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Full text of "1849: L'expéditon française de Rome, sous la deuxième républoque, d'après des documents inédits"

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PARIS 



zoo, rue da KiBl»'»r^-5!2^Ai-J?:.v;nf. /o^ 






1849 



Ii'EXPÉDITIOH FRANÇAISE DE HOP 

sous LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE 




DU MÊME AUTEUR 



Diplomates et militaires d'autrefois, études historiques. 
1 vol. in-8°. Leroux, éditeur, Paris, 1890. {Épuisé.) 

Histoire des Zouaves pontificaux (ouvrage couronné par 
la Soi.iiHé d'encouragement au bien), 1° édition. 1 vol. 
in H . Hloud et Barrai, éditeurs, Paris, 1894. 

Histoire de l'armée de Condé pendant la RévolutioD 
française (ouvrage couronné par l'Académie française), 
;t' i-.!tlicn. 1 vol. in-8". Dentu, édileur, Paris, 1896. 

Les campagnes de la Restauration : Espagne, Morée, 
Madagascar, Alger (ouvrage adopté pour les biblio- 
liii'(]ii''s de garnison et couronné par la Société d'Encoura- 
geimiitau bien], 2' édition. 1 vol. grand in-8°. Cattier, 
é(iili-iir, Tours. 1899. 

Charette et la guerre de Vendée, d'après les archives de 
iTtiii et de la ville de Nantes, des mémoires inédits de 
clicis vendéens, etc. (avec une carte), 3' édition. 1 vol. 
iri-K . Émile-PauI. éditeur, Paris, 1902. 

En préparation : 
La Défense de Lyon en 1793, d'après des documents inédits. 



iS'^a 








Sotis la Deuxième République 



D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS 



PAR 



Hené BITTAÎ^D DES POINTES 



Deuxième édition, avec illustrations de RAFFBT 

ET UNE CARTE DES ENVIRONS DE ROME 



PARIS 

LIBRAIRIE ÉMILE-PAUL 

ÉDITEUR 

/oo, Eue du Faubourg' Saint- Honoré, loo 

1905 

Tous droite ré«crré« 



•'</.'/-^y-/a. 




INTRODUCTION 



Malgré toutes leurs angoisses patriotiques, les 
Catholiques de France tournent toujours avec tristesse 
leurs regards vers Rome, la grande capitale chrétienne. 
Le Chef de TÉglise n'y demeure-t-il pas prisonnier? 
L'Europe d'autrefois assurait au Souverain Pontife 
une principauté de minime surface et de population 
singulièrement restreinte. C'était la tradition plusieurs 
fois séculaire des grandes puissances qui honoraient 
ainsi l'autorité morale la plus élevée en assurant sa 
dignité et son indépendance. De 1849 ^ ^^"jo, sous la 
deuxième République, comme sous le second Empire, 
I la France estima que son passé de gloire lui imposait 
i d'autres devoirs qu'un acquiescement diplomatique. 
! Pendant vingt ans, elle protégea de son épée la per- 
l sonne et la liberté du Pape, elle monta la faction du 
* Vatican, miles ChristL 

Il fallut l'invasion allemande et Taflolement des 
premières défaites pour rappeler notre brigade d'oc- 
cupation. Alors l'armée de Victor-Emmanuel, que 



— VI — 

commandait un ancien officier de Garibaldi, Bixio, 
marclia sur Rome. La petite garnison pontificale 
engagea bravement une lutte inégale dont l'issue ne 
pouvait être douteuse et l'étendard italien flotta 
désormais sur la Ville éternelle. 

Vingt et un ans auparavant, pour ramener dans sa 
capitale le Souverain Pontife chassé par la Révolution , 
un autre drapeau s'était dressé, le nôtre, non dans 
une surprise et à la faveur d'une écrasante supério- 
rité numérique, mais après une série d'opérations 
de guerre, exécutées contre des adversaires égaux 
en nombre, bien pourvus en artillerie, abrités der- 
rière des fortifications d'accès difficile. Par un scru- 
pule d'humanité et de respect artistique, nous avions 
limité notre zone d'attaque. 

Dans ce vingtième siècle, brutalement utilitaire, au 
lendemain de l'odieuse guerre du Transvaal et des 
a camps de concentration », les ménagements cheva- 
leresques des généraux français de i84g semblent 
invraisemblables. Rien n'est plus vrai cependant et 
la gloire de ces généraux, celle de leurs troupes en 
brillent d'un éclat plus pur et plus radieux. 

Des difficultés imprévues se sont accumulées pen- 
dant ce siège de deux mois, douloureusement inau- 
guré par un échec ou plutôt par un guet-apens qui 
n'atteignit point l'honneur de nos armes. Les subter- 
fuges de la diplomatie et les regrettables concessions 
d'un plénipotentiaire circonvenu retardèrent trop 
longtemps la préparation d'une revanche éclatante, 
mais alors quelle vigilance et quelle ténacité dans les 



— VII 



tranchées et sur les positions (Inobservation! Aux 
jours de combat quelle vaillance ! Généraux et officiers 
rivalisèrent de prévoyance, d'énergie, de coup d'œil 
militaire. Quand Tartillerie eut ouvert la brèche, nos 
colonnes d'assaut emportèrent les positions que Ten- 
nemi tenta vainement de défendre et qui dominaient 
la ville. Devant nos canons menaçants les révolution- 
naires apeurés déposèrent les armes, et Rome, rendue 
à discrétion, redevint la cité chrétienne. La France 
catholique acclama ses soldats 

Aujourd'hui l'esprit de parti affecte de contester 
l'importance de ces victoires et, par un étrange oubli, 
nos nouveaux drapeaux ne portent plus sur leurs plis 
l'inscription : « Rome — i84g. » 

Poor l'honneur de la patrie et la gloire de l'armée, 
nous allons rappeler, sous la garantie de documents 
irrécusables, ce qu'ont fait les généraux, les officiers, 
les soldats du corps expéditionnaire de Rome et tout 
esprit impartial reconnaîtra qu'ils ont bien mérité de 
la France et de l'Église. 



En 1861, dans un remarquable ouvrage, M. de 
Gaillard avait condensé le récit des débats, à la 
Chambre française de 1849, si agités, si violents et 
celui des interminables négociations engagées à Gaète 
entre les représentants des différentes puissances 
catholiques. La partie militaire s'était trouvée for* 
cément négligée. 

Désireux de restituer à la petite armée du général 



— vm — 

Oadinot toote l'imporUDce de son rôle et hmt le 
mi-ritc de son iaterventîon, doos avons entrepris d« 
constituer, le « dossier militaire • de l'expéditioa. Par 
une heurease fortane, nos inrormatîons ont été poî- 
sécs à des sources qni, pour la plupart, gardent 
encore l'attrait de l'inédit. 

Il conrient de citer eu première li^e les Papiers 
du général de Tinan, cher d'état-m^or du corps expé- 
dittonnaire, recueil volumineux, obligeamment mis à 
notre disposition et qni contient la reproduction in 
extenso d'intéressantes lettres du général Ondinot, de 
MM. de Lesseps et de Corcelles, de Mazzini, etc. 

Mentionnons casa\lt\t» Hiêtoriques des corps de 
troupe qui ont pris part à l'expédition de Rome. Ces 
relations, dont beaucoup sont restées manuscrites, 
ont clé rédigées depuis une vingtaine d'années à la 
section historique du Ministère de la guerre ; elles 
corroborent utilement le Joamal des opérations dé 
fartitlerie et du génie, publié sous ta direction des 
générauï Vaillant et Thiry. 

Des récits imagés, des descriptions originales, des 
afTirmations ou des rectifications d'une înconstes- 
lable pr4-cision sar des points importants se retrou- 
vent rréquemment dans les Souvenirs recueillis par 
nous, parfois i titre de communication personnelle et 
que nous devons i des officiers qui ont été, pendant 
l'expéditibn, les témoins et quelquefois les acteurs 
de curieux incidents militaires et diplomatiques. 

Apr^-s l'intéressante collection des journaux ita- 
liens en 1849, nous avons consulté et souvent cite un 
ouvrage soigneusement documenté qni a paru l'année 



dernière : CranbaUi e tm Mmm itgiome. L' 
M. Lœvmson, ne s*est pas bonié à tciraeer 
tieusement les ma r thcs A les opéralioas des troapes 
garibaldiennes arant tA prifart le siè^e, fl a écrit, 
sans dissimuler ses sjnnpathies, mae relatim détaillée 
des événeoienls politiques qoi a gil è icn t si ptofoiidé- 
ment à cette époqne la popalatioa romaine. 

De ces élémeots si ififférents 
efforcé de faire jaillir la rérîté. 

Octobre 1903. 



1848 






SOUS liS DEUXIÈME HÉPUBLIQUE 



CHAPITRE PREMIER 



LES MOTIFS DE l'eXPÉDïTION. — DIFFICULTES ET 
AJOURNEMENTS. l'eXPÉDITION DECIDEE. 



Pendant les premiers mois de Tannée 1848, le Pape 
Pie IX avait partagé l'enthousiasme des patriotes 
italiens et secondé de tout son pouvoir la tentative 
des différents Etats de la péninsule pour arracher à 
l'Autriche les riches provinces de la Lombardie et de 
la Vénétîe. Les menées trop ostensiblement ambi- 
tieuses du cabinet de Turin et surtout la propagande 
des idées révolutionnaires dans les États romains 
avaient bientôt dissipé les illusions du doux pontite 
et le décidaient à publier, le 29 avril 1848, une ency- 
clique désapprouvant la continuation de la guerre. 



Le parti avancé ne pardonna pas au chef de 
rÉglise ses pacifiques conseils, les sociétés secrètes 
désiraient pour leurs ténébreux desseins le maintien 
de reffervescence qui agitait Tltalie tout entière. Rome 
d'ailleurs donnait asile à des hommes de désordre que 
convrait le masque du patriotisme ; ils surent égarer 
Topinion publique et préparer une formidable oppo- 
sition contre le gouvernement pontifical, dans cette 
ville naguère toute pénétrée de gratitude pour des 
réformes inespérées. 

Malgré les instructions du Saint-Père, ses troupes 
demeuraient en Yénétie' avec l'armée piémontaise 
jusqu'à la capitulation de Yicence*. Quand les soldats 
romains, qui avaient médiocrement combattu contre 
les solides régiments de Radetzky, rentrèrent dans la 
capitale de la Papauté, la population leur fit un 
accueil tellement chaleureux qu*il était hors de pro- 
portion avec leurs services. Certains libéraux affir- 
mèrent aux cardinaux Saglio et Antonelli que, pour 
donner une compensation aux patriotes humiliés, 
pour calmer l'agitation a nationale », le Pape devait 
appeler au ministère a les défenseurs de la liberté » 
Mamiani et ses amis. Dans son désir de conciliation. 
Pie IX y consentit et nomma l'ancien proscrit 
ministre des affaires étrangères. Le parti avancé s*en 
réjouit bruyamment et annonça qu'il allait réaliser le 
programme dont s'inquiétaient à juste titre les 
partisans de l'ordre. 



* Dans ses Souvenirs, le général de Pimodan rappelle (jae les 
soldats autrichiens, en efiectaant leurs réquisitions, disaient 
aux Italiens oui s'y prêtaient d'assez mauvaise gr&ce : 
« Pagara Pio Nono! » et le futur défenseur de la Papauté, 
destiné à tomber glorieusement à Castellidardo, ajoute : « II 
est certain que le Saint-Père a payé tout cela fort cher. » 
{Souvenirs de la campagne d'Italie^ p. Ii6.) 

^A la date du ii juin, la garnison italienne évacuait la 
ville. « Les dragons du Pape étaient encore rangés sur la 
place. » (Ibid.^ p. lai.) 



— 3 — 

En France, ces appréhensions élaient partagées 
par un grand nombre de catholiques. Le général 
Cavaîgnac et ses ministres désiraient affirmer leor 

m 

respectueuse sympathie ponr le chef de l'Eglise et 
rassurer par cette démarche le parti conservateur 
dont les défiances à leur égard subsistaient. Malheu- 
reusement le gouvernement de la République fran- 
çaise se borna à préparer une manifestation militaire, 
qui ne devait point intimider les ardents révolu- 
tionnaires des bords du Tibre. 

Le ministre de la guerre décida la formation à 
Marseille d*une brigade active dont la destination 
n'était pas encore précisée. Les journaux officieux 
déclarèrent que ces troupes poui*aieni être appelées 
à rétablir Tordre dans les États romains; il n'en fut 
pas question dans les débats de FAssemblée cons- 
tituante. 

Quelque restreintes que fussent les forces éventuel- 
lement destinées à une mission aussi importante, 
elles furent, dès le début, solidement encadrées et 
largement approvisionnées. Le commandement de la 
brigade était confié à un vigoureux officier général, le 
général MoIlièreS qui avait servi dans Tétat-major de 
l'arraée grecque avant de revenir à l'armée d'Afrique 
et d'oi^aniser, au lendemain de la prise de Constan- 
tine, le bataillon des tirailleurs indigènes de valeu- 
reuse mémoire. 

La brigade active comprenait deux régiments 
d'infanterie : le no® et le 33« de ligne % une batterie 
d'artillerie^ détachée du 3« d'artillerie, une compa- 

I Le capitaine d^état-major Poulie faisait fonctions de chef 
d^éut-major et le sous-intendant militaire Duthcii dirigeait 
les services administratifs. 

^ Le 20" de ligne était commandé par le colonel Marulaz, 
le 33^ par le colonel Bonat. 

M>a batterie était sons les ordres du capitaine Scrrand, 
du 3' régiment d'artillerie. 



-4- 

gnie du génie ' appartenant au 3<^ régiment, des 
détachements de gendarmerie, d*infirmiers militaires 
et d'ouvriers d'administration prélevés sur les troupes 
de la 7® division militaire. 

Du commencement de septembre au milieu de 
novembre, les troupes du général MoUière n'eurent 
pas d'autres occupations que le service journalier et 
une participation plus active aux manœuvres du 
service en campagne que ne le comportait alors la 
vie de garnison. Tous ceux qu'intéressait la question 
romaine savaient que le Souverain Pontife n'avait pu 
se décider à garder le ministère Mamiani et qu'il 
avait appelé au pouvoir l'intègre comte Rossi, l'ancien 
ambassadeur de France auprès du Saint-Siège. Les 
complications semblaient écartées et le bruit courait 
du prochain licenciement de la brigade. 

Soudain on apprend avec une pénible surprise les 
tristes événements dont Rome a été le théâtre. Le 
i5 novembre, Rossi a été assassiné en se rendant à 
la séance d'ouverture du Parlement; le lendemain 
môme, la populace a envahi le Quirinal, plusieurs 
gardes suisses ont été massacrés en défendant Feutrée 
de la résidence du Pape - pendant qu'était frappé 
mortellement d'une balle l'un des prélats de la maison 
pontificale, Mgr Palma. La personne même duSainl- 
Père n'a pas été respectée. Pie IX a dû subir d'inso- 
lentes menaces, et consentir à rendre le ministère à 
Mamiani et à ses amis \ 

* La compagnie du génie avait pour chef le capitaine 
Pui^gari, du 2<^ régiment du génie. 

^ Comme les C'ardes du corps à la porte des appartements 
de la reine, à Versailles, en octobre 1789. 

^ Mamiani était nommé ministre des affaires étrangères, 
Galettî ministre de l'intérieur, Sterbini du commerce, Cam- 

Eello de la guerre, Lunati des finances, Sereni de la justice, 
'instruction publique avec la présidence du conseil était 
réservée à Faobé Rosmini. Cet ecclésiastique eut la pudeur 
de refuser; un prélat ambitieux, Mgr Muzzurelli, eut le tort 
d'accepter. 



— 5 — 

Grâce au courageux dévouement des ambassadeurs 
de France *, d'Espagne " et de Bavière ^, le Saint-Père 
put s évader et se réfugier dans les Etats du roi de 
Naples, à Gaète, d'où il adressa, le 27 novembre, une 
vibrante protestation que la Chambre des députes 
romains déclara apocryphe *. 

En France Fopinion publique fut violemment 
émue. Le jour même d'où partait de Gaète la protes- 
tation du chef de TÉglise, l'Assemblée constituante 
française flétrissait la conduite du parti révolution- 
naire à Rome. Le général Cavaignac déclarait à la 
tribune que le ministre de la guerre avait télégraphié 
au commandant de la 7^ division militaire d'embarquer 
à Toulon et à Marseille les différentes fractions de la 
brigade formée dans la prévision d'une descente 
prochaine en Italie. Le président de la République 
ajoutait « qu'un membre de l'Assemblée, M. de 
Corcelles, avait reçu la mission d aller prendre sous 
la protection de la France la personne sacrée de 
Pie IX et, au besoin, d'assurer sa retraite sur notre 
territoire'^ ». Des applaudissements unanimes saluaient 
celte déclaration et un ordre du jour, présenté par 
M. de Tréveneuc et voté par 480 voix contre 63, 
déclarait que « l'Assemblée constituante, approu- 
vant les mesures de précaution prises par le gouver- 
nement pour assurer la liberté du Saint-Père et se 
réservant de prendre une décision sur des faits ulté- 
rieurs et encore imprévus, passait à l'ordre du jour^ ». 

* Le duc d'Harcourt. 
'M. Martinez de la Rosa. 

* Le comte de Spaur. 

* Ainsi que le décret par lequel le Saint-Père nommait une 
commission executive pour administrer provisoirement les 
Etats de TEglise. 

* Moniteur du a8 novembre 1849. Compte rendu de la séance 
deTAssemblé constituante. 

•Trois jours après, deux membres de la gauche, Ledru- 
Rollin et Jules Favre, interpellaient le gouvernement au 



— 6 — 

M. de Corcelles partait de Paris le soir même de 
la séance, emportant ses pouvoirs diplomatiques, il 
arrivait à Marseille le 3o et y apprenait Tévasion de 
Pie IX et, presque en même temps, Tarrivée du Pape 
à Gaète. L'envoyé de la République française s'em- 
barquait aussitôt pour la nouvelle résidence du Pape ', 
dont il allait devenir l'un des conseillers les plus 
vigilants et les mieux inspirés. 

Au point de vue militaire, les instructions du 
gouvernement avaient été exécutées sans le moindre 
retard. Le général Carrelet, qui commandait la divi- 
sion de Marseille, officier général de la vieille école, 
plein d'activité sans cesser d'être méthodique, avait 
fait embarquer, dans la journée du i«r décembre, la 
brigade Mollière qu'un ordre du ministre de la marine 
avait amenée en rade de Marseille dès le 3o novembre. 
Cette /escadre ou plutôt cette escadrille, selon le 
terme maritime alors usité pour désigner ce qu'on 
appelle aujourd'hui une division navale, comprenait 
un vaisseau, le Magellan, deux frégates, le Chris- 
tophe-Colomb eiVOrénoque, et un aviso, le Vautour. 

Le a décembre, les bâtiments levèrent Fancre et 
se dirigèrent vers le sud-est. L'amiral seul connaissait 
officiellement la destination et il garda le secret à ce 
sujet, mais les équipages et les troupes ne doutaient 
point que ce ne fût Civita-Vecchia. La violence du 
vent, le mauvais état de la mer obligèrent à jeter 
l'ancre vers cinq heures du soir, en face d'Ëndoume. 

sujet des préparatifs de rexpédition, en i'accasant d'avoir a^ 
sans l'avis préalable de la Chambre. Le grand orateur catho- 
lique, Montaicmbert, s'écria dans un superbe mouvement 
d'rloquence, applaudi par toute la Chambre : « M. Ledru* 
Roilin, en pressant le aébat pour en faire sortir une franche 
conclusion, disait qu'on serait obligé de défendre le Prince en 
même temps que le Pontife, je déclare que, pour ma part, j'y 
compte bien! » (Moniteur du i*' décembre 1849.) 

^ M. de Corcelles débarquait à Gaète le 7 décembre. Le duc 
d*Harcourt le présentait aussitôt au Saint-Père. 



L*escadre dut rester au mouillage le Set le 4 décem- 
bre. Devant la persistance du mauvais temps, l'amiral 
donna Tordre de revenir au point de départ. Les 
bâtiments levèrent Tancre dans la nuit du 4 au 5, ils 
rentrèrent dans le port de la Joliette le 5 décembre 
à six heures du matin ^ Les troupes restèrent à bord 
provisoirement, l'amiral Tréhouart et le général 
Mollière, un peu confus d'un retour aussi prompt, 
attendaient des ordres de Paris. 

Le gouvernement n'avait plus sa belle assurance, 
ses instructions devenaient contradictoires. Dans la 
matinée du 9 décembre, un ordre du ministre de la 
guerre, parvenu par le télégraphe, prescrivait le 
débarquement de la brigade dont un second télé- 
gramme, provenant de la même source, ordonnait le 
rembarquement quelques heures après. Pendant trois 
jours, les troupes restent encore à bord. Le la dé- 
cembre, une nouvelle décision du ministre les fait 
mettre à terre, elles reprennent leurs casernements. 
En réalité, l'expédition n'avait pas été décidée et tout 
s'était borné à une timide démonstration militaire. 

Le changement de gouvernement, que tout indi- 
quait aux esprits clairvoyants et .qu'allait amener 
l'élection du 10 décembre, fut pendant quelque 
temps, en France, un dérivatif à la question romaine. 
Six millions de suffrages appelaient en effet à la 
présidence de la République le prince Louis-Napoléon 
Bonaparte : les voix conservatrices lui avaient fourni 
l'appoint le plus important, aussi le nouvel élu 
indiqua-t-il par le choix de ses ministres 'qu'il désirait 



* Précis historiaue et militaire de V Expédition d'Jtalie^ 
par un officier d'etat-major. Marseille, Garnaud, 1849* in-^", 

{>. 10. L'auteur de cet ouvrage est M. Lecauchois-Féraud, 
ieutenant d etat-major et Tun des aides de camp du général 
Mollière pendant la campagne. 

* I^s nouveaux ministres étaient MM. Odilon Barrot, 
(présidence du conseil et ministère de la justice), Drouyn de 



— 8 — 

faire oublier les blâmables équipées de sa jeunesse et 
ses regrettables relations avec les Carbonari^. 

A Rome la situation empirait de jour en jour. Des 
le II décembre, les deux Chambres romaines n'osant 
pas encore proclamer la république, nommaient une 
commission de régence, composée de trois membres 
chargés de 1 administration des Etats de l'Eglise * et à 
laquelle devaient obéir Mamiani et les autres minis- 
tres. La commission de régence et le ministère ne 
devaient exercer qu'une autorité éphémère. Six jours 
après le décret des Chambres, une formidable 
émeute les renversait. Sous la pression des insurg'és, 
le Parlement romain prononça lui-même sa disso- 
lution en convoquant une Assemblée constituante 
pour les premiers jours de février. 

La nouvelle Assemblée romaine, dans la séance 
du 9 février, prononça la déchéance du Pape comme 
souverain temporel et proclama la république démo- 

Lhuys (affaires étrangères) de Malle ville (intérieur), général 
Ruihière (guerre), de Tracy (marine), de Falloux (instruction 
publique et cultes), Bixio (agriculture et commerce), Passy 
(finances). 

* Le prince restait hésitant sur la Question romaine jusqu'au 
dernier moment. Le a décembre 1848, il avait écrit aux jour- 
naux le Constitutionnel et la Presse pour expliquer son 
abstention au sujet des crédits de Texpédition et il donnait 
cette singulière raison que « tout en étant décidé à appuyer 
toutes les mesures propres à garantir etiicacement la liberté 
et Tautorité du Souverain Pontife, il n*avaitpu approuver par 
son vote une démonstration militaire qui lui semblait dang-e- 
reuse même pour les intérêts sacrés qu*on voulait proléger, et 
de nature à compromettre l'Europe ». 

L'impression ne fut pas favorable dans les milieux conser- 
vateurs. Quelques jours avant l'élection à la présidence, le 
prince Louis-Napoléon saisit Toccasion de désavouer sou 
cousin le prince de Canine, alors à la tôte du mouvement 
révolutionnaire à Rome, en écrivant au nonce apostolique 
que son parent « n'avait pas compris que la souveraineté 
temporelle du Pape était intimement liée à l'éclat de la relî- 
Çion comme à la liberté et à l'indépendance de l'Italie ». 
N'était-ce pas déjà le svstèine de bascule que devait prati- 
quer trop souvent Napoléon 111? 

«Le prince Gorsini, sénateur de Rome, MM. Zurcbini, 
sénateur de Bologne et Gamerata, maire d'Ancône. 



— 9 — 

cratique ', sous le gouvernement d'un triumvirat. 
Les cabinets de Vienne, de Madrid et de Naples 
protestèrent et déclarèrent que pour eux le seul 
gouvernement régulier de Rome était le gouverne- 
ment pontîlîcal; le gouvernement Trançaîs ne lit point 
(le déclaration, il refusa d'entrer en relations avec les 
envoyés de la République romaine. 

A l'Assemblée constituante française, dans la 
séance du -lo février, le parti conservateur demanda 
que l'intervention armée de la France se produisit 
sans délai, le parti radical s'y opposa énergiquement. 
Ces débats d'une extrême violence devaient d'ailleurs 
se renouveler jusqu'à la lin de mai, c'est-à'dire 
jusqu'au moment où l'Assemblée constituante lit 
place à l'Assemblée législative: mais dès le milieu de 
mars il n'était plus douteux que le prince président 
cédait aux conseils de M. de Falloux et aux instances 
de plusieurs personnalités cminentes du parti catho- 
lique. L'intervention armée de la France ne serait 
plus longtemps dilTérée. 

Cependant, en présence de l'accroissement des 
forces révolutionnaires à Rome, il était évident que la 
brigade de Marseille ne sulTisait plus, même pour 
une démonstration militaire. 

Le i^ mars i84(), le général Carrelet recevait l'ordre 
d'organiser aussi rapidement <jue possible deux autres 
brigades actives avec les éléments mis à sa disposi- 
tion par le ministre de la guerre. Une seconde brigade 
était composée des 36* et 66" de ligne, d'une batterie 
d'artillerie et d'une compagnie du génie; le comman- 
dement en fut aussitôt confié au général LevaillanI 
(Charles), qui s'était distingué en Algérie commi' 
lieutenant-colonel du 17" léger, l'ancien régimcul 
du duc d'Aumale. Le i'''^ bataillon de chasseurs 



— lO — 

venait renforcer la brigade MoUière, devenue la 
i*« brigade; enfin ane troisième brigade, commandée 
par le général Chadeysson, connu par son entrain 
militaire, se formait avec le 22* légeù, le 68* de ligne 
et une batterie d'artillerie ^ La division se trouvait 
constituée. 

Ce fut seulement le i5 avril qu'un décret du prési- 
dent de la République nomma au commandement de 
ces troupes, dès lors désignées sous le nom de corps 
expéditionnaire de la Méditerranée, le général de 
division Oudinot, duc de Reggio, membre de T Assem- 
blée constituante. 

Dès le début de la séance du lundi 16 avril, l'Assem- 
blée nationale fut saisie d'un projet de loi présenté 
par le gouvernement et relatif aux crédits à accorder 
au corps expéditionnaire de la Méditerranée. Odilon 
Barrot, président du conseil, déclarait à la tribune 
qu'il attendait de l'Assemblée un vote immédiat. 
« L'obligation de protéger nos nationaux, le devoir 
de maintenir notre légitime inlluence, le désir de 
contribuer à faire obtenir aux populations romai- 
nes un bon gouvernement fondé sur des institutions 
libérales, tout nécessitait l'intervention de la France 
dans les Etats romains ^ » En conséquence, le gouver- 
nement demandait l'ouverture au ministère de la 
guerre d'un crédit extraordinaire de 1.200.000 francs 
pour subvenir au surcroît de dépenses qu'exigerait 
l'entretien sur le pied de guerre, pendant trois mois, 
du corps expéditionnaire. 

Une discussion des plus violentes s'engagea. Jules 
Favre, qui appartenait cependant à l'opinion radicale , 
obéit à un sentiment d'amour-propre national et 
défendit le projet du gouvernement. « ... La marche 

* Il n*v avait pas de compagnie da génie attachée à la 
3* briffade. 
' Moniteur du 17 avril 1849. 



— II — 

des armées autrichiennes sur la Toscane et la 
Romagne pouvait amener à Rome de cruelles réac- 
tions, il importait à la France, sous peine d'abdiquer, 
de faire flotter son drapeau en Italie pour qu'à son 
ombre l'humanité fût respectée et la liberté au moins 
partiellement sauvée*. » Le futur ministre du Quatre- 
Septembre concluait donc à ce que les crédits fussent 
accordés au gouvernement, mais en lui donnant 
comme mission de s'opposer aux prétentions de 
l'Autriche. L'occupation d'un point quelconque du 
territoire italien par nos troupes ne devait pas avoir 
d'autre signification. 

Emmanuel Arago, qui appartenait au même groupe 
politique que Jules Favre, combattit vivement ces 
conclusions. D'après cet orateur, la volonté popu- 
laire devait être toujours respectée ; or elle s'était 
manifestée à Rome de la façon la plus évidente, la 
France n'avait pas le droit d'intervenir. 

Une partie de la Chambre ayant bruyamment 
approuvé cette théorie, Odilon Barrot, désireux 
d'obtenir le vote qu'il sollicitait, déclara formelle- 
ment que la France ne mettrait ses forces au service 
d'aacane forme de gouçernement, quelle se borne- 
rait à sauvegarder les intérêts de ses nationaux et 
sa légitime influence. En réalité, le gouvernement du 
prince Louis-Napoléon voulait s'acquérir l'appui du 
parti catholique et il était résolu à préparer le réta- 
blissement de Pie IX. Odilon Barrot n'osa pas l'avouer 
et prit ainsi, par excès de prudence ou plutôt par un 
fâcheux procédé de diplomatie parlementaire, un 
engagement qui devait lui être durement reproché. 
Ledru-RoUin n'en fut pas dupe: aux applaudisse- 
ments du parti montagnard, il accusa ouvertement de 
duplicité le président du conseil et demanda à 

* Moniteur da 17 avril 1849. 



12 

TAssemblée de ne pas consacrer la violation de la 
(^iOnstitulion. Ses objurgations ne furent pas écoutées: 
la majorité de T Assemblée devinait les intentions du 
gouvernement et les encourageait, mais sans oser 
jeter ouvertement le gant à la révolution romaine. 
En agissant ainsi, on prolongeait Téquivoque... Le 
général de Lamoricière, le héros des guerres d'Algé- 
rie, qui devait un jour défendre la Papauté mena- 
cée, aux jours malheureux de Castelûdardo et 
d'Aucône, vint à son tour appuyer la demande des 
crédits, sous le prétexte assez singulier que le gouver- 
nement français, en faisant occuper par ses troupes 
Givita-Vecchia et môme Rome s'il le fallait, sauve- 
rait sinon la République romaine, au moins la liberté, 
« c'est-à-dire, ajoutait-il, ce qu'il en resterait ». Le ra- 
dical Schœlcher demanda nettement ce que feraient 
les troupes françaises si la population s'obstinait à 
refuser la restauration du Pape. 

La question était franche et bien posée, la réponse 
était aisée, et si le gouvernement avait eu le courage 
de la formuler, la majorité de l'Assemblée l'aurait 
appuyé. Le ministère n'eut pas celte audace el 
l'Assemblée afiirma sa discrétion en lui donnant des 
crédits dont l'emploi n'était pas en réalité déter- 
miné *. 

Certes tout motivait l'intervention de la France 
catholique. La situation devenait de plus en plus 
grave à Rome. L'Assemblée romaine avait appelé au 
pouvoir les trois révolutionnaires Armellini, Mazzini 
et Saffi. Ce triumvirat, car c'est le titre qu'il 
adopta, avait adressé, dès le 6 avril, un manifeste 
à la population oii les allusions les plus transparen- 
tes étaient dirigées contre le Parlement français. Les 
triumvirs promettaient un peu légèrement de sauve- 

* L'Assemblée vola les crédits par 3gS voix contre 28*3. 
{Moniteur du 17 avril 1849, séance du 16 avril.) 



— i3 — 

garder la République quoi qu'il arrivât, s'engageant à 
braver tous les périls et se déclarant décidés, s'il le 
fallait, à soutenir intrépidement la guerre pour Tindé- 
pendance romaine ^ 

En attendant, Armellini, Mazzini et Saffi prenaient 
contre les particuliers les mesures les plus vexatoires, 
frappant un jour d'une forte amende tous les cha- 
noines du chapitre du Vatican qui s'étaient refusés à 
célébrer, le jour de Pâques, un service ordonné par 
le gouvernement*, décrétant, quelques jours après, un 
emprunt forcé et augmentant de 25 p. loo la taxe 
personnelle des récalcitrants, faisant arrêter et jeter 
en prison, sur de vagues dénonciations, un respectable 
prélat, Mgr Gîacomo Gallo, ainsi que d'honorables 
citoyens du Transtevere et du quartier Monti. Enfin, 
dans sa séance du i4 avril, la Constituante romaine, 
présidée par Saletti, décrétait l'armement général du 
pays. Les triumvirs s'efforçaient par tous les moyens 
d'exciter l'enthousiasme, Mazzini affirmait oc que deux 
millions d'hommes libres avaient assez de force pour 
résister à la réaction et aux ennemis étrangers » et 
Sterbini' s'écriait : « Jurons de nous ensevelir sous 
les ruines de la patrie plutôt que d'abandonner le 
principe républicain que nous avons proclamé. » 

Lorsque M. de Gorcelles transmit à M. Drouyn de 
Lhuys ces nouvelles attristantes, le gouvernement 

* La proclamation se terminait ainsi : « Le pays ne peut ni 
ne doit reculer. Il ne doit ni ne veut tomber aans Fanarchie. 
Que les gens de bien nous secondent. Dieu a voulu que 
Home se relevât et que Fitalie redevînt une nation. Dieu nous 
aidera. »(V. l'extrait de la Gazette de Cologne, dans le Moni- 
teur du i8 avril 1849.) 

* L'arrêté était ainsi motivé : « Considérant qu'un tel refus, 
non moins oiTensant pour la dignité de la religion que pour la 
majesté de la République, a excité du scandale et de la 
colère; considérant qu'il est du devoir du gouvernement de 
veiller à ce que la religion soit respectée et de punir les 
oITenses contre la République, etc.» {Contemporeano, numéro 
du ai avril 1849.) 

' Député intluent à la Constituante romaine. 



-i4- 

français avait estimé que le vote de FAssemblée, 
quelque équivoque qu*il semblât, par remploi des 
crédits, autorisait enfin l'intervention militaire. En 
conséquence le ministre de la guerre avait envoyé 
d'urgence aux officiers généraux et supérieurs inté- 
ressés leurs lettres de service, qui avaient été signées 
la veille môme de la demande des crédits et leur 
avait ordonné de rejoindre leurs postes. 

L'officier général auquel était confié l'important 
commandement du corps expéditionnaire et qui 
partait dans la nuit du i6 au 17 avril pour en prendre 
immédiatement possession, était le fils aîné du maré- 
chal de l'Empire, le glorieux soldat de Frîedland, 
d'Essling, de Wagram, de la Bérésina et de la cam- 
pagne de France. Quatre fils portèrent noblement ce 
grand nom militaire. L'aîné, le général Victor Oudi- 
not, avait fait les dernières guerres de l'Empire dans 
l'état-major de Masséna et dans la cavalerie de la 
garde impériale. Napoléon à Fontainebleau le nom- 
mait colonel et la Restauration, le confirmant dans 
son grade, lui confiait le régiment des hussards du 
Roi. Son abstention pendant les Cent Jours lui valait, 
au retour de Louis XVIII, le commandement des 
hussards du Nord et bientôt après celui du i^^ grena- 
diers à cheval de la garde royale. Il s'était fait 
apprécier de tous par l'honorabilité de son caractère, 
par sa fermeté, par son esprit d'équité et de bienveil- 
lance. La même réputation lui était acquise, comme 
maréchal de camp, dès 1824, dans le commande- 
ment d'une brigade de cavalerie au camp de Luné- 
ville, puis dans la direction de l'école de cavalerie à 
Saumur. 

Après la révolution de Juillet, le général resta 
quelque temps en disponibilité. Il en sortit sur sa 
demande, en i835, au lendemain de la mort de l'uu 
de ses frères tué glorieusement comme colonel du 



lO 



2« chasseurs d'Afrique au combat de Muley-Ismaïl, 
dans la province d'Oran ^ Ce fut précisément dans 
cette province que Victor Oudinot, le marquis 
Oudinot, comme on l'appelait alors, vint expédî- 
tionner à la tête d'une brigade de la grande colonne 
de Mascara. Un mois après son arrivée, blessé 
grièvement d'un coup de feu, il dut rentrer en 
France, où l'attendait sa nomination de lieutenant 
général. 

En 1847» le maréchal mourait* laissant à son fils 
aîné le titre de duc de Reggio. 

Depuis 184a. le général Oudinot siégeait à la 
Chambre des députés, dans le groupe de Topposition. 
Le gouvernement de Louis-Philippe lui en tenait 
rigueur sans doute puisqu'il s'obstinait à ne pas lui 
confier de commandement actif. Pendant treize ans, 
de i835à 1848^ le général fut éloigné des troupes, à sa 
vive contrariété. Le commandement de l'armée des 
Alpes lui avait été confié en 1848, puis lui avait été 
brusquement retiré pour être donné au maréchal 
Bugeaud. Aussi quand un décret du prince Louis- 
Napoléon l'appela au commandement du corps 
expéditionnaire de la Méditerranée, certains journaux 
malveillants firent-ils observer que les relations du 
général avec les ministres du président, et notamment 
avec M. de Falloux, avaient dû dicter la désignation 
qu'il acceptait, disaientrils, avec un peu de témérité. 
Comment un officier de cavalerie, qui n'avait com- 
mandé que pendant quelques mois des régiments 
d'infanterie, pourrait-il exercer judicieusement de- 
vant l'ennemi le commandement de troupes des trois 

* Voir sur la mort du colonel Auguste Oudinot les Souvenirs 
da général du Barail (tome I) et rarticlc de M. Georges 
Berlin, dans la Setbretache, numéro de février 1902. 

^ Le maréchal avait été nommé gouverneur des Invalides, 
après avoir résigné les fonctions de grand chancelier de la 
i^§gion d'honneur. 



— i6 — 

armes et prendre la direction effective d'opérations 
de siège? 

Le général Oudinot devait faire mentir ces pronos- 
tics pessimistes et se révéler un général en chef pru- 
dent, tenace et vigilant, plein de sollicitude pour les 
intérêts de son armée. Sa modestie naturelle le por- 
tait toujours à écouter les avis de ses subordonnés, 
son esprit de justice rengageait à reconnaître haute- 
ment les résultats qu'il devait à ses collaborateurs. 

Le général de division Regnaud de Saint-Jean 
d'Angély était adjoint au général en chef, avec le titre 
de commandant des troupes; en réalité, c'était le 
commandant en second et un successeur éventuel, 
s'il arrivait malheur au général Oudinot. Le général 
Regnaud d*Angély, ainsi appelé par abréviation, 
appartenait aussi à l'ancien état-major impérial. 
Nommé chef d'escadrons sur le champ de bataille de 
Waterloo, il avait été rayé des contrôles de l'armée 
jusqu'à la révolution de Juillet, qui le reconnut dans 
son grade et lui permit ainsi de continuer la carrière 
militaire. 

Le 24 février 1848, le général commandait une 
brigade de dragons, avec laquelle il fit bonne conte- 
nance devant Tcmeute et escorta le roi Louis-Philippe 
jusqu'au palais de Saint-Cloud^ Divisionnaire depuis 
le 10 juillet de la même année, Regnaud d'Angély 
avait la réputation d'un brave et loyal soldat, man- 
quant un pen d'initiative, mais inflexible sur les 
questions de discipline. De plus il avait fait la guerre 
en Morée, comme volontaire, et connaissait parfaite- 
ment les inconvénients et les dangers des pays chauds 
pour de jeunes troupes. Le lieutenant-colonel de Vau- 

» Dans son inléressant ouvrage, la Chute des monarchies en 
France au dix-neuvième siècle {Paris, Dentu i89i),le baron du 
Casse met en parallèle pendant la journée du a4 juillet Tatti* 
tude si énergique du général Regnaud d'Angély et les 
fâcheuses hésitations du général Bedeau. 



— 17 — 

drimey-Davout, du corps d'état-major, officier cons- 
ciencieux et appliqué • mais d'une santé un peu déli- 
cate, allait exercer les fonctions de chef d'état-major 
général du corps expéditionnaire ; il avait sous ses 
ordres le chef d'escadron de Montesquiou-Fezensac, 
les capitaines Poulie, Caslelnau* etOsmont'. 

L'état-major particulier du général en chef compre- 
nait un aide de camp, le chef d'escadron Espivent 
de la Villeboisnet, destiné à la plus belle carrière 
militaire^ et deux officiers d'ordonnance, le capitaine 
d'artillerie Fabar et le capitaine d'infanterie Charles 
Oudinot, le troisième (ils du maréchal. Le lieutenant- 
colonel d'artillerie Larchey et le lieutenant-colonel 
du génie Leblanc devaient l'un et l'autre exercer le 
commandement de leur arme : la direction des ser- 
vices administratifs était confiée au sous-intendant 
Dutheil . Enfin un secrétaire d'ambassade était atta- 
ché au général Oudinot, M. de La Tour d'Auvergne". 
La mission du général étant à la fois diplomatique et 
militaire, il reçut de M. Drouyn de Lhuys, le nouveau 
ministre des affaires étrangères, des instructions 
écrites détaillées. En voici le texte in extenso, tel que 
le ministre dut le révéler plus tard à la Chambre 
dans la séance du 7 mai *. 

« Général, je vous ai fait connaître l'objet de l'expé- 
dition dont le gouvernement de la République vous 
a confié le commandement. Vous savez qu'une réac- 

* Devint général de brigade, et une ibis admis au cadre 
de réserve, exerça les fonctions de secrétaire général de la 
Légion d'honneur. 

* Le général Castelnau devînt aide de camp de l'Empe- 
reur et directeur généra] du personnel. 

^ Le général Osmont termma sa carrière comme comman- 
dant de corps d'armée et grand-croix de la Légion d'honneur. 

* Devint également commandant de corps d'armée et 
grand-croix de la Légion d'honneur. 

^ Le futur ambassadeur et ministre des affaires étrangères. 

* Moniteur du 8 mai. Compte rendu de la Chambre des 
représentants. 



— i8 — 

tîon intérieure et une intervention étrangère mena- 
cent le gouvernement actuel de Rome, que nous 
n'avons jamais reconnu. A l'approche de cette crise 
désormais inévitable, le devoir nous prescrit de 
prendre les mesures nécessaires tant pour maintenir 
notre part d'influence dans les affaires delà péninsule 
italienne que pour ménager dans les États romains le 
rétablissement d'un ordre de choses régulier sur des 
bases conformes aux intérêts et aux droits légitimes 
des populations. 

« Bien que vous n'ayez pas à intervenir dans les 
négociations détinitives qui assureront ce résultat, 
vous êtes autorisé à recevoir des autorités établies 
toutes les propositions et à conclure avec elles tous les 
arrangements qui vous paraîtront propres à le pré- 
parer, en évitant seulement dans la forme de cet 
arrangement tout ce qu'on pourrait interpréter 
comme la reconnaissance du pouvoir d'où émanent 
ces autorités. 

« Vous trouverez ci-joint le projet de la lettre que 
vous devez écrire en arrivant au gouverneur ou au 
magistrat supérieur de Civita-Vecchia pour demander 
votre admission dans cette ville. L'entrée ne vous eu 
sera sans doute pas refusée, toutes les informations 
qui nous parviennent donnent lieu de penser que, bien 
loin de là, vous serez reçu avec empressement par 
les uns comme un libérateur, par les autres comme 
un médiateur contre les dangers d'une réaction... 

« Si cependant, contre toute vraisemblance, on 
prétendait vous interdire l'entrée de Civita-Vecchia, 
vous ne devriez pas vous arrêter à la résistance qu'on 
vous opposerait au nom d'un gouvernement que per- 
sonne en Europe n'a reconnu et qui ne se maintient 
à Rome que contre le vœu de Timmense majorité des 
populations... 

c< Une fois sur le territoire des Etats de l'Eglise, 



— 19 — 

vous vous empresseriez de vous mettre en relations 
avec M. d'Harcourt et M. de Reyneval, chargés par 
le gouvernement de la République de traiter à Gaète 
les intérêts de la mission qui vous est confiée. Vous 
pourrez dès lors concerter avec eux, et, d'après les 
informations qu'ils seront en mesure de vous trans- 
mettre, les dispositions que vous aurez à prendre. 
Vous enverrez à Rome un de vos officiers avec Tordre 
de déclarer aux chefs du gouvernement la nature de 
la mission qui vous est confiée, de leur faire entendre 
bien nettement que vous n'êtes nullement autorisé à 
soutenir Tordre de choses dont ils sont les représen- 
tants, et de les presser de prêter les mains à des 
arrangements qui puissent préserver le pays de la 
crise terrible dont il est menacé. 

« Votre marche sur Rome à la tête de vos troupes 
faciliterait sans doute un pareil dénouement en don- 
nant courage aux honnêtes gens. Vous jugerez si les 
circonstances sont telles que vous puissiez vous y 
rendre avec la certitude non seulement de n'y pas 
rencontrer de résistance sérieuse, mais d'y être assez 
bien accueilli pour qu'il soit évident qu'en y entrant 
vous répondrez à un appel de la population. 

a Partout où vous vous trouverez jusqu'au moment 
où un gouvernement régulier aura remplacé celui 
qui pèse actuellement sur les États de l'Église, vous 
pourrez, selon que vous le jugerez nécessaire ou con- 
venable, soit maintenir les autorités civiles, en tant 
qu'elles consentirontà serestreindre à une action muni- 
cipale et de police, et qu'elles ne vous susciteront 
aucnn péril ni embarras réels, soit favoriser le rétabli s- 
sement de celles qui étaient en fonctions, soit même 
en établir de nouvelles, en évitant, autant que possi- 
ble, d'intervenir directement dans ces changements 
et en vous bornant à provoquer, à encourager l'expres- 
sion des vœux de la partie honnête de la population. 




— 20 — 

« Vous pourrez vous servir, quand vous le jugerez 
à propos pour les communications avec ces autorités, 
de l'intermédiaire du consul de France à Givita-Vec- 
chia, que je mets à votre disposition. 

c( Telles sont, général, les seules instructions ([ue 
je puis vous donner dans ce moment. Votre bon 
jugement y suppléera suivant les circonstances et je 
ne manquerai pas, d'ailleurs, de vous faire parvenir 
successivement les directions nouvelles qu'elles pour* 
ront exiger. 

c( Je joins à cette dépêche le texte d'une proclama- 
tion que vous voudrez bien publier aussitôt après 
votre débarquement. 

c( Le Ministre des Affaires étrangères^ 
a Drouyn de Lhuts. » 

Par un décret présidentiel, également daté du 
i5 avril et communiqué le ij avril ' ; le contre-amiral 
Tréhouart, déjà commandant de la division navale 
de la Méditerranée, était appelé au commandement 
de la divmon navale expéditionnaire réunie à Ton* 
Ion, Dans la pratique, on conserva à la division 
navale le nom d'escadrille. 

Le ministre de la marine prescrivait par le télé- 
graphe à l'amiral de commencer l'embarquement des 
approvisionnements et de préparer celui du matériel. 

Le contre-amiral Tréhouart, destiné à recevoir le 
bâton des- amiraux de France, exécuta avec infini- 
ment de compétence et d^activité les instructions 
du ministre. 

Dans la rade de Marseille l'escadrille comprenait 
les vaisseaux à vapeur le Christophe-Colomb, VOré^ 

* Aucune des nominations relatives au haut commande- 
ment du corps expéditionnaire et de l'escadre ne fut insérée au 
Moniteur, Le gouvernement cherchait à dissimuler à l'opinion 
publique l'importance et le véritable caractère de l'expédi- 
tion. 



21 

noqne, VAlbatros, la frégate à voiles le Labrador, les 
corvettes à voiles le Narval et V Infernal. La frégate 
à voiles VIphigénie, le vaisseau à vapeur le Sanéy 
deux bricks et deux gabarres mouillaient dans la 
rade de Toulon. Pendant la nuit du 19 au 20, le géné- 
ral Oudinot arrivait à Marseille. 



CHAPITRE II 



DERNIERS PREPARATIFS. — EMBARQUEMENT 

ET DEBARQUEMENT. 



Le duc de Reggio reçut, dans la matinée da 
ao avril, la visite de toutes les autorités et les dépura- 
tions d'officiers de la garnison. Il se mettait en rela- 
tions avec le contre-amiral Tréhouart qui lui pro- 
mettait le concours le plus dévoué. 

Le soir, à Tappel, l'ordre du jour suivant était lu 
dans tous les régiments et détachements : 

<x Soldats, 

« Le Président de la République vient de me con- 
fier le commandement en chef du corps expédition- 
naire de la Méditerranée. 

« Cet honneur m'impose de grands devoirs, votre 
patriotisme m'aidera à les remplir. 

« Le gouvernement, résolu à maintenir partout 
notre ancienne et légitime influence, n'a pas voulu 
que les destinées du peuple italien puissent être à la 
merci d'une puissance étrangère ou d'un parti en 
minorité. Il nous confie le drapeau de la France pour 
le planter sur le territoire romain, comme un écla- 
tant témoignage de nos sympathies. 



— Ï23 — 

fit Soldats de terre ou de mer, enfants de la même 
famille, vous mettrez en commun votre dévouement 
et vos efforts : cette confraternité vous fera sup- 
porter avec joie les dangers, les privations et les 
fatigues. 

a Sur le sol où vous allez descendre vous rencon- 
trerez à cliaque pas des monuments et des souvenirs 
qui stimuleront puissamment vos instincts de gloire. 
L'iionneur militaire commande la discipline autant 
que la bravoure ; ne l'oubliez jamais. Vos pères ont 
eu le rare privilège de faire chérir le nom français 
partout où ils ont combattu. Comme eux, vous res- 
pecterez les propriétés des populations amies : dans 
sa sollicitude pour elles, le gouvernement a prescrit 
que toutes les dépenses de l'armée leur fussent immé- 
diatement payées en argent. Vous prendrez, en toute 
occasion, pour règle de conduite ces principes de 
haute moralité. 

« Par vos armes, par vos exemples, vous ferez 
respecter la dignité des peuples ; elle ne souffre pas 
moins de la licence que du despotisme. 

« L'Italie vous devra ainsi ce que la France a su 
conquérir pour elle-même : l'ordre dans la liberté. 

« Le Général en chef, 

« OUDINOT DE ReGGIO. 

« Marseille, le ao avril 1849. » 

La composition du corps expéditionnaire était éga- 
lement mise à l'ordre et communiquée aux troupes. 



État-major général 

Général de division Oudinot de Reggio, comman- 
dant en chef. 



-24- 

Chef d*escadron Espivent de la Villeboisnet, aide 

de camp. 
Capitaine d'artillerie Fabar, officier d'ordonnance. 
Capitaine d'infanterie Oudinot (Charles), officier d'o^ 

donnance. 
Lieutenant -colonel de Vaudrimey - Davout, chef 

d'étal*major général. 
Chef d'escadron de Montesquiou-Fezensac, sous-chef 

d'état-major général. 
Capitaine Poulle, attaché à l'état-major général. 
Capitaine Castelnau, — 

Capitaine Osmont, — 



État-major de l'artillerie 

Lieutenant-colonel Larchey, commandant l'artillepie. 
Chef d'escadron Bourdeau, chef d'état-major de 

l'artillerie. 
Capitaine Luxer, adjoint au chef d'état-major. 



État-major du génie 

Lieutenant-colonel Leblanc, commandant le génie. 
Chef de bataillon Goury, chef d*état-major du génie. 
Capitaine Boissonnet, adjoint au chef d'état-major 
Capitaine Ragon, — 



Services administratifs , 

Sous-intendant militaire de v^ classe Dutheil, inten- 
dant du corps expéditionnaire. 
Adjoint de ir« classe Charlot, adjoint à l'intendant. 



20 



Prévôté 

Lieutenant de gendarmerie Goy, prévôt du corps 
expéditionnaire. 

TROUPES 

Général de division Regnaud deSaint-Jean-d*Angély, 

commandant les troupes. 
Capitaine d'état-major Durand de Villers, aide de 

camp. 



Ire Brigade 
Général de brigade Mollière 

i^'' bataillon de chasseurs à pied : chef de bataillon 
de Marolles. 

ao^ régiment d*infanterie de ligne (2 bataillons) : 
colonel Marulaz. 

33« régiment d'infanterie de ligne (a bataillons) : 
colonel BouAT. 

]3^ batterie du 3' d*artillerie : capitaine Serrand. 

3* compagnie du i*' bataillon du a^ génie : capitaine Puig- 

GARI. 

2^ Brigade 
Général de brigade Levaillant (Charles). 

36* régiment d'infanterie de ligne (a bataillons) : 
colonel Blanchard. 

66« régiment d'infanterie de ligne (a bataillons) : 
colonel Chenaux. 

xa* batterie du 3' d'artillerie : capitaine Pinel. 
4* compagnie du 2* bataillon du a^ génie : capitaine Dar- 
ceau. 



— 26 — 



3« Brigade 
Général de brigade Ghadetsson 

22® régiment d*infanterie léig:ère(2 bataillons) : colo- 
nel Pesson. 

68» régiment d'infanterie de ligne (a bataillons) : 
colonel de Leyritz. 

6* batterie du 7« d'artillerie : capitaine Ganu. 



Cavalerie 

Un demi-escadron du i«r régiment de chasseurs^ : 
capitaine Roques. 

Gendarmerie 
25 gendarmes dont 12 à cheval. 



Administration 

5o hommes du train des équipages. 
5o ouvriers d'administration. 
20 infirmiers. 

Le général en chef ordonne aussitôt l'embarque- 
ment du matériel et l'embarquement des troupes. 
Cette dernière opération devait avoir lieu simultané- 
ment à Marseille et à Toulon. 

Dans la soirée du 21 avril, la première brigade était 

' Aucune troupe de cavalerie n'ayant été désignée par le 
ministère de la guerre, ce qui semble assez singulier, le géné- 
ral Oudinot préleva de sa propre initiative deux pelotons 
(5o chevaux) sur le i*"" chasseurs à MdirseïWe.ÇV , Précis histo- 
rique de Vexpédition française, par un officier d'état-major.) 



— VJ — 

e mbarquée tout entière ; ces troupes occupaient la 
plus grande partie des bâtiments, on ne put embar- 
quer pour la deuxième brigade que six compagnies du 
36« de ligne et quatre compagnies du66« '. Pendant la 
nuit, le vent souffle du sud avec violence et semble 
s'opposer à la sortie de l'escadrille, la mer est très 
agitée. L'amiral Tréhouart n'en donne pas moins 
l'ordre d'appareiller à ses bâtiments. Les frégates le 
Panama^ Vlnfernal et le Véloce, qui depuis plu- 
sieurs jours mouillent dans le port supplémentaire de 
la Joliette, sont les premières à la mer. Le premier 
de ces bâtiments embarque à son bord le général 
Levaillant (Charles) et un demi-bataillon du 3&» de 
ligne. Au milieu de l'escadre s'avance le Labrador, 
qui porte le pavillon du contre-amiral Tréhouart. 
Le général Oudinot et Tétat-major général du corps 
expéditionnaire sont à bord du bâtiment amiral. 
Yé Albatros et la frégate à voiles la Provençale 
remorquée par le Ténare ferment la marche. 

A midi, les sept bâtiments marchent à grande allure 
dans la direction du sud-est, sous un fort vent de 
nord-ouest et passent en vue de Toulon. 

A deux heures du soir, le Sané et Vlphigénie, par- 
tis dece dernier port, rejoignent l'escadrille et y pren- 
nent rang. Il y a en tout dix-sept navires. Le vent 
augmente, la mer devient houleuse, l'amiral Tréhouart 
fait arrêter ses bâtiments à la hauteur des îles 
d'Hyères. Le vent du nord-ouest, qui n'a pas cessé 

* « On avait répandu le bruit que les trouves qui formaient 
Texpédition dirigée sur Givita- Vecchia s'étaient embarquées 
aux cris de Vive la République romaine! Le préfet des Bou- 
ches-du-Rhône, consulté par le ministre de Tintérieur sur 
Texactitude de ces rumeurs malveillantes, répondit par la 
dépêche télégraphique qui suit, datée de Marseille le aa avril, 
10 neures du matin : 

« Le bruit dont il s*agit dans votre dépêche télégraphique 
« d'hier matin est dénué de fondement ; I embarquement a eu 
« lieu dans le plus grand ordre et sans cris. L'expédition sort 
c du port à rinstant. » {Moniteur du 33 avril 1849.) 



_ 28 — 

pendantplusieurs jours, mollit enfin, la mer est moins 
forte. A quatre heures du soir, le bateau amiral le 
Labrador donne le signal de l'appareillage ; les bâti- 
ments prennent leurs postes sur deux colonnes paral- 
lèles et font route dans la direction du cap Corse ', 

Le 23 à deux heures du matin, la division double 
le cap Corse, qui forme Texrôme pointe de File de ce 
nom, et, faisant route au sud, longe la côte de Tile; à 
trois heures et demie, elle est en vue de File d'Elbe. 
A quatre heures, Tamiral signale au Panama Tordre 
de quitter sa position et de s'approcher '. Le com- 
mandant Belvèze se rend à bord du bateau amiral. 
Au bout d'un quart d'heure il retourne à son bord 
ramenant avec lui le commandant Espivent de la Ville- 
boisnet, aide de camp du général Oudinot, le capi- 
taine Durand de Villers, aide de camp du général 
Regnaud d'Angély et M. de La Tour d'Auvei^ne, 
détaché du ministère des affaires étrangères en qualité 
de secrétaire du général en chef. Les deux officiers 
et le jeune diplomate étaient chargés de faire con- 
naître aux autorités de Civita-Vecchia les intentions 
du gouvernement français. 

Les instructions qu'ils emportaient avaient été lon- 
guement discutées dans un conseil de guerre tenu à 
bord du Labrador, dès qu'on avait perdu de vue les 
côtes de France. Les généraux Oudinot, Regnaud 
d'Angély et Mollière, les lieutenants-colonels de Vau- 
drimey-Davout, Larchey et Leblanc, le sous-inten- 
dant Dutheil, pour l'armée de terre, le contre-amiral 
Tréhouart, son chef d'état-major et son capitaine de 
pavillon y assistaient. Que ferait-on si les autorités 
de Civita-Vecchia repoussaient les propositions, si la 
population paraissait devoir s'opposer violemment à 

' Rapport (lu conlrc-amiral Tréhouart, commandant la divi- 
sion navale. (Moniteur du 3 mai i84q.) 
2 Ibid. 



— 29 — 

toute tentative de débarquement? L'occupation de 
vive force s'imposait, mais Tamiral déclara se refu- 
ser énergiquement à ce que la division navale s'enga- 
geât dans le port de Civita. c< On pouvait avoir à 
regretter la mort de beaucoup de braves gens et un 
seul boulet malheureux qui aurait pénétré dans la 
machine du bâtiment à vapeur, en arrêtant ce navire 
et en l'empêchant de manœuvrer, pouvait faire 
éprouver un échec à nos armes *. » 

Il fut alors décidé par l'amiral que quelle que fût la 
réponse des autorités de Civita-Vecchia, le Panama, 
se séparant des corvettes, le Ténare, le Véloce et le 
Narval, désignées pour l'accompagner, rejoindrait 
l'escadrille à i5 milles dans le sud de l'île de Gîglio et 
à 35 milles environ de la côte d'Italie. 

Si la réponse de Civita-Vecchia était défavorable, 
la division navale française se porterait vers la petite 
baie de Santa-Marinella, à l'est du cap Linaro et à 
7 ou 8 kilomètres de Civita-Vecchia. Les abords de 
cette baie étaient faciles, la seule défense consistait 
dans une tour sans artillerie, occupée par quelques 
soldats. Le débarquement était donc indiqué sur ce 
point; les forces navales françaises devaient ensuite 
se diriger sur la baie de Civita et faire coïncider leur 
attaque avec celle des troupes de terre. 

Toutefois l'amiral entendait ne débarquer un corps 
de troupe qu'en lui donnant en même temps des 
ressources suffisantes en munitions et en approvision- 
nements *. 

• L. DE Gaii^lard, L'Expédition de Rome, pièce justi- 
Ûcative n° 5, p. 170. 

* Le débarquement devait comprendre trois périodes : la 
mise à terre de la première brigade avec une demi-batterie 
d*artiUerie et huit jours de vivres, celle de la deuxième 
brigade oa du moins des neuf compactes d'infanterie qui la 
représentaient, avec une demi-batterie et aussi huit jours de 
▼ivres et enfin le débarquement des chevaux et du reste du 
matériel. (L db Gaillard, pièce justificative n^ 5.) 



— 3o — 

• 

Dès que les trois délégués du général en chef 
furent montés à bord du Panama^ le bâtiment aug- 
mentant ses feux et marchant à toute vapeur, avait 
promptement dépassé la division qui ralentissait sa 
marche. Il arrivait le mardi 24 avril à neuf heures du 
matin devant Givita-Vecchia *. 

Il était en effet de toute importance d'occuper cette 
ville pour en faire une base d'opérations et un point 
de ravitaillement. Son port, qui date deTrajan et dans 
lequel de nombreux bateaux peuvent s'abriter en 
toute sécurité, le môle garni de batteries, ses casernes, 
ses hôpitaux, ses arsenaux offraient au point de vue 
militaire d'importantes ressources. Depuis la veille, 
le bruit de l'intervention française s'était répandu, 
comme un coup de foudre : jusqu'alors les habitants 
croyaient à l'intervention du gouvernement napoli- 
tain '. On parlait aussi de l'arrivée d'une escadre 
espagnole dans les eaux romaines. Aussi la surprise 
fut-elle extrême quand on signala un bâtiment por- 
tant pavillon français. Des groupes nombreux se 
formèrent sur les quais. 

La causede la révolutioncomptaitpeud' adeptes dans 
cette population de marchands et de pécheurs, ils s'ab- 
stinrent de toute démonstration hostile, même de loin. 

Quand le canot du Panama accosta le môle où 
s'était rendu en toute hâte le consul de France qu'on 
venait de prévenir, la population salua l'arrivée des 
envoyés du général Oudinot des cris de : « Vive la 
France! vivent les Française » 

* Rapport du commandant de la division navale. {Moniteur^ 
n^ du jeudi 3 mai.) 

* D'aprt^'s VOpinione de Naples, n" du 21 avril, le roi des 
Deux-Siciles, d accord avec la majorité de ses ministres, avait 
décidé que le 23 avril, uno division napolitaine de 6.000 hom- 
mes franchirait la frontière romaine entre Fondi et Ter- 
racine. * 

* Rapport de la division navale. {Moniteur, n» du jeudi 
3 mai.) 



k 



— 3i — 

Sur la demande des nouveaux arrivants, le consul 
français les conduisit sans retard à Thôlel de ville; le 
gouverneur ou plus exactement le commissaire civil 
du gouvernement, un avocat nommé Manucci, atten- 
dait les officiers français. Le commandant Ëspivent 
de la Yilleboisnet lui remit une lettre autographe 
du général commandant le corps expéditionnaire, 
ainsi conçue : 

« Monsieur le Gouverneur, 

« Le gouvernement de la République française, 
désirant, dans sa sincère bienveillance pour les popu* 
lations romaines, mettre un terme à la situation dans 
laquelle elles gémissent depuis plusieurs mois et 
faciliter l'établissement d*un ordre de choses égale- 
ment éloigné de Tanarchie de ces derniers temps et 
des abus invétérés qui, avant l'avènement de Pie IX, 
désolaient les Etats de l'Eglise, a résolu d'envoyer à 
cet effet à Civita-Vecchia un corps de troupes dont il 
m'a confié le commandement. 

« Je vous prie de vouloir bien donner les ordres 
nécessaires pour que les troupes en mettant pied à 
terre, au moment même de leur arrivée, ainsi que cela 
m'a été prescrit, soient reçues et installées comme il 
convient à des alliés, appelés dans votre pays par des 
intentions aussi amicales. 

« Le Général en chef, représentant du peuple ^ 

a OUDINOT DE ReGGIO. 

« A bord du Labrador en vue de Givîta*Vecchia, le 
2{ avril 1849*. » 

L'aide de camp du général Oudinot déclara que la 
France ne voulait point défendre le gouvernement 

* Officier d'état-major. Précis historique et militaire, pièce 
jastiûcative n* 2. 



J 



— 32 — 

actuel qu'elle n'avait point reconnu, mais épargner à 
ritalie centrale de nouveaux malheurs. « Elle n'avail 
pas rintention de se mêler du règlement des affaires 
de ce pays quoique, à de certains égards, le règle- 
ment de ces affaires intéresse l'Europe et la chré- 
tienté tout entière ; elle veut seulement concourir au 
rétablissement d'un régime libéral et assurer la 
durée d'un régime qui soit à égale distance des abus 
invétérés que le généreux Saint-Père avait déjà fait 
disparaître et de l'étrange anarchie dont le triumvirat 
de Rome est encore la honteuse expression *. » 

Le commandant ajouta avec fierté : 

« Le nom de la France, ici comme ailleurs, veut 
dire ordre et vraie liberté, son drapeau et ses soldats 
sont là pour maintenir l'un et l'autre *. » 

C'était sous une forme plus énergique encore la 
reproduction de l'ultimatum du général en chef. Le 
commissaire civil Manucci, jeune avocat dévoué à 
la cause révolutionnaire, ne savait quelle réponse 
donner. Pour gagner du temps, il manifesta l'inten- 
tion de convoquer la municipalité. On vint l'informer 
que le gonfalonier et les Anziani, c'est-à-dire la 
municipalité, ainsi que les membres de la Chambre de 
commerce', s'étaient réunis dans une pièce voisine 
et qu'ils attendaient anxieusement des nouvelles. 
MM. Espivent de la Villeboisnet, Durand de Villers 
et de La Tour d'Auvergne furent aussitôt conduits 
auprès d'eux et communication leur fut donnée de la 
lettre du général Oudinot. Les membres de la munici- 
palité et les commerçants protestèrent de leur désir 
de bien accueillir les troupes françaises si celles-ci, 
comme ils l'espéraient, ne commettaient aucun excès. 

Le commandant Espivent de la Villeboisnet lut 

* Moniteur du 3 mal 1849. 

2 Ibid, 

3 OfTlcier d*état-maJor, Précis historique et militaire^ p. i6. 



— 33 — 

alors une déclaration qu'il venait de rédiger et qui 
était de nature à rassurer la population : 

« Le gouvernement de la République française, 
toujours animé d*un esprit très libéral, déclare vouloir 
respecter le vœu de la majorité des populations 
romaines et vient sur leur territoire, amicalement, 
dans le but de maintenir sa légitime influence. Il est 
de plus bien décidé à ne vouloir imposer à ces popu- 
lations aucune forme de gouvernement, qui ne serait 
pas choisie par elles. 

«f Pour ce qui concerne le gouvernement de Civita- 
Vecchia, il sera conservé dans toutes ses attributions 
et le gouvernement français pourvoira à Taugmenta- 
tion des dépenses occasionnées par le corps expédi- 
tionnaire. 

« Toutes les denrées et toutes les réquisitions, qui 
seront faites pour les besoins des troupes françaises, 
seront payées en argent comptant. 

« Le Chef d'escadron, aide de camp 
du Commandant en chef, 

« ESPIVENT K 

m 

« Civîta-Vecchla, le a4 avril 1849. » 

Le commissaire civil qu'avaient rejoint les chefs de 
la garnison manifesta quelques velléités de résister', 
mais les représentants de la municipalité et de la 
chambre de commerce, au nombre de vingt, étouf- 
fèrent cette tentative d'ailleurs timide, en s'écriant 
a qu'ils étaient heureux de voir arriver les Français, 
que non seulement on voulait bien les laisser entrer 
et occuper la ville, mais encore qu'on les recevrait 
en frères ï>. Séance tenante, une proclamation fut 

* Officier d'état-major, Précis historique et militaire , 
pièces justificatives. 

'Journal de Vartillerie et du génie, rédigé par les généraux 
Vaillant el Thiry. 

3 



-34- 

rédigée et signée, dans laquelle les habitants étaient 
engagés à bien accueillir les nouveaux hôtes, à 
repousser toute tentative de résistance, a le conseil 
municipal désirant voir le plus tôt possible à terre 
les troupes que la mer pouvait fatiguer * ». 

Les envoyés français avaient terminé leur mis- 
sion. Quand ils sortirent de Thôtel de ville, le bruit 
de l'accord s'était répandu, la foule les acclama et 
les escorta, en leur prodiguant mille témoignages de 
sympathie, jusqu'au canot où ils se rembarquèrent. 
MM. Espivent de la Villeboisnet et de la Tour 
d'Auvergne furent conduits à bord de la corvette à 
vapeur le Narval, qui resta mouillée à l'entrée du 
port avec les deux autres corvettes le Ténare et le 
Véloce, pendant que le Panama sur lequel s'était 
embarqué le capitaine Durand de Villers* s'éloignait 
à toute vapeur dans la direction de Giglio pour y 
retrouver la division navale. Les trois petits bâtiments 
restaient en observation. Peut-être y avait-il lieu de 
s'étonner que le général Oudinot eût imposé au 
général Levaillant et aux détachements de la a« bri- 
gade embarqués à bord du Panama l'ordre de 
rejoindre la division navale quoi qu'il arrivât? Peut- 
être valait-il mieux profiter immédiatement des dis- 
positions hospitalières de la municipalité et occuper 
Civita-Vecchia sans autre retard **? 

* Moniteur du 3 mai 1849. Le correspondant du joamal 
ofUcîel ajoute : « Cela est textuel. On n*est pas plus prévenant 
et plus attentif. » 

* Officier d*étal-major. Précis historique et militaire^ p. 18. 
^ Après le départ des envoyés français, la lettre suivante 

avait été rédigée et envovée au président de la province par 
les autorités de Civita-Vecchia pour expliquer et excuser 
leur propre conduite : 

La magistrature municipale^ la Chambre de commerce et 
le commandant de la fçarde civique de Civita-Vecchia au 
Président de la province, 

a Citoyen Président, 
« La flotte de la République française est en vue de notre 



— 35 — 

Le Panama, marchant à grande vitesse rejoignit, 
à neuf heures du soir \ la division navale au lieu 
de rendez-vous assigné, c'est-à-dire à i5 milles dans 
le sud-ouest de Giglio. Le capitaine Durand de 
Yillers rendit compte de la réception du matin et du 
bon accueil de la population. 

La division ne repartit que le lendemain ^5 dans 
la matinée et fit route vers Civita-Vecchia. En vue de 
la ville, elle se déploya en ligne. La corvette à vapeur 
le Narval se porta aussitôt au-devant du bâtiment 
amiral et, à leur vive surprise, les officiers qui étaient 
embarqués sur ce bâtiment, virent monter à leur 
bord, derrière le commandant Espivent de la Ville- 
boisnet, les autorités de Civita-Vecchia qui l'accom- 
pagnaient avec déférence et sympathie. L'actif et 
ingénieux aide de camp du général en chef avait 

porl. Nous connaissons les vues qui la dirigent. Elles sont 
des plus amicales et des plus rassurantes : la conservation 
de Tordre, de la tranquillité et de la sûreté des Etats romains. 
Vous en avez les plus flatteuses assurances dans la dépêche 
que le commandant de rexpédition vous a adressée. La 
France ne peut manquer aux enffaffements que pour son 
honneur elle a contractés à la face de TEurope. Vous, citoyen, 
vous demandez du temps pour informer la République de cet 
événement, conformément aux instructions que vous avez. 
Mais les troupes peuvent s'irriter des retards, ennuis et dan- 
gers auxquels la mer expose et perdre les sentiments d'ami- 
tié et de fraternité dont elles sont animées. 

« Connaissant parfaitement les désirs de notre population, 
nous déclarons, qu'à notre sens, il ne doit être porté aucun 
retard au débarquement des troupes françaises, ne voulant 
pas nous exposer aux conséquences d'une guerre qui ne 
pourrait ne pas être téméraire et nous protestons contre 
quiconque voudrait compromettre l'ordre et la tranquillité 
intérieure de cette population. 

« Le Gonjalonier et les Anziani, 

« Le Vice-Président et les membres de la Chambre 
de comm,ercej 

« Le Lieutenant-colonel commandant la garde civique, 

• Civita-Vecchia, le 24 avril 1849. » 

(Oflicier d'état major, Précis, pièce n" 3.) 
' Moniteur du 3 mai 1849. 



— 36 — 

décidé le commissaire civil, le gonfalonier, le prési- 
dent du tribunal civil à l'accompagner. Le président 
du conseil de guerre s'était joint de son plein gré à 
cette ambassade pacifique * qui venait donner toute 
sécurité au débarquement. 

Pendant que le général Oudinot et l'amiral Tré- 
liouart recevaient avec courtoisie les nouveaux venus, 
les dernières dispositions étaient prises pour le débar- 
quement des troupes. A onze heures et demie, cette 
opération commençait'. Les deux premières compa- 
gnies mises à terre et entrées en ville furent deux 
compagnies de grenadiers du 36« '. Des acclamations 
enthousiastes les saluèrent. Pour activer le débarque- 
ment qui se faisait un peu lentement avec les canots 
de la division navale, les embarcations du pays 
vinrent en foule y participer. Le général en chef 
et son élat-major débarquèrent à une heure. Le 
({uartier général fut aussitôt installé dans une maison 
spacieuse à proximité du port. 

Dès qu'elles arrivaient à terre, les troupes étaient 
cantonnées, parles soins de la municipalité et sous la 
direction de l'état-major, chez les habitants, dans des 
couvents et des casernes *. A deux heures, le général 
Oudinot avait fait partir en chaise de poste le lieute- 
nant-colenel du génie Leblanc, le capitaine de la 
même arme Boissonnet et le lieutenant d'état-major 
Lecauchois-Féraud. Ces trois officiers étaient chargés 
de faire connaître au gouvernement révolutionnaire 
de Rome l'arrivée des troupes françaises et le but de 
l'expédition ^ 

* Communication personnelle de M. le général comte 
Kspîvent de la Villeboisnet. 

* Oflicier d'état-major. Précis^ pièce n° 19. 
•* Moniteur du jeudi 3 mai 1849. 

' Ibid. 

'• Ofïicior d'élat-major. Précis historique et militaire: L'au- 
teur était précisément le lieutenant Lecauchois-Féraud, envoyé 
à Rome avec le colonel Leblanc et le capitaine Ek>issonnct.* 



-37- 

A peine les trois officiers étaient-ils partis qu'on 
vînt, de la part de Tamiral Tréhouart, informer le 
général en chef qu'une heure après le mouillage de 
la division sur rade, un bateau à vapeur était arrivé 
avec pavillon italien, venant de Gênes et ayant à 
bord un bataillon de volontaires révolutionnaires 
lombards commandés par le Milanais Manara^ Ces 
volontaires avaient appris la formation et le départ 
de Texpédition française, ils avaient la témérité de 
venir renforcer la garnison de Civita-Vecchîa et d*y 
organiser la résistance. 

A un signal du bateau amiral, les bâtiments français 
avertis se formèrent autour du vapeur italien, en 
branle-bas de combat. Un officier de Tétat-major de 
l'amiral vint à bord du bateau génois, signifier au 
commandant de ne pas débarquer les Lombards et 
de se considérer, lui, son équipage et ses passagers, 
comme prisonniers, sous peine de s'exposer à une 
attaque dont l'issue ne pouvait être douteuse. Le 
capitaine italien et ses compagnons se le tinrent pour 
dit et ne bougèrent pas... 

Le soir même, le commandant Espivent de la 
Villeboisnet partait pour Gaète, à bord d'un des 
avisos de la division. Il allait porter au Saint-Père 
rhommage du corps expéditionnaire *. 

La nuit ne donna lieu à aucun incident, les troupes 
cantonnées pour la plupart chez les habitants ou 
campées sur les places publiques firent preuve d'une 
discipline absolue. Des patrouilles circulèrent dans 
la ville sans avoir à réprimer aucun désordre. Quel- 
ques compagnies, placées dans les fermes aux portes 
de la ville, servaient de grand'gardes. 

A huitheuresdu matin, le général en chef passa une 

' Moniteur da 3 mai 1849. 

* Communicaiion de M. le général Espivent de la Ville- 
boisnet. 



— 38 — 

revue des troupes et réunit ensuite les officiers et un 
sous-oincier par compagnie. D'une voix ferme et 
sonore, le duc de Reggio déclara « qu'il allait envoyer 
son ultimatum à la République romaine et qu'il avait 
tout lieu de croire que cet ultimatum serait accepté : 
que du reste il promettait au corps expéditionnaire 
de le conduire à Rome, en ami ou en ennemi ' ». 

A l'appel du soir, les troupes entendirent avec 
satisfaction la lecture de cet ordre du jour : 

c< Soldats, 

« Le drapeau français flotte sur les forts de Civita- 
Vecchia. Nous pouvions opérer un débarquement de 
vive force : toutes les mesures étaient prises pour en 
assurer le succès. Nous avons dû nous inspirer de la 
pensée de notre gouvernement qui, associé aux idées 
généreuses de Pie IX, veut éviter, autant que possible, 
l'efi^usion du sang. 

« Les autorités de Cîvita-Vecchia, cédant aux vœux 
des habitants, nous ont ouvert les portes de la place 
à la première sommation. 

« Cet accueil, vous le sentirez, ajoute à nos devoirs, 
il aggraverait toute infraction à la discipline : il nous 
commande non seulement de respecter les popula- 
tions, mais encore d'entretenir avec elles des rapports 
bienveillants. 

« La flotte va nous ramener sous peu de jours un 
renfort considérable. Soldats de Tarmée de terre, je 
suis votre interprète en remerciant tous vos frères 
d'armes de la marine. C'est à leur puissant concours 
que nous aurons à reporter le succès de notre pre- 
mière opération. 

<if Le Général en chej, 

« OUDINOT DE ReGGIO'. » 

* Historique du 3'i* de ligne. 

'^ L*amiral 1 réhouart, en communiqaant cet ordre du jour 
à la division navale ajoutait : 
« L*amiral est heureux de transmettre aux équipages cette 



-39- 

Le général Oudinot fit afficher sur les monuments 
publics une proclamation rédigée au ministère des 
aflaires étrangères, et qu'il n'avait eu qu'à signer : 



ce Habitants des Etats romaine, 

« Un corps d'armée français est débarqué sur 
votre territoire. Son but n'est point d'y exercer une 
influence oppressive, ni de vous imposer un gouver- 
nement qui serait opposé à vos vœux. Il vient vous 
préserver, au contraire, des plus grands malheurs. 

« Les événements politiques de l'Europe rendent 
inévitable l'apparition d'un drapeau étranger dans la 
capitale du monde chrétien. La République française, 
en apportant le sien avant tout autre, donne un écla- 
tant témoignage de sa sympathie envers la nation 
romaine. 

« Accueillez-nous en frères, nous justifierons ce 
titre; nous respecterons vos personnes et vos biens, 
nous paierons en argent toutes nos dépenses, nous 
nous concerterons avec les autorités existantes pour 
que notre occupation momentanée ne vous impose 
aucune gêne, nous sauvegarderons l'honneur militaire 
de vos troupes, en les associant partout aux nôtres, 
pour assurer le maintien de l'ordre et de la liberté. 

a Romains, mon dévouement personnel vous est 
acquis, si vous écoutez ma voix. Si vous avez con- 
fiance dans mes paroles, je me consacrerai sans 
réserve aux intérêts de votre belle patrie. 

« Le Général en chef, 

<i Oudinot de Reggio. 

« Civita-Vecchia, a6 avril 1849. » 

approbation de leur coaduite et de leur zèle, il espère qu'ils 
continueront à la justiÛer dans l'avenir. 

c( Le Contre-Amiral commandant en chef, 

a Tréhouart. » 
(Moniteur du 3 mai.) 



-4o- 

Cette proclamation eut le plus grand succès. Une 
partie de la population s*était tenue prudemment 
dans ses logis, elle sortit et circula dans les rues/ 
avec l'animation et la gaieté des Italiens, manifestant 
comme les ouvriers du port, ses sympathies pour les 
troupes françaises*. L'allégresse publique prit un 
caractère particulièrement bruyant devant l'arbre <le 
la liberté, privé désormais de son bonnet rouge, 
mais décoré des pavillons tricolores entrelacés des 
deux nations. Pour mieux affirmer les dispositions 
conciliantes du gouvernement français, le général 
Oudinot n'avait pas cru devoir enlever le drapeau 
italien et n'avait pas osé encore le remplacer par le 
drapeau pontifical, quelque désir qu'il en eftt*. Sur 
les forts de Civita où s'était retirée la garnison, 
2.000 hommes environ, les deux pavillons flottaient 
côte à côte. 

Au milieu des démonstrations d'amitié de la popu- 
lation, on apprit l'arrivée d'un nouveau bâti- 
ment italien portant encore des volontaires : c'était 
une batterie d'artilleurs lombards, avec ses six 
pièces bien approvisionnées. L'amiral Tréhouart 
se contenta de le faire accoster par un de ses bâti- 
ments, en envoyant à bord un ofiicier chargé de la 
même mission que la veille. Le résultat ne fut pas 

* a La fraternisation a éic complète, oiliciers et soldats 
avaient peine à se soustraire aux témoignages de sympattiie 
qui les entouraient. » (Moniteur du 3 mai.) 

^Plus tard le pape Pie IX, si bien disposé cependant pour 
Tarmée française, en manifesta un peu de mécontentement. 
^Impression du Souverain Pontife mt rapportée par un des 
prélats de son entourage à M. Espivent de la \illeboisMet 
devenu lieutenant-colonel et persona ^raia^ à îuste litre, au 
Vatican. L*ancien aide de camp du général Oudinot répondit 
avec beaucoup d'esprit ; « Que le Saint-Père veuille bien se 
rappeler un proverbe de mon pays : Tout chemin mène à 
Rome. Voilà pourquoi nous n\avons pas enlevé tout de suite 
le drapeau italien... » Pie IX rit beaucoup quand on lui 
répéta la repartie du colonel. {Communication du général 
Espivent de la Villeboisnet.) 



-4i - 

moins satisfaisant, le nouveau vapeur, son équipage 
et ses volontaires de renfort restèrent en station, 
comnie le brick génois, sous la surveillance de nos 
bâtiments. 

L'amiral se déchargea de cette surveillance sur le 
coTnmsjidsini daChristophe-Colomb, qui devait rester 
en rade avec Y Albatros et les corvettes et il décida 
que les frégates à vapeur le Labrador portant tou- 
jours son pavillon, VOrénoque, le Panama et ïlnfer- 
naly partiraient le 27 au matin pour Toulon afin 
d'embarquer la 3« brigade et les fractions des v^ et 
2« brigades, qui n'avaient pu trouver place dans le 
premier convoi. Le départ de ces bâtiments eut lieu 
en effet le vendredi 27, au point du jour; ils arri- 
vèrent en rade à Toulon dans la nuit du 28 au 
29 avril. 

Un ordre du général Rulhière, ministre de la guerre, 
avait prescrit rembarquement à Marseille de deux 
escadrons du i^^* chasseurs, sous le commandement 
du colonel de Noue, de ce régiment. Ces escadrons 
allèrent prendre place sur le Sané, revenu à Mar- 
seille. En même temps, toute la 3® brigade, comman- 
dée par le général Chadeysson, s'embarquait à Toulon. 

Rome apprenait alors avec stupeur l'arrivée des 
troupes françaises à Civita-Vecchia. Déjà effrayés par 
ce qu'ils appelaient « les vagues menaces du gouver- 
nement de Louis-Napoléon Bonaparte », les trium- 
virs avaient décidé, par un décret du 17 avril, que 
l'armée de la République romaine serait portée à un 
effectif de /fS.ooo à So.ooo hommes de toutes armes, 
groupés en trois divisions de deux brigades chacune. 

Au milieu de cette organisation militaire, les 
maîtres de Rome étaient informes de l'occupation de 
Gîvita-Vecchia. Aussitôt le comité central de surveil- 
lance publique poussait un cri d'alarme. 



-42- 

« Â tous les cercles de TEtat ! 

« Un corps de troupes françaises est devant Civita- 
Vecchia. Nous vous remettons les déclarations du 
commandant de Tavant-garde, afin de démentir Talar- 
mant et faux programme qui a été imprimé et distribué 
ici par les rétrogrades, afin d'exciter la réaction. Mais 
notre gouvernement et le peuple ne croient pas aux 
paroles amicales du gouvernement français, et nous 
nous préparons tous à résister. L* Assemblée, en per- 
manence dès hier, a déjà protesté. Le gouvernement 
a pris les mesures les plus énergiques pour la défense 
du pays. La municipalité romaine, nouvellement 
constituée, tous les cercles, la garde nationale et la 
population entière se resserrent dans une seule pen- 
sée : repousser Tinvasion qui se présente sous les 
formes mensongères d'un secours amical. L'armée 
de la République est animée de l'esprit le plus satis- 
faisant ; elle vole sur le champ de bataille. Courage et 
aux armes! Que la réaction ne relève pas la tête ! 
Appuyez la protestation de l'Assemblée que nous 
vous adressons également afin que vous la couvriez 
de milliers de signatures. Par des faits et des paroles 
montrons à l'Europe que le vœu de la majorité a été 
librement exprimé; elle ne veut plus de roi et encore 
moins veut-elle le gouvernement de prêtres. Ce vœu 
se soutient sans l'assistance des baïonnettes étran- 
gères. Excitez le zèle de la garde nationale et des 
municipalités; que tout homme soit soldat. Jurons 
d'être unis, forts et libres. 

« Salut et fraternité. Vive toujours la République 
romaine ! 

« Sterbim, PolidoriS 

« Président, Secrétaire. 

« Rome, le 25 août. » 

' Coniemporaneo du 26 avril 1849 . 



-43- 

La Constituante romaine prenait la délibération 
suivante : 

« Citoyens, vous saurez conserver Tordre qui vous 
honore tant, répondant ainsi aux calomnies de ceux 
qui cherchent des prétextes pour opprimer votre 
patrie. Qu'un seul frémissement se fasse entendre 
parmi vous, celui des armes qui doivent défendre 
rhonneur et l'intégrité de la République. Acceptez 
avec courage l'occasion de montrer au monde que 
vous êtes dignes de la République, et que la force 
brutale pourra la combattre, mais sans jamais vous la 
faire démériter. Vive la République ! 

« Décrété en séance publique de l'Assemblée cons- 
tituante romaine. 

« Le Président de V Assemblée, 
a A. Salïcetti*. 

« Les Secrétaires, 
« Farbktti, Coichi, Pennachi. » 

Cette déclaration, qui exhortait surtout à la pa- 
tience, ne parut pas suffisante aux révolutionnaires 
avancés et surtout à leur chef Mazzini, ils mirent 
l'Assemblée en demeure de s'exprimer avec plus de 
netteté et d'énergie. 

Une nouvelle délibération eut lieu au cours de 
laquelle l'Assemblée constituante vota la véhémente 
protestation qui suit et qui devait être remise au 
général en chef des troupes françaises par le ministre 
des affaires étrangères et le député Sterbini : 

m Citoyens, l'Assemblée nationale romaine s'est 
émue à la menace d'une invasion qui n'a été ni pro- 

> Contemporaneo du a6 avril. 



-44- 

voquée par la conduite de la République envers 
l'étranger, ni précédée par aucune communication 
de la part du gouvernement français, invasion qui 
vient apporter Tanarchie dans un pays tranquille et 
bien ordonné. 

« L* Assemblée se repose sur la conscience de ses 
propres droits et sur la concorde de ses citoyens en 
présence d'un acte qui viole en môme temps tous les 
droits des nations et les engagements pris par la 
nation française elle-même dans sa Constitution, en 
brisant le lien de fraternité qui devait naturellement 
unir les deux Républiques. 

« L'Assemblée proteste donc, au nom de Dieu et 
du peuple, contre cette intervention inattendue; elle 
déclare son ferme dessein de résister et elle rend la 
France responsable de toutes les conséquences. 

a Le Président de V Assemblée, 
« A. Salicetti. » 

Copie de cette protestation était expédiée dans 
toutes les provinces romaines. Le triumvirat ordon- 
nait de commencer les travaux de défense autour 
de Rome. Une ligue de volontaires s'offrit pour occu- 
per les avant-postes; elle était surtout composée 
d'étudiants. 



f 



CHAPITRE III 



TENTATIVES PACIFIQUES. ORGANISATION 

DE LA RÉSISTANCE. 



Dans la soirée du 26 arrivait à Civita-Yeccbia un 
membre du gouvernement romain, M. Montecchi, 
ministre des travaux publics. Ce personnage se pré- 
senta lui-même au quartier général français et 
demanda, en termes courtois d'ailleurs, au général 
Oudinot, Tautorisation pour les deux bâtiments pri-. 
sonniers dans la rade de débarquer les volontaires 
lombards attendus à Rome. Il formula deux autres 
demandes : la garde nationale de Civita-Vecchia 
rentrerait en possession des armes qu'elle avait dû 
consigner entre les mains de l'autorité militaire fran- 
çaise et les 8.000 fusils qui restaient à Tarsenal 
seraient expédiés à Rome '. 

Le général Oudinot, trop généreux et trop con- 
fiant, accorda la première demande, à la condition 
que les volontaires lombards, tout en débarquant à 
Porto-d'Anzio, à environ trente lieues de Civita- 
Vecchia sur la droite, n'entreraient pas à Rome 
avant le 4 niâi« il espérait évidemment qu'à cette 
époque une solution serait intervenue. 

■ Onicier d*état-major, Précis historique et militaire ^ p. ao. 



-46- 

Cette clause fut acceptée et signée du comniandant 
des volontaires lombards, Manara, du commissaire 
civil de Civita-Vecchia, Tavocat Manucci, et du minis- 
tre Montecchi*. 

Le général refusa la remise des armes, mais en 
exprimant le désir d'entrer paciiiquement à Rome. 
Montecchi promit de s'y employer et accepta l'offre 
que lui fit le duc de Reggio de le faire accompagner 
par un de ses officiers d'ordonnance, le capitaine d'ar- 
tillerie Fabar. 

Avant de repartir, le ministre romain rencontra 
une députation des habitants de Corneto, l'ancienne 
Tarquinies, la ville étrusque, qui venait faire acte de 
soumission à la France. Montecchi repartit, tout cour- 
roucé, avec l'officier d'ordonnance du général. 

La veille, le 25 avril, les trois officiers, envoyés par 
le général Oudinot dès que le débarquement avait 
été effectué, arrivaient à Rome à onze heures du soir 
et se rendaient chez M. de Forbîn-Janson, chargi' 
d'affaires de l'ambassade de France. Celui-ci, accom- 
pagné du lieutenant-colonel Leblanc, sollicitait des 
triumvirs une entrevue qui était aussitôt accordée. 
Seuls Mazzini et Saffi représentaient le gouverne- 
ment; leur collègue Armellini, le plus modéré, était 
absent. M. de Forbin-Janson affirma le but pacifique 
de l'expédition française '. Le lieutenant-colonel 
Leblanc déclara de son côté que les troupes fran- 
çaises avaient été très bien reçues par la population 
de Civita-Vecchia, que, selon toute vraisemblance, 
elles trouveraient les mômes sympathies en mar- 
chant sur Rome, et que le général Oudinot était 
absolument décidé à occuper la ville. 



* L. DE Gaillard, Expédition de Rome, Paris, LccofTre. 
éd. 1861. 

^ Dépêche de M. de Forbin-Janson, publiée par M. de Gail- 
lard. 



-4:7- 

Interpellé personnellement par Mazzini sur le 
mobile de l'expédition française, le lieutenant-colonel 
Leblanc répondit que le gouvernement français 
avait résolu de protéger les provinces romaines con- 
tre l'invasion des Autrichiens, qu'il voulait, en outre, 
s'assurer des sentiments qu'éprouvaient les popula- 
lalions et bien connaître leurs préférences en fait de 
gouvernement. La République française à Paris 
cherchait aussi à préparer une réconciliation entre le 
Pape Pie IX et les Romains. 

Devant ces déclarations nettement formulées, et 
auxquelles s'associait le chargé d'affaires de France *, 
Mazzini, qui contenait avec peine son impatience, 
protesta ainsi que ses deux collègues; il déclara que 
les vrais patriotes ne permettraient jamais aux Fran- 
çais d'entrer en armes à Rome. 

Le lendemain, 26 avril, l'Assemblée se réunissait en 
comité secret et discutait les deux propositions du 
triumvirat : la première tendait à adopter sans délai 
tous les moyens de résistance parla force, la seconde 
demandait d'accueillir les Français en frères, en 
amis, mais à la condition qu'il fAt bien reconnu que 
la France ne venait pas imposer au pays une forme 
quelconque de gouvernement. 

La foule assiégeait les alentours de l'Assemblée. 
M. de Forbin-Janson, notre représentant, avaitdécidé 
le P. Ventura, un religieux très populaire et d'ailleurs 

* « Nous avons insisté de nouveau sur le caractère libéral 
et national de Tintervention. sur I*îiuniense service qu'elle 
rendait à TËtat romain en prévenant Tinvasion napolitaine, 
en empêchant Finfluence de TAutriclie dV dominer comme 
par le passé, sur les garanties qu'on stipulerait certainement 
en faveur d'un régime constitutionnel sur le désir même de 
la France de laisser la question intérieure se résoudre par 
Texpression spontanée du vœu des populations, mais en 
vain. M. Mazzini ne s'est point rendu. Nous parlions à un 
homme qui a pris son parti et qui remplira son rôle jusqu'au 
bout, coûte que coûte. 1» {Dépêche de M. de Forbin-Janson 
au général Ondlnot.) 



- 48 - 

très lié avec un grand nombre de représentants, à 
faire une démarche auprès de M. Sturbinetti, général 
de la garde civique et membre de la municipalité 
romaine. Le religieux lui demanda d'intervenir en 
faveur de la conciliation S Sturbinetti répondit que 
la garde civique s'abstiendrait absolument au sujet 
de rinlervention française, qu'elle ne prendrait part 
à aucune tentative de résistance, qu'elle se bornerait 
à maintenir dans l'intérieur de Rome Tordre public, et 
à réprimer tout excès de réaction et toute violence. 
Les dispositions du corps des carabiniers étaient 
les mêmes; ces militaires, dont le service était celui 
de notre gendarmerie, étaient pour la plupart favo- 
rables au Pape *. 

Au moment môme ou le P. Ventura transmettait ces 
renseignements à M. de Forbin-Janson, qui les corn- 
muni([uait au général Oudinol, notre représentant à 
Rome était informé que l'Assemblée venait de déci- 
der la lutte à outrance. Le parti de Mazzini et du 
cercle populaire l'emportait. Des ordres étaient aus- 
sitôt donnés pour fortifier la position de Monte-Mario 
près de Rome. 

Une batterie de 19 pièces de canon' était établie. 
Des barricades se construisaient à la porte Cavalle- 
gîeri et à celle de San-Pancrazio. 

Malgré la gravité de ces nouvelles, M. de Forbîn- 
Janson persistait à croire que la résistance ne serait 
pas sérieuse. La population n'écouterait pas ses belli- 
queux représentants. i< Je le répète, écrivait-il au 

* Tous CCS détails sont extraits de la dépêche de M. de 
Forbin-Janson, charj^ré d'affaires de France, au général Oudi- 
not, datée du !2() avril. 

^ Sturhinetli aflirniait aue beaucoup de carabiniers « tar- 
daient dans leur poche la cocarde pontificale, n'attendant 
Îu'une occasion pour la produire ». {Dépêche de M. de Forbin- 
anson.) 

^ Les chevaux des particuliers étaient mis aussitôt en 
réquisition. 



■ 



-49- 

duc de Reggio, tout cela est pour la forme, et ces 
velléités de résistance se dissiperont à mesure que 
vous approcherez *. » 

La marche en avant de Tarmée française lui parais- 
sait absolument urgente : « Je dois ajouter, mon 
général, que la sécurité des nationaux et des établis- 
sements français est fort intéressée à votre prompte 
arrivée*. » 

Dans une seconde dépêche, écrite avec Tapprobation 
du lieutenant-colonel Leblanc, M. de Forbin-Janson 
informait le commandanten chefdeTarmée française 
que l'Assemblée romaine persistait dans ses intentions 
hostiles. Le message que les triumvirs lui adressaient 
ne laissait aucune espèce dUUusion à ce sujet ^ : 

a L'Assemblée vient de décider à Tunaiiimité en ces 
termes : « Sur Texposé que le triumvirat nous a fait, 
« nous confions au triumvirat la mission de sauver la 
« République et de repousser la force par la force. » 

« En vous donnant connaissance de cette décision, 
nous regrettons vivement que l'envahissement sou- 
dain et avec tous les caractères d'une Iiostilité non 
provoquée, opéré par le général français sur notre 
territoire, empêche temporairement la conciliation 
qu'une initiative plus pacifique aurait pu amener. 
C'est avec une vraie douleur que nous nous trouvons 
forcés à une collision contre la France que nous 
aimons et dont nous apprécions l'amitié. 

« Agréez, etc. 

« Les Triumvirs, 

« Mazzim, Saffi, Armellini. » 

Le chargé d'affaires de France ajoutait à cette 
communication d'importants renseignements mili- 

• Première dépêche àe M. de Forbin-Janson, 26 avril 1849. 

* Deuxième depêclie de M. de Forbin-JansoD, môme date. 
» ïhid. 



V 



— So- 



laires. Des barricades défendaient non seulement les 
portes Cavallegieri et San-Pancrazio, mais encore les 
portes Angelica et Portese. Le ministre de la guerre 
Avezzana avait commandé 8.000 rations de vivres 
de réserve, il y avait des approvisionnements consi* 
dérables de poudre et de projectiles d'artillerie. 

Le troupes de la défense se ré par tissaient ainsi : 

i.ooo hommes d'infanterie et de génie sous le com- 
mandement du colonel Amadei ; 

700 hommes d'infanterie de ligne, colonel de Pas- 
qualis; 

600 volontaires, colonel Masi : 

1.700 hommes de la légion romaine, colonel Ga- 
leotli ; 

400 Yicentins, colonel Grandoni ; 

2.000 gardes civiques mobilisés, colonel Salvati ; 

1.600 carabiniers, général Galetti. 

Soit en tout 8.000 hommes d'infanterie, auxquels il 
fallait joindre 200 dragons commandés par le colonel 
Salicetti et divers détachements d'artillerie d*uii 
effectif total de 5oo hommes. 

« Si tout ce mouvement n'est point une comédie, 
ajoutait M. de Forbin-Janson, il pourra coûlef cher 
aux Romains. Si je pouvais émettre un avis en pareille 
matière, j'insisterais, mon général, pour que nos 
troupes fassent un mouvement en avant, au moins 
jusqu'à Palo. Vous jugerez peut-être aussi qu'il serait 
important pour nous d'occuper Rome avant tout 
mouvement des Autrichiens et des Napolitains. La 
nouvelle d'une intervention de leur part, ayant l'ap- 
parence de se combiner avec la nôtre, ne pourrait que 
produire un mauvais effet en exaspérant le parti de la 
résistance. » 

Au momeul de fermer sa lettre, à minuit, le jeune 
diplomate, qui représentait la France, crut devoir 
ajouter que deux membres influents du Parlement 



— oi 

romain, MM. Rusconi et Pescantini, espéraient faire 
revenir leurs collègues à des dispositions plus rai- 
sonnables et amener la chute du triumvirat, ou tout 
au moins la retraite de Mazzini '. 

Les trois officiers français envoyés par le général 
Oudinot considérèrent leur mission comme ter- 
minée', ils commencèrent leurs préparatifs pour 
rentrer à Givita-Vecchia. Mazzini averti leur fit dire 
que le triumvirat s'opposait à ce qu'ils quittassent 
Rome tous les trois; un seul officier se vit autorisé 
à retourner au quartier général français. Le lieutenant 
d'état-major Lecauchois-Féraud fut désigné et repar- 
tit aussitôt pour Civita-Vecchia avec les deux 
dépêches de M, de Forbin-Janson ^. Peu de temps 
après son départ, Montecchi et le capitaine Fabar 
arrivaient à Rome. L'officier d'ordonnance du général 
en chef ne fut pas conduit auprès des triumvirs mais 
seulement auprès du ministre de l'intérieur Rusconi, 
auquel il fit les mêmes déclarations que celles qui 
avaient mécontenté Mazzini et ses collègues. Rusconi 
moins impatient écouta avec calme le capitaine 
d'artillerie et émit le désir de voirie général Oudinot. 
M. Fabar n'insista pas et crut un peu légèrement que 
le ministre de l'intérieur souhaitait l'intervention 
française. 

S'il avait pénétré dans l'enceinte de la Constituante, 
il aurait entendu un véhément discours de Mazzini, 
s'indignant des propositions que lui avaient faites 
les officiers français et déclarant qu'il y avait là un 

*■ Deuxième dépêche de M. de Forbin-Janson aa général 
Oadinot. 

' La communication faite par le colonel Leblanc ayant été 
mal interprétée et inexactement reproduite, cet otiicier supé- 
rieur en envoya une copie rectifiée à T Assemblée. 

'Odîcier d état-major, Précis historique et militaire. — 
L'aateur était, nous le rappelons, le lieutenant Lecauchois- 
Féraad. (Y. Catalogue de la Bibliothèque du ministère de la 
guerre.) 



— 52 

outrage pourles citoyens qui avaient assumé le redou- 
table honneur du gouvernement. L'Assemblée lui fil 
une ovation et décida à Tunanimité qu'elle remettait 
au triumvirat le soin de saucer la République et de 
repousser la force par la force. 

Le parti de la défense allait se trouver singulière- 
ment renforcé dans son exaltation et ses illusions par 
la présence de Garibaldi qui, dans Taprès-midi du 
27 avril, arrivait à Rome, par la porte Majeure, avec 
sa légion, forte de 1.260 hommes ', dont une centaine 
de lanciers. 

Le célèbre aventurier avait été nommé, depuis le 
23 avril, général de brigade commandant le corps des 
émigrants* par le ministre Avezzana, qui lui avait 
ordonné de quitter Rieti où il observait les troupes 
napolitaines et de rallier Rome sans le moindre délai. 
La population romaine avait fait Taccueil le plus 
enthousiaste à ces singuliers soldats, habillés d'une 
blouse rouget Beaucoup avaient guerroyé dans 
l'Amérique du Sud et manifestaient bruyamment le 
désir de combattre les Française Avezzana les fit 
casernerdans le monastère de Saint-Sylvestre *. Dans 
la matinée du 28 avril, toutes les troupes romaines 
étaient passées en revue sur la place Saint-Pierre par 

* Presque tous les détails que nous donnons sur le rôle 
de Garibaldi et de sa légion sont empruntés à un ouvrage 
récent, rjui a eu un grand succès en Italie et dont l'auteur est 
M. Lœvinson : Giuseppe Garibaldi e la sua lef^ione nello staio 
romano (1848-1849). Roma, Societa éditrice Dante Ali- 
ghieri, 190a. 

^ Oavrag-e précité y p. i52 : « Commandante i corpi deircioî- 
grazione. d 

^« ... Quelle belle jeunesse dans ce costume rouge et 
dégagé! nÇMonilore romano, 28 avril 1849.) 

* « S*indignanl de ce que ces inisérablesyores^îerf (étrangers) 
voulaient rétablir le pouvoir temporel du Pape, ils s'intitu- 
laient les tigres d'Amérique {tigri d* America). »(Gubrrazzi« 
t. I,p. 6H7.) 

^ Ln document des archives communales de Rome mention- 
nait l'arrivée des Garibaldiens à la date du a6 avril, c'est une 
erreur, il faut la porter au 27 avril, comme rétablit M. Lœvinson. 



— 53 — 

le ministre Avezzana. Garibaldi, comblé de préve- 
nances par le triumvirat et escorté de son nègre 
Andreo, un colosse, commandait la i^® brigade, 
dont faisaient partie sa légion, un bataillon de 
ligne (5oo hommes), le bataillon universitaire 
(4oo hommes), les employés du trésor mobilisés 
(3oo hommes) et 3oo volontaires. Toutes ces troupes 
formaient un effectif total de 3.ooo hommes et 
cantonnèrent dans le Transtevere. 

Les rues et les places publiques restèrent encom- 
brées de troupes toute la journée. « On n'entendait 
partout que des bruits d'armes et des roulements 
de tambour *. » Sur la place des Saints-Apôtres, 
4.000 gardes civiques étaient harangués par Sterbini, 
président du Comité central. Ce démagogue, du plus 
triste renom, déclara que les Français devaient être 
craintsmème comme amis«parce que, disait-il, comme 
en 1798, ils ne nous laisseraient pas faire tout ce que 
nous voudrions* », et il ajouta : c< Citoyens! voulez- 
vous encore le joug des prêtres et leurs injustes 
privilèges? — Non, répondaient les gardes. — Êtes- 
vous pour la république? — Eh bien, défendez-la! car 
l'heure de la sauver ou de mourir pour elle est 
arrivée ^. » 

Enthousiasmés ou intimidés, les gardes civiques, qui 
semblaient mal disposés pour le triumvirat, lui don- 
naient donc leur adhésion. Les députés se répandaient 
dans les quartiers populeux « pour semer dans les 
cafés et les tavernes le bruit absurde que les Français 
ramenaient les Jésuites et apportaient le choléra*». 



* Balleydier, La Révolution à Borne, t. II, p. 34- 

* L. DE Gaillaiid, L'Expédition de Rome, p. 17*3. 
3 Balleydieii, La Révolution à Rome, p. 35. 

* « Frères, s'écriaient-ils, en faisant de chaque borne de rue 
une tribune, les Français ont dit que les Komains étaient 
trop lâches pour se battre... Les nains de France ont blas- 
phémé les demi-dieux de Rome. Bataille et vengeance! » 



-54- 

Le lendemain, 29 avril, arriva la légion lombarde, 
commandée par Luciano Manara, qui manquait à son 
engagement en faisant son entrée à Rome avant le 
4mai^ Mazzini et Avezzana accueillirent de la façon 
la plus flatteuse les nouveaux venus. Le parti de la 
résistance se livra de nouveau à de bruyantes mani- 
festations. 

Henri Cernuschi, le révolutionnaire de Milan, 
déclarait ouvertement que a la peur des Romains 
avait seule dicté les propositions si modérées en appa- 
rence du général Oudinot et que la République était 
assurée de vaincre la coalition des potentats *. d 

La défense de Rome fut définitivement confiée 
pour les quatorze quartiers de la ville {Rioni) aux 
chefs du peuple {CapipoloYy c'est-à-dire aux orateurs 
démagogiques et à plusieurs députés, connus pour 
l'exaltation de leurs idées. La répartition était ainsi 
faite : 

10 Rione Monti : Félix Scifoni, député; Nicolas 
Ferrari, chef du peuple. 

2° Treçi : Titus Savelli, député; Philippe Mencci, 
chef du peuple. 

3® Colonna : Patrice Gennari, député; Ignace 
Polazzi, chef du peuple. 

4® Campo Marzo : Pierre Guerini, J.-B. Luciani, 
députés; Angelo Brunetti Giceruacchio, chef du 
peuple. 

^^ Ponte ; Horace An tinori, député; Charles Sazzi, 
chef du peuple. 

6<> Parione : Louis Coldesi, député; Joseph 
Santangeli, chef du peuple. 

* On se rappelle que Manara avait signé, de concert avec le 
ministre Montecchi et le gouverneur de Civita-Vecchia, ren- 
gagement de ne pas entrer à Rome avec sa légion avant le 
4 mai. 

* L. DE Gaillard, VExpédiiion de Rome, p. 174- 

^ BAhLEYBmn, La Révolution à Rome, t. II, p. 37-38. 



— 55 — 

7® Regola : Gajani, député; François Invernizzi, 
chef du peuple. 

8° SantO'Eustachio : Louis Salvatori, député; 
Joseph Gregori, chef du peuple. 

go Pigna : Jules Govoni, député ; Vincent Longhi, 
chef du peuple. 

iQo Campitelli : Biaise d*Orazio, Nicolas Carcani, 
députés: le D^ Cavallini, chef du peuple. 

ii<* SantO'Angelo : Gimon Santarelli, député; le 
D*^ Marti ne tti, chef du peuple. 

12^ Rione Ripa : Maximilien Alli, député; Charles 
Vari, chef du peuple. 

i3o Transteçere : Pietro CoUina, député ; Joseph 
Herzog, Joseph Angeloni, chefs du peuple. 

i4° Borgo : Pierre Sterbini, député; Atilio Ricardi, 
chef du peuple. 

Enfin, dans la nuit du 28 au 29 avril, les triumvirs 
avaient fait afficher une proclamation. 

« Frères, 

« Aux armes ! aux armes ! 

« Debout! Des étrangers, les ennemis du peuple 
romain, s'avancent, ils veulent nous traiter, nous, 
hommes libres, comme de vils troupeaux que Ton 
mène au marché, ils veulent nous vendre ! Ils disent 
en nous insultant qu'on ne se battra pas à Rome 
parce que les Romains n'ont pas le cœur de combattre 
et ils s'avancent, les insolents! 

« lis viennent abattre le gouvernement que vous 
avez créé, ils viennent chasser à coups de baïonnette, 
ou emprisonner, ou massacrer, vos magistrats, vos 
législateurs! Ils veulent fouler dans le sang et sous 
leurs pieds honneur et liberté, droits et devoirs. 

« L'Europe républicaine vous regarde : ils ont les 
yeux sur nous ces Polonais, ces Allemands et ces 
Français, infortunés apôtres de la liberté, mais non 



— 56 — 

sans gloire dans leurs malheurs. Lombards, Génois, 
Siciliens et Vénitiens vous regardent. 

« Apprenez à l'Europe que Thonneur italien n est 
point perdu, sauvez-le à Rome et il sera sauf en Italie. 
Arracliez à la cruauté de l'étranger et à ses insultes 
vos femmes, vos fils, vos propriétés, vos croyances 
et tout ce qu'aime votre âme. Aux armes! aux armes! 
aux armes ! 

« Quand le feu sera allumé, rappelez- vous l'antique 
grandeur romaine, ainsi que les infamies de la tyran- 
nie qui a été abattue, pensez à ceux qui viendront 
après nous et combattez... Debout, donc, frères*. » 

Comme conséquence à cette emphatique procla- 
mation, les triumvirs prirent trois mesures : 

i® La suppression des ordres monastiques et l'abo- 
lition des vœux religieux. 

20 L'oi^anisation d'une commission d'orateurs 
chargés d'enflammer le peuple par leurs discours. Ces 
singuliers fonctionnaires devaient porter en tout 
temps au bras gauche, pour signe distinctif, un bras- 
sard tricolore'. 

3® La constitution du Comité central des barri- 
cades ^ 

Uome était alors l'asile d'une foule d'aventuriers 
de tous les pays, les Italiens formaient évidemment 
la majorité : Napolitains, Génois, Lombards, Piémon- 
tais: il y avait des Suisses, des Polonais et malheu- 
reusement des Français, tels que le capitaine 
Laviron *. Il y avait plusieurs officiers réformés ou 

* Balleydier, La Révolution à Rome, l. II, p. 39 

'^ Les premiers nommés furent Joseph Canonieri, Charles 
Arduini, leD*" Guerrini ol Séraphini, conseiller du département. 

^ Cette commission était composé des députés Caldesi, 
Cattebeni et Henri Cernuschi. 

^ Dans les papiers qui nous ont été communiqués par la 
famille d'un oilicier général, nous avons relevé une lettre 
adressée de Rome même au ministre Avezzana, signée «l'un 



-57- 

démissionnaires de notre armée, d'anciens sous- 
officiers, des déserteurs ou des hommes flétris par 
la justice. 

Les principaux chefs militaires étaient sous la direc- 
tion du général Avezzana, Génois d'origine et 
ministre de la guerre, les généraux Bartolacci, Roselli 
et Galetti (dit Galetti Tépicier), tous trois Romains, 
Durando (Piémontais), Galetti Joseph (Bolonais), 
Ferrari, Arcioni, tous deux Napolitains, les colonels 
Pietra Mellara et Berti Pichat, de Bologne, Manara, 
de Milan, Medici, de Florence et Mezzacappa (Napo-. 
litain), les trois commandants des secteurs de la 
défense qu'on appelait les chefs de section, les 
colonels Pisacane (Romain) et Hang (Autrichien), et 
le lieutenant-colonel Cerroti (Romain) ^ les colonels 
Dionisius Maslowicki (Polonais), chargé du matériel 
de l'artillerie, Isensmid de Milbitz (Hongrois), égale- 
ment attaché à ce service. La plupart des officiers 
étrangers étaient affectés à l'artillerie et au génie. 

nom fort honorable. Celui qui le portait rappelle avec une 
triste inconscience qu'il est ancien élève de TEcole de 
Saint- Cvr, qu'il a dans Tarmée française dix-neuf ans de 
grade d'ollicier et huit de capitaine, qu'il avait reçu à Paris, 
le II avril, l'aulorisation du délégué de la République 
romaine de former une légion franco-romaine dont il devait 
avoir le commandement. Il avait pu «grouper quelques ofll- 
ciers et les conduire jusqu'à Marseille, mais les entraves 
apportées par le préfet des Bouches-du-Rhone Tobligcrent à 
les licencier. La lettre se terminait par la demande du rem- 
boursement de ses avances. 

< Ces détails sont empruntés à l'ouvrage si documenté au 
point de vue italien : La Révolution à Rome, par Balle ydieu. 
Nous y relevons, pAge Sa, l'état-major des trois sections de 
défense : i" Section : Colonel Pisacane, chef de section; 
capitaines Mussolino, Vecchi, Camori; lieutenants Bixio, 
Mameli, Sardî, Cattabeni, tous Italiens, mais aucun d'eux 
n'est Romain. 2^ Section : Colonel Hang, chef de section, 
(Autrichien); capitaines Coldcsi (de Ravenne), Laviron 
(Français), Podulak (Polonais); lieutenants Besson( Français), 
Poffer (Suisse]), Cattabeni (d'Ancône). 3^ Section : lieutenant- 
colonel Cerroti (Romain), chef de section; capitaines Roselli, 
Ravioli, Azzarelli (Romains); lieutenants Pesapane (Napoli- 
tain^, Lironi (Lombard), Gabet (Romain). On voit dans quelle 
faible proportion était réprésenté l'élément romain. 



— 58 — 

• 

Le plus populaire de tous ces chefs était Garibaldi, 
qu'on appelait pompeusement le héros de Montevideo 
en souvenir des aventures qu'il avait courues dans ce 
malheureux pays trop longtemps dévasté par la 
guerre civile *. 

* Les principaux officiers de la légion étaient les majors 
Marochetti et Baeno. (V. Ermano Lcbvinson, Giuseppe Gari- 
baldi e la sua legioneJ) 



CHAPITRE IV 



LA MARCHE EN AYANT. — DEMONSTRATION MILITAIRE. 



Le aj avril dans la matinée, un aviso français 
entrait dans le port de Civita-Vecchia, ayant à son 
bord le capitaine Espivent de la Yilleboisnet. L'aide 
de camp du général en chef revenait de Gaète où il 
avait reçu du Souverain Pontife l'accueil le plus 
paternel ^ 

Le corps diplomatique en résidence auprès du 
chef de TÉglise n'apprenait pas sans quelque jalousie 
le premier succès du corps expéditionnaire, mais 
Pie IX retrouvait la vraie France, la fille aînée de 
l'Eglise, et il ne cachait ni sa joie ni sa confiance. 
Chacun espérait d'ailleurs que Rome ne résisterait pas 
et que la restauration du Pape se ferait pacifiquement. 



* Le commandant, arrivé inopinément, avait été conduit par 
le duc d^Harconrt auprès du Pape, qui avait appris avec une 
heureuse surprise le débarquement des troupes françaises et 
roccupation de Civita-Yeccnia. Pie IX s'était écrié : <( Je Tavais 
bien dit. Malgré ses utopies, la France était prête à défendre 
le Saint-Siège, à dépenser pour lui son sang et ses millions ! » 
Pour <}ue rien ne vint entraver Tintervention française, 
M. Espivent de la Villeboisnet évita les questions des mem- 
bres ou corps diplomatique et se rembarqua en toute hftte 
pour Civita-Vecchia. {Communication de M. le général Espi- 
vent de la Villeboisnet.) 



— 6o — 

Malgré rextrôme réserve que le commandant 
Espivent de la Vîlieboisnet avait dû garder auprès 
des membres du corps diplomatique, plusieurs minis- 
tres étrangers avaient déclaré devant lui que, d'après 
leurs renseignements particuliers, Rome ne serait 
pas défendue. Le duc d'Harcourt, notre représentant 
auprès du Saint-Père, avait remis à Taide de camp 
du général en chef une lettre pressante, qui se termi- 
nait ainsi : 

« En avant! général. Il est important que vous hâtiez 
votre marche sur Rome. Votre arrivée subite a étonné 
et terrilîé; c'est une situation dont il faut profiter. 
Si vous laissez aux mauvais sujets de Rome le temps 
de se remettre de leur premier effroi, ils prépareront 
des moyens de résistance et feront verser du sang, 
ce qu'on désirerait éviter *. » 

Nous connaissons les dépêches pressantes de M. de 
Forbin-Janson que rapportait le lieutenant Lecau- 
chois-Féraud. 

Pendant les quelques heures qu'il avait passées à 
Rome, cet olTîcier avait recueilli des impressions trop 
optimistes. Plusieurs catholiques, et parmi eux des 
Français, assuraient que les troupes du général 
Oudinot pouvaient se présenter en toute sécurité 
devant la ville, et que leur seule apparition provo- 
querait une immense manifestation en faveur du 
Pape. 

MM. Leblanc et Boissonnet, les deux officiers du 
génie également envoyés à Rome, avaient confirmé 
ces impressions chez leur jeune camarade. Le général 
Oudinot n'hésita pas à provoquer la manifestation 
qu'on lui faisait pressentir et prépara aussitôt la 
marche sur Rome. 

Six compagnies seulement du 36« devaient rester 

* Le duc crilurcourt au général Oudinot. Gaète, aO avril 
1849. (Papiers communiqués à M. de Gaillard.) 



— 6i — 

à Civila-Vecchia sous le commandement du colonel 
Blanchard, du même régiment, investi des fonctions 
de commandant supérieur de la place. Le reste des 
troupes devait se mettre en marche dès le 28 au 
matin, c'est-à-dire le surlendemain. 

Le i«^ bataillon de chasseurs à pied, commandé 
par le chef de bataillon de MaroUes, partait donc le 
27 au lever du jour, avec Tordre de s'établir en grand'- 
garde à Palo, petit village situé sur le bord de la mer, 
à moitié chemin de Givita-Vecchia. Le lieutenant 
Lecauchois-Féraud devait faire route avec le bataillon 
jusqu'à Palo, puis retourner à Rome se remettre en 
relations avec le triumvirat, lui annoncer la marche de 
l'armée française et lui donner l'assurance formelle 
que cette armée, animée des dispositions les plus 
amicales, tenait à entrer à Rome sans aucun relard. 

Dans la soirée du môme jour, l'ofRcier d'état-major 
arrivait en effet à Rome et se faisait conduire au 
palais des triumvirs; il y reçut des trois dictateurs 
l'accueil le plus discourtois. Mazzini l'interpella en 
termes menaçants, lui déclara que le Parlement et 
la population romaine ne supporteraient jamais 
l'aflront de l'entrée de nos troupes et lui donna con- 
naissance de l'ordre du jour et de la proclamation 
qui suivent. 

Le premier de ces documents émanait de la Cons- 
tituante, le second du ministre de la guerre, tous 
deux étaient adressés aux défenseurs de Rome. 

République romaine. Ordre du jour. 
Dieu et le peuple 

«( Soldats romains! Le gouvernement français, en 
violant le territoire d'un peuple libre et ami, a violé 
le droit des gens et fait tache à l'honneur du pays 
qu'il représente. 



— 62 — 

a Espérons encore cependant que les soldats 
français ne rempliront pas le rôle des Autrichiens en 
voulant rétablir le Pape . 

a Mais si cela arrivait, nous leur ferions voir qoe 
nous savons nous servir de nos armes, 800 soldats 
peuvent insulter mais non vaincre le peuple romain. 
« Romains, persévérez. 

Le Président, 
Francesco Sturbinetti. 
Les Conseillers, 
LuNATi, Gallibno, Galeotti, de Andreis, 

PlAGENTlNI, GORBOLI, FeLIGIANI^ 

Angelo. 

Le Secrétaire, 

Giuseppe Rossi^ 

« Au Capitole, le 27 avril, i849* » 

a Le peuple romain s*est levé comme il convenait. 
La victoire saluera de nouveau la bannière républi- 
caine qui flotte sur les sept collines de l'antique Rome, 
rajeunie par ses barricades. 

« Soldats romains! montrez au gouvernement de 
France qu'il s'est grandement trompé s'il a cru pou- 
voir impunément attaquer nos droits. La République 
vous conCe l'honneur de l'Italie et des armes républi- 
caines. 

« Vive l'Italie! Vive la République! 

« Le Ministre de la guerre, 
a Giuseppe Avezzana*. 

a Rome, le 27 avril 1849. » 

Le lieutenant Lecauchois-Féraud voyait se révéler 
à lui toute rhoslilité du gouvernement de Rome: il 

* Contemporaneo, 

' Carrière Mercantile, aS avril. 



— 63 — 

s*apprêtait donc à éclairer le général en chef enclin 
lui aussi à trop d'optimisme, malheureusement il fut 
devancé par le capitaine Fabar, déjà rentré au quar- 
tier général et qui affirma qu'en dépit des préparatifs 
officiels de résistance, Tintervention française serait 
acceptée sans difficulté si une démonstration énergi- 
que se produisait devant la capitale ^ 

Le général Oudinot ne pouvait plus hésiter; il 
n*avait plus qu'à marcher sur Rome. 

Aucune nouvelle fâcheuse n'était arrivée de Palo, 
le bataillon de chasseurs à pied n'avait donc pas été 
inquiété dans son cantonnement. 

Les forces dont dispose le général Oudinot sont 
loin d'atteindre les efiectifs normaux d'une division. 
II y a la brigade MoUière, qui, par l'adjonction du 
bataillon de chasseurs à pied à Palo, sera au com- 
plet : ao« et 38« de ligne, une batterie d'artillerie et 
une compagnie du génie, mais la brigade Le vaillant 
(Charles) n'est représentée que par six compagnies du 
36« et quatre compagnies du 66^ *, une batterie d'artil- 
lerie et une demi-compagnie du génie. 

Un peloton de chasseurs à cheval marche en pointe 
d'avant-garde. 

La colonne se met en marche le 28 avril, un peu 
tard, à huit heures du matin ^. 

* M. Lecauchois-Féraud, qui cependant était alors désillu- 
sionné, reconnaît dans son ouvrage que Tassurance donnée 
par le capitaine Fabar, coïncidait avec les rapports des diplo- 
mates : a Nos ministres plénipotentiaires de Rome et de 
Gaète annoncent que la plupart des soldats refuseraient dé 
nous combattre. Le général des carabiniers Galetti doit, dit* 
on, décider ses troupes à nous ouvrir les portes. La garde 
nationale est généralement sympathique à la France et 
dévonée à l'orare social. » (Oflicier d'état-major, Précis Ai«- 
iorique et militaire.} 

* Oflicier d*état-major. Précis historique et militaire de 
rExpéditioriy p. a3. 

* Historique du ao* de ligne 

Nons relevons dans V Historique du ao*' de ligne rédigé par 
le capitaine de Fontclaire (Ghftteauroux, Majesté imp. 1896) 



- ()4 - 

Le général Oudinot passe au galop le long delà 
colonne, suivi de son chef d elat-major, du lieute- 
nant-colonel commandant rartillerie, des officiers de 
rétat-major général et des officiers des étals-majors 
de Tartillerie et du génie. Un peloton de chasseurs 
forme Tescorte. 

Le duc de Reggîo salue au passage les deux dra- 
peaux du 2oe et du 38®, il regarde avec lierté les 
troupes peu nombreuses mais à Taspect martial et 
discipliné. Dans Tinfanterie, les officiers, comme 
leurs hommes, sont coifles de shakos de toile cirée 
de forme presque cylindrique, ils sont en tenue de 
service, épaulettes d'or et hausse-cols, avec la grande 
tunique à plis tombant jusqu'aux genoux, serrée à la 
taille par le ceinturon qui supporte le sabre à four- 
reau de cuir. 

Les soldats ont revêtu la grande capote bleue aux 
longues basques retroussées, la giberne par devant, 
le pantalon rouge dans les guêtres de cuir, le sac de 
couchage roulé en sautoir. 

Dans rartillerie et dans le génie, le shako est rem- 
placé par le képi resté aujourd'hui encore, en dépit 
de tant de changements dans la tenue, notre coiffure 
nationale. 

Au départ, en s'éloignant des maisons à terrasse 
de Civita-Vecchia, en passant sous la grande porte de 
Rome aux arches majestueuses, les musiques jouaient 
un allègre pas redoublé. Chacun est joyeux, depuis 
les généraux, vieux Africains expérimentés, à la car- 
rière déjà glorieuse, et les officiers de tous grades. 



une critique très judicieuse : « Les troupes, qui, la veille à 
onze heures du soir, se trouvaient de corvée pour le débar- 
quement du matériel, étaient mal reposées, et comme les 
hommes n'avaient pas été, par suite de malentendus, munis 
de petits bidons, ils avaient bu avant de se mettre en route 
toutes les rations de vin et d'cau-de-vie qui leur avaient été 
distribuées pour trois jours. » 



— 65 — 

enfiévrés de la noble ambition du devoir et de l'hon- 
neur, jusqu'à cet admirable cadre de sous-ofûciers, 
serviteurs modestes et résolus, toujours p rôts à payer 
d'exemple et à relever le moral de leurs hommes, 
jusqu'aux soldats eux-mêmes, pleins de gaité et de 
bonne volonté, épris de l'inconnu, séduisant mirage 
de la vie militaire. 

Tout fait présumer un accueil pacifique de la part 
de la population romaine. Peut-être y aura-t-il quel- 
que émeute à réprimer, mais n'est-ce pas un attrait 
de plus que cette menace du danger? 

La colonne marche longtemps en vue de la mer, 
sur la via Aurélia, devenue une route sablonneuse, 
dans une campagne aride et desséchée, au milieu de 
vastes landes sans arbres. En fait de maisons, ([uel- 
ques cabanes de pêcheurs ou de bergers, seules, se 
dressent dans la solitude. 

La chaleur est extrême. La grande halte se fait à 
l'ombre de maigres buissons de tamaris. Après deux 
heures de repos ^ la marche est reprise. Enfin cette 
longue étape de trente-cinq kilomètres touche à sa 
tin. On aperçoit d'abord les avant-postes des chas- 
seurs à pied, puis, sur le bord de la mer, le hameau 
de Palo, que domine un vieux château, entouré d'une 
muraille crénelée de cinq mètres de hauteur. Un dra- 
peau français improvisé flotte sur une tour en ruines. 

Le commandantdeMaroUes et ses officiers viennent 
recevoir la colonne. Le général en chef loge dans le 
château ainsi que son état-major, les troupes campent 
autour du hameau. Les maisons peu nombreuses sont 
délabrées, malpropres et pour la plupart inhabitées. 
Il faut donc bivouaquer, les feux ne s'allument qu'à 
la nuit close'. 

* Historique dii 20" ilc ligue. 

' Journal des o;)jr liions <liî l'.r/lill tic et <hi .;énie. — « On 
n'y arriva qu'à 9 houros du soir. » (Historique du. 20* de ligne.) 

5 



— 66 — 

Aucun groupe hostile ne s'était montré. Les quel- 
ques habitants interrogés n*avaient pu donner aucun 
renseignement. 

Le lendemain 29, à sept heures du matin*, toutes 
les troupes se remettent en marche, le bataillon de 
chasseurs à pied forme Tavant-garde, éclairé lui-même 
en pointe d'avant-garde par un peloton de cavalerie. 
L'étape sera courte, on ne doit pas dépasser Castel- 
di-Guido, à 22 kilomètres de Palo', la chaleur est 
toujours intense, il y a quelques cas d'insolation sans 
gravité, d'autres sont à redouter et le général en chef 
ne veut pas se présenter devant Rome avec des 
troupes fatiguées par une longue étape comme celle 
de la veille. 

La colonne chemine lentement dans des paysages 
moins arides que la veille ; les oliviers et les chênes 
verts surgissent au milieu de quelques terres labou- 
rées, des pâturages sont parfois enclavés dans les 
landes monotones, et alors apparaissent des bœufs 
aux longues cornes, des buffles et des chevaux qui 
bondissent librement '. Les ruisseaux sont rares et à 
peu près desséchés; il en est de même des fon- 
taines \ 

A midi ^ on arrive au gite d'étape, triste gîte très 
inférieur encore à Palo, car Castel-di-Guido, ou plu- 
tôt Castello-di-Guido, malgré son nom pompeux, n'est 
qu'une grande ferme, avec le bâtiment de relais de 
poste, la dernière poste à quatre lieues de Rome*. 

Aucun incident de marche à signaler, le bataillon 
de chasseurs, formant l'avant-garde, n'^a trouvé comme 
obstacles que quelques ponts détruits et la route 

* Historique du 33* de ligne. 

* Historique du 20* de ligne. 

s Capitaine d*état-major Vertray, Album, de VExpédiiion. 

* Ibid 

* Historique du 33* de ligne. 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 



-6j- 

coupée sur différents points *. Les sapeurs et la com- 
pagnie du génie n*ont pas eu besoin d'intervenir tant 
il était facile de contourner ces faibles obstacles. 

La colonne rompue et les tentes dressées sur les 
hauteurs qui dominent Castel-di-6uido, le camp s'éta- 
blit rapidement. L'eau est abondante, cotilant dans 
les ruisseaux ou môme recueillie dans les bacs ^, les 
arbustes fournissent le bois du bivouac. 

Avant la halte, le capitaine d'infanterie Oudinot, 
frère du général en chef et l'un de ses officiers d'ordon- 
nance, est parti en reconnaissance dans la direction 
de Rome, avec un demi-peloton de chasseurs. 

Aquatre heures, dans l'animation joyeuse du camp, 
on voit arriver à grande allure le capitaine Oudinot 
et ses cavaliers. Ils racontent que pendant environ 
trois lieues, ils n'ont rencontré que quelques habi- 
tants d'allures pacifiques, mais qu'à une lieue de 
Rome, à l'embranchement de la voie Aurélienne qu'ils 
continuaient à suivre et d'une autre route à droite ^ 
en passant au bas d'un talus escarpé, ils ont essuyé 
une salve de coups de fusil. Les cavaliers français 
ont distingué une cinquantaine de tirailleurs. Le 
capitaine Oudinot avait reçu l'ordre formel de se 
replier s'il était attaqué, il avait donc obéi à sa 
consigne à regret et commandé demi-tour au déta- 
chement. Ce mouvement s'exécuta avec un peu de 
désordre. Les chevaux animés par les coups de feu 
reprirent d'eux-mêmes le galop. On s'aperçut bientôt 
qu'un cavalier manquait. C'était un chasseur nommé 
Lefevre* dont le cheval blessé s'était abattu. Les 
Romains s'étaient précipités et avaient capturé le 

* Historique du i^' bataillon de chasseurs à pied. 

' a Des auges en bois ou en pierre reçoivent Teau destinée 
aux bestiaux. Cette eau est de bonne qualité. » (Capitaine 
Vertray, Albtim.^ 

' A cet endroit il y a une vieille tour appelée la tour Truilli. 

^ Historique du i'** chasseurs à cheval. 



— 68 — 

jeune soldat, engagé sous sa monture renversée. 
On l'emmena à Rome comme un brillant trophée *. 

En entendant le récit de cet acte d'hostilité inat- 
tendu, quelques officiers de Tentourage du duc de 
Reggio croyaient à une méprise de la part des Ro- 
mains. Le général en chef leur déclara que les trou- 
pes françaises se présenteraient le lendemain devant 
Rome, et qu'elles y pénétreraient de gré ou de force. 

Le bruit de l'agression du détachement de la cava- 
lerie par les révolutionnaires se répand bientôt dans 
tout le camp. Le général Oudinot réunit alors les 
officiers, les met au courant de l'attaque qu'a subie la 
reconnaissance, mais leur rappelle l'importance de la 
mission qui incombe au corps expéditionnaire et qu'il 
exécutera en dépit de toutes les résistances '. 
• Le cercle se rompt. Avant de regagner leurs tentes, 
la plupart des officiers gravissent une hauteur qui 
domine un peu Castel-di-Guido et d'où l'on aperçoit 
le dôme de Saint-Pierre ^ La ville mystérieuse garde 
son secret... 

La nuit, malgré sa brièveté, semble longue. A cinq 
heures du matin*, les troupes sont en colonne de 
route et mises en marche. Quoi qu'il arrive, l'étape 
sera courte. 

Le demi-escadron de cavalerie est en pointe d'avanl- 
garde, le bataillon de chasseurs forme le gros de 
l'avant-garde, détachant de nombreux flanqueurs pour 
la sécurité de la colonne. 



* « Le premier prisonnier que Ton fit appartenait à. une 
petite troupe de cavaliers français qui accompagnait dans une 
reconnaissance le capitaine Oudinot, jeune frère du g^énéral. » 
(Ermano Lœvinson, Giusepjie Garibaldie lasualegioncyp, i6i. 
— V. aussi GuERRAzzi, p. 689-690.) 

2 Historique du i**" bataillon de chasseurs à pied. 

' « De Castel-di-Guido on aperçoit le dôme de Saint-Pierre, 
comme si cette vaste coupole n'était séparée que par quelques 
kilomiMres. » (Capitaine Vertray, Album.) 

^ Historique du ao' de ligne. 



r 



-69- 

La route suit de légers vallonnements, traverse le 
petit village de Malagrolla, franchit sur un pont la 
petite rivière la Galera, et après une légère montée, 
redescend, traverse le ruisseau la Maglianella et 
arrive au hameau de ce nom, situé un peu au-dessus, 
mais dominé lui-même par des hauteurs à gauclie. Il 
est neuf heures. Une halte d'une demi-heure est pres- 
crite par le général en chef; tous les sacs sont dépo- 
sés dans une grange * où ils restent sous la garde 
d'une section du 33<» de ligne. Les hommes ne gardent 
que les sacs de couchage, roulés en sautoir pour y 
renfermer les cartouches de supplément et les 
râlions de biscuit ^ 

Le dispositif de marche est pris rapidement: 
A Tavant-garde les deux compagnies de voltigeurs 
du 20« de ligne, puis successivement le i^^^ bataillon 
de chasseurs à pied, le i^^ bataillon du 33<^ de ligne, 
le 1®^ bataillon du 20«, le 2<> bataillon du 33<^ de ligne, 
le 2« bataillon du 20®, rartillerie (deux batteries). 

Derrière les pièces de canon, se plaçaient les frac- 
tions appartenant à la brigade Levaillant : six com- 
pagnies du 36<), quatre du 66^. 

Les quelques voitures du convoi encadrées par la 
gendarmerie fermaient la marche. Lesgénéraux Oudi- 
not, Regnaud d'Angély et MoUière se tenaient à 
Tavant-garde. 

A riieure où la colonne française quittait le triste 
hameau, qu'ombrageaient seulement de rares oli- 
viers, Rome se préparait à une lutte à outrance. Pen- 
dant la nuit, les dernières barricades avaient été 
terminées. A l'ouest et au sud-ouest, les rues qui 
aboutissent aux portes en étaient hérissées ; pavés, 
voitures, troncs d'arbres, morceaux de grilles, tout cela 

* Historique du ao^ de ligne. 

* Officier d*état-major, Précis historique et militaire^ 
p. a5. 



— 70 — 

était entassé et encadré de défenseurs. Du sable avait 
été répandu sur les principales voies pour faciliter 
les opérations de la cavalerie romaine. Partout les 
troupes de la Révolution avaient pris les armes. Au 
sommet des tours du Capitole et de Montecitorio, des 
guetteurs devaient sonner les cloches dès qu'on aper* 
cevrait les premiers éclaireurs français. Enfin un 
comité dit des ambulances avait été organisé, mais il 
semblait plutôt destiné à surexciter la résistance qu'à 
soulager ou guérir les futurs blessés. Ses membres, 
après s'être installés au Capitole, couraient les rues 
et les carrefours en prêchant la défense à outrance. 
Trois femmes en faisaient partie ainsi qu'une dizaine de 
journalistes ou d'avocats exaltés, un religieux et trois 
médecins seulement K La plus ardente de ces femmes 
était la princesse Belgiojoso, née Christine Trivulce 
Sa générosité l'avait rendue très populaire *. 

* Le comité se composait des citoyennes Christine Trivulce 
princesse Belgiojoso, Henriette Pisaeane, Julie Paolucci, et des 
citoyens PèreGavazzi, D''PasquaIi, Panunzi, D^'FelicianLSani, 
Mengherini, Vivardi, Savorelli, D'Carlucci, Vannuzzi, Cleter. 

^ Le général Es pi vent de la Villeboisnet, resté si iin conteur 
malgré son grand A^e, nous a parlé de la princesse, Fexaltée 
révolutionnaire, qu'il a eu l'occasion de voir à Home. 

Lire dans le Correspondant n^ du 25 novembre 190a et soi* 
vant : Une Princesse révolutionnaire, par le comte Joseph 
Grabinski, à propos d'un récent ouvrage italien de Raffaello 
Barbier A, La princesse Belgiojoso, suoi amici et nemici, il 
s uo tempo. (Milan, lib. Trêves, 1902.) 



CHAPITRE V 



LE COMBAT DU 3o AVRIL. — LA RETRAITE. 



Sous un soleil ardent, la colonne française conti- 
nue sa marche. Depuis le départ de Maglianella, le 
pays a changé d'aspect, la végétation grandit, les 
hrbitants sont moins rares', gardant d'ailleurs Tair 
indifférent qu'affectent les paysans de la campagne 
romaine. Les soldats contemplent avec intérêt les 
terres labourées, les vignes, les bosquets d* oliviers, 
les grands chênes et les haies vertes. Le dôme de 
Saint-Pierre se dresse toujours, attirant et majestueux. 

La chaleur devient plus pénible, il est dix heures 
et demie. Malgré son lourd shako sans couvre-nuque, 
le soldat garde son pas élastique et vigoureux, aussi 
les distances entre les diverses unités restent-elles 
réglementaires. 

Sur la route poudreuse, à la hauteur du Monte- 
Greta sur la droite, on distingue nettement les 
parcs des villas Cor viale, Santucci, Maffei, Pamphili, 
Negroni qui élèvent vers le ciel bleu leurs grands pins, 
parasols gigantesques dans cette atmosphère de 

* Capitaine Vbrtray, Album, 



— 72 — 

feu*. Un pâtre nomme aux officiers d'état-major ces 
somptueuses maisons de campagne. 

Par un oubli fâcheux du ministère de la guerre, le 
général Oudinot et ses principaux collaborateurs 
n'ont pas de cartes topographiques, ils se sont pro- 
curé avant rembarquement des cartes géographiques, 
trop incomplètes, qui leur seront à peu près inutiles *. 
Le seul renseignement que se répètent les offi- 
ciers de Tavant-garde est le point de direction : la 
porte Pertussa, dans une courtine des fortifications, à 
une portée de fusil des remparts de Rome, du côté 
du Vatican'. On ne prévoyait pas le terrible mé- 
compte qu'allait donner cette indication erronée*. 

A un kilomètre et demi de Rome, la colonne se 
trouvait au point de bifurcation de deux routes : Tune 
aboutit par la droite à la porte San-Pancrazio, l'autre, 
parla gauche, conduit à la porte Cavalligieri qui donne 
accès sur la place Saint- Pierre. Avant d'atteindre 
cette porte, la route se dirige vers le saillant le plus 
avancé de l'enceinte qui couronne le sommet du Vati- 
can et où précisément se trouvait la porte Pertussa ^ 

Le général MoUière dirigea les compagnies de vol- 
tigeurs du 20® de ligne sur le chemin de la porte San- 
Pancrazio pour couvrir notre flanc droit. La route 
traversait une sorte de faubourg absolument aban- 
donné. On n'y rencontrait aucun obstacle^. 

* Capitaine Vertray, Album, 

^ Rappelons ^u'en 1870, un oubli de même nature avait été 
commis. Les etats-majors do Tarmée de GhAlons étaient 
absolument démunis des cartes topographiques de Cham- 

Eagne et du pays avoisinant la frontière belge et le Luxem- 
ourff. 
' nistorique du 33* de ligne. 

* Il convient de mentionner que ni le capitaine Fabar ni le 
lieutenant Lecauchois-Féraud, restés en quelque sorte prison- 
niers pendant leur séjour à Rome, n*avaient pu échapper à 
la surveillance des révolutionnaires et aller reconnaître ce 
point. 

'" Journal des opérations de rarllllerie et du génie. 

* Ibid. 



-73- 

A i5o mètres du saillant de Tenceinte du Vatican^ 
au coude de la partie de la route qui monte en ligne 
droite vers ce point, deux coups de canon à mitraille 
sont tirés de Tenceinte sur la pointe d'avant-garde, 
formée à ce moment par une compagnie de chasseurs 
à pied*. 

Ces décharges d'artillerie blessent quelques hom- 
mes; les cavaliers de la pointe, éclairant la gauche de 
la colonne, se trouvent à Tabri. Les chasseurs à 
pied s'embusquent dans les vignes qui couvrent le 
versant du Monte-Mario, tourné vers la ville. Défi- 
lés par des replis de terrain, ils -ouvrent, avec leurs 
carabines Minié, un feu bien ajusté sur les artilleurs 
romains qui servent les pièces '. 

Des remparts de Rome partent de véritables hurle- 
ments, c'est la population quj veut ainsi encourager 
ses défenseurs. Toute incertitude est dissipée. 

Il est onze heures et demie. Le général MoUière 
a fait déployer en tirailleurs le bataillon de chasseurs 
à pied tout entier (commandant de Marolles et le 
I" bataillon du 20® de ligne (commandant Picard). 

Ces troupes occupent les crêtes et les mamelons 
qui bordent la route des deux côtés' L'artillerie, les 
compagnies du génie et les autres troupes des deux 
brigades restent momentanément massées sur la 
route même, où elles se trouvent couvertes par les 
murs de clôture et par les maisons ^ 

Les généraux Regnaud d'Angély, ^lollière et 
Levaillant (Charles) se réunissent au général en chef 
et à son état-major pour faire une rapide reconnais- 
sance du terrain de combat. Ils aperçoivent nette- 
ment la ligne de fortifications garnie d'artillerie, avec 

■ Historique du 1*' bataillon de chasseurs à pied. 
« Ibid. 

' Historiques du i" bataillon de chasseurs el du ao* de 
ligne. 
* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 



-74- 

escarpes, contre-escarpess, bastions et courtines*. 

On distingue de nombreuses troupes d'infanterie au 
milieu desquelles émergent les drapeaux rouges. Les 
cris et les vociférations ne s'arrêtent pas'. 

Le général Oudinot se décide à riposter vigoureu- 
sement au feu du rempart et à donner l'assaut à la 
porte Pertussa, c'est-à dire au saillant sud-ouest 
du Vatican, pendant qu'une diversion se ferait au 
nord du palais pontifical. 

Sept compagnies du 2o<» de ligne et une compagnie 
de chasseurs à pied, sous le commandement du chef de 
bataillon Picard, reçoivent l'ordre de se diriger plus 
à droite de la route. Les grenadiers et quatre compa- 
gnies du fio^ de ligne se déploient au pas de course, 
puis font un feu extrêmement soutenu^. 

Le chef d'escadron Bourdeaux ^, chef d'état-major 
de l'artillerie, conduit lui-même deux pièces de 
canon sur un petit plateau à droite du tournant de la 
route et les met en batterie, à moins de 400 mètres 
de l'enceinte et à découvert ^ Le feu bien conduit, 
par-dessus les tirailleurs d'infanterie, accroupis dans 
les vignes, ralentit celui des remparts, mais nos 
artilleurs ne voient pas deux pièces ennemies qui, 
placées sur le terre-plein de la porte Pertussa, enfi- 
lent toute la route et dont le tir devient très meurtrier •. 

C'est alors que le général Oudinot donne l'ordre au 
général Moltière de porter sa brigade en avant. 

Le bataillon de chasseurs à pied reste en soutien de 



■ Celte ligne fortinée avait près de 8 kilomètres de la porte 
Portese au fort Saint-Ange, la hauteur d'escarpe était de 
10 mètres de hauteur en moyenne, les courtines étaient ter- 
rassées par derrière avec chemin de ronde. 

^ Rapport du général en chef au ministre de la guerre. 
{Moniteur du 11 mai 1849.) 

' Historique du ao* de ligne. 

^ BALLEYDiER,La Réi^olutiofi à Rome, 

' Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 

• Ibid, 



-75- 

Tartillerie, dont deux pièces seulement ont pu trou- 
ver place sur le petit plateau. La brigade MoUière 
(ao® et 33« de ligne) se porte au pas gymnastique dans 
la direction de la porte Pertussa, mais sans en con- 
naître l'emplacement exact. 

Une section d'artillerie de la batterie qui a fourni 
les deux pièces engagées part au galop, sous le 
commandement du capitaine Serrand, à travers les 
projectiles, sous les voûtes d'un aqueduc. Elle entre 
en action et contrebalance très énergiquement le tir 
d'une batterie suisse. Le colonel d'artillerie Larchey 
vient lui-même diriger le tir de cette section et encou- 
rager les artilleurs. 

L'infanterie de la brigade MoUière ne montrait pas 
moins d'entrain et de vaillance. Le général de bri» 
gade a porté son premier régiment, le 20® (colonel 
Marulaz) sur la droite pour débusquer les tirail- 
leurs romains qui menacent son flanc droit. Un 
oflîcîer d'état-major a enfin reconnu la porte Per- 
tussa et le 33«, précédé d'une compagnie du génie, 
se forme en colonne d'assaut. Le capitaine Puiggari 
et ses sapeurs, avec des sacs à poudre, s'avancent 
bravement. Malheureusement l'assaut est impossible, 
la porte est murée par une terrasse en terre!... 
et du terre-plein part un feu terrible. 

Les ordres du général en chef sont formels, il faut 
tenter l'assaut. Le colonel Bouat se met en tête du 
i"*^ bataillon et fait battre et sonner la charge. D'un 
élan superbe, le bataillon, au milieu duquel flotte 
le drapeau, s'élance sur le rempart, sous la mitraille, 
sous la fusillade, mais le mur est trop haut et c'est 
vainement qu'officiers et soldats cherchent à se cram- 
ponner à ses aspérités et à gravir la muraille ^ 

' « Beaucoup de nos hommes, ne trouvant devant eux que 
des murs contre lesauels les balles et les baïonnettes étaient 
impuissantes, se replièrent. » {Historique du 33*^.) 



-76- 

Le feu des Romains cause de nombreuses victimes. 
Un nouvel effort aussi vaillant, aussi infructueux est 
tenté par le 33^. Sous une grêle de balles, la plus 
grande partie du bataillon appuie à droite et rejoint 
le reste du régiment, mais le colonel Bouat se refuse 
à quitter son poste de combat. Suivi de quelques 
officiers et de la i^® compagnie de voltigeurs, il s'arrête 
dans un chemin creux et derrière un tertre, à portée 
de pistolet du rempart, guettant Toccasion de tenter 
de nouveau cette terrible escalade *. 

Le général Mollière porte maintenant en avant le 
3« bataillon (commandant Ferru). Arrivé à Tangle 
droit que forme le chemin de Rome à Taqueduc, le 
bataillon est arrêté par les fractions du so» de ligne 
qui n'ont pu encore se développer et par le i«r batail- 
lon du 33« qui, sur une erreur de direction, n'a pas 
suivi le colonel et est resté en colonne. Le bataillon 
Ferru se dégage et parvient jusqu'à la pente qui con- 
duit aux murailles de l'enceinte. Une pièce d'artille- 
rie venait d'être hissée et mise en batterie*. Cette 
pièce était tellement en vue et à découvert que ses 
servants furent mis hors de combat^. Le comman- 
dant Ferru la fait retirer par ses voltigeurs et reporte 
son bataillon en arrière et à droite dans un chemin 
creux parallèle aux remparts. 

Les hommes s'y blottissent en cherchant à tirer 
toujours sur les défenseurs de l'enceinte, qui sont 
garantis par des créneaux, des meurtrières et des 
sacs à terre. 

Le général Mollière vient lui-même prendre le 



* Le colonel Bouat devint plus tard officier général. La di\n- 
sion qu'il commandait prit une part active aux opérations du 
siège de Sébastopol. 

^ L'Historique du 33* de ligne, auquel nous empruntons ce< 
détails, déclare que cette pièce, comme le bataillon Ferra, 
était alors à une aemi-portée de fusil des remparts. 

3 Historique du 33*. 



— 77 — 

commandement du bataillon. Le commandant Ferru 
se place aux côtés du général et Ton tente une seconde 
attaque aussi infructueuse. Le lieutenant Peydière, 
du 33®, tombe foudroyé par une balle, les capitaines 
de Lescale, Condamin, le lieutenant Reynaud, les 
sous-lieutenants Verdelet et Camaga sont grièvement 
blessés. La compagnie de grenadiers vient remplacer 
les voltigeurs* pour essayer une troisième tentative 
à la tète du bataillon. A ce moment, le commandant 
Goury, chef d'élat-major du génie, revenant d'exécu- 
ter sous le feu de Tennemi la plus périlleuse des 
reconnaissances, vient assurer le général qu'il n'y a 
aucun moyen d'escalader la muraille, lui afiirmant 
« que les homme's marchent à une mort certaine 
parce qu'ils ne trouveront devant eux que des murs 
à combattre* ». 

Les soldats du SS^^ s'obstinaient à rester, le 
général Mollière donna l'ordre de retraite et les fit 
rétrograder jusqu'à la route. L'encombrement que 
produisit l'agglomération des autres fractions du 33^, 
obligea le 3« bataillon à obliquer beaucoup plus à 
droite. Le commandant Ferru eut alors l'heureuse 
idée de reporter sa troupe dans une vigne peu éloi- 
gnée de la villa Pamphili où, comme nous le verrons, 
il put observer et repousser en partie une sortie des 
troupes romaines du côté de la porte San-Pan- 
crazio. 

Au ao« de ligne, la situation n'était pas moins grave. 
Dès le début de l'action, ce régiment avait été 
déployé sur la droite afin d'appuyer l'assaut tenté 
par le 33« sur la trompeuse porte Pertussa. Après la 
reconnaissance du commandant Goury, le général 
en chef avait prescrit au colonel Marulaz d'étendre 
son front de combat jusqu'à la porte San-Pancrazio, 

• Historique du 33* de ligne. 
« Ibid. 



-78- 

objectif un peu éloigné, car il était distant de près 
d'un kilomètre. 

L'ordre que recevait le colonel du ao« cadrait 
d'ailleurs parfaitement avec le dispositif déjà adopté. 
On se rappelle que le bataillon Picard avait été 
envoyé sur la droite. Cette troupe avait été presque 
aussitôt engagée pour débusquer les tirailleurs enne- 
mis sortis par la porte San-Pancrazio S qui envoyaient 
des coups de fusil au bataillon de chasseurs placé 
dans les vignes. 

Quatre compagnies du bataillon Picard furent 
déployées en tirailleurs et repoussèrent les Romains 
sur toute la ligne*. Le colonel Marulaz porta en avant 
le reste du bataillon pour lui servir «de soutien, enTen- 
gageant à ne pas trop étendre sa ligne et à conserver 
une forte réserve'. 

Garibaldi avait dirigé lui-même une sortie à la tète 
du bataillon universitaire et avait gagné une maison 
appelée le Casino des Quatre- Vents, garnie d'une 
large terrasse \ 

La plus grande partie de la brigade Garibaldi res- 
tait massée un peu en avant de la porte San-Pancrazio. 
Un millier d'hommes, détachés en tirailleurs, for- 
maient une sorte d'arc de cercle jusqu'aux jardins de 
la villa Pamphili, dans lesquels cependant ils n'avaient 
pas osé encore pénétrer, craignant de s'y trouver 
cernés ^ Il était environ deux heures et la fusillade 
continuait de part et d'autre sans avantage marqué. 

L*artillerie romaine tirait sans relâche sur le 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 
2 Historique du 20'' de ligne. 

» Ibid. 

* Krmano Lœvinson, Giiiseppe Garibaldi e la sua leg'ione, 
p. i(V3. 

'* Lliistorio£^raphe de la légion Garibalbi indique que la 
villa Pamphili fut occupée par les Français à la iln de la 
journée, puis conquise par les garibaldiens. (Ermano Lgrvin- 

SON, p. lO'i,) 



— 79 — 

bataillon de chasseurs à pied qui avait gardé ses posi- 
tions. Le commandant de MaroUes détaciia une sec- 
tion de vingt-cinq hommes avec un officier, en lui 
donnant la mission de découvrir sur la droite un 
endroit favorable pour s'y embusquer*. Malgré leur 
petit nombre, les chasseurs à pied infligèrent des 
pertes sérieuses à l'ennemi. 

Sur un renseignement malheureusement erroné, 
le général en chef modiflait ses dispositions d'attaque. 
Après avoir reconnu l'impossibilité d'enfoncer la 
porte Pertussa, bouchée et garnie d'un épaulement, 
après s'être rendu compte que l'attaque sur la droite 
dans la direction de la porte Cavallegieri ne faisait 
aucun progrès, en raison de la situation absolument 
à découvert des assaillants, accablés par les feux de 
mousqueterie et par la mitraille de l'ennemi, le duc de 
Reggio se décidait brusquement, non pas à rompre le 
combat, mais à l'étendre sur la gauche et à tenter 
une attaque au nord-est du Vatican. 

Deux motifs dictaient cette résolution : d'abord 
opérer une diversion assez puissante pour dégarnir 
le front de défense où l'ennemi avait incontestable- 
ment aggloméré ses forces, surtout en artillerie; en 
second lieu (et ce devait être, comme pour la fameuse 
poterne, une bien regrettable erreur), provoquer, 
entre Saint-Pierre et le fort. Saint- Ange, une manifes- 
tation des partisans du Pape Pie IX. 

Cette dernière assurance était encore renouvelée 
par l'un des officiers qui inspiraient le plus de confiance 
au général Oudinot, le capitaine d'artillerie Fabar, 
son propre ofGcier d'ordonnance, revenu seulement 
la veille de Rome où il avait accompagné M. Mon- 
lecchi *, le ministre romain et l'un des négociateurs 
du triumvirat. « Il suffisait, affirmait le capitaine, 

* Historique du i*' bataillon de chasseurs à pied. 
' L. DB Gaillard, L'Expédition de Rome, p. 176. 



— 8o — 

d'aller se présenter devant la porte Angelica, en 
contournant Tenceinte du Vatican*, par des chemins 
à l'abri du canon. » 

M. Fabar n'avait pu s'en rendre compte par lui- 
même, mais pendant les quelques heures qu'il avait 
passées à Rome, il s'était fait expliquer la topographie 
de la ville par le lieutenant-colonel Leblanc, resté 
prisonnier des Romains ^ 

Un an avant le débarquement, le colonel avait fait 
à Rome un séjour^ qui lui avait permis de se rendre 
compte de l'état des fortifications de la ville et de leur 
armement, mais les renseignements qu'il avait donnés 
à son jeune camarade n'étaient plus exacts. Toute 
l'enceinte du Vatican jusqu'au fort Saint-Ange avait 
été récemment garnie de canons et si cette artillerie 
ne s'était pas encore révélée en ouvrant son feu, 
c'est qu'elle n'avait pas des vues suffisantes sur les 
troupes françaises abritées par des plis de terrain et 
le saillant même du Vatican. Le chemin à suivre 
était presque entièrement à découvert, quelques 
bâtisses, maisons ou plutôt masures abandonnées, le 
transformaient en ruelle dans certaines parties. 

Ces inconvénients, ces dangers ne furent pas signa- 
lés. L'élan de la brigade Mollière était arrêté et l'on 
sentait que le combat traînait; les soldats du général 
Levaillant demandaient hautement à prendre part à 
la lutte. Le général en chef céda aux instances du 
capitaine Fabar et le chargea de guider la colonne. 
La petite troupe, qui représentait la 2« brigade, se 
mit aussitôt en marche. Le premier groupe d'infan- 



^ M. de 'Gaillard (Hait ua des amis personnels da duc 
de Reggio et a recueilli de la bouche même du général bien 
des renseignements intéressants. 

^ Connue le capitaine Boissonnet, Tun et l'autre étaient 
retenus au mépris du droit des gens. Ces deux ofliciers ne 
devaient être remis en liberté que le 8 mai. 

^ Ce séjour avait été une véritable mission militaire. 



— 8i — 

terie du 36« était précédé de la compagnie de sapeurs 
du génie avec le capitaine Darceau. Venaient ensuite 
le général Levaillant (Cliarles) et l'officier d'ordon- 
nance du général Oudinot, la batterie d'artillerie du 
capitaine Pinel et le second groupe dlnfanterie (du 
6o«). La compagnie de grenadiers de ce régiment 
formait Tarrière-garde. 

Toute la colonne prit le pas gymnastique et s'enga- 
gea dans une gorge à peu près perpendiculaire à la 
direction de la route, puis elle tourna à droite dans 
le fond du vallon qui court parallèlement aux fronts 
nord-ouest du Vatican, seul chemin qu'elle put 
prendre pour arriver avec de Tartillerie à la porte 
Angelica*. Dès que la tète lut à la hauteur du second 
front' bastionné de l'ouest, un feu terrible de mous- 
qaeterie crépita sur toute la ligne ennemie, à 
i5o mètres de la brigade française'. 

Le capitaine Fabar, qui se trouvait à l'extrême 
pointe, tomba criblé de balles ainsi que sa monture. 
Des sapeurs du génie le traînèrent derrière un amas 
de matériaux qui abritaient un peu; d'ailleurs, le 
malheureux ofticier n'existait plus. Les deux attelages 
de la première pièce avaient été tués, la pièce restait 
renversée. 

La fusillade de l'ennemi devint si intense que les 
compagnies du36«, dont le commandant, M. Perrinde 
Jonquiôres, était grièvement blessé, ainsi (jue son 
adjudant-major, le capitaine Trouillebert et une dizaine 
de sous-officiers et de soldats, se blottirent derrière les 
masures par les ouvertures desquelles elles conti- 
nuèrent le feu. 

Les grenadiers du 36«, enlevés par leur brave capi- 
taine d*Astelet et le lieutenant Riffaud, tentèrent de 

' Journal des opérations de rartiilerie et du génie. 
» Ibid. 
' Ibid. 

6 



— 8a — 

retirer la pièce, les deux officiers furent blessés ainsi 
que le sergent Brûlé et deux grenadiers'. 

La seconde pièce d'artillerie put être retirée et mise 
à couvert dans un pli de terrain, mais il fallut encore 
s'en éloigner pour ne pas sacrifier les servants et une 
dizaine d'hommes du 66^ qui, sur l'appel du comman- 
dant Couraud, étaient venus en aide à leurs cama- 
rades de l'artillerie. 

Les lieutenants Chopinet et Christophe, le sergent 
Boulay, du 66«, montrèrent la plus belle intrépidité. 
Le capitaine Pinel, de l'artillerie, et ses deux lieu- 
tenants purent faire rétrograder les deux autres pièces 
jusqu'à la queue de la colonne où la compagnie de 
grenadiers du 66^ les encadra pour les préserver de 
toute surprise. Les deux premières pièces seulement 
restaient donc abandonnées. 

Les soldats du 66^ avaient dû reculer jusqu'au vallon 
et s'y abriter. Ils n'avaient plus de vues sur Fenneroi 
et, seuls, le détachement du 36« et la compagnie du 
génie tiraient encore quelques coups de fusil. 

Le général en chef songe à faire appuyer le mou- 
vement de la brigade Levaillant par le bataillon de 
chasseurs, lorsqu'on vient l'informer de la situation 
critique où se trouve cette brigade. Ne voulant point 
exposer inutilement son état-major, il ordonne à ses 
officiers de rester un peu abrités et se porte au galop 
dans la direction du nord-ouesl, suivi seulement de 
son premier aide de camp, le commandant Espivenl 
delà Villeboisnet. Après avoir dépassé le détachement 
du 66"^, qu'il eût été inutile et dangereux de reporter 
en avant, le général en chef et son aide de camp 
s'engagent à cheval dans le petit chemin où la pro- 

» Ces deux grenadiers du 36^ s*appclaient MoreUi et Faure. 
Ils furent cites dans le rapport au niinislre ainsi que le> 
quatre ofliciers nommés plus haut, le sergent Brûlé et un 
sapeur nommé Petit, tous blessés. {Historique du 36^ de 
ligne.) 



— 83 — 

mîère pièce d'artillerie est restée renversée. L'ennemi 
tire une salve sur les deux cavaliers qu'acclament les 
soldats du 36« et les sapeurs du génie tout en les 
suppliant de s'abri ter ' . Le général Levail lan t (Charles) , 
resté avec ce détachement, fait avec un merveilleux 
sang-froid son rapport au général Oudinot, pen- 
dant que le commandant Espivent de la Yillebois- 
net poursuit sa dangereuse reconnaissance ; il revient 
tristement convaincu de l'inutilité d'une nouvelle 
tentative '. 

Ce ne fut pas sans émotion que le général en chef 
revit le corps du capitaine Fabar, officier distingué 
qu'il estimait et afTectionnait. La dépouille mortelle 
de l'infortuné capitaine fut aussitôt transportée à 
l'ambulance, déjà très encombrée de morts et de 
blessés. Le général Oudinot se porta ensuite sur la 
droite du côté de la brigade MoUière dont le général 
de division Regnaud d'Angély venait de pousser des 
détachements vers la porte Cavallegieri. 

Beaucoup plus à droite encore, le bataillon du 
ao^ de ligne (commandant Picard) avait été engagé 
tout entier. L'ennemi, sous le commandement per- 
sonnel de Garibaldi, avait d*abord dessiné un mou- 
vement convergent sur l'aile droite des Français, 
puis les avait attaqués avec un entrain inaccoutumé, 
s'engageant par fractions sans cesse renouvelées'. 
Leur extrême gauche vint se heurter à la section de 
chasseurs à pied qu'avait envoyée le commandant de 
MaroUes. 

Embusqués derrière un buisson, les chasseurs 

' Communication de M. le général Espivent de la MlJe- 
boisnet. 

* Communication de M. le général Espivent de la Vîlle- 
boisnet. 

' Lœvinson déclare que c'était la tactique favorite de Gari- 
t>aldi : « A modo sno, eîoè da pîcoLi drappelLi ddla saa 
troppa. » (fiiuseppe Garibaldi e la sua legione, p, i63.> 



-84- 

tirent avec tant de précision que le bataillon des 
universitaires, qui est en tête des Romains, se rejette 
en désordre sur les jardins de la villa Pamphili. Un 
bataillon de la légion de Garibaldi formait le centre 
et la droite, en laissant un intervalle assez grand avec 
l'aile gauche : il est abordé avec une vigueur irrésis- 
tible par le bataillon Picard. Tambours et clairons 
battent et sonnent la charge, les troupiers du !20« ont 
mis la baïonnette au canon. Garibaldi se porte sur 
la villa Pamphili, il dispose sa légion presque toat 
entière dans les jardins, et ordonne la résistance à 
outrance. Vaines prescriptions! Le bataillon Picard 
court sur la position, à la française, sans répondre à 
la fusillade. Les garibaldiens évacuent prudemment 
les jardins et la villa. Une partie de ces volontaires 
se replie sur la villa Corsini, appelée le Casino des 
Quatre- Vents*, d'autres fractions courent jusqu'à la 
porte San-Pancrazio et ne se croient en sûreté que 
lorsqu'elles ont pénétré dans l'enceinte. 

Le commandant Picard les a poursuivies jusqu a 
200 mètres de la porte San-Pancrazio *; il établit deux 
conipagnies en première ligne, plaçant le reste de 
son bataillon en réserve dans la villa Pamphili et 
dans quelques maisons plus rapprochées de Fen- 
ceinte. Il était environ quatre heures et demie. 

 ce moment, on entendit de nouveau battre la 
charge au centre de la ligne française, du côté de la 
porte Cavallegieri. Le général en chef s'était porté 
vers le 20« de ligne et avait donné l'ordre au colonel 
Marulaz de tenter un nouvel assaut, non pas précisé- 
ment sur cette porte, mais entre la porte Pertussa et 
la porte Cavallegieri'. 



* Ermano Lœvinson, Giuseppe Garibaldi e la sua legione, 
p. i63. 

* Historique du 20* de ligne. 
» Ibid. 



— 85 — 

Le colonel avait fait preuve d'une éclatante bra- 
voure comme officier de la garde royale aux journées 
de juillet i83o *. Bien qu'il n'ait aucun espoir de bri- 
ser la résistance, il ne fait aucune objection, met le 
sabre à la main, commande le pas de charge et au cri 
de : « En avant! » se rue, avec six compagnies', sur 
Fenceinte devant laquelle sont déjà tombés tant de 
braves soldats de son régiment. 

Dans un élan héroïque, quelques soldats plantaient 
leurs baïonnettes dans les murailles cherchant à s'y 
accrocher et à tenter l'escalade, pendant que du 
terre-plein les défenseurs les fusillaient presque à 
bout portant. Là tombèrent, glorieusement tués, les 
sous-lieutenants Labarreet Sorin et plus de cinquante 
hommes du ao^ de ligne. Parmi les blessés, il faut 
citer les capitaines Noualhac et Gajoty^ et le lieu- 
tenant Mutin. 

Le colonel Marulaz, dressé sur ses étrierset le sabre 
haut, ordonne « un nouveau bond* ». Des voltigeurs 
du 33« demandent à prendre la tête de la colonne; 
derrière eux, les six compagnies du 20® recommen- 
cent leur valeureuse et infructueuse tentative. Les 
capitaines Périgault et Mas sont blessés. Il faudrait 
des échelles!... 

Le colonel s'approche encore, sous un feu terrible, 
à environ 3o mètres du rempart. Après avoir cons- 
taté lui-même qu'il n'y a décidément ni porte ni 
passage, il reporte sa troupe à droite dans le chemin 



* Après les événements de i83o, le capitaine Marulaz, versé 
ao 17* léger, avait pris part, avec ce beau régiment, alors le 
modèle de Tarmée d'Afrique, aux principaux faits de guerre 
de la province de Gonstantine et de celle d'Alger. Il était, 
d'ailleurs, destiné à devenir oflicier général de bonne heure. 

^ Six compagnies du centre du bataillon. 

* Quelques mstants auparavant, le sous-lieutenant Dupré 
avait été mortellement blessé. {Historique du ao' de ligne.) 

* Ce sont les propres termes du rédacteur de VHisiorique 
du régiment. 



— 86 — 

creux d'où il continue à diriger le feu sur les remparts*. 

Sur toute la ligne la canonnade et la mousqueterie 
diminuaient d'intensité, les troupes françaises se 
trouvaient alors abritées, les défenseurs de Rome 
avaient dû cesser momentanément leur feu sans 
oser tenter une sortie. 

Le commandant Picard est toujours en première 
ligne avec deux compagnies', restant à 200 mètres 
de la porte San-Pancrazio, ayant laissé, comme nous 
l'avons vu, le reste de son bataillon (moins la compa- 
gnie de voltigeurs), soit cinq compagnies, en réserve 
dans les maisons dont cette troupe s'était emparée'. 

L'ennemi s'était réfugié dans plusieurs maisons 
voisines du rempart et derrière un petit ouvrage en 
terre construit devant la porte San-Pancrazio, où se 
trouvaient trois pièces de canon. Des matelas avaient 
été placés contre la porte ; on y avait pratiqué un pas- 
sage assez étroit. Les remparts étaient garnis de 
nombreux défenseurs*. 

Sachant que le général en chef avait l'intention de 
se porter sur un autre point*, le commandant Picard 
voulut opérer une diversion en menaçant vigoureu- 
sement la porte San-Pancrazio; il porta donc ses 
deux compagnies en avant après les avoir formées 
en tirailleurs. A ce moment on entendit sur la gauche 
une vive fusillade, puis, derrière l'enceinte, des 
fanfares et des chants, entre autres la il/ar^^î^toî^e^ 

< Historique du 20' de ligne. Il y avait là 5o grenadiers et 
voltigeurs du 33". 

• Historique du 20* de ligne. 

' V Historique du 30^ mentionne que le commandant Picard 
avait rintention de se replier sur ces maisons s'il venai ta 
être repoussé par des forces supérieures. 

^ Rapport du commandant Picard, inséré au Moniteur^ 
numéro du 3o mai 1849, sous la désignation de <x Rapport de 
i'ofiicier qui commandait le détachement qui s*est présenté 
à la porte San-Pancrazio x». 

^ Rapport du commandant Picard. (Moniteur da 3o mai.) 

• IhiZ 



-87- 

Dans la troupe du commandant Picard, l'impression 
générale fut que la ville était prise*. Il était cinq 
heures et demie du soir '. 

Alors des voix romaines crièrent : La pàce, la 
pàcef Le commandant envoya devant la porte un de 
ses officiers, accompagné d'un prisonnier garibaldien. 
Pas un coup de fusil ne se faisait entendre. 

Les Romains, apercevant leur compatriote, sortent 
en foule, se précipitent vers les soldats français, 
élèvent leurs casquettes au bout de leurs fusils et 
prodiguent à leurs adversaires des démonstrations 
d'amitié, embrassent les tirailleurs les plus avancés'. 
Le commandant Picard descend de cheval, francliit 
une petite porte de jardin et se trouve au milieu de 
manifestants ([ui lui crient : Siamo amici, siamo 
fratelli! Lapàce! la pàcef 

Il leur ordonne de remettre la baïonnette au 
fourreau, ils obéissent; le commandant leur dit qu'il 
va donner des ordres à sa troupe, après quoi il 
reviendra et se rendra avec eux auprès du général 
(et il s'agit ici du général Oudinot, qui d'après leur 
affirmation se trouve dans le voisinage). M. Picard 
revient auprès de ses soldats et leur annonce « que la 
ville est prise, qu'il va prendre les ordres du général 
en chef. En attendant son retour, il recommande de 
ne faire aucun mouvement^ ». 

A peine le commandant est-il rentré dans l'enceinte, 
obéissante un sentiment de confiance bien naturel^ 



• « Vers le soir. x> (Officier d'étal-major, Précis historique 
et militaire de l'expédition française en Italie.) 

' Rapport du commandant Picard. 

' Rapport du commandant Picard. L'Historique du 20« de 
ligne s'exprime ainsi : « Des Italiens ayant mis la crosse en 
1 air et crié : Vivent les Français ! vinrent se mêler à nos 
soldats. » 

^ Tous ces détails sont textuellement empruntés au rapport 
du commandant publié par le Moniteur du 3o mai. 

* Le commandant Picard s'en accuse amèrement. 



— 88 — 

qu'il est entouré d'une foule compacte et hostile où 
dominent les volontaires de la légion de Garibaldi. 
Ceux qui l'accompagnaient l'abandonnent lâchement 
et il se trouve prisonnier c< au milieu d'une popula- 
tion furieuse et menaçante dont les poignards et les 
pistolets sont souvent dirigés sur sa poitrine * ». On 
étouffe les protestations du brave officier, on le 
pousse, on le brutalise et sans le secours de quel- 
ques officiers et gardes civiques, il aurait été infailli- 
blement égorgé'. Le commandant, ne cessant de 
protester, est ainsi traîné dans la via délia Fornaca, 
puis dans la via délia Lungara, jusqu'au quai et au 
château Saint-Ange, où une chambre lui est assignée 
comme prison '. 

Les (Jeux compagnies étaient restées sur l'emplace- 
ment où les avait laissées leur chef de bataillon; 
le capitaine adjudant-major Fabre en avait pris le 
commandement. Il était environ six heures du soir et 
l'on s'étonnait de ne pas voir revenir le commandant 
parti depuis une demi-heure, lorsque brusquement on 
vit sortir de la porte San-Pancrazio des soldats en 
armes, mais qui gardaient une attitude plutôt sym- 
pathique*. Un officier romain, monté sur le cheval 
du commandant Picards se détacha de l'un des 
groupes et s'adressant au capitaine Fabre lui déclara 
que le chef de bataillon attendait le détachement 
dans la ville et l'avait chargé, lui, officier d'état-major 
de l'armée romaine, de conduire les soldats français 
dans l'intérieur de Rome®. 

Le capitaine Fabre refusa énergiquement d'obéir 

* Rapport du commandant. 

2 Ibid. 

3 « Pendant le trajet qu'il fit à pied, il fut injurié et 
maltraité par la populace. » (^Historique du 20* de ligne.) 

* Officier d'élat-major, Précis historique el militaire de 
V expédition, 

^ Historique du ao* de ligne. 
« Ibid, 



-89- 

& une invitation verbale, transmise par un si singulier 
intermédiaire; toutefois il ne crut pas pouvoir se per- 
mettre de repousser par la force la foule de soldats 
romains qui, sortant toujours de la porte San-Pan- 
crazio, grossissait de minute en minute. Bientôt cette 
foule, qu'il convient d'énumérer à 1.200 hommes* de 
tous les corps de la garnison de Rome, cerne les 
deux compagnies françaises, les presse, les bouscule, 
les désarme et les entraîne vers la ville'. Aussitôt la 
porte franchie, c'est la basse populace qui entoure 
nos braves soldats, qui les menace, qui les frappe, 
les blesse, quelques-uns mortellement'. 

Partout des cris de haine, des vociférations de 
mort contre les Français désarmés; les bourreaux 
sont sans pitié. Un soldat du 20® de ligne, frappé de 
trois coups de feu, est dépouillé de sa tunique, de 
son shako, de ses chaussures, et dans cet état, c( mar- 
quant sa route avec du sang, forcé de parcourir à 
pied une assez grande distance pour arriver à l'ambu- 
lance 011 il meurt ^ ». 

Un autre, un grenadier, s'affaisse atteint d'une 
blessure mortelle: sur le Corso, un troisième a les 
deux jambes traversées par un coup de feu tiré d'une 
fenêtre. Repoussé contre une borne, il est relevé et 
transporté à l'ambulance ; les médecins de l'armée 
révolutionnaire l'y oublient pendant huit heures ^ 



* Historique do 20* de ligne. 

' « Ce détachement se trouva successivement entouré par 
des populations dont les démonstrations, d'abord sympathi- 
ques, deviennent bientôt hostiles, désarmé, poussé vers la 
ville, et là on déclara à nos soldats qu'ils étaient prisonniers 
de guerre. » (Oflicier d'état-major, Précis historique et mili- 
taire j p. 39.) 

' « Le i**" mai, j'appris la mort, les blessures ou la captivité 
des bommesde mon détachement. ï> {Rapport du. commandant 
Picard.) 

* Ballbydier, Histoire de la Révolution à Rome^ t. H, 
p. 58. 

* Idem, 



— 90 — 

Les bandits romains cherchent d'autres victimes. 
Soudain deux prêtres fendent leurs rangs et, le cru- 
cifix à la main, au péril de leur vie, protègent les 
prisonniers^ , dont un grand nombre sont déjà bles- 
sés. L'un d'eux est Mgr Luquet, évoque d'Hezebon, 
un prélat français, d'allures énergiques» l'autre est 
l'abbé de Mérode, à la parole ardente, à la silhouette 
maigre, à la figure presque ascétique, ancien offi- 
cier de grenadiers belges, qui a combattu en Afrique 
dans les rangs de l'armée française et qui, un jour, 
formera avec l'aide de Lamoricière une nouvelle 
armée pontificale* pour résister à la révolution. 
Bientôt l'abbé de Cosquer s'unit aux deux ecclésias- 
tique^ dans leur dangereuse mission '. 

L'intervention de ces prêtres héroïques sauva nos 
malheureux soldats en faisant reculer la foule et en 
permettant à un détachement de gardes civiques de 
les entourer et de les escorter jusqu'au château 
Saint-Ange où ils furent inlernés *. Une telle victoire 
était une odieuse trahison et cependant les fastes 
de la légion Garibaldi la célèbrent encore comme 
un éclatant succès militaire ^ 



» Album de Raffet (y. dessin, n** 7). 

' Mgr de Mérode aevint alors pro-rainistre des armes. 
(R. BiTTARD DES PoRTEs, Histoire des Zouaves pontificaux.) 

' Balleydier, La Révolution à Rome, p. 56. 

^ Rapport (iu commandant Picard. 

^ « Renforcée par la brigade de Garibaldi, toute la troupe 
du colonel Bartolomeo Galetti a reconquis le terrain perdu et 
forcé les Français à la retraite. Comme le bataillon universi- 
taire que le général (Garibaldi), en s*exposant au feu de 
Tennemi, conduisait en l'exhortant par ces paroles : a En 
« avanl! garçons, puisque les Français fuient comme un 
« tas de c. . . En avant, tirailleurs, à la baïonnette, » la 
légion de Garibaldi sUllustra par une impétueuse lutte à la 
baîonnoUe et par une lutte corps à corps. Entre tous il con- 
vient de citer Nino Bixio, qui, avec un courage de lion, lit 
prisonnier un bataillon du 20^ ligne et son commandant. » 
Quelle légende ! Le même Nino Bixio devint plus tard Tun 
des généraux de Victor-Emmanuel et commanda rarmée ita- 
lienne qui occupa Rome le qo septembre 1870. » 




CATHOLIQUE. 



— 91 — 

L*infortuné commandant Picard restait loojonrs an 
secret comme un malfaitenr! 

Du côté de la villa PamphiU, les Romains com- 
mandés par Garibaldi et Fnn des Galetti, tentaient 
un timide retour offensif, aussitôt arrêté par le feo 
du bataillon Ferru, du 33«, abrité dans des vignes*, 
puis par une salve de coups de canon Urée par la 
batterie du capitaine Serrand. 

Cependant pour le général Ondinot la retraite 
s'imposait, quoi qu'il lui en coùtâL Aussi ce fut la 
rage au cœur que le duc de Reggio ordonna de faire 
entendre la douloureuse sonnerie '. Elle fut d'ailleurs 
si discrètement, si péniblement sonnée que le 
groupe du 20« de ligne resté avec le colonel Marulaz 
ne l'entendit pas. Les généraux R^nand d'Angély et 
Mollière rallièrent la plus grande partie des fractions 
de la i^^ brigade et les reportèrent sur la route 
de la Maglianella. 

Les troupes du général Levaillant embusquées 
autour des maisons que domine le saillant du Vati- 
can, ne voulurent pas abandonner les deux pièces de 
canon, toujours échouées dans le chemin. 

Le i«' bataillon de chasseurs à pied, dont le tir 
n'avait cessé d'occasionner à l'ennemi des pertes 
sérieuses, fut chargé de soutenir la retraite. La 
cavalerie escorta le reste de rartillerie qui fut placé 
au milieu de la colonne d'infanterie. 

Le mouvement de retraite allait commencer lorsque 
l'on s'aperçut que beaucoup de blessés n'avaient pas 
été relevés. Des hommes de bonne volonté des régi- 

* Historique du 33*. 

' Quelques mois plus tard, le souvenir de r«'chec du 
3o août était resté si pénible dans Tannée françai«^€; que le 
26 novembre i8ii(), à 1 assaut de Zaatcha, € an moment de se 
ruer sur la brèche », le colonel Canrobert disait à mh hom- 
mes: « Zouaves! si aujourdlini on sonne la rpt rai le, ce ne 
sera pas pour vous. En avant! » (Général duBahail, Me» 
9otwenir$y 1. 1.) 



— 92 — 

menls de ligne, des chasseurs à pied et du génie, 
des cavaliers du détachement de chasseurs à cheval 
allèrent rechercher leurs camarades et en ramenèrent 
un certain nombre, qui lurent placés dans les voi- 
tures d'ambulances, sur les cacolets ou sur les cais- 
sons de Tartillerie. Malheureusement 87 blessés 
devaient rester sur le champ de bataille et tomber au 
pouvoir de l'ennemi *. 

Le service de santé, alors insuffisamment organisé 
comme effectif de personnel et comme matériel, n*en 
avait pas moins fait admirablement son devoir. Le 
sous-intendant militaire Duthcil, qui avait la direction 
de ce service, le docteur Alphonse Pasquier, chef de 
section d'ambulance de la brigade Mollière, et le doc- 
teur Santy, chef de section à la brigade LevaillanL 
se firent remarquer par leur sang-froid au milieu du 
danger et par leur dévouement pour les blessés. 
L'ambulance de la 1^^ brigade dans laquelle affluèrent 
le plus grand nombre de blessés (280), avait été placée 
à trois cents mètres du rempart, à l'angle de la route 
de Civita-Vecchia et vis-à-vis de ïOsteria antiqua. 
elle était abritée des projectiles de l'ennemi. L'ambu- 
lance de la 2« brigade n'avait pu suivre les troupes 
du général Levaillant, elle s'était établie un peu 
en arrière de celle de la i^^ brigade; un jeune chirur- 
gien aide-major du 36« de ligne, M. Armand, avait 
accompagné la colonne; ce fut lui qui, avec l'aide de 
quelques soldats, ramena à l'ambulance de la brigade 
plusieurs blessés relevés sous le feu de l'ennemi *. 

Après avoir donné aux généraux Regnaud d'An- 

* D'après V Historique du 20* de Hffne, rédigé aux Archives 
historiques du dépôt de la guerre, les pertes totales de la 
division furent de 5oo hommes hors de combat et de 365 pri- 
sonniers. Or les deux compagnies du bataillon Picard for- 
maient un efîectif de 278 hommes, ofliciers compris, les 
87 autres prisonniers furent des blessés. 

* Les docteurs Pasquier et Armand furent cités à l'ordre du 
jour de l'armée. 



-93- 

gély el MoUière Tordre de se mettre en marche avec 
les fractions du 20« et du 33«, qui avaient pu être 
ramenées en arrière du terrain d'assaut et de rega- 
gner Maglianella, le général Oudinot surveilla lui- 
même l'évacuation des blessés * pendant une partie 
de la nuit, gardant autour des ambulances le bataillon 
de chasseurs à pied. A deux heures du matin', le duc 
de Reggio se mettait en marche lui-même avec le 
convoi, sous l'escorte de quatre compagnies. 

Le reste du bataillon partait une heure plus tard^. 
A ce moment il était rejoint par les troupes du géné- 
ral Levaillant (Charles) qui, sous l'impulsion de ce 
chef énergique, avaient relevé les pièces et en traî- 
naient une à la bricole. Le bataillon s'arrêta au point 
du jour à Monte-Creta*, en avant-postes. Le gros de 
la colonne s'établit au village de Maglianella et dressa 
ses tentes sur les mêmes emplacements qu'à son 
premier passage. La grande ferme et le relais de 
poste servirent d'ambulances. Le général en chef 
expédia, par estafette, à Civita-Vecchia une dépêche 
au ministre de la guerre, lui rendant compte du 
combat et déclarant que Rome, ayant fermé ses portes 
au corps expéditionnaire, devait être l'objet d'une 
attaque régulière et non d'une simple reconnaissance ^ 

On attendait avec anxiété des nouvelles du 20® de 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie, p. 11. 

* Officier d'état-major, Précis historique et militaire de 
V expédition, p. 29, 

^ Historiaue du i"" bataillon de chasseurs à pied. 

^ Et non MoUa-Grotta, comme cela a été porte sur certains 
historiques. 

^ Le gouvernement se borna à adresser à la presse le 
conimuniqué suivant : <c D'après une dépêche télégraphique 
qui est parvenue au gouvernement, le général Oudinot se 
serait liiis en marche sur Rome où, suivant tous les renseigne- 
ments, il était appelé nar le vœu de la population. Mais ayant 
rencontré de la part aes étrangers qui occupaient Rome une 
résistance plus sérieuse qu'il ne s'attendait à la trouver, il a 
pris position à quelque distance de la ville, où il attend le 
reste du corps uexpédition. » (Moniteur du 7 mai 1849.) 



-94- 

ligne dont cinq compagnies avaient été portées mon 
quantes à l'appel sommaire fait à l'arrivée au camp*. 
Le colonel et le commandant Picard n'avaient pas 
rejoint. Il était près de huit heures du matin et le duc 
de Reggio arpentait fiévreusement la grand'route 
lorsqu'on lui signala l'arrivée de trois compagnies et 
du colonel du 22o« de ligne. Le général en chef embrassa 
avec effusion le colonel Marulaz *. Cet oflBcier supé- 
rieur rendit compte qu'aucun ordre ne lui étant par- 
venu, il était resté dans la position qu'il occupait 
avec sa petite troupe à environ trente*cinq mètres 
des remparts jusqu'à dix heures du soir. A ce moment 
il donna l'ordre de se replier. Les hommes quittèrent 
leur emplacement au pas de course, longeant le côté 
gauche de la route pour éviter la chaussée que la lune 
éclairait. Quelques coups de feu furent tirés aussitôt 
que les Italiens s'aperçurent de ce mouvement, mais 
personne ne fut atteint. Après une heure et demie 
de marche le détachement rejoignit la division '. 

Quant au commandant Picard et aux deux autres 
compagnies, on gardait à leur sujet des illusions^ qui 
n'allaient pas tarder à être dissipées. En attendant, 
le général en chef faisait établir l'état des pertes. 

Le i*^^ bataillon de chasseurs comptait 5 hommes 
tués, n officiers (le lieutenant Fonrouge et le sous- 
lieutenant Mayens '^) et '2D hommes blessés. 

Le ^o^ de ligne avait i5q hommes hors de combat 
dont un quart tué ou blessé mortellement. Parmi 
les morts, le régiment avait à regretter les lieutenants 

' Historique du ao* de ligne . 

« Ibid, 

» Ibid. 

* Officier d'élat-major. Précis historique et militaire. 
' ^ Outre ces deux oHiciers, le général en chef citait dans 
son rapport au ministre comme s^étant particulièrement 
distingues : Je chef de bataillon de Marolles, le capitaine de 
Bellefonds, les sergents Liccia et Thibault, le caporal Benoit, 
les chasseurs Buisson et Philippe. {Historique du i*' batailloa 
de chasseurs à pied.) 



-95- 

Labarre et Sorin, tombés sur le champ de bataille. 
Le capitaine Noualhac et le sous-lieutenant Dupré 
ne devaient pas tarder à succomber à leurs blessures. 
Les officiers blessés moins grièvement étaient les 
capitaines Gajoty, Périgault et Mas et le lieutenant 
Malin *. 

Au 33®, on comptait un officier tué, le lieutenant 
Peydière, et 12 hommes tués, 120 blessés dont 11 offi- 
ciers, les capitaines Niceville, Touret, de Lescaie, 
Rossi, Condamin, Manuelle, Ausermain, le lieutenant 
Reynaud, les sous-lieutenants Verdelet, Camaga et 
Pâtissier *. 

Le 36« de ligne avait eu 54 hommes hors de combat, 
dont une douzaine de tués. Parmi les blessés, il con- 
vient de citer les quatre officiers atteints au feu : le 
chef de bataillon Perrin de Jonquières, commandant 
le détachement, le capitaine adjudant-major Trouille- 
bert, le capitaine de grenadiers d'Àstelet, le lieute- 
nant RifTaud, le sergent BruIé, le sapeur Petit, les 
grenadiers Morelli et Faure '. 

Au 6&» de ligne, le combat du 3o avril avait coûté 

■ 

2 sous-officiers et 10 hommes tués, 10 hommes 
blessés ♦. 

Enfin, l'artillerie et le génie comptaient plusieurs 
morts et de nombreux blessés. 

Toutes ces pertes se totalisaient tristement par ces 
chiffres : 5oo hommes hors de combat et 365 prison- 
niers* 

* Historique du 20* de ligne. 

* Historique du 33* de liuroe. 

^Tous ces militaires furent cités dans le rapport du générai 
en chef au ministre. {Historique du 36" de ligne.) 

* Le général en chef citait dans son rapport le chef de 
bataillon Couraud, commandant le détachement du 66<^, les 
lieutenants Chopinet et Christophe et le sergent Bouleyé 
(^Historique du 6o* de ligne.) 

* Nous ne comptons pas les blessés faits prisonniers. 



CHAPITRE VI 



LENDEMAIN D ECHEC, ROME, LE CAMP FRANÇAIS, 
PARIS. — RESPONSABILITÉS. 



Dans ['antique mausolée d'Adrien, qui depuis la 
peste de 5^0 s'appelle le cliàleau Saiat-Ange. à la 
fois caserne et prison militaire, les deux compagnies 
du bataillon Picard avaient été désarmées et enfer- 
mées. Les oflicicrs étaient isolés des sous-officiers cl 
des soldats, qu'on avait réunis dans la vieille salle 
commune ', après avoir transporté les blessés à 
riiôpital. Des factionnaires restaient en permanence 
dans les couloirs, des gardiens surveillaient par les 
guichets. 

Le commandant Picard ne cessait de protester 
contre l'odieux guct-apens qui lui avait été tenda 
ainsi qu'à sa troupe. Les officiers romains qui le 
gardaient se refusaient à transmettre de sa pari le 
moindre encouragement à ses subordonnés*. 

Li's triumvirs se rendirent auprès des prisonniers 

' " l'imdant ina captivité, il m'a été constarament refusé de 

(' 'iiiiniqucr avec mes oITicicrs. avec mes soldats et avoe 

h'-^ I ili'jsés français qui furent traités avec humanité, ni'a-l-on 
ilU. l'aî été séparé des ofllcîers, les offîciers «Mil été séparés 
ili - soldats. » (liappovt du commandant Picard.) 

• Un ne pouvait me voir, on ne pouvait voir les soIdnU 
■ |ii' ivi'c une permission <iu miuîstre de la guerre Avezzana.i 



— 97 — 

pour les intimider ou les séduire *. Ils échouèrent 
dans leurs tentatives : « Vous n'avez rien à craindre, 
dit Mazzini à Tun des officiers prisonniers, vous pou- 
vez compter sur tous les égards qui vous sont dus, 
nos amis de Paris désirent qu'une confraternité com- 
mune s'établisse entre nous. — Je suis au-dessus de 
la crainte, répliqua l'ofûcier français, j'ai rempli mon 
devoir'. » 

D'autres sollicitations furent adressées aux officiers. 
On fit intervenir auprès d'eux des compatriotes égarés 
dans les rangs révolutionnaires, on leur proposa de 
servir dans une légion étrangère ', ils répondirent 
« en flétrissant la conduite de tout officier français 
qui portait les armes contre un drapeau français^ ». 

Les corrupteurs, et parmi eux il s'est trouvé des 
hommes qui avaient quitté depuis peu de temps 
l'uniforme français, s'adressèrent alors aux sous- 
officiers et soldats, s'efl*orçant de leur arracher une 
protestation contre le but de l'expédition française \ 
De simples soldats refusèrent avec indignation les 
grades qu'on leur offrait, l'argent qui leur était placé 
presque de force dans la main ^. 



* « J'ai des motifs paissants pour croire que cette sépara- 
tion était combinée dans le but de corrompre mes officiers et 
mes soldats. Des insinuations perfides ont été faites aux uns 
et aux autres. » (Rap^rt du commandant Picard.) 

^Balleydier, Îai Révolution à Rome, t. II, p. 59. 
^ Cette iégion avait pour chef le Français Laviron. 

* Rapport du commandant Picard. 

•'»« Un ex-offîcier du 67** de ligna (Français) s'est présenté 
trois fois au lieu de détention des sous-ofïiciers et soldats, 
avec autorisation du ministre de la guerre. Il leur proposa 
de signer une protestation contre la conduite du gouverne- 
ment français, en leur déclarant que leurs officiers en avaient 
signé une pareille. Quatre soldats se laissèrent entraîner et 
signèrent; mais Tindignation de leurs camarades fut telle 
qu'elle flétrit leur lâche faiblesse. Ils furent immédiatement 
repentants et ils biffèrent eux-mêmes leurs signatures. La 
protestation fut foulée aux pieds et tout fut dit. » (Balley- 
DiBR, La Révolution à Rome, p. 5q.) 

* Ibid. 



-98- 

Mais ce fut surtout à Tambulance que les tentatives 
se multiplièrent auprès des blessés. Au chevet des 
braves soldats qui se débattaient contre la douleur, 
venaient s'asseoir des femmes appartenant aux classes 
fortunées de la société, jeunes et belles pour la plu- 
part. Elles voulaient séduire, fasciner; la plus 
ardente, la plus dangereuse était la princesse Chris- 
lina Belgiojoso, encore belle d'un charme tragique et 
passionné ^ a Laissez-moi, Madame, lui disait, en 
baissant les yeux, un jeune Breton qui avait la cuisse 
fracassée d'une balle, laissez-moi mourir en paix. » 
Le Breton mourut dans la journée, murmurant : « Mon 
père se consolera en pensant que je suis mort pour 
la cause du Pape. » Le petit soldat était bien digne 
de son héroïque et catholique patrie. De lui et de ses 
camarades le commandant Picard pouvait dire plus 
tard avec vérité : « La France peut être fière de la 
discipline et du bon esprit de ses officiers et de ses 
soldats ^ » N'est-ce pas, hélas! aux jours de défaite 
que s'affirme la vraie discipline? 

A Rome, le parti de la résistance affichait la joie la 
plus délirante. Grâce à Tabri de leurs remparts, les 
pertes des Romains étaient très inférieures aux 
nôtres : 54 hommes hors de combat dont 4 officiers, 
ao prisonniers appartenant au bataillon lombard, 
commandé par Occhioni et capturés par le bataillon 
Picard au moment de l'attaque de la villa Pampbili. 

* <K La princesse était une fort belle femme de taille élevée, 
maigre, aune pâleur rappelant le marbre, elle avait des che- 
veux très noirs, des yeux également noirs, très erands. Son 
regard était vif et dominateur. Des manières très distinraées, 
une vive intelligence et beaucoup de culture rehaussaient la 
beauté de ses traits, et sutlisaient à justifier Tinfluence 
qu'elle exerça à Paris et en Italie pendant de longues 
années. » (Comte Joseph Grubinski, une Princesse réçoia- 
tionnaire. Le Correspondant, numéro du a5 novembre 1902. 
— V. RafTaello Barbier A, La Principessa Belgiojoso , isuoi 
amici e nemici il suo tempo. Milan, Trêves. 190a.) 

' Rapport du commandant Hcard. 



— 99 — 

Ces prisonniers avaient été envoyés à la prévôté 
française qui les ct>nduisit plus tard au camp de Palo. 

La nuit du 3o avril au i^r mai fut illuminée 
d'innombrables feux de joie pour célébrer la retraite 
des Français et la capture du détachement Picard. 

Des révolutionnaires français célébraient, dans 
une orgie, à Thôtel de la Minerve, Téchëc de leurs 
compatriotes et le futur écrasement de Tarmée 
française *. 

La foule encombrait les carrefours où l'on venait 
d'afficher la proclamation emphatique d'Avezzana, le 
ministre de la guerre : 

« Invincibles Romains ! 
a Une partie de la division française, vers les 
dix heures du matin, a attaqué nos troupes avec 
vigueur du côté de la porte San-Pancrazio et du mur 
d'enceinte du Vatican. Nos braves républicains ont 
prouvé par des faits qu'ils étaient les dignes fils des 
Brutus et des Scipion. L'ennemi a été repoussé sur 
tous les points. 

« Un nouveau Brennus nous défie... Démentirez- 
vous votre origine? Cette journée a été témoin des 
faits inspirés par le plus grand héroïsme. Peuple, tu 
es libre! Peuple, tu as été le maître du monde! 
Peuple, veux-tu accepter les chaînes de l'esclavage? » 

Le succès grisait les triumvirs, les ministres, les 
représentants, tous ceux qui détenaient une part 
quelconque du pouvoir. La commission des barri- 
cades publia le factum suivant : 

« Peuple 1 
« L'entrée des Français dans Rome a commencé 
hier, ils sont entrés par la porte San-Pancrazio en 

I * Balleyoibr, La-Réifolation à Rome, p. 6a. 



I 



^ 



— lOO — 

qualité de prisonniers. Ceci ne saurait nous causer 
aucune surprise à nous, peuple de Rome, mais cela 
produira une curieuse sensation à Paris, ce qui est 
encore bon pour nous*. » 

Après avoir tenté de démontrer que les bombes et 
les boulets français seraient inoffensifs contre les 
défenses de Rome, la proclamation continuait en ces 
termes : 

<x, Nous invitons les marchands à tenir leurs bouti- 
ques ouvertes, c'est d'un bon effet et c'est commode 
en même temps. Aujourd'hui nous devons fortifier 
le Pincio. Trouvez-vous là en bon nombre et nous 
travaillerons ensemble. Nous recommandons aux 
tireurs de tous genres d'attendre l'approche de 
l'ennemi qu'ils veulent atteindre. C'est un moyen 
sûr d'empêcher la retraite et de nous donner du 
relief... Qu'ils viennent encore aujourd'hui et ils 
verront! » 

Ces « Yaubans » de la révolution ne s'en tenaient 
pas à ces vaines menaces : ils publiaient quelques 
heures après un nouveau manifeste : 

« Peuple, 
« Le général Oudinot avait promis de payer en 
argent comptant tous les dégâts causés par son 
injuste agression... Eh bien! qu il paye donc, s'il le 
peut, les Gobelins de Raphaël troués par les balles 
françaises! qu'il répare, non les torts, mais l'injure 
faite à Michel-Ange. Napoléon, au moins, envoyait 
nos chefs-d'œuvre à Paris et l'admiration des étran- 
gers était pour les Italiens une compensation a la 
conquête. Aujourd'hui, le gouvernement français 
envahit notre territoire et pousse son affection pour 
Rome au point de la vouloir détruire plutôt que do 

* Balle YDiER, La Révolution à Romey p. 62-63. 






— lOI — 

nous laisser exposés à Fimpatience du terrible Zucchi 
et aux menaces de Radetzky et de Gioberti... Rome 
comme Scaevola a étendu son bras sur le brasier 
ardent et a fait un serment. Les trois cents amis 
de Scaevola mirent Porsenna en fuite... L'histoire 
romaine n'est pas encore à sa fin. 

a H. Gernuschi, Vincent Gattabeni, 
a Vincent Galdesi. » 

Au milieu des transports d'allégresse auxquels se 
livraient les partisans des triumvirs, on apprit que la 
veille même de l'attaque des Français, l'escadrille 
espagnole avait occupé sans opposition la ville de 
Terracine. Le drapeau pontifical était arboré aux 
applaudissements des habitants. Quelques heures 
après, le roi de Naples faisait son entrée dans la ville 
à la tète de ses troupes. Les marins espagnols 
remettaient avec empressement les forts aux troupes 
napolitaines. 

Mazzini et ses collègues affectèrent de ne pas 
s'inquiéter de cette nouvelle intervention, ils lancè- 
rent encore une proclamation qui se terminait ainsi : 
« Nous avons vaincu nos premiers assaillants, nous 
serons vainqueurs des seconds '. » 

Après avoir rendu, le i^p mai, les honneurs funè- 
bres à quelques victimes du combat, rapportées sans 
vie du champ de bataille ou mortes à l'ambulance % 
le camp français de la Maglianella avait été reporté 
le 2 mai, à g kilomètres en arrière, à Gastel- 

' Balleyoier, La Révolution à Rome, d. 65. Le même 
autear rappelle qu'en apprenant la marche ces troupes napo- 
litaines, r*un des triumvirs s'était écrié en plein conseil : 
« Nous avons plumé et mangé le coq, nous rôtirons et man- 
gerons le macaroni. » Les assistants avaient beaucoup 
applaudi cette bravade. 

' Elles ont leur tombe à Maglianella. On y lit sur une croix : 
Honneur au courage malheureux. 



— loa — 

di-Guido*, où les troupes ne séjournèrent que vitigl- 
quatre heures. 

Un peloton de cavalerie, envoyé en reconnaissance, 
rencontra un détachement de lanciers romains. A la 
vue des uniformes français, ceux-ci tournèrent bride 
et s'enfuirent. 

Une tentative criminelle était faite dans la soirée, 
nos gendarmes arrêtaient un individu qui, sous un 
costume moitié religieux, moitié militaire, avait 
pénétré dans le camp pour tenter d'assassiner le 
général en chef. Il avoua son coupable projet en 
montrant le poignard fixé à sa ceinture. Le duc de 
Reggio dédaigna ses menaces et le fit mettre en 
liberté, en le chargeant de réclamer auprès des 
triumvirs Télargissement des prisonniers français et 
notamment celui du colonel Leblanc et du capitaine 
Boissonnet, arrêtés quoique parlementaires. En cas 
de refus, le général menaçait d'userde rigueur envers 
les prisonniers romains. Cette menace devait pro- 
duire bonne impression '. 

Le 3 mai, les troupes allaient bivouaquer à Paie ', la 
dernière étape avant Civita-Vecchia. Ces deux dépla- 
cements étaient dictés par l'obligation de se rappro- 
cher du lieu de débarquement, les renforts parvien- 
draient plus vite, s'encadreraient plus facilement; les 
ravitaillements en vivres et en munitions s'imposaient 
également dans le plus court délai. 

On vit arriver dans la soirée un détachement de 
cavalerie : l'état-major et un escadron du i" chas- 
seurs (80 chevaux), partis de Civita-Vecchia à une 
heure de l'après-midi*. 

Les cavaliers, fêtés par leurs camarades, s'instal- 

• 

* L. DB Gaillard. L'Expédition française à Rome^ p. 18^*184. 

* Capitaine Vertray, Album, 
' Ibid, 

*Ibid. 



— io3 — 

lèrent gaiement au bivouac. En attendant Tarrivée 
du reste du régiment, deux escadrons et demi, le 
colonel de Noue fut chargé, dès le lendemain, d'exer- 
cer provisoirement les fonctions de chef d'état-major. 

Le lieutenant-colonel de Vaudrimey-Davout était 
devenu souffrant, le général en chef le destinait 
d'ailleurs au commandement de la place de Civita- 
Vecchia*. 

Dans la matinée du 4 mai, le général en chef était 
avisé par le colonel Blanchard que le Sané et YOré- 
noque avaient débarqué la veille le 68« de ligne, au 
complet. Ce régiment était maintenu provisoirement 
à Civita-Vecchia. 

La santé du duc de Reggio était fort atteinte; la 
fièvre, la fatigue, le chagrin l'avaient péniblement 
éprouvé *, il n'en continua pas moins à s'occuper, 
avec activité, de son commandement. A l'arrivée au 
camp de Palo, le général avait présidé à l'installation 
des blessés dans une des vastes salles du château ; le 
lendemain 4 in^i» il les fit placer dans des voitures 
ou sur des caissons d'artillerie et les fit diriger sur 
Civita-Vecchia, avec ordre de les embarquer pour 
Bastia où l'hôpital militaire était aménagé pour 
les recevoir. Un officier de son état-major accom- 
pagna le convoi '. 

L'officier emportait en même temps deux rapports, 
l'un adressé par le général en chef au ministre des 
affaires étrangères, l'autre au ministre de la guerre. 

* Le colonel Blanchard allait reprendre le commandement 
du 36*^ de ligne destiné à rester assez longtemps incomplet, 
bien que les compagnies de Givîta-Vecchia dussent accom- 
pagner le colonel et rallier le détachement qui avait pris 
part au combat du 3o avril. 

'«Le général Oudinot, quelques jours après, avait encore 
Tair si souffrant quHl pouvait à peine se soutenir... » 
(Emiano Lcbvinson, Giuseppe Garibaldi e la sua legione. 
Rome, 190a, p. i65. — Rusconi Carlo, Memorie anedottichey 
p. 65.) 

> Ces blessés furent embarqués à bord du Sané. 



— io4 — 



Corps expéditionnaire de la Méditerranée. 

a Au quartier général de Palo, le 4 niai 1849. 

« Monsieur le Ministre, 

« Ainsi que j'ai eu Thonneur de vous l'annoncer, 
je me suis mis en route pour Rome le a8 avril der- 
nier. Deux puissants motifs m'avaient engagé à pren- 
dre cette détermination. 

« i^ Civita-Vecchia est un point sans action sur les 
États romains. L'accueil amical qui avait été fait à 
nos troupes resterait en quelque sorte comprimé 
dans les murs de la ville, et, en y prolongeant notre 
séjour, je m'exposais à voir la question romaine 
vidée sans que la France obtint dans cette grande 
question la part qui lui revient; 

« 2^ D'après les renseignements recueillis aux 
sources les plus sûres, j'avais Tespoir d'entrer dans 
Rome sans employer la force. 

« Les choses se sont passées tout autrement. Mon- 
sieur le ministre; nos troupes, arrivées le 3o devant 
les murs de Rome, ont été reçues par la mitraille, et 
j'ai dû, après avoir fait une forte reconnaissance sur 
la ville, en l'absence d'un matériel nécessaire pour 
faire im siège en règle, ne pas exposer inutilement 
nos braves soldats contre des adversaires retranchés 
derrière d'épaisses murailles. 

« Je viens d'établir mon quartier général à Palo. 
Les avant-postes sont plus rapprochés de Rome. 

« La troisième brigade débarque en ce moment à 
Civita-Vecchia ; nous allons reprendre roffensive. et, 
sous très peu de jours, soyez en certain, les anar- 
chistes qui répandent la terreur dans Rome seront 
énergiqucment châtiés. 

« On ne peut reprocher à nos soldats qu'un excès 
de bravoure. Toutefois j'ai la ferme résolution de ne 



— io5 — 

pas compromettre leur ardeur dans une guerre de 
barricades. 

a N'ayez donc aucune inquiétude sur le résultat 
définitif. 

« Monsignor Valentin, que le Pape désignait comme 
gouverneur de Civita-Vecchia, m'est arrivé porteur 
d*une lettre du Pape et d'une autre du cardinal Anto- 
nelli. Je n'ai pas caché à ce prélat la réserve que 
je m'étais imposée, combien il était utile, combien 
il était essentiel dans l'intérêt du Saint-Père qu'on 
me laissât juge de ce qui était possible. Monsignor 
Valentin a paru apprécier les considérations que je 
lui ai développées et il repart aujourd'hui pour 
Gaète. 

a J'ai écrit à M. de Rayneval en l'engageant à faire 
tous ses efforts à Gaète pour maintenir ma liberté 
d'action. Ceci est d'autant plus nécessaire qu'on se 
fait à Gaète la plus grande illusion sur les disposi- 
tions des populations. 

a Je ne prétends pas dire que ces dispositions 
soient favorables à l'ordre de choses actuel qui n'est 
que le despotisme à l'ombre du drapeau rouge, exercé 
par une faction des anarchistes de tous les pays; mais 
les sympathies pour l'ancien gouvernement sont loin 
d'être ardentes comme on le suppose. 

« On aime Pie IX, mais on redoute très générale- 
ment le gouvernement clérical. 

« Les troupes napolitaines, commandées par le roi 
en personne, sont entrées dans les Etats romains; 
on les dit destinées à occuper la province de V^elletri. 
Les Autrichiens sont encore à Massa, du moins on 
l'assure. La ville d'Ancône a été déclarée eu état de 
siège par les triumvirs de Rome, ces messieurs lèvent 
des impôts sur la population pour la solde de 
60.000 soldats, mais la vérité est qu'ils n'en ont pas 
plus de 20.000, parmi lesquels 6 ou 8.000 tout au 



— io6 — 

plus, tant Génois que Lombards, peuvent être consi- 
dérés comme des soldats aguerris. 
<c Je suis» etc. 

« Signé : Le Général Oudinot de Rbggio. » 

Le post'Scriptum de cette dépêche annonçait une 
démarche imprévue qui venait d'être tentée de la 
part des triumvirs, beaucoup moins confiants. en réa- 
lité qu'ils n'affectaient de le paraître : 

« Le P. Ventura, effrayé de la situation de Rome, 
vient de quitter cette ville; en passant à Palo, il a 
demandé à me voir de la part des triumvirs. MM. Maz- 
zini, Armellini et Safû l'avaient chaîné de me dire 
que la journée du 3o ne pouvait être qu'un malen- 
tendu; qu'il était peut-être encore possible de con- 
cilier les choses si je consentais à faire une nouvelle 
déclaration établissant d'une manière nette et pré- 
cise que la France n'imposerait aucun gouvernement 
aux Etats romains. 

« J'ai répondu au P. Ventura que je croyais avoir 
suffisamment fait connaître la pensée de mon gou- 
vernement, pensée toute libérale, qu'après ce qui 
avait eu lieu, j'avais, à coup sûr, le droit de me mon- 
trer sévère, que j'en usais si peu que j'étais encore 
prêt à entrer à Rome en ami, comme intermédiaire 
entre l'anarchie et le despotisme qui menacent les 
populations. 

■ 

« J'ai ajouté qu'en agissant ainsi, je croyais agir 
dans le véritable intérêt du peuple romain*. » 

La seconde dépêche, adressée au général Rulhière, 
contenait un récit sommaire du combat : 

' Monitewrdsï ii mai 1849. 



— 107 — 

c( Camp de Palo, 4 n^sLÎ. 

« Monsieur le Ministre, 

« Depuis le 22 avril, jour où le corps expédition- 
naire a fait voile pour Civita-Vecchia, jusqu'au 28, je 
vous ai tenu au courant de mes opérations; elles ont 
eu toutes, vous le savez, un plein succès. Les hommes 
les plus éminents déclaraient que notre arrivée subite 
et imprévue dans le port de Civita-Vecchia aurait 
étonné et terrifié. 

ce II fallait, disait-oii de toutes parts, et afin d'éviter 
refiusion du sang, ne pas laisser s'accroître à Rome 
les moyens de répression et de défense. Des officiers 
très intelligents que j'avais envoyés dans cetle capi- 
tale pour y étudier l'opinion publique, déclaraient 
unanimement, de leur côté, qu'une forte reconnais- 
sance sur Rome était nécessaire et suffirait pour 
suspendre immédiatement tous les préparatifs de 
résistance. 

a Une prompte détermination était donc impérieu- 
sement prescrite. Le 28 avril le corps expéditionnaire 
part de Civita-Vecchia; il campe le 29 à Castel-di- 
Guido : jusque-là, point d'hostilité. Voulant connaître 
le plus tôt possible les dispositions des troupes de la 
République romaine, j'ai prescrit au capitaine Oudi- 
not, mon officier d'ordonnance, d'aller jusqu'aux 
avant-postes avec quelques chasseurs à cheval. Il les 
rencontra à trois lieues environ de noire camp. 

« Les paroles pacifiques de cet officier sont accueil- 
lies par une décharge qui démonte un de nos chas- 
seurs. Ce fait est isolé et ne nous ôte pas encore 
toute espérance de conciliation. Nous continuons à 
marcher sans rencontrer l'ennemi. Nous prenons 
position sur le plateau qui domine l'entrée de la 
ville, par la porte Pertussa, avec l'intention de faire 
un dernier appel à la concorde. Mais le drapeau 



— io8 — 

rouge flotte sur tous les forts, d'outrageantes vocifé- 
rations font retentir les airs et noire tête de colonne 
est assaillie par le feu le plus vif. Malgré de graves 
obstacles, la brigade MoUière couronne les hauteurs 
à droite et à gauche de la route. L'infanterie, Tartil- 
lerie, répondent vigoureusement au feu de la place, 
mais Tennemi est derrière des remparts, tandis que 
nos soldats sont à découvert. 

« Pour faire diversion, je prescris à la brigade 
Levaillant de faire un mouvement agressif sur une 
route de gauche qui conduit à la porte Angelica. Le 
valeureux officier qui s'était oflfert à guider cette 
troupe, au lieu de prendre le chemin qui y conduit à 
l'abri des remparts, suit une route qui y mène direc- 
tement, mais qui est exposée au feu de l'ennemi. 
L'élan de nos soldats ne s'en est pas ralenti et, bien 
que la route suivie parallèllement est à moins de 
200 mètres des remparts, ils s'y engagent avec une 
grande témérité. 

« Dans le même moment les colonels Marulaz et 
Bouat, des ao® et 33« de ligne, faisant partie de la bri- 
gade Mollière, s'élancent avec une centaine d'hommes 
de leur régiment sur la porte Pertussa; ils arrivent 
jusqu'au pied même du rempart: profitant d'un pli 
de terrain, ils s'embusquent, mais les travaux tout 
récemment accumulés ne permettent pas le succès 
de cette audacieuse entreprise. 

« Dès le commencement de l'action, quelques 
bataillons ennemis, ayant essayé de descendre dans la 
plaine, sont forcés de se retirer en toute hâte derrière 
les retranchements. 

« Ce n'était point un siège que nous voulions faire, 
mais une forte reconnaissance. 

« Elle a été exécutée on ne peut plus glorieuse- 
ment. 

« J'ai donc fait suspendre le combat, et j'ai passé 



— 109 — 

la nuit au lieu même où il avait commencé, sans 
qu'aucun soldat de Tennemi ait osé sortir de ses 
réduits. 

« Le i«^ et le 2 mai, le corps expéditionnaire est 
resté en position à Gastel-di-Guido; j'ai reçu avis de 
l'arrivée à Givita-Vecchia de la 3^ brigade. 

a Pour faciliter la concentration, j'ai établi la 
ire brigade à Polidoro *, la 2® avec le quartier général 
à Palo. J'y constitue un dépôt principal d'où je suis 
en rapport facile, par les voies de terre et de mer, 
avec ma base d'opérations. 

« Il n'y a presque aucune insulte à redouter, car 
depuis le 3, et au moment où je vous écris, nous 
n'avons pas vu un seul ennemi '. 

a Je ne terminerai pas ce rapport. Monsieur le 
ministre, sans rendre aux troupes de toutes armes du 
corps expéditionnaire de la Méditerranée cette jus- 
tice que leur moral et leur énergie sont admirables. 
Cette journée du 3o avril est Tune des plus brillantes 
auxquelles les troupes françaises ont pris part depuis 
nos grandes guerres. 

a Si nous avons fait quelques pertes sensibles, 
nous avons occasionné à l'ennemi un dommage numé- 
.riquement considérable. 

« J'ai été énergiquement secondé par les officiers 
généraux Regnaud de Saint-Jean d'Angély, Levail- 
lant et Mollière, ainsi que par les chefs de service de 
l'artillerie et du génie, le lieutenant-colonel Larchey 
et le commandant Goury. Officiers, sous-officiers et 
soldats, tous ont fait admirablement leur devoir. 

* Lire Palidoro; hameau de berjrers qui n'avait alors que 
trois ou quatre maisons, à sept kilomètres de Palo, le quar- 
tier général, la brigade Mollière fournissait ainsi les avant- 
postes jnsgu'à la fontaine du Tufino, sur un petit plateau, à 
une demî-heue de Palidoro. 

* Le général Oudinot fait allusion à la reconnaissance 
romaine signalée par le capitaine Vertray, à la date du a et 
non du 3. 



— IIO — 

« J'aurai l'honneur de vous donner en détail les 
noms de ceux qui se sont plus particulièrement dis- 
tingués. 

a Agréez, etc. » 

On peut reprocher à ces deux documents» et surtout 
au dernier, un excès d'optimisme. Quelque honorable 
qu'eftt été la conduite de nos troupes le 3o avril» il 
était évidemment téméraire d'affirmer que cette jour- 
née du 3o avril était l'une des plus brillantes aux- 
quelles les troupes françaises avaient pris part depuis 
nos grandes guerres. Le général ignorait encore le 
guet-apens dont avait été victime le détachement 
Picard, mais le chiffre des disparus s'en trouvait mal- 
heureusement accru, il venait en triste parallèle avec 
celui des hommes hors de combat, et l'effectif total 
des uns et des autres s'élevait au chiffre de 865. 

En outre, on ne pouvait qualifier de « forte recon- 
naissance » une attaque dirigée pendant six heures 
contre les portes et l'enceinte même de la place. A 
l'exception de l'artillerie, dont quelques pièces seule- 
ment furent mises en batterie, et qui resta en grande 
partie inutilisée, toutes les troupes du corps expédi- 
tionnaire furent engagées à fond. Les réserves elles- 
mêmes prirent part au combat et si l'ennemi avait 
osé effectuer, à la fin de la lutte, uneénergique contre- 
attaque, la retraite de la division française pouvait se 
changer en déroute. C'était donc bien un combat 
qu'avait livré le général Oudinot, un combat vaillam- 
ment soutenu, mais terminé par l'abandon des 
positions d'attaque et par une marche rétrograde 
qui nous éloignait de l'ennemi de près de deux 
étapes. 

Quant à la conduite du combat lui-même, tout en 
rendant justice à la bravoure sto'ique de nos officiers 
et de nos soldats et particulièrement à l'intrépidité 



— m — 

des têtes de colonne des no^ et 33« de ligne, il convient 
de constater que les efforts tentés au centre, à Taile 
droite et à Taile gauche manquèrent de liaison, de 
simultanéité. La direction supérieure semble avoir 
faibli. Sur un point, l'erreur d'un officier d'ordon- 
nance conduit une colonne à un échec irrémédiable; 
sur un autre, l'absence de cartes et de renseigne- 
ments attarde les troupes à la recherche d'une porte 
murée et d'un passage détruit; ailleurs, un détache- 
ment a pris position beaucoup trop à droite, sans 
rester en communication avec le reste du régiment et 
il est fait prisonnier sans que ni son colonel ni aucun 
des officiers généraux en soient informés. Enfin le 
général en chef ordonne la retraite, et des fractions 
de troupes, ne recevant pas cet ordre, couchent une 
partie de la nuit sur le champ de bataille où l'ennemi 
d'ailleurs ignore leur présence. Là encore l'action du 
commandement et celle de son organe naturel, 
rétat-major, prêtèrent à la critique, mais les vrais, ou 
pour mieux dire les seuls coupables étaient les deux 
ministres qui dirigeaient l'expédition. 

Le ministre des afiaires étrangères avait assujetti le 
général en chef à subir les avis et presque les ins- 
tructions de nos représentants à Gaète, mal placés 
pour connaître l'état des esprits à Rome. Le ministre 
de la guerre n'avait pas donné au duc de Rcggio des 
forces suffisantes pour tenter avec chances de succès 
une attaque par surprise. 

Au lieu de risquer une opération téméraire et pré- 
maturée, il fallait attendre le débarquement complet 
des trois brigades pour marcher sur Rome, et encore, 
pour attaquer la ville, ces forces étaient-elles insuf- 
fisantes et devaient-elles se bornera un rôle d'obser- 
vation. Déjà mal renseigné par nos diplomates, le 
duc de Reggio, malgré sa vigilance et sa perspicacité, 
fut encore induit en erreur par les jeunes officiers 



112 — 

qu'il envoya à Rome et qui lui communiquèrent leurs 
impressions d'imprudent optimisme. 

Grâce à Dieu, l'honneur de nos armes sortait sain 
et sauf d'une lutte inégale ; la revanche était proche, 
elle devait être patiemment, valeureusement et mo- 
destement préparée, avec le concours de nouveaux 
et éminents collaborateurs, par le brave général 
Oudinot de Reggio. Il puisa dans le sentiment dn 
devoir la force de résister aux indignes attaques du 
parti révolutionnaire français. L'écho devait en par- 
venir plus d'une fois jusque dans son austère quar- 
tier général. 

En attendant, il songeait à reprendre la lutte le 
plus tôt possible, selon le vœu du corps expédition- 
naire qui frémissait d'impatience. 

Cependant, tout indiquait qu'il faudrait faire un 
siège, opération toujours longue, pénible et difficile. 
L'essentiel était de prévenir tout mouvement offensif 
de l'ennemi. Le 20® de ligne et la cavalerie faisaient 
constamment des reconnaissances de Palidorojusqu*à 
la Macchia sur la gauche, Procojo San-Garlo sur la 
droite. Les chasseurs à cheval plaçaient des vedettes 
jusqu'à la fontaine da Trè Cannelle. 

Les reconnaissances furent bientôt dirigées dans 
la direction du Tibre. Ponte-Galera et la Magliana 
furent minutieusement explorées par des officiers 
d'état-major accompagnés de détachements de cava- 
lerie*. 

Le capitaine d'état-major Castelnau,avec une com- 
pagnie de chasseursà pied et un peloton de chasseurs 
à clieval, remonta jusqu'à l'embouchure du fleuve. 

Le 5 mai, il gagna ainsi Fiumcino, petit port en 
face de l'ancienne Ostie. C'était par cette localité que 
d'importants approvisionnements en vivres parve- 



Offîcier d'état-major, Précis, p. 36. 



— ii3 — 

naient à Rome en suivant le Tibre. Un petit détache- 
ment de dragons romains y séjournait pour surveiller 
ces approvisionnements. Les cavaliers français débou- 
chèrent si brusquement sur la place de Fiumcino où 
se trouvaient alors réunis les dragons romains, que 
ceux-ci ne purent s'enfuir; craignant que les chas- 
seurs ne fussent une avant-garde, les révolution- 
naires ne tentèrent pas de se défendre et rendirent 
leurs armes et leurs chevaux*. 

Le capitaine Gaslelnau et son détachement les 
conduisirent au camp de Palo où ils furent internés*. 
Sur Tordre du général en chef, un bataillon du 20« de 
ligne repartit sans retard avec le capitaine Gaslelnau, 
pour occuper solidement le port de Fiumcino et ses 
environs'. Deux compagnies furent détachées à Oslie 
sur la rive gauche du fleuve, ce qui assurait au 
besoin les communications avec Tarmée napolitaine 
qui occupait Terracine et marchait sur Vèlletri *. 

Le duc d'Uarcourt avait passé la journée du 6 au 
camp; la nouvelle de l'insuccès du 3o avait attristé 
notre ambassadeur, sa visite à Palo le réconforta et 
il repartit pour Gaète rempli d'espoir dans le succès 
final. 

Le 7 mai, l'amiral Tréhouart se rendait au camp S 
et trouvait le général en chef toujours soufl*rant, mais 
plein d'énergie, surveillant la mise en défense du fort 
de Palo. 

Le lendemain, à la grande joie du corps expé- 
ditionnaire le commandant Picard et son déta- 
chement arrivaient au camp de Palidoro, où se 
trouvait concentré le 20^ de ligne. Quelques bles- 

• Capitaine d'état-major Vertray, Album, p. 6. 
» Ibid, 

' Ibid. 

* Officier d'état-major, Précis, p. 35. 

' M. de Falloux accompagnait Tamlral. (Capitaine Veii- 
TRAY, Album,) 

8 



- ii4- 

ses seulement restaient dans les hôpitaux à Rome. 
La veille les prisonniers étaient invités à sortir da 
château Saint- Ange; seuls les officiers s'abstinrent 
et restèrent dans l'appartement où ils gardaient les 
arrêts. Les sous-officiers et les soldats furent pro- 
menés solennellement dans les rues de Rome, aux 
cris de : Vice la République française! Vive la Répu- 
blique de Rome! La foule acclamait et embrassait 
ceux qu'elle insultait et brutalisait huit jours aupara- 
vant. Les femmes qui, le 3o avril, n'avaient pas été 
les dernières à menacer nos soldats, leur prodiguaient 
les caresses et les fleurs ^ Ce n'était point à un senti- 
ment de générosité qu'obéissaient les organisateurs 
de cette manifestation. 

Dans la matinée, le triumvirat avait publié en 
langue française une proclamation pour exciter à la 
révolte et à la désertion les hommes que, quelques 
heures après, il devait rendre libres *. La conduite de 
nos sous-officiers et de nos soldats fut excellente, ils 
se refusèrent à toute promesse, gardant l'attitude 
fière et attristée qui convenait à leur situation'! 
Le lendemain, les deux compagnies, formant un 
efleclif de aSo hommes, rejoignaient leur beau répi- 
ment. 

Les officiers généraux leur firent à tous le meilleur 

* <c Pressions de mains, libations exquises, pluie de fleurs, 
accolades fraternelles, offres d'arg^ent et dMionneurs, rien no 
fut épargné pour arriver au cœur inaccessible des soldats de 
la France. » ( Balle ydier, La Révolution de Rome, t. II, p. ;3.) 

^ Mazzini disait à rAsseinblée constituante que les prison- 
niers français deviendraient des apôtres de la révolution dan< 
le corps expéditionnaire de Palo. 

3 « Je dois dire (jue, le 7 mai, le gouvernement et la popu- 
lation romaine nous ont donné de nombreux témoignages 
apparents de sympathie, mais la perfidie de ces démonstra- 
tions était évidente pour tout le monde,.. Je vous Tai déjà dit. 
mon général, tous ont résisté. La France peutèlre fière de la 
discipline etdu courage que ses soldats ont déployés. » {Second 
rapport du commandant Picard. Bivouac de Sànta-Passera, 
le a8 mai 1849.) 



IID — 

accaeil, le commandant Picard et ses officiers furent 
Tobjet d'attentions particulières. 

Des commissaires romains, protégés par Timmu- 
nité des parlementaires, avaient accompagné le déta- 
chement de prisonniers; le général Oudinot les reçut 
avec l'urbanité qui lui était habituelle. Inspiré par 
une pensée de générosité bien française, il donna 
Tordre de mettre en liberté le bataillon de chasseurs 
bolonais dit les chasseurs de Pietramellara^ du nom 
de son commandant, qui avait été désarmé et interné 
à Civita-Yecchia lors de l'occupation de cette ville. 
Ces volontaires devaient rentrer à Rome et y ren- 
forcer la garnison révolutionnaire. Le duc de Reggio 
ne s'arrêta pas devant cette éventualité absolument 
prévue et déclara avec raison <c que la France ne 
pouvait pas rester en retard de générosité ». 11 
chargea les commissaires romains de dire à leur gou- 
vernement qu'en retour de ce procédé, il se plaisait à 
espérer que les Français et même les étrangers de 
tous les pays recevraient des sauf-conduits pour 
sortir facilement de la ville K 

Le même jour, 8 mai, le général Oudinot voulant 
arrêter le projet d'attaque de la place réunit en 
conseil les généraux Regnaud de Saint- Jean d'An- 
gély, MoUière etLevaillant, le colonel de Noue et les 
deux chefs de service de rartillerîe et du génie, 
le lieutenant-colonel Larchey et le commandant 
Goury, qui remplaçait le lieutenant-colonel Leblanc 
toujours interné à Rome avec le capitaine Bois- 
sonnet*. « Il fut reconnu que la portion de 

* Les vexations conlre les Français avaient élé telles à 
Rome, que les élèves de l'école française, qui pour la plupart 
professaient ouvertement des sentiments libéraux, durent se 
réfugier à Florence avec leur directeur pour éviter les 
outrages et les menaces. 

* Les triumvirs se refusèrent à laisser partir ces ofliciers 
avec le détachement Picard. 



— ii6 — 

Tenceinte à proximité du fleuve et sur la rive droite 
était la seule qu'il fût possible d'attaquer sérieuse- 
ment sans préjudice notable pour les monuments de 
Rome. Ce choix avait d'ailleurs l'avantage de main- 
tenir le corps expéditionnaire en communication 
constante avec sa base d'opérations. Le conseil 
décida donc qu'un mouvement serait opéré dans 
celte direction *. » 

On s'étonna que le général Oudinot ait cru devoir 
réunir un conseil de guerre au lieu de prendre lui- 
môme l'initiative et la responsabilité de la marche en 
avant. Mais l'absence d'instructionsy<?r//ie5 du minis- 
tre de la guerre, les tergiversations du gouvernement, 
l'hostilité d'une partie du Parlementet de la pressedic- 
tèrent la conduite du général en chef. Le corps expédi- 
tionnaire lui sut gré de sa modestie et de sa prudence. 

En conséquence, toute la brigade Mollière se porta 
de Palidoro sur Caslel-di-Guido à deux lieues e\ 
demie. 

Le bataillon de chasseurs à pied, prenant sur la 
colonne un assez long intervalle, fit une reconnais- 
sance dans la direction de Rome, sans rencontrer 
l'ennemi '. Le soir le i6« léger était arrivé au camp de 
Palo, il avait été provisoirement placé à la a® brigade 
sous les ordres du général Levaillant (Charles '). Un 
bataillon du 68® formait la garnison de Givita-Vecchia. 

Le lendemain, lo mai, le lieutenant-colonel 
Leblanc et le capitaine Boissonnet, appartenant tous 
deux à l'arme du génie, arrivaient au camp de Paie*: 
ces ofliciers n'avaient pas eu à subir la captivité da 
château Saint-Ange, mais avaient été si étroitement 
surveillés par la police romaine qu'ils avaient dû 

* Officier d'étal-major, Précia historique et militairey p. 38. 
^ UiMorique du i^** Dataîllon de chasseurs à pied. 

^ Officier d'état-maior, Précis, p. Jo. 

* Ibid. 



-^ 117 — 

garder les arrêts chez eux, se bornant à quelques 
brèves communications avec M. de Forbin-Janson, 
épié et surveillé lui-même par les agents du trium- 
virat. ToutefoîsMM. Leblanc et Boissonnet apportaient 
d'intéressants renseignements sur le système de 
fortifications de Rome, qui devaient être utilisés. 

Dans la même journée le général Chadeysson arri- 
vait à Palo avec le 22® léger, une batterie d'artillerie 
et deux pelotons de chasseurs à cheval. Cet officier 
général amenait en outre avec lui six pièces de siège. 
Pour les transporter, les attelages des pièces de 
campagne avaient été dédoublés. La compagnie de 
réserve du génie et son parc accompagnaient les 
pièces de siège *. 

Le général en chef décida que le mouvement en 
avant continuerait; il prescrivit donc à la a^ bri- 
gade, diminuée du 68« de ligne rendu au général 
Chadeysson, de se porter, avec le quartier général, à 
Castel-di-Guido. 

La v^ brigade devait être plus en avant sur les 
hauteurs qui dominent à droite et à gauche la voie 
Aurélienne. 

Une autre bataille se livrait à Paris, bataille parle- 
mentaire qui dura plusieurs jours et dont l'issue 
intéressait au plus haut degré le corps expédition- 
naire de la Méditerranée. L'opinion publique avait 
été péniblement impressionnée en apprenant aue 
Tattaque de nos troupes avait été repoussée. Dans sa 
séance de nuit du 7 mai, l'Assemblée constituante 
blâma sévèrement le ministère Odilon Barrot, qui 
fut ainsi mis en péril; Jules Favre et ses amis repro- 
chèrent violemment au gouvernement d'avoir promis 
de s'en tenir à l'occupation militaire de Givita- 
Vecchia' et de ne marcher sur Rome que pour la pré- 

« Officier d'état-major, Précis, p. 39. 
2 <c Même en cas de résistance. » 



— ii8 — 

server d'une intervention étrangère ou des excès 
d'une contre-révolution. Pour conjurer l'orage, le 
ministre des affaires étrangères déclara que le général 
Oudinot avait outrepassé ses instructions en atta- 
quant la République romaine. Par 338 voix contre !i4ii 
l'Assemblée constituante vota la résolution sui- 
vante : c< L'Assemblée nationale invite le gouverne- 
ment à prendre sans délai les mesures nécessaires 
pour que l'expédition d'Italie ne soit pas longtemps 
détournée du but qui lui était assigné. » 

Le ministère^ sachant que les jours de l'Assemblée 
nationale étaient comptés, car sa législature se ter- 
minait dans quelques jours, accepta docilement le 
blâme parlementaire et pour gagner du temps, char- 
gea un diplomate habile qui avait fait ses preuves dans 
des circonstances difficiles, M. deLessepsS ancien 
ministre plénipoten taire à Madrid et alors en dispo- 
nibilité, de partir pour Rome, de s'y mettre en rela- 
tions avec les triumvirs et d'y préparer une solution 
honorable pour le gouvernement français en même 
temps que rassurante pour les catholiques*. En réalité 
la mission de M. de Lesseps était très mal définie. 

^ M. L. Bridier, membre de la Société des Études histo- 
riques, a publié un important ouvrage sur la famille de 
Lesseps {une /amille française , les de Lesseps, Paris, Foo- 
tenioing, 1900), dans lequel il retrace les difficultés de ce 
moment. 11 convient de lire le chapitre intitulé Rome, où 
la mission du futur perceur de Fisthme de Suez est claire- 
ment exposée (p. agS-SoS). 

' « C'est pour cela que, par décision du cabinet, et c'est ici 
le gouvernement en conseil qui est intervenu, un homme aiii 
a toute notre confiance, que nous avons éprouvé dans des 
circonstances difficiles, qui a toujours servi la cause de la 
liberté et de l'humanité, M. de Lesseps, si vous voulez savoir 
son nom, a été envoyé. 11 est parti avec la recommandation 
expresse de se mettre immédiatement en communication 
avec le gouvernement, de le tenir au courant, jour par jour, 
de tous les incidents qui peuvent sur>'enir, avec rinstruclion 
formelle d'employer tout ce qu'il pourrait avoir d*inauence à 
faire sortir de notre intervention des garanties sérieuses et 
réelles de liberté pour les Etats romains. )» (Déclaration de 
M. Odilon Barrot. Séance du 9 mai. Moniteur du 10 mai.) 



— "9 — 

Comme un correctif au vote de la Chambre et à la 
soumission de ses ministres, le prince Louis-Napo- 
léon adressait au général Oudinot une lettre qui con- 
sacrait la rupture avec ses ancien amis de jeunesse 
et qui rendait un hommage mérité à la brave armée 
française. 

Cette lettre fut confiée à M. de Lesseps qui devait 
la remettre lui-même au duc de Reggio. 

« Elysée national, 8 mai 1849. 

« Mon cher Général, 

« La nouvelle télégraphique qui annonce la résis- 
tance imprévue que vous avez rencontrée sous les 
murs de Rome m'a vivement peiné. J'espérais, vous 
le savez, que les habitants de Rome, ouvrant les 
yeux à l'évidence, recevraient avec empressement 
une armée qui venait accomplir chez eux une mission 
bienveillante et désintéressée. 

« Il en a été autrement; nos soldats ont été reçus 
en ennemis : notre honneur militaire est engagé; je 
ne souffrirai pas qu'il reçoive aucune atteinte. Les 
renforts ne vous manqueront pas. Dites à vos soldats 
que j'apprécie leur bravoure, que je partage leurs 
peines et qu'ils peuvent toujours compter sur mon 
appui et sur ma reconnaissance. 

« Recevez, mon cher Général, l'assurance de ma 
haute estime. 

a L.-N. Bonaparte*. » 

Deux jours après, devant de nouvelles interpella- 
tions de la gauche, M. Odilon Barrot, président 
du conseil, traita la lettre du président de simple 
correspondance privée et non d'acte de gouverne- 
ment engageant le ministère. Cet acte de timidité 

* Moniteur du 10 mai i849. 



— I20 — 

blâmable provoqua dans la garnison de Paris une 
éclatante protestation. 

Le général Ghangarnier, commandant la i"> divi- 
sion militaire, fit lire aux appels et afficher dans les 
casernes la lettre du prince Louis-Napoléon '. Le glo- 
rieux soldat de la retraite de Constantine et du col 
de Mouzaïa affirmait ainsi la solidarité de la grande 
famille militaire. 

Les discussions continuaient irritantes et passion- 
nées; les membres de la gauche citaient constamment 
à la tribune des articles de journaux romains qui 
dénaturaient la vérité sur l'afTaire du 3o avril pour la 
plus grande gloire de Mazzini, Garibaldi, Galetti, etc. 
Dans leur passion politique, les représentants du 
parti radical donnaient aussi publiquement lecture de 
lettres ou de fragments de lettres dont les auteurs 
appartenaient au corps expéditionnaire. 

Ces correspondances avaient été écrites hâtivement, 
fiévreusement, sous une impression de douleur phy- 
sique ou morale, sans que les termes aient été pesés 
et sans être surtout destinées à la publicité. La con- 
duite militaire du duc de Reggio, celle des officiers 
généraux sous ses ordres, y étaient violemment 
critiquées. On les accusait de duplicité : ces offi- 
ciers, si justement vénérés dans Tarmée, auraient 
affirmé que les Napolitains étaient dans Rome, qu'ils 
y opprimaient la République et que nos soldats 
allaient les défendre * ! 

* Le général Ghangarnier, qui ne redoutait pas les respon- 
sabilités, écrivait aux oflîciers généraux sous ses ordres 
aue la lettre du président de la République devait être connue 
e tons les rangs de la hiérarchie militaire, ajoutant : « EH^ 
doit fortifier rallachement de Tannée au chef de l'Etat et elle 
contraste heureusement avec le langage de ces hommes qui, 
à des soldats français placés sous le feu de l'ennemi, vou- 
draient envoyer, pour tout encouragement, un désaveu. » 
(Moniteur du la mai 1849) 

' Séances des 10 et 11 mai. Discours de Ledru-RoUin- 
(Moniteur du 11 et la mai 1849.) 



121 

L'intervention de notre artillerie avait été absolu- 
ment inefficace et presque inoffensive. Avezzana, le 
ministre de la guerre de Rome, n'en avait pas moins 
écrit à Tun de ses amis de Paris, qui acceptait ses 
allégations avec une singulière naïveté, que les bou- 
lets français avaient endommagé les sculptures de 
Saint-Pierre et la gauche trépignait d'indignation, 
criant au vandalisme ^.. 

Sans avoir encore la hardiesse de le déclarer, le 
gouvernement était décidé à augmenter dans une 
proportion considérable les forces dont disposait le 
général Oudinot. Il est vrai que, par une fâcheuse 
inconséquence, M. de Lesseps, son représentant, 
allait recevoir les instructions les plus vagues et les 
plus contradictoires. 

* Séance du ii mai 1849. Discours de Jules Favre. (MonU 
leur du 12 mai.) 



CHAPITRE VII 



PREPARATIFS DE REVANCHE ET DE RESISTANCE. — 
ARRIVÉE INATTENDUE d'uN PLENIPOTENTIAIRE FRAN- 
ÇAIS. — NOUVELLES DIFFICULTES. 



En dépit des colères parlementaires et des vio- 
lences de la presse, le corps expéditionnaire, qui du 
reste n'en percevait qu'un écho lointain et singuliè- 
rement aifaibli, préparait une prochaine revanche. 

L'arrivée de la brigade Chadeysson avait décidé le 
général en chef à ne pas retarder le mouvement en 
avant. 

Déjà, depuis le 8 mai, le général Mollière, dont la 
brigade prenait le titre de brigade d'avant-garde *, avait 
quitté Palidoro pour établir son camp à Castel-di- 
Guido et poussait des reconnaissances jusqu'à 
six kilomètres de Rome. Le ii mai toute la division fut 
portée en avant. En conséquence, dans la matinée 

* Cette brigade comprenait les unités suivantes : i^ bataiU 
Ion de chasseurs à pied (commandant de Marolles), iMf de 
liffne (colonel Marulaz), 33® de ligne (colonel Bouat), batterie 
d^rtillerie (capitaine Serrand), compagnie du génie (capi- 
taine Puiggari), et depuis le 9 mai deux escadrons de chas- 
seurs à cheval moins deux pelotons (commandant Danihry). 
Le général Mollière avait toujours pour aides de camp le 
capitaine Manèque et le lieutenant Lecauchois-Féraad» tous 
deux du corps d état-major. 



— 123 — 

du II mai, Tordre de marche qui suit avait été adopté 
pour la brigade d'avant-garde : 

Deux escadrons de chasseurs à cheval moins deux 
pelotons'; 

Le bataillon de chasseurs à pied *; 

Le génie de la brigade ; 

L'arrillerie de la brigade ; 

Les deux bataillons du 33« de ligne : 

Un bataillon du 20« de ligne ' ; 

Une section d'ambulance ; 

Les bagages de la brigade. 

La brigade atteignit les hauteurs de la Maglianella, 
où elle resta en position sur la gauche * ; conformé- 
ment aux ordres du général en chef qui s'avançait 
sur la voie Aurélienne avec les deux autres brigades, 
dans la formation suivante : 

État-major général du corps expéditionnaire , 

État-major de la 2® brigade'^ ; 

Les deux bataillons du 16^ léger (colonel Marche- 
san *) ; 

La compagnie du génie de la brigade ; 

La batterie d'artillerie de la brigade; 

Les deux bataillons du 36« de ligne (colonel Blan- 
chard); 

Les deux bataillons du 66^ de ligne (colonel 
Ghenau), moins six compagnies ^; 

* Capitaine Vbrtray, Album 

* Une compagnie de chasseurs était détachée à Pontegallera. 

* L'antre bataillon du ao* était à Fiumcîno, à Tembouchure 
d a Tibre. 

^ « Couvrant Tarmée qui s'avance sur cette route » (la voie 
Aurélia). Historique du i'** bataillon de chasseurs à pied. 

* Général Levaillant (Charles); capitaine d'état-majorFèvre, 
aide de camp; lieutenant d'infanterie Christophe, ofBcier 
d'ordonnance. 

* Le 16^ léger, arrivé an camp dePalo le 9, avait été attaché 
provisoirement à la a* brigade. 

^ Détachées an fort de Palo. 



124 — 

Un peloton de chasseurs à cheval ' ; 

Etat-major de la 3® brigade *; 

Les deux bataillons du ^n^ léger (colonel Pesson); 

La batterie d'artillerie de la brigade ' ; 

Les deux bataillons du 68« (colonel de Leyritz), 
moins six compagnies ^ ; 

Le parc d'artillerie de siège ; 

Un peloton de chasseurs à cheval ; 

Trésor, ambulances, subsistances, bagages des 
deux brigades et du quartier général. 

Les reconnaissances de la cavalerie, dirigées par 
les officiers de l'état-major général et appuyées par 
les agiles chasseurs à pied, furent poussées assez loin 
au nord-est. Elles traversèrent le San-Spirito grossi 
par les pluies, la via Triomphale, s'engagèrent dans 
la vallée de TAcquatraversa, et explorèrent les envi- 
rons du Monte-Mario. Il s'agissait de trouver rem- 
placement d'un camp d'observation pour surveiller 
les routes de Florence et d'Ancône. On choisit un 
vaste plateau entre la via Triomphale et la via Gassia 
dominant PontemoUe et San-Onofrio, à peu de distance 
du Monte-Mario et par conséquent du Tibre et de 
l'enceinte nord de Rome. 

Dans l'après-midi du i3 mai=, le 36^ de ligne et 
un escadron du i®"^ chasseurs* y furent aussitôt 
envoyés et en prirent possession sous le commande- 
ment supérieur du colonel Blanchard, du 36«\ 

Pendant les journées des 12, i3 et 14 mai, lequar- 

1 Commandé par le capitaine Hirtz. 

' Général Chadeysson ; lieutenant d'état-major Parmentier. 
aide de camp. 

» 6* batterie du 7* d'artillerie (capitaine Ganu). 

* Détachées à Civita-Vecchia. 

^ Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

^ Le chef d'escadrons Dambry, de ce régiment, marchait 
avec l'escadron. 

"' Capitaine Vertray, Album. 



125 

lier général fut reporté à Caslel-di-Guido. Des piquets 
de travailleurs, protégés par la cavalerie et des flan- 
queurs d'infanterie, furent employés par le comman- 
dant Goury et les officiers du génie à préparer une 
route praticable pour l'artillerie et surtout pour le 
parc de siège dans la direction du Monte-Mario, le 
long de laLongaretta et de la Magliana jusqu'à la via 
Campana *. Les travaux étaient couverts du côté de 
Rome par les hauteurs boisées, l'ennemi n'inquiéta 
nullement la marche des colonnes. 

Malgré la prudence des Romains, le généralen chef 
craignait un coup de main sur son parc de siège ; il le 
rapprocha donc du bas Tibre, par lequel il pensait rece- 
voirses approvisionnements en toute sécurité grâce à 
l'occupation deFiumcino, d'Oslieet de Ponte-Galera. 
En conséquence, il transporta la brigade Levaillant h 
Corviale, ce qui plaçait le corps principal à cheval sur 
les deux lignes d'opérations : celle de Civita-Vecchia 
à Rome que surveillait la brigade MoUière, et le bas 
Tibre' dont il fit renforcer les postes par le dernier 
bataillon du 20« de ligne, qui détacha trois compagnies 
à Magliana, petit port sur le fleuve le plus rapproché 
de la via Portuensa. Deux escadrons de chasseurs^ 
rejoignirent à Corviale le quartier général. 

Le quartier général de la brigade MoUière reste à 
laMaglianella, celui delà brigade Levaillant (Charles) 
est transféré à la villa Santucci, contre la via Cam- 
pana, à trois quarts de lieue de la porte Portese : 
celui de la brigade Chadeysson, primitivement placé 
à la casa MafTei sur la route de Civita-Vecchia*, est 
transféré à Corviale, le parc de siège est à Magliana \ 

' Capitaine Vertray, Album. 

* Ibid. 

' Officier d'état-major. Précis p. Sg. — G*étaient les deux 
derniers du i^*" chasseurs. 

* Journal des opérations du génie et de Fartillerie. 

* Capitaine Vertray, Album. 



126 

Grâce à l'arrivée des différentes fractions trop long- 
temps retardées, Veffectif total des troupes était 
d'environ la.ooo hommes occupant une ligne de 
six kilomètres de développement, qui manquait, il 
est vrai, un peu de profondeur *. 

Le général en chef résolut de transporter son quar- 
tier général au camp de la 2« brigade établi dans un 
vaste rectangle en avant de la via Campana et presque 
parallèlement à la strada de Monte-Verde, voie de 
communication plus au nord qui traversait un petit 
plateau entre deux ruisseaux parallèles au Tibre. Le 
quartier général devait être installé dans une spa- 
cieuse villa que précédait un majestueux arc de 
triomphe, datant de Constantin et fort bien conservé. 
En attendant l'arrivée du duc de Reggio, les fac- 
tionnaires gardaient l'entrée de la villa et écartaient 
ainsi quelques Anglais, journalistes ou simplement 
touristes, qui venaient de Rome et qui observaient 
cette ruchevivante qui s'appelleuncampavecTaplomb 
flegmatique de leur race*. Nos soldats circulaient 
joyeux, pleins d'entrain, sans cesser d'être disciplinés: 
des corvées étaient constamment dirigées vers la 
Maglianella, pour travailler à la route du Monte-Mario. 
Les grand'gardes et les petits postes, sans être multi- 
pliés à l'excès, étaient suflisamment nombreux à l'est 
et au nord pour défier toute surprise. Chacun atten- 
dait la reprise du combat. Que les pièces de siège 
ouvrent la brèche, avec quel entrain, derrière leurs 



* Journal dcH opérations de rartillerie et du génie. — Celle 
appréciation est du général Vaillant, Tauteur du JournaL ea 
collaboration avec le général Thiry, commandant rartillerie, 
et le colonel Niel, chef d*état-major du génie. 

* Dès le retour à Palo, les journalistes anglais étaient arri- 
vés au camp français, animas d'assez malveillantes dispo- 
sitions pour les défenseurs de la Papauté. Toutefois, ils 
avaient rendu justice à ces troupes d*allures vives, énergiques, 
lourdement chargées de leurs sacs, tentes, couvertures, et 
restant alertes. 



— laj — 

officiers, les petits soldats aux pantalons rouges 
monteront à Tassant! 

A Rome, l'inquiétude grandissait chez les parti- 
sans de rintervention française. Effrayé des consé- 
quences que pouvait entraîner la reprise des hos- 
tilités avec des forces présumées insuffisantes, 
sollicité par un certain nombre de nos nationaux, 
un Français courageux qui habitait Rome depuis de 
longues années, M. Mangin, consentit à se rendre au 
quartier général du duc de Reggio, alors à Palo. Il 
fallait obtenir l'autorisation de sortir de Tenceinte. 
M. Mangin vint la demander à Mazzini, invoquant 
comme motif de sa démarche le désir de prévenir 
une nouvelle attaque des troupes françaises. Le 
triumvir lui répondit avec arrogance : « Votre démar- 
che m'importe peu, car nous avons prouvé à 
l'Europe que Rome ne craignait pas la France ; nous 
avons défendu aux Français de s'approcher de nos 
remparts, nous saurons faire respecter cette défense ; 
Rome est la Ville éternelle, malheur à qui la 
touche * ! » 

Sur les instances de M. Mangin, l'arrogant avocat 
lui accorde un laissez-passer. Les gardes civiques de 
faction au rempart refusent de laisser passer le 
Français, l'intervention d'un capitaine romain reste 
inefficace; M. Mangin, après avoir essuyé plusieurs 
coups de feu*, s'éloigne des remparts. Le lendemain, 
il fait une nouvelle tentative sur un autre point de 
l'enceinte, et parvient à la franchir; il gagne môme la 
Malagrotta, mais un parti de garibaldiens l'arrête et 
après maintes menaces^ le reconduit à Rome. Un 
nouveau sauf-conduit lui est accordé par le triumvir. 

' Balleydier, La Révolution à Rome, p. 68. 

* Idem, ibid,^ p. 69. 

* Le même auteur déclare qu'il fallut l'intervention de Gari- 
baldi pour préserver M. Mangin d'une mort certaine (p. 69). 



— 128 — 

Plus heureux, M. Mangin échappe aux gardes civiques 
et aux garibaldiens, il atteint le camp français. Le 
général Oudinot, souffrant*, le reçoit avec bienveil- 
lance, mais prévoyant les conséquences fâcheuses 
qui peuvent surgir d'un système de temporisation, il 
lui répond que si les Romains veulent faire acte de 
soumission envers la France, ilstrouveront le général 
commandant le corps expéditionnaire toujours prêt 
à accueillir favorablement les propositions « con- 
formes à la dignité de la France et aux intérêts 
de la souveraineté pontificale ». M. Mangin revint 
tristement à Rome, la reprise de la lutte était inévi- 
table. 

Les triumvirs profitaient du retard apporté à 
l'arrivée de nos renforts pour continuer la prépara- 
tion de la résistance. La commission des barricader 
se distinguait par le zèle le plus exalté, commandant 
aux forgerons, des monceaux de planches à clous S 
promettant le grade de capitaine à tout recruteur qui 
amènerait dix volontaires des provinces. 

Malgré la tiédeur des premiers jours, la population 
s'exaltait, les femmes n'étaient pas les moins 
ardentes. La foule s'attaquait à tous ceux que lui 
désignaient quelques énergumènes; trois malheureux 
paysans furent égorgés et jetés dans le Tibre aux cris 
de : c< Mort aux Jésuites M » 

C'est le prêtre, quelle que soit sa nationalité, que 
l'on épie, que l'on pourchasse parce qu'il est le 
partisan du Pape et que l'armée française veut res- 
taurer le pouvoir pontifical *. 

' Il trouve legénéral en chef assez gravement indisposé (p.70). 
Balle YDiER, La Révolution à Rome^ p. 70. 

^ La commission payait 3o écus mule planches à clous. On 
les appelait tribolis. 

3 Balleydier, La Révolution à Rome, p. 71-73. 

* « Ramassez des pierres et tuez les prêtres. Toute pierre 
qui terrassera quelque séide du tyran deviendra une pierre 
précieuse. Que les dames romaines réunissent ces pier- 



— 129 — 

A ]a Constituante romaine, on vote continuellement 
des félicitations aux organisateurs de la résistance, le 
vice-président, le prince de Canino, C. L. Bonaparte, 
se fait plusieurs fois Tinterprëte de l'assemblée. 

Si Avezzana, le ministre de la guerre, amoindri par 
la popularité croissante de Roselli, le commandant 
des volontaires de Pérouse, et par celle de Garibaldi, 
prend une décision ^ qu'il porte à la connaissance de 
la population, aussitôt la toute-puissante commis- 
sion des barricades fait afficher et publier au son 
du tambour ses innombrables édits. Elle prévoit 
tout, oi^anise tout dans la Ville éternelle, c'est le 
premier pouvoir militaire, c'est le Comité de salut 
public*. 

Par une singulière contradiction de la part des révo- 
lutionnaires qui avaient chassé le chef de l'Église, cette 
commission affecte des sentiments religieux : 

« Les ennemis de Dieu et du peuple, les séides du 
despotisme se sont réunis autour de notre ville pour 
Tassaillir, pour abattre le gouvernement proclamé 
par vos représentants légitimes et y substituer celui 
de la terreur, de la rapine, du sang. Peuple géné- 
reux, soyez prêts à défendre vos barricades, sauvez 
vos maisons, vos familles, la patrie, l'honneur italien, 
munissez-vous de tous instruments pouvant servir à 
frapper, et si vous n'en avez pas, la commission fera 

Tes, etc. 1» {Proclamation de la commission des barricades, 

6 mai i849-) 

* Ministère de la guerre et de la marine, — Attendu qu'il 
a été ordonné que trois coups de canon du fort Saint-Ange 
soient le siene d'alarme et attendu qu'il importe que tout 
citoyen sache avec précision à quel moment on est aux prises 
avec l'ennemi et quand il y a trêve, il a été décidé que le 
drapeau rouge sur le fort âaint-Ange ne flottera qu'à 1 heure 
du combat, et pendant la trêve, il sera remplacé par le dra- 
peau tricolore. 

« Le Ministre de la guerre^ 

« J, Avezzana. » 

{La Speranza, numéro du S. mai.) 

' Monitore romano du 9 mai. 

9 



— i3o — 

distribuer des piques sur la place des Saints- Apôtres, 
au premier signal d'alarme. Le capitaine Alex. 
Baggio est chargé d'organiser les guérillas dans le 
quartier Trevi *. » 

Les nouvelles de France parvenaient à nos troupes 
trop rarement. Les bâtiments, employés au service 
des transports de la guerre, sortant de Toulon, 
n'emportaient pas les dépêches dirigées le plus habi- 
tuellement de Marseille. Or, la correspondance 
régulière ne partait de ce grand port que trois fois 
par mois*. 

Le général Oudinot savait qu'il était question au 
ministère de la guerre de créer une seconde division 
dans le corps expéditionnaire, et d'en confier le 
commandement au général Gueswiller, alors employé 
à l'armée des Alpes. Les journaux français annon- 
çaient, avec raison d'ailleurs, qu'une brigade de celte 
«irmée' devait être appelée au corps de la Médi- 
terranée pour contribuer à former la deuxième 
division. 

Enfin l'amiral Tréhouart avait prévenu le duc de 
Reggio que de nouveaux embarquements allaient 
s'effectuer incessamment au port de Toulon à desti- 
nation de Civita-Vecchia. 

Pour recevoir le 22« léger, le général en chef était 
revenu à Castel-di-Guido, qu'il devait quitter dans la 
journée du i5, aOn de se rendre à la villa Santucci. 
définitivement choisie pour son quartier général, au 
centre de ses trois brigades. Plein de confiance dans 
la reprise des hostilités, il éprouva une pénible sur- 



* Moniiore romano du 9 mai. 

2 OfTicierd'étal-major, Précis, p. ^i. L'auteur, M. Lecauchois- 
Féraud, constate que le service postal D*a été véritablement 
établi qu'à dater des derniers jours de juillet. Cette lacune 
pouvait engendrer bien des erreurs et des malentendus. 

^ La bri^çade, empruntée à Tarmée des Alpes, était celle du 
général Sauvan. 



i 



— i3i — 

prise et une déception bien naturelle (juand il vit 
arriver à son quartier général, dans la matinée du 
i5 mai*, M. de Lesseps, le négociateur envoyé par le 
gouvernement français pour arrêter Teffusion du 
sang... Le diplomate était accompagné de Tintendant 
militaire Paris de la BoUardière, nommé à la direc- 
tion des services administratifs. 

En informant le général de l'augmentation très 
prochaine des forces du corps expéditionnaire, qui 
comprendrait au moins deux divisions si ce n'est 
trois, M. de Lesseps * remettait au duc de Reggio la 
belle lettre du président de la République, mais il ne 
lui dissimulait pas l'objet de sa mission : tout tenter 
pour arriver à un arrangement amiable avec le gou- 
vernement romain. Un armistice de quinze jours 
allait être décidé dès son arrivée à Rome. 

Les troupes françaises devaient s'abstenir jusqu'à 
nouvel ordre de toute démonstration hostile... M. de 
Lesseps communiquait en outre au général Oudinot 
les instructions du ministère des affaires étrangères 
qu'avait rédigées M. de Vielcastel', et qui débutaient 
ainsi : 

• Oflîcier d*état-inajor, Précis, p. ^o. 

* L'arrivée de M. de Lesseps est également indiquée à la date 
do i5, par le Journal des opérations de Tartillerie et du génie 
et VAlbum de Vexpédition, par la capitaine Vertray. 
L'officier d'état-major, auteur du Précis (M. Lecauchois- 
Féraod), la mentionne aiiisi : « Dans la nuit du i/j au td, M. de 
Lesseps, envoyé extraordinaire de France et ministre pléni- 
potentiaire, arrive auprès du général en chef. )> Enfin M. de 
Gaillard, ami du général Oudinot, et qui a reçu de l'ancien 
commandant en enef de nombreux renseignements, dit à ce 
sujet : a Le i5, il (M. de Lesseps) descendait au quartier 
généra] de Gastel-di-Guido. )> 

' M. de Vielcastel était alors chef de la direction politique 
au ministère des alTaires étrangères et le ministre, M. Drouyn 
de Lhays, l'avait invité a à rédiger des instructions desti- 
nées à laisser assez de latitude et d'initiative pour que son 
action politique ne fût pas entravée, soit par le général 
chargé des opérations militaires, soit par des directions trop 
précises ». (L. Bridibr, Les de lesseps. Paris, Fontemoing, 
igoOyp. 3oi-3oa.) 



— l32 — 

« Les faits qui ont marqué le début de l'expédition 
française dirigée sur Civita-Vecchia, étant de natureâ 
compliquer une question qui se présentait d'abord 
sous un aspect simple, le gouvernement de la Répu- 
blique a pensé qu'à côté du chef mililaire, chargé de 
la direction des forces envoyées en Italie, il convenait 
de placer un agent diplomatique, qui, se consacrant 
exclusivement aux négociations et aux rapports à 
établir avec les autorités et les populations, put y 
porter toute l'attention, tout le soin nécessaire dans 
d'aussi graves maticres, » 

Le duc de Reggio reçut aussi communication (fl 
tel avait été le désir de M. Drouyn de Lhuys, ministre 
des affaires étrangères) du Moniteur dn 8 mai, rela- 
tant les orageux débats de l'Assemblée et les sin^ru- 
lières déclarations du ministre des affaires étrangères 
lui-même, qui semblait désavouer l'attaque de Rome'. 
La lettre du président de la République au duc do 
Reggio faisait heureusement contrepoids à cette sin- 
gulière attitude du gouvernement. 

Le général Oudinot ne se sentit pas atteint par le 
blâme indirect et injustifié que lui apportait M. (le 
Lesseps: il accueillit, avec une courtoisie triste et 
digne, le plénipotentiaire qui lui était imposé, résolu 
d'ailleurs à lui prêter un loyal appui, dans les 
limites que lui traceraient son dévouement à la patrie 
et l'honneur militaire. 

En soldat discipliné, le général remercie le prince 
pr/'4tlcnt, mais il ne cache pas le sentiment pénthie 
qiH' Itii inspire le compte rendu des débats parle- 
niciilaires : 

' " M. Drouyn de Lliuys recommanda ensuite à Fordioand 
di 1.1 ^sfps do prendre des exemplaires du Monilear il" 

N i, afin d'en remettre un, df^s son arrivée, au général 

0\\<V\i\iii. jiif^ennt que c'élail là que devaient être piiigées Uon 
insiniitiorts et leurs déterminations. *{L. Briimer, Z<r< * 
Li-isr[it, p, 3oa.)| 



— i33 — 

« Au quartier général de Gastel-di-Guido,le i5 mai. 

« Monsieur le Président, 

<c Je reçois à l'instant la lettre que vous m'avez fait 
rtionneur de m'écrire sous la date du 8 courant. Je 
m'empresse de la porter à la connaissance du corps 
expéditionnaire, il y trouvera une précieuse et juste 
récompense de son dévouement, de sa discipline et 
de son courage. 

« L'armée française est aux portes de Rome. Quel- 
que vaste que soit l'enceinte de celle place, elle est 
entièrement investie. Bientôt nos pièces de siège 
seront en batterie. Maîtres du haut et du bas Tibre, à 
cheval sur la route de Florence, nous avons intercepté 
toute communication, et nous avons une pleine liberté 
d'action. 

« Dès aujourd'hui la soumission absolue du parti 
qui domine Rome nous serait infailliblement assurée 
si le Moniteur du 8 n'était de nature à ranimer de 
fatales espérances. Quoi qu'il puisse arriver, au sur- 
plus, le France sera sous très peu de jours l'arbitre des 
destinées de l'Italie centrale. Bientôt votre gouverne- 
ment recueillera le fruit de la politique énergique et 
généreuse qu'il prétend suivre et que vous lui inspirez. 

« Veuillez agréer*... » 

Le lendemain soir, i6 mai *, le général Oudinot et 
son état-major s'installaient à la villa Santucci, au 
milieu du camp de la brigade Levaillant. 

M. de Lesseps, qui s'illusionnait absolument sur les 
triumvirs et sur leurs ministres, exprima le désir de 
se pendre sans retard à Rome. Il avait prié le duc de 
Reggio de lui céder M. de La Tour d'Auvergne, 
secrétaire d'ambassade jusqu'alors constamment atta- 

' Balleydier, La Révolniion à Rome, t. II, p. 79-80. 
* Oflicier d*état-niajor, Précis, p. 44- 



— i34 — 

ché au cabinet du général en chef; il demandait aussi an 
général de détacher dans quelques jours auprès de 
lui, pour le renseigner au point de vue militaire, un 
officier d'état-major qui pût lui inspirer une entière 
confiance. Le général avait aussitôt désigné son pre- 
mier aide de camp, le commandant Espivent de la 
Villeboisnet, Thabile négociateur de l'occupation de 
Civita-Vecchia, qui devait rejoindre l'envoyé du gou- 
vernement français dès que celui-ci rappellerait. 

Dans la soirée du i5 mai, après l'accomplisse- 
ment des formalités des parlementaires, sonneries, 
drapeau, etc., le poste romain de la porte Portese 
laissait pénétrer, dans Tenceinte de la ville assiégée, 
la voiture où avaient pris place le ministre de France 
et le jeune secrétaire d'ambassade* destiné à devenir 
un jour ministre des affaires étrangères. Malgré 
l'escorte des « lanciers de Mazzini », la populace 
arrêta plusieurs fois leur voiture, insultant et mena- 
çant les nouveaux venus. 

< Communication du général Espivent de la Villeboisnet. 



CHAPITRE VIII 



M. DE LES8EPS A kOME. — LES GA^IPS DU CORPS 

EXPEDITIONNAIRE. 



L'envoyé du gouvernement français obtint, dès son 
arrivée, une entrevue des triumvirs. Son amabilité, sa 
réputation de libéralisme, ses relations personnelles 
avec quelques hommes politiques italiens, produisi- 
rent une impression favorable chez les membres du 
gouvernement romain, mais il y eut, dès le début, un 
malentendu. Mazzini et les siens affectaient de croire 
que le gouvernement français avait accepté déûni- 
tivement la République romaine et la déchéance du 
pouvoir pontifical. M. de Lesseps voulait au fond réser- 
ver la question et se borner à obtenir la (in des 
hostilités. Malgré leurs fanfaronades \ les trium- 

* Udc reconnaissance française de cavalerie avait été signa- 
lée, le ministre de la guerre en informa T As semblée romaine, 
3 ai accueillit cette nouvelle avec des signes de ioie; plusieurs 
éputés brandirent le poing dans la direction ae Tennemi, en 
s'écriant : « Nous nous battrons. » 

Le même ministre Avezzana faisait afiicher dans les rues 
de Rome, la veille de l'arrivée de M. de Lesseps, une procla- 
mation annonçant que les cloches sonneraient à toute volée 
lorsque Tennemi aurait pénétré dans une partie de la ville ou 
menacerait fortement d y entrer : «( A ce signal, tout citoyen, 
avec toul moyen de défense, s'opposera à Tmvasion totale de 
la ville par Tennemi. Tant que le peuple n'entendra pas quel- 



— i36 — 

virs et les représentants romains ne voyaient pas sans 
inquiétude les avant-postes français se rapprocher 
de Tenceinte. Ils acceptèrent avec empressement 
l'offre d'un armistice de quinze jours; la nouvelle fut 
aussitôt communiquée dans les trois brigades, où nos 
soldats raccueillirent tristement ^ 

Dans la matinée du i6mai, la brigade Levaillant 
faisant une reconnaissance du côté de Capeletta, 
enleva le poste qui en occupait les abords. M. de Les- 
seps arrivant de Rome pour annoncer la suspension 
des hostilités demanda au général en chef de remettre 
en liberté les prisonniers de Capeletta, quarante-cinq 
hommes. Sa requête fut accueillie favorablement. 

Le général Oudinot venait d'apprendre l'arrivée 
au camp de Palo de la bigade Sauvan, destinée à la 
2® division. Il s'y rendit sans retard et prescrivit là. 
comme dans les autres camps, des mesures d'admi- 
nistration dont l'exécution fut confiée à l'intendant 
Paris delaBoUardière. Jusqu'alors les troupes étaient 
mal nourries. Des fours furent établis, des abattoirs 
créés; les marchés régulièrement passés avec les four- 
nisseurs approvisionnèrent largement nos troupes *. 

A Rome la population partageait les illusions et 
les rancunes de son gouvernement. Tous les jours 
de nouveaux volontaires pénétraient dans la ville. 
Après la division de Pérouse commandée par 
Roselli, arrivait la division commandée par le Napo- 
litain Mezzaccappo ^. 

qu*un (le CCS signaux, il pourra rester tranquillement dans 
ses foyers. 

« Le Ministre de la guerre, 

« J. AVBZZANA. 

« Rome, le 14 mai 1849. » 

( Con temporaneo, ) 

* Gapilaine Vert a a y, Album. 

2 Ibid. 

^ Celc division, composée de Bolonais, de Suisses el d^ 
réfugiés polonais, coniprcnait4.5oo fantassins, deux escadroos 
de cavalerie, douze pièces de canon. 



- i37 - 

Mazzini ne trouvait pas que la France se fût suffi- 
samment humiliée. Aussi (it-il répandre le bruit dans 
les clubs populaires qu'il faudrait repousser les 
propositions actuelles de l'envoyé français pour en 
obtenir de meilleures. 

A la séance du 19 mai, la Constituante romaine 
reçut communication du projet de convention que 
présentait M. de Lesseps et dont les principales dis- 
positions étaient celles-ci : 

a 1^ Les États romains réclament la protection de 
la République française. 

a 20 Les populations romaines ont le droit de se pro- 
noncer librement sur la forme de leur gouvernement. 

« 30 Rome accueillera Tarmée française comme 
une armée de frères, le service de la ville se fera con- 
jointement avec les troupes romaines et les autorités 
civiles et militaires romaines fonctionneront confor- 
mément à leurs attributions légales *. x> 

Sous Tinfluence de Mazzini, l'Assemblée consti- 
tuante ne daigna même pas discuter les articles, elle 
vota à l'unanimité la solution suivante : 

« L'Assemblée, regrettant de ne pouvoir admettre 



* Séance de TAssemblée constituante romaine du 19 mai. 
{Gazette Hémontaise, numéro du 20 mai). Devant i'omnipo- 
tence du triumvirat, M. de Lesseps n*osa pas présenter son 
projet primitif avec lequel d'après M. de Gaillard il était 
arrivé à Rome et peut-être même parti de Paris et qui était ainsi 
formulé : 

a Art. 1". — Aucune entrave ne sera plus apportée par 
Tarraée française à la liberté des comnmnications de Rome 
avec le reste des Etats romains. 

« Art. a. — Rome accueillera rarméc française comme 
une armée de frères. 

a Art. 3. — Le pouvoir exécutif actuel cessera ses fonc- 
tions. Il sera remplacé par un gouvernement provisoire com- 
posé de citoyens romains, nommé par l'Assemblée nationale 
romaine, jusqu'au moment où les populations, appelées à 
faire connaître leurs vœux, se seront prononcées sur la 
forme de gouvernement qui devra les régir et sur les garan- 
ties à consacrer en faveur du catholicisme et de la papauté. » 
(L. DE Gaillard, L'Expédition française de Rome. p. 204.) 



— i38 — 

le projet de l'envoyé extraordinaire du gouvernement 
français, confie au triumvirat le soin d'en exprimer les 
raisons et de faire, de plus, les diligences tendant à 
établir les meilleurs rapports entre les deux Répu- 
bliques ^ » 

C'était un premier échec pour M. de Lesseps. Ses 
illusions n'en furent pas ébranlées et cependant l'atti- 
tude des révolutionnaires romains devenait de plus 
en plus inquiétante. On chantait le soir à tous les 
carrefours, dans les rues les plus fréquentées, sous les 
fenêtres mêmes de l'ambassade de France, l'odieux 
hymne de Maggazzari : 

Sur le sol de Tltalie 
Plus de papes, plus de rois, 
Ici il n*y a plus d'esclavage, 
Guerre î Guerre ! 

Les Alpes et la mer aujourd'hui ne ceignent 
Qu'une âme, un seul vouloir, 
Poussons le cri des intrépides : 
Guerre! Guerre! 

Vil et impie qui hésite à se saisir 
D'un fusil et d'un poignard 
Et Tenneaiî n'ose assaillir. 
Guerre! Guerre! 

Sol italien, notre patrie, 
A toi notre dernier soupir! 
Pour toi nous voulons vaincre et mourir. 
Guerre ! Guerre ! 

D'un grand peuple qui jadis fut, 
Sous terre les ossements frémissent, 
Ilélas! ce peuple n'est plus... 
Guerre! Guerre! 



* Séance de la Constituante romaine du 19 mai. {Otuetie 
Piémontaisey numéro du no mai.) 



— i39 — 

Mais le souvenir des héros 
Ne peut tromper, ne peut périr. 
Italie, relève-toi et prends un nouvel essor. 
Guerre I Guerre ! 

Sur le sol de l'Italie 
Plus de papes, plus de rois, 
Ici il n'y a plus d'esclavage. 
Guerre ! Guerre * ! 

Les Autrichiens ne se désintéressaient pas de la 
question romaine, ils avaient franclii la frontière pon- 
tificale et assiégé la ville de Bologne. D*autre part 
les troupes espagnoles débarquées àTerracine avaient 
été rejointes par desrenfoi*ts qu'amenait le général en 
chef Cordova ; enfin l'armée napolitaine, forte d'une 
douzaine de mille hommes, sous le commandement 
personnel du roi des Deux-Siciles, se dirigeait sur Vel- 
letri, environ à huit lieues de Rome. L'armistice con- 
clu avec les Français, exploité d'ailleurs comme une 
preuve de leur faiblesse, rendait disponible une par- 
tie deUarraée révolutionnaire. Une colonne de la à 
i3.ooo hommes, sortit* aussitôt de Rome, sous le 
commandement du général Roselli, pour repousser les 
Napolitains; Garibaldi, nouvellement promu général 
de division, commandait Tavant-garde ^ Les troupes 
romaines sortirent de Rome dans la soirée du i6mai^. 
Après une marche de dix-huit heures, elles atteigni- 
rent le bourg de Zagarolo *. Les triumvirs avaient 
publié un manifeste plus présomptueux encore que 
les précédents. 

« L'Espagne nous envoie aussi en langage Immain, 

^ Balle YDiER, t. II. p. 83-83. 

' Les deux principaux lieutenants de Garibaldi étaient Maro- 
chetti, son compagnon d'armes en Amérique, et un Prussien 
nommé Haug. 

' Ermano Lœvinson, Giuseppe Garibaldi e la sua legione, 
p. 182. 

* Beguelli, t. II, p. ai8. 



— i4o — 

suivant son habitude, un insolent défi. Le chorus est 
donc complet : TAutriehe, la France, Naples et l'Es- 
pagne recommencent Thistoire des temps anciens et 
répondent à l'appel d'un Pape!... ^ 

« Qu'ils soient contre nous trois ou quatre, peu 
importe, Rome ne déviera pas de son ferme dessein. 
Il y a trois siècles et demi que ces superbes agresseurs 
trouvèrent une Italie mourante, aujourd'hui ils trou- 
veront une Italie qui surgit, l'Italie du peuple!... » 

L'intervention de M. de Lesseps favorisait singu- 
lièrement les intérêts militaires des Romains. Le roi 
de Naples ne s'y trompa pas * et résolut de ne pas 
continuer l'offensive *. En conséquence l'armée napo- 
litaine évacua le 17 mai, dans la nuit, ses cantonne- 
ments d'Albano, pour se porter sur Ariccia et prendre 
la route de Ve lie tri. 

L'armée romaine, grossie de nouveaux renforts, 
arrivaitparPallestrina. Apeudedistancedecette ville, 
Garibaldi avec son avant-garde attaqua l'arrière-garde 
napolitaine que commandait le général Casella. Le 
roi Ferdinand II, le roi Bomba, comme on l'appelait 
en raison de son embonpoint, paya bravement de sa 
personne, ainsi que les princes, les comtes d'Aquila 
et de Trapani et l'infant d'Espagne don Sébastien ^ 
Les Romains s'arrêtèrent et durent attendre l'armée 
de Roselli, qui avait laissé son lieutenant Garibaldi 
prendre trop d'avance. Velletri fut évacué pendant la 
nuit. Les Romains l'occupèrent pendant la matinée. 

* Le roi de Naples avait envoyé au camp français un de 
ses aides de camp, le lieutenant-colonel d'Agostino, qui Tin- 
i'onua aussitôt de Tarmislice accepté par Tarmée française. 
(Cf. Krmano Lgkvinsox, p. i83.) 

^ Plus tard le roi ne cacha pas au duc de Reggio que la 
trêve l'avait mis dans un grand embarras. (Le général Oudi- 
not au ministre de affaires étrangères, 10 août i84q.) 

' Le roi chargea avec ses carabiniers et un bataillon. Tou- 
tefois ce fut 1 intervention des quelques pièces d*artiUerïe 
qui arrêta les garibaldiens et permit à Var ri ère-garde de 
rejoindre le corps principal qui ne Tavait pas attendue. 



-i4i - 

mais ils ne mirent pas assez d'ardeur dans la poursuite 
des Napolitains qui regagnèrent Terracine sans autre 
combat. Garibaldi devait continuer pendant une 
dizaine de jours la facile invasion du royaume de 
Naples* à laquelle le roi Ferdinand II ne pouvait plus 
tenter de s'opposer, car il revenait en toute hâte à 
Gaète pour y concentrer ses troupes et protéger le 
Chef de l'Église contre une agression très vraisem- 
blable des bandes de Garibaldi. 

A la nouvelle du succès très exagéré d'ailleurs de 
Velletrî, Avezzana lançait une emphatique proclama- 
tion : 

« Citoyens, 

<K Soit que vous veilliez du haut des tours à la 
défense de la ville, soit que vous alliez sur les champs 
de bataille, vous êtes invincibles. Vous avez avec 
vous Dieu et votre droit ! 

« La République romaine sera bientôt italienne. 
C'est la cause de l'Italie qui se défend à Rome. 

«( Ici versent leur sang des hommes venus de 
tous les points de l'Italie. La religion de Tunité ita- 
lienne, de la République italienne reçoit la consécra- 
tion du sang dans les plaines témoins de vos vic- 
toires, etc *. » 

Nous ne donnons pas la suite de ce prétentieux 
factum. Malheureusement il ne fut pas inoffensif. 

* Roselli crut devoir rentrer avec la plus grande partie de 
ses forces à Rome, laissant Garibaldi et sa colonne poursuivre 
son expédition. Le condottiere perdit trois jours à Velletri, 
car il ne quitta cette ville que le 33 mai, il se porta par la voie 
Catilina sur Anag^i, le a4 ^ Ferentino; le 36 il était à Frosi- 
none, le 27 à Rocea d'Arce. Il allait occuper Ceprano lorsqu'une 
dépêche des triumvirs le rappela d'urgence à Rome « pour la 
défense du territoire de la République ï>.( Recueil des décisions 
de TAsserabléc constituante, p. 4o3.) Le 2g mai, la colonne de 
Garibaldi revient à Frosinonc, le 3o à Anagni. Il est avec son 
avant-garde à Rome le 3i mai avant midi, le reste de sa 
troupe arriva le i*' et le 2 juin. (Ermano Lœvinson, Gari' 
baldi e la sua legione^ p. 193-206.) 

* BAL.1.EYDIER, La Révolution à Rome, t. II, p. 89. 



— l42 — 

Des désordres graves se produisirent à Rome; une 
bande d'énergumènes, conduite par un fanatique des 
plus dangereux, nommé Cicernaccliio, se rua sur les 
églises, chassant les fidèles, brutalisant de préférence 
les ecclésiastiques et les femmes, enlevant les confes- 
sionnaux qui furent transportés sur la place du Peuple 
et brûlés au milieu des feux de joie *. 

La nouvelle de la rentrée du duc de Parme * dans 
sa capitale et de la capitulation de Bologne, entre les 
mains des Autrichiens, motiva une nouvelle procla- 
mation des triumvirs, plus furieuse encore que les pré- 
cédentes et qui porte la date du 20 mai : 

c( Italiens, fils de Rome, nous touchons à une heure 
solennelle, préparée depuis des siècles, à Tun de ces 
moments historiques qui décident de la vie d'un peu- 
ple. Soyez grands!... Décrétez la victoire. Il faut que 
les préfets et les commissions extraordinaires orga- 
nisent rinsurrection, qu'ils forment une ligue entre 
provinces et provinces, qu'ils prennent leurs inspi- 
rations à Rome. Il faut aux périls extrêmes des pou- 
voirs exceptionnels, des remèdes extrêmes. Que le 
chef qui rôde, qui se retire avant d'avoir combattu, 
qui capitule, qui temporise soit déclaré coupable. 
Que le pays qui accueillerait l'ennemi sans lui oppo- 
ser de résistance âoit politiquement effacé du nombre 
des pays composant la République. Qui ne combat pas 
d'unemanièreoud'uneautrel'envahisseurétrangersoit 

couvert d'infamie. Qui, ne fiit-ce que pour un seul 
instant, trahira son parti, perde à tout jamais son 
titre de citoyen et la vie... Qu'il soit puni celui qui 
abandonnerait aux ennemis un matériel de guerre: 
puni celui qui ne s'appliciue pas à leur arracher el 
vivres et logements et repos; puni celui qui, le pou- 

* On alla même jusqu'à parodier le sacrement de la péni- 
tence. 
^ Charles 111 de Bourbon. 



— i43 — 

vant, ne s'éloigne pas du sol que foule le pied d'un 
ennemi. Étendons autour de toute armée qui ne porte 
pas notre drapeau un cercle de feu et le désert. 

« La République, douce et généreuse jusqu'à pré- 
sent, se lève terrible dans ses menaces. 

« Rome vivra. 

<( Armellini, Mazzini, Saffi. » 

L'exaltation s'accroit, des misérables, s'arrogeant 
une sorte de mandat judiciaire, pénètrent dans les 
domiciles particuliers; on y pille impudemment. Ceux 
qui protestent sont arrêtés, maltraités et jetés en pri- 
son. Le clergé romain se distingue par son attitude 
pleine de dignité et de courage. L'un des ecclésias- 
tiques les plus charitables, le curé de la Minerve, est 
saisi dans son presbytère par la bande de Zambianchi, 
le capitaine des finanzieri S traîné à Saint-Galixte, à 
l'entrée des catacombes, où il est fusillé '. Le môme 
jour quatorze prêtres furent ainsi assassinés^. Comme 
les victimes de la Commune de Paris devaient le faire 
vingt et un ans plus tard, les martyrs pardonnèrent 
à leurs bourreaux et les bénirent. 

La connaissance de ces atrocités attrista et effraya 
M. de Lesseps, il voulait la paix à tout prix et se sen- 
tait disposé à toutes les concessions. Enfermé dans le 
palais de l'ambassade de France entre M. de la Tour 
d'Auvergne, secrétaire d'ambassade, M. de Gtérando, 
chancelier, et son secrétaire particulier, M. Leduc, 
il évitait de recevoir Mgr Luquet et les ecclésiastiques 
français, se défiait de M. Mangin et de ses amis, 

* On appelait ainsi les employés militaires du trésor. 

* «A quoi penses-tu donc, lui demanda Texécuteur politique 
des hautes œuvres de la République, tu trembles, je crois? — 
Je pense à Dieu, répondit noblement le futur martyr et je le 
prie pour qu'au moment de votre mort et sur le point de 
paraître devant lui, vous soyez aussi tranauille que je le suis 
à Fheure delà mienne. x> (Balleydibh , La /^ét^o/u^'o/i à Rome, 
t. II. p. 96.) 

» Ibid. 



- i44 - 

qu'il accusait d'impopularilé et croyait que la moindre 
sympathie en faveur des partisans déclarés du Pape 
déchaînerait de nouvelles scènes de violence *. 

M. de Lesseps sollicitait vainement des audiences 
de Mazzini, le véritable chef du gouvernement, et il 
n'était en relation qu'avec les trois délégués de l'As- 
semblée romaine : Sturbinetti, Audinot et Agostini. 
Les propositions de M. de Lesseps étaient ensuite 
soumises à Mazzini qui les présentait toujours sous 
un aspect défavorable aux députés désireux de le 
consulter. Le triumvir affectait d'ailleurs maintenant 
de considérer l'intervention du nouveau ministre de 
France comme étant sans importance. Les nouvelles 
particulières qu'il recevait de Paris lui faisaient pré- 
voir, disait-il, la chute imminente du gouvernement 
de Louis-Napoléon Bonaparte et l'arrivée au pouvoir 
des véritables amisde la République romaine. 

Selon son désir, M. de Lesseps avait été rejoint 
par le commandant Espivent de la Villeboisnet. Le 
général Oudinot avait chargé son aide de camp 
d'engager le plénipotentiaire à ne pas prolonger ses 
vaines tentatives de conciliation, et à en finir par un 
ultimatum à bref délai '. 

Le commandant avait reçu la visite de son ancien 
compagnon d'armes en Algérie, l'abbé de Mérode, 
celui qui, avec Mgr Luquet, avait protégé, le 3o avril, 
nos soldats prisonniers et qui ne dissimulait pas 
les inquiétudes que donnait à tous les partisans du 
Saint-Siège l'attitude de M. de Lesseps'. L'aide de 

» « La ville est en armes, lisons-nous dans les notes où 

M. de Lesseps consignait chaque jour ses impressions pcr- 

somielles, des barricades et des moyens de défense partout, 

la résistance sera générale. »(L. de Gaillard, V Expédition 

française à Rome, p. ao3.) 

2 Déclaration de M. L. de Gaillard, p. 208, conûrmee par 
une communication gu'a bien voulu nous faire le général 
Espivent de la Villeboisnet. . 

3 Communication de M. le général Espivent de la ViUelwisnel. 



— i45 — 

camp du général en chef s'était présenté à Thôpital 
où Ton soignait encore quelques soldats blessés à 
Taffaire du 3o avril. A la vue du commandant en uni- 
forme, ces braves firent éclater leur joie, il leur tar- 
dait de ne plus recevoir les soins des Romains et de 
reprendre leur place au régiment *. Ignorants des timi- 
dités de la politique et des artifices de la diplomatie, 
les blessés manifestèrent leur espérance de voir recom- 
mencer la lutte... et alors quelques dames romaines, 
qui se trouvaient à l'ambulance et qui avaient assisté, 
silencieuses, à ces manifestations tout à l'honneur 
de l'esprit militaire de nos soldats, ne cachèrent 
pas non plus leurs idées belliqueuses. L'une d'elles, 
Tardenle princesse Christina Belgiojoso, n'était plus 
la sirène cajoleuse et séduisante des premiers jours 
de captivité, elle se révélait une tragique furie, mena- 
çant et outrageant les officiers français de ses sarcas- 
mes. Le commandant Espivent de la Villeboisnet lui 
déclara, en gardant toute sa courtoisie, que les Iiosti- 
lités n'étaient pas encore reprises *. 

Ainsi tout annonçait que la lutte recommencerait 
plus violente et plus âpre. Seul, M. de Lesseps per- 
sistait dans son aveuglement. 

C'est alors qu'arriva au quartier général de la villa 
Santucci, et d'une façon absolument inopinée, le 
général de division Vaillant. 

Quelle était au juste sa situation? Officiellement, 
c'était le nouveau commandant de l'arme du génie 
dans le corps expéditionnaire. L'éventualité d'un 
siège régulier^, opération toujours longue et difficile, 
nécessitait un accroissement considérable en officiers 

> Communication de M. le général Espivent de la Villebois- 
net. 

» Ibid. 

' Après réchec du 3o avril, dans sa dépêche du /} mai, au 
camp de Palo, le çénéral Oudinot n'avait pas caché qu'il ne 
pouvait plus s*agir d'une surprise mais d'un siège régulier. 

lO 



— i46 — 

et en troupes du génie et expliquait absolument la 
nomination d*un officier général de ce grade. 

Ancien aide de camp du général Haxo à Tétat- 
major du génie de la garde impériale jusque sur le 
champ de bataille de Waterloo, ayant pris plus tard 
une part active aux travaux de siège devant Alger el 
devant Anvers, ancien commandant de TEcole poly- 
technique, inspecteur général de son arme et membre 
du comité des fortifications, le général Vaillant était 
considéré comme un ingénieur militaire des plus 
habiles. 

Mais n'était-il que le ^ commandant du génie, et 
devait-il rester en tout état de cause le subordonné du 
général Oudinot? 

On en doutait un peu pendant le siège de Rome. 
Aujourd'hui la lumière est faite sur ce point : le 
décret du ii décembre i85i, en élevant le général 
Vaillant à la dignité de maréchal de France, rappelle 
qu'il était investi des pouvoirs nécessaires pour 
prendre le commandement en chef du corps expédi- 
tionnaire de la Méditerranée * et que, a par un senti- 
ment de délicatesse, cet officier s'est abstenu d'user 
de ses pouvoirs pour s'attribuer officiellement les pré- 
rogatives du commandant en chef qui lui avaient été 
confiées, mais que néanmoins il a dirigé notoirement 
les opérations du siège de Rome et assuré le succès 

' «Le général Vaillant fut appelé le ii mai 1849 a comman- 
der le génie du corps expéditionnaire de la Méditerranée. Un 
arrêté du môme jour le nommait commandant en chef du corps 
expéditionnaire en remplacement du général Oudinot de Reg- 
eio : <c Vous êtes autorisé à produire cet ordre de service 
lorsque vous le jugerez convenable », disait la letlrt» 
d'envoi. II ne lit pas usage de cette lettre de service mais, à 
compter du 19 mai, le général Vaillant dirigea non seulement 
le siège, niais toutes les opérations de rarmée. » (L. Hkxxkt, 
Carnet de la SabretachCy iV de février 190a.) Le signataire tie 
l'article, dont nous reproduisons un extrait textuel, o*«t 
actuellement sous-chef de bureau des archives administratives 
du ministère de la guerre, son appréciation a donc au point 
de vue documentaire une valeur absolue. 




— i47 — 

de l'expédition ; considérant que le général Vaillant 
a accompli nn /ait (T armes éclatant , etc*... » 

En réalité, il a dépendu de la volonté seule du 
général Vaillant de devenir le successeur immédiat 
du général Oudinot. 

Le commandant supérieur du génie n'a pas cru 
devoir profiter de ce droite il est resté au second rang, 
donnant au général en chef les conseils les plusauto- 
pîsés et qui semblent avoir été toujours écoutés. Que 
son abstention ait été dictée par un sentiment pro- 
fond de discipline, qu'il ait agi par modestie ou par 
appréhension, peu importe. Le général Oudinot 
garde devant l'histoire le légitime prestige d'un com- 
mandement en chef couronné parla victoire*. 

* Noas devons toutefois rappeler que le général Oudinot 
n'a pas accepté sans protester les considérants de ce décret. 
Mis en état d'arrestation le a décembre i85i, Tancien com- 
mandant du corps expéditionnaire apprit dix jours après, 
dans sa cellulle da Mont^Valérien, la promotion du général 
Vaillantpar le Moniteur^ qui reproduisait le texte complet da 
décret, il adrei^sa aussitôt au président de la République 
la protestation suivante : 

« Monsieur le Président, 

« J'apprends à l'instant par le Moniteur l'élévation du géné- 
ral Vaillant à la dignité de maréchal. 

<( Au nom de l'honneur, au nom de la vérité, je proteste 
avec toute l'énergie d'une conscience sans peur et sans 
reproche contre les considérants de cette nomination. 

« Je suis, etc.. » 

M. de Gaillard que d'étroites relations d'amitié, ainsi qu'une 
communauté d'idées politiques, unissaient au duc de Reggio, 
a reproduit dans son ouvrage V Expédition de Rome, p. 44^> 
cette lettre dont le général avait envoyé le double au 
ministre de la guerre; il donne également le texte de la 
déclaration que le général Oudinot demandait à M. Odilon 
Barrot. L'ancien président du Conseil des ministres répondit 
en invoquant pour lui et ses collègues le secret professionnel. 
Toutefois il ajoutait : a Quant à ce fait des lettres de com- 
mandement données au général Vaillant, il résulte du fait 
lui-même qu'elles étaient conditionnelles et que si ce général 
n'a pas pris le commandement de l'armée, c est que la condi- 
tion pour laquelle il lui avait été évenluellement donné ne 
s'est pas réalisée. » (L. de Gaillard, V Expédition de Rome, 
p. ^7, pièces justificatives.) 

* Il faut répéter, avec M. Odilon Barrot, que dans Tcîxpédi- 
tion de Rome le général Oudinot « s'est montré essentiellement 




— i48 — 

L'issue semblait encore lointaine, mais le gouverne- 
ment commençait à perdre sa confiance dans les essais 
de transaction de M. de Lesseps. Le général Vaillant, 
parli de Paris plusieurs jours après le vote du 7 mai, 
en avait averti le duc de Reggio lorsqu'il avait débar- 
qué le 19 mai avec le général Thiry, nommé au 
commandement de l'artillerie et le nouveau chef 
d'état-major, le colonel Lebarbier de Tinan*. 

Le général Oudinot venait d'écrire de nouveau au 
plénipotentiaire qu'il était urgent d'obtenir du trium- 
virat une solution honorable ou un refus définitif. Les 
officiers générauxducorpsexpéditionnaireétaientana- 
nimes sur ce point et l'avaient chargé d'être leur inter- 
prèle auprès de l'envoyé du gouvernement. Il commu- 
niqua celte déclaration au général Vaillant et il l'enga- 
gea, puisque tel était son avis, à la remettre lui-même 
à M. de Lesseps et à lui répéter énergiquement que le 
gouvernement de Paris s'inquiétait de voir prolonger 
le statu quo. Le général Vaillant objecta qu'il n'était 
pas facile de pénétrer à Rome, mais le général en chef 
lui en donna les moyens. Une voiture du quartier 
général allait ramener à Rome le docteur Finol, chef 
du servicedesantédanslecorps expéditionnaire, auto- 
risé à visiter nos blessésdans les liô pi taux de la ville. 
Legénéral Vaillant, en tenue civile, prit la place du doc- 
teur et partit pour Rome, muni d'un laissez-passe r au 
nom de M. Finot, médecin en chef de l'armée française *. 

l'homme du devoir, sacrifiant toute coDsidération personnelle 
aux intérêts du pays ». (V. la lettre précitée de M. Odilon 
Barrot, reproduite' dans les pièces justillcatives. — Voir 
L. DE Gaillard, p. 447-) 

* Relevé sdr le Carnet de campagne du colonel de Tina d : 
« Arrivé à Civita-Vecchia le 18 mai, à Maglianella le in^me 
jour, au quartier général le 19. 

2 OnTicicrd^Etat-Major, Précis, p. 48. 

Ces détails sont également empruntés au récit donné par 
M. DE Gaillaiu), dans son livre L Expédition de /?ome, p. ai"*^. 
Ils nous ont été personnellenuMit conllrmés par le général 
Espivent de la Villcboisnet. 






— i49 — 

Dans la nuit du 19 au 20, à Tambassade de France 
où ne pénétraient guère que les émissaires de Maz- 
zini, le commandant Espivent de la Yilleboisnet, dont 
les conseils n'étaient guère écoutés de notre versatile 
plénipotentiaire, reçut la visite d'un personnage aux 
allures mystérieuses qui n'était autre que le général 
Vaillant. Sur son désir, le général fut immédiatement 
introduit auprès de M. de Lesseps. Leur entretien 
devait rester secret, mais le distingué officier général 
du génie n'avait sans doute pas le don de l'éloquence, 
car il avoua lui-môme au général en chef que M. de 
Lesseps avait parlé tout le temps, fort élégamment et 
fort aimablement d'ailleurs, mais sans paraître atta- 
cher la moindre importance aux nouvelles de Paris, 
et aux justes impatiences du corps expéditionnaire *. 

Cependant la visite du général Vaillant ne devait 
pas être inutile. Le commandant supérieur du génie 
put circuler dans la matinée sur les remparts, grâce 
à son costume civil, et constater de visu que la seconde 
enceinte, c'est-à-dire l'enceinte Aurélienne, avait été 
mise en état de défense. Il résolut, si les hostilités 
étaient reprises, de conseiller, et au besoin d'exiger 
que Ton attaquât par le front qui occupe la partie la 
plus avancée du Janicule '. 



* lettre du général Oudinol à M. de Lesseps, aa mai. 
(V. L. DE Gaillard, L'Expédition de Rome, p. 212.) 

^ Dans le Journal des opérations du çénie, rédigé sous la 
direction du général Vaillant et auquel au reste il laissa son 
nom, nous relevons cette phrase : « Dès son arrivée au 
quartier «général, le 19 mai (c'est-à-dire du retour au camp), 
le général commandant le génie avait écrit au ministère de 
la guerre que son intention était d'attaquer par le front qui 
occupe la partie la plus avancée du Janicule. » Le fait de cor- 
respondre directement avec le ministre et Vinieniion annon- 
cée d'attaquer, sans avoir besoin de l'approbation du général 
Oudinot, indiquent bien les pleins pouvoirs du général 
Vaillant. 

Voici d'ailleurs la lettre donnée comme pièce justificative. 
(N^ 14, p. 18a.) Elle est écrite avant la première visite du 
général à Rome : 



— i5o — 

Sî le général Vaillant sut occuper fort bien son 
temps au point de vue militaire S il ne cacha pas au 
général Oudinot, quand il le revit à la villa San- 
tucci, combienM. de Lessepspersistait dans son aveu- 
glement. Le général en chef écrit à ce dernier le 
ai mai à trois heures du soir : c( ... Aucune des promes- 
ses qu'on vous a faites ne se réalise . On oppose sans 
cesse des subterfuges à votre persévérante loyauté. 
Toutes ces lenteurs ont en définitive pour résultat 
d'accroître Torgueil de nos adversaires, elles auraient 
en se prolongeant une funeste influence sur Tesprit 
de nos soldats. Il nous faut la paix ou la guerre. Si 
Ton veut sincèrement la paix, entrons dans Rome. La 
discipline de l'armée et la générosité de notre gou- 
vernement sont les plus puissantes garanties d'ordre 
et de liberté que puissent désirer les Romains. Veut-on 
faire un nouvel appel aux armes, la science militaire 
et la valeur française triompheront promptement» 
soyez en certain, de tous les obstacles. 

« C'est donc à mon avis une réponse nette et précise 
que nous devons à ce moment réclamer. Nul mieux 

Le Général Vaillant au Minisire de la guerre. 

« Au quartier gtnéralde Santucci, le 19 mai 1849. 

« Monsieur le ministre, 

a Je suis arrivé ce matin môme au quartier général... 

«... Nous nous sommes déjà entendus, le général Tliiryet 
moi, sur le point par lequel il sera convenable de diriger une 
attaque rrgulière contre Rome, si Tarmée française est obligée 
d'en venir à celte extrémité : ce point est le front qui occupe 
la partie la plus avancée du mont Janicule, à fçauche de la 
porte San-Pancrazio. De ce coté, il n*y a aucun monument 
public que Ton puisse craindre d'endommager. Une fois la 
première muraille forcée, on trouvera un emplacement sufli- 
samment vaste pour s*y établir et dominant la ville par son 
relief; enfin, on sera constamment en communication immé- 
diate avec le gros de Tarméc, dont il importe tant de ne pas 
se séparer. Le général en chef me parait tout disposé à 
approuver ce projet... » 

* On assure même que ce fut une occasion de rapporter au 
camp un plan complet de la ville qui, chose inouïe, aurait 
manqué jusque-là aux opérations de Tarmée assiégeante. 
(L. DE Gaillard, p. aïs.) 



— i5i — 

que Yousne saurait l'obtenir par un langage en rapport 
avec les intérêts de la France. » 

Toujours aimable mais toujours obstiné, M. de Les- 
seps vint au camp, s'entretint avec le duc de Reggio 
et les autres officiers généraux, leur répéta que le 
triumvirat souhaitait ardemment la paix, que le 
calme commençait à renaître à Rome, que M. de 
La Tour d'Auvergne devait partir le lendemain même 
pour Paris avec un long rapport où Tétait des négocia- 
tions était minutieusement indiqué, mais qu'il impor- 
tait de prolonger la suspension d'armes jusqu'au 
retour du secrétaire d'ambassade. Il se déclarait 
ensuite fort pressé de revenir à Rome et partait en 
effet sans autres explications, échappant ainsi aux 
sollicitations légitimes de nos généraux. 

Ceux-ci cependant estimèrent que M. de Lesseps 
ne comptait pas assez avec eux et le duc de Reggio 
parlait en leur nom, avec autorité et à propos, quand il 
écrivit au plénipotentiaire de France : 

« Au quartier général de la villa Santucci, 

22 mai 1902. 

« Vous êtes, Monsieur, très séduisant, personne ne 
le sait mieux que moi. Le général Vaillant a, lui 
aussi, été sous le charme en vous écoutant. Mais à la 
réflexion, il reste très convaincu que le statu quo 
auquel nous nous condamnons est funeste et porte la 
plus grave atteinte à la dignité et aux intérêts de la 
France, non moins qu'à l'honneur militaire... En 
résumé, déclarez aux triumvirs que puisqu'ils n'ont 
point adopté les bases de notre proposition, la sus- 
pension des hostilités est rompue. Voici ce que, dans 
votre intérêt, dans l'intérêt de l'armée, dans l'intérêt 
de la France, nous vous prions de faire sans plus de 
retard. Le général Vaillant craint de ne vous l'avoir 
pas dit assez, mais en ce moment, je suis son inter- 



— iSa — 

prête et celui de tous nos compagnons d'armes*. 
« Agréez, etc. » 

Le duc deReggio écrit à M. deLessepsune seconde 
lettre, datée de la matinée du a3 mai, et qu'il lui fait 
parvenir d'urgence. 

c( Monsieur, 

« Dans l'espoir que vous aviezde voir Rome, appré- 
ciant les intentions de notre gouvernement, ouvrir 
ses portes à l'armée française, vous m'aviez, dès le i j 
de ce mois, invité à faire suspendre les hostilités. 
Bien que cette disposition contrariât les opérations 
militaires commencées et voulant d'ailleurs m'asso- 
cier à votre pensée, j'ai arrêté les mouvements qu'il 
m'importait essentiellement de terminer. 

«Depuis cinq jours la situation semble n'avoir fait 
aucun progrès. Au point de vue militaire, le statu 
quo ne pourrait, je le répète, se prolonger sans de 
graves inconvénients. 

« En cet état de choses, il vous paraîtra utile sans 
doute, comme à moi, de réclamer du gouvernement 
de Rome une réponse prompte et définitive aux pro- 
positions dont vous avez posé les bases dans l'intérêt 
des populations romaines. 

a Si l'on ne vous donne pas la satisfaction que vous 
avez le droit d'attendre, vous jugerez sans doute 
aussi, comme moi, que le moment est venu de rendre 
à Tarmée toute son indépendance *. 

« Veuillez, etc. » 

Très sincèrement étonné de ce que son optimisme 
n'était pas partagé par les militaires, M. de Lesseps 
répond à ces deux lettres : 

* Dossier de Lesseps (Conseil d'Etat). 
8 Ibid. 



— i53 — 

« Rome, le a3 mai. 

c< Monsieur le Général en chef, 
<c Aujourd'hui j'ai envoyé à Paris par M. de La Tour 
d'Auvergne un rapport général que j'avais discuté* 
avec vous hier et contre lequel en définitive vous ne 
m'avez pas fait d'objection. Le général Vaillant ne m'a 
pas plus fait d'objection que vous-même lorsqu'il est 
venu conférer avec moi de votre part et vraiment je ne 
comprendrais pas pourquoi il y aurait d'hier à aujour- 
d'hui un changement de front aussi complet que celui 
que m'annoncent vos lettres successives*. » 

Un incident imprévu allait éclairer le corps expé- 
ditionnaire sur les véritables sentiments des défen- 
seurs de Rome ^ M. de Lesseps avait demandé de la 
façon la plus instante au général en chef d'envoyer 
aux hôpitaux de Rome fort mal organisés des objets 
de pansement et des médicaments. Un fourgon du 
train des équipages, chargé de ce matériel et accom- 
pagné par un de nos médecins militaires, fut envoyé 
dans le principal hôpital. Les médecins romains en 
parurent fort reconnaissants ; le lendemain, ils retour- 
nèrent au camp français le fourgon garni de ballots 
de cigares et de tabac à fumer. Quand, au moment 
fixé pour la distribution, les ballots furent ouverts, 
on y découvrit des proclamations révolutionnaires 
qui débutaient ainsi : 

« Soldats de la République française, 
« Un gouvernement de traîtres et de lâches renégats 
de tous les régimes déshonore la France et trahit la 
liberté. Dans leurs projets criminels contre l'indépen- 

* Un monologue n*est pas une discussion. 

* M. de Lesseps au général Oudînot, 23 mai. (Dossier du 
Conseil d'Etat.) 

' Dans son aveuglement, M. de Lesseps disait à nos offi- 
ciers : « Fiez-vous à moi, tout s'arrangera, vous entrerez à 
Rome sous une pluie de fleurs ! » 



— i54 — 

dance des peuples, ils ont cru, les misérables, trouver 
en vous les instruments serviles d'une politique 
indigne et notre jeune République, sœur de la Répu- 
blique française, a été, sous prétexte d anarchie, con- 
damnée à périr sous des balles républicaines. 

« Soldats! vous ne voudrez pas vous rendre com- 
plices du crime de lèse-nation. Vos mains sont trop 
pures pour les souiller du sang de vos frères d'Italie. 
Vous vous souviendrez que tous les peuples sont soli- 
daires, qu'ils se doivent appui réciproque et, dans celle 
lutte infâme du despotisme contre la liberté, contre 
ce gouvernement des prêtres, exécré, qu'on veut nous 
imposer par force et la 'République romaine pour 
laquelle nous sommes tous décidés à mourir, vous 
défendrez avec nous la République romaine. » 

Il y était ensuite question de la défaite et de la fuite 
du « tyran de Naples » et de l'invasion autrichienne 
qui, après la prise de Rologne, « allait toujours crois- 
sant, présageant à la liberté de nouveaux jours de 
deuil* ». 

Le manifeste se terminait par cet appel direct à 
la désertion et à l'insurrection : 

« Et vous, soldats de la France, en présence de 
pareils faits, resterez-vous au port d'arme quand on 
égorge vos frères? Cette attitude contre les Romains 
qu'on opprime ne la tournerez-vous pas contre les 
Croates de l'Autriche? 

« Louis Bonaparte trahit la République par sa hon- 
teuse alliance avec les despotes du Nord, il a pour 
jamais déshonoré son nom, mais ses bassesses ne 
salissent que lui et la nation française est trop grande 
pour que son déshonneur l'atteigne. 

« Soldats! avant de tourner contre nous les armes 
de la France, rappelez-vous que vous êtes citoyens 

* Balle YDiBR, La Révolution à Rome, t. II, p. 98-100. 



, _ i55 — 

français et, dans la lutte à mort que nous allons 
soutenir, soyez les dignes enfants des soldats de 
Marengo. 

<c Vive Tarmée! Vive la France! Vive la République 
romaine! i> 

Nos soldats n'en fumèrent pas moins les cigares et 
firent des feux de joie avec les manifestes. 

Le ministre de France se plaignit du procédé 
déloyal à Mazzini lui-môme, qui nia impudemment 
que son gouvernement y fût pour quelque cliose et 
déclara que les coupables seraient recherchés et punis 
sévèrement. M. de Lesseps lui-même ne put prendre 
au sérieux cette singulière promesse '. 

Malgré les relations en apparence courtoises qu'il 
entretenait volontiers avec les membres de l'Assem- 
blée et même de la municipalité de Rome, la situa- 
tion de notre représentant devenait difficile dans ce 
milieu d'émeute où il vivait depuis une semaine. Des 
menaces, des outrages lui étaient constamment adres- 
sés lorsqu'il sortait en voiture ou même lorsqu'il 
apparaissait à une des fenêtres de l'ambassade de 
France '. 

Deux femmes, dont l'une était cependant de natio- 
nalité française, fanatisées par la Révolution, avaient 
Juré de le poignarder^ et le poursuivaient de leurs 
invectives dès qu'elles le rencontraient. 

M. de Lesseps résolut donc de se retirer pendant 
quelques jours au camp français. Le général en chef, 
auquel il fit part de ce dessein, lui offrit un logement 
dans une partie de la villa Santucci, au quartier 
général. Son départ fut fixé à la soirée du a4 "^^î* 

'M. de Lesseps avait même dit fort spirituellement au 
chef da gouvernement révolutionnaire : « Mais vous conspirez 
contre vous-même ! d 

' L'entrée de son vestibule fut un jour barricadée à son 
insu. {Communication du général Espivent de la Villeboisnet.) 

' Ballbydibr, La EésH)lution à Home, t. II, p. 117. 



— i56 — 

Avant de quitter Rome, M. de Lesseps adressa 
la lettre qui suit aux membres de TAssemblée consti- 
tuante : 

« Messieurs les Président, vice-Présidents et 
Membres de l'Assemblée, 

a Dans la gravité des circonstances et au moment 
où va se déterminer fatalement une crise qui abattra 
ou relèvera à jamais le drapeau italien, un dernier 
devoir m'est imposé : celui de faire connaître publi- 
quement la vérité, comme je l'ai déjà fait connaître à 
mon gouvernement. 

« Le public s'est beaucoup trop occupé de moi. il 
s'inquiète, il s'agite et les héroïques citoyens de 
Rome voient bien, avec cet instinct populaire qui 
distingue les masses, que quelqu'un les trompe. ]Moi 
rhomme de la paix, de la vérité et de l'humanité, j'ai 
en main la preuve que Ton me désigne déjà au 
poignard de l'assassin comme la cause de l'agitation et 
de l'inquiétude publique. Je ne veux être un obstacle 
pour personne et afin de laisser au pays, à l'Assem- 
blée, au pouvoir constitué l'entière liberté de réfléchir, 
de discuter, de décider, je me retire pour quelques 
jours au quartier général de l'armée française. De là 
je veillerai eflicacement, d'accord avec le général en 
chef, à la sûreté de nos compatriotes inoflensifs qui 
restent à Rome. Lorsque tout espoir sera perdu, 
j'irai moi-même les chercher s'il y a lieu, criant en 
attendant : « Malheur! malheur à la Ville éternelle si 
l'on touche un seul cheveu d'un Français ou de tout 
autre étranger. » On m'a demandé de toutes paris : 
« Gomment voulez-vous que nous vous recevions en 
ami si vous ne nous donnez aucun gage patent et 
public? » La forme de nos institutions, la politique peu 
déguisée du pays dont je suis l'expression et l'oigne, 
pouvaient, en vue d'éviter des complications nou- 



— iSy — 

velles, nous dispenser de produire ce gage, mais 
puisqu'il est dans Fintérôt de tous d'ouvrir les yeux 
aux aveugles, de mettre les méchants dans l'impos- 
sibilité de nuire, de soustraire la majorité saine de la 
populati'on à rinfluence du chef qui la trompe, Top- 
prime et qui saurait au besoin, en faisant vibrer 
adroitement la corde patriotique, provoquer un élan 
unanime pour le triomphe de la plus détestable des 
caojîe^, je produis au grand jour ce gage si demandé, 
si désiré par les véritables Romains qui seraient seuls 
perdus par la ruine de leur pays. Un pareil gage pour 
lequel je ne crains pas, dans Tintérêt d'une société 
entière, de compromettre ma responsabilité et mon 
avenir, le voici, a La République française garantit 
« contre toute invasion étrangère les territoires des 
« Etats romains occupés par ses troupes. » 

« Cet article, ajouté aux trois propositions qui vous 
ont été soumises, confondra nos ennemisintérieurset 
extérieurs et convaincra les plus incrédules. Le sort 
de votre pays est dans vos mains. Ne faiblissez pas à 
vos devoirs j^as plus que nous n'y faiblirons, l'armée 
française, son chef et le ministre conciliateur. Ne 
perdez plus un temps précieux et si vous avez à 
Rome un traître auquel je pardonne et auquel vous 
pardonnerez, cherchez-le et vous le trouverez. 

(1 Ferdinand de Lesseps*. » 

Il semble que la dernière phrase, comme celle rela- 
tive au chef qui trompe la majorité, soit une allusion 
à Mazzini. Quoi qu'il en soit, le chef du triumvirat 
affecta de ne pas attacher d'importance aux accusa- 
tions déguisées de M. de Lesseps, dont les admones- 
tations trop prolixes produisirent sur l'Assemblée 
d'abord, sur la population ensuite le plus fâcheux effet. 

* Ballbydier, La Révolution à Rome, t. II, p. 107-109. 



— i58 — 

Dans tous les rangs de la société, on affecta d'en plai- 
santer et de tourner les Français en dérision \ Quel- 
ques-uns de nos compatriotes qui résidaient à Rome 
avaient reçu mystérieusement un avis rédigé en ces 
termes : 

K Pendant une courte absence, le pavillon français 
continuera de flotter sur mon hôtel, ainsi que sur 
tous les établissements publics français et même, si 
vous le désirez, à la fenêtre de chacune de vos habita- 
tions. Adressez-vous à M. de Gérando * pour toutes 
les réclamations que vous aurez à me faire passer; je 
l'autorise à assister d'une manière efficace tous ceux 
d'entre vous qui n'auraient pas des moyens d'exis- 
tence. Soyez prudents et réservés avec tout le monde. 
Contiez-vous à ma vigilance qui ne perd pas de vue 
vos intérêts et ceux du pays. » 

Après avoir expédié ce dernier message, M. de L/es- 
seps aurait joui d'une certaine tranquillité d'esprit s'il 
n'avait reçu de source sûre des nouvelles de plus en 
plus alarmantes sur les progrès de. la Révolution à 
Rome. Les hommes de désordre semblaient n'y subir 
aucune contrainte, ils rasaient les arbres séculaires 
de la villa Borghese, du Forum, des Thermes de 
Dioclétien, ils démolissaient le pavillon orné de 
fresques par Raphaël et ses élèves, les palais Palrizzi, 
Lucernari-Torlonia, Salvage, les villas Salvajce, 
Farina, Cremonesî. Un savant plein d'énergie sous 
son apparence modeste et débonnaire, le commandeur 

* Les perruquiers refusèrent leur ministère aux Français 

aui se présentèrent chez eux, ils craignaient, disaient-ils, 
'attirer le malheur sur la Ville éternelle en s^exposant au 
danger de faire tomber un cheveu d'une tête française. Maïs 
cette plaisanterie s'effaça devant la monstruosité. En effet, 
plusieurs aQiches écrites à la main et placardées sur les 
murs de la ville portaient celte inscription. « Ce n'est pas un 
cheveu que l'on devrait faire toinbrr. c'esL la tétc entière. » 
(Balli£Y1>irii, Im Révolution à Rome, p. 109.) 

*Lc chancelier de l'ambassade, le seul fonctionnaire rev<^lu 
d'an caractère diplomatique qui iWt resté à Rome. 



— i59 — 

Visconti, fut assez heureux pour arracher au vanda- 
lisme de la populace une partie des superbes collec- 
tions réunies par le gouvernement pontifical, mais il 
fut bientôt réduit à gagner une retraite sûre afin 
d'échapper à un ordre d'arrestation. 

Malgré ces mauvaises nouvelles, notre plénipoten- 
tiaire, installé à' la villa Santucci depuis le 24, ne 
se décourageait pas, il entretenait avec le général 
en chef des relations cordiales et approuva haute- 
ment la lettre que le duc de Reggio écrivit au général 
autrichien Gorzkowski, qui, avec l'armée impériale, 
paraissait vouloir se diriger à son tour sur Rome. 

« Général, 

a Je viens d'apprendre que vous êtes à Perugia avec 
une partie de vos troupes et que vous vous proposez 
de continuer votre marche en avant, vous mettant en 
communication avec Tarmée napolitaine dans les 
Abruzzes. Je dois vous rappeler que l'armée française 
a commencé seule le siège de Rome, qu'elle est sur le 
point de s'emparer de Ponte-Molle, qu'elle est par 
conséquent en communication avec les roules de 
Florence et d'Ancône. Je suis résolu à faire avancer 
mon armée dans cette direction, suspendez donc 
votre marche, l'honneur de nos armes l'exige. 

c< J'ai appris à honorer sur les champs de bataille les 
troupes autrichiennes, mais en ce moment toute 
démonstration de leur part sur Rome paraîtrait offen- 
sante ou hostile à la France. Si nos soldats se rencon- 
traient dans ces conditions, il pourrait en résulter des 
conflits que nous avons l'un et l'autre à cœur de 
prévenir. 

« Veuillez agréer, etc. » 

Ce langage ferme et digne eut plus de succès 
auprès des Autrichiens ([ue les exhortations de M. de 
Lesseps adressées à MM. Mazzlni et consorts. Le gêné- 



— i6o — 

rai Gorzkowski arrêta ses troupes et prit ses cantOD- 
nements dans Pépouse et autour de celte ville. 

Notre situation militaire se fortifiait tous les jours. 
Depuis le i8 mai, de nombreux détachements arri- 
vaient de Civita-Vecchia ou du camp de Palo pour se 
concentrer dans les camps devant Rome. Le général 
de division Gueswiller, à peine débarqué, fut invité à 
prendre le commandement de la a® division (provi- 
soire *) ; le lieutenant-colonel de Vaudrimey-Davoul 
quittait les fonctions de gouverneur de Civita-Vecchia 
pour remplir les fonctions de chef d'état-major de 
cette division \ 

Le général Gueswiller avait à l'armée des Alpes la 
réputation d'un excellent manœuvrier, le maréchal 
Bugeaud lui avait adressé plusieurs fois à ce sujet des 
félicitations publiques. 

Voici quel était, le ao mai, l'état d'organisation et 
d'emplacement du corps expéditionnaire^: 

Grand quartier général : Villa Santucci. 

État-major général : Villa Negroni . 

Division Regnaud de Saint-Jean d'Angély 

État-major : Villa Negroni. 

/rc brigade (général Mollière). 

Etat-major : Maison de campagne dominant lesprés 
de Santa-Passera, en arrière de la villa Negroni. 

ler bataillon de chasseurs à pied ; Sur le coteau en face 

1 ,. / u t -n \ du coudedu Tibre, qui 

12(>« de ligne (moms un bataillon) commence en amont 

* Onîcîer d'état-major, Précis^ p. 48. 

* Capitaine Vertray, Album. 

^ Tahloau B, qui porle la date du 20 mai. (Capitaine Vbrtray, 
Album,) 

Wwn <fiie le tableau ne les mentionne pas, les états-majors 
de rarlillcric et du fçénie étaient provisoirement installés dans 
les vastes locaux de la villa Xegroni. 



— i6i — 

à Magliana et trois compagnies 

à Fiumeino); 
33* de ligne ; 

i3« batterie du 3® d'artillerie ; 
3« compagnie du 2« bataillon du 

2« génie. 



à San-Paolo et se ter- 
mine à Prati-di-Gari- 
catore. Cette brigade 
appuie son flanc droit 
sur la via Portuensis 
et fournit un poste au 
pont. 



iî« brigade (général Levaillant Charles). 



Etat-major : Maison sur la via Gampana, à droite 
en allant à Rome et à 1200 mètres de la villa Santucci : 



36» de ligne ; 

ôG^» de ligne (moins six compa- 

gnies à Palo) ; 
ï'2« batterie du3« d'artillerie; 
4^ compagnie du a« bataillon du 

a« génie. 



Entre la via Gam- 
pana et le chemin qui 
conduit de la villa 
Paraphili à la chapelle 
de Santa Maria del 
Carminé. L'assiette de 
ces bivouacs s'arrôte 
au sud-est du côté de 
Rome à la villa du 
Monte-Verde et con- 
tient la villa Santucci 
(gr. quartier général). 



v3« brigade (général Ghadeysson). 



Etat-major : Villa MafTei. 

2îi« léger; 

680 de ligne, moins cinq compa- 
gnies àCivita-Vecchiaet une à 
Corvetto ; 

6« batterie du 7^ d'artillerie. 

8' compagnie du a® bataillon du 
Q«génie. 



Entre la via Aurélia 
et la via Gornelia, à 
3 kilomètres du nord- 
ouest de Saint-Pierre. 



II 



L 



— ifia — 



Division Gueswiller 
Etat-major : Dans la Capelleta. 

jre brigade (général Le vaillant Jean). 

Etat-major : Au camp en avant de Maglianella. 

ige léger ; ^^ avant de Maglia- 

^ ^ , nella. 

2o« léger; 

i2« batterie du 5« d'artillerie. 

a^ brigade (général Sauvan). 

État-major : Au camp en arrière de Maglianella. 
l3« léger; En arrière de Ma- 

i3. de ligne. »""•*"*• 

5« brigade de caçalerie (colonel de Noue). 

Etat-major : Villa Santucci. 

ler chasseurs, moins un escadron En avant deMaglia- 
et demi à la villa Santucci ; 

m^ dragons moins deux esca- 
drons non arrivés. 

Équipage de siège 
10® batterie du 8« d'artillerie. A la MagHana. 



Cette armée, si justement impatiente et pourtant 
si disciplinée, occupait avec activité les loisirs forcés 
de l'armistice. Sous la direction du général Vaillanl 
que secondait un état-major nombreux d'officiers 



— i63 — 

du génie, débarqués à Civita-Vecchia pour Ja plupart 
le lendemain ou le surlendemain de Tarrivée du 
général, et parmi lesquels se faisait remarquer par sa 
compétence, son activité et son énergie, le colonel 
Niel, chef d'état-major, on poursuivait les préparatifs 
d'attaque. L'infanterie fournissait des piquets ([ui 
concuremment avec les hommes du génie travaillaient 
chaque jour à confectionner les approvisionnements 
de gabions, fascines et saucissons ^ 

Pour tenîi; en éveil l'activité des officiers de toui 
grade des corps de troupe, le général en chef visitait 
incessamment les camps. Le 21 mai il passa sur les 
pentes de Maglianella la revue des i3<> et a5^ légers 
et du iS*" de ligne, puis il ordonna une reconnais- 
sance immédiate du 1^^ bataillon du i3« léger dans la 
direction nord-est d'Acquatraversa, afin de se relier 
an 36«de ligne, qui occupait le camp et de compléter 
autant que possible l'investissement de la place de ce 
côté \ 

La marine continuait son concours le plus dévoué. 
L'amiral Tréhouart avait mis à la disposition du 
général en chef M. Olivierî, lieutenant de vaisseau. 
Cet officier avait conduit au mouillage de San-Paolo 
cinq tartanes, dont le génie prit livraison' pour éta- 
blir un pont de bateaux provisoire. 

En attendant, M. Olivieri installa un bacà traille un 
peu au-dessus de la basilique de San-Paolo^. Deux 
compagnies d'infanterie et une section du génie pri- 
rent position sur la rive gauche ; elles s'installèrent 
dans plusieurs maisons qu'elles mirent en état de 
défense. L'amiral avait également confié à M. Olivieri 

* Oflîcier d'état-major, Précis ^ p. 47- 

» Ihid. 

' Il n*y avait pas de pontonniers. (Oflîcier d'état- major, 
Précis f p. 44-) 

^ cr En réalité à 700 mètres au-dessous. )» {Journal des opé- 
rations du génie et de Tartillerie, p. 14.) 



I 

I 



— i64 — 

un petit bateau à vapeur trouvé dans le port de 
Givîla-Vecchîa, nommé le Tevere. Il servit à sur- 
veiller la navigation du fleuve, et surtout à remor- 
quer les tartanes et les chalands qui transportèrent 
les approvisionnements que la marine conduisait de 
Givita-Vecchia à Ostia et qui remontaient le Tibre en 
toute sécurité. Ce fut encore par le fleuve, et en le 
descendant, que Ton évacua les malades sur Ostia et 
Civita-Vecchia. 

La journée du 2a mai fut employée à une longue 
et minutieuse reconnaissance qu'opérèrent les colo- 
nels Lebarbier de Tinan et Niel. Le premier, dès le 
premier jour, avait conquis la confiance du général 
en chef. Son esprit pondéré et clairvoyant, son expé- 
rience militaire, son sang-froid, sa puissance de travail 
en faisaient le véritable type du chef d'état-major '. 

On peut affirmer que l'entente des deux princi- 
paux officiers généraux du corps expéditionnaire a 
été heureusement complétée par la même commu- 
nauté d'idées, la même combinaison d'efforts entre 
leurs deux chefs d'état-major. 

Les colonels de Tinan et Niel allèrent donc explorer 
le 22 mai les environs de San-Carlo et poussèrent 

* Nous avons eu communication d*une partie des papiers 
militaires du chef d'élal-niajor général et notamment de ses 
noies de campag^ne d« 1849; tout y conlirme l'excellente 
réputation qu'il a laissée dans Tannée. M. de Tinan fui 
nommé général de hrigade, après la reddition de Rome. 

L'heure de la retraite l'atteignit trop tôt pour Tarmêe. Il 
mourut le ao octobre 1864. 

Son frère fit dans la marine une carrière brillante. En 
1861, le contre-amiral de Tinan commandait la division 
navale, française en observation dans la rade de Gaète, alors 
que les Piémonlais assiégeaient dans la ville fidèle le brave 
et infortuné roi de Naples, François IL 11 accomplit avec 
beaucoup de tact cette mgrale mission qui se bornait à assu- 
rer la lil>erlé de la mer pendant un délai malheureusement 
trt's court. Le roi de Naples lui témoigna hautement son 
estime. I/amiral, qui avait épousé la llUe du maréchal Exei- 
mans. mourut vice-amiral au cadre de réserve, le 18 décem- 
bre 187G; il a laissé des papiers extrêmement intéressants. 






— i6d — 

jusqu'à une maison dite des 5ûf \folets verts dont il 
devait être souvent question dans les rapports du siège. 

Les chefs d*état-major voulaient fixer la future base 
des lignes d'attaque, ils désignèrent comme emplace- 
ment du dépôt de tranchée une position située à 
environ deux kilomètres de la place et déûlée du 
côté de Rome par les hauteurs ^ 

Le 23 mai arrivent au camp devant Rome de 
nouveaux renforts, qui avaient été, comme les précé- 
dents, minutieusement inspectés à Toulon, à Civita- 
Vecchia et à Palo, par le troisième divisionnaire 
d'infanterie, le général de Rostolan, l'un des inspec- 
teurs généraux les plus compétents et les plus redou- 
tés de son arme, bien qu'on rendit justice à ses 
qualités d'impartialité et à son continuel souci des 
véritables intérêts de l'armée. Cet officier général 
avait de glorieux états de service, commencés 
pendant les dernières guerres de l'Empire, brillam- 
ment continués sous la Restauration pendant la 
guerre d'Espagne* et, sous le gouvernement de Juillet, 
en Algérie. Les généraux Morris et Levaillant (Jean) 
étaient également arrivés. 

Il était dès lors indispensable de modifier l'organi- 
sation provisoire des deux divisions et d'arrêter la 

« Officier d'état-major, Précis, p. 48. 

' Le i4 avril i8a3, le commandant de Rostolan, major au 
60* de ligne et qui exerçait provisoirement le commandement 
du régiment, ayant appris qu'une bande de constitutionnels 
espagnols avaient capturé traîtreusement cinq Français dont 
deux ofliciers du 60*^, avait lait prendre les armes à un 
bataillon, franchi la frontière à la tète de cette troupe. Le 
bataillon ayant été disséminé par la rapidité de la poursuite, 
M. de Rostolan, gardant avec lui une compagnie de volti- 
geurs, avait pénétré dans les villages barricadés par les 
ravisseurs et délivré les Français prisonniers. Cette rapide 
expédition, exécutée sans les lenteurs d'autorisation des 
autorités supérieures, ilt le plus grand honneur à l'esprit 
d'initiative et de résolution du futur ollicier général. 
(R. BiTTARD DES PoRTBS, Les Campagnes de la Restauration^ 
P- la.) 



— i66 — 

constitution définitive de l'armée expéditionnaire. 
Bien qu'il manquât encore deux corps de troupes, 
cette constitution ne devait être modifiée que pour 
les troupes spéciales, encore incomplètes. Sur Tétat 
daté du 22 mai, mais seulement mis à Tordre le oS 
mais les camps et les cantonnements ne sont pas 
indiqués. Nous le donnons tel quel. 



ARMÉE EXPÉDITIONNAIRE DE LA MÉDITERRANÉE 



Commandant en chef : Le général de division 

OUDINOT DE ReGGIO. 

Chef (V état-major général : Le colonel Lebarbier 
DE Tin AN. 
Intendant en chef : L'intendant militaire Paris 

DE LA BOLLARDIÈRE. 



±^^ Division 
(Général Regnaud de Saint-Jean d'Angély) 

r^ brigade (général Mollière) : i*' bataillon de 
chasseurs (chef de bataillon de MaroUes) ; 2o« de ligne 
(colonel Marulaz) ; 33« de ligne (colonel Bouat). 

a« brigade (général Morris) : i^^ chasseurs à che- 
val (colonel de Noue); ii« dragons (colonel de la 
Chaize), pas encore débarqué. 

* Capitaine Vertbay, Album. 

• 11 manquait à la i"* division, !'• brigade, le ly^ de ligne 
(colonel Sonnet); à la 2* division, !*• brigade, le 3a* de lif^ne 
(colonel Bosc); à la 2* brigade d(î cette même division, le 
53^ de lif^ne (colonel d'Autcmarre); à la 3* division, i** bri- 
gade, le 3o* de lif^ne (colonel Loconte), soit encore 4 ^P' 
ments annoncés. 



— i67 — 

2« Division (général de Rostolan) 

j^ brigade (général Levaillant Charles) : 36« de 
ligne (colonel Blanchard); 6&» de ligne (colonel Che- 
nau). 

a^ brigade (général Chadeysson) : 22« léger (colo- 
nel Pesson); 68« de ligne (colonel de Saporitz). 

3« Division (général Gueswiller) 

i» brigade (général Levaillant Jean) : i6« léger 
(colonel Marchesan) ; 25« léger (colonel Ripert). 

a* brigade (général Sauvan) : i3« léger (colonel 
Bougourd de Lamarre); i3« de ligne (colonel de 
Comps). 

Artillerie 

Commandant : général de brigade Thiry. 
Chef d^ état-major : chef d'escadron Soleille. 

TROUPES 

Cinq batteries d'artillerie de campagne: cinq batte- 
ries d'artillerie de siège (personnel); 7« compagnie 
du S*' régiment (pontonniers); une section de la 
8« compagnie d'ouvriers d'artillerie: 3« compagnie 
du 4^ escadron du train des équipages de parc. 



Génie 

Commandant : général de division Vaillant. 
Chef d'état-major : colonel Niel. 



— i68 — 

TROUPES 

Une compagnie du i®^ génie ; deux compagnies da 
2« génie. 

Détacliements de gendarmerie. 

— du train des équipages. 

— d'ouvriers d'administration. 

Parmi les officiers généraux, trois devaient conqué- 
rir le bâton de velours bleu semé d'aigles d'or *des 
maréchaux du second Empire, plus de la moitié 
des colonels devaient arriver au grade de général, 
plusieurs même atteignirent celui de général de divi- 
sion. Malgré leur bravoure, malgré les dangers des 
assauts et de la tranchée, aucun de ceux dont nous 
venons de donner les noms ne devait être frappé 
mortellement devant la brèche. Seul, en plein armis- 
tice, le 27 mai, le colonel Pesson, commandant le 
!2Q« léger, succomba à une attaque d'apoplexie fou- 
droyante, dans l'exercice de ses fonctions de chef de 
corps, en sortant du rapport pour se rendre à une 
réunion de service. L'armée regretta sincèrement ce 
brave et digne officier qui fut aussitôt remplacé dans 
le commandement de son régiment par le chef de 
bataillon Ferrand de Laforest en attendant Tarrivée 
du lieutenant-colonel Espinasse, du même régiment. 

Le général Vaillant ne voulut pas s'en tenir à la 
reconnaissance qu'il avait faite le lendemain de sa 
visite à M. de Lesseps^ Toujours dans un costume 
civil et en profitant d'un laissez-passer d'officier dn 
corps de santé, le commandant supérieur du génie 
s'introduit de nouveau dans Rome, le 25 mai S il 

< Dans sa lettre au ministre de la guerre, datée du a juin. 
I0 général fait allusion aux reconnaissances qu*il a faites oa 
fait faire depuis le 19 mai. 

' Le général Vaillant s'exprime ainsi : Je m'en suis assuré 
en m* introduisant dans Rome le a 5 mai. Or dans la lettre da 




piii=:ts a ['AIITIii i>()l'r i.a vii.lu kterneli.e 



r 



— i6g — 

persiste dans le choix du front d'attaque : ce sera 
décidément l'angle bastionné qui s'étend entre la 
porte San-Pancrazio et la porte Portese au sommet 
du Janicule. Quelques jours après S il écrit au 
ministre : cf C'est sur ce point que l'ennemi s'attend 
le moins à être attaqué, c'est de ce côté que Tartille- 
rie française risquera le moins d'endommager les 
monuments publics, c'est encore par là qu'en détrui- 
sant au préalable le flanc d'un bastion, l'armée fran- 
çaise pourra pénétrer par la porte San-Pancrazio et 
tourner l'enceinte d'Aurélien qu'a fortifiée l'ennemi, 
en vue d'une attaque par la porte Portese ' d. 

Ainsi le plan d'attaque est définitivement arrêté, 
dans l'esprit de celui qui l'exécutera, avant que les 
incertitudes de M. de Lesseps se soient dissipées. 

A tous les degrés de la liiérarchie, l'activité se 
manifeste. L'arme du génie paye d'exemple; le 
25 mai, pendant que son chef pénètre dans Rome, on 
transporte de Santucci au lieu choisi pour dépôt de 
tranchée tout un approvisionnement de fascines et 
de gabions. Le colonel Sol est déjà désigné comme 
major de tranchée. Deux jours après, le camp de 
Corviale est en deuil par la mort subite du colonel 
Pesson ; le crêpe attaché à la hampe du drapeau fai- 
sait pressentir d'autres deuils, mais ceux-ci devaient 
préparer la victoire. 

général Oudinot à M. de Lesseps, datée du 22 et dans la 
réponse de M. de Lesseps an général en chef, datée du a3, il 
est fait allusion à la première visite du général Vaillant au 
plénipotentiaire de France à Rome; il ne faut donc pas la 
confondre avec la reconnaissance du a5 mai. Après son pre- 
mier voyage à Rome, le général Vaillant avait adresse un 
plan an ministre : <x Ce front est celui que j*ai coté (6-7) au 
plan que je vous ai adressé. » (Lettre du a juin. Journal des 
opérations du génie, pièce n° i5, p. i83.) 
* a iuin i849* (^* Journal des opérations du génie, toc. cit.) 
' D après le général Vaillant, ce plan ne fut communiqué, 
en conseil de guerre, que le 3o mai. (Ihid.) 



CHAPITRE IX 



DUPLICITE ET NAÏVETE. — RUPTURE. — LA REVOCATION 

DE M. DE LESSEPS. 



Au camp de la villa Santucci M. de Lesseps entre- 
tenait avec nos officiers les meilleures relations. Son 
enjouement naturel, l'entrain de sa conversation 
dont il écartait volontiers les préoccupations ac* 
tuelles, le charme de ses souvenirs d'Orient ou 
d'Espagne en faisaient un hôte sympathique, dans ce 
milieu militaire tout de simplicité et de franchise. Les 
nouvelles qu'il recevait de Rome continuaient cepen- 
dant à être mauvaises, le triumvirat et surtout les 
cosmopolites qui s'étaient constitués ses partisans 
traitaient la Ville éternelle en pays conquis. Non seu- 
lement nos nationaux, mais les citoyens romains les 
plus paisibles étaient molestés, rançonnés, empri- 
sonnés. 

Dans un moment d'indignation bien naturel notre 
envoyé écrivait à M. Drouyn de Lhuys, ministre des 
affaires étrangères *, que le chef du gouverne- 
ment romain (c'est-à-dire Mazzini) <c opprimait, 

* M. de Lesseps au ministre des affaires étrangères de 
France. {Dépêches du a5 et du aS mai.) 



— 171 — 

terrifiait et ruinait les habitants et se trouvait déjà 
placé en face du déficit et de la banqueroute^ ». 
Mais, par une singulière inconséquence, M. deLesseps 
estimait que nos troupes ne devaient pas occuper 
Rome, même amiablement, disant qu'une telle mesure 
nous engagerait dans les questions d'administration 
romaine plus que nous ne voudrions, qu'elle nous 
ferait recueillir une partie de l'héritage actuel^ etc. 
Ainsi dans ses dépêches au ministre des affaires étran- 
gères, son chef direct, le plénipotentiaire de France 
se montrait opposé à la satisfaction légitime que 
désirait notre armée et qui seule pouvait effacer les 
pénibles souvenirs du 3o avril!... 

Toutefois, en raison de l'accord unanime de tous les 
officiers généraux pour obtenir cette satisfaction et 
après avoir inutilement invoqué l'absence des nou- 
velles instructions de M. Drouyn de Lhuys que 
M. de La Tour d'Auvergne allait rapporter incessam- 
ment, M. de Lesseps déclara loyalement qu'en effet il 
n'était plus possible d'attendre et il rédigea un projet 
d'ultimatum qu'accepta et contresigna dans l'après- 
midi du 29 mai le général Oudinot. En voici la teneur : 

«Le soussigné Ferdinand de Lesseps, envoyé extra- 
ordinaire et ministre plénipotentiaire de la Répu- 
blique française à Rome, 

a Ck)nsidérantque la marche de l'armée autrichienne 
dans les États romains change la situation respective 
de l'armée française et des troupes romaines; 

«( Considérant que les Autrichiens, en s'avançant 
sur Rome, pourraient s'emparer de positions mena- 
çantes pour l'armée française ; 

* Dans une lettre à M. de Rayneval, M. de Lesseps traitait 
Mazzini de a Néron moderne », se faisant fort, ce qui était 
une témérité, « de lui arracher son masque et de soustraire la 
population romaine à soninûuence ». (L. de Gaillard, p. ai6.) 



— 17a — 

a Considérant que la prolongation du statu qao 
auquel avait consenti M. le général en chef Oudinot 
de Reggio, pourrait devenir nuisible à Tarmée fran- 
çaise ; 

ce Considérant qu'aucune communication ne lui a 
été adressée depuis la dernière note, en date du 26 de 
ce mois, 

Invite les autorités et l'Assemblée constituante 
romaines à se prononcer sur les articles suivants : 

<c Art. i*"*". — Les Romains réclament la protection 
de la République française. 

c< Art. 2. — La France ne conteste point aux 
populations romaines le droit de se prononcer 
librement sur la forme de leur gouvernement. 

« Art. 3. — L'armée française sera accueillie par 
les Romains comme une armée amie, elle prendra 
les cantonnements qu'elle jugera convenables, tant 
pour la défense du pays que pour la salubrité de ses 
troupes. Elle restera étrangère à l'administration du 
pays. 

« Art. 4« — La République française garantit con- 
tre toute invasion le territoire occupé par ses troupes. 

« En conséquence, le soussigné, de concert avec 
M. le général en chef Oudinot de Reggio, déclare que, 
dans le cas où les articles ci -dessus ne seraient pas 
immédiatement acceptés, il regardera sa mission 
comme étant terminée et que l'armée française repren- 
dra toute sa liberté d'action. 

« Fait au quartier général de Tarmée française, villa 
Santucci, 29 mai 1849. 

(c Signé : Ferdinand de Lesseps. 
« Contresigné : Oudinot de Reggio '. » 

* Dossier Lesseps. (Conseil d*État.) 



-173- 

Avant de contresigner le projet dont la rédaction 
était loin de satisfaire le général en chefs celui-ciavait 
imposé une condition expresse, Tacceptation immé- 
diate de toutes ses clauses par les triumvirs. Pour 
empêcher de nouveaux délais, il remit à M. de 
Lesseps la note suivante qui devait être présentée 

au gouvernement romain en même temps que le 
projet de convention : 

« L'ultimatum, sous la date du 29 mai, présenté 
par M. de Lesseps, ministre plénipotentiaire de 
France, a été inspiré et rédigé par de profondes 
sympathies pour les populations romaines. Le 
général en chef soussigné, plein de sollicitude aussi 
pour les Etats romains et associé à la pensée du 
négociateur français, désire très vivement que cet 
ultimatum soit enfin accepté par le triumvirat et par 
les autres autorités romaines. Si, contre toute proba- 
bilité, les intentions de la France étaient de nouveau 
méconnues, le commandant en chef, en présence 
d'une situation toute nouvelle et lorsque deux armées 
étrangères occupent le territoire romain *, se verrait, 
malgré ses sympathies, dans Tobligation impérieuse de 
mettre fin à la cessation des hostilités. 

* Le deuxième article déplaisait au général Oudinot parce 
qu'il mettait en question le pouvoir pontifical, mais M. de 
Lesseps lui aflirma que c'était une clause de style et qu'il 
était hors de doute de voir la population romaine accepter 
Tantorité du Souverain Pontife. 

C'était à cet article que le général en chef faisait allusion 
lorsqu'il écrivait deux jours après à M. de Lesseps une 
lettre sur laquelle nous reviendrons et dans laquelle il s'ex- 
prime ainsi : « Vous avez proposé le 29 de ce mois aux auto- 
rités romaines un ultimatum dont j'ai accepté les termes, 
bien que certaines conditions qui y sont stipulées fussent 
loin de me donner une entière satisfaction. 

'Rappelons que les recommandations faites par M. Drouyn 
de Lhuys à M. de Lesseps et communiquées au général en 
chef portaient comme premier point : « Eviter à tout prix 
que nos troupes fissent dans aucun cas cause commune avec 
les troupes de l'Autriche, de l'Espagne et de Naples. )> 



— 174 — 

« Dans le cas où vingt-quatre heures après cette 
déclaration, l'ultimatum ne serait point accepté, 
l'armée française reprendrait sa liberté d'action. La 
trêve qui avait été consentie verbalement et pour an 
temps très limité cesserait d*avoir son effet. 

« Le Général commandant en chef le corps 
expéditionnaire de la Méditerranée, 

« OUDINOT DE ReGGIO *. » 

Le duc de Reggio insista sur ce que plusieurs cas de 
lièvre s'étaient déclarés parmi ses troupes; la dange* 
reuse malaria allait sévir et serait alors le plus utile 
auxiliaire des duplicités romaines. M. de Lesseps 
promit d'éviter tout retard et envoya à Rome son 
secrétaire, M. Leduc, porter à l'Assemblée constituante 
les deux documents. En attendant la solution dont 
ne doutait pas notre plénipotentiaire, le général 
Oudinot alla passer, à la casa Maffei, la revue delà 
division Gueswiller et celle de la brigade de cava- 
lerie Morris *. Les troupes étaient pleines d'entrain, 
mais le service de santé signalait constamment 
des cas de fièvre. Le même jour le commandant 
Goury, avec la 3® compagnie de sapeurs du 2® régiment, 
faisait placer un pont sur le Tibre à Santa-Passera. 
Ce pont était supporté par des embarcations de 
dimensions inégales: cinq tartanes et deux barques \ 
Ordre fut donné de se rendre de la Magliana à 
Santa-Passera, à la batterie de siège, ainsi quau 
bataillon du 30® de ligne qui lui servait d'escorte. 
Le 33® de ligne était porté à San-Carlo pour protéger 
le dépôt de tranchée, pendant que pour le lendemain, 
3o mai, l'état-major organisait une colonne pour aller 



* Dossier Lesseps. (Conseil d'Etat.) 

2 Capitaine \'ertray, Album. 

^ Journal des opérations de l'artillerie et du génie. 



— ijS — 

renforcer le camp d'Aqua-Traversa occupé seule- 
ment par le iS*" léger. Cette colonne, commandée par 
le général Sauvan et comprenant le i3^ de ligne, deux 
escadrons de cavalerie et une section d'artillerie, 
attendait avec calme les événements. Toujours sou- 
cieux de la santé de ses troupes, le général en 
chef avait mis à l'ordre de l'armée des prescriptions 
relatives aux précautions sanitaires. 
Il est bon de les rappeler in extenso : 



INSTRUCTIONS HYGIÉNIQUES 

Vêtements 

«Les hommes auront soin de se vêtir de manière à 
éviter le froid du matin et du soir, de conserver leur 
capote jusqu'à une heure après le lever du soleil et 
de la remettre une heure avant son coucher. Cette 
même précaution devra être prise pendant les jour- 
nées froides et humides. 

« Pendant la nuit, ils se couvriront la tête, le haut 
du visage et le cou, afln d'éviter les maladies des yeux 
et des oreilles. Il sera fait prochainement une distribu- 
tion de ceintures de flanelle. Dans les corps qui en 
auront reçu on veillera à ce que les hommes les 
portent constamment et surtout à ce qu'ils ne les 
quittent pas quand ils sont en sueur. 

Nourriture 

a Les hommes devront être fort sobres de liqueurs 
alcooliques, user médiocrement de vin et lui préfé- 
rer en toute circonstance le café léger tel qu'ils le 
faisaient en Afrique. Ils devront éviter pour se 



— 176 — 

désaltérer de boire de Teau trop fraîche ou stagnante: 
dans le cas où ils n'en auraient pas d'autre, ils se 
contenteraient de se rincer la bouche, et ne boiraient 
point une eau insalubre. 

<c Les distributions de viande seront autant que 
possible faites en viande fraîche, mais lorsqu'on sera 
dans la nécess;ité de donner aux troupes de la viande 
salée, les hommes auront soin de la faire tremper 
dans de l'eau qu'ils renouvelleront de temps en temps. 
Les officiers chargés de l'ordinaire se mettront en 
mesure de procurer aux hommes des légumes pour la 
soupe et recommanderont l'emploi de Tail comme 
très hygiénique. 

Mesures générales de propreté 

« Dans le but d'éviter les affections de la peau, les 
hommes devront se laver fréquemment le visage, les 
mains et les pieds, mais éviter de se mettre dans 
l'eau étant en sueur. L'usage des bains est jusqa*à 
nouvel ordre formellement interdit. 

« Les corvées de propreté du camp seront surveillées 
avec soin par les chefs des gardes de police *. » 

Le II® dragons, arrivé depuis le aS sous le comman- 
dement du colonel de Lachaise, fournissait de nom- 
breuses reconnaissances dans la direction de Frascati 
et d'Albano. Le général Thiry présidait à la cons- 
truction d'un pont de bateaux '. Aussitôt cet ouvrage 
terminé, deux compagnies de chasseurs à pied 
allèrent relever deux compagnies d'infanterie de 
ligne à San-Paolo. Enfin l'intendance terminait ses 
approvisionnements et constituait ses magasins de 

* Journal des opérations de l*arlillerîe et du g^énie. 

^M. de Lesseps restait tellement partisan de la pais 
qu'avant de partir il insista auprès du crênéral en chef poar 
faire interrompre ce travail. (Capitaine Vkktra.y, Albtim.) 



— 177 — 

vivres à Santa-Passera. L'intendant Paris de la 
Bollardière avait fait confectionner de nombreux 
fours qui cuisaient de bon pain. Les curieux, touristes 
et autres, qui venaient au début de Tarmistice visiter 
nos camps, en étaient maintenant écartés par la 
prévôté; on les engageait à rentrer à Rome, mais 
la plupart semblaient effrayés par les scènes de 
désordre qui s'y passaient. 

Les membres du corps diplomatique se rendaient 
parfois au camp, ils y étaient toujours bien accueil- 
lis: seul le cousuUrAtif^leterre, Fostome, affectait en 
toute circonstance de Tantipathie pour les Français. 

Mazzini et ses amis avaient appris, d'une façon 
encore vague, il est vrai, le résultat des élections du 
20 mai en France, pour la nouvelle Chambre des 
représentants. Le parti de l'ordre l'emportait à une 
forte majorité. La presse catholique ne cachait pas 
sa joie; il devenait évident que le Saint-Siège pou- 
vait compter plus que jamais sur l'etlicace appui de If» 
France. Sans être suflisamment renseigné, le trium- 
virat s'en effraya un peu et envoya à Paris, à la date 
du 24 mai, un agent officieux nommé Michel Accursi, 
pour apprécier la situation. Accursi avait gagné ses 
chevrons comme révolutionnaire', mais il man(iuait 
d*aptitudes diplomatiques. Malgré ses lettres de 
créilit ou plutôtà cause d'elles, il fut accueilli des plus 
froidement parle minisire des affaires étrangères; 
il éprouva le même accueil auprès des quelques 
personnalités politiques auxquelles il s'adressa et ne 
put envoyer à Rome que des rapports sans intérêt 
et qui ne parvinrent d'ailleurs qu'après la rupture de 
rarmislice. 

Dans leur ignorance les maîtres de Rome gar- 
daient leur présomptueuse obstination et la eondcs- 

' U avait été condamné pour complot contre le jçouverne- 
lucnt pontitlcal et gracié par le bon Pie IX. 

I!2 



— 1^8 — 

tendance de M. de Lesseps, qui s'était déjà trop 
révélée, les encourageait. Les triumvirs crurent pou- 
voir imposer deux conditions : la première que la 
République romaine pourrait compter sur nos armes 
pour défendre son territoire contre toute invasion 
étrangère, et la seconde que le corps expéditionnaire 
n'entrerait pas dans Rome. 

Avant de formuler ces prétentions, les commis- 
saires romains, délégués par TAssemblée, écrivirent 
au plénipotentiaire de France pour lui demander 
quelle signification il prétendait donner à ces expres- 
sions : <( dans le cas oii les articles proposés ne 
seraient pas immédiatement acceptés, il regarderait 
sa mission comme terminée et Tarmée française 
reprendrait toute sa liberté d'action. » M. de Lesseps 
s'empressa de répondre de la villa Santucci, dans la 
même journée du 29 mai, que, malgré le mot immé- 
diatement, il était entendu qu'un délai de vingt- 
quatre heures, devant expirer le 3o à minuit, était 
accordé pour répondre à l'ultimatum. 

Toutefois il fallait en prévenir le général en chef. 
C'est ce que fit le ministre de France, à une heure un 
peu tardive. A minuit, il déclarait au duc de Reggio. 
en présence du commandant Espivent de la Villebois- 
nel, que « vingt-quatre heures après l'avis qu il en 
donnait, la trêve accordée aux Romains cesserait 
d'avoir son effet* ». M. de Lesseps se retira ensuite. 

Fort de cette déclaration, le général arrêta condi- 
tionnellement les mesures nécessaires pour s'emparer 
simultanément le lendemain 3i mai, à trois heures du 
matin, d'une part du Monte-Mario et de Ponte-Molle, 
d'autre part des villas Pamphili et Corsini etderéglise 
San-Pancrazio. 

Bien que le duc de Reggio ne lui eût pas comrau- 

* Générai Oudinot au ministre de la guerre, villa Santucci, 
3i mai 1849* 



— 179 — 

nique ses dispositions, M. de Lesseps les pressen- 
tit et, en partisan incorrigible de la paix, il crut 
devoir protester à Favance contre ces conséquences 
toutes naturelles de sa propre déclaration. A huit 
heures du matin, il faisait parvenir au général en chef 
une protestation ainsi rédigée : 

« Dans le cas où vous jugeriez devoir prendre par 
surprise ou autrement des positions dans Tintérieur 
de Rome ou même dans le voisinage de son enceinte 
sans vous être préalablement concerté avec moi, je 
crois devoir mettre sous votre seule responsabilité 
toutes les conséquences politiques qui en résulte- 
raient. Jusqu'au moment où les ordres du gouver- 
nement arriveront, soit pour me blâmer, soit pour 
m*approuver, ma mission ne comporte pas votre 
isolement pour des déterminations et des mesures 
militaires qui compromettraient notre pays dans la 
voie que je crois la plus funeste. » 

Quelques heures après, à trois heures de l'après- 
midi S dans cette même journée du 3o mai, M. de 
Lesseps recevait un contre-projet signé des triumvirs 
auxquels l'Assemblée romaine venait de conférer 
pleins pouvoirs pour traiter *. Copie de la déclaration 
de l'Assemblée était adressée par le président de 
l'Assemblée et jointe au contre-projet dont voici le 
texte : 

« Art. i«'. — Les Romafns, pleins de foi aujour- 
d'hui comme toujours dans l'appui fraternel de la 

* IM. de Lesseps dit : neuf heures avant la fin du délai. Or 
le délai expirante minuit, il était donc trois heures. (Lettre de 
M. de Lesseps au général Oudinot(copie). — Papiers du géné- 
ral de Tinan. 

'Le président et les membres de l'Assemblée constituante 
romaine déclaraient « avoir une confiance illimitée dans la 
sagesse des triumvirs pour mettre fin aux malheurs qui 
planaient sur une ville tranquille, siège des monuments et 
des arts ». 



— i8o — 

République française, réclament la cessation des 
apparences même d'hostilité et rétablissement des 
rapports qui doivent être l'expression de cet appui 
fraternel. 

« Art. 2. — Les Romains ont pour garantie de leurs 
droits politiques l'article 5 de la Constitution fran- 
caise *. 

« Art. 3. — L'armée française sera regardée par 
les Romains comme une armée amie et accueillie 
comme telle. Elle prendra, d'accord avec le gouver- 
nement delà République romaine, les cantonnements 
convenables tant pour la défense du pays que pour 
la salubrité des troupes. Elle restera étrangère à 
l'administration du pays. Rome est sacrée pour ses 
amis comme pour ses ennemis; elle n'entre pas 
dans les cantonnements que choisiront les troupes 
françaises. Sa brave population en est la meilleure 
sauvegarde. 

« Art. 4- — L'armée française garantit contre toute 
invasion étrangère le territoire occupé par ses troupes. 

« C. Armelini, g. Mazzini, A. Saffi. » 

Fort impressionné de cette singulière réponse à 
son ultimatum, le plénipotentiaire [de France fit 
remettre le document en question au général Oudînol. 
qui, le considérant comme une provocation non 
déguisée, convoqua aussitôt à son quartier général 
M. de Lesseps, les généraux Vaillant, RegnaucI 
d'Angély, Mollière, Tintcndant de la Bollardière et 
le colonel de Tinan, chef d'état-major'. Les autres 

' « La République respecte les nationalités étrangères, 
coiiinie elle entend faire respecter la sienne, n'entrepreiwl 
aucune guerre dans des vues de conqm>te et n'emploie jamais 
ses forces contre la liberté d'aucun p<*uple. » 

- Dans sa virulente lettre du i'"" juin dont la copie lî^un* 
dans les papiers <Ui ^çénéral de Tinan, M. de Lesseps accusf 
h' général Oudinot d'avoir préparé le conflit. 



— i8i — 

officiers généraux étaient dans les divers cantonne- 
ments et trop éloignés pour assister à cette convoca- 
tion imprévue. La réunion eut lieu à quatre lieures. 

Dès le début, la discussion devint extrêmement 
violente. M. de Lesseps lut le projet des Romains, 
qui souleva des protestations unanimes, surtout de la 
part des généraux Oudinot et Regnaud d'Angély. Ces 
ofticiers généraux parlèrent aussitôt de la reprise 
des hostilités à l'expiration de la trêve, à minuit. 

Le ministre promettait d'obtenir le rejet de Tar- 
tiele 2 et il insistait sur la nécessité « d'attendre ». 
Le général Regnaud d'Angély s'indigna contre une 
pareille proposition : « Attendre, attendre la saison 
des chaleurs et les lièvres I Attendre que nos soldats 
soient décimés! » 

M. de Lesseps émit alors le fâcheux avis de faire 
reporter les cantonnements français en arrière, à 
Albano, à Tivoli. c< Le pays y sera plus salubre. Au 
lieu d'occuper Rome, on l'entourera. Le résultat sera 
plus avantageux encore et ne froissera pas la popu- 
lation. D 

Le général Oudinot intervint alors, en déclarant 
avec énergie qu'une telle mesure serait plus qu'une 
faute militaire, ce serait un aveu d'impuissance. 
Tous les membres de la réunion approuvèrent avec 
chaleur le général en chef. 

« ... Malgré vos cris, vos injures et vos gestes mena- 
çants, j*ai donné avec calme lecture de toutes les pièces ainsi 
que de mes notes de la journée à vous adressées. Mes repré- 
sentations étant devenues inutiles, ayant formelleinent refusé 
de m'associer à vos projets d'attaque nocturne sans avis 
préalable aux autorités romaines, acte inouï qui aurait peut- 
être fait massacrer la colonie française de Home, je me suis 
retiré. Je tiens à constater ici que toutes les personnes pré- 
sentes à la réunion ont observé envers le représentant oflîciel 
de la République Tattitude la plus convenable, à Texception 
do général Reçnaud Saint-Jean d'Angély. » M. de Lesseps 
au général Oudinot, Rome, i*' juin 1849. Ci^o.picr8 du général 
Lebarbier de Tinan.) 



— i8îa — 

M. de Lesseps présenta encore quelques observa- 
tions qui furent accueillies avec la même désappro- 
bation. Obstiné dans ses idées de pacification, il avait 
rillusion qu'une nouvelle démarche de sa part amè- 
nerait les Romains aux concessions désirées. Il pro- 
testa donc contre les projets d'attaque et se retira 
après avoir remis un nouvel exemplaire de la note 
qu'il avait déjà adressée au général en chef et dont 
nous avons donné le texte : « dans le cas où voas 
jugeriez devoir prendre par surprise ou autre- 
ment, etc^ » 

Le général Oudinot, fort de l'approbation et de la 
confiance des officiers qui avaient assisté au conseil» 
et pénétré du sentiment de ses devoirs de chef 
d'armée, n'avait rien à ajouter aux dispositions arrê- 
tées pendant la nuit, à la suite de la première 
communication de M. de Lesseps. Il se borna à en 
préparer personnellement l'exécution en répétant 
ses instructions aux commandants des colonnes qui 
devaient occuper les points indiqués. 

Tout était donc prévu. Il était neuf heures; la trêve 
devait expirer dans trois heures, lorsque M. de Les- 
seps vint supplier le général en chef de donner contre- 
ordre aux commandants des colonnes. 

« Il n'avait pas signalé par écrit, disait-il au duc de 
Reggio, et d'une manière suffisamment précise aux 
autorités romaines la reprise des hostilités; il crai- 
gnait que cette lacune ne fît considérer une action 
militaire de l'armée française comme une surprise 
incompatible avec les règles du droit des gens'. » 

• Au début de sa lettre du i*' juin au général en chef, M. de 
Lesseps rappelle qu'il lui a laissé le 3o mai, à 8 heures du 
matin et à 3 heures du soir, et le 3i mai, à 6 heures du matin, 
trois notes. Ces notes n'étaient en réalité qu'une seule et 
même protestation. {Papiers du général de Tman.) 

* Le général Oudinot au ministre de la guerre. Villa San- 
tucci, Si mai 1849. 



J 



— i83 — 

Le général n'avait pas à se louer de la mission de 
M. de Lesseps, toutefois il céda à ses instances, tout 
en regrettant la nouvelle intervention du diplomate. 
Contre-ordre put être donné immédiatement aux 
troupes qui devaient s'emparer des villas Pamphili, 
C!orsini et de l'église de San-Pancrazio. 

Quant à la mission d'occuper le Monte-Mario en 
refoulant les postes romains qui s'y étaient établis, 
elle avait été confiée aux troupes campées à Âqua- 
Traversa (i3« léger et i3« de ligne) sous le comman- 
dement du général Sauvan. Du quartier général au 
camp, il y avait cinq lieues et la nuit était obscure *. 

Un officier d'état-major monta à cheval et partit 
aussi rapidement que possible, porteur du contre- 
ordre pour le général Sauvan. Malgré toute la dili- 
gence qu'il apporta, Tofficier d'état-major ne put 
arriver à destination qu'au point du jour. Or, à 
deux heures du matin, la colonne d'Aqua-Traversa 
s'était déployée devant le Monte-Mario... et n'y avait 
trouvé personne. Les postes romains, inquiets de se 
voir un peu « en l'air », s'étaient repliés sur Rome 
quelques heures auparavant. Il n'y eut aucune sur- 
prise, l'ennemi avait abandonné ses positions. Le 
rapport du duc de Reggio est formel sur ce point*. 

* Le général Oudinot au ministre de la guerre. Villa San- 
tucci, 3i mai 1849. 

* a L'ennemi, qui y avait travaillé avec activité depuis plu- 
sieurs semaines, Ta subitement abandonné (le Monte-Mario ), 
sans aucun motif, le 3i mai, et quelques heures après le 
1 3^ léger et le i3^ de lifçne Voccupaient sans coup férir, » 
(Général Oudinot au ministre de la guerre, villa Santucci, 
4 juin i84q.) 

M. de Lesseps, trompé par les récits des triumvirs, a 
dénaturé l'incident dans sa lettre du i'^ juin au générai 
Oudinot déjà citée : « La réflexion et des conseils énergiques 
el éclairés vous ont heureusement permis de révoquer au 
dernier moment vos ordres de commencer les hostilités, mais 
ces ordres ne sont pas arrivés assez à temps pour empêcher 
l'occupation de Monte-Mario où vous n'avez pas rencontré de 
résistance, parce que j'avais pu à l'avance l'aire connaître à 
Rome, par mon secrétaire particulier, M. Leduc, que Ton ne 



— i84 — 

Conformément aux instructions du général en clief. 
le général Sauvan fit fortifier la position qui dominait 
« le Vatican, le château Saint-Ange, les remparts de 
la place et le Tibre supérieur* ». 

M. de Lesseps ignorait cette prise de possession 
quand il partit en grand uniforme *, le 3i mai à 
huit heures du matin, par un temps pluvieux et triste, 
pour rentrer, non sans quelque courage, dans celte 
ville de la révolution où il avait été si souvent insulté 
et menacé. Après être resté quelques instants à 
Tambassade de France pour reprendre officiellement 
son poste diplomatique et pour y recopier un nouveau 
projet de traité*, il se rendit au palais des triumvirs. 
Ceux-ci avaient appris l'occupation de Monte-Mario 

devrait pas sUnquiéter de vos mouvements destinés seulement 
à vous assurer des positions dont les armées étrangères en 
marche sur Rome pourraient s*emparer contre nous, t 
{Papiers du général de Tinan.) 

Un témoin oculaire, le capitaine d'état-major Verlray, dit : 
« La colonne arriva à deux heures du matin devant cette 
position et la trouva entièrement abandonnée. Elle s'y établit 
immédiatement. » {Album,) 

' Le général Oudmot au ministre de la guerre, 3i mai 18J9. 

^ Le général Oudinot au ministre de la guerre, 16 mai iK{9. 

Bien que, d'après sa lettre précitée, le ministre ait cm 
devoir lui remettre une troisième protestation contre toute 
reprise des hostilités, le général Oudinot ne lui gardait pas 
rancune de la discussion do la veille, car il s'exprime ainsi : 
(( M. de Lesseps comprend enfm la nécessité de sortir dp 
statu quo (ju'il a prolongé jusqu'à ce jour. Aussi s'est-il 
volontiers chargé de porter à Rome la déclaration ci-jointe 
dont le but est de mettre un terme à une situation qui ne 
pourrait se prolonger sans danger. Il est parti pour Rome en 
grand uniforme. Si, contre son attente, il ne peut nous 
apporter une solution satisfaisante, il assurera au moins aux 
nationaux les moyens de quitter la ville. » 

' « Parti le 3i au matin du quartier général, après yoas 
avoir remis ma dernière note et éclairé sur les inconvénients 
à craindre de l'entrée immédiate de l'armée française à 
Rome, où vous auriez pu compromettre les intérêts que j'avais 
à défendre, j'ai rédigé seul un nouveau projet d'arrangement 
entièrement conforme aux directions que j'avais reçues du 
gouvernement de la République. Ce projet, adopté après 
quelques discussions par le pouvoir executif, a été approuvé 
à l'unanimité moins trois voix par l'Assemblée constituante.» 
(Lettre de M. de Lesseps au général Oudinot, i*' juin i849-) 



— i85 — 

et ne dissimulèrent ni leur émotion ni leur méconten- 
tement. M. de Lesseps les calma en leur donnant 
l'assurance que ce mouvement s'était fait malgré le 
contre-ordre du général en chef et que d'ailleurs, 
dans la pensée du duc de Reggio, il s'agissait seule- 
ment d'occuper des positions dont les armées étran- 
gères en marche sur Rome pourraient s'emparer dans 
un but moins désintéressé '. 

Les triumvirs lurent ensuite les propositions du 
ministre de France. Le mouvement en avant de la 
brigade Sauvan les engagea peut-être à faire des con- 
cessions. Il fallait arrêter l'entrée de l'armée françaisp 
clans Rome et le projet de M. de Lesseps l'empê- 
chait. 

Mazzini et ses collègues réunirent aussitôt l'Assem- 
blée constituante en comité secret. A huit heures du 
soir* le projet en question fut adopté à l'unanimité 
moins trois voix. M. de Lesseps en fut informé; les 
triumvirs lui retournaient, avec l'approbation de 
l'Assemblée romaine, son propre projeta 

« Art. i**". — L'appui de la France est assuré aux 
populations des États romains. Elles considèrent 
l'armée française comme une armée amie qui vient 
concourir à la défense de leur territoire. 

Art. 2. — D'accord avec le gouvernement romain 

1 a Sans cet avis et sans mon retour à Rome, le tocsin eût 
sonné, la garnison et la population de la ville jusqu'aux 
femmes de Transtevère, armées de leurs couteaux, auraient 
fait Tassant du Monte-Mario. Je sais que nos braves soldats 
s'y seraient maintenus, mais les conséquences d*une attaque 
et d*une défense acharnées auraient atteint au cœur notre 
patrie. » {Ibid.) 

> Lettre de Mazzini à M. de Gérando, Rome, i5 juin. 
(Papiers du général de Tinan.^ 

' M. de Lesseps le dit formellement dans sa lettre au géné- 
ral Oudinot : a j'ai rédigé seul un nouveau projet d'arran- 
Î cernent... Ce projet, adopté après quelques discussions par 
e pouvoir exécutif, a été approuvé à Tunanimité moins trois 
voix par TAssemblée consUtuante. » Ainsi M. de Lesseps est 
bien rauteur de ce projet. 



— i86 — 

et sans s'immiscer en rien dans Tadministration da 
pays, Tarmée française prendra les canionnementt 
extérieurs convenables tant pour la défense du pays, 
que pour la salubrité des troupes. Les communications 
seront libres. 

« Art. 3. — La République française garantit contre 
toute invasion étrangère les territoires occupés par 
ses troupes. 

« Art. 4* — Il est entendu que le présent arrange- 
ment devra être soumis à la ratification de la Répu- 
blique française. 

« Art. 5. — En aucun cas, les effets du présent 
arrangement ne pourront cesser que quinze jours 
après la communication officielle de la non-ratifica- 
tion*. » 

En lui adressant ce document ', les triumvirs 
annonçaient qu'il serait porté le lendemain au quar- 
tier général français par une députation de représen- 
tants. Le général en chef serait im'ité ainsi que son 
état-major à se rendre à Rome; une garde d'honneur 
serait mise à sa disposition... Enfin, le choix des 
cantonnements serait arrêté par une commission com- 
posée en partie d'officiers français, en partie d'officiers 
romains. 

Le modeste et digne duc de Reggîo ne prévoyait 
point ces honneurs équivoques au moment où, dans 
ses angoisses patriotiques et par un billet écrit pen- 
dant la délibération même de la Constituante, il con- 
jurait M. de Lesseps « de ne point livrer à de vaines 
discussions un temps trop précieux pour le perdre. 
Dans rélat actuel des choses, c'est par un oui ou par 

* Mémoire de M. de Lesseps devant le Goniteil d*Etal. 
Papier» du général de Tinan. (L. de Gaillard, Pièces jusii" 
ficativt's, p. 45o.) 

s La coiniiiunicatîon commençait ainsi : a Monsieur, voici 
le résullat de la longue discussion de rAssemblée. Ar* 
ticle !•'', etc. » 



- i87 - 

nn non que les autorités romaines doivent faire con- 
naître leur décision... N'oubliez pas de dénoncer 
immédiatement la fin de l'armistice, si vous n'obtenez 
sans retard une solution pacifique et conforme entiè- 
rement à la déclaration du ag de ce mois K » On en 
était loin... 

Une autre lettre était adressée directement par le 
général aux autorités romaines, les prévenant en 
termes laconiques que <x si les intentions de la France 
continuaient à être méconnues, le commandant en 
chef, en présence d'une situation toute nouvelle et 
aggravée par l'apparition de deux armées étrangères 
sur le territoire romain', se verrait dans l'obligation 
impérieuse de reprendre les hostilités. Dans le cas 
où, vingt-quatre heures après cette déclaration, 
Tultimatum ne serait point accepté, l'armée fran- 
çaise devait reprendre toute sa liberté d'action, car 
la trêve qui avait été consentie verbalement pour un 
temps très limité cesserait alors d'avoir son effet. » 

Cette double communication fut considérée comme 
n'ayant aucune importance, depuis que l'Assemblée 
avait adopté le projet de M. de Lesseps. Ce dernier 
eut une entrevue avec les triumvirs et reçut de leurs 
mains Texemplaire même portant la signature du 
président de l'Assemblée. Malgré l'heure déjà avancée 

' Le général avait reçu un petit mot de M. de Lesseps, 
toujours trop optimiste. Voilà en quels termes le duc de 
Reggio en parle dans sa lettre du ienciemain : « Dans la jour- 
née même vous m'avez écrit de Rome que cet ultimatum) il 
s^agit toujours ici de celui du 29) allait selon toute probaibi- 
Uté être accepté le soir... » Le général Oudinot à M. de 
Lesseps. (^Papiers du général de Tinan.) 

* Le même jour, en rendant compte de l'occupation de 
Monte-Mario, le général en chef écrivait au général Rullière, 
ministre de la guerre : « Vous savez, Monsieur le ministre, 
qae nous touchons à cette époque de l'année où les maladies 
forcent les Romains eux-mêmes à quitter la contrée que nous 
occupons. Cette circonstance, jointe au voisinage des troupes 
autrichiennes, napolitaines et espagnoles, ne permet pas 
de prolonger la trêve. (L. D^GAiiA^K^i^y Pièces justiJîcaiweSj 



— i88 — 

de la soirée, le ministre de France annonça qu'il 
allait partir pour la villa Santucci, affirmant « que le 
général Oudinot ne ferait aucune difficulté pour con- 
tresigner le traité' ». Les triumvirs ne cachaient pas 
leur satisfaction *. 

Quand M. de Lesseps parvint au quartier général 
vers minuit, il fit demander au général Oudinot, par 
le commandant Espivent de la Villeboisnet, de le 
recevoir immédiatement. L'entrevue eut Heu en pré- 
sence de Taide de camp», le ministre de France 
paraissait radieux : « Enfin nous avons terminé! » et 
il agitait le fameux traité dont il commença la lec- 
ture*. 

A Tarticle 2, le duc de Reggio ne put contenir son 
indignation et déclara qu'il ne voulait pas en entendre 
davantage, se refusant à sanctionner un acte aussi 
désastreux pour l'honneur et les intérêts de l'armée 
qu'il commandait. Le général engagea M. de Lesseps 
à se retirer ^ 

Le ministre semblait au comble de la stupéfaction: 
toutefois il lut au général les instructions qui lui 
avaient été données par le ministre des affaires 
étrangères avant de quitter Paris et qui étaient ainsi 
formulées ® : 

* « 11 (M. de Lesseps) remporta au camp (le traité) en nous 
disant qu'il regardait la signature du général Oudinot comme 
une simple formalité sur laquelle le moindre doute ne pouvait 
exister. » Lettre de Mazzini à M. de Gérando, déjà citée. 
{Papiers du général de Tinan.) 

* (( Nous étions tous dans la joie. Les choses allaient 
reprendre, entre la France et nous, leur cours naturel. » 
{Ibid,) 

' Communication de M. le général Espivent de la Ville- 
boisnet. 

♦ Ibid, 
8 Ibid. 

• « Je vous en ai remis, avant de le signer, un exemplaire, 
accompagné d'une déclaration. J'avais commencé par vous 
donner lecture de mes instructions en date du 8 mai. » Lettre 
de M, de Lesseps au général Oudinot, Rome, i*' juin i849- 
{Papiers du général de Tinan.) 



- i89 - 

a Les faits qui ont marqué le début de l'expédition 
française dirigée sur Civita-Vecchia étant de nature à 
compliquer une question qui se présentait d'abord 
sous un aspect plus simple, le gouvernement de la 
République a pensé qu*à côté du chef militaire, chargé 
de la direction des forces militaires envoyées en Italie, 
il convenait de placer un agent diplomatique qui, se 
consacrant exclusivement aux négociations et aux 
rapports à établir avec les autorités et les populations 
romaines, pût y apporter toute Tattention, tout le 
soin nécessaires dans d'aussi graves matières. Votre 
zèle éprouvé, votre expérience, la fermeté et l'esprit 
de conciliation dont vous avez eu à faire preuve en 
plus d'une occasion dans le cours de votre carrière, 
vous ont désigné [)our cette mission délicate au choix 
de notre gouvernement. 

« Pour vous donner des instructions plus précises 
et plus détaillées, il faudrait avoir, sur ce qui s'est 
passé depuis queUpies jours dans les Etats romains, 
les informations qui nous manquent. Votre jugement 
droit et éclairé vous inspirera suivant les circons- 
tances. 

« Signé : Drouyn de Lhuys. ^ 

Ces instructions, infiniment trop vagues et dont il 
convient de tenir compte pour atténuer dans une cer- 
taine mesure la responsabilité de notre représentant 
diplomatique, avaient déjà été communiquées au duc 
de Reggio par M. de Lesseps; elles ne calmèrent pas 
le général en chef qui renouvela ses énergiques pro- 
testations. Le ministre dut alors se retirer, mais 
auparavant il s'approcha d'une table, rédigea une 
note*, signa le traité, plaça à côté un nouvel exemplaire 

* « Dans le cas où vous jugeriez devoir prendre par surprise 
ou autrement des positions dans l'intérieur de la ville de 



— igo — 

de la déclaration déjà remise dans la matinée du 
3o et dans l'après-midi du même jour, et sortit'... 

Le général en chef se recueillit et, après en avoir 
mûrement pesé les termes, écrivit à M. de Lesseps la 
lettre toute vibrante dont voici le texte : 

Lettre du Général Oudinot à M. de Lesseps 

a Au quartier général, 3i mai. 

« Monsieur le Ministre plénipotentiaire, 

« Vous avez, depuis le 17 de ce mois, paralysé tous 
les mouvements du corps expéditionnaire sous mes 
ordres. 

« Vous m'aviez demandé avec instance que,la trêve 
promise verbalement par vous aux troupes romaines 
fiït prolongée jusqu'à ce que le ministère pût faire 
connaître sa réponse aux dépêches dont M. de La 
Tour d'Auvergne était porteur. Bien que ce retard fût 
dans ma conviction très préjudiciable aux opérations 
militaires, j'ai souscrit à votre désir afin d'éviter 
jusqu'aux apparences d'un dissentiment entre nous. 
Depuis ce temps, les troupes romaines ont pu se 
porter partout où elles ont cru qu'il était de leur inté- 
rêt de le faire. 

« J'ai au contraire renfermé mes opérations dans la 
partie du territoire qui avait Gîvita-Vecchia pour base. 
Vous avez proposé, le 29 de ce mois, aux autorités 
romaines un ultimatum dont j'ai accepté les termes, 
bien que certaines conditions, qui y sont stipulées, 
fussent loin de me donner une entière satisfaction. 

« Dans la journée môme, vous m'avez écrit de 
Rome que cet ultimatum allait, selon toute probabi- 

Rome ou môme dans le voisinage de son enceinte sans voas 
ôlre préalablement concerté avec moi, je crois devoir meUre 
sous votre seule responsabilité, etc. x> 

• Communication de M. le général Espivent de la Ville- 
boisnet. 



— 191 — 

lité, être accepté le soir; et, contrairement à toute 
prévision, vous me déclarez que vous avez signé 
avec la République romaine des conventions aux- 
quelles vous espérez que j'apposerai ma signature. 

« Ces conventions sont en opposition formelle avec 
les instructionsque j'ai reçues; je les crois contraires 
aux volontés de mon gouvernement; non seulement 
je ne leur donnerai pas mon assentiment, mais je les 
considère comme non avenues, et je suis forcé de le 
déclarer aux autorités romaines. Quand le ministère 
aura fait connaître, à la suite de la mission de M. de 
La Tour d'Auvergne, ses intentions, je m'y confor- 
merai scrupuleusement. 

« En attendant, j'ai le regret d'être dans l'impossibi- 
lité de concerter désormais mon action politique avec 
la vôtre. 

« Le Général commandant en chej le 
corps expéditionnaire j 

« OUDINOT DE ReGGIO*. )i 



Aux premières lueurs du jour, le ministre fit atteler 
sa voiture et repartit pour Rome. Il reprenait donc 
plein de tristesse le chemin de la Cité des Papes où 
il avait rêvé d'apporter la paix. M. de Lesseps sortait 
de ce camp français, encore plongé dans le sommeil, 
sous la protection des avant-postes, et qu'allait réveil- 
ler dans quelques heures, comme une fanfare d'assaut, 
le bruit de la reprise immédiate des hostilités. 

Certes, « l'envoyé de Paris », comme l'appelaient 
nos soldats dans leur caustique et rude langage, avait 
agi sous l'inspiration de sentiments respectables, 
mais il avait subi et subissait encore, avec une entière 
bonne foi, des influences néfastes. Désappointé quant 

' Copie. {Papiers du général de Tinan.) 



— 19.2 — 

aux résultais, il persévérait dans ses appréciations et 
dans ses illusions. 

Peu d'instants après son arrivée à Tambassade de 
France, M. de Lesseps reçut la lettre du général 
Oudinot^ La même estafette remettait au palais des 
triumvirs une seconde lettre plus laconique encore 
et non moins énergique : 

« Messieurs, 

« J'ai eu riionneur de vous faire savoir ce matin 
que j'accepterai pour mon compte Tultimatum qui 
vous a été transmis le 29 de ce mois par M. de 
Lesseps. 

« A mon grand étonnement, M. de Lesseps m'ap- 
porte, à son retour de Rome, une sorte de convention 
en opposition complète avec l'esprit et les bases de 
rullimatum. Je suis convaincu qu'en la signant. 
M. de Lesseps a dépassé ses pouvoirs. Les instruc- 
tions que j'ai reçues de mon gouvernement m'inlcr- 
disent formellement de m'associcr à ce dernier acte. 

« Je le regarde comme non avenu et il est de mon 
devoir de vous le déclarer sans relard. 

« Le Général commandant en chef le 
corps expéditionnaire, 

« OlTDINOT DE ReGGIO'. » 

* M. de Lesseps écrivait dans la journée : <c Monsiear le 
général en chef, vos deux lettres du 3i, dont j'expédie des 
copies au gouvernement, uie sont parvenues, Tune hier à 
7 heures du soir, la seconde ce matin à 6 heures. » 

La première était adressée avant que le général Oudinot 
connût le traité voté par la Constituante. Nous en avons 
donné le résumé, c'était un dernier appel à Ténergie de M. de 
Lesseps; la seconde était la lettre de rupture donnée plus 
haut in extenso, 

2 « La dépêche du général Oudinot contenant le refus 
d'adhérer à la convention et allirmant sa conviction que 
M. de Lessej)s, en la signant, avait dépassé ses pouvoir^J 
nous arriva, je crois, [>endant la nuit. » Mazzini à M. de 
Gérando, i5 juin. {Papiers du général de Tinan.) 



- 193- 

Malgré sa déception, dominant sa fureur, Mazzini, 
toujours fertile en expédients, répond aussitôt au duc 
de Reggio ce que c'était avec un sentiment d'étonné- 
ment et de douleur que le triumvirat voyait ces diffé- 
rends entre le général en chef et le représentant de 
la France et que ces différends étaient d'autant plus 
étranges qu'il regardait cette convention comme une 
chose entièrement conforme au vœu de l'Assemblée 
française et aux sympathies exprimées récemment 
encore par la nation ». Les triumvirs déclaraient en 
outre qu'ils ne seraient pas responsables des consé- 
quences qui résulteraient de la décision que croyait 
devoir prendre le général en chef de l'armée fran- 
çaise. 

Après avoir pris communication de leur réponse au 
duc de Reggio, M. de Lesseps, avant la fin de cette 
journée du i*'' juin, adressait aux triumvirs une 
déclaration ainsi conçue : «Je maintiens l'arrangement 
signé hier. Je pars pour Paris pour le faire ratifier. 
Cet arrangement a été conclu en vertu de mes ins- 
tructions qui m'autorisaient à me consacrer exclusi- 
vement aux négociations et aux rapports à établir 
avec les autorités et les populations romaines ^ » 

Le ministre de France allait en effet quitter Rome 
pour faire trancher le conflit à Paris par le gouver- 
nement. Avant son départ, il écrivit au général Oudi- 
not une longue lettre qui est un véritable mémoire*. 
Elle débutait par une véhémente protestation : 

« J'ai suivi avec dévouement et abnégation person- 
nelle les directions du gouvernement de la Répu- 

^ Mazzini à M. de Gérando, Rome, i5 juin. {Papiers du 
général de Tinan.) 

^Nous en avons donné, dans les notes des pages précé- 
dentes, les principaux fragments. II nous semble inutile de 
reproduire aans son entier ce document qui a cinq ou six 
pages format iaSP. 

i3 



— 194 — 

blique. Le jour ou vous m'avez fait, en présence de 
témoins, les scènes les plus scandaleuses, que mon 
sang-froid seul et ma détermination ont empêché de 
convertir en luttes violentes, le jour où, me mettant 
complètement à l'écart, vous avez répondu à ma 
confiance en ordonnant secrètement à tous vos chefs 
de corps de commencer les hostilités à l'improviste et 
dans l'ombre de la nuit, ce jour-là mon parti à été 
pris irrévocablement *. » 

M. de Lesseps rappelait ensuite la déclaration qu il 
avait formulée par écrit à trois reprises, afin de laisser 
au duc de Reggio toute la responsabilité d'une occu- 
pation par surprise d'un point quelconque de l'en- 
ceinte de Rome ou de ses positions avancées. Il fai- 
sait ensuite allusion à la séance orageuse du conseil 
de guerre, le 3o mai, et déclarait que sans son retour 
à Rome l'occupation de Monte-Mario aurait provoqué 
des désordres épouvantables, et fait attaquer nos 
troupes par une population fanatisée. Quant au 
dernier projet adopté par l'Assemblée, il s'en recon- 
naissait absolument l'auteur et estimait que ce pro- 
jet était « entièrement conforme aux directions 
qu'il avait reçues du gouvernement de la Répu- 
blique». Il donnait le texte que nous connaissons des 
instructions si peu définies de M. Drouyn de Lhuys* 

La fin de cette lettre nous parait devoir être citée 
in extenso : 

(f Quant à votre déclaration, Monsieur le général 
en chef, de considérer comme non avenu l'arrange* 
ment qui a été régulièrement signé hier entre le 
pouvoir exécutif romain et moi, c'est à notre gouver- 
nement à prononcer et, suivant l'usage, vous ne 

* Nous rappelons que la copie de cette lettre se trouve ùi 
extenso dans les Papiers du général de Tinan, ancien chef 
d'ctat-major, dont nous avons eu communication. 



— i9î> — 

poarrez l'enfreindre sur aucun point avant la ratifi- 
cation ou la non-ratification. 

« Lorsque vous jugerez à propos, en vertu de 
l'article 2, de désigner avant la saison des fièvres des 
cantonnements plus salubres que ceux occupés 
aujourd'hui par l'armée française, veuillez m'en 
informer, afin que ces cantonnements puissent être 
pris sans difficultés et, s'il le faut, avec l'aide des 
populations *. 

a Je rends justice, Monsieur le général en chef, 
au fils d'un illustre maréchal. On a exploité votre 
ardeur militaire, vous vous êtes rendu, sans le saçoir, 
rinstrument d'une conspiration ourdie par les enne- 
mis de la France. Ma vigilance a su déjouer à temps 
la trame ténébreuse dont j^ connais tous les Jils et 
j'ai pu sauver l'iionneur de l'armée, l'honneur de la 
France ! 

« Vous avez, par votre affaire du 3o avril, ébranlé 
le ministère. En faisant avorter le 3o mai, qui eût été 
un autre 3o avril sur une plus grande échelle, je 
vous ai heureusement empêché d'obéir aveuglément 
à ceux qui par leurs perfides conseils vous avaient 
entraîné une première fois et voulaient aujourd'hui 
perdre la France. 

« Si vous ne me croyez pas assez bon Français, 
vous penserez peut-être que ceux qui m'ont remplacé 
au quartier général le sont plus que moi; entre 
autres, l'agent officiel de la Russie près le Sainl-Sioge, 
le P. Vaure, un général prussien envoyé de Radelzky, 
M. l'abbé de Brimont, etc., etc'. 



* On voit combien M. de Lesseps persistait dans ses illu- 
sions. 

^ M. de Lesseps fait allusion à plusieurs membres du corps 
diplomatique et à des Français résidant à Rome, notam- 
nient à des ecclésiastiques qui, dans leur inquiétude très 
naturelle, venaient chercher des nouvelles au quartier géné- 
ral. 



qai faciliteront l'accoonpliasement de ma mission. 
Toutefois, Monsieur le ministre, les conditions nou- 
velles qui viennent de se produire ont une telle gra- 
vité qu'il m'a paru utile de confier au général de 
division Regnaud d'Angély le soin de les faire coo* 
naître au gouvernement dans toute leur réalité. 

« Cet officier général fait partie du corps expédi- 
Uonnaire depuis son entrée en Italie. Il peut être à 
même de vous éclairer sur tous les événements aux- 
quels il a été directement associé. Certain qae vous 
accorderez à ses paroles toute la confiance qu'elles 
méritent, j'évite d'entrer dans des détails qui seraient 
ici superflus. 

« Veuillez, etc. b 

Dans la matinée du i" juin, alors que M. de 
Lesseps et les triumvirs envoyaient au quartier géné- 
ral leurs propres protestations, le général Regnaud 
d'Angéty, accompagné de son aide de camp le capi- 
taine Durand de Villers, partait pour Civita-Vecchia 
et réquisitionnait un des avisos à vapeur pour le 
transporter d'urgence à Marseille. Au moment où il 
allait s'embarquer, un officier de l'état-major du 
général en chef venait l'informer que sa mission 
n'avait plus d'objet et qu'il était invité à revenir à 
SI. Il quartier général, tout en laissant son aide de 
Ciiiuii poursuivre son voyage jusqu'à Paris. Cet offi- 
ciai' remettrait à destination latettreduduc delt^gio. 
Le capitaine Durand de Yillers dut donc s'embarquer 
sans retard. 

Que s'était-il donc passé? Un événement qui aurait 
dû se produire quarante-huit heures plus tôt et qui 
aurait <'vilé à M. de Lesseps d'amers regrets : le 
gouvernement français s'était résolu à relever de ses 
fondions notre représentant. Cette mesure était-elle 
due â l'influence personnelle du Président, aux confî- 



— 199 — 

dences très loyales de M. de La Tour d'Auvergne, aux 
maladresses de M. Accursi et de ses amis de « la Mon- 
tagne »?... Il est difficile de préciser. Quoi qu'il en 
soit, M. Drouyn de Lhuys, naguère encore plein de 
confiance dans M. de Lesseps, avait envoyé de Paris, 
à sept heures du soir, le a8 mai, la dépêche qui suit : 

Le Ministre des affaires étrangères 
au général Oudinot. 

a Tout retard sera désormais funeste à l'approche 
de la saison des fièvres. La voie des négociations est 
épuisée. La mission de M. de Lesseps est terminée. 
Nous confirmons notre dépêche précédente relative 
au général Vaillant *. Concentrez vos troupes. Entrez 
dans Rome aussitôt que l'attaque vous présentera la 
presque certitude du succès. Si vous manquez de 
moyens d'attaque, faites-le moi savoir immédiatement 

« Drouyn de Lhuys. » 

Sans perdre un instant, le duc de Reggio commu- 
niquait la dépêche aux triumvirs ' et à M. de Gérando, 
chancelier de l'ambassade de France. Pour éviter de 
nouvelles discussions avec M. de Lesseps, tout en 
l'informantd'une décision qui Tintéressait si vivement, 
le général en chef chargeait le colonel de Tinan, son 
chef d'état-major, de prier M. de Gérando de don- 
ner officiellement communication au gouvernement 

* Le texte de cette dépêche ne nous est pas connu. Tout 
fait présumer qu'il était recommandé au général Oudinot 
d*avoîr la plus grande confiance dans la collaboration du 
général Vaillant. 

' c Une seconde dépèche datée du i^' Juin, à 3 heures de 
Taprès-midi, signée par le général, nous déclara de sa part 

3ae révénement avait Juslillé sa détermination et que dans 
eux dépèches émanées du ministre de la guerre et de celui 
des affaires étrangères, sous la date des a8 et 29 mai, le gou- 
vernement français lui déclarait que la mission de M. de 
Lesseps était terminée. Vin^t-quatre heures nous étaient 
accordées pour accepter l'ultimatum du ag mai. (Lettre de 
Mazzini à M. de Gérando. (Papiers du général de Tinan.) 



— aoo — 

romain d'une décision qui rappelait M. de Lesseps et 
replaçait le général commandant le corps expédition- 
naire dans la plénitude des pouvoirs d'un comman- 
dant en chef. 

En outre, le commandant des avant-postes romains 
recevait à une heure de l'après-midi, par écrit do 
quartier général, l'avis « que la trêve consentie ver- 
balement par M. de Lesseps était expirée et que la 
suspension des hostilités cessait complètement * ». 
Le commandant Ferru, du 33<^ de ligne, fut chargé de 
cette communication*. Obéissant ensuite à un senti- 
ment de courtoisie militaire et craignant aussi quel- 
que oubli de la part des triumvirs, le duc de Reggio 
écrivit directement au commandant de l'armée 
romaine, qui était alors le général Roselli : 

« Général, 
« Les ordres de mon gouvernement sont positifs, 
ils me prescrivent d'entrer dans Rome le plus tôt 
possible. J'ai dénoncé aux autorités romaines ^a^ 
mistice verbal que, sur les instances de M. de Les- 
seps» j'avais consenti à accorder momentanément. 
J'ai fait prévenir vos avant-postes que l'une et l'autre 
armée avaient le droit de recommencer les hostilités. 
Seulement, pour donner le temps à ceux de nos 
nationaux qui voudraient quitter Rome et, sur la 
demandé de M. le chancelier de l'ambassade de 
France, la possibilité de le faire avec facilité, je 
diffère l'attaque de la place jusqu'à lundi matin. 

« Recevez, etc.. 

a Le Général en chef, 

a OuDiNOT DB Reggio*. 
« Le I*'' juin, à 5 heures du soir, x) 

* Papiers Tinan. V. aussi ofldcier d*état-iuajor, Précis, 
pièce n°9.^ 

• Historique du 33* de ligne. 

' Oflicier d'état-major. Précis, pièce n** ii. 



J 



— aoi — 

Le général Roselli demanda une prolongation 
d'armistice de quinze jours, prétextant la marche 
probable des Autrichiens sur Rome. Le général 
Oudinot répondit par un relus, rappelant que, sur sa 
demande, les troupes du général Gorzkowslvi s'étaient 
repliées sur Pérouse et ses environs et y avaient pris 
leurs cantonnements. En conséquence les hostilités 
allaient reprendre K 

Pas un soldat ne l'ignorait maintenant dans les 
camps français. La dépêche du ministre des affaires 
étrangères et une autre dépêche du ministre de la 
guerre qui la confirmait avaient été mises à Tordre du 
corps expéditionnaire '• Dans la soirée du i®»" juin, le 
front de bandière fut spontanément illuminé à la 
villa Santucci et à la Maglianella; la retraite fut jouée 
en fanfare et les soldats la suivaient en chantant^. 
Sur leurs lits d'ambulance, les fiévreux, peu nombreux 
d'ailleurs, se déclaraient guéris et demandaient à 
rentrer dans le rang. Les troupes du général Oudinot 
n'avaient pas besoin de violons, comme celles du 
maréchal de Richelieu, pour monter gaiement à 
l'assaut. 

* Le général en chef en avait informé de nouveau M. de 
Gérando, le chargeant de prévenir les personnes qui dési- 
raient abandonner la ville qu*un refuge sûr leur serait ouvert 
au monastère de Saint-Paul. (Balleyoier, La Révolution à 
Rome, t. II. p. i35.) Nous rappelons que ce monastère était 
attenant à la basilique, à q kilomètres de Rome. Deux com- 
pa^ies de chasseurs à pied roccupèrent et, par le bac à 
traille il était facile de passer sur la rive droite du Tibre. 



* Officier d'état-maior, Précis, p. n** 55. 
' « La mise à Tordi 



[re de cette dépêche excita parmi les 
troui>es les plus vifs transports. » (Officier d'état-major, 
Précis, p. 55.) 



CHAPITRE X 



INSTRUCTIONS GOUVERNEMENTALES TROP TARDIVES. 

PREPARATIFS d'aTTAQUE. 



Dans la journée du a juin, M. de Lesseps quittait 
Rome, s'abstenant d'ailleurs de toute récriniination. 
Il avait reçu par le télégraphe « l'avis que sa mission 
était terminée et l'invitation de se rendre en France ». 
Son départ se fit discrètement; il gagna Civita* 
Vecchia en chaise de poste et réquisitionna un bâti- 
ment à vapeur pour rentrer en France, usant ainsi 
pour la dernière fois des prérogatives de ses fonctions 
diplomatiques. Avant de quitter la Ville éternelle, 
notre ancien plénipotentiaire aurait pu voir afficher 
la proclamation des triumvirs : 

« Citoyens, 
c< Non seulement le général Oudinot a refusé son 
adhésion à la convention faite entre nous et l'envoyé 
extraordinaire de France, mais il nous a dénoncé la 
rupture de l'armistice et déclaré son armée libre de 
nous attaquer. Quoi qu'il arrive, les Romains feront 
leur devoir et nous le nôtre. Déjà Dieu et le peuple 
nous ont donné la victoire dans une première lutte 



— ao3 — 

avec rhomme qui nous menace. Dieu et le peuple 
nous la donneront encore. 

« C. Armellini, g. Mazzini, A. Saffi *. » 

Le ministère, qui avait si peu et si mal inspiré 
M. de Lesseps, ne se contentait pas de le révoquer, il 
le désavouait absolument. 

Une longue lettre de M. Drouyn de Lhuys, 
adressée au général Oudinot, était partie de Paris le 
39 mai, quelques heures après le télégramme. C'était 
à la fois sous la forme d'un mémorandum, un plai- 
doyer du ministère pour s'excuser lui-même et un 
blanc-seing accordé au duc de Reggio pour commen- 
cer quand et comment il lui plairait les opérations 
qui avaient pour but l'occupation de Rome. Si l'on 
se rappelle que le général Vaillant était le détenteur 
d'une lettre de service pour réclamer le commande- 
ment en chef, dans le cas oii il croirait devoir le faire, 
on ne peut s'empêcher de considérer la situation 
comme singulièrement compliquée. L'accord des 
généraux Oudinot et Vaillant, la discipline de leurs 
subordonnés à tous les degrés devaient cependant 
triompher des difficultés accumulées par une poli- 
tique soumise à toutes les fluctuations parlementaires. 

Nous croyons, malgré son étendue, devoir citer 
presque entièrement le texte des nouvelles instructions 
adressées au général Oudinot : 

Après avoir rappelé dans quelles conditions la 
révolution avait renversé l'autorité du Saint-Père et 
constatéque la France, en intervenant, poursuivaitun 
double but : rétablir l'autorité régulière et obtenir des 
garanties efficaces en faveur des intérêts réels des popu- 
lations, le ministre des affaires étrangères déclarait 

* Balletdier, La Révolution à Rome, t. II, p. i35. 



— ao4 — 

que les intentions du gouvernement français avaient 
été méconnues et que le 3o avril les soldats français 
étaient tombés dans un guet-apens» qui avait coûté la 
vie à un certain nombre d'entre eux. Du côté de 
Rome on allégua un regrettable malentendu. 

« On se montrait disposé à négocier. Nous avons 
encore consenti à entrer dans cette voie. M. de 
Lesseps s'est rendu à Rome. Vous savez à quel point 
il a poussé Fesprit de condescendance. Des proposi- 
tions, telles que le gouvernement de la République 
n'aurait pu les sanctionner, parce qu'elles ne tenaient 
pas suffisamment compte de r autorité du Saint-Siège 
constamment reconnue par nous, et des nécessités de 
la politique générale, ont été présentées au triumvirat 
et à l'Assemblée investie à Rome de l'exercice du 
pouvoir. On devait croire qu'elles seraient acceptées. 
Cependant, après avoir feint de les prendre en 
sérieuse considération, on les a rejetées par un vote 
qui dit assez quel accueil eût rencontré un projet 
d'accommodement établi sur des bases vraiment pra- 
tiques. On a joint, il est vrai, à ce refus la proposi* 
tion dérisoire de poursuivre la négociation ; mais de 
tout ce qui s'est passé, il ressort bien évidemment que 
le seul but qu*on ait eu en vue, c'est de gagner du 
temps, de fatiguer notre patience, d'affaiblir, s'il est 
possible, la force morale de notre armée, en travail- 
lant par des provocations, heureusement aussi impuis- 
santes que multipliées, à égarer son patriotisme et 
son amour de la liberté, enfin d'atteindre ainsi la 
saison déjà prochaine où nos soldats ne pourraient 
plus, sans danger pour leur santé, continuer à camper 
sur la portion du territoire romain qu'ils occupent 
depuis un mois. 

a Le gouvernement de la République manquerait 
à tous ses devoirs si, en se prêtant à de nouvelles 
temporisations, il favorisait le succès de ces ma* 



— 205 — 

nœuvres machiavéliques. Nous avons épuisé les 
moyens de conciliation, le moment est venu où, de 
toute nécessité, il faut agir avec vigueur ou renoncer 
à une entreprise pour laquelle a coulé le sang de la 
France, à une entreprise où, par conséquent, notre 
honneur est engagé, aussi bien que nos plus grands 
intérêts de politique extérieure. 

€c Dans une telle alternative, l'hésitation ne nous 
est pas possible et il importe donc, général, que sans 
perdre un instant, vous vous dirigiez sur Rome avec 
les forces imposantes en ce moment réunies sous 
votre commandement et que vous y preniez position 
en dépit de toutes les résistances. Telle est la volonté 
du gouvernement de la République dont j'ai été 
chargé de vous transmettre l'expression. 

« Je n'ai pas besoin de vous dire qu'aujourd'hui, pas 
plus qu'au moment de votre départ pour l'Italie, ce 
n'est pas le despotisme que nous voulons apporter 
à Rome. Des institutions sérieuses fondées sur le 
principe de la sécularisation des fonctions adminis- 
tratives, sur la discussion libre des intérêts publics 
par les hommes les plus compétents sont, nous en 
avons la certitude, dans les intentions du Saint-Père, 
et c'est pour cela que nous appelons de tous nos 
vœux un arrangement qui lui permette de reprendre 
l'exercice de son autorité, 

«J'envoie par le télégraphe à M. de Lesseps l'avis que 
sa mission est terminée et l'invitation de se rendre en 
France. C'est désormais avec MM. d'Harcourt et de 
Rayneval que vous aurez à vous concerter pour tout ce 
qui se rapporte à l'objet politique de votre mission. 

«( Agréez, etc.. 

« Le Ministre des affaires étrangères y 
« Drouyn de Lhuys *. » 

* L. DE Gaillarb, Pièces Justificatives, p. 4^a-4^4* 



j 



— 2o6 — 

A son arrivée à Paris, M. de Lesseps était déféré 
au Conseil d'Etat. Ce tribunal politique, après avoir 
entendu sa défense, lui infligeait un blâme sévère qui 
lui fermait à l'avenir la carrière diplomatique '. L*an 
cien ministre de France à Madrid et à Rome devint 
un perceur d'isthmes, il entreprit Suez et malheureu- 
sement aussi Panama... 

La période purement militaire va commencer, 
toutes les opérations en seront menées avec une 

* Le Conseil d'Etat ne rendit sa décision qu'au mois d'août, 
c'est-à-dire plus d'un mois après la prise oe Rome ; cet avis 
est rédigé sous forme d'un rapport au Président de la Répu- 
blique. Relativement à la mission à Rome, le Conseil d^Eltat 
constatait deux faits principaux : le premier était ropposi- 
tion absolue entre les mstructions de M. de Lesseps et 1 appli- 
cation qu'il en avait faite : i*^ en se prêtant à des actes qui 
donnèrent aux autorités romaines la force morale qu'il lai 
était interdit de leur accorder ; oP en se mettant en désaccord 
formel avec MM. d'Harcourt et de Ra^neval sur les questions 
fondamentales, alors qu'il devait se concerter avec eux ; 
en prenant sur lui de résoudre la question tout entière tandis 
qu'il n'était autorise à conclure seulement des arrangements 
partiels. Le second fait principal était la signature d'une 
convention dont les stipulations étaient contraires aux intérêts 
de la France et à sa dignité. 

Après renoncé de ces griefs, nous relevons dans le Moniteur 
les conclusions : 

« Le Conseil d'Etat reconnaît qne M. de Lesseps peut invo- 
quer, pour atténuer ses torts, la difficulté des circonstances, 
la gravité des questions à résoudre, le dévouement qui lai a 
fait accepter une mission à laquelle il n'était point préparé 
et dont il n*avait pas le loisir d'approfondir toutes les com- 
plications, enfin sa bonne foi qu'aucun élément de raffaire 
n'a donné lieu de révoquer en doute. 

« Mais en faisant cette part aux considérations person- 
nelles, le Conseil d'Etat manquerait à sa mission si, au nom 
des règles de gouvernement dont il est le dépositaire et le 
gardien, il ne proclamait pas hautement le devoir étroit qui 
pèse sur tous les serviteurs de l'Etat de se renfermer dans 
les pouvoirs dont ils sont investis, d'obéir scrupuleusement 
aux instructions qu'ils reçoivent et la sérieuse responsabilité 
qu'encourent ceux qui, représentant la France à l'étranger, 
osent engager sa parole contre sa volonté connue dans des 
arrangements qui peuvent compromettre son honneur et la 
paix au monde. 

« Vivien, rapporteur, 
« H. Boula. Y, de la Meurtrie, président. » 

{Moniteur du aa août 18^9.) 



— 207 — 

énergique ténacité en même temps qu'avec le soin 
absolu de respecter les merveilles artistiques de 
Rome. Déjà» à l'issue de la réunion orageuse du 
3o mais le général Vaillant avait déclaré que l'attaque 
devait être dirigée sur le front qui occupait la partie 
la plus avancée du Janicule, à Test de l'église de San- 
Pancrazio ^ Le a juin une autre réunion eut lieu au 
quartier général: le duc de Reggio, les généraux 
Regnaud de Saint-Jean d'Angély, Rostolan, Gueswil- 
1er et Thiry écoutèrent le général commandant le 
génie qui leur fit un nouvel exposé de son système 
d'attaque. La veille il avait fait exécuter une recon- 
naissance sur le Monte-Mario» aussi insista-t-il pour 
que l'on se rendit maître de Ponte-Molle, ce qui 
empêcherait l'ennemi de faire sauter le pont. L'avis 
du général Vaillant rallia tous les suffrages^. 

Le duc de Reggio résolut de ne pas différer l'occu- 
pation de la villa Pamphili, qui avait une importance 
stratégique de toute évidence. Pour donner le changea 
Tennemi, il fit exécuter parla cavalerie de fréquentes 
reconnaissances sur la rive gauche du Tibre ^. 

Dans la soirée, l'ordre suivant fut communiqué 
aux généraux de la i^^ et de la a® division, qui prirent 
leurs dispositions en conséquence : 



Ordre général 

« Deux colonnes mobiles prendront demain posses- 
sion de la villa Pamphiii. L'attaque commencera à 

' Général Vaillant au ministère de la guerre, villa Santncci, 
^7 mai. {Journal des opérations de l'artillerie et du génie, 

p. i83.) 

' Ce front devait être appelé le front 6-7, en raison de sa 
cote sur le plan dressé par le général Vaillant. 

^ Général Vaillant au ministre de la guerre, villa Santucci, 
2 jVLÏn. (Journal des opérations de Tartillerie etdu génie, p. i83.) 

* Oflicier d'état-major, Précis, p. 67. 



— 208 — 

trois heures du matin y les dispositions suivantes sont 
arrêtées : 

a Une colonne aux ordres du général de brigade 
MoUière sera chargée d'aborder la position par le 
mur d'enceinte qui longe au sud la via Nocetta. 

a Cette colonne se composera de quatre compa* 
gnies de chasseurs à pied, deux bataillons du 33* de 
ligne, une section d'artillerie composée expressément 
d'un canon et d'un obusier, chaque pièce avec un 
seul caisson ; une compagnie de sapeurs du génie, 
cinquante chasseurs à cheval. 

a Le général Gueswiller organisera une seconde 
colonne d'attaque, qui, sous les ordres directs du 
général Levaillant (Jean), sera destinée à faire une 
diversion sur l'enceinte de la villa côté ouest. 

a Le départ de cette colonne du camp Maifei sera 
combiné en raison de la distance de manière i être 
en mesure d'apporter son concours à l'attaque de 
droite à trois heures précises. Cette colonne sera com- 
posée de deux bataillons^ une section d'artillerie com- 
prenant un canon et un obusier, chaque pièce avec 
un seul caisson. 

a Le général de division Regnaud prendra le com- 
mandement des deux brigades dès qu'elles pourront 
agir simultanément. 

« Demain à trois heures, leao« de ligne occupera les 
positions qui sont aujourd'hui celles du 33^', à San- 
Carlo, Bruggiano et sur ia via Portuense. 

a Les troupes de la a<^ division prendront les armes 
à 3 heures du matin. 

« La 1^^ brigade se portera sur la ligne, à la hauteur 
de ses avant<>postes, se tenant prête à appuyer le 
mouvement offensif; la a« brigade viendra se masser 
aux environs du quartier général et formera la 
réserve. Les troupes de la 3^ division prendront 
également les armes à trois heures dû matin. 



— ao9 — 

« Le régiment de chasseurs aura ses chevaux sellés 
et bridés; les pièces et caissons d'artillerie seront 
attelés. 

€K Les deux colonnes du général MoUière et du 
général Levaillant (Jean) seront pourvues de vivres 
pour les journées des 3 et 4 juin. 

a Elles auront leur havresac, mais laisseront au 
camp leurs tentes-abri et leurs couvertures. 

« Tous les mouvements et prises d'armes seront 
exécutés sans batteries, avec calme et dans le plus 
grand silence. 

4c Au grand quartier géaéral, villa Santucci, le a juin 1849. 

« Le Général commandant en che/j 

« OUDINOT DE REGGIO^ » 

Les historiens partisans de la révolution romaine 
ont reproché au général Oudinot d'avoir attaqué la 
villa Pamphili avant le lundi 4 juin, contrairement à 
la promesse qu'il avait faite dans sa communication 
écrite du i*"* juin au général romain Roselli *. 

Dans cette lettre le duc de Reggio déclare que 
pour donner le temps à nos nationaux de quitter 
Rome, il différera jusqu'au lundi matin 4juin l'attaque 
de la place. Or la villa Pamphili est située à un kilo- 
mètre des fortifications, c'était une posizione romana 
comme d'autres villas du voisinage, occupées elles 
aussi par les troupes romaines (les villas Corsini ou 

> Journal des opérations de Tartillerie et du génie, pièce 
n^ i3. 

* Toutes ces accusations ont été reproduites dans Touvrajce 
récent que nous avons consulté avec intérêt, bien au*il soit 
passionnément hostile à Tintervention française : Giuseppe 
Garibaldi e la sua legione, nello stato Romano {iS^S-iSqg)^ 
par M. Ermano Lœvinson (Rome, Société éditrice Dante 
Alighieri, 1902). L'auteur s'élève fréquemment contre ce qu'il 
appelle la slealta (déloyauté) de « TOudinot ». (Cf. p. 2(â et 
suiv.) Nous croyons avoir réfuté le reproche adressé au com- 
mandant en chef de l'armée française. 

14 



— aïo — 

• 
casino des Quatre- Vents, Valentini et même la villa 

Giraud ou Yascello). Toutes ces habitations particu- 
lières, que ne protégeait d'ailleurs aucun ouvrage de 
défense, étaient en dehors de l'enceinte et dès lors 
ne pouvaient profiter du délai accordé par le duc de 
Reggio pour l'attaque de la place elle-même ^ C'était 
précisément pour commencer dès le 5 juin l'investis- 
sement de la place et les premiers travaux de tranchée 
qu'il fallait occuper les positions extérieures. Il n'y 
eut donc aucune mauvaise foi de la part de l'armée 
française qui agissait dans la plénitude de son droit 
et la surprise du 3 juin a été uniquement une surprise 
militaire à laquelle les Romains ont tenté vaillamment 
de s'opposer pendant quinze heures, comme nous 
allons le voir. Leurs meilleures troupes devaient y 
lutter intrépidement. 

* Cette question semble si peu discutable au point de vue 
militaire que, dans nos règlements, — et on peut a jouter dans 
tous les règlements des armées européennes sur le service 
des places, — a la dénomination de place de guerre s'applique 
aux villes fortifiées par une simple enceinte ou par une enceinte 
avec forts détachés ou par un ensemble de forts détachés ». 
Or U ne s'agissait pas de forts mais de simples villas... 



CHAPITRE XI 



PBEMIBR GOBCBAT DU 3 JUIN : LA PRISE DES VILLAS. 



Conformément aux ordres du général en chef, et 
sous la seule modification d'une avance d'une heure S 
deux colonnes étaient formées dans la nuit. L'une 
prenait silencieusement les armes au camp de la villa 
San-Carlo ', sous le commandement du général Mol- 
lière. Elle était composée de quatre compagnies de 
chasseurs à pied (chef de bataillon de Marolles), de 
deux bataillons du SS^» de ligne (colonel Bouat), d'une 
section d'artillerie et d'une compagnie de sapeurs du 
génie. Le chef de bataillon Frossard, de Tétat-major 
du génie, était chargé du commandement de l'avant- 
garde, formée de la compagnie du génie et d'une 
compagnie de chasseurs à pied ^. 

L'autre colonne, sous les ordres du général Levail- 

* Le général Vaillant, dans le Journal des opérations du 
génie, eut qn'à deux heures et demie du matin la compagnie de 
sapeurs de la brigade Mollière commença le travail de brèche 
de la villa Pamphili; V Historique du 33^ de ligpie donne 
deux heures da matin comme heure du départ. 

< Général Oudinot au ministre de la guerre. Villa San- 
Carlo, 3 Juin 1849. 

' Cet officier supérieur avait exécuté Tavant-veille une 
rainotieuse reconnaissance de la villa Pamphili et déterminé 
le point de brèche. 



— 212 — 

lant (Jean), était réunie au camp de la casa MaiTei, 
à peu de distance du quartier général ; elle compre- 
nait deux bataillons du i6^ léger (colonel Marchesan) 
et une section d^artillerie. 

Les généraux MoUière et Levaillant avaient donc 
chacun leur mission ; le premier devait pénétrer, par 
le mûr d'enceinte côté sud, dans les jardins de la 
villa Pamphili; le second de ces officiers généraux 
devait faire une diversion du côté ouest de la 
villa. 

Le général en chef n'avait prévu dans ses disposi- 
tions que l'attaque de la villa Pamphili. Cette superbe 
habitation occupait le centre d'un mamelon qui se 
reliait à Test au mur d'enceinte de Rome. La villa se 
dressait au milieu de jardins, de prairies, de bos- 
quets de pins, entourée d'une ceinture de murs hauts 
de trois mètres, et épais d'environ cinquante centi- 
mètres. L'ennemi y avait envoyé un bataillon de 
chasseurs lombards commandés par Pietramellara *. 
Celui-ci avait fait barricader les issues du côté du sud, 
de l'ouest et du nord, mais il avait eu le tort de ne 
faire construire ni banquettes, ni tranchées, ni para- 
pets -. 

L'occupation de la villa Pamphili permettait dYta- 
blir les premières parallèlles sur le Monte- Verde, do 
se relier au Monte-Mario, et enfin de surveiller la 
route de Civita-Vecchia. 

Il était en outre à présumer qu'il faudrait s'em- 
parer de l'église et du couvent de San-Pancrazio, à 
peu de distance de l'enceinte et peut-être aussi de 
plusieurs autres villas voisines de la villa Pamphili 
et encore plus près de la place « parce qu'elles parais* 
saient découvrir et dominer complètement la route 

* On Ta appelé souvent par abréviation Mellara, ce qui Ta 
fait confondre avec le commandant Manara. 

* Capitaine Vertuay, Album. 



— 2l3 — 

qui aboutit à l'entrée de la villa' », c'est-à-dire à la 
porte San-Pancrazio. 

L'opération était donc importante. Pour lui donner 
toutes chances de réussite, des troupes de réserve 
avaient été désignées et en réalité le corps expédi- 
tionnaire tout entier prenait les armes une heure 
après le départ des deux colonnes placées sous le 
commandement supérieur du général de division 
Regnaud d'Angély, qui garda avec lui la section 
d'artillerie de la colonne Levaillant, pour donner plus 
de mobilité à cette colonne. L'escadron de cavalerie 
resta avec le général de division et les deux pièces 
d'artillerie. 

La colonne Levaillant part la première; son avant- 
garde est formée de la compagnie de voltigeurs du 
i«^ bataillon du i6« léger et dirigée par le capitaine 
d'état-major Osmont. Les deux bataillons du i6« lé- 
ger qui viennent ensuite ont à leur tête le général 
Levaillant (Jean) qui, comme son frère, a pris part 
aux dernières campagnes de l'empire, et le colonel 
Marchesan, vigoureux officier d'Afrique. 

Dans une obscurité complète, la colonne gagne par 
la gauche le chemin bordé de maisons et de murs 
qui conduit par la droite à la porte San-Pancrazio '. 
Les hommes observent les précautions qui leur ont 
été recommandées : ils gardent le silence et tiennent 
dans la main gauche les fourreaux de baïonnette ou 
de sabre. C'est ainsi qu'ils se glissent^ aussi silencieu- 
sement que possible dans une longue allée qui aboutit 

* Observation da général Vaillant. {Journal des opérations 
de Tartillerie et du génie. ^ 

^ Historique du 91^ de ligne (ancien 16^ léger). 

^ Nous rappelons que seuls, dans les compagnies d'élite, 
les soldats étaient armés du petit sabre droit; oans les com- 
pagnies du centre, ils n'avaient que la baïonnette. En outre, le 
quart, verre ou tasse du troupier, toujours incassable, n'était 
pas en usage et c'est actuellement la partie du fourniment 
qui fait le plus de bruit en marche. 



— 2l4 — 

à gauche à une petite chapelle peu éloignée de la 
villa et qui porte le nom de capelleta Pamphili. II 
s'agit d'en faire le tour sans bruit et de se reporter 
ensuite au nord-est, c'est-à-dire en avant et à droite. 
Mais la capelleta est occupée par une compagnie de 
bersaglieri (tirailleurs) de Pietramellara. La veille, 
dans la soirée, Roselli et Avezzana ont visité la ligne 
de leurs avant-postes et bien qu'ils aient déclaré an 
capitaine qui les commande que les Français n'atta- 
queront pas avant le 4 juin, interprétation très erro- 
née de la lettre du général Oudinot, l'officier romain 
n'en fait pas moins bonne garde. 

Le petit édifice est protégé au sud et à l'est par une 
barricade en ligne brisée. Les sentinelles entendent 
un bruit anormal; c'est une troupe en marche... 
Elles donnent l'alarme et quand le premier bataillon 
du i6« léger arrive devant la capelleta, un fea de 
mousqueterie part de la barricade, des fenêtres de la 
chapelle et des terrasses ^ 

La colonne, gardant sa formation de marche, accé- 
lère le pas •. Le feu de l'ennemi précipité et mal dirigé 
porte trop haut et blesse seulement quelques hommes. 
L'avant-garde et le le*" bataillon débouchent de l'ave- 
nue, font brusquement par le flanc droit, et sans tirer 
un coup de fusil, sans même essayer de se déployer, se 
précipitent sur la barricade'. L'ennemi terrifié évacne 
la barricade, puis, bientôt après, les terrasses et la 
capelleta, il se rejette dans les jardins et se réfugie aa 
milieu des troupes de la villa Pamphili qui ont été 
averties par les coups de fusil. 

^ Historique dn 91" de ligne (ancien 16 léger). D'après an 
ofBcier romain fait prisonnier un pen plus tard dans celle 
journée (le capitaine Ludovic Pietramellara), les premiers 
coups de fusil nirent tirés vers 3 heures dn matin. (Ermaiio 
Lœvinson, p. a 16.) 

^Ibid. 

3 Historique du 91* (ancien i6* léger). 

Capitaine Vbrtray, Album, 



, — aiD — 

Afin de continuer sur la villa le mouvement pres- 
crit, le général Levaillant ordonne de reprendre la 
marche en avant. Le second bataillon s'était laissé 
distancer dans l'obscurité. Désireux de n'apporter 
aucun retard à la diversion qu'il doit opérer, le géné- 
ral ne l'attend pas et poursuit sa route avec le 
i^'' bataillon. Il faut s'engager dans un sentier fort 
étroit. Quelques bersaglieri étaient revenus autour 
de la capelleta, les balles continuaient à siffler, mais 
cette fusillade ne fut pas meurtrière ^ 

Les huit premières compagnies du i6« léger pren- 
nent le pas de course, cherchant une issue à droite ou 
à gauche; elles arrivent brusquement devant la grille 
de la villa Pamphili *. Les voltigeurs, qui courent en 
avant, se ruent sur cette grille... elle est restée 
ouverte par mégarde, heureuse coïncidence! Le parc 
s'étend immense, mystérieux, avec ses pins gigantes- 
ques; on aperçoit dans la clarté douteuse du petit 
jour des statues, des vasques de marbre, des bos- 
quets, des escaliers. Une masse blanche se dresse en 
amphithéâtre : c'est la villa. On entend un bruit 
d'armes et de pas, l'ennemi se retire. 

Le général Levaillant lance dans le parc la compa- 
gnie de voltigeurs renforcée d'une compagnie du 
centre. Cette troupe devra d'abord fouiller le parc'; 
elle abordera ensuite la villa pour couper la retraite 
à l'ennemi , le général fera le tour du parc et surpren- 
dra les Romains de l'autre côté, au nord-est. 

Dans un nouvel élan, les six compagnies qui res- 
tent reprennent leur course, elles appuient sur la 
droite, entendent des appels de clairon, des roule- 
ments de tambour du côté du nord, elles se portent 
dans cette direction et s'avancent jusqu'à une villa 

* « Gr&ce à la nuit. » Historique du qi^ (ancien i6* léger). 
» Ibid. 
» Ibid. 



— 2l6 — 

en construction moins importante que la villa Pam- 
phili. Cette habitation était entourée d'un jardin. Des 
tirailleurs ennemis garnissaient la crête du mur, 
d*autres apparaissaient aux fenêtres. On reconnut la 
villa Valentîni*. 

Au moment où le général Levaillant hésitait à con- 
tinuer son mouvement en avant, on lui rendit compte 
que des troupes ennemies débouchaient de la porte 
San-Pancrazio *. La petite colonne, réduite à moins de 
la moitié de son effectif, pouvait être cernée par les 
Romains, le général la reporte donc en arrière dans 
la direction du parc de la villa Pamphili. 

Il s'agissait de rallier le a» bataillon du i6« léger et 
de se mettre en communication avec la colonne Mol- 
lière qui devait exécuter l'attaque générale et dont 
on n'avait pas de nouvelles. 

Quand les compagnies qui étaient restées avec le 
général Levaillant revinrent à l'entrée de la grille du 
parc et pénétrèrent dans cette enceinte, la tète de 
la colonne du ^^ bataillon débouchait au même 
point '. Le général les plaça en réserve, en dehors 
du parc. Des coups de feu, très espacés d'ailleurs, 
se faisaient entendre du côté de la villa. Les deux 
compagnies qui avaient été laissées dans le parc, 
avaient surpris une compagnie des bersaglieri de 
Pietramellara et l'avaient faite prisonnière. Un major 
et un capitaine avaient rendu leurs épées à un éner- 
gique officier du i6« léger, le lieutenant Vuillot*. 

Le ler bataillon se trouvant réuni, le colonel Mar- 
chesan le dirigea sur la villa. Plusieurs compagnies 

* Historique du 91* de ligne (ancien i6*léger^. 

* C'étaient des troupes de piquet cantonnées à la porte 
San-Pancrazio et qui appartenaient à la division Garioaldi. 
Ces piquets étaient directement sous les ordres du général 
Galetti qui remplaçait provisoirement Garibaldi. 

' Historique ou 91* de ligne (ancien 16* léger). 

* Ibid. 



— 217 — 

de bersaglieri sortaient en hâte par différentes issues 
et se trouvaient déployées devant le principal corps 
de logis. A la vue du bataillon français, elles se ren- 
dirent à discrétion ^ On compta 200 soldats dont 
10 officiers, trois drapeaux et un caisson de 10.000 car- 
touches ^. 

La villa était défendue par 2.000 hommes^; la plu- 
part purent s'enfuir dans les villas voisines occupées 
par les Romains. Il était cinq heures du mâtiné 

A peine les prisonniers étaient-ils désarmés et 
emmenés, sous escorte, dans une partie du parc, que 
Ton vit déboucher de deux côtés différents, par la 
villa et par une allée à droite, les sapeurs du génie 
et les deux bataillons du général MoUière. Le général 
Regnaud d'Angély et Tétat-major arrivaient égale- 
ment avec l'artillerie. 

Dans la colonne MoUiere, l'opération avait été 
menée moins rapidement et moins brillamment que 
dans la colonne Levaillant. On n'avait pas eu la 
bonne fortune de trouver une grille ouverte, il avait 
fallu faire une brèche. A deux heures et demie la bri- 
gade MoUière était massée à peu de distance de la villa, 
contre le mur d'enceinte qui longe la viaNocelta, du 
côté du midi. La compagnie des sapeurs du génie, sous 
les ordres du chef de bataillon Frossard et du capitaine 
Puiggari, vint se placer au pied de la murailles Pas 
de factionnaire en dehors, pas de guetteur aux fenê- 
tres, le silence le plus complet. Le capitaine Puiggari 

* VHistorique du 91^ estime Teffectif de ces compagnies à 
celui d'un bataillon : c'est im peu exagéré. 

* Le général Oudinot au ministre de la guerre. Villa San- 
tucci, 4 juin. 

' Le général Vaillant, dans son Journal des opération^ du 

§énie, ne parle que de i5o soldats, plusieurs officiers et d'un 
rapeau de régiment découvert oans les b&timents de la 
villa. 

* Le général Oudinot au ministre de la guerre. 

' Au point reconnu le i'' juin par le commandant Fros- 
sard. 



— 2l8 — 

s'efTorce d'introduire un sac de poudre dans une 
ouverture qui servait à la sortie des eaux et que 
Termait un grillt^e en fer'. Le sac ne pénétrant pas 
par l'ouverture un peu étroite, les sapeurs l'élai^s- 
sent avec leurs pics. 

Des bersaglieri, attirés par le bruit, font feu par les 
fenêtres de derrière la villa. Trop tard! L'ouvertare 
est forcée, le sac de poudre allumée fait explosion, 
et un petit pan de mur en s'efTondrant donne un pas- 
sade qu'élargissent à coups de pioche les soldats da 
génie '. 

Les coups de feu de l'ennemi avaient cessé après 
l'explosion du sac de poudre. Une compagnie de 
chasseurs s'engouffre derrière ta compagnie du génie, 
la tète de colonne du 33" de ligne les suit et s'en- 
gage dans l'allée du parc qui longe la façade sud <)e 
la villa. L'entrée n'avait pas été suffisamment élargie 
et les hommes ne passaient qu'un à un. Fort heureu- 
sement, une grille fut forcée sur la droite par le 
lieutenant du génie Largiltier * et par quelques 
sapeurs. Celle seconde issue donna passage aussilâlà 
une seconde compagnie de chasseurs *. 

Le détachement du 33" put y passer aussi et toale 
la colonne Mollière débordant dans le parc Ol sa 
jonction avec la colonne Levaillant(Jean), dont nous 
avons signalé l'arrivée si opportune. 

Les défenseurs de la villa Pamphili avaient pu fuir 
pour la plupart, puisque leur effectif dépassait 
2.<ioo liommes' et que aoo seulement furent faits pri- 
suiiiiiers'. On fouilla inutilement la villa, on n'y 
trouva que des approvisionnements. 

' Journal des opérations de l'artillerie et du séDie. 

i Ibûl. 

' Ilnii. 

' Ihid. 

^ Le rénéral Oudinot au ministre de la guerre, ^ Juin iS^ 

« Ihid. 



— aig — 

Les deux colonnes ne restèrent pas longtemps 
réunies. Le général de division Regnaud d'Angély ne 
doutait point que les défenseurs de la villa ne se 
fussent réfugiés dans les villas voisines; il fallait 
donc occuper ces villas le plus tôt possible, d'autant 
plus que des renforts considérables allaient arriver 
par la porte San-Pancrazio et qu'il y avait avantage à 
prévenir leur offensive. 

£n outre, le général Vaillant dont tous les officiers 
généraux du corps expéditionnaire pressentaient la 
situation considérable, avait déclaré son intention 
d'appuyer la gauche de sa première parallèle à 
relise San-Pancrazio*. 

Il sembla donc urgent au général Regnaud d' Angély 
de s'en emparer ainsi que du cloître et du jardin clos 
de murs qui l'entourait. 

Le général donna donc l'ordre au commandant de 
MaroUes, du !«' bataillon de chasseurs à pied, d'en- 
lever l'église et le cloitre avec les quatre compagnies 
de chasseurs qu'il avait sous la main. 

Après être sortis par la grille du côté du sud, les 
chasseurs à pied partirent aussitôt à l'allure rapide dont 
ils sont coutumiers. A peu de distance de l'église 
San-Pancrazio, ils furent accueillis par des coups de 
fusil tirés du clocher et des fenêtres de l'église et 
aussi du cloitre et du jardin. Le général MoUière 
arrivait à ce moment avec la compagnie du génie et un 
bataillon du 33« de ligne (commandant Ferru).' Il fit 
donner l'assaut à l'église par les chasseurs à pied et 
six compagnies du bataillon Ferru. 

Deux compagnies de ce bataillon et la compagnie 
du génie attaquaient le cloitre, vaste édifice situé à 
trois cents mètres des murs de la place \ Ses défenseurs 

* Journal des opérations de l'artillerie et du génie. 

* Général Ondinot an ministre de la guerre. Villa Santucci, 
4 juin 1849. 



— 220 — 

tiraient par les meurtrières et les lucarnes, mais leur 
résistance dura peu, tant ils craignaient de se voir 
couper la retraite. 

Du côte de l'église l'attaque dura un peu plus 
longtemps S mais là encore l'ennemi s'enfuit, et court 
se réfugier derrière les remparts*. L'église, le coa- 
vent, le jardin sont occupés par nos troupes qui ne 
comptent que ([uelques blessés. 

Sous la direction du commandant Frossard, da 
génie, on barricade les issues du côté de l'est, c'est- 
à-dire du côté de la ville, dont les reniparts se couvrent 
d'une foule armée qui crie, qui vocifère. Des coups 
de canon sont tirés du mont Janicule sur le cloître 
et sur le jardin, les murs s'effritent sous les projectiles. 
Mais il arrive des coups de mitraille et des boulets du 
côté nord, de la villa Corsini, appelée aussi le 
casino des Quatre- Vents, et construite en pierres de 
taille avec une remarquable solidité'. En même 
temps, sur la gauche et en avant, on distingue un feu 
de mousqueterie des plus nourris. 

La fusillade venait de la villa Valentini que le 
général Levaillant attaquait énergiquement avec le 
2<^ bataillon du 16^ léger. Cette villa était dans une 
position dominante, sur le coteau qui s'étend à 
gauche parallèlement aux fronts; l'ennemi qui l'occu- 
pait disposait d'un millier d*hommes : bersaglieri de 
Pietramellara, soldats de la légion garibaldienne. etc. 
faisaient un feu intense sur nos troupes. 

Le i^r bataillon du i6« léger sortait de la villa 
Pamphili, pour appuyer l'attaque de la villa Valen- 
tini. 

Cette troupe, plusieurs fois obligée de s'abriter 

1 «( Ce qui ne se fit pas sans difficulté. » {Journal des opé- 
rations de l'artillerie et du génie.) 

* Hisioriaue du 33* de ligne. 

3 Général Oudinot au ministre de la guerre. Villa Santacci, 
4 juin. 



— 221 — 

se déploie sous le commandement personnel du 
général de division. La section d'artillerie entre en 
action et éventre à coups de canon les murs du jardin 
Valentini. A la sonnerie de la charge, les deux com- 
pagnies d'élite du i©"* bataillon du i6« léger se préci- 
pitent, bientôt suivies du bataillon tout entier. 
L'ennemi abandonne la villa Valentini. Le combat 
avait duré une heure', le capitaine du génie Dumont 
avait été blessé grièvement en pénétrant dans le 
jardin avec les grenadiers. 11 était environ six heures*. 
La plus grande partie du bataillon fut reportée en 
arrière, de façon à surveiller le chemin qui relie la 
voie Aurélienne à la porte San-Pancrazio. Deux 
compagnies du 33«^ furent chargées de garder la villa 
Valentini et son jardin, mais Tennemi revint à la 
charge et dirigea un feu terrible des terrasses de la villa 
Corsini. 

Le 2« bataillon et quatre compagnies du i^^ batail- 
lon du 33® furent reportés sur la villa Valentini et y 
soutinrent un combat acharné. 

Du côté de l'église San-Pancrazio, le feu s'était 
ralenti. Une compagnie de chasseurs voulut escalader 
le grand mur du cloître, mais le feu des remparts 
l'obligea de battre en retraite et à revenir derrière le 
mur qu'elle avait crénelé et d'où elle dirigeait un feu 
meurtrier. 

Celui de l'ennemi n'était pas moins vif*; tout indi- 
quait qu'il était énergiquement commandé. Le général 
Bartolomeo Galetti, l'un des commandants de bri- 
gade de la division Garibaldi, dirigeait en effet les 
attaques, mais il ne recevait pas les renforts suffi- 
sants. 

* Historique du 91^ de ligne (ancien 16® léger). 
' C'était Vheare où avaient été occupés également Téglisc 
et le couvent de San-Pancrazio. 
' Les a* et 3* du a* bataillon. 
^ Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



— aan — 

La villa Corsini qu'il occupait avec environ deux 
mille hommes de tous les corps de la division était, 
comme nous Tavons indiqué, une grande maison 
carrée à trois étages en retrait les uns sur les autres et 
bâtie en pierres de taille ^ Le général romain avait 
fait ouvrir des meurtrières dans les murs du jardin : 
par ces ouvertures très nombreuses et par les terrases 
les hommes tiraient sans relâche, et leur tir se répar- 
tissait d'une façon à peu près égale sur la villa Valen- 
tini et sur le parvis de l'église San-Pancrazio où 
plusieurs compagnies du 33» venaient d'arriver pour 
renforcer les troupes qui y étaient déjà. 

Le général Mollière donna Tordre à l'officier qui 
commandait la section d'artillerie, mise à sa dispo- 
sition, d'ouvrir un feu violent sur l'un des angles du 
parc. Cet oflBcier, le lieutenant Cauvières', établit 
ses pièces dans le jardin du couvent et cribla de 
boulets l'angle ouest-sud du mur du parc. 

Une brèche s'ouvre dans le mur de la villa Corsini 
du côté sud et le i^^ bataillon du i6« léger, qui s'en 
est aperçu, devançant les troupes de la colonne 
Mollière dans un noble exemple d'émulation mili- 
taire, se précipite à l'assaut. Les tambours battent 
la charge, les clairons la sonnent, le colonel Mar- 
cbesan, sabre au poing, dressé sur ses étriers, le 
drapeau du régiment derrière lui, entraine toute la 
ligne. Son cheval est blessé, lui-même est frappé 
d'une balle à l'épaule, deux sapeurs tombent à ses 
côtés; le capitaine Yanghelle et le sous-lieutenant 
Daniel sont grièvement blessés'. 

Il y a sept ou huit hommes tués et plus de trente 
blessés. Un carabinier ^ nommé Leclerq est renversé 

' Capitaine Vbrtray, Album, 

' Journal des opérations de rartUlerie et du génie. 

^ Historique da 91' de ligne (ancien 16* iéger). 

*' On appelait ainsi les grenadiers d'infanterie légè re. 



— aa3 — 

par une balle qui lui a labouré les côtes. Tout san- 
glant il se traîne derrière le drapeau, la baïonnette 
hante. De leur côté le SS^^ de ligne et les chasseurs à 
pied se sont portés en avant. Clairons et tambours 
font aussi retentir la fanfare de victoire! Les officiers 
crient : « En avant! x> Les soldats le répètent à pleins 
poumons, ce cri si français... et la villa Gorsini est 
enfin évacuée par ses défenseurs, qui se précipitent 
vers la porte San-Pancrazio, dont quatre cents mètres à 
peine les séparent. Une autre villa, beaucoup moins 
importante que celles qui ont été conquises, est déjà 
mise en défense par les Romains, elle est à peu de dis- 
tance de la porte, on rappelle la villa Giraud ou le 
Vascello. Le général Bartolomeo Galetti rallie ses 
troupes autour de la maison. Garibaldi Fy rejoint et 
avec les renforts qu'il a groupés prépare une reprise 
d^attaque^ 

Comment l'intervention de Garibaldi se produisait- 
elle si tardivement? Comment Roselli, général en chef, 
n'avail-il pas déjà envoyé des renforts à Galetti? Il y 
avait eu pour cela plusieurs motifs : d'abord l'étrange 
interprétation donnée par les généraux de l'insurrec- 
tion romaine au délai accordé pour l'attaque directe 
de la place, en second lieu les cantonnements défec- 
tueux, ordonnés par Roselli , beaucoup trop dispersés, 
sans détachements ni piquets prêts à se porter au 
premier appel et enfin l'absence d'un service d'esta- 
fettes, d'agents de communication pour relier les 
avant-postes avec la place elle-même. A quatre heures 

*■ D'après les rapports français sar lesquels ont été établis 
les historic][aes des régiments, il était alors sept heures. 

'L»* Historique de la Iqrion Garibaldi, établi par M. Lœvinson, 
constate que lorsque Garibaldi arriva à la porte de San-Pan- 
crazio, à cinq heures et demie, Galetti venait de perdre, pour 
la seconde u>is, la villa Gorsini et « des postes avancés 
importants b, il ne restait aux Romains que le Vascello (ou 
vilia. Giraud). Le combat continuait très vif lorsque Garibaldi 
put rallier ses troupes vers sept heures. 




2^4 — 

du matin, arrive à cheval au quartier de la garde civi- 
que sur la place Farnèse, pour donner l'alarme et faire 
battre la générale, non pas un olDRcier d'état-major, 
mais un simple officier de police qui a appris l'attaque 
de la villa Pamphili '. L'officier qui commande au 
quartier Farnèse déclare qu'il n'obéira pas sans 
l'ordre du général commandant supérieur de la garde 
civique'. Dans d'autres postes ou casernes, sur la 
rumeur publique, on est moins difficile et l'on bat 
la générale, mais il est cinq heures lorsque certains 
de ces postes prennent les armes. 

Garibaldi, jalousé par Roselli, qui le consultait 
le moins possible mais qui cependant subissait sa 
popularité, avait établi son quartier général dans un 
logement des plus modestes, via délie Car rozzi, entre 
la place d'Espagne et l'église San-Carlo, au nord 
de Rome^ 

Le fameux condottiere n'avait auprès de lui que le 
chirurgien en chef de la division, le docteur Ripari. Il 
n'était pas cinq heures quand arriva en toute hâte le 
major Francesco Daverio, chef d'état-major de la 
légion, qui venait informer son général de Tattaque 
des Français. A ce moment les batteries romaines du 
Janicule ouvraient le feu sur la brigade Mollière 
qui occupait déjà l'église San-Pancrazio. 

Dans ce brusque réveil, Garibaldi envoie prévenir 
le commandant de ses lanciers, Masini, et ceux lie 
ses otliciers qui sont cantonnés avec leurs hommes au 

* I/arrivée du policier est racontée avec beaucoup d*tin- 

uiour, dans ïlliatoriffue de la lég^îon Garibaldi, ch. xvi, p. ai;- 

« l<>uiaiio LcKviNsox, Giuseppe Garibaldi^ etc., 1** pariie, 

^ I/auteur de V Historique delà lég^ion se plaint de rexi^ruit** 
ot do roloi^neiuent du logement a assigné, diuil, par Tinten- 
duiu*^' militaire et la municipalité au principal dcfensear th" 
iu capitule ». (Cf. p. ai'i.) Celait en elfet une masure, silut-"* 
\ian^ los communs d'une auberge de la via CondoUi, n" S*^. 
^'«otle rue et la via delta Carrozn existent encore. 



J 



— 225 — 

couvent de Saînt-Sylveslre. Troupe et officiers cher- 
chent* leur général qui est parti de suite avec des 
lanciers de Masini. A cinq heures Garibaldi et son 
escorte arrivent à la porte Cavalleggeri, il leur faut 
une demi-heure pour atteindre la porte San-Pan- 
crazio. 

Le combat est engagé, mais autour de la villa 
Corsini. Garibaldi est obligé d'attendre l'infanterie de 
sa légion et quand il Ta groupée et qu'il va franchir 
la porte San-Pancrazio, il est sept heures. Galettia été 
refoulé avec ses bersaglieri et une partie du régiment 
Masi dans la villa Giraud. C'est alors que Garibaldi, 
entraînant avec lui tous ceux qui l'entourent, pénètre 
dans la villa et déclare qu'il faut tout tenter pour 
reprendre la villa Corsini, que seule la possession 
de cette position dominante peut empêcher les tra- 
vaux d'approche contre les murs moins élevés ^ 

Les légionnaires de Garibaldi, groupés derrière 
leurs officiers Marochetti, Sachi et Daverio, se portent 
sur la villa Corsini, mais ils gardent une formation 
défectueuse. Au lieu de se masser en colonnes 
d'assaut ou de former une série de lignes de tirail- 
leurs se renforçant les unes les autres, ils restent 
en petites bandes^ de trente à quarante hommes atta- 
quant sans cohésion. 

Sur Tordre de Garibaldi, l'artillerie des remparts 
ne tire plus sur les fractions de colonnes françaises 
qu'on aperçoit sur les remparts et les jardins, mais 
directement sur la villa Corsini elle-ifiême. Cette 
habitation se trouve à 400 mètres de la place, elle 
est directement battue par la batterie d'un bastion S 

' Beaucoup d*ofBciers logeaient dans des maisons éloignées 
et ne furent prévenus que tardivement. 

' Ermano Lœvinson, Giuseppe Garibaldi, etc., T* partie, 

p. 3l8. 

' Ibid., p. 219. 

*' Le bastion n^ 8, sur le plan du général Vaillant. 

i5 



— 226 — 

forte de 6 pièces de gros calibre dont 2 obusiers'. 

Ce feu violent d'artillerie alluma un commence- 
ment d'incendie dans la partie sud de la villa, il se 
produisit un peu de désordre parmi les défenseurs, 
qui appartenaient pour la plupart au i6« léger et aux 
compagnies du génie. Le feu d'un autre bastion vint 
se croiser avec celui du bastion le plus rapproché et 
augmenter l'incendie qui s'était déclaré. La chaleur 
devenait en outre intolérable. Les troupes françaises 
se reportèrent en arrière et vinrent prendre position, 
sous les ordres des généraux Regnaud d*AngéIy et 
Levaillant (Jean), derrière les murs de la villa Pam- 
phili. 

Garibaldi, à la tête de sa division tardivement 
formée et renforcée du bataillon des émigrés romains 
et du corps des employés du trésor mobilisés, péné- 
trait dans la villa Corsini. Un de ses officiers ren- 
trait de suite à Rome porteur du billet suivant dont 
il fut donné lecture à l'Assemblée constituante, au 
milieu des acclamations : 

c< Sept heures et demie avant midi. Nous avons 

repris les positions en avant de la porte San*Pan- 

crazio*. » 

c< Garibaldi. » 

Mais, au moment même où les représentants 
manifestaient leur enthousiasme, le i6« léger avait 
repris possession de la villa; le capitaine Vorol' 
avait été blessé à la cuisse en entraînant sa compa- 
gnie en première ligne, les deux bataillons du j& U'- 

* Capitaine Vertu a y, Album, 

^ Ermano Lœvinson, Garibaldi e la sua legione^ p. 219. 

" Historique du 91* de ligne (ancien 16* léger). Capitaine 
Vkrtiiay, Album. 

Lliistorien de ia légion Garibaldi reconnaît que les Romain^ 
occup(^renl peu de temps la villa. « Ma fu cosa di brevîssinia 
durata. » (P. 219.) 



gep avaient bravement donné, ils avaient encore une 
quinzaine d'hommes hors de combat; la section 
d'artillerie, se portant résolument en avant, avait 
criblé de mitraille les Romains, et forçaient ceux-ci à 
se refouler brusquement. 

Les Français devraient alors se montrer prudents, 
se barricader, s'embusquer; mais, au contraire, ils se 
groupent dans les jardins, sur les terrasses. Les deux 
pièces d'artillerie ont quitté la villa Corsini pour 
chercher une position de batterie dans la direction 
de la villa Giraud. Soudain arrive comme une 
trombe l'escadron de lanciers que commande Masini *. 
En soutien de cette cavalerie, une bande de fantas- 
sins romains charge à la baïonnette, elle est sous les 
ordres du capitaine Caliolo, vieux soldat de Garibaldi 
et son compagnon d'armes en Amérique '. A peu de 
distance des gradins de la villa, les feux de salve 
du 16^ léger abattent la plupart des lahciers, leur 
chef Masini, et, à son côté, le porte-étendard de 
l'escadron, Zamboni. Un autre olBîcier, le lieutenant 
Scarale, est également frappé. L'infanterie garibal- 
dienne a renforcé la petite troupe du capitaine Ca- 
liolo; Galetti et son état-major sont au fort de l'action, 
Bixîo, l'un des majors de la légion de Garibaldi, a deux 
chevaux tués sous lui ; le chef d'état-major Daverio 
est mortellement atteint. La villa Corsini est dissi- 
mulée par un cercle de flammes, tellement le feu des 
défenseurs est intense... 

Vers neuf heures dumatin, Manaraet son bataillon 
de bersagUeri lombards viennent renforcer l'attaque, 
mais là encore la formation était mauvaise. Les ber- 
saglieri de Manara et les légionnaires de Garibaldi, 

* ht'Historiqne g^aribaldien fait allusion à Tétat d'exaltation 
de cet officier : « Pin faribondo che mai contra il nemico. » 
(P. ai9.) 



— 228 — 

qui seuls soutenaient le combat, sont eux-mêmes 
renforcés par les débris du corps de Pietramellara et 
parle 3® régiment de ligne. Ces troupes formaient un 
immense arc de cercle, avec une infinité de petits 
groupes*. L'une des branches, la plus courte, sem- 
blait enserrer l'église San-Pancrazio ; le centre était 
dirigé vers la villa Valentini ; la branche de beauconp 
la plus longue menaçait les jardins delà villa Ck)rsini. 
Les batteries des deux bastions, à droite et à gauche 
de la porte San-Pancrazio, tiraient par-dessus les 
troupes romaines. 

Le i6« léger avait combattu vaillamment. Les 
hommes, épuisés de fatigue, ne se soutenaient que 
par des prodiges d'énergie. Aussi le régiment était-il 
à bout de forces quand arrivèrent un bataillon du 
25® léger et le 20® de ligne tout entier '. 

Le 33® de ligne, après avoir occupé San-Pancrazio, 
avait fourni un bataillon à la défense de la villa 
Gorsini. Il n'était pas moins épuisé que le i&» léger. 
Le 66^ de ligne le releva dans ses positions, sauf 
pour deux compagnies du 33« qui étaient engagées 
sur la gauche'. 

C'est toujours une opération délicate que de rem- 
placer sous le feu de l'ennemi des troupes en 
première ligne. Il se produit forcément du désordre, 
ce qu'on appelle en termes militaires <i un peu de 
flottement ». Les troupes qui défendaient les villas 
Corsini et Valentini n'y échappèrent pas, malgré le 
sang-froid de leurs chefs et l'élan des troupes de 
relève. 

De plus, la chaleur était extrême. Les légionnaires 
de Garibaldi, plus habitués que nos soldats à cette 



* Toujours les petits paquets, ce picoli manipoli de ao à 
3o militi ». 
' Historique du 90* de ligne (ancien a5* léger). 
^ Historique du 3^^ de ligne. 



— 229 — 

température pénible, avaient pu s'approcher de la 
villa Corsini et enlever douze prisonniers appartenant 
au33« '. Sans générosité pour des ennemis vaincus, ils 
les massacrèrent pour la plupart '. 

Les généraux Regnaud d'Angély et Levaillant se 
trouvaient encore à la villa Corsini qu'ils considé- 
raient comme devant être conservée à tout prix. Ils 
disposaient à ce moment de troupes fraiches : le 
25« léger, le 20« et le 60® de ligne. Le premier de ces 
régiments avait accompli dans des conditions des 
plus heureuses l'enlèvement d'une des positions. 

A cette même heure, dix heures du matin, la villa 
Valentini avait été un moment dégarnie des troupes 
du i6« léger qui avaient été portées sur la villa Cor- 
sini. L*ennemi y avait pénétré. Le colonel Ripert, 
commandant le 25® léger, énergiquement secondé par 
son lieutenant-colonel M. de Carondelet, à la tête du 
i« bataillon de son régiment, tourne la villa Valentini 
par les hauteurs, fait enfoncer une porte du jardin et 
surprend un détachement romain qui met bas les 
armes. 

Quelques soldats escaladent les fenêtres d'un han- 

^ Historique du 33^ de ligne. 

^ L'historien de la légion de Garibaldi Favoue absolument. 
a Ils (les légionnaires) firent plusieurs prisonniers; quelques- 
uns expièrent par la mort la déloyauté de leur général, a Fe- 
cero pure parecchi perigioneri, alcuni dei quali espiarono 
collamorte la slealla ael loro générale. »(E.Lœvinson, p. aai.) 

L'un des Français prisonniers échappa à la mort par son 
sang-froid : « Un nommé Bussière, soldat à la 5® compagnie 
du a® bataillon du 66^, se trouve cerné dans une masure au 
moment où les Romains venaient de reprendre la villa Pam- 
phîli (lire Corsini). « Rendez-vous, lui crie-t-on. — Pas si 
oéte I répond-il, et Tune après l'autre, il brûle une dizaine de 
cartouches. Sa giberne vidée, il s'assied sur une pierre, tire 
sa pipe, un briquet, et se met en devoir de Tallumer. Dans ce 
moment, les Romains se précipitent sur lui, le terrassent : 
«Crie : Vive la République romaine! et tu es sauvé, lui dit-on. 
— Vive la France! » s ecrie-t-il. Les ennemis allaient le mas- 
sacrer, lorsqu'un officier le sauva disant : <c Ne le tuez pas ! 
c'est un brave. — Nous sommes tous comme cela dans mon 
pays, répliqua Bussière. » (Ballbtdibr, t. II, p. i44*) 



— aSo — 

gar et se glissent dans la villa ^ Le colonel Ripert 
fait alors barricader toutes les issues du côté de 
rennemi et, par un feu bien dirigé, peut repousser les 
attaques de plusieurs fractions de la division Gari- 
baldi \ 

Malgré reifort considérable fourni par la division 
Garibaldi, les troupes françaises gardaient les posi- 
tions conquises. Il en était une qu'il eût été avanta- 
geux d'occuper, c'était la villa Giraud, appelée aussi 
villa Yascello, construction massive à trois étages, 
placée à droite du chemin qui conduisait à la villa 
Corsini '. Si Ton pouvait l'enlever à l'ennemi, celui-ci 
serait absolument enfermé dans son enceinte. 

Le général Regnaud d' Angély n'avait pas à sa dispo- 
sa tion des forces suffisantes pour tenter cette attaque. 
Toutefois quelques boulets qui pénétrèrent sans 
TeMidommager sérieusement dans ce vaste édifice, 
lisent craindre à Garibaldi qu'une attaque ne se prépa- 
rât sur ce point. Il en fit préparer la défense par son 
aide de camp, le colonel Pulini, qui fut tué en reve- 
nant de donner les instructions de Garibaldi au 
colonel Sachi*. 

Comme les troupes françaises ne sortaient pas de 
leurs lignes, les garibaldiens, qui étaient restés 
depuis plusieurs heures sur la défensive, voulurent 
reprendrell'oflensive, malgré leurs pertes nombreuses. 

Garibaldi allait conduire de nouveau sa division à 
Tassant de la villa Corsini. Il était quatre heures'. Le 
général voulut encore tenter une attaque concen- 
trique dont l'objectif princiqal était la gauche des 

* Historique du 99* de ligne (ancien a5* léger). 

^ ^historien de la légion Garibaldi, p. aai, fait coïncider 
les dernières attaques contre la villa Valentini avec le mas- 
sacre des quelques prisonniers français, vers dix heures par 
conséquent. 

s Ermano Lœvinson, Giuseppe Garibaldiy etc., p. 222, 

* Jbid. 

* Jbid. 



i 



— aSi — 

positions françaises. En conséquence, les troupes 
romaines se déployèrent sur le plateau qui, du 
Vatican, conduit à la villa Pamphili ^ Garibaldi, à 
cheval, drapé dans son poncho blanc, accompagné 
de quelques officiers et de ses dragons d*escorte, 
poussait à Tassant ces fractions éparses au cri de : 
a Courage, mes enfants! » pendant que ses soldats lui 
répondaient : « Vive la République romaine, vive 
Garibaldi ^ ! x> 

Le feu des défenseurs de la villa Corsini, qui s'était 
ralenti depuis quelque temps, reprend avec une 
intensité formidable. 

Les troupes de Garibaldi, qui manquent déjà de 
cohésion, s'éparpillent en petits groupes, perdant un 
grand nombre de leurs officiers. L'état-major de Gari- 
l)aldi se multiplie^ autour du fameux partisan, qui 
paye d'ailleurs bravement de sa personne, ainsi que 
Manara, le commandant des Lombards. 

Malgré la fusillade des faces nord et est des murs 
de la villa Corsini, les garibaldiens refoulent à 
gauche les deux compagnies de grenadiers du Q^^ ({ui 
forment un échelon de défense un peu trop isolé, et 
qui battent en retraite, mais sans cesser le feu et en 
évitant de se laisser couper. Plus à gauche encore, se 
trouve la compagnie de voltigeurs du i®*' bataillon ^. 
Surprise par la sortie en masse qu'appuyent quelques 
pièces de campagne, cette compagnie faiblit' et la 
position qu'elle occupe est enlevée par l'ennemi qui, 
en redoublant ses vociférations, avance toujours. 
Son aile droite se déploie derrière les réservoirs de 



' Général Oudlnot au ministre de la f^uerre, 4 juin 1849. 

- L'historien de la légion Garibaldi rappelle que le général 
romain tenta de nouveau Tassaut de la villa Corsini, cooiin e 
l'avait fait Masini. 

^ Son aide de camp Mameli, est tué. 

* Historique du 66* de ligne. 

^ Même Historique : a Nos hommes faiblissent un momen t. » 



— 332 — 

l'aqueduc. Encore un mouvement en avant et les 
Romains tenteront l'escalade des mups, dans lesquels 
leur artillerie a fait d'énormes brèches. 

Soudain, ta charge éclate, haletante, ûévreuse, et 
le 3* bataillon du '33' (commandant Ferru), qui a déjà 
beaucoup donné et qui était en réserve à la villa 
Pamptiili, arrive au pas gymnastique, ses compa- 
gnies d'élite en tête*. 

Un clairon qui est en avant de ses camarades 
tombe grièvement blessé, un tambour le remplace et 
tombe à son tour, un second tambour se met en 
avant du premier rang. Une balle brise la peau de sa 
caisse, il retourne l'instrument de l'autre côlé et 
joue des baguettes de plus belle. A vingt mètres il est 
blessé d'une balle au bras droit, l'intrépide tambour 
change sa caisse de place et bat de la main gauche '■ 
A La baïonnette, le bataillon entre comme un coin 
dans l'aile gauche de la Légion de Garibaldi. Les trois 
compagnies du 66' se portent à leur tour sur la ligne 
et, se plaçant à l'extrême gauche par un changement 
de front, prennent l'ennemi en flanc et le repoussent. 
Le général Regnaud d'Angély est au milieu àa 
bataillon du 33«, l'épée à la main, pendant que te 66". 
moins les trois compagnies engagées en première 
ligne, sous le commandement du général Levaillant 
et du colonel Chenau, débouche sur le centre de 
l'ennemi et que le 20^ de ligne, avec le colonel Mam- 
laz, déborde l'aile gauche des Romains devant l'église 
San-Pancrazio. Le bataillon de chasseurs et le pre- 
mier bataillon du 33<, conduits par le général Molllère. 
le colonel Bouat et le commandant de MaroUes. 
prennent aussi une offensive énergique. 

' Historique du 33" de ligne : « A quatre henres, le 3' l»- 
liiilloQ recul l'ordre de reprendre les positions qnc le 
!•••' avait laissé retomber aux mains de l'eDuemi. » 

' Ce tambour fut décoré. 



— a33 — 

Partout l'ennemi recule, mais lentement, se défen- 
dant avec courage et acceptant fréquemment la lutte 
à la baïonnette. 

L'intervention du 66« décide la retraite définitive 
des Romains, qui s'exécute en bon ordre. Le 66^ se 
maintient admirablement sous le feu des pièces de la 
place : les capitaines Fautrieret Tranier, le sous-lieu- 
tenant Colombier sont blessés, le capitaine Belleval 
et le lieutenant Gandin, à la tête des grenadiers, sont 
superbes d'entrain et de sang-froid, comme le capitaine 
Gignoux, dont le sabre est brisé par un biscaïen, et 
qui continue à entraîner ses hommes en brandissant 
le tronçon de son arme. 

Un instant, la division Garibaldi s'arrête, et une 
poignée de braves, composée de bersaglieri et de 
soldats du g^ de ligne, ayant à leur tête un officier 
dont le nom doit être cité, le lieutenant Mangialli, des 
bersaglieri, se précipite sur les rangs français. Ils 
sont presque tous tués ou faits prisonniers, criblés 
de blessures. 

Ce fut le dernier effort des Romains dans cette 
journée*. Garibaldi et Galetti ramenaient dans la 
place les débris de la division. 

Leurs pertes étaient considérables. La légion seule 
avait 5oo hommes hors de combat, dont 23 officiers. 
L'état-major et les autres corps de la division en 
comptaient 8. Plusieurs avaient été tuéq^ ou devaient 
succomber à leurs blessures : le colonel Pulini, le 
lieutenant-colonel commandant la i^'^ légion Masini, 
le major Daverio, chef d'état-major, les capitaines 
Perralta, David, Ramorino, les lieutenants Scarcele 
etZamboni, des lanciers, Bonnet et Mameli, de Tétat- 

^ Le général Oudinot appréciait ainsi cette dernière phase 
de la journée : « L'élan de nos soldats n'a pas permis de don- 
ner suite à cette tentative de Tennenii ; elle a été immédiate- 
ment réprimée. » (Général en chef au ministre de la guerre, 
4 Juin 1849.) 



— 234 — 

major, Cavalleri, Santini, les sous-lieutenants Lan- 
geneau et Sivori. 

Les oQiciers blessés moins gravement étaient le 
colonel Marochetti, commandant de la a^ brigade: 
les capitaines Nino-Bixio, chef d'état-major de cette 
brigade, Ameo, Bassini, Bazzani, Borelli, Groppi; les 
lieutenants Bini, de Tétat-major de Garibaldi, Binda, 
Demaestri, Graffigna, les sous-lieutenants de Agostini, 
Frattini, Griffi et Salterio et enfin, dans cette étrange 
armée qui luttait contre la restauration du pouvoir 
temporel du Pape, un prêtre : l'aumônier, Don Luigi 
Maria Passeri ' ! 

Cest à la perte de ses vieux compagnons* et i 
l'inévitable prise de Rome que songeait sans doute 
Garibaldi, lorsque, épuisé de fatigue, il avait du 
remettre le commandement des avant-postes au colo- 
nel Medici et lui demander avec instance de fortifier 
et de barricader la villa Giraud (le Vascello) et les 
quelques maisons voisines^ à cent mètres de la porte 
San-Pancrazio. De cette porte San-Pancrazio qui 
avait vu se consommer l'odieux guet-apens de la 
capture du bataillon Picard, le 3o avril, les Romains 
pouvaient contempler les trois villas et voir s'élever, 
dans leurs parcs et dans leurs jardins naguère 
superbes, aujourd'hui dévastés, les feux de nos 
bivouacs. 

La journée était glorieuse pour les troupes fran- 
çaises, mais bien que sespertes fussent très inférieures 
à celles des Romains, elles n'en avaient pas moins 

^ Tous ces noms sont relevés dans V Historique de la légion 
Garibaldi (I'^ partie, p. a3i-a'ia). L'auteur, M. LœvinsoD, 
regrette la perte de documents olliciels et y supplée dans la 
mesure du possible. 

' Parmi les ofticiers romains frappés, huit avaient été les 
compagnons d*armes de Garibaldi dans ses campagnes 
d'Amérique, quatre étaient tués ou blessés mortellement : 
Cavalleri, Peralta, Uamorino et Sivori. (Ermano Lœvibtso.m, 
p. a3a.) 



— 235 — 

dépassédebeaucouplesprévisionsducommandemenl. 

Le i6« léger avait dix tués dont le sous-lieutenant 
Dumont, quarante-trois blessés dont le colonel Mar- 
chesan, commandant le régiment, les capitaines 
Vonghelle et Vérot, le sous-lieutenant Daniel ; le 
33^ de ligne, deux tués, treize disparus (présumés 
morts ou prisonniers), trente-quatre blessés. 

Les autres corps de troupe engagés plus tard n'avaient 
pas moins souffert : le 25« léger avait quinze tués 
dont le capitaine adjudant-major Jouberty et le lieu- 
tenant Audoul, quatorze disparus et quatre-vingt-cinq 
blessés dont le capitaine Nicoleau, le lieutenant Peu- 
reux et le sous-lieutenant Men vielle ; le 20® dé ligne 
deux tués et vingt et un blessés; le 66« sept tués et 
trente-quatre blessés dont les capitaines Fautrier et 
Tranier et le sous-lieutenant Colombier^; le génie 
avait six hommes hors de combat dont le capitaine 
Dumont et Tartillerie quatre blessés. 

Le total était donc de trente-six tués dont trois 
ofliciers, deux cent dix-sept blessés dont dix officiers 
et vingt-sept disparus. Quelques-uns de ces derniers 
étaient prisonniers, mais la plupart avaient été mas- 
sacrés. 

L'ennemi laissait entre nos mains, outre cent 
trente-neuf blessés, deux cent six prisonniers dont 
dix-neuf officiers*. 

* Les chiffres et les noms ont été soigneusement relevés 
par nous sur les historiques des régiments d'infanterie au 
ministère de la guerre, nous avons donc tout lieu de les croire 
exacts. 

Le général Oudinot,' dans un rapport trop succinct au 
ministre de la guerre, ne parle que de cent soixante-sept hors 
de combat, « y compris les ofliciers » et le général Vaillant, 
dans son Journal des opérations de Tartillerie et du génie, 
s'exprime ainsi : « L'attaque dont on vient de parler nous 
coûta un officier tué et treize blessés, trente-trois soldats 
tués, deux cent vingt-neuf blessés, dix-neuf hommes égarés 
on prisonniers. 

* Ils devaient être évacués le lendemain par le Tibre sur 
Civila-Vecchia. (Capitaine Vertray, Album.) 



Le résultat désiré, l'investissement de la place, était 
atteint, mais il semble qu'on l'eût obtenu plus Eaci- 
lement, avec des pertes moindres et surtout plu3 
rapidement, si l'on avait engagé dès le début des 
forces considérables. Le général en chef disposait à ce 
moment de vingt mille hommes absolument concen- 
trés, il avait neuf régiments d'infanterie, dont deux 
seulement, ceux du général Sauvan, furent détachés 
pour une expédition que nous mentionnerons; soit 
donc neuf régiments, un bataillon de chasseurs dis- 
ponible et trois batteries d'artillerie de campagne'. 
Avec ces ressources considérables, il ne forme que 
deux petites colonnes, l'une d'un régiment et d'un 
demi-bataillon de chasseurs.l'autre d'un seul régiment 
chacune flanquée d'une section d'artilleriel A une seule 
de ces colonnes est adjointe une compagnie dugénie! 

Les offlciers généraux commandant ces forces si 
minimes ont pu remplir leur mission grâce à des 
circonstances heureuses : la surprise du poste de la 
Cappella, l'entrée fortuite du parc delà villa Pam- 
pliili, le quasi abandon de la villa Valentinî, etc. 
Mais pour se maintenir dans ces positions, il a falla 
l'arrivée trop tardive des troupes de réserve. Celles-ci 
ont été parfois débordées et ont dfi un moment battre 
en retraite, en laissant malheureusement aux maios 
de l'ennemi quelques prisonniers qui ont été mas- 
sacrés. . . 

L'artillerie était représentée d'une façon absolu- 
ment insuffisante et si, au lieu de quatre pièces 
d'artillerie, il était entré en ligne dès le début les 
trois batteries de campagne dont disposait le général 

' D'après l'ouvrage des généraux Vaillant et Thiry, il y 
uvait, à la date du a8 mai, six batteries : la* du 3' régimenl 
(capitaine Pinet), i3' du 3' (capitaine Serrand), 13* dn S' 
(capitaine de Rochebouët), 6* du ■)' (cHpitaine Cann), lo' da 
8= (capitaine de Langlade), i6' du 3° (capitaine Gacbol)- 
(Cf. Journal des opérations de l'artillerie et du génie.) 



— a37 — 

en chef, le combat ne se f&t pas prolongé toute la 
journée avec les alternatives que nous avons signa- 
lées. 

Ces lenteurs, cette pénurie de renforts s'expliquent 
par l'illusion dont se berçait le commandement de 
limiter l'opération à l'occupation de la seule villa 
Pamphili * et, en second lieu, par la préoccupation 
excessive d'une sortie des Romains parla rive gauche 
du Tibre. Le rapport du général en chef en donne 
Taveu : a Des diversions ont été faites par nos 
troupes, la cavalerie a presque constamment parcouru 
en vue des remparts la rive gauche du Tibre infé- 
rieur*. » 

Enfin, par un scrupule de délicatesse militaire, le 
général en chef n'a pas voulu intervenir dans la 
direction de la défense des villas, il a laissé ce soin au 
général Regnaud de Saint-Jean d'Angély qui en était 
chargé par l'ordre de mouvement de la veille, et sous 
les ordres duquel d'ailleurs il ne pouvait placer ni le 
général de Rostolan ni le général Gueswiller, plus 
anciens de grade l'un et l'autre que le commandant de 
la I" division. 

Il eût été préférable que le duc de Reggio dirigeât 
lui-même sur le terrain l'opération qu'il avait prcH- 
crite et qu'il le fit en utilisant, dès le début, len 
forces importantes qui étaient à sa disposition. 

* L*ordre de mouvement c[ue nous avon» donn<; à nti dato 
ne mentionne que Toccupation de la villa Pamphili. 

* Dans son rapport au ministre, le général en cUoJ nxii^Art^ 
de très bonne foi les effectifs de Tennenii Hur Utn point m aU 11 
fat engagé. « Les Romains, qui ont vingtw|uiilrc mïïh hoiii* 
mes de troupes régulières dans la place, h;H ont pn'H#|ii(? tou- 
tes engagées contre les positions c^ue nou» avions iUftuinÏHVH 
à San-Pancrazio et aux villas Corsmt et Vali'ntinl. i» Kn r/'ii- 
lité seule la division Garibaldi, forte à peine (Ut ti^rpt h huit 
mille hommes, prit part au combat, rar ïïuvMimvM/'. dn 
Roselli, la division Bartoluccî, chargée de la rlv<; ^auch^', un 
fit même aucune démonstration. 



1 




/ 



CHAPITRE XII 



LE SECOND COMBAT DU 3 JUIN : l' AFFAIRE DE PONTE- 
MOLLE. — LA NUIT ET LE LENDEMAIN SUR LES 
POSITIONS FRANÇAISES ET A ROME. 



Une autre expédition avait été prescrite pour celte 
même journée du 3 juin, à la suite d'une reconnai-*- 
sance des généraux Vaillant et Tiiipy au nord-est tic 
Monte-Mario. Ce point était occupé par les avanl- 
postes de la brigade Sauvan. Pour compléter les 
avantages de cette position dominantes il Tallail 
s'emparer de Ponte-Molle, à trois kilomètres de 
Rome, sur le Tibre*. 

L'ennemi avait rompu la dernière arche sur la rive 
droite, démoli les parapets du pont et placé des 
chambres de poudre aQn de faire sauter deux autres 
arches au premier signal. Une tour carrée restait 
isolée en tète du pont, à côté de la coupure. Deax 
pièces de campagne avaient été mises en batterie sur 
la rive gauche pour enfiler le pont'. 

* L*altitude est de cent trente-sept mètres aa-dessas des 
eaux du Tibre. 

'^ La route de Florence à Rome franchit le Tibre sur re 
pont et aboutit à la porte du Peuple à Rome. 

^ Général Oudinot au ministre de la guerre, 4 Joui* 



— o3g — 

Le général Vaillant ne doutait pas que le pont ne 
fût miné ; il avait remarqué « qu'une digue bordant 
la rive droite du fleuve présentait, au-dessus de la 
route qui la longe, un relief suffisant pour dérober à 
la vue de la garde du pont les soldats qu*on aurait 
amenés là pendant la nuit*. * Les dispositions d'attaque 
qu'il avait indiquées au général Sauvan allaient être 
exécutées de point en point ^ 

Dans la nuit du 3 juin, à une heure du matin, le 
général Sauvan faisait prendre les armes à sa brigade, 
mais il maintenait le gros de ses troupes à la position 
de Monte-Mario et en gardait personnellement le 
commandement, laissant à un détachement sous les 
ordres du lieutenant-colonel Duprat de la Roquette, 
du i3<^ de ligne, la mission d'exécuter le coup de 
main qui était ordonné. La colonne confiée à cet 
officier supérieur comprenait une compagnie du 
i^' bataillon de chasseurs à pied, deux compagnies 
d'élite du iS'^ léger sous le commandement du chef 
de bataillon de Saint-Frémont, deux compagnies 
d'élite du ]3® de ligne commandées par le chef de 
bataillon Miller et une pièce du 5« d'artillerie. 

Le détachement se blottit derrière les arbres sur la 
rive du fleuve; une section de chasseurs à pied, for- 
mée des meilleurs tireurs, se glissa le long de la digue 
jusqu'aux abords de l'arche rompue et se dissimula 
sans faire de bruit. Un silence complet était observé 
dans la petite colonne. Au petit jour, l'un des chas- 
seurs à pied abattit d'un coup de feu la sentinelle qui 
se trouvait alors sur le bord du fleuve. Frappée à 
mort elle tomba dans le Tibre ^. 

Les hommes du poste romain ont couru aux armes 

« 

* Capitaine Vertray, Album. — Historiques du 88«do 
lijrne (ancien i3" léger), et du i3^ de ligne. 

* Général Bernard, Traité de tactique ^ t. V, p. 55 1-552. 
' Journal des opérations de rartillerie et du génie. 



— 24® — 

et se sont avancés vers le pont. Un feu de salve en 
tue ou en blesse une vingtaine. Ceux qui ont échappé 
aux balles de nos soldats vont chercher un refîige 
dans l'intérieur même du poste. Malheur à qui appro- 
cherait des arches sur lesquelles ont été préparées les 
fourneaux de mine * ! 

Conformément aux instructions formelles du géné- 
ral Vaillant, le détachement tout entier, y compris la 
section qui vient de faire feu, reste embusqué pendant 
une heure pour s'abriter contre toute explosion tar- 
dive des fourneaux \ 

Au commandement de son capitaine, la section de 
chasseurs à pied se précipite dans une tour .carrée 
construite à l'entrée du pont sur la rive droite. Les 
Romains ouvrent le feu sur les chasseurs, criblant de 
balles les ouvertures de la tour par lesquelles les 
Français ripostent. De leur côté, les cinq compagnies 
du lieutenant-colonel Duprat de la Roquette engagent 
un feu soutenu sur les troupes romaines, qui sortent 
sur la route de plusieurs maisons où elles étaient can- 
tonnées. Le poste est occupé maintenant par un mil- 
lier d'hommes ^ De la tour les chasseurs à pied tirent 
sûr les artilleurs^ qui cherclient à se rapprocher de 
leurs pièces toutes chaînées et à les canonner. 

Au milieu de la fusillade, le lieutenant-colonel dn 
génie Leblanc arrive avec une section de sapeurs pour 
réparer le pont, mais il faut en éloigner l'ennemi qui 
s'est déployé sur une ligne de quatre cents mètres 
et qui s'opposera à tout ce que l'on va tenter pour 
remettre le pont en service. 

Le lieutenant-colonel Leblanc avait fait oi^aniser 
depuis la veille, à environ quinze cents mètres en 
aval, un radeau léger, destiné à porter les fusils de 

* Journal des opérations de rartillerie et du ffénie. 

2 Ibid. 

^ Général Oudinot au ministre de la guerre, 4 juin. 



— aiii — 

vingt à vingt-cinq hommes qui traverseraient le Tibre 
à la nage pour aller tourner le poste chai^ de la 
défense du pont '. Le conamandant de Saint-Frémont, 
du iS^' léger, disposant les deux compagnies d'élite 
du !2« bataillon de ce régiment en une ligne aussi 
étendue que possible, leur fait commencer un feu 
rapide avec lequel se croise celui des chasseurs à 
pied, sur la plate-forme de la tour. G*est alors que 
deux officiers du i3« léger, le lieutenant Angier et 
le sous-lieutenant Borel, demandent à traverser le 
Tibre sous le feu de Tennemi. Cinquante nageurs de 
bonne volonté se sont offerts pour les suivre \ Ils 
placent leurs armes et leurs vêtements sur le radeau; 
les caporaux Meunier et CoUange, les chasseurs Gibert, 
Duthau et Segon' le poussent sur la rive droite et 
s'apprêtent à entrer dans Teau dès que le radeau aura 
accosté. Le courant, très fort à cet endroit, entraine 
le radeau dans la direction de Rome, à peu de distance 
d'un second poste romain qui a pris les armes. 

L'alerte a été donnée, non seulement aux avant- 
postes de l'ennemi, mais aux batteries mêmes de la 
porte du Peuple et du fort Saint- Ange, qui canonne 
la ligne des tirailleurs français sur la rive droite en 
face de Ponte-Molle. Les cinq hommes qui montaient 
le radeau lancent leurs armes sur la rive gauche, se 
jettent à Teau et abordent sur la rive, ils enterrent 

* Instructions du général Vaillant. (Journal des opérations 
de rartillerie et du génie.) Cf. Général H. Bernard, Traité de 
tactique, t. Y. 

* Historique du 88* de ligne (ancien i3* léger). 

Les détails que nous donnons sur ce fait d*arine sont 
extraites de l'ordre du jour du colonel Bousourd de Lamarre, 
signalant au régiment les militaires qui s étaient distingués 
an passage du Tibre. Dans le Journal des opérations de 
rartillerie et du génie, le général Vaillant ne mentionne pas 
les noms des odiciers et ne parle que de vingt-cinq voltigeurs ; 
or ils étaient cinquante. 

3 On appelait chasseurs, les soldats des compagnie du cen- 
tre dans les régiments d'infanterie légère. 

i6 



— 24a — 

aussitôt leurs armes, toujours sous le feu de rennemi, 
^ et se rejettent dans le Tibre pour sauver le radeau. 
Efforts inutiles, il faut l'abandonner et reprendre 
pied sur la rive droite *. 

Leurs camarades qui assistent à cette scène avec 
émotion viennent à leur aide et se précipitent dans le 
fleuve, les deux officiers en tête '. Ils s'emparent d'un 
bateau qu'on n'avait pas encore aperçu et sur lequel 
une vingtaine d'hommes peuvent traverser le Tibre'. 
En un instant, le fleuve est franchi et les braves du 
i3e léger reprennent leurs uniformes et leurs armes. 
L'ennemi aurait tenté de les capturer si à ce moment 
les cinq compagnies françaises n'eurent encore aug- 
menté leur fusillade. Le tir des chasseurs était d'une 
précision remarquable. 

Les cinquante nageurs ont, à leur tour, ouvert le 
feu sur les troupes du poste qui, prises en flanc, 
reculent dans la direction de la porte du Peuple. Le 
lieutenant-colonel Leblanc et ses sapeurs en profitent 
pour rétablir le passage sur l'arche rompue, au moyen 
de corps d'arbres et de fascines^. Il était deux heures \ 
Quoique le feu de l'ennemi continuât, les soldats 
du génie purent enlever dans les fourneaux de mine 
des autres arches les boites aux poudres chargées et 
amorcées^. Les chasseurs franchirent alors le passage, 
précédant toute la colonne Duprat de la Roquette. 

On occupe le réduit et les tranchées établies par 
l'ennemi ainsi que plusieurs maisons bordant la route 
des deux côtés. Il était deux heures et demie de 

* Historique du 88* (ancien i3* léçerV 

^ Le colonel de Lamarre cite particulièrement les chasseurs 
Escaillas, Bé^uignat, Magnier, Duthau, Segon, Chaland, 
Gibert, Forestier, Dîvet et Gaudriot. 

^ Journal des opérations de Fartillerie et du génie. 

* làid. 

* Le capitaine Vertrav mentionne que le pont était réparé 
à deux heures. (Album.) 

* Capitaine Vbrtray, Album. 



— a43 — 

Taprès-midi. La tête du pont fut mise solidement en 
état de défense du côté de l'ennemi: celui-ci avait 
retiré les deux pièces de canon dont il n'avait pas su 
faire usage. 

Le général Sauvan félicita le détachement qui 
n'avait perdu qu'un homme, le chasseur Poucet, du 
iS^" léger, noyé, et qui comptait quatre blessés, le 
caporal Boislabeille, le voltigeur Monnier, les chas- 
seurs Gaudriot et Forestier. 

Un demi-bataillon du iS» de ligne, une section de 
chasseurs à pied et une pièce d'artillerie, sous le 
commandement du chef de bataillon Miller, formèrent 
les avant-postes de la brigade. On sut par des prison- 
niers blessés que l'ennemi avait engagé un millier 
d*hommes'; il était rentré dans Rome. 

Toutefois, pendant la nuit, les Romains essayèrent 
de surprendre les sentinelles et tentèrent une timide 
attaque que les compagnies du iS», commandées par 
le commandant Miller, repoussèrent facilement*. Ce 
ne fut en réalité qu'une démonstration qui mit en 
relief la bonne contenance de nos avant-postes '. 

La nuit ne fut pas plus tranquille sur les positions 
conquises devant la porte San-Pancrazio. 

La division Garibaldi fort éprouvée avait regagné 
ses cantonnements à l'intérieur de Rome, à l'excep- 
tion d'un bataillon qui gardait la villa Giraud et la 
porte San-Pancrazio, sous le commandement du lieu- 
tenant-colonel Sacchi, mais la population avait été très 
émotionnée et fort irritée de l'échec de ses troupes. 



* Général Oudinotau ministre de la gaerre, 4 Jain 1849. 
2 Capitaine Vbrtray, Album. 

^ Général Oudinot aa ministre de la gaerre, 4 Juin 1849- 
l^e UeaieQan^cajonel Daprat de Laroquette aviÉÉiu't bien 

cotMlait eeCtUp^lBilB^^^^"^ ^^ ^^^ officier ^Vv^ii* ^st 
eneore ni'^^^^^^^^^^^ll^ dignement pn^ Qicier 




Pour la calmer, le triumvirat, qui savait cependast 
à quoi s'en tenir, avait fait afficher et publier cette 
singulière proclamation : 

« Vaillants soldats! vous avez soutenu aujourd'hui 
le nom romain et l'honneur de Tltalie par un combat 
de quatorze heures. Vous tous, nouveaux dans lart 
de la guerre, vous avez effacé la valeur aguerrie des 
vieux soldats. 

<i Tout surpris que vous ayez été par la trahison et 
la violation infâme d'une promesse sacrée et signée, 
vous n'en avez pas moins repris pouce à pouce toot 
le terrain qu'un ennemi, foulant aux pieds les lois de 
la guerre, avait conquis sur vous pour un moment. 
Vous avez repoussé et mis en déroute les milices qui 
passaient, aux yeux de l'Europe, pour les pins valeo- 
reuses *. Vous êtes allés au-devant de la mort comme 
l'on va à une fête, à un triomphe. 

« Que pourrons-nous faire qui soit à la hauteur de 
votre valeur, sinon d'invoquer la puissance do TK*^ 
Haut sur vous, de nous unir à lui pour vous bénir au 
nom de l'Italie, vous, les gardiens des gloires de no> 
ancêtres, le remercier de ce qu'il nous a donné de 
voir dans cette journée les grandes et les merveil- 
leuses choses qui sont en vous. 

<i Romains! disons-le, cette journée a été une jour- 
née de héros, une des plus belles de l'histoire. Nous 
vous avions dit : Soyez grands! et vos actes nous 
ont répondu : Nous le sommes *. » 

Sous l'influence de ce manifeste à la fois mystique 
et fanfaron, el aussi sous Timpression de cette jour- 
née de bataille pendant laquelle les batteries du 
Janicule, celles du château Saint- Ange et de la porle 

> L'historien de la légion garibaldîenne reconnaît avec pla< 
de vérité que les Romains ont perdu leurs positions, tout rn 
rendant hommage à nos soldats (... le |>osizioni perdute coq- 
tro le migliori truppe regolari di Europia), p. aaj. 

^ Balle YDiBR. La Révolution à Rome, t. H, p. 142-143. 



ft 



■^ 



d' -^ 



Ni'- 



245 

lu Peuple avaient tiré de nombreux coups de canon ', 
ane bande de soldats romains et des gardes civiques, 
en armes, tous très exaltés, sortirent à onze heures 
du soir par la porte San-Pancrazio et se dirigèrent 
. vers la villa Gorsini qu'ils espéraient surprendre. 

Des sentinelles appartenant au 2« léger et placées 
sur les terrasses de la villa Yalentini, face aux rem- 
parts de la place, les aperçurent et les signalèrent 
sans avoir éveillé l'attention de celte troupe. Le chef 
de bataillon Potier, du 25« léger, avait eu le temps 
de réunir deux compagnies et de les dissimuler 
derrière un mur sur le passage des Romains. Un clair 
de lune superbe favorisait l'embuscade'. Au signal 
donné, les Français, presque à bout portant, exé- 
cutent une décharge terrible. La petite colonne des 
Romains perd plus de la moitié de son ef^ectif^ 
Elle se débande, cherche à fuir, poursuivie la baïon- 
nette dans les reins; bientôt elle laisse entre les 
mains des deux compagnies du 25^ léger plusieurs 
prisonniers dont un officier *. 

Au sud-est de l'église San-Pancrazio, se dressait 
une maison de belle apparence^ en face, ou plutôt, 
selon le terme consacré en fortifications, presque en 
capitale du bastion 6, à six cents mètres du saillant, 
au milieu d'une vigne appelée la vigna Merluzzetto. 

Cette maison, qui devait être désignée sur les plans 
d'investissement sous le nom de Maison des six 
Qolets çerts^, avait été occupée dans la matinée du 

* Rappelons que, pour ne pas commencer l'attaque directe 
de la place, le général Oudinot ne lit pas tirer un seul coup 
de canon contre les remparts avant la journée du lundi 4 juin. 
Une de nos pièces d'artillerie riposta par un coup unique aux 
innombrables projectiles des batteries romaines des bastions 
6 et 8. (Cf. Balléydier, La Révolution à Rome, t. II, p. i43.) 

^ Historique du 100^ de ligne (ancien a5^ léger). 
' Ibid. 

* Ibid. 

^ Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



— 246 — 

3 juin, sans aucune difficulté, par un détachement da 
génie que commandait le capitaine de Jouslard, da 
ler régiment de cette arme. Après en avoir pris pos- 
session, le capitaine avait également fait occuper par 
une section de sapeurs une petite maison, sur la 
droite, près des escarpements de la vallée du Tibre 
et que surmontait une terrasse d'où Ton apercevait 
distinctement la porte Portese. Cette habitation fut 
appelée désormais la Maison de droite ^ Un poste y 
fut maintenu. Il en fut placé un aussi dans une mai- 
son appelée la casa Talonghi, à environ cinq cents 
mètres au nord de la villa Valentini. De là on décou- 
vrait le vallon qui prend naissance près de la villa 
Gorsini. Le poste, protégé par un épaulement, prît 
le nom de Maison de gauche. 

Quant à la Maison des Six volets verts^ elle fut mise 
en état de défense. On garnit les croisées de sacs à 
terre, une barricade fut établie avec des tonneaux 
en avant de la porte ; la o^ compagnie du i*^'' génie 
moins la section de la Maison de droite y fut établie 
et y demeura toute la journée du 3 juin. Maintenue 
pendant la nuit, elle ne fut l'objet d'aucune tentative. 

Dans la matinée du 4 juin, les sentinelles du génie 
aperçurent une bande armée qui venait de la direction 
de la porte Portese. C'étaient encoredesRomains; aus* 
sitôt nos factionnaires firent feu, l'ennemi ne riposta 
pas mais continua à s'avancer. Au bruit des détona* 
tions, deux compagnies de voltigeurs accoururent 
du poste de San-Carlo. A la vue de ce renfort, les 
Romains s'arrêtèrent et, sans engager le feu, se reti- 
rèrent dans l'enceinte. 

Peu de temps après, la batterie du bastion 6 démas- 



< Journal des opérations de rartillerie et du génie. Cf. éga)<^ 
ment l'ouvrage précité du général H. Bernard {Traité ti^ 
tactique j t. V) ^ui nous donne une lumineuse synthèse des 
opérations du siège de Rome. 



— a47 — 

qaa subitement deux embrasures et ouvrit le feu sur 
la Maison des six volets verts. La façade fut criblée 
de boulets, un capitaine d*artillerie de marine^ en 
mission à l'armée et deux sapeurs du génie furent 
tués. Après une demi-heure de ce bombardement qui 
effritait toute la façade et défonçait la toiture, le 
capitaine de Jouslard iit évacuer la maison et ramena 
son détachement à San-Carlo. 

Le feu s -étant ralenti, le colonel de Leyritz, qui 
commandait le 66^ de ligne, craignant que Tennemi 
n'arrivât par la porte Portese, fît occuper la position 
pnr plusieurs compagnies de son régiment. L'ennemi 
ne renouvela pas sa tentative. 

Dans la journée du lendemain 5, une compagnie 
de chasseurs à pied vint remplacer les compagnies 
du 68«. 

Sous le commandement supérieur du général 
Regnaud de Saint-Jean d'Angély, les brigades Mol- 
lière et Levaillant (Jean) restaient chargées de 
défendre les positions des villas Corsini, Pamphili, 
Valentini et des maisons qui s'étendaient parallèle- 
ment à la place depuis la porte San-Pancrazio ju9({u'à 
la porte Cavalleggeri. Tous ces points étaient battus 
par le feu des batteries romaines du rempart. Le 
i3« léger vint remplacer dans la matinée deux ba- 
laillonsdu 20« et du 33« qui occupaient les villas Cor- 
sini et Valentini. 

Pendant la journée, l'ennemi tira fréquemment hiu* 
les deux villas et les bataillons de garde furent coiih- 
tamment en éveil, surtout à la villa Ck>rsini. Le li(Mi. 

f Le corps de cet officier fut relevé et trariHnorté iJhiim (1<*n 
conditions particulièrement dangereufles par le caponil l)ii- 
cliêne, du 68« de ligne. Ce caporal avait déjà «nlcvi'; hoii* In 
feo de rennemi plusieurs blessés. Le colonel d« \A*yr\\% lo 
nomma sergent sur-le-champ. Ducliéne devait nft^ynW du 
Pape la croix de chevalier de Sainl-4^inîj(oinî-l<'-OriiiMl <•! 
uA an après, du gouvernement françaÎN, c«flle lUt la \é<i^Um 
d'honneur. 



— 248 — 

tenant Baillard, des carabiniers du i^'^' bataillon, fut 
blessé au visage par un biscaïen, le lieutenant Massa- 
ger fut légèrement contusionné et le sei^ent-major 
Blanc gravement atteint. Deux caporaux et deux 
soldats du i3« léger furent également blessés* par 
des éclats d'obus ou des biscaïens. Le régiment n'en 
restait pas moins superbe d'entrain, espérant vaine- 
ment que les assiégés décideraient une sortie. 

A l'appel du soir, lecture fut donnée de deux ordres 
laconiques et justes du général en chef. Le premier 
était un hommage rendu à la valeur des troupes. 

« Officiers, sous-officiers et soldats du corps 
<i expéditionnaire, 

« La journée d'hier a été des plus glorieuses pour 
nos armes, elle aura sur le résultat de la campagne 
une prompte et peut-être immédiate solution. 

<K Les positions des villas Pamphili^ Corsini, Yalen- 
tini et Saint-Pancrace ont été enlevées avec une 
vigueur et une précision qui ne font pas moins hon- 
neur à la persévérance du soldat français qu'à son 
intrépidité. 

« La brigade détachée à Monte-Mario a de son côté 
enlevé de vive force à l'ennemi le Ponte-Molle, la 
rive droite ainsi que la rive gauche du Tibre supérieur 
sont occupées. 

« Le général en chef sera heureux de pouvoir 
appeler toute la sollicitude du gouvernement sur les 
militaires de tous grades qui se seront le plus disUn* 
gués dans ces mémorables combats *. 

« Le Général commandant en chef^ 

<K OUDINOT DE ReGGIO. » 



' Ces militaires élaient les caporaux Duhamel et Carrière, 
le carabinier Roizois et le chasseur Bomiard. 
' Historique du 20* de ligne. 



— a49 — 

Le second ordre annonçait l'ouverture des travaux 
du sièsre. 



Ordre général 

« La tranchée sera ouverte aujourd'hui 4 juin, à 
partir de l'église San-Pancrazio où elle appuiera sa 
gauche jusqu'aux escarpements qui descendent à la 
via Portuense, vis-à-vis du Testuccio. A cet effet 
douze cents travailleurs pris dans la 2® division seront 
réunis ce soir à huit heures et demie, dans le chemin 
de Monte- Verde, qui avoisine le dépôt de tranchée, 
vis-à-vis et au-dessous de la villa San-Carlo. Ces 
troupes, mises à la disposition du génie, seront réu- 
nies par les soins du major de tranchée et partagées 
en autant de détachements qu'il sera nécessaire, sans 
toutefois fractionner les compagnies. 

« Chaque homme recevra, au dépôt de tranchée, 
une pelle et une pioche. Les détachements, conduits 
par les officiers du génie aux lieux où le travail doit 
s'exécuter, observant constamment le plus grand 
silence, seront couchés ou assis le long du tracé qui 
leur aura été assigné et resteront immobiles jusqu'au 
moment où se transmettra à voix basse le comman- 
dement de : «( Haut les bras! )» A ce signal, les hommes 
se mettront à creuser la terre et à la jeter du côté de 
la place. L'excavation à faire par chaque travailleur 
aura pour longueur la pelle, manche et fer compris, 
pour largeur i mètre, pour profondeur i mètre. 

a II ne devra pas y avoir de lacune ou d'interrup- 
tion dans la tranchée. 

« Demain à quatre heures du matin les travailleurs 
de nuit seront remplacés par un pareil nombre de 
travailleurs, qui seront fournis par la 3« division (i3« 
et 16^ légers). Ils porteront la tranchée à deux mètres 



— abo — 

même profondeur. Les travailleurs auront la capote, 
le fusil et la cartouchière. 

ce Deux bataillons seront commandés dans la 
2« division pour la garde de tranchée, ils seront sous 
les ordres du général de jour '. » 

Le général de brigade Chadeysson était désigné 
pour commander le service de tranchée pendant 
vingt-quatre heures. Les fonctions permanentes de 
major de tranchée étaient confiées au lieutenant- 
colonel Sol, du 33« de ligne; il devait avoir sous ses 
ordres comme aides-majors de tranchée les capitaines 
Chevalier, du 20« de ligne, Tondu, du 66» et d'Acher, 
du68«. 

En réalité, l'investissement des abords de Rome 
par Tarmée française allait décrire un croissant qui 
envelopperait tout le Transtevere, la droite appuyée 
sur les hauteurs qui font face au mont Testuccio, 
avec le pont de bateaux que nous avons vu établir 
sur le Tibre en aval, et la gauche, tout en occupant le 
Monte-Mario, passant le Tibre en amont sur Ponte- 
Molle. 

Or la ligne fortifiée qui entourait Rome sur la rive 
droite pour la défendre n'avait pas moins de sept à 
huit kilomètres* de la porte Portese à la porte 
Angelica. Afin de ménager des feux d'infanterie 
partant du sommet de la muraille, les Romains avaient 
appliqué contre l'escarpe, à l'intérieur, des échafau- 
dages qui soutenaient un chemin de ronde en char- 
pente. Sur le dessus du mur, un parapet se dressait 
crénelé en sacs à terre. De distance en distance et 
particulièrement près des portes, des embrasures 

< Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

> Sur la rive ffauche, la ligne de fortifications, dont une 
grande partie date d'Aurélien, était de quinze à seize kilo- 
mètres ; ce qui lui donnait pour la ville entière une longueur 
de vingt-trois kilomètres de développement. 



— a5i — 

percées dans le mur donnaient passage au feu de 
Fartillerie '. 

Pour renforcer la défense, les Romains n'avaient 
pas hésité à abattre, en dehors, sur tout le pourtour 
de l'enceinte, les murs, les arbres, les maisons, « tout 
ce qui pouvait gêner les feux de la place ou fournir 
des couverts à l'assiégeant* ». 

Les murs qui bordaient les grandes voies de corn- 
munication avaient été crénelés. Quant aux barri- 
cades, Rome en était hérissée; on les avait garnies de 
parapets en terre de trois à quatre mètres d'épaisseur, 
avec des fossés de deux mètres de profondeur, des 
frises, des palissades, etc. 

L'artillerie de la place disposait de plus de cent 
bouches à feu' bien approvisionnées et enfin aux 
premiers jours de juin, la garnison comptait environ 
22.000 hommes* indépendamment des 12.000 gardes 
civiques, affectés au service intérieur de police et de 
garde. Cette garnison était ainsi répartie : 



Infanterie 

,er régiment de vétérans ^4^ 

ler — de ligne 1.864 

2« — de ligne 2 . 000 

3« — de ligne. i -4.^)3 

5« — de ligne •■^•"93 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

> Jbid. Cf. Général H. Bernard, Traité de tactique, t. V, 
p. 55a. 

* Exactement cent quatorze bouches à feu, dont cinquante 
pouvaient battre les positions françaises. 

^ Exactement vingt et un mille sept cent soixante hommes, 
d*après les pièces justificatives que donne le général Vaillant 
dans le Journal des opérations de Tartillerie et du génie, 
pièce n<* 16. 



232 



6® régiment de ligne 1.740 

i«r bataillon de bersaglieri (ancien bataillon 

Pietramellara) 879 

2® bataillon du 8<» de ligne 729 

9« régiment de ligne 1.841 

Légion romaine (volontaires) a5i 

Bersaglieri lombards (bataillon de Manara) . i.ooo 

Bataillon universitaire 3oo 

Légion bolonaise (volontaires) 65o 

Division Arcioni (Piémontais) • . 4^^^ 

Légion Garibaldi (Piémontais et Lombards) . i .5oo 

Lanciers de la légion dont 40 à cheval .... 1200 

Carabiniers mobilisés 4^ 

Légion polonaise. . 000 



Cavalerie 

i«r régiment de dragons 889 

2« régiment de dragons 8&1 



Artillerie 

Artillerie de ligne i . 383 

Artillerie de volontaires 191 



Génie 



Sapeurs 3oo 



Le général Vaillant a fait de son système d'attaque 
un exposé magistral qui nous semble devoir être 
reproduit : 



i 



— 253 — 

■ En admettant que l'on ebl toute liberté de 
porter à volonté les opérations du siège sur l'une ou 
l'autre rive da Tibre, soit, par rezemple, contre la 
vieille enceinte, au saillant de la- porté San-Sebastiano, 
soit contre l'enceinte moderne, sur le front du 
Janicnle, encore eilt-il paru préférable, au point 
de vue politique aussi bien qu'au point de vue 
purement militaire, de ne pas attaquer par la rive 
gauche. 

« De ce dernier cdté, en elTet, la brèche eQt été 
ouverte entre deux tours qu'on aurait démanlelées 
le plus possible sans doute, maïs l'enceinte n'étant 
pas terrassée, cette brèche n'aurait été qu'un massif 
de blocs de maçonnerie bien difficile à franchir, 

« Celte première difficulté vaincue, on se serait vu 
arrêté infailliblement par un retranchement intérieur, 
élevé à la bâte, il est vrai, mais ^arni de canons et 
dominant la brèche plutôt qu'il n'en eût été dominé 
lui-même. 

« Supposons ce nouvel obstacle surmonté, on se fût 
trouvé sur un terrain tout à l'avantage de la défense, 
dans un dédale de murs crénelés, de rues et de che- 
mins hérissés de barricades. Il eût fallu alors ou 
détailler l'attaque de chaque jardin, de chaque mai- 
son, c'est-à-dire faire une guerre longue, incertaine 
et décourf^eante, ou bien enle%'er tous ces obstacles 
de haute lutte et faire pénétrer violemment au centre 
de la ville une armée irritée par des combats san- 
xlants, par des pertes nombreuses, et par toutes les 
difficultés qui dans cette marche rapide auraient surgi 
devant elle, c'était prendre Rome d'assaut, c'était 
exposer Rome à toutes les suites d'une prise d'as- 
saut. D 

Le commandant supérieur du génie rappelait 
qu'avec la mission libératrice que s'attribuait l'armée 
française, il eût été odieux de faire de Rom^ une 



— 254 — 

nouvelle Saragosse, pour ne remettre au Pape qu*une 
ville dévastée, et il ajoutait : 

<!( Non, Farmée ne le voulait pas; la France ne lui 
avait pas donné une mission de cette nature. Et 
d'ailleurs, après Taflaire du 3o avril, il ne fallait pas 
risquer d'ébranler encore par Tinsuccès d'une seule 
de nos tentatives la confiance de nos soldats, d'exalter 
d'autant les forces de l'ennemi. Il y aurait eu impru- 
dence à le faire, il fallait chercher pour l'attaque une 
autre voie. 

« II fallait que, en forçant l'enceinte de Rome à la 
suite d'un siège plus ou moins méthodique mais sftr, 
l'armée p&t arriver à occuper immédiatement à l'in- 
térieur une position tellement dominante, tellement 
menaçante pour la ville, que la continuation de toute 
résistance sérieuse devint, aux yeux de tous, une im- 
possibilité; il fallait que là pût se terminer la lutte, 
sans qu'il n'y eût nécessité de pénétrer plus avant et 
d'entreprendre une guerre de barricades et de maisons. 

^ L'attaque sur la rive droite par le saillant de l'en- 
ceinte qui occupe les hauteurs du Janicule parais- 
sait avoir toutes les chances de nous faire obtenir 
ce résultat. Ces hauteurs, en effet, sont les plus éle- 
vées que renferment les murailles de Rome; le contre- 
fort de San-Pietro in Montorio domine le cœur de la 
ville de si haut et de si près qu'il est difficile de 
comprendre que la défense se continue contre un 
ennemi qui s'en est emparé. 

« Peut-être la fortification de cette partie delà place 
devait-elle exiger de l'assiégeant plus de travail et 
d'efforts que n'en eftt coûté la vieille enceinte de Taatre 
rive, mais en admettant que la marche fût plus lente 
au commencement, du moins était-elle régulièrement 
sure jusqu'à la fin ^ » 

* Journal des opérations de l'artillerie et da génie. 



— 2i55 — 

D'après Téininent ingénieur mUilaire qui allait diri- 
ger les travaux de siège de Rome, le programme du 
projet d'attaque se formulait donc ainsi : 

Pénétrer dans l'enceinte bastionnée du Janicule 
par le front qui forme saillie entre les portes Portese 
et San-Pancrazio, gagner ensuite, par un mouvement 
de conversion à gauche, la tète de l'enceinte auré- 
lienne et le contrefort de San-Pietro in Montorio, en 
passant par-dessus le vieux mur aurélien, puis voir, 
par les opérations ultérieures, l'attitude que prendrait 
la défense 





\ 



\ 



CHAPITRE XIII 



PREMIER JOUR DE TRA.NCHEB. 



Le corps expéditionnaire disposait d'un matériel 
d'artillerie de siège assez restreint, mais qui devait 
être renforcé avant peu. Le service de l'artillerie était 
dirigé par le général de brigade Thîry, officier gêné* 
rai encore jeune, secondé par le clief d'escadron 
Soleille, chef d'état-major et les chefs d'escadron 
Devaux et Bourdeau'. Ces trois officiers supérieurs 
devaient être successivement de service à latrancbée 
pendant ving:t-qnatre heures, avoir sous leurs ordres 
toute l'artillerie employée aux attaques et se relever 
à six heures du soir. 

Le lieutenant colonel Larchey était directeur du 
grand parc *. 

Les batteries de campagne qui étaient attachées 
aux divisions furent placées, pendant la durée du 
sii-^, sous les ordres directs du général comman- 
dant l'artillerie. Elles abandonnèrent en conséquence 
louts cantonnements et vinrent s'établir dans le 

' Le capitaîoe Tou^naint servait comme aide de camp 
jiiiprès du général Thiry et les capitaines Paultrier et Saho- 
iliu' comme adjoint* auprès du chef d'état-major. 

- Le capitaine de Luxer était adjoint au directeur dn p&rc. 



— aSj — 

voisinage de San-Carlo où elles furent rejointes par 
les trois batteries à pied, qui étaient campées à 
Santa-Passera. Six batteries d'artillerie se trouvaient 
groupées sous le commandement des capitaines Pinel, 
Serrand, de GrimaudetdeRochebouët, Canu, Barbary 
de Langlade et Cachot. Il y avait aussi une compagnie 
du train d'artillerie : une compagnie de pontonniers 
allait arriver, ainsi d'ailleurs que d'autres batteries ^ 

A rétat-major de l'arme du génie étaient attachés, 
outre le colonel Niel, chef d'état-major, le lieutenant- 
colonel Leblanc, les chefs de bataillon Goury, Gal- 
baud du Fort, aide de camp du général Vaillant, Fros- 
sard, les capitaines Boissonnet etRagon. Les troupes 
du génie n'étaient représentées que par trois compa- 
gnies, commandées par les capitaines de Jouslard, 
Puiggari et Darceau; comme celles de l'artillerie, 
elles devaient recevoir prochainement des renforts'. 

Pour le service de la tranchée, les officiers de 
rétat-major du génie furent répartis par le général 
Vaillant en quatre brigades. La première comprenait 
le lieutenant*colonel Leblanc et* le capitaine Ragon, 
la deuxième le chef de bataillon Goury et le capi- 
taine Veilhau, la troisième le clief' de bataillon 
Galbaud du Fort et le capitaine Boissonnet, la qua- 
trième le chef de bataillon Frossard et le capitaine 

1 La i-'* compagnie de pontonniers (capitaine Blondeau) 
devait arriver le a5 Juin, la i6' batterie du ii^ (capitaine Pré- 
lat) le ao juin, la f du \^ (capitaine Roget) le ai, une demi- 
compagnie d'ouvriers (capitaine Julia) le aa, la i5^ du lo*' 
(capitaine Besançon) le a4 juin, la i6® du i^*" (capitaine Corn- 
bier) le a5 Juin. 

* Trois autres compagnies devaient en effet arriver : la 7' du 
2* bataillon du a^ génie (capitaine Mayette) prit le service le 
1 1 juin, la 4^ du i"'' bataillon du i^** génie (capitaine Touve- 
nain) le a^ juin, et enfin la compagnie de mineurs du 
^ bataillon du a® génie (capitaine Pissis) arriva le 3o au 
matin. 

Dans le mois de Juin arrivèrent le lieutenant-colonel Ardant, 
les capitaines Prévost, Regnault, Schœnnagel, Gras et Bonfil- 
lion. 

17 



— 258 — 

Doutrelaine. Chaque brigade était de service à la 
tranchée pendant vingt-quatre heures, on la relevait 
à neuf heures du matin. Chacune destroiscompagnies 
de sapeurs était divisée en trois brigades, commandées 
respectivement par les trois officiers de la compagnie 
et composées de trois sous-officiers et de trente à 
trente-cinq caporaux et sapeurs. Les brigades de 
sapeurs étaient de service de six heures du soir à six 
heures du matin et de six heures du matin à six 
heures du soir. Elles arrivaient à la tranchée deux 
heures après les travailleurs de Tinfanterie, qui étaient 
relevés à quatre heures, soir et matin. 

La première parallèle devait être établie à environ 
trois cents mètres des saillants les plus avancés de 
Fenceînte. Pour détourner l'attention des défenseurs* 
les troupes d'infanterie qui occupaient les positions 
des villas Corsini et Valentîni reçurent l'ordre d'en- 
gager la fusillade avec l'ennemi vers six heures da 
soir^ Cette fusillade s'engagea assez mollement de 
part et d'autre, mais le but de la démonstration était 
atteint car l'ennemi se bornait à riposter. 

Le commandant Goury était chargé de l'attaque 
de droite, comprenant à peu près la moitié du déve- 
loppement de la parallèle, le commandant Galbaud 
du Fort, de l'attaque de gauche. Ces deux officiers 
supérieurs avaient chacun sous leurs ordres deux 
brigades de sapeurs et six cents travailleurs de 
l'infanterie (de la 3« division). 

Les deux bataillons de garde de tranchée se 
massèrent entre le dépôt de tranchée et la Maison 
des six volets verts. Le général Chadeysson flt même 
déployer trois compagnies sur la crête pour observer 
la porte Portese. 

^ Tons ces détails et ceux qui suivent relativement aux 
travaux de tranchée ont été recueillis par nous dans le Jour^ 
nal des opérations de Tartillerie et du génie. 



— aSg — 

A onze heures, le travail commença à la clarté de 
la pleine lune. Le terrain sur lequel on allait ouvrir 
la tranchée présentait des difficultés de toute nature; 
il fallait suivre les pentes avec beaucoup de soin atin 
d'éviter des intervalles mal déQlés. 

Munis de pelles et de pioches, les travailleurs 
d'infanterie creusaient avec entrain. A Tattaque de 
droite, ils étaient couverts vers trois heures du matin; 
une heure après, la tranchée avait partout un mètre 
de largeur sur un mètre de profondeur. Les sapeurs 
du génie construisaient le parapet dans la traversée 
du chemin qui coupait la parallèle. A trois heures et 
quart, les travailleurs d'infanterie rentraient à leur 
régiment sans qu'aucun obstacle eût entravé le 
travail. 

A l'attaque de gauche, les travailleurs d'infanterie 
arrivèrent un peu en retard, vers six heures. Pen- 
dant leur marche du dépôt de tranchée à l'église 
San-Pancrazio, oii la gauche de la parallèle devait 
s'appuyer, ils furent surpris par la fusillade des 
ciiasseurs à pied, qui croyaient devoir tirer, des murs 
du couvent de San-Pancrazio, sur les remparts enne- 
mis pour simuler une attaque. Les travailleurs qui 
appartenaient pour la plupart au66« de ligne subirent 
un moment de panique ^ On les rallia facilement; 
remis en marche, ils purent commencer leur travail 
à onze heures du soir. A quatre heures la tranchée 
avait un mètre de profondeur. Les travailleurs 
d'infanterie rentrèrent et la garde de tranchée, qui 
jusqu'alors était restée en avant des travailleurs, se 
retira sur le revers de la parallèle *. 

Dans cette même nuit d'ouverture de la tranchée , 

« Historique da 6G» de ligne. 

' /our/iai des opérations de l'artillerie et du génie. 

Ce Journal, dont la partie relative aux opérations de 
rartiilerie a été rédigée sur les iadications du général Thiry, 
dit à ce sujet : a II importait de répondre au feu de Tartille* 



— 26o — 

Tartillerie commençait la construction de ses batte- 
ries. Deux devaient être placées en arrière de la paral- 
lèle, Tune pour contre-battre les pièces du bastion 
6, près du saillant, l'autre pour éteindre le feu de deux 
batteries romaines : la batterie Saint-Alexis, placée 
devant la petite église de Santa-Maria del Priorata 
et la batterie du Testuccio, sur la rive gauche du 
Tibre. 

La première des batteries françaises, dite batterie 
n^^i , fut placée à plus de cinq cents mètres de Tenceinte, 
presque en capitale du bastion 6. Le capitaine Gachot, 
du 3® d'artillerie, fut chargé de la construire et de 
servir, avec la i6« batterie de ce régiment qu'il 
commandait, les deux pièces de i6 et un obusier 
de 22 centimètres. Elle fut commencée à neuf heures 
du soir, achevée et armée à quatre heures du matin : 
elle ouvrit le feu deux heures après. La batterie n» 2 
avait été commencée en même temps que l'autre 
sur une position découvrant le Saint-Alexis et le 
Testuccio. Sa construction et son armement (deux 
pièces de 24 et un obusier de 22 centimètres) étaient 
contiés au capitaine de Langlade, de la i6« batterie 
du 8^ d'artillerie, elle ne fut terminée qu'à six heu- 
res du soir et un accident arrivé au dernier moment 
à une de ses pièces ^ retarda l'ouverture du feu jus- 
qu'à neuf heures. 

A la pointe du jour, le 5 juin, le bastion 6 ouvrit 
le feu contre la batterie n® i, qui riposta avec succès. 
Après trois heures de lutte, les pièces romaines 
cessèrent leur feu. La batterie n^ 2 fut moins heu- 
reuse: assaillie par les projectiles de deux batteries 
de la rive gauche, elle ne put prendre l'avantage. 

rie romaine pour chercher à en imposer à Tennemi et à sou* 
tenir le moral de nos travailleurs. » 

^ Une des pièces de a4 échappa de ses encastrements et il 
fallut la relever à bras par suite de manque d'agrès. {Jaurruti 
des opérations de l'artiUerie et da génie.) 



— a6i — 

L'ennemi en profita pour tenter une attaque sur 
la Maison des six volets verts, à trois cents mètres du 
mur d'enceinte; la position était défendue par le 
demi-bataillon de gauche du 2« bataillon du id*' de 
ligne, commandé par le chef de bataillon Guyot de 
Lesparre'. Les quatre compagnies, vigoureusement 
enlevées par cet officier supérieur, repoussèrent 
l'ennemi à la baïonnette, le rejetant sur la villa 
Giraud par le chemin creux dit de PauLV, où il aban- 
donna plusieurs de ses blessés '. Dans les combats de 
la soirée furent tués deux voltigeurs, Divet et Mou- 
ret, le chasseur Sambion, frappé d'un éclat d'obus 
au ventre, devait succomber à sa blessure; furent 
également blessés moins grièvement le sergent de 
voltigeurs Mirasson et cinq autres militaires du régi- 
ment '. 

Un bataillon du 33® vint prendre position et y 
resta jusqu'à neuf heures et demie; la compagnie 
de grenadiers eut plusieurs blessés. Ce brave régi- 
ment allait occuper alternativement avec le ao^ de 
ligne la ligne des villas et des postes établis depuis 
la villa Corsini jusqu'à cinq cents mètres du 
Vatican. La brigade Mollière, exposée ainsi conti- 
nuellement au feu de l'artillerie ennemie, devait, 
quoique prenant peu de part aux travaux de tranchée, 
éprouver des pertes relativement plus considérables 
que les autres corps. 

Dans la journée arriva le 53® de ligne (colonel 
d'Autemarre) incorporé dans la brigade Chadeysson, 
de la 2« division*. On apprenait l'arrivée à Civita- 

*■ Historique du 88^ de liffne (ancien i3<^ léger). 
M. Guyot de Lesparre devait mourir vingt et un ans plus 
tard, le i^** septembre, à Sedan, comme général de division. 

* Historique du 88« de ligne (ancien i3* léger). 

'Le voltigear Compaux, les chasseurs, Sianne, Brajon, 
Bnm et Legrand. 

* Ce régiment était à Civita-Vecchia depuis le a. On a lieu 
de s*étonner qu'il y ait été retenu pendant trois jours. 



— a62 — 

Yecchia d'une gabare de chaîne portant quatre 
pièces de 24» deux obusiers de 32 centimètres et 
quatre mortiers. Jusqu'alors le service de l'artillerie 
ne disposait que de quatre pièces de 16, de deux 
obusiers et de quatre pièces de 3o empruntées à la 
marine *. 

L'artillerie avait eu dans la première nuit quatre 
blessés : le capitaine Gachot et trois canonniers. Les 
pertes totales des journées des 4 et 5 juin s'élevèrent 
à dix tués et soixante-treize blessés parmi lesquels 
trois officiers; la plupart appartenaient aux troupes 
qui occupaient les maisons à la gauche des attaques. 

A quatre heures du soir le général Levaillant 
(Charles), ayant sous ses ordres le colonel Chenau 
du 66^ de ligne, avait pris le commandement de la 
tranchée. Les deux nouveaux bataillons de garde 
appartenaient l'un au So®, l'autre au 53« qui venait 
d'arriver. La deuxième nuit de tranchée commença 
donc dans la soirée du 5 ^ 

A Tattaque de gauche, au moment où une con*ée 
se rendait au dépôt de la tranchée pour y prendre 
des sacs à terre, des fascines et des piquets, elle occa- 
sionna un certain désordre, dont s'aperçurent les 
détachements de garde de l'ennemi : ils ouvrirent le 
feu. Nos bataillons de garde de tranchée crurent à 
une sortie et montèrent sur le parapet, ils eurent 
quelques hommes blessés. La confusion augmenta 
parmi les travailleurs d'infanterie, mais le sang-froid 
du commandant Frossard' fit bientôt cesser cette 
petite panique. 

' Officier d'ctat-majory Précis historique et militaire , p. 60. 

^ Commandant Frossard et capitaine Ragon de service 
pour le génie avec deax brigades de sapeurs. 

3 La fortune militaire du commandant Frossard devait 
s*élever bien haut. Bien qu'il ait fait preuve pendant la triste 
guerre de 1870 et notamment an combat malheureux deSpic- 
keren de véritables 
risolement où le a* corps 



qualités de commandement au milieu de 
orps était laissé, l'opinion publique s est 



— a63 — 

La 6« batterie du 7« d'artillerie (capitaine Canu) ' 
commença l'armement d'une batterie de quatre 
mortiers, qui prit le n^ 3, et qui fut établie de manière 
à battre les bastions 6 et 7. 

Alors que l'on commençait à établir des banquettes 
pour la fusillade des créneaux et des gradins de 
retraite, un orage violent éclata pendant l'après-midi 
et causa de grands dégâts dans la tranchée, entraînant 
les sacs à terre, bouleversant les gradins.. 

Malgré la pluie torrentielle, la canonnade continua 
de part et d'autre. Dans la batterie n<> 2, un jeune offî« 
cier d'artillerie plein d'avenir, le lieutenant Clère, du 
8« régiment, fut lue en conunandant le feu de ses piè- 
ces. A ses côtés son canonnier fut grièvement blessé. 

Du côté de Ponte-Molle, le général Sauvan faisait 
exécuter ce même jour, 6 juin, une reconnaissance 
par le i^^ bataillon du iS^^ de ligne (commandant 
Miller). Le bataillon s'engagea sur la route qui con- 
duit à la porte del Populo, arriva à cinq cents mètres 
des remparts de Rome, refoula les avant-postes 
romains dans la ville ' et regagna ses cantonnements 
sans avoir fait aucune perte. 

Aux attaques devant Rome, le général Morris, 
commandant la brigade de cavalerie ^, et le colonel 
Marchesan avaient pris le service de tranchée dans 
la soirée du 6 ^ 

Le génie commença dans la nuit, à la sape 

monlrée malveillante pour ranclen aide de camp de Tempe- 
rcur et l'ancien gouverneur de Tinfortuné prince impérial. 

* Le général Canu, général de division en retraite, ancien pré- 
sident du comité d'artillerie, grand-croix de la Légioa d'hon- 
neur, est mort, il y a quelques mois, chargé d'ans et d'honneurs. 

' HUiorique du i3^ de li^ne. 

^ Le général Morris devint général de division, comman- 
dant la cavalerie de la garde, il laissa un fils ^ui mourut 
l'année dernière, l'un des plus jeunes officiers généraux de la 
cavalerie. 

^ La prise de commandement avait toujours lieu à quatre 
heures du soir. 



— 2tJ4 — 

volante, un premier boyau de marche en zigzag. La 
batterie no 3 fut terminée dans la nuit et ouvrit le 
feu le 7, à quatre heures du matin. Pendant les 
vingt-quatre heures qui venaient de s'écouler, nos 
pertes s'élevaient à cinq tués ' et neuf blessés. 

Le travail de tranchée continuait activement* et 
les progrès devenaient de plus en plus visibles : aussi 
l'ennemi renforça-t-il l'armement* de ses batteries de 
rempart et activa-t-il son tir. Vers six heures du soir, 
la batterie n^ i, dont les embrasures étaient en partie 
démolies, dut cesser de tirer, la batterie n^ a continua 
son tir mais irrégulièrement et avec un désavantage 
marqué vis-à-vis des batteries Saint-Alexis et du 
Testuccio. Nos artilleurs, officiers et troupe, n'en 
gardaient pas moins leur entrain et leur sang-froid, 
déclarant qu'avec deux autres batteries, ils étein- 
draient le feu des batteries romaines. 

En attendant, de nouvelles troupes d'infanterie 
arrivaient au camp de Santucci dans la soirée : le 
32® de ligne (colonel Bosc) destiné à la i« brigade de 
la 2« division. 

A l'heure habituelle, le commandement du service 
de tranchée avait été pris par le général LevaiUant 
(Jean) auquel était adjoint le colonel Ripert, du 
25» léger ^ 

Dans l'après-midi du 7 juin, le général en chef 
reçut la visite du colonel Buenaga, chef d'état-major 
de l'armée espagnole, du colonel d*Agostino et du 
lieutenant-colonel Nunziante, aides de camp du roi 
de Naples, accompagnés de plusieurs officiers supc- 



* Deux carabiniers du i3^ léger avaient été tnés par un 
même boulet, 

^ La tranchée 
faisait aussi des 
fusillade. » (Journal des opérations de Tartillerie et du gé^^i^- 

* Leurs fonctions étaient désignées par le titre de ^nérftl 
de jour et colonel de jour. 



était portée à près de trois mètres : « On 
\ gradins pour le franchissement et pour U 
rnal des opérations de Tartillerie et duffénie.) 



— 265 — 

rieurs des deux armées; ils venaient offrir à l'armée 
française le concours des troupes espagnoles et napo- 
litaines. 

Le duc de Reggio les remercia de leur démarche 
mais refusa nettement, affirmant que les soldats 
français entreraient prochainement dansilome, mal- 
gré la résistance de l'ennemi, a Ce résultat, ajouta-t-il, 
aurait été déjà atteint sans la fâcheuse intervention 
de la diplomatie. )> 

Le général rappela qu'il avait dû engager le 
commandant de l'armée autrichienne à ne pas dépas- 
ser son point d'occupation actuel, il demandait avec 
une respectueuse fermeté au roi de Naples et, avec 
une camaraderie militaire qui n'excluait pas la défé- 
rence, au général Cordova, de ne faire exécuter à 
leurs troupes aucun mouvement sur Rome pendant 
les opérations du siège. Toutes facilités étaient d'ail- 
leurs laissées aux officiers étrangers pour visiter 
les travaux d'attaque et perfectionner leur instruc- 
tion *. Les colonels Buenaga et d'Agostino n'insis- 
tèrent pas et repartirent pour leurs quartiers 
généraux. 

Le premier de ces officiers emportait la lettre sui- 
vante' du duc de Reggio pour le général en chef des 
troupes espagnoles. 

« Au quartier général de Tarmée française 
, de la villa Santucci, le 7 juin 1849. 

« Monsieur le Général, 
« M. le colonel Buenaga, votre chef d'état-major, 
vient de me remettre la lettre que vous m'avez fait 
l'honneur de m'écrîre sous la date du 5 juin. J'ai per- 

• Officier d'état-major, Précis historique et militaire, p. 61. 

* Le double de cette pièce a été verse plus tard aux archi- 
ves de Tambassade de France à Rome et communiqué à 
M. Balleydier, Fauteur de la Révolution à Rome, qui Ta repro- 
duit in extenso. 



— !i66 — 

sonnellement appris à estimer sur les champs de 
bataille l'armée espagnole, je m'applaudis donc de 
toutes circonstances qui me mettent en rapport avec 
les militaires éminents de votre nation, c'est dire que 
je suis heureux de me trouver aujourd'hui en relations 
avec vous. Nous avons sans doute. Monsieur le géné- 
ral, été envoyés par nos gouvernements dans la 
péninsule italienne pour des motifs qui ont une cer* 
taine analogie; toutefois, l'initiative qu'a prise la 
France dans la question romaine ne me permet pas 
de confondre mon action avec celle d'une nation 
étrangère. 

« Depuis plusieurs semaines, je serais entré dans 
Rome, si des négociations diplomatiques n'avaient 
retardé l'attaque de la place. Le ministre plénipoten- 
tiaire qui a entamé ces négociations ayant été désavoué, 
je suis seul responsable des événements et mon devoir 
est de les simplifier autant que possible. A ce sujet, 
permettez-moi de vous rappeler un fait que vous 
apprécierez mieux que personne. Lorsqu'une armée 
assiège une ville, aucune troupe étrangère ne peut, 
vous le savez, s'en approcher, que dans le cas où le 
secours de cette armée est réclamé, soit par les assié- 
geants, soit par les assiégés. Telle n'est pas. Général, 
notre position respective. Votre protection est loin 
d'être acquise aux Romains et l'armée française est 
en mesure de faire face à toutes les éventualités. Elle 
a aujourd'hui, sur le Tibre, deux ponts solidement 
construits, ses communications s'étendent à la fois 
sur la route d'Ancône, de Florence et d'Albano. Ses 
opérations militaires, aussi vigoureuses que méthodi- 
ques, lui ont, en moins de trois jours, permis de 
s'établir fortement à trois cents mètres des remparts. 
Dans cet état de choses, toute marche d'une armée 
étrangère pourrait amener des conflits que la prudence 
nous prescrit d'éviter très soigneusement. £n vous 



— 267 — 

soumettant, Général, ces considérations, j'espère que 

vous y verrez un témoignage de confiance et de haute 

estime. 

« Le Général 

commandant le corps expéditionnaire français ^ 

<( OUDINOT DE ReGGIO *. » 

L'officier général espagnol auquel cette lettre était 
destinée, donFernand de Cordova, se trouvait alors à 
Terracine, Tout en déférant au désir du duc de Reg- 
gio, il résolut de se rapprocher de Rome pour s'éta- 
blir en observation à une dizaine de lieues, ce dont 
Tarmée française ne pouvait prendre ombrage. Il porta 
donc son quartier général à Velletri et ses avant- 
postes à Givita-Lavinia '. 

Quand les officiers étrangers visitèrent l'ambulance, 
le capitaine Gavache, du 20<) de ligne, qui avait eu la 
poitrine traversée d'un coup de feu, dans la tran- 
chée, le 5 juin, venait de succomber. Ils s'agenouillè- 
rent devant le lit du brave officier mort pour la patrie 
et pour l'honneur du drapeau et exprimèrent le regret 
de ne pouvoir assister à ses obsèques. 

Pendant la nuit du ;; au 8, les travaux de sape 
volante avancèrent. D'autre part, il fallait surveiller 
les retours ofiensifs de l'ennemi par les chemins bor- 
dés de murs ou de haies et par les vignes en avant 
des villas Gorsini, Yalentini et de quelques maisons 
situées encore plus au nord. Pour y remédier, on 
ferma par des épaulements les abords du côté de la 
place, on élargit la tranchée de manière à rendre les 
communications plus faciles. Enfin, la I2« batterie du 



> Balleydibr, Documents historiques, pièce justificative 
n*»i5. 

* Le 218 mai, la division espagnole était passée en revue à 
Gaète par le Saint-Père, elle quittait cette ville le 3 juin, 
s'acheminant sur Fondi. 




— 268 — 

5<^ d'artillerie, sous le commandement du capitaine de 
KochebouëtS commença rétablissement d'une batterie 
qui, numérotée batterie 4> fut placée sur le soi natu- 
rel ^ en avant de la parallèle, tout près de la batterie 
des mortiers, à environ cent quatre-vingts mètres de 
la face droite du bastion 6. Cette batterie, armée de 
deux pièces de i6 et de deux de 24» devait envoyer 
des bombes dans le bastion romain et a tirer à écréter 
l'escarpe non terrassée ». On voit que notre artillerie 
devenait de plus en plus audacieuse. 

A Rome, la résistance continuait violente, haineuse: 
la terreur y régnait. 

Tous les habitants, sans distinction d'âge, de sexe 
et de condition, étaient forcés de travailler aux forti- 
fications et aux barricades. 

Une proclamation du gouvernement insurrectionnel 
l'avait imposé particulièrement aux femmes. « Les 
mains délicates, les mains blanches et parfumées qui 
deviennent noires et calleuses en maniant la pioche 
et la pelle sont aussi honorables que les cicatrices 
obtenues aux jours de la bataille. » Sous l'impression 
de la peur, un assez grand nombre de dames romaines 
appartenant à la bourgeoisie répondirent à cet appel, 
si nous en croyons un historien qui a recueilli sur 
place les témoignages les plus autorisés : « Tandis 
que les unes se consacrent au service des blessés 
qui remplissent les hôpitaux et les ambulances, les 
autres confectionnent des cartouches. La coquetterie 
trouve môme son bénéfice à ces exercices étrange- 
ment en dehors de la nature et des habitudes de la 
femme; c'est en robes de tulle, en manches courtes et 

' La carrière du général de Grimandet de Rocheboact, 
ancien commandant de corps d^arroée, ancien ministre de U 
ffuerre, a été l'une des plus brillantes et des plas estimées. 
Fendant la guerre de 1870, le général commaiidait à MeU 
Tartillerie de la varde. 

2 Et non dans les tranchées comme les autres. 



— 269 — 

décolletées qu'elles se rendent chaque jour aux lieux 
qui leur sont désignés. Là, de leurs mains accoutumées 
à jouer avec des rubans et des fleurs, elles remuent 
des monceaux de poudre, fabriquent des cartouches 
et oublient, en chantant des airs guerriers, la mission 
d'amour et de paix que Dieu leur a donnée sur la 
terre*. » 

Les révolutionnaires se crurent obligés de respec- 
ter les pieux usages de Rome. Ils décidèrent que la 
Fête-Dieu serait célébrée, mais à huis clos. En con- 
séquence, le 6 juin, une proclamation du ministre de 
rintérieur en informait ainsi la population : 

« Romains, 

« Demain est le jour consacré à fêter l'hostie de 
paix et cC amour. La cour romaine le célébrait avec 
une pompe solennelle et une grande démonstration 
de luxe. La guerre allumée sous vos murs empêche 
Faccomplissement de cet acte religieux. Le peuple 
connaît et condamne ceux qui en sont cause. Néan- 
moins, l'acte de religion ne doit pas être omis. Que 
chaque curé, que chaque chapitre le célèbrent dans 
l'intérieur de leur église. Les humbles prières des 
chrétiens s'élevant sans faste vers le ciel en seront 
mieux accueillies et pour l'expiation des péchés et le 
secours au peuple pieux et confiant en ce Dieu qui 
bénit et défend la cause des opprimés '. » 

La procession ne se déroula donc pas dans les rues 
et sur les places publiques, elle resta séquestrée 
dans l'intérieur des églises. A Saint-Pierre, on remar- 
qua les chasseurs lombards qui avaient combattu si 
bravement avec Manara le 3 juin. Leur contenance 
était sévère et recueillie. 

A la sortie de la grandiose basilique, les fidèles 

* Balleydier, La Révolution à Rome^ t. II, p. i56-i57. 
< Ibid., p. i58. 



— 2^0 — 

entendaient le grondement incessant des batteries de 
rempart auquel répondaient plus lointaines et plus 
assourdies les détonations des batteries françaises, 
parfois le crépitement de la mousqueterie éclatait 
proche et strident. Où donc étaient ces jours de fêle 
religieuse, d'une pompe si majestueuse et si péné. 
trante, lorsque, sous la bénédiction du Souverain 
Pontife, Romains et étrangers s'unissaient dans une 
même attitude de ferveur, dans une même pensée de 
foi? Du haut du mont Janicule, les amis de l'Eglise, 
les partisans du Pape, obligés de dissimuler leurs 
sentiments, pouvaient, à travers la fumée de la poudre 
et la poussière des explosions, distinguer les tranchées 
françaises toujours plus proches; l'espoir de la déli- 
vrance s'aflTermissait. 

Dans le camp français tous concouraient en effet à 
l'œuvre commune : mais les officiers du génie et de 
l'artillerie, qui étaient sur leur véritable terrain 
d'action, donnaient à chaque heure l'exemple d'un 
dévouement infatigable et d'une compétence absolue. 
C'est ainsi que pendant la journée du 8 juin, le génie 
élargit sensiblement la tranchée de façon à rendre 
les communications plus faciles. Il fallut cependant 
suspendre les travaux du boyau de gauche dans 
l'après-midi ; les boulets de Tennemi prenaient en 
écharpe l'extrémité de ce boyau et avaient tué un 
sergent du génie et un soldat du 36<^. Pour le même 
motif, les travaux de la batterie n® 4 furent interrom- 
pus jusqu'à dix heures du soir, en raison du feu des 
Romains devenu très vif depuis quatre heures du 
soir, moment où le service de tranchée était pris par 
le général Chadeysson et le colonel de Leyritz, du 68* 
de ligne. L'ennemi avait démasqué dans la matinée 
deux nouvelles batteries' qui jetaient constamment 

L *une de ces batteries fut établie près de celle de Saint> 
Alexi s, abritée par un épaulement, l'autre devant Téglise de 



— ajl — 

des projectiles sur le Monteverde, au moment du 
passage des colonnes des travailleurs ou des gardes de 
tranchée*. 

Pour gêner le tir des artilleurs romains, une com- 
pagnie de chasseurs à pied fut chargée de tirer aux 
créneaux et aux embrasures de Tennemi. L'initiative 
de celte mesure revient au général Vaillant qui la 
demanda en ces termes au général en chef: 

« San-Garlo, 8 jain 1849. 

« Mon Général, 

« Le moment est venu d'utiliser les excellents 
moyens de protection que nous offrent les chasseurs 
de Vincennes ; je demande donc que chaque jour une 
compagnie de ces habiles tireurs soit désignée pour 
être de service à la tranchée. Ils seront placés aux 
endroits qui leur seront spécialement indiqués par 
tes officiers de l'artillerie ou du génie et auront pour 
mission de faire feu par des créneaux en sacs à terre 
sur tout ce qui paraîtra sur le rempart, principalement 
aux embrasures. L'effet de l'arme de nos chasseurs 
sera d'autant plus puissant qu'on pourra leur indi- 
quer de la manière la plus précise la distance à 
laquelle ils se trouveront de leurs ennemis. 

« Veuillez agréer, mon Général, etc. 

« Le Général commandant le génie, 
« Vaillant '. » 

S aint-Saba à sept cents oa huit cents mètres à Test du Tes- 
t uccio. Les batteries romaines étaient servies presque excla- 
s ivement par des canonniers de Tancienne artillerie pontificale, 
médiocres pointeurs, mais courageux soldats et obéissant 
bien à d'énergiques officiers. 

* Les mouvements de nos colonnes, même fractionnées en 
petits groupes, étaient signalées par des guetteurs placés 
dans la coupole de Saint-Pierre. (^Journal des opérations de 
r artillerie et du génie.) 

* Journal des opérations de rarlillerie et du génie. Pièce 
n* 19. 



— 2^a — 

Gnlce aux indications très exactes des officiers du 
service de tranchée^ les chasseurs, excellents tireurs 
et bien postés, firent beaucoup de mal à rennemi. 
Les travaux en furent très efficacement protégés. 

Rome n'était investie qu'à Touest et gardait avec la 
campagne dans les autres directions de faciles com- 
munications. Des paysans conduisant de lourdes 
voitures furent arrêtés à peu de distance de Tenceinte 
par des soldats du 36^ qui découvrirent dans les 
chariots des amas de fascines destinées à renforcer 
les barricades. Le général en chef, qui visitait à ce 
moment les tranchées, les fit mettre généreusement 
en liberté K On garda, bien entendu, leurs fascines. 

Pour empêcher les ravitaillements de toute nature, 
la brigade de cavalerie, composée du i^^** chasseurs et 
du ii«> dragons, poussait de fortes reconnaissances 
sur la rive gauche du Tibre. Les escadrons se frac- 
tionnaient et battaient Festrade jusqu'à sept ou huit 
lieues du camp. C'est ainsi qu'on captura assez fré- 
quemment des voitures qui portaient à Rome des 
matières combustibles et des approvisionnements 
de vivres '. 

La journée du 9 juin' fut occupée à Télargissement 
des tranchées et surtout à diriger l'un des boyaux 
dans la direction de la villa Giraud (le Yascello). la 
grande maison abritée devant la porte San-Pancrazio 
et la seule position extérieure restée au pouvoir des 
Romains. 

Dans la nuit, un orage qui éclata brusquement 
noya les tranchées, produisit des éboulements. Le 

* Les soldats du 3G^ voulaient les fusiller, le général Oodi- 
not les en empêcha. Au moment où il admonestait les pa.r* 
sans, un boulet s'enfonça à ses pieds. 

* Officier d'état-major, Précis historique et militaire, 
p. 6a-63. 

' Ce fut dans la journée du 9 une le lieutenant-colonel 
Espinasse, Fancien et vigoureux ofucier de la légion étran- 
gère en Afrique, prit le commandement du aa^ léger. 



— a^S — 

général LevaîUanl (Charles) et le colonel d'Autemarre, 
du 53«, assurèrent avec beaucoup de soin le service 
de tranchée que le mauvais temps rendait parti- 
culièrement pénible. 

Cet orage causa dans les camps une véritable 
alerte, dont le récit très pittoresque nous a été 
retracé par un témoin oculaire *. « La pluie précédée 
d'une grêle épaisse tomba par torrents, dégradant 
les tranchées qu'elle remplissait. La canonnade 
ralentie, mais non interrompue, malgré le temps 
affreux, disparaissait étouffée par les éclats répétés 
de la foudre. Excepté les sentinelles et les vedettes 
du camp, chacun était rentré dans sa petite tente ou 
dans ceux des gourbis de branches entrelacées dont 
le toit était assez épais et les parois assez fortes pour 
résister à la violence de l'ouragan, lorsqu'un accident 
que rien ne pouvait faire prévoir vint forcer l'armée 
presque entière à déserter ses abris. 

a Un maraudeur' blessé par un habitant sur la 
rive droite du Tibre, du côté de Magliana, arrive au 
camp de Santa-Passera, assurant qu'il avait rencon- 
tré l'ennemi qui, à la faveur de l'orage, avait passé 
le Tibre et que nous allions être tournés. Rien n'était 
plus improbable avec toute les précautions prises, 
mais la blessure du soldat semble confirmer ce qu'il 
dit avec une apparente conviction. 

« L'artillerie, qui garde le parc de réserve, prend 
aussitôt les armes et s'avance pour le couvrir sur la 
via Portuense. Le 22® léger se range sur son front de 
bandière et envoie des tirailleurs en avant. Le 1^^ ré- 
giment de chasseurs à cheval, tandis qu'une partie 
de ses hommes s'occupe à seller les chevaux, prend les 

« Le capitaine d'état-major Vertray, Tauteur de V Album de 
V Expédition j qui est un intéressant journal de campagne, 
enrichi de très jolis dessins. 

> Un soldat appartenant à un régiment d'infanterie. 

18 



— 274 — 

dispositions de défense. Le détachement du i«r batail- 
lon de chasseurs à pied, de garde à l'état-major, se 
glisse en tirailleurs dans les vignes qui entourent la 
villa Negroni, du côté du Tibre, pour éclairer les 
abords de cette forte position. Les autres régiments 
suivent successivement l'exemple des premiers, et 
en quelques minutes, tout est prêt pour repousser 
vigoureusement l'ennemi. Des officiers d'état-major 
qui se trouvent au quartier général, l'un reste à ce 
poste pour recevoir les dépêches et les transmettre, 
les autres montent à cheval et marchent en diflërentes 
directions pour pousser des reconnaissances. Ils 
rejoignent ensuite le général à San-Carlo. Tout se 
fait de soi-même et rapidement. 

« Le temps est tellement brumeux, la pluie si 
compacte, que l'on distingue difficilement ce qui se 
passe à une courte distance, mais l'ennemi, contre 
lequel on a pris en si peu de temps toutes les dispo- 
sitions nécessaires pour repousser son attaque et lui 
couper la retraite dans le cas oii il chercherait à 
repasser le Tibre, l'ennemi ne parait pas et bientôt 
des patrouilles donnent la certitude que cette alerte 
n'avait pas de fondement; elle a prouvé seulement 
tout ce que peut, en pareilles circonstances et dans 
les plus mauvaises conditions possibles, une armée 
disciplinée et aguerrie. » 

Le lendemain lo juin, à six heures du matin, une 
colonne commandée par le lieutenant-colonel Duprat 
de Laroquette et composée d'un bataillon du i3« de 
ligne, de deux compagnies du i3« léger, d'une com- 
pagnie de chasseurs à pied, d'une section du génie, 
partait de Ponte-Molle en reconnaissance sur l'Anio. 
à six kilomètres nord-est environ de Rome, pour 
faire sauter les ponts Salara, Nomentano et Maniuolo 
et intercepter ainsi les communications avec la place. 

Cette expédition devait durer deux jours. Pendant 



— 27^ — 

qu'elle s'exécutait sous l'énergique initiative du lieu- 
tenant-colonel Duprat de Laroquette, le général 
Vaillant rapprochait toujours ses cheminements des 
remparts. Le feu du bastion 7 devenait de plus en 
plus gênant. Pendant la journée du 9, il avait tué 
dans les lignes françaises quatre hommes et blessé 
dix-sept dont quatre officiers. Le général Thiry 
résolut de contrebattre ce bastion, il chargea donc la 
I2« batterie du 3« d'artillerie (capitaine Pinel) de 
construire, dans la tranchée parallèle à la face gau- 
che du bastion 7, une batterie qui prendrait le 
nom de batterie n<> 5 et qui devait être armée de 
deux pièces de 16, deux de 24 ^^ d'un obusier 
de 22 centimètres. Un autre travail de même na- 
ture commença simultanément dans la nuit du 10 
au II juin. Il s'agissait de canonner directement 
le bastion 7 ei de prendre d'écharpe la courtine G-p *. 
Cétait la tâche dévolue à la batterie 6, dont l'empla- 
cement fut désigné sur le petit plateau de la villa 
Corsini, à environ quatre cent vingt-cinq mètres du 
bastion 7. La i3« batterie du 3« d'artillerie (capitaine 
Serrand) fut chargée de sa construction et de son 
armement, deux pièces de 24 et deux obusiers de 
22 centimètres. 

Le général Vaillant qui dirigeait les travaux d'atta- 
que avec un sang-froid et une méthode admirés par 
tous les officiers qui l'approchaient, avait expliqué, 
dans la tranchée même, aux officiers d'artillerie, 
du génie et d'état-major, les dispositions tactiques 
d'attaque qu'il comptait suivre et faire adopter par 
le général en chef : 

Comme le front ennemi désigné sur le plan direc- 
teur sous le nom de front 8-9 (c'est-à-dire compre- 
nant le bastion 8, la courtine sur laquelle avait été 

* Noas rappelons que la courtine est une portion de retran- 
chement en ligne droite^ réunissant des bastions. 



— 2^6 — 

ménagée la porte San-Pancrazio et le bastion 9) occu- 
pait la partie culminante du Janicule, c'était précisé- 
ment en ce point, comme tête de position, que venaient 
se réunir les deux branches de Tancienne enceinte 
construite par Aurélien. Le commandant supérieur 
du génie estimait que l'assaut devait être donné, non 
pas à ce front, mais au front 6-7 (c'est-à-dire au 
front voisin : bastion 6, courtine et bastion 7). 

« L'établissement fait dans ces deux bastions, le< 
attaques devaient opérer un mouvement de tête de 
colonne à gauche et marcher contre le sommet de 
l'enceinte aurélienne où l'on devait supposer que 
l'ennemi avait préparé des moyens de défense inté- 
rieure pour nous disputer vigoureusement l'occupation 
de cette position dominante, nœud des opérations 
ultérieures contre la ville. Il importait donc, afin 
d'aider au succès de cette marche, de pouvoir* en 
même temps qu'on ouvrait le front 6-7, ruiner direc- 
tement les défenses du front 8-9, et même pratiquer 
une brèche, s'il était possible, au bastion 9, de 
manière à faire craindre à l'ennemi d'être tourné par 
ce point, danger grave pour lui, car en prenant ainsi 
à revers la branche de l'enceinte aurélienne qui des- 
cend dans une direction perpendiculaire au Tibre, 
nous annulions toutes les barricades, tous les retran- 
chements préparés dans le Transtevère, en vue 
d'une attaque par la porte Porlese*. » 

L'ennemi avait été informé de l'arrivée, par Ponte- 
Galera et Magliana, de plusieurs tartanes chargées du 
matériel d'artillerie et de munitions et actuellement 
mouillées en aval près du pont de Sanla-Passera. 
Pendant la nuit du 10 au 11 juin, ils lancèrent une 
barque enflammée à laquelle étaient amarrées deux 
bateaux garnis de poudre et de matières incendiaires*. 

^ Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

2 Oflicier d'état-major, Précis historique et militaire^ p. 63, 



— ^77 — 

Le brûlot arriva vers deux heures du matin à la hau- 
teur de la basilique de San-Paolo. Une redoute sur la 
rive gauche dominait le fleuve; cet ouvrage était armé 
de pièces de marine et occupé par un détachement 
de matelots. La clarté du brûlot éveilla l'attention, 
ils pointèrent aussitôt leurs pièces sur cette masse 
en combustion et lui tirèrent deux coups de canon. 

Le brûlot vint échouer sur la rive droite du Tibre 
près du pont. Les marins montèrent dans une embar- 
cation, abordèrent les barques et les coulèrent avec 
leur chargement. La vigilance des marins de la flottille 
avait prévenu la destruction du pont et l'incendie 
des tartanes '. L'amirat Tréhouart vint le lendemain 
remercier et féliciter ses marins. 

Dans la journée du 4 juin il arrivait au quartier 
général un hôte inattendu qui fut cependant le bien- 
venu : le successeur de M. de Lesseps, M. deCor- 
celles, -lui aussi ministre plénipotentiaire et envoyé 
extraordinaire de la République française. Son entre- 
vue avec les généraux Oudinot et Vaillant fut pleine 
de cordialité. 

L'ancien diplomate qu'avait déjà envoyé à Rome 
le gouvernement du général Cavaignac et qui con- 
naissait la duplicité de Mazzini et de ses collègues, 
était pour nos généraux un allié et un ami. Il leur 
déclara que le gouvernement du prince Louis-Napo- 
léon lui avait donné les pouvoirs secrets les plus 
étendus pour régler soit la capitulation de Rome, soit 
le gouvernement provisoire de la ville conquise, soit 
les conditions de la rentrée du Pape ', mais il estimait 
que l'armée française devait occuper Rome, et que, 
puisque la tranchée était ouverte. Il fallait la contl- 



* La dépêche da général en chef au minifftre de la gur^rre 
(villa Santucciy ^ join 18^9) rend juntice aux canonnierH de la 
batterie de manne. 

2 L. DE GAtLLAMDf V Expédition de liome, p, 2'i5. 



n 




— 378 — 

nuer jusqu'à l'heure de la brèche et de TassauL 
M. de Corcelles demanda d'ailleurs d'urgence un ren- 
fort de cinq mille hommes, qui devaient être rendus au 
camp cinq jours après. 

Le nouveau ministre plénipotentiaire n'Aait donc 
pas l'envoyé de la paix quand même, comme son 
imprudent prédécesseur. M. de Corcelles arrivait de 
Paris, il avait constaté que les passions politiques 
ne désarmaient pas... A la nouvelle Chambre, qui 
s'appelait législative, le parti radical, bien qui* 
réduit à la minorité, protestait avec la dernière vio- 
lence contre la reprise des opérations, Ledru-RoUin 
rééditait son discours en faveur de la République 
romaine, mais la majorité soutenait le gouvernemenL 
M. de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, 
longtemps indécis sur la question même de la restau- 
ration pontificale, subissait l'influence de ses col- 
lègues et du parti de l'ordre. M. de Corcelles était 
donc hautement autorisé à activer par tous les 
moyens l'occupation de la ville de Rome et à adresser 
au corps expéditionnaire et à ses chefs les encourage- 
ments les plus chaleureux. 

Alors qu'il en donnait l'assurance au duc de Reggio 
et que celui-ci lui en exprimait sa gratitude dans ce 
même quartier général où avaient retenti les fâcheux 
éclats des dissentiments et des discussions orageuses 
que nous avons rapportés, un officier d'ordonnance do 
général Sauvan venait rendre compte que la colonne 
du lieutenant-colonel Duprat de Laroquette, partie la 
veille de Ponte-Molle pour faire sauter les ponts sur 
TAnio qui mettaient Rome en communication avec 
Rieti et Tivoli, avait accompli sa mission et que 
cette colonne était rentrée à sept heures au camp de 
la brigade. Elle ramenait plusieurs prisonniers qui 
avaient été capturés près du pont Salar^ avec un con- 
voi de vivres destiné à Rome. Parmi ces prisonniers 



— 279 — 

se trouvaient un colonel romain, gouverneur d'Urbîno 
et membre de la Constituante. Plusieurs courriers 
venant de Rieti, de Tivoli et de la haute Italie 
avaient été interceptés. 

La retraite s'était opérée dans la soirée du lo sans 
difficulté jusqu'à quinze cents mètres en amont de 
Ponte-Molle. Là, une compagnie des voltigeurs du 
i3« de ligne, commandée par le capitaine Leclcrc, 
occupa une maison sur une hauteur boisée qui domine 
le Tibre et la colline voisine du Parioli*. 

Le lieutenant-colonel Duprat de Laroquette laissa 
le détachement en grand'garde campant avec le reste 
de sa troupe, un peu en arrière. Cette position avait 
semblé bonne à garder pour observer du côté de la 
porte del Popolo les mouvements des Romains. 
Ceux-ci s'en étaient aperçus et avaient dirigé une 
colonne forte d'environ quatre cents hommes pour 
reprendre la position. Les voltigeurs du iS® de ligne 
les accueillirent par un feu si nourri et si bien dirigé, 
qu'après une demi-heure, les Romains qui n'avan- 
çaient pas, abandonnèrent leurs morts et leurs bles- 
sés et se retirèrent sur la villa Borghèse, poursuivis 
par une section aux ordres du lieutenant Payen *. Le 
i3« de ligne avait perdu quatre tués et comptait dix- 
huit blessés. Le reste de la colonne française avait 
pris les armes, mais le lieutenant-colonel qui la com- 
mandait voulait laisser l'ennemi s'avancer et s'enga- 
ger davantage pour le cerner. La prompte retraite 
des Romains empêcha l'exécution de ce projet. 

Le nombre total des prisonniers faits pendant ces 
deux jours d'expédition montait à soixante, parmi 
lesquels plus de la moitié étaient blessés, on les 
dirigea de suite sur nos ambulances. 

Dans la soirée toute la colonne rentrait à Ponte- 

* La Maison Verte, (Historique du i3* de ligne.) 

* Historique du i3" ae ligne. 



— a8o — 

Molle qu'elle trouvait occupé par un autre bataillon 
du i3<> de ligne sous les ordres du colonel de Comps* 
et du commandant Beuret et allait prendre au camp 
de Monte-Mario un repos bien gagné. 

Le rapport du lieutenant-colonel Duprat de L.aro- 
guette signala la conduite énergique de M. Payeo, 
lieutenant au i3« de ligne. 

D'autre part, le général Morris avait poussé avec 
trois escadrons une reconnaissance jusqu'à Frascati 
qu'il avait occupé sans résistance K 

* Capitaine Vertray, Album. 

^ Journal du siège. (Moniteur du aa jaln.) 




si 



CHAPITRE XIV 



LA DEFENSE DE LA TRANCHEE PAR LE COLONEL NIEL. — 
l'attaque des tonneaux. — LES EXPEDITIONS DE 

porto-d'anzio et du MONTE-PARIOLI. 



Le duc de Reggio avait résolu, avec l'approbation 
de M. de Corcelles, d'adresser une sommation à la 
placeavant de chercher à faire brèche dans Tenceinte. 
Il avait donc été décidé que les batteries n*^» 3^ ^^ 5 
et 6 ne commenceraient leur feu que le i3 juin*. Les 
batteries n»» I et 2 se bornaient à riposter à l'artillerie 
des remparts. 

La nuit du 11 au 12 avait été assez calme; le géné- 
ral Levaillant (Jean) et le colonel Marchesan, du 
i6« de ligne, de service à la tranchée, avaient parcouru 
les lignes d'investissement pour encourager les huit 
cents travailleurs d'infanterie et les trois brigades de 
sapeurs qui sous la direction du chef de bataillon 
Goury, du génie, poursuivaient les travaux de chemi- 
nement et y éprouvaient de grandes difficultés. 

Au point du jour, le colonel Niel, chef d'état-major 
du génie, qui avait passé dans la tranchée une partie 
de la nuit, y était revenu et inspectait les boyaux et 

' Journal des opérations de rartillerie et du génie. 



k 



— 282 — 

les parapets avec sa sollicitude habituelle. Quelques 
officiers du génie raccompagnaient. La cannonade 
de Tenceinte n'avait pas encore recommencé. 

Aux attaques de gauche une compagnie du 3ti^ 
gardait les abords d'un boyau de tranchée que bor- 
dait le mur d'une villa détruite, à environ cent 
cinquante mètres de la porte San-Pancrazio. 

Pendant la nuit, le bataillon universitaire, com- 
mandé par Arcioni, s^était embusqué à Fabri durem- 
pairt qui masque le pied de l'escarpe et forme une 
sorte de demi-lune au milieu des vignes ^ A la pointe 
du jour, il se glissait jusqu'à nos tètes de sape; là il 
se heurta à une section du 36^ que vint bientôt renfor- 
cer le reste de la compagnie. Les universitaires ont 
improvisé des créneaux dans le mur et commencent 
impunément un feu meurtrier. La petite troupe 
française va céder lorsque arrive au pas gymnastique 
une autre compagnie de garde de tranchée, appar- 
tenant au 3a« et conduite, l'épée haute, par le colonel 
Niel lui-même. Malgré la supériorité du nombre, 
l'ennemi n'ose pas sortir de son abri, mais nos sol- 
dats ripostent à bout portant à travers les créneaux '. 
Parmi les Romains, il y a des énergumènes qui 
injurient nos soldats en français. Alors enlevés par 
un irrésistible mouvement', les soldats des deux 
compagnies gravissent le parapet et frappent à coups 
de baïonnette ou à coups de crosse sur les universi- 
taires déconcertés; de part et d'autre, on se jette des 
débris d'obus, des pierres *. L'intrépide colonel Niel 
et quelques sapeurs, armés de pics ou de pioches, 
sont au premier rang. Une compagnie de carabiniers 
du i3« léger arrive à la rescousse, le capitaine Govon 



^ Journal des opérations de rartillerie et du génie. 
* Capitaine d'étaUmajor Vertray, Album. 
^ Journal des opérations de rartillerie et du génie. 
^ Capitaine Vertray, Album. 



— 283 — 

et le lieutenant Carré en tête^ A leur tour, ils gravis- 
sent le parapet et ils précèdent les travailleurs du 
même régiment qui ont repris leurs armes et viennent 
défendre la position. 

L'ennemi se désunit, recule un peu, puis s'enfuit 
du côté de la porte San-Pancrazio ^ Le colonel 
Niel lance à sa poursuite les carabiniers du iS*» léger 
qui sautent au bas du parapet et qui se ruent, la 
baïonnette en avant, sur les Romains. Le sergent 
Marcelin, des carabiniers, s'avance jusqu'à un mur fort 
rapproché de la courtine 7-8, ramasse une pioche, ^ 
fait une brèche et en cinq coups de fusil abat cinq 
hommes à l'ennemi ^. Ce brave sous-officier fut mis à 
l'ordre du jour ainsi que le carabinier Thomas qui 
s'était fait remarquer par son intrépidité dans le com- 
bat de la tranchée^. Nos pertes furent peu considé- 
rables : sept tués, vingt-cinq blessés S celles de 
r ennemi semblaient d'autant plus sensibles qu'elles 
représentaient, dans les cinquante morts ou blessés 
gravement qu'il avait abandonnés, l'élite de la jeu- 
nesse révolutionnaire. On releva les cadavres de 
plusieurs officiers, le major Pannizzi, les capitaines 
Cremonini, Giordani, etc. 

Le colonel Niel s'était révélé une fois de plus 
l'homme de sang-froid, de résolution calme qu'il se 
montra toujours : dans les tranchées de Sébastopol 
comme général de division commandant supérieur du 
génie, sur le champ de bataille de Solférino, à la tête 
d*un corps d'armée et enfin comme ministre de la 
guerre. Il eut, en cette dernière qualité, la patriotique 
douleur de se voir refuser, par un Parlement unique- 

' Historique du 88^ de ligne (ancien i3^ léger). 

* Capitaine Vbrtray, Album, 

3 Historique du SS^ de ligne (ancien i3* de ligne.) 

* Ibid, 

^ Capitaine \EViTRAY,Album.h' Historique du 88" mentionne 
six hommes hors de combat. 



ment préoccupé d'intérâts électoraux, les crédits qu'il 
demandait pour préparer le pays à une guerre immi- 
nente. Si la mort n'eût emporté le maréchal Niel d'une 
façon Ibudroyante, il avait assez de ténacité pour 
revenir à la charge et pour rester maître de la tran- 
chée comme le la juin i84q'. La France n'aurait pas 
entrepris la lutte contre l'Allemagne avec des efTec- 
tife réduits et des armements insuffîsants... 

Dès que les étudiants furent rentrés en toute hâte 
dans l'enceinte protectrice des murs de Rome, l'artil- 
lerie de la place reprit son tir, elle le dirigea avec un 
acharnement marqué sur la batterie n'> 4- 

Le capitaine de Rochebouëtqui la commandait, fut 
autorisé à riposter, mais avec l'ordre d'arrêter son feu 
dès que la place aurait cessé le sien. Le général en 
chef voulait différer l'ouverture du feu de quatre 
nouvelles batteries jusqu'au moment où l'ennemi 
aurait rejeté une nouvelle sommation qui devait èlre 
remise dans la journée. 

La batterie du capitaine de Rochebouët commença 
sou feu à une heure précise et tira jusqu'à deux 
heures', alors l'ennemi lui-même cessa de tirer. 




Vaillant ea rendant compte du combat écrivait 
le cette attaque aurait jm avoir des résultats 
, présence sur les lieux du chef d'étal-major dn 
liiiait ainsi : « Je suis heureux d'avoir à vous 
t <'au service que nous a rendu le colonel Niel 

lui hommage attristé cette belle physionomie 
ne pouvons nous empocher d'appliquer an 
l.k délinition qu'a donnée du caractère, chex un 
III autre grand soldat, le général du Barrail, 
'■riirg : a ... la qualité maîtresse du chef: le 
I ligue à un ranit secondaire toutes les antres 
la science militaire, le caractère qui rend 
-■sîble aux émotions enfantées par les peripélies 
\;\ laisse maltresse d'elle-même, au milieu du 
Vailles, le caractère sans lequel il n'y a ni 
force, ai victoire. » 
Hocbebouèt avait eu le temps de tirer qaa- 



— 285 — 

De son côté la batterie n® 3 (mortiers) commandée par 
le capitaine Ganu, ayant reçu des projectiles de la 
place, fut autorisée à riposter: elle lança une tren- 
taine de bombes dans les bastions 6 et 8. 

L'artillerie ennemie s'était tue à quatre heures, 
quand le service de tranchée avait été mis sous le 
commandement du général Chadeysson, auquel était 
adjoint le colonel de Lamarre, du i3« de ligne. 

Voulant tenter un dernier effort de pacification, le 
duc de Reggio profita de ce moment d'accalmie pour 
envoyer un officier de son état-major en parle- 
mentaire au président de l'Assemblée nationale, aux 
triumvirs, au général en chef de l'armée romaine, 
au commandant de la garde nationale, aux consuls 
étrangers et au chancelier de l'ambassade française 
avec la sommation suivante : 

« Quartier général de la villa Santucci, 
le 12 juin 1849. 

« Les événements de la guerre ont, vous le savez, 
amené l'armée française aux portes de Rome. Dans 
le cas où l'entrée de la ville continuerait à nous être 
fermée, je serai contraint, pour y pénétrer, d'employer 
immédiatement tous les moyens d'action que la 
France a mis à ma disposition. 

a Avant de recourir à cette terrible nécessité, je 
regarde comme un devoir de faire un dernier appel à 
des populations qui ne peuvent avoir pour la France 
des sentiments ennemis. 

« L'Assemblée nationale voudra sans doute comme 
moi éviter à la capitale du monde chrétien de san- 
glantes calamités. 

« Dans cette conviction, je vous prie de vouloir 
bien donner à la proclamation ci-incluse la plus 
prompte publicité. 

a Si douze heures après la réception de cette lettre 



l 



— 286 — 

une réponse conforme aux intentions et à l'bonneiir 
de la France ne m'est point parvenue, je me regar- 
derai comme contraint d'attaquer la place de vive 

force. 
« Recevez, etc. 

« Le Général commandant en chef t armée 
française de la Méditerranée, 

« OuomoT DK Rbgcio'. » 

La communication du général Oudinot fut lue eu 
séance publique, à la Constituante romaine, dans la 
soirée. Galelti présidait. Lorsque le secrétaire eut 
tini la lecture, des cris de rage éclatèrent : Lm guerre! 
Vive la République! 

Un député plus prudent fit observer « que le gou- 
vernement romain avait conclu une convention avec 
M. de Lesseps, qu'elle n'avait pas été « dédite « par 
le gouvernement français, qu'elle devait donc avoir 
force et vigueurdes deux parts, qu'il fallait répondre 
à Oudinot qu'il attaquaîtde mauvaise foi, qu'il violait 
le droit des gens ». 

Trois députés * présentèrent le projet de réponse 
qui fut adopté à l'unanimité et confié à l'officier fran- 
çais parlementaire qui passa la nuit à Rome : 

« Général, 
« L'Assemblée constituante romaine, en réponse 
il Voice dêpèehe, vous déclare qu'ayant conclu avec 
M. de Lesseps, ministre plénipotentiaire français. 
le 3i iii.ii 1849. une convention conûrmée par ledit 
de Lesseps, après votre déclaration elle doit consi- 



' Shmilpar du aa juin 1849. 

' Aiidinot, SturbineUi et Agostioi furent charffés de rédi- 
ger la rû|>uiise au séiiéral français, signée du Président. {^Con- 
terti/Kiraneo du 14 juin.) 



dérer celte coDTentîoii conmie oblintoîre des deux 
parts et sous la saavei^arde du dtoit des }rens« tant 
que te goaTemement de la République française ne 
Taura pas ratifiée oo repoossée. En attendant, TAs» 
semblée doit regarder eomme une TÎolation de cette 
convention tonte hostilité quelconque entreprise à 
partir de ce jour par Tannée française et toute autre 
hostilité qui pourrait être entreprise avant qu>lle ait 
reçu communication des réponses de votre goaveme> 
ment à son égard et avant que rarmislice convenu 
soit expiré. 

« Général, vous demandez une réponse conforme 
aux intentions et à Thonneur de la France, mais 
aucune ne peut être plus conforme aux intentions et 
à rhonneurde la France que la halte dans une viola- 
tion flagrante du droit des gens. 

« Quels qi|e soient les effets de cette violation, le 
peuple de Romene pourra jamais en être responsable, 
le peuple de Rome est fort de son droit, ferme dans 
la résolution de maintenir le pacte par lequel il est 
lié vis-à-vis de votre nation, et contraint seulement 
par le besoin de la défense de repousser toute agres- 
sion injuste. 

a Agréez* Général, les sentiments de mon estime. 

« Le Président^ 
« Galetti, 

« Rome de la salle de FAssemblée consUtaante, le i3 juin 
i849y à, a heures du soir *. » 

< Les triumvirs chaînés de faire parvenir au général la 
réponse de l'Assemblée constituante y joignirent cette lettre : 
«c A Monsieur le Général, 

« Nous avons l'honneur de vous transmettre la réponse de 
TAssemblée à votre communication du la. Nous ne trahirons 
jamais nos promesses, nous avons promis de défendre, en 
exécutant les ordres de l'Assemblée romaine, le drapeau de 
la République, Thonneur du pays et la Sainteté de la capitale 
du monde chrétien. Nous maintenons notre promesse, i» 



— a88 — 

Dans la matinée du lendemain, i3 juin, il arrivait 
au quartier général français deux autres réponses. 
Tune du général commandant la garde nationale de 
Rome, Sturbinetti*, l'autre du général en chef des 
troupes actives, Roselli ^ : ces deux lettres écrites 
sous des formes courtoises, mais avec Vemphase 
italienne, indiquaient que la résistance serait poussée 
aussi loin que possible. L'officier français qui les 
portait était revenu à huit heures du matin. Unedemi- 
heure après, toutes nos batteries commençaient leur 
feu, et avec tant de précision que dans l'après-midi la 

. * Monsieur le général, le traité dont on attend la ratillca- 
tîon assure cette ville tranquille contre tout désastre. La 
garde nationale destinée à maintenir Tordre doit seconder la 
résolution du gouvernement, et elle se prête à ce devoir volon- 
tiers avec zèle, sans tenir compte de la fatigue. La garde 
nationale a montré naguère, dans son attitude vis-à-vis des 
prisonniers, ses sympathies pour la France, mais elle a mon- 
tré, dans toute rencontre, que par^dessus tout elle a à cœur 
sa propre dignité et Thonneur de Rome. 

a Toute infortune pour la capitale, pour la ville monumen- 
tale, ne pourrait pas être attribuée aux paisibles citoyens 
contraints à se dé rendre mais seulement à celui qui aurait 
provoqué Tagression. 

«Agréez, etc. 

« Le Général de la garde nationale^ 
représentant du peuple^ 

a Sturbinetti. 

» Itome le 13 juin 1849. *> 

ÇContemporaneo, ) 

^ c< Citoyen général, une fatalité amène actuellement à se 
battre entre elles les armées de deux nations républicaines 
que de meilleures destinées eussent dû réunir pour combattre 
ensemble leurs ennemis communs, car les ennemis de Tane 
ne peuvent être que les ennemis de Tautre. Nous ne nous 
faisons pas illusion, aussi nous opposerons-nous par tous les 
moyens possibles à Quiconque abattra nos mstitations. 
D'ailleurs il n'y a que des braves gui soient dignes de tenir 
tête aux soldats français. Réfléchissons qu'il y a pour les 
hommes une condition de la vie pire que la mort. Si la guerre 
que vous nous faites venait à nous mettre dans cette condi- 
tion, mieux vaudrait fermer pour toujours les yeux à la 
lumière que d'assister aux mterminables oppressions et 
misères de notre patrie. Bonne santé et fraternité! 

« Roselli. 

a Kome le 13 juin 1819. » 

(fiontemporaneo^ ) 



— 289 — 

partie supérieure des faces des batteries 6 et 7 était 
complètement écrètée. Les coups dirigés sur les murs 
et les parapets avaient promptement dégarni les 
remparts de leurs défenseurs. A Texception d'une 
seule, les pièces de la place cessaient de tirer. De 
notre côté, seule la batterie m 5 avait ses embrasures 
labourées par les projectiles des Romains. 

Le chiffre de nos pertes s'élevait à vingt sous-offi- 
ciers ou soldats tués ou blessés. 

Le soir, aux appels, le général en chef faisait don- 
ner aux troupes communication de Tordre suivant : 

« Soldats! 

« Déjà hier votre bravoure et voire persévérance 
vous avaient permis d'établir vos batteries à près de 
cent mètres des remparts de Rome. 

a Avant d'attaquer directement la place, j'ai fait la 
notification suivante : 

« Habitants de Rome, 

« Nous ne venions pas vous apporter la guerre, 

€t nous venions affermir chez vous l'ordre etla liberté. 

« Les intentions de notre gouvernement ont été 

a méconnues. Les travaux du siège nous ont amenés 

« devant vos remparts. Jusqu'à présent nous n'avons 

« voulu répondre qu'à de rares intervalles au feu de 

« vos batteries. Nous touchons à l'instant suprême 

« où les nécessités de la guerre éclatent en terribles 

a calamités. Évitez-les à une cité remplie de tant de 

c< glorieux souvenirs. Si vous persistez à nous repous- 

« ser, à vous seuls appartiendra la responsabilité 

Ci d'irréparables désastres. y> 

« Cet appel à la conciliation n'est point parvenu à 
son adresse. Le gouvernement (jui opprime les habi- 
tants de Rome a répondu, à des paroles de paix, par 

ï9 



— 290 — 

le refus d'écouter un langage empreint de tant de 
modération. 

« Soldats ! peu d'heures se sont écoulées et déjà vos 
batteries de brèche ont fait éprouver aux batte- 
ries ennemies les plus notables dommages. Puis- 
qu'on nous contraint à faire le siège de Rome, noas 
accomplirons notre devoir dans toute son étendue, le 
succès ne saurait être un instant douteux. La France 
a mis en vous sa confiance, vous justifierez son 
attente. 

« Au quartier général, à Santucci, i3 juin 1849- 

« Le Général commandant en chef\ 

ce OUDINOT DE ReGGIO. B 

Sur les murs de Rome, dès les premières heures de 
la matinée, on apposait des affiches ainsi conçues : 

« Peuple, 

« En réponse aux nouvelles dépêches du géné- 
ral Oudinot, l'Assemblée, le triumvirat, le général 
de la garde nationale Sturbinetti et le général en chef 
Roselli ont fait entendre l'antique devise : Rome ne 
commet pas de lâchetés! bombardez! 

a Peuple, c'est maintenant que Rome est baptisée 
capitale de l'Italie; c'est la prophétie de Napoléon, et 
son neveu l'accomplit dignement. 

a Nous qui, pour sauver cette capitale de lltalie. 
avons de gaieté de cœur brûlé et abattu les villas et 
les maisons de campagne autour de la ville, n'as- 
sisterons-nous pas avec la môme tranquillité aux 
ruines, moins considérables, produites par les bombes 
très chrétiennes?... 

a Que les braves (et ils sont en grand nombre) qui 

* Journal des opérations de l'artillerie et du génie. 



— 291 — 

ont le courage et le désir de tuer des ennemis soient 
prêts à se servir de leurs fusils, mais par charité, /)^r 
carita, qu'ils ne soient pas impatients ! Qu'ils atten- 
dent que l'ennemi soit très près pour que le coup 
qu'ils lui lâcheront l'empêche de fuir. Quand il aura 
ouvert la brèche, laissons-le monter en masse à 
l'assaut, et puis que chacun fasse son devoir : la 
mitraille, l'arme à feu et la pique ! 

«c Que ceux qui ont peur (et ils sont le plus petit 
nombre) se cachent, ils nous aideront ensuite à chan- 
ter victoire! 

« La Commission des barricades. » 

Pendant cette même journée du i3 juin, une fré- 
gate française. Le Magellan (capitaine de vaisseau 
Lugeol commandant), abordait en vue du petit port 
de Porto-d'Anzio, l'antique Ântium, capitale des 
Voisques, à environ cinquante kilomètres au sud-est 
d'Ostia. On savait qu'il y avait à Porto-d'Anzio, à côté 
du fort occupé par les Romains, une fabrique de pro- 
jectiles qui approvisionnait la place. En conséquence, 
la frégate française, partie le 12 juin de Fiumcino, 
débarquait, le lendemain, le capitaine d'état-major 
Castelnau, dontnous avons déjà raconté le hardi coup 
de main sur Fiumcino, escorté d'une section du ^^^ de 
ligne commandée par M. Germain, sous-lieutenant. 
Un détachement de marins, avec deux petits obusiers, 
prenait terre également et formait les faisceaux sur le 
rivage pendant que le capitaine Castelnau et la section 
d'infanterie se rendaient à la fabrique d'armes. La fré- 
gate venait s'embosser à demi-portée de canon du fort 
des Romains, l'équipage en branle-bas de combat, les 
pièces chargées. 

A la fabrique, le capitaine d'état-major fait compa- 
raître le directeur, un Belge à l'aspect débonnaire, 
entre deux fantassins baïonnette au canon et lui 

\ 



I 



demande ses approvisionnements. Llndustriel répond 
qu'ils sont dans le fort. M. Casteinaa Tengage alois 
à détruire ses appareils, le Belge déclare que ce sera 
sa ruine et s'y refuse. Le capitaine Casteinaa le 
menace de mettre le feu à la fonderie, le direclenr 
belge consent alors à tout ce que demande le terrible 
oQicier français'. Celui-ci d'ailleurs n'abuse pas de 
son autorité et se contente de faire mettre hors de 
service, par les hommes du détachement, les four- 
neaux et les principales pièces des appareils. II exige 
cependant du directeur l'engagement de ne plu< 
fondre de projectiles avant la fin du siège, qui lui est 
annoncée comme prochaine. 

Le capitaine Castelnau fort expéditif se dirige 
ensuite sur le fort, toujours suivi de sa section d'infan- 
terie que vient renforcer la compagnie de débarque- 
ment. Le poste romain, qui composait toute lagarnison 
du petit fort, avait eu l'imprudence de sortir et les 
marins l'avaient déjà entouré et mis dans l'impossi- 
bilité de défendre la porte. Le commandant du fort. 
jeune oflicier romain de l'ancienne armée pontifi- 
cale, n'avait pas été prévenu et faisait la sieste, habi- 
tude toute romaine. A peine éveillé, il voit introduire 
dans sa chambre le capitaine Castelnau qui» en 
homme pressé, l'invite à lui livrer sans aucun retard 
ses approvisionnements en poudre et ses projectiles. 

Alors s'engage ce singulier colloque : « Vous êtes 
malade, monsieur, s'écrie en riant le commandant 
romain, le soleil de Rome aura troublé votre esprit, 
vous êtes fou ! x>Lc capitaine le prenant par le bras, lui 



* Le capitaine Castelnau, destiné à devenir général de 
division, aide de camp de Tempereur, directeur général du 
personnel au ministère de la guerre et à jastiÛer par ses ser- 
vices un si brillant avancement, avait une physionomie extrê- 
mement dure, osseuse, avec d'énormes soarcUs très noirs eC 
de grosses moustaches. Il était le premier à reconnaître son 
aspect rébarbatif. 



— 293 - 

montre la frégate, Le Magellan, aveesesdeux batteries 
prêtes à ouvrir le feu. Épouvanté, le Romain lui remet 
les clés des magasins d'approvisionnement mais exige 
un reçu, ce Un reçu! s'écria en riant à son tour Castel- 
nau, vous êtes malade ! Le soleil de Porto-d* Anzio aura 
troublé votre esprit, vous êtes fou! Nous sommes des 
soldats et non des négociants, nous avons fait une opé- 
ration de guerre et non une transaction de commerce. » 

Et entraînant son hôte qui était un peu son prison- 
nier, le capitaine d'état-major français appelle soldats 
et matelots, fait embarquer des barils de poudre, des 
caisses de cartouches et de mitraille et des boulets '. 
Par prudence, le détachement encloua quatre canons 
de 36 et submergea un grand nombre de projec- 
tiles avariés ', qui ne valaient pas l'embarquement 
mais dont se seraient peut-être contentées les batte- 
ries romaines. 

Le détachement revint à bord, sans aucune préci- 
pitation. Débarqué dans la nuit àFiumcino, il rentrait 
au camp le i4 juin, dans l'après-midi. Le général en 
chef mit à l'ordre de l'armée le capitaine Castelnau, 
le sous-lieutenant Germain, l'enseigne de vaisseau du 
Magellan, plusieurs militaires et marins qui avaient 
pris part au coup de main ^. 

Le même jour, M. de Corcelles écrivait à M. de 
Gérando, seul fonctionnaire demeuré à l'ambassade 
de France à Rome : 

c< Quartier général de la villa Santacci, 

le i3 juin 1849. 

« Monsieur le Chancelier, 
u J'apprends, à mon arrivée au quartier général, que 
le gouvernement romain, répondant hier à la der- 

■ Balleydier, La Révolution à Rome, t. II. Paris, Colmon, 
i85i, p. 170. 
' Balleydibr, La Révolution à Rome, t. II, p. 172. 
' Historique du 66* de ligne. 



— 294 — 

nière sommation de M. le général Oudinot, a 
qu*à ses yeux la reprise des iiostilités, avant que Ton 
pût connaître la décision du gouvernement français 
sur le projet de traité de M. de Lesseps, était une 
atteinte portée au droit des gens. 

« J'affirme que les négociations de M. de Liesseps 
ont été officiellement désavouées par une dépêche du 
Ministre des aiTaires étrangères dès le 26 mai, et que 
le 29 du même mois une autre dépêche contenait la 
•révocation de tous les pouvoirs de M. de Lesseps. 

ce Si M. de Lesseps a été révoqué le 29 mai, comment 
aurait-il eu qualité le 3i pour conclure avec le gou- 
vernement romain un traité qui, dans tous les cas, 
devait être ratifié? 

«En ce qui touche la ratification, voici la vérité : un 
nouveau ministère constitué dans les premiers jours 
de juin m'a fait l'honneur de me confier la mission 
extraordinaire que je remplis en ce moment. C*est 
le 6 juin que je suis parti de Paris, quelques heures 
après le retour de M. de Lesseps. Eh. bien, j'affirme 
encore que le gouvernement dont je suis l'oi^ane n*a 
pas hésité un seul instant à rejeter le traité apporté 
par M. de Lesseps. 

« L'exposé de ces faits, ma présence au camp, les 
pouvoirs dont je suis revêtu attestent suffisamment 
que le gouvernement romain serait dans la plus com- 
plète erreur, s'ilpensaitpouvoirjustifier, par l'attente 
d'une ratification qui n'a pu se réaliser, laprolon^- 
tion d'une résistance si contraire à la véritable cause 
de la liberté romaine et aux intérêts que l'on prétend 
défendre. 

« J'ai pensé, Monsieur, que vous deviez, par tous 
les moyens qui sont encore en votre pouvoir, réfuter 
l'erreur du gouvernement romain. 

« La France n'a qu'un but dans cette lutte doulou* 
reuse : la liberté du chef vénéré de TEglise, la liberté 



— 295 — 

# 

des Etats romains et la paix du monde. La mission 
qui m'a été confiée est essentiellement libérale et 
protectrice des populations que Ton réduit à de 
telles extrémités. 

« Agréez, je vous prie, Monsieur, l'expression de m a 
considération la plus distinguée. 

« LErwoyé extraordinaire de la République 

française^ 

« Fr. DE CORGELLBS'. 

a P.'S. Mes instructions sont entièrement con- 
formes à celles de M. le général Oudinot. )» 

M. de Gérando communiqua la lettre du nouveau 
ministre de France à Mazzini, qui devait y répon- 
dre le surlendemain. 

L'armée vaillante et disciplinée, qui combattait et 
travaillait sous les murs de Rome, ne se doutait pas 
que Tannonce de ses succès soulèverait dans son 
propre pays les colères du parti radical et provoque- 
rait de regrettables désordres. Déjà la séance du 

12 juin avait été des plus tumultueuses. L'intransi- 
geante minorité avait couvert de ses huées et de ses 
imprécations la lecture par le ministre des affaires 
étrangères des dépèches du général Oudinot et les 
déclarations de M. de Tocqueville, affirmant que, 
grâce aux sages dispositions du commandement, 
l'occupation de Rome se ferait oc avec aussi peu d'effu- 
sion de sang que possible' ». 

Les agitations parlementaires ont été trop souvent 
le prétexte et le prélude des émeutes populaires. 

* Papiers du général de Tinan ancien chef d*état-niajor du 
corps expéditionnaire. 

< Discours de M. de Tocqueville, ministre des affaires 
étrangères, à l'Assemblée nationale législative, séance du 

13 juin. (^Moniteur du i3 juin 1849.) 



1 



— 296 — 

Le i3 juin des attroupements séditieux se formaient 
au Cliâteau-d'Eau et devant la porte Saint*Martin» le 
ministre des travaux publics M. Lacrosse était insulté 
et assailli par des forcenés qui voulaient lui faire crier : 
Vlçe la République romaine ^\ On le dégagea à 
grand'peine et il fallut Tintervention de nombreuses 
patrouilles pour rétablir Tordre sur les boulevards. 
Des désordres plus graves se préparaient en province 
et l'écho devait en être singulièrement douloureux 
pour nos braves soldats de Rome. 

La défense de Tennemi ne faiblissait pas; une 
grande partie de Tépaulement du bastion 7 avait été 
démolie pendant la journée du i3; le lendemain il 
était refait en sacs à terre couronné de créneaux et 
ouvrait un feu de mousqueterie très vif sur la bat- 
terie n® 5, qui dut activer son feu et même tirera 
mitraille pour débusquer les fusiliers romains*. Le 
bastion 6 avait engagé un véritable duel d'artillerie 
contre la batterie n° ^: à la fin de la journée, il 
avait démoli les créneaux et bouleversé le parapet de 
la batterie française ; notre batterie n^ a avait à lutter 
contre les trois batteries romaines du Testuccio, de 
Saint- Alexis et de Saint-Saba. 

Pendant la nuit du 14 au i5, les travaux continuè- 
rent dans la tranchée avec une grande activité. On 
termina la place d'armes à soixante mètres des sail- 
lants. La brigade Levaillant (Jean) fut placée pro- 
visoirement sous les ordres du général Regnaud 
d'Angély, en première ligne*. 

1 Moniteur du 14 juin 1849. 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

Le général Vaillant et le général Thiry ont constaté dans 
le Journal la mauvaise confection des fusées d'obus qui écla- 
taient presque toutes avant l'arrivée du projectile à son 
but. 

Le général Espivent de la Villeboisnet nous a cooÛnné 
cette remaraue. 
' Officier a*état-major, Précis historique et militaire, p. 6^- 



— 297 — 

Pendant la journée qui venait de s'écouler, du 
côté de Ponte-Molle l'ennemi avait prononcé une 
vigoureuse attaque. Le 3« bataillon du iS^ de ligne, 
sous les ordres du commandant Beuret, occupait 
la position; ses avant-postes étaient auprès d'une 
chapelle, à cent mètres de la tète du pont. Vers onze 
heures la fusillade commençait; les Romains avan- 
çaient de maison en maison, tandis que certains 
d'entre eux s'embusquaient derrière d'énormes ton- 
neaux remplis de fascines qu'ils roulaient sur le 
cliemin *. 

La compagnie d'avant-postes du iS^' de ligne qui 
n'avait avec elle qu'un officier, quitta hardiment le 
petit épaulement crénelé et la chapelle qui l'abritaient 
pour se porter en avant et empêcher l'ennemi de 
pénétrer dans les maisons. Cette vigoureuse off^ensive 
effraya les rouleurs de tonneaux qui les abandonnè- 
rent et se rejetèrent dans la maison aux volets verts, 
la Maison verte comme on l'appelait. Leur feu devint 
très vif, à l'abri des ouvertures; en même temps des 
tirailleurs cherchaient à tourner la position'. Mais le 
commandant Beuret était arrivé avec son batail- 
lon au pas de course et avait refoulé l'ennemi en 
déployant deux compagnies dans les vignes et sur 
les deux côtés de la route, les appuyant énergique- 
ment avec le reste du bataillon. L'ennemi soutint le 
combat jusqu'à neuf heures du soir, il se retira alors 
sur le mont Parioli. Le commandant Beuret^ avait 
fait pousser les tonneaux enilammés jusque dans les 
maisons où les Romains s'étaient embusqués, le vent 
activa l'incendie que l'ennemi pouvait aisément 

< Capitaine d^état-raajor Vertray, Album, 

* Historique du 13*^ de ligne. 

^ Le commandant Beuret était fçénérol de brigade au début 
de la campagne d'Italie de 1869, il trouva une mort glorieuse 
à la tête aune brigade de la division Forey, au combat de 
Melegnano. 



-298- 

distinguer du plateau qu'il occupait. Le bataillon da 
i3<^ de ligne reprit ses positions, n*ayant eu qae 
quatre soldats tués et dix-huit blessés K A la suite de 
ce combat, MM. Payen, lieutenant. Taillant, Four- 
nier, Legendre, sous-lieutenants, Serras, Forestier, 
et Bernard, sergents, sont cités à Vordre du jour ^ 

Les Romains recommencent, leur attaque au 
point du jour'; douze cents hommes appartenant i 
tous les corps de l'armée révolutionnaire s'avancent 
en une colonne profonde, précédée de deux à trois 
cents tirailleurs, ils se dirigent en criant sur la 
tète de pont. Deux pièces de campagne, placées sur 
leur flanc et la batterie de la porte du Peuple les 
soutiennent en lançant une grêle de boulets qui, 
pour la. plupart, vont ricocher dans le Tibre. La 
maison des volets verts a été crénelée; elle est 
occupée par des voltigeurs du i3« de ligne, qui, 
comme la veille, ont voulu sortir de l'abri et aller 
au-devant de l'ennemi, mais l'artillerie romaine a 
rectifié son tir et ses projectiles obligent les volti- 
geurs à rentrer dans la maison et dans la chapelle. 
Bientôt il leur faut évacuer les deux bâtiments et se 
retirer derrière les parapets de la tète de pont*. 

Du côté du mont Parioli, de nouvelles troupes 
romaines sont signalées et vont renforcer Tennemi 
dont l'attaque progresse toujours. Les Romains ont 
trouvé des barques et tourneront la gauche de notre 
position. C'est alors que le bataillon Beuret e^^tre 
tout entier en li^ne, se portant au pas de course sur 
les Romains, franchissant le pont et se déployant 
sur la gauche. La fusillade s'engage à bout portant 
dans les roseaux ^ L'ennemi plie aussitôt en laissant 

* Historique du i3® de liffue. 

* Ibid. 

^ Otticier d'état-major, Précis historique et tnilitMre, p. 66. 

* Capitaine d*état-jiajor Vbrtray, Album. 
» Ibid, 



— ^99 — 

sur le terrain de nombreux morts et blessés et sept 
à huit cents cartouches*. Il se retire sur le mont 
Parioli. 

Il est trois heures '. Le général de division Gues- 
willer arrive avec quatre compagnies du i3« léger 
commandées par le chef de bataillon Guyot de Lesparre . 
Ce demi-bataillon ^ se déploie, encadrant les vaillantes 
fractions du i3« de ligne; il se porte rapidement sur 
une maison au nord du mont Parioli, devant laquelle 
les Romains ont placé une pièce de la et des troupes 
d'infanterie. 

A l'arrivée du demi-bataillon du i3<^ léger, que les 
Romains présument être Tavant-garde d'une colonne 
importante de renfort, ils tirent précipitamment 
quelques coups de canon, mais les carabiniers du 
i2« bataillon arrivent à la baïonnette, avec le brave 
capitaine Govon toujours en avant. La pièce est 
rattelée et s'éloigne dans la direction du mont Parioli 
pendant que l'infanterie romaine tente de disputer 
le terrain et arrête les carabiniers du i3« léger. Alors 
le commandant de Lesparre entraine la i>^« compa- 
gnie, à travers les roseaux qui bordent le chemin de 
halage sur la rive gauche du Tibre, et s'engage dans 
un sentier étroit et difficile qui dissimule ses hommes. 
La position est tournée*. 

Un tambour nommé Gillard arrive le premier sur 
la position ennemie, battant la charge à tour de bras. 
Les. Romains épouvantés se retirent en désordre 
poursuivis par la i^ compagnie (capitaine Lebailly), 
puis bientôt par les carabiniers qui ont également 
dispersé les tirailleurs ennemis et enfin par les deux 
autres compagnies, qui gravissent à leur tour la hau- 

* Capitaine d'état-major Vkrtray, Album, 

* Offlcier d'élat-major, Précis historique et militaire, p, 66. 
» L'autre demi-bataillon avait été laissé en réserve à Ponte- 
Molle sur Tordre du général de division. 

* Historique du 88® de ligne (ancien iS* léger). 



— 3oo — 

leur. Une demi-section de la i^e compagnie, dix-neuf 
hommes S se rejetant tout à fait a gauche, arrive à U 
baïonnette sur Tarrière-garde des Romains et, malgré 
l*interiorité du nombre, Tattaque résolument. ' Le 
demi-bataillon Guyot de Lesparre, puis le bataillon 
Beuret viennent à la rescousse ^ la fusillade reprend 
sur toute la ligne française, le général Gueswiller 
court à cheval au milieu des tirailleurs, les animant 
de la voix et du geste. L'ennemi est poursuivi jus- 
qu'aux batteries de la porte del Popolo, qui n'osent 
plus tirer de crainte de le canonner lui-même. Lors- 
qu'il a gagné la villa Borghèse les pièces romaines 
recommencent leur feu. 

La nuit était venue, et nos troupes se trouvaient 
trop dispersées dans la plaine couverte de roseaux 
touffus et de broussailles, qui pouvaient ménager une 
embuscade. L'ennemi n'était plus en vue, le général 
Gueswiller fait sonner la retraite pour réunir les 
compagnies un peu éparses et les ramener sur la 
rive droite du Tibre et en face de Ponte-Molle*. Ce fut 
une joyeuse retraite que ce retour de victoire, sous 
un ciel radieux, le long des bords du Tibre. Officiers 
et soldatschantaientgaiement; les blessés eux-mêmes, 
au nombre d'une vingtaine, avaient un air de fierté 
et de bonheur. Il y avait entre autres, porté sur deux 
fusils» le sergent Guinchard, blessé grièvement d'un 
coup de mitraille à la poitrine au moment où il 
détournait un coup de baïonnette dirigé contre le 
tambour Gillard, le tambour d'avant-garde. Nous 
avions à regretter cinq morts, deux caporaux, GK^le 
et Anal, un carabinier, Lichtemberger et deux chas- 
seurs du i3« léger Glaise et Meunier ^ 

* Historique du 88® de ligne (ancien i3* léger). 
« Ihid, 

* Ibid. 

* Ihid. 

•' Capitaine d'étal-major Vertray, Album, 



— 3oi — 

L'ennemi avait Fait des pertes considérables ; beau- 
coup d'hommes hors de combat étaient cachés par 
les roseaux* ; le lendemain, il devait demander trois 
heures de trêve pour enterrer ses morts et rame- 
ner plusieurs voitures chargées de cadavres et de 
blessés. 

Le général Gueswiller mit à l'ordre de la division 
le chef de bataillon deLesparre, le capitaine adjudant- 
major Vallet, le capitaine Lebailly, le lieutenant 
Lriipedagne et le médecin aide-major Vaghette, qui 
s'étaient fait remarquer par leur sang-froid et leur 
entrain. Le général reçut lui-même les félicitations 
du général en chef. 

On remarqua que les Romains s'étaient retirés 
non dans Tenceinte mais sur le mont Parioli et qu'ils 
y avaient bivouaqué, ce qui indiquait, de leur pari, 
l'intention de reprendre le combat. Dès lors les 
troupes d'avai\l-postes auraient dû être renforcées, 
un officier général lui-môme aurait dû se trouver dès 
le matin sur nos positions pour diriger l'offensive ou 
pour préparer une vigoureuse contre-attaque, dès 
que l'ennemi renouvelerait sa tentative. Ces précau- 
tions furent négligées. 

Le général Oudinot recevait, dans la soirée du i5, 
par le parlementaire, la réponse de Mazzini à M. de 
Gérando, long document, plein d'amertume et d'irri- 
tation, qui constituait un véritable mémoire. Il 
débutait ainsi. 

« Rome, i5 juillet 1849. 

a Monsieur, 
« La lettre que M. de Corcelles vous écrit en date 
du i3, et que vous avez bien voulu me communiquer, 
n'infirmé en rien, vous devez l'avoir vu dès l'abord, 

1 Historique da 88« de ligne (ancien i3® léger). 



— 302 — 

le sens de la réponse de TAssemblée constitoante 
romaine. Peu importe la date de telle ou telle dépêche 
française ; peu importe que M. de Lesseps fût ou non 
révoqué au moment de la signature apposée par lui 
à la convention du 3i mai. 

« Il y a un mot qui répond à tout : V Assemblée n'en 
a rien su; elle n'a Jamais eu communication officielle 
de ces dépêches. 

<( La question diplomatique est donc ainsi posée 
par nous. 

« M. de Lesseps était ministre plénipotentiaire de 
France en mission à Rome. Il était tel pour nous le 
3i mai comme avant. Rien n'était venu nous avertir 
du contraire. Nous traitions donc ei\ pleine bonne 
foi avec lui, comme si nous traitions avec la France 
et cette bonne foi nous a valu Toccupation de Monte- 
Mario dans la nuit du 28 au 29 mai. Engagés dans une 
discussion pacifique avec M. de Lesseps, ayant à 
cœur d'éviter tout ce qui aurait pu précipiter les 
esprits vers une solution contraire à nos vœux, et ne 
pouvant nous résoudre à croire que la France vou- 
drait initier sa mission protectrice par le siège de 
Rome, nous regardions faire. A chaque mouvement 
de troupes, à chaque opération de détail tendant à 
restreindre Tenceinte militaire, et à se rapprocher 
pas à pas des positions que nous aurions pu fort 
bien défendre, M. de Lesseps nous disait qu'il ne 
s'agissait, du côté des Français, que de donner satis- 
faction à l'excitation fiévreuse des troupes fatiguées 
de leur immobilité; il nous suppliait, au nom des 
deux pays et de l'humanité, d'éviter toute rencontre 
hostile, de mettre toute confiance en lui, et de ne rien 
craindre pour les conséquences. Nous cédions de bon 
gré. Je m'en repens aujourd'hui pour ma part. Je 
m'en repens, non que je craigne pour Rome, mais 
parce que ce sont des poitrines de braves qui défen- 



— 3o3 — 

dent ce que de bonnes positions auraient pu 
défendre. » 

■ 

Mazzini revenait alors sur les négociations du 
3i mai avec M. de Lesseps, sur l'ultimatum du géné- 
ral Oudinot, sur l'interprétation donnée à ces mots 
c( l'attaque de la place sera différée jusqu'au lundi 
matin 4 juin au moins », en dépit de laquelle les 
villas avaient été attaquées le dimanche 3 juin. II 
protestait contre la capture des défenseurs des villas* 
et reprenait en termes indignés : 

<i Maintenant que nous fait, je vous le demande, 
Monsieur, la dépêche du 26 mai, citée pour la pre- 
mière fois dans la lettre de M. de Corcelles? Que font 
au gouvernement romain les dépêches citées par le 
général Oudinot? Nous n'avons jamais vu ces dépè- 
ches, leur contenu ne nous est nullement connu, 
il ne nous a pas été communiqué officiellement. Nous 
avons d un côté les affirmations du général Oudinot, 
de l'autre celles du ministre plénipotentiaire français, 
elles se contredisent. Que la France arrange tout 
cela si elle peut, de manière à mettre à couvert son 
honneur. Entre un ministre plénipotentiaire et le 
général d'un corps d'armée, notre Assemblée a cru 
pouvoir se rattacher à la tradition des faits établis par 
le plénipotentiaire. Je trouve qu'elle a bien fait et je 
vous fais observer, Monsieur, que c'est aujourd'hui 
seulement le dixième jour du siège de Rome, que 
la présence de M. de Corcelles au camp, en qualité 
de Ministre envoyé, nous est officiellement, bien 
qu'indirectement, connue. 



* Nous avons indiqué, à la date de ces événements, les pré- 
tentions du triamvirat et rinterprétation donnée par Mazzin 
à la lettre da général Oudinot. Noas nous bornons donc à les 
résumer. 



— 3o4 — 

a Pesez les dates des notes officielles, comparez-les 
à la date de Toccupation de Monte-Mario et des opé- 
rations de Tarmée française; et dites-moi, Monsieur, 
si en examinant froidement la question diplomatique, 
l'Europe ne sera pas conduite à dire : « Le gouveme- 
« ment français n'a voulu que jouer le gouvernement 
« romain. Le général Oudinot a déloyalement profité 
(( de la bonne foi des hommes qui le composent pour 
Cl resserrer le cercle de l'attaque, pour occuper des 
c( positions favorables, pour se ménager la possibilité 
« de surprendre la ville. Ou la dépêche du 26 n'existe 
« pas, ou bien elle n'a pas été communiquée à temps 
« à M. de Lesseps. » La dépêche du 29 mai était en 
eifet connu au camp français dans la matinée da 
ler juin ; celle du 26 pouvait donc se trouver entre les 
mains du général Oudinot dès le 29 mai. Si le général 
en chef ne la produisit pas à cette époque pour sus- 
pendre toute négociation et le négociateur lui-même, 
on pourrait penser qu'il voulait se prévaloir de ce 
semblant de négociation qui paralysait la surveillance 
et les forces du peuple romain, pour s'emparer sans 
rencontrer de résistance peu à peu des meilleures 
positions; sûr qu'il était, en produisant la dépêche 
du 26, de faire cesser à sa volonté toute négociation 
qui ne lui plairait point et tout armistice, dès qu il 
serait prêt à agir. 

ce Permettez-moi de vous le dire, Monsieur, avec la 
franchise qui sied à un homme de cœur; la conduite 
du gouvernement romain n'a jamais, pendant les 
négociations, dévié d'une seule ligne du chemin de 
l'honneur. Le gouvernement français ne peut pas en 
dire autant. La France, Dieu merci, n'est pas en 
question, brave et généreuse nation, elle est victime 
d'une basse intrigue, comme nous le sonmies. 

a Aujourd'hui vos canons tonnent contre nos murs, 
vos bombes pleuvent sur la ville sainte, la France a 



— 3o5 — 

eu la gloire, cette nuit, de tuer une pauvre jeune fille 
du Transtevère qui dormait à côté de sa sœur. 

« Nos jeunes officiers, nos militaires improvisés, 
nos hommes du peuple tombent sous votre feu en 
criant : Vive la République! Les braves soldats 
de la France tombent sous le nôtre, sans cri, sans 
murmures, comme des hommes déshonorés. Je suis 
sûr qu'il n'y en a pas un seul qui ne se dise en 
mourant, ce qu'un de vos déserteurs nous disait 
aujourd'imi : « Nous sentons en nous quelque chose 
« comme si c'était des frères que nous combattions, t» 

<c Et cela pourquoi? Je n'en sais rien, vous n'en 
savez rien. La France n'a pas ici de drapeau; elle 
combat des hommes qui Taiment et qui, hier encore, 
avaient foi en elle. Elle cherche à incendier une ville 
qui ne lui a rien fait, sans programme politique, sans 
but avoué, sans droit à réclamer, sans mission à 
remplir. Elle joue, par ses généraux, la partie de 
l'Autriche et elle n'a pas le triste courage de l'avouer. 
Elle traîne son drapeau dans la fange des concilia- 
bules de Gaète et recule devant une déclaration 
franche et nette de restauration cléricale. M. de 
Corcelles ne parle plus d'anarchie et de factions, il 
n'ose pas, mais il écrit comme un homme troublé 
cette phrase inconcevable : « La France a pour but la 
c< liberté du chef vénéré de l'Eglise, la liberté des Etats 
a romains et la paix du monde. » 

« Nous, au moins, nous savons pourquoi nous 
combattons et c'est parce que nous le savons que 
nous sommes forts. Si la France représentait ici 
un principe, une de ces idées qui font la grandeur 
des nations et qui ont fait la sienne, la bravoure de 
ses enfants ne se briserait pas contre la poitrine de 
nos jeunes recrues. 

« C'est une bien triste page, Monsieur, qui s'écrit 

en ce moment, par la main de votre gouvernement, 

20 



.— 3o6 — 

dans r histoire de la France : e*est un coup mortel 
porté à la Papauté que vous voulez soutenir et que 
vous noyez dans le sang; c'est un abime sans fond 
qui se creuse entre deux nations appelées à marcher 
ensemble pour le bien du monde et qui depuis des 
siècles se tendaient la main pour s'entendre: c'est 
une profonde atteinte à la moralité des rapports entre 
peuples et peuples, à la croyance commune qui doit 
les guider, à la cause sainte de la liberté qui vit de 
cette croyance, à l'avenir, non de l'Italie, la souf- 
france est un baptême d'avancement pour elle, mais 
de la France qui ne peut se maintenir au premier rang 
si elle abdique les mâles vertus de la croyance et 
l'intelligence de la liberté. 
« Croyez-moi, Monsieur, 

« Votre dévoué, 

<K J. Mazzini*. » 

Ainsi donc c'était toujours la guerre, la continua- 
tion de la lutte, du moins jusqu'au jour où la brèche 
s'ouvrirait toute grande, jusqu'à l'heure où nous don- 
nerions l'assaut au Janicule... 

* Papiers du général de Tinan. 



CHAPITRE XV 



DEVRAIS soldats! — LA SORTIE DES CHEMISES 
BLANCHES. SURPRISE MANQUEE. 



En dépit du service fatigant des travaux de tran- 
chée et des piquets de garde» la santé générale des 
troupes restait excellente comme leur moral. Les 
réquisitions opérées par le service de Tintendance 
que dirigeait un intelligent et actif administrateur, 
l'intendant Paris de la Bollardière, procuraient de 
ressources très suffisantes en viande sur pied. Le 
i«r chasseurs et le ii« dragons, répartis en détache- 
ments sur les routes d'AIbano, de Frascati, de Rieti 
et de Tivoli, capturaient toutes les voitures de vivres 
destinées à Rome, chargées de vins, de fruits, de lai- 
tage et même de glace et de neige. Tout était payé à 
rarrivéeau camp^ Des distributions de vin et de café 
étaient faites journellement, enfin le pain, cette base 
de Talimentation du soldat, était devenu excellent. 

* « Toutes les réquisitions étaient remboursées. » (Com- 
munication de M. le général Espivent de la Villeboisnet.) 

Dans son Album de VexpédUioriy le capitaine Vertray 
constate « que ces réquisitions, avantageuses pour les habi- 
tants, n*ont pas peu contribaé à maintenir la santé de no s 
troupes à une époque où commençait à sévir la malaria^ 
c^est-à-dire les lièvres pernicieuses ». 



— 3o8 — 

On le fabriquait dans des fours militaires, construits 
sur le modèle de ceux qui avaient été trouvés à Civila- 
Vecchia et qui avaient été expérimentés par les 
troupes. 

Des approvisionnements de tranchée avaient été 
réunis dans des caves à proximité. Parfois les pro- 
jectiles ennemis brisaient une porte ou la couvraient 
d'éboulements. Les soldats en riaient et déblayaient 
avec entrain ce qui obstruait leurs petits magasins. 

Malgré les mauvais journaux qui pénétraient dans 
le camp, malgré quelques correspondances clandes- 
tines avec des révolutionnaires de Paris ou de la 
province, malgré les ballots de proclamations que 
Tennemi s*obstinait à lancer du haut de ses murailles, 
jamais la discipline ne s'afQrma à la fois plus ferme 
et plus bienveillante de la part des officiers, plus 
soumise et de meilleure humeur de la part des sol- 
dats *, reliée, cimentée par cet admirable corps de 
sous-officiers, les uns vieillis dans le métier sans 
espoir d'avancement, fiers de leurs modestes galons, 
les autres, jeunes, ardents, pleins d*espoir, heureux 
de trouver un champ de bataille sur lequel une 
action d'éclat, un acte d'énergie pourraient permettre 
de décrocher l'cpaulette. 

Beaucoup d'officiers avaient révélé, dans leur 
vie de garnison, des opinions avancées au point 
de vue politique, indifférentes au point de yne 
religieux ou môme parfois hostiles à la propa- 



* Un capitaine du 66'^ qui occupait avec sa compagnie 
Tune des maisons près de âan-Pancrazio aperçoit dans ransTie 
d'un jardin expose au feu de Tennemi un abricotier coavert 
de fruits superbos et les fait remarquer à son lieutenaiit. 
L'un des soldats de la compagnie, nommé Gury, manifeste 
rintention d'aller les chercher. 11 profite de ce que le capi- 
taine ne le voit pas, pour aller lui cueillir, sous la mitraille et 
la mousqueterie, une véritable corbeille d'abricots que le 
brave soldat présente dans son shako, faute de plateau. * 
ses ofOciers et à ses camarades. 



- 3o9 — 

gande catholique. D'autres avaient affirmé haute- 
ment leur foi de chrétiens, pratiquant sans timidité 
comme sans provocation. Depuis le débarquement, 
nul ne parlait de ses sentiments intimes, de ses 
convictions religieuses ou politiques. Certes la per- 
sonne de ce doux et grand pontife qui s'appelait 
Pie IX, dont on connaissait les courageuses réformes 
et les nobles efforts pour Tindépendance italienne, 
inspirait à nos officiers la plus respectueuse des sym- 
pathies, et à part d'infimes exceptions, tous souhai- 
taient de lui voir reprendre le pouvoir dont l'avait 
dépossédé une révolution haineuse et déloyale. Mais 
en dehors de cette vénération presque unanime, les 
officiers du corps expéditionnaire se désintéressaient 
de la politique romaine, ils s'en tenaient à leur tâche : 
pénétrer dans cette ville où le gouvernement de la 
France leur avait ordonné d'entrer coûte que coûte, 
prendre ainsi la revanche de l'échec du 3o avril et 
faire flotter, ne serait-ce que pendant quelques jours, 
sur les remparts de l'orgueilleuse cité, le drapeau 
français aux trois couleurs qui symbolisait pour tous, 
depuis les généraux de division jusqu'au dernier des 
simples soldats, l'honneur et la gloire du pays!... 

Aussi, malgré les affirmations des journaux jaco- 
bins de Paris, n'y avait-il aucune pression religieuse, 
aucune ingérence cléricale dans ces trois camps où se 
concentraient maintenant plus de vingt mille hommes. 
Les aumôniers restaient aux ambulances, accourant 
au chevet des blessés et des malades quand ceux-ci 
voulaient bien les accepter. 

Dans les meurtrières tranchées, battues constam- 
ment par les feux de l'ennemi, dans les positions 
d'observation des troupes de piquet, chaque jour, 
cinq, six, dix hommes étaient tués ou frappés mortel- 
lement, douze, quinze, vingt, parfois une trentaine 
étaient blessés. Les officiers payaient largement de 



— 3io — 

leur personne, presque chaque jour deux ou trois 
étaient atteints. 

Ceux qui mouraient à l'ambulance faisaient ordinai- 
rement preuve de la résignation chrétienne, si com- 
mune aux militaires. Malgré la souffrance, Tépuise- 
ment, la tristesse de dire adieu à leurs plus chères 
affections, vieux officiers et jeunes soldats acceptaient, 
sollicitaient même les secours de la religion*. Sur les 
tombes de ces héros, les prières de l'Église se disaient 
sans bruit, sans éclat, mais le plus souvent avec une 
ferveur communicative et Ton voyait des soldats qui, 
h la caserne, n'auraient peut-èlre pas eu le courage 
de proclamer leur foi religieuse, le faire en toule 
sincérité et en toute confiance. 

Agissait-il autrement ce petit soldat du i3« léger, 
Cadi, un Lyonnais, qui, au premier combat de Ponte- 
Molle, avait traversé le Tibre à la nage pour coniir 
plus vite à l'ennemi? Ses officiers le félicitaient de 
sa crânerie sous les balles. Il leur répondit modesi- 
tement en montrant son talisman : la médaille de 
Notre-Dame de Fourvières*. 

Si le siège avançait lentement, tout indiquait qu1l 
avançait sûrement, et c'est ce qui maintenait le bel 
entrain du soldat. Le génie et l'artillerie semblaient 
provisoirement accaparer les premiers rôles dans la 
grande pièce militaire dont les Romains redoutaient 
le dénouement, mais Tinfanterie savait bien qu'elle 
garderait, comme toujours, le rôle prépondérant; elle 
attendait avec une fébrile impatience le jour prochain 
de l'assaut. 

Les chasseurs à pied donnaient à leur réputation 
de tireurs une consécration indiscutable, aux dépens 

' « Si anx hommes de guerre vous enlevez la foi dans une 
autre vie, vous D*avez pas le droit d'exiger d'eux le sacrifice 
de leur existence. » (Discours du général du Barrai I, ministre 
de la guerre, à T Assemblée nationale, séance du v4 juin i847-) 

' Balleydier, V Expédition de Rome ,1, II, p. 1^5. 



— 3ii — 

des artilleurs des remparts. Ainsi le i6 juin, au 
bastion 5, sur le flanc droit, un obusier qui venait 
d'y être placé et qui envoyait ses projectiles dans la 
batterie n» 4» ne put faire feu que quatre ou cinq fois. 
Une section de chasseurs» embusquée dans la troi- 
sième parallèle, tira sur l'embrasure avec tant de 
succès que Tennemi s'empressa de la fermer avec 
des sacs à terre. 

Les défenses des bastions 5 et 6 se trouvaient 
bouleversées sur les faces conlrebattues *, leur escarpe 
même, dans sa moitié supérieure, était déjà ruinée 
en partie, mais les batteries n®» 4 ^1^ ^ ^^ voyaient 
pas le revêtement assez bas pour pouvoir ouvrir des 
brèches praticables sur ces bastions '. D'autre part, 
à mesure qu'elles avançaient, nos tranchées étaient 
exposées à des feux plongeants de mousqueterie. 

Le général Vaillant déclare qu'il faut éteindre ces 
feux et renverser à coups de canon le couronnement 
de l'escarpe ^, en un mot il faut construire des batte- 
ries de brèche. Trois de ces batteries sont décidées 
et une autre batterie sera construite sur le plateau de 
la villa Corsini pour contrebattre directement le front 
de la porte San-Pancrazio *. 

Le chef d'escadron Soleille ^ fit commencer l'em- 
placement de cette batterie pendant la nuit du i6 au 
17, en avant même de la villa et sous un feu très vif. 
On lui donna le nom de batterie n^ 10. Sa construc- 
tion et son armement furent confiés à la i3« batterie 
du 3« d'artillerie (capitaine Serrand) ; elle devait avoir 

< Journal des opérations de rartillerie et du ffénie. 

« Ibid. 

» Ibid. 

Rappelons que le tir de nos batteries ne devait pas être 
trop précipité car Tardeur extrême du soleil contribuait à 
échauffer les pièces. 

^ Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

« M. Soleille devint générai de division et membre du 
comité d'artillerie. 



— 3l2 — 

deax pièces de 24, deux pièces de 16 et un obusier 
de 22 centimètres. 

On travaillait en même temps aux trois autres 
batteries, dites batteries de brèche. La batterie n<>7 
devait être établie contre la courtine, on la plaça 
dans la partie de la parallèle qui traverse la demi- 
lune, à quatre-vingts mètres de Tescarpe. La 6« bat- 
terie du 'j^ d*artillerie (capitaine Canu) fut chargée de 
sa construction et de son armement : trois pièces 
de 16, un obusier de 22 centimètres. 

La batterie n*» 8, destinée à ouvrir la face droite 
du bastion 6, fut établie dans la troisième parallèle, 
à environ soixante mètres de la face droite da 
bastion. Son armement, emprunté à la batterie n""^ 
qui devenait inutile, devait être de deux pièces de 
24 et de deux pièces de 16; sa construction fut confiée 
à la i6« batterie du 3« d'artillerie (capitaine Gachol). 

Enfin la dernière, dite batterie n^g, qui devait 
battre en brèche la face gauche du bastion n^ 6, fut 
établie également dans la troisième parallèle, à un 
peu moins de soixante mètres de la face droite. La 
batterie n"» 5, dont on avait pris les gabions et les bois 
de plates-formes, céda aussi son armement : deux 
pièces de 24 et deux de 16, et le capitaine de Roche- 
bouët, avec la i2« batterie du5« d'artillerie, fut chargé 
de la construction'. 

Les autres batteries continuaient activement leur 
tir. Pendant la journée du 17 juin, celui de la batterie 
n® 6 contre le bastion 7 fut assez efficace pour agran- 
dir visiblement la brèche de la face droite. On aper- 
cevait distinctement que maintenant l'ennemi occu- 
pait avec de faibles détachements le bastion 6 et le 
bastion 7. Seule la courtine qui les réunissait restait 

* Nos pertes diminuaient. Pendant ces vingt-quatre heures 
elles furent seulement de deux hommes tués et de six blessés 
dont un oilicier. 



— 3i3 — 

à peu près intacte et couronnée de sacs à terre *. 
Dans la soirée, les assiégés tentèrent une sortie par 
la porte San-Pancrazio -. Les postes avancés virent 
avec surprise une colonne en armes, dont Tuniforme 
paraissait un peu singulier, qui s'approchait silen- 
cieusement de nos retranchements. Le général 
Levaillant (Charles) et le colonel Blanchard, du 36®, 
commandaient le service de tranchée. Le i«r bataillon 
du 68«, sous les ordres du commandant Le Rouxeau 
de Rosencoat, était de garde aux attaques de droite, 
il couronna aussitôt les parapets et reçut Tennemi 
par un feu de bataillon ^ qui le fit fuir en désordre 
vers la porte San-Pancrazio par où il avait débouché *. 
Une compagnie du bataillon, commandée par le 
capitaine Conscience, sortit aussitôt et poursuivit 
Tennemi sans pouvoir l'atteindre, tant sa fuite avait 
été rapide. Une trentaine d'hommes furent relevés, 
quelques-uns frappés mortellement; on constata 
avec stupéfaction qu'ils portaient tous par-dessus 
leurs habits une chemise blanche. La plupart des 
blessés étaient des volontaires polonaise Ils décla- 
rèrent qu'ils avaient revêtu des chemises pour éviter 
de se tirer les uns sur les autres; la colonne était de 
douze cents hommes, mais dès que les feux de salve du 



* Journal du siège par le général en chef. Ce journal très 
résumé est beaucoup moins intéressant que celui des opéra- 
tions de l'artillerie et du génie dont le principal rédacteur fut 
le général Vaillant ou plutôt le colonel Niel, sous la direction 
du général. 

* Xe capitaine Vertray, dans son Album de Vexpédition, 
croît que Tennemi est arrivé par la porte Cavalleggeri, mais 
]e Journal des opérations de rartillerie et du génie, et Y Histo- 
rique du 68^ disent formellement que c^était par la porte San- 
Pancrazio. 

•' Historique du 68' de ligne. 

* Ibid. 

^ Balleydibr, La Révolution à Rome, t. II, p, 176, dit que 
la colonne élait composée en grande partie de Polonais. 
Quant à ce singulier costume, il y voit une réminiscence du 
seizième siècle. 



— 3i4 — 

68^ eurent accueilli la tête de colonne, celle-ci se 
débanda et tout le reste en fit autant. Le capitaine 
Conscience et le sergent Gautron, qui s'étaient distin- 
gués en repoussant la sortie, furent mis à Tordre de 
l'armée*. 

Nos soldats appelèrent cette courte alerte la sortie 
des chemises blanches^; elle avait été si facilement 
repoussée que les travaux n'en avaient point été 
interrompus. De notre côté, les pertes devenaient 
minimes : deux hommes tués, un officier et cinq 
soldats blessés. 

Au camp de Ponte-Molle, à trois heures du matin, 
le général de division Gueswiller avait mis en mou- 
vement une colonne, composée de deux bataillons 
d'infanterie et d'un escadron de cavalerie, pour effec- 
tuer une forte reconnaissance et surtout pour faire 
une diversion qui permit au génie de compléter la 
défense de Ponte-Molle. 

Le colonel de Lamarre, du i3« léger, commandait 
l'avant-garde, formée delà cavalerie et d'un bataillon 
de son régiment. Les colonnes s'avancèrent sans être 
inquiétées jusque sous les murs de la villa Borghèse, 
à moins de deux kilomètres de l'enceinte. L'ennemi 
qui occupait les alentours de la villa put se retirer 
non sans laisser entre nos mains quelques prison* 
niers^ 

Une compagnie de pontonniers avec son matériel 
était arrivée à Santa-Passera, elle fut aussitôt utilisée 
pour consolider le pont de San-Paolo sur le Tibre, 
afin de le mettre à même de supporter des passages 

* Ces deux militaires farent décorés. {Historique du 68* de 
ligne.) 

2 Le général Vaillant dit à ce sujet dans le Journal des 
opérations : « La singularité d'un tel accoutrement frappa 
beaucoup la population de Rome, mais cette sortie resta 
pour nous presque inaperçue, attendu que Tennemi, trouvant 
DOS tranchées bien fi^ardées, se retira en toute h&te. » 

' Historique du 88« de ligne (ancien i3* léger). 



— 3i5 — 

de troupes ou de matériel considérables. Une tartane, 
chargée d'affûts de siège, i^rrivait au mouillage de San- 
Paolo ; les deux dernières batteries de brèche purent 
être terminées. Les batteries romaines ne bouchaient 
plus que partiellement leurs brèches, mais elles ripos- 
taient avec énergie et leurs fusiliers gênaient toujours 
nt>s attaques par une mousqueterie bien dirigée K 

Les travaux de la troisième parallèle éprouvaient 
un retard préjudiciable aux progrès de l'attaque. 
Quand il s'agit de pousser cette parallèle sur la gauche 
jusqu'à un chemin confinant à un terrain en pente, 
nos travailleurs durent traverser un passage battu par 
les feux de deux obusiers du bastion 8, flanc gauche. 
Dans la seule journée du i8, nous avions quatre 
hommes tués et vingt blessés parmi lesquels deux 
officiers d'artillerie, le capitaine de Rochebouct et le 
lieutenant Guy. Malgré sa blessure à la main, le pre- 
mier de ces officiers tint à garder le commandement 
de sa batterie. 

Pendant la nuit du 19 juin, la troisième parallèle 
fui sensiblement prolongée sur la gauche. Ce chemi- 
nement opposait un obstacle sérieux aux retours 
offensifs que l'ennemi pouvait tenter par la porte 
San-Pancrazio, dans le but de tourner nos attaques. 
On préparait également en avant de chaque batterie 
de brèche un débouché pour conduire les différentes 
colonnes d'assaut par des voies distinctes. 

Le bruit s'était répandu à Rome qu*une révolution 
venait d'éclater à Paris et dans plusieurs villes de 
province : les troupes auraient pris le parti de l'insur- 
rection, le Président de la République et ses ministres 
auraient été arrêtés et emprisonnés, enfin le nouveau 

1 M. Mathieu, capitaine adjudant-maior au 20" de ligne, eut 
le bras droit emporté par un boulet. M. Renaud, capitaine 
de n*enadiers au .32®, avait une jambe traversée de deux coups 
de feu. (Journal du siège.) 



— 3i6 — 

gouvernement aurait choisi pour chef Ledru-RolHn. 
l'ami et le dérenseur de la Révolution romaine. Les 
triumvirs et leurspartisans n'étaient peut-être pas abso- 
lument convaincus de l'authenticité de la nouvelle. 
mais ils la colportaient dans tous les lieux publics. On 
illumina à Rome dans la soirée du jg juin, au sondes 
cloclies, des roulements de tambour, etc. 

La déception était prochaine, car les tentatives 
révolutionnaires avaient été énergiquement répri- 
mées. A Paris mis en état de siège, le général Chan- 
garnier et ses régiments étaient acquis au parti de 
l'ordre et au gouvernement que soutenait d'ailleurs 
la majorité de l'Assemblée législative. Ledru-Rollin 
avait dû s'enfuir en Angleterre. 

Partout les émeutîers avaient été vaincus : à Tou- 
louse, à Dijon, à Reims. Malheureusement, à Lyon, 
dans la journée du i5 juin, la résistance dura plus 
longtemps et exigea une répression plus rigoureuse'. 
Mais lu, comme dans la capitale, l'émeute était vaincoe 
et l'ordre rétabli. 

Dans leur impatience de voir cesser nos attaques 
toujours plus proches, les journaux romains criaient 
au vandalisme en publiant des nouvelles absolument 
inexactes, comme celle-ci : « Hier, les bombes fran- 
çaises pleuvaient dans la ville et notamment au Gésu, 
il San-Aiidreo délia Valle, au Capitole, au Forum' u. 
ctcnliii uc cri d'indignation contre ce qui leur sem- 
blait un outrage à la majesté romaine : « Un boulet 
de canon frappa la façade du palais du triumvirat à 
Monlo-CavalloM» 



' Lu ^iirninoQ de Lyon dut employer le canon pour démo- 
lir cerluineM barricades dérendues avec an acbainemeotinoai- 
Elle piT'Iil qnatrfr-vingts hommes. Un régiment qoî avnit 
acquis une glorieuse réputation en Afrique, le 17* léger, fui 
parlîciilii'-rfmeat éprouve. 

• ii//ôr«ia, n" du 20 juin iSig. 

» Ibid. 



-3i7- 

En réalité nos projectiles ne frappaient que les 
ouvrages de la rive gauche, mais le tir des nouvelles 
batteries de brèche s*afûrmait singulièrement eflicace 
et les Romains commençaient à douter de la fameuse 
Révolution parisienne, annoncée à grand fracas par 
le triumvirat et la commission des barricades. La 
batterie n^ lo avait ouvert son feu le 19 au matin, elle 
avait fait taire la batterie du front de la porte San- 
Pancrazio*. Malgré la mise hors de service d'une 
embrasure et la cassure sur afTiït d'un obusier*, le 
capitaine Serrand, qui commande la batterie n<> 10, 
continue le feu sans relâche, il fait brèche dans la 
villa Giraud (le Vascello) et Ton saura bientôt que le 
feu de ses pièces a rendu inhabitable la maison Gari- 
baldi, « le pivot de la défense de la rive gauche' ». 

En prolongeant la troisième parallèle dans la 
journée du ap juin, les attaques de gauche allaient 
menacer à moins décent mètres des lignes françaises 
les maisons occupées par l'ennemi en avant de la 
porte San-Pancrazio. Le général Vaillant demanda 
Toccupation pendant la nuit d'une grande maison, 
dite casa Giacometti, située à droite et en avant de 
la villa CorsiniS sur le bord du chemin de San-Pan- 
crazio, d'oii l'ennemi inquiétait nos travailleurs et nos 
canonniers"'. Le général de division Rostolan désigna 
le 3a« de ligne pour fournir une compagnie d'élite à 
laquelle seraient adjoints quatre sapeurs du génie. 
Le colonel Bosc, du 82®, choisit la compagnie de gre- 
nadiers du a® bataillon, commandée par le capitaine 
Nénon, officier expérimenté et plein de sang-froid. 



1 Un capitaine d'artillerie romaine qui pointait lui-môuie 
ses pièces avec beaucoup d'habileté avait été blessé grave- 
ment à cette batterie. 

< Journal des opérations de Tarlillerie et du génie. 

^ Journal du siège. 

^ Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 

^ Historique du 32^ de ligne. 



— 3i8 — 

Le détachement partit à minuit, par une nuit très 
noire. Pour contourner la villa par la droite, en évi- 
tant le feu de la courtine, on s'engagea dans une 
petite vigne adossée au rempart. L'obscurité était 
telle que la tête de colonne fut séparée du reste de 
la troupe. On avait eu le tort de ne pas faire conduire 
ce détachement par un officier d'état-major ou du 
génie connaissant un peu la situation de la maison, 
ne fût-ce que par le plan directeur. Les sapeurs du 
génie marchaient en tête avec le capitaine et quelques 
grenadiers, des éboulements obligèrent encore cette 
petite troupe à se fractionner. 

Le capitaine Nénon, deux grenadiers et un sapeur 
du génie se trouvaient isolés sous une voûte, quand 
un groupe de trois soldats romains sortit de la villa, 
par la porte de Touest. la seule qui ne fût pas barri- 
cadée. D'un bond les quatre Français seront rués sur 
les Romains à l'arme blanche, le capitaine a passé 
son sabre au travers du corps d'un bersagliere lom- 
bard, les trois soldats ont embroché ou assommé à 
coups de crosse les deux autres défenseurs de la villa *. 
La compagnie se rapprochait, mais au lieu de conti- 
nuer à observer le silence, les premiers arrivés veulent 
incendier la maison. Le bruit attire à la façade de der- 
rière les défenseurs qui dégarnissent alors l'autre 
façade; ils font feu par les fenêtres ^. Le capitaine 
Nénon, deux grenadiers et un sapeur sont tués, huit 
soldats sont blessés '. Le lieutenant de la compagnie 
de grenadiers fait enlever son capitaine et les autres 
morts, il ordonne la retraite. Le coup de main avait 
échoué *. 

* Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 

2 Historique du 3a* de ligue. 

' Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

^ h* Historique au 3a^ ajoute: <c Le lendemain, elle (la compa- 
^nie)demanaa à faire partie d*une colonne d^assaut pour veo^ r 
son échec et son chef. Heureux ceux qui se font aimer ainsi. » 



CHAPITRE XVI 



TROIS BRECHES. — l'aSSAUT DU 21 JUIN. 



Sous le tir des batteries de brèche, les retranche- 
ments de Rome continuaient à s'ébouler. Pour adou- 
cir la rampe aux colonnes d'assaut, les pièces tiraient 
maintenant à faible charge sur les terres, car le pare- 
ment extérieur du mur était complètement détruit*. 

Dès les premières heures du jour, le commandant 
Galbaud du Fort, chef d'attaque, assisté du capitaine 
Provost, appartenant comme lui à l'arme du génie, 
dirigeait deux brigades de sapeurs de soixante hom- 
mes et cinq cents travailleurs d'infanterie. On élar- 
gissait les tranchées ainsi que les boyaux de com- 
munication qui devaient conduire de la troisième 
parallèle aux brèches du frontô-^. En outre un appro- 
visionnement de gabions, fascines, sacs à terre et 
outils était préparé et déposé le plus près possible 
des points où les colonnes d'assaut viendraient 
déboucher '. 

Les progrès des travaux de siège et des attaques 
d'artillerie n'avaient pas échappé, non seulement aux 
officiers, mais même aux soldats appartenant aux 
troupes campées à proximité. Aussi le bruit s'était-il 

* Officier d'état-major, Précis historique et militaire , p. 69. 
' Journal des opérations de Fartillerie et du génie. 



320 

répandu aux camps de la villa MafTei et de San-Paolo 
que les murs d'enceinte étaient eflbndrés et des 
militaires de tous les régiments voulaient toujours se 
glisser dans les tranchées. Le sévère général Vaillant 
et ses officiers les obligeaient à s'éloigner et les sol- 
dats déçus revenaient sous leurs tentes en déclarant 
que rheure de l'assaut n'était pas prochaine... 

Le secret resta donc bien gardé quand le 21 juin, à 
trois heures de l'après-midi, les généraux Vaillant et 
Thiry annoncèrent au général en chef « que les trois 
brèches faites, l'uneà la face droite du bastion 6, l'autre 
à la face gauche du bastion 7, la troisième à la cour- 
tine intermédiaire, étaient également praticables* ». 

Dans la tranchée, sous les détonations ininterrom- 
pues des batteries dé brèche, il fut tenu un rapide con- 
seil de guerre entre les trois généraux '. L'assaut fut 
décidé pour le soir même, mais en se bornant à la 
prise de possession du front ({-7. Les colonnes ne 
devaient pas chercher à pénétrer plus loin et à enle- 
ver de vive force la seconde ligne de défense. Le 
commandant supérieur du génie insista pour « ne 
rien livrer au hasard sur un terrain qui nous était 
encore tout à fait inconnu et ne pas s'exposer à 
compromettre, au milieu de résistance ou d'obstacles 
imprévus, le succès de la marche méthodique et sûre 
que nous avions suivie jusqu'alors' ». 

Le général Vaillant déclara en outre que le moment 
le plus convenable pour Tassant paraissait être la 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

^ Journal des opérations de rartillerie et du génie. (Obser- 
vations personnelles du général Vaillant.) 

'* Le général Vaillant eut le tort, et il le reconnut plus tard, 
de ne pas se préoccuper suflisainment des positions domi- 
nantes de cette seconde ligne de défense. L*éminent éerivain 
militaire que nous avons déjà cité, le général H. Bernard, 
dans son Traité de tactique^ tome V, au chapitre : Siège de 
Rome, le constate et rappelle qu*avant Fassaut, il eût été 
prudent d'éteindre ou tout au moins de contrebattre le feo 
des batteries qui pouvaient y être établies par les Romains. 



chate du jour, qu'il suffirait de trois colouDes compo- 
sées de deux eomparnies d'élite et d'une brijrade de 
trente sapeurs pour monter, sans bmiL a Tassaut des 
brèches qui seraient désignées i chacune d'elles par 
le colonel Xîel, son chef détat-major. Il fixa la coin* 
position des colonnes de travailleurs, des troupes de 
réserve, des {rardesde tranchée, leurs emplacements, 
les consignes qui devaient leur être données et 
demanda que deux diversions fussent faites dans la 
journée : 

i<» Une démonstration faite ostensiblement par des 
troupes qui occuperaient les hauteurs dominant la 
route qui conduit à la porte San-Paolo. comme si 
Ton projetait une attaque de nuit sur cette portion de 
Tenceinte : 2^ la marche de tout ou de partie de la 
division Gueswiller sur la route qui mène à la porte 
del Popolo, conmae si Ton voulait élément tenter 
pendant la nuit une attaque de vive force de ce côté '. 

Les troupes du génie devaient fournir cinq brigades 
pour le service de la tranchée. Les deux premières 
devaient être rendues sur les lieux à six heures 
précises, elles étaient chaînées de faire le couronne- 
ment des brèches: les trois autres brigades, convo- 
quées pour huit heures et demie, devaient marcher 
avec les trois colonnes d^assaut. 

Chacune de ces trois brigades devaient être munies 
de sacs de poudre, de dix sacs à terre reniph's et por- 
ter en outre des pinces, des pioches et des haches. Les 
sapeurs porteraient le fusil en bandoulière et ne s'en 
serviraient qu'en cas de nécessité absolue. Le général 
en chef arrêta ses dernières dispositions dans Tordre 
suivant : 

* Le Journal des opérations de rartillerie et du génie aflfirine 

3ue tous ces points furent réglés par le général Vaillant et 
onne en détail les prescriptions que nous avons résumécn 
et qui se trouvent d ailleurs reproduites dans Tordre irénéral 
donné plus loin in extenso. ^ 





— 322 — 



Ordre général de l'armée pour l'assaut 

du 21 juin. 

<x Pour multiplier les chances de succès, en ce qui 
concerne l'attaque de la place, le général en chef pres- 
crit les dispositions suivantes : 

« Six compagnies d'élite dont trois de grenadiers 
et trois de voltigeurs, complétées à cent hommes au 
moins, seront désignées aujourd'hui pour monter à 
l'assaut, elles seront sous les ordres des chefs de 
bataillon de Cappe, Dan tin et de Sainte-Marie et seront 
fournies par les régiments auxquels appartiennent ces 
officiers supérieurs. Sa®, 36® et 53« de ligne; ces trois 
colonnes d'assaut seront sous le commandement du 
chef de bataillon de Cappe. Chacun des autres régi- 
ments de la 2® division (22* léger, 66« et 68« de ligne) 
fournira également deux compagnies d'élite pour 
former la réserve, ces six compagnies seront sous les 
ordres du commandant de Tourville, du 66^ de ligne. 

€( Les colonnes d'assaut et la réserve auront pour 
commandant supérieur le lieutenant-colonel Tar- 
bouriech, du 36® de ligne, qui restera provisoirement 
avec la réserve. 

« Les i6« et 25® léger fourniront les travailleurs de 
la brèche. A cet effet deux compagnies d'élite de 
chaque régiment fourniront deux détachements de 
cent cinquante hommes chacun. Les travailleurs 
seront dirigés par les officiers du génie. 

« Les colonnes d'attaque, la réserve et les travail- 
leurs seront réunis à neuf heures et demie du soir en 
arrière des batteries de brèche sur les emplacements 
qui seront indiqués par le major de tranchée. Cha- 
cune des trois colonnes d'assaut montera, sans bruit, 
à la brèche qui lui sera désignée par le colonel Niel, 
chef d'état-major du génie. 



— 323 — 

« Si ces colonnes ne rencontrent point d'obstacles 
sérieux, elles s'établiront en avant des brèches à une 
distance qui ne peut être fixée à Tavance, mais que 
les commandants apprécieront facilement en voyant 
le terrain et le genre d'obstacles. 

<c Cette distance devra être assez grande pour lais- 
ser parfaitement libres les emplacements sur lesquels 
doivent être établis les travailleurs à la gorge du 
bastion. Dès que les colonnes d'attaque auront choisi 
leurs positions, les hommes se blottiront, prêts à 
faire feu sur tout ce qui approcherait. 

a Les deux colonnes de travailleurs portant des 
gabions iront à la suite des colonnes d'attaque, et 
sous la conduite des officiers du génie, occuper la 
gorge des deux bastions et y feront un logement dans 
toute la longueur de ces gorges. 

« La brèche du centre, pratiquée dans la courtine, 
ne sera point couronnée de gabions, afin de mainte- 
nir libres les communications pour les retours offen- 
sifs et pour l'arrivée de la réserve. Cette réserve 
sera établie dans les tranchées les plus rapprochées 
de la brèche du milieu; elle sera prête à être conduite 
immédiatement, par le commandant de Tourville, au 
secours des colonnes d'attaque, dès que son appui 
deviendra nécessaire. 

a Dans le cas où toutes ces troupes se trouveraient 
trop vivement pressées, elles se retireraient par la 
brèche du milieu et non point par celles des bastions 
pour ne pas déranger les travailleurs qui seuls, au 
besoin, devraient se servir de ces dernières brèches. 
a Indépendamment de ces diverses colonnes, la 
garde de tranchée sera composée, comme à l'ordi- 
naire, de deux bataillons, qui seront placés en arrière 
des batteries de brèche. Ces troupes se mettront en 
mouvement pour remplacer la réserve dès que celle-ci 
quittera la troisième parallèle. 



— 324 — 

« Ces bataillons, aux ordres de l'offieier général de 
tranchée, seront particulièrement chargés d'observer 
les sorties que Tennemi pourrait vouloir tenter, soit 
de la porte San-Pancrazio, soit de tout autre côté. 

« Les troupes de la ^^ division, non employées à 
l'assaut ou à la tranchée, seront en réserve sur le 
plateau de Monte- Verde, prêtes à agir suivant le* 
circonstances. 

<x La brigade d'infanterie de la i^ division, ainsi 
que la i^ brigade de la 3« division, prendront les 
armes à la même heure que les colonnes d'attaque et 
se tiendront prêtes à venir au premier ordre. 

a A huit heures, un détachement composé d'un 
bataillon du aa^ léger prendra position à San-Paolo. 

« Cette colonne mobile, sous les ordres du lieute- 
nant-colonel Espinasse, fera une forte diversion sur 
la rive gauche du Tibre inférieur, avant et pendant 
l'assaut. Toutes les batteries disponibles seront pr^ 
tes à atteler dès neuf heures du soir. La brigade de 
cavalerie sera disposée de manière à protéger spt^ 
cialement le grand parc, le quartier général et à 
se lier par Corviale à la villa Maffei. Ce dernier camp 
restera occupé par un bataillon du i3<^ léger et cin- 
quante dragons. De son côté, le général de division 
Gueswiller, avec une section de chasseurs à pied, 
trois bataillons du i3<' et du ao^ léger, cinquante chas- 
seurs à cheval et quatre pièces d'artillerie, opérera 
une puissante diversion vers la villa Borghèse et la 
porte du Peuple. 

« En conséquence, cet officier général partira de 
Ponte-Molle à six heures du soir pour aller prendre 
position près de la ville et de la rive gauche du Tibre 
supérieur. 

a Les officiers généraux donneront les instructions 
les plus précises pour qu'il ne reste au camp que les 
gardes de police strictement nécessaires et les cuisî* 



— 320 — 

niers, pris parmi les hommes les moins disponibles. 
€c Hia tenue devra être aussi régulière que possible. 
« Les troupes composant les colonnes d'attaque, 
la. réserve, ainsi que les deux bataillons de tranchée, 
seront sans sacs. Elles auront en sautoir, de gauche 
à droite, leurs sacs de campement; les quarante 
cartouches de réserve et une ration de biscuit seront 
renfermés avec soin dans ces sacs. Les travailleurs 
seront dans la tenue habituelle. Les troupes qui 
n'auront pas de service spécial, mais qui seront 
prêtes à agir, auront leur havresac, mais elles n'em- 
porteront ni les tentes-abris, ni les couvertures, ni les 
effets de campement. 

« Les officiers généraux auront leur ceinture en 
si^ne de commandement. 

« Au quartier général de la villa Pamphili, le iio juin 1849. 

« Le Général commandant en chef du corps 
expéditionnaire de la Méditerranée, 

« OUDINOT DE R£GGIO^ )) 



Les deux démonstrations, ou plutôt les deux diver- 
sions eurent lieu sans aucun retard et de la façon la 
plus efficace. 

Une colonne mobile, sous les ordres du général de 
division Gueswiller, était composée d'une section de 
chasseurs à pied, de trois bataillons d'infanterie, cin- 
quante chasseurs à cheval et quatre pièces d'artille- 
rie. 

Sans exposer ses troupes imprudemment mais 
en les déployant pour faire illusion à l'ennemi qui 
leur supposait des réserves, le général Gueswiller leur 
fit parcourir les contreforts qui bordent la rive gau- 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. Pièce jus- 
tificative n° aa. 



— 326 — 

che du Tibre supérieure La colonne refoula dans la 
place les difTérenls postes que l'ennemi entretenait 
sur ce point. Elle fut dirigée assez près de la porte del 
Popolo, pour faire croire que le général avait Tinlen- 
tion de pénétrer de ce côté dans la ville, enûn elle 
enleva quelques prisonniers *. 

La deuxième colonne, chargéed'opérerunediversion 
sur la rive gauche du Tibre inférieur, était composée 
d'un bataillon du 22^ léger, de deux pelotons de cava- 
lerie et de quatre pièces d'artillerie ; elle était comman- 
dée par le lieutenant-colonel Espinasse, du 2ta<^ léger. 

Pour dissimuler sa faiblesse numérique, celte 
colonne ne partit qu'à la nuit, mais afin d*attirer l'atten- 
tion de l'ennemi d'un autre côté, deux pièces de 3o, 
appartenant à la marine, placées sur une éminence en 
avant de la basilique Saint-Paul et sous les ordres du 
lieutenant de vaisseau Olivieri, commandant la flot- 
tille du Tibre, firent un feu continu et très bruyant. 

De son côté, l'artillerie de campagne attachée à la 
colonne Espinasse, en lançant contre les remparts un 
grand nombre d'obus et de boulets, inquiéta vive- 
ment l'ennemi ; aussi lorsque le bataillon duaa® léger 
s'approcha avec ses échelles pour faire un simulacre 
d'escalade, fut-il assailli par une mousqueterie des 
plus vives. Ce feu ne blessa personne, les hommes 
s'étant embusqués derrière des plis de terrain recon- 
nus à l'avance. 

Les deux colonnes rentrèrent dans leurs camps res- 
pectifs, sans avoir à regretter aucune perte, sans être 
inquiétées et après avoir obtenu le but que se propo- 
sait le général en chef' : détourner l'attention de 
l'ennemi. 



1 Le général en chef au ministre de la guerre. {Rapport da 
22 juin 1849.) 
« Ibid 
» Ibid. 






— 3^7 

Pendant les quelques heures qui s'écoulèrent depuis 
la conférence des généraux jusqu'à la réunion des 
troupes d*assaut, les batteries de brèche continuèrent 
leur tir régulièrement, méthodiquement, produisant 
toujours avec des chaînes réduites de petits éboule- 
ments. A quatre heures, le service de tranchée fut 
pris par le général Levaillant (Charles) et le colonel 
de Leyritz, du 68«. Les gardes ordinaires de tranchée 
étaient fournies par un bataillon du 36^ de ligne et un 
bataillon du 53<», elles devaient être renforcées dans 
la nuit. 

Le service du génie avait désigné deux brigades de 
sapeurs sous les ordres de deux officiers de Tarme : 
le capitaine Mayette et le lieutenant Brière, pour 
faire le couronnement des deux brèches de bastions ^ 
A neuf heures du soir, le général en chef, les 
généraux Vaillant et Thiry, les colonels de Tinan et 
Niel, le commandant Soleille, les officiers de Tétat- 
major général et des états-majors de Tartillerie et du 
génie sont à la Maison des volets verts ^, aux extrê- 
mes avant-postes. Une compagnie de chasseurs à 
pied sert de garde d'honneur à ce dangereux quar- 
tier général qui doit aussi abriter l'ambulance. A 
gauche et un peu en arrière les deux batteries de 
mortiers lancent, à d'assez longs intervalles, les bom- 
bes sur le Janicule. Quelques coups de fusil partent 
des remparts de la place ^, indiquant que Tennemi 
fait bonne garde. 

C'est alors qu'arrivent à la tranchée les deux déta- 
chements de travailleurs, comprenant chacun cent 
cinquante hommes pris dans les compagnies d'élite 
et qui doivent marcher avec les brigades de sapeurs. 



* La brèche de droite au bastion 6, la brèche de gauche au 
bastion 7. 

* CSapitaine d'état-major Vertray, Album. 
» Ibid. 



— 3a8 — 

Après avoir reçu des pioches, des pelles et des 
gabions, les travailleurs se rangent dans les boyaux 
de tranchée '. 

A neuf heures et demie, la batterie de marine, 
commandée par le lieutenant de vaisseau Olivieri, 
composée de quatre pièces de 36 et établie sur une 
butte au-dessus du monastère de San-Paolo, com- 
mence un feu nourri contre la batterie romaine du 
Testuccio. 

Le général en chef est informé que la division 
Rostolan, sauf le bataillon de tranchée, occupe, en 
formation de bataillon en masse, le Monte-Verde, 
derrière la Maison des volets verts. Toute la division 
Regnaud d'Angély est sous les armes aux villas 
Pamphili et Corsini '. 

A neuf heures trois quarts, arrivent dans les 
boyaux de tranchée qui leur sont assignés les compa- 
gnies des colonnes d'attaque, sous le commandement 
du lieutenant-colonel Tarbouriech, du 3a^ de ligne. 
La première colonne qui doit monter sur la brèche 
de droite est formée de deux compagnies : Tune de 
voltigeurs, l'autre de grenadiers du 36«. Le chef de 
bataillon de Sainte-Marie en a le commandement et 
la fait masser dans le boyau à la droite de la batterie 
n® 7^ 

La colonne destinée à la brèche de gauche et que 
commande le chef de bataillon de Cappe, est égale- 
ment formée de deux compagnies de voltigeurs et 
de grenadiers du 53» de ligne. Elle se masse dans la 
tranchée à la gauche de la batterie n^ g. Entin la 
colonne désignée pour la brèche du centre, c'est-à-dire 
celle de la courtine, est, comme la première, com- 
posée de deux compagnies d'élite du 3a«, sous le 



' Journal des opérations de rartillerie et du génie. 
^ Le général en chef au ministre. (Rapport du aa jui 
3 Journal des opérations de rartillerie et du génie. 



— 3a9 — 

commandement du chef de bataillon Dantin. Elle 
s'établit à droite de la batterie n"» 9. 

Trois brigades de sapeurs commandées par le capi- 
taine de Jouslard, les lieutenants Denfert ' et Guille- 
mard doivent prendre la tète de chacune de ces 
colonnes. Les travaux à exécuter dans le bastion 
seront confiés au capitaine du génie Doutrelaine*; 
ceux du bastion 7 au capitaine Prévost ', de la même 
arme, sous la direction du commandant Galbaud du 
Fort, aide de camp du général Vaillant. 

La difficulté de reconnaître des emplacements, 
quelques complications imprévues retardèrent d'une 
heure et demie le commencement de l'attaque. 

Les batteries font une dernière décharge à mitraille 
et le colonel Niel, chef d'état-major du génie, lance 
les trois colonnes d'assaut ^. Grâce aux éboulements 
qui forment talus presque partout, elles franchissent 
les brèches, sans résistance de Tennemi. Les postes 
romains, composés des légionnaires de Garibaldi 
et des soldats du régiment de l'Union, s'étaient 
retirés dans leurs abris, un peu en arrière du front, 
et ils étaient plongés dans le sommeil. 

Sur la deuxième ligne de défense, des feux de 
Bengale jetaient des clartés assez vives pour éclairer 
le terrain, mais ces feux s'éteignirent bientôt, sans 
que la présence de nos têtes de colonne ait été 
révélée. Les travailleurs avaient suivi les colonnes 
d'assaut. 

La colonne du commandant de Sainte-Marie a cou- 

* Le futur colonel qui défendit Bel fort avec tant d'énergie 
et d'habileté. 

* Devint général de division, président du comité des for- 
tifications. 

' Devint général de brigade. 

^ Le général en chef dans son rapport au ^linistre fixe le 
commencement de Taltaque à dix heures, mais il y a là une 
petite erreur qu*a rectifiée le général Vaillant dans le 
Journal des opérations de Tarlillerie et du génie. 



— 33o — 

ronné le bastion 6. A ce moment éclate une fusillade 
assez vive. L'ennemi a pris les armes, il tire par les 
créneaux d'une maison, la casa BarberiniS située en 
arrière de la courtine, entre les deux bastions. La 
compagnie de grenadiers (du 3« bataillon du 36«) se 
précipite à l'assaut derrière son brave capitaine, 
d'Astelet, qui, blessé à TafTaire du3o avril, était sorti 
de l'ambulance quoique imparfaitement guéri, pour 
reprendre sa place à la tranchée. A côté du capitaine 
d'infanterie, déjà mûri par Tàge et les services, expé- 
rimenté et résolu, s'est placé, Tépée à la main, le 
capitaine du génie de Jousiard ', plus jeune, épris de 
gloire militaire, d'études scientifiques, de tout ce qui 
séduit et passionne à la sortie des grandes écoles. 
Derrière les deux officiers, sapeurs du génie et gre- 
nadiers se pressent à l'envi. 

Au signal convenu, la compagnie de voltigeurs 
avec le chef de bataillon et le capitaine Camuzet 
arrivent en soutien, mais la compagnie d'Astelet n*a 
pas attendu ce renfort, elle attaque la maison. 

Les défenseurs, des garibaldiens, font feu par les 
fenêtres, par les créneaux, par toutes les ouvertures. 

* 11 y a encore là une contradiction entre le Rapport da 

fénéral en chef et le Journal du général Vaillant. Le duc 
e Reçgio, qui a écrit son rapport dès le lendemain, an pen 
précipitamment, n*a pu noter avec autant d'exactitude et 
même de minutie, des incidents qui ont été signalés au com- 
mandant supérieur du génie par les ofQciers de son arme 
qui marchaient avec les colonnes. Ainsi le général Oadioot 
mentionne dans son rapport que «c nos troupes furent reçues 
par un feu général auquel elles ne répondirent pas ». Le 

{général Vaillant constate au contraire, comme nous le rappe- 
ons, que les troupes ne rencontrèrent pas de résistahce avant 
Fattaque de la maison Barberini, située en arrière de la cour- 
tine. 

L'historien de la légion Garibaldi, M. Lœvinson, cons- 
tate qu'il y eut surprise et que les Français s'emparèrent 
facilement des trois brèches « en raison du manaue de sur- 
veillance des bastions et d'un service peu habituel aux Gari- 
baldiens ». (P. a53). 

* Le capitaine de Jousiard avait été décoré en Afrique, 
presque à la sortie de l'école de Metz. 



— 33i — 

Les deux capitaines, d'Astelet et de Jouslard, tombent 
mortellement frappés', mais les sapeurs ont enfoncé 
une porte, ouvert une brèche à coups de pioche. Les 
grenadiers se sont fait la courte échelle et ont bondi 
dans la maison de trois ou quatre côtés, ils veulent 
venger leurs officiers, et à la baïonnette ils embro- 
chent dix Romains ^ L'arrivée du commandant de 
Sainte-Marie empêche de massacrer les autres défen- 
seurs qui ont mis bas les armes, au nombre de 
quarante-trois, parmi lesquels un capitaine et un 
lieutenant. 

Un autre officier de la défense, et non des moins 
importants, le colonel romain Rossi, vient par 
méprise au milieu des voltigeurs. L'un d'eux le fait 
prisonnier sans que le colonel, dans son ahurisse- 
ment, essaie de mettre le sabre à la main ^\ 

Au centre, la colonne du commandant Dantin avait 
gravi sans difticulté l'escarpement et pris position 
en arrière de la brèche de la courtine. 

Au bastion 7, la colonne du commandant de 
Gappe n'avait pas eu plus de difficulté pour arriver 
à la brèche, les postes de la défense établis sur ce 
côté et qui avaient été avertis par la fusillade de la 
casa Barberini, tirèrent dans la direction de la colonne 
d'assaut, mais précipitamment et maladroitement. 
Ils se replièrent ensuite sur une troupe de réserve qui 
occupait les deux maisons situées à la gorge du 
bastion: cette troupe démoralisée battit en retraite 
sans essayer de défendre la position S Elle se laissa 
faire une cinquantaine de prisonniers \ 

* Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 

* Historique du 36* de ligne. 

' a En attendant, lui dit le voltigeur, lui mettant le bout de 
son fusil contre la poitrine, rendez-vous ou je vous tue. » 
L'oflicier romain raconta lui-même sa capture au capitaine 
Vertray qui en a noté le récit dans son Album, 

^ Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

5 Ihid. 



— 332 — 

Jusqu'alors Tentreprise avait été couronnée d'un 
succès complet, il s'agissait maintenant de fortitier 
la position contre un retour offensif de rennemi. 

Sous l'active impulsion du commandant Galbaud 
du Fort et des officiers du génie, les travailleurs 
d'infanterie, qui tous portent un gabion ou des outils, 
commencent un épaulement qui fermera la gorge 
des bastions ^ 

Ce travail rencontre d'assez grandes difficultés, 
nos soldats trébuchent dans les petites tranchées, 
les rigoles; quelques-uns tombent dans des trous 
embarrassés d'abatis d'arbres ou recouverts traî- 
treusement de roseaux. Plusieurs sont blessés. 

Dans la partie excavée des bastions, les sapeurs du 
génie découvrirent des souterrains voûtés au milieu 
desquels l'ennemi avait préparé cinq fourneaux 
de mine, ils en retirèrent aussitôt les boites de 
poudre *. Il était une heure du matin. 

Alors s'engagea sur les travailleurs une fusillade qui, 
d'abord assez faible, devint de plus en plus nourrie. 
Les six compagnies d'assaut y répondaient tout en 
ménageant leurs munitions. Dans l'obscurité de la 
nuit, les Romains n'osaient pas s'avancer et nos tra- 
vailleurs continuaient avec activité leur épaulement. 
Le colonel Niel était venu les encourager, chacun 
s'attendait à une reprise d'attaque de l'ennemi. 

En effet, un peu avant trois heures du matin la 
fusillade des Romains redouble, il s'y mêle aussitôt 
un feu d'artillerie des plus violents. La demi-obscu- 
rité qui règne nuit à la justesse du tir, mais celui-ci 
se rectifie dès que le jour devient plus apparent. Nos 
positions sont bombardées d'obus, de boulets, de 
paquets de mitraille par deux batteries romaines, 

* « Avec autant d*activité que d'intelligence. » (Le général 
en chef au ministre, 32 juin 1849.) 
*' Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



— 533 — 

Tone établie à Tamorce de la première branche de 
l'enceinte aurélienne. à hantear de la villa Spada. 
Tautre en avant de Téglise de San-Pietro in Montorio*. 
Le bastion 7 est le moins maltraité. 

Une compagnie de chasseurs à pied vient garnir 
une ligne de créneaux en sacs à terre établie sur la 
courtine que Tennemi crible de boulets. La position 
n'est pas tenable. En quelques minutes les chasseurs 
ont une douzaine d'hommes hors de combat, ils 
sont obligés de se reporter en arrière et de s'abri- 
ter derrière des éboulements. Ils continuent leur 
feu. 

Le bastion 6 est absolument bouleversé par les 
projectiles de la batterie romaine de Saint-Alexis. 
Pour soutenir le moral des travailleurs, plus exposés 
que les compagnies d'assaut abritées dans des exca- 
vations, les généraux Vaillant et Thiry se sont rendus 
dans le bastion et donnent l'exemple d'une froide 
intrépidité. 

Une batterie établie au Mont-Aventin fait conver- 
ger son feu avec celui des autres batteries romaines 
qui tiraient de deux autres côtés. Le général romain 
Calandrelli et les officiers suisses, qui provenaient 
pour la plupart de l'ancienne armée pontificale, 
secondés par d'excellents artilleurs, réparaient ainsi 
le manque de vigilance de leurs avant-postes. 

Le bastion 6 n'était pas plus habitable que la cour- 
tine ; le général Vaillant donna l'ordre, vers six heures 
du matin, de l'évacuer ainsi que la maison Barberini. 
L'ennemi ne s'en aperçut qu'après une heure ou une 
heure et demie, il en reprit possession *, mais les gre- 
nadiers du 36« s'élancèrent encore à la baïonnette et 

* « Il est indispensable, avant de déterminer le point d*atta- 
aae, de connaître à fond Tenceinte et surtout ses propriétés 
ae flanquenient. » (Général H. Bernard, Traité de tactique y 
t. V, p. 55i.) 

* Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



— 334 — 

cette seule démonstration fit évacuer la maison par 
les Romains ^ 

Le général en chef, informé du danger que pouvait 
présenter l'occupation de cette maison isolée, lit 
donner Tordre à la compagnie d'infanterie de se tenir 
abritée autour de la maison et de se borner à en 
défendre l'accès. 

Les travailleurs furent également retirés du bas- 
tion 6*, on se borna à organiser deux rampes d*arrt- 
vée sur la brèche et à élargir l'entrée du bastion. 
Enfin le bastion 7 fut déblayé, garni de gradins pour 
la fusillade, de créneaux en sacs à terre et pourvu 
d'une rampe régulière. 

Le commandant Frossard assisté du capitaine 
Ragon, du génie, avait pris les fonctions de chef 
d'attaque à neuf heures du matin et poussé active- 
ment les travaux indiqués plus haut. 

A dix heures du matin toutes les troupes rentrèrent 
dans la tranchée, sauf deux compagnies d'avant- 
postes blotties dans les excavations et prêtes à oppo- 
ser une première résistance si l'ennemi revenait sur 
ses anciennes positions. Nos pertes totales dans la 
nuit de l'assaut et la matinée du 121 juin s'élevaient à 
trois officiers et douze soldats tués, trois officiers et 
cinquante-sept soldats blessés ^ 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 

^ Le général VaUlant en a fait Taveu très loyalement dans 
son Journal d*opérations. Malgré ses reconnaissances p<;r- 
sonnelles, le terrain sur lequel on avait pris pied était mal 
connu et « par sa déclivité rapide sur la ville semblait devoir 
rendre presque impossible tout développement de tranchée 
vers notre gauche ». 

^ Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



CHAPITRE XVn 



DUEL d'artillerie 



Les troupes qui avaient pris part aux combats de 
la nuit étaient félicitées, à juste titre, par Tordre géné- 
ral* : 

« Soldats, 
« Nous touchons au terme d'une campagne pen- 
dant laquelle votre bravoure, votre discipline et 
votre persévérance vous ont acquis une gloire impé- 
rissable. Après d'énergiques combats et d'éclatants 
succès, vous avez en peu de jours, abattu les rem- 
parts de Rome, vous avez pris d'assaut avec une 
admirable vigueur les principaux bastions de la 
place. Bientôt vous pénétrerez en maîtres dans la 
ville, vous y respecterez les mœurs, les propriétés et 
les monuments. Chargé d'affermir dans les États 
pontificaux Tordre et la liberté, le corps expédition- 
naire de la Méditerranée ne manquera pas à sa 

* Dans son rapport au ministre, du 22 jain, le général en 
chef ajoute ; a Malgré les grandes chaleurs. Tétai sanitaire 
de la troupe est très satisfaisant. Cette heureuse situation 
est attribuée en grande partie à Ténergie de son moral. » 
{Moniteur du a4 juin.) 



K. 



— 336 — 

mission. IL occupera ainsi une belle page dans l'his- 
toire d'un peuple qui a de nombreux titres à sa 
protection et à ses sympathies. 

« Le Général commandant en chef, 

n OUDINOT DE KegGIO. 
« Au quartier général, le aa Juin. » 

A Rome, l'alerte avait été vive et de nombreux 
habitants, désireux de voir la tin du siège, espéraient 
que le dernier jour de la résistance était arrivé... Les 
deux proclamations du triumvirat que l'on va lire. 
publiées au son des cloches, anichées dans tous 
les carrefours pendant l'après-midi du as juin à 
deux heures d'intervalle ', détrompèrent ces amis do 
calme et de la paix, qui ne tentaient rien d'ailleurs 
pour faire cesser le despotisme dont ils souffraient 
depuis si longtemps. 



Première proclamation 

« Romains, 
« A l'aide de la nuit, comme un traître, l'ennemi a 
mis le pied sur la brèclie. Que Rome se lève, que te 
peuple se lève dans son omnipotence et le disperse. 
que ses cadavres ferment la brèche! Qui touche 
comme ennemi le terrain sacré de Rome est maudit 
de Dieu! Pendant qu'Oudinot tente en désespéré le 
dernier effort, la France se lève tout émue et elle 
renie cette poignée de soldats d'invasion qui ta 
ili'î^lionorent '. Un dernier effort de notre part, Rome 

' Gazette de Gênes, n" du aj jaîn 1849- 

- Les triumvirs connaissaient parfaitement l'échec des 
tnicutiers du i3 avril et la fuite de Ledra-Rollin en Angle- 



et la patrie sont sauvées poar toujours. Rome, par sa 
constance, aura donné le signal d*une nouvelle résur> 
rection de l'Europe. Au nom de vos pères» au nom 
de votre avenir, levez-vous pour combattre, levez- 
vous pour vaincre. Une prière au Dieu des forts, une 
pensée de confiance dans les frères et la main sur le 
fusil, que tout homme aujourd'hui devienne un héros, 
que cette journée décide des destinées de Rome, de la 
République ! 

« Les TriumçirSy 
« Mazzini, Armellini, Saffi, 

« 93 juin 1849. » 



Deuxième proclamation 

<x Romains, 
c( Le tocsin a cessé. La grande voix de Romo dovall 
faire entendre aux frères militants que Ich citoyoïiH 
sont prêts à les secourir, et à Tennemi ({uo lu vlllo 
entière se précipitera, s'il le faut, sur les h'^n(*N. Il 
suffit. Le bulletin du commandant en clicf votiN (Uni 
dans quelques minutes Tétat des choses. T(U)<v.-voiip4 
prêts à l'occasion. Préparez vos armcH. Srrrr/.-vnim 
fraternellement! Animez-vous à de grnndN cxplolut 
Le tocsin ne sonnera plus que pour voimdlrn ; Arcoii- 
rez! et vous accourrez. Nous le juronn par I(*k Jour- 
nées du 3o et du 3. Vive la Répuhlicpu^l 

«Armellini» Ma//jni« HAn-*!', 

a aa jain 1849, à onze heures, n 

La commission des barricad(*.H antionf.ail dann 
une proclamation une sortie procliaiiM^ iU*H IriMipi'ti 

* Gazette de Gênes, m" du 17 juin jH'îy. 





— 338 — 

de Garibaldî. Il y était dit que « la poitrine de ce 
général était à elle seule une porte d'airain derrière 
laquelle la population pouvait respirer à l'aise )». 

Malgré de si belles assurances, la confiance de la 
population s'affaiblissait visiblement. On en a l'exem- 
ple dans cet extrait du Saggiatore, naguère si ardem- 
ment dévoué au triumvirat : 

« Les Français ont battu avec leur artillerie le 
casino Barberini. Vers trois heures un quart du malin, 
les bataillons de Garibaldi, avec ceux de Manara et 
d'autres, se sont élancés contre l'ennemi pour le 
chasser des murs et l'envelopper. Ils n'ont pas réussi. 
Les Français ont travaillé avec une immense activité 
à disposer au casino une batterie couverte, ils tra- 
vaillent aussi à établir des plates-formes sur la grande 
brèche pour tirer sur l'artillerie romaine. 

a Vers trois heures et demie du matin, on a battu 
la générale dans la ville : cela n'a pas suffi. Vers neuf 
heures et demie, on a sonné le tocsin pour que toute 
la garde civique et tout le monde s'armât et occupât 
les portes et les murs. Garibaldi devait, avec les 
légions et toute la ligne, tenter une sortie pour 
repousser l'ennemi. 

<( La civique s'est armée, mais en petit nombre. 
Elle s'est rendue dans ses quartiers respectifs et pour 
défendre l'ordre intérieur. Le corps des carabiniers a 
déclaré vouloir se réunir à la garde civique pour la 
défense de l'ordre intérieur. Le tocsin a produit peu 
d'effet sur le peuple en général pour le décider à 
s'armer. Il est bruit que la ligne elle-même refuse de 
se battre en pleine campagne ^.. » 

La lassitude des assiégés se révélait d'ailleurs de 
tous côtés, et, pour obtenir le succès final, ractivilé 
du corps expéditionnaire devait s'affirmer sans inler- 

* Il Saggiatore du 23 juin. 



-339 - 

mption en vue de préparer un nouvel assaut plus déci- 
sif encore. 

Pendant la fin de la journée du aa juin, notre artil- 
lerie ne tira pas S le général Vaillant voulait faire 
exécuter un travail important dans la nuit. Les 
batteries de Saint-Alexis et du Testuccio dirigeaient 
un feu des plus soutenus sur les cheminements voi- 
sins des trois brèches. Nos pertes furent insignifiantes 
et cependant il y avait, sous le commandement du 
général Levaillant (Jean) et du colonel d'Autemarre, 
du 53^^, trois bataillons de tranchée au lieu de deux, 
et une compagnie de chasseurs. 

Au début de la nuit, le commandant supérieur du 
génie fit achever les tranchées du bastion 6, complé- 
ter les barricades de la maison Barberini *, déboucher 
une ancienne poterne découverte sous la courtine à 
gauche de la brèche^ et enfin ouvrir, à partir de la 
villa Corsini, un cheminement qui descendait à 
travers les vignes jusqu'à la maison Giacometti. Cette 
voie de communication devait avoir une grande 
utilité. 

Pour éteindre le feu de la batterie romaine du 
Montorio, la construction d'une nouvelle batterie à 
établir sur la brèche de la courtine 6-7 fut décidée. On 
y travailla sans relâche toute la journée du u3. mal- 
gré une pluie de projectiles. 

Le général romain Calandrelli se multipliait, ses 
pièces, bien servies parles Suisses, tiraient continuel- 
lement. 

Par la justesse de leur tir, les chasseurs à pied 
mirent hors de combat un certain nombre de canon- 
niers romains. 

> Journal des opérations de rarlillerie et du génie. 
* Les sacs à terre des Romains que l'on trouva à profusion 
servirent beaucoup. 

^ Les Romains 1 avaient bouchée. 



— 34o — 

La possession des brèches nous obligeait à changer 
les emplacements de batteries. C'est ainsi qu'une 
batterie de réserve de 12, commandée par le capi- 
taine Rayet, vint hardiment prendre position sur un 
mamelon à droite du dépôt de tranchée, mais elle 
lutta difficilement contre les nombreuses batteries de 
Tennemî. 

Notre batterie de mortiers jetait ses bombes avec 
justesse sur les défenses intérieures de la porte San- 
Pancrazio^ Nos pertes s'élevèrent à six soldats tués 
et à trente blessés parmi lesquels le chef de bataillon 
du génie Frossard*. 

Dans la matinée du 23 juin, la i6« batterie du 
ii« d'artillerie, commandée parle capitaine Prélat, ter- 
mina l'armement de la batterie n» 11 et ouvrit le feu 
sur les pièces ennemies placées en arrière du front 8-<). 
Pendant la seconde partie de la journée, la batterie 
n^ 10 contrebattait la face gauche du bastion 9 pour 
essayer d'ouvrir l'enceinte derrière la seconde ligne 
de défense ^ 

La nuit du 28 au 24 fut employée à l'établissement 
d'une tranchée reliant la poterne à la gorge du bas- 
tion 7 et aux deux maisons. On commença un- boyau 
dans la direction de la villa Giraud (le Vascello), mais 
il fallut l'abandonner dans la matinée, sous la mous- 
queterie des légionnaires de Garibaldi qui occupaient 
la villa et les constructions à côté. On dut aussi arrê- 
ter la tranchée qui aboutissait à une maison située à 
cent mètres en avant de la courtine et qui s^appelait 
la casa bianca{laL maison blanche); l'ennemi roccu- 
pait également. Pour l'en chasser, la batterie de 
mortiers envoya des bombes dans cette direction: 

* Les troupes du camp de San-Carlo reçurent elles-méines 
des projectiles pour la première fois. 

2 Atteint d'une blessure légère à la tête. 

3 Journal des opérations de rartillerie et du génie. 



— 34i — 

malheureusement, quelques coups trop courts attei- 
gnirent nos travailleurs et firent cesser le travail. 
Nous avions eu- quatre tués et vingt-six blessés, dont 
un officier*. 

Dès les premières heures de la matinée du 24 juin, le 
feu de l'ennemi redoubla d'intensité. La batterie n^ii, 
prise de face, de flanc etd'écharpe, dut cesser son feu 
avant d'avoir pu tirer plus de quatre à cinq coups 
par pièce '. Son épaulement et ses embrasures étaient 
absolument bouleversés. 

Le duel d'artillerie prenait de plus en plus d'impor- 
tance, il fut décidé qu'on reconstruirait la batterie 
n<> II et que l'on établirait deux nouvelles batteries 
dans les bastions 6 et 7 qu'il fallait garder à tout 
prix '. Les batteries furent désignées sous les numé- 
ros IQ et i3, la première devait être armée de deux 
pièces de 24 et de deux pièces de 16, elle allait être 
confiée à la i6« batterie du8« (capitaine de Langlade *), 
la seconde aurait pour armement deux pièces 
de 16, une pièce de ^4 et un obusier de 22 centi- 
mètres. La I2<^ batterie du 5« d'artillerie (capitaine 
de Rochebouët) fut chargée de sa construction et de 
son armement. 

D'après une décision du général en chef, les deux 
plus anciens colonels de l'armée remplirent, à leur 
tour de service, les fonctions de général de tranchée % 
et, dans les mêmes conditions de roulement, les deux 
plus anciens lieutenants-colonels des régiments d'in- 

* 11 y avait toujours trois bataillons de tranchée. Le service 
était commandé par le général Chadeysson et le colonel 
Blanchard, du 36'. 

^ Journal des o|>érations de Tartillerie et du génie. 
^ Le général Vaillant dit à ce sujet : « C'était tout ce que 
notre matériel disponible permettait de faire. » 

* Elle était remplacée aans le service des mortiers par la 
6* batterie du 'f régiment (capitaine Canu). 

^ Le 34 y^^^f ^^ <^lonel Chenau, du 66^, lit fonctions de géné- 
ral de tranchée, le colonel Bosc, du Sa', lui était adjoint en 
qualité de colonel de tranchée. 





- 34a - 

fanterie firent le service de colonel de tranchée. Il fut 
également décidé que les gardes de tranchée et les tra- 
vailleurs de la nuit se rendraient au dépôt deux 
heures plus tard, à six heures au lieu de quatre 
heures*. 

Des bombes étant tombées dans la Maison blanche, 
cette construction fut abandonnée par l'ennenii ; on 
en profita pour exécuter dans la nuit du 24 ^^ ^^ juin, 
à la sape volante, deux nouvelles tranchées desti- 
nées à former une quatrième parallèle. 

Nos pertes des vingt-quatre heures étaient de deux 
tués et de vingt blessés dont trois officiers. Nos sol- 
dats s'exposaient parfois avec une véritable impru- 
dence que partageaient trop souvent leurs ofliciers. 

Le lieutenant-colonel de Pontevès, du i3« léger, est 
envoyé en reconnaissance avec un bataillon de ce régi- 
ment sur les bords de TAnio. Sa colonne détruit 
pour la troisième fois le pont Salara et en s*appro- 
chant de Rome, entre la porte Pia et la porte Salara, 
le bataillon du iS® léger enlève sept voitures de 
salpêtre escortées par des dragons romains. 

A huit heures du matin, le fio juin, un officier 
supérieur romain se présenta en parlementaire 
devant les tranchées du bastion 7. Il voulait remettre 
au général en chef en personne une protestation du 
corps consulaire. Les officiers de l'avancée s'aperçu- 
rent que le parlementaire regardait avec curiosité 
l'état des travaux, on prit sa lettre et on le reconduisit, 
à sa vive déception. 

Cette protestation n'était qu'un factum, rédige à 
l'instigation des triumvirs par un de leurs partisans 
les plus fanatiques, un sieur Freeborn, marchand de 
tableaux et agent consulaire du gouvernement anglais. 
Ce personnage avait toujours manifesté une égale 

* Les travailleurs du matin continuaient à arriver à quatre 
heures du matin. 



— 343 — 

antipathie pour l'Eglise catholique et pour l'armée 
française. Il avait réuni sept consuls et deux attachés 
de légation, et leur avait déclaré que les Français 
allaient brûler Rome, que, d'après les renseignements 
les plus sûrs, c'était par centaines que l'on comptait 
les victimes inoffensives et qu'il faudrait des millions 
pour remplacer les chefs-d'œuvre que détruisait l'artil- 
lerie du général Oudinot. A défaut du corps diplo- 
matique émigré à Gaète à la suite du Pape, ce dont 
s'indignait l'anglican, il était du devoir des consuls, 
cliargés des intérêts de leurs nationaux, d'intimider le 
général en chef de Tarmée française par une virulente 
protestation. Ce serait le plus beau des succès... 
diplomatiques remportés sans le concours des diplo- 
mates de carrière. 

Le consul de Suisse, celui de la Sardaigne, deux 
agents des États-Unis donnèrent d'abord leur adhé- 
sion. Les autres les imitèrent. Les triumvirs se chargè- 
rent de faire parvenir le document en question, ce qu'ils 
firent, comme nous l'avons vu, par un parlementaire. 

Le duc de Reggio prit connaissance avec indiffé- 
rence de cette protestation qu'il apprécia de suite à 
sa véritable valeur, en se rappelant que son rédac- 
teur, qui avait signé d'ailleurs le premier, lui avait 
été signalé comme un ennemi forcené de la France. 

« Monsieur le Général, 
« Les soussignés, agents consulaires représen- 
tant leurs gouvernements respectifs, prennent la 
liberté de vous exposer leur profond regret d'avoir 
vu subir à la Ville éternelle un bombardement de 
plusieurs jours et nuits. La présente a pour objet, 
Monsieur le Général, de faire les remontrances les 
plus énergiques contre ce mode d'attaque qui, 
non seulement met en danger les vies et les pro- 
priétés des habitants neutres et pacifiques, mais 



-344- 

aussi celles des femmes et des enfants innocents. 

«( Nous nous permettons, Monsieur le Général, de 
porter à votre connaissance que ce bombardement a 
déjà coûté la vie à plusieurs personnes innocentes et 
a porté la destruction sur des chefs-d'œuvre de beaux 
arts qui ne pourront jamais être remplacés. 

« Nous mettons la confiance en vous, Monsieur le 
Général, qu'au nom de l'humanité et des nations civi* 
lisées, vous voudrez vous désister d'un bombarde- 
ment ultérieur, pour épargner la destruction à la 
ville monumentale, qui est considérée comme soiis la 
protection morale de tous les pays civilisés du monde. 

«c Signé : Freehorn, agent consulaire de Sa Majesté 

Britannique. 
D. Marstaller, consul de Sa Majesté le 

roi de Prusse. 
Cliev. P. C. Magrini, attaché à la légation 

de Sa Majesté le roi des Pays-Bas. 
Jean Bravo, consul de Sa Majesté le roi 

de Danemark. 
Frédéric Bégré, consul de la Confédéra- 
tion suisse. 
Chev. KoLB, consul de Sa Majesté le roi de 

Wurtemberg. 
Comte Shakerg, secrétaire de la République 

de San Salvador ^ de V Amérique centrale. 
Nicolas Brown, consul des Etats-Unis 

d'Amérique. 
James P. Freeman, consul des Etats-Unis 

d'Amérique, pour Ancône, 
Jérôme Borea, consul général de Sa Majesté 

le roi de Sardaigne et provisoirement 

aussi de la Toscane *. » 

^ Balleydier, L'Expédition de Rome^ t. II, p. 191*199. 



— 345 — 

Pour le moment, la meilleure réponse était de 
continuer la lutte à coups de canon, non pas au delà 
du Tibre, ce que nos batteries s'étaient toujours inter- 
dit, mais sur le front et sur le Janicule. C'est ce que 
décida le duc de Reggio en ajournant sa réponsa 
écrite. 

Afin de hâter la solution, une nouvelle batterie de 
brèche est décidée, on l'établira au pied du saillant du 
bastion 7. La tranchée sera élargie pour préparer 
son emplacement; la batterie prendra le n^ 14 et 
sera confiée à la i6« batterie du 8« régimertt (capi- 
taine Gachot). Pendant que la construction des 
batteries n» 12 et n» i3 se continue au milieu de 
grandes difficultés, la batterie de mortiers lance ses 
bombes sur le bastion 8 et la batterie n<> 10 se multi- 
plie sur trois objectifs : la casa Savorelli, la batterie 
intérieure du bastion 8 et la face gauche du bastion 9 K 

Le génie rivalise avec Tartillerie, il prépare ses 
mines pour faire sauter l'escarpe, il continue son tra- 
vail de couronnement à la sape volante du côté de la 
casa Barberini, sous le feu de mousqueterie des tran- 
chées romaines. A la gauche des attaques, les 
Romains, sortant par la porte San-Pancrazio, veulent 
envahir nos tranchées et font feu presque à bout por- 
tant sur nos travailleurs qui déposent leurs outils et 
saisissant leurs fusils, les repoussent à la baïonnette. 
Le capitaine du génie Regnault fit preuve d'un grand 
sang -froid. Trois travailleurs d'infanterie seulement 
furent blessés'. Les pertes des vingt-quatre heures 
étaient de trois tués et de quatorze blessés, dont un 
officier. 

A Rome les bruits les plus invraisemblables circu- 
laient. Le triumvirat faisait répandre des correspon-. 
dances de Gênes et de Florence annonçant Tarresta- 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 
« Ibid. 



— 346 — 

tion du Président de la République et de ses minis- 
tres. Les carabiniers et leur chef Galelti, n'y croyant 
pas, discutaient entre eux la question de se réunir à la 
garde civique contre les corps de Garibaldi, Manara 
et Masi, qui voulaient continuer la résistance à tout 
prix *. 

La désunion éclatait entre Garibaldi et Mazzini. 
Garibaldi voulait que Ton ne tentât de sortie que la 
nuit, Mazzini exigeait que cette opération sefitimmé* 
diatement. Sterbini et le parti avancé de la Chambre 
souhaitaient la dictature militaire pour Garibaldi, ils 
provoquèrent la réunion de l'Assemblée en comité 
secret pour préparer cette nomination. La majorité, 
en donnant à Mazzini un vote de coniiance, ajourna 
les espérances des partisans de Garibaldi. Celui-ci 
d'ailleurs perdit dans l'opinion publique en refusant 
d'attaquer les Français sur les positions qu'ils occu- 
paient, c'est-à-dire sur les brèches, et cependant le 
triumvirat avait mis à sa disposition toutes les troupes 
de Rome '. 

Mazzini exprimait son mécontentement, on peut 
môme dire son indignation, dans la lettre suivante qu*il 
écrivait à Manara, devenu chef d'état-major de la 
division Garibaldi. 

« Rome, 2a juin, 6 h. i/a de Taprès-midi. 

a Citoyen Colonel, 
a J'apprends la résolution du général Garibaldi de 
ne pas réaliser l'attaque promise pour cinq heures. Je 
déplore hautement cette décision, etje la crois funeste 
au pays. Il fallait attaquer cette nuit une demi- 
heure après la brèche franchie par les Français. Si 
cela ne se pouvait pas, si le moral de nos troupes ne 

* Moniteur romain du aa juin. 
2 // Saggiatore du a3 juin . 



- 347- 

le permettait pas la nuit même, il fallait maintenir 
l'accord convenu avec Roselli d'attaquer à cinq heures 
et demie du matin. 

a Et du moment où l'on avait commis la faute de ne 
pas attaquer à Theure fixée, il fallait au moins atta- 
quer à cinq heures de Taprès-midi^ comme on l'avait 
de nouveau promis. 

<:< Demain matin nos efforts seront inutiles : l'artil- 
lerie ennemie sera placée. Notre système de défense 
est donc entièrement changé, et, permettez-moi de le 
dire, ruiné. Dans notre position, on ne se défend 
qu'en attaquant. Ce matin on a fait battre le rappel, 
on a excité le peuple, puis on a tout arrêté pour 
tomber dans un jésuitisme d'explications qui tue 
l'enthousiasme. Cet après-midi, le peuple a été fana- 
tisé, deux mille bourgeois étaient prêts à se réunir 
à nos forces, déjà numériquement suffisantes pour 
reprendre le casino. Une autre immense multitude 
venait en deuxième ligne. 

« Déçu une deuxième fois, le peuple se persuadera 
que nous avons peur et aura peur aussi : le parti 
hostile s'en prévaudra, une municipalité quelconque 
surgira à la première menace sérieuse et nous refe- 
rons Milan. 

« Vous n'avez en ce moment ni travailleurs ni 
matériel, quarante jours de fatigue ont épuisé l'acti- 
vité laborieuse de la population. Nous n'aurons 
bientôt plus ni viande, ni poudre, ni farine. Je consi- 
dère Rome comme tombée. Dieu veuille que l'ennemi 
ose nous attaquer de suite! Nous aurons encore, si 
c'est bientôt, une belle défense populaire derrière les 
barricades où nous accourrons tous : plus tard nous 
n'aurons pas même celle-là. 

« J'ai l'âme oppressée d'amertume de ne pouvoir 
m'expliquer. Tant de valeur, tant d'héroïsme perdus ! 
J'ai votre rapportée ne m'en prendspasà vous: je vous 



— 348 — 

estime et je commence à vous aimer. Je jure que vous 
pensez comme je pense et avec vous Roselli, tant 
calomnié de divers côtés et tous les braves de Tétal- 
major. 

« Il me restera la stérile satisfaction de ne pas 
apposer mon nom à une capitulation que je prévois 
comme infaillible. Mais qu'importe de moi? Ce qui 
importe, c'est Rome et Tltalie. 

« Votre Joseph Mazzini. 
« P.'S, Montrez cette lettre au général*. » 

Sterbini, toujours remuant, alla demander lui-même 
à Mazzini de céder tous les pouvoirs civils et mili- 
taires à Garibaldi. Le triumvir s'y refusa absolument 
et, dans sa fureur, fit jeter à la porte l'audacieux 
président du cercle populaire. Il songeait bien à 
donner sa démission, mais il ne voulait pas céder aux 
intimidations des amis de Garibaldi. 

Les nouvelles des provinces de Pesaro et d'Ascoli 
étaient mauvaises pour la révolution romaine. A 
Ancône seulement, elle comptait des partisans et les 
excès les plus odieux s'y commettaient impunément. 
Evoque, prêtres, religieux, notables avaient été jetés 
en prison, et étaient menacés de mort par une bande 
d'aventuriers qui avaient pour chef un apostat nommé 
Del Ongaro. Le triumvirat avait dû le révoquer et le 
remplacer par Orsini *, qui montra un peu d'énergie 
contre les bandits et ramena un calme relatif. 

Un détachement de Hongrois, qui s'était souillé 
d'assassinats et de pillage à Ancône, était entré dans 
Rome. La population ne les vit pas arriver sans appré- 
hension, mais ils reçurent le meilleur accueil da 
gouvernement et surtout du ministre de la guerre 

* L. DE Gaillard, L'Expédition de Rome, p. a68-a6o. 
^ Celui qui devait tenter d*assassiner Napoléon III. 



-349- 

Avezzana et des généraux Roselli et Garibaldi. On 
publia, sous la signature de ces deux généraux, à la 
date du 25 juin, une proclamation recommandant 
« une défense pleine de vivacité* ». Parmi les 
officiers romains les plus exaltés, on remarquait 
deux Français, MM. Laviron et Taberd. M. Laviron 
fut tué le 35 juin, sur le remparts d'une balle tirée 
par un chasseur de Vincennes. Il avait déclaré « voir 
dans les Français qui étaient sous les murs de Rome 
non des concitoyens qu'il fallait aimer, mais des 
réactionnaires qu'il fallait combattre * ». 

La défiance augmentait tous les jours dans la ville 
assiégée. Cent forçats qui travaillaient aux fortifica- 
tions abandonnèrent leurs travaux et s'enfuirent, 
sans qu'on pût s'en emparer. A la porte del Popolo, 
les hommes de garde arrêtèrent un convoi de mules 
escortées par des soldats de Garibaldi, et chargées de 
coffres. Dans les coffres, on trouva de Targenteric 
enlevée dans les églises pour la valeur de seize mille 
écus*. Cette découverte excita l'indignation générale. 

Les troupes de l'enceinte défendaient avec ténacilé 
les tranchées qu'il leur avait fallu construire et 
rachetaient ainsi leur manque de surveillance pen- 
dant l'assaut des trois brèches. Dans la nuit du ^6 
au ay, elles interrompirent pendant deux heures le 

* « Il faut que cette défense soit digne d'un peuple né 
grand. » {Moniteur romain du qo juin.) 

' // Coniemporaneo du aS juin. 

Balleydier, qui est ordinairement très bien documenté, a 
été induit en erreur sur la date de la mort de Laviron qu'il 
place au dernier assaut, dans la nuit du ag au 3o juin. Lavi- 
ron mourut bien à la date que nous indiquons ; Thistorien de 
la légion Garibaldi le cite parmi les olFiciers de ce corps 
tués ou morts de leurs blessures du 4 au aS juin : « Les capi-- 
laines Gabriel Laviron^ Giacomo Minuto, Angelo Molina, 
Tadjudant-major Joseph Bolo}<nesi, les lieutenants Nicolas 
Fedeli, Christophore Zampieri et le sous-lieutenant porte- 
drapeau Joseph Giovannini. » (^Garibaldi et sa légion, p. aôg- 
aéo.) 

• // Saggiatore du a6 juin 1849. 



— 35o — 

travail que nos soldats exécutaient en sape volante 
sur la gauche de la casa bianca, par un feu très 
violent de mousqueterie et de mitraille. Il en fut de 
même le long de la courtine; la fusillade, partant de 
la tranchée romaine, rejeta nos travailleurs sur la 
tranchée du bastion 7. Leur mousqueterie et le feu 
de leur batterie de San-Pietro in Montorio empê- 
chèrent le couronnement du mamelon de la maison 
Barberini *. 

Au bastion 6, la i6« batterie du 8« d'artillerie 
n'avait pas terminé Tarmement de la batterie n<> la, 
deux de ses officiers, dont le capitaine de Langlade, 
étaient atteints par les fièvres, le troisième, un lieu- 
tenant, venait d'être tué ; elle reprit le service des 
mortiers et fut remplacée par la 6« batterie du 
70 régiment (capitaine Ganu). Le travail fut terminé 
dans la nuit du 26 au 27 ainsi que Tarniement de 
la batterie 14. Les batteries n»» 12 et i3 étaient 
également prêtes depuis la veille*. Le brouillard 
retarda l'ouverture du feu jusqu'à six heures du 
matin. 

Alors dans l'atmosphère qui s'éclaircissait peu à 
peu les batteries n^s 10, 11, 12, i3 et 14, la batterie de 
mortiers n» 5 et six autres mortiers de petit calibre* 
tonnent à la fois. L'artillerie ennemie riposte avec 
précision, le combat se prolongea toute la journée. 
Les batteries romaines durent interrompre leur tir 
plusieurs fois, il en fut de même de notre batterie du 
bastion 6, qui cessa de tirer vers quatre heures de 
Taprès-midi. La batterie de brèche n^' 14 fut admi- 
rablement servie, sous la fusillade des défenseurs 
du bastion 8. L'artillerie eut dans cette journée 

* Journal des opérations de rartillerie et du génie. 
« Ibid, 

^ Etablis pendant la nuit dans les cheminements mêmes do 
bastion 7. 



— 35i — 

trois olficiers blessés, les capiuines Cana'. Bn'sac et 
le lieutenant Tricoche '. deax canonniers Inès et dix 
blessés. Le résultat de ce premier joar de Tea d*en- 
semble était très sali^faisanl. A qoatre henres. on 
constatait l'effet da tir: des sections horizontales et 
verticales entamaient sensiblement (e mar d'escaq>e 
à plusieurs endroits. 

Malgré la canonnade, les attaques dirigées par le 
lieutenant-colonel da génie Ardant, assisté da capi- 
taine Ragon, avaient continué anx parallèles des 
boyaux. La défense des bastions 6 et - était per- 
fectionnée. ItC (en avait été mis aux fourneaux de 
mines contre le bastion 5, sans résultat appréciable. 

Pendant cette journée, nn diplomate donna 
l'exemple da courage militaire. Les membres du corps 
diplomatique quittaient quelquefois Gaêle pour se 
rendre au grand quartier général où ils étaient toujours 
bien accueillis. MM. de Corcelles, d'Harcourt et de 
Rayneval, qui étaient en excellents termes avec le 
général Oudinot, y vinrent plusieurs fois avec leurs 
collègues étrangers. Au milieu de la violente canon- 
nade du 37 juin, le prince de Ligne, ministre de Bel- 
gique à Naples, voulut parcourir les tranchées, malgré 
les objections qui lui furent faites. On lui apprit qu'un 
capitaine d'artillerie de marine ' avait trouvé la mort 
dans les mêmes conditions. Le prince persista dans son 
projet, mais le duc de Re^o tint à l'accompagner lui- 
même pendant cette périlleuse excursion. Un boulet 
du bastion 9 vint ricocher aux pieds du ministre de 
Belgique et le couvrit de terre. Le général en chef el 
les olficiers de service à la tranchée demandèrent au 

< Le capitaine Canu subît à la suite de cette blessure ]'au>. 
putation du poignet. 

' I>evint f^enôral de division. Aujourd'liui décédé. 

' Ball.y.tii'j' i-..j,l."r;'.-_;iU(l4. '.,:,(■; • n |.iil.,iir ,V,ui 

de luiiriiie. 11 s'aiiit ici,"* i| 
en nilssioD. tu<^ 




■i'i"";'-.'^*aiti "■■'" '■ r " ■■'Il .iiui uiu.ui ^ 




— 332 — 

prince s*il n'était pas blessé : «c Non certes, répondit 
le représentant du roi Léopold, mais un peu plus je 
rejoignais votre officier d'artillerie de marine. » 

Une diversion avait été décidée pour la deuxième 
division pendant la même journée. Le général Gués- 
willer établit son quartier général au-dessous de 
Ponte-Molle, à la villa du consul d'Angleterre: 
puisqu'il était avec nos ennemis, c'était de bonne 
guerre. Le général envoyait des troupes en recon- 
naissance sous les murs de la villa Borghèse, la 
batterie de la porte du Peuple tirait de temps en 
temps d'inoflensils coups de canon, il semblait que 
les chefs de pièce ne se donnassent plus la peine de 
faire pointer. Cependant dès la rentrée des recon- 
naissances prescrites à Ponte-Molle, le général 
Roselli lit garnir d'artillerie les retranchements qui 
s'étendent de la villa Borghèse au Tibre. Le général 
Gueswiller en fut informé, il attendit les ordres du 
général en chef pour une attaque de vive force. 

Le 5o« de ligne (colonel Lccomte) était au complet 
depuis l'arrivée de son second bataillon '. On le diri- 
gea aussitôt sur Ponte-Molle, pendant que le ly de 
ligne (colonel Sonnet) et le a« bataillon de chasseurs 
à pied (commandant Pursel) arrivaient également 
de Givita-Vecchia, et étaient retenus l'un au camp 
de la villa Pamphili, l'autre à celui de la villa San- 
tucci *. 

Pendant la nuit du 27 au a8 juin, les tranchées 
furent exposées à un terrible feu d'artillerie et de 
mousqueterie. Toutefois on arriva à couronner aa 
moyen de gabions le mamelon de la casa Barberini 
et à prolonger le boyau en avant de la casa Giaco- 



* C'était à rintervention directe de M. de Corcelles alors à 
Civita-V^eccliia que le corps expéditionnaire devait TaiTivée 
si rapide de ses derniers renforts. 

2 Journal des opérations de TartiUerie et du génie. 



— 353 — 

mettî, mais on fut arrêté par la fusillade d'un détache- 
ment de la légion Garibaldi qui occupait les retran- 
chements de la villa Giraud et du bastion 8. Un de 
nos bataillons de garde répondit à coups de fusil et 
les travailleurs eux-mêmes abandonnèrent le boyau 
de tranchée pour grimper avec leurs armes sur le 
parapet et prendre part au combat. La présence du 
colonel d'Autemarre, colonel de tranchée, les ramena 
au travail; mais au matin il fallut Tabandonner sous 
une nouvelle et dangereuse fusillade de l'ennemi. 
Nous avions eu cinq tués et trente-six blessés dont 
trois officiers*. 

La cavalerie du général Morris ne restait pas 
inactive, ses escadrons ramenaient, dans la matinée 
du 28, plus de cent voitures chargées de vivres. Les 
troupes stationnées aux camps Maflei, Santucci et 
Negroni firent une ovation aux chasseurs et aux dra- 
gons qui continuèrent leurs fructueuses excursions 
sur toutes les routes des environs de Rome. 

La journée du 28 juin sera la consécration du suc- 
cès de rarlillerie. 

Malgré le brouillard, le feu des batteries 11, 12 et 
i3 recommence à quatre heures du matin. L'artil- 
lerie romaine ne répond plus avec la môme vigueur, 
bientôt ses grosses pièces se taisent, on distingue que 
leurs embrasures sont fracassées, leurs terre-pleins 
bouleversés. Seules quelques pièces légères ripostent 
en changeant de position très fréquemment, ce qui 
rend leur tir sans justesse. Les batteries de Saint- 
Alexis et du Testuccio ont à leur tour cessé de tirer. 
Pendant que les batteries françaises cherchent à 
fouiller de leurs projectiles les emplacements des 
batteries romaines qui se sont tues, la batterie n^ 14* 
servie par la i6« batterie du 8« régiment et comman- 



< Journal des opérations de rartiilerie et du génie. 

23 





— 354 — 

dée par le capitaine Gacliot, n'a pas cessé, depuis le 
matin, de tirer en brèche contre le flanc gauche du 
bastion 8. A quatre heures et demie du soir, la mu- 
raille s'efTondre et trois heures et demie plus tard, la 
brèche devient à peu près praticable. Le bruit s'en 
répand dans toutes les tranchées S on ne doute pas 
qu'un nouvel assaut ne soit donné dans la nuit. Cha- 
cun s'en réjouit, tout en rendant justice à l'artillerie 
romaine. Les deux commandants des armes spéciales, 
les généraux Vaillant et Thiry, leur décernent d'ail- 
leurs un hommage éclatant par cette appréciation : 
a Ce combat d'artillerie qui dura un jour et demi fut 
soutenu de part et d*autre avec une remarquable 
vigueur, avec beaucoup de persévérance et de bra- 
voure. » Pendant la soirée le bruit se répandit que 
l'assaut était ajourné *. C'était une déception... Les 
généraux Vaillant et Thiry ont déclaré qu'ils restèrent 
étrangers à l'ajournement, décidé seul par le général 
en chef. La vérité était que le duc de Reggio avait 
cru devoir adresser une dernière sommation à la 
population romaine, par l'intermédiaire des consuls à 
la pétition desquels il avait la courtoisie de répondre ' : 

* « Le succès décisif était pour nous. Cette ceinture de 
feux qui, en resserrant nos établissements dans les bastions 
6 et 7, avait arrêté court noire marche à Tintérieur de 
Tenceinte, venait d*ètre rompue. L'attaque reprenait sa 
liberté de mouvements et Ton pouvait dès lors prévoir nu 
dénouement très proche. » {Journal des opérations de Tartil- 
le rie et du pénie.) 

^ « Les dispositions furent prises aussitôt (à 8 heures du 
soir, au moment où la brèche était à peine praticable) pour 
livrer Tassant pendant la nuit, en montant directement par la 
brèche du bastion 8, tandis qu'une autre colonne, à Tînterieur 
de Tenceinte, attaquerait de vive force le bastion par U 
sorge; mais vers neuf du soir, le fçénéral en chef fit prévenir 
Tes généraux commandant le génie et C artillerie que^ par 
suite d'un incident imprévu et de certaines considérations 
personnelles, l'assaut devait être rémois à la nuit suivanie. b 
{Journal des opérations de Tartillerie et du génie.) 

3 « Le 28, à la chute du jour, les brèches des bastions 8 et 9 
étaient déjà ouvertes et presque praticables. Tout annonçait 
une attaque décisive, plus rien au monde ne pouvait s*oppo- 



— 355 — 

<c Messieurs, 

« Les dernières instructions de mon gouvernement, 
sous la date du 29 mai, contiennent ce qui suit : 

c< Nous avons épuisé les moyens de conciliation. 
c< Le moment est venu où, de toute nécessité, il faut 
a agir avec vigueur ou renoncer à une entreprise pour 
a laquelle a coulé le sang des enfants de la France, à 
«i une entreprise où, par conséquent, notre honneur 
« est engagé aussi bien que nos plus grands intérêts de 
« politique extérieure. Dans une telle alternative, Thé- 
« sitation n'est pas possible. Il importe donc, Général, 
« que sans perdre un instant, vous vous dirigiez sur 
« Rome avec les forces imposantes réunies en ce 
« moment sous votre commandement et que vous pre- 
« niez position en dépit de toutes les résistances. Telle 
« est la volonté du gouvernement de la République, 
a dont j'ai été chargé de vous transmettre Texpres- 
îi sion. x> 

« Vous le voyez, Messieurs, les ordres de mon 
gouvernement sont absolus. Mon devoir est tracé, 
j'accomplirai la mission dont je suis charge. Sans 
doute le bombardement de Rome entraînera refTusion 
de sang innocent et la destruction de monuments 
qui devraient être impérissables. Personne n'en sera 
plus profondément affligé que moi. Ma pensée à cet 
égard, Messieurs, vous est bien connue, elle est 
résumée dans les notifications que j'ai adressées le i3 
de ce mois au triumvirat, au président de TAssem- 
blée constituante, aux commandants de la garde 
civique et de l'armée, aux habitants de la ville de 
Rome. 

ser au triomphe de Tarmée française. En réponse à Tadresse 
quMl avait reçue des agents consulaires établis à Rome, le 
commandant en chef leur avait fait parvenir la lettre sui- 
vante : « Messieurs^ les dernières instruction de mon gouver- 
ne nen^ent, etc.. » ( Balle ydier, La Rés^olution à Rome, 1. 11, 
p. 193.) 



— 356 — 

« J'ai eu l'honneur de vous donner immédiate- 
ment avis de cette notification dont je joins ici de 
nouveaux exemplaires. 

« Depuis le t3, la situation des deux armées est Iota- 
lementcUangée.Aprèsdeglorieux combats, les troupes 
sous mes ordres ont dû monter à l'assaut. Elles se 
sont énergiquement établies sur les remparts de 
Rome. Cependant l'ennemi n'ayant encore fait aucun 
acte de soumission, je suis obligé de continuer les 
opérations militaires. 

« Plus la reddition de la place sera difTérée, plus 
grandes seront les calamités que vous redoutez sj 
justement, mais les Français ne pourront être accus<^ 
de ces désastres : l'histoire les alTranchira de toute 
responsabilité ». 

« Agréez, Messieurs, etc. 

« Le Général commandant en chef, 
« Ol'dinot DE Rbggio'. w 

La nuit de répit qui était accordée aux Romains 
Tut utilisée par le génie pour la continuation des che- 
minements contre le bastion 8, l'établissement d'une 
cinquK'me parallèle qui allait du chemin de San- 
Paiiciazio vers la casa bianca et d'un cheminement 
qui |)arlait de l'extrémilc du jardin de la villa Ck>rsini 
atin d'aboutir, à travers les vignes, à près de quatre- 
vinirls mètres de la villa Giraud*. Le colonel Clienau. 
du (ii>% faisait fonctions de général de tranchée et 
le colonel Bosc, du Sa*^, lui était adjoint. La garde de 
triiiiclii'e était formée d'un bataillon du ÔS'. d'un 
biiNiillun du 68° et d'une compagnie de chasseurs à 
pied. 
I.ii lialterie de mortiers lança pendant la nuit assez 

' llAt.i.iivDiEH, La Révolution à Rome, t. It, p. i^-igS. 
\ lu sape volaDte. 



— 357 — 

fréquemment des* bombes dans le bastion 8, pour 
empêcher l'ennemi de faire des travaux dans la casa 
Merluzzo qui commandait la brèche du bastion ^ 

A Ponte-Molle, le général Sauvan avait reçu l'ordre 
du général en chef, dans l'après-midi, d'aller à 
Tivoli détruire une poudrerie dont Rome tirait son 
approvisionnement. Il forma de suite une petite 
colonne composée de deux bataillons, l'un du 
i3« léger, l'autre du iS® de ligne*, d'une section du 
génie et d'un peloton de chasseurs à cheval. 

La colonne partit à huit heures du soir et arriva à 
Tivoli le 29 à sept heures du matin ^ Le directeur de 
la fabrique et les autorités de Tivoli supplièrent le 
général Sauvan de garder l'établissement en y laissant 
une petite garnison. Les ordres du général en chef 
étaient formels : la poudrerie contenait plusieurs quin- 
taux de poudre, beaucoup de soufre et de salpêtre; 
le général Sauvan fit jeter le tout dans TAnio. Ensuite 
les appareils, machines à pilon, etc. furent brisés, 
on incendia les constructions en bois de la fabrique^. 
La colonne repartit en toute hâte dans la direction de 
Ponte-Molle, avec l'espoir d'arriver à temps pour le 
fameux assaut dont il était question depuis huit jours. 
Le retour fut pénible. A la chaleur torride de la 
journée succéda un orage épouvantable. Nos soldats 
n'en marchaient pas moins en bon ordre et en obser- 
vant toutes les précautions d'une colonne en marche. 
Le bruit courait que Garibàldi battait l'estrade pour 
les surprendre ^ La brigade Sauvan, comme d'ail- 
leurs toute la division Gueswiller, devait avoir un 

' Les Romains incendièrent cette maison pendant la nuit. 

' Historique du 88* de ligne (ancien i3« léger). 

3 Officier d'état-major, Précis historique et militaire, 

♦ Ibid. 

^ Le gonfalonier de Tivoli l'avait dit an général Sauvan, 
probablement pour rinauiéter, mais le général lui avait 
répondu que lui et ses soldats en seraient très heureux. 



— 358 — 

rôle important à jouer aa nord-ouest de la place. 

Devant les bastions 8 et g, nos batteries avaient 
réparé leurs épaulements pendant la nuit. Les pertes 
des vingt-quatre heures étaient de deux tués et qua* 
torze blessés dont trois officiers. 

Dans la matinée du 39, la cavalerie revenait an 
camp de la casa MafTei en ramenant cent quatre- 
vingts voitures, chargées de vin, de vivres et quel- 
ques-unes de poudre. 

La batterie n° 14 tirait en brèche sur la maison 
Savorelli, située en arrière de la gorge du bastion 9 
et sur un retranchement intérieur que l'ennemi cons- 
truisait pour boucher le flanc mis en brèche du bastion. 
A six heures du soir, la brèche devenait praticable sur 
toute la longueur du flanc du bastion 9 et la maison 
Savorelli était en ruines '. 

Aux attaques de droite, la batterie n" a échangeait 
des coups de canon avec une batterie de campagne 
romaine qui avait pris position dans les jardins de 
Saint-Alexis et que masquait le mur de l'église. L'en- 
nemi ne cessa pas de tirer toute lajournée en mettant 
en batterie des pièces de campagne sur divers points. 

Une batterie de quatre pièces était placée par les 
Romains derrière le mur aurélien. de façon à faire 
feu sur ta brèche du bastion 8 dès qu'une colonne 
d'assaut voudrait y prendre pied. 

Le général en chef se rendit compte par lui-même 
que la brèche faite au flanc gauche de ce bastion était 
réellement praticable, bien que les gros blocs de 
maçonnerie, abattus par le canon, en eussent embar- 
rassé un peu les abords. 

Le service de tranchée devait être pris à six heures 
du soir, le général Levaillant (Charles) était général 
df Irancliée avec le lieutenant-colonel de Liniers. 

' Journal des opératitMis de l'artillerie et dn ^nie. 



— 35i) — 

du 53*, qui faisait fonctions de colonel de tranchée. 
La garde de tranchée serait fournie par trois batail- 
lons et deux compagnies de chasseurs à pied. 

Après une inspection minutieuse des tranchées et 
des batteries, le général en chef décida que l'assaut 
serait donné dans la nuit. Il arrêta de concert avec 
le général Vaillant les dispositions suivantes ' : 



Ordre général pour l'assaut de la nuit 

du 29 au 30 juin 

« Le soir du ag seront commandées pour Tassaut 
six compagnies d'élite fournies par les six régiments 
de la division Rostolan. Elles formeront deux colonnes, 
Tune d'attaque, l'autre de réserve, chacune sous les 
ordres d'un chef de bataillon. 

« La première colonne composée de trois com- 
pagnies du !2!2<^ léger, 32« et 53« de ligne, sera comman- 
dée par le chef de bataillon Lefebvre, du 53®, elle 
aura avec elle trente sapeurs et un ofiieier du génie. 

« La deuxième colonne, formée de trois compa- 
gnies des 36«, 66« et 68® de ligne, aura pour comman- 
dant le chef de bataillon Le Rouxeau de Rosencoat, 
du 68«; on y adjoindra aussi trente sapeurs et un 
officier du génie. 

a La colonne d'attaque sera massée au pied de la 
brèche du bastion 7, dès deux heures dn matin, le3o. 
Au signal donné par le colonel Niel, elle se portera 
sans bruit à la brèche du bastion 8; si elle rencontre 
des obstacles, elle essaiera de les tourner en même 
temps qu'elle les abordera de front. 

« Aussitôt que cette colonne sera montée, un déta- 

* « Les dispositions arrêtées d'avance sur la proposition du 

général commandant le çénie, complétées au moment même 
e Tassant, furent les suivantes : « Le soir du 29 seront, etc. » 
(^Journal des opérations de l'artillerie et du génie.) 



— 36o — 

chément de travailleurs, composé de trois compa- 
gnies d'élite, gravira la brèche portant des gabions et 
s'établira pour faire les logements dès que l'officier 
du génie chargé de la conduire en donnera Tordre. 
Ces compagnies auront également avec elles un déta- 
chement de trente sapeurs; elles seront fournies par 
les I7«, 20® et33« de ligne. Unofficierd'élal-major ira les 
prendre à Pamphili et les amènera au pied du bastion 7. 
« Un peu avant que la colonne d'attaque franchisse 
la brèche du bastion 8, une troisième colonne, dite de 
soutien, forte de trois compagnies d'élite prises dansles 
bataillons de tranchée (122* léger, Sa® et 53« de ligne) 
sortira des logements établis dans le bastion 7. 

« Deux de ces compagnies se porteront en avant 
de ces logements, aborderont les tranchées de 
l'ennemi, et tueront tout ce qui s'y trouvera, tandis 
que la 3<^ compagnie ira, au pas de course, tourner le 
bastion 8 par sa gorge et enlèvera la batterie de 
quatre pièces qui bat le sommet de la brèche. Cette 
colonne qui sera commandée par le chef de bataillon 
de Laforest, du !2a<^ léger, aura aussi avec elle trente 
sapeurs sous les ordres d'un officier du génie. Les 
deux premières compagnies, dès qu'elles auront fait 
main basse sur les défenseurs des tranchées romaines, 
reviendront se masser dans nos cheminements et se 
tiendront prêtes à en sortir de nouveau et à marcher 
contre l'ennemi s'il tentait un retour offensif. Aussi- 
tôt que les travailleurs seront en train de remplir les 
gabions, la colonne d'attaque du bastion 8 rentrera 
dans l'ouvrage tracé par l'offlcier du génie. A cet effet, 
on devra laisser un passage ou intervalle à droite eti 
gauche pour faciliter la rentrée de ces troupes. 

« La colonne formant réserve devra également être 
massée, à deux heures du matin, dans le fossé de la 
courtine (7-8) pour monter au besoin dans le bastion et 
en soutenirlestravailleurs. Dansle casoùTon tirerait 



— 36i — 

des coups de fusil de la maison qui touche au flanc 
du bastion 8 mis en brèche, il faudrait y pénétrer, 
tuer tous ceux qu'on y rencontrerait et Tévacuer 
immédiatement afin d'éviter les mines qui pourraient 
y avoir été préparées. Si l'ennemi ne fait pas feu de 
la maison, on devra se garder d'y entrer tout de suite. 
« Quelques pièces du bastion 6 et de la courtine 
(6-7) devront être chargées à mitraille, prêtes à tirer 
sur l'ennemi en cas de retours offensifs. 

c( Le lieutenant-colonel Espinasse, du âi2<^ léger, 
aura le commandement supérieur des quatre colonnes 
(d'attaque, de soutien, de réserve et de travailleurs). 
Les compagnies d'élite qui les composeront seront 
fortes de cent hommes au moins et seront complétées 
en officiers et en sous-officiers. 

« En outre de ces colonnes, la garde ordinaire des 
tranchées sera augmentée d'un troisième bataillon 
que fournira le 22® léger et qui sera placé de manière 
à soutenir les compagnies destinées à s'emparer du 
bastion 8. Une compagnie du deuxième bataillon de 
chasseurs à pied marchera avec ce bataillon. 

«c Le général de brigade Levaillant (Charles) aura 
sous ses ordres, en qualité dégénérai de tranchée, les 
trois bataillons de garde. 

« La tenue devra être aussi régulière que pos- 
sible, les troupes composant les colonnes d'attaque, 
la réserve, ainsi que les trois bataillons de tranchée 
seront sans sacs. Elles auront en sautoir Tétui d'ha- 
bit, tenu par la grande courroie du sac ; les quarante 
cartouches de réserve et une ration de biscuit seront 
renfermées dans cet étui. 

« Les travailleurs seront dans la tenue habituelle. 

« Le Général commandant en chef, 

« OUDINOT DE ReGGIO. 

« Au quartier général devant Rome. » 



CHAPITRE XVIII 



AVANT LE COMBAT. l' ASSAUT DU 3o JUIN. 



La chaleur de la journée a été écrasante et quand 
vient l'heure du crépuscule, ce n*est pas une brise 
rafraîchissante qui agite les toiles de tente des camps 
français. L'atmosphère reste orageuse, le ciel, d'un 
bleu profond aux reflets d'améthyste, s'assombrit 
de plus en plus, des éclairs le sillonnent. Le canon 
s'est tu et le grondement lointain qui s'entend est 
celui du tonnerre... 

Dans les tranchées où séjournent seulement les 
troupes de garde, les officiers d'état-major et du génie 
circulent, vérifiant les débouchés, examinant les 
parapets, les cheminements. En arrière de cette zone 
dangereuse, sur les fronts de bandière des camps 
Mafiei, Negroni, San-Carlo, dans les villas Pamphili 
et Corsini, dans les cantonnements de San-Pancrazio 
et de San-Paolo, et plus loin, au nord-ouest, au camp 
de Ponte-Molle, partout enfin où le corps expédition- 
naire campe ou cantonne, officiers et sous-officiers 
passent une revue minutieuse des armes et des muni- 
tions de leurs hommes. Ce ne sont pas seulement les 
compagnies des colonnes désignées pour monter à 



— 363 — 

l'assaut qui sont inspectées par leurs chefs, tous les 
régiments, tous les corps de troupe peuvent être 
engagés, tous doivent se trouver prêts. 

La même résolution, la même énergie se révèlent 
dans les trois divisions. Les officiers du génie 
comptent et examinent les outils, les gabions, les sacs 
de poudre, ce sont des armes d'assaut et les plus effi- 
caces contre les obstacles imprévus. 

L'artillerie a réparé ses embrasures, consolidé ses 
épaulements. Si Tinfanterie est repoussée dans l'at- 
taque de nuit, n'est-ce pas elle, la victorieuse du 
jour, qui rétablira le combat et gagnera la suprême 
revanche? 

Enfin la cavalerie, qui a opéré depuis plus d'un 
mois tant de razzias avantageuses aux approvision- 
nements de l'armée, a paqueté toutes ses selles, dans 
l'espoir qu'au matin elle pourra s'engager elle aussi, 
charger quelque colonne de sortie, sabrer des tirail- 
leurs, poursuivre des fuyards... 

En attendant, les heures s'écoulent trop lentement 
au gré de ces vaillants. Partout les faisceaux sont 
formés, les soldats se sont assis ou plutôt accroupis, 
les officiers, debout, échangent leurs impressions. 
Dans l'obscurité leurs épauleltes scintillent: parfois 
un général passe, coiffée du grand chapeau galonné 
d'or, aussi impatient qu'un sous-lieutenant de voir 
commencer la fête... 

C'est bien une fête de nuit qui se prépare, car dès 
huit heures du soir, la coupole de Saint-Pierre res- 
plendit de lumières jusqu'au faite du dôme. Inquiète, 
troublée, sans force de résistance, mais se réfugiant 
dans la prière et dans les pompes du culte, la popu- 
lation a voulu célébrer une des grandes fêtes reli- 
gieuses de Rome : celle des apôtres saint Pierre et 
saint Paul, ses patrons. Le triumvirat, qui se sent 
aux abois, n'a pas osé s'y opposer et voici la cause de 



— 36i — 

cette profusion de lumières : <c Rome était tellement 
éclairé, a écrit un officier français témoin oculaire', 
qu'elle nous semblait une vaste fournaise à demi 
éteinte maisencoreentouréed'uneatmosplîèrede feu. n 

Soudain Torage éclate et une pluie torrentielle 
éteint l'illumination de Saint-Pierre et du Vatican *. 

Les neuf compagnies d'assaut et de soutien ne sont 
réunies qu'à minuit ; elles appartiennent aux six régi- 
ments^ qui composent la division Rostolan, la plus 
forte du corps expéditionnaire, et forment trois 
groupes sous le commandement supérieur du lieute- 
nant-colonel Espinasse et sous les ordres des chefs de 
bataillon Lefebvre, Le Rouxeau de Rosencoat et de 
Laforest. Les travailleurs d'infanterie que dirigera tout 
à i*heure le commandant du génie Galbaud du Fort 
forment le quatrième groupe. 

Le général Regnaud d'Angély est resté dans son 
commandement habituel des troupes d'avant-postes, 
le général de Rostolan est à la tète des régiments de 
sa division massés en arrière des tranchées. Le géné- 
ral Levaillant (Charles) commande les bataillons de 
garde à la tranchée. 

A ce moment le général Gueswiller avec la brigade 
Levaillant (Jean), ou plutôt avec les fractions de cette 
brigade composées d'un bataillon du i3« léger, de deux 
bataillons *du 25® léger, d'une compagnie du génie et 
d'une batterie d'artillerie de 12, se déploie malgré 
la pluie sur les crêtes du montParioli à hauteur de la 
villa Borghèse, et par conséquent face à la porte del 
Popolo et au Pincio. 



' Capitaine d'état-major Vbrtray, Album. 

' « Il ne restait au moment de Tassant qu'une seule lanterne 
au sommet du dôme principal. Cette lumière ne s'éteignît 
que très tard dans la matinée, elle fut témoin de la fln des 
hostilités. » (Capitaine Vertray, Album.^ 

3 Voir la composition des colonnes dans les instructions de 
combat. 



— 365 — 

Prononçant son mouvement en avant, la brigade 
occupe toutes les positions qui bordent la villa 
Borghèseet le Pincio. Les carabiniers et trois compa- 
gnies du i3« léger sont en première ligne. Le reste 
du régiment est serré en masse avec le 25« léger. On 
s'aperçoit avec stupeur que Tennemi avait tenté 
d'incendier toutes les villas de cette partie du Monte- 
Parioli, mais Torage éteint ces incendies, en même 
temps qu'il dissimule les mouvements de la colonne 
de Ponte-Molle. La batterie est mise en position 
à petite portée des remparts, l'ennemi ne l'a pas 
vue. 

Pour affirmer sa diversion et signaler sa présence, 
le général Gueswiller fait ouvrir le feu à ses quatre 
pièces de 12, à toute volée, contre le quartier de la 
place du Peuple, du Corso et de la place d'Espagne. 
La batterie romaine du Pincio répond aussitôt et 
entre les deux artilleries, la canonnade s'engage régu- 
lière et à peu près inoffensive *. 

L'orage s'est apaisé quand on entend dans les 
tranchées le canon de la division Gueswiller. Il 
est deux heures... 

Les sapeurs du génie, attachés aux colonnes, sont 
à leur place, commandés par des capitaines ou des 
lieutenants. Trois colonnes (assaut, travailleurs et 
réserve), sont massées au pied de la brèdhe du bas- 
tion 7 ; seule la quatrième colonne, dite de soutien, est 
restée à l'intérieur du bastion 7. 

Les hommes ont l'arme au pied, sauf les sapeurs 
du génie et l^s travailleurs qui la portent à la bretelle, 
les officiers gardent le sabre au fourreau. 

Comme il semble lentà venir, le signal de l'assaut! 

* Historiques des 88* (ancien i3^ léger) et 100*^ de ligne 
(ancien 25* léger). 

Le premier de ces historiques mentionne Touverture du feu 
d'artillerie à deux heures, le second à une heure du matin. 
Quelques-uns des projectiles éclatèrent dans le Corso. 



j 



~ 366 — 

La pluie ne tombe presque plus, chacun piétine 
sur place au milieu des flaques d'eau et des trous. Le 
lieutenant-colonel Ëspinasse, du 32® léger, accom- 
pagne dans son incessante inspection le colonel Niel, 
le directeur de l'attaque. 

Ces deux officiers supérieurs forment un vivant 
contraste. L'un, le lieutenant-colonel d'infanterie 
légère, de taille moyenne, maigre avec les épaules 
larges, a la physionomie de l'oflicier d'Afrique, brunie, 
hâlée, barrée d'une épaisse moustache noire avec 
une courte barbiche; sa main gauche serre fiévreu- 
sement la poignée de son sabre. C'est bien un com- 
mandant d'avant-garde ou de colonne d'assaut. 
L'autre est grand, blond, avec quelque chose de plus 
réfléchi. Son visage aux traits réguliers et un peu 
pâlis par les nuits de veille garde une expressibn 
pleine de dignité, qui s'allie à une inflexible résolu- 
tion. Il porte aussi la moustache et la barbiche, mais 
encadrées de petits favoris comme eh portaient les 
oflîciers d'état-major et des armes savantes sous Louis- 
Philippe; son regard pénétrant, sa démarche vigou- 
reuse, sa parole brève et précise, tout indique que 
l'homme d'étude est doublé d'un homme d'action, 
qu'il sait commander et payer d'exemple. 

Tous deux se retrouveront souvent dans le cours de 
leur carrièfe militaire. Dix ans après, ils reviendront 
l'un et l'autre dans cette môme Italie, ils combattront 
non plus dans la campagne brûlée de Rome, mais 
dans les plaines de la riche Lombardie, tous deux 
généraux de division. Espinasse tombera hérouiue- 
ment, l'épée à la main, en entraînant ses troupes à un 
nouvel assaut, celui de Magenta; Niel, vingt jours 
plus tard, gagnera sur le champ de bataille de Solfé- 
rino le bâton de maréchal de France. 

Il est maintenant deux heures et demie du malin. 



k 

i 



— 367 — 

Trois coups de canon, tirés coup sur coup, résonnent 
dans la nuit, que percent faiblement les premières 
lueurs de l'aube romaine. La pluie a complètement 
cessé et les trois détonations ont longuement vibré, 
c'est le signal! 

Dans chaque colonne, d'un geste fébrile, tous 
les officiers ont dégainé, les hommes mettent baïon- 
nette au canon, sauf les travailleurs et les sapeurs, 
qui portent des outils et gardent l'arme à la bre- 
telle. 

Deux minutes après le signal, la quatrième colonne 
(trois compagnies d'élite des aa® léger, Sa© et 53® de 
ligne, commandant de Laforest) débouche du bas- 
tion 7 au pas gymnastique pour prendre à revers 
la brèche du bastion 8. Dès que la colonne est sortie 
du couronnement, le colonel Niel a serré la main du 
lieutenant-colonel Espinasse en lui disant : En avant! 
et aussitôt, sur un signe de ce dernier, la première 
colonne, dite la colonne d'attaque, également com- 
posée de trois compagnies d'élite des 22« léger, 32« et 
53« de ligne (commandant Lefebvre), précédée d'une 
brigade de sapeurs que dirige le capitaine du génie 
Doutrelaine, gravit la brèche. Mais la fusillade éclate, 
toute la crête scintille de coups de feu: l'ennemi n'a 
pas été surpris, comme pendant la nuit du 21 juin ^ 

La division Garibaldi était fractionnée en deux 
groupes; l'un, sous le commandement personnel de 
Garibaldi, formé d'un millier de légionnaires et de 
bersaglieri lombards, occupait les abords de la 
porte San-Pancrazio et du bastion 8; l'autre, sous les 
ordres du colonel Marochetti, fort d'environ quatre 
mille hommes, garnissait l'enceinte depuis la batterie 
del Pino qui bat le sommet de la brèche du bastion 8 

< L'historien de la légion Garibaldi déclare que Tassaut 
commença à deux heures du matin et que cet assaut était 
prévu. (LoBviNSON, p. 261.) 



— 368 — 

jusqu'à la porte Portese, avec une réserve sur la place 
San-Pietro in Montorîo *. 

La colonne Lefebvre a perdu quelques hommes 
dans son escalade, mais elle est arrivée au sommet de 
la brèche, là il lui faut défiler par une étroite ouver- 
ture de deux mètres seulement, entre les ruines da 
parapet et une maison située en arrière de la brèche. 
Les feux de mousqueterie de l'ennemi auxquels se 
mêle celui de la batterie del Pino se croisent sur cet 
étroit passage, mais la tête de colonne atteint le terre- 
plein et commence à se déployer. Le commandant 
Lefebvre, qui est resté sans cesse au premier rang, 
en avant même des sapeurs, tombe à ce moment 
frappé d'une balle *. 

Le lieutenant-colonel Espinasse qui a fait masser 
les travailleurs et la colonne de réserve sur la der- 
nière compagnie de la première colonne se porte en 
avant avec le commandant Le Rouxeaude Rosencoat 
auquel il confie le commandement de la colonne 
Lefebvre ^ Au lieu d'appuyer à gauche comme cela 
avait été recommandé *, la compagnie de tète appuie 
à droite et se jette dans une grande tranchée qui ferme 
le bastion à la gorge et ménage les communications 
entre l'enceinte aurélienne et la casa Merluzzo. 
Cette grande maison flanque l'ouverture que la 
colonne a eu tant de peine à franchir. Une section 
du génie et deux compagnies du 36^ et du 66*. 
appartenant à la colonne Laforest, s'étaient déjà por- 
tées à droite sur la grande tranchée encore occupée par 
les défenseurs, en arrière du front 6-7, Le capitaine 
du génie Doutrelaine remet la compagnie de tète de 

* Erniano Lœvinson, Giuseppe Garibaldi e la sua legione, 
p, a6i. 

^ Le général Oudinot au ministre de la guerre, 3o juin 18^. 

^ Le général Oudinot au ministre de la guerre. (Rapport da 
3o juin.) 

^ Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



-Son- 
ia première colonne dans la direction ^ qu'elle aurait 
dû. suivre. Ces trois compagnies attaquent et enlèvent 
la tranchée dans un superbe élan. 

La compagnie de queue, qui appartient au 53<^ de 
ligne, franchit le mur de Tenceinte aurélienne et se 
porte sur les bâtiments qui couvrent la porte San- 
Pancrazio'. Le commandant Le Rouxeau de Rosen- 
coat garde dans la tranchée ses deux premières com- 
pagnies et leur fait ouvrir un feu soutenu devant lequel 
les défenseurs reculent: ce qui permet à la colonne 
des travailleurs de commencer des épaulemenls et de 
tracer ce qui, en termes de fortification, s'appelle 
« le logement », en parlant de la casa Merluzzo et en 
se dirigeant vers la face gauche du bastion 8. Le chef 
de bataillon du génie Galbaud du Fort, assisté du 
capitaine Regnault, dirigeait le travail de placement 
des gabions avec la plus grande activité, lorsqu'il 
tombe frappé de deux balles. Sa blessure devait être 
mortelle. Il succomba quelques jours après, dans 
d*admirables sentiments de foi religieuse. Le feu de 
Tennemi redoublait aux alentours d'un petit pavillon^ 
qui dominait la tranchée. 

Heureusement la colonne du chef de bataillon de 
Laforest avait pu exécuter sa difficile mission. Dès le 
début, elle s'est fractionnée en deux groupes; le 
premier, comme nous l'avons vu, a devancé la colonne 
Le Rouxeau de Rosencoat dans l'attaque de la tran- 
chée qui est appuyée à l'enceinte aurélienne et en se 
réunissant à elle, a pu s'en emparer et chasser les 
défenseurs. Ce môme groupe de la colonne Laforest 
a exécuté rigoureusement la consigne que lui a donnée 
le général en chef : il a tué tout ce qu'il a trouvé'', 

^ Journal des opérations de rartillcric et du génie. 
« Ibid. 
» ïbid. 

^ a ... Tuent les défenseurs à coups de baïonnette, x» (Le 
général Oudinot au ministre de la guerre, 3o juin 1849.) 

24 



— 370 — 

Les deux compagnies d*élite rivalisent d'ardeur 
et d'intrépidité * Les voltigeurs du 32« tiennent la tète, 
leur capitaine Félix Douay * donne l'exemple du plus 
brillant courage ^ Les deux compagnies escaladent le 
muraurélienet, toujours à la baïonnette, refoulent ou 
tuent les défenseurs de cette enceinte, mais sur la 
droite, il y a plusieurs maisons crénelées dont le feu 
incommode nos attaques^. Les deux compagnies (vol- 
tigeurs du 32» et grenadiers du 53«) se mettent alors 
en tirailleurs, fort mal abritées, mais n'en luttant pas 
moins obstinément contre les tireurs des maisons '\ 

Elles cherchent à pénétrer dans une villa qu'entou- 
rent des troupes ennemies assez nombreuses. C'est la 
villa Spada, le quartier général de Garibaldi *, qui se 
précipite à la tète de ses légionnaires, l'épée à la main, 

* a Quelles belles troupes que ces compagnies d'élite des 
régiments de Hirne! Quelle émulation entre la grenade et le 
cor de chasse, les épaulettes rouges et les épaulettes jaunes! 
D*nn côté Tavantage de la taille et souvent celui de la force, 
les beaux hommes du régiment, de Tautre, les petits fantas- 
sins, vigoureux, meilleurs marcheurs, plus adroits à la gym- 
nastique; des deux côtés, même dévouement au drapeau, 
même fierté du numéro. » (René Bittard dbs Portes, Les 
Campagnes de la Restauration^ p. 66a.) 

2 Historique du 32* de ligne. 

'^ Félix Douav avait deux frères, ofliciers comme lui de grand 
mérite, destines Tun et l'autre à mourir glorieusement sur un 
champ de bataille, Tun, le colonel Gustave Douay, fut frappé 
mortellement à la bataille de Solférino, un soir de victoire; 
Tautre, le général Abel Douay, fut tué à la tête de sa division 
à Wissembourg, notre première défaite en 1870. Quant an 
capitaine de voltigeurs c|ui se distingua à Tassaut du 
3o juin 1849, il était général de division pendant la cam- 
pagne du Mexiaue et commandant du 7" corps pendant la 
triste guerre, âon corps d*armée défendit valeureusement 
les positions nord de Sedan, le i*'* septembre 1870. Après la 
ffuerrc, le général Félix Douay devint commandant du 
{f corps, puis inspecteur d'armée et mourut prématurément 
en 1879. ifs'est occupé, avec une grande compétence, des feux 
d'infanterie. 

^ Le général Oudinot au ministre de la guerre. (Rapport du 
00 jum.) 

^ Ibid. 

* Ermano Lcbvinson, Giuseppe Garibaldi e la sua legione, 
p. 261. 



-3:71 - 

en chantant l'hymne populaire*, contre les Français 
qui sont un instant repoussés *, mais bientôt nos soldats 
reviennent à la sonnerie de la charge. Pendant que 
les grenadiers du Sô^' continuent la fusillade contre 
les maisons, les sapeurs du génie et les voltigeurs 
attaquent la batterie del Pino et le mur auré- 
lien: alors arrive la compagnie de carabiniers du 
a2« léger. 

L'autre fraction de la colonne Laforest n'avait été 
ni moins courageuse ni moins utile. Réduite à cette 
compagnie de carabiniers du 22® léger sortie la pre- 
mière de la tranchée et dirigée par le chef de 
bataillon de Laforest en personne % elle avait pris au 
pas de course le chemin qui bordait la courtine. 
Rencontrant deux premières tranchées garnies de 
Romains, dont ils essuient le feu, les carabiniers du 
ni^ léger avaient, eux aussi, exécuté la consigne et tué 
leurs adversaires ^. Puis dans un admirable élan d'hé- 
roïsme, les trois compagnies de la colonne, maintenant 
réunies et entraînées par le commandant de Laforest, 
franchissent le retranchement qui barre la gorge du 
bastion et assaillent de flanc et de face la batterie del 
Pino qui battait intérieurement la gorge du bastion, ils 
s'en emparent ^ Presque tous les canonniers de la 
batterie se font tuer sur leurs pièces. 

Le capitaine Félix Douay se distingua encore entre 
tous, il tua de sa main trois artilleurs romains^. Dans 
l'affreuse mêlée qui s'était produite, il avait reçu trois 

1 Ermano Lœvinson, Giuseppe Garibaldi e la sua legione, 
p. 66a. 

< « La fraction de droite pénétra jusqu'à la villa Spada 
qu'elle attaqua sans y entrer. » (Journal des opérations de 
1 artillerie et du génie.) 

' Le général Oudinot au ministre de la guerre. {Rapport du 
3o juin 1849.) 

* « Ils ne s'arrêtent que pour les passer par les armes. » 
(Ibid.) 

'* Général Oudinot au ministre de la guerre, 3o juin 1849. 

^ Historique du 3qI^ de ligne. 



blessures sans cesser de combattre, restant à la tète 
de sa compagnie, malgré un coup de baïonnette et 
un coup d'épée au bras gauche et un coup de 
feu à Toreille '. On doit citer aussi parmi les plus 
braves le lieutenant Hébrard, le sous-lieutenant Des- 
tenay, le sergent Maisch ainsi que les voltigeurs 
Charliet et Fris'. Le terre-plein de la batterie était 
encombré de morts et de mourants. 

Là furent tués intrépidement, sous le commande- 
ment d'un de leurs officiers nommé Miller, cinquante 
lanciers de Garibaldi, qui avaient tenté de lutter 
a avec leurs lances i>, comme des soldats du moyen 
âge. D'abord ils ont voulu défendre les créneaux du 
bastion, puis ils se sont repliés sur la batterie et Tont 
encore défendue à l'arme blanche'. Les lanciers de 
Garibaldi sont morts pour leur drapeau, face à 
l'ennemi, comme le 3 juin, leur commandant d'esca- 
dron Masini, à l'assaut de la villa Corsini. 

La batterie prise, le capitaine Prévost et le lieute- 
nant Brière firent boucher avec des sacs à terre les 
embrasures de cette batterie, enclouer une de ses 
pièces et briser les affûts des autres S La fusillade 
continuait autour de la villa Spadaetcontre le saillant 
du bastion. Notre première colonne (Lefebvre) soutient 
là un combat très vif. Le capitaine Robinet, des volti- 
geurs du 53«, y est tué. En même temps que lui 



* Historique du Sa* de ligne. 

- Rappelons que RafTet, le célèbre dessinateur roiliture, 
assistait aux opérations du siège. 11 a comi)osé nn album de 
Texpédition que nous avons eu le grand plaisir de parcoarir. 
Un autre albuiu contenant un grand nombre de portraits 
d^ofllciers, de sous-oflicîers et de soldats qui se sont cÛstin- 
gués pendant les opérations se trouve à la Bibliothèque 
nationale, à l'œuvre de RafTet, département des estampes. 

Le 32« de ligne est représenté par dix-sept portraits, oont 
les reproductions figurent dans la salle d honneur du régi- 
ment. 

^ Krniano Lœvinson, G. Garibaldi e la sua lefrione^ p. a6i. 

^ Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



-373- 

tombent grièvement blessés les sous-lieutenants San- 
glé-Ferrière et Nachon, ainsi que plusieurs voltigeurs. 

Garibaldi est là et autour de lui se groupe l'élite 
de ses légionnaires et du 6« régiment romain, il a 
déjà plusieurs fois repoussé les efforts de la première 
colonne, lorsque le lieutenant-colonel Espinasse, qui 
a suivi de très près les différentes phases de 
l'action, se décide à un effort combiné des trois 
colonnes. En conséquence il fait entrer en action la 
colonne de réserve qui jusqu'alors a été ménagée et 
qui va donner en première ligne. Cette colonne est 
composée de trois compagnies d'élite des 3&^, 66^ et 
68« de ligne. 

L'ennemi, vigoureusement abordé par les trois 
colonnes, est rejeté contre la barricade de la villa 
Spada^ La lutte s'y engage terrible à l'arme blan- 
ches mais aux accents de la charge, nos soldats ' 
franchissent la barricade. Garibaldi doit battre en 
retraite et se reporter avec la plus grande partie de 
sa troupe sur la troisième ligne de défenses Son chef 
d'état-major Manara est tué sur la barricade, ainsi que 
plusieurs de ses officiers et un grand nombre de 
légionnaires. Le major Luigi Caroni, aide de camp de 
Garibaldi, est fait prisonnier ainsi qu'une centaine 
d*hommes, aussitôt envoyés au camp français sous 
escorte. 

La défense des Romains avait été intrépide sur 
certains points. On vit trois officiers lombards, aban- 



* Le général Vaillant le désigne sous le nom de petit pavil- 
lon hexagonal et le général en chef dans son rapport rappelle 
tout simplement une petite maison. M. Lœvinson, dans son 
récent ouvrage, la mentionne sous le nom de villa Spada et 
ajoute : a Doue trovarasi il quartier générale di Garibaldi. » 
(F. 26.) 

^ « Non seulement à la baïonnette, à la lance, mais au 
sabre et au couteau. » (Lœvinson, G. Garibaldi e la sua 
lefirionej p. 362.) 

^ Ermano Lœvinson, Garibaldi e la sua legione, p. a63. 



-3^4- 

donnés de leurs soldats qui s'étaient pourtant bien 
battus, se précipiter seuls au milieu de nos grena- 
diers et y to mber frappés de coups de baïonnette *. 
Ailleurs un capitaine d'infanterieromaine, lebras en 
échappe, le front sanglant, combat encore un genoo 
en terre ; on lui crie de se rendre, il refuse et tombe 
mortellement atteint en criant : Eçiça Vltalia! 

Nos soldats avaient admirablement obéi à Télan de 
leurs officiers. La a« compagnie de grenadiers da G6« 
de ligne s'était très brillamment montrée, elle aval ta 
sa tête le capitaine Belleval, les lieutenants Duhous- 
set ' et Clerbout, le sous-lieutenant Hariague. Deux 
de ces officiers avaient sollicité comme une faveur 
de remplacer leurs camarades indisponibles'. La 
compagnie n'avait pour ainsi dire combattu qu*à 
la baïonnette. 

L'un des grenadiers découvre sous un caisson 
d'artillerie un homme couvert de sang qui s'écrie en 
français : «c Ne me tuez pas, je suis sans armes. — 
Malheureux, lui dit alors M. Duhousset, comment 
avez-vous pu vous battre contre le drapeau de la 
France? — J'ai fait mon devoir, réplique cet homme, 
j'appartiens au 2« léger, c'est vrai, mais je suis 
Italien et c'est dans un régiment lombard que j'ai 
combattu pour l'indépendance de mon pays*. — 
Vous êtes un brave », lui répondit l'officier français qui 
le fit transportera l'ambulance. 

Le bastion 8 est conquis S mais le jour conunence 

' Ballbydier, La Révolution à Rome^ p. ao5. 

* Cet officier fut quelque temps détaché comme instmcteiir 
en chef d'infanterie des troupes du shah de Perse. Il assista, 
en qualité de chef de bataillon, à la bataille de Frœschwiller 
et fut fait prisonnier avec son général de division mortellement 
blessé, le brave général Raoul, Tintrépide major de tranchée 
deSébastopol, surnommé « triste et doux». 

' Historique du 66^ de ligne. 

^ Balleydier, p. 209. 

^^ « Cette dernière action, due à la coopération rapide et 
bien combinée des deux colonnes d'attaque sous la direction 



— 375 — 

à paraître. Toutes les maisons qui ont vue sur le 
bastion se remplissent de tirailleurs et l'ennemi 
revient en force pour tenter de reprendre ses pièces. 
Alors le lieutenant-colonel Espinasse lance deux 
compagnies de la réserve sous le commandement du 
chef de bataillon Le Rouxeau de Rosencoat (grena- 
diers du 36®, voltigeurs du 68®). 

Les grenadiers sont en tête, suivant le brave 
capitaine Tiersonnier, ils poussent vigoureusement 
Tennemi, le précipitent à la baïonnette par-dessus 
l'escarpe et enfin s'emparent des maisons qui domi- 
nent la porte San-Pancrazio ^ L'autre compagnie, 
sous les ordres directs du chef de bataillon, tente de 
couper la retraite à Garibaldi qui est revenu recher- 
cher, sous le feu, un détachement de la légion Médici *, 
mais la compagnie française n'est pas assez nom- 
breuse. Le condottiere et ses soldats rentrent dans 
la ville. 

Le commandant Le Rouxeau de Rosencoat porte 
de nouveau ses deux compagnies en avant de l'en- 
ceinte aurélienne où il relève un détachement de la 
première colonne. La fusillade continue contre les 
tirailleurs ennemis, ceux-ci sont moins nombreux 
et moins audacieux. Toutefois il faut surveiller avec 
vigilance les jardins environnants, les pavillons, les 
maisons, qui, presque toutes crénelées, cachent 
encore des défenseurs. 

Les travailleurs fournis par les trois compagnies 
d'élite des i^®, 'jo® et 33® de ligne, sous la direction du 
lieutenant-colonel du génie Ardant, qui était venu 
remplacer le commandant Galbaud du Fort blessé, 
établissent des gabions le long du flanc droit du bas- 

du lieutenant-colonel Espinasse, nous rendit tout à fait maîtres 
du bastion 8. yy {Journal des opérations de l'artillerie et du 
génie.) 

* Le générai Oudinot au ministre de la guerre, 3ojuin 1849. 

* E. Lœvinson, g. Garibaldi, etc., p. 262. 



— 376 — 

tion 8, àdouze mètres de la crête dn mur'. Le fossé de 
l'enceinte aurélienne fut également fermé par des 
gabions, la communication faite par l'ennemi fut con- 
vertie en logement, mais il fallut la couper de traversera 
sous un feu de mousqueterie très vif*. ËnGn la casa 
Merluzzo fut couronnée avec des sacs à terre. 

Parfois les tirailleurs ennemis se glissaient entre la 
première ligne des compagnies de réserve et les travail- 
leurs, mais ceux-ci saisissaient leurs armes et fai- 
saient feu sur les assaillants. Bientôt nos travailleurs 
ne furent incommodés que par la fusillade des 
maisons, ce que les Romains appelaient pompeuse- 
ment n la troisième ligne de défense». Le lieutenant 
Brière du génie et quelques sapeurs furent blessés. 

Les capitaines Regnault, Prévost, Doutrelaine et le 
lieutenant Guillemard dirigeaient les travaux de la 
gorge et du flanc droit du bastion 8 tout en subissant 
avec leurs hommes le feu de l'ennemi. Il faisait tout 
à fait jour et les logements du bastion étaient loin 
d'être terminés ^ Enfln, à cinq heures du matin *, ces 
oiivrag'i'sbien que très incomplets pouvaienlolTrirun 
abri. Le lieutenant-colonel Ëspinasse vint chercher 
lui-même les deux compagnies de la réserve qui 
élaicnt restées bravement en avant du mur aurélicn. 
Une fois que ces compagnies eurent franchi celle 
enceintt^!, les sapeurs du génie, sous le commande- 
ment du capitaine Regnault, fermèrent le passage. 

Le succès était complet : nous avions conquis un 
nouveau bastion et la tète de l'enceinte aurélienne. 
Nous pouvions, quand il nous plairait, franchir le mur 

' o Aliii rju'elle pût Hre conservée alors nicme qoe le luor 
vicndriiii à ôtre démoli par rtirtilleric que l'ennemi avait di,-*- 
pfi.si-o sur le flanc gauche du haslion g. » (Général Vaillkol. 
Journal iti-s opérations de l'artillerie et àa ^énie.) 

' lliiil. 

' Journal des Opérations de l'artillerie et du génie. 

* onicier d'état-major. Précis historique et militaire de 
l'expéiiition, p. 79, 



/' 



-377- 

aurélîen, tourner la porte San-Pancrazio, donner Tas- 
saut au bastion 9. De nos positions sur le Janicule, 
notre artillerie pouvait bombarder Rome. Qu'allaient 
donc maintenant tenter ses défenseurs? Leurs pertes 
étaient considérables, les officiers romains mis hors 
de combat ou prisonniers étaient nombreux. Parmi 
les tués, outre le colonel Manara, chef d'état-major, 
on comptait les capitaines Arrighi et Gugliemi, le 
lieutenant Ugolini et le fameux nègre qui accompa- 
gnait toujours Garibaldi, Andréa Aguyar'. 

Le général Oudinot s'était rendu sur le terrain de 
la lutte ainsi que les généraux Vaillant* et Thiry; il 
pouvait donc en toute connaissance de cause écrire 
au ministre dans son rapport du 3o juin : 

« ...Les diverses colonnes ont été conduites avec 
autant d'énergie que d'intelligence par le lieutenant- 
colonel Ëspinasse et par les chefs de bataillon placés 
à leur tète. 

a Nos troupes ont agi avec une vigueur et un élan 
auxquels rien ne pouvait résister. Elles ont tué à la 
baïonnette plus de quatre cents hommes^. Sur cent 
vingt-cinq prisonniers restés entre nos mains se trou- 
vent dix-neuf officiers de tous grades. » 

Le général en chef constatait avec joie que nos 
pertes étaient relativement peu considérables. L'as- 
saut nous coûtait un officier, le capitaine Robinet, du 

' Ermano Lœvinson, G, Garibaldi^ etc. y p. 262. 

' Le général Vaillant envoya d'ailleurs directement son 
rapport au ministre de la guerre. Nous y relevons cette 
phrase qui rappelle la situation toute spéciale du comman- 
dant supérieur du génie : « La joie que réprouve, Monsieur 
le ministre, d'avoir pu mener à bonne lin l'opération que vous 
m'avez confiée... » Il terminait ainsi : « J'ai retrouvé le corps 
du jçénie tel que ie l'ai toujours vu dans toute ma carrière 
militaire, c'est-à-dire ayant à un haut degré le sentiment du 
devoir et des obligations qu'impose l'honneur de servir la 
France. » {Journal des opérations, pièce ao.) 

' Ce sont les chiffres du général Oudinot et ceux du géné- 
ral Vaillant. 



— 3^8 — 

53« de ligne, et dix-huil soldats tués sur place, sept 
ofllciers et quatre-vingt-dix soldats blessés'. 

Le duc de Reggio ajoutait : a Ce second assaut 
donne un immense ascendant moral à nos soldats. 
L'ennemi a perdu deux principaux fronts de son 
enceinte, nos batteries établies sur les tei^e-pleins 
découvrent et peuvent ruiner la ville. Prolonger la 
défense serait un acte insensé, ce serait non sealc- 
ment sacrifier les maisons, mais aussi porter la 
guerre au sein des familles. On ne peut raisonnable- 
ment supposer qu'un gouvernement, quel qu*il soit, 
consente à prolonger de pareils malheurs sur la 
capitale du pays. » 

Le général en chef appréciait à sa valeur la diver- 
sion opérée pendant la nuit de l'assaut par le général 
Gueswiller*. Il ignorait que le feu de noire arlillorîe, 
sans produire de dégâts sérieux, avait occasionné 
une vive émotion dans les quartiers nord-ouest de 
Rome. 

Pendant cette même nuit, alors qu'ils ne prévoyaient 
pas l'assaut du bastion 8, les Romains avaient tenté 
d'incendier le pont établi sur le bas Tibre, au mouil- 
lage de Saint-Paul. Près de cinquante brAlots de 
formes et de dimensions différentes furent arrêtés, 
détruits et coulés par les pièces de la flottille sous les 
ordres du lieutenant de vaisseau Ollivieri et avec le 
concours de la compagnie de pontonniers commandée 
par le capitaine Blondeau. 

1 Nous donnons là les chiffres du général Vaillant, ceux du 
général Oudinot sont moins élevés pour les tués : neuj tués 
dont nn officier, mais plus élevés pour les blessés : cent dix 
blessés dont dix-huit officiers. Ceux du général Vaillant nous 
paraissent plus*exacts, d'après les historiques des régiments. 
Le commandant supérieur du génie a eu plus tard à sa dis- 
position au ministère de la guerre des renseignements que le 
général Oudinot, absorbé par ses occupations de comman- 
ant en chef, n'a eu ni le temps ni les moyens de contrôler. 

^ Le général Oudinot au nunistre de la guerre. {Rapport du 
3ojuln 1849.) 



— 379 — 

Le général en chef rendait aussi un juste hom- 
mage au concours de la marine * et il terminait ainsi 
un long et intéressant rapport auquel le gouver- 
nement devait donner aussitôt la publicité du Moni- 
teur* : 

« En résumé, Monsieur le ministre, le succès 
de toutes les entreprises, les partes incessantes 
éprouvées sur tous les points par l'ennemi, donnent 
à espérer que la résistance de la ville ne peut se pro- 
longer désormais. 

« Depuis le commencement du siège, toutes les 
opérations ont été conduites par le général de divi- 
sion du génie Vaillant, avec cette habileté et cette 
expérience dont il a donné tant de preuves'. Le 
général de brigade Thiry, commandant Tartillerie, a 
surmonté avec une grande énergie de nombreuses 
difficultés. 

a Le général Rostolan, commandant les troupes du 
siège, leur a inspiré un dévouement qui ne s*est 
jamais démenti. Enfin la brigade MoUière, composant 
l'avant-garde, sous les ordres supérieurs du général 
de division Regnaud de Saint-Jean d'Angély, a, 
depuis la prise de Pamphili, conservé, avec la plus 
inébranlable fermeté, les positions que les efforts de 
l'ennemi tendaient incessamment à lui enlever, à 
l'aide d une nombreuse artillerie. Ainsi, sur tous les 
points, généraux, officiers, soldats ont admirable- 
ment accompli leur devoir. 

1 Pour le récit de cet assaut comme pour ceux des précé- 
dentes opérations de guerre nous avons extrait du rapport 
du général Oudinot tout ce qui avait quelque importance, en 
le complétant avec le journal du général Vaillant, beaucoup 
plus considérable, les historiques des régiments, etc. 

^ Numéro du Moniteur du 9 juillet 1849. 

^ Tout en faisant prévaloir ses idées sur la conduite de 
siège, le général Vaillant s'était toujours montré plein du 
déférence à l'égard du duc de Reggio. 



— 38o — 

« Je ne puis encore, Monsieur le ministre, citer ici 
tous les actes qui ont, dans ces mémorables journées, 
ajouté un nouvel éclat à nos armes. Je m'occupe de 
les recueillir. 

« Je suis, avec respect, etc. 

a Le Général commandant en chef, 

« OUDINOT DE ReGGIO. 9 



> 



CHAPITRE XIX 



DERNIERS COUPS DE CANON. — GOMMENT ON FORÇA 

LES PORTES. 



Les soldats qui avaient pris part à Tassaut étaient 
rentrés dans leurs camps, pleins d'une légitime fierté. 
Leurs camarades les félicitaient, beaucoup plaignaient 
ceux qui avaient succombé ou qui avaient été grave- 
ment atteints. 

Les prisonniers romains furent accueillis avec cette 
joviale curiosité que manifeste le soldat français d*une 
façon un peu enfantine, mais qui est encore une 
forme de la générosité. Nos vainqueurs de 1870 se 
sont montrés sous un autre aspect... 

Les victorieux du 3o juin avaient constaté avec 
tristesse la présence d'un certain nombre de Français 
dans les rangs de leurs ennemis. Beaucoup de 
Romains, il est vrai, parlaient français très purement 
et interpellaient leurs adversaires dans notre langue. 
C'est ainsi qu'à l'assaut du bastion 8, un caporal 
du 53« de ligne, nommé Verdoux, avait aperçu un 
gigantesque Romain brandissant une canne de tam- 
bour-major, enguirlandée de la cordelière française 
réglementaire. 



— 38a — 

Or, dans le guet-apens du 3o avril, le lambour- 
major du 30«deligne avait été pris avec le détacliement 
du commandant Picard et désarmé de sa canne. Le 
brave sous-oflicier ne s'en était pas consolé, d'autaot 
plus qu'il avait appris^ pendant sa captivité, ï'envoï 
aux révolutionnaires de Florence de ce signe dis- 
Unctifde son emploi. Le ao« tout entier avait partagé 
les regrets de son tambour-major. 

Des volontaires florentins arrivaient à Rome [tour 
renforcer la défense et voici que l'un d'entre eux 
venait se mettre, avec son facile trophée, à portée de 
nos baïonnettes I 

Après un violent colloque en français, renforcé 
d'injures à la façon des héros d'Homère, le pseudo- 
tambour-major italien et le caporal français se battirent 
ensemble dans la tranchée. Le caporal Verdoux 
ramena iriomphalement sa double capture : la canne 
et celui qui la détenait indûment. Le général en chef 
ie lit mettre à l'ordre de l'armée et le tambour>major, 
le vr.ii. celui du ao", versa des larmes «le joie en 
rcpiiriant possession de son bâton de commande- 
nn'iii '. 

Li's actes de courage, d'héroïsme même avalent 
cil' nombreux. Beaucoup devaient rester inconnus, ou 
dti iiioins l'histoire n'a pu recueillir les noms des héros 
obsfiirs qui ont succombé modestement, comme ce 
volii^'cur de la première colonne d'assaut qui, frappé 
de Irois balles et relevé par l'oflicier dont il était 
l'onli'nnance, songea d'abord à rendre la ceinture où 
celui-ci avait mis une partie de sa petite fortune : 
n Ti'iicz, mon lieutenant, reprenez le dépôt que vous 
m'iiMZ conlié'. » Ailleurs, un grenadier français, mor- 
tflli'iiient frappé lui aussi, demande qu'en préve- 
naiil sa vieille mère, on la console, et la sachant 



— 383 — 

fervenle chrétienne, il ajoute : « Qu'on lui dise 
bien que je suis mort pour la religion * ! » Les Vendéens 
de la Grande Armée ne mouraient pas autrement. 

Mais à côté de ces souvenirs de tristesse, que de 
gaité, que d'enthousiasme, que d'entrain! 

En entendant gronder le canon dans nos lignes, 
chacun songe que de nouvelles brèches vont être 
ouvertes et qu'il y aura de nouveaux assauts ; de cette 
façon a chacun en aura pour son grade », disent nos 
troupiers tout enfiévrés de la reprise de la lutte et 
l'on ne sait vraiment quels sont les plus impatients, 
ceux qui reviennent de l'assaut de la nuit ou ceux 
qui n'ont pas eu la joie d'y combattre. 

En attendant, l'artillerie française a recommencé 
son feu, dès que les colonnes sont rentrées ; il est à 
peine huit heures et nos batteries des bastions 6 et ^^ 
tirent sans relâche sur le bastion 9 et sur la batterie 
de San-Pietro in Montorio. Le canon de l'ennemi 
répond, mais seulement jusqu'à dix heures et demie. 
La mousqueterie reprend cependant sur la partie de 
l'enceinle que nous n'avons pas encore conquise. 

La porte San-Pancrazio était battue en brèche par 
la batterie n® 10 qui avait ouvert le feu à neuf heures 
du matin ^, l'ennemi ne put maintenir une batterie de 
campagne près de l'église Saint-Alexis, lés projec- 
tiles de notre batterie n^^, qui venait aussi d'entrer 
en action, l'obligèrent plus d'une fois à quitter ses 
positions. 

Trois brigades de sapeurs mettaient en défense le 
bastion 8, sous la protection des bataillons de tran- 
chée. Le lieutenant-colonel du génie Leblanc était 
chef d'attaque avec le capitaine Ragon, de la même 



* Balleydibr, La Ré\>olution à Rome, p. 207. 
'Les autres batteries réparaient leurs embrasures et leurs 
terre-pleins. 
3 Journal des opérations de Tartillerie et du génie. 



— 384 — 

arme, comme adjoint. Ces deux orQciers tirent placer 
les traverses de manière à couvrir la communication 
avec le logement, malgré la fusillade que dirigeait 
Tennemi contre nos travailleurs. La batterie de 
mortiers du capitaine de Rochebouët savait si bien 
jeter ses bombes de l'autre côte du mur aurélien que 
cette partie de Tenceinte fut abandonnée de ses der- 
niers défenseurs et qu'à midi, le feu d'artillerie cessa 
complètement du côté des Romains *. A de longs 
intervalles quelques cpups de fusil continuaient à 
être tirés sur nos tranchées. 

Notre artillerie canonnait le bastion 9 dont le talus 
commençait à s'ébouler. Mais vers midi, l'ennemi 
ayant complètement cessé son feu, le nôtre s'arrêta: 
et peu après, un oflicier d'état-major romain demanda 
à parlementer '. Conduit auprès du général Le vail- 
lant (Cliarles), général de tranchée, il déclara deman- 
der, au nom du commandant en chef, un armistice 
pour pouvoir enlever les morts et les blessés qui 
étaient restés sur le terrain du combat de la nuit. Le 
général Oudinot, prévenu d'urgence, accorde aussitôt 
un armistice de vingt-quatre heures qui commence 
immédiatement. 

Une demi-heure plus tard, des détachements de 
brancardiers conduits par les médecins militaires et 
les inlirmiers, sous la direction du docteur Finot, 
médecin en chef de l'armée, gravissent les rampes des 
brèches, avec des civières et des brancards. 

Les médecins romains et leurs détachements sani- 
taires s'y trouvaient déjà. Des deux côtés, les hommes 
auxquels incombait cette mission philanthropique se 
prêtèrent un appui fraternel^. On soigna indistincte- 
ment les blessés des deux partis, les échangeant pai^ 

* Journal des opérations de rartillerie et du ffénie. 

2 Ibid, 

^ Enuano Lœvinson, Garibaldi, etc., p. 262. 



— 383 — 

fois quand ils avaient été pansés, mais leur prodiguant, 
sans le moindre retard, les soins les plus dévoués. 

Tous nos morts, peu nombreux d*ailleurs, et 
presque tous nos blessés avaient été relevés et trans- 
portés au camp, nos médecins et nos infirmiers s'occu- 
pèrent donc surtout des Romains, beaucoup plus 
éprouvés que les nôtres *. 

Bientôt les habitants et les soldats français s'appro- 
chent de leurs limites et échangent quelques paroles. 
A dire vrai, elles manquent parfois d'aménité, surtout 
de la part des anciens défenseurs des bastions que 
nous avons conquis ^ Gomme compensation, les 
femmes romaines, et parmi elles plusieurs appar- 
tiennent à l'aristocratie ou à la bourgeoisie, viennent 
regarder nos soldats et manifestent beaucoup moins 
de rancune, malgré les menaces que profèrent contre 
elles les irréconciliables^. Dans les groupes italiens, 
une phrase est souvent répétée à voix basse : La 
pace era decisa! et comme on répète volontiers ce 
qu'on désire, les blessés romains disent entre eux, 
avec une légère variante : La pace! la pace! 

C'était aller un peu vite, on était encore à Rome 
dans la période parlementaire d'indécision, mais le 
découragement gagnait la plupart des habitants. 

Dans la matinée, un conseil de guerre avait été tenu 
au palais Corsini, sous la présidence des triumvirs, 
pour décider si l'on capitulerait, si l'on tenterait dans 
Rome la guerre de barricades ou si l'on transporterait 
le théâtre de la guerre hors de Rome en s'attaquant 
aux Autrichiens. Pas un des officiers présents ne se 

^ Journal des opérations, etc. 

' « Les Français et les Italiens sont séparés par quelques 
pas. Quelques-uns invectivent encore : « Si vous voulez 
recommencer la danse, dit un chasseur à pied en frappant 
sur sa carabine : les violons sont prêts. » (Capitaine <r état- 
major Vertray, Album,) 

' « Ceci m*a été raconté par la slgnora Lalla Topi, àiaquelle 
le fait est arrivé. » {Ibid.) 

25 



— 386 — 

prononça pour la capitulation. Plusieurs, parmi les- 
quels Garibaldi et Roselli, préféraient la troisième 
proposition *. 

A rAssemblée constituante, les représentants 
s'étaient réunis; ils entendirent Mazzini exposer les 
trois hypothèses. Garibaldi fut mandé à l'Assemblée, 
il y arriva triste, mais résolu, et démontra qu'il était 
impossible de tenir dans le Transtevère, qu'il serait 
difQcile de défendre l'intérieur de la ville, malgré ses 
barricades, parce que les Français pourraient tout 
bombarder du Janicule. En conséquence, il proposait, 
comme Mazzini, de faire sortir de Rome l'armée, les 
chefs de l'administration civile, les représentants du 
peuple et tous les patriotes de bonne volonté *. 

Après le départ de Garibaldi, Mazzini, chaudement 
appuyé par Sterbini, conseilla d'abandonner Rome. 
A l'unanimité, sauf Cernuschi, le président a des barri- 
cades », les représentants rejetèrent cette proposition 
et décidèrent qu'une commission de neuf députés 
accompagnerait l'armée si le général en chef français 
à son entrée dans Rome prononçait la dissolution de 
l'Assemblée*. 

Dans la séance du soir, l'Assemblée annula indirec- 
tement ce vote en décidant que la défense devenant 
impossible, les représentants ne devaient pas s'éloi- 
gner *. 

Garibaldi, revenu à son quartier général, s'atten- 
dait à ce que, à la tin du délai d'armistice, l'armée 
française reprit les hostilités. Il persistait à espérer 
que le gouvernement romain quitterait la ville avec 
l'armée et il s'efforçait de préparer le départ de toutes 
les troupes. La plus grande partie des chefs militaires 

^ Ërmano Lœvinson, G. Garibaldi e la sua lefrione, p. a63. 

2 Jhid. 

3 Ibid. 
* Ibid. 



— 387 — 

s'y refusèrent*. Toutefois F Assemblée constituante 
partagea le commandement supérieur entre Roselli 
et Garibaldi, mais la reddition était décidée et cette 
nomination était illusoire... 

Pendant que le Parlement romain se livrait à 
d'inutiles discussions et que les chefs de la défense* 
à l'exception d'un très petit nombre, ne dissimulaient 
plus leur lassitude, le corps expéditionnaire surveil- 
lail les abords de la place. Il fallait prévoir quelque 
tentative désespérée, quelque coup de folie d'une 
partie de la garnison et se mettre en mesure de bri- 
ser ces dernières résistances. Le génie continuait 
« ses attaques » qui, pour ne pas être bruyantes, 
n'en étaient pas moins utiles*. Toutes les précautions 
de sécurité militaire étaient prises. A quatre heures 
du soir, le 3o juin, le service de tranchée incombait 
au colonel de Leyritz, faisant fonctions de général de 
tranchée, et au lieutenant-colonel Chapuis, du Sa®; 
ils ont sous leurs ordres trois bataillons appartenant 
respectivement aux 20®, 33® et 36® et deux compagnies 
de chasseurs à pied du i^^ et du 2^ bataillon* 

Au commencement de la nuit, la vingt-septième 
depuis l'ouverture de la tranchée, deux compagnies 
d'infanterie vinrent s'établir dans la villa Giraud, 
que les Romains avaient évacuée pendant notre der- 
nier assaut. Nos batteries l'avaient endommagée de 
terrible façon, et c'était plutôt un amas de décom- 
bres qu'un ouvrage défensif *. 

Cent cinquante soldats d'infanterie et un détache- 
ment d'artilleurs travaillaient, sous la direction du chef 



* Un officier romain aurait fait échouer le projet de Gari- 
baldt : le colonel de Pasc|ualis, du i<^'' dlnfanterie. Il déclara 
qae Garibaldi ne songeait qu*à organiser le pillage des pro- 
vinces. 

2 Journal des opérations de l'artillerie et du génie. 

3 L'ennemi avait préparé un fourneau de mine pour la faire 
sauter. 



d'escadron d'artillerie Béret, qui avait relevé le 
commandanl Bourdeau, à la continuation des loge- 
ments dans l'intérieur du bastion 8 ainsi qa'à un 
cheminement devant la face droite du bastion. Ce 
cheminement devait être relié par une nouvelle 
tranchée avec la villa Giraud. 

Le général Thiry passait une minutieuse ïnspec* 
Uon des batteries et s'assurait qu'elles pourraient 
reprendre le feu si les circonstances l'exigeaient'. 

La nuit se passa sans incident jusqu'à deux heures 
du matin. Alors arriva par la brèche de l'enceinte 
aurélienne une députatïon de la municipalité et des 
consuls étrangers qui demanda à être introduite sans 
retard auprès du général Oudînot'. Celui-ci la reçut 
à la villa Santucci avec sa bienveillance habituelle. 
Les envoyés lui déclarèrent que l'Assemblée consti- 
tuante venait de rendre un décret ainsi conçu : 
« L'Assemblée cesse une défense devenue impos- 
sible, elle charge le triumvirat de l'exécution du pré- 
sent décret, u 

OrMazzini, Satli et Armellini, ayant exprimé l'in- 
tention formelle de ne pas entrer en pourparlers 
avec le général Oudinot, et déclarant qu'ils étaient 
triumvirs pour défendre la République et Rome et 
non pour livrer l'une et l'autre, il y avait eu lieu de 
nommer un nouveau triumvirat. L'Assemblée avait 
Élu Salicetti, son président, Mariani, également 
représentant et Calandrelli, le général de l'artillerie 
romaine. Ces deux derniers s'étaient distingués pen- 
dant le sii-ge', 

' Joiiraal des opérations de l'arlillerie et du génie. 

- » Hlirier d'état-maior. Précis historique et mitilaire, p. Siv 

On :i prétendu que le général Roselli, commandant encbcf 
ili- h .Tiipes romaines, était enlrédireclenient en nourpariem 
:i\ii- U' ilucdc Reggio; nous ne le cro.vons pas, rAssemblêe 
>'.>i>~>iiiiunteB}-ant gardé le pouvoir jusqu'au demiermomeat. 

' 1.. DE Gaillard, L'Expédition de Rome, p. 361. 



-389- 

Les envoyés romains, tout en communiquant ces 
nouvelles, demandaient qu'un armistice un peu long 
fût accordé. Ils remirent ensuite un projet d'après 
lequel i^ l'armée française entrerait dans la ville de 
Rome; n^ les corps militaires français et romains, qui 
resteraient dans la ville, fourniraient leur service 
ensemble; 3° les autorités militaires romaines établi- 
raient plusieurs cantonnements pour les troupes 
qui abandonneraient la ville; 4° toutes les commu- 
nications avec Rome interceptées actuellement par 
Tarmée française redeviendraient libres; 5° Rome 
détruirait immédiatement ses barricades; ô^la liberté 
individuelle, l'inviolabilité des personnes pour tous 
les faits précédents et la sûreté des propriétés seraient 
garanties; 'j° la garde civique continuerait son ser- 
vice ; 8» la France ne s'immiscerait pas dans l'admi- 
nistration intérieure ^ 

La plupart de ces propositions étaient inacceptables. 

Le général Oudinot déclara devoir ajourner sa 
réponse jusqu'à l'arrivée de M. de Corcelles, qui s'était 
renduà Givita-Vecchia pour reconduire M. de Rayne- 
val, ministre de France auprès du roi de Naples*. 

^ Balleydier, La Révolution à Rome, p. ai 3. 

^ M. de Gaillard, dans son ouvrage L Expédition de Rome, 
comiuet une erreur, p. a6i, quand il fait revenir M. de Cor- 
celles avant le départ des envoyés romains. Gomme Ta fait 
Balleydier, qui a eu à sa disposition les archives de Rome 
et la collection des journaux romains, le capitaine Ver- 
tray, dans son Album, qui est un véritable journal de cam- 

{>agne, déclare que le ministre de France ne revint que le 
endemain. « Arrivée dans la nuit (du V^ au a juillet) de 
M. de Corcelles. » (Capitaine Vbrtray, Album.} C'est éçale- 
ment ce que dit M. Lecauchois-Féraud, lieutenant d'etat- 
major, dans le Précis historique et militaire, par un officier 
d'état-major, p. 8o : « Le V*^ juillet, à deux heures du matin, 
une députation de la municipalité arrive auprès du général 
en chef pour entamer les négociations. L'absence de M. de 
Corcelles, établi à Givita-Vecchia, apporte quelque retard à 
leur conclusion et les prolonge durant trente-six heures. » 
Devant ces trois témoignages il ne saurait donc y avoir 
d'hésitation. 



— 390 — 

Les envovés romains et les consals n'essayèrent 
pas une discussion inutile et rentrèrent dans la place. 
En traversant an petit jour les lignes françaises, ils 
purent voir que Factivité des travaux de sièg-e ne 
se ralentissait pas. En effet, partout les tranchées 
s'élai^ssaient, les rampes s'adoucissaient. Les trou- 
pes de tranchée veillaient, judicieusement réparties. 
La journée du dimanche, i^^ juillet, fut employée 
surtout à déblayer les décombres de la villa Giraud. 
le Vascello des Romains, et à préparer une attaque 
directe contre la porte San-Pancrazîo ^ 

Le service de tranchée était pris par le colonel 
d'Âutemarre, du 53« et le lieutenant-colonel Tarbou- 
riech, du 36^, avec deux bataillons, Tun du 6&. 
l'autre du 68«, et une compagnie du 2^ bataillon de 
chasseurs. Deux cents travailleurs d'infanterie et un 
détachement d'artilleurs de six batteries étaient mis 
à la disposition du chef d'escadron d'artillerie Devaux. 
Pendant la nuit du i^^"* au 3 juillet, les travaux 
furent poussés très activement, la villa Giraud fut 
reliée à la cinquième parallèle, un petit cheminement 
permit d'arriver de plain-pied sur le chemin de ronde 
de la courtine 8-9, près de la jonction du bastion 8 
avec le mur aurélien. 

Une nouvelle batterie, qui prenait le n<> i5, fut 
décidée sur le terre-plein du flanc droit du bas- 
tion 8. Sa construction et son armement (trois pièces 
de 16) furent confiés à la i5« batterie du ii« d*artil- 
lerie (capitaine Besançon). 

M. de Corcelles revint au milieu de la nuit'. Le 
général en clief le mit aussitôt au courant des pro- 
positions de la municipalité romaine. Le succes- 
seur de M. de Lesseps les repoussa sans hésiter. 
« Rome devait se rendre à discrétion, en comptant a 

* Journal des opérations de rartillerie et da génie. 

* Capitaine Vertray, Album, 



— 3gi — 

bon droit sur la générosité française qui n'avait pas 
besoin d'être stipulée '. » 

Il ne pouvait plus être question d'une capitulation 
écrite, dans la situation désespérée ou se trouvait la 
ville assiégée. Le général Oudinot approuva cette 
fière et ferme déclaration, il chargea le capitaine 
d'état-major Filippi* de se rendre, en parlemen- 
taire, auprès du président de TAssemblée romaine 
et de lui communiquer la décision de M. de Corcelles 
et la reprise prochaine des hostilités. 

Dans la matinée du a juillet, le commandant Fros- 
sard, chef d'attaque, assisté du capitaine Schœnnagel, 
du génie, et ayant sous ses ordres trois brigades 
de sapeurs et deux cent cinquante travailleurs d'in- 
fanterie, prend la direction des travaux. Grâce à une 
sape qu'il fait aboutir sous le bâtiment qui surmonte 
la porte San-Pancrazio, le commandant a maintenant 
la certitude de tourner cet ouvrage. 

L'artillerie avait transporté dans le bastion 7 deux 
nouveaux mortiers, ce qui, avec les six mortiers qui 
s'y trouvaient déjà, constituait une formidable bat- 
terie, prête à jeter ses bombes sur les dernières bat- 
teries de la défense. 

Vers midi, le capitaine d'état-major français Filippi 
arrive de Rome, déclarant que les autorités ro- 
maines ne peuvent se résoudre à laisser pénétrer 
les troupes françaises sans conditions. L'armistice 
est expiré, le général Oudinot accorde encore un 
dernier délai de trois heures, à la lin duquel le 
feu doit recommencera Les généraux Vaillant et 
Thiry en sont informés et prennent leurs dispositions. 

* L. DE Gaillard, L'Expédition de RomCy p. aOa. 

* Onicier distingué, destiné à devenir général de brigade. 
Mort il y a quelc[ues années. 

3 a Les batteries n°* 10, ii, iq et i3 reçurent Tordre de se 
tenir prêtes à ouvrir le feu. » (Journal des opérations de 
Fartillerie et du génie. ) 




— 392 — 

En réalité, il n'y avait plus de goavemement à 
Rome ; ni l'Assemblée, ni les nouveaux triumvirs ne 
voulaient assumer la resi>onsabilité d^ouvrir les 
portes au général Oudinot. La municipalité ne cédait 
pas encore aux sollicitations de la plupart des nota- 
bles, quelque secret désir qu elle en eût, craignant 
des scènes de violence contre elle-même de la part 
des redoutables volontaires de Garibaldi. Même poar 
ces derniers, rentrée des Français dans Rome n*était 
plus qu'une question d*beures*. Dans la matinée du 
!i juillet, le condottiere passait une revue des troupes 
de la défense sur la place Saint-Pierre: il les invitait 
à quitter la ville et à le suivre dans la nouvelle cam- 
pagne qu il préparait dans les provinces, les enga- 
geant à garder quand même confiance dans la fortune 
de l'Italie «. 

Garibaldi s*était rendu, ainsi que Roselli, à la 
séance du conseil communal de Rome, il y entendit 
annoncer que le général Oudinot exigeait avant tout 
le licenciement des troupes étrangères'. Le général 
révolutionnaire se déclara pour sa part disposé à 
tout tenter encore pour la continuation de la résis- 
tance, mais il ajouta qu'au point où en étaient les 
choses, ni lui, ni ses compagnons d*armes ne vou- 
laient aggraver la situation de la cité ^. 's:^ 

Le départ de Garibaldi et de ses troupes fut donc 
résolu définitivement ^ 

• Emiano Losvinsox, p. 267. 
^ Kniiano Lœvinsox, p. 368. 

* Garibaldi déclina FolTre que lai fil le consul des Etats- 
ITnis du Nord de s embarquer pour FAmérique avec ses 
comprenons les plus coiuproiuis, sur une corvette mouillée 
dans le iK>rt de Civila-Vecchîa. L^offre ne devait pas être 
prise au sérieux, car Civita-Vecchia était occupée par les 
tri>u|H^s françaises el la côte surveillée par 1 escadre de 
ramin\l Tn^houart. Garibaldi fut donc bien inspiré pour sa 
pn>pre sécurité et celle de ses compagnons de choisir une 
autre directiou. (^Cf. Enuano Lœvixsox, p. a68.) 



_3<)3- 

A quatre heures du soir, la légion de Garibaldi 
quittait sa position d'avant-postes sur le Janicule et 
rentrait dans l'intérieur de la villes 

A ce moment le service de tranchée était pris par 
le général Morris, avec le lieutenant-colonel Du- 
barry, du 68«, comme adjoint. La garde de tranchée 
était fournie par un bataillon du 22« léger, un du 
3a« de ligne, un du 53^ et une compagnie du s® ba- 
taillon de chasseurs. On rendit compte au général 
de tranchée que les troupes garibaldiennes, recon- 
naissables à leurs vêtements rouges, avaient été 
relevées au bastion 9 par les troupes de ligne de 
Tancienne armée pontificale ^. 

L'armée française tout entière frémissait d'impa- 
tience en voyant la prolongation de l'armistice que 
nous accordions. 

Dans les troupes de tranchée, les soldats voulaient 
franchir les dernières défenses de l'enceinte, gardées 
par de rares détachements. Une grande partie de 
la légion Garibaldi, des volontaires lombards et 
plusieurs autres fractions des troupes romaines 
s'étaient rendus vers quatre heures sur la vaste 
place Saint-Jean de Latran, devant la porte de ce 
nom, à l'est de Rome. Garibaldi réunissait ceux qui 
voulaient le suivre. La plupart des assistants, envi- 
ron trois mille hommes, franchirent avec lui la porte 
Saint-Jean de Latran', criant qu'ils reviendraient à 
Rome avant trois mois... illusion de vaincus. Les 



• Ermano Lœvinson, p. 268. 

^ Journal des opérations de l'artillerie et du génie. 

* Le général \ aillant, dans son Journal des opérations, 
place le départ de Garibaldi, par la porte Saint-Jean, au 
% juillet dans la matinée ; Thistorien de la légion Garibaldi 
mentionne ce départ après quatre heures du soir, le a juillet, 
p. !i68. 11 cite en témoignage de nombreux historiens italiens, 
entre autres Vecchi, Spada, etc., et notamment un auteur qui 
a publié récemment un ouvrage : La retraite de Garibaldi en 
J84g, Belluzzi RafTaêle. 



-394- 

uns devaient revenir en prisonniers, dix-huit ans plus 
tard, vaincus de nouveau à Mentana, ramenés au fort 
Saint-Ange sous l'escorte des zouaves pontificaux* 
soldats d'Allet et de Charette, des carabiniers 
suisses et des légionnaires d'Antibes, ce dclache- 
ment de l'armée française enrôlé dans ramiée du 
Pape. 

D'autres devaient revenir aussi encore plus lard, 
vingt et un ans après l'exôde du a juillet, en vain- 
queurs cette fois, derrière Bixio, l'ancien major de la 
légion de Garibaldi, en cette funeste journée du 
su> septembre 1870, dont n'ont pas cessé de s'attrister 
les catholiques du monde en lier 

En attendant, la petite armée du général Oudînot 
montait sa dernière garde de tranchée, la vingt-neu- 
vième, par une de ces nuits délicieuses que rafraîchit 
la brise légère de la campagne romaine, parfois 
chargée des eflluves de la dangereuse malaria, mais 
qui semble si doucement reposante après la chaleur 
d'une journée de juillet. 

Aussi impatient que ses officiers, que ses sapeurs, 
que tous ceux qui l'entouraient, le commandant Fros- 
sard avait pénétré ' avec des hommes du génie et 
une compagnie du 53« dans le bastion 9. Là se trou- 
vait un détachement de vingt chasseurs romains 
commandés par un sergent, qui se retirèrent sans 
combattre. On les laissa partir et la compagnie du 
53^ prit possession du bastion. 

Quand le général Oudinot fut informé de ce coup 
de main si facilement exécuté, il venait de recevoir 
de la municipalité de Rome (consiglio comntanaU) 
une communication l'informant qu'elle se déclarait 
impuissante à traiter d'une capitulation dans les 

* Après avoir demandé et obtenu Tantorisation du jrénéral 
Morris, général de tranchée. 



-393 — 

circonstances poliliques où elle se trouvait, qu'elle se 
soumettait à la force '. 

En conséquence, le général en chef informait le 
général de tranchée Morris que l'entrée des troupes 
était décidée pour le lendemain et qu'il y avait lieu 
de s'emparer immédiatement de la porte San-Pan- 
crazio '. 

Le commandant Frossard est aussitôt chargé de 
celle opération. Il forme une colonne composée d'une 
brigade de sapeurs, d'une compagnie du a" batail- 
lon de chasseurs et de deux compagnies d'élile 
du 53«S lourne la porte San-Pancrazio, abat un 
pont-levis qui isole le bastion 9 du passage de la 
porte et se trouve ainsi devant deux barricades qu'il 
fait déblayer par les sapeurs dn génie. A ce moment 
la colonne est renforcée par une compagnie du 33^*, 
elle descend la via di Pancrazio, pénètre dans le 
Transtevère par la via délie Fornaci et arrive ainsi 
jusqu'au pont Sisto (Sixte-Quint) sur le Tibre. Jusqu'a- 
lors on n'avait rencontré aucun détachement romain. 
Le pont Sisto ét^it défendu par deux barricades, 
occupées par des postes d'infanterie qui se replièrent 
à la vue de la colonne française. Le commandant 
Frossard ût occuper la barricade de tête du pont par 
la compagnie de chasseurs à pied (capitaine Buchot), 
puis il ramena les trois compagnies d'infanterie de 
ligne et ses sapeurs sur la hauteur de San-Pieiro in 
Montorio '. La position est déjà occupée par le lîeute- 



' Journal des opérations de l'artillerie et du génie. 

ï Ibid. 

^ Historiques du a" tMlaiiton de chasseurs & pied et du 
53* de liene. 

' Le général Vaillant ne parle <]ne d'une compatfilie du 'iH' 
(/ournaf des opérations); l'iiistonque du 33' mentionne l'in- 
tervention du 3° bataillon tout entier. Il y avait une autre cou i- 
pagnie avec le lieutenant-colonel Leblanc, c'est ce qui a fait 
sans doute la petite erreur de rhislori(]ue. 

* Journal des opérations de l'artillerie et du génie. 



-396- 

nant-colonel Leblanc, à la tête d'une autre compa- 
gnie du 33'> de ligne. Cet officier supérieur, mis à la 
disposition du général de tranchée par le général 
Vaillant, a au pénétrer aussi dans le Translevère, en 
abattant un pont-levis. Le général Morris a envoyé 
dès dix heures du soir', en soutien des deux recon- 
naissances, un bataillon du ac de ligne avec le 
colonel Marulaz, qui les rejoini à travers les décom- 
bres et fait participer aussitôt ses hommes au travail 
de déblaiement des barricades de la porte San-Pan- 
crazio pour préparer l'entrée des troupes le lende- 
main. Il est minuit*. L'opération dura toute la nuit, 
il fallut démolir labatterie blindée en avant du fossé, 
combler les tranchées qui obstruaient sur ce point 
l'entrée de la ville. A cinq heures du malin, le colo- 
nel Marulaz conduisit son bataillon jusqu'au pont 
Sisto' où il releva la compagnie de chasseurs à pied. 

Deux autres reconnaissances avaient été dirigées 
pendant la nuit : le général de brigade Levaillant 
(Charles), avec deux compagnie du 2* bataillon de 
chasseurs et un bataillon du 66'*, s'était emparé de 
la porte San-Paolo, sur la rive gauche du Tibre, 
pendant que le général de division de Rostolan, avec 
deux autres compagnies du même bataillon de chas- 
seurs et un bataillon du 36<' ° forçait la porte Porlese 
et pénétrait, en franchissant des barricades, jusqu'au 
ponl des Quatro-Capi, en face de l'Aventîn. 

Partout les positions étaient abandonnées par 
l'ennemi qui y avait entassé des monceaux de terre 
de plus de quatre mètres de hauteur. Nos braves 

' I.'ordre fut donné à dix heures du soir. {Historique du 
ao' lie ligne.) 

- Journal des opérations de l'artiUerie et do génie. Le capi- 
tdfrii; Schœnnagel, du génie, lit preuve de beaucoup d'activiié 
ri il'' compétence dans la direction de ces travaux. 

' IliKtorique du ao* de ligne. 

- Journal des opérations de l'artillerie el du génie. 
■' îbid. 



- 397 - 

soldats passèrent le reste de la nuit, comme leurs 
camarades de la colonne Frossard, à déblayer, la 
pioche à la main, mais ils oubliaient leurs fatigues, 
leurs nuits de veilles et de dangers, trois portes de 
Rome étaient déjà forcées pour l'entrée solennelle du 
lendemain ! 



CHAPITRE XX 



L EN'TRKE UK L ARMEE FHANÇiUSB A KOME. 



Dans la matinée du 3 Juillet, un mardi, toutes les 
dispositions avaient été prises par l'étal-majoi' fiuï-- 
rai pour l'entrée dans Rome. A midi, le général de 
division Gueswiller, à la tète de la brigade Sauvan. 
prenait possession de la porte del Popolo et envovait 
un bataillon du i3^ léger jusqu'aux abords de la place 
(i'l-:sprigne. La population se retirait devant nos sol- 
dais, sans manifestation. 

Le général en cher avait fixé l'appivée du délaclic- 
mi-nt principal pour cinq heures du soir. La colonne 
50 forme au camp de la villa Santucci, un peu avant 
i:in({ lieures. En avant-garde le colonel de Noue et 
un (.'st-adron du i" chasseurs à cheval, puis le lieule- 
iiaiil-colonel Leblanc et quatre compagnies du 
génie. le chef de bataillon de Marolles et quatre 
coniiiiigiiies appartenant aux !"■ et a^ bataillons de 
chasseurs à pied'. Vient ensuite le 68« de ligne (le 
colonel de Leyrilz en télé), le drapeau se dresse 
tièi'cmentau milieu du premier bataillon. 

Le général en chef quitte son quartier général et 

' n 1^11 tCte de l'escorte d'honneur marcheot les 5' et S' com- 
pagnies. » (^Historiques des a" et 3° bataillons de chasseurs.) 



— 399 — 

prend sa place dans la colonne, précédant de vingt 
pas les autres officiers généraux. Le duc de Reggio, 
avec ses traits fins et distingués, la moustache grise 
retroussée, garde la tournure svelte et élégante de 
l'ancien colonel de cavalerie. Il monte un superbe 
cheval blanc < qui piafle à la sonnerie des clairons, 
aux roulements des tambouirs battant aux champs. 

Voici maintenant le général de division Vaillant, 
avec sa structure massive, sa physionomie austère, 
moins brillant cavalier, mais s'étant affirmé de nou- 
veau un ingénieur militaire d'une valeur exception- 
nelle, et, à ses côtés, le général Thîry, comman- 
dant de l'artillerie, qui se qualifiait modestement de 
premier auxiliaire du général Vaillant et qui l'a si 
bien secondé. Viennent ensuite les états-majors : 
d'abord celui du général Oudinot, avec le colonel de 
Tinan en tête, le type de l'officier d'état-major à la 
fois actif et réfléchi, le commandant Espivent de la 
Villeboisnet, le conseiller justement écouté du duc 
de Keggio, le commandant de Montesquiou, si 
consciencieux, les capitaines d'état-major Poulie, de 
Gravillon, Casteinau et Osmont et les deux frères du 
général en chef, ses officiers d'ordonnance, l'un 
capitaine d'infanterie, l'autre lieutenant de dragons. 

L'étal-major de l'artillerie a pris place derrière 
le commandant Soleille, celui du génie, après le 
colonel Niel dont on annonce la prochaine nomina- 
tion au grade de général. 

On distingue ensuite la haute silhouette du com- 
mandant de la 2<) division, le général de Uostolan, 
à l'allure sévère comme toujours, suivi de son chef 
d'état-major le commandant Lebrun, le futur et glo- 
rieux défenseur de Bazeilles, et de l'état-major de la 
division. 

* V. Taqiiarelle de RafTet reproduite en gravure par le 
Carnet de la Sabretache. 



— 400 — 

Viennent ensuite le général Levaillant (Charles), 
le 3^' (colonel Boac), le 66' (colonel Chenau): le 
général Chadeysson, le 33" léger (lieuteaant-colonel 
Espînasse), le 53" (colonel d'Autemarre), le ii« ri- 
ment de dragons (colonel de Lachaize). 

M. de Corcellea, envoyé extraordinaire et ministre 
plénipotentiaire, a pris place, en uniforme, ainsique 
deux secrétaires dans une voiture de correcte et 
modeste apparence. Au milieu du cliquetis des armes 
et des bruits de fanfare, les diplomates passent ina- 
perçus. 

C'est cependant le représentant de la France que 
sept régiments vont conduire solennellement aa 
palais Colonna, résidence de l'ambassadeur. La ville 
doit otre traversée presque tout entière en diago- 
iiiile: ce parcours a été choisi pour affirmer nos 
forces militaires et donner à notre drapeau une écla- 
tanlo réparation. 

La colonne suit la via Pertuense et arrive devant 
l'enceinte encore encombrée des débris du bombar- 
dement et des éboulements, mais la route a clé 
frayée et la tète delà colonne franchît la porte Por- 
tese. A la vue des chasseurs, montés sur des chevan'c 
de petite taille mais vifs et fringants, la population se 
rapproche de la haie formée par le 36" de ligne sous 
les ordres du colonel Blanchard. Son altitude n'a rien 
d'hnslile, elle est plutôt respectueuse. 

Les trompettes de cavalerie, qui sonnaient jusqu'à 
l'enci^ntc, se sont tues, les tambours du génie ont battu 
la mai'che, puis les clairons des chasseurs à pied ont 
fail entendre cette sonnerie joyeuse des troupes qui 
se rencontrent : La casquette du père Bugeand, 
culrainante fanfare qui fait palpiter le c<eur des 
vieux Africains. 

La musique du 68< joue un alerte pas redoublé, 
puis un grand silence se fait... 



— 4oi — 

Les tambours du 36^ battent aux champs, les clai- 
rons sonnent, les troupes de haie présentent les 
armes et le général en chef, rendant le salut avec le 
chapeau galonné d'or, frangé de plumes blanches, 
pénètre à son tour dans la ville conquise : 

Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux. 
Reine du monde encor sur un trône en débris, 
Avec une pourpre en lambeaux ^ 

Mais le trône de saiiit Pierre sera relevé, la pourpre 
tapissera de nouveau le dais pontifical, les Transte- 
vérins le comprennent. Ils sont restés les serviteurs 
dévoués de la papauté, et d*ungrand cri de reconnais- 
sance, malgré les brèches de leurs maisons, les bou- 
leversements de leurs jardins, malgré le souvenir 
des boulets homicides, ils acclament les soldats catho- 
liques qui viennent ramener le Pontife bien-aimé*. 

Et les états-majors déQlent et, derrière eux, les 
régiments de la division Rostolan, au son de leurs 
musiques militaires. Les hommes sont bronzés, 
amaigris, mais pleins de vigueur et d'entrain; les 
officiers, dans leur simple et martial uniforme, lèvent 
crânement la tête sous les vivats, sous les applau- 
dissements. Les plus jeunes ne regardent pas sans 
quelque émotion les belles Transtevérines aux 
grands yeux noirs, à la carnation dorée, aux lèvres 
rouges, qui leur prodiguent leiirs sourires les plus 
accueillants ^. 

* Victor Hugo, Odes et Ballades, 

*« Les Transtevérins nous ont témoigné beaucoup de bien- 
veillance. »(M. de Gorcelles à M. de Tocquevillè, ministre des 
affaires étrangères. Rome, /i juillet 1849.) 

« A la porte Portese les Transtevérins ont acclamé 
cordialement notre entrée. «(Gapitained'état-majorVERTRAY, 
Album.) 

' a Les femmes à leurs fenêtres agitaient leurs mouchoirs en 
nous montrant leurs belles dents qui riaient. On eût dit un 
jour de fête. »(CapUaine Vbrtrxy y Album,) 



— 4^Q — 

Enfin dans un fracas de chevaux qui piaffent, de 
fourreaux de sabres qui frappent lesétriers, de trom- 
pettes sonnantes, le régiment de dragons ferme la 
marche. 

Derrière nos cavaliers, la foule se presse, sorlie 
des ruelles, descendue des maisons et criant : « Viva 
la Francia ! Eviva TOudinot * ! » 

L'ovation continue] usqu'au Tibre, au pont Sislo'où 
les honneurs sont rendus au général en chef par une 
compagnie du 2« bataillon des chasseurs à pied et par 
un détachement du génie, mais les acclamations ont 
presque cessé. Derrière les croisées, les habitants 
regardent passer les Français et n'osent pas venir 
leur souhaiter la bienvenue '. 

Le Tibre est franchi : la colonne se dirige sur la place 
Farnèse, l'accueil devient froid, quelquescoups de sif- 
flet se font entendre dans les rues voisines, lepostede 
la garde civique ne sort pas de sa caserne pour rendre 
les honneurs*. La colonne française marche toujours 
afin de ne pas créer un incident, mais le général en 
chef décide aussitôt qu'on désarmera et qu'on licen- 
ciera cette garde civique discourtoise, qui n'a su 
d'ailleurs qu'obéir à l'émeute. La même attitude est 
gardée par le poste de la chancellerie, fourni égale- 
ment par des gardes civiques devant le sombre palais 
où fut assassiné le vertueux Rossi. Il est évident 
qu'il y a un courant d'hostilité dans une partie de la 
population et que les gardes civiques en sont intimi- 
dés. 

Dans les rues étroites, la même impression d ani- 

< Ballbydibr, La Révolution à Rome, t. II, p. qi8.. 

* Oflicier d'élat-major. Précis^ p. 82. 

' Balleydier, La névolution à Rome^ t. II, p. 219. 

^ Balleydier parle du poste de la place Borghèse, mais la 
colonne française passa d'abord sur la place Farnèse où il y 
avait le quartier de la garde civique (v. Ermano Lœvinsox, 
Garibaldi e la suale^ione, p. 217) et c'est là d'abord que le 
poste ne voulut pas rendre les honneurs. 



— 4o3 — 

mosité se retrouve. A chaque carrefour, des groupes à 
l'air mécontent se reculent en murmurant. La colonne 
atteint la place Borghèse, la traverse et se dirige vers 
le Corso; elle fait « tête de colonne à droite » au 
coin de la rue delCondotti. Des coups de sifflet reten- 
tissent et cependant le Corso est solitaire. Portes et 
fenêtres semblent closes... Les derniers partisans de 
la révolution ont parcouru ce quartier riche et élé- 
gant et ont obligé les habitants à fermer les ouver- 
tures de leurs maisons, les menaçant de terribles 
vengeances s*ils acclamaient ce les Barbares », si même 
ils leur adressaient la parole *. 

Soudain, à Tangle de la place San-Lorenzo et de la 
rue Converlile qui conduit à la place San-Silvestro, 
les sifflets se renouvellent, avec des vociférations 
dans lesquelles on distingue : Abbasso il Papa! 
Abbasso lipreti! Gin li Francessi^l Viça larepublica 
romana! Sans daigner leur répondre, la colonne 
garde toujours son allure alerte et fière, les musi- 
ques alternent avec les tambours et les clairons ; 
les rythmes joyeux couvrent les haineuses injures. 
Toutefois la patience n'est pas ordinairement une 
vertu militaire et lorsque le Sa®, ayant à sa tête le 
général Levaillant (Charles), défile devant le café des 
Beaux- Arts où se réunissent les chefs du parti révolu- 
tionnaire, nos officiers voient avec stupeur un énorme 

> a Pendant ce temps (rentrée de nos troupes dans le 
Transtevère) des manirestations d'un autre genre se prépa- 
rent au Corso, des hommes à figures sinistres, le pistolet au 
poing, parcourent cette rue dans toute sa longueur, ils font 
fermer les portes et les fenêtres, ils crient : « Malheur à tous 
ceux qui regarderont passer les Barbares, mort à qui leur 
adressera la parole ! C'est par le silence de la tombe que les 
Romains doivent recevoir leurs oppresseurs. »(Ballbydirr, 
La Révolution à Rome, t. II, p. siS-aip.) 

« Le quartier du Corso a été froid, Faction des clubs et des 
étrangers s'y exerçait. »(M. de Corcelles à M. deTocqueville, 
ministre des affaires étranjçères. Rome, 4 juillet 1849.) 

2 « A bas le pape l A bas les prêtres ! Dehors les Français ! » 
(Capitaine d'état-major Vertray, Album.) 



-4o4- 

drapeau tricolore italien, surmonté d'ua bonnet 
rouge, pavoisant une des fenêtres de telle façOD qu'il 
va frdler le nôtre, celui du 33*! 

C'en est trop : le général Levaillant montre le dra- 
peau de la pointe de son épée à la compagnie de 
voltigeurs qui est en tête du régiraent; sur l'ordre àa 
capitaine, trois soldats se détachent et, adroits eo 
gymnastique comme tous les voltigeurs, ils grimpent 
au balcon, détaclient le lourd pavillon et le coucbenl 
dédaigneusement derrière la balustrade; d'un bond 
léger, ils sautent dans la rue et regagnent en riant 
les rangs de leur compagnie. Leurs camarades ont 
suivi cette petite opération avec une satisfaction 
qui n'a d'égale que la colère des démagogues éche- 
lonnés autour du café. 

C'est alors que le général en chef, les officiers 
généraux qui l'accompagnent et les états-majors arri- 
vent sur la place Colonna. Là, devant la colonne 
dédiée à Marc-Aurèle, un groupe nombreux affecte 
une attitude d'arrogante provocation. Pour l'accen- 
tuer, Cernuschi, le président de la commission des 
barricades,agitele drapeau révolutionnaire, en regar- 
dant le duc de Reggio. Celte bravade est soutenue 
par les cris injurieux qui avaient été déjà proféras • 
à l'entrée du Corso. Le général Oudinot ne se con- 
tient plus: comme au temps où il servait dans t'élat- 
major de Masséna, il met sabre au clair, enlève son 
ciieval d'un coup d'éperon et charge le groupe 
imprudent qui ose manquer de respect à notre 
armée. Le colonel de Tînan, le commandant Espi- 
vcnt de la Villeboîsnet, tous les oDlciers de l'élat- 
niiijor du général en chef ont suivi son exemple. 
CiM-uuschi et ses amis s'enfuient aussitôt dans nn 
cal'é voisin, le café Nuovo, mais ils y sont poursuivis 
par le général Levaillant (Charles), par l'aide de camp 
du général, le capitaine Fèvre, et par l'oflicler d'or- 



— 4o5 — 

donnance, M. Christophe, lieutenant au 66« *. Tous 
trois sont entrés à cheval dans le café, et à coups de 
plat de sabre ils corrigent les révolutionnaires éper- 
dus, qui demandent grâce'. Le général s*en tient 
à ce léger châtiment et rejoint le i^^ bataillon du 
3a« qui de son côté a dispersé sur un autre point 
de la place, des groupes hostiles \ 

Dès lors, il n'y eut plus ni cris ni sifflets et la 
colonne continua sa marche dans le Corso sans inci- 
dent, jusqu à la place des Saints-Apôtres où se trouvait 
l'ambassade de France, installée au palais Colonna. 

Il était six heures, les troupes formèrent le carré, 
le général en chef descendit de cheval pour recevoir 
M. de Corcelles, qui, tout en suivant nos colonnes, 
avait observé lui-même la population. Les troupes 
délitèrent une dernière fois sur la vaste place qu'orne 
le palais construit au quinzième siècle par le pape 
Martin Y. L'ambassade de France se transformait 
pour une nuit seulement en quartier général. 

C'était notre ministre qui donnait maintenant 
riiospitalité au duc de Reggio, avec lequel il restait 
d'ailleurs en pleine sympathie. Les troupes regagnè- 
rent les cantonnements qui leur étaient affectés, des 
couvents pour la plupart. Plusieurs régiments durent 
cependant camper sur les places publiques, en atten- 
dant qu'une partie des casernes occupées par l'armée 
romaine eussent été évacuées*. Pendant le trajet, 

* « L'escorte du général Oudinot met le sabre à la main et 
dissipe rémeute organisée sur la place Colonna.» (Capitaine 
d'état-major Vertray, Album.) 

« Le général Oudinot a fort énergiquement réprimé ce petit 
tapage dont il ne faut pas exagérer la portée. » (M. de Cor- 
celles à M. de Tocqueville. Rome, 4 juillet 1849.) 

^ Balleydier, La Révolution à Rome, p. 220. 

3 a Quelques-uns des meneurs du parti vaincu voulurent 
essayer d'ameuter la population, on les eut bientôt dispersés 
à coups de crosse de fusil. » (Ofticier d'état-major. Précis, 
p. 83.) 

* Capitaine Vertray, Album. 



i 



— 406 — 

aucune injure, aucun outrage ne fut adressé à nos sol- 
dats même de loin, on sentait si bien qu'ils se seraient 
fait justice eux-mêmes... M. de Corcelles avaitétédrli- 
vrer quelques prisonniers politiques '. La mission tili^ 
Patrice de la France se révélait ainsi dès la première 
heure. 

Le soir même, le général en chef faisait afGcher la 
proclamation suivante : 

a Habitants de Rome! L'armée envoyée par la 
République française sur votre territoire a pourmis* 
sion de rétablir l'ordre réclamé par le vœu des popu- 
Inlions. Une minorité factieuse ou égarée nous acon* 
traints adonner l'assaut à vos remparts. Nous sommes 
maîtres de la place, nous accomplirons notre 
mission. 

n Au milieu des témoignages de sympathiequi noas 
ont accueillis, là surtout où les sentiments du vrai 
peuple romain n'étaient pas contestables, quelques 
clameurs hostiles se sont fait entendre et nous ont 
forcés à une répression immédiate. Que les gens de 
bien et les vrais amis de la liberté reprennent con- 
tiance; que les ennemis de l'ordre et de la société 
sachent que si des manifestations oppressives, provo- 
quées par une faction étrangère, se renouvelaienl, 
elles seraient rigoureusement punies. Pour donnera 
la sécurité publique des garanties positives, j'arrête 
les dispositions suivantes : 

« Provisoirement tous les pouvoirs sont concentrés 

' u l'endant le dédié, j'ai proposé au général Oudinot d'atler 
ili'li^ nr les personnes politiques. Le général m'a fait accoia- 
[i^i^-m r par trois gendarmes français et je me suis trèsai^é- 
iiii'iii ^(.'quitté de ma mission. J'ai fait délivrer des malheu- 
M'u\ qui llguraient sur les resistres de la prison ponrdélit 
irii<llii'sion aux Français et relus de construire les tmrricades. 
Lr iiii't Saint-Ange, occupé par les troupes de la Conïli- 
iii^iiii< .est à deux pas et on napas hésité à m'utiéir. B(H.de 
Cil iK Iles à M. de TocquevUle. Rome, 4 juillet 1849) 



— 4o7 — 

entre les mainsde raatorîté militaire, elle fera immé- 
diatement appel an concours de Tantorité municipale. 
L'Assemblée, le gouvernement dont le règne violent 
et oppressif a conmiencé par Fingratitude et a fini 
par un appel impie à la guerre contre une nation 
amie des populations romaines, cessent d'exister. Les 
clubs et les associations politiques sont fermés. 
Toute publication par la voie de la presse, toute 
affiche non autorisée par le pouvoir militaire, sont 
provisoirement interdites. Les délits contre les per- 
sonnes et les propriétés sont justiciables des tribu- 
naux militaires. Le général de division de Rostolan 
est nommé gouverneur de Rome, le général de bri- 
gade Sauvan est nommé commandant de la place, 
le colonnel Sol est nommé major de place. 

€ Le Général commandant en chef, 

« OUDINOT DE ReGOIO. 

« Rome 3 juillet 1849. » 



CHAPITRE XXI 



A LA POURSUITE DE GARIBALDI. tA PACIFICATION A 

KOME. — RESTAURATION SOLENKELLE DU GOUVEBNE- 
aiENT PONTIFICAI.. 



Qu'étaient devenus Garibaldi et les trois mille 
volontaires qui raccompagnaient? Le condottiere et 
sa bande avaient été d'abord signalés dans la direc- 
tion du nord-est, mais ils semblaient s'élre dirigés 
plus à l'est; retournaient-ils au théâtre de leurs 
anciens exploits, à Frascati, à Tivoli ou à Velletri, ou 
gagneraient-ils les montagnes d'Albano si Tavorables 
à la guerre de partisans? 

Cette dernière éventualité préoccupait ajuste litre 
le duc de Reggio. Aussi, dans la soirée même du 
3 juillet, quelques heures après l'entrée des troupes, 
ordonna-t-il au général Regnaud de Saint-Jean- 
d'Angély de se mettre avec toute sa division à 
la |ioiirsuite de Garibaldi. Le commandant de la 
I" division reçut donc au milieu de la nuit l'ordre 
de réunir ses troupes, composées de la brigade 
d'infanterie du général MolIière(i™ bataillon de chas- 
seurs. ij«, 20= et 33« de ligne), et de la brigade de 
t-avalerie du général Morris (i*' chasseurs à cheval, 
II* dragons). 



— 4<^9 — 

Le général en chef lui prescrivit d'attendre sa 
batterie d'artillerie qui, depuis le commencement du 
siège, avait été mise à la disposition du général Tlûry . 
Cette batterie, alors au camp deSan-Carlo, n'était pas 
indispensable contre les bandes de Garibaldi totale- 
ment démunies d'artillerie et l'obligation de l'attendre 
où se trouva le général Regnaud d'Angély retarda de 
plusieurs heures le départ de la i^^ division *. Les 
ordres écrits du duc de Reggio 'n'indiquaient pas 
nettement une direction : « Nous ne voulons pas le 
poursuivre à outrance, notre intention n'est pas 
d'avoir des cantonnements qui dépassent de plus 
d'une lieue Albano. Quand Garibaldi aura dépassé 
cette limite, nous n'aurons guère à nous occuper de lui 
que pour nous en préserver *. » 

Le général en chef, tout en recommandant au général 
Regnaud d'Angély de ne pas s'éloigner au delà de 
cette limite, lui en donnait cependant l'autorisation 
dans le cas de circonstances exceptionnelles. Il ajou- 
tait que les troupes romaines régulières allaient 
incessamment quitter Rome pour tenir garnison en 
province. Peut-être se débanderont-elles et offriront- 
elles a quelquefois l'exemple de troupes irrégulières » . 
Dans ce cas, la i^® division aurait à préserver les 
habitants de « leur vagabondage ». Il conviendrait 
alors de disséminer ces troupes et de s'emparer de 
leurs armes. 



* Général Oudinot au général Regnaud d'Angély. Rome, 
4 jaillet, deux heures et demie du matin. 

ce J'écris, mon cher général, au général Thiry pour Tinviler 
à rendre aussitôt que possible en votre faveur la batterie qui 
appartient à la i^ division. » (Lettredn [général en cheî,Papiers 
du général deTinan). — « J ai dû croire que cette artillerie 
serait nécessaire puisque vous m'enjoigniez si formellement 
de la redemander au général Thiry. » (Le général Regnaud 
d'Angély au général en chef. Rome, lo juillet. — Papiers du 
général de Tman.) 

> Ibid. 



— 4i<^ — 

Un post-scriptum ainsi conçu terminait les instrac- 
Uons : 

ce Dans le cas où vous apprendriez avec certitude 
que Garibaldi ne s'est pas dirigé sur Albano, il faudrait 
vous mettre à sa poursuite du côté où vous auriez la 
certitude de la marche, mais toujours en restant dans 
le rayon qui vient d'être tracé. Les troupes romaines 
régulières doiventoccuperMariano, Tivoli Albano'. » 

La division^ munie de son artillerie, ne put se 
mettre en route que dans la matinée. Après une étape 
de huit lieues, des plus fatigantes en raison de la 
chaleur, elle campa dans la soirée autour de Marine ^ 
petite ville assez importante sur un plateau. Là le 
général de division apprit que Garibaldi et ses parti- 
sans avaient déjà traversé Albano et pris la direction 
de Tivoli. Ses ordres furent aussitôt donnés pour 
partir, pendant la nuit, dans cette direction, dont on 
était séparé par deux étapes. 

Le lendemain la colonne atteignait à dix heures du 
matin Frascati ', la jolie ville située au bas des monts 
Albains, avec son cirque de maisons de campagne. 
Nos soldats purent y cantonner dans d'agréables con- 
ditions. La population leur faisait le meilleur accueil. 

Le général Regnaud d'Angély reçoit de nouvelles 
instructions du général en chef, qui confirment les 
renseignements de son divisionnaire sur la marche de 
Garibaldi. Ce dernier parait difficile à atteindre S la 
colonne expéditionnaire a donc surtout pour mission 
de rassurer les populations <( et de leur donner une 
haute idée de ses habitudes d'ordre et de discipline'». 

* Général Oudinot au général Regnaud d'Angély. Rome, le 
4 juillet. (Papiers du général de Tinan.) 

* Historiques du 20« et du 33* de ligne. 
^ Historique du 20* de ligne. 

^ « Je suis bien certain maintenant que ce chef de partisans 
n*osera vous attendre nulle part. » (Général Oudinot au géné- 
ral Regnaud d'Angély. Rome, 5 juillet 1849- — Papiers Tiuan.) 

^ Ibid. 



-411 - 

Le duc de Reggio manifeste Tintention d'occuper 
d'une manière permanente Albano, Tivoli et Fras- 
eati, mais il doit subordonner la force de ces garni- 
sons à l'obligation de garder à Rome des troupes 
considérables et à la nécessité d'envoyer le plus tôt 
possible une colonne mobile sur les routes d'Ancône 
et de Florence*. 

On signalait dans cette région une grande efferves- 
cence, il était bon aussi de montrer nos troupes aux 
Autrichiens. En conséquence, le ducde Reggio récla- 
mait la brigade de cavalerie, sauf un escadron, pour 
confier le commandement de la nouvelle colonne au 
général Morris *. La cavalerie repartit donc pour Rome 
dans la matinée du 6 juillet. Le soir du même jour, 
la colonne Regnaud d'Angély réduite à la brigade 
d'infanterie MoUière, à un escadron de chasseurs età 
la batterie d'artillerie divisionnaire, couchait à Fium- 
cino Passano'. Le lendemain 7 juillet, elle repartait 
pour Tivoli, la ville des jardins d'oliviers, des cas- 
cades et des grottes merveilleuses, elle y séjourna 
le 8 juillet et revint le 9 à Frascati*, à l'exception du 
33« (colonel Bouat) qui resta à Tivoli, sous les ordres 
directs du général Mollière. Le 20® de ligne (colonel 
Marulaz) y fut établi en cantonnement dans la déli- 
cieuse villa Sora. 

Le général Regnaud d'Angély, ayant acquis la cer- 
titude que Garibaldi avait gagné Subiaco ^ et, delà, les 
montagnes des Abruzzes où il devenait insaisissable, 

* Général Oudînot au général Regnaud d'Angély. ( Papiers 
du ffénéral deTinan.) 

' Le général en chef prescrivait au général Regnaud d*An- 

Sély d'établir des postes de correspondance, avec Tes cavalier^ 
e son escadron divisionnaire, pour entretenir a plusieurs fois 
par jour » des relations avec le grand quartier général. (Géné- 
ral Oudinot au général Regnaud d Angély. — Papiers dn 
général deTinan.) 
3 Historique du ao® de ligne. 

* Ibid. 

^ Subiaco est à cinquante kilomètres de Rome. 



— 4^2 — 

envoya le ly* de ligne (colonel Sonnet) tenir garnison 
à Albano, afin de rassurer la population très impres- 
sionnable, qui redoutait l'arrivée des troupes romaines. 
Il rentra à Rome le 9 juillet, ramenant le i^^ bataillon 
de chasseurs à pied \ l'escadron de chasseurs à cheval 
et la batterie d'artillerie. 

L'avant- veille, 7 juillet, le général Morris était parti 
avec trois escadrons de cavalerie (un de chasseurs, 
deux de dragons), une compagnie du 2« bataillon de 
chasseurs à pied* et un bataillon du 5o« de ligne'. 
Un bruit, nullement fondé d'ailleurs, avait couru que 
Garibaldi menaçait Civila-Yecchia, et au lieu de se 
diriger du côté des lignes autrichiennes, la colonne 
Morris avait suivi la route du littoral jusqu'à Corneto. 
l'ancienne Tarquinies, à trois lieues au nord de Civita- 
Vecchia, puis à Viterbe, la ville montagneuse, aux 
rues étroites et sombres qui garde les tombeaux de 
sainte Rose et de cinq papes. 

Des désordres ayant été signalés à Yalentano, à 
deux étapes au nord-ouest de Viterbe, le général 
Morris y avait envoyé une compagnie de chasseurs à 
pied. Le capitaine Courrech, qui la commandait, fit 
preuve de beaucoup d'énergie, arrêtant les factieux 
et rassurant les autorités*. 

De Viterbe, le général Morris se rendit à Civita- 
Castellana, près des ruines de Paieries. 11 rentrait 
ensuite à Viterbe, repartait en toute hâte pour Orvielo 
où Garibaldi était enfin signalé, mais le condottiere 
devait échapper encore par San-Lorenzo, Aquapen- 
dente et enfin par la Toscane, d'où il gagna Saint- 
Marin ^ 

En résumé, la colonne Morris niavait pas eu plus 

* Historique du i'^'' bataillon de chassears à pied. 
< Historique du a^ bataillon de chasseurs à pied. 
3 Historique du 5o<^ de ligne. 

^ Historique du a® bataillon de chassears à pied. 

• Historique du 5o® de ligne. 



— 4i3 — 

de succès que celle du général Regnaud d'Angély, au 
point de vue de la poursuite de Garibaldi \ mais ces 
deux colonnes avaient contribué à rassurer les popu- 
lations et à leur montrer que le corps expéditionnaire 
français était réellement maître de Rome et de ses 
environs. 

Si dans les provinces nos soldats étaient presque 
toujours accueillis, sinon en libérateurs, du moins en 
amis', il n'en était pas de même à Rome. 

Le lendemain môme de l'occupation, le général en 
chef avait adressé aux troupes Tordre du jour sui- 
vant : 

(c Soldats, 
« L'armée française occupe la ville de Rome, la 
division d'avant-garde poursuit le corps qui, sous les 
ordres de Garibaldi, répand la terreur au milieu des 

* Il faut lire sar la retraite de Garibaldi (de Rome à Saint- 
Marin) l'oavrage de M. Belluzzi RaiTaêle : La ritirata di 
Garibaldi da Roma nel i849- — Rome, 1899. Biblioteca del 
risorgimento italiana. 

Garibaldi faisait observer à ses troupes les précautions 
d*un service en campagne très minutieux et très ingénieux 
(avant-postes de cavsLlerie, patrouilles, postes de vigie, 
départ de Tarrière-garde toujours tardif pour masquer celui 
du çros de la colonne, envoi de compagnies de partisans sur 
dilTerentes routes afin de tromper Tennemi sur la réalité de 
ses effectifs). Ces dispositions militaires lui servirent surtout 
à l'égard des troupes autrichiennes et un ollicier de cette 
armée a rendu sur ce point un hommage peu suspect au 
condottiere. (Général n. Bernard, Traite de tactique, t. V, 
p. 558 etsuiv.) 

* Nous avons eu entre les mains, dans les Papiers du 
général de Tinan» une lettre du général Morris, écrite de 
Viterbe, le 10 juillet, pleine d'humour: « ... Nous avons un 
hôpital superbe... Les casernes superbes chez les moines, 
avec cuisine, réfectoires, prisons cellulaires, salles de police, 
etc. Les chevaux jusqu'au ventre dans la paille; tout va bien* 

a Après-demain, je serai à Civita-Castellana, je demande 
an général en chef trois escadrons de chasseurs. Avec eux et 
mes intelligences dans le pays, farcpince Garibaldi... Toutes 
les femmes nous font Toeil, le pays est très sain. » 



_4i4- 

populations des campagnes. Les troupes régulières 
romaines vont prendre les cantonnements que je leur 
ai jassîgnés. Déjà vous êtes fortement établis dans 
Rome. 

« Depuis plus de deux mois, vous avez donné l'in- 
euBikUl exemple de toutes les vertus militaires, restez 
fidèles A vous-mêmes et bientôt les injustes préven- 
tions qui ont pos' élever contre vous se changeront en 
sympathies. J'en ai pour garant votre respect habi- 
tuel pour l'ordre et la discipUoe. 

ff Le Général commandaiU en chej, 

« OUDINOT DE ReooIO'- 

« Au quartier (ifénéral à Rome, le 4 juillet 18^9. » 

Les membres de l'Assemblée constituante continuè- 
rent à se réunir au Capitole, un bataillon du i3« léger, 
sous les ordres du colonel de Lamarre vint disperser 
la réunion. Le représentant Quirico Filipecuti rédi- 
gea une véhémente proleslation dont s'inquiétèrent 
médiocrement les militaires du i3" léger. Les pories 
furent fermées et un poste fut établi à la porte du 
palais pour en maintenir... la clôture. 

Cet incident que tout le monde aurait pu prévoir 
parait avoir surexcité la colère populaire. Le soir 
même plusieurs altacgues se produisaient, les unes 
contre des prêtres qui avaient guidé nos soldats dans 
la ville, d'autres contre des Français isolés et surtout 
contre des officiers '. 

Des mesures de répression furent aussitôt prises: 
la ffcndarmerie ferma plusieurs établissements signa- 
lés l'omme servant de lieu de réunion aux révolu- 
tiuiiiiaires', les habitants furent. invités, sous peine 

' llixloriqiie du 88' de ligne (ancien i3' léger). 
- li\L[,EVi>iKii La Révolution à Home. 
' NiilataiDCQt le calé des Beaux-.\pts. (Cafie delle BelleArii, 
su! Curso.) 



— 4i5 — 

d'emprisonnement, à consigner dans les vingt-quatre 
heures toutes les armes qui se trouvaient en leur 
possession. On les prévint que, passé ce délai, des 
perquisitions seraient faites. Le résultat ne se fît pas 
attendre : trente-cinq mille fusils furent déposés au 
château Saint-Ange. 

Le nouveau gouverneur, le général de Rostolan, 
était tout disposé aux mesures les plus énergiques. 
La population romaine put s'en convaincre dès le 
5 juillet en voyant afficher sur ses murs la proclama- 
tion suivante : 

« Habitants de Rome! 

a Le général commandant en chef l'armée française 
m'a nommé gouverneur de votre cité. J'accepte ce 
poste avec l'intention précise de seconder énergique- 
ment avec tous les moyens concentrés dans mes mains 
les mesures déjà prises par le général en chef afîn 
d'assurer votre tranquillité et de protéger vos per- 
sonnes ainsi que vos propriétés. Je prends les 
dispositions suivantes : 

« i® Tout attroupement sur la voie publique est 
interdit et sera immédiatement dissous par la force; 

<ca<> La retraite auralieuà neuf heures. La circulation 
dans la ville cessera à neuf heures et demie. A cette 
heure tous les lieux de réunion seront fermés; 

«S^Les cercles politiques, qui n'ont pas été fermés, 
malgré la proclamation du général en chef, le seront 
par la force et les propriétaires et les chefs des lieux 
où existent ces réunions seront poursuivis avec 
rigueur; 

« 4° Toute violence, toute insulte contre nos soldats 
ou toutes les personnes qui ont eu avec eux quelque 
rapport amical, tout empêchement apporté «^ Tappro- 
visionnement seront immédiatement punis d'une 
manière exemplaire: 



— 4i6 — 

c(5<> Les fonctionnaires publics et les médecins pou^ 
ronl circuler librement dans la ville, ils devront 
cependant être munis d'un laissez-passer signé par 
Tautorité militaire et ils se feront accompagner de 
poste en poste jusqu'aux endroits où ils devront se 
rendre. 

<c Habitants de Rome, vous voulez Tordre, je saurai 
vous le garantir. Ceux qui songeraient à prolonf^er 
votre oppression trouveraient en moi une sévérité 
inflexible. 

« Le Général de diiHsion^ goui^erneur de Rome, 

« De Rostolan. 
a Rome, le 5 juillet i8{9. b 

Pendant la journée et surtout pendant la soirée et 
pendant la nuit, des patrouilles de gendarmerie, 
d'infanterie et de cavalerie parcouraient la ville, arrê- 
tant ou poursuivant tous les individus suspects '. 

M. de Corcelles restait chargé de la direction poli- 
tique et par conséquent de la réorganisation admi- 
nistrative de la capitale; il s'était adjoint M. de Ray- 
neval, qui, comme lui, avait déjà résidé à Rome et 
connaissait bien cette population mobile, facile à ras- 
surer comme à inquiéter. Grâce au dévouement d'un 
employé subalterne de la secrétairerie d'Ëtat de Tinlt- 
rieur, M. Moreschi Tlieresîano, on put retrouver un 
grand nombre des fonctionnaires qu'avait chassés la 
Révolution et les replacer dans leurs anciens postes. 

* Le 5 juillet, à 9 heures du soir, le général de Rostolan diri- 
gea lui-mcme les plus fortes patrouilles. Des jeunes gens, qui 
sifllaient insolemment, furent surpris, chargés et malmené*^ 
par un piquet de dragons. La leçon était dure mais mérilée. 
aussi les sitnets devmrent-ils très rares. Les révolutionnai- 
res y suppléèrent par des affiches, craintivement apposées la 
nuit, où le générai Oudinot et le gouverneur étaient grossie 
rement insultés. (Balleyoier, t. Il, p. 39a.) Onlit des rondes 
de gendarmes en bourgeois, qui arrêtèrent quelques-aiis 
des afficheurs. Les affiches devinrent aussi rares que les sif- 
flets. 



— 4i7 — 

Ainsi se réorganisèrent, malgré l'hostilité du conseil 
communal, les services publics les plus importants, 
dont M. de Corcelles décida également le remplace- 
ment par les Capi di rione, les chefs de quartier, qui 
étaient en fonctions avant le i6 novembre 1848*. Le 
prince Pierre Odescalchi accepta la mission de 
former une commission municipale, composée de 
MM. Bianchini, Carpi, Ralli, Scaramuchi, Tavani, 
Capranira, Belli qui seconda de son mieux les autori- 
tés françaises. Au milieu de la satisfaction bien légi- 
time d'un grand succès militaire, le général Oudinot 
éprouva une vive amertume, en apprenant que 
son lidèle aide de camp, le commandant Espivent de 
la Villeboisnet, envoyé à Paris le soir même de 
l'occupation de Rome, avait rencontré, en débarquant 
à Marseille, le successeur que venait de lui donner le 
gouvernement, nomination qu'infirmait d'ailleurs la 
nouvelle de l'entrée triomphale de nos troupes à 
Rome *. 

Le ministre des affaires étrangères, inquiet des 
lenteurs du siège, mécontent de ce que le général 
Vaillant ne voulait pas faire usage de sa lettre de 
service, avait obtenu du prince président le remplace- 
ment du général Oudinot par le général Bedeau. 
Cette mesure injuste était heureusement trop tardive 
et le général Bedeau, qui appréciait et estimait le 
duc de Reggio, déclara lui-même au commandant 
Espivent que sa mission était désormais sans objets 

' L. DE Gaillard, VExpédition de Rome, p. 264. 

' Communication de M. le g^énéral Espivent de la Villebois- 
net. 

' Quelques jours plus tard, le Moniteur, dans son numéro 
dn la juillet, publiait cet entreAlet : « M. le général de divi- 
sion Bedeau est arrivé à Paris. La mission politique que cet 
officier général devait remplir auprès de M. le commandant 
en chef du corps de la Méditerranée devenait sans objet par 
suite de l'occupation par nos troupes de la ville de Rome, x) 
En réalité, le général Bedeau avait été désij^né pour rempla- 
cer purement et simplement le général Oudinot. 

27 



— 4i8 — 

L'impression pénible que ressentit le général Oudi- 
not fut bientôt dissipée par le retour du colonel Nîel 
qu'il avait envoyé à Gaète auprès du Saint-Père, pour 
remettre à Pie JX, avec une lettre annonçant la ces- 
sation des hostilités, les clés de Rome, pieux hom- 
mage d'une armée catholique. Le Souverain Pontife 
avait reçu avec attendrissement l'envoyé de l'armée 
française. « La France ne m'avait rien promis, s'écria 
Pie IX, c'est cependant sur elle que j'ai toujours 
compté. Je sentais qu'au moment opportun, la France 
donnerait à l'Église ses trésors, son sang et ce qai 
est peut-être plus difficile pour ses valeureux fils, ce 
courage contenu, cette patience persévérante à qui je 
suis redevable qu'on ait conservé intacte ma ville de 
Rome, ce trésor du monde, cette cité si aimée, si 
éprouvée, vers laquelle pendant l'exil mon cœur et 
mes regards pleins d'angoisse furent toujours tour- 
nés ^ x> 

Le colonel Niel, après avoir reçu des marques pré- 
cieuses de la bienveillance du Saint-Père *, fut charirr 
de remettre au duc de Reggio la lettre qui suit el (|iiî 
était pour le général en chef et pour son armée ane 
glorieuse et douce récompense : 

« Monsieur le Général, 
« La valeur bien connue des armes françaises, 
soutenues par la justice de la cause qu'elles défen- 
daient a recueilli le fruit de telles armes : la victoire. 
Acceptez, Monsieur le Général, mes félicitations ponr 
la part principale qui vous est due dans cet évé- 
nement, félicitations non pas pour le sang répandu, 
ce que mon cœur abhorre, mais pour le triomphe de 

* L. DE Gaillard, L'Expédition de Rome, p. !i35. 

* Le Saint-Père remit au chef d*état-major du génie le bre- 
vet et les insignes de commandeur de Tordre pontifical de 
Saint-Grég^oire-le-Grand. Il eut la bonté d'y joinore un chape- 
let d*un grand prix pour M"** Niel. 



— 4i9 — 

Tordre sur l'anarchie, pour la liberté rendue aux per- 
sonnes chrétiennement honnêtes, pour lesquelles ce 
ne sera plus un délit de jouir des biens que Dieu leur 
a départis et de l'adorer avec la pompe religieuse du 
culte, sans courir le danger de perdre la vie ou la 
liberté. Sur les graves difficultés qui pourront se pré- 
senter par la suite, je me confie dans la protection 
divine. Je croîs qu'il ne sera pas inutile à Tannée 
française de connaître Thistoire des événements qui 
se sont succédé pendant mon pontificat. Ils sont 
relatés dans mon allocution dont vous avez connais- 
sance. Monsieur le Général, mais dont je vous remets 
néanmoins un certain nombre d'exemplaires, pour 
qu'elle puisse être communiquée à ceux auxquels 
vous jugerez utile de la faire connaître. 

«c Cette pièce prouvera suffisamment que le triom- 
phe de Tarmée est remporté sur les ennemis de la 
société humaine et votre triomphe devra par cela 
même éveiller des sentiments de gratitude dans tout 
ce qu'il y a d'hommes honnêtes dans TEurope et dans 
le monde entier. 

<c Le colonel Niel qui, avec votre dépêche très 
honorée, m'a présenté les clefs de Rome, vous remet- 
tra la présente. C'est avec beaucoup de satisfaction 
que je profite de cet intermédiaire pour vous exprimer 
mes sentiments d'affection paternelle et l'assurance 
des prières quç j'adresse continuellement au Seigneur 
pour vous, pour Tarmée française, pour le gouverne- 
ment et pour toute la France. 

« Recevez la bénédiction apostolique que je vous 
donne de cœur. 

« Plus P. P. IX*. 
a Donné à Gaète le 5 juillet 1849. ^ 

* L. DB Gaillard, p. 271-272. Pièce jastificative. 



— /^no — 

Conformément aux ordres du duc de Ref^o, le 
colonel Niel avait remis au roi de Naples une lettre 
qui l'informait de l'occupation de Rome. Le roi ayant 
quitté Gaète pour rentrer à Naples, le chef d'étal- 
major du génie se rendit dans la capitale des Deux- 
Siciles aSn d'y remplir sa mission. Après avoir reçu 
le meilleur accueil du roi Ferdinand, il repartit pour 
Rome où il arriva dans la soirée du 7 juillet. 

Par arrêté du général en ciief, les troupes régulières 
qui avaient fait leur soumission' avaient été placées 
sous l'autorité du général de brigade Levaillant (Jean). 
Cet olfîcier général était assisté dans cette mission 
par les lieutenants-colonels de Ponlcvès, du iS^ I^er. 
clief d'état-major et commandant en second pour 
rinfanterie'. Boyer, du i" cliasseurs à cheval, pour 
la cavalerie et Devaux, pour l'artillerie, et du sous- 
intendant Pages, pour les services administratifs. Le 
chef d'escadron d'état-major Casietnau* était nommé 
directeur provisoire de l'administration de la guerre 
et de la marine en remplacement du général Thore*. 

Les généraux romains, un certain nombre d' officiers 
d'artillerie, presque tous les officiers do génie et les 
olliciers des corps volontaires aflectaient de ne pas 
avoir de relations avec les autorités militaires fraii- 
çaises. ils laissaient leurs troupes dans les casernes 
ou les bâtiments qu'ils avaient réquisitionnés, alors 
qu'une partie de nos troupes campaient encore sur 
dee places publiques. Le général Roselli les encou> 
rafreatt dans cette attitude. Le duc de Re^io. le fai- 
sant venir à son quartier général dans la soirée du 

' Les cheta de corps des carabiniers, des deux rê^nirots { 
•U' ilrtigons et des trois premiers réjtiments de lijfoe vinrent 
l'iilri' li!ur soumission les premiers, amsî qu'un capitaine coiu- 
iii;inrlnnt une batterie suisse. 

Ilntorique du 88* de ligne (ancien iS" léger). 

' il'Ceniment promu. 

' l'uiit dévoué an gouveroement révoluUomutire. 



5 juillet, Tavait averti que lui-même et tous ses 
officiers devaient faire acte de soumission, le 6 juillet 
avant midi, et que ceux qui s'abstiendraient seraient 
considérés comme démissionnaires et licenciés. L'an- 
cien général en chef des troupes de la République 
romaine déclara avec emphase qu'il quitterait Rome, 
mais pour aller combattre les Autrichiens *. 

Une telle prétention n'était pas admissible, le géné- 
ral Oudinot le lui fit sèchement comprendre sur- 
le-champ, mais le lui répéta dans une lettre pleine de 
dignité et de fermeté, à la date du 6 juillet au matin : 

<i ... Je vous ai déclaré qu'à midi la place de Rome 
devait être entièrement abandonnée par les troupes 
qui ne nous ont pas offert leur concours absolu, je 
vous ai dit que, dans aucun cas, nous ne permettrions 
la sortie de Rome d'une seule pièce d'artillerie, je 
vous ai envoyé une proclamation, qui vous fait assez 
connaître les volontés du gouvernement français. Il 
faut y obéir sans délai, il faut que les corps recrutés 
dans les contrées étrangères aux Etats romains quit- 
tent immédiatement la ville de Rome et soient aussi- 
tôt licenciés. » 

Des ordres furent aussitôt donnés par le général 
Oudinot afin de préparer manu militari le désarme- 
ment des troupes romaines dissidentes. Roselli l'ap- 
prit et n'osa pas résister, il licencia les volontaires 
étrangers, leur fit quitter leurs armes et se licencia lui- 
même ainsi que ses officiers. 

Un grand nombre des anciens défenseurs de Rome 
quittèrent donc la ville pour gagner TOmbrie et la 
'Toscane, le général Oudinot crut devoir, le même jour 

6 juillet, en prévenir le général Wimpffen, comman- 
dant le corps autrichien d'occupation, l'informant en 
outre que le corps expéditionnaire français était dans 

< Balleydibr, La Révolution à Rome, t. II, p. aag. 



la nécessité d'occuper Civita-Castellana, Yiterbe et 
Orvieto, garnisons peu éloignées de celles où can- 
tonnaient les troupes autrichiennes. 

« Nos deux armées, ajoutait le général en chef, ont 
appris à s'estimer sur les champs de bataille et sans 
doute il ne pourrait y avoir aucun inconvénient à 
ce qu'elles fussent sur le même territoire. Cependant 
pour éviter toute espèce de conflit, vous jugerez 
comme moi qu'il est nécessaire de n'avoir pas de can- 
tonnements communs et de ne pas confondre nos 
actions ^ y^ 

C*était prévenir, sous une forme très courtoise, des 
difiicultés et des conflits presque inévitables. Le 
général autrichien répondit au général français qu*il 
partageait sa manière de voir. 

Tout indiquait un désir de calme et de paix dans 
la population romaine. Les notables qui faisaientpar- 
tie de la commission municipale ne craignaient plus 
les coups de poignard de leurs compatriotes* et 
concouraient ouvertement au rétablissement de Tor- 
dre. Bientôt le peuple s'employa, moyennant une 
faible rétribution, à faire disparaître les barri- 
cades et à combler les tranchées. Le seul quartier qui 
eût vraiment souffert du bombardement était le Trans- 
tevère : ses habitants avaient été contraints par les 
triumvirs à travailler aux fortifications et aux tran- 
chées, on les ménageait peu en raison de leur tié- 
deur pour la Révolution. Les obus et les bombes du 
corps expéditionnaire avaient causé des dégâts sérieux 
dans les maisons en arrière de la porte San-Pancraiio, 
mais la commission des barricades et les organisa- 

' L. DE Gaillard, Pièces justificatwes^ p. a66. 

^ « Au début, ils demandaient à M. de Rayneval de les faire 

{)rendre à leur domicile, en plein jour, par les gendarmes qui 
es conduiraient à la salle oes séances. On aurait cra alors 
qu'ils cédaient à la contrainte. »(M. de Rayneval à M. de Toc- 
queville. — L. de Gaillard, p. a65.) 



\ 



— 4a3 — 

leurs de la défense, en crénelant ou même en nivelant 
des maisons, en rasant les jardins, avaient fait beau- 
coup plus de mal à Rome que les boulets français'. 

Nos troupes organisèrent une souscription pour 
les malheureux Transtevérins qui les avaient d'ail- 
leurs si bien accueillies, elle produisit de suite un mil- 
lier de francs, ce qui servit à soulager les misères les 
plus urgentes. Le génie organisa de véritables bri- 
gades de travailleurs civils auxquels il donna une 
petite paye qui ramena bientôt un peu d'aisance dans 
la plupart des familles nécessiteuses '. 

La discipline de nos troupes ne tarda pas à être 
admirée des Romains qui avaient eu tant à souffrir 
des excès des bandes révolutionnaires. Nos officiers 
se montraient, en toute occasion, remplis de sollici- 
tude pour les habitants qui avaient recours à eux. 
Enfin le calme renaissait partout, grâce à l'esprit de 
fermeté, de justice et de bienveillance dont l'auto- 
rité militaire ne se départissait jamais ^ 

Certaines répressions s'imposaient, le gouverneur 
faisait rechercher les révolutionnaires les plus com- 
promis. La plupart échappèrent grâce à la complicité 
des agents consulaires de l'Angleterre et des États- 
Unis qui s'étaient toujours montrés nos adversaires et 
qui, grâce au travestissement de leurs passeports, 
permirent aux principaux chefs de la Révolution de 
traverser les lignes françaises et d'éviter le conseil 
de guerre : les triumvirs Mazzini, Armellini, Saffi, 
Avezzana, le ministre de la guerre, le prince Canino, 
Sterbini, Sturbinetti, Montecchio, etc. en profitèrent. 

* TimeSj oo juillet 1849. 

* ^jc(rai£d*une correspondance du Times , ao juillet. 

' « La conduite des officiers et des soldats français est 
admirable, aussi d'aucun côté n'arrive-t-il aucune plainte 
contre eux. Les officiers de Tétat-major du général Oudinot 
et les secrétaires de la légation française ne prennent de 
repos ni jour ni nuit; pendant ce temps de forte chaleur tout 
le monde dort. » {Extrait du même journal.) 



4 



-4^4- 

Les uns gagnèrent la Suisse, d'autres restèrent en Pié- 
mont, le plus grand nombre s'enfuit en Angleterre. 
Ccrnuachi, l'homme des barricades, fut arrêté à Civita- 
Vecchia, au moment où il allait s'embarquer. Ramené 
à Rome, il comparut devant le conseil de guerre sous 
l'inculpation d'avoirsignéune proclamation impudem- 
ment incendiaire. Cernuschi affirma que sa signature 
avait été mise sans son consentement: dans le doate, 
nos officiers l'acquittèrent. La justice ne frappa pour 
descrimes de droit commun queceux dont la culpabi- 
lité ue put être contestée, comme les assassins du 
pauvre curé de la Minerve et des malheureux prêtres 
égorgés devant le cloitre Saint-Calixte. Ces actes de 
sévérité bien justifiée, fort rares du reste, produisi- 
rent la meilleure impression sur la population. 

L'occupation de Rome avait été saluée en France 
par tous les vrais catholiques et aussi par tous les 
adversaires de la Révolution et de l'anarchie. Dans 
un élan d'enthousiasme, la majorité conservatrice de 
l'Assemblée avait adopté, le lo juillet, un ordre du 
jour dont la copie, adressée au ministre de la guerre, 
avait été remise par celui-ci au lieutenant-colonel 
Espivent de la Yilleboisnet récemment promu, qui 
;ill;tii [entrer incessamment à Rome : 

L'Assemblée nationale, en apprenant le suc- 
cès définitif de nos armes dans l'expédition 
d'Italie, vote ses remerciements & l'armée exp6- 
ditionDaire et à ses chefs, qui ont su concilier 
dignement les devoirs de la guerre avec le res- 
pect dû à la capitale du monde chrétien. 

Dé!il>(-ré en séance publiqae, à Paris, le lo juillet 1849. 
Le Président et les Secrétaires : 
DiiPiN, Arnaud (de l'Ariège), Lacaze, Peupis, 
Chapot, Bérard, Hebckbben'. 
■ Moniteur du 11 jatllet 18^9. 



— 425 — 

Le Président delà République qui, après réchec du 
3o avril, avait si spontanément envoyé l'expression de 
ses sympathies au corps expéditionnaire et à son chef, 
s'était borné, au lendemain de la victoire, à adresser 
une dépêche de félicitations. Il se décida un peu tardi- 
vement à écrire au général Oudinotla lettre qui suit : 

« Elysée national, le i3 juillet 1849. 

« Mon cher Général, 

cf Je suis heureux de pouvoir vous féliciterdurésultat 
que vous avez obtenu. £n entrante Rome, malgré la 
vive résistance de ceux qui s'y défendaient, vous 
avez maintenu le prestige qui s*attache à notre dra- 
peau. Je vous prie de faire connaître aux généraux 
qui sont sous vos ordres et aux troupes en général 
combien j'ai admiré leur persévérance et leur cou- 
rage. Les récompenses que vous porte votre aide de 
camp sont bien méritées* et je regrette de ne pas pou- 
voir les remettre moi-même. J'espère que l'état sani- 
taire de votre armée se maintiendra aussi bon qu*il 
l'est aujourd'hui et que bientôt vous pourrez revenir 
en France avec lionneur pour nos armes et avec béné- 
flce pour notre influence en Italie. 

« Recevez, mon cher Général, l'assurance de mes 
sentiments d'estime et d'amitié. 

« LoUISrNAPOLÉON *. » 

Le ministre de la guerre avait également chargé le 
lieutenant-colonel Espivent de la Villeboisnet de 
remettre au général en chef une lettre de félicitations 

* M. Espivent de la Villeboisnet, nommé lieutenant-colonel, 
rapportait de nombreux décrets d'avancement ou de promo- 
tion dans la Légion d'honneur. Le général Oudinot, <jui 
n*était ^ue commandeur, recevait la plaque de grand-ofïicier 
de la Légion d'honneur, le Saint-Père devait y joindre le grand- 
cordon oe Pie IX. 

* L. DE Gaillard, Pièces juslificaiwes, p. 433. 



dans laquelle il exprimait la vive satisfaction du cabi - 
net tout entier ; « Le gouvernement rend pleine jus- 
tice aux talents développés par les généraux dans 
cette savante et laborieuse opération du siège, il 
applaudit avec empressement au bon esprit des sol- 
dats, à leur ardeur età leur bravoure'. » Le général 
HuUière déclarait en outre que le pays s'enor- 
gueillissait du succîis obtenu, que les régiments res- 
tés en France enviaient le poste d'honneur échu au 
corps expéditionnaire. Il terminait en adressant ses 
félicitations « au général Oudinot, comme comman- 
dant en chef, au général Vaillant, pour la conduite 
du siège et les travaux du génie, au général Tbîry, 
pour les services éminents rendus par l'artillerie, aux 
généraux Uostolaa, Gueswîller, Kegnaud de Saint- 
Jean-d'Angély et à leurs divisions, pour leur coopé- 
ration dévouée, et enfin à l'administration militaire el 
à tous les services qui s'y rattachent * ». 

Ces témoignages si mérités ne devaient parvenir à 
Rome que le ao juillet. Sans les attendre, fort de son 
droit et convaincu de son devoir, le général Oudinot 
résolut de procéder solennellement à la restauration 
de l'aulorilé pontificale. 

Di's l'occupation de ta ville, des adresses couvertes 
des signatures des babitanls les plus recommandables 
avaient été adressées au duc de Reggio pour le réta- 
blissement de l'autorité du Saint-Père. Les officiers 
de caialiiniers, de dragons et des trois premiers régi- 
ments de ligne, qui avaient fait leur soumission, 
avaieni déclare qu'ils restaient au service du Pape. 
Depuis le lo juillet, les manifestations en Tbonneur 
de Pie IX se multiplièrent parmi les boui^eois el les 
petits commerçants. Le général en chef résolut de 

■ Jniirnol des opérations de l'artillerie et do génie. Pièces 
jutittcalLvc.i, pièce n" 2j. 
» Ibid. 



— 4^7 — 

fixer au i5 juillet cette importante solennité, malgré 
les protestations que crurent devoir lui adresser 
certains membres de la colonie française. 

On a prétendu que le général Vaillant conseilla, 
sinon Tabstention, du moins la temporisation relati- 
vement aux affaires intérieures de Rome *. 

Le général Oudinot estima que de pareils ater- 
moiements étaient en contradiction avec la véri- 
table mission des troupes qu'il commandait, avec les 
épreuves qu'elles avaient subies, avec la gloire qu'elles 
avaient conquise. La grande majorité des officiers et 
des soldats du corps expéditionnaire témoignaient le 
désir de participer à la restauration de Pie IX. Le 
général en chef persista donc dans sa résolution dont il 
voulait garder toute la responsabilité. MM. de Cor- 
celles et de Rayneval, que, par un sentiment de 
délicatesse, le général en chef n'avait pas consultés, 
tinrent à lui manifester, au sujet de ce projet, leur 
entière approbation et à déclarer qu'ils tenaient à 
partager sa responsabilité. 

La fête qui se préparait devait avoir un caractère 
religieux, militaire et politique. Malgré la grande cha- 
leur, les troupes reçurent l'ordre de prendre les armes 
dans l'après-midi, pour donner à la cérémonie tout son 
éclat. Dès le matin, la ville présentait un air de fête, 
les maisons étaient garnies de tentures, les balcons 
enguirlandés de fleurs. Les Romains circulaient 
joyeux avec leurs femmes et leurs enfants, le temps 
était superbe, pas un nuage au ciel. Les hommes 
de désordre, qu'on avait trop longtemps redoutés, se 
cachaient ou dissimulaient leur mécontentement. Ils 
n'eussent effrayé personne, les baïonnettes françaises 
étaient trop nombreuses. 

On les voyait en effet depuis deux heures et demie, 

* C'est l'opinion que lui prête M. de Gaillard, Tarai et le 
confident du duc de Heggio. — V. U Expédition de Rome, p. 269. 



i 



— 428 — 

ces glorieuses baïonnettes se masser, brillantes et 
serrées, depuis la place Saint-Pierre jusqo'aa pont 
Satnt-Ange, encadrées par les batteries de campagne 
et par la cavalerie ', sous le commandement du géné- 
ral de Rostolan. Les troupes romaines, sous les ordres 
du général Levaillant (Jean), s'alignaient à leur tour 
sur la place Saint-Pierre, devant la colonne do côlé 
de la porte Angelica. 

A trois liGui-es, le général en chef duc de Reggio. 
entouré de plusieurs officiers généraux, d'un nom- 
breux état-major et d'une escorte de dragons, arrivait 
sur la place au milieu des vivats. Comme il l'avait 
prescrit, les troupes ne lui rendaient pas d'honneurs. 
Mais à un coup de canon, ledfapeau pontifical janne 
et blanc était arboré simultanément sur le château 
Saint-Aufi^c et au sommet du Capîtole. Les batteries 
françaises tiraient une salve de cent coups de canon 
à la suite de laquelle les tambours et les clairons bat- 
taient et sonnaient aux champs, pendant que les 
troupes présentaient les armes. 

Jamais lioi meurs militaires ne parurent plus 
iniposants. plus émotionnants que ce salut d'une 
armée viclurieuse au drapeau du Chef de l'H^lise. 
L'enlliousiasniedevintindescrîptible, ceux qui criaient 
quel<|ne» mois auparavant Ev'tvala Repablica romana! 
poussaienl des crîs formidables Ac Eviva Pio nono! 
Em'it noHlru Papa! 

La riitiienr s'apaisa quand on vit le général en 
chef, les deux ministres de France, le corps diploma- 
tique, lesonieiersgénéraux et supérieurs, quin'étaîent 
pas de service, la commission municipale et les 
pagistrats pénétrer dans l'immense basilique, pour 
gipistcr au service d'actions de grdees. A quatre heu- 

( le cardinal Castracani entonna le Te Deum que 

ui-e cependant des trois escadrons de la colonne 



— 4^9 — 

répétèrent dix mille voix. Le cardinal Tosti prononça 
un discours plein d'élévation et de chaleur, glori- 
fiant la victoire des armes françaises et prêchant 
cependant la réconciliation et le pardon. A la sortie 
de Saint-Pierre, le général Oudinot fut encore haran- 
gué par les cardinaux, il répondit avec modestie, tout 
en rendant justice à ses vaillants soldats et en rappe- 
lant que l'armée française avait su respecter les pré- 
cieux monuments de la Ville éternelle. 

Les troupes défilèrent ensuite, applaudies par 
la foule. Le soir une illumination générale ter- 
mina cette radieuse journée. Rome se réconciliait 
avec ses vainqueurs parce qu'ils lui rendaient son 
souverain légitime, ce n'étaient plus les soldats de 
l'étranger, li forestieri, qui étaient entrés par la 
brèche et qui s'imposaient par la force et la terreur, 
c'était la garde d'honneur que la France catholique 
maintenait dans la capitale de tous les chrétiens pour 
veiller sur la personne du successeur de saint Pierre. 

Devant les instances du corps diplomatique, la ren- 
trée de Pie IX fut retardée neuf mois encore, le 
général Oudinot devait lui-même être relevé de son 
commandement cinq semaines après la cérémonie du 
i5 juillet et céder ses fonctions au général de Rosto- 
lan. 

La commission des cardinaux administrateurs et 
le gouvernement français allaient se heurter dans plus 
d'un conflit avant le retour véritablement pacificateur 
du Souverain Pontife. N'était-ce point l'inévitable 
résultat de la politique, de ses calculs et de ses 
erreurs? Notre vaillante armée y restait étrangère, 
elle avait noblement et généreusement accompli sa 
mission et, dans nos fastes militaires, l'expédition de 
1849 garde intact son prestige de gloire. 



TABLE DES MATIÈRES 



iNTRODUCnOlf V 

Cbapitiie prkmikb. — Les motifs de rexpédition. — Diffi- 
caltés et ajoamements. — L'ExpéditioD décidée i 

Chapitre II. — Derniers préparatifs. — Einbarqaeiiient 
et débarquement aa 

Chapitre III. — Tentatives pacifiques. — Organisation 
de la résistance 45 

Chapitre 1Y. — Dernières illusions. — La marche en 
avant. — Démonstration militaire 59 

Chapitre V. — Le combat du 3o avril. — La retraite. . . 71 

Chapitre VL — lendemain d'échec. — Rome. — Le 
camp français. — Paris. — Responsabilités 96 

Chapitre VIL — Préparatifs de revanche et de résis- 
tance. — Arrivée inattendue d*un plénipotentiaire fran- 
çais. — Nouvelles difficultés laa 

Chapitre YIII. — M. de Les seps à Rome. — Les camps 
du coq>s expéditionnaire i35 

Chapitrk IX. — Duplicité et naïveté. — Rupture. — La 
révocation de M. de Lesseps 170 

Chapitre X. — Instructions gouvernementales trop tar- 
dives. — Préparatifs d*altaque aoa 

Chapitre XL — Premier combat du 3 juin : la prise des 
villas 211 

Chapitre XII. — Second combat du 3 juin : l'occupation 
de Ponte-Molle. — La nuit et le lendemnin sur les posi- 
tions françaises et à Rome a38 



i 



— 432 — 

Chapitre XIII. — Premiers jours de tranchée m6 

Chapitre XIV. — La défense de la tranchée par le colo- 
nel Niel. — Uattaqae des tonneaux. — Le^ expéditions 

de Porto-d'Anzio et de Montc-Parioli a8i 

Chapitre XV. — De vrais soldats ! — La sortie des che- 
mises blanches. — Surprise manquée 3o; 

Chapitre XVI. — Trois brèches ouvertes. — L*assaat 

du 21 juin 3i<i 

Chapitre XVII. — Duel d'artillerie 335 

Chapitre XVIII. — Avant le combat. — L'assaut du 

3o juin 36a 

Chapitre XIX. — Derniers coups de canon. — Com- 
ment on força les portes 38i 

Chapitre XX. — L'entrée de l'armée française à Rome. 3^8 
Chapitre XXI. — A la poursuite de Garibaldi. — La 
pacification à 'Rome. — Restauration solemielle du 
gouvernement pontiAcal 4o8 

Carte des environs de Rome pendant L'sxpÉDinoy 




Paris. — Imp. Téuui, 92, rue do Vauginrd. 



irre en i856.) 




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bois, in-iâ 3 » 

P. FÉVAL. Le Dernier Lairdy suivi de là Providence du Camp, 

in-12 a » 

P. FÉVAL. La Trombe de fer 3 30 

Colonel de BEADREPAIRE. Jérôme le Trompette, in-12. 3 » 

— Manjo le Guérillero 3 » 

BODRHAHD. Une Gloire française : 1^ Commandant Rivière^ 

in-12 2 • 

PROFILLET. Robinet de Plas, ofllcier de la marine fran- 
çaise, in-i2 2 • 

POUGEOIS. Le Général Lamoriciére, in-i2. . . . 2 • 
6ENEVAT. Le Siège de Florence 2 • 



Paris. — Imp. P. Téqui, 92, rue de Vaogirard. 



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