  la 
forme  de  la  louange,  et  que  le  poète,  par  de  fines  allu- 
sions, lie,  pour  aitisi  dire,  le  monarque,  et  lui  fait  con- 
tracter l'obligation  de  réprimer  l'hypocrisie  et  de  châ- 
tier les  hypocrites.  Équitable;  sans  Louis  XIV  est-ce 
que  Tartufe  eût  jamais  été  représenté  .►*  Et  qui  sauva 
Molière  en  butte  aux  saintes  fureurs  de  ceux  qu'il  dé- 
voilait.^ Contre  ce  torrent  d'injures,  d'anathèmes,  d'in- 
trigues, de  libelles,  quel  autre  bras  s'opposa  que  le  bras 
de  Louis  XIV  ?  quel  autre  s'y  fût  opposé  efficacement  ? 
Une  reconnaissance  légitime,  une  affection  réciproque 
excuserait  encore  Molière ,  s'il  se  fi^t  avancé  trop  loin  ; 
mais  Molière  n'a  pas  besoin  d'excuse  :  il  n'a  jamais 
loué  dans  Louis  XIV  que  ce  qui  était  louable. 

Aujourd'hui  que  le  retour  des  mêmes  intérêts  nous 

,    (i)  Voyei  dans  (e  Lexique  Tarticle  il. 


YIB  DE  MOLIEHK.  XXXV 

fait  assister  aux  mêmes  Tiolences,  il  est  encore  impos- 
sible de  se  figm-er  jusqu'où  fut  porté  le  rléclminement 
contre  Tauteur  du  Tartufe,  Un  curé  de  Paris  publia 
un  libelle  où  il  appelle  Molière  «  im  démon  vêtu  de 
«  chair,  habillé  en  homme;  un  libertin,  un  impie  di- 

•  gne  d'être  brûlé  publiquement,  »  Il  serait  dommage 
que  la  postérité  ne  sût  pas  le  nom  de  ce  bon  prêtre  ; 
elle  en  aura  Tobligation  à  M.  J.  Taschereau,  qui  a  dé- 
couTert  qu'il  se  nommait  Pierre  Roullès,  curé  de  Saint- 
Barthélémy  ;  digne ,  comme  on  voit ,  de  desservir  Tau- 
tel  placé  sous  cette  invoaition  sinistre. 

L'archevêque  de  Paris,  Harlay  de  Champvallon ,  prê- 
tre indigne ,  dont  les  mœurs  dissolues  déshonoraient 
publiquement  le  sacerdoce ,  donna  un  mandement  dans 
lequel  il  excommunie  quiconque  lirait  ou  verrait  jouer 
Tartufe^  en  quoi  il  faut  avouer  qu'il  agit  moins  par  res- 
sentiment personnel  que  par  esprit  de  corps,  car  il  ne 
se  donnait  même  pas  la  peine  d'être  hypocrite.  C'est  de 
lui  que  Fénelon  écrivait  à  Louis  XIV  :  «  Vous  avez  un 
«  archevêque  corrompu,  scandaleux,  incorrigible,  faux, 
«  malin,  artificieux ,  ennemi  de  toute  vertu  ,  et  qui  fait 
«  gémir  tous  les  gens  de  bien.  Vous  vous  en  accommo- 

•  dez,  parce  qu'il  ne  songe  qu'à  vous  plaire  par  ses  ilat* 

•  teries.  Il  y  a  plus  de  vingt  ans  qu'en  prostituant  son 
«  honneur,  il  jouit  de  votre  confiance.  Vous  lui  livrez 
«  les  gens  de  bien,  et  lui  laissez  tyranniser  l'Eglise  (i).  » 
Voilà  le  saint  personnage  qui  lance  l'anathème  contre 
Molière,  parce  que  sa  comédie ,  «  sous  prétexte  de  con- 
«  damner  la  fausse  dévotion  et  l'hypocrisie,  donne  lieu 
«  d'en  accuser  ceux  qui  font  profession  de  la  plus  su- 
«  lide  piété,  et  les  expose  aux  railleries  des  libertins.  » 
Le  père  Bourdaloue  ne  rougit  pas  de  prêcher  en  chaire 

(x)  Letlre  de  Féoebm  a  Louit  XiVy  p.  3a ,  éd.  de  M.  Renouard. 


XXXVI  VIE  DE  MOLIERE. 

contre  Molière,  ce  qui  revient  à  prendre  en  main  la 
cause  de  Tartufe  et  de  ses  pareils.  L'argument  du  jé- 
suite est  celui  de  larchevêque  :  «  Comme  la  véritable 
«  et  la  fausse  dévotion  ont  un  grand  nombre  d'actions 
«  qui  leur  sont  communes,  et  comme  les  dehors  de 
«  Tune  et  de  l'autre  sont  presque  tout  semblables,  les 
«  traits  dont  on  peint  celle-ci  défigurent  celle-là  (i).  »> 

Nullement.  Molière,  qui  avait  prévu  et  ce  danger  et 
ce  reproche,  s'est  appliqué  à  les  éviter,  en  traçant  avec 
un  soin  religieux  la  ligne  de  démarcation  entre  le  vrai 
et  le  faux  zèle.  C'est  là,  je  le  répète,  le  but  principal  de 
ce  rôle  éloquent  de  Cléante.  Mais  on  veut  l'ignorer,  pour 
se  ménager  un  prétexte  de  déclamations,  et  se  livrer  à 
son  aise  à  des  alarmes  affectées. 

Ainsi  voilà,  par  le  raisonnement  de  Bourdaloue,  la 
plus  cruelle  ennemie  de  la  piété ,  l'hypocrisie ,  rendue 
inviolable  au  nom  de  la  religion!  11  faudra,  suivant 
Bourdaloue,  ne  toucher  à  aucun  abus,  de  peur  de  nuire 
à  l'usage,  et  respecter  le  mensonge  par  égard  pour  la  vé- 
rité !  Désormais  le  sanctuaire  abritera  au  même  titre  les 
saints  confondus  avec  les  impies,  ou  plutôt  les  impies  se- 
ront ceux  qui  tâchent  de  discerner  les  boucs  des  bre- 
bis, le  crime  de  la  vertu,  l'hypocrisie  de  la  piété  !  Parce 
qu'il  y  a  des  hommes  qui  aiment  Dieu  et  veulent  faire 
prospérer  son  culte,  il  faut  assurer,  non-seulement  l'im- 
punité, mais  les  honneurs  de  la  veitu  à  ceux  dont  la 
conduite  ferait  détester  la  religion,  et  tend  à  la  ruine  du 
culte!  C'est  pourtant  là  l'ai^ument  unique  que,  depuis 
un  siècle  et  demi,  l'on  veut  faire  prévaloir  contre  la  co- 
médie de  Molière  et  les  adversaires  de  la  tartuferie! 
Combien  plus  sensé  et  plus  judicieux  est  celui  qui  écrit  : 
-—  «  L'hypocrite  est  le  plus  dangereux  des  méchants ,  la 

(i)  Sermon  pour  le  leptièaie  dimanche  après  Paquet. 


VIE  DE  MOLIERE.  XXXVII 

«  fausse  piété  étant  cause  que  les  hommes  n'osent  plus  se 
«  fiera  la  véritable.  Les  hypocrites  souffrent  dans  les  en- 
>  fers  des  peines  plus  cruelles  que  les  enfants  qui  ont 
«  égorgé  leurs  pères  et  leurs  mères,  que  les  épouses  qui 
«  ont  trempé  leurs  mains  dans  le  sang  de  leurs  époux , 
c  que  les  traîtres  qui  ont  livré  leur  patrie  après  avoir  violé 
«  tous  leurs  serments.  »  —  Je  reconnais  le  langage  d'un 
honnête  homme  et  d*un  chrétien  :  c'est  celui  de  Féne- 
Ion  (i). 

Aussi  Fénelon  prit-il  ouvertement  le  parti  de  Molière 
et  de  sa  comédie.  Il  n'hésita  point  à  blâmer  tout  haut 
la  sortie  de  Bourdaloue  :  «  Bourdaloue ,  disait-il ,  n'est 
*  point  Tartufe;  mais  ses  ennemis  diront  qu'il  est  jé- 
«  suite  (a).  »  Le  mot  est  dur  pour  les  jésuites. 

On  vit  alors  ce  qui  s'est  renouvelé  depuis,  la  violence 
avec  les  dévots  agresseurs,  et  la  modération  avec  les  laï- 
ques offensés.  Molière  ne  répondit  que  par  ses  Placets 
au  roi,  et  peut-être  par  la  Lettre  sur  l* Imposteur j  où 
brille  une  si  profonde  entente  de  la  scène,  qu'il  est  per- 
mis de  la  lui  attribuer,  malgré  les  incorrections  proba- 
blement préméditées  d'un  style  qui  se  déguise. 

Tartufe  obtint  un  succès  immense.  Il  est  humiliant 
pour  l'esprit  humain  que  la  Femme  juge  et  partie  l'ait 
contre-balancé  par  un  succès  égal,  et  que  Montfleury 
ait  brillé  un  instant  au  niveau  de  Molière.  Ces  égare- 
ments de  l'opinion  publique  ne  durent  pas.  L'unique 
suffrage  littéraire  qui  ait  manqué  au  Tartufe ,  est  celui 
de  la  Bruyère  ;  mais,  tandis  que  Tartufe  soulève  encore 
d'implacables  ressentiments  ,  l'Onuphre  de  la  Bruyère 
n'a  jamais  offensé  personne. 

Qui  ne  connaît  l'anecdote  de  Molière  notifiant  au  pu- 
blic la  défense  qu'il  venait  de  recevoir  de  représenter 

(x)  Télémaque ,  livre  iviii.  —  (a)  D'Alimbkrt,  Etogê  de  Pêndon, 


XIIVIII  VIE  DE  MOLIEBB. 

Tartufe  P  M.  le  premier  président  ne  veut  pas  qu^on 
le  joue.  Le  fait  est  aussi  faux  qu'il  est  accrédité.  Sous 
un  roi  comme  Louis  XIV,  une  plaisanterie  si  déplacée, 
un  fti  grossier  outrage  lancé  publiquement  par  un  co* 
médien  contre  un  magistrat,  contre  Tillustre  Lamoi- 
gnon,  ne  fût  certainement  pas  resté  impuni:  Molière, 
aimé  de  Louis  XIV,  était  d  ailleurs  Thomme  de  France 
le  plus  incapable  de  blesser  à  ce  point  les  convenances, 
sans  parler  des  égards  qu'il  devait  à  Boileau,  honoré  de 
rintimité  de  M.  de  Lamoignon.  Ce  conte,  beaucoup 
plus  vieux  que  Molière,  a  été  ramassé  dans  les  Anas 
espagnols,  qui  attribuent  ce  mot  à  Lope  ou  à  Calde- 
ron,  au  sujet  d'une  comédie  de  V Alcade  :  L* alcade  ne 
veut  pas  quon  le  joue.  Quelqu'un  a  trouvé  spirituel  de 
transporter  cette  facétie  à  Molière,  et  l'invention  a  fait 
fortune.  La  biographie  des  grands  hommes  est  remplie 
de  ces  impertinences  :  c'est  le  devoir  de  la  critique  de 
les  signaler,  et  d'en  obtenir  justice. 


CHAPITRE  VI. 

Amphitryon,  George  Dandin  ^  V Avare.  —  Les  farces  de  Molière.  — 
Ses  derniers  ouvrages. 

Amphitryon^  George  Dandin,  VAifare^  parurent  Tan- 
née suivante.  De  ces  trois  comédies,  les  deux  premières 
ont  encouru  le  reproche  d'immoralité,  et,  toujours  em- 
porté par  son  amour  du  paradoxe,  Jean  Jacques  ne  Ta 
pas  épargné  même  à  la  troisième,  à  cause  d'un  mot: 
«  Je  nai  que  faire  de  vos  dons,  »  Cette  ironie  de 
Cléante  est  criminelle ,  d'accord  ;  Molière  l'entend  bien 
ainsi  ;  il  veut  montrer  comment  un  père  avare  amène 
son  fils  à  lui  manquer  de  respect.  Personne  ne  peut  s'y 
méprendre.  S'il  était  dit  sérieusement,  c'est  alors  que  le 


VIE  DE  MOLIERE.  XXXIX 

mot  serait  immoral.  Cest  ce  que  M.  Saint-Marc  Girardin 
fait  toucher  avec  autant  de  bon  sens  que  de  finesse ,  en 
trsiduisant  Je  n  ai  que  faire  de  vos  dons  en  style  du 
drame  moderne  :  «  Harpagon.  Je  te  maudis  !  Cléantb 
(grattement).  Vous  n  en  avez  plus  le  droit.  Maudire,  cela 
est  d*un  père;  vous  êtes  mon  rival.  Maudire,  cela  est 
d'un  prêtre  ;  mais  oii  sont  en  vous  les  signes  du  prêtre, 
la  colère  vaincue  et  les  passions  domptées  P  Vous  n'êtes 
ni  père  ni  prêtre  :  (avec  solennité  et  intention)  je  n'acs* 

CEPTE  PAS  VOTRE  MALEDICTION  !    » 

«  Quel  est,  demande  ensuite  M.  Saint-Marc  Girardin^ 
quel  est  de  ces  deux  mots  le  plus  corrupteur  ?  Lequel 
met  le  plus  en  discussion  le  mystère  de  Tautorité  pater- 
nelle ?  »   (Cours  de  littérature  dramatique ,  page  3a5.) 

Dans  jimphitrjron  ,  Téloignement  des  temps ,  des 
lieux,  la  différence  des  mœurs  grecques  avec  les  nôtres , 
Tintervention  des  personnages  mythologiques,  la  ba- 
nalité d'une  légende  connue  même  des  enfants  ,  mille 
circonstances,  écartent  le  danger.  Amphitryon  est  une 
étude  d'après  l'antique,  et  n'est  pas  plus  immoral  que 
la  Diane  chasseresse  ou  l'Apollon  du  Belvédère  ne  sont 
indécents. 

George  Dandin ,  c'est  autre  chose  :  «  La  coquet* 
«  terie  de  la  femme ,  dit  Voltaire ,  n'est  que  la  pu- 
«  nition  de  la  sottise  que  fait  George  Dandin  d'épou- 
«  ser  la  fille  d'un  gentilhomme  ridicule.  »  Soit;  mais,  en 
attendant,  le  vice  d'Angélique  joue  le  rôle  avantageux, 
il  triomphe,  et  les  conséquences  de  ce  vice  sont  plus 
funestes  à  la  société  que  celles  de  la  sottise  de  George 
Dandin.  Toutefois,  ce  n'est  pas  à  Rousseau  à  se  plaindre 
et  à  déclamer  si  haut;  car  la  récrimination  serait  facile 
contre  lui.  L'adultère  de  madame  de  Wolmar  est  d'un 
pire  exemple  que  celui  d'Angélique.  Le  vice  d'Angéli- 
que n'est  que  spirituel;  dans  Julie,  il  est  intéressant, 


IL  VIE   DE  MOLIERE. 

eniiol)li  par  la  passion  ;  il  emprunte  les  ilt^hors  de  la 
vertu ,  tout  au  plus  est-il  présenté  comme  une  faiblesse 
rachetable.  On  ne  peut  s'empêcher  de  mépriser  Angé- 
lique ;  mais  Rousseau  prétend  faire  estimer  Julie ,  Ju- 
lie qui  na  pas,  comme  Angélique,  Texcuse  d'un  mari 
sot,  d'un  George  Dandin.  Enfin,  quand  on  a  ri  à  la 
comédie  de  Molière,  toutes  les  conséquences,  ou  à  peu 
près,  en  sont  épuisées,  il  n'en  reste  guère  de  trace;  au 
contraire,  la  Nouvelle  Héloïse  a  fondé  cette  école  de 
l'adultère  sentimental,  qui ,  de  nos  jours,  a  envahi  le  ro- 
man ,  le  théâtre ,  et  jusqu'à  certaines  théories  philoso- 
phiques. 

Mais  George  Dandin  offre  aussi  son  côté  moral.  Les 
bourgeois,  en  1668,  sont  pris  d'une  manie  qui  va  de- 
venir épidémique  :  ils  veulent  sortir  de  leur  sphère , 
monter,  contracter  de  grandes  alliances  et  de  grandes 
amitiés;  ils  se  hissent  sur  leur  coffre-fort  pour  attein- 
dre jusqu'à  l'aristocratie  et  s'y  mêler.  De  son  côté,  l'a- 
ristocratie est  fort  disposée  à  se  baisser,  à  descendre,  à 
se  mêler  familièrement  aux  bourgeois  pour  puiser  dans 
leur  caisse,  tout  en  raillant  et  en  méprisant  ceux  qu'elle 
pressure.  La  roture  opulente  j)assant  un  marché  avec  la 
noblesse  besoigneuse,  cette  donnée  qui  a  défravé  tout 
le  théâtre  de  Dancourl  et  quelques-unes  des  meilleures 
comédies  du  dix-hutième  siècle,  c'est  Molière  qui  le  pre- 
mier l'a  trouvée.  Molière,  avant  le  Sage  et  d'Allainval, 
a  châtié  la  sotte  vanité  des  ims  et  la  cupidité  avilissante 
des  autres.  George  Dandin  et  M.  Jourdain  sont  les  ty- 
pes du  ridicule  des  bourgeois,  et  le  marquis  Dorante 
personnifie  la  bassesse  de  certains  gentilshommes  d'a- 
lors. Seulement  M.  Jourdain  possède  un  travers  de  plus 
que  le  rustique  Dandin  :  à  l'ambition  de  la  noblesse,  il 
joint  cflle  des  belles  manières  et  du  savoir.  Molière  sem- 
ble l'avoir  créé  tout  exprès  pour  servir  de  preuve  et  de 


VIE  DE  MOLIÈRE.  XLI 

commentaire  à  la  pensée  de  Montaigne  :  «  La  sotte  chose 
«  qu*un  vieillard  abécédaire!  on  peut  continuer  en  tout 
■  temps  Testude,  mais  non  pas  Tescholage.  »  Les  trois 
premiers  actes  du  Bourgeois  gentilhomme  égalent  ce  que 
Molière  a  produit  de  meilleur  :  quel  dommage  que  T im- 
patience et  les  ordres  de  Louis  XIV  aient  précipité  les 
deux  derniers  dans  la  farce  !  Au  reste,  cette  farce  joyeuse 
n'est  pas  si  loiti  de  la  vérité  qu'elle  le  paraît.  L'abbé  de 
Saint-Martin ,  célèbre  dans  ce  temps-là,  justifie  la  récep- 
tion du  Mamamouchi  :  on  lui  fit  accroire  que  le  roi  de 
Siam  l'avait  créé  mandarin  et  marquis  de  Miskou,  et  il 
apposa  sa  signature  à  ces  deux  diplômes  (i).  Molière 
n'est  jamais  sorti  de  la  nature  ;  ce  n'est  pas  sa  faute  si 
le  vrai  n'est  pas  toujours  vraisemblable. 

Ceux  qui  cultivent  les  lettres  ou  les  arts  ont  souvent 
à  lutter  contre  des  préjugés  et  des  obstacles  dont  la  pos- 
térité ne  peut  se  faire  d'idée.  Croirait-on,  par  exemple, 
que  l'emploi  de  la  prose ,  dans  une  comédie  de  carac- 
tère en  cinq  actes,  compromit  gravement  le  succès  de 
V Avare?  Le  témoignage  des  contemporains,  en  particu- 
lier de  Grimarest,  confirmé  par  Voltaire,  ne  permet  pas 
d'en  douter.  Quant  aux  inculpations  plus  graves  de 
Rousseau,  Marmontel  y  a  répondu  ;  et  un  sens  droit,  à 
défaut  de  Marmontel,  en  eût  fait  justice.  J'aime  mieux 
invoquer  en  faveur  de  la  comédie  de  Molière  le  mot 
connu  d'un  confrère  d'Harpagon  :  «  Il  y  a  beaucoup  à 
«  profiter  dans  cette  pièce  :  on  y  peut  prendre  Xexcel- 
«  lentes  leçons  d^économie  (2).  » 

(i)  On  publia  en  trois  volumes  le  récit  de  cette  plaisanterie,  sous  le 
litre  à' Histoire  comique  du  mandarinat  de  l'abbé  de  Saint- Martin, 

(2)  Grandménil ,  qui  jouai  I  Harpagon  au  naturel,  trouvait  aussi  la  pièce 
fort  bonne  :  il  y  avait  pourtant  remarqué  une  faute.  —  Laquelle  ?  C  est  au 
sujet  du  diamant  qu'au  nom  de  son  père  Éraste  fait  accepter  à  Élise. 
Pins  tard,  au  dénoûment,  lé  mariage  d'Harpagon  est  rompu ,  c*est  Éraste 


XUl  VIE  DE  MOUERE. 

Diderot,  avec  son  exagération  habituelle,  dit  quelque 
part  :  «  Si  Ton  croit  qu^il  y  ait  beaucoup  plus  d'hommes 
«  capables  de  foire  Pourceaugnnc  que  de  foire  Tartufe 
«  ou  le  Misanthrope^  on  se  trompe.  »  Sans  aller  si  loin, 
on  peut  dire  que  Monsieur  de  Pourceaugnac,  les  Four' 
ieries  de  Scapin  et  le  Malade  imaginaire  sont  des  farces 
où  abondent  des  scènes  de  haute  comédie,  des  forces 
remplies  de  verve,  de  sel,  d'une  intarissable  gaieté,  tel- 
les enfin  qu'un  génie  supérieur  pouvait  seul  les  compo- 
ser. Il  fout  se  rappeler  que  Molière  était  directeur  de 
spectacle,  obligé,  comme  il  le  disait,  de  donner  du  pain 
à  tant  de  pauvres  gens ,  et  que  les  connaisseurs  au  goût 
pur  et  austère  ne  forment,  dans  tous  les  temps,  qu'une 
très-petite  minorité. 

Molière  termina  sa  carrière  comme  il  l'avait  com- 
mencée, en  immolant  les  précieuses,  les  pédants  et  les 
pédantes.  Les  Femmes  savantes  furent  son  dernier  chef- 
d'œuvre,  comparable  au  Misanthrope  et  au  Tartufe^  si- 
non par  l'élévation  du  but,  au  moins  par  le  style,  par  les 
détails,  et  l'art  de  féconder,  d'étendre  un  sujet  ingrat,  sté- 
rile et  borné.  On  a  reproché  à  Molière  d'avoir  joué  l'abbé 
Cotin  en  plein  théâtre;  Cotin,  dit-on,  en  mourut  de  cha- 
grin. On  a  prétendu  de  même  que  les  satires  de  Boi- 
leau  avaient  rendu  fou  l'abbé  Cassagne.  Ces  rumeurs 
ont  été  accueillies  par  Voltaire  mal  à  propos.  Il  est 
prouvé  que  Cassagne  mourut  en  pleine  jouissance  de  son 
bon  sens,  tel  que  Dieu  le  lui  avait  départi,  et  que  l'abbé 
Cotin  survécut  dix  ans  aux  Femmes  savantes.  Il  n'est 
pas  moins  prouvé  que  ces  deux  hommes  avaient  fait 
tout  leur  possible  pour  nuire  à  Despréaux  et  à  Molière, 

qui  épouse  Élise ,  et  il  n'est  plus  question  de  ce  diamant  !  Harpagon  de- 
vrait le  réclamer.  —  L'art  a  beau  être  habile ,  la  nature  garde  toujours  sa 
supériorité. 


VIE  DE  MOLIÈRE.  XLIII 

et  s'étaient  attiré  le  rude  châtiment  auquel  ils  doivent 
d'être  immortels. 


CHAPITRE  VIL 

Caractère  priré  de  Molière.  —  Sa  mort —  Son  talent  comme  aatear. 

Qui  jugerait  du  caractère  des  auteurs  par  celui  de 
leurs  ouvrages  s'exposerait  à  des  erreurs  étranges.  Les 
plus  folles  comédies  de  Molière  furent  composées  à  la 
fin  de  sa  vie ,  lorsqu'il  était  tourmenté  de  souffrances 
morales.  Molière  réunissait  deux  dispositions  d'esprit 
en  apparence  contradictoires,  et  que  néanmoins  on 
trouve  souvent  associées,  l'enjouement  des  paroles  et  la 
mélancolie  de  l'âme  :  l'un  résulte  de  la  vivacité  de  l'es- 
prit, l'autre  de  la  tendresse  du  cœur.  Personne  ne  fut 
meilleur  que  Molière,  personne  peut-être  ne  fut  plus 
malheureux  intérieurement.  Il  était  très-porté  à  l'amour  : 
sa  passion  pour  Armande  Béjart,  passion  qui  sembla 
s'accroître  par  le  mariage,  empoisonna  son  existence. 
Les  galanteries  de  mademoiselle  Molière  étaient  publi- 
ques ,  tantôt  avec  Lauzun ,  tantôt  avec  le  duc  de  Gui- 
che,  tantôt  avec  un  autre  grand  seigneur  ;  car  du  moins 
elle  n  encanaillait  pas  ses  amours.  Sa  coquetterie  ne  se 
contint  pas  même  devant  le  fils  adoptif  de  Molière ,  le 
jeune  Baron ,  que  Molière  chérissait  paternellement ,  et 
se  plaisait  à  former.  Les  bienfaits  de  cet  infortuné  grand 
homme  tournaient  contre  lui  :  c'est  ainsi  qu'il  s'était  vu 
trahi  par  Racine,  mais  d'une  façon  pourtant  moins  sen- 
sible et  cruelle.  La  Fameuse  comédienne^  biographie  sa- 
tirique de  mademoiselle  Molière,  rapporte  une  longue 
conversation  entre  Molière  et  Chapelle,  dans  laquelle  le 
premier  expose  à  son  ami  la  vivacité  et  la  tyrannie  de 
ce  funeste  amour.  Les  traits  en  sont  désespérés,  et  cette 


XLIV  VIK   DE  MOUERE. 

peinture  est  à  la  fois  si  naïve  et  si  véhémente,  qu'il  n'est 
guère  possible  qu'elle  ne  soit  vraie.  —  «  Mes  bontés, 
«  (lit  le  pauvre  Molière,  ne  l'ont  point  changée.  Je  me 
«  suis  donc  déterminé  à  vivre  avec  elle  comme  si  elle 
«  n'était  point  ma  femme;  mais  si  vous  saviez  ce  que 
«  je  souffre,  vous  auriez  pitié  de  moi!  Ma  passion  est 
«  venue  à  un  tel  point,  qu'elle  va  ju^u'à  entrer  avec 
«  compassion  dans  ses  intérêts  ;  et  quand  je  considère 
«  combien  il  m'est  impossible  de  vaincre  ce  que  je  sens 
«  pour  elle,  je  me  dis  en  même  temps  qu'elle  a  peut- 
«  être  la  même  difficulté  à  détruire  le  penchant  qu'elle 
«  a  d'être  coquette,  et  je  me  trouve  plus  de  disposition 
«  à  la  plaindre  qu'à  la  blâmer.  Vous  me  direz  sans  doute 
«  qu'il  faut  être  poëte  pour  aimer  de  cette  manière; 
«  mais,  pour  moi ,  je  crois  qu'il  n'y  a  qu'une  sorte  d'a- 
«  mour,  et  que  les  gens  qui  n'ont  point  senti  de  sem- 
«  blables  délicatesses  n'ont  jamais  aimé  véritablement... 
«  Quand  je  la  vois,  une  émotion  qu'on  peut  sentir,  mais 
«  qu'on  ne  saurait  exprimer,  m'ôte  l'usage  de  la  ré- 
«  flexion.  Je  n'ai  plus  'd'yeux  pour  ses  défauts  :  il 
«  m'en  reste  seulement  pour  ce  qu'elle  a  d'aimable.  » 
C'est  exactement  l'amour  d'Alceste  pour  Célimène.  Mo- 
lière, devant  ce  même  public  qu'il  avait  tant  réjoui  aux 
dépens  des  maris  trompés,  voulut  une  fois  épancher 
noblement  la  douleur  qui  navrait  son  âme.  De  là  vient 
que  le  Misanthrope^  sans  action,  est  si  intéressant  :  c'est 
le  cœur  du  poëte  qui  s'ou^tc,  c'est  dans  le  cœur  de  Mo- 
lière que  vous  lisez,  sans  vous  en  douter;  tout  cet  es- 
prit si  fin,  cette  délicatesse  élevée,  cette  jalousie  vigi- 
lante et  confuse  d'elle-même,  cette  fière  vertu  rebelle  à 
la  passion  qui  la  dompte,  c'est  Molière,  c'est  lui  qui  se 
plaint,  qui  se  débat,  qui  s'indigne;  c'est  lui  que  vous 
aimez,  que  vous  admirez,  de  qui  vous  riez  d'un  rire  si 
plein  de  bienveillance  et  de  respect.  Quel  homme  que 


VIE  DE  MOLIEEE.  XLV 

celui  qui,  pour  créer  un  tel  chef-d'œuvre,  n'a  eu  be- 
soin que  de  se  peindre  au  naturel!  Et  quel  spectacle 
quand  Molière  jouait  Alceste,  et  mademoiselle  Molière 
Célimène!  Ce  n'était  plus  l'illusion,  c'était  la  réalité. 
Lorsque  vous  verrez  le  Misanthrope^  songez  à  Molière, 
à  son  infortune  profonde  ;  persuadez-vous  bien  que,  sous 
le  nom  d'Alceste,  c'est  lui-même  que  vous  avez  devant  les 
yeux,  et  vous  sentirez  quelle  douleur  amère  se  cache  au 
fond  de  ce  charmant  plaisir. 

Le  cœur  se  serre  de  tristesse  quand  on  entend  Mo- 
lière dire  à  son  ami  Rohault,  le  célèbre  physicien  : 
«  Oui ,  mon  cher  monsieur  Rohault ,  je  suis  le  plus 
«  malheureux  des  hommes,  et  je  n'ai  que  ce  que  je  mé- 
«  rite  (i).  » 

On  lit  toujours  avec  plaisir  deux  traits  qui  peignent 
la  générosité  du  cœur  de  Molière. 

Un  pauvre  comédien  de  campagne  appelé  Mondorge, 
qui  avait  jadis  fait  partie  de  la  troupe  de  Molière ,  n'o- 
sant, à  cause  de  son  extrême  misère,  se  présenter  de- 
vant lui ,  fit  solliciter  par  Baron  quelques  secours ,  afin 
de  pouvoir  rejoindre  sa  troupe.  Molière,  qui  ne  per- 
dait pas  une  occasion  d'exercer  son  élève,  lui  de- 
mande combien  il  fallait  donner.  Baron  répond  au  ha- 
sard :  «  Quatre  pistoles.  —  Donnez-lui ,  dit  Molière , 
ces  quatre  pistoles  pour  moi  ;  mais  en  voilà  vingt  qu'il 
faut  que  vous  lui  donniez  pour  vous,  car  je  veux  qu'il 
vous  ait  l'obligation  de  ce  service.  »  Ce  qui  fut  exécuté. 
Molière  ne  s'en  tint  pas  là  :  il  voulut  voir  son  ancien 
camarade;  il  le  consola  et  l'embrassa,  dit  Laserre  (2), 
et  mit  le  comble  à  ce  bon  accueil  par  le  cadeau  d'un 
magnifique  habit  de  théâtre. 

(i)  Grimarest  ;  Fie  de  Molière. 

(1)  Mémoires  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Molière» 


ILTI  vn  M  UOtîkRÈ. 

Une  autre  fois,  un  mendiant  lui  demanda  Taumûne. 
Molière,  qui  était  fort  charitable,  lui  jette  une  pièce  de 
monnaie;  le  mendiant  court  après  la  voiture  où  Mo* 
lière  s'entretenait  avec  Charpentier,  qui  composa  la  mu- 
sique du  Malade  imaginaire  :  «  Monsieur,  dit  le  pau- 
vre ,  vous  n'aviez  probablement  pas  dessein  de  me 
donner  un  louis  d'or  ;  je  viens  vous  le  rendre. —  Tiens, 
mon  ami,  dit  Molière,  en  voilà  un  autre.  »  Et  comme 
son  génie  était  continuellement  en  sentinelle,  il  s*ëcria  : 
«  Où  la  vertu  va-t-elle  se  nicher  !  » 

Molière  était  taciturne,  comme  Corneille;  Boileau 
Tavait  surnommé  le  contemplateur.  Avec  cette  humeur 
sérieuse,  il  était  obligé  de  représenter  les  personnages 
comiques  ou  ridicules,  où  il  était,  dit-on,  incomparable. 
Ses  rôles  habituels  étaient  Mascarille  ,  George  Dandin, 
Scapiu ,  Sganarelle,  Pourceaugnac  :  il  se  dédommageait 
par  des  rôles  d'un  comique  plus  relevé,  dans  Arnolphe, 
Oi^on,  Harpagon ,  surtout  dans  Alceste  et  le  bonhomme 
Chrysale  ;  mais  peignez-vous  le  grave  Molière  jouant  So- 
sie dans  Amphitryon^  Zéphire  dans  Psyché^  ou  Moron 
de  la  Princesse  (VElide  !  Encore  s'il  n'eitt  joué  que  se» 
ouvrages!  mais  il  était  obligé  de  faire  valoir  en  cons*- 
cîence  toutes  les  platitudes,  soit  en  vers,  soit  en  prose, 
dont  les  auteurs  ses  rivaux  voulaient  bien  grati6er  son 
théâtre.  Il  est  plus  que  probable  que  lorsqu'on  repré- 
sentait Don  Japhet^  l^ Héritier  ridicule  et  les  Jodelet  de 
Scarron,  Molière  remplissait  le  principal  rôle  de  ces 
ignobles  comédies,  qui  avaient  encore  Thonneur  d'être 
jouées  à  la  cour  devant  le  roi.  Apparemment  aussi  ces 
rôles  donnèrent  lieu  à  une  foule  de  particularités  con- 
cernant Molière,  qui  nous  sembleraient  bien  piquante» 
si  nous  pouvions  les  savoir.  Une  seule  anecdote,  con- 
servée par  Grimarest,  servira  d'écliantillon.  Molière  jouait 
Sancho  dans  le  Don  Quichotte  de  Guàrin  du  Bottscal , 


VIE  DE  MOLliU.  XLVII 

et  se  tenait  dans  la  coulisse,  monté  sur  son  âne,  guet- 
tant le  moment  d'entrer.  «  Mais  l'âne,  qui  ne  savait  pas 
«  son  rôle  par  cœur,  n'observa  point  ce  moment,  et  dès 
«  qu'il  fut  dans  la  coulisse  il  voulut  entrer  en  scène, 
«  quelques  efforts  que  Molière  employât  pour  qu'il  n'en 
«  fît  rien.  Molière  tirait  le  licou  de  toute  sa  force;  Tâne 
«  n'obéissait  point,  et  voulait  paraître.  Molière  appelait  : 
«  Baron!  Lajorét!  à  moi!,.,  ce  maudit  âne  veut  entrer! 
«  Cette  femme  était  dans  la  coulisse  opposée,  d  où  elle 
«  ne  pouvait  passer  par-dessus  le  théâtre  pour  arrêter 
«  l'âne  ;  et  elle  riait  de  tout  son  cœur  de  voir  son  maî- 
«  tre  renversé  sur  le  derrière  de  cet  animal ,  tant  il  met- 

<  tait  de  force  à  tirer  le  licou  pour  le  retenir.  Enfin , 

<  destitué  de  tout  secours  et  désespérant  de  vaincre  l'o- 
«  piniâtreté  de  son  âne,  il  prit  le  parti  de  se  retenir  aux 
«  ailes  du  théâtre,  et  de  laisser  glisser  l'animal  entre  ses 
«  jambes ,  pour  aller  faire  telle  scène  qu'il  jugerait  à 
«  propos.  Quand  on  fait  réflexion  au  caractère  d'esprit 
«  de  Molière,  à  la  gravité  de  sa  conversation ,  il  est  ri- 
te sible  que  ce  philosophe  fût  exposé  à  de  pareilles  aven- 
«  tures,  et  prît  sur  lui  les  personnages  les  plus  comiques.  » 

Ce  genre  de  vie,  qui  avait  été  la  vocation  de  sa  jeu- 
nesse, était  devenu  l'afitiction  de  son  âge  mûr.  Grima- 
rest  rapporte  qu'un  jour,  s'en  expUquant  à  un  de  ses 
amis  :  «  Me  me  plaignez-vous  pas,  lui  ditril,  d'être  d'une 
«  profession  si  opposée  à  l'humeur  et  aux  sentiments 
«  que  j'ai  maintenant?  J'aime  la  vie  tranquille,  et  la 
«  mienne  est  agitée  par  une  infinité  de  détails  communs 
«  et  turbulents  sur  lesquels  je  n'avais  pas  compté,  et  aux- 
«  quels  il  faut  que  je  me  livre  tout  entier.  »  Et  comme 
cet  ami  cherchait  à  lui  faire  envisager  certains  côtés 
moins  tristes  de  sa  condition,  Molière  ajouta  :  «  Vous 
«  croyez  peut-être  qu'elle  a  ses  agréments  ?  vous  vous 
«  trompex.  Il  est  vrai  que  nous  sommes  en  apparence 


XLVIII  VIE  DE  MOLIERE. 

«  recherchés  des  grands  seigneurs;  mais  ils  nous  assu- 
«  jettissent  à  leurs  plaisirs,  et  c'est  la  plus  triste  de  tou- 
«  tes  les  situations  que  d'être  l'esclave  de  leurs  fantai- 
«  sies.  Le  reste  du  monde  nous  regarde  comme  des  gens 
«»  perdus ,  et  nous  méprise  !  » 

Mais  puisque  Molière  était  si  désenchanté  de  la  co- 
médie, que  ne  la  quittait-il  ?  11  l'aurait  pu  :  sa  foitune, 
sans  être  considérable,  le  lui  aurait  permis  ;  sa  santé  dé- 
labrée se  joignait  k  son  goût  pour  l'engager  au  repos. 
L'Académie  offrait  même  un  fauteuil  à  l'auteur  du  Mi- 
santhrope j  s'il  voulait  renoncer  au  métier  de  comédien. 
Boileau  insistant  sur  cette  nécessité,  Molière  lui  objecta 
le  point  d'honneur  :  «  Plaisant  point  d'honneur!  s'écria 
«  le  satirique,  qui  consiste  à  se  barbouiller  d'une  mous- 
«  tache  de  Sganarelle,  et  à  recevoir  des  coups  de  bâton!  w 
Molière  avait  un  motif  plus  sérieux,  qu'il  ne  dit  pas 
cette  fois-là  ;  mais,  le  jour  de  la  quatrième  représentation 
du  Malade  imaginaire j  Molière ,  qui  faisait  Argau ,  se 
trouvait  si  véritablement  malade  ,  que  Baron  et  quelques 
autres  personnes  le  pressaient  de  ne  point  jouer.  «  Et 
«  comment  voule5&-vous  que  je  fasse  ?  répondit  Molière. 
«  11  y  a  cinquante  pauvres  ouvriers  qui  n'ont  que  leur 
«  journée  pour  vivre  :  que  feront-ils,  si  on  ne  joue  pas? 
«  Je  me  reprocherais  d'avoir  négligé  de  leur  donner  du 
«  pain  un  seul  jour,  le  pouvant  faire  absolument.  » 

Voilà  ce  qui  le  retenait  au  théâtre  :  l'humanité. 

Il  joua  donc ,  non  sans  de  grandes  douleurs  et  de 
grands  efforts  pour  achever  son  rôle.  Dans  la  cérémo- 
nie, en  prononçant  le  Juroy  il  éprouva  une  convulsion 
qu'il  parvint  à  déguiser.  Rentré  chez  lui,  sa  toux  le  prit 
si  violemment  qu'il  se  vit  en  danger,  et  réclama  les  se- 
cours de  la  rehgion.  Deux  prêtres  de  Saint-Eustache  re- 
fusèrent de  venir;  un  troisième  ecclésiastique,  mieux 
instruit  de  ses  devoirs,  arriva  lorsque  Molière  avait  perdu 


vu  DE  MOLIERE.  XLIÈ 

lusage  de  la  parole.  H  s'était  rompu  un  vaisseau  dans 
la  poitrine,  et  il  expira  sufFoqué  par  le  sang,  à  dix  heu- 
res du  soir,  le  17  février  1673,  anniversaire  de  la  mort 
de  Madeleine  Béjart ,  sa  belle-sœur  et  son  premier  amour; 
il  avait  cinquante  et  un  ans. 

Le  pieux  Harlay  de  Champvallon  ne  manqua  pas  de 
s*opposer  à  ce  que  Molière  f&t  inhumé  en  terre  sainte. 
Un  comédien  !  La  veuve  du  comédien  présenta  humble- 
ment requête  au  prélat  ennemi  de  toute  vertUj  à  qui 
Louis  XIV  liîfrait  les  gens  de  bien,  et  laissait  tyranniser 
VEglise.  Il  ne  fallut  rien  de  moins  qu'un  ordre  du  roi  ; 
Louis  XIV  donna  cet  ordre,  et  Tarchevêque  voulut  bien 
j  consentir,  à  condition  que  la  cérémonie  aurait  lieu  de 
nuit,  et  que  le  convoi  ne  serait  pas  escorté  de  plus  de 
deux  prêtres.  Il  s'y  joignit  une  centaine  de  personnes, 
amis  ou  connaissances  du  défunt,  chacune  portant  une 
torche.  Molière  fut  enterré  au  coin  de  la  rue  Montmar- 
tre et  de  la  rue  Saint-Joseph,  où  est  à  présent  le  mar- 
ché; c'était  alors  un  cimetière.  Quant  à  l'archevêque, 
lorsque  son  tour  vint,  «  il  fut  enterré  pompeusement  au 
«  son  de  toutes  les  cloches  ,  avec  toutes  les  belles  cé- 
«  rémonies  qui  conduisent  infailliblement  l'âme  d'un 
«  archevêque  dans  l'Empyrée  (i).  »  H  est  vrai  qu'il 
avait  béni  le  mariage  clandestin  de  Louis  XIV  avec 
madame  de  Maintenon  ;  cela  valait  mieux  que  d'avoir 
fait  le  Misanthrope  et  les  Femmes  savantes. 

L'histoire  et  les  arts  ont  consacré  le  souvenir  des 
deux  sœurs  de  charité  qui  assistèrent  Molière  au  mo- 
ment suprême.  Ces  bonnes  religieuses  venaient  tous  les 
ans  quêter  à  Paris  à  la  même  époque ,  et  l'hospitalité 
leur  était  assurée  chez  l'auteur  de  Tartufe;  mais,  dans 


(x)  Voltaire,  lettre  à  Cbamfort,  du  27  Mptembre  1769.  Harlay  de 
ChampTallon  mourut  à  Cooflans  en  aoilt  1695,  asshté  de  M"*  de  Lesdi- 
guièret ,  eomme  plus  tard  le  régf  ol ,  de  la  duchrsse  de  Phalaris. 

H 


h  vn  nB  ifouEiB. 

Mte  9oène  touchante  et  solennelle,  il  n  est  pas  question 
de  sa  femme,  Bussy-Rabutin  nous  apprend  que  cette 
indigne  épouse  reparut  sur  le  théâtre  treize  Jours  après 
la  mort  de  son  mari!  Molière  avait  eu  d'elle  trois  en- 
fants :  deux  garçons  et  une  fille  (i).  Les  garçons  mou- 
rurent en  bas  âge;  la  fille,  après  la  mort  de  son  père, 
épousa  M.  de  Montalant,  par  qui  elle  avait  été  enlevée. 
Us  ne  laissèrent  point  de  postérité. 

A  la  mort  de  Molière,  son  théâtre  ferma  pendant  six 
jours  :  on  rouvrit  par  le  Misanthrope;  Baron  remplaça 
Molière  dans  le  rôle  d*Alceste. 

On  sera  bien  aise  de  connaître  le  portrait  de  Molière 
tracé  dans  le  Mercure  de  France  par  une  actrice  de  sa 
troupe ,  mademoiselle  Poisson  :  —  «  Il  n'était  ni  trop 
«  gras,  ni  trop  maigre;  il  avait  la  taille  plus  grande  que 
«  petite ,  le  port  noble ,  la  jambe  belle.  Il  marchait  gra- 
«  vement,  avait  Tair  très-sérieux,  le  nez  gros ,  la  bouche 
«  grande,  les  lèvres  épaisses,  le  teint  brun,  les  sourcils 
«  noirs  et  forts ,  et  les  divers  mouvements  qu'il  leur 
«  donnait  lui  rendaient  la  physionomie  extrêmement 
«  comique.  » 

Le  Mercure  galant^  appréciant  le  jeu  de  Molière,  le 
met  au«dessus  de  Roscius  :  —  «  U  méritait  le  pre* 
«  mier  rang  :  il  était  tout  comédien  depuis  les  pieds 
«  jusqu'à  la  tête.  Il  semblait  qu'il  eût  plusieurs  voix  : 
«  tout  parlait  en  lui,  et  d'un  pas,  d'un  sourire,  d'un 
«  clin  d'œil  et  d'un  remuement  de  tête ,  il  faisait  plus 
«  concevoir  de  choses  que  le  plus  grand  parleur  n*au- 
«  rait  pu  en  dire  une  heure.  » 

(i)  Louis,  filleul  du  roi ,  aé  en  1664 ,  rauoée  de  la  première  apparitioa 
de  Tariufe;  —  Esprit-Madeieiue,  née  le  4  août  i665  ,  qui  fut  madame 
de  Montalant  ;  —  et  Jean- Baptiste- Armand ,  né  en  septembre  1672  ,  Tan- 
née  des  Ftmmet  savamtês^  cinq  mois  avant  la  mort  de  ton  père.  Cet  en- 
fuit ,  frait  d*un  raceommodement  tardif ,  ne  Yécnt  qn'un  mois. 


vu  DE  MOLIEEE.  U 

Ce  témoignage,  rendu  sur  la  tombe  récente  de  Mo- 
lière, ne  doit  s'entendre  sans  doute  que  de  l'acteur 
comique.  Mais  Molière  jouait  aussi  la  tragédie,  pour 
laquelle  il  eut  toute  sa  vie  une  singulière  affection  : 
cependant  il  n'y  réussit  jamais.  11  jouait  lui-même  son 
Don  Garcie^  et  y  fut  sifflé  ;  il  faisait  Nicomède  ;  César, 
dans  la  Mort  de  Pompée,  Montfleury  le  fils  Ta  peint  en 
caricature  dans  ce  rôle  :  il  le  compare  à  ces  héros  qu'on 
voit  dans  les  tapisseries  : 

n  est  fait  tout  de  même  I  il  vient,  le  nez  au  veut, 
Les  pieds  en  parenthèse  et  Tépaulc  en  avant  ; 
Sa  pemique  qui  suit  le  côté  qu'il  avance, 
Plas  pleine  de  Lauriers  qu'un  jambon  de  Mayence  ; 
Les  mains  sur  les  côtés ,  d*un  air  peu  négligé  ; 
La  tète  sur  le  dos ,  comme  un  mulet  chargé  ; 
Les  yeux  fort  égarés  ;  puis,  débitant  ses  rôles, 
D'un  hoqaet  étemel  sépare  ses  paroles. 

(V Impromptu  de  P/totel  Condé,) 

On  sent  la  main  d'un  ennemi  ;  cependant  il  peut  y 
avoir  du  vrai  dans  ces  détails.  Le  hoquet,  par  exemple, 
est  mentionné  par  tous  les  historiens  du  théâtre.  Mo- 
lière, dit  Grimarest,  avait  contracté  ce  tic  en  s'effor- 
çant  de  maîtriser  une  excessive  volubilité  de  pronon- 
ciation; mais,  dans  la  comédie,  il  dissimulait  ce  défaut  à 
force  d'art  (i).  Molière,  en  récitant  des  vers,  n'em- 
ployait pas  cette  espèce  de  mélopée  si  fort  en  honneur 
dans  le  xviii*  siècle;  son  débit  était  simple,  sans  affec- 
tation, et  devait  offrir  beaucoup  d'analogie  avec  la 
manière  de  Talma ,  autant  du  moins  qu'on  en  peut  ju- 
g«r  par  celle  de  Baron,  élève  de  Molière.  «  Baron,  dit 
«  CoUé,  ne  déclamait  jamais,  même  dans  le  plus  grand 
«  tragique  ;  et  il  rompait  la  mesure  de  telle  sorte  que 
«  l'on  ne  sentait  pas  l'insupportable  monotonie  du  vers 

(i)  Yoyez  M.  J.  Tasdiereau ,  Histoire  de  la  vie  et  des  ouvrages  de  Mo* 
Hère,  page  $S ,  3*  édition. 

d. 


LII  vnc  D£  MOLliRX. 

«  alexandrin.  »  Sans  doute  Baron  tenait  ce  système  de 
Molière,  et  c'est  peul>étre  ce  passage  de  Ck>llé  (jui  Ta 
tmnsmis  à  Talma. 

Molière,  dans  sa  jeunesse,  avait  traduit  en  vers  le 
poëme  de  Lucrèce ,  De  la  nature  des  choses.  Il  est  cer- 
tiiin  que  cette  traduction  existait  encore  en  i664;  «^U^ 
Oit  aujourd'hui  perdue.  Les  papiers  de  Molière,  parmi 
lesquels  devaient  se  trouver  des  esquisses  et  des  firag- 
nients  de  comédies  inachevées,  ont  été  vendus  et  dis- 
persés avec  la  bibliothèque  du  comédien  Lagrange, 
héritier  des  manuscrits  de  son  illustre  camarade.  On 
assure  pourtant  qu'en  1799  la  Comédie  française  pos- 
sédait encore  quelques-uns  de  ces  cahiers,  mais  qu'ils 
ont  péri  dans  l'incendie  de  l'Odéon;  en  sorte  que  l'on 
ne  connaît  aujourd'hui  de  la  main  de  Molière  que  sa 
signature  au  bas  d'un  acte. 


CHAPITRE  VIII. 

Da  génie  dramitf que  de  Molière.  —  Du  style  de  Molière. 

Les  comédies  de  Molière  sont  à  présent,  et,  tout  en 
réservant  les  chances  de  l'avenir,  on  peut  croire  qu'elles 
resteront  le  plus  grand  monument  de  la  littérature  fran- 
çaise ,  l'éternel  honneur  du  siècle  et  du  pays  qui  les  a 
vues  naître.  Personne  n'est  descendu  plus  avant  que 
Molière  dans  le  cœur  humain.  Il  n'y  a  point  de  vices, 
de  travers,  de  ridicules,  auxquels  il  n'ait  au  moins 
touché,  sur  lesquels  il  n'ait  laissé  l'empreinte  de  sa 
main  puissante;  en  sorte  qu'il  semble  avoir  confisqué 
par  anticipation  l'originalité  de  tous  ses  successeurs. 

On  a  tenté  d'amoindrir  la  sienne  en  recherchant  les 
sources  où  il  avait  puisé,  en  faisant  voir  qu'il  avait  em- 


VIE  DE  MOLIERE.  Ull 

pniDté  une  idée  tantôt  à  Tërence,  tantôt  à  Aristophane; 
un  caractère  ou  un  bon  mot  h  Plaute;  à  Cyrano  le 
fond  de  deux  scènes  ;  le  Médecin  ma/gré  lui  à  un  fabliau 
du  xin*  siècle  ;  la  Princesse  d*Elide  à  Augustin  Moretu 
(  il  eût  mieux  fait  de  la  lui  laisser)  ;  un  trait  de  Tarluje 
à  Scarron.  Et  qu'importe?  tout  cela  était  enfoui,  in- 
connu, méprisé,  sans  valeur.  Reprocheriezrvous  à  nu 
alchimiste  d*avoir  ramassé  dans  la  rue  un  morceau  de 
plomb,  pour  le  changer  en  or?  Ce  que  Molière  a  pris  à 
tout  le  monde,  personne  ne  le  reprendra  sur  lui,  ot 
Ton  ne  lui  arrachera  pas  davantage  ce  qu'il  n'a  pris  à 
personne. 

n  était  toujours  à  la  piste  de  la  vérité,  et,  dans  l'ar- 
dente recherche  qu'il  en  fabait,  il  ne  dédaignait  pas 
d'aller  s'asseoir  au  théâtre  de  Polichinelle,  ni  de  s'ai*- 
rêter  devant  les  tréteaux  de  Tabarin;  il  en  rapporta 
un  jour  la  fameuse  scène  du  sac ,  que  Boileau  lui  a  tant 
reprochée.  Il  furetait  également  les  livres  italiens  et  es- 
pagnols, romans,  recueils  de  bons  mots,  facéties,  etc. 
«  Il  n'est,  dit  l'auteur  de  la  Guerre  comique  y  point  r/i; 
«  bouquin  qui  se  sauve  de  ses  mains;  mais  le  bon  usag;; 
«  qu'il  fait  de  ces  choses  le  rend  encore  plus  louable.  » 
Et  de  Visé,  dans  sa  rapsodie  de  Zélinde^  dirigée  ce- 
pendant contre  Molière  :  «  Pour  réussir,  il  faut  prendrtî 
«  la  manière  de  Molière  :  lire  tous  les  livres  satiriques , 
«  prendre  dans  l'espagnol,  prendre  dans  l'italien,  et 
«  lire  tous  les  vieuœ  bouquins.  Il  faut  avouer  que  c'est 
«  un  galant  homme,  et  qu'il  est  louable  de  se  servir  de 
«  tout  ce  qu'il  lit  de  bon  (i).» 

(i)  ZéUnde ,  ou  la  véritable  critique  de  l'Ecole  des  femmes  ,  acte  I*% 
scène  7.  —  La  Guerre  comique  ou  la  Défense  de  t Ecole  des  femmes ,  pnr 
le  fienr  de  Lacroix  (r064)  »  se  compose  d'un  dialogue  entre  Apollon  et 
Ifomus,  suivi  de  quatre  Disputes.  Dans  la  dernière  dispute  on  voit  iîguirr 
k  pfrtonnafe  de  la  RApciitvv»  du  Mûuaa  comique. 


LIV  TIE  DE  MOLIÈRE. 

Le  génie  de  Molière  était  si  éminemment  drama- 
tique, qu*il  a  employé  toutes  les  formes  du  drame ,  y 
compris  celles  que  Ton  croirait  plus  modernes  ;  tous 
les  tons  et  toutes  les  nuances  de  la  comédie,  cela  Ta 
sans  dire;  la  tragédie  et  le  drame  héroïque  dans  Don 
Garcie  de  Navarre^  dont  les  meilleures  scènes  ont  en- 
richi le  Misanthrope;  la  tragédie  lyrique  dans  Psyché; 
Topéra-ballet  dans  Mélîcerte^  dans  la  Princesse  d^EUde^ 
et  dans  les  nombreux  intermèdes  de  ses  autres  pièces; 
et  jusqu'à  Topéra-comique  dans  le  Sicilien ,  qui  peut  à 
bon  droit  passer  pour  le  premier  essai  du  genre. 

Voltaire  a  reproché  à  Molière  des  dénoûments  pos- 
tiches et  peu  naturels,  et  cette  opinion  a  trouré  de 
nombreux  échos.  Cette  question,  examinée  de  près,  at- 
teste, je  crois,  l'étude  profonde  que  Molière  arait  faite 
de  la  nature  et  de  Fart.  En  effet,  il  n'y  a  point  de  dé- 
noûments dans  la  nature  :  j'entends  de  ces  péripéties  qui 
tout  d'un  coup  placent  un  nombre  donné  de  person- 
nages, tous  en  même  temps,  dans  une  situation  arrêtée, 
définitive ,  et  qui  ne  laisse  plus  à  s'enquérir  de  rien  sur 
leur  compte.  Par  rapport  à  l'art,  une  pièce  de  théâtre 
n'est  point  faite  pour  le  dénoûment;  au  contraire,  le 
dénoûment  n'est  qu'un  prétexte  pour  foire  la  pièce. 
Quand  vous  sortez  pour  vous  promener,  est-ce  le  terme 
de  la  promenade  qui  en  est  l'objet  véritable?  Nulle- 
ment :  le  vrai  but,  c'est  de  parcourir  lentement,  cu- 
rieusement, le  chemin.  L'art  consiste  à  vous  faire 
avancer  par  des  sentiers  dont  les  sinuosités  et  les  re- 
tours ont  été  savamment  calculés,  embellis  à  droite  et 
à  gauche  de  toutes  sortes  de  fleurs  et  d'agréments  qui 
vous  attirent  :  c'est  là  votre  plaisir,  et  l'artifice  du  jar- 
dinier ou  du  poëte.  Mais  ce  que  vous  trouverez  à  la 
fin,  vous  le  savez  d'avance,  et  c'est  votre  moindre 
souci.  La  preuve  que  la  curiosité  n'est  ici  pour  rien^ 


VIB  DS  MOLfiltÊ.  LT 

c'est  que  l'on  reverra  cent  fois  la  même  pièce.  FI  n'y  a 
au  théâtre  que  deux  dénoAments  :  la  mort  dans  la  tra» 
gédie,  dans  la  comëdie  le  mariage.  Le  talent  du  poète 
est  d*accumuler  au-derant  des  obstacles  en  apparence 
invincibles;  et  quand  il  les  a  fait  disparaître  un  à  un, 
ce  qu*il  a  de  mieux  à  faire,  c'est  de  tourner  court,  et 
de  disparaître  lui-même.  II  vous  a  donne  ce  que  vous 
lui  demandiez  :  le  plaisir  de  la  promenade.  Quelles  sont 
donc  les  conditions  rigoureuses  d'un  bon  dénoftmentP 
C'est  de  satisfaire  la  raison,  le  jugement,  les  sympa* 
thies  ou  les  antipathies  excitées  dans  le  cours  de  l'ou- 
vrage; Fimagination  n'a  rien  à  y  réclamer,  elle  a  eu 
sa  part.  Considérés  de  ce  point  de  vue ,  les  dénoftments 
de  Molière  n'offrent  plus  rien  à  reprendre. 

L'arrêt  porté  par  Boileau  est  d'une  sévérité  qui  va 
jusqu'à  l'injustice  : 

C'est  par  là  que  Molière ,  illustrant  ses  écrits , 
Peut-être  de  son  art  eût  remporté  le  prix , 
ai*  moins  ami  du  peuple,  en  ses  doctes  peintures 
U  n*eât  point  fait  souvent  grimacer  ses  figures , 
Quitté  pour  le  bouffon  Tagréable  et  le  iio , 
Ht  sans  honte  k  Térence  allié  Tabarin. 
Dans  ee  sac  ridicule  où  Scapin  Tenteloppef 
Je  ne  reconnais  plus  Tanteur  du  Misanthrope. 

Que  vous  le  reconnaissiez  ou  non,  il  n'en  est  pas 
moins  cet  auteur.  Quand  il  s'agit  d'apprécier  et  de  clas- 
ser définitivement  un  écrivain,  on  doit  considérer  non 
le  point  où  il  est  descendu ,  mais  le  point  où  il  s'est 
élevé.  La  raison  en  est  simple  :  les  bons  ouvrages  avan- 
cent l'art;  les  mauvais  ne  le  font  pas  reculer.  La  pos- 
térité ne  voit  de  Corneille  que  le  Cid,  Horace^  Cinna^ 
Polyeuete;  quant  à  Théodore^  Agiiiloij  Attila  ^  Suréna, 
elle  les  ignore  ou  les  oublie. 

Boileau  éuit  le  maître  de  choisir  son  public;  il  ne 
s'embarrtisa  de  plaire  qu'à  Louis  XIY,  à  un  duc  dé 


LVI  VU  DE  MOUERE. 

Beauvilliers ,  à  ud  duc  de  Montausier,  à  GuUleragues , 
à  Seignelay,  aux  esprits  d*élite.  C'est  pour  eux  qu*il 
écrit,  pour  eux  seuls.  Molière  subissait  des  condhions 
tout  à  fait  différentes  :  il  a  travaillé  tantôt  pour  la  cour, 
tantôt  pour  le  peuple,  et  il  est  arrivé  que  ses  ouvrages 
ont  été  goûtés  universellement.  Est-il  juste  de  lui  en 
faire  un  crime?  Mais,  au  contraire,  cette  austérité  in- 
flexible, ce  puritanisme  de  goftt  qui  bannit  une  cer^ 
taine  variété,  sera  toujours,  aux  jeux  de  beaucoup  de 
gens,  un  titre  d'exclusion  contre  Boileau. 

Enfin ,  si  Molière  n'emporte  pas  le  prix  dans  son  art, 
qui  l'emportera?  à  qui  réserve-t-on  ce  prix? 

A  Shakspeare,  à  Caldéron,  répond  Schlegel.  Nous 
n'opposerons  à  l'adoption  de  cette  sentence  qu'une  pe- 
tite difficulté  :  Schlegel,  qui  condamne  Racine  et  mé- 
prise Molière,  ne  les  entend  pas  assez;  et  il  entend 
trop  Caldéron  et  Shakspeare. 

Saint-Evremond,  cet  esprit  si  fin,  si  juste,  et  en  même 
temps  si  sobre  dans  l'expression ,  me  paraît  avoir ,  en 
deux  lignes,  jugé  Molière  mieux  et  plus  complètement 
que  personne  :  «  Molière  a  pris  les  anciens  pour  mo- 
«  dèles,  inimitable  à  ceux  qu'il  a  imités,  s'ils  vivaient 
«  encore.  «• 

Le  style  de  MoUère  a  été  déprécié  par  deux  juges 
d'une  autorité  imposante  :  la  Bruyère  et  Fénelon.  Voici 
d'abord  l'opinion  de  lauteur  du  TêUmaquej  qui,  fidèle 
à  son  caractère  de  mansuétude,  s'exprime  avec  moins 
de  dnreté  que  l'auteur  des  Caractères. 

«  En  pensant  bien,  il  parle  souvent  mal.  Il  se  sert 
«  des  phrases  les  plus  forcées  et  les  moins  naturelles. 
«  Térence  dit  en  quatre  mots,  avec  la  plus  grande  sim- 
•  plicité,  ce  que  celui-ci  ne  dit  qu*avec  une  multitude 
«jde  métaphores  qui  approchent  du  galimatias.  Faime 
•kkmaûcuxsa  prose  que  ses  vers.  L*jivart^^ÊJt  exem- 


VIS  DE  MOLIERB.  LVII 

«  pie ,  est  moins  mal  écrit  que  les  pièces  qui  sont  en 
«  vers.  11  est  vrai  que  la  versification  française  Fa  gêné... 
«  Mais,  en  général ,  il  me  paraît  jusque  dans  sa  prose 
«  ne  point  parler  assez  simplement  pour  exprimer  toutes 
«  les  passions.  »  {Lettre  sur  V Éloquence.) 

La  Bruyère  ne  fait  que  résumer  ce  jugement,  en 
exagérant  les  termes  presque  jusqu'à  Finjure  : 

«  11  n'a  manqué  à  Molière  que  d'éviter  le  jargon  et  le 
«  barhcLrismey  et  d'écrire  purement  » 

{Des  ouvrages  de  Vesprit.) 

Incorrection ,  jargon ,  et  barbarisme,  voilà,  suivant 
la  Bruyère,  les  caractères  du  style  de  notre  grand  co- 
mique. 11  ne  laisse,  lui,  aucun  refuge  à  Molière;  il  ne 
distingue  pas  entre  la  prose  et  les  vers,  et  ne  s'avise  pas 
de  demander  aux  difficultés  de  la  versification  une 
circonstance  atténuante  ;  il  est  impitoyable  et  brutal  : 
La  mortj  sans  phrases  ! 

Sur  cette  distinction  entre  la  prose  et  les  vers  de 
Molière,  laissons  parler  d'abord  un  troisième  juge ,  dont 
la  compétence  en  matière  de  goût  et  de  style  est  irrécu- 
sable: 

«  On  s'est  piqué  à  l'envi,  dans  quelques  dictionnaires 
«  nouveaux,  de  décrier  les  vers  de  Molière  en  faveur  de 
<  sa  prose,  sur  la  parole  de  l'archevêque  de  Cambrai, 
€  Fénelon,  qui  semble  en  effet  donner  la  préférence  à 
€  la  prose  de  ce  grand  comique,  et  qui  avait  ses  raisons 
«  pour  n'aimer  que  la  prose  poétique  :  mais  Boileau  ne 
«  pensait  pas  ainsi.  11  faut  convenir  que,  à  quelques  né- 
«  gligences  près,  négligences  que  la  comédie  tolère,  Mo* 
•  lière  est  plein  de  vers  admirables ,  qui  s'impriment 
«  facilement  dans  la  mémoire.  Le  Misanthrope^  les  Fem- 
«  mes  savantes^  le  Tartufe^  sont  écrits  comme  les  satires 
«  de  Boileau  ;  V Amphitryon  est  un  recueil  d'ëpignimmes 


LTItl  Vtfi  DB  MOLtJElfe. 

«  et  de  madrigaux  faits  avec  un  art  qu'on  ti*a  point 
«  imite  depuis.  La  poésie  est  k  la  bonne  prose  ce  que  la 
«  danse  est  à  une  simple  démarche  noble,  ce  que  la 
«  musique  est  au  récit  ordinaire ,  ce  que  les  couleurs 
«  sont  à  des  dessins  au  crayon.  • 

(Voltaire,  Siècle  de  Louis  XI F,) 

A  cette  réponse  sans  réplique,  on  pourrait  ajouter 
une  autre  observation,  à  quoi  Fénelon  ni  Voltaire  n'ont 
pris  garde  :  c'est  que  t Avare ,  comme  plusieurs  autres 
comédies  en  prose  de  Molière ,  est  presque  tout  entier 
en  vers  blancs  (i).  Le  rhythme  et  la  mesure  y  sont  déjà  ; 
il  n'y  manque  plus  que  la  rime.  Une  telle  prose  assuré- 
ment ne  peut  se  dire  affranchie  des  contraintes  de  la 
versification,  auxquelles  Fénelon  attribue  le  méchant 
style  des  vers  de  Molière.  Ainsi  l'exemple  de  t  Avare  est 
très-malheureusement  choisi  ;  ce  qu'il  aurait  fallu  citer 
comme  modèle  de  belle  et  franche  prose,  c'était  le 
DonJuan^  la  Critique  de  F  École  des  femmes^  ou  le  Malade 
imaginaire. 

J'espère  montrer,  contre  l'opinion  de  Fénelon  et  même 
de  Voltaire,  que  beaucoup  d'expressions  des  vers  de 
Molière,  qu'on  regarde  comme  suggérées  par  le  besoin 
de  la  rime  ou  de  la  mesure,  parce  qu'elles  sont  aujour- 
d'hui hors  d'usage ,  étaient  alors  du  langage  commun  ; 
et  l'on  n'en  doutera  point,  lorsqu'on  les  retrouvera 
dans  la  prose  de  Pascal  et  dans  celle  de  Bossuet 

Il  ne  s'agit  point  de  comparer  Molière  à  Térence ,  et 
de  décider  si  le  français  de  l'un  est  moins  élégant  et 
moins  pur  que  le  latin  de  l'autre.  Térence,  quand  Féne* 
Ion  lui  donnait  le  prix,  avait  l'avantage  d'être  mort 
depuis  longtemps,  et  aussi  sa  langue.  Il  est  à  craindre 
que  l'heureux  imitateur  d'Homère    n'ait  trop  cédé  à 

(i)  Vofei  rvticlc  VEM  BLAUCS,  dn  Lss«|m. 


VIB  D£  MOLIERE.  LIX 

ses  prëoccupations  en  faveur  des  anciens.  Nous  devons 
croire  à  Télégance  et  à  la  pureté  de  Térence ,  dont  il  y 
a  tant  de  bons  témoins;  mais  y  croire  d*une  manière 
absolue ,  et  sans  nous  mêler  de  faire  concourir  le  poète 
latin  avec  les  écrivains  d'un  autre  idiome.  Nous  avons  un 
mémorable  exemple  du  danger  ou  nous  nous  exposerions, 
puisque  le  sentiment  excessif  des  mérites  de  Térence  a 
pu  faire  paraître  le  Misanthrope^  Tartufe^  et  les  Femmes 
savantes^  des  pièces  mal  écrites  :  ^UÂifare  est  moins  mal 
«  écrit  que  les  pièces  qui  sont  en  vers.  »  Il  faut  ranger 
cette  proposition  de  l'archevêque  de  Cambrai  parmi 
les  Maximes  des  saints^  qui  ne  sont  point  orthodoxes. 

Je  ne  sais  si  la  simplicité  des  termes,  et  l'absence  ou 
l'humilité  des  figures,  est  le  caractère  essentiel  du  lan- 
gage des  passions.  Ten  doute  fort  quand  je  lis  Eschyle, 
Sophocle,  et  Homère  lui-même.  Je  demanderai  quelles 
passions  Molière  a  mal  exprimées,  pour  leur  avoir  prêté 
un  langage  trop  chargé  de  figures  :  est-ce  Tavarice, 
Famour,  la  jalousie  ? 

Sortons  un  peu  des  accusations  vagues  et  des  termes 
généraux.  Molière,  dit  Fénelon,  pense  bien,  mais  il 
parle  mal.  C'est  quelque  chose  déjà  que  de  bien  penser  ; 
et  j'ajoute  qu'il  est  rare,  quand  la  pensée  est  juste,  que 
l'expression  soit  fausse.  Mais  enfin ,  depuis  Fénelon  et 
la  Bruyère,  on  a  souvent  fait  à  Molière  ce  reproche  de 
ne  pas  écrire  purement.  Il  ne  faut  qu'une  délicatesse  de 
goût  médiocre  et  une  attention  superficielle  pour  sentir, 
dans  le  style  de  Molière ,  une  différence  avec  les  autres 
grands  écrivains  du  xvii'  siècle ,  Racine ,  Boileau ,  Féne- 
lon^  la  Bruyère,  etc.  Mais  cette  différence  est-elle  de 
l'incorrection? 

Nous  sommes  accoutumés ,  nous  qui  regardons  déjà 
de  loin  cette  époque,  à  confondre  un  peu  les  plans  du 
tableau,  et  à  mêler  les  personnages  :  sous  prétexte  qu'ib 


LX  vn  DE  MOLUSRS. 

ont  vécu  ensemble ,  nous  faisons  Molière  absoloment 
contemporain  cleBoileau,  de  Racine ,  de  Bossuet  et  de 
Fënelon  ;  et  ce  que  nous  donnent  les  uns,  nous  pensons 
avoir  le  droit  de  Texiger  aussi  de  lautre.  C'est  mal  à  pro- 
pos. Molière  enseigna  tout  ce  monde ,  et  les  seuls  vrai* 
ment  grands  écrivains  dont  Texemple  put  lui  servir  fu- 
rent Corneille  et  Pascal.  Songez  que  Molière  écrivit  de 
i653  à  167a,  de  Fàge  de  vingt  et  un  ans  à  celui  de 
cinquante.  Durant  cette  période  de  vingt-neuf  années , 
que  se  produisit-il?  Corneille  était  fini  :  /'i^^oicr^' naquit 
la  même  année  que  Pertharite;  OEdipe  en  tombant  vit 
le  succès  des  Précieuses.  Molière savança  dans  la  car- 
rière tout  seul,  ou  à  peu  près,  jusquen  1667,  que 
Racine  fit  son  véritable  début  dans  Andromaque. 
La  Fonuine  venait  de  publier  le  premier  recueil  de  ses 
contes;  on  avait  de  Boileau  son  Discours  au  roi ^  plu- 
sieurs satires,  et  de  la  Rochefoucauld,  le  livre  des  Maxi^ 
mes.  Voilà  tout.  Et  Molière,  où  en  était-il,  lui  PII  avait 
déjà  donné  à  la  littérature  française  Don  Juan  ,  le  Mi- 
santhrope^ et  Tartufe!  De  ce  point  jusqu  au  moment  où 
la  tombe  Tengloutit  dans  toute  la  force  de  son  génie, 
Racine  donna  les  Plaideurs^  Britannicus  ^  Bérénice  ^  et 
Bajazet;  la  Fontaine^  un  second  volume  de  contes  et  les 
premiers  livres  de  ses  fables  ;  Boileau ,  trois  épîtres; 
Bossuet,  deux  oraisons  funèbres  :  celle  de  la  reine  d'An- 
gleterre ,  et  celle  de  la  duchesse  d'Orléans. 

La  Bruyère,  Fénelon,  madame  de  Sévigné,  Fonte- 
nelle,  n'avaient  point  encore  paru. 

C'est  seulement  après  la  mort  de  Molière  que  nous 
voyons  éclore  tous  ces  illustres  chefs-d'œuvre  du 
XVII*  siècle  :  Mithridate ,  Iphigénie^  Phèdre^  Esther^  et 
Athalie;  les  six  derniers  livres  des  fables  de  la  Fon- 
taine; les  épitresde  Boileau,  ses  deux  meilleures  satires 
(X  et  XI),  [Art  poétique^  et  le  Lutrin;  dans  un  autre 


VIE  DE  MOLIEEE*  LU 

genre ,  Toraison  funèbre  du  prince  de  Condé ,  V Histoire 
des  Variations ,  et  le  Discours  sur  Vhistoire  uniiferselle. 
Entre  la  mort  de  Molière  et  Télémaque^  il  y  a  neuf  ans  ; 
et,  pour  aller  jusqu'aux  Caractères  de  la  Bruyère ,  il  y 
en  a  quatorze.  Durant  cet  intervalle ,  la  langue  française 
changea  beaucoup. 

Je  ne  vois,  dans  lexvii'  siècle,  que  quatre  hommes 
qui  aient  parlé  la  même  langue  :  Pascal,  la  Fontaine, 
Molière ,  et  Bossuet. 

Le  caractère  essentiel  de  cette  langue ,  c'est  une  in- 
dépendance complète ,  un  esprit  d'initiative  très-hardi , 
sous  la  surveillance  d'une  logique  rigoureuse.  Le  pre- 
mier devoir  de  cette  langue,  cest  de  traduire  la  pensée; 
le  second,  de  satisfaire  la  grammaire  :  aujourd'hui  la 
grammaire  passe  devant,  et  souvent  contraint  la  pensée 
à  plier.  Du  temps  de  Molière,  l'esprit  géométrique  ne 
s'était  pas  encore  rendu  maître  de  la  langue  :  elle  ne 
souf&ait  d'être  gouvernée  que  par  son  génie  natif,  re- 
connaissant les  engagements  pris  à  l'origine,  mais  aussi 
leurlaissant  leur  plein  effet.  On  écrivait  le  français  alors 
avec  la  liberté  de  Rabelais  et  de  Montaigne.  Mais  bien- 
tôt cette  liberté  reçut  des  entraves ,  qui  chaque  jour 
allèrent  se  resserrant  ;  on  accepta  des  lois  tyranniques 
et  des  distinctions  arbitraires:  Temploi  dételle  construc- 
tion fut  admis  avec  tel  mot  et  proscrit  avec  tel  autre , 
sans  qu'on  sût  pourquoi  :  la  langue  tendait  à  se  mettre 
en  formules.  On  n'examina  point  si  une  locution  était 
Juste  et  utile;  on  dit  :  Elle  est  vieille ,  nous  la  rejetons  ! 
Quantité  de  détails,  dont  on  ne  comprenait  plus  l'usage, 
eurent  le  même  sort.  II  fallut  aux  femmes  et  aux  beaux 
esprits  des  modes  nouvelles,  où  le  caprice  remplaçait 
la  raison.  Je  ne  dis  pas  qu'à  ces  épurations  le  style  n'ait 
absolument  rien  gagné,  mais  je  suis  persuadé  qu'en 
somme  la  langue  y  a  perdu.  Eh  !  que  peu^on  gagner  qui 


tll  VIS  DE  MOLliRK. 

«  alexandrin.  »  Sans  doute  Baron  tenait  ce  système  de 
Molière,  et  c'est  peut-être  ce  passage  de  Collé  qui  l'a 
ti^ansmis  à  Talma. 

Molière,  dans  sa  jeunesse,  avait  traduit  en  vers  le 
poëme  de  Lucrèce ,  De  la  nature  des  choses.  Il  est  cer- 
tain que  cette  traduction  existait  encore  en  1664  ;  elle 
est  aujourd'hui  perdue.  Les  papiers  de  Molière,  parmi 
lesquels  devaient  se  trouver  des  esquisses  et  des  firag- 
nients  de  comédies  inachevées,  ont  été  vendus  et  dis- 
persés avec  la  bibUothèque  du  comédien  Lagrange, 
héritier  des  manuscrits  de  son  illustre  camarade.  On 
assure  pourtant  qu'en  1799  la  Comédie  française  pos- 
sédait encore  quelques-uns  de  ces  cahiers,  mais  qu'ils 
ont  péri  dans  l'incendie  de  l'Odéon;  en  sorte  que  l'on 
ne  connaît  aujourd'hui  de  la  main  de  Molière  que  sa 
signature  au  bas  d'un  acte. 


CHAPITRE  VIII. 

Da  génie  dramttf que  de  Molière.  —  Du  style  de  Molière. 

Les  comédies  de  Molière  sont  à  présent,  et,  tout  en 
réservant  les  chances  de  l'avenir,  on  peut  croire  qu'elles 
resteront  le  plus  grand  monument  de  la  littérature  fran- 
çaise ,  l'éternel  honneur  du  siècle  et  du  pays  qui  les  a 
vues  naître.  Personne  n'est  descendu  plus  avant  que 
Molière  dans  le  cœur  humain.  Il  n'y  a  point  de  vices, 
de  travers,  de  ridicules,  auxquels  il  n'ait  au  moins 
touché,  sur  lesquels  il  n'ait  laissé  l'empreinte  de  sa 
main  puissante;  en  sorte  qu'il  semble  avoir  confisqué 
par  anticipation  l'originalité  de  tous  ses  successeurs. 

On  a  tenté  d'amoindrir  la  sienne  en  recherchant  les 
sources  où  il  avait  puisé,  en  faisant  voir  qu'il  avait  em- 


VIE  DE   MOUERE.  Ull 

pninté  une  idée  tantôt  à  Tërence,  tantôt  à  Aristophane; 
un  caractère  ou  un  bon  mot  à  Plaute;  à  Cyrano  le 
fond  de  deux  scènes  ;  le  Médecin  malgré  lui  à  un  fabliau 
du  xui*  siècle  ;  la  Princesse  d^Elide  à  Augustin  Moretu 
(  il  eût  mieux  fait  de  la  lui  laisser);  un  trait  de  Tartuje 
à  Scarron.  Et  qu'importe?  tout  cela  était  enfoui,  in- 
connu, méprisé,  sans  valeur.  Reprocheriezrvous  à  un 
alchimiste  d'avoir  ramassé  dans  la  rue  un  morceau  de 
plomb,  pour  le  changer  en  or?  Ce  que  Molière  a  pris  à 
tout  le  monde,  personne  ne  le  reprendra  sur  lui,  et 
l'on  ne  lui  arrachera  pas  davantage  ce  qu'il  n'a  pris  à 
personne. 

n  était  toujours  à  la  piste  de  la  vérité,  et,  dans  l'ar- 
dente recherche  qu'il  en  faisait,  il  ne  dédaignait  pas 
d'aller  s'asseoir  au  théâtre  de  Polichinelle,  ni  de  s'ar- 
rêter devant  les  tréteaux  de  Tabarin;  il  en  rapporta 
un  jour  la  fameuse  scène  du  sac ,  que  Boileau  lui  a  tant 
reprochée.  Il  furetait  également  les  livres  italiens  et  es- 
pagnols, romans,  recueils  de  bons  mots,  facéties,  etc. 
«  Il  n'est ,  dit  l'auteur  de  la  Guerre  comique ,  point  fd: 
«  bouquin  qui  se  sauve  de  ses  mains;  mais  le  bon  usagv) 
«  qu'il  fait  de  ces  choses  le  rend  encore  plus  louable.  >» 
Et  de  Visé,  dans  sa  rapsodie  de  Zélinde^  dirigée  ce- 
pendant contre  Molière  :  «  Pour  réussir,  il  faut  prendrai 
«  la  manière  de  Molière  :  lire  tous  les  livres  satiriques, 
•  prendre  dans  l'espagnol,  prendre  dans  l'italien,  et 
«  lire  tous  les  vieux  bouquins.  Il  faut  avouer  que  c'est 
«  un  galant  homme,  et  qu'il  est  louable  de  se  servir  de 
«  tout  ce  qu'il  lit  de  bon  (i).» 

(i)  Zéùnde ,  ou  la  véritable  critique  de  V Ecole  des  femmes  ,  acte  I*'', 
scène  7.  —  La  Guerre  comique  ou  la  Défense  de  t Ecole  des  femmes ,  par 
le  fieur  de  Lacroix  (r064) ,  se  compose  d'un  dialogue  entre  Apollon  et 
Ifomiis,  suivi  de  quatre  Disputes,  Dans  la  dernière  dispute  ou  voit  iigui  er 
le  pertonnage  de  la  |U^pçiilMy  du  Aomaa  comique. 


N/r 


LIV  TIE  DE  MOLliRE. 

Le  génie  de  Molière  était  si  éminemment  drama- 
tique ,  qu*il  a  employé  toutes  les  formes  du  drame ,  y 
compris  celles  que  Ton  croirait  plus  modernes  ;  tous 
les  tons  et  toutes  les  nuances  de  la  comédie,  cela  Ta 
sans  dire;  la  tragédie  et  le  drame  héroïque  dans  Don 
Garcie  de  Navarre^  dont  les  meilleures  scènes  ont  en- 
richi le  Misanthrope;  la  tragédie  lyrique  dans  Psyché; 
Topéra-ballet  dans  Mélicerte^  dans  la  Princesse  d^Élide^ 
et  dans  les  nombreux  intermèdes  de  ses  autres  pièces; 
et  jusqu'à  Topéra-comique  dans  le  Sicilien ,  qui  peut  à 
bon  droit  passer  pour  le  premier  essai  du  genre. 

Voltaire  a  reproché  à  Molière  des  dénoûments  pos- 
tiches et  peu  naturels,  et  cette  opinion  a  trouré  de 
nombreux  échos.  Cette  question,  examinée  de  près,  at- 
teste ,  je  crois ,  l'étude  profonde  que  Molière  avait  faite 
de  la  nature  et  de  l'art.  En  effet,  il  n'y  a  point  de  dé- 
noûments dans  la  nature  :  j'entends  de  ces  péripéties  qui 
tout  d'un  coup  placent  un  nombre  donné  de  person- 
nages, tous  en  même  temps,  dans  une  situation  arrêtée, 
définitive,  et  qui  ne  laisse  plus  à  s'enquérir  de  rien  sur 
leur  compte.  Par  rapport  à  l'art ,  une  pièce  de  théâtre 
n'est  point  faite  pour  le  dénoûment;  au  contraire,  le 
dénoûment  n'est  qu'un  prétexte  pour  foire  la  pièce. 
Quand  vous  sortez  pour  vous  promener,  est-ce  le  terme 
de  la  promenade  qui  en  est  l'objet  véritable  ?  Nulle- 
ment :  le  vrai  but,  c'est  de  parcourir  lentement,  cu- 
rieusement, le  chemin.  L'art  consiste  à  vous  faire 
avancer  par  des  sentiers  dont  les  sinuosités  et  les  re- 
tours ont  été  savamment  calculés,  embellis  à  droite  et 
à  gauche  de  toutes  sortes  de  fleurs  et  d'agréments  qui 
vous  attirent  :  c'est  là  votre  plaisir ,  et  l'artifice  du  jar- 
dinier ou  du  poëte.  Mais  ce  que  vous  trouverez  à  la 
fin,  vous  le  savez  d'avance,  et  c'est  votre  moindre 
souci.  La  preuve  que  la  curiosité  n'est  ici  pour  rien^ 


VIB  DS  IIOLfiltS.  LT 

c'est  que  l'on  reverra  cent  fois  la  même  pièce.  FI  n'y  a 
au  théâtre  que  deux  dénoAments  :  la  mort  dans  la  tra» 
gédie,  dans  la  comédie  le  mariage.  Le  talent  du  poète 
est  d*accumuler  au-devant  des  obstacles  en  apparence 
invincibles;  et  quand  il  les  a  fait  disparaître  un  à  un, 
ce  qu'il  a  de  mieux  à  faire,  c'est  de  tourner  court,  et 
de  disparaître  lui-même.  Il  vous  a  donné  ce  que  vous 
lui  demandiez  :  le  plaisir  de  la  promenade.  Quelles  sont 
donc  les  conditions  rigoureuses  d'un  bon  dénoAmentP 
C'est  de  satisfaire  la  raison,  le  jugement,  les  sympa* 
thies  ou  les  antipathies  excitées  dans  le  cours  de  l'ou- 
vrage; Timagination  n'a  rien  à  y  réclamer,  elle  a  eu 
sa  part.  Considérés  de  ce  point  de  vue ,  les  dénoftments 
de  Molière  n'offrent  plus  rien  à  reprendre. 

L'arrêt  porté  par  Boileau  est  d'une  sévérité  qui  va 
jusqu'à  l'injustice  : 

C*e8t  par  là  que  Molière ,  illnstrant  ses  écrits , 
Peut-être  de  ion  art  eût  remporté  le  prix , 
Si,  Boios  ami  du  peuple ,  en  ses  doctes  peintures 
n  n*eât  point  fait  souvent  grimacer  ses  figures , 
Quitté  pour  le  bouffon  Tagréable  et  le  fin, 
Ht  sans  honte  k  Térence  allié  Tabarin. 
Dans  ee  sac  ridicule  où  Scapin  Tenteloppef 
Je  ne  reconnais  plus  Tauteur  du  Misanthrope. 

Que  vous  le  reconnaissiez  ou  non,  il  n'en  est  pas 
moins  cet  auteur.  Quand  il  s'agit  d'apprécier  et  de  clas- 
ser définitivement  un  écrivain,  on  doit  considérer  non 
le  point  où  il  est  descendu ,  mais  le  point  où  il  s'est 
élevé.  La  raison  en  est  simple  :  les  bons  ouvrages  avan- 
cent Fart;  les  mauvais  ne  le  font  pas  reculer.  La  pos- 
térité ne  voit  de  Corneille  que  le  Cid,  Horace^  Cinna^ 
Polyeucte;  quant  à  Théodore^  AgéêilaSy  Attila  j  Suréna, 
elle  les  ignore  ou  les  oublie. 

Boileau  éuit  le  maître  de  choisir  son  public;  il  ne 
s'embarraisa  de  plaire  qu'à  Louis  XIY,  à  un  duc  dé 


LVI  VU  DE  MOUERE. 

Beauvilliers ,  à  un  duc  de  Montausier,  à  Guillenigues , 
à  Seignelay,  aux  esprits  d'élite.  C'est  pour  eux  qu'il 
écrit,  pour  eux  seuls.  Molière  subissait  des  conditions 
tout  à  fait  différentes  :  il  a  travaillé  tantôt  pour  la  cour, 
tantôt  pour  le  peuple,  et  il  est  arrivé  que  ses  ouvrages 
ont  été  goûtés  universellement.  Est-il  juste  de  lui  en 
faire  un  crime?  Mais,  au  contraire,  cette  austérité  in- 
flexible, ce  puritanisme  de  goftt  qui  bannit  une  cer- 
taine variété,  sera  toujours,  aux  jeux  de  beaucoup  de 
gens,  un  titre  d'exclusion  contre  Boileau. 

Enfin ,  si  Molière  n'emporte  pas  le  prix  dans  son  art, 
qui  l'emportera?  à  qui  réserve-t-on  ce  prix? 

A  Shakspeare,  à  Galdéron,  répond  Schlegel.  Nous 
n'opposerons  à  l'adoption  de  cette  sentence  qu'une  pe- 
tite difficulté  :  Schlegel,  qui  condamne  Racine  et  mé- 
prise Molière,  ne  les  entend  pas  assez;  et  il  entend 
trop  Galdéron  et  Shakspeare. 

Saint-Évremond,  cet  esprit  si  fin,  si  juste,  et  en  même 
temps  si  sobre  dans  l'expression ,  me  paraît  avoir ,  en 
deux  lignes,  jugé  Molière  mieux  et  plus  complètement 
que  personne  :  «  Molière  a  pris  les  anciens  pour  mo- 
«  dèles,  inimitable  à  ceux  qu'il  a  imités,  s'ils  vivaient 
«  encore.  » 

Le  style  de  Molière  a  été  déprécié  par  deux  juges 
d'une  autorité  imposante  :  la  Bruyère  et  Fénelon.  Voici 
d'abord  Topinion  de  l'auteur  du  Télémaque^  qui,  fidèle 
à  son  caractère  de  mansuétude,  s'exprime  avec  moins 
de  dureté  que  l'auteur  des  Caractères. 

«  En  pensant  bien,  il  parle  souvent  mal.  Il  se  sert 
«  des  phrases  les  plus  forcées  et  les  moins  naturelles. 
«  Térence  dit  en  quatre  mots,  avec  la  plus  grande  sim- 
•  plicité ,  ce  que  celui-ci  ne  dit  qu'avec  une  multitude 
«  de  métaphores  qui  approchent  du  galimatias.  J'aime 
«  bien  mieux  sa  prose  que  ses  vers.  UAvare^  par  exem- 


VIS  DB  MOLUERB.  LVII 

■  pie ,  est  moins  mal  écrit  que  les  pièces  qui  sont  en 
«  Ters.  11  est  vrai  que  la  versification  française  la  génë... 
«  Mais,  en  général ,  il  me  paraît  jusque  dans  sa  prose 
«  ne  point  parler  assez  simplement  pour  exprimer  toutes 
«  les  passions.  »  {Lettre  sur  l'Éloquence.) 

La  Bruyère  ne  fait  que  résumer  ce  jugement,  en 
exagérant  les  termes  presque  jusqu  à  Tinjure  : 

«  Il  n'a  manqué  à  Molière  que  d'éviter  le  jargon  et  le 
«  barharismey  et  d'écrire  purement  » 

{Des  ouvrages  de  Vesprit,) 

Incorrection ,  jargon ,  et  barbarisme,  voilà,  suivant 
la  Bruyère,  les  caractères  du  style  de  notre  grand  co- 
mique. Il  ne  laisse ,  lui ,  aucun  refuge  à  Molière  ;  il  ne 
distingue  pas  entre  la  prose  et  les  vers,  et  ne  s'avise  pas 
de  demander  aux  difficultés  de  la  versification  une 
circonstance  atténuante  ;  il  est  impitoyable  et  brutal  : 
La  mortj  sans  phrases  ! 

Sur  cette  distinction  entre  la  prose  et  les  vers  de 
Molière,  laissons  parler  d'abord  un  troisième  juge ,  dont 
la  compétence  en  matière  de  goût  et  de  style  est  irrécu- 
sable: 

«  On  s'est  piqué  à  l'envi,  dans  quelques  dictionnaires 
«  nouveaux,  de  décrier  les  vers  de  Molière  en  faveur  de 
<  sa  prose,  sur  la  parole  de  l'archevêque  de  Cambrai, 
€  Fénelon,  qui  semble  en  effet  donner  la  préférence  à 
€  la  prose  de  ce  grand  comique,  et  qui  avait  ses  raisons 
«  pour  n'aimer  que  la  prose  poétique  :  mais  Boileau  ne 
«  pensait  pas  ainsi.  Il  faut  convenir  que,  à  quelques  né- 
«  gligences  près,  négligences  que  la  comédie  tolère,  Mo- 
«  lière  est  plein  de  vers  admirables ,  qui  s'impriment 
«  facilement  dans  la  mémoire.  Le  Misanthrope^  les  Fem- 
«  mes  savantes^  le  Tartufe^  sont  écrits  comme  les  satires 
«  de  Boileau  ;  V Amphitryon  est  un  recueil  d'épigrammes 


LVItl  vn  M  MOttiAK. 

«  et  de  madrigaux  faits  avec  un  art  qu'on  ti  a  point 
«  imité  depuis.  La  poésie  est  à  la  bonne  prose  ce  que  la 

•  danse  est  à  une  simple  démarche  noble,  ce  que  la 

•  musique  est  au  récit  ordinaire ,  ce  que  les  couleurs 
«  sont  à  des  dessins  au  crayon.  • 

(Voltaire  I  Siècle  de  Louis  XI  F.) 
A  cette  réponse  sans  réplique,  on  pourrait  ajouter 
une  autre  observation,  à  quoi  Fénelon  ni  Voltaire  n'ont 
pris  garde  :  c'est  que  fjit^are ,  comme  plusieurs  autres 
comédies  en  prose  de  Molière ,  est  presque  tout  entier 
en  Ters  blancs  (i).  Le  rbytbrae  et  la  mesure  y  sont  déjà; 
il  n'y  manque  plus  que  la  rime.  Une  telle  prose  assuré- 
ment ne  peut  se  dire  affranchie  des  contraintes  de  la 
Tersification,  auxquelles  Fénelon  attribue  le  méchant 
style  des  vers  de  Molière.  Ainsi  l'exemple  de  t Avare  est 
très-malheureusement  choisi  ;  ce  qu'il  aurait  fallu  citer 
comme  modèle  de  belle  et  franche  prose,  c'était  le 
DonJuan^  la  Critique  de  F  Ecole  des  femmes^  ou  le  Malade 
imaginaire. 

J'espère  montrer,  contre  l'opinion  de  Fénelon  et  même 
de  Voltaire,  que  beaucoup  d'expressions  des  vers  de 
Molière,  qu'on  regarde  comme  suggérées  par  le  besoin 
de  la  rime  ou  de  la  mesure,  parce  qu'elles  sont  aujour- 
d'hui hors  d'usage ,  étaient  alors  du  langage  commun  ; 
et  l'on  n'en  doutera  point,  lorsqu'on  les  retrouvera 
dans  la  prose  de  Pascal  et  dans  celle  de  Bossuet. 

Il  ne  s'agit  point  de  comparer  Molière  à  Térence ,  et 
de  décider  si  le  français  de  l'un  est  moins  élégant  et 
moins  pur  que  le  latin  de  l'autre.  Térence,  quand  Féne* 
Ion  lui  donnait  le  prix,  avait  l'avantage  d'être  mort 
depuis  longtemps,  et  aussi  sa  langue.  Il  est  à  craindre 
que  l'heureux  imitateur  d'Homère    n'ait  trop  cédé  à 

(i)  Voyet  rtrticlé  VERS  BLANCS,  do  UoàsfÊe. 


VIB  DK  MOttERB.  LIX 

ses  préoccupations  en  faveur  des  anciens.  Nous  devons 
croire  à  l'élégance  et  à  la  pureté  de  Térence ,  dont  il  y 
a  tant  de  bons  témoins;  mais  y  croire  d*une  manière 
absolue  j  et  sans  nous  mêler  de  faire  concourir  le  poète 
latin  avec  les  écrivains  d*un  autre  idiome.  Nous  avons  un 
mémorable  exemple  du  danger  où  nous  nous  eiposerions, 
puisque  le  sentiment  excessif  des  mérites  de  Térence  a 
pu  faire  paraître  le  Misanthrope^  Tartufe^  et  les  Femmes 
savantes^  des  pièces  mal  écrites  :  ^UAi^are  est  moins  mal 
<  écrit  que  les  pièces  qui  sont  en  vers.  »  H  faut  ranger 
cette  proposition  de  Tarchevéque  de  Cambrai  parmi 
les  Maximes  des  saints^  qui  ne  sont  point  orthodoxes. 

Je  ne  sais  si  la  simplicité  des  termes,  et  Tabsence  ou 
lliumilité  des  figures,  est  le  caractère  essentiel  du  lan* 
gage  des  passions.  J'en  doute  fort  quand  je  lis  Eschyle, 
Sophocle,  et  Homère  lui-même.  Je  demanderai  quelles 
passions  Molière  a  mal  exprimées,  pour  leur  avoir  prêté 
un  langage  trop  chargé  de  figures  :  est-ce  Tavarice, 
Famour,  la  jalousie  ? 

Sortons  un  peu  des  accusations  vagues  et  des  termes 
généraux.  Molière,  dit  Fénelon,  pense  bien,  mais  il 
parle  mal.  CTest  quelque  chose  déjà  que  de  bien  penser  ; 
et  j'ajoute  qu'il  est  rare,  quand  la  pensée  est  juste,  que 
l'expression  soit  fausse.  Mais  enfin ,  depuis  Fénelon  et 
la  Bruyère,  on  a  souvent  fait  à  Molière  ce  reproche  de 
ne  pas  écrire  purement.  Il  ne  faut  qu'une  délicatesse  de 
goût  médiocre  et  une  attention  superficielle  pour  sentir, 
dans  le  style  de  Molière ,  une  différence  avec  les  autres 
grands  écrivains  du  xvii*  siècle.  Racine,  Boileau,  Féne- 
lon^  la  Bruyère,  etc.  Mais  cette  différence  est-«lle  de 
l'incorrection  ? 

Nous  sommes  accoutumés ,  nous  qui  regardons  déjà 
de  loin  cette  époque,  à  confondre  un  peu  les  plans  du 
tableau,  et  à  mêler  les  personnages  :sous  prétexte  qu'ib 


U  VIS  DB  MOUJERE, 

ont  vécu  ensemble ,  nous  faisons  Molière  absolument 
contemporain  de  Boileau ,  de  Racine ,  de  Bossuet  et  de 
Fénelon  ;  et  ce  que  nous  donnent  les  uns,  nous  pensons 
avoir  le  droit  de  Texiger  aussi  de  l'autre.  C'est  mal  à  pro* 
pos.  Molière  enseigna  tout  ce  monde ,  et  les  seuls  vrai- 
ment grands  écrivains  dont  Texemple  put  lui  servir  fu- 
rent Corneille  et  Pascal.  Songez  que  Molière  écrivit  de 
i653  à  167a,  de  l'âge  de  vingt  et  un  ans  à  celui  de 
cinquante.  Durant  cette  période  de  vingt-neuf  années , 
que  se  produisit-il?  Corneille  était  fini  :  /'£/our£^' naquit 
la  même  année  que  Pertharite;  OEdipe  en  tombant  vit 
le  succès  des  Précieuses,  Molière  s  avança  dans  la  car- 
rière  tout  seul,  ou  à  peu  près,  jusqu'en  1667,  que 
Racine  fit  son  véritable  début  dans  Andromaque. 
La  Fontaine  venait  de  publier  le  premier  recueil  de  ses 
contes;  on  avait  de  Boileau  son  Discours  au  roi ^  plu- 
sieurs satireSi  et  de  la  Rochefoucauld,  le  livre  des  Maxi» 
mes.  Voilà  tout.  Et  Molière,  où  en  était-il,  lui  P  II  avait 
déjà  donné  à  la  littérature  française  Don  Juan  ,  ie  Mi- 
santhrope^ et  Tartufe!  De  ce  point  jusqu'au  moment  où 
la  tombe  l'engloutit  dans  toute  la  force  de  son  génie, 
Racine  donna  les  Plaideurs j  Britannicus ,  Bérénice  ,  et 
Bajazet;  la  Fontaine^  un  second  volume  de  contes  et  les 
premiers  livres  de  ses  fiables;  Boileau,  trois  épîtres; 
Bossuet,  deux  oraisons  funèbres  :  celle  de  la  reine  d'An- 
gleterre ,  et  celle  de  la  duchesse  d'Orléans. 

La  Bruyère,  Fénelon,  madame  de  Sévigné,  Fonte- 
nelle,  n'avaient  point  encore  paru. 

C'est  seulement  après  la  mort  de  Molière  que  nous 
voyons  éclore  tous  ces  illustres  chefs-d'œuvre  du 
XVII*  siècle  :  Mithridate ,  Iphigénie^  Phèdre^  Eslher^  et 
Athalie;  les  six  derniers  livres  des  fables  de  la  Fon- 
taine; les  épitresde  Boileau,  ses  deux  meilleures  satires 
(X  et  XI),  tArt  poétique^  et  le  Lutrin;  dans  un  autre 


vn  DB  MOLIEHE*  LU 

genre ,  l'oraison  funèbre  du  prince  de  Gondé,  V Histoire 
des  yariations ,  et  le  Discours  sur  ^histoire  universelle. 
Entre  la  mort  de  Molière  et  Télémaque^  il  y  a  neuf  ans  ; 
et,  pour  aller  jusqu'aux  Caractères  de  la  Bruyère ,  il  y 
en  a  quatorze.  Durant  cet  intervalle ,  la  langue  française 
changea  beaucoup. 

Je  ne  toîs,  dans  le xvii*  siècle,  que  quatre  hommes 
qui  aient  parlé  la  même  langue  :  Pascal,  la  Fontaine, 
Molière ,  et  Bossuet. 

Le  caractère  essentiel  de  cette  langue ,  c'est  une  in- 
dépendance complète ,  un  esprit  d'initiatiTe  très-hardi , 
sous  la  surveillance  d'une  logique  rigoureuse.  Le  pre- 
mier devoir  de  cette  langue,  c  est  de  traduire  la  pensée; 
le  second,  de  satisfaire  la  grammaire  :  aujourd'hui  la 
grammaire  passe  devant,  et  souvent  contraint  la  pensée 
à  plier.  Du  temps  de  Molière,  l'esprit  géométrique  ne 
s'était  pas  encore  rendu  maître  de  la  langue  :  elle  ne 
souffrait  d'être  gouvernée  que  par  son  génie  natif,  re- 
connaissant les  engagements  pris  à  l'origine ,  mais  aussi 
leur  laissant  leur  plein  effet.  On  écrivait  le  français  alors 
avec  la  liberté  de  Rabelais  et  de  Montaigne.  Mais  bien- 
tôt cette  liberté  reçut  des  entraves ,  qui  chaque  jour 
allèrent  se  resserrant  ;  on  accepta  des  lois  tyranniques 
et  des  distinctions  arbitraires:  Temploi  dételle  construc- 
tion fut  admis  avec  tel  mot  et  proscrit  avec  tel  autre , 
sans  qu'on  sût  pourquoi  :  la  langue  tendait  à  se  mettre 
en  formules.  On  n'examina  point  si  une  locution  était 
Juste  et  utile;  on  dit  :  Elle  est  vieille ,  nous  la  rejetons  ! 
Quantité  de  détails,  dont  on  ne  comprenait  plus  l'usage, 
eurent  le  même  sort.  Il  fallut  aux  femmes  et  aux  beaux 
esprits  des  modes  nouvelles,  où  le  caprice  remplaçait 
la  raison.  Je  ne  dis  pas  qu'à  ces  épurations  le  style  n'ait 
absolument  rien  gagné ,  mais  je  suis  persuadé  qu'en 
somme  la  langue  y  a  perdu.  Eh  !  que  peut-on  gagner  qui 


Um  vu  DB  MOUÂEBt 

vaille  l'indépendance  P  queU  galons,  fuAsen  t-iU  d*or,  com- 
pensent la  perte  de  la  liberté  ? 

Cependant  la  Bruyère  félicite  la  langue  de  ses  progrès» 
Le  passage  vaut  d*êlre  cité  :  «  On  écrit  régulièrement  de>* 
«  puis  vingt  années;  on  est  esclave  de  la  construction  ;  on 
«  a  enrichi  la  langue  de  nouveaux  motSi  secoué  le  joug  du 
«  latinisme,  et  réduit  le  style  à  la  phrase  purement  fran- 
«  çaise.  On  a  presque  retrouvé  le  nombre  que  Malherbe 
«  et  Balzac  avaient  les  premiers  rencontré,  et  que  tant 
«  d'auteurs  depuis  eux  ont  laissé  perdre  ;  on  a  mis  enfin 
«  dans  le  discours  tout  l'ordre  et  toute  la  netteté  dont 
«  il  est  capable  :  cela  conduit  insensiblement  à  y  mettre 
«  de  l'esprit,  » 

On  sent  au  fond  de  cette  apologie  la  satisfaction  d'une 
bonne  conscience;  mais  la  sincérité  n'exclut  pas  l'er- 
reur. Il  parait  un  peu  dur  de  prétendre  qu'on  n'écrivait 
pas  régulièrement  avant  16879  et  de  reléguer  ainsi,  par- 
mi les  ouvrages  d'un  style  irrégulier,  les  Lettres prouin' 
ciales ^  V Ecole  des  maris ^  V École  des  femmes^  Don 
Juany  et  même  Tartufe ,  dont  les  trois  premiers  actes 
furent  joués  en  1664.  La  langue  française  étant  une 
transformation  de  la  latine ,  ne  peut  abjurer  le  génie  de 
sa  mère  sans  anéantir  le  sien.  Ces  mots ,  réduire  le  style 
à  la  phrase  purement  française  (i),  n'offrent  donc  point 
de  sens;  et  cela  est  si  vrai,  que  Bossuet,  Fénelon  et 
Racine  sont  remplis  de  latinismes.  On  est  esclave  de  la 
construction^  cela  signifie  qu'on  emploie  des  construc- 
tions beaucoup  moins  variées;  que  l'inversion,  par 
exemple,  a  été  supprimée,  dont  nos  vieux  écrivains  sa- 

(1)  Cette  expression  semble  bizarre,  surtout  au  moment  où  la  Bruyère 
se  glorifie  de  la  netteté  de  son  discours.  Comment  peut-on  réduire  le 
ityle ,  qui  est  un  terme  général,  à  U  pfirtue ,  qui  est  un  terme  particulier  f 
Le  eontrtire  se  eonprendrait  mieux  :  on  nmeiia  la  phiase  ta  style  frin* 
çûf.  C'est  ce  (|u*a  voulu  dire  la  firuyère. 


vil  ra  uouku.  uun 

?aient  tirer  de  ai  grands  avantages.  C'est  ce  que  la 
Bruyère  appelle  Tordre  et  la  netteté  du  discours  ,  qui 
conduisent  insensiblement  à  y  mettre  de  Vesprit.  Ce 
dernier  trait  est  vraiment  admirable!  Avant  1667,  il  n'y 
avait  dans  le  discours  ni  ordre ,  ni  netteté ,  ni  par  con- 
séquent d'esprit;  les  écrivains  n'ont  commencé  d'avoir 
de  l'esprit  que  depuis  1667. 

Relisez  maintenant  cet  éloge ,  et  vous  verrez  qu'il  ne 
s'applique  exactement  qu'au  style  d'un  seul  écrivain  2 
c'est  U  Bruyère.  Il  n'en  est  pas  un  trait  qui  convienne 
aux  quatre  grands  modèles  ,  Pascal,  Molière,  la  Fon* 
taine  et  Bossuet.  II  semble  plutôt  que  ce  soit  une  atta- 
que voilée  contre  leur  manière.  Tout  en  paraissant  louer 
son  époque,  la  Bruyère  ne  loue  en  effet  que  les  allures 
sèches  et  uniformes  du  style  de  la  Bruyère.  On  donne 
trop  d'autorité  aux  décisions  de  cet  écrivain.  Si  le  livre 
était  lu  davantage,  l'auteur  n'eût  pas  joui  sans  trouble , 
jusqu'à  présent,  d'une  réputation  consacrée  par  l'habi* 
tude,  et  protégée  par  l'indifférence.  Pourquoi  a-ton 
crié  tant  et  si  fort  contre  Boileau?  C'est  que  Boileau  est 
dans  toutes  les  mémoires.  Je  suis  contraint  de  recon- 
•naître  avec  ses  ennemis ,  qu'il  n'a  point  mis  de  sensibi* 
lité  dans  ses  satires  ;  et  c'est  une  grande  lacune  sans 
doute.  Biais  je  ne  pense  pas  que  le  cœur  se  montre  da- 
vantage dans  la  Bruyère ,  que  personne  pourtant  n'a 
jamais  inquiété  pour  ce  fait. 

Fénelon  reproche  à  Molière  des  métaphores  voi- 
ânes  du  galimatias  ;  la  Bruyère ,  enchérissant  sur  Fé- 
nelon, l'accuse  de  jargon  et  de  barbarisme.  Il  serait 
bien  étrange  que  celui  qui  a  passé  sa  vie  à  poursuivre  le 
galimatias  des  pédants  et  le  jargon  des  précieuses,  eût 
été,  à  l'insu  de  tout  le  monde,  atteint  delà  même  maladie  ! 
Comment  tant  d'ennemis  de  Molière  n'ont-ils  pas  su 
relever,  dans  ses  oeuvres  »  un  ridicule  qu'il  relevait  si 


uiv  vn  DB  Mouiu. 

bien  dans  les  leurs?  C'est  que  rien  n'est  plus  opposé  que 
le  jargon  et  le  galimatias  au  génie  franc  et  naïf  de 
Molière.  Je  ne  prétends  pas  nier  qu*on  ne  rencontre  çà 
et  là  chez  lui  de  mauvaises  métaphores,  quelque  expres- 
sion obscure  ou  peu  naturelle.  Moi-même  j'ai  pris  soin 
de  les  signaler  (i),  car,  malgré  son  divin  génie,  Molière 
après  tout  n'était  qu'un  homme  :  il  a  pu  quelquefois  se 
tromper  au  choix  de  ses  sujets;  et  quand,  par  exemple, 
il  se  mit  à  Don  Garde ,  il  n  eut  pas  le  don  d*habiller 
d'expressions  vraies  des  sentiments  faux  et  des  aventu- 
res romanesques  (3).  Quand  un  ordre  du  roi  l'attachait 
à  des  arguments  tels  que  Psyché  ou  Melicerte^  ou  bien 
lui  faisait  brusquer  les  deux  derniers  actes  du  Bourgeois 
gentilhomme  y  le  désir  de  plaire  à  Louis  XIV  ne  parvint 
pas  toujours  à  suppléer  au  manque  de  temps ,  ni  à 
l'ingratitude  de  la  donnée.  Mais  il  est  souveraine- 
ment injuste  d'aller  rechercher  quelques  détails  perdus, 
pour  en  faire  un  caractère  général  de  l'ensemble.  La 
Bruyère  n'a  pas  été  plus  heureux  à  juger  le  style  de 
Molière  qu'à  refaire  Tartufe  sous  le  nom  d'Onuphre. 
Un  peintre  de  mœurs  qui  estime  Tartufe  un  caractère 
manqué,  où  Mohère  a  pris  justement  le  contre-pied  de 
la  vérité ,  et  qui  entreprend  de  le  rétablir  au  naturel ,  je 
ne  veux  pas  affirmer  que  ce  peintre-là  soit  aveuglé  par 
la  jalousie  ;  mais  que  ce  soit  par  la  jalousie  ou  autre* 
ment ,  il  m'est  désormais  impossible  de  croire  à  la  jus- 
tesse de  sa  vue ,  ni  à  l'infaillibilité  de  ses  oracles. 

Qu'entend-il,  lorsqu'il r^ette  que  Molière  n'ait  pas 
évité  le  barbarisme  ?  Est-ce  à  dire  qu'il  y  a  des  barbaris- 
mes dans  Molière ,  ou  que  Molière  écrit  d'un  style  bar- 

(x)  Voyez  les  articles  mktapboiis  ticikusu  ;  il;  oh. 

(a)  Mais  aussi  voyez,  au  milieu  de  ses  erreurs,  quand  il  reocontre  un 
filon  de  vérité ,  comment  il  en  tire  parti  !  La  scène  de  jalousie  de  Dam 
Garde  a  passé  dans  le  Misanthrope ,  où  elle  brille. 


TIE  DE  MOLIERE.  LXV 

bare  ?  Ni  l'un  ni  l'autre  n'est  soutenable.  La  Bruyère  se 
sauve  ici  par  le  laconisme.  Quand  le  chartreux  dom 
Bonaventure  d' Argonne  Faccusa lui-même  de  néologisme 
etde  solécjsmes,  à  l'appui  de  ses  assertions  il  cita  des 
exemples  qui  permirent  de  vérifier  sa  critique ,  et  d'en 
reconnaître,  sinon  la  justesse  constante,  au  moins  la 
bonne  foi.  C'est  tout  ce  qu'on  peut  exiger. 

J'espère  que  je  sens  comme  un  autre  le  mérite  des 
Caractères  ,  et  que  l'injustice  de  la  Bruyère  envers  Mo- 
lière ne  me  rend  point  à  mon  tour  injuste  envers  la 
Bruyère.  Je  rends  pleine  justice  à  la  finesse  des  vues,  et 
à  la  parfaite  convenance  du  style  avec  les  pensées.  Tout 
cela  ne  m'empêchera  point  de  dire  que  ce  style  est  plus 
remarquable  par  l'absence  des  défauts  que  par  la  pré- 
sence de  grandes  qualités;  tandis  que  c'est  précisément 
l'inverse  dans  Molière.  En  pareil  cas,  le  choix  n'est  pas 
douteux  :  le  style  de  la  Bruyère  est  le  beau  idéal  de  la 
réforme  accomplie  par  les  précieuses  de  l'hôtel  de  Ram- 
bouillet (i);  réforme  étroite  et  mesquine,  ayant  pour 
point  de  départ  le  mépris ,  c'est-à-dire ,  l'ignorance  de 
la  vieille  langue,  et  qui  résume  et  absorbe  toutes  les 
qualités  en  une  misérable  et  vétilleuse  correction.  C'est 
dans  cette  école  qu'on  supprime  une  bonne  pensée , 
quand  on  ne  lui  trouve  pas  une  brillante  vêture  ;  mais , 


(i)  Aussi  rhistorien  de  la  société,  c'est-à-dire,  le  panégyriste  des  Pré» 
âêuses ,  met-il  sans  hésiter  la  Bruyère  fort  au-dessus  de  Molière  :  «  Su- 
«  périeur  à  Molière  par  Téteudue ,  la  profondeur,  la  diversité ,  la  sagacité, 
«  la  moralité  de  ses  observations ,  il  esl  son  émule  dans  l'art  d'écrire  et 
«  de  décrire  ;  et  sou  talent  de  peindre  est  si  parfait ,  qu'il  n'a  pas  besoin 
«  de  comédien  pour  tous  imprimer  dans  l'esprit  la  figure  et  le  mouvement 
«  de  ses  personnages.  »  (Hist,  de  la  soc.  poL  p.  414  ,  4 15.) 

On  ne  discute  pas  de  tels  jugements  ,  encore  moins  les  combat-on  ;  il 
suffit  de  les  exposer.  Pour  avoir  osé  écrire  celui-là ,  il  faut  que  M.  R.  ait 
trouvé  de  grands  rapports  entre  sou  propre  talent  et  relui  de  la  Broyèrc. 


ULVI  VI£  DK  MOLIERK. 

au  contraire,  on  nliésite  pas  à  lancer  une  pensée  fausse, 
quand  elle  5'enveloppe  cl*une  phrase  coquelte  et  bien 
tirée;  en  sorte  que  ce  quon  peut  souhaiter  de  mieux, 
c'est  que  la  phrase  soit  vide.  De  1  abondance  autre  que 
celle  des  mots,  de  Télévation ,  du  mouvement,  de  Tori- 
ginalité ,  n'en  demandez  pas  à  cette  école  :  ce  sont  choses 
qui  troublent  et  risqueraient  de  déranger  1  équilibre  et 
la  symétrie  ;  voyez  plutôt  Bossuet!  quel  écrivain  incor- 
rect! Molière  n'est  pas  pire,  ni  Pascal,  ni  Montaigne,  ni 
Rabelais.  Or,  figurez-vous  par  plaisir  ces  esprits  vifs,  sou- 
dains, énergiques,  obligés  de  se  révéler  dans  cette  belle 
langue  perfectionnée,  qui  est  esclave  de  la  correction, 
quia  secoué  le  jong  du  latinisme,  et  qui  réduit  le  style 
à  la  phrase  purement  française  ;  figurez-vous  Rabelais , 
Montaigne,  Pascal  et  Molière,  n'ayant  à  leur  service 
d'autre  instrument  que  cette  langue  effacée,  délavée, 
cette  langue  de  bégueule  et  de  pédante  :  croyez-vous,  avec 
la  Bruyère ,  qu'elle  les  eût  conduits  insensiblement  à 
mettre  plus  d'esprit  dans  leurs  ouvrages  P 

Nous  avions  autrefois  une  langue  riche  et  souple^ 
diverse  et  ondoyante,  docile  à  recevoir  l\Mnpreinte  de 
chaque  génie,  et  fidèle  à  la  conserver.  Mais  depuis  que 
les  grammairiens,  progéniture  de  l'hôtel  de  Rambouillet, 
nous  ontmis  cette  langue  en  équations,  tous  les  styles  se 
ressemblent.  On  croit  assister  à  cet  ancien  bal  de  l'O- 
péra ,  célèbre  pour  sa  monotonie ,  où  tous  les  masques 
étaient  affublés  du  même  domino  noir;  moyennant 
quoi  Thersite  ne  se  distinguait  pas  de  l'Apollon  du 
Belvédère. 

La  langue  des  précieuses  est  meilleure  pour  l'étiquette  ; 
celle  de  Molière  est  meilleure  pour  les  passions.  La  pre- 
mière a  été  une  réaction  contre  la  seconde  :  n'est-il  pas 
temps  que  la  seconde  rentre  dans  ses  droits,  pour  n'en 
plus  être  dépossédée  ?  n'est-il  pas  temps  que  ce  qu'on 


vu  DC  ]iOUB««^  UVII 

appelle  la  languejrançaise^  ce  soit  la  langue  dei  grands 
écrivains  de  la  France? 
Je  demande  pardon  de  la  témérité  de  cette  idée» 


CHAPITRE  IX. 

MlaflMitJHéde«eiMiiédiM4«  Mottèrt.  —  ilUaqiiM  de  BoMuet.  —  SeiiU- 
meol  de  Fléchier  sur  la  comédie  et  lee  comédieiis. 

La  portée  morale  des  comédies  de  Molière  a  été 
diyeraement  estimée.  J.  J.  Rousseau  écrit  en  termes 
formels  ;  «  Les  comédies  de  Molière  sont  Técole  des 
«  mauvaises  mœiurs;  >»  mais  comme,  un  peu  avant  ou 
un  peu  après ,  il  affirme  qu*on  ne  peut  les  lire  sans  se 
sentir  «  pénétré  de  respect  pour  Fauteur ,  »  ces  deux 
propositions  se  neutralisent  réciproquement,  et  ce  n'est 
pas  la  peine  de  s'y  arrêter. 

Mais  il  est  une  opinion  trop  importante  pour  qu'il 
soit  permis  de  la  passer  sous  silence  :  c'est  celle  de 
Bossiiet. 

En  1686,  treize  ans  après  la  mort  de  Molière,  le 
père  Caffaro,  théatin,  publia  une  dissertation  en  &- 
veur  de  la  comédie.  Il  déclarait  ce  plaisir  innocent, 
d'autant  que  jamais ,  par  la  confession ,  il  n'y  avait  re- 
connu aucun  danger.  Le  scandale  fut  grand  parmi  les 
théologiens.  On  retira  les  pouvoirs  au  père  Caffaro; 
Boasuet  saisit  sa  redoutable  plume,  et  s'en  servit  contre 
le  théatin  avec  plus  d'éloquence  que  de  charité.  Le 
pauvre  père  Caffaro  se  hâta  de  donner  une  rétractii- 
tion  empreinte  de  terreur.  <«  J'assure  Votre  Grandeur , 
«  devant  Dieu^  dit-il  à  Bossuet,  que  je  n'ai  jamais  lu 
«  aucune  comédie  ni  de  Racine,  ni  de  Molière,  ni  de 
I  ConiffiUfs;  ou  au  moins  />  n^a  al  jamais  la  atie  tout 


LXVIII  VIE  DE  MOLIERE. 

«  entière.  J'en  ai  lu  quelques-unes  de  Boursault ,  de 
«  celles  qui  sont  plaisantes,  etc.  »  Peut-être  le  bon 
théatin  croyait- il  ingénument  la  lecture  de  Boursault 
une  expiation  suffisante  de  la  lecture  de  Molière. 

Uévéque  de  Meaux  étendit  la  substance  de  sa  lettre, 
et  en  fit  ses  Maximes  et  réflexions  sur  la  comédie.  Rare- 
ment Bossuet  a  porté  plus  loin  Téloquence  et  la  vigueur; 
mais  être  fort  ne  dispense  pas  d'être  juste ,  et  souvent 
rien  n'est  plus  éloquent  que  la  passion  aveuglée  par 
son  propre  excès.  Ce  traité,  qu'on  lira  toujours  pour 
admirer  la  puissance  et  l'énergie  de  l'auteur,  offre  par- 
tout une  virulence  de  langage,  une  intolérance  extraor- 
dinaire chez  un  homme  de  soixante  et  un  ans,  chez 
un  prélat.  S'il  parle  de  la  profession  de  comédien,  il 
dit  leur  infâme  métier;  il  déclare  Corneille'  et  Racine 
dangereux  à  la  pudeur;  leurs  ouvrages  sont  ^^des  infa^^ 
«  mies  y  qui,  selon  saint  Paul,  ne  doivent  pas  même 
«  être  nommées  parmi  les  chrétiens.  »  Si  saint  Paul 
avait  pu  lire  Athalie^  Esther^  Polyeucte^  et  même  Iphi- 
génie  ^  il  est  permis  de  douter  qu'il  leur  eût  appliqué 
de  telles  expressions.  Bossuet  se  révolte  et  s'indigne 
contre  l'emploi  de  l'amour  dans  les  ouvrages  drama- 
tiques. Dites-moi,  s'écrie  le  fougueux  prélat,  que  veut 
UN  Corneille  dans  son  Cid?  etc.  ;  il  ne  tolère  pas  même 
«  l'inclination  pour  la  beauté,  qui  se  termine  au  nœud 
«  conjugal;  «  et  voici  son  motif,  sur  lequel  il  insiste, 
et  qu'il  reproduit  sous  vingt  formes  :  «  La  passion  ne 
«  saisit  que  son  objet,  et  la  sensualité  est  seule  excitée.» 
Le  mariage  final  n'atténue  pas  le  danger,  parce  que  «  le 
«  mariage  présuppose  la  concupiscence,  etc.,  etc.  » 

Après  ces  rigoureuses  maximes,  rien  n'est  plus  fait 
pour  surprendre  que  la  correspondance  de  Bossuet  avec 
la  sœur  Cornuau  de  Saint-Bénigne,  où  elles  sont  con- 
tinuellement mises  de  c^té.  Ces  lettres  sont  pleines  d'un 


VIE   DE  MOLIERE.  LXIX 

mysticisme  aussi  exalté  que  celui  de  Fénelon  et  de  ma- 
dame Guyon;  il  y  est  question  sans  cesse  de  Tépoux, 
de  s'abandonner  aux  désirs  de  Tépoux,  de  baisers,  d'em- 
brassements  ,  de  caresses  de  l'époux ,  de  pâmoisons 
amoureuses,  etc.  Bossuet  conseille  à  sa  pénitente  de 
lire  le  Cantique  des  cantiques^  et  il  lui  écrit  :  «  Ma  chère 
•  sœur,  laissez  vaguer  votre  imagination.  »  La  recomman- 
dation était  superflue  ;  sœur  Gornuau  la  suivit  si  bien , 
qu'elle  commença  à  avoir  des  extases,  des  visions.  Elle 
rédigea  par  écrit  celle  de  \ Amour  dwin  (i),  et  l'adressa 
à  Bossuet  :  ce  n'est  pas  autre  chose  qu'une  série  d'i- 
mages excessivement  passionnées  et  voluptueuses,  car 
rien  ne  ressemble  à  l'amour  impur  comme  cet  amour 
pur,  rien  n'est  sensuel  comme  ce  mysticisme.  Cepen- 
dant nous  voyons  Bossuet  approuver  l'écrit  de  la  sœur 
Gornuau,  et,  peu  de  temps  après,  fulminer  l'anathème 
contre  le  théâtre  et  les  auteurs  de  comédies.  Veut-on 
dire  que  ces  écarts  d*imagination  soient  excusés  par  le 
nom  de  Jésus-Ghrist?  Le  père  Gaffaro  essayait  aussi  de 
jostitier  l'emploi  de  \ amour  épuré  dans  la  comédie; 
mais  Bossuet  lui  répondait  :  «  Groyez-vous  que  la  sub- 
«  tile  contagion  d'un  mal  dangereux  demande  toujours 
«  un  objet  grossier?. . .  Vous  vous  trompez. . . ,  la  re- 
«  présentation  des  passions  agréables  porte  naturelle- 
«  ment  au  péché ,  puisqu'elle  nourrit  la  concupiscence, 
«  qui  en  est  le  principe.  »>  Ges  réflexions  ne  peuvent 
frapper  Gomeille,  Racine  et  Molière,  sans  frapper  en 
même  temps  Bossuet  et  la  sœur  Gornuau  ;  et  plus  forte- 
ment, j'ose  le  dire,  car  on  voit  tout  de  suite  combien 
le  danger  est  plus  grand  d'une  passion  traitée  dans  une 
correspondance  secrète,  mystérieuse,  que  d'un  amour 

(i)  Voyez  ce  curieux  morceau  dans  le  tome  \i  des  Œuvres  de  Bossuet , 
io-quarto. 


LXX  y»  DB  Moutei. 

banal,  exposé  en  théâtre  public  aux  regards  de  plusieurs 
milliers  de  spectateurs. 

Bossuet  ne  peut  donc  échapper  au  reproche  d*iiw 
conséquence. 

Il  inroque  contre  la  comédie  Tautorité  de  Platon  | 
qui  bannit  de  sa  république  tous  les  poètes,  sans  en 
excepter  le  divin  Homère.  Je  ne  sais  si  Platon  y  aurait 
souffert  des  mystiques  comme  la  sœur  Gomuau;  en 
tout  cas,  l'autorité  de  Platon  ne  conclut  rien,  parOe 
qu'on  fait  dire  à  Platon,  comme  à  Aristote,  tout  ce 
qu'on  veut.  Platon  fournira  cent  arguments  en  faveur 
de  la  comédie,  quand  on  voudra  les  lui  demander;  par 
exemple,  ce  passage  des  Lois,  —  «On  ne  peut  connaître 
«  les  choses  honnêtes  et  sérieuses ,  si  Ton  ne  connaît  les 
«  choses  malhonnêtes  et  risibles  ;  et,  pour  acquérir  la  pru* 
«  dence  et  la  sagesse,il  faut  connaître  les  contraires,  etc.  » 

n  est  malheureusement  trop  clair  que  la  rigueur  de 
Bossuet  contre  le  théâtre  prend  sa  source  dans  les  co« 
médies  de  Molière.  Sans  Molière,  Corneille  et  Racine 
seraient  moins  coupables  ;  on  ne  pouvait  séparer  leurs 
causes  :  Tartufe  a  fait  condamner  le  Cid,  C'est  surtout 
contre  Molière  que  se  déploie  l'animosité  de  Tévêque 
de  Meaux;  c'est  surtout  à  Molière  qu'il  en  revient. — 
«  Il  faudra  donc  que  nous  passions  pour  honnêtes  leê 
a  infamies  et  les  impiétés  dont  sont  pleines  les  corné» 
n  dies  de  Molière  !  »  Etait-ce  à  Bossuet  à  tomber  dans  ces 
exagérations ,  qui ,  si  elles  n'étaient  de  la  passion ,  se- 
raient  de  la  mauvaise  foi  P  était-ce  à  lui  à  voir  dans  Tor* 
iiife^  dans  la  censure  de  l'hypocrisie,  une  impiété  ?  —  «  Il 
«  faudra  bannir  du  milieu  des  clirétiens  les  prostitutioru 
R  qu'on  voit  encore  toutes  crues  dans  les  pièces  de 
«  Molière  ;  on  réprouvera  les  discours  où  ce  rigoureux 
«  censeur  des  grands  canons,  ce  grave  réformateur  des 
«  mines   et  des  expressions  de  nos  précieuses  |   ëtal« 


VII  DE  MOLIERE.  LXXl 

"  cependant  au  plus  grand  jour  les  avantages  d*une  in- 
•  fi^me  tolérance  dans  les  maris,  et  sollicite  les  femmes 
«  à  de  honteuses  vengeances  contre  leurs  jaloux.  »  Cela 
passe  les  bornes  du  zèle  légitime.  On  doit  supposer  que 
Bossuet,  avant  de  condamner  Molière  si  impitoyable- 
ment,  avait  pris  la  peine  de  le  lire  :  où  a-tr-il  vu  Molière 
exposer  les  avantages  d'une  infâme  tolérance  de  la  part 
des  maris,  et  provoquer  les  femmes  à  se  venger  de 
leurs  jaloux  ?  Ce  n*est  pas  dans  George  Dandin  ,  car 
George  Dandin  est  si  loin  de  se  prêter  à  son  déslion* 
>  neur,  que  c'est,  au  contraire,  son  désespoir  et  ses  com- 
bats qui  font  le  sujet  de  la  pièce  ;  ce  n  est  pas  dans  FE- 
cole  des  maris  ^  ni  dans  r École  des  femmes  y  puisque 
Isabelle  non  plus  qu'Agnès  n'est  mariée  à  son  jaloux. 
Ce  n'est  ni  là,  ni  ailleurs.  J'ai  regret  de  le  dire,  mais 
les  dignités  ecclésiastiques  ne  doivent  pas  offusquer  la 
vérité  :  Bossuet  a  calomnié  Molière. 

Les  canons  des  marquis,  les  mines  des  précieuses, 
dignes  objets  de  l'aigreur  et  de  l'ironie  du  dernier  Père 
de  rÉglise  !  Mais  la  haine  se  prend  à  tout  ce  qu'elle 
rencontre.  Celle  de  Bossuet,  longtemps  mal  contenue, 
éclate  enfin  dans  ces  paroles  odieuses  et  antichré- 
tiennes :  —  «  La  postérité  saura  peut-être  la  fin  de  ce 
«  poète  comédien ,  qui ,  en  jouant  son  Malade  imagi^ 
«  naire  ou  son  Médecin  parjorce  (i),  reçut  la  dernière 
«  atteinte  de  la  maladie  dont  il  mourut  peu  d'heures 
«  après,  et  passa  des  plaisanteries  du  théâtre,  parmi 
«  lesquelles  il  rendit  presque  le  dernier  soupir,  au  tri- 
«  bunal  de  celui  qui  dit  :  Malheur  à  vous  qui  riez, 
«  car  vous  pleurerez!  »  Oui,  Monseigneur,  la  postérité 

(i)  L*iucertitiide  de  Bossuet  était-elle  «incère  ?  Élait-il  si  mal  instruit  de 
ce  qui  concernait  la  personne  et  les  œuvres  de  Molière?  Molière  n*a  point 
fê'it  àe  Médecin  par  force;  Bossuet  ignorait-il  le  titre  du  Médecin  mair 
fréiuî  P 


LIXII  VIE  DE  MOLIERE. 

saura  la  fin  déplorable  de  Molière,  de  ce  poète  comé- 
dien, comme  Tappelle  Votre  Grandeur;  et  elle  saura 
aussi  que  Tévèque  de  Meaux,  ce  grand  Bossuet,  pou- 
vait haïr  jusqu*à  souhaiter  Tenfer  au  malheureux  objet 
de  sa  haine,  ou  du  moins  triompher,  du  haut  de  la 
chaire  évangélique,  à  Tidée  de  le  voir  éternellement 
damné. 

Au  langage  fanatique  de  Tévéque  de  Meaux  opposons 
celui  d'un  homme  qui  fut  aussi  un  prélat  célèbre,  et 
régal  de  Bossuet  en.  vertu ,  sinon  en  génie. 

«  Je  ne  suis  point  de  ceux  qui  sont  ennemis  jurés  de 
«  la  comédie ,  et  s'emportent  contre  un  divertissement 
«  qui  peut  être  indifférent  lorsqu'il  est  dans  la  bîen- 
«  séance.  Je  n'ai  pas  la  même  ardeur  que  les  Pères  de 
«  l'Église  ont  témoignée  contre  les  comédies  anciennes, 
H  qui ,  selon  saint  Augustin ,  faisaient  une  partie  de  la 
«  religion  des  païens,  et  qui  étaient  accompagnées  de 
«  certains  spectacles  qui  offensaient  la  pureté  chré- 
«  tienne.  Aussi  je  ne  crois  pas  qu'il  faille  mesurer  les 
«  comédiens  comme  nos  ancêtres  et  les  Romains,  qui 
«  les  méprisèrent,  en  les  privant  de  toute  sorte  d'hon- 
«  neurs,  et  en  les  séparant  même  du  rang  des  tribus.... 
«  Je  leur  pardonne  même  de  n'être  pas  trop  bons  ac- 
«  teurs,  pourvu  qu'ils  ne  jouent  pas  indifféremment 
«  tout  ce  qui  leur  tombe  entre  les  mains,  et  qu'ils 
«  n'offensent  ni  la  société,  ni  l'honnêteté  civile (i).  » 

Voilà  mes  gens  !  voilà  comme  il  faut  en  user  ! 

Il  n'est  personne  qui  ne  voie  combien  l'opinion  de 
Fléchier  est  non-seulement  plus  humaine  et  plus  sensée, 
mais  même  plus  chrétienne  que  celle  de  Bossuet.  Une 

(i)  Fi.KrmER ,  Mémoires  sur  Us  Grands  Jours  de  i665. 


YIB   DE  MOLIEBE.  LIXIII 

seule  façon  d'agir  eût  été  plus  chrétienne  encore  :  c  était 
de  prier  Dieu  pour  celui  qu'on  supposait  en  avoir  tant 
besoin.  C'est  ce  que  fit  sans  doute  Fénelon,  sans  oi^eil 
et  sans  bruit. 

Saint-Évremond,  après  une  longue  vie  passée  tout 
entière  dans  le  plus  dur  scepticisme,  Saint-Evremond 
mourant  écrit  à  un  de  ses  amis  :  —  a  Je  ne  sais  comment 
«  on  a  pu  empêcher  si  longtemps  la  représentation  de 
«  Tartufe.  Si  je  me  saiwe ,  Je  lui  deurai  mon  salut.  La 
«  dévotion  est  si  raisonnable  dans  la  bouche  de  Cléante, 
«  qu'elle  me  fait  renoncer  à  toute  ma  philosophie  ;  et 
A  les  faux  dévots  sont  si  bien  dépeints,  que  la  honte  de 
«  leur  peinture  les  fera  renoncer  à  toute  leur  hypo- 
«  crisie.  Sainte  piété ,  que  de  bien  vous  allez  apporter 
«  au  monde  (i)!  » 

Ne  semble-t-il  pas  que  ce  langage  soit  celui  du  prélat, 
et  que  les  violences  de  Bossuet  sortent  de  la  bouche  du 
vieil  incrédule  ? 

Molière  a  répondu  d'avance  à  Bossuet  dans  cette 
admirable  préface  de  Tartufe^  où  la  question  morale 
du  théâtre  est  traitée  solidement,  complètement,  et  qui 
suffirait  seule  pour  mettre  Molière  au  premier  rang  de 
nos  écrivains.  La  réfutation  est  si  exacte ,  qu'on  dirait 
que  l'auteur  avait  sous  les  yeux  le  plan  de  son  adver- 
saire. Entendons-le  à  son  tour  : 

«  Je  sais  qu'il  y  a  des  esprits  dont  la  délicatesse  ne 
«  peut  souffrir  aucune  comédie  ;  qui  disent  que  les  plus 
«  honnêtes  sont  les  plus  dangereuses,  que  les  passions 
«  qu'on  y  dépeint  sont  d'autant  plus  touchantes  qu'elles 
«  sont  pleines  de  vertu ,  et  que  les  âmes  sont  attendries 
«  par  ces  sortes  de  représentations.  Je  ne  vois  pas  quel 

(i)  Voyez  le  Conservateur,  avril  1758. 


hXXtr  VtB  DK  MOLtERK. 

«  grand  crime  c'est  que  de  s'attendrir  à  la  vue  d  une 
w  passion  honnête.  C'est  un  haut  étage  de  vertu  que 
«  cette  pleine  insensibilité  -oîi  ils  veulent  faire  monter 
«  notre  âme.  Je  doute  qu'une  si  grande  perfection  soit 
«  dans  les  forces  de  la  nature  humaine ,  et  je  ne  sais  s'il 
•  n'est  pas  mieux  de  travailler  à  rectifier  et  adoucir  les 
m  passions  des  hommes ,  que  de  vouloir  les  retrancher 
«  entièrement.  » 

Voilà,  en  dix  lignes,  toute  la  question.  Le  génie  im- 
pétueux de  Bossuet  poursuit ,  en  foulant  aux  pieds  tous 
les  obstacles ,  un  résultat  chimérique  :  la  perfection  ab- 
solue de  riiomme  par  la  religion.  Molière  ne  demande 
aux  hommes  qu'une  perfection  relative ,  et  tâche  à  tirer 
d'eux  le  meilleur  parti  possible  par  les  leçons  du  théâtre. 


CHAPITRE  X. 

D'une  opinion  très-particulière  de  lliistorien  de  la  société  poUe. 

Qui  croirait  que,  parmi  nos  contemporains,  Molière 
a  rencontré  en  France  un  censeur  plus  sévère,  un  advei^ 
saire  à  lui  seul  plus  rigoureux  que  Bossuet,  Bourdaloue 
et  Jean-Jacques  réunis?  Dans  un  livre  où  les  faits  et  les 
personnages  du  xvii*  siècle  sont  violentés,  torturés  de 
la  manière  la  plus  étrange,  sous  prétexte  de  faire  l'his- 
toire de  la  société  polie ,  M.  Rœderer  n'a  pas  entrepris 
moins  que  la  réhabilitation  complète  des  précieuses  et 
de  rhôtel  de  Rambouillet.  Il  fausse  librement  toutes  le» 
vues,  toutes  les  données  de  l'histoire,  pour  les  faire  ca- 
drer à  son  bizarre  système.  En  voici  un  aperçu: 

Selon  M.  Rœderer,  la  société  polie  ce  sont  les  pré- 


VIB  DK  MOLtEAB.  LUV 

cieuses;  la  prëciositë,  la  morale  et  la  vertu,  c'est  tout 
un.  Or  M.  Rœderer  imagine  un  complot  de  quatre  poè- 
tes, ou  plutôt  quatre  scélérats,  ligués  contre  la  morale 
publique  et  la  vertu  :  ce  sont  Molière,  Boileau,  Racine, 
et  la  Fontaine.  Dans  quel  intérêt,  direz-vous?  Dans  l'in- 
térêt, répond  M.  Rœderer,  de  plaire  à  Louis  XIV  en 
flattant  ses  penchants  vicieux.  Ces  quatre  poètes  travail- 
lant sous  la  protection  du  roi ,  c'est  ce  que  M.  Rœderer 
appelle  «  le  quatrumçirat  placé  sous  les  créneaux  de 
Louis  XIV.  »  Je  ne  ni*étonne  plus  de  la  sympathie  de 
M.  Rœderer  pour  les  précieuses.  M.  Rœderer  nous  peint 
les  membres  du  quatrunii^irat Té\x\\\&  et  de  concert*  pour 
«  favoriser  les  mœurs  de  la  cour,  célébrer  les  maîtresses, 
«  exalter  sous  le  nom  de  munificence  royale  des  profu- 
«  sions  ruineuses,  au  grand  préjudice  des  mœurs  gêné- 
«  raies.  On  faisait  tomber  des  ridicules,  mais  on  les  im- 
«  raolait  au  vice;  et  Thonnéteté  des  femmes  était  traitée 
«  d'hypocrisie,  comme  si  le  désordre  eût  été  une  règle 
«  sans  exception.  «  [Société  polie ^  p.  ao6.) 

Je  ne  voudrais  pas  jurer  que  M.  Rœderer  n'ait  re- 
trouvé le  contrat  d'association,  tant  il  parait  sûr  de  son 
fait.  Vainement  lui  ferait-on  observer  que  Molière  et 
Racine  sont  restés  brouillés  depuis  la  représentation 
Sjindromaque^  c'est-à-dire,  depuis  le  véritable  début  de 
Racine;  que  Louis  XIV,  loin  de  protéger  la  Fontaine, 
témoigna  toujours  contre  le  fabuliste  et  contre  ses  ou- 
vrages une  invincible  antipathie  ;  M.  Rœderer  tie  s'ar- 
rête pas  à  si  peu  : 

«  Le  quatrumvirat  placé  sous  les  créneaux  de  Louis  XIV 
«  obtint  une  victoire  facile  sur  le  ridicule;  mais  il  suc- 
<  comba  devant  l'honnêteté,  parce  qu'elle  était  appuyée 
«  sur  la  haute  société,  qui  joignait  le  bon  goût  à  la  dé- 
t  licatesse  des  mœurs.  Cette  société  faisait  cause  com- 
I  mune  avec  la  cour  contre  le  mauvais  langage  et  les 


LIIVI  VIE  DE  MOUERE. 

«  mauvaises  manières,  et  eut  peut-être  la  plus  grande  part 
«  à  leur  réprobation;  mais  elle  faisait  cause  commune 
«  avec  les  bonnes  mœurs  de  la  préciosité  contre  la  11- 
«  cence  de  la  cour  et  contre  celle  des  écrivains  nou- 
«  veaux ,  et  elle  eut  la  plus  grande  part  à  leur  défaite.  • 
(P.  a4.) 

Certes,  avant  M.  Rœderer  personne  n'avait  soup- 
çonné ni  cette  association  de  Molière,  Boileau,  la  Fon- 
taine et  Racine  contre  les  bonnes  mœurs  et  Tbonnéteté, 
ni  surtout  la  défaite  du  quatrunwirat.  Molière  et  Boileau 
défaits  par  les  précieuses  !  Ceux  qui  aiment  le  nouveau, 
quoi  qu  il  coûte,  auront  ici  lieu  d'être  satisfaits. 

Et  quel  but  pensez-vous  que  se  proposât  Molière  dans 
le  Misanthrope  ?  Peindre  la  vertu,  et  la  faire  estimer  et 
chérir  jusque  dans  les  excès  comiques  où  elle  peut  s'em- 
porter? Point  du  tout!  La  véritable  intention  de  Molière 
était  de  servir  les  maîtresses  de  Louis  XIV;  et  en  cela 
il  était  soufflé  par  Louis  XIV  lui-même.  Préparer  le 
triomphe  du  vice,  tel  est  le  sens  mystérieux  du  carac- 
tère d'Alceste  : 

«  En  considérant  la  position  de  Molière  et  le  plaisir 
«  que  le  roi  prenait  à  diriger  son  talent ,  on  se  persua- 
«  derait  sans  peine  qu'en  approchant  l'oreille  des  ri- 
«  deaux  du  roi,  on  surprendrait  quelques  paroles  dites 
«  à  demi-voix  pour  désigner  à  Molière  ce  caractère  qui , 
«  bien  que  respecté  au  fond  du  cœur,  avait  quelque  chose 
«  d'importun  pour  les  maîtresses,  et  pour  les  femmes  qui 
«  aspiraient  à  le  devenir,  »  (P.  219.) 

Vous  en  seriez-vous  douté?  Non.  C'est  que  vous  n'a- 
vez pas,  comme  M.  Rœderer,  approché  l'oreille  des  ri- 
deaux de  Louis  XIV. 

Et  Amphitryon?  Vous  croyez  bonnement  que  c'est 
une  imitation  de  Plante  ;  que  les  personnages  de  cette 


VIE  DE  MOLIERE.  LIIVII 

comédie  sont  Jupiter,  Alcmène  et  Amphitryon  ?  Pau- 
vres gens!  vues  bornées!  détrompez-vous  :  apprenez  de 
M.  Rœderer  qu'il  faut  entendre  sous  ces  noms  Louis  XIV, 
madame  de  Montespan,  et  M.  de  Montespan;  dès  lors 
TOUS  comprenez  la  malice  de  ces  vers  : 

Un  partage  avec  Jupiter 

N'a  rieD  du  tout  qui  déshonore. 

C'est  ingénieux,  n'est-ce  pas?  M.  Rœderer  fait  des 
découvertes  admirables  dans  les  pièces  de  Molière!  Mais 
ce  n'est  pas  tout,  et  voyez  jusquoù  va  son  talent  :  cet 
Amphitryon  si  gai ,  si  comique  ,  M.  Rœderer  trouve  le 
moyen  de  le  tourner  à  la  tragédie;  il  mêle  là-dedans  la 
mort  de  madame  de  Montausier,  et  veut  en  rendre  Mo- 
lière responsable. Gomment?  madame  de  Montausier se- 
rait-elle morte  de  rire  à  Amphitryon?  Nullement  ;  elle 
mourut  des  suites  d'une  frayeur  causée  par  une  vision, 
une  apparition  en  plein  jour,  Saint^imon  et  mademoi- 
selle de  Montpensier  s'accordent  sur  cette  histoire  : 
«  Madame  de  Montausier  étant  dans  un  passage,  derrière 
«  la  chambre  de  la  reine,  où  l'on  met  ordinairement  un 
«  flambeau  en  plein  jour,  elle  vit  une  grande  femme  qui 
«  venait  droit  à  elle,  et  qui ,  lorsqu'elle  en  fut  proche, 
•  disparut  à  ses  yeux  \  ce  qui  lui  fit  uue  si  grande  im- 
«  pression  dans  la  tête  et  une  si  grande  crainte,  qu'elle 
«  en  tomba  malade.  »  (  Mémoires  de  Mademoiselle,) 

Saint-Simon  ajoute  que  la  grande  femme  était  mal 
mise,  qu'elle  parla  à  loreille  de  madame  de  Montau- 
sier ;  et  que  celle-ci  étant  sujette  à  certains  dérange- 
ments de  cerveau ,  l'on  ne  sut  jamais  ce  qu'il  y  avait  de 
réel  ou  de  fantastique  dans  cette  scène. 

Vous  n'apercevez,  je  gage,  aucun  rapport  entre  cette 
aventure  lugubre  et  Amphitryon  F  C'est  que  vous  n'avez 
pas  les  yeux  de  lynx  de  M.  Rœderer. 


^UVni  vu  os  MOUEV. 

M.  Rœderer,  avec  une  sagacité  nonpareiUe,  devine  el 
affirme  sans  hésiter  que  le  fantôme  inconnu  n'était  au- 
tre que  M.  de  Montespan ,  déguisé  en  grande  femme 
mal  mise,  pour,  à  l'aide  de  ce  costume,  pénétrer  plus 
facilement  dans  les  appartements  de  la  reine,  et  faire  à 
madame  de  Montausier  de  sanglants  reproches  sur  sa 
complaisance  pour  les  amours  adultères  du  roi  et  de 
la  marquise.  Or,  comme  madame  de  Montausier  mou- 
rut de  cette  affaire  »  c'est4-dire  de  Teffroi  d  avoir  vu 
M.  de  Montespan  en  grande  femme  mal  mise  ;  eC 
d'autre  part  Molière  ayant  composé  Amphitryon  dans 
une  vue  favorable  à  Tadultère  du  roi,  tout  cela  donne 
a  M.  Rœderer  le  droit  de  s'écrier  : 

«  Combien  cette  mort  fait  perdre  de  son  esprit  et  de 
«  sa  gaieté  à  V Amphitryon  de  Molière!  et  quelle  con- 
«  damnation  la  pure  vertu  dont  la  société  de  Rambouil- 
«  let  avait  été  l'école  prononça  par  cette  mort  sur  la  con- 
«  duite  de  Louis  XIV  !  «  (  P.  i35,) 

La  beauté  de  l'expression  répond  à  la  justesse  des 
pensées. 

Mais  voici  le  chef-d'œuvre  de  l'immorahté  de  Mo* 
lière,  Touvrage  où  se  montre  en  plein  son  intention  per- 
verse de  protéger  le  vice  et  de  faire  triompher  les  mau- 
vaises mœurs,  toujours  sous  les  créneau)^  de  Louis  XIV, 
bien  entendu.  Vous  vous  hasardez  à  nommer  Tartufe  ; 
point!  vous  n'y  êtes  pas.  Cest  les  Femmes  saifantes  ; 
Tartufe  n'attaque  pas  les  précieuses.  Il  n'y  avait  point 
de  précieuses  ridicules,  point  de  pédantes;  il  n'y  en  a 
jamais  eu;  Philaminte  et  Bélise  n'ont  jamais  existé.  Mais 
il  y  avait  des  femmes  d  une  éclatante  vertu,  dont  la 
conduite  immaculée  protestait  contre  la  conduite  scanda- 
leuse de  madame  de  Montespan.  «  C'étaient  là  les  fem- 
«  mes  dont  les  mœurs  inquiétaient  Molière  et  of fen- 
te saient  la  cour;  c'^taimt  ces  CemmiBS-là  que  le  poète 


VIE  OB  MOLIEBB.  LXXIX 

c  voulait  attaquer  sous  le  nom  de  femmes  savantes.  » 
(P.  306.307.) 

Pour  en  venir  à  bout,  Molière  profita  perfidement 
d'une  circonstance  favorable  à  son  dessein.  C'est  que  ces 
femmes  vertueuses  «  s'appliquaient  à  l'étude  du  grec  et 

>  du  latin,  à  la  métaphysique  de  Descartes,  aux  sciences 
«  physiques  et  mathématiques;  quelques-unes  particuliè- 
«  rement  à  l'astronomie.  •  (  P.  3o6.  )  Molière  eut  la  mé- 
chanceté noire  d'employer  ce  hasard  pour  faire  illusion 
au  public  et  masquer  son  but  afïreux  ;  mais  il  n'a  pu 
tromper  l'œil  vigilant  de  M.  Rœderer. 

«  Cependant  Molière,  qui  voyait  le  train  de  la  cour  con- 
•  tinuer,  l'amour  du  roi  et  de  madame  de  Montespan 

>  braver  le  scandale ,  imagina  d'infliger  un  surcroie  de 

■  ridicule  aux  femmes  dont  les  mœurs  chastes  et  tes^ 
«  prit  délicat  étaient  la  censure  muette  ,  mais  profonde 
«  et  continue ,  de  la  dissolution  de  la  cour.  Il  ne  doutait 
«  pas  que  ce  ne  fTlt  un  moyen  de  plaire  au  roi  et  i  ma- 

«  dame  de  Montespan La  pièce  des  Femmes  savantes 

«  est  une  dernière  malice  de  Molière  à  double  fin  :  d'à- 
«  bord  pour  se  défendre  de  la  réprobation  de  quelques 

■  mots  de  son  langage  et  de  quelques  erreurs  de  sa  mo- 

■  raie  ;  ensuite  pour  sentir  les  amours  du  roi  et  de  ma^^ 

>  dame  de  Montespan ,  qui  blessaient  tous  les  gens  de 
«  bien ,  et  dont  la  mort  récente  de  madame  de  Montau* 
«  sier  était  une  éclatante  condamnation.  »  (P.  3o5-3o6.) 

Que  de  révélations  inattendues  coup  sur  coup  !  Mo- 
lière défendant  sou  propre  langage  et  les  erreurs  de  sa 
morale,  Molière  sapant  les  bonnes  mœurs  dans  les 
Femmes  savantes! 

Le  voilà  donc  connu  ce  secret  plein  d'horreur  ! 
«  Il  est  éifident  par  le  travail  de  cette  comédie  qu'elle 


LXXX  VIE  DE  MOLIEBE. 

«  n'a  été  inspirée  ni  par  le  spectacle  de  la  société ,  ni 
«  avouée  par  l*art  :  c*est  une  œuvre  de  combinaison  po- 
«  litique,  invita  Minerva.  »  (  P.  Sop.  ) 

Quoi!  les  Femmes  savantes  ont  été  faites  malgré  Mi^ 
nefve?  Ah!  M.  Rœderer,  je  n*y  tiens  plus;  et,  comme 
dit  Sganarelle  à  don  Juan  :  «  Cette  dernière  m'em- 
«  porte!  »  11  faut  que  la  défense  des  précieuses  soit  une 
entreprise  bien  difficile,  puisqu'elle  réduit  à  de  telles 
extrémités  ! 

Le  zèle  de  M.  Rœderer  pour  les  précieuses  et  les  pré- 
cieux ne  recule  devant  aucune  tAche,  ne  s  effraye  d'aucun 
obstacle  :  il  va  jusqu'à  embrasser  Tapologie  de  l'abbé  Co- 
tin  !  On  sait  que  l'abbé  Cotin  avait  insulté  Molière  et 
Boileaudans  un  libelle  rimé,  où,  parmi  cent  platitudes 
atroces,  il  leur  reprochait  de  ne  reconnaître  ni  Dieu,  ni 
foi,  ni  loi  ;  d'être  des  bateleurs,  des  turlupins,  mendiant 
un  dîner  qu'ils  payaient  en  grimaces ,  après  s  y  être  eni- 
vrés jusqu'à  tomber  sous  la  table  (i).  La  scène  de  Va- 
dius  etdeTrissotin  s'était  passée  chez  Mademoiselle,  en- 
tre Cotin  et  Ménage,  justement  à  l'occasion  du  fameux 
sonnet  à  la  princesse  Uranie ;  et,  pour  preuve,  Sainte 
Évremond  avant  Molière  avait  reproduit  cette  scène 
dans  sa  comédie  des  Académistes,  Ce  sonnet  à  Uranie, 
et  le  madrigal  sur  un  carrosse  de  couleur  amarante,  sont 
imprimés  dans  le  recueil  de  Cotin;  Trissotin  s  appela 
Tricotin^  c'est-à-dire,  triple  Cotin^  jusqu'à  la  douzième 
représentation.  Ménage  même  ajoute  que  Molière,  pour 

(i)  Dfspréaux  sans  argent ,  crotté  jusqu'à  l'écliine , 
S'en  va  chercher  son  pain  de  cuisine  en  cuisine  ; 
Son  Turlupin  Tassisle  ,  et ,  jouant  de  son  nez , 
Chez  le  sol  campaguai*d  gagne  de  bons  dîners  ,  etc.... 
Ce  même  Cotin  fit  contre  son  ancien  ami  Ménage  une  satire  intitulée 
la  Ménagerie.  On  voit  qu'il  ne  se  contentait  i>as  d'être  un  méchant  poète; 
il  éiait  encore  un  méchant  homme. 


VIE  DE  MOLIERE.  LXIXI 

rendre  son  intention  encore  plus  sensible,  avait  songé 
d  affubler  l'acteur  d'un  vieil  habit  de  Cotin.  Ce  sont 
là  des  raisons  de  quelque  poids  sans  doute ,  mais  non 
pas  pour  M.  Rœderer.  M.  Rœderer  s'indigne  de  l'i- 
dée qu'on  ait  pu  voir  Cotin  dans  Trissotin.  Cette  fois,  le 
crime  lui  paraît  si  énorme  qu'il  refuse  d'en  charger 
même  Molière!  Il  s'en  prend  aux  commentateurs  : 

«  De  nos  jours,  des  commentateurs  ont  osé  (quelle  au- 
«  dace  !  )  ce  dont  les  écrits  du  temps  de  Molière  se  sont 
<  abstenus,  ce  à  quoi  la  ^volonté  de  Molière  a  été  de 

«  ne  donner  ni  occasion^  ni  prétexte Ils  veulent  que 

>  le  Trissotin  des  Femmes  savantes  soit  précisément 

«  l'abbé  Cotin! Mais  Trissotin  est  un  homme  à  ma- 

«rier  qui  veut  attraper  une  honnête  famille,  et  Cotin 
«  était  ecclésiastique  ;  Trissotin  est  un  malhonnête 
«  homme,  et  l'abbé  Cotin  avait  une  réputation  intacte. 
«  Un  coquin  ne  prêche  pas  dix-sept  carêmes  de  suite  a 
«  Notre-Dame!  »  Voilà  ce  qui  s'appelle  un  ai^ment! 
L'abbé  Cotin  a  prêché  dix-sept  carêmes  de  suite  à  No- 
tre-Dame ,  donc  il  ne  pouvait  être  un  poëte  ridicule,  et 
Molière  n'a  pu  le  jouer  en  cette  qualité.  J'ose  dire  que 
le  livre  de  M.  Rœderer  est  raisonné  d'un  bout  à  l'autre 
avec  la  même  puissance  de  logique. 

A  l'occasion  de  Trissotin ,  M.  Rœderer  s'élève  contre 
l'impertinence  des  faiseurs  de  clefs.  Je  suis  de  son  avis; 
mais  pourquoi  nous  a-t-il  donné  tout  à  l'heure  une  clef 
de  \ Amphitryon?  pourquoi  prend-il  sur  lui  d'affirmer 
que,  sous  le  nom  de  Madelon^  Molière  a  voulu  jouer 
mademoiselle  de  Scudéry,  qui  s'appelait  Madeleine?  Il 
s'appuie  d'un  passage  du  discours  de  réception  de  la 
Bruyère  à  l'Académie  ;  il  aurait  dû  s'en  souvenir  plus 
tôt.  La  clef  du  Gargantua  et  du  Pantagruel ,  celle  des 
Caractères f  sont  beaucoup  plus  innocentes  que  celle  qu'il 


LIIIÎI  VIE   DE   MOLIERE. 

forge  pour  Amphitryon;  c'est  Thistoire  de  la  poutre  et 
du  fétu  de  TÉvangile. 

Enfin  Molière  mourut!  Dès  ce  moment  le  quatrum^ 
virât  dont  il  était  Tâme  fut  considérablement  afiaibli.  A 
la  vérité,  Racine,  tout  faible  qu'il  était,  fit  encore  Iphi^ 
génie ^  Phèdre,  Esther^  et  Athalie;  la  Fontaine  publia 
ses  meilleures  fables  et  ses  derniers  contes  ;  Boileau, 
ses  EpîtreSy  le  Lutrin^  et  V  Art  poétique;  ïtidîis  il  n'importe: 
le  parti  honorable ^  la  société  d* élite  ^  comme  Vappelle 
M.  Rœderer  (p.  2i5),  commença  dès  lors  à  respirer.  Le 
parti  honorable,  ce  sont  les  précieuses,  par  opposition 
au  parti  déshonorant  ou  déshonoré,  représenté  par  Mo- 
lière, Boileau,  Racine  et  la  Fontaine,  Louis  XIV  en 
tête.  Peu  s'en  faut  que  M.  Rœderer  ne  se  réjouisse  de  la 
mort  de  Molière;  et,  à  tout  prendre,  on  ne  saurait  lui  en 
vouloir,  puisque  la  morale  est  plus  nécessaire  que  l'es- 
prit, et  que  «  la  mort  de  Molière  marqua  un  terme  à  la 
«  protection  que  les  lettres  donnaient  à  la  société  licen- 
«  cieuse  contre  la  société  d'élite.  »  (  P.  3 29.)  Cette  mort 
fit  un  bien  infini,  car  avec  Molière  disparurent  les  mots 
grossiers  qu  il  protégeait  y  et  tout  rentra  dans  l'ordre  :  les 
rois  n'eurent  plus  de  maîtresses;  il  n'y  eut  plus  de  pro- 
fusions ruineuses ,  sous  le  nom  de  munificence  royale  ; 
les  mœurs  publiques  se  purifièrent,  et  devinrent  aussi 
irréprochables  que  celles  même  de  l'hôtel  de  Rambouil- 
let; en  un  mot,  le  temps  de  la  régence  fut  l'âge  d'or 
de  la  morale  et  de  la  vertu.  Evidemment  tout  le  mal 
tenait  à  Molière  et  aux  mots  grossiers. 


S'arrêter  une  seule  minute  à  combattre  les  asser- 
tions de  M.  Rœderer,  ce  serait  insulter  à  la  fois  la  mé- 
moire de  Molière  et  le  bon  sens  du  lecteur.  Il  a  suffi 


vu   DE  MOUERE.  LXXXHI 

d  exposer  ces  rêveries;  encore  ne  Teût-on  pas  fait  si  lon- 
guement, si  le  livre  qui  les  contient  eût  été  publié  comme 
les  autres  livres;  mais  Tauteur  a  pris  la  précaution  de 
ne  le  pas  laisser  vendre  :  il  s* est  contenté  d'en  prodiguer 
de  tous  côtés  les  exemplaires  en  pur  don.  Par  cet  ingé- 
nieux moyen ,  il  a  échappé  à  Texamen  de  la  critique^ 
ou  bien ,  si  quelqu  un  en  a  parlé  quelque  part ,  ça  été 
pour  acquitter  en  éloges  la  dette  de  la  reconnaissance 
ou  de  l'amitié;  en  sorte  que,  depuis  tantôt  dix  ans,  les 
accusations  les  plus  graves,  et,  disons  le  mot,  les  plus 
calomnieuses,  circulent  en  France,  au  sein  de  la  société 
polîcy  sur  le  compte  des  plus  nobles  caractères  et  du  plus 
beau  génie  dont  notre  nation  s'honore.  Celui  qui  a  ré- 
pandu la  gloire  de  notre  littérature  dans  tous  les  coins 
du  monde  civilisé,  et  l'y  maintiendra  encore  après  que 
la  langue  française  aura  cessé  d'être  une  langue  vivante, 
c'est  celui-là  que  M.  Rœderèr  a  choisi  pour  en  faire  le 
chef  de  je  ne  sais  quelle  officine  ténébreuse,  où,  sous 
l'espoir  d'un  salaire,  les  quatre  premiers  poètes  du  dix- 
septième  siècle  deviendraient  les  courtisans  des  courti- 
sanes, les  adversaires  de  l'honnêteté,  et  les  destructeurs 
de  la  morale  !  Tant  de  frais  pour  réhabiliter  les  précieu- 
ses ridicules  et  l'abbé  Gotin  (i)! 

(i)  M.  Rœderer  met  toujours  Coiiin  par  deux  /.  Il  déGgure  le  nom  de 
•oa  héros,  comme  ceux  de  /a  Fare  et  de  Roberval ,  qu'il  écrit  Lafarrt^ 
et  Mohervalie.  Ce  sont  de  petits  détails ,  mais  non  pas  sans  importance  dans 
mi  lÎTre  qui  prétend  surtout  tirer  sa  valeur  de  l'exactitude  parfaite  des 
petits  détails. 

En  Toici  de  plus  essentiels  : 

M.  Roederer  (p.  xg5)  fait  la  Fontaine  plus  jeune  que  Molière ,  dont  il 
plaee  k  naissance  en  1610.  L*acte  de  naissance  authentique  de  Molière , 
pvbUé  en  x8ai ,  prouve  que  Molière  est  né  en  1622 ,  et  donne  raison  à 
Bret ,  qui  avait  indiqué  cette  date.  Ainsi  Molière  était  d'un  an  plus  jeune 
que  la  Fontaine. 

(P.  a8.)  Il  ne  devrait  plus  être  permis  de  répéter  le  conte  du  génie  de 
la  Fontaine,  éveillé  en  sunaut  à  vingt -six  ans  par  la  lecture  d'une  ode 


L\X\IV  VIE   DE  MOLIERE. 

Aujourd'hui  ces  orages  sont  passés,  ces  flots  de  liaîne, 
ces  torrents  d'injures  sont  écoulés ,  et  Molière  est  de* 

de  Malherbe.  L'onvrage  de  M.  Wtlckenaer ,  fort  antérieur  i  celiii  de 
M.  Rœderer,  a  démoulré  k  fausseté  de  celte  btsioriette. 

M.  Rnderer  domne  comme  un  fait  notoire  et  au-dessus  de  tout  examei»  la 
représentation  des  Précieuses  ridicutes  en  proviuce  en  i654 ,  c*e8C<4-dire , 
cinq  ans  avant  la  représentation  i  Paris.  Il  affirme,  sans  aocuoe  preuve , 
jque  cette  comédie  fut  jouée  à  Béziers ,  durant  les  états  de  ProTence.  C'est 
là ,  dit-il ,  un  fait  indMiakU  que  personne  n*a  jamais  contredit  II  a  été 
contredit  par  Somaise,  par  de  Y isé,  par  les  frères  Parfaict,  et  après  eux  par 
Bret  et  par  M.  Taschereau.  Il  est  surtout  déawnli  de  la  manière  la  plos 
formelle  par  le  registre  de  la  Comédie ,  écrit  de  la  main  de  la  Grange  , 
où  il  est  dit ,  page  3 ,  que  F  Etourdi  et  le  Dépit  avaient  été  joués  ca 
prorince ,  et,  page  12  ,  que  les  Précieuses  étaient  une  pièce  nouvelle  ;  et 
la  Grange ,  qui  y  créa  le  rôle  de  Jodelet ,  a  répété  ce  témoignage  dans 
son  édition  des  œuvres  de  Molière  :  •*  En  1659 ,  M.  de  Molière  vrr  les 
«  Précieuses  ridicules.  » 

Ces  preuves  avaient  été  rassemblées  dans  Testimable  travail  de  M.  Tas- 
chereau, que  M.  Rœderer  qualifie  ^absurde  tld^odieux,  parce  qu'il 
contrarie  ion  système  sur  les  Précieuses.  Il  eût  mieux  Cait  de  le  lire  que 
de  rinjurier. 

Enfin ,  M.  Rœderer  (p.  10)  combat  Topinion  de  ceux  qui  attribuent  à 
Molière  »  i  Racine ,  i  Boileau ,  et  aux  écrivains  de  leur  temps ,  le  per- 
fectionnement de  la  langue  française  ;  et ,  parmi  les  auteurs  i  qui  il  at- 
tribue réellement  ce  mérite ,  et  qui  écrivaient ,  dit-il ,  longtemps  avant  le 
siède  de  Louis  XIV ,  il  cite  madame  de  Sévigné  entre  Régnier,  CorodUe 
et  Malherbe. 

D'abord ,  ni  la  langue  de  Malherbe  et  de  Régnier,  ni  même  la  langne 
de  Corneille ,  n*est  celle  de  Racine  et  de  Boileau. 

Ensuite  le  recueil  des  lettres  de  madame  de  Sévigné  ne  commence  qu'ea 
167 1.  n  est  vrai  que  nous  n'avons  pas  toute  sa  correspondance;  mais 
il  faut  être  aussi  prévenu  et  aussi  intrépide  que  M.  Rœder«T  pour  se  faire 
un  argument  de  ces  lettres  perdues ,  dont  on  ignore  et  le  nombre  et  la 
date  :  «  Une  multitude  d'autres  sont  perdues.  On  pourrait  assurer,  sans  les 
m  connaître ,  que  ce  sont  les  plus  curieuses ,  les  plus  variées ,  les  plus 
«  charmantes.  »  Tout  est  possible  i  M.  Rœderer ,  hormis  de  dissimuler 
sa  passion.  A  chaque  page  de  son  livre  on  reconnaît  Thomme  qui  discute 
avec  un  parti  pris ,  et  ne  se  fait  aucun  scnipule  d'altérer,  de  mutiler  l'his- 
toire, pour  la  pHcr  à  ses  idées. 

Quant  à  dire  que  Cathos  et  Madelon  sont  •*  des  bourgeoises  presque 
m  canailles  ;  »  que  Tallemant  parle  de  madame  de  Sablé  «  comme  d*iiae 


VIE  DE  MOLIERE.  LXXXV 

bout.  ViTant ,  il  fut  Tilipendé  par  les  fanatiques  et  les 
hypocrites  ;  on  se  filt  scandalisé  de  l'idée  seule  de  l'ad- 
mettre à  l'Académie  française  :  un  comédien  !  A  sa  mort 
le  peuple  fut  ameuté  devant  sa  maison,  et  sa  Teuve  se 
vit  obligée  de  jeter  de  l'argent  par  les  fenêtres ,  pour 
qu'on  le  laissât  prendre  possession  de  ce  petit  coin  de 
terre  obtenu  par  prière.  Cent  ans  après,  l'Académie 
française  mettait  l'éloge  de  Molière  au  concours;  il 
fallut  cent  autres  années  pour  qu'on  osât  saisir  l'occa- 
sion d'élever  la  première  statue  de  Molière,  sur  une 
fontaine,  contre  un  pignon,  à  l'angle  de  deux  rues 
fangeuses.  Encore  un  siècle  de  patience,  et  Molière  ob- 
tiendra peut-être  sur  une  place  publique  de  Paris  un 
monument  sans  partage,  digne  de  lui  et  de  nous.  La 
justice  de  la  postérité  est  lente,  mais  elle  est  sûre  j  et 
d'autant  plus  complète  qu'elle  s'est  fait  davantage  at- 
tendre. Sachons  gré  à  Louis  XIV  de  l'avoir  devancée. 
Elle  a  commencé  enfin  pour  Molière,  celui  de  tous  les 
génies  français  qui  représente  le  mieux  la  France.  Ce 

iatrigante  fieffée  et  d*UDe  imigne  catin  Cp.  940)  ;  ces  expressions  et  beau- 
coup d'tutres  pareilles ,  semblent  indiquer  que  l'auteur  n*était  pas  né  pour 
être  rbistorien  de  la  société  polie. 

Au  reste,  rette  prétendue  histoire  de  la  société  polie  se  résume  en  trois 
points  :  éloge  de  Tbôtel  de  Rambouillet  ;  invectives  contre  Molière  ;  amours 
de  Louis  XIV  avec  M"*  de  la  Yallière,  M"'  de  Montespan,  M"«deMain- 
teoon.  M**  de  Ludre,  M**  de  Gramont  et  M"*  de  Fontanges.  Sur 
trente-sepi  chapitres,  les  iutrigues  galantes  de  Louis  XfV  en  remplissent 
treiie,  qui  font  plus  de  la  moitié  du  volume.  L'auteur  prétend  que  «  le 
«  triomphe  de  M""  de  Maiuteuon  est  celui  de  la  société  polie.  « — «On  sait , 
«  dit-il,  que  le  mariage  de  M"**  de  Maintenon  fut  une  longue  partie  d*échecs, 
«  où  la  veuve  Scarron  fit  son  adversaire  mat  en  avançant  opiniâtrement  la  reli- 
«  gion.»  M.  Rœderer  disserte  li-dessus  en  docteur  qui  aurait  pris  ses  degrés 
dans  les  cours  d'amour,  et  son  style  cette  fois  est  tout  à  fait  digne  de 
l*hAtd  de  Rambouillet  :  «  La  main  du  roi  fut  sollicitée  par  la  religion  en 
«  faveur  de  l'amour  ;  l'amour  l'aurait  peut-être  donnée  sans  elle ,  et  elle 
«  ne  Taurait  pas  donnée  sans  lui.  »  (P.  464*)  L*abbé  Colin  ou  l'abbé  de 
Pure  n*eût  pas  rencontré  mieux. 


LUIVI  VIE  DE  MOLIERE. 

que  Cicéron  promettait  à  Auguste,  on  peut  le  promettre 
bien  plus  sûrement  à  Molière  :  Nulla  unquam  œtas  dt 
laudibus  suis  conticescet  ^  Aucune  époque  ne  tarira  ja- 
mais sur  tes  louanges  (i). 

(i)  La  vie  de  Molière  a  été  souvent  écrite.  Parmi  ses  historiens ,  les  plui 
célèbres  sont  Griiiiarest  et  Voltaire;  c'est  la  source  où  sont  allés  puiset 
tous  les  autres.  Le  livre  de  Griinarest  a  l'avantage  d'élre  le  plus  rapproché 
des  faits  qu*il  expose;  mais  il  manque  de  critique  et  de  style.  L*écrit  de 
Voltaire  fourmille  d'inexactitudes  et  de  négligences;  il  n'est  digue  ni  de 
Voltaire  ni  de  Molière.  L'auteur,  travaillaut  pour  obliger  uu  libraire ,  at- 
tachait à  sou  œuvre  une  importance  fort  médiocre  :  il  comptait  en  rejeter 
la  responsabilité ,  et  sVvader  par  Tanonyme.  Mais  Voltaire  aurait  dA  se 
rendre  plus  de  justice,  et  sentir  que  tout  lui  serait  possible  en  littérature  , 
hormis  de  se  cacher.  Dans  ces  derniers  temps ,  des  découvertes  importantes, 
dues  en  partie  a  M.  de  Beffara ,  ont  révélé  des  faits  jusqu'ici  inconnus ,  et 
mis  à  mémo  de  rectifier  des  erreurs  graves.  Eu  sorte  que  ,  pour  l'aboudancç 
des  renseignements  comme  pour  la  sûreté  de  la  critique,  rien  n'approche 
du  travail  de  M.  Jules  Taschereau ,  Histoire  de  la  vie  et  des  ouvrages  de 
Molière^  souvent  cité  dans  cette  notice.  C'est  un  monument  durable,  éleré 
par  une  main  habile  et  pieuse  à  la  gloire  du  père  de  la  comédie 
française. 


TABLE. 


PâgM. 

ûupmF  I^.  Naissance  de  Molière.  »  Ses  études.  —  Il  se  fait 
comédien  ambulant.  —  11  débute  à  Paris  par 
les  Précieuses  ridicules \\ 

^  n.  Mariage  de  Molière.  —  Molière  se  brouille  a?ec 
Racine.  —  Il  est  accusé  d*ioceste.  —  Louis  XIV 
le  protège xwu 

^  III.  Le  Don  Juan  de  Tirso  de  Molina  et  celui  de  Mo- 
lière. —  Fureur  des  hypocrites  en  Toyant  les 
Provinciales  sur  le  théfttre \\\ 

—  lY.     Xe  Misanthrope  ;  —  critiqué  par  J.  J.  Rousseau. 

—  Le  Timon  de  Shakspeare xxti 

—  V.     Tartufe;  —  attaqué  par  Bourdaloue,  défendu  par 

Fénelon •* ...        xxxi 

—  VI.     Amphitryon ,  George  Dandin,  r Avare.  —  Les 

farces  de  Molière.  —  Ses  derniers  ouvrages —    xxxyiii 

—  vn.     Caractère  privé  de  Molière.  —  Sa  mort.  —  Son 

talent  comme  auteur xuii 

—  VlII.     Du  génie  dramatique  de  Molière.  -^  Du  style  de 

Molière mi 

—  DC.     De  la  moralité  des  comédies  de  Molière.  —  Atta- 

ques de  Bossuet.  —  Sentiment  de  Fléchier  sur 

la  comédie  et  les  comédiens lxvu 

—  X.     D'une  opinion  très-particulière  de  l'historien  de  la 

société  polie lxxit 


ERRATA. 


Page  51,  lig.  14  :  on  se  contente  du  simple  c  devant  o  et  «; 
lisez  :  devant  o  et  a. 

Page  184,  lig.  21  : 

Nel  piiet  nommer  et  ne  parquant 
Balbié  Ta  en  souglotant. 

lisez  en  seul  mot  neporquant ,  ou  en  trois  mots  ne  por  quant 
(neque  per  quantum ,  non  pas  même  pour  autant ,  nonobstant 
cela).  Il  n'y  a  point  de  motif  de  séparer  une  des  trois  racines. 

Pag.  166^  lig.  9  :  le  sepulchre  u  li  bom  huem  fud  oiseveliz; 
lisez  :  u  li  bans  huem. 


LEXIQUE 


DE   LA 


LANGUE  DE  MOLIÈRE. 


À,  devant  un  infinitif,  propre  à,  capable  de,  de 
force  ou  de  nature  a. . .  • 

CherchoDi  une  maison  à  vous  mettre  en  repos.  {VÈt,  Y.  3.) 

Je  me  setis  un  coeur  à  aimer  toute  la  terre.  (Z>.  Juan,  I.  a.) 

Je  n'ai  point  un  courroux  à  s'exhaler  en  paroles  vaines,     {ibid,  I.  3.) 

Pour  de  l*esprit ,  j'en  ai  sans  doute,  et  du  bon  goût 

A  juger  sans  étude  et  raisonner  de  tout , 

A  faire  au\  nouveautés ,  dont  je  suis  idolâtre , 

Figure  de  savant  sur  les  bancs  d'un  théâtre.  !(^û.  III.  i.) 

Et  la  cour  et  la  ville 

Ne  m'offrent  rien  qu'objets  à  m* échauffer  la  bile.  {Ihid,  I.  x.) 

Monsieur  n'est  point  une  personne  àjaîre  rire,  (Poure,  I.  5.) 

Des  ennuis  à  ne  finir  que  par  la  mort.  {Am,  Magn.  1. 1.) 

—  À,  devant  un  infinitif,  pour  en  suivi  d*nn  participe 
présent  : 

On  ne  devient  guère  si  riche  à  être  honnêtes  gens.    (B,  Gent,  III.  la.) 

En  étant  honnêtes  gens. 

L'allégresse  du  cœur  s'augmente  à  la  répandre,  {Ècdesfem,  IV.  6.) 

En  la  répandant  y  lorsqu'on  la  répand. 

Cette  tournure  correspond  «lu  gérondif  en  do,  on  au  su- 
pin en  ic  des  Latins ,  qui  n*est  lui-même  qu'un  datif  ou  un 
ablatif^  l'un  et  l'autre  marqués  en  français  par  à  :  vires  aequi' 
rit  aundo;  diffundUur  audliu. 


—  2  — 

Il  faut  avec  ^rigueur  ranger  les  jeunes  gens , 

Et  nous  faisons  contre  eux  à  leur  être  indulgents.  (£c.  tlesf,  Y.  7«} 

En  leur  étant  indulgents. 

Voire  choix  est  tel , 
Qu*à  TOUS  rien  reprocher  je  serois  criminel.  {Sgan,  ao.) 

En  vous  reprochant  rien ,  si  je  vous  rq)rochais  rien. 
-—  À ,  devant  an  infinitif ,  marque  le  bat  : 

. .  .Un  cœur  qui  jamais  n'a  fait  la  moindre  chose 

  mériter  l'affront  où  ton  mépris  Texpose.  {Sgan,  z6.) 

Pour  mériter,  tendant  à  mériter. 

Si  c'éioit  une  paysanne,  tous  auriei  maintenant  toutes  yos  coodées 

franches  à  vous  en  faire  la  justice  à  bons  coups  de  bâton.      {G,  D.  I.  3.) 

Lorsque  si  généreusement  on  vous  vit  prêter  votre  témoignage  à  faire 

pendre  cc%  deox  personnes  qui  ne  Ta  voient  pas  mérité.  {Pourc.  1. 3.) 

Ah  !  c'est  ici  le  coup  le  plus  cruel  de  tous , 

Et  dont  à  s'assurer  trembloit  mou  feu  jaloux.  (Ampk,  II.  a.) 

La  chose  quelquefois  est  fâcheuse  à  connoitre. 

Et  Je  trembU  à  la  demander,  ^liid,  IL  a.) 

— «  A ,  devant  an  infinitif,  aa  point  de ,  jusqu'à  : 

La  curiosité  qui  vous  presse  est  bien  forte, 

M'amie,  à  nous  venir  écouter  de  la  sorte!  {Tart.  U.  a.) 

—  Â,  devant  un  infinitif,  par  le  moyen  de  : 

Et  que  deviendra  lors  cette  publique  estime 

Qui  te  vante  partout  pour  un  fourbe  sublime , 

Et  que  tu  t'es  acquise  eu  tant  d'occasions , 

A  ne  t'étre  jamais  vu  court  d'inventions!  {CÈt,  ni.  i.) 

—  A  mppHmè. 

Voyez  PEÉPosiTioN  supprimée. 

—  A  datif,  redoublé  surabondamment: 

Et  je  le  donnerois  à  bien  d'autres  qu'a  moi , 

De  le  voir  sans  chagrin  au  point  où  je  me  voi.  {Sgan,  i6.) 

Que  de  son  cuisinier  il  s'est  fait  un  mérite, 

Et  que  c'est  à  sa  table  à  qui  l'on  rend  visite.  (Mis,  II.  5.) 

L*on  prescrit  aujourd'hui  de  dire  à  bien  d'autres  que  moi,,». 
C'est  à  sa  table  que  l*on  rend  visite ,  sotis  préte&te  que  les 
deux  datifs  font  double  emploi  i  mais  cette  fêifou  de  parier  est 


—  3  — 

originelle  dans  notre  langue,  et  nous  vient  du  latin,  où  cette 
symétrie  des  cas  est  rigoureusement  observée  entre  le  substan- 
tif et  son  pronom  relatif. 
Boileau  a  dit  de  même  : 

«  C'est  à  voiiSf  mon  esprit ,  à  qui  je  veux  parler.  »         (Sat,  IX.) 
Yen  qu'il  lui  eut  été  facile  de  changer,  et  qu'il  voulut  main- 
tenir, avec  raison  \  car  ce  pléonasme  est  dans  le  génie  et  la 
tradition  de  la  langue  ; 

Ls  drapier: 
«  Par  la  croix  où  Dieu  s*estendy , 
••  C'est  à  vous  à  qui  je  vendy 

«  Six  aulnes  de  drap ,  maistre  Pierre.  »  (Pathelin,) 

Voyez  DE  redoublé  surabondamment. 

—  A  VOUS,  où  nous  ne  mettons  plus  que  wu$. 

Voilà  un  homme  qui  veut  parler  à  vous,  {Mai.  im,  II.  a.) 

—  A  datif ,  marquant  la  perte  ou  le  profit. 
Êt&e  ami  a  quelqu'un  : 

Mais,  quelque  ami  que  vous  lut  soyez...  (D,  Juan,  III.  4.) 

Cette  tournure  vient  des  Latins,  qui  l'avaient  empruntée  aux 
Grecs. 

— '  A  (un  substantif)  devant,  en  présence  de... 

A  r orgueil  de  ce  traître , 
De  mes  ressentiments  je  n*ai  pas  été  maître.  {Tart,  Y.  3.) 

A  cette  audace  étrange , 
J*ai  peine  à  me  tenir,  et  la  main  me  démange.         (Ih'id,  Y.  4.) 

—  A  pour  de  ;  essayer  à ,  manquer  à ,  tâcher  à... 

EssajreM,  un  peu,  par  plaisir,  à  m*enToyer  des  ambassades,  à  m'écrire 

iecrètement  de  petits  billets  doux ,  à  épier  les  moments  que  mon  mari  n*y 

sera  pas....  (G.  Z>.  I.  6.) 

Manquez  un  peu ,  manquez  à  le  bien  recevoir.  (^ff^-  <•) 

Depuis  assez  longtemps /«  tiUkê  à  le  comprendre.        (Ibùi,  III.  5.) 

— A  pour  en  y  dans  :  se  mettre  quelque  chose  a  la 
tête: 

Pensez-vous 

Et ,  quand  nous  nous  mettons  quelque  chose  à  la  tétêf 
Que  rhomme  le  plwfiniMMMtpfti  meliétt?  (£c.  du  Mar.  h  a.) 

t. 


~  4  — 

—  A  pour  contre;  Chakger  vue  chose  A  uhb 

AUTRE: 

Et ,  des  rois  les  plus  grands  m'offrit-on  le  pouvoir. 

Je  ny  changerais  pas  le  bonheur  de  tous  Toir.  {MéticerU,  II.  a.) 

«  Ce  jour  même ,  ce  jour,  Theureuse  Bérénice 

•t  Change  U  nom  de  reine  au  nom  d^impéralrioe.»  (Eacxvi,  Bérén.) 

—  A  pour  sur,  d'après  ;  a  mou  sERMEirr  : 

Je  n*en  serai  point  cm  à  mon  serment,  et  Ton  dira  que  je  rêve.  (G,D.  II.  S.) 
A  mon  serment  Ton  peut  m*en  croire.  (Jmpli.  II.  i .) 

—  A  dans  le  sens  de  par^  se  laisser  séduire  a.  ...  : 

Et  ne  vous  laissez  point  séduire  à  vos  bontés,       {Fem,  sav.  Y.  a.) 

....  Et  que  j*aurois  cetle  faiblesse  d'âme 

De  me  laisser  mener  par  le  nez  à  ma  femme?  {Ibid,  V.  2.) 

Il  est  clair  qtie  Molière  a  voulu  éviter  la  répétition  de  par, 
A  se  construit  avec  laisser;  par  se  construirait  avec  mener. 

Voyez  A  cause  que  ,  —  A  ce  coup  ,  —  A  cette  fois  ,  —  A 

CRKDIT  ,   —    A    LA    CONSIDÉRATION  ,    A    i/eNTOUE  DE  ,    —  A 

1/ HEURE  , A  MA  SUPPRESSION  ,  —   A   PLEIN,  A   SAVOIR  , 

Au  et  Aux. 

ABANDONNER.  Abat^doinner  80i9  coeur  a..., suivi 
d'un  infinitif  : 

Aussi  n*aurois-je  pas 
Abandonné  mon  cœur  à  suivre  ses  appas. . . .  (Ec,  des  Mar,  II.  9.) 

ABOYER ,  métaphoriquement  ;  aboyer  après  quel- 
qu'un, en  parlant  des  créanciers  : 

Nous  avons  de  tous  côtés  des  gens  qui  aboient  après  nous,  {Scap,  I.  7 .) 

ABSENT.  Absent  de  quelqu'un  : 

Et  qu*un  rival ,  absent  de  vos  divins  appas (Z>.  Garcie,  h  3.) 

«  Nul  heur,  nul  bien  ne  me  contente, 

«  Absent  dt  ma  divinité,  »  (  François  I'^.  ) 

C*est  un  latinisme  :  abesse  ab, 
A  CAUSE  QUE. 

Vous  ne  lui  voulez  mal ,  et  ne  le  rebutez 

Qu*a  cause  qu*'ï\  vous  dit  i  tous  vos  véritit.  {Tart,  I.  x.) 


—  5  — 

Et  voilà  qu'on  It  chasse  avec  un  grand  fracas , 
A  eatue  qu'elle  manque  à  parler  Yaugelas.  (Pem.  stw,  II.  7.) 

«  Cea%  qu*ou  nomme  chercheurs ,  à  cause  que,  dix-sept  cents  ans  après 
«  J.  CL,  ils  cherchent  encore  la  religion.  »  (Bossubt.  Or,  fun.  de  la  R,  ttj.) 

ACCESSOIRE.  Eif  un  tel  aggessoibe,  en  pareille  cir* 
constance  : 

Et  tout  ce  qti*elle  a  pu ,  dans  un  tel  accessoire  , 

Cest  de  me  renfermer  dans  une  grande  armoire.  (Ee.  desf,  IV.  6.) 

Accessoire  paraît  un  mot  impropre ,  suggéré  par  le  besoin 
de  rimer.  On  voit ,  à  la  plénitude  du  sens  et  à  la  fermeté  ha- 
bituelle de  l'expression ,  que  Molière  avait ,  comme  Boileau  , 
Tosage  de  s'assurer  d'abord  de  son  second  vers.  De  là  vient 
que  souvent  le  second  hémisticbe  du  premier  tient  de  la  che- 
ville, comme  en  cette  occasion.  (Voyez  chevilles.) 

ÀCGOISEB,  calmer: 

I«r  MBoicnr.  Adoucissons,  lénifions  et  accoisons  Taigreur  de  ses  es- 
prils.  (Pourc.  I.  a.) 

L'orthographe  primitive  est  quoij  quoie,  de  quietus  :  on  de- 
vrait donc  écrire  aussi  aquoiser  ;  mais  l'écriture  s'applique  à 
saisir  les  sons  plutôt  qu'à  garder  les  étymologies:  C'est  une 
des  causes  qui  transforment  les  mots. 

Accoiser  était  du  langage  usuel  ;  Bossuet  s'en  est  servi  dans 
sa  Connaissance  de  Dieu  ;  les  éditeurs  modernes  ont  changé 
mal  à  propos  cette  expression.  Voici  le  passage  tel  qu'on  le  lit 
dans  l'édition  originale  donnée  par  l'auteur  : 

«  Si  les  couleurs  semblent  Taguer  au  milieu  de  Pair,  si  elles  s*affoiblissent 
«  peu  i  peu,  si  enfin  elles  se  dissipent ,  c^est  que  le  coup  que  donnoit  l'objet 
-  présent  ayant  cessé,  lii  mouvement  qui  reste  dans  le  nerf  est  moins  fixe, 
«  qu'il  se  ralentit ,  et  enfin  i^accoise  tout  à  fait.» 

On  a  substitué  qu'il  cesse  tout  à  fait,  (P.  93,  éd.  de  1846.  ) 

ACCOMMODÉ  pour  à  ïaise ,  opulent  : 

J'ai  découvert  sous  main  qu'elles  ne  sont  pas  fort  accommodées, 

{JL'Av,  I.  a.) 

Le  seigneur  Anselme  est un  gentilhomme  qui  est  noble,  doux, 

posé,  sage,  et  fort  accommodé,  (Ibtd.  I.  7.) 

m  Mon  père  estoit  des  premiers  et  des  plus  accommodez  de  son  vil- 
•  lage.  •  (SciLEEOir,  Âom,  com,^  x*  p.,  di.  xiii.) 


—  6  — 

Trévoux  dit  : 

«  Un  homme  riche  et  accommodé,  dives,»  •  Uo  homme  assez  accommodé 
des  biens  de  la  fortune,  »  (  Mascajioh.  ) 

Cette  locution  accommodé  des  biens  de  la  fortune  paraissant 
trop  longue,  on  a  fini  par  dire  simplement  accommodé.  Mais 
ce  qui  est  plus  singulier,  c'est  de  trouver  incommodé  ansaî 
absolument  et  sans  régime ,  pour  signifier  pauvre,  dans  la  gène 
ou  la  misère. 

m  Revenons  donc  aux  personnes  incommodées,  pour  k  sonlaganent  det- 
«  quelles  nos  pères. .  .assurent  qu'il  est  permis  de  dérober,  non-seulemMl 
«  dans  une  eitréme  nécessité. ...»  (  Pascal  ,  8*  Prov.) 

(Voyez  INCOMMODE.) 

—  ACœMHODÉ  DE  TOUTES  PIÈGES  : 

Est-ce  qu'on  n*en  Toit  pas  de  toutes  les  espèces. 

Qui  sont  accommodés  chez  eux  de  toutes  pièces  ?    (Mc*desfem.l.t.) 

On  ne  sauroit  aller  nulle  part ,  où  l'on  ne  vous  entende  accommoder  de 

toutes  pièces.  (  L'j4v.  III.  5.) 

L'on  vous  accommode  de  toutes  pièces,  sans  que  vous  puissiez  tous 

venger.  (G.  D.  I.  3.) 

Cette  métaphore,  de  toutes  pièces,  nous  reporte  au  temps  de 
la  chevalerie.  Un  chevalier,  accommodé  de  toutes  les  pièces 
de  son  armure ,  était  accommodé  aussi  complètement  que  pos- 
sible; il  n*y  manquait  rien. 

Tai  en  main  de  quoi  vous  faire  voir  comme  elle  m'accommode.  {G,D.  U.  9.) 

—  AGGOMMODEH  A  LA  COMPOTE  *. 

-  U  me  prend  des  tentations  à^ accommoder  tout  son  visage  à  la  compote... 

(  G.  D.  n.  4.  ) 

ACCORD. Être  D'AcœRD  de,  convenir,  reconnaître  : 

Autant  qu*«/  est  d! accord  de  vous  avoir  aimé.  (Amph.  U.  6.) 

Qu*aux  pressantes  clartés  de  ce  que  je  puis  être , 

Lui-même  soit  d'accord  du  sang  qui  m'a  fait  naître.    (Ih.  III.  5.) 

—  ALLER  AUX  AcœRDs ,  être  conciliant;  accommoder 
les  choses  : 

Argatiphontidas  ne  va  point  aux  accords.  (  Amph,  III.  8.) 

ACCOUTUMÉ;  avoir  accoutumé,  avoir  coutume  : 

f  Ailes,  monsieur,  on  voit  bien  que  vous  n^avez  pas  accoutumé  de  parler 
à  des  visages.  (Mal.  im.  UÎ.6.) 


—  7  _ 

ACCBOCHË  ,  AGGROGHé  A  QUELQU'UT»  : 

Bfau  aux  hommes  par  trop  vous  êtes  accrocliées,  {Amph,  11,5.  ) 
Sur  cette  locution /ar  rny?,  je  ferai  observer  que  c'est  un  des 
plus  anciens  débris  de  la  langue  française  primitive.  Par  s*y 
coQstruity  non  avec  trop ,  mais  avec  Tadjectif  ou  le  participe 
qui  le  suit ,  et  qui  se  trouve  ainsi  élevé  à  la  puissance  du  super- 
latif.  C'est  une  imitation  de  l'emploi  de  per  chez  les  latins  : 
pergrandis ,  pergratus.  Cette  formule  se  pratiquait  en  français 
avec  la  tmèse  de  par;  c'était  comme  si  l'on  eût  dit  sans  tmése  : 
Tous  êtes  trop  paraccrochées  aux  hommes. 

Par  se  construisait  de  même  avec  les  verbes  :  parfaire ^para- 
ehet^r,  parcourir  y  parbouii/ir ,  pargagner  : 
Pourtant,  et  8*il  eust  barguigné 
Plus  fort ,  il  eust  par  bien  gaîgné 

Un  escu  d'or.  {Le  nouveau  Pathelin,) 

S'il  eût  marchandé ,  il  eût  bien  pargagné  un  écu  d'or. 
(\ojezDes  Variations  du  langage  français ,i^.  a36.) 
A  CE  COUP  : 

Voyons  si  votre  diable  aura  bien  le  pouvoir 
De  détruire, à  e«  coup 9  un  si  solide  espoir.  (  VfJ,  Y.  x6.) 

(Voyea  a  csttb  rois.) 
À  CETTE  FOIS  : 

Uais  à  cette  fois,  Dien  merci  !  les  choses  vont  être  éclairdes.  (G,D,  III.  S.  ) 

Racine  a  dit  pareillement  : 

«  La  frayeur  les  emporte,  et ,  sourds  à  cette  fois, 

«  Ils  ne  connaissent  plus  ni  le  frein  ni  la  voix.  »     (  Phèdre,  V.  6.) 

4  cette  fois  était  la  seule  façon  de  parler  admise  originaire- 
ment: 

«I  Je  ne  say  plus  que  vous  mander 
m  A  cette  fois  ^  ne  mes  que  tant 

«  Que  je  di  :  a  Dieu  vous  commaot.»  {fiom,  de  Couey.  v.  3 184;) 
A  se  mettait  pour  marquer  le  temps ,  où  nous  mettons  au- 
jourd'hui sans  prépositions  un  véritable  ablatif  absolu;  ce- 
pendant nous  disons  encore  a  toujours  y  à  jamais  j  comme  dans 
le  Roman  du  Châtelain  de  Coucy  :  % 

«Yostre  serois  à  tousjours  hmu/...  it  (Coucy, w,  5357.) 


—  8  — 

m  Aune  auUrefoU,  ib  (lei  Ei|iigiioU)iDeireiitbrufller  p^ur  wiecNqp,  eo 
«  mesme  feu ,  quatre  cenli  soixante  hommes  touts  vifs.  »    (Most.  m.  6.) 

Nous  dirions  :  une  autrefois, 

«Eu  quoy  (à  bien  employer  les  ridiesseide  l*État)  le  pape  Grégoire 
•t  treizième  laissa  sa  mémoire  recommandable  i  long  temps;  et  en  quoy 
«  noftre  royne  Catherine  tesmoigneroit  à  longues  années  sa  libéralité  iiatu- 
«  rdle  et  munificence ,  si  les  moyens  suffisoient  à  son  affection.  » 

(Moar.  Ihid.) 

Bossuet  dit  toujours  à  cette  fois  : 

«Mais,  à  cette  dernière  fois,  la  valeur  et  le  grand  nom  de  Cyms  fit 
«  que etc.  »  (Hist.  Un.  IIP  p.  $  4«) 

ACHEMINER  quelqu*ijn  a  une  joie  : 

Ah  !  Frosine ,  la  joie  oii  vous  m'oekemines C^*  '"*•  ^*  ^') 

ACOQUINER  quelqu'un  a  quelque  chose: 

Et  je  crois ,  tout  de  bon ,  que  nous  les  verrions  (les  femmes)  nous  courir, 
sans  tous  ces  respects  et  ces  soumissions  oit  tei  hommes  les  acoquinenL 

(Pr,  d'EL  m.  3.) 
Mon  Dieu ,  qu*^  tes  appas  Je  suis  acoquine'/        (Dép,  am,  IT.  4.) 
•t. . . .  tant  les  hommes  sont  acco^fuinez  à  leur  estre misérable!  • 

(MovTAiGHK.  IL  37.) 

Coquin,  au  moyen  âge,  signifiait  un  mendiant  paresseux  ^ 
d^oùTon  est  passé  à  l'idée  de  malfaiteur  ou  de  voleur  dissimulé. 

«Lesquels  jeunes  hommes,  venant  de  la  ville  de  Roches  en  la  ville  de 
«  Raeil ,  ou  chemin  trouvèrent  un  homme  en  habit  de  quoquin. . . . .» 

{Lettres  derémiuion  de  i375.) 

«  Un  homme  querant  et  demandant  Taumosne,  qui  estoit  vestu  d*unnian- 
«  teau  tout  plain  de  paletaux ,  comme  un  coquin  ou  caimant(i).  » 

{Lettres  àt  139a.) 

«  Pierre  Perreau,  homme  pbin  d*oisiveté. .  •  alant  mendiant  et  coqninani 
•  parle  pays.  »  {Lettres  de  1460.) 

Dans  les  Actes  de  la  vie  de  saint  Jean ,  il  est  question  d'im 
jeiue  homme  qui  insultait  le  saint  : 

«Tocando  ipsum  coquinum  et  truantem.»      (Ducànoi,  in  Coquinus.) 

S'acoquiner  est  donc  s'attacher  comme  fait  un  mendiant 
importun  à  celui  qu'il  sollicite. 

L'étymologie  la  plus  probable  dérive  coquin  de  coquina^ 

(a)  D«  tmimmHt  il  noas  mtefii«M«iM/«r. 


—  9  — 

cuisine ,  lieu  que  les  coquins  hantent  volontiers.  On  voit  déjà 
dans  Plaute  que  cuisinier  était  synonyme  de  voleur  : 

Mihi  omnis  anguloi 

Funim  implevisti  in  ledibus  misero  mihi , 

Qui  ÎDtromisisti  in  «des  quingentos  coquos,  (AuiuL) 

Forum  coquinum  qui  Yocant  stulte  vocant  ; 

Nam  non  coquinum,  nerum  furinum  est  forum.  (PseudoL) 

Voyez  Du  Cange ,  aux  mots  coquiniis  et  cociones. 
^icoty  au  mot  accoquinery  dit  sans  autorité  que  coquin  signi- 
fiait privé  y  familier, 

À  CRÉDIT ,  grataitement  :  misérable  a  CRiDir  : 

Cesl  jouer  en  amour  un  mauvais  personnage , 

Et  se  rendre,  après  tout,  misérable  à  crédit,  {Dép,  am,  I.  a.) 

ADIEU  VOUS  DIS  ,  sorte  d'adverbe  composé  : 

Adieu  vous  dis  mes  soins  pour  Tespoir  qui  tous  flatte.  (VÊt,  II.  i.) 
Il  faut  considérer  adieu  vous  dis,  ancienne  formule,  comme 
aelieu  tout  simplement ,  sans  tenir  compte  du  vous  ni  du  verbe 
dire  :  Adieu  mes  soins  pour  Tespoir  qui  vous  flatte. 
L'édition  de  P.  Didot  ponctue,  d'après  celle  de  1770  : 
Adieu ,  tous  dis ,  mes  soins  pour  Tespoir  qui  vous  flatte. 
Où  Ton  voit  que  l'éditeur  prend  vous  dis  pour  vous  dis-Je  : 
— Adieu  mes  soins,  vous  dis-je,  , .  Ce  n'est  pas  \%  sens.  Fous 
dis  ne  s'adresse  pointa  l'interlocuteur  deMascarille,  pas  plus 
que  ce  n'est  une  apostrophe  :  adieu  vous  dis ,  ô  mes  soins  ! 
C'est  tout  simplement  :  Adieu  mes  soins. 

A  DIRE  VÉRITÉ,  pour  dire  la  virile  : 

Mais  il  Tant  beaucoup  mieux ,  à  dire  vérité. 

Que  la  femme  qu'on  a  pèche  de  ce  cdté.        {Èc,  des  Jem,  III.  3.) 

ADMETTRE  chez  quelqu'un,  introduire  : 

En  TOUS  le  produisant,  je  ne  crains  point  le  blâme 

D*aToir  admis  chez  tous  un  profane,  madame.     (JFem,  sav,JXl,  5.) 

ADMIRER  DE  (un  infinitif)  : 

fadmir€  de  le  voir  au  point  où  le  Toilà.  (te,  desfem,  1. 6.) 

Et  )  admire  de  voir  cette  lettre  ajustée 

Avec  le  êtiu  des  moU  et  la  pierre  jetée.  (  ièid,  III.  4-) 


-  10  — 

—  ADMIRER  GOMME.  ...  : 

TaJmire  comme  le  ciel  a  pu  former  deux  âmes  auad  semUables  en 
tout  que  Jes  nôtres (Pr.  JtEL  IV.  i.) 

Pascal  a  ait  j'admire  que  : 

«  Car  qui  vl  admirera  que  notre  corps. . . .  soit  à  présent  un  colosse ,  an 
«  monde,  etc.  »  {Pensées,  p.  281.) 

«  Tous  admirerez  que  la  dévotion  qui  étonnoit  tout  le  monde  ait  pu  être 
«  traitée  par  nos  pères  avec  une  telle  prudence,  que..  •  # . . ,  etc.»  (9*  Pro».^ 

«  Il  faudroit  admirer  qu'elle  (cette  doctrine)  ne  produisit  pas  wtle  U- 
•  cence.  »  (iK^Prm^) 

ADRESSES ,  au  pluriel  : 

Enfin,  j'ai  vu  le  monde  et  j'en  sais  les  finesses  : 
Il  faudra  que  mon  homme  ait  de  grandes  adresses  » 
Si  message  ou  poulet  de  sa  part  peut  entrer. 

{ie,desfm,T^.S.) 

ADBESSER ,  diriger,  faire  arriver  : 

Mon  esprit,  il  est  vrai,  trouve  une  étrange  voie 

Pour  adresser  mes  wmix  au  comble  de  leur  Joie.     (£*Al  HT.  9.) 

AFFECTER,  affectionner;  rechercher  a ycc affection. 

—  MoifTRER  D* AFFECTER  9  étaler  de  Taffeetion  ou  la 
laisser  paraître: 

Vous  buviez  sur  son  reste,  et  montriez  d'affecter 

Le  côté  qu'à  sa  bouche  elle  avoit  su  porter.  (  VRt.  IV.  5.) 

—  AFFECTER  L'EUMPLE  DE  QUELQU*I79  : 

Diane  même,  dont  vous  affeeten  tant  t exemple,  a'a  pas  ro«|l  àê 
pousser  des  soupirs  d*amour.  (Pr.  d^EL  H,  i.) 

AFFOLER,  Y.  a.  être  affolé  de  quelqu'uk»  figu- 
rëment  en  être  épris  : 

Tous  ne  sauriez  croire  comme  elle  est  affolée  de  ce  Lésmdrt* 

{Méd,  malgré  lui.  UL  7.) 
Affoler  ne  signifie  pas  rendre  fou,  comme  l'explique  le 
Suppl.  au  Dict.  de  TAcad.,  mais  blesser^  au  propre  et  au  fi- 
guré. C'est  le  \erhe  fouler  composé  avec  a,  marquant  le  pro- 
grès d'une  action,  comme  dans  nlentir^  apetiser,  agrandir, 
amaladir.  Elle  en  est  affolée  y  elle  en  est  férue. 

«  Ha  î  le  brigand  !  il  m'a  tout  affolée.  •   (La  Fowt.  It  diable  de  Pap.) 


—  11  — 

Rendre  fou  se  disait  affolir  (  racines»  yô/,  foliêy  et  <i).llon- 
Uigne  a  bien  gardé  la  différence  de  ces  deux  mots  : 

«  Et  leur  sembloit  que  c'estoit  affoler  les  mystères  de  Yeniu,  que  de 
«  les  oster  du  retiré  sacraire  de  son  temple.  »  (H,  la}.»  Lœdere  mysleria 
Veneris. 

«  n  y  a  non-tttilement  du  plaisir,  mais  de  la  gloire  encores,  d'ajQ^o/ircesIe 
«  moUe  doulceor  et  ceste  pudeur  enfautine.  »  (Moht.  U.  i5.) 

On  avait  composé  aussi  de  foler  (fouler)  gourfoler  ou 
gourfouler.  (Voyez  Du  CANCs^au  mot  affolare,) 

Ce.  qui  aura  conduit  à  confondre  les  deux  formes  de  l'infi- 
nitif, c'est  qu'en  effet  le  présent  de  l'indicatif  est  le  même  : 
le  berger  Aignelet ,  à  qui  son  avocat  recommande  de  ne  ré- 
pondre à  toutes  les  questions  autre  chose  sinon  bée,  s'y  en- 
gage : 

«  Dites  hardiment  que  Raffole , 

«  Si  je  dis  huy  autre  parole.  »  {Pathelin,) 

On  remarque  de  plus ,  dans  cet  exemple ,  affoUr  employé  au 
sens  neuti-e ,  pour  devenir  fou. 

De  même ,  un  peu  plus  loin ,  quand  le  drapier  brouille  son 
drap  et  ses  moutons ,  Pathelin  s'écrie  vei'S  le  juge  : 

«  Je  regny  sainct  Pierre  de  Rome, 
«  S'il  n*est  fin  fol,  ou  il  affole,  » 

11  est  fou  y  ou  il  le  de\'ient. 

AFFRONTER  QUixQu'uiï,  le  tromper  effrontément, 
jusqa^à  l'outrager  et  s'exposer  à  sa  vengeance  : 

Ah I  TOUS  me  laites  tort!  S'il  faut  qu'on  tous  affronte, 

Croyez  qu'il  m'a  trompé  le  premier  à  ce  conte.       (  L'Mt.  rV.  7«) 

GooroDS-le  donc  chercher,  ce  pendart  qui  m^affronte, 

{Sgan.in.) 

Si  j'y  retombe  plus,  je  veux  bien  qu'on  xt! affronte, 

{Ec,deifem.lLS.) 
«  A  votre  aTÎi»  le  Mogol  est-il  homme 
«  Que  l'on  osât  de  la  sorte  affronter  ?n   (La  Foirr.,  la  Mandr,) 

—  AFFRO]IVT£R  UTf  COEUR  :  S 

Un  cœur  ne  pèse  rien,  alors  que  Ton  V affronte,  (Dèp,  am,  n.  4-) 


—  12  — 
AGRÉER  QUE. . . 

Agréez,  monsifur,  qut  je  vous  félicite  de  votre  mariage.  {Meu-:for.  la.) 

AGROUPÉ : 

Les  contrastes  savants  des  membres  agroupés. 
Grands,  nobles,  étendus,  et  bien  développés. 

(  La  Gloire  du  Val  de  Gréée.) 

Trévoux  le  donne  comme  un  terme  technique  en  peinture, 
et  cite  cette  phrase  de  Fcllhien  :  a  II  fkut  que  les  membres  soient 
«  agroupés  aussi  bien  que  les  corps.» 

Sur  Va  initial  des  verbes  composes ,  voyez  assavoie. 

AHEUBTÉ  A  QUELQUE  CHOSE  : 

De  tout  temps  elle  a  été  aheurtée  à  cela,  {Mal,  im,  L  5.) 

Nicol  donne  pour  exemple  : 

«  Un  aheurtc  plaideur,  uu  homme  confit  en  procès,  un  plaidereau.» 
Selon  Trévoux ,  il  se  dit  aussi  absoliuuent  :  c'est  un  homme 
qui  s*aheurte ,  uu  homme  aheurtc. 

AIENT  en  deux  syllabes  : 

Ils  ne  vous  ôtent  rien, eu  m*ôtant  à  vos  yeux , 

Dont  ils  n'aient  pris  soin  de  réparer  la  perte.  (Psyché,  II.  i .) 

AIGREUR ,  ressentiment  : 

Et  Y  aigreur  de  la  dame ,  à  ces  sortes  d  outrages 

Dont  la  plaint  doucement  le  complaisant  témoin, 

Est  un  cbamp  à  pousser  les  choses  assez  loin.     {Ec.  des  m.  I.  6.) 

On  a  peine  à  concevoir  une  aigreur  qui  est  im  champ. 
AIMER  (S')  QUELQUE  PART ,  s'y  plaire  : 

Pourquoi  me  chasses-tu  ?  —  Pourquoi  fuis-tu  mes  pas  ? 
—  Tu  me  plab  loin  de  moi.  —  Je  m'aime  oit  tu  n'es  pas. 

{Mélicerte,  1.1.) 

AIR ,  façon ,  manière ,  agir  d'un  air traiter 

b'uk  air : 

Au  contraire,  j'tf^ii  d'tm  air  tout  différent,  {VEt.  V.  i3.) 

Et  traitent  du  même  air  Thonnéte  homme  et  le  fat.        (Mis.  1. 1.) 
Et  je  me  vis  contrainte  à  demeurer  d'accord 
Que  Vair  dont  vous  viviez  vous  faisoit  un  peu  tort.  {I6id,  III.  5.) 


—  13  — 

Piriez,  don  Juao ,  et  voirons  de  quel  air  vous  saurez  vous  jastifier. 

(Z).  Juan.  I.  3.) 

—  AVOIR  DE  l'air  DE. . .  •  ressembler  à. ...  : 

Et  set  effets  soudains  (i)  oui  de  tair  des  miracles,  {Èc,  des  fem,  in.4.) 

AJUSTER  (S)  A  : 

Ne  Toyez-vous  pas  bien  que  tout  ceci  D*est  fait  que  pour  noiu  ajuster 
aux  luisions  de  Totre  mari ?  {B, gent.  Y.  7.) 

—  AU  TEMPS  : 

Suivons,  suÎTODS  Texemple,  ajustons-nous  au  temps,  (JPsyché.  I.  x.) 
On  remarquera  dans  ce  verbe,  s'ajustera, . . ,  le  pléonasme 
du  datif  qui  s'y  montre  à  l'état  libre  et  dans  la  composition , 
preuve  que  le  datif  redoublé  n'est  pas  plus  contraire  au  génie 
de  la  langue  française  que  ne  l'est  en  latin  le  redoublement 
analogue  de  la  préposition  adspirar  ad  y  addere  ad. 

On  trouve  dans  la  version  des  Rois,  se  j aster  h  et  s* ajuster  à, 
La  même  observation  s'applique  à  l'expression  s'amuser  à, 
qui  renferme  deux  fois  le  même  datif.  \a  verbe  simple  est 
muser;  muser  à  quelque  chose ,  s'amuser, 

AJUSTER  L'ÉCHINÉ  ;  voyez  échine. 

A  LA  C0N8IDÉBATI0N  DE.  • .  voyez  consid^bation. 

ALAHBIQUER  (S*),  être  ingénieux  à  se  tourmenter  : 

Pour  moi,  j*ai  déjà  tu  cent  contes  de  la  sorte. 

Sans  nous aiamiiquer,  senrons-nous-en  :  qu importe?  {CÉt,Vf.  i.) 

ALENTIR,  ralentir: 

Et  notre  passion ,  aleniissant  son  cours  » 

Après  ces  bonnes  nuits  donne  de  mauvais  jours.      (fit.  lY.  4.) 
Je  yeux  de  son  rival  alentir  les  transports/  {^Ihid,  III.  4.) 

(Voyez  ASSAvoiB.) 

A  L'ENTOUR  DE  : 

MOROK. 

Les  Toilà  tons  à  Centour  de  lui;  courage  !  ferme! 

{.La  Pr,  d^ÉL  intermède  x«%  se.  4.) 

On  ne  voit  pas  pourquoi  cette  locution  a  été  proscrite,  ni 
sur  quelle  autorité  suffisante.  En  tour  est  un  substantif,  puis- 
qu'il a  un  pluriel  :  les  entours  de  quelqu'un.  A  fentour,  soit 

(1)  Ut  cffeit  de  l'i 


—  14  - 

qu'on  récrive  en  deux  mots  ou  en  un ,  n'eit  pat  plus  un  ad- 
yerbe  que  à  la  hauteur,  h  la  veille,  etc. 

«  Le  malheuraiix  lion  se  déchire  lui-même, 

«  Fait  réfonner  ta  quene  à  teniour  de  ses/Umu^  (Là  Fovtaxhb.) 
Mais  M. Boniface  interdit  ce  complément.  (Gra*i/ii./r.,n» 67 4.) 

A  L'HEURE,  pour  tout  à  Vheure: 

A  riieure  même  eocor,  dous  avons  eu  querelle 

Sur  rbymen  d*Hippolyte ,  où  je  le  vois  rebelle.  (  VÉt,  I.  9.) 

—  A  L*H£UBE  QUE  : 

A  rhmtê  ^ue  je  parle,  vin  \îmit  Égyptien {VÉt.  IV.  9.) 

—  A  l'heure  ,  sur  ITieore ,  à  Tinstant  même  : 

Et  je  souhaite  fort,  pour  ne  rien  reculer^ 

Qu'à  Vheure,  de  ma  part,  lu  l'ailles  appeler.      {Fâcheux.  L  10.) 

ALLÉGEANCE  : 

Et  quand  ses  déplaisks  auront  quelque  alUgeanee, 

J'aurai  soin  de  tirer  de  lui  votre  assunnoe.  (L'Ét.  II.  4*) 

ALLES ,  constroit  avec  un  participe  : 

Il  iMi  vétu  d'une  façon  extravagante.  (  MétL  maigre  luL  l.  5.) 

Ici  il  va  signifie  il  sort,  il  se  montre.  Aller,  construit  avec 

le  participe  présent ,  marque  d  ordinaire  une  action  en  progrès, 

comme  dans  cette  phrase  de  Pascal  :  «  Les  opinions  probables 

vont  toujours  en  mûrissant,  »  (ta*  Prop.) 

—  ALLER,  lié  à  un  autre  verbe  à  l'infinitif: 

Molièi'e  en  fait  toujours  un  verbe  réfléchi  construit  avec  en  : 

Je  m'en  vais  la  traiter  du  mieux  qu'il  me  sera  possible.  (  Sicilien.  19.) 

La  voici  qui  s'en  va  venir.  (Ibid.  18.) 

Le  jour  s'en  va  paraître,  (  Éc,  des  fem.  V.  i .) 

— -  ALLER  A ,  au  sens  moral ,  aspirer  à ,  tendre  vers. . .  : 

n  ne  faut  mettre  ici  nulle  force  en  usage. 

Messieurs;  et  si  vos  vœux  ne  vont  qu'au  mariage. 

Vos  transports  en  ce  lieu  se  peuvent  apaiser.  {Éc.  desmar.Ul.ô. 

Tous  mes  vœux  les  plus  doux 
Font  à  nCen  rendre  maître  en  dépit  du  jaloux.  (Éc.  des  fem,  L  6.) 


—  16  — 

Et, ooaune  je  tous  dis,  toute  Tliabileté 

JXeva  qu'à  le  savoir  tourner  du  bon  càté(f).  (Ee.  desfem,  IV.  8.) 

Je  ga^^erois  presque  que  Taffaire  ^va  là,  ( 2>.  Juan,  I.  i.) 

Notre  honneur  ne  im  point  à  vouloir  cacher  aotre  honte.  (iHd*  m.  4*) 

Il  ne  INI  poê  à  maitu  qu*à  vous  déshonorer.  (Têrt^  UL  5.) 

Et  toute  non  inquiétudo 

Ne  doit  aller  qu'à  me  venger.  Çdimph.  UL  3.) 

Argiliphontidas  ne  'va  point  eut  aeoordi.  (/M.  IIL  %^ 

Qo  n'est  qu'à  tetprit  seul  que  vont  tous  les  transports. 

(F«ni.#ap.  lY.a.) 

«  De  quelque  manière qu*il  pallie  ses  maximes,  cellet  que  j'ai  à  vous 
«  dire  ne  vont  en  efbt  qu'à  fiivoriser  les  juges  corrompus ,  les  usuriers ,  les 
•banqueroutiers,  les  larrons,  les  femmes  perdues,  etc.»  (Pascal.  8*  Pro»».} 

—  ALLER  DAIIS  LA  DOUCEUR  ,  YOy.  DAlfS  LA  DOUCEUR. 

ALTÉRÉ,  troublé,  ému  : 

Un  tel  discours  n'a  rien  dont  je  soit  altéré,         (Fem,  saç,  V.  i.) 

AMBIGU,  substantif,  un  ambigu  : 

Cest  tut  ambipi  de  précieuse  et  de  coquette  que  leur  personne. 

^Prée.rid.h) 

AME  QUI  FLOTTE  SUR  DES  SOUPÇOES  : 

Et  je  veux  qu*un  amant ,  pour  me  prouver  sa  flamme , 

Sur  déUrneU  soupçons  laisse  flotter  son  âme.      {Fâcheux,  U.  4.) 

AMI ,  Atre  ami  a  quelqu'un  : 

Mais,  quelque  ami  que  vous  lui  soyez,  (Don  Juan,  HI.  4*) 

—  AMIS  D*éP£E  : 

Tous  êtes  de  l'humeur  de  ces  amis  d'épée, 

Que  l'on  trouve  toujours  plus  prompts  à  dégainer 

Qu'à  tirer  un  teston  s'il  le  Calloit  donner.  (VÉt,  UL  5.) 

AMITIÉ  TUANTE: 

Leur  tuante  amitié  de  tous  côtés  m'arrête;  {AmpK  III.  i.) 

A  MOmS  QUE ,  suiyi  d  un  infinitif ,  sans  de  : 

Le  moyen  d'en  rien  croire,  il  motM  quatre  insensé  f  {Arnpl^  II.  t») 
(1)  U  coeuge. 


—  16  — 
A  MOINS  QUE  DE: 

A  moins  qw  de  cela,  Teosté-je  soupçonné?  (VÉt,  I.  lo.) 

AMOUR,  fëminio  : 

Il  disait  qu*il  m'aimoit  d*ane  âoMMir  sans  seeomU.  (Écdêifim,  IL  6.) 
Yous  ne  pouvez  aimer  que  ttime  amour  grouièrt,  (Am.  iar.  rV.a.) 
Pourquoi  amour  est-il  aujourd'hui  du  mascufin  au  singulier, 
et  du  féminin  au  pluriel?  Cette  inconséquence  est  toute  mo- 
derne ,  et  Ton  n*en  voit  pas  le  prétexte.  Un  amour  est  un  petit 
Gupidon  ;  une  amour  est  une  affection  de  l'âme  ;  on  aurait  dû 
7  maintenir  la  même  diflcrence  qu'entre  un  satyre  et  une 
satire.  Amour  est  demeuré  féminin  depuis  l'origine  de  la  lan- 
gue jusqu'à  la  fin  du  xvii*  siècle. 

•  Qirune  première  amour  est  belle! 

«Qu*on  a  peine  à  s'en  dégager! 

«  El  qu*on  doit  plaindre  un  cœur  fidèle 

«  Quand  il  est  réduit  à  changer!  »  (Quihault.  Aiys,) 

C'est  comme  le  mot  orgue,  qui  est  aussi  masculin  au  singu- 
lier et  féminin  au  pluriel.  Qu  y  a-t-on  gagné?  d'être  obligé  de 
dire  :  C'est  un  des  plus  belles  orgues  du  monde. 

AMOUREUSEMENT,  en  parlant  de  la  tendresse 
filiale  : 

Elle  faisoit  fondre  chacun  en  larmes ,  en  se  jetant  amoureusemeni  sur 
le  corps  de  cette  mourante ,  qu'elle  appeloit  sa  chère  mère.   {Scapia,  I.  a.) 

Pascal ,  pai'lant  d'un  enfant  que  veulent  ravir  des  voleurs  ^ 
et  que  sa  mère  s'efforce  de  retenir  : 

«  Il  ne  doit  pas  accuser  de  la  violence  qu'il  souffre  la  mère  qui  le  retient 
«  amoureusement,  mais  ses  injustes  ravisseurs.  »  (8*  Pro9,) 

AMPHIBOLOGIE  : 

Et  de  même  qu'à  vous  je  ne  lui  suis  pas  chère.  {JUélicerle,  II.  3.) 
Il  semble  que  Mélicerte  veuille  dire  :  Je  ne  suis  chère  ni  à 
lui ,  ni  à  vous  ;  et  sa  pensée  est  au  contraire  :  Je  ne  suis  pas 
chère  à  votre  père  comme  Je  le  suis  à  vous.  L'ellipse  t;orabinée 
avec  l'inversion  produit  cette  équivoque ,  car  sans  l'inversion 
la  phrase  serait  encore  assez  claire  :  Je  ne  lui  suis  pas  chère 
comme  à  vous ,  ou  de  même  qu'à  vous. 


-  Il  ^ 

AMPLEMENT  AJUSTÉ,  paré  fastueusement  : 

Quand  ud  carrosse  fait  de  superbe  maoière , 

Et  comblé  de  laquais  et  devaut  et  demère, 

S'est  arec  grand  fracas  devant  nous  arrêté, 

D'où  sortant  un  jeune  homme  amplement  ajusté, .... 

(Les  Fde/uttx,  I.  f.) 

AMUSEMEKT,  dans  le  sens  où  Ton  dit  amuser  queU 
gYi'tm ,  s'amuser  à  : 

Tu  prends  d'un  feint  courrou\  le  vain  amusement.  (Sgan.ô,) 

—  Perte  de  temps,  retard  : 

Moi  y  je  Tattends  îd,  poar  moins  à*amuiement,  {Tort.  I.  3.) 

Pour  m*arrétcr  moins  longtemps. 

Le  moindre  amusement  tous  peut  être  fatal.  (lùid,  V.  6.) 

?f*est-il  point  là  quelqu'un?  —  Ah  que  à^amusement! 
Veux  tu  parler?  ( Mis.  IV.  4) 

Mais  plus  à*amusement  et  plus  d'incertitude.  (/Am/.  V.  a.) 

Amphitryon, c'est  trop  pousser  Vamusementt 

Finissons  cette  raillerie.   *  (^j4mph,U,  ^») 

Henriette,  entre, nous  est  un  amusement. 
Un  TOfle  ingénieux,  on  prétexte,  mon  frère, 
A  couvrir  d'autres  feux  dont  je  sais  le  mystère.   {JFem,  sav,  II.  3.) 

La  Fontaine  a  dit  amusette  dans  le  sens  de  Joujou  : 
«  Le  fermier  vient ,  le  prend ,  l'encage  bien  et  beau» 
••  Le  donne  à  ses  enfants  pour  servir  à'amusette,  • 

{Le  Corbeau  ^voulant  imiter  V Aigle,) 

ANCRER  (S*)  CHEZ  quelqu'un  ,  se  mettre  avant  dans 
sa  faveur  : 

A  ma  suppression  il  iest  ancré  chez  elle,     (Éc,  desfem,  ni.  5.) 

AKES  BiEiv  FAITS  y  bien  véritables ,  Anes  de  tout 
point: 

Bla  foi ,  de  tels  savants  sont  des  ânes  bienfaits!  (Fâcheux.  III.  a.) 

ANGER  ,  verbe  actif  : 

Votre  père  se  moque-t-il  de  vouloir  vous  anger  de  son  avocat  de  Li- 
moges? (3/.  de  Pourc,  I.  x.) 

Ce  mot  vient  du  latin  augere^  par  la  confusion,  autrefois  très- 


—  18  — 

fréquente,  de  Vn  et  de  Vu.  De  l'italien  montone  est  venu  /non- 
ton;  de  monasteriumy  par  syncope  monstier  etmousiier,  de  con- 
Vf n tus,  consent  et  coupent ,  etc. 

«n  les  AA^ea  de  petits  MazUlons, 

«Desquels  on  fit  de  petits  moinillons.  »    (La  FovTAiirt,  Màzet,) 

jÊuxit  eat.  De  Tidée  d'augmentation  à  l'idée  d'embarras  il 
n'y  a  presque  pas  de  distance.  Mais  M.  Âuger  se  trompe  trois 
/ois  quand  il  dit  que  anger  n'est  pas  dans  Nicot ,  qu'il  vient  du 
latin  angere ,  et  qu'il  signifie  incommoder, 

Anger  est  dans  Nicot ,  mais  écrit  par  un  e  :  enger.  Cette 
orthographe  vicieuse  a  prévalu ,  et  persiste  encore  dans  en- 
geance 9  dont  le  sens  prouve  bien  l'étjmologie  augere.  C'est 
angoisse  qui  vient  à' angere. 

Trévoux  se  trompe  encore  plus  gravement  quand  il  fait  ve- 
nir enger  du  latin  ingignere, 

Anger  était  à  la  fois  verbe  actif  et  verbe  neutre ,  absolu- 
ment comme  augere  en  latin.  Voici  les  exemples  cités  par 
Nicot  : 

«  L*aml>assadeur  Nicot  a  engé  la  France  de  rherbe  nicotiane,  » 
OÙ  l'on  voit  que  enger  n'implique  pas  une  idée  de  blâme. 

«La  peste  tnge  fort; eeste  dartre  tngû  grandement,  c est-à- 
dire,  croist,  se  dilate,  se  multiplie.  »  Auget, 

ANGUILLE  sous  boche  : 

Nicole.  Je  crob  qu'il  y  a  quelque  anguille  soiu  roche,  (B.  gent,  UI,  7.) 
Quelque  mystère  caché- 

ANIMALES ,  au  féminin  : 

Quelques  provinciales, 
Aux  personnes  de  cour  (Icheuses  animales,  (Fâcheux,  II.  3.) 

A  PLEIN ,  VOIR  A  PLEIN ,  pleinement  : 

An  travers  de  son  masque  on  voit  à  plein  le  traître.      (Mis,  I.  i.) 
«  Qui  voudra  connoitre  à  plein  la  vanité  de  Thomme.  » 

(Pascal  Pensées,  p.  igS,) 

—  A  PLEIIfS  TRANSPORTS  : 

.  Goûtex  à  pleins  transports  ce  bonheur  éclatant.  (D:  Gare,  III.  4-) 


—  19  — 
APPAS ,  D  EHDiGNES  APPAS,  au  figuré  : 

Mais  Targenl ,  dont  on  voit  tant  de  gens  faire  cas , 

Pour  an  vrai  philosophe  a  tt indignes  appas,         (Fem.  sa?,  V.i.) 

—  APPAâ,  au  singulier,  appât  : 

Qui  dort  en  sûreté  snr  un  pareil  appas. 

Et  le  plaint,  ce  galant,  des  soins  qu'il  ne  peM  pas.  {te,  desfem,  1. 1 .) 
Bossuet  écrit  de  même  : 

«  Quand  une  fois  od  a  irouté  le  moyen  de  prendre  la  multittidé  par 
•  X appas  de  sa  hberté...  >»  {pr,fun,  deUR.  d'Angi) 

APPAT ,  sous  l'appât  de  ...  : 

Ce  marchand  déguisé , 
Introduit  sous  t appât  d*un  conte  supposé,  {L'Ét,  IV.  7.) 

APPLICATION ,  FAIRE  UNE  APPLICATION  9  appliquer 
un  soufflet  ou  un  coup  de  poing  : 

Chien  d'homme!  oh!  que  je  suis  tenté  d'étrange  sorte 

Défaire  sur  ce  mnfle  une  application!  i^^P'  «'"•H.  7.) 

APPKÊTERARIRE: 

N*apprétons  point  à  rire  au\  hommes , 

En  nous  disant  nos  vérités.  {jimph,  prol.) 

APPROCHE ,  proximité ,  rapprochement  : 

Et  quelle  force  il  faut  aux  objets  mis  en  place , 
Que  l'approche  distingne  >  et  le  lointain  eflaee. 

(La  Gloire  du  Val  de  Grâce,) 

—  APPROCHE  d'un  air  : 

Vapproche  de  Cair  de  la  cour  a  donné  à  son  ridicule  de  nouveaux 
agréments.  (Comtesse  d'Esc.) 

APRÈS ,  préposition ,  receyant  un  complément  direct  : 

AUaché  dessus  voiu  comme  un  joueur  de  boule 
Après  le  mouçement  de  la  sienne  qui  roule.  ÇVÉt,  Vf,  S») 

Si  bien  donc  que  done  Elvire.. . .  «s'est  mise  en  campagne  après  nous? 

(D,  Juan,  ht.) 
Plusieurs  médecins  ont  déjà  épuisé  leur  science  après  elle, 

(Méd.  m.  lui,  l.  5.) 
La  pendarde  s'est  retirée ,  voyant  qu'elle  ne  gagnoil  xïtia  après  moi,  ni 
par  prières ,  ni  par  menaces.  (G,  D,  III.  xo.) 

Us  étaient  une  douzaine  de  possédés  après  mu  chausses,  (Poure,  II.  4*) 
J'ai  mis  vingt  garçons  après  'votre  habit,  (B,  g,  II.  S.) 

il  veut  envoyer  la  justice  en  mer  après  la  galère  du  Turc,{Scapin,liL  3.) 


—  22  - 

Cet  emploi  de  rarticle  était  une  tradition  du  xvi*  siècle.  Au 
XVI*  siècle,  on  n'exprimait  qu'une  fois  l'article  dievant  plusieurs 
substantifs ,  même  de  genres  différents ,  pourvu  qu'ils  fussent 
au  même  nombre ,  c'est-à-dire,  tous  au  pluriel  ou  tons  au  sin- 
gulier : 

«  Quant  il  la  hardiesse  et  courage ,  quant  à  la/ermetê,  constance  et  reso- 
•  hlion  contre  les  douleurs ,  etc.  »  (  MoirrAiGiri.  III.  6.  ) 

«  Qui  ne  participe  au  hasard  et  di/fieulté  ne  peult  prétendre  iateretl 
«  à  tftonneur  et  plaisir  qui  suit  les  actions  hasardeuses.  »  (/^.  IIL  7.) 

La  même  règle  s'appliquait  au  pronom  possessif  ; 

«  llostre  royne  Catherine  tesmoigneroist  sa  UberaUté  et  munificence.  » 

(/</.  III.  6.) 

«  Madame  Katerine ,  ma  sœur ,  est  ])artie  avecques  ma  litière  et 

«  cheval, (La  EEiirfi  ds  Navarre.  Lettres,  I.  p.  290.) 

Notre  vieille  langue  avait  si  fort  le  goût  de  Tellipse ,  qu'elle 
s'empressait  de  Tadmetti-e  dès  qu'il  n'en  résultait  pas  le  danger 
d'être  obscur  ou  équivoque.  Le  plus ,  marque  du  superlatif,  ne 
se  répétait  pas  aussi  devant  plusieurs  adjectifs.  La  première 
fois  servait  pour  toute  la  suite  : 

c« Tant  de  villes  rasées,  tant  de  nations  exterminées,  tant  de  nil- 

«  lions  de  peuples  passés  au  fil  de  Tespée,  et  la  plus  riche  et  belle  partie 
«  du  monde  bouleversée  pour  la  négociation  des  perles  et  du  poivre.  » 

(MOXTAIOITB.  UI.6.) 

Que  gagnons-nous  à  répéter  toujours  l'article  ?  ce  n'est  ni 
de  la  clarté ,  ni  de  la  rapidité. 

A  SAVOIR,  voy.  ASSAVOIR. 

AS  DE  PIQUf;,  langue  piquante ,  mauvaise  langue  : 

O  la  fine  pratique , 
Un  mari  confident  I 

MABXVITTK. 

Taisez-vous,  as  de  pique!    {Dép.  am.  V.  9.) 
Jçu  de  mots  sur  le  sens  figuré  du  verbe  piquer. 

ASSASSINANT,  adjectif;  rigueur  ASSASsiHAifTi  : 

Et  dans  le  procédé  des  dieux , 

Dont  tu  veux  que  je  me  contente , 

Une  rigueur  assassinante 

Ne  paroit-elle  pas  aux  yeux?  {Psyclié,  II.  i.) 

(  Voyez  AxiTii  tuante.) 


—  23  — 
ASSAVOIR  : 

Le  bal  et  la  grand*bande ,  iusavoîr  deux  musettes.       {Tart,  II.  3.) 

Toutes  les  éditions  portent  mal  à  propos  à  sapoir  en  deux 
nots.  Il  ne  faut  point  à' à;  c^est  Tancien  infinitif  assaptnr. 
L*usage  permet  aussi  bien  de  dire  :  sapoir,  deux  musettes,  non 
qu*alors  on  supprime  Yà ,  mais  on  substitue  à  l'ancienne  forme 
la  nouvelle.  Faire  à  savoir  n*a  point  de  sens. 

Dans  l'origine,  Va  était  employé  comme  affixe  au-devant  de 
certains  verbes  :  asavoir,  alogier,  ape tisse r^  asasier,  alentir^  etc.  ; 
on  ne  sait  p0urquoi  les  trois  derniers  ont  pris  1>  :  rapetisser, 
rassasier  y  ralentir: 

fi  Dame,  je  toi  &is  asavoir 
«  Que  j  ai  esté  et  main  et  soir 

•*  Vos  boms,  TO  serls,  to  chevaliers.  »      (Roman  de  Coiicy.) 
M  Israël  sefud  alogîed  sur  une  fontaine.  »         (Rois^  p.  ita.) 

Se  logea  sur  une  fontaine. 

••  Li  sages  est  cil  qui  met  en  bones  gens  ce  qu'il  pot  soufrir,  sans  apetis- 
«fer  et  sans  acquerre  malvaisement.  »  (Beaumanoir,  L  aa.) 

«  Li  cueur  avariscieus   ne  pot  estre  assasiez  d*avoîr.  «        (Ibid,  p.  ai>) 

Pascal ,  dans  la  première  Propinciale  : 

«  Si  j'avoii  du  crédit  en  France^  je  ferois  publier  à  son  de  trompe  :  On 
«  fait  à  savoir  (sic)  que  quand  les  jacobins  disent  que  la  grâce  suffisante  est 
m  donnée  à  tous,  ils  entendent  que  tous  n*ont  pu  U  grâce  qui  suffit  effective- 
«  ment,  i» 

Cette  formule  de  publication  s'est  transmise,  par  la  tradition 
orale,  du  fond  du  moyen  âge;  je  l'ai  encore  entendue  dans 
quelques  villes  de  province.  Mais  quand  on  Técrit,  il  faut  mettre 
assavoir. 

ASSK  BONNE  HEUBE  ,  de  boune  heure  : 

4b  I  pour  pela  toujours  il  est  assez  bonne  heure,  (Dép.am.  lY.  i.) 
Si  Molière  eût  jugé  cette  expression  incorrecte ,  il  lui  était 
aisé  de  mettre  :  //  est  amassez  bonne  heure, 

ASSIGNER  SUR  : 

Les  dettes  que  tous  avez  assignées  sur  le  mariage  de  ma  fille. 

{Poure,  II.  7.) 

On  dirait  aujourd'hui  :  hypothéquées  sur  le  mariage  de  ma 
fille. 


-  24  — 
ASSOUVIR  (S),  absolument  comme  se  satisfaire  : 

LaÎMez-moi  nCassouvir  dans  mon  couroux  exlrém?.  {Ampli,  UL  5.) 

ASSURANCE  SUR  (paeudbe)  : 

Ne  m'abiuez-Tous  point  d*un  faux  espoir,  et  piiif-je  prtndre  quei^m 
assurance  sur  la  nouTeauté  surprenante  d'une  telle  convertion  ? 

(D,Jwm.Y.i,) 

ASSURÉ,  absolument,  hardi,  intrépide  : 

Est-il  possible  qu*un  homme  si  assuré  dans  la  guerre  soit  n'  timide  en 
amour?  (Jm.  Magn,  L  i.) 

—  ASSURER  QUELQUE  CHOSE  A  QUELQU'UH  : 

Pour  moi ,  contre  chacun  je  pris  votre  défense , 

Et  leur  assurai  fort  que  c*étoit  médisance.  {Mis.  III.  5.) 

—  ASSURER  quelqu'un  DE  SES  SERVICES: 

Dites-lui  un  peu  que  monsieur  et  madame  sont  des  personnes  de  grande 
qualité  qui  lui  viennent  faire  la  révérence  comme  mes  amis,  et  Vassurer 
de  leurs  services.  (/?.  g^enf,  V.  5.) 

—  ASSURER  (s'),  absolument ,  prendre  sécurité ,  con- 
fiance ;  se  rassurer  : 

A  moins  que  Yalère  se  pende. 
Bagatelle!  son  coeur  ne  s'assurera  point,  {Dép,  am,  I.  a.) 

Moins  on  mérite  un  bien  qu*on  nous  fait  espérer» 
Plus  notre  âme  a  de  peine  a  pouvoir  s'assurer,    (D,  Garde,  II.  6.) 
Quelque  chien  enragé  l'a  mordu,  y>  m'assure.  {Ec,  des  fem.  II.  a.) 
Ce  n'est  pas  assez  fioar  fiC assurer,  entièrement ,  que  ce  qu'il  vient  de 
faire.  {Scapin,  III.  i.) 

«  On  ne  peut  s'assurer,  et  Ton  est  toujours  dans  la  défiance.  » 

(Pascal.  Pensée ,  p.  406.) 

«  Voyant  trop  pour  nier  et  trop  peu  pour  m' assurer.  »     {Ibid.  p.  a  10.) 

«  Je  m'assure ,    mes  pères ,  que   ces  exemples  sacrés  suffisent  pour 

«  vous  faire  enleudre...  etc.  »  (Pas€4l.  ii* Prov.) 

«  On  lui  a  envoyé  les  dii  premières  lettres  (i  Escobar)  :  vous  pouviez 

••  aussi  lui  envoyer  votre  objection ,  ety>  m'assure  qu'il  y  eût  bien  ré- 

«  pondu.  »•  (id,  12*  Prov.) 

—  ASSURER  (s')  A.  .•  .  : 

Faut-il  que  Je  m'assure  au  rapport  de  mes  yeux  ?  {D.  Garde.  IV.  7.) 
«   Kt  nVst-il  pas  coupable  en  ne  s'assurant  pas 

A  ce  qu'on  uc  dit  point  qu'après  de  grands  combats  ?(JII//.  IV.  3.) 


—  25  — 

—  ÂSSUREB  (s*)  DE.. ..  prendre  sécurité  ,  compter 
certitude  sur. . . .  : 

Pour  ■K>n  cœur,  vous  poiivei  i*ous  auurer  de  lui,  (Pem.  sap,  lY.  7.) 

—  ASSURER  (s*)  ES  QUELQU'UH^  EN  QUELQUE  CHOSE  : 

Do  son  dont  vous  parlez  je  le  garantis,  moi. 

S'il  faut  que  par  Ph^men  il  reçoive  ma  foi  : 

Il  j'en  peut  oêsurtr.  {Ec,  des  mar,  I.  3.) 

Cesl  conscience  k  ceux  i{\ïit* assurent  en  nous,  (Ibid^ 

—  ASSURER  (s')  SUR  : 

C'est  en  quoi  je  trouve  la  condition  d\in  gentilliomme  malheureuse ,  de 

se  pouvoir  point  s'assurer  sur  toule  la  prudence  et  toute  l'honnêteté  de 

a  conduite.  (Z>.  Juan,  III.  4.) 

Nos  vœux  sur  des  discours  ont  peine  à  s'assurer.       (Tari.  IV.  5.) 

ATTACHE ,  subst.  féoi. ,  attachement,  attache  a...  : 

Et  sa  poissante  attache  aux  choses  étemelies,  {Tart.  II.  a.) 

•  Pour  moi,  je  n*ai  pu  y  prendre  d'attache,*»  (Pascal.  Pensées,  p.  x  i5.) 

ATTAQUER  quelqu'dh  D*ÀMrriÉ,  d* amour  : 

ZaaBIRETTE. 

Je  ne  suis  point  personne  k  reculer  lorsqu'on  m'attaque  d^ amitié, 

SCAPTir. 

Et  lorsque  c*cst  d'amour  qu'on  vous  attaque?  {Seapin.  TH.  i.) 

Zerbinette  veut  dire  :  Lorsqu'on  me  prévient  en  m*offrant 
son  amitié ,  comme  vient  de  le  faire  Hyacinthe. 

AU ,  AUX ,  dans  le  y  dans  les ,  relativement  à  : 

Je  ne  me  trompe  guère  aux  choses  que  je  pense.   {Dép,  am,  I.  9.) 
Je  ne  sais  si  quelqu'un  blâmera  ma  conduite 
j4u  secret  que  j'ai  fait  d'uue  telle  visite; 
Mais  je  sais  qu'auj;  projets  qui  veulent  U  clarté , 
Prince,  je  n'ai  jamais  cherché  l'obscurité.  (D.  Garde,  III.  3.) 

L'endurcissement  au  péché  traîne  une  mort  funeste.  (£>.  Juan.  Y.  6.) 
Comment  ?  —  Jevobma  faute  aux  choses  qu'il  me  dit.  (Tart,  IV.  8.) 
Et  qu'au  dû  de  ma  charge  on  ne  me  trouble  en  rien.  {Ibid,  Y.  40 

Je  trouve  dans  voire  personne  de  quoi  avoir  raison  aux  choses  que  je 
fais  pour  vous.  {L\4v.  I.  z.^ 


—  26  — 

Elle  se  prend  d'un  air  le  plus  charmant  du  monde  mtx  choses  qu*eUe 
lait.  (L'jâw.  1. 1.) 

Et  lafer  mon  affront  au  sang  d*un  seélérat.  (jimftk.  m.  5.) 

On  souffre  ai»  entretittu  ets  sortes  de  combats,  (fem,  #49.  IV.  3.) 

f  Je  ne  m'élonne  pas ,  au  combat  que  j'essuie , 

De  voir  preudre  k  monsieur  la  thèse  qu'il  appuie.  (Ibid) 

Molière  emploie  volontiers  aux  dans  la  première  partie  de  la 
phrase,  et  dans  les  dans  la  seconde. 

Nous  saurons  toutes  deux  imiter  uotrt  mère 


Vous,  çux  productions  d'esprit  et  de  lumière, 

Moi|  dans  celles^  ma  sœur,  qui  sont  de  la  matière.  {Fem,  sav.  1. 1.) 

jéux  ballades  surtout  tous  êtes  admirable. 

—  Et  daus  les  bouu^imés  je  vous  trouve  adorable.         (jUd.  HI.  5.) 

Cet  emploi  du  datif,  qui  communique  au  discours  tant  de 
rapidité,  était  régulier  dans  le  xvi*  et  le  xvii*  siècle. 

••  De  toutes  les  absurdités  la  plus  absurde  aux  epicuriews  est  deaadvoiier 
«  la  force  et  Teffect  des  sens.  »  (Moittaiove.  II.  ch.  la.) 

••  C'est  à  Tadventure  quelque  sens  particulier  qui advertit  les  poulets 

«  de  la  qualité  hostile  qui  est  au  chat  contre  eux.  »  (Jd.  I.  x.) 

«  U  n'est  rien  qui  nous  jecte  tant  aux  dangiers  qu'une  faim  incoosi- 
«  derée  de  nous  en  mettre  hors.  **  {Id.  11\,  6.) 

«  Je  ne  craindray  point  d  opposer  les  exemples  que  je  trouveray  parmi 
«"eulx  (les  sauvages  américains),  aux  plus  fameux  exemples  anciens  que 
«  nous  ayons  aux  mémoires  de  oostre  monde  par  deçà.  »  (lo.  ibid,) 

L'origine  et  la  justification  de  cet  emploi  du  datif  se  voient 
toutes  seules  :  c'est  un  latinisme.  Le  datif  représente  ici  l'abla- 
tif avec  bu  sans  préposition. 
Pascal  a  dit,  par  un  latinisme  analogue  : 
«  n  étoit  naturel  à  Adam  et  juste  à  son  innocence,,.  » 

(Pensées,  p.  St3.) 

Mais  ici  le  datif  dépend  plutôt  de  l'adjectif.  Cette  expression 
re\îent  très-souvent  dans  les  Provinciales  :  au  sens  de,  c'est-à- 
dire,  dans  le  sens  de  : 

«....Je  lui  dis  au  hasard  :  Je  l'entends  au  sens  des  molinisles,»  (i'*  Prop,) 


—  27  — 
—  AUX ,  sur  les  ;  faibe  une  épreuve  a  quelqu'uw  : 

J'approuve  la  pensée ,  el  nous  avons  matière 

ly en  faire  t épreuve  première 
Aux  deux  princes  qui  sont  les  derniers  arrivés.        {Psyché,  I.  i.) 
(Voyez  Datif.) 

AUCUN ,  quelque ,  le  moindre  : 

Sans  me  nommer  pourtant  en  aucune  manière , 

Ni  faire  aucun  semblant  que  je  serai  derrière.  {Ec.  des/km,  IV.  9.) 

AUDIENCE  AVIDE: 

Et  je  vois  sa  raison 
D*une  audience  avide  avaler  ce  poison.  (2>.  Garde:  II.  x.) 

Avaler  d'une  audience  est  une  expression  inadmissible,  et 
qui  touche  au  galimatias.  Les  Latins ,  plus  hardis  que  nous, 
(lisaient  bien  densum  humeris  bibit  aure  vulgus;  mais  le  fran- 
çais ne  souHre  pas  l'image  d'un  liomme  qui  avale  par  roreille. 

AUNE ,  TOUT  du  long  de  l'aune  : 

m"**  PERaXLLE. 

C'est  véritablement  la  tour  de  Babylone , 

Car  chacun  y  babille,  et  tout  du  long  de  l'aune,  {Tart,  I.  i.) 

Jusqu'au  bout ,  sans  omettre  un  seul  point. 

Il  est  superflu  sans  doute  d'avertir  que  cette  locution  est  tri- 
viale y  on  est  assez  prévenu  par  le  caractère  de  celle  qui  TeHi* 
plc^e. 

AUPARAVANT  QUE  DE,  archaïsme  : 

jEàirnoT. 
Cest  M.  le  conseiller,  madame,  qui  vous  souhaite  le  bonjour,  et,  auptf' 
rivant  que  de  venir,  vous  envoie  des  poires  de  son  jardin.  (C^  d'Esc,  i3.) 

Par  avant  est  une  expression  composée,  que  l'on  traitait 
eemme  un  substantif  :  le  par-avant,  du  par-avant  y  au  par^ 
avant;  c'est  le  datif,  ou  plutôt  l'ablatif  absolu  des  Latins,  et 
l'on  construisait  comme  avant,  (Voyez  Avant  qub  de.) 

AUPRÈS ,  adverbe  : 

Monsieur,  si  vous  D*étes  auprès, 
Nous  aurons  de  la  peine  à  retenir  Agnès.  {Ec,  desfem,  Y.  8.) 


—  28  — 
AUQUEL  pour  où  : 

Et  c'est  assez,  je  crois,  putir  remettre  too  cœur 

Dam  réiat  auquel  il  doit  éli-e.  {Àmph,  \VL  ii.) 

AU  PRIX  DE  y  en  comparaison  de  : 

Tout  ce  qu*il  a  touché  jusqu'ici  n'est  que  bagatelle,  au  prix  ^  ce  qui 
reste.  (Improirptu,  3.  (i663.) 

Compare  à  la  valeur  de  ce  qui  reste. 

«  Elles  filoient  si  bien ,  que  les  8«iirs  filandières 
«  Ne  faisoient  que  brouiller  an  prix  de  celles-ci,  •• 

(La  Fost.  ta  Fieille  ei  set  SerponiéS.) 

«< Il  n  ctoit  au  prix  d'elle 

«  Qu'un  franc  dissipateur, un  parfait  débauché.*»  (Rocleac.  sat,  \,) 

AU  RETOUR  DE ,  en  retour  de. . .  : 

Et  j'en  ai  refusé  cent  pistoles,  cruis-moi , 

j4u  retour  d'un  cheval  amené  pour  le  roi.  (Fdclteux,  II.  7.) 

AUSSI ,  pour  non  plus ,  dans  une  phrase  négative  : 

Ma  foi ,  je  n'irai  pas. 
—  Je  n'irai  pas  aussi,  {Ec,  desfem,  I.  i.) 

Si  je  n'approuve  |)as  ces  amis  des  galants, 

Je  ne  suis  pas  aussi  fiovr  ces  gens  turbulents....  (Ihid.  IV.  8.) 

L'aclion  que  vous  avez  faite  n*est  pas  d'un  gentilhomme,  et  ce  n*est  pas 

en  gentilhomme  aussi  que  je  veux  %'ous  traiter.  (G.D.  II.  10.) 

La  tournure  moderne  pour  employer  aussi^  serait  :  anusi 
n'estH^e  pas  en  gentilhomme,  etc.. 

Mais  le  xvii^  siècle  conservait  aussi  même  après  la  négation 
exprimée,  qui  aujourd'hui  commande  non  plus. 

—  «  Ragottn  fit  eutendre  à  la  Rancune  qu'une  des  comédiennes  luj 
«  plaisoit  infiniment.  El  laquelle  ?  dit  la  Rancune.  Le.  petit  homme  estoit  si 
«troublé  d'en  avoir  tant  dit,  qu'il  respondit  :  Je  ne  sçay.  —  Nymoy  aussy, 

•  dit  la  Rancune.  »  (Scarron.  Rom.  corn,  i'*  p.  ch.  XI.) 

«  Ces  paroles  ne  peuvent  donc  ser\'ir  qu'à  vous  convaincre  vous-même 

•  d'imposture,  et  elles  ne  servent  pas  aussi  davantage  pour  justifier  Vas- 
«quez.  »  (Pascal.  12*  pravinc.) 

L*ctymologie  d* aussi  est  etiam.  On  disait  dans  ]*origine  essi^ 
d'où  Ton  fit  aisément  ossi,  et  Ton  écrivit  par  corruption  aussi. 
Sylvius,  dans  sa  grammaire  imprimée  chez  Robert  Esliemie, 
en  1 53 1,  dit  :  «  Etiam,  eci  vel  oci;  corruptc  aussi, 9  (P.  i45.) 


-  29  - 

AUTANT;  il  h'eh  faut  plusqc'autabt,  pour  dire 
i7  ne  s'en  faut  guère  : 

On  la  croyoit  morte,  et  ce  n*étoil  rien. 
//  n'en  faut  plut  qu'autant,  elle  se  porte  bien.  {Sgan^  6.) 

AVALER  L*usAG£  DE  QUELQUE  CHOSE,  8 y  Soumet- 
tre bon  gré  malgré  : 

De  ces  femmes  aux  l>eaux  et  louables  talents , 

Qui  savent'accabler  leurs  maris  de  tendresses , 

Pour  leur  faire  avaUr  Viuagt  des  galants!  (Jmpb»  l,  4.\ 

AVANCÉ  :  parole  avancée  ,  donnée  : 

Me  tiendresvoui  au  moins  la  paroU  avancée  ?     (Mélicêrte,  II.  5.) 

AVANT ,  adverbe ,  pour  auparavant  : 

Mail  apant,  pour  pouvoir  mieux  feindre  ce  trépu , 

J*ai  fait  que  vers  sa  grange  il  a  porté  ses  pis.  {L'Kt,  II.  z.) 

—  AVAHT  JOUR ,  préposition  ,  avant  le  jour  : 

Je  veux  savoir  de  toi,  traître, 
Ce  que  tu  fais»  d'où  tu  tiens  avant  Jour,  {Amph,  La.) 

—  AVANT  QUE  (un  infinitif),  sans  de  : 

Ne  me  demandai  rien  avant  que  regarder 

Ce  qn'à  met  sentiments  vous  devex  demander.  (/).  Garcie»  III.  a.) 

n  faut ,  avant  que  voir  ma  femme, 
Que  je  débrouille  ici  cette  confusion.  {Àmph,  II.  x.) 

Molière  emploie  indifféremment  ces  trois  formes  :  avant  de, 
avant  que,  avant  que  de  ^  suivis  d'un  verbe  à  l'infinitif. 

—  AVANT  QUE  ,  sans  ne  : 

Allons,  courrons  avant  que  d'avec  eux  il  sorte.        {Amph,  Ut.  5.) 

>  49ant  qu'on  Couvrit  (la  cédule) ,  les  amis  du  prince  soutinrent  que, 

ete,^  m  (La  Foittaiiix.  Fie  d'Esope,) 

•  Toutes  Tos  fables  pouvoient  vous  ser\ir  avant  qu'on  sût  ros  principes.» 

(Pascal.  i5«  Prov,) 

La  question  de  ne,  expiimé  ou  supprimé  après  avant  que,  a 
été  fort  controversée.  M.  François  de  Neufchâteau^  dans  une 
lettre  au  Mercure  de  France  du  a6  août  1809,  admet  la  négation 
quelque/oh.  On  lui  répondit  par  une  lettre  signée  Valaitt,  où 


—  30  — 

quantité  d'exemples  sont  accumulés,  ensuite  d'une  longue  dis— 
tvMim  diéorklue,  pour  démontrei*  qu'il  ne  ùMJéÊmèis  et  né- 
gation  entre  avant  que  et  le  verbe  subséquent  ^  H  4f  Mt  Mali 
l'opinion  de  TAcadcmie,  fondée  sur  l'usage  invariable  du  xvu' 
siècle.  Pascal,  la  Bruyère,  la  Fontaine,  Boileau,  Racine,  Molière, 
Regnard,  etc.,  etc.,  n'emploient  pas  la  négation. 
Marmontel  Ta  employée,  mais  c'est  Marmontel. 

— AVANT  QUE  DE....  l 

Si  Tauleur  lui  eût  montré  sa  comédie  arou/  fue  de  la  faire  Toir  an  pu- 
blic, il  Teùt  trouvée  la  plus  belle  du  Hionde.         {Crii.  de  tEe.desJ.  6.) 

Avant  que  de  passer  plus  avant,  je  voudrois  bien  agiter  à  fond  cette 
matière.  {Mar.for,  5.) 

Je  les  conjure  de  tout  mon  cœiu*  de  ne  point  condanner  les  choses 
avant  que  de  Us  voir,  {Pi^f'  ^  Taatvfc.) 

«  Avant  que  de  tes  mener  sur  la  place,  il  fit  babiller  les  deux  premiers 
«  le  plus  proprement  qu'il  put.  »  (La  Fosrr.  Vie  d^ Esope.) 

(  Voyez  DE  supprimé  après  avant  que.) 

ft  Avant  que  de  répondre  aux  reproekti  que  votii  mit  faitei,  j«  oom- 
«  mencerai  par  Téclaircissement  de  votre  doctrine  à  ce  sujet.  » 

(Pascal,  xat  Prov.) 

AVECQUE,  archaïsme  : 

Tous  éles  romanesque  avecque  vos  chimères.  (ibid,  I.  a.) 

Les  dettes  aujourd'hui,  quelque  soin  qu'on  emploie, 

Sont  comme  les  enfants ,  que  l'on  conç  )it  en  joie , 

Et  dont  avecque  peine  on  fait  Taccouchement.  {Jbid.  I.  6.) 

Si  je  pouvois  parler  avecque  hardiesse.  {Ibid^  9.) 

Et  m'en  vais  tout  mon  soûl  pleurer  avecque  lui.  {Jbid,  II.  4.) 

L'union  de  Yalère  avecque  Marianne.  {Tart,  III.  x.) 

El  f\\£avecque  le  cœur  d'un  perfide  vaurien 

Tous  confondiez  les  cœurs  de  tous  les  gens  de  bien.   (Jbid.  Y.  i.) 

Cette  forme  est  si  fréquente  dans  Molière,  qu'il  a  paru  inutile 
d'en  rapporter  plus  d'exemples. 

AVENANT  QUE ,  participe  absolu ,  c'est-à-dire,  dans 
le  cas  où. ...  : 

Quelque  bien  de  mon  père  et  le  fruit  de  mes  peines, 

Dont,  avenant  que  Dieu  de  ce  monde  m  état ^ 

J'entendois  tout  de  bon  que  lui  seul  huilât.  iJ'Et,  IV.  a.) 


—  31  — 
AYIOMHES ,  patois ,  pour  avions  : 

PIIEROT. 

tout  gros  monsieur  qu^il  est,  il  seroit  par  ma  fiqué  nayé,  si  je  n'a- 
mmme  été  là.  (Z).  Jtiah,  lî.  i.) 

Cette  forme  est  primitive.  L'/n  à  la  terminaison  caractérise 
en  latin  les  premières  personnes  du  pluriel,  habemus,  amamus^ 
vidissemus,  audivimus,  etc.  Aussi  les  plus  anciens  textes,  par 
exemple  le  livre  des  Rois ,  ne  hian^ttent  jamais  d'écrire  hous 
atiendrum,  nous  manderufn,  nous  remterum, 

Ouand  le  root  suivant  avait  pour  itiitiale  line  voyelle ,  Vm 
Itlile  s'y  détâthait  : 

«  . . . .  SaWez  seiez  de  Deu 

«  Li  glorios  que  devam  aurert  «  (Roland,  st.  3a.) 

«  Que  devome  aourer  »  [adorer). 

Mais  s'il  suivait  une  consonne,  il  fallait  bien,  pour  n'en  pas 
articula"  deux  consécutives  (ce  qui  ne  se  faisait  jamais),  étein- 
dre Tiff  et  la  changer  en  n.  Par  exemple  : 

•Le  matio  à  ?us  vendrttm,  e  en  vostre  merci  nus  mettrum,  »  {Bfiis,  p.  37.) 

On  prononçait  vendrome  et  mettrons, 
La  dernière  forme  a  supplanté  rauti*e,  et  s'est  établie  exclu- 
sivement pour  tous  les  cas. 

Mais  auparavant  l'autre  avait  régné, et  avait  été  sur  le  point 
de  triompher  aussi  ;  car,  pour  la  fixer,  on  écrivit  longtemps  les 
(H^emières  personnes  en  ornes.  Marsile  parlant  de  Roland  : 

«  Seit  ki  Tocie,  tute  pals  puis  aurîomes.  »  {Roland,  st.  a8.) 

«  Qu*en  avez  £iit,  ee  dit  fromons  li  viez? 

«  —  Sire,  en  ce  bois  Vavonmes  nous  laissîe.  »  {Garin,  t.  II.  p.  a43.) 

—  «  Se  nous  dtmenomes  ensi  li  uns  les  aullres ,  et  atomes  rancunant, 

«  bien  voi  que  nous  reperdrons  toute  la  tiere ,  et  nous  meismes  seromes 

•  perdu.  •  (YiLLEBAaoHoiv.  p.  199.  éd.  P.  Paris.) 

On  remarquera  dans  ce  passage  la  forme  moderne  nous  re* 
perdrons  au  milieu  des  formes  primitives  en  ornes,  qui  sont 
celles  que  Villehardhoin  affectionne. 

Qui  pourra  dire  ce  cpii  a  déterminé  le  triomphé  définitif  de 
l'une  plutôt  que  de  l'autre  ?  Le  langage  est  plein  de  ces  mys- 
tères insondables,  pareils  à  ceux  de  la  conception  et  de  là  gé- 


-  3Î  - 

nération  humaine  :  on  les  suit  Juscju*à  une  certaine  limite,  où 
soudain  la  nature  se  cache,  et  disparaît  denière  un  voile  que 
tous  les  efforts  de  la  philosophie,  aidée  de  la  science,  ne  par- 
viendront pas  à  soulever. 

Sur  l'union  du  pronom  singulier  au  verbe  pluriel.  Je  n'a- 
viommcy  voyez  à  Je. 

AVIS  FAISABLE ,  exécutable  : 

Enfin  c'est  un  avis  d'un  gain  iucooccTable , 

Et  que  du  premier  mot  on  trouvera  faisable,      (Fâcheux.  III.  3.) 

AVISER,  actif;  aviser  quelqu*uii    de,  le    faire 
songera. ...  : 

De  ta  femme  il  fidiut  moi-même  fmmer^  (Jmph,  XL  3.) 

—  Neutre,  pour  $'avi$er  : 

Sans  aller  de  lurcrott  aviser  sottement 

De  M  fûre  un  chafrio  qui  n*a  nul  foodement.  {Coc.  mi.  17.) 

Selon  la  coutume  de  certaîm  impcrtincoti  de  laquais  qui  TiMiMiit  pco* 
Toqucr  ka  gens,  et  les  faire  aviser  de  boire  lorsqu'ils  n'y  songent  pas. 

(L'Ap.  in.s.) 
Je  vais  vite  coniulier  un  avocat,  et  amer  àtê  biais  que  J*ai  à  prendre. 

(Scapm.  U.  i.) 

Réfléchir  ou  pi*endre  avis  touchant  les  biab  que,  etc. 
AVOIB,  auxiliaire ,  pour  ilre  : 

Et  fai  pour  vous  trouver  rentré  par  Tautre  porte.  (Fâcheux,  l,  i.) 
J'ai  monté  pour  vous  dire ,  et  d*un  cœur  véritable. . .    (âtis,  I.  1:) 

Au  reste ,  vous  saurez 
Que  Je  n'ai  demeuré  qu*un  quart  dlieure  i  le  (aire.  (lèisL) 

Pareillement  dans  la  Fontaine  : 

«  Si  le  ciel  t*eût ,  dit-il ,  donné  par  excellence 
«  Autant  de  jugement  que  de  barbe  au  menton, 

«  Tu  n* aurais  pas  à  la  légère 
•  Descendu  dans  ce  puits.  »  {Le  Renard  et  U  Bouc) 

-^  AVOIR,  n'avoir  pas  POUR  UN. . . .  voyei  FOOm. 

—  AVOIR  DE  COUTUME  : 

Oui ,  monsieur,  seulement  pour  vous  faire  peur,  et  vous  ôter  Tenvie  de 
nous  faire  courir  toutes  les  nuits ,  comme  vous  aviez  de  coutume, 

[Scapin,  II.  5.) 


—  33  — 

-  AVOIR  DES  CONJECTURES  DE  QUELQUE  GH08E  : 
Li  ctbile  s*cst  i-èveillée  aux  «impies  conjectures  qu*ils  ont  pu  avoir  de  la 
ekoie,  (a*  Placei  au  R,) 

—  AVOIR  EN  MAim  : 

favoii  pour  de  tels  coups  oertaioe  vieille  en  main,  (Éc,  des/,  III.  4.) 

—  AVOIR  FAMILIARITÉ  AVEC  QUELQU'UIf  : 

Tu  as  donc  Jamiliarité f  Moron,  avec  le  prince  dllhaque? 

(Pr.  d'El.  III.  3.) 

—  AVOIR  PEUfE  DE  (uii  infinitif) ,  avoir  peine  à. . . .  : 

Tai  peur,  si  le  logis  du  roi  fait  ma  demeure, 
De  m V  trouver  si  bien  dès  le  premier  quart  d'heure , 
Que  J'aie  peine  aussi  d'en  sortir  par  après.  {L'£t,  ni.  5.) 

Cet  amas  d'actions  indignes  dont  on  a  peine ....  d'adoucir  le  mauvais 
risage.  (/).  Juan,  IV.  6.) 

On  ne  dirait  plus  aujourd'hui  le  visage  d'une  action  ;  mais  le 
Dictionnaire  de  l'Académie  (1694)  cite  comme  exemple  :  Cette 
affaire  a  deux  visages;  et  l'on  dira  bien  encore  :  envisager  une 
affaire  sous  tel  ou  tel  aspect. 

—  AVOIR  POUR   AGRiABLE  : 

£l  je  vous  supplierai  d'avoir  pour  agréable 
Que  je  me  fasse  un  peu  grâce  sur  votre  arrêt.  {Mis,  l.  z .) 

Cette  façon  de  parler  est  ti  è»-fi*équente  dans  Gil  Blas, 

—  AVOIR  quelqu'un  QUI.  .  .  QUE,  .  .  : 

Et  quand  on  a  quelqu'un  qu'on  hait  ou  qui  déplait, 
Lui  doit-on  déclarer  la  chose  comme  elle  est?  (Mis,  l.  i.) 

Cette  façon  de  parler  parait  embarrassée  et  pénible  ;  cepen- 
dant elle  n'a  pas  été  suggérée  à  Molière  par  la  difficulté  de  la 
mesure,  car  il  remploie  en  prose  : 

^octf  avez,  monsieur,  un  certain  monsieur  de  Pourceaugnac  qui  doit 
épouser  votre  fille.  {Poure,  H.  2.) 

AVOUER  LA  DETTE  ,  figurément ,  ne  pas  dissi- 
muler : 

Ma  foi,  madame,  avouons  la  dette  :  vous  voudriez  qu*il  fût  à  vous. 

(Pr.  d^EL  IV.  6.) 
Regnard ,  dans  le  Distrait: 

*«  Parlons  à  cceur  ouvert,  et  confessons  la  dette  : 
••  Je  suif  uo  peu  coquet ,  lu  n'es  pas  mal  coquette.  »  (  IV.  3.) 

3 


—  34  — 
AYE ,  oa  AY ,  monosyllabe  : 

1.  DftDâ  cette  joie...  —jéye,  ay!  doucement,  je  toi» prie.  (VEu  V.  z5.) 
Aie  y  par  Tintroduction  du  </,  aide  ou  aide  y  selon  la  pro- 
nonciation moderne,  syncoi)e  A'adjutorium,  Jjre^  ajv/ c'est- 
à-dire  ,  à  Taide,  à  Taide  I 

«  Certes ,  nous  ne  vous  foudroos  mie  ; 

«  Tous  jours  serons  en  voslre  aie.  »  (R.  de  Coucy,  ▼.  766.) 

«  ...  Quant  ele  vit  Arabis  si  cunfundre', 

•  A  halle  voix  s'escrie  :  Aiez  nous,  mahum!»      (Roland.iL  a66.) 

BABYLONE  ;  la  tour  de  babyloue  ,  comme  qai  di- 
rait la  tour  da  babil  : 

Cesl  vérilableroent  la  tour  de  Babylone , 

Car  chacun  y  babille ,  et  tout  du  long  de  l'aune.  {Tart,  I.  i.) 

*<  Le  Père  Caussin ,  jésuite,  dit,  dans  sa  Cour  sainte,  que  Us  hommes  ont 
fondé  la  tour  de  Babel,  et  Usjemmes  la  tour  de  babU,  Ce  quolibet  du  jé- 
suite n*aurait-il  pas  donné  l'idée  de  celui  que  Molière  met  dans  la  bouche 
de  madame  Pernelle?  et  le  père  Caussin  ne  serait-il  pas  le  docteur  dont 
parle  la  vieille  dévole  ?  »  (M.  Avoea.) 

BAIE: 

C'est  une  baie 
Qui  sert  sans  doute  aux  feux  dont  Tingrate  le  paie.  {Dép,  am.  L  5.) 

Cette  expression, /?/7jerrf'tt/i^  6a/e,nous  reporte  à  la  farce  de 
Pathelin ,  dont  la  première  édition  est  de  1/190.  I^  prodigieux 
succès  de  ce  Pathelin  fit  passer  en  proverbe  plusieurs  mots  de 
cette  pièce  ;  nous  disons  encore  :  revenir  à  ses  moutons.  Payer 
d'une  baie  est  une  allusion  à  cette  autre  scène  excellente,  où  le 
berger,  acquitté  du  meurtre  des  moutons,  paye  son  avocat  en 
lui  disant  Bée ,  comme  il  a  fait  au  juge;  et  la  fourberie  retombe 
sur  son  auteur. 

Messire  jibax. 
«  Et  comme  quoi  ? 

PATBXLnf. 

«  Pour  ce  qu'en  bée 
*tll  me  paya  subtilement.  >  (Le  Testament  de  Pathelin.) 

—BAIE  (donner  la)  : 

Le  sort  a  bien  donné  la  baie  à  mon  espoir.  (L'Et,  U.  x3.) 


—  35  — 
BAILLER,  archaïsme»  donner  : 

Uo  sergent  èaUkra  de  faiu  eiploits,  sur  quoi  vous  serez  condamoé  sans 
qae  tous  le  sachiez.  (Scapuu  XL  8.) 

Bailler  un  exploit  était  le  tei*me  consacré  en  style  d*huissier  ; 
Molière  n'avait  garde  de  changer  le  mot  technique. 

BAISSEMENT  de  tête  ; 

Quelque  baissement  de  tête ,  un  soupir  mortifié ,  deux  roulements 
d*yeux,  rajustent  dans  le  monde  tout  ce  qu'ils  (les  scélérats)  peuvent  faire. 

(D.  Juan.  V.  a.) 

BALANCER  quelque  chose  : 

Un  homme  qui et  ne  balance  aucune  cfwse,  {Mal.  im,  III.  3.) 

Qui  ne  pèse  rien. 

BALLE,  RIMEUR  DE  BALLE  : 

Allez,  rimeur  de  balle,  opprobre  du  métier.        {Fem.  sau.  Uh  S,) 

"Balle,  en iermes  d'agriculture,  est  une  petite  paille,  capsule  ou  gousse, 

qui  sert  d*enveloppe  au  grain  dans  Tépi.»  (TaÉvoux.) 

Si  balle  est  ici  dans  ce  sens,  rimeur  de  balle  serait  une  mé- 
taphore prise  d*un  objet  qui ,  devant  être  rembourré  de  plante 
ou  de  crin,  ne  Test  que  de  balle,  et  ainsi  d'une  valeur  réelle 
très-inférieure  à  l'apparence  ;  mais  cela  paraît  forcé. 

Trévoux  explicfue  rimeur  de  balle,  par  allusion  à  la  balle 
des  marchands  forains  :  «  On  appelle  rimeur  de  balle  un  poëte 
dont  les  vers  sont  si  mauvais,  qu'ils  ne  servent  qu'à  envelopper 
des  marchandises.  «  C'est  ainsi  qu'on  dit  poëte  des  halles, 

BARBARISMES  de  bon  goût,  en  matière  4e  bon 
goût  : 

Des  incongruités  de  bonne  chère  et  des  barbarismes  de  bon  goût, 

{B,  gent,  IV.  I.) 
(Voyez  SoLÉcisMEs  sh  goiiduxxb.  ) 

BABGUIGNER  : 

A  qnoi  bon  tant  barguigner  et  tant  tourner  autour  du  pol?  (Pourcl,  7.) 
Barguigner  signifie  marchander  en  vieux  français;  racine 

bntgaim,  que  les  Anglais  nous  ont  pris  et  conservent  encore. 
•  EslagicvB  de  Paris  puent  barguignier  et  ^chater  bled  ou  marcfaié  de 

■  Fins.  »  iUvn  df*  mêUioru^,  17.) 

3. 


—  36  — 

Le  sire  de  Coucy ,  déguisé  en  mercier  ambulant ,  ouvre  sa 
balle;  toute  la  maison  y  accourt ,  et  la  châtelaine  de  Fayel 
elle-même  : 

m  Iluec  IrouTereDt  le  mercier , 

«  E  lor  dame  qui  remuoit 

•  Les  joiaus ,  et  les  bargignoit, 
m  Aulcuns  aossy  de  la  mesnie 

«  Ont  maÎDte  chose  bargignie.,,, 
m  Et  quaot  rien  plus  ne  hargigna , 
■  Sa  marchandise  appareilla , 

•  Et  prist  son  fardel  à  trousser.  ....      {Honmn  Je  Couey,) 
«  La  dame  disl  à  son  valet  : 

«  Faites  demourer  sans  long  plait 

«  Ce  povre  home,  marchand  ettragne. 

«  Cilz  respont,  sans  faire  bargagne  : 

«  Gentilz  dame,  Dieus  le  vous  mire.  »  {ihùl,) 

Elle  marchandait  les  joyaux  ;  —  et  quand  on  ne  marchanda 
plus  rien. . .  ;  —  il  répond  sans  marc/iander.  Barguigner  n'a 
plus  aujourd'hui  que  le  sens  figuré  de  marchander. 

BÀSTE, de  litalien  basta ,  safût : 

Baste!  longez  à  vous  dans  ce  nouveau  dessein.        (L'Et,  IV.  i.) 
Baste!  laissons  là  ce  chapitre.  {Méd,  m,  lui,  l,  i.) 

BATIR   8I3B  DES  ATTRAITS.  ...    : 

Mon  cœur  aura  hàt't  sur  ses  attraits  naissants,  (Ecdesfem,  lY.  i.) 
C*est  Tabrégé  d'une  expression  métaphorique  :  bâtir,  fonder 
un  espoir  sur 

BATTEUR  : 

Oui,  je  te  ferai  voir,  batteur  que  Dieu  confoude. 

Que  ce  n'est  pas  pour  rien  qu'il  faut  rouer  le  monde.  (L*Et,  II.  9.) 

BEAU,  au  sens  métaphoriqae  de  pur  : 

SOAVARILLB. 

Vous  vous  taisez  exprès ,  et  me  laissez  parler  par  belle  malice! 

{D.  Juan,  m.  X.) 

BEAUCOUP  devant  un  adjectif  ou  un  partie,  passé  : 

Je  vous  suis  beaucoup  obligé.  {Pourc.  III.  9.) 

Lear  savoir  a  la  France  est  beaucoup  nécessaire  !  (Fcm.  sav.  IV.  3.) 


—  37  — 

BÉCARRE  ;  du  bbcabre  ,  terme  technique,  aujour- 
d'hui iDOsité  : 

Ah!  monsieur,  cesi  du  beau  bécarre!  (A«  Sicilien,  a.) 

Et  là-dessus  vient  un  berger,  berger  joyeux,  tvec  un  bécarre  admirable^ 

qui  se  moque  de  leur  foiblesse.  (Jbid,) 

Cela  veut  dire  que  la  musique  passe  du  mode  mineur  au 
majeiur. 

BÉCASSE  BRIDÉE  : 

Ma  foi,  monsieur,  la  bécasse  est  bridée;  et  tous  tvez  cru  faire  un  jeu 
qui  demeure  une  vérité.  {Anu  méd,  III.  9.) 

«  Cela  se  dit  (igurément,  à  cause  d*une  chaiise  que  les  paysans  font  aua 
bécasses  avec  des  lacets  et  collets  qu'ils  tendent ,  où  elles  m  brident  dles- 
mémes.  »  (Taivoux.) 

BEC  CORNU  y  ou  mieux  begque  goriïu  : 

Et  sans  doute  il  faut  bien  qu*à  ce  becque  cornu 
Du  Irait  qu'elle  a  joué  quelque  jour  soit  venu.  (Ec,  des/tm,  lY.  6.) 
Que  maudit  soit  le  bec  cornu  de  notaire  qui  m'a  fait  signer  ma  mine  ! 

(Méd.mJui.  I.a.) 

Becque  est  formé  de  Titalien  becco^  un  botte,  mot  qui  reçoit 
deux  sens  métaphoriques ,  injurieux  Tun  et  l'autre.  Becco  est 
un  lourdaud ,  ou  un  homme  que  déshonore  Tinconduite  de  sa 
femme  ou  de  sa  sœur(  Trésor  des  trou  langues),  L'épitbète 
cornu  s'explique  d'elle-même. 

BÉJAUNE ,  erreur  grossière  : 

Cest  fort  bien  l'ait  d'apprendre  à  vivre  aux  gens,  et  de  leur  montrer  leur 
h^aune.  (Am,  méd,  II.  3.) 

Monsieur,  souffrez  que  je  lui  montre  son  béjaune,  et  le  lire  d'erreur. 

(Mid,  im,  m,  16.) 

Les  jeunes  oiseaux  ont  le  bec  garni  d'une  sorte  de  frange 
jaune.  Ainsi ,  par  métaphore ,  avoir  le  bec  jaune ,  c'est  man- 
quer d'expérience,  être  dupe.  Molière  a  écrit  aussi  bec  jaunes 
conformément  à  l'étymologie  : 

Ooi,  Mathurine,  je  veux  qu^  monsieur  vous  montre  votre  bec  Jaune, 

(D.  Juan.  II.  5.) 
••  Ce  sont  six  aulues. ...  ne  sont  mie? 
«  El  non  sont  ;  que  je  suis  beejaulne  !  >  {PatheUn.) 


—  M  — 

DsM  Torii^y  les  consonnes  finalet  étant  mvellit  lurique 
suivait  une  consonne ,  on  prononçait  pour  bec,  mgr,  fgr%  bé, 
mé.fé. 

[Des  variations  du  langage  français ,  p.  44*) 

BESOIN ,  FAIRE  BEsoiK  ,  ètrc  nécessaire  : 

Aussi  bien  nous  fera-t-ll  ici  besoin  pour  apprêter  le  souper. 

BIAIS ,  dissyllabe  : 

Nous  n'aurions  pas  besoin  maintenant  de  rêver 

A  chercher  les  biais  que  nous  devons  trouver.  \VRl  L  9.) 

Des  biais  qu^on  doit  prendre  à  terminer  vos  feux.  (Jbid,  lY.  z.) 

Il  faut  voir  maintenant  quel  biais  je  prendrai.  {Ibid,  lY.  8.) 

Pour  tâcher  de  trouver  un  biais  salutaire.  {Ibid.  Y.  la.) 

Et  du  biais  qu*il  faut  vous  prenez  cette  affaire.  {^g<ut,  ii.) 

Le  pousser  est  encor  grande  imprudence  à  voos, 

St  vous  deviei  chercher  quelque  biaU  plus  doux.  {Târt.  Y.  I.) 

—  Monosyllabe  : 

J*ai  donc  cherdié  longtemps  sut  bimis  de  vous  doonw 

La  beauté  que  les  au  ne  peuvent  moissonner.    (Fewu  sav,  HI.  (IJ 

—  SAVOIR  LE  BIAIS  DE  FAIRE  QUELQUE  GH08E  ! 

Mais,  encore  une  fois,  madame,  y>  ne  sais  point  le  biais  de  faire  entrer 
ici  des  vérités  si  éclatantes.      {£p.  dédie,  de  la  Critique  de  tBc,  des/em.) 

BICÉTRE ,  voyez  BISSÊTRE. 

BIEN  ;  AYOïR  LE  BiEiM  DE. ..  le  plaisir,  l'ayantage  de...  : 

• . .  J'ai  le  bien  d'être  de  vos  voisins.  (£e,  des  mtw,  L  5.) 

U  l'est  dit  grand  chasseur,  et  nous  a  prié  tous 

Qu'il  pût  avoir  U  bien  de  courir  avec  nous.  (Fâcheux,  IL  7.) 

BIEN  ET  BEAU  : 

Cependant  arrivé,  vous  sortez  bien  et  beau , 

Sans  prendre  de  repos  ni  manger  un  morceau.  (Sgah,*';.) 

Remarquez  beati^  employé  comme  advei-be.  C'était  origiiiai- 
rement  le  privilège  de  tous  les  adjectifs.  Il  nous  en  reste  en- 
core de  nombreux  exemples  :  voir  clair,  frapper  yîsrm^,  parler 


—  39  — 

htmtf  ]Murcir  somiain^  pâfler  net^  «le,  etc.,  pmir  et&Srifmênt, 
fermement,  hautement,  soudainement,  nettement. 

«  Le  fennifr  Tient,  le  preod,  l*encflge  ^en  ei  èeau^ 
m  Le  donoe  à  tes  enfants  |K)ur  servir  d*MiuseUe.  » 

(La  FovTAiRi.  Le  Corbeau  voulant  imiter  tjigiê») 

BIENSÉANCE  ;  ÊtRB  Ëlf  la    ÉtËNSÊAlfCB  DE  Qti^L- 

QU'uif ,  c'est-à-dire ,  à  sa  disposition  : 

Celte  maison  meublée  est  en  ma  bienséance  ; 

J'é  pub  en  dîs|idsér  avec  grande  licence.  (VÈt,  X,  a.) 

BISSÊTRE  ;  malheur  résultant  d'une  fatalité,  faibi 

\m  BISSÊTRE  : 

Eh  bien  !  ne  voilà  pas  mon  enragé  de  maitre? 

Il  nous  va  faire  eocor  quelque  nouveau  biuitre,  {VEU  V,  7.) 

L*orthographe  est  hissétre,  et  non  hicétre;  le  mot  primitif 
est  hissexte.  Du  Gange,  au  mot  Bissextus,  l'explique  infortu- 
ntum,  malum  superpeniens.  I^  ilianvaise  influence  de  l'an  et 
du  jour  bissextile  était  proverbiale  au  moyen  âge  : 

«  Cette  aftnée-là  étoit  bissextile,  et  le  bissexte  tomba  de  fait  sur  les 
«  traiairea.  »  {Orderie  ritûL  lib.  Xm.  p.  88a.) 

—  «  Cette  tumultueuse  année  fut  brneatile....  et  le  busexu  tomba  sur 
«  le  rai  et  sur  aon  peuple,  tant  en  Angleterre  qu*eo  Normandie.  • 

(A/,  lib.  XUL  p.  9o5.) 

C'était  une  locution  populaire  :  le  bissexte  eit  tombé  sur 
telle  afïaire,  pour  dire  qu'elle  avait  mai  tourné.  Nous  voyons 
déjà  paraître  la  forme  corrompue  bissextre  dans  Molinet  : 

«  Pour  ce  que  bissextre  esdiiet , 

■  L*an  en  sera  tout  desbauchiet.  »  (JLe  Calendrier.) 

L'x  s'éteignait  dans  la  prononciation,  et  laissait  prévaloir  le  t^ 
par  la  règle  des  consonnes  consécutives.  On  prononçait  donc 
bisséte,  et,  par  Tintercalation  euphonique  de  Vr,  hissétre, 

La  superstition  du  jour  bissextile  remontait  aux  Romains. 
Voyez  là-dessus  le  témoignage  de  Macrobe,  au  livre  I*'',  cha- 
pitre i3,  des  Saturnales. 

Molière  rappelle  donc  ici,  par  l'emploi  du  mot  hicétre,  une 
expression  et  une  superstition  du  moyen  âge. 

Le  vice  d'orthographe  tendrait  à  confondre  le  hissétre  âvee 


-  40  — 

le  châteaa  àeBkestre  ou  AeBicAre,  Celui-ci  a  vine  tout  autre 
ori^ne  :  la  ((i*ange  aux  Gueux,  qui  appartenait ,  en  idQOy  à 
révik|ue  de  Paris ,  passa  plus  tard  à  Jean,  évéque  de  fVin- 
cesire,  dont  le  nom,  transformé  en  Biceétre^  est  resté  attaché  à 
cette  demeure. 

IjC  peuple  dit  d'un  enfant  méchant  et  tapageur  :  C'est  un 
hicétre;  ah!  le  petit  bicetre!  Trévoux  veut  que  ce  soit  par  al- 
lusion à  la  prison  de  Bicétre;  mais  ne  serait-ce  pas  plutôt  un 
vestige  de  la  superstition  du  bissétre?  Ah  !  le  maudit  enfant!  le 
petit  malheureux!  né  le  jour  du  bissétre ,  sur  qui  est  tonihé 
\e  bissétre! 

On  lit  dans  le  Roman  bourgeois,  de  Furetière  : 

«  Si  j*ai/aiV  ici  quelque   bissetn;» 

Et  dans  la  Tioce  de  village ,  de  Brécourt  : 

•  AviDt,  je  ywoifaire  bissétre,  » 

BLANCHIR,  HE  faire  que  blahghir  ;  aa  sens  méta- 
phorique: 

Les  douceart  ne  Jenmt  que  blanchir  contre  moi.     (Dép.  am,  Y.  9.) 
Et  nos  enseignements  ne  font  là  que  blanchir,   (Éc.  des  fem,  in.  3.) 

M  MARQUIS. — Voilà  des  raisons  qui  ne  valent  rien. 

CLiMÈira.  —  Tout  cela  ne  fait  que  blanchir,  (Crit.  de  CEe,  desfsm,  7.) 

Bien  que  cette  expression  se  trouve  dans  la  bouche  de  Cli- 
mène,  il  ne  s'ensuit  pas  que  Molière  ait  prétendu  la  blÂnier. 

Voici  comment  Furetière  expose  Torigine  de  cette  méta- 
phore : 

«  Blanchir  se  dit  aussi  des  coups  de  canon  qui  ne  font 
qu'effleurer  une  muraille,  et  y  laissent  une  marque  blanche. 
En  ce  sens,  on  dit,  au  figuré,  de  ceux  qui  entreprennent  d'at- 
taquer ou  de  persuader  quelqu'un,  et  dont  tous  les  efîorts  sont 
inutiles,  que  tout  ce  qu'ils  ont  fait ,  tout  ce  qu'ils  ont  dit,  n'a 
fait  que  blanchir  devant  cet  homme  ferme  et  opiniâtre.  » 

BOIRE  LA  CHOSE  ;  métaphoriquement ,  se  résigner  : 

Mon  frère,  doucement  il  faut  boire  la  chose,  {Ec,  des  mar.  IlL  10.) 
Molière  a  dit ,  par  la  même  figure  :  Amler  Viisage  des  ga- 
lants. 


—  41  — 

—  BOIBE  SUR  LE  BJ58TE  DE  QU£LQU*U1H  : 

Vous  ktpiez  sur  tan  reste,  et  monlriei  d*afliecter 

Le  côté  qu*à  sa  bouche  die  avoil  su  porter.  {L'Ef.  TV.  5.) 

BON ,  BONNE,  ironiquement  : 

Hé,  la  bonne  effrontée  I  (Sgan,  6.) 

Parbleu  !  le  voilà  Son^êjec  sod  habit  d'empereur  romain  !  {D.  Juan.  IIL  6.) 
0*où  vieiu-tu ,  bon  pendard  ?  {fi,  D.  IIL  1 1 .) 

Taises-Yout,  bonne  pièce  I  {Ibid,  I.  6.) 

Oaei-tu  bien  paraître  devant  mes  yeux,  après  tes  bons  déportements? 

{Scapin.  I.  4.) 

—  BON  A  FAIREA....  : 

Refuser  ce  qu*on  donne  est  bon  à  faire  aux  fous.    (Dép,  am.  I.  a). 

—  BON  ARGENT  (PRENDRE  POUR  de),  prendre  au  sé- 
rieux : 

Qdoi!  tu  prends  pour  de  bon  arguent  ce  que  je  viens  de  dire  ? 

(Z).  Juan,  V.  a.) 

Métaphore  tirée  de  la  fausse  monnaie. 

—  AVOIR  LE  COEUR  BON ,  c'e8t-à-dire ,  en  style  mo- 
derne, Ken  placé  : 

Sachez  que  j'ai  le  cœur  trop  bon  pour  me  parer  de  quelque  chose  qui  ne 
soit  point  k  moi.  {L'j4w.  Y.  5.) 

— -  LE  BON  DU  €OBUR ,  substautivemeut  : 

Et  du  bon  de  mon  cœur  à  cela  je  m'engage.  {Mis,  III.  i.) 

Du  meilleur  de  mon  cœur. 

—  BONS  JOURS,  jours  de  fête ,  jours  solennels  : 

Que  d*uiie  serge  honnête  elle  ail  son  vêtement , 

Et  ne  porte  le  noir  qu*aux  bons  Jours  seulement  {Ee.  des  mar,  I.  2.) 

BOUCHE.  BOUCHE GousuE,  adverbialement,  pour  re- 
commander la  discrétion  : 

Adieu.  Bouche  cotuue^  au  moins!  Gardez  bien  le  secret,  que  le  mari  ne 
le  sache  pas!  (G,D.l,^,) 

—  LAISSER  SUR  LA  BONNE  BOUCHE  : 

Tons  n'en  tâterez  plus ,  et  Je  vous  laisse  sur  la  bonne  bouche,  (ib,  U,  7.) 


—  43  — 
BOURL£ ,  de  Titalien  burla  ,  moquerie,  faire  une 

BOURLE  : 

Une  certaine  mascarade que  je  prétends  faire  entrer  dans  une  hourle 

que  je  veux  faire  à  notre  ridicule.  (Bourg,  gent,  Vl.  14.) 

C'est  la  leçon  de  Tédition  de  1676,  qui  est  h  première.  I^es 
éditions  moderaes  mettent  bourde,  qtd  est  la  forme  corrompue 
aujourd'hui  adoptée.  Bourle  n'est  dans  aucun  dictionnaire  ;  ils 
donnent  tous  botirde, 

BBÂNLEB  LE  îïENTOTî,  manger  : 

MASCARXLLK, 

Oh  !  tu  seras  ainsi  tenu  pour  un  poltron. 

—  Soit,  pourvu  que  toujours /9  brunie  le  menioH.  {Dép.  mnt,  ▼.  i.) 

BRAS,  SE  METTRE SUR  LES  RRAS  : 

Voudriez-vous,  madame,  vous  opposer  à  une  si  sainte  peusée,  et  que 

j'allasse ,  en  vous  retenant ,  me  mettre  le  ciel  sur  les  bras  ?     (D.  Juan,  t.  S.) 

Qui  en  touche  un  (hypocrite),  se  les  attire  tous  sur  tes  bras,  {Ib.  T.  2.) 

—  SE  JETER....  SUR  LES  RRAS,  même  sens  : 

Et  je  me  jetleroîs  cent  choses  sur  les  bras,  (Mis.  V.  i.) 

ÈBAVADE  ,  FAIRE  RRAVADE  A  QUELQU  U5  : 

Moi,  je  aerois  cocu  ?  —  Tous  voilà  bien  malade  ! 

Mille  gens  le  sont  bien»  sans  vous  faire  bravade ^ 

Qui ,  de  mine,  de  coeur,  de  biens  et  de  maison, 

Ne  feroient  avec  vous  nulle  comparaison.  (Ec,  desfem,  lY.  8.) 

Sans  vous  insulter.  —  Bravade  d'un  discotj&s  : 

Je  ne  sais  qui  me  tient  qu*avec  une  gourmade 

Ma  main  de  ce  discours  ne  venge  la  bravade,  (Et.  desfem,  Y.  4.) 

BBAYE  en  ajustements  : 

Ta  forte  passion  est  d*élre  brave  et  lette^  (Ee,  desfem,  Y.  4.) 

Est-ce  que  tu  es  jalouse  de  quelqu'une  de  tes  compagnes  que  ta  voies 

plus  brape  que  toi?  (Am,  méd.  I.  a.) 

BBAVEBIEi  parure: 

LAORAHGt.  —  Tîte,  qu'on  les  dépouille  sur-le-champ. 

JOBBLtT.  -^  Adieu,  notre  bruverif!  (Prée,  rid,  t6.) 


—  44  — 

Pour  moi,  je  tieus  que  la  hraverict  que  l'ajuntement  est  U  choie  qui  ré* 
jouît  le  plus  les  filles.  (^m.  méJ.  1. 1.) 

BRIDER  D'UN  ZÈLE  : 

D'un  zèle  simulé  j'ai  bridé  le  bon  lire.  (VEt,  Vf,  i.) 

BRILLANTS;  qaaUtés  brUlantes  : 

Gomme  ptr  son  esprit  et  ses  autres  brUlanu 

U  rompt  Tordre  commun  et  devince  le  temps...       {Mélicerte.  1. 4.) 

—  LES  BRILLANTS  DES  YEUX  : 

Mais,  voyant  de  sesyeus  tous  les  brillants  baisser,        (Tort,  I.  i.) 

Et  si  je  .rends  hommage  aux  brillants  de  leurs  yeux. 

De  leur  esprit  aussi  jlionore  les  lumières.  (Pem  sav,  III.  a.) 

—  LES  BRILLAirrS  D  UNE  VICTOIRE  : 

Ne  vous  enflez  donc  point  d*une  si  grande  gloire , 

Pour  les  petits  brillants  d'une  Taible  victoire.  {Mis,  VI,  5.) 

BROUILLER  : 

Que  noiu  brouilles-tu  ici  de  ma  fille  ?  (L'yip.  Y.  3.) 

—  DESTIN  BROUILLE ,  cmbroaillé  : 

Kiit-il  jamais  destin  plus  brouillé  que  le  noire  ?  (VEt,  I Y.  9.) 

BRUIRE.  FAIRE  BRUIRE  SES  FUSEAUX ,  métaphorique- 
ment ,  faire  tapage  : 

Le  vin  émétique yâiV  bruire  ses  fuseaux.  (D.  Juan,  III.  i.) 

BRUIT.  Bruit  répandu ,  ouï-dire  : 

J'ai  rencontré  un  orfèvre  qui,  sur  le  bruit  que  vous  cherchiez  quelque 
beau  diamant  en  bague....  (Mar,for,  S.) 

—  AYOïR  UN  BRurr  DE,  Rvoir  la  réputation  de  : 

Hé!  là,  là,  madame  la  Nuit, 
Un  peu  doucement,  je  vous  prie  ; 
Fous  avez  daus  le  monde  un  bruit 

De  n'être  pas  si  renchérie.  (Amph.  prot.) 

«  Elle  eut  le  bruit ,  à  la  cour,  de  n'avoir  pas  sa  pareille.  • 

(La  RiiHK  Di  Nav.  Uept,  nouv.  i5.) 

On  disait  de  même,  donner  un  bruit  à  quelqu'un. 

Bonnivety  au  témoignage  de  la  reine  de  Navarre , 

«  Estoit  des  dames  mieulx  voulu  que  ne  feot  oncques  François  »  tant 


—  45  — 

«  pir  sa  betuté,  bonne  grâce  et  parole,  que  pour  le  hruit  que  chacun 
•  tuy  donmoU  d*estre  l*undeft  plus  adroits  et  hardis  aux  armes  qui  feustde 
>  son  lems.  »  {Ueptaméron,  noufelle  z4«.) 

••  Elle  connoissoit  le  contraire  an  faux  bruii  que  ton  dotinoii  aux  tran» 
m  çoiSf  car  ils  estoient  plus  sages,  etc.  »  {Ibidem.) 

(Voyez  la  note  au  root  Donneu  un  crime.  ) 

—  A  PETIT  BRUIT  : 
Je  me  divertirai  à  petit  bruit.  (D,  Juan.  V.  2.) 

BRULER  S£S  LIVRES  a  quelque  chose  : 

J*)-  brillerai  mes  livres ,  ou  je  romprai  ce  mariage.  (Poure.  L  3.) 

Chicaneau  dit  pareillement  : 

CHICAXEAU. 

«  Vous  plaidez? 

hà.  COMTBSSE. 

Plût  a  Dieu  ! 

CHlCAiriAU. 

jy  brûlerai  mes  livres!  » 

(Les  Plaideurs,  I.  7.) 

BRUTALITÉ  de  sens  gomhuiv  et  de  raison  : 

Un  homme  qui ,  avec  une  impétuosité  de  prétention ,  une  roideur  de 
confiance 9  une  brutalité  de  sens  commun  et  de  raison,  donne  au  travers 
des  purgations  et  des  saignées.  {Mai  im,  111. 3.) 

BUTER  a  quelque  chose  ,  prendre  cette  chose 
pour  but  : 

Toutes  mes  volontés  ne  butent  quà  'vous  plaire,  (VEt.  Y.  3.) 

BUTIN ,  au  lieu  de  proie ,  dans  le  sens  métaphorique  : 

D.  KLVIRK. 

On  ne  me  verra  point  le  butin  de  vos  feux.  D.  Garde,  III.  3.) 
Je  ne  crois  pas  qu'on  trouve  en  français  un  second  exemple 
de  cette  façon  de  parler  bizarre.  Dans  une  métaphore  consa- 
crée,  on  n'a  pas  le  droit  de  substituer  un  synonyme  au  mot 
qui  fait  la  figure  ;  autrement  cet  Anglais  aurait  bien  parlé,  qui 
écrivait  à  Fénelon  :  «  Monseigneur,  vous  avez  pour  moi  des 
Itoraux  tie  père,  »  car  entrailles  et  boraiix  sont  synonymes, 
comme /'me  et  buiùt. 


—  46  - 
CABALE,  pour  sigoifier  le  parti  des  &ax  dévots  : 

Que  si  je  viens  à  être  d^uvert,  je  Terni,  smis  me  remoer,  prendre 
mes  intérêts  à  tonte  la  cabale.  (D.  Juan.  V.  a.) 

Pascal,  dans  les  Provinciales,  emploie  ce  mot  dans  le  même 
sens. 

GACHE,  cachette: 

On  n*est  pas  peu  embarrassé  i  inventer  dans  tonte  une  maisoii  une  ca- 
che fidèle.  (Vjâp.  L  4.) 
«  Et  qui  vous  a  cette  cache  montrée?  »                    (La  Foittaivs.) 

CACHEMEINT  de  visage  : 

Leurs  détournements  de  tête  et  leurs  cachemenU  de  visage  firent  dire 
cent  sottises  de  leur  conduite.  (Crii.  de  CEc.  desfem.  3.) 

CADEAU  Y  diner  en  partie  de  campagne ,  dont  on 
régale  quelqu'un.  Molière  Texplique  lui-même  dans  ce 
passage  : 

Des  promenades  du  temps , 

Ou  dîners  qu'on  donne  aux  champs, 

Il  ne  fout  point  qu*elle  essaye  : 

Selon  les  prudents  cerveaux. 

Le  mari ,  dans  ces  cadeaux , 

Est  toiyours  celui  qui  paye.  (Ec.  des  fem,  IIL  %.) 

Des  maris  bénins  qui  : 

De  leurs  femmes  toujours  vont  citant  lef  galants» 


Témoignent  avec  eux  d'étroites  syropalhies, 
Sont  de  tous  leurs  cadeaux ,  de  toutes  leurs  parties.       {Ib,  IV.  8.) 
Taime  le  jeu«  les  visites,  les  assemblées,  les  cadeaux ,  et  les  profte- 
nades....  (Mar.  fore.  4.) 

Le  diamant  qu'elle  a  reçu  de  votre  part,  et  le  cadeau  que  vous  lui  pré- 
parez ....  {Bourg,  g.  III.  6.) 
Les  déclaratiuiu  ont  entraîné  les  sérénades  et  les  cadeaux ,  que  les  pré- 
sents ont  suivis.  (Ibid.  III.  18.) 

«  Cadeau  se  dit  aussi  des  repas  qu*on  donne  hors  de  chez  soi, 
et  particulièrement  à  la  campa^e.  Les  femmes  coquettes  rui- 
nent leurs  galants  à  force  de  leur  faire  faire  des  cadeaux.  En 
ce  sens  il  vieillit.  »  (FuAETii&s.) 


-47- 

—  DOmiE  un  CADEAU  : 

Nous  mènerions  promener  ces  dames  hors  des  portes,  el  Uur  Uonueriont 
un  cadeau.  {Préc,  rid,  lo.) 

Je  Tai  fait  consentir  enfin  au  cadeau  que  vous  lui  voulez  donner, 

(/r.  geni.  m.  6.) 

—  CADEAU  DE  MUSIQUE,  DE  DASSE  : 

Elles  y  ont  reçu  des  cadeaux  merveilleux  de  musique  ei  dç  dame. 

(Am,  magn,  I.  x.) 

CAJOLER ,  verbe  neutre  ; 

Tudieu!  comme  avec  lui  votre  langue  cajole. \  (Ec.  des  fem,y.  4.) 

CALOMNIER  A  quelqu'un  ,  c'est-à-dire ,  dans  quel- 
qu'un ,  sa  vertu  : 

Vous  osez  sur  Célie  allacher  yos  morsures , 
Et  lui  calomnier  la  plus  rare  vertu 

Qui  puisse  £iire  éclat  sous  un  sort  abattu  ?  {VEt,  VU,  4.) 

£t  calomnier  en  elle.  Cet  exemple  se  rapporte  au  datif  de 
perte  ou  de  profit.  (  Voyez  Datif.) 

ÇAMON  : 

Çàmon  Traîment!  il  y  a  fort  à  gagner  à  fréquenter  vos  nobles. 

{B.  gène,  UI.  3.) 

Çamoa ,  mi  foi  !  j'en  suis  d*avis ,  après  ce  que  je  me  suis  fait. 

{Mal,  im.  l.  2.) 
On  ne  trouve  indiques  nulle  part  le  sens  précis  ni  l'ori- 
gine de  cette  expression,  qui  est  évidemment  une  sorte  d'ex- 
clamation affirmative. 

Elle  est  formée  de  trois  racines,  ce  a  mon,  que  Ton  trouve 
ainsi  divisées  dans  les  plus  anciens  textes.  La  reine  de  Navarre 
parlant  d'un  prêcheur  : 

m  Si  Ton  disoit ,  en  oyani  un  sermon , 

«  U  9  bien  dit ,  je  i*épondrois ;  Ce  a  mon. »       {Le  Miroir  de  Nme  péch.) 
Il  a  ce,  c'est-à-dire ,  bien  dit.  On  sous-entend  dans  la  ré- 
ponse le  verbe  exprimé  dans  la  demande. 

Quand  ce  verbe  dans  la  demande  est  accompagné  d'une  né- 
gation ,  la  négation  se  glisse  dans  la  formule  de  la  réponse,  ce 
qui  achève  d'en  découvrir  le  sens. 
••  Or,  n*i  a  fors  que  del  huchier 
«  r^oi  voisins.  —  Certes,  ee  v^a  mon.  » 

{De  sire  Bains  et  dame  Jnieuse,  BikaïAZ.  III.  45.) 


—  48  — 

Il  nV  a  que  d'appeler  nos  voisins.  — Certes,!*/  n'y  a  que  ce 
(à  faire).  Cp,  c'est-à-dire,  appeler  nos  voisins. 

Reste  à  expliquer  le  mot  mon. 

Il  se  présente  souvent  séparé  de  la  formule  que  j'analyse,  et 
joint  au  verbe  savoir,  mis  pour  chose  à  savoir.  Par  exemple, 
dans  Montaigne  : 

«  Sçavoir  mon  ti  Ptolémée  s'y  est  aussy  trompé  aultre  foys.  » 

(MovTAiovB.  Essais,  II.  is.) 

Mon  jiaraît  une  transformation  de  num.  Du  grec  (mSv^  est- 
ce  que  y  les  Latins  avaient  fait  num  :  pourquoi,  par  une  dispo- 
sition d'organe  réciproque,  du  latin  num  les  Français,  à  leur 
tour,  n'auraient-ils  |)as  refait  mon?  Cum  ^  numerus,  changent 
de  même  leur  ueno  :  comme,  nombre. 

Mon  garde  la  valeur  de  num  et  de  (aSîv,  et  répond  à  n'est- 
ce  pas,  pas  vrai,  qui  s'emploient  familièrement  dans  un  sens 
moitié  interrogatif ,  moitié  afBi*maMf  :  savoir,  n'est-ce  pas,  si 
Ptolémée  jadis  ne  s'y  est  pas  trompé  ?  —  Je  répondrais  :  11  a 
bien  prêché,  pas  vrai? 

Par  suite  de  l'usage ,  les  trois  racines  se  sont  fondues  en 
un  seul  mot,  qui  a  pris  pour  acception  la  valeur  affirmative  de 
la  dernière  racine  :  Il  y  a  tant  à  gagner  avec  votre  noblesse, 
n'est-ce  pas!  —  J'en  suis  d'avis,  n'est-ce  pas  y  ou  en  vérité , 
après  ce  que  je  me  suis  fait! 

A  l'appui  de  l'étymologie  que  je  propose,  je  ne  dois  pas 
omettre  de  faire  obser>Tr  que  uni ,  en  latin,  au  moyen  âge,  se 
prononçait  on.  Voyez  ce  |)oint  développé  au  mot  Mateimoniov. 

CAMUS  (reihdre)  y  métaphoriqaement,  casur  le  nez^ 
rendre  confus  : 

MATBUBXVi. 

Oui,  Charlotte,  je  veux  que  monsieur  "vous  rtfute  un  ffeu  camuse, 

(/>.  Juan.  U,  5.) 

Vous  remarquerez  que  Ton  emploie  à  rendre  la  même  pen- 
sée deux  images  contraires  :  être  camus  et  avoir  un  pieri  de 
nez. 


—  4»  - 
CAPBIOLER ,  cabrioler  : 

Pirbletf!  si  grande  joie  à  TUeure  me  trensporle , 

Que  mes  jaml>e8  sur  l'heure  eu  caprio/eroienf^ 

Si  nous  n'étions  point  vus  de  gens  qui  s'en  riroient       (Sgan*  18.) 

CARACTÈRE,  talisman: 

Oui,  c'est  un  enchanteur  qui  porte  un  caractère 

Pour  ressembler  aux  maîtres  des  maisons.  (JmpLlll.  5.) 

00  dit  qu'il  a  un  caractère  pour  se  dire  aimer  de  toutes  les  femmes. 

(Pottrc.  III.  8.) 
Le  Crispin  des  Foiies  amoureuses  se  dit  grand  chimiste,  qtii 
passait  niciue  pour  un  peu  sorcier  : 

•<  On  ro*a  même  accusé  d'avoir  un  caractère,»  (FoL  am,  I.  5.) 

1  Caractère  se  dit  aussi  de  certains  billets  cfue  donnent  des 
charlatans  ou  sorciers ,  et  qui  sont  marqués  de  figures  talisma- 
niques  ou  de  simples  cachets.  »  (Taivoux.) 

GARÉME-PRENANT,  mardi  gras ,  qni  toache  an 
mercredi  des  cendres ,  jour  où  prend  le  carême  : 

On  diroit  qu'il  est  céans  carême-prenant  tous  les  jours,  (fi,  geni,  III.  %.) 

Un  careme-prenant  est  un  masque  du  mardi  gras  : 

On  dit  que  vous  voulez  donner  voire  fille  en  mariage  à  un  carémê-pn- 
nmt?  {Jbid.  V.  7.) 

CARESSE ,  UN  PEU  DE  CARESSE,  ao  singulier  : 

Cela  se  passera  avec  un  peu  de  caresse  que  vous  lui  feret.  (G.  />.  XL  X9«) 

CARNE,  angle  d'une  table,  d*uu  volet, etc.  : 

Je  me  suis  donné  un  grand  coup  à  la  tète  contre  ia  carne  d'un  voUt, 

(Mal.  un.  l.  9.) 

Came  est  le  mot  simple ,  dont  on  rencontre  souvent  au 
moyen  âge  le  diminutif  carenon  (on  écrivait  carreignon  ou 
qwtrreignon) 'f  la  racine  est  carré,  quarré,  quarre,  qui  existe 
encore  dans  bécarre,  c'est-à-dire  JB  carré. 

Dans  les  Vosges  on  dit  :  à  ia  carre  du  bois;  c'est  à  t angle. 
Uéquerrey  instrument  qui  fait  la  carre. 

Le  quarreignon  était  une  mesure  d*une  quarte;  c'était  aussi 
on  coin,  un  cachet  de  lettre. 

«  Blancbandrin  fist  un  brief  escrire , 

•  Puis  mist  le  carregnon  en  cir«. »  (Du  Cavai.  m  Cmwadtm.) 

4 


—  60  — 

GABOGNE,  c est-à-dire  charogne;  la  groflâèreté  da 
mot  étant  un  peu  dissimulée  par  la  différence  de  pro- 
nonciation : 

Toilà  nos  car^gnet  de  femmes  I  {G.  D,  lïL  5.) 

Ge  mot  est  fréquent  dans  Moiièra  comme  imprécation  :  ah^ 
carogne  ! 

PrimitiYcment  le  ch  sonnait  dur,  comme  le  k.  De  eamem  on 
fit  cam,  karn  ou  charn^  et  dans  la  forme  moderne  chair,  Ca- 
rogne témoigne  de  Tancienne  prononciation. 

J'obsenre  que  le  ch  est  entré  dans  l'orthographe  pour  un 
service  diamétralement  opposé  à  celui  qu'il  y  fait  aujourd'hui. 
\2h ,  signe  d'aspiration ,  empêchait  le  c  de  s'adoucir,  de  se 
briser  sur  la  voyelle  suivante,  et  le  jnaintenait  dur. 

Car  le  c  tout  seul  faisait  devant  chacune  des  cinq  vo3relies 
le  rôle  du  rh  moderne  (  qu'il  conserve  dans  l'italien  devant  e 
et  i).  On  lit  dans  les  plus  vieux  textes,  cevai,  bouée,  cemimie, 
fretce;  cela  faisait,  comme  aujourd'hui,  cheval,  bouche, 
cheminée ,  friuche.  Au  contraire,  la  notation  moderne  eût  re- 
présenté keval,  bouke,  keminée,  fratke ...  ce  qui  est  la  pro- 
nonciation picarde.  Et  pourquoi  les  Picards  prononcent-ils 
ainsi?  pourquoi  semblent-ils  avoir  pris  le  contre-pied  des  au- 
tres en  prononçant  un  kien,  un  kat,  une  mouke,  un  kemin, 
un  pékeur;  et  au  contraire  par  ch,  cheia,  chei  homme,  cheUe 
femme,  merchi,  chest  boin^  etc.  Est-ce  purement  et  simplement 
par  esprit  de  contradiction  ? 

Nullement.  C'est  par  fidélité  à  la  langue  latine,  dont  le  Bel- 
gium  de  César  paraît  avoir  été  plus  fortement  imprimé  que  les 
antres  provinces  de  la  conquête  romaine. 

En  effet,  les  Picards  maintiennent  le  son  du  k  partout  où 
les  Latins  sonnaient  le  £  dur  :  vacca,  -vaque;  bacea,  boaqmei 
caballus,  keval;  caro,  knmet  carogne;  caius,  eamUy  piseoHr, 
kat,  kar  et  karrette,  péqueur;  canis,  kien;  OKate,  kier,  etc. 
Vous  voyez  qu'ils  se  reportent  toujours  à  l'étymologie  pour 
maintenir  le  c  dur,  sans  égard  à  la  nature  de  la  voyelle  qui 
suit  en  français.  Que  cette  voyelle  soit  devenue  un  /»  comoM 
dans  chien,  ou  un  e,  comme  dans  cheval,  n'importe  ;  ils  ne 
s'arrêtent  point  à  la  métamorphose  ;  leur  oreille  se  souvient  de 


—  51  — 

plus  haut  :  c'était  un  â  en  latin ,  et  le  r  y  était  dùlr  ;  ils  le  gar- 
deront dur. 

Mais  dans  ce  ^  ci,  merci,  et  autres  pareils,  qui  ne  viennent 
pas  du  latin ,  ou  n*y  avaient  pas  le  c  dut,  ils  lui  laisseiit  la  va- 
leur du  ch  moderne  ;  ils  disent  merchi,  comme  les  Italiens  di- 
9èDlt  Metcè, 

Les  autres  provinces  se  sont  réglées  depuis  sur  la  nature  des 
voyelles  françaises  pour  modifier  la  valeur  du  c;  mais ,  dans 
rongine ,  elles  semblent  lui  avoir  attiibué  partout|  et  sans  dis- 
tinction ,  reffet  du  ch  moderne.  Comment  expliquer  autrement 
que  de  catus,  carrus^  on  ait  dit  chaty  char? 

En  italien 9  le  ch  conserve  sa  valeur  primitive  :  chiamare, 
tfdoQe,  chittso. 

Aujourd'hui  Ton  se  contente  du  simple  c  devant  o  et  /i  : 
commineiare  f  decamerone  ;  mm  autrefois  on  y  écrivait  aussi 
le  ch,  comme  cela  se  voit  par  un  manuscrit  du  xv*  siècle , 
dont  voici  le  titre  exact  : 

—  «  iDf /lop^ipcia  il  libro  cAiamato  dpc/iameroo,  fAogpomii^ato  principe 
«  GhaXtQiio  (x)i  nel  quale  si  cAonteugoDo  cento  Dovelle..^.  etc.  » 

{Cité  dans  P.  Paus,  nus,  m.  3 a  7.) 

Ce  qui  semble  indiquer  que,  dans  Tongine^  les  Italiens  aussi 
prêtaient  au  c  une  action  uniforme  sur  les  cinq  voyelles.  Et 
en  eOeti  il  est  plus  naturel,  quand  on  pose  une  règle,  de  la 
poser  générale  f  les  exceptions  viennent  ensuite  |  amenées  par 
le  tempS|  et  avec  elles  les  inconséquences.  Le  cahot  de  la  voi- 
ture et  le  chaos  de  Démogorgon  sonnent  à  Toreille  comme  ^ 
dernière  moitié  de  cacao.  Concluez  donc  la  prononciation 
d'après  l'orthographe  ! 

CAS,  GRAmû  CAS,  ebose  considérable  : 

Cè  i)ye  de  plus  que  vous  on  en  pourroit  avoir  {ftdge) 
rTest  pas  un  si  grimd  tm  pour  a'^  imt  prévi^ir.     {f$i{.  UI.  5.) 
«  Quoi  payer?  — 14  d&iM  atu  bous  pèrel. 
«  —  Quelle  dîme?  —  Savez-vous  pas? 

(1)  La  ràfUrelatÎTcaotf  s'appliquait  an  ^,  4^1  n*é«t  qu'un  iàoadtsennent  du  e.  Ap- 
paramnciil ,  moi  l'aapiratioa  inteq>ttft4«,  Ift  f  d«  Gùlia$t0  M  fit  prononce  comaia  celui 
dt  ita/à,  §dart,  an  lian  d'étra  tanu  dv  MB^é'diMjÉMciic. 

4. 


—  62  — 

«  —  Moi ,  je  le  sftis  ?  —  Cest  um  grand  ems, 
m  Qae  toujours  femme  aux  moines  donur.  •• 

(La.  Fuirr.  Let  Cordeliers  de  CûUdognt.) 

CAUSER,  parler  aa  hasard  : 

Le  monde,  chère  Agnès ,  est  une  étrange  chose  ! 

Yoyei  la  médisance,  et  comme  chacun  cause!  {Ee,  des  /mi.  II.  6.) 

Le  sens  primitif  de  causer  est,  en  efîet ,  blâmer,  gromder, 
médire.  C'était  un  verbe  actif ,  causer  quelqu'un  : 

«  Sa  femme  Toi ,  moult  fort  le  cose,  »       {He  de  J,  C.  dans  Doc) 
Sa  femme  Tentend ,  et  le  gronde  fort. 
m  Moult  de  sa  gent  parler  n'en  osent, 
-  Biais  par  derrière  moult  l'en  cltosent,  » 

(  Bas  BAS.  FabUattx.  I.  p.  160.) 
Voyez  Du  Cange,  au  mot  Causnre. 
CAUTION  BOURGEOISE,  garantie  suffisante  : 

Je  m'en  vais  gagner  an  pied ,  ou  je  veux  caution  bourgeoise  qu'ils  ne  me 
feront  pas  de  mal.  (Les  yeux  de  Calhos  et  ceux  de  Madeloo.) 

{Préc.  rid,  xo.) 

Allusion  à  Tancienne  coutume  de  livrer  en  otage  au  vain- 
queur un  certain  nombre  des  principaux  bourgeois.  Eustache 
de  Saint-Pierre  faisait  partie  de  la  caution  boui^eoise  foiunie 
par  la  ville  de  Calais. 

I.X  MAXQuis.  Je  la  garantis  détestable  ! 

ooEAm.  Isa  caution  n'est  pas  bourgeoise,    {Cril.  de  tEc.  des  fem,  6.) 

«  On  appelle  caution  bourgeoise,  dit  Furetière ,  une  caution 
valable  et  facile  à  discuter,  comme  serait  celle  d*un  bourgeois 
bien  connu  dans  sa  ville.  » 

Au  mot  caution,  Furetière  met  cet  exemple  :  «  On  ne  veut 
point  prêter  aux  grands  seigneurs  sans  caution  bourgeoise,  » 

CE  interrogatif ,  lié  au  verbe  jK>uvotr  : 

Qui  peut-ee  être  ?  (VJp.  IV.  7.) 

—  CE ,  suivi  du  verbe  au  pluriel  : 

Il  faut  que ,  dans  l'obicurilé ,  je  lâche  à  découvrir  quelles  gens  ce  peurent 
être,  (Sicilien,  5.) 

Tous  les  discours  sont  des  sottises. 
Parlant  d'un  homme  sans  éclat; 
Ce  seraient  paroles  exquises. 
Si  c'é^>it  un  grand  qui  parUt.  (^mph,  IL  t.) 


—  58  — 

C€  que  je  vous  dis  là  ne  tout  pas  des  chansons.  (Ee,  detfem,  III.  «.) 
(Voyez  CE  que  et  ce  aowt,) 

CÉANS: 

Qir&st-ce  qu'on  fait  céans?  comme  est-ce  qu*on  s*y  porte?  {Tart,l,  5.) 

Dénichons  de  céans,  et  sans  cérémonie.  {ibid,  Vf,  7.) 

Ce  vieux  mot  est  employé  dans  Tartufe  avec  une  sorte  de 

prédilection.  Madame  Femelle ,  comme  aussi  madame  Jour- 

dain,  afTectionnent  céans. 

Et  je  parle  d*iin  tîcux  Sosie 
Qui  fut  jadis  de  met  parents. 
Qu'avec  très-grande  barbarie 
A  l*heure  du  dîner  Ton  chassa  de  céans,  (jémph.  lU,  7.) 

Céans^  racines  ci  ens,  ici  dedans;  comme  léanseU  pour  ià 
erUf  là  dedans. 

Fayel ,  surprenant  le  châtelain  de  Coucy  chez  sa  femme,  le 
chasse  avec  la  suivante  Isabelle  : 

«  Or,  chastelains,  vous  en  irei, 

**  Isabelle  o  tous  enmenrez; 

«  Car  ci  ens  jamais  ne  girra.  »      (it.  de  Couey,  Y.  4744.) 

Car  elle  ne  couchera  jamais  plus  céans. 

«  Un  frère  Jean ,  novice  de  léans,  »      (La  FoMTAm ,  Féronde.) 

Novice  de  là-dedans. 

En  prenait  autrefois  Vs  finale  euphonique.  Cette  s  s*est  con- 
servée aussi  dans  cette  autre  forme  dedans,  où  le  second  d  est 
une  euphonique  intercalaire.  (Des  Far,  du  lang,  fr.,  93  et  BSg.  ) 

CEPENDANT  QUE. . .  : 

Cependant  que  rhacun ,  après  cette  tempête, 

Songe  à  cacher  aux  yeux  la  honte  de  sa  tête...  {VEt,  Y.  14.) 

Pendant  cela  (savoir),  que  chacune ,  etc.^  hoc  pendenie  (  seu 

durante)  quod Cependant  que ,  fréquent   dans  la  prose 

de  Froissarty  est  un  archaïsme  cher  à  la  Fontaine. 

CE  QUE  LE  a£L  NOUS  a  fait  naItre  ,  notre  origine  : 

Il  7  a  de  la  lâcheté  à  déguiser  ce  que  le  ciel  nous  a  fait  naître, 

{B.  gent.  m.  za.) 


-54- 

—  CB  QUB  c'est  QDB  DE. . ..  pOUT  Ce  quê  ^ui  quê  le. . . .- 

Moi  !  voyez  se  que  c'est  que  du  monde  anjoard^hni  !     (J^Kt,  f .  9.) 
Quid  sit  de  mundo  hodic.  (Voyez  de,  représentant  que  le,) 

G£QU£...  809t: 

Cf  fM  ]e  TOUS  dis  li  ne  soM  pmê  dts  cbansont.  (Eo,  dêifmm  VEL  ».) 
pQ  m'a  montré  ia  pièce,  el  comoM  tout  ce  qu'il  y  m  d'agrétble  â^t 
eflectiyemeDt  les  idées  qoi  ont  été  prises  de  Molière,  etc.  (/n^r.  i.) 

«  Son  droit  ?  tout  ce  qu'i\  dit  sont  autant  d^impostures.  » 

(Racine.  Les  Plaideurs,  II.  9.) 

L'idée  réveillée  ici  par  le  singulier  ce  que,  représente  des 
détails,  et  non  pas  un  ensemble.  Le  verbe  au  singulier  7  serait 
déplacé  ;  qu'on  l'essaye  :  Monsieur,  tout  ce  ^u*'û  dit  est  autant 
d'impostiires.  Tout  ce  qu'il  y  a  d'agréable  est  effectivement 
les  idées,  etc. 

Cela  n'est  pas  acceptable.  Avant  de  s'accorder  entre  eux, 
les  mots  sont  tenus  de  s'accorder  avec  la  pensée  ;  et  quand  il 
y  a  conflit,  c'est  la  pensée  qui  doit  l'emporter.  Aussi,  quand 
une  suite  de  substantifs,  même  au  pluriel,  ne  réveillent  qu'une 
idée  simple,  l'idée  d'un  ensemble,  le  verbe  se  met  au  singulier. 

Quatre  ou  cinq  mille  écus  €st  un  denier  considérable  !    {Pour.  III.  9.) 

Yoyet  la  contre-partie  de  cet  article  à  g'bst. 

CE  QUI.. ..  CE  SONT  : 

Cê  sont  charmes  pour  moi  que  ce  qui  part  de  vous.  (Pem,  sav,  III.  i.) 
Il  est  permis  de  supposer  que,  sans  la  nécessité  de  la  me- 
sure, Molière  n'eut  pas  donne  à  l'usage  la  satisfaction  de  cette 
étrange  alliance  d'un  singulier  avec  un  verbe  au  plttrtd.  Ce 
qui  part, . .  ce  sont  charmes. 

Je  dois  observer  cependant  que  Montaigne  a  écrit  : 

M  Ceht  ce  sont  des  eflects  particuliers.  •  (  //.  cA.  ta.) 

(  Voyez  des  exemples  du  contraire  à  l'article  c'rst.  ) 

CERVELLE,  figuréraent,  la  cause  pour  l'effet;  ini- 
pétuosité ,  extravagance  :  esscteb  la  cervelle  de 
quelqu'un  : 

Ou  n'a  pointa  louer  les  vers  de  messieurs  tels, 


À  domer  de  l*eneeas  à  niidtine  mie  telle, 

Et  de  nos  francs  marquis  etêuywr  Im  cerveUe.  {diu,  ïll.  7.} 

CESONT,  SONT-CE: 

C'est  comme  parle  le  plus  souvent  Molière,  quand  il  suit  un 
pluriel  ;  et  non  pas  cest,  est-ce  y  à  la  manière  de  Bossuet  : 

Comment,  ces  noms  étranges  ne  tonhee  pas  vos  noms  de  baptême  ? 

{Précieuses  ndie,  5.) 

Ct  âoni  vingt  mille  francs  qu'il  m'en  pourra  coûter.        (Mis,  Y.  i.) 

n  est  probable  qu'en  prose  Molière  eût  dit  c'est  vingt  mille 

fnmcs,  comme  dans  la  phrase  de  Pourceaugnacciiée  plus  haut; 

car  ridée  ne  se  porte  pas  à  considérer  les  francs  isolément, 

mais  sur  une  somme  de  ao,ooo  francs. 

Ce  JM  sont  plus  rien  que  de»  fantômes  ou  des  fy^ons  de  chenaux. 

{VJvare.  Ul.  5.) 

C*£SI  ou  EST  9  en  rapport  avec  un  substantif  au 
ploriel: 

Hideux  auj,  dans  son  lexe,  est  une  grande  avance.  {Mélicerte,  I.  4.^ 
11  est  clair  qu'il  n'y  a  point  là  de  faute,  parce  que  la  pensée 
porte  non  pas  sur  le  nombre  des  années ,  mais  sur  l'unité  de 
temps  représentée  par  deux  ans.  Deux  ans,  c'est  une  grande 
avance. 
Quatre  ou  ciuq  mille  écus  est  un  denier  considérable  I    {Poure,  III.  9.) 
Tous  les  hommes  sont  semblables  par  les  paroles,  et  ce  nWqiie  les  ac- 
tions qui  les  découvrent  difTéreuts.  (C^t^.  1. 1.) 
Il  est  certain  que  cette  façon  de  pai'ler  parait  la  plus  conforme 
à  la  logique  habituelle  de  la  langue  française ,  qui  gouverne 
toujours  la  phrase ,  non  sur  les  mots  à  venir,  mais  sur  les 
mots  déjà  passés ,  en  sorte  qu'une  inversion  change  la  règle  : 
J'ai  vu  maints  chapitres  ;  j'ai  maints  chapitre  vus. 

Ce  est  au  singulier,  représentant  cela.  Pourquoi  mettre  le 
verbe  au  pluiiel  ?  On  ne  dirait  plus  aujourd'hui,  comme  du 
temps  de  Montaigne,  cela  sont. 

Mais  ce  peut  être  un  mot  collectif  enfermant  une  idée  de 
pluriel  ;  et  quand  ce  pluriel  touche  immédiatement  au  verl)e 
qiu  le  suit,  il  n'y  a  point  d'inconvénient  à  mettre  ce  sont,  au 
lieu  de  ce  est.  Nos  pères  paraissent  en  avoir  jugé  ainsi ,  car  la 


—  66-^ 

forme  ce  sont  se  retromre  dans  le  berceau  de  la  langue.  Elle 
prédomine  dans  le  livre  des  Rois: 

m  Ço  sunt  Us  deiu  ki  flaelerent  e  luereot  cet  d*Ég?ple  d  déterl.  » 

(Bois.  p.  i5.) 

Le  tort  des  grammairiens  est  d'avoir  rendu  cette  forme  obli- 
gatoire ;  elle  n'est  que  facultative,  et  il  est  toujours  IcNsible 
d'employer  c'est  devant  un  nom  pluriel.  Les  grammairiens^ 
qui  nous  imposent  rigoureusement  ce  sont  eux,  prescrivent 
aussi  c'est  nous,  c'est  vous,  locutions  absurdes  !  Puisqu'on  gar- 
dait la  tradition  du  moyen  âge,  il  fallait  du  moins  la  garder 
tout  entière,  et  dire  ce  sommes  nous,  c'étes  vous.  Mais  on  n*a 
obéi  qu'à  une  routine  aveugle  et  inconséquente. 

Dans  Pathelin^  Guilleroette  recommande  à  M.  Jousseaume 
de  parler  bas ,  par  égard  pour  le  pauvre  malade  ;  et  elle-même 
t'oublie  jusqu'à  élever  fort  la  voix,  l^e  drapier  ne  manque  pas 
d'en  faire  la  remarque  : 

n  Tous  me  disiez  que  je  parlaiie 
«  Si  bas,  taincle  beooisle  dame  : 
«  Youi  criez  ! 

OUILLSMETTI. 

C estes  vouSf  ptr  mame  !  • 

Cest  vousy  par  mon  âme  ! 

A  la  fin,  le  drapier  reconnaît  son  voleur  dans  l'avocat  : 

«  Je  puisse  Dieu  desadrouer 

•  Se  c«  n*estes  vous,  vous,  saut  faulte...  h 

Je  renie  Dieu  si  ce  n'est  vous  ! 

Et  dans  la  scène  où  Pathelin  subtilise  le  drap  :  L'bonnéte 
homme  (pie  feu  voire  père  ! 

«  Vrajrmentt  c  estes  vous  tout  craché!  » 
C'est  vous  tout  craché. 

•  On  trouve  douze  rois  choisis  par  le  peuple,  qui  partagèrent  entrt  MUi 
«  le  gouveruemeut  du  royaume.  Cest  eux  qui  ont  kâli  les  dotuce  palais 
«  qui  composoieut  le  labyrinthe.  ••       (Bossuet.  Disc,  sur  thist,  un.  3*  p.) 

m  Ce  n'est  pas  seulement  des  hommes  à  combattre,  c^est  des  montagnes 
9  inaccessibles,  c'est  des  ravines  et  des  précipices  d'un  côlé;  c'est  partout 
•  des  forts  élevés....  •  (Or.  fim,  du  pr.  de  Condé.) 


_  57  - 

On  voit  que  Bossuet  veut  présenter  une  idée  d'ensemble  : 
les  rois  qui  ont  bâti  le  labyrinthe,  et  ce  qu'il  y  a  à  combattre  ; 
et  non  {kis  attirer  la  pensée,  la  divertir  sur  les  détails,  sur  les 
éléments  qui  forment  cette  unité.  11  ne  veut  pas  nous  faire 
compter  les  rois  é^ptiens  ni  les  sommets  des  montagnet, 
mais  nous  frapper  par  un  tableau  ;  il  emploie  le  singulier. 

Cependant,  après  avoir  rapporté  ce  passage , Fauteur  des 
Remarques  sur  la  langue  française  et  le  style  déclare  avec 
dureté  :  «  11  faut  partout  ce  sont,  »  «  Il  est  certain ,  ajoute-t-il 
par  forme  d'atténuation ,  que  les  Latins  disaient  poétiquement 
animalia  currit.  »  Les  Latins  n*ont  jamais  parlé  de  la  sorte , 
ni  en  vers  ni  en  prose  ;  l'auteur  confond  la  grammaire  latine 
avec  la  grecque.  Au  surplus,  la  locution  ^mol  xp^^^ei  n'a  pas 
le  moindre  rappoit  à  ce  dont  il  s'agit.  On  aimerait  mieux 
trouver  dans  ce  livre  moins  d'érudition ,  et  un  peu  plus  d'é- 
gards pour  les  grandes  gloires  littéraires  de  la  France.  C'est  à 
l'instant  même  où  il  vient  d'inventer  cet  animalia  currit ,  que 
l'auteur  reproche  à  Bossuet  des  soiécismes  :  «  Bossuet  a  com- 
mis cette  faute  à  outrance. , , ,  Le  solécisme  est  commis  avec 
une  telle  insistance ,  qu'il  est  permis  de  croire  que  Bossuet 
n'était  pas  bien  fixé  sur  cette  règle  d'usage ,  qu'il  rencontre 
néanmoins  quelquefois,  »(  L  p.  44^0  Non,  Bossuet  n'a  pas  fait 
ici  de  solécisme ,  et  il  parlait  français  autrement  que  par  ren- 
contre et  par  hasard. 

•  Ce  n*est  plus  ces  promptes  saillies  qu'il  savoit  si  vile  et  si  agréable- 
«  ment  réparer.  »  (Or,  f.  du  pr.  de  Condi,) 

Substituez  ce  ne  sont ,  vous  déchirez  l'oreille  :  ce  ne  sont  plus 
ces 

Voltaire  dit  pareillement  : 

«  Les  saints  ont  eu  des  foibles!^;  ce  n  est  pat  leurs  faiblesses  qiron  ré- 
«  vère.  »  (Canotùs,  de  s.  Cucu/h.) 

L'idée  porte  sur  ce  qu'on  révère^  et  non  sur  les  faiblesses  des 

saints. 

£t  Racine  : 

«  Ce  n'est  pas  les  Troyens,  c'est  Hector  qu'on  poursuit.»  {Andnm.) 

L'idée  porte  de  même  ici  non  pas  sur  les  Troyens,  mais  sur 
ce  qu'on  poursuit. 


—  M  — 

Et  comme  après  un  nom  collecdf  au  tinguKer  on  peut 
mettre  le  verbe  au  pluriel ,  par  rapport  à  la  pensée  que  ce 
.singulier  réveille,  de  même  on  peut  mettre  le  verbe  au  ungu- 
lier  à  câté  d'un  substantif  au  pluriel ,  quand  il  y  a  unité  dans 
l'idée. 

Ainsi,  dans  Pourceaugnac,  Molière  a  pu  dire,  et  devait  dire 
en  effet: 

Quatre  ou  cinq  miUe  écus  ut  un  denier  considérable.         (III.  9»} 

Sont  un  denier  eût  été  impropre. 

Par  la  même  raison,  M.  de  Chateaubriand  a  dû  écrire  : 

«  Qui  raeontcn  cet  détaiU  ,st  Je  ne  les  révèle?  Ce  m*est  poi  Ut  /dot* 

Concluons  qu'il  y  a  un  art,  une  délicatesse  de  style  à  choi- 
sir l'une  ou  Pautre  forme,  selon  le  besoin  de  la  pensée  ou  de 
l'harmonie  ;  et  c*est  à  l'usage  qu'il  fait  de  cette  liberté  qu'oQ 
reconnaît  le  bon  écrivain. 

G*^T  A A  (un  iofiaitif),  et  non  pas  de  : 

C*est  aux  gens  nitl  touroéi,  aux  mérites  vulgaireit 

A  brûler  constamment  pour  des  beautés  sévèrea.     (ICfi.  I^.  if) 

C'EST  POUR  (un  infinitif),  cela  mérite  que : 

Certes  ^etî  pour  en  rire,  et  tu  peux  me  le  rendre.     {MéUe.  L  t.) 

—  c'est  pour  (un  infinitif)  que.  ...  : 

Et  c^est  pour  essuyer  de  Irès-fâclieux  moments, 

Que  les  soudains  retours  de  son  âme  inégale.  (^Psyché,  î.  %,) 

Cela  est  fait  pour Cela,  savoir  que 

C'EST  (un  infinitif)  DE  (un  infinitif),  et  non  quê  ie  : 

Cest  m^ honorer  beaucoup  de  'vouloir  que  je  sois  témoin  d'une  entrevue 
ai  agréable.  {Mal.  im.  VL.  5.) 

C'EST  QUE,  par  syllepse,  sans  relation  grammaticale 
avec  ce  qui  précède  : 

Et  afin,  madame  Jourdain,  que  voiif;  puissiez,  avoir  IVsprit  tout  à  fait 
content,  et  que  vous  perdiez  aujourd'hui  toute  ta  jalousie?  que  tous  pour- 
riei  avoir  courue  de  monsieur  votre  mari,  c'est  que  nous  noua  setri- 
rons  du  même  notaire  pour  nous  marier,  madame  et  moi.    (B,  genL  Y.  7.) 


Je  Tak  Tons  dire  une  choie ,  c'est  que  nous  nouA  iera« 
ronSy  etc. 

CEST  TOUT  DIT,  adverbe  ;  c'est  tout  dire,  tout  est 
dit  qpànd  on  a  dit  cela  : 

Il  «st  fort  enfooeé  àm  la  cour,  a  est  tout  Mi: 

La  cour,  comme  Ton  sait,  ne  lient  pas  pour  l*esprit.  {Fem,  savJVX) 

CE  QUI  EST  DE  BON ,  pour  ce  qu'il  y  a  de  bon: 

î>e  mari  oa  le  doute  point  de  la  manigance,  voilà  €$  ^ui  m/  40  à^n. 

(«./>.  La.) 

CE  VOUS  EST,  CE  NOUS  est  : 

En  on  mot ,  ce  vous  est  une  attente  assez  belle 
Que  la  sévérité  du  tuleur  d*l8abelle.  (Êc.  des  mar,  I.  6.) 

Ce  nous  est  une  douce  rente  que  ce  M.  Jourdain,       (Bourg,  gent.  L  i.) 

C'est  ici  le  datif  de  profit  :  c'est  à  vouSy  à  nous 

CHAGRIN  DELICAT,  délicatesse  chagrine  ; 

S'il  faut  que  cela  soit,  ce  sera  seulement  pour  venger  le  public  du  cha- 
grin  délicat  de  certaines  gens.  (P*^/'  ^  ^^  ^'*'^-  ^  tÉc.desfem,) 

CHAISE  pour  chaire: 

Les  savants  ne  sont  bons  que  pour  prêcher  en  chaue. 

{Fmrn,  sa9,  Y.  S.) 

c  Chaise  n'est  point  une  erreur  de  Martine.  Autrefois,  on 
af^lait  ainsi  ce  que  nous  nommons  aujourd'hui  chaire  ;  on  di- 
sait :  une  chaise  de  prédicateur,  de  régent.  Yaugelas  préférait 
en  ce  sens  le  mot  chaise ,  mais  il  n'excluait  pas  le  mot  chaire. 
Ce  dernier  ne  se  dit  plus  que  des  sièges  ordinaires.  »  (M.  Aucer.) 

La  note  de  M.  Auger  est  fort  juste;  mais  il  y  faut  ajouter 
quelques  développements ,  car  ce  point  touche  à  Tune  des  cir~ 
constances  les  plus  singulières  de  l'ancienne  langue  :  c'est 
l'habitude  de  grasseyer  et  de  zézayer.  Jacques  Dubois  (Sylvius) 
et  Charles  Bouille  en  font  le  caractère  du  parler  parisien  au 
XYi^  siècle  ;  mais  je  suis  persuadé  que  la  chose  est  beaucoup 
plut  ancienne  et  plus  générale  ,  au  moins  en  ce  qui  touche  le 
grasseyement.  En  effet,  les  preuves  de  Vr  supprimée,  ou  trans^ 
formée  en  /,  se  rencontrent  partout  dans  les  manuscrits  du 


—  «0  — 

moyen  âge.  \J amure  pour  V armure ,  dans  la  chanson  de  Ro- 
land ;  tfuatier^  mtèbre,  palier,  bone ,  pour  quartier ,  maràre , 
parler^  borne,  dans  le  Roraan  de  la  Rose  ;  asi  pour  arr/  (brûlé), 
dans  les  Rois  ;  coupe  pour  coulpe ,  dans  le  Roman  du  châtelain 
de  Coucy;  mellariy  huiler,  supeltatif^  etc.,  etc.,  dans  des  au- 
teurs de  toutes  provinces  et  des  plus  anciennes  époques. 

«•  Item,  un  estuy  à  corporaulx,  tout  ouvré  àe pelles.» 

{Itivent,  de  la  Ste.-ChapelU,  de  z363.) 

«  Lfs  entrechamps  de  grosses  pelles  fines.  »  {Texte  dt  i336.) 

(Voyez  Du  Cange ,  au  mot  Chaste) 

Bouille  et  Dubois  se  trompent  donc  en  prenant  un  abus 
contemporain  pour  un  abus  moderne.  C*est  une  erreur,  du 
reste,  assez  commune. 

Cette  précaution  prise ,  voici  leur  témoignage  : 

c  Je  ne  veux  point  oublier  ici  un  autre  vice  de  la  pronon- 
ciation parisienne  :  c'est  la  confusion  des  lettres  R  et  S.  Les 
exemples  en  sont  innombrables  ,  tant  en  latin  qu*en  vulgaire. 
Ils  disent  Jeru  Masia ,  pour  Jesu  Maria  ;  misesese,  pour  mise- 
rere;  cosona,  pour  corrt/ia.  Ma  mèsc,  monfrèse^  pour  mère  p 
frère  ;  et  au  rebours ,  courin,  pour  cousin;  de  l'oreille,  pour  de 
roseille.  Et  ils  ne  se  contentent  pas  de  pécher  de  la  sorte  en 
parlant ,  mais  c'est  qu'ils  éciivent  comme  ils  prononcent  ;  et  les 
doctes  même  ont  toutes  les  peines  du  monde  à  se  préserver  de 
cette  mauvaise  habitude,  dont  les  enseignes  des  rues  de  Paris 
rendent  témoignage  à  tous  les  passants ,  car  on  y  lit  :  Au  gril 
cousonné;  à  Testelle  (l'étoile)  cousonnée ,  au  hcuMÎcousonné.  » 
(Devitiis  vulg.  Un  g.,  p.  36.) 

J.  Dubois  est  aussi  explicite  ;  il  ajoute  seulement  cette  re- 
marque ,  que  les  Latins  pratiquaient  la  même  confusion  ,  di- 
sant indifféremment  :  Fuiius,  Falesius^  ou  Furiut,  Valerius  ; 
arbos,  labos ,  ou  arbor ,  labor;  comme  les  Grecs,  Oa^^iv  et 
Ôapoiiv.  [Isagoge  in  litig,  galL,  p.  Sa.) 

De  citthedram ,  la  première  forme  française  a  été  chayère  ou 
kayère ,  d'où  par  resserrement  chaire.  Les  Picards  d'aujour- 
d'hui disent  encore  une  kayelle. 


—  61  — 

Et  chaire,  par  le  zézayement,  est  devenu  chaise^  comme 
hure  était  devenu  huse. 

«  En  la  mesme  fpuille  ont  mis  aussi  la  figure  de  la  divine  infante,  cou- 
«  ronuéeen  royoe  de  France,  comoie  vous,  vous  regardants  huzeà  hu»e 
«  Tun  Tautre  (i).  »  (SaL  Ménippée^  p.  io4>  éd  Cbarp.) 

Nous  avons  repris  la  forme  hure  y  mab  nous  avons  gardé  la 
forme  chaise  y  créée  par  un  abus ,  tout  en  retenant  aussi  la 
forme  primitive  et  légitime  chaire  ;  mais  comme  il  est  convenu 
(|u*il  ne  peut  y  avoir  dans  une  langue  deux  mots  synonymes , 
on  s*est  empressé  d'attacher  à  chacune  de  ces  formes  une 
nuance  de  valeur  différente. 

G>mbien  de  mots  subsistent  honorablement  au  cœur  de  no- 
tre langue',  qui  ne  sont,  comme  le  mot  chaise,  que  des  par- 
venus sans  titres  ?  Par  exemi^e  y  fattxbourg  y  chambellan,  qui 
devraient  être  fors  bourg ,  chatnberlan  ;  et  bien  d'autres! 

(Voyez  sus.) 

CHALEUR  DE ,  empressement  à  : 

Et  que ,  par  la  chaleur  de  montrer  ses  ouvrages  ^ 

On  s*expose  à  jouer  de  mauvais  personnages.  {Mis,  I.  a.) 

— •  CHALEUR  POUR  QUELQUE  CHOSE  : 

La  chaleur  qu*ib  ont  pour  les  intérêts  du  cieL  [J^^éf,  de  TartMtffe,) 

CHAMAILLER  et  se  chamailler  : 

Nous  irons  bien  armés;  et  si  quelqu'un  nous  gronde  > 

Nous  nous  chamailierons 

Moi,  chamailler!  bon  Dieu ,  sui»je  un  Roland,  mon  maître? 

{Dép.  am,  V.  i.) 
Sur  les  verbes  réfléchis  qui  prennent  ou  laissent  le  pronom, 
voyez  AEaiTEa  et  pronom  ekfléchi. 

CHAMP  9  par  métaphore  pour  occasion  : 

Et  i*aigreur  de  la  dame,  à  ces  sortes  d'outrages 
Dont  la  plaint  doucement  le  complaisant  témoin, 
Est  un  champ  à  pousser  les  choses  assez  loin.    {Ec»  des  mar.  I.  6.) 
Le  ressentiment  fournit  Toccasion  de  pousser  les  choses 
assez  loin  ;  Tidée  est  claire ,  mais  la  métaphore  est  incohé- 
rente :  une  aigreur  ne  peut  être  un  champ. 

(f)  Sur  1m  «ndenDC*  monDaÎM  d'Espagne.  Ferdinand  et   Isabellr  sont  repréaeatn 
fNtèfaee. 


—  «2~ 
~  ALLEE.  AUX  CHAMPS ,  aller  à  la  campagne  : 

Yotre  maître  de  musique  est  ailé  aux  cliamps,  et  voilà  ane  | 
qu'il  envoie  à  m  place  pour  vous  moatrer.  (  Jfii/.  bm.  II.  4«) 

CHAMPIONNES,  fémiDin  de  champion  : 

Tous  viennent  sur  mes  pas,  hors  les  deux  clusmpiotme*.  {VEt.  Y»  i5.) 

CHANGE  ;  douic er  pour  ghauoi  a  ,  c'est-à-dire ,  eh 
échange  de: 

C'est  ee  qu'on  peut  donner  pour  êliange 

Au  somge  dont  voiu  me  parles.  {Jmph.  D.  i.) 

CHANGÉ  DE  : 

Tous  me  voyez  bien  changé  dt  ce  quej^étols  ce  matin»    (D.  Juan,  lY.  9.) 
Quantum  mutatus  ab  iUo. 

-—  ghauger  de  HOTE  : 

Je  te  ferai  changer  de  note^  chien  de  philosophe  enragé!   {Mar.for,  8.) 
Changer  de  langage ,  changer  de  ton.  La  Fontaine  a  dit 
changer  de  note  pour  changer  de  tactique  : 

«  Leur  ennemi  changea  de  note, 
«  Sur  la  robe  du  dieu  fil  lomb<*T  une  croUt  : 

•  Le  dieu,  la  secouant,  jeta  les  œufs  à  has.»  {V Aigle  et  tE$cariot,) 

—  CHANGER  UTfE  CHOSE  A  UKE  AUTRE  '. 
CI ,  des  rois  les  plus  grands  m'offrît-on  le  pouvoir, 
Je  «Y  changerais  pas  le  bien  de  vous  avoir.  (Mélicerte,  II.  3.) 
«  Cepeudaiit  l'humble  loit  devient  temple,  et  ses  murs 
«  Cliangent  leur  frêle  enduit  aux  marbres  les  plus  durs.  •» 

(La  Fovt.  Philémon  et  Soucis.) 

•  Peut-être  avant  la  nuit  Theureuse  Bérénice 

«  Cfiange  le  nom  de  reine  mt  nom  d'impératrice.»  (Racuts.  J!r>.1.3.) 

CHANSONS ,  repaItre  quelqu'un  de  chansons  : 

Il  faut  èire,  je  le  confesse, 
D'ttn  esprit  bien  posé,  bien  tranquille,  bien  doux. 
Pour  souffrir  qu'un  valet  de  chansons  me  repaisse,      {AmpK  IL  t.) 

CHANTER  des  Propos  : 

Au  nom  de  Jupiter,  laissez-nous  en  repos. 

Et  ne  nous  c/iantez  plus  et  impertinents  propos,  (VEi,  L  S.) 


—  83  — 

—  CHANTER  MERVEILLE  9  promettre  monts  et  mer- 
Teilles  : 

Nous  tn  tenons,  madame;  et  poîi prétooi l'oreille 

Aux  bons  chiens  de  pendards  qui  nous  chantent  merveille! 

{Dép.am:n.  4.) 

GHABGER  ;  CHARGER  un  courroux  I  y  donner  de 
nouYeauz  motifs  : 

Mon  courroux  n'a  déjà  que  trop  de  violence , 

Sans  U  clmrger  encor  d'une  nouvelle  offense.  (Sgan.  6.) 

—  CHARGER  ^  métaphoriquement ,  en  bonne  part  : 

L'honneur  de  cet  acte  héroïque 
Dont  mon  nom  est  chargé  par  la  rumeur  publique.  (Z>.  Gareie.Y,  5.) 

La  figure  en  ce  sens  ne  paraît  pas  heureuse.  On  dit  cepen- 
dant le  poids  dun  grand  nom;  et  Regnard  a  dit  aussi ,  ironi- 
quement,  il  est  vrai  : 

«  C'est  un  pesant  fiirdeau  qu'avoir  un  gros  mérite.»  (Z>  Joueur,  IL  8.) 

—  CHARGER  LE  DOS  à  quelqu*un ,  le  battre  : 

Tous  n'avez  pas  chargé  son  dos  avec  outrance  ?  (VEt.  UI.  40 

—  CHARGER  quelqu'un  ,  courir  sor  lui  pour  le  battre  : 

▲LAIV. 

•  .,  ^  quelque  affamé  venoit  pour  en  manger^ 

Tu  serois  en  colère  et  voudrais  le  charger,  ^  (Ec.  des/em.  II.  3.) 

Je  veux 


Que  toas  deux  à  Tenvi  vous  Ine  chargiez  ce  traître,    {IbU.  lY.  9.) 

—  CHARGER  SUR  QUEtQU'tm  : 

D'abord  il  a  si  bien  chargé  sur  les  recors . . .  {VEt,  T.  i.) 

Molière  s*en  est  servi  pareillement  au  sens  figuré  : 

Sur  mon  inquiétude  ÏU  viennent  tous  charger,  (Jn^,  HI.  i.) 

CHARITÉS ,  par  antiphrase ,  imputations  médisan- 
tes on  calomnieuses;  prêter  des  charités  a  quel- 

QO'UH  : 

Une  de  ces  personnes  qui  prêtent  doucement^  des  charités  i  tout  le 
■onde,  dé  cek  femmes  qui  donnent  toujours  le  petit  coup  de  langue  en 

|MMM*  \MumffWhpùt»  tuj 


—  64  — 

—  CHAKITÉ  SOPHISTIQUÉE  : 

Ces  faux  monnoyeiirs  en  dévot  iou,  qui  veulent  attraper  les  hommef  atec 
un  zèle  contrefait  et  une  charité  sopAûiiquée.  (t^  Plmeet  au  roi.) 

CHAT,  ACHETER  CHAT  ES  POCHE  : 

Vouft  éles-vous  mis  en  tète  que  Léonard  de  Pourceaugnac  soit  homne  à 
aelteler  cfiat  en  poche..,.  ?  (Pourc.  IL  7.) 

Acheter  un  chat  dans  la  poche  du  marchand,  acquérir  un 
objet  sans  Texarainer. 

t  Elles  (les  GUes  qui  se  marient)  acheptent  chat  en  tac.  •>  (Mort.  IIL  5.) 

CHATOUILLANT  (adj.  verbal),  au  sens  figuré  : 

.  .  .  Par  de  chatouiUûntes  approbations  vous  régaler  de  votre  travail. 

(B.  gent.  I.  I.) 

—  CHATOUILLER  UNE  AME  : 

J*aime  à  te  voir  presser  cet  aveu  de  ma  flamme  : 

Combattant  mes  rai.nons,  tu  chatouilles  mon  âme.    {Pr.  itEi.  1.  x.) 

Racine  a  dit  dans  le  style  noble  chatouiller  un  cœur  : 

•  Ces  noms  de  roi  des  rois  et  de  chef  de  la  Grèce 
«  Chatouilloient  de  mon  coutr  Torgueilleuse  foiblesse.  » 

{iplùgémê.  I.  I.) 
La  Fontaine  emploie  ckatonilter  sans  complément  : 

«  Sa  sœur  se  croyant  déjà  entre  les  bras  de  Tamour,  chatouillée  de  oe 
témoignage  de  sou  mérite. ...»  (Psyclié^  livre  U.) 

—  CHAUDE,  L^AvoiR  CHAUDE ,  avec  Tellipse  du  mot 
alerte  ou  alarme  : 

Mon  front  l'a,  sur  mou  âme,  eu  bien  chaude  pourtant.  {Sgatu  sa.) 

CHAUSSÉ  d'une  opinion  (être)  : 

Cho&e  étrange  de  voir  comme  avec  passion 

Un  chacun  est  chaussé  de  son  opinion.  ^£c.  des /cm,  ht.) 

CHER ,  précieux  : 

Et  la  plus  glorieuse  (estime)  a  des  régals  peu  chers.         {Mis.hu) 

Oiez-moi  votre  amour,  et  portez  à  quelque  autre 

Les  hommages  d'un  cœur  aussi  cher  que  le  vôtre.  (Fem.  sap.  Y.  x.) 

Ce  n'est  pas  à  dire  un  cœur  si  c/iéri,  mais  de  si  haut  prix. 

Comme  on  chérit  ce  qui  est  précieux,  il  est  clair  que,  dans 

bien  des  cas,  les  deux  nuances  se  confondent^  mais  il  en  est 


—  65  — 

d*autres  aussi  oii  elles  sont  bien  distinctes.  Par  exemple  :  iles 
régals  peu  chers  y  un  cœur  aussi  cher  que  le  vôtre.  Cher  ici  ne 
si^ifie  que  précieux;  car  Henriette  ne  chérit  pas  le  cœur  de 
Trissotin,  non  plus  que  Phèdre  ne  chérit  la  tête  de  Thésée. 

Tenir  cher,  dans  la  vieille  langue/apprécier,  estimer  à  haut 
prix.  Les  gens  de  Nevers,  quand  leur  duc  Gérard  les  a  quittés, 
ne  tiendront  plus  rien  cher,  ni  le  son  de  la  musique,  ni  le  ra- 
mage des  oiseaux  : 

••  Son  de  oote ,  ue  cri  d'oisiel , 

«  N'ierent  mais  cbaiens  chier  tenu,  »  (La  FioUtte.  p.  71.) 

L'italien  emploie  de  même  caro  :  questo  m 'è  caro  /  quanto  mè 
euro  I 

CHERCHER  DE  (un  infinitif),  chercher  à  : 

Vous  ne  trouverez  pas  étrange  que  nous  dierclùons  d'en  prendre  ven» 
ffeance.  (/).  Juan,  III.  4.) 

Mohére,  conloruiément  au  génie  de  la  vieille  langue,  évite 
l'hiatus  avec  un  soin  extrême  ;  c'est  pourquoi  il  remplace  sou- 
vent à  par  rie  :  commencer  de  pour  commencer  à  ;  cherclier  de, 
obliger  de,  etc . .  .  J  en  prendre  révolterait  l'oreille. 

(  Voye»  DK,  remplaçant  à  entre  deux  verbes.) 

CHÈRE,  FAIRE  BOTïTiE  CHERE,  dans  le  sens  d'un 
traiteur  qui  fait  une  bonne  cuisine ,  chez  qui  Ton  fait 
bonne  chère  : 

Comment  appelez-vous  ce  traiteur  de  Limoges  qui  fait  si  bomte  citère? 

(Pourc.  I.  6.) 

Citère  est  l'italien  ciera,  visage.  Il  s'est  pris  par  extension 
pour  une  nourriture  abondante  et  rechercbée,  parce  qu'une 
telle  nourriture  procure  un  l)on  visage.  C'est  dans  ce  sens  que 
le  traiteur  de  Làmo^es  faisait  une  bonne  chère  à  ses  habitués  ; 
mais  il  est  important  de  retenir  l'étymologie  du  mot  chère, 
pour  comprendre  l'ancienne  acception  figurée  qui  se  trouve 
dans  la  Fontaine  :  /aire  bonne  chère  à  quelqu'un^  lui  faire  bon 
accueil ,  bonne  mine.  Chère  d'homme  fait  vertu ,  dit  un  vieux 
proverbe  ;  c'est  face  d'homme. 

CHEVILLES  : 

Je  ne  vous  parle  poiut ,  pour  devoir  en  distraire. 
Du  don  de  tout  son  bien,  qu'il  venoit  de  vous  ftire.(Tari,  V.  7.} 

5 


—  «6  — 

Pour  devoir  en  diUraire  ^  signifie  probablement  pour  avoir 
dû  Vous  détourner  d'une  telle  action.  Il  serait  dilBcile  d'être 
plus  obscur.  Ce  passage,  et  bien  d'autres,  font  voir  que  Molière 
suivait  en  versifiant  la  méthode  de  Boileau ,  de  commencer  par 
le  second  vers,  et  d'y  renfermer  toute  l'énergie  de  la  pensée 
dans  les  tenues  les  plus  propres.  Le  premier  se  faisait  ensuite 
du  mieux  qu'on  pouvait,  ajusté  sur  le  second.  Molière  a  dû, 
comme  Virgile,  laisser  souvent  des  hémistiches  vides,  qu'il 
rempUssait  à  la  hâte  au  dernier  moment. 

Quoi!  vous  ne  pouvez  pas,  voyant  comme  on  vous  nomme , 
Vous  râoudre  une  foif  à  vouloir  être  un  bonioM?  (fem,  Mr.  II.  8.) 

Le  second  vers,  ferme,  conipacte,  énergique ,  était  certaine- 
ment fait  avant  le  premier.  Foyant  comme  on  vous  nomme 
n'est  que  la  paraphrase  ailaibUe  et  peu  claire  du  mot  être  un 
homme. 

Pour  moi ,  je  ne  tiens  pas 

Que  la  science  soit  pour  gâter  quelque  chose.  {Ihiâ.  HT.  S.) 

Voilà  la  pensée  complète,  comme  elle  s'est  présentée  à  Mo- 
lière. Mais  il  a  fallu  remplir  l'hémistiche  : 

Pour  moi ,  je  ne  tiens  pas ,  quelque  effet  qiCon  suppose ,  etc. 

Plus  loin  : 

Et  c'est  mon  sentiment  que 

La  science  est  sujeUe  à  faire  de  grands  sots  ! 

Quelle  petite  phrase  incidente  remplira  le  premier  hémis- 
tiche en  faits  comme  en  propos  ? 

El  c'est  mon  sentiment  qu  en  faits  comme  en  propos  ^ 

La  science  est  sujetle  à  faire  de  grands  sols.  (Ibid,  IV.  3.) 

CHEVIR  DE. ...  : 

te.  Dimanche.  —  Nous  ne  saurions  en  chtvir,  (D,  Juan,  IV.  3.) 

La  racine  de  ce  vieux  mot  est  chef  que  l'on  prononçait  ché, 

comme  clej  se  prononce  encore  c/^  (i)  ;  ainsi  chevirde, . . .  •, 

c'est  être  chd*  ou  maîtie  de 

La  même  racine  est  celle  du  vieux  mot  chepestre,  Ikoa, 

capistrum  ;  d'où  il  nous  reste  enchevêtré ,  qui  a  le  chef  pris. 

(i)  Du  miimioiu  dm  tMt^.fr,^  p.  46t  47< 


-  «7  - 
CU£VB£,  pskudbe  la  cbèvbe,  pour  s'alarmer ,  $$ 
fMm: 

D'ua  niri  sur  ce  point  j'approuve  le  souci  ; 

Mais  c*est  prendre  la  chèvre  un  peu  bien  vite  aussi.      (Sgtu^  %%*) 
Nicole.  Notre  accueil  de  ce  matin  Ta  fait  prendre  la  chèvre, 

{B.  gmt.  m.  10.) 
On  dit,  par  une  figure  analogue,  prendre  la  mouche, 
(Voyez  MOUCHE.) 

CHOISIR  DE. . .  (un  infinitif)  : 

C/uHsis  d* épouser^  dans  quatre  jours,  ou  monsieur  ou  un  couvent. 

{Mal,  im,  U.  8.) 

CHOIX  (LE)  DE. . . ,  le  choix  entre  : 

Le  clioix  d'elle  et  de  nous  est  assez  inégal.  {Mélicerte,  I.  5.) 

Le  choix  entre  elle  et  nous. 

CHOQUER ,  V.  act. ,  avec  un  nom  de  chose ,  contra- 
rier, contredire  : 

Vous  prétendez  choquer  ce  que  j'ai  résolu?  (Sgan,  z.) 

Ce  desa^in,  don  Juaa,  Hé  c/wque  point  ce  quey'tf  dis.   (Dan  Jusut,  Y.  3.) 

CHOSE  ÉTRAUGE  DE  (un  infinitif)  : 

Chose  étrange  de  voir  comme  avec  passion 

Un  chacun  est  chaussé  de  son  opinion  !  (£c,  des  fem.  I.  i.) 

De  est  pour  que  de  :  Chose  étrange  que  de  voir 

Chose  étrange  d* aimer!.,,  {lèld.  V.  4.) 

CHRÉTIEN,  PARLER  CHRETIEN  : 

Il  IwX  parler  chrétien,  si  vous  voulez  que  je  vous  entende. 

{Préc,  rid.  7.) 

Parler  chrétien  ,  c* est  parler  le  chrétien  ,  vomme  parler  turc, 
parler  français  y  c' e$t  parler  le  français ,  le  turc,  Parief  oltt*é- 
tiennement,  c'est  tout  autre  chose  :  on  peut  parler  chrétien , 
c'est-^-dire  la  langue  des  chrétiens,  sans  parler  chrétienne- 
ment, en  chrétien,  avec  des  sentiments  chrétiens. 

CHROMATIQUE,  substantif  féminin  : 

l\  y  à  de  la  cliromatique  la-dedans.  (Préc,  rid.  10.) 

U  parait  très-raisonnable  de  dire  la  chromatique ,  comme 

5. 


—  68  — 

on  dit  la  rhétorique  au  féminin.  On  disait  autrefois  lama- 
ttiémathjucy  et  les  Italiens  le  disent  encoi*e  :  la  matematicm.  Ce 
sont  autant  d'adjectifs  devant  lesquels  on  sous*entend,  comme 
en  grec,  d'où  ils  sont  rires,  le  moi  science^  ir/yrt, 

CLARTÉ,  flambeau: 

Monsieur  le  commiitaire , 
Votre  présence  en  rot>e  est  ici  nécessaire: 
Suivez-moi,  s*il  vous  pUit,  avec  votre  clarté.    {£c,  des  mar,  III.  5.) 

—  RECEVOIR  LA  CLARTE ,  naître  : 

Mais  où  vous  a*t-il  dit  qu'il  rrcut  la  clarté.^  [VEt.  IV.  3.) 

—  CLARTÉS ,  renseignements  ,  éclaircissements  : 

Et  j*ai  vécu  depui»,  sans  que  de  ma  maison 

J*eusse  d'autres  clartés  que  d'en  savoir  le  nom.         {Ibid,  V.  14.) 

Et  je  prétends  me  faire  i  tous  si  bien  connoUre, 

Qu*aux  pressantes  clartés  de  ce  que  je  puis  être 

Lui-même  soit  d*acoord  du  sang  qui  m*a  fait  naître.  (Amph,  UL  5.; 

Le  void , 
Pour  donner  devant  toua  les  clartés  qu*on  désire.        {tkid,  IIL  9.) 
Don  Louis  du  secret  a  toutes  les  clartés.  (D.  Garcia,  Y.  5.) 

Mais  CCS  douces  clartés  d'un  secret  favorable 
Vers  l'objet  adoré  me  découvrent  coupable.  {Ibid.  Y.  6.) 

—  CLARTES ,  lumières ,  au  sens  moral  : 

Aspirez  aux  clartés  qui  sont  dans  la  famille.         (Fem.  sav.  I.  i.) 

Je  contiens  qu*une  femme  ait  des  clartés  de  tout.  {!bid.  I.  3.) 

On  eu  attend  beaucoup  de  vos  vives  clartés  y 

Et  pour  vous  la  nature  a  peu  d'obscurités.  {Ibid,  III.  9.) 

CŒUR  BOIN,  AVOIR  LE  COEUR  BO.N.   Voy.  BOH. 

COIFFER  (se)  le  cerveau,  s*enivrer: 

Quel  est  le  cabaret  bonnéte 

Où  tu  Ces  coiffé  le  cerveau?  {Amph,  III.  a.) 

—  COIFFER  (se)  de,  au  sens  figuré ,  s  entêter  de  : 

Faul-il  de  ses  appas  nCétre  si  fort  coiffe!        {Ec,  des  fem.  III.  5.) 

COIX  ,  TEWIR  SON  COIN  PARMI.  ...  : 

Il  peu!  tenir  son  coin  parmi  les  beaux  esprits.        FenK  sav,  III.  5.) 


COLLET-MONTË,  antique ,  suranné  comme  la  mode 
des  coUets  montés  : 

Il  est  Trai  qtie  le  mot  est  bien  col/et-moute,  {Fem,  sav.  II.  7.) 

Molière  souligne  cette  façon  de  parler,  pour  en  faire  sentir 
l'afTectation  ridicule. 

COLORÉ,  EXCUSES  colorées: 

Tous  noiis  payet  ici  à^ excuses  colorées,  {Tari,  IV.  i.) 

(Voyez  couLEua,  métaphoriquement.) 
COMBLÉ;  un  cabrosse  comblé  de  laquais  : 

Quand  un  carrosse ,  fait  de  superbe  manière , 

Et  comblé  de  laquais  et  de\'aiit  et  derrière...  (  Fàclteur,  L  i.) 

COMÉDIE ,  dans  le  sens  général  de  représentation 
dramatique: 

Et  j*ai  maudit  cent  fois  cette  innoceiiie  envie 

Qui  m'a  pris,  i  dîner,  de  voir  la  comédie,  (Fde/ieux,  I.  1.) 

Le  père  Bouhours  fait  une  remarque  pour  établir  le  sens 
général  de  ce  mot,  et  qu'on  doit  dire  ailtfr  à  la  comédie,  tes  co- 
médies  de  M,  Corneille^  les  comédies  de  M.  Racine;  après  quoi 
il  introduit  cette  exception  assez  singulière  :  a  II  n*y  a  qu'une 
occasion  où  Ton  doit  se  servir  du  mot  tragédie^  c'est  quand  on 
parle  des  pièces  de  théâtre  qui  se  représentent  dans  les  collèges. 
Ce  seroit  mal  dit  :  Tai  esté  à  la  comédie  du  collège  de  Cler- 
mont;  il  faut  dire  à  la  tragédie,  » 

[Remarques  noupelles^  p.  93.) 

Le  collège  de  Clermoiit  était  dirigé  par  les  jésuites  ;  c'est 
probablement  l'unique  motif  de  l'exception  du  père  Bouhours^ 
jésuite. 

COMME,  lié  à  un  adjectif,  en  qualité  de;  gomme 
curieux  : 

...  Ce  gentilhomme  françois  qui ,  comme  curieux  d'obliger  les  honnétei 
gens,  a  bien  voulu,  etc..  (Sicilien,  it.) 

Latinisme  :  Utpote  curiosus, 

—  COMME  SAGE  : 

Comme  sage , 
J*ai  pesé  mûrement  toutes  choses.  (Tart,  II.  9.  ) 

Comme  un  homme  sage,  en  homme  sage  que  je  suis.  ^ 


—  comas,  pour  comment  : 

Les  auteurs  de  traités  des  synonymes ^  s^engageant  à  décou- 
vrir partout  des  difTérences  ou  des  nuances  de  valeur,  n'ont 
pas  manqué  d*en  signaler  entre  comme  et  comment  :  «L'un  est 
objectif  ou  relatif  à  Tefiet  ;  Tautre  est  subjectif  ou  relatif  à  l'ac- 
tion  Dans  les  Provinciales ,  Pascal,  ayant  rapporté  en 

propres  termes  certaines  opinions  de  Jansénius,  ajoute:  «Voilà 
a  comme  il  parle  sur  tous  ces  chefs,  ^  c'est-A-dire,  voilà  de  quelle 
sorte  sont  ses  paroles.  Kt ,  quelques  lignes  plus  loin ,  il  écrit  : 
a  Voilà  comment  agissent  ceux  qui  n'en  veulent  qu'aux  er- 
0  reurs.  »  Comment  et  non  pas  comme,  parce  qu'il  s'agit  ici  d'un 
ffdl;,  et  non  d'une  chose(i).  »  Je  ne  compr^ds  rienje  l'âvpoe,  à 
cette  distinction  subtile.  Ce  qui  parait  beaucoup  plu*  clair^ 
c'est  que  ni  Molière ,  ni  Pascal ,  ne  mettaient  aucune  diffé- 
rence entre  comme  et  comment  (a).  Sans  davantage  m'ar- 
réter  à  discuter  la  théorie  de  M.  Lafaye,  je  vais  rapporter  les 
exemples  de  Molière ,  laissant  à  d'autres  le  soin  d'y  i-econiuitre 
\fi  subjectif  ou  l'objectif  : 

Qui  lait  e^mm9  en  m»  mains  ee  portrait  est  venu  P  {Sgtm,  6.) 

Non ,  mais  vous  a-t-on  dit  comme  on  le  nomme?  —  Enrique. 

(Re,  des  fem.  h  6.) 

CammM  est-ce  qne  chez  moi  s*est  introduit  cel  homme?  (/^.  II.  »^ 

Je  ne  comprends  point  comme,  après  tant  d'amour  et  tant  d^impalienot 

témoignée, il  aurait  le  cosur  de  pouvoir  manquer  à  sa  parole.  (D.  Juan.l.  i.) 

Pela  te  peut -il  souffrir  à  un  homme  comme  vous,  qui  savez  comme  il 

faut  ^i\Te?  {Ihid.  IV.  7.) 

DUBOIS. 

. . .  Attendez!...  comme  est-ce  qu*il  s*appclleP  {Mis,  IV.  4*) 

J*ai  peine  à  roncevoir,  tant  ma  surprise  est  forte, 
Comme  un  tel  iils  est  né  d'un  père  de  la  sorte.  (Me'ticerle,  I.  2.} 

Qu'est-ce  qu'on  fait  céans?  co/nrwcesl-ce  qu'on  s'y  porte  ?{Tart.  1. 5.) 
Oui,  il  faut  qu'une  fille  obéisse  à  son  père;  il  ne  faut  point  qu'elle  re- 
garde comme  un  mari  est  fait.  {VAv.  I.  9.) 


(i)  S/nonjrmff  français,  par  M.  B.  Lafaye  ,  p.  600. 

(s)  La  forme  comme  (cume)  »e  rencontre  tcale  dans  les  Rois,  Comment  est  po)téric«r» 
ri  aura  été  formé  pour  l'euphonie. 


—  71  — 

Je  rais  bien  aise  d'apprendre  mmme  on  parie  de  mei.  {^'49.  m.  5.) 
Voilà ,  mon  gendre ,  comme  il  faut  pousser  les  choses.  (G.  D,  I.  8.) 
J'ai  en  main  de  quoi  vous  faire  voir  emnmé  elle  in*accommode. 

(Jbid,  IL  9) 

Voilà  un  de  mes  étonnements,  comme  il  est  possible  qu'il  y  ait  des  four- 

l>«s  comme  cela  dans  le  monde.  (Pourc.  II.  4.) 

Qu'importe  comme  ils  parient,  pourvu  qu'ils  me  disent  ce  que  je  veux 

savoir?  {Ibid.U.  i^.) 

Là,  voyons  un  peu  comme  tous  ferez.  {Ibid,  III.  a.) 

Jamais  il  n'a  été  en  ma  puissance  de  concevoir  comme  on  trouve  écrit 

dans  le  ciel  jusqu'aux  plus  petites  particularités  de  la  fortune  du  moindre 

des  hoiniies.  (Am,  mag,  IIT.  f  ^ 

—  ÊTRE  EN  PEINE  GOBIME  IL   FAUT  FAIRE  ,    en   peine 

de  savoir  comment  il  faut  faire  : 

On  tC  est  pas  en  peine  sans  doute  comme  il  faut  faire  pour  vous  louer. 

{Êp,  dédie,  de  t École  des  fem^ 
(Voyez  COMMENT.) 

—  COMME ,  combien  : 

Vous  ne  sauriez  croire  comme  elle  est  affolée  de  ce  Léandre  ! 

{Méd.  m,  lui.  III.  7.) 

—  GOMMS. ...  ET  QUE.  .  •  : 

Comme  vous  êtes  un  fort  galant  homme ,  et  que  vous  savex  comme  il 
fant  vivre {Mar,  for,  ^.) 

Prince,  cohiitm;  jusqu'ici  nous  avons  fait  paroilre  une  conformité  de  sen- 
timents, et  que  le  ciel  a  semblé  mettre  eu  nous,  etc.  (Pr.  d'El.  lY.  x.) 

«  Comme  elle  possédoit  son  affection....  et  que  son  heureuse  fécondité 
•  redoubloit  tous  les  jours  les  sacrés  liens...  » 

(BossuET.  Or,  fun,  d^Uenr.  d'A.) 

■  Comme  c'est  la  vocation  qui  nous  inspire  la  îoi^et  que  c'est  la  persévé- 
«  rance  qui  nous  transmet  à  la  gloire....  »      (In.  Or,  fun.  de  la  duch.  d'Orl,) 

^  Comme  il  fut  sorti  de  Delphes,  et  que  il  eut  pris  le  chemin  de  la 
«  Phocide »  (La^Fontaiite,  Fie  d'Ésope.) 

—  GOMME  poar  que;  s'étonner  comme.  . . 

Je  m'étonne  comme  le  ciel  les  a  pu  souffrir  si  longtenp*. 

(D.Juan,  Y.  x.) 

(Voyesi  AOMIESR  govm^.) 


—  72  — 
—  TOUT  œMME ,  adverbialement 

Ceft  justement  tout 


La  femme  est  eo  effet  le  potage  de  Thonme.     {Ee,  éeifem.  II.  3.) 

COMMENCER  DE  : 

Et  déjà  mon  rival  commencé  de  paroitre,  (D.  Garde,  Y.  3.) 


Et  veuille  qiie  ce  frère ,  où  loii  va m*exposer. 

Commence  et  être  roi  par  me  tyranniser.  (J6id,  V.  SJ) 

L*amour  a  commencé  eTen  déchirer  le  voile.      (£c,  des/em,  TU,  4.) 
Commencer  h  paraît  avoir  été  la  foniie  primitive  ;  c*est  celle 
qu'emploie  le  plus  ancien  monmnent  connu  de  notre  langue  : 
«  Saul  estoil  fis  d*uu  an ,  quand  il  comencad  a  régner.  »      {fiais,  p.  4i-) 
Bfais  plus  tard, quand  le  d  euphonique  fut  tombé,  par  l'in- 
fluence de  la  langue  éciîte  sur  la  langue  parlée ,  le  soin  de 
l'euphonie  suggéra  d'é\'iter  l'hiatus,  en  construisant  aussi  avec 
«U  tons  ces  verbes  qui  se  construisaient  déjà  avec  h^ 
(  Voyez  DE  remplaçant  à  enti-e  deux  verbes.) 

COMMENT ,  comme ,  à  quel  point  : 

Vous  ne  sauriez  croire  comment  Terreur  &*est  répandue,  et  de  qocUe 
fiçon  chacun  s*est  endiablé  à  me  croire  médecin!  (Méd,  m.  iui,  III.  t.) 

Comment^  c'est-à-dire,  à  quel  point  Terreur  s'est  répandue. 
(Voyez  COMME.) 

COMMERCE ,  AVOIR  œMMERCE  chez  QUELQU'UIf  : 
....  Cette  marquise  agréable  cliez  qui/ai'ois  commerce.  (B.  Cent,  m.  6.) 

COMMETTRE  a  quelqu'un  ,  lui  confier  : 

Ce  pauvre  maître  Albert  a  lieaucoup  de  mérite 

D*avoir  depuu  Bologne  accompagné  ce  fils, 

Qu'à  sa  discrétion  vos  soins  avoient  commis.  (CEu  IV.  3.) 

Alloni ,  sans  crainte  aucune , 
A  la  fin  d'un  amant  commettre  ma  fortune.    (Ec.  des  marAll.  i.) 

«  Un  voleur  se  hasarde 
«  D'enlever  le  dépôt  commis  aux  soins  du  garde.  » 

(La  Forr.  La  Mtatrone  d'Épuisé.) 

-.  COMMETTBE  QUELQU*UIf  A  UN  SOIT9  : 

'    Je  vous  commets  au  soin  de  nettoyer  partout.  (VJ4^f.  in.  x.) 

Allons«ro}iime//re  un  autre  au  soin  que  ton  me  donne»  (Fem^sop,  L  5.) 


Le  subfttandf  commis  n'est  autre  chose  que  le  participe 
passé  de  ce  verbe,  et  se  construit  de  même  avec  le  dadf  :  un 
*  commis  aux  aides,  commis  à  la  douane. 

—  GOMUETTRE  (se)  d£.  . . .  86  coufier  relativement  à: 

Agnès ,  dit  Horace , 

N*4i  pliu  Toiilu  songer  à  retourner  chez  soi , 

Et  de  tout  son  destin  s* est  commise  à  ma  foi.  (Ec ,  desJem.Y,  t.) 

De  est  ici  le  de  latin . 
COMPAGNONS,  pour  confrères  : 

LE   HOTAIRB. 

Moi  !  si  j'allois ,  madame ,  accorder  vos  demandes , 

Je  me  ferois  siffler  de  tous  mes  compagnons,        (Fem,  sav.  V.  3.) 

COMPAS  ;  REGLE  PAB  COMPAS  : 

Si  le  chef  n'est  pas  bien  d'accord  avec  la  tète, 

Que  tout  ne  soit  pas  bien  réglé  pur  ses  compas,  (Dép,  am,  IT.  t.) 

COMPASSEB  ,  verbe  actif  ,   mesurer  au  compas , 
c'est-à-dire,  examiner  à  la  rigueur  : 

Et  quant  i  moi  je  trouve,  ayant  tout  compassé, 

Qu'il  Taut  mieux  être  eocor  cocu  que  trépassé.  {Sgom,  ju) 

COMPATI»  AVEC ,  être  compatible  avec  : 

L*engagement  ne  compatit  point  avec  mon  humeur,        (D.  Juan.  III.  S.) 

COMPÉTITER  : 

OROS'RENK. 

On  voit  une  tempête ,  en  forme  de  bourrasque , 

Qui  vent  compétiter  par  de  certains...  propos...  {Dép,  am,  IV,  t.) 

Furetière  et  Trévoux  ne  donnent  que  compétiteur.  Il  y  a 
grande  apparence  que  compétiter  est  for^é  par  Gros- René  d'a- 
près ce  substantif.  On  dit ,  en  termes  de  droit,  compéter,  mais 
\  dans  une  autre  acception  que  compétiter. 

COMPIAISANTA....: 

....  Yos  désirs  lui  seront  complaisants 
Jusqnes  i  lai  laiiser  et  mouches  et  rubans?    {Rc,  des  mar,  L  t.) 
^  Mais,  au  moins,  sois  complaisante  aux  civilités  qu^on  te  rend. 

(Pr.  if  El,  n.  4.) 


—  74  — 
COMPLEXION  ;  troc  de  ooimcxioH  AiioiTBsroB. . . 

Ah,  ah!  vous  êtes  donc  de  complexîon  amoureuse?         {Poure.  II.  4*) 

COMPLIMENT;  etbe  sAivsœMPLnfENT,  sansfaçoo: 

Non,  m*a-t-il  répondu  ,yV  suis  sans  compliment ^ 

Et  j'y  vais  pour  causer  avec  toi  seulement.  {féchmim,  I.  x.) 

—  Devoir  à  quelqu'un  un  compliment  de  quelque 
chose,  c^est- à-dire,  la  politesse  de  lui  en  donner  avis: 

On  vous  en  dévoie  bien  au  moins  un  compliment,  (Fetn.  êo»,  lY.  i.) 

COMPOSER  (se)  pab  étude  : 

Là,  tâchez  de  vous  composer  par  étude;  un  peu  de  hardiesse, et  songez 
à  répondre  résolument  sur  tout  ce  qu'il  pourra  tous  dir«.    {3e&pin.  I.  4.) 

CONCERT  DE  MUSIQUE: 

Il  faut  qu'une  personne  comme  vous...  ait  un  concert  de  musitfue  chez 
soi  tous  les  mercredis  ou  tous  les  jeudis.  (B,  g«nt,  II.  i.) 

M.  Auger  blâme  cette  expression,  comme  redondante.  Il  est 
vrai  qu'aujourd'hui  Ton  a  restreint  le  mot  conceri  à  rignifier 
concert  de  musique ,  mais  ce  n'est  pas  l'acception  esientieUe  du 
mot  ;  la  preuve  en  est  qu*on  dit  également  bien  un  concert  de 
louanges,  un  concert  d*intrigues.  Concerter  ne  t'applique  pas 
exclusivement  à  la  musique,  et  déconcerter  ne  s'y  applique  pas 
du  tout. 

Tout  le  XVII*  siècle  a  dit  concert  de  musique, 

CONCERTÉ ,  en  parlant  d  un  seul ,  par  exemple ,  du 
ciel: 

Une  aTenture , />ar  le  ciel  concertée ,  me  fit  voir  la  charmante  Élise. 

{VA¥.  Y.  5.) 
Concertée  veut  dire  simplement  ici  préparée. 

CONCLURE  DE,  suivi  d'un  infinitif: 

El  nous  conclûmes  tous  d*attac/ier  nos  efforts 

Sur  un  cerf  que  chacun  nous  disoit  cerf  dix  cors.  (Pdclteujf,  II.  7.) 

(Voyez  DE  remplaçant/?  entre  deux  verbes.) 
CONCURRENCE;  bonheur  qui  est  en  concuhrence: 

Grâce  à  Dieu,  mon  bonheur  n^ est  plus  en  concurrencé, 

(Ec,  desfem,  V.  3.) 


—  76  — 

En  eflfet,  Tamour  d'Horace  n'a  pins  à  craindre  de  concur- 
rent, puisque  Agnès  s'est  enfuie  du  logis  d'Amolphe,  pour  se 
mettre  smis  sa  protection. 

COXDAMXER  DUîî  GRIME,  c est-à-dire,  pour  un 
crime,  à  cause  d*un  crime  ;  latinisme,  damnare  de...  : 

Ne  me  condamiuz  point  d'nn  deuil  hors  de  laiioo.         {Sgan.  lo.) 

Je  Tenx  que  vous  puissiei  tin  peu  l'examiner, 

Et  voir  tidemon  dioix  Ton  peut  me  condamner.  (Ecdesftm.!,  i.) 

L erreur  trop  loiigtempi  dure, 
Et  c'est  trop  condamner  ma  bouclte  d'imposture,        (Tart,  II.  3^ 

Ce.st  trop  me  pousser  là-dessus, 
Et  ai  infidélité  me  voir  trop  condamnée,  (jimpft,  IL  a.) 

Loin  de  te  condamner  ttun  si  perfide  traita 
Tu  m'en  fais  éclater  la  joie  en  ton  visage.  (  I6id,  U,  3.  ) 

Pascal  a  dit  de  morne  blâmer  de  : 

«iVr  blâmez  donc  pas  de  fausseté  ceux  qui  ont  prit  un  choix,  car  vous 
«  n'en  savez  ricu.  »  {Pensées,  p.  a6a.) 

(Voyez  DE  dans  tous  les  sens  du  latin  de,) 

CONDITIONIVELS  :  deux  conditionnels ,  le  second 
commandé  par  le  premier  : 

Pour  moi  ^faurois  toutes  les  hontes  du  monde,  s'il  falloit  qu'on  vint  à 
me  demauder  si  /aurais  vu  quelque  chose  de  nouveau  que  je  n'anrois 
pas  vu.  {Préc,  rid,  lo.) 

Nous  dirions  aujourd'hui,  si  J'ai  vu;  mais  on  suivait  alors 
pour  les  conditionnels  une  certaine  loi  de  symétide  qui  s'ap- 
pliquait aussi  aux  futurs.  (  Voyez  futubs.  ] 

S'il  falloit  qn'il  en  vint  quelque  chose  à  ses  oreilles ,  je  dirois  hautement 
que  tu  en  aurais  menti,  {D,  Juan,  !•  x.) 

Je  leur  disois  que  si  quelqu'un  leur  venoit  dire  du  mal  de  vous,  elles 
se  gardassent  hieu  de  le  croire,  et  ne  manquassent  pas  de  lui  dire  qu'i7«/i 
aurvit  menii.  (Ihid,  II.  7.) 

Je  croirais  que  la  conquête  d'un  tel  cœur  ne  serait  pas  une  victoire  à 
dédaigner.  (Pr.d'Ei.  ÏV,  3,) 

Si  je  n'étois  sûre  que  ma  mère  étoit  honnête  femme,  Je  dirois  qne  ce 
serait  quelque  petit  frère  qu'elle  m'aurait  douué  depuis  le  trépas  de  mon 
père.  (ilfa/.  im.IU.8.) 


—  7«  - 

L'usage  actuel  mettrait  :  Je  dirais  que  c'est  qudque  pedt 
frère  qu'elle  m^a  donne ,  etc» 

La  Fortune  dit  u  l'enfant  qu'elle  trouve  endomii  sur  le  re- 
bord d'un  puits  : 

«  Sus,  badin, levez-vous.  Si  vous  tombiez  dedans, 
«  De  douleur,  vos  parents,  comme  vous  imprudents, 
«  Cro)ant  en  leur  esprit  que  de  tout  je  dis|M>se, 
•  Diroient,  en  me  blàmaut,  que  j'en  seroit  la  eause.  » 

(RiairuiR.aal.XIT.) 

Cette  symétrie,  empruntée  du  latin ,  était,  dans  rancienne 
langue,  une  règle  inflexible.  Guillemette  dit  à  Patelin,  ton 
mari ,  dans  la  scène  de  la  folie  feinte  : 

«  Par  ceste  pécheresse  lasse , 

«  Si  jVfUitf  aide  ,  je  vous  liasse (i),  • 

Si  adjutorium  haherem,  te  ligarcm. 
Et  Patelin ,  moqué  par  Aignelet  : 

«  Par  saint  Jaques ,  se  je  trouvasse 

•  Un  bon  sergent ,  te  fasse  prendre.  »  (PcfArfiii.) 

Pascal  ne  manque  jamais  à  cette  loi  : 

«  Si  vous  ne  m  aviez  dit  que  c*e$t  le  père  le  Moine  qui  eat  Taulear  de 
n  cette  peinture,  faurois  dit  que  cent  été  quelque  impie  qui  fanroit 
«  faite,  à  de&seiu  de  tourner  les  saints  en  ridicule.  »         (9*  PronMctmie.) 

«S'il  s*en  trouvoit  qui  crussent  que  \aurMs  blessé  la  charité  que  je  fout 
«  dois  en  décriant  votre  morale.  . .»  (iz*  Prop.) 

—  COHDITIONNEL  construit  avec  un  indicatif: 

Si  je  me  dispense  ici  de  m*étendre  sur  les  belles  et  glorieuses  vcritca 
qu*on  pourroit  dire  d'elle,  cVst  par  la  juste  appréhension  que  ces  grandes 
idées  ne  fissent  éclater  encore  davantage  la  bassesse  de  mon  offrande. 

(Ep,  dédie,  de  t Ecole  dts  msiris.) 

Racine  a  dit  de  même ,  dans  Androniaque  : 
<*  On  craint  qu'il  n  essuyât  les  larmes  de  sa  mère.  » 
Sur  quoi  d'Olivet  élève  une  chicane  grammaticale  aussi  pé- 
dante qu'elle  est  injuste.  Rien  n'est  plus  logique  ni  plus  irré- 
prochable que  cette  alliance  de  temps,  puisqu'il  existe  entre 
les  deux  l'ellipse  bien  claire  d'une  condition  :  —  on  craint  {si 

(i)  Si  gonvenuiit  le  labjonctif  derint  l'imparfait,  comme  en  latin. 


-^  77  — 

i*€m  me  laissait  mon  fils  )  qu'il  //  'essuyât  un  jour,  etc — 

Je  nie  dispense  de  cet  clojje,  de  peur  que  (♦/ytf  l'essayais) 
le  contraste  des  idées  ne  fit  ressortir  la  bassesse  de  mon  of- 
frande. 

De  petir  qu'elle  revint,  fermons  à  clef  la  porte.  {Ec.  des  mar,  III.  a.) 

De  peur  que  [si  je  laissais  la  porte  ouverte)  elle  ne  revint, 

(  Voyez  Subjonctif. 

CONDUITE ,  direction  : 

Et  nous  verrou»  ensuite 
Si  je  dois  de  vos  feux  reprendre  la  conduite,  {VEt,  III.  5.) 

—  GOifDUiTE,  celui  qui  conduit,  comme  sentinelle ^ 
fjcurde ,  celui  qui  fait  sentinelle ,  celui  qui  garde  : 

A  TOUS  mettre  eu  lieu  sur  je  m'offre  pour  conduite,  (Tort,  V.  6.) 

CO?îFIRlttER  QUELQDU-s  A  (un  infinitif),  le  fortifier 
dans  la  résolution  de 

L'air  dont  je  vous  ai  vu  lui  jelcr  celle  pierre 


Me  confirme  eiicor  mieux  à  ne  pas  différer 

Les  noces,  où  j'ai  dit  qu'il  vouâ  faut  préparer.  {£c,  des  fem,  VX,  i.) 

CONFORME,  absolument,  et  en  sous-eutendant  le 
complément  : 

Son  cœin*,  qui  voui  esiime,  est  solide  et  sincère, 

Et  ce  choix  plus  conforme  étoit  mieux  voire  affaire.       {Mis,  I.  z.) 

Phiiinte  veut  dire  ({ue  le  caractère  d*Éliante  se  rapproche 
du  caractère  d*Alceste,  et  ([u'ainsi  Âlceste,  choisissant  Éliante 
au  lieu  de  Cclimène,  eiit  fait  un  choix  plus  conforme  à  ses 
gciiîts  et  à  ses  principes. 

Cette  absence  du  conipléinent  parait  rendre  Texpression  trop 
vague,  et  laisser  la  pensée  incertaine. 

CONGÉ ,  permission  : 

El  si  dans  quelque  chose  ils  vous  ont  outiagé. 
Je  puis  vous  assurer  que  c'est  sans  mon  congé.  (V£t,  I.  3.) 

Nous  u*oserous  \Ay\^  trouver  rieu  de  l>oii  sans  le  congé  de  messieurs  les 
expals.  {Crit,  de  CEc,  des  fem,  7.) 


—  78  — 

Et  je  pense,  seigneur,  entendre  ce  langage. 

Mais  sans  votre  congé,  de  |>eur  de  trop  risquer, 

Je  n*ose  m*enhardir  jtisques  à  l'eiipliquer.  {PrinctTELL  i.) 

Je  lui  donne  â  présent  congé  d'être  Sosie.  {Amph,  ni.  xc] 

CONGRATULANT ,  adjectif  \erbal ,  comme  chatouil- 
lant : 

Ne  vous  embarquez  nullement 

Dans  ces  douceurs  congratulantes,  (  Amph.  III.  1 1 .) 

CONSCIENCE  ;  c'est  une  conscience,  c est-à-dire , 
an  cas  de  couscience  : 

C'est  une  conscience 
Que  de  vous  laisser  faire  une  telle  allienre.  {Tart,  II.  a.) 

Cest  une  conscience  de  voir  une  pauvre  jeune  femme  mariée  de  la  fa^n. 

{G,  D,  m,  la.) 

CONSEILLER;  (se)  conseiller  a  quelqd'uh,  pren- 
dre le  conseil  de  quelqu'un  : 

Je  me  suis  même  encore  aujourd'hui  conseillé  au  ciel  pour  cela. 

(/).  Juan,  V.  3.) 

Mais  si  je  me  conseil/ois  à  tous  pour  ce  choix  ?  '  ' 
-^Si  'VOUS  vous  conseilliez  à  moi,  je  serois  fort  embarrassé. 

{Jm,  magn,  II.  4.) 
■  Il  ett  droit  que  je  me  conseille  !  » 

(RuTEBEUF.  U  Testam,  Je  Casnê.) 

«  Comment  Panurge'^t;  conseille  à  her  Tripota. — Comment  Panurge  se 
m  conseille  à  Pantagruel.  •  (Rabelais.) 

Sur  le  fréquent  emploi  des  verbes  réfléchis  au  commence- 
ment de  la  langue,  voyez  au  mot  Areéter. 

CONSENTIR ,  verb.  act. ,  cokseistir  quelque  chose: 

Mais  je  mourrai  plutôt  que  de  consentir  rien.     (Z).  Garde,  I.  5.) 

—  CONSENTIR  QUE,  accordcr  que  : 

Mais  je  veux  consentir  qu\Me  soit  [wur  une  autre.  (Mis,  XV.  3.) 
Consentir  à  ce  que  rendrait  une  |)ensée  différente.  Alceste  ne 
consent  pas  à  ce  que  la  lettre  de  Céliniène  soit  pour  un  autre  ; 
il  consent ,  c'est-à-dire  y  il  accorde  par  hypothèse  qu'elle  soit 
pour  un  autre  que  lui. 


—  19  — 

Si  consentir  que  eût  été  une  expression  fautire  ou  seule- 
i|ient  insolite ,  il  était  facile  à  Molière  de  mettre  : 
Mtiâ  J€  Yeux  accorder  qu'elle  soit  pour  un  autre. 

Pascal,  Montaigne  et  Molière  lui-même  disent,  consentir 
que  pour  à  ce  que  : 

«Elle (la  société  de  Jésus) co/ijf/i/ qu'ils  gardent  leur  opinion,  pourvu  que 
«  la  sienne  soit  libre.  »•  (Pascal,  i"^  Prov.) 

«Homère  a  esté  contrainct  de  consentir  que  Venus  feiist  blecée  au  com- 

«  \aX  de  Troie.  »  (  Montaighi.  III.  7.) 

Je  consens  Qu'une  femme  ait  des  clartés  de  tout.    (Fem.  sav,  I.  3.) 

CONSÉQUENCE  ;  chose  de  consequeinxe  : 

Je  sais  bien  qu'un  bieufait  de  cette  conséquence 
Ne  sauroit  demander  trop  de  reconnois&ance.    {Don  Carcie.  V.  5.) 
Que  ne  me  dites-vous  que  des  affaires  de  la  dernière  conséquence  vous 
ont  obligé  à  partir  sans  m'en  donner  avis?  (  D.  Juan.  I.  3.) 

En  vérité,  monsieur,  ce  procès  ni  est  d^une  conséquence  tout  à  fait 
grande.  {L*A9,  II.  7.) 

«Je  lainerai  beaucoup  de  petites  choses  où  il  fit  paroitre  la  vivacité  de 

«  son  esprit .;  elles  sont  de  trop  peu  de  conséquence  pour  en  in- 

«  former  la  postérité.  »  (La  FoifTAiifs.  f^ie  d^ Esope.) 

«  J*ai  |)eusé  que  le  sujet  des  disputes  de  Sorbonue  étoit d'une 

«  extrême  conséquence  pour  la  religion,  »  (  Pascal,  i^'  Prov.) 

—  CONSEQUENCE  (fAIHE  OU  NE  FAIRE  POINT  DE)  : 

Un  homme  mort  n*est  qu'un  homme  mort ,  et  ne  fait  point  de  conu" 
quence.  {Am,  méd,  II.  3.) 

Ne  produit  pas  de  suites. 

—  HOMME  DE  CONSEQUENCE  : 

Prépare-toi  désormais  a  vivre  dans  un  grand  respect  avec  un  homme  de 
ma  conséquence.  (Mdd.  m.  lui,  III.  xi.) 

CONSIDÉRABLE ,  digne  d'être  considéré ,  en  par- 
lant des  personnes  et  des  choses  : 

Comme  je  sais  que  vous  êtes  une  personne  considérable  y  je  vondrois 
iMprifr. ....  (Skilè9à.%.) 

Je  vous  tiens  préférable 
A  Uiut  ce  que  j*y  vois  de  plus  considérable,  {Mis.  I.  a.) 

Ah!  «on  père,  le  bien  n'est  pas  considérable  lorsqu'il  est  question  d'é- 
pouser une  honnête  personne.  (  L'Av.  I.  5.  ) 


—  80  — 

Le  bien  n'est  pas  à  considérer. 
Iji  noblesse ,  de  soi ,  est  bonne  ;  c'est  une  chose  considérMg  i 

(Georges  D.  I.  x.) 

—   CONSIDÉRABLE  A  QUELQU'O  : 

Maii  si  jamais  mon  bien  te  fut  considérahU , 
Répare  mou  malheur,  et  me  sois  sccourable.  {L'Et,  H.  7.) 

Monsieur,  votre  vertu  m^est  tout  à  fait  considérable,   {Mèd.  m,  i,  m.  i  x .) 

«  Ces  raisons  ont rendu  leur  condition  (des  hommes)  ai  comsidé» 

u  rabU  à  l'Eglise^  qu'elle  a  toujours  puni  l'homicide  qui  les  détruit.  ...» 

(Pascal,  i^  Prop.) 

CO>'SIDÉRATIO>  ;  a  la  goksidératioiî  de  ,  c'est-à- 
dire  ,  eu  considération  de  : 

Je  vous  donne  ma  parole,  don  Pcdre,  qu'<i  votre  considération ,  je  Tua 
la  traiter  du  mieux  qu'il  me  sera  possible.  (Sidùen,  ¥9.) 

COiXSOLATlF  : 

Je  suis  homme  cunsolatif,  homme  à  m'intéresser  aux  afiEairet  dea  jeanei 
S^oa.  (ScoffUi.  L  a.) 

Pascal  a  dit  consolatif  à et  consolatif  pour, ...  : 

•*  Discours  bien  consolatif  à  ceux  qui  out  assez  de  liberté  d*espril...,elc.» 
—  «Un  beau  mot  de  saint  Augustin  est  bieu  consolatif  pour  de  certaines 
«  personnes.»  (Pe/tieVj.  p.  5i,3io  et  SSg.) 

Consolatif  parait  tonné  de  consoler  y  aussi  légitimement  que 
récréatif  àe  récréer^  portatif  àe  porter  y  etc. 

CONSOMMER ,  consumer  : 

El,  quoi  que  Ton  reproche  au  feu  qui  \ous  cotuoinmc. 

{Dép,  am,  m,  9.) 

—  SE  CONSOMMER  DANS  QUELQUE  CHOSE  : 

la  vertu  fait  ses  soi  us,  et  son  ctuur  s'y  consomme 

Jusques  à  s  offenser  des  seub  regards  d'un  homme.  (£c.  des  m,  IX.  4.) 

On  dit  encore,  au  participe,  il  est  consommé  dans  son  art; 

on  disait  autrefois  se  consommer  dans  un  art ,  dans  une  science, 

dans  la  pratique  de  la  vertu ,  etc.,  etc. 

PuisquVft  raisonnements  votre  esprit  se  consomme, (Ee,des  fem,\,i,) 
Dans  l'amour  du  prochain  sa  vertu  se  consomme.  (Tort,  V.  5.) 

C'est-à-dire  éclate  au  plus  haut  degré. 


—  81  — 

Qui  se  donne  à  la  cour  se  dérobe  à  son  art  ; 

Un  esprit  partagé  rarement  s'y  consomme , 

Et  les  emplois  de  feu  demandent  tout  un  homme. 

{[m  Gioire  du  Fol  de  Grâce.) 

La  confusion  entre  consommer  et  consumer  a  été  signalée 
par  Yaugelas  comme  une  faute ,  à  la  vt'i ité  commune  chez  de 
bons  écrivains,  mais  enfin  comme  une  faute. 

Ménage ,  sans  en  donner  une  bonne  raison ,  n'a  pas  voulu  se 
rendre  à  la  décision  de  Vaugelas  ;  mais  l'Académie  l'a  adoptée, 
et  le  sens  des  racines  commanderait  en  effet  la  distinction ,  si 
consommer  venait  de  summa ,  et  consumer  de  sumere.  Je  n'en 
crois  rien  :  consumere  est  la  seule  racine  des  deux  formes.  L'u- 
sage de  prononcer  le  um  latin  par  o/i  (voyez  MATRiMONioif)a 
conduit  tout  d'abord  à  traduire  consumere  par  consommer, 

«  Ceste  qualité  estouffe  et  consomme  les  aullres  qualités  vrayes  et  essen- 
■  tielles.  »  (MoHTAiGHE.  m.  7.) 

Alors  la  fonne  consumer  n'existait  pas;  consommer  était 
seul  ;  car  il  faut  toujours  se  rappeler  que  notre  langue  a  été 
soumise  à  deux  systèmes  de  formation  très-différents.  Co/i- 
sommer  est  le  mot  de  première  époque ,  et  consumer  le  mot 
de  seconde  époque.  L'archaïsme  luttait  encore  du  temps  de- 
Molière. 

CONSTAMMENT ,  avec  constance: 

Instruire  ainsi  les  gens 
A  porter  constamment  à^  pareib  accidents.        {Fem,  sav.  V.  x.) 

CONSTITUER  A,  c est-à-dire  ,  préposer  à. ...  : 

Je  irous  constitue  pendant  le  souper  au  gouvernement  des  bouteilles, 

(VAv.  III.  I.) 

CONSTRUCTIONS  IRRÊGULIÈRES  : 

Du  meilleur  de  mon  cœur  je  donnerois  sur  l'heure 

Les  vingt  plus  beaux  louis  de  ce  qui  me  demeure. 

Et  pouvoir  à  plaisir  sur  ce  mufle  asséner 

Le  plus  grand  coup  du  poing  qui  se  puisse  donner  !     (Tart.  V.4.} 

La  passion  légitime  qui  trouble  Orgon  excuse  le  dérange- 
ment grammatical  de  sa  phrase.  On  le  comprend  d'ailleurs 

très-bien.  C'est  comme  s'il  disait  :  Je  voutirois  donner ei 

poup0ir,  etc., 

6 


—  82  — 

(^est  bieii  la  moindre  chose  qucye  iwts  doive  ^  après  m*avoir  sauvé  ia 
vie,  (D.  Jumm,  UI.  4.) 

Après  (jne  vous  m'avez  sauvé  la  vie  ;  —  mais  l'autre  façon 
est  inouï) iparablement  plus  rapide. 

....  Qui  |)Oiirra  montrer  une  marque  certaine 

D'avoir  meilleure  part  au  cœur  de  Célimène, 

Vautre  ici  ftra  place  au  vainqueur  prétends. 

Et  le  délivrera  d'un  rival  assidu.  {Mis,  III.  i.) 

C'est-à-dire  :  Si  Tun  de  uous  jMîut  montrer y  l'autre  lui 

fera  place. 

Aussi  ne  trouverois-je  aucun  sujet  de  plainte, 

Si  pour  moi  voire  bouche  avoil  parlé  sans  feinte; 

Et,  rejetant  mes  -vœux  dès  le  premier  abord, 

Mon  cœur  u  auroil  eu  droit  de  s'en  plaindre  qu'au  sort.  (His,  lY.  S.) 

J'oserais  blàuier  cette  construction,  à  cause  de  l'ambiguïté. 
Rcjetani mes  vœux  se  rapporte  à  votre  bouche;  la  construction 
grammaticale  semble  le  rap()orter  à  mon  cœur^  qui  est  le  siijet 
de  ce  second  membre  de  phrase. 

C'esl  prendre  peu  de  part  à  mes  cuisants  soucis, 

Que  de  rire,  et  me  voir  en  Télat  où  je  suis.       {Oèp.  am.  IV.  i.) 

^    Dans  l'ordre  naturel,  l'action  de  voir  a  précédé  celle  de  rire» 
Virgile  a  dit  pareillement  : 

Moriamur,  in  arma  ruamus» 
Si  Ton  commençait  par  mourir,  il  ne  serait  plus  temps  en- 
suite de  se  jetei-  au  milieu  des  ennemis.  Les  grammairiens , 
habiles  à  couvrir  de  beaux  noms  les  fautes  échappées  aux 
grands  poêles,  ont  trouvé  pour  celle-là  le  terme  imposant 
d'hrstéi'ologie ,  c'est-ii-dire  renverseuïcnt  de  Tordre ,  qui  met 
devant  ce  (jui  devait  être  ilerrière.  1^  faute  de  Virgile ,  en 
bonne  foi,  n'est  pas  justifiable;  celle  de  Molière  le 'serait 
peut-être  davantage ,  en  ce  qu'on  |)eut  dire  que  l'action  de 
rire  et  celle  de  voir  sont  sinmltané<'S. 

(Voyez  PARTICIPE  PRÉbEXT.) 

CONSULTER,  absolument  et  sans  régime,  comme 
dèlUférer  : 

Le  jour  t'en  va  ptroitre,  et  je  vais  consulter] 

Comment  dans  ce  malheur  je  dois  me  comporter.  (Ec,  dôtfern.  Y.!,) 


▲h!  £iut*il  consulter  dans  un  affront  si  ruâe!  (Amph,  III.  3.) 

Laifto-moi  consulter  un  peu  si  je  le  puis  faire  eo  conscience. 

(PotfrcU.  4.) 

—  CONSULTER,  vcrb.  act.  :  consulter  quelque  chose  : 
une  maladie,  un  procès  ,  c est-à-dire  ,  délibérer  là- 
dessus  : 

Si  Lélie  a  pour  lui  Tamour  et  sa  puissance, 

Andrès  pour  sou  partage  a  la  reconuoissancc , 

Qui  ne  souffrira  point  que  mes  pensera  secrets 

Consultent  jamais  rien  contre  ses  intérêts.  (fEt.  V.  ta.) 

Il  me  semble 
Que  Ton  doit  commencer  par  consulter  ensemble 
Les  clioses  qu'on  peut  faire  en  cet  événement.  (TVir/.  V.  i.) 

Jai  ici  un  ancien  de  mes  amis,  avec  qui  je  serai  bien  aise  de  consulter 
sa  maladie.  {Pourc.  I.  9.) 

Voici  un  habile  homme ,  mon  confrère ,  avec  lequel  je  vais  eonsalier 
ta  manière  dont  nous  vous  traiterons.  {Ibid.  I.  xi.) 

Je  vou«  |)rie  de  me  mener  chez  quelque  avocat ,  pour  consulter  mon 
affaire.  (Ibid,  II.  sc.  xa.) 

CONTE;  DONNER  d'un  conte  par  LK  TS^VI.  Voy.  ifEZ. 

CONTENTÉ  DE  (être)  ,  être  payé ,  récompensé  de  : 

Vous  serez  pleinement  contentés  de  vos  soins.  {Ecdes  mar,  III.  5.) 

CONTENTEMENT,  construit  avec  le  verbe  être  : 

Elle  dit  que  ce  n'est  pas  contentement  pour  elle  que  d'avoir  cinquante- 
six  ans.  (i'^i^.II.  7.) 
«  Mais  vivre  sans  plaider,  est-ce  contentement P  »     (Les  Plaid.  1. 7.) 
Ce  n'ïul  pat  contentement  pour  l'injure  que  j'ai  reçue.  {Méd»  m.  L  I.  4.) 

Ce  n'est  p^  satisTaction  pour  Tinjuie  qu/e  j*ai  reçue. 
COHTfeSTE  : 

Là  maison  &  présent,  commfe  savez  de  reste, 

An  bon  monsieur  Tartufe  apf)artieut  sans  conteUe,        (Tart.Y,  4.  ) 

Conteste  est  le  substantif  de  contester,  dont  la  Forme  primi- 
tive est  contrester  [contra  stare).  Les  ttatîens  disent  constrastar, 
et  nous  avons  formé,  à  une  époque  relativement  récente,  co/i- 
traste ,  qui  est  au  fond  le  même  mot  que  conteste.  On  a  oublié 
la  loi  qui  changeait  Va  des  Latins  en  e  français  : 

6. 


—  84  — 

m  Li  marescaus  de  nostre  ost  ogardi  devant  un  casai,  et  pierdiiit  la 
«  gent  Bariie  qui  venoient  huant  et  glatissant, et  menant  li  grand  tampaerte, 
m  que  bien  cuidoient  eontrester  à  nos  fourriers.  > 

(  YiLLEBAEOHoiHi  p.   178,  éd.  ât  Jf  Paiis.  ) 

Nicot  écrit  conir'ester,  et  cite  pour  exemple  cette  phrase  : 
—  «One  n'avoit  trouvé  homme  qui  luy  peust  conir'ester  en 
champ  de  bataille  Guy  de  Wan^ich.  »» 

M.  B.  l^faye  fait  cette  distinction  chimérique  :  —  «  Le 
conteste  est  une  simple  difBcultc  ;  la  contestation  en  est  la  ma- 
nifestation. »  (Synon. ,  p.  Sgi  ).  L'un  est  le  mot  ancien,  et 
Tautre  le  moderne  :  le  sens  est  identique. 

CONTRADICTOIRE  A  : 

Ho,  ho!  qui  des  deux  croire? 
Ce  diiMîOurs  au  premier  est  fort  contradictoire,  (VEt,  I.  4.) 

CONTBAIBE  PABTI  : 

Il  se  venge  hautement  en  prenant  le  contraire  parti, 

(  Çrit.  de  tEc.  des  fem,  6.) 
Corneille  avait  dit,  dans  Cinna  : 

m  Et  rinclination  n'a  jamais  démenti 

«  Le  sang  qui  t'a  voit  fait  du  contraire  parti,»  (Y.  i.) 

La  prose  de  Molière  nous  montre  que  la  locution  était  ainsi 
faite  y  et  non  parti  contraire, 

•>  Et  chacun  s'est  rangé  du  contraire  parti.  >     (REORiia.  saL  17.) 

CONTRARIÉTÉS,  taquineries  par  représailles: 

Laissons  ces  contrariétés. 

Et  demeurons  ce  que  nous  sommes.  (An^,  Prol.) 

11  faut  noter  dans  ce  mot  un  exemple  de  la  substitution  des 
hquides  /  et  r.  Les  racines  sont  contra  et  alium;  la  forme  pri- 
mitive du  verbe  était  coniraiier,  —  Dans  Partonopeut  : 

•  Ce  sont  clergastes  qui  en  mesdient  (des  femmes), 
«  Qui  lor  meschines  contralient, 

m  Ils  sont  vilains,  et  eles  foies.  (Y.  5489.) 

«  Grant  pechie  fait  qui  contralie 

m  Dame  qui  est  d'amors  marrie.  (Y.  6660.) 

•  Ahi  mon!  oom  ias  deadaignouse! 

«  Ahi  !  oom  îes  cantraUouse!  (V.  54a3.) 


-.  85  — 

Nous  disons  armoire  {d*armarium  ^  racine,  arma)^  et  nous 
avons  raison  ;  nos  aïeux  écrivaient  almarie,  almoire,  qu'ils  pro- 
nonçaient par  au^  aumarie ,  aumoire.  (Voyez  les  Rois,pass/m.) 
C'était  l'inverse  de  la  faute  que  nous  commettons  en  disant 
contrarier j  pour  coniralier. 

CONTREFAISEUR  de  gens  : 

Point  de  quartier  à  ce  contrtfaîseur  de  gens,         {Impromptu,  3.) 

CONTREFAIT ,  simulé  ;  un  zèle  contrefait  : 

....  Attraper  les  hommes  avec  un  zèle  contrefait  et  une  charité  sophis- 
tiquée, (i*'  Piacet  au  RoL) 

CONVULSIONS  DE  CIVILITÉS  : 

Et ,  tandis  que  tous  deux  étaient  précipités 

Dans  les  convulsions  de  leurs  civilités (Fâcheux^  I.  x.) 

COQUIN  ASSURÉ,  effronté coqain : 

Que  me  vient  donc  coûter  cet  assuré  coquin?     (Dép,  am.  III.  8.) 
Marot ,  dans  son  Épistre  au  Roi^  pour  avoir  esté  desrohé  : 
m  J*avois  un  jour  uog  valet  de  Gascogne , 
«  Gourmand ,  yvrogne,  et  assuré  menteur.  » 

CORDE  :  SI  la  gohde  ne  rompt  ,  formule  empruntée 
aa  métier  du  danseur  de  corde  : 

Nous  allons  voir  beau  jeu ,  si  la  corde  ne  rompt,        (L'Et,  III.  lo.) 

CORRESPONDANCE;  de  la  œRRESPONDANCE  ,  da 
retour  : 

Quoi!  écouter  impudemment  Tamour  d*un  damoiseau,  et  y  promettre 
en  même  temps  de  la  correspondance  !  {G,  D,  I.  3.) 

On  dit  bien,  dans  ce  sens,  correspondre  à  l'amour  de  quel- 
qu'un; pourquoi  pas  correspondance  à  t amour? 

COTE  DE  SAINT  LOUIS;  être  de  la  cfriE  de  saint 
LOUIS ,  d'une  antique  noblesse  : 

Est-ce  que  nous  sommes,  nous  autres,  ^e  la  côte  de  saint  Louis? 

{B,  gent.  m.  la.) 
Comme  Eve  était  de  la  côte  d'Adam. 

COUCHER  DE,  mettre  au  jeu;  figurément  : 

Ta  couches  (t imposture,  et  tu  m'en  as  donné,  {L'Mt*  l.  XQ.) 


-  86  — 

Couctttr  de  signifie  être  au  jeu  pour  une  sotome  de  î  t  pKtce 
(fu'en  effet  on  couche ,  on  étend  Targent  sur  une  table ,  sur 

une  carte On  le  dit  figurément  des  paroles  :  Ce  garçod  ne 

demande  pas  moins  qu'une  fille  de  100,000  écus;  il  couche 
trop  gros.  — 11  ne  couche  pas  moins  que  de  faire  employer 

pour  lui  toutes  les  puissances »  (Teétoux.) 

•«  Tous  couchez  d'imposture,  et  vous  osez  jurer  !»(CoaH.  Le  Ment.) 
«  J*aurai  mille  l>eaux  mots  chaque  jour  à  te  dire  ; 
«  Je  coucherai  de  feux  t  de  sanglots,  de  martyre,  * 

(ID.  Ut  suite  ski  Menteur.) 

Sur  quoi  Voltaire  remai-que  qu'on  disait ,  en  termes  de  jeu , 
couché  {le  10  pistoies,  de  3o  pisioles;  couché  beOe» 

Les  éditions  modernes  ont  tu  payes.  Ce  n'était  pas  la  peine 
de  changer,  pour  prêter  à  Molière  une  faute  de  versification. 

COULEUR ,  métaphoriquement,  feux  prétexte,  men- 
songe: 

Sous  couleur  de  changer  de  Por  que  Von  doutoit.  {Ètowrdi.U.  7.} 
(  Voyez  Douter.  ) 
Us  ont  l^art  de  donner  de  belles  couleurs  à  toutes  leurs  intentions. 

{^^•Placetau  Hûi.) 
Molière  a  dit ,  par  la  même  métaphore ,  excuses  coiorées. 

Vous  nous  |)ayez  ici  d*ejrcuses  colorées.  {Tort.  IV.  i.) 

é  Des  peuples  i urprius  soubs  coideur  d^amitié  et  de  bonne  foy.  • 

(MoUTAlGIfE.  III.  6.) 

Cette  métaphore  est  restée  en  usage  parmi  le  {)euple  :  (^est 
une  couleur;  on  lui  a  donné  ime  couleur. 

m  Au  reste,  leurs  injustice*  (des  Romains)  éloient  d'autant  plus  dan- 

•  gereuses,  qu'ils  savoient  mietix  les  couvrir  du   prétexte  spécieux  de 
«  réquilc,  et  qu'ils  ineltoieut  suus  le  joug  insensiblement  les  rois  et  les 

•  ntlious,  sous  couleur  de  les  protéger  et  de  les  défendre.  » 

(Bossu ET.  tiist.  univ.y  IW  p.) 

—  GOULEUB  DE  F£U  ,  subst.  masc.  ;  UN  œULEUR  DE 
feu: 

Je  vous  trouve  les  lèvres  «Tri/i  couleur  de  feu  surprenant.  {Impromptu.  5.) 

Couleur  de  feu  est  ici  un  terme  composé ,  dans  lequel  le  mot 

couleur,  pas  plus  que  le  mai  feu ,  ne  fait  prédominer  son  genre. 


—  87  — 

UeDmaiAp  est  tu  neutre,  dont ,  en  français  y  la  forme  ne  se 
distingue  pas  de  celle  du  masculin. 

COUPER  A ,  couper  court  à  : 

Tout  cela  va  le  mieux  du  inonde  ; 

Mais  enfio  coupons  aux  discours,  {Àmph,  III.  ii.) 

—  COUPER  chemuv  a  : 

A  tous  nos  démêlés  coupons  chemin ,  de  grâce.  (Mis,  II.  i .) 

COURIR  A ,  recourir  : 

El  je  suis  en  suspens  si ,  pour  me  Tacquérir, 

Aux  extrême*  moyens  je  ne  dois  point  courir,  {L'Et,  UI.  a.) 

COURAGE ,  non  pas  dans  le  sens  restreint  de  valeur^ 
mais  dans  le  sens  large  du  latin  animm ,  disposition 
morale  qu'une  épilhète  détermine  en  bien  ou  en  mal  : 

O  la  lâche  personne!  —  6  ie  foible  courage!  {Dép.  am, IV.  4.) 

COURRE  ;  courre  un  lièvre  : 

Quand  il  vous  plaira,  je  vous  donnerai  le  divertissement  de  courre  un 
lièvre,  (  G.  D.  I.  8.) 

C'est  la  forme  primitive  dérivée  de  currere ,  comme  ponre 
(pondre)  de  ponere.  Il  est  demeuré  comme  terme  de  chasse. 
Des  vocabulaires  techniques  seraient  de  précieux  répertoires 
de  notre  vieille  langue. 

COURT ,  pris  adverbialement  : 

Et  moi,  pour  trancher  court  loule  celle  dispute....  {Fem,sav,'V.2.) 

—  DEMEURER  COURT  A  QUELQUE  CHOSE  : 

N'as-lu  point  de  honle,  loi,  de  demeurer  court  à  si  peu  de  chose? 

(Scapin.  I.  a.) 

—  COURT ,  adjectif;  court  de  ,  pour  à  court  de : 

El  que  tu  t'es  acquise  (la  gloire)  en  lant  d*occa.sions , 

A  ne  t'élre  jamais  vu  court  d*irti'en fions.  (L'Ut.  III.  i.) 

Sur  l'emploi  de  à  dans  ce  passage,  voyez  :  a,  par  le  moyen  de. 

—  COURT  JorNTE.  (court  est  ici  adverbe),  terme  de 
manège;  cheval  court  jointe ,  comme  celui  du  chasseur 
dus  les  Fâcheux  : 

Point  d'épaules  non  plus  qu'un  lièvre;  court  jointe.  (Fâcheux.  II.  7.} 


—  88  - 

ff  Court  Jointe,  c*est  le  nom  qu'on  donne  au  cheval  qui  a  le 
paturon  court ,  (jui  a  les  jambes  droites  depuis  le  genou  jusr- 
qu'à  la  couronne.  »  (TmJtvoux.) 

COUSU  DE  PISTOLES  : 

On  viendra  nie  couper  la  gorge,  dans  la  pensée  que  je  suis /ouf  cousu 
depiitoUs!  (VJvA,S.) 

La  Fontaine  : 

«  Son  voisin ,  au  contraire ,  étoit  tout  cousu  ttor,  • 

(Le  Savetier  et  U  Financier,) 

COUVRIR ,  au  figuré ,  excuser,  autoriser,  dissimuler  : 

Ciel,  faut-ii  que  le  rang  dont  on  veut  tout  couvrir. 

De  cent  sots  tous  les  jours  nous  oblige  à  souffrir!  (Fàcfieux^  I.  6.) 

Je  veux  cliaoger  de  batterie,  couvrir  U  zèle  que  j'ai  pour  vous,  et 

feindre  d'entrer,  etc.  (Mal,  im,  I.  xo.) 

•  Nostre  religion  est  faite  pour  extirper  les  vices  :  elle  les  couvre ,  les 

«  nourrit ,  les  incite.  »  (M oittaiohk.) 

CRACHÉ^  TOUT  CRACHÉ,  c est-à-dire  ressemblant: 

Lucas.  Le  vMà  tout  craché  comme  on  nous  Ta  défiguré.  (Méd,  m.  /.  I.  6.) 
Cette  métaphore ,  aujourd'hui  reléguée  parmi  le  bas  peuple, 
était, au  xvi*  siècle,  du  langage  ordinaire.  Pathelin,qui,  comme 
avocat ^  s'exprime  toujoiu's  bien,  l'emploie  sans  difliculté.  Il 
loue  le  drapier,  monsieur  Jousseaume ,  de  ressembler  à  défunt 
son  père  : 

«  Vraymeut  c*estes  vous  tout  poché. 
«  Car  qiioy?  qui  vous  auroit  crache' 
«  Tous  deux  encontre  la  paroy 

■  D'une  manière  et  d'un  arroy» 

■  Si  seriez  vous  sans  différence.  » 

Plus  loin ,  faisant  à  sa  femme  le  récit  de  cette  scène  : 

■  Et  puis,  fais-je,  saincte  Marie! 
m  Comment  prestoit  il  doucement 
«  Ses  denrées  si  humblement? 

«   C  estes,  fais-je,  vous  tout  crac  fie.»  (Patkelin,) 

Observez  que  nos  pères  disaient  c'étes  vous^  et  non  c'est 
vous.  Ils  gardaient  au  moins  l'accord  des  personnes,  en  quoi 
ils  se  montrent  meilleurs  logiciens  que  leur  postérité. 


—  «9  — 
CRAINTE,  adverbialement  ;  CRAiifTE  de.  . .  •  : 

Crainte  pourtant  de  sinistre  aventure. 

Allons  chez  noua  acheTer  Tentretien.  (jémpfi.  I.  9. 

Pascal  emploie  de  la  mcme  façon  manque  : 
m  Manque  de  loisir;  manqué  d^avoir  contemplé  ces  infinis. 

(Pasc.  Pensées,  p.  367,  lao,  ia4.) 

£t  l'usage  commun  a  consacré  /aute  de, .,  ,^  c*est-à^lire 
de  ou  par  crainte  y  manque^  faute. 

Le  peuple  dit  peur  de Le  caprice  de  Tusage  n*a  point 

admis  cette  expression. 

CRATON  ,  un  dessin ,  une  esquisse  : 

Ce  n'est  id  qu*uD  simple  crayon,  un  petit  impromptu,  dont  le  roi  a 
▼oulu  faire  un  divertissement.  (^'•*'/'  d^  V Amour  médecin,) 

CRÉDIT  ,  PRENDRE  CRÉDIT  SUR  : 

Et  Toir  ii  ce  n^est  point  une  vaine  chimère 

Qui  sur  ses  sens  troublés  ait  va  prendre  crédit,        {jémph,  Uï,  x.) 

CRIER  quelqu'un  ,  le  gbonder  : 

Tu  ne  me  diras  plus,  toi  qui  toujours  me  cries. 

Que  je  gâte  en  brouillon  toutes  tes  fourberies.         (L'Et,  II.  i4-) 

Pourquoi  me  criez-vous  ?  —  J*ai  grand  tort,  en  efTet  ! 

{Ec.des/em.y.^,) 

Cet  archaïsme  rappelle  le  petit  pays  oit  Agnès  a  été  élevée 
loin  de  toute  pratiqtie ,  comme  dit  Ârnolphe. 

—  CRIER  APRÈS  quelqu'un  : 
....  de  zèles  indiscrets  qui ... .  crieront  en  public  après  eus,  qui  les 
accableront  d'injures.  (D.  Juan,  V,  9.) 

Ses  plus  célèbres  philosophes  (de  rantiquité)  ont  donné  des  louanges  à 

la  comédie ,  eux  qui crioient  sans  cesse  t^rès  Us  vices  de  leur  siècle, 

(Pré/,  de  Tartufe,) 

-  -  CRIER  VENGEANCE  AU  CIEL  : 
Toili  qui  crie  vengeance  au  piel,  {VAv,  I.  5.) 

CRINS-CBUNS  ,  de  méchants  violons ,  par  onoma- 
topée: 

Monsieur,  ce  sont  des  masques , 
Qui  portent  des  crins'crins  et  des  tambours  de  basques. 

(Fâcheux,  m.  S.) 


—  «  — 

CROISE,  actif;  CHOiRfe  QtmtQUs  ghom,  orbire  k 

quelque  chose  : 

Un  Turc,  un  hérétique ,  qui  ne  croit  ni  eiel,  nî  saint,  ni  Dieu,  ni  loup- 
gorou (D.  /wm.  I.  t.) 

Mais  encore  faut-il  cnire  queique  chose  dans  le  monde.  Qt/aet-ee  donc 
que  vous  croyez  ?  (  Ihid,  H.  i.) 

Molière  emploie  croirt  quelque  chose  et  enrire  à  quelque 
chose  : 

Un  homme  qni  croit  à  ses  rè^s  plus  qu-^  tontei  les  démonstrations 
des  mathématiques.  [9ÊaL  Ht*  UL  i.) 

—  CROIRE  A  quelqu'un  : 

Allez ,  ne  croirez  point  à  monsieur  votre  père,  {Tort.  II.  a.) 

jé  qui  croire  des  deux  ?  (Jm,  méd.  II.  5.) 

Et ,  au  contraire ,  dans  V Étourdi  : 

Oh!  oh!  qui  des  deux  croire  f 
Ce  discours  au  premier  est  fort  contradictoire.  {L*Bi,  I.  4.) 

—  CROIRE  DU  CRIME  A  QUELQUE  CHOSE  : 
Un  homme  qui  croit  à  ses  règles  plus  qu'à  toutes  les  démonstrations 
des  mathématiques,  et  qui  croirait  du  crime  à  les  vouloir  examiner, 

{MaLim,  lU.  3.) 

Qui  croiroit  qu'il  y  a  du  crime.  La  forme  elliptique  de 
Molière  est  cent  fois  préférable. 

CUL-DE-COUVENT,  comme  cul-de-basse- fasse,  c^l-de- 
sac ,  c'est-à-dire  sac ,  fosse ,  et  couvent  sans  issue  par 
rextrémité  opposée  à  rentrée  : 

Vous  rebutez  mes  vœux  et  me  pousses  à  bout  ; 

Mais  un  cul-de-couvent  me  irengera  de  tout  1      {Ee.  desfem,  V.  4.) 

Voltaire  a  beaucoup  raillé  celte  expression ,  cul-de-sac  :  la 
métaphore  peut  uian(]uer  de  noblesse  (quoique,  après  tout,  Tha- 
bitude  efface  le  relief  de  ces  locutions) ,  mais  elle  ne  manque 
pas  de  justesse  y  puisque  le  sac  se  tient  assis  sur  son  fond,  et 
qu'une  personne  obstinée  à  travei*ser  une  inq^asse  n'en  vien- 
drait non  plus  à  bout  qu'une  obstinée  à  sortir  d'un  sac  par 
le  fond. 

Çul-^e-coiiuent  est  par  analogie.  Ce  terme  énergique  est 


-  91  — 

iirr:mc2i6  à  Arnolphe  par  la  fureur.  On  voit  qu'il  e%tf  comme 
tu    ireste  il  le  dit  lui-même ,  poussé  à  bout. 

C2UR108ITÉS  au  pluriel  ^  dans  la  même  aiiception 
qa*au  singulier: 

Pour  les  DOUTeaotâ 
On  i»eut  avoir  parfois  des  curiosités.  {Ec,  des  mar,  I.  5.) 

La  faiblesse  humaine  est  d*avoir 

Des  curiosités  d'apprendre 

Ce  qu*on  ne  voudroit  pas  lavoir.  {Jmph.  tf.  3.) 

Molière ,  en  ce  passage ,  s'est  rencontré  avec  un  poète  Au 
Mil*  siècle ,  Gibert  de  Montreuil ,  qui  introduit  Gérard  de 
levers  chantant ,  dans  un  couplet  : 

«  Si  s'en  doit  on  bien  garder 

•  DVuquerre  par  jalousie 

«  Chou  qu*oQ  ne  vouroil  trouver.*    (£«  FioUîte,  p.  66«) 

D  EUPHONIQUE  : 

n  pone  une  jaqueUe  à  grands  basques  plissées , 

Avec  du  dor  dessus,  {Ètts,  tl.  ^.) 

Hb  du  dor  à  son  babil  tout  depis  le  haut  jusqu*en  bas.  (D.  Juan.  It.  i.) 

Datis  Torigine  du  langage,  tous  les  mots  étaient  armés  d'une 
consonne  finale,  pour  prcîserver  la  voyelle  précédente  du  choc 
et  de  réiision  contre  une  voyelle  initiale  du  mot  suivant.  Quel- 
quefois cette  voyelle  est  demeurée  attachée  au  commencement 
du  mot  auquel  elle  n'appartenait  pas.  Ainsi  le  substantif  or 
avait  fait  le  verbe  orer,  comme  argent,  argenter;  mais,  par 
suite  de  quelque  locution,  comme  c'est  oréf  on  aura  écrit  e^est 
doré  y  et  le  mot  dorer  est  resté. 

Ma(i)  ante  (mea  amita)  est ,  par  la  même  façon ,  devenu 
ma  tante,  (Voyez  au  mot  d'aupuns). 

I^  d  euphonique  jouait  un  grand  rôle  dans  l'ancienne  pro-  • 
nonciation  ;  on  le  trouve  écrit  à  chaque  page  du  Livre  des  Rois, 
de  la  C/tanson  de  Roland  ^  des  Sermons  de  saint  Bernard,  etc. 

«  Cument  Semeï  ki  nialdist  nostre  seignur  le  rei  escaperad  il  de 
■  mort?»  {Bois,  p.  193.) 

Tîons  écrivons  aujourd'hui  entre  deux  tirets  échappera-t-it ; 
il  est  certain  cependant  que  ce  t  final  appartient  au  verbe, 
dont  il  caractérise  la  troisième  personne. 


—  92  — 

^  «  n  y  en  a  d'aucunes  qui  prennent  des  maris  lenkaMat  pour  ae  tînr 
•  de  la  contrainte  de  leurs  parents.  »  (MaL  imag^  IL  7.) 

Le  d  appartient  au  verbe  :  il  y  en  ad,  conmie  dans  ce  vers 
du  Roland  : 

«  En  Toret  puot  i  ad  asez  reliques.  • 

«  Dans  la  poi^piée  dorée  de  Durandal  il  y  a  beaucoup  de 
reliques.  » 

Il  serait  donc  mieux  d'imprimer  avec  dud  or Iljr  en  ad 

aucunes. 

Mais  comme  le  sens  des  traditions  se  perd  souvent ,  on  a 
cru  que  ce  d  était  l'initiale  du  second  mot  y  et  on  Ta  si  bien 
cru ,  que  l'usage  s'en  est  établi ,  et  que  l'Académie  le  ratifie 
en  permettant  de  commencer  une  phrase  par  d'aucuns  :  d'au- 
cuns ont  dit,  d'aucuns  ont  pensé d'aucuns  croiront  que 

j'en  suis  amoureux On  voit  ici  l'origine  de  cette  méprise. 

C'est  justement  comme  si  l'on  disait  un  jour  :  Mes  souliers 
sont  péiroits  y  sous  prétexte  qu'on  fait  sonner  le  p  dans  trop 
étroits, 

(Voyez  sur  le  d  euphonique  :  Des  Fariathns  du  langage 
français,  p.  9a  et  339). 

D'ABORD  QUE  : 

Je  n'en  ai  point  douté  d'abord  que  je  Tai  vue.  {Ec.  desjem,  V.  9.) 
DADAIS.  Voy.  malitorme. 
DAME  !  exclamation  : 

Oh  !  dame,  interrompez-moi  donc!  . . .  (Z).  Juan,  III.  i.) 

Dame  est  la  traduction  primitive  de  dominum,  par  syncope 
domnum,  et,  par  une  prononciation  altérée,  damne,  dame, 
damp.  Ce  mot  s'appliquait  au  masculin  : 

«  //  est  i'ire  et  dame  du  nostre.  »  (Babbazait,  Fabliaux,  VL\ ,  p.  44.) 

Dame  Dieu^  damp  abbé. 

«  Respond  Roland  :  ne  place  dame  Deu„.n{Ch,  de  Moland, passim.) 

Dam-Martin  ,  damp-Pierre,  et  autres  noms  propres ,  dépo- 
sent encore  du  sens  et  de  l'étymologie  de  dame. 

Ainsi,  cette  exclamation  signifie  simplement  Seigneur! 


—  93  — 
DAP^Spoorà: 

N*aUez  point  pousser  les  choses  dans  les  dernières  violences  du  pou- 

▼oir  pttemeL  {L'Ap.y,  4.) 

Ne  Texaminons  point  dam  U  grande  rigueur.  {Mis.  I.  x.) 

—  DESGENDRE  DAHS  DES  HUMILITÉS  : 

Non,  œ  descendez  point  dans  ces  humilités,         (Mêlicerte,  l.  5.) 

—  s'nifTERESSER  DANS  QUELQUE  CHOSE  : 

£t  dans  F  événement  mou  àme  i&^intértsse,       (£c.  des  fem,  III.  4.) 

—  DANS  L* ABORD,  RQ  Commencement,  dès  Tabord: 

Elle  m^a  dans  Cahord  serti  de  bonoe  sorle.  (Ibid.  III.  4*) 

—  DANS  LA  DOUCEUR  ,  en  doaceuT  : 

Pour  moi,  je  ne  le  cèle  point,  je  souhaite  fort  4(ue  les  choses  aillent 
dans  la  douceur.  (fi,  Juan,  Y.  3.) 

—  DANS  UNE  HUMEUR  (eTRE)  : 

Tous  êtes  aujourd'hui  dans  lutê  Iwmeur  désobligeante.       (Sicilien.  7.) 

—  ASSASSINER  QUELQU*UN  DANS  SON  BIEN  ,  SON  HON- 
NEUR : 

On  m'assassine  dans  le  bien,  on  m'assassine  dans  Clwnneur, 

{VAv.y.  5.) 

—  COMPRENDRE  QUELQU'UN  DANS  SES  CHAGRINS: 
Dans  vos  brusques  chagrins  je  ne  puis  vous  comprendre, 

{Mis,  1,1,) 

DATIF  ^  de  perte  ou  de  profit  : 

A  qui  la  bourse? —  Ah,  dieux,  elle  m  etoit  tombée!  {L'Jp,  L  7.) 

£xcider€U  mihi. 

Rien  ne  me  peut  cliasser  celte  image  cruelle.  {Psyché,  L  i.) 

Je  veux  jusqu'au  trépas  incessamment  pleurer 

Ce  que  tout  l'univers  ne  peut  me  réparer,  (lUd,  II ,  i.) 

Me  chasser;  me  réparer  j  pour  chasser  y  réparer  à  moi,  à 
mon  bénéfice 9  ne  sont  pas  conformes  à  Tusage  et  ne  paraissent 
pas  désirables ,  à  cause  de  Téquivoque  qui  peut  en  résulter. 

Vous  ne  voulu  pas ,  vous ,  me  U  (aire  sortir?     (  Fem,  sa»,  II.  6.) 

—  DEUX  PRONOMS  AU  DATIF  placés  Consécutivement: 

Allons,  monsieur,  faites  le  dd  de  votre  charge,  et  dressez'lui  moi  son 
ppooèi  comme  larron  et  comme  suborneur.  (L'Av,  Y.  4-) 


—  «4  — 

—  DATIF  marquant  la  cause ,  Toecasion  : 

Uo  tcrapute  HM  gêne 
Aux  tendres  sentiments  que  vous  me  faites  voir.        (Ampk,  I.  S.) 

Dans  les  tendres  sentiments,  à  l'occasion  des  tendres  sen- 
timents. 

L'emploi  du  datif  ou  de  Tablatif ,  car  c'est  tout  un,  pour  ex- 
primer ce  qu'on  rend  aujourd'hui  avec  la  préposition  tians, 
est  un  latinisme  qui  remonte  à  l'origine  de  la  langue.  Je  me 
contenterai  de  deu<  exemples  pris  chez  Montaigne  : 

«  De  toutes  les  absurdités,  la  plus  absurde  aux  épicuriens  est  desadToiier 
«  la  force  et  TefTet  des  sens.  »  {Essais,  II.  ch.  z  i.) 

«  C'est  i  Tadveniure  quelque  sens  particulier  qal. . . .  adverlit  Ifs  pou- 
«  leti  de  la  qualité  hostile  qui  est  au  chat  conU«  eux.*    (Ihid,  II.  ek.  i  j 

Ahsurdum  est  epicureis  ;  —  inest  feli.  Cette  tournure  ,  qui 
va  se  |>erdant  chaque  jour,  était  encore  en  pleine  vigueur  du 
temps  de  MoUère.  (Voyez  au  ,  aux  ,  |K)ur  dans), 

—  DATIF  REÎyouBLE ,  OU  nott  redoublé  : 
Non  redoublé  : 

Il  vient  avec  mon  pérc  achever  ma  ruine, 

Et  cest  sa  fille  unique  à  (fui  l'on  me  destine.    (Ec,  des/em,  V.  6.) 

Redoublé  : 

Que  de  son  cuisinier  il  s'est  fait  un  mérite , 

Et  que  c'est  à  sa  table  à  qui  Ton  rend  visite.  {MU*  III.) 

(Voyez  A,  datif  redoublé  surabondamment,) 

DAUBER  quelqu'un,  quelque  chose,  au  figuré: 

Je  lêt  daàberai  tant  eu  toutes  reuconlres ,  qu*à  la  6n  ils  se  rendront  sageat 

{Oit.  de  CEc,  desfem,  6.) 

On  m'a  dit  qu'on  va  le  dauber,  lui  et  toutes  ses  comédies ,  de  la  belle 

manière.  .  {ImpromptM,  3.) 

«  Daube  au  coucher  du  roi 

■  Son  camarade  absent.  »     (La  Fozit.  Les  Obsèques  de  la  lionne,) 

—  DAOBER  SDR  QUBLQU  UK  : 

Goame  sur  Us  maris  accusés  de  souffrance 

Votre  langue  eu  tout  temps  a  daubé  d'importance. 

{Ec.  desfem.  I.  i.) 


^  w  — 
D* AUCUNS ,  D*AUGUiiE8  : 

ît  y  ehà  f  aucunes  qui  prennent  des  maris  seulement  pour  se  tirer  dé 
la  contrainte  dt  leurs  parents.  (Mal,  im,  n.  7.) 

Cette  f^çon  de  parler  n'est  explicable  que  comme  un  reste 
de  l'ancien  langage  français,  et  par  le  fi  euphonique.  L'écri- 
ture a  mal  figuré  l'expression  en  attachant  \e  d  k  aucuns  ; 
c'est  au  verbe  qu'il  appartient  :  il  y  en  ad  aucunes. 

Ensuite  de  cette -méprise ,  dont  l'oeil  seulement»  et  non  l'o- 
reille,  pouvait  s'apercevoir,  s'est  établi  l'usage  de  commencer 
une  phrase  par  d'aucuns  :  d'aucuns  ont  pensé,,. 

(Voyei  d  euphonique ,  et  de  devant  certains,) 

DAVANTAGE  QUE  : 

Oui ,  TOUS  ne  pourriez  pas  lui  dire  davantage 

Que  ce  que  je  lui  dis  pour  le  faire  être  sage.  (L'Et,  I.  9.) 

Jac^umjhk.  Pour  un  quarquié  de  vaigne  qu'il  avoit  da\fantage  que  le 

jeune  Kobîn.  (I^féd,  m.  iuL  lî.  a.) 

U  ii'jr  a  rSan  aisurément  qui  chatouille  davantage  que  les  approbations 

que  TOUS  dites.  {B,  gent,  I../.) 

Tous  les  grammairiens  condamnent  hautement  cette  fa- 
çon de  parler  ;  et  tous  nos  plus  habiles  écrivains  l'ont  em- 
ployée :  Amypt ,  la  Bruyèi'e  ,  Sarrasin  ,  Molière ,  Bouhours  , 
Bossuet  y  J.  J.  llousseau.  [Des  variations  du  langage  français ^ 
p.  4a5.) 

Le  substantif  avantage  se  construit  avec  sur.  Davantage  [de 
ou  par  avantage)  marque  une  comparaison,  et  se  construit 
comme  pius,  avec  la  marque  du  comparatif  que.  L'idée  de 
l'adjectif  au  comparatif  prévaut  sur  la  forme  du  substantif. 

Dire  \  comme  font  les  grammairiens ,  que  davantage  est  ad- 
verbe ,  par  conséquent  incapable  d'un  régime ,  c'est  ne  rien 
dire;  c'est  mettre  en  fait  le  point  en  question.  Au  reste ,  deux 
autorité»  sont  eA  présence ,  on  n'a  qu'à  choisir. 

«  La  foiblesse  de  Thomme  paroit  bien  elavantage  en  ocux  qui  ne  la  con- 
«  B^isiéat  |Mt  fa'en  ceux  qui  la  cobnoisseiit. »  (Pascal.  Pensées.) 

>  Il  est  impossible  que  cette  surprise  ne  fasse  rire,  parce  que  rSett  n'y 
«  porte  davantage  qu'une  disproportion  surprenante  entre  ce  qu'on  attend 
«  et  C0 qu'on  voit.  >  (id.  ii«  Prov.) 


—  96  - 

•  Je  puis  dire  devant  Dieu  qu*il  n'y  a  rien  que  je  déteUe  dt^amtoge 
m  que  de  blesser  la  vérité.  »  (  Paical  ^  Ihidam.) 

■  L'une  en  prisant  davantage  le  temporel  que  le  spirituel.  » 

m  Youlez-Tous  être  rare?  Rendez  service  à  ceux  qui  dépendent  de  voos. 
«  Vous  le  serez  davantage  par  celte  conduite  que  par  ne  pas  vous  laisser 
«  voir.  »  (La  Bkutàkb.  Des  Hens  de  la  fortuite,) 

«  Quel  astre  brille  davantage  dans  le  firmament  que  le  prince  de  Gondé 
«  n*a. fait  en  Europe?»  (BoatomT.) 

•  Une  tuile  qui  tombe  d*im  toit  peut  nous  blesser  davantage,  mais  ne 
•  nous  navre  pas  tant  que  une  pierre  lancée  i  dessein  par  une  main  mal- 
«  veillante.»  (  J.  J.  Roussukau.  8*  Protmenade,) 

Mais  voici  Toracle  qui  abat  toutes  autorités  : 

m  Davantage  ira  peut  pas  être  suivi  d*un  complément ,  comme  dans: 
«  Taime  davantage  \%  campaguc  que  la  ville.  Il  faut ,  dans  ce  cas^em- 
«  ployer  Tadverbc  plus.  »  (M.  Borzface.) 

Il  faut,  paraît  bien  dur  en  présence  de  telles  autorités  ! 

DE ,  dans  tous  les  sens  du  latin  de ,  touchant ,  par,  à 
cause  de,  pour  : 

Ne  me  condamnez  point  d*un  deuil  hors  de  saison.         (Sgan,  x6.) 
Noli  damnare  nie  de  luctu. 

Il  me  faudroit  des  journées  entières  pour  me  bien  expliquer  i  vous  de 

tout  ce  que  je  sens.  '  {G.  D.  III.  5.) 

Mais  je  bais  vos  messieurs  de  leurs  honteux  délais.  {Amph.  VU,  8.) 

Ce  sont  particulièrement  ces  dernières  pour  qui  je  suis,  et  dont\e  sens 

fort  bien  que  je  ne  pourrai  me  taire  quelque  jour. 

(Ep.  dédie,  de  tÉc,  des  fem,) 
•  Romains ,  j'aime  la  gloire ,  et  ne  veux  point  nCen  taire,  » 

(VoLTAïaa.  Rome  saupée,) 
Silere  de  aliqtia  re, 

Molière  dit  de  même  ;  —  se  découvrir  de  quelque  chose  ;  — 
désavouer  de  quelque  chose  ;  —  éluder  de, , .  (Voyez  ces  mots.) 

Hélas!  si  Ton  n*aimoit  pas, 

Que  seroit-ce  de  la  vie  ?  {Pourc,  III.  xo.) 

Quid  esset  de  vita? 

m  J*ai  veu  un  gentilhomme  de  bonne  maison  aveugle  nay,  au  moins 
«  aveugle  de  tel  aage  qu'il  ne  sçait  que  c'est  de  veii«.»(MoirTÀiGVi.ILcli.  la.) 


—  97  ^ 

IfHle  gens  le  sont  bien  (x) ,  saus  vous  faire  bravade  » 

Qui  de  mine*  de  coRur,  de  biens  et  de  maison , 

Ne  feroéent  avec  vous  nulle  comparaison.        (£c.  detfem.  IV.  8.) 

De  n'est  pas  ici  marque  du  génitif  :  comparaison  de  mine , 
de  cœur,  etc.  ;  c*est  le  latin  de ,  comme  dans  ces  formules  de 
moi,  de  soi,  pour  quant  à  moi,  quant  à  soi;  et  dans  celles-ci, 
de  t Allemagne;  —  de  la  prière;  —  de  la  grdce;  — de  V amitié. 
Comparaison  quant  à  la  mine ,  au  cœur,  etc. 

Le  même  emploi  de  de  paraît  dans  cet  autre  passage  :  Agnès» 
dit  Horace , 

fTa  plus  voulu  songer  à  retourner  chez  soi , 

Et  de  tout  son  destin  8*est  commise  à  ma  foi.  (£c.  desjem,  lY.  8.) 

C'est  un  pur  latinisme  :  —  Gonfidere  alicui  de  aliqua  re. — 
Et  ce  latinisme  remonte  à  Torigine  de  la  langue  : 

«E  tut  li  poples  oid  cume  li  Reis  fut  sun  cunandement  de  Absalon.)» 

(Rois  y  p.  i86.) 

JDe  remplit  encore  TolBce  du  de  latin  dans  cette  locution 
de  rien;  cela  ne  sert  de  rien  : 

. . .  •  se  dépouiller  de  Tun  et  de  Tautre  (sa  fille  et  sa  fortune)  entre  les 
mains  d*uo  homme  qui  ne  nous  touche  de  rien.  (Jmour  méd.  I.  5.) 

Cest-à-dire  en  rien  ;  de  [nuUa)  re;  de  nihilo ,  nullatenus, 

—  DE  exprimant  la  cause,  la  manière ,  et  répondant 
à,  fMir,  Wûtc.  pour: 

Mais  suis-je  pas  bien  fou ,  de  vouloir  raisonner 
0&,  de  droit  absolu,  fai  pouvoir  d'ordonner?  (Sgan.  i.) 

Après  quelques  paroles  dont  je  tâchai  d'adoucir  la  douleur  de  cette 
duonHUite  afllîgée.  (Scapin.  I.  a.) 

C'est  une  dame 
Qui  de  quelque  espérance  avoit  flutlé  mou  âme.  (JUis,  I.  2,) 

Noos  faisons  maintenant  la  médecine  d'une  façon  toute  nouvelle. 

(Méd.  m.  lui.  11,  6.) 
Et  tàdions  d*ébranler,  de  forée  ou  d'industrie. 
Ce  malheureux  dessein  qui  nous  a  tous  troublés.       (Tart.  lY,  a.) 

On  dit  tous  les  jours ,  par  la  même  tournure ,  de  gré  ou  de 
/orée  ;  c'est-à-dire,  par  gré  ou  par  force, 

(t)  €«CM. 


—  100  -p 

—  DE ,  et  Don  des ,  devant  un  adjectif  que  Ton  traite 
aojourd  hui  comme  incorporé  an  substantif  : 

Et  dam  tout  Mt  propoi 
()n  voit  qu'il  se  travaille  i  dire  éle  kotu  mots,  {Mli$,  IL  5.  ) 

On  dirait  aujotird*hiii,  sans  scrupule,  des  bons  mots, — Bom 
mot  n*étant  considéré  que  pour  un  substantif,  oomme  Jmme 
homme. 

—  DE ,  entre  deux  substantifs ,  marquant  le  sens  actif 
du  premier  sur  le  second: 

Chez  les  Latins ,  amorpatris  signifiait  aussi  bien  la  tendresse 
du  père  au  fils  que  celle  du  fils  au  |)ère  ;  c*était  au  reste  de  la 
phrase  à  déterminer  Tacception  active  ou  passive.  Molière  a  dît 
de  même ,  la  contrainte  des  parents,  pour  exprimer,  non  la 
contrainte  qu'ils  subissent ,  mais  celle  qu*ils  imposent  : 

11  y  en  a  d  aucunes  qui  {ircnoeut  des  maris  senlenient  pour  ae  tirer  de 
U  contrainte  de  leurs  parents.  (MaL  im,  II.  7.) 

^Voyez  aux  mots  croix  ,  chose  ,  wrunv.) 

—  DE,  supprimé  après  atm^r  mieux. . . .  suivi  d  un 
infinitif: 

Et  j*ai  bien  mieax  aimé  me  voir  aux  mains  d*uii  autre , 

Que  ne  pas  mériter  un  cœur  comme  le  vôtre.  (£c.  des  mar.  III.  10.) 

T aimerais  mieux  mourir  ^«0  la  voir  abusée.     (£c.  des/em,  V.  a  ) 

-—  Après  à  moini  que ,  suivi  d'un  infinitif  : 

Et  Ton  ne  doit  jamais  aoulfrir,  sans  dire  un  mot , 

De  semblables  afbt>nts,  à  moins  qu'être  un  vrai  sot.      (^Sfim*  17.) 

—  Après  avant  que^  suivi  dun  infinitif: 

Laîssc-m>n  rire  encore  avant  que  te  le  dire,  {VEt,  n.  1 3.) 

Mais  avant  que  passer,  Frosine ,  i  ce  discours....   [D^.  am.  IL  i.) 
J*ai  voulu  qu'il  sortit  avant  que  tous  parler.       {Fâcheux,  III.  3.) 
jévant  que  nous  lier,  il  faut  nous  mieux  connoilre.        (  Mis.  1. 1.) 
Pour  la  forme,  il  fiiudra ,  s*il  vous  plait,  qu*on  m*apporte, 
Jvant  que  se  coucfter,  les  cleCi  de  votre  porte.  {Tort.  V.  4.) 

— «  Après  plutôt  que ,  suivi  d*un  infinitif: 


Que  son  cœur  tout  à  moi  d*UQ  tel  projet  s'olfeote» 

yu*slle  mourrait  plutôt  qu*en  souffrir  riHiôl§neê.{fioMtwmf,1X.ty) 


—  101  ~ 

Cela  paraît  une  concession  à  la  mesure  9  car  ailleurs  Mo- 
lière exprime  le  de  : 

Sinon  fiiiles  étit  de  m'arracher  le  jour, 

Pluiàt  que  de  ntôter  Tobjet  de  mon  amour.      (£c.  du  mar.  IQ.  8.) 

—  Après  naloir  mieux  que ,  suivi  d'un  infinitif  : 

//  vaut  mltttx ,  quand  on  craint  ces  malheurs  éclatants , 

En  moifrir  tout  d*un  coup  que  traîner  si  longtemps.  {Mè/ieerte.U,S,) 

—  Après  quelque  choêe  : 

Je  craina  fort  pour  mon  fait  quelque  c/iosê  approcfuuit,  {AmphXL,  t .) 

—  Dans  cette  locution ,  rien  de  tel  : 

U  n*est  riem  tel  en  ce  monde  que  de  se  contenter.  (/).  /.  I.  ».) 

«  Il  n'est  rien  tel  que  les  jésuites.  »  (Pascal.  3*  Prop,) 

—  Après  VOUS  plaît^il^  suivi  d'un  infinitif: 

f^ctu  pUU'U,  don  Juan,  nous  éclaireir  ces  beaux  mystères.  (Z>.  /.  I.  S.) 

«—  DE ,  euTobondani ,  après  valoir  mieux  : 

n  leur  ttaudroH  bien  mieux,  les  pauvret  animaux,  de  travailler  bena- 
coap  et  de  manger  de  même.  {VAv,  lU.  5.) 

il  vaut  bien  mieux  pour  tous  de  prendre  un  vieux  mtri  qui  vous  donna 
licaucoup  de  bien.  {Ibid,  lU.  8.) 

//  me  vaudrait  bien  mieux  d'être  an  diable  que  d*ètre  i  lui.    (/)./.  L  f .) 

Après  prétendre  : 

Cett  en  vain  que  tu  prétendrou  de  me  le  déguiser.  (ibid,  Y.  3.) 

—  Sarabondant  avec  dont  et  en  : 

Ce  n*ett  pta  de  o»  sortes  de  respects  dont  je  vous  parle.  (G,  D,  II.  3.) 
Ce  n'est  pas  de  vous,  madame ,  dont  il  est  amoureux. 

{Am,  magn,  II.  3.) 

yUisde  vota,  cber  compère,  il  r/i  est  autrement  !  (Ec,  des/em,  I.  x.) 
(Voyez  À  répété  surabondamment,) 

—  Devant  6e8otn  ;  il  est  de  besoin  : 

lIAKTIirS. 

Laissei-moi  :  j'aurai  soin 
De  vous  encourager,  s*i7  en  est  de  besoin,  {fem,  say,  V.  m.) 

-—  Devant  ctrtains  : 

Il  y  ti  de  certains  impertinents  tu  monde  qui  viennent  prendre  les 
gens  pour  ce  qu'ils  ne  sont  pas,  (Méd.  m.  /m  H,  9.) 


-  102  — 

—  Devant  aucum  : 

11  y  en  a  à'aucunei  qui  preoDent  des  maris  se«l«ieat  pour  wt  tirtr  de 
la  contrainte  de  leurs  parents.  (MtmL  im,  U.  7.) 

(Voyez  D  euphonique.) 

—  Devant  coutume  dans  cette  location ,  malt  de  eoii> 

tume  : 

Pour  vous  ôter  l'envie  de  nous  fiûre  courir  toutes  les  Buitt,  eowM 

vous  aviez  de  coutume,  {SOfm.  H.  S.) 

—  Après  d  quoi  bon,  suivi  d*an  infinitif: 

Ah  j*enragel  —  j4  quoi  bon  dû  te  cocker  de  moi^    {Pdek,  ÏXL  4*) 
A  quoi  bon  de  dUsumder?  [tê  ShHUm,  9.) 

—  DE,  particule  inséparable  en  composition  : 

Et  Ton  me  désosie  enfin, 

Comme  on  vous  désampfdtiyonne,  {jimpk,  HI.  S.) 

De  avait  en  ktin  la  même  valeur,  et  Lacile ,  par  le  néme 
procédé  que  Molière ,  avait  forgé  deargemture ,  depecmku^  et 
depocutare ,  voler  de  l'argent ,  des  coupes  : 

«  De{ieeDla88ere(i}  aliqua,speransme  ic  deargeattssere.  » 

(LuciL.  tp  Nbv.  9.  itl.) 

■  Meimpune  Irrisum  depeculatumque  eîs.  »  (Plact.  JSpidîe.lV.  r.  tS.) 

(Voyez  DESATTEISTER  ,  DÊSENAMOURER  ,  DÉSUISSEA.) 

-—  DÉ,  TENIR  LE  DÉ,  par  métaphore  empruntée  au 
jeu ,  où  le  dé  passe  de  main  en  main  : 

A  vous  le  dé ,  monsieur.  (^<f  •  ▼•  4*) 

—  TENIR  LE  DÉ  A  (uu  infinitif)  : 

Car  madame  à  jaser  tient  U  dé  tout  le  jour,  {Têrt,  L  i.) 

DÉBATTU ,  pour  conieM: 

Ce  titre  par  aucun  ne  leur  est  débattu,  (Tartufe,  L  6.) 

DE  BOUT  EN  POUT,  d'un  bout  à  Fautre ,  complète- 
ment: 

Vous  saurez  tout  cela  tantôt  de  bout  m  bout.       {Médaêtlf.  IL  7.) 
(1)  Oa  étftmlmten. 


—  103  — 
DÉ3UTEfi  A  QUBLQU*UK ,  avec  quelqu'un  : 

Par  où  /ui  débutfr?  {Dép,  am,  TH.  4.) 

^ar  ou  lui  débuter,  Signifie  que  lui  dire  d'abord.  Lui  est 
d<^Jiic  aussi  recevable  dans  une  locution  que  dims  Tàutre ,  3  n'y 
a     ^jae  la  différence  de  l'usage. 

])E  CE  QUE,  dans  le  sens  de  parce  que  : 

O  D'eit  pas  tant  la  peur  de  la  inor(  qui  me  fait  fuir,  que  de  ce  quU  est 
flk.dieiix  i  ufi  ^UUiommé  d'être  pendq.  {Pourc.  III.  a.) 

DÉCHANTER  ;  fàias  DâcHAinsii,  métaphoriquement 
^rou))ler|  déranger  dans  ses  entreprises  : 

Tii  vois  qu*à  chaque  instant  H  te  fait  déchanter,         {C'Et,  UU  <•) 
Il  te  fait  SQftir  du  ton  et  p^r^l*^  ^4  mesure. 
DÉGHABPIR  ,    séparer  des  eombattanté  acharaéi 
ri)nçppt)^raatre: 

Andrès  et  Trufaldin ,  à  l'éclat  du  murmure , 

Ainsi  que  force  mondf}  accourus  d'aventure , 

Ont  à  les  de'ckarpir  eu  de  la  peine  assez , 

Tant  leurs  esprits  étoient  par  la  fureur  poussés.      (L*Et.  Y.  14.) 

Nicot,  et  Trévoux  après  lui,  donnent  le  verbe  c/tarpir;  char- 
pirde  la  laine ,  carpëtâ  lanam,  et  par  cdit)M>éidoA)  déUar- 
pir,charpir  e^^èremént ,  comipe  d^fuir^  àe  finir. 
Il  nous  reste  encore  \ft  substantif  charpie.    ' 
Déekarpir  les  combattants^  est  regrettable  comme  terme 
expressif;  séparer  est  loin  d'atteindre  à  la  même  énergie. 

DÉCORUM  (OARBER  lb]  ob  ; 

Non ,  m^s  il  fftut  ^an^  cessa 
Ganfer  le  décorum  de  la  divinité.  (Jmph*  proL) 

DÉCOUCHER  (SE) ,  se  lever  : 

^oaoïv. 
Car  en  chasseur  fameux  j'étois  enharnaché. 
Et  dès  le  point  du  jour  je  m'étois  découché.  (ftt  4'0i%  a*) 

C'est  un  archaïsme  : 

«  Quand  ce  vint  à  Tendemàin ,  tontes  les  mesnies  de  l'ostel  s'asftemblc- 
«  mH  j  tk  vinrent  au  leigneiir  A  Thenre  qd'il  Rit  dèsemwké,  » 


—  104  — 

Dans  le  récit  de  Tassassinat  da  connétable  de  Clition  par 
Pierre  de  Craon  : 

«  Duquel  coup  il  (Cliitoo)  versa  jus  de  son  cheval,  droit  i  TeneoBtre  de 
•  rhuis  d'un  foumier,  qui  jà  estoit  tUseouché  pour  ordonner  tes  besognes 
•*  et  faire  son  pain  et  cuire.  ■•  (In.  lY.  di.  aS.) 

DÉCOUVRIR  (se)  de.  . .  : 

SoufFref  pour  vous  parler,  madame,  qa*un  amant 
Prenne  rorcasion  de  cet  heureui  iosUnt , 

Et  se  découvre  à  vous  de  la  sincère  flamme^,,        {Fem,  sap.  L  4.) 
(Vajet  Dx  dans  tous  les  sens  du  latin  de.) 

—  DÉCOUVRIR  QUELQU*uif  (an  adjectif) ,  démoiitiw 
qa'il  est  ce  que  marque  Fadjectif  : 

Tous  les  hommes  sont  semblables  par  les  paroles;  ee  n*C8t  qne  Ses  «c- 
tiomt  fmtes  éUcouvremi différents,  (VjéMTê,  I.  i.) 

DE  FORCE  OU  D'INDUSTRIE ,  par  force  oa  par 
adresse  : 

El  tâchons  d'ébranler,  de  force  ou  itindustrie^ 

Ce  malheureux  dessein  qui  nous  a  tous  troublés.      [Tare,  TV,  %,) 

(Voyez  DE  exprimant  la  cause,  la  manière.) 
DE  LA  FAÇON,  ainsi,  de  cette  sorte: 

Est-ce  de  la  Ja^on  que  l'on  doit  me  parler?        {MéHcerte,  If.  5.) 

On  se  riroit  de  vous ,  Alceste ,  tout  de  bon , 

Si  l*on  vous  entendoit  parler  de  lafofon,  {Mis.  I.  i.) 

DÉCRIS  au  pluriel  : 

oh!  que  je  sais  au  roi  bon  gré  de  ces  décris!  (£c.  des  mar,  It.  9.) 
Le  décri  est  une  défense  faite  à  cri  public.  Cri  et  crier  ont 
fait  décriât  décrier  :  c'est  revenir  sur  la  permission  ou  l'ordon- 
nance proclamée  par  le  cri. 

De  là  l'expression  figurée,  tomber  dans  le  décri, 

DEDANS,  préposition  : 

Et  je  crois  que  le  ciel ,  dedans  un  rang  si  bas. 

Cache  son  origine,  et  ne  l'en  tire  pas.  {VEt,  I.  a.) 

Il  est  vrai:  c'est  tomber  d*nn  mal  dedans  un  pire,  (Jbidasn.) 

Mon  argeot  biaQ-aimé,  reatrei  d^dam  ma  pocke*  {VEt^  TU  t,) 


—  105  — 

La  TÎcîUt  Ëgyptienoe  i  Theiire  même...  ^~  Hé  bien  ? 

—  Pftflioit  dedaiu  la  placé,  et  Desongeoit  à  rieo.    {VEt,  V.  24.) 

Je  Us  dedans  ton  âme,  et  vois  re  qui  le  presse.    {Dép.  am,  III.  5.) 

Las  !  il  vit  comme  un  saint,  et  dedans  la  maison 

Du  autin  jusqu'au  loir  il  est  en  oraison.  (ibid,  III.  6.) 

£t  je  tremble  à  présent  dedans  la  Canicule,  {SganareUe.  a.) 

Puis- je  obtenir  de  vous  de  savoir  l*aveiiture 

Qui  fut  dedans  vos  mains  trouver  cette  peinture  ?  (Ibid,  9.) 

I^edans,  dessus,  dessous,  devers,  suivis  d'un  compléinent , 

sont  aussi  vieux  que  la  langue  française.  Je  ne  vais  pas  sur 

quelle  autorité  Ton  a  pi-étendu ,  depuis  un  demi-siècle ,  les 

restreindre  au  rôle  d'adverbes.  C'est  apparemment  pour  leur 

inventer  une  valeur  différente   de  celle  de  la  forme  simple 

dams,  sur,  sous^  vers,  dont  ils  ne  sont  qu'une  variante.  Mais 

après  avoir  proclamé,  d'une  manière  absolue,  qu'il  n'y  avait 

dans  aucune  langue  deux  mots  parfaitement  synonymes,  il 

isllait  nécessairement  reviser  la  nôtre ,  constituer  à  chacun  de 

ses  mots  un  apanage ,  et  le  circonscrire ,  sans  égard  pour  les 

anciennes  limites  ;  autrement  cette  profonde  maxime  eût  été 

Uen  vite  renversée. 

C'est  ce  qui  fait  que  Molière ,  Pascal  et  Bossuet  sont  rem- 
plis de  solécismes  posthumes. 

«  Le  sultan  dormoît  lèrs,  et  dedans  son  domaine 
«  Chacun  dormoit  aussi.  ■•  (La  Foirr.  Fables,  XI.  x.) 

«I  Genx  q«  ont  la  foi  vive  dedans  le  ccmr  voient...  » 

(Pascal.  Pensées,  p.  17 3.) 

Le  dictionnaire  de  Nicot  (1606)  donne  encore  pour  exem- 
ples: 

•  n  est  dedans  la  maison;  —  dedans  vingt  jours  ;  —  dedans  l'an  et 
•  jour  de  la  spoliation  et  du  trouble.  » 

(Voyez  vuscê ,  dessous  ,  dcvaiit  ,  devebs.  ) 
DÉDITES ,  pour  diii$ez  : 

Puisque  je  Tai  promis,  ne  m'en  dédisez  pas.  {Tart,  III.  4.) 

C'est  la  leçon  donnée  par  l'édition  de  P.  Didot,  1821.  L'é- 
dition de  17 10  et  toutes  les  modernes  ont  ne  nCen  dédites  pas. 
J'ai  vérifié  sur  Tédhion  originalei  imprimée  soiis  les  yeu?^ 


—  106  — 

et  aux  fi-ais  de  Molière  ,  par  Jean  Ribou  »  le  «3  jidii  1669 ,  il 
y  a  bien  dériitet.  «  Ne  m'en  tktditei  pas.  » 

Trévoux  : 

«t  Nont  dêidisons,  vous  desdUt ,  et ,  mIoq  gotlgati  nni «  mm  éudiîeu  » 

Et  il  cite  y  en  exemple  de  cette  seconde  forme ,  le  vers  de 
Molière. 

Je  n*hésite  pas  à  penser  que  Molière  a  ici  péché  contre  la 
langue ,  et  même  contre  le  bon  usage  de  son  temps.  L'Aca- 
démie a  raison,  qui  prescrit  vous  dédisez  et  dédUet^voks, 
comme  vous  éh'ses,  cuisez,  iisez^  vous  iùthez  et  vous  cùMreélPn, 

Vous  dictes^  contraction  de  fiic{i)tiSf  est  une  forme  isolée,  bi- 
laire,  dont  il  serait  très^urieux  de  signaler  les  premiers  exeni* 
pies,  car  la  forme  primitive  doit  avoir  été  vous  disez  t  la  preftte 
en  demeure  dans  tous  les  composés  de  dire,  médire,  pré/ttre , 
maudire,  contredire,  interdire.  Mais  cette  forme  vous  dlldt  fe^ 
monte  à  une  bien  haute  antiquité  :  Palsgrave ,  efl  1 53o ,  là 
donne,  et  ne  fait  de  l'autre  aucune  mention. 

A  ce  qu'il  parait,  Molière  s*est  laissé  entraîner  à  Ibrttier  le 
composé  comme  le  simple ,  et  P.  Didot  à  rectifier  là  fkvM  de 
Molièro.  L'un  et  l'auu^  a  eU  tort. 

DÉFAIRE  (SE),  perdre  contenance,  se  démonter  : 

II0R99.  Coiuigf,  ifigDeur....,  ne  vous  défaiiu  pas,   {Pr.d'^L  TV.  x.) 
Le  participe  passé  est  encore  en  usage  :  l'air  défait»  le  vi- 
sage défait. 

DÉFENDRE,  Terbe  actif,  interdire  : 

Ah!  moDiieur,  qu'est  ceci?  je  de/ends  la  surprise/ 

{D^,  am.  lÛ.  7.) 

DÉFÉRER  A. . .  ,1  çoi^nlter,  s>n  rapporter  à. ...  : 

Ce  n*est  pas  à  mon  cœur  qu'il  faut  que/e  défire. 

Pour  eutrer  sous  de  tels  liens.  {Psjrekd.  I.  3.) 

DÉFIGURÉ ,  porteur  dune  laide  figure  : 

Alori  qtt*Mie  autre  vieiUe  atseï  d^lguréé 

VaiiMi dt  ipri» •  aiin^ •  l4»|ls»ii«  nrnikh.^   ll'M$.  T. « 40 


—  107  — 
J)ÉFIGUR£R  (piilolt),  peindre  la  figttre  : 

K.OCAS.  Le  Vlà  tout  craché,  comme  on  nous  Ta  défiguré.  [Méd.  mj,l,  6.) 
JDéfiguré  est  une  faute  de  langage  comme  la  peut  faire  Lu- 
»  ;  il  devait  dire  simplement  ^^le/i?';  c'est  comme  parle  Céli- 
ivi^ne  : 

Voici  monsieur  Dubois  plaiaammenty^n;'.  (IfiV.  IV.  3.) 

DÉGOISElt,babUier:     ' 

'.     Peste!  madame  la  nourrice,  comme  mo/zi  digoïttt  !  {Bléd.  m,  lui,  II.  a.) 
Racines  dé  et  gosier^  comme  qui  dirait  dégosier,  S'égostVer 

est  composé  d'une  manière  anidogue  avec  éy  répondant  au 

1^  e^^ 
On  disait  autrefois  dégoiser^  neutre,  et  se  dégoiserg  réfléchi , 

cotukiie  s^gosiÙet*:  «  Les  oiseaux  se  dégoisent;  otseaûx  qui  se 

déguisent.  Les  oiseaux  dégoisent  leurs  chansonnettes  et  ra- 


Nicot ,  après  ces  exemples ,  donne  le  substantif  déguisement, 
que  noni  n'avons  plus. 
DE  LA  FAÇON  QUE,  de  la  feçon  dont  : 

R^i  de  la  façon  qu  H  parle  y  serait-il  bien  possible  qu*il  ne  dit  pas 
mit  {Mal  im,  I.  4.) 

Que  ^eptééente  en  franeaiè  les  neutres  çuut,  ^ttod^  et  les 
cas  obliques  de  qui  i  —  eo  modo  qao  loquttur. 
(Voyez  Qira  répondant  à  l'ablatif  du  qui  relatif  des  Latins.) 

.«  De  la  mamère  enfin  qu'avec  toi  j'ai  vécu , 

«  Les  Talnqiiéurs  sont  jaloux  du  bonheur  du  vaincu.  • 

(GoairtiLLs,  Cinnû,'V,  t.) 

I^LIBÉRÉS,  substantif;  im  DÉtiB^iti^  iih  hëmidé 
délibéré: 

Je  sais  des  officiers  de  justice  altérés , 

Qoi  sont  pour  de  tels  coups  de  vrais  déUhérés,         {L'Et,  IV.  9.) 

DÉLICATESSE  D'HONNEUB,  snsoéptlbUitë  dé  ver- 
tu ou  de  pruderie  : 

Je  ne  vois  rien  de  si  ridicule  que  cette  délicatesse  d'honneur  qui  prend 
tout  en  mauvaise  part.  {Crit,  de  lÈe,  des/kii,  3.) 

Molière  a  dit  aussi,  par  une  expression  imalofiM^  un  chagrin 
déHçat. 


—  108  — 
DÉLIÉ ,  pour  mmee ,  iramparmt  : 

Cette  coiffé  est  uo  peu  trop  déliée  ;  j*cn  ^U  ipierir  une  plni  épaiiie. 

{Pourc.  UL  a.) 

Pascal  Ta  employé  au  figure  : 

«  Celte  erreur  est  si  déliée,  que,  pour  peu  qu*oii  8*en  êloîgoe,  oo  ie  trouve 
•»  dans  la  Térilé.  »  (3*  P/vr.) 

DEMAIN  JOUR ,  comme  demain  maim  : 

El  tu  m'afois  prié  même  que  mon  relom* 

Ty  souffrit  en  repos  jusques  à  dewmim  jour,  {Ec.ékiwmr.  IIL  i.) 

DE  MA  PART,  pour  ma  part,  qaant  à  moi  : 

Je  saurai ,  de  ma  part,  expliquer  ce  silence.  (MÊù,  T.  t.) 

DÉMÊLÉ,  substantif;  avoir  nÉiiiii  aybc  quel- 
qu'un : 

^U  en  a  bien  usé,  et  j'ai  regret  d'at^oir  démêlé  avec  Imi. 

(D.Juam.llLt.) 

DE  MÊME,  adverbe  employé  pour  pareil  ^  égal  : 

Cest  un  transport  si  piuid  qa*ii  n'en  est  point  de  même» 

{£c.  des  mar,  IIL  i.) 
Jamais  il  ne  s'est  vu  de  surprise  de  même.  (Tari,  lY.  5.) 

DÉMENTIR,  désavouer,  DiMEaria  uk  billet  : 

Ce  Mlet  démenti  pour  n'avoir  point  de  seing .... 
—  Pourquoi  le  démentir,  puisqu'il  est  de  ma  main? 

(Don  Garcîe,  II.  5.) 

Mais  Molière  jugea  liû-méme  cette  expression  inexacte  ;  et 
cinq  ans  plus  tard ,  lorsqu'il  transporta  dans  le  Misanthrope 
itne  partie  de  cette  scène  de  Don  Garcie  ,  il  corrigea  ces  Tert 
de  la  manière  suivante  : 

Le  désavouerez'Vous  pour  n'avoir  point  de  seing  ? 

*—  Pourquoi  désavouer  un  billet  de  ma  main?  (MU*  IV.  3.) 


—  OEMERTIR  QUELQU  UH  DE  : 

A  quoi  bon  se  montrer,  et ,  comme  un  étoordi, 

Me  venir  démentir  de  tout  ce  que  fkdif  (VEt.  I,  5.) 

(Voyez  MSHTJA  de  quelque  chose.) 

—  SB  Di&iiEirriB  DE  : 

Tu  te  démens  bientôt  de  tes  bons  sentiments,  ('^P"*'  *'•) 


—  109  — 
DEMI;  SANS  (an  substantif )  ki  demi  : 

Cette  infâme , 
Dont  le  coupable  feu,  trop  birn  vérifié, 
Sams  respect  ni  demi  noui  a  cocufié.  (  Sgnn,  i6.) 

Sans  respect  ni  demi-respect ,  sans  le  moindre  respect. 

DÉMORDRE  des  rjegles  : 

C*est  un  homme  qui. ...  ne  démordroit  pas  d*un  iota  des  règles  des  an- 
ôcns.  {Poare,  L  7.) 

DENIER,  pour  exprimer  l'ensemble  d*une  somme 
d*argent  : 

Quatre  on  etnq  mille  écui  est  un  denier  considérable ,  et  qui  vaut  bien 
la  peine  qu'un  homnie  manque  à  sa  parole.  (Pourc,  III.  9.) 

Est  un  denier,  et  non  pas  sont  un  denier. 

(Voyez  cet  exemple  ^  discuté  au  mot  ce  sovt.) 

DENTy  AVOIR  UIIE  DENT  DE  LAIT  GOIITRE  QUELQU'Ulf  : 

C*esl  qnc  fOus  avec,  mon  frère,  ime  dent  de  lait  contre  lui, 

(Mai  im.  VJL  3.) 

Une  rancune  qui  date  d*au8si  loin  que  possible ,  dn  temps 
où  Ton  était  en  nourrice. 

—  EN  DEPIT   DE   NOS  DEKTS  : 
ITaTontHiona  pas  assex  des  autres  accidents 

Qui  nous  Tiennent  frapper,  en  dépit  de  nos  dents  .^  (Sgan,  17.) 

(Voyca  DÉPIT.) 

—  MALGRÉ  MES  DENTS  *. 

Hi  m'ool  fut  médecin  ma/gré  mes  dents,  {Méd,  m.  Itti.  HT.  1 .) 

Qum  que  je  fisse  pour  m*en  défendre. 

Et,  pour  la  mieux  braver,  voilà,  malgré  ses  dents, 

Martine  que  j^amène  et  rétablis  céans.  {Fem,  sav,  T.  ).) 

—  AToiR  LES  DENTS  LONGUES,  atH>tr  faim;  on  sup- 
pose qae  la  faim  aiguise  les  dents  : 

On  a  le  temps  éta9oir  Us  dents  /ioa^iiei,  lorsqu'on  attend  pour  vivre  le 
ticpai  de  quelqu'un.  {Méd.  m.  bà.  II.  9.) 

—  ilRE  SUR  LES  DENTS  : 

La  paon*  FMaçoife  êUprênflû  mr  Usdants,  à  frottar  las  plandian 


—  110  - 
DÉPÀRTIB;  n  ^éPABTim  M  (vu  iitattlttf  )  : 

Tu  ne  tet  pas  départi  £y  préUndrB  ?  (JL'Ap,  IT.  5.) 

La  préposition,  ici,  fi^^ure  deux  fois  :  à  Pétat  libre  e(  à  réut 
•ompoié,  comme  en  ladn  deceàtre  de;  cfrducere  de;  dlrtraheie 
de  ;  dircidere  de,  etc,^  etc. 

(Voyez  AMUSER  (s*)  a.) 

DÉPIT  ,  EN  DÉPIT  QUE  J*EN  AIE  : 

n  liât  que  je  lui  sois  fidèle ,  en  dépit  qtte  j'en  aie.        (Ù,  Jumn.  I.  i.) 
Je  me  lens  pour  vous  de  la  tendreite,  en  dépit  que  j'en  aie. 

Je  prétends  le  guérir,  en  dépit  qti'ii  en  ait.  {Powrc.  II.  x.) 

Il  ne  fait  fias  bien  sûr,  à  tous  le  trancber  net» 

D'épouser  Une  fille  en  dépit  qt^elle  en  ait,  [fem,  saç.^.  t.) 

Cèlté  locution,  en  dépit  que  J'en  n/V,  est  l'anâlogàe  de  cette 
autre,  malgré  que  f  en  aie ,  qui  s'analyse  très-facilement. 

II  faut  partir,  mal  gré,  c*est-à<»dire  ,  tel  mauvais  gré  que  j'en 
aie«  C*esl  une  sorte  d'accusatif  absolu. 

(Voyez  MALGRE  QUE  J*EIf  AIE.) 

Mais  dans  Tautre  expression  on  rencontre,  dé  plàs ,  la  pré- 
position en ,  dont  rien  ne  jnstifie  la  présence.  On  ne  dirait 
pai  :  eh  thaï  gré  que  fen  aie.  Il  sethble  qoe  l'ofi  aurait  dû 
dire,  avec  une  exacte  parité  :  dépit  que  j'en  aye-,  sans  en.  C'est 
que  cet  en  n*cst  pas  une  pré)>osition  ,  mais  une  partie  mal  à 
propos  séparée  de  Tancien  mot  cndépit  :  eadépit ,  comme  em- 
chargCy  encommencemenl  ^  etXe^xtrhts  engarder,  enrouiUtr, 
enseiler  un  cheval,  s'cngeler^  s'endemener^  e^r.,qui  sopt  les  an- 
ciennes formes.  La  vraie  ortliographe  serait  donc  endépi^ qu'on 
en  ait ,  et  la  locution  redevient  parfaitement  claire  et  logique. 
Ici ,  comme  en  une  foule  de  cas  ,  Toreille  entend  juste ,  mais 
l'œil  voit  faux,  parce  que  la  main  s'est  trompée. 

DÉPOUILLER  (se)  EKTRE  les  MAims  DE  QtEiXitî'uil.' 

Amasser  du  bien  avec  de  grands  travàui ,  éfêVer  une  fiïJe  avec  beiuroup 
de  sdn  al  dt  iendfènè,  pair  M  dipùuUlêt^  àêVùn  et  da  Taiiirt  «Mrt  tu 
m^  é'ua  \kimm$  qui  ne  nous  touche  de  rien.  {Jm.  éM.  I.  5.) 


«  111  — 

JIEPUIS,  suivi  d*ttn  infinitif,  commëifpfA! 

.M^tàt  apoir  connu  feu  monneor  votre  père...  j*ai  Toya^é  par  iout  le 
BASidê.  (0.  Gmt.  IT.  5.) 

DE  QUI,»  pour  doht  on  (tuçti^I  : 

Au  mérite  souvent  Je  qui  Téclat  tous  blesse 

Vos  dMgriai  font  ouvrir  les  yéax  d'une  iiiaitrèsse.  (D^.  am.  I.  a.) 

Depuis  huit  jours  entiers ,  itee  vos  kmgiies  traites, 

Nous  sommes  à  piquer  deux  chiennes  de  masettea. 

De  qui  le  train  maudit  nous  a  tant  secoués, 

Que  je  me  sens ,  pour  moi ,  tous  les  membres  roués.        (<^v«9. 7.) 

Quoi!  me  soupçonnez- vous  d'avoir  une  pensée 

De  qui  son  4me  ait  lieu  de  se  croire  offensée?  (Ihid,  lU.  4.) 

It  court  parmi  le  mondé  un  livre  abominable, 

Et  tie  qui  la  lecture  est  même  condamnable.  [Mis.  Y.  x.) 

XI  éuit  bien  facile  à  Molière  de  mettre  duquel;  mais  il  parait 
avoir  eu ,  ainsi  que  tous  ses  contemporains ,  une  répugi^nce 
dc^dée  à  se  servir  de  ce  mot ,  si  prodigué  de  nos  jours. 
De  même: 

Tous  deux  m*ont  rencouU^,  et  se  sont  plaints  à  moi 

D*un  trait  à  qui  mon  cœîir  ne  sauroit  |»rètér  foi.  (Mis,  T.  4.) 

n  était  bien  aisé  de  mettre  auquel,  si  à  7111  eût  été  nhe  faute. 
(Voyez  LEQUEL  éçité.) 

DE  QUOI,  d'où?  comment? 

De  quoi  d^nc  connaissez-vous  monsieur  ?  (^m.  méd,  II.  a.) 


—  VOILA  BIEN   DE  QUOI  ! . 


Hé  bien?  qu'est-ce  i|oe  cela,  soixante  ans?  voUà  bien  tU  quoi  lu, 

{V4y.  II.  6.) 

n  y  a  ici  réticence  d'un  verbe,  comme  s'étonner,  se  récrinr. 

BÉSAGUIBR  LBd  ciHRËAtx  : 

JVflMi.  -^  Et  (fut!  grand  itiaitre  tireur  d'armés , ^i  vient,  à^ec  sei 
batlemeuU  de  pied,  ébranlel*  toute  li  mtisdn,  et  ^Mà  t^meiner  tâtis  ki 
conum  de  notre  salle.  {B-  Oeai.  lHi  $.) 

DEHIf IBH ,  êltréttie ,  èuttimus  : 

Je  vous  vois  accabler  un  &omme  de  caresses , 

fet  t^iS^i'  jbttt  tui  lès  JiMèfès  Ûndtesses.  (âtts.  t.  u) 


—  112  — 

On  dit  qu*ATec  Bélife  il  est  du  dernier  kUm.  {lêid.  II.  5.) 

Les  dernières  violences  du  pouvoir  paternd.  {VAr.  T.  4.) 

....C*eit  pour  une  affaire'  de  la  dernière  conséquence,        {G,  D.  IIL  4.) 

C'est  la  locution  favorite  des  précieuses  :  du  damer  beau  j 

du  dernier  galant;  je  vous  aurais  la  dernière  obligation  ;  ^ic. 
Mais  Molière  n'en  prétend  blâmer  que  Tabus,  car  lui^roéme 

en  fait  un  usage  fréquent ,  ainsi  que  Pascal  : 

«  C*esl  là  où  TOUS  verrea  la  dernière  hénignité  de  k  oondaile  de  nos 

«•  pères.»  (Pasgai.,  9P  prov,) 

DÉROBER,  Terbe actif,  comme  vofer; dérobée  quel- 
qu'un : 

Pour  aller  ainsi  velu,  il  faut  bien  que  vous  me  dèro^z»     (JL'Ap.  I.  5.) 

.      —  DEROBER  (se)  D'âUPRES  DE.  ...  : 

U  VOUS  dira...  que.../«  me  suis  dérobée  d'sntprès  de  lui,  {G,  D,  III.  la.) 

DÉ8ATTRISTER  : 

Donnez-lui  le  loisir  de  se  désaUr'uter,  (VEt,  II.  .'«.; 

(Voyez  DÉ,  particule  inséparable  en  composition.) 

DÉSAVOUER  QUELQU  UN  de  : 

Et  vous  avei  eu  peur  de  le  désavouer 

Du  trait  qu*à  ce  pauvre  homme  il  a  voulu  jouer.     (Tart,  IV.  3.;. 

DÈS  DEVANT ,  dès  avant  : 

—  Moi  je  vins  hier?  —  Sans  doute  ;  et  dès  devant  Faurore 

Vous  vous  en  êtes  retourné.  [Amf^,  II.  9.} 

DÉSENAMOUBÉ  : 

Mais  est-ce  un  coup  bien  sûr  que  votre  seigneurie 

Soit  désenamourée ,  ou  si  c*est  raillerie?  (Dép,  am,  I.  4.) 

L'absence  de  ce  mot  ou  d*un  équivalent  est  tme  lacune  sen- 
sible dans  la  langue.  Nous  sommes  réduits  à  une  circonlocu- 
tion y  comme  :  soit  revenu  de  son  amour.  Enamouré  est  aussi 
une  perte ,  mal  dissimulée  par  amotireux. 

On  remarquera  dans  ce  mot  la  présence  de  Vs  eaphonique, 
qui  sert  à  lier  sans  hiatus  les  racines  :  dé  (s)  wamom^r , 
comme  dé  [s)  enfler  y  dé  (*)  habiller  ^  dé  (s)  honorer,  etc.  Cette 
particule  inséparable  en  composition  n'est  autre  (}tte  le  de  la- 


—  113  — 

tin,  qui  n'a  droit  [>ar  lui-même  à  aucune  consonne  finale. 
Aussi  n'en  voit-on  pas  dans  détromper,  dédire,  €lé faire ,  dé- 
mentir,  etc,  où  elle  n'était  point  nécessaire.  On  écrivait  à  la 
vérité  desdire,  desfaire;  mais  c'était  pour  donner  à  Ve  suivi 
d'une  double  consonne  le  son  aigu ,  que  nous  obtenons  au- 
jourd'hui par  l'accent. 

DÉSESPÉRER,  verbe  neutre,  se  désespérer  : 

GSOEGKS  DAsohr.  —  Je  déscspère !  {G,  D,  III.  la.) 

Les  Anglais  ont  gardé  cet  emploi  du  même  verbe  : 
«  Despair  and  Die  !  »  (Shakspkarx.  Ricli,  III,) 

Palsgrave  (i53o),  dans  sa  table  des  verbes  ,  le  donne  comme 
verbe  neutre  et  verbe  réfléchi.  Voici  son  article  : 

«  /  Despayre ,  I  am  in  won  hope,  —  Je  despère  (sic)  prime  conjugal. 
«  —  Dispayre  nat  man  :  God  is  there  he  was  wonte  to  be  :  ne  te  désftère 
«  pat;  Dieu  est  là  où  il  souloyl  estre.  » 

Par  où  l'on  voit  que  désespérer  est  une  foi*me  moderne  et 
allongée.  On  fit  d'abord  de  desperare ,  despérer;  puis,  par 
l'ioseition  de  Vs  euphonique  (voy.  oésenamoueer),  dé[s]espérer. 

La  première  forme  est  calquée  sur  le  mot  latin  ; 

La  seconde  est  ajustée  sur  le  latin ,  d'après  les  habitudes 
fi'ançaises. 

—  D£ftESP£E£  CONTRE  QUELQU'UN  : 

J*étois  aigri ,  fâché,  désespéré  contre  elle  /     {Ec,  des  fem,  IV.  i.) 

DES  MIEUX ,  comme  ceux  qui  (ici  le  verbe) le  mieux: 

.....  Enfcrmez-yous  des  mieux,        (Ec.  desfem,  Y.  4.) 
Soyez  des  mieux  enfermés. 

Voilà  qui  va  des  mieux. 
Mais  parlons  du  sujet  qui  m^amèoe  en  ces  lieux.    (Fem,  sav,  II.  i.) 

DE  SOI ,  en  soi,  par  soi-même  : 

Cet  accident,  de  soi,  doit  être  indifférent.        {Ec  desfem,  tV.  8.) 

Le  choix  du  fils  d^Oronte  est  glorieux ,  de  soi.  (Jbid,  V.  7.) 

La  noblesse,  de  soi ,  est  bonne.  (G,  D,  1. 1.) 

De,  dans  cette  locution ,  se  rapporte  au  sens  du  latin  de , 

c'est-à-dire ,  par  rapport  à  soi ,  en  ce  qui  la  touche. 

8 


^  114  — 

11  faut  observer  que  ce  mot  moi  eft  entré  dans  la  langue 
pour  traduire  meus,  et  (ju'à  l*origine  on  ne  le  rencontre  pas 
comme  pronom  de  la  première  personne ,  c'est  l'adjectif  moi^ 
moie;  meus,  mea.  Par  cons<kjuent,  de  moi  correspond  exacte- 
ment à  la  locution  latine  fie  meo ,  employée  par  Plante ,  Té- 
rence  et  Cicéron ,  dans  un  s(*ns  à  la  vérité  un  peu  différent  » 
puiscju'il  si^j^nilie  à  mes/rais  ;  mais  mon  observation  porte  sur- 
tout sur  la  forme  matérielle. 

Les  Latins  disaient  aussi ,  de  me^  de  te^  pour  de  meo,  de  tuo  : 
De  te  iargiior  (Teb.)  :  donne  de  ioi.  Sois  généreux  à  tes  pro- 
pres dépens. 

DÉSOSIER    et  DÉSAMPHITRYONNEB.    Voye»  oé, 
particule  inséparable  en  composition. 
DESSAX.ÉE;  ume  dessalée,  ane  matoise ,  une  rosée  : 

Yout  faites  la  sournoise  ;  mais  je  vous  connois  il  y  a  longlempa ,  et  tous 
êtes  une  dessalée.  (G.  D.  L  6.) 

DESSOUS,  substantivement;  avoir  du  dessods: 

Est-il  possible  que  toujours  y*  a/irai  'du  dessous  avec  elle?  [G,  D.  II.  1 3.) 
«  Nous  avons  toujours  du  dessus  et  du  dessous,  de  plus  habiles  et  de 
«  moins  babiles ,  de  plus  élevés  et  de  plus  mitrailles,  pour  abeiner  BOtre 
••  orgueil  el  relever  notre  abjection.  »  (Pascal.  Pensées,  p.  atg.) 

Il  est  fâcheux  qu'on  ait  laissé  jierdre  celte  expression  utile  » 
car  on  peut  avoir  du  dessous  sans  avoir  complètement  le  des- 
sous.  C'est  pour  avoir  eu  trop  souvent  du  dessous  dans  ses  que- 
relles de  ménage,  que  Georges  Dandin  finit  par  apoir  ledesscms. 

—  DESSOUS,  préposition  avec  un  complément  ! 

Je  sais  qu*il  est  rangé  dessous  les  lois  d'une  autre.  (Dép.  am,  II.  3 .) 
Voyez  DEDAifs,  dessus,  devant,  devees. 

DESSUISSER  (se),  quitter  le  rôle  de  Suisse  : 

Si  vous  êtes  d'accord,  par  un  bonheur  exUéme, 

Je  me  dessuisse  donc,  et  redeviem  moi-oième,  (L'Jfi,  V.  7.) 

DESSUS ,  préposition  : 

Le  bonhomme  tout  vieux  chérit  fort  la  lumière , 

Et  ne  veut  point  de  jeu  dessus  ceUe  matière,  {f*'M^  QL  ^0 

Vous  étendiez  la  patte 
Plus  brusquement  qu'un  chat  i/r/i///  une  sotu-is,         {Ibid,  lY.  5.) 


-  »15  - 

^ttfpbé  (Ufsw  youf  comin^  qn  jouetir  de  boule 

Après  le  mouvement  de  la  sienne  (jui  roule.  {VEt,  lY.  5.) 

Je  veux,  quoi  qu*il  en  soit,  le  senir  malgré  lui, 

Et  dessus  son  lutin  obtenir  la  victoire.  {Ibid,  Y.  1 1.) 

Faites  parler  les  droits  qu'on  a  dessus  mon  cœur.     {Dép.  am.  I.  2.) 

Il  pourroil  bien ,  mettant  affront  dessus  affront , 

Chfi^r  d«  bois  moi)  ^oê  eomo^t  il  a  fait  mou  front.  tSgûp,  1 7.) 

Dessus  ses  grands  chevaux  est  mçoté  mon  courage.         (Ibid.  21.) 

Dmc^  qu$l /of^demgat  y^ntii'\QUê  doue,  mou  frère,,.. 

(£f.  des  mar,  III,  9.) 

Si  J'avols  dessus  mol  ees  paroles  nouvelles , 

Nous  les  lirions  ensemble,  et  verrions  les  plus  belles,  (fach.  1.  5.) 

Four  moi ,  venant  dessus  (e  lieu , 
J*ai  trouvé  Faction  tellement  bors  d'usage....  {Ibid,  II.  7.) 

Dessus  et  dessous  ét^ept  originairement  prépositions , 
comine  leurs  formes  plus  simples,  sur  et  sous, 

m  Dessus  mes  piez  diarrunt.  »  {Rois,  p.  209.) 

M  Abaissez  as  dessuz  mei  ces  ki  esturent  (steierunt)  eneuntre  mei.  »  (Ibid.) 

C'est  la  subtilité  des  grammairiens  modernes  qui  a  inventé 
de  partager  la  puissance  entre  sur,  sous,  et  dessus,  dessous,  et 
de  réduire  les  seconds  au  rôle  exclusif  d^dve^bef . 

Malherbe  et  JUacan  disaient  sans  scrupule  :  dessus  mes  vo- 
lontés;  —  dedans  la  misère  ;  —  ce  sera  dessous  cette  égide ,  et 
Port-Royal  s*y  accorde  ;  mais  Toracle  Vaugelas  n*avait  pas 
encore  parlé  (  Il  parie  y  et  Ménage  déclare ,  d*appàs  lui ,  que 
ces  mots ,  comme  prépositions ,  a  ne  sont  plus  du  bçl  usage.  1 
Toutefois  Vaugelas  veut  bien,  par  grâce,  excepter  de  sa  règle 
trois  façons  de  parler  : 

1^  «  Quand  on  met  de  suite  les  deux  contraires.  Exemple  : 
U  0*y  a  p^  assez  4'qi*  iù  dessus  ni  dessous  la  terre, 

a^  <c  Quand  il  y  ^  deux  prépositions  de  suite,  quoique  non 
contraires  :  —  Elle  n'est  ni  dedans  ni  dessus  le  cç/fre, 

y  c  Lorsqu'il  y  a  une  auti*e  préposition  devant  :  ^^Par- 
dessus la  tête ,  par^essous  le  bras,  par  dehors  Iq  ville,  »  etc, 

L*usage ,  en  rejetant  les  deux  premiers  articles  de  celte  loi , 
a  confirmé  le  dernier,  qid  n'est  pas  plus  justifié  que  les  deux 
autres.  Que  de  caprice  et  d'arbitraire  dans  tout  cela  !  En  vé- 

8. 


—  116  — 

rite,  quand  on  examine  les  actes  de  ces  tyrans  de  notre  langue, 
on  est  honteux  d*ètre  soumis  à  leur  autorité. 

J'oubliais  de  dire  que  Yaugelas  reçoit  comme  légitime  dans 
les  vers  ce  qu'il   condamne  comme  solécisme  dans  la  prose. 

(Yoyex  dedans,  dessous,  devant,  devees.) 

DÉTACHER  (SE)  govtre  quelqu'un,  se  déchaîner  : 

Et  son  jaloux  dépit ,  qu*avec  peioe  elle  cache, 

En  tous  endroits  sous  main  contre  moi  se  détache,      {MU.  III.  3.) 

DÉTERMIiVER  A ,  dans  le  sens  d^ordonner  de  : 

Et  cet  boniDie  est  monsieur,  que  je  vous  détermine 

A  voir  comme  l'époux  que  mon  choix  vous  destine.  {Fem,  sav,  III.  6.) 

DÉTOUR,  angle  formé  par  une  rae  oa  quelque 
saillie  de  maison  ;  couf  dvth  détour  : 

Un  de  mes  geus  la  garde  au  coin  de  ce  détour,  (Ec.  des/em,  T.  a.) 

DÉTOURNEMENT  de  tète  : 

Leurs  détournements  de  tête  et  leurs  cachements  de  visage  firent  dire  cent 
sottises  de  leur  conduite.  {Crii,  de  tEc,  des/em,  3.) 

DÉTRUIRE  QUELQU^uif ,  ruiner  son  crédit  : 

Quel  mal  vous  ai-je  fait,  madame,  ei  quelle  offense, 

Pour  armer  contre  moi  toute  votre  éloquence , 

Pour  me  vouloir  détruire^  et  prendre  tant  de  soin 

De  me  rendre  odieux  aux  gens  dont  j'ai  besoin  ?    {Fem,  saç,  IV.  a.) 

DEVANT,  préposition,  pour  avant: 

Je  crie  toujours ,  Yoilà  qui  est  beau  !  devant  que  les  chandelles  soient  al- 
lumées. (^Préc,  rid.  lo.) 
Et ,  devant  qu*il  vous  pât  ôter  à  mon  ardeur, 
Mon  bras  de  mille  coups  lui perceroit  le  cceur.  (Ec.  des m€w,lll,  Z,) 
«  Celle-ci  prévoyoit  jusqu'aux  moindres  orages, 
«c  Et  devant  qu'ils  fussent  écios 
«  Les  annonçoit  aux  matelots.»            (La  Fovt.  Fouies.  L  8.) 

Pascal  fixe  l'âge  viril  à  vingt  ans  : 

«  Devant  ce  temps  Ton  est  enfant.  »  {Sur  tamour,  p.  396.) 

M  Mais  si  les  Égyptiens  n'ont  pas  inventé  l'agriculture,  ni  les  autres  arts 
«  que  nous  voyons  devant  le  déluge,,,  »        (Bossu et.  Uist,  univ,  3*  part.) 


-  m  - 

*  A  vous  parler  franchement,  l'intérêt  du  directeur  va  presque  toujours 
«  devant  le  salut  de  celui  qui  est  sous  la  direction,  n 

(Sr.-ÉvRCMOirT.  Conv,  du  P,  Canaye,) 
«  Il  lui  demanda,  demntqw  de  Tacheter,  à  quoi  il  lui  seroit  propre.  *• 

(La  Fortaihx.  Fie  d'Esope,) 

Les  grammairiens  n*ont  pas  manqué  d'exercer  sur  awtnt  et 
devant  la  sagacité  de  leur  esprit  subtil.  Ils  signalent  entre 
açant  et  devant  unedifférence  essentielle,  et  dont  il  importe  de 
se  bien  pénétrer  :  c'est  que  «  avant  est  plus  abstrait ,  et  devant 
a  plus  concret  (i).  »  C'est  la  raison  qui  fait  que,  suivant  le 
même  auteur,  «  on  n'emploie  plus  devant  par  rapport  au 
«  temps.  »  L'argument  ne  paraît  pas  concluant. 

Un  antre  assure  que  a  le  génie  de  notre  langue  établit  une 
«  différence  enti'e  les  déterminatifs  avant  et  devant  (a).  »  Ce 
que  je  puis  à  mon  tour  assurer,  c'est  que  devant  se  trouve 
comme  synonyme  d'avant^  dans  le  berceau  de  notre  langue. 
La  traduction  des  Rois,  faite  au  xi*  siècle ,  s'en  sert  sans  scru- 
pule :  —  «  E  pis  que  nuls  qui  devant  lui  ont  ested  envers 
«  N.  S.  uverad  (p.  309),  »  Asa  ouvra  envers  N.  S.  pis  que  nul 
qui  eût  été  devant  lui, 

M.  Nap.  Landais  peut-il  se  flatter  de  connaître  le  génie  de  la 
langue  française  mieux  que  ceux  qui  l'ont  créée  ;  mieux  que 
Bossuet ,  Pascal ,  Corneille ,  Molière ,  et  la  Fontaine  ? 

Avant j  devant ,  sont  deux  formes  du  même  mot  inventées 
pour  les  besoins  de  l'euphonie  et  de  la  versification ,  comme 
dans  et  dedans  ,  sur  et  dessus ,  sous  et  dessous,  La  perte  de  ces 
doubles  formes  a  été  préjudiciable  surtout  à  la  poésie,  et  la 
suppression  de  ces  petites  ressources  a  contiibué ,  plus  qu'on 
ne  pense ,  à  la  décadence  de  l'art. 

Comme  en  certains  cas  donnés  l'on  employait  indifféremment 
h  et  de  (voyez  de  remplaçant  à  devant  un  verbe) ,  de  même  on 
substituait  l'un  à  l'autre  avant  et  devant. 

Dedans f  dessus ,  dessous ,  devers,  sont  dans  le  même  cas. 
(Voyez  ces  mots.) 

(i)  Xhs  Sjrnon/mes  frtmçais  ,  par  M.  B.  LaftiTe. 

(a)  Béiumiét  tùutts  les  fframmaùts,  par  M.  Landais. 


-.  118  — 
DEVERS ,  préposition  comme  veri  : 

LtiiLAs.  —  Tourne  un  peu  ton  ▼bage  defen  moi.  (G,  /).  II.  i .) 

C]'est  tin  paysan  qui  parlé  ^  à  qui  Molière  pvMB  det  loetitions 

attrantiées. 

Dépers  et  enpen  ont  été  jadis  employés  pour  verg^  cemnie 

on  en  roit  un  exemple  dans  une  rieille  chanson  introduite  par 

Beaumarchais  dans  le  Mariage  de  Figaro  t 

«  Toufiiei-Totis  donti  en9er$  ici , 
«  Jean  de  Ljra ,  ition  bel  amii  k 
•c  Enfin  là  Rancuiie  l'ayanl  toutué  dans  la  chaiië  deperi  Ufim  ddM  V¥k 
«  avoit  chauffé  les  dripi ,  il  ouvrit  let  jeux.  • 

(ScAaaos.  Rom,  eom,  l^*  p.,  ch.  xi.) 

Mais  Molière  a  mis  aussi  depers  dans  la  bouche  des  peradn- 
nages  qui  s'expriment  arec  le  plus  d*élégance  et  de  correction  : 

iaAsTi. 

Il  apouMéM  chance, 

El  s'eat  derert  la  fin  levé  longtemps  d'avance.  (Fdch^  h  i*) 

u  Ceftt  ainsi  deven  Ooên  que  tout  Normand  raisonnei»  (BoéluIi*) 

m  J*ai  des  ravales  en  Egypte,  qui  conçoivent  au  hennissement  des  che- 

«  vaux  qui  sont  devers  Babylone,  »  (La  FoiCTAim.  Fie  d Esope,) 

Devers  et  envers  sont  des  formes  variées  de  vers.  Fers  a  été 
la  première  forme  usitée  : 

«  Si  hom  pèche  'vers  altre,  a  Deu  sepurrad  acorder;  e  s*il  pèche  ivrr 
Ci  Deu,  ki  purrad  pur  lui  preier  ?  »  {Jtois,  p.  8.) 

«  Pur  ço  que  la  guerre  vers  les  ennemis  Deu  mantenisf .  »    {ihid,  p.  7 1 .) 

Beaumanoir  n'emploie  que  vers  : 

«  Li  baillis  qui  est  debonaires  vers  les  malfesans...  qui  vers  toz  est  fd  et 
•.  cruels...  «  (T.  i*'.  p.  18,  19.) 

Cependant  la  version  des  Rois  y  qui  paraît  de  la  fin  du  xi*  siè- 
cle ,  connaît  déjà  envers  et  devers, 

«  Ore  faparceif  que  felenie  n*ad  en  mei  ne  cHmne  envers  tei,»  (P.  95.) 
«  £  pis  que  nuls  ki  devaut  lui  out  ested  devers  Nostre  Seiguur  uvèi*ad.  » 

(P.  do9.) 

(Voyez  DEDAIfS  ,  dessous  ,  DEVAlfT.  ) 

DEVOIR  ;  NE  DEVOIR  qu'a,  avec  Fellipse  de  rien  : 

Hors  d'ici  je  ne  dois  plus  tftt'à  rtion  honneuh  [D,  AUM,  III.  5.) 


—  119- 
DÉVOREK  DU  COEUR,  figur.,  recevoir  avidement  : 

El  vous  devez  du  cœur  dévorer  ces  leçons,      {Ec,  des  fem,  III.  a.) 

DÉVOTS  DE  PLACE  : 

Que  ces  fraocs  charlatans ,  que  ces  dévots  de  place,      (Tart,  I.  6.) 
Comme  les  valets  de  place  ^qaï  se  tiennent  en  vue  sur  les 
places  publiques. 

DE  VRAI  :  véritablement ,  (te  vero  ; 

Je  ne  sais  pas,  de  vrai ,  quel  homme  il  peut  être.  (D,  Juan,  L  i .) 

Nous  verrons ,  de  vrai,  nous  verrous  !  (/6id.  V.  3.) 

Ma  foi,  c'est  promptement,  dé  vrai^  que  j'aôbèterai.  {Afn.  mùgn,  T.  i .) 
Cette  locution  était  jadiâ  tfès-u&itée  ;  les  exemples  en  sont 
fréquents.  On  disait  aussi  au  i^rai  : 

«  Je  ne  sais  pas  au  vrai  si 'vous  kss  lui  devez  ; 
«  Maié  11  me  les  a^  lui^  mille  fois  demandési  « 

(RBGif  ARD.  Le  Légataire.  V.  7.) 

DïXTÉRITÉS,  au  pluriel,  adresse  : 

Oui ,  vos  dextérités  reuleut  me  détourner 

D'un  éclaircissement  qui  vous  doit  condamner.  (D.  Gartie.  lY.  fl.) 

Je  sais  les  tours  rusés  et  les  subtiles  trames 

Dont  pour  nous  en  planter  savent  user  les  femmes  ; 

Et  comme  ou  est  dupé  par  leurs  dextérités^ 

Contre  cet  accident  j'ai  pris  mes  sûretés.  {Ec.  des  fem.  I.  i .) 

D  HOMME   DHONNEUR;   ellipse  :    foi   d  homme 
d'honnear  : 

D'homme  d'honneur,  il  est  ainsi  que  je  le  dis.     (Dép.  am,  IIL  8.) 

DIAELE  ;  diable  emporte  si.  .  *  : 

Diable  emporte  si  je  le  suis  !  (médecin.)  (3féd.  maL  lui,  I.  6.) 

Diable  emporte  ji  j'entends  rien  en  médecine  !  (Ibid,  III.  i.) 

C'est  une  sorte  d*attcnuation  du  blasphème  complet  :  Que  le 

diable  m'emporte  si...  On  en  i*etranche  le  pronom  personnel , 

pour  moins  d'horreur. 

—  EN  DIABLE  ;  CX)MME  TOUS  LES  DIABLES  : 
La  justice ,  en  ce  pays-ci ,  est  rigoureuse  en  diable  contre  cette  sorte  de 
«ine.  {Pe^ut.  n.  la.) 


—  120  — 

Elle  eti  sévère  001111m  totu  les  diabies,  particalièreaicBt  wr  cet  tortet 
de  crimes.  [Pourc.  IH.  3.) 

(Voyez  QUE  diable  !) 

DIANTRE,  modification  de  diable;  diahtre  soft: 

Diantre  toit  la  coquine  !  (B.  gemt,  HI.  3.) 

—  DIANTRE,  adjectif;  oomme  diable  9  diablesse  : 

Qu*on  est  aisément  amadoué  par  ces  diantres  d*animaQx-li! 

(Ihid.  m.  10.) 

—  DIAIfTRE  SOIT  DE.  .  .  : 

Diantre  toit  de  la  folle ,  avec  ses  visions  !  {Fem.  $a9.  I.  5.) 

—  DIANTRE  SOIT  FAIT  DE.  .  .  : 

Encore  !  diantre  toit  fait  de  vous!  Si...  je  le  vem.        (Tort,  II.  4*) 

DIE,  dise: 

Teux-tu  que  je  te  die?  une  atteinte  secrète 

Ne  laisse  point  mon  âme  en  une  bonne  assiette.     {Dép,  ont.  I.  i.) 

Ah!  souffrez  queje^iV, 
Valère ,  que  le  cœur  qui  vous  est  engagé {l6Ui,  T.  9.) 

Die  n*est  pas  une  forme  suggérée  par  le  besoin  de  la  rime  ; 
elle  est  aussi  fréquente  que  dtse  chez  les  \âeux  prosateurs. 
Malherbe,  dans  ses  lettres,  n*en  emploie  pas  d*autre. 

Voulez-vous  que  je  vous  die?  (Impromptu  de  FertatUet,  3.) 

Ainsi  cette  forme  était  encore  usuelle  dans  la  conversation 
en  i663. 

Cependant ,  neuf  ans  après,  en  167a ,  dans  les  Femmes  sa- 
vantes, Molière  tourne  en  ridicule  le  quoi  gtt'on  die  de  Tris- 
sotin  : 

Faites-la  sortir,  tfuoi  qu'on  die, 
De  votre  riche  appartement. 

Cette  forme  alors  était  donc  déjà  surannée. 

«  Il  faut  toujours ,  en  prose ,  écrire  et  prononcer  dise  et  ja- 
mais die  y  ni  avec  quoi  que,  ni  dans  aucune  auti'e  phrase.  » 
C'est  la  décision  de  Trévoux ,  d'après  Th.  Corneille. 

DIFFAMER  : 

MOIOH. 

Je  vous  croyois  la  béte 
Dont  à  me  diffamer  j'ai  vu  la  gueule  prête.  (Pr,  d'EL  I.  %.) 


—  121  — 

L'emploi  de  diffamer  pour  dévorer^  déchirer^  en  parlant  d*un 
sanglier,  pourrait  sembler  une  boufTonnerie  de  ce  fou  de  cour  ; 
mais  Furetière  nous  apprend  que  «  diffamer  signifie  aussi 
salir ^  gâter j  défigurer.  Il  a  renversé  cette  sauce  sur  mon 
habit  :  il  l'a  tout  diffamé.  Il  lui  a  donné  du  taillant  de  son 
épée,  et  lui  a  tout  diffamé  le  visage.  En  ce  sens  il  est  bas.  » 

Ainsi  Moron  parle  sérieusement  et  correctement.  Diffamer , 
aujourd'hui ,  ne  se  prend  plus  qu'au  sens  moral. 

On  observera  que  diffamer ,  au  sens  moral ,  n'emporte  pas 
nécessairement  l'idée  de  calomnie  ,  ni  même  aucune  idée  de 
blâme  y  puisque  Boileau  a  dit,  en  parlant  des  précieuses  : 
•(  Reste  de  ces  esprits  jadis  si  renommés , 
«  Que  d*ua  coup  de  son  art  Molière  a  diffamés,  • 

C'est-à-dire,  tout  simplement  :  a  perdus  de  réputation.  Famé 
ifama)  a  été  français  dans  l'origine  : 

«  K  vint  U/ame  a  tuz  ces  de  Israël,  que  desconfiz  furent  li  Philistien.  » 

{Rois,  p.  4a.) 

Héli  dit  à  ses  fils  : 

«  Totre/ome  n*est  mie  saine.  »  {Ihid.  p.  8.) 

Vous  n'avez  pas  bonne  réputation. 

DIGNE ,  en  mauvaise  part  : 

Et  toutes  les  hauteurs  de  sa  folle  fierté 

Sont  dignes  tout  au  moins  de  ma  sincérité'.  {Fem,  sav,  I.  3.) 

«Biais  il  (Yasquez)  n'est  pas  digne  de  ce  reproclte,  »  (Pascal.  xi«  Prov,) 

DINER  ;  AVOIR  Diifé ,  métaphoriquement  : 

'   Mn>«  JouEDAiir.  —  Il  me  semble  que  fai  dîné  quand  Je  le  vois! 

(B,gent.in.Z,) 

On  dirait ,  par  la  même  métaphore  :  Je  suis  rassasiée  de  le 
voir. 

DIRE ,  actif  avec  un  complément  direct ,  désirer  ; 

TROUVER  quelqu'un  A  DIRE  : 

Mettez-Tous  donc  bien  tn  tète que  je  vous  trouve  à  dire  plus  que 

je  ne  voudrais  dans  toutes  les  parties  où  Ton  m*entraîne.  »       (Mis.  V.  4.) 

Ce  verbe  dire  vient,  par  une  suite  de  syncopes ,  non  pas  de 
dieere ,  mais  de  desideràre ,  dont  on  ne  retient  que  les  syllabes 


—  122  — 

eiKt^énifS,  rfesiderare,  deiirare  (d*oft  Tcm  a  fait  à  la  êecolide  epo- 
(ftie  désirer) ,  et  defe^  dotit  le  premier  f  se  change  Mi  i ,  pif  là 
r^le  accoutumée.  (V.  Des  Far,  du  langage  fr.^  p.  loS). 

Cle  vérhe  c//r«  riait  très-usité  an  %y\^  siècle  :  Montaigne ,  la 
reine  de  Navarre,  et  les  autres,  en  font  constamment  otage  : 

«  Que  sait -on,  si plusieurs  effectsdes  âniibaux  f{uî  ex«îeileDt  oostK 

it  c&pacilé  sont  produits  par  la  faculté  de  quekpie  sens  que  OMi  ijaas  à 
u  dire  ?  »  (MovTAiairi«  IL  i%) 

A  désii*er,  à  regretter  |  qui  nous  manque< 

«*  Si  nous  atlons  à  dirt  llntelligencedes  sont  de  tliaiinoilîe  et  de  la  Voit, 
-  cela  appOrteriHt  une  cuuftuioti  inimaginable  à  totft  le  rtlta  dé  oaslft 
«  science.  »  (Id.  Ibid^ 

«  Ce  desfauU  (une  taille  trop  petite)  n*a  pas  aeidemcàt  de  la  laidenr, 
*«  mais  encores  de  rincommodité ,  k  ceulx  mesmetnent  qui  ont  des  oomiua- 
««  déments  et  des  charges;  car  Tauctorité  que  donne  une  belle  presenoe  et 
**  majesté  corporelle  en  est  à  dire,  »  (Id.  U.  17.) 

L*autonté,  par  suite  de  ce  défaut,  se  fait  désirer,  ne  s'obtient 
pas. 

I^  reine  de  Navarre  écrit  à  chaque  instant  dans  ses  lettres  : 
Le  roi  et  madame  vous  trouvent  bien  à  dire  ;  nous  vous  trou- 
vons bien  à  dire,  C*est  dans  ce  sens  que  l'employait  encore 
Célimèneen  1666. 

Ce  mot  a  disparu ,  peut-être  banni  pour  laisser  régner,  sans 
équivoque  possible,  dire,  venu  de  dicere, 

—  DIRE  de  quelque  chose  tous  les  maux  du  moUBe: 

Tous  les  autres  comédiens eo  ont  dit  tous  les  maugi  du  méndêé 

(Cru,  detÉcdesfem,  7.) 
(Voyez  OH  dirait  de.) 

—  DtttË  pour  redira: 

Ayant  eu  la  bonté  de  déclarer  qu'elle  (Votre  Majesté)  ne  trouvoit  rien 
k  dire  dans  cette  comédie ,  qu'elle  me  défendoit  de  produire  en  public. 

{t^^  P lacet  au  roi,) 

—  DIRE  construit  avec  en  et  à;  en  dire  a,  pour  être 
favorable  à  : 

Si  le  sort  nout  en  dit^  tout  sera  bien  réglé.  {L'Éf,  Vi  2.) 

Si  le  sort  noua  est  propioe  ^  nous  secolide. 


—  123  — 

Cette  bizan*e  expression  est  évidemment  calquée  sur  oêtte 
façon  de  parler  usuelle  :  Jjs  c«ur  m*en  dit  ;  le  eœur  vous  en 
dit^il  ?  Molière  n'a  pu  s'en  servit'  que  dsilis  Uil  dUVi'agé  de  sa 

—  DiKE  VÉRITÉ,  dire  la  vérité  : 

Et  1*11  atolt  tdôn  ctibur,  à  titre  'vèHté,,.,  {Mis,  lY.  i.) 

DISPENSER  (SE)  À ,  se  disposer  à  : 

Et  c*est  aussi  pourquoi  ma  bouche  se  dispense 

A  vous  ouvrir  mon  cœur  aVec  plus  d'assurance,     {bép,  fxlh,  îî.  x.) 

Antrefois ,  dispenser  se  disait  en  pliarmacie,  pour  disposer, 
préparer, 

I  Plusieurs  auteura  ont  écrit  en  détail  la  prépai*ation  des  re- 
mèdes que  les  apothicaires  doivent  dispenser.  Dispenser  la 
thériaque,  c'est-à-dire ,  la  préparer.  I..es  statuts  des  espioiers 
portent  que  les  aspirants  à  la  maistrise  dispenseront  leur  chef- 
d'œuvre  en  présence  de  tous  les  maisties.  »  (FuRBTiiRK.j 

Cette  ancienne  valeur  du  mot  dispenser  est  encore  attestée 
par  le  mot  anglais  dispensary,  pliarmacie ,  dont  nous  avons 
refait,  à  notre  tour,  dispensaire, 

DISPUTER  A   FAIRE  QUELQUE  CHOSE   : 

Je  suis  un  pauvre  paire  ;  et  ce  m'est  trop  de  gloire 
Que  deoi  nymphes  d'un  rang  le  plus  haut  du  pays 
Disputent  à  se  faire  un  époux  de  mon  fils.  {Mélicerle,  I.  4.) 

DIVERTIR, du  latin  dîrertere , détourner ,  distraire, 
toomer  d'an  antre  côté  : 

Aflfès  de  si  heaux  coups  qu'il  a  su  divertir,  {L'Ét,  UI,  i.) 

Totre  feinte  douceur  forge  un  amusement» 

Pour  divertir  l'effet  de  mon  ressentiment  (/?.  Garcie,  IV.  8.) 

Bonjour. —  Hé  quoi,  toujours  ma  flamme  divertie!  {Fâcheux,  II.  a.) 

Tiendra-t-il  point  quelqu'un  eucor  me  divertir?        {Ihid,  III.  3.) 

El,  cherchant  à  divertir  cette  tristesse,  nous  sommes  ailes  nous  promener 

tnr  le  port.  {ScaplH.  II.  1 1 .) 

«  C'est  un  artifice  du  diahle,  de  divertir  ailleurs  les  artnesdont  ces  gens- 

«tâcotubattoiebt  les  hérésies.  »  (Pa^Al.  Penkéés,  p.  *i^7.) 

«  Si  rhoihitte  étoit  heUrëut ,  il  le  kerott  d'âUUn!  fiu^  qd*il  ^kroit  nioih& 

•  ififerfî,  comme  les  MkH  et  i)ietii  *  0iIj  iM.  |l<  i  t|fi) 


-  124  — 
DONCQUES ,  archaïsme  : 

Doncques  li  le  pouvoir  de  parier  iD*e8t  6lé , 

Pour  moi,  j*aime  autaut  perdre  ausû  l'humauîté.     {^Dép.  mm,  IL  7. 

On  écrivit  onginairement  avec  une  s  finale,  doncqmet 
apecques  y  ores^  illecquesj  mesmes, 

DONNER  ;  doiïiïer  a  pleihe  tête  dâhs.  ...  : 

Il  ne  faut  point  douter  qu*elle  ne  donne  à  pleine  tête  dam  cette  troH^tem 

{Am,  magn,  IT.  4. 

—  DONNER   AU   TRAVERS   DE  : 

Uo  homme qui  donne  au  trapers  des  purgatîons  et  des  saigméet 

(Mai,  im,  m.  3. 

Donner,  dans  cette  location ,  et  dans  celles  qui  vont  smrr 
jusqu'à  se  donner  de  garde,  est  pris  au  sens  de  tomber  o\ 
se  lancer  avec  impétuosité^  et  il  est  verbe  neutre ,  ou  plut^ 
réfléchi,  mais  dépourvu  de  son  pronom.  Les  latins  disaient  d 
même  dare  se  :  —  darv  se  in  viam  (Cic.  );  dare  se  prœeipk 
tem  :  dabit  me  prœcipitem  in  pistrinum  (Plaut.)  ;  tiare  s 
fugœ  (Cic.) 

Molière  aussi  construit  donner  avec  le  datif  et  avec  l'accii- 
sadf ,  c'est-à-dire,  avec  à  et  dans. 

—  DONNER  CHEZ  QUELQU'UN  : 

Nous  donnions  chez  les  dames  romaines , 
Et  tout  le  monde  là  parloit  de  nos  fredaines.        {Pem,  sap,  IL  4. 

—  DONNER  DANS   : 

rous  donnez  furieusement  dans  le  marquis!  (VAv,  I.  5. 

les  riches  bijoux,  les  meubles  somptueux  oit  donnent  ses  pareille 

a^ec  tant  de  chaleur.  (Ibid,  If.  6. 

—  DONNER   DANS   LA   VUE,   éblouif  : 

Ce  monsieur  le  comte  qui  va  chez  elle  lui  donne  peut-être  dans  la  vue? 

{B,  gent.  in.  9. 

—  DONNER  A  UN  BRUIT ,  c  est-à-dlrc ,  crolrc  à  ce  bruit 

Enfin  il  est  constant  que  l*on  n'a  poiut  donné 

Au  bruit  que  contre  vous  sa  malice  a  tourné.  {Mis,  V.  x. 

On  n*a  point  donné  créance  au  bruit ,  etc.  Mais ,  sans  re 
courir  à  cette  ellipse  violente,  donner  au  bruit  est  dit  comm< 
donner  au  piège,  c'est-à-dire ,  dans  le  piège. 


—  125  — 
—  DoimER  DE  GARDE  (se)  ,  prendre  ses  précautions  : 

Je  venois  l'aYertir  de  se  donner  de  garde,  (V£t.  IV.  x.) 

IJ  y  a  deux  manières  d'expliquer  cette  locution  :  en  y  con- 
sidérant de  comme  surabondant ,  ce  qui  ne  me  [)laît  guère  ; 
ou  bien  en  expliquant  se  donner^  par  se  faire ,  se  mettre.  Se 
donner  de  garde  ^  se/aire  de  garde  ^  se  tenir  à  Terte ,  au  guet. 
On  disait  aussi,  avec  ub  complément  indirect,  se  donner  de 
garde  de  quelque  chose  : 

*   MOROv.  — DonneZ'Vous-en  bien  de  garde,  seigneur,  si  vous  voulez  m*en 
croire.  (Pr.  itEL  lU.  a.) 

Se  donner  de  garde  est  une  ancienne  façon  de  dire  s'aper- 
cevoir de  quelque  chose  ,  s'en  mettre  en  garde  : 

«  Et  fut  tout  ce  fait  si  soubdaiaeinent,  que  les  gens  de  la  ville  ne  s'en  don- 
•  nerent  de  garde.  »  (Froissart.) 

—  DOicif ER  DES  REVERS ,  renverser  d'un  soufflet ,  mé- 
taphoriquement : 

Toutefois  n'allez  pas,  sur  cette  sûreté, 

Donner  de  vos  revers  au  projet  que  je  tente.  (VEt.  II.  i.) 

--  EU  DOimER  A  quelqu'un  ,  lui  en  donner  à  garder, 
le  tromper: 

Tu  couches  d^mposture ,  et  iu  nCen  as  donné.  {VEt.  I.  lo.) 

(Voyez  COUCHER  de.)  • 

Ah,  ah  !  l'homme  de  bien,  vous  nCen  vouliez  donner!  (Tart.  IV.  7.) 
Cet  en  ne  se  rapporte  grammaticalement  à  lien,  comme  dans 
plusieurs  expressions  analogues  :  en  tenir ^  en  faire  ^  etc. 

—  EN   DONNER   DU   LONG   ET  DU   LARâïl  : 

Donnons^n  à  ce  fourbe  et  du  long  et  du  large,        {VEt,  IV.  7.) 
Donnons-lui-en  dans  tous  les  sens,  accommodons-le  de 
toutes  les  façons  possibles ,  de  toutes  pièces. 

—  DONNER  LA  BAIE.  ...  : 

Le  sort  a  bien  donné  la  baie  à  mon  espoir.  (VEt,  II.  x3.) 

(Voyez  BAIE.) 

—  DONNER  LA  MAIN  OU  LES  MAINS  A...,  métaphori- 
quement ,  soutenir  : 

Donne  la  main  à  mon  dépit,  et  soutiens  ma  résolution 

(B.  gent,  III.  9.) 


—  126  — 

Pourvu  que  votre  cœur  veuille  donner  les  maùu 
Au  dessein  que  J*ai  fait  de  fuir  tous  les  hunudiu. 

(M#.  ▼.  le.  dernière.) 

Un  cœur  qui  donne  les  mains  est  une  image  finisse,  et  une 
expression  forcée. 

La  Fontaine  a  dit  absolument  donner  les  mmlm^  dans  le  sens 
eu  le  vulgaire  dit  aujourd^liui  meiire  tes  pouces: 

•t  De  fiiçon  que  le  philosophe  fîil  ohligé  de  donner  les  mains,  • 

(ru  dMêope.) 

—  OOmN^   Ulf  CRIME ,  Ulf E   REPCTATIOrr  : 

J*igpore  le  détail  du  crime  qu*on  vous  donne,  {T^^*  ^t  ^0 

C'est  le  latin  dare  crimen  alicui. 

Je  ne  souvient  toujours  du  aoir  qu'elle  eut  envie  de  voir  Dsanq ,  aur 
Al  réputation  qu'on  lui  donne^  et  les  choses  que  le  publie  s  vvet  de  lui, 

(  Critique  de  t  Ecole  des  fem,  ac.  a.) 

On  disait  do  même ,  au  xvi*  siècle ,  donner  un  bruit  à  quel-- 
qu'un:  c'était  lui  attribuer  une  réputation.  Bonnivet  était 

«  Des  d^mes  mieux  voulu  que  ne  ieut  oqcques  François,  Unt  pour  sa 

«  beauté,  bonne  grâce  et  parole,  que  pour  le  bruit  que  chacun  lujr  donnait 

«  4'sitre  l'un  des  ylui  adroits  et  hardis  w%,  armes  i|ui  lauit  da  son  taospi.  > 

(La  R.  DE  Nav.  Heptaméron,  nouvella  14.) 

«  Ëjle  connoissoit  1(  CQDtraire  du  fau&  bruit  que  fa^  donnçit  wtx  Fran- 

(Voyez  BEijiT.) 

DONT,  aa  sens  de  i^ar  qui ,  de  qui  : 

c'est  moi,  vous  dis-je,  moi,  dont  le  patron  le  sait.  {Dép.  am,  III.  7.) 
Cette  expression  pèche  par  l'équivoque  :  il  semble  que  Maa- 

carille  veuille  dire  :  ego ,  cujus  dominas  id  rescivitf  —  et  il  veut 

dire  :  a  quo  ou  per  quem  dominas  id  rescivit. 

L'angienne  orthographe  eût  évité  cette  confusion  (aux  yeux 

du  moins),  en  écrivant  :  dond  le  patron  le  sait.  —  Vnde  id 

rescivit. 

«T^poHT,  pour  de  qui^  avec  un  nom  ds  perionne: 

Messieurs  les  maréchaux ,  dont  j'ai  commandement.     (Mis,  II.  7.) 
Mon  fils  9  dont  votre  fiUe  acceptoil  l'hyménée {Sgan,  7.) 


—  137  — 

Et  prindpalement  ma  mèrç  étant  morte,  dont  on  ne  peut  m*ôter  le  bien. 

(VAv.  II.  x;) 

Comme  ami  de  son  maître  de  musique,  </o;i^  j'ai  obtenu  le  pouvoir  de 

dire  qoll  m*enyoie  à  sa  place.  {Mal,  un,  IL  i .) 

— DONT,  par  laquelle  : 

E^  beauté  me  ravit  partout  où  je  la  trouve,  et  je  cède  facilement  à  cette 
douce  violence  dont  elle  nous  entraine.  (P.  Juan,  I.  a,) 

La  bassesse  de  ma  fortune ,  dont  il  plait  au  ciel  de  rabattre  Tambition  de 
mon  amour {j4m,  magn.  I.  i.) 

—  DONT  A  LA  MAISON ,  pour  à  la  maisoYi  de  qui  : 

L'objet  de  votre  amour,  lui,  dont  à  la  maison 

Yotre  imposture  enlève  un  brillant  héritage.  (Dép.  am.  II.  i.) 

Molière  ne  s'est  permis  qu'une  seule  fois  cette  tournure  en  - 
tortillée,  et  c'est  dans  son  premier  ouvrage;  car,  malgré  la 
chronologie  reçue,  je  tiens  le  Dépit  amoureux  aîné  de  V Étourdi, 

Bossuet  fournit  ^n  exemple  d'une  construction  ausû  bicarré  : 

"On  a  peine  à  placer  Osymanduas,  dont  nous  voyons  de  si  magnifiques 
•  momimeiita  dans  Diodore,  et  de  si  belles  marqua  de  4ês  combati, 

{Hut,  un.  m«  p.  S  3.) 

Dont  nous  voyons  de  si  belles  marques  fie  ses  combats  !  pour 
(lu  combats  de  qui  nous  vojons  de  si  bel/es  marques,  11  n'y  a 
pmot  d^  dpute  que  ce  ne  soit  là  une  construction  trèfrrvicieu^fi. 
Lei  saipt^  ont  eu  leurs  faiblesses ,  dit  Voltaire]  ce  n'est  point 
1ms  faiblesses  qu'il  faut  imiter. 

—  DOUT,  au  neutre,  pour  de  quoi  : 

Ah!  poltron,  </b/}/ j'enrage! 
Lâche!  vrai  cœur  de  poule  !  (^g^fi»  9i-) 

4b  !  poltroD  qu«  je  suis ,  de  quoi  j'enr^e  ,  c'est-rà-4ire , 
«l'être  poltrpn.  l/nf(e  venit  mi/ii  rabies, 

--DOiiT  relatif  9  tëparë  de  son  gujet: 

Comme  le  mai  ftit  prompt,  dont  on  la  vit  mourir.  (Dép.  am.  II.  i.) 
(Voyez  QUI  rklativ,  séparé  de  son  sujet.) 

D'ORES-EN-AVANT: 

Tfloif AS  DiAFOiaus.  Aussi  mon  cœur  d'ores-en-avant  touriiera-t-il  tou- 
jours vers  les  astres  resplendissants  de  vos  yeux  adorables.  {Mal,  im,  H.  6.) 


—  128  — 

Archaïsme,  comme  ne  plus,  ne  moins.  On  voit  que  Thomas 
Diafoirus  est  issu  de  vieille  bourgeoisie.  On  a  dit ,  en  ôtant  Vs 
dCorCy  dorénavant  ^  et  l'on  met  aujourd'hui  un  accent  sur  IV, 
dorénavant;  en  sorte  que  les  racines  de  ce  mot  sembleraient 
être  doré  et  navanU  C'est  d'ora  in  avanti^  d'ore  en  aoant. 

Il  est  fâcheux  que  l'Académie  consacre  l'orthographe  et 
la  prononciation  vicieuses. 

DORMIR  SA  RÉFECTION,  ce  qu'U  faut  pour  se 
refaire. 

Le  sommeil  est  nécessaire  à  l*homme;  et  lorsqu'on  ne  dort  pas  sa  réfec- 
tion, il  arrive  que (ProL  de  la  Pr,  éCÈL,  a .) 

DOS;  TOMBER  SUR  LE  DOS  A  QUELQu'un,  en  parlant 
d*im  événement  fâcheux  : 

Il  faut  que  tout  le  mal  tombe  sur  notre  dos,  {Sgan,  17.) 

DOT,  substantif  masculin,  archaïsme  : 

L'ordre  est  que  le  futur  doit  doter  la  future 

Du  tiers  du  dot  qu'il  a.  (Éc.  des  fem,  IV,  a.) 

Les  éditeurs  modernes  ont  substitué  a  du  tiers  de  dot.  »  — 
Il  faudrait  au  moins  du  tiers  de  la  dot. 

C'est  uue  raillerie  que  de  vouloir  me  constituer  son  dot  de  toutes  les  dé- 
penses qu'elle  ne  fera  point.  {Vji9,  II.  6.) 

Montaigne  fait  toujours  dot  masculin.  Ménage  :  a  II  faut  dire 
la  dot  et  non  pas  le  dot ,  comme  dit  M.  de  Yaugelas  dans  sa  tra- 
duction de  Quinte-Curce ,  et  M.  d'Ablancourt  dans  tous  ses 
livres.  >'icot  dit  le  dost,  qui  est  encore  plus  mauvais  que  le  dot.» 

{pbs,  sur  la  lang,fr,  p.  xa6.) 

\Jj4vare  est  de  1668,  et  Ménage  écrivait  ses  observations  en 
1672,  un  an  avant  la  mort  de  Molière.  C'est  donc  vers  cette 
seconde  date  que  le  genre  du  mot  dot  a  été  fixé  au  féminin. 

M.  Auger  cite  ce  vers  du  Riche  vilain  : 
«  Un  grand  dot  est  suivi  d'une  grande  arrogance.  » 
'     Le  moyen  âge  disait  dos  fém.  ,  et  dotimiy  neutre. 

(Voyez  Du  Cance  ,  au  mot  dotum,) 

DOUBLE,  substantif,  pièce  de  monnaie  : 

Vous  ne  les  auriez  pas ,  s'il  s'en  falloit  un  double.        (Méd.  m.  lui,  1. 6.) 
Il  n'y  a  point  de  monsieur  mailie  Jacques /;<7ur  un  double!  {VAv,  IIL6.) 


—  129  — 

C'est-à-dire  qu'il  se  tient  plus  cher,  à  plus  haut  prix.  J^ 
double  était  une  petite  monnaie  de  billon.  //  n'y  en  a  point 
pour  un  double^  espèce  d'adage  pour  exprimer  un  refus  for- 
mel y  une  dénégation. 

DOUBLE  FILS  DE  PCTAiw  ; 

Double  fils  de  putain,  de  trop  d*orgueiI  euflé.  {Amph.  III.  7.) 

Put  y  pute  ^  du  latin /7iir/V/i^,  par  apocope,  ancien  adjectif 
qui  signifiait  à  peu  près  vilain,  vilaine.  Il  est  encore  d'usage 
dans  les  Vosges  et  la  Franche-Comté.  Un  \\ei\\  noël  en 
patois  lorrain,  sur  l'Epiphanie,  dit,  en  parlant  du  roi 
d'Ethiopie  : 

«•  Qui  ot  ce  put  chabrouillé  ?«> 
Qui  est  ce  vilain  barbouillé  ? 

La  terminaison  ain  s'ajoutait  volontiers,  dans  les  premiers 
temps  de  la  langue  ,  aux  noms  de  femme  ou  de  femelle.  Kvc, 
Èvain;  Berte,  Bertain.  Dans  le  roman  de  Renard,  la  jKiule 
s'appelle  Pinte  et  Piniain.  M.  Ampère  pense  que  c'est  un  ves- 
tige d'anciennes  déclinaisons ,  et  la  marque  du  cas  oblique  ;  je 
suis  plus  porté  à  y  voir  simplement  une  forme  de  diminutif. 

DOUCEUR  DE  COEUR,  tendresse,  amour: 

n  se  rend  complaisant  à  tout  ce  qu'elle  dit, 

Et  pouiToit  bien  avoir  doiœeur  de  cœur  pour  elle.     {Tart,  III.  i.) 

DOUTER,  verbe  actif,   douter  quelque  chose ^ 
e  est-à-dire ,  le  redouter,  le  tenir  suspect  : 

Sons  couleur  de  changer  de  For  que  ton  doutait,         {L*Et.  II.  7.) 

De  l'or  que  l'on  craignait  qui  ne  fût  faux. 

Douter,  se  disait  jadis  en  la  forme  simple  ;  redouter  mar- 
quait la  répétition ,  l'augmentation  de  la  crainte.  Nicot  dit  : 
«  DouBTER,  hetitarey  dtibitarey  vereri,  timcre.  » 

«Il  n'y  a  homme  tantliardi  qui  nedoubte  trop  d'en  aller  cueillir.  ** 

(Jnmdis.  li\TeII.) 
CLOVis  à  saint  Rémi, 
m  Sire  arcevesque,  nous  lavez 
«  Corps  et  ame  dedans  ces  fons , 
«  Pour  nous  garder  d'aller  à  fons 
«  D'enfer,  qui  lant  fait  à  doubter.^  {Mystère  de  Ste  Cloiiide,) 

9 


—  180  — 

Froissart  ne  connaît  que  le  Terbe  douter  ou  se  douter^  pour 

signifier  redouter  : 

«  Le  clerc  se  <Umhta  du  che\:a1icr,  car  II  efltoit  cniem ....  il  vint  CB 
«  présence  du  sire  de  CorasMs  et  iuy  dit  : ... .  Je  ne  suit  pas  si  fort  es  M 
«(  pays  comme  vous  estes  ;  mais  sachez  que,  au  plustost  que  je  pourrai,  je 
«  vous  envoierai  tel  champion  que  vous  douhterez  plus  que  tous  ne  faictei 

«  moi.  Le  lire  de  Gorafs« Iuy  dict  :  Va  i  Dieu,  va;  fais  ce  que  lu 

•  peux  :  je  te  double  autant  mort  que  vif.  • 

(  FaoïssAaT.  Citron,  IIL  cb.  aa.) 

Se  douter  avait  le  même  sens.  Pathelin  confie  à  sa  femme  ton 
plan  pour  duper  le  drapier  :  Bon ,  dit  Guillemette  : 
«  Mais  se  vous  renchéez  arrière , 
«  Que  justice  vous  en  repreigne , 
«  Je  me  doute  quMI  ne  tous  preigne 
«  Pis  la  moitié  qu'à  Tautre  fois.  ••  {PatheUn.) 

0  Mais  si  vous  ne  réussissez  pas ,  et  que  la  justice  s*en  mêle, 
j*ai  peur  qu*il  ne  vous  en  arrive  la  moitié  pis  que  la  dernière 
fois.  » 

DOUZE ,  dans  ane  espèce  de  rébus  on  de  calembour 
trivial  : 

JACQUELINK.  Je  VOUS  d'u  et  vous  douze  (co  et  la)  que  tous  cet  médadiu 
n'y  feront  rian  que  de  l'iau  claire.  (Itléd.  m,  lui,  II.  a.) 

DRAPS  BLANCS;  mettre  QUELQDUif  dans  de  beaux 
DRAPS  BLANCS ,  par  ifouie  : 

AJi  !  coquines,  vous  nous  mettez  dans  de  beaux  draps  blmncs  i 

{Préc.  rid.  iS.) 

DRESSER  ;  dresser  un  artifice  : 

Et  s'il  faut  par  hasard  qu'un  ami  vous  trahisse, 

Que  pour  avoir  vos  biens  on  dresse  un  artifice  ?  {Mis.  I.  i.) 

Mais  pour  lequel  des  deux  princes  au  moins  dressez^vous  tout  eet  «r- 
f'fice  ?  {Abu  magn.  ÏW,  4.) 

—  DRESSER  SA  PROMENADE  VERS.  .  .  . ,  la  diriger  : 

Dressons  notre  promenade,  ma  fille,  vers  cette  belle  grotte  où  j'ai  pro- 
mis d'aller.  (y^/</.  m.  ,.) 

«  Elle  dressa  donc  ses  pas  vers  le  lieu  où  elle  avoit  vu  cette  fumée.  » 

(U  FoHT.  Psfcké.  U.) 


—  131  — 
DU , pour  que  le: 

C'est  un  étrange  fait  du  soin  que  vuui  preuec 
A  me  venir  toujours  jeter  mon  Age  au  nez.        (£f.  lUs  mar,  L  i .) 
"  Cest  dommage  du  gentilhomme,  quand  il  est  ainsi  mort.  » 

(PaoïssART.  Chron,  II.  ch.  3o.) 
«  Vojes  que  c*est<^  monde  et  «isi choses  humaines!  « 

(Rkoviek,  le  mauvais  Giste,) 
(Voyez  DE  remplaçant  que  le.) 

DULGIFIÉ,  au  sens  métaphorique  : 

GROS-aBITE. 

....  Voilà  tout  mon  courroux 
Déjà  dmleifié;  qu>n  dis-tu,  romprons-nous?        (/>c/7.  am,  IV.  4.) 

—  DDLCiFUHT,  adjectif  : 

soANAacLLE.  QuclquE  petit  clystère  dulctfiant,  Méd,  m,  lui,  II.  7. 

DU  MATIN ,  dès  le  matin  : 

Biais  demain,  du  matin,  il  vous  faut  être  habile 

A  vider  de  céans  jusqu'au  moindre  ustensile.  {Tart.  V.  \ .) 

—  DU  GRAiHD  MATO ,  dès  le  grand  matin  : 

Aujourd'hui  il  est  trop  lard;  mais  demain,  du  ^rand matin,  je  renverrai 
q«crir.  {Mal.  im,h  10.) 

DU  MIEUX  QUE  : 

Allez  ;  si  elle  meurt,  ne  manquez  pas  de  la  Cidre  enterrer  du  mieux  que 
TOUS  pourrez.  {Méd,  m,  lui,  III,  2.) 

(Voyez  DE  exprimant  la  cause  ,  la  manière.) 

DU  MOINS,  pour  au  moins  : 

Je  vais  gager  qu'en  perruques  et  rubans  il  y  a  <^  moiiu  vingt  pistoles. 

(L'^f.  I.  5.) 
C*est  pour  éviter  Thiatus  a  au. 

DUPE  A  (un  infinitif): 

Et  moi,  la  bonne  dupe  à  trop  (roire  un  vaurien. . .  •     (//£/.  II.  5.) 
Et  moi  f  qui  en  croyant  un  tel  vam*ien  suis  ime  trop  bonne 
dape. 
(Voyez  A  (un  infinitif)^  capable  de ,  de  nature  à.) 
DURANT  QUE  : 

Je  vous  dirai que,  durant  qu*U  darmoit,  je  me  suif  dérobée  d'au- 

I>rèi  de  lui. .  • .  (G.  />•  m.  la.) 

9- 


—  132  — 

C*est  lé  participe  ablatif  absolu  des  Latins  :  durante  quud^ 
comme  pendant  que  y  pendente  quod, 

DURER  CONTRE  quelqu'un,  durer  a  quelque  chose: 

cLAUDiif  1.  n  a  tant  bu,  que  je  ne  pense  pas  qu'on  puisse  durer  contre  An. 

G,  D,  m.  la.) 
11  faut  observer  que  ce  durer  est  devenu  du  style  de  ser- 
vante ,  mais  que  cette  servante  parle  comme  Tite-Iive  : 
a  Ne(!  poterat  durari  extra  tecta.  »  On  ne  pouvait  durer  hors 
des  maisons^  et  comme  Plante  :  «Nequco  durare  in  apdîbus.» 
Je  ne  puis  durer  chez  nous. 

« durate,  atque  exspectate  cicadas.»       (JmriN.  IX.  69.) 

Au  surplus,  Molière  a  relevé  cette  expression,  en  la  mettant 
dans  la  bouche  de  Taimable  et  spirituelle  Élise  : 

Pensez-vous  que  Je  puisse  durer  à  ses  tîurlupinades  perpétuelles  ? 

{Crit,  de  t£c,  des  fem.  1.) 

DU  TOUT  : 

Mon  ûhf  je  ne  puis  du  tout  croire 

Qu'il  ait  voulu  commeUre  une  action  si  noire.  (Tart.  V.  3.) 

Je  relève  ces  vers ,  uniquement  i>our  avoir  occasion  d'ob- 
server que  du  tout  ne  s*eniploie  plus  aujourd'hui  qu'en  des 
formules  négatives ,  mais  qu'il  entrait  aussi  originairement 
dans  des  phrases  affirmatives.  Par  exeniple  : 

•(  No&tre  Seignur  Deu  del  tut  siwez  et  de  tul  vostre  quer  servez.  » 

{Rois.  p.  4z.) 

Suivez  du  tout  y  c'est-à-dire,  absolument,  sans  restriction. 
Notre  Seigneur  Dieu.  —  Nous  sommes  appauvris  de  la  moitié 
de  cette  locution. 

«  Pensez,  amis,  que  je  faz  moult 
«  Quant  je  me  niels  en  vous  du  tout 

«  Et  de  ma  mort  et  de  ma  vie.  •  {Partonopeus,  x.  7730.) 

Quand  je  me  confie  entièrement  en  vous ,  quand  je  vous 
livre  ma  mort  et  ma  vie. 

E  nmet  étouffé  pour  la  mesure  : 

Les  flots  contre  les  flots  font  un  remue-ménage,      {Deu.  am.  IV.  a.) 
L'édition  de  P.  Didot  écrit  remd-nienag^e ;  l'édition   faite 
sous  les -yeux  de  Molière,  remue- ménage. 


—  133  — 

Je  pousse,  et  je  me  trouve  en  un  fort  à  l'écart, 

A  la  queue  de  dos  chiens,  moi  seul  avec  Drécart.    (Fâcheux,  II.  7.) 

La  locution  étant  ainsi  faite,  il  n*y  avait  pas  moyen  de  l'em- 
ployer autrement  en  vers. 

Au  reste  ,  il  est  bon  d'observer  que  dans  l'ancienne  versifi- 
c^ation  Ve  muet  ne  comptait  pas  plus  à  l'hémistiche  qu'il  ne 
ia.it  aujourd'hui  à  la  fin  d'un  vers.  Et  tout  atteste  que  nos 
|>«res  avaient  l'oreille  aussi  délicate  que  nous ,  pour  le  moins. 
11  se  passe  quelque  chose  d'analogue  en  musique.  C'est  l'ahé- 
rsuion  de  la  septième  dans  la  gamme  mineure  ;  on  n'en  avait 
f>as  l'idée  jadis ,  et  nous  ne  saurions  nous  en  passer.  Ce  sont 
des  efîets  de  l'éducation,  qu'on  prend  pour  des  lois  naturelle^  : 

Tant  de  nos  premiers  ans  l'habitude  a  de  force  ! 

—  Emuet  de  la  seconde  ou  de  la  troisième  personue, 
comptant  pour  une  syllabe  : 

Anselme,  mon  mignon,  crî^-t-elle  à  toute  heure.  (VEt,  1. 6.) 

Ah  !  R*aie  pas  pour  moi  si  grande  indifférence  !  (Ibid,  IX.  7.) 
Ib  ne  TOUS  ôtent  rien ,  en  m'ôtant  à  vos  yeux , 

Dont  ils  n'aient  pris  soin  de  réparer  la  perte.  {Psyché.  II.  x.) 

Mais  Psyché  est  écrite  avec  une  précipitation  extrême.  Mo- 
lière ,  depuis  ses  premiers  ouvrages,  ne  se  permettait  plus  cette 
négligence. 

ÉBAUBI  : 

Je  suis  tout  ébaubie^  et  je  tombe  des  nues!  {Tart,  Y.  5.) 

Trévoux  dît  que  c'est  une  forme  populaire  et  corrompue  du 
mot  ébahU  II  se  trompe.  La  forme  première  est  abaubi ,  et  nos 
péi-es  distinguaient  bien  esbahi  et  abaubi  : 

«  Lors  le  voit  morne  et  abouèit,  »      (Rom.  de  Coucjr.  v.  i85.] 
«  Li  ckastelains  fut  esbahis.  »  (ibid.  v.  aa3.) 

1^  châtelaine  de  Fayel ,  voyant  dans  sa  chambre  son  époux 
et  son  amant ,  demeure  stupéfaite  : 

«  Quant  ele  andeus  leans  les  vist, 

«  Le  cuer  a  tristre  et  abaubit, 

m  Dont  dist  corne  esbahie  famé  : 

«  Sire  diex!  quel  gent  sont  cecy?  (Ibid,  v.  4546.) 


—  194  — 

Esbahi  est  celui  qui  reste  la  bouche  béante ,  ccminie  s*il 
bAillait.  La  racine  est  hiare, 

Abambi  a  pour  racine  balbuif  dont  on  fit  baube.  Louis  le 
Hùgue  était  Loys  U  Baube  : 

m  Looyft  lé  fil  Cfaalle  la  Chauf,  qvî  Loys  U  Bouées  fat  •pdei.  • 

(CAitN».  de  St^Dei^  ad  aaiL  %*)%) 

Et  Philippe  de  Mouskes  : 

«  Loeys  ki  Baubes  oX  BOfll.  » 

Louis,  surnommé  le  Bègue. 

En  composant  cet  adjectif  avec  a,  qui  marquait  une  action 
en  progi'ès ,  on  fit  abaubir^  comme  alentity  apetisser^  agrandir^ 
et ,  par  la  corruption  de  Fâge ,  ébaubL 

Un  homme  ébahi  est  muet  de  surprise  )  Vébaubi  est  celui 
que  la  sui-prise  fait  bégayer,  balbutier. 

Trévoux  dérive  esbahir  de  l'hébreu  schebasck,  et  ébaubi^ 
iVébahir. 

Le  verbe  était  bauboier  on  baubier^  qui  s'écrivait  balbier. 
II  y  a  dans  Partonopeus  un  exemple  naïf  d'une  femme  ébaubie , 
ou  abaubie  :  c'est  quand  la  fée  Mélior,  en  s'éveillant,  ne  trouve 
plus  Partonopeus  à  ses  c^tés  ;  elle  veut  l'appeler  par  son  nom  : 

«  Nèl  paet  nomer,  et  ne  porqutnt 

«  BtilbU  l'a  en  louglotant  : 

«  Parto,  Porto,  a  dit  souvent, 

«  Puis  dit  nopeu ,  moult  feblement; 

«  Et  quant  a  Partonopeu  dit 

«  Pasmee  ciet  desor  son  lit.  {Partonopeus,  w,  7^45.) 

(Voyez  Du  Gange  aux  mots  Balbire  et  Balbuzare.) 
Balbier  (baubier)^  est  la  forme  primitive,  tirée  de  balbus. 
Balbutier  est  de  seconde  formation ,  calqué  sur  balbutire. 

ÉBULLITIONS  de  gbrvbau  : 

Je  suis  pour  le  bon  sens,  et  ne  saurais  souffrir  les  ébuUitions  de  cerpeau 
de  nos  marquis  de  Mascarille.  (Crit,  de  t£c,  des  fem.  6.) 

ÉCHAPPER  (l)  belle  : 

Je  viens  de  V échapper  bien  belle,  je  vous  jure!  {Ee,  desfem,  FV.  6.) 

I^  substantif  de  l'ellipse  parait  être  occasion ,  comme  dans 

vous  nous  la  donnez  belle!  On  comprend  que,  dans  ces  for- 


—  135  ~ 

mules ,  l'absence  du  mot  précis  a  permis  à  Tosage  d'étendi*e 
un  peu  le  sens  et  les  applications. 

Noos  ravcNU  en  donnant,  madame,  échappé  belle  t  (JFem,  satf,  IV.  3.) 
L*usage  a  consacré  cette  forme  avec  cette  orthographe,  parce 
qti'elle  date  d'une  époque  où  Ton  n'était  pas  bien  rigoureux 
sup  l'accord  des  participes  ,  et  que  d'ailleurs  l'ellipse  du  subs- 
tantif féminin  dissimule  un  peu  la  faute.  Il  est  certain  que,  à 
la  rigueur,  il  faudrait  échappée  belle.  Cependant ,  en  prose 
naéme,  personne  n'a  jamais  écrit  le  participe  au  féminin  : 
«  Ma  foi,  mon  ami,  je  toi  échappé  belle  depuis  que  je  ne  t*ai  vu  !  » 

(Lesagk,  GH  Blûs,) 
L'italien  possède  beaucoup  de  locutions  faites ,  où  l'adjectif 
est  ainsi  au  féminin  par  rapport  à  un  substantif  sous-entendu  : 
— ^  corne  la  passate  ?  —  questa  non  Vintendo;  —  ei  me  l'ha 
fittta; — questa  non  mi  calza,  etc.,  etc.,  oii  Ton  peut  supposer 
dans  l'ellipse  les  mots  vita ,  cosa ,  burla ,  scarpa, 

ÉCHELLE  ;  tiber  l'échelle  après  quelqu'un  : 

I^ucAS.  Oh,  morguenne  !  il  faut  tirer  t  échelle  après  ceti-là. 

{Méd,  m,  lui,  U.  i.) 

Cette  figure  s'entend  assez  :  quand  on  tire  l'échelle,  c'est 
qu'on  n'a  plus  à  laisser  monter  pei*sonne  ,  étant  satisfait  de  ce 
qui  est  monté. 

ÉCHINE  ;  AJUSTER  L*£CHnf£ ,  bâtonner  : 

Ah  !  vous  y  retournez  ! 
Je  vous  ajusterai  Véchine.  (j4mph.  III.  7.) 

ÉCLAIBÉ  EN   HONNETES  GENS  *. 

L'Age  le  rendra  plus  éclairé  en  honnêtes  gens,    {Crît,  de  tSc,  des/,  5.) 
Cesi-ÀMiire,  lui  apprendra  à  les  mieux  reconnaître. 

ÉCLÀIBER  quelqu'un,  respionner,  éclairer  ses  dé- 
marches : 

Au  diable  le  fâcheux  qui  toujours  nous  éclaire!  (VEt,  1. 4.) 

Dites-lui  qu'il  s'avance , 


El  qu'il  ne  se  verra  d'aucuns  yeux  éclairé.  (D.  Garde,  fV.  3.) 

J'ai  Touln  vous  parler  en  secret  d'une  affaire. 

Et  suis  bien  aise  ici  qu'aucun  ne  nous  éclaire,  {Tart,  Ut,  3.) 


—  136  — 

Il  nous  reste  en  ce  sena  le  substantif  ^a</vicr;  aller  en  édm 
reur. 

On  disait  éclairera  f/uelqu^un ,  pour  signifier  lui  éclairer  so 
chemin.  Nicot  fait  soigneusement  la  distinction  entre  éclam 
quelqu'un  et  à  quelqu'un;  il  explique  le  second  :  «  Prœlmeei 
«  alicui;  lucemfacere  alicui;  luslrare  lampade,  »  Ainsi  qnan 
on  lit  dans  Don  Juan ^  act.  lY,  scène  3,  — Allons,  mcmsiev 
Dimanche,  je  vais  vous  éclairer^  —  il  faut  entendre  ce  imaa 
datif,  pour  à  vous  y  et  non  pas  à  l'accusatif,  comme  aujoui 
d'hui  nous  disons,  Éclairez  monsieur.  C'est  une  politesse  trà 
impolie  :  monsieur  n'a  pas  besoin  qu'on  l'éclairé ,  mais  qu'o 
lui  éclaire  sa  route. 

Ce  vice  du  langage  moderne  paraît  né  de  l'équivoque  di 
formes  vous ,  moi ,  me ,  qui  servent  aussi  pour  à  vous  y  à  me 

ÉCLATS  DE  RISEE ,  éclats  de  rire  : 

A  tous  les  éclats  de  risée,  il  baussoit  les  épaules,  et  regardoit  le  parler 
en  pitié.  {Crit,  de  FEc,  desfem.  i 

»  Ces  paroles  à  quoi  Gélaste  ne  s'attendait  point,  et  qui  firent  faire  i 
»  petit  éclat  de  risée,  Tinterdirent  un  peu.  >•      ( La  Fontaihe.  Psyché,  1 

KCOT  ;  PARLER  A  80TI  ÉCOT  : 

Mais  quoi...?  —  Taisez-vous,  voun  ;  parlez  à  votre  écot. 

Je  vous  défends  tout  net  d'oser  dire  un  seul  mot        (Tari,  TV,  '. 

C'est-à-dire  parlez  à  votre  tour,  en  proportion  de  vot 
droit  et  de  votre  dû ,  comme  chacun  mange  à  son  écot. 

ÉCOUTER  UN  CHOIX,  y  entendre,  l'examiner  : 

Le  choix  est  glorieux ,  et  vaut  bien  qu*on  Yécoute,       (Tari.  II.  i 

ECU  ;  LE  RESTE  DE  NOTRE  ECU  : 

M™'  JOURDAiir  {'apercevant  Dorlmène  et  Dorante).  Ah,  ah!  roicî  jl 
temeiit  le  reste  de  notre  écuî  Je  ne  vois  que  chagrins  de  tous  côtés. 

[R,  gent.  V. 

Expression  figurée,  prise  du  change  des  monnaies.  Vol 
le  reste  de  notre  écu  !  c'est-à-dire ,  voici  qui  complète  net 
infortime. 


i 


—  137  — 
EFFICACE,  substantif  féminin  : 

On  n^ignore  pas  qu*une  louange ,  en  grec,  est  à'unemerveUUuse  efficace 
k  la  lêle  d'an  livre.  (^''«/-  f^^'  Précieuses  ridicules,) 

H  est  trop  heureux  d'être  fou ,  pour  éprouver  V efficace  et  la  douceur  des 
remèdes  que  vous  avez  ai  judicieusement  ordonnés.  (Pourc.  I.  1 1.) 

L'efficace^  j^nr  V efficacité ^  commençait  déjà ,  en  1669,  à 
d^rveiiir  un  terme  suranné  ;  mais  il  a  d'autant  meilleure  grâce 
dajds  la  bouche  d'un  personnage  grave  et  doctoral. 

Il  faut  observer  qu'il  y  a  dix  ans  entre  les  Précieuses  ridi- 
citles  et  Monsieur  de  Pourceaugnac  (i  659-1 669.) 

EFFRÉNÉ  :  propos  effrénés  : 

Comment  !  il  vient  d'avoir  Taudace 

De  me  fermer  la  porte  au  nez, 

Et  de  joindre  encor  la  menace 

A  mille  propos  ejfrénés  !  {Amph.  IIL  4.) 

Puisqu'on  dit  bien  une  langue  sans  frein  ^  pourquoi  ne  di- 
rait-on pas  aussi  des  propos  effrénés  ?  La  métaphore  est  la 
même.  Mais  on  ne  saurait  approuver  des  traits  effrontés  [Tar- 
^/fcy  II.  a)  ;  des  épigrarames ,  des  coups  de  langue,  peuvent 
s'appeler  des  traits  ^  parce  que  l'effet  de  l'un  comme  de  l'autre 
est  de  blesser,  de  piquer  ;  mais  des  traits  n'ont  pas  àe  front. 
Il  y  a  incohérence,  incompatibilité  d'images.  C'est  Dorine  qui 
est  effrontée. 

EFFROI ,  au  sens  actif.  Voyez  plein  d'effroi. 
ÉGARER  (SE)  de  quelquun  : 

Je  m'élois  par  hasard  égaré  tt un  frère  et  de  tous  ceux  de  notre  suite. 

(Z>.  Juan,  UI.  4.) 
Les  Italiens  disent  de  même  smarrito  délia  via. 
J'observe  que  l'on  disait  aussi  égarer  quelqu'un  ^  an  même 
*ens  que  s'égarer  de  quelqu'un  : 

«  Gontiderant  les  mouvements  du  chien à  la  qiiesle  de  son  maistre 

•  qu'il  a  esgaré,  »  (Moirr  aigri,  II.  x3.) 

C'est-à-dire  dont  il  s'est  égaré. 

Mcot  ne  donne  que  la  forme  s'égarer  d'avec  :  «  L'enfant 
s^est  esgaré  d'avec  son  père,  » 


—  188  — 

Ménagp  dérive  égarer  de  je  ne  sais  quel  varare^  «pi'il  traduit 
par  traverser.  Egarer  y  garer  ^  garder  ^  garir  (auj,  gaérir)^  gué- 
riiCy  garantir  f  tous  ces  mots  descendent  de  TalleuMUidy  Ar- 
wahren  (en  anglais  beware)^  en  passant  par  la  basse  latinilé, 
d'où  le  iv  se  changeait ,  pour  le  français ,  en  ^v  ou  ^  dur. 
ff^erdungf  guerdon  ;  i—  ff^antus ,  guani  (gant)  ;  —  fFardia , 
garde  ;  —  Radium ,  gage  ;  —  IVallia ,  Gaule  ;  —  fFarenum 
{jibi  animalia  custodiuntur)^  garenne;  etc.,  etc. 

Giiêrite  on  garite  signiûait  une  route  à  Técart,  un  sentier  dé 
tourné,  jiar  oii  Ton  cherchait  un  refuge  devant  Tennemi ,  sid^ 
hewahren^  à  se  garer  ou  à  se  garir.  Delà  cette  vieille  expression, 
enfiler  la  guérite ,  c'est-à-dire,  ftiir,  chercher  un  asile  dans  h 
fuite.  De  même  s'égarer ^  c'est  se  jeter  dans  ce  petit  chemii 
perdu  ,  hoi*s  de  la  vue  et  de  la  poursuite. 

On  voit  d'un  même  coup  d'œil  comment  se  rattachent  i 
cette  famille  l'exclamation  gare  !  qui  n*est  que  l'impératif  di 
verbe  se  garer  :  se  garer  des  chevaux ,  des  Toitures';  et  U 
substantif  féminin  gare;  une  gare  pour  les  bateaux,  la  gtm 
d'un  chemin  de  fer.  L'enchaînement  des  idées  est  donc  celui- 
ci  :  protection  ,  fuite  ,  écart ,  égarement. 

ÉGAYER  SA  DEXTERITE,  la  faire  jouer,  en  faire  parade 

Mais  la  princesse  a  voulu  égayer  sa  dextérité  jtX  de  son  dard ,  qu^cUe  lu 
a  lancé  un  jieu  mal  à  propos....  etc.  {Am.  magn,  Y.  i. 

ÉLEVER  SES  PAROLES  ,  élever  la  voix  : 

Phis  haut  que  les  acteurs  élevant  ses  paroles.  {Fâcheux,  I.  f . 

ÉLISION. 

Oui  ,  ne  faisant  pas  élision  : 

El  son  cœur  est  épris  des  grAces  d^Henriette. 
—  Quoi  !  de  ma  fille  ? 

— Ou/,  Clitandre  en  est  charmé. 

{Pem,  $ap.  II.  3, 

L'hiatus  n'est  pas  en  cet  endroit  plus  choquant  que  dan 
cet  autre  ,  où  la  règle  du  moins  n'a  pas  à  se  plaindre  : 

Ces  gens  vous  aiment?  —  Ou/,  de  toute  leur  puissance.  {Ibid.  II.  5, 

I^  repos  fortement  marqué  fait  disparaître  l'hiatus.  Qaan< 
ce  repos  est  moindre  ,  Molière  ne  manque  pas  d'élider  : 


—  139  — 

NoiM  NMv  «st  folk,  oiiil  — Ok  croit  tous  les  jours.  (F«hi.  $ê»,  II.  4) 

Sans  élifion  : 

Moi,  ma  mère?  —  Oul^  tous.  Faites  la  sotte  un  peu  !  {Ibid,  10.  G.) 

Ovut: 

Hé  non  !  mon  pèrt.—  Ouais  !  qu*esl-€«  donc  que  œei?  (Ibid,  ▼.  a.) 

Li^hiatua  dans  ces  fMtfsages  est  raoins  iensible  à  l'oreille  que 
\  une  foule  d'autres ,  où  il  est  plus  réel ,  quoique  dissimulé 
à  Tceil  par  Torthographe.  Ainsi  : 

AucuD,  hors  moi,  dans  la  maison 
N*a  droit  de  commander,  —  Oui,  vous  avez  raison.        (Jbid.  Y.  a.) 

Cela  est  très-légitime;  mais  on  interdirait  ;  ii  m* a  com- 
mandé, oui,,,.,,  qui  est  pour  Tomlle  absolument  la  même 
chose.  Un  des  pires  inconvénients  de  la  versification  moderne, 
c'est  que  les  règles  en  ont  été  faites  pour  le  plaisir  des  yeux  , 
sans  égard  de  celui  de  l'oreille.  C'était  précisément  le  con- 
traire dans  l'ancienne  poésie  française.  Aussi  les  vers  moder- 
nes ,  avec  leur  apparence  de  politesse  et  de  rigidité ,  sont-ils 
remplis  d*hiatus  et  de  fautes  contre  la  mesure.  C*est  ce  que 
j'ai  essayé  de  développer  dans  mon  essai  sur  les  variations  du 
tangage  français ,  p.  177. 

ELLÉBORE,  raison,  bon  sens  : 

Vous  le  voyez,  sans  moi  vous  y  seriez  encore  ; 

tX  TOUS  aviez  besoin  de  mon  peu  à* ellébore.  {Sgan.  aa.) 

Sur  cette  expression  mon  peu  d*eUébore,  voyez  peu  pour  un 

ELLIPSE  : 

—  D*im  VERBE  DÉTA  EXPRIMÉ ,  et  qui ,  répété ,  serait 
ftox  mêmes  temps,  nombre  et  personne  que  devant  : 

Hé  bien  !  vous  le  pouvez,  et  prendre  votre  temps.  (Fdcluus.  lU.  a.) 

Et  vous  pouvez  prendre  votre  temps. 

Ouiy  toute  mon  amie,  elle  est ,  et  je  la  nomme , 

Indigne  d'asservir  le  coeur  d'un  galant  homme.  {Mis.  lH.  7.) 

Toute  mon  amie  qu^elle  est ,  elle  est^  etc. . . 

Puisse-t-A  te  confondre,  et  celui  qui  f envoie  !  {Tart,  Y.  4.) 

Et  confondre  celui,  etc.  Confondre  toi  et  celui... 


^— DUN  VERBE  DEiA  EXPRIMÉ,  qoi,  répété,  seraU 
à  une  aatre  personne,  à  an  autre  nombre  oa  à  on  antre 
tempB  : 

Vous  vous  moquez  de  moi,  Léandre,  ou  lui  tU  vous,  {VMU  UL  à^      Y^ 
Ou  lui  se  moque  de  vous. 

Ah  1  TOUS  ne  pouvez  pas  trop  tôt  me  Pacoorder  (le  pardoa)^ 
K\  moi  sur  ceUe  peur  trop  tôt  le  demander.        ipép,  mau  IV. 

Ni  inoiy>  ne  peux 

Il  parle  d'Isabelle,  el  vous  de  Léonor.  (£c.  des  mur.  III.  r         ^'' 

El  vous  parlez  de  Léonor.     . 

Je  ne  veui  point  ici  faire  le  capitan, 

Mais  on  m*a  vu  soldat  avant  que  courtisan.  {Fâcheux,  I.  ic— --^*^'^ 

Avant  que  de  me  voir  courtisan. 

Vous  attendez  un  frère,  et  Léon  ton  vrai  maître.  (D.  Gurâe,  V.  *^*^^*' 


Vous  attendez  un  frère ,  et  le  royaume  de  Léon  attend  se: 
vrai  maître. 

Je  suis  le  misérable,  et  toi  le  fortuné.  (Afci.IIL  i^" 

TU  es  le  fortuné. 

Puisque  vous  n*étes  pas  en  des  liens  si  doux  . 

Pour  trouver  tout  en  moi,  comme  moi  tout  en  vous...  {Jhid.  V.  7.^  — 

G)mme  je  trouve  tout  en  vous. 

Et  comme  ses  lumières  sont  fort  petites,  «/  son  sens  le  plus  borné  du^-^     ^ 
monde.....  (Poiirc.III.  i.)^  ^^* 

Et  que  son  sens  ^^rle  plus  borné  du  monde. 

Ces  sortes  dVllipsos  sont  très  -  favorables  à  la  rapidité  du       ^^ 
langage,  mais  la  grammaire  les  repousse.  Bossuet  en  use  fré-        ' 
qneroment  : 

«•  Au  poiut  du  jour,  lorsque  Tesprit  est  le  plus  net  et  Us  pensées  le  plus 
m  pures^  \U  lisoient,  eic.  »  (Hist.  un,  \\V  p.  %  ht.) 

Et  que  les  pensées  sont  le  plus  pures. 

«  Le  roi  de  Babylone////  tué,  et  les  Assyriens  mis  en  déroute.*  {Ibid.  J  iv.) 

Et  les  Assyriensyî/re/îf  mis  en  déroute. 

«  M»  Arnauld  mériteroit  rapprobation  de  la  Sorbonne,  et  moi^  la  cen- 
«  aurede  TAcadémie.»  (Pascal,  V  Prop.) 


—  141  — 
£t  mm  je  méritenûs. 

—  D*u]f  VERBE  NON  EiPRiMÉ,  mais  quc  la  pensée 
sapplée  facilement  : 

:  Ton  maître  t*a  chargé 

De  me  saluer?  —  Oui.  —  Je  lui  suis  obligé: 

Va,  que  je  lui  souhaite  uue  joie  infinie.  {Dép,  am.  III.  a.) 

Va ,  dis-lui  que ,  etc. 

Non,  mon  père  m*en  parle,  et  qu'il  est  revenu. 

Comme  s'il  devoit  m'étre  entièrement  connu.     (Ec.  des  fem,  1.  6.) 

Et  me  dit  qu'il  est  revenu. 

«  Ils  ont  demandé  avec  instance  que  s*il  y  avoit  quelque  docieur  qui  les 
■  y  eûl  vues  (les  cinq  propositions),  il  voulût  les  montrer  :  que  c'étoit  uue 
*    chose  si  facile ,  qu'elle  ne  pouvoit  éire  refusée.  »       (Pascal,  i'*  Prov.) 

—  d'un  substantif  ou  d'un  adjectif  : 

Et  sur  Ini,  quoiqu'aux  yeux  il  montr&t  beau  semblant , 

Petit  Jean  de  Gaveau  ne  montoit  qu*en  tremblant.  {Fâcheux.  U-  7.) 

Gaveau  était  le  nom  du  marchand  de  chevaux,  petit  Jean 

ét^it  son  fils  ou  son  valet  :  le  petit  Jean  de  chez  Gaveau  , 

c^onmie  dans  la  Comtesse  d*Ëscai*bagnas  :  —  Voilà  Jeannot  de 

^Monsieur  le  conseiller  qui  vous  demande,  madame.  (Se.  12.) 

Comme  à  de  mes  amis ,  il  faut  que  je  le  chante 

Certain  air  que  j'ai  fait  de  petite  courante.  {Fâcheux,  I.  5.) 

Comme  à  l'un  de  mes  amis. 

Kessou venez- vous  que ,  hors  d*ici  ,y>  ne  dois  pliu  qu'à  mon  honneur. 

(Don  Juan.  III.  5.) 
Je  ne  dois  plus  rien  qu'à  mon  honneur. 

—  D  UN  PRONOM  personnel  : 

C*est  donc  ainsi  qyCahsent  vous  m*avez  obéi?      {£c,  des  fem,  II.  a.) 
Moi  absent^  tandis  que  j'étais  absent,  me  absente, 
La  tournure  en  elle-même  n'a  rien  de  blâmable  ;  au  contraire, 
elle  s'accorde  bien  avec  la  passion  qui  transporte  Amolphe  ; 
seulement  il  est  fâcheux  que  le  mot  absent  soit  placé  de  ma- 
nière à  faire  équivoque  :  d'après  les  règles  et  les  usages  de  la 
grammaire ,  le  sens  serait,  vous  absent,  tandis  que  vous  étiez 
absent  ;  et  c'est  moi  absent  y  en  mon  absence.  Il  faut  que  Tin- 
lelligence  de  l'auditeur  supplée  à  l'inexactitude  de  l'expression. 


—  142  - 

ÉLUDER  QUELQuun  de....,  c'est-à-dire,  àTaide,  m 
moyen  de  : 

Téludois  un  chactin  d'un  deuil  si  vraisemblable. 

Que  les  plus  clairvoyants  Tauroient  cru  véritable.        {VEl  II.  % 

(let  exemple  se  rapporte  à  de  ,  employé  pour  marquer  I 
cause  ou  la  manière. 

EHBÉGUINÉy  coiffé,  métaphoriqaenieni  : 

Ce  l>eati  monsieur  le  comte,  dont  ^on% ^tê  emétguimél {B,  gmU,  IIL  1 

Est-il  possible  que  vous  lerei  toujoun  embéguini  de  wu  apotkieairet  « 

de  vos  médecins  ?  {MoL  im.  UL  3. 

EMBUCHE  ;  metteb  en  embûche  ,  en  embuscade  : 

Ya-l*en  faire  venir  ceux  que  je  viens  de  dire, 

Pour  ies  mettre  en  embùclie  au  lieu  que  je  désire.  (JUc^eKclILS. 

Je  ferai  remarquer  qu*on  prononce  aujourd'hui  embéehe  c 
embusquer;  Nicot  ne  donne  que  cmbuscher,  La  racine  est  bois 
«  car,  dit  Mcot ,  les  embusches  et  telles  siu'prinset  se  fou 
communément  dedans  le  bois,  a 

Regnard  s'est  servi  de  rembâcher ,  pour  dire  £ûre  rentre 
dans  sa  cachette  : 


n Qu*il  vous  souvienne 

«  Qu'un  jour,  étant  chez  vous,  |)ar  malheur  la  garenne 

««  S'ouvril,  et  qu'aussitôt  on  vit  tous  vos  garçons 

«  S'armer  habilement  de  broches,  de  bâtons  ; 

«  £f  qu'ils  eurent  grand'peine,  avec  cet  air  si  brave, 

••  A  faire  rembûcher  au  fond  de  votre  cave 

x  Et  dans  voire  grenier  tous  les  lapins  fuyards , 

«  Qu'on  \  oyoit  dans  la  rue  abondamment  épars.  »  {Le  Bed,  i 

EMMAIGRIR  : 

Moi,  jaloux  I  Dieu  m'en  garde,  et  d'être  assez  badin 

Pour  m*aller  cmmaigrir  avec  un  tel  chagrin  !  {P^p,  am,  L  a 

Emmaigrir  et  non  amaigrir  y  comme  portent  les  édîtioi 
modernes.  Emmegrir  est  dans  l'édition  faite  sous  les  yeux  d 
Molière. 

£t  c'est  la  forme  primitive  du  mot  : 

«  E  dist  al  bacheler  :  Qu*espelt  {^quîd  s/>ectat)  que  tu  es  si  deshaitez  e 
«  emmegriz  f  »  (il0Û.  p.  z6a 


-  143  — 

a  El  dil  au  jeune  homme  :  D'où  vient  que  tu  es  â  défait  et 
si  amaigri?» 

Nos  pères  ont  composé  avec  en  quantité  de  verbes ,  entre 
autres  ceux  qui  marquent  le  passage  progressif  d'un  état  dans 
un  autre  :  embellir ,  enlaidir^  emmaladir  {i) ^  engraisser,  em- 
maigrir,  etc.,  c'est-à-dire,  devenir  de  plus  en  plus  beau,  laid, 
gras  ,  maigre  ;  tomber  malade. 

Mais  comme  la  notation  en  sonnait  an ,  d'où  vient  qu'on  a 
écrit  et  prononcé  anenii,fame^  solanel,  les  mots  figurés,  r/i- 
nemi,  femme,  solennel,  on  a  de  même  prononcé,  et  par  suite 
écrit,  amaigrir ,  agrandir  ,  pour  cmmaigrir ,  engrandir;  cer- 
tains mots  ont  conservé  leur  syllabe  initiale  en  ;  d'autres  ont 
totalement  péri ,  par  exemple  ,  emmaladir^  au  lieu  de  quoi  il 
nous  faut  dire  tomber  malade;  d'autres  enfin  ont  conservé  la 
double  forme,  comme  ennoblir  et  anoblir,  à  chacune  des- 
quelles les  grammairiens  sont  parvenus  à  fixer  une  nuance 
particulière ,  d'abord  toute  de  fantaisie,  puis  adoptée,  et  main- 
tenant consacrée  pai*  l'usage. 

Les  grammairiens  obtiendront  peut-être  un  jour  ce  résultat 
pour  maigrir  et  amaigrir.  Déjà,  dans  un  Traité  des  synonymes, 
je  lis  sur  ces  deux  verbes  :  a  Nul  doute  que  la  particule  ini- 
tiale du  second  ne  vienne  du  latin  ad, Maigrir  est  toujours 

neutre  et  intransitif;  au  contraii'e ,  amaigrir  se  prend  d'ordi- 
naire dans  le  sens  actif;  au  lieu  d'énoncer  simplement  le  fait , 
il  le  fait  compremlre  davantage,  il  le  montre  l'accomplissant 
dans  un  objet  j  etc.  »  (a). 

J'avoue  que  je  ne  saisis  pas  la  distinction  que  l'auteur  s'éver- 
tue à  établir.  Le  résumé  le  plus  clair  de  ce  long  paragraphe  , 
c'est  que  maigrir  est  intransitif,  et  amaigrir,  représentatif 
Sunt  verba  et  voces.  Les  faiseurs  de  synonymes  sont  les  pre- 


(i)  «  Lt  cnCuiçaotl  qo*  David  ont  «ogtndnA  àt  la  famoit  Urit ,  «nmmMM  a  fat 
*  diwtparex.  (Roist  i6o.)  Si  l'amad  tant  forment  qa'il  enma/adid{RoUf  i6a.)  Mes  sires  ma 
"  perpl ,  par  co  qoe  ier  a  avant  ier  enmaladi.  (Roii  1 15.)  m 

[t)TMidJÊS  Srnomjrmêt ,  par  M.  B.  Lafaye.  Mon  dessein  n'cat  aallensaat  de  faire  de 
U  peine  h  Taoteur  de  ce  travail  consciencieax.  Je  désire  montrer  senlement  combien 
il  «t  alila  de  connaître  l'ancienne  langue  pour  étudier  la  langue  moderne.  S'il  eût 
CMuolté  ta  vftailla  langue,  M.  B.  L.  n'eût  point  dit  que  ammigrir  renfermait  la  préposi- 
tioiarf,  et  rerraur  du  point  d«  départ  ne  ta  fût  pas  répandu  sur  touta  la  routa. 


—  144  ^ 

miers  hommes  du  monde  pour  trouver  un  mot  à  des  cnigii 
qui  n'en  ont  pas. 

Je  reviens  à  la  distinction  à' anoblir  et  ennoblir  y  dont 
veut  que  le  premier  soit  pour  le  sens  propre,  et  le  second  pc 
le  sens  métaphorique.  C'est  là ,  dis-je ,  une  distinction  to 
chimérique.  Montaigne  se  sert  à* anoblir  au  figuré  : 

•<  Les  lois  prennent  leur  auctorité  de  la  possession  et  de  Fusage  : 
•  est  dangereux  de  les  ramener  à  leur  naissance  (i);  elles  groisitaai 
«  s'atioblissent  en  roulant,  comme  nos  rivières.  »       (Moutaiovx.  IL  ] 

Nicot  ne  connaît  pas  anoblir^  mais  seulement  ennoblir.  Il  : 
avait  qu'une  prononciation  ;  on  l'a  notée  par  deux  ortfaogi 
phes  ;  puis  les  gens  qui  font  gloire  et  métier  de  rafiiner  sur 
mots,  ont  voulu  assigner  à  chaque  orthographe  sa  valeur  4  pi 

Le  plus  simple  bon  sens  indique  que  toujours  l'acc^pli 
figurée  est  venue  à  la  suite  de  l'acception  propre  :  poonfi 
donc  où  l'origine  est  commune  voulez -vous  prescrire  i 
formes  difTérentes  ? 

L'étymologie  d*ennoùlir  est  in  et  nobilitare,  sans  contei 
Et  anoblir,  d'où  viendra-t-il  ?  De  ad  et  nobilitare,  sans  don 
parce  que  ad  est  plus  métaphorique  que  //?? Belles  finesses! 

Dufresny,  au  contraire,  se  sert  à* ennoblir  dans  le  si 
propre  : 

«  Mais  ici  j'ai  de  plus  un  grade  que  j*ai  pris 
•  Avec  feu  mon  mari,  doyen  de  ce  bailliage. 
«<  C'est  ainsi  que  je  Tins  m' ennoblir  au  village  ; 
«  Bonne  noblesse  au  fond,  elc  » 

(La  Coquette  de  village,  I. 

\a  distinction  à* anoblir  et  ennoblir  est  toute  récente. 
Dictionnaire  de  l'Académie,  de  1718,  ne  donnait  encore  qu'< 
noblir,  avec  cette  définition  :  «  Rendre  plus  considérable,  pi 
noble,  plus  illustre.  »  Trévoux  (17/10)  met  les  deux  fonn< 
mais  seulement  comme  différence  d'orthographe,  et  en  att 
buant  à  chacune  les  deux  valeurs  :  —  «  Anoblir  se  dit  figui 
ment  en  parlant  du  langage  :  Jnoblir  son  style,  {D*Ablancourt 


(i)  Les  lois  civiles  et  politiques  ,  s'eatend  s  car  qn«nt  anx  lois  de  la  grammairt  et 
langage ,  oa  ne  saurait  trop  en  examiner  et  maintenir  l'oHgiue. 


—  145  — 

Et  au  mot  ernoblia  :  —  «  On  distingue  ordinairement  trois 
«legrés  de  noblesse  :  V ennobli  ^  qui  acquiert  le  premier  la  no- 
klesse  ;  le  noble,  qui  naît  de  V ennobli;  Téouyer  ou  le  gentil- 
liomnie,  qui  est  au  troisième  degré.  [Le  P.  Menestrier,)  » 

ÉMOUYOIR  un  débat: 

SoufTrei  qa*on  tous  appelle 
Pour  être  entre  nous  deux  juge  d*uoe  querelle  » 
D*un  débat  qu^ont  ému  nos  di\ers  seiiiiroeiits 
Sur  ce  qui  peut  marquer  les  plus  parfaits  amants.  {Fâcheux.  II.  4.) 

EMPAUMEB  l'esprit  : 

Je  vois  qu*il  a,  le  traître,  empaumé  son  esprit.  {Ec.  desfem.  III.  5.) 

Métaphore  prise  du  jeu  de  paume.  Enipaumer  la  balle ,  c'est 

la  saisir  bien  juste  au  milieu  de  la  paume  de  la  main,  ou  de  la 

raquette  qui  remplace  la  main  ;  ce  qui  donne  moyen  de  la  ren- 

Toycr  avec  le  plus  de  puissance  et  d'avantage  |>ossible. 

La  racine  estpaima ,  syncope  du  grec  TraXâuYj,  paume  de  la 
main.  Nos  pères ,  ne  voulant  jamais  articuler  deux  consonnes 
consécutives ,  changeaient  al  en  au.  Cette  règle  primitive  de 
formation  ou  de  transformation  fut  oubliée  dès  le  xvi®  siècle  ; 
aussi  avons-nous  aujourd'hui  les  mots  palme,  palmé,  palmi- 
pède. 

Nos  pères  avaient  fisdt  le  verbe  paumoier^  ,que  nous  avons 
laissé  perdre,  et  que  manier  remplace  bien  faiblement. 

EMPÊCHER  absolament ,  dans  le  sens  d  arrêter ,  em- 
barrasser : 

Oui.  j'ai  juré  sa  mort  ;  rien  ne  peut  nC empêcher.  {Sgan.  si.) 

Mail  aux  hommes  par  trop  tous  êtes  accrochées, 
Et  TOUS  séries,  ma  foi,  toutes  bien  empêchées 

Si  le  diable  les  prenait  tous.  {Amph.  II.  5.) 

Di*4ai  que  je  suis  empêché^  et  qu'il  revienne  une  autre  fois. 

{i/Ap.Ul.  i3) 
«  Je  suis  bien  empêché  :  la  vérité  me  presse, 
«  Le  crime  est  avéré  ;  lui-même  le  confesse.  » 

(Racine,  les  Plaideurs.  III.  3.) 

Les  Latins  employaient  de  même  impedittts  au  figure. 
—  EMPÂCHKa  QUI  sans  ne.  (voyez  à  ne  supprimé.) 


^  I4«  — 

EMPLOIS;  PAifis  SBS  mplois  de  qvblqub  cHon, 

en  faire  son  oocnpation  fatorite  : 

Et  queyV  fùUB  enfin  mei  /yAii  fréquemts  emphu 

Dtpar^punr  dm  monu, nos  ptainit  etnot  boit.      (^.  d'ML  L  1.] 

EMPLOYÉ  ;  g*est  bien  employé  ^  espèce  d'adagot 

Poucsez ,  c*est  moi  qui  tous  U  dis;  m  «cra  iUn  employé!  {G.  D,  I.  7.] 
Ce  sera  un  effort  bien  employé ,  ce  sera  Inen  fiût* 

EMPORTER ,  aa  sens  figuré  : 

Monsieur,  cette  dernière  (alx>minalion)  m'emporte,  et  je  M  pois  m*<» 
pécher  de  parler.  {D,  Juan,  T.  t.] 

Métaphore  tirée  de  la  balance ,  quand  un  plateau  emporti 
l'autre. 

EN  y  archaïsme  de  prononciation  ponr  on  : 

MAATXMB. 

Hélis!  Yen  dit  bien  vrai  : 
Qui  vent  noyer  ion  chien  l'accuse  de  la  ra^. 

....Ce  que  f ai? 
— Ooi.  —  Tai  que  Ven  me  donne  anjoordliai  mon  con^. 

(Fem,  Mf .  It.  s.] 

Cette  confusion  de  formes ,  occasionnée  par  Tanalogie  dsi 
sons,  était  originairement  permanente  dans  le  meilleur  langage* 

«  Et  tenoii  Ven  que  le  dit  arœ^esque  aroit  ung  djabla  prifé  qn*il  appe* 
«(  loit  Toret^  par  lequel  il  disoit  toules  chosea  que  Vên  lui  demandoit*..* 
<*  Maugier  cheit  en  la  mer,  et  si  se  noya  que  Ven  ne  le  peut  sauver.  » 

(Chr,  de  Nérm,y  dans  le  Reeueil  des  historiens  des  OnmUt,  XI.  S3S.] 

Les  exemples  en  sont  trop  communs  pour  s'arrêter  à  les  M- 
cueillir  i  mais  il  est  intéressant  d'obéerver  que  cette  forme,  au- 
jourd'hui reléguée  chei  le  peuple,  était  encore,  au  xti*  siècle, 
en  usage  à  la  cour  et  chet  les  mieux  parlants.  Dans  l'aînée  di 
toutes  les  grammaires  françaises,  celle  que  Paisgrave  écrivit  en 
anglais  pour  la  sœur  de  Henri  VIII  (i53o),  on  voit  constammenl 
l'en  figurer  à  côté  de  l'on  : 

tt  Au  singulier,  dit  Paisgrave ,  le  pronom  personnel  a  huil 
formes  :  y>,  tu ,  i7,  elle,  l'en ,  l'on  on  on ,  eise.  Exemple  :  l'en^ 
Von  on  on  parlera  ^  etc.  »  (Fol.  3 4  verso.)  u  Annotations  poui 

savoir  quand  on  doit  employer  l'en ,  l'on  ou  on L'en,  Von 

ou  on,  peolt  estre  bien  joyenx.  »  (Fol.  loa  vêno*) 


—  147  ^ 

J'ai  eu  ailleurs  l'occaMon  de  montrer  que  François  V^  disait 
et  écriTiit  :  j'a»ùns^ /allons*  D'où  Ton  voit  que  oes  formes  ^ 
considérées  comme  des  vices  de  la  rusticité^  sont  nées  aU  Lou- 
vre, et  sont  descendues  de  la  bouohe  des  rois  dans  celle  des 
ptysans. 

—  EU,  préposition ,  représentant  par  lyllepse  le  plu- 
riel d'no  substantif  qui  n*a  figuré  dans  la  phrase  qu'au 

siDgalier  : 

Comme  l'amour  ici  ne  m*offre  aucun  plaisir^ 

Je  m*en  veux  faire  ta  moins  qui  soient  d*auire  nature; 

Et  Je  vali  égayer  mon  sérieat  loisir (j4mph.  Ut,  a.) 

Je  veux  me  (aire  des  plaisirs  qui  soient 

—  £N  sans  rapport  grammatical  : 

Maû  [e  ne  sa»  pas  homme  à  gober  le  moroeiu , 

Et  laisser  le  champ  libre  aux  yeux  d*un  damoiaeau. 

J'en  veux  rompre  le  court»  {Èc,  desfem.  III.  i.) 

Rompre  le  cours  de  quoi  ?  Des  yeux  du  damoiseau  ?  Des 
yeux  n'ont  point  de  cours.  Cet  en  figure  par  syllepse  avec  Tidce 
à' intrigue,  qu'ont  fait  naître  les  premiers  vers. 

—  szi  pour  aiMTCy  de  :  ASSAisoHim  bn  : 

Il  n'y  s  ries  qu*oo  oS  fasse  avaler,  lorsqu'on  raisaisoiiue  en  louangei. 

(Z.'^j'.I.  I.) 

-^ n  pour  d;  S'allibr  ek  : 

J'sorois  ïmm  weu  fint,  toet  riche  que  Je  ims ,  de  m*mUier  en  àotuêe  et 
fimehê  pmfêonnêriê.  (fi.  D.  I.  i.) 

—  S!i ,  comme ,  en  qualité  de  : 

Autrement qnV/i  tuteur  sa  personne  ffie  totiche.  (Jtc,  des  mar,  II.  3.) 

Et  je  pois  sans  rougir  &ife  un  aveu  si  doux 

A  cdui  que  déjà  je  regarde  en  époux.  (lèid.  14.) 

Je  la  regarde  en  femme,  aux  termes  qu'elle  en  est 

(ic.dêi  fem.UÎ,té) 

Je  la  regarde  comme  me  femme< 

tVmcfaex  à  monsienr  dans  Ui  main. 
Et  le  eoDSÎdéret  désormais,  dans  votre  Ame, 
En  homme  dontje  veoxqueviMssojesIa  feane.  (Fom,  êêf.  ill.  3.) 

10. 


—  14s  - 

Cette  location  n'a  de  remarquable  que  k  fiiçon  dont  Molière 
l'a  placée.  CKtandre  agit  en  homme  qui  vous  aime  ;  c*êtt  la  ma- 
nière de  parier  toute  naturelle  :  en  homme  ie  rapporte  «a  su- 
jet CUtandre.  Le  sens  et  la  grammaire  sont  d'accord. 

Mais  :  ma  fille ,  considérez  monsieur  en  homme  dont,....^  en 
homme  ne  se  rapporte  plus  du  tout  au  sujet,  et  semble  prêter 
à  une  équivoque ,  comme  si  Ton  disait  :  Madame  y  considérez 
ce  malheur  en  homme  courageux ,  c'est-à-dire ,  comme  si  vous 
étiez  un  homme  courageux. 

Cette  équivoque  est  ici  impossible,  et  le  sens  saute  aux  yeux; 
mais  enfin  j*ai  cru  qu*il  y  avait  matière  à  une  observationi  par 
rapport  à  la  rigueur  de  Texactitùde  grammaticale. 

— '  Eif ,  à  la  manière  de  :  en  diable,  voyez  piablx. 

—  EU  surabondant;  eiv  être  de  même  : 

Il  est  U^naturel,  et  jV/t  suis  h'ten  de  même,         {P^p.  em,  I.  3.)  \ 

Hé  ouiy  la  qualité! U  raison  en  est  belle!  (Z>.  Juan,  I.  i.)  I 

Ah  !  ah  !  tu  tV/i  avises,  ' 

Traître ,  de  t'approcher  de  nous  !  {Âmph,  II.  a.) 

Mais  de  vous,  cher  compère ,  il  en  est  autrement.  (Ée.  des/em,  L  x.) 

De  vous  y  dans  ce  dernier  exemple ,  est  pour  quitnt  à  votu ,         | 
dete  :  quant  à  vous,  il  en  est  autrement.  On  ne  peot  donc  pas 
dire  que  en  y  fasse  un  double  emploi  réel.  | 

Quels  inconTénients  auroient  pu  s'en  ensuhref        (jimpk.  H.  3.) 

Molière  suivait  ici  la  règle  et  l'usage  de  son  temps. 

Le  grammairien  la  Touche ,  dans  son  Art  de  bien  parler 
français  y  dit,  à  l'article  du  verbe  s'ensuivre  :  «  Dans  les  temps 
composés,  on  met  toujours  la  particule  en  devant  Tauxiliaire 
éire: — Cequi^'^/ieste/wi/m;  les  procédures  qui  sV/t  étaient 
ensuivies,  »  (T.  11,  p.  ao4.) 

Nos  pères  composaient  avec  en  tous  les  verbes  qui  expri- 
ment une  idée  de  mouvement ,  soit  progrès  ,  dérangement , 
métamorphose  :  —  S'ensauver^  s*enpartir,  s'endormir ^  s'en- 
tourner  y  s'enaller^  s^cnrepentir y  etc.,  etc.  On  disait  de  même 
activement,  enoindre^  enamer^  enappeler,  ensuivre  y  etc. ,  dont 
les  simples  sont  aujourd'hui  seuls  usités  : 


_  149  — 

c  Je  n'ignore  pas  les  lois  de  la  nostre  (politesse]  ;  j'aime  à  les 
«  en^utpre,  »  (Montaigne.) 

Ces  verbes  se  construisaient  encore  avec  la  pféposition  en , 
même  au  commencement  du  i8*  siècle.  Fontenelle,  dans  VHis" 
toire  des  oracles  :  «  Voyons  ce  qui  s'en  est  ensuiçi  ;  »  et  Tabbé 
d'OUvet,  dans  sa  Prosodie  :  u  De  là  il  s'ensuit..,;  »  ce  que 
M.  Landais,  avec  sa  confiance  intrépide  et  accoutumée,  ne  man- 
que pas  d'appeler  un  solécisme,  à  cause,  dit-il,  de  la  répétition 
ndeose  des  deux  en. 

U  n'y  a  pas  là  de  répétition  vicieuse,  ni  de  solécisme  ,  non 
plus  que  lorsque  nous  disons  d'un  homme  épris  d'une  femme  : 
U  en  est  enjiammé;  il  en  est  ensorcela;  —  vous  avez  ouvert  la 
cage  de  ces  oiseaux  ;  il  s* en  est  en^Ktlé  deux. 

Ensuiçre ,  traduction  à'inseqniy  comme  poursuivre  àe perse» 
quif  est  dans  Nicot  et  dans  Trévoux.  Le  dimanche  ensuiçant , 
pour  le  dimanche  suivant ,  est  du  style  de  procédure. 

«  Le  lendemain,  ne  fut  tenu ,  pour  cau&e , 

«  Aucun  chapitre;  ei  le  jour  ensuivant  ^ 

•*  Tout  aussi  peu.  •>  (La  ForrAurs.  Le  Psautier.) 

(Voyez  EMMA.IGRIR.) 

—  KN  supprimé  : 

Tu  n'es  pas  où  tu  crois.  En  ^ain  tu  files  doui.  {Amph,  II.  3.) 

Je  TOUS  montrerai  bien 

Qu'on  n  est  pas  où  Ton  croit,  en  me  faisant  injure.    (Tart,  TV,  7.) 

Sosie  croit  être  dans  le  palais  d'Amphitryon ,  Orgon  croit 
être  chez  soi  ;  et  ni  l'un  ni  l'autre  ne  s'abuse  par  cette  croyance. 
Mais  il  s'agit  ici  d'un  point  moral ,  et  non  du  lieu  physique  : 
c'est  pourquoi  je  pense  qu'il  n'est  pas  permis  de  supprimer 
àet  en  y  qui  marque  la  didérence  des  deux  locutions  être  quel- 
que part  et  en  être  à 

—  EN ,  relatif  à  un  nom  de  personne  : 

Cest  pourquoi  dépéclions ,  et  cherche  dans  ta  tète 

Les  nîoyeus  les  pUis  prompts  d'en  faire  ma  conquête.   {L'Ét,  I.  a.) 

De  faire  que  Célie  soit  ma  con(|uéte. 


U  pluipar€ûtolôetdoQljeiarMtdMnné 

ITauiiMt  ptf  mon  imour,  nV«  éUnt  poîat  aiaé.     ( Ajp.  «■•  L  3.) 

C*eftt-à-dire|  si  je  n'en  étais  pas  aimé. 

(Voyez  pAaTiciPE  »a^iinr,  pour  #/ suivi  d'un  conditionnili) 

Amolphe  dit  d'Agnès  : 

Je  ratimi  foit  pussr  «hez  aïoi  dst  IM  salMce, 

Kt  jVn  «uFti  chéri  U  ploi  tendre  eipénuioe*    (tcd^/m^  IV.  i.) 

L'espérance  d'Agnès ,  o*€st-à«dife  que  donnait  Aguàs, 

Ce  n^est  \k  qu'une  éhaurhe  du  penonna^;  et,  fomm  sdMfW le  por- 
trait, il  fsudroit  bien  d*«utr«i  eoiipi  de  piiieesii,*.  (D.  /emi.  L  i.) 
Mai  jottei  fûup^^f  cheqde  jour  «voient  besn  ne  perki^  J'en  i«ietiii  le 
fpt^  qqi  vouf  rendoit  criminel.  (/ML  U  X) 
Allonf ,  cédons  eu  tort  deni  mon  sflUetlon  ; 
SuiTon5-«/i  aujourd'hui  l'aveugle  faniaisie.              (Âmph,  ÏSL  7.) 

Le  sort  est  personnifié  dans  cet  exemptei  comme  les  soup- 
çons dans  le  précédent. 

Rt  tandis  qu'au  milieu  des  boétiqaes  plaines 

Amphitryon  son  époux 

Commande  aux  troupes  thébaines , 
Uen»  pris  hi  forme.  (ikid,  prol.) 

Jupiter  a  pris  la  forme  d'Amphitryon. 

—  EN  9  construit  a?ec  un  verbe,  avee  allie  : 

n  fiiut  que  ce  soit  elle ,  avee  une  parole 

Qui  trouve  le  moyen  de  les  faire  en  aUer.        (D,  Garde,  IV.  S.) 

Tous  ne  voulez  ^  faire  en  aller  cet  homme^là?  (impro^fHu.  a.) 

L'usage  est  fort  ancien  de  supprimer  le  pronom  réfléchi  : 

(Voyez  AnaâTiR  et  psohom  aiFLicai.) 

Ne  devrait-on  pas  écrii*e  tout  d'un  mot  enaller^  oomnM  rie- 
Jhmmer^  s'etufoier,  s'e/^uir,  et  tous  les  composés  aveo  «n? 

Pourquoi  la  tmèse  est-elle  prescrite  au  participe  passé  de  ee 
verbe,  tandis  qu'elle  est  défendue  dans  les  analogues?  Pour- 
quoi faut-il  absolument  dire  il  s'en  est  allé ,  et  ne  peut-oUidire 
//  s'en  est  volé,  il  s'en  est  flammé  ? 

\j^  peuple  dit  toujours  :  //  s'est  enallé, 

I.e  livre  des  Rnix  tantôt  fait  la  tmèse ,  et  tantôt  non. 


—  161  — 

Cle  qui  a  placé  ce  verbe  dans  une  catégorie  particulière , 
c*est  peut-être  l'irrégularité  de  ses  formes  à  certains  temps. 

On  trouve,  dès  Torigine  de  la  langue ,  en  aller  avec  ou  sans 
le  pronom  réfléchi  : 

««  K  tant  Samuel  l'eainrntd ,  e  en  Gebea  Benjtmin  «'mcAk/,  e  li  ilu« 
•  enalereni  od  Saul.  »  {fiçit,  p,  44,) 

On  rencontre  I  à  Timpératif,  en  va^  sans  le  pronom  ^  et 
va-t-en,  avec  le  pronom  : 

«  Par  00,  ença  e  oci  e  deitrui  Amslaeh,  »  {lbid%  p.  53.) 

«  Trofad  Cifnee,  ki  ciuios  fu  Moysi ,  e  bonement  li  dist  :  Fat  en  d*ici. 

{Ibidem,) 

-^  ER  (s*)  ALLSfi,  ponr  aller  simplement.  Molière  af- 
fectionne la  première  forme  : 

Oui,  notaire  royal.  —  De  plus,  bomme  d'honneur. 

—  Cela  s'en  va  sans  dire.  {te,  des  mar,  ni.  5.) 

Le  commissaire  viendra  bientôt ,  et  Ton  s'en  va  tous  mettre  en  lieu  06 

Ton  m^  répiodra  de  tous.  (Méd.  m,  lui,  III.  10.) 

Mais  son  valet  in*a  dit  qu*il  s'en  alloit  descendre.      (Tart^  III.  i.) 

—  Avec  devoir  ;  en  devoir  a  quelqu'uiï  : 

Il  ne  TOUS  en  doit  rien,  madame ,  en  dureté  de  cœur.  {Princ,  dtl,  TU.  5.) 

—  Avec  donner  et  jouer;  en  donner  d'une,  et  en 
jouer  d'une  autre  : 

Bon ,  bon  !  tu  voudrois  bien  ici  m'en  donner  d'une,  {Dép,  am,  III.  7,) 
Ponr  toi  premièrement ,  puis  pour  ce  bon  apôtre , 
Qui  veut  m'e/t  donner  d'une,  et  m'en  Jouer  d'une  autre, 

(ri/.IV.7.) 

Le  mot  de  Tellipse  pariât  être  le  substatitif  bourde  ou  plutôt 
bouriê. 

(Voyez  B0T7ELK.) 

—  Avec  élrei  en  être  jusqu'à  (an  infinitif): 

Pour  moi ,  j'en  suis  souTent  jusqu^à  verser  des  larmes, 

{Psyché,  L  I.) 

—  Avec  payer  ; 

Non,  en  conscience,  voua  en  payerez  cela.  {Méd,  m,  lui,  I,  0.) 


—  152  — 
--  ÂTee  planter ,  kn  PLAimcR  ▲  quelqu'uh  : 

Je  tais  lei  totirt  rusét  et  tes  subtiles  traînes 

Dont ,  pour  nous  en  pUmUr,  siTent  user  les  fennet. 

(Ée.  iletfim,  1. 1 .) 

En  figure  ici  le  mot  eomes ,  qu*on  laisfe  de  côté  par  bien- 
séance et  discrétion. 

^i  Ayec  pouvoir;  5*en  pouvoir  uâjs  : 

. . .  .Ayant  de  la  manière 

Sur  ce  qui  n'en  peut  mais  déchargé  sa  eoUre 

{Ec.slesfem.IV. 6.) 
Est-ce  que  j'en  puis  mais  ?  Lui  seul  en  est  la  cause.  {JUJ.  V.  4.) 
Mais  est  le  latin  magit ,  qu'on  prononçait ,  dans  Torigine , 
en  deux  syllabes  :  ma-his,  l'aspiration  ranplaçant  le  g  da 
latin.  Mais  signifie  donc  pliis^  davantage;  et  je  n'en  puis 
mais  9  non  possum  magis ,  c'est-à-dire ,  je  n'en  puis  rien,  pas 
plus  que  vous  ne  voyez. 

—  E!<9  POUVOIR  QUE  DIRE,  locution  elliptique  : 

Beaucoup  dlonnétes  gens  en  pourraient  bien  que  dire, 

(EcdesfemAVLy) 

Pourraient  bien  avoir  ou  savoir  que  dire  de  cela. 
Que  représente  ici  quod^  comme  dans  cette  locution  \  faire 
que  sage  ;  c'est  faire  ce  que  fait  le  sage. 

— EN,  construit  avec  un  substantif  ou  un  adverbe; 
EN  Alger  : 

U  va  vous  emmener  votre  fils  en  Alger,  —  On  t^emmène  esclave  en 
Alger!  (Scapin.n.  11.) 

Cette  façon  de  parler  est  née  de  Thorreur  de  nos  pères  pour 
r hiatus  ,  nièine  en  prose.  A  Alger,  leur  paraissait  intolérable. 
En  pareil  cas  ,  ils  appelaient  à  leur  secours  les  consonnes  eu- 
phoniques ,  dont  Vn  était  une  des  principales ,  et  disaient  : 
aller  a(/i)  Alger.  L'identité  de  prononciation  a  fait  écrire  par 
e  ,  en  Alger, 

M  Je  serai  marié,  si  Ton  veut,  «/i  Alger.  »  (Coeviille.  Le  Ment.) 

Aujourd'hui ,  que  l'euphonie  de  notre  langue  a  été  détruite 
par  l'intrusion  des  habitudes  étrangères,  tous  les  journaux 


—  153  — 

éciiyenty  et  Ton  prononce,  à  Alger.  Cela  s'appelle  un  perfec- 
tionnement logique. 

—  ra-BAS,  EN-HAUT,  considérés  comme  substantifs, 
et  recevant  encore  devant  eux  la  préposition  en  : 

Qtt*eit  ced  ?  toui  avez  mis  les  fleun  en  en^bas  ?  —  Vous  ne  m'aviez  pas 
dit  que  tous  les  vouliez  €n  en-haut,  {B,  gent.  II.  8.) 

Nicot  écrit  d'un  seul  mot  embas^  enhauU,  Perrault ,  parlant 
<ie  la  feuille  d*arbre: 

•  Lorsque  l'hiver  répand  sa  neige  et  ka  frimas , 
«  Elle  quiUe  sa  tige ,  et  descend  en  en-bas,  » 

0  Ce  mot  4  en  de  certaines  occasions ,  doit  éti*e  regardé 
^^^>inme  substantif ,  car  on  lui  donne  une  préposition.  » 

(Taivoux.) 

—  EH  DEPIT  QUE Voyez  dépit. 

•^  EN  LA  PLAGE  DE  : 

Et  qui  des  rois ,  Kélas  !  heureux  petit  moineau , 

Ne  voudrait  étre#ii  votre  place!  (MéHeerte,  I.  5.) 

ENCANAILLER  (S*),  néologisme  en  1663  : 

Cuiuara  {prédemse), — Le  siède  l'encanailie  furieusement  ! 

^       ËusB.  —  Gelui-Uest  joli  encore»  s'eneanaiUe!  Est-ce  vous  qui  Taves 
^^^venté,  madame? 
CuMua.  —  Hé  ! 

Éuss.  —  Je  m*en  suis  bien  doutée.  (  Crît,  de  F  te,  des  /.  7.) 

n  panut  que  ce  mot  fit  un  établissement  rapide,  car  il  est  dans 
X^oretière  (1684),  et  sans  observation. 

S'enducaillery  que  Chamfort  avait  fait  par  représailles ,  n*a 
pas  eu  le  même  bonheur,  sans  doute  parce  qu'il  était  moins 
nécessaire. 

ENCENS,  au  pluriel;  des  encens,  des  hommages , 
des  louanges  : 

Cet  empire ,  que  tient  la  raison  sur  les  sens , 

Ne  fait  pas  renoncer  aux  douceurs  des  encens.        {Fem.  sap.  1. 1.) 

Aux  encens  qu'elle  donne  à  son  héros  d'esprit.  {Ibid.  I.  3.) 

Pour  moi,  je  ne  vois  rien  de  plus  sot,  à  mon  sens, 

QuHm  auteur  qui  partout  va  gueuser  des  encens.         (Jbid.  UL  5.) 


\ 


—  164  — 
E>CHÉRE;  pobteb  la  folle  khcbiiui  diquelqu'us.^ 

Vous  pourriez  bien  porter  la  jolie  enchère  de  Umt  Uê  tuUfêê ,  tl  VOi^^ 
n'avez  point  de  père  {gentilhomme.  (G.  A  I.  6.)  ^ 

Porter  la  folle  enchère,  c'est  couvrir  à  soi  seul  les  mises  de 
tous  les  autres  enchérisseurs ,  demeurer  seul  responsable  et 
payer  pour  tout  le  inonde ,  et  un  peu  encore  au  delà. 

ENCLOUUBE: 

De  Targent,  ditet-vous  :  ah!  Toilà  tencloimrêl  {VÉU  IL  I.) 

On  a  deviné  YencUmarÊ,  ( J«  gtHit.  IVL  la) 

L*enclouure  est,  au  propre,  la  plaie  seerto  d*un  cheval  que 
le  mai^échal  a  piqué  jusqu'au  vif  en  le  ferrant ,  et  qui  £ut 
boiter  la  béte.  Comipe  il  est  très-di(Bcile  de  reconnaître  au  de- 
hors lequel  des  clous  perce  trop  avant,  on  est  quelquefois 
obligé  de  dessoler  entièrement  le  cheval, 
■  De  là,  le  sens  Bguré  de  cette  expression  :  deviner  l'enclouure, 
Nicot  ne  donne  que  enclouer,  d'où  il  pai*aîtrait  que  le  subs- 
tantif est  plus  moderne  ;  mais  on  le  rencontre  dès  le  xiii^  siècle  : 
«  Li  rois  qui  payeus  asteure 
«  Panse  bien  cette  êntheure  (endowéiire).» 

(Cûmplmmtû  dé  ContêÊmimoèiê,  p.  sç.) 

ENCORE  QUE,  quoique  : 

Éncor  (jue  son  retour 
En  un  grand  embarras  jette  ici  mon  amour....    {Ec.  desf,  XSL,  4*) 

liCS  Italiens  disent  de  même  ancora  che, 
<«  Encore  qu'Wi  soient  fort  opposés  à  ceux  qui  commettent  des  crimes...  • 

(Pascai..  8*  Prov.) 

\a  Fontaine  affectionne  cette  expression  j  elle  revient  très- 
souvent  aussi  dans  les  Provinciales. 

« 

Encore  que,  pour  la  construction,  est  autre  €\}xe quoique.  Quoi 
n'est  pas  un  adverbe,  c'est  un  pronom  neutre  à  Taccusatif  ;  on 
ne  devrait  donc,  k  la  rigueur,  l'employer  que  devant  un  verbe 
dont  il  pût  recevoir  l'action  :  quoi  que  vous  disiez  ;  quoi  qu'il 
fasse.  Ainsi  l'on  ne  devrait  pas  dire  :  quoi  qu'ils  soient  opposés, 
parce  que  rien  ici  ne  gouvenie  quoi.  En  latin  :  qund  cumque 
agas,  et  qtutnwis  sint  oppositL  II  faut,  en  français ,  prendre 


-.  155  — 

l'autre  txpreiiioii,  encore  que.  Cet  pai*  abus  et  par  oubli  de 
la  valeur  des  nu>ts  qu'on  a  laiiaé  quoique  passer  pour  adverbe» 
et  en  cette  qualité  usurper  indistinctement  toutes  les  positions, 
jiu  point  d*étoufFer  comme  inutile  l'autre  formet 

ENDIABLEE  (S')  a  (un  infinitif)  : 

Chacun  s'est  endiablé  à  me  croire  médedn,  (Méd,  m.  Uti  tXL  i.) 

ENFLÉ  D'UIfE  NOUVELLE  : 

Et  quand  je  puis  venir,  enflé  fCune  nouveUe, 

Donner  k  son  repos  une  atteinte  mortelle , 

Cest  lors  que  plus  il  m*aime.  (Z>.  Gareie.  II.  i .) 

ENFONCÉ ,  par  métaphore  comme  plmgé  ;  lOfFonci 

DAIIS  LA  COUR  : 

]]  est  fort  enfoncé  dans  la  courj  c'est  tout  dil.    {Fem^  sav.  FV.  3.) 

ENGAGÉ  DE  PAItOLE  AVEC  QUELQU'UH  : 
rétoîs,  par  les  doux  uoMida  d'une  amour  mutuelle, 
Engagé  de  parole  aveç^ue  cette  belle,  {Ec,  des  fem.  Y.  9.) 

ENGAGEMENT,  condition  d'être  engagé  : 

L'engagement  ne  compatit  point  avec  mon  humeur.  (Z>.  Ittan.  TU,  6.) 

ENGENDRER  la  mélancolie  : 

ADoos,  morbleu!  il  ne  faut  point  engendrer  de  mélancolie, 

(1Uéd.m,lM.Ï,6.) 

-^  Eif6E]!a)EEa  (s*),  se  donner  un  gendre  : 

Ma  foi ,  je  m^engendrois  d*une  belle  manière  !  {VÉt*  II.  6,} 

Que  TOUS  serez  bien  engendré  !  (Mal,  im,  II.  5.) 

Remarquez  que  dans  gendre  y  engendrer,  le  d  est  euphonique, 
attiré  entre  Vn  et  IV,  qui  se  trouvent  rapprochés  après  la  syn- 
cope du  mot  latin  :  gen[era)re,  gen{e)rum.  C'est  ainsi  que 
Vendres  représente  Feneris ,  dans  le  nom  de  Port-Vendres , 
portus  Fen(e)ris,  Les  Grecs  disaient  de  même  M^éç  pour  divp^ç, 
syncope  d'àvsp^ç. 

Nr  attirait  le  d  intermédiaire  ;  ml  attirait  le  b.  De  humilem , 
on  fit  d'abord  humele ,  qui  se  lit  dans  les  plus  anciens  textes  ; 
puis  y  pai'  syncope ,  humle;  et  enfin  humble. 

Les  lois  de  l'euphonie  sont  les  mêmes  en  tout  temps  comme 


—  156  — 

en  tous  lieux  ;  seulement  elles  sont  mieux  chtàm  par  les  peu- 
ples naissants  que  par  les  peuples  vieillis.  11  semble  que,  ches 
les  derniers,  la  langue  soit  devenue  plus  souple  à  proportion 
que  l'oreille  devenait  plus  dure. 

ENGER.  Voyez  akoee. 

ENGLOUTIR  le  cceor  : 

Pouai!  ▼OUI  m'engioutusez  le  cœur!  {fi,  D.  IIL  il.) 

ENGROSSER  : 

N'a-t-il  pas  fallu  que  Totre  père  ait  engrossé  votre  Bière  pour  vouafure? 

(/>.  /iHur.  m.  I.) 

Ce  mot  ne  serait  plus  souffert  sur  la  scène ,  à  cause  do  pro- 
grès des  mœurs. 

ENNUYER  (S*)  ;  je  m'enhuie  ,  il  m'ernuib  ,  abaola- 
ment ,  sans  complément  ;  et  il  m'euhuie  de  : 

Lorsque  f  étois  aux  champs,  n*a-t-îl  point  fait  de  ploie? 
—  Non.  —  Vous  ennuyott-U ?  —  Jamais  je  ne  nCenmde, 

lMe.desfim.lLe.) 
il  *9ous  ennuyait  d*ètre  maître  chei  vous.  (G.  D.  I.  3.) 

Molière ,  pour  ce  verbe ,  a  mis  en  présence  l'ancienne  locu- 
tion et  la  nouvelle  ;  l'ancienne ,  qui  est  la  seule  logique  :  il 
m'ennuie^  comme  tœdei ,  pœnitei ;  et  la  moderne,  aujourd'hui 
seule  usitée  :je  m'ennuie  y  comme  yV  me  repenSy  quoique  la 
forme  réfléchie  n'ait  ici  aucun  sens ,  puisque  l'on  n'ennuie  ni 
ne  repent  soi-même.  Mais  l'usage  î . . . 

Il  faut,  au  surplus,  observer  que  se  repentir  était  usité  dès 
le  xii"  siècle  : 

<*  Deu  se  repenti  que  out  fait  rei  SauK  •  (Bais,  p.  54.) 

Et  la  glose  marginale  : 

«  Deu  ne  se  puet  pas  repentir  de  chose  qu*il  face.  » 

«  Il  n'est  pas  huem  ki  se  repente.  »  (Ibid.  p.  57.] 

On  trouve  à  côté  de  cette  forme  réfléchie  la  forme  imper- 
sonnelle. 

«  Ore,  dit  Dieu,  ore  m'enrepent  que  fait  ai  Saulrei  sur  Israël.  » 

(Ibid.  p.  54.] 
11  m'enrepent,  me pœnitet. 


—  157  — 
INQDÉTER  (8)  DB ,  à-mquirir  : 

Xls  ne  s* enquêtent  ^ini  de  cela.  (Poure.  lïl.  »•) 

^uester^  par  syncope  de  guœs[i)iare,    Quœrere  a  donné 

XKRA6ER  QUB ,  à  cause  que  : 

^m^ewage  que  mon  père  et  ma  mère  ne  m*tient  pas  bien  fait  étudier  dans 
l»«a^es  les  sciences ,  quand  j'étois  jeune.  (Bourg,  gent,  U,  6.) 

XNBOUILLÉ.  Voyez  savoir  enrouilliê. 

INSEVELIR  (S)  DAWS  une  passiotî  : 

'\jtL  belle  cbose  que  de s'ensevelir  pour  toujours  dans  une  passion  ! 

(£>.  Juan.  L  a.) 
Molière  a  dit  de  même  s  enterrer  dans  un  mari, 

(Voyez  EWTEEKER.) 

ENSUITE  DE. . . 

U  vottdroit  irous  prier  ensuite  de  t instance 
D'eicuser  de  lanti^t  son  trop  de  violence.  (VEt,  U,  3.) 

On  devrait  écrire  séparément  en  suite  de  y  par  suite  de. 
^  m  En  suite  des  premiers  compliments.  —  En  suite  de  tant  de  veilles.» 

(Pascax.  Pensées,  p.  370  et  377.) 

«  Une  réponse  eiacte,  en  suite  de  laquelle  je  crois  que  vous  n'au- 

•  rei  pas  envie  de  continuer  cette  sorte  d'accusation.         (Id.  zi*  Prov,) 

«  FiUntius  n*avoit  garde  de  laisser  les  confesseurs  dans  celte  peine  :  c'est 

"  poivqnoi,  en  suite  de  ces  paroles^  il  leur  donne  cette  méthode  fuile 

«  pour  co  sortir.  »  (10*  ^W.) 

Cette  locution  est  très-fréquente  dans  Pascal. 

ENTENDRE  (l*)  ,  mis  absolument ,  comme  on  dirait 
s  y  entendre  : 

Je  pensois  faire  bien.  —  Oui  !  c'étoit  fort  t  entendre,    (VEt,  L  5.) 

Le  français,  surtout  celui  du  xvii^  siècle ,  a  une  foule  de 

locutions  où  l'article  s'emploie  ainsi  sans  relation  grammaticale, 

et  par  rapport  à  un  substantif  sous-entendu,  dont  l'idée ,  bien 

que  vague,  est  assez  claire. 

ENTERRER, figurément;  senterrer dahs  xm  mari: 

Mon  dessein  n^est  pas de  m^ enterrer  toute  vive  dans  un  mari, 

(G.  D,  U.  4.) 


\ 


—  158  — 

S'enterrer  clans  un  mmri^  comme  ê^muepelit  ëêm  MiM  pas- 
sion »  (Voyez  ENSEVELIR.) 

ENTÊTEMENT,  en  bonne  part,  pattion  obetinée  : 

Taime  la  poésie  atfec  entêtement.  {Fem.  sop.  ttL  i.) 

ENTHOUSIASME ,  à  pea  pr«B  dans  le  aena  de  frétiHU  : 

MiisYoyeiqiid  diable  d^tnthonskumt  il  kar  prend  dette mmirclunlar 
eux  oreinet  eomme  cda!  (Proi.dêk  Pr.  JtML  s.) 

ENTICHÉ  : 

Vous  eu  êtes  im  pett  dans  fotre  âme  entiché,  {Tort,  t.  d.) 

Ce  mot  remonte  k  Torigine  de  la  langue. 

«  Satbanas  se  elevad  encuntre  Israël  ,e  enticha  David  (fee  il  ieist  aMin- 
«  brer  ces  de  Israël  e  ces  de  Juda.  >•  {Rois,  p.  ai  5.) 

Taxa^taxare  aliquem.  D'où  teche,  techer^  ou  tache  j  ta- 
cher. Entacher^  enticher ^  tacher ^  tasser ti  tdsxr^  <mtla  même 
origine  :  taxare.  Mais  la  date  relative  de  leur  nsissanee  se  ré- 
vèle par  leur  forme  matérielle. 

ENTRECOUPEE  (S*)  de  qusstiûhs  ; 

Ensuite,  t*il  vous  phitt  F  —  Nous  nous  entrecoupâmes 

De  miUe  ^mutions  qui  nous  pouvoieiit  toodMT*  (AmpL  II.  a.) 

ENTREMETTRE  (S)  de.  ...  : 

Ab,  ab  1  c'est  toi,  Froiine?  Que  vieM*tu  fitira  ici  P  —  Ce  que  fe  iaia  ptr» 
IdttiPlulkurs  :  nCentremettre  d'affaires^  me  rendre  serviable  ftaz  geoi. 

{VAp.  II.  5.) 

Locution  qui  remonte  à  Torigine  de  la  langue  : 

«  Saiil  aveit  osled  de  la  terre  ces  ki  sUntremetelent  dt enchantement  e  de 
«  sorcerie.  •  (Rois,  p.  toi.) 

ENTRER  j  construit  avec  divers  substantifs,  khtrer 

dedans  t'ÉTOimEMENT  : 

y*entrez  pas  tout  à  fait  dedans  tétonnement,         (^P-  om,  DL  x.) 

—  E1I9TRER   DANS  LES  MOUVEMEmm   D'UK   CXXUB,   %'J 

associer  : 

Cest  que  tu  H*entns  point  dans  tous  les  mouvements 

D'un  cœur,  hélas!  rempli  de  tendres  sentiments.  (Mélicerte,  U.  i.) 


—  159  — 

ElfTRER  EN   DESESPOIR  ! 

Et  Taocord  que  son  père  a  conclu  pour  ce  soir 

La  fait  à  tous  moments  entrer  en  désespoir»  (Tort,  IV.  a.) 

EN  UNE  HUMEUR  : 

f  entre  en  une  humeur  noire,  en  un  chagrin  profond  , 
Quand  je  vois  vivre  entre  eux  les  hommes  comme  ik  font. 

(Mis.  I.  I.) 

«    Centre  en  une  vénération  qui  me  transit  de  respect  envers  ceux  quil 
(Dieu)  me  semble  avoir  choisis  pour  ses  élua.  » 

(PASCAL.  Pensées,  p.  344*) 
«  Colette  entra  dans  des  peurs  nonpareiUes.  » 

(La  ForTAiNB.  Le  Berceau.) 
«  Car,  mes  pères,  puisque  vous  m*obligez  d'entrer  dans  ce  discours*  • .  » 

(Pascal,  ii*  Prov.) 

—  ENTRER  80US  DES  LIENS ,  86  marier  : 

Ge  n'est  pas  à  mon  eœur  qu'il  fiiut  que  Je  déCàre 

Pour  entrer  sous  de  tels  Uens.  {Psyché.  L  3.) 

INTBIGUET.  Voyez  ioteiouk. 

ENTRIPAILLÉ  : 

Ua  roi,  morbleUi  qui  aoit  eniripmUé  comme  il  faut*        {fw^promptu,  i .) 

ENVERS,  préposition ,  construite  avec  ttn  verbe  : 

Je  vois  {{u  envers  mon  frère  on  lâche  à  me  noircir.    {Tort.  III.  7.) 

(Voyez  VEKS.) 

MYEBS  nu  bon  sens,  substantivement: 

Un  mvers  du  bon  sens^  uo  jugement  à  gaodie*         (L'Mt.  II.  14.) 

ENYIES ,  au  pluriel  : 

Ten  avois  pour  moi  toutes  les  envies  du  monde.  {D.  Juan.  Y.  3.) 

ENVOYER  ▲  quelqu'un  ,  l'envoyer  chercher  : 

Anunde,  prenei  loin  den9oyer  au  notaire,     {Plmu.  sav.  Vf.  5.) 
Pour  dresser  ie  contrat  elie  envoie  au  notaire,  {U,  IV.  7.) 

ÉPARGNE  DE  BOUCHE,  pour  sobriété  : 

PremièremenI ,  eHe  est  nourrie  et  élevée  dans  une  grande  épargne  de 


—  160  — 
ÉPAULER  DE  SES  LOUÀUGES  : 

Cest  bien  la  moindre  chose  que  nous  derions  faire  que  à^épatiUr  denot 
lùuangu  le  vengeur  de  nos  intérêts.  {impromptu,  3.) 

ÉPÉE  DE  CHEVET,  métaphoriquement  : 

Toujours  parier  d'argent  !  voilà  leur  épée  de  chevet ^  de  Targeot! 

{VAp.  m.  5.] 

L*épée  accrochée  au  chevet  du  lit  est  Tanne  sur  laquelle  on 
saute  tout  d'abord,  pour  se  défendre  d*une  surprise  nocturne. 

ÉPIDEBHE ,  féminin  : 

La  beauté  du  visage  est  un  frêle  ornement, 

Une  fleur  passagère,  un  éclat  d*un  moment, 

Et  qui  n*«st  attaché  qu'à  la  simple  épiderme.         (Fem.  saç,  UL  6.] 

L* Académie  fait  ce  mot  masculin.  Il  est  vrai  que  tip^  esl 
neutre  en  grec ,  et  que  nos  médecins  ont  fait  derme  masculin. 
Mais  derme  est  un  terme  scientifique  récent  ;  ^iderme  est  an* 
cien ,  et  du  commun  usage  ;  et  comme  il  réveille  l'idée  de  U 
peau ,  il  paraissait  plus  naturel  qu'il  fût  aussi  féminin. 

ÉPINES;  AVOIR  LESPEÎT  SUE   DES  ÉPIKES  : 

HT  ayez  point  pour  ce  fait  C  esprit  sur  des  épimes.  {VEt,  !•  ic] 

On  ne  comprend  pas  que  des  épines  matérielles  puissent  pi- 
quer l'esprit  y  qui  est  immatériel. 

ÉPOUSE  : 

DOIT   JUAir. 

Comment  se  porte  madame  Dimanche,  votre  épouse?,. . .  Cesl  qm 
brave  femme,  (D,  Jmtui.  lY.  3.] 

Il  est  vraisemblable  que  don  Juan  emploie  ici  ce  mot  égMmn 
par  moquerie  des  gens  d  état ,  comme  M.  Dimanche ,  qui 
trouvent  ma  femme  une  expression  trop  basse  »  et  croient  nwn 
épouse  un  terme  bien  plus  digne  et  relevé. 

Et,  comme  pour  mieux  faire  ressortir  cette  emphase  ironique, 
don  Juan  ,  en  homme  sûr  de  son  aristocratie,  ajoute  tout  de 
suite  cette  expression  familière  :  C'est  une  brave  femme. 

Madame  Jacob ,  revendeuse  à  la  toilette  et  sœur  de  M.  Tur- 
caret ,  parlant  à  une  baronne,  n*a  garde  non  plus  de  dire  mon 
mari  : 


—  161  — 

«  Il  fait  bien  pis,  I«  dénaturé  qu'U  est!  il  m'a  défendu  Tentrée  de  sa 
«  niajwn,  et  il  n*a  pas  le  cœur  d'employer  mon  époux!  » 

{TurcareL  IV.  la.) 

ÉPOUSER  LES  INQUIETUDES  DE  QUELQU'UN  : 
L«  mîen  (mon  maître)  me  fait  ici  épouser  ses  inquiétudes,    {Sicilien,  i.) 
Molière  dit ,  dans  le  même  sens ,  prendre  la  vengeance ,  le 
courroux  de  quelqu'un,  (Voyez  preitdre.) 

ÉPOUSTER: 

Oui-dà,  très-Tolontiers,  je  tépousterai  bieti,  {VÂL  IV.  7.) 

Molière  a  contracté  par  licence  le  futur  A^épousseter,  con- 
sultant la  prononciation  plutôt  que  la  grammaire. 

ÉPUBÉ  DU  œMMERGE  DES  SENS  : 

Il  n'a  laissé  dans  mon  cœur,  pour  vous,  ({V^ une  flamme  épurée  de  tout  le 
€ommerce  des  sens.  {D,  Jumn.  TV.  9.) 

ESCAMPATIVOS  j  mot  espagnol  ou  de  forme  espa- 
gnole, des  échappées: 

Ahl  je  TOUS  y  prends  donc,  madame  ma  femme!  et  vous  fidtes  des  es- 
campaiifios  pendant  que  je  dors  !  {G,  D,  TH.  8.) 

ESGOFFION ,  bonnet  de  femme ,  cornette  : 

D^abord  leui-s  eseoffhns  ont  volé  par  la  place.  (EEt,  Y.  14.} 

La  racine  est  T italien  scuffia ,  devant  lequel  on  ajoute  Vé , 

comme  dans  éponge ,  esprit,  et  tous  les  mots  qui  commencent 

par  ces  deux  consonnes  st,  sp,  sq,  pour  éviter  d'articuler  la 

première. 

Au  xYi*  siècle ,  la  reine  de  Navarre  écrit,  ou  plutôt  ses  édi- 
teurs lui  font  écrire,  scofion  : 

m  Un  lit  de  toile  fort  desliée...  et  la  dame  seule  dedans,  avec  son  scofion 
«  et  chemise,  etc.  »  (Hepiaméron,  noup.  14.) 

ESPÉBAMGE  (l']  de  quelqu'un  ,  Tespérance  on  les 
espérances  qn*il  donne  : 

Je  Vâurai  fait  passer  chez  moi  dès  son  enfance', 

Et  jV/i  aurai  chéri  la  plus  tendre  espérance. . .  {Ec,  des  fenu  IV.  x.) 

Je  me  serai  complu  dans  les  espérances  que  donnait  Agnès. 
Celte  expression  est  embarrassée  et  peu  claire. 


—  162  — 
ESPÉRER  À  y  espérer  dans  : 

Mais  pespère  aux  bontés  qu*une  autre  aura  pour  i«)L   {TaH.  VL  k) 
«  J*espère  dans  les  bontés.  »  (Voyez  au  ,  aux.) 

ESPRIT  CHAtJSSé  A  REBOURS  : 

Tout  ce  que  fous  avez  été  durant  tos  jours, 

Cest-à-dire  un  esprit  chaussé  tout  à  rebours.  (VÉt.  IL  ik») 

—  FAIRE  ECLATER  UIÏ  ESPRIT  : 

Je  ne  suis  point  d'humeur  à  vouloir  contre  vous 

Faire  éclater,  mad«Die,  un  esprit  fart  jakMUL  (SgOH,  ai.) 

ESSAYER  À,  suivi  d*un  infinitif  : 

Est-ce  donc  que  par  \k  vous  voulez  essayer 

A  réparer  Taccueil  dont  ]e  tow  ai  fait  plainte?  (Jmpk,  TL  t.) 

Et  j'ose  maiutenaiit  vous  conjurar,  madame, 

De  ne  point  essayer  à  rappeler  un  ovur 

Résolu  de  mourir  dans  cette  douce  ardeur.  (F<n*  sap,  L  a.) 

ESSUYER,  subir  ;  essuyer  la  bariaris: 

Cest  un  supplice  assez  iâdieux  que  de  se  produire  à  des  sota^  que  ifui- 
suy§r  iur  des  compositions  la  barbarie  d'un  sUipide.  (A.  gemL  L  i») 

-—  LA  CERVELLE  : 

On  n'a  point  à  louer  les  ren  de  messieurs  tels, 

A  donner  de  l  encens  à  madame  une  telle , 

Et  de  nos  fraucs  marquis  essuyer  la  cervelle,  (Mis,  IIL  7.} 

(Voyez  CIULYELLE.) 

—  UN  COMBAT  ; 

Je  ne  m'étonne  pas  i  an  combat  que /essuie , 

De  voir  prendre  à  monsieur  la  thèse  qu'il  appuie.  (/sii^Mf*  IV.  3.) 

—  TOE  COlirVERSATION  : 

Ces  conversations  ne  font  que  m'emiuyer, 

El  c'est  trop  que  vouloir  me  les  faire  essuyer.  (Mrs,  H.  4.) 

EST  après  un  pluriel.  Voyez  c'est  après  un  pluriel 

EST-CE....  ou  SI....  r 

Mais  est'ce  un  coup  bien  sûr  que  votre  seigneurie 

Soit  désenamoufée?  êu  si  c'est  nillerie?  (Déjp.mè.  L4.)  ' 


^  m  — 

De  gtàffe,  êsi-eé  pout  rtte^  OU  si  fous  éeut  vdiiseifhit«g(f^z,  de  toutoir 
$flt  je  90tt  mèAtàûf  (àléd.  m,  lui,  I.  6.) 

EST-CE  PAS  j  pour  n'est-ce  pas  : 

LvBiir.  Il  aura  un  pied  de  nez  avec  sa  jalousie,  êsi-ce  pas  ? 

{Georg,  Dand,  I.  a.) 
(Voyez  NE  supprimé  dans  une /orme  interrogative,) 

EST-IL  DE  (un  fabstâiitif) ,  est-il  quelque  s 

Est-H  pour  nous,  ma  sœur,  de  plus  rude  disgrâce  ?    (Psfché,  h  i.) 
MannoDtel  a  dit  pareillement  dans  le  Sylvain  : 
•  Est-il  de  puissance 
«  Qui  rompe  ces  nœuds?  » 

ESTIME,  comme  les  mots  resêentiment 9  heur^  suc* 
çiSj  recevant  une  épithète  qui  en  détermine  Tacception 
fayorable  ou  défayorable  : 

C*esl  de  mon  jugeaiem  ttoir  mauvaise  esâme  g 

Que  douter  si  j'approuve  un  choix  si  légitime.   [Ec,  des  fem,  V.  7.) 

—  ESTIME  DE,  6ômme  TèputaUon  de;  £th£  M  BStime 
d'homme  d'hottneur  : 

Ett  quelle  estime  est-il^  non  frère,  auprès  de  vous? 

—  D'Iwmmê  d'honneur,  d'esprit,  de  cœur  et  de  conduite. 

(Fem,  satf.  II.  z.) 

-^  ESTIME  au  sens  passif  ^  pour  Testîme  qu'on  ins- 
pire. Voyez  MON  estime. 

ESTOC;  PARLER  d'estoc  et  de  TAILLE,  RU  hasard» 

Pi^importe,  parlons-9n  et  d^ estoc  ci  de  UUUc, 

Comme  ocvlaire  téoMia.  {Âmph.  L  i.) 

Par  allusion  à  cette  expression  jfrappêfd'&$toé  et  de  HUtk , 
désespérément ,  comme  Ton  pent. 

llèstocest  la  pointe  de  l'épée,  ou  Tépée  elle-même,  tofijfoe 
el  pointue.  La  racine  est  siocum ,  avec  Ye  initial ,  comme  dans 
tous  les  mots  commençant  en  latin  pai*  st,  sp. 

Voyez  Du  Cange,  aux  mots  Stocum,  Stochus  et  Estoquum. 

L'expression  destoc  et  de  taille  remonte  très-haut,  car  on 
là  tiouve  dans  les  chartes  du  moyen  Age  i 

XI. 


—  164  — 

«  Divertis  Tuloeribus  tant  de  taillo  quam  de  itoquo  Tuliienre  dicontur.  • 
(Ap.  CaDg.  in  stoquum  iia,  rem.  «nn.  i364.) 

D'estoc  vient  le  verbe  estoquer  {étoquer)^  encore  usité  en  Pi- 
cardie. Toquer,  dont  se  sert  le  peuple ,  paraît  plutôt  abrégé 
d'étoquer,  que  formé  sur  l'onomatopée  de  ioc. 

Le  radical  de  cette  famille  de  mots  est  Tallemand  stock , 
canne,  bâton;  anglais,  stick;  latin,  stocum;  italien,  stocco;  es- 
pagnol, es  toque ,  estoquear;  français,  estoc,  estoquer, 

ÉTAGE  DE  VERTU  : 


C*est  un  haut  étage  de  vertu  que  cette  pleine  iuseusibilité  où  ils 
faire  monter  notre  âme.  (Préf,  de  Tetrtuje.) 

ÉTAT ,  façon  de  se  vêtir,  comme  Ton  dit  aujourd'hui 
la  mise;  porter  vv  état: 

Où  pou?ez-vous  donc  prendre  de  quoi  entretenir  tétat  que  von» portez  ? 

(X'^r.  I.  5.) 

—  FAIRE  ÉTAT  DE  QUELQUE  CHOSE  : 

Dis  à  ta  maitresae 
Qu'avecque  ses  écrits  elle  me  laisse  en  paix, 
Et  que  Toilà  fêtât  ^  infâme,  que  f en  fais,  (Dep.  am,  I.  6.) 

Elle  m*a  répondu,  tenant  son  quant-à-soi : 

Va,  "Vh,  je  fais  état  de  lui  comme  dt  toi  {Ibid,  Vf,  a.) 

Il  connoitra  tétcttque  ton  fait  de  ses  feux,       {Ec.  desmar.  II.  7.) 

Afin  de  lui  faire  connoîlre 
Quel  grand  état  Je  fais  de  ses  nobles  avis,  (Fem,  sav.  IV.  4.) 

—  FAIRE  ÉTAT  DE  (uD  infinitif) ,  compter  sur,  être 
certain  de. . . . 

Sinon,  faites  état  de  m'arraclur  le  jour, 

Plutôt  que  de  m*ôter  l'objet  de  mon  amour.     (Ec.  des  mar,  lil.  8.) 

Pascal  a  dit  ^/aire  état  que,  connue  compUr  que  : 

«•  Faites  état  que  jamais  les  Pères,  les  papes,  les  conciles n*ont 

«  parlé  de  cette  sorte.  ••  (Pascal.  3*  Pro»^ 

ET  LE  BESTE  ;  c'était  la  traduction  consacrée  A'et 
cœtera ,  qu*on  met  aujourd'hui  sans  scrupule  en  latin  : 

Je  ne  manque  point  de  livres  qui  m*auroieot  fourni  tout  ce  qu'on  peut 
dire  de  savant  sur  la  tragédie  et  la  comédie,  Tétymologie  de  toutes  deux, 
leur  origine,  leur  définition,  aile  reste,  (P'if- <^<*'  Préc,  rid,) 


—  165  — 

•  Mon  frère  a-t-il  tout  oe  qu'il  veut, 

•■  Bon  souper,  bon  gîte ,  et  le  reste?  (La  Foitt.  Les  deux  Pig.) 

Cest-à-dire  :  bon  souper,  bon  gîte,  et  cœtera.  Les  commen- 
tateurs ,  qui  entendent  finesse  à  tout  et  sont  toujours  prêts  à 
enrichir  leur  auteur,  ont  supposé  que  la  Fontaine  avait  créé 
cette  expression  pour  faire,  en  termes  chastes,  allusion  aux 
mœurs  amoureuses  de  ses  héros  :  sur  quoi  ils  lui  ont  donné  de 
grandes  louanges.  L'intention  peut  y  être ,  mais  ce  ne  serait 
qu'une  application  d'une  façon  de  parler  usuelle. 

ÉTONNÉ  QUE: 

Jê  fus  étonné  que t  deux  jours  après,  il  me  montra  toute  l'affaire  exé- 
cutée. . .  {Préf,  de  la  Cri  t.  de  CEc,  des  Pem.) 

ÊTRE  pour  aller  : 

Et  nous  fûmes  coucher  sur  le  pays  exprès, 

Cesl4-dire ,  mon  clier,  en  fin  fond  de  forèls.        (JPacheux,  II.  7.} 

A  peine  ai-je  été  les  ?oir  trois  ou  quatre  fois,  depuis  que  nous  sommes  à 

Paris.  [Impromptu,  i.) 

Et  en  Hollande,  où  w>us  fûtes  ensuite?  {Mar.  for,  a.) 

LUCAS,  n  serelevit  sur  ses  pieds,  et  s'en  fut  jouer  à  la  fossette. 

{Méd,m,lm.ht.) 
Toutes  mes  études  nont  été  que  jusqu*en  sixième.  (Jhid,  m.  i.) 

On  servit.  Tète  à  tète  ensemble  nous  soupâmes , 
Et ,  le  soupe  fini,  nous  fûmes  nous  coucher.  (Amph,  H.  a.) 

Je  lui  ai  défendu  de  bouger,  à  moins  que  f  y  fusse  moi-même. 

{Pourc,  I.  6.) 

Pascal  fait  le  même  usage  du  verbe  être  : 

«  Je  le  quittai  après  cette  instruction  ;  et,  bien  glorieux  de  savoir  le  nœud 
«  de  raffaire,y>////  trouver  M.  N'**. . ,  »  (i*"*  Prcy,) 

«  Et,  de  peur  de  Toublier,  je  fus  promptement  retrouver  mon  jansé- 
•  niste.  •  (/6id.) 

—  ÊTRE  A  MEME  DE  QUELQUE  CHOSE  : 

Afin  de  m*appuyer  de  lx>ns  secours et  d'être  à  même  des  consul' 

tatlons  et  des  ordonnances.  {Mal,  im,  I.  5.) 

C'est  être  dans  la  chose  même ,  au  centre  de  la  chose  dont 
il  s'agit  ;  par  conséquent  aussi  bien  placé  que  possible  pour  en 
contenter  son  désir. 


On  dit  être  à  même ,  ou  à  même  de ,  avec  ou  tans  complé- 
ment : 

«  On  demanda,  i  un  phUosopbe  qua  Too  Mirprûl  à  mêsm$0,  fafa*il|û- 
«  soit.  »  (  MoffT4Miri.  JU  itt) 

Que  Ton  surprit  au  milieu  ie  l'action. 

Lfa  veraioQ  de«  fiois  dit  en  meime,  aitivi  da  lubftwitif  wqiial 
s'accorde  même  : 

m  ]{  cumaDdad  à  «es  ûb  que  il  à  m  mort  bal  etiev^iy  «#  mim  U  #9* 
«  pulchre  w  li  bom  buem  M  enseveliz.  »  (P,  a^o,} 

Il  commanda  qu'on  Tensevelit  à  même  le  sépulcre ^  c'est-à- 
dire  dans  le  môme  sépulcre  où,  etc. 

A  même  est  donc  une  sorte  d'adverbe  composé ,  dn  moins 
on  l'emploie  comme  tel  ;  mais  il  est  hoi-s  de  doute  que  c'est  au 
fond  l'adjectif  même,  avec  l'ellipse  du  substantif, 

—  ÊTRE  APRÈS  QUELQUE  CHOSE  y  c'est-à-dirc ,  être 
occupé  à  cette  chose  : 

On  est  venu  lui  dire,  et  par  mon  artifice > 

Que  les  ouvriers  qui  sont  après  son  édifice, . . .  {VKt,  II.  i.) 

—  ET»  COITTEIÏT   DE  QUELQUE  QfLQn  9   7  OOnseUtir 

volontien  : 

AtCAOïri. 

Ayez-le  donc  (i),  et  lors,  nous  expliquant  nos  t«ux, 
Nous  verrons  qui  tiendra  mieux  parole  des  deux. 

VALCRI. 

Adieu,/«/i  suis  content,  {Dép.  am,  II.  a.) 

C'est-à-dire ,  cette  condition  me  plaît ,  je  l'accepte. 

—  ÊTRE  DE ,  être  à  la  place  de  : 

Mais  enfin,  si  fêtais  de  mon  fils  son  époux  « 
Je  vous  prierois  bien  fort  de  n'entrer  point  cbez  nous.  {Tari,  L  '•) 
(Voyez  iTEK  que  de...) 

—  Faire  partie  de,  être  compris  dans, , .  : 

Mais,  monsieur,  cela  seroitil  de  la  permission  que  vous  m*avez  donnée, 
si  Je  vous  disois. . .  etc.  (D.  Juan,  I.  9.) 

—  ÊTIiE  DE  CONCERT  : 

Soyons  de  concert  auprès  des  malades.  (^m.  méd.  10,  |.) 

(1)  L«  ronientcuient  d'un  anlrr. 


—  167  — 

—  Èm  Bff  VAm  vomi  fatbs  quelque  chose  ,  être 
en  situation  ayantageose  : 

Momoxr. 
Mais  lauiet-moi  passer  entre  vous  deux ,  pour  cause  : 
Je  serai  mieux  en  main  pour  vous  conter  la  chose.  (Pr.  </*£/,  La.) 

—  iTRB  pouA  (un  infinitif)  ;  être  fait  pour ,  de  na- 
ture à.  •  •  ; 

Ci  icroitpour  monter  à  des  somnies  très -hautes,  {fâcheux.  UL  3.) 
Xfoiu  m  sommet  gue  pour  leur  plaire  (aux  grands).  (/flyv*  x.) 

Puisque  TOUS  y  dsonez  dauf  oes  vices  du  temps, 
MorUauI  vous  n'êtes  pas  pour  être  de  mes  geos. 

Être,  ou  n*^&e  pas  pour  étre^  est  une  expression  manifeste- 
ment trop  négligée  ;  mais  Molière  ne  la  créait  pas ,  et  il  était 
directeur  de  troupe  ,  souvent  pressé  par  le  temps  et  par  Tor- 
dre du  roi  : 

Je  crois  qu'un  ami  chaud,  et  de  ma  qualité, 
JVtf/  pas  assurément  pùwr  être  rejeté.  (JV/i.  I.  a.) 

Le  leiitimeDt  d*autrui  rCesî  jamais  pour  lui  plaire,       {Ibid^  II.  5.) 
Les  choses  ne  sont  plus  pour  traîner  en  longueur.        {IbitL  T.  a.) 
Puisque  vous  nettes  point  en  des  liens  si  doux 
Pour  trouer  tout  en  moi ,  oomme  moi  tout  en  vous.  (Jhid,  Y.  7.) 
Je  ne  suis  pas  pour  être  en  ces  lieux  importun.  {Tari,  V.  4.) 

Pareil  déguisement  serait  pour  ne  rien  faire,  {Amph,  prol.) 

Ah,  juste  ciel  !  cela  se  peut-il  demander .' 
Et  n'est-ce  pas  pour  mettre  à  bout  une  âme?  {Ibid,  II.  6.) 

Lui  auroit-on  appris  qui  je  suis  ?  et  serois-tu  pour  me  trahir  ? 

{VÂ9,  n.  X.) 

Elle  sera  charmée  de  votre  haut-de-chausse  attaché  avec  des  aiguillettes: 

e*êstpour  la  rendre  folle  de  vous.  {Ib'ul,  U.  7.) 

Set  eontrôiei  perpétuels ne  sont  rien  que  pour  vous  gratter  et  ▼oui 

fiiire  M  cour.  {Ibid,  III.  5.) 

n  y  a  quelques  dégoûts  avec  un  tel  époux,  mais  cela  n'est  pas  pour 
shirer.  {Ibid.  Ul.  8.) 

Je  suis  homme  pour  serrer  le  bouton  à  qui  que  ce  puisse  élre.  (G.DJ.  4.) 
Si  le  galant  est  cbea  moi,  ce  uroit  pour  awir  raison  aux  yeux  du  père 
€t  de  la  mère.  {Jlbui.  VL.  ^.) 

S'il  TOUS  demeure  quelque  choie  sur  le  cœur,  je  suis  pour  vous  répondre. 

(Ibid,  n.  zi.) 


—  168  — 

Je  ne  suis  pat  pottr  rteevoir  avec  Mvérité  les  omwrtorct  qoe  vont  pour- 
riez me  faire  de  voire  cœur.  (Am.  ma^n,  IV.  i.) 
.  Si  ÀDaxarqnc  a  pu  vous  offenser^  j'éiois  pour  vous  en  faire  justice  noi- 
mt^nie.  {Ihid,  V.  4.) 
De  tels  attacbements,  ô  ciel  !  sont  pour  vota  plaire  !  {Fem.  sap.I.  i.) 
Siùs-je  pour  la  chasser  sans  cause  li>gitime?  {Ihid.  n.  6.) 

Cette  locution  ,  qui  parait  abrégée  de  être  fait  pour,  était 
usuelle  au  xvi*  siècle  et  auparavant.  Montaigne  dit  qae  So- 
crate  y  dans  une  déroute  d^armée  ,  se  retirait  avec  fierté  : 

«  Regardaut  lantost  les  ua%  tantost les aullres,  amis  eteonemis,  d'nnefiiçon 
•  qui  encourageoit  les  uns,  et  signifioit  aux  aultres  t{\ï*U  estoU pour  vendre 
«t  bien  cber  son  sang  et  sa  vie  à  qui  essayeroit  de  la  luy  osier.  » 

(MOVTAXGVK.  m.  6.) 

<«  S*il  me  vient  quelque  bon  hasard 

«  De  par  vous,  songez  que  je  suis 

•  Pour  le  reeonnoistre,  »  {Le  Nouveau  Pathelin,) 

—  ÊTRE  QUE  DE  : 

Moi  ?  Voyez  ce  que  c'est  que  du  monde  aujourdliui  !     {VÉt.  1. 6.) 
Rien  n'était  si  facile  que  de  mettre  :  ce  que  c'est  que  le 
monde  ;  mais  tout  le  piquant  de  l'expression  s'en  va  avec  le 
vieux  gallicisme. 

Molière  parait  s'être  ici  rappelé  ce  début  de  la  satire  de 
Régnier  : 

•'  Voyez  quf  c'est  du  monde  et  des  choses  humaines! 
"  Toujours  à  nouveaux  maux  naisseut  nouvelles  peines.» 

{Le  Mauvais  Giste,) 
Si  j*étois  que  de  vous^  je  lui  achèterois  dès  aujourd'hui  une  belle  garni- 
ture de  diamants.  {j4m,  mèd,  I.  i.) 

(Voyez  DU  représentant  que  le,) 

Vous  ferez  ce  qu'il  vous  plaira;  mais  si  j'étois  que  de  inms,  je  foirois  les 
procès.  {SeapÎR,  II.  8.) 

Je  ne  souffrirois  point ,  si  j'e'tois  que  de  vous, 
Que  jamais  d'Henriette  il  pût  être  l'époux.  (Pem,  sav,  IV.aJ 

Que  est  en  français  la  traduction  de  quod.  Siessem  qitad  de 
te  (sous-entendu  est),  si  j'étais  ce  qui  est  de  vous. 

Le  que,  dans  cette  locution ,  est  donc  nécessaire,  et  ne  peut 
en  être  supprimé  que  par  ellipse. 

Sij'étois  que  de  vous^  mon  fils,  je  ne  la  forcerois  point  à  se  marier. 

(Mal,  im.  U.  7.) 


—  169  — 

Si/ùùis  que  des  médecins^  je  me  vengerois  de  son  impertinence. 

{MaLim.in.  x4.) 
Yoilà  un  bras  que  je  me  ferois  couper  tout  à  Tbeure  si  j'étois  que  de 
tfoiu.  (Ibid,  m.  3.) 

(Voyez  p.  i66 ,  étee  dk.) 

—  ÊTRE  SUR  QUELQU'ON  ,  être  SUF  SOU  propOS  ,    800- 

cuper  de  lui  : 

Ma  foi , 
Demande  :  nous  étions  tout  à  Theure  sur  toi.  (Dép.  am,  La.) 

—  ÊTRE  OU  EN  ÊTRE  SUR  UNE  MATIERE  : 

Sur  quoi  en  étiez-vous^  mesdames,  lorsque  je  vous  ai  interrompues? 

(Crit.  de  ttc.  des  fem,  5.) 

Vou%  êtes  là  sur  une  matière  qui  depuis  quatre  jours  fait  presque  Tentre- 
tien  de  toutes  les  maisons  de  Paris.  (Ihid,  6.) 

Nous  sommes  ici  sur  une  matière  que  je  serai  bien  aise  que  nous  poui^ 
sioQi.  (Ibid.  7.) 

—  ÊTRE  VU  HOMME  A  (un  infinitif): 

Albert  n'est  pas  un  homme  à  xh)us  refuser  rien.      {De'p.  am,l.  a.) 

ÉTROIT ,  au  sens  figuré  ;  étroites  faveurs  : 

Et  je  serois  un  fou ,  de  prétendre  plus  rien 

Aux  étroites  faveurs  qu*il  a  de  cette  belle.  (^^jP*  <""•  I*  4*) 

ET  SI ,  et  cependant  : 

Depuis  assez  longtemps  je  tâche  à  le  comprendre, 
£t  si  pins  je  Técoute,  et  moins  je  puis  l'entendre.  {Sgan,  aa.) 

Tous  mesemblez  toute  mélancolique  :  qu'avez-vous,  madame  Jourdain?* 
—  J'ai  la  tète  plus  grosse  que  le  poing,  et  si  elle  n'est  pas  enflée. 

{B.  gent,  m.  6.) 

Et  si  paraît  être  tout  simplement  Vetsi  latin  ,  quoique,  écrit 

en  deux  mots  par  erreur,  et  à  cause  d'une  trompeuse  analogie. 

ET-TAiVT- MOINS  ;    Tet- tawt- moins  ,    substantif 

composé,  comme  le  quanUà-soi  : 

LUBfir.  —  Claudine ,  je  t*en  prie  ,*  sur  Yet-tant^moins,  (G.  D,  H.  i.) 

C'est-à-dire  que  ce  soit  une  avance  à  rabattre  plus  tai'd. 

ÉTUDIER  DANS  UN  ART,  UNE  SCIENCE  : 
J*enrage  que  mon  père  et  ma  mère  ne  muaient  pas  bien  fait  étudier  dans 
toutes  Us  sciences  quand  j'ctois  jeune  !  (B.  gent.  H,  6.) 

EUX  AUTRES  : 

n  s*est  fait  un  grand  vol;  par  qui?  L*on  n'en  sait  rien  : 

Eux  autres  rarement  passent  pour  gens  de  bien.         (L'Ét,  TV,  9.) 


—  170  — 
EXACT;  UH  eswon, d'exacte  vue  î 

Je  veux,  pour  espion  qui  soit  et  exacte  vue^ 

Prendre  le  «lavetier  du  coin  de  notre  me.        (iPc.  des  fem,  IV.  4.) 

Pascal  a  dit  de  morne ,  une  réponse  exacte, 

•  J*espère  que  vous  y  verrez ,  mes  pères ,  une  réponse  exacte^  et  dans 
«  peu  de  temps.  1»  (tt*  Pro9,) 

Exacte  est  ici  au  sens  de  rigoureuse ,  qui  n'omet  Hen, 

Aujourd'hui,  une  réponse  exacte  signifierait  celle  qui  arrive 
à  rheure  précise ,  qui  serait  ponctuelle.  C'est  dans  ce  sens  que 
l'on  dit  répondre  exactement  :  — ^  Je  lui  écris  toutes  les  semai- 
nes ,  et  il  me  repond  exactement. 

EXCELLENT  ;  u  plus  excellent  : 

J'aurois  voulu  faire  voir que  les  plus  emeelientês  ekosêê  tout 

tojettet  à  être  copiées  par  de  mauTaia  singes. . . 

{Préf,  des  Précieuses  ridiemUë,) 

EXCITER  une  douleur  a  quelqu'un  : 

Et,  dans  cette  douleur  que  Tamitié  nC excite,      {D,Gûreie,Y.^.) 

(Voyez  DATIF  DR  PEATE  OU  DK  FHOFIT.) 

EXCUSER  A  quelqu'un ,  auprès  de  qadqa'an  : 

Ne  viens  point  m' excuser  Taction  de  cette  infidèle.      (H,  gMt.  UL  9.) 

—  EXCUSER  quelqu'un  SUR  : 

....  Vous  WL  excuserez  sur  Thumaine  foiblesse.  (Tart,  IlL  3.) 

Je  vous  excusai  fort  sur  votre  intention.  {Mis,  III«  5.) 

EXCUSES;  faire  les  excuses  de  quelque  chose  : 

Ne  m'oblige  poiut  à  faire  Us  excuses  de  ta  froideur,     (Pr,  ifJSl,  II.  4.) 

EXPRESSION  ;  des  expressions  ,  en  parlant  du  mé- 
rite d'une  peintare  : 

Dis-nous  quel  feu  divin ,  dans  tes  fécondes  Teilles, 
De  tes  expressions  enfante  las  merveilles. 

{iM  Gloire  du  red-dâ^Gréee.) 
De  ses  expressions  les  touchantes  beautés.  {Ihid,) 

EXPULSER  LE  SUPERFLU  DE  LA  BOISSON.   Voyei  8U- 

PKMPLU. 

FACHER  ;  se  fâcher  dans  le  sens  de  s'affliger: 
Ne  vous  fdch$z  point  tant  ^  ma  très-chère  madame.     [Sgmf,  16.) 


—  171  — 
FÀCHEBIE .  dans  le  nème  feos  : 

la  lovt  eu ,  06  cpii  peut  n'Altr  mi  fdehmê^ 
CHnI  giii  J«  m  miU  PAS  uul  dtf  oNi  oonfirérif .  (Sgan.  19.) 

Et  je  m'en  sens  le  cœur  tout  gros  de  fâcherie,  {Ec,  des  nmp,  0.  5.) 
Le  beau  sujet  de  fâcherie  /  {^9ipht  h  4«) 

FACIiS  A  (im  infinitif)  ; 

f  r  •  «  M  T^lablei  gens  de  bien, . , ,  •  /Suri/f/  4  recemr  if  s  impnfS' 
sions  qu*on  Teut  leur  donner.  (Préf,  dç  Tart^fih) 

FAÇON  ;  M  i^  FAÇOA  f  idnsi ,  de  la  sorte  : 

On  seriroitdeTOus,  Alceste,  tout  de  bon, 
fil  Ton  Touf  entendoit  parler  de  la  façon,  (Èfîs,  1  i.) 

De  la  façon  que ,  'avec  un  verbe ,  se  trouve  dans  Pascal  : 
■  n  semble,  de  la  façon  que  vous  parlez ,  que  U  vérité  dépende  dis  Do- 
-  tre  Tolonté  !  »  {Prop,  8*  lettre) 

Et  dans  Corneille ,  de  la  manière  que  : 
m  Dé  la  manière  enfin  fn'avee  toi  J*ai  vécu, 
«  Les  Tainquenri  sont  jaloux  du  bonheur  du  vaincu.  • 

(  Cinna.  V.  1.) 

FAÇONNIER ,  FAQonifi&EE ,  adjectif  pris  sabstanti- 
^ement  : 

...  La  plus  fsnxkétjaçonnlère  du  monde.        (Crit.  de  t£c.  des  /.  a.) 
Pe  tous  VM  fafoanierê  on  n*est  point  les  cscIaTes.  (TaH,  L  6.) 

Foffn  est  le  diminutif  de  face.  La  finale  o/t ,  qui  est  aug- 
iKientative  en  italien ,  est  diminutive  en  français  :  Beste^  be$~ 
^doffi  Ma  M  luitoni  pied,  peton;  gars^  garson  ;  poupe  (du  latin 
J^upa) ,  poupon;  Jeanne ,  Jeanneton,  Pierrçn,  Suwn,'fiUi. 
L^façom,  par  conséquent ,  sont  de  petites  mines. 
(Voyez  oaiw  AGiias.) 

FAIBLE,  substantif ,  le  faible  di  quelqu'uk  : 

Et  qoe  TOtre  langage  à  mon  foiblê  s'ajuste.  (Dép,  am.  II.  7.) 

C'est  le  point  faible,  et  non  la  faiblesse. 
Le  faible  continue  à  être  en  usage  dans  cette  locudon  : 
Prendre  quelqu'un  par  son  faible. 

FAILLIR  A  QUELQUE  CHOSE  : 

Ne  me  Ta-t-il  pas  dit?  —  Oui,  oui,  il  ne  manquera  pat  ^y/eUlir, 


—  172  — 

Aujourd'hui  qiron  a  retranché ,  ou  à  peu  près ,  le  verbe 
faillir f  comme  suranné,  il  faudrait  dire  :  Il  ne  manquera 
pas  d'y  manquer.  Voilà  Tavanta^^e  de  supprimer  les  synonymes. 

(Voyez  FAUT.) 

FAIM ,  désir  ;  avoir  faim  ,  grai!TD*faim  de. ...  : 

Je  n'ai  pas  grande  faim  de  mort  ni  de  blessure.      (Dép,  oui.  T.  i.) 
Cette  locution  est  demeurée  de  fréquent  usage  en  Picardie  ; 
elle  est  dans  Montaigne  : 

«  Il  n'est  rien  qui  nous  jecte  tant  aux  périls  qu'une /kôn  ineoiiAdérée  de 
«  nous  en  mettre  hors.  »  (MoirrAioirE«  III.  6.) 

«  n  a  grand  faim  de  se  combattre  contre  Annibal. —  Quand  il  Iny  riendra 
«  faim  de  vomir.  —  Il  avait  faim  de  C avoir,  •  (Nigot.) 

FAIRE ,  pour  dire  : 

AGNÈS. 

Moi ,  j*ai  blessé  quelqu'un?  ^-je  tout  étonnée.  •  • 

Hé  !  mon  Dieu ,  ma  surprise  est,  /is-Je,  sans  seconde.  •  • 

Oui,  fit'elle,  tos  yeui  pour  donner  le  trépas 

(Ec,  des  fem,  IL  6.) 

Cet  archaïsme  remonte  à  Torigine  de  la  langue. 

Le  livre  des  Rois^  traduit  au  xi®  siècle,  en  fait  constamment 
usage ,  non-seulement  pour  inquity  mais  aussi  pour  dixit  : 

«  Tien  fen,  fist  Jonathas. . . .  fist  Jonathas:  à  els  irrum. . .  »  (p.  46.) 

«  Fist  \\  poples  à  Saul  :  Commeut!  si  murrad  Jonathas  ?  »  (p.  5i.) 

«  Fist  H  prestres  :  Pernez  de  Deu  ciinseil.  »  (p.  5o.) 

Voltaire  Ta  souvent  employé  pour  donner  à  son  style  une 
teinte  de  naïveté  ironique. 

Mais  comment  le  verbe  fnire  s'est-il ,  dès  Torigine  de  la 
langue ,  substitué  au  verbe  dire  ?  Cette  substitution  n'est  pas 
réelle  :  elle  n*est  qu'apparente. 

Par  suite  des  habitudes  de  syncope  et  des  lots  de  la  trans- 
mutation des  voyelles,  il  est  ai'rivé  que  des  foimes  rapprochées 
en  latin  ont  produit,  en  français,  des  formes  identiques. 

Dicere  a  donné  dire ,  di  ce)re. 

Desi[de)rare,  de[si)rare  ^  dire  au^i, 

(Voyez  DIKE,  THOUVER  QUFXQU*UW  A  DIRE.) 

Pareillement ,  de/àcere ,  fere,  et  de  /dri,  faire. 


—  173  — 

L*oreiUe  les  confondait,  la  plume  ne  tarda  pas  à  les  con- 
fondre 'f  et  les  deux  formes  sont  encore  mêlées  dans  Tortho- 
graphe  moderne  :  Je  fkis  ^  je  ftjrai  ^  ft^ant  Qxxfkisant, 

—  FAIRE,  remplaçant  dans  ses  temps,  nombres  et 
personnes ,  un  verbe  précédemment  exprimé ,  et  qu'il 
faudrait  répéter  : 

Al]  !  que  j*ai  de  dépit ,  que  la  loi  n'autorise 

A  chaDger  de  mari  comme  on  fait  de  chemise  !  {Sgan,  5.) 

Je  risque  plus  du  mien  que  tu  ne  fais  du  tien.  (Jhld,  aa.) 

Puisque  me  voilà  éveillé,  il  faut  que  j*éveille  les  autres,  et  que  je  les 

tourmente  comme  on  m'tifaU.  {Prol,  de  la  Pr.  d'EL  se.  a.) 

Comme  on  m*a  tourmenté. 

On  vous  aime  autant  en  un  quart  d'heure  qu'on  feroit  une  autre  en  six 

mois.  (D.  Juan,  II.  a.) 

Il  rappelle  son  frère,  et  Taime,  dans  son  âme, 

Cent  fob  plus  qu'il  ne  fait  mère,  fils,  fille  et  femme.      (Tart,  I.  a.) 

Le  nom  du  grand  Coudé  est  un  nom  trop  glorieux  pour  le  traiter 

comme  on  fait  tous  les  autres  noms.  {Ep,  dédie,  tt  Amphitryon.) 

Il  y  a  un  certain  air  doucereux  qui  les  attire ,  ainsi  que  le  miel  fait  les 

mouches.  (G,D.  II.  4-) 

Les  Anglais  emploient  absolument  au  même  usage  leur  verbe 
do  y  faire  y  qui  n'est  autre  que  le  saxon  thun.  Par  exemple,  dans 
cette  phrase  :  a  He  loves  not  plays  as  thou  dost^  Antony.  » 
(Shaksp.  JuL  Cœs.)  «  Il  Viaime  pas  la  comédie  comme  tu  fais, 
Antoine.  »  Dost  remplace  lovest^  par  une  tournure  toute  fran- 
çaise. J'ai  montré  ailleurs  (i)  que  how  dojrou  do ,  est  aussi  une 
formule  française  traduite  avec  des  mots  saxons. 

—  FAIRE,  représentant  Tidée  exprimée  par  une  phrase 
on  une  demi-phrase  : 

▼ALitK.  Je  vous  proteste  de  ne  prétendre  rien  à  tous  vos  biens ,  pourvu 
que  vous  me  laissiez  celui  que  j'ai. 

MARPAGOir.  Non  ferai,  de  par  Ions  les  diables  !  {VAv,  V.  3.) 

C'est-à-dire  :  je  ne  te  laisserai  pas  celui  que  tu  as,  à  la  charge 
par  toi  de  ne  prétendre  rien  aux  autres." 

On  disait,  si  ferai,  aussi  bien  que  non  ferai, 

(i)  D*s  rmrûU.  du  hmg,  fr.,  p.  376. 


-  <74- 

—  FAiR£  (un  substantif)  5  être  la  tiatfse,  Tôbjet,  le 
bat  de. . .  *  : 

Non,  non»  tous  pooTez  bien, 
PttiiqM  vous  l§  faUiet,  rompre  notre  entrelMii.    {lUj^»  mm»  D.  2.) 
Ow,  je  veu  bien  qu*op  Mcbe,  et  J*cn  doU  être  eflw. 

Que  le  sort  offre  ici  deux  objets  i  ma  vue 
Qui,  m^inspirant  pour  eux  différents  sentiroeoti. 
De  mon  cœur  agité /bn/  tous  Us  mouvements,    {fie,  de*  mat 4  n.  14.) 
Ella  fait  tous  mes  soins,  tous  mes  désirs,  toute  ma  joie,  {B,  genté  III.  9.) 

—  FAIRE,  saivi  d'un  adverbe ,  produire  un  effet  : 

Ces  deux  adverbes  joints  font  admirablement,      {Fem,  tap,  III«  a.) 

—  rAiRCy  représenter,  dépeindre: 

Mais,  las!  il  le /ait,  lui,  si  rempli  de  plaisirs  (i), 

Que  de  se  marier  il  donne  des  désirs.  (fie,  des/em.  Y.  4.) 

—  FAIRE  9  simuler,  feindre  : 

Je  ferai  le  vengeur  des  intérêts  du  ciel.  (D,  Juan,  T.  a.) 

Est-ce  par  les  appas  de  sa  vaste  rhingrave 

Qu'il  a  gagné  votre  àme  eu  faisant  votre  esclave?       {Mis.  IL  i;) 
M'engager  à  ya/rc  Camant  de  la  maîtresse  du  logis,  e*est.  • . .  etc. 

{Comtesse d'Esc,  i.) 

C'est  ainsi  qu*on  remploie  en  parlant  des  rôles  de  thcAtre  : 
^oWcte  faisait  Sganarelle  ;  \\  faisait  aussi  les  rois  et  les  person- 
nages nobles;  iX  faisait  don  Garcie,  et  il  j  fut  sifflé  à  double 
titre  j  comme  auteur  et  comme  acteur. 

-^  FAIRE  ▲  QUELQUE  CHOSE ,  J  Contribuer  : 

Même ,  si  cela  fait  à  votre  allégement, 

i'a?ouerai  qu'à  lui  seul  en  est  toute  la  faute.        iP^p*  <'"•  ni*  4.) 

—  FAIRE  RESOUT ,  être  nécessaire  : 

Quand  nous  faisons  besoin ,  nous  autres  misérables, 

Nous  sommes  les  cbcris  et  les  incomparables.  {VÉt,  l.  a.) 

S'il  sons  faisoit  besoin ,  mon  bras  est  tout  à  vous»  (Dép,  anu  ¥•  3.) 
(i)  Le  mariafe. 


—  17»  — 
— tAîÈÈ  G05TRE  QUELQt'tJK ,  agip  oontTe  8C8  intérêts  : 

n  faut  avec  vigueur  ranger  les  jeunes  gens  ; 

Et  nous  faisons  contre  eux  à  leur  être  indulgents,  (jtc,  desfem,  V.  7.) 

(Voyez  FAIRE  POUR  quelqu'un.) 

—  FAIRE  DE  (un  sabfltantif),  traiter,  en  agir  avec  : 

Et  tout  homme  bien  sage 
Doit  faire  des  habits  ainsi  que  du  langage.         (jtc,  des  mar,l,  i.) 

Je  voudrois  bien  qu*o/i  ftt  delà  coquetterie 

Gmiiim  de  la  guipure  et  dé  la  broderie,  (  tb'ui.  II.  9.) 

—  FAIRE  DU. ... ,  prendre  le  rôle  de. . . .  ,  faire  de 

SON  DRÔLE  : 

J'ai  bravé  ses  armes  assez  longtemps  (de  Tamotir),  et  fait  de  mon  drôle 
comme  un  autre.  {Pr,  d'£L  II.  a.) 

J'ai  ouï  dire,  moi,  que  vous  aviei  été  autrefois  un  bon  compagnon 
|>anni  les  femmes  ;  que  yova  faisiez  de  votre  dréle  avec  les  plus  galantes  de 
ce  temps  là. ...  (Scapin,  I.  6.) 

«  Faire  du  roj,  faire  du  capitaine^  pro  rege  se  gerere^  imperatorias 
«  partes  sumere.  Faire  du  liperquam,  se  montrer  le  grand  gouverneur.  » 

(NiCOT.) 

Faire  f  dans  ces  locutions ,  se  rapporte  au  sens  de  feindre , 
simuler.  (Voyez  p.  174.)  I^  de,  marque  du  génitif,  suppose 
une  ellipse  :  f||ire  (le  rôle)  du  roi  ;  faire  (le  rôle)  du  liperquam. 

Ce  mot  liperquam  f  qui  est  une  corruption  de  ùijrper  quem 
(sous-entendu  omnia  geruntur),  ou  plutôt  qui  est  la  notation 
fidèle  de  la  manière  dont  on  prononçait  ces  mots  latins  au 
moyen  âge,  paraît  renfermer  l'origine  du  mot  peguin.  Un  pé- 
qiÔMf  ou  unper  quem  ^  est  un  fat  qui  tranche  de  l'important , 
quiftf  monstre  le  grand  gouverneur  ^K\m  fait  du  liperquan. 

(Voyeï  des  Variations  du  langage  français  ^  p.  4 14-) 

—  FAIRE  DES  DISCOURS  y  Xm  DESSEIN  ,  DES  GRIS  ;  FAIRE 

PLAOTS,  FAIRE  ÉCLAT: 

Tous  ces  signes  sont  vains  :  quels  discours  as^tu  faits?  {VEt,  III.  4.) 
Je  quitterois  le  dessein  que  j'ai  fait }  {Mar.  fore,  a .) 

Tu  vois,  Toinettei  les  desseins  fioleiiU  que  Toik  fait  sur  lui  (sur  son 
eoMr)!  (Mal.  im.  I.  10.) 


—  176  — 

Comment,  bourreau,  iu/ais  des  cris?  {Ampk,  1. 1.) 

J'ai  peine  à  comprendre  sur  quoi 
Vous  fondez  les  discours  que  je  \ous  entends/o/r^.     (liUL  II.  a.) 

Est-ce  dune  que  par  là  toui  voulez  essayer 

A  réparer  Taccueil  dont  je  vous  ai  fait  plainte?  (Ihid.  IL  a.) 

La  plua  rare  vertu 
Qui  ^uuie  faire  éclat  sous  uu  sort  abattu.  {L*Mt,  IIL  40 

—  FAIRE  EN . . .  ,  agir  en  : 

Il  sait  faire  obéir  les  plus  grands  de  TÉtat , 

Et  je  trouve  qu'il  fait  en  digne  potentat,  {Fdeltemx,  I.  lo.) 

J*avois  mange  de  Tail,  tij!s  en  homme  sage 

De  détourner  un  peu  mon  haleine  de  toi.  (Amph,  IL  3.) 

•^  EU  FAIRE  A  quelqu'un  POUR.  ...  : 

J'en  suis  pour  mou  houncur;  mais  à  toi ,  qui  me  Tètes, 

Je  t'en  ferai  du  moins  pour  un  bras  ou  deux  c6tes.  {Sgan,  6.) 

Je  t*en  donnerai  pour  un  bras  ou  deux  côtes.  —  C'est-à- 
dire,  il  t*en  coûtera  un  bras  ou  deux  côtes. 

Cette  expression  est  empruntée  au  langage  technique  du 
commerce ,  où  Ton  dit  :  Faites -moi  de  cette  marchandise  pour 
telle  somme.  —  On  Tien  fait  pas  i>our  ce  piîx. 

«  Le  flMrchandyf/  son  chantre  mille  éeus,  et  sou  grammairien  trois  mille.» 

(La  FoHTAiiia.  Fie  dP Esope,) 

—  FAIRE  LE  FIN  DE  QUELQUE  CHOSE,  c'cst-à-dlre  re- 
lativement à  quelque  chose ,  de  aligna  re  : 

Mais ,  je  ne  fen  fais  pas  le  fin , 
Nous  avions  bu  de  je  ne  sais  quel  vin 
Qui  m'a  fait  oublier  tout  ce  que  j*ai  pu  foire.  (  Amph,  XL  3.) 

—  IL  FAIT ,  impersonnel,  construit  avec  l'adjectif  idr, 
comme  avec  Fadjectif  hon^  beau^  clair  ^  etc.  : 

Il  ne  fait  pas  bien  sûr,  à  vous  le  trancher  net, 

D*épouser  une  fille  en  dépit  qu  elle  en  ait.  (Fem.  sap,  T.  t.) 

—  FAIRE  FAUX  BOHD  A  l'HONNEUJR  : 

Mais  il  &ut  quà  t  honneur  eXLe  fasse  faux  bond,*» 

(Ec.  des  fem,  Ul.  a.) 


—  177  — 
— FAIBE  FOBGE  A  (un  substantif),  forcer,  contraindre: 

Je  \eux  bien  Deanmoins,  pour  te  plaire  une  fois, 

Faire  force  à  Camour  qui  m^impose  des  lois.  {VEt,  lY.  5.) 

—  FAIRE  GALAIfTERIE  DE  (un  infinitif).    Voyez   galaK** 

TIBIE. 

—  FAIRE  LA  COMÉDIE  : 

Ne  Toulez-vous  point,  un  de  ces  jours,  Tenir  voir  avec  elle  le  baliet  et  la 
comédie  que  Ton  fait  chez  le  roi  ?  {B.  gent,  III.  5.) 

—  FAIRE  LES  houheurs  de  quelque  chose  : 

Faisons  bien  Us  /lonneurs  au  moins  de  notre  esprit, 

(Fem.  sav.  m.  4.) 

—  FAIRE  METIER  ET  BIARGHANDISE  DE  : 

Ces  gens  qui,  par  une  àme  i  Tintérét  soumise. 

Font  de  dévotion  métier  et  marcliandise,  (  Tart,  I.  6.) 

—  SE  FAIRE  LES  DOUCEURS  D  UNE  INNOCENTE  VIE  : 

Et,  de  cette  union  de  tendresse  suivie. 

Se  faire  les  douceurs  d'une  innocente  vie,  (Fem,  sav,  I.  i.) 

—  FAIRE  PARAITRE  (se)  ,  sc  montrer  : 

U  douceur  de  sa  Toii  a  voulu  se  faire  paroitre  dans  un  air  tout  char- 
BiDt  quelle  a  daigné  chanter.  (Pr,  d'EL  m.  a.) 

—  FAIRE  POUR  QUELQU^uN ,  agir  pour  lui,  le  protéger: 

Dieu yêra  pour  les  siens,  {Dép,  am,  III.  7.) 

Cest  ce  qui  fait  pour  vous  ;  et  sur  ces  conséquences 

Votre  amour  doit  fonder  de  grandes  espérances.  (Ec.  des  mar,  I.  C.) 

(Voyez  FAIEE  CONTEE  QUELQu'CN.) 

^  FAIRE  SCRUPULE ,  causcr  du  scrupule  : 

Ce  nom  (de  gentilhomme)  ne  fait  aucun  scrupule  à  prendre. 

{B,  gent,  ni.  la.) 

—  FAIRE  SEMRLANT  QUE.  ...  : 

Profitons  de  la  leçon  si  nous  pouvons,  saLM  faire  semblant  qu'on  parle  k 
nous.  (Crit.  de  TRe,  des  fem,  7.) 

—  FAIRE  SON  POUVOIR ,  faire  son  possible  : 

Faites  votre  pouvoir^  et  nous  ferons  le  nôtre.  (JDép,  am.  I.  a.) 

C'était  l'expression  du  temps  : 

T9 


—  178  - 

«  J'ai  (ait  moo  pouvoir,  sire,  et  n'ai  rien  obtenu.  > 

{CotL]KKtLiM^  Le  Cid,  I.  6.) 

—  FAIRE  UNE  BOURLE  (  frouWe,  de  ntalien  burla^ 
moquerie)  : 

....  Une  certaine  mascarade  que  je  prétends  faire  entrer  dans  nne 
ùourle  que  je  \eu\  faire  k  notre  ridicule.  (B,gent,  IIL  14.) 

(Voyez  BOURLE.) 

—  FAIRE   UNE   VENGEANCE   DE  QUELQU'UH  ;  Cil   tîrcr 

Tengeance  : 

El  je  prétends  faire  de  fui  une  vengeance  exemplaire.    [Scapin,  III.  7.) 

FAIT  A  (un  infinitif),  habitué  à....  : 

Car  les  femmes  y  sont  /ailes  à  eoqueter,  {Ec,  dmêfem,  I.  6.) 

FAIT ,  substantif;  c'est  un  étrange  fait  que....  : 

Cest  un  étrange  fait  que,  avec  tant  de  lumières, 

Vous  vous  eflkrouchiez  toujours  sur  oes  matières.       (l^id.  IV.  8.) 

—  LE  FAIT  DE  QUELQU'UN  ;  tout  cc  qui  le  coooeme , 
sa  conduite,  sa  fortune,  etc....: 

Tout  son  fait,  croyex-moi ,  n*est  rien  qu'hypocrisie.     (Tm't,  I.  i .) 

Je  crains  fort  pour  mon  faii  quelque  chose  approchant. 

(Jmph.  If.  i.) 
Bienheureux  qui  a  tout  son  fait  bien  placé  !  (  L'jéy.  I.  4.) 

Dans  La  Fontaine  : 

««  Le  malheureux,  n'osant  presque  répondre, 
«  Court  au  magot ,  et  dit  :  C'est  tout  mon  fait.  » 

{Le  Paysan  qui  a  offensé  son  seigneur.) 

—  DIRE  SON  FAIT  A  QUELQU'UN  : 

n  me  donna  un  soufflet,  maisyV  lui  dis  bien  son  fait!       (Pourc,  I.  6.) 

FALLAKT ,  participe  présent  de  falloir  : 

Mais  luifailant  un  pic,  je  sortis  hors  d'effroi.       {Fécheujr,  II.  «.) 
Comme  il  lui  fallait  un  pi(iue.  Le  participe  abrège  singuliè- 
rement, et  mériterait  pour  cela  seul  d'être  en  usage. 

FALLOT,  plaisant ,  grotesque  ;  traft  fallot  : 

Sans  ce  mît  fallot. 
Un  homme  l'emmenoit ,  qui  s'est  Urouvé  fort  sot*      ÇL'EL  IL  t4«) 


—  179  — 

« #Hé  quoi,  plaisant yâ/A>/, 

«  Vous  parlerez  toujours,  et  je  ne  dirai  mot  ?  » 

(Th.  CoRiriiLLi,  Jodelet  prince.) 
.«  Là,  car  quelque  chanson /âZ/bf^ , 
«  Nous  célébrerons  la  vertu 

•  Qa'oa  tire  de  ce  bois  tortu.  •  (ST.-AiiAirD.) 

•  Falot  te  prend  ainsi  pour  on  magne! ,  compagnon  de  village:  —  Un 

^f€utH  falot.»  (NicoT.) 

Au  sent  propre,  le  substantif /i/a/  est  très-ancien  dans 
notre  langue,  où  il  est  venu  de  la  basse  latinité.  Dans  les  actes 
de  Minutius  Félix  (ap.  Baron,  adann.  3o3),  on  trouve  déjà 
cereofalum  ,  un  falot  de  cire;  et  dans  une  charte  de  Tévéché 
d'Amiens ,  en  ia4o,  falce  signifie  les  torches  employées  aux 
enterrements. 
Falœ  était  traduit^///!pj  en  français  : 
«  Et  des  murs  toutes  ks  entrailles 

•  Portent  brandons  et  mettent /n'i/M.»   (il.  tfAthh  et  Prophit.) 
«  Failles  emportent  et  brandons  ;  ' 

«  Tôt  en  resplent  {/esplendit)  la  régions.  » 

(A.  de  la  Guerre  de  Troie,) 
Ik  faille  ouf  aie  y  le  diminutif yâ/o^ 

Falot  se  trouve  dans  Albert  Mussato,  de  Padoue,  qui  écri- 
vait, au  commencement  du  xiv*  siècle,  la  chronique  des  gestes 
d'Henri  VI  :  «  Soudain  ils  voient  briller,  au  sommet  de  la  Gor- 
«  gone,  une  sorte  de  signal  par  le  feu ,  qu'ils  appellent  yâ/o/: 
«  quod  ipsi  falo  nuncupabant.  »  —  Sur  quiM  Nicolas  Villani 
Eût  une  note  pour  expliquer  ce  que  c'est  qu'un  falot ,  et  il 
dérive  ce  mot  du  grec  (paXèç ,  dérivé  lui-même  du  verbe  ^o^ , 
briller, 

11  est  à  remarquer  que  ceux  dont  il  est  question,  et  que  dé- 
signe le  mot  ipsi  y  ce  sont  les  Padouans.  Falot,  ou  i^nlbifalo , 
était  donc,  vers  i3oo,  un  terme  italien.  On  le  retrouve  en  cfifet 
dans  k  chronique  de  Modène  :  «  Et  ex  hoc  £scti  fuerunt  magni 
falo  mutin».  »  (Ap.  Mu&atoei  ,  t.  1 5.) 

Fallodia ,  fallogia ,  dans  les  chroniques  italiennes  du  moyen 
âge  y  sont  des  illuminations. 
J'ai  inoti  tor  l'origuie  dt  06  BM,  parce  qa'it  •  eanié  beto* 


—  180  — 

coup  <le  tortures  aux  érudits  ;  on  peut  voir  dans  Trévoux  les 
peines  qu'ils  se  sont  données  pour  drer  falot  du  saxon  hal,  ou 
du  chaldéen  lappid,  changé  en  peled,  qui  se  serait  à  son  tour 
ti'ansfornié  en  falot. 

Le  passage  du  sens  propre  au  sens  métaphorique  ne  peut 
arrêter  pei*sonne.  Il  est  tout  naturel  de  comparer  un  homme 
gai ,  facétieux  ,  folâti-e ,  à  une  flamme  qui  joue  sous  le  vent. 
Les  Latins  disaient,  par  une  figure  pareille,  ignicuU  ingenii 
ÇQuintilt'en), 

(Voyez  Du  Cange  aux  mots  FalOy  Phalœ,  Fallodia.) 

FAMEUX ,  au  sens  de  considèrahle ,  important  : 

Et  me  donner  le  temps  qui  sera  nécessaire 

Pour  tâcher  Je  finir  celle  fameiue  affaire,  {VEt,  IV.  9.) 

Oui,  je  suis  don  Alphonse;  el  mon  sort  conservé 

Est  un  fameux  effet  de  Tamitié  sincère 

Qui  fui  entre  son  prince  et  le  roi  notre  père.    {D,  Garcie,  Y.  5.) 

Et  ce  fameux  secret  vient  d'être  dévoilé.  (I6id,  V.  6.) 

Cet  emploi  de  fameux  ,  qui  paraît  avoir  été  du  style  noble 
du  temps  de  Molière ,  est  aujourd'hui  une  des  formes  triviales 
du  langage  du  peuple. 

Quoi  !  faut-il  que  pour  moi  vous  renonciez ,  seigneur, 

A  celte  royale  constance 
Dont  vous  avez  fait  voir,  dans  les  coups  du  malheur. 
Vue  fameuse  expérience.^  (Psyché',  II.  i.) 

Royale  constance ,  fameuse  expérience  ,  laissent  trop  voir  la 
précipitation  de  Técrivain. 

FANFAN ,  terme  de  tendresse  et  de  mignardise  : 

Oui ,  ma  pauvre  fanfan ,  pouponne  de  mon  Ame. 

{Ec,  des  mar,  II.  14.) 
C'est  la  dernière  syllabe  du  mot  enfant  ^  redoublée ,  à  l'imi- 
tation des  enfants  eux-mêmes. 

FANFARONNERIE: 

c'est  pure  fanjaronnerie 
De  vouloir  profiter  de  la  poltronnerie 

De  ceux  qu'attaque  notre  bras.  {Âmph,  l,  a.) 

La  fanfaronnade  est  l'expression  ûeltifanfaronnerle. 


—  181  — 
FATRAS  au  pluriel: 

Et  se  charger  l'esprit  d*UD  ténébreux  butia 

De  tous  les  vieux  fatras  qui  traînent  dans  les  livres. 

(F<?/n.  Mf.  IV.  3.) 

FAUT,  de /ai«ir; 

Le  cœur  me  faut.  {Ec,  des  fem,lL  a.) 

De  même  de  défaillir ,  défaut  : 

*>  Que  si  la  (rayeur  nous  saisit  de  sorte  que  le  sang  se  glace  si  fort  que 
«  tout  le  corps  tombe  en  défaillance ,  Tâme  défaut  en  mémo  temps.  > 

(Bossu KT.  Connaissance  de  Dieu,  p.  ii$.) 

Dans  rédition  in-12,  imprimée  en  1846  chez  MM.  Didot, 
réditeur  a  mis  :  «  l'âme  semble  s* affaiblir,  »  De  pareilles  cor- 
rections sont  de  véritables  sacrilèges.  Comment  n'a-t-on  pas 
vu  l'intention  de  ce  rapprochement  entre  les  mots  défaillance 
et  défaillir  ?  comment ,  à  cette  expression  énergique  Vâine 
défaut  y  a-t-on  osé  substituer  cette  misérable  et  lâche  expres- 
sion, ^^//i  6/^  j'^i;5^iA//r?  comment  enfin  se  trouve-t-il  des  mains 
qui  osent  toucher  à  Bossuet,  et  mutiler  sa  pensée? 

FAUTE ,  absence ,  manque  ;  il  vient  faute  de  : 

S^il  vient  faute  de  vous,  mon  filS|  je  ne  veux  plus  rester  au  monde. 

{Btal,  im,  I.  9.) 

FAUX  9  dans  le  sens  de  méchant ,  filon ,  déloyal  : 

Mais  le  faux  animal,  sans  en  prendre  d'alarmes, 

Est  venu  droit  à  moi,  qui  ne  lui  disois  rien.  (Pr.  </'£/.  I.  a.) 

FAUX  BOND.  Voyez  faire  faux  boxd. 

FAUX  MONNOYEURS  en  dévotion  : 

Toutes  les  grimaces  étudiées  de  ces  gens  de  bien  à  outrance, 

toutes  les  friponneries  couvertes  de  ces  faux  monnoyeurs  en  dévotion, , . . 

(i"  Placet  au  Roi.) 

FAVEUR ,  ressource ,  protection  : 

Afin  que  pour  nier,  en  cas  de  quelque  enquête , 

J*eu8se  d*un  faux-luyant  la  faveur  toute  prête.  {Tart,  V.  i.) 

On  dit  encore  tous  les  jours  à  la  faveur  ^  ;  il  a  nié,  à  la  fa- 
veur d*un  faux-fuyant. 

FAV£UJB1&  ÉTROITES.  Voyez  éteoit. 


—  182  — 
FEINDRE  À  (an  Infinitif) ,  hésiter  à.....  : 

Tu  feignois  à  sortir  de  ton  dcgniieinent.  \VEt.  Y.  S.) 

Tous  ne  devei  point  feindre  à  me  le  faire  tfohr,  {Mis,  T.  a.) 

Nous  feignions  à  vous  aborder ^  de  peur  de  votu  ioterrompre.  {VAv^  L5.} 

—  FEUiDBE  DE  (un  infinitif) ,  même  sens  : 

Ainsi ,  monsieur,  je  ne  feindrai  point  de  vous  dire  ^oe  ro£Geiis«  que 
nous  cherchons  à  veiiger etc.  {fi,  Juan,  VU,  4.) 

Je  ne  feindrai  pas  de  dire ,  de  faire,  c'est-à-dire ,  je  dirai , 

je  ferai  réellement ,  sincèrement. 

Xom  nefeigmms  point  de  mettre  tont  en  ustge.  {PoÊorcl,  3.) 

Je  mefeindrmi  point  de  '¥om  dire  qve  le  hamd  nous  a  fiiit  coBBoitn  il 

y  a  six  jours.  (Mmi,  im.  L  5.) 

—  FEINDRE ,  sain  d*an  infinitif  sans  préposition , 
hésiter ,  comme  feindre  à ,  et  feindre  de  : 

Feindre  s'ouvrir  à  moi,  dont  Tom  avez  connn 
Dans  tous  voê  intérêts  rctprit  si  retean  !  (P^  ^■>"-  n.  i .) 

La  reine  de  \avarre  construit  pareiHement  fnndre  avec  un 
infinitif,  sans  préposition  intermédiaire  : 

*  Le  seigneur  de  Bonnivet,  pour  luy  arracher  son  œttX^feigmst  Istjrdire 
m  le  sien.»  {Heptam,,  nouvelle  14.) 

La  vieille  langue  employait  se  faindre ,  pour  exprimer  s'é- 
pargner à  quelque  chose ,  ne  faire  que  le  semblant  de 

«  Ne  se  doit  ^i  faindre  de  luy  aider *• 

«  De  luy  aider  ne  se  va  jOisfaignant,  »  {Ogier,  \,  963a  et  9638.) 

Nicot  dit  :  a  Se  faiitorv,  pareere  lahori^  remittere^  summit- 
«  tere.  Sans  se  faindre,  tedulo.  — Se  tAixtiaMf pnePotiearûTvL 
«  te  fains  à  jouer  ;  non  bonafide  ludis,  a 

Montaigne  emploie  se  feindre  absolument ,  pour  feindre , 
fxaavûid  se  jouer  j  \ïour  Jouer;  se  mourir,  pour  mourir: 

«  Pour  reveuir  à  sa  clémence  (de  César),  nous  en  avons  plusieurs  naïfs 
«  exemples  au  temps  de  sa  domination,  lorsque,  toutes  choses  estant  re- 
«  duictes  en  sa  main,  il  n*avoit  plus  à  se  feindre.  »  (Movr.  II.  33.) 

FEMME  DE  BiETi ,  recevant  comme  un  adjectif  la 
marque  du  comparatif  : 

Croyez-moi,  celles  qui  font  tant  de  façons  n*en  sont  pas  estimées />iW 
femmes  dé  bien,  (CriL  de  tMc*  éosfam.  3.) 


—  183  — 
FERME,  adverbialement  : 

Tous  me  pirlez  bien  ferme!  et  cette  siifûsaDce^  (  MU,  I.  a.) 

▲lions, /rnne/  poussez,  mes  bons  amis  de  oour  !         (Ibid,  U.  5.) 

(Voyez  mEMim  que  ,  fraitc  ,  msT.) 

FERMER ,  métaphoriquement  ;  fermer  les  moyens  de  : 

Cest  que  ?ous  croyez  bieu  que  tous  Us  moyens  vous  en  sont  fermés, 

(G.  D,  m.  8.) 
Vous  en  sont  interdits.  (Voyez  ouvrib.) 

FÉRU,  blessé,  de  firvr,  archaïsme ,  dans  le  sens  res- 
treint de  rendre  amoureux  : 

Peul-èU-e  eo  âvez-vous  d^kféru  quelqu'une?      {Ec,  desfem,  I.  6.) 

FESTINER  quelqu'un  ,  lui  offrir  un  festin  : 

C'est  ainsi  que  ^ousfestinez  les  dames  en  mon  absence  !  (/?.  ^eni,  IV.  a.) 

FEU ,  invariable  : 

Je  tiens  de  feu  ma  femme,  cl  je  me  sens  comme  elle 

Pour  les  désirs  d'aulrui  beaucoup  d'humanité.       {Mèlicerte.  I.  4.) 

Et  Ton  dit  qu^autrefois/^u  Béîlse,  sa  mère...  {Ibid,  II.  7.) 

Furetière  qualifie  ce  terme  substantifs  et  il  lui  donne,  comme 
à  un  adjectif,  un  féminin  :  \efeu  roi ,  lai/eue  reine.  11  nous  ap- 
prend même  que  les  notaires  de  province  usent  du  plurîel  fu- 
rent ,  en  parlant  de  deux  pei*sonnes  conjointes  et  décédées ,  ce 
qui ,  ajoute-t-il ,  marque  que  ce  nK>t  vient  de/uit  et  de/uentnt. 
C'est  une  raison  pour  mùntenir  feu  invariable.  Dans  le  temps 
que  la  notation  eu  sonnait  u ,  l'on  prononçait  fu  mon  père  , 
fa  ma  mère  (fut  mon  père  ,  /ut  ma  mère)  ;  l'ignorance  des 
origines  a  laissé  s'introduire,  à  la  siûte  d'une  mauvaise  ortho- 
graphe, une  mauvaise  prononciation  qui  a  prévalu  ;  en  sorte 
qu'aujourd'hui  cette  espèce  de  prétérit- adverbe  est  transformé 
en  un  véritable  adjectif. 

Nicot  dérive y^M  de  defunctus ,  et  le  qualifie  adjectif  ;  puis  il 
ajoute  :  «  Aussi  le  pourrait-on  extraire  de  cette  tierce  personne 

^fàii commey!?f// signifiant  en  ce  sens  a  esté  on  fut  ^  c'est-à- 

c  dire ,  a  vescu  et  n'est  plus.  » 

C'est  la  bonne  étymologie. 

FEU  QUI  SB  RÉSOUT  EH  ARDEUR  DE  GOURROUX  : 

TMit  mùfimst  résout  m  mdmw  de  tomrùus,       {Dép,  om.  Y.  8.) 


—  184  — 
FIEFFÉ,  FOU  FIEFFÉ: 

Peste  du  fou  MJ^*  {¥^-  "*•  ^'*  ^  <•) 

Fieffé  est  celui  à  qui  Ton  a  donné  un  fief,  ce  qui  suppo5e 
tin  homme  en  son  genre  excellant  par-dessus  ses  confrères. 
Cette  locution  se  rapporte  aux  mœurs  du  moyen  âge.  Aujour- 
d'hui qu*il  n'y  a  plus  de  fiefs  ,  mais  des  brevets  d'invention , 
on  dirait ,  par  une  expression  tout  à  fait  correspondante  :  un 
fou  breveté. 

FIER ,  adjectif;  être  fier  a  quelqu'un  : 

oh  !  qu'elles  nous  font  hitst  fières  par  notre  dote  !  {Dép,  mm,  lY.  a.) 

FIÉVBE  QUARTAiNE  (votre) ,  sortc  de  serment 

elliptique  : 

...  Si  TOUS  y  manquez,  votre  fièvre  quartainef.,,.    {VEt.  lY.  8.) 
Si  vous  y  manquez ,  vous  consentez  à  être  pris  de  la  fièvre 

quartaine  ;  jurez  sur  votre  fièvre  quartaine. 

C'est  aussi  une  espèce  d'exclamation  imprécatoire  :  Que  la 

fièvi*e  quaitaine  te  serre  !  ta  fièvre  quartaine  ! 

Dans  l'explication  entre  le  prêtre  et  le  pelletier^  joués  par 

Pathelin  : 

Ul    PBEBSTRB. 

«  Je  ne  le  congnois  nullement. 
«  Il  m'a  dit  que  présentement 
«  Vous  confesse,  et  que  payerez 
«  Très-bien ,  et  si  me  baillerez 
«  Argent,  pour  dire  une  douzaine 
«  De  messes. 

LK   PBLLlTIEt. 

Sa  fiebvre  quartaine!  »  (Le  noup,  PaiheiimJ) 

I.B    ^BKBSTai. 

«  Tuyde  dehors,  fol  insensé, 

«  Car  il  est  temps  que  tu  t'en  partes. 

LK  paLurriBa. 
«  Et  je  feray,  tesfiebvres  quartes!  •  (lèùL) 

FIGURE,  dans  le  sens  restreint  de  forme.  Molière  a 
dit ,  en  ce  sens ,  la  figure  du  visage  : 

£t  de  ces  blonds  cheveux ,  de  qui  la  vaste  enflure 

Des  visages  Itumains  offusque  la  figure,  {£c,  des  mmr,  L  i.) 


—  185  — 
Ofîusque  la  forme  des  visages  humains. 

—  TElf  IR  LA  FIGURE  DE  : 

Je  TOUS  laisse  à  penser  si ,  dans  la  nuit  obscure , 

J'ai  dun  Trai  trépassé  su  tenir  ta  figure,  (Ec,  des  fem,  V.  a.) 

Cette  acception  de  Jtgure  se  rapporte  à  celle  de  ficuher. 
(Voyez  ce  mot.) 

FIGURER ,  86  rapportant  à  tout  Textérieur ,  à  la 
configuration ,  en  quelque  sorte  : 

Voici  monsieur  Dubois  plaisamment /^ure.  {Mis.  IV.  2.) 

....  Une  vieille  tante  qui. . . .  nous  figure  tous  les  hommes  comme  des 
diables  qu^il  faut  fuir.  (B.gent,  III.  lo.) 

FILER  doux: 

Tu  n'es  pas  où  tu  crois;  en  vain  iu files  doiut.  {Amph,  II.  3.) 

Doux e&t  adverbial,  comme  Jranc , yierme ,  net,  clair,  sou- 
dain, etc.,  dans  des  locutions  analogues. 

FILET,  diminutif  de  fil  : 

Il  semble,  à  vous  entendre ,  que  monsieur  Purgon  tienne  dans  ses  mains 
te  filet  de  vos  jours ,  et  que,  d'autorité  suprême,  il  vous  l'allonge  ou  le 
ncoourcisse  comme  il  lui  plait.  {Mal,  im,  III.  7.) 

Trévoux  indique  encore  filet  comme  diminutif  àefil ,  tenue 
fiium  ;  et  Régnier  décrivant  le  costume  de  son  pédant  : 
«  Les  Alpes  en  jurant  lui  grimpoient  au  collet , 
«  Et  la  Savoy,  plus  bas ,  ne  pend  qu'à  un  filet,  »  {Sat,  X.) 

FILLE  A  SECRET ,  capable  de  garder  un  secret  : 

Ascagne,  je  suis  fille  à  secret,  Dien  mercL  {Dép,  am,  U.  x.) 

FILLOLE,  filleule,  archaïsme  : 

Il  n'a  pas  aperça  Jeannette  ma  fillole. 

Laquelle  m'a  tout  dit,  parole  |K>ur  parole.  {L*Ét,  IV.  7.) 

Nicot  dit  :  a  filleul  ou  fillol.  » 

Vaugelas  déclare  que  fillol  pour  filleul,  c'est  ti'ès-mal  parler. 
Pourquoi ,  puisque  la  racine  estfiliolus  ?  L'usage,  dira-t-on  ? 
A  la  bonne  lieiu*e,  si  Ton  pose  en  principe  que  l'usage  ne  sau- 
nât avoir  tort. 


-  186  — 
FIN.  Voyez  faibe  le  m  de  quelque  chose  (p.  176). 
—  Fin  FOU  D  : 

Et  nous  fumet  coucher  sur  le  pays  eipr^, 
C*eit*à-dire,  mon  cher,  eny&i  fond  de  forêts.     (Féehemx.  U.  7.) 
Fin ,  dans  Tancienne  langue ,  se  Joignait  comme  afExe  k  un 
substantifouà  un  adjectif,  pour  lui  donner  la  forme  superlative . 
«  De  lermes  sont  lor  vis  moilliez , 

«  Sourdaut  de^n  cmeur  amoureni.  ■     (fi,  de  Ccmcf,,  v.  6176.)' 
«  La  dame  estoit  i\/me  beUp 
«  Que  u*avoit  dame  ne  pucele 

•  Ens  cl  paîs  qui  Tataindist.  »  {IbiJ,  v.  i5o.) 

On  dit,  en  ceitains  pays  vignobles ,  que  du  vin  est  fin  clair. 
Il  nous  reste  encore ,  dans  Tusage  commun  y  fin  fond  y  et  fine 
fleur, 

«  Près  de  Rouen,  pays  de  sapicnce, 

•  Gens  pesant  XiÀv^  fine  fleur  de  Normands.» 

(Là  FoMT.  Le  Memide,) 
«  Nous  mourons  àitfimê  famnet  » 
dit  Guillemette  à  Pathelin.  £t  plus  loin  : 

«  Tous  eu  estes  un  fin  droict  rnaUtre,  »  (de  tromperie.) 

FLAIREUR  DE  CUISINE  : 

Impudent y7air«i/r  de  cuisine!  (Jmpk,  III.  7.) 

FLÉCHIR  AU  TEMPS  : 

Il  (êuX  fléchir  au  temps  sans  obstinalion.  (Mis,  1. 1.) 

Molière  eût  mis  aussi  bien  céder  au  temps  ;  m9i%  fléchir  au 
temps  fait  une  image  bien  plus  vive  et  poétique. 

FOIN  !  exclamation: 

Ce  mot  n*a  que  la  forme  de  commun  avec^/'/v  yfonrmm. 
On  rencontre  frcqueninient ,  dans  Plante  et  dans  Térence , 
Texclamation  phu  l  (en  grec  çpeu),  exprimant  tantôt  le  dégoût , 
tantôt  Tadmiration  :  peste  y  oh  oh  ,  diantre  !  Ce  phu  est  devenu 
en  français  yô//î ,  par  le  changement  de  Vu  en  oi ,  comme  pun» 
gère ,  ungerc ,  poindre  ,  oindre,  U  s'emploie  sans  complément 
ou  avec  un  complément  : 

Foin!  qae  n*ai-je  avec  moi  pris  mon  porte  respect!    (VEt,  UT.  9) 
•>  Foin  du  loup  et  de  ta  race  !  » 

(La  Foittâive.  Le  Cftevreau,  la  ^M*^  ^  &  ^^TO 


—  187  — 

Foin  «m  fi  snr  le  loup-^^Air  de  lupol 

m  Adieu  dmie.  Fi  duplmsir 

«  Que  la  craînie  peut  corrompre  !  »      (Là  Foht.  Fables,  I.  9.) 

FOND  D'AME ,  substantif  ,•  un  fond  d'ame  : 

Et  n'est-ce  pas  sans  doute  un  crime  punisiablt , 
De  gâter  méchamment  et  fond  ttàme  admirable? 

(ÉcJesfem.Vl,  4.) 

FONDANTE  en  larmes  : 

Une  jeune  ûUe  toute  fondante  en  larmes  y  la  plus  belle  el  la  plus  tou- 
chante qu*on  puisse  jamais  voir.  {Sct^wt.  I.  2.) 

M.  Auger  veut  qu'ici yô/i^/ir  soit  un  participe  présent,  et 
non  un  adjectif  vçrbal ,  attendu  le  complément  indirect  en 
larmes.  La  raison  ne  paraît  pas^ccmvaincante.  On  dit  bien  : 
cette  jeune  fille  est  charmante  de  grâces.  Le  complément  ne  fait 
donc  rien  à  Tailaire  j  mais  le  féminin  toute ,  qui  précède  yô/i- 
dante  y  y  fait  beaucoup ,  et  détermine  au  second  mot  le  carac- 
tère d'adjectif.  Cette  femme  est  toute  riante  de  santé,  ou  bien 
toute  fondante  en  larmes;  il  est  clair  qu'il  s'agit  d'un  état, 
d'une  manière  d'être ,  et  non  pas  d'une  action. 
(Voyez  PARTICIPE  présent  variable,) 
FONDER  SUR  quelque  chose  ,  absolument  : 

Tant  de  méchants  placeU,  monsieur,  sont  préseaCés, 

Qu*ils  étouffent  les  bons;  et  Tespoir  oix  je  fonde 

Est  qu'on  donne  le  mien  quand  le  prince  est  sans  monde. 

{Fiebêux.  Ul.  a.) 
L*espoir  où  je  me  fonde.  (Voyez  AHKérER.) 

FORCE ,  adverbe  ;  forge  gens  : 

Voir  cajoler  sa  femme ,  et  n*en  témoigner  rien , 

Se  pratique  aujourd'hui  j^ttr  force  gens  de  bien.  (^^w*  <7>)  . 

Nicot  :  «  Force,  id  est  copia  :  il  luy  est  allé  force  gens  au 
«  devant.  —  Lieux  où  il  y  sl  force  arbres,  » 

Cette  locution  est  trop  commune  pour  qu'il  en  faille  rappor- 
ter des  exemples.  Je  me  contenterai  d'observer  que  le  mot 
force  doit  être  porté  sur  la  liste  des  substantifs  que  l'usage  a 
transformés  en  adverbes  dans  ceitaios  cas  donnés ,  comme 
pas ,  point ,  trop  (qui  est  une  ancienne  forme  de  troupe),  rien  , 
moiom  motus. 


—  188  - 

FORCER ,  vaincre  en  luttant^  FORGER  UH  MALHEUR  : 

Il  ra*échappe  !  à  malheur  qui  ne  se  peut  forcer!        (L*£/.IL  14.) 

L'emploi  de  forcer  est  ici  le  même  que  dans  cette  locution  : 
forcer  un  lièvre. 

FORFANTERIE  d'oiî  art  ,  vanité  d'un  art  qui  se 
vante  : 

Sans  découvrir  eocore  au  peuple , la  forfanterie  de  notre  art. 

{Am.méd,  UI.  1.) 
1-es  Italiens  disent  unfitrfante;  mais,  au  rebours  de  ce  qu'af- 
firme Nicot ,  ce  n'est  pas  d'eux  que  nous  avons  empruntc^r- 
fant  ni  forfanterie^  car  les  racines  de  ces  mots  sont  exclusive- 
ment françaises.  Forfanterie  est  pqur  fi^anterie,  For^  en 
composition ,  signiBc  tantôt  hors ,  comme  dans  forligner ,  for- 
clore,  forbannir  ^forban  ,  etc.,  tantôt  mal ,  parce  que  le  mal 
résulte  de  l'excès  qui  franchit  les  limites.  Mrmforfaire  ,  for- 
sennéyforconseiller^forjuger,formariér  et  for  mariage  (mariage 
contre  la  loi  et  la  coutume),  forme ner  (malmener),  etc.  Se 
forfanter,  c'est  se  vanter  au  delà  de  la  venté,  se  vanter  à  faux  ; 
et  c'est  de  nous  que  les  Italiens  l'ont  emprunté. 

FORGER  UN  AMUSEMENT  : 

Votre  feinte  douceur /ôr^c  un  amusement , 

Pour  divertir  Teflel  de  mon  ressentiment.         (Z>.  Garcie,  IV.  8.) 

(Voyez  DIVERTIR  et  amuser.) 
FORLIGNER  DE  : 

Jour  de  Dieu  !  je  Tétranglerois  de  mes  propres  mains,  8*il  falloit  qu'elle 
forligndt  de  Vlionnêteté de  sa  mère!  (  G.  />.  II.  14.) 

Fors-ligner ,  c'est  sortir  hors  de  la  ligne  droite  ,  se  dévier , 
comme  on  parlait  jadis. 

(Voyez  FORFANTERIE.) 

FORMER  DES  SENTIMEI9TS ,  commc  former  des  vtxux  : 

Et  Je  ne  forme  point  d'assez  beaux  sentiments 

Pour (Dèp.  am,  I.  3.) 

FORT  EN  GUEULE  : 

MADAME   FERirELLB. 

Vous  êtes,  m'amie,  une  fille  suivante 

Un  i)€u  iroj^  forte  en  gueule,  et  très-imperlinente.       (l'art.  L  i.) 


—  189  — 

—  FORTE  PASSION ,  passion  dominante  : 

Ta  forte  p€usion  est  d'élre  brave  et  leste.  (Éc,  desfim.  V.4.) 

FORTUNE ,  au  sens  du  latin  foriuna ,  la  destinée , 
dans  ce  vers  d*  Horace  : 

Fortunam  Priami  cantabo,  et  nobilebellum. 

Elle  est  de  tous  (cette  lettre),  suffit  :  même  fortune, 

(Dépit,  am.  II.  3.) 
Le  capitaine  de  ce  vaisseau,  touché  de /7faybr////2<;,  prit  amitié  pour  moi. 

(V^f,  Y,  S.) 

Voyons  quelle  fortune  en  ce  jour  peut  m*attendre.  {Àmph,  III.  4.) 

Comme  on  trouve  écrit  dans  le  ciel  jusfju'aux  plus  petites  particularités 

àelafortttne  du  moindre  des  hommes.  (Àm,  magn,  III.  i.) 

Infortune  d'un  homme ,  pour  signifier  sa  richesse,  Ten- 
senible  de  son  avoir,  est  une  acception  toute  moderne ,  qui  ne 
se  rencontre  point  dans  Molière. 

Un  Yiomme  fortuné  n*est  point  un  homme  riche  ,  mais  un 
liomme  favorisé  du  sort.  On  peut  être  le  i^\\\s  forttiné  des  mor- 
tels, et  très-pauvre  en  même  temps. 

Avoir  de  la  fortune  ,  ne  signifie  donc  réellement  autre  chose 
que  avoir  la  chance  heureuse ,  fortune  se  prenant  pour  bonne 
fortune  y  comme  Z/eur  pour  bon  heur;  succès  pour  heureux  suc- 
cès y  etc. 

Arnolphe  demande  à  Horace  : 

Vous  est-il  point  encore  arrivé  de  fortune?        {Ec,  des  fem,  I.  6.) 

C'est-à-dire ,  d'aventure  galante. 

«  Tu  poites  César  et  sa  fortune.  »  Il  serait  ridicule  d'enten- 
dre :  Tu  portes  César  et  ses  trésors. 

—  PAR  FORTUNE ,  par  hasard  : 

Je  Tavoissous  mes  pieds  rencontré  par  fortune.  {Sgan,  aa.) 

La  Fontaine  dit  de  fortune  : 

«  Comme  elle  disoit  ces  mots , 
«  Le  loup,  de  fortune,  passe.  » 

(La  Chèvre ,  le  Chevreau  et  le  Loup,) 

FORTUNES,  au  pluriel ,  même  sens  : 

Nous  parlions  Aes  fortunes  d'Honce.  (VÊt,  IV.  6.) 


—  190  — 

«  Quant  au  mrplos  à/eiifortuMs  bumaioct, 

»  Les  biens ,  les  maux ,  les  plaisirs  et  les  peines . . .  • 

(La  FoHTAnrE.  Selpliégor,) 

Les  Anglais  ont  retenu  ce  sens  :  the  fortunes  of  Nigei,  sont 
les  aventures  de  Nigel. 

Horace  dit  aussi,  au  pluriel  : 

«  Si  dicenlis  tvnai  forUmi*  âbsoua  dicta.* .  •  • 

Si  le  langage  ne  convient  pas  à  la  position  du  personnage,  à 
sa  fortune ,  ou  à  ses  fortunes. 

FOUDRE  PUifisSEUR.  Voyez  puHissBum. 
FOURBER  QUELQU  uif  : 

—  Tous  vous  êtes  accordés,  Scapin ,  tous  et  mon  fils,  pour  me  fourbir, 

—  Ma  foi,  monsieur,  si  Scapin  tous  fourbe^  je  m*en  lave  les  mains. 

(Scapin,  m. 6.) 

FOURBISSIME  : 

Mascarille  est  un  fourbe,  et  fourbe  fourbiuîme.        {L'tt,  II.  5.) 

La  forme  en  issime  fut  natiu-ellement  la  forme  primitive  de 
notre  superlatif.  La  traduction  des  Rois,  la  chanson  de  Roland, 
saint  Bernard,  remploient  constamment;  d'ordinaire  elle  est 
conti'actée  en  isme  :  saintisme,  grandisme ,  altisme ,  che- 
rismcy  etc.,  y  sont  pour  saintissime ,  grandissime ,  etc.  On  di- 
sait même  bonisme,  et  non  optime,  formé  de^o/z,  par  analogie. 

C'est  donc  à  tort  que  le  P.  Bouhours  [Entretiens  d*Jriste  et 
Eugène)  prétend  ces  superlatifs  contraires  au  génie  de  notre 
langue. 

En  1607,  Malherbe,  dans  ses  lettres,  se  sert  fréquemment  de 
grandissime  ;  et  Perrot  d'Ablancourt,  dans  sa  traduction  de  Cé- 
sar :  «  Il  y  avait  un  grandissime  nombre  de  villes.  »  Mais  on  les 
en  a  repris  Tun  et  Tautre.  Par  conséquent,  c'est  du  commen- 
cement du  xvii^  siècle  qu^I  faut  dater  dans  notre  langue  la  dé- 
chéance de  l'ancienne  forme  latine ,  et  l'emploi  exclusif  de  très 
pour  marquer  le  superlatif. 

Les  Latins,  outre  la  forme  en  issimus,  formaient  aussi  le 
superlatif  par  le  mot  ter,  soit  séparé,  soit  en  composition.  Ils 
avaient  emprunté  cela  des  Grecs,  qui  disaient  Tpto^io^, 
Tpiceudaipicov ,  TpiaxaxàpaTO^ ,  etc. 


-  191  — 

Plaute  dit  de  même,  trifuTy  triveneficus ,  tricerbenu. 

Et  Virgile  \  ^O  ter  qualerque  beati!  » 

Très-docte ,  en  français ,  est  donc  comme  tridoctus ,  et  nous 
avons  eu ,  à  Tinstar  des  Latins ,  deux  manières  de  former  les 
superkiti£i;  seolenient  la  forme  grecque ,  chez  les  Latins  la 
moins  usitée  ,  a  fini  par  l'emporter  chez  nous,  et  par  étouffer 
complètement  la  forme  latine. 

FOURNIR  A,  suffire  à; 

Ma  foi,  ne  tronTant  las  pour  ne  ^vnow  fournir 

Aux  différents  emplois  où  Jupiter  m'engage {Âmph.  Prol.) 

FRAIS  ;  PRENDRE  LE  FRAIS ,  c'est*à-dire ,  choisir 
rheore  du  frais ,  le  soir  ou  le  matin  : 

Pour  arriver  ici,  mou  père  a  pris  le  frais,        (te,  desfem,  V.6.) 

FRANC ,  adverbialement  : 

Je  Y0U3  parle  un  peu  franc;  mais  c*esl  là  mon  humeur. 

{TarL  I.  I.) 

Je  vous  dirai  tout  franc  que  ccst  avec  justice.  (Ibid.l,  6.) 

Cest  de  presser  tout  franc,  ei  sans  nulle  chicane, 

L*union  de  Yalère  avecque  Marianne.  {Ibid,  II J.  3.) 

Je  vous  dirai  tout  franc  que  cette  maladie , 

Partout  où  vous  allez ,  donne  la  comédie.  (Mis.  I.  i.) 

Tout  franchement  y  comme  tout  net  est  pour  (ont  nettement, 

(Voyez  PREMIER  QUE  ,   FERME  ,  NET.) 

FRÉQUENTER  chez  quelqu'un  : 

Sans  doute;  et  je  le  vois  qui  fréquente  chez  nous,  (Fem,  sav.  II.  x.) 
Les  Latins  eva^aydàsni  frequentare  sans  apud,  comme  au- 
jourd'hui nous  faisons.  Dans  Cicéron  :  Quidomum  meani  fre- 
attentant  y  ceux  qui  fréquentent  ma  maison;  et  dans  Phèdre  : 
-^ rus  fréquentas  y  tu  fréquentes  les  autels. 

FRIGASSER,  métaphoriquement  : 

MARIiriTTB. 

Moi ,  je  te  chercherois!  Ma  foi,  Von  t'en  fricasse, 

Des  filles  comme  nous  ! (  Dép,  am.  lY .  4.) 

Observez  que  c'est  Marinette  qui  parle. 


—  192  — 
FRIPERIE;  hotre  friperie,  notre  personne: 

Gare  une  irruption  sur  notre  friperie!  (Dép,  am,  III.  i.) 

C*est  un  valet  qui  parle. 

FROTTER  SON  NEZ  auprès  de  la  colère  de  quel- 
qu'un : 

OROf-BEiré. 

Tient,  vïen%  frotter  ton  nez  auprès  de  ma  colère!  {D^,  mm,  IT.  4.) 

FUIR  DE  (un  infinitif),  comme  éviter  de....  : 

Si  votre  âme  les  suit,  et  fait  d'être  coquette ....  {Èc,  desfem,  m.  9.) 

Il  ne  fuit  rien  tanl  tous  les  jours  que  d'exercer  les  merreilleax  talents 

qu*il  a  eus  du  ciel  pour  la  médecine.  {Méd.  m,  lui,  I.  5.) 

C'est  \efugc  quœrere  d'Horace. 

De ,  dans  Texpression  française,  est  la  marque  de  l'ablatif 
employé  dans  ce  vers  de  Virgile  : 

Quanqnam  animus  meminisse  borret,  luctuque  refagit.  {Mneid.  II.) 

«  Mon  espiît  recule  d'horreur  à  ces  images  de  deuil,  et yîwf 
de  s* en  souvenir,  » 

—  «  J'ay  monstre,  en  la  conduite  de  ma  vie  et  de  mes  entreprinses ,  que 
«  j*ay  plustost  ////  qu*aultrement  d'enjamber  par  dessus  le  degré  de  for- 
«  tune  auquel  Dieu  logea  ma  naissance.  »  (Moirr.  III.  7.) 

FULIGINES  ,  terme  technique  : 

Beaucoup  defuUgine*  épaisses  et  crasses,  etc.  ^Pourc,  I.  i  x .) 

FURIEUX ,  dans  le  sens  d'extrême: 

Voilà  une  furieuse  imprudence ,  que  de  nous  envoyer  quérir. 

(G,  D.  m.  n.) 

FUSEAUX;  faire  bruire  ses  fuseaux.  Voyez  bruire. 

FUTURS  (deux)  ,  commandes  Vun  par  Vautre  : 

Ce  ne  sera  pas  là  qu^il  'viendra  la  chercher.       (Éc,  desfem.  T.  4.) 
Cette  symétrie  des  temps  ,  empruntée  du  latin ,  est  aussi  né- 
gligée au  XIX®  siècle  qu'elle  était  soigneusement  observée  au 
XVII*.  On  dirait  aujourd'hui  sans  scrupule  :  Ce  n* est  pas  là 
qu'il  viendra. 

Je  reviendrai  voir  siur  le  soir  en  quel  état  elle  sera,    (Méd,  m,  /.  II.  6.) 
Et  non  :  en  quel  état  elle  est. 


—  193  — 

Lorsqu'on  me  trouvera  morte,  il  n*y  aura  personne  qui  mette  en  doute 
que  ce  ne  soit  tous  qui  m'aurez  tuée.  (  G,  D,  III.  8.) 

Et  non  :  qui  m'avez. 

J'ai  des  raisons  à  faire  approuver  ma  conduite , 

Et  je  connoitrai  bien  si  vous  taurez  instruite.        {Fem.  sav,  II.  8.) 

Cette  symétrie  des  temps  s'observait  aussi  pour  le  condi- 
tionnel. 

(Voyez  GoiromoNNELs.)  (deux.) 

—  Futur  suivi  d'un  présent  de  Tindicatif  : 

Ce  ne  sera  point  vous  que  je  leur  sacrifie,  (Ihid.  Y.  5.) 

L'exigence  du  mètre ,  et  la  nécessité  de  rimer  à  philosophie , 
ont  apparemment  ici  forcé  la  main  à  Molière,  dont  Tusage  cons- 
tant est  de  mettre  les  deux  futurs ,  même  en  des  cas  où  ils 
sont  bien  moins  nécessaires. 

GAGE  QUE...»  9  adverbialement,  ou  par  une  sorte 
d*ellipse  pour  je  gage  que  : 

Gage  qu'}\  se  dédit .  —  Et  moi ,  gage  que  non.  {VÈt,  m.  3.) 

GAGER  QUBLQU*ui¥  POUR  (un  substantif) ,  c'est-à- 
dire  ,  en  qualité  de  : 

Je  suis  auprès  de  lui  gagé  pour  serviteur  : 
Vous  me  voudriez  eocor  payer  pour  précepteur,  (V£t,  I.  9.} 

(Voyez  pouB ,  en  qualité  de.) 

GAGNER  ;  gagner  au  pied  ,  s  enfuir  : 

Ah  !  par  ma  foi ,  je  m'en  défie ,  et  je  m*en  vais  gagner  au  pied, 

{Préc,  rid,  10.) 

La  Fontaine  a  dit,  dans  le  même  sens ,  gagner  au  haut  : 

« Le  galant  aussitôt 

«  Tire  ses  grègues,  gagne  au  haut.        (  Le  Renard  et  le  Coq.) 

Nicot  et  Trévoux  ne  donnent  que  gagner  le  haut* 

(Voyez  HAUT.) 

— >  GAGiïER  DE  (uu  infinitif) ,  obtenir  : 

Et  qo*il  n*est  repentir  ni  suprême  puissance 
Qui  gagnât  sur  mon  cœur  d! oublier  cette  offense. 

(/>.  Garde,  y.  5,) 
i3 


—  194  — 

—  GAGNER  LETAitLis,  fuir,  s'évadcF: 

Tant  pisl 
J'en  serai  moins  léger  à  gagner  le  taiiiû,  (Ùép,  aiH.  T.  i.) 

—  GAGNER  LES  RESOLUTIONS  it  quélqu'un ,  les  sor- 
moDter  : 

Pied  à  pied  vous  gagnez  mes  résotutions,  {B,  gent,  UL.  i8.) 

GALANT ,  substantif ,  un  nœud  de  rnbalis  : 

Tdlà 
Ton  beau  galant  de  neige ,  avec  ta  nonpareiUe  : 
11  n'aura  plus  l'honneur  d'être  sur  mon  oreille.    (Dép.  am.  IV.  4.) 

GALANT,  adjeetif ,  au  sens  d' élégant ,  diêtingui  t 

Il  me  montra  tonte  l'affala,  eikfcfitée  d'une  intnîère,  à  la  iérité,  bf aè- 
coup  plus  galante  et  plus  spirituelle  que  je  ne  pois  faire. 

{Pré/,  de  La  Crit.  de  tEc,  desftm.) 

GALANTERIE,  faire  galanterib  de  (un  infinitif): 

N'a-t-il  pat  (Molière),  ceux qui,  le  dos  tourné «ybn/ galanterie 

de  se  déchirer  l'un  l'autre  ?  {Impromptu,  3.) 

Rien  ti*â  remplacé  cette  excellente  exprestiofi  ;  il  faut,  pour 
en  rendre  le  sens ,  recourir  à  une  longue  périphrase. 

GALIMATIAS  au  pluriel  : 

Mon  Dieu ,  prince,  je  ne  donne  poiof  dant  tem  tu  gëUmûtimê  oh  don- 
nent la  plupart  des  femmes.  (y/m.  magn,  I.  i.) 

GARANT  ;  être  garant  de  quelque  cûosb  ,  en  f^r- 
nir  la  garantie ,  la  preuve  : 

Mol,  je  lui  couperois  snr-le-cfaamp  les  oreîHes, 

S'il  néloit  pas  garant  de  tout  ce  qa'il  m'a  dit.  (L'£t,  IIL  3.) 

GARD',  en  stjle  familier^  pour  garde  : 

Dîeù  ie  gard',  Cléanlhis  !  {Jmph.  IL  3.) 

GARDE;  se  donner  de  garde  de....  Voyez  à  donner. 

GARDER  DE  (un  infinitif),  se  garder  de,  prendre 
garde  de  : 

M«fn  Die«,  ÉraMe,  gardons  d'être  surpris.  {Pottrc,  1. 3.) 


—  195  — 
Retilrej  doue,  eî  surtout  gardez  de  btûnlUr,    {Ec,  desfim.  t^*  9*) 
Rentrée  dans  la  maitoii)  et  gardn  de  rien  dire,         (ihùiy,  x.) 
Gardez  de  vous  tromper!  {Georg,  Z>.  II.  9.  ) 

Molière  emploie  indifféremment  »  et  selon  le  besoin  de  la  cir-  ^ 
constance ,  garder  ou  se  garder  de  : 

Et  surtout  gardez-vous  de  ia  quitter  des  yeox.    (Ec.  des  fhn.  V.  5.) 

—  GARDER  QUE  (  san&  fie  )  : 

Gardons  bUa  que,  par  nulle  autre  voie,  e//«  en  apprenne  jamais  rien. 

(A m,  magn,  I.  x.) 
(Voyez  BONITER  DE  GAEDE  (sé)  .) 

GARDIEN,  eH  trois  syllabes  : 

Suis-je  ck>nc  gardien^  poar  employer  ce  style. 

De  la  Tîrgiuilé  des  fHles  de  la  ville?  {Dép,  am.  V.  3.) 

11  est  probable  que  plus  tard  Molière  eût  écrit  :  Suis-je  donc 
le  gardien 

'  GATER  QUELQu'uii  DE,  c'est-à-dire ,  à  laide,  parle 
moyen  de. ...  : 

iVetenx  être  pendo»  ai  noos  ne  les  verrions 
Sauter  k  noire  cou  plus  que  nous  ne  voudrions» 
Sans  tous  ces  vils  devoirs  </<o/if  la  plupart  des  hommes 
Les  gâtent  tous  les  jours ,  dans  le  siècle  où  nous  sommes. 

(Dép,  am.  IV.  a.) 

Cette  tournure  se  rapporte  à  de,  exprimant  la  cause,  la  ma- 
nière. 

— GATER  (se)  sur  l'exemple  D'AutRtJi  ;  pat  l'exem- 
ple ,  d'après  l'exemple  d  autrui  : 

Mais  ne  vous  gâtez  pas  sur  t exemple  d^ autrui, 

(Ècdesfem.ni,  2.) 

GAUCHIR ,  aller  à  gauche  ;  gauchir  de  quelque 
CHOSE ,  s'en  écarter  : 

Notre  sort  ne  dépend  que  de  sa  seule  tète; 

ÎJfe  ee  quelle  s'y  met,  rien  ne  là  ^it  gauchir,  tficdes  fem,  tEL,  3 . 

GAULIS ,  terme  technique  ^  branche  d'arbre  : 

Je  {MNisse  mon  cheval  et  par  haut  et  par  bas. 
Qui  plioit  des  gauUs  aussi  gros  que  le  bras.  {Fâcheux.  H,  7.) 

i3. 


_  196  — 

«  Les  gaulis ,  dit  Trévoux,  sont,  en  terme  de  vénerie ,  des 
branches  d*arbre  qu'il  faut  que  les  veneurs  plient  ou  détour- 
nent pour  percer  dans  un  bois.  » 

Gauliy  en  vieux  français ,  est  une  foret  : 

m  Onc  charpentier  en  bos  ne  sot  si  charpenter, 
«  Ne  mena  telle  uoise  en  parfont  gault  ramé.  •• 

(Renaut  de  Montauhan,) 

«  Que  florissent  cil  prez, e  cil gautl  îonX{o\XiÀ,*{Rom,^ Aïettjivig,) 

«  Cercbant  prés  et  jardins  et  gauUs,  »     {Bom,  de  la  Rose,) 

«  Gault  paraît  venir  du  bas  latin  caula,  d*oà  s'est  formé 
gaule,  par  l'adoucissement  du  c  en  g.  Dans  un  compte  de  i  aoa  : 

«  pro  perticis  et  caiilis pro  l  caulis,  »  Pour  des  perches  et 

des  gaules pour  5o  gaules.»  (Du  Cange,  au  mot  gaula.) 

J'avoue  que  j'aimerais  mieux  dériver  gault  de  saltus ,  et 
gaule  de  caida.  \jr  nom  propre  Gault  de  Saint-Germain  signifie 
Bois  de  Saint-Germain, 

6ATETÉ ,  en  trois  syllabes  : 

Mais  je  vous  avouerai  que  cette  gajretê 

Surprend  au  dépourvu  toute  ma  fermeté.  (/)•  Gareie,  Y.  6.) 

Mais  que  de  gayeté  de  cœur 
On  passe  aux  mouvements  d'une  fureur  extrême. . . . 

(Jmpli,  n.  6.) 

GENDARMÉ  œ^RE. . .  : 

Cet  homme  gendarmé  d*abord  contre  mon  feu,    {Ec,  des  f,  m.  4-) 

GÊNEB  (gehenner)  quelqu'un  ,  le  torturer,  lui  faire 
violence  : 

Et  pour  tout  dire  enfin,  jaloux  ou  non  jaloux , 

Mon  roi  sans  me  gêner  peut  me  donner  à  vous.  (Z>.  Garcîe,  Y.  6.) 

Racine  a  dit  de  même  : 

«  Et  le  puis-je,  madame  ?  Ah,  que  vous  me  gênez  !»      {Androm,  1. 4.) 

Ah  ,  que  vous  torturez  mon  cœur  I 

Ce  mot  a  perdu  aujourd'hui  toute  l'énergie  de  son  acception 
primitive  ;  c'était  même  déjà  un  archaïsme  dans  Racine  et  dans 
Molière.  On  voit  par  cet  exemple  combien  les  mœurs  influent 
sur  le  langage  :  à  mesure  que  l'usage  de  la  torture  ou  de  la 


—  197  — 

gène  s'éloignait  y  la  valeur  du  mot  s'affaiblissait  comme  le  sou- 
venir de  la  chose.  //  est  gêné  dans  ses  habits  eût  été ,  au 
XII*  siècle ,  une  hyperbole  violente  ;  aujouid'hui,  cela  signiBe 
simplement ,  il  n'y  est  pas  à  son  aise;  c'est  l'expression  la  plus 
douce  qu'on  puisse  employer. 

GÊ^ES ,  au  pluriel ,  dans  le  sens  da  latin  gehmna , 
torture  : 

Je  sens  de  son  courroux  des  gênes  trop  cruelles.  (J)ép,  am,  Y.  9.) 

GENS  masculin  : 

Ma  langue  est  impuissante,  et  je  voudrois  avoir 
Celle  de  tous  Us  gens  du  plus  exquis  savoir.  {L'Ét.  II.  14.) 

La  délicatesse  est  trop  grande,  de  ne  pouvoir  souffrir  que  des  gens  triés, 

(Crit,  de  fEc,  desfem,  L) 
Et  qu'en  n'approuvant  rien  des  ouvrages  du  temps, 
Il  se  met  au-dessus  de  tous  les  autres  gens,  (Mis*  II.  5.) 

Et  qu'avecque  le  cœur  d'un  perfide  vaurien 
Tous  confondiez  les  cœurs  de  tous  les  gens  de  bien,      {Tart,  Y.  I.) 
Pour  tous  les  gens  de  bien  j*ai  de  grandes  tendresses.      (Jbid,  Y.  4.  ) 

Cependant  noire  Ame  insensée 
S'acharne  au  vain  honneur  de  demeurer  près  d'eux , 
Et  s'y  veut  contenter  de  la  fausse  pensée 
Qu'ont  tous  les  autres  gens  que  nous  sommes  heureux. (^mp/i.I.i.) 

Combien  àe  gens'toni'ils  des  récits  de  bataille. 

Dont  ils  se  sont  tenus  loin  !  (Jhid.) 

—  GENS  avec  lin  nom  de  nombre  déterminé  : 

Et  je  connois  des  gens  à  Paris,  plus  de  quatre. 

Qui,  comme  ils  le  font  voir,  aiment  jusques  à  battre. 

{Pàcfieux,  II.  4.) 

Moi ,  je  serois  cocu  ?  — Tous  voilà  bien  malade  ! 

Mille  gens  le  sont  bien  qui  de  rang  et  de  nom 

Ne  feroientavec  vous  nulle  comparaison.        {Ec,  desfem.  lY.  8.) 

Un  de  mes  gens  la  garde  au  coin  de  ce  détour.  {Ibid,  Y.  a.) 

Il  y  a  là  vingt  gens  qui  sont  fort  assurés  de  n'entrer  point.    {Jmpr,  3.) 

Et  jamais  il  ne  parut  si  sot  que  parmi  une  demi-douzaine  de  gens  à 

qui  elle  avoit  fait  fête  de  lui.  {Critique  de  tEc,  des  fem^  ac.  a.} 

A  l'origine  de  la  langue  il  a  été  souvent  employé  ainsi  : 
«  Pour  ces  trois  gens  qui  ont  pel  debeste  afublée.»  {UditduBuef.) 


«roÇEifs  PS  9ira  à,  ounuKCS  : 

Toutes  tes  grimaoet  étudiées  de  ces  ^mj  tk  hiem  à  ouêrwoe. 

{i^  PheeêauMoL) 
i««ÇKH8  me  mFFICULTÉS  : 

Ce  sont  (les  avocats)  ^rj  de  difficultés.  (Mtdn  n».  L  ^j 

.r^CWfS  D£  iroM  : 

Toute  mon  ambition  est  de  rendre  service  êxoL^ens  de  nom  et  de  mérite. 

{Sicilien,  ii.) 

GEMTLLESSE,  dans  le  sens  de  Titalien  gentilezza, 
noblesse  : 

Ce  sçnt  des  brutaux,  ennemis  de  h  gentillesse  et  du  mérite  des  autres 
▼Hles.  {Pourc,  m.  a.) 

QLOIBIB}  considération  personnelle,  mérite  : 

Pourquoi  voules-vous  croire 
Que  de  ce  cas  fortuit  dépende  notre  gkùrû?  (Sa.  des  fem,  lY.  8.) 
C'est  où  je  mets  aussi  ma  gloire  la  plus  haute.  {Tort,  II.  x.) 

Je  ipets  ma  gloire ,  je  fais  consister  mon  mérite  principal  à 
vous  satisfaire. 

GOBEB  LE  MORGBAU ,  86  laîsseT  proidre  y  duper 
tranquillement  : 

Mais  je  ne  suis  pas  homme  à  gober  le  morceau,    {te,  desf,  II.  i.) 
Métaphore  prise  de  la  pèche  à  la  ligne  : 
GOGUENABDERIE: 

Oui ,  mais  je  Teuverrois  promener  avec  ses  goguenarderies, 

(Méd.m.lul.n.3.) 

GIlACf;;  DOI7NER  GRACE,  pardonner  : 

Et  Ton  donne  grdce  aisément 

A  cç  dont  on  n^est  pas  le  maître.  {Aeifh,  II.  6.) 

6RAIS,  Greo: 

MARTlirS. 

Et ,  ne  vouUnt  savoir  le  grais  ni  le  latin...  (Fem,  smç.  T.  3.) 

C'est  Tancienne  et  légitime  prononciation,  comme  dans 
échecs  y  legs.  Ce  passage  nous  montre  que,  da  temps  de  Mo- 
lière, le  peuple  la  retenait  encore. 


—  199  — 
(JRAND  invariable  en  genre  : 

léthàXf^la  grand  btufde,  as«|voir  deux  muselles.  {Tari,  IL  3.) 
Veqs  n*aurez  pas  grand  peine  à  le  suivre,  jp  crois.  (Jbld,  II.  4.) 
Il  porte  une  jaquette  à  grands  basques  plissées.  (Mis.  II.  6.) 

Dans  rpriginp  de  la  langue ,  tout  adjectif  dérivé  d'un  adjec- 
tif latin  en  w,  grandis,  qualis,  regaiis,  viridis,  etc.,  ne  chan- 
geait pas  non  plus  en  français  pour  le  féminin. 

Il  nous  reste  encore  de  cet  uscige,  grqnd  messe ^  grand  mere^ 
grand  route  ^  etc,,  et,  dans  le  langage  du  palais,  lettres  royaux. 
C'est  donc  yne  véritable  faute  de  mettre  une  apostiophe 
après  grand ,  comme  si  Xe  s'élidait. 

(Voyez  <iif^  Variations  du  langage  français  ^  p.  226.) 

—  GRAi^D  LATIN ,  grand  latiniste,  comme  on  dit  grand 
grtc  pour  grand  helléniste  : 

Je  vous  crois  grand  latin  et  grand  docteur  juré.      (Dêp.  am.  II.  7.) 

—  GBAND  SEiGiîECB  (le),  pour  V arisiocfatie ^  la  no- 
èlesse  : 

O  Tennuyeux  conteur! 
Jamais  on  ne  le  voit  sortir  du  grand  seigneur.  (Mis.  II.  5.) 

De  même  le  marquis ,  pour  la  classe  des  marquis, 

(Voyez  MARQUIS.] 
GRIMACIERS,  hypocrites  : 

Us  donnent  bonnement  (les  hommes  sincèrement  vertueux)  dans  le 
]iaiiiieau  des  grimaciers,  et  appuient  aveuglément  les  singes  de  leurs  actions. 

(D.Juan.Y.%.) 
(Voyez  uçovKixa.) 

GROUILLER  : 

Et  Ton  demande  llieure,  et  Ton  bâiUe  vingt  fois, 

Qu*elle  grouille  aussi  peu  qu*une  pièce  de  bois.  (Mis,  II.  5.) 

Comme  grouiller  est  devenu ,  Ton  ne  sait  pouixjuoî ,  un 

^ermebas,  les  éditeurs  de  1682  ont  jugé  qu*il  était  mal  séant 

^ans  la  bouche  de  Célimène ,  et  ils  ont  fait  à  Molière  l'aumône 

<l'une  correction  que  les  comédiens  se  sont  empressés  d'adopter  : 

Qu*eUe  s'émeut  autant  qu^une  pièce  de  bois. 


—  200  — 

M.  Auger  observe  qu'il  fallait  au  moins  mettre  se  meut  ou 
remue  y  cai'  c'est  de  cela  qu'il  s'agit,  et  non  de  s'émoupoir. 

Ces  corrections,  faites  au  texte  d'un  écrivain  comme  Molière, 
sont  autant  d'impertinences. 

Est-ce  que  iDadame  Jourdain  est  décrépite  ?  et  la  tète  lui  grouUie''t-elie 
déjà?  (B.  ^enr.  m.  5.) 

Grouiller  est  une  forme  de  croullcr,  La  prononciation  les 
confondait.  Crouller,  verbe  actif  ou  verbe  neutre,  trembler, 
agiter,  ébranler;  en  italien,  crollare:  crollare  il  capo,  secouer 
la  tête  :  «  Les  fundemens  des  munz  sunt  emeuz  et  erollczy  kar 
«  nostre  sire  est  curucîez.  »  [Rois,  p.  ao5.)  Les  fondements  des 
monts  sont  émus  et  ébranlés ,  concussa  et  conquassata, 

«  Baucent  l'oï,  si  a  fronde  le  nez; 

«  La  teste  croideù  a  des  piez  houez.»  {La  bataille  dTArlescamp.) 

Baucent  grouille  la  tête ,  secoue  la  tête. 

Il  peut  être  intéressant,  pour  l'histoire  de  la  langue,  d'obser- 
ver que  nos  pères  avaient  à  la  fois  crouler  et  trembler,  et  qu'ils 
distinguaient  fort  bien  l'un  de  l'autre.  En  voici  un  exemple, 
tiré  du  roman  d'Alexandre  ;  il  s'agit  des  prodiges  qui  signa- 
lèrent la  naissance  de  ce  héros  : 

«  Dieu  demoustra  par  signe  qu'il  (Alexandre)  se  feroyt  cremir  (i),  car 
«  Ton  vit  Taer  muer,  le  firmament  croissir  (2),  et  la  terre  crouler;  la  mer 
«  par  lieus  rougir,  et  les  bestes  trembler,  et  les  hommes  frémir.  » 

{Pré/,  de  laCh,  des  Saxons,  p.  aa.) 

Ces  finesses  de  nuances  n'indiquent  pas  une  langue 
barbare. 

«  Quand  le  souldich  Teut  entendu,  si  croUa  la  teste  et  le  regarda  felle- 
<«  ment,  et  dist  :  Tu  bas  murdry!  >»  (FaoïssAaT.  Chron,  II.  ch.  3o.) 

GUÉBIR ,  au  sens  figuré  : 

iriCOLB. 

De  quoi  est^e  que  tout  cela  guérit  ?  {B,  geiit,  TU,  3.) 

A  quoi  tout  cela  sert-il  ? 

(1)  Cremir,  craindre  ,  de  tremere ,  pour  Iremir,  Cremir  est  derma  craittdrt,   \n  c  conli- 
oaant  à  remplacer  le  l  ;  car  il  semble  qu'on  dût  dire  tr»inJre. 
(a)  Craquer. 


—  201  — 
GUEUSER  DES  EiïGENs: 

Pour  moi,  je  ne  vois  rien  de  plus  sot,  è  mon  sens, 

Qu*un  auteur  qui  partout  vàgueuter  des  encens,  (Fem.  sav.  III.  5.) 

GUEUX  COBfME  DES  RATS  : 

Tous  ces  blondiot  sont  agréables....  mais  la  plupart  sont  gueux  comme 
des  rats.  {L'Av.  III.  8.) 

L'expression  complète  eût  clé  :  Comme  des  rats  d*églîse,  qui 
n'y  trouvent  rien  à  manger.  Mais,  du  temps  de  Molière,  on  n'o- 
sait pas  prononcer  sur  le  théâtre  le  mot  église;  quand  on  y  était 
réduit,  on  disait  le  temple,  (y oyez  temple.) 

—  OUEDX  D*AVIS: 

Non  de  ces  gueux  d'avis,  dont  les  prétentions 

Ne  parlent  que  de  vingt  ou  trente  millions.  (Fâcheux,  m.  3.) 

GUIDE,  subst .  féminin ,  comme  sen  Hnelle;  archaïsme  : 

La  Guide  des  pécheurs  est  encore  un  bon  livre.  {Sgan.  i.) 

«  Elle  lit  saint  Bernard,  /a  Guide  des  pécLeurs  (t).  » 

(RxGiriia.  Macelie.) 

Guide  y  terme  technique,  est  resté  féminin  :  conduire  a 

GRANDES    GUIDES. 

GUIGNER,  lorgner  du  coin  de  l'œil  : 

J'ai  guigné  ceci  tout  le  jour.  {L'A9.  lY.  6.) 

De  guingois,  espèce  d'adverbe,  pour  signifier  €le  cSié,  de 

travers  y  paraît  dérive  de  guigner:  de  guingois  y  comme  ele  gui-* 

gois,  M"^  de  Sévigné  affectionne  ce  terme  familier  :  un  esprit 

de  guingois. 

HABILLER  ;  s'habiller  d'un  nom  : 

Le  monde  aujourd'hui  n'est  plein que  de  ces  imposteurs  qui. . . . 

s^iiabillent  insolemment  du  premier  nom  illustre  qu'ib  s'avisent  de  prendre. 

{VAv.  V.  5.) 

HABITUDE  DU  corps,  tenue,  maintien,  habiiu$  : 

Cette  habitude  du  corps  menue,  grêle,  noire  et  velue.    (Pourc.  I.  ii.) 
(i)  Oarrase  «scéliqae,  composé  eo  espaj^ool  par  le  p^re  Loob  de  Grenade. 


-  202- 
HAINE  POUR  quelqu'un  ,  au  lieu  de  tmne  contre  : 

Ils  ont  en  cette  viile  une  haine  effroyable  pour  les  gens  de  YOtre  pays. 

{Pourc.  UL  a.) 

HANTER  QUELQUE  PART  : 

Oui;  mais  pourquoi,  surtout  depuis  un  certain  temps. 

Ne  sauroit-il  souffrir  qu'aucun  hante  céant?  (Tmrt.  1. 1.) 

HANTISES,   FRÉQUENTATION  : 

Isabelle  pourroit  perdre  dans  ces  liantues 

Les  semences  d'honneur  qu'avec  nous  elle  a  prises. 

(Ec.  dês  meir.  1 4.) 

La  forme  primitive  était  hani,  racine  du  verbe  hanter: 

«  Sunt  se  nettement  guardé  tes  vadlets,  e  neiinevieiil  àt  Aob/ de 
«  -femme?  »  {Roh.  p.  83.) 

HARDI ,  employé  comme  exclamation  : 

La,  fuinli!  tâche  à  faire  un  effort  généreux..  {Sgaa,  91.) 

HÂTÉ ,  pressé ,  urgent  : 

Nous  sortions. —  U  s'agit  d'un  fait  assez  hâté,  [Ec.de^  mar.  Ul,  5.) 

HAUT,  substantif;  tin  haut ,  pour  une  hauteur  : 

Sur  un  haut,  vers  cet  ^n4roitf 
I  Étoit  leur  infanterie.  (jémpb,  |.  x.) 

(Voyez  GAGNER    LE    HAUT.) 

—  QAUT  DE  l'esprit  (du)  : 

pi,  les  deut  bras  croisés,  du  fuiu$  de  um  e4prU 

U  regarde  ^n  pitié  tout  ce  que  chacun  dit.  (ifî/.  XI.  5.) 

"T-  HAUT  LA.  M AiH ,  sans  l'ombrc  de  résistance  on  de 
difficulté  : 

Tous  Tauriez  guéri  fuml  la  main,  {foui^,  |I.  i.) 

MoUère  a  dit  aussi  la  main  haute  : 

La  grammaire, qui  sait  régenter  jusqu'aux  rois. 

Et  les  fait,  la  main  haute ,  obéir  à  ses  lois!  (Fem,  sav.  II.  6.) 

Cette  expi'esûon  se  rapporte  à  cette  autre ,  avoir  la  haute 
main  sur,,.}  et  cette  dernière  se  trouve  fréquemment  dans  les 
plus  vieux  monuments  de  notre  langue  : 


—  203  — 

«f  £  la  malnisc  gfnt  •  les  fih  Belial. . . .  ourent  la  plus  halte  main  en- 
«t  9€rs  Rohoam,  »  '  (Rois.  p.  298.) 

On  trouve  aussi,  avant  la  main,  pour  haut  la  main  : 

LX   raLLKTIBX. 

«  Mais  pensez-y,  de  par  le  diable^ 

«  Et  me  payez  avcmt  la  main,  »  {Le  nouv.  Pathelin.) 

—  LE  PORTER  HAUT,  être  ficF,  orgueilleux  î 

Détrompez-¥oui  de  grâce ,  et  porUt-le  moins  kauL      (Èfis.  V.  6.) 

Le  subst.  de  Fellipse  parsut  être  chef:  portez  le  chef  moins 
haut. 

—  HAUT  DU  JOUR  (Ic)  j  midi  : 

Le  roi  vint  honorer  Tempe  de  sa  présence  ; 

II  entra  dans  Larisse  hier,  sur  le  haut  du  jour,      (Mélicerte.  I.  3.) 

—  FAiRfl  UNE  HAUTE  PROFESSION  DE  (on  infinitif)  : 

sis  ont  trouvé  moyen  de  surprendre  des  esprits  qui,  dans  toute  autre 
^^tière,  Jont  une  liaute  profession  de  ne  se  point  laisser  surprendre, 

(a*  Plaçât  au  fiai,) 

HAUTEUR  ;  de  hauteur,  hautement,  avec  bs^uteur  : 

.  Pour  récompense ,  on  s'en  vient  de  hauteur 
lie  traiter  de  fequia,  de  lâche,  d'imposteur.  (l'^t*  !•  10.) 

—  hauteur  d'estime  : 

Cette  hauteur  d'estime  où  vous  êtes  de  vous,  (Ifû.  m.  5.) 

HÉROS  D'ESPRIT  : 

Aux  encens  qu'elle  donne  â  son  héros  d^esprit,      {Fenu  sav,  I.  3.) 

HEUR ,  bonheur  ;  d'où  vient  heureux  : 

Expliquez-vous,  Ascagoe,  et  croyez  par  avance 

Que  votre  heur  est  certain ,  s'il  est  en  ma  puissance. 

(Dép,  am,  H.  a.) 
Je  vous  épouse,  Agnès  ;  et  cent  fois  la  journée 
Tous  devez  bénir  fheur  de  votre  destinée.       (Ec,  desj^m»  III*  a.) 
Mais  au  moins  dites-moi,  madame,  par  quel  sort 
Yotre  Clitandre  a  theur  de  vous  plaire  si  fort.  (JUis.  II.  i.) 

Lorsque  dans  un  haut  rang  on  a  l*heur  de  paroitre. 

Tout  oe  qu'on  ftiit  est  toujours  bd  et  bon.  {Jmpk  proL) 


—  204  — 

—  HEURES  A  l'heujie,  maintenant^  à  cette  heure, 
comme  dans  Titalien  allora  : 

Parbleu  !  si  grande  joie  à  t heure  me  transporte, 

Que  mes  jambes  sur  Theure  en  caprioleroient , 

Si  nous  n'étions  point  vus  de  gens  qui  s*en  riroient,       {Sgan,  x8.) 

HIÀTVS. 

Nos  vers  sont  pleins  dliiatus  très-réels  pour  roreille,  que 
Ton  se  contente  de  masquer  aux  yeux  : 

Cest  un  miracle  encor  qu'il  ne  m*ail  aujourd'hui 

Enfermée  à  la  clef,  ou  menée  avec  lui.  (Ec,  des  mar.  I.  a.) 

Ces  gens  qui ,  par  une  âme  à  Tintérét  soumise , 

Font  de  dévotion  métier  et  marchandise.  {Tort,  I.  6.) 

On  en  citerait  de  pai*eils  par  centaines  dans  Boileau ,  la 
Fontaine ,  Racine  et  Molière.  Cette  remarque  a  suitout  pour 
but  de  monu-er  quelle  est  dans  les  arts  la  puissance  de  Thabi- 
tude  et  de  la  convention. 

Molière  ne  s'arrête  pas  à  Tliiatus  qui  résulte  de  l'interjection  ! 

Un  honune  à  grands  canons  est  entré  brusquement. 
En  criant  :  Holà,  ho!  un  siège  promptement.  {Fâcheux,  I.  x.) 

Là!  là!  hem.  Item!.,,  écoute  avec  soin  Je  te  prie.         {Ibid,  I.  5.) 
Eh!  fl-t-on  jamais  vu  de  plus  farouche  esprit?         (Pr.  dEL  I.  4-) 

HOC  ;  ETRE  HOC  : 

MARTINK. 

....  Mon  congé  cent  fois  me  fût-il  lioc , 

La  poule  ne  doit  point  chanter  avant  le  coq.  (Fem,  sav,  Y.  3.) 

Le  hoc  est  un  jeu  de  cartes  :  «  Et  parce  qu'en  jouant  ces 
sortes  de  cartes  on  a  coutume  de  dire  hoc ,  de  là  vient  que  , 
dans  le  discours  familier,  pour  dire  qu'une  chose  est  assurée  à 
quelqu'un ,  on  dit  :  Cela  liii  est  hoc.  »  {Dictionn,  de  l'Acad.) 

«  Bonne  chasse,  dit-il,  qui  Tauroit  à  sou  croc! 

«  Eh!  que u*es-tu mouton ,  car  tu  me  serois  hoc.  »    (LAFoirrÂuri.) 

Un  commentateur  reproduit  sur  ce  vers  l'explication  ci-des- 
sus ;  mais  cette  explication ,  tirée  du  jeu  de  cartes,  n'est  point 
satisfaisante  ,  car  les  caries  furent  inventées  au  xv*  siècle  seu- 


w.  205  — 

leroent ,  et  dès  le  xi*  le  mot  hoc  entrait  dans  une  locution 
analogue  à  être  hoc  : 

«  Respundi  David  :  Ci  est  la  lance  le  rei.  Tienge  un  vadlet ,  pur  ftoc 
•  si  Temport  »  (Rois,  p.  io5.) 

Tous  ceux  qui  ont  tenté  d'expliquer  cette  locution  sont 
partis  de  ce  point  que  hoc  était  un  mot  latin,  le  neutre  du  pro- 
nom hic. 

Mais  c'est  une  erreur:  hoc  est  un  mot  français,  un  mot  de 
la  vieille  langue ,  où  il  signifie  un  croc  : 

•  Un  fioc  k  tanneur,  de  quoy  Ton  trait  les  cuirs  hors  de  Tcaue.  » 

(Lettres  Je  rémiss,  de  1369.) 

(Voyez  Du  Cange  au  mot  ffocctis.) 

Du  substantif  hoc  viennent  les  verbes  hocher  et  ahocher 
{hoÂer,  ahoker)  ;  ce  dernier  est  le  même  ({xx* accrocher  : 
•<  Mes  son  soupelis  aftoefia 
«  A  un  pel,  si  qu'il  remest  la.  »  (Barbaz.  Estida.) 

«  Mais  le  surplis  du  prêtre  s'accrocha  à  un  pieu ,  en  sorte 
qu'il  y  resta.  » 

«  Aussi  com  un  singe  ahoquié 

«  A  un  bloqnel  et  ataquié.  *      (Cité  dans  Du  Canoi  i  Hoccus,) 

A  Ainsi  comme  un  singe  accroché  et  lié  à  un  bloc.  » 
Saint-Évremond  ne  se  doutait  pas  qu*il  faisait  rimer  le  mot 
avec  lui-même^  quand  il  écrivait  : 
«  Le  paradis  tous  est  hoc: 
«  Pendez  le  rosaire  au  croc.  >• 

Cela  m'est  hoc  est  donc  une  locution  faite,  dont  le  sens  re- 
vient à  :  cela  ne  peut  me  manquer,  cela  m'est  acqids  aussi  in- 
failliblement que  si  je  le  tirais  de  la  rivière  avec  un  croc  ;  j'ai 
accroché  cela.  Mon  congé  cent  fois  me  fût-il  hoc ,  c'est-à-dire, 
enssé-je  accroché  cent  fois  mon  congé.  —  Hoc  ou  croc,  le  nom 
de  l'instrument  mis  pour  celui  du  butin  qu'il  procure. 

Voilà  l'explication  que  j'offre  de  cette  façon  de  parler,  n'em- 
pêchant point  qu'on  n'en* adopte  une  meilleure,  si  on  la  trouve 
telle;  par  exemple ,  celle  de  Trévoux  : 

«  Ce  mot  vient  du  latin  ^oc,  qui  en  gascon  veut  dire  oui. 


—  206  — 

ba  ftà  tst;  de  sorte  qu^en  disant  cehM  est  hoe,  c>9t-à-dire  ^  «tti 
y  y  consens.  Le  Lan^^^oc  est  nommé  ainsi  cewant  imitgme  ée 
Amt  ,  {Munce  qu'on  j  dit  koc  poar  mi/.  » 

HOMMAGES;  faiee  des  hommages  : 

/e  im  mi  fait  dei  htmmêgeé  ioufliii  de  tous  oies  foenu  (Jm,  WÊagm,  I.  s.) 

HOMME  ;  êtee  homme  qui.  . . .  être  un  homme  q«i.»«: 

^otu  êtes  homme  (pu  mtcz  les  nuximes  du  point  d*lioiiiieiir.  {G.  JD.  1.8.) 
Je  suis  homme  qui  aime  à  m'acquitter  k  plot  tôt  que  je  puis. 

—  HOMME  DE  (an  substantif)  : 

Toni  ètct  homme  d'accommodement.  (Pomrc.  HL  6.) 

Homme  de  tuffismtce^  /tomme  de  capacité,  {Mmr.fore.  6.) 

HONNÊTES  DIABLESSES  : 

Ges  dragons  doTertu,  cm  honnêtes  dèMeMOt ^ 
Se  reuandMDt  toujoun  sur  leurs  Mges  prouMieft.... 

{Ec.desfem.lV.  8.) 

HONNEUR ,  8asceptU)ilité  : 

Qooi  <pie  sur  ee  sujet  Totre  homteur  rom  iMpirc^ 

{Kc.  desfem.IV.S,) 

Votre  délicatesse  ombrageuse ,  le  soin  de  votre  honneur. 

Molière  emploie  aussi  honneur  dans  le  sens  général  et  indé- 
terminé de  considération  personnelle.  Alors  il  y  joint  une  épi- 
thète  pour  fixer  la  nature  de  cet  honneur.  U  fait  dire  énergi- 
quement  à  Alceste,  parlant  du  franc  scélérat  contre  lequel  il 
plaide  : 

Soo  misérable  honneur  ne  voit  pour  lui  personne.  (Mis,  L  i.) 

Il  est  tout  naturel  qu'on  dise,  en  parlant  de  soi  :  Mon  hon- 
netuTy  le  soin  de  mon  honneur;  mais  appliquer  ce  mot  à  un 
tiers ,  et  y  joindre  une  épithète  de  mépris ,  c*est  ce  qui  rend 
l'expression  neuve  et  oiîginale  ;  et  toutefois  elle  est  si  claire  et 
si  juste  y  qu'on  n'y  prend  pas  gardei^ 

HONTE  ;  Avoia  HOinx  a  (an  infinitif)  : 

ktoQsiéur,  Vûu)  tous  moquez; /"oiiivri  honH  à  h  frienâire» 

{Dép.  OM.  I.  a.) 


-  3Wt  - 

HORS  DE  OAllDE  («tre)^  niétaphôre  {n^sé  de  l'art 
de  l'eiM^me  : 

téandre  pout  ûoiiê  huire  est  hors  de  garde  enfib.        {VEt,  lit.  5.) 

«  Tu  vas  sortir  de  garde ,  et  perdre  tes  mesures.  » 

(CoRNULu ,  Le  lenteur}} 

-«  HOR8  DE  PAGE  j  EQ  figoré ,  affrandii  i 

U  faut  se  relever  île  ce  honteux  partage , 

Et  mettre  hautement  notre  esprit  hors  de  page.   (Fem,  sa9,  lH,  a.) 

Il  faut  observer  que  cette  locution  aHectée,  parce  qu*on  l'ap- 
plique à  Tesjirit ,  est  mise  clans  la  bouche  de  Bélise  ^  ce  qui 
équivaut  à  une  censure. 

—  HORS  DE  8»S  ;  IL  ESTT  HORS  DE  SElfS  QUB.  .  •  ,<l  t$i 

imoTùiêmblable ,  âhswdè  de  croire  qU$...  : 

Mais  iV  eit  ttors  de  sens  que  Sous  ces  apparences 

Un  h<ftnme  pour  époux  se  poisse  supptner.  (Aéph.  Ht.  i.) 

Cela  excédé  les  limites  du  bon  senà. 
HOUBETS,  mauvais  chiens  de  chasse  : 

De  ces  gens  qui,  suivis  de  dix  hourets  galeux. 
Disent  ma  meute,  et  foM  les  chasseurs  merreilletft. 

{Fâcheux,  II.  7.) 

HUGHET,  cor  de  chasse  ;  Yoyee  posteur  db  huchet. 
HUMANISER  (S)  DE....: 

Que  d'un  peu  de  pitié  Ion  âme  s'humanise,  {Àmph,  III.  7.) 

(Voyez  DB  e]4>rimant  la  manière,  la  cause.) 

-^  HUMAKiSKR  SOU  DISCOURS  ;  Ic  mettre  à  la  portée^ 
deshamains: 

Ne  paroisses  point  si  savant,  de  grâce!  humanisez  votre  discours,. et 
parlez  pour  être  entendu.  {Critique  de  CEc,  des  fem,  7.)r 

HUMANITÉ  (l*)^  le  caractère  d'hoimne ,  la  forme  lis- 

DMfecfoèa,  si  éé  pirler  le  |ioitvoir  nrest  6té^ 

fMt  moi ,  j*aiine  autant  perdre  aussi  r  humanités    (^4^  êm,  U*  fi) 


—  208  — 
—  L'BUMAKiré ,  au  sens  pbilosophiqae  : 

Ta ,  ra ,  je  te  le  donne  pour  l'amour  de  rimmanité,  (fi.  Juan,  UL  a.) 
Molière  a  devancé  le  xyiii*  siècle  dans  cette  acception  du 
mot  humanité,  que  la  philosophie  moderne  a  rendue  depuis  si 
commune.  Au  xvii*  siècle ,  on  entendait  par  Vhiimamté  une 
vertu  analogue  à  la  charité ,  mais  non  Tensemble  du  genre 
humain ,  considéré  philosophiquement  comme  une  seule  fa- 
mille. 

HUMEUR  SOUFFRANTE,  endurante: 

Des  hommes  en  amour  d'une  humeur  si  souffrante ,  ' 
Qu'ils  vous  Terroient  sans  peine  entre  les  bras  de  trente. 

{Fâcheux,  11.4) 

Sur  ce  mot  humenry  j'observerai  qu'il  avait  encore  du  temps 
de  Corneille  un  sens  qu'on  a  laissé  perdre  depuis ,  et  qui  per- 
siste dans  l'anglais  humour;  si  bien  que  beaucoup  de  gens , 
désespérant  de  faire  sentir  toute  la  force  et  la  grâce  du 
mot  anglais,  le  transportent  dans  notre  langue  comme  ils 
font  du  mot  Jashion,  qui  n'est  que  notre  façon  ^  et  de  bien 
d'autres. 

CLITOir. 

«  Par  exemple ,  voyez  :  aux  traits  de  ce  visage , 
••  Mille  dames  m'ont  pris  pour  homme  de  courage  ; 
«  Et  sitôt  que  je  parle,  on  devine  à  demi 
«  Que  le  sexe  jamais  ne  fut  mon  ennemi. 

clkaudre. 
«  Cet  homme  a  de  Vfawieur. 

DORUTTS. 

C'est  un  vieux  domestique 
«  Qui-,  comme  vous  voyez,  n'est  pas  mélancolique.  » 

(La  Suite  du  Menteur,  III.  i.) 

Cette  remarque  a  échappé  à  Voltaire ,  qui  en  a  fait  de  moins 
importantes. 

HYMEN  (l)  de  ,  c est-à-dire,  avec  : 

Comme  il  a  volonté 
De  me  déterminer  à  l'hjrmen  d'Hippoljrte.  (VEt,  II.  9.) 

Chercher  dans  C  hymen  cTune  douce  et  sage  personne  la  consolation  de 
^dque  nouvelle  famille.  (ÛAp,  T.  5.) 


-  209  — 

La  promesse  accomplie 

Qui  me  donna  Tespoir  de  thjrmen  de  Céiie.  {Sgan,  i3.) 

Mon  fils ,  dont  votre  fille  acceploit  thyménée,  {IhuL  a4.) 

Et  Fhymen  d'Henriette  est  le  bien  où  j*aspire.  {Fem,  sav,  I.  4.) 

ICI  AUTOUR  : 

Depuis  quelque  temps  il  y  a  des  voleurs  Ici  autour.        (D,  Juan,  III.  a.) 

—  ICI  dedans: 

vite ,  venez  nous  tendre  ici  dedans  le  conseiller  des  grâces.  {Préc,  rid,  7.) 
Pour  ici  dedans ,  on  disait ,  au  moyen  âge,  ci  ens  y  et  plus 

tard  céans.  Aujourd'hui  on  ne  dit  plus  rien  du  tout ,  car  les 

tyrans  de  la  grammaire  ont  proscrit  ici  dedans, 

—  ICI  DESSOUS  : 

Tai  crainte  ici  destous  de  quelque  manigance.  {VEt.  I.  4.) 

Ici  dessous  comme  ici  dedans ^  bonnes  et  utiles  expressions 
qui  ont  disparu ,  et  qu'on  n'a  point  remplacées. 

Ces  anciennes  façons  de  parler  ici  dedans,  ici  dessus,  ici  des» 
sous,  persistent  en  Picardie. 

IDOLE,  irQniqaement ,  une  idole  d époux: 

Et  de  n'entrevoir  point  de  plaisirs  plus  touchants 

Qu^une  idole  d'époux  et  des  marmots  d*enfants!       [Fem,  sav,  1. 1.) 

IGNORANT  DE  QUELQUE  chose  : 

Ce  sont  gens  de  difficultés  (les  avocats) ,  et  qui  sont  ignoranu  des  détours 
de  la  conscience,  {Mal,  bn,  L  9.) 

C'est  un  latinisme  :  inscius  reL 

Nous  construisons  de  même  avec  le  génitif  le  verbe  ignorer^ 
ce  que  ne  faisaient  pas  les  Latins  : 

«  Monsieur  Tabbé ,  vous  nHgnorez  de  rien^ 

Et  ne  vis  onc  mémoire  si  féconde.»      (J.-B.  Roussiav,  Epigr,) 

IL  GOUTE ,  impersonnel ,  pour  ilencoiHe  : 

Et  je  sais  ce  i\\ïHl  coûte  k  de  certaiues  gens , 

Pour  avoir  pris  les  leurs  (leurs  femmes)  avec  trop  de  talents. 

{Ec,  des/em,L  i.) 
M 


—  aïo  — 

ILNESTPASQUB...: 

Mti»  peut-être  il  n'est  pus  que  tous  fi*ayet  bien  Ta 

Ce  jeune  astre  d'amour,  de  tint  d'aliraiU  poarm.  {Ee,  éetftm,  I.  6.) 

Il  n*est  pas  (possible)  que 

'  Cette  manière  d'employer  (jue  est  toute  ladne.  Hoc  esi  quod 
ad  vos  venio  (Plaute),  c'est  cela  que  je  viens  à  vous. 

IL  Y  VA  DU  MIEW  ,  DU  VÔTRE  : 

À  débouchtir  la  porte  il  iroit  trop  du  vôtre, 

(Remerciment  au  RoL  x663.) 
Molière  a  supprimé  Vy  pour  le  soin  de  Teuphonie,  ou  plutôt 
eHy  s'absorbe  dans  celui  de  irait  C'était  originairement  la 
coutume ,  non-seulement  pour  1'/,  mais  pour  toute  voyelle  : 
«  Seignurs  bamm,  ki  i  pumins  enveier?»  {Rolanâ,t\.,  i8.) 

«  Le  duc  Og^r  e  Tarcevesque  Turptn.  »  (Ibidm  st.  la.) 

«  La  famé  s*en  prist  à  apercoivre.»  {.La  Bourse  pleine  de  tems.  ▼.  i8.) 
On  ne  compte  dans  la  mesure  qu'un  seul  /,  un  seul  a,  un  seul  e, 
(Voye»  des  Variations  du  langage  français  y  p.  19a,  IQÎ.) 
Le  mien ,  le  vôtre ,  dans  cette  locution  sont  au  neutre ,  si- 
gnifiant mon  intérêt  y  votre  intérêt  ^  ou  mon  bien  et  te  vôtre  ^ 
comme  en  latin  meum^  tuum  :  «  Nil  addo  de  meo^  »  (CtCEA.)  Je  n'y 
ajoute  rien  du  m/^/î.  «Tetigin'  ttU?vÇrzK,)Ai'je  rien  pm du  tien? 
IL  supprimé  après  voilà  : 

Eh  bien!  ne  voilà  pas  mon  enrage  de  maître?  {L'Et.  V.  7.) 

Ne  voilà  pas  de  mes  mouchards  qui  prennent  garde  à  ce  qu'on  fait? 

{L'Ap.  I.  3.) 
Ne  voilà  pas  ce  que  je  vous  ai  dit?  {G,  D,  III.  la.) 

—  il;  deux  il  se  rapportant  à  des  sujets  divers  : 
L'éloge  de  Louis  XIV,  dans  le  v*  acte  de  Tartufe ,  présente 
un  singulier  exemple  de  mativais  style,  où  l'incorrection  des 
deux  î/se  montre  plusieurs  fols.  Cette  tirade,  si  souvent  repro- 
chée à  Molière ,  vaut  la  peine  d*être  examinée.  Molière  com- 
mence par  dire  de  Louis  XIY  : 

Il  donne  aux  gens  de  bien  une  gloire  immortelle , 

Mais  sans  aveugleoient  il  (ait  briller  ce  zèle; 

Et  Tamour  pour  les  \Tais  ne  ferme  point  soo  cœur 

A  tout  ce  que  les  laux  doivent  donner  d'horreur 


—  211  — 

Ce  mais  et  cette  remarque  ne  semblent-ils  pas  dire  que  d'or- 
dinaire  l'amour  de  la  vertu  exclut  la  haine  du  vice  ? 
D*al>ord  il  (le  roi)  a  percé  par  ses  vives  darlés 
Des  replis  de  son  cœur  toutes  ces  lâchetés. 
Son  cœur  est  le  cœur  de  Tartufe. 

Venant  vous  accuser,  il  s'est  trahi  luî-iDême  ; 
Le  sujet  change  :  //  n'est  plus  le  roi ,  c'est  Tartufe. 
El, par  an  Juste  trait  de  Téqulté  guprème, 
S'est  découvert  au  prince  un  fourbe  renomoié, 
Dont  50US  uo  autre  nom  il  étoit  informé. 
//  revient  au  monarque  ;  sous  un  autre  nom  s'applique  à 
Tartufe  f  et  non  pas  à  Louis  XI Y;  c'est  Tartufe  qui  était  connu 
sous  un  autre  nooL. 

Ce  monarque,  en  un  mot,  a  vers  vous  détesté 
Sa  lâche  ingratitude  et  ta  déloyauté. 
On  ne  s'exprimerait  pas  autrement  si  c'était  I^uis  XIV  qui 
se  repentît  d'avoir  été  ingrat  et  déloyal  envers  Orgon. 
A  ses  autres  horreurs  il  a  joint  celte  suite , 
Le  roi  a  joint  cette  suite ,  ou  ce  supplément ,  aux  autres 
horreurs  de  Tartufe. 

Et  ne  m'a  jusqu'ici  sojpmis  à  sa  conduite 
Que  pour  voir  riirtpadence  aller  jnsqnes  au  bout. 
Sa  conduitCy  pour  dire  que  Tartufe  commandait  à  l'exempt. 
Oui ,  de  tous  vos  papiers ,  dont  il  (Tartufe)  se  dit  le  maître, 
//  (le  roi)  veut  qu'entre  vos  mains  je  dépouille  le  traître. 
TjOBt  d'iaipra|»riété  de  termes ,  d'incorrection  et  de   né- 
^jà^BELCe^  fendent  à  bon  droit  soupçonner  que  ce  morceau  de 
placp^  n'est  pas  de  Molière.  Molière  en  auia  donné  l'idée  et 
confié  Texécutiou  à  quelqu'un  des  versificateurs  de  sa  troupe. 
Ceat  oe  «pu  expliquerait  l'étrange  disparate  de  cette  tirade 
dans  une  pièce  qui,  parmi  toutes  celles  de  Molière,  peut  récla- 
mer  le  prix  du  style. 

Eafin^  si  Molière  a  versifié  lui-même  ce  passage,  il  fellait 
qu'il  n'attachât  guère  d'importance  à  la  matière. 

L*amant  n*a  point  de  part  à  ce  transport  brutal. 
n  a  pour  votis,  ce  cœur,  pour  jamais  y  penser. 

Trop  de  reapeet ,  trop  de  teidresie  : 
£t  si  de  faire  rien  à  vous  pouvoir  blesser 

14. 


—  212  — 

//aYoit  eu  h  coupable  foiblesse, 
De  cent  coups  ■  vot  yeux  il  Toudroit  le  percer.       (Amph.  U.  6.) 

Le  premier  //  se  rapporte  au  cœur  ;  le  second,  à  l'amant,  qui 
est  nommé  dans  la  phrase  précédente. 

Peut-être  faudrait-il  lire  se  percer;  mais  aucune  édition  ne 
le  donne. 

Enfin  le  Malade  imaginaire  ofïre  de  fréquents  exemples  de 
cette  incorrection  : 

Tout  le  spectacle  se  passe  sans  qu't/  (le  berger)  y  donue  la  moîiidre  at- 
teotion.  Mais  il  se  plaint  qu'iï  est  Urop  court,  parce  qu'en  finissami  il  se 
aépare  de  son  adorable  bergère.  {MmL  on.  IL  6.) 

liC  premier  il  représente  le  berger  ;  le  second ,  le  spectacle  ; 
et  le  troisième,  encore  le  berger.  En  finissant,  qui  grammati- 
calement ne  peut  se  rapporter  qu'au  berger,  se  rapporte  au 
spectacle. 

On  lit  dans  la  même  scène  : 

Des  manières  de  vers  libres  tels  que  la  passion  et  la  néœsiité  pewent 
faire  trouver,  (  Ibid^ 

Il  paraît  qu'il  faut  en  ou  les  faire  trouver. 
On  Tavertit  que  le  père  de  la  belle  a  conclu  son  mariage  avec  un  autre. 

{ibid,) 

Son  ne  désigne  pas  le  mariage  du  père  ,  comme  la  phrase  le 
ferait  entendi*e  ,  mais  celui  de  la  belle. 

Cette  pièce  est  de  toutes  celles  de  Molière  la  plus  négligem- 
ment écrite.  On  y  sent  en  quelque  sorte  la  rapidité  de  l'auteur 
fuyant  devant  la  mort,  qui  l'atteignit  à  la  quatrième  représenta- 
tion. Au  reste,  cette  faute  d'employer  dans  la  même  phrase 
deux  il  relatifs  à  des  sujets  différents,  se  rencontre  dans  les 
meilleurs  écrivains.  En  voici  un  exemple  de  Pascal  : 

«  Les  confesseurs  n*auront  plus  le  pouvoir  de  se  rendre  juges  de  la  dii- 
«  position  de  leurs  pénitents,  puisquV/f  (les  confesseurs)  sont  obligés  de 
«  les  croire  sur  leur  parole,  lors  même  qu*i7i  (les  pénitents)  ne  donnent 
«  aucun  sigue  suffisant  de  douleur.  >•  (lo*  Pro9,) 

Et  l'on  sait  pourtant  avec  quel  soin  les  Provinciales  étaient 
travaillées  !  Mais  nul  n'est  exempt  de  faillir,  ni  Pascal ,  ni  Mo- 
lière, ni  Bossuet. 


—  213  — 

—  IL  surabondant  : 

Chacnn  fait  ici-bas  la  figure  qu*il  peut. 

Ma  tante;  et  bel  esprit ,  //  ne  l'est  pas  qui  veut  !    {Fem,  sav,  VU,  i.) 

Cette  tournure  a  une  naïveté  qui  donne  du  piquant  à  Tadage. 
On  se  tromperait  fort  de  prendre  cet  il  pour  une  cheville  com- 
mandée par  la  mesure. 

Son  cieur,  pour  se  lirrer,  k  peine  devant  moi 

S'aX-U  donné  le  temps  d*en  recevoir  la  loi.  {Ibid,  TV,  i.) 

«  La  source  de  tout  le  mal  est  que  ceu^  qui  n'ont  pas  craint  de  tenter 

«  au  siècle  passé  la  réformation  par  le  schisme,  ne  trouvant  point  de  plus 

"  fort  rempart  contre  leurs  nouveautés  que  la  sainte  autorité  de  l*Église, 

«  ils  ont  été  obligés  de  la  renverser.  *>      (Bossubt.  Or, /un.  de  la  r,  ttÂ,) 

—  IL»  construit  avec  qui ,  dans  le  sens  de  celui  qui  : 

Il  est  bien  heureux  qui  peut  avoir  dix  mille  écus  chez  soi  I  (L*jév.  1. 5.) 
Corneille  a  dit  de  même  : 

«  //passe  pour  tyran  quiconque  s*y  fait  maître.»        (Cinna,  II.  f.) 

Sur  quoi  voici  la  remarque  de  Voltaire  :  a  Cet  //  était  autre- 

0  fois  un  tour  très-heureux  ;  la  tyrannie  de  1* usage  Ta  aboli.» 

«  Qui  se  contraint  au  monde,  //  ne  vit  qu*en  torture.  » 

(RaGiriBR,  sat.  XY.) 
«  Et  qui  jeune  n'a  pas  grande  dévotion, 
«  Il  faut  que  pour  le  monde  à  le  feindre  fV  s'exerce.  >• 

(Id,  sat.  xin.) 
«  Ha,  ha!  il  n'a  pas  paire  de  chausses  qui  veult!  «  (Gargantua,!,  9.) 
Pathelin  fait  au  drapier  compliment  sur  son  activité  : 

LB    DRAPIBR. 

«  Que  voulez- VOUS?  it  faut  songer 

m  Qui  veult  vivre,  et  soustenir  peine.  »  (Pathelin,) 

—  ilix'est  que  de  (un  infinitif),  il  n'est  rien  tel 
qaede...  : 

Ma  foi ,  il  n'est  que  de  jouer  d'adresse  en  ce  monde. 

(i***  Inierm,  du  Malade  im,  se.  6.) 

— •  IL  m'enudie.  (Voyez  ennuyée)  (s*). 

—  IL  Y  A ,  CE  qu'il  y  A  (s.-cnt.  à  faire)  : 

Or  sus,  mon  fils ,  savez-vous  ce  qu'il  jr  a?  C'est  qu'il  faut  songer,  s'il 
vous  plait,  à  vous  défaire  de  votre  amour.  (VAp,  IV.  3.) 


-.  214  — 
ILLUSTBE  ;  un  illustre  substantivement  : 

Madame,  voilà  un  illustre J  (Fauro.  I.  3.) 

IMBÉCILE,  au  sens  du  latin  imbedllis  : 

Est-il  rien  de  plus  foible  et  de  plus  imbécUe!      (£c.  des  fem,  T,  4.) 

Imbécile  ne  fait  qu'exprimer  plus  fortement ,  et  avec  une 
légère  nuance  de  mépris ,  Tidée  de  faiblesse. 

«  Taiaex-fous,  nature  imbécile !•  (Pascal.  Pensées.) 

IMPÉTUOSITÉ  DE  PRÉVETITIOlf .  (Voyez  B&UTALITi.) 

IMPOSER ,  pour  en  imposer ,  mentir. 
Tous  les  grammairiens  font  une  loi  d'exprimer  em  dans  ce 
sens')  Molière  ne  le  met  jamais  : 

Jamais*  Tair  d'un  fiiage» 
Si  ce  qu*il  dit  est  vrai ,  n^imposa  davantage*  {VEt,  IIL  a.) 

C'est  bien  assez  pour  moi  qu'il  m'ait  désabusé 
De  voir  par  quels  motifs  tu  m^avois  imposé,  (jUd.  UL  4.) 

Faites-moi  pu  encor  :  tuez-moi  si  f  impose,  (Dé^,  tan,  I.  4.) 

Vous  verrez  si  f  impose,  et  si  leur  foi  donnée 
N'avoit  pas  joint  leurs  corars  depuis  plus  d'oM  année. 

{Ec.  des  mar,  lEL  6.) 
Je  ne  sais  pas  s'il  impose  ; 
Mais  il  parle  sur  la  chose 

Comme  s'il  a  voit  raison.  {Amph.  UL  5.) 

Hélas!  à  vos  paroles  je  puis  répondre  ici,  moi,  que  ▼ous  n*imposez  point. 

{VA9.  V.  5.) 

«  On  demande  s'il  ne  lui  seroit  pas  plus  aisé  dimposer  à  celle  dont  il 

«  e&t  aimé,  qu'à  celle  qui  ne  l'aime  point.  »  (Là  BaurùiK,  ch.  m.) 

Tout  le  xvii^  siècle  a  parlé  ainsi. 

«  Quelques  écrivains ,  dit  Bouhours ,  ont  voulu  établir  im~ 
pos tarer.  Le  public  s'est  contenté  du  verbe  imposer^  ^i  si- 
gnifie la  même  chose  :  vous  imposez;  il  im^M)se  à  tout  l'uni- 
vers, »  (Rem,  noup,) 

La  Touche,  qui  écrivait  en  i73o ,  dit  pareillement  :  «  Im- 
«  poser  tout  seul  veut  dire  mentir,  « 

(Art  de  bien  parler  françois,  II.  p.a3.) 

La  distinction  entre  imposer  et  en  imposer,  dont  le  premier 


-  216  - 

se  prendrait  en  bonne  fart  ^  imposer  du  respect^ et  l'autre  en 
mauvaise  pour  tromper,  est  donc  une  subtilité  chimérique^  in- 
vention des  grammairiens  de  notre  âge.  M.  N.  landais,  par 
exemple ,  après  avoir  cite  la  phrase  de  la  Bruyère ,  ajoute  : 
«  C'est  une  faute  :  il  fallait  d'en  imposer,  »  M.  Boniface  s'y  ac- 
corde. Mais  d'où  vient  à  M.  I^indais  et  à  M.  Boniface  l'autorité 
sur  Molière  et  sur  la  Bruyère  ? 

Les  Latins  disaient  imponere  tout  seul  pour  signifier  mentir. 
Impoêuit  Caiom.  (Cicee.)  Imposait  mihi  caupo,  (Maitiai..) 
Pr^eciis  Aniigfini  imposuit,  (C0115.  Napos.)«*-Il  a  trompé  Ca- 
ton  ;  —  le  cabaretier  m'a  dupé  ;  —  il  donna  le  change  aux 
lieutenants  d'Antigonus. 

Quand  la  pythonisse  dXndor  reconnut  l'ombre  de  Sarouel, 
elle  s'écria  vers  Saiil  :  Quars  imposai sti  mihi?  Pourquoi //t'a- 
vez-vous  imposé  par  votre  déguisement?  »  [Rois,  I,  cap,  a8,) 

-**  IMPOSER,  verbe  actif,  comme  imputer;  imposée 

UTfE  TACHE  A  QUELQU'UN  : 

On  ne  peut  imposer  de  tache  à  cette  fille.  (L'Mt  HT.  4.) 

—  IMPOSEE  A  QusLQu'uii  y  daus  le  même  sens  : 

«  Quand  Diana  rapporte  avec  éloge  les  sentiment!  de  Tasqnex 

*  il  n*est  ni  calomniateur  ni  faussaire,  et  vous  ne  vous  plaignez  point  qu^il 
m  lui  impose;  au  lieu  que  quand  je  représente  ces  mêmes  sentiments  de 
«  Yatquez,  mais  sans  le  traiter  de  phénix,  je  suis  un  imposteur,  un  faussaire, 
«  et  uo  comipleur  de  ses  maiimes.  •  (Pascal,  ii*  Prop,) 

Dans  l'affaire  de  Carrouge  et  Legris ,  la  jeune  dame  de  Car- 
rouge  accusait  Legris  de  lui  avoir  fait  violence  : 

«•  Jacques  Legris  s'excusoit  trop  fort,  et  disoit  que  rien  n*en esloit,  et 
«  que  la  dame  lui  imposoit  induement.  » 

(Froisurt.  Ckron,  III.  ch.  49.) 

IMPRESSIONS: 

La  jalousie  a  des  impreuions 

Dont  bien  souvent  la  force  nous  entraîne.  (jémph,  II.  6.) 

IMPRIMER  ;  être  imprimé  de  quelque  chose  ,  en 
garder  tine  impression  profonde,  en  style  néologique , 
en  être  înipreistonné  : 

Et  pourtant  Trufaldin 
Est  si  bien  imprimé  de  ce  conte  badin . . .  {V£t»  III.  a.) 


—  216  — 

I^  Rruyère ,  dans  son  discours  de  récepdon  à  I* Académie  , 
dit  :  «  La  mémoire  des  choses  dont  nous  nous  sommes  vus  le 
«  plus  fortement  imprimés.  » 

(Voyez  plus  bas  s'impeuier  quelque  chose.) 

On  ne  voit  pas  pourquoi  M.  Auger  blâme  cette  expression 
dans  la  Bruyère  et  dans  Molière.  Il  prétend  que  «  Imprimé  se 
«  dit  de  ce  qui  a  fait  l'impression ,  et  non  de  ce  qui  Ta  reçue.» 
Qu'est--ce  qui  autorise  cette  loi  ?  Qui  est-ce  qui  l'a  portée  ? 
Où  ?  Ce  sont  les  questions  qu*on  a  toujours  à  fiûre  aux  gram- 
mairiens. 

Imprimer  a  fait  impression  ;  impression  a  produit ,  de  notre 
temps  y  impressionner ,  qui  ne  manquera  pas  d'engendrer,  au 
premier  jour,  impressionnement  Pourquoi  ai  impressitmnement 
ne  ferait-on  pas  impressionnementer,  comme  ^ornement  nous 
avons  vu  sortir  ornementer?  C'est  ainsi  qu'on  enrichit  la  langue  ! 

—  IMPRIMER  DE  L* AMOUR  : 

Sachez  donc  que  vot  vorax  sont  tnhis 
Par  t amour  qu'une  esclave  imprime  a  votre  filf.  {VEt,  I.  g.) 

Nous  disons  encore  bien  imprimer  de  la  crainte  ,  de  la  ter- 
reur, du  respect  :  pourquoi  pas  de  l'amour  ?  Ce  dernier  senti- 
ment peut  être  aussi  vif,  aussi  soudain  et  aussi  profond  que 
les  autres.  On  ne  voit  pas  d*où  naîtrait  la  distinction. 

—  IMPRIMER  (s')  QUELQUE  CHOSE  : 

Là,  regardez-moi  là  durant'cet  entretien. 

Et  jusqu'au  moindre  mot  imprimez-le-vous  bien. 

(Ec.desfem,m.  a.) 

Si  Ton  peut  dire  s'imprimer  quelque  chose ^  la  conséquence 
rigoureuse  sera  qu'on  puisse  dire  être  imprimé  de  quelque  chose^ 
contrairement  à  la  remarque  de  M.  Auger,  qui  blâme  cette  fa- 
çon de  parler. 

INCLINER  quelqu'un  a  ou  vers  une  personne  : 

Et  je  sais  enoor  moins  comment  votre  cousine 

Peut  être  la  personne  où  son  penchant  rinelint,  (Mis.  IV.  z.)  . 


-  217  — 

INCOMMODÉ;  pea  accommodé  des  biens  de  la 
fortune  : 

Yous  êtes  la  grande  protectrice  du  mérite  incommodé;  et  tout  ce  qu^il  y 
a  de  vertueux  indigents  au  monde  va  débarquer  chez  voua. 

(Am,  mag,  L  6.) 
«  Revenons  donc  aut  personnes  itteommodées ,  pour  le  soulagement  des- 

«  quelles  nos  pères. assurent  qu'il  est  permis  de  dérobet.  > 

(Pascal.  8*  Pro¥'mciaU,) 
(Voyez  ACCOMMODÉ.) 

mCONGRUITÉ  DE  BONHE  CHÈRE  : 

Tous  y  trouverez  des  incongruités  de  bonne  chère  et  des  barbarismes 
de  bon  goût.  (/?.  gent.  IV.  i.) 

INDÉFENDABLE: 

GLiHiHE  [précieuse  ridicule)» 
Cette  pièce  {T École  de*  Femmes)^  k  le  bien  prendre,  est  tout  à  fait  m- 
àéfmdahle.  {prit,  de  tRc.  des  fem,  6.) 

Ce  mot  parait  un  barbarisme  forgé  par  la  précieuse  ;  Fure- 
tière  ne  le  donne  pas,  non  plus  que  Trévoux.  Montaigne  a  dit  : 
«  La  faiblesse  d'une  cause  indéfensihle,  » 

INDICATIF  PRÉSENT  après  que,  où  nous  met- 
trions le  subjonctif  : 

Tous  tournez  les  choses  d*une  manière  qu'il  semble  que  vous  avez  raison. 

(D,Juan.l.  9.) 

Ma  foi,  monsieur,  voiU  qui  est  bien  foit!  Il  semble  qu'il  est  en  vie, et 

qu'il  s'en  va  parler.  (Ibid,  V.  5.) 

INDIENNE,  substantivement;  uxîe  indienne,  robe 
de  cbambre  de  toile  des  Indes  : 

Je  me  suis  fait  faire  cette  indienne-ci,  (B»  gent,  I.  i.) 

INFINITIF ,  goniFcmé  par  un  autre  sujet  que  celui 
de  la  phrase  : 

//  ne  vous  a  pas  faite  une  belle  personne. 

Afin  de  mal  user  des  choses  qu'il  vous  donne.    [F,c,  des  Jem,  U.  6.) 

//,  le  del,  ne  vous  a  pas  faite,  etc afin  d'user non 

pas  afin  quV/  use ,  mais  afin  que  votts  usiez,  La  familiarité  du 


-«18  - 

dialogue  semble  autoiiser  cette  légère  irrégularité ,  surtout 
quand  Téquivociue  n*est  pas  iK»ssiI)le. 

Elle  (la  Ueniande)  me  touche  assez  pour  m'en  charger  moi-mèoie. 

{B.gent.Ul.  la.) 
Pour  que/>  m'en  charge  moi-même. 

— -  DEUX  HfFIHITIFS  de  9uUê: 

Tj  ai  déjà  Jeté  des  dispositions  à  ne  pas  me  souffrir  longtemps  pousser 
dei  icapirs.  (/>.  Juan.  IL  a.) 

—  rvFiwiTiF  ACTIF  avcc  le  sens  passif  : 

Nous  avons  eu  maio  diven  ttratagèmei  tout  prêts  à  proémrt  dans  l*oc- 
GtnOD,  {Pourc.  I.  5.) 

C'flStr^-dire,  à  être  produits, 

INFLEXIBLE  ;  être  inflexible  a  quelqu'uh  : 

Si  tu  m'es  Inflexible , 
Je  m*en  vais  me  tuer!  {L'Et.  II.  7.) 

INGÉRER  (s  )  DE  QUELQUE  CHOSE,  daos  quelque  chose  : 

Et  vous  éles  un  impertinent ,  de  vous  ingérer  des  affaires  tfautrui, 

(Méd.  m.  lui.  l.  a^ 

INSTANCE ,  pour  renchérir  sur  le  mot  lotn;  inêiomce 
à  faire  quelque  chose  : 

Et  notre  plus  grand  soin ,  notre  première  instance 

Doit  être  à  le  nourrir  du  suc  de  la  science.  {Fem.  sw.  n.  7.) 

INSTRUIT  DANS ,  instruit  de. .  •  : 

Et  ce  que  le  soldat  dans  son  devoir  instruit 

Montre  d  obéissance  au  chef  qui  le  conduit. . .  (Ec.  desfem^  m.  a.) 

INTERDIRE  (s),  verbe  réfléchi  : 

Achevez  de  lire; 
Votre  âme,  pour  ce  mot,  ne  doit  point  s'interdire.  (D.  Gare.  II.  6.) 

INTÉRESSER  À,  ayant  pour  sujet  un  nom  autre 
qn*un  nom  dé  personne: 

Mon  devoir  m'inte'resse , 
Mon  père ,  à  dégager  bientôt  votre  promesse.  (Sgnm,  &)«) 

Intéresser  à  est  ici  comme  obliger  à ,  engager  à. 

—  S'IISTERESSEA  DANS  QUELQUE  CHOSE  : 

De  vos  premiers  progrès  j'admire  la  vitesse, 

Et  dans  Nvinement  mon  âme  s'intéresse,        {Ec,  </«#  fm,  HU  4.) 


—  219  — 
INTERPRÉTER  A ,  c'est-à-dire ,  au  sens  de  : 

Aux  faux  soup^os  la  nature  est  sujette, 
Et  c'est  souvent  à  mal  que  le  bien  s* interprète.  {Tort,  Y.  3.) 

Je  dois  interpréter  à  charitabie  soin 

Le  désir  dVmbrasser  ma  femme? . . .  (ièià,) 

INTIME  (m),  substantivement: 

If  on,  non;  c*est  mon  intime,  et  sa  gloire  est  la  mienne. 

(Xe.  des  fem,  ▼.  7.) 

INTRÉPIDITÉ  DE  bohub  opinioii  : 

La  constante  hauteur  de  sa  prétoinpUon, 

Cette  intrépidité  de  bonne  opinion ....  {Fem*  MP.  I.  3.) 

INTRIGUET  ;  gens  de  l'intriguet  : 

Et  qu«  toula  notre  foaûUe 

Si  proprement  s'habille, 
Pour  être  placée  au  sommet 

De  la  salle  où  Ton  met 

Les  gens  de  tintriguet, 

{BedUt  des  NaiUnUj  à  la  mite  dn  B,  gent,) 

Les  gens  de  la  basse  intrigue,  les  chevaliers  d'industrie.  \j^ 
anciennes  Mitions  ont  entrlguet.  Les  mots  ladns  in  et  inter  fai- 
sant en  français  en  et  entre  ^  la  véritable  forme  du  mot  serait 
eïîecûweaïeùtentrigue^  âeintricare;  et  il  parut  qu'on  l'a  d'a- 
bord dit  ainsi* 

Notre  langue  est  de  double  formation.  Dans  les  mots  formés 
à  une  bonne  époque,  in,  inter  sont  toujours  traduits  en,  entre; 
dans  les  mots  de  création  moderne ,  on  a  tout  simplement 
transcrit  le  radical  latin. 

De  la  première  formation  sont  :  engager,  enhardir,  engen- 
drer^  entreprendre^  entretenir^  etc.^  etc. 

De  la  seconde  :  inventer,  introduire,  inspirer,  imprimer 
(jadis  empreindre) ,  s'ingénier  (  primitivement  engigner) ,  inter- 
mède (primitivement  entremets) ,  intention ,  substantif  nouveau 
da  vieux  verbe  entendre,  etc.,  etc. 


—  220  - 
INVERSION. 

Ah  !  OcUTe ,  eit-il  vrai  ce  que  SilTettrc  vient  de  dire  à  Nérine,  que 
votre  père  est  de  retour,  et  qu*il  veut  vous  mirier?  {Scapin,  I.  3.) 

Pour  juger  rexcellence  et  la  rapidité  de  ce  tour,  il  n'y  a  qu'à 
rétablir  la  construction  et  Tordre  grammatical  ordinaires  : 
<c  Ce  que  Silvestre  vient  de  dire  à  Nérine ,  que  votre  père  est 
de  retour  et  qu'il  veut  vous  marier,  est-U  vrai?  » 

Il  y  a  longtemps  que  l'esprit  a  saisi  cette  question  ;  aussi 
quand  elle  arrive  est-elle  superflue.  L'art  de  celui  qui  parle 
est  de  ne  point  se  laisser  devancer  par  la  pensée  de  celui  qui 
écoute.  De  là  les  constructions  renversées,  pour  être  natarelles. 

— nivERsioif  DU  PRONOM  après  un  8iib|oiielif  ^  en^ni- 
primant  que  : 

Ah  !  tout  cela  n*est  que  trop  véritable; 
Et  plût  au  ciel  le  fût-il  moins  ! 
L'harmonie  est  bien  plus  douce  par  ce 
construction  ordinaire  : 

Et  plût  au  ciel  qu*il  le  fût  moins! 

INVITÉ  DE,... 

Us  a  voient  vu  une  galère  turque,  où  on  les  avoit  in 

% 

J*AI  PEUR,  en  phrase  incidente,  poaj 
je  le  crains  : 

La  àéteme^  foi  peur,  sera  trop  tard  venue. 

JALOUSIE  DE  quelqu'un  au  sujet  de  q 

Toute  la  jalousie  que  vous  pourriez  avoir  conçtte  t 
mari. 

Molière  a  construit  le  substantif  comme  son  i 

de,  Jalousie  de Ce  de  est  le  latin  de,  tniic 

ment  à. 

JAMBE;  RENDRE  LA  JAMBE  MIEUX   FAH 

ment,  pour  exprimer  qn*une  chose  est  san 
utile  : 

viooLi.  Oui  y  ma  foi ,  cela  vous  rendroit  la  jamùt  Men 

{Beu 


—  221  — 

JE,  pronom  singolier  joint  à  un  verbe  au  pluriel  :  je 
sommes ,  f  avons ,  je  parlons ,  etc  : 

VAETIirB. 

Ce  n*est  point  à  la  femme  à  parler,  et  Je  sommes 
Pour  céder  le  dessus  en  toute  chose  aux  hommes.  {Fem,  sav,  Y.  3.) 
Mon  Dieu,  Je  n'aidons  point  étuguié  comme  vous! 
Ety'tf  parlons  tout  droit  comme  on  parle  cheux  nous.  (Ihid,  IL  6.) 
Pierrot ,  Charlotte  et  Mathurine  y  dans  Don  Juan ,  usent 
également  de  cette  façon  de  parler,  qui  attire  à  la  pauvre  Mar- 
tine cette  réprimande  de  Bélise  ; 

Ton  esprit,  je  TaTOue,  est  bien  matériel! 
Je  ii*est  qu'un  aingulier,  avons  est  un  pluriel. 
▼«tft-Ca  tonte  ta  vie  offenser  la  grammaire? 
MaU  il  ^l  bon  de  savoir  qu'avant  de  se  trouver  dans  la 
bouillie  des  semantes  et  des  paysans ,  cette  façon  de  parler 
avait  été  dans  celle  des  savants  et  des  princes.  Henri  Ëstienne 
lîgD âge  d ans  ses  Dialogues  du  langage  Jrançois  ita- 

*  Ce  sont  les  mieux  parlants  qui  prononcent  ainsi , 

*  venons ,  je  disnons^je  soupons,  » 
e,  dont  il  accuse  les  courtisans  de  Henri  III ,  re- 
;oup  plus  haut,  puisqu'on  lit ^  dans  ime  lettre  auto- 
rançois  P^  à  M.  de  Montmorency  : 
leroEuie  qu'y  fera  beau  tems,  veu  ce  que  disent  les  estoiles 
il  le  loysîr  de  veoir.  •  (Lett,  de  la  Reine  de  Navarre,  I.  467.) 

,  cette  locution  est  consignée  dans  la  grammaire 

^omon  speche  sucfie  maners  ofspeking ,  je  trouve  dans  le 

Bge  ces  façons  de  parler Cependant  que  Cirons  au 

f  nous  irons  ;  —  payons  bien  bu,  pour  nous  avons;  — 
de  par  le  diable!  pour  allons-nous-en;  — faUons  bien, 
ions  bien.  *  (Of  the  verbe,  folio  ia5  aa  verso,) 

i  et  des  Fariations  du  lang,/r,y  p.  290 — 293). 

i  par  exclamation  ;  que  je  sois  : 

iSÊt^rminé  si  je  ne  tiens  parole!  (Dép.  am.  lY.  3.) 

»E&  H£7f  AGES  ,   DES  LARMES  *. 
iTÎre ,,...,»  dont  Pâme  irritée  nejetoit  que  menaces  et  ne 
iigeance...  (D.  Juan.  lY.  9.) 

irmes  de  joie.  (Jhid.  V.  x.) 


—  2K  - 
-^  JEtEB  un  OB§TAGLB  à  quelquê'  thoêet 

Et  je  ne  voudrais  point,  par  ém  cfiorti  trop  fuw» 

Jeter  le  moindre  obstacle  à  vat  justes  desseins,  (D,  Geurde,  Y.  3.) 

JEU  ;  A  JEU  sua  : 

Bitti«  «n  Immm  à  jeu  tàr  xCmk  pM  4^wm  bdb  Aim. 

(Jmfk.  L  a.  ) 

iEV  DB  MOTS  AFFECTÉ  : 

▲imî  toon  tftur,  Frosioe»  on  pea  trop  ffMblêt  iMks  1 
6e  remdit  à  des  toini  qa'oB  ne  faû  tendait  pat*      (i^*  «■•  IL  i.) 
Le  Z)^i/  amoureux  est  le  second  (i)  ouvrage  de  Molière , 
qui  était  encore,  en  ce  temps-là,  l'écolîer  des  Italiens  et  des  Es- 
pagnols. 

JOCRISSE;   FAIRE  LE  JOCRISSE  : 

MARTINE. 

Je  ne  raimerois  point  t^il/aisoil  le  jocrisse,  {Fem,  sa»,  V.  3.) 

^Et  demeure  les  bras  croisés  comme  un  jocrisse,  ^Sgan.  i6.) 

Le  Dictionnaire  de  Trévoux  donne  le  nom  de  Jocrisse  et  le 

dicton  populaire  où  il  s'encadre,  mais  il  ne  révèle  rien  sur 

Torigine  de  ce  personnage,  qui  parait  nous  être  vebu  dltalie. 

JOINDRE  pour  rejoindre  : 

Allons  vite  joindre  notre  proviDciaL  (Pourc,  L  3.)  * 

JOINT,  adverbialement  : 

La  mémoire  da  père  ft  bon  droit  respectée, 
J0int  a«  grasd  ialérét  que  je  preodi  à  la  saur. 
Veut  que  du  moins  Ton  tâche  à  lui  rendre  Thonneur. 

(ic.  des  Mar.  m.  4.) 

Ce  n*est  pas  la  mémoire  unie  à  Tintérét  ;  c'est  la  mémoire  du 

père  à  bon  droit  respectée ,  cela  joint  à  Tintérét  que.....  etc. 

/oMi/ embrasse  d'une  manière  complexe  l'idée  du  vers  précé* 

dent. 

On  disait  autrefois,  ym/ir  que^  invariable  :  cela  signifie,  dit 
Furetière  ,  ajoute^-y  que  : 

m.  Joint  encore  qu^'A  falloit  avoir  fiui  bientôt ,  et  passer  rapidement  dans 
un  pays!  »  (Bossuet.  Hist.  univ,  I.  ii'part.  %  5.) 

(i)  SuÎTaat  i'opiaion  r«çne  et  l'ordre  adoplé.  Je  crois ,  aprii  au  ai&r  «SflDMa»  ^e  ea 
fat  U  premier.  V Étourdi  et  \t  Dépit  ayant  été  composés  en  province ,  on  a'a  pa  «o 
savoir  la  chronologie  très-aathentiqae.  Il  est  certain  que  Vttmtrdi  ,  par  apport  à 
H  cttttctptioa  comme  par  rapport  an  style ,  montre  «a  progrès  Immaost  lar  1t  t>4^t. 


—  223  — 

Le  pêrààpejoMi  j^  remplacé  dans  ces  locutioiM  le  neil  *d<- 
-verbe  Jouxte ,  Juxta, 

JOUER ,  actif ,  suivi  d*an  nom  de  chose ,  éluder  : 

Jusqu'Ici  vous  avez  Joué  mes  accusations,  (G,  />.  m.  8.) 

Les  Ladns  aussi  ne  disaient  ludefe  en  ce  sens  qu*avec  un 
nom  de  la  personne  : 

«  Stt  me  Insislis;  ladite  nunè  alios.  » 
Cependant  on  trouve  aussi,  dans  Vèurmc ^ htdere  vestigla, 
manquer  sous  le  pied. 

—  JOUEE  AU  PLUS  SUR  : 

Pour  jouer  au  plus  sûr  ^ 
n  faut  me  Pamener  dans  un  lieu  plus  obscur.  (Ècdes  fem.  Y.  a.) 

—  JOUKR  (se)  ,  mis  absolument  comme  jouer  : 

Que  veut  dire  ceci  ?  Nous  nous  jouons ,  je  croi.    {MélictrH,  L  a.) 

JOUR ,  au  figuré,  notion ,  connaissance  : 

Et  sans  doute  il  faut  bien  qu*à  ce  becque  cornu , 

Du  trait  qu^elle  a  jonc  quelque  jour  soit  venu,     (Ec,  desf,  lY.  6.) 

—  Jour  k  ,  facilité  à  : 

Je  veux  TOUS  fiûre  un  peu  de  jour  à  la  pouvoir  entretenir  {SiciRen,  lo.) 

—  DONHER  uiT  JOUR,  donner  une  couleur ^  considérer 
sous  un  aspect: 

De  semblables  erreurs,  quelque  jour  qu'on  Uur  dosuieg,., 

{Ampk  m.  8j 

JUDAS,  adjectivement,  pourlroUr^ 

coviiLLK.  Que  cela  est  Judas!  ( 22.  gemt,  HL  lo.) 

JUDICIAIRE ,  jugement  ;  avoir  quelque  morceau 

DE  JUDICIAIRE  : 

Vous  étes-fmis  mis  dans  la  t<^te  que  Léonard  de  Pourceaugnac 

B'ak  pw  là-ëedans  quelque  morceau  dejiuliciaire  pour  se  conduire? 

{fûurc,  IL  7.) 

J'oiMeiTe  qii*oa  devrait  ècme  morseau  y  car  ce  mot  est  tm 
diminutif  de  mors,  un  mors  de  pain ,  formé  du  verbe  mordre^ 


—  224  — 

qui  faisait  au  participe  passé  mors^  d'où  moreelerifjfû.  aerah  mieQX 
écrit  moneiler),et  non  mordu;  comme  tordre j  iors^  et  non  tonim  : 

•  A.doiic  repartit  respooftée  : 

«  Je  ne  vous  ai  pas  mors  auasy  I  »  (HIabot.) 

JUGEMENT  A  gauche: 

Un  envers  du  bon  sens ,  un  jugement  a  gauche.        (L'£L  O.  x40 

JURER  ;  JURER  DE  QUELQUE  CHOSE  ;  latinisme,  ju- 
rare  de  aliqua  re  : 

Vous  avez  beau  faire  la  garde  :  j'en  ai  juré^  elle  sera  à  nous. 

{^iûen.  9.) 

JUSTIFIER  ;  justifier  quelque  chose  et  se  justi- 
fier A  QUELQU  ui«  SUR ,  pouF  auprès  de  quelqv^un: 

C*est  aux  vrais  dévots  que  je  veux  partout  me  justifier  sur  la  conduite 
de  ma  comédie.  (^^/*  ^  Tartufe.) 

Et  pour  justifier  à  tout  U  monde  l'innocence  de  mon  ouvra^ 

(ici-  Plaçai  au  roi,) 
. . .  C'est  consoler  un  philosophe  que  de  lui  justifier  ses  larmes» 

{Lettre  à  Lamothe-Lepayer)  (i). 

Totre  père  ne  prend  que  trop  le  soin  de  vous  justifier  à  tout  la  jmoade, 

{VA9,l.  I.) 
«  C'est  ainsi  que  notre  bergère  se  justifiait  à  Cirés,  » 

(La  Fohtautb.  Psjrchê,IL) 

LA  9  rapporté  à  un  mot  caché  dans  une  ellipse  : 

Fût-ce  mon  propre  frère,  il  me  la  payeroit.  {L'£t,  Hl.  4.) 

Za  ne  se  rapporte  grammaticalement  à  rien;  le  stibstantif 

sous-entendu  peut  être  €ielte.  L* usage  est  de  dire  aujotu:d*hijd , 

au  masculin  ou  au  neutre  :  «  Il  me  /^  payerait  ;  tu  me  /^  payeras. 

(Voyez  des  exemples  analogues  au  mot  i^chappea  belle  (l*).) 

—  LA ,  construit  avec  le  verbe  être ,  et  représentant  on 

substantif  : 

Je  veux  être  mère  parce  que  je  la  suis^  et  ce  seroit  en  vain  que  je  ne  ia 
voudrois  pas  être.  (  Jm.  mag.  I.  a.) 

La  tient  la  place  du  mot  mère.  Madame  de  Sévigné  préten- 
dait mal  à  propos  étendre  ce  privilège  de  l'article,  et  mettre  ia 

(0  £n  lai  «avoyanl  un  eonnet  »ar  U  mort  du  jeuiM  Lamothe-LeTaycr.* 


—  226  — 

en  remplacement  d'un  participe  :  Ètes-vous  enrhumée  ?  —  Je 
la  suis.  L'article,  dans  ce  dernier  cas,  représente  être  enrhumé, 
qui  n'a  point  de  genre  ;  par  conséquent  :  je  le  suis. 

LA  CONTRE ,  contre  cela  : 

On  ne  peut  pas  aller  là  contre,  {D,  Juan,  I.  s.) 

Eh  bien!  ooi;  tous  dit-on  qoelque  chose  là  contre?  {Fem,  snv.  II. 6.) 

Mon  frère ,  pouvez-Tous  tenir  là  contre?  (Mal:  cm.  IlL  ai.) 

LA  DONNER  seghe  a  quelqu'uh  : 

El, sortis  de  ce  lieu ,  me  la  donnant  plus  sèche  : 
Bfarquii,  allons  an  cours  (aire  voir  ma  calèche.  {Fâcheux,  I.  i.) 

(\''oyez  ÉCHAPPÉE  (l'}  belle.) 

LAIDIR ,  dei^enir  laid  : 

Je  crains  fort  de  vous  voir  comme  un  géant  grandir , 

Et  tout  votre  visage  affreusement  laiJir,  {VEt,  II.  5.) 

Nous  n'avons  plus  que  le  composé  enlaidir. 

J'observe  que  cette  terminaison  /r,  aux  verbes  neutres,  mai - 
quait  une  action  en  prc^rès,  comme  en  latin  escere  :  grandir; 
laidir,  emmaladir;  assagir,  rendre  sage;  affolir,  rendre  fou 
(égaler  esl  auti*e  chose;  c*  est  fouler,  blesser^  etc.).  En  termes 
de  marine,  calmir  c'est  être  en  train  de  se  calmer  :  la  mer  cal- 
mit,  commen&e  à  calmir, 

LAISSER  A  (le  verbe  à  rinfinitif  sans  préposition)  : 

Et  laisse  à  mon  devoir  s'acquitter  de  ses  soins.  {Amph,  I.  a.) 

—  HE  PAS  LAISSER  DE  (uu  infinitif)  : 

Ce  n*est  rien ,  ne  laissons  pas  d^actiever,  (Préc,  rid.  1 5.) 

Je  lui  dis  que  tous  n'y  êtes  pas,  madame ,  et  il  ne  veut  pas  laisser 

d'entrer,  {Crit,  de  f£c,  des  fem,  4.) 

n  y  a  l  TÎngt  gens  qui  sont  fort  assurés  de  n'entrer  point ,  et  qui  ne 

Imisseni  pas  de  se  presser.  {impromptu,  3.) 

Gela  choque  le  sens  commun. 

Mais  cela  ne  laisse  pas  tTétre,  {Amph,  II.  i.) 

Ne  laissons  pas  d^ attendre  le  vieillard.  {Scapin.  L  5.) 

Ils  ne  laisseroient  pas  de  l'apprendre ,  8*ib  vouloieiit  écouter  les  per- 
sonnes. (  Comtesse  d'Escarb,  x  i .) 

Parmi  nos  bons  écrivains ,  je  n'en  trouve  pas  qui  aient  em- 
ployé cette  autre  forme  de  la  même  locution,  ne  pas  laisser 
que  de. 

i5 


—  226  — 

«  Son  orgueil  (de  Nabuchodonoior)  ne  laissa  pas  de  refifre  dans  tei 
«  fuccesseurs.»  (  Bossubt.  HUt.  Ifmv,  Ï5P  pcrt  $  4.} 

«  Veau  ne  laissa  pas  d^agir^  et  de  mettre  en  évidence  les  figues  toutei  ' 
«  crues  encore  et  toutes  vermeilles.  *•  (Li.  Foirr.  P^iê  é^Esope,) 

«  Cela  u*importe ,  dit  le  père  ;  on  ne  laisêe  pût  JtMkg^  toujonri  les 
tf  confesseurs  à  les  croire  (les  pénitents).  >  (pAiofti.  to^  Fnmnc^ 

•  Je  ne  laissai  pas  de  eompitr  avee  pliisr  r«rgmt  q«e  fifols  duis  mes 
«<  podict  f  bien  que  ce  fût  le  salaire  de  mes  assassiwils.  « 

(LBSAOi.^iBlt/.n.6.) 

Dans  cette  fa;on  de  parier,  laisser  représente  omettre.  On 
dit  omettre  de,  et  non  pas  omettre  que  de.  Les  Italiens  disent  pa- 
reillement :  '<  Egli  non  lascia  di  dire  il  suo  parer^  »  et  non  pas 
non  lascia  che  di  dire. 

Si  cette  locution  nous  vient  d'eux,  il  est  clair  çue  nous 
l'avons  altérée  ;  s'ils  Font  au  contiaire  prise  de  nous ,  c'est  la 
preuve  que  dans  l'origine  le  que  n'y  figurait  pas. 

Thoinas  Corneille,  dans  ses  notes  sur  Vaugelas ,  bUme  Tin- 
troduction  du  que  parasite  dans  cette  façon  de  parler  )  un 
dictionnaire  moderne  ne  laisse  pas  de  l'autoriser ,  c'est  celai  de 
M.  Napoléon  Landais. 

LANGUE;  Avoifi  dé  la  uingue,  être  bâtard  : 

C'est  avoir  bien  de  la  langue  que  de  ne  pouvoir  se  taire  de  ses  propres 
affaires!  (Am^  DL  4.) 

—  LAUGUE  qai  FArr  tm  pas  de  glehg: 

Ce  mariage  est  vrai?-^  Ma  langue  en  cet  endroit 

A  fait  un  pas  de  clerc ,  dont  elle  s'aperçoit.         (Dépit  am,  I.  4.) 

Il  faut  observer  que  cette  métaphore  bouffonne  est  placée 
dans  la  bouche  de  Mascarilie. 

LA  PESTE  SOIT,  telle  ou  telle  chose.  (Voyez  tEsn.) 

LAS!  hélas: 

Où  voulez-vous  courir  P — Las!  que  sais-je  ?  (Tort,  V.  i.) 

Il  faut  observer  que  cet  adjectif,  depuis  longtemps  passé  à 
Tétat  d'interjection ,  n'était  pas  primitivement  immobile.  Une 
feiiHue  s'écriait ,  //e,  lasse  !  comme  en  latin  me  lassam  !  Dans 
hélas  y  l'interjection  est  ^e,  comme  dans  hàmi:  «  Hérni,  où 
«  arai-je  recours?  {R»  de  Coucy,)  »  Hei  miài,  —  /tel  lassum. 


—  227  — 
LATIN  pour  latiniste  : 

Yoiis  êtes  grand  latin  et  grand  docteur  juré.        {Dépit  am.  U.  7.\ 
On  dit  de  môme  familièrement  un  grand  grec,  pour  hellé- 
niste, 

LÉGER  ;  de  léger  ,  légèrement  : 

Mon  Dieu  !  Ton  ne  doit  rien  croire  trop  de  léger,      {Tart.  IV.  6.) 
Au  xu*  siècle  on  disait  de  legerie,  c'est-à-dire ,  avec  légèreté. 
Roland  dit  à  Chariemagne  que  ses  conseillers  Tout  conseillé  un 
peu  de  léger  sur  le  fait  des  ambassadeurs  de  Mai*sile  : 

«  Loerent  vous  alques  efe  legerie.  »    {Citansonde  Roland,  st.  14.) 
De  léger  comme  de  vrai.  Les  Italiens  di^nt  de  même  di 
leggiero, 

—  LEGER  d'ÉTDDE  ! 

Et ,  de  nos  courtisans  les  plus  légers  d'étude ,  • 

Elle  (la  fresque)  a  pour  quelque  temps  fixé  Tluquiétudc. 

(La  Gloire  du  F  al  de  Grâce.) 

LEQUEL: 

Molière  paraît  avoir  eu  pour  ce  mot  une  antipathie  si  pro- 
noncée, il  l'emploie  si  rarement,  que  j'ai  pensé  intéressant  de 
recueillir  les  passages  oit  il  se  trouve ,  et  ceux  où  il  est  visible- 
ment évité. 

Les  premiers  sont  au  nombre  de  huit  ;  les  autres  sont  à  peu 
près  innombrables  :  aussi  je  me  contenterai  des  principaux  de 
ces  derniers. 

Ma  bague  est  la  marque  choisie 
Siir  laquelle  au  premier  il  doit  livrer  Célic.  (L*Et.  U.  9.) 

Il  n'a  pas  aperçu  Jeannette ,  ma  fiUole , 
Laquelle  a  tout  ouï,  parole  pour  parole.  {Ibid,  IV.  7.) 

Car  goûtez  bien ,  de  grâce , 
Ce  raisonnement-ci ,  lequel  est  des  plus  forts.       (Dépit  am.  IV.  a.) 
Le  malheureux  tison  de  ta  flamme  secrète  » 
Le  drôle  avec  lequel.,,  —  Avec  lequel?  poursui.  {Sgan. 6.) 

J'ai  appris  cette  nouvelle  d*un  paysan  qu'ils  ont  interrogé  >  et  auquel  ils 
vous  ont  dépeint.  (D,  Juan.  IL  8.) 

En  vertu  d'un  contrat  duquel  je  suis  porteur.  {Tart.  V.  4.} 

i5,* 


-  228  — 

Est-ce  que 

Et  que  du  doux  accueil  duquel  je  m^aoquilUû 

Votre  cœur  prétend  i  ma  flamme 

EaTÎr  toute  rhonnéteté  ?  (Ampk,  II.  s.) 

Je  Tiens ,  mon  fils ,  avant  que  de  sortir,  vous  donner  avis  d*iine  chose  à 
U<pteUe  il  fout  que  vous  preniez  garde.  (JUaL  im,  II.  lo.) 

(Voyez  LEQUEL  évUé ,  et  OU.) 

NOTA.  On  lit  dans  V École  des  maris  : 

SoâJTAEBLLi  (sortant  de  raccablement  dans  Uquel  il  étoit  plongé.) 

{Ec,  des  Mar,  m.  lo.) 

Cette  indication  scénique  n'est  pas  de  Molière.  On  ne  la 
trouve  point  dans  les  éditions  de  1 69a  ni  de  1 7 10  ;  niab  elle  se 
montre  dans  l'édition  de  1774  >  chez  la  veuve  David.  P.  Didot 
(i8ai)  l'a  reproduite.  C'est  style  du  xviii*  siècle. 

—  LEQUEL  tûxU  : 

En  bonne  foi,  ce  point  sur  quoi  vous  me  pressez 

(D^it  «M.  n.  1.) 
Le  foudre  punisseur 
Sous  qui  doit  succomber  un  lâche  ravisseur.         (D,  Garde,  I.  a.) 

Il  eût  été  facile  de  mettre  y 

Sous  lequel  doit  tomber  un  lâche  ravisseur,  .- .  ;.*;.  j 

si  Molière  n'avait  pris  à  tâche  d'éviter  lequel. 

Outre  que  je  pourrois  désavouer  sans  blâme 

Ces  libres  vérités  sur  quoi  s'ouvre  mon  âme.  {IM,  II.  i.) 

Cet  hymen  redoutable 
Pour  qui  j'aurois  souffert  une  mort  véritable.  (ihid,  TV.  4.) 

Et  ce  sont  particulièrement  ces  dernières  (qualités)  pour  qui  je  suis. 

{Ep.  dédie,  de  VEe.  des  fm.) 

Cest  un  supplice ,  à  tous  coups  ^ 

Sous  qui  cet  amant  expire.  {Sid&en.  9.) 

Vous  avez  des  traits  à  qui  fort  peu  d*autres  ressemblent.       {Ikid.  ta.) 

De  ces  galanteries  ingénieuses  à  qui  le  vulgaire  ignorant  donne  l« 

nom  de  fourberies.  (Scapim.  L  a.) 

L'éducation  des  enfants  est  une  chose  à  quoi  il  faut  s'attacher  fortement. 

(/M.  U.  I.) 


-  399- 

C'est  la  puiisaiice  paterndle,  auprès  de  qm  tout  le  mérits  M  «eft  de 
rien.  (Scapitt,  III.  i.) 

Voyez  aux  mots  qui  ,  de  qui,  —  quoi,  —  où,  — d*auti*es 
exemples,  en  grand  nombre  ,  qui  ne  permettent  pas  de  douter 
que  Molière  n'évitât  de  propos  délibéré  l'emploi  de  lequel. 
Apparemment  il  réservait  ce  mot  pour  marquer  le  sens  du  latin 
utery  c'est-à-dire,  l'alternative. 

Au  surplus ,  la  même  remarque  s'applique ,  plus  ou  moins 
absolue,  à  tous  les  écrivains  du  xvii'  siècle  en  général.  C'est 
du  siècle  suivant  que  date  le  fréquent  usage  de  ces  formes , 
€iuquely  auquel  y  par  lequel^  dans  lequel ,  à  la  faveur  dur- 
quel  y  etc.,  etc.,  dont  le  grand  siècle  exprimait  ordinairement 
la  valeiu*  par  ce  simple  monosyllabe  oit. 

Les  écrivains  de  la  renaissance  avaient  fait  abus  de  lequel , 
mais  d'une  autre  façon ,  en  l'employant  à  relier  les  deux  par- 
ties d'une  phrase. 

LES  UNS  DES  AUTRES  : 

Nous  devons  parler  des  ouvrages  Us  uns  des  autres  avec  beaucoup  de 
CÎrconspectioD.  {Crit.  de  i'Ec,  desfem.  7.) 

Ici  l'on  voit  la  première  partie  de  l'expression  invariable  \ 
c'est  la  seconde  qui  subit  l'influence  de  la  construction  :  parler 
des  ouvrages  les  uns  des  autres. 

Bossuet  maintient  l'expression  entière  invariable,  comme  un 
seul  mot  qui  ne  se  modifierait  point  au  milieu  : 

«•  Auparavaut  Ton  meltoit  la  force  et  la  sArelé  de  Tempire  uniquement 
•  dans  les  troupes ,  que  Ton  disposoit  de  manière  qu*elles  se  prêtassent  la 
«  main  les  unes  les  autres,  »  (Bossukt.  Hist,  un,  III*  p.  $  6.) 

Et  non  :  les  unes  aux  autres. 
LESTE,  au  figuré;  brave  et  leste: 

Ta  forte  passion  est  d'être  èrave  et  leste,  {Ec,  desfem,  Y.  4.) 

Tous  souffrez  que  la  vôtre  aille  leste  et  pimpante  ! 

(Ec,  des  mar,  i.  x.) 

«ï  LETER  un  HABIT,  cest-à'dire,  de  quoi  foire  un 
^liabit: 

Cest  qat  Tétoffe  me  sembla  si  belle,  que  j*en  ai  voulu  leper  un  habit  pour 
li — Ooi,  mais  il  ne  fiidloit  pas  le  lever  avec  le  mien.     (B.  Cent,  II.  8.) 


-no- 

LDSCBTÉSaa  pluriel: 

^    Bfa  sœar,  je  tous  demande  un  généreux  pardon , 

ëi  de  mes  libertés  j*ai  tidié  Totre  nooi.  {Ec,  des  mar,  III.  lo.) 

UBEBTIN: 

Ce$t  être  Uhertin  <}ae  d*aToir  de  bom  yeux.  {Tort,  h  fi.) 

Je  le  soupçonne  encor  d*ètre  un  peu  Ubertm  : 

Je  ne  remarque  pas  qu'il  hante  les  églises,  iUùi.  II.  a.) 

laisses  aux  libertins  ces  sottes  conséquiices.  (/^.  y,  i,) 

Libertin ,  aujourd'hui  reBUéni  à  la  débauch*  àeê  fiemmei , 
signifiait  dans  l'origiiie  un  esprit  fort,  un  libre  penseur,  et 
l^'ewportait  pas  nécessairemeat  une  idée  désavantageuse. 

«  Ce  mot,  dit  Bouhours/.sigDifie  quelquefois  unepersoniiequt 
hai^  la  contrainte,  qui  suit  son  incUnatioii,  qui  vit  à  sa  mode, 
sans  s'écarter  néanmoins  des  règles  de  rhomietelé  et  de  la 
vertu.  Ainsi  Ton  dira  d'un  homme  de  bien  qui  ne  sanroit  se 
gêner,  et  qui  est  ennemi  de  tout  ce  qui  s'appelle  servitude  :  // 
est  libertin.  Il  n'y  a  pas  au  monde  un  homme  plus  libertin  que 
lui.  Une  honnête  femme  dira  même  d'elle,  jusqu'à  s'en  faire 
honneur  :  Je  suis  née  libertine.  Libertin  et  libertine  ^  en  ces  en- 
droits, ont  un  bon  sens  et  une  signification  délicate.  » 

(^Remarques  nouvelles  sur  la  langue  française  ^  p.  895,  éditiop 
de  1675.) 

LIBERTINAGE,  indépendance  d'esprit  pogaséa  jot- 
qu'à  la  témérité: 

Mon  frère,  ce  discours  sent  le  libertinage,  (Tort,  I.  6.) 

Cl  II  y  en  a  bien  qui  croient,  mais  par  superstition  ;  il  y  en  a  bien  qui  ne 

«  croient  pas,  mais  par  libertinage,  •  (Pascal.  Pensées,  p.  9^7.) 

Ainsi  le  libertinage  était  l'excès  opposé  k  la  superstîtîoii  |  ce 
que  le  néologisme  dévot  de  la  Harpe,  de  M7*  de  Genlis  et  au- 
tres tels  apôtres,  appelait^  au  xix'  siècle  p  lephilosoplUsme, 

(Voyez  LIBE&TIN.) 

LICENCIEE  (se)  a  (un  infinitif ),  (se  donner  Itoence 
jusqu'à.  • .  : 

Quoi  ta  bouche  se  liccfteie 
A  te  dopnejT  «naon  ua  non  qusje  défendi?         i^^»9^  n«94 


UEU  comme  endroU  : 

Tous  le  trouTerez  maintenaot  v«rs  ^^  p^ii  i^M  que  voiU ,  qui  s'amiMe 
à  couper  du  bois.  {Med,  m,  lui.  I.  5.) 

LOGIS  DU  ROI ,  c est-à-dire,  donné  par  k  roi,  la 
prison:^ 

J'ai  fwtf  H  k  hgiâ  du  roi  (ait  na  demeure^ 

De  m'y  trouver  si  bien  dès  le  premier  quart  d'heure, 

Que  j*aye  peine  aussi  d'en  sortir  par  après.  [VEt,  m.  5.) 

LONGUEUR ,  pour  durée  de  temps ,  lenteur ,  délais  : 

Tous  pourriez  éprouver,  sans  Beaucoup  de  longueur. 
Si  mon  bras  sait  encor  montrer  quelque  vigueur.  (Sgan,  i .) 

Et  la  grande  longueur  de  son  éloignement 
lit  le  fait  soupçomer  de  queiqne  changement.  (JM,  a.) 

AUeas  doae,  meisieun  et  meidames,  vont  moquez^vous  avee  votre  lan- 
gueur? {Impromptu,  i,) 

LOUP-GAROU,  employé  comme  une  sorte  d'adjectif 
inyariable  : 

Il  a  le  repart  brusque  et  taccueil  loup-garott,  {Rc  des  mar,  I.  6,) 

LUI ,  qae  nous  employons  au  datif  pour  le  masculin 
et  le  féminin, est  souvent,  dans  Molière,  remplacé  par 
à  lui ^  à  elle,  qui  permettent  de  distinguer  les  genres  : 

Tenez  avec  moi ,  je  vous  ferai  parler  à  elle,  (G.  />,  II.  6.) 

^-  LUI,  où  Molière  met  ordinairement  soi  : 

Mais  il  (l'amour)  traîne  après  lui  des  troubles  el&ojables, 

{Mélicerte.  U.  a.) 

Je  Toudrois  bien  vous. demander  qui  a  fcit  ces  arbret-lA,  ces  rochers , 
œttf  lerre  et  ce  ciel  que  voilà  là-haj«t  ;  et  si  tout  cela  s'est  hàli  de  lui- 
même,  {D,  Juan,  III.  I .) 

Je  pense  qu'il  faut  dans  ces  deux  passages  après  soi  et  ele  soi» 
mémCj  comme  on  lit  dans  les  passages  suivants  : 

Oui,  madame,  on  s*en  charge;  et  la  chose,  de  sot, . .  (Tart.  IT.  5.) 

Le  choix  du  fils  d*Oronte  est  glorieux ,  de  soi,    (Ec,  des/em,  Y.  7.) 

La  noblesse,  de  soi,  est  bonne.  (G.  Z>.  I.  x.) 

De  lui,  d'elle  feraient  ici  le  même  solécisme  qu'en  latin  per 

Uktm  Ml  Iktt  de  per  se»  (Vofei  toi.) 


—  285  — 

LUMIÉBE;  parler  ayeg  lumière;  c'est  la  même 
métaphore  que  parler  clairement  : 

Kt  j'en  yeux ,  dam  les  fers  où  je  suU  prisonnière , 
Hasarder  un  (am)  qui  poHe  avec  plut  de  Immèrê, 

(Ecdetmar.ILS.) 

—  DONNER  DE  LA  LUMIÈRE  DE;  manifester  : 

Un  cceur  de  son  pencliant  donne  assez  de  lumière^ 

Sans  qu'on  nous  fasse  aller  jusqu'à  rompre  en  visière.  {MU,  Y.  s.) 

—  OUVRIR  DES  LUMIÈRES  : 

Ouvre -Jào^iB  des  lumières,  {VAf,  IV.  i.) 

Lumières  n*est  pas  ici  dans  le  sens  du  Xtiùa  faces j  mais  dans 
celui  de  fenêtres ,  ou  toute  ouverture  par  où  la  lumière  s'in- 
troduit et  la  vue  peut  saisir  une  per^>ective.  Ouvrir  des  lu^ 
mières  signifie  donc ,  en  style  moderne,  ouvrir  des  jours, 

La  lumière  d'un  canon  est  une  ouverture  au  canon. 

La  vieille  langue  disait^  pai'  une  de  ces  apocopes  si  fréquentes 
chez  elle,  un  lu  y  pour  une  lumière  ^  c'est-à-dire,  une  fenêtre. 
Le  paysan  picard  dit  encore  ;  freme  ch*  luj  ferme  cette  lu- 
mière. De  lu  s'est  formé  lucarne ,  qui  est  un  lu  carré. 

(Voyez  au  mot  caewe.) 

Chez  les  Latins ,  lumina ,  en  termes  d'architecture ,  signifie 
également  des  fenêtres  ,  des  jours. 

—  PETITES  LUMIÈRES ,  au  figuré,  Capacité  étroite  : 

El  comme  ses  lumières  sont  fort  petites . . . .  (Pourc,  Ul.  i.) 

LUMINAIRE  (le)  les  yeux  : 

Oui  !  je  devois  au  dos  avoir  mon  luminaire!  (L'Et,  I.  8.) 

L'UN,  en  parlant  de  plus  de  deux  : 

Je  m'offre  à  tous  mener  tun  de  ces  Jours  i  la  comédie.    (Préc,  rid.  lo.) 
Ce  n>st  ici  qu'un  bal  à  la  hâte;  mais  l'un  de  ces  Jours  nous  tous  en  don- 
nerons un  dans  les  formes.  (iSid,) 
Mais  par  ce  cavalier,  l'un  de  ses  plus  fidèles^ 
Vous  en  pourrez  sans  doute  apprendre  des  nouTelles. 

(Don  Garcia,  V.  5.) 

C'est  mal  à  propos  que  les  grammairiens  ont  voulu  défendre 


—  233  — 

d'employer  Vun  en  parlant  de  pins  de  deux.  Cet  usage  du  mot 
Vun  date  de  l'origine  de  la  langue  : 

«  E  parlid  son  pople  en  treis,  e  livrad  l'une  partie  i  Joab,  e  Taltre  à 

«  Abisaï,  e  la  tierce  i  Ethaï.  »  (Rois,  p.  i85.) 

«  Sa  femme  commença  à  devenir  tune  des  plus  belles  femmes  qui  feust 

«  en  France.  »  ^  (Marguerite, /re/>tejii.nouv.  1 5.) 

«  Yoilà  tun  des  péchés  où  mon  àmc  est  endine.  »  (Riovibr.  Sat.  la.) 

«  Vun  des  plaisirs  où  plus  il  dépensa 

«  Fut  la  louange  :  Apollon  Tencensa.  »     (Là  Poirr.  Belphégor.) 

«  J*ai  TU  les  lettres  que  vous  débitez  contre  celles  que  j*ai  écrites  à  un 

«  de  mes  amis  sur  le  sujet  de  votre  morale,  où  tun  des  principaux  points 

«  de  votre  défense  est  que »  (Pascal,  ii*  Ptov,) 

—  L*U5£  par  ellipse,  pour  Vune  de  vous^  Vune  où 
l'autre  : 

Non,  je  veux  qu'il  se  donne  à  tune  pour  époux.  {MêUcerte,  I.  5.) 

—  L*tm  NI  l'autre,  pour  m  Vun  ni  l'autre  : 

Yous  n'aurez  Pun  ni  f  autre  aucun  lieu  de  vous  plaindre. 

(Mciicerte.  U.  6.) 
«  Mais ,  aussitôt  que  Touvrage  eut  paru*, 
«  Plus  n*ont  voulu  Tavoir  fait  tun  ni  t autre,  » 
^  (Raccnr.  Epigr,  sur  tlphi^nie  de  Lecierc.) 

MACHER  CE  QUE  l'on  a  sur  le  cœur  : 

m"**  perztrlcje. 
'Ex  je  ne  mâche  point  ce  tfuefai  sur  le  cœur,  {Tart,  h  i.) 

Cette  métaphore  est  empruntée  des  animaux  ruminants  :  je 
ne  rumine  point  les  griefs  dont  j*ai  à  me  plaindre. 

HA  COMMÈRE  DOLENTE ,  expression  proverbiale  : 

Et  maintenant  je  suis  ma  commère  dolente,  (Sgan,  a.) 

MAIN;  LA  MAIN  HAUTE.  (Voyez  HAUT  la  main.) 

—  A  TOUTES  MAINS ,  toujours  prêt  à  tous  les  partis  : 

Ceit  un  épouseur  a  toutes  mains.  (^-  «/«aii.  I«  i,) 

(Voyez  DONNBa  les  mains.) 

MAINTENIR  quelqu  utt,  absolument,  le  maintenir  en 
joie  et  prospérité  : 

Le  bon  Dieu  vous  maintienne!  (P^P*  <^*  01.  4«} 


—  2M  — 
MAL,  adverbe  jouit  à  un  adjectil.^VoywiuL  i 
MAL  DE  MORT,  vouloir  mal  de  mobt  a  QUELQU'im  ^ 

/#  0M  «eus  ho/ </«  Morr  d*étfe  de «otre «Mil        (Fem,§m,tLT.^ 

—  MAL  d'opui ION ,  qui  git  dans  ropioion  : 

Un  mal  tt opinion  ne  touche  que  les  iots.  (Amplu  L  4«} 

MAL£P£STED£....  : 

MaUpeste  du  sot  que  je  suis  •uiourd*bw  I  {VEt,  U.  5.) 

(Que  la)  maie  peste  («oi^  du  sot... 
(Voyez  PBtTB.) 

MALFAIT,  substantif;  xm  malfait: 

Peux-tu  me  couseiller  wi  semblable  ibriail, 

D'abandonner  Lélieet  prendre  ce  malfait?  (JSpm,%) 

JffALGBÉ  QUE  J*EN  AIE  OU  QU'OH  £11  AIT  : 

—  Me  voulez-vous  toujours  appeler  de  ce  nom? 

—  Akl  mùigré  fuê  ftn  «&e^  il  me  vient  &  la  boMclM. 

(Ar.i4y>M.Li.) 

Madame  tourne  les  choses  d*une  manière  si  agréable,  qu*il  faut  être  de  son 
sentiment  malgré  tju'on  en  ait,  (Crit.  de  f  Jfc.  des  ftm,  3.) 

Cet  exemple  n'autorise  point  l'emploi  de  malgré  que.  Mal- 
gré que  vous  disiez,,,  pour  quoi  que  vous  disiez  ,  sera  toujours 
un  solécisme.  Yoici  la  difîérence  :  dans  malgré  qu'on  em  ait  y 
mal  gré  ou  mauvais  gré  est  le  complément  naturel  et  direct 
d'avoir.  C'est  une  espèce  d'accusatif  absolu  :  mauTais  gré ,  tel 
ipauvais  gré  que  vous  en  ayez. 

Mais  cette  explication  n*est  plus  possible  dans  malgré  que 
vous  disiez^  fassiez,.. j  parce  que  gré  ne  saurait  être  id  It  corn- 
ploinent  des  verbesya^ir^,  dire  :  on  ne  dit  pas,  on  ne  Caîtpas  un 
gré.  Au  contraire,  quoi  [quid)  s'allie  très-bien  aux.  veAcz/aire 
et  dire ,"  quoi  que  vousjassiez,  mot  à  mot  quidquodagas, 

La  bute  est  renue  de  ce  qu'on  a  fait  de  malgré  une  sorte 
d'adverbe,  en  perdant  de  vue  ses  racines.  Cela  ne  fôt  pas  ar- 
rivé si  l'on  avait  retenu  l'usage  d'écrire  en  deux  mots  mtUgré, 
Personne  ne  s'est  jamais  avisé  de  dire  :  En  dépit  qtte  'votu 
fassiez  ;  parce  que  dépit  est  resté  visiblement  substantif* 


—  386  — 

Et  bien  à  la  malkeure  est-il  Tenu  d'Eipagne, 

Ce  courrier  que  la  foudre  ou  la  grêle  accompagne  !    [VEt.  II.  z3.) 

A  U  in^le  ou  mauvaise  heure  ;  in  malora;  andate  in  malora, 

«  Ya-t-en  à  la  malheure^  excrément  de  la  terre!  » 

(La  Fohtuhe.  Le  Lion  et  le  Moucheron.) 

MÂLITORNE: 

Hom  avoiu  le  fik  du  gentilbomne  de  notre  vUlage,  qui  eit  le  plus  grand 
mâUtorme  et  la  plus  sot  dadais  que  j'aie  jamais  t^.  {B,  geni.  UU  i**) 

Maiitomeyient  sans  doute  de  maie  tornatus  : 

«  Etaab  tomates  ineudi  reddere  versus.»      (HoB.<i0  JrU  poeL) 

MAL  PROPRE  A. . .  : 

Monsieur,  je  sub  mal  propre  à  décider  la  chose.  {Mis,  i.  a.) 

Les  comédiens,  par  la  crainte  d'une  équivoque  ignoble, 
substituent  je  suis  peu  propre.  Le  sens  n*est  pas  le  même.  On 
employait  autrefois  mal  et  peu  à  cet  office  avec  des  nuances 
difierentes.  Mal  gracieux ,  mal  habile ,  étaient  des  expressions 
moins  ibrtes  qu«  peu  gracieux ,  peu  itabile.  U  est  regrettable  que 
Ton  ail  laissé  perdre  cet  emploi  de  mal,  La  prononciation  a 
soudé  inséparablement  Tadverbe  à  Tadjectif  dans  maussade 
[malsade)j  c'est-à-dire  qui  est  mal  sérieux,  d'un  sérieux  dé- 
sagréable, déplaisant,  et  non  peu  sérieux  (i). 

Je  jqiie  sens  malpropre  à  bien  exécuter  ce  que  vous  souhaitez  de  moi. 

(^Am,  magu,  I,  a.) 

« Le  galant  aussitôt 

m  Tue  SCS  frênes»  gscne  au  liant, 

«  Mal  content  de  son  stratagème.»  (La  Foht.  Le  Renard  et  le  Coq.) 

(i)  Sad9  BUirqaait  nn  «érieax  doax  ,  ane  conlenance  réserTM  avec  fràec.  Plusieori 
^rÎTaioa  du  XV*  ttMs  aat  firia  iëd9  «t  son  dkbtMitiC  smUmm  fomt  gfmtU,  mgnMâ.  Les 
Anglait»  enlrainant  l'exagération  du  mot  dana  le  sens  opposé,  ont  gardé  ^«e^  poursignt« 
Uf  friUê.  k*  «ta»  priAilif  éUit  imariMdjaice.  a  SsuUê,  dU  Sêlêfnf  («a  i5^o)»  dis- 
tu  crela  ;  sméJt ,  foll  of  gravity.  u  (Fa/.  94  verso,) 

Sait  parait  Taoir  de  sedutu* ,  «las  axprim*  parfaltanMt  la  mm*  lorrf  dérita  mmê- 
smde  de  «m/«  imtus  /  c'est  une  étymologie  à  la  façon  de  Méoaga ,  qui  sa  contente  de 
qodqott  leltrct  comiauuea  on  anotogaes  pour  conclure  la  filiation.  SI  mmuttidt  tient 
daaialv  tmtm ,  tmk  font  seul  tignifiert  donc  tûtut  ?  Borel  n'y  a  pat  réflccfai. 


—  286  — 

MALYERSATTONS ,  dans  le  sens  élenda  de  désordres 
de  conduite  : 

OK0t«E  DàiTDiir  (à  sa  femme,) 
Tout  avez  ébloai  tos  .pareots  et  plàiré  tm  malversations.  (G,  D.  TÎL  8.) 

L'Académie  n'attribue  à  ce  mot  qu'une  apptication  restreinte  : 
—  «  Faute  grave  commise  par  cupidité  dant  l'exercice  d'une 
charge ,  d'un  emploi ,  dans  l'exécution  d*un  mandat.  » 

L'explication  de  Trévoux  s'accorde  avec  celle  de  l'Acadénne  ; 
ainsi  Molière  s'est  servi  d'un  mot  impropre ,  ou  plutôt  n'y  ma- 
rait-il  pas  une  intention  comique  dans  cette  impropriété  même  ? 
Le  paysan  enrichi  se  sert  du  terme  le  plus  considérable  qu'il 
connaisse  pour  accuser  sa  femme,  et  c'est  un  terme  de  finances. 

MANIÈBE  ;  d  une  bianiere  que  ,  avec  Tellipse  de 

TELLE  : 

Tous  tournez  les  choiei  ttune  manière  qu^ii  êemhle  que  toui  avez  raison. 

(Dom  Jumn.  I.  a.) 

—  DES  MAlflEBES  (dCS  espëces)  DE.  . .  : 

Vous  n'allez  entendre  chanter  que  de  la  prose  cadcneée,  on  sies  WÊâmè" 
res  de  Tters  Ubres.  (  Mal,  im,  IL  6.) 

MANQUEMENT  de  foi,  de  mémoire,  pour  manqtie: 

Et  qu'on  s'aille  former  un  monstre  plein  d'effroi 
De  l'affront  que  nous  fait  son  manquement  de  foi? 

(Ec.  des  fem.  IV.  8.) 
Et  n'ai-je  à  craindre  que  te  manquement  de  mémoire?   {Impromptu,  i.) 

MARCHÉ;  courir  sur  le  marché  des  autres: 

MATBuaiHE.  —  Ça  n'est  pas  biau  de  courir  su  le  marché  des  autres! 

(D,  Juan.  U.  5.) 

De  mettre  l'enchère  à  ce  qu'ils  marchandent. 

MARCHER  sur  quelque  chose,  métaphoriquement, 
traiter  un  sujet  avec  circonspection  : 

Mon  Dien,  madame,  mordions  là-dessus  y  s*il  vous  plaît,  avec  beaucoup 
de  retenue.  {p****  d'Esc,  i.) 


—  237  — 

MARQUIS  ;  le  marquis  dans  un  sens  général,  et  pour 
désigner  toute  une  classe  ;  DOififER  dans  le  habquis  : 

Vous  donnez  furieusement  dans  le  marquis  !  {VAv.  I.  5.) 

Vous  VOUS  jetez  dans  les  allures  des  marquis. 
Molière  a  dit  de  même  : 

Jamais  on  ne  le  voit  sortir  du  grand  seigneur.  {Mis,  II.  5.) 

MASQUE,  adjectivement,  dans  le  sens  d'AypocnVe , 
dissimulée  : 

La  masque f  encore  après,  lui  fait  civilité  !  {Sgan.  i4,) 

Ahy  ahy  petite  masque^  vous  ne  me  dites  pas  que  vous  avez  vu  un  homme 

djuis  la  chambre  de  votre  sœur  !  {Mal,  un,  U.  x  i.) 

-^  MASQUE  DE  FAVEUR;  favcur  simuléc  qui  n*a  que 
l'apparence  : 

D*un  masque  de  faveur  vous  couvrir  mes  dédains  !  (X>.  Gare.  II.  6.) 

MATIERE;  des  matières  de  larmes  : 

Ah!  Myrtil ,  vous  avez  du  ciel  reçu  des  charmes 

Qui  nous  ont  préparé  des  matières  de  larmes,     (Mélicerte,  II.  6.) 

—  D*ILLUSTRES  MATIERES  A.  .  .  .  : 

Je  suis  médecin  passager,  qui  vais  de  ville  en  ville. . . .  pour  chercher 
6*iUttsires  matières  à  ma  capacité,  (Mal,  im,  lU,  i4*) 

MATBIMONION,  mot  latin,  mariage  : 

Quelque  antre ,  sous  Tespoir  du  matrimonion , 

Aurail  ouvert  Toreille  à  la  tentation.  (Dépit am,  U,  4.) 

Dans  Torigine ,  ces  notations  om,  lun,  soit  en  latin ,  soit  en 
français,  soit  au  commencement  ou  à  la  fin  des  mots ,  se  pro< 
nonçaient  o/i,  et  non  pas,  comme  on  fait  aujourd'hui,  orne, 
Bum  se  prononçait  eon,  comme  on  le  voit  par  l'histoire  de  ce 
fanatique  du  moyen  âge  qui,  entendant  chanter  à  la  messe  per 
emm  qui  venturus  cst^  s'alla  persuader  qu'il  s'agissait  de  lui , 
parce  qu'il  s'appelait  Eon  (i).  On  disait,  au  xvii"  siècle ,  de 
Vopion  : 

(i)  u  fe  donna  poor  le  fiU  d«  Dieu  ,  et  ga{rna  des  partisans,  à  l'aide  deaqoels  il  eo- 
Tihiaseit  lee  monast^ret  et  en  chassait  Ice  moines.  Pour  arrêter  cette  espèce  d'hérésie 
ridienle ,  il  ne  fallut  rien  de  moins  qu'on  concile  tenu  à  Reims ,  et  présidé  par  I» 
pape  en  personne.  Gela  se  passait  en  ii48.  (C/.  fjirgnuri.^ 


—  238  — 

«  Ut-oa  du  mal ,  c'est  jubilation;' 

«  Lit-on  du  bien ,  des  mains  tombe  le  livre  , 

«  Qui  TOUS  endort  comme  bel  opion,  »  (Sbsbcb.) 

Voltaire  a  dit  encore ,  au  xviii'  : 
«  L*opium  peut  servir  un  sage  : 
«  Mais ,  suivant  mon  opinion , 
«<  Il  lui  faut ,  au  lieu  Jt opion , 
«  Un  pistolet  et  du  courage.  » 

Galhanon ,  alihoron  ,  rogaton ,  dicton ,  toton ,  sont  les  mots 
latins  aliorum  (barbarement  aliborum) ,  galbanum ,  rogatum , 
dictum^  tutuni  (parce  que  si  le  toton  s*abat  de  manière  à  pré- 
senter la  face  où  est  inscrite  la  lettre  t  ,-  le  joueur  prend  la 
totalité  des  enjeux.) 

On  dit  indifféremment /bcA)/am  etfactoton,  mm  factotum 
est  la  prononciation  modeine  : 

« Je  pense  qu'en  effet , 

«  Reprit  Nutu,  cela  peut  èlre  cause 

«  Que  le  patcr  avec  \efactoton 

*•  N'auront  de  toi  ni  crainte  ni  soupçon.  ••        (Là  Fovt.  Mazet.) 

MAUX  ;  DIRE  TOUS  les  maux  du  monde  : 

Qu'ib  disent  tous  les  maux  du  monde  de  mes  pièces,  j'en  suis  d*accord. 

(Impromptu,  3.} 

ME ,  avec  un  verbe  neutre ,  comme  tomber: 

A  qui  la  bourse?  —  Ah  dieux  ,  cllemetoil  tombée  !     (VEt.  I.  7.) 
Me  est  ici  au  datif  :  à  moi.  C'est  le  datif  que  les  latins  em- 
ployaient pour  exprimer  soit  le  profit ,  soit  la  perte  :  Exdderat 
mihi  marsupium, 
(Voyez  DATIF.) 

MÉCHANT,  mauvais;  en  parlant  du  goût,  d'un  art  : 

Mais  peut-être ,  madame ,  cpie  leur  danse  sera  mèciiante  ?  —  MéclwnU 
ou  non,  il  la  faut  voir.  {Am,  magn,  I.  6.) 

Je  n'ai  pas  si  méchant  goût  que  vous  avez  pensé.      {^Ibid,  II.  i.) 

11  ne  faut  point  perdre  de  vue  le  sens  primitif  de  meschant, 
qui  n'est  point  celui  de  maiits,  neguam,  auquel  seul  il  est  au- 
jourd'hui réduit,  mais  celui  de  infortune,  qui  a  contre  soi  la 
chance.  Ce  radical  mes  agit  de  même  dans  mes-prix  y  mes» 


—  339  — 

tUrtf  mes'-qffrir^  mes^apemture  j  meê^estùne  ^  etc«  (en  angUb 
mit  2  misiûAûf  misforinnef  etc.). 

Meschant  est  le  participe  de  meschoiry  pour  meschéant» 
A)«ii  Chartier  oppose  méchant  à  heureux  : 

«  Adooc  y  senu-ta  phi$  mesehant  de  œ  que  ta  caideins  y  estre  pfits 
«  heureux.  »  (kunn  Chaiitisr.  Ck(rmt  p,  3^4^ 

Greban  dit  qu*à  la  mort  de  Charles  YII  les  bergers  désolés 
se  rassemblaient  : 

«  Car  par  troupeaox  â*assemb1èreiit  ez  chanips, 

«  Criants  :  Ha  Dieu,  que  ferons-nous,  meschants?  > 

(Effitaphe  ik  CharUi  m.) 

Charles  Bouille,  de  Saînt-Otientin  (i533)  r  «  Meschant:  qua 
«  iroce  âbtitentes  Gallî,  virum  interdum  inopera ,  interdnm 
«  iniquum ,  dolosum  et  infeliccm  effantur'.  »  {De  viHis  vntga^ 
rium  Ling.^  p.  i5.)  Mais  il  n'est  pas  si  exact  quand  il  dérive 
méchant  du  grec  fiTJxavii ,  parce  que  les  artisans  voues  aux  arts 
mécaniques  sont  d'ordinaire  pauvres ,  et  de  pauvres  devien- 
nent méchants.  C'est  de  Fétymologie  à  la  façon  de  Ménage. 

Meschance  a  été  la  forme  primitive  de  méchanceté. 

«  Tu  es  le  Tray  Dieu,  qui  meschance 

«  PTaymes  point ,  ni  malignité.  »  (Marot^  Psaume  5.) 

Ainsi  un  méchant  goût,  une  méchante  danse ,  c'est  un  goût  j 
une  danse  qui  ne  réussissent  point,  qui  ont  la  chance  contraire. 

>  Voilà  y  dit  Xanthus,  U  pÂtiaserie  ia  plus  méeiumië  que  j^aie  jamais 
«mangée.  Il  faut  brûler  l'ouvrière,  car  elle  ne  fera  de  sa  vie  rien  qui  vaille.» 

(La  FoHTAixrE.  Fie  d'Ésope.) 

MÉDIBE  SUR  QUEiiQu'uiï  ; 

Ceux  de  qui  la  conduite  offre  le  plus  à  rire 

Sont  toujours  sur  autrui  leê  premiers  à  médire.  {Tort.  I.  i.) 

«  On  ihédit  de  quelqu'un ,  et  non  sur  quelqu'un.  Cest  une  lé- 
gère faute ,  que  Molière  eût  évitée  en  mettant  : 

«  Des  autres  sont  lonJtfDn  les  premiers  à  médire.  •     (M.  AitoKn.) 

Le  vers  de  Molière  est  le  plus  naturel  du  monde  :  celui  qu*oii 
propose  pour  le  remplacer  offi-e  une  inversion  tout  à  fait  forcée, 
et  qui  trahirait  la  gène  du  poëte.  Pouitiuoi  ne  dirût-on  pas 


—  240  — 

médire  sur  comme  médire  de ,  puisque  y  dans  cette  dernière 
forme,  de  est  le  latin  de ,  qui  signifie  sur?  On  dit  Inen  malé- 
diction  sur  lui! 

Molière ,  en  construisant  le  verbe  conune  substantif ,  B*a 
point  ici  commis  de  faute^  même  légère  ;  et  c'en  est  toujours 
une  d*étre  guindé ,  soit  en  vers,  soit  en  prose. 

MÊLER  pour  $e  mêler  : 

Faut-il  le  demander,  et  me  voil-on  mêler  de  rieo  dont  je  ne  Tienne  à 
bout  ?  {L'Ap.  n.  6.) 

Molière,  par  égard  pour  l'euphonie,  a  fait  servir  un  seul  me 
pour  les  deux  verbes  voir  et  mêler, 

(Sur  la  suppression  du  pronom  des  verbes  réfléchis,  vojes 

au  mot  AEEÉTER.) 

MÊME,  pour  le  même  : 

Si  sa  bouche  dit  vrai,  nous  avons  même  tore,  {jimpK  IL  s.) 

Tout  autre  n*eùt  pas  fait  n^me  cliose  k  ma  place  ?  {Dép.  mm,  Vf,  a.) 

—  MÊME ,  précédant  son  substantif  comme  en  es- 
pagnol: 

Avoir  ainsi  traité 
Et  la  même  innocence  et  la  même  bonté!  {Sgeui,  x6.) 

Seigneur,  de  vos  soupçons  Tinjuste  violence 

A  h  même  vertu  vient  de  faire  une  offense.        (/>.  Garde,  IV.  lo.) 
«  Sais-tu  que  ce  vieillard  fut  la  même  vertu.  . .  ?  »  (Coan.  Le  Ckf,) 

L'italien  a  la  même  construction  :  l'istessa  innocenza  e  l'iS" 
tessa  bonta, 

—  LE  MÊME  DE,  le  même  que  : 

Je  ne  suis  plus  le  même  d'hier  au  soir,  (p,Juan,\,  z.) 

Je  ne  suis  plus  le  don  Juan  d'hier  au  soir  : 

«  Le  curé  donc  qui  s*estoit  logé  dans  la  mesme  hostellerie  de  nos  corné- 
«  diens. . ,»  (Scarroit.  Rom.  eom,  i'*  p.  ch.  14.) 

De  pour  que ,  dans  cette  locution,  est  un  hispanisme. 

(De  mâmb  pour  pareil,  voyez  de  même,) 


-.  241  — 
MÉNAGE  ;  vrvB£  de  ménage  : 

Qui  me  Tend  pièce  à  pièce  tout  ce  qui  est  dans  le  logis!  —  Cest  vivre 
de  ménage,  {Méd.  m,  lui,  I.  i .  ) 

La  plaisanterie  repose  sur  la  double  acception  du  mol  de  : 
vivre  avec  ménage,  épargne;  et  vivre  aux  dépens ,  au  moyen 
de  son  ménage  ,  de  son  mobilier. 

MENER»  pour  amener: 

Je  sais  ce  qui  vous  mène.  {Ec,  desfem.  V.  7.) 

MENTIR  DE  QUELQUE  CHOSE  : 

Mais  y  à  n'en  point  mentir,  il  seroit  des  moments 

Où  je  pourrois  eotrer  en  d*autres  sentiments.         (D,  Garde.  1.5,) 

Et  y  pour  n^en  point  mentir^  n'étes-vous  pas  méchante 

De  vous  plaire  à  me  dire  une  chose  affligeante?  (TVir/.  II.  4.) 

Selon  M.  Auger,  on  ne  dit  point  mentir  d'une  chose.  Pour- 
quoi pas?  on  dit  bien  se  taire  de  quelque  chose, 
(Voyez  DE  dans  tous  les  sens  du  latin  de,) 

MÉPRIS  avec  un  nom  de  nombre ,  comme  d'une  chose 
qui  se  compte  : 

J'ai  souffert  sous  leur  joug  cent  mépris  différents.    {Fem,  sav,  I.  a.) 

Sur  le  radical  mes  y  voyez  à  MiécHAifT. 

MERCI  DE  MA  VIE  : 

Hé!  merci  de  ma  vie,  il  en  iroit  bien  mieux 

Si  tout  se  gouvernoit  par  ses  ordres  pieux.  (Tart,  1. 1.) 

Trévoux  dit  que  c'est  une  espèce  de  jurement  employé  par 
les  femmes  du  peuple. 

Merci  signifie  grâce  ^  miséricorde.  Merci  de  ma  vie  est  Top- 
posé  de  mort  de  ma  vie.  C'est  l'imprécation  beureuse  substituée 
à  l'imprécation  funeste ,  comme  Dieu  me  saupel  au  lieu  de 
Dieu  me  damne! 

L'espagnol  et  l'italien  ont  la  même  formule. 

ME  SEMBLE ,  ce  me  semble  : 

Noos  ne  nous  sommes  vus  depuis  quatre  ans  ensemble, 
Ni,  qui  plus  est,  écrit  Tun  à  Vautre,  me  semble,  (Ec,  desfem,  1. 6.) 

16 


MESSIEURS  Tos  PABSHTSf  appliqué  aux  père  et  mère: 

Je  voue  resptcte  trop,  tous  et  masUun  vos  patents,  pour  étr«  amoureux 
de  TOUS.  (G.  D,  L  d.) 

La  bizarrerie  de  cette  expression  disparaît,  si  Ton  réfléchit 
que  messieurs  signifie  exactement  mes  seigneun.  Vos  parent» , 
votre  père  et  votre  mère ,  qui  sont  mes  seigneurs. 

MÉTAPHORES  vicieuses,  itiœhirentes,  hasardées: 
Les  exemples  n*en  sont  pas  rares  dans  Molière,  à  cause  de 
la  rapidité  avec  laquelle  il  était  souvent  obligé  d'écrire. 

—  BOUCHE  : 

Dans  ma  touche ^  une  nuit,  cet  amant  trop  aimable 

Crut  rencontrer  Lucile  à  ses  vœux  favorable.        (Z^^*  am.U.  i.) 

Ascagne  veut  dire  qu'à  la  faveur  de  la  nuit,  elle  se  fit  passer, 
auprès  de  Valère ,  pour  Lucile.  Tout  le  res|>ect  dû  à  Molière 
ne  saurait  empêcher  qu'on  ne  rie  de  cet  amant  qui  croit  ren- 
contrer Lucile,  la  nuit,  dans  la  bouche  d' Ascagne.  Molière  sans 
doute  serait  le  premier  à  s'en  moquer. 

-^  RESSOKTft  : 

Fais-moi  dans  tes  desseins  entrer  pour  quelque  chose  : 
Mais  que  de  leurs  ressorts  la  porte  me  soit  close  ^ 
C'est  ce  qui  fait  toujours  que  je  suis  pris  sans  verd.    (VEt,  IIL  5.) 
On  concevrait  les  ressorts  de  la  porte ,  mais  la  porte  des  res- 
sorts est  une  image  absolument  impossible  :  les  ressorts  n'ont 
point  de  porte. 

Ne  vous  y  fiez  pas  !  il  aura  des  ressorts 

Pour  donner  ooaire  tout  raison  k  ses  efforts.  {Tort,  V,  3.) 

On  ne  donne  pas  raison  avec  des  ressorts.  Molière  veut  dire  : 
il  aura  des  artifices ,  des  ressources. 

—  poids: 

Le  poids  de  sa  grimace ,  où  brille  l'artifice  i 
Renverse  le  bon  droit  et  tourne  la  justice.  (ifû.  Y.  x.) 

Et  sur  moins  que  cela  U  poids  d'une  cabale 
Embarrasse  les  gens  dans  an  fâcheux  dédale.  (Tart,  T.  3.) 

Le  poids  d'une  cabale  paiait  une  flgui'e  plus  acceptable  que 
le  poids  d'une  grimace.  (Voyez  foids.) 


—  243  -. 

—  IfOBUDS  : 

Je  voudrais  de  bon  cœor'qii'oB  fél  eiilr«  vons  deux 

Be  quelque  ombre  de  paix  raoeoannoder  les  nœuds,    (Tort,  Y.  3.) 

Une  ombre  n*a  point  de  nœuds  -,  ainsi  on  ne  raccommode 
pas  les  nœuds  d'une  ombre. 

L'hymen  ne  peut  nous  joindre,  et  j'abhorre  des  nœuds 
Qui  deviendroient  sans  doote  un  enfer  pour  tous  deux. 

(/).  Gareie.  I.  f .) 

Comment  des  nœuds  peuvent-fls  devenir  im  enfer? 

—  AUDIENCE  ; 

Et  Je  Tols  sa  raison 
D'une  audience  avide  avaler  ce  poison.  (fi.  Garde,  tto  t«) 

On  ne  peut  se  figurer  quelqu'un  avalant  par  Toreille.  Les 
Latins  ,  plus  hardis  que  nous  dans  leurs  métaphores,  disaient 
bien  :  densum  humeris  bibit  aure  vulgus  (Horace.)  Cette  image 
en  français  paraîtrait  ridicule,  pour  être  trop  violente.  Il  faut 
tenir  compte  de  Tusage. 

— •  page: 

Et  je  me  tif  eoBtninte  à  demeorer  d'acoord 

Que  Xair  dont  vous  viviez  vous  faiâoit  ua  pea  lorl| 

Q«*il  prcDoit  dan  te  maadm  ona  méchanteySM».  (Mis.  W*  5.) 

Lt  Uice  d'un  air? 

~PBJBTER  LIS  MAIHS: 

▲  f ons  prêttt  kê  nuùm  ma  tendrwsêe  contiBl.  (JVi#«  ly •  h) 

On  ne  conçoit  pas  bien  ce  que  c'«st  que  les  mains  d'une  Mft- 
dresse  y  ni  une  tendresse  qui  prête  les  mains.  Mais  ici  l'excuse 
de  Molière  peut  èt!^  que  prêter  les  mains  est  une  location  reçue 
pour  dire  seconder^  et  qu'ainsi  le  sens  particulier  de  chaque 
mot  se  perd  dans  le  sens  général  de  l'expression. 

La  même  observation  se  reproduit  sur  ce  vers  : 

Poarm  que  tmra  êmur  teuilla  donner  les  maint 

Au  dessein  que  j*ai  (ait  d«  fuir  tous  les  humains.  (Jdis.  V.  7.) 

Le§  mains  d'an  cœur  sont  encore  plus  choquante*  que  ks 
mains  d'wM  uadreitc. 

16. 


—  244  — 

—  BRAS*: 

Un  souris  chargé  de  douceurs 

Qui  tend  les  bras  k  tout  le  monde.  (Psyché,  I.  z.) 

—  DEirrs  : 

Tout  cet  embarras  met  mon  esprit  sur  Us  dénis,  {Amph,  I.  2.) 

Il  est  superflu  de  remarquer  que  les  dents  d*un  esprit ,  les 
bras  d'un  souris  ,  sont  des  images  aussi  forcées  que  les  mains 
d*une  tendresse  ou  d*4in  cœur. 

Les  Ters  suiirants  présentent  ane  suite  d  images 
tout  à  fait  incohérentes.  Il  s'agit  des  ornementa  gothi- 
ques: 

Ces  monstres  odieux  des  siècles  ignorants , 

Que  de  la  barbarie  ont  produits  les  torrents , 

Quand  leur  cours  y  inondant  ^reaqut  toule  la  terre, 

Fit  à  la  politesse  une  mortelle  guerre.  (La  Gloire  du  Val  de  Grâce) 

Comment  les  torrents  de  la  barbarie  peuvent-ils  produire 
des  monstres  odieux  dont  le  cours  inonde  la  terre?  Il  faut 
avouer  que  La  Bruyère  n'avait  pas  tort  d'appliquer  à  ce  style  le 
nom  de  galimathias  ;  mais  il  avait  tort  d'appliquer  ce  jugement 
au  style  de  Molière  en  général. 

Peut-éti*e  faut-il  lire  ,  au  troisième  vers;  quand  son  cours; 
ce  serait  alors  le  coui*s  de  la  barbarie,  et  non  le  cours  des 
monstres.  Le  passage,  après  cette  correction,  n'en  serait  guère 
moins  mauvais.  Il  est  bien  étonnant  que  Molière,  au  moment 
oix  il  venait  de  donner  Tartufe  et  le  Misanthrope  y  pût  écrire 
des  vers  comme  ceux-là  et  comme  les  suivants  : 

Louis,  le  grand  Louis,  dont  l'esprit  souverain 

Ne  dit  rien  au  hasard  et  voit  tout  d*un  œil  sain , 

A  versé  de  sa  bouche ,  à  ses  grâces  brillantes  , 

De  deux  précieux  mots  les  douceurs  chatouillantes; 

Et  Ton  sait  qu'en  deux  mots  ce  roi  judicieux 

Fait  des  plus  beaux  travaux  Téloge  glorieux. 

Les  précieuses  et  Tabbé  Cotin  ont  dû  se  croire  vengés. 
(Voyez  d'autres  exemples  de  métaphores  vicieuses  aux  mots 

MGREUK  j    CHAMP  ,    LANGUE  ,    PEINDRE    EN    ENNEMIS  ,  RESSORTS  , 
ROIDIR  ,  TRACER  ,  TRAITS  ,  VERSER  ,  VISAGE  ,  etC.  ,  etC.) 


-.  245  — 

METTRE,    absolament,  mettre  son   chapeau,   se 
couvrir  : 

Mettons  donc  sans  façon.  {Ec.  desfem,  m.  4.) 

Allons,  mettez. —  Mon  Dieu,  mettez,  —  Mettez ^  vous  dis-je,  monsieur 

Jourdain  ;  vous  êtes  mon  ami.  (Bourg,  gent,  III.  4.) 

--  METTRE  DESSUS,  même  sens  : 

Mettez  donc  dessus,  8*il  vous  plalL  (Mar.for.  a.) 

Mettez  dessus  la  tête. 

—  SE  METTRE,  sc  vétir: 

Quant  à  se  mettre  bien,  je  crois,  sans  me  flatter , 
Qu'on  serait  mal  venu  de  me  le  disputer.  (Mis,  Ul,  x.) 

Voilà  ce  que  c'est  que  de  se  mettre  en  personne  de  qualité  ! 

(B.  gent,  n.  9. 

—  METTRE  A. . . . ,  appliquer  à  : 

Cest  une  fille  de  ma  mère  nourrice  que  j'ai  mise  à  la  chambre,  et  elle  est 
toute  neuve  encore.  (Comtesse  if  Esc,  4.) 

— >  METTRE  A  BAS  ,  métaphoriquement  j  renverser , 
terrasser  : 

C^est  maintenant  que  je  triomphe,  et  j'ai  de  quoi  n'ettre  à  bas  votre  or- 
gueil. (Georges  D,  m.  8.) 

—  METTRE  A  BOUT  UNE  AME  : 

Et  n'est-ce  pas  pour  mettre  à  bout  une  âme  ?  (Amph,  II.  6.) 

—  METTRE  A  TOUTE  OCCASION  ;  mettre  une  chose  à 
toute  occasion  ,  en  faire  abus  ,  la  profaner  : 

Mais  l'ami  lié  demande  un  peu  plus  de  mystère. 

Et  c'est  assurément  en  profaner  le  nom 

Que  de  vouloir  le  mettre  à  toute  occasion.  (Mis,  I.  2.) 

—  METTRE  AU  CABIIfET  : 

Franchement,  il  est  bon  à  mettre  au  cabinet,  (Ibid,  I.  a.) 

On  a  beaucoup  disputé  sur  le  sens  de  cette  expression.  Les 
uns  veulent  que  ce  soit  :  bon  à  serrer,  loin  du  jour,  dans  les  ti- 
roirs d*un  cabinet  (sorte  de  meuble  alors  à  la  mode]  ;  les  autres 
prennent  le  mot  dans  un  sens  moins  délicat,  et  qui  s'est  attache 
à  ce  vers ,  devenu  proverbe.  Je  crois  que  Molière  a  cherché 


—  246  ^ 

réquivoque.  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  la  groesièrecé  du  teeond 
sens  est  indigne  d'AIceste  ;  Alceste  est  poussé  à  bout ,  et  lui , 
qui  ne  s'est  pas  refusé  tout  à  Theure  une  mauvaise  pointe  sur 
la  chute  du  sonnet ,  ne  paraît  pas  homme  à  refuser  à  sa  colère 
un  mot  à  la  fois  dur  et  comique ,  bien  que  d'un  comique  tri-» 
vial.  C'est  justement  cette  trivialité  qui  fait  rire,  par  le  ton- 
traste  avec  le  rang  et  les  maDières  habituelles  d'Alcesle. 

—  METTEE  AUX  YEUX ,  Seyant  les  yeux  : 

Je  lui  mettois  aux  yeux  comme  dans  notre  temps 

CeUe  soif  a  gâté  de  fort  honnêtes  gens.  [Mis,  I.  a.) 

Me  mettre  anx  yeux  que  le  tort  implacable 
Auprès  d'elles  me  rend  trop  peu  considérable.    (MéReerie,  H.  i.) 
Tous  derriez  letir  mettre  un  bon  exemple  aux  yeux,     {Tort,  L  i.) 

—  METTRE  BAS  ,  quitter,  déposer  : 

Qui,  moi,  monsieur?  — Oui,  vous.  Mettons  bas  toute  feinte. 

(Ee.  des  mar.  U,  3.) 
Allons  donc,  messieurs,  mettez  bas  toute  rancune.    {Jm,  métL  ni.  i.) 

—  MEITRE  DAKS  UH  DISCOURS,  DAHS  UH  PROPOS  : 

Si ,  pour  les  sots  discours  oit  ton  peut  être  mis , 

n  faUoit  renoncer  à  tes  meilleurs  amis.  {Tart,  I.  x.) 

Et  pour  ne  tous  point  mettre  aussi  dans  le  propos,  {Fem,  sav,  iy.3.) 

-^  METTRE  EN  ARRIERE ,  déposer,  quitter  : 

De  grâce,  parle  ,  et  mets  ces  mines  en  arrière,      (Mélicerte,  L  3.) 

—  METTRE  EN  COMPROMIS ,  Compromettre  : 

C'est  un  brave  bomme  :  il  sait  que  les  cœurs  généreux 

Ne  mettent  point  les  gens  en  compromis  pour  eux.  {Dép,  am,  T.  7.) 

—  METTRE  EN  MAIN  ,  COUfler  : 

Et  Ton  m*a  mis  en  main  une  bague  à  la  mode 

Qu'après  vous  payerez ,  si  cela  Taocommode,  {VEt,  h  6.) 

—  METTRE  EN  MAIN  QUELQU'UN  A  UN  AUTRE  : 

Pour  moi,  je  ne  ferai  que  vous  la  mettre  en  main, 
•  (  Ec.  des  fim,  V.  a.) 

Je  ne  ferai  que  remettre  Agnès  entre  vos  niain$. 


-247- 

—  METTEE  PAR  ECRIT  : 

Une  autre  fois  je  mettrai  me*  raisonnements  par  écrit,  pour  disputer  aver 

(  D,  Juan.  I.  a.) 

Brossette  rapporte  que  Boileau  ,  dans  î'épltre  à  son  jardi- 
^er,  avait  mis  d*abord  : 

«  Biais  noii;tn  te  souviens  qu'au  village  oo  t'a  dit 
«  Que  ton  maître  est  gagé  pour  mettre  par  écrit 
«  Les  faits  d'un  roi,  etc.  »  * 

n  changea  le  second  vers  de  cette  façon  : 

«  Que  ton  maître  est  nommé  pour  coucher  par  écrit»  » 

Apparemment  gagé  lui  parut  manquer  de  dignité,  et  coticher 
ï>ar  écrit  lui  sembla  une  expression  rustique  d'un  effet  plus 
piquant  que  l'expression  ordinaire,  mettre  par  écrit, 

MEUBLE ,  comme  noas  disons  moUlier  : 

Tos  livres  étemels  ne  me  contentent  pas; 

Et  »  hors  un  gros  Plutarque  à  mettre  mes  rabats. 

Tous  devriez  brûler  tout  ce  meuble  inutile.  (Fem,  tap»  II.  7.) 

MEUBLÉ  DE  SGiEifGE  : 

Mais  nous  voulons  montrer 

Que  de  science  aussi  les  femmes  sont  meublées.  (Fem,  sa?,  m.  s.) 

MIEUX,  le  mieux: 

Nous  verrons  qui  tiendra  meux  parole  des  deux.  ij>ép.  am.  II.  2.) 
Cest  par  là  que  son  feo  se  peut  nùeuss  expliquer.  (X>.  Oarcie.  1. 1 .) 
(Voyez  PLUS  pour  le  plus.) 

—  DU  MIEUX  QUE  pour  le  mieux  qœ  : 

Toilà  une  personne qui  aura  soin  pour  moi  de  vous  traiter  du 

mieux  ^u'il  lui  sera  possible.  {Pourc,  I.  10.) 

(Voyez  DE  exprimant  la  manière  y  la  cause.) 

MIGNON  DE  COUCHETTE  : 

Le  voilà  le  beau  fils ,  le  mignon  de  couchette  1  {Sgan,  6.^ 

MIJAURÉE.  (Voyez  pxicpBsouix.) 


—  248  — 
MILLE  GENS: 

Moi!  je  aerois  cocu  ?  —  Yous  voilà  bien  malade  ! 

MilU  gens  le  sont  bien ....  {Ee,  desfem,  IV.  8^^**) 

(Voyez  CEWS  açec  un  nom  de  nombre  déterminé,). 
MINE  ;  AVOIR  DE  LA  MnîE  : 

Toi  de  la  mine  encore  assez  pour  plaire  aux  yeux.        (VEL 1. 6.——*) 

—  AVOIR  LA  MHîE  DE  (an  infinitif)  : 

Toi  bien  la  mine^  pour  moi,  de  payer  plus  cher  Tos  folies. 

(jScapin,l.  *  f^^   ) 

—  FAIRE  LES  MIMES  DE  SOKGER  A  QUELQUE  CHOSE  : 

Pour  peu  que  d'y  songer  tous  nous  fassiez  les  mines.  {Mis,  JJL  7.)     ^^ 

Faire  mine  de,  c'est/aire  semblant  de.  Faire  mine  de  dési-        ^ 
rer,  faire  mine  de  songer  à  quelque  chose. 

Faire  la  mine,  c'est  bouder. 

Faire  des  mines,  c'est  minauder. 

On  dirait  donc  aujourd'hui ,  et  mieux,  je  crois  :  pour  peu 
que  vous  nous  fassiez  mine  dV  songer. 

Il  est  vraisemblable  même  que  Molière^  en  altérant  l'expres- 
sion consacrée,  a  cédé  à  la  contrainte  du  vers. 

MINUTER^  projeter  tacitement ,  sournoisement: 

Je  le  remerciois  doucement  de  la  tcte , 

Minutant  à  tous  coups  quelque  retraite  honnête.    (  Fâcheux,  L  x.) 

«  il///îi//tfr  secrètement  quelque  entreprise.  »  (Vaugklas.) 
Secrètement^  dans  cet  exemple,  fait  pléonasme  : 
a  Ce  marchand  minute  sa  fuite,  s'apprête  à  faire  banqueroute. 
«  Ce  mécontent  minute  quelque  conspiration.  »  (Tio^voux.) 

MIRACLE  ;  jeuiïe  miracle,  une  jeune  beauté  : 

Qui ,  dans  nos  soins  communs  pour  ce  jeune  miracle. 

Aux  feu\  de  son  rival  portera  plus  d'obstacle.  (£*£/.  L  x.) 

MITONNER  quelqu'un  : 

Mou  cœur  aura  bâti  sur  ses  attraits  naissants , 

Et  cru  la  mitonner  pour  moi  durant  treize  ans. . . .' 

{Ec,  desfem,  IV.  i.) 

Métaphore  du  style  le  plus  familier.  Une  soupe  mitonnée 


e^t  une  soupe  que  Ton  a  longtemps  et  avec  patience  fait  bouillir 
à  petit  feu.  (Racine,  mitis?) 

MODÉRATIONS,  aa  pluriel: 

Et  vous  nous  faites  voir 
Des  modérations  qu'on  ne  peut  concevoir.  (Fem,  sav.  I.  a.) 

MODESTE  ;  âtre  modeste  a  quelque  chose  ,  rela- 
tivement à  quelque  chose  : 

Jamais  on  ne  m*a  vu  triompher  de  ces  bruits  ; 

Tjr  suis  assez  modeste.  (Ec.  des  fem^  1. 1.) 

MOI ,  substantif  : 

Un  moi  de  vos  ordres  jaloux , 
Que  vous  avez  du  port  envoyé  vers  Alcmène , 
Et  qui  de  vos  secreb  a  connoissance  pleine 

Comme  U  moi  qui  parle  à  vous.  {Amph,  II.  i.) 

—  MOI-MEME ,  OÙ  nous  dirlous  lui-même  : 

Oui ,  je  suis  don  Juan  moi-même.  {D.  Juan.  III.  5.) 

Cette  façon  de  dire  parsût  plus  raisonnable  que  l'autre^  puis- 
que tout  y  est  à  la  première  personne,  au  lieu  d'accoupler  la 
première  à  la  troisième.  En  effet,  je  suis  don  Juan  lui-même  ^ 
reviendrait  à  :  c'est  moi  qui  esi  don  Juan  lui-même. 

Au  surplus,  Molière  s'est  aussi  exprimé  de  cette  dernière 
façon  : 

N'est-ce  pas  vous  qui  se  nomme  Sganarelle? 

—  En  ce  cas,  c^est  moi  qui  se  nomme  Sganareile.       (Mèd,  m.  lui.  I.  6.) 

MOMON;- JOUER  un  momon  : 

Masques,  où  courez-vous?  Le  pourroit<on  apprendre? 
Tmlaldin,  ouvrez-leur  ^ovac  jouer  un  momon.  {VEt.  III.  ii.) 

Trévoux,  et  d'après  lui  le  supplément  du  Dictionnaire  de 
l'Académie ,  définissent  le  momon  :  «  Défi  d'un  coup  de  dez 
«  qu'on  fait  quand  on  est  en  masque.  »  Cette  définition  ne  s'ap- 
plique pas  au  passage  précédent  ni  au  suivant  : 

Est*ce  un  momon  que  vous  allez  porter.^  (B.  gent.  T.  i.) 

Le  momon  pouvait  donc  être  joué  et  porté.  L'explication  de 

Borel  parait  lever  toute  difficulté.  Le  momon ,  selon  lui,  était 

une  sorte  de  pelote  énorme  que  l'on  portait  dans  les  masca- 


—  250  — 

rades  notables ,  comme  si  c*eût  été  une  grosse  bourse  enfléf 
contenant  des  enjeux. 

Périzonius  dérive  momon  du  grec  (xofXfKo  ;  Ménage,  de  Mo- 
mus,  le  bouffon  des  dieux  ;  Nicot,  de  mon  mon^  espèce  de  gro- 
mellement  que  font  entendre  les  masques  »  dit-il  ;  d'autres,  da 
sicilien  momar ,  un  fou.  Personne  n'a  songé  à  l'aUemand 
mumme^  un  masque  \  mwnmerey^  mascarade  \  d*où  en  firançus 
momerie, 

MON  ESTIME ,  au  sens  passif  : 

Et  qu'il  eAt  mieux  valu  pour  moi ,  pour  wmm  mImm, 

Suivre  les  mouvements  d'une  peur  légitime.  {pép,  am,  UL  3.) 

C'est-à-dire,  pour  l'estime  qu'on  fera  de  moî ,  dans  Tintérèt 
de  ma  réputation.  Mon  estime  est  ici  comme  mon  honneur. 

MONSTRE  PLElif  D*EFFROl.  (Voyez  plxir  D'srrmoi.) 

MONTRE ,  substantif  féminin  au  sens  à^ exposition  : 

Conserve  à  nos  neveux  une  montre  fidèle 
Des  exquises  beautés  que  tu  tiens  de  son  zèle. 

(La  Gloire  ém  Fal^e^Crdêe.) 

Montre  s'employait  autrefois  au  sens  de  reçue  :  la  montn 
deê  ioldau;  patser  à  la  montre ,  c'est  paner  à  la  tenu: 
«  Ainsi  Richard  jouit  de  ses  amours, 
t  Vécut  content,  et  fit  force  bons  tours, 
«  Dont  celui-ci  peut  passer  à  la  montre,  » 

(Là.  FoiTT.  Richard  Minutolo,) 

MONTRER  A  QUELQu'un ,  absolument,  pour  donner 
des  leçons: 

Outre  le  maître  d'armes  qui  me  montre ,  j'ai  arrêté  encore  un  maître  de 

philosophie.  {B.  gent.  I.  a.) 

Votre  maître  de  musique  est  allé  aux  diamps,  et  voilà  une  personne 

qu'il  envoie  à  sa  place  pour  vous  montrer.  (Mal,  im.  H.  4.) 

«  Son  maître  tous  les  jours  vient  pourtant  lui  montrer,  > 

(Regnakd.  Le  Distrait^ 

Bossuet  emploie  de  la  même  façon  enseigner,  comme  verbe 
actif;  enseigner  quelqu^un  : 

«  J'ai  déjà  dit  que  ce  grand  Dieu  Us  enseigne ,  et  eu  leur  donnant  et  ea 
«  leur  ôUnt  le  pouvoir.  »  (Or.  fim.  d'Henr.  itJ.) 


—  251  — 
—  MOHTBJBE  DE  (an  iufinitiQ  : 

Tout  iMviei  MUT  coa  reste,  et  moatrk*  d'affeeiêr 

he  côté  qu'à  sa  bouche  elle  avoit  su  porter.  {VEt.  IV.  5.) 

MOQUER  ;  8e  moqueb  de  (un  infinitif),  dans  le  leni 
de  ne  pas  vouloiri  se  mettre  peu  en  peine  de  ^  non 
curare  de  : 

Jë  me  moqueroU  fort  de  prendre  un  tel  époux  t  {Tari,  II.  a.) 

Je  veux  Ini  donner  pour  époux  un  homme  aussi  riche  que  sage  ;  «t  la 
coquine  me  dit  au  nez  quV//^  se  moque  de  le  prendre,  (VJv,  I.  7.) 

C*est-à-dire ,  non  pas  qu'elle  est  indifférente  à  le  prendre  ou 
non  j  mais  qu'elle  se  moque  de  la  volonté  de  son  père  de  le  lui 
Eure  prendre. 

On  sait  leur  rendre  justice  (à  certains  maris),  et  Ton  se  moque  fort  êe  U$ 
considérer  au  delà  de  ee  qu^ilt  méritent.  (fi.  D,  III.  5.) 

Quand  l'amour  à  vos  yeux  offre  un  choix  agréable. 

Jeunes  beautés,  laissez-vous  enflammer: 
MoqueM^vous  d^ affecter  cet  orgueil  indomptable 
Dont  on  vous  dit  qu'il  est  beau  de  s'armer. 

(ProLdêhpr.d'Mlide.u) 

Cest  que  les  filles  bien  sages  et  bien  honnêtes  comme  Tons  te  moquent 
^étre  oèéissantes  et  soumises  aux  volontés  de  leur  père.     (Mal,  im,  n.  7.) 

MORCEAU  DE  JUDICIAIRE.  (Voyez  judiciaire.) 

HORGUEB  QUELQu'uiT  j  le  braver  inisolemment  : 

Et  de  son  large  dos  morguant  les  spectateurs,        (Fdcfteus.  I.  i.) 

« tous  ces  vaillants ,  de  leur  valeur  guerrière , 

«  Morguent  la  destinée  et  gourmandent  la  mort.  • 

(Riovixa;  Aat  VI.) 

MOUCHE  ;  la  mouche  moiïte  a  la  taxe  : 

Ahl  que  vous  êtes  prompte! 
La  mouche  tout  à  coup  à  la  tête  vous  monte,  {VEi,  I.  xo.) 

C'est  une  autre  forme  de  la  locution  proverbialCy  prendre  la 
mouche.  On  dit  en  italieui  la  mosca  vi  salta  al  naso, 

MOUGHEB  DU  PIED  (se)  x 

DORiira. 
Certes,  monsieur  Tartufe,  à  bien  prendre  la  choie, 
N'est  pas  un  homme,  non,  qui  se  mouche  du  pied! 

{Ton.  VL  3.) 


—  252  — 

Se  moucher  avec  le  pied  était  un  tour  d*agilité  des  saltim- 
banques. De  là  cette  expression  ironiquement  familière  en  par- 
lant d*un  homme  grave  et  considérable  :  Il  ne  se  mouche  pas 
du  pied  !  ou,  comme  dit  Mascarille  :  U  tient  son  quant-à-moi  ! 

MOUSTACHE;  sur  la  moustache,  à  la  barbe  : 

Afin  qu'un  jeune  fou  dont  elle  s'amourache 

Me  la  vienne  enlever  jusque  sur  la  moustache,  (Ee,  desfem.  IVt  i.) 

MOUVEMENT  ;  de  son  mouvemeht,  proprio  motvk  : 

S'il  s'attache  i  me  voir,  et  me  veut  quelque  bien, 

Cest  de  son  mouvement;  je  ne  l'y  force  en  rien.  (MéUcertt,  n.  4--^ 

MYSTÈRE  ;  faire  grand  mystère  ,  c*e8t-à-dir^  i 
grand  embarras  de  quelque  chose  : 

Du  nom  de  philosophe  elle  fait  grand  mystère  , 

Mais  elle  n'en  est  pas  pour  cela  moins  colère.         {Fem,  tav,  IL  ^  - 

NE ,  êupprimi;  dans  une  formule  interrogative  : 

De  quoi  te  peux-tu  plaindre?  ai-Je  pas  réussi  ?  (L'St.  lY.  S  ^ 

Mais  suis-je  pas  bien  ht  de  vouloir  raisonner. . . .  (Sgan,  i.«— 

Les  querelles ,  procès ,  faim ,  soif  et  maladie , 
Troublent-ils  pas  assez  le  repos  de  la  vie?  (  /W.  17^- 

Et  tu  trembles  de  peur  qu'on  t'oie  ton  galant.  (  làid.  ai.^ 

Dis'tu  pas  qu'on  t'a  dit  qu'il  s'appelle  Talère?    (Ec,  des  mar.  U.  z.^ 

Valère  est- il  pas  votre  nom  ?  (  Ilîd,  H.  3.^ 

L'amour  sait-il  pas  l'art  d'aiguiser  les  esprits?  {Ec,  desfem,  III.  4.^ 
Trouvez-'vous  pas  plaisant  de  voir  quel  personnage 
A  joué  mon  jaloux  dans  tout  ce  badinage?  (Ibid.) 

Pour  dresser  un  contrat  m'a^l-on  pas  fait  venir?        (  Ibid,  Vf,  a.) 
M'êtes-vous  pas  venu  quérir  pour  votre  maître?         {Ibid,  IV.  3.) 
Tai'je  pas  là-dessus  ouvert  cent  fois  mon  cœur  ? 
Et  sais'tu  pas  pour  lui  jusqu'où  va  mon  ardeur  ?         (  Tart,  II.  3.) 
Pou9ez-^*ous  pas  y  suppléer  de  votre  esprit?  {Impromptu,  i.) 

Il  aura  un  pied  de  nez  avec  sa  jalousie,  est-ce  pas  ?  {G,  D.  L  a.) 

Pourrois-je  point  m'éclaircir  doucement  s'il  y  est  encore?      {Ibid,  n.  8.) 
Est-ce  pas  vous,  Clitandre?  {Ibid,  III.  a.) 

—  Après  à  moins  que  : 

La  maîtresse  ne  peut  abuser  votre  foi , 

J  moins  que  la  maîtresse  en  fasse  autant  de  moi.    {Dép,  am,  I.  z.) 


—  253  — 

A  moins  que  Yalère  se  pende , 
Bagatelle;  son  cœur  ne  s'assurera  point.  {Dèp.  am,  I.  q.) 

A  moins  que  le  Q.t\  fasse  un  grand  miracle  en  vous.    (làid,  II.  a.) 

Et  moi ,  je  ne  puis  \vrrt  à  moins  que  vos  bontés 

Accordent  un  pardon  à  mes  témérités.  (D.  Garde,  VL.  6.) 

On  ne  saurait  dire  que^  dans  ce  dernier  exemple,  Molière  ait 
cédé  aux  besoins  de  la  mesure  ,  car  il  ne  lui  en  coûtait  rien  de 
noettre  :  N'accordent  un  pardon. 

Et  moi ,  je  ne  puis  vivre  à  moins  que  vous  quittiez 

Cette  colère  qui  m'accable.  (Amph,  II.  6.) 

Et  l'on  en  est  réduite  à  n'espérer  plus  rien , 

A  moins  que  ton  se  jette  à  la  tèle  des  hommes.         (Psjrdœ,  1. 1.) 

Si  cette  suppression  avait  eu  quelque  importance  dans  la 
coutume  du  langage  du  temps  ,  il  eût  été  facile  à  Molière  de 
mettre: 

A  moins  qu'on  ne  se  jette  à  la  tète  des  hommes. 

Je  lui  ai  défendu  de  bouger,  à  moins  que  fy  fusse  moi-même ,  de  peur 
d«  qaelque  fourberie.  (Pourc,  I.  6.) 

—  Après  AVATîT  que: 

Avant  que  vous  pariiez ,  je  demande  instamment 
Que  vous  daigniez ,  seigneur,  m'écouter  un  moment. 

(D,  Garde,  V.  5.) 

Allons,  courons  acon/  qtte  d'avec  eux  il  sorte,  (Amph,  III.  5.) 

«  Avant  quon  t ouvrit  (la  cédule),  les  amis  du  prince  soutinrent  que,  etc.» 

(La  FowTAiHK.  Fie  d'Esope,) 

•  Toutes  yro%  fables  pouvoient  vous  servir  avant  qu'on  sût  vos  prin- 

•  opes.  ■  (Pascal.  xS"  Prov,) 

—  Après  AVOIR  PEUR  QUE  : 

J'ai  bien  peur  que  ses  yeux  resserrent  votre  chaîne. 

(Dép,  am.  IV.  a.) 

— D'abord  exprimé ,  pois  sapprimé  après  avoir  peur 
que: 

J'ai  peur  qu*elle  ne  soit  mal  payée  de  son  amour,  que  son  voyage  en  cette 
ville  produise  peu  de  fniit,  et  que  vous  eussiez  autant  gagné  k  ne  bouger 
de  Uu  (D,  Juan,  1. 1.) 


—  254  — 

—  Après  GRAtUDRE  QUE  : 

Mais,  hélas!  je  crains  lien  que /y  perde  met  soins. 

{D.ameie,tt,6.) 
Je  craindroii  ^ue  peut-être 
A  «quelques  yeux  suspects  tu  me  fisses  coonoitfe.   {Fâcheux,  UL  i.) 

Oui,  mais  qui  rit  d'autnii 

Doit  eramdre  qu'à  son  tour  oa  rh  tmad  de  loL  (Me,  éetfem,  L  i.) 

Ftol-oo  ermhulre  que  des  dioses  si  généf ileneat  àkmléa/keseHt  ywlye 

impression  dans  les  esprits  ?  (Fréf,  de  T^rtufL) 

—  Après  lOfPicHER  qui: 

Si  son  cœur  m*est  volé  par  ea  blondis  funasloi 
Tempécherai  du  moins  qu'on  s'empote  du  resto.  {ficidieêftHL  IV.  7-) 
Molière  l'a  exprimé  ailleurs  : 
Cela  n'empédiera  pas  que  je  ne  conserve  pour  vous  ces  sentiments  d'e^ 

time {Poure,  m.  9^  ^ 

Mais  il  Ta  encore  supprimé  dans  ce  passage  : 
Le  choix  qui  m*es(  offert  s'oppose  à  votre  attente , 
Et  peut  seul  empêcher  que  mon  cœur  vous  contante. 

iMaetrêe.l.S^    ) 
Je  croîs  qu'ici  Molière  a  cédé  à  la  contrainis  de  la  luesiu^^  * 
Pascal  exprime  ne  : 
«  M.  le  premier  président  a  apporté  un  ordre  pour  empêcher  que  car     ^ 

«  taius  greffiers  ne  prissent  de  Tardent  pour  cette  préférence.»  (18*  Pro9. ' 

Au  surplus ,  il  est  vraisemblable  que  Molière  n'attachait  au^ 

cune  împoitance  à  exprimer  ou  retrancher  le  ne;  son  habitud^^^ 
parait  avoir  été  pour  la  suppression.  Pascal,  au  contraire^  est  -^ 
pour  l'expression. 

—  Après  D£  PEUR  QUE  : 

De  peur  que  ma  présence  encor  soit  criminelle.  (L'Mt.  L  5.) 

De  peur  qu'elle  revint ^  fermons  à  clef  la  porte.  ÇEcdes  mar,  III.  a.) 
Ailleurs  Molière  Ta  exprimé  : 

Ah!  Myrlil,  levez-vous,  de  peur  qu'on  ne  vous  voie. 

{Mélieerte.  IL  3.) 

-^  Après  DETAirr  <m  AVÂirr  qub: 

Devant  que  les  chandelles  soient  allumées.  (Préc,  rkL  10.) 

—  Après  GAHDER  QUE  ; 

Gardons  bien  que  par  nulle  autre  voie  elle  en  apprenne  jamais  rien. 

(Am^  mugm  L  t.) 


—  256  ~ 

—  Après  UTBVX  QUE,  précédé  d'ane  nation  : 

Je  ne  crois  pas  «{u'oo  puisse  mieux  danser  qu'iU  da/uent 

{Am,  magnl  H,  x.) 
Chacun  demeura  d*accord  qu*ou  ne  pouvoit  pas  mieux  jouer  qiCUfiu 

(Çriu  de  tEc,  desfem.  6.) 

-^  NE ,  exprimé  ;  après  ne  doutée  point  que  : 

Oui  t  Je  ne  doute  point  que  l'hymen  ne  vous  plaise. 

(£c.  des  fem.  II.  7.) 
Je  ne  doute  point  que  vos  paroles  ne  soient  sincères.  (Scapin.  1. 3.) 
fiossuiT  a  dit  : 

«  Je  ne  crois  pas  qu*on  puisse  douter  que  Ninus  ne  se  soit  attaché  à 
.  l'Orient.  »  (Hijt.  Un,  IW  p.  $  4.) 

Ici  pourtant  l'expression  est  difTérente  de  celle  de  Molière  , 
en  ce  que  le  premier  ne  s'attache ,  non  pas  au  verbe  douter, 
mais  au  verbe  croire.  Il  paraît  que  le  xvii*  siècle  tenait  pour 
rèjjle  invariable  d'exprimer  ne  après  douter  que ,  quel  que  fut 
d'ailleurs  le  sens  de  la  phrase ,  afïïrmatif  ou  négatif.  Ninus 
s^était  attaché  à  l'Orient ,  je  ne  crois  pas  qu'on  en  puisse  dou- 
ta'; c'^t  ce  que  veut  dire  Bossuet,  et  il  met  deux  négations. 
Il  me  semble  que  dans  cet  exemple  la  seconde  est  de  trop  y 
mais  on  observait  encore  certaines  lois  de  symétrie  ,  tradition 
de  la  vieille  langue,  qu'aujourd'hui  nous  qualifions  pléo- 
nasmes. 

(Vayei  plus  bas  ne  répété  par  pléonasme») 

—  Après  IL  M£  TARDE  QUE  : 

//  me  tarde  que  je  ne  goûte  le  plaisir  de  b  voir.  (iUUien,  10.) 

—  Après  PRENDRE  GARDE  QUE.  ...  : 

On  m'a  chargé  de  prendre  garde  que  personne  ne  me  vit.    (G,  D,  I.  a.) 

—  Après  NE  TENIR  qu'a  : 

n  ne  tiendra  quk  elle  que  nous  ne  soyons  mariés  ensemble.  {G,D,\,  a.) 

-—  Après  METTRE  EN  DOUTE  QUE  : 

n  n*y  aura  personne  qui  mette  en  doute  que  ce  ne  soît  vous  qui  m'aurez 
tuée.  (G.  D.  III.  8.) 

—  NE ,  répète  par  pléonasme  : 

Je  ne  puis  pas  nia  qu'il  n*y  ait  eu  des  Pères  de  l'Église  qui  ont  eon- 


—  256  — 

damné  la  comédie  ;  mais  on  ne  peut  pas  me  nier  aussi  qu'il  n'y  en  ait  eu 
quelques-uns  qui  Tont  traitée  un  peu  plus  doucement    (Prtf,  de  Tartufe.) 

Je  ne  doute  point,  sire,  que  les  gens  que  je  peins  dans  ma  comédie  ne 
remuent  bien  des  ressorts  auprès  de  Yotre  Majesté ,  et  ne  jettent  dans 
leur  partL ...  ,  (  a»«  Placet  au  Roi) 

On  pourrait  supprimer  chaque  fois  le  second  ne;  la  phrase 
n'en  serait  pas  moins  claire ,  ni  l'expression  moins  complète  ; 
mais  je  crois  que  le  génie  de  la  langue  française  préfère  cette 
répétition  ,  qui  a  une  foule  d  analogues  :  c'est  à  vous  à  parler, 

c'est  à  vous  à  qui  je  m'adresse  ;  —  c'est  de  vous  dont  je 

m'occui)e.  — C'est  là  où  vous  verrez  la  bénignité  de  nos  pères. 

—  HE,  ni  : 

Un  mari  qui  n*ait  pas  d'autre  livre  que  moi , 

Qui  ne  sache  A  ne  B^  n'en  déplaise  à  madame.      {Fem»  sap.  T.  3.) 

C'est  un  archaïsme.  Thomas  Diafoirus  s'en  sert  également  : 
c<  Ne  plus  ne  moins  que  la  fleur  que  les  anciens  nommoient  hé- 
«  liotrope. . .»  (Mal,  ii7t.  II.  6.)  Cette  forme,  jadis  seule  en  usage, 
était  commode  pour  l'élision  : 

«  One  n'aToit  vu ,  ne  lu ,  noui  conter. ...» 

(La  Foirr.  Le  Diable  de  Papefig.) 

On  disait  de  même  se  pour  si:  se  non^  sinon.  Malgré  des 
réclamations  réitérées,  certains  éditeurs  de  textes  du  moyen 
âge  impriment  encore  avec  un  accent  aigu  né,  se  y  qué^  cé^ 
pour  ne  y  se  y  que  y  ce  ;  l'élision  même  de  cet  e  n'a  pu  leur  per- 
suader qu'il  n'y  faut  point  mettre  d'accent.  C'est  une  obsti- 
nation bien  étrange  ! 

NÉCESSITANT,  nécessiteux: 

Aussi  est-ce  à  tous  seule  qu*on  voit  a?oir  recours  toutes  les  muses  ne- 
cessitantes,  (Àm.  magn,  1. 6.) 

NÉGATION;  deux  negatioiys  redoublées.  (Voy.  àla 
fin  de  l'article  PAS.) 

NEIGE  ;  DE  lŒiGE ,  expression  de  mépris  : 

Tiens,  tiens,  sans  y  chercher  tant  de  façons,  voilà 

Ton  beau  galant  de  neige  avec  ta  nonpareille.        {Dip,  am,  TV,  4.) 

Cette  expression  rappelle  \e  Jloccifacere  eijhccipendere  des 

Latins. 


—  257  — 

«  Ah  le  hétLVL  médecin  iie  neige  avec  tes  remèdes  I  » 

(DuTOucHis.  Le  Tambour  nocturne.) 

NE  M*£N  PARLEZ  POINT,  incidemment ,  dans  un 
sens  affirmatif  et  laudatif  : 

n  y  a  plaisir,  ne  m*en  parlez  points  à  Iravailler  pour  des  personnes  qui 
ioieiil  capables  de  sentir  les  délicatesses  de  l'art.  {JS,  gent,  I.  i .) 

N'EN  EST-CE  PAS  FAIT? 

Nous  rompons  ?  —  Oui ,  vraiment  !  Quoi  ?  /iVn  est-ce  pas  fait? 

(Dép.  am,  IV.  3.) 

En,  figure  ici  au  même  titre  que  dans  c*€n  est /ait;  c'est  fait 
de  moi  y  de  cela. 

NE  PERDRE  QUE  L'ATTENTE  de  quelque  chose: 

Tu  n'en  perds  <]ue  Patiente ,  et  je  te  le  promets.  (Dép.  am,  ni.  xo.) 
On  dit  dans  le  même  sens,  et  avec  des  termes  contraires  :  Tu 
n'y  perdras  rien  pour  attendre. 

NE  QUE,  faisant  pléonasme  avec  $eulemenU  (Vby .  seul.) 
NET ,  adverbialement  : 

Madame,  voulez -vous  que  je  vous  parle  net? 

De  vos  façons  d'agir  je  suis  mal  satisfait.  (Mis,  U,  i.) 

(Voyez  PRKMIK&  QUE  ,   FERME  ,  FBAHG.) 

—  KFT ,  adjectif,  au  sens  moral  :  loyal ,  sans  détour  ; 

▲KE  FBAnCHE'  ET  KETTE  : 

Et  j'avouerai  tout  haut ,  d'une  âme  franche  et  nette 

{Fem.  sûP,  I.  I.) 

NEZ  ;  DOI9NER  PAR  LE  NEZ ,  au  figuré  : 

Ils  nous  donnent  encore ,  avec  leurs  lois  sévères  ; 

De  cent  sols  contes  par  le  nez,  (Amph,  II.  3.) 

Pareal  ici  abrégé  de  parmi;  parmi  le  nez,  au  milieu  du 
visage. 

—  c'est  pour  ton  txez  ,  ironiquement  : 

C'est  pour  ton  nez ,  vraiment  !  cela  ce  fait  ainsi.  (Amph,  U.  7 .) 

«  Mais  c'est  pour  leur  beau  nez  !  le  puits  n*est  pas  commun  ; 
«  Et  si  j'en  avois  cent,  ils  n'en  auroient  pas  un.  » 

(RiGiriia.  àtacetlej) 

«7 


—  268  — 

NT ,  exprimé  fleoloment  au  demidr  tarine  de  Yémr 
mération  : 

Dans  set  meabki,  dàt-eDe  eh  âtuir  de  rMinil» 

Il  ne  faut  écritoire,  encre,  papitr,  tdplumeê.  {fié.  ^  fim»  UL  i*) 

— >  Exprimé  devant  chaque  terme  : 

Elle  n'a  m  parents,  ni  support,  ni  richesse.  {ML  ID.  9.) 

—  NI,  répété  après  la  négation  \ 

Gala  rimt  jhu  capable,  m  de  conraincre  mon  esprit»  mi  d^élimkr  moa 
âint.  (D.  Juan.  Y.  a.) 

—  MI,  tuppfimé.  (Voyei  l'uv m  t'Atoiu.) 
NIER ,  dénier,  refuser  : 

Et  je  n'ai  pu  nier  au  destin  qtii  le  tue 

Quelques  moments  secrets  d'une  si  chère  vue.   (/>.  Gardé.  III.  a.) 

Et  tâcher,  par  des  soins  d'une  très-longue  suite  y 

D*obteiiir  ce  qu'on  nie  à  leur  peu  de  mérite.  {Mis,  UL,  z.) 

Imitant  en  vigueur  les  gestes  des  muets. 
Qui  Teulent  répahcr  la  voix  que  la  nature 
Leur  a  voulu  nier,  ainsi  qu'à  la  peinture. 

(La  Gloire  du  Tahàt-tkàce,) 

Nous  n'employons  plus  que  le  composé  dénier,  et  encore  3 
devient  rare  : 

«  Pour  obtenir  les  vents  que  le  ciel  vous  dénie, 

tt  Sacrifiet  Iphigénit.  •  (Eaovi.  iphig  L  i.) 

NOIRCIR  quelqu'un  envers  tm  AimiE.(Voyeksiftr«Bs.) 
NOMBRE;  quelque  nombre  de,  i^xiv quelques  : 

Je  veux  jouir,  s'il  vous  pUit,  de  quelque  nombre  de  beaux  jo»Ên  que 
m'offre  la  jeunesse.  {fi.  D.  II.  4«) 

NOMPAREIL: 

J'ai  souhaité  un  fils  avec  des  ardeurs  fumporeilUs.       (!>•  /sMn.  f?.  6.) 
«  Colette  entra  dans  des  peurs  nompareilles,  » 

(La  Foft.  Le  Berceau,) 
Boileau  s'est  moque  de  cette  expression ,  déjà  stu'année  de 
son  temps ,  aujourd'hui  tout  à  fait  hors  d'usage  : 
«  Si  je  voulois  vanter  un  objet  nompareil, 
«  Je  mettrais  à  l'instant  :  Plus  beau  que  le  soleil.  »  (JSat.  II.) 


—  259  — 
NON  CONTENT  5  employé  comme  adverbe  : 

Et ,  JMMi  eonteni  encor  du  tort  que  Ton  me  fait, 

n  court  parmi  le  monde  un  livre  abominable.  (MU,  Y.  i.) 

Non  content  ne  se  rapporte  à  personne  j  comme  s'il  y  avait| 
par  exemple  y  nonobstant.,. 

Et»  nonobstant  encor  le  tort  que  Ton  me  fait, 
Il  court .... 

NOUS  j  indéterminé  I  construit  avec  on  : 

Au  moins,  en  pareil  cas,  est-ce  un  bonheur  bien  doux 
Quand  on  sait  qu'on  n'a  point  d'avantage  sur  nous,  {Dép,  am,  II.  4.) 
Et  qn'o/i  s'aille  former  un  monstre  plein  d'effroi 
De  l'affront  que  tunu  fait  son  manquement  de  foi  ? 

{fic.dafem.Vf.^,) 
(Voyea  vous.) 

NOUVEAUTÉS,  nouvelles: 

Je  demeure  immobile  à  tant  de  nouoeautés,  {L'Eu  V.  i5.) 

Seigneur,  ces  nouçeautés  ont  droit  de  me  confondre.   {D,  Garde.) 

NOUVEAUX  YEUX:  jeter  de  nouveaux  yeux  sue..  . , 
de  nouveaux  regards  : 

Et  mon  esprit ,  jetant  de  nouveaux  yeux  sur  elle, . .  (Pr.  tPEL  L  t.) 

Un  esprit  qtii  jette  de  nouveaux  yeux,  est  apparemment  une 
de  ces  expressions  qui  semblaient  du  jargon  à  la  Bruyère. 

NUAGE  DE  COUP  DE  BATONS  : 

Je  vois  se  former  de  loin  un  nuage  de  coups  de  bâton  qui  crèvera  sur 
met  épaules.  (Seapin^  L  i») 

06J£T  par  excellenee ,  objet  aimé  : 

LJL   MOVTAOVB, 

ai  ce  parfoit  amour  que  vous  prouvez  si  bien 

Se  fait  vers  i>otre  objet  un  gi*and  crime  de  rien.      (PâcheuM*  L  i.) 

Mon  objet,  son  objet,  votre  objet,  est  une  expression  à  l'u- 
sage du  peuple ,  comme  mon  époux,  mon  épouse,  pour  mon 
mari,  ma  femme.  Le  ridicule  s'y  est  attaché  à  cause  de  Tem- 
pbase.  Âtissi  est-ce  un  vaWt  à  qui  Molière  prête  cette  façon  de 
parler  -,  Êliante  ne  s'exprime  point  comme  la  Montagne  :  elle 
dit|  robjet  aimé: 

«7. 


—  260  — 

Et  dans  Vohjet  aimé  tout  lai  ptroit  aimable.  {His,  II.  5.) 

Le  génie  observateur  de  Molière  recueille  jusqu'aux  nuances 
de  vérité  les  plus  fines  et  les  plus  fugitives.  On  ne  le  surprend 
jamais  en  défaut. 

OBLIGER  ,  absolament ,  dans  le  sens  da  latin  Mi- 
gare^  lier: 

Mes  plus  ardents  respects  n'ont  pu  vous  obliger; 

Tous  avez  voulu  rompre  :  il  n'y  faut  plus  songer.  {Dép,  am.  IV.  3.) 

—  OBLIGER  A  ,  forcer  à  : 

Je  me  retire  pour  ne  me  voir  point  obligée  à  recevoir  ses  compliaMots. 

{G. D.VL.  II.) 

•  Quoique  personne  n*jgnore  les  grandes  qualités  d*une  reine  dont  This- 

«  toire  a  rempli  l'univers,  je  me  sens  obligé  d*abord  à  les  rappeler  i  votre 

«  mémoire.  ••  (Bossurr.  Or.  fun,  itHenr,  ttjingl) 

«  Mais  je  suis  obtigé  à  me  contraindre.  »  (Pasc4I..  8*  Prop.) 

«  C'est  pourquoi  on  n'est  pas  obligé  à  s'en  confesser.  »     (Id.  io*  Ptop.) 

Pascal,  bien  qu'il  paraisse  préférer  obliger  à,  emploie  aussi 

obliger  de  : 

«  Les  confesseurs  n'auront  plus  le  pouvoir  de  se  rendre  juges  de  la  dis- 
«  position  de  leurs  pénitents,  puisqu'ils  sont  obligés  <^  les  en  croire  ma 
«  leur  parole.  »  (io«P/w.) 

Au  xvii^  siècle  y  obliger  de  pariut  avoir  été  réservé  pour  si- 
gnifier rendre  le  service  de  : 

«  Obligez-moi  de  n'en  rien  dire.»      (La  Foirr.  Fables,  IIL  6.) 

C'est-à-dire,  rendez-moi  le  service  de  n'en  rien  dire  ;  faites 
que  je  vous  aie  cette  obligation. 

«  U  y  a  des  âmes  basses  qui  se  tiennent  obligées  de  tout^  et  il  j  a  des 
«  Ames  vaines  qui  ne  se  tiennent  obligées  de  rien.  •      (Sa.ibt-Évremoiiid.] 

«  L'abbesse  lui  fit  réponse  qu'elle  et  ses  filles  se  sentoient  infiniment oMî- 
«  gées  de  ses  bontés»  •  (Patru.) 

Obligées  par  ses  bontés. 

—  s'obliger  de,  s'obliger  à...,  prendre  rengagement 
de.  • .  : 

Uo  fort  honnête  médecin .....  veut  s*obliger  de  me  faire  vivre  encore 
trente  années.  (3*  Placet  au  Roi.) 

Je  ne  lui  demandois  pas  tant,  et  je  serois  satisfait  de  lui ,  pourvu  qu'il 
s'obligeât  de  ne  me  point  tuer.  (  Ibid.) 


—  261  — 
-^  s'oBUGER  QUE  9  pouF  à  Ce  qut  : 

n  s'obligera ,  si  tous  Toulez ,  que  son  père  mourra  ayant  qu'il  soit  huit 
mois.  {VA»,  n.  a.  ) 

Remarquez  que  cette  locution  admet  le  second  verbe  au  futur 
de  l'indicatif,  tandis  qu'avec  la  tournure  ordinaire  il  le  fau- 
drait au  présent  du  subjonctif  :  «  Il  s'obligera  à  ce  que  son 
père  meure.  »  C'est  par  oi\  l'autre  façon ,  employée  par  Mo- 
lière ,  peut  être  utile. 

L'analyse  d'ailleurs  la  démontre  excellente.  Elle  revient  à 
ceci  :  Son  père  mourra  avant  huit  mois,  et  à  cet  égard  il  s'obli- 
gera, il  prendra  un  engagement  positif.  Cette  forme  exprime 
bien  mieux  la  certitude  du  fils  de  la  mort  de  son  père ,  que  si 
l'on  y  employait  le  conditionnel. 

OBSCÉNITÉ,  néologisme  en  1663: 

iLiSB. 

Comment  dites-TOus  ce  mot-là,  madame? 

CLIMàHB. 

Obscénité^  Doadame. 

ix.X8E. 

Ab!  mon  Dieu,  obscénité!  Je  ne  sab  ce  que  ce  mot  veut  dire,  mais  je 
le  trouTC  le  plus  joli  du  monde  !  (  Çrit,  de  tEc,  des  fem,  3.) 

OCCISEUR,  meurtrier  : 

MASCARILLK. 

Faisons  Tolibrius,  Vocciseur  d'innocents.  {L*Et,  III.  5.) 

Occisenr  n'a  été  recueilli  ni  dans  Trévoux  ni  dans  le  sup- 
plément au  Dictionnaire  de  l'Académie.  Aussi  paraît-il  forgé 
par  Mascarille,  d'après  le  latin. 

CEIL;  CONDUIRE  DE  l'oeil: 

Je  conduis  de  l'œil  toutes  choses.  (Pourc,  II.  1 1.) 

—  CEIL  CONSTANT  (d'un),  seds  se  troubler,  avec 
fermeté  : 

Tattendrai  ttun  ail  constant  ce  qu'il  plaira  au  ciel  de  résoudre  de  moi. 

(Scapin,  I.  3.) 

01  rimant  avec  È  : 

Ho,  ho!  les  grands  talents  que  votre  e^^ni  possède  ! 

Diroit-OQ  qu'elle  y  louche  avec  la  mme  froide?     {pép,  am,  V,i,) 


—  262  — 

Of  sonnait  dans  V origine oyé(i).  Ou  pronoBçait  doao/rouéde, 
d*oii,par  allégement  f/réde f  comme  on  prononce  encore  roide, 
que  Ton  commence  à  écrire  raide.  C'est  une  inconséquence  de 
prononcer,  comme  nous  ùiaons^  froide  et  réde. 

▼▲Làmi. 
Qae  Tient  de  te  donner  cette  ferondia  Mte  ? 

BEGASTI. 

Celte  lettre ,  monneur,  qu*avecqae  cette  botté 

On  prétend  qu*ait  reçue  Isabelle  de  vons.        (Ee,  des  mar,  n.  6.) 

On  prononçait  ^ir^V^. Quelques  textes  imprimés  du  xvi* siècle 
l'écrivent  même  de  la  sorte,  ainsi  que  les  mots  vouele,  mi-' 
rouer,  etc.,  pour  voile,  miroir. 

Une  tète  de  barbe ,  avec  Tétoile  nette  ; 

L*encolure  d'un  cygne,  effilée  et  bien  droite,         {Fâcheux,  II.  7.) 

D*abord  j*appréhendai  que  cette  ardeur  secrète 

Ne  fût  du  noir  esprit  une  surprise  adroite,  {Tart.  m.  3.) 

Qui  va  là  ?  —  Hé  !  ma  peur  à  chaque  pas  s'accroisil 
Messieurs,  ami  de  tout  le  monde. 
Abl  quelle  audace  sans  seconde 
De  marcher  à  Theure  qu*il  est/  {Jw^ph,  Lu) 

Toutes  ces  rimes  eussent  été  exactes  ^u  moyen  Age,  et  même 
encore  au  xvi*  siècle,  lorsque  Marguerite  d'Angouléme,  Saint- 
Gelais  et  les  autres  faisaient  rimer  éioiies  et  demoiselles ,  pa- 
roisse et  pécheresse.  Alors  on  rimait  encore  pour  Toreille  seule  ; 
c'est  seulement  au  xvii*  siècle  que  s'introduisit  la  coutume 
vraiment  barbare  de  rimer  pour  les  yeux.  La  prononciation  de 
la  syllabe  oi  avait  changé  ;  mais  les  poëtes  ne  voulurent  pas 
renoncer  aux  anciens  privilèges ,  et  ils  sacrifièrent  la  rime  vé- 
ritable pour  garder  la  facilité  de  rimer  en  apparence. 

OMBRAGE  ;  vth  ombrage  ,  un  soupçon ,  ou  platôt  I9 
disposition  à  soupçonner  : 

Quand  d'un  injuste  ombrage 
Votre  raison  saura  me  réparer  Toutrage.  (D.  Garde,  |,  S.) 

(0  J'«l  dirtloppë  ce  point  dsoi  1m  Forhtioiu  du  lâttg.fir,,  p,  177,  S«<  ilMifMiM. 


—  263  — 
—  OMBRAGES ,  aa  pluriel ,  dans  le  même  sens  : 

Et  que  de  ¥Otre  esprit  les  ombrages  puissants 

Forcent  mon  innocence  à  convaincre  vos  sens. . .  {D.  Gare,  Vf,  8.) 

Qu'injustement  de  lui  vous  prenez  de  Vombrage,  {Mis,  II.  i.) 

OMBRE  ;  a  l*ombre  di  ,  figurément ,  sous  la  protec- 
tion de..  .  : 

Je  louhaiterois  que  notre  mariage  se  pût  faire  à  f  ombre  du  leur, 

(B.  gent.  m.  7.) 

*-  OMBRES ,  apparences  : 

Mais  aux  ombres  du  crime  en  prête  aisément  foi.        (ifâ.  m.  5.) 

Vos  mines  et  vos  cris  aux  ombres  if  indécence 

Que  d'un  mot  ambigu  peut  avoir  Tianoceuce.  (Ibid.) 

ON  ;  deux  on  se  rapportant  à  deui  sujets  différents  : 

Cette  faute  est  très-fréquente  dans  Molière  : 
Au  moins  en  pareil  cas  est-ce  un  bonheur  bien  doux 
Quand  on  sait  qu'on  n'a  pas  d'avantage  sur  nous.  (Dép,  am.  II.  4.) 
Moins  on  mérite  un  bien  qu'on  nous  fait  espérer, 
Plof  notre  âme  a  de  peine  à  pouvoir  s'assurer.    (/>.  Gartiê,  II.  a.) 
Je  ne  sais  point  par  où  ton  a  pu  soup^nner 
Cette  assignation  qu'on  m'a  voit  su  donner.        (Me,  dêsfewtf  Y.  a.) 
It  l'ennui  qu'on  aurait  que  ce  nœud  qu'on  résout 
Tint  partager  du  moins  un  cœur  que  l'pn  veut  toi)U  (Tort.  TV,  $,) 

liO  preouer  et  le  dernier  on  désignent  £lmire  elle-même  2 
rintermédiaire  se  rapporte  à  Orgon ,  et  au  maiiage  qu'il  a  ré* 
soin  de  Marianne  ayeq  Tartufe, 

Mais  puisque  Y  on  (Orgon)  s'obstine  à  m'y  vouloir  réduire  ^ 
Puisqu'on  ne  veut  point  croire  à  tout  ce  qu'on  (Elmire)  peut  dire, 
Et  qu'on  (Orgon)  veut  des  témoins  qui  soient  plus  convaincants ,  - 
Il  hvLi  bien  s'y  résoudre  et  contenter  les  gens.  (Ibid.  TV,  S^.) 

L'embarras  d'Elmire,  obligée  de  parler  à  double  sen3,  peut 
servir  peut-être  d'excuse  à  cet  endroit  ^  et  donner  du  moin^  à 
cette  ambiguïté  un  air  très-naturel. 

Que  cher,  vous  on  vit  d'étrange  sorle, 
Et  qu'on  ne  sait  que  trop  la  haine  qu'on  lui  porte.       {Ibid,  Y.  3.) 
Om  vit  ohes  vous  d'étrange  »orte^  et  Je  ne  tait  que  trop  la 
haine  que  7H>us  lui  portes. 


—  264  — 

On  ii*atteiid  pti  mette  qa*oii  en  demande  (du  Ubac).       (D.  /«en.  I.  x .) 
Teut-o/i  qu*OA  rabatte, 
Par  det  moyens  doux  , 
Les  vapeurs  de  rate 
Qui  nous  minent  tous? 
Qu'on  laisse  Hippocrate , 

Et  qu*on  vienne  i  nous.  {Am,  méd,  TU,  8.) 

I^  premier  on  désigne  le  malade  ,  le  second,  le  médecin  qui 
rabat  les  vapeurs.  Ou  bien  les  deux  on  se  rapportent  tous  deux 
au  malade,  et  la  phrase  revient  à  celle-ci  :  veut-on  rabattre? 
Dans  ce  dernier  cas ,  la  tournure  est  entortillée ,  inusitée.  Mo- 
lière ne  donnait  pas  beaucoup  d*attention  au  style  de  ces  di- 
vertissements. 

Et  la  plus  glorieuse  (estime)  a  des  régals  peu  chers , 
Dès  qu'on  voit  qu'o/i  noua  mêle  avec  tout  Funivers.       (Mis,  I.  i.) 
Celui  qui  se  voit  mêlé  n*est  pas  celui  qui  mêle. 
Et  qu'eût-o/i  d'autre  part  cent  belles  qualités , 
On  regarde  les  gens  par  leurs  méchants  côtés.  (Uid.  La.) 

I^  personne  qui  a  cent  belles  qualités  n*est  pas  celle  qui 
regarde  les  gens  par  leurs  méchants  côtes.  Molière  a  parlé  plus 
correctement  dans  cet  autre  passage  : 

Et  Von  a  tort  ici  de  nourrir  dans  votre  âme 

Ce  grand  attachement  aux  déf|uts  qu'on  y  blâme.        (Md,  IL  5.) 

Parce  qu'il  est  possible  que  Gélimène  soit  blâmée  par  ceux 
même  qui  en  sa  présence  ont  le  tort  de  nourrir  son  penchant  à 
la  raillerie. 

Les  exemples  suivants  sont  irréprochables  : 

Eu  vain  de  tous  côtés  on  l'a  voulu  tourner  ; 

Hors  de  son  sentiment  on  n'a  pu  l'entraîner.  (Ihid,  IV.  i.) 

Et  lorsque  d*en  mieux  faire  (des  vers)  on  n'a  pas  le  bonheor, 

On  ne  doit  de  rimer  avoir  aucune  envie , 

Qu'on  n'y  soit  condamné  sur  peine  de  la  vie.  (Ibid,) 

La  faute  reparaît  dans  : 

Mais  croyez-vous  qu'on  Taime,  aux  choses  qu'on  peut  voir?  {liid,) 
On  lève  les  cachets,  qu'on  ne  l'aperçoit  pas.  (Amph,  III.  x.) 

Ces  grands  hauts-de-chausses  sont  propres  i  devenir  les  receleurs  des 
choses  qu*on  dérobe,  et  je  voudrois  qu'on  en  eût  fait  pendre  quelqu'un. 

(rA9. 1.  3.) 


—  265  — 

On  ne  peut  servir  à  désigner  tout  à  la  fois  le  voleur  et  le 
juge  qui  le  fait  pendre. 

Molière,  parlant  en  prose,  et  pour  son  propre  compte,  com- 
met cette  faute  ;  ce  qui  achève  de  montrer  combien  elle  lui  était 
familière,  ou  que  ce  n'était  point  alors  une  faute  reconnue  : 

On  n'ignore  pas  que  souvent  on  Ta  détournée  de  son  emploi  (la  philo- 
sophie)   Mais  on  ne  laisse  pas  pour  cela 

de  faire  les  distinctions  qu*il  est  besoin  de  faire  :  on  n'enveloppe  point 
dans  une  fausse  conséquence  la  bonté  des  choses  que  Von  corrompt ,  avec  la 

malice  des  corrupteurs Et 

puisque  Von  ne  garde  point  cette  rigueur  à  tant  de  choses  dont  on  abuse 
tous  les  jours,  on  doit  bien  faire  la  même  grftce  i  la  comédie. 

{Préf,  de  Tartufe.) 

Est-on  d*une  figure  i  foire  qu*o/i  se  raille  ?  {Psyché,  I.  i.\ 

Aglaure  veut  dire  :  Suis-je  d*une  figure  à  faire  qu'on  se  raille? 
Et ,  pour  donner  toute  son  âme, 
Regarde-t-on  quel  droit  on  a  de  nous  charmer  ?  {Ibld,  I.  a.) 

Cette  négligence  est  très-commune  dans  les  premiers  écri- 
vains du  xvii^  siècle  ;  c*est  un  des  progrès  incontestables  de 
l'époque  suivante  de  l'avoii^  proscrite. 

«  On  amorce  le  monde  avec  de  tels  portraits; 
«  Pour  les  faire  surprendre  on  les  apporte  exprès  : 
«  On  s'en  fâche,  on  fait  bruit,  on  vous  les  redemande; 
«*  Mais  on  tremble  toujours  de  crainte  qu'o/i  les  rende.  » 

(CoAir.  La  Suite  du  Menteur.  U,  7.) 

«  Si  ces  personnes  étoient  en  danger  d'être  assassinées ,  s'offenseroient- 
«  elles  de  ce  que  on  les  avertiroit  de  Tembûche  qu'o/i  leur  dresse  ? . ..  S'amu- 
«  seroient-elles  à  se  plaindre  du  peu  de  charité  qu'ois  aurait  eu  de  déoou- 
«  vrir  le  dessein  criminel  de  ces  assassins?  »  (  Pascal  .  i  x*  Prov.) 

«  En  vérité,  mes  pères,  voilà  le  moyen  de  vous  faire  croire  jusqu'à  ce 
«  qu'on  vous  réponde  ;  mais  c'est  aussi  le  moyen  de  faire  qu'o/i  ne  vous 
«  croie  jamais  plus  après  qu'on  vous  aura  répondu.  »  (i5*  Prov.) 

Celui  qui  répond  aux  jésuites ,  et  celui  qui  leur  ajoutait  foi 
jusqu'au  moment  de  cette  réponse,  sont  évidemment  deux  per- 
sonnes différentes. 

ON  DIRAIT  DE. . . ,  cela  ressemble  à  ; 

Et  ton  diroii  d'un  tas  de  mouches  reluisantes 

Qui  suivent  en  tous  lieux  un  doux  rayon  de  mid.  (MéiicerUA.  3.) 


—  M6  - 

O  n*6tt  pat  que  le  yerhedirv  t'emploie  Jamait  pour  renem* 
hier,  Gïtte  formule  on  dirait  de  y  correspondant  au  prêtent  têkk 
retsemhle  à^  tuppote  une  elUpte  ;  On  dirait  (la  même  chose) 
de...  donc ,  cela  ressemble  à... 

OPÉRA  ,  en  langage  de  gastronome: 

•  •  t  El  pour  MQ opéra,  d'une  loupe  à  bouilloo  p«Hé,  tic. 

(B.  getu.  n.  I.) 

Son  opéra  signifie  ici  son  chefdœuprè.  «Opéra,  dit  Bonhonrt| 
te  prend  encore  pour  une  chose  excellente  et  pour  un  chef- 
d'œuvre.  Scarrou  écrit  :  «  Toutes  vos  lettres  sont  admirables  ! 
«  ce  sont  ce  qu'on  appelle  des  opéra.  • 

Capi  d'opéra ,  des  chef s-d œuvre , 

OPÉRER ,  amener  an  résultat  : 

^ToQs  avez  hiw,  opéré  avec  ce  beau  monsieur  le  comte,  dont  vont  êtes 
embéguiné!  (Bowg. gttU.Ul,  3.) 

—  OPÉEEB  DAlfS  QUELQUE  CHOSE  : 

AGNÈI. 

Tous  avez  là-dedans  bien  opéré ,  Traiment  !      (Ec.  des/em.  ▼.4.) 

OPINIÂTRETÉ  aviu: 

Vous  avez  uue  âviie  opiniâtreté  qui,  etc.  (S,  gau,  m.  18.) 

ORDRE;  par  ordre,  comme  en  latin  ex  ordine: 

Eb  bien  I  qu'est-ce  ?  M'as-tu  tout  parcouru  par  ordre  P 

(jimph,  m,  a.) 
Des  pieds  à  la  tête,  en  détail. 

ORDURES,  au  figuré  : 

Chaque  instant  de  ma  vie  est  charge  de  souillures; 

Elle  u*est  qu'un  amas  de  crimes  et  d'ordures,  {Tart.  in.  S.) 

Pascal  a  employé  ordure  au  singulier,  dans  le  même  çen»  : 

»  Qui  le  cœur  de  l'homme  est  creu;iet  plein  dçrdure!  n 

{Pensées,  p.  1^5.) 

Ordure  est  formé  de  l'ancien  adjectif  ord,  qui  vient  lui-même 
de  sordidus,  en  lui  ôtant  la  première  lettre  et  les  deux  der- 
nières syllabes.  Njcot  donne  les  verbes  ordiret  onioyer,  qui  si- 
gnifient salir,  souiller.  Ordir  est  le  latin  sordere ,  dev^u  de 
verbe  nautM  verbe  actif  : 


—  267  - 

<  Trop  grand#  pmauté  et  accoiuUiu»  d'hommes  deredief  engendre 
«  djCfome,  et  ordoy  U  renommée  des  iemmes  trèt-bonneites,  » 

{Ane.  trad.  de  Boccace^  Des  Nobles  malheureux,  liv.9.) 

OU.  ubi: 

Molière  paraît  avoir  eu  une  aversion  décidée  pour  lequel, 
comme  relatif.  (Yoyex  lsqueii.)  Oo  ne  rencontre  presque  ja- 
mais chez  lui  ces  façons  de  parler,  auquel,  par  lequel,  dans 
lequel,  vers  lequel,  à  VaieU  duquel,  au  si^et  desquels,  etc.;  au 
lieu  de  ces  détours  et  de  ces  syllabes  vides.  Molière  emploie 
brusquement  où. 

Où  se  place  chez  lui  toutes  les  fois  qu'il  s*agit  d'exprimer  la 
relation  du  datif  ou  de  Tablatif. 

A ,  T ,  où  y  sont  pour  Molière  trois  termes  corrélatifs.  Toute 
phrase  qui  admetti'aît  Tun  .  admettra  les  deux  autres. 

Comme  cet  emploi  de  où  est  ti'ès-^ommode ,  très- vif ,  et  tout 
à  fait  condamné  ou  perdu  de  nos  jours ,  j'ai  cru  devoir  en  ras- 
sembler tous  les  exemples  fournis  par  Molière .  pour  bien  faire 
apprécier  ce  parti  pris  du  girand  écrivain ,  et  les  avantages 
qu'il  en  tire.  La  série  sera  un  peu  longue  ;  je  la  divise  en 
exemples  dans  les  vers ,  et  exemples  dans  la  prose. 
Exemples  dans  les  yen  : 

Nous  avons  eu  querelle 
Sur  rbymen  d^Hippolyte,  oU  je  le  vois  rebeUtt  (L'EiA.  9.) 

Je  sais  un  sûr  moyen 
Pour  rompre  cet  achat ,  oit  tu  pousses  si  bien.  {Ihid,  10.) 

Mais  cessez,  croyez-moi,  de  craindre  pour  un  bien 
Ok  je  serob  fâché  de  tous  disputer  rien.  {Hid,  III.  3.) 

Tous  avez  tu  ce  fils  où  mon  espoir  se  fonde?  (lèid,  lY.  X) 

Mon  âme  embarrassée 
Ne  voit  que  MaseariUe  oit  jeter  sa  pensée.  (Dép,  am,  III.  6.) 

Bfaii  sui^-je  pas  bien  lat  de  vouloir  raisoiiBer 

OU ,  de  droit  absolu ,  j'ai  pouvoir  d'ordonner?  (jSgftn,  i .) 

. .  .Un  cœur  qui  jamais  n*a  fait^la  moindre  efaote 
A  mériter  TafiTront  où  ton  mépris  l'expose.  (Jbid.  16.) 

Rien  ne  me  reprocboit 
Le  tendre  mouTcment  où  mon  âme  peqcboit.        (^,  Garcit,  I.  z.) 
Puisqqe  cbez  notre  Mie,  mi  i*boiuieur  est  puisiant..,  {tbid,) 

▲b  I  sQoffrei ,  dans  les  maux  où  mon  destin  m'expose,  {jfifid,,,  m.  a.) 


—  268  -- 

Oui ,  le  trépas  cent  fois  me  semble  moins  à  craindre 

Que  cet  hymcD  fatal  où  Ton  me  veut  contraindre.  (D,Gare,  m.i.) 

Entretenir  ce  soir  cet  amant  sous  mon  nom , 

Par  la  petite  rue  où  ma  chambre  répond.  (IM,  m.  s.) 

Et  pour  justifier  cette  intrigue  de  nuit 

Où  me  faisoit  du  sang  reUcher  la  tendresse....,  (I6UL) 

Elle  pourroît  se  plaindre 
Du  peu  de  retenue  où  j*ai  su  me  contraindre.  (^M*) 

Les  noces  où  j*ai  dit  qu*il  tous  faut  préparer.  (Éc,  des  fem.  TH.  i.) 

Considérez  un  peu,  par  ce  trait  d'innocence , 

Où  Texpose  d*un  foo  la  haute  impertinence.  {Htd,  T.  1.) 

Elle  a  de  certains  mots  où  mon  dépit  redouble.  (ibid,  T.  4.) 

Et  qu'un  premier  coup  d'œil  allume  en  nous  les  flammes 

Où  le  ciel  en  naissant  a  destiné  nos  ftmes.  (Pr.  d'EL  I.  i.) 

L'estime  où  je  vous  tiens  ne  doit  pas  vous  surprendre.    {Mis,  I.  a.) 

J'estime  plus  cela  que  la  pompe  fleurie 

De  tous  ces  faux  brillants  où  chacun  se  récrie.  (  iiid.) 

Des  vices  où  l'on  voit  les  humains  se  répandre.  {Ihid,  n.  5.) 

Enfin,  toute  la  grâce  et  raccommodement 

Où  s'est  avec  effort  plié  son  sentiment, 

C'est  de  dire,  etc.  {Ihid.  IV.  i.) 

Pour  moi,  plus  je  le  vois,  plus  surtout  je  m'étonne 

De  cette  passion  où  son  cœur  s'abandonne.  (ibid.) 

Rt  je  sais  encor  moins  comment  votre  cousine 

Peut  être  la  personne  où  son  penchant  Tincline.  {Ibid,) 

Je  vous  promets  ici  d'éviter  sa  présence , 

De  faire  place  au  choix  où  vous  vous  résoudrez.    (Mélieerte.  II.  4.) 

Tous  devez  n'avoir  soin  que  de  me  contenter. 

—  C'est  où  je  mets  aussi  ma  gloire  la  plus  haute.  (  Tart.  U,  i .) 

Fort  bien  !  c'est  un  recours  où  je  ne  songeois  pas.  {Ibid,  II.  3.) 

Au  plus  beau  des  portraits  où  lui-même  il  s'est  peint.  {Ilnd,  III.  3.) 

De  vos  regards  divins  l'ineffable  douceur 

Força  la  résistance  où  s'obstinoit  mon  cœur.  {Ibid,) 

Il  sufllt  qu*il  se  rende  plus  sage. 
Et  tâche  à  mériter  la  grâce  où  je  m'engage.  {ibid.  IIL  4<) 

Et  ce  sont  des  papiers ,  à  ce  qu'il  m'a  pu  dire , 
Où  sa  vie  et  ses  biens  se  trouvent  attachés.  {Ibid,  \,  z.) 

Aux  différents  emplois  où  Jupiter  m'engage.  {Amph,  Prol.) 


—  269  — 

si  votre  oœnr,  charmante  Alcmène, 

Me  refuse  la  grâce  où  j'ose  recourir. . .  {Amph,  II.  6.) 

Noo,  il  faut  qu'il  ait  le  salaire 
Des  mots  ou  tout  à  l'heure  il  s'est  émaocipé.  (Uid.  HI.  4.) 

Ayez ,  je  vous  prie,  agréable 

De  venir  honorer  la  table 

Ou  vous  a  Sosie  invités.  {Ibid,  III.  5.) 

J'aurois  mauvaise  grâce 
De  maltraiter  l'asile  et  blesser  les  bontés 

Où  je  me  suis  sauvé  de  toutes  vos  fiertés.  (  Fem,  sav.  IV.  %,) 

Et  les  soins  où  je  vois  tant  de  femmes  sensibles 
Me  paroissent  aux  yeux  des  pauvretés  horribles.  (Jbid,  I.  x.) 

Mais  vous  qui  m'en  parlez,  où  la  pratiquez-vous  ?  {Ibid.  I.  a.) 

Et  l'hymen  d'Henriette  est  le  bien  où  j'aspire.  {Ibid,  I.  4.) 

Et  la  pensée  enfin  où  mes  vœux  ont  souscrit. . . .         {Jbid,  III.  6.) 

Cette  pureté 
Où  du  parfiit  amour  consiste  la  beauté.  (Jbui,  Vf,  a.) 

Et  madame  doit  être  instruite  par  sa  sœur 

De  rhymen  où  l'ou  veut  qu'elle  apprête  son  cœur.        {Ibid,  IV.  7.) 
n  est  une  retraite  où  notre  âme  se  donne.  {Ibid,  IV.  8.) 

Cest  sur  le  mariage  où  ma  mère  s'apprête 

Que  j'ai  voulu ,  monsieur,  vous  parler  tête  i  tête.         {Ibid.  V.  i.) 
Le  don  de  votre  main  où  l'on  me  fait  prétendre.  (Ibid,) 

Deux  époux  I 
C'est  trop  pour  la  coutume.  —  Où  vous  arrêtez-vous?  {lbid,\,  3.) 
Suivez ,  suivez ,  monsieur,  le  choix  oii  je  m'arrête.  {Ibid,) 

Molière  a  même  employé  où,  rapporté  à  im  nom  de  personne, 
pour  à  qui  : 

Et  ne  permettez  pas 

Que  votre  amour ,  qui  sait  quel  intérêt  m'anime , 

S'obstine  à  triompher  d'un  refiis  légitime , 

Et  veuille  que  ce  frère  où  l'on  va  m'exposer 

Commence  d'être  roi  pour  me  tyranniser.  {D.  Garcie,  T.  5.) 

Et  je  n'en  veux  Féclat  que  pour  avoir  la  joie 

D'en  couronner  l'objet  où  le  ciel  me  renvoie.  {Ibîd.) 

Le  véritable  Amphitryon 

Est  l'Amphitryon  où  l'on  dîne.  (Amph.  m.  5.) 

Oà,  dans  ce  dernier  exemple,  est  adverbe  de  lieu  :  dans  la 
maison  de  qui. 


—  270  — 

Les  Latins  de  même  ont  quelquefois  êmpbyé  tthi  en  relation 
avec  un  nom  de  personne  :  «  Neque  nobis  pneler  te  quisquam 
«  fuit  ubL,,..  »  (Ciciaoïr),  pour  mpud  quem. 

Exemples,  dans  la  prose  : 

G*est  elle  (la  contrainte)  qui  me  fait  pafser  lor  des  formaiités  où  b  bien- 
aénnce  du  lexe  oblige.  (JSe,  des  mar.  IL  S.) 

Ett-il  rien  de  si  bas  que  quelques  mots  ou  tout  le  monde  rit? 

(CnV.  de  CÉcdesfem,  7.) 
Eh  !  sans  sortir  de  la  cour,  nVt-il  pas  (Molière)  vingt  ciractèrei  de  gens 
o&  il  n*a  point  touché?  {Impromptu,  3.) 

Tous  ne  sauriez  m*ordonner  rien  011  je  ne  réponde  aussitôt  par  une 
obéisiance  aveugle;  (Pr.  d'EL  n.  4.) 

Et  rends  i  chacune  les  tributs  où  la  nature  nous  oblige.  {D,  Juan,  I.  a.) 
Laissons  là  la  médecine ,  oit,  vous  ne  croyez  point,  {JLhid.  ni.  z.) 

Une  grimace  nécessaire  ou  je  veux  me  contraindre.  {Ihld,  T.  a.) 

Tous  les  dérèglements  criminels  ou  m*a  porté  le  feu  d'une  aveugle  jeo- 
Aesse.  (/^.  Y.  3.) 

Serait-ce  quelque  chose  ou  je  tous  puisse  aider  ?        (AfÂ^  ai.  Ziii.L  5.) 
Je  viens  tout  à  l'heure  de  recevoir  des  lettres  par  ou  j'apprends  que 
mon  oncle  est  mort.  (Ihid,  IIL  1 1.) 

Je  te  pardonne  ces  coups  de  bâton,  en  faveur  de  la  dignité  ou  tu  m'as 
élevé.  ^  (/^M/.m.xi.) 

^  Vous  repentez-vous  de  cet  engagement  où  mes  feux  ont  su  vous  con- 
traindre? (L'^*^.Li.) 
Cen  est  assez  à  mes  yeux  pour  me  justifier  l'engagement  où  j'ai  pu  oon- 
•entir.  {Jhid. 
Cest  une  chose  ou  vous  ne  me  réduirez  point                    [fhiâ,  L  6.) 
C'est  un  parti  où  il  n'y  a  point  à  redire.  (liid,) 
C'est  une  chose  où  l'on  doit  avoir  de  l'égard.                         (ihid,  L  7.) 
Elle  n'aime  ni  les  superbes  habits,  ni  les  riches  bijoux,  ni  les  meubles 
somptueux,  où  donnent  seê  pareilles  avec  tant  de  chaleur.        (lèid,  IL  6é) 
Les  alarmes  d'une  personne  toute  prête  à  voir  le  snppUce  oè  fon  vent 
l'attacher.                                                                               (iSid.  lU.  8.) 
C'est  ici  une  aventure  où  sans  doute  je  ne  m'atteidais  pas.  (ibid*  UL  1 1.) 
C*est  un  mariage  où  vous  imagiuez  bien  que  je  dois  avoir  de  la  répu- 
gnance. (Ihid.) 
Quand  je  pourrois  passer  sur  la  quantité  d'égards  où  notre  sem  est 
obhgé. . .                                                                                Çlàid.  lY.  i;) 


—  271  — 

Ce  sont  des  suites  fâcheuses  oh  je  n'ai  garde  de  me  commettre! 

{L'M.TV.iï) 
Ce  ne  sont  point  ici  des  choses  ou  les  enfants  soient  obligés  de  déférer 

thA  une  chow  où  to  m'obliges  \Êt  là  soumission  et  le  respect  où  tu  te 
1^.  (ibid.  rv.  5.) 

Je  ne  Tois  pas. ...  le  supplice  oh  tous  croyez  que  Je  puisse  être  con- 
lllké  ponr  notre  engagement.  (Jbid,  Y.  5.) 

foe  Journée  de  travail  oh  je  ne  gagne  que  dix  sols.  [G,  D:  I.  a.) 

Si  j'aTois  étudié,  j'aurois  été  songer  à  des  choses  oh  on  n'a  jamais 
i^é:  ijbid.  lU.  X.) 

^oilà  on  coup  sans  doute  oh  vous  ne  tous  attendiez  pas  I     {Ibid,  III.  8.) 
C'est  une  chose  oh  je  ne  puis  consentir.  {Ibid,  III.  xa.) 

Voilà  une  connoissance  oh  je  ne  m*attendois  point.  (Pourc,  I.  7.) 

[Teit  une  chose  oh  il  y  va  de  l'intérêt  du  prochain.  {Ibid,  IL  40 

Les  fentiments  d'estime  et  de  vénération  oh  votre  personne  m'oblige. 

{Ibid.  UL  9.) 

le  renonce  k  la  gloire  ok  elles  veulent  m'éleverJ        (Jm,  magn,  III.  i.) 

te  cîd  ne  sauroit  rien  faire  oh  je  ne  souscrive  sans  r^iigoanoe.     {Ihid^ 

KJa  Binage  o«  Je  ne  nw  sens  pu  encore  bien  résolue.  {Ibid*  lY.  i.) 

tîHe  aventure  merveilleuse  oh  personne  ne  s'attendoit.        {thhi,  T.  i .) 

{de  tous  irrive-t-il  A  tous  deui  oh  vous  ne  soyez  préparés? 

{Ibld.  y.  4.) 

Te  M  veux  pas  me  donner  on  nom  oh  d'autres  en  ma  place  croiroient 
itendre.  {B,  gent,  III.  la.) 

Cest  une  chose  oh  je  ne  consentirai  point.  {Ibid,) 

Btlte  feinte  oh  je  me  force  n'étant  que  pour  vous  plaire. .... 

{Comtesse  d^Esc,  i;) 

9r  çày  ma  fille ,  je  vais  vous  dire  une  nouvelle  oh  peut-être  ne  vont  aW 
4ei»vons  pas.  {Mal,  inu  I.  5.) 

WÊÊt  m*a  expliqué  vos  intentions ,  et  k  dessein  oh  vous  êtes  pour  elle. 

(/^tt/.  L9.) 

Ces  divers  emplois  de  où,  y  compris  la  relation  à  un  nom  de 
rsonne ,  sont  autorisés  par  Tusage  constant  des  plus  anciens 
■raments  de  notre  langue  : 
c  CMauriî^je  lance  ?  i>  (/{.  ifW  CaiM;^)i  pour  à  qui  Bie  fiirai-j6? 


—  272  — 

— «  Karlon ,  le  roi  où  France  apent.  »  [Les  quatre  fils  Aymoti\\ 
à  qui  appartient  la  France. 

«  Les  fils  Garin,  ou  tant  a  de  fierté.  >»  {Germrs  dé  Wiame,) 

«  Trestous  li  Deu  oh  croient  les  François.  »        {Qgi^^  ^  Dtawis) 
m  Ou  pensez-Tous,  frère  Symon? 
«  Je  pens,  fait-il,  à  un  sermon 

«  Le  meilleur  où  je  pensasse  oncqnes.  •  (RoTBsvsr.) 

«  Et  les  gens  au  monde  pour  la  santé  ou  plus  il  avoit  de  fiance  (Char- 
«  les  Y),  c*estoit  en  bons  maistres  médecins.  >• 

(  Faoissart.  Chron.  II;  di.  ;o.) 

On  en  citerait  des  exemples  innombrables  de  Montaigne ,  de 
Régnier,  de  Rabelais,  etc.;  il  n*y  a  qu'à  ouvrir  le  volume. 
En  voici  de  Bossuet  et  de  Pascal  : 

«  Les  Égyptiens  sont  les  premiers  ou  Ton  ait  su  les  règles  du  gouveme- 
«  ment.  >•  (Bossurr.  But.  Un.) 

«  Us  (les  rois)  assistoient  à  une  prière  pleine  d'instruction,  où  le  pontife 
«  prioitlesdieuxy  etc »  {Ibid.) 

«  Ils  ont  pris  un  si  grand  soin  de  les  rétablir  parini  ks  peuples  ok  la 
«  barbarie  les  avoit  fait  oublier. . .  etc.  »  (làid,) 

«  Le  premier  de  tous  les  peuples  où  Ton  Toie  des  bibliotlièqiiet  est  celui 
«  d'Egypte.  »  (I6id.) 

m  Si  un  animal  faisoit  par  esprit  ce  qu'il  fait  par  instinct ,  et  s*il  parloit 
«  par  esprit  ce  qu'il  parle  par  instinct.  ......  il  parleroit  aussi  bien 

«  pour  dire  des  choses  oit  il  a  plus  d'affection ,  comme  pour  dire  :  Rongez 
«  cette  corde  qui  me  blesse,  et  ou  je  ne  puis  atteindre.  »  (Pascal.  Pensées.) 

«  Mais  pensez  un  peu  oU  vous  tous  engagez.  >»  (Pascai..  xa*  Pro9.) 

«  Mais  parce  qu'il  faut  que  le  nom  de  simonie  demeure ,  et  qu*il  y  ait 
«  un  sujet  oit  il  soit  attaché.   .  .  »  (iM) 

m  Voilà  la  doctrine  de  Yasquez,  où  tous  reuToyez  tos  lecteurs  pour  leur 
M  édification.  »  (iHd) 

«  Je  ne  tous  dirai  rien  cependant  sur  les  aTertissements  pleins  de  fiiui- 
«  setés  scandaleuses  par  où  tous  finissez  chaque  imposture.  »  {lèid.) 

«  Les  méchauts  desseins  des  molinistes,  que  je  ne  tcux  pas  croire  sur  sa 
«  parole,  et  où  je  n'ai  point  d'intérêt.  »  (z'*  Prop,) 

«  Une  action  si  grande,  où  ils  tiennent  la  place  de  Dieu.  »     (x4*  Prov,) 

Enfin  tout  le  xvii*  siècle  a  ainsi  parlé,  et  une  partie  du  xviii*. 
C*est  de  nos  jours  seulement  qu'on  a  prétendu  restreindre  où 
à  marquer  l'alternative  ou  le  lieu,  et  qu'on  a  imposé  ces  af&eu- 


—  273  — 

ses  locutions  traînantes />ar  laquelle^  dans  lesquels  ^  à  taide 
desquels ,  chez  lesquels ^  par  rapport  auxquelles  y  etc.,  etc. 

Sur  ces  deux  vers  de  Corneille  , 

«  Etc*est  je  ne  sais  quoi  d'abaissement  secret 

«  Ùu  quiconque  a  du  cœur  ne  descend  qu*à  regret,  »  {f.p,  à  Arlste,) 

Voltaire  a  eu  le  tort  d'écrire  lestement  :  a  Cela  n*est  pas  fran- 
çais. »  Racine  n'a  donc  pas  non  plus  parlé  français  lorsqu'il 
a  dit  : 

«  Et  voilà  donc  l^hymcn  ou  j'étois  destinée  ?  »     (Iphigénie,  m.  5.) 
et  Voltaire  lui-même  : 

«  Pardonne  i  cet  hymen  où  j*ai  pu  consentir.  ■       {Âlxire.  III.  i.) 
«  La  honte  ou  je  descends  de  me  justifier.  »  {Zaïre,  IV.  6.) 

«  Sais-tu  Texcès  d'horreur  où  je  me  irois  livrée?  »  {Mérope,  TV,  4.) 

Alléguer  les  privilèges  de  la  poésie  est  une  défaite  ridicule , 
qui  n'a  pu  naître  que  dans  un  temps  où  l'on  avait  perdu  le  sen- 
timent vrai  des  choses ,  et  où  le  raisonnement  bannissait  la 
raison.  Est-ce  qu'un  solécisme  en  prose  peut  devenir  légitime 
au  moyen  d'une  rime  ?  Il  serait  absurde  de  le  penser.  On  me 
permettra  de  répéter  ici  ce  que  j'ai  déjà  dit  ailleurs  :  a  Ouvrez  la 
Grammaire  des  grammaires  ;  vous  allez  être  bien  édifié  !  elle 
distingue  ou  adverbe ,  ou  pronom  absolu ,  et  oà  pronom  relatif 
(le  pronom  relatif  u^//).  Elle  permet  ce  dernier  où^  açecun  verbe 
qui  marque  une  sorte  de  localité  physique  ou  morale.  Mais  elle 
avoue  que  la  poésie  s'en  sert  quelquefois  en  des  cas  où  il  n'y 
a  pas  localité  physique  ou  morale. 

«  C'est  à  ces  faiseurs  de  galimatias  double  qu'est  abandonnée 
la  police  de  notre  langue  !  Ce  sont  là  nos  instructeurs ,  et  les 
juges  en  dernier  ressort  de  Molière ,  de  Pascal ,  de  Bossuet , 
de  tous  nos  grands  écrivains  !  Il  fallait  effectivement  moins  de 
génie  pour  composer  Tartufe  ou  les  Provinciales ,  que  potu* 
surprendre  le  pronom  où  dans  une  localité  morale,  » 

Reprenons  donc ,  il  en  est  temps ,  une  façon  de  pai*ler  vive, 
commode,  excellente,  que  nous  sommes  en  train.de  remplacer 
par  la  plus  lourde  et  la  plus  insipide. 

18 


—  J74  - 
-^  où  9  pour  juiqu'où: 

Je  M  nît  qw  n«  tient,  infiliney 
Que  je  De  rarrache  lei  yeux, 
Et  ne  t*appreiuie  où  va  le  courroux  d^une  femme.'    (Amph,  IL  3.) 

—  OÙ  I  faisant  pléonasme  où  nons  mettrions  que  : 

Et  c*est  dans  celte  allée  oit  devroit  être  Orphûe;    (Fâcheux,  ht,) 
m  Cm\  ici  Oit  je  veux  Tout  iiure  tentir  la  néoesaité  de  m»  caauklaa.  • 

«  Cest  là  oit  vous  verrez  la  dernière  bénignité  de  la  conduite  de  nos  pèraM 

(ID.  9»  Prvp.) 

—  OU  (ou  bien) ,  pour  ni  : 

Monsieur,  j*ai  grande  honte  et  demande  pardon 

D*étre  sans  vous  connoitre  ou  savoir  votre  nom.         {Turi.  T.  4.} 

*-  OU  KOH ,  transporté  devant  le  verbe  sur  lequel 
porte  Talternative  : 

Je  ne  vais  point  chercher,  pour  m*estimer  heureux  » 
Si  Masearille  ou  non  s'arrache  les  cheveux.  C^  <"*•  I*  i.) 

Ce  n'est  point  Masearille  ou  non,  c'est  s'arracke  om  non.  £a 

prose,  ou  bien  n'étant  pas  contraint  par  le  bescnn  de  la  mesure , 

Molière  eàt  suivi  la  construction  ordinaire. 

—  OU  SI,  complément  d*une  interrogation  par  tf, 
après  une  troisième  personne  : 

Mon  cœur  court-il  au  change  ?  on  si  vous  Vy  poussez  ? 

(Fem.  sop.  FF.  1.) 

OUS ,  pour  vous^  dans  le  langage  des  paysans  : 

pf BmmoT.  Je  vous  dis  qa'ous  vous  teiguiois ,  et  qu*ous  ne  cnresaiet  pont 
nos  accordées.  ; . .  Testigiienne ,  parce  qu*otts  êtes  monsieur  I . . , . 

(p.JmiLjLt) 

Cette  suppression  du  v,  suggérée  en  certains  cas  par  l'instinct 
de  Feuphonie ,  était  régulière  et  du  bon  langage  dans  le  vieux 
français. 

Dans  la  Bourse  pleine  de  sens ,  de  Jean  le  Gallois  d'Aube- 
pierre  (xiix*  siècle)  : 

«  I^apous  homle  ?  —  Dame,  de  quoi  ?  » 

Dans  la  farce  de  Pathelin,  qui  est  du  xv*  siècle  : 

LK    DRAPIER. 

«  Et  qu'est  cecy?  n'avous  pas  honte? 
•  Par  mon  serment  c'est  trop  desvé.  « 


—  276  — 

I.B  JVQMm 

m  Commait ,  voiu  avei  la  maia  litute  1 
«  jfvotu  mal  aux  deus,  maUtre  Pierre?  • 

vAitm  JiHâv  (à  PatlieUii  malade). 
Or,  dictei  Benediciie* 

TATRELIM» 

Benedicite^  monseigneur. 

VAisrai  jiHAN. 
Et  Toicy  une  grant  hydeur! 
Sçe^pous  respondre  Dominus? 

(le  Têitûment  Je  PatheUtL) 

Et  encore,  au  xvi*  siècle ,  cette  syncope  était  maintenue  à  la 
cour  de  François  P'.  La  reine  de  Navarre  l'emploie  dans  ses 
poésies ,  écrites  dans  le  style  le  plus  élevé  du  temps  : 

«  Pourquoi  à" vous  espoaié  l'esUvngiere? ,,',*, 

«  Mais  i{v!a\ous  faict,  voyant  ma  repentance? .  •  :  > 

(  Li  Miroir  de  r Àme  peschereue,) 
Théodore  de  Bèze  consacre  cette  apocope  par  une  règle  for- 
melle. {Delinguœfran.  recta pronuntiatione,  p,  84.) 
(Voyez  JE.) 

OUTRÉS  DE  ;  goutes  outres  d'extravagance  : 

Quoi!  tu  me  veux  donner  pour  des  vérités,  traître. 

Des  conies  que  je  vois  d'extravagance  outrés  P         (AmpK  II.  9.) 

OUVERTURE  ;  faire  uke  ouverture  : 

S*il  Î9MX  faire  à  la  cour  pour  vous  quelque  owerture,      (Mis,  I.  a.) 
BoMuet  dit  :  donner-ouverture  à... 

«  Le  roi  n^avoit  point  donné  <t ouverture  ni  de  prétexte  aux  exott  ia- 
«  criléyes......  {Or.  fiin.  de  la R,  d'ji.) 

(Voyez  ouveir.) 

OUVRIER  DE,  comme  ouvrier  en  : 

On  n*a  guère  vu  d^homme  qui  fût  plus  habile  ouvrier  de  ressorts  et 
^intrigues.  (Scapin,  I.  a.) 

On  dit  de  même ,  un  artisan  de  troubles. 

—  OUVRIERS  en  deax  syllabes  : 

On  est  venu  lui  dire ,  et  par  mon  artiûre , 
Que  les  ouvriers  qui  sont  après  son  édifioe. . . .  (L'Mt,  II.  i.) 

18. 


—  276  — 

Primidveinent  Vi,  dans  toutes  ces  finales  en  ier,  ne  sonnait 
pas;  il  ne  servait  qu'à  marquer  l'accent  fermé  de  l'e.  Ainsi  l'on 
prononçait  un  sangler,  im  boucler,  un  rocher,  un  verger,  se  cou- 
cher.  Peu  à  peu  l'on  en  est  venu  à  faire  entendre  \i  dans 
quelques-uns  de  ces  mots ,  sans  pour  cela  modifier  la  règle  de 
versification  qui  les  concernait  ;  et  l'on  s'est  récrié  sur  la  bar- 
barie d'oreille  de  nos  pères ,  quand  il  n'y  avait  lieu  que  d'ad- 
mirer le  peu  de  mémoire  de  leurs  enfants.  En  effet,  pourquoi 
dites-vous  un  sanglier,  et  ne  dites-vous  pas  un  rochier?  Pour- 
quoi avez-vous  altéré  l'ortliographe  de  l'un ,  et  point  celle  de 
l'autre  ?  Pomxjuoi  avez- vous  introduit  la  disparité  d'écriture 
et  de  prononciation  entre  des  mots  qui  s'écrivaient  et  se  pro- 
nonçaient jadis  de  même  ? 

OUVRIR;  ouvHiR  des  idées: 

Je  le  dois,  sire  (le  succès),  à  l'ordre  qu'elle  (Votre  Majesté)  me  douoa  d*y 
ajouter  un  caractère  de  fâcheux ,  dont  elle  eut  la  bonté  de  m  ouvrir  les  idées 
eUe-méme. . .  (£p,  dédie,  des  Fâcheux,) 

«  La  vérité  qui  oupre  ce  mystère,  »  (Pucll,  Pensées,) 

—  OI]VRIR  DU  SECOURS  : 

Et  contre  cet  hymen  ouvre-moi  du  secours',  (Tart,  II.  3.) 

—  OUVRIR  LES  PREMIERES  PAROLES  ,   COmmC   OUVrif 

un  avis: 

Au  moins  appuyez-moi , 
Pour  en  avoir  ouvert  les  premières  paroles.  (Fâcheux,  TU,  3.) 

—  OUVRIR  l'occasion  DE  : 

D^autant  mieux  qu'ayant  entrepris  de  vous  peindre,  ils  pous  ouvroient 
^occasion  de  la  peindre  aussi.  (Impromptu,  i.) 

—  OUVRIR  SES  SENTIMENTS  ,  SON  INTENTION  ,    OOmmC 

ouvrir  son  cœur  : 

Pion,  non,  ma  fille;  vous  pouvez  sans  scrupule  m'ouvrir  vos  sentiments. 

(Jm,  magn,  IV.  i.) 
C'est  à  quoi  j'ai  songé , 
Et  je  vous  veux  ouvrir  C  intention  que  foi.  (Fem,  sap,  U.  8.) 

—  OUVRIR  UN  moyen: 

Ne  me  pourriez -vous  point  ouvrir  quelque  moyen? 

(£c.  des  fem,  ULi.) 
(Voyez  OUVEBTCEE.) 


—  277  — 
PAIN  BÉNIT;  c'est  paiw  bénit  : 

Cett  conscience  à  ceux  qui  s'assurent  en  nous, 
Biais  eut  pain  bénit  ^  certe,  à  des  gens  conune  vous. 

(Ec,  des  mar.  I.  3.) 

C'est-à-dire  :  aux  gens  de  votre  sorte^  cela  vient  aussi  na- 
torellenient  que  le  pain  bénit  à  la  messe. 

—  PADf  DE  RIVE ,  terme  technique  de  gastronomie  : 

Il  ne  manqueroit  pas  de  tous  parier  d'un  pain  de  ripe  à  biseau  doré.... 

(B.gent.Vf,  I.) 

Pain  qui,  ayant  été  placé  sur  la  rive,  c'est-à-dire,  sur  le  bord 
du  four,  n*a  point  touché  les  autres  pains ,  et  se  trouve  cuit  et 
doré  tout  alentour. 

PAMER ,  verbe  neutre ,  pour  $e  pâmer  : 

Madame , 
D'où  tous  pourroit  Tenir.  1 .  Ah  bons  dieux!  elle  pâme!  (Sgan,  a.) 
Dans  ses  simplicités  à  tous  coups  je  Vadmire, 
Et  parfois  elle  en  dit  donty>  pâme  de  rire.         {Ec,  desfem,  1. 1.) 
On  n'en  peut  plus.  —  On  pdme,  —  On  se  meurt  de  plaisir. 

{Fem.  say,  III.  a.) 
«  Sire ,  on  pâme  de  joie  ainsi  que  de  tristesse.  »     (Corn.  Le  Cid,) 
(Voyez  arbAteb.) 

PAQUET,  métaphoriquement  au  figuré,  accident, 
surprise: 

Ah  !  le  fâcheux  paquet  que  nous  venons  d'avoir!      (£*£/•  IL  z3.) 

PAR  ;  GoiHDAMNER  PAH ,  à  causc  de  : 

J*ai  ouï  condamner  cette  comédie  à  de  certaines  gens ,  par  les  mêmes 
choses  que  j'ai  vu  d'autres  estimer  le  plus.      (Cr/V.  de  C École  desfem,  6.) 

—  PAR ,  par  rapport  à,  du  côté  de  : 

Les  hommages  ne  sont  jamais  considérés /^ar  les  choses  qu'ils  portent. 

(Ep.  dédie,  de  t Ecole  des  maris,) 

C'est-à-dire  qu'en  un  présent  l'intention  est  plus  considé- 
rable que  la  valeur  de  l'objet  offert. 

L'expression  de  Molière  paraît  obscure  en  cet  endroit  j  elle 
est  très-claire  dans  ce  vers  : 

On  regarde  les  gens  par  leurs  méchants  côtés.  {Mis.  I.  a .) 


—  278  — 

—  PAR  y  parmi  : 

D*abord  leurs  escoffioDi  ODt  Tolé  par  k  place.  {VEt.  V.  14.) 

Parnii  la  place ,  dans  le  milieu  de  la  place. 

SuiTez-moi ,  que  j^aille  un  peu  montrer  mon  habit  par  la  Tille. 

{B.  gmu  in.  I.) 
(Voyez  PAEMi.) 

-«  PAB  xm  lULHsuA ,  par  malheur  : 

Et  Boi|  pér  un  malheur^  je  m^aperçoit,  madame  » 

Que  j'ai,  ne  tous  déplaise,  un  corps  tout  comme  une  Ame. 

{Fem.  tm9.  IV.  i.) 

—  DE  pab: 

£b  I  de  par  Belxébuty  <{ui  tous  puisse  emporter  I  (fig^f^  ^0 

L'exactitude  voudrait  qu'on  écrivît  de  pari  avec  nat:  ex 
parte  Beelzebui,  de  la  part  de  Belzébut.  Le  rapport  du  génitif, 
aujourd'hui  marqué  par  de,  l'était  primitivement  par  la  simple 
juxtaposition.  Les  plus  anciens  textes  ècnvent  de  part  :  — 
«  Départ  nostre  Seigneur»  (Rois,  144,  289,  29^ •)  —  «Samuel 
li  prophètes  vint  à  Saùl  départ  Deu.  »  (Rois,  53.) 

De  part  Dieu ,  aujourd'hui  pardieu ,  opposé  à  de  part  le 
diable  ou  de  part  BéeUebut, 

(Voyez  PAR  SOI,  et  des  Variations  du  langage  français,  p.  k\o.) 

PAR  AGITANTE,  de  Tespagnol  para  guant^^  pmr 
{acheter)  des  (/anrs;  ce  qu'on  appelle  en  allemand  Jfinik- 
geld^  en  français  pour  boire: 

Dessus  Tayide  espoir  de  qatiqae  peraguatîtê , 

n  n'est  rien  que  leur  art  aveuglément  ne  tente.  (L'J?/.  IT.  g.) 

PARAITRE  AUX  teux  ponr  paraître  êimplemmt  : 

La  géante  paraît  une  déesse  aux  yeux,  {Ois.  IL  5.) 

Et  les  soins  où  je  vois  tant  de  femmes  temiblet 

JAt  paroissent  aux  yeux  des  pauvretés  horribles.  (Fem,  sap,  I.  i.) 

—  FAIRE  PARAITRE,  montrer,  manifester: 

Nous  allons  tous  le  remercier  des  extrêmes  bontés  qu*il  nous  fait  pa^ 
roitre,  (Impromptu.  10.) 

Quels  sentiments  aurai-je  à  M  faire  paroltre  ?  {Ttart.  T.  4.) 


—  279  — 

Mail  ma  diicrétion  m  veut  faire  paroùre,  {Tmi*  Uh  3.) 

Mais  si  son  amitié  pour  vous  se  fait  paroUre, .  •  {M'u.  I.  i.) 

c  Une  amidé  paraît ,  et  ne  se  fait  point  paraître.  On  fait  pa- 
«raitre  ses  sentiments^  et  les  sentiments  se  font  connaître.  » 

(YoLTAïas.  MéL  t.  XXXIX,  p.  226.) 
Cette  critique  de  Voltaire  ne  constate  que  Tusage  du  xviii* 
siècle  ;  mais  est-ce  à  dire  que  tout  ce  qui  s*écarte  de  l'usage  du 
xviu* siècle  soit  mauvais  par  cela  seul? Le  xviii'  siècle, malheu- 
reusement,  fut  trop  persuade  de  la  vérité  de  ce  principe. 

Pour  en  juger  ainsi  vous  avez  vos  raisons  ; 

Mais  vous  trouverez  bon  qu'on  en  puisse  avoir  d'autres, 

Qui  se  dispenseront  de  se  soumettre  aux  vôtres. 

Voltaire  croyait  sans  doute  que  cette  expression,  se  faire  pa- 
raùre,  était  créée  par  Molière  pour  le  besoin  de  sa  rime }  il  se 
trompait  : 

«  Il  y  a  si  peu  de  personnes  à  qui  Dieu  te  fasse  pttroilre  par  oeS  6craps 
«  extraordinaires,  qu'on  doit  profiter  de  ces  oecasions.  » 

(Pascal.  Pensées^  p.  338.) 

PAR  APRÈS,  ponr  après  simplement  : 

Que  j*aye  peine  aussi  d'en  sortir  jMir  après,  {t*Êt  III.  5.) 

Par  après  est  la  contre-partie  de  par  avant,  qui  ne  s'emploie 
plus  que  sous  cette  forme,  auparavant. 
Par  ainsi  est  complètement  hors  d'usage. 

—  PAR  DEVATïT,  pouF  de%>ant: 

En  passant  par  devant  la  chambre  d'Angélique,  j'ai  vu  un  jeune  hom- 
mt....\  (Bial.im.n.  10.) 

PARER  QUELQUE  CHOSE,  8*en  garantir  : 

Et  quand  par  les  plus  grandes  précautions  du  monde  vous  aurez  paré 
tout  cela, . .  vous  serez  ébahi ,  etc. . .  {Seapén»  II.  8.) 

—  PARER  (  SE  )  d'uk  COUP ,  d'uii  malheur  : 

Pour  se  parer  du  coup,  en  vain  on  se  fatigue.  {Ec,  desfem,  m.  3.) 
• .  •  Tontes  les  mesures  qu'il  prend  pour  se  parer  du  malheur  qu'il  craint, 

(Crit,  de  fEc,  des  fem.  7.) 
Quoil  de  votre  poursuite  on  ne  peut  se  parer?  (Tari,  tV.  5.) 

On  dit  encore  se  remparer. 


—  280  — 
PARLER ,  verbe  actif;  paeler  quelque  cbose  : 

Je  TOUS  demande,  ce  que  je  parle  a^ec  tous,  qu*eit«ce  que  c'est? 

{B.  gemt.  in.  3.) 

«  8i  on  animal  fiiisoit  par  esprit  ce  qu*il  fiût  par  inUînct,  et  s'il  parioit 

«  par  esprit  ce  qu'il  parle  par  instinct. .  •  »  (PASCàL.  Pensées,) 

—  PAELER  CEEGLE  ET  RUELLE  : 

Moi ,  j*irois  me  charger  d'une  spirituelle 

Qui  ne  parUroU  rien  que  cercle  et  que  ruelle  /. .  •  (Ee,  iUt/em,  L  i.) 

«  Et ,  sans  parler  curé,  doyen,  chanire  ou  Sorèonne, .  •  » 

(RiowiB.  SaLXV.) 
«  Ore  ïUparhient  soldat,  et  ore  citoyen,  •  (Id.  8at  n.} 

C'est  une  expression  tout  à  fait  analogue  à  celle  du  vert 
célèbre  de  Juvénal  : 

Qui  Curios  simulant  et  baeckanalia  vivunt,  ^  '  .' 

(Voyez  ci-dessous  paalee  Vaugelas.) 

—  PARLER  suivi  de  que ,  comme  dtr e  : 

Vous  avez  ouï  parler  que  ce  monsieur  Oronte  a  une  fiUe?  (Pourc,  II.  i) 

—  PARLER  SUR-LE-CHAMP  9  improviscr  : 

Vous  n*allez  entendre  chanter  que  de  la  prose  cadencée  ou  des  manières 
de  vers  libres,  tels  que  la  passion  et  la  nécessité  peuvent  faire  trouver  à 
deux  personnes  qui  disent  les  choses  d'eux-mêmes,  el  parlent  sur-le-champ, 

(Mal.  im,  IL  6.) 

—  PARLER  TERRE  A  TERRE  : 
Expression  ridiculisée  par  Molière  : 

Il  prétend  que  nous  parlions  toujours  terre  à  terre,       (Impromptu,  3.) 
dit  M***  du  Parc ,  qui  représente  une  précieuse. 

—  PARLER  Vaugelas  : 

Et  voilà  qu'on  la  chasse  avec  un  grand  fracas , 

A  cause  qu'elle  manque  à  parler  Faugelas,  (  Fem,  sav,  II.  7.) 

C'est-à-dire,  à  la  mode  de  Vaugelas,  le  français  de  Vaugelas. 
Le  mot  Faugelas  fait  ici  le  rôle  d'im  adjectif  pris  adverbiale- 
ment y  comme  grec,  latin,  dans  parler  grec ^  parler  latin  :  c'est 
loqui  grœce ,  latine, 

(Voyez  PARLER  CERCLE.) 


—  281  — 
PARMI,  an  milieu ,  par  le  milieu  de  : 

On  est  Tenu  loi  dire ,  et  par  mon  artiGce, 

Que  les  ouvrien  qui  sont  après  son  édifice , 

Parmi  les  fondements  qu'ib  en  jettent  encor, 

Avoient  fût  par  hasard  rencontre  d*un  trésor.  {L'Et,  U.  x.) 

Un  trésor  supposé , 
Dont  parmi  les  chemins  on  m*a  désabusé.  {Ibid,  II.  5.) 

Ce  m'est  quelque  plaisir,  parmi  tant  de  tristesse , 
Que  Ton  me  donne  avis  du  piège  qu'on  me  dresse. 

{Ec.  desfem,  IV.  7.) 

Et  jamais  il  ne  parut  si  sot  que  parmi  une  demi-douzaine  de  gens  à  qui 
elk  ivoit  Cait  fête  de  lui  (Crii.  de  JtEc,  desfem.  a.) 

Tous  devez  vous  remplir  de  ce  personnage,  marquer  cet  air  pédant  qui 
•e  oonsenre /Hirmi  le  commerce  du  beau  monde,  (Impr,  x.) 

SCOEON. 

Et  sa  gueule  faisoit  une  laide  grimace, 

Qui  parmi  de  Ncnme,  à  qui  l'osoit  presser, 

Montroit  de  certains  crocs.  (Pr.  d'EL  I.  a.) 

Quelle  est  ton  occupation  parmi  ces  arbres?  {D,  Juan,  III.  a.) 

Ne  voyez-yous  pas  bien  quel  tort  ces  sortes  de  querelles  nous  font^r- 

mi  le  monde?  {Jmourméd,  m.  x.) 

Il  fout  parmi  le  monde  une  vertu  traitable.  {Mis,  I.  x.) 

Il  cowt  parmi  le  monde  un  livre  abominable.  (Jbid,  Y.  x.) 

Et  parmi  leurs  contentions 
Faisons  en  bonne  paix  vivre  les  deux  Sosies.  {Ampk,  TU,  7.) 
Ou  ne  demeure  point  tout  seul ,  pendant  une  fête ,  i  rêver  parmi  des  ar- 
bres,                                                                            {Am,  magn,  I.  x.) 
Eif  parmi  cette  grande  gloire  et  ces  longues  prospérités  que  le  del  pro- 
met à  voire  union {Ibid,  IV.  7.) 

Parmi  t éclat  du  sang  vos  yeux  n'ont-ils  tu  qu'elle?  {Psyché,  I.  a.) 

Mais  c'est,  parmi  tant  de  mérite^ 
Trop  que  deux  coeurs  pour  moi,  trop  peu  qu'un  coeur  pour  vous. 

{^Ibid.  I.  3.) 

Parmi  a  pour  racines  par  et  mi,  apocope  de  milieu.  Mi, 
au  moyen  âge,  s'employait  comme  substantif,  pour  moitié  : 

«  Et  le  bacon  faisoit  par  mi  traochier.  »  (E,  cTOgier  le  Danois.) 
«  n  faisait  couper  le  porc  par  la  moitié.  » 
Ainsi  y  sans  s'arrêter  aux  distinctions  chimériques  ni  aux 


—  282  — 

subtilités  des  grammairiens,  parmi  s'emploie  légitiBWOiem  oà 
il  s*agit  d'exprimer,  au  milieu  de, 
(Voyez  PAR.) 

PAROLE,  iTRE  EN  PAHOLE  QUE...  :  être  en  poOT- 
parler  (pour  convenir)  que. . .  : 

U  est  avec  Antelme  en  parole  pour  tous 

Quê  de  son  Hippolyte  on  tous  fera  l'époux î  {VEt,  I.  s.) 

—  ETRE  EN  PAROLE ,  absolument,  eouTerser  ensemble  : 

Juste  del ,  qu'ils  soot  prompts  !  je  les  vois  en  parole.  (L'Et.  U.  a.) 
-^  AVOIB  DE  LA  PAROLE  POUB  TOUT  LE  MQNDX,  ètM 

aifable  : 

Qu*on  dise  que  je  suis  une  bonne  princesse,  que  J'ai  de  la  parole  pcvr 
toiU  le  monde  y  de  la  chaleur  pour  mes  amis [Am,  magn»  L  a.) 

iPAB  OU ,  pour  comment  ou  de  quoi  : 

Toit-on ,  dans  les  horreurs  d'une  telle  pensée , 
Par  ou  jamais  se  consoler 
Du  coup  dont  on  est  menacée?  {Jmpk»  L  3.) 

PAR  SOI ,  tout  seul  y  perse: 

E  par  soi ,  é,  (Jm,  magn,  L  i.) 

C'est-à-dire  c  tout  seul,  pris  à  par  soi  (et  non  à  part  soi),  é. 
Cette  valeur  de  par  est  un  débris  de  notre  langue  primitive. 

Les  Latins  disaient  per  me,  per  te,  dans  le  sens  de  moi  seul, 

toi  seul  : 

«  QuamTis,  Sc«?a  »  satis  per  te  tibi  consulis,  el  sois. . .  » 

(Hoa.  £p.  17,  lib.  x.) 

Et  nos  pères  disaient,  à  Timitation  des  Latins,  tout  par  moi, 
par  lui,  par  eux ,  par  elles  : 

m  Et  Félix  II  sains  boms  tout  par  H  denionra.»  (Des  Trois  Chanoines,) 
Demeura  tout  seul. 

«  Les  dodies  de  l'eglîse ,  de  ce  sojex  certains , 

«  Sonnèrent  tout  par  elles  ^  sans  mettre  piei  ne  maint.  » 

{Le  Dit  du  Bue/) 
On  écrit  mal  à  propos,  avec  un  r,  à  part,  à  part  soi.  Par,  ici, 
vient  de  per,  et  non  dépars,  partis. 


—  283  — 

Au  contraire  y  il  faut  mettre  un  t  dans  cette  autre  formule 
où  Tusage  moderne  Ta  supprimé  :  Départ  le  roi;  de  part  Dieu. 

(Voyez  DE  PAR,  à  Tarticle  PAA ,  et  des  Variations  du  langage 
français,  p.  407  à  /|ii.) 

PARTAGER  U5  soht  a  quelqu'un  ,  le  loi  donner  en 
partage  : 

Ne  faites  point  languir  deux  amants  daTantage, 

Et  nous  dites  qml  sort  TOUre  oœur  nous  partage,  {MéUcsrtt,  U.  6.) 

Partager  est  construit  ici  comme  le  latin  impertire,  disper^ 
Éitie  et  dispertiri. 

PARTI;  FAiBE  PARTI ,  monter  nn  coup  : 

Léandre  fait  parti 
Pour  enlever  Gélie.  (L'Et.  Uh  6.) 

PARTICIPE  PRÉSENT  mis  au  lien  de  «î,  suivi 
d'un  conditionnel  : 

Et  trouvant  son  argent,  qu'ils  lui  font  trop  attendre; 

Je  sais  bien  qu'il  serait  très-ravi  de  la  vendre.  {L'Ét,  I.  a.) 

Si  Trufaldin  trouvait  son  argent. 

Le  plus  parfait  objet  dont  je  serois  cbarmé 

N'auroit  pas  mes  tributs,  n'en  étant  point  aimé.     (Dép,  am,  I.  3.) 

Si  je  n'en  étais  pas  aime. 

Pascal  se  sert  aussi  de  cette  espèce  de  participe  absolu  : 
«  Quand  on  auroit  décidé  qu'il  faut  prononcer  les  syllabes  pro  chain^ 
«  cpii  ne  voit  que,  n'ayant  point  été  expliquées ^  chacun  de  vous  voudra 
«  jouir  de  la  Tictoire  ?  »  (Pascal,  i*^  Prop,) 

Ces  syllabes  n*ayant  point  été  expliquées  ;  si  elles  ti*onC  pas 
été  expliquées. 

— -  PABTicxPE  PENSENT  qui  s'occorde  : 

De  ces  petits  pourpoints  sous  les  bras  se  perdants  f 
Et  de  ces  grands  collets  jusqu'au  nombril  pendants, 

{Ec.  des  mar.  L  i.) 

On  veut  qae pendant  s'accorde,  parce  qu'il  est,  dit-on,  ad- 
jectif  verbal  :  une  manche  pendante;  mais  on  commande  de 
laisser  $e  perdant  invariable,  parce  qu'il  est  participe.  Cette 


—  284  — 

distinction  toute  moderne  a  bien  l'air  d'une  chimère  et  d'un 
raffinement  sophistique;  le  xvii'  siècle  n'en  avait  nulle  idée  j 
et  moins  encore  les  siècles  précédents  : 

Si  quatre  mille  écus  de  rente  bien  venants , 

Une  grande  tendresse  et  des  soins  oomplaisanli...  (Ee.  des  nmr,  L  a.) 

De  ces  brutaux  fieffés,  qui  sans  raison  ni  suite 

De  leurs  femmes  en  tout  contrôlent  la  conduite , 

Et  f  du  nom  de  maris  fièrement  se  parants , 

Leur  rompent  en  visière  aux  yeux  des  soupirants.         {I6UL  I.  6.) 
i**  wBOECur.  Cette  maladie  procédante  du  vice  des  hypocondrea. 

{Pourci  Lu.) 
Pour  remédier  à  cette  pléthore  obturante  y  et  à  cette  cacodiymie  luxu- 
riante par  tout  le  corps. . .  {Ibid,) 
Une  jeune  fille  toute  ybiu/on/e  en  larmes.                         (Scapim.  I.  a.) 
BoileaUy  tout  sévère  grammairien  qu'il  était,  a  dit  : 

«  Et  plus  loin  des  laquais,  l'un  l'antre  /agaçants , 

«  Font  aboyer  les  chiens  et  jurer  les  passants.  »  {Sut.  YI.) 

«  Entendra  les  discours  sur  Tamour  seul  roulants , 

«  Ces  doucereux  Renauds,  ces  inseusés  Rolands.  »  {Sut.  X.) 

«  Cent  mille  faux  zélés ,  le  fer  en  main  courants, 

«  AUèreut  attaquer  leurs  amis ,  leurs  parents.  »  {Sat,  HU.) 

«  Infâmes  scélérats  k  sa  gloire  aspirants  , 

«  Et  voleurs  revêtus  du  nom  de  conquérants.  »  {llnd,) 

Et  Racine  : 

«  Les  ennemis,  offensés  de  la  gloire, 

«  Vaincus  cent  fois  et  cent  fois  suppliants , 

«  En  leur  fureur  de  nouveau  s'oubUants  (i).  » 

{Idylle  sur  la  Pais,) 
Et  Voltaire  : 

«  De  deux  alexandrins  côte  à  côte  marchants , 

•  Que  Tun  est  pour  la  rime  et  Tautre  pour  le  sens.  » 

(Ep,  au  roi  de  la  Chine,) 
Ce  sont  vestiges  de  l'ancienne  langue.  Dans  l'origine^  le  par- 
ticipe présent,  placé  après  son  substantif,  s'y  accordait^  comme 
fait  encore  le  participe  passé  : 

«  Les  femmes  et  les  meschines  vindrent  encuntre  le  rei  Saui.  • .  charo' 

(i)  Cette  pièce  ett  de  x685 ,  Phèdre  est  de  1677  ;  ainsi  lladae  avMi  composé  toM  ses 
oarrages ,  bonais  Ettker  et  jitMit, 


--  285  — 

Umiês^  e  JyanteSf  t  chantantes  que  Saul  oat  ocis  mille  David  dis  mille.  » 

(Rois,  p;  70.) 
«  Et  de  desdrad  sa  gunelle. .  •  si  s'en  alad  criante  e  piurante,  » 

(Ibid,  p.  164.) 
«  li  fiz  le  rei  entrèrent ,  et  vindrent  devant  le  rei  crianz  e  pluranx.  » 

(I6id,  p.  167.) 

Je  trouve,  à  la  vérité,  un  exemple  du  paiticipe  présent  inva- 
riable dans  le  Merlin  de  Robert  de  fioiuron,  écrit  au  xv*  siècle  : 

«  Il  voit  issir  fors  bien  cent  damoiselles  et  plus,  qui  viennent  carolant 
«  et  dansant  ti  chantant,*  (Dv  Cahoe,  in  Charoiare.) 

Peut-être  estn^e  à  cause  de  Tintermédiaire  qui  viennent;  et 
puis  sur  quel  manuscrit  Du  Gange  ou  ses  continuateurs  ont- 
ils  pris  ce  texte  ? 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  Montaigne  fait  accorder  le  par- 
ticipe présent,  même  des  auxiliaires  être  et  avoir  : 

m  Aulcuns  choisissants  plustost  de  se  laisser  desfaillir  par  faim  et  par 
«  jeusne,  estants  prins. . .  Combien  il  eust  esté  aysé  de  faire  son  proufit 
«  d*ames  si  neufves,  si  affamées  d'apprentissage,  ayants  pour  la  pliispart 
«  de  si  beaux  commencements  naturels!  »  {Essais.  III.  6.) 

Mab ,  comme  dans  le  passage  de  Robert  de  Bouron ,  il  tient 
le  participe  invariable  construit  avec  un  autre  verbe  : 

m  Ceulx  qui,  pour  le  miracle  de  la  lueur  d*ung  mirouer  ou  d*un  coul- 
«  teau ,  allaient  eschangeant  une  grande  richesse  en  or  et  en  perles.»  (Ibid,) 

Cette  méthode  de  l'accord  n*était  pas  sans  avantages  ;  par 
exemple ,  Montaigne  dit  des  Espagnols  qui  torturèrent  Guati- 
mozin  : 

«  Ils  le  pendirent  depuis ,  ayant  courageusement  entreprins  de  se  des- 
«  livrer  par  armes  d'une  si  longue  captivité  et  subjection.  »  (Essais,  in.6.) 

Ayante  au  singulier,  fait  voir  que  la  phrase  se  rapporte  au 
cacique^  et  non  à  ses  boiu*reaux,  qui  sont  le  sujet  de  la  phrase. 
Si  c'étaient  les  Espagnols  qui  eussent  entrepris ,  Montaigne  eût 
écrit  ayants^  avec  une  s.  C'est  au  reste  l'usage  latin;  voilà 
pourquoi  il  a  passé  dans  notre  langue  :  Occidenmt  eum  luctan^ 
tem  et  conantem  plurima  frustra, 

La  grammaire  de  Sylvius,  ou  Jacques  Dubois ,  rédigée  en 
latin  en  i53i ,  ne  pose  point  de  règles  particulières  pour  le 
participe  présent  ;  mais,  en  conjuguant  le  verbe  apoir,  elle  dit , 


—  286  — 

p.  i3i  :  —  ff  habenSy  habentis;  haiant ,  haiante;  »  et  dans  la 
conjugaison  du  verbe  aimer:  a  amans,  aimant,  aimante.  » 

Jehan  Masset,  dont  Y  J cheminement  h  la  langue  françoyse 
est  imprimé  à  la  suite  du  dictionnaire  de  Nicot  (1606),  ne  dit 
rien  non  plus  du  participe  ;  mais,  dans  les  modèles  de  conju- 
gaison ,  il  le  met  aussi  variable.  Page  i5  :  «  habens;  masculin 
ùjfant,  féminin  ayante.  » 

Le  langage  du  palais ,  qui  est  un  témoin  si  fidèle ,  (ait  le  par* 
ticipe  présent  luiriable.  Regnard  ,  dans  le  loueur,  a  reproduit 
la  formule  exacte  : 

« A  Margot  de  la  Plante, 

«  Majeure ,  et  de  ses  droits  usante  et  jouissante.  » 

En  somme ,  on  trouve  que  Tinvariabilité  absolue  du  parti- 
cipe présent  ne  s*est  guère  établie  que  dans  le  courant  du  xviu* 
siècle ,  et  que  la  distinction  entre  ce  participe  et  l'adjectif  ver- 
bal est  du  XIX*.  Jusque-là,  on  ne  savait  ce  que  c'était  que  d'ad* 
jectif  verbal. 

Ce  sont  les  gi'ammaîriens  très-modernes  qui  ont  enrichi 
notre  langue  de  ces  distinctions  souvent  insaisissables,  et  de  ces 
diflicultés  de  participes  parfois  insolubles. 

—  PARTICIPE  PRÉSENT  rapporté  par  syllcpse  à 
un  sujet  autre  que  le  sujet  de  la  phrase  : 

Je  prétends,  s*il  tous  pUdt , 
Dût  le  mettre  au  tombeau  le  mai  dont  il  vous  beroe. 
Qu'avec  lui  désormais  vous  rompiez  tout  commerce; 
Que,  venant  au  logis,  pour  votre  compliment. 
Tous  lui  fermiez  au  nez  la  porte  honnêtement.  (Ee.desfem,  H,  6.) 

tenant  au  logis  y  lorsqu'//  viendra  au  logis,  vous  lui  fer- 
miez, etc... 

Et  Ini  jetant t  s'il  heurte,  un  grès  par  la  fenêtre, 

L'obligiez  tout  de  bon  à  ne  plus  y  paroître.  ,  (iBid,  II .  6.) 

Et  lui  jetant:  ce  second  participe  se  rapporte  régulièrement 
à  Agnès ,  et  rend  plus  sensible  l'incorrection  du  premier. 

y  ayant  ni  beauté  ni  naissance 
A  pouvoir  mériter  leur  amour  et  leurs  soins, 
Ils  nous  favorisent  au  moins 
De  rhonDeur  de  la  oonfidenoe.  (PsfM»  I*  S.) 


—  M7  — 

AglaureTieiit  dire  à  ta  sœur  :  Gomme  nous  n'avons  ni  beauté 
ni  naissance ,  iis^  les  princes^  nous  favorisent... 

On  peut  hardiment  proscrire  cette  tournure ,  parce  qu'elle 
prête  à  l'équivoque  ;  il  semble  ici  que  ce  soient  les  deux  princes 
qui  y  sans  avoir  ni  beauté  ni  naissance,  favorisent  Aglaure  et 
Cydippe... 

PARTICIPE  ABSOLU,  comme  en  latin  : 

Le  boD  Dieu  fiitse  paix  à  mon  pauvre  Martin  ! 

Mais  j*iToif,  lui  viiwitt  1«  teint  d'un  chérubin,  (Sg^nt.  a.) 

La  plupart  des  exemples  de  l'article  précédent ,  où  l'on  Toit 
le  participe  présent  employé  d'une  manière  sujette  à  l'équi- 
voque,  peuvent  se  rapporter  au  participe  absolu,  que  les  Latins 
mettaient  à  Tablatif. 

On  connoitra  sans  doute  que ,  n^ étant  autre  chose  qu^un  paëme  ingé- 
mieux  y  ...  on  ne  sauroit  la  censurer  sans  injustice.         (Pi'éf.  de  Tartufe,) 
N'étant  autre  chose  ^  se  rapporte  à  la  comédie  dont  le  nom 
ne  se  trouve  pas  dans  cette  phrase,  mais  seulement  dans  la  pré- 
cédente. 

Mais  je fai  vue  ailleurs,  où  m'ajrant fait  eonnoitre 
Les  grands  talents  qu'elle  a  pour  savoir  ravenir, 
Je  Toulois  sur  un  point  un  peu  l'entretenir.  (L'£t,  L  4,) 

Jetai  ime»..y  Je  voulais^  se  rapportent  à  Mascarille,  et 
m'myant  fait  connaùre ,  à  elle^  à  Célie,  qui  n'est  désignée 
qu'après.  En  sorte  que  le  nominatif  est  changé  avant  que  l'au- 
diteur ou  le  lecteur  en  puisse  être  prévenu. 

Mais  savez-vous  aussi ,  lui  trouçant  des  appas  y 
Qu'autrement  qu*en  tuteur  sa  personne  me  touche. . . 

{Ec,desmar,VL,^J) 
Savez-vous ,  Yalère ,  que  moi ,  Sganarelle,  lui  trouvant  des 
appas,  sa  personne  me  touche  autrement  qu'en  tuteur? 
Ces  tournures  sont  &*équentes  dans  Molière. 
J*ai  voulu  l'acheter,  Tédit,  expressément, 
Afin  que  dlsabelle  il  soit  lu  hautement; 
Et  ce  sera  tantôt,  n'étant  plus  occupée , 
Le  divertissement  de  notre  après-soupée.  (iUd,  U.  9.) 

Isabelle  n'étant  plus  occupée ,  quand  IsabeUe  ne  sera  plus 
occupée. 


—  288  — 
PARTICIPE  PASSÉ  invariable  en  genre  : 

8i ,  kMnqiie  mes  amants  sont  devenus  les  vôtres, 

Un  seul  m'eût  eomsoU  de  la  perte  des  antres.  {L'£t,  T.  i3.) 

ARVOLPHi  (à  Jgnèt): 
L*air  dont  je  tous  ai  vu  lui  jeter  cette  pierre.  • . 

{Eu.  desfem.  TSL  i.) 

EUflAl. 

Aiirois-je  pris  la  chose  ainsi  qu'on  m*a  nm  faire?       {TarL  IV.  5.) 
Il  ne  faut  pas  douter  que  ce  ne  soient  là  des  fautes  de  fran- 
çais. Si  Corneille  a  fait  rimer,  dans  le  Menteur^  ceux  que  le  ciel 
a  joint  avec  point ,  Corneille  a  eu  tort  ;  et  tort  qui  voudrait  s'au- 
toriser là-dessus  des  exemples  de  Corneille  et  de  Molière. 

PARTICULIER  (  le  ),  substantif  : 

Dans  le  particulier  elle  oblige  sans  peine.  (L*£t»  HL  a.) 

PAR  TROP  ;  par  donne  à  trop  la  force  da  superlatif  : 

^  Tu  m'obliges  par  trop  avec  cette  nouvelle.         {V Etourdi,  m.  8.) 

On  trouve  dans  Tcrence  et  dans  PHscien^  pemimium* 

Par^  dans  la  vieille  langue,  se  composait  avec  les  noms,  les 

verbes ,  les  adjectifs  et  les  adverbes ,  pour  leur  communiquer 

la  valeur  superlative.  Pardon  (summum  donum)  ;  paramtr  (per- 

amare)  \  — parhardi  (peraudax)  ;  — partrop  (pemimium.) 

Trop  est  le  substantif  trope  (troupe)  ^  pris  adverbialement 
{fiuha ,  truba,  trupa)  ;  comme  mie ,  pas,  point ^  peu ,  prou. 
(Voyez  des  F^ariations  du  langage  français ,  p.  a35.) 

PAS,  surabondant,  pour  nier ,  avec  aucun ^  nî,  ne: 

Autrefois  j*ai  connu  cet  honnête  garçon , 

Et  vous  riwtipas  lieu  d'en  prendre  aucun  soupçon.  (V EiourdLl.k') 

Les  bruits  que  j*ai  faits 
Des  visites  qu'ici  reçoivent  vos  aUraits , 
Ne  sont  pas  envers  vous  TefTet  à^aucune  haine.  (Tart.  lU.  3.) 

Molière  a  traité  aucun  absolument  comme  quelque  : 
Ne  sont  pas  envers  vous  VefTet  de  quelque  haine. 

Et  véritablement  c'est  la  valeur  de  aucun,  dérive  de  aiiquis  : 
aifjue,  auque,  auque  un  (aiiquis  unus.)  Ainsi  le  mot  aucun  est 
par  lui-même  affu-matif. 


—  289  — 

Est-il  possible  que  ce  même  Sostrate,  qui  n  a  pas  craint  ni  Brennuty  ni 

tous  les  Gaulois.. ..  (Am,  magn,  1. 1.) 

Ah  !  TOUS  avez  plus  faim  que  tous  ne  pensez  pas  !      {L'Et.  lY.  3.) 

Ne  est  Tunique  négation  que  possède  la  langue  française. 

Pour  l'aider  en  quelque  sorte  dans  son  office ,  on  a  déter- 
miné un  certain  nombre  de  substantifs  monosyllabes,  expri- 
mant des  objets  minimes ,  des  quantités  réduites ,  qui  servent 
de  terme  de  comparaison  ,  et,  construits  avec  ne,  semblent 
prendre  à  son  contact  la  qualité  d'adverbes  et  de  négations , 
mais  il  ne  faut  pas  s'y  tromper.  Ces  mots  sont  :  pas  y  point, 
rienj  mie;  ce  sont  de  vrais  substantifs  à  l'accusatif,  complé- 
ment d'un  verbe  qui  se  place  entre  ne  et  son  adjoint.  Je  ne  dis 
rien;  il  ne  yient pas;  ne  mentez poini  (i). 

Maintenant  il  faut  savoir  que  l'on  ne  donne  à  ne  qu'un  seul 
de  ces  adjoints,  de  ces  adverbes  artificiels  :  ne  pas;  —  ne  point; 
—  ne  mie;  —  ne,,,  rien,  La  faute  de  Martine,  dans  les  Femmes 
sapantes,  est  de  joindre  à  la  négation  deux  de  ces  suppléments  : 

«  Et  tous  vos  biaux  dictons  ne  servent  pas  de  rien,  »  Le  vice 
d'oraison  ne  consiste  donc  pas  à  joindre  pas  avec  rien,  comme 
le  prétend  Philaminte ,  mais  à  joindre  pas  et  rien  avec  ne. 

Cela  est  si  vrai ,  que  Molière  a  très-souvent  fait  œtte  réu- 
nion de  ne,,, pas,,,  rien.  Mais  aloi-s  il  y  a  toujours  deux 
verbes  y  l'un  qui  sup[>orte  l'action  négative  de  ne  pas;  l'autre 
qui  commande  rien. 

Les  exemples  suivants,  qui  semblent  au  premier  coup  d'œil 
choquer  la  règle  posée  par  Molière  lui-même,  analysés  d'après 
ce  principe,  n'ont  plus  rien  que  de  très-régulier.  On  y  trou- 
vera partout  deux  verbes  pour  les  trois  mots  ne,  pas,  rien , 
que  la  bonne  Martine  accumulait  tous  trois  sur  l'unique  verbe 
sentir. 

Il  la  gardera  bien , 

Et  je  ne  vois  pas  lieu  d*y  prétendre  plus  rien,  (L'Et,  TU,  a.) 

Et  tu  nW  pas  sujet  de  rien  appréliender,  (Jbid,  Y.  7.} 

Albert  n'est  peu  un  homme  à  vous  refuser  rien.       {Dép,  am.  I.  a.) 
Et  sion  (lessein  n*est  pas  de  leur  rien  opposer,     (/>.  Garde,  Y.  6.) 

(t)  Si  mentir  n'ett  plus  en  français  un  rarbe  actif»  il  Téiait  en  latin,  et  cela  rcritat 
r  •/  fi  jMid,,.,  (Ho*.  *mt,) 

«9 


Ce  n'ut  pas  ma  coutume  que  de  rien  blâmer. 

(OU,  de  FEc,  des/km,  7.) 

Nous  n'avons  pas  euTie  auisi  de  rien  savoir,         {MéUcerte.  L  3.) 

Auprès  de  cet  objet  mon  sort  est  assez  doux, 

Pour  ne  pas  consentir  à  rien  prendre  de  vous.  {Ihid,  IL  6.) 

Ce  n'est  pas  mou  dessein  de  me  faire  épouser  par  force,  et  de  rien  pré- 
tendre à  un  cœur  qui  se  scroit  donné.  {L'A9,  T.  5.) 
Je  ne  suis  point  un  homme  à  rien  craindre.  {Ibid^ 
Il  ne  faut  pas  qu'il  sache  rien  de  tout  ceci.  (G.  D,  1. 1.) 
Mon  intention  n'est  pas  de  vous  rien  déguiser.  (tbid,  HI.  8.) 
Je  ne  veux  point  qu'il  me  dise  rien,  {ibid,) 
Ne  faites  point  semblant  de  rien.              (G.  D.  I.  a.  et  B.  gent,  V.  7.) 

Dans  ce  dernier  exemple,  rien  est  \isiblement  un  substantif 
au  génitif,  gouverné  par  un  substantif  qui  le  précède,  semblant. 
Ne  faites  pas  semblant  de  quelque  chose,  ou  qu'il  y  ait  quelque 
chose. 

—  PAS,  supprimi: 

Non,  y>  ne  veux  du  tout  vous  voir  ni  vous  entendre.  (Jmph.  II.  6.) 

A  Toccasion  de  ce  vers ,  j*observe  que  du  tout  ^  au  sens  de 

absolument  y  complètement  y  ne  sert  plus  que  dans  les  formules 

négatives;  mais  que,  dans  l'origine,  on  l'employait  également 

pour  afBrmer  : 

—  Servite  Domino  in  omni  corde  vestro,  «  Nostre  Seigneur  Deu  del  tut 
«  (du  tout)  siwez, e  de  tut  vostre  quer  servez.  >•  (Rois.  p.  41.) 

PAS,  substantif;  pas  a  pas,  posément: 

Tous  achèverez  seule;  et,  pas  à  pas,  tantôt 

Je  vous  expliquerai  ces  choses  comme  il  faut.  (Ee.  desfem.  ïtL  a.) 

—  PAS  DEVANT  (  LE ) ,  substantif  composé,  prendre 

LE  PAS  DEVANT  : 

Du  pas  devant  sur  moi  tu  prendras  F  avantage,         (Jmph,  m.  7.) 

L'esprit  doit  sur  le  corps  prendre  le  pas  devant.    (Fem.  sav.  II.  7.) 

Devant  n'est  pas  ici  une  préposition  qui  ferait  double  emploi 

avec  sur;  pas^evant  est  un  mot  compose,  comme  qui  dirait  le 

pas  antérieur.  N'a-t-on  pas  eu  tort  de  laisser  perdre  eette  ex- 


—  291  — 

pression  qui  n*a  aucun  équivalent,  et  dont  l'absenee  oblige  à 
une  périphrase  ? 
(Voyez  pxanaB  les  pas  db  quelqu'un.) 

—  PASSE  ;  ÂTEE  EN  PASSE  DE  : 

Nooi  ne  Mwunes  pas  encore  connues,  mais  nous  sommet  en  passe  de 
tétre.  (Préc.  rid,  xo.) 

J*ai  servi  quatorze  ans,  et  je  crois  être  en  passe 

De  pouvoir  d'un  tel  pas  me  tirer  avec  grâce.        {Fâcheux,  I.  lo.) 

Et  je  crois,  par  le  rang  que  me  donne  ma  race, 

Qu*il  est  fort  peu  d'emplois  dont  je  ne  sois  en  passe,  (Mis,  III.  i.) 
Passe  s'appelait  autrefois ,  au  jeu  de  mail  et  de  billai-d ,  une 
|)orte  ou  arc  de  fer,  par  oii  la  boule  ou  la  bille  devait  passer. 
Le  joueur  assez  adroit  pour  s'être  placé  le  plus  près  de  cet  arc 
était  en  passe  y  c'est-à-dire,  sur  le  point  de  passer.  De  là  l'ex- 
pression figurée  en  parlant  d'un  homme  en  mesure  de  réussir. 
C'est  l'explication  de  Trépoux,  qui  cite  à  l'appui  les  vers  du 
Àiisaiiihrope, 

PASSER  ;  FAIRE  PASSER  A  QUSLQU*im  LA  PLUME  PAR 

LE  BEC,  rattraper,  le  daper,  sans  qu'il  paisse   se 
plaindre  : 

Noua  verrons  cette  affaire,  pendard,  nous  verrons  celte  affaire.  Je  ne 
prétends  pas  qu*on  me  fasse  passer  la  plume  par  le  bec,  {Scapin,  III.  6.) 

«  Pour  empêcher  les  oisons  de  traverser  les  haies  et  d'entrer 
dans  les  jardins  qu'elles  entourent  y  on  passe  une  plume  par 
les  deux  ouvertiu'es  qui  sont  à  la  partie  supérieure  de  leur  bec. 
De  là  le  proverbe  passer  la  plume  par  le  bec;  de  là  vient  aussi 
l'expression  proverbiale  à* oison  bridé,  » 

(Note  de  M.  Auobr.) 
Ainsi,  passer  à  quelqu'un  la  pluitie  par  le  bec,  signifie  le 
traiter  comme  un  oison. 

—  MssER,  se  passer  : 

Tous  savez  que  dans  celle  (i)  où  passa  mon  bis  âge. . . 

(Dép,  am,  II.  x.  ) 

(a)  Dmm  U  nuiteB. 

19^ 


—  292  — 

—  PASSER  DE  f  pour  îoriir  de  : 

Il  y  a  ceut  choses  comme  cela  qui  panent  de  la  tête,        {Poure,  L  6.) 

—  PASSER  (se)  de  ,  se  contenter  de,  et  non  se  priver: 

Ce  que  je  trouve  admirable,  c'est  qu*un  homme  ^lu*  s'est  passé  durant 
sa  vie  d'une  assez  simple  demeure  en  veuille  avoir  une  si  magnifique 
pour  quand  il  n*en  a  plus  que  faire.  (D.  Juan,  Ili.  6.) 

PATINEURS: 

CLAuouiK. —  Ah!  doucement.  Je  n'aime  pas  les  patineurs,  {fi,  D,  II.  i.) 
La  racine  de  ce  mot  est  patte,  pour  main, 

«  Les  patineurs  sont  gens  insupportables, 

>  Même  aux  beautés  qui  sont  très-patiuables.  »  (Scaeeov.) 

«  Patiner ,  manier  malproprement  »  (Tacvocx.) 

PATBOGINER,  du  latin  patrocinari,  faire  lavoeat  : 

Prêchez  y  patrocinez  jusqu'à  la  Pentecôte.  {£c,  eks/cm,  L  i.) 

PATER  ;  PATER  UN  prix  de  quelque  chose  : 

Non ,  en  conacience ,  vous  en  payerez  cela,  {Méd,  m.  lui,  I.  6.) 

—  PATER  DE ,  alléguer  pour  excuse  : 

Tantôt  vous  payerez  de  quelque  maladie 

Qui  viendra  tout  à  coup,  et  voudra  des  délais; 

Tantôt  'VOUS  payerez  de  présages  mauvais.  {Tort,  II.  4.) 

Vous  nous  payez  ici  d'excuses  colorées.  {léid.  IV.  i.) 

«*  Je  le  croiray  volontiers,  pourveu  quMI  ne  me  donne  pas  en  payement 

«  une  doctrine  beaucoup  plus  difficile  et  fantastique  que  n'est  la  chose 

«  mesme.  »  (Mostaigiii.  II.  3?.) 

—  PATER  POUR  (un  substantif),  payer  en  qualité  de. 

(Voyez  GAGER  POUR.) 

—  PATERoiT ,  PATEREZ ,  de  trois  sjllabes  : 

Fûl-ce  mou  propre  frère,  il  me  la  payerait,  {C£t,  IIL  4.) 

Tantôt  TOUS  payerez  de  quelque  maladie.  {Tort,  VL  4.) 

Et  l'on  m'a  mis  en  main  une  bague  à  la  mode , 
Qu'après  vous  payerez ,  si  cela  Paccommode.  {VEi*  I.  6.) 

Molière  ,  s'il  eût  été  d*usage  alors  de  syncoper  les  mots,  eût 
mis  facilement  que  vous  pairtz  après, 

PAYSANNE ,  de  trois  syllabes  : 

Et  la  \wïïïie  fwysanne ^  apprenant  mon  désir....  (JEc,  desfem^h  i.) 


—  293  — 

—  de  quatre  syllabes  : 

El  cette  paysanne  a  dit ,  avec  fraDcbise , 

Qb*eQ  vos  mains  a  quatre  ans  elle  Tavoit  remise.   {Et, des  f,  Y.  g.) 

—  PAYSAN ,  de  trois  syllabes  : 

Je  sais  un  paysan  qu*on  appeloit  Gros-Pierre...  {Ibid,  1.  i.) 

—  de  deux  : 

«  Que  \t  pays€tn  recueille,  emplissant  a  milliers 
«  Greniers ,  granges,  chartis,  et  caves,  et  celiers.  » 

(REomÉR.  Sat.  XY.) 

PAYSANNERIE  comme  bourgeoisie  : 

J'aurois  bien  mieux  fait de  m'allier  en  bonne  et  franche  paysan^ 

nerie,  (G.  D.h  i.) 

L'Académie  dit  qu'il  est  peu  usité. 

PECQUE8  : 

A-l-ou  jamais  vu,  dis- moi,  deux  pecques  provinciales  faire  plus  les 
renchéries  que  celles-là?  {Préc,  rid,  i.) 

Molière  avait  rapporté  cette  expression  du  Midi,  où  Ton 
dit  d'un  fâcheux  dont  on  ne  peut  se  débarrasser,  que  c'est  un 
morceau  de  poix  :  es  una  pegue, 

A  moins  que  pecque  ne  soit  une  abréviation  de  pécore,  ce  qui 
conviendrait  mieux  au  sens  de  ce  passage. 

Trévoux  dit  que  pecq ,  en  vieux  français,  signifiait  un  mau- 
vais cheval.  11  aurait  bien  dû  en  citer  des  exemples,  s'il  en 
connaissait  :  pour  moi ,  je  ne  l'ai  jamais  vu. 

PEINDRE  EN  ENNEMIS,  c'est-à-dire,  sous  les  traits 
d'ennemis  : 

Et  me  jeter  au  rang  de  ces  princes  soumis , 

Que  le  titre  diamants  lui  peitti  en  ennemis,  (JPr,  âtEl,  I.  i .) 

Un  titre  qui  peint  ne  paraît  pas  une  métaphore  heureuse. 

PEINE;  ÊTRE  EN  PEINE  OÙ  ...  : 

Ne  soyez  point  en  peine  ou  je  vous  mènerai.   {Ec,  des  jem,  H.  6.) 
De  savoir  où  je  vous  mènerai. 

—  AYOïB  PEINE  A ,  poor  anoif  de  la  peine  à. . .  : 

Comment  !  il  semble  que  vous  ayez  peine  à  me  recounoitre! 

(Powv.I.  6.) 


—  M4  — 

«  J*ai  peine  à  contempler  sou  grand  cœur  dam  cet  dinûim  éf^reuf».  • 

(  BossuiT.  Or,  fim,  delaR,  JtA.) 

Pascal  dit  pareillement  ySiir?  peine  ^  povar/aire  de  la  peine  : 
«*  La  seule  comparaison  que  nous  faisons  de  nous  au  fini  fait  peine.  • 

{Pensées,  p.  laa,  398.) 

PEINTURE ,  au  lieu  de  portrait  : 

Je  n*ai  pas  reconnu  les  traits  de  sa  peinture.  (JSgan.  sa.) 

Sa  peinture  ne  peut  signifier  que  la  peinture  dont  il  est  Tau- 
teur,  et  non  la  peinture  où  il  a  servi  de  modèle. 
(Voyez  PORTRAIT,  pour  peinture ,  tableau.) 

PÈLERIN  ,  GOTflf AtTRE  LE  pèlerik  : 

Si  tu  eonnoissois  le  pèlerin ,  tu  trouverois  la  chose  assez  facile  pour  lui. 

{Don  Juan.  L  i.) 

PENSER  9  substantif  masculin  : 

Le  seul  penser  de  celte  ingratitude 
Fait  souffrir  à  mon  Ame  un  supplice  si  rude....       (  Tart.  ni.  7.) 
Ah!  fosse  le  del  équitable 
Que  ce  penser  soit  véritable  !  {Ampk.  ÎII.  i.) 

Dans  l'origine ,  tous  les  infinitifs  pouvaient  jouer  le  rôle  de 
substantifs,  moyennant  l'addition  de  l'article,  comme  tout  ad- 
jectif pouvait  faire  l'office  d'adverbe  : 

«  Tous  les  marchers ,  toussers ,  mouchers ,  eternuers^  sont  différents.  » 

(Pasc/ii..  Pensées,  p.  ai 3.) 

Il  est  évidemment  impossible  de  substituer  ici  démarche , 
toux ,  éternumcnt;  et  nous  n'avons  aucun  substantif,  même 
approximatif,  pour  dire  le  moucher. 

—  PENSER  (  verbe)  suivi  d'un  infinitif,  pour  itrt 
pris  de: 

Nous  avons  aussi  mon  neveu  le  chanoine,  qui  a  pensé  mourir  de  la  petite 
vérole.  (Pourc,  I.  6.) 

PENTE,  penchant;  avoib  peute  a  ...  : 

La  pente  fu'a  le  prince  à  de  jaloux  soupçons.  {Don  Garcie.  U.  i.) 

Uu  sort  trop  plein  de  gloire  à  nos  yeux  est  fragile, 

Et  nous  laisse  aux  soupçons  une  pente  facile.  {Uid,  IL  6.) 


-  2QS  — 
PJOIDBE  roRTUHX  : 

Et  les  premières  flammes 
S*é(ablissent  des  droits  si  sacrés  sur  les  âmes , 
Qu'il  îsivX  perdre  fortune ,  et  renoncer  au  jour, 
Plutôt  que  de  brûler  des  feux  d*un  autre  amour.  {Fem,  ttw,  IV,  9.) 

Perdre  toute  fortune.  Fortune  est  ici  pris  au  sens  le  plus 
large  du  X^^fortuna;  il  ne  s'agit  pas  seulement  des  biens  de 
la  fortune^  mais  de  tout  ce  qui  constitue  ici-bas  la  félicité. 
C'est  en  quoi  l'expression  perdre  fortune  diffère  Ae  perdre  sa 
fortune, 

—  PERDRE  L* ATTENTE  de  quclque  chose.  (Voyez  hb  pxe- 

DRE  QUE  L*ATTElfTE.) 

—  PERDRE  LES  PAS  DE  QUELQU'UN,  perdre  sa  trace  : 

11  m'est  y  lorsque  j'y  pense,  avantageux  sans  doute 

D'avoir  perdu  ses  pas  et  pu  manquer  sa  route.    {Ec,  desf,  VL,  i.) 

—  PERDRE  temps: 

MonsituT,/ ai  perdu  temps  ^  votre  homme  se  dédit.  (L'Et,  III.  a.) 
«  Je  vais ,  sans  perdre  temps,  y  disposer  Orontc.  » 

(CIoRHiiLLi.  La  Galerie  du  Palais,) 
M.  Auger  blâme  cette  locution  comme  équivoque:  est-ce  per- 
dre du  temps,  ou  perdre  son  temps?  La  critique  est  bien  vétil- 
leuse ,  et  l'équivoque  du  sens,  argument  spécieux  auquel  on  re- 
court beaucoup  trop  souvent,  n'est  presque  jamais  à  craindre. 

PÉBIGLITEB ,  absolument,  courir  un  danger,  risqjier  : 

Mais  croy^-vous ,  maiire  Simon ,  qu'il  n'y  ait  rien  à  péricliter  ? 

{Vjv.  IL  I.) 
Rien  à  risquer  en  faisant  cette  affaire?  croyez-vous  que  je 
n'expose  rien? 

PERSONNE ,  suItI  d*an  adjectif,  d'un  pronom  on  d'un 
participe  an  masculin: 

Personne  ne  t'est  "venu  rendre  visite  ?  {Crit.  de  tEe.  des  fem.  i .] 

La  complaisance  est  trop  grande,  de  souiDrir  indifféremment  toutes  sortes 

àt  personnes.  —  Je  goûte  ceux  qui  sont  raisonnables ,  et  me  difertis  des 

extravagants,  (  Ibidem.) 


—  2W  — 

Jamais  je  n*ai  vu  deux  personnes  être  si  contents  l'an  de  l'antre. 

{Don  Juan.  I.  a.) 
Il  s'agit  d'un  amant  et  de  sa  fiancée. 

Des  vers  tels  que  la  passion  et  la  nécessité  peuvent  faire  tronver  à  dêtut 
personnes  qui  disent  les  choses  Jteux»mêmes  et  parient  sur-Ie-dbamp. 

(MaL  im.  U.  6.) 

—  PERSOHiiE  DU  MONDE ,  penotioe  absolament  : 

Quoi,  cousine,  personne  ne  t*est  venu  rendre  visite? — Personne  dn 
monde,  (  Crit.  de  CEc,  des  femmes,  i.) 

()n  observera  que  le  mot  personne  est  affirmatif  de  soi  ;  il  sert 
ici  à  nier,  parce  que  la  pensée  le  rattache  à  la  négation  renfer- 
nic*e  dans  Pellipse  :  |)ersonne  n'est  venu  me  rendre  visite. 

PERSONNE.  Verbe  à  une  autre  personne  que  son 
sujet  : 

VALRAi.  Je  VOUS  demande  si  ce  n*est  pas  vous  qui  se  nomme  Sganardle. 
s^Air.       En  ce  cas,  c*est  moi  qui  se  nomme  Sganarelle.  (Mtéd,  m,  iuL  L  6.) 

Plus  loin ,  Molière  a  mis,  en  observant  le  rapport  des  per- 
sonnes : 

Ouais  !  seroit-ce  bien  moi  qui  me  tromperois?  (iàid,) 

Et  que  me  diriez-vous ,  monsieur,  si  c'était  moi 
Qui  vous  eût  procuré  cette  bonne  fortune?        (Dépit  am,  III.  7.) 
Ce  ne  serait  pas  moi  qui  seferoit  prier.  {Sgan.  a.) 

Racine  a  dit  pareillement  : 

«  Il  ne  voit  dans  son  sort  que  moi  qui  s'intéresse,  »    (Britannieus,) 

Les  grammaiiiens,  depuis  Vaugelas,  ont  décidé  qu'il  faut  tou- 
jours le  verbe  à  la  première  personne,  parce  que  le  pronom  y  est. 
I^  raison  paraît  douteuse,  car  il  y  a  aussi  im  autre  verbe  qui  est 
placé  le  premier ,  et  qui  est  à  la  troisième  personne.  Pourquoi 
raccord  ne  se  ferait-il  pas  aussi  bien  avec  ce  premier  verbe 
qu'avec  le  pronom  qui  le  suit  ? 

Celui  qui  se  nomme  Sganarelle,  c'est  moi;  —  celui  qui  vous 
a  procuré  cette  bonne  fortune,  c'est  moi  ;  —  celle  qui  se  ferait 
prier,  ce  ne  serait  pas  moi  :  —  voilà  comme  on  serait  obligé  de 
parler  pour  satisfaire  la  logique.  Et  parce  que  l'ordre  des  mots 
est  renvers<'»,  le  rapport  des  termes  de  l'idée  change-t-il  aussi? 
Non  sans  doute.  La  facilité  que  laissait  l'usage  du  xvii*  siècle 


—  297  — 

me  semble  donc,  en  principe,  plus  raisonnable  que  la  loi  étroite 
du  XIX®.  Il  est  certain  d'ailleurs  que  cette  rigueur  ne  produi- 
rait pas  toujours  un  bon  efTet  dans  Tapplication.  Par  exemple, 
il  n*en  coûtait  pas  davantage  à  Racine  de  mettre  : 
n  ne  Toit  dans  ses  pleurs  que  moi  qui  nCintéresse, 

Mais  la  pensée  ne  se  présente  plus  du  tout  de  même.  Junie 
ne  veut  pas  dire  :  Moi  seule  je  m'intéresse  dans  ses  pleura  ; 
mais  :  Qui  est-ce  qui  s'intéresse  dans  ses  pleurs  ?  —  Moi  seule. 
Dans  la  première  tournure,  l'idée  qui  frappe  d'abord,  c'est  la 
personne  de  Junie  ;  dans  la  seconde,  c'est  l'isolement  et  l'a- 
bandon de  Britannicus.  L'une  est  propre  à  irriter  Néron,  l'au- 
tre à  le  désarmer. 

Ces  délicatesses  font  le  cai*actère  des  grands  écrivains  ;  et  les 
despotes  de  la  grammaire ,  avec  leur  précision  géométrique, 
tendent  à  les  rendre  impossibles  :  ils  matérialisent  la  langue. 

PESTE;  LA  PESTE  SOIT,  LA  PESTE  SOIT  FAIT;  exck- 
mation,  suivie  du  nominatif;  la  peste  de  : 

La  peste  le  coquin  !  La  peste  le  benêt!  {Don  Juan,  III.  6.  et  V.  a.) 

Pesie  soit  le  coquin ^  de  baUre  ainsi  sa  femme!  {Méd,  m,  1. 1.  a.) 

C'est  une  inversion  :  que  le  coquin  soit  la  peste,  c'est-à-dire, 
soit  empeste,  devienne  la  peste  elle-même. 

La  peste  soit  fait  r  homme  et  sa  chienne  de  face!  (Ec,  desf,  IV.  a.) 

La  peste  de  ta  chute  ^  empoisonneur  au  diable  !  {Mis,  L  a.) 

Peste  du  fou  fieffé!  —  Peste  de  la  carogne  !  {Méd,  m.  lui,  I.  i.) 

PÉTAUD  ;  LA  COUR  du  roi  Pétaud  : 

Et  c'est  tout  justement  la  cour  du  roi  Pétaud,  {Tort,  I.  i.) 

Les  commentateurs ,  avec  assez  d'apparence ,  veulent  que 

ce  soit  la  cour  du  roi  Peto ,  du  roi  des  mendiants,  où  régnent 

le  désordre  et  la  confusion.  Le  mot  pétaudière  confirme  l'autre 

orthographe. 

PETITE  OIE,  terme  de  toilette  : 

MASCARiLLK.  Quc  VOUS  Semble  de  m^.  petite  o/>  ?  la  trouvez  vous  con- 
gniante  à  rhabit  ?  {Prée.  rid,  lo.) 


—  208  — 

«  PeiUe  ofe  est  ce  qa'on  retranche  d'une  07e  qàvoà  an 
l'habille  pour  la  faire  rostir,  comme  les  pieds,  les  bouts  d'aile  « 
le  cou ,  le  foye,  le  gésier.  »  (TaÉToux.)  C'est  ce  qp'on  appdie 
aujourd'hui  unabatis. 

Par  une  métaphore  facile  à  comprendre ,  petite  oie  a  désigné 
les  accessoii*es  de  la  toilette  ,  plumes  ,  rubans ,  dentelles,  dont 
à  cette  époque  le  costume  mascuhn  était  fort  chargé  : 

«  Ne  vous  Tendrai-je  rieu ,  monsieur  ?  des  bas  de  soie , 
•*  Des  gaots  en  broderie ,  ou  quelque  petite  oie?  • 

(  Corneille.  La  Galerie  du  Palais,) 

La  petite  oie  signifiait  aussi ,  par  une  métaphore  analogue , 
les  plus  légères  faveurs  de  l'amour. 

PETONS ,  diminutif  de  pî#di  .* 

Ah!  que  j'en  sais,  belle  nourrice,....  qui  se  tieodroient  heiireiii  fit 
baiser  seulement  les  petits  bouts  de  vos  petons  I  {Méd,  m,  /.  III.  3.) 

(Voyez  BOUGHoir.) 

PEU  pour  lin  peu  : 

Vous  le  voyez.  :  sans  moi  vous  y  seriez  encore , 
Et  vous  aviei  besoin  de  mon  peu  tTeliébore.  (  Sgan,  a«.) 

JjA  suivante  veut  dire  :  Vous  aviez  besoin  de  ce  peu  de  ju- 
gement que  m'a  départi  le  ciel.  Mais,  à  prendre  sa  phrase  dans 
le  sens  ordinaire  de  cette  toumure,  elle  dirait  :  Vous  aviez  be- 
soin que  j'eusse  peu  de  jugement. 

Votre  peu  de  foi  vous  a  perdu.  —  Vous  êtes  perdu  pour  avoir 
eu  trop  peu  de  foi.  C'est  le  sens  régulier. 

Votre  peu  de  foi  vous  a  sauvé.  C'est-à-dire  ,  il  vous  a  suffi 
d'un  peu  de  foi  pour  être  sauvé.  C'est  le  sens  exceptionnel  que 
donne  ici  Molière  à  cette  façon  de  parler.  L'équivoque ,  sans 
compter  l'usage,  ne  permet  pas  de  l'admettre. 

Voltaire  parle  plus  correctement  que  Molière ,  quand  il  fait 
dire  à  Omar  : 

m  Je  voulus  le  punir,  quand  mon  peu  de  lumière 

m  Méconnut  ce  grand  homme  outré  dans  la  carrière.  » 

{Mahomet A,  i^:) 

—  QUELQUE  PEU  : 

Tea  avois  fait  à  sa  mère  quelque  peu  d*ouverture.  {VAv,  IL  3.) 


—  209  — 
PEUB  DE ,  adverbiiilepdent ,  de  peur  de  : 

ALAlir. 

J'empêche ,  peur  du  eluit^  que  mon  moineau  ne  sorte. 

(  Ec,  des  fem,  I.  a.) 
On  dit  de  même,  mais  légitimement  ^  faute  de,  crainte  de.  — 
Manque  de,  souvent  employé  par  Pascal ,  est  aujourd'hui  hors 
d'usage.  Toutes  ces  locutions  sont  autant  d'accusatifs  ou  d'a- 
blatifs absolus.  Si  Ton  admet  les  unes ,  il  parait  inconséquent 
de  rejeter  les  autres ,  d'approuver /nii/^  iie,  et  de  blâmer  peur 
de.  On  allègue  l'usage  ;  mais,  en  bonne  grammaire ,  l'usage 
nouveau  ne  devrait  point  établir  de  prescription  définitive,  sur- 
tout contre  la  logique  appuyant  l'ancien  usage. 

PEUT-ÊTRE. . .  ET  QUE  : 

Peut-être  a-t-il  dans  l'Âme  autant  que  moi  de  crainte , 

Et  que  le  drôle  parle  ainsi , 
Pour  me  cacher  sa  peur  sous  une  audace  feinte.  {Âmph,  I.  a.) 

PHILOSOPHE ,  adjectif  comme  philosophique  : 

Ce  chagrin  plùbsophe  est  un  peu  trop  sauvage.  {MU,  I.  x.) 

Et  je  crois  qu*à  la  cour,  aussi  bien  qu'à  la  ville , 

Mon  flegme  t9X  philosophe  autant  que  votre  bile.  {Ihid.) 

Qu*il  a  bien  découvert  ici  son  caractère. 

Et  que  peu  philosophe  est  ce  qu'il  vient  de  foire.  {Fem,  tav,  T.  5.) 
■  Cétoit  la  partie  la  moins  plùlosophc  et  la  moins  sérieuse  de  leur  vie.  » 

(Pascal.  Pensées,) 
«  Le  plus  philosophe  étoit  de  vivre  simplement.  »  (Id.  Jèid,) 

—  PHILOSOPHE ,  substantif  féminin  : 

c'est  une  philosophe  enfin  ;  je  n'en  dis  rien.  (Fem,  sav,  IL  8.) 

PHLÉBOTOMISER,  archaïsme ,  pour  saigner: 

zer  MÉDECIN.   Je  sub  d'avjs  qu'il  soii phlébotonifsé  libéralement. 

{Pourcl,  II.) 

PIC  ou  PIQUE,  aux  cartes  : 

Molière  écrit  les  deux  : 

Ola  fine  pratique! 
Un  mari  confident!  — Taiscr-vous,  as  dépique!  {Dép,  am.  V.  g.) 
Dame  et  roi  de  carreau,  dix  et  dame  de  pique,    (Fâcheux,  U,  a.) 
Biais  lui  fiallant  un  pic,  je  sortis  hors  d'effroi.  (Ibid.) 

n  ne  m'en  faut  que  deux ,  l'autre  a  besoin  d'un  pic,         ^  (Ihid,) 


—  800  — 

Molière  altère  ici  l'orthographe  pour  le  besoin  de  la  rime. 
Pic^  ainsi  figuré,  signifie  autre  chose  que  pique  :  c'est  un  terme 
du  jeu  de  piquet  :  pic,  repic  et  capot: 

Vous  allez  faire  pie,  repic  et  capot  tout  ce  qu*il  j  a  de  galant  dam 
Paris.  (Préc.  rid.  lo.) 

«  PhiJis ,  contre  la  mort  vainement  on  rédame  : 

«  Tôt  ou  tard  qui  8*y  joue  est  fait  pic  et  capot,  »        (BavsiaADa.) 

PIÈGE  ;  BONivE  PIÈGE  9  ironiquement  : 

Taisez-vous,  bonne  pièce!  {G,  D,  1. 6.) 

(Voyez  BOK.) 

—  FAIRE  uif E  PIEGE ,  joucF  un  tour  : 

Cet  homme-là  est  un  fourbe  qui  m*a  mis  dans  une  maison  pour  se  mo- 
quer de  moi ,  et  me  faire  une  pièce,  (JPourc,  II.  4.) 
C*est  une  fnèce  t/ue  ton  m'a  faite ,  et  je  n*ai  aucun  niaL  (lèid,  I.  7.) 
Ce  sont  des  pièces  qu^on  lui  fait.  '{Itid.  m.  9.) 
«  Ce  ne  fut  pas  sans  la  garder  bonne  à  Ésope,  qui  tous  les  jours yo/jorf 
«  de  nouvelles  pièces  à  son  maître,  »                       (La  Font.  Vie  tt Esope,) 

PIED;  METTRE  SOUS  LES  PIEDS,  pour  mépriser, 
négliger  : 

Moquons-nous  de  cela ,  méprisons  les  alarmes , 

Et  mettons  sous  nos  pieds  les  soupirs  et  les  larmes.         (Sgan,  18.) 

—  PIED  A  PIED ,  pas  à  pas,  petit  à  petit  : 

Pied  à  pied  vous  gagnez  mes  résolutions.  {B,  Cent.  III.  x8.} 

PILULE;  DORER  LA  PILULE  : 

Le  seigneur  Jupiter  sait  dorer  la  pilule,  {Amph,  III.  11.) 

PIMPESOUÉE: 

Toilà  une  belle  mijaurée,  une  pimpesouée  bien  bâtie, pour  vous  donner 
tant  d'amour  !  (B,  gent,  IIL  9.) 

«  Pimpesouée ,  femme  qui  montre  des  prétentions ,  avec  de 
petites  manières  aiTectces  et  ridicules.  Pimpesouée  vient  pro- 
bal)Iement  du  vieux  verbe  pimper,  qui  signifie  parer,  attifer, 
dont  il  nous  reste  pimpant ,^  et  du  vieil  adjectif  iouef,  soiwfve , 
qui  voulait  dire  doux,  agréable.  »  (M.  Augee.) 


—  301  — 

Cette  étymologie  ne  manque  pas  de  vraisemblance  ;  il  ne  reste 
plus  qu*à  trouver  quelque  part  le  vieux  verbe  pimper,  J*avoue 
que,  pour  moi,  je  ne  Tai  jamais  rencontre  ;  mais  c'est  un  mot 
vraisemblable. 

Ménage  veut  que  pimpant  soit  dit  pour  pompant,  11  est  cer- 
tain qu'on  disait,  dans  le  latin  du  moyen  âge,  pompare^  pour 
superbire^  gloriari  : 

«  Gnmdisoois  pompare  modis  tngiooque  boatu.  »         (Scdulius.) 
(Voyez  Du  Cange  au  mot  pompare.) 
Sur  l'étymologiede  mijaurée,  je  ne  ti'ouve  rien  de  satisfaisant. 

PIQUÉ,  au  figuré;  avoir  l*am£  piquée  de  quelque 
chose: 

Pour  mettre  en  mon  pouvoir  certaine  Égyptienne 

Dont  y  ai  Fàme  piquée ,  et  qu'il  faut  que  j*obtiemie.     {JL'Et,  V,  6.) 

PIS,  au  neutre,  quelque  chose  de  pis: 

La  prose  esipis  que  les  vers.  (Impromptu  de  Versailles,  i.  ) 

n  s'agit  de  savoir,  de  la  prose  ou  des  vers,  quel  est  le  plus 

difficile  à  retenir  par  conir;  Molière  décide  que  la  prose  est,  à 

cet  égard ,  pis  cfue  les  vei-s. 

Pire  que  les  vers ,  marquerait  la  prééminence  i-elative  de  la 

prose,  ce  dont  il  n'est  pas  question.   Pire  s'accorderait  avec 

prose;  pis,  au  neutre,  se  rapporte  à  l'idée  de  retenir  par 

cœur. 

C'est  l'observation  encore  plus  instinctive  que  raisonnée  de 
ces  nuances  délicates  qui  fait  l'habile  écrivain. 

PLÀIDERIE  : 

Je  ven*ai  dans  cette  plaiderie 
Si  les  hommes  amtmt  assez  d*effronterie. . .  {Mis,  1. 1.) 


La  racine  est  plaid  : 
m  Tous  les  jours  le  ; 

On  ne  dit  plus  que  plaidoirie 


m  Tous  les  jours  le  premier  h\xx  plaids,  et  le  dernier!  • 

(Hachtb.  Les  Plaideurs,) 


—  305  — 

PLÀHirrE;  murmu&er  a  PLAiirrE  gommuice,  mur- 
murer  ensemble,  pour  le  même  sujet  : 

Nous  nous  voyons  sœurs  d'infortune  ; 
Et  la  vôtre  et  la  mienne  ont  un  si  grand  rapport , 
Que  nous  pouvons  mêler  toutes  les  deux  en  une , 

Et  dans  noire  juste  transport 

Murmurer  à  plainte  commune,  {Psfcké,  L  I.) 

J  plainte  commune  est  dit  comme  h  frais  communs. 
PLAISAIT ,  qui  plait^  agréable.  Archaïsme  : 

AGRis. 

C'est  une  chose,  hélas  !  si  plaisante  et  si  douce  1  (£c.  desfem.  U.  6.) 

m  Lepiauant  dialogue  du  législateur  de  Platon,  avecques  ses  concitoyens, 
«  fera  honneur  à  ce  passage.  »  (Mohtaigne.  II.  7.) 

**  Kutre  les  livres  simplement  plaisants  ^  je  treuve  des  modernes  le  De- 
«  cameron  de  Boccace ,  etc. . .  »  (Id.  lèid.  10.) 

Livres  plaisants  g  c'est-à-dire  qui  n'apportent  que  du  plai- 
sir, de  l'agrément ,  qu'on  lit  uniquement  pour  s'amuser. 

« Une  perception  soudaine  et  vive  qui  se  iait  d'abord  en 

«  nous,  k  la  présence  des  ohjels  plaisants  et  fâcheux.  >• 

(Bossu£T.  Connaissance  de  Dieu,) 

On  s'est  permis,  dans  l'édition  in- 12  de  1846,  de  substituer 
«  objets  agréables  ou  déplaisants,  »  On  ne  saurait  trop  vive- 
ment blâmer  ces  témérités,  qui  n'iraient  pas  à  moins  qu'à 
transformer  tous  les  dix  ans  les  textes  les  plus  précieux  et  vé- 
nérables. 

PLAINTUBËUX ,  archaïsme ,  abondant  : 

Que  les  saignées  soient  fréquentes  et  plantureuses,  (Pourc,  I.  11.) 

On  devrait  écrire  plentureuses  par  un  ^,  la  racine  <le  ce 
mot  étant,  non  ^aisplante,  mais  plenté,  syncopé  deplenitatem  : 
u  Vous  aurez  du  foin  assez  , 
■  Et  de  l'avoine  à  plenté,  *>  {Prose  de  tjfsne,) 

Et  non  à  planter,  comme  je  l'ai  vu  imprimé.  Les  ânes  man- 
gent de  l'avoine  ,  mais  ils  n'en  plantent  point  ;  au  i*ebours  des 
hommes. 


—  303  _ 

PLATRER ,  métaphoriquement ,  dans  le  sens  où  nous 
disons  aujourd'hui  replâfr^,  dissimuler: 

Jusqu'ici  vous  avez  joué  mes  accusations ,  ébloui  vos  parents,  et  pidiré 
fos  malversations,  {G,  Z>.  m.  8.) 

Aussi  ne  Tois-je  rien  qui  soit  plus  odieux 

Que  le  dehors  plâtré  d'un  zèle  spécieux.  (Tart,  I.  6.) 

Boileau  se  sert  pareillement  du  substantif /^/IrCfr^,  au  figuré  : 

«  Ses  bons  mots  ont  besoin  de  farine  et  de  plâtre*  » 

PLEIN ,  complet  : 

Il  est  bien  des  endroits  où  la  pleine  franchise 

Deiiendroit  ridicule ,  et  seroit  peu  permise.  (Mis,  1. 1.) 

Celle  pleine  droiture  où  vous  vous  renfermez.  (Ibiti.) 

Cest  un  haut  étage  de  vertu  que  cette  pleine  insensibilité  où  ils  veulent 

faire  monter  notre  âme.  {l^f^f-  ^^  Tartufe.) 

«  Que  rbomme  contemple  donc  la  nature  dans  sa  haute  et  pleine  ma- 

é  jutél  »  (Pascal.  Pensées,) 

«  La  promesse  que  J.  G.  nous  a  faite  de  rendre  sa  joie  pleine  en  nous.  » 

(lo.  iSid,) 
(Voyez  A  PLEIN.) 

—  PLEUf  D*£FFRoi ,  au  seus  actif ,  c'est-à-dire  qui 
remplit  d  effroi  : 

Et  qu*on  s'aille  former  un  monstre  plein  d'effroi 

De  l'affront  que  nous  fait  son  manquement  de  foiPjg 

{Ec,  des  fem,  IV.  8.) 

PLUS  pour  U  pltASp  au  superlatif  : 

Mais  je  vais  employer  mes  efforts  plus  puissants , 
Remuer  terre  et  ciel,  m*y  prendre  de  tous  sens. . .     (L'£t.Y,  la.) 
Si  vous  leur  dérobez  leurs  conquêtes  plus  belles , 
Et  de  tous  leurs  amants  faites  des  infidèles.  (Jbid,  Y.  s 3.) 

Le  remède  plus  prompt  où  j'ai  sa  recourir.  (Dép,  am,  Uî,  z.) 

Mais  ce  qui  plus  me  jdatt  d'une  attente  si  chère...  (D,  Garde,  I.  3.) 
C'est  lors  que  plus  il  m'aime,  {Ibid,  II.  i .) 

Qui  est  plus  criminel  à  votre  avis,  ou  celui  qui  achète  un  argent  dont  il 
a  besoin,  ou  bien  celui  qui  vole  un  argent  dont  il  n'a  que  foire? 

(V Avare.  U.  3.) 


—  304  — 

•  Quatre  cent  mille  soldats  qu'elle  enlreteDoit  étoîent  eeux  de  ses  cî- 
«  toyens  qu'elle  (l'Egypte)  exerçoit  avec  plus  de  soin.  » 

(BossuET,  Hist.  un.  m*  partie.) 
«  Chargeant  de  mon  débris  les  reliques  plus  chères,  » 

(RAcnrc.  Bajazci.) 

Cette  façon  de  pai'ler  conimenrait  dès  loi'S  à  vieillir,  et  Ton 
ne  taida  i>as  à  la  proscrire  ;  mais  au  x\i^  siècle,  et  surtout  au 
moyen  âge,  on  ne  s'en  faisait  aucun  scrupule  : 

m  L'hoDueiir,  qui  sous  faux  litre  habite  avecque  nous, 
«  Qui  nous  ôte  la  vie  et  Ifjt  pUi'nin pius  doux,  »  (lUoiriaa.  Sal.  TI.) 
•t  Eslaut  là  ,  je  furète  aui  recoins /7/{fi  cachés,  »  {ibi<l,) 

m  Les  gens  du  monde  pour  la  santé  où  il  a%oit  plus  de  fiance  (Charles  Y), 
«  c'esloit  en  bons  niaistres  médecins.  »  (FaoïssAaT.  Cliron,  II.  70.} 

•  Gentis  rois,  dit  la  dame,  par  Deu  qui  maint  la  sus, 
«  Je  vos  commanl  la  rieu  el  monde  que  j'aim  plus.  • 

{Chans,  des  Saxons.  L  85.) 

Je  vous  recommande  la  chose  que  j*aime  le  plus  au  monde. 
M  Donez  Tor  et  largcnt,  et  le  vair  et  le  gris; 
«  Car  doner  est  la  rieu  qui  plus  monte  à  haut  pris.  •    {Ibid.  I.  85.) 

>  Vous  estes,  fais-je,  du  lignage 

>  D'icy  entour  plus  à  louer.  *>  (PaÛœGn,) 

Du  lignage  des  environs  le  plus  à  louer. 
PLUT  A  DIEU,  suivi  de  l'infinitif  : 

PliU  à  Dieu  t  avoir  tout  à  Thcure,  devant  tout  le  monde  (le  fouet), 
et  savoir  ce  qu'on  apprend  au  collège  !  (B.  gent,  III.  3.) 

POIDS;  LE  POIDS  d'une  grimage: 

Le  poids  de  sa  grimace,  où  brille  rartifice , 

Renverse  le  bon  droit  et  tourne  la  justice.  (  MU.  V.  i.) 

(  Voyez  TouR^îER  la  justice  y  et  métaphorks  vicieuses.) 

—  LE  POIDS  D  UNE  CABALE: 

Et ,  pour  moins  que  cela  *  le  poids  d'une  cabale 

Embarrasse  les  gens  dans  un  fâcheux  dédale.  (Tort.  T.  3.) 

Pascal  a  dit,  le  poids  de  la  vérité  : 

•*  Il  est  sans  doute  que  le  poids  de  la  vérité  les  déterminera  incontinent  à 
••  ne  plus  croire  à  vos  impostures.  »  (x5*  Prov.) 


—  305  — 

La  métaphore  d'un  poids  qui  détermine  la  balance  à  pencher 
à  droite  ou  à  gauche,  est  juste  ;  celle  d'un  poids  qui  embar- 
rasse dans  un  dédale,  ne  l'est  pas. 

—  METTRE  DU  POIDS  A  QUELQUE  CHOSE ,  y  attacher  de 
rimportance  : 

Mon  père  est  d*une humeur  k  consentir  à  tout; 

Mais  il  met  peu  de  poids  aux  choses  qu'il  résout.      {Fem,  sav.  I.  3.) 

POINT,  surabondant  avec  aucun  : 

On  ne  doit  point  songer  à  garder  aucunes  mesures.       {D.  Juan,  III.  5.) 

Au£un  étant  exactement  synonyme  de  quelque ,  il  n'y  a  pas 

ici  de  faute  contre  le  génie  de  la  langue  \  mais  j'avoue  qu'il  y 

en  a  une  contre  l'usage,  qui  est  vicieux  ,  de  considérer  aticiin 

comme  renfermant  une  négation. 

(Voyez  PAS.) 

—  PoncT  d'affaires  ,  exclamation  elliptique  dont  le 
sens  est  sans  doute  celui-ci  :  Point  d  affaires  entre  nous  ! 
je  ne  vous  écoute  pas  : 

Point  d^ affaires}  je  suis  inexorable.  {fi,  D.  III.  8.) 

De  la  louange,  de  Testime,  de  la  bienveillance  en  paroles,  et  de  Tamilié , 

tant  qn^il  vous  plaira;  mais  de  l'argent ,  point  d'affaires,       {VAv,  II.  5.) 

POMMADER ,  faire  de  la  pommade  : 

Que  font-elles?  — De  la  pomuiade  pour  leurs  lèvres.  —  C'est  Irop  /»o/n- 
madé.  Dites-leur  qu'elles  descendent.  (Préc.  rid.  3.) 

Cet  emploi  du  pailicipe  passé,  avec  trop  et  assez  ^  est  remar- 
quable, encore  que  très-usuel  :  c'est  assez  bu;  c'est  assez 
causé  ;  c'est  trop  pommadé. 

PORTE  ;  eutrer  dahs  une  porte  : 

Entrez  dans  celte  porte,  et  laissez-vous  conduire. 

{Ec.  des  fem,  V.  3.) 

Il  est  incommode  et  fâcheux  que  nous  soyons  réduits  à  un 
seul  mot  pour  exprimer  Fouverture  pratiquée  dans  la  muraille 
et  la  pièce  de  menuiserie  destinée  à  la  fermer.  Les  Latins 
Vi^xent  porta  ti  janua  ^  auxquels  correspondaient,  dans  notro 


—  306  — 

vieille  langue,  porte  et  hws  (i).  Mais  depuis  qu'on  a  banni  le 
second,  il  faut  bien  que  l'autre  fasse  un  double  service,  et  dé- 
signe à  la  fois  les  deux  choses  contraires. 

—  LA  PORTE  DES  RESSORTS.  (  Voyez  Risso&TS  à  l'article 

MÉTAPHORES  VICIEUSES.) 

PORTE-RESPECT: 

Foin!  que  n*ai-je  avec  moi  pris  mwkportê^rtpeetl    {VEt  UL  9.) 
Je  ne  sais  trop  ce  qu'entend  Lélie  par  ce  terme,  si  ce  n'est 
un  bAton  ;  mais  comment  la  défense  d'un  bâton  est-elle  regret- 
table à  qui  porte  deux  pistolets  et  une  épcc  ? 

Mais  vienne  qui  voudra  contre  notre  personne  : 

J'ai  deux  bons  pistolets,  et  mon  épée  est  bonne.  {Ibid.) 

PORTER ,  pour  porter  enêoi^  avec  soi; 

Un  dieu  qui  porte  les  excuses  de  tout  ce  qu'il  fait  :  rAmoiir. 

(r^<».  ▼.  3.) 

—  PORTER  DU  GRIME  DANS.  • . ,  en  mettre  où  il  n'y 
en  a  pas  : 

Il  n'y  a  chose  si  innocente  où  les  hommes  ne  puissent  porter  du  crime. 

{Préf.  de  Tartufe.) 

—  PORTER  DU  SCANDALE  9   caoser ,   entraîner  du 
scandale  : 

Après  son  action,  qui  n'eut  jamais  d'égale , 

Le  commerce  entre  nous  porteroit  du  scandale,        (Tort,  IV.  i.) 

—  PORTER  UN  AIR  : 

£t  partout  porte  un  air  qui  saute  aux  yeux  d'abord.     {Mis,  I.  i.) 
Ce  monsieur  Loyal  porte  un  air  bien  déloyal  I  {Tort,  V.  4.) 

PORTEUR  DE  huchet: 

Dieu  préserve,  en  chassant,  toute  sage  personne 

D'un  porteur  de  huchet  qui  mal  à  propos  sonne  !  (Fâcheux,  11.  7.) 

Le  huchet  est  un  petit  cor  de  chasseur  ou  de  postillon,  qui 
sert  à  hacher  (appeler)  les  chiens. 


(i)  On  les  confondoit  souTcnt  dans  l'usage;  nais  enfin  Akij,  d'après  sa  racioe  «ictfv, 
$9nir,  marquait  {'ouverture  qu'on  fermait  avec  la  porte. 


—  «97  — 
PORTRAIT,  pour  peinture,  tableau,  le  portrait 

B'UIf  œMBAT  : 

Je  dois  aux  yeux  d'Alcmène  un  portrait  militaire 
Du  grtmd  combat  qui  met  dos  enneoûs  à  bas.        {Amph.  I.  i.) 
(Voyez  PKiifTURE  ^nv portrait.) 

—  PORTRAIT  DUIf  COEUR  : 

Nous  allons  eo  tous  lieux 
Montrer  de  votre  ccatr  le  portrait  glorieux,  {Mif,  V.  4.) 

POSSIBLE,  adverbe,  peut-être  : 

Son  heure  doit  venir,  et  c*est  à  vous,  possible^ 
Qu'est  réservé  Thonneur  de  la  rendre  sensible.  {Pr,  d^El.  I.  4.) 
Primitiveiiient  tous  les  adjectifs  s'employaient  aussi  comme 
adverbes  ;  notre  langue  en  a  conservé  de  nombreux  exemples  : 
iK)ir  clair;  frapper  fort;  tenir  ferme;  partir  soudain  ,  etc.  Il 
n'y  a  aucune  raison  pour  que  possible  soit  exclu  de  ce  piivi- 
lége.  La  Fontaine  l'y  maintenait  : 

«t  Us  ne  cédoient  a  pas  une  nonnain 
«  Dans  le  désir  de  faire  que  madame 
«  Ne  fût  honteuse,  ou  bien  n*eùt  dans  son  âme 
«  Tel  récipé,  possible^  à  contre-cœur.  »  {VAbbesse  malade.) 

«  Deux  ou  trois  de  ses  officiers  et  autant  de  femmes  se  promenoient  à 
«  cinq  cents  pas  d'elle ,  et  s'entretenoient  possible  de  leur  amour.  » 

(  La  Fomt.  Amours  de  Psyché,  liv.  II.) 

«  Passible  personne  qu'elle  n'étoit  descendue  sous  cette  voûte  depuis 

«  qu'on  l'avoit  bâtie.  »  (lo.  Ibid,) 

—  POSSIBLE  QUI ,  pent-ètre  que. . .  : 

Passible  quê^  malgré  la  cure  qu'elle  essaie. 

Mon  âme  saignera  longtemps  de  cette  plaie.       {Dép,  am,  lY.  3.) 

POSTE  : 

«  Poste  aussi ,  avec  une  diction  possessive  (un  pronom  pos- 
sessif), signifie  façon ,  manière,  volonté ,  guise ^  comme  :  Il  est 
fait  à  ma  poste;  il  luy  a  aposté  ou  baillé  des  tesmoins  faits  à  sa 
ffotw. 

a  Et  quand  il  n'est  joinct  à  telles  particules  possessives  y  il 
tignifie  pourpenséj  attiitré^  comme  :  cela  est  faict  à  poste.  » 

(NXGOT.) 
%0. 


—  308  — 

ToiirsTTB.  J'avois  songé  en  moi-niéme  qoe  ç*auroit  été  une  boDoe  af- 
faire de  pouvoir  introduire  ici  un  médecin  à  notre  poste,  pour  le  dégoûter 
de  sou  monsieur  Purgon.  {Mal,  im.  IIL  a.) 

«  Que  Martial  retrousse  Venus  à  sa  poste,  il  n'arrive  pas  à  la  faire  pa- 
«  roistre  si  entiei*e.  »  (Moittaiohk.  III.  5.) 

«•  Un  valet  qui  les  escrivit  souhs  moy  pensa  faire  un  grand  butiu  de 
«  m'en  desrober  plusieurs  pièces  chobies  à  sa  poste.  »  (Id.  n.  3;.) 

i*  Dieu  fasse  paix  au  gentil  Arioste , 

«  Et  daigne  aussi  mettre  en  lieu  de  repos 

«  Jean  la  Fontaine,  auteur  fait  à  la  poste 

«  Du  Ferrarois,  adoptant  ses  bous  mots.  »      (Savaca.  Camille.) 

A  la  guise  ,  sur  le  modèle ,  dans  le  goût  de  TArioste. 
l^es  Italiens  disent  aussi  a  mia  posta ,  et,  sans  pronom  pos- 
sessif, alla  posta ,  apposta  : 

;  «  Ha  la  bocca  fatta  apposta 

m  Pel  servizio  délia  pusta.  »  (Duo  de  Guglielmi) 

Il  a  la  bouche  faite  à  poste  pour  le  service  de  la  poste. 

On  pourrait  croire  que  nous  leur  avons  emprunté  cette  ex- 
pression ;  mais  elle  existait  dans  notre  langue  depuis  un  temps 
bien  reculé,  avec  des  acceptions  diverses.  Posta,  dans  les  actes 
du  moyen  âge ,  signifie  une  station ,  un  lieu  désigné,  imposte, 
et  volonté,  gré,  convenance. 

Dans  les  ordonnances  du  roi  Jean  (i355),  on  trouve  faire 
fausse  poste ,  pour  apnster,  (|ui  alors  n'était  pas  encore  crée. 
11  s*agit  dos  revues  de  troui>es ,  où  Ton  faisait  figurer  de  faux 
soldats  ,  des  houunes  apostés^  des  soldats  postic/tes  : 

«  Nous  avons  ordené  et  ordenons  que  nul  ne  face  fausse 

tt  poste  y  sur  peine  de  perdre  chevaux  et  bernois avons  or- 

n  dené  et  ordenons,  pour  esi:\û\cv\es  fausses  postes » 

(Jp.  Cang.  in  Posta.) 

Postiquer^  postiqueur^  c'était,  au  sens  propre,  courir  la  poste, 
postillon  ;  au  figuré,  fourber,  intriguer  ;  un  intrigant. 

Le  poste  d*un  couvent ,  d'un  collège ,  était  le  coureur,  le 
messager  de  la  maison. 

l>e  cette  famille  il  nous  reste  la  poste;  poster ^  aposter;€i 
postiche. 


—  309  _ 

POSTURE  (position),  soit  en  bonne,  soit  en  mauvaise 
part: 

C'est  un  placet,  monsieur,  que  je  voudrois  vous  lire, 

Et  que,  dans  Imposture  où  vous  met  votre  emploi. 

J'ose  vous  conjurer  de  présenter  au  roi.  {Fâcheitx,  III.  a.) 

Un  duel  met  les  gens  en  mauvaise  posture,  (Ibid.  II.  lo.) 

Mes  affaires  y  sont  en  fort  l>onne  posture.  {/Ce.  des  Jem,  I.  f».) 

POT  ;  TOURNER  AUTOUR  DU  POT  .* 

A  quoi  bon  tant  barguigner,  et  tant  tourner  autour  du  pot?  {Pourc,  I.  7.} 
Cette  métaphore  est  du  style  de  Pourceaugnac  et  de  Petit- 
Jean  : 

«  ...  Eh  !  faot-il  tant  tourner  autour  du  pot?  » 

{Les  Plaideurs,  m.  3.) 

—  POTS  casses;  PATER   LES  POTS  CASSES  DE  QUELQUE 

chose: 

Un  cordonnier,  en  faisant  des  souliers,  ne  sauroit  gâter  un  morceau  de 
cuir  qu'il  n'en  paye  les  pots  cassés,  {Méd,  m.  lui,  ITL  x .) 

Cette  expression  proverbiale  fait  allusion  à  un  jeu  usité  au 
moyen  âge  parmi  les  enfants.  Ce  jeu  consistait  à  faire  circuler 
rapidement,  de  proche  en  proche,  un  pot  qu'il  fallait  élever  en 
Tair  avant  de  le  transmettre  à  son  voisin.  Il  se  trouvait  quelque 
maladroit  qui  le  laissait  tomber,  et  celui-là  payait  les  pots 


Menot  parle  de  ce  jeu  : 

«  Le  diable  et  le  monde  font  comme  les  enfants  qui  jouent  à  la  balte  ou 
*  au  pot  cassé  :  ils  se  le  passent  de  main  en  main  ;  un  des  joueurs  le  lève 
«  bien  haut  et  le  laisse  tomber,  et  le  pot  vole  eu  éclats  (i).  »• 

POTAGE;  pour  tout  potage,  au  sens  figaré,  unique- 
ment : 

Vous  n'êtes,  pour  tout  potage,  qu'un  faquin  de  cuisinier.  {VÀv.  III.  6.) 

La  Fontaine  s'est  servi,  dans  cette  locution,  du  mot  besogne 

au  lieu  àe potage.  Le  renard  invite  à  dgier  madame  la  cigogne  : 


(1)  «  DialM>las  rt  mundas  faeiant  «icot  faciont  pneri  Indentes  ad  pilam  vel  ad  potum 
«  fraelam  1  dant  illam  de  mana  in  manam  ;  elerabit  quia  potam  alte ,  et  cadere  dimittet^ 
«  tt  fie  CrtDgtlnr.  »  CSermomês  ,  toi.  iS.) 


—  310  — 

•*  Avoit  un  brouet  dair  ;  il  Vvioii  chichaneDt.  » 

{Le  Remard  et  la  dgogme.) 
Ailleurs  il  dit,  pour  tout  mets  : 

•  Le  renard  dit  au  loup  :  Noire  àur^pour  tout  jmt$ 
u  J*ai  souvent  un  vieux  coq  ou  de  maigres  pooleCs.  » 

{Le  LoMp  et  U  MenûnL) 

POULE  LAITÉE  : 

Avec  leur  ton  de  pouie  laiiée ,  et  leurs  trois  petiu  brins  de  barbe  rdevés 
en  barbe  de  chat  !  (IVp.  n.  7.) 

<t  On  dit,  pour  se  moquer  d*un  lâche,  d'un  sot  qui  se  mêle  4u 
ménage  des  femmes,  que  c'est  une  pouie  moiUUée^  une  pouie 
laitée,  un  tdte-poules,  »  (TwÈvovx.) 

POUR ,  faisant  Toffioe  de  ieulemerU  : 

On  nous  fait  voir  que  Jupiter  n*a  pas  aimé  pour  une  fois. 

{Pr.  ^m.  lï.  I.) 
On  est  faite  d*un  air,  je  pense^  k  pouvoir  dire 
Qu'on  n*a  pas  pour  un  cœur  soumis  à  son  empire.  (Fem»  êav.  II.  3.) 

Pourquoi  ces  façons  de  parler  sont-elles  tout  à  fait  hors  d'u- 
sage, et  cependant  maintient-on  encore  pour  dans  cette  cette 
locution  :  Cela  peut  passer  pour  u/te /ois  y  c'est-à-dire,  une  fois 
seulement?  Ce  sont  là  des  inconséquences  que  les  écrivains  de- 
vraient tâcher  d'empêcher,  ou  de  corriger. 

—  POUR,  aa  point  de ,  jusqu^à  : 

Ma  foi,  me  trouvant  las  pour  ne  pouvoir  fournir 

Aux  différents  emplois  où  Jupiter  m*engage. . .  •       {Ampk.  proL) 

—  POUR,  en  qualité  de  : 

Je  suis  auprès  de  lui  gagé/wur  serviteur; 

Me  voudriez-Tous  eucor  gager  pour  précepteur  ?         {L'Et,  I,  9.) 
Et  vous  l'avez  cou  nu  pour  gentilhomme,  {B,  gent.  Vf.  5.) 

Cet  emploi  de  pour  est  encore  usuel  dans  cette  phrase,  par 
exemple  :  Prendre  pour  domestique.  Connaître  pour  gentil- 
homme ,  gager  pour  précepteur,  ne  sont  guère  que  des  appli- 
cations du  même  principe.  Ce  qui  appauvrit  les  langues ,  c'est 
justement  de  restreindre  la  valeur  générale  d'un  mot  à  quel- 
ques formules  particulières.  Molière ,  non  plus  que  BotsueC , 


-  311  _ 

ne  se  laisse  jamais  garrotter  dans  ces  entraves,  et  c*est  là  peut- 
être  le  caractère  essentiel  de  leur  langue ,  et  ce  qui  lui  donne 
tant  d'ampleur. 

I-.es  Espagnols  emploient  de  même  por  devant  un  adjectif. 
Tirso  de  Molina  intitule  une  de  ses  pièces  :  «  £1  condemnado 
por  desconfiado,  »  Le  damné  pour  décor\fès ,  pour  être  mort 
sans  confession^  en  qualité  de  déconfès. 

—  POUR  (un  infinitif)  marquant,  noa  le  but,  mais 
la  cause ,  comme  parce  que  : 
Moi.  .  . 

Trahir  mes  sentiments,  tX,  pour  être  en  vos  mains , 
D*un  masque  de  faveur  vous  couvrir  mes  dédains! 

(D.  Gcreie,  II.  6.) 
Parce  que  Je  ims  en  vos  mains,  et  non  afin  d'être  en  vos 
mcdns. 

Je  hais  ces  cœurs  pusillanimes,  qui ,  pour  trop  prévoir  les  suites  des 
choses,  n*osentrien  entreprendre.  {Scapin.Wl.  x.) 

Parce  qu'ils  prévoient  trop. 

Tous  les  désordres,  toutes  les  guerres  n'arrivent  que  pour  n'apprendre 
pas  la  musique.  (B.  gent,) 

Parce  qu'on  n*apprend  pas,  et  non,  afin  de  ne  pas  apprendre. 

C'est  pour  nous  attacher  à  trop  de  bienséance 

Qu*aucun  amant,  ma  sœur,  k  nous  ne  veut  venir.     {Psyché.  I.  i.) 

Parce  que  nous  nous  attachons ^  et  non,  afin  de  nous  attacher. 

Et  je  ne  fiiis  sa  main  que  pour  le  trop  chérir.        {Fem.  sav,  T.  5.) 

On   ne  8*avise  point  de  défendre  la  médecine  pour  avoir  été  bannie 

de  Rome,  ni  la  philosophie  pour  avoir  été  condamnée  publiquement  dans 

Athènes.  {Préf.  de  Tartufe.) 

Parce  qu'elle  a  été  bannie ,  parce  qu'elle  a  été  condamnée. 

Pascal  dit  de  même  : 

«  La  durée  de  notre  rie  n'est-elle  pas  également  et  infiniment  éloignée 
«  de  l'éternité  pour  durer  dix  ans  davantage  ?  >•  (Pensées,  p.  298.) 

C'est-à-dire  :  Notre  vie ,  parce  qu'elle  aura  duré  dix  ans  de 
plus  ou  de  moins ,  ne  sera-t-elle  pas  toujours  aussi  éloignée  de 
l'éternité  ?  Ce  tour ,  dans  Pascal ,  me  par^t  un  peu  obscur, 
peutrétre  à  cause  de  la  désuétude. 


—  812  - 

«  Et  conment  ett-il  pouibk,  reprit  Ésope»  que  ?oi  jnmenU  i 
**  lie  si  loin  dos  dievaui  henoir,  et  conçoivent  pour  les  entendre  ?  » 

(Là  Fomt.  rie  ^  Esope,) 

— POUR  ,  uni  à  Fauxiliaire  être.  (Voyez  i-nz  poum.) 

—  pouB  l'am ouB  DE ,  eu  RiaoTaise  part  : 

Qne  tous  ces  jeanes  fous  me  piroissent  fAcbenx  ! 

Je  me  suis  dérobée  au  bal  pour  tmmourtTeujc.  (Ec.  detmmr.lïL^ 

—  POUR  CEBTAIH  : 

Tous  les  bruits  de  Léon  annoncent /N>tfr  certain 

Qu*à  la  conitffsse  Ignés  il  va  donner  la  main.  (D.  Garde.  1. 1.) 

—  POUR  CE  QUI  EST  DE  GELA,  saos  relation  à  rien ,  et 
en  forme  d'exclamation  ,  comme  en  vérilé: 

Pour  ce  qui  est  de  cela,  U  jalousie  est  une  étrange  cbose!    {G.  D.  L  6.) 

POURQUOI. . . ,  ET  QUE. . .  : 

oioaciTTi. 
Oui  ;  mais  pourquoi  cbacun  n^eo  fait-il  pas  de  même. 
Et  que  nous  en  voyons  qui  paroiisent  joyeux 
Lorsque  leurs  femmes  sont  avec  les  beaux  monsieux  ? 

{Ec.  desfem,  U.  3.) 
I^  second  vers  répond  à  celle  tournure  :  et  comment  sefait-il 
que,,.  Rien  nVst  plus  naturel  que  ce  changement  subit  de  cons^ 
truction  au  milieu  d*une  phrase ,  comme  lîen  n*est  plus  fré- 
quent dans  le  discoiu*s  familier. 

Néanmoins»  ce  qui  i)eut  passer  dans  la  1x>uclie  de  Georgette 
n'est-il  pas  trop  abandonne  sous  la  plume  de  Voltaire  com- 
mentant Corneille  ? 

—  «  Pourquoi  dil-on  prêter  t oreille,  it  quk  prêter  les  yeux  n*est  pas 
«  français?  »  (Sur  le  vers  27,  se.  Y,  act.  3, de  Rodogune,) 

POURSUIVRE  A ,  continuer  à  : 

Il  ne  faut  que  poursuivre  à  garder  le  silence,  (Mis,  Y.  3.) 

POUR  UN  PEU ,  pour  nn  moment  : 

Souffrez  que  j*interrompe  pour  un  peu  la  répétition.         (Impromptu,  3.) 

POUR  VOIR ,  adverbialement  : 

Ayez  recours,  pour  voir,  à  tous  les  détours  des  amants.       {G,  D,  1. 6.) 


—  313  — 
POUSSER,  absolument,  insister: 

Poussêf  mon  cher  marquis,  pousse,         (Critique  de  t Ecole  des  fem,  7.) 
Poussez,  c*est  moi  qui  vous  le  dis.  (G.  D,  I.  7.) 

—  POUSSER  LES  CHOSES  : 

N*allez  point  pousser  les  choses  dans  les  dernières  violences  du  pouvoir 
paternel.  (VAv,  V.  4.) 

Toilà,  mon  gendre,  comme  il  fau t  pousser  Us  choses,  (G.  />.  L  8.) 

«  Biais,  mon  père,  qui  voudroit  pousser  cela  vous  embarrasseroit.  » 

(Pascal.  9»  Prov,) 

—  POUSSER  quelqu'un,  aa  sens  moral;  le  pousser  à 
bout: 

Yraiment  'vous  me  poussez  ;  et,  contre  mon  envie , 

Votre  présomption  veut  que  je  riiumilie.  {Dép.  am,  L  3.) 

«t  Fom  me  poussez!  —  Bonhomme,  allez  garder  vos  foins.  » 

(£«j  Plaideurs,  L  7.) 

—  POUSSER  DES  CONCERTS  : 

Poussons  à  sa  mémoire 
Des  concerts  si  touchants  , 
Que  du  haut  de  sa  gloire 

Il  (x)  écoute  nos  chants.  (Am,  magn,  6'  intermède,) 

Corneille  a  dit  pousser  des  harmonies  : 

«t  Des  flûtes  au  troisième  (7),  au  dernier  des  hautbois, 
«  Qui  tour  à  tour  en  Tair  poiusoient  des  harmonies 
«  Dont  on  pouvoit  nommer  les  douceurs  infinies.  ••  (Le  Ment,  I.  5.) 
Et  Pascal ,  pousser  des  imprécations  : 
m  D'où  vient,  disent-ils,  i\\x^ on  pousse  tant  d'imprécations,,»  »  (3*  Pro9,) 

—  POUSSER  LA  SATIRE  .* 

Les  rieurs  sont  pour  vous,  madame,  c*est  tout  dire  ; 

Et  vous  pouvez  pousser  contre  moi  la  satire,  (Mis,  II.  5.) 

—  POUSSER  les  tendres  sentiments, — Tamusement: 

Il  nous  feroit  beau  voir,  attachés  face  à  face , 

Pousser  les  tendres  sentiments!  (Amplt,  I.  4.) 

Amphitryon,  c'est  trop  pousser  t  amusement.  (Ibid,  II.  a.) 

(t)  L0  soleil ,  c'ett-àHlire  Loai»  XIV. 
(a)  Balean. 


—  314  — 

—  poussKR  SA  c^HCB,  SA  vovrims,  fioir Bnmi 

.  J'avois  beau  m'en  défendre,  il  a  pcnssé  sa  ehtme§.  {JN^kmB.  1. 1.) 

Elle  M  rend  à  sa  poursuite  :  il  pousse  sa/ortmiêi  le  foUà  mrpriaafcc 

elle  par  ses  parents.  f^Scûpim.  L  6.) 

Moquez-Tous  des  sermons  d'un  Tieux  barbon  de  père  ; 

Poussez  votte  bidet,  tous  dis-je,  et  laissez  6ùre.  (VEL  L  a.) 

—  POUSSER  UHB  MATIÈRE,  ereosep  on  sujet  i 

Noua  sommes  id  tur  me  matière  que  je  serai  bien  aise  que  noua  pous- 
sUm,  (Crit,  de  tRe.  desfem.  7.) 

POUSSEUSES  DE  TENDRESSE  : 

Héroïnes  du  temps,  mesdames  les  savantes, 
Pousseuses  de  tendresse  et  de  beaux  sentiments. . . 

(Ke.  dês  firn.  I.  5.) 

(Voyei  FOUMEE.) 

POUVOIR ,  "verbe;  il  ne  se  peut  que  ne.  . .  : 

//  ne  se  peut  donc  pas  que  tu  ne  sois  bien  à  ton  aise?  (D.  /imm.  IIL  a.) 
Pacuvius  et  Lucrèce  ont  dit  potestur,  au  passif.  Non  potes- 
inr  quin  traduirait  exactement  il  ne  se  peut  que  ne, 
(Voyea  qitb  dans  cette  formule  il  n'est  pas  que,  p.  333.) 

—  POUVOIR  MAIS ,  sans  exprimer  en  : 

Sur  la  tentation  ai>je  quelque  crédit , 

Et  puis'je  mais,  chétif,  si  le  cœur  leur  en  dit?        {Dép.  am.  Y.  3.) 
Mais  conserve  dans  cette  locution  le  sens  du  latia  magis.  Je 
n  *en  puis  mais ,  je  ne  puis  davantage  de  cela ,  c'est-à-dire , 
touchant  cela,  de  hoc. 

—  POUVOIR,  substantif.  (Voyez  FAIRE  son  POUVOIR.) 

PRATIQUE,  manière  de  se  conduire, intrigae,  sour- 
des menées  : 

O  la  fine  pratique  ! 
Un  mari  confident!  —  Taisez-vous,  as  de  pique.   (Dép,  am.  Y.  9.) 
Rentrez,  pour  n*ouïr  point  cette  pratique  iiifAme.  (Ec,  des  mar,  1. 1.) 
Dans  un  petit  couvent,  loin  de  toute  pratique , 
Je  la  fis  élever  selon  ma  politique.  {Ec,  des  fem.  1. 1.) 

Ses  pratiques,  je  crois,  ne  vous  sont  pas  nouvelles.    (Amph,  prof.) 


—  315  — 

PBATIQUER  Dtt  AMES  y  les  travailler  par  des  in- 
trigues: 

n  a  tenté  Léon,  et  ses  fidèles  trames 

Des  grands  comme  du  peuple  ont  pratiqué  les  àme*. 

{Don  Garde,  I.  a.) 

PRÉALABLE  ;  au  phiêalable  : 

Je  ne  prétends  point  ipi'U  te  marie ,  qn'cn  préalmile  il  n'ait  satisfait  à  la 
médecine.  (Pourc,  IL  «.) 

PRÉCIEUSE,  substantif,  Molière  prend  toi^ours  ce 
mot  en  mauvaise  part  : 

Toyea  comme  raisonne  et  répond  la  vilaine! 

Peste  !  une  précieuse  en  diroit-elle  plus?  (Ec.  desfem.  Y.  4.) 

On  voit  que  Molière  avait  déterminé  de  ruiner  ce  titre  ^  mais 
il  n'y  va  point  brusquement;  il  garde  quelque  ménagement 
pour  Topinion  publiée,  au  moyen  d'une  disûiiction  que  tantôt 
il  rappelle,  tantôt  il  a  soin  d'oublier  : 

Est-ce  qu'il  y  a  une  personne  qui  soit  plus  véritablement  ce  qu*on  ap- 
pelle précietue,  à  prendre  le  mot  dans  sa  plus  mauvaise  signification  ? 

(Crit,  de  tEc.  desfem,  a.) 

Le  bel  assembbge  que  ce  seroit  d*une  précieuse  et  d*uD  turlupin  I  (Hid.) 

Et  ceue  dernière  précieuse  se  trouve  être  «  la  plus  grande 
Caçonnière  du  monde,  »  une  femme  d'un  ridicule  accompli  dans 
ses  manières  comme  dans  son  langage. 

Molière  avait  porté  le  premier  coup  aux  précieuses  en  iSSg; 
il  revient  à  la  charge  quatre  ans  après  :  la  Critique  de  VÉcole 
des  femmes  est  de  i663. 

PRÉCIPITÉ  d'un  E8POIE  : 

Ab!  madame,  faut-il  me  \o\r  précipité 

Dé  t espoir  glorieux  dont  je  m'étois  flatté  ?        (/>.  Garciê.  UL  %.) 

PREMIER;  qui  premieb^  qui  le  premier  : 

Maudit  soit  qui  premier  trouva  Tinveotion 
De  s'affliger  Tesprit  de  cette  vision  !  (Sgan,  17.) 

Latinisme  :  qui  priraus. 

«  Nous  verrons,  volage  bergère, 

«  Qm/^r^m/er  s'en  repentira!  »  (DeIportu.) 


—  316  — 

Premier  s'employait  aussi  adverbialement  : 

«  Tout  ce  en  Bretaigne  apparat 

«  Quaud  premier  la  guerre  j  eimeut , 

«  L*an  3oo  quarante  et  un  nil , 

«  Le  derrain  jour  du  moii  d*apTril.  *• 

{Citron,  de  GuUl.  de  Saint- André,  ▼.  104.) 

Quand  premirrement ,  pour  la  première  fois. 

•  Dieu  Umt  premier,  puis  père  et  mère»  honore.  »  (Praiàc.) 

(Voyez  plus  bas  premier  que.) 

—  LE  PREMIER ,  Ic  premier  Tenu  : 

Ma  bague  est  la  marque  choisie 
ftur  kquelle  au  premier  il  doit  livrer  Célie.  {VEt,  W,  9.) 

n  semblerait  qu'il  s'agit  de  deux  personnages ,  le  premier  et 
le  second/  La  gène  de  l'expression  est  trop  visible. 

—  PREMIER  QUE,  RTant,  OQ  avant  qoc: 

Et  U,  premier  que  lui  si  nous  faisons  la  prise , 

Il  aura  fait  pour  nous  les  frais  de  Tentreprise.  (L'Ei,  m.  7.) 

«  Premier  yiie  d'avoir  mal,  ils  trouvent  le  remède.  »    (Malhiibe.) 

Trévoux  cite  ce  dernier  exemple  et  les  suivants  :  «  Il  étoit 
au  monde  premier  que  vous  fussiez  ne.  —  Un  moine  n*oseroît 
sortir  que  premier  il  n'en  ait  demandé  la  permission.  —  En  ce 
sens  il  \'ieillit.  »  (1740.) 

Dans  l'origine,  tous  les  adjectifs  s'employaient  adverbiale- 
ment sans  changer  de  forme  :  partir  soudain;  voir  clair;  tenir 
ferme;  courir  vite;  parler  net ,  haut,  foi-t.  Dans  toutes  ces  lo- 
cutions et  les  semblables ,  l'adjectif  joue  le  rôle  de  l'adverbe. 
Ce  privilège  de  l'adjectif  subsiste  encore  en  allemand  et  en  an- 
glais. 

Premier  pouv  premièrement  ètsdt  donc  une  locution  très- ré- 
gulière et  très-correcte.  Quant  à  l'adjonction  du  que,  premier 
que,  pour  premièremeni  que  y  elle  est  justifiée  par  cette  réflexion 
fort  simple,  que  premier  marque  une  comparaison,  est  un  vé- 
ritable comparatif;  il  est  donc  naturel  qu'il  en  ait  la  construc- 
tion et  Tattribut. 

(Voyez  aux  mots  ferme  ,  franc  ,  net,  possible.) 


•      —  317  — 
PRENDRE,  choisir,  préférer  : 

Ai-je  réclat  ou  le  &ecret  à  prendre?  {Amph,  III.  3.) 

— LE  PRENDRE  A  (un  sabstantif),  s'en  rapportera. . .  : 

Si  vous  le  voulez  prendre  aux  usages  du  mot , 

L'alliance  est  plus  grande  entre  pédant  et  lot.       {Fem,  sav,  IV.  3.) 

—  SE  PRENDRE  A  (un  infinitif),  s'y  prendre  pour  : 

Voyons  d'un  esprit  adouci 
Comment  vous  vous  prendrez  à  soutenir  ceci.  {Mis.  V.  4.) 

—  PRENDRE  A  TEMOIN  SI  •  .  .  : 

Je  prends  à  témoin  le  prince  votre  père  si  ce  u*est  pas  vous  que  j'ai  de- 
mandée. "  (Pr.  d'EL  V.  3.) 
(Afin  qu'il  dise)  si  ce  n'est  pas  vous...  etc. 

—  PRENDRE  CREANCE  EN  QUELQU'UN  : 

Et  tâchez,  comme  il  prend  en  votu  grande  créance. 

De  le  dissuader  de  cette  autre  alliance.  (£c.  des  fan,  V.  6.) 

—  PRENDRE  DROIT  : 

Et  je  serais  encore  à  nommer  le  vainqueur^ 

Si  le  mérite  seul  prenait  droit  sur  uu  cœur.         (/>.  Garde,  I.  x .) 

Cependant  apprenez,  prince,  à  vous  mieux  armer 

Contre  ce  qui  prend  droit  de  vous  trop  alarmer,  (Jbid,  I.  5.) 

Et  c'est  ce  qui  chez  vous  prend  droit  de  m'amener. 

(Ec.  des  mar,  II.  3.) 
Ah  !  qu'il  est  bien  peu  vrai  que  ce  qu'on  doit  aimer, 
Aussitôt  qu'on  le  y/oit,  prend  droit  de  nous  charmer!  {Pr,d*£LLi.) 
Il  est  très-assuré,  sire,  qu'il  ne  faut  plus  que  je  songe  à  faire  des  comé- 
dies, si  les  tartufes  ont  l'avantage;  qu'ils  prendront  droit  par  là  de  me  per- 
sécuter plus  que  jamais (a*  Placet  au  Roi.) 

—  PRENDRE  EN  MAIN  : 

Tous  les  magistrats  sont  intéressé  i  à  prendre  cette  affaire  enlmain.^ 

\{JOA9.  V.  I.) 

—  PRENDRE  FOI  SUR.  .  •  : 

Mais  je  n'ai  point  ^r/i  foi  sur  ces  mécltantes  langues. 

{Ec.desfenLli.^.) 


_  ai8  —   • 

—  PRENDRE  GARDE  À  (un  infiiûtiQ  : 

C'est  donner  toute  ton  attention  à  fkira  l'action  marquée 
par  cet  infinitif  : 

Prenez  bien  garde,  vous,  à  vous  déhancher  comme  il  fiiut,  et  k  faire 
bien  des  façons,  (impromptu.  3.) 

Prenez  garde  de  marquerait  le  contraire,  et  le  soin  d'éviter. 

Les  Latin»  avaient  de  même  vereor  ut  et  «ensor  me. 

Pascal  dii  prendre  garde  que,  conune  observer,  remarquer 
que  : 

"  Les  Talels  peuveot  faire  en  conscience  de  certains  message»  flicbeui; 
-  n'avez-vous  pas  pris  garde  que  c  etoit  seulement  en  détournant  leur  in- 
•  tenlion  du  mal,  etc (7*  Prw.) 

—  PRENDRE  INTERET  EN  QUELQU'UN  : 

Qu*est-ce  que  cette  instance  a  dû  vous  faire  entendre, 

Que  V intérêt  qu*em  vous  Cou  s^atnse  de  prendre?        (Turt,  TV,  S.) 

Un  ami  qui  m*est  joint  d^une  amitié  fort  teodre , 

Et  qui  sait  V intérêt  qu'en  tous  j*ai  lieu  à% prendre.        {thid.  V.  6.) 

—  PRENDRE  LA  VENGEANCE  DE  : 

Pour  m 'ouvrir  une  voie  à  prendre  la  vengeance 

De  son  hypocrbie  et  de  son  insolence.  (Jbid,  m.  4.) 

—  absolument  pour  épouser  la  querelle . 

Loin  d*étre  les  premiers  à  prendre  ma  vengeance. 

Eux-mêmes  font  obstacle  à  mon  resseutimeut.  {Amph,  ITL  5.) 

Et  vous  devez,  en  raisonnable  époux , 
Être  pour  moi  contre  elle ,  et  prendre  mon  courroux, 

{Pem.  sav,  U,  6.) 

— *  PRENDRE  LE  FRAIS ,  choisir  Iheure  du  frais  : 

Pour  arriver  ici ,  mon  père  a  pris  te  frais.         (Ec,  desfem,  V.  6.) 

—  PRENDRE  LE  PIED  DE  (uu  infinitif)  : 

De  peur  que ,  sur  votre  foiblesse ,  il  ne  prenne  le  pied  de  %*aut  mener 
comm'e  un  enfant.  (Scapin,  1. 3.) 

—  PRENDRE  LOI  DE  QUELQU'UN  : 

Il  serait  beau  vraiment  qu'on  le  vit  aigourd'hui 

Prendre  loi  de  qui  doit  la  recevoir  de  lui  !         (J?c.  desfem,  Y.  7.) 


—  319  — 

—  PMNPAE  PAB  Lss  joiTRAiLLEs,  au  figuré  »  parlant 
de  leffet  des  ouvrages  de  Tesprit  : 

Laîisonf-Dous  aller  de  bonne  foi  aux  choses  qoi  nous  prennent  par  Us  en- 
trailles, et  ne  cherchons  point  des  raisonnements  pour  nous  empêcher  d'a- 
Toir  du  plai&ir.  (Crit»  de  P£c,  dos  fem,  7.) 

—  PRENDRE  PEUTE  A(un  infinitif)  : 

Tant  pis  encore  de  prends^ peine  à  dire  des  sottises,  (ibid,  i.) 

—  PREifDRE  PLAISIR  DE  (un  infinitif)  : 

Car  le  ciel- a  trop  pris  plaisir  de  ni  affliger.  (Dép,  «m.  II.  4.) 

Je  prends  plaisir  Utre  seule,  (Crit,  de  tEc,  des  fem.  x .) 

Je  pense  quV/  ne  prend  pas  plaisir  de  nous  voir.  {D:Juan,  III.  6.) 

—  PRENDRE  sonf  A  (UD  Infinitif)  : 

C'est  un  étrange  fait  du  soin  que  vous  prenez  , 

^  me  venir  toujours  jeter  mon  âge  au  nez.  (Ec,  des  mtw,  1. 1 .) 

—  PRENDRE  VISEE  QUELQUE  PART ,  diriger  là  son  at- 
tention et  ses  efforts  : 

Elle  est  sage,  elle  m*aime ,  et  Totre  amour  Toutrage. 

Prenez  visée  ailleurs,  ti  troasscz-moi  bagage.  .{ibid.  II.  9.) 

—  SE  PRENDRE  A  QUELQUE  CHOSE,  o'eftt-à-dire ,  8*y 
prendre  pour  la  faire  : 

Elle  se  prend  d'un  air  le  plus  charmant  du  monde  aux  choses  qu'elle 
faut  {L'uâp.ha.) 

—  SE  PRENDRE  A  QUELQU'UN  DE,  s'cn  prendre  à  lui, 
Fen  accuser  : 

Cest  ainsi  qn^aus  flatteurs  on  doit  partout  se  prendre 

Des  vices  où  Ton  voit  les  humains  se  répandre.  (Mis,  n.  5.) 

PRÉPOSITION  supprimée, oii  Tusage  moderne  est  de 
la  répéter,  soit  devant  un  nom ,  soit  devant  un  infinitif: 

On  sait  bien  que  Célie 

A  causé  des  désirs  à  Léandre  et  Lélie,  {VEt.  Y.  i3.) 

Nous  dirions  :  à  Léandre  et  à  Lélie. 

U  n'y  a  dans  Molière  qu'un  seccHid  exenqple  pareil  à  oelui-ci, 


—  320  — 

c'est-à-dire,  où  la  préposition  soit  supprimée  devant  un  subs- 
tantif : 

La  pesie  soit  de  Hiomme  et  sa  ctùenne  de  face!  {Ec,  dctfem,  lY.  s.) 
£t  de  sa  chienne  de  face. 

Pour  de  resprit ,  j'en  ai  sans  doute ,  et  du  bon  goût 

A  juger  sans  étude  et  raisonner  de  tout  ; 

A  faire  aux  nouveautés ,  dont  je  suis  idolâtre , 

Figure  do  savant  sur  les  bancs  d'un  théâtre  ; 

Y  décider  en  chef,  et  faire  du  fracas 

A  tous  les  beaux  endroits  qui  méritent  des  ah  !  (MU,  III.  i.) 

Al  jr  décider. 

C'est  aux  gens  mal  tournes,  aux  mérites  vulgaires , 

A  brûler  coustammeut  pour  des  beautés  sévères; 

A  languir  à  leurs  pieds  et  souffrir  leurs  rigueurs  ; 

A  chercher  le  secours  des  soupirs  et  des  pleurs. 

Et  tâcher,  par  des  soins  d'une  très-longue  suite , 

D'obtenir  ce  qu'on  nie  à  leur  peu  de  mérite.  {JbU.) 

Et  à  souffrir,  et  à  tâcher. 

On  n'a  point  à  louer  les  vers  de  messieurs  tels» 

A  donner  de  l*encens  à  madame  une  telle, 

Et  de  nos  francs  marquis  essuyer  U  cervelle.  (i^id,  m.  ^^) 

A  essuyer  la  cervelle  de  nos  marquis. 

Vous  apprendrez,  maroufle,  a  rire  à  nos  dépens, 

Et  sans  aucun  respect  faire  cocus  les  gens  !  (^^«'>*  ^0 

A  faire  cocus  les  gens. 

Comme  si  j'élois  femme  à  violer  la  foi  que  j'ai  donnée  à  un  mari,  et  nC<' 
loigner '}ama\$  de  la  vertu  que  mes  parent?  m'ont  enseignée!  {G.  D,  II.  lo.) 
Le  remède  plus  prompt  où  j'ai  su  recourir, 
C*est  de  pousser  ma  pointe  et  dire  en  diligence 
A  notre  vieux  patron  toute  la  manigance.  (^^ÎP*  <""•  ^'I*  '*) 

Trouvc»-tu  beau,  dis-moi,  de  diffamer  ma  iillc. 
Et  faire  un  tel  scandale  à  toute  une  famille?  (Ibid,  III.  ^,) 

Loin  <^a&surer  une  âme ,  et  lui  fournir  des  armes ....     {Ibid,  IV .  a.) 

Peux-tu  me  conseiller  un  semblable  forfait , 

/)'abaudoui)er  I.élie  et  prendre  ce  malfait?  {Sgan,  a.) 

Et  les  plus  prompts  moyens  de  gaguer  leur  faveur, 

Cest  de  flatter  toujours  le  foible  de  leur  cœui , 

/)*applaudir  eu  aveugle  à  ce  qu'ils  veulent  faiie. 

Et  /i'a/;^jrer  jamais  ce  qui  peut  leur  déplaire.       (D.  Garcie,  U.  i .) 


—  321  — 

Et  TOolei-voiMy  charmé  de  ses  rares  mérites, 

M*obliger  à  Taimer ,  et  souffrir  ses  visites  ?         (£c.  des  mar,  II .  14.) 

En  quelle  impaiieoce 
Suis-je  Je  toir  mon  frère  et  lui  conter  sa  chauce!        {Ibid^  Itl.  2.) 

Mais  je  ne  suis  pas  Iiomme  à  gober  le  morceau  , 
Et  laisser  le  champ  libre  aux  yeux  d*un  damoiseau. 

{Ec,  des  fem.  II.  i.) 

Il  ne  Teut  obtenir 

Que  le  bien  de  vous  voir  et  vous  entretenir,  {Ibid,  II.  6.) 
Employons  ce  temps  à  répéter  notre  affaire,  et  voir  la  manière  dont  il  fdut 

jouer  les  choses.  {Impromptu,  i .) 
C'est  de  ne  plus  souffrir  qu*Alceste  vous  prétende  ; 
De  le  sacrifier,  madame,  à  mon  amour  ; 

Et  de  chez  vous  enfin  le  bannir  sans  retour.  {Mis.  V.  a.) 

Je  vous  promets  ici  d'éviter  sa  présence. 

De  faire  place  au  choix  où  vous  vous  résoudrez, 

Et  ne  souffrir  ses  vœux  que  quand  vous  le  voudrez. 

{MéUcerte.  II.  4.) 

Maû  mon  secours  pourra  lui  donner  les  moyens 

De  sortir  d'embarras  et  rentrer  dans  ses  biens.  {Tart.  II.  a.) 

Pour  m'ouvrir  une  voie  à  prendre  la  vengeance 

De  son  hypocrisie  et  de  son  insolence, 

ji  détromper  un  père ,  et  lui  mettre  en  plein  jour 

L'âme  d'un  scélérat  qui  vous  parle  d'amour.  {Ibid,  III.  4.) 

Ce  seroit  mériter  qu'il  me  la  vint  ravir  (l'occasion) , 

Que  de  l'avoir  en  main,  et  ne  m'en  pas  servir,  {Ibid,) 

Un  ordre  de  vider  d'ici ,  vous  et  les  vôtres» 
Mettre  vos  meubles  hors ,  et  faire  place  à  d'autres.  {Ibid,  V.  4.) 
On  sait  qu'nne  épitre  dédicatoirc  dit  tout  ce  qu'il  lui  plaît,  et  qu'un  au- 
teur est  en  pouvoir  d'aller  saisir  les  personnes  les  plus  augustes,  et  de  parer 
de  leurs  grands  noms  les  premiers  feuillets  de  son  livre;  qu'il  a  la  liberté 
de  s'y  donner  autant  qu'il  veut  l'honneur  de  leur  estime ,  et  se  faire  des 
protecteurs  qui  n'ont  jamais  songé  à  l'être.  {Ep,  déd,  d'^lmphiiijon,) 

Cette  tournure  est  ici  d'autant  plus  remarquable,  que  Tépî- 
tre  est  écrite  avec  un  soin  particulier,  comme  adressée  au 
prince  de  Condé ,  aussi  fin  connaisseur  dans  les  choses  d'es- 
prit que  grand  capitaine. 

Qui  donc  est  ce  coquin  qui  prend  tant  de  licence 

Que  de  chanter  et  m' étourdir  ainsi?  (Amplu  L  a.) 

ai 


—  322  — 

11  me  prend  des  tentations  «Taccommoder  son  Tisage  à  la  compote,  et  le 
mettre  eu  état  de  ue  plaire  de  sa  vie  aux  diseurs  de  fleurettes. 

(  G.  A  n.  4.) 
J'aime  bien  mieux,  pour  moi,  qu*en  épluchant  ses  herbes 
Elle  accommode  mal  \e%  noms  avec  les  verbes, 
Et  redise  cent  fois  un  bas  ou  méchant  mot , 
Que  de  brûler  ma  viande,  ou  saler  trop  mon  pot.  {Fem,  MP.n.7.) 
Et  je  veux  nous  venger,  toutes  tant  que  nous  sonmies , 
De  celte  indigne  classe  où  nous  rangent  les  hommes , 
De  borner  nos  talents  à  des  futilités , 

£1  NOUS  fermer  la  porte  aux  sublimes  clartés.  {ièid.  m.  a.) 

Appelez-vous,  monsieur,  être  à  vos  vœux  contraire , 
Que  de  leur  arracher  ce  qu'ils  ont  de  vulgaire , 
Et  vouloir  les  réduire  a  cette  pureté {i6id,  tV,  a.) 

La  multiplicité  de  ces  exemples ,  tant  en  vers  qu'en  prose , 
fait  assez  voir  que  Molière,  en  supprimant  en  poésie  la  prépo- 
sition une  fois  exprimée ,  ne  cédait  pas  à  la  contrainte  de  la 
mesure  ;  il  suit  la  coutume  de  tous  les  écrivains  du  xvii*  siècle. 
Je  n*en  apporterai  qu*un  exemple;  il  est  de  la  Fontaine,  et 
curieux  à  cause  de  la  longueur  de  la  période,  et  du  nombre  de 
verbes  devant  lesquels  il  faut  suppléer  le  de  mis  au  commen- 
cement. 

•«  Ésope ,  pour  toute  punition ,  lui  recommanda  <f  honorer  les  dieux  et 
«  sou  prince;  se  rendre  terrible  à  ses  ennemis,  facile  et  commode  aux  au- 
«  très;  iten  traiter  sa  femme,  saus  pourtant  lui  coufier  son  secret;  parler 
«  peu,  et  chasser  de  chez  soi  les  babillards;  ne  se  point  laisser  aiwUre  au 

*  malheur;  avoir  soin  du  lendemain surtout  n'être  point  envieux 

m  du  bonheur  ni  de  la  vertu  d'autrui >*(La  Fontaine.  Fie  d'Esope,) 

PRESCRIT,  fixé,  déterminé  d'aTance,  et  non  pas 
ordonné: 

Peusez-vous  qu*à  choisir  de  deux  choses /?rcjcri/«. 

Je  u'aimasse  pas  mieux  être  ce  que  vous  dites 

(Éc.  des  fem.  IV.  8.) 

C'est  le  sens  du  \aLtin  prœscriptus ,  écrit  d'avance. 

PRÉSENT  DU  SUBJONCTIF,  en  relation  avec 
l'imparfait  : 

Seroit'ce  quelque  chose  où  je  vous  puisse  aider?    {Méd,  m,  1. 1.  5.) 
Ici  rimparfait  serait-ce  est  une  forme  convenue  pour  repré- 


—  121  ^ 

senter  le  présent  est'<e  :  Esi-ce  quelque  chose  où  je  vous  puisse 
aider?  Ainsi,  la  correspondance  des  temps  n'est  réellement  pas 
troublée. 

PRESSER  quelqu'un  d'une  cx)urtoisie: 

Toute  ia  courtoisie  enfin  dont  Je  vous  presse,   {£c.  des/em,  IV.  4.) 

PRÊT  A  f  près  de ,  sur  le  point  de  : 

Je  TOUS  Toifl  prétf  monsieur,  à  tomber  en  foiblesse.        (Sgan.  11.) 

Si  c'est  TOUS  offenser, 
Mon  offense  envers  vous  n'est  pas  prête  à  cesser.  (Fem,  sav.  V.  i .) 

—  Vïdkt  DE ,  disposé  à ,  sur  le  point  de  : 

^Ajoute  que  ma  mort 
Est  prête  d'expier  Terreur  de  ce  transport.  {Dép,  am,  I.  a.) 

Molière,  en  ce  sens,  a  dit  deux  fois  prêt  à  : 

Le  yroUàpret  à  faire  eu  tout  vos  volontés.  {làid.  m,  8.) 

Et  que  me  sert  d'aimer  comme  je  fais,  hélas  ! 
Si  vous  éles  si  prête  à  ne  le  croire  pas?  {Mèlicerte,  II.  3.) 

Mais  son  habitude  est  prêt  de  : 

Que  si  ceUe  feinte,  madame,  a  quelque  chose  qui  vous  offense,  je  suis  toui 

prêt  de  mourir  pour  vous  en  venger.  (Pr.  d'El.  V.  a.) 

Vous  n'avez  qu'à  parler,  je  sm$  prêt  d'obéir,         {Méiicerte,  II.  5.) 

Et  il  n'y  a  pas  quatre  mois  encore,  qu'étant  toute  prête  dêtre  mariée^ 

die  rompit  tout  net  le  mariage {VAv,  II.  7.) 

Je  sois  prêt  de  soutenir  cette  vérité  contre  qui  que  ce  soit    [Ibid,  Y.  5.) 
Est-il  rbenre  de  revenir  chez  soi  quand  le  jour  est  prêt  de  paroitre? 

{fi.  D.  m.  II.) 
Quelques  éditions  modernes  ont  imprimé  ici  près  de;  cette 
correction ,  ou  plutôt  cette  infidélité ,  est  impossible  dans  les 
exemples  qui  précèdent. 

Tous  les  grands  écrivains  du  xvii^  siècle  ont  employé  prêt 
de  pour  disposé  à  : 

«  Qu'on  rappelle  mon  fils,  qu'il  vienne  se  défendre  ; 
«  Qu'il  vienne  me  parler,  je  suis  prêt  de  f  entendre,  • 

(Raciwi.  Phèdre.  V.  5.) 
Le  bon  usage  donnait  même  la  préférence  à /7/)^/  de:  «  Lors- 
que prêt  signifie  sur  le  point,  prêt  de  est  beaucoup  meilleur.  » 

(BouHouES  j  Rem,  nouv.) 
•  Elle  estoit  prute  iPaecouc/icr,  »  (Scaeedit.  Mofiu  corn,  l,  z3.) 

SI. 


—  324  — 

«  Je  le  vis  toat  prest  d'abandonner  son  bucéphile ,  pour  marcher  à  pied 
«  à  la  teste  des  fautassins.  >• 

(St.-Évr£moiid.  Cofiv.  du  P,  Canaye,  éd.  de  Barbio,  1697.) 

LA   SERai. 

«  £s-tu  si  prêt  d^ écrire  ? 

CASSA  xcicc. 

Es-tu  las  d'imprimer?  »  (Boilcau.) 

«  Dites  un  mot,  seigneur,  soldats  et  matelots 
«  Seruut  préu  avec  vous  de  traverser  les  flols    » 

(CaûiLLOV.  Electre.) 

«<  Ce  peuple,  qui  tant  de  fois  a  répandu  son  sang  pour  la  patrie,  est  en- 

M  core  prêt  de  suivre  les  consuls.  »  (Vamtor.) 

«  Ils  coururent  chez  un  de  ses  oncles  où  il  s'étoit  retiré,  et  d*où  il  étoit 

«  prêt  de  sortir  pour  aller  se  battre.  *»  (Klkcbicr.  Les  Grands  Jours^  p.  (94.) 

«  Elle  (Psyché)  étoit  honteuse  de  son  peu  d'amour,  VOMit  prête  de  réparer 

«  cette  faute  si  son  mari  le  souhaitoit ,  et  quand  même  il  ne  le  soubaiteroit 

«  pas.  >•  (La  Fokt.  Psyché.  1.  L) 

C'est  paratus  de  au  lieu  de  paratiis  ad.  La  première  forme 
était  celle  qu'avait  choisie  le  moyen  âge  : 
«  S'il  y  est,  il  sera  tout  prest 

m  De  vous  payer  k  la  raison.  »  {Le  Nou9»  Paûteim,) 

«  Ouy,  mon  amy,  je  suis  prest 

«  De  vous  despescher  sïslemeui.  »  {ibid.) 

«(  Je  suis  tout  prcAl  de  recevoir,  »  (Ibid.) 

Les  grammairiens  modernes  reconnaissent  l'emploi  de  prA 
de  dans  tous  les  écrivains  du  xvii*  siècle,  et,  en  le  tolérant 
conune  un  archaïsme,  ils  s'avisent  d'une  distinction  subtile 
autant  qu'elle  est  chimérique  :  Prêt  de  y  disent-ils ,  s'employait 
|>our  disposé  à,  mais  non  jamais  pour  signifier  sur  le  point 
de,  car  il  fallait  toujours  alors  mettre  l'adverbe /?rèj</r. 

On  voit  pai*  les  exemples  de  Molière  la  vanité  de  cette  règle. 
Ma  mort  est  prête  d'expier  ce  transport;  —  étant  toute  prête 
d'être  mariée.,..;..^  le  jour  est  prêt  de  parottre,  ne  sont  pas  des 
phrases  où  l'on  puisse  substituer  disposé  à, 

La  distinction  rigoureuse  et  constante  entre  l'adverbe /)w 
(presso)  et  l'adjectif  prêt  (paratus  )  parait  être  venue  tard  : 
c'est  un  des  résultats  heureux,  je  crois^  de  l'analyse  moderne. 
Auparavant  on  ne  distinguait  pas  entre  deux  mots  que  l'oreille 


—  326  — 

identifie  ;  et  quant  aux  compléments  a  ou  de^  comme  ils  s*em- 
ployaient  sans  cesse  et  coiTectement  l'un  pour  Tautre ,  ils  ne 
pouvaient  qu'entretenir  la  confusion,  loin  de  reropecher. 

PRÊTE-JEAN  : 

C'est  ainsi  que  Molière  écrit ,  et  non  preire  Jean,  pei*son- 
nage  qui  est  appelé,  dans  les  chroniques  latines , /^r^^^j/^r 
Joannesy  etpretiosus  Joannes.  J.  Scaliger  était  pour  le  dernier. 

Ce  qui  s'agite  dans  les  conseils  du  préte^Jean  ou  du  Grand  Mogol. 

(Comtesse  dEscarb,  x.) 

A  On  appela  d'abord  prêtre  Jean  un  prince  tartare  qui  com- 
battit Gengis.  Des  religieux  envoyés  auprès  de  lui  prétendi- 
rent qu'ils  l'avaient  converti,  l'avaient  nommé  Jean  au  baptême, 
et  même  lui  avaient  conféré  le  sacerdoce  :  de  là  cette  qualifica- 
tion de  prêtre  Jcan^  qui  est  devenue  depuis ,  on  ne  sait  pour- 
quoi, celle  d'un  prince  nègre ,  moitié  chrétien  schismatique  et 
moitié  juif.  C'est  de  ce  dernier  qu'il  est  question  ici.  » 

(M.  AUGER.) 

Voici  à  présent  l'explication  de  Trévoux  : 

«  Prestre  Jean.  On  appelle  ainsi  l'empereur  des  Abyssins, 
parce  que  autrefois  les  princes  de  ce  pays  étoient  réellement 
prestres,  et  que  le  moi  Jean,  en  leur  langue,  veut  dire  RoL 

c Le  nom  de  prestre  Jean  est  tout  à  fait  inconnu  en  Ethio- 
pie ;  et  cette  erreur  vient  de  ce  que  ceux  d'une  province  où  ce 
prince  réside  souvent,  quand  ils  lui  veulent  demander  quelque 
chose,  crient  Jean  coi,  c'est-à-dire,  mon  roi,  » 

Cest  le  cas  de  s'écrier  aussi,  avec  le  bonhomme  Trufaldin  : 

Oh  !  oh!  qui  des  deux  croire? 
Ce  discours  au  premier  est  fort  contradictoire. 

Ceux  qui  voudront  en  lire  davantage  sur  le  prêtre  ou  prête 
JeMUf  peuvent  consulter  Du  Cange  au  mot  Presbrter  Joannes, 

PRÉTENDRE  quelqu'un  ,  quelque  chose  : 

C*est  inutilement  quV7 prétend  doue  Elvire,  (Z).  Garde.  I.  i.) 

Donnez-en  à  mon  cœur  les  preuves  qu'il  prétend,  {Ibid.  T.  5.) 

Quoi  !  si  vous  Tépousez ,  elle  pourra  prétendre 
hu  mêmes  libertés  que  ûlle  on  lui  ?oit  prendre  ?  {£c.  des  mar,  I,  a,) 


—  826  — 

Et  par  de  pronpts  transports  donne  mi  li^  édaltfit 
De  Testiaie  qa'il  fiH  de  eeiit  ^u'ii  préiatd.  (FdekmM.  H.  4.) 

El  la  preuve  après  tout  que  je  tous  en  deoiande, 
(rest  de  ne  plus  souffrir  qu'Alceste  vous  prétende,       (Mis.  V.  a.) 
C^s  deux  nymphes,  Myrtil,  à  la  fois  te  prétendent.  {Mélieerte,  L  5.) 
Toutes  vos  poursuites  auprès  d'une  personne  que  Je  prétends  pour  noi. 

(VJÊP.  IW.  y) 
Molière  a  dit  aussi  pa^TSimaE  a  quelqu'uk  : 
Il  ne  prétend  à  vous  qu*en  tout  bien  et  en  tout  honneur.  {Saipim,  ULi.) 

Et  PmiTElfOEB  SUR  QUELQUE  CHOSE  : 

Moi,  madame?  Et  sur  quoi  pourroi»-je  en  rkia prétemdr9 ? 

{Mu.  m.  7.) 
—  ▲  CE  QUE  JE  PRETEHDS,  j'espèfC: 

Et  TOUS  n*]r  montez  pas  (i),  à  ce  que  je  prétends. 

Pour  être  libertine  et  prendre  du  bon  temps.  ÇEe,  detfem.  Ul,  a.) 

PRÊTER  LA MAin  a...  : 

Cek  est  fort  vikin  i  tous,  pour  un  grand  seigneur,  de  prêter  la  Mm, 
oonune  vous  laites,  aux  sottises  de  mon  mari.  (B.  gent.  TV.  a.) 

(Voyez  au  mot  DOinrEm,  ooiarEm  la  main  ou  les  maihs.) 
PRETER  LE  COLLET,  soutcnir  unc  lutte  : 

Je  vous  prêterai  le  collet  en  tout  genre  d'érudition.     {Jm.  méd.  IL  4.} 

PRÉTEXTE  A  (un  infinitif)  : 

Henriette ,  entre  nous ,  est  un  amusement , 

Un  voile  ingénieux,  un  prétexte,  mon  frère, 

A  couvrir  d'autres  feux  dont  je  sais  le  mystère.      {Fem.  sav.  H.  3.) 

PRIER  d'uhe  fête,  y  inviter  : 

Pressez  vite  le  jour  de  la  cérémonie  ; 

J'y  prends  part,  et  déjà  moi-même  je  m'en  prie.    [Ec.  des/.  V.  8.) 

PRINCIPAUTÉ  ;  sa  principauté,  comme  $a  majesté ^ 
son  altesse  j  ou  bien  sa  qualité  de  prince  : 

MOROH.  Je  l'ai  trouvé  un  peu  impertinent ,  n'eu  déplaise  à  sa  princi- 
pauté. {Princ.  d'El.  UL  3.) 

PRISES;  EN  ETRE  AUX  PRISES,  être près  d'en  yenir 
aux  prises  : 

Souvent  nous  en  étions  aux  prises  ; 
Et  vous  ne  croiriez  point  de  combien  de  sottises....  (Fem,  sap.  lY.  a.) 

(i)  Au  rang  de  femme. 


—  327  — 

PRODUIRE  A  quelqu'un,  lui  montrer,  lai  pré- 
senter : 

Quoi  !  deux  ATnphiti7ons  ici  nous  sont  produits  !      {Amph,  III.  5.) 

Toici  rhomme  qui  meurt  du  désir  de  vous  voir. 

En  vous  le  produisant ,  je  ne  crains  point  le  I)Iàme 

D*avoir  admis  chez  vous  un  profane,  madame.      {Pem,sav.  TH.  5.) 

—  SE  PRODUIRE,  se  montrer: 

Ah,  ah!  celle  impudente  ose  encor  se  produire?  (lùid,\,  3.) 

PROMENER ,  verbe  neutre ,  sans  le  pronom  réfléchi  : 

Qu*on  me  laisse  ici  promener  loute  setile.  {Am.magn.  I.  6.) 

Sur  la  suppression  du  pronom,  voyez  arrêter. 

—  PROMEI7ER  quelqu'un  SUR BU  figuré  : 

Ma  jalousie  à  tout  propos 

Me  promène  sur  ma  disgrâce,  {^Amph,  III.  i.) 

Ramène  ma  pensée  sur  ma  disgrâce. 
PROMETTRE ,  assurer  : 

Je  vous  promets  que  je  ne  saurois  les  donner  à  moins.    {Méd,  m.  /.  I.  6.) 

PRONOM  DE  LÀ  PREMIÈRE  PERSONNE, 

construit  avec  un  verbe  à  la  troisième  : 

Et  que  me  diriez-vous,  monsieur,  si  c'étoit  moi 

Qui  vous  eût  procuré  celte  bonne  fortune?  (Dép.  am,  III.  7.) 

Cette  tournu]*e  ne  choque  pas,  parce  que  eût  figure  avec 

c'était,  et  non  pas  avec  moi.  Au  reste ,  Molière  a  donné  cela  au 

besoin  de  la  mesure,  cai*,  deux  vers  plus  loin  ,  il. rentre  dans 

la  forme  ordinaire  : 

C'est  moif  vous  dis-je,  moi,  dont  le  patron  le  sait, 

Et  qui  vous  ai  produit  ce  favorable  eflet.  (  Ibid,  III.  7.) 

Molière  a  employé  encore  ailleurs  cette  discordance  de  per- 
sonnes : 

Ce  ne  seroit  pas  moi  qui  se  feroit  prier.  {Sgan.  a.) 

En  oc  cas ,  c'est  moi  ({ui  se  nomme  Sganarelle.  {Méd,  m.  lui.  I.  C.) 

Nous  chercherons  partout  à  trouver  a  redire , 
Et  ne  verrons  que  nous  qui  sachent  bien  écrire.  {Pem,  sav,  III.  a.) 

Molière  mettait  ici  le  verbe  en  accord  avec  le  pronom  relatif, 


—  328  — 

qui  désigne  en  eflet  la  3*  personne.  L'usage  prescrit  absolo- 
nient  aujourd'hui  le  verbe  à  la  i'*  personne ,  qui  sachions.  Au 
surplus ,  comme  la  mesure  eût  été  la  même  ,  on  est  induit  à 
penser  que  du  temps  de  Molière  la  règle  n*était  pas  encore 
fixée  sur  ce  point. 

PRONOM  RÉFLÉCHI ,  supprimé  : 

Les  mauvais  trailements  qu*il  me  faut  endurer 
Pour  jamais  de  la  cour  me  feroient  retirer,  (Fâcheux,  Df.  a.) 

Je  ne  feindrai  point  de  tous  dire  que  le  hasard  nous  a  fait  connottre  il 
y  a  six  jours.  {MaL  im.  I.  5.) 

Molière  a  voulu  fuir  le  mauvais  effet  de  la  répétition  nous  a 
fait  nous  connotlre ;  me  Jeroient  me  retirer.  Il  pouvait  dire, 
notts  a  fait  connottre  l'un  à  l* autre;  mais  il  a  pensé  que  la  ra- 
pidité de  l'expression  ne  faisait  ici  rien  perdre  à  la  clarté ,  et 
]K)ur  un  dialogue  était  assez  correcte. 

J'obseiTe  que  les  lions  écrivains  du  xvxi*  siècle  n'expriment 
jamais  qu'une  fois  le  pronom  personnel,  quand  la  tournure  de 
la  plirase  et  l'emploi  d'un  verbe  réfléchi  sembleraient ,  comme 
ici,  exiger  qu'il  fût  exprimé  deux  fois. 

PRONOM  RELATIF,  séparé  de  son  substantif: 

Et  j'ai  des  gens  eu  main  ^ue  j'emploierai  pour  vous.    {Mis,  TU,  5.) 

Tandis  que  Ce'iimène  en  ses  liens  s'amuse, 

De  qui  rhumeur  coquette  et  Tesprit  médisant 

Semblent  donner  si  fort  dans  les  mœurs  d'à  présent,      {llnd,  I.  i.) 

Ce  tour  est  si  fi'équent  dans  Molière  et  dans  tous  les  écri- 
vains du  XVII*  siècle ,  qu'il  a  paru  superflu  d'en  rassembler  ici 
d'autres  exemples. 

PROPOS  ;  METTRE  DAWS  LE  PROPOS  : 

Et,  pour  ne  vous  point  mettre  aussi  dans  ie propos.,, {Fem,  sop,  IY.S.) 

PROPRE,  au  sens  d'élégant,  paré  : 

BORAHTB.  Comment ,  monsieur  Jourdain ,  vous  voilà  le  plus  propre  du 
monde  I  {B.  gent,  III.  4.) 

PROU ,  adverbe ,  beaucoup  ;  archaïsme  : 

J'ai  prou  de  ma  frayeur  eu  cette  conjecture,  {CEt^  II,  5,) 


—  329  ~ 

/Vo«,  par'apocope  de  proufit  {profit).  En  italien ,  pro  n'eat 

que  substantif  :  Biion  pro  vifaccia,  —  Bon  prou  vous  fasse. 

La  Civitité  puérile  et  honnête  apprenait  aux  enfants  à  dire  à 

leurs  père  et  mère,  après  les  grâces,  pronfacCy  c'est-à-dire, 

bon  prou  vous  fasse;  que  ce  repas  vous  profite. 

En  français , /7n7fi  fait  aussi  TolBce  d*adverbe,  comme  ces 
autres  substantifs  monosyllabes ,  pas,  point ,  mie,  trop,  rien. 

(Voyez  PAS  ;  eien.) 

«  L*iin  jura  foi  de  ro»,  raulrc  foi  de  bibou , 

««  Qu'ils  De  se  goberoieDt  leurs  petits  peu  ni  prou.  » 

(La  FoiTT.  L'Aigiê  et  le  Mibotê.) 

PRUNES;  POUR  des  prunes,  pour  rien: 

CLiMÈvc.  Ce  le,  où  elle  s*arrèle,  Q*est  pas  m\%pour  des  prunes, 

(Crit.  de  t£c.  des  fem,  3.) 

Molière  prête  à  Cliniène  cette  trivialité ,  pour  faire  un  con- 
traste plaisant  avec  le  superbe  néologisme  de  cette  précieuse , 
et  rimportance  qu'elle  attache  à  ce  le. 

La  même  intention  paraît  dans  Sganarelle,  qui,  interrogé  au 
plus  fort  de  son  chagrin,  répond  : 

Si  je  suis  affligé,  ce  n*est  pas  pour  des  prunes,  {Sgatt.  i6.) 

ARNOLPHC. 

Diantre,  ce  ne  sont  pas  des  prunes  que  cela!  (Ec.  des  fem.  III.  4.) 

PUBLIER  POUR  (un  adjectif),  faire  passer  publique- 
ment pour.  . .  : 

Et  que  direz-vous  de  la  marquise  Araminte  ,  qui  la  publie  partout 
pour  épouvantable  ?  (la  comédie  de  t Ecole  des  femmes), 

{Crit,  de  tEc,  des  fem.  6.) 

PUER  soif  ANaEimETE  : 

...  Ah!  solUciuide  à  mon  oreille  est  rude; 

Il  put  étrangement  sou  ancienneté.  '    {Pem,  sap.  U,  7.) 

Ce  présent  se  dérive  de  la  forme  pair,  qui  est  la  primitive  ; 
/w^r est  moderne.  «  C*est/7w/>  que  sentir  bon.  »  (MoifTAioirE.) 

«  Puer  ou  puïr  ,  verbe  neutre.  L'Académie  ne  parle  que  de 
puer,  et  point  du  tout  de  pair,  Danet  en  parle  comme  FAca- 
démie  ;  mais  Richelet,  aussi  bien  que  Fureiière,  les  admet  tous 


—  SM  — 

deux  f  en  disant  que  ce  sont  deux  verbes  défectueux  ;  que 
pufr  ne  se  dit  point  à  Tinfînitif,  mais  seulement  paer,  et  qu*ib 
empruntent  Tun  de  l'autre  quelques  temps.  Quoi  qu'A  en  soit, 
on  ne  conjugue  point  je  pue,  mjepyis,  comme  il  semble  qa*OD 
devroit  conjuguer  ;  mais  je  put ,  tu  pus  y  H  put.  »  (Tmiroux.) 

L'exemple  tiré  de  Montaigne,  auquel  on  en  poomit  ajou- 
ter  mille  autres ,  prouve  Terreur  de  Richelet  et  de  Furelièie 
quant  à  Tinfinitif /^uir  :  ils  ont  pris  pour  défectueux  deux  ver- 
bes très-complets  chacun  de  sa  part,  mais  différents  d*âge.  Les 
dernières  lignes  de  Trévoux  prouvent  cpi*en  i74ola  forme 
moderne  n'avait  pas  encore  supplanté  Tancicnne  complète- 
ment, et  que  puïr  subsistait  toujours  dans  le  présent  de  l'indi- 
catif. A  plus  forte  raison,  en  1672  Molière  ne  pouvait-il 
écrire,  comme  le  mettent  certaines  éditions  :  «  Il /nce  étrange- 
ment  »  (Voyez  SENTIR.) 

PUNISSEUR;  foudre  puhisseur  : 

U  ne  Teiit  le  montrer  qiren  tête  d'une  armée , 

Et  tout  prêt  à  lancer  le  foudre  pumtseur,  (/>.  Gareie,  I.  a.) 

PUNITION  ;  FAIKE  LA  PUHITION  DE.  .  .   8UB.  .  •  : 

Us  en  feront  sur  votre  personne  toute  la  punition  que  leur  pourront  of- 
frir et  les  poursuites  de  la  justice,  et  la  dialeur  de  leur  ressentiment. 

(fi.  D.  lU.  8.) 
Molière  dit  de  mème,yw/r^  la  justice  d'un  crime. 

PURGER  (se)  de  sa  magnificekce  ,  l'expliquer ,  la 
justifier  : 

L'autre,  pour  se  purger  de  sa  magnificence^ 

Dit  qu'elle  gague  au  jeu  Tangent  qu'elle  dépense.  (Ec.  des  fem.  L  i.) 

—  SE  PURGER  d'une  IMPOSTURE ,  CD  démoutrer  la 
fausseté  : 

Votre  Majesté  juge  bien  elle-même quel  intérêt  j'ai  enûn  à  me 

purger  de  leur  imposture,  (i""  Placet  au  roi.  ) 

QUAND. . .  ET  QUE. . .  : 

Enfin,  ffuand  il  (le  ciel)  exposeroil  à  mes  yeux  un  miracle  d'esprit,  d'a- 
dresse et  de  beauté,  et  <jue  celle  personne  m'aimeroil  avec  toutes  les  ten- 
dresses imaginables;  je  vous  l'avoue  frauchemenl ,  je  ne  l'aimerois  pas. 

(^Pr.d^ÉLULK.) 


.811  — 

Oui ,  quand  Alexandre  seroit  ici ,  et  que  et  seroit  votre  amant 

(Sicilien.  la.) 

«  Quand  im  homme  nous  auroit  ruinés,  estropiés,  brûlé  nos  maisona , 
«  tué  notre  père,  et  quW  se  disposeroit  encore  à  nous  assassiner. . .  » 

(Pascal.  i4«Pwf.) 

Cette  tournure  paraît  lâche  et  incorrecte.  On  observera  dans 
la  phrase  de  Pascal  une  autre  négligence,  c'est  le  même  nous 
servant  à  ta  fois  comme  accusatif  et  comme  datif  :  nous  aurait 
minés ,  nous  aurait  tué  notre  père. 

QUANT-À-MOI ,  substantif.  (Voyez  tekir  soif  quaut-a- 

MOl). 

QUASI,  presque: 

Fi^rei-tous  donc  que  Télèbe» 

Madame,  est  de  ce  côté. 
Cest  une  ville,  en  vérité. 
Aussi  grande  quasi  que  Thébe.  (Jmph.  I.  i.) 

Ce  mot  a  joui  d'une  grande  faveur  jusqu'à  la  fin  du  xvii* 
siècle  : 

«  Nous  sommes  quasi  en  tout  iniques  juges  de  leun  actions  (des  femmes).» 

(MoRTAiGira.  m.  5.) 

« Notre  grande  méthode  (de  diriger  Tintention),  dont  Timpor- 

«  tance  est  telle,  que  j^oserois  quasi  la  comparer  à  la  doctrine  de  la  proba- 
«  bililé.  »  (Pascal,  7*  P/w.) 

m  Je  ne  me  laisse  pas  emporter  aux  haines  publiques ,  que  je  sais  estre 
«  quasi  toujours  injustes.  »  (VoiTumi.) 

«  L'amour  n*a  quasi  jamais  bien  establi  son  pouvoir  qu'après  avoir  ruiné 
«  celui  de  nosire  raison.  »  (ST.-ÉvuBxoirD.) 

«  Le  mot  quasi  n'est  pas  mauvais ,  et  il  ne  faut  faire  nul  scrupule  de  s'en 
«  acrvir,  surtout  dans  les  discours  de  longue  haleine.  ■  (Pateu.) 

Là  commencent  les  retours  :  Vaugelas,  Ménage,  Bouhours, 
Thomas  Corneille ,  ont  condamne  quasi ^  les  uns  plus  sévère- 
roenty  les  autres  moins  ;  les  plus  indulgents  ne  l'ont  toléré  que 
par  pitié. 

Le  temps  a  donné  gain  de  cause  à  Vaugelas,  qui  le  proscri- 
vait net,  et  le  chassait  du  beau  langage. 


—  332  — 
QUE. 

Ce  mot  est  entre  dans  la  langue  française  pour  j  repré- 
senter I®  radverl)e  latin  (luàd; 

2^  Les  accusatifs  du  pronom  relatif  qui^  quœ,  quod^  et  le 
neutre  quid, 

3^  L*adyer\'e  quhm  dans  les  formules  de  comparaison  :  plus 
pieux  que  vous,  magis  pius  qtuim  tu. 

Enfin ,  il  figure  dans  quelques  autres  locutions  qui  ne  sont 
point  prises  du  latin ,  et  sont  des  idiodsraes  de  notre  langue. 

Molière  nous  fournit  des  exemples  de  ces  divers  emplois  de 
QUE  ;  nous  allons  les  rapporter  dans  Tordre  où  ils  viennent 
d*etre  mentionnés. 

QUE  (gtiôd),  entre  deux  verbes,  tons  deux  à  Tindicatif  : 

Ah  !  madame,  il  suffit^  pour  me  rendre  croyable, 

Que  ce  qu'on  vous  promet  doit  être  iuviolable.        (Z>.  Garde.  I.  3.) 

Est-il  possible  que  toujours y^ai/rai  du  dessous  a?ec  elle?  (G,  D.  IL  x3.) 
Est*^il  possible  que  vous  serez  toujours  embéguiné  de  vos  apothicaires  tC^ 
de  vos  médecins?  {Mal.  im,  IIL  3.) 

L'idée  du  second  verbe  énonce  un  fait  certain,  c'est  pour- 
quoi on  met  l'indicatif.  Le  doute,  ou  plutôt  l'exclamation,  s'ex — 
prime  dans  l'autre  partie  de  la  phrase.  Vous  serez  toujours 
embéguiné  des  médecins  ;  — j'aurai  toujours  du  dessous  avec 
elle  ;  —  cela  est-il  possible  ? 

«  Croyez-vous  qu^iX  suffit  d'être  sorti  de  moi?  »  {OatJK. Le  Menteur^ 

11  suffit  d'être  sorti  de  moi.  —  Le  croyez- vous  ?  La  première 
proposition  paraît  incontestable  à  Dorante. 

Montaigne,  |>ai*lant  du  nouveau  monde ,  se  sert  de  la  même 
tournure  : 

«  Bien  crains-je  que  nous  Iny  aurons  très  fort  hasté  sa  ruine  par  nostre 
«  contagion,  et  que  nous  iuy  aurons  bien  cher  vendu  nos  opinions  et  nos 
«  arts  !  »  (MoHTAiGjf  a.  III.  6.) 

Observez  que  dans  tous  ces  exemples  le  premier  verbe  est 
au  présent  de  l'indicatif,  et  le  second  au  futur. 


^  333  — 

—  QUE  pour  de  ce  que ,  répondant  au  latin  qubdj  ad- 
verbe ;  s*OFf£NS£R  QUE  (sulvi  d'uû  antre  verbe)  : 

Et  cet  arrêt  suprême 
Doit  m'étre  assez  touchant  pour  ne  pas  s'offenser 
Que  mon  cœur  par  deux  fois  le  fasse  répéter,     (Kc,  desmar.  II.  14.) 
Vous  aurez  la  consolation  qu^elle  sera  morte  dans  les  formes. 

(//m.  méd.  II.  5.) 

Hoc  erit  tibi  solamen  quod,,,,.  Cette  consolation  (savoir)  que 
elle  sera  morte...  etc. 

Voilà  qui  m*élonne ,  qu'en  ce  pays-ci  les  formes  de  la  justice  ne  soient 
point  observées.  {Pourc,  III.  a.) 

La  Fontaine  a  dit,  par  la  même  tournure ,  prier  que  et  mC" 
nacer  que. 

«  Quelques  voyageurs  le  prièrent,  au  nom  de  Jupiter  hospitalier,  qu^il 

m  leur  enseignât  le  chemin  qui  conduisoit  à  la  ville Ésope  le  me- 

«  naça  que  ses  mauvais  traitements  seraient  sus.  »  (f^ie  d'Esope.) 

Cette  construction  est  très-corainode,  et  abrège  un  long  dé- 
tour ;  mais  elle  ne  parait  pas  admissible  hors  du  dialogue  ou  du 
style  familier. 

—  QUE  dans  cette  formule,  il  h'est  pas  que  ;  c'est-à- 
dire  ,  pas  possible  que  : 

iln*estpai  que  vous  ne  sachiez  quelques  nouvelles  de  cette  affaire. 

{L'uép.y.'i.) 
Le  comte  de  Foix,  dit  Froissart,  fit  mourir  dans  des  suppli- 
ces horribles  quinze  de  ses  serviteurs  : 

«  Et  la  raison  que  il  y  mist  et  mettoit  estoit  telle  :  que  //  ne  pouvoit  estre 
«  que  ib  ne  sceiissent  de  ses  secrets.  »  (Froissart,  liv.  III.) 

Les  Latins  ont  de  même  employé  quôd  et  quin.  «  Hoc  est 
^uod  ad  vos  venio  .(Plaute.)  »  (^'est  cela  que  je  viens  à  vous. 
<—  tt  Non  possnmqtu'n  exclamem.  (Cicéron.)  »  Je  ne  peux  ^^^  je 
ne  m'écrie. 

(Voy.  Pouvoir.) 

— •  QUE ,  OQvrant  une  formtile  de  souhait  (en  latin 
QUOD  UTiifAM,  Sailuste.) 

Que  puissiei«vous  avoir  toutes  choses  (irospères!  {Dép,  am,  III.  4-) 


—  «34  — 

Que  maudit  foit  l'aiiiour,  et  lei  filles  maudites 

Qui  Teulent  en  tàter,  puis  font  les  chatemites  !      (A^.  «m.  Y.  4.} 

Le  pauTre  homme  !  Allons  ^ite  en  dresser  un  écrit. 

Et  qite  puisse  l'envie  en  crever  de  dépit  1  {Tari,  m.  7.) 

Cette  locution  s'explique  par  l'ellipse  :  Je  touhaite.  Je  prie 
Dieu  que etc. 

—  QU* AINSI  lïE  son,  espèce  de  formate  oratoire  au 
oommencement  d*une  phrase,  comme  le  verum  enimvero 
de  Cicéron  (déjà  surannée  du  temps  de  Molière)  : 

I<r  MKDCCIir. 

Qu^oUui  ne  soit  :  pour  diagnostique  incontestable  de  œ  que  je  dis. .  •  • . 

(Poure,  I.  XI.) 

—  QUE  pour  à  ce  que^  dans  ces  formules,  que  je  crois  , 
QUE  JE  peïise  : 

Tous  n*avez  pas  été  sans  doute  la  première. 

Et  vous  ne  serez  pas,  que  je  crois,  la  dernière.     (Dép,  am,  IIL  9.) 

Vous  devez ,  que  je  croi , 
En  savoir  un  peu  plus  de  nouvelles  que  moi.  (Ibid.) 

On  aura ,  que  je  pense , 

Grande  joie  à  me  voir  après  dix  jours  d'absence.    {Ecdeifem,  L  a.) 

Parbleu  !  vous  êtes  fou«  mon  frère,  que  je  croi,  (7*arr.  L  6.) 

Vous  n'aurez,  que  je  crois ,  rien  a  me  repartir.  (Jbîd,  Vf,  4.) 

Vous  n'êtes  pas  d'ici,  que  je  crois?  (G.  D,  L  %.) 

Je  n'ai  pas  besoin,  que  je  pense,  de  lui  recommander  de  la  (aire  agréable. 

{Ibid.  U.  5.) 

Je  m'y  suis  pris,  que  je  crois,  de  toutes  les  tendres  manières  dont  on 

amant  se  peut  servir.  {Am,  magn,  I.  a.) 

L'usage  a  prévalu  de  suppiinier  dans  ces  formules  le  que 
comme  surabondant. 

—  QUE  JE  SACHE  : 

Il  n'est  point  de  destin  plus  cruel,  que  je  sache.      (Amph.  UI.  t.) 
Traduction  rigoureuse  de  la  fonnule  latine  quod  sciam. 

—  QUE  répondant  au  neutre  quod,  dans  n'avoir  que 

FAIRE  : 

Et  vous  êtes  un  sot  de  venir  vous  fourrer  ou  vous  tCavez  que  foire. 

{Méd,m,iui.L%.) 


—  8S5  — 

Je  n*ai  que  £ûre  de  votre  aide.  (Méd.'m,  im.  I.  a.) 

Je  n'ai  que  faire  de  voi  dons.  {VAv.  IV.  5.) 

—  QUE  répondant  à  Fablatif  du  qui  relatif  latin,  où, 
auquel,  dans  lequel,  par  où  : 

L'argent  dans  notre  bourse  entre  agréablement; 

Mais  le  terme  venu  que  nous  devons  le  rendre , 

C'est  lors  que  les  douleurs  commencent  â  nous  prendre.  {VEt,  I.  6.) 

Las!  en  F  état  qu^W  est,  comment  vous  contenter?         {Jbid,  IL  4.) 

A  t heure  que  je  parie ,  un  jeune  Égyptien , 

Qui  n'est  pas  noir  pourtant {Ibid,  Vf,  g.) 

D'abord  il  a  si  bien  chargé  sur  les  recors, 

Qui  sont  gens  d'ordinaire  i  craindre  pour  leur  corps ,' 

Qu'à  C heure  que  je  parle  ils  sont  encore  en  fuite.        {Ibid,  Y.  z.) 

Je  la  regarde  en  femme  y  aux  termes  qu'elle  en  est. 

{Ec,  desfem,  L  i.) 
Je  regarde  les  choses  <i<<  coté  qu^ou  me  les  montre. 

(Crit,  de  CEc,  des  ftm,  3.) 

De  la  façon  qu'elle  a  parlé,  tout  ce  qu'elle  en  a  fait  a  été  sans  dessein. 

(Sicilien,  16.) 

On  se  défend  d'abord  ;  mais ,  de  l'air  qu*on  sy  prend, 
On  fait  entendre  assez  que  notre  cœur  se  rend-.  {Tart,  IV.  5.) 

Est-il  possible,  notre  gendre,  qu'il  n'y  ait  pas  moyen  de  vous  instruire 
de  la  manière  qu*ii  fÎEiut  vivre  parmi  les  personnes  de  qualité  ?  (G,  D,  I.  4.) 

Qao  modo  vivenduni  sit. 

Nous  voilà  au  temps ,  m'a-t-il  dit,  que  je  dob  partir  pour  l'armée. 

{Scapin.  IL  8.) 

Et  l'on  vons  a  su  prendre  par  tendrait  seul  que  vous  êtes  prenable. 

(i  Pi  ace  t  a  u  roi,) 

M.  Âuger  fait  ici  la  remarque  sijdvante  : 

«  Prendre  et  prenable,  appartenant  à  deux  propositions  dis- 
«  tinctes,  devraient  avoir  chacun  leur  complément  indirect,  et 
«  ils  n'en  ont  qu'un  à  eux  deux.  C'est  là  qu'est  la  faute.  U  fau- 
«  drait  :  On  a  su  vous  prendre  par  l'endroit  seul  par  lequel,,,,,  » 

Je  sais  bien  que  M.  Auger  est  avec  l'usage,  au  moins  l'u- 
sage moderne ,  et  Molière  hors  de  cet  usage  ;  mais  je  ne  crains 
pas  de  dire  :  Tant  pis  pour  l'usage  moderne  !  Qui  ne  voit  l'im- 
mense avantage  de  ce  rapide  monosyllabe  que  sur  cette  lourde 
et  pesante  tournure ,  par  t  endroit  par  lequel  ? 


—  336  — 

La  raison  alléguée  par  M.  Auger  en  faveur  de  Tusage  ne 
vaut  rien.  Qu*importe  en  eflet  que  prendre  et  preitable  n'aient 
pour  eux  deux  qu'un  seul  complément^  s'ils  le  gouvement  tous 
deux  de  mcme  ?  Prendre  par  un  endroit  ;  prenable  par  un  en- 
droit. Et  où  prend-il  lui-même  cette  loi,  qu'il  faut  deux  com- 
pléments lorsqu'il  y  a  deux  projiositions  distinctes?  Enfin, peut- 
on  dire  qu'il  y  ait  ici  deux  propositions  distinctes  ?  Ce  sont  la 
toutes  arguties  de  grammairien.  Pour  faire  voir  la  légitimité 
de  la  construction  de  Molière  au  point  de  vue  de  la  logique , 
il  n'y  a  qu'à  traduire  sa  phrase  en  latin  :  —*  Capiiu  es  quo  loco 
capi  paieras. —  Le  que  n'est  aussi  exprimé  qu'une  fois. 

Voici  un  tableau  qui  fera  comprendre ,  mieux  que  tous  les 
raisonnements  subtils ,  le  jeu  de  ces  relatifs  qui  ,  que  ,  quoi. 
J'en  puise  les  éléments  dans  la  grammaire  de  Jehan  Masset , 
imprimée  à  la  suite  du  dictionnaire  de  Nicot  (1606.) 

Qui^  nominatif  de  tout  genre  et  de  tout  nombre  : 


Exemples  :        ,        r^   >  qui  vous  aiment. 


Que  y  accusatif  de  tout  genre  et  de  tout  nombre  : 

„         ,         (Le  père,  la  mère        ) 
Exemples:    {  .        ,        .        ^   Q^''  vous  aimei. 

[    Les  pères,  les  mères   ) 

Que  sert  aussi  pour  les  neutres  quid  et  quod.  Que  dites- 
vous  ?  [quid  dicis  ?)  O  que  je  sais  [quod  scio). 

Quoi,  accusatif  neutre.  —  Quoi  voyant,  ou  ce  que  voyant 

quod  cum  videret.  —  Qtu>i  que  vous  disiez,  littéralement  en 
latin  du  moyen  âge,  quid  quod  dicas, 

«  De  la  façon  enfin  qu'avec  toi  j'ai  vécu  , 

«  Les  vainqueurs  sont  jaloux  du  boubeur  du  vaincu.  » 

(CoBir.  Cinma.) 

«  u4h  temps  que  les  bêles  parloient »        (La  Fohtaivx.) 

«  Le  jour  suivant,  f/ue  les  vapeurs  de  Bacchus  furent  dissipées,  Xantos 
«  fut  exU'éroement  siu  pris  de  ne  plus  trouver  son  anneau.  » 

(Id.  Vie  d'Esope,) 


—  337  _ 

«  Ha  joar  Tienilni  é/ue  TOtre  médiaiiceté  ne  trouvera  point  de  retraite 
làre,  noo  pu  nème  dani  les  temples.  »  (Là  Fovt.  f'ie  d'Esope.) 

Un  jour  viendra  dans  lequel. 

—  QUE ,  saivi  de  ne ,  répondant  an  latin  quin  on  qu(h 
inuê  : 

Et  ce  bien,  par  U  frande  entré  dans  ma  maison , 

N*en  sera  point  tiré  que  dans  cette  sortie 

Il  ;i*entrajne  du  mien  la  meilleure  partie.  (Dêp,  am,  III.  3.) 

entrez  dans  cette  porte, 
Et  sans  bruit  ayez  Tœil  que  personne  fi*en  sorte.  (£c.  des  mar,  III.  5.) 

Afin  que  personne ,  pour  eui|)ccher  que  personne  n*en  sorte. 

Il  n'avouera  jamais  qu'il  est  médecin, que  vous  ne  preniez  chacun 

I  bâton {Méd,  m.  lui.  I.  5.) 

Quin  baculum  sunias.  A  moins  que  vous  ne  preniez  un  bâton. 

Je  ne  sais  qui  me  tient,  infâme, 

Que  je  ne  t*arrache  les  yeux.  (Amph,  II.-  3.) 

Quin  oculos  tibi  eripiam. 

Passe,  mon  pauvre  ami,  crois-moi , 

Que  quelqu'un  ici  ne  t'écoute.  (Ibid,  lïL  3.) 

Sors  vite,  que  je  ne  t'assomme.  {VAu.  I.  3.) 

iUlez  vite,  fu'il  ne  nous  voie  ensemble.  (Pourc,  III.  z.) 

—  WE  POUVOIR  QUE. .  .  KE  : 

tel  le  fond,  je  suis  de  votre  sentiment,  et  vous  ne  pouvez  pas  que  vous 
ez  raison.  (  VAv.  I.  7.) 

Non  possuni  quin  exclameni.  »  (CicEa.)  Je  ne  puis  que 
;  m'écrie  ;  je  ne  puis  m'empécher  de  m'écrier. 

-QUE,  répondant  au  latin  quàm^  prœterquàm^  nist, 
>té ,  sinon  : 

Mais  quoi!  que  feras-tu  que  de  l'eau  toute  claire?      (L'Et,  IIL  i.) 
dles répondu f««  oui  et  non  à  tout  ce  que  nous  avons  pu  leur  dire? 

{Préc,  nd.  i.) 

Miver,  sire,  une  protection  ^u'au  lieu  où  je  la  viens  chercher? et 

je  solliciter que  la  souixe  de  la  puissance  et  de  l'autorité? 

(a*  Placet  au  roi.) 
I  crois  trop  raisonnable  pour  vouloir  exiger  de  moi  que  ce  qui 
permis  par  l'honneur  et  la  bienséance.  (VAv,  IV.  i.) 


—  33d  — 

Desceudons-DoiM  toui  deui  ^«e  de  èonne  bourgceÎAM?  (9*  gmU.  Ul.  la.) 

«  Je  Pai  suivi  (Planiide) ,  saus  retrancher  de  ee  qd^  i  dit  d*Él0|ie  qme  oe 

«  qui  m'a  semblé  trop  puéril.  »  (L4  Ywn*  f^if  tfMêope.) 

—  QUE  répondant  au  latin  cum ,  lorsque,  tandi;  que  : 

Il  aime  quelquefois  sans  qu'il  le  sache  bien, 

£t  croit  aimer  aussi,  parfois  911'il  n'en  est  rien.  (i#2#.  lY.  i.) 

Tandis  qu'il  n'en  est  rien. 

Comment  voudricz-vous  qu'ils  traînassent  un  carrosse ,  ^'iU  ne  peuvent 
pas  se  Iraiuer  eux-mêmes  ?  {JOAv,  III.  5.) 

Lorsqu'ils  ne  peuvent  pas. 

Où  me  réduisez-vous ,  qut  de  me  renvoyer  à  ce  que  Toodront  permet- 
tre,etc....  (/^m/.  lY.  i.) 

Lorsque  vous  me  renvoyez. 

Et  la  raison  bien  souvent  les  pardonne, 
QiM  rhonneur  et  Tamour  ne  les  pardonnent  pas.      {AmpK  III.  8.) 

— QUE  elliptique  ;  tel  que, ou ,  adverbialement ,  telle- 
ment que,  de  telle  sorte  que  : 

Je  suis  dans  une  colère ,  que  je  ne  me  sens  pas  !  (Jlto*.  /or.  6.) 

Telle,  que  je  ne  nie  sens  pas. 

J'ai  une  tendresse  pour  mes  chevaux,  qu*ï\  Qie  icuble  ifde  c'est  moi- 
même.  (LWf.  m.  5.) 
Telle,  qu'il  nie  semble.  .  . . 

Suis-je  faite  d'un  air,  k  votre  jugement. 

Que  mon  mérite  au  sien  doive  céder  la  place?  (Psyché.  I.  x.) 

D'un  tel  air  que  mon  mérite,  etc. 

Et  vous  me  le  parez  (  i)  tous  deux  d'une  manière. 

Qu'on  ne  peut  rien  offrir  qui  soit  plus  précieux.  [lMd.h  3.) 

«  Nous  ne  laissâmes  pas  toutefois  de  délier  l*homme  et  la  femme,  que  la 

•(  crainte  tenoit  saisis  à  un  point  qu'il»  n'atoient  pas  là  forl^  de  lioaft  re- 

«  mercier.  «  {Gil  BlasAxs.  V.  ch.  a.) 

On  lève  des  cachets,  ^a'on  ne  Taperçoit  pas.  {Amph,  lÏLi.) 

De  telle  sorte  que  Ton  ne  l'aperçoit  pas. 

^0  l'O  choix  qu'ils  Tout  décile. 


SoQTent  on  le  Marie, 
Qu'on  8*ed  repent  après  tout  lé  temps  de  sa  fie.    (Fem,  sav,  T.  5.) 

Tellement,  de  telle  façon  que  Ton  s'en  repent. 

—  QUE,  relatif  après  ce  que: 

Bon  I  Toilà  ce  qu'il  nous  faut  qu^un  compliment  de  créancier. 

{Don  JiuM,  IV.  a.) 

—  m  QUE. .  •en  relation  avec  en  : 

Ten  suis  persuadé , 
£i  quê  de  yotre  appui  je  serai  secondé.  (Fem,  sw,  TV,  6.) 

—  QUE  DIABLE  : 

Que  diaàle  est-ce  là?  Les  gens  de  ce  pays-ci  sont-ils  insensés  ? 

(Pourc.  I.  la.) 

Il  faut  écrire  quel  diable  y  qu'on  prononçait  queu  diable,  et 
qu'on  a  fini  par  écrire  que  diable. 

{Voyez  DIABLE.) 

Si  vous  n*étes  pas  malade,  que  diable  ne  le  dites- vous  donc! 

{Méd.  m.  bû.  n.  9.) 

Dans  cette  construction,  que  répond  au  latin  car.  Pourquoi 
(diable  I]  ne  le  dites-vous  donc  ?  La  véritable  ponctuation  serait 
d'isoler  le  mot  diable  :  Que ,  diable  !  ne  le  dites-vous  ?  Quin , 
aedepol,  illud ,  aperis?  (Voyez,  p.  337,  que  suivi  de  ne. ) 

On  pourrait  encot*e  expliquer  que  diable  ne  le  dite^-vous , 
quel  diable  ne  le  dites-vous  ?  c'est-à-dire  «  quel  diable  vous 
empoche  de  le  dire?  Ce  serait  une  de  ces  constructions  inter- 
rompues dont  il  y  a  des  exemples  dans  toutes  les  langues ,  et 
surtout  dans  la  nôtre. 

—  QUE  wE ,  après  tarder  : 

Adieu;  i7  me  tarde  déjà  que  je  n'aie  des  habits  raisonnables ,  pour  quit- 
ter vite  ces  guenilles.  (Hor.  for,  4.} 

—  QUE  NON  PAS ,  après  aimer  mieux  : 

Et  tout  ce  que  tous  m*avez  dit,  je  Talme  bien  mieux  Utte  feitite  que  non 
pas  aoft  vérité.  {Fr.  (tML  Y.  a.) 

—  QUE.  .  .  QUI  : 

Cest  vous,  si  quelque  erreur  n'abuse  ici  mes  yeux , 
Qt/on  m'a  dit  qui  vivez  inconnu  dans  ces  lieux.        {L'Et.  Y.  14.) 

la. 


—  340  — 

Mais ,  ])Our  guérir  le  mal  ^ii*il  dit  qui  le  pMsède, 
N*a-t-il  pas  exigé  de  vous  d'antre  remède  ?      (Ec,  des  fem,  II.  6.) 
Nous  verrons  si  c'est  moi  que  vous  voudrez  qm  sorte.    (Jfô.  IL  5.) 
Et  c'est  toi  que  l'on  veut  qui  choisisses  des  deui.  [Méùeerte,  L  5.) 
Je  la  recevrai  comme  un  essai  de  Tamitié  que  je  veux  qui  soit  entre  nous. 

(SidC^m.  i6.} 

Mon  Dieu ,  Scapin ,  fais-nous  un  peu  ce  récit  ^ii'on  m*a  dit  qui  est  ai 

plaisant (Scmpim,  III.  z .) 

Ce  gallicisme  n'est  pas  élégant,  mais  il  peut  souvent  être 
commode  ;  c'est  pourquoi  il  a  été  employé  par  de  bons  écrivains 
dans  le  style  familier  : 

«  Et  que  pourra  faire  un  époux 
«  Que  vous  voulez  qui  soit  nuit  et  jour  avec  vous  ?  » 

(LjL  FovT.  Le  Mai  mmiié,) 

Ce  tour,  proscrit  par  la  délicatesse  rafïïnée  des  modernes , 
était  encore  d'usage  au  xviii'  siècle  ;  Voltaire  Itii-méme  ne  fait 
|K>int  difliculté  de  s'en  servir  : 

m  Voici  cette  épitre  de  Corneille ,  ^u'on  prétend  qui  hû  attira  tant 
m  d  ennemis.  »  (Comment,  iur  VEp,  à  Ariste.) 

Si  l'on  essaye  d'exprimer  la  même  idée  en  termes  différents, 
on  veri*a  ce  que  la  tournure  de  Molière  et  de  Voltaire  offre  d'a- 
vantageux. 

— QUE  construit  avec  un  adjectif ,  dans  le  sens  où  les 
Espagnols  disent  por;  por  grandes  que  sean  las  reye$... 
cest-à-dire^  encore  que  les  rois  soient  grands,  ou  quels 
grands  que  soient  les  rois  : 

Ma  crainte  toutefois  n'est  pas  trop  dissipée  ; 

Et,  doux  que  soit  le  mal,  je  crains  d'être  trompée.        {Sgan.  as.) 

Cette  locution  est  elliptique  ;  c'est  comme  s'il  y  avait,  ei^  quel 
doux  que  soit  le  mal[i).  Pour  l'euphonie  et  la  rapidité,  on 
avait  fini  par  omettre  quel;  mais  dans  l'origine  il  était  exprimé. 

(Voyez  QUEL  pour  tel..:,,  que,  p.  3 41.) 

On  doit  regretter  que  ce  tour  élégant  et  concis  n'ait  pas  été 
consei^vé,  au  lieu  de  ce  pénible  et  raboteux  y/^eA/zi^...  que. 

(I )  Sar  celle  tinèse  de  queL-que,  seule  forme  usitée  «u  moyen  Age  ,  et  corrompue  par 
l'ignorance  de  l'âge  kuivaut,  vo)iea  des  far»  du  /e/i^  /r.»  p.  4>9  »  4>o,  4ai. 


—  341  — 
—  QUE  pour  ce  que,  archaïsme  : 

Yoilà,  voilà  que  c^est  de  ne  pas  voir  Jeannette , 
Et  d*aYoir  en  tout  temps  une  langue  indiscrète.  {VEt,  IT.  8.) 

(Voyez  KTRE  QUE  DE,  SI  (un  adjectif)  que  df,  si  peu...  que 

DE...  etc.,  et  EXRAGER  QUE, ]&TON>É  QUE,  FAIRE    SEMBLANT 

QUE, CARDER   QUE,  etC.) 

QUEL ,  pour  tel .  . .  que  : 

Allez,  allez,  vous  pouirez  avoir  avec  eux  (les  médecins)  quel  mal  il  tous 
pUira.  {Vâv.  T.  8.) 

Les  gratnmairiens  sont  unanimes  à  déclarer  que  c'est  là  une 
faute  grave.  Ils  veulent  :  tel  mal  ^a'il  vous  plaira. 

Chez  les  Latins,  talis  et  qualis  étaient  corrélatifs,  ou  se  subs- 
tituaient l'un  à  l'autre.  Par  exemple  :  talis  pater,  quaUs  filius  ; 
ou  bien  :  qualis  pater,  talis  filius. 

1-e  peuple  s'obstine  à  dire  :  Prenez  lequel  que  vous  voudrez; 
venez  à  quelle  heure  711 'il  vous  plaira.  C'est  la  tradition  de 
l'ancienne  langue  : 

«  Parole  a  David,  si  lui  dis  que  il  élise  de  treis  choses  quele  que  il  volt 
«  mielz  que  je  li  face. 

«  E  li  prophètes  vint  al  rei ,  si  li  dut  issi  de  part  nostre  seignur,  e  ruvad 
«  (rogavit)  que  il  eleist  (qu*il  choisit,  élisit)  ^ue/ membre  que  il  volsist.  » 

(Rois,  p.  a  17.) 

Supprimez  par  euphonie  le  que  relatif,  vous  avez  la  locu- 
tion de  Molière  :  Le  prophète  pria  David  de  choisir  quel 
membre  il  voudrait  que  Dieu  frappât. 

Mais  au  lieu  dé  supprimer  ce  que  relatif,  qui  déjà  n'était  pas 
indispensable,  l'usage  moderne  le  redouble,  et  dit,  avec  une  har- 
monie réellement  barbare ,  quelque, . .  que, 

(Voyez  l'article  suivant.) 

—  QU£L(unadj.  ou  un  subst.)  que,  pour  quelque. . . 

que  :■ 

En  quel  lieu  que  ce  soit ,  je  veux  suivre  tes  pas.     (Faclieux,  III ..4.) 
C'est  la  véritable  locution  française,  la  seule  qui  ait  du  sens, 
et  qu'autorisent  les  origines  de  la  langue. 

m  E  I>eu  guardad  David ,  quel  part  qu'W  alast.  »  {Rois,  p.  148.) 

•  £  quel  part  ^u'il  (Saiil)  se  turnout,  ses  adversaires  surmontout.  » 

(Uid,  p.  5a.) 


^  SAS  — 

«  De  quel  for&it  que  home  oui  fait  en  cel  tens.  •  •  •  t  » 

(Loix  de  Guillaume  le  Conquer.) 

Quelque  forfait  que  l*on  ait  commis  en  ce  temps  y  l'église  y 
est  un  asile. 

«  Quel  deu\  que  j'en  doie  soufrir.  »      {R.  de  Couejr,  y.6i5x.} 
m  Je  m'en  vois ,  dame  !  a  Dieu  le  creatouf  » 
«  Comaut  To  cors,  en  quel  lieu  ke  je  soie.  » 

{Chanson  du  sire  de  Coucff  dans  le  romiDy  TCn  74x3.) 

Le^  Anglais  égorgent  par  surprise  les  Danois  établis  à  Lon- 
dres ;  des  jeunes  gens  nobles ,  montés  sur  unfs  nitcell^,  échap- 
pent à  cette  boucherie  : 

rt  Emmi  w  coleot  pir  Taoûie, 
«  Ne  lor  pot  tant  nord  est  œ  bise, 
«  Qu'en  Danemarche  n'arrivassent , 
t<  Queu  mer  orrible  ^<i*il  trovassent.  ** 

[(Benoist  de  S.-Bfore.  Chronique,  ▼.  t755o.) 

Le  vent  ne  leur  nuisit  pas  tellement  qu'ils  n^arrirassent  en 
Danemark,  çrn^//^  horrible  mer  ^«'ils  trouvassent. 

«  En  quel  oncques  liu  que  je  soie.»  {La  Violette^  p.  44*) 

«•  Avis  li  fif  qu  .z.  angle  de  par  Dieu  li  disoit 
«  Qu*aler  lesiast  Flourence  quel  part  que  ele  vondroit  » 

{Le  dit  de  Flourencê  de  Home.) 

Froissart  parlant  de  la  cour  du  comte  de  Foix  : 

•>  Nouvellef  de  quel  royaume  ni  (ei)  de  quel  pays  que  ce  feoft  là  dedasi 
«  on  y  apprcnoit.  *»  {Cluron,  liv.  III.) 

Quelque,.,  que  est  une  locution  dont  il  est  impossible  de 
rendre  compte  ;  elle  échappe  à  toute  analyse  par  son  absurdité. 
Pourquoi  ces  deux  que  Tim  sur  Tautre,  et  quel  invariable  ?  Il 
appartenait  à  Molière  de  maintenir  au  milieu  du  xv|i*'  siècle  la 
forme  primitive. 

tl  serait  bien  à  souhaiter  qu'on  reprît  l'ancien  usage,  et  qu'on 
purgeât  notre  langue  de  cet  affreux  quelque»,,  que. 

'Nous  avons  vu  Froissart,  à  la  fin  du  xv«  siècle,  employer  en- 
core la  vraie  locution.  A  la  même  époque,  je  trouve  déjà  la  mau- 
vaise forme  installée  dans  un  chef-d'œuvre,  dans  la  farce  de 
Pathelin  : 

A  moy  mesmê  pour  quelque  chose 
Que  je  te  die  ne  propose 


—  m  — 

Dictes  hardiment  que  j'alfole 

Se  je  dit  huy  aultre  parole 

A  vous  n'a  quelque  aultre  personne, 

Pour  quelque  mot  que  Ten  ine  sonne , 

Fors  Bée  que  tous  m'avez  aprins.  (Pathelin.) 

Ainsi,  dès  la  fin  du  xv®  siècle  ,  les  deux  locutions  étaient  en 
présence,  et  luttaient.  Selon  la  marche  des  choses  d'ici-bas ,  la 
pire  devait  remporter ,  et  son  triomphe  ne  se  fit  pas  attendre. 
Lexvi^  siècle,  tant  ses  ardeurs  de  grec,  de  latin,  d'italien  et 
d'espagnol  lui  brouillaient  la  cervelle ,  n*entendait  plus  rien 
du  tout  à  la  première  langue  frai^çaiçe  ;  je  ne  suis  donc  pas 
surpris  de  voir  la  forme  quelque  que  mentionnée  seule,  et 
consacrée  comme  une  règle  dans  la  grammaire  de  Paisgrave 
(i53o);  c'est  au  folio  ii4  {recto),  où  l'auteur  expose  que 
Ton  emploie  indifféremment  quelque  et  quelconque.  Voici  ses 
exemples  : 

«  Quelconque  ou  quelque  excusatioD  que  vous  alléguez,  elle  ne  vous  ser- 
V  vira  de  rien.  » 
••  Quelques  dieux ,  ou  quelconques  dieux  que  ils  soient.  » 

«  Q  deease  spécieuse,  quelque  tu  soies,  si  in'pngarderay  à  faire  à  aultniy 
«  mencion  quel  conaues.  » 

Ces  exemples  sont  pris  dans  quelque  traduction  du  latin^  faite 
par  un  célèbre  écrivain  de  Tépcxiiie. 

Vous  observerez  que  Paisgrave  recommande  bien  surtout  de 
ne  jamais  faire  accorder  quel  àBX\%  quelque  ni  quelconque.  Si  Ton 
th)Uve  parfois  dans  les  livres  quelle  que,  quelsconqties  ou  quelles- 
conques,  c'est,  dit- il,  par  une  gi'osse  méprise  des  imprimeurs  : 
«thàt  was  doneby  the  errourof  the  printers.»  Il  fait  de  cette  in- 
variabilité une  règle  formelle,  que  Tâge  suivant,  avec  son  incon- 
séquence ordinaire ,  a  gardée  pour  quelconque ,  et  violée  pour 
quelque.  Nous  écrivons  ;  une  femme  quelconque ,  sans  faire  ac- 
corder quel,  et  en  le  faisant  accorder  :  quelle  que ^li  cette  femme. 
Notre  grammaire  moderne  ressemble  à  un  écheveau  môIé. 

—  QUEI.QUE  SOT,  locution  elliptique: 

LBLXB. 

Ta  te  vas  emporter  d*uu  courroux  sans  égal. 


—  S44  — 

Moi ,  monsieur  ?  quelque  sot!  la  colère  bit  ml.  (VMi,  II.  7.) 

C'est-à-dire,  quelque  sot  s'emporterait  ;  mais  moi,  non  ! 

Certcf  je  t'y  guettois  ! — Quelque  soite^  ma  foi  !  (Tw^L  IL  1^ 

Quelque  sotte  y  serait  prise  ;  mais  non  pas  moi! 
Hé ,  quelque  sot  !  je  vous  vois  venir.  {G,  D.  H.  7  J 

QUÊTE ,  recherche  ;  la  quâte  de  quelqu'un: 

Si  bien  qu'à  votre  quête  ayant  perdu  met  peines. . .     {L*£i.  Y.  z4.) 
A  votre  recherche. 
C'est  le  sens  primitif  du  mot  :  la  qtiAe  du  S,  Graal, 

QUI ,  se  rapportant  à  un  nom  de  chose ,  au  liea  de  le- 
quel  j  que  Molière  et  ses  contemporains  paraissent  a^oir 
évité  autant  que  possible  : 

Tai  conçu ,  digéré,  produit  un  stratagème 

Devant  qui  tous  les  tiens ,  dont  tu  fais  tant  de  cas. 

Doivent  sans  contredit  mettre  pavillon  bas.  {L'Et,  H.  14.) 

Et  pourvu  que  tes  soins,  en  qui  je  me  repose. . .  (lèid.  UL  5.) 

Et  contre  cet  assaut  je  sais  un  coup  fourré, 

Par  qui  je  veux  qu'il  soit  de  lui-même  enferré.  (/M/,  m.  6.) 

Et  de  ces  blonds  cheveux  ,  de  qui  la  vaste  enflure 

Des  visages  humains  offusque  la  figure.  (£e.  des  mar,  l,  i.) 

Je  veux  une  coiffure,  en  dépit  de  la  mode, 

Sous  qui  toute  ma  tète  ait  un  abri  commode.  (/Ah/.) 

0  trois  ou  quatre  fois  béni  soit  cet  édit 

Par  qui  des  vêtements  le  luxe  est  interdit  !  (Jéid,  ^] 

Ce  n*est  pas  que  Molière  ait  sacrifié  au  besoin  de  la  mesure  : 
Oui ,  oui,  votre  mérite,  à  qui  chacun  se  rend. . .  •  (laid.) 

Il  ne  lui  en  eût  pas  coûte  davantage  de  mettre  auquel,  si  ce 
terme  eût  été  alors  plus  juste  et  plus  conforme  à  Tiisage. 

Tous  donner  une  main  contre  qui  Ton  enrage.         {Fâcheux,  I.  5.) 
Cette  liberté  pour  qui  j*avois  des  tendresses  si  grandes. . . 

(Prine.d'Él.jy.i,) 
Une  de  ces  injures  pour  qui  un  bonnéte  bomme  doit  périr. 

(Z).  Juan,  m.  4.) 
C.\^X  un  art  (rhypocrisie)  de  qui  rimpostiirc  est  toujours  respectée. 

{Ibid,  V.  a.) 


—  346  — 

LlMMUieinr  tous  apprand-il  œt  mignardM  douceiin 

Par  f  MÎ  TOUS  débiipcliei  aimi  les  jeunet  cœun?    {Mélieerte,  U,  4*) 

Mais  les  gens  comme  nous  brûlent  d*un  feu  discret , 

ÂTec  qui  pour  toujours  on  est  sûr  du  secret.  (Tert,  III.  3.) 

Qtd  se  rapporte  h  feu,  et  non  pas  à  gens  :  avec  lequel  feu. 

N'oubliei  rien de  ces  caresses  touchantes  à  qui  je  suis  persuadé 

qn*on  ne  sauroit  rien  refuser.  {L'Af,  IV.  x.) 

De  gréée,  souffrez -moi ,  par  un  peu  de  bonté, 
Des  bassesses  à  qui  tous  devez  ta  clarté.  {Fem,  ta¥,  L  i.) 

—  QUI  relatifs  séparé  de  son  sujet  : 

Sans  ce  trait  falot. 
Un  homme  Teromenoit,  qui  s*est  trouvé  fort  sot.        {VKt,  II.  i4.) 
Ah  !  sans  doute ,  ttn  amour  a  peu  de  violence, 
Qcf*est  capable  d'éteindre  une  si  foible  offense.     {Dép,  am.  HT.  a.) 
La  tête  d'une  femme  est  comme  une  girouette 
An  hant  d*une  maison,  qui  tourne  au  premier  vent.      {ib,  IV.  a.) 
ITallez  point  présenter  un  espoir  â  mon  corar, 
Qu'il  recerroit  peut-être  avec  trop  de  douceur.    {MéHcerte,  H,  3.) 
Nous  perdons  des  moments  eu  bagatelles  pures , 
Qa  il  faudroit  emplojrer  à  prendre  des  mesures.  {Tart,  V.  3.) 

n  DM  but  aussi  un  clœval  pour  monter  mon  valet,  qui  me  coûtera  bien 
trente  pistoles.  (Scapin,  II.  8.) 

C*est  le  cheval  qui  coûtera  trente  pistoles ,  et  non  le  valet. 
YoQS  avez  notre  mère  en  exemple  à  vos  yeux , 
Que  du  nom  de  savante  on  honore  en  tous  lieux.  {Fem,  saç,  I.  i.) 
Ifos  pères  sur  ce  point  éto^ent  gens  bien  sensés, 
Qui  disoient  qu'une  femme  en  sait  toujours  assez. .  •  (ièisL  II.  7.) 

Cette  construction  était  une  des  plus  usitées  : 

«  On  ne  parloit  qu'avec  transport  de  h  honte  de  cette  princesse ,  qui , 
«  malgré  les  divisions  trop  ordinaires  dans  les  cours,  lui  gagna  d'abord 
«  tous  les  esprits.  **  (Bossuet.  Or. /un,  de  la  duch,  ttOrL) 

Qui  ne  se  rapporte  pas  à  la  princesse ,  mais  à  sa  bonté  ^  qui 
lui  gagnait  tous  les  esprits. 

«  n  a  eu  raison  d'interdire  un  prêtre  pour  toute  sa  vie,  ^lu,  pour  se  dé- 
«  fendre,  avoit  tué  uu  voleur  d'un  coup  de  pierre.  »  (Pascal,  14*  Pro9.) 

«  Votre  père  Alby  fit  un  livre  sanglant  contre  lui  (le  curé  de  St.-Nizier 
«  de  Lyon),  que  vous  vendîtes  vous-même,  dans  votre  propre  église,  le  jour 
■  de  l'Assomption.  »  (/<rf.  iS"  Prov) 


-M»  — 

—  QUI ,  répété  disjonetiiretbeiit  {Kitlr  eëltM-d,  t^i-là: 

Ils  n*ont  pas  manqué  de  dire  que  ceU  procédoil  qui  du  cenrttq,  f  «/  des 
eotraiiles,  qui  de  la  rate,  qui  du  foie.  {Méd,  m,  luf.  II.  9.) 

«  Qui  l^nce  un  |)aiii ,  un  plat ,  une  asaietle  »  un  coutein  ; 
•*  Qui  pour  une  rondiche  empoigne  un  escabeau.  » 

(RBotfKà.  le  Festin.) 

QUITTER  SA  PART  A  (un  infinitif)  : 

La  mjeune  (ma  main)  1  auoiqu*aux  yeux  elle  senble  PM^ins  forte  ; 
N*en  quitte  pas  sa  part  à  le  bien  étriller.         {Ec,  desfem,  IV.  9.) 

—  JE  LE  QUITTE  : 

Ifo  !  pousses.  Je  le  quitte,  et  pe  faisonne  plus.        (A^.  «n.  IL  i.) 
Oh  I  je  le  quitte.  (B,  gemt.  lY.  5.) 

Ah  i  je  le  quitte  m^intfMaut,  et  je  n'y  vois  plus  de  remède. 

(G.  D.  pi.  i3.) 

Cest-à-dire ,  je  donne  quittance  du  surplus  ;  j*ea  ai  assez , 
j*y  lenonce.  Le  est  ici  au  neutre,  sjuns  relation  graipBiatîcale. 
«  La  police  feiiiinine  a  nn  iraio  nysterieiix  ;  il  fiiuU  U  iem'  qwiHer.  • 

(  MoaTÀiov».  m.  5.) 
Le  leur  abandonner,  ne  s'en  point  mêler. 
«  Mon  père,  lui  dis-Je,y«  le  quitte ^  si  ee|a  est.  •      (Paicai»  7*  Pfw.) 

—  QUITTER   A   QUELQUUPi  LA  PLACE,  LA  PAflTIB,   la 

lui  abandonner: 

Ma  présence  le  chasse , 

El  je  ferai  bien  mieux  de  lui  quitter  la  place.  {Tart.  II.  4.) 

Mettez  dans  vos  discours  nn  peu  de  modestie, 

Ou  je  vais  snr-le-rlianip  vous  quitter  la  partie.  (Ihid.  IIL  a.) 

—  «•  Adriau  Tempereur,  débattant  avecques  le  philosophe  Favorinus  de 

«  Tinlerpretation  de  quelque  mot ,  Favofinus  luy  en  quitta  bientost  la  rie- 

m  toire.  »  (Moirr.  IIT.  7.) 

On  disait  aussi  fjtiitter  quelqu'un  de  quelqtœ  chose. 

Le  baron  de  la  Crasse ,  de  Raymond  Poisson ,  se  vante  de 
son  talent  à  jouer  la  comédie  ;  et  pour  en  donner  sur-]€^-champ 
un  écbantillon  : 

*t  Autrefois  j'ai  joué  dans  les  fureurs  d'Oreste  : 

«  Tiens,  tiens,  voilà  le  coup. . .  —  Nous  vous  quittons  du  reste.  » 

Et  le  pelletier  vantant  ses  fourrures  à  Patelin  : 


«  ITen  payez  ne  denier  ne  HNiilki» 

«  Se  V0U9  en  trouvez  qui  les  Taille; 

«  Je  vous  en  quitte,  »  (Le  Nou9,  Pathelin,) 

QUOI,  adjectif  neutre,  popr  leqwl  : 

Le  grand  secret  pour  quoi  je  vous  ai  tant  cherché.   (Dép,  am.  I.  a.) 

Ce  n'est  pas  le  bonhevr  après  quoi  je  soUpire.  (r«it  in.  3.) 

Ces  disputes  d*Ages,  sur  quoi  nous  voyons  tant  de  folles.  (Afû,mûfn,  1. 1.) 

Voici  i^  piBtÎM  ^^^  P<>ur  4e  jeunes  amants, 
Sur  quoi  je  vq|idf  019  bien  avoir  vos  sentiments.    (Fem,  sav,  III.  5.) 
....  La  4isse€lion  d'une  femme,  sur  quoi  je  dois  raisonner. 

(MaL  im.  II.  6.) 

11  éêt  remarquable  avec  quel  soin  Molière  fuit  ce  mot  lequel, 
(Voyez  LEQUEL  évité.) 

«  Selon  Vaugelas,  quoi,  pronom  relatif,  eat  d'un  usage  foit 
élégant  et  fort  commode  pour  suppléer  au  pronom  lequel  en 
tout  genre  et  en  tout  nombre.  Et  de  ces  deux  locutions  :  le  plus 
grand  vice  à  quoi  il  est  9ujet ,  pu  bien  auquel  il  est  sujet ,  il 
préférait  la  première.  »  (M.  Auger.) 

y^^ge|a#  np  faisait  ici  que  réduire  en  maxime  Tusage  de  son 
temps.  Pascal  aime  beaucoup  à  se  servir  de  quoi  : 

m  Cest  donc  la  pensée  qui  fait  Tètre  de  Tliomme,  et  sans  quoi  on  ne  le 
«  peut  concevoir.  »  {Pensées,  p.  43.) 

m  jBUes  tiennent  de  la  tige  sauvage  sur  quoi  elles  sont  entées.  » 

(Ibid.  p.  x53.) 

«  Une  base  constante  sur  quoi  nous  puissions  édifier.  *»    (IM,  p.  119^.) 

«  Je  manque  k  faire  plusieurs  clioses  à  quoi  je  suis  obligé.  » 

{Ibid.  p.  355.) 

BAGGBOGHER  (se),  absolument  : 

Cet  homme  me  rompt  tout  !  —  Oui,  mais  cela  n'est  rien; 

Et  ûeifous  raccrocher  vous  trouverez  moyen.  {Éc,  desfem,  III.  4*) 

BA6E;  FAIRE  RAGE,  faire  rimpossible  : 

Ifbtre  mattre  Simon. ...  dit  quV/  a  fait  rage  pour  vous.  (Vjéif.  It.  i.) 
Ou  au  pluriel  : 

C'est  un  dr6Ie qui/a<V  des  rages!  {Amph,  II.  i.) 


—  348  - 
RAGOUT,  flgarément: 

Je  voudrois  bien  savoir  quel  ragoût  H  y  ak  eu&?  (CAp.  II.  7.) 

Un  amant  aigiiillctc  sera  pour  ette  un  ragoût  menreilleux.  (iM,) 

Otte  inétapliore  est  mise  dans  la  bouche  de  Frosîne. 

RAISON;  LA  RAisom,  pour  te  jtalice,  ce  qui  est  rai- 
êonnable  : 

Je  pense.  Dieu  merci,  qu*on  vaut  ion  prix  eonme  ellei  ; 
Que,  pour  se  faire  honneur  d*un  cœur  comme  le  mieo, 
0  n'est  pas  /a  raison  qu'il  ne  leur  coûte  rien.  {Âiis,  UL  i.) 

Nous  en  usons  honuétement,  et  nous  nous  contenions  de  la  raison. 

{G.  D.  n.  i) 

—  RAISON  EH  DÉBAUCHE,  c'cst-à-dlre ,  égarée  comme 
OD  Test  par  la  débauche  : 

Une  raison  malade ,  et  toujours  en  déùaue/te,  (VEt,  VL  i4*) 

—  FAIRE  RAisom,  vcDger  éqaitablement: 

Une  bonne  potence  me  fera  raison  de  ton  audace.  {VAv,  Y.  4.) 

Faire  raison,  dans  le  langage  bachique,  tenir  tête  à  un  bu- 
veur qui  vous  provoque  : 

«  Tous  trois  burent  d'autant  :  TAnier  et  le  crison 
«  Firent  à  l'éponge  raison.  » 

(La  Font.  l.  Jîne  enargé  dT éponges.) 

RAISONNANT,  adjectif,  raisonneur; 

Je  TOUS  trouve  aujourd'hui  bien  raisonnante  !  (Mal,  im.  II.  7.) 

RAJUSTER  (se),  se  raccommoder: 

Ils  goûtent  le  plaisir  de  s'être  rajustés.  (Ân^h,  m.  a.) 

RAMASSER  (se)  en  soi-même  ,  au  sens  moral  : 

Lorsque ,  me  ramassant  tout  entier  en  moi-mime , 
J'ai  couf^Hi,  digéré,  produit  un  stratagème. . .  (VEi,  II.  U-) 

«  Je  prie  Dieu ,  lorsque  je  sens  que  je  m'engage  dans  ces  prévoyances , 
«  de  me  renfermer  dans  mes  limites  ;  je  me  ramasse  dans  moi-même^  et  je 

«  trouve  que  je  manque  à  faire  plusieurs  choses etc.  » 

^Pascal.  Pensées,  p.  67.) 


—  349  — 

BAMENTEYOIB,  archaïsme,  remettre  en  Fesprit, 
rappeler  : 

Ne  rtmeiU99oni  rien ,  et  réparons  l'ofTense.        {^P-  <>">•  m.  4*) 

Le  présent  de  l'indicatif  est  Je  ramentois  ^  tu  ramentoU,  etc. 

«  Geste  opinion  me  ramentoit  rexperience  que  nous  avons.  » 

(MoNTAioiri.  IL  Z9.) 

Les  racines  sont  ad  mentem  habere^  précédées  du  re  itératif. 

«  Ménage  le  tire  de  ramentaire.  »  (Taivoux.)  Mais  d*où 
tire-t-on  nunentaire,  et  où  le  trouve-t-on  ? 

RANGER  QUELQUuir  ,  avee  ou  sans  complément 
indirect: 

Il  faut  avec  vigueur  ranger  Us  jeunes  gens.      (Éc,  desfem,  Y.  7.) 
Et  que  je  ne  saelie  pas  trouver  le  moyen  de  te  ranger  à  ton  devoir? 

(Méd.  m.  lui.  I.  z.) 
Ne  vous  roettex  pas  en  peine  :  Je  la  rangerai  bien.        {Jdtd,  im.  II.  8.) 

—  RANGER  AU  DESTUf ,  réduirc  au  destin  : 

Et  ne  me  rangez  pas  à  t indigne  destin 

De  me  voir  le  rival  de  monsieur  Trissotin.  {Pem.  sav.^fV.  9.) 

RAPATRIAG£  et  rapatrieb  : 

Yeux-tu  qu'à  leur  exemple  ici 
Noos  fassions  entre  nous  un  peu  de  paix  aussi , 

Quelque  petit  rapatriage?  (Amph,  II.  7.) 

Pour  couper  tout  chemin  à  nous  rapatrier. 
Il  faut  rompre  la  paille.  {Dép.  am.  lY.  4.) 

RAPPORTER;  se  raj^porter  ,  pour  s'en  rapporter  : 

Je  veux  bien  aussi  mé  rapporter  à  toi,  maître  Jacques,  de  notre  difTé- 
rend.  (Vjév,  IV.  4.) 

RATE;  DECHARGER  SA  RATE  : 

Il  fout  qu'enfin  j'éclate , 
Que  je  lève  le  masque  et  dicfiarge  ma  rate.  {Fem.  sa».  II.  7.) 

REBOURS  ;  chausse  a  rebours  ,  métaphoriquement  : 

Tout  ce  que  vous  avez  été  duraut  vos  jours , 

C'est-À-dire ,  un  esprit  chaussé  tout  à  rebours,  (L'Kt.  II.  14.) 

Rebours  est  un  substantif  comme  revers;  aussi  dit-on,  au  rc^ 

hours de...  A  rebours  est  une  sorte  d'adverbe  composé,  et,  en 

^ette  qualité,  ne  reçoit  point  de  complément. 

Rebours  était  aussi  un  adjectif^  faisant  au  féminin  rcb^mrsc  : 


—  MO  — 

•  Mtdinc,  jofouflmtMrcîe 

M  De  in*avoir  esté  si  rebourse,  »  (MAmor.) 

De  ni'avoir  été  si  fiurouchei  ù  intraitable. 

Enfin  il  y  avait  le  Terbe  rebourser,  qui  existe  enoon  toui  la 
fonne  rebrousser;  et  je  ne  doute  meoie  pas  qu'on  ne  Tait  tou- 
jours prononcé  de  la  sorte,  comme  on  a  toujours  dit  iiu  fro- 
mage et  des  brebis,  lorsqu'on  écriTait  du  formage  et  des  berèù, 
à  cause  de  forma  et  venfeces.  On  a  fini  par  transposer  sur  1« 
papier  1 V  qu'on  tninsposait  dans  la  prononciation^  pour  éviter 
la  double  consonne.  Ce  point  est  développé  dan*  les  Varia- 
tions du  langage  français,  p.  3o. 

Mais  rebourser  ou  rebrousser ,  d'où  vient-il  ? 

Je  conjecture  que  l'r  y  est  parasite ,  comme  on  en  a  des 
exemples  dans  plusieurs  mots  (  i  );  et  que  rebrousser  est  le  même 
que  reboucher,  qui  signifie,  dans  la  vieille  langue,  émousser,  au 
propre  et  au  figuré  : 

M  Puisse  être  à  ta  grandeur  le  destin  si  propice, 

«  Qne  ton  cœur  de  leurs  traits  rebouche  la  malice  !  ••    (HtciriaR.) 

Que  ton  cœur  émousse  leurs  ti*aits  ;  que  leurs  traits  rebrous- 
sent sur  ton  cœur. 

c<  Rechignée  estoit,  et  froncé 

«  Avoit  le  nez  et  rebourct,  »  {Roman  de  la  Rose.) 

Klle  avait  le  nez  rebrousse  et  comme  cmoussé. 

11  peut  être  curieux  d'observer  que  cette  métaphore  de  la 
bouche,  appliquée  au  tranchant  de  Tacier.ou  à  la  pointe  d'une 
flèche,  nous  vient  des  Grecs  : 

l,x6^aL,  bouche  et  tranchant  du  fer^  axopidwy  ouviir  la  bou- 
che et  tremper  le  fer  ;  ffToixwixa  et  aTOficDdiç ,  ouverture  de 
bouche,  trempe  de  fer,  le  fil  d'une  lame  tranchante. 

Le  sens  propre  et  le  figuré  se  trouvent  réunis  dans  cet  yers 
d'(£dipe  à  Créon  : 

Ta  aov  ô^àçtxtai  SeOp'  (môêikrfvfrt  oxùyM, 
noUi^v  ixov  oT6|UD(nv.                             ^  (01$.  èm  BtiU  T.  828.) 
«  Kt  tu  viens  ici  avec  ta  langue  bien  affilée » 

(i)  Chartre,  regist/T,  esclandre,  chaufTerette  (chanrTreUe),  de  ehvta,  rtgesutm,  scanda- 
lum,  ckntifeia,  ipii  est  dan«  Du  Cange. 


—  3§l  — 

Les  outils  qui  n*avaient  plus  de  taillant  étaient  autrefois  des 
outils  sans  bouche ,  des  outils  rebouchés  : 

«  Kar  rtèttchie  furent  Itir  husiils  de  fer.  •  (Hois,  p.  440 

Un  outil  rebouché  rebrousse,  et  en  rebroussant  il  va  h  rebours, 

BEGEYOIB,  potir  Boufftir  : 

Cela  ne  r«pf7  point  de  contradiction.  (VA9. 1.  7.) 

HeTOulant  point  céder,  ni  rteêpolr  F  ennui 

Qu'il  me  pût  estimer  moins  dvile  qtie  lui.  (Se.  desftm,  IL  6.) 

Quoi  donc  !  rtoevreàrje  la  confusion {Impr&mpiu,  9^ 

RECONNU  DE  (être)....,  pour  récompemé: 

Voilà  qui  est  étrange,  et  tu  es  bien  mai  reconnu  de  tes  soi(a. 

{D.  Juan.  III.  a.) 

RÉGULER  A  QUELQUE  CHOSE  .* 

Dès  demain? —  Par  pudeur  tu  feins  d'jr  reculer, 

(Èc,  des  mar.  II,  i5.) 

Hé  bien, oui, puisqu*il  Veut  te  choisir  pour  juge,yV  n^y  recule pomt. 

{VAv,  ÎV.  4.) 

RÉDUIT  ;  AME  REDUITE ,  soumlse ,  résignée  à  son 
sort ,  comme  on  dit  réduire  un  cheval  : 

U  faut  jouer  d'adresse,  et,  d'une  dme  réduite^ 

Corriger  le  hasard  par  la  bonne  conduite.        (Kcdesfem.  IV.  8.) 

—  H^DUlT  EN  UN  SORT  : 

Que  TOUS  fussies  réduite  en  un  sort  misérable.  {JUis,  IV .  3.) 

RËGAL,  au  sens  propre,  fête,  plaisir: 

D*où  Tient  qu'il  n'est  pas  venu  à  la  promenade  ?  —  Il  a  quelque  chose 
dans  la  tête  qui  l'empêche  de  prendre  plaisir  à  tous  ces  beaux  régals, 

{Àm,  magn.  II.  3.) 

—  DOHflXR  un  RÉGAL  : 

Il  m'a  demandé  si  vous  aviez  témoigné  grande  joie  au  maguifique  régal 
ifue  ton  'vous  a  donné,  {Am.  magn,  II.  3.) 


—  352  — 

—  RÉGAiJB ,  aa  sens  fignré  : 

Et  la  plus  glorieuse  (estime)  a  de*  régals  peu  chers  , 
Dès  qu'on  voit  qu'on  nous  mêle  avec  tout  ruoivert.       {Mis.  L  i.) 
(Voyez  CHER.) 

Il  faut  avouer  que  cette  expression ,  a  des  régals  peu  ehers, 
manque  de  naturel,  et  laisse  trop  voir  le  besoin  de  préparer  une 
rime  à  univers;  nouvelle  preuve  que  Molière  commençait  par 
faire  son  second  vers.  (Voyez  chevilles.) 

«  Une  estime  glorieuse  est  chère,  mais  die  n'a  point  des  ré- 
gals chers.  11  fallait  dire  tles  plaisirs  peu  chers  y  ou  plutôt  tour- 
ner autrement  la  phrase.  On  dit,  dans  le  style  bas  :  cela  est  un 
régal  pour  moi;  mais  non  pas  iia  des  régals  pour  moi,  » 

(VoLTAïas.) 
BÉGALE ,  substantif  féminin  : 

Mais  quoi!  partir  ainsi  d'une  façon  brutale, 

Sans  me  dire  un  seul  mot  de  douceur  pour  régale  !      (jémph,  L  4.) 

La  racine  est  gale^  en  italien  gala,  (Voyez  p.  352,  aicALEa 

D*UN£  P£I>E.) 

RÉGALER  QUELQU^uii  d'vth  bon  visage  : 

Je  TOUS  recommande  surtout  de  régaler  d'un  bon  visage  cette  per- 
sonne-là   (jOAv.lll,  4.) 

—  REGALER  d'uhe  PEINE,  indemniser  de  cette  peine: 

Mais,  pour  vous  régaler 
Du  souci  qui  pour  elle  ici  vous  inquiète , 
Elle  vous  fait  présent  de  cette  cassolette.  (V£t.  III.  1 3.) 

Régaler  est  la  forme  itérative  de  galer,  qui  signifiait  se  ré- 
jouir, prendre  du  bon  temps  ;  ce  quVtn  dit  en  italien /ar  g(Ua, 
^ous  avions  aussi  en  français  le  substantif  ^n/^y  racine  de  ré^ 
gai.  Mener  gale  ^  ou  galer: 

•  Lesquieulx  respondirent  qu'ils  danceroient  et  roeneroient  grantgale,» 

{^Lettres  de  rémission  de  x38o.) 
«  Icelle  femme  dit  à  son  mary  :  Vous  ne  faites  que  aler  par  pays,  et  gaUr 

«  par  les  tavernes Le  suppliant  s*en  ala  jouer  et  cstiattre  à  la  taverne, 

«  où  il  demoura  buvant ,  mengeant  et  menant  gcUe  avec  les  aaltres.  • 

{Lettres  de  rém,  de  1409.) 
(Voyez  Du  Cange ,  au  mot  Galare,) 


—  353  — 

Galer  était  aussi  un  verbe  actif;  galer  quelquUm ,  le  faire 
danser ,  le  réjouir, 

«  Çà,  là,  galons'le  ea  enfant  de  bon  lien.  » 

(Là  FoirràiirE.  Le  Diable  de  Papefig.) 

KEGABDEB  ;  iœ  regarder  rien  ,  ne  regarder  à  rien  : 

Pour  moi ,  je  ne  regarde  rien  quand  il  faut  servir  un  ami. 

(B.  geni.  UL  6.) 

REGARDS  CHARGÉS  de  langueur  : 

Ces  longs  soupirs  que  bisse  échapper  votre  cœur. 

Et  ces  fixes  regards,  si  cfiargés  de  langueur , 

Disent  beaucoup  sans  doute  i  des  gens  de  mon  âge.  {Pr,  d*EL  1.  x.) 

RÉGLER  A. . .  régler  sur,  d'après  : 

Que  sur  cette  conduite  à  son  aise  Ton  glose; 

Chacun  règle  la  sienne  au  but  qu*i)  se  propose.    (A  Garcie,  II.  i .) 

Le  douaire  se  règle  au  bien  qu'on  nous  apporte. 

(Écdesfem.  IV.  a.) 
Vous  savez  mieux  que  moi  qu'oio;  volontés  des  deux. 

Seigneur,  il  faut  régler  les  nôtres.  (Psyché,  H.  i .) 

REGRETS  ;  faire  des  regrets,  comme  faire  des  cris  : 

Nous  voyons  une  vieille  femme  mourante,  assistée  d*une  servante  qui /ai- 
seit  des  regreU (Scapin.  I.  a.) 

RÉGULARITÉS,  comme  règles  : 

Je  traiterai,  monsieur,  méthodiquement,  et  dans  toutes  les  régularités  dt 
noire  arl.  (Pourc,  I.  lo.) 

RELATION  au  sens  particulier  d'un  mot  employé 
dans  une  locution  faite  : 

Ayons  un  eceur  dont  nous  soyons  les  maîtres.  (D.  Juan,  III.  5.) 

Qa'avec-vous  fait  pour  être  gentii/wmme  ?  Croyez-vous  qu'il  suffise  dV/i 

porter  le  nom  et  les  armes  ?  (Ibid.  IV .  6.) 

Corneille  y  à  qui  Molière  a  emprunté  la  pensée  et  presque 
l'expression  de  ce  passage^  a  mis  le  verbe  à  Tindicatif  après 
que: 

«  Croyez-vous  qn*i7  suffit  d'être  sorti  de  moi  ?»     (Le  Ment,  Y.  3.) 

a3 


—  354  ~ 
RELEVÉ  ;  de  fortune  relevée  : 

Elle  n*a  pas  toujours  été  si  relevée  que  la  Toilà!  {É,  gemt,  UL  tt.) 

REMENER  : 

Remenez-moi  chez  uous.  (Dép.  am,  IV.  3.) 

Et  non  pas  mmenez^moi,  comme  on  parle  aujourd'hui.  Le 
simple  est  menez-moi,  et  non  amenez-moi. 

Raconter,  rapporter,  et  plusieurs  autres,  sont  dans  le  même 
cas  que  ramener;  c'était  autrefois nrconler,  reporter^  etc. 

«  Si  i  alad,  e  remenad  ses  serfs.  »  (fiols,  p.  a3i.) 

««  Et  li  poples  recontad  que  li  reis  ço  e  ço  durreit  a  œli  ki  rociereit.» 

(/^i^p.64.) 

REMERCIER  l'avantage  ,  rendre  grâce  à  l'avantage: 

Certes ,  il  peut  remercier  t avantage  qu'il  a  de  tous  appartenir. 

(G.  D.  I.  5.) 

REMETTRE  (se)  ,  verbe  actif ,  pour  reconnaître ,  $e 
rappeler  : 

Fous  ne  vous  remettei  point  mon  visage?  (Pomre,  I.  6.) 

Fous  né  vous  remettez  pas  tout  cela?  —  EftCtnea-moiyye  me  le  remets. 

(Ilnd.) 

REMO]\TRER  a  quelqu'un,  lui  en  remontrer: 

Que  les  jeunes  enfauts  remontrent  aux  ^vieillards,  {Dép,  am.  II.  7.) 

REMPLACER  de  quelque  chose  ,  avec  quelque 
chose ,  par  quelque  chose  : 

Elle  a  suivi  le  mauvais  exemple  de  celles  qui ,  étant  sur  le  retour  de 
l*&ge,  veulent  remfdacer  de  quelque  chose  ce  qu'elles  voient  qu'elles  perdent. 

(  Crit.  de  CÉc.  des  fêm.  6.) 

RENCHÉRI ,  adjectif,  prude,  adatère: 

Vous  avex  dans  le  monde  un  bruit 

De  u'ùire  pas  si  renchérie.  {Ampli,  prol.) 

RENDRE  (se)  construit  avec  un  adjectif,  se  montrer, 
devenir  : 

Bon  î  vovoiis  si  sou  feu  ic  rend  opiniâtre.  {L*Él.  UI.  i.) 

Je  le:»  dauberai  tant  eu  toutes  rencontres,  qu'à  la  fin  ils  se  rendront 

sa^es.  {Crit.  de  tÉc,  dts  fem.  6.) 


—  366  — 

U  se  rend  campiaisant  à  tout  ce  qu'elle  dit.  (Tari.  III.  i.) 

Non,  Damis,  il  suffit  qu'il  se  rentU plus  sage.  (Ibid.  III.  4.) 

Elle  se  rendra  sage;  allons,  lalssons-la  faire.  {Pcm,  sav.  III.  6.) 

—  RENDRE  DES  CIVILITES  : 

Maîa  da  moins  sois  complaisante  aux  cmiiiés  qu'on  te  rend, 

(Pr.  dEL  U.  4.) 

—  RENDRE  DES  DEHORS ,  observer  les  bienséances  : 

Mais  quand  on  est  du  monde,  il  faut  bien  que  Ton  rende 
Quelques  dehors  civils  que  l'usage  demande.  {Mis,  I.  i.) 

—  RENDRE  GRACE  SUR  QUEIiQUE  CHOSE: 
Et  le  mari  benêt,  sans  songer  à  quel  jeu , 

Sur  les  gains  qu'elle  fût  rend  des  grâces  à  Dieu.  (Éc.  des/em,L  i.) 

-—  RENDRE  INSTRUIT ,  instruire  : 

Vous  me  direz  :  Pourquoi  cette  narration  ? 

Cest  pour  vous  rendre  instruit  de  ma  précaution.  {Ec,  desfem.l,  i.) 

L'emploi  de  ce  tour  est  fréquent  dans  Bossuet  :  «  Plusieurs , 
«  dans  la  crainte  d'être  trop  faciles,  se  rendent  inflexibles  à  la 
«  raison.  »  {Oraison  f un.  de  la  duchesse  et  Orléans.) 

—  RENDRE  OBÉISSANCE  A  QUELQU'UN  ,  lui  obéir  : 
Nous  vous  avons  rendu,  monsieur,  obéissance.  (Ibld.  V.  i.) 

KENFORT  DE  POTAGE  : 

HicouB.  J'ai  encore  ouï  dire ,  madame ,  qu'il  a  pris  aujourd'hui,  pour 
renfort  dépotage^  un  maître  de  philosophie.  (B.  gent.  III.  3.) 

a  Le  peuple  dit  d'un  écornifleur,  que  c'est  un  renfort-po- 
tage. »  (Trévoux.) 

Cette  figure  est  naturellement  de  la  rhétorique  de  Nicole , 
qui  est  cuisinière. 

BEN  GAINER  UN  compliment  : 

Uél  monsieur,  rengainet  ee  compliment.  {Mar.for.  x6.) 

Cette  expression  existait  avant  Molière  : 

«  Le  compliment  fut  court,  le  maire  le  rengaine,  »  (Skitbcé.) 

Pascal  a  dit  rengainer  absolument,  pour  cesser  d'attaquer, 
abandonner  une  manœuvre ,  une  intrigue  couunencée  : 

a3. 


—  356  — 

H  On  rengaina,  et  promptement.  »  {Posées,)  (i) 

-^  REKGAilf  £R  UNE  NOUVELLE  : 

cLiTiDÂS  {boujfon,) 
Puisque  cela  vous  incommode,  y«  rengaine  ma  nouvelle,  et  m'en  retourne 
droit  comme  je  suis  Tenu.  {Am,  mmgm,  Y.  i.) 

BENGBÉGEMENT,  archaïsme  : 

Bengrègement  de  mat,  surcroit  de  désespoir!  {VÀ9,  V.  3.) 

La  racine  de  ce  mot  est  Tancien  comparatif  de  gramdy  grei- 
gnour,  II  y  avait  aussi  le  verbe  rengréger  (re-en-greger,) 

«  Chacun  rendit  par  là  sa  douleur  rengrégée,  » 

(L4  FoHT.  La  Matrone  itEphèse,) 

Rengrégement ,  rengréger,  n'ont  point  d'équivalents  dans  la 
langue  moderne.  Accrottrt^  empirer,  remplacent  mai  le  vet4M*  ; 
accroissement  est  plus  faible  et  moins  harmonieux  que  rengré- 
gement; empirement ,  bien  qu'il  se  trouve  dans  Montaigne,  n'est 
pas  français ,  et  agrandissement  blesserait  l'usage  dans  cette 
acception,  un  agrandissement  de  chagrin, 

RENTRER  au  devoir  ,  dans  le  devoir  : 

Pour  rentrer  au  devoir  je  change  de  langage.        (Mélicerte.  II.  5.) 

—  REinHER   DANS  SON  AME  : 

Rappelle  tous  tes  sens,  rentre  bien  dans  ton  âme,       (Ampiull,  i.) 

REPAITRE,  verbe  neutre,  manger  : 

Mais,  seigneur  Trufaldin,  songez-vous  que  peut-être 

Ce  monsieur  1  elrauger  a  besoin  de  repaiire  ?  {VÈt,  Vf.  3.} 

—  repaItre  ,  verbe  actif,  pris  au  sens  figaré  : 

Pour  souffrir  qu'un  valet  de  chansons  me  repaisse,    {Ampfi,  II.  i.) 

RÉPANDRE ,  distribuer  : 

Aux  pauvres,  à  mes  yeux,  il  alloit  le  répandre,  (Tart,  I.  6.) 

—  REPAIf  DRE  (se)  DAIIS  LES  VICES  : 

C'est  ainsi  qu'aux  flatteurs  on  doit  partout  se  prendre 

Des  vices  où  Ton  voit  les  humains  se  répandre,  {Mis,  II.  5.) 


(i)  M.  Cousiu  a  omi»  «l'indiquer  la  page  où  te  trouTe  cette  phraw,  citée  daw  ioe 
Tocabiilaire  de  Pascal .  au  mut  Beng9tner, 


—  357  — 

BÉPAREB  y  restitaer,  rendre ,  et  constrait  de  même 
avec  le  datif  : 

Je  veux  jusqu'au  trépas  iDcessamment  pleurer 

Ce  que  tout  Tuoivers  ne  peut  me  réparer.  {Ptyclié,  II.  i .) 

REPART,  substantif  masculin,  repartie  : 

Il  a  le  repart  brusque  et  Taccueil  loup-garou.     {Èc,  des  mar,l,  f».) 

RÉPONSE  DE...  réponse  à. . .  : 

J*attends  avec  un  peu  d'espérance  respectueuse  la  réponse  de  monplaeet» 

(i«  Placet  au  roi.) 

REPROCHE ,  tache ,  sujet  de  reproche  : 

Si  je  ne  suis  pas  né  noble,  au  moins  suis-je  d^une  race  où  il  n'y  a.  point 
de  reproche,  (O.  D.  H.  3.) 

RÉPRÉHENSION,  dans  le  sens  de  réprimande^  mais 
d*nne  nuance  moins  forte  : 

On  souffre  aisément  des  répré/tensions ,  mais  on  ne  souffre  pas  la  rail- 
lerie. {Pf^f-  de  Tartufe.) 

On  dit  reprendre  et  répréhensiblc  ;  pourquoi  ne  dirait-on  pas 
répré/iension  ,  comme  Ton  dit  comprendre ,  compréhensible , 
compréhension  ? 

RÉPUGNANCE  avec  (avoir),  se  mal  accorder  avec , 
répugner  à  : 

Une  passion dont  tous  les  désordres  ont  tant  de  répugnance  avec 

h  gloire  de  votre  sexe,  {Pr,  if  El,  II.  x.) 

RÉPUGNER  ;  le  temps  répugne  a.  . .  : 

/ 

M.  CA&ITIDES. 

Monsieur,  le  temps  répugne  à  tlutnneur  de  vous  voir, 

(Fâcheux,  HI.  a.) 

Bien  que  M.  Caritidès  s'exprime  en  général  correctement,  il 
est  probable  que  Molière  a  l'intention  de  lui  prêter  ici  une  ex- 
pression ridicule  par  le  pédantisme. 

REQUÉRIR ,  quérir  de  nouveau  : 

Ta ,  va  vite  requérir  mon  fils.  (Scapin»  II.  x  i .) 


—  3S8  — 

RÉSOUDRE;  sB  riSsoudrb  db  (an  infiaitif),  se  ré- 

soadre  à  : 

Sus,  sans  plus  de  dtsooursy  résotU'toi  de  me  smfM,  {Dép,  mm.y, 4.) 

Il  faut  attendre 

Quel  parti  de  lui-même  il  résoudra  de  prmdrt.  V^^^) 

La  haiae  que  pour  vous  i/  m  résout  tt avoir,        (D.  Gmrtm,  IL  6.) 

Je  serois  fâché  d*étre  ingrat,  mais  je  me  résoudrois  plutôt  de  titre  fu 

d'aimer.  (Pr.  ét£L  HL  4.) 

RESPIRER  LE  JOUR,  latinisme,  Tivre: 

Je  n*entreprendrai  point  de  dire  à  votre  amour 

Si  done  Ignés  est  morte,  ou  respire  le  Jour.        (D,  GareU.  T.  S. 

RESSENTIMENT,  en  bonne  part,  sentiment  pro- 
fond, reconnaissance  : 

Mais  apprenez 

Que  je  garde  aux  ardeurs,  aux  soins  qu*i]  me  fidt  Toir, 

Tout  le  reuetuiment  qu'une  Ame  puisse  avoir.  (/>.  Gmrdê.  ISL  3.) 

Bfadame,  je  viens. . .  vous  témoigner  avec  transport  le  ressenUmemt  oè 

je  suis  des  bontés  surprenantes  dont  toiu  daignez  Csvoriter  le  plua  toiipiis 

de  vos  captifs.  {Pr.  d'M.  lY.  4.) 

Je  n*ai  point  connu  qu'elle  ait  dans  l'Ame  aucun  ressentimemi  de  mon 
ardeur.  {Jm,  magn.  I.  a.) 

AEiSTioiTE.  En  vérité,  ma  fille,  vous  êtes  bien  obligée  à  ces  princes,  et 
vous  ne  sauriez  assez  reconnoitre  tous  les  soins  qu'ils  prennent  pourvom. 

âaiPBiLi.  J'en  ai,  madame,  tout  le  ressentiment  qu'il  est  possible. 

ilbid.m.  I.) 

Souffrez,  mon  père,  que  je  vous  en  donne  ici  ma  parole,  et  que  je  vous 
embrasse  pour  vous  témoigner  mon  ressentiment,  {Mai  hn.  IH.  ai.) 

Ce  mot,  dont  l'usage  a  déterminé  Tacception  en  mauvaise 
part,  ne  signifiait  jadis  que  sentiment  avec  plus  de  force,  comme 
le  ressoupenir  exprime  un  souvenir  qui  date  de  plus  loin. 

RESSENTIR  (se)  d'uhe  offeuse  ,  la  sentir  vivement  : 

Une  offense  dont  nous  devons  toutes  nous  ressentir,  (Pr.  d^EL  VU.  4.) 

RESSORT  qu*on  ne  comprend  pas ,  et  qui  $ème  un 
embarras  : 

Ouf,  c'est  elle,  en  un  mot,  dont  l'adresse  subtile, 
La  nuit ,  re^ut  ta  foi  sous  le  nom  de  Lucile, 


—  359  — 

Et  qui,  par  ce  ressort  qu'on  ne  eomprénoU pas , 

A  umé  parmi  vous  un  si  grand  emharras,  (Dép,  am,  Y.  g.) 

11  faut  avouer  que  ce  passage,  et  quelques  auti*es  pareils,  jus- 
tifieraient l'accusation  de  jargon  et  de  galimatias  portée  par 
la  Bruyère  contre  Molière,  s'il  était  loyal  ou  seulement  permis 
de  caractériser  le  style  d'un  écrivain  d'après  quelques  taches 
perdues  an  milieu  de  beautés  excellentes. 

(Voye?  M^TAPHOEES  VICIEUSES.) 

BESSOUYENIB;  se  ressouvenir,  pour  se  souvenir: 

De  cet  eiemple^  ressouvene^vom  bien  ; 

Et  quand  vous  Terriet  tout,  ne  croyez  jamaii  rien.         (Sgan,  a4.) 

Ressouvenez-vous  que,  hors  d*ici,  je  ne  doi«  plui  qu*à  mon  honneur. 

{D.Juan.m.  5.) 

Ah!  je  fuis  médecin  sans  contredit.  Je  Tavois  oublié,  maisy>  mV/i  res- 
souviens.  {Méd,  m.  /«/.  1. 6.) 

Attendez  qu'on  vous  en  demande  plus  d'une  fois,  et  i^ous  ressouvenez  de 
porter  toujours  beaucoup  d'eau.  {L'Av,  III.  a.) 

Laissez-moi  faire  :  je  viens  de  me  ressouvenir  d'une  de  mes  amies  qui  serA 
notre  feit.  (Iùid.lV,  i.) 

yoMs  ne  vous  ressouvenez  pas  que  j'ai  eu  le  bonheur  de  boire  avec  tous, 
Je  ne  sais  combien  de  fois?  {Pourc.  I.  6.) 

Molière  emploie  partout  se  ressouvenir,  au  lieu  de  se  souvenir. 
Cest  la  même  prédilection  que  pour  s'en  aller  au  lieu  (V aller  ; 
par  exemple  :  il  s'en  va  faire  jour. 

(Voyez  EN  construit  avec  allée.) 

BESTE  ;  doi^iïer  son  reste  a  quelqu'un  : 

MoQaieur  est  frais  émoulu  du  collège  :  il  vous  donnera  toujours  votre 
reste.  {Mal.  im.  II.  7.) 

Métaphore  empruntée  au  jeu ,  où  le  plus  Tort,  sûr  de  triom- 
pher ,  est  toujours  en  mesure  d*offm*  à  Tautre  de  jouer  son 
reste. 

RETATER  quelqu'un  sur....  figurément  comme 
stmier: 

Je  veux  la  retdter  sur  ce  fâcheux  mystère.  (Amph.  III.  x.) 

RETENIR  en  balance  ,  comme  tenir  en  balance  : 

Oui,  rien  n'a  retenu  son  esprit  en  balance,  (Fem,  sav.  IV.  r.) 


—  3eo  — 

RÉTIF  A  (on  sabrtantif  )  : 

Vous  êtes  réihe  aux  remèdes ,  maîf  nom  taoroBS  5roat  MNUwttre  k  la 
nÎMD.  ^Mé^t.m.lm.lL^.) 

RETIRER,  86  retirer: 

Let  maumU  traitemenU  qu*i]  me  faut  endarer 
Pour  jamais  de  la  cour  me  (ieroieot  retirer.  (Fdehms,  TH.  a.) 

Retirea-vous  d'ici ,  ou  je  tous  eo  ferai  retirer  d*uiie  autre  aMMie. 

(Pr.irjW.IV.6.) 
Molière  a  supprime  la  seconde  fois  le  pronom  réfléchi,  pour 
n'avoir  pas  à  mettre  deux  me  ou  deux  vous,  dont  le  rappro- 
chement eût  alourdi  sa  phrase  :  me  feraient  me  retirer;  je 
vous  ferai  vous  retirer.  (Voyez  peonox  Kirhicxi  smppHmé.) 

RETRANCHER  (an  substantif)  a,  pour  borner,  ré- 
duire à  : 

Je  retranche  mon  chagrin  aux  appréhensions  du  blâme  «{u'oo  pourra  aae 
donner.  {L'jév,  L  x.) 

RÉUSSIR ,  sans  impliquer  Tidée  de  bon  ou  de  man- 
Tais  sueoès  : 

Et  comme  ton  ami ,  quoi  qu*il  en  réussisse , 
Je  te  viens  contre  tous  faire  offre  de  senrioe.       {Féckmx.  Œ.  4«) 
Voyons  ce  qui  pourra  de  ceci  réussir,  (Tari,  H.  4«) 

M.  Auger  blâme  cet  emploi  de  réussir  pour  résulter,  en  se 
fondant  sur  l'usage.  II  \mrait  se  tromper.  On  dit  :  une  réussite 
honne  ou  mauvaise  ;  pourquoi  le  verbe  n'aurait-ii  pas  la  même 
ampleur  de  sens  que  son  substantif?  //  a  bien  réussi,  il  a  mal 
réussi ,  personne  ne  songeait  à  blâmer  cette  manière  de  s'ex- 
primer ;  preuve  que  réussir  n'emporte  pas  nécessairement  l'idée 
d'heureux  succès.  11  reçoit  souvent  et  très-bien  cette  dernière 
valeur,  mais  c'est  par  extension  de  sens.  Il  en  est  de  même  des 
mots  heur^  succès ,  fortune,  ressentiment,  qui  sont  indifférents 
par  eux-mêmes  et  indéterminés. 

REVENIR  AU  GOBUR ,  au  sens  figuré  : 

Ces  coups  de  bâton  me  reviennent  au  cour  ;  je  ne  les  saurots  digérer. 

(UéJ.m.  lui.  1.5,) 

RÉYÉRENGE  ;  parlaut  par  eéveeenge  pris  adver- 
bialement : 

Ce  damoiseau,  parlant  par  révérence. 
Me  fait  cocu,  madame,  avec  toute  licence.  (Sgan.  x6/ 


^  REVERENCE  PARLER ,  comme  parlant  par  rivireneê  : 

....  Que  j*ai  mon  haut-de-chausses  tout  troué  par  derrière,  et  qu'on 
me  Toit ,  révérence  parler {f^Av,  III.  a.) 

BEVERS  DE  SATIRE,  OD  revirement ,  on  retour  de 
satire  : 

Pourtant  je  n*ai  jamais  affecté  de  le  dire  ; 

Car  enfin  il  faut  craindre  un  revers  de  satire,      {Éc,  desjem,  L  x.) 

REVOULOIR  : 

Mais  si  mon  cœur  encor  revouloit  sa  prison?         {^^'p'  om.  IV.  3.) 

RHABILLER;   figarément  rajuster,    couvrir,  dé- 
guiser: 

Combien  crois-tu  que  j'enconnoisse  qui,  par  ce  stratagème  (Th^rpocrisie), 

ont  rhabillé  adroitement  les  désordres  de  leur  jeunesse ? 

(D.  7iia/f.V,a.) 

RIDICULE,  substantif;  im  ridicule  : 

Et  Ton  m'en  a  parlé  comme  à* un  ridicule,  {Ec,  desfem.  1. 6.) 

Ne  Toyez-Yous  pas  bien  que  c*est  un  ridicule  qu*il  fait  parier  ? 

{Crit,  de  tEc,  desfem.  7.) 
La  constance  n*est  bonne  que  pour  des  ridicules,  {D,  Juan.  I.  a.) 

Parbleu,  je  viens  du  Louvre,  où  Cléonte,  au  levé. 
Madame,  a  bien  paru  ridicule  achevé.  {Mis.  IL  5.) 

Dans  tme  bourde  que  je  veux  faire  à  notre  ridicule, 

{B,  gent.  m   14.) 

RIEN,  mot  positif;  quelque  chose  : 

Contre  la  coutume  de  France,  qui  ne  veut  pas  qu*un  gentilhomme 

sadie  rien  faire.  {Sicilien,  10.) 

C'est-à-dire,  qui  ne  veut  pas  qu'un  gentilhomme  sache  faire 
quelque  chose. 

U  ne  sera  pas  dit  que  je  ne  serve  de  rien  dans  cette  affaire-là.       {!bid,) 

Que  je  n'y  ser\'e  de  quelque  chose. 

Pourquoi  consentiez- vous  à  rien  prendre  de  lui  ?         {Tart,  Y.  7.) 

A  prendre  quelque  chose. 

Allons ,  vous  dis-je,  il  n'y  a  rien  à  balancer,  {G,  D,  I.  8.) 

H  n*y  a  chose  à  balancer ,  il  n'y  a  pas  à  balancer. 

C'est  le  sens  conforme  à  l'étymologie  rem.  (Voy.  des  Far,  du 
^^^S»fr^9  p.  5oo.) 


BIEN,  n^tif  : 

Et  sa  morale ,  faite  à  mèpriier  le  bien , 

Sur  Paigrcur  de  sa  bile  opère  comme  rien,  {ftm,  smp.  II.  S.) 

C'est  que  la  négation  est  ici  renfermée  dans  Tellipae  :  sa  mo- 
rale opèi*e  comme  rien  (n  'opère] ,  comme  chose  qui  n'opère  pas. 

—  RIEN,  surabondant  y  ite  faire  rien  que: 

Et  plusieurs  qui  tantôt  ont  appris  mon  martyre» 

Bien  loin  d*y  prendre  part,  n^en  ont  rien  fait  que  rire.      {S^ûh.  16.) 

N'en  ont  fait  chose  ou  autie  chose  que  rire. 

—  RIEN  MOINS  : 

Ma  comédie  n'est  rien  moins  que  ce  qu'on  veut  qa*e|ie  aoit. 

(!•'  PlttCÊi  au  roL) 

Elle  est  tout,  plutôt  que  ce  qu*on  veut  qu'elle  soit.  Et  les  en- 
nemis de  Molière  soutenaient  qu'elle  n'était  rien  de  moiiu  que 
ce  qu'ils  disaient. 

Un  pédant  qu'à  tout  coup  votre  femme  apostrophe 
Du  nom  de  bel  esprit  et  de  grand  philosophe, 
D*homroe  qu'en  vers  galants  jamais  on  n'égala. 
Et  qui  n'est,  comme  on  sait,  rien  moins  que  toui  cela? 

{Fem,  MK.  n.  9.) 

ïl  n'est  rien  moins  qu'homme  d'esprit ,  c'est-à-dîre  qu'il  ne 
l'est  pas  du  tout.  —  Homme  d'esprit?  il  n'est  rien  moins  que 
cela;  il  est  tout,  plus  que  cela.  S'il  l'était,  il  faudrait  dire:  Il 
n'est  rien  de  moins  qu'homme  d'esprit. 

—  RIEN  qu'a  ;  n'avoir  RIEN  QU'A  DIRE  : 

Monsieur,  %h)us  n'avez  rien  quà  dire: 

Je  mentirai,  si  vous  voulez.  {Ampk,  n.  i.) 

Expression  elliptique  :  vous  n'avez  rien  (à  faire)  qu'à  dire , 
qu'il  parler  ;  il  suffira  d'un  mot  de  vous. 

RIRE  A  quelqu'un  : 

On  Taccueille,  on  lui  rit,  partout  il  s'insinue.  (Jlf/J.1.  x.) 

—  RIRE  A  SON  MERITE  : 

Cet  indolcut  étal  de  confiance  extrême. 

Qui  le  rend  en  tout  temps  si  content  de  soinnéme , 

Qui  fait  qu'à  son  mérite  incessamment  il  rit.  {Fem,  mc.  1. 3.) 


—  368  — 
BISÉE,  rire.  (Voyez  éclat  ds  risék.) 
BOBINS ,  gens  en  robe ,  terme  de  mépris  : 

O  les  plaisants  rotins ^  qui  pensent  me  surprendre!  (L'Ét,lU.  ri.) 
Trufaldin  s'adi-esse  à  une  trou|)e  de  masques  en  dominos. 

BOIDEUB  DE  COHFIAHCE.  (Voyea  BRUTALiTi.) 

BOIDIB;  SE  BOiDiB  goittre  vm  ghemih  : 

Des  natureU  rétifs,  que  la  Yériti  fait  cabrer,  qui  toujours  u  roidissêiti 
contre  U  droit  chemin  de  la  raison,  (L'Av,  I.  8.) 

Cette  métaphore  représente  le  chemin  de  ia  raison  comme 
escarpé  et  difficile  à  gravir. 

BOMPBE ,  interrompre  ,   empêcher  ;  rompre   un 

ACHAT  ,  DES  ATTENTES  : 

Je  sais  un  sûr  moyen 
Pour  rompre  cet  achat  où  tu  pousses  si  bien.  {L*Èt,  I.  lo.) 

Je  ne  m*étonne  pas  si  je  romps  tes  attentes,  {!bid,  III.  5.) 

—  ROMPRE  l'ordre  COMMUN  : 

Il  rompt  l'ordre  commun,  et  devance  le  temps.      {Méticerte,  1. 4.) 

—  ROMPRE  TOUT  A  QUELQU'UN ,  traverser  toutes  ses 
entreprises  : 

Cet  homme  me  rompt  tout!  (Ec,  des/,  m.  4.) 

—  ROMPRE  UN   DÉPART  ,  UN    DESSEIN  ,    UNE  PENSEE  : 
Elle  Tint  me  prier  de  souffrir  que  sa  flamme 

Puisse  rompre  un  départ  qui  lui  perceroit  Time. 

(Ec,  des  mar,  III.  1.) 
Et  TOUS  avez  bien  tu  que  J'ai  foit  mes  efforts 
Pour  rompre  son  dessein  et  calmer  ses  transports.       {Tart,  IV.  5.) 
Ten  suis  fâché,  car  cela  rompt  une  pensée  qui  m*étoit  Tenue  dans  l'es- 
prit. (Vap,  rv.  3.) 

—  ROMPRE  LA  PAILLE  : 

Pour  couper  tout  chemin  à  nous  rapatrier, 
Il  faut  rompre  la  paille.  Une  paille  rompue 
Rend  entre  gens  d'honneur  une  afl'aire  conclue.    (Dép.  am.  IV.  4.) 

Sur  l'emploi  d'un  fétu  de  paille  comme  symbole,  voyez  Du 
Cange,  êxoi  motA  festuca  ^  infcstucarc^  exfestucare. 


—  364  — 
ROU  GE  ;  UN  rouge  ,  substantif ,  une  rougeur  : 

Au  visage  sur  llieiire  un  rouge  m'est  monté.  (F£eh,  h  i.) 

BUDANIER  : 

LUBiH.  Adieu,  beauté  rudanière.  {G.  D.  O.  t.) 

I^  première  édition  écrit  en  deux  mots  nide  asnière. 
«  Terme  populaire  qui  se  dit  des  gens  grossiers ,  qui  ra- 
brouent fortement  les  autres.  Il  est  composé  de  rude  et  Ânier, 
comme  qui  dirait  un  ânier  qui  est  trop  rude  à  ses  ânes.  » 

(Trévoux.) 

RUER ,  verbe  actif,  prenant  an  régime: 

Ah!  je  devois  du  moins  lui  jeter  son  diapetu , 

Lui  ruer  quelque  pierre ,  ou  crotter  son  manteao.  (fif"^'  '^0 

On  dirait  ces  vers  composés  tout  exprès  pour  nous  faire 
comprendre  la  différence  entre  jeter  et  ruer,  et  notre  misère 
d*étre  aujourd'hui  réduits  exclusivement  au  premier.  On  Jetaii 
à  quelqu'un  son  chapeau  à  bas ,  mais  on  lui  ruait  une  pierre. 

Cette  nuance  existait  dès  l'origine  de  la  langue.  Absalon 
percé  par  Joab,  les  soldats  du  parti  de  David  décrochent  son 
cadavre  de  l'arbre  : 

«  Pob  nièrent  Absalon  en  une  grant  fosse  de  celé  lande,  e  Jetèrent 
«  pierres  sur  lui.  »  {Mois,  p.  187.) 

Ils  ruèrent  le  cadavre  du  iils  rebelle  avec  passion,  et  Jetèrent 
avec  indifférence  des  pierres  dessus  pour  le  couvrir. 

Plus  loin,  Joab  assiège  Abelmaclia.  Une  sage  dame  \'ient 
parlementer  aux  créneaux,  et,  voyant  qu'il  ne  s'agit  que  de  li- 
vrer le  révolté  Siba ,  dit  au  capitaine  : 

«  Nus  vus  fnim  ruer  son  chiefwsû  del  mur.  »  (Jto/j.  p.  «00.) 

Nous  dirions  sans  énergie  :  jeter  sa  tète  du  haut  des  mu- 
railles. 

SABOULER  : 

Comme  vous  me  saboulez  la  télé  avec  vos  mains  pesantes  ! 

{Comtesse  dtEsc,  3.) 

SAGES  PROUESSES ,  prouesses  de  vertu  : 

Ces  honnêtes  diablesses 
Se  retranchant  toujours  sur  leiu*s  sages  prouesses, 

{Ec.  des  fem.  lY.i.) 


—  365  — 

SAISIR  us  GENS  PAR  LEURS  PAROLES,  Ics  prendre  au 
mot: 

Je  suis  homme  à  saisir  les  gens  par  leurs  paroles,  (Ec,  desf,  I.  6.) 

SAISON  ;  temps ,  moment  : 

En  iioe  autre  saison,  cette  naïveté 

Dont  vous  accompagnez  votre  crédulité, 

Anselme ,  me  seroit  un  charmant  badinage.  (VÉt.  II.  5.) 

Ce  n*est  pas  la  saison 

De  m*expliquer,  vous  dis-je.  {Dép,  am,  II.  a.) 

La  lettre  que  je  dis  a  donc  été  remise  ; 

Mais  saif-tu  bien  comment?  En  saison  si  bien  prise , 

Que  le  porteur  m'a  dit  que,  sans  ce  trait  falot , 

Un  homme  Temmenoit ,  qui  s*est  trouvé  fort  sot.       (L'Et,  II.  14.) 

Remettons  ce  discours  pour  une  autre  saison; 

Monsieur  n'y  trouveroit  ni  rime  ni  raison.  (Pem.  sav,  IV.  3.) 

Saison  pour  temps  était  fort  usité  au  xvii*  siècle. 

«  Soit;  mais  il  eêi saison  que  nous  allions  au  temple.  » 

(GoAV.  Le  Menteur») 
m  Un  homme  entre  les  deux  âges, 
«  Et  tirant  sur  le  grison , 
«  Jugea  qu'il  étoit  saison 
«  De  songer  au  mariage.  >» 

(La  Fontâutb.  L'Homme  entre  deux  âges.) 

L'usage  a  maintenu  hors  de  saison  potu*  déplacé  ^  mal  à 
propos, 

SALIB  l'image ATioN,  eiipression  nouvelle  en  i663y 
et  raillée  par  Molière  : 

cLUfiiTE  {précieuse  ridicule).  Peut-on,  ayant  de  la  vertu,  trouver  de  l'a- 
grément dans  une  pièce  qui  tient  sans  cesse  la  pudeur  en  alarme ,  et  salit 
k  tout  moment  Ximagination  ? 

ÉLisx.  Les  jolies  façons  de  parler  que  voilai  {CriudeCEc,  desfem.  3.) 

SANGLIER ,  dissyllabe  : 

Partout,  dans  la  Princesse  d'Élîde  : 

Où  pourrai-je  éviter  ce  sanglier  redoutable?  (I.  a.) 

J'ai  donc  vu  ce  sanglier,  qui  par  nos  gens  chassé (iùid.) 

Fuir  devant  un  sanglier,  ayant  de  quoi  l'abattre!  (làid.) 

(Voyez  la  remarque  sur  le  mot  ouvRiEa,  p.  276.) 


—  3«6  — 

SANS  QUE  (rindicatif) ,  archaïsme  ,  pour  aï  (un 
substantif^nf ,  suivi  du  conditionnel  : 

Sam  quê  mon  bon  génit  au-detaiit  m'û  pomué^ 

Déjà  tout  mon  booheur  eût  été  renvenè.  (VML  h  ii.) 

Si  mon  bon  génie  ne  m*eût  poussé  au-deranl... 

•  Sans  que  je  crains  de  commettre  GéroQle, 

«  Je  poserois  untèt  un  si  boo  guet, 

«  Qu*il  &eroit  pris  aiusi  qu*au  trébuchet.  » 

(La  Fovtaivb.  La  ConfidemU  stuu  le  savoir,) 

Sans  cette  circonstance ,  savoir ,  que  je  crains ,  efc.  Sans 
cette  circonstance,  que  mon  bon  génie  m'a  poussé  au-devant.... 
On  doit  regretter  la  i)erte  de  cette  ellipse,  pleine  de  naturel  et 
de  vivacité.  Aujourd'hui  Ton  serait  obligé  de  dire  :  Si  je  ne 
craignais  de  commettre  Gérante i  si  man  ban  génie  ne  m'etU 
palissé  au-depant.  Quand  il  n'existe  qu'une  seule  totimure  |K>Dr 
expiiiiier  les  choses ,  la  prose  encore  s'en  accommode ,  étant 
tout  à  fait  libi*e  de  ses  alliii*es  ;  mais,  |)ar  la  suppression  des 
doubles  Ibruies  et  de  certains  idiotismes,  c'est  la  |Kiésie 
qu'on  ruine,  ou,  si  l'on  veut,  l'art  de  la  versification. 

SATISFAIBE  A  : 

Je  oe  préteuds  |>oint  qu'il  se  marie,  qu'au  préalable  il  n'ait  satitfmt  à 
la  médecine,  (Pourc  II.  a.) 

«  Noire  graud  Uurlado  de  Mendoza,  dit  le  père,  vous  y  sat'ufera  sur 
•  l'heure.  »  (Pascal,  7*  Pro9.) 

SAVAMAS: 

Et  des  gens  comme  vous  devroieot  fuir  rentretien 

De  tous  ces  savantas  qui  ne  sout  bous  à  rien.       (Fdc/ieux,  III.  3.) 

'(  Injure  gasconne.  Le  baion  de  Faeneste  se  moquoit  de  tous 
les  savantas,  »  (FuaETiias.) 

SAVOIR  EWROtJiLLÉ: 

On  s*y  fait  (à  la  cour)  une  manière  d*esprit  qui,  sans  comparaison,  juge 
plus  fiuemeut  des  choses  que  tout  le  savoir  enrouitfé  des  pédants. 

{OU.  de  rSc  d«t  f.  70 


—  367  — 

—  NOUS  8AV01I8  CB  QU£  NOUS  SAVOIfS  : 

&GAirA&u.LK.  Il  êuffit  que  nous  savons  ce  que  nous  sapons^  et  que  tu  fui 
bieo  heureuse  dé  me  trouver.  (Méd,  m.  hii.  1. 1.) 

FoiTOule  de  réticence  du  stjle  familier;  espèce  de  dicton 
populaire«  (Voyez  iufnT  qui.) 

—  SAVOIE  Qi]£LQU*i7iï ,  Connaître  quelqu'un  : 

Je  sais  un  paysan  qu*oo  appetoit  Gros-Pierre.  (Se.  tksfom.  t.  i.) 

—  SAVOIR  SA  œuR  : 

Laissez-moi  faire  :  je  suis  homme  qui  sais  ma  cour,    {Am,  magn,  U,  2.) 

SCANDALE,  au  sens  d*a£froilt,  esclandre;  faire  un 
sGAiiDALE  A  QUSLQu'im,  lui  faire  un  esclandre: 

Trouves-tu  beau ,  dis-moi,  de  diffamer  ma  fille, 

VX  faire  un  tel  scandale  à  toute  une  famille?        iP^»  <>'"•  U.  8.) 

Scandale,  outre  le  sens  qu'il  porte  aujourd'hui,  avait  encore 
celui  d'otUrage.  Nicot  cite,  au  mot  Scandaliser^  cette  explica- 
tion de  fiudée  :  «  Le  peuple  exprime  quelquefois,  par  scandali- 
rt  ser  quelqu'un^  ce  que  les  gens  bien  élevés  rendent  par  repro- 
«  cher  il  quelqu'un  une  faute.  »  Le  Dictionnaire  de  l'Académie 
de  1694  consacre  les  deux  acceptions  de  scandale  et  scandait- 
ser;  Trévoux  les  maintient  encore  en  1740. 

Scandale  est  de  formation  moderne,  c'est-à-dire,  du  xvi*  siè- 
cle, lorsque  Toreille  ne  craignait  plus  les  doubles  consonnes. 
Le  moyen  âge  avait  tiré  de  scandalum  ,  esctande ,  qu'on  pro- 
nonçait éclande^  et  qui  pei*siste  sous  cette  forme  esclandre. 
L'usage  s'est  chargé  d'attribuer  à  chacun  de  ces  deux  mots 
une  nuance  de  signification  qui  rend  l'un  et  l'auti^e  unie  ;  mais 
c'est  une  occasion  de  remarquer  :  1^  qu'en  augmentant  le  nom- 
bre des  mots ,  il  a  fallu  restreindre  leur  signification  »  et  faire 
aux  nouveaux  un  apanage  aux  dépens  des  anciens  ;  2^  que, 
selon  les  époques  où  ils  ont  passé  dans  noti'e  langue,  les  mots 
htins  ont  subi  l'empire  d'une  loi  différente.  Despalium  «  spon- 
gisimj  sfHriUiSj  le  moyen  âge  avait  fait  les  substantifs  espace  ^ 
esponge ,  esprit  (1*5  ne  sonnant  point)  ;  plus  tai'd , .  après  la 
peite  de  la  tradition  primitive  ,  et  sous  l'influence  du  pédan- 
dsme  de  la  renaissance  »  on  créa  les  adjectifs  spacieux ,  spon- 


gieux  y  spirituel ,  qui  serrent  de  plus  près  la  forme  latine.  Au 
lieu  de  spirituel ,  le  moyen  âge  disait  espiriiable. 

On  peut  à  ce  signe  reconnaître  tout  d'abord  si  tel  mot  fran- 
çais est  antéiîeur  ou  postérieur  à  la  renaissance,  car  le  moyen 
Âge  n'en  avait  pas  un  seul  qui  commençât  par  deux  cons<mnes 
consécutives  (i). 

SE  JOUER,  sans  complément,  ponr  jouer  : 

On  n'est  point  capable  de  s€  jouer  longtemps,  lorsqu'on  a  dans  l'esprit 
une  passion  aussi  sérieuse (Comtesse  d'Esc,  i.) 

On  disait,  avec  ou  sans  la  forme  réfléchie,  yoK^r,  ou  se  jouetf 
comme  combattre  y  ou  se  combattre;  /uir,  dormir,  eUker,  mosh 
rir,  ou  se  fuir,  se  dormir ,  se  diner  ^  se  mourir. 

(Voyez  ARRÊTER.) 

SE  METTRE  sur  lhomme D'rapoRTAiiCE,  sur  le  ton 
on  sur  le  pied  d*homme  d'importance  : 

J«  veux  me  mettre  un  peu  sur  t homme  <thnportance. 

Et  jouir  quelque  temps  de  votre  impatience.  {Mé&certe,  L  3.) 

SE. .  •  nous,  corrélatifs: 

Se  dépouiller  entre  les  mains  d'un  homme  qui  ne  nous  touche  de  rien. 

{Âm.  méd.  I.  5.) 

SECOURS ,  an  singulier ,  les  auxiliaires  : 

Ah ,  tète  !  ah ,  ventre  !  que  ne  le  trouvé-je  tout  à  l'heure  twec  tout  son 
secours!  que  ne  paroit-il  à  mes  yeux  au  milieu  de  trente  personnes! 

{Scap'm.  U.  9.) 

SEMRLANT  de  rien  (faire,  i^e  pas  FAiRE).yo7ezàU 
fin  de  Tarticle  pas. 

SEMRLER  DE  (un  infinitif)  : 

Quand  il  m*a  dit  ces  mots,  il  m'a  semblé  d^ entendre  : 

Ya-t'en  vite  chercher  un  licou  pour  te  pendre.      {Dép,  am,  Y.  i.) 

Pourcjuoi  cette  préposition  ?  Commencer  €le  est,  par  euphonie^ 
poiu*  commencer  à ,  afin  d'é>'iter  quelque  hiatus  ;  mais  sem- 
bler 91e  construit  avec  un  second  verbe,  sans  préposition  inter- 
médiaire. 

(1)  Les  liquides  m  comptent  que  pour  demi-consoune»,  comoie.  pt0m,  frtnirt,9Hc. 


—  369  — 

Cependant  c'est  encore  la  raison  d'euphonie  qui  lui  a  donné 
celle-ci  ;  ou,  pour  mieux  dire,  il  n'y  a  pas  réellement  de  pré- 
position :  il  n'y  a  qu'un  d  euphonique,  vestige  de  la  prononcia- 
tion primitive.  Ce  ^/  ou  r  final  armait  autrefois  toutes  les  ter- 
minaisons en  éy  soit  des  substantifs,  soit  du  participe  ,  comme 
on  peut  s'en  convaincre  en  jetant  les  yeux  sur  les  plus  anciens 
monuments  de  notre  langue.  «  J'ai  peche^à  lui  seul,  »  qu'on 
lit  dans  saint  Bernard,  est  comme  «  il  m'a  semble^/  entendre.  » 

Que  l'oreille  ait  ensuite  causé  l'erreur  de  la  main,  et  qu'on 
ait  éciît  :  il  me  semble  de  voir,  ^'entendre  ,  c'est  ce  qui  est  ar- 
rivé mainte  autre  fois.  Par  exemple,  lorsqu'on  a  mis  :  Il  y  en  a 
d^aucuns  ,  pour  il  yensid  aucuns  ;  —  Ma  tanie  pour  mar  antc  ; 
Jntây  d*amiia ,  conservé  dans  l'anglais  aunt. 

(Voyez  D  euphonique.) 

SEftIENGESy  figurément,  principes  ;  semeiïges  d'hon- 
heub: 

Isabelle  pourroit  perdre  dans  ces  hantises 

Les  semences  d'honneur  qu'avec  nous  elle  a  prises. 

{Éc.  des mar.l, ^,) 

SEMONDRE ,  exhorter  par  an  sermon ,  un  avis  : 

De  peur  que  cet  objet  qui  le  rend  hypocondre 

A  fiure  un  vilain  coup  ne  me  Tallàt  semondre,  {VEt.  II.  3.) 

H.  Auger  dérive  semondre  de  submonere ,  à  tort,  selon  moi. 
Il  a  pris  cette  étymologie  dans  Nicot,  où  il  aurait  fallu  la  lais* 
ser  cachée. 

La  racine  de  semondre  me  paraît  être  sermo  ;  semondre  se- 
rait alors  une  forme  primitive  de  sermonner.  Ur  s'éteignait  dans 
la  prononciation,  pour  éviter  deux  consonnes  consécutives  : 
sermonner ^semoner^  semonre^  enfin  semondre,  avec  un  </ eupho- 
nique, comme  dans  pondre  tiré  àeponere,  dans  moudre  y  de  mo- 
1ère  (moul{d)re).  Si  l'on  veut  que  semondre  vienne  de  monere , 
il  faudra  esqpliquer  d'où  vient  la  syllabe  initiale  se.  On  ne  peut 
admettre  qu'elle  représente  le  latin  sub;  il  n'y  en  aurait  pas 
d'autre  exemple. 

On  trouve  dans  Nicot  semonneur,  vocator,  monitor;  n'est-ce 
pas  le  même  mot  que  sermonneur  ?  Celui  qui  fait  des  sermons 
et  celui  qui  donne  des  semonces,  n'est-ce  pas  tout  un  ? 


—  37Q  — 

Nous  doutons,  et  nous  soumettons  nos  douter  âuxt^octesca- 
|)ables  de  les  dissiper. 

SEN  BETOUBNEIt ,  avec  la tmè^o 40  w : 

Et,  dès  de?«Bt  TMirore, 
Vouf  VMM  M  êtes  rÉtouTRé,  (^*^  IL  «•) 

(Yoyes  sn  construit  avec  un  verbe,  p.  i5o.) 

SENS ,  aa  pluriel  ;  le  sens ,  la  signification  : 

Et  les  sens  imparfaits  de  cet  écrit  funeste 

Pour  s'expliquer  à  moi  n*ODt  pas  besoin  du  reste.  (Z>.  Garcie,  II.  4.) 

IjCS  sens  imparfaits  d'un  écrit  funeste  qui  n*ont  pas  besoin 
du  reste  pour  s'expliquer,  c'est  là  sans  doute  ce  que  la  Bruyère 
appelait  du  jargon,  et  il  n*y  a  pas  moyen  d'y  contredire.  Hor- 
mis quelques  fragments,  comme  la  scène  de  jalousie  du  iv*  4cte, 
cette  malheureuse  pièce  de  Don  Garcie  est  entièrement  de  ce 
style.  Molière,  pour  cette  fois,  était  sorti  de  son  domaine  habi- 
tuel ,  la  vérité  ,  et  il  ne  pouvait  pas  mettre  un  style  vrai  sur  un 
sujet  faux  et  romanesque. 

SENSIBLE ,  clair,  intelligible,  qni  tombe  sons  le  sens: 

Mon  malhtqr  m'est  visible, 
Et  mon  amour  en  vain  voudroit  me  Tobscurcir; 
Mais  le  détail  encor  ne  m'en  est  pas  sensible,  {Amph.  II.  a.) 

SENTIMENTS  ouverts;  pabler  a  srarwEimi  ou- 
verts : 

Et  je  crois,  à  parler  à  sentiments  ouverts. 

Que  nous  ne  nous  ep  devopf  guères.  (jâm^f^,) 

SENTIR ,  construit  avec  un  pronom  possessif ,  suivi 
dun  substantif;  sentir  son  bien  : 

A  rheure  que  je  parie,  un  jeune  Égyptien, 

Qui  u*esl  pas  noir  pourtant  et  sent  assez  son  èhn. 

Arrive,  accompagné  d'une  vieille  fort  hâve.  (VMt.  IT.  9.) 

Bien ,  dans  cette  locution^  signifie  bonne  extraction  ;  sentir 
son  bien  né ,  son  liomnie  bien  né  : 

—  SENTIR  SON  VIEILLARD,  SON  HOMME  QUI.  .  •  ; 

Cela  sent  son  vieillard  qui ,  pour  l'n  faire  accroire , 

Cache  $es  cheveux  blancs  d*une  perruque  noire.  {Ec,  des  m^,  I.  i.) 


-^71  - 

▼otfe  conseil  sent  son  fiomme  qui  a  çnvie  de  se  défaire  de  sa  marchais 
dise.  '  {Am.méd.  I.  i.) 

«  Mon  hnpiajge  françois  est  altéré,  et  en  la  prononciation  et  ailleurs, 
«  par  la  iMrbarie  de  mon  creii.  Je  ne  veis  jamais  homme  des  contrées  de 
«  deçà  qui  ne  semtUt  bien  évidemment  soh  ramagUf  et  qui  ne  bleoeast  les 
«  «uraillei  pures  françoises.  «  (MoirrAxana.  U.  17^ 

«  Il  y  a  trop  de  somptuosité  à  votre  habit  :  cela  jm  sent  pas  sa  erhmmeUe 
«  assez  repentante.  **  (L4  Fohtaivk,  Psyché,  II.) 

«  Cjrbele  est  vieille,  Junon  de  mauvaise  humeur;  Cérès  sent  sa  divinité 
m  de  province^  et  n*a  nullement  Pair  de  cour.  »  (Id.  Ibid.) 

—  SENTIR  LE  BAT01V ,  impersonnel  : 

Cest  qu'il  sent  le  bâton  du  côté  (|ue  voilà.  {Dép,  am.  Y.  4.) 

—  sEifTiH  (sb)|  avoir  la  conscience  de  son  être  : 

Petit  serpent  que  fai  réchauffé  dans  mon  sein, 

Et  qoi  dès  qu'il  se  semt^  par  une  humeur  ingrate» 

Cherche  à  faire  du  mal  à  celui  qui  le  flatte  !      {Ec,  des  fem,  Y.  4.) 

SERRER  y  verbe  actif ,  en  parlant  d'une  maladie  , 
peste ,  fièvre ,  etc  : 

Que  la  fièvre  quartaine  puisse  serrer  bien  fort  le  bourreau  de  tailleur  I 

{B.gent,  II.  ^.) 
(Voyez  niv&E.) 

SERVIR  SUE  TABLE  : 
oàiomm.  Madame,  on  a  servi  sur  table,        (Crit,  de  tEc  des  fem,  8.) 

C'était  l'expression  consi^crée  : 

«  Ainsi  dit  Gilotln ,  et  ce  ministre  sage 

«  Sur  tabie  au  même  instant  Ibit  servir  le  potage.  » 

(BoiLKAV.  Le  Lutrin,) 

—  SJBEVm  T}%  QUELQUE  pHOSE  : 

gt  voiU  4^  ^v>i  seH  m  saga  directeur.         {Eç,  des  fem,  UI.  i.) 
|f*ini  fait  beaucoup  de  hruit  qui  ne  lui  sert  de  guères,  (ibid,  I,  x.) 

— Dans  cette  façon  de  parler,  ne  servir  p^  r^en  , 
on  usait  d'une  inversion  au  participe  passé  : 

Tout  qala  n'a  de  rien  servi,  (Pf^f  ^^  Tartufe  et  a'  Plaeet  au  roi,) 

M. 


—  372  — 
SESt  plarid,  préo^ntdeax  sobstantifr  ao  nngolier  : 

diactto,  à  tes  péril  et  fortune^  peut  croire  loat  oe  qa*il  lui  plaît. 

{MaL  im.  VL  3.) 

Cette  façon  de  parler  est  tout  à  fait  conforme  à  rancîeuie 

langue.  Aussi  je  ne  crois  pas  que  la  vraie  locution  soit  :  à  ses 

risques  et  périls ,  mais  à  ses  risque  et  péril  ^  au  singulier. 

SEUL ,  faisant  pléonasme  avec  ne  que  : 

Notre  iorl  ne  dépend  que  de  sa  seule  tète.        {Ee.  des  fem,  HL  i.) 

Mais  j*entends  que  la  mieDiie 
Yive  à  ma  fiioiaisiey  et  non  pas  à  la  sienne; 
Que  d'une  serge  honoéte  elle  ait  son  Tétement, 
Et  ne  porte  le  noir  ^i<*aux  bons  jours  seulement,  (Ee,  des  mnr.  I.  s.) 
Ce  nVi/  qu'après  moi  seul  que  son  âme  respire.  {iM,  IL  14.) 

Et  je  n'ai  seulement  quk  vous  dire  deux  mots.  ÇTnrL,  UI.  s.) 

Ce  tCest  que  la  seule  considération  que  j'ai  pour  monsieor  totre  père. 

(Pomx.  m.  9.) 
Ce  n'est  qu'à  l'esprit  seul  que  Tont  tous  les  transports. 

(Fem,  MP.  IV.  a.) 

Ce  tour,  qu'on  appellerait  aujourd'hui  un  plécmasme,  est 
très-familier  aux  écrivains  du  xvii*  siècle  : 

«  Le  roi  son  mari  lui  a  donné  jusqu'à  la  mort  ce  bel  ëo^  qu'il  n'y 
«  avott  que  le  seul  point  de  la  religion  où  leurs  cœurs  fussent  désunis.» 

(BossuET.  Or.  /.  de  la  r.  ^J,) 

SI  y  pris  substantivement  ;  un  si ,  une  condition  : 

Ces  protestations  ne  coûtent  pas  grand'chose. 

Alors  qu'à  leur  effet  un  pareil  si  s'oppose.  (Dâf»  am,  IL  3.) 

«  Je  te  la  rends  dans  peu,  dit  Satan,  favorable; 

«  Mais/»ar  tel  si  y  qu'au  lieu  qu'on  obéit  au  diable 

«  Quand  il  a  fait  ce  platsir.là , 
«  A  tes  commandements  le  diable  obéira.  •• 

(La  FovTÂnri.  La  Chose  impossMe,) 
Cette  locution  est  très-fréquente  dans  les  poètes  du  xiii*  siè- 
cle. Le  comte  de  Forest ,  le  fanfaron  Lisiard,  se  vante  de  faire 
en  moins  de  huit  jours  la  conquête  de  la  belle  Ëiuiant,  à  con- 
dition qu'elle  ne  sera  de  rien  prévenue  : 
••  El  par  si  qu'on  ne  li  voist  dire.  » 

(OiiERT  DE  MoRTaiVfL.  Im  P^oUtte.f,  17.) 


-    _  373  — 

Par  tel  si  qu'on  n'aille  le  lui  dire,  la  mettre  sur  ses  gardes. 
Il  est  très-important  d'obsei'ver  que  nos  pères  avaient  se  et 
si;  se  exprimait  seul  un  sens  dubitatif,  et  venait  du  latin  si; 
au  contraire,  //  n'était  jamais  dubitatif,  aussi  venait-il  de  sic. 
Cette  distinction  est  essentielle  pour  l'intelligence  de  certains 
archaïsmes. 

Plus  loin ,  Lisiard  propose  à  Gérard  un  défi  ;  Gérard  l'ac- 
cepte, mais  en  dicte  les  conditions,  et  les  soumet  à  la  demoiselle 
affligée  qu'il  s'agit  de  venger  : 

«  Et  par  si  soit  fait  li  recors , 
«  S'il  me  poet  ocire  et  conquerre, 
«  Que  TOUS  et  toute  vostre  terre 
«  Serez  à  son  comandemenl  ; 

«  Et  se  je  le  conquiers,  ensement.  »      (La  Fiohtte,^,  84.) 
a  Et  soit  fait  notre  accord  par  tel  si ,  que  s'il  me  peut  tuer 
et  conquérir,  vous  lui  appartiendrez  avec  toute  votre  terre  ;  et 
de  même,  si  c'est  moi  qui  le  conquiers.  » 

—  SI  (sic)  y  toutefois  ;  et  si ,  et  pourtant ,  et  encore  : 

Tai  la  tète  plus  grosse  que  le  poing,  et  si  elle  n'est  pas  enflée.  {B.  gent,  III.5.) 

—  SI  FAUT-IL ,  encore  faut-il  : 

MOEoir.  Si  faut-il  (enter  toute  chose ,  et  éprouver  si  son  âme  est  entiè- 
rement insensible.  (Pr,  d'El.  lU.  5.) 

Si  faut-il  bien  pourtant  trouver  quelque  moyen pour  attraper  no- 
tre brutal.  (Sicilien,  5.) 
«  On  m'a  pourvu  d'un  cœur  peu  content  de  soi-même , 
•  Inquiet ,  et  fécond  en  nouvelles  amours  : 
«  H  aime  à  s'engager,  mais  non  pas  pour  toujours; 
«  Si  faut-il  une  fois  brûler  d'un  feu  durable.  »  (La  Font.  Elég.  IIL) 

—  SI.  .  .  GOMME  (sic  Ut)  : 

Je  vous  félicite,  vous,  d'avoir  une  femme  si  belle,  si  sage,  si  bien  faite, 
«Mime  eDe  est  (MéH,  m,  lui,  H.  4.) 

Sic  pulchra  ut  est. 

Comme  f  dans  l'origine ,  était  le  complément  nattirel  de  si\ 
aussi ,  tant. 
«  li  reii  jurad  ;  ^î  veirement  cume  Deus  vit,  David  ne  mniTid.  » 

(itoi/.  p.  74.) 
n  Ki,  entre  tnte  ta  gent,  est  si  fidel  cumê  David  vostre  gendre  est  ?  » 

(^IM,  p.  S7.) 


—  374  — 

Ou  sans  séparation,  sicume  [italien ,  siccome)  : 
«  E  fud  a  curt  sîcwne  il  out  ested  devant.  »  (Jlotr.  p.  74.) 

Comme  se  construisit  de  même  avec  tel  : 
«  Deus  te  face  tel  merci  cume  tu  in*as  mustred  ici.  »  {îèkL  p.  qS.) 

«  Tous  Toulec  vous  gaérir  de  rîDGdéiilé,  et  tooi  eu  dtaïawlt  kê  1^ 
«  mèdes?  Apprenez-les  de  ceux  qui  ont  été  te/s  comme  vous,  » 

(pAiC4t.  Pe/Êêéêi*  F*?*-) 
Comme  suppléait  que ,  au  grand  avantage  de  reuphonie  : 

"  Peut-être  que  tu  meus  aussi  Sitm  comme  loi.  » 

(CouiBiui.  Li  Menteur,  IV.  7.) 
«  Qu*il  fasse  autant  pour  ioi  eommm  Jo  lus  pour  lui.  - 

(Id.  Pdjreuete.  m.  3.) 
Sur  quoi  Voltaire  dit  :  a  Ce  vers  est  un  solécisme  ;  on  dit 
autant  que  y  et  non  pas  autant  comme,  b  Btais  pourquoi  pas? 
L* usage?  Il  était  du  temps  de  Corneille  en  fiivear  ajoutant 
comme.  La  logique?  C'est  un  pur  latinisme.  Les  Latins  taisaient 
donc  aussi  un  solécisme,  de  dire  : 

Hatid  ita  vltam  agérent  ul  nanc  (ileruiiiqiie  vidmua?(JjoéàkcM,  UL) 

Il  est  fâcheux  que  Voltaire  ait  appuyé  une  réforme  sans  mo- 
tif, qui  appauvrit  la  langue,  surtout  celle  des  pdëtes,  et  en- 
vieillit  les  écrivains  faits  pour  rester  modèles.  J'ai  dit  que 
remploi  de  comme  relatif  avait  jadis  pour  soi  l'autorité  de 
l'usage  ;  voici  en  preuve  quelques  exemples  : 

Marot  demandant  une  haquenée  à  François  I*^  : 
»  Savez  comment  Marot  l'acceptera? 
«  D*aussi  bon  cueur  comme  la  sienne  il  donne 
•  Au  fin  premier  qui  la  demandera.  » 

«  Ma  foi  seule ,  aussi  pure  et  belle 

«  Comme  le  sujet  en  est  beau » 

M  II  n*cst  rien  de  si  beau  comme  Calixte  est  belle.  »     (MALuaaa.) 

«  Tant  qu*a  Juré  la  guerre,  on  m'a  vu  constamment 

«  Aussi  !>on  citoyen  comme  parfait  amant.  >•  (Coahuzjji.  Hûraee.) 

Mais  tout  à  coup  cette  façon  de  parler  a  déplu  aux  gram- 
mairiens-jurés de  la  fin  du  xvii®  siècle  :  ils  l'ont  réprouvée  d'un 
eonlmun  accord.  Ménage  donne  pour  raison  qu'<(  elle  n'est  pas 
naturelle.  »  { Obs,  p.  348.)  La  nature  est  ici  invoquée  bien  à 
propos  !  Mais  est-il  prouvé  que  ce  mot  que  soit  plus  rapproché 


—  ils  - 

de  la  nature  que  le  mot  comme  ?  Est-il  sûr  que  l'usage  con- 
sacré par  une  longue  suite  de  siècles ,  appuyé  sur  la  logique , 
surTétymologie,  et  foitifié  par  l'exemple  8cîl  iiieillcurs  écri- 
vain^ ,  doive  céder  Au  ckpHce  de  trois  oïl  qiiàire  pédants  sans 
autorité  que  cdle  qu'ils  s'arrogent  avec  insolence?  Cela  n'est 
pas  naturel  non  plus>et  pourtant^  hélas  !  cela  Se  voit  tous  les  jours. 
Comme ^  à  la  place  de  que^  est  un  archaïsme  qtii  a  de  la  grâce 
et  de  la  naïveté  : 

«  GatiavetttMt)6iiser Martin; 

•  Cest  une  trti-fiiit  femelle! 

«  Martin  ne  veut  pas  de  Catin  : 

«  Je  le  trouve  auui  fin  comme  elle.  >»  (Mârot.) 

-*  81  dubitatif  (si),. . .  etqub.  .  •  : 
ê^H  ne  foàs  Bdffit  pas  de  totite  rasàtiraiice 
Qye  vous  peuvent  donner  mon  cœur  et  ma  puisianee, 
Et  que  de  votre  esprit  les  ombrages  puissants 
Forcent  mon  innoceoce  à  convaincre  vos  sens». .  (Z).  Garde,  lY.  8.) 
Ce  seroit  une  chose  plaisante  si  les  malades  guérissoient,  et  qu'aa  m'en 
vint  remercier!  (D,Juan.Ilh  i.) 

«  Si  fiabylooe  eât  pu  croire  qu'elle  eût  été  périssable  comme  toutes  les 
•  èbdtas  bàmainei,  et  que  utie  confiance  irtsensée  be  Teftt  pas  jetée  dans 
«  l'aveuglement »  (Bossirat.  Hht,  un,  lîl*  p.) 

•—  SI ,  répondant  au  latin  an  ^  utrum  : 

Et  je  suis  en  suspens  si^  pour  me  l'acquérir; 

Aux  extrêmes  moyens  je  ne  dois  point  courir.  (VEt,  m.  a.) 

Je  Mis  dans  Fincertitudê  W  je  dois  me  battre  avec  mon  homme,  ou  bien 
le  faire  assassiner.  (Sicilien,  i3.) 

—  SI  c'était  que  : 

Et  si  e'étoit  qiik  moi  la  chose  pût  tenir...  {Mis^  Vf,  i;) 

—  81  (un adjectif) que  de  {adeb, ..ut...))  tant ott  td- 
lement...  quede. ..  : 

EtJ'ii  en  un  aïeul,  Bertrand  de  Sotenville,  qui  futii  considéré  wk  son 
temps  que  cfavoir  permission  de  vendre  tout  son  bien  pour  le  voyage 
d*ouU%-mer.  (G,  D,  I.  5.) 

S*il  étoit  si  hardi  que  de  me  déclarer  son  amour,  il  perdroit  pour  jamais 
ma  présence  et  mon  estime.  {Âm.  magn,  II.  3.) 

Ouais  !  je  ne  eroyoi^  pas  que  ma  fille  fût  si  habile  que  de  chanter  ainsi  a 
livré  tmvert  {Mal,  im,  II.  6.) 


—  376  — 

•  Celui-ci  le  paya  dlogratitode,  ef  fat  si  méekaitt  qm  £mt€r  wamtkrk 
«  lit  de  son  bienfaiteur.  »  (La  For.  Fie  tTKsofe.) 

SIÈCLE  d'aujourd'hui  (au)  : 

Ceft  une  chose  rare  au  siècle  daajaur^kui.  {Mis.  lY.  i.) 

SINGULIER;  singulier  a,  particulier  à  : 

Cette  fermeté  d*ioie,  à  vous  si  smgaiière,  {Fem,  sm^,  ▼.  i.) 

«  On  dit  d'une  chose  qu'elle  est  paHieuUère  à  quelqu'tm^ 
mais  non  pas  qu'elle  lui  est  singulière,  •  (M.  AucBm.) 

Kt  pourquoi  ne  le  dirait-on  |MS?  On  dit  bien  singulier^  sans 
complément  y  pour  particulier,  M.  Auger  n'a  rien  repris  à  ces 
vers  : 

Et  je  ne  veux  aussi»  pour  grâce  singidière^ 

Que  montrer  a  vos  yeux  mon  âme  tout  entière.  (7*arf.  m.  1) 

Grâce  singulière  est  pourtant  bien  là  pour  grâce  particulière. 
Si  on  laisse  au  mot  singulier  le  sens  de  singuiaris  dans  un  cas, 
]>ourquoi  ne  pas  le  lui  laisser  dans  l'autre?  Pourquoi  le  per- 
mettre sans  complément  et  le  défendre^  avec  un  complément? 

Kn  général,  on  critique  beaucoup  trop  par  cette  formule  : 
cela  ne  se  dit  pas.  Ce  qu'il  faut  montrer,  c'est  que  cda  ne  doit 
pas,  ne  peut  pas  se  dire,  siulout  quand  cela  a  été  dit  par  des 
gens  comme  Molière,  Pascal  ou  Bossuet. 

SINGULIER  (verbe  au)  après  un  nombre  pluriel  : 

Quatre  ou  cinq  mille  écus  est  an  denier  considérable.      (Pourc.  III.  9.) 
Et  deux  ans,  dans  le  sexe,  est  une  grande  avance.     {Mélicerte.  1. 4*) 

(Voyez  c'est  ou  est  en  accord  avec  un  pluriel,  et  es  soirr.) 
SI  PEU  QUE  DE  (un  infinitif;  : 

Tous  étes-vous  mis  dans  la  tète  qu'un  homme  de  soixante-trois  ans 

considère  si  peu  sa  fille  que  de  la  marier  avec  un  homme  qni  a  ce  que 
vous  savez?  ;  ;     {Pourc,  II.  7.) 

(Voyez  SI  (un  adjectif]  que  de,  p.  375.) 

STQUENILLES  {sic  dans  Tédition  originale  ;  Bibou , 
1669),  souquenilles  : 

Quitterons-nous  nos  siquenilles^  monsieur?  {VAv,  DL  a.) 

SITUÉ;  AME  BIEN  SITUEE  : 

Non,  non,  il  n'est  point  d*àme  un  peu  bien  située 

Qui  feuille  d'une  estime  ainsi  prostituée.  (Mis,!,  r.) 


—  877  — 

L'expression  est  insolite;  cependant  nous  disons  chaque  jour, 
avec  Tautorité  de  l'usage  :  Avoir  le  cœur  bien  placé.  C'est  la 
même  figure. 

SOEURS  d'iivfortune  ,  comme  frèrts  d'armes  : 

Nous  Dous  voyons  sœurs  (tin fortune,  (Psyclié.  1. 1.) 

SOI,  OÙ  l'usage  moderne  emploie  lut,  elle^  eux: 

Bieo  qoe  de  vous  mon  cœur  ue  prenne  point  de  loi , 

Et  ne  doive  en  ces  lieux  aucun  compte  qu*à  soi . . .  (/).  Garde»  II.  5.) 

C*est  une  fille  k  nous,  que,  sous  un  don  de  foi  » 

Un  Valère  a  séduite  et  fait  entrer  chez  soi,       {Ec,  des  mar,  m.  5.) 

ApudsCy  et  non  apud  illum, 
Agnès,  dit  Horace, 

PTa  plus  voulu  songer  a  retourner  chez  soi^ 

Et  de  tout  son  destin  s*est  commise  à  ma  foi.     (Èe,  desfem.  Y.  2.) 

Je  vous  dis  que  mon  fils  n*a  rien  fait  de  plus  sage 

Qu'en  recueillant  chez  ioi  ce  dévot  personnage.  (Tart,  I.  i.) 

Toi,  Sosie?  —  Oui,  Sosie;  et  si  quelqu'un  s'y  joue. 

Il  peut  bien  prendre  garde  à  soi,  (Àmph,  L  9.) 

Ne  voyez-vous  pas  qu'il  tire  à  soi  toute  la  nourriture ,  et  qu'il  empêche 
ce  côté-là  de  profiter?  {MaL  im.  III.  14.) 

Cet  indolent  état  de  confiance  extrême , 

Qui  le  rend  en  tout  temps  si  content  de  soi-même,  (Fem,  sau,  1, 3.) 
Ce  sont  choses,  de  soi,  qui  sont  belles  et  bonnes.  {I6id,  TV,  3.) 
Le  savoir  garde  en  soi  son  mérite  éminent.  (Ihid,) 

Il  n^est  pour  le  vrai  sage  aucun  revers  funeste; 
Et,  perdant  toute  chose,  à  soi-même  il  se  reste.  (Ihid,  Y.  4.) 

Tout  le  XVII*  siècle  a  ainsi  parlé.  Les  grammairiens  se  sont 
perdus  en  distinctions  et  en  subtilités  pour  régler  quand  il  fal- 
lait soif  et  quand  lui.  Tout  cela  est  chimérique.  Les  grands  écri- 
vains du  temps  de  Louis  XIY  se  sont  guidés  bien  plus  sûre- 
ment sur  un  seul  point  :  partout  où  le  latin  mettrait  se,  ils  ont 
rois  soi, 

«•  Qu^il  fasse  autant  pour  soi  comme  je  fais  pour  lui.  » 

(Coiinxn.r.B.  Poljreuete,  III.  8.) 
Pro  se  ipso,  et  non  pro  illo, 

«  Mais  il  se  craint,  dit-il,  soi-même  plus  que  tous.  » 

(Rachti.  Androm,  Y.  a.) 
Timet  se  ipsum. 


—  3^8  — 
«  Cliiiinant,  jeune,  traînant  toi»  les  coenn  tprii  soi,  »  (b.  Phkbt,) 
Post  te  y  et  non  post  it/um. 


«  Mais  .souvent  un  auteur,  qui  se  flatte  et  cpi  s*aifl 

«  Méconnott  ses  dèlÎRuts  et  s'ignore  toi-mêmB,  »  (Boiléav.) 

«  n  n*ouvre  la  bouche  que  pour  répondre il  crache  pres^oe  nr 

«  soL  »  (ti4BaWàai.) 

«  Idoménée,  revenant  à  soi,  remercia  les  amb.  •  (nmov.) 

«  Tant  de  profuiations  que  les  armes  traînent  après  soiî  »  (ÉiAfttuov.) 

m  DieuK  immortels,  dit-elle  en  toi-même,  est-ee  donc  aînai  que  sont 
«  faits  les  monstres?  *•  (Là  Fostaivs.  Ptyeké,  L) 

On  voit  qu'il  n'est  pas  besoin  de  tant  raffiner,  à  la  suite  de 
Yaugelas,  d'Olivel  et  les  modernes. 

SOIENT,  monosyllabe  : 

Et  votre  ftront,  je  crois,  vent  qite  du  mariage 

Les  cornes  loienf  chet  voos  rinfaillible  apanage.  (Jle.  éti  /km,  L  x.) 

u  Qu'ils  toient  comme  la  poudre  el  la  paille  légère 

«  Que  le  Tcnt  chasse  datant  lui.  i*      (EAonri,  Ettber»  L 1) 

SOIS- JE,  dans  une  formule  de  souhait: 

Sois-je  do  ciel  écrasé  si  je  mens  !  (Sfis,  I.  a.) 

Forme  excellente,  au  lieu  de  puissé-fe  être, 

SOLÉCISMES  Eif  CONDUITE  : 

Le  moindre  soléc'tsme,  eu  parlant,  vous  irrite; 

Mais  vous  eu  faites,  vous,  d^étranges  en  conduite,  {Fem,  sap.  II.  7.) 

SOLLICITEB  DE  QUELQUE  CHOSE  : 

JTai  cru  faire  assez  de  fuir  rengagement  dontfétoit  toUieitée, 

(Am^  mugn,  IV.  7.) 
Ne  me  refuseï  point  la  grâce  dont  je  vout  tollicite,  {VA9,  H.  7.) 

SON ,  SA ,  SES ,  se  rapportant  à  un  autre  mot  que  le 
sujet  de  la  phrase  : 

Je  ne  puis  vous  celer  que  ma  fille  Célie 

Dès  longtemps  par  moi-même  est  promise  à  Lélie, 

Et  que,  riche  en  vertus,  son  retour  aujourd'hui 

M'empêche  d'agréer  un  autre  époux  que  lui.  {Sgan,  a4.) 

Son  retour^  c'est  le  retour  de  Lclie  j  riche  en  vertus  se  rapporte 


—  .^7®  — 

aussi  à  Lélie,  quoique  la  construction  de  la  phrase  semble  ap- 
pliquer ces  niot3  ail  retour,  tl  n*y  a  pas  moyen  d*excuser  cette 
faute,  source  d'équivoques. 

Jusqu'ici  don  Louis ,  qui  vit  à  sa  prudence 
(La  prudence  de  don  Louis.  ) 

Par  le  feu  roi  mourant  commettre  son  enfance, 
(  L'enfance  de  don  Alphonse.  ) 

A  caché  ses  destins  aux  yeux  de  tout  l*État... 
(Les  destins  d'Alphonse.) 

Et  Bien  <}ue  ito  t^n^  dépiiis  sa  iâche  àïUdace^ 
{  L'audace  du  tyran.  ) 

L'ait  souvent  demaniié  pour  lui  rendre  sa  place, 
(  La  place  d'Alphonse.  ) 

Jamais  son  zèle  ardent  n't  pris  de  sûreté 

(Le  zèle  d'Alphonse.  ) 

A  l*appftt  dangereux  de  sa  fausse  équité, 

(D,  Garde.  L  a.) 
(La  fausse  équité  du  tyran.) 

n  est  difficile  d'écrire  avec  plus  de  négligence. 

On  dit  bien  là  surveillance  de  l'État^  mais  non  les  yeux  de 
rÉtat.  L'Ëtat  est  une  abstraction ,  une  idée  complexé,  cjui  ne 
saurait  être  personnifiée  jusqu'à  prendre  des  yeux  xA  des 
oreilles. 

—  ison ,  SA,  rapportés  à  un  nom  de  chose  : 

iTsioAS  {parlant  de  sa  pièce).  Tous  ceux  qui  étoient  là  doivent  venir 
ksa  première  représentation.  (Crit  de  FEc,  desfem,  7.) 

-—  soif  avec  sentir.  (Voyez  sentir,  p.  370.) 
SONGER,  actif ,  pour  imaginer^  méditer; 

CV.5t  une  foible  ruse; 
J'en  songeais  une, . .  —  Et  quelle?  —  Elle  n'iroit  pas  bien. 

{VEt.  I.  a.) 

J'avois  songé  une  comédie  où  il  y  auroit  eu  un  poëte,  elc. . . 

{Impromptu,  i.) 


—  380  — 

—  80KGER  DE  (on  infinitif)  ;  songer  à  : 

Et  qirib  sVloient  promis  une  loi  mutaeUe, 

Avant  qu*il  eût  songé  de  poursuivre  Isabelle.  (JEf .  Je*  mar.  m.  6.) 

(Voyez  p.  99,  de  remplaçant  a.) 

SO?îT  pour  font ,  en  style  d  arithmétique  : 

Je  crois  que  deux  et  deux  sont  quatre.  (D.  Jntm.  HT.  i.) 

L'édition  d'Amsterdam  a  corrige,  selon  sa  coutume,  et  mis 
/ont, 

—  sont-ce: 

Sont'-ce  encore  des  bergers  ?  —  Cest  oe  qu'il  ¥0111  plairt.   (B.  gemU  1. 1.) 
Sont'Ce  des  Ters  que  vous  lui  Toulei  écrire?  (ibid.  II.  6.) 

Sont-ce  des  visions  que  je  me  mets  en  tète  ?  (Psyché,  L  i.) 

(Voy«S  CE  SOKT.) 

SORTILÈGE  ;  DoimER  un  sortilège  a  qoslqu'uh  , 
lui  jeter  un  sort  : 

'  C*est  un  sortilège  qu'a  lui  a  donné,  {Feure,  IXL  9.) 

SORTIR  HORS  : 

Tenez ,  voyez  ce  mot ,  et  sortez  hors  de  doute.        {pép.  am,  L  «.) 
Mais  lui  fallant  un  pic,  je  sortis  hors  dViïroi.         {Fâcheux,lL%,) 

SOT ,  terme  adouci  pour  exprimer  ce  qu'ailleurs 
Molière  appelle  crûment  un  cocu  : 

Elles  font  la  sottise ,  et  nous  sommes  les  sots',  (Sgan,  17.) 

Elle?  Elle  n'en  fera  qu'un  sot  y  je  vous  Vassure.  ÇTari,  U,  «.) 

Épouser  une  sotte  est  pour  n'être  point  sot,      [Èc,  des  mar,  1. 1.) 

«  Il  veut  à  toute  force  èire  au  nombre  des  sots.  » 

(La  Fout.  La  Coupe  endumtée) 

—  SOT ,  passionné  au  point  d*en  perdre  le  sens  : 

Si  bien  donc?  —  Si  bien  donc  qu  elle  est  sotte  de  Tout. 

(riff.  L6.) 

—  ÊTRE  SOT  APRES  QUELQu'uif ,  cu  ètrc  assotté  : 

MAamETTB. 

Que  Marinette  est  sotte  après  son  Gros-René!      (fiép,  am,  lY.  4.) 


—  381  — 
SOUCIER ,  verbe  actif,  comme  affliger  y  chagriner: 

Hé  !  je  crois  que  cela  foiblement  vous  soucie.      (Dép,  ont,,  IV.  3.) 

«  Penses-tu,  lui  dit-il ,  que  ton  titre  de  roi 
«  Me  fasse  peur,  ni  me  soucie  ?  » 

(  La  FoHTAiiri.  Le  Lion  et  le  JUoue/ieron,) 

SOUFFRIR ,  absolument  ;  souffrir  de  queiqu  un  : 

Ciel  !  (ÎEiut-ii  que  le  rang,  dont  on  veut  tout  couvrir. 

De  cent  sortes  de  sots  nous  oblige  à  souffrir  f        {Fâcheux,  I.  6.) 

—  SOUFFRIR  QUELQUE  CHOSE  A  QUELQU'UN  : 

I)e  grâce,  souffrez-moi,  par  un  peu  de  bonté. 
Des  bassesses  a  qui  vous  devez  la  clarté.  {Pem.  sav,  I.  i.) 

«  Mais  le  pèreLemoine  a  apporté  une  modération  a  cette  permission  gêné- 
•  raie;  car  il  ne  le  veut  point  du  tout  souffrir  aux  vieilles,  » 

(Pascal.  9«  Prov,) 

SOUFFRIR  A  quelqu'un  DE  (uD  infinitif),  Ini  permettre  : 

Souffrez  à  mon  amour 

De  vous  revoir,  madame,  avant  la  fin  du  jour.  {Mis,  IV.  4.) 

Si  votre  cœur  me  considère 
Assex  pour  me  souffrir  de  disposer  de  vous, . . .  {Psyclié,  I.  3.) 

Me  est  ici  au  datif,  et  non  à  Taccusatif. 
SOUPÇON  ;  HORS  de  soupçon  : 

On  ne  reçoit  plus  rien  qui  soit  hors  de  soupçon,        {VÊt,  II.  6.) 
Qui  soit  à  l'abri  du  soupçon,  ([ui  ne  soit  suspect. 

—  soupQONS  DE  quelqu'un  : 

Ce  n*est  pas  d'aujourd'hui,  Nicole,  que  j  ai  conçu  des  soupçons  de 
mon  mari.  (B,  gent,  III.  7.) 

Molière  dit  soupçons  de  quelqu  *un^  comme  l'hymen ,  la  vcn- 
geanCfC  la  jalousie  de  quelqu* un ,  c'est-à-dire,  relativement  à 
quelqu'un. 

—  soupQON  ENTEE  DEUX  PERSONNES ,  qui  porte  sor 
deux  personnes  : 

Cela  ne  vous  offense  point  :  il  ne  tombe  entre  lid  et  vous  aucun  soupçon 
de  ressemblance.  {Scapin.  II.  7.) 


SOUPÇONNER ,  suspecter  : 

On  soupçonne  aisément  un  sort  tout  plein  de  gloire , 

Et  l'on  veut  en  jouir  avant  que  de  le  croire.  (Tort.  IV.  5.) 

SOUS ,  aa  lieu  de  par  ou  av^c  : 

Çnfia  je  Tai  fait  fuir,  ft,  sous  €e  traitement^ 
De  beaucoup  d'actions  il  a  reçu  la  peine.  Çjâmph,  I.  a.) 

Me  prétendez  pat  voos  sauver  sws  cette  impostore.  {L'Ap.  ▼.  5.) 

—  SOUS  couLEUB ,  9<Hii  prétextc  : 

Anselme,  instruit  de  rartificei 
M*a  repris  maintenant  tout  ce  qu'il  nous  prétoit , 
Sous  couleur  de  changer  de  Tor  que  Ton  dootoit.        (V£t,  U.  7.) 

Voyez  COULEUR  et  coloré.) 

—  SOUS  DES  LIENS  : 

La  fille  qu'autrefois  de  laimable  Angélique , 

^uf  d0i  liens  awrets  eut  le  seigneur  Enriqoe.  (Ec.  de$  fom^  V.  9.) 

Ce  n*est  pas  à  mon  cœur  qu'il  faut  que  je  défère, 

Pour  eutfi»'  tout  dt  tels  liens,  {Psjrcké,  I.  3.) 

—  SOUS  DES  SOINS  : 

Je  ris  des  noirs  accès  où  je  vous  envisage , 
Et  crois  voir  eu  nous  deux,  sous  mêmes  soins  nourris , 
Ces  deux  frères  que  peiot  I'ÉcoIq  dei  maria.  i¥*^'  I*  >•) 

L*idée  de  protection,  enfermée  dans  le  verbe  aourrirf  sauve 
cette  métaphore  : 

a  Parva  sub  ingenti  matris  se  subjicit  umbra.»        (Yirg.) 

—  SOUS  L  APPAT  DE. . . ,  SOUS  le  prétexte  de  : 

Ce  marchand  déguisé, 
Introduit  sous  V appât  d'un  conie  supposé.  {L'ÉU  lY,  7.) 

—  SOUS  SA  BIOUSTACHE  : 

On  n'est  point  bien  aise  de  voir,  sous  sa  moustache,  cajoler  bardiseftt  u 
femme  ou  sa  maîtresse.  (Sicilien,  x4>) 

—  SOUS  TAirr  de  vraisemblance  : 

Quoi  !  le  premier  transport  d'un  amour  qu'on  abuse 

Sous  tant  de  vraisemblance  est  indigne  d*excuse  !  (Dep,  «un,  TV.  a.) 


—  388  — 

—  S0U8  un  DON  DE  FOI  : 

Cest  une  fille  à  nous,  que  ^  sous  un  don  de  foi  ^ 

Un  Yalère  a  séduite  et  fait  entrer  chez  soi.    {Ec,  des  mar,  m.  5.) 

Dans  toutes  ces  locutions^  sur  serait  aussi  bien  venu  que  sous. 
Molière,  pour  Temploi  de  l'un  et  de  l'autre,  paraît  n'avoir 
suivi  que  le  hasai*d,  et  l'usage  l'y  autorisait.  (Voyez  au  mot 
sua,  où  l'origine  de  cette  confusion  est  exposée.) 

SOUTENIR  LE  œuRROux ,  y  persévérer  : 

Pour  Touloir  soutenir  le  courroux  qu'on  rae  donne  i 

Mon  cœur  a  trop  su  me  trahir.  (Amph,  II.  6.) 

SPIRITUELLE,  substantif;  une  spianuEixE  : 

Moi ,  j'irois  me  charger  à' une  spirituelle 

Qui  ne  parleroil rien  que  cercle  et  que  ruelle.'  {Ec,  des  fem,  L  i.) 

(Voyez  EiDicuLE,  substantif.) 

SUBJ(ONCTIF  qoien  commande  nn  autre,  dans 
ofie  place  où  nous  mettrions  aujourd'hui  Vindicatif: 

Xaurois  a«sez  d'adresse  pour  foire  accroire  à  votre  (lère  que  ce  seroU 
qne  personne  riche,  outre  ses  maisons,  de  cent  mille  ccus  en  argent  comptant  ; 
qu^eUe  seroit  iperdument  amoureuse  de  lui ,  et  souhaiteroit  de  se  voir  la 
femme.  (L'Âv.  IV.  i.) 

H  est  clair  qu'en  effet  la  forme  conditionnelle  est  la  meil- 
leure dans  tout  ce  passage,  qui  n'expose  qu'une  hypothèse. 

—  Construit  avec  un  présent  de  l'indicatif  : 

Ooft  Tient  de  te  donner  cette  farouche  béte? 

—  Cette  lettre, monsieur,  qu'avecque  cette  boéte 

On  prétend  qu'ait  reçue  Isabelle  de  vous.  {Ec,  d^s  mar.  II.  8.) 

On  dirait  en  style  moderne  :  on  prétend  c[vCa  vécue.  Il  est 
manifeste  que  le  conditionnel  est  plus  juste ,  puisqu'il  s'agit 
encore  ici  d'une  hypothèse. 

(Voyez  CONDITIONNELS  ,  FUTURS.) 

SUCCÉDER,  arriver,  réussir,  cmtingere  : 

Quelque  chose  de  bon  nous  pourra  succéder.      {Dép.  am,  Ul.  i.) 
Cet  maximes ,  un  temps,  leur  peuvent  succéder.  {D,  Garde.  U,  i.) 


—  384  — 

SUCCÈS,  issue  d*aiie  affaire,  dans  le  sens  do  latiii 
exitus ,  sans  impliquer  Tidée  de  bien  ni  de  mal  : 

Ce  qu*OD  voit  de  succès  peut  bieD  penaader 
Qu'ils  ue  sont  pas  encor  fort  près  de  s*accorder.        (VÉi.  Y.  la.) 
J*en  vieoi  d'entendre  ici  le  succès  foe/veilleux,  (Ibitt.  T.  i5.) 

Adieu  ;  nous  en  saurons  le  succès  dans  ce  jour.       {Dép,  cm.  1. 1.) 

Daignez,  je  vous  conjure, 
Attendre  le  succès  qu*aura  cette  aventure.  (IhiJ,  TEL  7.) 

Hé  bien  !  ce  beau  succès  que  tu  devois  produire?        (!Bid,  m.  9.) 
Vous  vous  trompereaE.  —  Soit.  J'en  veux  voir  le  succès. 
—  Mais. . .  — J'aurai  le  plaisir  de  perdre  mon  procès.    (MU,  I.  x.) 

SUCRÉE  (faire  la),  faire  la  prude ,  la  renchérie: 

Elle  fait  la  sucrée,  et  veut  passer  pour  prude.  {VEt,  III.  1.) 

—  Qui ,  moi?  —  Oui;  vous  ne  faites  point  tant  la  sucrée,  {fi,  D,  L  6.) 

SUFFISANCE,  en  bonne  part;  homme  de  suffisance  : 

Homme  de  suffisance,  homme  de  capacité.  (Afar.  Jor,  6.) 

Dans  le  xvii*  siècle ,  suffisant  et  suffisance  se  prenaient  en 
bonne  part,  au  sens  de  qui  suffit  à  quelque  chose.  Voici  les 
exemples  que  donne  Furedère  :  <-  Le  roi  a  des  ministres  qui  sont 
d'une  grande  suffisance^  d'une  grande  capacité,  d'une  grande 
pénétration.  »  Et  au  mot  suffisant  :  «Se  dit  d'un  grand  mé- 
rite et  de  la  sotte  présomption.  I^  roi  cherche  des  gens  qui 
soient  suffisants,  et  capables  de  remplir  les  prélatures  et  les 
grandes  charges.  » 

—  suFFiSAiNT  DE  (  uu  infinitif) ,  qui  suffit  ;  qui  suffit 
à ,  capable  de  : 

Bon  Dieu  !  que  de  discours  ! 
Rien  n'esl-il  suffisant  d'en  arrêter  le  cours  ?  {Dép,  am.  II.  7.) 

<«  Je  me  déchargerai  d*un  faix  que  je  dédaigne, 
t<  Suffisant  de  crever  un  mulet  de  Sardaigne.  »  (1\bghiek.  Sat,  TI.) 

SUFFIT  QUE,  suivi  d'un  verbe  à  lindicatif  : 

//  suffit  que  nous  savons  ce  que  nous  savons,  et  que  lu  fus  bien  beU' 
reuse  de  me  trouver.  (âfe'd,  m,  lui.  I.  i.) 

Nous  savons  ce  que  nous  savons ,  cela  suflit ,  c'est  en  dire 


—  385  — 

B.  Il  sirffit  que  nous  sachions  présenterait  un  sens  tout 
autre. 

SUITE  ;  EN  SUITE  DE.  (Voyez  ensuite  de.) 

—  SUITE ,  développement  : 

Don  Alphonse  dit  à  dona  Ëlvire,  qui  vient  de  réciter  trente- 
cinq  vers  sans  interruption  : 

J'ai  de  votre  discours  aisez  souffert  la  suite,        (/).  Garcie,  Y.  5.) 

—  d'une  longue  suite  ,  très-suivi  : 

Et  tâcher,  par  des  soins  d'une  très-tongue  suites 

D  obtenir  ce  qu'on  nie  à  leur  peu  de  mérite.  {Mis,  Ul,  i .) 

—  SUITE,  conséquence  : 

Un  avis  dont  la  suite 
Tous  réduit  au  parti  d'une  soudaine  fuite.  {Tart,  V.  6.) 

Les  suites  de  ce  mot,  quand  je  les  envisage. 

Me  font  voir  un  mari,  des  enfants,  un  ménage.       {Fem,  sav,L  i.) 

SUIVBE  LE  œuRROUx  de  quelqu'un,  s'y  associer  : 

Assembler  des  amis  qui  suivent  mon  courroux,  {Amph,  III.  ô.) 

— ^  SUIVRE  quelqu'un  AU  DESSEIN  DE  (uu  infinitif)  : 

Bon.  —  Et  moi,  pour  'vous  suivre  au  dessein  de  tout  rendre, . . . 

iJDép,  am,  IV.  3.; 
Pour  VOUS  imiter  dans  ce  dessein. 

—  SUIVRE  SA  POINTE  : 

Quel  diable  d'étourdi,  qui  suit  toujours  sa  pointe  !  (JScapin,  01.  1 1 .) 

/N,  SUJET  à  la  première  personne ,  et  le  verbe  à  la  troi- 
sième. (Voyez  PKONOM.) 

SUJET  SOUS-^ENTENDU  autre  que  le  sujet  ex- 
primé : 

Elle  vous  diroit  bien  qu'elle  vous  trouve  ]>on, 

Et  qu*elle  n'est  point  d'âge  à  lui  donner  ce  uoni.  (Tari,  I,  a.) 

£ite  n*est  point  d'âge  à  ce  qu'o/i  puisse  lui  donner. 

a5 


—  386  — 

liC  besoin  de  brièveté,  joint  à  la  clarté  de  rexpraMidn,  parait 

plus  que  suilisant  à  excuser  cette  légère  inexactitude. 

SUPERFLU  pE  LA  itoiMOU  (i;b),  përiplu^se  qqi  8  en- 
tend de  reste  : 

Je  m'éloU  amusé  daiu  votre  cour  à  expulser  ie  superflu  de  ta  bdstom. 

(Méd.  m.  im.  m.  5.) 

SUPPORT ,  dans  le  sens  moral;  appai  s 

Elle  n*a  ni  parent ,  ni  support ,  ui  richesse.      {Be.  des  fèm,  III.  5.) 

L'éclat  d'une  fortune  tîn  mille  biens  féconde 

Fera  connoitre  à  tous  que  je  suis  ton  support,         {Ampk.  III.  ii.) 

SUPPORTER  quelqu'un  dans,  comme  notu  disons 

soutenir  dans  : 

Nous  ne  sommes  point  gens  à  la  supporter  dans  de  matiraifes  actions. 

SUPPRESSION  ;  a  ma  suppression  ,  en  me  suppri- 
mant ,  m'excluant  : 

A  ma  suppression  il  s'est  ancré  chez  elle.        {Ec,  dêtfnu  IIL  5.) 
Comme  on  dit  à  mon  profit^  à  mon  dam, 
Bossuet  a  dit  :  «  Au  grand  malheur  des  hommes  ingrats.  » 

[Or.  fan,  de  h  R.d' A.) 

SUR  LE  FIER  ;  se  tenir  sur  le  fier  : 

Mais  puisque  sur  le  fier  vous  vous  tenez  si  bien 

{MéUcerte.  I.  3.) 

SUR  PEINE  DE,  sous  peine  de  : 

Ou  ue  doit  de  rimer  avoir  aucune  envie , 

Qu'on  n'y  soit  condamné  sur  peine  de  la  vie.  (Mis.  IV.  r.) 

Mais  à  condition que  vous  n'en  oovrirei  la  bouche  à  per- 
sonne du  monde,  sur  peine  de  la  'vie.  {Am*  magn.  II.  3.] 

«  Madame,  qui  de  tous  poius  veoit  le  seigneur  de  Saintré  à  combattre 
«  meu  et  desliheré,  feloneusoment  tuy  dist  ;  Sire  de  Saintré,  aons  voulons 
«  et  vous  conimaudous,  j//r /W//r  d'encourir  nostrc  indignacion,  queincon- 
««  linenl  tous  deux  vous  désarmez.  »  (Ltf  Petit  Jeliau  de  Saintré.) 

'(  Leii  seigneurs  de  Cartbage,  voyants  que  leur  pays  se  despeuploit  peu 
«  à  peu,  feirent  destcuse  expre5>e,  sur  peine  de  mort,  que  uul  u'eust  plus 
«  à  aller  par  là.  »'  (MoHTAioirE.  I.  3o.) 


—  387  — 

«  8i  mon  61s  a  jamais  des  enftints,  j«  veux  qn*iU  étudienl  au  collège  de 
«  ClennoDt,  sur  peine  d*élre  déshérités.  » 

(St.-Éveemovd.  Couvert,  du  P,  Canaye*) 

«  Est-ce  un  article  de  foi  qu'il  faille  croirei  sur  peine  de  damuatioD?  » 

(Pascal.  i8*  Prov.) 

On  écrivait  originairement  sor  et  soz;  quand  la  consonne 
finale  était  muette,  comme  Vo  sonnait  le  plus  souvent  ou ,  la 
prononciation  confondait  pour  Toreille  saur  et  souz^  de  là  l'em- 
ploi indifTérent  de  Tun  ou  de  l'autre  dans  certaines  locutions 
contacrcety  comme  sur  peine  et  sous  peine, 

(Voyez  des  Far,  du  lang.fr.^  p.  43o.) 

—  SUR  LE  PIED  DE  (uii  infinitif)  : 

Et  Teulent,  sur  le  pied  de  nous  être  fidèles. 

Que  nous  soyons  tenus  à  tout  endurer  d'elles.  (Kc,  dêsfem.  IV.  8.) 

Sous  prétexte  qu'elles  nous  sont  fidèles  ;  s'appuyant  sur  ce 
qu'elles  nous  sont  fidèles. 

—  SUR  UN  SEMBLANT  : 

Quoi  !  sur  un  beau  semblant  de  ferveur  si  touchante...    {Tari,  Y.  i.J 
Mauvaise  leçon.  L'édition  originale  de  1669  porte:  tous  un 
beau  sembiant  (voy.  la  Préface.) 

SURPRENDRE  au  dépourvu  : 

Mais  je  tous  avouerai  que  cette  gayeté 

Surprend  au  dépourvu  toute  ma  fermeté.  (/).  Garde,  V.  6.) 

SURSÉANGE;  faire  surseange  a.  . .  surseoir: 

Et  jusques  à  demain  Je  ferai  surséance 

A  V exécution  y  monsieur,  de  Tordonnance.  {Jart,  V.  4,) 

SU8;  sus  donc: 

Oui?  Sus  donCf  préparez  vos  jambes  à  bien  faire.  (VMt,  II.  14.) 
Sus  n'est  autre  chose  que  sur,  La  consonne  finale  étant  inar- 
ticulée dans  l'origine,  il  arrivait  souvent  que  l'écriture  notât 
une  consonne  pour  une  autre.  Courir  sus  h  qtielqn'un ,  c'est 
courir  sur  quelqu'un  ;  mais  .v«r,  dans  la  première  de  ces  locu- 
tions, est  aujourd'hui  employé  comme  adverbe  ;  il  est  pré- 
positioB  dans  la  seconde.  Sus^  sus,  c'est-à-dire,  Allons,  debout  ! 

a5. 


—  388  — 

Mais  |)ourquoi  n'a-tron  pas  dit  courir  sus  à  quelqu'un?  l'eu- 
phonie y  trouvait  aussi  bien  son  compte.  Voyez ,  à  Tarticle 
CHAISE,  ce  qui  est  dit  du  zézayement  i>arisieD. 

Nicot  :  ff  Sus  ou  sue,  super,  » 

Le  langage  de  la  jurisprudence  a  conservé  susannery  qui  est 
une  autre  prononciation  de  suranner^  réduit  lui-même  aujour- 
d'hui à  son  })articipe  passé. 

••  Une  prise  de  corps  ne  se  susanne  jamais,  m  (Db  Laitriè».) 

C'est-à-dire,  ne  perd  pas  sa  vertu,  faute  d'avoir  été  exécutée 
dans  Tannée  ;  ne  se  suranné  pas,  non  antiquaiur. 

Vous  observerez  que  les  Latins  employaient  déjà  sus  pour 
super  en  composition.  Suspendere  est  pour  superpendere. 

SUSPENS  SI  (ÊTRira).  .  .  :  (Voyez  si  répondant  au 
latin  an^  utrwn.) 

SYLLEPSE  qui  suppose  un  nominatif  non  exprimé  : 

Cet  arrêt  suprême, 
Qui  dédde  du  sort  de  mon  amour  extrême , 
Doit  m'être  assez  touchant  pour  ne  pat  s'offenser 
Que  mon  cœur  par  deux  fois  le  fasse  répéter.  {Ecdes  mar.  IL  i4-) 

Pour  ne  pas  s'offenser,  c'est-à-dire  pour  qu'oy  ne  s* offense 
pas.  Le  sujet  de  la  phrase  est  C arrêt;  ce  n'est  point  l'arrêt  qui 
s'oilensera,  c'est  Sganarellc. 

11  semble  que,  quand  le  sens  est  aussi  évident,  on  peut  dans 
un  dialogue  familier,  et  pour  l'amour  de  la  concision,  tolérer 
ces  inexactitudes^  et  laisser  dorniii*  la  rigueur  de  certaines  lois 
grammaticales. 

D.  PÈORB.  Et,  cette  nuit  encore,  on  est  venu  chanter  sous  nos  fenêtres. 

ISIDORE.  Il  est  vrai.  La  musique  en  étoit  admirable!  (Sicilien.  7.) 

£n  se  rapporte  à  l'idée  de  concert,  sérénade^  éveillée  par  la 
phrase  précédente,  où  ]>ourtant  ce  mot  ne  se  trouve  pas,  ni 
aucun  semblable. 

Ah  !  Us  meniieti  sont  ma  danse,  et  je  veux  que  vous  me  le  voyiez  danser. 

(ii,gent,n,i.) 
Que  VOUS  me  voviez  danser  le  menuet. 


—  389  — 

Racine  a  dit,  pstv  un  tour  semblable  : 

■  Entre  ie  yaitvre  et  tous  vous  prendrez  Dieu  pour  juge; 

«  Vous  souvenant,  mou  fils,  que,  caché  sous  ce  lin, 

>  Comme  eux  vous  fûtes  |)auvre,  et  comme  eus  orphelin.  » 

{Âlfialte.IV.A.) 
(Voyez,  p.  147,  Ew  par  syllepse.) 

SYMÉTRIE  DES  TEMPS.  (Voyez  aux  mots  coxdi- 

TIOinfELS,  SUBJONCTIF,  et  FUTURS.) 

T  EUPHOIf  IQU£  : 

YoiU-r-îl  pas  monsieur  qui  ricane  déjà?  (Tart,  I.  x.) 

Nos  anciens  eussent  écrit  voilai  il  pasy  ou  bien  voila  il  pas, 
laissant  à  Tusage  le  soin  d'indiquer  la  consonne  euphonique. 

La  seconde  manière  était  celle  du  xvi^  siècle  ;  mais  Théodoi'e 
de  Bi»ze  nous aveitit  de  prononcer  un  /intercalaire :  —  «Cette 
lettre  offre  une  particularité  cuiîeuse,  c'est  qu'on  la  pro- 
nonce là  où  elle  n'est  pas  écrite.  Vous  voyez  écrit  parle  il^  et 
vous  prononcez,  en  intercalant  le  r,  parle  til.  On  écrira  va  ilj 
ira  ily  parlera  «/,  et  l'on  prononcera  va  ///,  ira  tily  parlera 
til.  »  [Defr,  ling.  rect.  pron.  p.  36.) 

Ainsi,  n*ayant  au  cœur  nul  dessein  pour  Clitandre, 

Que  vous  importe-/-il  qu*on  y  puisse  prétendre?     {Fem.  sav.  1. 1.) 

Va,  va-Z'en  faire  amende  honorable  au  Parnasse.        (!bid,  III.  5.) 

TABLER ,  tenir  table  : 

Et,  pleins  de  joie,  allez  tabler  jusqu^à  demain.  {Amph,  III.  6.) 

TACHER  A  (un  infinitif),  tâcher  de: 

La  mémoire  du  père,  à  bon  droit  respectée. 
Joint  au  grand  intérêt  que  je  prends  à  la  sœur, 
Veut  que  du  moins  Ton  tdchû  à  lui  rendre  Thonneur. 

(£c,  des  marAll,  S^.) 

Tdcltons  à  modérer  noire  ressentiment.  {Ec.  des  fem,  II.  a.) 

Que  votre  esprit  un  peu  tacite  à  se  rappeler,  {Mis,  lY.  a.) 

Il  suffit  qu'il  se  rende  plus  sage, 
Et  tâche  à  mériter  la  grâce  où  je  m'engage.  '    (Tart,  III.  4.) 

Je  Tois  qu^envers  mon  frère  on  tâche  à  me  noircir,     {Ibid,  III.  7.} 


^390- 

TAIKE  (S£)  DE  QUEliQUS  CHOBB  .* 

C'est  bien  la  moiodre  chose  que  je  vous  doive..^  qua  de  mê  taire  deraot 
vous  (tune  personne  que  vous  connoiisez.  (/>.  /mui.  III.  4.) 

C'est  avoir  bien  de  la  langue,  que  de  ne  pouvoir  se  taire  de  ses  propres 
affaires,  (Scapin,  III.  4.) 

«  Je  m'en  tais ,  et  ne  veux  leur  causer  nul  ennui.  » 

(La  Fort.  Le  Geai  paré  des  plumes  du  Paou.) 


m  Dame,  si  vous  faicies  nulle  mention  de  celle  avenue*  ▼oaa 
«  deshonorée.  Taisez-vous-en ,  et  je  m'en   tairai  aussi  pour  ▼octre  bon- 
«  neur.  »  (l«  noxssiiaT.  Chron,  UL  cb.  if.) 

(Voyez  DE  répondant  au  iadn  de,  touchant  î  et  mentie.) 

TANT  AevBLût  on  adjectif,  pour  H ,  tellement  : 

Voilà  une  malade  qui  n'est  pas  tant  dégoûtante,     {Méd.  m,  lui.  II.  6.) 
Elle  n*e8t  point  tant  sotte,  ma  foi,  et  je  U  trouve  assez  paasaUe. 

(Scapbt.  I.  3.) 

—  TAUT  DE  (un  sdbgtantif) ,  que  1>é  (an  infinitif)  : 

Qui  donc  est  le  coquin  qui  prend  tant  de  licence 

Que  de  chanter  et  m*étourdir  ainsi  ?  (Amph,  L  «.) 

TARARE  ! 

ocoROB  DANDiir.  Je  le  donnerai 

tuBiir.  Tarare! (6.  i>.  II.  7.) 

L*empIoi  de  ce  root  paraît  remonter  très-haut  dans  les  ori- 
gines de  notre  langue.  Tarare  serait  une  tradition  de  taratara, 
parole  dépourvue  de  sens,  espèce  d'onomatopée  pour  exprimer 
le  son  émis  d'une  bouche  qui  ne  peut  articuler.  «  La  peste  lui 
avait  ôté  la  parole  ;  au  lieu  de  parler  il  sifflait,  et,  voulant  crier, 
ne  faisait  entendre  que  taratara  »  (ou  tarare). 

[Vie  de  St.  Augtistin,  Du  Cancb,  in  Taratara.) 

TARTUFIER: 

Non ,  vous  serez,  ma  foi ,  tartujiée,       {Tmrt.  D.  3.) 
Ce  verbe,  de  la  création  de  Molière ,  n'a  point  passé  dans  la 
langue  commune,  comme  tartufe  et  tartuferie. 

Molière  a  composé  de  même  désosier  et  désamphitryvnner. 


—  8f  1  — 
TATÉ ,  tâtonné  4  ol^erohë  ;  beb  TRim  HOif  TATÉl  : 

Une  main  prompte  à  suivre  un  beau  feu  qui  ]%  guide , 
Bl  dont,  comme  nu  éclair,  la  justesi?  rapide 
Répande  dans  ses  fonds,  à  grands  traiu  nûM  tdté*^ 
De  ses  expressions  les  touchantes  beautés. 

(La  Ghire  du  ral-ek-Grâce.) 

—  EN  TATER ,  mis  absolument ,  avec  an  sens  ellip- 
tique ,  mâle  salis  relation  grammaticale  : 

Voilà  ce  que  c*est  d*avoir  cause.  Fous  n*en  tàter'tz  plus,  et  ]e  YOdi 
lailse  sur  la  boane  boUcbe.  (G.  D.  II.  7.) 

TAXER  DE  (an  infinitif) ,  comme  accuser  de  : 

Je  n*offre  à  vous  y  aervir, puisquV/  m'en  a  d^'à  tiwèe,        {G,  D,  1. 7.) 

TEMPÉRAMENT,  dans  le  sens  du  latin  temperare , 
modérer^  ménager,  régler  : 

Yéda  uë  gaitlei  en  rien  les  doux  iefhpéraments,  (TVrK  Y.  i.) 

Dans  la  vieille  langue,  on  disait  tremper  une  harpe;  c*cWt, 
avec  Yr  transpoH'e^  temprer^  tempérer  cette  harpe,  raccor- 
der, temperare.  Dans  Ovide  :  «  Temperare  citliaram  nervis.  »  On 
accorde  les  pianos  par  tempérament,  C'esl-à-dire,  en  tempérant 
les  quintes,  qui ,  dans  les  instruments  à  claviisr,  tie  peuvent 
s'accorder  avec  une  rigueur  mathématique,  puisque  le  bémol 
s*y  confond  avec  le  dièze. 

Tempérament^  dans  le  vers  de  Molière,  exprime  la  même 
idée. 

TEMPLE. 

On  n'osait  pas,  au  xvii*  siècle,  faire  prononcer  sur  le  théâtre 
le  mot  église  :  c'eût  été  regardé  comme  une  profanation.  On 
se  Ser>'aii  du  mot  païen  : 

Et  vous  promets  ma  foi . . .  —  Quoi?  —  Que  vous  n'êtes  pas 
Au  temple  y  au  cours,  chez  vous,  ni  dans  la  grande  place. 

{Dép,  am,  I.  a.) 
«  Soit;  mais  il  est  saison  que  nous  allions  au  temple.  » 

(CoRNBiLLi.  Le  Menteur,) 


—  39Î  — 
TEMPS  ;  LE  BOK  TEMPS  ;  ironiquement ,  l'âge  d*or  : 

Pour  une  jeune  déeaie, 

Tous  êtes  bien  élu  bon  temps!  (Âmph.  prol.) 

Dit  Mercure  à  la  Nuit. 

—  UK  TEMPS ,  adverbe  ;  quelqae  temps  : 

Je  souffrirai  un  temps  y  mais  j*en  viendrai  à  ImhiI.        {B,  geni,  UI.  lO.) 

TENDRE,  Terbe  neutre;  terdee  a,  tendere  ad,  se 
diriger  yers.  •  •  : 

ou  tend  Mascarille  à  celle  heure?         (Dép.  €m,  l.  4.) 

Molière  emploie  ici  au  sens  propre  une  expression  qui  se  dit 
tous  les  jours  au  sens  figuré  :  Oh  tend  cette  conduite?  où  tend 
ce  discours?  Si  on  le  dit  bien  au  figuré,  à  plus  forte  raison  est- 
il  permis  de  le  dire  au  propre ,  puisque  Timage  suppose  tou- 
jours la  l'éalitéy  et  le  sens  étendu  le  sens  restreint. 

—  TENDRE ,  adjectif  ;  substantivement ,  le  tendre  de 

L*AM£  : 

C'est  me  faire  une  plaie  au  plus  tendre  de  Vâme,        (VEt,  TEL.  i.) 

—  TENDRE  A  (uD  substautif)  : 

Vous  pensiez  bien  trouver  quelque  jeune  coquette 

Friande  de  Tintrigue,  et  tendre  à  la  fleuretie,     {Ec,  des  mar,  II.  9.) 

Vous  êtes  donc  bien  tendre  à  la  tentation  ?  {Tart.  III.  «.) 

TENIR  ;  EN  TENIR ,  être  pris ,  être  attrapé  : 

Quoi,  peste?  le  baiser! 
Ah  !  fen  tiens/  (^^ff*  0-) 

Il  en  tient ,  le  bouhomme,  avec  tout  son  phébus , 

Et  je  n'en  voudrois  pas  tenir  cent  bons  écus.  (Ec,  des  mar,  m.  a.) 

Il  en  tient  signifie  il  est  attrapé.  Je  ne  voudrais  pas  en  tenir 
cent  éciis,  c'est-à-dire,  je  ne  voudrais  pas,  au  lieu  de  cette  aven- 
ture, tenir  cent  ccus  ;  je  ne  la  donnerais  pas  pour  cent  écus. 
En  joue  ici  le  même  rnle  que  dans  cette  locution  :  Combien  en 
voulez- vous?  —  Je  iicn  voudrais  pas  tenir  ou  recevoir  cent 
écus.  Dans  Tune  et  Taiitre  formule,  en  marque  l'échange. 


—  393  — 

Sganarelle,  plus  loin,  exprime  la  même  idée  en  d'autret 
teiines  : 

Ailei»  mon  frère  aine,  cela  vous  sied  fort  bien! 
Et  je  ne  voudrois  pas,  pour  vingt  bonnes  pistoles, 
Que  vous  n'eussiez  ce  fruit  de  vos  maximes  folles. 

(EctUsmar,  IU.6.) 

SGA,HA,EiLLB.  Je  ue  voudrois  pas  en  tenir  dix  ptstoUs!  Hé  bien,  mon- 
sieur? (Z>. /IMM.  III.  6.) 

Hé  bien  y  monsieur,  votre  incrédulité  est-elle  assez  con- 
fondue? Je  ne  voudrais  pas,  pour  dix  pistoles,  que  la  statue 
n'eût  baissé  la  tête. 

—  TENIR  ,  retenir  : 

Je  ne  sais  qui  me  tient,  infâme, 

Que  je  ne  farrache  les  yeux  !  [Àmpft.  II.  3.) 

—  TENIR ,  verbe  actif,  estimer,  juger  : 

On  la  tenait  morte  il  y  avoit  déjà  six  heures.  (il/eV/.  m.  lui.  I.  5.) 

On  la  tenait  pour  morte. 

Fort  bien.  —  Et  Je  vous  tiens  mon  véritable  père, 

(£c,  des  fem.  V.  6.) 
Je  le  tiendrais  fort  misérable , 
S*il  ne  quittoit  jamais  sa  mine  redoutable.  (Amph.  prol.) 

Je  n*ignore  pas  qu*à  cause  de  votre  noblesse  vous  me  tenez  fort  au-des- 
sous de  vous.  (G.  D.  II.  3.) 

«  Je  tiens  impossible  de  connoitre  les  parties  sans  connoitre  le  tout.  » 

ÇPascal,  Pensées.  ^.  3oo.) 

«  On  a  véritablement  recueilli  les  vies  de  ces  deux  grands  hommes  (Ho- 
•  mère  et  Ésope),  mais  la  plupart  des  savants  les  tiennent  toutes  deux /a- 
«  bilieuses,  m  (La  Foht.  rie  d'Esope.) 

—  TENIR  A  (un  substantif) ,  même  sens  : 

Il  n*y  a  personne  sans  doute  qui  ne  tint  à  beaucoup  de  gloire  de  toucher 
à  un  tel  ouvrage.  (Sicilien,  la.) 

«-Le  magistrat,  tenant  à  mépris  et  irrévérence  cette  réponse,  le  fit  me- 
«  ner  en  prison.  »  (La  Foht.  Fie  d'Esope.) 

Molière  a  dit,  par  la  même  tournure,  être  à  mépris  : 
Et  toi,  pour  te  montrer  que  tu  m'es  à  mépris ^ 
Voilà  ton  demi-cent  d*épingles  de  Paris.  (Dép,  am*  lY.  4.) 


—  394  — 

—  TftiftH  (st)  A  QUELQUE  ctto^B ,  potli^  É^êA  (énft'  : 

Je  puis  fermer  les  yeux  sur  vos  flammes  secrètes, 

Taut  que  voM  Vota  Sentirez  aux  mueu  Interprètes,  {Pmik,tꥻ  I.  4.) 

—  TEI9IR  AU  CUL  KT  AUX  CHAUSSES,  c'est  empoigoer 
solidemetit  ;  métaphore  triviale  que  Molière  met  dans  la 
bouche  de  maître  Jacques  : 

On  n*est  pas  plus  ravi  que  de  vous  tenir  au  cul  et  aux  chausses,  et  de 
h\tt  Mus  cëâse  des  co&tes  de  votre  lésine.  {VÂv,  tn.  §.) 

—  TENIR  DES  CHARGES,  IcS  OCCUpcr  : 

Je  suis  né  de  parents  sans  doule  qui  ont  tenu  des  cluirges  honorables. 

(B.geM.VLh  i%.) 

—  TENIR  DES  PAROLES,  comme  tmif  %m  discours  y  un 
propos  : 

Je  vous  trouve  fort  bon  de  tenir  ces  paroles  !  (Wdckeux,  1. 8.) 

Qui  ose  tenir  ces  paroles?  Je  crois  connoilre  celle  voix.  (D.  Juan,  V.  5.) 

—  TENIR  LA  CAMPAGNE  : 

Nous  nous  voyons  obligés ,  mon  frère  et  moi ,  à  tenir  la  campagne  pour 
une  de  ces  fâcheuses  affaires  qui ... ,  etc.  (/).  Juan,  III.  4«) 

«<  Lui  (Napoléon),  bravant  tous  les  dangers, 
«(  Semblait  tenir  seul  la  campagne.  »  (Bkraugkii.} 

—  TENIR  SA  FOI ,  comme  on  dit  tenir  sa  parole  : 

Yaière  a  votre  foi  :  la  tiendrcM-vous ,  ou  non?  (TVirP.  L  6;) 

—  TENIR  SON  QUANT-A-MOI  '. 

Elle  m'a  répondu ,  tenant  son  quant-à-moi  : 

Va,  va,  je  fais  état  de  lui  comme  de  toi.  iP^P-  «"»•  rv,  a.) 

«  Quand  nous  avons  quelque  différend,  ma  sœur  et  moi,  si  je  fais  la  froide 

«  et  l'iiidiffércnic,  elle  me  recherche  ;  si  elle  se  tient  sur  son  quanfé-tnaif  je 

«  vas  au-devant.  »  (La  Voarkinm,  Psyelté,  II.) 

a  Dan»  le»  phrases  à  la  troisième  personne,  comme  celle-ci, 
on  dit  aussi,  et  avec  plus  de  raison  peut-être,  guant'à^tH  :  il 
a  tenu  son  quant-h-sôi,  »  M.  Auger. 

Du  moment  que  ce  groupe  de  mots  ne  forme  plus  qu'un 
substantif  composé ,  les  éléments  doivent  en  être  fixe»  et  inva- 
riables. Il  semble  qu'on  doit  adopter  quant-a-moi^  comme  ont 


—  d9«  ^ 

fait  Molière  et  la  Fontaine }  car  on  ne  pourrait  pas  dir«  :  je 
garde  mon  quant-à-soiy  tandis  qu'on  dira  bien  :  il  garde  son 
(fuanhànmoi, 

A  propos  de  cette  locution  quntit  a  ino\^  signifiant  quant  à  ce 
qui  me  regarde,  Ménage  déclare  qu'elle  n'est  plus  du  bel  usage, 
«  M.  de  Yaugelas,  dit-il,  permet  quant  à  nous^  quant  à  vonSy  et 
condamne  seulement  quant  à  moi.  Je  suis  plus  sévère  :  toutes  ces 
façons  de  parier  ont  vieilli,  et  ne  sont  plus  du  bel  usage.  » 

Rien  n'est  plus  propre  que  cette  observation  de  Ménage  à  faii^ 
voir  combien,  dans  les  études  grammaticales  de  ce  temps-là,  le 
caprice  tenait  lieu  de  raison.  En  effet,  quelle  raison  pouvait 
avoir  Yaugelas  de  permettre  quanta  nous  et  d*interdil*e  quant  h 
moi?  Où  prenait-il  le  prétexte  de  cette  distinction  ?  Il  fallait  qu'il 
fût  bien  sûr  de  l'autorité  de  son  nom  pour  oser  rendre  de  sem- 
blables arrêts  !  Au  reste,  la  docilité  du  public  se  chargeait  de 
justifier  la  tyrannie  de  Yaugelas.  Ménage  du  moins  était  plus 
conséquent,  qui  supprimait  tout. 

—  fÊHiR  im  EMPIRE  ,  le  posséder,  en  être  investi  : 

l>f  empire  que  tient  la  raison  sur  nos  sens 

Ne'  ferme  point  notre  âme  aux  douceurs  des  ehcetis. 

{Fem,  satf,  III.  5.) 

Fermes  ;  en  être  aux  termes  de  : 

La  chose  en  est  aux  termes  de  n'en  plus  faire  de  secret.  (Z).  Juan,  III.  4.) 

TIRÉ,  forcé: 

Et  toutes  vos  raisons ,  mousieur,  sont  trop  tirées,        [Tarte  IT*  i.) 

Par  abréviation,  pour  tire  par  les  cheueux. 

«  n  y  a  (dans  TAncieu  Testament)  des  figures  qui  out  pu  tromper  les 
«  Juifs,  et  qui  semblent  un  peu  tirées  par  les  cheveux.  • 

(Pascal.  Pensées,  p.  177.) 

Port-Royal ,  par  révérence  du  beau  langage ,  a  substitué  : 
peu  naturelles, 

TIRER ,  attirer  : 

Sa  grftce  et  sa  vertu  sont  de  douces  amorces 

Qui  pour  tirer  les  cœurs  ont  d'incroyables  forces.       {tEt.  TH.  2.) 

—  TIRER,  prendre  son  chemin;  métaphore  prise  du 
cheval,  qoi  tire  à  droite  ou  à  gauche  : 

Tirez  de  cette  part;  et  tous,  tirez  de  Taulre.  {Tart.  II.  4.) 


—  396  — 

-  TIRER  8A  POUDRE  AUX  MOUVEAUX ,  perdre  sa  peine: 

Croyez-moi ,  c*est  tirer  votre  poudre  tau  mdmemLt. 

{Ec.  des  mm-,  IL  9.) 

—  TIRER  SES  CHAUSSES ,  s'eiifoir  : 

Donnez-moi  vilement  quelques  coups  de  bâton, 

Et  me  laissez  tirer  mes  chausses  sans  murmure.      {I>ép,  «nr.  1. 40 

MOROV. 

Il  m*a  fallu  tirer  mes  chausses  au  plus  TÎte.  (Pr.  stML  V.  i.) 

La  Fontaine  dit,  d'une  manière  moins  triviale,  tirer  ses  grè- 
gués: 

«  Le  galant  aussitôt 
f  Tire  ses  grègues^  fsgne  an  haut/ 
«  Mal  content  de  son  stratagème.  »  (Le  Co^  et  le  Renard,) 

Les  grègttes  étaient  une  espèce  particulière  de  chausses  à  la 
mode  gre<x|ue.  Le  moyen  âge  écrivait  et  prononçait  segretaire; 
nous  prononçons  segond  tout  en  écrivant  second,  par  égard 
pour  l'étymologie  secundus;  nous  écrivons  et  prononçons  a- 
gogney  qui  vient  de  ciconia;  et  nous  articulons  aussi  durement 
que  possible  le  féminin  de  grec,  grecque.  Ce  sont  les  effets  du 
temps  et  du  progrès. 

— TIRER  UISE  AFFAIRE  DE  LA  ROUCHE  DE  QUELQU'Ulf  : 

Je  pense  qu*il  vaut  mieux  que  de  sa  propre  bouche 

Je  tire  avec  douceur  ta/faire  qui  me  touche.     (Ec.  des  fem.  II.  a.) 

Je  tire  le  détail  de  Taffaire.  La  pensée  va  toujours  à  l'éco- 
nomie des  paroles,  surtout  la  pensée  d'un  homme  agité  par  la 
passion,  comme  est  Arnolphe. 

TORIBER  DAiHS  L  EXEMPLE ,  en  venir  aux  exemples: 

Et,  pour  tomber  dans  texemfde,  il  y  avoit  l'autre  jour  des  femmes.  • . . 

(Critique  de  t£c,  des/em,  3.) 

—  TOMRER  DANS  UNE  MALADIE  : 

Monsieur,  j*ai  une  filie  qui  est  tombée  dans  une  étrange  maladie, 

(Méd,m.  lui.  11.3.) 

TON,  métaphoriquement,  joint  à  frapper,  pris  au 
propre  : 

Jl  frappe  un  ton  plus  fort!  {Amph.  L  «.) 

Comme  on  dirait  :  il  chante  un  ton  plus  haut. 


—  397  — 
TORRENT  EFFRENE: 

C'est  battre  Teau^  de  prétendre  arréler 
Ce  torrent  effréné  ^  qui  de  tes  artifices 
Renversé  en  un  moment  les  plus  beaux  édifices.      (VÉt,  III.  i.) 

Peut-on  dire  un  torrent  effréné  ?  \jd  frein  se  met  à  la  bouche  ; 
un  torrent  peut-il  recevoir  un  frein  ?  Racine  a  bien  dit  : 

«  Celui  qui  met  un  frein  à  la  fureur  des  flots. . .  ;  » 
mais  il  y  a  le  mot  fureur  qui  sauve  Texcès  de  la  niétaphoi*e 
en  la  préparant ,  puisque  la  fureur  est  le  propre  des  èti*es 
animés. 

TOUCHANT  A. . .  ,  important  pour.  • . 

Et  cet  arrêt  suprême , 
Qui  décide  du  sort  de  mon  amour  extrême, 
Doit  m'étre  assez  toucliant  pour  ne  pas  s'offenser 
Qae  mon  cœur  par  deux  fois  le  fasse  répéter.  {Ec,  des  mar.  IL  14.) 

TOUCHER ,  métaphoriquement ,  parlant  des  ouvra- 
ges d'esprit  : 

La  tragédie  sans  doute  est  quelque  chose  de  beau  quand  elle  est  bien 
touchée,  (Crit,  de  tEc,  desfem,  7.) 

—  TOUCHER  DE  RIE5  (ne)  : 

Se  dépouiller entre  les  mains  d'un  homme  qui  ne  nous  toticlie  de 

rien,  {Am,  méd,  I.  5.) 

TOUR  DE  BABYLONE.  (Voyez  babylone.) 

TOURNER,  pour  $e  tourner: 

Aussi  mon  cœur  d'ores  en  avant  iournera-t-il  toujours  vers  les  astres 
respleodissanrs  de  vos  yeux  adorables.  (Mal,  un,  II.  6.) 

—  TOURNER  LA  JUSTICE  : 

Le  poids  de  sa  grimace ,  où  brille  l'artiGce , 

Renverse  le  bon  droit  et  tourne  Injustice.  {Mis.  V.  i.) 

<t  L'expression  tourne  la  justice  n'est  pas  juste.  On  toui*ne  la 
roue  de  fortune,  on  tourne  une  chose,  un  esprit  même,  à  un 
sens  ;  mais  tourner  Injustice  ne  peut  signifier  séduire^  corrompre 
la  justice,  »  (Voltaire. ) 

Cette  remarque  parait  sévère.  Pourquoi  ne  dirait -on  pas 


tourner  pour  retourner^  détourner?  Ttmrner  k  ifl^aget^  êoumer 
la  trte^  tourner  le  dos^  c'est  retourner  ou  tiétoumer  le  dos,  la 
tête,  le  visage.  De  même  tourner  la  Justice^  c'est  U  détourner 
de  fon  cours  naturel. 

•—  TOURTIER  Ul^E  AME  : 

Ait» i  qtie  je  voudrai ,  Je  kmmêrai  cette  âme,    (Ée.  desfem.  HI.  3.) 

TOUT,  invariable  devant  un  adjectif  : 

Mau  euliu  je  conuus,  à  bt^ulc  tout  aimaàle. 

Que  cette  passion  peut  u'êti-e  poiut  coupable.  (Tart,  III.  3.) 

Et ,  traitant  de  mépris  les  sens  et  la  matière , 

A  Tesprit,  comme  nouf ,  dounes-vous  tout  entière,  (l'isfv.itfp.  1. 1.) 

*•  Je  crains  que  cette  censure ne  donne,  i  ceux  qui  en  sauroot 

«  riiistoire,  une  impression  tout  opposée  à  la  condusion.  «• 

(PâfG^L.  i^Proç.) 

2)oui  signifie  ici  tout  à  fait,  11  est  donc  adverbe.  Molière  ce- 
|)cndant  l*a  fait  quelquefois  adjectif,  s*ajustant  en  cela  aux  in- 
conséquences de  Tusage. 

On  remarquera  que,  dans  tous  ces  exemples,  Tadjectif  uni  à 
tout  commence  par  une  voyelle ,  en  sorte  que  si  Ton  écrivait 
toute^  il  y  aurait  élision.  11  a  dépendu  de  l'imprimeur  de  sup- 
primer IV  de  toute^  et  ces  textes  ne  sont  pas  des  preuves  irré- 
cusables pour  l'invariabilité  ;  au  lieu  que  pour  le  cas  contraire 
ils  ne  peuvent  avoir  été  falsifiés. 

(Voyez  TOUT,  vaiiable.) 

—  TOUT,  variable  devant  un  adjectif  : 

La  fourbe  a  de  Tesprit,  la  sotte  est  toute  bonne,  {Mis.  IIL  5.) 

Oui,  toute  mon  amie,  elle  est,  et  je  la  nomme, 
Indigne  d'asservir  le  ctrur  d'un  galant  bomme.  {Ibid.  Hl,  7.) 

«  Ils  y  en  ont  trouvé  de  toutes  contraires,  »  (Pascal,  i*"*  Prop) 

Des  propositions  tout  à  fait  contraires  aux  cinq  attribuées  à 
Jansénius. 

«  La  Grèce,  toute  polie  et  toute  sage  qu  elle  étoit. . .   » 

(BossuET.  Hist,  wtiv,) 

Il  est  manifeste  que  dans  ces  exemples  tout  représente  tout 
à  fait;  il  devrait  donc  étie  invariable  comme  l'adverbe  dont  il 


—  399» 

deat  la  plaoe.  Cependant  il  ne  Test  pas,  soit  à  cauio  de  Teu- 
phonie  à  qui  tout  cède,  soit  ))ar  un  autre  motif,  ou  peut-être  par 
mie  pure  inconséquence.  Quoi  qu*il  en  soit,  les  grammairiens, 
bien  emp^hés  par  1* usage,  ont  posé  à  cet  égard  une  plaisante 
règle  :  Tout,  disent-ils,  mis  pour  tout  à/aity  est  adverbe  devant 
les  adjectifs  féminins  commençant  par  une  voyelle ^  et,  au  con- 
traire ,  il  devient  adjectif  devant  les  adjectifs  commençant  par 
une  coMonne. 

C'est-à-dire,  pour  parler  vrai,  que  dans  le  premier  cas  on 
profite  de  Tclision  pour  escamoter  sur  le  papier  IV  Giial  de 
toute^  par  exemple,  tout  aimable,  tout  entière^  tout  opposée. 
Cela  passe,  parce  que  l'oreille  n'a  rien  à  y  réclamer  ;  mais  réel- 
lement il  y  a  toujours  accord. 

—  TOUT,  invariable  devant  un  nom  de  ville: 

C'est  moi  qui  suit  Sosie,  et  tout  Thèbes  ravoue.  {Amph.  I.  a.) 

Tous  parlez  devant  un  homme  à  qui  tout  Naples  est  counu.  {L'Av.  V.  5.) 
«>  Tifut  Smyrne  ne  parloit  que  d'elle.  »  (La  Bruyère.) 

I^es  Italiens  observent  la  même  règle:  tutto  Napoli,   tutto 

Siviglia  : 

m  Tntto  Siv'iglia 

*>  CoDOSCC  Bartolo.  »»  (l.e  Nozze  di  Figaro,) 

—  TOUT,  TOUTE,  adjectif,  avec  le  sens  de  l'adverbe 
latin  totiécm  : 

Ce  sont  toutes  façons  dont  je  n'ai  pas  besoin.  {Tart,  1. 1.) 

Ces  visites ,  ces  bals,  ces  conversations , 

Sont  da  malin  esprit  tontes  inventions,  (ibid,) 

—  TOUTB-BOUTÉ ,  comme  iouie^puissance  : 

Que  le  ciel  à  jamais,  par  sa  toute-bonté^ 

Et  de  Pâme  et  du  corps  vous  doune  la  santé  !  {Tart,  III.  3.) 

—  TOUT  CE  QUE.  •  .   SOWT  : 

On  ra*a  raoutré  la  pièce  ;  et  comme  tout  ce  qu^il  y  a  tTagréabie  sont  ef* 

fertivement  des  idées  qui  ont  été  prises  de  Molière {Impromptu,  3.) 

(Voyez  CE  que....  sont.) 

•—  TOUT  p£  Boxi ,  pour  tout  de  bon ,  sérieusement  : 

Mais  j'aime  tout  de  bon  l'adorable  Henriette.       (Fem,  sap,  Y.  i.) 


—  400  — 

«  Je  ne  le  diiois  pas  tout  de  bon ,  repartit  le  père;  maii  parions  plu  aé- 
•  rieusemeot  »  (Pascal.  8*  Pivr.) 

«  Tout  de  èo/if  mes  pères,  il  seroit  aisé  de  vous  tonnicr  U-dessns  en 
«  ridicule.  »  (Ii>.  la*  Prov.) 

—  TOUT  DOUX ,  adverbe ,  comme  tout  doucement  : 

Je  crains  fort  pour  mou  fait  quelque  chose  approdiaut , 

Kt  je  m'en  veux  tout  doux  éclaircir  avec  elle.  {Jmph.  IL  3.] 

—  TOUT  D*UN  TEMPS ,  en  même  temps  : 

Bonsoir;  car  tout  dun  temps  je  vai.i  me  renfermer. 

(£c.  des  mar,  III.  a.) 

—  TOUT  MAniTENANT,  sabitemeot,  à  Tinstant  même: 

Il  m'est  dans  la  pensée 
Tenu  tout  maintenant  une  affaire  pressée.        (Ac,  des/em,  111.4*) 

—  TOUT  VIEUX ,  sans  ajouter  qu'il  est  : 

Le  bonhomme,  tout  "vieux ^  chérit  fort  la  lumière.      (VEt,  III.  5.) 

De  même,  dans  le  Misanthrope  : 

Oui,  toute  mon  amie  y  elle  esl,  et  je  la  nomme, 

Indigne  d'assenir  le  cœur  d'un  galant  homme.  (Mis.  III.  7.) 

Sur  ce  passage,  voici  la  remarque  de  Voltaire  : 

a  11  faut  dire  toute  mon  amie  qu  'elle  est,  et  non  pas  totue  mon 
«  amie  elle  est,  n 

a  Et  Je  la  nomme;  cet  et  est  de  trop.  Je  la  nomme  est  vi- 
cieux ',  le  terme  propre  est  Je  la  déclare  ;  on  ne  peut  nommer 
qu'un  nom  :  je  le  nomme  grand,  vertueux,  barbare  ;  je  le  dé- 
clare indigne  de  mon  amitié.  »        [Mélanges,  T.  [II.  p.  228.) 

Il  est  manifeste  que  Voltaire  n*a  pas  saisi  le  sens  de  ce  pas- 
sage. Il  a  supposé  une  invemon  très-dure,  et  compris  :  Elle  est 
toute,  c*est-à-dire,  tout  à  fait,  mon  amie,  et  je  la  nomme  indi- 
gne d'asservir,  etc.;  tandis  que  le  sens  véritable  est  celui-ci: 
Toute  mon  amie  qu'elle  est,  elle  est  (et  je  ne  crains  pas  de  la 
nommer,  et  je  le  dis  tout  haut),  elle  est  indigne,  etc. 

Il  est  probable  que  Voltaii'e  avait  sous  les  yeux  un  texte  mal 
ponctué  : 


—  401  — 

Oui  j  toute  mon  amie  elle  est  ;  et  je  la  nomme 
Indigne  d^asservir,  etc. ....  (i). 

C*est  ce  qui  a  causé  son  erreui*,  qu'un  peu  de  réflexion  eût 
promptement  dissipée.  Il  est  bien  fâcheux  que  Voltaire  eût  si 
peu  de  patience,  et  qu'il  ait  mis  tant  de  précipitation  à  condam> 
ner  des  hommes  comme  Corneille  et  Molière.  On  Taccuse  de 
perGdie  calculée  envers  le  premier  ;  je  suis  persuade  qu'il  n'est 
coupable  que  de  légèi*eté  et  d'impétuosité  dans  sa  critique  :  mais 
c'est  déjà  beaucoup  trop  quand  on  est  Voltaire,  et  qu'on  juge 
Corneille  devant  l'Europe  attentive. 

TRACER  L  IMAGE  DES  CHAifsoifs ,  danser  aux  chan- 
sons: 

Et  tracez  sur  les  herbetles 
Vimage  de  vos  cfiansons, 

(Am,  magn,  3«  intermède,) 

Métaphore  outrée.  On  sait  comment  la  parodie  de  Benseradc 
en  faisait  ressortir  le  ridicule  : 

<c  Et  tracez  sur  les  herbettes 
«  Uimage  de  vos  c/uuutons.  » 

(Voyez  MÉTAPHORES  VICIEUSES.) 

TRADUIRE  EN  RIDICULE  (se)  : 

J'enrage  de  voir  de  ces  gens  qui  se  traduisent  en  ridicule  malgré  Ipiir 
qualité.  {Crit.  de  ttc.  des  f cm,  6.) 

TRAHIR  soif  AME  : 

Non  pas  dans  le  sens  où  Ton  dit  trahir  sa  pensée^  c'est-à- 
dire  la  révéler  involontairement;  mais,  au  contraire,  dans  le 
sens  de  la  contraindre ,  la  contenir,  lorsqu'elle  voudrait  s*é- 
chapper  ;  véritable  trahison  contre  la  nature  et  la  vérité  : 

Morbleu  !  c'est  une  chose  indigne ,  Uche ,  infâme , 

De  s'abaisser  ainsi  jusqu'à  trahir  son  âme! 

Et  si,  par  un  malheur,  j'en  avais  fait  autant. 

Je  mlrois  de  regret  pendre  tout  à  l'instant.  {Mis,  1. 1.) 

TRAINER,  entraîner: 

Don  Jaan,  Tendurcissement  au  péché  traine  une  mort  funeste! 

(Z). /ttfl/f.V.  6.) 

(i)  C'«t  enecliTement  ainsi  que  le  vers  eU  poncloë  dans  la  citation. 

96 


—  4oa  — 

TRAIT  9  atteinte  ;  douher  le  premibr  tiait  ,  fign- 
rément  : 

Je  m'en  vais  là-dedans  donner  le  premier  trait,         (VEt,  lY.  i.) 
C'est-à-dire,  entamer  Taffaire. 

—  TRAIT,  épigramme ,  parole  mordante.  Orgon  dit  à 
Donne: 

Te  tairas-tu,  serpent ,  dont  les  traiu  effrontés, . .         (rorf.  II.  a.) 

Premièrement,  un  serpent  ne  lance  point  de  traits  ;  ensuite 
des  traits  n^ont  point  de  front,  par  conséquent  ne  peuvent  être 
effrontés.  C*est  Dorine  qui  est  un  serpent  et  une  effrontée,  et 
dont  les  mots  sont  autant  de  traits.  Ces  trois  expressions,  qui 
sont  justes  prises  séparément,  fondues  en  une  seule  métaphore 
sont  fausses,  à  cause  de  Tincohcrence  des  images,  qui  devraient 
former  un  ensemble. 

—  JOUER  UN  TRAIT  : 

Et  sans  doute  il  faut  bien  qu'à  ce  becque  oomu 

Du  trait  queileajoué  quelque  jour  soit  venu.  (Ec,  desfem,  Vf,  6.) 

Et  vous  avez  eu  peur  de  le  désavouer 

Du  trait  qu'à  ce  pauvre  homme  il  a  voulu  yoiifr.        {Tewt,  Vf,  3.) 

—  TRAIT  d'aventure  : 

Ah  !  fortune,  ce  trait  d'aventure  propice 

Réi>are  tous  les  maux  que  m'a  faiL»  ton  caprice.  {Ec,  des  fem,  V.  a.) 

«  Molièi*e  dit  souvent  jouer  un  trait  cl  faire  un  tour.  L'usage 
actuel  est  inverse;  on  dit  communément  ^//v  un  trait  et  Jouer 
tin  tour,  »  (M.  AuGER.) 

—  TRAITS ,  traits  de  plume ,  récriture  : 

Jetez  ici  les  yeux  et  connoissez  vos  traits: 

Ce  billet  découvert  suffit  pour  vous  confondre.  (lUis,  IV.  3.) 

Et  reconnaissez  votre  écriture. 

TRAITER,  mis  absolument  comme  agir,  Homdmn: 

On  détruiroit  par  là ,  traitant  de  bonne  foi , 

Ce  grand  aveuglement  où  chacun  est  de  soi.  (Mis,  VU,  5.) 


—  403  — 

Bossuet  dit  fréquemment  traiter  avec  quelqu'un j  pour  avoir 
des  relations  avec  quelqu'un  : 

«  Sous  un  visage  riant elle  cacboit  un  sérieux  dont  ceux 

«  qui  traitoient  avec  elle  étoient  surpris.  »  (Or.  f,  de  ia  duch,  d'OrL) 

«  Quand  quelqu'un  trcdtoU  avec  elle  y  il  sembloit  qu'elle  eût  oublié  son 
«  rang »  (Ibid.) 

—  TRAITER  DE  MEPRIS,  d'egalite,  avBc  mépris,  avcc 
égalité: 

Et ,  traitant  de  mépris  les  sens  et  la  matière, 

A  l'esprit,  comme  nous ,  donnez-vous  tout  entière.  {Pem,  sav.I,  i.) 

Ils  sont  insupportables  avec  les  impertinentes  égalités  dont  ils  traitent 
les  gens.  (Comtesse  d'Esc,  ix.) 

Cette  façon  de  parler  me  paraît  de  celles  qu'il  n'est  pas  bon 
de  prendre  à  Molière. 

(Voyez  DE  exprimant  la  cause,  la  manière.) 

—  TRAITER  DU  HAUT  EN  BAS  : 

Ces  honnêtes  diablesses , 
Se  retranchant  toujours  sur  leurs  sages  prouesses, 
Qui ,  pour  un  petit  tort  qu'elles  ne  nous  font  pas. 
Prennent  droit  de  traiter  les  gens  du  fiaut  en  bas, 

(Éc,  des  fem.  IV,  8.) 
(Voyez  DE  exprimant  la  manici*e,  la  cause.) 

—  TRAITER  LES  CHOSES  DANS  LA  DOUCEUR  : 

Mais  nous  sommes  personnes  à  traiter  Us  choses  dans  la  douceur. 

(Mar,forc.  i6.) 

TBÀNGHEB  AVEC  quelqu'un  ,   en  finir  tout  net 
ayec  loi  : 

Car,  tranchant  avec  moi  par  ces  termes  exprès 

(Ec.  des /em.  IIL  4) 

—  TRANCHER  SON  DISCOURS  d'uN  APOPHTHEGME: 

PAircai^ci.    Tranchez-moi  votre  discours  d'un  apophthegme  à  la  laco- 

(àfar.for.  (>.) 
»6. 


—  404  — 

Soyez  bref,  supprimez  les  longs  discours  au  moyen  cl*un 
a|>ophthe{,'me  laconique. 

TRAVAILLÉ  DE  : 

De  quel  démon  est  donc  leur  âme  trapaiUèe?  {I>ép,  om.  I.  6.) 

«  Êles-Tous  travaillé  de  la  lycanthropie  ?  m  (Rigviu») 

TRAVAUX  DDH  VOYAGE,  pour  Us  fatigues: 

Ce  sensible  outrage , 
Se  mêlant  aux  travaux  d'tm  assez  long  voyage, . .         (Sgan,  lo.) 

TREDAME!  par  apocope ,  Notre-Dame  ! 

[    Tredame,  monsieur,  est-ce  que  madame  Jourdain  est  décrépite?. . . 

(i?.  gent.  m.  5.) 

TREUVE ,  archaïsme ,  pour  trouve  : 

Mais ,  encore  une  fois ,  la  joie  où  je  tous  treuve 

M'expose  à  la  rigueur  d'une* trop  rude  épreuve.    (Z>.  Gareie.  Y.  6.) 

Non,  l'ardeur  que  je  sens  pour  cette  jeuue  veuve 

Ne  ferme  point  mon  âme  aux  défauts  qu'on  lui  treuve,     {Uis,  1. 1.) 

11  était  de  règle,  dans  l'origine  de  la  langue,  que  tout  verbe 
ayant  à  Tinfinitif  la  diplithongue  ou,  la  changeait  en  eu  h  Tin- 
dicatif.  —  Mouvoir,  mourir,  pouvoir,  couvrir,  secourir,  se  dou- 
loir,  etc.,  faisaient  à  VïnôicsXxî  je  meus,  je  meurs ^  Je  peux,  je 
cueuvre,Je  sequeurs,  Je  me  deuls,  etc. 

Je  n*ai  jamais  vu,  dans  les  nionunicnts  primitifs  de  notre  lan- 
gue, d'exemple  de  Vïn^mûi  treuver;  c'est  toujours  trover,  trouver, 
(Voy.  des  Far,  du  lang,fr.,  p.  179.) 

Au  xvi^  siècle,  que  déjà  les  traditions  originelles  commen- 
çaient à  se  perdre,  on  rencontre  quel(|uefois  treuvcr,  Olivier  de 
Serres ,  par  exemple ,  n'emploie  |)as  d'autre  forme  ;  mais 
elle  est  évidemment  déduite,  par  erreur,  de  celle  du  présent. 
C'est  ainsi  que,  de  la  forme  contractée  ci-g(t,  certains  lexico- 
graphes modernes  ont  conclu  l'infinitif  gir,  au  lieu  de  gksia. 

(Voyez  le  Dict.  de  M.  N.  Landais.) 

TRIBOUILLER ,  patois ,  agiter,  secouer  Yiolemment  : 

LUBin.  —  Je  me  sens  tout  trihouiUer  le  cœur  quand  je  te  regarde. 

{G.  D.  ir.  I.) 


—  406  — 

Racines  y  brouiller  et  tri^  pour  tres^  communiquant  la  foi*ce 
du  superlatif  au  verbe  ou  au  nom  avec  lequel  il  se  compose. 

Tribouiller,  tribouillcur^  ont  été  jadis  des  mots  d'un  français 
très-con*ect  : 

«  Tapez,  trompez,  tourmentez,  trondelez, 

«  Brisez ,  riflez ,  teropeslez ,  tribonUz,  »        (Cités  dans  Borbl.) 

TRIBUTS ,  tribut  d'hommages  : 

Le  plus  parfoit  objet  dont  je  serois  charmé 

N^auroit  pas  mes  tributs  ^  D*en  étant  poiut  aimé.      {Dép,  am,  I.  3.) 

TRIOMPHER  DE  QUELQUE  CHOSE ,  à  roccasion  de 
qtielqae  chose  : 

Jamais  on  ne  m*a  vu  triompher  de  ces  bruits,      (Éc.  des  fem,  L  i.) 

«  Et,  d'autre  part  aussi ,  sa  charmante  moitié 
«  Triomphait  d'être  inconsolable.  » 

(La  FoiTTAiiri.  Joconde,) 

(Voyez  DE  exprimant  la  manière,  la  cause.) 

Vous  ne  triompherez  pas^  comme  tous  le  pensez  «  de  votre  infidélité. 

(/?.  gent,  m.  lo.) 

C'est-à-dire,  votre  indifierence  ne  vous  procurera  pas  le 
triomphe  que  vous  espérez.  Mais  cette  phrase,  dans  les  usages 
de  la  langue  moderne,  signifierait  :  vous  ne  surmonterez  pas 
votre  infidélité,  vous  ne  pourrez  la  vaincre,  en  triompher. 

Probablement  Téquivoque  de  cette  locution  est  ce  qui  a  dé- 
terminé à  Tabandonner. 

On  disait  aussi  triompher  sur^  c'est-à-dire  au  sujet  de  : 
«  Ils  triomphoient  cncor  sur  cette  maladie,  » 

(  La  Font.  Les  Médecins.) 

«  Mais,  poarsui vit-il,  notre  père  Antoine  Sirmond,  qui  triomphe  sur 
cette  matière, . ,  »  (Pascal,  lo*  Proi^.) 

TRIQUETRAC  ,  onomatopée  ;  uw  triqueteac  de 
pieds: 

Pois,  outre  tout  cela,  vous  faisiez  sous  la  table 

Un  bruit,  un  triqnetrac  de  pieds  insupportable.  {L'Et.  lY.  5.) 

f^e  nom  du  jeu  de  trictrac  n'a  pas  d'autre  origine. 


~  406  — 
TROP  DE  (l«)  ,  SQbttantiTement  : 

n  s'en  est  peu  fallu  que  durant' mon  absence 

On  ne  m'ait  attrapé  par  son  trop  ditmoeenee.  {Ee,  dtifem,  VI,  3.) 

«  Dorante ,  arrêtons-nous  ;  le  trop  de  promenade 

«  Me  mettrait  bon  d*haleiae  et  me  ferait  malade.  » 

(Coiv,  Le  Mimtmr.  II.  S.) 

Ce  n*est  que  restituer  à  trop  sa  qualité  originelle  :  turba, 
truba,  ou  trupa  ;  troupe  ou  trop;  puis  on  Ta  employé  adver- 
bialement comme  mie,  pas  y  point  ^  goutte  ^  etc. 

TROUBLÉ  D*ESPRiT ,  expression  moins  forte  que 
aliène  : 

C*est  moi ,  monsieur,  qui  vous  ai  envoyé  parler  les  jours  passés  pour  un 
parent  un  peu  troublé  d^ esprit, , .  {Pottre.  I.  9.) 

TROUSSER  bagage: 

Prenei  visée  ailleurs,  et  troussez-moi  bagage,  (Ec.  des  mar,  II.  9.) 

Trousser^  dans  sa  primitive  acception,  signifie  charger, 

«  D*or  e  d'argent  quatre  cens  muU  trussêM,  •  {RoUmd,  st.  9.) 

Quatre  cents  mulets  troussés  d'or  et  d'argent. 

«  De  sul  le  fer  ftist  un  mnlet  trusseU  •  (tbiJ,  st.  237.) 

Du  seul  fer  de  cette  lance  on  eût  troussé  un  mulet. 

Trousser  en  malle ,  c'est  chai'ger  à  la  façon  d'une  malle,  en 
guise^  de  malle. 

Trousser  bagage^  c'est  charger  son  bagage  pour  déménager, 
décamper. 

Bagage  est  la  réunion,  l'ensemble  des  bagues.  Bagues  sont 
les  meubles,  vêtements,  ustensiles,  etc. 

Baga,  dans  le  latin  du  moyen  âge,  un  coffre,  un  sac.  Les 
Anglais  appellent  encore  bag~pipe  {tuyau  à  sac),  une  musette,  à 
cause  de  son  sac  plein  de  vent.  On  disait  baguer  et  débaguer, 
pour  garnir  et  dévaliser,  (Voyez  Du  Cakge,  au  mot  Baga,) 

TROUVER  quelqu'un  a  dire.  (Voyez  dire.) 
TURQUERIE: 

Il  est  turc  là-dessus ,  mais  d'une  turquerie  à  désespérer  tout  le  monde. 

{VA9,U,b,) 


—  407  — 

—  un  GHAGim ,  archaïsme ,  chacan  : 

Un  chacun  est  chaussé  de  son  opinion.  (Ec.  desfem.  I.  i .  ) 

i>.  i^uis.    Leur  gloire  est  un  flambeau  qui  éclaire ,  aux  yeux  d'u/i 

cftacun^  la  honte  de  tos  actions.  (D.  Juan.  TV,  6.) 

Toilà  par  sa  mort  un  chacun  satisfait.  {Jitd.  V.  7.  ) 

Hautement  d'un  chacun  elles  blâment  la  vie.  {Tort.  I.  i.) 

UN  PETIT,  pour  tin  peu,  archaïsme  : 

Qu'avez-vous?  Tous  grondez,  ce  me  semble,  un  petit? 

(Ec.desJemAhe.) 

J'ai ,  devant  notre  porte, 
En  moi-même  voulu  répéter  un  petit ^ 

Sur  quel  ton  et  de  quelle  sorte 
Je  ferois  du  combat  un  glorieux  récit.  {Amph,  II.  i.) 

Peu  y  qu'on  dérive  habituellement  de  parum^  rae  semble  n'ê- 
tre que  la  première  syllabe  de  petite  comme  mi  de  milieu,  prou 
de  profit  y  etc.,  etc.  Un  petit  ne  serait  alors  que  l'expression 
coinplète,  au  lieu  de  l'expression  abrégée. 

UN  PEU  construit  avec  beaucoup,  bieiï  ,  dougemeut  : 

Mais ,  mon  oncle ,  il  me  semble  que  vous  vous  jouez  un  peu  beaucoup 
de  mon  pèreP  {Mal,  im,  m.  aa.) 

Je  trouve  un  peu  bien  prompt  le  dessein  où  vous  éles.     (Mis,  V.  x .  ) 
La  déclaration  est  tout  à  fait  galante; 

Mais  elle  est«  à  vrai  dire ,  un  peu  bien  surprenante,    (Tari,  III.  3.) 
Toilà  une  petite  menotte  qui  est  un  peu  bien  rude,  {G,  D,  IIL  3.) 

Cela  m*est  sorti  un  peu  bien  vite  de  la  bouche.  (Z).  Jtuin,  l,  i.) 

Hé!  là ,  là,  madame  la  Nuit, 

Un  peu  doucement,  je  vous  prie.  (Âmph,  prol.) 

«  Depuis  quelles  (les  femmes)  sont  du  tout  rendues  à  la  mercy  de  nostre 

m  foy  et  constance ,  elles  sont  un  peu  bien  fuizardées.  »  (Moktaigvk.  m.  5.) 

—  UK  PEU  PLUS  FORT  QUE  JEU  : 

Je  crains  que  le  pendard,  dans  ses  vœux  téméraires , 

Un  peu  plus  fort  que  Jeu  n'ait  poussé  les  affaires.  (Ec.  desfem,  II.  6.) 

Un  peu  plus  fort  que  les  règles  du  jeu  ne  le  permettaient. 
UN  TEMPS.  (Voyez  temps.) 


—  408  — 
UN ,  tJWE ,  iupprimi  : 

O  ciel  !  e^esi  mi/ihiurt  ; 
Et  Toilà  d'un  bel  homme  une  YÎve  peinture!  (^'*>  ^0 

Tu  vois  ii  c^ett  mensonge ,  et  fen  suis  fort  ravie.  (/^W.  i«.) 

—  un ,  répété  surabondamment  : 

Une  action  d'u/i  homme  à  fort  petit  cenreau.  {Dép,  mm,  V.  i.) 

Et  Ton  sait  ce  que  c*ett  qu'on  courroux  d*iM  amant.     (  Mis,  IV.  a.) 
Ceux  qui  me  oonnoitront  n'auront  pas  U  pensée 
Que  ce  soit  un  effet  à'une  àme  intéressée.  {Tort,  IV.  i .) 

Plus,  une  peau  à'un  léxard  de  trois  pieds  et  demi,  remplie  de  foin. 

{ûÂp.  n.  ï.) 
On  dirait  aujourd'hui  une  action  d'homme;  — un  courroux 
d'amant  ;  •—  l'efTet  d'une  âme  :  —  une  peau  de  lézard. 

—  un ,  sorabondant  devant  le  plus  : 

Que  deux  nymphes,  d'un  rang  ie  plus  kaui  dn  pajs , 
Disputent  à  se  foire  un  époux  de  mon  filt.  (MéiieeHe,  L  40 

Voilà  une  belle  menrdlle  que  de  &ire  bonne  dière  afec  de  Tarf^ent! 
C'est  une  chose  ia  plus  aisée  du  monde  !  {VA9.  lU.  S.) 

Je  suis  dans  une  confusion  la  plus  grunde  du  monde ,  de  voir  une  per- 
sonne de  voire  qualité. . .,  etc.  {B.  gent,  III.  6.) 
«  Une  si  illustre  princesse  ne  paroitra  dans  ce  discours  que  comme  iw 
«  eiemple  le  plus  grand  ({u'on  se  puisse  proposer.  >* 

(BossuiT.  Or, /un,  de  la  duck,  d'Or,) 

YÂGHE  ;  LA  VACHE  est  a  nous  ,  sorte  d'adage  : 

S*il  ne  tient  qu*à  l)attre,  la  vache  est  à  nous,  {Méd,  m,  lui,  l,  5.) 

—  VACHE  A  LAIT ,  figurémcnt  : 

Cet  hommc-là  fait  de  tous  une  vache  à  lait,  (U,  gent,  UL  40 

VAILLANTISES: 

Que  je  vais  m'en  donner,  et  me  mettre  en  bon  train 

De  raconter  nos  vaiUantises  J  (Amph,  HI.  6.) 

VALOIR  QUE ,  8ui\i  d*un  verbe  au  subjonctif  : 

El  vous  ne  valez  pas  que  ton  vous  considère,  (Mis.  TV,  3.) 

Le  choix  est  glorietu,  et  vaut  bien  qu'on  téconte»  (Tart,  II.  4.} 

Je  vfux  bien  que  de  moi  l'on  fasse  plus  de  cas.       {Fem,  sa9,  T.  40 


—  409  - 
VASTE  DISGRACE: 

Par  où  pourroû-je,  hélas!  dans  ma  vaste  disgrâce , 

Vers  TOUS  de  quelque  plainte  autoriser  Taudace?   (D,  Garcie,\^  3.) 

VENEZ-Y-VOIR,  substantivement  ;  uw  venez-y-voir  : 

D*un  panache  de  cerf  sur  le  front  me  pourvoir, 

Hélas,  Toilà  vraiment  un  beau  venez-^-voir!  (jSgan,  6.) 

VENIR ,  impersonnel  ;  il  vient  faute  de  î 

s* il  vient  faute  de  vous,  mon  fils,  je  ne  veux  plus  rester  au  monde. 

{Mal,  im.  I.  9.) 

VENTRE;  avoir  dans  le  vetître.  . . ,  en  parlant  du 
temps  qui  reste  à  vivre  : 

Cest  un  homme  qui  mourra  avant  qu*il  soit  peu ,  et  qui  n^a  tout  au  plus 
que  six  mois  dans  le  ventre,  (Mar,  for,  i  a.) 

VENUE ,  substantif  ;  une  venue  de  coups  de  bâton  : 

Tu  vas  oourir  risque  de  t'attirer  une  venue  de  coups  de  bâton. 

{Scapin,  III.  i.) 

«  On  dit  proverbialement  qu'un  homme  en  a  eu  d'une  venue ^ 
pour  dire  qu'il  a  fait  quelque  perte,  qu'il  a  été  obligé  de  faire 
quelque  dépense.  »>  (Trévoux.) 

Fenue,  dans  la  phrase  de  Molière,  est  au  sens  de  récolte^ 
bonne  récolte^  parce  que  le  grain  de  l'année  est  bien  venu.  Nicot, 
au  mot  venir  y  donne  pour  exemples  :  «  Grande  venue  de  brebis 
et  abondante,  bonus  proventus,  » 

Venue  pour  bonne  venue ^  ample  venue,  comme  heur,  succès, 
fortune  y  pour  bon  heur^  bon  succès ,  bonne  fortune. 

Une  volée  de  coups  de  bâton  ;  métaphore  prise  des  oiseaux 
qufvoyagent  par  troupe  :  une  volée  de  perdreaux,  une  volée  de 
pigeons,  etc.  Trévoux  cite  cet  exemple  :  «  Il  vint  une  volée  de 
cailles  dans  le  désert,  qui  réjouit  fort  les  Israélites,  dégoûtés  de 
la  manne.  » 

VÊPRE;  LE  BON  vÉPRE,  archaïsme  ,  le  bon  soir:^ 

M.  BOBiHET.  —  Je  donne  le  bon  vépre  à  toute  Tbonorable  compagnie. 

{Comtesse  d^Bsc,  17.) 


Fespre,  contracté  de  vesp{e)ra^  \t  loir.  On  èSsueX  aasti  la 
vesprée. 
«  Venir  tnr  U  vespre  ;  —  |iréptrez  pour  le  retpre.  •  (Nicot.) 

FERBB  RÉFLÉCHI  perd  son  pronoin  étant  pré- 
cédé d  un  autre,  verbe  : 

Faites-la  ressouvenir  qu*il  fiiut  se  rendre  de  bonne  heure  dans  le  bois  de 
Diane.  {Âm.  magm.  I.  3.) 

Qu*on  me  laisse  ici  promener  toute  seule*  (Ibid,  1. 6.) 

(Voyez  AaaÈTE&y  et  pbonom  aÉFLécHi.) 

VÉRITABLE ,  yéridique ,  sincère  : 

Nous  en  tenons  tous  deux,  si  Vautre  est  véritMt,  (/VjptI.  aw.  L  S.) 

J'ai  monté  pour  tous  dire,  et  d'un  cœur  véritabU^ 

Que  j'ai  couçu  pour  vous  une  estime  incroyable,  {MU,  I,  a.) 

C'est  rancienne  valeur  du  mot. 

«  Longarinen'a  point  accoutumé  de  celer  la  vérité,  soit  oonlre  homme 
«  ou  coutre  femme.  —  Puisque  vous  m'estimea  si  iténiMe^  dit  Ix>n- 
«  garine »  (La  R.  dk  Nav.  Heptaméron,  nouvelle  14.) 

«  Mais,  mon  père,  si  le  diabla  ne  répond  pas  la  vérité  »  air  il  n'est 
«  guère  plus  véritable  que  l'astrologie,  il  faudra  donc  que  le  devin  ret- 
•<  tilue,  par  la  même  raisou?  »  (Pascal.  S^Proç,) 

*  Si  elles  (les  précieuses)  sont  coquettes,  je  n'en  dirai  rien;  car  je  fais 
f  profession  d'être  un  auteur yôr/  véritable,  et  point  médisant  » 

(Mlle  Ds  MoiTTPKasiiR  ,  Portrait  des  Précieuses.) 

VÉRITÉ  ;  DIRE  VÉRITÉ  : 

Si  je  vous  faisois  voir  qu'on  vous  dit  vérité  f  {Tort,  IV.  3.) 

VERS,  pour  entiers  .- 

J'ai  tardé  trop  longtemps 
A  m'acquitter  vers  toi  d'une  telle  promesse.  (Dép  am.  1. 9.) 

Ah!  madame,  excusez  un  amant  misérable, 
Qu'un  sort  prodigieux  a  fait  vers  vous  coupable.  (/).  Garde,  U.  6.) 
Par  où  pourrois-je,  hélas!  dans  ma  vaste  disgréce. 
Fers  vous  de  quelque  plainte  autoriser  l'audace?  (Ibid,  V.  3.) 

Ah!  gardez  de  me  faire  un  outrage, 

Et  de  vous  hasarder  à  dire  que  vers  moi 

Un  cœur  dont  j'ai  fait  cas  ait  pu  manquer  de  foi.  {Ibid.  V.  5.) 


—  411  — 

Votre  flamme  vers  moi  ne  vous  rend  pas  coupable.  (Ibid,) 

Si  ce  parfait  amour  que  vou»  prouvai  ù  bien 

Se  fait  'vers  votre  objet  un  grand  crime  de  rien.      {Fâcheux,  I.  i.) 

Et  pouvez-vous  le  voir  sans  demeurer  confuse 

Du  crime  dont  vers  moi  son  style  vous  accuse?  (Mis,  lY.  3.) 

Ce  monarque,  en  un  mot,  a  vers  vous  détesté 

Sa  làcbe  ingratitude  et  sa  déloyauté.  {TarL  Y.  7.) 

Oui,  c*est  lui  qui  sans  doute  est  criminel  vers  vous,  {Àmph,  II.  6.) 

Je  trouve  une  espèce  d'injustice  bien  grande  à  me  montrer  ingrate  vers 
Ton  ou  vers  Pautre.  (Âm,  magn,  lH.  i.) 

On  pourrait  supposer,  à  ne  considérer  que  quelques  exem- 
ples ,  que  Molière  a  fait  céder  l'exactitude  de  l'expression  à  la 
mesure.  Il  n'en  est  rien,  puisqu'il  emploie  vers  dans  la  prose, 
où  rien  ne  le  contraignait,  et  dans  des  vers,  oii  l'élisionjui 
permettait  l'une  ou  l'autre  forme  à  son  choix. 

Fers  est  la  plus  ancienne.  Envers  et  deifers  sont  venus  en- 
suite. Le  livre  des  Rois  emploie  constamment  vers  : 

«  Si  bom  pèche  vers  altre ,  a  Deu  se  purrad  acorder,  e  sMl  pèche  vers 
«  Deu,  ki  purrad  pur  lui  preier?  »  {Rois.  p.  8.) 

«  Pur  co  que  la  guerre  vers  les  cnemis  Deu  maintenist  (i).  *• 

{Ibid.  p.  71.) 

Beaumanoir  ne  connaît  que  la  forme  vers  : 
«  Li  baillis  qui  est  deboneres  vers  les  malfesans.  » 

{Coût,  de  Beauv,  l,  p.  18.) 

«  Li  baillis  qui  vers  tos  est  fel  et  cniels.  »  {Ibid,  1. 19.) 

Racine  a  dit  encore  : 

«  Et  m*acquitter  vers  vous  de  mes  respects  profonds.  » 

{Bajazet.  III.  a.) 

«  La  libéralité  vers  le  pays  natal.  »        (Coritkillk.  Cinna,  IT.  i.) 

VERS  A  LA  LOUANGE  DE  QUELQU'UN ,  ironiquement , 
et  par  antiphrase  : 

Nous  avons  entendu  votre  galant  entretien,  et  les  beaux  vers  à  ma 
louange  que  vous  avez  dits  Tun  et  l'autre  !  {G,  D,  III.  8.) 

(i)  Envers  et  devers  8«  rencontrent  d^à  dans  le  livre  des  Roii  : 

R  Ore  Taparceif  ke  felenie  n'ad  en  mei,  ne  crime  envers  tei.  u  {Rois.  p.  9S.) 
(Jéroboam)  «  pis  qne  nuls  ki  devant  lai  ont  ested  dtftrs  If.  S.  averad.»  [Ibid.  p.  ^.) 


—  4J2  — 

VERS  BLANCS: 

Tous  les  commenuteurs  ont  remarqué,  l'un  après  l'autre , 
ifue  le  début  du  Sicilien  est  en  vers  blancs  d'inégale  mesure  : 

Il  fait  noir  comme  dan»  un  four; 
Le  ciel  s*est  habillé  ce  soir  en  Scanunouche, 

El  je  ne  vois  pas  une  étoile    . 

Qui  montre  le  bout  de  son  nez. 
Triste  condition  que  celle  d'un  esclaTe.  • .  eie. 

Ils  auraient  pu  ajouter  que  la  remarque  s'applique  à  toute 
la  pièce,  et  à  beaucoup  d'autres  de  Molière.  En  efTet,  la  prose 
de  Molière  est  souvent  remplie  de  vers  non  rimes,  au  point  qu'il 
est  difficile  de  ne  pas  reconnaître  là  un  parti  pris,  ou  une  na- 
ture pourvue  d'un  instinct  du  rbythme  vraiment  extraordinaire. 

Et  ce  qui  semble  confirmer  le  premier  soupçon,  c'est  la  dif- 
férence qui  se  montre  d'une  pièce  à  une  autre.  Par  exemple, 
le  Festin  de  Pierre^  qui  est  de  la  plus  belle  prose  de  Molière , 
et  qui  par  l'élévation  des  pensées,  en  plusieurs  parties,  semblait 
appeler  la  versification,  le  Festin  de  Pierre  n'en  présente  que 
des  traces  fort  rares,  qui  ne  valent  pas  qu'on  en  tienne  compte. 

Il  en  est  de  même  de  la  Critique  de  V École  des  femmes  :  on 
sent  que  Molière  s'y  est  sui*veillé.  Au  contraire,  VJtuire  est 
presque  tout  en  vei's  libres,  comme  Amphitryon.  L'auteur  n'a 
pas  eu  le  temps  d'y  attacher  les  rimes ,  mais  la  mesure  y  est 
déjà  (i). 

Il  n'y  a  qu'à  ouvrir  au  hasard  : 

VALÈRE. 

Vous  voyez  comme  je  m*y  prends, 
Et  les  adroites  complaisances 
Qu'il  m'a  fallu  mettre  en  usage 
Pour  m'introduire  à  son  service; 
Sous  quel  masque  de  sympathie 
Et  de  rapports  de  sentiments 
Je  me  déguise  pour  lui  plaire , 
Et  quel  personnage  je  joue 
Tous  les  jours  avec  lui, 

(i)  (c  Si  Molière  ne  versifia  pas  VÂvmre^  c'est  qu'il  n'en  ent  pas  le  temps.  «(La  IlAtrs). 
La  Harpe  ici ,  comme  soavent  ailleurs  ,  n'est  que  l'écho  de  l'opinion  de  Voltaire, 
exprimée  dans  les  (^utitions  eitc/ciopédiques  à  l'article  Art  dramittiquet  eomtdit. 


—  413  — 

AGn  d'acquérir  sa  tendresse. 

J*y  Sais  des  progrès  admirables!  etc.  (I.  x .) 

Transpoi*toiis-Dous  ailleurs  : 


Il  est  vrai  que  mou  père,  madame. 
Ne  |)eut  pas  fiiire  uo  plus  beau  choix, 
Et  que  ce  m'est  une  sensible  joie 

Que  rhonueur  de  vous  voir  ; 
Mais,  avec  tout  cela. 
Je  ne  vous  assurerai  point. 

Que  je  me  réjouis 
Du  dessein  où  vous  pourriez  être 
De  devenir  ma  belle-mère  ; 
Le  compliment,  je  vous  l'avoue, 
Est  trop  difficile  pour  moi  ; 
Et  c'est  un  titre ,  s'il  vous  plaît , 
Que  je  ne  vous  souhaite  point. 
Ce  discours  paroitra  brutal 
Aux  yeux  de  quelques-uns; 
Mab  je  suis  assuré 
Que  vous  serez  personne 
A  le  prendre  comme  il  faudra  ; 
Que  c'est  un  mariage, 
(Madame), 
Où  vous  vous  imaginez  bien 
Que  je  dois  avoir 
De  la  répugnance  ; 
Que  vous  n'ignorez  pas,  sachant  ce  que  je  suis  , 

Comme  il  choque  mes  intérêts , 
Et  que  vous  voulez  bien  eufio  que  je  vous  dise. . . .  etc. 

(III.  II.) 

C'est  à  peine  si ,  de  loin  en  loin,  un  mot  vient  déranger  le 
rhythnie. 

MAIIIANNK. 

Mais  que  voulez-vous  que  je  fasse? 
Quand  je  pourrois  passer  sur  quantité  d'égards 
Où  notre  sexe  est  obligé, 
J'ai  de  la  considération 

Pour  ma  mère. 
Elle  m'a  toujours  élevée 


•  -  414  - 

Avec  une  tendresse  extrême, 
Et  je  ne  saurois  me  résoudre 
A  lui  donuer  du  déplaùir. 
Faites,  agissez  auprès  d^eUe; 
Employez  tous  vos  soins  à  gagner  son  esprit  ; 

Vous  pouvez  faire  et  dire 

Tout  ce  que  vooi  Tondret. 
Faites ,  agUsez  aaprèt  d'elle; 

Je  Taux  bien  consentir 
A  loi  faire  on  aveu  moi-même 
De  tout  ce  que  je  sens  pour  vous.  (IV.  i.) 

Est-il  possible,  est- il  vraisemblable  que  le  hasard  produise 
de  pareils  résultats?  Qui  pourra  le  croire,  s'il  manque  de  goût, 
ne  manquera  pas  de  foi. 

Je  me  borne  à  ces  trois  échantillons.  La  lecture  de  la  pièce 
entière,  à  ce  |>oint  de  vue,  convaincra,  je  pense,  les  plus  in- 
crédules. 

Les  farces  de  Molière,  comme  Poufx:eaugnacj  les  Fouriwries 
de  Scapin,  la  Comtesse  tVEsccfrbagnas,  même  le  Bourgeois  gen» 
tilhomme ,  semblent  écrites  dans  un  autre  système,  et,  comme 
destinées  à  rester  en  prose,  ne  renferment  presque  point  de 
vers.  Mais  il  s'en  rencontre  l)eauconp  dans  George  Dandin; 
ce  qui  porterait  à  croire  que,  dans  la  pensée  de  Molière ,  la 
forme  sous  laquelle  cette  pièce  est  parvenue  n'était  point  sa 
forme  définitive. 

UKORGE  DAIfDIir. 

Ah!  qu*uue  femme  demoiselle 
Est  une  étraoge  affaire  ! 
El  (|uc  mon  mariage 
Est  une  leçon  bien  parlante 
A  tous  les  paysans  qui  veulent  s'éle\er 
A  u-dessus  de  leur  condition , 
Et  s'allier,  comme  j'ai  fait, 
A  la  maison  d'un  gentilhomme  ! 


Et  faurois  bien  mieux  fait, 
Tout  riche  que  je  suis , 
De  m'allier  en  bonne  et  franche  paysannerie  (i), 

(i)  Pa)  iannerie  de  quatre  syllabes,  comme  pajsan»  de  deoK.  CVst  encore  ainsi  que  l'on 
prononce  partout  en  Bretagne. 


-416- 

Que  de  prendre  iiue  femme 
Qui  se  tient  au-dessus  de  moi , 
S'offense  de  porter  mon  nom , 
Et  pense  qu'avec  tout  mon  bien 
Je  n*ai  pas  assez  acheté 
La  qualité  de  son  mari. 
George  Dandin,  George  Dandin, 
Tous  avec  ftdt  une  sottise. . . ,  etc.  (I.  i.) 

La  leçon  donnée  dans  George  Dandin  valait  la  peine  d*ètre 
présentée  en  vers,  autant  que  celle  qui  résulte  de  V École  des 
femmes  et  de  V École  des  maris.  Celle-ci  eût  été  V École  des 
bourgeois. 

Si  c'étoit  une  paysanne , 
Tous  auriez  maintenant  toutes  vos  coudées  franches 

A  vous  en  faire  la  justice 
A  bons  coups  de  bAton. 
Mais  vous  avez  voulu  tAter  de  la  noblesse , 
Et  il  fottfl  coDuyoit  d*étre  maître  chez  vous. 

Ah  !  j*enrage  de  tout  mou  cœur  ! 
Et  je  me  donnerois  volontiers  des  soufflets  !  {G,  D,  1. 3.) 

Dirigé  dans  ce  sens,  un  examen  attentif  et  délicat  du  style, 
de  Molière  conduirait  peut-être  à  des  inductions  intéressantes 
sur  la  manière  de  travailler  de  ce  grand  génie,  et  sur  les  inten- 
tions que  la  mort  ne  lui  a  point  permis  de  réaliser. 

Yaugelas  le  prender  s'est  avisé  de  signaler,  comme  un  grand 
défaut,  les  vers  que  le  hasard  seul,  et  non  l'intention  de  Técti- 
vain,  a  répandus  dans  la  prose.  La  pratique  de  presque  tous 
nos  grands  auteurs  condamne  Topinion  de  Yaugelas.  I.es  ora- 
teurs grecs  et  les  Latins  rencontraient  souvent  des  ïambes  tout 
faits  sans  les  chercher.  Il  y  a  des  alexandrins  dans  la  proses  de 
Cicéron,  dans  Tacite  et  dans  Tite-Live.  Il  s'est  glissé  des  vers 
dans  la  traduction  des  Psaumes  de  David  et  jusque  dans  les  for- 
mules du  droit  romain  (i).  Et  Ménage  remarque  assez  plaisam- 

(i)  Les  jimuUes  de  Tacite  débatent  ptr  nn  hextœètre  :  «  Urbem  Romam  a  principio 
reges  baboere.  »  Le  Miserere  finit  par  an  pentamètre  : 

Impooent  laper  allare  taum  TÎtalos. 

Semper  ia  obscuris  quod  mlniinam  est  sequimar.  (Z>«  reguiùjmris.) 


—  416  — 

ment  que  Vaugelas  s*est  pris  lui-mcme  dans  sa  propre  sentence, 
en  écrivant,  du  mot  sériosiié  : 

Ne  nou»  bâtons  pas  de  le  dire , 

Et  moins  encore  de  l'écrire  : 

Laissons  faire  les  plus  hardis, 

Qui  nous  frayeront  le  chemin. 
Il  est  certain  que  ralTectation  d'écrire  en  vers  blancs ,  telle 
qu'on  la  voit  dans  les  Incas,  par  exemple,  serait  une  chose  in- 
supportable. £n  cela,  comme  en  tout,  c'est  le  goût  qui  dé- 
cide et  marque  la  limite. 

VERSER  LA  RECOMPENSE  d'une  ACriON  : 

Pour  montrer  que  son  coeur  sait,  quand  moins  on  y  pense, 

D'une  bonne  action  vener  la  récompense.  {Tort.  Y.  7 .) 

Un  cœur  cfui  verse  la  récompense  d'une  bonne  action  ne 
paraît  pas  d'un  style  digne  de  Molière. 

(Voyez  Texamen  de  tout  ce  passage  à  l'article  il»  p.  210.) 

—  VERSER  L  HONlfEUR  DUN  EMPLOI  : 

Madame,  vous  avez  cent  personnes  dans  votre  cour  sur  qni  vous  pour- 
riez mieux  verser  l'honneur  d'un  tel  emploi,  (Am,  magn.  I.  a.) 

L'usage  qui  |)ermet  de  déverser  l'outrage ^  l*ignominie  sur 
quelqu'un;  de  verser  sur  lui  des  faveurs  ^  ne  permet  pas  de 
verser  un  honneur  ni  des  honneurs, 

VERTU ,  efficacité  : 

Le  thé&tre  a  une  grande  vertu  pour  la  correction.      {jPréf,  de  Tea-tuje.) 

—  VERTU ,  dans  le  sens  plus  large  du  virtù  italien  : 
le  mérite ,  la  bravoure  : 

Plus  robstade  est  puissant,  plus  on  reçoit  de  gloire; 

Et  les  difficultés  dont  on  est  comliatlu 

Sont  les  dames  d^atour  qui  parent  la  vertu.  (JJEt,  Y.  1 1.) 

'     VÊTIR  ONE  FIGURE  : 

Adieu;  je  vais  là-bas  dans  ma  commission 
^   Dépouiller  promptement  la  forme  de  Mercure, 
Pour  y  vêtir  la  figure 
Du  valet  d* Amphitryon.  {Atnph.  prol.) 


—  417  — 

VIDER,  Terbe  neatre ,  dans  le  sens  de  iortir;  vijdsr 
D'un  Lun  : 

M.  LOTAt.. 

Monsieury  sans  passion, 
Ce  n*est  rien  seulement  qu'une  fonmatkm , 
Un  ordre  de  vider  tTiei  yous  el  les  vôtres.  {Tort,  Y.  4.) 

«  FuyJt  dehors ,  fol  insensé; 

«  Car  îl  est  temps  que  tu  (Vn  parles.  »  {Le  Nouveau  Pathelin.) 

Montaigne  remploie  activement,  dans  la  réponse  des  sau- 
vages américains  aux  Espagnols  : 

«  Ainsi,  qu'ils  se  despesehassent  promptement  de  wtider  leur  terre,  • 

(Essais,  III.  6.) 

—  VIDER ,  V.  actif  9  figarément ,  au  sens  de  purgare  : 

Adieu  ;  videz  sans  moi  tout  ce  que  vous  aurez.    (Fâcheux.  III.  4.) 
Videz  tous  vos  différends. 

On  disait  vider  un  procès,  vider  une  cause,  vider  toutes  les 
difficultés,  vider  ses  intérêts. 

Laissez-moi,  madame,  je  tous  prie, 
Fider  mes  iiitérêu  moi-même  là-desius.  (  Mis*  V.  6.) 

VIN  A  FAIRE  FETE ,  digne  d*ètre  ba  dans  une  fête  : 

Était-ce  un  vin  àfairefite?  {Âmph,  III.  9.) 

VISAGE ,  au  figuré ,  en  parlant  des  actions  : 

Cet  aaaas  d'actions  indignes,  dont  on  a  peine,  devant  le  monde,  d'adoucir 
le  mauvais  visage,  (Z>.  Jitan,  lY.  6.) 

Le  visage  d'une  action  est  une  métaphore  qui  ne  saurait  éti*e 
admise  aujourd'hui,  mais  qui  paraît  l'avoir  été  autrefois  ;  car 
Montaigne  a  dit  le  visage  d'une  entreprise.  C'est  en  parlant  du 
dessein  qu'il  a  formé  d'écrire  ses  Essais: 

«  Si  Testrangelé  ne  me  saulve  et  la  nouvelleté,  qui  ont  accoustumé  de 
«  donner  prix  aux  choses,  je  ne  sors  jamais  à  mon  bonueur  de  cette  sotie 
•  eotreprinse  ;  mais  elle  est  si  fantastique,  et  a  un  visage  si  esloingné  de  Tu- 
«  sage  commun,  que  cela  luy  pourra  donner  passage.  »         {Essais,  II.  8.) 

Cela  montre  qu'il  faut  être  très^irconspect  à  condamner 
Molière,  lors  même  qu'il  parait  le  plus  clairement  avoir  tort. 

»7 


Cè  tfoit  y  tem  réel ,  peut  b^tbis  jj^tt  lé  idèà,  mâk  )c^Ai  de 
ses  contemporains,  ou  de  ses  prédécesseurs  les  plWB  Hg&t/k  fle 
servir  de  modèles. 

VISÉE;  METTRE  SA  Visél  A«  •  •  C 

Totre  vuée  au  moins  n*«lt  pu  mUe  à  tBt^itM^   ffb».  Èmp.  L  i.) 

Tai  grand  regret ,  monslevt*,  de  Voir  qa*l  iài  vUéà 

Les  choses  ne  sdent  |mu  tout  à  lait  dîiposéei.  {IM,  lY.  6.) 

(Vofes  MLtiroBB  vuiB.) 

VISIÈRE;  ROBIPRE  EN  visiiRÉ: 

Je  n'y  {mis  plus  tenir,  j'enrage  ;  et  mon  dessein 

Est  de  rompre  en  visière  à  tout  le  genre  humain*  (Mis,  L  i.) 

Qa*un  roMf  de  son  penrfaant  donne  asieg  de  lumière  | 

Sans  qu'on  nous  fasse  aller  jusqu'à  rompre  en  visière^  {ibitL  V,  a.) 

VISIONS ,  idées  folles ,  rêves  : 

Bl  dans  Ws  «ùcoir/  savez-vons,  s'il  vous  phdt. 

Que  j'ai  pour  Henriette  un  autre  cpota  tout  prêt? 

{Fem.  sav,  IV.  a.) 

««-  ttfliONs  œRn  nx8  : 

Peut-être  sans  raison 
Me  iui»j^  ^  l^  iDi*  ^^  ^visions  comités.  (  Sjfàà.  x3.) 

«  Égaré  dans  les  unei, 

•  Me  lasser  à  chercher  des  visions  cornues,  »  (Boilkau.) 

Des  visions  effrayantes  ou  simphement  chimérîlc(tkes  y  fnais, 
dans  la  bouche  du  pauvre  SganaTelle,  l'expression  de  vhions 
cornues  a  une  double  portée. 

—  VISIONS  DE  NOBLESSE  : 

Ce  nous  est  une  douce  rente  que  ce  monsieur  Jourdain,  avec  les  vuànu 
de  noblesse  et  de  galanterie  qu'il  est  allé  se  mette  en  tète.    {B,  genU  L  f .) 

VOICI  VENIR  : 

Mais  les  voici  venir.  {VEt.  T.  li.) 

Voici  venir  Ascagne.  {Dép,  am.  V.  8.) 

Fbici  est  pour  vois  ici  :  vois  ici  venir  Ascagne.  On  disait  au 

pluriel  veez-ciy  voyez  ici.  L'union  intime  des  deux  racines  a 

depuis  fait  perdre  de  vue  le  sens  de  la  premièi*e  ;  voici  n*est  pTos 


-4rt  - 

^*«i  àdteiiié  hivAirkbk.  MeMlenrsy  voici  \t  roi»  li  Vûb  se 
reporte  an  sens  exact  de  ces  inots,  est  absurde  :  il  faudrtk  dtr*, 
Messieurs,  ve3^  le  roi  :  (voye»4e  ici») 

Feçx  est  resté»  chei  les  paysans  et  dans  quelques  prcnrinces, 
comme  une  forme  corrompife  de  voici,  et  aussi  invariable. 

VOILA  QUE  c'est  ,  pour  ce  que  c'est  : 

Yoilà,  'VoUà  que  c^est  de  ne  pas  voir  Jeannelte.  {VEt,  Vf.  8.) 

—  VOIL4|  NE  VOILA  PAS,  pOUF  Ht  VoUà-t-U pOS  : 
Eh  bien  I  ne  voilà  pas  de  vos  emportements  I  {Tari,  Y*  t .] 

foilà  pas  le  coup  de  langue!  (B,  geni»  m.  za.) 

(Yeyct  XL  tappiimé  après  twla.) 

YOm  A  (un  infinitif)  : 

Ferions  à  votre  femme,  et  'voyons  à  la  rendre 

Favorable....  (Ite.  JSK  Q.  4.) 

—  TOnt  DE  (on  infinitif) ,  elliptiquement ,  voir,  cher- 
cher le  moyen  de. .  •  : 

Parlons  k  cœur  on  vert,  et  voyons  i arrêter. ,  •  (His,  n.  i.) 

—  VOIRPAftLEB: 

Tous  à  qui  j*ai  tant  vu  parler  de  son  mérite.  (làtd*  T.  s.) 

VOUDRIEZ ,  dissyllabe  : 

Monsieur  votre  père 
Mt  wm  intre  vilain  qui  ne  vous  laisse  pas, 
Comme  vous  voudriei  bien,  manier  ses  ducats.  {V£t,l,^ 

Tous  me  voudriez  encor  payer  pour  précepteur.  (I6id,  I.  9.) 

Tous  êtes  généreux,  vous  ne  le  voudnes  pas.  {iHd.  V*  9J 

(V«yes  SAjraunn.) 

—  VOUDRIEZ ,  en  trois  syllabes  : 

Hé  quoii  vous  voudriez,  Talère,  injustement. . .  «(D^  cm,  IL  a.) 

VOULOIR  (se)  mal  ,  ou  mal  de  mort  de  quelqub 
chose: 

Liîsseï ,  je  me  veux  mal  de  mon  trop  de  faiblesse,     {Jsiiph,  IL  6.) 
la  me  veus  mal  de  mort  d'être  de  votre  mot.      (Fou.  ew,  D.  7.) 

•7- 


-420. 

VOUS,  indéfini  et  général  comme  $oi^  en  rebtion 
aTec  OH  : 

Ah!  que  pour  ses  enfunls  uo  père  a  de  foibleiae! 

Peut-oo  rien  refuser  à  leurs  mots  d«  tendresse? 

£t  ne  se  sent-on  pas  certains  mouvements  doux, 

Quand  on  vient  k  songer  que  cela  sort  de  vous?  {Miélicerie,  U.  5.) 

(Voyez  NOUS.) 
VOTENT ,  dissyllabe  : 

Et  vojrent  mettre  à  fin  la  contrainte  où  vous  êtes.  (pép.  am.  III.  7.) 
(Voyez  PATEirr,  paysan  ,  sakclieb,  vouDEiEZy  etc.) 

VRAI;  DEVRAI,  véritablement  ^  comme  de  léger  ^  lé- 
girement  : 

Le  ciel  défend ,  Je  vrai ,  certains  contentements.       {Tort,  IV.  5.) 

VUE  DE  PAYS  (a)  : 

Aon  pas;  mais, à  vue  de  pays^  je oonnoii  à  pen prèsle  train  des  choses. 

(D.  Juan,  L  f .) 

Au  premier  coup  d'oeil  jeté  sur  l'ensemble  des  choses. 

—  VUES  DE  LA  LUMIERE,  Taspect,  le  jour ,  en  par- 
lant d'une  peinture  : 

Yoici  le  lieu  le  plus  avantageux,  et  qui  reçoit  le  mieux  Ut  vttesfavora- 
hles  de  la  lumière  que  nous  cherchons.  (SieUien.  12.) 

Y. 

L'emploi  de/,  dans  Molière,  est  fort  étendu.  C'est  le  terme 
corrélatif  de  À ,  lnt\  leur,  qu'il  s'agisse  de  choses  ou  de  per- 
sonnes. 

Y  représente  également  dans  et  apec. 

Y  se  construit  encore  avec  un  verbe,  et  souvent  représente 
elliptiquement  l'idée  exprimée  par  une  phrase. 

(Voyez  où.) 

T  en  relation  avec  un  nom  de  personne  ou  de  chose,  pour  à, 
luifleur: 

Quoil  Lucile  n*est  pas  sous  des  liens  secrets 
A  mon  naître? — Non,  traître,  et  n'j  sera  jamais.  (D^,  ont.  III.8.] 
A  Lucile. 


-  421  — 

Ils  comptent  les  défiiafi  pour  dps  perfections, 

Et  saTcat/  donner  de  fiiTorables  noms.  {BtU,  II.  5.) 

Aux  défauts. 

Ik  ne  manquent  jamais  de  saisir  promplement 

L^apparente  lueur  du  moindre  attachement , 

D*en  semer  la  nouvelle  avec  beaucoup  de  joie , 

Et  dy  donner  le  tour  qu'ils  veulent  qa'on  y  croie.       {TûN,  L  x.) 

Aux  lueurs  d'attachement. 

Je  ne  distingue  rien  en  celui  qui  m*offense; 

Tout  j  devient  Tobjet  de  mon  courroux.  (Jmpft.  II.  0.) 

Tout  en  lui  devient,  etc. 

Quoi  !  écouter  impudemment  l'amour  d*un  damoiseau ,  et  y  promettra 
de  la  correspondance  !  (G,  D.  I.  3.) 

A  l'aniour  du  damoiseau.  Nous  dirions  aujourd'hui  :  et  lui 
promettre. 

C'est  la  belle  Julie,  la  véritable  cause  de  mon  retardement;  et  si  je 
Toulois  X  donner  une  excuse  galante {Comteue  et  Esc,  x.) 

Oui ,  oui ,  je  te  renvoie  à  l'auteur  des  Satires. 

—  Je  t'j  renvoie  aussi.  (Pêm.  smv.  m.  5.) 

—  Y  représentant  atec  : 

Je  romps  avectiue  vous,  ei  \'y  roni|)s  pour  jamais.  {Dép,  am.  TV.  3.) 
Vivez,  vivez  contente,  et  bravez  ma  mémoire 
Avec  le  digue  époux  qui  vous  comble  de  gloire. 

—  Oui ,  traître ,  j'j  veux  vivre.  (S^n,  so.) 

—  T  répondant  à  en  ,  dam  y  à  : 

Et,  pour  se  bien  conduire  en  ces  difficultés  , 

Il  y  faut,  comme  en  tout,  fuir  les  extrémités.  (Ée.desfim.Pf.9,) 

Je  veux  vous  y  servir,  et  vous  épargner  des  soins  inutiles. 

[D.Jutm,  m.  4.) 

n  dut  toujours  garder  de  grandes  formalités,  qnoi  qu'il  puisse  arriver. 

—  Pour  moi ,  j'/  suis  sévère  en  diable.  {Am.  méd,  II.  3.) 

A  garder  de  grandes  formalités. 

Comment,  mon  gendre,  vous  en  êtes  encore  là-dessus?  —  Oui,  j'/ 
suis,  et  jamais  je  n'eus  tant  sujet  d'j*  être.  {G,  D,  IL  9.) 


—  422  — 

—  y  corrélatif  d'an  verbe  : 

Ja  me  vois,  ma  cousine»  ici  peciéciitét 

Par  des  geos  dont  l'humeur  y  paroit  concertée.  {ftu,  V,  3.) 

Concertée  à  me  persécuter. 

—  Y ,  à  cela ,  gnr  ce  point  : 


cuTAVimB.  Pronettei-inoi  doM  qM  je  pomù  «mm  put»  cette 
nuit. 

AvoBLiQUB.  Ty  ferai  mes  efforts.  (G.  D.  II.  lo.) 

Je  ferai  mes  efforts  à  ce  que  vous  puissiez  me  parler  cette 
nuit. 

Vous  me  baïsseï  donc?  —  Vf  fais  tout  mon  effort  (An^  VL  6.) 
A  vous  haïr. 

Tous  devez  édaircir  tonte  cette  aventurt. 

—  Allons,  TOUS  y  pourrez  seconder  mon  effort  (Ih^U  IIL  4.) 
A  éclaircir  cette  aventure. 

—  y  rapporté  au  sens  de  tonte  nne  phrase  : 


Je  me  troure  fort  bien,  ma  mère,  d*étre  bèlei 
Et  j*aime  mieux  n'avoir  que  de  communs  propos, 
Que  de  me  tourmenter  à  dire  de  beaux  mott • 

PBILAMfVTX. 

Oui;  mais  f^  suis  blessée,  et  ce  n'est  pas  mon  compte. 

(IVw.  Mf.  IIL  6.) 
Je  suis  blessée  à  ce  que  vous  soyez  dans  cette  opinion. 

—  Y  redondant  avec  où  ; 

C'est  uue  cbo&e  où  il  j^  va  de  l'intérêt  du  prochain.        {Pourt,  n.  4.] 
Molière  n'a  pas  cru  qu'on  pût  altérer  cette  forme,  iix  va,  et 
Éiettre  ii  va, 

—  Avec  en  : 

Nous  vous  /  surprenons ,  en  faute  contre  nous  I  {Sgtim.  6.) 

—  Y  avec  contredire.* 

Accablez-moi  de  noms  encor  plus  détestés , 

>é  ny  contredit  points  ]e  les  ai  mérités.  {TnH.  Ht  6.) 


—  423  — 

—  Atcc  marchander  : 

Si  j'étois  en  m  place,  je  n'y  mtrchanderoit  point.  (G,  />.  I.  7.) 

—  Avec  B*en  aller  : 

Laissez-moi  faire ,  je  m^  en  vais  moi-même.  (D.  Juan,  TV,  1 1 .) 

(Voyez  où,  dont  toutes  les  constructions  correspondent  dans 
Molière  à  celle  de  t.) 

—  Y  A ,  pour  il  y  a  : 

Et  quels  avantages,  madame ,  puisque  madame  y  a?  (G,  D,  I.  4») 

—  qu'il  t  a  ,  surabondant  : 

Et  pensez-vous  qu'on  soit  capable  d*aimer  de  certains  maris  quli  y  af 

(fi.  D.  m.  5.) 

De  certains  maris  comme  il  en  existe  au  monde. 
Cette  locution  était  jadis  du  commun  usage  : 
€  Ainsy  beaucoup  de  femmes  quU  y  a  se  desbattent  avec  leurs  maris 
«  quand  ils  leur  yeulent  oster.  Taffeterie,  la  braveté,  et  la  despense.  » 

(La  Boétie,  Trad.  de  Plutarque,  p.  aSi.) 

YEUX  ;  METTRE  AUX  YEUX,  mettre  devant  les  yeux , 
représenter,  remontrer: 

Mais  votre  conscience  et  le  soin  de  votre  Ame 

Tous  devroient  meare  aux  yeux  que  ma  femme  est  ma  femme. 

(Sgan,  ax.) 
(Voyez  METULE  AUX  TEUX,  p.  246.) 

—  DE  TiouvEAUx  YEUX  ,  de  nouveaut  regards  : 

Et  mon  esprit,  jetaut  de  nouveaux  jeux  sur  elle....  (Pr.  d'£l,  1. 1.  ) 

—  YEUX  DE  l'ame,  figurément  : 

11  m'est  Yenn  des  scrupules,  madame;  et  j'ai  ouvert  Ui yeux  de  tàme 
sur  ee  que  je  faisois.  (D.  Juan,  I.  3.  ) 


FIN. 


LETTRE 


MONSIEUR  A.  FIRMIN  DmOT, 


ftUK  QUELQUES  POINTS 


DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE. 


MoifSIEUB  ST  CHBB  BDITEUB, 

Le  livre  Des  variations  du  langage  français  ^  que  J'ai  pu- 
blié chez  vous  il  y  a  quelques  mois ,  a  été  vivement  attaqué 
dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes  ^  également  sortie 
de  vos  presses. 

Si  ees  attaques  n'atteignaient  que  mon  amour-propre ,  Je 
ne  répondrais  pas  une  syllabe  ;  mais  l'intérêt  de  la  science  s'y 
trouve  et  mêlé  et  compromis  ;  il  s'agit  surtout  d'un  point  de 
grammaire  curieux  et  fondamental  :  dès  lors  Je  suis  tenu  de 
défendre  ce  que  Je  crois  la  vérité.  Cette  considération  vous 
fera,  J'espère,  excuser  l'étendue  de  cette  lettre,  qui  eût  pris 
bien  d'putres développements  encore,  si  J'eusse  voulu  suivre 
la  critique  pas  à  pas,  et  la  combattre  à  toute  occasion.  Il  suffira 
de  toucher  quelques  détails  saillants  ;  on  Jugera  du  reste  par 
analogie. 


J'ai  reftisé  de  reconnaître ,  par  rapporta  l'étude  de  la  vieille 
langue  dans  ses  monuments,  l'importance  exagérée  qu'on  a 
fiiiteaux  patois  sous  le  nom  pompeux  de  dialectes.  J'ai  .dit  : 
Il  y  avait  un  centre  du  royaume, 'une  langue  française  cons- 
tituée; les  écrivains  de  la  province  visaient  tous  à  écrire  la 


—  426  — 

langue  da  centre.  S'il  en  Mlaitrefnenl^qi'on  nie  montre  dans 
ces  écrivains  les  expressions  en  dehors  de  la  langue  coromane, 
caractéristiques  de  tel  ou  tel  dialecte.  Bien  entendu ,  Je  n'ac- 
cepte pas  comme  autant  de  mots  à  part  les  différences  d'ortho- 
graphe qui  ^  r^cootrent  souvent  dan^  la  m^m%  f^ge  d'un 
manuscrit. 

Mais  comme  un  élève  de  TÉcole  des  chartes,  feu  M.  Fallot, 
d'estimable  et  regrettable  mémoire,  a  laissé  un  gros  yolume 
sur  ces  dialectes,  dont  il  a  plus  que  personne  préconisé  l'Im- 
portance, il  fallait  bien  a  priori  que  mon  opinion  fût  erronée, 
absurde,  monstrueuse  et  révoltante.  Aprèi  toutes  les  vaines 
déclamations  possibles,  M.  Guessard  en  vient  enfin  à  m'op- 
poser  le  témoignage  d'un  texte. 

Je  laisse  parler  mon  adversaire  : 

«  Que  le  trouvère  fît  parfois  effort  pour  écrirç  en  firan- 
«  çais  de  France,  et  qu'il  y  réussit  tant  bien  que  mal, c'est  pos- 
«  (dble;  mais  qu'U  le  voulût  toiyoura,  ou  que  toujwrs  il  y 
«  parvint ,  ce  n'est  pas  vrai  (1). 

«  Voyez  plutôt  ce  qui  arriva  au  trouvère  Quepea  de  Bér 
a  thune  (2) ,  ce  grand  seigneur  poète  et  guerrier,  qui  nàg^J^ 

(i)  Par/oit  est  bon,  comme  c'est  posûhU,  Liset,  an  lieu  de  pmrfaÎM ^ 
toujours  »  et  eu  lieu  de  c'est  possihU ,  c'est  certaùi ,  ea  attendant  que 
M*  Guessard  fournisse  une  preuve  du  oootraire.  Un  démenti  n'en  est  pu 
une,  si  grossier  qu'il  soil. 

(a)  M.  Guessard  écrit  toujours  Quènes  de  Béthune^  avec  un  accent  grave 
sur  Ve,  ce  qui  force  à  prononcer  caine  de  fiéthune.  La  vraie  prononcia- 
tion est  cane  de  Bélhune  (comme yêm/n«,  fante)\  et  lorsqu'on  i^ncontre 
ce  mot  écrit  en  une  syllabe  quens ,  eitens ,  il  faut  prononcer  ean.  Let 
Italiens  disent  de  même  :  ean-^rande ,  can-francesco  ;  facino-eanê  g  cum 
délia  scala.  C'est  un  titre  de  dignité  répondant  k  celui  de  bailU,  U$  nh 
dical  can  appartient  à  la  langue  tartare,  où  il  signiâe  roi ,  prince,  c/uf: 
le  grand  khan  de  Tartarie  commandait  aux  khans  inférieurs;  Gengis-khan, 
Les  Huns  et  les  Avares  ont  laissé  chez  nous  ce  curieux  vestige  de  leur 
paange  en  Europe ,  au  v*  siècle  :  les  chroniqueurs  lalini  du  fH^yea  Age 
ont  traduit  A/m/i  pr  canis ,  caganus,  caaeiius  :  «  Rex  Tutarprum,  qui  ^ 
magnus  cauis  dicitur.  *•  (Chron.  Nangii,  ann.  1299.)  —  «  Rex  Ayarorqm, 
quem  sua  lingua  cacanum  appellent.  ••  (Paux.  Wakvefbiso  ,  de  GesL 
Langoé,  IV,  59)  ;  a  conititnerunt  eanestos ,  id  est  baiUiTOi,  qui  Justitiaoi 


—  427  — 

«  que  toutautre  pouvait  s'instruire  du  beau  langage.  li  était 
m  Artésien ,  eorome  !*indique  son  nom ,  et  ii  composait  en  arté- 
<«  sien  ou  en  picard;  ce  qui  était  tout  un.  Vers  l'an  1180,  il 
«  vint  à  la  cour  de  France ,  où  la  régente  Alix  de  Champagne, 
«  et  le  Jeune  prince  son  fils,  qui  depuis  régna  sous  le  nom  de 
«  Philippe-Auguste,  lui  exprimèrent  le  désir  d'entendre  quel- 
«  qu*ane  de  ses  chansons.  Quenes  de  Béthune  récita  donc  des 
«  vers  très-intelligibles  pour  ses  auditeurs  ,  mais  fortemeni 
«  empreints  d'un  cachet  picard  ;  aussi  fut-il  raillé  par  les sd- 
«  gneurs  de  France,  repris  par  la  reine  et  par  son  flis  : 

Mon  langage  ont  blaamé  11  Francis 

Et  mes  cbaucoos ,  oyant  les  Champenois , 

Et  la  comtesse  encoir  (dont  plus  me  poise). 

La  roîne  ne  fit  pas  que  cortoise 

Qui  Roe  reprist ,  elle  et  ses  fiex  li  rois  i 

Encor  ne  soit  ma  parole  francise, 

Si  la  puet  on  bien  entendre  en  François; 

Ne  cil  ne  sont  bien  appris  ne  cortois 

Qui  m'ont  repris  se  j'ai  dit  mot  tt Artois , 

Car  je  ne  fus  pas  norriz  a  Pontoise  (i),  ■ 

Voilà  le  passage  fondamental,  unique,  dont  on  arguqiente 
pour  prouver  l'emploi  des  dialectes  dans  la  littérature. 

Il  est  facile  de  répondre  à  M.  Guessard. 

Observez  d'abord  qu'il  s'agit  ici  d  une  pièce  récitée,  et  non 
de  vers  écrits.  La  distinction  est  essentielle. 

facerent.  •  (Magister  Rooibius,  ap.  Gaho.  in  Cmganua,)  De  là  est  veni  le 
français  quens ,  l'italien  can ,  et  peut-être  l'anglais  king. 

On  voit ,  par  cet  exemple ,  de  quelle  importance  est  la  recherche  et  le 
maintien  de  la  pronouciaiion  ▼éritable.  Ce  travail  offre  déjà  bien  asseis 
de  difficultés ,  sans  y  en  ajouter  encore  comme  à  plaisir.  Je  me  suis  élevé 
souvent  contre  cette  barbare  manie  d'introduire  des  accents  dans  les  vieux 
textes  :  l'unique  résultat  possible  est  d'égarer  le  lecteur  philologue,  et 
d'elfaccr  1rs  dernières  traces  d'étymoiogie.  Il  serait  si  simple  et  raisoona- 
Ue  d'imprimer  les  manuscrits  comme  ils  sont  I  Mais  préeiséesent  par  çi 
motif  il  est  à  craindre  qu'on  ne  l'obtienne  jamais  des  savants  édileuri. 
On  vient  encore  de  publier  la  Mort  de  Garin ,  où  les  mots  quf ,  ç«  «  ii« , 
sont  figurés  que,  eé,  né,  même  lorsque  IV  s'élide.  U  but  bien  être  pos- 
sédé de  la  fureur  des  accents  1 

(t)  BMot.  da  eXe.  des  chartes ,  L  II  (1846),  p.  igt. 


—  428  — 

Que  le  premier  venu,  en  lisant  ce  couplet,  comprenne  qu'il 
est  question  des  mo^,  c*est  une  erreur  excusable  :  il  est  étran- 
ger à  ces  études,  et  habitué  à  la  précision  de  notre  langue  mo* 
'  deme.  Mais  que  M.  Guessard  s*y  trompe,  c'est  ce  que  je  ne 
saurais  expliquer,  s*il  n'était  bien  connu  que  la  passion  fait 
arme  et  ressource  de  tout.  Lorsque  Quenes  de  Béthime  dit 
qu'on  a  raillé  sa  parole,  son  langage ^  il  entend  sa  prononda* 
tlon ,  son  accent  picard.  Au  douzième  siècle»  ces  mots  aeceni^ 
prononciation,  n'étaient  point  encore  dans  la  langue;  il  fallait» 
pour  en  rendre  la  pensée,  se  servir  d'équivalents  approximatiiii. 
J*ai  dit  mot  d* Artois  signifie  :  j'ai  parlé  à  la  mode  du  pays 
d'Artois;  cette  dernière  expression  représente  exactement  l'é- 
quivoque de  l'autre  :  fat  parlée  s'agit-il  des  mots  que  vous 
avez  employés,  ou  de  votre  manière  de  les  prononcer? 

Ces  deux  vers,  où  les  mots  soulignés  par  M.  Guessard  sem- 
blent renfermer  ma  condamnation , 

Encor  ne  soit  ma  ^Wù\t  française. 

Si  la  puet  ou  bien  entendre  eu  francois  ^ 

signifient ,  selon  M.  Guessard  :  Encore  que  Je  parle  picard  » 
les  Français  peuvent  bien  me  comprendre. 

Et,  selon  moi  :  Encore  que  je  récite  avec  un  accent  de  pro- 
vince, on  peut  me  comprendre  parfaitement  dans  l'Ile  de 
France  ;  ou,  en  d'autres  ternies  :  Comme  je  parle  d'ailleurs  Iwn 
français,  mon  mauvais  accent  n'empêche  pas  qu'on  ne  me 
comprenne  très-bien  à  Paris. 

Ainsi  ce  passage  établit  précisément  la  pureté  du  style  de 
Quenes  de  Béthune.  M.  Guessard,  croyant  me  perdre  sans  re- 
tour, a  fait  comparaître  un  témoin  dont  la  déposition  m'absout 
et  le  condamne. 

M.  Guessard  peut  m'en  croire  :  je  sais  assez  le  picard  pour 
lui  attester  !•  que  ni  les  poésies  de  Quenes  de  Béthune,  ni 
celles  d'Eustache  d'Amiens,  ni  celles  de  tous  les  trouvères  de 
la  Picardie  et  de  l'Artois,  ne  sont  écrites  dans  ce  dialecte, 
puisque  dialecte  il  y  a;  2*^  que  des  poésies  picardes,  surtout 
récitées,  défieraient  l'intelligence  de  tous  les  Français,sans  en 
excepter  M.  Guessard  lui-même.  La  Picardie  a  fourni ,  au 


—  429  — 

moyen  âge,  un  nombre  de  trouvères  très-eousidérable  :  tous 
ont  écrit  ^n  français^  Quenes  de  Béthuue  corame  les  autres. 
Au  surplus,  ses  poésies  sont  là  :  que  M.  Guessard  ait  la  bonté 
de  m'y  montrer  du  picard ,  ou  de  m*expliquer  en  quoi  con- 
siste \e  cachet  picard  des  vers  de  Quenes  de  Béthune,  si  ce 
n'est  pas  dans  V accent  parlé. 

La  Picardie  n*est  pas  si  loin  de  llle  de  France ,  pour  qu'un 
grand  seigneur,  qui  faisait  des  lettres  sa  principale  occupation, 
ne  parvint  pas ,  malgré  ses  efforts,  à  posséder  à  fond  le  frau-, 
çais  littéraire.  Aujourd'hui  même  que  notre  langue  est  bien 
autrement  fixée  et  vétilleuse  qu'au  moyen  âge ,  la  critique 
pourrait  signaler  des  provinciatismes  dans  des  vers  composés 
à  Bordeaux  ou  à  Strasbourg;  mais  on  n'en  rirait  pas.  Ce  qui 
ferait  rire  inévitablement,  ce  serait  Taccentgascon  ou  alsacien 
du  déclamateur;  et  si  les  vers  étaient  d'ailleurs  purement 
écrits,  le  poète  aurait  le  droit  de  s'écrier  ,  comme  Quenes  de 
Béthune  :  Vous  n'êtes  ni  justes  ni  polis  :  ce  n'est  pas  ma  faute 
si  je  n'ai  pas  été  nourri  près  de  Pontoise.  On  peut  exiger  d'un 
écrivain  qu'il  sache  le  français ,  mais  non  qu'il  soit  exempt  de 
l'accent  de  sa  province.  Ce  qui  est  indélébile ,  ce  n'est  pas 
l'ignorance,  c'est  l'accent  natal. 

Je  maintiens  que  voilà  le  sens  du  passage  de  Quenes  de  Bé- 
thune; pour  l'entendre  différemment, il  faut  y  apporter  toute 
la  bonne  volonté  de  M.  Guessard. 

Une  dernière  observation  :  M.  Guessard  place  l'anecdote  de 
Quenes  de  Béthune  vers  1180.  C*est  le  plus  tard  possible, 
puisque  Philippe- Auguste  parvint  à  la  couronne  en  1180,  et 
qu'à  l'époque  de  la  visite  du  trouvère  il  était  encore  sous  la 
tutelle  de  la  régente.  Il  n'avait  donc  pas  quinze  ans.  Je  crois 
qu'à  cet  âge  les  petits  princes  du  douzième  siècle  n'étaient 
pas  si  grands  puristes,  et  n'auraient  pas  remarqué,  dans  une 
pièce  de  vers  français ,  un  ou  deux  termes  sentant  la  province. 
Mais  un  accent  provincial  frappe  d'abord  les  enfants  comme  les 
grandes  personnes  ;  et  le  petit  Philippe  dut  s'en  amuser  aussi 
bien  que  sa  mère  Alix ,  peu  renommée,  du  reste,  entre  les  sa- 
vantes et  les  beaux  esprits  de  son  temps. 
Je  crois,  sauf  erreur,  que  M.  Guessard  aurait  bien  fait  d'y 


^410  — 

regardera  deox  fois  avant  de  me  eri«,  déia  grosse  votx,Ck 
R*B8T  PÀ8  YBAi  I  Car  Je  loi  répondrai ,  comme  Qnenes  de  Bè- 
thnne  :  Vous  n'êtes  ni  Juste  ni  poli. 

La  question  des  dialectes  demeare  done»  Jasqn^à  nonvet 
ordre,  un  système,  sans  autre  appui  que  des  tliéories  arbitraires. 
L'étai  emprunté  à  Quenes  de  BéUiune  ne  Tant  rien;  oo  te* 
bien  d*en  diercher  un  plus  solide. 

Passons  à  un  autre  point,  dont  M.  Guessard  fldt  le  ptrtll 
capital. 


J*avals  posé  ce  principe  pour  la  prononciation  du  moyen 
Age  :  t  Dans  aucun  cas  l*on  ne  faisait  sentir  deux  consonnes 
«  consécutives ,  soit  au  commencement ,  soit  au  mitleo  d\m 
«  mot,  soit  l*une  à  la  fin  d'un  mot,  et  Tautre  au  commenccmetit 
«  du  mot  suivant.  » 

J'avais  été  conduit  à  cette  règle  par  la  comparaison  des  vieoï 
textes.  Il  me  sembla  rencontrer  un  dernier  vestige  de  cetts 
M  primitive  dans  un  écrit  de  Théodore  de  Bèze  Sur  la  pro- 
nonciation du  français,  traité  en  latin  publié  en  15S4,  c'est- 
à-dire  fort  avant  dans  la  renaissance,  et  par  conséquent  fort 
loin  de  l'époque  où  ma  règle  aurait  été  en  vigueur.  Voici  ce 
passage  :  Curandum  etiam  ne  qua  {littera)  putide  et  duriiigr 
sonet ,  imout  omnes  moUiter  et  quasi negtigenter  efferanfur^ 
omnem  pronuntiationis  asperitatetn  usqne  adeo  réfugient 
francica  Hnqua,nty  exceptis  ce,  ut  accès  (  aecessus),  mn 
^t  somme,  nn  ut  annus^  rr  ut  terre,  nullam  gsminatjji 

CONSONANTBM  PaONUIfTIET. 

On  prétendit  que  J'avais  fait  sur  le  texte  de  Th.  de  BèzeaU 
incroyable  contresens  ;  que  geminatam  consonantem  signi- 
fiait, non  pas  deux  consonnes  consécutives  quelconques» 
comme  Je  l'avais  entendu ,  mais  seulement  deux  consonnes 
consécutives  Jumelles,  la  même  consonne  redoublée. 

On  en  concluait  que  la  règle  de  M.  Génin  était  fausse,  ima- 
ginaire; qu'elle  n'avait  Jamais  existé.  On  alla  même  plus  loin  : 
on  soutint  que  le  principe  était  d'une  t^fsurdité  man^eifte:  — 


-4âi  - 

«  Le  contlre-sens  de  M.  Génio,  disait-on ,  est  vraiment  in- 
«  CJToyable!  Plein  de  confiance  dans  une  traduction  signée  p&r 
«  un  professeur  de  faculté ,  je  me  suis  mis  l'esprit  à  la  torture 
«  pour  m'expliquer  comment  Th.  de  Bèze  avait  pu  écrire 
«  une  pareille  règle,  etc.,  etc.  »  Je  répondis  sommairement, 
par  une  lettre  insérée  dans  la  Revue  indépendante ,  au  lo 
avril  1846.  Un  second  article  delà  Bibliothèque  de  rÉcole 
des  chartes  l'end  nécessaire  une  seconde  réponse.  Je  la  ferai 
plus  explicite;  et,  pour  mettre  le  lecteur  mieux  à  mémed*en 
suivre  l'argumentation,  Je  reproduis  ici  les  principaux  passages 
de  ma  première  lettre  : 

«  Je  consens,  disais-Je ,  à  examiner  un  des  points  attaqués 
par  la  Bibliothèque  de  l'École  des  Chartes,  Je  choisis  le  plus 
Important,  deTaveu  du  critique  lui-même.  C'est  la  règle  de 
ne  prononcer  jamais  deux  consonnes  consécutives  (sauf  les  li- 
quides) ,  que  j*ai  donnée  comme  la  clef  de  voûte  de  tout  le  sys- 
tème d'orthographe  et  de  prononciation  de  nos  ancêtres.^-*  Elle 
«  est,  dit  mon  adversaire ,  elle  est  en  réalité  la  clef  de  voûte, 
«  Don  de  la  prononciation  de  nos  ancêtres ,  mais  du  systèrlae 
«  de  M.  Génin  ;  et ,  par  conséquent ,  si  je  la  fais  fléchir,  tout 
«  lé  système  tombera,  sans  que  j*aie  besoin  de  le  prendre  pièce 
«  à  pièce.  » 

«  J'accepte  de  bon  cœur  le  défl ,  à  condition ,  bien  entendu, 
que ,  réciproquement ,  si  l'on  ne  fait  pas  fléchir  la  clef  de  voûte, 
mon  système  entier  subsistera,  sans  que  j'aie  besoin  non  plus 
de  le  défendre  pièce  à  pièce. 

«  Ainsi  la  discussion  de  ce  point  capital  me  dispensera  de 
toute  autre,  e^je  veux  bien  qu'on  juge  par  cet  échantilloD  de 
la  valeur  de  tout  le  reste ,  tant  pour  l'attaque  que  pour  la 
défense. 

«  S'il  était  vrai  que  j'eusse  commis  sur  le  texte  de  Th.  de 
^ze  un  incroyable  contre-sens,  il  ne  s'ensuivrait  pas  en- 
core que  j'eusse  posé  une  règle  fausse  et  imaginaire;  car  cette 
règle,  je  ne  l'ai  point  empruntée  à  Théod.  de  Bèze.  Tout 
au  plus  aurais- je  invoqué  à  Tappui  de  mon  principe  une  auto- 
torité  illusoire  ;  mais  il  resterait  toujours  à  établir  que  ce 
principe,  étranger  à  Th.  de  Bèze,  est  lui-même  une  ilhiaton. 


—  432  — 

MoD  critiqae  Tafllrme  de  sa  propre  aalorité.  U  eroit»  en  m*6- 
tant  Th.  deBèze,  m*a voir  enlevé  toute  reuoarce,  m'avoir 
miDéy  mis  à  sec.  Erreur  ! 

«  Depuis  la  publication  de  mon  livre ,  il  m^est  yeno  entre 
les  mains  plusieurs  ouvrages  rares,  que  Je  n*avais  pu  consnl- 
ter  plus  tôt.  De  ce  nombre  est  la  grammaire  de  Jean  Pàli- 
grave ,  l'aînée  de  toutes  les  grammaires  françaises.  Ce  Jean 
Palsgrave  était  Anglais  de  naissance,  mais  il  avait  longtemps 
vécu  à  Paris ,  où  il  avait  même  pris  ses  degrés.  Chargé,  com- 
me le  plus  habile  de  son  temps,  d'enseigner  le  français  à 
la  sœur  de  Henri  YIII,  veuve  de  Louis  XII,  remariée  au 
duc  de  NorfolciL ,  il  composa  sa  grammaire  sur  le  plan  de 
la  grammaire  du  célèbre  Théodore  de  Gnza.  Ce  livre ,  qui  n'a 
pas  moins  de  900  pages  in-folio,  est  rédigé  en  anglais,  avec 
un  titre  en  français  et  une  dédicace  à  Henri  YIII  (Londres, 
1530);  il  est  doublement  précieux  par  le  savoir  exact  et  mi- 
nutieux de  l'auteur,  et  par  l'abondance  des  exemples,  toujoon 
puisés  dans  les  meilleurs  écrivains ,  Jean  Lemaire ,  Alain 
Chartier ,  i'évéque  d'Angouléme ,  etc. ,  etc.  Palsgrave  débute 
par  un  Traité  fort  détaillé  de  la  prononciation  :  or  void  ce 
quej*y  ai  lu,  Je  le  confesse,  avec  ta  vive  satisfaction  d'un 
homme  qui,  ayant  deviné  une  énigme  difflcile,  s'assure,  par 
|e  numéro  suivant  de  son  Journal,  qu'il  avait  rencontré  juste. 

«  î.es  Français,  dans  leur  prononciation,  s'appliquent  à  trois 
«  choses  qu'ils  recherchent  principalement  :  1^  l'harmonie  du 
«langage;  2°  la  brièveté  et  la  rapidité  en  articulant  leurs 
«  mots  ;  3°  enûn  ,  de  donner  à  chaque  mot  sur  lequel  ils  ap- 
•  puicnt  son  articulation  la  plus  distincte. 

{fci  U7i  long  développement  du  premier  point,} 

«  Maintenant,  sur  le  second  point,  qui  est  la  brièveté  et  la 
«  rapidité  du  discours,  quel  que  soit  le  nombre  des  consonnes 
«  écrites  pour  garder  la  véritable  orthographe ,  ils  tiennent 
«  tant  à  faire  ouïr  toutes  leurs  voyelles  et  leurs  diphthon- 
«  gués ,  que,  entre  deux  voyelles  (soit  réunies  dans  un  même 
«  mot,  soit  partagées  entre  deux  mots  qui  se  suivent),  ils 
«  n'articulent  jamais  qu'une  consonne  à  la  fois;  en  sorte  que 


—  483  ^ 

•  si  deux  wmonnês  différentes ,  c^esUà-direy  n'étant  pas 
«  TOUTES  DBUX  Dx  mAmb  NATURE  y  SB  rencontrent  ^ntre  deux 
«  voyelles f  ils  laissent  toujours  la  première  inarticulée  {i).  • 
«  Y  a-t-il  rien  de  plus  positif?  Comprenez- vous  bien  qu'il 
est  question  là  des  consonnes  consécutives  en  général,  et  non 
des  Jumelles  en  particulier?  Nat  beyng  both  of  one  sorte  ï 
Comprenez-'vous  enfin  ce  que  c'est  que  la  geminaia  conso- 
nan»  de  Th.  de  Bèze  (a)?  Comprenez- vous  que  cette  règle  a 
existé,  que  Je  ne  l*ai  pas  tirée  de  mon  imagination? Cette 
règle  impossible,  monstrueuse,  absurde,  sur  laquelle  vous 
demandez  qu'on  Juge  tout  mon  livre;  cette  règle  que  J^avais 
posée  pour  le  douzième  siècle,  la  voilà  encore  dans  un  grammai- 
rien du  commencement  du  seizième,  antérieur  de  soixante- 
quatre  ans  à  Th.  de  Bèze!  En  vérité,  quand  J*aurais  cliargé 
ee  bonhomme  Jean  Paisgrave  de  plaider  ma  cause,  il  n*eàt 
pu  s*en  acquitter  mieux.  lia  deviné,  trois  siècles  d'avance,  la 
chicane  que  me  fait  aujourd'hui  l'École  des  chartes,  et  s'est 
donné  la  peine  d'y  répondre  de  manière  à  ne  laisser  aucune 
ressource  à  la  mauvaise  foi  la  plus  subtile.  Je  mets  son  vénè- 


(i)  The  Frendie  men  in  theyr  pronunciatioii  do  clicfly  regard  and 
oover  thre  ihynges  :  lo  be  armoiiious  in  thoyr  spekyiig  ;  to  be  brcfe  and 
lodayne  in  sounding  of  thcyr  wordes,  avoyding  ail  uianer  of  harsbnesse  in 
theyr  pronunciation  ;  and  tliirdly,  to  gyve  every  worde  ihat  they  abyde 
and  reste  npon  theyr  most  audible  sounde 

And  now  tonching  the  second  point  whiche  is  to  be  brefe,  etc. ..  what 
couonaDtei  soever  they  write  in  any  worde  for  the  kcpyng  of  trewe  ortho- 
graphie, y  et  80  moche  covyt  they  in  reding  or  spekvng  to  hâve  aU  lhe}r 
▼owelles  and  diphthougues  clerly  herde,  Ihat  betweene  Iwu  voweilcs 
(whetber  they  chaunce  in  one  worde  aione,  or  as  one  worde  fortuncth  lo 
lolowe  after  an  other),  they  never  sounde  but  one  consonant  at  ones,  in 
10  moche  ihat  if  two  différent  consonanles,  that  is  to  say,  nai  heyngboth 
ojone  sorte  corne  together  betweene  two  \owelles ,  they  ievefirst  of  ihem 
wuounded,  Paisgrave.  Introd,  (non  paginée). 

(a)  Pour  peu  que  mon  critique  eût  élé  de  i>onne  foi,  aurait-il  pu  s*y 
tromper  en  lisant  ce  que  Bèze  écrit  dix  lignes  plus  loin  de  la  prononcia- 
tion des  Français ,  qu'elle  est  xc ullo  consonantium  roircuRsu  cojrvaAcosA  ? 
D*où  ▼ieut  que  ce  texte  que  j'avais  traduit,  il  a  pris  soiu  dans  sa  citation 
de  récarter? 

a8 


—  434  — 

rable  texte  au  bas  de  la  page,  afln  que  monsieur  le  char- 
trier ,  gnind  épluclieur  de  textes,  puisse  s'assurer  si  je  n'y  ai 
pas  lait  quelque  iucroyabic  contre-sens,  et  si  je  n*ai  pas,  eu- 
cori'  cette  fois,  pris  le  contre-pied  de  la  pensée,  comme  il  dé- 
clare que  cVst  ma  coutume  habituelle. 

"Qu'il  vienne  a  présent  m*atlé^Mier  qu*à  la  fin  du  seizième 
siècle  on  articulait,  dans  certains  mots,  les  consonnes  con- 
sécutives :  que  nie  fait  cela?  ce  n'est  point  mon  affiiire;  ou  plu- 
tôt, si  vraiment  ce  iVst,  puisque  j  ai  dit  que  le  seizième  siècle 
avait  perdu  la  tradition  de  l'ancien  langage.  Il  va  chercher 
dans  Pierre  Fahri  ou  Lefebvre  une  phrase  dont  il  prétend 
m'aecahler,  en  prouvant  que,  dès  1534,  on  prononçait  des 
consonnes  consécutives.  —  «  Il  est,  dit  Fabri,  un  barbare  de 
rude  langni^o  â  ouïr,  qui  s'appelle  Cacephainn  ou  Clîpsis{ï)^ 
comme  gros,  gris,  (/ras^  granf  et  croc,  cric,  crac;  et  êvangé- 
listes,  stalle,  stilte...  »  Premièrement,  il  s*ai»it  la  d'un  assem- 
bla«re  ehereiie  de  ccinsoimaiiees  èl ranges  ;  et  ensuite  Fabri 
lui-même  déclare  ce  lanu.atîe  Ixirtiare;  donc  ce  n*est  pas  le  lan- 
gape  ordinaire.  Les  vieux  grammairiens  rangent  ce  Cacepha^ 
ton  parmi  les  liuures  de  mots  :  ciuel  rapport  d'un  trope  ridi- 
cule avec  la  prononeiation?  C'est  hien  de  rérudition  perdue. 

—  «Après  avoir  cité  une  rei^le  qui  n'a  jnmais  existé,  l'au- 
«  teur  en  cite  une  autre  qui  n'a  aucun  rapporta  la  question.  Kn 
•«effet,  il  s'agit  de  prouver  qu'on  n'a  jamais  prononcé  deux 
«.consonnes  de  suite;  et  M.  Génin  s'évertue  à  établir  qu'au 
•  tdiième  siècle  on  n'en  prononçait  pas  trois ,  ce  qui  serait 


1 1l  s^agit  de  prouver  qu'on  ne  prononçait  pas  les  consonne* 
U'utiv^^  ;  et  après  avoir  montré  qu'on  n'en  prononçait  pas 
H,  Je  moiïtre  qu'on  n'en  prononçait  pas  trois.   Si  nous 
des  ^roupçis  de  quatre  et  de  cinq  consonnes ,  j'aurais 
examiner  u  leur  tour.  Cestêtre,  assurément,  dfl/is 
i;  et  it  UmX  tout  le  paitl  pris  de  mon  critique  pour 
r  que  ceia  n'y  a  nul  rapport* 
i,  maître  Jehan  Palsgrave,  avancez  de  nouveau;  car 

Iti  dte  d'aprèi  mon  tdTcmirr. 


—  435  — 

e'est  vous,  anisi  bien  que  moi ,  qni  êtes  en  canse,  vous  qui, 
après  avoir  parlé  des  doubles  consonnes  consécutives ,  avez 
aussi  battu  la  campagne  en  parlant  tout  de  suite  des  triples 
eonsonnes.  Cette  coïncidence  est  vraiment  merveilleuse  1  mais 
la  découverte  si  à  propos  de  ce  volume  ne  l'est  pas  moins.  0 
bon  Palsgrave,  sans  vous  j*étais  perdu!  TÉcole  des  chartea 
me  foudroyait!...  Je  reprends  la  citation  au  dernier  mot  où 
je  l'ai  laissée  :  —  «  Et  si  trois  consonnes  sont  rassemblées , 
«lis  (les  Français)  en  laissent  toujours  les  deux  premières 
«inarticulées,  ne  faisant,  je  le  répète,  aucune  différence  si 
«  ees  consonnes  sont  ainsi  groupées  toutes  dans  un  seul  mot  ^ 
«  ou  réparties  entre  des  mots  qui  se  suivent  ;  car  souvent  leurs 
«  roots  se  terminent  par  deux  consonnes ,  à  cause  du  retran- 
«  chement  de  la  dernière  voyelle  du  mot  latin  :  par  exemple, 
•  earpit^temps^  etc.  (i).  § 

«  Paisgrave  ajoute  que  cette  distinction  entre  les  consonnes 
purement  étymologiques  qu'on  éteint  et  celles  qu  on  doit  faire 
sonner,  est  la  grande  difficulté  pour  les  Anglais  :  hcUh  semed 
unto  us  ofournation  a  thyng  ofso  gréai  difficulty. 

*  Monsieur  mon  contradicteur  trouve-t-il  encore  contestable 
cette  proposition,  qu'on  ne  prononçait ,  pas  trois  consonnes 
oonsécatives? 

«  Quant  à  n'en  prononcer  qu'une  sur  deux,  admettra-t-Û 
enfin  cette  monstruosité,  qui  lui  a  mis  l'esprit  à  la  torture? 
«Je  me  suis  mis  l'esprit  à  la  torture  pour  m'expliquer  com- 
«  ment  Th.  de  Bèze  avait  pu  écrire  une  pareille  règle,  et  en 
«quel  sens  il  fallait  l'entendre;  car,  de  la  prendre  à  la  lettre, 
«je  n'en  voyais  pas  le  moyen  !  »  J'espère  qu'il  en  voit  le 
moyen  à  cette  heure?  En  général ,  il  répète  souvent  :  Je  ne 
puis  mHmaginer^  je  ne  puis  comprendre;  il  prend  cela  pour 
m  argument  irrésistible  I 

(i)  And  if  the  tbre  consoDantes  corne  together,  lliey  ever  levé  two  of  ihe 

jfm  moundad,  putling  hcre,  as  I  hâve  said  ,  do  differcDce  whclher  ibe 

CiMnQMtles  Uius  come  together  in  one  woi  de  alone ,  or  the  wordes  do 

miwe  onetnother  ;  for  many  tymes  theyr  wordes  ende  in  Iwoconsonantes, 

l^jMBM  they  take  awaye  the  last  vowell  of  the  latine  tong ,  as  corps^  temps. 

Id.,  ièid. 


^  4S«  — 

«  Voilà^commeDt  ce  fort  Samson  feit  fléchir  les  cle&  de 
voûte.  Je  le  prie  de  recevoir  mes  remerctments  :  un  principe 
fondamental ,  qui  poar  moi  n*était  pas  douteux,  mais  qui  peut- 
être  pouvait  le  sembler  à  d*autresy  croyant  le  renverser,  il 
m*a  foorni  l'occasion  d'y  revenir,  et  de  le  mettre, J*espère, 
au-dessus  de  toute  contestation. 

«  De  toutes  les  prétentions,  la  plus  folle  serait  celle  de  plaire 
à  tout  le  monde.  ;Je  ne  vise  pas  si  haut  :  je  me  contente  de 
Tassentiment  des  meilleurs  juges ,  principibus plaeuisse  viris. 
S*agit-il  de  Térudition?  Quels  noms  plus  imposants  que 
ceux  de  MM.  Victor  le  Clerc ,  Naudet ,  Littré ,  Augustin 
Thierry  ?  Parlez- vous  de  cet  heureux  instinct,  de  ce  génie  de 
la  langue  qui  éclate  si  vivement  dans  la  Fontaine  et  dans 
Molière?  Où  le  trouver  plus  complet  et  plus  profond  que  dans 
notre  Béranger  ?  Quels  plus  illustres  suffrages  serait-Il  pos- 
sible d'ambitionner?  Et  quand  on  les  a  réunis,  esl-on  bien 
à  plaindre  d'avoir  manqué  celui  de  M.  Guessard  ? 

Et  qu'importe  à  mes  vers  que  Perrault  les  admire?» 


Telle  fut  en  abrégé  ma  réponse  au  premier  article  de 
M.  Guessard  ;  voici  maintenant  ma  réponse  au  second  : 

Le  procès  continue  sur  la  geminata  consonans  de  Th.  de 
Bèze.  Je  suis  obligé  de  défendre  jusqu'au  l)out  ma  traduction, 
puisque  M.  Guessard  fait  dépendre  de  ce  mot  Testime  de  tout 
mon  ouvrage  ,  et  que  j'ai  accepté  son  défi.  Au  surplus,  je 
vous  dirai,  en  passant,  que  iM.  Guessard  n'a  pas  son  pareil 
pour  trouver  de  ces  alternatives.  Son  esprit  net  et  concis  aime 
à  réduire  toutes  les  questions  à  deux  termes.  Vous  en  verrez 
plus  d*un  exempiedans  cette  réponse.  J'avais,  dans  la  première, 
cru  tirer  autorité  de  quelques  suffrages  imposants,  tels  que 
ceux  de  MM.  Augustin  Thieny,  Victor  le  Clerc,  Naudet ,  Lit- 
tré, Béranger;  mais  me  voilà  bien  loin  de  compte!  M.  Gues- 
sard exige,  pour  se  rendre,  «  un  arrêt  en  bonne  forme,«  signé  de 
ces  messieurs  ;  il  dresse,  le  plus  sérieusement  du  monde,  un  fo^ 
mulaire  en  trois  articles,  dont  le  dernier  doit  attester  •  qu*tfii€ 


—  437  — 

seule  des  assertions  de  mon  livre  est  restée  debout  ^  après 
Texamen  que  M.  Guessard  en  a  fait.  »  J*irai  présenter  ce  for- 
molaire  à  la  signature  des  illustres  juges  par  moi  invoqués; 
et  si  Je  ne  le  rapporte  à  M.  Guessard ,  revêtu  de  toutes  les 
formalités  authentiques,  je  suis  déclaré  vaincu  aux  yeux  du 
monde  savant  (  page  363  ). 

M.  Guessard  a  bonne  opinion  des  effets  de  sa  dialectique; 
mais  on  ne  voit  pas  où  il  prend  le  droit  d'exiger  des  certifi- 
cats de  ses  erreurs.  S'il  n'y  veut  pas  croire  à  moins ,  d'autres 
ne  seront  pas  si  difficiles.  Ne  nous  dérangeons  pas,  et  ne  dé- 
rangeons personne,  pour  si  peu. 

Geminata  consonans^  voilà  donc  la  grande  énigme.  Est-ce, 
au  sens  le  plus  large,  deux  consonnes  consécutives?  ou  bien, 
dans  un  sens  beaucoup  plus  restreint ,  la  même  consonne  re- 
doublée? Je  défends  la  première  interprétation,  qui  contient  la 
seconde,  puisque  les  consonnes  redoublées  sont  consécutives; 
M.  Guessard  soutient  ta  seconde,  qui  exclut  la  première.  L'un 
de  nous  fait  un  contre-sens,  mais  lequel  des  deux? 

Avant  tout ,  je  dois  reconnaître  à  M.  Guessard  un  merveil- 
leux talent  pour  embrouiller  les  questions  les  plus  nettes,  dis- 
simuler les  parties  d'un  texte  qui  lui  nuisent,  et  mettre  en 
relief,  au  contraire,  celles  qui  paraissent  le  servir.  Au  nom 
de  la  logique,  il  assemble  d'épais  nuages;  et  puis,  quand  tout 
est  noir  partout,  quand  on  n'y  voit  plus  goutte,  il  s'écrie,  du 
ton  le  plus  naturel  et  le  plus  persuadé  :  Est-ce  clair?... 
Est-ce  encore  clair?. . .  Le  pauvre  lecteur  serait  bien  tenté 
de  lui  répondre  :  Ma  foi ,  non  !  Mais  tant  d'assurance  inti- 
mide; on  se  dit  :  Apparemment  que  c'est  bien  clair  pour  les 
gens  au  fait  de  la  matière.  Allons  ,  accordons-lui  ce  point,  et 
suivons.  Ou  avance,  et  il  vous  conduit  de  l'analogie  dans 
l'amphibologie,  de  Tamphibologie  dans  la  battologie,  de  la 
battologie  dans  la  tautologie  et  la  macrologie  :  de  la  macro- 
logie  à  la  périssologie  il  n'y  a  qu'un  pas;  la  périssologie 
mène  infailliblement  à  l'acyrologie,  qui  produit  la  cacologie, 
d'où  vous  tombez  dans  la  céphalalgie,  et  de  la  céphalalgie  dans 
un  profond  sommeil,  pendant  lequel  M.  Guessard  chante 
victoire  tont  à  son  aise  ! 


YoyoDS  toutefois  qui  sera  le  plus  habile ,  lui  à  condeoser 
le  brouillard  ,  ou  moi  à  le  dissiper. 

J*ai  aussi  la  prétention  de  m*appuyer  sur  la  logique  pour 
déterminer  le  sens  de  Texpression  geminata  consananx.  Le 
passage  où  elle  se  trouve  est  complété,  éclaire!  Jusqu'à  Tévi- 
dence  par  un  autre  passage  voisin  du  premier.  Il  parait  que 
M.  Guessard  n'avait  pas  aperçu  ce  second  passage.  Je  le  lui 
ai  mis  sous  les  yeux  dans  ma  réponse,  et  pour  cette  fois  /ose 
affirmer  qu*il  Ta  très- bien  vu  et  en  a  compris  la  portée;  car 
sa  réplique  n'en  souffle  mot.  Il  bat  la  campagne  à  côté.  Puis- 
que cette  partie  de  mon  argumentation  l'embarrasse ,  Je  vais 
la  reprendre. 

C'est  à  la  page  9  que  Th.  de  Bèze  explique  Teuphonle  du 
parler  français,  par  l'attention  de  ne  prononcer  nullatÊi  gémi- 
fiaiam  consonaniem. 

A  la  page  lo,  il  revient  sur  ce  caractère  général  de  notre 
langue  (i). 

«  La  prononciation  des  Français,  mobile  et  rapide  comme 
«  leur  génie,  ne  se  heurte  jamais  an  concours  des  consonnes, 
«  ni  ne  s'attarde  guère  sur  des  voyelles  longues.  Une  consonne 
«  finit-elle  un  mot  ?  elle  se  lie  à  la  voyelle  initiale  du  mot 
«  suivant ,  si  bien  qu  une  phrase  entière  glisse  comme  un  mot 
«  unique.  » 

Ces  deux  passages  évidemment  se  rapportent  à  la  même 
idée,  et  renferment  le  vrai  sens  de  geminata  consonans.  Il 
s'agit  de  les  expliquer  en  les  conciliant. 

J'ai  fait  observer  que  les  consonnes  Jumelles  sont  très-cou- 
lantes ,  et  sont  toujours  placées  au  cœur  des  mots.  J*al  de- 
mandé comment  Textinction  de  ces  Jumelles  pouvait  favoriser 
la  liaison  d'un  mot  à  un  autre. 


(i)  Francorum  enim  ut  ingénia  valde  mobilia  sunt ,  ita  (pioque  pro- 
nuntiatio  celerrima  est,  niillo  consonantium  concursu  eonfragosa ,  pau- 
cistimis  longis  syllabis  retardata....  coiisonantibus  (si  dictionem  aliquan 
termioarint)  sic  coherenlibus  cum  proxiaiis  vocibus  a  focali  iocipieiiti- 
bus,  ut  intégra  interdum  senlentia  haud  secus  quam  si  unieum  usêt  ' 
hutum  ef/eratur,  (De  recta  Linguœ  francicœ  pronunt,) 


—  439  — 

Aq  contraire,  que  les  consonnes  consécutives,  antres  que 
janielles,  sont  très-dures,  munissent  ordinairement  les  extré- 
mités des  mots,  et,  si  on  les  veut  articuler  toutes,  hérissent  la 
phrase  d*aspérités ,  et  fout  un  obstacle  considérable  à  la  liai- 
son de  ses  éléments. 

M,  Guessard  veut  qu'il  ne  soit  question  que  des  consonnes 
jumelles.  Je  Tai  prié  d'accorder  sou  interprétation  avec  le 
texte  complet  i  de  m'aplanir  ces  difficultés.  Il  garde  le  si- 
lence. 

Examinons ,  ai-Je  dit  ensuite ,  la  logique  des  idées  de  Bèze, 
et  leur  enchaînement,  en  prenant  le  sens  de  mon  adversaire  : 
le  français  est  si  antipathique  à  toute  rudesse  de  prononcia- 
tion ,  qu'il  n'articule  jamais  les  consonnes  jumelles  (  gui  sotU 
trèS'douces  );  mais  il  a  grand  soin  d'articuler  les  autres  con- 
sécutives, comme  st,  sp  { qui  sont  très-rudes)'^  d*où  il  ré** 
suite  que  la  prononciation  des  Français  est  pleine  de  mollesse, 
et  que  dans  leur  bouche  une  phrase  entière  glisse  comme  un 
seul  mot. 

Profond  silence  de  M.  Guessard. 

Il  se  contente  de  dire,  en  termes  vagues  :  c  M.  Génin  sue 
«  sang  et  eau  à  défendre  un  contre-sens.  »  (Page  367.)  Non  , 
je  ne  sue  ni  sang  ni  eau  ;  je  cite  en  entier  un  texte  que  vous 
aviez  tronqué.  Je  vous  dis  d'un  grand  sang-froid  que  votre 
sens  mène  à  fabsurde.  Que  me  répondez-vous? 

Au  lieu  de  me  répondre ,  il  cherche  à  opérer  une  diversion, 
et  À  me  faire  paraître  dans  la  position  fâcheuse  où  lui-même 
se  sent  arrêté.  Voici  comme  il  s'y  prend  :  il  va  chercher  un 
passage  où  Bèze  avertit  que  et,  à  l'intérieur  des  mots,  se  pro- 
nonce entièrement.  Ce  sont  là ,  dit  M.  Guessard ,  des  conson- 
nes consécutives,  ou  jamais  ;  donc  elles  n'étaient  pas  muettes. 
^  «  Voilà  cet  illustre  savant,  qui  pose  une  règle ,  qui  en  ex- 
a  cepte  quatre  cas,  ni  plus  ni  moins,  et  qui ,  vingt  pages  plus 
«loin  ,  dans  un  petit  livre  de  quarante-deux  feuillets  seule- 
oment,  oublie  sa  règle  et  ses  quatre  exceptions,  pour  se 
a  contredire  lui-môme,  en  m'apprenant  que  et  se  prononce  eo- 
«  tièrement! ....  Mais  alors  votre  illustre  savant  n'est  plus 
«  qu'un  illustre  radoteur,  ou  bien  c'est  vous  qui  ne  Tavex  pas 


—  440  — 

«  compris,  et  quf  me  le  rendez  tel.  Il  n*y  a  pas  de  mllicQ  eolre 
«  ces  deux  propositions ,  et  le  choix  n*est  pas  doateax.  Sorta 
«  de  là  :  je  vous  en  dbfib  besolumeitt  1 . . . .  >(Page  858.) 

M.  Guessai'd  prend  toujours  des  tons  incroyables  poar  les 
choses  les  plus  simples  du  monde  :  Je  vous  endêfie  ré$olûmeid! 
On  dirait  un  paladin  de  Charlemagne  !  Résolémeni  est  sn- 
perbe  î  Gomment  n*étre  pas  convaincu  par  résolûmeni? 

Oui ,  Bèze  remarque  que  b  se  prononce  dans  absent,  ob" 
sèques ,  objet  ;  que  et  sonne  pleinement  dans  acte ,  acft/i 
affeetion^  détracteur;  que  st,  sp  se  prononcent  qodqnefois 
en  double ,  et  plus  souvent  en  simple.  Et  puis ,  vous  prâendei 
que  c'est  là  un  argument  en  votre  faveur  ?  Vous  n'y  songa 
pas.  Quelle  est  la  règle  générale,  selon  vous  ?  Que  les  eonsé- 
cutives  ne  s'éteignaient  jamais.  Alors  pourquoi  Bè»  relève- 
t-il  des  mots  où  elles  ne  s'éteignent  pas  ?  Qu'y  a-t-il  lÀ  d'ex- 
traordinaire ?  Nous  sommes  dans  la  règle.  Ah  I  si  la  règle  était 
ce  que  j'ai  dit ,  de  ne  prononcer  pas  les  consonnes  consécu- 
tives ,  la  remarque  de  Bèze  serait  toute  naturelle  ;  mais  id , 
ce  qu'il  aurait  fallu  signaler ,  au  contraire  »  ce  seraient  des 
mots  où  ces  consécutives  non  jumelles  se  seraient  éteintes , 
car  c'est  seulement  alors  que  votre  règle  eût  été  violée- 

Voilà  votre  thèse ,  et  voici  la  mienne ,  dans  laquelle  je  ré- 
sume et  concilie  tout  ce  qu'a  dit  Th.  de  Bèze. 

Il  est  de  règle,  pour  obtenir  une  prononciation  molle  et 
coulante,  de  ne  point  faire  sentir  deux  consonnes  consécu- 
tives. 

Noos  en  exceptons  quatre  cas  de  consonnes  jumelles  ;  ei,à 
l'intérieur  des  mots,  et  quelques  autres,  comme  le  b  dans 
absent ,  objet,  obsèques. 

Toute  l'argumentation  diffuse  de  M.  Guessard  repose  sur 
ce  que  Bèze  n'a  jwint  réuni  sous  sa  règle  tous  les  cas  d'excep- 
tion ,  et  n'a  mentionné  d'abord  que  les  jumelles.  Bèze  ne  peut 
avoir  signalé  plus  loin  d'autres  exceptions ,  ou  bien  il  se  serait 
rendu  coupable  d*oubli  de  ses  propres  paroles,  de  contradic- 
tion ,  de  radotage.  Mais  les  gros  mots  ne  prouvent  rien ,  et 
nous  avons  déjà  vu  que  le  fort  de  M.  Guessard  est  de  poser  des 
alternatives  qui  n'en  sont  pas,  des  dilemmes  ouverts  de  toutes 


—  441  — 

parts.  C'est  alors  que,  dans  la  Joie  de  son  cœur ,  il  s'écrie: 
Sortez  de  làjje  vous  en  défie  résolument! 

Je  Tal  dit  et  redit  à  satiété  :  au  xvi^  siècle ,  la  tradition  du 
langage  primitif  est  considérablement  altérée  :  on  n*y  peut 
plus  recueillir  que  des  vestiges  et  des  débris.  On  avait  oublié 
les  anciennes  règles  du  xii^  siècle.  Les  vieux  mots  restaient 
8008^  l'empire  du  vieil  usage  ;  mais  les  roots  nouveaux ,  qui 
s'introduisaient  en  foule,  entraient  avec  la  marque  de  Tusage 
nouveau.  Les  grammairiens  se  transmettaient  encore  l'ancienne 
règle  ;  mais  ils  étaient  obligés  d*y  signaler  des  exceptions  à  cha- 
que pas.  Leur  procédé,  à  cet  égard ,  est  empirique.  Tel  mot  se 
dit  ainsi.  —  Pourquoi  ?  —  Il  se  dit  ainsi  ;  n*en  demandez  pas 
davantage.  —  Mais  cela  semble  contredire  une  règle  que  vous 
Tenez  de  poser.  —  Que  voulez-vous  que  je  vous  dise  ?  Je  suis  le 
greffier  de  l'usage. 

En  voici  un  pourtant  qui  a  mis  un  pied  hors  de  ce  cercle 
étroit;  c*est  Jacques  Dul)ois(d'Amiens),qiii,  sous  le  nomdeSyl- 
vius,  imprimait  sa  Grammaire  chez  Robert  Estienne  en  1581. 
Il  avertit  que  «  s  devant  t  et  quelques  autres  consonnes  se  pro- 
«  nonce  rarement  en  plein  dans  le  corps  des  mots  ;  on  l'obscurcit 
«ou  la  supprime,  pour  la  rapidité  du  langage.»  Et,  tout  de 
suite ,  il  cite  des  mots  exceptionnels  où  st  sonne  en  plein  : 
domestique,  fantastique  y  organiste  j  évangéliste  ,  etc.; 
«  probablement,  ajoute- t-il,  parce  que  ces  mots  ont  été  depuis 
«  peu  puisés  par  les  doctes  aux  sources  grecques  et  latines  (i).  » 


(x)  «  s  anle  t  et  alias  quasdam  consooantes  in  média  dictîone  raro  ad 
plénum  sed  tantum  teniiiter  sonamiis ,  et  pronuntiando  vel  elidimus  Tel 
obscuramusy  ad  sermonix  brevitatem . . . .  Quem  (sibilum)  io  quibiisdam 
perfecte  cum  Gnecis  et  Latinis  senramus ,  ut  domestique ,  phanttutique , 
seluUastique , . . .  etc.,  forte  quod  han:  haud  ita  pridem  a  doctis  io  usum 
Oallonim  ex  fonte  vel  gneco  vel  latino  invecta  sunl.  »  (Sylvius,  p.  7.) 

Pendant  que  je  tiens  Sylvius,  je  ne  le  laisserai  point  aller  sans  en  tirer 
un  autre  témoiguage.  J'ai  mis  en  principe  que  la  consonne  finale  d*un  mot 
était  muette,  et  se  réservait  à  sonner  sur  la  voyelle  initiale  du  root  suivant. 
(Des  Var.,  p.  41.)  C'était  la  conséquence  rigoureuse  de  la  règle  des  con- 
sonnes consécutives.  M.  Guessard ,  qui  a  nié  It  première  règle ,  nie  égale- 


—  432  — 

Mon  critique  Taflflrine  de  sa  propre  autorité,  tl  croit  y  en  n'é- 
tant Tii.  deBèze»  m*a voir  enlevé  toute  ressource,  m'avoir 
ruiné,  mis  à  sec.  Erreur  ! 

<i  Depuis  ia  publication  de  mon  livre ,  il  m'est  venu  entre 
les  mains  plusieurs  ouvrages  rares,  que  Je  n'avais  pu  consul- 
ter plus  t6t.  De  ce  nombre  est  la  grammaire  de  Jean  Pals- 
grave  ^  l'aînée  de  toutes  les  grammaires  françaises.  Ce  Jean 
Palsgrave  était  Anglais  de  naissance,  mais  il  avait  longtemps 
vécu  à  Paris ,  où  il  avait  même  pris  ses  degrés.  Chargé,  com- 
me le  plus  habile  de  son  temps,  d'enseigner  le  français  à 
la  sœur  de  Henri  VIII,  veuve  de  Louis  XII,  remariée  au 
duc  de  Norfolck ,  il  composa  sa  grammaire  sur  le  plan  de 
la  grammaire  du  célèbre  Théodore  de  Gaza.  Ce  livre ,  qui  n'a 
pas  moins  de  900  pages  in-folio,  est  rédigé  en  anglais,  avec 
un  titre  en  français  et  une  dédicace  à  Henri  VIII  (Londres, 
1530);  il  est  doublement  précieux  par  le  savoir  exact  et  mi- 
nutieux de  l'auteur,  et  par  ral)ondance  des  exemples,  toujours 
puisés  dans  les  meilleurs  écrivains,  Jean  Lemaire  ,  Alain 
Cbartier,  l'évéque  d'Angouléme,  etc. ,  etc.  Palsgrave  délnite 
par  un  Traité  fort  détaillé  de  la  prononciation  :  or  voici  ce 
quej*y  ai  lu,  je  le  confesse,  avec  la  vive  satisfaction  d'un 
homme  qui,  ayant  deviné  une  énigme  difficile,  s'assure,  par 
|e  numéro  suivant  de  son  journal,  qu'il  avait  rencontré  juste. 

«  Les  Français,  dans  leur  prononciation,  s'appliquent  à  trois 
«  choses  qu'ils  recherchent  principalement  :  1^  l'harmonie  du 
«  langage  ;  2°  la  brièveté  et  la  rapidité  en  articulant  leurs 
«  mots  ;  3°  enfin ,  de  donner  à  chaque  mot  sur  lequel  ils  ap- 
«  puicnt  son  articulation  ia  plus  distincte. 

(Ici  un  long  développement  du  premier  point.} 

-  Maintenant,  sur  le  second  point,  qui  est  la  brièveté  et  la 
«  rapidité  du  discours,  quel  que  soit  le  nombre  des  consonnes 
«  écrites  pour  garder  la  véritable  orthographe ,  ils  tiennent 
«  tant  à  faire  ouïr  toutes  leurs  voyelles  et  leurs  diphthon- 
«  gués,  que,  entre  deu<€  voyelles  (soit  réunies  dans  un  même 
«mot,  soit  partagées  entre  deux  mots  qui  se  suivent),  ils 
«  n'articulent  jamais  qu'une  consonne  à  la  fois;  en  sorte  que 


—  433  — 

m  si  deux  consonnes  différentes ,  c^esM-direy  n'i^tant  pas 
«  TOUTES  DBUX  DB  M^MB  I9ATUBB ,  se  rencontrent  >entre  deux 
«  voyelleSy  ils  laissent  toujours  la  première  inarticulée  (i).  • 
«  Y  a-t-il  rien  de  plas  positif?  Comprenez- vous  bien  qu'il 
est  question  là  des  consonnes  consécutives  en  général,  et  non 
des  Jumelles  en  particulier?  Nat  beyng  both  of  one  sorte  ? 
Comprenez-vous  enfin  ce  que  c'est  que  la  geminata  conso- 
«ans  de  Th.  de  Bèze  (2)?  Comprenez- vous  que  cette  règle  a 
existé,  que  Je  ne  l'ai  pas  tirée  de  mon  imagination? Cette 
règle  impossible,  monstrueuse,  absurde,  sur  laquelle  vous 
demandez  qu'on  Juge  tout  mon  livre;  cette  règle  que  j'avais 
posée  pour  le  douzième  siècle,  la  voilà  encore  dans  un  grammai- 
rien du  commencement  du  seizième^  antérieur  de  soixante- 
quatre  ans  à  Th.  de  Bèze!  En  vérité,  quand  J'aurais  chargé 
06  bonhomme  Jean  Palsgrave  de  plaider  ma  cause,  il  u'eàt 
pu  s'en  acquitter  mieux.  Il  a  deviné,  trois  siècles  d'avance ,  la 
chicane  que  me  fait  aujourd'hui  l'École  des  chartes ,  et  s'est 
donné  la  peine  d'y  répondre  de  manière  à  ne  laisser  aucune 
ressource  à  la  mauvaise  foi  la  plus  subtile.  Je  mets  son  véné- 


(i)  Tbe  Frenche  men  in  theyr  pronunciatiou  do  cbefly  i*egard  and 
eover  thre  ibynges  :  to  be  armoiiioiis  in  theyr  speliyng  ;  to  be  brefe  and 
sodayne  in  sounding  of  theyr  wordes,  avoyding  ail  luaner  of  harsbnesseia 
theyr  pronunciation  ;  and  thirdly,  to  gyve  every  worde  tbat  they  abyde 
Mid  reste  upon  theyr  most  audible  sounde 

And  now  touching  ihe  second  point  whiche  i$  to  be  brefe,  e/c. ..  what 
eomonantes  soever  they  write  in  any  worde  for  the  l^epyiigoftrewe  ortho- 
graphie, yet  so  moche  covyt  they  in  reding  or  apekyng  to  hâve  aU  theyr 
▼owelles  and  diphthongues  clerly  herde,  Ihat  betweene  two  vowellts 
(whether  they  chaunce  in  one  worde  alone,  or  as  one  worde  fortuneth  to 
Iblowe  after  an  other),  they  never  sounde  but  one  consonant  at  ones,  in 
so  moche  tbat  if  two  différent  consonantes,  ihat  is  to  say,  ira/  le^ng^  both 
oj  one  sorte  corne  togelher  betweene  two  vowelles,  they  levefirst  ofthem 
wuounded.  Palsgratk.  Introd,  (non  paginée). 

(a)  Pour  peu  que  mon  critique  eât  été  de  bonne  foi ,  aurait-il  pu  s'y 
tromper  en  lisant  ce  que  Bèze  écrit  dix  lignes  plus  loin  de  la  prononcia- 
tion des  Français,  qu'elle  est  mullo  consostantiuk  concursu  coitfragosa? 
D'où  vient  que  ce  leile  que  j'avais  traduit ,  il  a  pris  soin  dans  sa  citation 
de  récarter  ? 

a8 


—  434  — 

rable  texte  aa  bfti  de  la  page,  afin  que  monaieiir  le  ehar- 
trîer ,  grand  éplucheur  de  textes,  puine  s'assurer  si  Je  n'y  ai 
pas  fait  quelque  ÎDcroyable  contre-seus,  et  si  Je  n*ai  pas«  ea- 
core  cette  fois,  pris  le  contre- pied  de  la  pensée ,  comme  il  dé- 
clare que  c'est  ma  coutume  habituelle. 

«  Qu'il  vienne  à  présent  m'alléguer  qu'à  la  fin  du  seiiiènw 
siècle  on  articulait,  dans  certains  roots ,  les  consonnes  con* 
sécutives  :  que  me  fait  cela?  ce  n'est  point  mon  affaire;  ou  plu- 
tôt, si  vraiment  ce  l'est,  puisque  j*ai  dit  que  leseiiième  siècle 
avait  perdu  la  tradition  de  Tancien  langage.  Il  ya  chercher 
dans  Pierre  Fabri  ou  Lefebvre  une  phrase  dont  il  prétend 
m'aecabler,  en  prouvant  que,  dès  1534,  on  prononçait  des 
consonnes  consécutives.  —  «  Il  est,  dit  Fabri,  un  barbare  de 
rude  langage  à  ouïr,  qui  s'appelle  Cacephaion  ou  Clipsis  (i), 
comme  gros^  gris,  gras^  grant  et  croc^  eric^  erac;  et  évangé- 
listes,  stalle,  stille.,,  »  Premièrement,  il  s'agit  là  d*un  assem- 
blage cherché  de  cousonnances  étranges  ;  et  ensuite  Fabri 
lui-même  déclare  ce  langage  barbare;  donc  ce  n'est  pas  le  lan- 
gage  ordinaire.  Les  vieux  grammairiens  rangent  ce  Cacepha- 
ion parmi  les  figures  de  mots  :  quel  rapport  d'un  trope  ridi- 
cule avec  la  prononciation?  G*est  bien  de  rérudition  perdue. 

—  «Après  avoir  cité  une  règle  qui  n'a  jamais  existé,  Tau- 
«  teur  en  cite  une  autre  qui  n'a  aucun  rapport  à  la  question.  En 
1  effet,  il  s'agit  de  prouver  qu'on  n'a  jamais  prononcé  deux 
«consonnes  de  suite;  et  M.  Génin  s'évertue  à  établir  qu'au 
«  seizième  siècle  on  n'en  prononçait  pas  trois ,  ce  qui  serait 
■  encore  contestable.  » 

«  Il  s'agit  de  prouver  qu'on  ne  prononçait  pas  les  consonnes 
consécutives;  et  après  avoir  montré  qu'on  n'en  prononçait  pas 
deux ,  je  montre  qu'on  n'en  prononçait  pas  trois.  Si  nous 
avions  des  groupes  de  quatre  et  de  cinq  consonnes ,  j'aurais 
eu  à  les  examinera  leur  tour.  C'est  être,  assurément,  dans 
la  question  ;  et  il  faut  tout  le  parti  pris  de  mon  critique  pour 
déclarer  que  cela  n'y  a  nul  rapport. 

ftÇà;  mattre  Jehan  Palsgrave,  avancez  de  nouveau;  car 

(i)  Apparemment  il  faut  lire  F.clipsis,  Je  cite  d'après  mon  tdvenaire. 


-  436  — 

e'est  vous,  aufsi  bien  que  moi,  qui  êtes  en  cause,  tous  qui, 
après  avoir  parié  des  doubles  consonnes  consécutives ,  avess 
aussi  battu  la  campagne  en  parlant  tout  de  suite  des  triples 
consonnes.  Cette  coïncidence  est  vraiment  merveilleuse  1  mais 
la  découverte  si  à  propos  de  ce  volume  ne  l'est  pas  moins.  0 
bon  Paisgrave,  sans  vous  j'étais  perdu!  FÉcole  des  cliartes 
me  foudroyait  1...  Je  reprends  la  citation  au  dernier  mot  où 
je  l'ai  laissée  :  —  «  Et  si  trois  consonnes  sont  rassemblées , 
«ils  (les  Français)  en  laissent  toujours  les  deux  premières 
«inarticulées,  ne  faisant,  je  le  répète,  aucune  différence  si 
«  ces  consonnes  sont  ainsi  groupées  toutes  dans  un  seul  mot, 
«  ou  réparties  entre  des  mots  qui  se  suivent  ;  car  souvent  leurs 
«roots  se  terminent  par  deux  consonnes ,  à  cause  du  retran- 
«chement  de  la  dernière  voyelle  du  mot  latin  :  par  exemple, 
«  eorpit^  temps ^  etc.  (i).  • 

«  Paisgrave  ajoute  que  cette  distinction  entre  les  consonnes 
purement  étymologiques  qu'on  éteint  et  celles  qu'on  doit  faire 
sonner,  est  la  grande  difficulté  pour  les  Anglais  :  hcUh  semed 
unio  us  ofour  nation  a  thyng  ofso  great  difficuliy. 

«  Monsieur  mon  contradicteur  trouve-t-ii  encore  contestable 
cette  proposition,  qu'on  ne  prononçait,  pas  trois  consonnes 
consécutives? 

«  Quant  à  n'en  prononcer  qu'une  sur  deux,  admettra-t-Û 
enfin  cette  monstruosité,  qui  lui  a  mis  l'esprit  à  la  torture? 
«Je  me  suis  mis  l'esprit  à  la  torture  pour  m'expliquer  com- 
«  ment  Th.  de  Bèze  avait  pu  écrire  une  pareille  règle,  et  en 
«quel  sens  il  fallait  Tentendre;  car,  de  la  prendre  à  la  lettre, 
•je  n'en  voyais  pas  le  moyen  !  »  J'espère  qu'il  en  voit  le 
moyen  à  cette  heure?  En  général  ,  il  répète  souvent  :  Je  ne 
puis  m'imagincTy  je  ne  puis  comprendre;  il  prend  cela  pour 
un  argument  irrésistible  ! 

(i)  Aod  if  the  tbre  consonantes  corne  together,  they  eTer  levé  two  of  the 
&ni  unsounded,  pulting  bere,  as  I  bave  saiJ ,  no  différence  whether  tbe 
consooaûles  thus  corne  together  in  one  woide  aloue ,  or  the  wordes  do 
folowe  one  anotber  ;  for  many  (y mes  theyr  wordes  eude  in  two  consonantes, 
bycause  they  take  awaye  the  last  vowell  of  the  latine  tong ,  as  corps,  temps, 

ÎD,,  ièid, 
i8. 


«  Vollà^comment  ce  fort  Samson  fait  fléchir  les  elefe  de 
voûte.  Je  le  prie  de  recevoir  mes  remerclments  :  on  principe 
fondamental ,  qui  pour  moi  n*était  pas  doateax,  mais  qui  peut- 
être  pouvait  le  sembler  à  d'autres ,  croyant  le  renverser,  Il 
m'a  fourni  Toccasion  d'y  revenir,  et  de  le  mettre, J*espère, 
au-dessus  de  toute  contestation. 

«  De  toutes  les  prétentions,  la  plus' folle  serait  celle  de  plaire 
à  tout  le  monde.  ;Je  ne  vise  pas  si  haut  :  je  me  contente  de 
l'assentiment  des  meiWeurs  }uges  ^principibus placuisse  viris. 
S'agit-il  de  l'érudition?  Quels  noms  plus  imposants  que 
ceux  de  MM.  Victor  le  Clerc ,  Naudet ,  Littré ,  Augustin 
Thierry  ?  Parlez-vous  de  cet  heureux  instinct ,  de  ce  génie  de 
la  langue  qui  éclate  si  vivement  dans  la  Fontaine  et  dans 
Molière?  Où  le  trouver  plus  complet  et  plus  profond  que  dans 
notre  Béranger  ?  Quels  plus  illustres  suffrages  serait-il  pos- 
sible d'ambitionner?  Et  quand  on  les  a  réunis,  est-on  bien 
à  plaindre  d'avoir  manqué  celui  de  M.  Guessard  ? 

Et  qu^importe  à  mes  vers  que  Perrault  les  tdmire?» 


Telle  fut  en  abrégé  ma  réponse  au  premier  article  de 
M.  Guessard  ;  voici  maintenant  ma  réponse  au  second  : 

Le  procès  continue  sur  la  geminata  consonans  de  Th.  de 
Bèze.  Je  suis  obligé  de  défendre  jusqu*au  bout  ma  traduction, 
puisque  M.  Guessard  fait  dépendre  de  ce  mot  Testirae  de  tout 
mon  ouvrage ,  et  que  j'ai  accepté  son  défi.  Au  surplus,  je 
vous  dirai,  en  passant,  que  M.  Guessard  n'a  pas  son  pareil 
pour  trouver  de  ces  alternatives.  Son  esprit  net  et  concis  aime 
à  réduire  toutes  les  questions  à  deux  termes.  Vous  en  verrez 
plus  d'un  exemple  dans  cette  réponse.  J'avais,  dans  la  première, 
cru  tirer  autorité  de  quelques  suffrages  imposants,  tels  que 
ceux  de  MM.  Augustin  Thierry,  Victor  le  Clerc,  Naudet ,  Lit- 
tré, Béranger;  mais  me  voilà  bien  loin  de  compte I  M.  Gues- 
sard exige,  pourse  rendre,  «  un  arrêt  en  bonne  forme,»  signé  de 
ces  messieurs  ;  il  dresse,  le  plus  sérieusement  du  monde,  un  fo^ 
mulaire  en  trois  articles,  dont  le  dernier  doit  attester  «  qu'«n« 


—  4S7  — 

ieule  des  assertions  de  mon  livre  est  restée  debout ,  après 
Texamen  que  M.  Guessard  en  a  fait.  »  J*irai  présenter  ce  for- 
molaire  à  la  signature  des  illustres  juges  par  moi  invoqués; 
et  si  je  ne  le  rapporte  à  M.  Guessard ,  revêtu  de  toutes  les 
formalités  authentiques,  je  suis  déclaré  vaincu  aux  yeux  da 
monde  savant  (  page  362  ). 

M.  Guessard  a  bonne  opinion  des  effets  de  sa  dialectique; 
mais  on  ne  voit  pas  où  il  prend  le  droit  d'exiger  des  certifi- 
cats de  ses  erreurs.  S'il  n'y  veut  pas  croire  à  moins ,  d'autres 
ne  seront  pas  si  difQciles.  Ne  nous  dérangeons  pas,  et  ne  dé- 
rangeons personne,  pour  si  peu. 

Geminata  consonans^  voilà  donc  la  grande  énigme.  Estce, 
nu  sens  le  plus  large,  deux  consonnes  consécutives?  ou  bien, 
dans  un  sens  beaucoup  plus  restreint ,  la  même  consonne  re- 
doublée? Je  défends  la  première  interprétation,  qui  contient  la 
seconde,  puisque  les  consonnes  redoublées  sont  consécutiyes; 
M.  Guessard  soutient  la  seconde,  qui  exclut  la  première.  L'un 
de  nous  fait  un  contre-sens,  mais  lequel  des  deux? 

Avant  tout ,  je  dois  reconnaître  à  M.  Guessard  un  merveil- 
leux talent  pour  embrouiller  les  questions  les  plus  nettes,  dis- 
simuler les  parties  d'un  texte  qui  lui  nuisent,  et  mettre  en 
relief,  au  contraire,  celles  qui  paraissent  le  servir.  Au  nom 
de  la  logique,  il  assemble  d'épais  nuages;  et  puis,  quand  tout 
est  noir  partout,  quand  on  n*y  voit  plus  goutte,  il  s'écrie,  du 
ton  le  plus  naturel  et  le  plus  persuadé  :  Est-ce  clair?... 
Est-ce  encore  clair?. . .  Le  pauvre  lecteur  serait  bien  tenté 
de  lui  répondre  :  Ma  foi ,  non  !  Mais  tant  d'assurance  inti- 
mide; on  se  dit  :  Apparemment  que  c'est  bien  clair  pour  les 
gens  au  fait  de  la  matière.  Allons ,  accordons-lui  ce  point,  et 
suivons.  On  avance,  et  il  vous  conduit  de  l'analogie  dans 
l'amphibologie,  de  Tamphibologie  dans  la  battologie,  de  la 
battologie  dans  la  tautologie  et  la  macrologie  :  de  la  macro- 
logie  à  la  périssologie  il  n'y  a  qu*un  pas;  la  périssologle 
mène  infailliblement  à  l'acyrologie,  qui  produit  la  cacologie, 
d'où  vous  tombez  dans  la  céphalalgie,  et  de  la  céphalalgie  dans 
un  profond  sommeil,  pendant  lequel  M.  Guessard  chante 
victoire  tout  à  son  aise  ! 


—  438  — 

Voyons  toutefois  qui  sera  le  plus  habile ,  lui  à  condenser 
le  brouillard ,  ou  moi  à  le  dissiper. 

J'ai  aussi  la  prétention  de  m*appuyer  sur  la  logique  pour 
déterminer  le  sens  de  Texpression  geminata  consanans.  Le 
passage  où  elle  se  trouve  est  complété,  éclairci  jusqu'à  l'évi- 
dence par  un  autre  passage  voisin  du  premier.  Il  parait  que 
M.  Guessard  n'avait  pas  aperçu  ce  second  passage.  Je  le  lui 
ai  mis  sous  les  yeux  dans  ma  réponse,  et  pour  cette  fois  j*08e 
affirmer  qu'il  Ta  très- bien  vu  et  en  a  compris  la  portée;  car 
aa  réplique  n'en  souffle  mot.  Il  bat  la  campagne  à  côté.  Puis- 
que cette  partie  de  mon  argumentation  l'embarrasse ,  Je  vais 
la  reprendre. 

C'est  à  la  page  9  que  Th.  de  Bèze  explique  l'euphonie  du 
parler  français,  par  l'attention  de  ne  prononcer  nullam  gtmi- 
natam  consonanlem. 

A  la  page  10,  il  revient  sur  ce  caractère  général  de  notre 
langue  (i). 

«  La  prononciation  des  Français,  mobile  et  rapide  comme 
«  leur  génie,  ne  se  heurte  Jamais  an  concours  des  consonnes, 
«  ni  ne  s'attarde  guère  sur  des  voyelles  longues.  Une  consonne 
«  finit-elle  un  mot  ?  elle  se  lie  à  la  voyelle  initiale  du  mot 
«  suivant ,  si  bien  qu'une  phrase  entière  glisse  comme  un  mot 
«  unique.  » 

Ces  deux  passages  évidemment  se  rapportent  à  la  même 
idée,  et  renferment  le  vrai  sens  de  geminata  consanans.  U 
s'agit  de  les  expliquer  en  les  conciliant. 

J'ai  fait  observer  que  les  consonnes  Jumelles  sont  très-cou- 
lantes ,  et  sont  toujours  placées  au  cœur  des  mots.  J'ai  de- 
mandé comment  l'extinction  de  ces  jumelles  pouvait  favoriser 
la  liaison  d'un  mot  à  un  autre. 


(i)  Francorum  enim  ut  ingénia  valde  mobilia  sunt ,  ita  quoque  pro- 
nuntiatio  celerrima  est,  nitilo  consonantium  concursu  eonfragosa,  pau- 
cisaimis  longis  syllabis  reUrdata....  coiisonantibus  (si  dictionem  aliquam 
terminarint)  sic  colisrentibus  cum  proximis  vocibus  a  Tocaii  indpienti- 
bus,  ut  intégra  interdum  sententia  haud  secus  quant  si  unicum  esset  vocth 
bulum  efferatur,  (De  recta  lÀnguœ  francicœ  pronunt,) 


—  439  — 

Aa  contraire  9  que  les  consonnes  consécutives,  autres  que 
jumelles,  sont  très-dures,  munissent  ordinairement  les  extré* 
mités  des  mots,  et,  si  on  les  veut  articuler  toutes,  hérissent  la 
phrase  d*aspérités ,  et  fout  un  obstacle  considérable  à  la  liai- 
son de  ses  éléments. 

M,  Guessard  veut  qu*ii  ne  soit  question  que  des  consonnes 
Jumelles.  Je  Tai  prié  d'accorder  son  interprétation  avec  le 
texte  complet ,  de  m'apianir  ces  difilcultés.  Il  garde  le  si- 
lence. 

Examinons ,  ai-Je  dit  ensuite ,  la  logique  des  idées  de  Bèze» 
et  leur  enchaînement,  en  prenant  le  sens  de  mon  adversaire  : 
le  français  est  si  antipathique  à  toute  rudesse  de  prononcia* 
tion  ,  qu*il  n'articule  Jamais  les  consonnes  Jumelles  (  gui  sont 
irès^douces  )\  mais  il  a  grand  soin  d'articuler  les  autres  con^ 
sécutives,  comme  sty  sp  {  qui  sont  très-rudes  )',  d'où  il  ré^ 
suite  que  la  prononciation  des  Français  est  pleine  de  mollesse» 
et  que  dans  leur  bouche  une  phrase  entière  glisse  comme  un 
seul  mot. 

Profond  silence  de  M.  Guessard. 

Il  se  contente  de  dire,  en  termes  vagues  :  •  M.  Génin  sue 
«  sang  et  eau  à  défendre  un  contre-sens.  »  (Page  367.)  Non, 
je  ne  sue  ni  sang  ni  eau  ;  je  cite  en  entier  uo  texte  que  vous 
aviez  tronqué.  Je  vous  dis  d'un  grand  sang- froid  que  votre 
sens  mène  à  l'absurde.  Que  me  répondez-vous? 

Au  lieu  de  me  répondre,  il  cherche  à  opérer  une  diversion, 
et  à  me  faire  paraître  dans  la  position  fâcheuse  où  lui-même 
se  sent  arrêté.  Voici  comme  il  s'y  prend  :  il  va  chercher  un 
passage  où  Bèze  avertit  que  et,  à  l'intérieur  des  mots,  se  pro- 
nonce entièrement.  Ce  sont  là,  dit  M.  Guessard,  des  conson* 
nés  consécutives,  ou  Jamais  ;  donc  elles  n'étaient  pas  muettes. 
•—  «  Voilà  cet  illustre  savant,  qui  pose  une  règle ,  qui  en  ex- 
«cepte  quatre  cas,  ni  plus  ni  moins,  et  qui,  vingt  pages  plus 
«  loin  ,  dans  un  petit  livre  de  quarante- deux  feuillets  seule- 
f  ment,  oublie  sa  règle  et  ses  quatre  exceptions,  pour  se 
«  contredire  lui-même,  en  m'apprenant  que  et  se  prononce  en- 
«  tièrement  I ....  Mais  alors  votre  illustre  savant  n'est  plus 
«  qu'un  illustre  radoteur,  ou  bien  c'est  vous  qui  ne  l'avex  pas 


—  440  — 

«  compris,  et  quf  me  le  rendez  tel.  Il  n*y  a  pas  de  mllieii  entre 
«  ces  deux  propositions ,  et  le  choix  n'est  pas  douteux.  Sortes 
«  de  là  :  je  vous  en  défie  bésolumbnt  1 . . . .  >(Page  858.) 

M.  Guessard  prend  toujours  des  tons  incroyables  pour  les 
choses  les  plus  simples  du  monde  :  Je  vous  endêfie  résolument^ 
On  dirait  un  paladin  de  Charlemagne  1  Résoltlment  est  su- 
perbe î  Gomment  n'être  pas  convaincu  par  résolument? 

Oui ,  Bèze  remarque  que  h  se  prononce  dans  absent,  ofr- 
sèques ,  objet  ;  que  et  sonne  pleinement  dans  acte ,  actif, 
ajfeetion^  détracteur;  que  st,  sp  se  prononcent  quelquefois 
en  double ,  et  plus  souvent  en  simple.  Et  puis ,  vous  prétendez 
que  c'est  là  un  argument  en  votre  faveur  ?  Vous  n'y  songez 
pas.  Quelle  est  la  règle  générale,  selon  vous?  Que  les  consé* 
cutives  ne  s'éteignaient  jamais.  Alors  pourquoi  Bèze  relève- 
Ml  des  mots  où  elles  ne  s'éteignent  pas  ?  Qu'y  a-t-il  lÀ  d'ex* 
traordinaire  ?  Nous  sommes  dans  la  règle.  Ah  !  si  la  règle  était 
ce  que  j'ai  dit ,  de  ne  prononcer  pas  les  consonnes  consécu- 
tives ,  la  remarque  de  Bèze  serait  toute  naturelle  ;  mais  ici , 
ce  qu'il  aurait  fallu  signaler ,  au  contraire ,  ce  seraient  des 
mots  où  ces  consécutives  non  jumelles  se  seraient  éteintes, 
car  c'est  seulement  alors  que  votre  règle  eût  été  violée. 

Voilà  votre  thèse ,  et  voici  la  mienne ,  dans  laquelle  je  ré- 
sume et  concilie  tout  ce  qu'a  dit  Th.  de  Bèze. 

Il  est  de  règle,  pour  obtenir  une  prononciation  molle  et 
coulante,  de  ne  point  faire  sentir  deux  consonnes  consécu- 
tives. 

Nous  en  exceptons  quatre  cas  de  consonnes  jumelles  ;  et,à 
Vintérieur  des  mots,  et  quelques  autres,  comme  le  h  dans 
absent ,  objet,  obsèques. 

Toute  l'argumentation  diffuse  de  M.  Guessard  repose  sur 
ce  que  Bèze  n'a  point  réuni  sous  sa  règle  tous  les  cas  d'excep- 
tion ,  et  n'a  mentionné  d'abord  que  les  jumelles.  Bèze  ne  peut 
avoir  signalé  plus  loin  d^autres  exceptions ,  ou  bien  il  se  serait 
rendu  coupable  d'oubli  de  ses  propres  paroles ,  de  contradic- 
tion, de  radotage.  Mais  les  gros  mots  ne  prouvent  rien,  et 
nous  avons  déjà  vu  que  le  fort  de  M.  Guessard  est  de  poser  des 
alternatives  qui  n'en  sont  pas,  des  dilemmes  ouverts  de  toutes 


—  441  — 

parts.  C*est  alors  que,  dans  la  Joie  de  son  cœur,  il  s'écrie: 
Sortez  de  là^je  vous  en  défie  résolument! 

Je  l'ai  dit  et  redit  à  satiété  :  au  xvi^  siècle ,  ia  tradition  du 
langage  primitif  est  considérablement  altérée  :  on  n'y  peut 
plus  recueillir  que  des  vestiges  et  des  débris.  On  avait  oublié 
les  anciennes  règles  du  xii^  siècle.  Les  vieux  mots  restaient 
sous^  l'empire  du  vieil  usage  ;  mais  les  roots  nouveaux ,  qui 
s'introduisaient  en  foule,  entraient  avec  la  marque  de  l'usage 
nouveau.  Les  grammairiens  se  transmettaientencore  l'ancienne 
règle  ;  mais  ils  étaient  obligés  d'y  signaler  des  exceptions  à  cha- 
que pas.  Leur  procédé,  à  cet  égard ,  est  empirique.  Tel  mot  se 
dit  ainsi.  —  Pourquoi  ?  —  Il  se  dit  ainsi  ;  n'en  demandez  pas 
davantage.  —  Mais  cela  semble  contredire  une  règle  que  vous 
venez  de  poser.  —  Que  voulez-vous  que  je  vous  dise  ?  Je  suis  le 
greffier  de  Tusage. 

En  voici  un  pourtant  qui  a  mis  un  pied  hors  de  ce  cercle 
étroit;  c'est  Jacques  Dubois  (d'Amiens),qai,  sous  le  nom  deSyl- 
vius,  imprimait  sa  Grammaire  chez  Robert  Estienne  en  1581. 
Il  avertit  que  «  s  devant  t  et  quelques  autres  consonnes  se  pro- 
«  nonce  rarement  en  plein  dans  le  corps  des  mots  ;  on  l'obscurcit 
«ou  ia  supprime,  pour  la  rapidité  du  langage.»  Et,  tout  de 
suite ,  il  cite  des  mots  exceptionnels  où  si  sonne  en  plein  : 
domestique,  fantastique  y  organiste,  évangéliste  ,  etc.; 
«  probablement,  ajoute-t-il,  parce  que  ces  mots  ont  été  depuis 
«  peu  puisés  par  les  doctes  aux  sources  grecques  et  latines  (i).  » 


(x)  «  s  anle  t  et  alias  quasdam  consooantes  in  média  dictione  raro  ad 
pleoum  sed  tantum  teouiter  sonamiis ,  et  pronuntiaodo  vel  elidimus  Tel 
obscuramusy  ad  sermoni»  brevitatem . . . .  Quem  (sibilum)  io  quibiisdam 
perfecte  cum  Graecis  et  Latinis  senramus ,  ut  domestiqtte ,  phantastique , 
iehalastique, . . .  etc.,  forte  quod  h»c  haiid  ita  pridem  a  doctis  in  usum 
Gallorum  ex  fonte  vel  grœco  vel  latino  invecta  sunl.  »  (Sylvius,  p.  7.) 

Pendant  que  je  tiens  Sylvius ,  je  ne  le  laisserai  point  aller  sans  en  tirer 
un  autre  témoignage.  J'ai  mis  en  principe  que  la  consonne  finale  d*un  mot 
était  muette,  et  se  réservait  à  sonner  sur  la  voyelle  initiale  du  root  suivant. 
(Des  Var.,  p.  41.)  C*était  la  conséquence  rigoureuse  de  la  règle  des  con- 
sonnes consécutives.  M.  Guessard ,  qui  a  nié  It  première  règle ,  nie  égale- 


—  442  — 

Voilà  la  raison  bien  simple  de  ces  exceptions.  Si  Th.  de  Bèse 
ne  la  donne  pas ,  Sylvlus  supplée  à  Th.  de  Bèze.  On  pronon- 
çait avec  lesdenx  consonnes  objet  j  absent,  obsèques^  délraC' 
leur,  action^  parce  que  c'étaient  des  mots  nouveaux. 

Observez  un  point  esseutiei  dans  le  passage  de  Bèze  invo- 
qué par  M.  Guessard ict^y  est-il  dit ,  sonne  pleinement  dan$ 
le  corps  des  mois  ;  c'est  assez  dire  qu'aux  extrémités  il  ne 
sonnait  pas.  Ainsi  le  c  s'entendait  dans  affection  ^détracteurs 
mais  non  à  la  fin  de  subject ,  object.  Cette  geminaia  conso- 
nans  eût  empêché  la  liaison  des  mots.  Ou  ne  disait  pas  un 
objecte  divin,  maison  disait,  comme  aujourd'hui,  objet  di- 
ftn,sâns  faire  soupçonner  ni  le  c  ni  le  t.  Sur  trois  consonnes 
consécutives ,  on  effaçait  les  deux  premières.  Leur  rôle  se 
bornait  à  ouvrir  le  son  de  l'e  précédent,  comme  s'il  y  eût  eu 
objait. 

On  voit  combien  il  importe,  dans  les  exemples  que  Ton  crée 
pour  rendre  une  théorie  sensible  par  l'application,  de  n'ad* 
mettre  que  des  mots  contemporains  de  la  rè<;le.  C*est  un  soin 
que  M.  Guessard  ,  soit  hasard  ou  calcul ,  néglige  toujours  :  il 
puise  sans  scrupule  dans  la  langue  du  xix®  siècle  des  exemples 
qu'il  soumet  aux  lois  du  xii«,  et  ne  manque  pas  de  trouver 
l'effet  ridicule.  Il  ne  peut  se  persuader  qu'on  ait  jamais  pro- 
noncé, sous  Henri  III,  terne  et  pete  pour  terme  et  perte  ;  tenir 
pour  ternir ,  la  chaleté  pour  la  chasteté  ,  un  âtrologue  ^  eic. 
Mais  ces  mots  terme,  perte  ,  ternir ,  chasteté ,  astrologue , 
les  avez-vous jamais  rencontrés  dans  un  texte  du  xiii*  siècle? 
S'ils  sont  entrés  dans  la  langue  après  la  désuétude  de  l'an- 
cienne règle  et  sous  l'empire  de  la  règle  nouvelle,  qui  était 
Fopposé  de  Tautre,  quel  argument  pouvez-vousen  tirer  par 
rapport  à  un  principe  qui  concerne  le  moyen  âge  exclusive- 
ment? C'est  là  pourtant  l'artiflce  le  plus  habituel  de  M.  Guet» 

meut  la  seconde.  Je  lui  ai  montré  la  première  écrite  dans  PaUgrave  ;  Toici 
la  seconde  dans  Sylvius  : 

m  In  fine  quoque  dictionis  nec  illam  (s)  nec  esteras  consonantes  eadem 
de  causa  (ad  sermonis  brevitatem)  ad  plénum  souamus;  scribimus  tmnUem, 
nisi  aut  vocalii  sequetur,  tut  finis  dausule  sit,  etc«>  (P.  7.) 


y 


—  443  — 

sard.  Qu'on  y  regarde,  et  Ton  verra  que  les  trois  quarts  de  ses 
objections  seraient  réduites  à  néant  par  cette  distinction  bien 
simple  de  l'âge  des  roots.  Si  cette  tactique  fait  briller  Tesprit 
de  M.  Guessard ,  c'est  aux  dépens  de  sa  loyauté. 

Au  xv^  siècle,  deux  systèmes  étaient  en  présence,  l'ancien 
et  le  moderne.  C'est  ce  que  les  grammairiens  constatent  par 
leurs  règles  et  leurs  exceptions.  J'ai  invoqué  su bsidiai rement 
les  règles  pour  constater  le  règne  de  l'ancien  système  avant  le 
xvi^  siècle;  M.  Guessard  s'appuie  des  exceptions  du  \y\^  siècle 
pour  soutenir  que  le  système  moderne  a  toujours  régné  seul. 

Dans  l'intervalle  écoulé  de|)uis  mon  ouvrage  et  la  critique 
de  M.  Guessard,  j'ai  découvert,  chez  un  grammairien  du 
commencement  du  xvi'  siècle  ,  ma  règle  des  consonnes 
consécutives,  mais  formelle,  précise,  ne  laissant  pas  la 
moindre  prise  aux  distinctions,  aux  mille  arguties  de  mon  ad- 
versaire. J'ai  cité  Pulsgrave  :  à  Paisgrave  M.  Guessard  oppose 
Fabri.  Qu'est-ce  que  c'est  que  Fabri  ?  C'est  l'auteur  d'un 
grantet  vray  art  de  plaine  rhétorique,  «qu'il  écrivait  »  (notez 
ces  mots)  «  à  la  fin  du  xv®  ou  au  commencement  du  xvi'  siè* 
de.  »  C'est  le  même  Fabri  qui  avait  fourni  à  M.  Guessard  ce 
triste  argument  du  Cacephaton ,  dont  il  est  (je  l'en  loue)  si 
confus  qu'il  n'ose  pas  y  revenir.  Eh  bienl  voyons  votre  Fa- 
bri; quedit-il? 

—  «  Le  lecteur  a  pu  le  voir  dans  mon  précédent  article  :  tt 
«  se  profère  après  a ,  comme  astuce ,  astrologue ,  astrolabe; 
•  après  t*,  comme  histoire ,  etc....  On  ne  disait  donc  pas  dtro- 
«  logue ,  châtetéf  etc.  ;  par  conséquent  Paisgrave  et  Fabri  se 
«  contredisent,  juste  à  la  même  époque ,  sur  la  même  ques- 
«tionl>(P.  260.) 

M.  Guessard  ajoute  que ,  dans  le  doute ,  il  aime  mieux  s'en 
rapporter  au  témoin  français  qu'à  Tanglais. 

L'autorité  comparative  de  ces  deux  écrivains  diffère  autant 
que  leurs  matières.  L'un  écrivait  ex  professo  sur  la  gram- 
maire ;  l'autre  ne  traite  que  la  rhétorique.  C'est  seulement  à 
propos  de  la  rime  que  Fabri  écrit,  sur  la  prononciation  de  Vs 
devant  le  t,  quatre  lignes  sans  profondeur  comme  sans  portée. 
n  remarque  que  tantôt  Vs  est  articulée  et  tantôt  ne  Test  pas. 


—  444  — 

Il  elle  une  vingtaine  d'exemples  pour  et  contre,  et  recom- 
mande, pour  bien  rimer,  de  consulter  l'usage.  Voilà  ce  que 
M.  Guessard  présente  comme  un  témoignage  grave  sur  la 
question  des  consonnes  consécutives.  Je  récuse  Fabri,  non  pas 
comme  curé,  ni  même  comme  Normand,  mais  comme  faux 
témoin  (i). 

Après  avoir  nié  la  justesse  de  ce  rapprochement ,  je  dirai  à 
M.  Guessard  qu'il  n*y  a  entre  Fabri,  Paisgrave  et  Sylvios, 
aucune  contradiction.  Palsgrave  a  posé  la  règle  générale; 
Sylviusen  a  donné  le  motif;  Fabri  n*a  rien  donné,  que  quel* 
ques  faits  bruts,  avec  cette  note,  que,  «  dans  les  mots  orthogra- 
«  phiés  par  art,  les  doubles  consonnans  tantost  se  profèrent, 
«  tantost  s'escrîpvent  et  ne  se  profèrent  point.  »  Palsgrave  a-t  il 
méconnu  les  exceptions  à  sa  règle  générale?  Il  les  a  si  peu 
méconnues  qu*il  a  pris  la  peine  d'en  dresser  un  catalogue  com- 
plet, spécialement  pour  le  groupe  st  (2).  Cette  prétendue  con- 


(x)  Il  était  natif  de  Rouen,  et  curé  de  Meray.  M.  Guessard  tire 
de  cette  circonsiance  une  allusion  bien  fine  et  bien  malicieuse  :  « 
va  dire  M.  Céuin,  que  m*iniporte  Fabri,  nn  homme  inconnu,  un  clerc, 
un  curé?  (car  Fabri  fut  curé!)  »  (P.  ao3.)  Cette  épigramme  dénonciatrice 
ient  furieusement  les  bureau Ji  de  V Univers ,  où  M.  Guessard  compte  des 
partisans  et  des  admirateurs  si  chauds.  Il  est  zélé  pour  eux ,  lis  sont  lélés 
pour  lui  ;  rien  de  plus  juste. 

(Voyez  le  post-scriptum  de  cette  lettre). 

(a)  Voici  ce  catalogue  de  Palsgrave  :  c'est  un  document  inestimable  dans 
la  question  qui  nous  occupe. 

CHAPiTas  XrV  du  i*'  livre. 
«  Mots  qui  articulent  distinctement  leur  s  dans  les  syllabes  médiantes, 
•  contrairement  aux  règles  générales  ci-dessus  énoncées  (*)  : 


apostat 

asteure 

bestialité 

conspirer 

astrologie 

astruser 

bistocquer 

ronsicllation 

aspirer 

astuce 

— 

consterner  - 

agreste 

— 

cabestan 

consUtuer 

assister 

bastille 

chaste 

construire 

asuic 
administrer 

bastillon 

consistoire 

circumspection 

bastiller 

constant 

custode 

{*)  Cap.  Xni.  Th«  wordes  whiche  souiid*  tbeir  i  distinct«ly  ,  comyng  in  the 
•yllabics  >  contrarie  to  the  generatl  raies  abote  rrherted.  (The  fyrst  Bok«.  Fol.  XiV.) 


tradiction  n*est  donc  aussi  qu'an  fantAme  évoqué  par  M*  Gues- 
sard  9  qui  abuse  un  peu  de  son  talent  de  magicien. 


— 

cscorpioD 

instrument 

peste 

désister 

espécial 

investiguer 

pestilence 

désespérer 

espèce 

investiture 

perspicacité 

destinée 

espagne 

(mais  ni  le  verbe 

postérieur 

destruction 

espérer 

vejtir  ni  'vei^«meA<)prosterner 

(awi»  non  pas  tUsirmir€)espm  i 

— 

postiUe 

détestable 

estimer 

majesté 

prédestiner 

digestion 

estomaquer 

miste 

prospérer 

digeste 

estradiut 

mislère 

pronostiquer 

discorder 

existence 

mission 



discret 

— 

molester 

questionner 

discater 

fastidieux 

monastère 

questueux 

dispenser 

(festival) 



question 

t^\('") 

festivité 

««  Je  n'en  trouve         — 

(mais  non/«/r) 

point  dans  les  mots  recrastiner 

disposer 

f  risque 

qui    commeucent 

:  résister 

disputer 

fnistrer 

paru  a 

►  restituer 

disiincter  (sic) 





robuste 

distance 

histoire 

obstant 

rustre 

distinguer 

illustrer 

ob&tiuation 



distraire 

indisiret  (sic) 

obscurcir 

sinistre 

disu-ibuer 

industrie 

offusquer 

substance 

domestique 

instruire 

ostenter 

substencacle  (sic) 

— 

instance 

ostruce 

... 

escabeau 

instant 

obstacle 

tesUment 

esclave 

instituer 

— 

tri&tt. 

Yoilà  donc  une  liste  de  cent  neuf  mots  qui  étaient  de  formation  récente 
en  i53o,  ou  qui  en  très-petit  nombre,  comme  festival ,  espirit ,  venus 
du  fond  de  la  langue,  subissaient  la  loi  de  la  mode  et  des  lettres  moder- 
nes. Ou  en  remarquera  dans  le  nombre  qui  n*ont  pas  vécu,  par  exemple» 
astmser,  esiraMot ,  frisque ,  miste,  ostenter,  questueiLc^  recrastiner;  — 
d'autres  qui  se  sont  modifiés,  comme  especiai,  escorpion,  à  qui  Ton  a  ^é 
Ve  initial ,  cachet  de  leur  antique  origine  ;  —  d'autres,  enfin ,  qui  suivent 
une  loi  différente  de  celle  qui  régit  leur  racine,  par  exemple,  destruction 
avec  Ti,  quoiqu'on  prononçât  détruire  sans  s;  fête  eX.  festivité  ;  vêtir,  a-e- 
tementel investiture.  Les  uns  étaient  les  types  anciens,  résistant  à  la  mode; 
les  autres,  les  dérivés  frappés  au  coin  de  l'époque.  C'est  pourquoi  j'ai  tant 
insisté  dans  mon  livre  sur  la  nécessité  d'avoir  l'acte  de  naissance  de  cha- 
que mot. 

Palsgrave  a  fait  le  même  travail  sur  chaque  consonne  de  l'alphabet , 
mais  aucune  n'approche  de  1'^  pour  le  nombre  des  exceptions.  Les  autres 
en  présentent  environ  trois  ou  quatre  exemples  chacune. 

Après  cela  on  ne  peut  accuser  Palsgrave  d'iguorauce  ni  de  contradiction. 
S'il  a  posé  et  maintenu  sa  règle  générale,  On  ne  prononce  jamaU  deux 


—  4M-- 

-  VeDonsÉ  la  dernière  fin  de  non-feeevoir  de  M.  6iMeeard 
contre  Palsgrave.  C'est  que  Palsgrave  était  Anglais.  —  Fort 
bien  I  Vous  le  récusez.  — «  J'aurais  moi-même  produit  le  pas- 
sage de  Palsgrave.. ...  » —  Vous  Tadmettez  donc? Vous 

comprenez,  lecteur:  il  Tadmettra  s*il  trouve  Jour  à  le  tourner 
contre  moi.  Alors  Palsgrave  sera  un  savant  nourri  en  France, 
gradué  en  Tuniversité  de  Paris,  le  plus  habile  maître  de  fran- 
çais que  le  roi  Henri  VIII  ait  pu  rencontrer  pouf  sa  sœur, 
enfin ,  une  autorité  irrécusable.  Autrement,  ce  ne  sera  qu'un 
Anglais,  et  on  l'immolera  au  bonhomme  Fabri  sur  l'autel  du 
Cace/thalon.  M.  Guessard  tient  d*une  main  le  couteau  ,  et  de 
l'autre  l'encensoir  :  in  uirumque  paratus.  Mais  laissons-le 
poursuivi-e  son  propos  :  —  «  Saurais  moi-même  produit  ce 
passage  de  Palsgrave,  et  d'autres  qui  en  donnent  le  vrai  sens 
et  la  portée^  si  j'avais  eu  l'exemplaire.  »  —  Cela  sent  un  peu 
son  Gascon  :  vous  ne  savez  pas  ce  qu'il  y  a  dans  Palsgrave, 
et  vous  vous  vantez  de  le  mettre  en  contradiction  avec  lui- 
même  1  —  «  J'opposerai  Palsgrave  à  Palsgrave.  Dès  aujour- 
«  d'hui  cela  me  serait  possible,  rien  qu'à  Taide  des  textes  cités 
«  par  M.  Génin.  »  —  Voyons  donc!  Faites.  —  t  Mais  je  ne 
«  veux  pas  être  incomplet.  »  —  Cela  vaudrait  toujours  mieux 
que  de  rester  muet.  —  »  Il  suffit  d'ailleurs,  pour  ma  thèse,  de 
«  lui  avoir  opposé  Fabri  et  le  bon  sens.  »  —  Vous  ne  m'avez 
pas  opposé  Fabri ,  car  cette  opposition  n'est  qu'illusoire  ;  vous 
ne  m'avez  pas  opposé  le  bon  sens,  car  lorsque  je  vous  montre 
que  votre  manière  d'Interpréter  le  passage  mène  droit  à  Tab- 
surde ,  vous  ne  répondez  rien. 

Une  preuve  réellement  curieuse  de  l'aveuglement  obstiné 
de  mou  adversaire,  c'est  qu'il  m'apporte,  comme  argument 
décisif  en  sa  faveur,  un  texte  que  j'ignorais,  et  que  je  ne  dois 
pas  négliger  de  recueillir.  Le  lecteur  jugera  de  quel  côté 
ce  texte  fait  pencher  la  balance. 

consonnes  consécutives ^  »  c>st  qu'il  avait  pour  le  faire  de  bonnes  raisons; 
c'est  qu'en  présence  de  deux  usages  contraires,  il  savait  bien,  lui,  versé 
dans  le  commerce  des  savants  de  son  âge ,  Alain  Chartier,  Jean  Lemaire , 
résèque  d'Angouléme ,  distinguer  la  tradition  ancienne  de  l'innovation,  le 
principe  wiginei  du  principe  de  la  renaiiiance. 


—  447  — 

«  Si  un  mot  finit  par  ane  consonne  »  et  que  le  mot  suivant 
«  commence  aussi  par  une  consonne  (sans  aucun  intermédiaire, 
«  s'entend) ,  la  consonne  finale  du  premier  mot  est  lovjoun 
«  effacée  dans  le  langage ,  ce  qui  donne  beaueoup  de  grâce 

«  et  de  légèreté.  Mais  on  est  tenu  d'écrire  ces  consonnes 

«  Devant  /,  /,  m  (i),  Vs^  encore  qu'elle  soit  écrite,  ne  sonne 
*  presque  jamais.  Par  exemple  :  monhosty  prononcei  mon 
«  été.  —  Ung  enfant  masle ,  prononcez  enfant  malle;  dans  , 
«  ce  dernier  cas,  on  double  17  pour  remplacer  Vs^  qui  se  mange. 
«  On  écrit  ahysme  avec  une  s,  et  Ton  prononce  sans  «,  aMmtf. 
«  Toutes  ces  règles  sont  sujettes  à  beaucoup  d'exceptions  et 
<  de  commentaires  ;  il  y  faut  beaucoup  d'étude.  »  {Docum* 
inéd.  sur  fhist.  de  France,  Relations  des  ambassadeurs  vé- 
nitienSf  t.  II,  p.  586.) 

Cette  pièce  est  de  1  ô7  7.  Rapprochez  ce  que  dit  ici  Jér6me 
Lippomano,  ou  son  secrétaire^  de  la  règle  donnée  en  1630  par 
Jean  Paisgrave;  joignez-y  le  témoignage  de  Sytvius^  et  dites 
li  le  sens  de  Th.  de  Bèze  peut  être  un  moment  douteux. 

Mais  M.  Guessard  est  inébranlable  :  —  «  Vous  soutenez  avec 
«  Paisgrave  qu'en  1530  on  n'articulait  jamais  qu'une  consonne 
«  sur  deux  ;  moi  je  soutiens  le  contraire  contre  vous ,  et  au  be- 
«  soin  contre  Paisgrave  (11  n'est  plus  aussi  sûr  que  tout  à  rheur« 
«  de  mettre  Paisgrave  de  son  côté).  Je  le  soutiens  avec  Fabri.  » 
(P.  859). 

Dites  donc  que  vous  le  soutenez  tout  seul  et  contre  tout  le 
monde,  et  contre  l'évidence. 

Au  surplus,  il  y  a  dans  cette  dernière  phrase  de  M.  Guessard 
une  finesse  que  je  ne  veux  pas  laisser  aller  inaperçue.  «  Vous 
«soutenez  que,  en  1680,  on  n'articulait  ^'amai^  deux  con- 
«  sonnes  de  suite.  »  Un  moment,  s'il  vous  plaît  I  Je  n'ai  dit 
cela  nulle  part.  Vous  falsifiez  ma  proposition  en  y  glissant  la 
date  de  1530.  J'ai  posé  le  principe  pour  le  moyen  âge,  pour 
le  xiie  siècle ,  si  vous  voulez  une  date.  J'ai  eu  bien  soin  au  con- 
traire de  mettre  à  part  le  xvi®  siècle,  comme  époque  d'altéra- 


(i)  L*imprimé  porte  «*  devaDl  H,  to,  o,  m,i»  ce  qui  n'offre  point  de 
sens.  J*ai  rétabli  le  texte  à  l'aide  des  exemples. 


-448  ^ 

UoD»  d'Ignorance  même  des  lois  primitives.  Si  J'ai  cité  les  pa- 
roles de  Bèze ,  c'est  comme  vestige  de  l'aDcienne  tradition.  Je 
vous  ai  toujours  reproché  de  vouloir  attirer  le  débat  sur  le 
zvi'  siècle  y  et  l'y  fixer.  Je  vous  ai  dit  qu'il  n'y  avait  ancone 
bonne  fol  à  me  représenter  comme  empruntant  ma  règle  à  Th. 
de  Bèze  (p.  1 1  de  ma  réponse).  J'ai  signalé  la  perfidie  de  votre 
manœuvre,  lorsqu'il  s'agit  du  moyen  Age,  de  faire  tout  dé- 
pendre du  témoignage  d'un  écrivain  qui  touche  au  xvii* siècle. 
Vous  n'avez  pas  laissé  de  continuer  :  —  «  M.  Génin»  à  Fen' 
«  tendre,  a  voulu  prouver  ce  principe  pour  le  xii' siècle,  et  non 
«  pour  le  XVI*.  »  A  m'entend re  ou  à  ne  m'entend re  pas,  c'est 
ainsi  ;  et  pour  peu  que  j'eusse  du  style  matamore,  Je  pourrais  à 
mon  tour  vous  défier  résolàment  d'élever  là-dessus  l'ombre 
d'un  doute.  —  «  Ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'invoquer  encore  un 
«  grammairien  qui  écrivait  en  1 530  (i).  »  —  Et  s'il  n'y  en  a  pas 
déplus  ancien,  qui  voulez-vous  donc  que  j'Invoque  en  frit 
d'autorité  dogmatique ,  puisque  vous  en  demandez?  Je  vous 
cite  le  XVI*  siècle,  par  suraboodance  de  droit  ;  et  il  se  trouve  à 
présent  que,  battu  par  la  logique ,  vous  l'êtes  encore  par  toutes 
les  autorités,  même  du  xvi*  siècle.  Vous  le  sentez,  et  vous 
vous  préparez  un  petit  faux-fuyant  par  cette  phrase:  «Vous 
c  soutenez  qu'en  1530  on  ne  prononçait^amaû  deux  conson- 
o  nés  de  suite.  »  Vraiment ,  vous  auriez  trop  beau  Jeu  à  me 
prouver  qu*on  les  prononçait  quelquefois  en  1530.  Mais  ce 
n'est  point  là  la  question ,  et  je  ne  vous  laisserai  pas  nous  don- 
ner le  change  en  feignaot  de  le  prendre.  A  d'autres.  Monsieur, 
À  d'autres  !  J'ai  fait  la  guerre  contre  les  Jésuites. 

Ce  que  vous  avez  à  établir  par  preuves  bonnes  et  loyales, 
ce  n'est  pas  qu'au  xvi*  siècle  il  y  avait  diversité,  c'est  que 
ma  règle  ^  n'a  jamais  existé ^^  et  qu'elle  est  '^  d'une  ab- 
surdité manifeste,  »  C'est  là  votre  thèse  :  ne  reculez  pas. 

Réflexion  faite,  l'autorité  de  Paisgrave  a  paru  Inquiétante 
à  M.  Guessard;  et,  ne  comptant  pas  trop  sur  ces  passages 
contradictoires  dont  il  se  vante  par  anticipation ,  il  a  jugé  plus 
prudent  de  l'atténuer  pour  le  moyen  â*j;c,  tout  en  l'admet- 
tant pour  le  XV i^  siècle  :  t  L'observation  de  Paisgrave  »  géné^ 

(i)  p.  aôg. 


—  449  — 

«  ratement  vraie  pour  le  tempe  oà  elle  a  Hé  éertie ,  le  devient 
«  beaucoup  moins  si  on  la  reporte  à  trois  ou  quatre  siècles  en 
«  arrière.  >  —  C'est  bientôt  dit  ;  mais  où  est  la  preuve?  Le  cri- 
tique espère  se  sauver  ici  à  la  faveur  du  vague  de  l'expression. 
Ce  qu'il  veut  dire,  le  voici  nettement:  Eh  bien!  soit:  il  se 
peut,  après  tout,  qu'au  seizième  siècle  on  ne  prononçât  pas 
deux  consonnes  consécutives;  mais  plus  on  s'enfoncera  dans 
le  passé,  moins  cette  règle  sera  Juste.  En  d'autres  termes , 
M.  Guessard  affirme  que  plus  notre  langue  vieillit,  plus  elle 
tend  à  s'amollir,  et  à  se  dépouiller  de  consonnes.  Cela  ne  mé- 
rite pas  qu'on  y  réponde. 

Dire ,  au  contraire,  que  par  les  influences  extérieures  notre 
langage  va  chaque  Jour  se  durcissant  et  se  chargeant  de  con- 
sonnes, c'est  émettre  une  vérité  si  vulgaire  qu'elle  en  est  tri- 
viale. On  ne  manque  Jamais  aujourd'hui  à  prononcer  les  con- 
sonnes consécutives  (i).  En  sorte  que,  pour  appliquer  le 
raisonnement  par  induction ,  on  dira  :  La  règle  actuelle  est 
d'articuler  les  consonnes  consécutives;  au  seizième  siècle, 
on  ne  les  articulait  que  la  moitié  ou  le  quart  du  temps,  et  seu- 
ment  dans  les  mots  nouveaux  ;  donc ,  plus  on  recule  vers  l'ori- 
gine de  la  langue,  moins  ces  consonnes  devaient  être  pronon- 
cées. Mais  M.  Guessard;  qui  a  une  logique  à  lui  tout  seul , 
conclut  au  contraire  :  plus  elles  étaient  prononcées. 

Prenez  le  chemin  que  vous  voudrez ,  le  raisonnement,  les 
ISsits,  l'autorité  des  grammairiens,  vous  arrivez  toujours  au 
même  résultat,  savoir  :  que  ma  règle  est  Juste ,  et  que  J'ai 
donné  le  vrai  sens  de  Théodore  de  Bèze.  Et  quand  Je  dis  que 
M.  Guessard  a  fait  un  contre-sens,  il  a  beau  me  crier  sa  dé- 
monstration favorite  :  Ce  n*est  pas  vbai  I  (  p.  358  )  ;  s'il  ne 
veut  pas  avouer  son  erreur,  parce  qu'il  est  désagréable  de 
s'être  trompé  si  arrogamment,  cela  ne  l'empêchera  pas  d'en 
être  convaincu  aux  yeux  de  tout  lecteur  impartial. 


(i)  La  preuve  en  est  qu'on  a  pris  le  parti  de  lei  chasser  de  l'écriture 
dans  tous  les  mots  où  la  tradition  trop  continue  ne  permHtait  pas  an  lau* 
gage  de  les  recevoir. 

^9 


—  460  — 

Ce  second  artiele  de  M.  Ooessard  se  eompOM  wùtUM  a*iA- 
Bertations  détachées  en  forme  de  glossaire.  Il  est  beancoiip 
plas  long  que  le  premier;  et  pour  peu  qu'il  Mlût  établir  sur 
chaque  article  une  controverse  pareille  à  celle  qo*a  soulevie 
le  mot  geminata^  vous  sentez  où  Cela  nous  mènerait  1  Deux 
ou  trois  échantillons  suffisent  à  faire  voit*  avec  quelle  légèreté 
(  non  pas  de  style  !  ) ,  avec  quelle  témérité  passionnée  M.  Gaes- 
sard  se  lance  dans  la  contradiction  (i).  A  tout  prendre  »  J'en 
suis  humilié  ;  car  enfin ,  je  croyais  valoir  la  |^ne  qu'on  y  ftt 
un  peu  plus  de  façon. 

J*ai  fait  venir  âge  de  la  forme  ancienne  atf,  qui  touche  à 
œias,  II  faut  voir  là-dessus  l'érudition  et  les  dédains  de  own 
eritiquel  Je  passe  sa  dissertation,  d'après  Robert  Estiennei 
pour  venir  au  vrai  point  :  —  «  Quant  à  la  forme  eage  qu'on 
«écrivait  aussi  aage^  elle  suppose  un  mot  de  basse  latinité, 
«comme  œtagium  ou  aagium.  Je  ne  trouve  ni  Tun  ni  Vautre 
«  dans  Du  Gange ,  mais  j'y  rencontre  aagiaiuê,  qui  Implique 
•  aagium.»  (P.  39i.) 

Voilà  donc  sUr  quoi  Ton  me  condamne  en  termes  si  durs- 
âge  ne  vient  pas  d*aé ,  mais  d*aagium ,  qu'à  la  vérité  Ton  ne 
rencontre  nulle  part ,  mais  qui  a  dû  exister^  puisqu'on  tronve 
aagiatus.  La  raison  est  admirable  ! 

AagiatuSy  que  Du  Gange  cite  dans  un  acte  du  temps  de 
Charles  V»  c'est-à-dire  de  la  fin  du  quatorzième  siècle,  est 
la  traduction  du  français  aagié ,  et  Du  Gange  lui-même  en 
avertit.  Gomme  les  actes  publics,  jusqu'à  l'ordonnance  de 
Villers-Gotterets  (  1 539  ) ,  se  faisaient  en  latin,  on  y  rencontre 
à  chaque  instant  des  mots  de  la  langue  vulgaire ,  qui  n'otit 
que  la  terminaison  latine.  On  trouve  aussi  dans  le  Glossaire 
de  Du  Gange,  grassus ,  blancus,  blaneheria ,  borgnus,  ovon- 

(i)  On  ne  doit  rien  avancer  que  sur  de  bonnes  raisons  »  mais  il  en  iMit 
deux  fois  plus  pour  contredire.  Celui  qui  affirme  n'est  tenu  que  d'avoir 
de  quoi  fonder  sa  conviction  ;  celui  qui  contredit  doit  avoir  en  outre  de 
quoi  renverser  celle  de  Tautre.  Un  pareil  nombtie  de  raisons  opposées  ne 
produirait  que  l'équilibre. 

U  y  a  souvent  des  raisons  pliilosophiques  de  contredire  ;  mais  il  ne  pa- 
rait pas  y  en  avoir  jamais  de  contredire  de  parti  pris. 


-  411  - 

iagium,  et  une  ioflnlté  d'antres  semblables.  Prétendre  en  eon- 
dare  que  ces  mots  ont  existé  les  premiers,  et  ont  domié  nais- 
sance  aux  mots  français  correspondants,  serait  se  moquer  du 
monde,  et  c*est  ce  que  fait  M.  Guessard  :  c*est  avec  un  aplomb 
imperturbable  qu'il  donne  la  copie  pour  le  modèle,  le  mot 
calqué  pour  le  prototype.  Pour  croire  à  son  oaytiim,  J'atten- 
drai qu'il  nous  donne  de  meilleures  preuves  qu'aagiatus^  et, 
en  attendant ,  Je  garderai  mon  étymologie  du  mot  âge  par  0^4 

«  Port  signifie  d^U,  et  non  porle  d'un  défilé ^  comme  Ta 
«traduit M.  Génin..*.  Port  a  ici  le  môme  sens  que/ni^rto  en 
«  espagnol ,  et  l'un  et  l'autre  ont  pour  racine  commune ,  non 
«  pas  foria,  mais  porius^  un  port,  qui  est  en  effet  une  sorte  de 
«défilé.  «(P.  849.) 

Si  M.  Guessard  eût  pris  la  peine  d'ouvrir  Du  Gange,  Il  se 
fbt  convaincu  à  peu  de  frais  de  la  fausseté  de  sa  critique.  Il  y 
cAt  vu  pars  traduit  en  latin  par  portœ  ;  portœ ,  anffustiœ  Ui* 
nerum;  et  en  grec  par  pylai;  il  se  fût  assuré  que  Jomandès 
ot  Oth(m  de  Frisingue  emploient  constamment  ces  expressions, 
farim$  easpioê  ^  armenicas  t  eilieas;  porta  mcma;  que  les 
poTM  d'Espagne  sont,  dans  Roger  de  Hoveden,  portœ  Àmjmk- 
mUff  qu'ainsi  l'expression  se  tire  de  l'analogie  d'un  défilé  avec 
une  porte,  et  non  avec  un  por^.  Le  dictionnaire  espagnol-it»- 
Ikn  de  Franeiosini  explique  nettement  que  puer  to  est  un  pas- 
sage étroit  entre  deux  montagnes ,  una  stretteMJsa  0  passo 
eUmso  tra  un  monte  e  Valtro. 

Au  reste,  que  port  vienne  de  porta  ou  de  portus^  cela  n'ân- 
porteit  guère  ;  mais  M.  Guessard  ne  voulait  rien  perdre  de  ee 
qui  pouvait  ressembler  à  une  critique.  Il  ramasse  Jusqu'aux 
miettes,  et  puis  à  la  fin  il  se  donne  des  airs  de  me  faire  grâce  : 
«  Yoilà  une  faible  partie  des  observations  auxquelles  ce  livre 
«a  paru  donner  lieu.»— Gela  me  rappelle  ce  bon  M.  Gail ,  qui, 
an  frontiÉpiee  de  ses  livres,  imprimait  avec  une  exactitude  ri- 
goureuse la  liste  de  ses  titres  et  dignités  :  cela  ne  faisait  guère 
moins  de  vingt  lignes  ;  et  puis  quand  il  avait  tout  passé  en  re- 
tne,  quand  il  avait  épuisé  la  nomenclature  des  académies  fl'an- 
çaises  et  étrangères ,  des  sociétés  savantes ,  des  cordons ,  croix 
et  distinctions  de  tenteeqpèee,  il  mettait,  etc.,  etc.,  etc..  J'avais 

»9- 


-452  - 

trouvé  le  premier  article  de  M.  Oueanrd  un  peu  long,  et  je 
ravais  dit  ingéDament.  Le  seeond  dépasse  le  premier,  et  od  lit 
à  ravant-dernière  page  :  «  M.  Génin  me  reproche  d'être  tnp 
«long;  M.  GéDinest  un  ingrat  :  il  me  devrait  des  remerci- 
«  menU  pour  n'avoir  fait  que  la  moitié  de  la  besogne  qull  a 
«  taillée  à  la  critique.  »  Gomment  trouves- vous  ce  trait  final 
d'une  diatribe  de  cent  trente-sept  pages?  Cest  la  meilleure 
•plaisanterie  du  recueil. 

J'avais  demandé  d'où  vient  que  l'Académie,  contrairement 
à  l'usage  primitif  et  à  la  logique ,  a  c<msacré  le  mot  fart  in- 
variable dans  cette  locution  :  se  faire  fart  {des  Var.  dm  long, 
fr.y  p.  869). 

«  Cet  article  a  tout  lieu  de  surprendre  dans  la  bouche  de 
«  M.  Génin.  Il  raisonne  là  comme  un  de  ces  gramuMlrlens  de 
«  profession  qu'il  aime  tant  à  railler,  et  l'occasion  était  belle 
«  de  donner  à  l'Académie  une  leçon  d'ancien  français.  M.  6é- 
«  nin  aurait  pu  dire  :  L'Académie  veut  que  fort  soit  invaria* 
«  ble ,  mais  elle  ne  sait  pas  pourquoi.  Moi ,  je  vais  vous  i'expU- 
«quer.  C'est  encore  un  archaïsme:  Jadis  tous  les  adjeetifii, 
«  comme  grande  fort,  vert  y  n'avalent  qu'une  senle  et  messe 
«  forme  pour  le  masculin  et  le  féminin ,  comme  en  latin 
•  grandis  ^fortis  y  viridis.  » 

Il  est  vrai  que  Je  n'ai  point  pris  le  ton  de  cette  prowçofée 
avantageuse  ordonnée  par  l'impérieux  M.  Gnessard  :  moi  ,  je 
vais  vous  expliquer..,/  J*ai  des  habitudes  moins  aitières.  Mais, 
sans  ouvrir  une  si  grande  bouche ,  J'ai  dans  mon  ouvrage  ex* 
posé  cette  théorie  des  adjectifs  sur  les  roots  grand,  fart,  vert  f 
et  plus  complètement  que  ne  fait  ici  M.  Guessard  (i).  J'y 
montre  comment  Tadjectif,  inyariable  en  genre,  ne  l'était  qu'à 
la  condition  de  précéder  immédiatement  son  substantif.  Qu'ainsi 
l'on  disait  :  «Moult  y  ot ^ran/  noise  et grant  presse ;* et:  «  Or 
fût  au  lit  grande  \di  noise ,*  à  cause  de  l'article  interposé; 
qu'on  disait  une  grant  cave  ,  et  :  <t  Saûl  trouva  une  cave 
grande.  » 

Or,  quand  on  dit  cette  femme  se  fait  fort  pour  son  mari, 

(0  Voy.  ttes  Far.  dtt  lang./r,,  p.  3a6  et  min 


—  453  — 

radfoctlf  fwi  suit  son  substantif  jemme;  donc  il  doit  ta* 
rier.  Gnineimette,  après  avoir  récité  à  son  mari,  P Avocat 
Patelin  f  la  fiiblada  renard  iiappant  le  fromage  da  corbeau , 
ajonte: 

Ainsi  eft-il,y«  m^en  fauJoHe^ 
De  ce  drtp  toos  l*aTez  happé 
Par  blaMKUier  y  et  attrapé. 

(PatheÙn.)  \ 

«  Noui  Doot  ÎÊ^Mont  forte*  pour  Iny.  » 
{Pet'a  Jehan  de  Saintré,) 

Les  exemples  cités  par  M.  Goessard  lui-même  confirment 
la  règle  que  J'ai  posée ,  et  qui  re^te  debout  »  quoique  M.  Guei- 
sard  ait  affirmé ,  au  début  de  sa  diatrii>e,  que  pas  une  de  ces 
règles  ne  pourrait  lui  résister.  —  «  D'une  fwtjUvre  dont  il 
•  avoit  esté  menacé.»  \^ecueil  de$  kistor.  de  France^  III,  384.) 
—  «  Deux  eifes  des  plus  forz  de  soz  le  ciel.  »  (  ViLLSHAa- 

IN>Ullf)(l). 

M.  Guessard  propose  donc  ici  une  feusse  application  du 
principe»  et  réclame  comme  à  faire  ce  que  J'ai  fait  et  au  delà. 
Je  ne  puis  supposer  qu'il  n'ait  pasiu  mon  livre;  par  consé- 
quent il  n'ignorait  pas  la  distinction  que  J'ai  établie;  puisqu'il 
M  la  combat  pas,  il  l'admet  :  alors  que  signifient  et  l'éton- 
nement qu'il  affecte,  et  sa  manière  de  résoudre  la  difficulté 
par  une  erreur  ? 

Ce  passage  n'est  pas  le  seul  qui  réduisit  M.  Guessard  à  l'al- 
ternative fSIchense  de  s'avouer  étourdi  ou  de  mauvaise  foi.  SI 
J'avais  seulement  la  moitié  de  sa  témérité,  Je  n'hésiterais  pas 
à  lui  soutenir  qu'il  n'a  pas  lu  ce  qu'il  critique  ;  et  les  preuves 
à  l'appui  de  cette  assertion  ne  me  manqueraient  pas,  car  il 
me  pose  souvent  comme  invincibles  des  objections  que  J'avais 
prévues  et  résolues  d'avance. 

Par  exemple,  sur  le  mot  rien.  J'ai  mis  en  principe  que  cet 
adverbe,  affirmatif  en  soi,  n'avait  de  valeur  négative  qu'en 

(s)  On  se  tromperait  de  croire  que,  dans  ce  second  exemple,  Tadjectif  loît 
son  substantif;  il  feut  tenir  compte  de  Tellipse  :  deiu  cilei  des  plus/wv 
citez  de  France. 


-  454  — 

verta  d'une  négation  adjointe.  Que  hit  M*  Oveatari  t  II  aU- 
lègue  des  exemples  où  rien  nie  évidemment ,  lana  être  aeeon- 
pagné  d'aneune  négation  exprimée  ;  eeia  aemUe  péreo^^ 
toire: 

Et  sa  morale ,  faite  à  Méyriier  le  Mca, 
Sur  Taigreur  de  sa  bile  opère  coame  riên» 
(Mouàaa.) 

Mais  ici,  et  dans  nne  foole  de  eas  semblables,  la  négation 
est  enfermée  dans  l'eillpse,  sans  laquelle  il  est  impossible  d'a- 
nalyser la  phrase ,  ni  même  d'entendre  la  pensée  :  Sa  morale 
opère  comme  rien  n'opère. 

EsMi  venu  quelqu'un  ?  -—  Personne.  Voyes-vons  beaneoop 
de  monde?  —  Ame  qui  vive.  U  serait  trop  plaisant  qu'on  vint 
soutenir  que  personne ,  dfiie ,  sont  des  mots  négatifs  par  eux- 
mêmes,  sous  prétexte  qu'ils  servent  à  nier  sans  l'addition  de 
ne.  Ne  est  dans  l'ellipse  :  il  n'est  venu  personne  ;  Je  ire  vois 
âme  qui  vive.  La  vivacité  du  dialogue  lliit  que  l'on  court  aux 
derniers  mots;  mais  grammaticalement  les  premiers  sent  tou- 
jours supposés. 

Autre  exemple  :  —  Ce  critique  a-t-li  de  la  bonne  M  f  — 
Guère.  Tout  le  monde  comprend  cela  :  il  n'en  a  guère  ;  c'est 
évident  1  Bien  que  la  négation  soit  encore  dans  l'ellipse ,  per- 
sonne ne  s'y  trompera ,  et  n'ira  comprendre  que  le  critique  a 
beaucoup  de  bonne  foi. 

Tout  cela  est  bien  expliqué  aux  pages  604  à  605  de  mon 
livre  ;  mais  M.  Guessard,  cette  fois  encore ,  n'a  point  voulu 
voir.  Seulement  il  montre  un  moment  cette  explicatkm  eomme 
de  lui  y  et  comme  une  conjecture  possible  de  son  antagoniste; 
et  il  se  hâte  de  déclarer  «qu'il  serM prodigieux  de  sous-en- 
«  tendre  dans  une  phrase  négative  ce  qui  lui  donne  précisé- 
«  ment  sa  force  négative,  à  savoir  la  négation.  »  (  Page  a4S. } 
Dans  une  phrase  complète ,  soit;  dans  une  elliptique ,  non; 
et  voilà  toute  la  finesse  :  elle  n'est  pas  grande  !  Si  cela  est 
prodigieux ,  il  faut  que  M.  Guessard  se  résigne  à  ce  prodige , 
ou  à  soutenir  que  personne  et  âme  sont  des  négations. 

Par  une  autre  malice  aussi  ingénieuse ,  il  affecte  de  con« 


—  465  — 

fmudre  dans  ses  exemples  rien,  adverbe^  avec  un  rien,  subs- 
tantif» afin  de  les  soumettre  à  une  loi  commune.  Sa  discus- 
sioQ  est  un  mélange  d'éléments  hétérogènes,  qui  déroutent 
le  lecteur  peu  Iiabitué ,  et  Tentralnent  d*un  principe  faux  à 
une  conséquence  fausse.  Une  autre  encore  de  ses  adresses , 
est  de  réfuter  en  termes  généraux  ce  qu'il  ne  pourrait  atta* 
quer  d'une  manière  directe  et  de  front ,  en  citant ,  le  texte. 
Quoi  de  plus  simple  que  ce  que  je  viens  de  dire  sur  la  néga- 
tion tantôt  exprimée,  tantôt  elliptique?  Un  enfant  le  saisi- 
rait Aussi  M.  Guessard  s'est-il  bien  gardé  de  le  reproduire! 
Il  n'aurait  pas  ensuite  pu  brouiller  quatre  pages  sur  rt>i».  Voici 
donc  comment  il  s'exprime  : 

«  G*est  une  chose  curieuse  que  de  considérer  les  artifices 
«  d'ana/y^^  auxquels  M.  Génin  se  livre,  les  subterfuges ,  les 
«  faux-fuyants  où  il  s'engage  pour  échapper  à  l'évidence  qui 
«  le  poursuit ,  et  surtout  pour  se  donner  le  plaisir  de  fustiger 
«  l'Académie.  »  (  Page  344.  ) 

Me  voilà  réfuté  sans  avoir  été  cité.  Tous  ces  artifices  d'ana- 
lyse, ces  subterfuges ,  ces  faux-fuyants,  vous  avez  vu  à  quoi 
cela  se  réduit.  Et  comme  M.  Guessard  ne  peut  supposer  dans 
autrui  moins  que  le  mensonge,  et  le  mensonge  dans  des  vues 
odieuses,  il  prend  sur  lui  d'affirmer  que  je  m'efforce  û^éehap" 
per  à  révidence  qui  me  poursuit  ;  et  pourquoi  ?  Pour  me 
donner  le  plaisir  de  fustiger  V Académie  t  M.  Guessard  es- 
time bien  haut  le  plaisir  de  fustiger  I 

C'est  qu'il  faut  savoir  que  M.  Guessard  a  résolu  de  se  faire 
accepter  pour  le  vengeur  de  l'Académie,  et  de  réduire  en 
Jioudre  les  censures  que  j'ai  osé  porter  contre  la  dernière  édi- 
tion du  célèbre  Dictionnaire  (i).  A  voir  le  zèle  singulier  qu'il 
apporte  dans  cette  tâche ,  on  croirait  volontiers  que  toute  sa 

(i)  Un  des  moyens  de  M.  Guessard  pour  innocenter  rAcadémie  consiste 
à  dire  que  son  dictionnaire  est  un  abnanach,  «  Il  fallait  négliger  les  vieilles 
•f  expreasions  (celles  de  Molière)  dans  un  almanach  de  la  langue.  Le  Die- 
«  tionnaire  de  T  Académie,  tel  qiril  a  été  conçu  et  exécuté,  est  cet  almanach.» 
(P.  314.)  C'est  le  cas  de  lui  citer  deux  vers  des  Méncchmes  : 
Monsieur ,  une  autre  fois ,  ou  bien  ne  parlez  pas, 
On  prenex,  s'il  tous  plaît,  de  meilleur!  almanachs. 


—  456  — 

polémique  n'a  été  entreprise  que  ponr  en  venir  là.  SI  ee  iMe 
est  sincère ,  s*il  est  pur  de  toute  vue  Intéressée ,  je  n*ai ,  sauf  tel 
conclusions  grammaticales  »  rien  à  y  reprendre.  Mais  Juiqald, 
Je  l'avoue ,  Je  n'ai  pas  cru  que  Texcès  de  générosité  f&t  le  dé- 
faut de  M.  Guessard.  Comment  donc  M.  Guessard,  habituel- 
lement si  farouclie ,  si  ardent  à  mordre ,  devient-Il  tout  à  ooap 
si  doux,  si  indulgent,  si  tendre,  quand  il  s*aglt  de  TAcadé- 
roie?  Comment  tout  son  fiel  s*est-il  changé  enmlel?Qaelte 
ardeur  à  défendre  les  choses  les  moins  défendables,  par 
exemple  :  rien^  donné  pour  adverbe  de  négation  I  S*il  rtt 
trouvé  cette  erreur  dans  mon  livre ,  eût-il  amoncelé  cinq 
pages  d'arguments  pourla  défendre?  J'en  doute  fort  «M.  Génln 
«  rit  de  l'Académie!  L'Académie  aurait  bead  Jeu  pour  imi- 

«  vofjer  la  halle  à  son  aristarque! L'Académie  pourrait 

«  rendre  a  M.  Génin  lamonnaie  de  m  pièce!  ^(?.  38S  et  SS5.) 
Comme  on  reconnaît  dans  ces  nobles  métaphores  le  langage 
exalté  de  la  passion  !  C'est  que  M.  Guessard  peut  bien  plaisan- 
ter quand  il  ne  s'agit  que  de  la  science;  mais  blesser  l'Aea- 
démip,  c'est  le  blesser  lui-même  à  l'endroit  le  plus  sensible; 
alors  il  s'irrite,  il  s'indigne,  il  s'échaufTc  Jusqu'à  la  prosopopée, 
sa  ligure  favorite.  Voici  comme  il  fait  parler  l'Académie ,  se 
Justiilant  d'avoir  reçu  ^n/e  substantif  tronqué,  pour  amie  (i): 

—  «  Jugez  un  peu  de  son  embarras!  L'infortuné  Jeune  homme 
^  eût  été  capable  de  le  confondre  avec  mie  de  pain  ;  et  si  par 
«  ma  faute  ii  était  tombé  dans  une  telle  erreur,  il  n'aurait  pas 
«  eu  assez  de  tout  son  esprit  pour  me  railler;  dans  son  dépit, 
n  Monsieur,  il  eût  encore  emprunte  le  vôtre;  et  alors  c'eût  été 
u  fait  de  moi  !  on  eût  bientôt  lu,  sur  le  monument  élevé  à  ma 
«  mémoire  :  Ci-glt  l'Académie  française,  morte  des  traits  d'es- 
«  prit  que  lui  décochèrent  un  jour  M.  Génin  et  un  Jeune  Prus* 
«sien.  Priez  pour  elle!  •>  (P.  333.) 

Je  ne  pense  pas  que  l'Académie  se  reconnaisse  à  ce  langage. 
Elle  sera  touchée,  comme  elle  doit  l'être,  de  la  protection 

(i)  Je  ne  lui  reprochais  pas  i'adniis.sion  de  ce  mot,  mais  de  n*y  •▼oir 
pas  joint  uq  averti&semenf.  J'avais  supposé  un  jeune  étranger  cherchaDt 
inuiilcmcnt  dans  le  Dictiounaire  de  l'Académie  certains  mots  de  Molière* 


^  457  — 

qm  loi  aeeorde  M.  Gueiurd  ;  mats  je  suis  bien  trompé,  il 
Jamais  elle  lai  donne  chez  elle  la  charge  d'oratenr.  SI  elle 
eomroone  quelque  chose  de  M.  Guessard,  ce  ne  sera  pas  ce 
disco«rs-là  (i). 

Mon  adversaire  a  manqué  d'art,  sinon  d^artlflce»  dans  son 
procédé.  Sa  manœuvre  est  trop  à  découvert  ;  les  tons  de  son 
tableau  sont  trop  crus  et  trop  heurtés;  il  a  trop  négligé  les 
ombres  et  les  voiles,  partes  velare  tegendas.  Le  contraste  per- 
pétuel qu'il  a  soin  d*établir  sous  les  yeux  de  l'Académie  entre 
sa  conduite  et  la  mienne^  entre  mes  censures  et  ses  apologies, 
pourra  choquer  la  délicatesse  de  ceux-là  même  qui  se  sont 
montrés  offensés  de  mes  critiques.  M.  Guessard  s'alarme  avee 
trop  de  faste  d'un  danger  qui  n'a  point  d'apparence;  il  s'em- 
presse trop  de  jeter  des  cris  de  détresse  et  de  voler  au  secours. 
Il  voudrait  foire  croire  que  l'Académie  a  peur  de  moi  y  9^  par 
cmuéquent  besoin  de  lui.  C'est  se  faire  de  fête  où  l'on  n'est 
point  nécessaire,  et  l'Académie  est  assez  forte  toute  seule.  Ap- 
paremment M.  Guessard  trouve  dans  son  rôle  de  grands  sujets 
d'espérance  :  Je  ne  vois  dans  le  mien  aucun  sujet  d'inquiétude. 
Ainsi  nous  avons  tous  deux  bonne  confiance  en  l'Académie, 
mais  par  des  motifs  diamétralement  opposés.  En  cet  endroit, 
si  l'on  me  trouve  obscur,  c'est  que  J'aime  mieux  manquer  de 
darté  que  de  pudeur.  Avant  peu ,  l'on  connaîtra  le  secret  de 
eette  polémique ,  et  Ton  pourra  dignement  apprécier  le  bon 

(z)  M.  Gneuard  et  moi  concourions  alors  pour  le  prix  sur  la  langue  de 
Molière.  L'Académie  Ta  partagé  entre  nous  deux  ;  mais  les  amis  et  admi- 
nleurs de  H.  Guessard  écrivent,  dans  VUntper* ,  qu'une  busse  couleur  de 
foitairianisme  répandue  dans  mes  écrits  «  a  trompé  le  goût  éflM>ussé  de 
«  quelques  TÎeillards ,  et  qu'ainsi  s'expliquent  les  récents  succès  de 
«  If.  Génin  à  l'Académie  française.  »  (fJUntpers  du  24  octobre  184e.) 

Cest  de  la  part  des  amb  de  M.  Guessard  un  vote  de  confiance  contre 
moi,  car  je  ne  suppose  pas  que  TAcadémie  ait  communiqué  mon  manuscrit 
aux  abbés  de  rc/>?iV«ri.  Mais  je  le  publie,  et  ils  pourront  désormais  me  dé- 
chirer sans  trabir  l'excès  de  leur  passion  par  l'excès  de  leur  maladresse.  Si 
■MO  tratail  resserré  en  un  volume  est  incomplet ,  il  sera  complété  par  la 
imbiication  de  celui  de  Al.  Guessard ,  bien  autrement  important,  puisque, 
au  su  de  tout  le  monde ,  le  manuscrit  ne  formait  pai  moina  de  di*  voUami 
mrfoUo.  (Note  écrite  au  mois  d'octobre.) 


—  4M  — 

9>ùt,  réIévatloB  d'âme  quia  combiné  ectta  détaïae  de  TAoa- 
demie  auprès  de  cet  attaques  contre  mon  ouvrage.  Je  ne  sais 
quel  en  sera  le  dernier  succès  ;  je  sais  seulement  qu'en  certaines 
circoustances  données ,  les  flatteries  me  sembleraient  pins  In- 
jurieuses que  les  censures.  Les  raisons  de  M.  Guessard  en 
bveur  de  TAcadémie  se  présentent  avec  une  négligence  qui 
provoque  Tattaque  par  l'appât  d'une  victoire  aisée.  Le  plége 
est  bien  grossier  I  Je  l'ai  vu,  Je  le  méprise,  et  Je  passa. 

La  lecture  de  cette  immense  diatribe  m'a  pourtant  appris 
quelque  chose  dont,  Je  l'avoue,  je  ne  me  doutais  pas  :  c'est 
que  Je  n'ai  pas  fait  mon  livre;  Je  l'ai  pillé  de  tous  côtés.  Si 
J'en  crois  ia  formidable  mémoire  de  mon  critique,  il  n'est 
personne  parmi  les  vivants  ou  les  morts  qui  n'ait  à  revendi- 
quer son  bien  dans  ce  que  Je  croyais  mon  ouvrage,  M.  &ay- 
nouard,  M.  Ampère,  M.  Paulin  Paris,  M.  Fr&ncis  Wey> 
11.  Francisque  Michel,  M.  Guessard  lui-même  (proh  pudar!], 
Robert  Estienne,  Fabry,  Roquefort,  Du  Gange,  Vinappré- 
eiabie  Du  Cange  (Du  Gange  n'attendait  plus  que  cette  épi- 
tbètede  M.  Guessard),  tous  ces  noms  ne  forment  pas  la 
moitié  de  la  litanie  des  savants  dépouillés  par  mes  larcins: 
larcin  est  le  mot,  car  M.  Guessard  ne  suppose  Jamais  qu'on 
ne  sache  point  par  cœur  ses  écrits  et  ceux  de  ses  amis  ;  il  n*ad- 
met  pas  de  rencontre  fortuite,  ce  sont  to\\jours  des  vols  pré- 
médités :  or,  il  ne  reçoit  dans  un  livre  de  philologie  que  des 
idées  toutes  neuves,  absolument  inédites;  ou  bien,  chaque 
fois  qu'on  passe  devant  une  idée  précédemment  effleurée  ou 
entrevue  par  un  autre,  il  faut  tirer  son  chapeau  et  rendre 
hommage.  C'est  ainsi  qu'on  en  use  dans  les  coteries  do  Jour: 
— Je  suis  redevable  de  ce  mot  au  savant  M.  un  tel,  dont  l'iné- 
puisable érudition  égale  l'obligeance  infatigable.  Je  le  prie  de 
recevoir  ici  mes  remerclments.  —  Le  lendemain,  M.  un 
tel  fait  imprimer  à  son  tour,  et  n'oublie  pas  de  mettre 
en  note  dans  le  bel  endroit  :  —  Je  saisis  cette  occasion 
d'offrir  le  tribut  de  ma  reconnaissance  publique  à  mon  sa- 
vanl  ami  M.  tel  autre ,  dont  les  vastes  lumières  sont  d'un 
si  grand  secours  à  tous  ceux  qui  s'occupent  de  ces  questions. 
— La  France  s'honore  de  ses  travaux  I  —  l'étranger  nous  Feu- 


^  469  — 
Ifiel  9\ç.f  etf*  C'est  aioai  qo'à  propos  de  tout  et  de  rien,  d*an 
QUiDQscrit  Indiquéi  d'ane  syllabe  restituée,  d'une  virgule  rec? 
tiQée,  on  sonne  des  fanfares  mutuelles  i  on  se  fait  connaîtra 
réciproquement,  on  se  tient,  on  se  pousse,  on  arrive  à  quel? 
qne  chose,  ne  fiit-ce  qu'à  la  croix  dlionoeor;  on  obtient  le 
grapd  résultat,  le  résultat  unique  qui  se  poursuive  ai]\jour-- 
4'hai|  et  n'Importe  par  quel  chemin  :  paraltrci  faire  du  bruit, 
^  quelqu'un ,  esse  aliquii  ! 

Ffous  avons  continuellement  sous  les  yeux  la  scène  d^ 
Jrlssotin  et  Yadius  :  ils  n*en  out  retranché  que  la  fin  ;  ils  qç 
déposent  plus  l'encensoir  pour  se  gourroer  et  se  prendre  au)( 
cheveux  ;  Tart  de  donner  le  coup  de  poing  et  le  croc-«n- 
jambe  ne  s'exerce  plus  qu'envers  les  membres  d'une  coterie 
adverse;  et,  naturellement,  qui  n'appartient  à  aucune  les  a 
toutes  contre  soi. 

De  même  que  dans  les  salles  d'escrime  chaque  maître 
(iretteur  a  sa  botte  secrète  et  favorite,  de  même  ici  J'observe 
que  cette  accusation  de  plagiat  parait  être  la  botte  secrète,  le 
moyen  victorieux  de  M.  Guessard.  Voici  la  formule  fonda- 
n^entale  mise  à  nu  :  Ce  qui  est  de  vous  est  détestable  ;  ce  qui  est 
bon  n'est  pas  de  vous.  Lorsque  M.  Ampère  publia  son  Hùtaire 
de  Information  de  la  langue  française,  le  même  M.  Quessard 
précipita  sqr  ce  livre  son  avalanche  de  petites  critiques  poin- 
tées, nébuleuses,  douteuses,  entortillées,  auxquelles  le  lecteur  a 
plu§  t6t  fait  de  se  rendre  sans  conviction  que  de  les  examiner 
à  la  loupe ,  avec  la  certitude  de  plusieurs  migraines.  Ce  n'e^t 
pQint  faire  un  grand  compliment  à  M.  Ampère  que  de  répé- 
ter ici  que  sa  science  est  hors  de  doute.  Écoutez  cependant 
M.  Guessard  : 

«  L'ouvrage  de  Bf*  Ampère  n'est  pas  original^  il  s^en  faut! 
}\  pe  l'est  ni  dans  la  théorie  générale,  ni  daqs  les  détails.  M.  Am- 
père a  emprunté  son  système  sur  la  formation  des  langues 
^éO'latinee  à  Scipion  Maffei^  l'a  habillé  d'un  surtout  indo- 
européen,  et  Ta  présenté  au  lecteur  ainsi  déguisé.  A  côté  de 
ce  système  s'élevait  celui  de  âÊ.  Raynouard  ;  M.  Ampère  l'a 
attaqué  et  renversé  avec  les  armes  de  M.  Fauriel...» 

he  reste  de  ce  long  passage  constitue  M,  Ampère  déUtenr 


—  460  — 

de  H.  Dietz ,  de  H.  Schlegel ,  de  M.  Orell,  de  M.  Lewis;  et 

quand  II  est  à  boot  de  noms  propres ,  M.  Ouessard  folt  arriver 
les  complaisants  ei  eœtera  de  H.  Gail ,  qui  do  moins  ne  les 
employait,  lui,  qu'à  se  louer ,  et  non  pas  à  df fflsmer  les  antres. 
Un  petit  détail  entre  mille,  pour  faire  apprécier  la  méthode 
et  la  sincérité  de  M.  Guessard.  M.  Ampère  n*a  pas  em  devoir 
reconnaître  aux  dialectes  l'importance  que  leur  attribuait  le 
livre  de  Fallot ,  en  quoi  Je  suis  parfaitement  de  son  avis  ;  de 
sorte  que  H.  Ampère ,  ni  moi ,  ne  nous  en  sommes  point  oe- 
capes.  M.  Guessard  trouva  que  c'était  une  impardonnable 
lacune  dans  M.  Ampère.  —  «  Une  grande  question  et  neuves 

•  celle  des  dialectes,  offrait  à  l'historien  de  la  langue  firancaise 
«  l'occasion  de  déployer  toute  sa  sagacité  philologique;  mais 
«il  n'existait  sur  ce  sujet  qu'un  livre,  un  seul,  imparfiiit, 
«  inexact  même.  L'analyser  était  Imprudent  ;  (  pourquoi  ?) 
«  pour  le  refaire  il  fallait  du  temps ,  ei  le  reste.  H.  Ampère  a 
«  nié  l'importance  du  problème,  et  par  là  il  s'est  évité  de  le 

•  résoudre.»  [BiblioL  de  l'Éc.  des  chartes,  octobre  1881, 
p.  100.) 

Maintenant  il  s'agit  de  blâmer  le  même  tort  chez  moi ,  et  sur- 
tout de  l'aggraver  le  plus  possible  : 
«  Tout  autre  que  M.  Génin ,  qui  aurait  pris  pour  sujet  Phis- 

•  toirede  la  formation  de  la  langue  française,  aurait  pu^  sans 
«  trop  d* inconvénient^  négliger  les  dialectes;  cette  négligence 

•  n'était  pas  permise  dans  un  livre  sur  la  prononciation.  > 
[Biblioth.  de  CÉc.  des  chartes ,  Janvier  1846,  p.  198.) 

Ainsi,  en  1841 ,  M.  Guessard  déclare  le  péché  de  M.  Am- 
père irrémissible  :  Négliger  les  dialectes  dans  une  histoire  de 
la  formation  de  la  langue  I  6  ciel  I 

En  1846,  Je  comparais  à  mon  tour  au  tribunal  de  la  péni- 
tence. Aussitôt  M.  Ampère  se  trouve  innocent,  et  l'anathème 
passe  de  sa  tête  sur  la  mienne  :  On  pourrait  sans  inconvénient 
négliger  les  dialectes  dans  une  histoire  de  la  formation  de  la 
langue;  mais  dans  les  Variations  du  langage  français ,  c'est 
impardonnable. 

Cela  ressemble  un  peu  à  la  casuistique  des  révérends  pères 
Jésuites,  qui  prisent  si  haut  dans  leur  Journal  l'esprit  charmant 


-461  - 

et  ht  Tasta  érodilton  de  M.  Gnenard.  Gomme  eax ,  M.  GnessarA 
a  ses  principes  de  rechange  ^  selon  les  temps  et  les  gens  ;  co  sys- 
tème n*est  pas  moins  commode  en  critique  qu'en  morale,  et  Je 
ne  suis  pas  surpris  que  cette  théologie  prête  la  main  à  cette 
philologie  :  ce  sont  des  sœurs  qui  s'embrassent  :  getninata 
eonsanans. 

On  vient  de  voir  comment  M.  Gnessard  Juge  une  moitié  du 
livre  de  M.  Ampère,  la  moitié  d'emprunt;  quant  à  l'autre  par- 
tie, celle  qui  appartient  en  propre  à  l'auteur,  écoutez  le  ton 
dogmatique  de  M.  Guess'ard ,  présidant  du  haut  de  son  tribunal 
infaillible  : 

—  «Je  vois  un  mauvais  système  mal  appliqué ,  au  fond; 
«  dans  la  forme ,  nui  enchaînement,  nulle  suite,  nul  ordre  ri- 
«  goureux.  Beaucoup  de  lecture  et  d'acquit ,  mais  peu  ou  point 
«  d'intelligence  directe  du  sujet.  Du  métier,  de  la  science ,  ri 
«  ronveutf  mais  point  d'études  mûfeset  profondes  sur  les  faits 
«  {des  études  m4res  et  profondes/);  des  généralisations  tn- 
«  discrètes  (i)  ;  trop  de  détails  puérils  ou  faux.  » 

(Bibl.  de  PÉe.  des  ch.,  octobre  1841 ,  p.  101.) 

En  d'autres  termes  :  Ce  qui  est  de  vous  est  détestable;  ce 
qui  est  bon  n'est  pas  de  vous. 

M.  Guessard  a-t-il,  comme  il  y  visait,  détruit  le  livre  de 
M.  Ampère?  Pas  le  moins  du  monde. 

Dans  les  citations  précédentes,  substituez  mon  nom  à  celui 
de  M.  Ampère,  vous  aurez  la  critique  que  M.  Guessard  a  faite 
de  mon  livre ,  la  seule  apparemment  qu'il  sache  faire.  Quand 
M.  Guessard  publiera  des  travaux  philologiques,  ces  travaux 
seront  tous  di  prima  intenzione  ;  il  ne  s'appuiera  sur  rien  ni 
sur  personne  ;  il  tirera  tout  de  son  Imagination  et  de  son  gé- 
nie. Mais  quand  en  publiera-t-il  ?  quand  luira  ce  grand  Jour? 


(xj  C'est  aussi  le  principal  grief  de  M.  Guessard  contre  mon  ouvrage. 
M.  Guessard  parait  nourrir  des  prétentions  extrêmes  au  titre  de  personnage^ 
discret;  c*est  pour  y  arriver  qu*il  écrit  des  articles  de  187  pages ,  ayant  soin 
d'avertir,  il  est  vrai,  que  ce  n'est  li  qu'une  faible  partie  de  ce  qu'il  a  sur 
leoGrar. 


Gare  qu'on  ne  poiiM  appllqvtr  trop  joftaBMrt  i  M. 
répigramme  de  J.  B.  Hoossean: 

Petits  auteurs  (Tun  fort  mauvais  journal , 
Pbur  Dieu,  tâches  d*écrire  un  peu  moins  ihil , 
Ou  taiset-tons  sur  le^  Cents  des  autrct. 
Tous  vous  tuez  à  chercher  dans  les  nôtres 
De  quoi  blAmer«  «t  Vy  trouvet  très-bloi  ; 
Nous ,  au  rebours,  nous  cherehons  dans  Ica  tèlris 
De  quoi  louer,  et  nous  n*y  trouvons  rien. 

J'avais  déclaré  ne  travailler  que  poor  la  recherche  de  la  vé- 
rité; M.  Gaessard  m'exhorte  à  ne  travailler  désormais  que  poor 
Targent ,  parce  que  la  vérité,  dit-il ,  me  fuira  toti^ours.  Je  ne 
crois  pas  plus  à  cet  oracle  qu'aux  autres  sortis  de  la  même 
bouche ,  et  Je  renvoie  le  conseil  à  son  auteur,  qui  sçal  de  nous 
deux  est  digne  de  le  suivre ,  ayant  été  capable  de  le  donner. 

Veuillez  recevoir»  Monsieur  et  cher  Éditeur ,  Tassurance  de 
mes  sentiments  les  plus  distingués  et  affectueux. 

Parisi  le  M  octobre  ISM. 

F.  GiNiR» 

ProfMMur  à  la  Fâcoltc  des  ItttrM  df  Strasboarg. 


P.  8.  On  vient  de  me  montrer  »  dans  un  Journal  icli" 
fieux  (i),  deux  articles  où  Je  suis  diffamé,  travesti,  calomnié, 
insulté,  e^c,  pour  la  plus  grande  gloire  de  M.  Guessard  et  de 
saint  Ignace  de  Loyola  Depuis  la  publication  de  mes  Jésuites  ^ 
VUnivers  s'efforce  charitablement  d'appeler  sur  moi  les  ri- 
gueurs du  pouvoir  ;  depuis  notre  concours  sur  la  langue  de 
Molière,  M.  Guessard  sollicitait  discrètement  contre  mes  tra- 
vaux le  ressentiment  de  TAcadémie  ;  tous  deux  travaillent  à 
me  perdre  dans  l'opinion  publique.  Aimable  concert  !  pieuse 
Collaboration  !  association  honnête  et  moralel  M.  GUessard  eon- 

(i)  VUmers  du  ai  et  du  a5  octobre  1846. 


—  46S  — 

Dalt  sans  doute  l'écrivain  anonyme  qui  le  porte  aux  nues,  et  re- 
produit  si  affectueusement  ses  doctrines  et  ses  objections  con- 
tre mon  livre  (sans  dire  un  mot  de  mes  réponses).  Pour  moi , 
Je  ne  le  connais  ni  neveux  le  connaître.  Je  vois  seulement  que 
M.  Guessard  a  pour  soi  Y  Univers;  mais  comme  c'est  V  Univers 
qui  loge  rue  du  Vieux-Colombier,  n^  29,  je  ne  m'en  inqufète 
guère  :  j'ai  depuis  longtemps  renoncé  à  l'espoir  d'être  canonisé 
par  les  jésuites;  au  contraire ,  Je  suis  ravi  de  voir  les  opinions 
de  M.  Guessard  soutenues  par  la  Société  de  Jésus  :  d'une  et 
d'autre  part  l'orthodoxie  me  semble  égale,  et  j'espère  que 
les  deux  causes,  unies  dans  la  défense  ^  ne  seront  point  sépa- 
rées dans  le  succès  définitif. 


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DICTIONNAIRE 

OHITIQDI-: 

DES  LOCITIONS  ET  DES  ALLIANCES  DE  .MOTS 


MTROni'ITBH 


DANS  LA  LANGIE  FHANÇAISE 

PAR   JEAN    RACINE. 


AVERTISSEMENT. 


«  On  s  îiperyiit  que  le  poote,  en  iiiventaiit  nuii  des  mois, 
«  mais  (les  alliances  de  mots  et  des  toui*s  de  phrases,  faisait 
«  pour  ainsi  dire  nne  langue  nouvelle  ;  et  ces  tours  qui  ne 
«  nous  étonnent  plus  aujourd'hui,  parcequ'ils  sont  devenus 
«  familiers  à  la  langue,  furent  critiqués  et  applaudis  :  critiqués 
ce  par  ceux  qui  étaient  servilement  attachés  à  la  grannnaire,  et 
«  applaudis  par  ceux  qui  sentirent  (jue  c'était  donner  à  la 
«  langue  de  la  grâce  et  de  la  nohlesse  que  de  Taffranchir  (|uel- 
«  quefois  de  la  servitude  grammaticale  ^  » 

Ces  observations  de  Louis  Racine  indiquent  et  résument 
tout  le  travail  de  ce  dictionnaire.  Reste  à  dire  quehiues 
mots  des  auteurs  que  nous  avons  consultés,  et  de  la  méthode 
(|ue  nous  avons  suivie.  Ce  sont  les  contemporains  de  Racine, 
ceux  qui  attaquaient  avec  le  plus  de  violence  les  tours  de 
phrase  dont  il  a  enrichi  la  langue,  qui  ont  été  notre  lumière. 
Sans  ces  critiques,  en  effet,  il  eût  été  souvent  impossible  de 
reconnaître  les  nouveautés  du  poète,  tant  ce  qui  scandalisait 
les  grammairiens  de  son  siècle  nous  parait  aujourd'hui  simple 
et  naturel,  l'usage  ayant  tout  légitimé,  tout  nivelé,  et  la  lan- 
gue du  poète  étant  devenue  la  langue  de  tout  le  monde. 

Après  cette  première  étude,  les  notes  de  Louis  Racine,  La 
Harpe,  Geoffroy,  d'Olivet,  nous  ont  fourni  une  abondante  mois- 
son. Puis  enfin,  une  dernière  lecture  fiiite  la  plume  à  la  main 
du  théâtre  entier  de  Racine  est  venue  compléter  notre  œuvre. 

'  OEiiv.-es  de  Louis  Rucine,  tome  V,  p.  r»G(). 


IV  AVKUTISSKMKNT. 

L(*  iTsultal  (le  ce  travail  roriiie  plus  <le  (|uatro  ceiiU  articles,  et 
ri<Mi  u'eiit  été  plus  facile  que  de  doul)ler  ce  nombre.  Pour  s'en 
convaincre,  il  sufïit  d'ouvrir  au  hasard  un  des  chefs-d'œuvre 
<ie  ce  jrrand  pot»le.  On  sera  bien  malheureux  si  dès  la  pn»- 
mière  pa^e  on  ne  rencontre  un  tour  ou  une  forme  digne  de 
iixer  l'attention  on  même  de  faire  le  sujet  d'une  nouvelle  note. 
(Test  un  plaisir  que  nous  avons  laissé  à  nos  lecteurs. 

Quant  à  la  partie  grammaticale  de  cet  ouvrage,  souvent 
nous  avons  eu  recours  aux  lumières  d'un  de  nos  plus  sui- 
vants ))liilologues,  M.  G)llel,  professeur  de  FUniversitc.  Ses 
étnd(*s  profondes  du  génie  de  notre  langue  nous  ont  aidé  à 
trancher  plus  d'une  question  délicate,  et  nous  ne  saurions 
trop  le  remercier  des  soins  qu'il  a  bien  voulu  donner  à  la  ré- 
vision complète  de  ce  dictionnaire. 

L.  A.  M. 


iKii 


DICTIONiNÀiRE 

r.RiTiorE 
DES  LOCITIONS  KT  «ES  ALLIANCES  DE  MOTS 

IMRODl  ITKS 

DANS  LA  LANGUE  KHANÇALSK 

FAR   JEAN    RACINK. 


Abord  pour  arrivée, 

D^ja  de  leur  aliord  la  noiivi'lîi*  fM  «emee. 

Iph.,  aot.  I ,  «r.  IV. 

D'après  le  téinoignngc  de  Riclielel ,  ce  mot  se  disait  eiirore  du 
temps  de  Racine  pour  atrivée  :  aujourd'hui  il  est  vieux ,  même  dans 
le  sens  (ïapprochey  mais  il  a  une  troisième  acception.  Molière  a  dit  : 
«  Préparez-vous  à  soutenir  avec  l'erraeté  V abord  de  votre  père.  »  En 
ce  sens,  il  n'a  pas  de  synonyme,  et  il  faut  le  conserver. 

Absolus  pour  puissants. 

Que  ra««  veut  «ur  votre  am«!  ^toienl  pin*  absolue. 

Andr.,  ad.  III,  ■»«'.  il. 

La  Harpe  justifie  suffisamment  celte  métonymie  par  son  analogie 
avec  les  expressions  régner  absolument ,  pouvoir  absolu.  On  peut 
cependant  objecter  que  le  sens  du  mot  absolu  n'étant  pas  suscep- 
tible de  plus  ni  de  moins,  ne  peut  admettre  le  comparatif  p/us  absolu. 

Accordes  des  désirs. 

Tou9  \oi  désira.  Kitthcr,  tous  seront  arrordéR. 

/?jî/A..  act.  III,  *f.  IV. 

On  dit  combler  des  désirs^  accorder  des  demandes.  Racine  emploie 
ici  le  désir  pour  la  chose  désirée,  (i'est  une  hardiesse  qui  facilite  la 
poésie. 

Accroître,  coxnoître. 

Mai-i  dam  mon  di>«e9poir  je  cherche  à  les  acornistre, 
Madame,  par  pitié,  faites-le-moi  connoistre. 

Milhr..  act.  II,  sr.  vi. 

Racine  écrivait,  dans  sa  dernière  édition,  accroistre,  connoistre.  et 
l'on  pronon(,^ait  accraftre,  connaitre.  Ainsi  ces  mots  rimaient  égale- 
ment aux  veux  et  à  l'oreille.  Aujourd'hui ,  on  prononce  accroître  et 

I 


2  DICTIONNAIUE  CRITIQUE. 

rtmnaitre^  et  rcs  deux  intils  iio  riiiienl  plus  ni  aux  yeux  ni  à  rori'iltc  ; 
il  n'y  n  (le  rnisoii  do  ces  oliangonuMiU  que  les  caprices  de  Fusagc. 
(Voyez  le  mol  Rime,) 

La  llaq)e,  s*appuynnl  de  Tédilinn  de  1087,  el  d^une  noie  de  Louis 
Racine  sur  Alexandre,  acte  1",  scène  ii,  affirme  que  Racine  écrivait 
connAitre  e(  parAHre.  Pour  compléter  sa  note,  il  aurait  dû  ajouter  que 
Racine  n*adoptnit  Ta  au  lieu  de  Po  dans  ces  deux  verbes  que  lorsqu^il 
avait  l)esoiii  de  les  Taire  rimer  avec  le  mot  maître.  En  eflet,dan8  tous  les 
autres  cas,  le  poêle  suit  rorthograplie  de  son  temps  ;  c'est  ce  que  prouve 
Tédition  même  de  1(187  invoquée  par  La  Harpe,  où  les  mots  cormaiire 
et  paraître  sont  successivement  écrits  par  un  a  et  par  un  o  suivant  les 
nécessités  de  la  rime.  Racine  n'est  donc  pas  Finvenleur  de  Tortlio- 
graphe  attribuée  à  Voltaire,  comme  La  Harpe  Ta  décidé  un  peu  tmp 
vite  dans  une  note  de  son  Commentaire,  note  que  nous  avons  adoptét% 
et  quePexamen  de  l'édition  de  1087  nous  oblige  aujourd'hui  à  retran- 
cher de  notre  travail. 

Achever  in  dessein. 

IVarhoTcr  un  (i«>!>Ac>iii  qu'il  |i«!ut  n'atoir  pas  pri«. 

Alrr.,  act.  I,  $e.  m. 

D'Olivet  a  blâmé  celte  expression,  achever  un  dessein ,  et  dans  la 
note  du  commentaire  nous  avons  adopté  son  avis.  Toutefois,  plu- 
sieurs exemples  pris  dans  Voltaire  nous  ont  amené  à  reconnaître  que 
le  mot  dessein  peut  être  pris  également  dans  le  sens  de  résolution  el 
dans  le  sens  iVexi'cution,  C'est  ainsi  que  l'on  dit  concourir  au  dessein 
de  quelqu'un^  c'est-à-dire,  à  rexéeution  de  son  dessein  ;  venir  à  ttout 
de  ses  desseins  y  c'est-à-dire,  venir  à  boni  d'exécuter  ses  desseins. 
Voltaire  a  dit  :  Jacques^  son  père,  avait  enfin  entamé  ce  dessein.  Or 
il  est  clair  qu'un  dessein  entamé  d(»il  pouvoir  être  achevé.  L'expres- 
sion de  Racine  est  donc  justifiable. 

Admirer  si. 

J*a«liniroi-«  ^i  Malhiin ,  ili-|Hiuinant  l'artiruT . 
Avoil  pu  de  $on  cœur  snrnionlcr  rinju.^ticc. 

Alh.,  a»«l.  m,  s.'.  IV. 

(Vesl-à-dire  :  je  m'étonnais  de  ce  «pie...  liellénisme  ôa'j{i.a^«o  ii. 
Nous  disons  encore  avec  la  négation  :  je  ne  m'élonne  pas  si... 

Adresses  pour  ruses. 

Sa  haine  sait  cacher  »e«  tronipcu.<i>5  ndrc«->c.«. 

Milkr.,  aot.  1,  m*,  v. 

(îeolTroy  blùmc  le  mol  adresse  au  pluriel  ;  mais  ce  mot  s'employait 
ainsi  du  temps  de  Racine;  témoins  ces  vers  du  poêle  nalibra\  : 

Apprendii  qii«'  l'on  drle>l»' 

Ton»  ceux  qui  comme  loi  par  de  lAcho»  adrcMe» 
J^e*  pnncç-i  nialki'urenx  nournsKent  le»  foil»Us«e«t. 


DICTIONNAIRE  CIUTIQUE.  5 

Affable. 

Lui,  parmi  ces  Iran^porU  afTable  tant  urKiieil. 

Ath.,  arl.  V,  *c.  i. 

Le  mol  élait  nouveau,  el  La  Bruyère  ne  s'était  permis  «le  Técrirc 
quVn  italique  ;  Racine,  en  remployant,  le  fit  français,  malgré  le  cé- 
lèbre Palru,  qui  le  condamnait. 

Afflige  sa  misère. 

J'ai  tantôt,  tanii  retp«rt,  affligé  ta.  misère. 

TpA.,  art.  III,  sr.  iv. 

Affliger  la  misère,  c'est  ajouler  quelque  chose  à  la  misère,  c'est 
accroître  le  malheur  de  quelqu'un.  Iphigénie  veut  toucher  Achille, 
elle  se  fait  plus  coupable  qu'elle  n'est.  Le  pocle  exprime  tout  cela  en 
deux  mots. 

Age. 

Qae  de  voai  présenter,  madame ,  avec  ma  fui , 
Tout  Vâge  et  le  malheur  que  je  traîne  avec  moi. 

Mithr.,  art.  III,  «c.  r. 

Présenter  tout  l'&ge  qu'il  traîne  avec  lui.  Quelle  image,  et  comme 
ce  mot  TOUT  appesantit  encore  le  fardeau  du  vieillard  î  Mettez  :  et 
Vâge  et  le  tnalheur,  le  vers  devient  plus  élégant,  mais  son  eflel  est 
détruit. 


Aile. 


$»oaf  l'aile  du  Seig;neur  dans  le  temple  cleté. 

Ath.,  act.  I,  se.  11. 


L'aile  du  Seigneur  est  une  touchante  métaphore  pour  exprimer  sa 
protection  toute  maternelle,  sens  qu'indique  encore  le  mot  élevé  qui 
termine  ce  vers. 

Ajouter  ce  comble,  pour  mettre  le  comble. 

Vous  pourries  ajouter  ce  comble  à  mon  malheur. 

Iph.,  act.  V,  se.  II. 

Ajouter  un  comble ,  c'est  quelque  chose  de  plus  que  combler  la 
mesure,  c'est  combler  deux  fois  :  l'expression  est  belle  et  hardie. 

.4 JOUTER  des  titres  aux  rois,  pour  ajouter  des  titres  au  titre  de  roi. 

Attendes  pour  partir  que  César  tous  renToic 
Triomphant  et  charge  des  titres  ^ouverainii 
Qu'ajoute  encore  aux  rois  l'amitié  de*  Romains. 

Bérèn.y  act.  1,  se.  m. 

Ellipse  hardie,  et  qui ,  par  sa  hardiesse  même,  dit  Geoffroy,  peint 
la  supériorité  du  peuple  romain  sur  les  rois. 

Altiers,  voyez  Rime. 


4  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

Amoub  qui  se  forme. 

A  Tint  qu«  (Un«  »on  rtrar  crtte  amour  fAt  foraM*. 

Haj,^  «cf.  I.  se.  If. 

On  dit  former  les  ^ntimenls  de  quelqu'un  ;  mais  on  ne  forme  (las 
les  passions,  on  les  inspire.  Le  terme  parait  impropre. 

Apprivoise. 

Ce  ftrourhe  enoemi  qu'on  ne  pouvoit  dompter. 
(>  tigre  que  jamais  je  n'abordois  sans  crainte , 
Soumis,  apprivoise,  reronnoît  un  vainqueur. 

Phrdr.,  ael.  IV,  sr.  vi. 

Un  ennemi  apprivoisé.  Ce  mot  est  heureux,  et  il  est  amené  par  le 
mol  tigre. 

Approche. 

yéloit  que  de  son  cour  le  trop  juste  reproche 
Lui  fait  peut-être ,  hélas  !  éviter  cette  approche. 

£?a;.,  act.  III,  *c.  m. 

Cette  phrase  signifie  :  Rajaxet  évite  son  approche  de  moi  ;  or  ou 
évite  rapproche  d'un  autre,  mais  on  n'évite  pas  sa  propre  approche. 
Si  on  veut  traduire  apjtrochê  par  entrevue^  il  y  aura  une  autre  im- 
propriété d'expression. 

Arma  votre  verti*. 

Qui,  d'un  lèle  trompeur  à  vos  veoi  revéhi, 
CUintre  notre  innocence  arma  votre  vertu. 

Knth.,  *c«.  111,  fc.  IV. 

Accusation  de  perfidie,  louanges  flatteuses,  apologie  naïve  ;  il  v  a 
tout  un  plaidoyer  dans  cette  seule  expression,  armer  votre  vertu  rtmtrr 
notre  innocence. 

S'armer  d'un  oeil  fier. 

S'armant  d'un  œil  si  ber,  d'un  front  si  redoutable  ! 

Phi-dr.,  act.  IV,  se.  v. 

Expression  poétique  qui  fait  image.  S^armer  d'un  œil  si  fier  :  on 
voit  le  farouche  Hippolyte. 

Armer  d'un  moment  de  RiouErR. 

Kt  tans  armer  mes  yeui  d'un  moment  de  rigueur. 

Anrirom.,  act.  II,  »c.  i. 

Que  de  belles  expressions  dans  un  seul  vers  !  armer  ses  yeux,  cl 
les  armer  d'un  moment  de  rigueur.  En  lisant  ce  vers,  l'audace  de 
cette  alliance  étrange  disparaît  pour  ne  laisser  voir  que  la  vérité  et  U 
poésie.  La  rigueur  d'Hermione  pour  Pyrrhus  ne  pouvait  être  en  eflel 
que  d'un  moment. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  S 

Arracher  la  naissance. 

Qui  m'arrarha  d'un  coup  ma  naisMoce  et  ton  père. 
Iph.,  art.  [I.  se.  i. 

Arracher  la  naissance  est  là  pour  ôter  les  moyens  de  faire  connaître 
le  secret  de  la  naissance.  Tout  ce  qui  précède  sert  a  donner  de  la 
clarté  à  ce  vers  plein  de  force  et  de  précision.  Il  est  bon  de  remarquer 
aussi,  en  recourant  à  la  scène  même,  la  beauté  progressive  de  cette 
période  de  six  vers. 

Assembler  pour  arranger. 

A  prit  soin  sur  mon  front  d'aMembl«r  mes  cheveux. 

Phi'dr.,  aci.  I .  »r.  m. 

Arranger  serait  ici  un  mot  faible.  Ses  cheveux  étaient  épars,  une 
main  étrangère  a  pris  soin  de  les  assembler.  C'est  bien  la  langue  du 
poète. 

Assurer  pour  rassurer. 

0  bonté  qui  m'aitture  autant  qu'elle  m'honore  1 

Ksf/t.,  act.  II,  se.  ni. 

Du  temps  de  Racine,  le  mot  assurer  s'employait  encore  dans  le 
sens  qu'il  lui  donne  ici  ;  il  est  très  ancien  :  on  le  trouve  dans  la  tra- 
duction de  Plutarque  par  Amyot,  t.  \Y|,  p.  30.  Racine  Ta  employé 
une  seconde  fois  dans  Athalie.  Abner  dit  à  Josabeth  : 

Princesse,  assurei-voui ,  je  le*  prends  sous  ma  garde. 
Ath.,  act.  II,  se.  fil. 

Aujourd'hui  assurer  avec  un  régime  direct  signifie  certifier.  Le  mot 
était  inutile  ,  Racine  n'a  pu  le  conserver. 

Assurer  pour  mettre  en  sûreté. 

Si  mon  hymen  prochain  ne  peut  vous  assurer. 

Iph.,  a«"t.  IV,  «f.  II. 

On  dit  encore  aujourd'hui  assurer  une  place,  un  pays ,  une  pro- 
vince^ pour  mettre  on  sûreté.  Du  temps  de  Racine,  ce  mol  avait  une 
signification  plus  étendue.  Pascal  a  dit  :  On  assure  la  conscience  en 
montrant  la  fausseté;  on  n'assure  pas  la  bourse  en  montrant  l'in- 
justice. 

S'assurer  aix  bontés. 

Mais  je  m'aHsurc  encore  aui  boMt«>8  de  ton  frère. 

HnJ.y  art.  II ,  ac.  i. 

Locution  purement  latine  que  Racine  n'a  malheureusement  pu  faire 
passer  dans  notre  langue.  Elle  donne  dans  certains  cas  plus  de  rapi- 
dité à  la  pensée  que  s'assurer  dans,  qui  est  la  locution  d'usage. 


6  DIGTlOiNNAIRE  ClUTIQUE. 

Astres  ennemis. 

I)e>  utret  eniwmu  j'en  rraiiu  motn$  le  ruurroos. 

Bsth.t  «M.  II.  M.  vil. 

Cette  expression  si  poétique  a  de  plus  le  mérite  de  la  convenance 
dans  la  bouche  d^un  prince  qui  croyait  à  Taslrologie. 

Attache. 

D^tillour»  pour  cet  enfant  leur  attache  e<t  vifible. 

Ath.^  act.  III,  M.  il. 

Ce  mot  est  plus  expressif  et  plus  vigoureux  ([uî' attachement.  L*au- 
(orilé  de  Racine  doit  nous  le  faire  conserver. 

Attacher  des  jours  a  des  périls. 

Pour  attacher  d«f  jours  tranquille*,  rortanèf. 
Aux  péril»  dont  !«•>  jours  rtoient  envirunnéi. 

Jiaj.t  act  IV,  »c.  V. 

C*cst  encore  là  un  de  ces  tours  hardis  dont  la  justesse  égale  la  ri- 
chesse poétique.  Et,  en  eflet,  Roxane  on  se  livrant  à  son  amour  n*a  fait 
t(u*attacher  ses  jours  à  des  périls. 

Attacher  une  haine. 

Rome,  K  re  nom  «i  nuble  et  «i  uint  autrefuit. 
Attacha  pour  jamait  une  Itainc  pui««ante. 

Bcrén,^  art.  Il,  te.  ii. 

Il  est  impossible  de  mieux  rendre  la  persistance  de  cette  haine 
pour  les  rois ,  qui  survécut  aux  dernières  traces  de  liberté  chez  les 
Romains.  Ils  appelaient  les  étrangers  regeis  et  gregeis^  rois  et  trou- 
peaux I 

Attendre  un  espoir  pour  quelque  sujet  d'espérer. 

Peul^élrc  clic  n'attend  qu'un  e»poir  incertain. 
Hnj.^  act. 

Attendrir  la  victoire  pour  attendrir  le  vainqueur. 

Laift!<c  aux  pleuro  d'une  épouse  attendrir  m  victoire. 

/ph.,  art.  111,  se.  iv. 

La  beauté  de  celle  expression  tient  à  cette  pensée  que  la  victoire  est 
presque  toujours  cruelle,  vœ  viclis.  Les  vainqueurs  se  laissent  diffi- 
cilement toucher.  Racine  s'est  servi  une  seconde  fois  de  cette  expres- 
sion ,  et  peut-être  d'une  nianiôro  encore  plus  touchante  dans  ce  vers 
de  Milhridnte  : 

(^ucllf  vivf  iloiiliur  attcndril  nos  adieux  ! 

AlGlSTE. 

|>i*  fiitr''  .ui;!ii?>lr  |)«>r<'  act'iiin|ia{!iii!i  lo  \m*. 

Alh..  i.i.  I,  'i.  III.  . 

(.0  mol  nvfjustp,  pris  dan»;  le  sens  piopiv.  pour  «'xprinior  qiii'li|iio 


DICriOiNWAlKE  CKITIUUE.  7 

(liose  de  grand  l'I  de  royal,  quelque  chose  ijui  impose  le  respect,  éUil 
nouveau  alors,  llacinc  n'est  pas  le  premier  qui  Tait  employé  en  ce 
sens.  Toulofois,  il  esl  remarquable  que  Louis  Uacine  a  cru  nécessaire, 
SI  non  de  le  justifier,  au  moins  de  Texpliiiuer.  CVst  une  chose  sin- 
gulière que  ce  titre  dWugustus^  donné  pur  les  Komuins  à  Octave  et 
à  ses  succes»curs,  soit  devenu  un  des  plus  In^aux  mots  de  notr<* 
langue. 

Aux  NEVEUX. 

Votre  règne  aut  iievcui  doit  servir  de  modèle. 

Es  th.,  ;icl.  Il,  sr.  >. 

Aux  neveux  pour  à  nos  neveux,  tour  latin  dont  Kacine  offre  un 
second  exemple  dans  Britannicus. 

AUSPICE. 

Jamais  l'hymen  rormc  sous  U  plus  notr  auspice. 

Mitkr.,  oct.  1,  se.  II. 

Voilà  une  singularilé  de  la  langue.  Lorsque  le  mot  auspice  est  pris 
au  figuré,  connue  sous  vos  auspices^  il  nu  point  de  singulier  ;  il  en  a 
un  quand  il  est,  comme  ici,  au  propre  pour  augurium. 

Avant  que  pour  avant  de. 

Maiit  a\ant  que  partir  je  me  ferai  justice. 

Mithr.,  a* t.  Ill,  se.  i. 

Avant  que  ne  se  met  plus  devant  un  iniinitif;  il  faudrait  dire  au- 
jourd'hui avant  de,  locution  vulgaire,  et  (|ui  vaut  beaucoup  moins  que 
la  forme  abandonnée. 

Avenir,  advenir. 

Ou  bien  quelque  malheur  qu'il  en  puisse  avenir. 

Aîilhr.,  art.  l,  se.  i. 

Vieux  mot  qu'il  ne  faut  pas  laisser  perdre.  Racine,  en  s'en  sorvaiil, 
n'a  pu  le  rajeunir;  cependant  il  est  plus  noble  qu*arriver. 

Avertir  pour  apprendre. 

Qu'e»t^-ce  qu'on  vous  écrit?  daignes  m'en  avertir. 
Iph.,  act.  I,  sr.  I. 

La  Harpe  dit  que  daignez  m'en  instruire  était  la  phrase  absolu- 
ment nécessaire.  C'est  une  erreur;  on  dit  très  bien  dans  le  style 
familier  :  S'il  vient  quelqu'un,  vous  m'en  avertirez,  pour  vous  nreii 
instruirez,  vous  m'en  donnerez  avis.  Encore  aujourd'hui  l'Académie 
le  prend  dans  ce  sens. 


Avertir. 


Et  n'avertissez  point  la  cour  de  vou.-»  quitter. 
Un/.,  act.  l ,  - 


Le  verbe  avertir,  dit  avec  raison  Louis  liarine,  n'avait   point   i>ii- 
core  clé  employé  dans  un  sens  si  beau. 


«  DICTIONNAIKK  CRITIQrK. 

Avoir  comptk  a  rendre. 

De  mille  «iitiTt  ««rrelf  j'aurai  riMapU;  »  taus  nnidrc. 

Hrit.,  art.  III,  wc.  vu. 

J'ai  compte  à  vous  rendre^  dit  La  Har])o,  osl  une  coii9truclîon  vi- 
cieuse :  on  dit  atH)ir  à  rendre  compte,  la  phrase  est  toute  faite,  et 
Ton  ne  peut  rien  y  changer.  11  nous  si^mble  au  coulraire  que  Teipres- 
sion  de  Racine  dit  tout  ce  que  dit  la  phrase  toute  faite,  et  quVlle  le 
dit  plus  rapidement,  cVst-à-dire  mieux.  Elle  est  donc  digne  d^étre 
française,  et  Tautorité  de  Racine  doit  la  faire  adopter. 

Avoir  num. 


j'ai  nom  FJiarm. 

Ath..  art.  11,  »c.  vil. 

La  Harpe  a  vu  dan;*  cette  phrase  un  latinisme  :  nomen  haberr 
Petrum.  Cette  phrase  est-elle  bien  latine?  Ne  serait-ce  pas  plutôt  mihi 
nomen  est  Petrus,  traduit  par  :  J'ai  nom  Pierre,  mihi  est  se  tradui- 
sant presque  toujours  par  j'ai  ?  Mihi  est  liber,  j'ai  un  livre.  Mais  alors 
la  tournure  du  vers  de  Racine  est  un  gallicisme,  et  non  un  latinisme. 
Au  reste,  ceux  qui  ont  dit  que  cette  forme  naïve  était  nouvelle  à  l'é- 
poque de  Racine  se  sont  trompés  :  on  la  trouvé  dans  le  dictionnaire  de 
Nicot,  au  mot  Som, 


R 


Rarrière  des  Ml  rs. 


Dr»  mur»  de  re  palai*  oii\rei-lm  U  barrirrr. 

lifij.^  j«*t.  I  ,  «1-.  II. 

Partout  ailleurs  celle  eipri-ssio»,  la  barrière  des  murs,  sérail  im- 
propre, mais  ici  elle  esl  juste,  par('e({u'il  s'agit  des  murs  du  sérail. 

Roi  RE  LA  JOIE. 

Semble  boire  AXfc  liii  la  joie  i  |)lnnf  coupe. 

Kst/i.,  art.  II.  >  .  i\. 

Belle  expression  eiiipruiilée  àv  Virgile,  qui  dit  que  Didon  buvail 
l'amour  à  longs  Iraits. 

Loiigiimiiuf  bibrlut  Ainorcin. 

MaisTiuiage  de  Racine  esl  plus  jiisie,  en  ce  que  le  vin  que  Ton  boi( 
inspire  la  joie. 

BoNHECR  ou  IL  PENSE. 

Un  bonheur  ou  pcut-^tre  il  n'nie  plu>  penser. 

firr.,  a.l.   V,  sc.  I. 

Selon  Louis  Racine,  un  bonheur  où  j'aspire  esl  exact ,  un  bonheur 
«III  jf  pense  ne  l'esl  pas.  La  grammaire  donne  la  raison  suivante  de 
relie  espèce  de  bizarrerie.  Le  mol  oîi  s\>tMploie  dnns  le  sens  à*au(juel 


DICTIONNAIRE  CRlTlUUfc:.  » 

avec  un  verbe  qui  marque  une  sorte  de  mouvement,  tel  qu'aspirer, 
prétendre;  mais  avec  un  verbe  de  re|)os,  tel  que  penser^  il  signifie  tou- 
jours dans  lequel.  IVaprès  cette  règ:le,  qui  souflVe  peut-iMre  quelques 
exceptions  en  poésie,  le  vers  de  Racine  est  rcprchensible. 

Bords  du  crime. 

Ju»que5  dui  burds  du  crime  il»  cunduÏMnl  nus  pas. 

Frères  enn.,  »ct.  III,  ic.  m. 

On  dit  pousser  au  crime ,  tombei'  dans  le  crime ,  comme  dans  un 
précipice  :  le  bord  du  crime  est  donc  le  bord  d'un  abîme.  Celte  ana- 
logie suffisante  justifie  Pexpression  de  Racine,  mal  à  propos  blâmée 
par  I^a  Harpe. 

Bores. 

Ai-je  betoin  du  *Atm  de»  bours  el  de»  gi>ni9:>e»? 
Le  *»n}î  de  *o«  roia  cric,  et  iiVsl  poinl  écoute. 

Ath.,  ift.  I,  w.  I. 

Racine  sait  relever  ce  mot  en  Punissant  à  celui  de  génisses  et  en  le 
faisant  suivre  de  celle  belle  expression  :  Le  sang  de  vos  rois  crie. 
Ainsi  les  mots  s'ennoblissent  \mr  le  rontrasie.  (Voy.  le  sang  crie.) 

Boi'CHK    MUETTE    A    l' ENNUI. 

Kt  votre  bouche  encor  muette  k  tant  d'ennui. 

Andr.,  act.  IV,  »c.  il. 

Muette  à  tant  d'ennui.  Ce  régime  du  datif  avec  Tadjeclif  muet  est 
d'une  grande  hardiesse.  Racine  l'a  employé  une  seconde  fois,  cl  en- 
core plus  beureusemenl  au  cinquième  acte  : 

Muet  À  me»  Miupirs,  tranquille  à  me*  alarmes. 

C'est  une  excellente  construction,  el  dont  on  ne  trouve  pa» 
d'exemples  avant  Racine.  (Voy.  le  commentaire.) 

Braver. 

Retouruuii;»-y,  je  veut  la  Oriivei  à  »a  tuc. 

Andr.,  art.  II,  i»c.  v. 

L'élymologie  de  ce  mot  est  incertaine.  Ménage  le  fait  venir  de 
protmSj  d'où  serait  \enu  preuœ^  et  dont  on  aurait  fait  bravus.  Tout 
*cela  est  bien  douteux. 

Bruit  d'un  nom. 

Et  de  votre  ^rand  nom  diminuer  le  biuit. 

Mitkr.,  act.  III.  -r.  i. 

Hruit  pour  gloire^  expression  aussi  belle  que  prolondéinenl  philo- 
sophique. 

Bruit  injurieux. 

D'abord.  \nu5  U  *avt'i,  un  hntif  inj  tu  U'U  i . 

Milht.,  act.   V.  »f.  I. 


10  Dn:TIONNAIRE  CKITI^UK. 

Heureuse  expression  :  Tinjurc  notait  qu^uii  bruit,  riiwtlimr 
cherche  à  aiïaihiir  par  ce  mot  reflet  cl^une  autre  nouvelle  plus  fatali- 
encore. 

Bbl-leb  de  voib  pour  désirer  ardemment. 

Quoiqu'il  brûle  de  voir  tout  l'uiiiTert  •onmit. 

AUx.,  Kl.  I,  x-.  1. 
Vouê  brûles  Qut'  je  nv  «ois  partie,  etr. 

Iph., 

I^ouis  liacinc  siguale  ces  expressions  toutes  poétiques ,  non  coninir 
nouvelles ,  mais  comme  appartenant  nu  bel  usage. 


C 


Camp  pour  armée. 


Que  tout  leur  ramp  nombreus  «oit  devant  te»  soldats, 

Coinniti  d'enfante  une  troupe  inutile. 
Rt  %\  par  un  chemin  il  entre  en  tes  État*, 

Qu'il  m  sorte  par  plus  de  mille. 

Etth.,  art.  III,  se.  m. 

Ici  Kacine  dit  de  tout  un  camp  qu^il  entre  et  qu'il  sort,  comme  il 
dirait  d'une  armée  qu^elIc  avance  ou  qu'elle  marche. 

Ce  jour  pour  aujourd'hui. 

Et  cependant,  ce  jour^  il  épouse  Androisaque. 

Andr.,  act.  IV,  se.  m. 

Racine  a  préféré  celte  locution  à  toute  autre,  car  il  lui  était  facile 
de  mettre  aujourd'hui  cependant.  Mais  celle  dernière  forme  eût  été 
moins  vive  :  Hermionc  appuie  ù  dessein  sur  ce  mot  :  ce  jour.  C'est 
tout  pour  elle.  Le  latinisme  est  heureux  ;  aussi  Racine  l'a-l-il  em- 
ployé une  seconde  fois  dans  Bérénice, 

Ce  semble  pour  à  ce  qu'il  parait. 

Quoique  partout,  co  semble,  accablé  sous  le  nombre. 

Alei.^  AC»,  IV,  se.  11. 

Ce  mot,  tombé  en  désuétude,  s'emploie  encore  dans  le  langage  fami- 
lier. Après  Racine,  on  ne  le  rencontre  plus  dans  le  style  noble.  Il* 
manque  à  la  langue,  et  les  bons  écrivains  devraient  le  rajeunir.  La 
phrase  suivante,  citée  dans  le  diclionnnire  de  Nicol  :  Belle  nEsefnbleà 
veoir,  ferait  croire  que  ce  verbe  était  autrefois  pronominal  et  tradui- 
sait le  passif  videtur. 

(''est  ce  gui  résumant  un  pluriel. 

Kl  lou^  l*c^  beaux  e&ploil.»  qui  le  funl  ddiniror, 
r,'osi  ce  i|iii  ino  le  fait  ju^^teintMit  abhorrer. 

Frrres  cm  m..  .u-I.  I,  '•'.  v. 

.N(»us  a\ons  dil  dans  le  coninienlaiiv  qu<'  colli'   |)lii.i>«'  <sl  iiucu- 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  U 

reclc,  mais  un  plus  mûr  examen  nous  oblige  à  revenir  sur  noire  ju- 
gement. L^indélini  ce  pouvant  résumer  un  ou  plusieurs  pluriels. 
Racine  a  pu  dire  :  c'est  justement  tout  cela  qui  me  le  fait  abhorrer. 
La  phrase  ainsi  construite  est  très  claire,  et  elle  a  beaucoup  plus 
de  force  qu^elle  nVn  aurait  avec  le  verbe  au  pluriel. 

Chambre. 

De  princes  égorgés  la  chambre  étoil  remplie. 

Ath.^  act.  I,  se.  II. 

La  simplicité  de  cette  expression ,  la  chambre,  est  relevée  par  la 
richesse  des  mots  qui  Tcnvironnent  et  par  le  contraste  d^un  terrible 
événement. 

Changement  de  temps.  —  S'il  m'écuappoit  un  mot,  c'est  fait. 

S'il  m'échappoil  un  mut,  c'est  fait  de  votre  vie. 

BaJ.,  act.  Il,  M'.  I. 

L^emploi  de  ces  deux  temps  blesse  les  lois  de  la  grammaire,  mais 
la  faute  est  rachetée  par  une  grande  beauté.  Racine  pouvait  mettre  : 

S'il  m'échappe  un  seul  mut,  c'est  Tait  de  votre  vie. 

Dès  lors  Ténergie  de  sa  phrase  disparaissait.  Cet  imparfait  et  ce 
présent  n'ont  point  été  mis  la  sans  raison.  La  longueur  de  l'un 
augmente  la  vivacité  de  l'autre.  Il  semble  que  Roxane  veuille  mar- 
quer par  le  premier  verbe  qu'elle  est  bien  éloignée  de  vouloir  pro- 
noncer ce  mot  fatal ,  et  que  par  le  second  elle  fasse  sentir  cependant 
avec  quelle  rapidité  elle  serait  obéie  si  le  mot  lui  échappait.  Cette 
nuance  dans  la  pensée  et  dans  Tcipression  est  plus  visible  encore 
lorsqu'on  essaie  de  construire  la  phrase  d'une  autre  manière;  car 
alors  l'effet  est  entièrement  perdu.  En  analysant  Racine  on  com- 
mence quelquefois  par  une  critique  grammaticale,  et  l'on  finit  toujours 
par  un  éloge  du  poète. 

Charmes. 

Je  plaiifnis  Bajaiet,  je  lui  vantai  ses  charnus. 

Bnj.^  act.  I,  se.  i. 

Les  charmes  de  Bajazet,  On  dit  bien  d'un  homme  qu'il  est  char- 
mant, mais  on  ne  parle  pas  de  ses  charmes.  C'est  une  expression  que 
notre  langue  a  réservée  pour  les  femmes  ;  et  cependant ,  suivant  la 
remarque  de  La  Harpe ,  elle  est  très  bien  placée  ici ,  tant  les  nuances 
du  langage  tiennent  aux  mœurs.  Celles  du  sérail  autorisent  celte 
hardiesse  de  style. 

Chatoitiller  l'orgueilleuse  foiblesse  d'ui«  coeur. 

Ce  nom  de  roii  des  roij 

Chatouilloit  de  mon  cœur  rurgucillciisc  Tuiblcaïc. 

fph.,  virt.  I ,  »r.  I. 

('omnie  Racine  sait  ennoblir  ce  mol   par  riicuioiix   ronlraslc  dti 


12  DICTIONNAIKE  CKITIQLE. 

mol  orgueilleux!  Corneille  avait  au»»i  tenté  d'ennoblir  re  luot  :  la  tél^ 
(le  Pompée  présentée  à  César 

Chafruilloil  mftl|(r<>  lai  •on  ame  a«er  «urpnM. 

Iri  le  mot  chatauilloit  n'est  relevé  par  aucune  expn^ssion  un  peu 
noble ,  et  il  est  faible. 

Chercher  des  charmes  a  txe  imuleir. 

Que  MIS- je?  À  na  doulenr  je  rberrherai  det  ciurme«. 
lia).,  wei.  Il ,  %€.  V. 

Chercher  des  charmes  à  sa  douleur.  On  dirait  en  proM  des  consola- 
tionSj  des  charmes  est  plu»  brureui  et  bien  plus  poétique.  Racine  a  pu 
être  conduit  par  l'analogie  à  celte  louchante  expression ,  car  on  disait 
très  bien  alors  charmer  la  douleur. 

Chiens. 

D«  son  Mn|{  inhumain  le*  rhieat  dftalteres, 
Et  de  ton  corp*  hideui  le*  membret  déchires. 

Ath.,  art.  1,  se.  i. 
De»  Umbeaui  pleins  de  «anf;  et  des  membres  affreni. 
Que  des  rhiens  det orants  •«  dispatoient  entre  eai. 

rrf.,  art.  II.  se.  t. 

Les  chiens  désaltérés^  le»  chiens  dévorants.  C'est  par  de  noble» 
épithètes  que  le  poêle  relève  les  mots  vulgaires.  Ces  vers  sout  cités 
dans  toutes  les  rhétoriques,  et  c'est  précisémeni  re  qui  nous  force  de 
les  rappeler  ici.  (Voy.  Boucs.) 

CiEi'x  fermes  ,  imitation  de  la  Bible. 

CiELX  d'airain,  mélaphore  créée  par  Racine. 

Les  rieui  par  lui  fermas  et  devenus  d'airain. 

Ath.,  ad.  I.  .r.  i. 

Clarté  d'in  rang. 

Pa««ii'  «•uliitement  île  relli*  nuit  prnf'oHiir. 

Dans  un  rang. 

Don!  jf  n'ai  pu  de  luin  soutenir  la  clnrtt. 

firit.,  art.  U ,  se    m. 

Louis  Racine  observe  qu'on  dit  la  majesté^  la  splendeur  d'un 
rang  et  non  pas  la  clarté:  mais  il  ajoute  aussi  avec  raison  que  ce 
mol  clarté  est  beau ,  parcequ'il  répond  à  cette  nuit  profonde  du  ver> 
prérédenl.  Ainsi  l'image  poélicpie  fait  prévoir  »•!  rend  en  quelqiK* 
>orte  nécessaire  l'expression  nouvelle. 

CoErn    DK    TOrTKS    parts    OIVERT. 

Kt  d'entrer  dan«  un  nrur  de  toute»  parl'>  ou\erl. 

Phiilr.,  AfK.  Il,  »r.  i. 

Pour  nu  cnuir  banal ,  un  cœur  toujours  prêt  à  se  laisser  prendra 

CfKIR    NOfRRI    DK    SANt;. 

JV  nriir  nnurri  ilr  snnfj  ^t  d"'  f/initr  njfnmr. 


DICTIONNAIRK  CRITIQIÎK.  13 

Malgré  le  faii  des  an«  et  du  fort  qui  l'opprime. 
Traîne  partout  l'ainuur  qui  Tattacho  &  Munime. 

Mithr.,  net.  Il,  »c.  m. 

Voilà  coiniiie  s'uniioiire  Tamour  de  Mitliridntc.  Un  cœur  nourri  de 
sanQy  affame  de  guerre,  et  qui  traîne  partout ,  malgré  le  fardeau  de*» 
ans,  Pamour,  etc.  On  ne  pouvait  mieux  exprimer,  d'une  part  le  ca- 
ractère du  licros,  et  de  Tautre  le  malheur  de  sa  passion.  Toutes  ces 
l'xpressions  sont  neuves. 

Coeur  pkrcè  de  pleurs. 

Je  viens  le  coeur  percé  de  vo«  pleurs  et  de«  »ien«. 

Bér.^  iict.  V.  «r.  m. 

On  dit  vulguairement  vous  me  perces  le  coeur  pour  exprimer  le  vio- 
lent chagrin  qu'on  nous  cause  ;  mais  cette  figure  perd  ici  de  sa  force 
en  perdant  de  sa  vérité;  des  pleurs  émeuvent,  touchent,  attendrissent, 
mais  ne  percent  pas. 

(ÎOEIR    PRÉOCCUPÉ. 

Perfide,  en  abusant  ce  cœur  préoccupe. 
Qui  lui-inémc  craignoit  de  te  voir  détrompé. 

Bn;.,  act.  IV,  «c.  v. 

Ce  cœur  préoccupé,  c'est-à-dire  vaincu  d'avance.  Racine  a  si  bien 
senti  que  ce  latinisme  serait  peu  compris,  qu'il  a  cru  nécessaire  de 
développer  la  même  pensée  dans  le  vers  suivant. 

Colère  qui  étincelle. 

Ainsi  du  Dieu  vivant  la  colère  étincelle. 

Esth.,  act.  II.  sf.  VIII. 

Expression  poétique  plus  belle  que  le  iffnescunt  irœ  de  Virgile. 
Commettre  a  des  périls  pour  exposer  à,  etc. 

Maiii  à  d'autre»  périls  je  crains  de  le  commettre. 

Baj.,  act.  IV,  »c.  i. 
Aux  affronts  d'un  refus  crai|tnAnt  de  nous  commettre. 

Iph.,  act.  Il,  se.  IV. 

Dans  ce  sens  il  est  plus  latin  que  français  (periculo  commiltere)  : 
exposer  quelqu'un  à  un  péril.  D'Olivel  a  critiqué  ce  vers;  mais 
Racine  tenait  à  celle  expression ,  car  il  Ta  employée  plusieurs  fois 
dans  la  même  acception. 

Commis  pour  confié. 

Que  le  sort  d'Andromaque  est  commis  à  ta  foi. 

Anitr.^  art.  IV,  se.  l. 
Dffendu  jusqu'au  bout  les  jours  qu'ils  m'ont  commis. 

Boj.,  act.  IV,  »r.  I. 

I /emploi  de  ce  mot  dans  le  sens  de  cotJ^<^  est  un  latinisme  heu- 
reux. On  le  trouve  dans  Nicol,  qui  cite  celte  phrase  :  Se  commettre 
à  la  fortune,  foitunœ se  committere.  Racine  n'est  donc  pas  le  premi«'ii 


U  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

qui  l'ait  employé  en  ce  sons ,  mais  il  est  le  premier  qui  Tail  fail  enlrei* 
dans  la  poésie. 

HomnE  SA  LIBBBTÉ. 


Do  r^ime  d«  Néron  eoapte  m  liberté. 

Bril.^  art.  I ,  te.  ii. 


Ellipse.  Compte  ses  jours  de  liberté. 
Compagne  du  pébil. 

Compngnê  du  péril  qu'il  vom  (alloit  clMrfher. 

PhèJr.,  art.  II,  te.  r. 

Par  ellipse ,  pour  ta  compagne  dans  le  péril.  Ccêi  une  de  ce:i 
Gnesses  de  diction  qui  donnent  un  ton  poétique  aux  idées  les  plus 
communes. 

CoMPABESTBB  pour  comporottre. 

Si  je  leur  donne  teaps,  iU  pourront  conparestre. 

"^  Plaid.,  tueUl^  9C.  nu 

Dans  rédition  de  Barhin ,  1697,  Racine  écrit  comparestre^  et  ce 
mot  rime  avec  fenestre.  Tous  les  éditeurs  de  Racine,  depuis  Luneau^ 
ont  cru  devoir  réformer  Porthographe  de  Racine,  et  ils  ont  eu  raison. 
L^ancicnnc  orthographe  ne  pouvait  plus  convenir  à  une  langue  toute 
nouvelle  ;  mais  peut-être  eûl-il  été  bon  de  rappeler  quelquefois  dans 
des  notes  les  changements  qui  s^étnient  opérés.  Nous  citerons  quel- 
ques exemples.  Racine  écrit  :  audiancc  pour  audience,  —  robhc  pour 
rol)e,  —  preste  pour  prête,  —  teste  pour  tùte,  —  baailler  pour 
bailler,  —  goustcr  pour  goûter,  —  pronte  pour  prompte ,  —  mestier 
pour  métier,  —  plaist  pour  plaît ,  —  liasar  pour  hasard ,  —  conte 
pour  compte  ,  —  void  pour  voit ,  —  asseurer,  —  beuver,  —  parolle , 
contract,  —  accroistre.  (Voyez  le  mol  Rime.) 

Concerter  pour  chanter  en  chccur. 

Ils  concertent  aur  lc«  rAmciux. 

Paysage  de  P.  iî.,  ode  III. 

Cette  acception  a  vieilli ,  et  c'est  dommage.  C'est  par  op|>osi(ioii 
à  ce  sens  que  Ton  a  dit  au  ligure  déconcerter. 

Tu  à\i\  et  Li  voix  déconcerte 
L'ordre  étemel  des  éléments. 

Ode  tirée  du  psaume  XVII. 

Condamne  ou  pour  à  laquelle ,  etc. 

Que  cette  pompe  où  je  «uis  condamnée. 

Esth.y  act.  1,  se.  IT. 

Être  condamnée  à  In  iiin«;niiicence ,  à  In  pompe  des  grandeurs; 
f'e<5|  une  !)oll(»  aniilhèse. 


DICTIONNAIRE  CRITIODK.  15 

Condamner  de. 

Ne  me.  fondamiie  cncor  de  trop  du  rriiauti*. 

Mithr.,  art.  IV.  te.  r. 

Laliiiisnic  qui  ne  hicssc  pas  la  logique  de  noire  langue  ;  puisqu'on 
ilil  bien  accuser  dey  absoudre  de,  convaincre  de,  pourquoi  ne  dirait-on 
pas  condamtier  de^  cVst-a-dire ,  condamner  comme  coupable  de... 

Condamner  sans  espoir. 

Sans  espoir  de  pardon,  m'arei-vous  condamnée? 

Andr.y  art.  III,  sr.  vu. 

D'Olivct  blîlme  m'avez-vous  condamnée  sans  espoir^  qui  signifie 
grammaticalement  sans  conserver  d'espoir.  Mais  le  sens  indique 
suffisamment  TeUipse ,  sans  me  laisser  d'espoir.  On  pouvait  mettre 
me  vois-je  condamnée?  Mais  que  serait  devenu  ce  touchant  appel  au 
cœur  de  Pyrrhus?  Racine  avait  trop  le  sens  poétique  poui  commettre 
une  pareille  faute. 

Confondre  pour  troubler. 

Vous  détournes  les  yeui  et  semblez  toui^  ronrundre. 
fier..,  act.  Il,  se.  iv. 

11  était  d'usage  autrefois.  Racine  représente  Titus  comme  se  con- 
fondant lui-même,  s'abimant  dans  son  trouble  et  dans  sa  confusion: 
c'est  dommage  que  le  mot  ait  vieilli  dans  ce  sens;  un  emploi  heureux 
pourrait  le  rajeunir. 

Connaître  ou  connoître  (Voy.  Rime,) 
Constance  des  yeux. 

Ses  reut  indifTérenls  ont  déjà  la  constance 
D'un  tyran  dans  le  crime  endurci  dès  l'enfance. 

Brit.,  act.  V,  se.  vu 

Racine ,  dit  La  Harpe ,  ne  doit  qu'à  lui-même  ce  coup  de  pinceau 
qui  est  dans  la  manière  de  Tacite.  Constance  est  là  pour  absence  de 
toute  hésitation.  Nul  mot  dans  la  langue  ne  pouvait  le  remplacer. 

Consternée  de  mon  désespoir. 

D'un  lâche  désespoir  ma  vertu  consternée. 

Baj.,  art.  Il ,  *c.  V. 

La  Harpe  remarque  qu'on  peut  être  consterné  du  désespoir  de 
quelqu'un ,  et  non  de  son  propre  désespoir.  —  C'est  un  latinisme. 
Consternare  veut  dire  al)attre;  or,  on  peut  être  abattu  pai  son  propre 
désespoir.  La  Harpe  a  donc  jugé  cette  locution  avec  trop  de  rigueur. 

Conter. 

•         llclad  !  avec  plaisir  je  me  faisais  conter 

Touii  U'f.  iiom>  des  pay^  r|ue  vous  allez  dompter. 

/;>/!.,  art.  IV.  s<-.  iv. 

Ce  iii(»l  uaïi' est  bien  placé  dans  la  bouche  de  In  jeune  princesse,  et 


U\  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

il  est  relevé  pnr  le  dernier  mot  du  second  vers.  Quant  à  Fidée,  elle  esi 
des  plus  tourliaiites.  Ipliigénie  loue  les  conquêtes  fuluies  dWgamem- 
nun ,  mais  en  le  ramenant  au  sein  de  sa  famille ,  dont  elle  rappelle 
les  entretiens  les  plus  doui.  Tout  cela  est  d'une  délicatesse  e!iquise, 
et  mérite  crètre  remar(|ué. 

Conter. 

Et  vfooit  \nu*  roHlfr  ce  d«*M>rdre  Tunest^. 

Ath.,  ïfl.  Il,  •c.  il. 

1/ Académie  dit  que  le  mot  conter  est  impropre  et  du  style  fami- 
lier. Elle  aurait  du  remarquer,  au  contraire,  combien  cette  expres- 
sion était  naturelle  dans  la  bouche  d*un  enfant.  Elle  donne  a  sou 
récit  toute  la  natvelé  de  son  àjçe,  et  le  poète  a  dû  l'employer  à  des- 
sein. Cela  est  si  vrai  qu'on  le  trouve  encore  acte  V,  se.  vi.  Mais 
comme  ce  n'est  pas  un  enfant  qui  parle ,  Racine  Ta  relevé  par  la 
grâce  particulière  et  par  la  nouveauté  du  tour. 

<'.ONTE   SON   ENFANOF. 

Xu«  t(>vit<?«  du  tuiil  de  leur*  sacrés  pArti  . 
Ont  ront»"  «on  pnfanre  au  plaite  déroh^. 

Ath.,  act.  V.  V.  VI. 

On  ne  pouvait  rendre  d'une  manière  plus  heureuse  celte  pensée  : 
ont  conté  par  quel  moyen  son  enfance  fut  dérobée  au  glaive.  Ce\U' 
expression  naïve  réveille  en  même  temps  l'idée  du  miracle,  celle  de 
l'innocence  et  celle  des  vertus  qu'on  a  droit  d'espérer  d'un  prince, 
objet  des  faveurs  du  ciel. 

CONTF.R  Al'X  ROCHERS. 

Ariane  ant  rnrh*r<  rontant  :«e!»  injuiitire*. 

fph..  art.  [.  !««•.  I. 

L'abandon,  la  solitude,  la  douleur  se  trouvent  exprimés  par  c«^s 
mois  :  conter  aux  rochers. 

Contredire  a  qielou'i :n. 

Loin  de  leur  contredire, 
(IVfct  k  vou«  d«»  pa»»('r  du  ctitf  de  l'empire. 

Rrit .,  act.  Il ,  «c.  m. 

Latinisme.  Contradicere  alicui.  En  frant^ais,  contredire  prend  lo 
régime  direct,  soit  avec  les  choses,  soit  avec  les  personnes.  Il  est  clair 
que  Haciiic  a  choisi  le  régime  indirect  de  préférence,  et  comme  plus 
élégant,  puisque  l'aulre  ne  le  gênait  en  rien. 

Convaincre  leurs  amoirs. 

()l)«ervi'i  %f%  roirard*,  <e«  disirour*, 
TiMil  CK  qui  cnnvainrra  li-ur»  perlideii  amnnrs,  • 

lift}.,  àc{.  IV,  <f.  III. 

Métonymie  élégante.  Vin  prose,  il  faudrait  :  tout  ce  qui  convaincra 


DICTIONNAIRE  CIUTIQIIE.  17 

ces  perfides  amants^  car  on  ne  peul  proprement  convaincre  que  les 
personnes,  et  non  pas  les  choses.  C'est  Racine  qui  a  enrichi  la  languo 
(le  ces  formes  hardies  et  poétiques. 

CoiXEraS,    INVENTER   DES   COULEURS. 

J'invenUi  de^  oouleura,  j'arnifti  la  ralomnic. 

Eslh.,  act.  II.  se.  I. 

(.elte  expression  n'a  pas  fait  fortune.  Racine  n'en  est  pas  l'inven- 
teur, on  la  trouve  plusieurs  fois  dans  Corneille  ^  Sortie  de  la  langue 
poétique  ,  elle  est  tombée  dans  la  langue  vulgaire  ,  sans  jamais  avoir 
été  adoptée  par  les  bons  écrivains. 

(Courage  confus  des  bontés. 

De  iniis  llrhcs  bontcst  mon  courage  est  confus. 

Andr.t  art.  IV,  se.  m. 

Courage  est  pris  ici  dans  le  sens  du  latin  animus ,  ([ui  veut  dire 
fierté.  Corneille  emploie  souvent  le  mol  courage  en  ce  sens. 

COUROIT  m'oUBLIER. 

//  courait  m'oublier. 

Danit  l'omlirc  du  «ecrel  re  feu  s'alloil  éteindre. 

Mithr.,  art.  IV,  se.  i\. 

H  couroit  m'oublier.  Ce  dernier  vers  est  rapide.  Monime  aime  trop 
pour  s'appesantir  sur  cette  idée  ;  et  quel  charme  et  quelle  pudeur 
dans  le  vers  qui  suit  :  L*ombre  du  secret  et  un  feu  qui  s'éteint  dans 
cette  ombre.  On  sent  que  c'est  une  femme  qui  parle;  mais  il  n'y  a  que 
Racine  qui  fasse  ainsi  parler  les  femmes. 

Couronner  sur  tant  d'états  pour  faire  régner. 

Il  va  >ur  tant  d'État*  couronner  Bcrénire. 

lier.,  art.  1.  »c.  iv. 

Couronner  c'est  faire  régner.  La  poésie  s'empare  de  celte  analogie, 
rt  elle  dit  couronner  sur  ;  le  rapport  des  idées  justiiie  la  construction, 
comme  la  belle  image  de  couronner  décèle  le  poëte. 

Cours  de  la  fureur. 

Toujours  de  ma  fureur  interrompre  le  ctiurs. 

Andr.,  art.  I,  sr.  i. 

Il  y  a  des  beautés  accidentelles  dans  la  langue  poétique  :  celle-ci  est 
du  nombre.  On  ne  dit  pas  le  cours  de  la  fureur,  parceque  la  fu- 
reur est  un  état  rapide  et  passager  ;  l'expression  devient  excellente , 
lorsqu'il  s'agit  d'un  homme  dont  la  fureur  est  l'état  habituel  ;  le  mot 
alors  peint  tout  un  caractère. 

Racine  a  souvent  employé  ce  mot ,  mais  pas  toujours  d'une  ma- 

I    l)an«  la  .<*uilo  du  Menteur,  art.  I,  «r.  m,  et  dan»  Pampre,  art.  III.  «r.  ii. 


18  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

DÎère  aussi  heureuse;  il  a  d'ii  :  le  œurs  de  la  haine^  le  cours  des  ini- 
mitiés^ etr. 

Je  lenlis  qoe  ma  haioe  alloit  fioir  ton  ronn. 

Andr.t  «rt.  I«  m.  i. 
D«  net  inimilié*  le  cours  etl  «chevé. 

Andr.^  aet.  I,  ir.  ii. 

Cours  des  prodiges. 

Faut-il,  Abner,  faut-il  vous  rappeler  le  cour» 
Des  prodige*  fameux  aerompli*  de  nos  jours  ? 

Ath.,  art.  1«  se.  i. 

Le  cours  des  prodiges  est  une  heureuse  expression  ;  mais  nous  ne 
la  signalons  que  pour  appeler  rattention  du  lecteur  sur  les  quatorze 
Ters  qui  suivent.  En  eflet,  c'est  ici  que  commence  la  plus  belle  et  \n 
plus  éloquente  énumcration  qui  jamais  ait  signalé  la  verve  d'un  poëtc 
français.  Chaque  vers  retrace  dans  les  formes  les  plus  énergiques  un 
miracle  fameux  et  un  mémorable  fait  d'histoire. 

Créance. 

Seigneur,  à  vos  soupçons  donnez  moins  de  créance. 

Uril.,  act.  III.  se.  v. 

Ce  vieux  mot  doit  être  conservé  :  on  on  a  fait  croyance^  qui  n'ex- 
prime cependant  pas  la  même  idée.  On  dit  lettre  de  créance  et  non 
lettre  de  croyance.  Cela  veut  dire  qu'on  peut  ajouter  foi  à  celui  qui 
la  remet.  Pascal  a  dit  dans  le  même  sens  :  perdre  créance  dans  les 
esprits:  perdre  croyance  exprimerait  une  autre  idée. 

Crie,  un  sang  qui  crie. 

Respectez  Tolrc  sang » 

Sauvci-moi  di«  l'horreur  de  l'i'uleiidro  crîrr. 

Phrdr.,  act.  IV,  i^c.  iv. 

On  dit  le  cri  du  sang^  Phèdro  entend  le  sang  crier.  Dans  Athalie. 
le  sang  de  vos  rois  crie.  Ces  expressions  nouvelles  en  France  sont  eui- 
pruntées  de  la  Bible  :  Le  sang  d'Abel  crie  de  la  nature  à  moi.  (Cen., 
ch.  IV.) 

Cris  pour  adieux. 

Qu'il  n'ait  en  e  pirant  que  ces  cris  pour  adifUT. 

BaJ.^  act.  IV,  se.  v. 

Belle  expression  empruntée  au  Cid  de  (iorneillc. 

Nous  laissent  pour  «dieux  leurs  cris  épouvanUbles. 

L'Académie  critiqua  ce  vers,  et  Corneille  eut  le  grand  tort  de  lui 
substituer  le  vers  suivant  : 

Poussent  jusques  aux  cieux  des  cris  éponvantablef. 

Racine  reprit  le  bien  que  Corneille  avait  almndonné. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  19 

Croire  sur  un  soupir. 

Et  je  Toiu  en  croirai  >nr  tin  simple  soupir. 

Bér.^  «et.  Il,  »r.  it. 

On  dit  croire  sur  parole.  Colle  (ouriiuro  vulgaire  devienl  poétique 
par  remploi  du  mot  soupir. 

Cultiver  la  haine. 

Vous  riiltives  déjà  leur  haine  et  leur  Tureur. 

Ath.^  ael.  II,  se.  vu. 

Que  cette  figure  est  expressive  et  juste  !  L'éducation  est  la  culture 
de  Tesprit  et  de  Famé ,  des  bonnes  et  des  mauvaises  passions ,  sui- 
vant rinstituteur. 


I). 

David  éteint  pour  la  race  de  David  éteinte. 

El  de  David  éteint  rallumé  le  llarabeau. 

Alh.,  ael.  1,  sr.  ii. 

On  ne  dirait  pas  de  César  éteint^  en  parlant  de  la  race  de  César. 
Cette  cpithète,  qui  accompagnerait  mal  tout  autre  Hom,  semble  faite 
pour  celui  de  David,  la  lumière  dMsraël ,  d'oii  sortit  la  lumière  des 
nations.  Aussi  le  poète  fait-il  de  David  un  flambeau^  et  c'est  précisé- 
ment là  ce  qui  rend  son  épitliète  si  belle. 


Derris. 


Et  laisser  un  débris  du  moins  ;  près  ma  fuite. 

BaJ.,  acl.  IV,  se.  vu. 


Ce  vers  grandit ,  pour  ainsi  dire ,  dans  la  bouche  d'Acomal.  Il 
semble  que  ce  vizir,  en  fuyant,  laisse  derrière  lui  une  ruine  capable 
d'arrêter  les  ennemis  de  Bajazet. 

Décevant  pour  trompeur. 

Ai-je  pu  ré«ister  au  eharme  décevant,  etc. 

Phèdr.,  aet.  II,  se.  ii. 

Ce  mot  était  tombé  en  désuétude  du  temps  de  Racine,  qui  Ta  pour 
ainsi  dire  ressuscité.  Il  est  employé  ici  avec  un  rare  bonheur,  puis- 
qu'il est  un  trait  de  caractère.  Même  en  déclarant  son  amour,  Hip- 
poly te  n'ose  en  avouer  les  charmes ,  il  voit  dans  celte  passion  quelque 
chose  de  trompeur,  de  décevant  :  on  ne  pouvait  mieux  dire. 

Déclarer. 

J<>  sentis  contre  moi  mon  caur  se  déclarer. 

Iph.,  aet.  Il,  se.  i. 

Quand  nous  aimons  malgré  nous,  dit  Louis  Racine,  notre  cœur  se 
déclare  contre  nous. 


2()  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

Défaillir  pour  s'affaiblir. 

J'ai  MDti  défftillir  ma  (orct  «t  mes  «prit*. 

BaJ.^  »ct.  V.  *c.  I. 

Vieux  mol  que  Racine  nous  a  conservé,  el  qu'il  ne  faut  pas  laisser 
piTclre.  Défaillir  dit  quelque  chose  de  plus  que  s'affaiblir. 

Démarche  pour  mes  pas. 

Qui  condoise  ven  «uu«  m»  démarche  timide. 

Phédr.,  acl.  V,  »f.  i. 

Quoique  le  mot  démarche  n'ait  pas  tout  à  fait  le  sens  que  lui  donne 
ici  Racine,  il  a  pu  l'employer  par  analogie,  car  on  peut  dire  :  rofi- 
duise  mes  pas  timides. 

Déniée  pour  refusée. 

Poi»édant  une  amour  qui  me  Tut  dénire. 

Mithr.,  act.  111.  or.  r. 

Ce  mot  a  vieilli,  et  cependant  il  est  bon ,  il  est  indispensable,  car 
il  ne  signilie  pas  seulement  refuser^  mais  refuser  une  chose  juste^  une 
chose  que  Véquité  exige.  On  voit  toute  sa  force  dans  la  bouche  de 
Mithridate  parlant  à  Monime;  c'est  presque  un  reproche.  Aucun 
autre  mol  de  la  langue  ne  peut  remplacer  celui-ci.  (  Voyex  le  Corn- 
mentaire.  ) 

Dékoiter  un  hymen. 

K(  me  fait  dénouer 
l'n  hymen  que  le  ciel  ne  veut  point  atoucr. 

Brit.,  ad.  Il,  »f.  m. 

La  Harpe  fait  observer  que  puisque  l'hymen  est  un  nœud,  le  dr- 
nouer  est  une  expression  élégante  sans  être  hasardée. 

Déplorable  Oreste. 

Pri't  à  «uiTrc  partout  le  déplorable  Oreste. 

Andr.^  arl.  1 ,  *«•.  i. 
Vous  vovci  devant  tou<  un  prince  déplorahlr. 
Ph,\Ir. 

l/usage  a  consacré  celte  belle  expression,  condamnée  alors  par 
r Académie,  qui  l'approuve  aujourd'hui. 

Dépouille,  employé  dans  le  sens  de  proie. 

Tout  l'empire  n'e»t  plus  la  dépouille  d'iin  maître. 

Brit.,  ad.  I,  »r.  il. 

Racine  veut  dire  une  dépouille  enlevée  par  un  maître  :  il  y  n 
ellipse;  mais  le  sens  de  la  phrase  reste  obscur.  Le  mot  proie  était  Ir 
mol  propre. 

Dépouiller  une  uoiceir. 


DICTIONNAIRE  CUITIUDE.  21 

Orpoiiller  une  haine. 

F.h  bieu  :  dépouillo  cnlin  cette  douceur  cun(rdint«  ! 

Alex.,  art.  IV.  .«r,  m. 

Avei-Tou»  dépouille  cette  haine  »i  vi%e? 

AI  h. 

Dépouilles  dans  le  sens  de  restes  mortels. 

Il  De  »éparit  pai  des  dépouilles  %i  chères. 

Andr.,  act.  III,  se.  vi. 

Pétrarque  dit  de  Laurc  :  Lasciendo  in  terra  la  sua  bella  spoglia. 
Malherbe  sVst  servi  de  cette  expression  avant  Racine,  dans  le  sonnet 
sur  la  mort  de  son  fils  : 

Que  mon  père  ait  perdu  ta  dépouille  uiorlcllc. 

Dérober  (me)  pour  m'enfuir. 

Mnif  n'étant  point  uni  par  uu  lien  si  doux. 
Me  puis-je  avec  honneur  dérober  avec  vou»? 

P/ùdr.,  art.  V,  se.  i. 

Il  y  a  une  grande  délicatesse  dans  ce  mot  me  dérober.  C'est  une 
femme  qui  parle  ;  elle  n'ose  encore  prononcer  le  mot  fuir^  elle  le  pro- 
noncera plus  loin  ,  mais  après  Tavoir  juslilié  par  la  tyrannie  dont  elle 
est  la  victime  ;  en  attendant,  elle  le  prépare  par  ce  mot  :  me  dérober. 
Se  dérober,  c'est  se  soustraire  ;  on  dit  se  dérober  aux  ennuyeux,  c'est 
presque  comme  si  l'on  disait  se  voler  aux  ennuyeux.  Le  mot  reste 
fidèle  à  son  étymologie  :  me  dérober  avec  vous ,  c'est  me  soustraire 
avec  vous  à  mes  tyrans. 

Désunir  pour  séparer. 

Taot  d'États,  tant  de  mers  qui  vont  nous  désunir. 
♦  Alex.,  act.  III,  se.  vi. 

Grammaticalement  le  mot  désunir  n'est  pas  le  mot  propre;  mais  il 
exprime  de  la  manière  la  plus  heureuse  les  craintes  de  Cléotile ,  qui 
tremble  qu'une  séparation  ne  soit  une  désuniony  et,  comme  elle  le  dit 
elle-même,  ne  Vefface  du  souvenir  d* Alexandre.  Ce  sentiment  est 
développé  dans  les  vers  suivants,  comme  si  Racine  avait  songé  à  jus- 
tifier son  expression. 

Détromper  son  erreur. 

Détrompez  son  erreur,  Uéchisses  son  courage. 

Phèd.,  act.  I,  :»c.  V. 

Détrompez  son  erreur  pour  détrompez-le^  en  signalant  son  erreur. 
<resl  une  synecdoque  semblable  a  attendrir  sa  victoire  pour  atten- 
drir lui  victorieux.  D'Olivet  dit  :  Je  n'ose  reprocher  celle  hardiesse 
au  poêle. 


»  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

Détruit  pour  vaincu. 

Montrer  aut  luliona  SlithridAl*  détruit. 

Miihr.,  act.  111 ,  te.  i. 

Mithridate  vaincu ,  dit  La  Harpe ,  est  à  toat  le  moude  ;  Milhridale 
détruit  est  au  grand  poète.  Il  y  a  dans  cet  homme  qui  s^appelle  Mi- 
thridate tout  un  empire,  toute  une  puissance  !  CVst  ainsi  que  ce  que 
Ton  croit  n'être  que  de  Télégance  est  une  grande  idée.  Le  poète  a  fait 
de  cette  expression  un  tableau.  Montrer  aux  nations  Mithridate  dé- 
truit! 

Devant  pour  avant. 

L'aiMisiner,  le  perdre  !  ah  !  devant  qn'il  «apire  ! 

Andr.f  aci.  V,  »c.  i. 

A  Fépoque  de  Racine ,  le  mot  devant  pour  avant  était  encore  d^i- 
sage.  Aujourd'hui  la  grammaire  a  décidé  que  avant  serait  relatif 
au  temps ,  et  devant  aux  lieux  et  aux  personnes.  Ainsi  on  doit  dire  : 
avant  sa  mort,  avant  qu'il  expire,  et  devant  lui ,  devant  sa  maison. 
Les  locutions  vieillies  sont  en  très  petit  nombre  dans  Racine ,  nous 
avons  cru  nécessaire  de  les  signaler. 

Devant  guE. 

Si  devant  que  mourir  la  triste  Berénirc. 

Tîér.,  act.  IV,  ac.  ▼. 

On  disait  alors  indifTéremmcnt  devant  que  ou  avant  que  y  comme 
on  le  voit  par  une  remarque  de  Vaugelas.  Aujourd'hui  on  dit  tou- 
jours avant  que^  cl  on  doit  ajouter  de  lorsqu'il  suit  un  infmilif. 


Discordes. 

Ma  Tuile  anètera  vos  discordes  fataiet. 

Brit.^  act.  11,  »c.  vin. 

Le  mol  discordes  au  pluriel  élait  alors  une  hardiesse,  (^e  pluriel 
donne  a  la  diction  plus  de  grandeur. 

Dicter  un  silence. 

Sa  réponse  e^t  diclec,  et  même  son  silence. 

Bril.,  act.  1.  se.  i. 

L'expression  est  neuve  ;  il  ne  s'agit  pas  d'imposer  silence ,  mais 
d'indiquer  à  l'empereur  les  circonslances  où  il  devra  se  laire.  On  lui 
dicle  un  silence  politique.  Celle  belle  expression  est  restée  dans  la 
haute  poésie. 

Diligence  pris  dans  le  sens  d'attention  à  reprendre. 

Ah  !  quittei  d'un  censeur  la  triste  diligence. 

Brit.^  act.  1,  se.  il. 

Expression  plus  latine  que  française.  Diligence  en  français  signiiie 
promptitude,  activité.  En  latin  il  signifie  proprement  exaclitiide  d'al- 


DICTIONNAIRE   CUITIQUE.  23 

k'iilioii  et  de  soins.  La  diligence  d^un  censeur  est  donc  prise  ici  pour 
Patfenlion  à  reprendre.  La  Hurpe  pensait  que  cet  exemple  pouvait 
être  suivi  et  donner  à  notre  langue  un  terme  de  plus. 

Disposer  de  la  perte  de  qielqu'un. 

Quu  le  riel  à  sun  çro  de  ma  perte  dispo««. 

Frire»  enn.,  act.  II,  >c.  il. 

Geoffroi  Ta  remarqué  avec  raison  :  on  dit  bien  disposer  du  sort,  de 
la  vie,  de  la  fortune,  du  temps  de  quelqu'un ,  mais  non  pas  disposer 
de  sa  perle.  Déjà  Racine  essayait  de  rajeunir  de  vieilles  locutions  par 
le  changement  d'un  mot;  mais  ces  premiers  essais  ne  furent  pas  tous 
heureux. 

Disputer  la  gloire  a  qui. 

Entre  Senèquo  et  voui  di*put«s-Toui  la  gloire 
A  qui  m'effacera  plus  tôt  de  sa  mémoire? 

Brit.,  acL  I,  «c.  il. 

C'est  Agrippine  qui  parle  :  il  y  a  beaucoup  d'amertume  dans  ce 
mot  la  gloire,  qui  est  de  trop  suivant  la  grammaire ,  mais  qui  est 
indispensable  pour  exprimer  le  dépit  d'Agrippine.  D'ailleurs  tout  jus- 
tifia le  poète,  et  la  vivacité,  et  la  clarté  de  sa  phrase.  La  Harpe  trouve 
ici  une  ellipse;  mais  c'est  une  singulière  ellipse  que  celle  où  il  y  a  un 
mol  de  trop. 

DlSPITER  DES  PLELRS. 

Par  combieu  de  iiidlhcurs 
Ne  lui  \uudroi»-je  point  disputer  de  tels  pleurs! 

Ipk.,  act.  IV,  se.  1. 

Disputer  des  pleurs  pour  lui  disputer  l'amour  qui  peut  faire  verser 
de  tels  pleurs  à  Achille.  Belle  ellipse. 

DoiLElR    ETIDIËE. 

San*  pitié.  »ans  douleur,  au  moins  étudiée. 

Andr.^  act.  V,  se.  i. 

Admirable  expression  qui  fut  critiquée  par  Subligny,  et  qui  a  sur- 
\ccu  à  la  critique.  L'amour,  quand  il  n'a  plus  même  d'espérance, 
veul  encore  qu'on  cherche  à  le  tromper.  C'est  là  son  dernier  recours, 
et  c'est  ce  que  Racine  dit  si  bien  en  quelques  mots. 

Douteux  dans  le  sens  d'incer/ain,  iïirrésolu. 

Oui,  Taxilc,  mon  rœur  douteux  en  apparence. 

Alex.,  act,  IV,  »c.  ni. 

Douteux  est  pris  ici  dans  une  de  ses  anciennes  acceptions  qu'il  a 
perdue.  Aujourd'hui  douteux  signifie  ce  dont  on  doute,  et  non  pas 
celui  qui  doute.  On  est  incertain  d'une  chose,  et  une  chose  est  dou- 
teuse. 


24  DICTIONNAIIiE  ÇKITIQLK. 

Dévorer  se.s  pleurs  pour  dissimuler. 

Tuujou»  ^erfer  (le«  pleur»  qn'il  faut  qu«  je  drvuiv  ! 

/irr.,  êcl.  I.  «r.  il. 

On  dit  dévorer  une  injure ,  dévorer  son  chagrin  dans  le  sens  de 
dissimuler.  L'expression  de  Racine  esl  plus  licllc  encore. 


K 


CiCLAIRCIR    UN    FRO>T. 


KcUirrisseï  ce  front  vu  la  tri>te«iM;  e»t  peinte. 

Eitlh.,  art.  111.  ».  i. 
Veclainriret-^uu*  puint  ce  fruiil  chargé  d'ennui. 
Iph. 

On  dit  un  front  assombri,  un  froiil  chargé  de  nuages.  Ces  phrases 
ont  pu  suggérer  à  Racine  cette  belle  expression,  et  elles  le  justiticraienl 
s*il  en  avait  besoin. 

Lclater  es  reproches. 

En  reproches  honteui  j'erlale  contre  >ou^. 

Alex.,  act.  IV,  w.  ii. 

Expression  énergique  et  poétique  créée  par  Racine,  et  que  Voltaire 
a  cru  pouvoir  lui  emprunter  : 

Youii  ne  m'cntendrei  point,  amant  faible  «t  jaloui. 
Kn  reproches  honteut  éclater  contre  vou». 
Za'tre. 

Effroi  de  son  bras  pour  l'effroi  cause  par  son  liras. 

En  voyant  de  son  bras  >olcr  |»arif)ut  l'effroi. 

Alex.,  art.  IV.  *«•.  ii. 

(Test  là  une  grande  hardiesse  poéti([ue.  Racine  donne  à  effroi  un 
régime  comme  on  en  donne  un  à  crainte.  On  dit  la  crainte  de  Dieu , 
et  non  Teffroi  de  Dieu.  De  plus,  le  bras  esl  pris  pour  la  personne 
tout  entière;  le  bras  c'est  le  héros  lui-même. 

Corneille  avait  dit  dans  le  Cid,  mais  beaucoup  moins  heureuse- 
ment : 

(Atmuiander  que  sun  bra<  nourri  dans  les  alarmes; 

et  quoique  l'Académie  eût  condamné  ce  vers,  il  ne  le  changea  pas. 
Egarement  pris  au  propre. 

Arcas  s'est  vu  tromper  par  notre  égarcroent. 

Iph.,  act.  11.  «c.  IV. 

Dans  ce  sens  il  n'est  plus  d'usage,  mais  il  s'esl  conservé  dans  le  sens 
ligure.  Le  poète  est  d'autant  plus  excusable  de  l'employer  ainsi,  qu'il 
n'es!  point  d'autre  mot  qui  puisse  répondre  au  latin  errores. 

I/Académie  l'admet  encore  tout  en  disant  qu'il  a  \ieilli. 


DICTIONNAIHE  CUITIQI  K.  iS 

Kl.LIPSES. 

Huit  iàu»>d«ja  |>aisé«,  une  ini|iic  étrangère 
Uu  sceptre  de  David  uvurpe  tou«  les  droits. 

Ath.,  ici.  I.  .1-.  I. 

Forme  qui  rappelle  Tahlatif  absolu  des  Latins  :  huit  ans  ^/an(  déjà 
passés.  Suivant  les  règles  anciennes  de  la  grammaire,  il  eût  fallu  dire  : 
huit  ans  sont  déjà  passés  depuis  que.  L^ Académie,  qui  fait  celte  ol>- 
servation,  ajoute  que  Malherbe  a  la  gloire  d'avoir  créé  cette  fa(;oii  de 
parler  dans  sa  prosopopée  d'Ostende.  Malherbe  a  donc  créé  la  forme, 
mais  c'est  Racine  qui  Ta  faite  franç^aise. 


Uaii«  U  runfufiun  <|ue  u«iU4  veuuuf  d'oiitendrc. 
Le*  yeux  pcuvent-iU  pa»  aiiément  se  méprendre. 

Mithr.^  *fl.  V,  «r.  i. 

Cest-à-dire,  dans  la  confusion  des  faits  et  des  récits  que  nous  ve- 
nons d'entendre.  Ce  n'est  jamais  dans  une  situation  tranquille  que 
Uacine  hasarde  de  pareilles  ellipses.  Lorsqu'on  lit  le  vers  on  l'accuse, 
lorsqu'on  lit  la  scène  il  est  justifié. 


Kl  toi,  fatal  tis»u 

Et  périsse  le  jour  et  U  uuin  meurtrieru 
Qui  jadis  sur  mon  front  t'attacha  la  première. 

Milhr.,  act.  V,  se.  i. 

Cette  construction  mérite  d'être  remarquée.  Il  y  a  une  ellipse.  Qui 
ne  se  rapporte  qu'à  la  main.  Voici  la  phrase  :  périsse  le  jour  où  ce 
bandeau  fut  attaché  sur  mon  front,  et  la  main  yti  me  l'attacha  la 
première. 

Embourber  des  coups. 

Et  si  daus  la  province 
Il  se  dnuiioit  un  tout  vingt  coups  de  nerf  de  bœuf, 
Mon  père  pour  sa  part  en  emboursoit  dix-neuf. 

Les  Plaid  ,  act.  I,  »c.  v. 

La  justesse  de  cette  expression  si  comique  tient  à  ce  que  le  person- 
nage se  faisait,  pour  chaque  coup,  payer  des  dommages-intérêts. 
Ainsi  il  emboursoit  véritablement  la  valeur  des  coups.  L'Intimé, 
acte  II,  scène  iv,  venant  de  recevoir  un  coup  de  pied,  dit  : 

Bon,  c'est  de  l'argent  comptant; 
J'en  avois  bien  besoin. 

Embrassements  pour  entrevues,  entretiens. 

Et  vos  embrasse  me  nt< 

Ne  »o  p.isscioiit-il»  qu'en  éclaircissements. 

Jiril.,  act.  I .  se.  II. 

Des  embrasaements  qui  se  passent  en  érlaircissements,  expression 


i6  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

digne  de  Tacite  pour  sa  profondeur.  Ainsi  la  dÎTision  de  la  mère  et  du 
fib  ne  cessait  pas  même  pendant  leurs  embrassemeals.  Embrassements 
'  s^employait  très  bien  dans  le  sens  d'entrevue^  parceque,  du  temps  de 
Louis  XIV,  on  s'embrassait  en  s^abordant.  Molière  a  dit  à  peu  près 
de  même  : 

De  prul«Btation»  d'offre*  et  de  sermeoU 
Vuya  t  hancec  h  fureur  de  vus  enbra>*«aMab. 
Misnntkr. 

Empobtemert. 

Je  u'm  trouve  que  pleur»  ni^ies  d'e  m  portement*. 

Andr.,  act.  II,  te.  ▼. 

Ce  mot  venait  d*eutrer  dans  la  langue;  le  père  Roufaours  nou$  ap- 
prend qu'il  avait  été  inventé  pour  exprimer  les  mouvements  de  li 
guerre  civile  pendant  la  Fronde,  mais  il  ne  peut  en  nommer  Fau- 
teur. Il  faudrait  chercher  ce  mot  dans  les  Mémoires  de  Montresor.  du 
cardinal  de  Retz,  etc. 

Empbesser  (s'j  PoiR  l'amitik. 

Pour  \oire  amitié  «eule  Alewndre  a'eropiesse. 

AUx.^  art.  I,  «c.  i. 

C'est  une  ellipse  qui*  la  poésie  peut  se  permettre.  On  dirait  foK  bleu 
en  prose  :  s'empresser  pour  obtenir  l'amitié  de  quelqu'un  ;  pourquoi 
le  pocle  ne  dirait-il  pas  :  s'empresser  pour  l'amitié? 

En  Argos  pour  à  Argos. 

J'écriti»  ««n  Argos,  pour  hil«;r  Ci-  toy^«?. 

I]'h.^  art.  I,  te.  I. 

Outre  ra\anta^c  (l'éviter  l'iiialus,  les  amateurs  de  raiitiquîte  se 
plaisent  à  trouver  dans  celle  locution  une  réminiscence  de  l'hellé- 
nismc  ^v  Ap"j^ci  (en  Arpos;.  Ceci  pourrait  presque  justifier  ce  litre 
lant  blâmé  :  Iphi^énie  en  Aulide.  au  lieu  de  à  Aulis;  en  effet,  c'est 
le  grec  tv  AuÀi^i  (en  Aulide). 

Enchaîné  de. 

Quui  !  loujuuri  (Michainc  de  ma  ^l'ure  pa««ec. 

Jirit.,  act.  IV,  »c.  m. 

En  prose  il  faudrait  dire  enchaîné  par;  mais  l'ablatif  a  plus  de 
grâce  toutes  les  fois  qu'il  n'est  pas  contraire  au  génie  de  la  langue. 

Enfreindre  ine  promesse. 

Si  quelque  trdiii>freMenr  enfreint  celte  promesse. 

At/i.,  art.  IV.  5C  ill. 

Associations  d'idées ,  et  non  pas  seulement  de  mois.  On  dit  en- 
freindre une  loi  ;  Racine  par  analogie  dit  :  enfreindre  une  promesse, 
parceqn'une  promesse  doit  èlre  sacrée  comme  une  loi. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  27 

Ennuis. 

Va,  je  vent  être  «eut  en  i'éUt  où  je  «ois. 
Si  toutefois  on  peut  l'être  arec  tant  d'ennui*. 

Frhres  enn.^  »ct.  111,  «c.  i. 

Racine  emploie  souvent  ce  mot  dans  le  sens  poétique  du  lalin  tœdia^ 
pour  chagrins,  soucis^  douleurs  prolongées.  L* Académie  sanctionne 
cette  acception,  qui,  cependant,  Ticillit.  La  Harpe  a  tort  de  trouver  ce 
mol  froid.  Il  est  peu  usité  dans  ce  sens,  voilà  tout. 

Ensanglanter  la  gloire. 

Ce  n'est  pa^  quu  ce  brai,  disputant  la  victoire. 
N'en  ait  aux  ennemif  en»anglanto  la  ((loire. 

AUt.,  art.  111,  se.  ii. 

Pour  vendre  cher  la  victoire;  c'est  un  latinisme  heureux  :  cruen- 
tam  hostibus  victoriam  efflcere.  On  peut  signaler  cette  belle  expres- 
sion comme  un  des  premiers  efforts  de  Racine  pour  enrichir  la  langue. 

Ensevelir  nos  coups. 

Nou>  a  fait  dan»  la  foule  ensevelir  nos  coups. 

Alex.,  ad.  111,  se.  vi. 

Mot  admirable  dans  la  bouche  d'Alexandre  quand  il  ne  combat  que 
la  foule  vulgaire  des  soldats. 

Entendre  des  regards. 

J'entendrai  des  regards  que  tous  croirex  muets. 

Brit.,  act.  II,  se.  m. 

Les  regards  parlent.  Racine  a  donc  pu  dire  entendre  des  regards  : 
l'analogie  fait  disparaître  en  quelque  sorte  la  hardiesse  de  l'expression. 

Entendre  sa  fortune. 


Vous  aves  entendu  sa  fortune. 

Atk.,  acL  II,  se.  Tii. 

Josabelh  adresi»e  ces  mots  à  Athalie  après  l'interrogatoire  du  jeune 
prince.  Il  était  impossible  de  dire  avec  plus  de  précision  et  en  même 
temps  plus  poétiquement,  vous  avez  entendu  Urécit  de  tout  ce  qui  lui 
est  arrivé. 

Entendre  une  joie. 

Ne  l'entendex-Tous  pas,  cette  cruelle  joie? 

fier.,  act.  V,  se.  v. 

La  joie  est  bruyante,  donc  elle  peut  se  faire  entendre.  Ce  sont  ce> 
hardiesses  qui  font  la  poésie. 


Entrailles. 


Kl  ton»  qui  lui  devez  de?  entrailles  de  pcre. 

Afft.,  act.  Il,  «r.  T. 


28  DICTIONNAIRE   CRITIQUE. 

Ce  mot  est  uuc  des  sinf;ulari(és  de  noire  langue.  Vulgaire,  |)ri'>4|ue 
IriTÎal  au  propre,  il  est  reste  noble  dans  le  sens  figuré. 

Entretien  de  ses  pleubs. 

Nous  o'avon*  d'entretien  que  celui  d«  tes  pleon. 

Andr.t  act.  111.  *c.  m. 

C'est-à-dire  d'autre  sujet  d'entretien  que  celui  de  ses  pleurs.  D'O- 
livet  a  critiqué  cette  ellipse.  Les  grammairiens  ne  comprennent  |ki> 
que  la  règle  aride  doit  fléchir  devant  une  aussi  touchante  |K>ésie. 

Épancher  (s')  en  fils. 

U  s'épanchoit  en  fils  qui  vient  en  libertin 
D«na  le  »ein  de  Sâ  mère  oublier  m  iierl^. 

BtU.^  »rl.  V,  M',  m. 

Voilà  une  expression  qui  peint  à  la  fois  Pabaudou  du  iils,  l'illu- 
sion, la  joie  et  l'orgueil  de  la  mèrt>.  Racine  seul  trouve  de  ces  mots 
qui  expriment  des  passions,  et  qu'on  croirait  ne  pouvoir  être  inspirés 
que  |)ar  elles. 

Envier  une  indigne  conquête. 

Allonii,  n'envions  plas  suu  indigne  conquête  î 

Andr.,  art.  II,  sr.  ii. 

Heureuse  concision  :  dans  ce  peu  de  mots  le  poète  dit  :  cessons 
d'envier  ou  de  désirer  la  conquête  d'un  ingrat,  que  son  ingratitude 
rend  indigne  de  moi. 

Envier  dans  le  sens  de  priver. 

Soit  que  son  cœur,  jaloui  d'une  austère  lierte, 
Enviât  à  nos  yeut  sa  naissante  beauté. 

Bril.,  art.  11.  »«.  ii 

C'est  un  latinisme.  On  dit  un  roi  envie  à  son  peuple  le  bonheur  de 
le  voir,  pour  faire  entendre  qu'il  ne  le  laisse  pas  jouir  de  ce  lionheiir. 
Un  des  bergers  de  Virgile  s'exprime  ainsi  :  Bacchus  envie  aux  collines 
l'ombrage  de  la  vigne. 

Liber  pampincdf  invidit  rollibus  urabra». 

Epouse  en  espérance. 

<^uoi,  doja  de  Titus  L'ptiu»e  eu  c»|iéranco. 

Uèr.,  acl.  l,  se.  i. 

Épouse  en  espérance;  expression  heureuse  et  neuve,  dit  Vollaitv, 
dont  Racine  a  enrichi  In  langue,  et  ({ue  par  conséquent  on  critiqua 
d'abord. 

Espoir  charmant. 

lin  espoir  si  rluruiaiit  uic  seruit-ii  permis? 

Andr.,  act.  I .  »r.  n. 

l>'Olivet  (lit  quV^pof'r  ne  doit  s'eniplouT  qu'en  parlant  des  choses 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  il) 

(|ui  sont  n  venir.  (]Vsl  hicii  :  mais  la  certitude  d'être  cherché  nVsl  pas 
encore  chose  présente  pour  Pyrrhus,  puisqu'il  demande  :  Me  cher- 
chiez-vous^  madame?  Il  peul  espérer  qu'elle  répondra  oui.  Racine  a 
donc  bien  employé  le  mol. 

Et,  FoiBLE,  pour  qui  bien  que  étant  foible. 

Qui  devanl  les  boiirre«ux  •'ctoit  jetée  en  vain , 
Et ,  foible ,  le  tcnoit  renverté  sur  «on  aein. 

Atk.,  art.  I,  %c.  II. 

Le  sens  seul  de  la  phrase  nous  apprend  que  foible  se  rapporte  à 
nourrice  et  non  à  Joas.  C'est  une  de  ces  tournures  hardies  et  toutes 
familières  aux  Latins  que  Racine  a  essaye  de  rendre  françaises.  Mais 
lo  génie  de  notre  langue,  sans  y  résister  tout  à  fait,  ne  permet  pas 
toujours  de  l'employer  avec  autant  de  clarté  que  le  fait  ici  Racine. 

Et  pour  aussi. 

HBMOX. 

Madame,  rel  arr^t  ne  vous  regarde  |>aji,  etc. 

A!*fTI0O?fB. 

Et  ce  n'est  pas  pour  moi  que  je  crains  leur  vengeance,  etc. 
Frères  enn.,  act.  II,  se.  ii. 

Racine  donne  ici  au  mol  et  le  sens  du  mot  aussi.  En  latin  et  em- 
ployé pour  etiam  est  très-usité.  Volo  et  ipse,  mot  aussi  je  le  veux. 
Racine  l'emploie  aussi  dans  le  sens  de  itaque.  Cette  espèce  de  latinisme 
n'était  pas  heureux  ;  il  n'a  été  compris  ni  des  commentateurs  ni  des 
imprimeurs.  M.  Didol  va  jusqu'à  proposer  de  changer  et  en  eh! 

Expirer  la  mémoire  d'une  action. 

D'une  action  si  noire 
Que  ne  peut  avec  elle  expirer  ta  mémoire  ! 

Phèdr.,  ad.  V,  ce.  vu. 

Thésée  répond  à  ce  qu'il  vient  d'entendre  : 

Elle  expire,  seigneur! 

et  il  répète  le  même  mol  en  l'appliquant  à  la  mémoire  de  l'nctinn 
qu'il  déplore.  Tout  cela  est  logique,  et  la  langue  ne  souffre  pas  à 
cause  du  rapprochement. 

Expliquer  (s')  a  quelqu'un  pour  lui  expliquer  sa  volonté. 

Me  prêter  votre  voix  pour  m'expliquer  i  lui. 

Baj.,  act.  1,  se.  m. 

On  dit  communément  s'expliquer  avec  quelqu'un,  pour  avoir  une 
explication;  mais  s'expliquer  à  quelqu'un,  c'est  lui  faire  connaître  ses 
sentiments,  c'est  lui  ouvrir  son  cœur,  et  dans  la  bouche  de  Roxane, 
c'est  lui  donner  le  choix  de  l'épouser  ou  de  mourir.  C'est  ainsi  que 
Rnrine  fait  un  trait  de  caractère  d'une  simple  expression. 


30  DICTIONNAIRE   CRITIQUE. 

EtITBEPREXDBB    rilE   CAMlilK. 

Vo«t  n'eatrepraaet  point  une  injorte  carrière.  • 

Baj,,  •ci.  II,  K.  I. 

Entreprendre  une  carrière,  c^cst  entreprendre  de  la  parcoarir.  La 
phrase  serait  bonne  ;  mais  une  carrière  ne  peut  être  ni  jusU  ni  in- 
juste^  et  cVst  remploi  de  cette  épithète  qui  rend  le  Ters  de  Racine 
répréhensible. 

F 

Faillib. 

Ife  m'ont  trqnia  le  droit  à*  Jaillir  eonmo  loi. 

Pkèdr.,  Mt.  I,  «r.  i. 

Vieux  mot  que  Racine  nous  a  conscnré,  et  qu^aucun  autre  mot  n'au- 
rait pu  remplacer.  Encore  aujourd'hui,  si  ce  mot  manquait,  il  serait 
impossible  de  refaire  le  Ters  d'Hippolyte. 

Faire  l'amour. 

Ah,  llcho  !  /ait  Pamour^  et  renonre  à  rempire  ! 

Bér.^  Ml.  IV,  $t.  ir. 

Ceci  nVst  point  une  expression  nouvelle;  mais  ce  qui  est  nou- 
veau, c'est  d^afoir  fait  d'une  expression  presque  triviale  une  expres- 
sion digne  d'entrer  dans  le  style  soutenu.  (Voir  le  Conmientaire.) 

Faire  taire  des  pleurs. 

.  .  .  Cairhas,  qui  l'attend  en  res  lieui. 
Fera  taire  nos  pleiirii,  fera  parler  le*  dieux. 

/ph.f  ad.  I,  »f.  I. 

Manière  poétique  do  dire  :  il  nous  forcera  de  pleurer  en  secret,  ou 
même  de  cesser  de  pleurer. 

Faire  parleji  des  douleurs. 

Et  comme  il  faut  enKn  fai»  parler  mes  douleurs. 

Frères  enn.,  art.  I,  ic.  yi. 

C'est  là  une  des  belles  expressions  inventées  par  le  poète  ;  malheu- 
reusement elle  est  un  peu  gâtée  par  ces  mots  vulgaires  :  comme  il  faut. 

Faire  parler  les  yeux  dans  des  coeurs. 

Venei  dans  tou«  les  cœur»  faire  parler  vos  yeui. 

Andr.,  act.  II,  te.  ii. 

Expression  neuve,  hardie  et  pleine  de  vérité  :  les  yeux  ont  leur 
langage,  et  c'est  aux  cœurs  qu'ils  parlent. 

Faire  une  attaque  de  la  haine. 

Fai«nn4  de  notre  haine  une  commune  attaque. 

Andr..  aci.  Il,  «c.  il. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  31 

Expression  plus  vive  et  plus  poçlique  que  ne  le  serait  :  unissons 
noire  linine  dans  une  commune  aUaque,  ou,  altaquons-le  tous  deux 
avec  la  même  haine. 

Faix,  un  cœur  qui  s* affermit  sous  un  faix. 

Surtout  j'admire  en  tous  ro  cour  infAtigable, 
Qui  semble  s'affermir  sous  le  faix  qui  l'accable. 

Mithr.,  act.  III,  se.  i. 

Ce  qui  frappe  ici,  c'est  surtout  la  justesse  de  Tirnage.  Un  lourd 
fardeau  écrase  ce  qui  est  faible,  et  donne  plus  de  stabilité  à  ce  qui  est 
fort. 

pATKirER    UNE    MER    IMMOBILE. 

Fatigua  vainement  une  mer  immobile. 

Iph.,  act.  I.  se.  i. 

Virgile  a  dit:  diemque  fatigant:  mais  ici  Racine  ajoute  quelque 
chose  à  son  modèle  :  la  mer  inutilement  fatiguée  reste  immobile. 

Fausse  douceur  affectée. 

Il  aiïecte  pour  rons  une  fausse  doureur. 

Ath.,  art.  1,  se.  i. 

L"* Académie  a  condamné  fausse  douceur  joint  avec  affectée.  En  ef- 
fet, on  dit  bien  affecter  une  grande  douceur,  mais  une  douceur  affec- 
tée est  toujours  fausse. 

Faveurs  de  la  guerre. 

La  guerre  a  ses  faveurs  ainsi  que  ses  disgrâces. 

Mithr.,  act.  III,  se.  i. 

Les  faveurs  de  la  guerre^  cela  ne  s'était  jamais  dit,  el  cela  est  ad- 
mirable surtout  dans  la  bouche  de  Mithridate. 

Favorable. 

Jéhu  n'a  point  un  cœur  farouche  ,  inexorable  ; 
De  David  i  ses  yeux  le  nom  e«t  favorable. 

A  th.,  acL  III,  se.  vi. 

C'est-à-dire  en  faveur.  Cette  hardiesse  n'a  pas  été  imitée. 
Feindre  a  quelqu'un  que 

Il  lui  feint  qu'en  un  lieu  que  vous  «teul  ronnai^seï. 
Vous  cachez  des  trésors  par  David  amassés. 

Arh.„  act.  I,  se.  i. 

Latinisme  doublement  hardi.  Illi  mentibus  est  thesaurum  esse 

Cette  locution  est  une  de  celles  que  Racine  empruntait  aux  anciens 
pour  substituer  des  constructions  rapides  à  nos  constructions  languis- 
santes. 


32  DICTIONNAIRE  CRITIOrK. 

Fer  gn  connaît. 

Le  fer  n^  roniultn  ni  le  «eic  ni  l'iffc. 

Enth.^  art.  1 ,  m-,  m. 

Cette  ligure  est  «i  natarellc  et  si  heureusement  employée,  qu'à 
peine  on  en  sent  la  hardiesse.  Homère  cependant  est  encore  plus 
hardi,  lorsqu^il  prête  au  glaive  du  guerrier  le  désir  de  percer  Ten- 
nemi. 

Fidèle  en  ses  menaces. 

Et  Dieu  trouvé  fidèle  en  toutes  %«*  menaces. 

Ath.^  act.  1,  %f.  I. 

Association  de  mots  d*autant  plus  heureuse  que  Ton  est  accoutunié 
à  entendre  fidèle  à  ses  promesses. 

Fixe  a  se  venger. 

Tantôt  à  me  venger  /lie  et  dèteminéc. 

Baj.,  Act.  m,  «r.  V. 

On  n'est  pas  fîxc  à  une  chose.  Fixe  exprime  ce  qui  ne  varie  pas  ; 
il  a  plus  de  force  que  déterminé^  ivec  lequel  il  forme  un  pléonasme. 

Fléchir  un  courage  inflexible. 

Mais  de  faire  fléchir  un  courage  infleiible. 

PhèUr.,  act.  11.  se.  i. 

On  ne  fait  pas  fléchir  une  chose  inflexible.  Le  mot  n>st  bon  que 
pnrcequ'il  exprime  un  vœu,  un  désir,  une  gloire  qui  peuvent  se  réa- 
liser quoique  en  apparence  irréalisables.  Les  tragédies  de  Racine  of- 
frent plusieurs  exemples  de  celte  merveilleuse  alliance  de  mois,  cl 
enlrc  autres  le  fameux  vers  : 

Pour  réparer  des  ans  l'irr«>parablc  outra^îc. 

Forcer  a  vouloir. 

Et  puisqu'il  m'a  forcée  enfin  à  le  vouloir. 

Andr.,  art.  V,  «c.  i. 

Forcer  à  vouloir,  c'est  dompter  une  volonté,  cVsl  plus  que  forcer 
à  faire.  L'expression  est  nussi  neuve  que  belle. 

Fuir  un  silence. 

Il  renlro;  chacun  fuit  son  silence  farouclu». 

Brit.,  acl.  V,  se.  Tiii. 

Avec  deux  mots  qu'il  iiiiil  pour  la  première  fois,  le  poêle  fait  un 
tableau. 

Fureur  des  adieux. 

.liai»  j'.iHoslc  l*'s  dieux  . 
T«*moiii'<  »U»  la  fureur  de  uic*  dorniert  ;idieUf. 

Andr.,  .i  J.  Il  .  m.  ii. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  33 

Que  de  choses  dans  une  seule  expression,  la  fureur  des  adieux  t 
Toul  Oresle  est  là. 

FlIRElR    TRANQUILLE. 

Ma  tranquille  fureur  n'a  plu»  qu'A  se  venger. 

Baj.^  aci.  IV,  »c.  r. 

\. 

Le  mol  est  d^autant  plus  beau  que  celle  qui  le  prononce  est  plus 
agilée,  et  qu'elle  se  croit  de  bonne  foi  plus  tranquille.  Elle  est  tran- 
quille, dit  La  Harpe,  parcequ'elle  est  sûre  de  son  malheur.  C'est  m\ 
désespoir  résigné. 


(;. 


Gêner  pour  torturer. 

Et  le  puis-je,  madame?  ah!  que  vous  me  gênes! 

Voilà  un  mot  qui  a  perdu  toute  sa  force  en  perdant  sa  signification 
primitive.  On  disait  autrefois  appliquer  à  la  gène  pour  appliquer  à 
la  question.  Pris  au  figuré,  le  mot  était  plein  de  vigueur.  Corneille  a 
dil  dans  Rodogune  : 

Puis-je  vivre  et  traîner  une  gène  éternelle  ! 

Aujourd'hui  le  mot  ne  signifie  plus  qu  incommoder,  et  le  vers  de 
Racine  est  du  très  petit  nombre  de  ceux  qui,  dans  ses  œuvres,  ont 
perdu  de  leur  énergie. 

Gêner  pour  embarrasser,  pour  inquiéter. 

Britannicus  le  gêne,  Albine,  et  chaque  jour,  etc. 

Brit.y  act.  I ,  se.  i. 

Nous  venons  de  voir  Racine  employer  ce  mot  dans  le  sens  de  gêne, 
géhenne,  torture.  Ici  le  mot  se  prend  dans  une  acception  moins  vio- 
lente, il  ne  veut  plus  dire  qu  embarrasser. 


Génie. 


Mon  génie  étonné  tremble  devant  le  sien. 

Brit.,  art.  II,  te.  ii. 


Le  mot  génie,  dans  le  sens  qu'on  lui  attribue  ici,  n'était  pas  de 
notre  langue  avant  Racine. 

Glaive  qui  marche. 

Quel  e»t  ce  glaive,  enfin,  qui  marche  devant  eux? 

Alh.,  act.  IV,  se.  I. 

La  poésie  seule  peut  hasarder  une  pareille  image  :  un  glaive  qui 
marche!  Louis  Racine  justifie  cette  hardiesse  en  disant  que  le  glaive 
élanl  porté  en  cérémonie,  on  peut  dire  que  le  glaive  marche.  L'ex- 
pression était  à  la  fois  poétique  et  juste. 

III.  3 


34  DICTIONNAIRE  CRÏTIQLK. 

Gloire  irfExoRABLK. 

Ma  gloire  in^torable  à  tonte  heure  me  anil. 

Bér.,  d«M.  V,  se.  ri. 

Une  gloire  inexorable  pour  une  gloire  qui  ne  permet  pas  de  tran- 
siger avec  elle.  La  concision  de  celle  expression  est  bien  remar- 
quable. 

Graciei'x. 

Que  c'est  une  chose  rharmuite 
De  voir  cet  étant;  graeieur. 

U  Pay$age  de  I\  R.,  ode  IV. 

Le  mot  gracietuc  était  encore  nouveau.  Vaugelas  lui  avait  refusé, 
comme  on  disait  niors,  le  droit  de  bourgeoisie.  Le  public  en  a  mieux 
jugé  que  le  grammairien. 

H. 
Haine. 

Prends  soin  d'elle  :  ma  haine  a  besoin  de  sa  vie. 

Baj.y  arl.  IV,  #r.  v. 

Une  haine  qui  a  besoiit  d'une  vie,  quelle  hardiesse  dVxpression  ! 
Haine,  ru  effort  de  l'amour. 

Et  croit  qiie  notre  haine  est  un  effort  d'amonr. 

Andr.^  art.  II,  se.  ii. 

Ce  sont  de  telles  expressions  qui  faisaient  dire  aux  contemporains 
de  Racine  qu'il  s'était  créé  un  langage  qui  n'appartenait  qu'à  lui. 

Haïr  a  coeir  oitvert. 

Il  hait  à  cœur  ourerl  ou  ces^e  de  liair. 

Brit.,  arl.  V,  .ir.  i. 

Racine  a  dit  :  haïr  à  cœur  ouvert^  comme  on  disait  parler  à  cœur 
ouvert.  Déjà  nous  avons  eu  occasion  de  remarquer  que  la  plupart 
des  nouveautés  de  Racine  sont  inspirées  par  des  locutions  usitées. 
C'est  ainsi,  et  presque  par  les  mêmes  moyens,  qu'Euripide  fixait  en 
Grèce  la  langue  de  la  tragédie. 

Héllénismes. 

De  combien  de  malheurs  pour  vou»  persécutée. 
Vous  ai-jc,  pour  un  mot,  Mcrifie  mes  pleur«  ! 

Vous  regrettei  un  père 

Jii'r.,  act.  Il ,  »e.  i». 

Cela  veut  dire  :  Ne  pouvez-vous  pas  me  sacrifier  les  pleurs  qw 
vous  versez  pour  votre  père^  à  moi  qui,  sur  un  seul  mot  de  vous,  ta- 
rissais les  larmes  que  m'arrachaient  tant  de  persécutions  soufferto 
pour  vous?  Les  denx  vers  de  Racine  sont  deux  vers  grecs,  et  nous  ve- 


DICTIONNAIRE   CUITIQUK.  Sr» 

nous  de  les  traduire.  Il  est  bon  de  fixer  ratlenlion  sur  ces  formes  an- 
tiques dont  le  génie  créateur  d'un  grand  poëte  n'a  pu  doter  notre 
langue  ;  il  est  hou  aussi  de  les  étudier  grammaticalemcnl,  et  c'est  ce 
que  nous  faisons  dans  l'article  qui  suit. 


Songci  de  quelle  ardeur  dans  Epliète  adorée. 
Aux  fillei  de  ceni  roi»  je  tou«  ai  proférée! 

Mithr.,  acl.  IV,  se.  iv. 

Geoffroy  a  cru  voir  ici  une  ellipse.  C'est  une  erreur.  Celte  phrase, 
que  nous  ne  classons  parmi  les  héllénismes,  ainsi  que  la  précédente, 
que  parcequ'elle  est  très  fréquente  en  grec,  est  logique  et  complète  : 
elle  appartient  à  la  grammaire  générale.  Voici  sa  construction  logique  : 
Songez  qle  yai  préféré  aux  filles  de  cent  rois^  vous  adorée  dans 
Éphése,  d'une  très  grande  ardeur.  Ici  l'adjectif  très  grande  se  joint 
à  la  conjonction  que  pour  faire  l'adjectif  conjonctif  quelle  (quanta). 

Songez  de  quelle  (fçrandc)  ardeur  dam  Éphèse  adorée, 
Aui  lilles  de  cent  roi<  je  vous  ai  préférëe. 

On  le  voit,  que  et  grande  se  contractent  dans  le  mot  quelle  de  ma- 
nière à  former  la  phrase  du  poëte.  Cette  contraction  se  retrouve  môme 
assez  souvent  dans  nos  locutions  les  plus  vulgaires.  Ainsi  nous  disons: 
Songez  A  quels  p&ils  j'ai  échappé,  pour  songez  que  j'ai  échappé  à 
de  TRÈS  GRANDS  PERILS.  Daus  cctte  phrase  quels  équivaut  à  que  et  à 
très  grand.  Si  les  critiques  les  plus  pointilleux  n'ont  pas  attaqué 
ces  deux  passages,  si  tous  les  lecteurs  les  entendent  sans  difficulté, 
si  enfin  Hacine  n'a  pas  hésité  à  reproduire  deux  fois  cette  forme  heu- 
reuse et  vive ,  ne  devons-nous  pas  reconnaître  que  le  génie  de  notre 
poésie  ne  refuse  pas  absolument  de  l'admettre?  En  cela  la  langue 
française  parait  avoir  un  avantage  sur  les  langues  allemande  et  an- 
glaise, langues  d'ailleurs  si  souples  et  si  hardies,  mais  dans  lesquelles 
ces  vers  de  Racine  sont  intraduisibles,  faute  de  participes  déclinables. 

Heureuses  prémices  pour  heureux  commencements. 

Toujours  la  Irrannie  a  d'Iicurcuscs  prémices. 

liril.,  aol.  1 ,  9c.  i. 

Un  tyran  peut  avoir  eu  d'heureux  commencements,  la  tyianiiie  ja- 
mais. Ce  n'est  donc  pas  prémices  que  d'Olivet  aurait  du  blâmer.  Pré- 
mices pour  commencements  est  une  expression  très  élégante. 

IIONNKTE    FAUSSAIRE. 

Ne  runtiailroiv>lu  pa*  quelque  honnôte  faussaire? 

Les  Plaid.,  acl.  I ,  se.  v. 

Comique  ou  tragique,  on  reconnaît  Racine  à  ses  alliances  de  mots 
presque  incompatibles.  Honnête  faussaire  ne  rappelle-t-il  pas  le 
a  saintement  homicides  »>  d'Athalic? 


36  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

HONNELB   ADULTÊBE. 

nie  a  répadi^  ton  fpoai  et  son  pAre, 

Ponr  rendre  à  d'aatree  dieux  on  konnear  adultère. 

Kstk.t  acl.  I ,  M.  IV. 

Eipression  heureuse  empruntée  à  TÉcriture,  où  ridolàlhe  des 
Israélites  est  toujours  désignée  par  le  mol  fomicatio,  (Voyez  le  mof 
Répudier,) 

HONICEDB   COMBATTU. 

Madame,  et  pour  aanver  votre  honneur  ronbattu. 

Phèdr  ,  act.  III,  «c.  m. 

Mot  impropre,  pour  attaqué^  menacé^  en  danger. 
Humide  de  pleues. 

Le  ronr  groa  de.  loapirt  qu'il  n'a  point  écoat4><; 
L'œil  humide  de  pleura  par  l'ingrat  rebuté*. 

Phèdr.,  art.  III,  M.  m. 

Le  cceur  gros  est  une  phrase  familière  que  le  poète  relève  par,  les 
soupirs  qu*on  n'a  point  écoutés.  L'œil  humide  de  pleurs^  c^est  l'ex- 
pression latine  :  humentes  genœ. 


ilfCLBMBNCE   DBS   DIEUX. 

Tandis  que  pour  fléchir  l'inrlémenre  des  dieux. 

Iph.,  aci.  l,  se.  II. 

C'est  Vinclementia  divum  des  Laliiis.  Le  mol  inclémence  n'était  pas 
absolument  nouveau  ;  Corneille  s'en  était  servi  dans  Clitandre,  et  on 
le  trouve  dans  le  dictionnaire  de  Nicot.  Cependant  on  reprochai!  à 
Racine  de  l'avoir  employé,  preuve  qu'il  n'appartenait  pas  encore  à  la 
langue  des  grammairiens. 

Idée  pour  vi^ton. 

A  deux  fois,  en  dormant,  revu  la  mt'mc  idi^e. 

Ath.,  ad.  11.  »f.  V. 

Du  temps  de  Racine,  le  mot  idée  (image)  signifiait  aussi  vision.  Le 
dictionnaire  de  Richelet  lui  donne  encore  cetle  signification,  que  le 
dictionnaire  de  l'Académie  ne  lui  a  pas  conservée.  (Voyez  le  Commen- 
taire.) 


Impatient  pour  le  bouillant  Achille. 

Et  ne  rraignes-vous  point  l'impâtienl  Achille. 

/ph.,  act.  I ,  se.  I. 

Racine  a  pris  le  mot  impatient  dans  le  sens  des  Latins. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  37 

Impuissant  a  trahir. 

Je  crois  qu'à  mon  exemple  impuistant  à  trahir. 

Hrit.y  âct.  V,  u,  i. 

Impuissant  à  trahir  est  ici  pour  incapable  de,  trop  vertueux  pour. 
Dans  ce  sens  rcxpreâsion  était  nouvelle;  elle  fut  mal  accueillie  par 
les  grammairiens.  Le  père  Bouhours  reprochait  à  MM.  de  Port-Royal 
(Pavoir  mis  dans  la  traduction  de  l'Imitation^  impuissant  à  vous  taire. 
Il  y  avait  pourtant  là  moins  de  hardiesse  que  dans  le  vers  de  Racine. 
Tiettc  acception  rappelle  le  impotens  sut  des  Latins. 

Impunément  pâli. 

Achille  aura  pour  elle  impunément  pâli. 

Iph.,  act.  IV,  »c.  1. 

Quelle  énergie  le  nom  (V Achille  donne  à  cette  expression  !  Faire 
pâlir  Achille,  et  le  faire  pâlir  impunément,  chose  impossible  !  Le  vers 
dit  tout  cela. 


Impuni. 


Que  Pharnace  impuni,  les  Romaini  triomphants, 

N'épruuTent  pas  bientùt 

Mithr.,  act.  V,  ic. 


Impuni,  appliqué  aux  personnes,  manquait  à  notre  langue  et  à  notre 
poésie.  C'est  à  l'exemple  donné  par  Racine  que  nous  devons  de  pou- 
voir dire  :  un  scélérat  impuni,  comme  on  disait  avant  lui  :  un  crime 
impuni. 

Indigne. 

Si  «ou<  daignez,  seigneur,  rappeler  la  mémoire 
De-»  vertus  d'OctaTie  indignes  de  ce  prix. 

Brit.j  act.  III,  te.  i. 

Indigne,  pris  en  bonne  part,  est  un  latinisme.  Horace  dit  eu  par- 
lant de  deux  frères  étroitement  unis  : 

Vivitis  indigni  fraternum  rumpere  fœdus, 

vous  êtes  indignes  de  rompre  Tunion  fraternelle.  Ce  qui  veut  dire  : 
,  vous  avez  trop  de  vertus  pour  cesser  de  vous  aimer. 

Incurable,  remède. 

D'un  incurable  amour,  remèdes  impuissants. 

Phèdr.,  act.  1,  se.  m. 

(iCs  deux  mots  ne  sont  pas  toujours  très  nobles  dans  notre  langue; 
ici  ils  sont  très  élégants  et  très  poétiques.  Mais  pour  se  faire  une  idée 
juste  de  Tart  avec  lequel  Pauteur  les  a  employés,  il  faut  lire  la  tirade 
entière. 


Ingratk  a. 


Ont  ri'ndu  Bérénice  ingraic  a  vos  bontés. 

nêr.,  act.  I  ,  *c.  m. 


58  uictionnairf:  ckitiuue. 

D*01ivet  critiqua  cette  locution  pleine  d^élégance;  mais  on  lai 
prouva  que  Vaugelns  avait  écrit  ingrat  à  la  fortune;  et  le  grammai- 
rien fut  forcé  (le  se  soumettre  au  grammairien. 

Injure  pris  dans  le  sens  de  tort  fait  ou  reçu. 

Il  lufCl,  conme  vous  je  restent  vos  injures. 

Brit.,  BcU  I.  ■(.  m. 

C'est  Vinjuria  des  latins,  qui  n'a  pas  d'autre  acception  que  celle 
à* injustice^  de  violence,  de  droit,  du  moi  jus,  juris.  Dons  notre  langue, 
il  signifie  encore  pnroles  offensantes.  Racine  s'en  est  aussi  servi  en  ci' 
sens  dans  Iphigénie  : 

Souflrirxi-je  à  Ift  fois  U  gloire  cl  tet  injure*  Y 

Innocence  qi'i  pèse. 

Mon  innocence,  enfin,  commence  k  me  peter. 

Andr.,  àcX.  ill.  »c.  i. 

Un  crime  pèse  sur  la  conscience  ;  mais  faire  peser  l'innocence  comnii* 
le  crime,  cela  est  terrible.  Une  expression  pareille  ne  peut  dire  arra- 
chée qu'au  désespoir,  et  les  grands  poètes  seuls  devinent  ces  choses-ln. 

Innocent  malgré  sa  renommée. 

ThratcM  au  fénat,  Corbulon  dan*  r^rarc. 
Sont  encore  innocents,  malgré  leur  renommeo. 

Urit.,  act.  I,  >c.  il. 

La  gloire  porte  toujours  omhragc  à  la  tyrannie  :  telle  est  la  pensée 
que  Racine  nous  suggère  sans  en  dire  un  mot.  Ces  formes  rappellent 
la  manière  de  Tacite. 

Inondait  les  portiques. 

Le  peuple  saint  en  foule  inondait  le«  pi>rti<|iio«. 

Alh.,  Mt.  I,  ti.  I. 

Le  mot  inondait  fut  critiqué,  et  cependant  son  application  était  à  la 
fois  juste  et  poétique.  Dans  toutes  les  langues,  dit  La  Harpe,  le  mou- 
vement d'une  grande  multitude  a  été  assimilé  à  celui  des  Ilots  de  la 
mer.  On  dit  :  les  flots  d'un  peuple,  une  multitude  qui  s*écoule  ;  et, 
par  analogie.  Racine  a  pu  dire  qu'une  foule  inondait  les  portiques. 

Inoiietée  pour  témoigner  trop  d'inquiétude. 

La  Grèce  en  ma  faveur  est  trop  inquiétée. 

Andr.,  a-l.  I .  »c.  il. 

Manière  heureuse  de  donner  de  la  concision  à  la  langue. 
Racine  s'était  déjà  servi,  mais  moins  heureusement^  de  cette  expreîi- 
sion  dans  Alexandre  : 

Yen  doutet  pas,  seigneur,  mon  ame  inquiélér 
D'une  crainte  si  JH*te  r»l  san»  cesse  agitée. 

Alex.,  ad.  Il,  m-,  i. 


DICIOTNNAiKE  CRITIQUE.  39 

L'abbé  d'Olivet ,  avec  (ouïe  la  rigidité  du  gramuiairieu  ,  aurait 
>oulu  que  Kacine  eût  écrit  :  nion  afiie  inquiète,  parceque  le  participe 
inquiétée  iic  présente  pas  le  inènie  sens  que  Tadjeclif  infiuiéle;  mais 
le  sens  n'est  pas  si  ditTérent  (|ue  ces  deux  mots  ne  puissent  paraître 
synonymes  en  certaines  occasions. 

Inquiétude  d'un  désespoir. 

Kt  l'un  craint  »i  U  uuil  juinle  j  la  iiolitiide 
Vient  de  *ou  de»e>|>uir  4i){rir  riui{uiotudc. 

13rit.,  ait.  V.  »i-.  vm. 

Ces  deux  vers  expriment  clairement  que  si  un  laisse  ^îéron  seul,  il 
est  à  craindre  que  la  nuit  et  la  solitude  n'accroissent  son  désespoir. 
La  phrase  est  si  claire,  qu'on  ne  remarque  pas  cette  alliance  de  mois 
aussi  heureuse  que  pittoresque  :  Vinquièlude  d'un  (tésespoir. 

Interroger  de. 

Kl  ipii  de  «on  destin,  qu'elle  ne  couiuit  im.>. 
>  leni,  dit-elle,  eu  Aulide,  interroger  Calcha.o. 

/ph.,  dcl.  i  .  j.  •.  IV. 

Interroger  de  est  un  tour  latin.  On  ne  voit  pas  pourquoi  IWiiie  a 
préféré  de  à  sur. 

Interruption. 

Me»  «uldAtt,  le»  r<in(;s,  le  desurdre,  \ci  en»,  i'hurreur,  i-lr. 
Mithr.,  ttcl.  II .  ic.  m. 

Tous  ces  nominatifs  devraient  logiquement  être  suivis  d'un  verbe; 
mais  le  poète  laisse  la  sa  longue  phrase,  et  complète  son  idée  par  cette 
vive  exclamation  . 

Que  puunuil  U  valeur  tUm  ce  tiouble  funeslir? 

Cette  suspension,  ou  réticence,  est  du  plus  bel  eflet.  On  peut  en 
voir  un  second  exemple  dans  la  description  que  fait  Bérénice  de  l'a- 
pothéose de  Vespasien.  Uacine  est  le  créateur  de  cette  forme,  qui  ex- 
prime si  bien  le  mouvement  de  l'ame  par  le  mouvement  du  discours. 
(Voyez  Nuit  enflammée.) 

Insulter. 

Vuui  cruyot  qu'un  anunt  «leone  «ous  nisuHer. 

Andr..  mI.  Il ,  se.  i. 

Ce  mot  était  nouveau,  mais  excellent  y  suivant  le  témoignage  de 
Vaugelas,  qui  remarque  en  même  temps  que  le  père  Coefléleau  avait 
eu  un  moment  l'envie  de  s'en  servir,  mais  qu'il  ne  l'avait  osé,  de  peur 
de  blesser  la  grammaire,  ou  plutôt  les  grammairiens.  Ce  mot  vient 
iVinsultare  ou  (Tinsitire,  et  Uacine  l'a  employé  dans  le  même  sens  que 
les  Latins.  On  peut  en  voir  des  exemples  dans  Virgile  et  dans  Cicéroii. 

Instbiire  pour  api)rendrc. 

h'  puis  rmstriiire  au  in.>iii>  roiiilucn  sa  ciiiiridciiro..     . 
liri/.,  *it.  Il,  ».-.  M. 


40  DICTIONNAIRI;:  CRITIUUE. 

On  ne  dirait  pas  en  pro«e  :  je  ^ii  Vintlruirt  combien^  inaii  je  puis 
lui  apprendre  cominen.  1/aulorilé  do  Racine  a  donné  au  mol  instruire 
cette  nouvelle  acception. 

Instruit  dans  son  devoir. 

Ah!  tuut«  M  runduite 
Marque  dan*  %on  d«ruir  une  ane  trop  tnatmitc. 

Brit.,  aci.  I,  ic.  i. 

On  est  instruit  dans  une  science,  et  on  est  instruit  de  son  devoir. 
11  y  aurait  donc  ici  une  incorrection  si  Racine,  en  employant  celte 
locution,  ne  voulait  faire  entendre  que  les  devoirs  des  souverains  sont 
eux-mêmes  une  science  profonde.  Ainsi  comprise,  Pexpression  devient 
excellente. 


Jeteb  un  OKI l  pour  jeter  un  regard. 

(>soit  jeter  un  «il  proCàoe,  incettneui. 

Phi'dr.,  art.  V,  »c.  vu. 

Expression  imitée  de  TÉobitube  :  injecit  oculos  in  Joseph. 
Jeunesse  embarquée  dans  un  amoub. 

Et  dan«  un  fol  amour  ma  jeun«*fe  embarquée. 

Phrdr.,  aet.  I,  •(.  i. 

C^est  une  de  ces  tournures  familières  que  Racine  a  Tart  de  faire 
entrer  dans  le  style  noble,  et  qui  donnent  de  la  véritt»  à  son  style. 
Celle-ci  est  une  des  moins  heureuses. 


L. 


La  mort  infaillible. 


Qui  m'ofTre  on  son  hymen  ou  la  mort  inrAillible. 

liaj.,  act.  Il ,  w.  V. 

Il  y  a  ici  une  faute.  On  ne  peut  dire  :  elle  nroflW>  la  mort  infaillible, 
parceque  la  mort,  prise  dans  un  sens  absolu,  est  toujours  infaillible. 
Pour  que  la  phrase  fût  correcte,  il  eût  fallu  dire  :  elle  m'offre  une 
mort  infaillible;  c'est-à-dire,  un  genre  de  mort  auquel  on  ne  peut 
échapper. 

Laisseb  peu  de  place  au  courage. 

D'une  nuit  qui  laisioit  peu  de  plart>.  au  murante. 

Afithr.,  act.  Il,  »c.  m. 

Expression  neuve  et  hardie,  pour  dire  :  empêcher  le  vourafje  d'aytr. 
te  rendre  inuttle. 


DICTIONNAIRE  CKITIQUK.  i\ 

Livrer  le  reste  de  ses  jours  a  l'univers. 

F.l  que  le  choix  des  dieut,  cuntraire  à  mes  amour», 
Livroit  à  runivert  le  reste  de  mes  juurs. 

/3t'r.,  acl.  II,  se.  il. 

Quelle  admirable  expression,  et  comme  elle  relève  Tcsclavage  dei> 
rois!  Les  rois  sont  esclaves,  il  est  vrai;  leur  naissance  les  livre  à 
l'univers. 

Laisser  a  la  merci. 

Me  laisse  à  la  merci  d'une  foule  inconnue. 

lier.,  act.  I,  se.  iv. 

Vieille  expression ,  rajeunie  dans  ce  vers ,  et  que  Texemplc  de  Ra- 
cine nous  a  conservée. 

Livrer  sa  conduite. 

Ceux  à  qui  je  voulois  qu'on  livrât  sa  conduite. 

Brit.,  act.  IV,  se.  ii. 

Expression  de  génie.  Livrer  la  conduite  d'un  jeune  homme  à  de 
mauvais  conseils,  c'est  ruiner  sa  réputation  et  son  avenir.  On  ne 
pouvait  dire  plus  en  moins  de  mots. 

Lorsque  au  lieu  d'où. 

Ils  regretloient  le  temps  à  leur  valeur  si  doux, 
Lorsque  assurés  de  vaincre,  ils  combaltoient  sous  vous. 
fiftj.t  act.  I,  so.  1. 

Lorsque  au  lieu  d'où  est  une  des  locutions  créées  par  Racine  pour 
séparer  la  proses  de  la  poésie  :  c'est  une  ellipse.  Le  temps,  qui  leur 
étoit  si  doux^  lorsque,  celte  forme  est  pleine  d'élégance. 


M. 


Main  qui  s'épanche. 


Kt  lorsque  avec  mon  cœur  ma  main  peut  s'épancher. 

Hér.,  act.  III,  se.  i. 

La  main  ne  s'épanche  pas  comme  le  cœur,  elle  épanche.  Louis  Ra- 
cine justifie  cette  locution  eu  disant  :  Cette  expression  hardie  présente 
l'image  d'un  prince  qui  ouvre  sa  main  et  son  cœur  pour  son  ami. 
L'idée  est  belle,  mais  l'expression  n'est  pas  justifiée.  (Voyez  le  Com- 
mentaire.) 

Malheurs  qui  sk  répandent  sur  quelqi'un. 

Quelqu'un  de  me»  Uialhcui>  ^v  rc|»aiidroit  ^ur  eux. 

Jphitj.,  act.  II  ,  s«-.  I. 

Idée  et  loiinuire  niiliqiie.  Racine  esl  plein  de  ces  trails  (jui  jjJou- 
lent  à  Pillusion  dramatique  par  la  vérilé  locale  du  lan^Mge. 


42  DMITlONiNAlUË  CRITIQUE 

Maluelb  du  sang  TiOYe!«  pour  le  sang  troyen  malheureux. 

Vout  voit  du  tang  truyco  relever  le  Mâlhear. 

Andr.^  art.  1,  se.  il. 

Cette  forme,  plus  latine  que  franvaisKî,  manque  peut-être  un  peu 
de  clarté.  11  ne  s'agit  pas  de  relever  le  malheur  des  Trojens,  mais  de 
relever  les  Troyens  malheureux. 

MaLUEI  R  QUI  PASSE  l'eSPEBA.XCE. 

GrAoe  AUX  «Jieui ,  mon  malheur  |M«ie  mon  espérance. 
Andr., 

Cette  expression  rappelle  le  sperare  dolorem  de  Virgile.  Mais  ce 
qui  n'est  dans  Virgile  qu'une  hardiesse  grammaticale  est  ici  Fexpres- 
sion  la  plus  unière  et  la  plus  profonde  d'une  ame  désespérée.  Racine 
a  quelquefois  le  talent  de  Tacite  :  il  peint  a\ec  un  mot.  (  Voyez  le 
Commentaire,) 

Une  xalbel'reuse  pour  une  infortunée, 

Ilclu  !  que  de  raison*  runlre  une  nalbeur«HM  ". 

liaj.,  art.  ili,  se.  m. 

Voilà  un  de  ces  mots  dont  le  ^ens  a  changé  en  passant  dans  le  lan- 
gage familier.  Aujourd'hui  on  ne  |>ourrait  plus  dire  d'une  femme  in- 
fortunée que  c'est  une  malheureuse  ;  mais  on  dirait  bien  encore  :  cette 
femme  est  malheureuse,  .\insi  le  mot  n'a  changé  de  sens  que  comme 
substantif. 

Marcher  son  égal. 

Je  ceignis  la  turc  et  marchai  sun  f^.il. 

Alh.,  aci.  III.  »!-.  III. 

Cette  belle  expression,  qui  rend  colle  de  Virgile,  ÎMcedo  regiita^  fut 
reçue  avec  admiration. 

Méditer  la  défaite. 

Et  qui  sait  si  riu(:rate.  eu  sa  luiif:uc  rclrailc. 
N'a  point  de  l'empereur  médité  la  défaite? 

£^ri7.,  arl.  111.  m.  v. 

Une  femme  qui  médite  la  défaite  d'un  lioniiiie  comme  un  général 
médite  la  défaite  d'une  armée.  Le  m<»l  défaite  est  beau  parcequc  col 
homme  est  un  empereur. 

Mendier  la  mort. 

J'ai  mendié  la  mort  rhei  dos  peuples  cruels. 

Andr.,  art.  Il ,  :.o.  ii. 

On  pouvait  dire  :  j'ai  cherché ,  j'ai  deniiindé  ;  mais  Uacino  dit 
mieux,  il  parle  comme  Oreste  lui-même. 

Mer   FERMEE. 

Taiiiliv  ({n'à  no>  \di:««i'<(ux  la  inor  loiijoiir»  feniK-^^. 

/ph.,  .lol.  I  ,  *f.  II. 


DICTIONNAIRE  CRITlUt^E.  43 

La  mer  fermée  à  des  vaisseaux  pour  le  chemin  de  la  mer  fermé, 
l/expression  est  belle  à  cause  des  idées  qu'elle  fait  naître  :  une  mer 
est  fermée  par  le  calme,  par  les  vents,  par  la  tempête,  voilà  la  poésie. 

Mer  on  fuit. 

Au  feul  foii  de  ta  voit,  la  tn«r  fuit,  U  ciel  tremble. 

J'Jslh.,  oct.  I.  so.  III. 

La  mer  fuit  est  une  image  empruntée  du  psaume  cxiii,  vers.  5  : 
Mare  vidit  et  fugit. 

Mériter  qu'on  craigne. 

lit  croiront,  en  eiïet,  mériter  qu'un  les  craifine. 

lirit.t  »cl.  IV,  K.  IV. 

En  prose  on  eiit  dit  :  les  Romains  croiront  qu'ils  peuvent  se  faire 
craindre.  Le  poète  dit  mieux  :  le  mot  mit'f/fr,  dans  la  bouche  de  Nar- 
cisse, a  quelque  chose  d'ironique  et  de  méprisant  qui  marque  l'avilis- 
senicnt  des  peuples  :  ils  ne  méritent  pas  même  qu'on  les  craigne  ! 

Misère.  —  Achever  sa  misère  pour  achever  sa  misérable  vie, 

Hécube  prè«  dXIysM  acheva  m  miièrc. 

Andr.,  *cl.  I,  te.  il. 

Façon  de  parler  hardie  et  poétique.  Misère^  dit  Geoffroy,  est  un 
terme  noble  ;  il  ne  signifie  pas  seulement  pauvreté,  infamie,  mais 
malheur,  infortune. 

Mettre  des  pleurs  dans  une  balance. 

Que  Home  avec  »es  lois  mette  dani  la  balance 
Tant  de  pleur»,  tant  d'amour,  tant  de  perscvèraiice. 
Bér.,  act.  IV,  «c.  iv. 

Il  est  utile  de  le  remarquer  :  ce  ne  sont  pas  des  pleurs  que  le  poëte 
met  dans  la  balance,  c'est  tant  de  pleurs,  tant  d*amour.  Ainsi  Ra- 
cine, avec  un  seul  mot,  donne  de  la  vérité  et  de  la  grâce  aux  images 
les  plus  singulières  en  apparence. 

Ministre  violente. 

D'un  fier  usurpateur  ministre  violente. 

Frères  en».,  act.  II.  »c.  m. 

La  Harpe  pensait  qu'en  poésie  ministre  pouvait  avoir  un  féminin. 
En  effet,  ce  mot  vient  du  latin  minister,  ou  ministra.  Cette  double 
étymologie,  jointe  à  l'autorité  du  grand  poëte,  aurait  dû  faire  accepter 
ce  mot  dont  la  désinence  se  prête  d'ailleurs  si  facilement  aux  deux 
genres. 

Moissons  de  gloire. 

Songei,  seigneur,  songez  a  ces  muiitsuus  de  tiluin- 
Q\\'k  vos  Taillantes  mains  prcscnle  la  virluire. 

//iA.,  art.  V,  fc.  II. 


44  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

Ou  dit  :  tin  champ  de  gloire,  les  palmes  de  la  gloire  :  ces  cipres- 
KÎons  reçues  juslilienl  par  Tanalogic  celui  qui  le  premier  a  trouvé 
Pexpri'ssion  neuve  et  poétique  :  moissons  de  gloire, 

M(»NSTBE8  VULGAIRES. 

Ot  monatret,  ctc, 

1^  rac«  de  Laiiit  les  4.  rvndot  vulgtiret. 

Frrres  enn.t  act.  I,  «c.  i. 

Louis  Racine  critique  ces  mots  :  monstres  vulgaires  pour  monstres 
communs.  Il  ifa  pas  compris  la  langue  du  poëte.  Monstres  communs 
serait  pitoyable.  Le  poëte  a  un  peu  élargi  le  sens  du  mot  vulgaire^ 
mais  il  ne  Ta  pas  forcé,  la  preuve  cVst  que  tout  le  monde  Fentcnd  ; 
c^esl  donc  une  conquête  et  non  une  faute. 


N. 

NaUFBAGK  ELEVE  AU-DESSUS,  etC. 

Au-dessus  de  leur  gloire  un  naufrage  élevé. 
Que  Home  el  quarante  ans  ont  à  peine  arhcTé. 

Mîthr.,  art.  Il,  k.  n. 

Tout  cela  est  plein  de  grandeur.  Le  dernier  vers  relève  le  premier, 
et  efface  la  faute,  si  c^est  une  faute  que  d'avoir  mis  naufrage  pour 
défaite.  Nous  engageons  le  lecteur  à  lire  dans  la  pièce  la  période  tout 
entière.  C'est  une  des  plus  l>elles  qui  soient  dans  notre  langue.  (Yoyei 
le  Commentaire) . 

Nouvelle  sanglante. 

Quand  je  n'en  aurois  |»as  la  nuu\elle  sanglante. 

Milhr.,  act.  V,  »c.  i. 

Expression  hardie  el  que  le  trouble  de  celui  qui  parle  rend  presque 
naturelle.  Racine  enrichit  la  langue  par  le  mouvement  des  passions. 

Nuit  enflammée. 

Os  llamboaux,  ce  bûcher,  cette  nuit  enflammée, 
(les  ai((les,  ces  faisceaui,  ce  peuple,  cette  armée, 
/if'r.,  act.  I,  se.  V. 

Le  poëte  peut  dire  cette  nuit  enllamniée,  car  il  fait  préeédcr  celte 
phrase  des  mots  flanilM>au\  et  bûcher,  qui  expliquent  comment  la 
nuit  est  enflammée. 

Mais  ce  qui  est  encore  plus  evtraordinaire  que  cette  locution,  c'est 
la  construction  de  la  phrase  entière.  De  quoi  tous  ces  nominatifs  ac- 
cumulés sont-ils  siii\is?  d'une  eYclaiiialioii  :  ciei,  avec  quel  respect  !  etc. 
Bérénice  dans  son  trouble  ne  s'a^sujetlil  pus  «à  la  construction  granuna- 
ticale.  Elle  (ail  un  tableau,  puis  elle  se  récrie  en  exprimant  reiichan- 
lement  que  ce  tableau  a  fait  naître  en  elle.  C'est  le  mouvement  même 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  4» 

(le  la  nature.  Je  croîs  celle  forme  si  poétique  de  Tinvention  de  Racine; 
au  moins  Ta-t-il  fait  passer  de  la  langue  grecque,  où  elle  esl  très 
commune,  dans  la  nôtre;  on  peut  en  voir  un  second  exemple  dans 
Mithridate,  ad.  II,  se.  m. 


(). 


S'obstiner  a  être  fidèle. 


Je  voulut  m'obttiiMr  à  vont  être  fidèle. 

Andr.,  act.  IV,  »c.  t. 

Ici  le  mot  s'obstiner  est  pris  en  bonne  part  ;  et  Louis  Racine  re- 
marque que  c'était  une  nouveauté  dans  la  langue. 

OElL  ou  BRILLE  LA  JOIE. 

S'enivrer  dv  plaisir  de... 

Et  d'un  œil  uù  brillaient  m  joie  et  «on  espoir, 
S'enÏTrer,  en  marrhant,  du  plaisir  de  la  Toir. 

Andr.^  act.  Y,  te.  ii. 

Toutes  ces  expressions  sont  neuves  et  poétiques.  La  première  peint 
admirablement  l'orgueil  de  la  conquête  ;  la  seconde  peint  son  triom- 
phe; c'est  un  tableau  complet.  Remarquei  que  la  construction  de 
ce  vers  appartient  exclusivement  à  la  poésie,  et  cela  est  si  vrai  qu'on 
ne  pourrait  les  mettre  en  prose  sans  de  grandes  inversions. 

Ombrage  pour  crainte. 

KnOn  je  Tien*  rharsé  de  paroles  de  paix; 
Vires,  solenniseï  vos  fêtes  sans  ombrafre. 

Ombrage  signifie  figurément  défiance j  soupçon;  ici  il  est  pris 
pour  crainte,  ce  qui  est  une  acception  nouvelle.  Du  reste,  solennisez 
vos  fêtes  sans  on^age^  pour  dire  :  soyez  sans  ombrage  pendant  la 
solennité  de  vos  fcies ,  est  une  inversion  qui  nuit  un  peu  à  la  clarté 
de  la  phrase.  (Voyez  le  commentaire  de  Phèdre^  act.  II,  se.  v.) 

OrvRiR  LE  DISCOURS  pour  m'en  ouvrir  à  elle. 

Mais  par  où  commencer?  vingt  fois  depuis  huit  jours 
J'ai  voulu  devant  elle  en  ouvrir  le  discours. 

Bér,y  act.  Il,  se.  ii. 

Racine  donne  ici  h  ce  mot  le  sens  qu'il  a  dans  ouiTt'r  la  scène^ 
ouvrir  un  avis. 

Ouvrir  le  trône. 

Je  veux  m'onvrir  le  trAne  ou  jamais  n'y  paraître. 

Frrrex  enn.,  art.  IV,  se.  m. 

Il  s'agit  ici  de  conquérir  le  trône  :  l'expression  ouvrir  est  faible. 
Racine  étudie  sa  langue,  il  ne  la  fait  pas  encore. 


4G  DICTIONNAIUE  CRITIQUE. 


Parer  pour  garantir. 

I)c  re  roup  impréTu  tonçeont  à  nous  pvf r. 

Alh.,  Ml.  \,  ».'.  II. 

Du  temps  do  Racine ,  on  disait  avec  élégance  se  parer  pour  se 
garantir:  aujourd'hui  ce  mot  s'emploie  encore,  mais  seulement  dans 
le  stylo  familier.  Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  que  nous  deTons 
au  mol  parer ^  pris  dans  ce  sens,  les  composés  par -à-vent  —  par'-à- 
pluie  —  par'-à-chule,  etc. 

Se  parer  d'une  foi. 

Sang  Tou«  parer  pour  lui  d'une  fui  qui  la'eA  due. 

Milhr.,  art.  IV,  te.  iv. 

Manière  poétique  de  dire  sans  affecter  de  lui  garder  une  foi  qui 
m'est  due,.  Le  mot  parer  reurcrnio  ici  le  mot  affecter,  et  il  a  passé 
avec  ce  sens  dans  notre  lanjfuo. 

Paresse  pour  lenteur. 

Elle  ctruM  son  père 

Le  barbare  i  l'autol  «e  plaint  de  sa  partMt. 

Iph.,  *ct.  IV,  »r.  II. 

Observez,  dit  La  Harpe,  ce  que  c'est  que  d'adapler  l'expression  à 
la  situation  et  au  personnage.  Si  ce  mot  paresse  n'était  pas  ici  en 
dénigrement,  ou  si  c'était  Agamemnon  qui  s'en  servit,  il  ne  serait 
pas  supportable;  mais  c'est  Llytomncslre  indignée  qui  attribue  cello 
pensée  à  Agamemnon,  dès  lors  le  mot  pare^^e  est  infiniment  meilleur 
que  ne  le  serait  le  mol  lenteur. 

Parler  nr  coeur. 

Tu  lui  parle»  du  cœur,  (u  la  cherches  d>*s  veut. 

Andr.^  arl.  IV,  $c.  v. 

Tu  lui  parles  du  cœur.  Jamais  la  jalousie  n'o  rien  inspiré  do  plus 
profond.  Deux  mots  unis  pour  la  première  fois,  parler  du  ca*ur,  suf- 
fisent à  IWine  pour  oxprinior  ce  que  la  passion  a  de  plus  excessif. 
Il  y  a  dos  mots  qui  sont  la  révélation  dos  pensées  do  tout  le  monde  : 
celui-là  en  est  un. 

Parler  mes  douleurs. 

Kl  comme  il  fanl  enfin  fai*  parler  me»  (lauleur». 

Frires  enn.,  acl.  l,  «,-.  vi. 

Uacino  le  fils  remarque  que  cotte  loculion  très  belle  est  cepoiiiianl 
répréhensiblo  :  elle  était  donc  nouvelle. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  i7 

Parmi  suivi  irun  singulier. 

Mai*  parmi  re  plaitiir  qiiH  rhajrriii  nie  dévore  I 

lirit.,  »fl.  II ,  »r.  ri. 
Kl  parmi  le  débri<«,  le  rdvaaro  cl  le»  morls. 

Alh.,  act.  m,  sr.  m. 

La  Harpe  a  corrigé  ce  dernier  vers  en  écrivant  et  parmi  les  débris. 
Racine,  dans  Pédilion  originale  à'Athalie^  et  dans  l'édition  complète 
i\v  ses  œuvres  (1697),  la  dernière  qu'il  ait  donnée,  emploie  le  mot 
débris  au  singulier  :  c'élail  en  efîet  la  langue  de  Pépoque.  Corneille 
a  dit  : 

Parmi  ce  içranil  amour  que  j'aTois  pour  Sévère, 
J*aUcndoi»  un  époux  de  la  niAÏn  de  mon  père. 

Po/.,  arl.  1,  sr.  m. 

Molière  a  dit  aussi  dans  V École  des  Femmes,  act.  V,  se.  vu  : 

O  m'csl  quelque  plaiiiir  parmi  Uni  de  tristesse. 

Riclielet,  dans  'son  dictionnaire,  au  mot  Parmi,  cite  l'exemple  sui- 
vant :  parmi  l'embarras  des  afTaires.  Ainsi,  avant  Racine,  parmi  pou- 
vait être  suivi  d'un  singulier.  Aujourd'hui  il  doit  toujours  être  suivi 
d'un  pluriel  ou  d'un  nom  collectif.  On  dit  très  bien  parmi  le  peuple, 
parmi  les  soldats,  peut-être  même  pourrait-on  dire  encore  parmi  le 
débriSy  parceque  débris  est  prcsqu'un  mot  collectif.  Le  débris  d'une 
ville,  c'est-à-dire  le  brisement  des  maisons  et  des  palais  d'une  ville. 

Partager  les  dieux. 

Mais  quoique  aeni  pour  elle,  Achille  furieux 
Épouvanloit  l'armée  et  partageoit  les  dieux. 

Iph.,  aci.  V,  ?r.  VI. 

Latinisme  pour  suspetidre  la  décision,  (i'esl  la  grandeur  d'Achille 
qui  tient  les  dieux  en  suspens.  Idée  magnifique  exprimée  par  ce  seul 
mot,  partageait. 

Pas  parjures. 

Que  tous  me<«  pas  vers  vous  soient  autant  de  parjures. 
Andr.,  arl.  Il,  se.  ii. 

Cela  est  hardi,  mais  cela  est  clair  et  poétique. 
Perfide  pour  quelqu'un. 

...  Pour  moi,  pour  vous-même,  également  perfide. 

BaJ.,  act.  IV,  se.  ▼!. 

Perfide  pour  quelqu'un  n'a  pas  été  adopté  par  l'usage,  quoique  cette 
tournure  soit  plus  vive  que  perfide  envers  quelqu'un ,  seule  locution 
conforme  à  Tu  sage. 

Périls  pour  retraites. 

La  aiiorre.  Ie«  prriU  ««uil  vos  .«culc»  reiraili'». 

Mi/hr.,  ;«.|    111,  >•.  i. 


48  DICTIONNAIRE  GRITIUUE. 

Des  périls  qui  sont  des  retraites.  CeU  est  d^une  grande  beauté, 
mais  il  faut  remarquer  que  toutes  ce*  beautés  ressortenl  nalurelle- 
meiil  du  caractère  de  Mithridate,  et  de  la  situation  où  les  Romams 
l'ont  placé.  Le  secret  de  Racine  est  de  dire  ce  que  devaient  dire  ses 
personnages.  Les  plus  belles  eipressions  sont  toujours  des  pensées 
qui  peignent  un  caractère. 

Périls  sincères. 

r.roironi-iU  me»  p^riU  et  «ot  larmei  liiieire»? 

liaj.^  «et.  II,  tr.  1. 

Racine,  dit  La  Harpe,  a  le  premier  donné  Texemple  de  réunir  deui 
mots  par  la  même  épithète,  lorsqu'il  se  trouve  dans  le  dernier  un 
rapport  exact,  et  dans  l'autre  une  analogie  d'idée  suffisante.  C'est  ici 
le  cas  :  les  périls  sont  réels  quand  les  larmes  sont  sincères.  Ainsi  l'un 
fait  ici  supposer  l'autre,  et  la  sincérité  des  larmes  fait  sous-enlendre 
la  rétililé  des  périls. 

l^ERSECrTER   SUR. 

Oui.  1«>  Grecs  »ur  le  fils  pcrsi^rutenl  le  père. 

Andr.^  art.  I,  sr.  ii. 

L'abl)é  d'Olivel  dit  que  cette  locution  est  barbare;  elle  est  cepen- 
dant entrée  dai\s  la  langue,  parcequ'clle  dit  poétiquement  ce  qu'il 
était  si  facile  de  dire  d'une  manière  vulgaire  : 

Oni,  les  Grecs  dans  le  filu  persécutent  le  père. 

(Voyei  U  Commentaire,) 
Peuple  injurieux. 

Et  pourquoi?  pour  entendre  un  peuple  injuricui. 

Bér.^  acl.  V,  se.  v. 

La  poésie  a  le  privilège  de  transporter  les  épilhètes  des  choses  aux 
personnes,  et  Racine  use  ici  de  ce  privilège,  qui  n'est  pas  toujours 
d'accord  avec  les  règles  sévères  de  la  grammaire.  (Voyez  le  Commeti- 
taire.) 

Peser.  —  Fardeau. 

Ou  laMcs,  ou  soumis. 
Ma  funeste  amitio  pose  à  tous  mes  amis; 
Chacun  à  ce  fardeau  veut  dérober  sa  tête. 

Mithr.,  act.  III,  se.  i. 

C'est  Mithridate  qui  parle.  Quel  style  et  quel  tableau  !  une  amitié 
qui  pèse  et  des  amis  qui  veulent  dérober  leur  tète  à  ce  fardeau.  Voilà 
une  langue  toute  nouvelle.  L'inversion  des  deux  premiers  vers  est 
d'une  grande  élégance,  on  s\iper(;oit  à  peine  que  lassés  et  soumis,  tfui 
se  rapportent  au  cas  du  verbe,  sont  placés  avant  le  nominatif. 

Phrase  familière  :  Je  ne  sais  qui  h'arhête  yuE  je  ne  coure  de. 

Je  ne  sai»  qui  m'arrête  et  relient  mon  rnurroui 


DICTIONNAIRE  CKITIQIK.  49 

Que,  par  un  prompt  avis  dd  tout  ca  qui  se  passe. 
Je  ne  coure  des  dieux  divulguer  la  menace  ! 

Tph.^  act.  IV,  se.  i. 

C/csl,  dit  La  Harpe,  la  phrase  si  commune  :  je  ne  sais  qui  me  tient 
que  je  ne  fasse  telle  chose!  Uaciiie  esl  de  tous  les  poêles  celui  qui,  à 
l'exemple  d'Euripide,  a  fait  entrer  dans  le  style  noble  le  plus  de  ces 
tournures  familières  qu'il  sait  ennoblir  pour  la  poésie,  et  qui  donnent 
à  la  sienne  tant  de  vérité.  On  en  trouvera  un  jjrand  nombre  d'exem- 
ples dans  ce  didionnaire. 

Plaindre  i.a  RioïKin  des  lois. 

Je  révoque  des  lois  dont  j'ai  plaint  la  rigucnr. 

Phrdr.,  arl.  Il,  sr.  il. 

Avant  Racine  on  aurait  dit  :  dont  la  rigueur  a  été  cause  que  je 
vcms  ai  plaint.  Ces  tours  vifs  sans  obscurité  sont  très  remarquables. 
Ils  étaient  nouveaux  dans  la  langue. 

Pi.AiNDRK  AVEC  SUJET  pour  plaindre  avec  raison. 

P<trdonne(,  Acomat,  je  plains  arec  sujet. 

JinJ.^  act.  II,  te.  III. 

On  dit  bien  :  j'ai  sujet  de  me  plaindre  à  vous ,  mais  je  me  plains 
avec  sujet  est  une  phrase  qui  manque  d'élégance.  Aussi  n'est-elle  pas 
entrée  dans  la  langue. 

Pl.EinS  QVl  RAPPELLENT   DES  PAS. 

Qu<tnd  mtM  pleurs  ver%  Iloiane  ont  rappelé  se*  pa«. 
Ii(tJ.^  act.  III,  se.  III. 

(Iharmante  expression  qui  dit  poétiquement  ce  que  le  poète  veut 
dire. 

Se  PLONGER  DANS  DES  SOINS. 

Ah!  dan4  quel  .loin,  madame,  allet-Toui  vous  plonger! 
liaj.f  act.  I,  sr.  ir. 

On  est  plongé  dans  le  chagrin,  et  par  analogie  on  peut  être  plongé 
dans  des  soins.  La  Harpe  trouve  soins  faible.  Cependant  il  est  à  re- 
marquer (fue  Racine  emploie  partout  ce  mot  dans  le  sens  poétique  du 
latin  curœ.  (Voyez  Soin.) 

Poisons  fidèles. 

De?  poi<on!'  que  lni-ni»^me  a  cru  le*  plus  fidoles. 

Mithr..  act.  V,  se.  ir. 

Il  n'y  a  point  d'épithète  plus  neuve  et  plus  hardie,  dit  La  Harpe, 
et  elle  est  si  bien  placée  qu'elle  ne  parait  ni  neuve  ni  hardie.  C'est 
la  perfection  de  l'art.  Remarquez  bien  que  le  caractère  ^u  personnage 
et  la  passion  qui  le  tourmente  fournissent  toujours  au  poète  ses  plus 
belles  expressions. 

4 


SO  DlGTlONNAIIiË  CRITIQUE. 

Des  FOBTES  Qll  OBEISSENT. 

QiM  cet  portes,  tciinieiir,  u'eb«isMnl  qu'à  noi. 

JÎMlk.,  MU  II,  M.  I. 

Des  portes  qui  n'obéissent  qu'à  un  seul  homme,  expreuion  qui  peint 
d*ane  manière  poétique  les  mœurs  de  POrient.  (Yoyei  le  Commen- 
taire,) 

POSEB   LE  FER. 

Oui.  noua  joroni 

De  ne  poser  le  fer  entre  noi  mAini  reai», 

Qo' après  l'avoir  vengé 

Ath.,  act.  IV,  se.  m. 

C^est  le  ponere  arma  des  Latins. 

POVISUIVBE  VN  COUâBOUX. 

Poursuives,  s'il  le  Lui,  un  citnrronx  lé^iline. 

/i/y.,  art.  V,  sr.  if. 

On  suit  son  courroux  parcequ'on  se  laisse  entraîner,  ou  poursuit  la 
▼engeance  parcequ'on  veut  Pobtenir.  Cependant,  comme  on  dit  pour- 
suivre son  chemin,  poursuivre  son  discours^  il  semble  que  Racine  ail 
pu  employer  ce  vers  dans  le  sens  de  continuer, 

PbÉPABER  Uïf  VISAGE. 

Au  moins  si  j'arois  pu  préparer  son  vi»aj;e. 

Jioj.t  act.  I,  sr.  !▼. 

Pour  l'avertir  de  composer  son  visage,  de  se  tenir  en  garde  rontt  e 
le  danger  qui  le  menace.  Expression  hardie  et  heureuse. 

Présence  pour  aspect  des  lieux. 

Hé!  depui«  quand,  si^ipneur,  rrai(rn«t-vous  la  présence 
De  ces  paisibles  liens  si  chers  à  votre  enfance? 

Phidr.,  art.  I,  »o.  i. 

Figure  heureuse  par  laquelle  les  lieux  sont  mis  à  la  place  des  ob- 
jets dont  ils  nous  rappellent  le  souvenir.  On  dit  bien  en  présence  du 
ciel^  en  présence  des  autels.  Racine  a  donc  pu  dire,  par  analogie,  la  pré- 
sence des  lieux. 

Prétendre. 

Se  vit  eiclu  d'un  rang  vainement  prétendu. 

liril.,  act.  III,  «c.  m. 

Ce  vers  offre  un  exemple  d'une  des  plus  singulières  bizarreries  de 
notre  langue.  Ou  dit  bien  prétendre  un  rang^  mais  le  mol  prétendre 
change  d'acception  en  devenant  participe  ou  adjectif.  Un  rang  pré- 
tendu, c'est  lui  rang  supposé.  C'est  donc  une  chose  fort  remarquabli* 
que  Racine  ait  pu  rendre  à  cet  adjectif  h  signification  du  verbe,  en  \ 
ajoutant  Tadrerbe  vainement. 


DICTIONNAIRE  CRITIQUE.  51 

Prince  déplorable.  —  Père  déplorable. 

VoH*  »oypi  devant  vous  un  prince  déplorable. 

Phrdr.,  acl.  Il,  se.  il. 

Déplorable  ^owr  mallieureux.  Avant  Racine  ce  mot  ne  se  disait  que 
des  choses.  Depuis  Racine  il  sVst  dit  des  personnes,  surtout  en  poé- 
sie. C*est  le  flebilis  d'Ilorare. 

F^noiE  DE  Dieu. 

Grand  Dieu,  voici  Ion  heure,  on  t'amène  ta  proie. 

ylth.,  act.  V,  ne.  III. 

l'nc  femme  impie,  une  reine,  voilà  la  proie  du  Dieu  des  Juif». 
Celle  expression,  aussi  terrible  que  poétique,  est  justifiée  par  les  livres 
saints,  qui  en  renferment  une  multitude  de  semblables. 

PnOMIS  AIX  VAl'TOl  RS. 

La  nation  entière  e«t  promise  aux  vautours. 

Est/i.,  act.  Il,  se.  1. 

Admirable  expression  que  Racine  ne  doit  pas  à  rÉcriture. 
Prononcer  le  trépas,  pour  prononcer  l'arrêt  du  trépas. 

De  bénir  mon  trépas  quand  ils  l'ont  prononcé. 

BaJ.^  acl.  I,  se.  i. 

Prononcé  est  plus  poétique,  plus  affirmatif  ([u  ordonné^  il  semble 
qu'un  arrêt  prononcé  est  comme  une  chose  faite;  il  n\v  a  plus  de 
recours,  tandis  qu'un  trôpas  ordonné  peut  être  suspendu.  Le  mot  est 
excellent. 

Prospère. 

Ont  vu  bénir  le  cours  de  leurs  deslins  prospères. 

Esth.^  act.  III.  se.  ii. 

Vieux  mot  que  Racine  nous  a  conservé,  mais  qui  nVst  plus  guère 
d'usage  que  dans  le  style  soutenu. 


Q. 


QiE,  pour  ce  que. 


Attend  que  deviendra  le  destin  de  la  reine. 

Bér.y  act.  II,  ic.  ii. 

Malherbe  a  dit  :  //  n*a  jamais  éprouvé  que  peut  un  visage  d'AI- 
cide.  Vaugelas  remarque  qu'on  ne  disait  plus  guère  de  son  temps 
que  c'est  pour  ce  que  c'est.  Cependant  Thomas  Corneille ,  plut  de 
vingt  ans  après  la  représentation  de  Bérénice ,  écrivait-que  cette  ex- 
pression était  encore  employée  par  de  bons  auteurs.  Elle  aurait  dû 
rester  française,  car  elle  est  bien  suivant  le  génie  de  h  langue,  comme 


lit  DiCTIOMNAIRfc:  CRITiyLK. 

le  prouve  celle  plira^  vulgaire  :  je  ue  sais^ti^  dire,  pour  je  ne  sais  ce 
que  je  dois  dire. 

Qi'EL  DEViNS-JE,  pour  dans  quel  état  me  mit  le  rMt. 

QorI  il«Tiu»-J4r  an  rtril  du  rr'tne  «k*  ma  fnèr«. 

.l/i/Ar.  act.  1.  M.  I. 

(le  latinisme  était  sans  doute  eu  usage  du  temps  de  Racine,  car  au- 
cun critique  contemporain  ne  Ta  relevé,  et  Racine  lui-même  Ta  em- 
ployé une  seconde  et  une  troisième  fois  dans  Iphigénie,  act.  h',  se.  r*, 
et  dans  Bérénire^  acte  V\  se.  iv.  Ici  quel  ne  veut  pas  dire  que^  il  est  pris 
dans  le  sens  du  qualis  erat  de  Virgile,  et  du  qualis  pereo  de  Tacite. 
Ce  mot  nVst  plus  employé  dans  ce  sens  qu'avec  le  verbe  être.  On  dit 
encore  :  quel  fut  mon  étonnement^  quel  était  mon  etinut,  etc.  Corneille 
a  dit  dans  Héraclius^  et  Ton  dirait  peut-élre  encore  aujourd'hui 

Voilà  quelle  je  suit  el  quellr  je  veui  £lre. 

Qui  pour  quelqu'un. 

Vuici  qui  vuu*  dira  le*  %uluiil<*«  des  cieui. 

Atfi.,  ad.  IV.  M-.  I. 

Voici  celui  qui,  ou  quelqu'un  qui  vous  dira.  Phrase  familière  :  on 
dit  vulgairement  :  Qui  trop  embrasse  mal  étreint  ;  Qui  vivra  verra^ 
pour  celui  qui,  etc.  Celle  forme  a  de  la  rapidité,  et  Racine,  en  rem- 
ployant dans  ses  vers,  montre  quel  pnrli  un  grand  poêle  peut  tirer  des 
expressions  les  plus  connu  une». 

Quitter,  pour  céder^  abandonner. 

J'jiurai*  iiiêmc  rogrel  qu'il  me  quiltAt  l'empite. 

Frrres  en».,  àcl.  IV.  %e.  i. 

Ce  mol  se  disail  autrefois  pour  abandonner,  céder.  C'est  de  là  que 
nous  vienl  l'expression  donner  quittance^  tenir  quitte.  On  dit  encore 
aujourd'hui,  dans  le  sens  de  Hacino,  je  vous  quitte  la  place,  pour  je 
vous  cède  la  place.  Voltaire  a  dit  :  i7  n'a  quitté  la  place  qu'à  six  cents 
hommes^  c'est -à-dire  il  n'a  cédé  la  place  qu'à  sijr  cents  hommes. 

Qi'v  JoiMiRK,  pour  que  d'if  joindre. 

Mai»  f'o»l  |ioii>.«cT  ln»|»  loin  s?»  droits  injuiieiii 
(^u'y  joifidru  le  touriiiiMii  qtio  je  «oulTro  en  ces  licui. 

/jj/i.,  act.  ni,  kc.  IV. 

Plusieurs  graniniaii'iens  ont  condannic  la  suppression  de  la  prépo- 
sition de  devant  l'intinilif  joim/re.  .Mais  la  pmsie  admet  cotte  licence. 
Boileau  en  oflVe  un  exemple  dans  sa  satire  X,  et  Voltaire  dans  la 
scène  vni  de  l'acte  IV  de  ttrutus.  l'ne  cIuinc  plus  utile  à  noter 
que  ces  chicanes  grammaticales,  c'est  cette  locution  si  énergique  : 
joindre  un  tourment  à  des  droits  injurieux.  Vous  voulez  signaler  mie 
faute  dans  Kacine,  examine?,  bien,  car  à  côté  de  cette  faute,  voiin 
trouverez  à  c<uip  sin*  une  lieaulé  non  encore  aperçue. 


hir.TIONNxMRK   r.HITIQllK.  «3 

n. 


Rabaisser  des  attraits. 

Uele»lant  te«  rigueuri,  rubtiissant  ses  attraits. 

Andr.,  act.  1 ,  >r.  i. 

On  rabaisse  V orgueil^  disait  Sublignj,  on  ne  rabaisse  pas  des  at- 
traits. Cette  critique  peut  donner  une  idée  de  Pétat  de  la  langue  avant 
Racine. 

U ACHETE    DU  TOVBEAU. 

A  Pa-tpeet  d«  e«  rui  racheté  du  tombeau. 

Ath.,  ad.  V,  .c.  I. 


Racheté,  plus  Iwau  que  retiré  ou  rappelé. 

Se  RANGER  A  l'iIYMKX. 

Faif-lui  valoir  l'hymen  où  je  me  tui>  rangée. 

Aufir.,  art.  IV,  ic.  i. 

(iCtte  expression  est  belle,  dit  Louis  Racine,  parcequ*elle  fait  sentir 
qu'Andromaque  n*a  consenti  à  cet  hymen  que  malgré  elle.  Elle  n*Y  a 
pas  volé,  elle  sV  est  rangée. 

Se  RANGER  A  VOS  PIEDS. 

Que  bientôt  à  vot  pieds  il  allait  te  rançer. 

Andr.^  act.  IV,  te.  ii. 

On  se  range  aux  ordres,  on  se  range  à  son  devoir,  mais  on  ne 
vient  pas  se  ranger  aux  pieds  de  quelqu^un  :  il  y  a  quelque  chose 
d'apprêté  dans  le  sens  de  ce  mot  qui  ne  convient  pas  à  la  situation 
d'Oreste.  Ces  fautes  sont  rares  dans  Racine,  voilà  |)ourquoi  on  les 
remarque. 

Ranger  les  cœurs  du  parti  de  ses  larmes. 

Kt  ranger  tout  les  cvurs  du  parti  de  ses  larmes. 

Brit^  act.  IV,  »c.  t. 

Agrippine,  la  mère  de  Tempereur,  n'ayant  plus  d^autre  parti  que 
celui  que  lui  donne  ses  larmes  !  quelle  heureuse  et  touchante  exprès- 


Ravale. 


Ouoi  !  tu  ne  «ois  donc  pas  jusqu'où  l'on  me  ravale? 

Hnl.,  art.  III,  »c.  iv. 


Ravale,  qui  est  encore  dans  Phèdre,  est  un  de  ces  vieux  mots  très 
expressifs  que  Racine  a  conservés  à  notre  langue,  et  qui  proiliiisent 
un  grand  effet  lorsqu'ils  sont  employés  par  une  main  habile. 


54  DICTIONiNAlRE   CKITIQUË. 

Se  Havim  d'ln  lieu,  pour*f  dérober,  s^échapper. 

Vooi  M««i  de  c««  lieui  eoaine  tllc  l'ett  nvie. 

Drit.,  act.  V,  %c.  VIII. 

On  ravit  quelque  chose,  on  ne  se  ravit  pas  soi-même,  le  mot  ratir 
signifie  enlever  de  force. 

Rebrousser. 

Et  furva  l«  Juurduo  d«  rebrousser  «on  cours. 

Ath.,  «et.  V.  fc.  I. 

Ce  mol  n*eiistait  pas  sous  Henri  iV  ;  on  le  cherche  en  vain  dans 
Micot,  et  sans  doute  il  n'était  pas  bien  ancien,  puisque  Louis  Racine  se 
crut  obligé  de  soutenir  qu'il  était  de  très  bon  français. 

Recueillir  des  pleurs. 

De  recueillir  des  pleort  qui  ne  sont  pat  pour  moi. 

/iér.,  art.  111,  ic.  il. 

Cette  expression  si  pittoresque  était  alors  nouvelle,  elle  appartient 
encore  aujourd'hui  a  la  langue  poétique. 

Reculer  des  pleurs. 

J'ai  reculé  vot  pleurs  autant  que  je  l'ai  pu. 

liaj.^  act.  II,  se.  T. 

On  recule  tin  jugement ^  on  recule  ses  payements^  mais  on  ne  re- 
cule pas  des  pleurs.  L'idée  de  l'auteur  est  :  reculer  l'événement  de 
vos  pleurs.  L'ellipse  n'est  pas  heureuse. 

Repriser. 

Kl  rnnnie  on  voit  l'ondv  ru  repu* 
Souvent  refriïer  de  «es  flots 
La  surface  inconstante. 

Paysagf  de  i*.-/?.,  ode  II. 

C'est  un  vieui  mot  que  Racine  emploie  ici  à  la  manière  de  Ron- 
sard, qui,  dans  une  de  ses  poésies,  fait /"mer  la  perruque  des  prés. 

Regarde  :  les  dieux  m'ont  regarde. 

Les  dieui,  après  six  ans.  enfin,  m'ont  regardé. 

rhèdr.,  art.  III.  se.  v. 

Expression  empruntée  à  la  Bible ^  pour  dire  ont  eu  pitié  de  moi. 
m*ont  regardé  favorablement. 

Regards  errants  a  l'aventure. 

El  ce*  nombres  rejçards  errants  k  l'aventure. 

Brit.,  act.  II  .  )ic.  II. 

L'analogie  réclame  en  faveur  de  cette  expression  ;  on  peut  dire  «les 
regards  errants  à  l'avenlure,  comme  on  dit  promener  ses  regards. 


DICTIONNAIRE  CUITIQUE.  8K 

Regardk,  pour  concerne. 

Kst-ee  Obed,  e^t-rc  Auinon,  que  cel  honneur  regarde? 
Ath.^  «et.  1,  fc.  II. 

Nous  avons  critique  trop  scvèrcmenl  celte  expression.  On  dit  bien 
cette  affaire  vous  regarde,  ce  soin  vous  regarde  ;  mais  peut-on  dire, 
cet  honneur  vous  regarde  ?  oui,  quand  cet  honneur  est  comme  ici  une 
charge  importante  à  remplir. 

Relegie  dans  ma  cour. 

M'avei-Tous,  tans  pitié,  relégué  dans  marour? 

Hril.f  act.  II ,  se.  m 

C'est  Néron  qui  parle.  On  lui  a  longtemps  caché  la  présence  d'un 
objet  qu'il  aime,  c'était  le  reléguer  dans  sa  cour;  Tidée  ne  pouvait  être 
exprimée  avec  plus  de  concision  et  de  bonheur. 

RELiyuEs  d\'N  débris,  pour  les  restes  d'un  débris. 

Chargeaul  de  mon  débris  les  reliques  plus  chères. 

lîaj..  act.  m,  se.  11. 

Ici  Racine  parle  la  langue  de  son  temps.  On  voit  dans  Vaugelas  que 
c'est  très  bien  parler  que  de  dire  les  reliques  d'un  naufrage,  les  reli- 
ques d'une  armée.  Dans  ces  exemples  Vaugelas  fait  reliques  synonyme 
(le  restes  :  il  eut  donc  approuvé  les  reliques  d'un  débris.  Cependant 
011  peut  remarquer  que  le  mot  débris  est  employé  ici  au  singulier,  et 
qu'il  n'exprime  pas  le  fragment  d'une  chose,  mais  la  chose  brisé« 
toute  entière,  il  y  a  donc  impropriété  de  terme. 

Remparts  cachés  sous  leurs  ruines. 

Enfin,  après  un  siège  aussi  rruel  que  leni. 
Il  dompta  les  mutins,  reste  pile  et  sanglant 
Des  lUmmes,  de  la  faim,  des  fureurs  inteslines, 
Kt  \jL\i<a.  leurs  rempatti  cachés  sous  'eurs  ruines. 

licrén.^  act.  I,  se.  iv. 

A  quoi  se  rapportent  leurs  ruines?  est-ce  à  remparts  ou  à  mutins? 
Louis  Racine  veut  que  le  rempart  soit  caché  sous  ses  ruines,  ce  qui 
est  absurde,  cardes  qu'il  y  a  ruines  le  rempart  n'existe  plus,  et  par 
conséquent  ses  ruines  ne  peuvent  le  cacher.  Le  possessif  leurs  em- 
ployé deux  fois  dans  le  même  vers  a  nécessairement  la  même  relation. 
D'ailleurs  tWne  peut  se  rapporter  qu'aux  personnes  et  non  aux  choses. 
11  faut  donc  comprendre  ce  dernier  vers  comme  s'il  y  avait  :  Et  laissa 
leurs  remparts  cachés  sous  les  restes  des  mutins.  Ruines  est  ici  dans 
le  sens  de  restes. 

Remplir  la  majesté  d'i  n  rang. 

Ddns  un  rang 

Dont  je  n'ai  pu  de  loin  soutenir  la  clarté, 

F.l  d«.nl  une  autre  enfin  remplit  la  majeslé. 

Brit.,  art.  II ,  se.  m. 


M  DiCTlONNAIlit  ClilTIVl-t. 

Rien  ne  peint  mieux  la  modestie  de  Junie  que  ce  dernier  trait.  Ici 
Kacioe  rachète  par  de  grandes  beautés  cette  phrase  uu  peu  hasardée  : 
remplir  la  majextéy  pour  posséder  toutes  les  qualités  qui  rendent  dt- 
ffne  de  Vempire, 

Re.xtece  al  tholble. 

Et  reotrc  «a  trouble  affreui  Juul  a  peiuc  je  tur>. 

//yA.,  art.  V,  %r.  ir. 

Rentrer  au  trouble,  pour  retomber  dans  le  trouble.  L*e\pres$ion 
est  impropre. 

L^OL'TRAGE  DE»  PLELBS. 

Soallrca  qae  d<  tu»  pkurs  je  r«^re  Twatraire. 

licrrit.t  act.  IV,  »c.  II. 

Pliénicc  >cut  tout  simplement  arranger  les  cheveux  de  Bérénice. 
Entre  mille  talents,  Racine  a  celui  d'exprimer  a\ec  grâce,  même  aur 
noblesse,  les  plus  i^elits  détails. 


Repondheqli 


PboniY  même  en  reponti,  «|Ui  Y*  conduit  eipri:i 
Dans  un  fort,  clc. 

.Inflr.,  art.  V.  »r.  u. 

Phœnix  en  répond  qui  est  une  tournure  latine.  C'est,  dit  La  Harpe, 
une  nouTelle  preuve  des  efforts  que  faisait  Racine  dès  son  pi^mier 
chef-d'œuvre  pour  transporter  dans  notre  langue  les  tournures  pro- 
pres aux  langues  anciennes. 

Respectable. 

Lu  c«1jI  qui  le  rend  ie.<jn ctithU  mï\  tlu'ii\  iimmui*». 

/;.v//t..  acl.  II.  »«•.  VII. 

Le  mot  respectable  était  nouveau  dans  la  langue,  et  il  y  a\ait  etc 
introduit  par  la  cour.  Richelel  remarque  même  qu'on  ne  s'en  ser\ait 
pas  encore  librement.  Toutefois  La  Bruyère  ra\uit  employé  presque  en 
même  temps  que  Racine,  dans  la  cinquième  édition  de  ses  Caractères. 

Ressentiment,  pour  reconnaissance  d'un  bienfait. 

Tandis  qu'autour  de  moi  \otre  cour  as>emhl»H' 
Retentit  de«  bienfait^  dont  vou*  m'a^ei  comblée, 
E>t»il  ju»te,  seigneur,  que  seule  en  ce  moment 
Je  demeure  lan»  \vt\  et  sans  rtsscnlimt^nt  ! 

JJrr.,  ail.  H,  ^c.  l\. 

Dans  notre  ancienne  langue  ce  mot  se  disait  également  du  ressou- 
venir d'une  injure^  et  du  ressou\enir  d'une  faNcur  reçue.  Dablancourt 
a  dit  :  le  ressentiment  qu'il  avait  de  l'estime  qu'il  faisait  d'elle,  etc. 
Racine  est  le  dernier  écrivain  qui  ail  employé  ce  mol  dans  ce  sens, 
mais  il  n'a  pu  le  faire  vivre. 


hlCnONNAlUK  riUTiyUK. 

lUlSUl.VKZ  ;  QLK  RÉSOLVEZ -VOIS  ? 


Madame,  ol  que  rt'^uhci-vuu*? 

Andr.,  dcl.  III,  »c.  viii. 

C'est  Vuugclusc|ui  décida,  comme  prince  souverain  de  lu  grumiiiaire, 
qu'il  fallait  dire  :  vous  résolvez^  nous  résolvotis,  du  parlicipe  préseni 
résolvant,  comme  on  dit  je  résoudrai,  je  résoudrais,  de  rinlinitif  ré- 
soudre. 

HivSSKNTin  DES  CRIMES,  pour  uvoir  le  ressenlimetit . 

I.c  fils  dti  ('.laiidiii.4  rommeiirc  à  ressentir 
I)c!t  criinei  dont  je  n'ai  que  le  «eul  repentir. 

Jhil.,  ad.  III,  »f.  III. 

Hessenlir  esl  là  pour  se  ressentir,  avoir  le  le^iseiilimeul.  Malgré  Ta- 
nalogie  des  deux  mots,  les  vers  manquent  de  clarté.  (Voyez  le  Com- 
mentaire. 

Kkveiller  i.a  Dori.Ei  k  I)i:s  morts. 

\»-lu  pcii.so.... 

....   (^uc  de  tant  de  uiurts  rt'^cillant  la  donicitr. 

Atn/r.,  art.  IV,  ic.  l. 

Quelle  image  !  pour  dire  :  faisant  une  chose  que  les  morts  (lésai}- 
jouteraient, 

Uevkiller  i.ks  misères  pour  renouveler^  etc. 

De  Troie,  en  ce  p.iy.s,  rrteilloii.'*  lei  niixiTCs. 

Aitdr.,  ai-l.  IV.  »r.  m. 

Suivant  la  remarque  de  La  Harpe,  ou  dit  bien  réveiller  la  douleur^ 
parce([ue  lu  douleur  peut  s'assoupir,  mais  on  ne  dit  pas  réveiller  les 
misères  pour  renouveler  les  misères. 

HiME. 

Attaquons  dim  leurs  mur-  re*  conquérante  si  fieri; 
(Qu'ils  trcmbicut  à  leur  tour  pour  leur*  propres  foyer.*. 

Mithr.,  art.  IV,  »r.  vu. 

(iorneille,  Hacinc  et  Boileau  étaient  très  scrupuleux  sur  la  rime, 
d'oii  il  faut  conclure,  lorsque  leurs  vers  se  terminent  par  des  mots 
(|ui  aujourd'hui  ne  riment  pas,  que  Tun  des  deux  mots  a  changé  de 
prononciation.  Ces  vers  de  Mithridate^  par  exemple,  sont  parfaite- 
ment justifiés  par  la  grammaire  d'Antoine  Oudin  (publiée  en  1645). 
Voici  ce  que  dit  ce  grammairien  :  «  E  .««e  prononce  ouvert  a  la  fin  de 
«  ces  mots  :  amer,  cher,  enfer,  fer,  mer,  entier,  allier  (  page  -t  )  ;  »  ces 
«leux  derniers  mois  se  prononçaient  donc  :  entière^  altière.  T^onti- 
iiiions  de  citer  Oudin.  m  /?  doibt  être  prononcée  ordinairement  par- 
«  tout...  il  faut  excepter  les  verbes  en  er  et  en  ir,  et  aussi  lesdiclioii> 
«  premier,  dernier^  et  les  noms  (\c  dignités  et  mestiers  en  er,  con- 
u  seilUr,  financier,  barbier,  etc.  (page  47).  m  IToi'i  il  résulte  que  Vr 


DICTIONNAIHE   CRITIQUE.  50 

a\cc  connaître,  ou  connoitre  avec  accroître  :  mais  nous  peiichous  vers 
cette  dernière  opinion ,  d'abord  parceque  Boileau  n'a  jamais  fait  ri- 
mer 01  qu'avec  des  mots  qui  ont  la  prononciation  diphthongue,  en- 
suite parceque  si  Racine  a  fait  rimer  connaître  avec  fenêtre  el  avec 
mnitie^  ce  n'a  été  que  dans  sa  comédie  des  Plaideurs^  où  il  pouvait 
se  permettre  le  langage  familier.  Là  seulement  il  changea  son  ortho- 
graphe en  1687.  Mais  dans  ses  tragédies  on  ne  trouve  point  de  telles 
rimes,  ce  qui  prou\c  ce  que  nous  avons  avancé,  que  le  son  oe  était 
regardé  comme  le  plus  noble  el  le  plus  soutenu. 

Rompre  le  sommeil. 

Roinp«  ce  fatal  sommeil. 


Mercredi ,  à  nui  Unes. 

Cette  expression  en  rappelle  une  qui  est  fort  usitée  :  Rompre  le  si- 
lence. Dans  le  Mardi,  à  laudes,  il  y  a  romps  rassoupissement,  ce 
qui  est  moins  heureux. 

Rompre  un  pacte. 

Rompei,  rompet  tout  pacte  avec  Timpii^t'*. 

Ath.,  act.  I,  se.  II. 

Expression  empruntée  ù  l'Écriture  :  Dissolve  colligationes  impie- 
tatis. 

Rudesse  des  forêts. 

Nourri  dans  les  forêts,  il  en  a  la  rudesse. 

Phtdr.,  act.  in,  se.  I. 

Ce  mot  est  ici  très  bien  placé  quoiqu'on  ne  dise  pas  communément 
la  rudesse  des  forêts. 


S. 


S'acheminer. 


Vers  sa  chute  i  grands  pas  chaque  jour  s'achemine. 

lirit.^  act.  I ,  se.  i. 

Cheminer,  employé  au  figuré,  était  nouveau  du  temps  de  Racine, 
(i'est  au  moins  ce  que  remarque  le  P.  Bouhours.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
vieux  mol  s'acheminer  est  ici  employé  de  la  manière  la  plus  heureuse  : 
on  dirait  qu'il  ouvre  l'espace  et  qu'il  l'agrandit. 

àSAiNT  pour  auguste,  vénérable. 

Votre  nom  est  dans  Rome  aus9i  saint  que  le  sien. 

Urit,,  act.  I,  se.  i. 

Ce  mol  vient  de  sancio.  U  est  pris  dans  les  mœurs  de  l'époque,  et 
il  exprime  surtout  ici  la  sanction  de  la  loi.  C'est  le  sacro  satœtus  des 
Romains.  Albin  fait  entendre  à  Agrippine  qu'elle  doit  ce  beau  titre  à 
Néron. 


m  hlCTIONNAIIiK   CKITIOl'K. 

SaI.XTK   HOREKLR,  <^(  I  HASSl'MK. 

Le  ciel  brille  d'erlair»,  s'entr'uutre,  cl  |>arini  nou* 
Jetie  une  >ainte  horreur  qui  nous  rtuore  tuu*. 

Iph.,  met.  V,  «r.  il. 

Cette  sainte  horreur  qui  rassure  est  l'expressiou  siiigulièreiiiciit 
heureuse  d*un  sentiment  relijçieux.  On  »ent  que  le  poêle  est  nourri  ih* 
la  lecture  de  la  Bible  et  de?  Pères  de  rhçlise. 

Saintemknt  homicides. 

De  leurs  plui  cht-r*  parent*  «ainleiaeiit  homicide*, 
Cunsarrèrent  leurs  mains  d^ns  le  san;;  des  perfides. 

Ath.,  art.  IV,  te.  m. 

Bapproclieniciits  inatleiidus  de  mots,  véritable  caractère  du  st>le  de 
lUcinc  :  Consacrer  dans  le  sang!  Saintement  homicide! 

Sang  ol'I  s'ebranlk  pour  qui  s'émeut. 

Le  sang  h  res  objet*  facile  à  s'ébranler. 

/y;A.,  art.  IV,  se.  l. 

Terme  impropre.  Ébranler  n'est  pas  ici  le  synonyme  d'émouvoir^ 
qui  était  le  mot  propre. 

Secret  qli  éclate. 

Enfin  l'heure  est  «cnue 
Qu'il  faut  que  mon  secret  éclate  à  votre  vue. 

Mithr.y  act.  V,  se.  i. 

t<c  secret  éclate  parcequ'il  a  été  longtemps  comprimé  dans  son 
sein  :  on  ne  pouvait  o\primer  plus  heureusement  cotte  idée. 

Skdlire. 

Ses  yeux  ne  l'ont-ils  point  déduite? 

linj.^  act.  V,  se.  xi. 

Pour  ses  yeu\  ne  Tont-ils  pas  trompée.  Le  terme  est  impropre  ;  il  y 
a  une  trop  grande  difTérence  de  Terreur  à  la  séduction  pour  que  ces 
deux  mots  puissent  jamais  être  employés  indifféremment  Tun  pour 
Paulre. 

Sein  vertieix. 

Dan<  quel  sein  vertueux  avei-von<  pris  naissance? 

/i5/A.,  act.  m,  «c.  IV. 

On  avait  dit  un  chaste  sein.  On  n'avait  pas  encore  dit  un  sein  ver- 
tueux. I/expression  est  noble  et  hardie. 

Semer  i.a  plainte. 

Tandi»  qu'on  voui  ^crra,  d'une  tuix  suppliante. 
Semer  ici  lu  plainte  et  non  pas  l'épouvante. 

fi  ri  t.,  act.  I,  se.  v. 

On  ne  dirait  pas  bien  semer  la  plainte;  mais  comme  Ton  dit  se- 
mer l'épouvante,  un  régime  entraîne  l'autre,  au  moyen  do  Taiia- 
lo}j;io. 


Dir/riONNAlKK   CUITIUIJK.  61 


StPAHt  d'iN    LIKl. 


Ihiis  un  lieu  teparé  de  profanes  temjin«. 

Exih.,  aci.  I.  •(•.  I. 

Séparé  de  m»  se  dit  onliiiai rement  que  des  personnes,  l'n  lieu  sé- 
paré esl  une  éléganre  poélic{ue,  el  non  une  incorrection. 

Serments  jiuks. 

V.n  »(•<  !<eriiu'nii  juro  uu  |ilu!i  s;»iitt  do  nos  roi«. 

Ath  ,  arl.  m.  te.  VII. 

Hellénisme  hardi.  On  ne  dirait  pas  en  prose  jurer  un  serment.  Les 
Grecs  disaient  :  marcher  une  marche,  vivre  unevie^  mourir  une  mort. 
Les  Latins  empruntèrent  quelquefois  cette  forme  ;  Racine  essaya  de 
faire  pour  sa  langue  ce  que  les  Romains  a\ nient  tenté  de  faire  pour 
la  leur. 

SeRVITI  DE  Ol'I   FATIGUE  CELl'I  QVl   l'iMPOSE. 

Leur  prompic  fervitudc  a  fatigue  Til>èrc. 

lirit.,  acI.  IV,  •<•.  ir. 

0  homines  ad  servilutem  paratos!  0  hommes  faits  pour  la  ser- 
vitude! disait  Tihère  en  sortant  du  sénat,  (^e  mot  révèle  à  la  fois  dans 
Tibère  le  dégoût  et  la  fatigue  de  la  servitude  qu'il  imposait.  El  c'est 
ce  sentiment  que  Racine  a  compris  et  exprimé. 

Signer  pour  indiquer,  signaler. 

(7e8t  elle    U  naiure'i  qui  »ur  cc.«  railoui. 
Va!»  hoiâ,  rcs  pré«  et  ces  silloiii, 
Sigue  »a  puissanre. 

Le  Paysage  de  l'.-J^.,  ode  I. 

Le  mot  signer,  pris  dans  celte  acception,  n'a  pas  fuit  fortune. 
Sincérité. 

Qu'au  tratcr»  de^  naltcuri  votre  tiiicifrile 
Fil  toujours  jusqu'à  moi  passer  la  vérité. 

Dér.f  acI.  II,  »r.  il. 

Quelle  belle  image,  dit  Louis  Racine;  pour  faire  passer  la  vérité 
jus(|u'aux  rois  il  faut  lui  faire  traverser  la  foule  des  flatteurs. 

Société. 

Kt  surtout  dofcudit  d  leur  pustorili-. 
Avec  tuut  autre  Dieu,  toute  sorietc. 

Alh.,  art.  H,  »r.  iv. 

Société  avec  Dieu.  Voilà  de  ces  mots  qui  peignent  toute  une  religion. 
Soins  pour  recherches. 

DtTobr  re  captif  aux  snius  de  vos  soldats. 

Alrr.^  act.  lit ,  se.  vil. 

l/(  iiiploi  de  ce  mot  eu  ce  si'iis  n'a  pas  été  consacré  par  l'usage. 


ttt  DICTIONNAIRE  CRITIQUE. 

Soins  pour  soucis. 

Et  DOt  raurs  >«  formasl  mille  tning  •apcrilas. 

Alex.^  M*.  II.  M.  I. 

Soif»  est  ici  dans  le  sens  poétique  de  curœ,  si  souvent  eroploj é  par 
Virgile.  LViemple  de  Racine  n'a  pu  le  faire  adopter. 

SOX  LIT  H*ÉTAIT  SOUMIS. 

Set  garde*,  ton  paUis,  «on  lit,  n'etoieot  Momis. 

Brit.^  «ci.  IV,  M.  II. 

Que  d*idées  qu'on  ne  peut  dire  et  que  ce  vers  cependantdit  si  bien  ! 
CVst  là,  dit  La  Harpe,  un  exemple  de  ces  expressions  trouvées  qui 
étonnent  par  leur  force  et  leur  précision. 

SorPIRER  DE  RAGE. 

Soupirrr  à  *c%  piedi  moin»  d'amour  que  de  rane. 

Andr.,  art.  I,  m.  i. 

Soupirer  de  rage^  pris  isolément,  ne  serait  pas  une  expression  heu- 
reuse ;  mais  on  dit  bien  soupirer  d'amour,  et  un  régime  entraine 
Tautre  et  le  justifie,  parcequ'il  y  a  analogie  suflisante. 


Sourire. 


San*  que  père  ni  mère  aient  daijçnt*  me  loorire. 

Iph.<,  art.  II,  te.  i. 


Expression  imitée  de  Virgile  :  Cui  non  risere  parentes. 
Sors  so.N  APPUI. 

Ah!  je  le  prends  doja,  ^«igneiir,  foii»  mon  appui. 

Ath.,  arl.  V,  te.  il. 

Appui,  signifie  à  peu  près  proleclion,  et  cependant  P Académie  con- 
damne cette  phrase.  Pourquoi?  elle  ne  le  dit  pas,  mais  le  voici  :  il  me 
semble  c|u'on  doit  dire  prendre  sous  sa  protection  (de  protegere,  cou- 
vrir), comme  on  dirait  prendre  sous  son  bouclier.  Mais  on  ne  pcul 
pas  dire  prendre  sous  son  appui,  car  on  s'nppuio  sur  el  non  sous  une 
chose.  I/analogie  n'est  pas  suriisante. 

Si  BiTf.MKXT  pour  sur-le-champ. 

Al!t>n«  <iithitfme)il 
I.iii  dfinandor  rai«on  do  ret  enli-Teinenl. 

Jirit.,  arl.  I ,  «r.  i. 

Sur-le-champ  exprime  une  action  rapide,  subitefuent  exprime  une 
idée  de  plus,  c'est-à-dire  l'inopiné,  l'imprévu.  Ces  deux  expressions 
ne  peuvent  donc  se  suppléer  Tune  Tautre. 

Suffit  pouh  se  coNDiinE. 

Mai*,  niadamt;,  Nrron  suj/it  pour  se  rondiiirr. 

liiil.,  art.  1 ,  »r.  il. 


DICTIONNAIRE   CRITIQUE.  63 

Expression  élégante,  parcequ'elle  n^appartient  qu^à  la  poésie.  En 
prose  on  dirait  :  Néron  en  sait  assez  pour  se  conduire.  En  prose  le 
mot  suffit  ne  s'emploie  guère  dans  un  sens  réfléchi  lorsqu^il  s'agit  des 
personnes.  Ce  sont  ces  nuances  qui  font  la  poésie. 

Suivi  d'un  nom.  Un  nom  pour  tout  bien. 

On»crvant  pour  tout  bien  le  nom  de  Mithridale, 
Apprenez  que,  suivi  d'un  nom  si  glorieux. 
Partout  de  l'uniferi  j'attacherai  la  yeux. 

Mithr.f  act.  II ,  se.  iv. 

Suivi  d'un  nom,  métaphore  d'autant  plus  heureuse  dans  sa  har- 
diesse, qu'on  la  remarque  à  peine,  et  que  dans  son  audace  elle  parait 
simple  cl  iinlu relie.  Conserver  pour  tout  bien  un  nom.  Attacher  les 
yeux  de  l'univers.  C'est  là  de  la  vraie  grandeur,  c'est  là  de  la  poésie, 
et  tout  le  rôle  de  Mithridate  est  écrit  de  ce  style  !  Il  faut  étudier  Ra- 
tine comme  on  étudie  les  anciens. 

Srn  LE  point  que. 

Il  c:it  donc  Juif!  0  riel,  sur  le  point  que  la  vie. 
Par  nie<i  propret  sujet«,  m'alloit  être  ravie. 

/•J.tth.,  act.  II,  te.  ■▼. 

Sur  le  point  que  se  disait  encore  du  temps  de  Racine.  Aujourd'hui 
on  ne  dit  plus  que  sur  le  point  de. 

S  Y  LU  E  PS  E. 

Amant  avec  transport,  mais  jaloux  sans  retour. 
Sa  haine  va  toujours  plus  loin  que  ton  amour. 

Milhr.^  act.  I,  se.  v. 

Presque  tous  les  grammairiens  ont  condamné  cette  forme  de  phrase 
qui  est  pourtant  acquise  à  la  langue,  surtout  en  poésie.  Ils  prétendent 
que  amant  ei  jaloux  ne  se  rapportent  à  rien.  Il  n'est  donc  pas  inutile 
d'avertir  ceux  qui  se  laissent  trop  guider  par  les  grammaires,  que 
cette  syllepse  est  très  usitée  dans  Corneille,  dans  Racine  et  dans  tous 
nos  hons  auteurs.  Jaloux,  amant,  se  rapportent  au  pronom  lui  con- 
tenu par  syllepse  dans  l'adjectif  sa.  Sa  haine  signifie  la  haine  de  lui  : 
l'analyse  grammaticale  est  donc  :  La  haine  de  lui  amant,  de  lui  ja- 
loux, etc. 

T. 

Tantôt  pour  bientôt. 

Me  voici  donc  lontôl  au  comble  de  mes  vwux. 

Frîres  enn.,  act.  IV,  se.  m. 

Quoi!  ne  m'aves-voas  pas 

Vous-môroe,  ici,  Inntôl,  ordonné  son  trépas? 

Andf.y  act.  V,  se.  m. 

La  Harpe  a  remarqué  que  du  temps  de  Racine  tantôt  se  disait  pour 


Gi  DICTIONNAIRK  ClilTIQI  K. 

bientôt.  Alors  ce  inul  |M>u«atl  entrer  dan*  le  ^ixïe  noble.  Anjourd'hui. 
quoi  quVn  dist*  rAcadéinie,  il  ne  itVinploie  plus  ffuèrr  que  pour  dési- 
gner la  «econde  partie  du  jour,  cl  il  cM  familier. 

Tl.M>RI>SE  CACHLE. 

F.t  j'm  «a  tA  valeur  a  ei«  plairo  alljrh-<>. 
Jurtifier  f*oar  lui  aa  (imttrr^nr  cnrhfr. 

Mtlh.:,  art.  II.  m-,  m. 

(l'oM  là,  dit  La  Harpe,  un  mot  hien  remarquable,  il  n'y  a  que  Mi- 
ihridate  qui  »oit  assez  profondément  dissimulé  pour  cacher  à  ses  en- 
fants même  la  tendresse  qu'il  a  |>oiji  eu\. 

lr.M1L  LES  IHIRTES. 

y*'/»/.,  »rt.  II,  »f.  I. 

Kipression  tKs  paétiquo  donnée  par  le*  mœurs  orientales  :  Tenir 
les  purtex  c'est  être  ni.iîlre  de  In  liln'rté  de  Bajazet. 

Terre  qi  i  >e  tait. 

Et  la  t<rrr«  en  tremblant  »e  taire  devant  ion*. 

Air  T.,  art.  III,  M-.  Tl. 

Et  siluit  terra  in  conspectu  ejus.  C'est  l'expression  de  l'Ecriture 
sur  Alexandre.  Ce  rers,  dit  Louis  Hacine,  est  au  nombre  des  plus 
lM*aiix  que  l'auteur  ait  faits. 

Terre  on  boit  i.e  sang. 

nu  U-rrf  hiimerl^f 

But  à  r^îfret  le  «in,:  de»  n«r».riit  d'Krerhthec. 

J'hrf/r.,  art.  II,  «r,  I. 

Cette  CTpressioii  est  empruntée  à  Kschyle.  La  terre  est  personnifiée 
par  Taction  de  6oire  à  regret,  et  elle  boit  à  regret  le  sang  des  neveux 
d'Érecbthée,  parceque  ce  sang  était  celui  de  ses  enfants.  Ce  roi  était 
fils  de  la  Terre.  Dans  la  Bible  on  trouve  une  expression  à  peu  près 
semblable,  et  qui  était  peut-être  dans  la  mémoire  du  poète.  Voici  le 
passage  traduit  littéralement  :  «  Donc  tu  seras  maudit  de  la  terre  qui 
«  a  ouvert  sa  bouche  pour  boire  de  la  main  le  sang  de  ton  frère.  » 
(Genèse,  c.  iv.^ 

Tête  pour  personne. 

Que  drt  »oin*  m'eut  roûl*»*  rctte  tctt  rharmante  ! 
•  Phldr.,  arl.  II  ,  *f.  v. 

Votre  tête  serait  vulgaire  :  la  téte^  prise  pour  la  personne,  est  une 
expression  tri's  ancienne  et  devenue  vulgaire  soit  dans  Tadministralion, 
soit  dans  In  législation.  Ici  Kncine  l'emploie  de  In  manière  la  plus  gra- 
cieuse et  In  plus  nouvelle  :  Pépitlièle  charmante  fnit  imnge. 


DHITIO.NNAIKK   riUTIQl  K.  155 

Tison. 

Ti>on  ili*  1a  «liM'orde  et  r^tal**  Kunt. 

Mit  Mr.,  *cl.  V.  *<-.  I. 

Haciiio  |Hiiivai(  moltre  flambeau  :  il  a  miou\  trouvé,  lie  mot  thon 
i-appello  II'  mol  attiser^  rVsl  plii«  qu'inrendier.  Aussi  osl-il  appliqué  à 
la  discorde. 

ToRRKNT  DK  MOTS  Ql!  .MIOISK. 

Quel  Irniible,  quel  tonvnt  de  mot«  injnrifiix. 
.\rru<knit  1  la  fuii  l««  hninme*  «t  les  ditfii\. 

/y//t.,  art.  III,  «•*.  VI. 

CVsl  Ft^xpression  Miljrairo  un  torrent  d'iiijurex  aunblif  daus  uuc 
phra<c  pnclitiue. 


Tors. 


<îc  uiot  /o'/x.  placé  a\Oi'  uu  uombrc  (Iclcrniiné,  est  ci*un  olTct  prodi- 
«:ioux;  il  unilliplie  les  vaisseaux,  c'est  comme  s"i\  disait  tous  ces  mi7- 
lierx  de  vnixseaujr.  Il  n*y  a  point,  dit  La  Harpe,  île  cousiruction  plus 
orijfiiiale  el  plus  hardiment  créée,  et  cette  nouveauté  dans  le  lau- 
jrage  se  dérol>e  sous  Textréme  vérité  du  sentiment  qui  a  suggéré  Tex- 
pressiim. 

Toit  xi(»rt  qi^u.  kst. 

Tout  mort  qu'il  r •!,  Thc-i**'  ^*l  pr<«»iTt  à  »i)«  timi\. 
Phi  tir.,  *ii.  II,  ic.  V. 

i\c[W  expression  si  familière  est  relevée  par  riiéuiistiche  qui  suit. 
r*larée  à  la  lin  du  xer»*,  elle  nVùl  pas  été  supportable. 

Trackr  des  vertis. 

.Mai*  il  o-l  d»!*  verliiN  que  j*  lut  |tMi.«  Irarrr. 

Uni.,  uil.  1.  -•.  II. 

Kllipse.  (/est-à-diie  dont  je  puis  lui  tracer  le  chemin. 
Traces  de  sam;. 

(^iirlli'4  tr.ifi*4  (Ir  >ani;  voiju.j^  »iir  «ns  h.iltiU  ! 

Fri-rrA  enil.^  art.  I,  -««•.  m. 

Haciiie  le  fils  dit  que  les  traces  de  sang  sont  sur  la  terre,  et  qu^on 
ne  dit  point  des  traces  de  sang  sur  un  habit  pour  des  taches.  Nous 
citims  cet  exemple  pour  moulrcr  combien  Racine  avoit  à  îhxve  pour 
rréer  une  langue  si  timide,  et  Pou  peut  dire  si  peu  avancée. 

Trafiqier  des  secrets. 

Trariqnrnt  arj-r  lui  di'-  î.ojtcI"'  de  mon  anif. 

Hril.,  arl.  I,  >r.  i\. 


VAi  DICTIO.N.NAIUK  CUITIUIK. 

Co  mot  triifiqut'  i"»l  In"»  hraii,  lîir  uni  au  mol  secret  il  rruriTUi!- 
ridée  (l(>  Irnliisoii.  Cvsi  (i\iillpiirs  \i»  porirail  de  MarcisM*  quo  Urilau- 
iiicuî*  fail  à  Narri>s«'  liii-tiirmc,  mais  saii<  \e  s'i\oir,  rYsl-ânliro  sni> 
lui  Cl)  fairr  rapplicalidii. 


ÏR 


mm:  >\\s  iionnu  ij. 


Kl  IrjiiK-.  ".ntt  hiiiiiuMir,  aiiluiii  dr  iio<i  miiuill^*. 

Anilt.,  Ac\.  III.  *f.  VIII. 


AïKlromaijiii*  pciiH*  aii\  lioiiriours  fiiiichrcs  qu'on  aurait  dû  rcndrr 
à  w)n  <'po»\.  I.i'  sous  o>l  doiir  :  et  \n'ivè  dlionneur,  traîné  autour  df 
nos  murailles.  Lr*  mnl  de  Kariuo  esl  plus  rapide,  il  rend  Vingloriux 
doH  Laliu>. 

Traînk.r  pour  eulraiuer. 

An  *itil  <|iii  inr  Iraiiuil.  il  falliil  <'<in!'«iilir. 

///A.,  aol.  II.  «r.  I. 

Tel  emploi  du  \erhe  trainer  au  lieu  du  >er|jo  entraîner  niérile  d'cire 
remanpië.  Racine,  eu  préréraul  le  premier  au  second,  qui  cùl  égal«'> 
ment  rempli  la  mesure  du  \ers,  >oulail  sans  doute  par  la  dureté  de 
celle  expression  faire  sentir  qu*l%rip}iilc  parle  d*un  amour  mallieuri'nx 
et  qui  Phumilie.  (Vojez  le  Commentaire.) 

TrANQI  II.I.ITK. 

Ji*  «oiMlroi»  U  iMir  a%i'r  Irnuquillitr. 

Uni.,  «cl.  111,  T.  VI. 

Pour  je  voudrais  ne  pouvoir  plus  douter  de  son  infidêtitè,  afin  dr 
ne  plus  l'aimer.  Que  de  elio^ses  dans  un  seul  m<»l  ! 

Travaii.lk  pour  tourmente. 

Kt  ki  l'un  «i>ii4  «■ro\iiil  !«.•  noiii  i|iii  Mm*  lr.i\ailli-. 

Alrr.,  arl.  III ,  *e.  1. 

(le  mol,  pris  en  ce  sens,  avait  une  grande  \igueur  dans  lu  langue 
du  sei/iême  siècle.  Lu  p.implilélaire  disait  alors  de  (iatlierine  de  .Mé- 
dicis  :  la  méchanceté  qui  la  travaille^  et  aucun  autre  mol  de  la 
langue  n'aurait  cette  énergie.  Aujourd'hui  il  nVsl  plus  en  usage  que 
dans  le  style  familier.  Les  bons  écrivains  devraient  le  rajeunir. 

Thavfrsks  pour  détour. 

Mai*  «nlin  ji*  riiniint.'iiro  xyrt'*  Unit  «li>  fnivmrs. 

Mithi .,  acl.  1 ,  w.  m. 

(ie  mol  n'a  jamais  été  employé  pour  détour.  Peut-être  Hacinc  a-t-il 
voulu  lui  attribuer  le  sens  d'obstacle^  sens  qui  appartient  seulenient 
au  verbe  traverser.  On  dit  très  bien  traverser  un  projet,  iK)ur  susciter 
des  obstacles:  mais  Paiialogie  n'est  pas  snfiisante,  cl  le  sens  de  tra- 
verse est  si  bien  arrêté  (ju'il  n'est  pas  possible  de  le  changer.  Fians  le 
style  noble  ce  mot  signilie  seulement  :  accident ,  malheur. 


DUniONNAIKK  ClilTIQUl!:.  07 

Tni>TESsK  uBSCi  RF.  |)oiir  xuiiihre  tristesse. 

\}ue  prc!iauc  à  ino»  yi-iu  im-IIc  lri»lc».«i"  ubjciuv. 

lirit..  u<-|.  Il,  «c.  II. 

I.a  liai  |)c>  a  rciiinrqur*  que  la  Irislcsse  est  appcrlce  ici  tristesse  oth- 
yrure,  parcequVIlo  obsciirril  le  fronl,  el  celle  dernière  expression  esl 
elle-nièiiie  une  niélapliore.  LVailleurs  un  dit  fort  bien  une  sotïUrt'e 
tristesse,  ainsi  ranalo};ie  esl  en  faveur  de  tristesse  obscure, 

Tkoik  expira. 

Hoi'tfi  tomba  9UIM  lui.  Truie  expira  Mtii«  >»»•. 

Autel.,  act.   I  .  »c.  II. 

t:ne  ville  qui  expire.  Belle  expression  qui  essuya  la  critique  de  Su- 
Migny  et  des  grainiiiairiens  du  temps,  et  cependant  la  gradation  est 
admirable.  Hector  tomba  sous  lui,  c'était  un  grand  hoininc  do  moins; 
cependant  Troie  vivait  encore,  elle  pouvait  nous  résister  di\  autres 
années,  mais  Troie  ej'pire;  et  tout  est  fini.  Voilà  ce  que  les  grammai- 
riens critiquaient  sans  le  comprendre. 

TrOIK  ARDENTK  PLONGEE  DANS   LE  SANG. 

Dans  ilfti  r(ii>»cau\  de  MHiZ.  Tmii!  ardente  ploiitcee. 

Andr.^  act.  IV,  »o.  v. 

Je  lie  connais  rien  de  plus  original  et  de  plus  énergique,  en  alliauce 
de  mots  el  en  images,  que  Troie  ardente  plongée  dans  des  ruisseaux 
de  sang  comme  un  fer  rouge  dans  IVau  bouillonnante.  Observons  ici 
combien  Pinversion  ajoute  à  reiïet,  et  combien,  malgré  la  beauté  de 
l'expression,  le  dernier  liémisliclie  perdrait  à  devenir  le  premier. 


Tv 


RANNiyiE   IIPOIX. 


Ne  •(iii<ii-ii>/-\<iit<  |toiiit,  i|ii'iiii|»niii\aiit  itt  fiirii*. 
Je  !>(ii«i!<!ie  à  l'aiilel  un  lyruniiique  cpuiit. 

Mif/n:,  aci.  IV,  se.  n. 


l/ndjectif /y/vi/iniV/we  ne  s'applique  qu'aux  choses  :  pouvoir  tyran- 
nique,  conduite  tyrannique:  mais  le  poète  peut  le  transporter  heuren- 
v'.MiKMit  aux  personnes,  coinine  le  prouve  cet  exemple  de  Kacine. 


r. 


l   \I>SA\T   I»  IN  l'OKi.NAim. 

l'f  (l'un  inriiio  poi^iurii .  le*  inii-^aiit  toii'*  «ieiix  , 

l.e.i  perre  l'un  el  l'autre 

ftnj.,  ;iel.   IV,  %f.  I\. 

KxpresKJoii  d'une  lianliesse  heureuse;  ils  xeuleni  être  unis,  elle  les 
unira,  mais  «ruii  même  [uiignard.  lieiiiniquez  le  demi-vers  suivant  : 
quelle  rapidité,  en  un  xers  et  demi  elle  les  tue  deux  fois. 


V^  IMiniONNAlKK  CRITIULE. 

V. 

Vaincl  dk. 

Quoi  di'ja  \Qtrt  sniour  (1««  ob*tacl««  ««incu. 

Jiaj.,  âcl.  IV,  M".  VI. 

Cuiistrurtioii  piiélique  iulrodiiile  dans  la  langue  |Nir  Malherbe,  et 
lieux  fois  imiter  par  Racine.  En  projte  il  raudrail  dire  :  vaincu  par 
les  ùbstacles. 

Vais  on  Vas. 

Mittijiiic,  j<'  iii'iii  «41»  rcliuuvirr  dioii  ariu^t*. 

l'rirtK  /-«H.,  ad.  1,  »r.  iv. 

On  lit  dan$  Vungrlas  que  toute  la  cour  disait  jV  ras,  et  le  {leuple 
Je  vais.  Mais  depuis  Vnu^a'las,  Tusage  contniire  s'était  établi.  Pascal 
se  Kerl  ortlinairenient  de  je  vas,  et  suivant  d'Olivet  tous  les  deux  ^e 
dirent. 

Quant  à  ces  niot^i  :  retrouver  mon  armée,  c'est-à-dire  retourner 
auprès  de  moii  armée,  ce  mol  retrouver  n'est  guère  d'usage,  en  ce 
MMis,  cpie  dans  le  sl\le  familier. 

Sk  VENdKR  PAR  d'aITHES  CHEMINS. 

A  mit.,  aft.  IV,  »c.  m. 

Il  y  a  analogie  a\ec  cette  autre  expression  :  se  venger  par  une  voie. 
D'ailleurs,  suivant  l'Académie,  on  peut  employer  le  mol  chemin  nu 
ligure;  il  signifie  alors  moyen  qui  mène  à  tjuelque  fin.  F.e  vers  de  Ra- 
cine n'est  donc  pas  iiuornrl,  comme  le  dit  l.a  ilarpe;  seulement  il  \ 
•I  défaiil  d'élégance,  le  mot  iheinin  étant  moins  noble  que  le  mot  l'oie. 

Vi:v?i  iT. 

JC/''iinnnfH'-  NU. 

Véquit,  selon  Uiclielel,  élaii  de  plus  beau  st\le  «pie  vévut.  L'usage 
a  fait  pre\aloir  ce  dernier. 

Vers  pour  envers. 

l'I  iii'-irn'iiliiM   vi'f  \nii«  do  ntfa  r.'iu;«t>  piufoiMl-. 

Jinj.,  a.l.  in,  ...  II. 

Dii  temps  de  Racine  celle  lociilion  n'olait  ]»as  française,  Vangeins 
l'avait  comlamnée.  Vers,  disait  ce  grammairien,  signifie  le  versus  des 
Laiin,  vers  rorienl,  vers  l'occident;  et  envers  signifie  l'ergra  comme 
la  piélc  envers  Dieu.  Ce  serait  mal  parler  cpie  de  dire  la  piété  des  en- 
fants vers  le  jfère.  I/usage  a  donné  laisoii  à  Vaugclas.  (Voyez  le  Com- 
mentaire.) 

Vfiitc   on  >'i:KFARoicnK. 

Ji'  pnmiai*  M  tirlii  |Moiii|»tr  ii  .-Vn.iioiioliiM . 


DICTIO.NNAIKE  CIUTIQL'K.  69 

Uaciiic  est  le  premier  qui  uit  employé  au  figui*é  celle  expression 
devenue  aujourd'hui  d'un  usage  hahiluel. 

Vie  on  jette  in  crime  sir  ine  vie. 

LaUsez-moi  nous  Uver  l'un  et  l'dulro 

Du  crime  que  m  vie  a  jiilc  sur  la  nôlre. 

y?fly.,  «ri.  IV,  t%',  VI. 

l.a  vie  de  Bajuzet  jellc  un  crime  sur  la  noire,  parceque  nous 
sommes  coupables  de  ce  qu'il  vil  encore.  Ces  deux  vers  disenl  tuul 
cola,  et  de  la  manière  la  plus  énergique  et  la  plus  \ive. 

Vieillir  dans  une  longue  enfance. 

lUui  une  longue  enrancc  iU  l'iiuruicnl  fail  vieillir. 

Jirit.y  art.  I ,  k.  i. 

Admirable  expression  que  Kaciiie  ne  doit  pas  à  Tacite. 
Vieillir  l'ambition. 

Vou«  dont  j'ai  pu  laitser  vieillir  l'ambition 
\Ui\*  Ici  honneurs  obscur»  de  quelque  Irgiun. 

7irt7.,  acl.  11,  *c.  ii. 

Anêbition  qui  vieillit  dans  des  honneurs  obscurs.  Quelle  concision 
(  1  quelle  poésie  ! 

VoiLK  PESANT. 

Que  rc«  vain»  ornement*,  que  ca  voile»  me  pèsent. 

Ph'rdr.^  act.  I ,  sr.  m. 

Quelle  vérité  d'idée,  dit  La  llar|>e,  dans  celte  espèce  de  contre- 
vérité  d'expression.  Des  voiles  qui  pèsent!  Quelles  sont  donc  les  souf- 
iVances  qui  peuvent  jeter  dans  de  telles  illusions?  Avec  un  mot  Ra- 
cine point  une  situation. 

Voler  pour  ravir. 

Vous  «uivrci  un  epoui  avoué  par  lui-même, 
r.'eitl  un  titre  qu'en  vain  il  protend  me  voler. 

Iph.,  act.  V,  tr.  II. 

<  l'est  Achille  qui  parle,  et  qui  parle  (rAgamemnon.  Le  moi  voler  a 
ici  une  énergie  et  une  insolence  qui  ne  se  seraient  rencontrées  dans 
aucun  autre  mol  de  la  langue.  Achille  insulte  celui  qui  veut  lui  ravir 
sa  mailresse.  Le  mot  le  plus  bas  produit  l'ellet  le  plus  lerrible. 


VeIX  yil   ATTENDENT. 

*  Mc5  yeux  ^an.<>  si*  former  onI  aliondu  le  jour. 

lirit.,  M'\.  Il, 

Ponr)'{iï  attendu  te  Jour  sans  fermer  les  yeu.v. 

VkI  X  Ql  1  ONT  SACRIFIE  î  N  EMPIRE. 

r.4'*  Teu\  qiir  n'ont  ômu*  ni  »oiipir«  ni  lorrrur, 


70  DlCriONNAlKE  ClilTIUi  E. 

(Jut  nriiiil  »4i-niic  riuiftirc  vl  IVinpiTcur. 

Uni.,  4-1.  V,  *  .  I. 

Surrifiei\,  vu  ce  sens,  êlail  alors  iioiiv<>au,  suivant  la  i'('iiinr<|ue  ilii 
p.TO  Huulioiirs. 

VkI  \  01  VKRTS  Al  X  LAHMES. 

Mcit  Vi-iix  ili>|»iii«i  «1%  moi?  rluiniit  uiMcH;»  Mtx  Urmi-'^. 
t'nrvi  r/irt.,  *rl.  1.  >f.  i. 

Ouvrir  sfa  yexw  au.r  larmes  :  ro\|)r('Ssi<iii  csl  livs  lii>iircii>eel  Iro 
puoii(|iu*,  l'I  c\'st  iii  (|irollc  fui  riii|)lo\éc  j)«)iir  la  |»riMui(*rc  fuis. 

YkIX  Ql^ON   VOIT   VKMR  IlK   lOl  TKS  HAUTS. 

Ti»u-  iti*  )cu\  i|ii'«u  t«nutl  »u*iiir  i|.'  luiili'*  |ijrl« 
('.oiifuiiilii'  >iir  lin  «eiil  U'iir»  jti)lo<i  riv-iiil!>. 

Jiri.,  ail.  I.  f.   ». 

Des  >cu\  f/u'u/i  rofV  rrnir^  cN  si  là  uut>  uraïuJc  lianlii'SM-  imoliqiif, 
mais  elle  passe  inaprr(;iir  parcetprcll.'  cxpriiiir  mw  chosi*  vraio.  i.v 
(|iii  nous  l'rap])!'  sui'l(»ul  dans  uni*  funli'  (|ui  aa-onrl  wm  nuus,  iv  buiil 
li's  u'ux  tpii  iM>  lixiMit  sur  nous,  liacini»  rxpi'inu*  cela  adiuirablenieiil , 
l'U  disant  :  u  Je  \ois  \enir  de  tonh's  part>  des  u*ux  i|iii  nii*  rcganli'iil.  » 

Yi:i  X   OIVKHTS  AlX   1.AIIMKS. 

VkIX  yn   >K   l'I.AlSK.NT  A  TKOl  liLIlH  IN    l'Ol  VOIK. 

V»u«  |ieii«iri  inu"  do-  yiix  Imijutir*  oiMcrl*  aux  lAriiii>4, 
Sf*  |iUi.«eiit  4  iroiiItliT  le  |MHivi>ir  aie  vhm  ciiarini*.*. 

.1/1'//-.,  M*l.  Il,  '•-.  II. 

Mclaplioi'i's  liardios  et  non\(>ll<*>  dans  la  langue;  nniis  t'inplou'o 
a\i>c  1111  arl  »i  lieiii'i'ux  (|iio  Iriii'  liardirsso  ci  Irnr  noii\t>aiilo  ih*  >\i- 
peivoixiMit  pas. 

Yki  X  yn  BKM»F>T  i>i:s  NO>l>. 

Kt  (|iio   >•">  >ciix  «'riii-l«  A  |iloiii'i:i  ruiiiUiinu-*. 
y\i'  iiMiili-iil  ImiN  If'i  iioiii^  i|iii>  ji-  liMir  .11  iioiiii('>. 

.1/ir/,..  a.!.   III,  -■.   I. 

('.\'sl-ii-diiv  tous  les  mniis  (fuc  j\ii  donni's  a  ses  t/tfu.r.  I)es  u'iix 
rxpi'iinnil  des  sciilinicnls;  il  \  a  iU'>  iv^anls  tir  mépris,  di-  liaine,  de 
sonpeon.  l)e>  re^ianU  pailenl  sans  doulr,  mais  ils  ne  rendeiii  pas  de» 
noms. 

VkIX   lAirs  A   l/l  SA«;h  DKS  l.\UMI.S. 

liisti  ml   |Mr  l.inl  ili>  ili.u  iiio-, 
>«■<>  xfiix  «mil  ilrj.i  l.iil»   1  l'ii'.i.'f  ilr-  l.iiiiu'-. 

/.'/./..  a.l.   Il,   M.   II. 

yiie  d'éli'j;anre  el  de  poe^ii*!  «pielle  lieiirense  manière  d'expiiiiiiT 
ie'i  l'Ilels  de  ramoiir  >ans  en  pniiionier  le  nom. 


UN   m    on.iinNN  \im..